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AT THE
UNIVERSITY OF
TORONTO PRESS
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ANTOINE DE BOURBON
ET
JEANNE D'ALBRET
IMl'RIMEnjP: DAUPKI.KY-dOlYERNEUR, A NOGENT-LE-nOTROU.
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ANTOINE DE BOURBON
ET
JEANNE D'ALBRET
SI ITE I»E
LE MARIAGE DE JEANNE D'ALBRET
LE BARON ALPHONSE DE RUBLE
TOME TROISIÈME
PARIS
ADOLPHE LAP.ITTE
LIBRAIRE DE La BIBLIOTHEQUE NATIONALE
4. UUi; DE LILLE, 'i
1885
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ANTOINE DE BOURBON
ET
JEANNE D'ALBRET
CHAPITRE ONZIÈME.
Depuis la mort de François II (5 décembre 15G0) jusqu'à l'édit
du 19 avril.
Avènement de Charles IX (o déc. 1560). — Catherine
de Médicis se fait attribuer la régence aux dépens du
roi de Navarre. — Disgrâce des Guises. — 31ise en
liberté du prince de Coudé. — Etats généraux d'Or-
léans (13 déc. 1500-31 janvier 1561). — La
Bé forme. — Démonstrations opposées de F Espagne
et de r Angleterre. — Mission de Pedro d'Albret à
Rome. — La cour quitte Orléans et se rend à Fon-
tainebleau (2 février 1561). — A/faire des clefs du
château (28 février). — Arrêt du conseil portant
justification du prince de Condé (8 mars). — États
provinciaux de Paris ( 1 5 tnars) . — Le roi de Navarre
est nommé lieutenant général du roi (27 mars). —
Etablissement du triumvirat (6 avril). — Edit de
tolérance du 19 avril 1561.
ui 1
ANTOINE DE BOURBON
Aussitôt que François II eut rendu le dernier sou-
pir, Catherine de Médicis, d'un ton impérieux, s'ar-
rogea le commandement de la maison du roi. Elle fit
fermer les portes, appela sous les armes les compa-
gnies de service, convoqua les membres du conseil
privé et proclama le nouveau roi, Charles de Valois,
duc d'Orléans, sous le nom de Charles IX. Anxieuse,
animée d'une énergie fébrile, pendant qu'elle prenait
ses dispositions, elle interrogeait des yeux, dit Clian-
tonay, les mouvements du roi de Navarre que les
ordres du feu roi ne pouvaient plus retenir. Mais
Antoine ne souleva aucune opposition dans ce
moment solennel*. Il était près de minuit. Malgré
l'heure avancée, elle envoya chercher Louis de Saint-
Gelais, seigneur de Lansac, et lui dicta une lettre au
connétable de Montmorency. La lettre écrite, Cathe-
rine la signa d'une main ferme et commanda à Lansac
lui-même de se rendre à la rencontre du connétable
qui s'avançait à petites journées 2.
Le nouveau roi de France, cinquième enfant de
Henri II et de Catherine de Médicis, était âgé de dix ans.
« C'est un enfant admirable, écrit l'ambassadeur véni-
1. Lettre de Ghantouay du 8 décembre 1560 (Arch. uat., K.
1493, n" 115). — Relation de ce qui se passa à Orléans le lende-
main de la mort de François II {Mémoires de Co?idé, t. Il, p. 211).
2. Le corps de la lettre est de la main de Lansac (Orip. f. fr.,
vnl. 31.")7, 1'. MO). Lcllres de Catherine de Médicis, t. I, j). 155.
ET JEANNE D ALBRET. S
« tien Michieli en 1 561 ; et tout ce qu'un roi peut faire
« espérer en talent, en esprit, en affabilité, en libéra-
« lité, en courage, on peut l'attendre de lui. Sa figure
« est belle * ; il a surtout de très beaux yeux comme
« son père. Ses mouvements et ses manières respirent
« l'aisance et la grâce*. » Charles IX avait pour gou-
verneurs le prince de la Roche-sur-Yon et Philibert de
Marcilly, sire de Cypierre. Le premier n'exerçait qu'une
fonction nominale, mais Cypierre ne quittait son dis-
ciple ni jour ni nuit. Ancien favori de Henri II, renommé
pour son élégance et son adresse à la cour, il avait
su captiver le cœur de son jeune maître en le suivant
dans tous les exercices de son âge". Depuis sa pre-
mière enfance, Charles IX recevait aussi les leçons de
Jacques Amyot S mais il n'aimait pas l'application^ et
ne prenait plaisir « qu'à la paume en temps sec et
« beau, à danser et jouer des armes en temps humide
« et pluvieux '^. » En vain le grand helléniste s'était
1. On le trouve quelquefois désign'é dans les pamphlets du
temps sous le surnom peu gracieux de roi morveux. Ce surnom
n'était pas motivé, comme on pourrait le croire, par l'extrême
jeunesse du roi, mais par un trait naturel qu'il avait au-dessous
du nez. Voyez une étude dans le Recueil des Mémoires de la
Société des Antiquaires de France, 2*^ série, t. IV, p. 189.
2. Relations des ambassadeurs vénitiens dans les Documents
inédits., t. I, p. 419. — Voyez aussi la lettre de Michel Suriano
à la répubhque de Venise du 6 décembre (Bibl. nat., Dépèches
des ambassadeurs vénitiens, filza 4, f. 205).
3. Telle est l'appréciation de Chantonay, ambassadeur d'Espagne
(Lettre en espagnol à Philippe II, du 28 décembre 1560 ; Arch.
nat., K. 1494, n° 12). L'ambassadeur vénitien, Jean Michieli,
paraît du même avis {Relations des amb. vm., t. I, p. 421).
4. Œuvres morales de Plutarque., Paris, 1802, épitre do dédicace
au roi, p. 13.
5. Relations des ambassadeurs vénitiens., t. I, p. 419.
6. Lettre sans date, 1561 (Négociations sous François II, p. 793).
4 ANTOINE DE BOURBON
efforcé d'assujettir à l'étude des lettres ce « jeune lion »
indompté qui ne rêvait que chasse et que combats.
Charles IX lisait les vies de Plutarquc, vivait et pensait
avec ses héros, mais, au lieu d'y puiser « la sainte
sapience, discipline des rois^, » il n'y cherchait que
l'image de la guerre. Vers le même temps, un autre
prince, destiné agrandir à côté de lui, Henri de Béarn,
sur les conseils de sa mère, recueillait à cette même
lecture la source « de ses bons déportemens. » Cepen-
dant le fils de Henri II se montrait sensible aux soins
d'Amyot. A l'exemple de Charles-Quint, qui avait fait
nommer pape son ancien précepteur, Adrien II, il vou-
lut, le lendemain de son avènement, montrer sa recon-
naissance à son maître ; son premier acte fut de con-
férer à Jacques Amyot la charge de grand aumônier ^.
L'ancienne constitution du royaume, qui n'était pas
discutée, parce qu'elle n'avait jamais été écrite, attri-
buait la régence au roi de Navarre comme premier
prince du sang. La reine mère n'a droit, écrit Chan-
tonay à Philippe II, qu'à la tutelle de son fils^. Mais
l'autorité de la reine pouvait primer celle des tradi-
tions. Il importait de résoudre la question avant le
1 3 décembre, date de l'ouverture des états généraux,
dont les assemblées bruyantes auraient passionné le
débat. Catherine avait à peine huit jours, et son natu-
i. Préface do la traduction dos OEuvres morales.
2. Orduunauco datée du 0 décembre 1560 (copie du temps;
coll. Clairembauit, vol. HH, f. 257).
3. Ghantonay cunstatc que ce point n'était pas discuté (Lettre
orig. à Pliilippe II, du 5 décembre; Arcli. nat., K. 1493, n" 111).
Dans une autre lettre, du 28 décembre, il raisonne longuement
ce puint de droit (Ibid., K. 149i, n° 12). — Lettre de Throckmorton
du 31 décembre (Calcndars, 15GU, p. 4G7).
ET JEANNE D ALl'.RET. 5
rel ne la portait pas aux décisions rapides^. Quelques
heures avant la mort du roi ~, elle était allée consul-
ter le cardinal de Tournon et s'était fait un plan de
conduite, dont le trait principal était de résoudre la
question par l'autorité du fait accompli^. Dans la
matinée du G décembre, sur les conseils du maréchal
de Vieilleville \ elle convoqua à l'hôtel Groslot les
princes, les membres du conseil, les hauts seigneurs
présents à la cour. L'assemblée réunie, elle fît ouvrir
les portes de la chambre du roi. Le roi de Navarre,
les cardinaux de Tournon, de Lorraine, de Guise ^ et
de Chastillon, le prince de la Roche-sur- Yon, les ducs
de Guise, d'Aumale et d'Estampes, le chancelier Michel
de l'Hospital, les maréchaux de Saint-André et de Bris-
sac, l'amiral de Goligny, les évêques d'Orléans, de
Valence et d'Amiens, les s. du Mortier et d'Avanson,
tous membres du conseil privé, furent admis solen-
nellement auprès du nouveau roi, qui les remercia
« benignement » de leurs services et leur commanda
d'obéir à la reine mère.
\. Baschet, La diplomatie vénitienne^ pièces citées, p. 515 et
518. — Sur les incertitudes de Catherine, pendant les premiers
jours du règne de Cliarles IX, voyez les Commentaires de Mon-
luc (t. Il, p. 33G, édit. de la Société de l'Histoire de France).
2. La veille de la mort du roi elle avait écrit, dans la pré-
voyance de ce qui allait se passer, une très belle lettre à Guil-
laume de Saulx, s. de Villefrancon, pour lui demander de
maintenir l'ordre dans la province fOrig., f. IV., vol. 4638, f. 5).
3. Lettre do Tornabuoni au grand -duc de Toscane, du
6 décembre 1500 ; Négociations de la France avec la Toscane^ t. III,
p. 427.
4. Mémoires de Vincent Carloix^ liv. VIII, cbap. xvi.
5. « Point ne fcurent paresseux ceux de Guise à saluer
« Charles » (D'Aubigné, Histoire universelle^ 1626, t. I, col. 141).
6 ANTOINE DE BOURBON
Après eux les cinq capitaines des gardes, les quatre
secrétaires d'État, l'Aubespine, Bourdin, de Fresne
et Robertet, ies intendants des finances, les chevaliers
de l'ordre, les gentilshommes de la chambre reçurent
les mêmes instructions. Le cardinal de Lorraine rap-
porta le cachet de François II et le rompit en présence
du conseil. On fabriqua un autre cachet au chiffre du
nouveau roi, qui devait rester entre les mains de la
reine mère^. Les secrétaires d'État dressèrent immé-
diatement des lettres d'avis à l'adresse des cours souve-
raines et des gouverneurs de places, pour faire con-
naître à la fois la mort de François II, l'avènement
de son successeur et l'organisation du nouveau pou-
voir. Dans ces lettres le roi déclare « que la pru-
« dence de la royne mère suppléera aux défauts de
« son âge, » ou bien qu'il « a supplié la royne de
« prendre en main la charge des affaires avec le
« prudent ad vis et conseil de son oncle le roy de
« Navarre -. » Catherine ajouta une lettre signée d'elle
à celles du roi. Ainsi s'établit dans le gouvernement
une dualité qui dura jusqu'à la fin du règne de Henri III.
Catherine de Médicis associa immédiatement le roi
de Navarre aux affaires. La reine et le prince agitèrent
un moment de n'appeler au conseil (jue le chancelier,
le cardinal de Lorraine, le duc de Guise, le conné-
table, les maréchaux de Brissac et de Saint-André, le
1. Relation de ce qui se passa à Orléans le lendemain de la
mort de François II [Mémoires de Condé, t. II, p. 211).
2. Lettre du roi à Antoino do Noailles (Vc de Colbert, vol. 27,
f. 2i0) ; lettre à Coignet, ambassadeur en Suisse [Lettres de Cathe-
rine de Médicis, t. I, p. 567, note) ; lettre du roi au duc d'Aumalc
du 8 décembre (f. IV., vol. 1639, f. 6).
ET JEANNE D ALBRET. 7
duc de Montpensier et le prince de la Roche-sur-Yon ^ .
Mais la reine voulut ajouter à la liste quelques-unes
de ses créatures et Antoine de Bourbon ses plus fidèles
partisans. Les concessions furent réciproques, et, d'ad-
jonction en adjonction, la liste monta à trente noms.
La reine fut représentée au conseil par le cardinal de
Tournon, les maréchaux et le sire de Crussol ; le roi
de Navarre par les princes du sang, les Montmorency
et les Chastillon-. La séance d'inauguration fut fixée
au lendemain, 7 décembre.
Le roi de Navarre, comme le reste de la cour,
subissait passivement l'ascendant de Catherine, mais
ne ratifiait aucune de ses combinaisons. Sa docilité
cachait des réserves. Étourdi d'un coup de fortune,
\. Lettre de Tornabuoni au grand-duc de Florence ; Négociations
de la France avec la Toscane^ t. III, p. 427. — Lettre de Ghantonay
à Philippe II, du 8 décembre 1560 (Orig. espagnol, Arch. nat.,
K. 1594, n" 115). — Lettre de Suriano du 6 décembre (Dép. des
ambassadeurs vénitiens, filza 4, f. 205).
2. Voici la liste complète des membres du conseil : le roi de
Navarre ; les cardinaux de Tournon, de Lorraine, de Bourbon,
de Ghastillon, de Guise et d'Armagnac ; le prince de Gondé ; le
duc de Montpensier, gouverneur de l'Anjou et du Maine ; le
prince de la Roche-sur- Yon, gouverneur d'Orléans ; le duc de
Guise, grand-maitre et gouverneur du Dauphiné ; le duc de
Nevers, gouverneur de Brie et Champagne ; le duc d'Aumale,
gouverneur de Bourgogne ; le connétable de Montmorency, gou-
verneur du Languedoc ; le chancelier de l'Hôpital ; le duc
d'Estampes, gouverneur "de Bretagne; le maréchal Saint-André,
gouverneur du Lyonnais et Forez; le maréchal de Brissac,
gouverneur de Picardie ; l'amiral Coligny ; le s. du Mortier ;
Morvilliers, évêque d'Orléans ; le s. d'Avanson ; Monluc, évoque
de Valence ; Pellevé, évêque d'Amiens ; le s. de Selve ; le maré-
chal de Thermes ; le maréchal de Montmorency, gouverneur de
risle-de-Francc ; le maréchal de Vicilleville ; le sire de Crussol ;
Cossé, s. de Gonnort. (Extraits des registres de Claude de l'Au-
bespine; coll. Brienne, vol. 257, f. 45.)
8 ANTOINE DE BOURBON
qui, suivant plusieurs témoins, lui sauvait la vie^,
pénétré de son droit à la régence, mais ne sachant
comment le faire valoir, il attendait une inspiration.
Malheureusement pour lui, Jeanne d'Albret était en
Béarn. Catherine, témoin de son incertitude, le fit
circonvenir par le sire de Carrouges, par Saint-Gelais
de Lansac, négociateur habile, toujours au premier
rang dans les intrigues de Catherine, et par la duchesse
de Montpensier, sa cousine, qui avait conquis du crédit
sur lui ^. Antoine avait repris pour favoris François
d'Escars et Philippe de Lenoncourt, évèque d'Auxerre ;
elle les achela, l'un par des présents, l'autre par la
promesse du chapeau de cardinal. Trois conditions
furent offertes au roi de Navarre de la part de la
reine : la première, de délivrer tous les prisonniers
et particulièrement le prince de Condé, la dame de
Roye et le vidame de Chartres ; la seconde, de lui don-
ner le titre de lieutenant général et le gouvernement
de toutes les provinces ; la troisième proposition
répondait au rêve secret d'Antoine ; la reine s'enga-
geait à user de son crédit auprès du roi d'Espagne
pour demander, sinon la restitution de la Navarre, au
moins une compensation suffisante. Telles étaient,
d'après Davila ^, les clauses du marché.
1. Nous ajoutons aux t('mûiguages que nous avons cités
dans les notes du tome II le témoignage de Melvil, présent à
Orléans, qui affirme que, si François II avait vécu, le roi de
Navarre aurait suivi Condé sur l'échafaud (Mémoires^ 1694, t. I,
p. 107). — De Bèze écrit que le prince aurait été seulement
emprisonné, de même que le connétable (Lettre du "i?"? janvier ;
Baum, Teodor Deza, Preuves, p. 18).
2. Notamment dans les derniers jours du règne de François II.
Voy. de Thon, liv. XXVI, 1740, t. II, p. 832 et 834.
3. Davila, favori de la reine mère quelques années après, reçut
ET JEANNE d'aLBRET. 9
Antoine ne se sentait pas d'aise d'avoir reconquis
de l'importance. D'Escars, poussé par la cupidité,
Lenoncourt, par l'ambition, pressaient ce prince faible
et indécis. Le titre de régente, que la reine se réser-
vait, n'offrait guères, disaient-ils, que de vaines
prérogatives. L'apparence du pouvoir appartenait à
Catherine, mais le pouvoir réel restait au lieutenant du
roi. La délivrance de Condé couvrait de confusion les
ennemis des Bourbons. Enfin l'appui sincère du roi de
France donnait aux revendications de la Navarre une
autorité qu'elles n'avaient jamais eue. Dans la maison de
Bourbon deux influences rivales se balançaient ; Condé,
altéré de vengeance, se montrait intraitable ; mais le
duc de Montpensier et le prince de la Roche-sur- Von se
déclaraient satisfaits. Trois jours après la mort de Fran-
çois II, on disait communément à la cour que la reine
et le roi de Navarre « marchaient du même pas » et
que les états consacreraient l'accord en les investis-
sant, l'une du titre de régente, l'autre du pouvoir de
lieutenant général.
Au milieu de ses hésitations, Antoine reçut, d'un
de ses conseillers du parti l'éformé , un mémoire
empreint d'une énergie hautaine :
Devez dire haut et clair que ne voulez pour rien quicter
vostre droit, car tant plus vous en parlerez haut et plus ébran-
lerez ceux qui le voudroient empêcher de faire autrement
La prise de vostre chancelier, les Lspagnolz entrez en vostre
pays, le volage de M. de Termes, si autre chose n'y a que je ne
puisse savoir, vous donnent assez à connoistre que c'est à vous
les confidences de Catherine. Aussi son récit ost-il plus complet
qu'aucun autre sur ces négociations [Hist. des Querrcs civiles, 1. 1,
trad. in-fol., p. 76 et suiv.).
10 ANTOINE DE BOURBON
à qui ilz en vouloient et voudront toutes les foys qu'ilz auront
puissance de vous nuyre. Pourtant gardez-vous bien de vous
défaire de l'autorité que les loix vous donnent, pendant laquelle
vous pouvez tellement vous forliffier et les quatre ans vous
les prolongerez jusqu'à huit ou dix en pareille puissance.
Enfin le mémoire anonyme conseillait au prince de
se liguer avec la noblesse, de ne point quitter Orléans
« qui Juy est grande commodité s'il en scayt user, »
de conserver aux états leur autorité, « qui est d'or-
« donner, non de demander; et en ce faisant peult
« acquérir grande faveur de peuple ; » de faire quelque
édit fi synon d'interym, au moins de souffrance pour
« un temps, afifin que l'évangile se puisse avancer, »
et de réhabiliter les conjurés d'Amboise^.
Cette instruction, (|ui commandait sur le ton du
conseil ~, surprit le roi de Navarre au milieu de ses
perplexités. Le soin de faire triompher « l'évan-
« gile » en ce moment était loin de sa pensée. Pour
satisfaire son parti, il demanda à la reine l'exclusion
des Guises de toutes les charges de la cour. Cette exi-
gence faillit rompre les pourparlers. Catherine répon-
dit que chasser les Guises, c'était courir les chances
1. Mémoire au roi de Navarre sur la conduite qu'il doit tenir
après la mort de François II ; sans date ni signature ; écriture
du temps (Arcli. des Basses-Pyrénées, E. 580). Une lettre de
Calvin aux ministres de Paris, qui probablement arriva trop tard
à son adresse, contient les mêmes conseils (Bonnet, Lettres de
Calvin^ t. Il, p. 120).
2. On regrette de ne pouvoir percer l'anonyme, car la pièce
est animée d'un esprit politique assez élevé. Il y a des allu-
sions que nous ne pouvons deviner. Ainsi on y parle des pri-
sonniers de Melun, ce qui s'applique probablement au chancelier
Bouchard et à ses compagnons. Un personnage y est signalé sous
le surnom de l'OEillcl-d'Indc comme chargé d'une entreprise ?
ET JEANNE d'aLBRET, H
de la guerre civile, que la demande était contraire au
principe même de sa politique, l'accord entre tous les
partis. Antoine se contenta de la réponse ; mais, au
moment de signer le pacte, il déclara qu'il ne voulait
rien conclure sans consulter le connétable. 11 fallut
subir les prétentions de ce nouveau négociateur ; Cathe-
rine le désintéressa aux dépens du roi de Navarre.
Le connétable de Montmorency, convoqué à la cour
dans les derniers jours du règne du feu roi, s'avan-
çait à pas comptés. Se sentant menacé dans son crédit
par les favoris de François II, il « feignoit le malade »
et se faisait porter dans un brancard. Par prudence,
il avait laissé son fils à Chantilly. Lansac, qui lui avait
été dépêché par la reine mère, le rencontra à Étampes.
Aussitôt qu'il eut appris la mort du roi et lu la lettre
de la reine, le connétable sortit de sa litière, monta à
cheval et pressa sa marche vers Orléans ^ La prin-
cesse de Condé vint au-devant de lui à Artenay et
s'épancha en récriminations contre l'emprisonnement
de son mari. Montmorency arriva le matin du
8 décembre à la porte Banière^. Les murailles étaient
gardées par des compagnies en armes. Surpris de cet
étalage militaire , il chassa rudement les soldats et
menaça les capitaines « de les faire pendre » en disant
que « c'estoit chose mal séante qu'estant le roy dans
« Orléans, au milieu de son royaume, on gardast les
1. Mémoires de Jacques Melvil, 1694, t. I, p. 108.
2. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 8 décembre 1500
(Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1193, n" 115). — Throckmorton
dit que le connétable arriva le 7 (Calendars, 1560, p. 438).
Ghantonay est plus précis dans son récit.
12 ANTOINE DE BOURBON
« portes ' . » Dès qu'il fut arrivé au logis du roi, la
reine mère le prit à part, lui parla de ses douleurs
et l'adjura en termes émus, au nom de tant de rois
dont il avait été le lieutenant, de servir d'appui à la
veuve de son maître et à l'orphelin couronné. De
nouvelles angoisses prêtaient à ses paroles un accent
de vérité; le jour même, Charles IX était tombé
malade ^ IMontmorency s'attendrit, versa des larmes
et jura d'employer son influence et son épée contre
ceux qui refuseraient d'obéir à la reine '^
Le %\ décembre, un règlement du conseil, homo-
logué par le roi, partagea inégalement l'autorité entre
la reine mère et le roi de Navarre''. « La reine, dit
« un témoin d'un sens rare, Etienne Pasquier, pour-
ce voira aux choses tant ecclésiastiques que séculières,
« qui proviennent de la liljéralité du roy, le tout tou-
« lesfois soubz le nom du roy ; et pareillement elle
« ordonnera les finances^. » Les finances avaient été
gérées pendant le règne de François II par le cardinal
de Lorraine. Maint abus s'y était introduit que le car-
dinal de Tournon affectait de relever au conseil ''. On
1. La Placo, Estât de religion et république, édit. du Panlh. litt.,
p. 76. — Aubi^iK', Ilisloire universelle, 1626, t. I, col. 1 îO.
2. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 157.
3. Cette scène est racontée par Davila, t. I, p. 80. — Jacques
Melvil, dans ses Mémoires, certifie le fond du récit (1694, t. I,
p. 108).
1. Cet acte important est imprimé par Du^iuv {Traité de la
majorité des rois, p. 352).
5. Lettres de l^asquicr dans les OEuvres complètes, t. II, col. 86.
6. Tornabuoni emploie une expression singulière pour exprimer
cette idée : « Il cardinale de Tournon dà addosso al cardinale de
« Lorraine » {Négociations de la France avec la Toscane, t. III,
p. 432.)
ET JEANNE d'aLBRET. 13
remit les clefs du trésor à la reine pour rendre moins
amère la dépossession du cardinal. Catherine, obli-
gée de s'en décharger, les proposa à l'intègre
chanceher, et, sur son refus, les confia au maréchal
de Vieilleville, à Lansac et au sire de Grussol, son che-
valier d'honneur^. Quant aux correspondances, « les
et secrétaires d'Estat, sans aucunement les ouvrir, les
« présenteront incontinent à lad. dame reine mère,
« qui les verra à part-, b Cette clause permettait à
Catherine de dissimuler certaines affaires au roi de
Navarre. Elle ne s'en fit faute. On lit dans une lettre
de Robertet à l'Aubespine : « Vous trouverez en ce
« pacquet troys lettres, une première et deux après ;
« la première et seconde vous sont envoyées à part et
« vous y ferez responce par une lettre particulière.
c( Quant à l'autre, qui est pour le faict du roy de
« Navarre, ceste-là luy a esté communiquée ; vous y
« ferez responce dans la lettre que vous ferez au roy,
« qu'il verra aussy. Il se fault ainsy conduire au temps
« où nous sommes^. »
Le roi de Navarre, « foible pour son trop de bonté*,
« se contenta de l'ombre, quictant volontairement le
« corps et la substance à la royne mère ^. » Peut-être
espérait-il que les états le relèveraient à son rang. 11
aura, dit Pasquier, « la charge sur tous gens de guerre,
« pourvoira aux villes frontières avec le nom et filtre
\. Lettre de Turnabuoni au grand-duc de Florence (Négociations
de la France avec la Toscane^ t. III, p. 430).
2. Décision du conseil, du 21 décembre ; Dupuy, Traité de la
majorité des rois^ p. 35'i.
3. Original daté du 27 mars (15GI) ; f. fr., vol. GG17, f. 139.
4. Mémoires de Tavannes, coll. Petitot, t. XXIV, p. 31 G.
5. Bèze, Histoire ecclésiastique^ 1841, t. I, p. 25 j.
14 ANTOINE DE BOURBON
« de lieutenant général du roy par toute la France ^ . »
Ce partage du pouvoir parut équitable à la cour et au
parlement ~. Malgré les précédents, malgré les anciens
statuts du royaume, chacun jugeait tout bas qu'un
prince, accusé de conspiration la veille de la mort du
feu roi, ne pouvait être promu à la régence le lende-
main.
Le jour même de l'arrivée du connétable, le roi de
Navarre donna, en sa qualité de prince du sang, le
collier de l'ordre Saint-Michel au jeune roi et à son
frère le duc d'Orléans^. La gloire déjouer le premier
rôle dans une cérémonie d'apparat s'accrut dans la
même journée des hommages des ambassadeurs étran-
gers. Perrenot de Chantonay, représentant du roi
d'Espagne, fit sa visite de condoléance à la reine
mère et, sur le conseil de Catherine, alla saluer le
roi de Navarre. Le lendemain, Nicolo Tornabuoni,
ambassadeur du grand-duc de Toscane, remplit le
même devoir ^ La reine et le prince certifièrent, cha-
cun de leur côté, le parfait accord qui régnait entre
eus. deux-'. Dans ses lettres, Catherine rendait justice,
non sans un peu de surprise, au désintéressement du
prince. « Il faut (jue je vous dye, écrit-elle à sa fille,
« que le roy de Navarre, qui est le premier et auquel
1. Lettres de Pasquier dans les OEuvres complètes, t. II, col. 86.
2. Lettre du parlement au roi, du 12 décembre (Dupuy, Trailé
de la majorité dex rois^ p. 351).
3. Lettre de Tornabuoni du 9 décembre 1560 [Négociations de la
France avec la Toscane, t. III, p. 427). — Lettre de Chantonay à
Philippe II, du 2i décembre (Orig. espagnol, Arch. nat., K. 1494,
n» M).
4. Négociations de la France avec la Toscane, t. III, ]). 4-?7.
5. Lettre originale en espagnol de Chantonay à Philippe II,
en (laie (hi 8 dé-cembre (.\rch. nat., K. 1 i93, n° 115).
ET JEANNE d'ALBRET. 15
« les lois du royaume donnent beaucoup d'avantage,
« s'est si doulcement et franchement porté en mon
« endroict que j'ay grande occasion de m'en con-
« tenter^. »
Débarrassée de l'opposition au moins immédiate
d'Antoine de Bourbon, la reine mère essaya son ascen-
dant sur les Guises. François de Lorraine était assez
fort à Orléans pour faire « trembler non pas la court
« seulement, mais toute la France. » Il pouvait réduire
le roi et la reine « à son bon plaisir et les autres comme
« il eust voulu-. » La majorité du conseil et tous les
gens de guerre étaient « à sa dévotion. » Il fallait
désarmer cet ennemi. Catherine fît appeler le maré-
chal Saint-André, le confident des Lorrains, et, par
des insinuations habiles, lui persuada que le nouveau
régime réservait aux Guises d'aussi beaux jours que
le règne éphémère de François II. Le maréchal sortit
de l'entretien en disant à ses amis que la reine mère
seule pouvait rétablir le crédit de la maison de Lor-
raine et écarter sans éclat les ambitieux Bourbons. Le
duc de Guise se résigna à une déchéance momen-
tanée, à la condition de conserver ses charges, mais
le cardinal de Lorraine se montra plus difficile à
convaincre •*.
1. Lettres de Catherine de Médicis, p. 569.
2. Cet aperçu historique est tort bien exposé par Brantôme,
alors présent à Orléans, t. IV, p. 226 et suiv. — La popularité et
la puissance du duc de Guise sont aussi certifiées par une lettre
de Suriano du 6 décembre 1560 (Dép. des ambassadeurs vénitiens,
filza4 bis, f. 6).
3. Lettre de l'ambassadeur vénitien du 6 décembre (DéchilVre-
ment; Dépèches vénitiennes, filza 4 bis, f. 6). —Lettre de Ghan-
tonay, du 28 décembre, à Philippe II (Orig. espagnol ; Arch. nat.,
K. 1494, no 12).
16 ANTOINE DE BOURBON
Bientôt se répandit le bruit de la disgrâce des
Guises. La reine mère, qui pendant le règne précé-
dent avait été peu écoutée de son fils', laissa percer
sa satisfaction d'être délivrée de la tutelle des Lorrains^;
le cardinal de Tournon, sa jalousie contre le cardinal
de Lorraine^. Telles démonstrations permirent aux
rancunes des courtisans inférieurs de s'étaler au grand
jour. Le cardinal de Lorraine surtout était poursuivi
par des ennemis acharnés. Tremblant pour ses richesses
et même pour ses jours, dès le 6 décembre, il avait
fait passer en Lorraine une partie de ses trésors et
annoncé sa retraite dans son diocèse de Reims*. Le
duc de Guise, plus courageux que son frère, assez fier
pour subir sans émotion les bassesses des courtisans,
« faisoit bonne mine en mauvais jeu •'. »
Le premier effet de la chute des Guises fut de
rendre la liberté au prince de Condé. Au moment
de la mort du roi, le prince jouait aux dés avec ses
\. Voyez les singuliers aveux (le Catherine [Lettres de Catherine
de Mcdlcis^ t. I, p. 5911.
2. Mémoires de Jacques Melvil^ 169i, t. I, p. 107. — Cependant
l'ambassadeur vénitien écrit, le 6 décembre, que la reine mère
soutient les Guises (Dép. dos ambassadeurs vénitiens, filza 'i bis,
f. 6). Il était mal informé.
3. Lettre de Tornabuoni du 6 décembre (Négociations de la
France avec la Toscane^ t. III, p. 427).
4. Lettre non signée d'un ambassadeur vénitien (Michel Suriano)
à la république de Venise (Bibl. nat., Dépèches des ambassadeurs
vénitiens, filza4 bis, f. 6). — Lettre de Tornabuoni au grand-duc
de Florence {Néyocialions de ta France avec la Toscane, t. III,
p. i27|. — Vincent Carloix donne, sur la sortie de la cour du
canliiiiil ftc Lorraine, des détails qui ne sont point d'accord avec
les k'Llrcs des ambassadeurs {Mémoires sur Vieillevillc, liv. VIII,
chap. xvi).
5. Bèze, Histoire ecclésiastique^ 18il, t. I, p. 253.
ET JEANNE d'aLBRET. 17
gardiens, quand un page de service s'approcha de lui,
et, feignant de ramasser un dé, lui dit tout bas : « Notre
c( homme est croquée » Condé resta impassible, acheva
sa partie, congédia sa suite et apprit d'un de ses gen-
tilshommes le détail de la maladie de François IL
D'après le récit de l'ambassadeur espagnol, le roi de
Navarre obsédait la reine mère en faveur de son frère
et Catherine refusait de l'élargir avant sa justification ~.
Mais bientôt le prince, mieux conseillé, cessa ses ins-
tances, et Condé refusa de sortir « sans savoir qui
« était sa partie^. » Chacun, redoutant son ressenti-
ment, rejetait sur le feu roi cette dangereuse respon-
sabilité. Catherine rappelait qu'elle avait été éloignée
des affaires ; les Guises invoquaient les dernières décla-
rations de François II. En attendant l'aveu de ses
accusateurs, Condé demeurait en prison, gardé à vue
par quatre archers sans armes, plus inquiets de le
satisfaire que de veiller sur lui*. Cependant Catherine
lui fit rendre son épée et sa dague. Le prince les reçut
en jurant de les employer à se venger des Guises, et
\. Mémoires de Castelnaii, 1731, t. I, p. 515.
2. Lettre originale en espagnol de Ghantonay à Philippe II, du
8 décembre 15G0 (Arch. nat., K. 1493, n» 115). — Il était alors
question de faire juger le prince par le i)arlement. Voyez sa
lettre au roi de Navarre et à la reine [Mémoires de Condé^ t. U,
p. 388 et 390).
3. Tel était le conseil de Calvin (Lettre aux ministres de Paris ;
Bonnet, Lettres de Calvin^ t. II, p. l'20). — Lettre de Ghantonay
à Philippe II, du 9 d('cembre 15G0 (Orig. espagnol; Arch. nat.,
K. 1193, ri° M G).
4. Lettre originale en espagnol de Ghantonay à Philippe II,
du 28 décembre 1560 (Arch. nat., K. 1494, n» 12). — La Place,
Estai de religion et république^ édit. du Panth. litt., \\. 7G. —
Aubigné, Histoire universelle^ 1GÎ4, t. I, col. lUl.
m 2
18 ANTOINE DE BOURBON
fit serment, dit Chantonay, de ne jamais assister à la
messe ni d'en autoriser la célébration devant lui^.
Lorsque le pouvoir de la reine fut mis à l'abri de toute
contestation par l'assentiment du roi de Navarre,
Catherine fit mettre le prince en liberté sous la cau-
tion nominale de son frère. Le messager, qui lui
apporta la déclaration, le trouva jouant avec ses
gardiens et les faisant courir, les yeux bandés, dans
un cercle tracé au charbon ^ Il sortit de prison
le 20 décembre^. Mais ses imprudences, ses intem-
pérances de langue le firent éloigner. Il quitta Orléans
le 2i4^ avec sa femme, dans le coche du cardinal de
Bourbon. Le roi de Navarre, le connétable et une foule
de seigneurs, en partie de chasse, guettaient son pas-
sage dans la foret d'Orléans, tandis que le duc de Guise,
le cardinal de Lorraine et leurs partisans, sortis de la
ville dès le matin, du côté opposé à la route du prince,
étaient allés se confesser à Notre-Dame de Cléry. Condé
rencontra ses amis au milieu des bois. Il y eut là des
promesses d'alliance échangées et bien des anathèmes
prononcés contre les favoris du feu roi. Le prince se
retira à Ham en Picardie, ville de l'apanage de la maison
de Vendôme, en attendant la déclaration d'innocence
qu'il exigeait ^. C'était un coup de maître pour la reine
1. Lcltro. originale en espagnol de Chantonay à Philippe II,
du 28 décembre 1560 (Arch. nat., K. 1494, n» 12).
2. D'Aubigné, Histoire universelle, 1626, col. 141.
3. Lettre do Michel Suriano à la république de Venise, du
20 décembre 1560 (Dépèches des ambassadeurs vénitiens, iilza 4,
f. 221).
4. Lettre originale en espagnol de Chantonay à Phihppe II, du
24 décembre 1560 (Arch. nat., K. 1494, n" 11). — Calendars,
1560, p. 457 et 467.
5. Lettre originale en espagnol de Chantonay à PhiUppc II, du
ET JEANNE d'aLBRET. 19
que de l'avoir éloigné au moment de l'ouverture des
états généraux.
Quelques jours après la mort de François II, l'union
régnait ou semblait régner à la cour. La reine mère par-
tageait avec Antoine de Bourbon l'autorité suprême.
Elle évitait de prendre le titre de régente et ne se lais-
sait qualifier que de tutrice de son fils^. Les lettres
des ambassadeurs, les rapports des lieutenants du roi
lui étaient remis, mais elle ne décidait aucune affaire
sans prendre l'avis du conseil. Le sceau du nouveau
roi restait entre ses mains. Le roi de Navarre était ou
paraissait réconcilié avec le duc de Guise. « Le bon
« roi, écrit Tornabuoni, soit que cela soit vrai, soit
« qu'il le dise, ne parait avoir reçu des Guises aucune
« injure. » Chantonay accuse davantage. « Le duc de
« Guise va quelquefois dîner chez M. de Vendôme où
« ils se traitent familièrement-. » Enfin l'ambassadeur
vénitien raconte que, le duc ayant proposé de quitter
la cour, Antoine usa de toutes ses instances pour le
retenir, et que, à bout d'arguments, il lui déclara que.
28 décembre 15G0 (Arch. nat., K. 1494, n» 12). — Gondé était
alors tellement pressé d'argent qu'il faisait appel à ses dernières
ressources. La princesse de Gondé écrivit, le 29 décembre,
d'Anisy, au connétable pour le supplier de lui envoyer le règle-
ment intégral de l'affaire pendante avec lui au sujet do la vente
de la terre de G-ermigny (f. fr., vol. 6620, f. 115).
\. Le père Griffet en avait déjà fait la remarque [Traité des
preuves qui servent à la vérité de fhistoire, 1770, p. 2051. Gette
observation s'accorde avec toutes les lettres des ambassadeurs
étrangers que nous citons plus loin.
2. Lettre de Tornabuoni du 16 décembre (Négociations de la
France et de la Toscane, t. III, p. 431). — Lettre de Ghantonay à
Philippe II, du 24 décembre (Orig. espagnol, Arch. nat., K. 1 i94,
n« 11).
20 ANTOINE DE BOURBON
s'il se retirait, il se retirerait avec lui '. Le connétable
avait repris ses fonctions de chef militaire avec autant '
de calme que s'il ne les eût jamais perdues. Ses quatre
fils étaient assidus auprès du roi de Navarre. Le prince
ne prenait aucune détermination sans consulter a son
« bon compère, » Le cardinal de Lorraine semblait
résigné à sa déchéance ; le duc de Guise exerçait pai-
siblement la grande maîtrise de la maison du roi.
Mais des inimitiés passionnées fermentaient sous cette
paix apparente. Les maisons de Bourbon et de Guise
étaient séparées par des rivalités ardentes. Gondé,
avant de revenir à la cour, exigeait un débat éclatant.
Le connétable, jaloux de tout le- monde, ne subissait
la suprématie de personne-. En vain la reine mère
dépensait ses forces à concilier ces ambitions enne-
mies. La plus petite querelle remettait la paix en
question, et, lorsque l'accord régnait à la surface, le
sentiment des dangers secrets de l'heure présente
disposait les courtisans aux plus absurdes alarmes.
Telle était la cour au moment de l'ouverture des
états d'Orléans.
tYançois II, après l'assemblée de Fontainebleau,
avait convoqué les états généraux à Meaux pour le
1 0 décembre suivant. Au commencement de novembre,
la ville de Meaux ne paraissant plus assez sûre aux
1. Lottro d'un dos ambassadeurs vénitions à la n>pul)lique de
Venise, du l'''' mars 15G1 (DéchillVemenl non sigué ; Dép. véni-
tiennes, lilza 4 bis, f. 15). — Autre du 3 mars (Ibid., f. 18).
2. Lettre non signée d'un ambassadeur vénitien (Dép. des
ambassadeurs vénitiens, filza 4 bis, f. 6). — Lettre de Throck-
morton du 9 décembre (CalendarSy 1560, p. 438). — Lettre do
Tornabuoni du 10 et du 16 décembre (Négociations de la France
avec la Toscane, l. III, p. 430 cl 431).
ET JEANNE d'aLBRET. 21
Guises, ils appelèrent les députés à Orléans^. Chaque
bailliage devait envoyer trois députés, un de chaque
ordre, et leur dicter un cahier de remontrances^. Le
roi avait recommandé à ses officiers d'écarter des élec-
tions « les gens studieux de nouvelleté et d'altération
« d'estat ^, » c'est-à-dire les réformés et les ennemis
des Guises. IMalgré la pression, un grand nombre de
provinces avaient choisi des députés pénétrés de l'es-
prit d'indépendance de la Réforme.
Le vendredi, 13 décembre, le roi, accompagné de
sa mère, du roi de Navarre, du connétable, du duc
de Guise, du chancelier et des membres de son con-
seil, tous en habit de deuil, ouvrit les états ''^ dans la
grande salle que son prédécesseur avait fait prépa-
rer^. L'Hospital adressa aux députés un discours où
les embarras financiers étaient exposés en termes d'une
éloquence grave'''. Le lendemain, les trois ordres s'as-
semblèrent séparément dans trois églises d'Orléans,
le clergé aux Cordeliers, la noblesse aux Jacobins et
1. Négociations sous François //, p. 48fi cl 039.
2. Pour nous renfermer dans les limites de la province dont le
roi de Navarre était gouverneur, nous ne citerons que les pou-
voirs confiés par la noblesse de Guyenne à M. de Duras, son
député. Ils sont imprimés dans les Arcliives de la Gironde, t. VIII,
p. 537.
3. Négociations sous François II, p. 489. — Régnier de La Planche
a raconté les efforts des Guises à Blois pour empêcher que
« ceste assemblée ne fust aucunement bigarrée. » {Estât do
France, in-fol., col. 291 et 292.)
A. Le cérémonial de la séance est raconté dans une ])iéce
publiée dans les Négociations sous François II, p. 789.
5. Voyez la Description du théâtre fait à Orléans pour l'assemblée
des trois estats, 1560 (Recueil de pièces de Fontanieu, Bibl. nat.,
imprimés, vol. 295, n" il).
C). OEuvres complètes de l'IIospilal, t. I, ]i. 375.
22 ANTOINE DE BOURBON
le tiers état aux Carmes. Avant de délibérer, les
deux derniers ordres, à l'instigation de la noblesse
de Guyenne, remontrèrent au roi de Navarre que la
mort du feu roi, qui les avait appelés, « avoit esteinct
« leur pouvoir et charge, » et qu'ils ne pouvaient
sanctionner l'organisation du conseil de régence sans
« nouveaux matidements » de leurs électeurs * . La
requête ouvrait au roi de Navarre une porte pour
rentrer au pouvoir-. Catherine, directement visée,
mit ses amis en campagne, mais elle ne trouva chez
les députés de la noblesse que de froides réserves en
faveur de la monarchie et de ses traditions. Le conseil
privé discuta la remontrance et décida, le 20 décembre,
que, « de par la loy du royaume, l'autorité royale ne
« mouroit pas, que le mort saisissoit le vif et que l'au-
« torité royale passoit sans transition du roy défunt à
« son légitime successeur^. » Le lendemain la reine
rendit un édit c|ui consacrait son accord avec le roi
de Navarre et le fît signifier aux états sous le titre
d'Acte de constitution de la régence pendant la mino-
rité du, roij ^ Mais la noblesse opposante ne s'arrêta
1. Remontrances de la noblesse {Recueil des états généraux^
t. XI, p. 169). Tous les bailliages et toutes les sénéchaussées ne
paraissent pas avoir pris part à cette réclamation. Sismondi
observe que les députés réformés, enorgueillis de leur nombre
obtenu malgré la pression des Guises, se flattaient d'obtenir un
bien plus grand nombre de sièges sous l'administration du roi
de Navarre (Ilist. des Français, t. XVIII, p. 193).
2. Gastelnau constate que les états désiraient élire le roi de
Navarre comme régent (Mémoires, 1731, t. I, p. 06). — Lettre de
Chantonay à Pliilippe II, du 2\ décembre (Orig. espagnol, K.
IV.l'i, w^ M).
3. M. Picot a très bien présenté ces diverses phases des états
d'Orléans (Histoire des états généraux, t. II, p. 38).
i. Recueil des anciennes lois françaises d'Isambcrt, t. XIX, p. 58.
ET JEANNE d'ALBRET. 23
pas à ces actes. Les députés arguèrent, clans une
seconde requête, de l'impossibilité de voter, sans renou-
vellement de leur mandat, les subsides demandés par
le chancelier. A cette nouvelle instance la reine riposta
par le commandement de préparer les cahiers de
doléance^.
Trois jours après, le 214 décembre, une députation
de trente membres de l'ordre de la noblesse demanda
audience à la reine. Le conseil privé était en séance.
Comme on les faisait attendre, les députés se plai-
gnirent à grand bruit. Un secrétaire sortit et les
invita, s'ils avaient une requête, à la présenter par
écrit. Ils répondirent qu'ils voulaient être entendus
sur l'heure. Aussitôt introduits, ils déclarèrent qu'ils
récusaient d'avance tout gouvernement ou conseil qui
ne serait pas désigné par les états. L'un d'eux ajouta
même que la régence appartenait au premier prince
du sang. Personne n'osa entamer la discussion. Un
secrétaire reçut la requête et dit que le conseil en
délibérerait".
Ce n'était pas seulement dans les rangs de la noblesse
que la reine mère trouvait des opposants. Parmi les
députés du tiers, les hommes de loi observaient que
son élévation était contraire aux traditions de la
monarchie^. D'autres, s'élevant contre une princesse
1. Picot, Histoire des états généraux, t. II, p. 41. — De tous les
historiens du temps, le président Laplace est celui qui donne le
plus de détail sur les étals d'Orléans (Estât de religion et répu-
blique, édit. du Panlh. litt., p. 79 et 88 et suiv.).
2. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 24 décembre (Orip.
espagnol; Arch. nat,, K. 1494, n" 12).
3. Ghantonay traite ce sujet à fond dans sa lettre du 24 dé-
cembre.
24 ANTOINE DE BOURBON
étrangère, ambitieuse d'asservir la France, rappelaient
le dicton du vidame de Chartres :
Catherine Florentine
Est de France la ruine;
Catherine de Florence
Est la ruine de France ^
De violentes propositions furent faites à l'as-
semblée du tiers contre elle. Le secret s'ébruita,
et, avant qu'il en fût délibéré, un député, Pierre
de Mondore, représentant du duché et du bailliage
d'Orléans, avertit Catherine. Celle-ci se plaignit en
termes amers et le tiers état fut obligé de désavouer,
en les niant, les discours qui avaient été prononcés.
L'acte de désaveu fut rédigé par-devant notaire, signé
de la plupart des députés, et I^ierre de Mondore qua-
lifié de « cause de plusieurs désordres et contradic-
« tions". »
Peu encouragés par le roi de Navarre, les trois ordres
cédèrent enfin à la reine et confirmèrent ses pouvoirs.
« Je suis, écrit-elle à la reine d'Espagne, sur la con-
c( clusion des Estats, par lesquels je vous veux bien
« adverlir que le gouvernement et administration de
« la personne du roy, monsieur mon fils et du royaume
« m'ont esté confirmées •^. »
1. Le Tocsin contre les massacreurs^ 1579, p. 8. « El comme il
« eust répété cela par plusieurs fois et qu'on l'eust admonesté de
« so désister, d'autant qu'on pensoit que le mal luy tirast ces
« mots de la bouche par forme de rosveric, il respondit qu'il
« sçavoit bien ce qu'il disoit et n'estoit si malade qu'il ne luy
« souvint do plorer les malheurs dont il voyoit que la France
« cstoit menacée par une femme estrangère et remuante. >)
2. Cet acte singulier est conserv('' aux archives dos Basses-
Pyrénées, E. 582.
3. Lettres de Catherine de Môdicis^ t. I, p. 162.
ET JEANNE d'aLBRET. 25
Les violentes inimitiés, reflet des passions de la
cour, qui divisaient l'assemblée, éclatèrent quand
les états passèrent à la rédaction de leurs cahiers de
doléance. Dès la séance du 17 décembre, le clergé
avait choisi pour orateur le cardinal de Lorraine « s'il
fi luy plaist en prendre la peine. » Cette désignation,
bien justifiée, mais inattendue dans les circonstances
présentes, fît espérer aux Guises qu'ils ressaisiraient faci-
lement leur ascendant. L'usage permettait aux trois
ordres de nommer un seul orateur pour la séance royale.
Le cardinal enviait cet honneur qui lui aurait donné
l'occasion de briller au premier rang. Mais les intrigues
de ses partisans ne purent lui épargner un échec ; la
majorité de la noblesse et du tiers état, peuplée de
calvinistes, lui refusa obstinément son vote^. Plusieurs
députés déclarèrent même qu'ils ne voulaient pas être
représentés par celui qu'ils se proposaient d'accuser.
L'orgueilleux prélat, repoussé par les deux corps
laïques, s'excusa auprès du clergé". Il eut le crédit
d'empêcher la nomination d'un autre orateur et les
trois ordres décidèrent qu'ils auraient chacun un avo-
cat auprès du roi. La noblesse désigna le roi de Navarre.
Le prince refusa pour conserver sa liberté d'action,
1. Les deux ordres laïques répondirent : « que, pour la grandeur
« et hauteur du seigneur cardinal et parce qu'il estoit au nombre
« de ceux qui examineront et jugeront les remonstrances des
« estats, ils n'osoient entreprendre de le requérir de prendre
« ceste charge, et nommcroient un de leur estât pour faire leur
« remonstrance particulière. » (Procès-verbaux du clergé^ états
généraux^ t. I, voyez p. 119, 128, 137 et l'i3, d'après Sismondi.)
2. La Place, Estât de religion ci république^ p. 79. M. Picot a
raconté cet incident avec détails (t. II, p. 42, note).
26 ANTOINE DE BOURBON
comme premier prince du sang, chargé de suppléer à
l'incapacité du roi^
La séance royale, après plusieurs ajournements, fut
tenue le 1 ^"^ janvier 1 56 1 , à une heure de relevée dans
la grande salle des états. L'orateur du tiers, Jean
Lange, alors avocat, plus lard conseiller au parlement
de Bordeaux, parla le premier^. Ce personnage, des-
tiné par sa fougue et peut-être par son éloquence à
jouer un rôle dans la guerre civile, n'était pas encore
devenu ce catholique furieux qu'offensait même la
modération du président Lagebaston. Il prononça
devant le roi un discours amer contre le clergé. Il
accusa les prêtres et les moines d'ignorance, d'avarice
et de luxure. Leur avarice, disait-il, laissait les pauvres
périr de misère dans les campagnes ; leur ignorance
et leurs vices faisaient la fortune du calvinisme en met-
tant en relief les vertus des réformateurs. Incapables
de prêcher, « ces chiens muets » laissaient sans réponse
les objections théologiques des ministres. La noblesse
était traitée moins sévèrement, mais blâmée de ses
1. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 24 décembre (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1494, n"> 12).
2. L'ordre dans lequel parlèrent les ti'ois orateurs des états
généraux d'Orléans laisse quelques doutes. M. Picot dit (Histoire
des états généraux^ t. II, p. 46) que l'orateur du clergé parla le
premier, puis celui de la noblesse, puis celui du tiers. II s'appuie
sur l'ordre dans lequel les trois discours sont imprimés dans le
Recueil de Mayer [Des états généraux^ t. X, p. 348) et sur un mot
assez précis du titre du discours de Jean Lauge. Malgré ces
autorités, nous avons adopté l'ordre inverse ; nous nous appuyons
sur le récit du président La Place, qui dit positivement que le
discours du député de la noblesse succéda à celui du tiers [Estai
de la religion et république^ p. 89), et sur celui de De Thou (1740,
t.lll, p. 7).
ET JEANNE d'aLBRET. 27
prétentions féodales. Sur l'administration intérieure,
le discours contenait quelques idées sages, mais
noyées au milieu d'un flot de rhétorique, comme la
périodicité des états généraux et l'unité commerciale
du royaume^.
Après Jean Lange parla le délégué de la noblesse,
le seigneur de Rochefort. Bien que l'orateur ne fût pas
signalé comme huguenot, son discours fut l'écho des
passions de la Réforme ~. Il proposa de mettre toutes
les dettes du roi à la charge du clergé et réclama pour
les seigneurs protestants le droit de pratiquer libre-
ment la religion nouvelle dans l'intérieur de leurs châ-
teaux.
L'orateur ecclésiastique élu à défaut du cardinal de
Lorraine, Jean Quintin, professeur en droit canon, dans
une harangue peu mesurée, attaqua le calvinisme, « les
« fossoyeurs de vieille hérésie les licencieux et pré-
« fuges libertins. » Il somma le roi de sévir contre ces
« idolastres et leurs porteurs de requestes. » Il
réclama l'abolition des tailles que les officiers de
finance levaient sur les biens du clergé^. « Tout le
1. La plupart de ces idées justesse retrouvent dans les cahiers
du tiers état, qu'il n'entre pas dans notre plan d'examiner en
détail. Qu'il nous suffise de dire que ces cahiers faisaient l'admi-
ration d'Augustin Thierry (Hist. du tiers état^ 1855, p. 90).
2. On remarqua, dit de Bèze, que le discours de Rochefort ne
contenait pas le mot de Majesté [flist. ecclés., 1841, t. I, p. 279),
3. Ces trois discours sont reproduits textuellement par La
PopeUnière [Histoire de France^ 1581, t. I, p. 225, 229 et 239). Ils
ont été réimprimés à nouveau dans le Recueil des états généraux^
1789, t. X, p. 348 et suivantes. — Il existe beaucoup d'autres
pièces inédites sur les états généraux d'Orléans, notamment
dans les volumes 4812 et suiv., 7517 et suiv., 3970 du fonds
français.
28 ANTOINE DE BOURBON
« parcours de ceste concion , amas de lieux com-
« muns^, » était mal placé dans une assemblée réunie
pour aviser aux moyens de rétablir la concorde et de
combler les vides du trésor. L'amiral de Coligny et
ses coreligionnaires se déclarèrent personnellement
insultés. Le corps de la noblesse presque entier pro-
testa contre ces invectives et Jean Quintin fut obligé
de jurer qu'il n'avait désigné personne ^.
La question de finances ne tut abordée que le
1 3 janvier. Le roi de Navarre et le chancelier se trans-
portèrent à l'assemblée générale au couvent des Cor-
deliers et le chancelier révéla le chiffre du déficit. Le
roi était en retard de 43 millions ^, somme quadruple
du revenu annuel du royaume. L'aveu provoqua une
discussion tumultueuse. La dette était d'autant plus
difficile à justifier (juc Henri II, à son avènement, avait
trouvé dans l'épargne plus de 1,700,000 écus, sans
compter les quartiers échus. La meilleure partie du
domaine royal était vendue ou engagée ^. Enfin le
royaume entier subissait une crise d'autant plus cruelle
1. Aubigné, Hist. univ.^ 1626, t. I, col. 144.
2. La Place, Estât de religion ou république, érlit. du Panth.
un., p. 109. — De Serres, Commenlariortim de statu religionis
libri très, 1571, in-S», p. 159. L'auteur, après La Place, analyse
avec détails les discours des trois ordres (p. 144 à 160). — Peu
de jours après, Quintin mourut « de tascherie » [Uist. des quatre
rois, 1595, p. 59).
3. Estât abrégé de ce (]ue luonlont les dettes et parties à payer
(Estais généraux, édit. Mayer, t. XI, p. 49.S). Le chilVrc exact est
de 43,483,939 livres 9 sols et 6 deniers. — Pour évaluer cette
somme, au prix de l'argent de nos jours, nous estimons qu'il faut
multiplier par 10, soit 430 millions.
4. Mémoires de Castelnau, 1731, t. I, p. 65.
ET JEANNE d'aLBRET. 29
que les dernières années avaient été moins produc-
tives, même dans les provinces fertiles^.
La reine proposait des économies et en donnait
l'exemple. Elle diminua son douaire de 120,000 livres
et imposa aux pensionnaires de la couronne une réduc-
tion de moitié ~. Elle renonça à la chasse, son délas-
sement favori '% congédia les officiers de vénerie et la
plupart des fauconniers, qui coûtaient 300,000 écus
par an ; elle restreignit le service de la chapelle et de
la musique de la chambre du roi ; elle ajourna les funé-
railles de François II qui exigeaient une dépense de
130,000 ducats^. Elle fit demander par le cardinal de
Tournon aux marchands de Lyon, à qui le trésor royal
devait 19,000,000, un délai de paiement^. Lavais-
selle d'or et d'argent du feu roi, ses bijoux et pierres
précieuses furent inventoriés à Fontainebleau, prélude
de la mise en gage^. La moitié des galères fut désar-
1. Lettre de Suriano à la république de Venise, du 13 jan-
vier 1561 (Dépêches vénitiennes, filza 4, f. 232).
2. Lettre de Suriano à la république de Venise, du 13 jan-
vier 1560 (1561) (Dépêches vénitiennes, filza 4, f. 232).
3. Dès le lendemain de la mort de François n, elle avait
renoncé à la chasse « pour que le temps ne lui manquât pas
« pour les affaires, » mais Chantonay était d'avis qu'elle ne
tarderait pas à le regretter (Lettre originale en espagnol à Phi-
lippe n, du 8 décembre; Arch. nat., K. 1493, n» 115).
4. Lettre originale en espagnol de Chantonay à Philippe II,
du 24 décembre 1560 (Arch. nat., K. 1494, n» 11). Castelnau
nous apprend que le service de la maison du roi occupait plus de
600 officiers [Mémoires^ 1731, t. I, p. 65).
5. Lettre de Suriano à la république de Venise, du 13 jan-
vier 1561 (Dépêches vénitiennes, filza 4, f. 232).
6. Inventaire original dressé le 15 janvier 1560 (1561) par Jehan
Babou de La Bourdaisière, Tristan Rostaing de Brou, Florimond
Robertet et Nicolas Legendre de Ville roy (sur parchemin; f. fr.,
vol. 4732).
30 ANTOINE DE BOURBON
mée^, la solde des gens de guerre, à pied et à che-
val, diminuée dans les provinces éloignées de la cour ^.
La reine voulait réduire les gages des officiers du roi,
mais ils objectèrent qu'il était plus juste de supprimer
les compagnies suisses, allemandes et italiennes, et la
garde écossaise, que les rois de France entretenaient
depuis le règne de Charles VII. La question fut sou-
mise et discutée au conseil. Avec une égale insistance,
les deux partis demandaient, l'un le licenciement,
l'autre le maintien de cette compagnie, presque entiè-
rement composée de huguenots : L'importance du
capitaine, Jacques Hamilton, comte d'Arran, héritier
présomptif de la couronne d'Ecosse et l'un des pré-
tendants à la main de Marie Stuart, justifiait les hési-
tations du conseil. Cependant le roi de Navarre se
prononça pour l'économie et la garde écossaise fut
licenciée ^.
La plus grave réforme financière, celle ({ui pas-
sionnait le plus les députés, était la restitution des
dons excessifs que les favoris du roi, sous Henri II et
sous François II, avaient extorqués au trésor royal.
Diane de Poitiers, le connétable, la tribu des Guises
et de leurs amis s'étaient enrichis aux dépens du
roi. La reine mère souleva l'idée de la restitu-
tion, qui fut accueillie avec transport par les trois
ordres. Le roi de Navarre, ne voulant pas se laisser
1. LoUre do Suriano à la république de Venise, du 'J jan-
vier 1501 (Dépêches vénitiennes, filza 4, f. 229).
2. Etat des paiements des gens de guerre en Languedoc, Pro-
vence et Guyenne, janvier et février (1561) (Collection Dupuy,
vol. 588, f. 125; copie du temps).
3. La Pldcc, Estât dereligion et république, édit. du Pantli. litt.,
p. 11;^.
ET JEANNE d'aLBRET. 31
dépasser en générosité, proposa de commencer l'exa-
men par ses biens personnels ; mais le connétable,
le cardinal de Lorraine, le duc de Guise, le duc d'Au-
male, futur héritier de la duchesse de Valentinois, le
maréchal Saint-André accueillirent froidement la pro-
position. « Ils firent tant que le coup fut rompu,
« espérant que le temps ferait parler d'autre chose
« que de rendre^. »
Malgré les économies de la reine, malgré ses
instances auprès des députés, après dix jours de
dispute, le clergé refusa au roi tout subside et trouva
des imitateurs dans les deux autres ordres. Les députés,
plus irrités des prodigalités de la maison royale que
terrifiés du déficit, désiraient se retirer auprès de
leurs électeurs et leur demander de nouveaux pou-
voirs. La séance solennelle de clôture eut lieu le
31 janvier, sous la présidence du roi de Navarre. Le
chancelier prononça un dernier discours et promit la
convocation d'une nouvelle assemblée, à Melun, pour
le l'^'mai suivant^.
Les états généraux avaient été convoqués pour
combler un déficit dans le trésor du roi, mais une
question plus grave s'imposait à leurs délibérations.
La réforme, qui n'avait été qu'un mouvement d'idées
sous François P', une dissidence religieuse sous
Henri II, une occasion de troubles sous François II,
menaçait, à l'avènement de Charles IX, à la fois la
1. Mémoires de Melvil^ t. I, p. 109. — Bèze, Ilist. eccL, 18il,
t. I, p. 280. — Histoire des quatre rois, 1595, p. 59.
2. Récit détaillé do cette dernière réunion {Estats généraux,
édit. Mayer, t. XI, p. 503). — Malgré cet échec financier, la
reine mère, qui peut-être s'attendait à pire, s'applaudit des résul-
tats de la session (Lettres de Catherine de Médicis, p. 577).
32 ANTOINE DE BOURBON
monarchie et l'église. Point de province, point de
ville (jui ne lut la proie des séditieux de la religion
nouvelle. Les hommes mêmes (jui la repoussaient
étaient pénétrés de son esprit d'indépendance. Les
cahiers de la plupart des bailliages et des sénéchaussées
exigeaient, sur un ton impérieux, un concile et la
réforme ecclésiastique. Les gens de Meaux avaient
môme « effrontément demandé » la suppression de la
messe ^ L'appui déclaré du roi de Navarre, du prince
de Gondé, et surtout des trois Chastillons, l'assenti-
ment déguisé de beaucoup d'autres seigneurs faisait
de la Réforme un parti d'autant plus redoutable, à la
fin de l.")GO, qu'il personnifiait la résistance aux excès
de pouvoir des Guises.
Le roi de Navarre passait pour le chef de la réforme.
Il disait ou laissait dire autour de lui qu'il n'avait laissé
à la reine le premier rang dans l'État qu'à la condition
« d'ouvrir peu à peu aux huguenots un chemin à la
« liberté de conscience. » Soutenu par les états, il
réclamait cha(}iie jour la liberté des prêches pour ses
coreligionnaires. Gatherine « se servit avec accortise
fi de plusieurs excuses , sur l'espérance que les
« demandes du roi de Navarre se ralentiroient avec
« le temps ; » elle dit qu'elle ne pouvait résoudre,
pendant la minorité du roi, sans l'assentiment des
parlements, une question si grave ; que la liberté de
conscience entraînerait des désordres, la ruine de
l'alliance avec l'Espagne et peut-être l'excommunica-
tion du royaume ; cpiil serait facile au nouveau lieu-
tenant du roi d'adoucir, par des mesures indirectes,
1. Loltro lie C-liantonay à Philippo 11, du -2'! décembre (Orig.
esiiagnol ; Arch. iiai., K. li'.ti, n" 11).
ET JEANNE d'aLBRET. 33
la rigueur des anciens édits et d'introduire en fait la
tolérance dans l'administration des provinces. Antoine
« s'eschauffoit de plus en plus à demander ce qu'on
a luy avoit promis » et trouvait un appui au conseil,
chez le chancelier de l'Hospital*. Les réformés de
toutes les sectes l'exaltaient comme le héros futur de
leur délivrance. Hotman lui écrivit : « Vous estant
« aujourd'huy rendue l'autorité qui vous appartenoit,
« Vostre Majesté aura plus d'esgard à l'obéissance
« qu'elle doit à Dieu qu'à l'amitié des tyrans qui sont
a en exécration et de Dieu et des hommes-. » Calvin
gardait du doute. Dans une lettre du 1 6 janvier 1 5G1 ,
il hasarde cette sommation : « Qu'il vous plaise
« prendre courage pour batailler vertueusement et de
« plus en plus contre toutes les difficultés dont je sais
« que vous estes entouré. » Mais, plus loin, il gour-
mande la modération d'Antoine d'un ton peu assuré
et laisse percer la crainte d'être importun^. Antoine,
se sentant poussé par les impatients qui ne consen-
taient à le suivre qu'à la condition de le guider,
agissait « mollement. » Il favorisait la réforme et
\. Davila, Hist. des guerres civiles^ in-foL, t. I, p. 81 et 83.
Davila est digne de crédit en tout ce qui touche la reine mère.
2. Lettre autographe, datée de Strasbourg et du 31 décembre
(Arch. des Basses-Pyrénées, E. 582). Cette lettre a été publiée
dans le Bulletin de l'Histoire du Protestantisme français, t. IX,
p. 32. Par ce mot de tyrans il désigne certainement les Guises.
Dans une autre lettre, presque de la même date, écrite à Bul-
linger, Hotman ne se montre pas entièrement satisfait du roi do
Navarre : « Rex Navarreus non nobis quidem satisfecit. Vinxit
« tamen spem et expectationem omnium. » (Lettre du 8 jan-
vier 1561 ; Hotomanorum epistolx, in-4°, 1700, p. 30.)
3. Lettres de Calvin, t. II, p. 303.
m 3
34 ANTOINE DE BOURBON
protestait de son orthodoxie ; il faisait prêcher les
ministres et continuait d'assister à la messe'.
Le prince de Gondé, beaucoup plus résolu que son
frère, était le chef nominal du parti réformé, mais
l'amiral de Goligny en était l'àme-. Coligny, ferme et
droit dans sa voie, indifférent, au moins en appa-
rence, à tout calcul d'ambition personnelle, centra-
lisait entre ses mains la triple charge d'encourager,
de secourir, de défendre les pauvres religionnaires
qui formaient le gros de l'armée huguenote. Trois
jours à peine après la mort de François II, on reçut
la nouvelle à la cour que les protestants de Bre-
tagne avaient pris les armes. L'amiral opina au
conseil que le soulèvement j)ouvait avoir une cause
légitime ; le duc de Guise riposta qu'un acte contraire
aux édits ne pouvait être justifié. La querelle s'échauffa
si vivement que le roi de Navarre appela la reine
mère. Le duc de Guise, irrité, se retira en disant tout
haut que « n'était le temps présent, il poignarderait
« l'amiral ''. »
Gatherine de Médicis subordonnait les questions
religieuses aux questions de gouvernement. Imbue
depuis qu'elle était en France de ce scepticisme ita-
lien dont son parent Strozzi avait été le modèle à la
cour, elle évitait de se prononcer entre les deux cultes.
Elle prêtait l'oreille tour à tour aux conseils du cardinal
de Tournon et de l'amiral de Goligny. Les seigneurs
1. Calcndars^ 1560, p. 5ii.
2. Ce point de vue est mis eu relief dans une lettre d'un des
ambassadeurs vénitiens, du 6 décembre 1560 (Dépêches vénit.,
filza 4 bis, f. 6).
3. Lettre originale en espagnol de Chantonay à Philippe II, du
8 décembre 1560 (Arcli. nal., K. 1193, n« 115).
ET JEANNE B'ALBRET. 35
avaient pris parti d'après leurs tendances religieuses
et se divisaient en deux armées toujours prêtes
à se combattre ^ ; les catholiques suivaient le duc de
Guise et les réformés le roi de Navarre. Entre les deux
factions planait le pouvoir de la reine mère, prête à
associer les chefs au pouvoir en partie égale, réso-
lue à limiter leur influence et à les gouverner l'un
par l'autre à la faveur de leurs rivalités mutuelles-.
Sa politique de bascule est exposée en termes saisis-
sants par d'Aubigné : « La royne, dit-il, jettoit par-
« fois de l'huile sur tel feu, parfois de l'eau, suivant
c( que l'eslévation de l'un de ces partis menaçoit la
« maison de France et en ceste maison son authorité^. »
Le gouvernement du royaume se ressentait de ces fluc-
tuations. Le 7 janvier une déclaration du roi confirme
l'édit de Romorantin, dont la disposition principale
attribuait aux prélats la connaissance du crime d'hé-
1. De Bèze raconte que les seigneurs de la cour consentirent
volontiers au partage, espérant maîtriser facilement une faible
femme {Hist. ecclés., 1841, t. I, p. 255).
2. Cette politique est très bien exposée dans un pamphlet du
temps (Le réveille-matin des François^ 1574, p. IG). Voyez aussi la
note suivante.
3. Aubigné, Histoire wiiverselle^ 1G26, t. I, col. 141. — Une
lettre de Tornabuoni , du 10 janvier, ajoute des traits nou-
veaux : « Les Guises sont mal vus et ont la haine géné-
« raie ; chacun voudrait qu'ils s'en allassent et on crie contre
« eux. Et tout cela est fait pour les faire partir, ce qu'ils seront
« forcés do faire si la reine no les retient pour conserver sa
« grandeur à l'aide de la désunion ; parce que, bien que le roi de
« Navarre et le connétable, encore davantage, lui montrent une
« grande soumission, on croit que, si les Guises étaient chassés,
« ceux-là commenceraient vouloir lui reprendre l'autorité comme
« les Guises avaient projeté de le faire. » [Négociaiions de la France
avec la Toscane^ t. III, p. •414.)
36 ANTOINE DE BOURBON
résic. Le 1 3, de nouvelles lettres ordonnent la répres-
sion de troubles suscités par les religionnaires à
Paris ^ Le 23, le roi requiert le conseil de Genève
de rappeler « les prédicans et dogmatisans, » qu'il
accuse de « troubler le repos de nostre estât et,
« par une pernicieuse semence de discussion et
« division, exciter nosdits sujets à une désobéissance
« contre les saints commandemens de Dieu~. » Ces
ombres légères se perdaient pour le parti réformé
dans l'éclat du triomphe. Le %1 janvier, les députés
des églises prient solennellement le roi de surseoir
à toutes poursuites jusqu'à la décision du concile^.
Le lendemain, une ordonnance fait mettre en liberté
tous les prisonniers détenus pour cause de religion,
et, deux jours après, une nouvelle ordonnance défend
à « toutes personnes d'entrer en débat, de prendre
« querelle et de se reprocher aulcune chose les uns
« aux autres, pour le fait de la religion, sur peine de
« la vie ^ »
La lutte entre les deux cultes devait amener des
violences d'autant plus grandes que les puissances
étrangères menaçaient d'y prendre part. L'Allemagne
du Nord et l'Angleterre appartenaient à la religion
\. L'ordonnanco du 7 janvier est citée dans les Mémoires de
Condc (t. II, ]>. 2GC)). On en trouve le texte dans la coll. Dupuy,
vol. 205, 1". 1S3. — L'ordonnance du 13 est imprimée dans les
Mémoires de Cundé, t. II, p. 2G6.
î. Cotto lottre est imprimée par M. Roget, Hisloire du peuple
de Genève^ I. VI, l'"*" livraison, p. 67. — La réponse du conseil de
Genève, rédigée par Calvin, est imprimée p. 70.
3. Celte pièce est imprimée dans le Recueil des états généraux
attribui' à Moyor, t. XI, p. i92.
'i. Mémoires de Condv, t. II, p. 200 et -273.
ET JEANNE DALBRET. 3/
nouvelle ; l'Italie et l'Espagne à l'ancienne. Restait la
France, qui allait devenir le champ de bataille des
deux influences, le champ clos du Nord et du Midi.
L'Espagne et l'Angleterre , les plus passionnées dans
la lutte, prirent les devants. Quelques jours avant la
mort de François II, Catherine avait demandé l'appui
de Philippe II ^ Peu après elle chargea son ambassa-
deur, Sébastien de l'Aubespine, évêque de Limoges,
d'excuser auprès du roi catholique les changements
du nouveau gouvernement, l'élévation du roi de
Navarre, l'abaissement des Guises, la composition du
conseil ~. Ces démarches offraient au roi d'Espagne un
prétexte pour intervenir. « L'influence de Votre
« Majesté est si grande, écrit Ghantonay à son maître,
c( qu'elle fera bien de faire entendre à la reine que, si
« elle s'écarte de l'intérêt du bien de la religion pour
« favoriser ou prêter l'oreille aux égarés, Votre Majesté
« lui retirera ses bons offices^. » Ces paroles con-
tiennent en germe toute la politique, occulte ou décla-
rée, de la cour d'Espagne vis-à-vis de la maison de
Valois pendant plus de quarante ans. Mais la reine
mère n'était pas seule au pouvoir. Depuis la mort de
François II, il fallait compter avec le roi de Navarre.
\. Lettre originale en espagnol de Ghantonay à Philippe II, du
3 décembre 1560 (Arch. nat., K. 1493, n» 113).
2. Lettre originale de l'Aubespine au duc d'Albe, du 28 décembre
1560 (Arch. nat., K. 14U3, n° 118). Une lettre de l'Aubespine à
la reine, écrite peu après la mort de François II, révèle l'inquié-
tude de Philippe II sur la direction de la politique de la cour de
France {Négoc. sous François 11^ p. 782).
3. Lettre originale en espagnol de Ghantonay à Philippe II, du
5 décembre 1560 (Arch. nat., K. 1493, n" lli). François II n'était
pas encore mort à l'heure où l'ambassadeur écrivait, mais sa lin
était certaine.
38 ANTOINE DE BOURPON
Philippe II put bientôt pressentir que, pour réduire son
adversaire, il n'aurait pas besoin d'un grand déploie-
ment de forces. Ghantonay visita le prince le 8 dé-
cembre et Antoine promit « de garder et obéir les
« commandcmens de Dieu et de l'église et de vivre
fi dans la loi de ses ancêtres. » L'ambassadeur le féli-
cita, et le même jour, au conseil, le prince flatté sou-
tint, au grand étonnement de tous les seigneurs, cer-
taines propositions du cardinal de Tournon contre les
réformés ^ .
Averti des hésitations de la reine et du prince,
Philippe II envoya à la cour, au commencement de
janvier, « pour plaindre le deuil » de la maison de
France, un ambassadeur extraordinaire, don Juan
Manrique de Lara, avec une instruction aussi ferme
qu'impérieuse.
« Vous direz (à la reine mère) que ce qui nous
« pousse à la favoriser, c'est le zèle qu'elle aura sur
« les choses de la religion, les efforts qu'elle emploiera
« à la conservation et aux progrès de l'ancien culte,
« ajoutant à cela combien nous désirons la pacification
« de ce royaume et le bien du roi son fils Vous
« devez lui parler clairement et ouvertement quant à
« la religion, l'exhortant de ma part à employer ses
« soins et sa surveillance au bien de la religion et à
« ne point permettre l'avancement des nouveautés
et qui sont nées dans ce royaume, et à ne plus donner
« de faveur ni d'autorité à ceux qui ne se montrent
« pas fermes comme ils devraient l'être dans la reli-
« gioii. » A ces conseils généraux, dignes d'un grand
\. Lettro originale en espagnol de Ghantonay à Philippe II, du
8 décembre 1560 (Arch. nat., K. 1193, n» 115).
ET JEANNE d'aLBRET. 39
roi, Philippe II ajoutait des recommandations particu-
lières, l'acceptation du concile de Trente, l'ajournement
du concile national français, la diminution du nombre
des membres du conseil pour éviter les divisions, et
enfin, ce qui devait toucher Catherine, l'exhortation
au roi d'obéir à sa mère^.
A la cour chacun se douta que don Manrique de
Lara, trésorier du roi d'Espagne, grand maître de
l'artillerie, apportait d'autres paroles que des compli-
ments de condoléance -. Don Manrique devait arriver
le 1 9 ou le 20 janvier, presque en même temps que
les ambassadeurs du pape et du duc de Florence,
mais il se retarda jusqu'au 24 \ Bien accueilli par le
roi, il fut reçu par la reine avec effusion. Elle fit
parade de « son grand amour pour la religion » et
remercia Philippe II de son zèle *. Cependant la
composition et l'attitude de son entourage détrui-
saient ces protestations. Les trois Chastillons,
attentifs à leur rôle, se relayaient pour que l'un
d'eux fût toujours présent auprès d'elle ^\ Aucun
d'eux n'allait à la messe ; tous trois affectaient de
rester étrangers aux pratiques religieuses, même
1. Instruction de I^hilippe II à don Juan Manrique de Lara,
en date du 4 janvier 1561 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1495,
n» 14). Cette instruction est accompagnée d'une lettre adressée
à la reine môme (Minute orig. avec ratures, ibid.^ n" 11).
2. Calendars^ 1560, p. 489. Lettre de Throckmorton du 10 jan-
vier 1561 à la reine.
3. Calendars, 1560, p. 500 et 514.
4. Lettre collective de Chantonay et de Manrique de Lara à
Philippe II, du 28 janvier 1561 (Orig. espagnol; Arch. nat.,
K. 1494, n° 55).
5. Lettre originale en espagnol de Chantonay à Philippe II, du
28 déccmhre 1560 (Arch. nat., K. 1491, n» 12).
40 ANTOINE DE BOURBON
aux cérémonies officielles de la cour. L'amiral venait
d'avoir un fils ; il le fit baptiser à la mode de Genève ^
au milieu d'une grande aOluencc de seigneurs, sans
que cette « nouvelleté » suscitât la moindre opposition
de la reine ou môme affaiblit la faveur de l'amiral ~.
La présence des trois Chastillons, leur attitude froide
et hautaine était un défi pour les ambassadeurs espa-
gnols. Catherine aurait désiré, au moment de l'ar-
rivée de don Manrique de Lara, éloigner le cardinal
qu'ils repoussaient comme apostat. Mais le roi de
Navarre, qui avait pris l'habitude de travailler avec
lui comme la reine mère avec Coligny, prit la défense
de son conseiller. La reine insista; Antoine resta ferme.
Enfin le cardinal demeura à la cour ^.
Soutenir la religion catholique d'une main et l'ébran-
ler de l'autre formait une politique que l'ambassadeur
espagnol qualifia sévèrement. Un jour, en plein con-
seil privé, don Manrique signifia à la reine que, si la
réforme triomphait en France, le roi d'Espagne pren-
drait les armes pour l'écraser, aussi bien dans l'intérêt
du roi que pour ne pas « laisser infester ses États par
« cette peste. » La menace, formulée avec l'autorité
qui appartenait à un si haut seigneur, frappa le conseil.
La reine tondit en larmes ^ Pendant deux jours, elle
1. L'onfaul l'tail m- à Cliastillon, le 2'i décembre précédent
(Dolaborde, Coligny^ t. ï, p. 500).
2. Lettre du comte de Bedford à lord Cecil, du li février 1561
(Galc/idars, 1561, p. 544).
3. Lettres de Tlirockmortoii du -26 février et du lî mars 1561
{Calemlars, 1560, jl 565 et 6-20).
4. Lettre de Michel Suriano à la République de Venise, du
19 février 1560 (1561). (Déchitlrement, Dépêches vénit., filza
4 bis, f. 60.)
ET JEANNE d'aLBRET. 41
se montra aussi catholique que le cardinal de Tournon.
Mais le surlendemain, tidèle à son système, elle enjoi-
gnit au parlement d'exécuter les lettres closes du
28 janvier précédent, qui rendaient la liberté aux
prisonniers pour cause de religion i.
Aussitôt après son arrivée à la cour, don Man-
rique de Lara demanda à voir le roi de Navarre
et lui rendit les mêmes honneurs que Chantonay.
Antoine le reçut avec apparat et l'invita à dîner.
Il aurait été moins glorieux s'il eût su que, dans l'ins-
truction confiée à l'ambassadeur, le roi d'Espagne
disait expressément : « Puisque l'entrée de M. de Ven-
« dôme au conseil est inévitable, il faut tâcher de ne
c< pas lui laisser le premier rôle et qu'il soit réduit
« comme un des autres membres du conseil, à cause
« des inconvénients que vous connaissez-. » Don Man-
rique était porteur d'une lettre de Philippe II adressée
« A mon cousin le duc de Vendôme, prince de Béarn^. »
Antoine examina la suscription, et, sans refuser la lettre,
observa que l'empereur Charles-Quint et Philippe II
lui-même l'avaient souvent qualifié de roi, 'prince de
Béarn, et qu'il « ne comprenait pas pourquoi on le
« supposait déchu de sa dignité royale. » Don Man-
rique ne s'arrêta pas à cette observation. Le soir môme
il écrivit à Philippe II que, la mission dont il était
chargé, toute de condoléance, ne s'adressant pas au
1. Lettres patentes du 22 fi'vrior 1560 (1561). (Mémoires de
Condé, t. II, p. 271.)
2. Instruction de Philippe II à don Juan Manrique do Lara,
du i janvier 1561 (Arch. nat., K. Ii95, n» 14).
3. Minute ou copie sans date (Arch. nat., K. 1495, u" 4). Cette
lettre est une simi)le lettre de salutation contenant une recom-
mandation hautaine en faveur « du service de Dieu. »
42 ANTOINE DE BOURBON
prince, il n'avait pas cru devoir lui faire la moindre
concession ' . L'insulte était d'autant plus humiliante
qu'elle avait été faite de propos délibéré. L'Aubespine
avait été consulté à Madrid sur l'étiquette de la cour
de France et avait conseillé à Philippe II d'adresser sa
lettre « Au roy, mon cousin, prince de Biard ~. »
La reine d'Angleterre inaugurait une politique
aussi énergique en faveur de la Réforme que Phi-
lippe II dans le sens contraire. Au milieu de dé-
cembre, l'ambassadeur anglais demanda audience
au roi de Navarre. Le prince l'invita à souper pour
le 213. Throckmorton trouva le prince avec le
cardinal de Bourbon, les ducs de Nevers et de Bouil-
lon, l'amiral de Goligny et le comte d'Eu. Antoine,
s'écarta nt de la compagnie, annonça à l'ambassadeur
le projet de repousser le concile de Trente et se porta
garant des tendances de la reine mère, qui commen-
çait, dit-il, « à prendre goût à la vraie religion. »
Throckmorton, à la suite de ces déclarations, conseilla
au prince de prendre les conseils de Goligny, et
Elisabeth écrivit au roi de Navarre comme au plus
sûr de ses alliés. Le comte d'Arran, chef des réformés
en Ecosse, lui dépêcha le capitaine Forbes. Dans sa
contiance, Throckmorton pressait l'arrivée d'un ambas-
sadeur extraordinaire, chargé de recevoir les engage-
ments officiels du prince. Elisabeth, satisfaite d'avoir
un coreligionnaire, presque un complice aux pieds du
1. Lollrc oripinalc en espagnol de Manrirjuo de Lara et de
Chantouay à IMiiliiiiu- II, du l''' février 1561 (Arcli. nat., K.
i-m, n« 56).
2. Avis de iV'vèque de Limoges, sans date (commencement de
janvier 1561) (Arch. nat., K. W.Vè, n° 40).
ET JEANNE d'aLBRET. 43
trône de France, accrédita auprès d'Antoine un gen-
tilhomme, Nicolas Fremyn, qui devait servir d'inter-
médiaire entre le prince et Throckmorton ' .
Elisabeth, bien que la plus proche voisine du roi de
France, n'avait pas encore envoyé d'ambassade de
condoléance. Elle attendait le départ de don Juan Man-
rique de Lara pour agiter plus librement les passions
fanatiques qui fermentaient à la cour~. Throckmorton
lui recommanda de choisir un personnage de renom,
capable de balancer l'autorité de l'Espagnol ; elle choisit
le comte de Bedford. Throckmorton fit préparer l'hôtel
de Henri de Montmorency-Damville dans la rue Saint-
Antoine^. Bedford arriva le 15 février à Paris et se
rendit le 1 6 à la cour. Le roi l'accueillit avec beaucoup
d'honneur, le remercia de ses condoléances et le pré-
senta à Marie Stuart. Le roi de Navarre l'engagea à
dîner. La première entrevue s'écoula en compliments
réciproques. Le soir, les ambassadeurs anglais visitè-
rent la duchesse de Ferrare. Le 1 8 au matin, ils eurent
une audience du roi de Navarre où l'on traita d'affaires
sérieuses. Bedford avait charge de recommander le
prince de Gondé et les Chasti lions, de détourner la
France de prendre part au concile de Trente et d'im-
poser au nouveau roi, en retour de son alliance,
l'abandon des conquêtes nouvelles, qui avaient jeté
1. Lettres de Throckmorton, de décembre et de janvier {Calen-
dars, p. 167, 474, 471, 477, 485, 489, 494, 492, 504, 505, 514,
519).
2. Observation de Throckmorton [Calendars^ 1560, p. 500
et 514).
3. Lettre de Throckmorton, du 10 janvier {Calendars, 1560,
p. 489). — Autre de John Somers (p. 514). — Autre de Throck-
morton (p. 565).
44 ANTOINE DE BOURBON
tant d'éclat sur le nom du duc de Guise. Antoine
promit tout, excepte la restitution de Calais, et ren-
voya les ambassadeurs anglais convaincus de la fer-
meté de son amitié ^ .
Pendant que le roi de Navarre payait de promesses
la reine d'Angleterre, il entrait secrètement en rela-
tions avec la cour romaine. Dans les derniers jours du
règne de François II, il avait envoyé à Rome don Pedro
d'Albret, son ancien ambassadeurauprèsde Philippe II.
Pedro était chargé en apparence de rendre hommage au
pape, en réalité de faire inscrire son maître au nombre
des souverains et d'infliger ainsi un démenti au roi d'Es-
pagne, qui s'obstinait à désigner le chef de la maison
d'Albret sous l'étiquette peu révérencieuse de Mon-
sieur de Vendôme. Don Pedro arriva le 21 novembre à
Rome, demanda une audience solennelle et « fit pro-
« vision de harangue. » Le 26 novembre, il fut reçu au
Vatican et parla « du tort que aucuns meschants héré-
« tiques et séditieux avoient voulu faire à la réputation
a du roy et royne de Navarre, se servans à faux titre
« de leur nom pour couvrir leurs malheureuses opi-
« nions el volontez. » Il « s'estendit sur ce propos en
« langue espagnole, de telle grâce et finesse, que
« nostre saint pcre y print plaisir. » Le pape était
résolu de le recevoir en plein consistoire comme les
autres ambassadeurs, nonobstant l'opposition des
Espagnols, (juand il apprit du nonce de France que
le roi « n'avoit à plaisir » que le représentant de la
Navarre reçût les honneurs d'une audience solennelle.
Le coup partait de la main des Guises, alors tout-puis-
1. Lottro (lu "20 février {Calendars, lôGO, j). hC)b). — Lettre du
20 février [ibid., ji. 555). — Lettre du l.' mars (ibid., p. 620).
ET JEANNE d'aLBRET. 45
sants auprès de François II. Paul IV proposa à don
Pedro de se contenter d'une « réception privée, »
mais celui-ci insista sur les honneurs dus à son maître.
L'ambassadeur de France, pressentant un mystère de
cour, « s'estoit délibéré de se taire sans parler. » Il
se serait montré encore plus circonspect s'il eût prévu
que ses lettres, écrites le 5 décembre 1560 et adres-
sées à François II, seraient ouvertes dans un conseil
tenu sous la présidence du roi de Navarre.
Aussitôt après l'avènement de Charles IX, Antoine
envoya un messager au pape^. Le messager n'était
pas encore arrivé à Rome ^ que le pape était sorti
de ses hésitations. Malgré les remontrances de don
Juan de Vargas, ministre de Philippe II, la cour
romaine fut convoquée pour le 14 décembre dans
la salle des rois. Au dernier moment le saint -père
hésita de nouveau et proposa à Philibert Babou,
ambassadeur de France, de procéder à la cérémonie
dans une autre salle, « attendu le froid et le mauvais
« temps. » Babou refusa péremptoirement en son
nom et au nom de don Pedro et ramena le pape
à ses premiers projets^. Le 14, les deux ambassa-
deurs se présentèrent et don Pedro prononça une
harangue d'apparat en latin, qui avait été écrite par
1. Lettre de Michel Surianu à la République de Venise, du
20 décembre 1560 (Dépêches vénit., hlza 4, f. 221).
2. A la date du 14 décembre, la cour romaine ignorait encore
la mort de François II. Elle n'en fut informée que le 16 (Lettre
de Babou, du 18 décembre; Vc de Golbert, vol. 343, f. G23).
3. Lettres de Babou du 25 novembre, du 5 décembre 15G0 et
du 9 janvier 1560 (1561) (Galland, Mémoires sur l'histoire de la
Navarre, p. 88 et suiv.). Les trois lettres sont conservées dans
les cinq cents de Golbert, vol. 343, p. 612, 618 et 623.
46 ANTOINE DE BOURBON
le célèbre humaniste Marc-Antoine Murets Le chance-
lier du pape, Florebellius, répondit au nom de la cour
romaine, et un procès-verbal, signé de tous les cardi-
naux, certifia les honneurs rendus au représentant de
la maison d'Albret^. Dès ce jour le saint-siège entra
en communication officielle avec le roi de Navarre
comme avec les autres souverains. Pie IV lui écrivit
une lettre de congratulation le 4 janvier 1561 ^
La mission de don Pedro d'Albret fut peu connue
en France et la popularité d'Antoine dans le parti
huguenot n'en fut pas atteinte. Ses amis présentaient
ses démarches à Rome comme une manœuvre anti-
espagnole. Les agents anglais signalaient malignement
son succès ^ Par contre, Ghantonay observait à son
maître que la condescendance de Pie IV aurait de
graves conséquences sur les négociations futures du
roi de Navarre''.
En Espagne les nouvelles de Rome bouleversèrent
la chancellerie de Philippe II. La qualification de roi
de Navarre, atti'ibuée au chef de la maison d'Albret
par le pape, impliquait un désaveu de la prétendue
bulle au nom de laquelle le successeur de Ferdinand le
1. Cette harangue est reproduite dans les OEuvres de Muret,
Liège, 1789, t. I, p. 51. Le discours, qui est conçu dans le sens
calliolitiuo le plus pur, fut plus tard désavoué par le roi de
Navarre (Lettre de Mundt à lord Cecil du 13 mai; Calendars,
1561, p. 10'.)).
2. Lcllrcs du cardinal d'Ossal, 1732, t. II, p. A2ï et 128.
3. Caloidars, 1500, p. 186.
\. Galcndars, 1500, p. 151 et 152. Lettres do John Shers à lord
Cecil et de Guido Giannetti à la reine. — Autre (ibid., 1561,
p. 05).
5. Lettre originale en espagnol de Chantonay à Philippe IL du
13 janvier 1501 (Arch. nat., K. 1494, n» 53).
ET JEANNE d'ALBRET. 47
Catholique possédait la Navarre espagnole^. Philippe II
commença par se plaindre au nonce. Puis il chargea
don Juan d'Ayala de représenter au pape le « contre-
fit cueur » qu'il éprouvait- et de lui remettre un long
factum sur ses droits rédigé par un casuiste à ses
gages ^. Don Juan d'Ayala remplit brutalement sa
mission. Il se présenta au Vatican sans demander
d'audience et obligea par son insistance le pape à
retarder un voyage à Civita-Vecchia. Introduit auprès
du saint-père, il ne se mit pas à genoux et se contenta
de s'incliner la tête nue. Au miheu de sa harangue, il
se couvrit grossièrement et garda sa toque jusqu'à la
fin du discours. Son impertinence fit scandale dans
toutes les cours, même en Angleterre^. Le mécon-
tentement de Phihppe II refroidit les relations de la
cour romaine et de la cour espagnole ^. Le comte
1. Cette prétendue bulle de Jules II n'avait jamais existé,
mais le gouvernement espagnol laissait croire qu'il retenait la
Navarre espagnole à ce titre. Voyez le Mariage de Jeanne d'Albret^
p. 13.
2. Lettre de l'Aubespine au roi de Navarre, du 20 mars 1560
(1561) (Galland, Mémoires sur l'hist. de la Navarre^ Preuves,
p. 84). — Autres lettres du même, du 4 et du 17 avril [ibid.^
p. 85 et 87).
3. Ce factum, plein do droit canonique, sans faits nouveaux,
est conservé aux Archives d'État de la secrétairerie d'Espagne
(Navarre, leg. 358, f. 374).
4. Lettre de Shers à lord Cecil, du 26 avril 1561 (Calendars,
1561, p. 80).
5. Lettre de Throckmorton à lord Cecil, du 22 mars 1561
(Calendars, 1560, p. 3i). Toile était l'obscurité que Piiilippe II
avait réussi à accumuler autour de ses droits sur la Navarre que
Throckmorton croyait lui-même à l'existence de la bulle do
Jules U. — Lettre do Shers à lord Cecil du 19 avril (Calendars,
1561, p. 64).
48 ANTOINE DE BOURBON
Annibal, un des neveux du pape, qui sollicitait à
Madrid en faveur d'un mariage, paya la « faiblesse »
de son oncle. Il fut éconduit par le prince d'Eboli au
nom du roi et renvoyé sans égards^. Seul, don Pedro
recueillit de brillants fruits de sa mission : du roi de
France il obtint l'évêché de Comminges, du pape
l'expédition gratuite de la bulle de confirmation-, et
il s'installa officiellement à Rome comme ambassadeur
du roi de Navarre •^
Deux jours après la clôture des états généraux, le
roi (juitta le séjour d'Orléans marqué par de si funestes
souvenirs. Une sorte de fatalité pesait sur la ville. Peu
après la mort de François II, le marquis de Beaupréau,
âgé de douze ans, fils unique du prince de La Roche-
sur-Yon, dans un exercice de carrousel, en se jouant
avec le roi et d'autres jeunes seigneurs, tomba sous
les pieds de son cheval et fut écrasé. Il languit
quelques semaines et mourut ^ On observa que dans
un mois la famille royale avait perdu deux de ses
membres, tous deux à la fleur de l'âge, le premier et
le dernier. Des phénomènes effrayants ajoutaient une
1. Lotlrc do L'Aubospine, du 17 avril 1561 (Galland, Mémoires
sur iliist. de la Navarre, Preuves, p. 87).
2. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 11) juin làfit (Orig.
espagnol; Arch. uat., K. liOâ, n" -17). — Autre [Oalejidars, 1561,
p. 108).
3. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 26 mars 1561 (Orig.
esiuignul, K. 1194, n» 68). — Autre {Calcndars, 1561, p. 107).
A. Lettre de Suriano à la République de Venise, du 9 janvier
1560 (1561) (Dép. vénit., iUza i, p. 229). Plusieurs historiens et
géni'alogistes ont hxé la mort de ce jeune prince au 18 décembre.
Suriano est tellement précis cjue son récit ne comporte aucun
doule. Ce fut la chute (|ui eut lieu probablement le 18 décembre.
Brantôme raconte un pou (lillV'ronimonl l'accident (t. V, p. 28).
ET JEANNE d'aLBRET. 49
sorte de terreur superstitieuse à l'impression pénible
des courtisans. Le grave Chantonay raconte que, le
28 décembre, à cinq heures du matin, on aperçut un
feu lumineux, « grand comme une maison, » au-
dessus du logis du roi. Ses rayons éclairèrent la ville
pendant plusieurs heures et s'éteignirent aux premières
lueurs du jour^. Un plus grave fléau menaçait Orléans.
La disette s'y faisait sentir. Les vivres, épuisés par
l'armée de valets et de soldats que le roi et les courti-
sans traînaient à leur suite, commençaient à manquer
même aux ambassadeurs étrangers-.
Le roi se mit en marche à petites journées, le
2 février, et arriva le 5 à Fontainebleau avec la reine
mère et le roi de Navarre.
La prépondérance du roi de Navarre, malgré ses
droits de premier prince du sang, malgré son accord
avec la reine mère, ne s'établissait pas sans obstacle.
Aux approches du carême, la reine décida que tous
les prélats rejoindraient leur résidence. Les cardinaux
de Lorraine et de Guise donnèrent l'exemple. Le pre-
mier fit des adieux touchants à la reine ; il lui baisa
les mains et trouva des paroles émues pour protester
de son dévouement au roi ^. Il partit le 23 février et
alla prêcher à Reims *. Antoine voulait garder au
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 28 décembre 1560
(Orig. espagnol, Arch. nat., K. 1494, n° 12).
2. Lettre de Suriano à la République de Venise, «du 13 jan-
vier 1561 (Dépêches vénit., filza 1, f. 232). Il est juste d'ajouter
que, dans sa correspondance, Suriano est toujours très occupé
des soins de sa vie matérielle.
3. Lettre de Chantonay et de Manriquo de Lara à Philippe II
(Orig. espagnol du 1«'" février 1561 ; Arch. nat., K. 1494, n^ 56).
4. Lettre de de Bèze, du 25 mars (Baum, Theodor Deza, appen-
dice, p. 31). — M. Cheruel a publié une lettre du card. de Lor-
ni 4
50 ANTOINE DE BOURBON
conseil les cardinaux de Bourbon et de Ghastillon, dont
les voix lui étaient acquises. L'un se souciait peu de
(juitter la cour, l'autre de se présenter à ses ouailles ;
mais ils furent forcés d'obéir. Dans son dépit, le prince
demanda l'éloignement du cardinal de Tournon. En
vain la reine lui représenta le grand âge et les infirmités
de ce prélat ; elle dut employer son autorité de régente
à retenir le cardinal auprès d'elle. Le vieux ministre
de François P% (jui avait vu naître Antoine de Bourbon,
se vengea de son hostilité par des railleries. Il dit au
duc de Montpensier (ju'il était « à charge à Vendôme
« pour le bien qu'il cherchait à lui faire au corps et à
« l'àme, » allusion peut-être à des conseils de morale
inutilement prodigués^.
Les plus amers échecs du roi de Navarre venaient du
duc de Guise. François de Lorraine travaillait à rega-
gner le terrain perdu depuis la mort de François IL
Au conseil sa parole habile s'imposait d'elle-même.
Plusieurs fois son avis prévalut sur celui du roi de
Navarre. Ses amis encouragés se ralliaient peu à peu.
La veille de Noél, il voulut aller en pèlerinage à
Notre-Dame-de-Cléry et « emmena, dit Brantôme,
« quasi toute la court avec luy '. » Déjà son parti se
reformait derrière lui et chacun pouvait prévoir qu'à
force de patience et de ténacité le chef des Lorrains
retrouverait son ancien crédit ^
raine, (latée du l'"'" avril, qui prouve la tranquillité de ce prélat
et sa profonde retraite dans son diocèse {Marie Stuart et Cathe-
rine de MMicis, ]>. ■2\).
1. Lettre do Clianlunay à [Miilippo. U, du 4 mars (Orig. espa-
gnol; Arch. uat., K. I.'i9i, n» 6-2).
■2. Brantôme, t. IV, p. 22G et suiv.
3. Suriano insiste sur ce point (Lettre du 19 février 1560
(lôOi); DéchillV., Dt'pèclics vénit., ûlza i bis, i'. 00).
ET JEANNE d'aLBRET. 51
L'un des plus brillants champions du parti catho-
lique, Jacques de Savoie, duc de Nemours, était depuis
longtemps en lutte avec les amis d'Antoine de Bourbon.
11 avait séduit Françoise de Rohan, cousine germaine
de Jeanne d'Albret, sous promesse de mariage et refu-
sait de tenir son serment. Les deux parties étaient en
instance auprès de l'officialité diocésaine et bataillaient
avec acharnement à coups d'arrêts. Toute la cour était
engagée dans cette querelle qui remontait au règne
de Henri IL Les Guises soutenaient le duc de Nemours
que de tendres liens attachaient déjà à la duchesse de
Guise, et les Réformés sa victime. Les premiers, con-
duits par un jeune seigneur peu mesuré dans ses
paroles, remplissaient la cour de leurs rodomontades
et essayaient leurs forces à l'ombre de ce débat parti-
culier. La reine fit appeler le jeune duc et le blâma
de ses bravades. Il répondit qu'on en voulait à sa
vie et se plaignit des partisans des Rohan ^. Enfin la
reine réussit à l'apaiser ; elle parla aussi au roi de
Navarre et les décida tous deux, puisque le procès
était engagé, à attendre les décisions de la justice
ecclésiastique. Le duc de Guise aida la reine, et, à la
suite d'une conférence pacifique, le roi de Navarre
offrit à Guise et à Nemours un repas qui sembla les
réconcilier tous les trois ^.
Au commencement de février, l'un des frères de
mademoiselle de Rohan arriva de Bretagne avec une
1. Lettre de Tornabuoni au grand duc de Toscane, du 10 et
du 12 janvier 15G1 (Négoc. de la France avec la Toscane, l. III,
p. '144 et 447).
2. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 12 janvier 1561 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1494, n" 52).
52 ANTOINE DE BOURBON
suite de 200 gentilshommes armés en guerre. Le 1 0 il
fut présenté à la cour par le roi de Navarre. Nemours
se prétendit personnellement visé par cette invasion
bretonne, s'entoura de défenseurs et affecta de ne se
montrer, môme devant le roi, que bien accompagné.
Catherine se plaignit au roi de Navarre du train belli-
queux du sire de Rohan. Antoine répondit que le rang
d'un cousin germain de Jeanne d'Albret comportait tel
équipage. Le duc de Guise faisait valoir la modération
de Nemours par comparaison avec les menaces des
Rohan. Il fut appuyé par le connétable. Montmo-
rency fît venir des gens d'armes ; chaque parti con-
voqua ses soldats. Peu à peu la cour se remplit
d'aventuriers prêts à tirer l'épée. Le duc de Guise
s'assura de l'appui du duc de Lorraine en cas de
conllit' . Blâmé par la reine et par les seigneurs, mieux
conseillé par ses amis, Antoine décida enfin que le
sire de Rohan partirait le ;24 février pour la Bretagne.
Rohan resta auprès du roi de Navarre, mais il ne se
montra plus à la cour en tenue de guerre^.
Plus tard, sur le bruit de la mort du duc de Nevers,
Antoine demanda le gouvernement de Champagne
pour son frère, le prince de Condé, mais la reine, à
la requête du duc de Guise, le promit au duc de
Nemours^. Autant de griefs de la part du prince,
autant de causes de jalousie contre son rival.
1. Lcllre de Chautoaay à Philippe II, du 1) mars (Orig. espa-
gnol; Arch. ual., K. liO'j, n» Gi).
2. Lettre du comte de Bedford à lord Gecil, du 11 février
(Calcndars, 13G0, p. 5i4). — Lettre de Ghaatonay à Philippe II,
du 4 mars (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1494, n° 62).
3. Lettre d'un des ambassadeurs vénitiens (Déchiffrement non
signé, daté du 1"' mars 1561; Dépêches vénit., hlza 4 bis, f. 15).
ET JEANNE d'alBRET. 53
La rivalité dégénéra bientôt en querelle. Depuis la
mort de François II, des bruits menaçants se répan-
daient de la cour dans les provinces. Tantôt on
racontait que les Lorrains avaient pris les armes,
tantôt que le roi de Navarre, profitant de l'absence du
duc de Guise, retenu aux obsèques du feu roi, s'était
emparé de la personne de Charles IX et de celle de
la reine mère. Le récit, entouré de circonstances
dramatiques, courut jusqu'à Pampelune^ Catherine,
assaillie de craintes, prit le parti de faire coucher le
roi dans sa propre chambre^. Ces dangers, vrais ou
imaginaires, donnaient une grande importance à la
garde du roi. Le duc de Guise, en qualité de grand
maistre, la commandait en chef. Un jour, à Orléans,
Antoine ne craignit pas de renvoyer les soldats dési-
gnés par le grand maistre et introduisit de nouvelles
compagnies de son choix ^. Le duc de Guise se dit
insulté dans sa dignité et se plaignit à la reine mère.
Antoine assistait à l'entretien. Il interrompit durement
le duc dans ses plaintes : « Le roi et la reine le veu-
« lent ainsi et ainsi cela sera*. » La contestation
dura plusieurs jours. Les gens de pied chassés par
le roi de Navarre se groupaient autour du duc de
1. Lettre du duc d'Albuquerque à Philippe II, du 15 décembre
(Orig. espagnol; Arcli. de la secret. d'État d'Espagne, leg. 358,
f. 52).
2. Lettre originale eu espagnol de Chantonay à Philippe II, du
9 décembre (Arch. nat., K. 1493, n° 116). Chantonay ajoute qu'il
pense que cette sollicitude ne durera pas. — Lettre de Throckmor-
ton au conseil, du 9 décembre [Calcndars^ 1560, p. 438).
3. Lettre de Tornabuoni au grand duc de Toscane, du 10 jan-
vier 1561 [Négoc. de la France avec la Toscane, t. III, p. 444).
4. Lettre de Tornabuoni, du 10 janvier [Négoc. de la France et
de la Toscane, t. III, p. 444).
54 ANTOINE DE BOURBON
Nemours ; on disait qu'ils cherchaient roccasion de
surprendre le prince. Un soir, le connétable, mis
en éveil par de secrets rapports, amena lui-même
une escorte au prince à la porte du logis de la
duchesse de Montpensier ; le lendemain, il le recon-
duisit avec ses gentilshommes armés jusqu'à l'hôtel
du roi. Le duc de Nemours, sommé de s'expliquer,
s'excusa de quelques paroles imprudentes. Les habi-
tants, maltraités par les soldats des Lorrains, offrirent
au roi de Navarre une garde spéciale qu'il eut la
sagesse de refuser*.
Vers la fin du mois de février, pendant le séjour du
roi à Fontainebleau, Antoine se plaignit à la reine que
le duc de Guise lui était préféré, qu'il avait pris les
clefs du château, que, malgré la présence du pre-
mier prince du sang, l'ambitieux Lorrain tranchait du
maître au conseil. Il signifia que, si le duc demeurait
à la cour, il devrait à sa propre dignité de retourner
dans ses états. La reine répondit que le duc de Guise,
en retenant les clefs des portes, obéissait aux devoirs
de sa charge et suivait l'exemple de Montmorency.
Le roi de Navarre épilogua sur le point de savoir si
Montmorency avait retenu les clefs du château à
titre de grand maistre ou à titre de connétable.
Le duc de Guise, informé de cette nouvelle explo-
sion de jalousie, y riposta avec d'autant plus de
hauteur i|u'il se sentait dans son droit. Il allait disant
à tous les courtisans que le roi et la reine connais-
saient depuis longtemps son intention de se retirer à
Nanteuil, mais qu'il était contraire à sa dignité de céder
l. La Placo, Estât de Religion et Ri'publiqiiCy édit. du Pantli.
un., p. 110.
ET JEANNE D ALBRET. 05
à la menace ; du moment où ses ennemis prenaient à
tâche de l'offenser, il refusait d'abdiquer les droits de
sa charge et de se laisser chasser de la cour. Pendant
deux jours le roi de Navarre cessa de paraître au
conseil et même de rendre visite au roi et à la reine.
Le 26 février, Catherine avec ses enfants et les
seigneurs de la maison de Guise allèrent à la chasse.
Antoine, les Montmorency et les Chastillons sortirent
presque en même temps et affectèrent de se diriger
vers une autre partie de la forêt. Au retour la reine
s'enferma dans sa chambre avec le roi, ne recevant que
le cardinal de Tournon. On s'attendait à des querelles
sanglantes dans l'intérieur du château, qui auraient
donné le signal de la guerre civile, et les ambassadeurs
étrangers en supputaient même les chances ^
Le lendemain Catherine sortit de sa retraite et
déclara qu'à l'avenir les clefs seraient déposées chaque
soir dans sa chambre par les capitaines de service. Le
roi de Navarre, qui servait d'instrument aux mécon-
tents^, ne se tint pas pour satisfait. Il fît grand bruit
de ses droits, prit les allures d'un homme offensé et se
retira dans son logis. Le jour suivant il annonça qu'il
quitterait la cour. En vain le jeune roi chercha à le
1. Lettres de rambassadeur vénitien, du 1" et du 5 mars
(Déchilîrement, Dépèches vénit., filza 4 bis, f. 15 et \9). — Lettre
de Chantonay à Philippe U, du 4 et du 9 mars 1561 (Orig. espa-
gnol ; K. 1494, nos go et 64). — Lettre de Tornabuoni, du 26 février
[Négoc. de la France et de la Toscane, t. III, p. 472. — C'est par
erreur que l'éditeur a placé cette lettre à l'année 1562; elle ne
peut être que de 1561).
2. Suriano raconte qu'on lui avait persuadé que les pouvoirs
du duc de Guise mettaient sa vie en danger (Dépèches vénit.,
filza 4 bis, f. 15). — Sic, lettre de Chantonay à Philippe II, du
4 mars (Orig. espagnol, K. 1494, n» 62).
56 ANTOINE DE BOURBON
retenir et le pria avec instance de ne pas l'abandonner.
Antoine « fit venir ses chevaux et mulets, trousser
« son lit et botter ses gens prêts à partira » Ses
équipages allèrent l'attendre à Melun. Les princes
du sang, notamment le duc de Montpensier, engagés
malgré eux à suivre le chef de leur maison, le blâ-
maient ouvertement, mais ils n'osaient se séparer de
lui. Le connétable, ses fils, les Chastillons, par esprit
de parti, soutenaient hautement la cause du prince. La
reine courait le danger d'être laissée en tête à tête avec
le duc de Guise, et déjà l'on disait au château que
l'ambitieux grand maistre tramerait la cour à Paris
pour se faire offrir la régence parle parlement.
Le roi de Navarre et les princes étaient montés à
cheval ; ils s'attendaient mutuellement pour donner
plus d'éclat à leur départ quand le cardinal de Tournon
accourut. Il venait de la part du roi sommer le conné-
table de se rendre à l'instant auprès de lui. Le conné-
table obéit ; le roi était dans sa chambre au milieu de
ses secrétaires d'État. « Mon compère, lui dit-il, je
fi compte peu d'années; je connais cependant les
« services que vous avez rendus à mon père et corn-
et bien vous avez été aimé de lui. Je sais aussi et je
« n'ai pas oublié le serment que vous m'avez fait. »
Ces paroles émurent le connétable qui se laissa
1. Lctlro de la reine mère, du 3 mars {Lettres de Catherine de
Médicis, t. I, p. ■'186). Cette lettre donne la date exacte de cet
incident. Catherine écrit qiie cela se passait « jeudi dernier » ;
or, cette indication, en 1561, désigne le 27 février. L'affaire des
clefs du château est donc antérieure à l'arrivée de Condé à la
cour, contrairement à ce «ju'ont écrit i)resque tous les historiens.
— La lettre de Chantonay à PhiUppe II, du 4 mars, s'accorde
avec la lettre de la reine pour la date (Arch. nat., K. 149 i, n» 6Î).
ET JEANNE d'aLBRET. 57
ébranler. Le roi reprit : « Mon compère, je vous
« commande de ne pas m'abandonner ^ . » Pendant cet
entretien, le roi de Navarre et les princes s'impatien-
taient aux portes du château. Ils envoyèrent le duc
François de Montmorency rappeler à son père qu'il
était attendu. Le vieux capitaine n'hésitait plus. Il
déposa son harnois de voyage et répondit qu'il ne
partirait pas. Cette nouvelle, communiquée aux
princes , changea rapidement leurs dispositions.
Personne ne voulut quitter Fontainebleau et le roi de
Navarre envoya quérir ses équipages à Melun. A la
suite de cet incident, il y eut une réconciliation
générale à la cour. Tous les seigneurs jurèrent d'oublier
leurs dissentiments personnels et de se liguer contre
le premier « qui donnerait une occasion de discorde -. »
A peine cette querelle était-elle éteinte que le
prince de Condé, le plus exigeant de tous les mécon-
tents, reparut à la cour. La reine mère, dans un but
de paix, avait résolu de faire oublier le procès de ce
prince ; elle fit signer au roi des lettres qui dessaisis-
saient la cour suprême au profit du conseil privé ^ et
■1. Tout ce discours est rapporté textuellement dans la lettre
de l'ambassadeur vénitien, du 3 mars 1561 (Déchiffrement;
Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 18).
2. Outre les documents inédits cités dans les notes précédentes,
nous citerons, parmi les imprimés, La Place, Estât de religion et
rt'imblique, édit. du Panth. litt., p. 120; lettre de Catherine à
Philippe, du 5 mars 1561 [Négoc. sous François 11^ p. 820) ; Davila,
Hist. des guerres civiles^ t. I, p. 84 ; Dupleix, Hisl. de France^
t. ni, p. 637. — La Popnlinière a absolument copié La Place
(f. 254 v). — Dupleix (t. lU, p. 637) sans le copier s'est inspiré
de son récit. — Voyez aussi Brantôme, t. VU, p. 352.
3. Lettre de l'ambassadeur vénitien du 1*'' mars (Déchiffrement;
Dépêches vénit., ûlza 4 bis, f. 15).
58 ANTOINE DE BOURBON
commanda à Condé de se rendre à Fontainebleau. Le
prince quitta La Fère et s'approcha de Paris en grand
équipage. Les fils du connétable de Montmorency et
une foule de seigneurs, que Gliantonay évalue à 7 ou
800 cavaliers, étaient venus à sa rencontre aux portes
de la ville et l'escortèrent jusqu'à son logis^. Le prince
s'arrêta quelques jours dans Paris, y tenant cour
plénière, entouré des plus remuants du parti huguenot.
La foule d'intrigants, qui se pressait autour de lui,
dépassait, dit l'ambassadeur vénitien, le nombre des
courtisans du roi. Enfin le prince prit la poste et partit
pour Fontainebleau avec ses nouveaux partisans. A
distance du château, il éloigna son cortège, qui ressem-
blait à une armée d'invasion, et se présenta seul
devant le roi avec le comte de La Rochefoucault et le
sire de Sénarpont^. Charles IX l'accueillit avec une
affabilité qui rappelait par contraste la raideur mal-
veillante que François II lui avait montrée à son arrivée
à Orléans, moins de quatre mois auparavant. Ce fut
au tour de Condé à faire parade de son dédain. Il
accepta les avances du roi comme une restitution qui lui
était due et ne dissimula pas ses ressentiments. Debout
auprès du siège du roi, en qualité de grand maître,
le duc de Guise attendit un regard du nouveau venu.
Condé ne jeta même pas les yeux sur lui et la
conversation s'engagea entre le roi, la reine et le
prince, sans que les deux rivaux eussent échangé une
révérence '^.
i. Résumé do chancellerie de lettres de Gliantonay (mars 15G1)
(Arch. nat., K. Ii9i, n« 70).
2. La Place, p. 120.
3. Lettre de Suriano à la n^publique de Venise, du 16 mars
1fi61 (Dépêches véiiit., iilza '(, 1'. 267).
ET JEANNE d'aLBRET. 59
Bientôt le conseil fut assemblé et procéda au juge-
ment du prince. L'arrêt n'était pas discuté ; cependant
les charges abondaient. On avait saisi des lettres qui
prouvaient la complicité de Gondé avec les conjurés
d'Amboise et avec les séditieux de Lyon. Le prince se
défendait en accusant son secrétaire d'avoir abusé
d'un blanc-seing et demandait à être confronté avec
ce secrétaire, mais le coupable avait disparu. Tous
les efforts pour le retrouver ayant été inutiles, les
amis des Bourbons disaient que les Guises l'avaient
fait disparaître par des moyens criminels ^ Quelles que
fussent les preuves, les circonstances imposaient à la
reine l'oubli du passé. Le duc de Guise se faisait
remarquer parmi les défenseurs les plus ardents du
prince. Il répétait que toutes les mesures prises contre
le frère du roi de Navarre étaient l'œuvre du feu roi
et il le prouvait par des lettres signées de François II
lui-même. Il affectait de trouver les témoignages insuf-
fisants et conseillait d'anéantir les dossiers de justice
que ses propres agents avaient accumulés-. Après un
simulacre de délibération, le conseil prononça, le
8 mars, un arrêt qui renvoyait Gondé de toute plainte ;
1 . Lettre de Tornabuoni au grand duc de Toscane, du 1 6 décembre
1560 {Négoc. de la France et de la Toscane, t. III, p. 431).
2. Lettre d'un ambassadeur vénitien (Déchiffrement daté du
l^' mars; Dépèches vénit., filza 4 bis, f. 15). — Lettre de Ghan-
tonay, du 9 mars 1561 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1191,
n" 61). Dans un extrait de la correspondance de Chantonay,
imprimé dans les Mémoires de Gondé (t. II, p. 2 et 3), il est dit
que le roi de Navarre reprocha au duc de Guise l'opposition
qu'il faisait à la justification do Gondé. Il ^n'y a rien de pareil
dans les originaux. Le duc de Guise défendait ardemment le
prince.
60 ANTOINE DE BOURBON
la reine mère lui rendit sa place au conseil prive et le
convoqua pour la première séance'.
Le prince de Condé repoussa le bénéfice de cette déci-
sion et déclara à la reine qu'il ne se croirait absous
que par un arrêt du parlement^. La reine l'exhorta à
se réconcilier avec le duc de Guise. Il répondit qu'il
voulait être justifié légalement avant de se retrouver
en face de ses ennemis, et que, le jugement rendu,
s'il y avait lieu, il appellerait le duc de Guise seul à
seul en champ clos. Le roi de Navarre approuvait
hautement ces exigences et disait que les accusations
portées contre son frère devaient être éclaircies. Un
jour il osa assurer à la reine que le duc de Guise avait
acheté quelques-uns des témoins de l'instruction. Le
duc, qui était présent, sut contenir sa colère, d'autant
que le prince était bien accompagné^. A la cour
on disait que le prince de Gondé n'attendait que
l'occasion de chercher querelle à son rival, « et de
« faict il luy en faisoit la mine. » Le duc de Guise n'y
prenait garde. « Je ne vis jamais, dit Brantôme, M. de
« Guy se estonné pour cela, faisant bonne mine tous-
« jours, marchant la teste haut eslevée, résolu de se
« bien battre si on l'attaquoit ^ » Un geste, une ren-
contre, un acte de zèle d'un gentilhomme pouvait
1. L'arrêt esl imprimé dans les Mémoires de Condé, t. III,
p. 156. A la suite de cet arrêt, le roi rendit en faveur du
prince une ordonnance de justification qui est imprimée dans les
Mémoires de Castelnau^ 173i, t. I, p. 703.
2. Lettre do Cluiutonay à Philippe 11, du 9 mars 1561 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 149i, n» 64).
3. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 4 mars (Orig. espa-
gnol ; Arch. nat., K. 1494, n» 62).
4. Brantôme, t. IV, p. 268.
ET JEANNE d'aLBRET. 61
donner le signal d'une lutte armée à la cour et la
moindre escarmouche entre les courtisans pouvait
s'étendre à la France entière. La reine mère avertit
secrètement les capitaines de son parti d'accourir
au premier tumulte dans la chambre du roi avec
leurs gens et leurs armes. Elle renouvela les ordon-
nances contre le port des arquebuses et des pistolets,
et défendit aux gens de service de conserver même
des cuirasses ; elle doubla le nombre des compa-
gnies de garde et leur recommanda une plus active
surveillance^.
Catherine s'efforçait en vain d'apaiser le prince de
Condé comme elle avait satisfait le roi de Navarre ;
elle y perdit ses finesses italiennes. Condé, d'autant
plus intraitable qu'on le redoutait davantage, annonça
qu'il poursuivrait lui-même le soin de sa justification-.
Le 17 mars, il se rendit à Paris et entama ses
démarches. Le 20, il se présenta avec son frère, le
cardinal de Bourbon, à la barre du Parlement, et
requit « que le tout y fust jugé et décidé par un hono-
« rable et mémorable arrêt. » L'avocat Robert prit la
parole, et le Parlement, toutes chambres réunies,
décida que le procès serait revisé. Les témoins, Jacques
de La Sague, arrêté à la suite de l'assemblée de Fon-
tainebleau, Gilles Trion, dit Le Gautier, et d'autres
aventuriers, plus ou moins complices du prince,
furent entendus une seconde fois. L'instruction se
prolongea pendant plusieurs mois^.
i. Lettre de Suriano à la république de Venise, du 16 mars
1561 (Dépêches vénit., iilza 4, f. 267).
2. Ibid.
3. Récit du temps (Mémoires de Condé^ t. II, p. 383).
62 ANTOINE DE BOURBON
Dans l'intervalle, le prince de Condé utilisait ses
loisirs. A Paris, à la cour, pendant les visites qu'il
était obligé de faire au roi, il travaillait à l'organisa-
tion du parti huguenot. Coligny s'effaçait modeste-
ment derrière lui, sauf à le diriger à son insu. A Paris
surtout, dans les conférences que le prince multipliait,
il n'était plus question de sa réhabilitation, mais de
circonvenir, de désarmer et finalement d'anéantir le
culte catholique^
Les circonstances prêtaient un appui aux assail-
lants. Les états provinciaux, réunis dans toutes les
villes du royaume, en vertu d'une ordonnance du roi
du 18 février-, préparaient les cahiers des futurs états
généraux. A Paris, les députés avaient repris l'œuvre
des états d'Orléans^. La constitution du gouvernement,
les rivalités des princes absorbaient leur attention au
préjudice de la recherche des ressources financières.
Le 15 mars, animés par Antoine Fuméc^, conseiller
au parlement de Paris, victime des Guises sous les
règnes de Henri II et de François II, un des chefs du
parti réformé et l'un d(îs plus résolus, ils décidèrent
que la régence devait appartenir au roi de Navarre,
non à la reine mère, et, à défaut du roi de Navarre,
au prince de Condé, que « tous ceux de la maison de
1. Loltro do Chant onay à Philippo II, du 26 mars (Orig. espa-
gnol; Ai-ch. nal., K. l'iOi, n» 68). — Lettre de Suriano à la
rcpublicjue de Venise, du 18 mars (Dépêches vénit. , lilza -i,
f. 262).
2. Copie du temps; Vc de Colbert, vol. 27, f. 289.
3. Leurs di'lihérations sont analysées dans le journal de Brus-
lard (Mcmoires de Condi\ t. I, p. 24).
\. Lettre do Uobertet à L'Aubespine, du 27 mars (1561) (f. fr.,
\ol. 6G17, f. 139).
ET JEANNE d'aLBRET. 63
« Guise ou qui ont esté advancés par leur moyen seroient
« non seulement ostés du conseil du roy, mais aussy
« esloignés de la compaignie de Messieurs ses frères, »
que les cardinaux, évoques et autres qui ont le « ser-
« ment à autre que au roy, » seraient chassés du conseil,
même le cardinal de Bourbon, « s'il ne laisse le cha-
« peau, » que le maréchal Saint-André serait exclu du
conseil et tenu de rendre compte des « dons excessifs »
des feus rois, que le conseil ne serait composé que des
princes du sang, du connétable, des trois autres maré-
chaux et de l'amiral, que Coligny serait gouverneur
du jeune roi. A ces clauses, les états en ajoutaient une
autre, grosse d'orages, et qui réservait l'avenir : « Du
cr surplus, les estais y doibvent adviser^. »
Ces paroles impératives, qui sonnaient le tocsin de
la guerre civile, jetèrent l'alarme au conseil. Catherine
envoya le duc François de Montmorency à Paris, fit
dissoudre l'assemblée provinciale et ordonna de nou-
velles élections. Le roi de Navarre ne se sentait pas
d'aise d'être ainsi recherché par les états. Il attendait
avec une modestie simulée les décisions des autres
provinces, quand la reine voulut apprendre de sa
bouche quelle part il prenait à ces intrigues. Elle lui
demanda « si c'estoit à sa sollicitation que cecy se
« faisoit, ne pouvant, écrit-elle à L'Aubespine, que
1. Négociations sous François II, p. 833. — Cette délibération
et ses conséquences probables sont très exactement analysées
par Throckmorton {Calendars, 1561, p. 41). Il ajoute que ce n'est
qu'à ce prix que les états consentaient à payer les dettes du roi.
Cette clause n'existe pas dans le document. — Suriano, dans
une dépêche chiffrée, en date du 17 mars, a aussi donné quelques
intéressants détails sur la décision des états (Dépèches vénit.,
mza4 bis, f. 20).
64 ANTOINE DE BOURBON
« trouver bien estrange de ce que, après m' avoir
« cédé l'authorité et me l'avoir, tous les estats,
« appi^ouvée à Orléans, il se trouvoit des fols qui me
« la voulsissent ester. » Antoine répondit « qu'il
« estoit bien aise de ce qu'il voyoit, car par là, dit
« Catherine, je congnoistrois ce qui luy appartenoit et
« ce qu'il faisoit pour moy en me le cédant. » Cette
générosité ne convint pas à la reine, qui réclamait,
non pas une faveur, mais un droit. « Je luy réplic-
« quay, écrit-elle, que je scavois assez ce qu'il faisoit
« pour moy, mais que de luy avoir obligation d'une
« chose que je cuidois m'appartenir, je ne le pouvois
« nullement du monde endurer. » Antoine riposta en
se prévalant de la qualité de premier prince du sang,
qui lui aurait assuré la régence s'il eut voulu se mon-
trer exigeant; malgré ses droits, disait-il, il ne retirait
pas ses concessions à la reine, mais il demandait des
grâces nouvelles, l'accroissement de ses pouvoirs
comme lieutenant général et l'expulsion du duc de
Guise de la cour. « Sur ce dernier point, écrit la
« reine, j'ay insisté inthiiment, ne pouvant, à ung
« prince d'honneur et de vertu, qui avoit bien servy
« le roy, mon seigneur, et ceste couronne, faire ceste
« honte de le chasser et l'envoyer comme ung mal-
ce heiun'ux. El luy persistoit si obstinément en cela
« qu'il ne m'estoit possible d'y trouver moyen^. »
Le récit de cet entretien, que la reine et le prince
se hâtèrent de colporter j)armi leurs paitisans, divisa
la cour en deux camps. Les députés des états, tiers
de leur incursion sur le terrain de la haute politique,
1. Lottro lie CatluM-ino à L'Aubespiue, du 27 mars (Lettres de
Catherine, t. I, |). 176).
ET JEANNE d'aLBRET. 65
voulaient, les uns étendre, les autres restreindre le
pouvoir de la reine mère ou du roi de Navarre. Le
chancelier de l'Hospital s'efforçait d'écarter ces dis-
cussions, étrangères à la compétence des états provin-
ciaux, et la duchesse de Montpensier de prémunir le
prince contre les entraînements de ses amis. Après quel-
ques jours « de contension, » la question n'avait pas fait
un pas^ Enfin, le connétable de Montmorency se laissa
tenter encore une fois par la grandeur du rôle d'arbitre.
Il passa une journée en conférence avec la régente, et,
aidé de l'amiral de Coligny, il sut lui persuader que
les droits du roi de Navarre et son crédit sur les
députés des états méritaient un sacrifice. Le soir même,
Catherine fit appeler le duc de Guise ^. A la sortie du
duc la cour apprit que, d'une part, le roi de Navarre
et les Lorrains « s'estoient appoinctés et réconciliés et
« promis mutuelle amitié^, » et que d'autre part la
reine mère et le premier prince du sang avaient pro-
cédé à une nouvelle répartition du pouvoir. Antoine
reconnaissait la reine mère comme réi^ente et s'enga-
geait à la faire reconnaître par ses frères. Catherine
l'investissait de l'autorité de lieutenant général « par
« tout le royaume, comme a esté M. de Guise*. » La
possession du sceau royal, marque distinctive de l'au-
torité suprême, restait indivise. Le sceau devait être
1. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 176.
2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 26 mars 1061 (Orig.
espagnol; K. 1494, n" 68).
3. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 171. — Suriano men-
tionne cette réconciliation comme un fait important (Dôpèches
vénit., filza 4, f. 278).
4. Lettre de Catherine à L'Aubespine, du 27 mars (Lettres de
Catherine de Médids^ t. I, p. 176).
m 5
66 ANTOINE DE BOURBON
renfermé dans un coffre à deux clefs, qui ne pouvait
être ouvert que simultanément, par la régente et par
le lieutenant général ^ , L'accord fut libellé par écrit,
signé de la reine, du roi de Navarre, du prince de
Condé, du duc de Montpensier, du prince de la Roclie-
sur-Yon, et communiqué au parlement, qui l'enre-
gistra officiellement 2.
Les acteurs de la querelle, les ambassadeurs
étrangers, qui, d'un œil curieux, avaient suivi les
péripéties de la lutte, en retinrent une impression
bien différente. Le duc de Guise montrait un grand
calme, comme s'il n'eût rien perdu tant qu'il conser-
vait un siège à la cour. Confiant dans sa supériorité,
il déclara simplement qu'il n'obéirait qu'aux ordres
du roi et de la reine ^. Cependant il se retira à
Blandy, chez le duc de Longueville. Deux jours après,
il écrivit à Giiillanme de Saulx-Tavannes : « Si j'estois
« pour une heure ou deux auprès de vous, je vous
« conterois de belles querelles et bien fondées. Ci sont
« choses qui ne s'escrivent point et ci m'asseure qu'en
« sarés de plusieurs fassons et du tout'. » Catherine
s'applaudissait de son triomphe. Dans une lettre à
l'Aubespine, elle énumère avec orgueil les attributions
4. Lettre de Throckmorton , du 31 mars [Calendars ^ 1561,
p. H). Cette clause ne rerut point d'exécution et le sceau resta
à la reine.
2. Mémoires de Condé, l. il, p. r27'J. Le roi de Navarre écrivit
aussi au I^arlement pour confirmer la lettre du roi {ibid.,p. 281).
3. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 2G mars 1561 (Orig.
espagnol ; K. \^9\, n° 68).
4. Lettre originale datée de Blandy, et du 29 mars 1560 (1561)
(f. fr., vol. 'iGiO, f. 27). — La retraite du duc de Guise est signa-
lée par Tornahuoni [Négoc. de la France ci de la Toscane^ t. lU,
p. US).
ET JEANNE d'aLBRET. 67
de la régence : « 11 veult et consent que je commande
« absolument partout sans jamais m'y pouvoir donner
« aucun trouble ou empeschement. Je retiens tousjours
« la principale authorité, comme de disposer de tous
« les eslats du royaume, pourvoir aux offices et béné-
« fîces, le cachet et les despêches et le commandement
« des finances'. » Et dans une autre lettre : « Je l'ay
« faict lieutenant général du roy mon fils par tout le
« royaume soubs moi, auquele reste la suprême
« authorité comme je l'ay eue jusqu'icy-. » Un
des plus clairvoyants parmi les secrétaires d'État, Flo-
rimond Robertet, du parti catholique, écrit à l'Aubes-
pine par le même courrier : « La Royne demeure en
c< son authorité. Le roy de Navarre est content et la
« paix est partout Les fols et pauvres gens,
« studiosi reriim novarum, ne demandoient pas
« mieux ; les riches et gens de bien les craignoient
« infiniement^. »
Les ambassadeurs étrangers, au contraire, prévenus
par l'arrogance des partisans du roi de Navarre,
regardaient la reine comme réduite en servitude. Te!
était l'avis de Chantonay, spectateur moins clairvoyant
que haineux^. Tornabuoni, représentant du duc de
Florence, raillait la faiblesse de Catherine : « La reine
1. Lettres de Catherine de Médicis^ t. I, p. 176.
2. Lettres de Catherine de Mêdicis, t. I, p. 180.
3. Lettre de Robertet, du 27 mars (15G1); f. fr., vol. 6G17,
f. 139. Il y a une copie de cette lettre; f. fr., vol. G020, 1". 110.
4. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 26 mars (Orig. espa-
gnol ; Arch. nat., K. UQ^i, n" 68). — Résumé de chancellerie
{ibid.^ n" 70). — Tel était aussi l'avis du nonce (Avis anonyme
italien, du 2 avril; ibid.^ K. 1495, n» 29). .
68 ANTOINE DE BOURBON
« a enfin prouvé qu'elle n'était qu'une femme^. »
Philippe II était absent de Tolède. L'Aubespine lui
notifia par écrit les changements qui venaient d'avoir
Heu à la cour comme une victoire de la régente^. Le
roi d'Espagne feignit d'accepter ces appréciations. Il
adressa à Chantonay l'ordre de féliciter Catherine. « Je
« regarde la reine, dit-il dans sa lettre, comme une
« vraie mère et en cette qualité je dois toujours cher-
ce cher à conserver son autorité et à l'assister et aider
« dans ce but et pour le bien et augmentation de la
« religion, avec toutes mes forces, comme le fils qui
« l'aime et l'estime plus que tout autre ^. »
Les partisans du roi de Navarre triomphaient et se
regardaient déjà comme les maîtres de la France. Ils se
flattaient que le premier progrès de leur maître serait
suivi d'un second et que, d'empiétement en empiéte-
ment, la reine serait réduite à la garde de ses enfants^.
Pendant les premiers jours, la réforme déborda à la
cour comme un torrent qui a franchi ses digues. Les
fêtes de Pâques approchaient et les Réformés prépa-
raient des manifestations éclatantes. Plusieurs ministres
étaient arrivés de Genève et prêchaient avec un zèle
bruyant à Paris et dans les principales villes. La dame
de Roye, belle-mère du prince de Gondé, avait amené
un prédicateur tellement violent dans ses sermons
que les magistrats municipaux l'expulsèrent. Les
1. Négoc. de la France avec la Toscane^ t. IIl, p. 148. — Autre
du même ambassadeur [ibid., p. 450).
2. Original daté du 4 avril (Arch. nat., K. 1494, n° 7î).
3. Copie du temps, sans date, datée de Madrid (Arch. nat.,
K. 1495, no 27).
4. Lettre de Ghantoiuiy ù IMiilippe II, du 26 mars (Orig. espa-
gnol; Arch. mu., K. 149i, no 68).
ET JEANNE d'alBRET. 69
anciennes ordonnances, qui proscrivaient la vente de
la viande en carême, n'étaient plus obéies^. L'amiral
de Coligny, que la reine avait réussi à écarter depuis
la mission de don Juan ^lanrique de Lara, reprit son
siège au conseil-. On disait que, conformément au
vœu des états provinciaux de Paris, il serait dési-
gné, en place de Cypicrre, comme gouverneur du
roi^. Il avait installé un ministre dans son logis, en
plein château de Fontainebleau, et admettait tous les
auditeurs, seigneurs et gens de commun à ses ser-
mons^. La reine laissait tout dire et tout faire. Un
jour, au grand scandale du nonce et de l'ambassadeur
d'Espagne, elle conduisit le roi et ses autres enfants
au prêche de l'amiral^. Le nonce, ne pouvant obtenir
une audience pour adresser des remontrances, se
plaignit au cardinal de Tournon'\ « Ce qui est plus
« grave que tout, écrit l'ambassadeur vénitien, c'est
« le péril de la religion, de la conservation de laquelle
1. LiSiViaLce, Estât de 7'eligion et république^ éàit. du Panth. litt.^
p. 122.
2. Lettre de rambassadeur vénitien, du '29 mars (Déchillrement
non signé; Dépèches vénit., filza 'i bis, f. ■22).
3. Lettre de Throckmorton à la reine, du 31 mars [Calendars,
1561, p. 41).
4. Lettre de Suriano à la république de Venise, du 4 avril 1561
(Dépèches vénit., filza 4, f. 273). — Autre du même, du 18 avril
{ibid., f. 275).
5. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 9 avril 1561 (Orig.
espagnol; K. 1494, n" 75). — Nouvelles anonymes en italien, du
9 avril (Lettre du nonce? K. 1495, W^ 30). — Le bruit courut
même en Espagne que le roi n'allait plus à la messe (Négoc. sous
François II, p. 849).
6. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 9 avril (Orig. espa-
gnol; K. 1494, n» 75).
70 ANTOINE DE BOURBON
« je n'ai plus d'espérance, le gouvernement étant dans
« les mains entre lesquelles il est'. »
Le prédicateur ordinaire de la cour pendant les
jours saints, bien qu'il fût évêque, n'était guère plus
orthodoxe que les ministres de l'amiral de Coligny.
C'était Jean de Monluc, évoque de Valence, frère de
l'auteur des Commentaires, prélat sceptique et roué,
habile à caresser tous les partis. Ancien ambassadeur
à Venise et à Constantinople, il avait eu un fils, qui
débutait à la cour tandis que le père prêchait le carême
au roi. Catherine lui accordait toute contiance et lui
avait fait attribuer un privilège général pour l'impres-
sion de ses ouvrages, faveur que de grands théolo-
giens avaient peine à obtenir^.
Au moment des fêtes de Pâques, parmi les seigneurs
de la cour, aucun ne témoignait plus de souci des inno-
vations religieuses que le connétable de Montmorency.
Depuis quelques jours, il montrait de l'animosité à
l'amiral. Il avait pris la peine d'accorder la reine
mère et le roi de Navarre, et Colisfnv avait recueilli
les fruits de cet accord. La jalousie aidant, l'esprit
de discipline du vieux capitaine s'avisa, dit La Place,
du désordre qui s'était introduit à la cour par les
prêches, d'abord discrets et timides, puis bruyants et
offensifs, du prince de Condé et de Coligny. Deux
influences se combattaient dans la maison du con-
nétable. Sa femme, Madeleine de Savoie, apparte-
\. Lettre d'un ambassadeur vénitien, du 29 mars (Déchiff. non
signé; Dépèches vénit., Glza 4 bis, f. 22). — Autre, en date du
31 mars [ibiil., f. 23). — Tel est aussi l'avis de Tornabuoni
[Négoc. de la Franc, cl de la Toscane, t. III, p. 448).
2. Copie espagnole, datée du 25 février 1561 (Arch. nat. ,
K. 1494, n° 60).
ET JEANNE d'aLBRET, 71
nait au parti catholique. Son beau-frère, Honorât de
Savoie, gouverneur de Provence, voulait se venger de
l'amiral, qui, au conseil, avait pris la défense des
Réformés provençaux ^ Son fils aîné, au contraire, le
duc François, le pressait de s'unir plus étroitement au
parti des princes et d'accabler d'un dernier coup la
maison de Guise. Montmorency hésitait; mais, quand il
relisait sa devise Dieu aide au premier baron chrétien, il
inclinait à ne point « endurer la diminution de l'église
a romaine. » Un jour le connétable et le duc de Guise
allèrent entendre Jean de Monluc dans la grande salle
du château. Tantôt le prédicateur supprimait l'invoca-
tion de Dieu et des saints; tantôt il la remplaçait par
l'invocation angélique. « Sur la fin il proposa que la
« sainte escripture debvoit estre leue à chascung, en
« toute langaige, et les psalmes chantés et une infinité
« d'aultres resveries^. » A la suite de ce sermon « sans
« ordre, ni queue, ni teste, » Montmorency, grand
« rabroueur, » dit à l'évêque qu'il ne retournerait
plus à son prêche. Monluc lui répondit modestement
« qu'il prioit Dieu que sa parole peust profiter en tous
c( endroits^. » Le lendemain, le connétable, le duc de
Guise, le duc de Montpensier, le maréchal de Saint-
André se rencontrèrent dans les communs du château,
au sermon qu'un pauvre Jacobin prêchait pour les
gens de service. Cette rencontre fortuite amena un
échange d'observations sur la politique du roi de
1. La Place, p. 122.
2. Lettre de Ghantonav, du 13 avril {Mémoires de Condé, t. II,
p. 4).
3. La Place, p. 122.
72 ANTOINE DE BOURBON
Navarre. Le connétable fulminait contre les ménage-
ments de la reine et contre le crédit de Goligny.
Cependant il hésitait encore sur le parti à prendre,
quand un excès de zèle de son fils le jeta pour toujours
dans le camp catholique.
François de Montmorency présidait à Pontoise les
nouveaux états provinciaux. Excités par les ennemis
des Guises et favorisés par leur président, les députés
votèrent que les seigneurs qui avaient reçu des dons
excessifs depuis l'avènement de François P"" les rap-
porteraient au trésor du roi. La question avait déjà
été soulevée aux états d'Orléans. Les états provin-
ciaux de Pontoise n'avaient pas le droit d'imposer un
vœu de cette gravité, mais ils flattaient secrètement
les princes dans leur haine contre les Guises, Cathe-
rine dans sa rancune contre Diane de Poitiers. A cette
nouvelle, l'ancienne favorite de Henri II, tous les
Lorrains, le maréchal Saint-André se mirent en mou-
vement. Ils circonvinrent le connétable et lui prou-
vèrent que les restitutions des Guises précéderaient de
bien peu les siennes. En vain François de Montmo-
rency lui jura que le vœu des états n'était pas dirigé
contre sa maison. François reçut la nouvelle que sa
femme, Diane de France, était tombée malade à Chan-
tilly et fut obligé d'abandonner son père à ses nou-
veaux conseillers. Le lendemain de son départ, le car-
dinal de Chastillon et l'amiral de Goligny essayèrent
de le suppléer auprès du connétable. Montmorency,
déjà mal disposé pour eux, leur répondit avec son
bon sens « qu'il estoit bon serviteur du roy et de tous
« ses petits maistres (entendant parler de Messieurs
ET JEANNE d'aLBRET. 73
« ses frères) et qu'il ne se pouvoit faire mutation de
« religion sans un changement d'estat ^ . »
Le jour de Pâques, 6 avril 1 561 , le connétable, le
duc de Guise et le maréchal Saint-André commu-
nièrent ensemble dans la chapelle de Fontainebleau
et scellèrent à la sainte table la célèbre alliance con-
nue sous le nom de triumvirat ~. Le soir même le
1. La Place, p. 1Î3. — Davila, t. I, p. 88. Nuiis citons à des-
sein les deux plus considérables historiens de chaque parti. Tous
les autres les ont suivis dans leur récit. — Melvil assure que le
désir de la reine d'imposer des restitutions aux favoris des feus
rois fut une des causes du triumvirat {Mémoires^ 1G94, t. I,
p. 109).
2. On trouve dans les Mémoires de Condé (t. III, p. 209) et dans
les Mémoires-Journaux du duc de Guise (p. 4G4) une pièce intitu-
lée : Sommaire des choses premièrement accordées entre les ducs de
Montmorency^ connestable^ et de Guyse^ grand maistre^ pair de
France^ et le maresclial de Saint-André^ pour la conspiration du
triumvirat... Cette pièce est un plan de campagne, dont le but
est la destruction de la maison du roi de Navarre et de tous les
Huguenots : « Premièrement, ahn que la chose soit conduite par
« plus grande authorité, on est d'avis de bailler la superinten-
« dance de tout l'affaire au roy Philippe catholique... »
Cette pièce a été acceptée par M. Capefigue, qui, après eu avoir
publié une partie {Hist. de la Réforme., de la Ligue...., t. II, p. 243),
ajoute en note (p. 245) : « J'ai trouvé cette pièce, ({u'on a crue
« supposée, en original et signée dans les mss. Colbert. »
M. Michelet la regarde comme supposée {La Ligue et Henri IV^
p. 466) et M. Henri Martin, qui l'avait d'abord accueillie, la
repousse dans la dernière édition de son Histoire de France (t. IX,
p. 81, note).
Pour nous, malgré le témoignage de M. Capefigue, nous ne
pouvons croire à l'existence d'un tel pacte; il faudrait en voir
l'original pour y croire, et personne de ceux, à conmiencer par
nous, qui l'ont cherché dans le fonds Colbert, ne l'y a trouvé.
Sa présence dans les papiers du duc de Guise lui donne bien
une certaine valeur, mais seulement la valeur d'un iirojcl, d'un
conseil, d'un mauvais conseil qui fut donné au duc de Guise.
Enfin, ce qui prouve absolument que ce pacte n'a jamais existé,
74 ANTOINE dp: BOURBON
connétable donna à souper au duc de Guise, au prince
de Joinville, son fils, et au maréchal Saint-André,
témoignage d'amitié qu'il n'avait peut-être jamais
accordé au chef des Lorrains. Le lendemain, il quitta
la cour et se rendit à Ilumières pour assister au mariage
de son cinquième fils, Guillaume de Montmorency,
seigneur de Thoré, avec la fille du sire d'Humières^.
De son côté, le duc de Guise se retira à Nanteuil. Le
rapprochement des résidences permettait aux deux
seigneurs, que liait un pacte définitif, de conférer
ensemble à l'abri des regards curieux-.
Bientôt les ducs de Nevers, de Nemours et de
Montpensier adhérèrent au triumvirat -^ Ces adhé-
sions troublèrent la reine et lui ouvrirent les yeux sur
les conséquences d'une ligue qui n'avait pas de précé-
dents depuis le moyen âge. Quelques jours après, elle
demanda au duc de Guise « s'il étoit vrai qu'il eût fait
« une ligue, comme elle l'avoit entendu dire, pour le
c'est qu'il n'en est jamais parlé dans les lettres do l'ambassadeur
d'Espagne à Philippe II, lettres qui existent encore au complet
et sans lacune pour cette période.
M. Henri Martin signale (t. IX, p. 81, note) une copie de ce
pacte ])rétendu, comme conservée dans le vol. 215 du supplément
français, f. 131 verso, à la Bibliothèque nationale (actuellomont
f. fr., vol. 10193). Cette indication n'est pas plus exacte que celle
de M. Capefigue. A la place indiquée se trouve un Mémorial sans
rapport avec l'acte du triumvirat, et qui est imprimé sous le titre
de Requête dans les Mémoires de Condè^ t. III, p. 388.
1. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 9 avril 1561 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1-494, n° 75).
2. La Place, p. 123 et 121. Tous les historiens ont copié le pré-
sident La Place dans le récit de la constitution du triumvirat,
même les historiens catholiques. Nous citerons notamment
Davila (trad. Baudouin, t. I, p. 85) et Dupleix (t. III, p. 639).
3. Mémoires de Tavannes, édit. Petitot, p. 317.
ET JEANNE d'aLBRET. 75
« maintien de la religion. » Le duc répondit « qu'il se
« soumettoit au jugement du Parlement pour estre puni
« s'ils'étoit trompé en agissant comme il l'avoit faict. »
Elle lui demanda encore si les triumvirs refuseraient
de lui obéir dans le cas où le roi serait forcé d'em-
brasser la religion nouvelle. Guise répondit affirmati-
vement sans hésiter, « quoique, dit-il, tant qu'ils
« suivroient les traces de leurs prédécesseurs, il fût
« disposé à mourir pour leur service '. » Cette profes-
sion de dévouement conditionnel était aussi menaçante
qu'une déclaration de guerre.
Le premier effet du triumvirat fut de resserrer le
pacte de la reine mère et du roi de Navarre-. Le len-
demain du départ du connétable, Catherine, pré-
voyant déjà que l'excuse des triumvirs serait de dire
qu'elle avait eu la main forcée en abandonnant une
part de l'autorité souveraine, remit au prince une
déclaration qui constatait sa pleine liberté.
Je suis contente que le roy de Navarre, souyt lieutenent géné-
rai du roy, mon fils, cornent aytoyt Monsieur de Guise du feu
roy, monsigneur et mon fyls, et que je ne fayré neuUe chause
San la comeunycquer au dyst roy de Navarre et qui sera nomé
dan toutte le letre au (où) je sayré nomaye.
Caterine^.
Après cette déclaration elle fit signer au roi les
lettres patentes qui accordaient au roi de Navarre la
1. Lettre do Chantonay citée par le marquis de Bouille {llist.
des Guises, t. II, p. 135).
2. Davila met cette considération en relief (t. I, p. 88).
3. Autographe, sans date (Arch. des Basses-Pyrénées, E. 582).
Cette pièce a été lithographiée en fac-similé par Dugcnne (Pano-
rama de Pau, p. 108).
76 ANTOINE DE BOURBON
lieutenance f:fénéralc. Ce pouvoir était si ample dans
ses termes, si détaillé, si complet dans son énuméra-
tion, qu'il devait contenter l'anihilion du prince ^
Le second effet de l'établissement du triumvirat fut
de rapprocher la reine du parti réformé. Jusqu'à
ce jour sa politique indécise avait seulement incliné
dans le sens de la tolérance. La ligue des Guises et des
Montmorency paraissant dirigée contre elle ou au
moins destinée à lui forcer la main en faveur des catho-
liques, elle espéra c{ue leurs ennemis pourraient deve-
nir les instruments dévoués de la monarchie des
Valois. Un incident lui donna bientôt l'occasion d'ac-
centuer l'évolution de sa politique.
Le cardinal Odet de Chaslillon, bien qu'il portât la
robe rouge, n'était pas moins engagé que son frère
dans les rangs des Réfornîés. 11 vivait maritalement
avec Isabelle de Ilauteville, dame de Loré-. Le pape,
informé du désordre de sa vie, l'avait cité à la barre
du saint office par une bulle que la reine avait refusé
1. Original sur parchemin, daté de Fontainebleau, et du 8 avril
1561 (Arcli. do8 Basses-Pyrénées, E. 58i). On trouvera cette
pièce importante aux Pièces justiiicatives du volume. Nous avons
jugé qu'elle méritait l'impression pour plusieurs raisons : parce
qu'elle est inédite; parce qu'elle n'existe en copie ni à la Biblio-
thèque nationale, ni aux Archives, à notre connaissance; parce
qu'elle n'a jamais été enregistrée ; parce qu'elle est plus ample
dans ses termes qu'aucune des pièces de ce genre. Cette dernière
circonstance explique sa rareté ; la reine ne voulut peut-être
])as que cette pièce, qui constitue une véritable abdication
momentanée du roi, pût établir un ]iré(H''dont en faveur des
lieutenants généraux à venir.
2. Cette dame, qu'il avait connue à la cour de Marguerite de
France, duchesse de Savoie, l'épousa le 1«'' décembre 156i {Bull,
de la Soc. du Prot. franc., 187i, p. 137).
ET JEANNE d'aLBRET. 77
de reconnaître^. Le cardinal avait essayé d'excuser sa
vie auprès du cardinal de Tournon; mais le nonce
demandait que le prélat « confessât sa faute » auprès
de la cour romaine, sous peine d'être dégradé par le
collège des cardinaux-. Cette exigence avait brisé les
derniers liens qui retenaient Odet de Ghastillon dans
le sein de l'Église. Ce fut au château de Merlemont,
près de Beauvais, dans les premiers jours d'avril, que
se consomma l'apostasie de ce prélat, depuis long-
temps séparé de l'Église par ses mœurs ^. Il adhéra
en termes solennels à la confession évangélique en
présence de Jean des Gourtils, sire de Merlemont, et
de plusieurs seigneurs de la province^.
Quelques jours après, le cardinal rentra à Beauvais,
sa ville épiscopale. Le jour de Pâques, suivant les uns,
le lundi, suivant les autres, au lieu de célébrer la fête
dans sa cathédrale, Odet de Ghastillon, retiré dans
son palais, fit venir un théologien huguenot, Louis
Bouteiller, qui évangélisait obscurément les fau-
bourgs de la ville, le fit monter en chaire dans sa
propre chapelle et prit part à la cène avec ses gens.
La cérémonie fit du bruit et le menu peuple, composé
surtout de cardeurs de laine, se souleva. Les plus
ardents, après avoir pillé quelques maisons, assié-
1. Lettre originale en espagnol de Ghantonay à Philippe II,
du 5 décembre 1560 (Arch. nat., K. 1493, n" 114).
2. Lettre originale en espagnol de Ghantonay à Phili]ipe II,
du 9 décembre 1500 (Arch. nat., K. 1493, n^ 116).
3. Le bruit courut jusqu'en Espagne qu'il s'était marié [Nvgoc.
sous François II, p. 86'i).
4. Bulletin de l'Hist. du Prot. français, t. XXIII, p. 81, cité
d'après Gaspard de Coligmj, par le comte Delaborde, t. I, p. 507,
noie.
78 ANTOINE DE BOURBON
gèrent le palais épiscopal. Les gens du cardinal résis-
tèrent; la lutte s'échauffa et les assaillants en armes
forcèrent les portes. Les gardes du prélat furent bat-
tus, plusieurs tués ou blessés, le ministre accablé de
coups, traîné au dehors, égorgé avec des raffinements
de cruauté, et jeté sur un bûcher par une populace
en furie. Le cardinal, menacé par les séditieux, s'en-
fuit sous un déguisement et se tint caché pendant
quelques jours ^. D'après le récit dedeThou, confirmé
par un procès-verbal des magistrats municipaux de
Beauvais, les séditieux ne purent forcer le palais épis-
copal, garni de tours et de bonnes murailles, mais leur
fureur tomba sur un prêtre, nommé Adrien Fourré,
accusé d'enseigner aux enfants les prières du culte
nouveau. Ils le massacrèrent, et le bourreau de la ville
jeta son cadavre sur le bûcher. Le cardinal apaisa lui-
môme la sédition en se montrant aux fenêtres de son
palais, revêtu de ses ornements pontificaux-. Le len-
demain, le maréchal de Montmorency arriva à Beau-
vais, rétablit l'ordre et délivra son oncle. Plusieurs
accusés furent arrêtés, jugés et mis à mort. Mais le
spectacle de ces supplices ne produisit pas l'effet
qu'attendait le maréchal, La sédition se ralluma après
son départ, et le peuple victorieux pendit le bourreau
qui avait exécuté les coupables ^.
1. Loltre do Tornabuoni, du 15 avril {Négoc. de la France et de
la Toscane^ t. III, p. '(50). — Lettre de Suriano à la république
de Venise, du 18 avril (Dépèches vénit., iilza 4, f. ^Ih). — Cliaii-
tonay dit que deux hommes l'ureut tués dans le ])alais du cardi-
nal [Mémoires de Co)idc, t. II, p. 11).
2. De Thou, 1740, t. III, p. 51 et 52.
3. Lettre do Ghantonay, du 10 mai {Mémoires de Condé, t. II,
p. M). Le DuUcti/ide la Société de l'histoire du protestantisme fran-
ET JEANNE d'aLBRET. 79
Le bruit de la sédition de Beauvais eut un grand
retentissement à la cour. Le cardinal de Chastillon se
rendit au Parlement en habits sacerdotaux, et attribua
le désaveu sanglant, que lui avaient appliqué ses
propres ouailles, aux excitations d'un moine fanatique^.
Goligny, beaucoup plus avisé que tous les siens, écri-
vit à la reine, mais sa lettre, affectant le désintéresse-
ment en ce qui touche son frère, ne parle que d'une
réunion incriminée à Issoudun-. Chacun demandait la
répression des séditieux de Beauvais. La noblesse du
parti réformé se sentait directement menacée dans
ses privilèges religieux. Que devenait le droit de
faire prêcher dans les châteaux, laissé par les édits
royaux aux seigneurs, si les manants s'ingéraient
dans l'exercice de ce droit ? La noblesse catholique,
sans tenir compte du vice hérétique d'Odet de Chas-
tillon, ne voyait que les coups portés à ses prérogatives
féodales par des serfs. Le clergé lui-même ne pouvait
oublier que le cardinal était un prince de l'Église.
Catherine, feignant de céder à la pression générale, fît
signer au roi, le 1 9 avril, un édit qui donnait à cha-
cun, même aux petites gens, la liberté des prêches en
privé et qui rendait la liberté aux détenus pour cause
çais a publii! (15 février 1874) un procès-verbal qui confirme lo
récit de de Thou. II n'y est pas question de l'attaque du palais
épiscopal, qui est le trait le plus important de la sédition. II nous
semble que les déposants ont voulu affaiblir la portée de l'évé-
nement. Quoi qu'il en soit, l'attaque du palais épiscopal est cer-
tifié par les ambassadeurs étrangers.
1. Lettre de Tornabuoni, du (i mai (Négoc. de la France avec la
Toscane, t. III, p. 451).
2. Cette letLre, datée du 9 avril, est publiée par le comte Dela-
borde (Gaspard de Goligny, t. I, p. 505).
80 ANTOINE DE BOURBON
de religion^. C'était, dit Tornabuoni, le droit pour
chacun de vivre à sa guise dans sa propre maison ~,
liberté en opposition avec les mœurs du temps. Les
Huguenots les plus impatients n'avaient jamais osé en
demander davantage.
L'édit fut transmis à tous les lieutenants du roi sans
passer par l'enregistrement du Parlement. La cour
suprême protesta, rendit arrêts sur arrêts dans un
sens contraire aux lettres du 19 avril, et, armée
de ses anciens droits, agita de citer L'Hospital à sa
barre comme ministre responsable et de le dégrader
de sa dignité de chancelier^. Le parlement fut appuyé
par l'ambassadeur d'Espagne. Quelques jours après la
promulgation de l'édit, Ghantonay eut une audience
de la reine mère à Fontainebleau, et la conversation
s'engagea sur les événements du jour. Il se plaignait
surtout de l'ordonnance du 1 9 avril qui jetait « les
« catholiques en désespération » et qui soumettait « la
« congnoissance et cliastoy des assemblées et prêches
« illicites » aux juges séculiers « dépravés ou la plu-
« part timides et nonchalans'. » La reine protesta de
son orthodoxie et de celle de ses conseillers, mais dit
fermement qu'il n'était pas possible de tolérer au
milieu du royaume, sur des prétextes vrais ou faux,
des soulèvements populaires qui servaient de prélude
1. Mémoires de Condé^ t. II, p. 33 i. Ghantonay, dans une lettre
à la rcino du 22 avril, établit que l'édit « a esté faict à l'occasion
de l'accident de Beauvais. » [Mémoires de Gondé. t. II, p. 7.)
2. Négociations de la France avec la Toscane^ t. III, p. 450.
3. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 8 juin (Orig. espa-
gnol ; Arch. nat., K. 1495, n» il).
A. Lettre de Ghantonay à la reine, du 22 avril {Mémoires de
Condé, t. II, p. 6).
ET JEANNE d'aLBRET. 81
à la guerre civile^. L'édit fut reçu « avec grande
« dévotion » par les Réformés, sauf à être déclaré
insuffisant plus tard. Ses conséquences se firent
sentir rapidement ; les prêches se multiplièrent.
« Hz disent (les Réformés), écrit le lieutenant cri-
« minel de Montpellier, leurs assemblées ne pouvoient
« estre appelées illicites, estans faictes pour la cause
« que dessus (cause de religion) et n'estre aucu-
« nement comprinses en la défense des assemblées
« publiques, dont mention est faicte aux lettres du roy,
« attendu, qu'ilz s'assemblent seulement dans leurs
« maisons privées, huis cloz, en petite compaignie, et
« sans aucun escandalle ne port d'armes-. »
1. Lettre originale en espagnol de Chantonay à Philippe II, du
ler mai 1561 (Arch. nat., K. 1494, n" 84).
2. Lettre de Charles de Barges, lieutenant criminel de Mont-
pellier, à la reine, en date du 18 mai (Orig.; f. fr., vol. 3186,
f. 122).
III
^3
CHAPITRE DOUZIÈME.
Depuis le 19 avril jusqu'au 29 août 1561.
Troubles de Paris (fm avril 15G1).
Sacre du roi à Reims (15 mai).
Procession de la Fête-Dieu à Paris (24 juin) .
Requête des réformés au roi (11 juin). — Êdit de
juillet (11 juillet).
Départ de Marie Stuartpour V Ecosse (15 août).
Arrêt du parlement jiortant justification du -prince de
Condé (13 juin). — Réconciliation du prince de
Condé et du duc de Guise (24 août) .
Jeanne d'Albret en Réarn. — Tergiversations reli-
gieuses du roi de Navarre. — Sa conduite privée. —
Arrivée de Jeanne d'Albret à la cour.
Le roi de Navarre se contentait de la seconde place,
le duc de Guise de la conservation de sa charge^ les
1. Le duc de Guiso semblait se résigner à la retraite. Tavaimes
s'étant plaint à lui de n'avoir point reçu d'instructions, le duc lui
répondit le 6 janvier 1560 (1561) : « Pource que je me suis des-
« chargé de tels affaires, je ne vous y puis satisfaire. » (Orig., f.
fr., vol. 4610, f. 25.) La lettre est signée Françoys tout court, du
nom que prenait François de Lorraine dans ses jours d'orgueil.
Quelques jours après, il écrivit au même une simple lettre d'amitié
84 ANTOINE DE BOURBON
Chastillons de leurs espérances ; mais leurs partisans
n'avaient pas signé la paix. A la cour sous les yeux de
la reine, dans les provinces loin des passions de la
cour, les partis ne cessaient de se provoquer. Parmi
les religionnaires « aucuns d'entre eux moins patiens,
« ne pouvans supporter ceux qui les appelloient
« Huguenots, se laissoyent aller à répliques de mesme,
« nommans Papistes ceux (jui les agacoyent. Des mots
« picquans l'on venoit aux querelles^. » De Bèze écrit
le 25 mars : « In Gallia videntur omnia ad civiles dis-
« cordias tendere'-. » Jean de Monluc, évêque de
Valence, chargé au mois d'avril par la reine de visiter
le Bourbonnais, signale une fermentation menaçante
dans toutes les villes de son passage^. Le cardinal de
Rambouillet se plaint des séditions journalières de sa
ville épiscopale'^ A Meaux, dans les premiers jours de
juin, le désordre est tel que le roi est obligé d'envoyer
un capitaine et une compagnie''. A Tours, à Amboise,
à Blois, les séditieux prennent les armes, et, comme
sur un mot d'ordre, tournent leur fureur contre les
églises et les chapelles. Les autels sont profanés, les
reliquaires et les vases sacrés brisés, les reliques jetées
à la voirie. A Lyon, ils attaquent une procession
qui Gsl signée Françoys de Lorraine (15 février 1560 (1561) ;
Orig., f. fr., vol. 4640, f. 26).
1. Histoire des quatre rois, in-8°, 1598, p. 131.
2. Baum, Theodor Dcza, appendice, p. 30.
3. Lettre de Jean de Monluc à la reine, du 12 avril (Delaborde,
Gaspard de Coligny, p. 505, note).
4. Lettre originale de Rambouillet à la reine, du 23 avril (Orig.,
f. fr., vol. 3159, f. 47).
5. Instruction du roi en date du 2 juin (coll. Brienne, vol. 205,
f. 265).
ET JEANNE DALBRET. 85
après l'avoir couverte d'outrages, pillent les orne-
ments sacrés et dispersent les fidèles. Dans la lutte
un soldat armé d'une épée se rue sur le prêtre offi-
ciant, et d'un coup de taille lui tranche le bras qui
tenait le saint sacrement'.
Ce n'étaient pas les seuls hérétiques qui troublaient
la paix du royaume. Dans le comté de Laval, François
d'Andelot, frère de Coligny, avait dû réprimer le zèle
de quelques « turbulents » sans acception de religion-.
A Angers, la noblesse et les bourgeois catholiques
s'étaient secrètement armés pour tomber à l'improviste
sur les religionnaires et les exterminer en un jour. A
Toulouse, le parlement, conduit par des meneurs
impitoyables, distribuait à tort et à travers des con-
damnations à mort et les faisait exécuter sans tenir
compte des nouveaux édits^.
La licence et le mépris de l'autorité du roi avaient
pénétré jusque dans les chaires catholiques. A Paris,
à l'église de Saint-Severin, le jour du dimanche des
Rameaux, un prédicateur fanatique, nommé Fournier,
prononça ces paroles : « Ce n'est pas Testât d'une
« femme de conférer les évêchés et les bénéfices.
« Peuple, regarde si ceste bonne reine, mère de Jésus-
« Christ, en l'eslection de saint Mathias au heu de
« Judas, s'en voulut mesler. » Il avait pris pour texte
de son sermon ces paroles de l'évangile du jour : Allez
en ce chasteau qui est contre vous. « Scais-tu, criait-il
1. Lettre de Tornabuoni, du 12 juin [Ncyoc. de la France avec la
Toscane, t. III, p. 454).
2. Lettre de d'Andelot à la roine, du 30 mai (Orip:., ('. fr.,
vol. 3159, f. 68).
3. Lettre de Tremellius à Tlirockmorton, du 15 mai iCalendars,
1561, p. 111).
86 ANTOINE DE BOURBON
« au peuple, qui est ce chasteau qui est contre vous.
« C'est le chasteau qui vous jettera hors de vos mai-
« sons. Au latin y a Castellum, mais il n'est pas entier
« chasteau. Gomment le nommerons-nous? Il faut le
« nommer en françois Chastelet. Chastelet n'est pas
« propre ; il faut hre Chastillon. C'est ce Chastillon
« qui est contre vous et qui vous ruinera si vous n'y
« prenez garde ^ . »
La reine, directement prise à partie par cet énergu-
mène, envoya le maréchal François de Montmorency
à Paris et lui commanda de « faire, des chefs et auteurs
« de telles esmotions, si roide punition que les autres
« y prennent exemple. » Quant aux Huguenots pai-
sibles, elle enjoint au procureur général de ne pas
« trop curieusement resercher ceulx qui seront en
« leurs maisons ni trop exactement s'enquérir de ce
« qu'ils y feront-. »
Ces ordres n'étaient pas encore arrivés à leur
adresse que des troubles plus graves transformaient
un quartier de la ville en champ de bataille. De temps
immémorial le pré aux clercs servait aux ébats des
écoliers de l'Université. Le 24 avril au soir, une troupe
de Réformés le parcourait en chantant des psaumes.
Attaqués à coups de bâton par une bande d'éco-
liers, ils se réfugièrent dans une maison voisine,
\. Félibien, Histoire de Paris, t. Il, p. 1074. Ce passage est
roproduil textuellement par Félibien d'après les registres du Par-
lement (Bibl. nat., coll. du ï^arlement, vol. 82, f°?33). Enfin il a
été également reproduit dans les Mémoires de Claude Hatou.
2. Lettre du 27 avril [Lettres de Catherine de Médicis, 1. 1, p. 193).
Le roi écrivit aussi aux gens du Parlement pour leur ordonner
de punir Fournier de ses « propos scandaleux. » Ces deux lettres
sont imprimées dans les Mémoires de Condc, t. II, p. 285.
ET JEANNE 1) ALRRET. 87
dite la maison du Pavanier, habitée par le seigneur de
Longjumeau, maison mal famée auprès des clercs et
qui passait pour un repaire d'hérétiques Cette victoire
facile enfla le courage des vainqueurs. Deux jours après,
le 2G avril, les écoliers, au nombre de deux mille, suivis
d'une multitude attirée par l'espoir du pillage, mar-
chèrent à l'attaque de la maison du Pavanier. Le sire
de Longjumeau avait préparé sa défense. Dix ou quinze
hommes à cheval, armés de pied en cap, protégeaient
les dehors de la maison ; des arquebusiers étaient
postés aux fenêtres ou le long d'un mur de jardin.
Chantonay remarque qu'on y voyait au premier rang
le fils du maréchal Strozzi, cousin de la reine, et un
capitaine Lucquois, Franciotto, de la maison du roi.
Un avocat, nommé Ruzé, était l'àme de la défense.
Revêtu d'un manteau écarlate qui servait de ralliement,
l'épée à la main, dit Bruslard, il commandait en vrai capi-
taine les 300 défenseurs que le seigneur de Longjumeau
avait groupés autour de lui. Au moment où les écoliers
s'approchèrent de la maison, les gens de Ruzé enton-
nèrent un de leurs cantiques, fondirent sur la bande
des assaillants, en tuèrent sept ou huit et en blessèrent
quinze ^ Le combat continuait, quand Antoine du Prat
de Nantouillet, prévôt de Paris, arriva sur le champ de
bataille avec le guet à cheval. Son intervention sauva les
habitants de la maison du Pavanier. Malgré la supériorité
de leur armement, ils étaient débordés par le nombre
de leurs ennemis. Portes et fenêtres étaient défoncées
1. Chantonay dit qu'ils on tuèrent quatorze. Voyez les notes
suivantes. Les registres du parlement évaluent les morts à cinq
ou six, dont « une pouvre femme qui n'y pensoit en rien. »
(Extrait des reg. du parlement, f. fr., vol. 23750, non paginé.)
88 ANTOINE DE BOURBON
et le feu flambait déjà dans les salles basses de la
maison. l*cndant la nuit ils se retirèrent par petits
groupes, emportant leurs effets les plus précieux. Le
lendemain, qui était un dimanche, l'armée des écoliers
reparut, mais diminuée par l'échec de la veille. D'autre
part le seigneur de Longjumeau avait comblé ses vides.
Les deux partis restèrent sur la défensive'.
Le 28, un avocat du roi au parlement, M® du Mesnil,
présenta requête contre ces désordres^. Longjumeau
de son côté excipa des ordonnances qui autorisaient le
Hbre exercice de la religion dans l'intérieur des mai-
sons. Le lieutenant civil et le parlement lui comman-
dèrent de se tenir caché dans Paris ou de se retirer
dans sa seigneurie de Longjumeau. Les sergents, char-
gés de lui signifier cet ordre, le trouvèrent sous les
armes à la porte de son logis, prêt à défendre les
ouvriers qui réparaient les brèches. Le %S avril, le roi
lui envoya, par Jacques d'Auzance, l'ordre de sortir de
Paris. Longjumeau hésitait à obéir. Un nouvel arrêt
lui commanda de quitter Paris le jour même avec sa
famille et ses gens^. Il se retira enfin à Ghailly, altéré
\ . Voici la liste des documents d'après lesquels nous racontons
ce combat qui n'a été que très incomplètement présenté par
Félibieu :
1» Lettre de Cliantonay à Philippe II, du 1" mai 1561 (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 149i, n» 84).
2" Lettre de Tornabuoni au grand duc de Toscane, du 6 mai
(très détaillée et très précise). (Ncgoc. de la France avec la Toscane,
t. m, p. \b\.)
3° Journal de Bruslard (Mi^nioires de Condô, t. i, p. 26).
2. Celte requête est conservée en copie dans le vol. 23750 du
fonds français.
3. La lettre du roi et l'arrêt du parlement sont conservés à
leur date dans les registres du parlement (f. fr., vol. 23750).
ET JEANNE d'alBRET. 89
de vengeance, et ne cessa dès ce jour de porter aide
aux ennemis du roi. Au mois de février 1563, on trouva,
cachées dans sa maison, des pièces d'artillerie qui
appartenaient, les unes à la ville de Montlhcry, les
autres au premier président Gilles le Maistre ^ .
La gravité de la sédition décida la reine à envoyer le
roi de Navarre à Paris. Antoine arriva le 1 '^'" mai, et, le
lendemain matin-, après avoir entendu la messe, il se
rendit au parlement avec le prince de Condé, qui avait
voulu appuyer en personne les revendications du
parti réformé^, avec le prince de La Roche-sur-Yon,
le cardinal de Chastillon en habit pontifical, le duc de
Longueville, le maréchal de Thermes, les sires de
Lorges et de Caudale^. Il dit qu'il était venu au nom
du roi pour apaiser les troubles et requit l'assistance de
la cour suprême^. Le président Baillet lui conseilla
d'adresser des remontrances aux prédicateurs des
églises, aux docteurs de Sorbonne et au recteur de
l'Université. Le prince fut reconduit à la porte du
palais de justice avec les honneurs qu'on avait coutume
de rendre au roi*^. Le même jour, Antoine convoqua
au Louvre les curés des paroisses, deux membres de
1. Félibien, Histoire de Paris, t. IV, p. 810.
2. Il y a un peu de divorgence pour les dates entre les divers
documents que nous allons citer. Les uns disent le \" mai, les
autres le 2 mai.
3. La présence du prince de Condé n'est mentionnée que dans
une lettre de Séchelles [Calcndars, 1561, p. 93).
4. Lettre de Throckmorton du i mai [Calendars, 15G1, p. 06).
5. Lettre de Tornabuoni, du 6 mai (Négoc. de la France avec la
Toscane, t. III, p. 451). — Lettre de Chantonay à Philippe II, du
12 mai (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1494, n» 85).
6. Lettre de Suriano, du 4 mai (Mss., Dépêches vénit., filza 4,
f. 292).
90 ANTOINE DE BOURBON
chaque ordre religieux, les régents des collèges, les
théologiens de la Sorbonne, le recteur de l'Université,
une députation des conseillers de la ville et desquarte-
niers, et leur fît donner lecture des lettres de commis-
sion du roi. Ces lettres, assez sévères pour les sédi-
tieux du parti catholique, distribuaient impartialement
le blâme aux officiers du parlement et du Ghastelet,
au chevalier du guet, au prévôt des marchands et aux
échevins, au recteur et aux suppôts de l'Université et
même aux curés de Paris ^
Après cette lecture, le roi de Navarre prit la parole
et reprocha aux prédicateurs leurs excitations passion-
nées, au recteur son indulgence coupable pour les actes
de fanatisme des écoliers, aux officiers municipaux leur
manque de surveillance. Cet accueil les frappa d'éton-
nement. Non seulement ils ne s'attendaient pas à un
blâme, mais ils espéraient qu'une expiation sévère serait
infligée au seigneur de Longjumeau et à ses coreli-
gionnaires, coupables de s'être trop bien défendus. La
veille, les conseillers de la ville avaient décidé d'inter-
dire « tous conventicules et assemblées particulières
« dans la ville et faubourgs, sous peine de lèze-
« majesté-, » Malgré le roi de Navarre, quelques jours
après le départ du prince, le parlement lit enfermer
à la Conciergerie l'avocat Ruzé, et le maréchal de
Thermes expulsa de Paris le conseiller Fumée, un
des chefs du partie
1 . L'instruction datée du 30 avril est conservée en copie dans
la coll. Brienne, vol. 205, f. 255.
2. Extrait des registres de l'hôtel de ville (V<: de Colbert,
vol. 252, f. 200).
3. Journal de Bruslard dans les Mémoires de Condé, t. I, p. 27
et 28.
ET JEANNE d'aLBRET. 91
Le combat de la maison du Pavanier et beaucoup
d'autres mouvements tumultueux, où les catholi(|ues
avaient joué le rôle d'agresseurs, l'appui que les sédi-
tieux trouvaient dans lescorpsétablis révélaient à la reine
l'existence d'un parti catholique puissant, aussi prompt
à prendre les armes que le parti réformé, aussi résolu
à l'attaque de l'ennemi qu'à sa propre défense. Dans
les chaires catholiques on prêchait ouvertement que
le changement de religion du roi déliait les sujets du
serment de fidélité ^ C'était un nouvel écueil pour la
monarchie et la paix du royaume. Le parti réformé,
même dans ses jours de rébellion, n'avait jamais osé
proférer de telles menaces. Catherine résolut de faire
sacrer son fils avec éclat, dans l'espoir que la céré-
monie raviverait les traditions du royaume et resser-
rerait les liens des sujets et du roi~. Le sacre, depuis
longtemps annoncé, avait été retardé par économie '.
Avant d'en fixer la date, Catherine prit les conseils de
Gabriel Simeoni, littérateur, antiquaire, géographe,
poète, traducteur et surtout astrologue ^.Simeoni était à
i. Lettre de Suriano du 16 mai (DéchiflYcment non signé ; Mss.,
Dépêches vénit., lilza i bis, f. 20).
2. Cette considération est exposée par de Tliou (17'iO, t. 111,
p. 46).
3. Lettre de Suriano, du 29 mars (Mss.; Dépêches vénit., lilza i,
f. 271). — Autre retard de la cérémonie du sacre (lettre du même,
du 4 avril; ibid., f. 273).
4. Dans un livre fort rare que nous avons sous les yeux, Epi"
tome de l'origine et succession de la duché de Ferrare, Paris, 1553,
in-S", mêlé de vers et de prose, et composé d'épitres aux grands
de son siècle, Simeoni examine La ■propriété et vertu de la lune
tant au ciel qu'à la mer et en terre, tandis qu'elle passe par les
douze signes du ciel. Ce traité est dédié à Diane de Poitiers. Ce
qu'il y a de plus curieux dans ce volume, c'est qu'où y voit que
92 ANTOINE DE BOURBON
Chiaramonte en Italie. Après avoir consulté les astres,
complété ses incantations, parfait ses calculs, il répon-
dit enfin, le 31 mai :
J'ai trouvé quel jour serait le meilleur pour le couronnement
du roi, et, pour consolider la source de sa naissance, je trouve
que on ne peut pas trouver un jour plus heureux que le ^ 0 juin,
pour les raisons qu'un parfait astrologue trouvera dans la pré-
sente figure que je vous envoie, ainsi que l'heure, qui sera envi-
ron celle de midi, quand la couronne lui sera posée sur la tête.
En outre, ayant donné un coup d'œil au changement de cette
année, j'ai trouvé que la lune, venue à la place de Saturne,
occupant la place du Soleil, de Jupiter et de Mercure, Mars étant
uni à la lune et à la tète du Dragon, et Jupiter étant dans la
quadrature de la lune, marquent que, cette année, il y aura de
très grands troubles au sujet de la religion; qui deviendront
d'autant plus grands que Saturne sera, <à partir du i" juil-
let, possesseur du Cancer. Et même, si quelques hommes ter-
restres se rient des choses du ciel, les malheurs, qui néanmoins
auront apparu, éclaireront entre aujourd'hui et deux ans leur
incrédulité ^
Sans attendre cette consultation, la reine mère avait
invité les principaux seigneurs du royaume pour le
\% mai^. Au moment de prendre ses dernières dispo-
sitions, elle fut assaillie de nouvelles alarmes ; on
parlait d'une conspiration ourdie par les Guises, qui
Simconi avait choisi pour devise Non est mortale quod opto, devise
(lui fut, plus tard adoptée par le roi Charles IX.
1. Original italien, daté du 31 mai (coll. Dupuy, vol. 588, f. 174).
Nous avons traduit littéralement ce document singulier. — La
lettro originalo est accompagnée d'un dessin bizarre, représentant
trois carrés à angle droit, superposés l'un dans l'autre. Au milieu
du dernier carré on lit Junii XVI ad meridiem.
2. Lettres de Catherine, t. I, p. 182.
ET JEANNE d'alBRET. 93
devait éclater à Reims à la faveur de la cérémonie ' ; elle
tomba malade et se crut empoisonnée-. Enfin la cour,
suivie d'un nombreux cortège de seigneurs, quitta Fon-
tainebleau le 3 mai^ et se rendit à Monceaux-en-Brie,
puis à Nanteuil, château du duc de Guise. De son côté,
le roi de Navarre, le lendemain de sa conférence avec
les gens de l'Université, se porta au-devant du roi^.
Ses partisans avaient vainement cherché à le détourner
de la « maison de ses ennemis^. » Antoine rejoignit
le roi à Nanteuil, incertain s'il assisterait au sacre et
résolu de retarder ses étapes jusqu'au jour du couron-
nement^.
Le séjour du roi à Nanteuil ne fut pas exempt
d'orages. Le duc de Nemours se plaignit à la reine du
crédit du roi de Navarre, de sa propre disgrâce, et, de
plainte en plainte, ce jeune prince, enivré par l'amer-
tume de son dépit, s'épancha en récriminations contre
la politique qui triomphait à la cour. Catherine ne
put lui faire sentir son impertinence ; il sortit de la
chambre de la reine en murmurant des menaces. Le
soir, calmé par la réflexion, tremblant de s'être
1. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 9 avril (Orig. espa-
gnol ; Arch. nat., K. 1494, 11° 75). — Lettres de Catherine de Médicis,
t. I, p. 194.
2. Lettre de Sechelles, du l*^"" mai [Calendars, 1561 , p. 93). Voyez
aussi les documents que nous citons plus loin.
3. Lettre de Suriano, du 3 mai (Mss.; Dépêches vénit., filza 4,
f. 289).
4. Lettre de Suriano, du 7 mai (Mss.; Dépêches vénit., tilza 4,
f. 295).
5. Lettre de Suriano, du 3 mai (Mss.; Dépêches vénit., filza 4,
f. 289).
6. Calendars, 1561, p. 96. — Lettre de Suriano, du 7 mai (Mss.;
Dépêches vénit., filza 4, f. 295).
94 ANTOINE DE BOURBON
compromis, Nemours prit la poste et s'enfuit en
Savoie^. Plus tard, sur le conseil du duc de Guise, il
adressa à la reine une lettre d'excuse. Catherine lui
répondit avec indulgence : « Le malheur des temps,
« à qui il fault que vous en preniez, m'a forcée souvent
« faire le contraire de ma volunté-. »
La reine voulait faire figurer au sacre au premier
rang des pairs, comme duc de Bourgogne, Henri de
Valois, duc d'Orléans, son fils préféré, âgé de moins
de dix ans. Ce titre, concédé autrefois à Henri d'Albret,
appartenait alors au connétable de Montmorency ■' . Rien
n'était plus difficile que d'arracher une concession à cet
avide vieillard. Lorsque la reine lui demanda le man-
teau de pair pour son fils bien-aimé, le connétable
refusa aigrement comme si elle eût voulu le dépouiller
de tous ses biens. En vain elle s'efforça de le séduire
dans son orgueil en lui promettant de le visiter au
château de La Fère, et dans son intérêt en lui accordant
des « droits de relief » qu'il ambitionnait ^ Montmo-
rency menaça de recourir au parlement. De son côté,
elle avait déjà prescrit des recherches aux archives du
greffe^'. Enfin, sur les conseils du cardinal de Lorraine,
1. Lettre de Throckmorton, du 21 mai (Calendars, 1561, p. 119).
— Nemours était encore en Savoie au mois de juin et prétendait
y remplir une mission [ibid., p. 130).
2. La lettre de Nemours est conservée dans le vol. 3159, f. 49,
du fonds français. La réponse de la reine est imprimée dans
Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 197. — Nous avons raconté
cet incident dans Le duc de Nemours et Mademoiselle de Rohan.
3. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 12 mai 1561 (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. l'»94, n' 85).
■'(. Voyez les deux lettres (Lettres de Catherine de Médicis, t. I,
p. 104)/
5. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, ]). 195, — Le roi écrivit
ET JEANNE d'aLBRET. 95
elle se résigna, non sans regrets, à ne pas troubler le
connétable dans ses droits ^ . Habile à dissimuler, Cathe-
rine sut maîtriser son dépit ; sa correspondance avec
Montmorency garde le ton de la bienveillance^.
Quelques jours avant le sacre, Jacqueline de Rohan,
veuve de François d'Orléans, marquis de Rothelin, avait
prié la reine d'accorder à son fils, Léonor d'Orléans, duc
de Longueville, les fonctions de grand chambellan pen-
dant la cérémonie du sacre. Sa demande reposait sur
une donation de Charles VII et sur une longue posses-
sion. La charge de grand chambellan appartenait au duc
de Guise. Il répondit à la dame de Rothelin qu'il céde-
rait volontiers cet honneur au jeune duc de Longue-
ville, à la condition qu'il en jouirait non comme d'un
droit, dont il pourrait se prévaloir un jour, mais en
représentation du duc de Guise, retenu au banc des
pairs. Longueville refusa et renonça à figurer au sacre.
Il écrivit à la reine que sa conscience ne lui permettait
pas d'assister à la messe. Dès ce jour, il entra dans les
rangs du parti réformé ; il rompit son mariage avec
une fille du duc de Guise. Les Lorrains perdirent plus
d'avantages réels qu'ils ne gagnaient d'honneurs ; car
ils virent s'évanouir l'alliance d'une maison puissante,
issue du beau Dunois, qui depuis plus d'un siècle tenait
en fief une partie de la Picardie \
aussi au parlement sur lo même sujot (Godefroy, Cérémonial fran-
çais^ t. II, p. 315).
1. Lettre de Ghantonay à IMiilippe II, du 12 mai (Orig. espagnul ;
Arch. nat., K. 1494, n» 85).
2. Voyez Lettres de Catherine de Médicts, t. I, p. 198, 199, i02.
3. Lettre de Throckmorton, du 21 mai [Calendars, 1561, p. 119).
— La Place, Estât de reliqion et république, ôdit. du Panlh. litl.,
p. 126. — De Thou, 1740, t. III, p. 47.
96 ANTOINE DE BOURBON
La cour arriva à Reims le 1 3 mai et y fit une entrée
solennelle^. Le sacre fut célébré le 15 mai, le jour de
l'Ascension, par le ministère du cardinal de Lorraine,
suivant l'ordre traditionnel de la monarchie 2. Le duc
et la duchesse de Lorraine, la duchesse douairière,
Christine de Danemark, le comte de Vaudemont,
le comte de Bedfort assistaient à la cérémonie. Le
prince de Condé, l'amiral de Goligny s'étaient excu-
sés pour ne pas entendre la messe. Les deux fils du
connétable, le maréchal François de Montmorency et
Henri de Montmorency Damville, dont les opinions
religieuses étaient encore indécises, étaient absents^.
Le cardinal de Ghaslillon était présent comme pair et
comte de Beau vais. « Il ne faudroit plus au sacre que
« la place de madame la Cardinale, écrit Chantonay ;
« qu'est chose tant publique que j'entends que l'admi-
« rai la taict précéder sa femme ^. »
Les pairs étaient au nombre de douze, six ecclésias-
tiques et six laïques, et prenaient place d'après leur
ancienneté. Le duc de Guise, en qualité de pair anté-
rieur, prétendit avoir le pas sur le duc de Montpensier
comme au sacre de François IL La question avait été
1. Le cardinal do Lorraino raccuoillit par une harangue qui
est reproduite dans la grande histoire du président Montagne
(f. fr., vol. 15494, f. 1).
2. Le président Jacques de Montagne, dans un des deux frag-
ments qui nous restent de sa grande histoire de l'Euroiiode 1559
à 1587, a raconté avec beaucoup de détails le sacre de Charles IX.
Son récit contient une foule de faits nouveaux. Nous le publions
à la lin du volume sous forme de pièce justihcaiive.
3. Calendars, 1561, p. 119.
4. Lettre de Chantonay dans Xo'è Mémoires de Condé, t. II, p. H.
— Le cardinal Odot do Chastillun était l'ainé de Gaspard de
CoHgny.
ET JEANNE d'aLBRET. 97
déjà résolue en faveur des princes du sang, mais le pré-
cédent, invoqué par le duc de Guise, obligea ie conseil
à de nouvelles délibérations. La reine en profita pour
arrêter que les princes auraient la préséance sur tous
les pairs, quelle que fut leur ancienneté, et qu'ils mar-
cheraient dans l'ordre de leur parenté avec le roi. Cette
décision pouvait déplaire au roi de Navarre, qui se
trouvait dépassé par les frères du roi, mais Antoine céda
avec empressement au désir de la reine mère, et le duc
d'Orléans, que le connétable n'avait pas voulu investir
de l'honneur de représenter la Bourgogne, monta au
premier rang^. Le jeune prince prit place à la droite
du roi ; Antoine de Bourbon à sa gauche ; le duc de
Montpensier à côté du chef de sa maison . Au moment
où la messe du sacre commençait, le duc de Guise
s'introduisit entre les deux princes de Bourbon et y
maintint son siège malgré les réclamations. La crainte
de troubler la cérémonie détermina le duc de Mont-
pensier à garder le silence, mais les princes blâmèrent
l'usurpateur-.
Tous les honneurs furent pour le duc d'Orléans et
pour le roi de Navarre. Le jeune duc, vêtu de velours
brun et paré d'un collier doublé d'hermine, posa le
diadème sur la tête du roi. Antoine de Bourbon, vêtu
à peu près de même, mais couvert de broderies d'or,
le chef ceint d'une couronne royale garnie de rayons
1. De Thou, 1740, t. III, p. 40, d'après La Place (édit. du
Panth. lut., p. 127). Le récit de La Place a été littéralement copié
par La Popclinière (1581, in fol., t. I, p. 258).
2. Documents déjà cités. Sic, La Place, p. 127, Dupleix, t. III,
p. 640.
III 7
98 ANTOINE DE BOURBON
d'or en forme d'auréole, lui attacha les éperons ^ Pen-
dant la durée de la messe et des offices, Charles IX,
dit Pierre Mathieu, « ennuyé de la longueur des céré-
« nionies et de la pesanteur des habits royaux, ne fit
« que pleurer, et ses larmes furent prises pour pré-
« sages des calamités effroyables dont son règne fut
« comblé-. » Le cardinal de Lorraine exhorta le nou-
veau roi à maintenir la religion catholique, à garder
« le titre de roi très Chrétien et à n'être pas le pre-
« mier qui l'abandonnât et ajouta que, s'il changeait
« de sentiment, il en résulterait sa destruction et que
« quiconque lui conseillerait de changer de religion lui
« arracherait en même temps la couronne sur la tête ^. »
Le roi et la reine quittèrent Reims le 17 mai et
visitèrent successivement^ Villers-Costerets, Saint-
Marcoul de Corbcry, Marchais, Nisy-en-Soissonnais,
Soissons, Gaillon, Villaines, Saint- Léger, à la grande
satisfaction du jeune roi, qui put se livrer pour la pre-
mière fois, à l'ombre des vastes forêts du cardinal de
Lorraine, à la passion de la chasse '\
Aux premiers jours de juin, la cour arriva à Paris
et s'installa à l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés.
La ville était en proie à une effervescence qui tou-
1. Lettre do Cliantonay, du -26 mai (Orip. espagnol; Arcli. uat.,
K. 149i, no 86).
2. P. Mathieu, Histoire de France, t. I, p. 243.
3. Lettres de Cliantonay citées par le marquis de Bouille {flist.
des Guises, t. II, p. 137). — Sic, La l^lace, p. 127. — La reine lit
frapper une médaille représentant le Saint-Esprit sous la forme
tl'une colombe qui tient dans son bec la sainte ampoule avec cet
exergue : Remis saa-a et saluta, 18 mai 15G1 (f. fr., vol, 4921, f. 15).
4. Calendars, lâGl, p. 119.
5. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 202.
ET JEANNE d'aLBRET. 99
cliait à la guerre civile. Ni ordre ni gouvernement;
les partis se faisaient justice eux-mêmes; chaque jour,
à la porte des églises catholiques ou des maisons con-
nues pour servir aux prêches calvinistes, des rixes
entre les deux populaces fanatiques, où les Réformés
étaient le plus souvent battus par le grand nombre.
Le prévôt des marchands, suivi de plusieurs notables,
porta plainte à la reine, au nom de la ville, contre les
séditions des hérétiques. Catherine promit d'aviser,
mais le roi de Navarre renvoya rudement l'infortuné
prévôt. Il lui reprocha de n'être venu à la cour que
pour y apporter la dispute et de n'avoir amené une
foule de bourgeois que pour intimider la reine^
Aux approches de la Fête-Dieu, la reine fut avertie
quelesReligionnaires avaient résolu d'attaquer les pro-
cessions partout où ils se sentiraient assez forts et elle
recommanda aux magistrats un redoublement de sur-
veillance-. A Paris, le danger était plus grand que dans
les autres villes parce que les chefs y étaient rassem-
blés. Mal soutenue par le roi de Navarre, qui était
revenu à la Réforme^, la reine envoya en hâte cher-
cher le duc de Guise à Nanteuil. « Puisqu'il y va de
« l'honneur de Dieu, dit-il, je m'y en vois : et qui vou-
er dra y entreprendre, j'y mourray, ne pouvant mieux
« mourir*. » Il partit à franc étrier la veille de la fête
et parut le lendemain au lever du roi (2!4 juin 1 561 ) .
\. Lettre de Tornabuoni, du 23 juin [Ncgoc. entre la France et la
Toscane, t. III, p. 455).
■?. Lettre de cachet en date du 24 mai 15C1, datée de Soissous
(cojjie, coll. Brienne, vol. 205, 1". 263).
3. Calendars, 1561, p. 1.50.
4. Brantôme, t. IV, p. 232. Partie des détails qui suivent est
tirée du récit de cet écrivain.
100 ANTOINE DE BOURBON
Son arrivée rendit courage aux courtisans. Le roi sui-
vit la procession de l'abbaye Saint-Germain-des-Prés,
une torclie à la main. François de Lorraine, magnifi-
quement vêtu, monté sur un genêt noir, dirigeait le
cortège au milieu des ovations du peuple. Le roi de
Navarre, entouré de quelques gentilshommes gascons,
aux habits râpés, faisait triste figure, dit Brantôme,
derrière son rival. Le prince de Condé, les Chastillons,
confinés dans leurs hôtels, passèrent la journée au
milieu de leurs coreligionnaires sans se montrer. Le
jeudi suivant, jour de l'octave, la procession de l'ab-
baye fut encore plus brillante, et le cardinal de Lor-
raine, encouragé j)ai* le triomphe de son frère, osa
pontifier et porter le saint sacrement ^
Telle était la politique de la régente; elle espérait
résoudre les difficultés en les ajournant. Lorsqu'elle
se sentait menacée par les Réformés, elle envoyait
chercher le duc de Guise, comme plus tard elle appela
Condé quand le danger lui parut venir du parti catho-
lique. Lorsqu'il fallait se prononcer en faveur de l'un
ou de l'autre culte, elle renvoyait la solution au roi
de Navarre, (|ui la remettait au chancelier, lequel à
so!i tour en saisissait le conseil privé. Chantonay
remarque que, si l'un des quatre donnait une réponse
un peu ferme, les trois autres prenaient à tâche de
ratlaiblir-'.
Encouragé par cette indécision, le parti réformé
montait à l'assaut du pouvoir avec un esprit de suite
et une audace invincibles. Le parlement de Toulouse
1. .It)uni;il (le Brushiril dans les Mémoires de Condé, t. I, p. 39.
•2. LoUro orip. oa ospapnol de Chantonay à Philippe II, du
8 juin 15G1 (Arch. nat., K. 1495, n" 41).
ET JEANNE d'aLBRET. 101
venait de rendre, le 2 mai, un arrêt solennel contre les
hérétiques, qui rompait avec la politique de la cour'.
L'arrêt fut déféré au roi, au retour du sacre, le jour
de son passage à Soissons. Une semaine après, le
1 1 juin, le seigneur d'Esternay, un des suivants du prince
de Gondé, présenta au roi, au nom de son parti, une
requête sur les poursuites que certains officiers de
justice dirigeaient encore contre les religionnaires, et
pour obtenir « des temples ou autres lieux publics
« bastis ou à bastir à leurs dépens ^ » Le temps n'était
pas éloigné où ils trouveraient trop long de bâtir des
temples et où ils demanderaient la possession des
églises catholiques. La reine, n'osant ni accorder ni
refuser, soumit la requête au conseil^. Le conseil,
tiraillé en sens divers, repoussa la responsabilité d'une
décision et renvoya la requête au Parlement. En fait,
c'était la question do la liberté des cultes avec toutes
ses conséquences qui était en jeu . Le Parlement, jugeant
en cour plénière, toutes chambres réunies, s'adjoignit
les conseillers privés du roi, les pairs et les princes du
sang. Le débat, dit Pasquier, fut très libre et se prolon-
gea pendant tout le mois de juin. Tous les intrigants
du dehors s'efforçaient de peser sur les membres de
la haute assemblée. L'ambassadeur d'Espagne se mon-
trait tellement pressant que lareine mère défendit nomi-
nalement aux conseillers de conférer avec lui pendant
1. Cet arrêt a été imiirimé, in-4o, Tolose, choz Colomiès. Il fut,
communiqué au roi d'Espagne, car on le trouve dans sa corres-
pondance (Arcli. nat., K. 1495, n° 35).
2. Cette requête est imprimée dans les Mémoires de Condc, t. Il,
p. 370.
3. Lettre de Cliantonay dans \q,^ Mémoires de C onde, t. II, p. 12.
102 ANTOINE DE BOURBON
laduréedeladélibération '.Chaque jour leroideNavarre
et les membres du conseil se rendaient aux séances de
la cour suprême-. Le parti catholique était unanime à
repousser la requête ; les réformés l'acceptaient en prin-
cipe, mais se divisaient dans l'application. L'amiral
voulait faire triompher la cause calviniste, le cardinal de
Chastillon la tolérance, jusqu'à la décision du concile
œcuménique. Antoine de Bourbon prononça peu de
paroles, presqu'à voix basse et d'une conclusion équi-
voque. Cependant l'ambassadeur vénitien le met au
nombre des conseillers catholiques^. Au scrutin, tous
les membres de l'assemblée, au nombre de 1 20, suivant
les uns, de 140, suivant les autres, remirent à la reine
leur vote motivé par écrit. Les catholiques l'empor-
taient de trois voix, « estant la résolution qu'il falloit ou
« suivre l'église romaine ou vuidcr le royaume avec
« permission de vendre ses biens. » La minorité éclata
en murmures, disant « qu'il n'estoit pas raison qu'à
« l'appétit de trois voix toute la France entrast en
« combustion, comme estant ce bannissement impos-
« sible à exécuter. » L'amiral Coligny protesta plus
haut que personne. Le duc de Guise applaudit au vote
et déclara « que son espée ne tiendroit jamais au
« fourreau quand il seroit question de faire sortir effect
« à cest arrêté. » La reine mère resta impassible ; elle
j)rit tous les bulletins et les fit brûler en sa présence*.
1. Lettre originale en espagnol de Chantouay à Philippe II du
!«■• juillet lalil (Arch. nat., K. liDâ, n" -49).
2. Lettre de Tlirockmortondu 13 juillet {Cakndars, 1561, p. 178).
3. Dépêche de Suriano, du li juillet l.")6I (Mss., Dépèches
vénit., filza 4 bis, f. 141).
h. Mémoires de Caslelnau, 1731, i. l, p. (17. — OE livres complètes
de Pasquier, t. II, p. 83, lettre. — DcTliuii, 17 iO, t. III, p. 54.
ET -lEANNE d'aLBRET. 103
Peu de jours après, le i 1 juillet, la reine promulgua
le célèbre éditde juillet qui détendait les prêches et con-
firmait l'ordonnance de Romorantin^ Le chancelier de
l'IIospital avait introduit dans cet acte des adoucisse-
ments aux peines portées contre les hérétiques-, mais
la proscription de la Réforme n'en subsistait pas moins.
L'édit eut d'autant plus de retentissement qu'il avait
été élaboré avec plus de liberté, au sein d'un corps
judiciaire dont l'autorité morale balançait l'autorité
du roi^.
L'édit de juillet, si les Réformés en avaient redouté
l'exécution, aurait donné le signal de la guerre civile,
mais ils furent bientôt avertis, par les indiscrétions des
courtisans, qu'il irait grossir dans les archives du par-
lement le nombre des papiers inutiles. Le chancelier se
montrait presque aussi partisan de la tolérance que le
cardinal de Ghastillon ; la reine, malgré ses démons-
trations en paroles, ne jugeait jamais au conseil que
l'heure fût venue de sévir^. Les chefs du parti réformé
avertirent leurs coreligionnaires de ne pas s'etlPrayer.
« Combien qu'il vous puisse sembler, écrit Merlin,
« que on nous veuille ravir une si saincte pasture par
« la défense des assemblées vous pouvez assurer
« que l'intention du prince est qu'en toute simplicité,
« modestie et petit nombre, nous poursuyvions de nous
1. L'édit do juillet a été imprimé plusieurs fois. On le trouve
dans le Recueil des anciejines loix d'hamhert, t. XIV, p. 109.
2. De Bèze, Hist. ecclésiastique, t. I, p. 294 et 487.
3. Lettre orig. en espagnol de Chantonay à Philippe II, du
8 juin(Arch. nat., K. 1495, n» 41).
4. Lettre de Suriano, du 27 juillet (Dépêches vénit., iilza 4 bis,
f. 72).
104 ANTOINE DE BOURBON
« assembler...^. » Le duc de Guise, le seul des sei-
gneurs qui aurait ose rappeler à la reine rexécution de
l'édii, tomba malade et fut obligé de se retirer de la
cour. Le cardinal de Lorraine lui-même fut atteint
« d'une collique extrême^. » On parla d'empoisonne-
ment, mais le roi de Navarre fut indisposé comme ses
deux rivaux. Les chefs des deux partis furent ainsi
disculpés '^ Libre de ses actes par la retraite des Lor-
rains, la régente fit signer au roi des lettres closes qui
commandaient de n'exécuter qu'avec ménagement l'édit
de juillet ; l'ordre fut notamment adressé à François de
Montmorency, gouverneur de l'Isle-de-France. Adressée
à ce seigneur, dont les tendances calvinistes étaient
marquées, la recommandation équivalait à la suspension
de l'édit^. En même temps la reine, sans crainte de se
contredire, persistait, auprès des soutiens de la religion
orthodoxe, à protester de son zèle. Le 2 août, le roi
adressa à son ambassadeur en Espagne une longue
apologie de l'édit de juillet : « Tant y a que vous
« pouvez assurer le roi, mon bon frère, qu'il n'y a
« prince en la chrestienté qui désire plus de veoir la
« religion chrestienne en sa pristine splendeur et qui
« apporte une meilleure et plus fervente volunté à la
« manutention de la foy catholique^. »
1. Lettre de Merliu, du l-'i juillet 1561 (Delaborde, Les Proies-
tants à la cour de Sainl-Gcrmain, p. 78).
2. Lettre du duc de Guise à la reine, du '28 juillet, datée de
Meru (Orig., F. IV., vol. 15875, f. 64).
;^. Lettre de Suriano, du 38 juillet (Dép. vénit., filza 'i bis,
f. 72 V).
4. Lettre du 1<"'' août 1561 (Copie; coll. Moreau, vol. 718, f. 6).
5. La lettre est publiée par M. le comte Delaborde [Les Protes-
tants à la cour de Saint-Germain, p. 81).
ET JEANNE d'aLBRET. 105
La promulgation de l'édit de juillet contentait les
catholiques ; son inexécution comblait les désirs des
Réformés. Catherine pouvait donc se flatter d'avoir
satisfait tous les partis. Mais deux points noirs la
préoccupaient depuis le sacre : la présence de Marie
Stuart à la cour, qui était une menace pour la reine
d'Angleterre ; l'attitude provocatrice que le prince de
Condé affectait vis-à-vis du duc de Guise.
Marie Stuart, à peine âgée de dix-huit ans, n'était pas
alors cette princesse impétueuse et violente, véritable
fille du sang des Guises ^ qui tint plus tard en échec
la reine Elisabeth. Depuis la mort de François II, elle
traînait à la cour de Charles IX une existence impor-
tune. Pendant la maladie du roi, elle avait passé les
jours et les nuits au chevet de son lit-. Aussitôt après
sa mort, elle rendit les diamants de la couronne^' et
quitta les appartements qu'elle occupait comme reine.
Le soir même, elle se revêtit de blanc et s'enferma dans
une chambre tendue de noir, nuit et jour éclairée par
quelques torches. Elle y passa plus d'un mois « pleine
« d'affliction et de douleur et comme ensevelie dans un
« sépulcre*. » Pendant les premiers jours, elle ne vou-
lut recevoir personne , puis elle consentit à voir le
nouveau roi, les princes, le roi de Navarre et ses
1. Elle avait, dit Castelnau, « un osprit grand et inquiété comme
« celuy du feu cardinal de Lorraine, son oncle. » (Mémoires de
Castelnau, liv. V, chap. 13.)
2. Lettre de Throckmorton, du 6 décembre [Calendars, 1560,
p. 421).
3. L'inventaire, daté du 6 décembre, est imprim('^ dans Négo-
ciations sous François II, p. 738.
4. Lettre de Suriano, du 9 janvier 1561 (Dépêches vénit.,
filza 4, f. 229).
100 ANTOINE DE BOURBON
oncles de Guise. Cinq ou six jours après, elle admit
les évêques et les anciens chevaliers de l'ordre, puis
enfin les rares courtisans qui lui restaient fidèles, le
seigneur de Martigues, mari d'une de ses dames
d'honneur, et les ambassadeurs étrangers. La pitié
de la cour la suivit dans sa retraite. Le dur Nicolas
Throckmorton ne peut lui-même retenir ses senti-
ments de compassion quand il parle de Marie Stuart*.
Michel Suriano, l'ambassadeur vénitien, décrit l'état de
l'infortunée princesse avec une délicatesse qu'aucun de
ses biographes n'a égalée.
« Ainsi peu à peu sera oubliée par tous la mort du feu
« roi, excepté par la petite reine, sa femme, laquelle,
« étant aussi noble d'àme que belle et gracieuse, et
c( songeant qu'elle reste veuve dans un âge si tendre et
« qu'elle est privée d'un mari, si grand roi et qui l'aimoit
« tant, et qu'elle est dépouillée de la possession d'un
« royaume de France avec peu d'espérance de ravoir
« celui d'Ecosse, qui est tout son patrimoine et sa dot,
« ne veut recevoir aucune consolation ; mais, se remé-
« morant toujours en l'un ou l'autre de ses malheurs,
« par ses larmes incessantes et ses lamentations
« pleines de douleur et d'affection, elle fait grande
« compassion à tous...-. » Son douaire fut réglé parci-
1. Calendars, 1560, p. 421. La partie la plus intéressante de
cette lettre de Throckmorton a été traduite et citée dans VHis-
toire de Marie Stuart de M. Jules Gauthier, t. I, p. 89.
2. Cosi a poco a poco si anderà scordando da tutti la morte del
Re passato, eccetto dalla Reginetta già sua moglie, la quale essendo
cosi nobile de animo comc ô bella, et gratiosa d'aspetto, et consi-
derando che resta vedova in cosi fresca età et che è priva del
marito lanto grau Ro cl che tanto la amava, et che è spogliata
dclla possession d'un Regno di Francia, et con poca speranza di
ritruvarc (jucllo di Hcotia, che é tutto il suo palriomonio et la sua
ET JEANNE d'aLBRET. 107
monieusement le 35 décembre et fixé à 60 mille livres
de rente, assis sur le duché de Touraine et le comté
de Poitou ^ Elle renvoya toute sa maison et ne voulut
garder auprès d'elle que sa grand'mère, Antoinette de
Bourbon, duchesse douairière de Guise. La vieille et
la jeune princesse vécurent ensemble dans l'intimité ;
elles occupaient la même chambre-. Le 15 janvier,
Marie Stuart clôtura son grand deuil par un service
religieux en l'honneur du roi défunt dans un couvent
de la ville d'Orléans^.
Marie Stuart allait se retirer à Joinville avec sa
grand'mère, quand Throckmorton l'informa que la
reine Elisabeth avait chargé le comte de Bedfort de lui
présenter ses compliments de condoléance. Bedfort
arriva le 1 6 février et assaillit la jeune reine de
demandes et de réclamations politiques. Marie répon-
dit aux questions les plus insidieuses avec une pré-
sence d'esprit qui déconcerta les deux ambassadeurs.
Ni l'un ni l'autre ne purent obtenir d'elle une de ces
déclarations imprudentes que guettait la perfide Elisa-
beth pour ruiner le crédit de sa sœur en Ecosse^.
dote, non vuol ricevcrc niuna consolatione, ma rapprescntau-
dosi sompre hora una, hora un'altra di queste sue disgratie cou
continue lacrime et con lamentationi piene di affetto, et di dolorc
move gran compatione a tutti...
(Lettre de Suriano à la république de Venise, du 8 décembre 1560 ;
Dépêches vénit., filza 4, f. 207.)
1. Lettres patentes du 25 décembre 15G0 (Registre du parlement,
1". fr., vol. 23750, non paginé).
2. Lettre de Ghantonay, du 28 décembre, à Philippe 11 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1494, n" 12).
3. Lettre de Throckmorton, du 1 8 janvier {Galendars, 1 5G0, p. 500) .
4. Lettre de Throckmorton, du 26 février [Galendars, 1560,
p. 565). II faut hre dans la correspondance de l'ambassadeur
108 ANTOINE DE BOURBON
Vers la fin du mois de mars, Marie Stuart quitta
délinitivement la cour. Elle avait désiré se rendre à
NanteuiP, château du duc de Guise, mais, sur les
conseils du cardinal de Lorraine, elle se retira à
Reims, auprès de sa tante. Renée de Lorraine, abbesse
de Saint-Pierre-. Sa retraite causa de grands soucis
à Throckmorton. A la cour, il pouvait l'entourer d'es-
pions; en Champagne, elle échappait à sa surveillance.
Parfaitement informé des vacillations et de la faiblesse
de ce caractère de femme, il redoutait l'influence du
duc de Guise, du cardinal de Lorraine, qui pouvaient
guider et raffermir la belle veuve , et surtout des
princes qui pouvaient l'épouser. Depuis la mort de
François II, la politique d'Elisabeth s'était fixée sur ce
point : écarter tous les princes du continent, afin que
la jeune princesse succombât sans défenseurs^.
Le mariage de Marie Stuart était l'affaire capitale
des chancelleries cosmopolites qui intriguaient à la
cour de France. L'Allemagne, riche en archiducs
disponibles, avait envoyé des ambassadeurs à la jeune
reine en faveur d'un des Jieveux de Ferdinand P^
Bedfort et Throckmorton en parlèrent au roi de
Navarre : « Je vous ai donné, répondit le prince, un
« remède contre cette mauvaise aventure, à quoy vous
« ne m'avez fait aucune réponse. Vous savez ce que je
d'Angloterro l'émouvant rôcit des conversations de la princesse
avec les deux ambassadeurs qui cherchent à la compromettre. Le
plus souvonl la victoire n'appartient pas aux deux agents d'Eli-
sabeth.
1. Calendars, 1501, p. '-'T. Lettre du 18 mars.
2. Lettre de Suriano, du 18 mars (Dépêches vénit., filza 4, f. 262).
3. Instruction de la reine au comte de Bedlbrt, du 20 janvier
{Calendars, 1560, p. 505).
ET JEANNE d'aLBRET. 109
« veux dire^ » Un ambassadeur du roi de Danemark
avait posé la candidature de son maitre'. Ces princes
étaient des fils de famille en quête d'un bon mariage.
Le prince le plus redouté par la reine d'Angleterre
était don Carlos, fils unique de Philippe II. La jeune
reine, mieux avisée qu'on ne pouvait l'espérer d'une
enfant de dix-huit ans, sentait déjà qu'elle n'avait
d'autre appui que celui du roi d'Espagne. Avant
la mort de François II, elle avait envoyé le cardinal
de Lorraine à l'ambassadeur d'Espagne^. Quelques
jours après, elle remercia Philippe II de ses promesses
d'amitié avec une effusion filiale"^. Le cardinal de Lor-
raine, dit Chantonay, « se plaignant du malheur de
« sa nièce et du peu de moyens de lui trouver un
« parti égal, me dit clairement qu'elle n'en avait d'autre
« que Son Altesse. Je ne voulus lui répondre autre chose,
ce sinon qu'étant une princesse si belle et si aimable,
« elle ne pouvait manquer de trouver un mari coiive-
« nable à sa grandeur''. » Bientôt les colloques de
l'ambassadeur espagnol et des Guises se multiplièrent.
Souvent il se faisait admettre auprès de Marie Stuart ;
un jour, vers la fin de décembre, il resta plus d'une
heure en conférence secrète avec elle^.
1. Lettre de Bedfort et de Throckmorton, du 26 février [Calen-
dars, 1560, p.- 565).
2. Lettre de Throckmorton, du 31 mars [Calendars, 1561, p. 41).
— Sommaire de chancellerie de lettres de Chantonay (Arch.
nat.,K. 1494, n» 70).
3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 3 décembre 1500 (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1493, n» 113).
4. Labanof, Recueil des lettres de Marie Stuart, t. I, p. 91.
5. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 28 décembre 1560
(Orig. espagnol: Arch. nat., K. 1494, n» 12).
6. Calendars, 1560, p. 471, 489.
110 ANTOINE DE BOURBON
Lanégociation cheminait versle succès, au grand avan-
tage de la reine d'Ecosse, quand la reine mère essaya de
l'entraver. La France devait redouter la concentration
dans les mains de don Carlos des royaumes d'Ecosse
et d'Espagne, d'autant que la reine Elisabeth n'avait
pas d'enfants et que Marie Stuart était son héritière
naturelle, mais Catherine avait des motifs moins élevés
de s'opposer à ce mariage. Marie représentait les
Guises, dont le nom détesté rappelait à la reine mère
le souvenir de sa servitude^. Marie avait osé l'outra-
ger en la traitant de fille de marchand ^. Catherine
commença par éloigner le cardinal de Lorraine de
l'alliance espagnole -^ ; elle persuada à Elisabeth de
Valois, sa fille, que l'intronisation de Marie Stuart à
la cour de Madrid éclipserait son influence. Enfin,
convaincue que la meilleure méthode de faire échouer
la candidature de la reine d'Ecosse était de lui sus-
citer une rivale, elle proposa à Philippe II la main de
Marguerite de Valois, sœur du roi, pour l'infant don
Carlos, et envoya à l'infant les portraits des deux
princesses, Marguerite et Marie. Le peintre, bon cour-
tisan, avait flatté la première et enlaidi la seconde.
Le petit prince les regarda toutes deux et dit senten-
cieusement : « Mas hermosa es la pequegna^. » Le
\. Mol vil (louno (iu('lf]uos dôtails (Mémoires, 1694, t. I, p. 107).
2. Loltro du canlinal do. Sainte-Croix, citée par M. Ghoruol
(Marie Stuart et Catherine de Mcdicis, 1858, p. 17).
3. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du l'2 janvier 1561 (Orig.
esj)agnol ; Arch. nat., K. 1191, n» 52).
4. Lettres de Catherine, d'Elisabeth et de l'Aubespine (iV^^^oc/a-
tions sous François H, p. 787, 806, 819, 823, 824, 844). — Les
négociations de la reine mère remplissent sa correspondance
(Lettres de Catherine, l. I, }). 593, 595, etc.). Dans ses lettres à
ET JEANNE d'ALBRET. 111
roi de Navarre, qui demandait Marguerite pour son
fils, entravait de son côté les projets de la reine mère^.
Il fit surgir un nouveau prétendant à la main de Marie
Stuart, James Hamilton, comte d'Arran^
Pendant tout l'hiver, Catherine poursuivit la négo-
ciation avec ardeur. Marie Stuart fut entourée de
traîtres chargés de peser sur elle. Throckmorton fit
intervenir, comme interprète des lairds écossais, James
Stuart, frère naturel de la reine. Un jour on demanda à
ce seigneur ce qu'il penserait du mariage de sa maîtresse
avec un prince catholique. Il répondit qu'il en serait
fâché ^. De perfides amis rapportèrent aussitôt à la
princesse que ses sujets se prononçaient contre un
mariage catholique.
Tandis que ces intrigues s'agitaient autour d'elle,
Marie Stuart parcourait pour la dernière fois les
grandes résidences de la maison de Guise. Après an
assez long séjour à Reims, au mois de mai, elle se
rendit à Vitry-le-François, à Saint-Dizier, à Joinville,
auprès de sa grand'mère, puis entîn à Nancy, à la
cour du duc de Lorraine^. Dans les premiers jours de
juin, elle revint en France et entra à Paris le 1 0 juin.
Le roi venait d'y arriver et la reçut avec les honneurs
l'ambassadeur de France en Espagne, elle désigne Marie Stuart
sous le sobriquet le gentilhomme. — Voyez aussi Clieruel, Marie
Stuart et Catherine de Médicis, p. 19 et suiv.
1. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 13 janvier (Orig. espa-
gnol; K. 1494, n» 53).
2. Lettre de Ghantonay, du 24 décembre 1560 (Orig. espagnol;
Arch. nat., K. 1494, \\° 11). — Autres lettres anglaises, Calcndars,
1560, p. 485, 489, 494 ; 1.561, p. 17, 30, 55, 75.
3. Calendars, 1561, p. 96.
4. Lesley, De rébus gestis Scotorum, cité dans Négociationa sous
François II, p. 751.
112 ANTOINE DE BOURBON
réservés aux reines. Le duc d'Orléans, le roi de
Navarre, le prince de Condé, tous les princes du sang
l'attendaient à une lieue de la ville, et, quand elle
approcha de son logis, le roi et la reine mère vinrent
au-devant d'elle à travers un concours immense de
peuple qui se pressait pour voir encore une fois la
Reine Blanche ^ .
Cependant Marie Stuart se préparait à rentrer en
Ecosse. Les Guises, ses conseillers ordinaires, la pous-
saient à partir, estimant que la possession d'une cou-
ronne valait bien le voyage. Marie envoya à Londres
Henri Clutin, seigneur d'Oysel, pour demander à Elisa-
beth un refuge en Angleterre, si le mauvais temps la
jetait sur les côtes. La fille de Henri VHI refusa dure-
ment et prit des mesures pour retenir sa rivale en pri-
son. Marie fut plus offensée qu'effrayée de ces menaces.
Un jour, elle dit à Throckmorton : « Si la reine, votre
« maîtresse, me tient entre ses mains, elle pourra
« faire de moi ce qu'il lui plaira, et, si elle a le cœur
« assez dur pour désirer ma mort, elle pourra se satis-
« faire ^ » Les ministres anglais ne dissimulaient même
pas la déloyauté d'Elisabeth. I^ord Cecil écrivit à lord
Sussex que « le coup fait, on arguerait pour le justifier
« du refus de la reine d'Ecosse d'approuver le traité
« d'Edimbourg '^ » D'un autre côté, le duc de Guise
organisait le départ de sa nièce dans le plus grand
secret, et le roi de t^rance obtint de Philippe II que
1. Lettre de Throckmorton, du 23 juin {Calendars, 1561, p. 150).
— Voyez aussi Laferrière, Le XVI^ siècle et les Valois, p. 50.
2. Calendars, 1561, p. 198. Lettre de Throckmorton au conseil
d'Angleterre, du 26 juillet 1561.
3. ïl.id.
ET JEANNE d'aLBRET, 113
tous les officiers des Pays-Bas lui prêteraient leur aide
en cas de besoin^.
Le 24 juillet', Marie Stuart partit de Paris pour
assister à une grande fête d'adieu que le roi donna à
Saint-Germain en son honneur. Après un arrêt de
quatre jours dans cette cour brillante, qu'elle ne devait
plus revoir, elle se mit en route, escortée par les cour-
tisans du parti des Guises et par de généreux seigneurs
que séduisait son infortune. Le 3 août, elle attend
encore à Beauvais le retour d'un messager que le roi
de Navarre a envoyé en Angleterre^. Sa marche,
tour à tour lente et précipitée, est conduite avec la
plus grande habileté par le duc de Guise. Le 10 août,
elle arrive à Calais et envoie à Elisabeth un nouvel
ambassadeur. Mais, sans attendre la réponse, le
\'ô\ elle s'embarque avec sa suite sur deux petites
galères que Michel de Castelnau avait ramenées de
Nantes^ et que commandaient Villegaignon et Octa-
vian Bosso.
Brantôme a trouvé d'admirables récits pour racon-
ter le dernier voyage de la reine d'Ecosse :
Ainsi donc qu'elle commençoit à vouloir sortir du port, et que
1. Lettre du roi à l'Aubespine, évoque de Limoges, du W juin
(Orig., f. fr., vol. 6612, f. 26).
2. Lettre de Gtiantonay dans les Mémoires de Condé, t. II, p. W.
Plusieurs autres liistoriens ont dit le 21 juillet.
3. Calendars, 1561, p. 22'.).
4. Ce départ fut si secrètement exécuté que le 18 la reine
Elisabeth l'ignorait encore (Lettre à Throckniurton; Calendars,
1561, p. 260).
ô. Mémoires de Castelnau, 1731, t. I, p. 5'J.
ni 8
114 ANTOINE DE BOURBON
les rames commenroient à se vouloir mouiller, elle y visL entrer
en plaine mer, el tout-à-coup à sa veue, s'enfoncer un navire
devant elle et se périr, et la pluspart des mariniers se noyer,
pour n'avoir pas bien pris le courant et le fond; ce qu'elle
voyant, s'escria incontinent : « Ah ! mon Dieu ! quelle augure
« de voyage est cecy !» Et la gallère estant sortie du port, et
s'estant eslevéun petit vent frais, on commença à faire voile, et
la chiorme se reposer. Elle, sans songer à autre action, s'appuye
les deux bras sur la pouppe de la gallère du coslé du timon, et
se mist à fondre en grosses larmes, jestant tousjours ses beaux
yeux sur le port et le lieu d'où elle esloit partie, prononceant
tousjours ces tristes parolles : « Adieu France ! Adieu France ! »
les répétant àchasque coup; etluy dura cet exercice dolent près
de cinq heures, jusqucs qu'il commença à faire nuict, et qu'on
lui desmanda si elle ne se vouloit point osier de là et souper un
peu. Alors, redoublant ses pleurs plus que jamais, dict ces
mots : « C'est bien à ceste heure, ma chère France, que je vous
« perds du tout de veue, puisque la nuict obscure est jalouse de
« mon contentement de vous voir tant que j'eusse peu, et
« m'apporte un voile noir devant mes yeux pour me priver d'un
« tel bien. Adieu donc, ma chère France, je ne vous verray
« jamais plus ! » Ainsi se retira, disant qu'elle avoit faict tout
le contraire de Didon, que ne flst que regarder la mer quand
Anéas se despartil d'avec elle, et elle regardoit tousjours la
terre. Elle voulut se coucher sans n'avoir mangé qu'une sal-
lade et ne voulut descendre en bas dans la chambre de pouppe-,
mais on hiy fil flresser la traverse de la gallère en haull de la
pouppe, el luy dressa-on là son licl; cl reposa peu, n'oubliant
nullement ses souspirs el larmes. Elle commanda au timonnier,
sitôt qu'il seroit jour, s'il voyoit et descouvroit encor le terrain
de la France, (lu'il Fesveillast et ne craignisl de Tappeller. A
quoy la fortune la favorisa ; car le vent s'estant cessé, et aiant
eu recours aux rames, on ne fist guières de chemin ceste nuict;
si bien (|ue, le jour paressant, parut encor 1*^ terrain de France;
et, n'ayant failly le timonnier au commandement qu'elle luy
avoit faicl, elle se leva sur son licl, et se mit à contempler la
France encor, el tant qu'elle peut. Mais la gallère s'esloignant,
elle esloigna son contentement cl ne visl plus son beau terrain.
ET JEANNE d'aLBRET. 115
Adonc redoubla encor ces mois : « Adieu la France ! Cela est
a faict. Adieu la France ! je pense ne vous voir jamais plus^ ! »
Le départ de Marie Stuart dégageait la politique de
Catherine de toute responsabilité dans les affaires
d'Ecosse. Restait le prince de Gondé, qui par son lan-
gage provoquant, par ses menaces et par ses récri-
minations publiques semblait « sonner le boute-feu
« de la guerre civile. » Le réconcilier avec le duc de
Guise était un coup de maître ; mais il fallait agir vite et
surtout prévenir l'arrivée de Jeanne d'Albret, dont
l'àme implacable repoussait tout accommodement.
Catherine crut apaiser le prince par une justification
éclatante -. Au commencement de mai, le roi de Navarre
avait sollicité en personne une prompte revision du
procès ^ La cour étudia l'affaire avec une lenteur
impartiale. Le prince comparut à la barre « et con-
« tenta merveilleusement ceste grande compaignie. »
Après lui, la dame de Roye, Robert de La Haye et le
s. de Gany furent admis à déposer en sa faveur*. Les
charges furent déclarées mensongères, les actes de
l'information convaincus de faux, les signatures con-
trefaites^. Un Basque, probablement Jacques de la
1. Brantôme, t. VII, p. 416.
2. Deux lettres de Catherine, du 20 et du 27 mai (Lettres de
Catherine de Médicis, t. I, p. 197 et 201).
3. Lettre de Tornabuoni, du 6 mai (Négoc. de la France avec la
Toscane, t. III, p. 451). — Lettre de Ghantonay à Philippe II, du
12 mai (Orig. espagnol ; Arch. nat., K. 149i, n» 85).
4. Pièce sur le procès {Mémoires de Condé, t. Il, p. 387). — Cette
pièce a été presque entièrement reproduite textuellement dans
VEstat de religion et république de La Place, édit. du Panth. litt.,
p. 128 et suiv. — De Thou a très exactement analysé ce récit
(liv. xxvni).
5. Lettre de Throckmortuu, (lu i'i']\xm(Calendars, 1501, p. 150).
116 ANTOINE DE BOURBON
Sague, qui avait été mis à la torture à Fontainebleau,
en septembre 1 560, pour déposer au profit de l'accusa-
tion, y fut remis pour témoigner en faveur de la défense.
Il reconnut que ses premières réponses avaient eu
pour objet de satisfaire le cardinal de Lorraine et fut
condamné à mort après cet aveu. Suriano parle de lui
comme d'un martyr de la politique, destiné à mourir
pro populo^ Enfin, le 13 juin, le parlement en robe
rouge, présidé par M^Baillet, toutes chambres réunies,
en présence du roi de Navarre, des princes du sang,
des cardinaux et autres seigneurs, notamment du duc
de Guise et du cardinal de Lorraine, rendit un arrêt
qui libérait Condé de toute poursuite-. Pasquier trace
de cette comédie judiciaire un tableau piquant : « Vous
« ne vistes jamais tel spectacle. Chacun çouroit aupa-
c( ravant pour le condamner, maintenant chacun non
« pas pour l'absoudre (car cette parole eut sonné mal,
« veu que nul ne l'accusoit et l'absolution présuppose
« l'accusation), ains pour le déclarer, tel qu'il se dési-
c( roit, innocent; n'ayant lors, si ainsi faut le dire,
« autre partie que soy-mesme et estant demandeur et
« défendeur tout ensemble. Ce prince estant, ce luy
« semble, au dessus du vent, se ressent de sa prison
« et ne se peut taire du tort qu'il dit luy avoir esté
« procuré. Bref, il en rejette le tort sur M . de Guise "^. »
A la suite de l'arrêt du 13 juin, chacun comptait
sur un apaisement général parmi les seigneurs. Le
1. Lettre du 26 juin (DéchilVrement non signé ; Mss.; Dépêches
vénit., filza i bis, f. 27).
2. Cet arrêt, qui fut imprimé en plaquette, a été reproduit par
La Popelinière, 1581, t. I, f. 2i'i.
3. Lettres de Pasquier, dans OEuvrcs complètes, t. II, p. 85.
ET JEANNE d'aLRRET. H7
bruit se répandit que le prince de Condé et le duc de
Guise s'étaient « appoinctés', » que le roi de Navarre,
le prince de Condé, le duc de Guise et le cardinal
de Lorraine, en l'honneur de la réconciliation géné-
rale, s'étaient assis à la même table-. Mais on apprit
bientôt que le prince et le roi de Navarre n'avaient
rien abandonné de leurs projets de vengeance, l'un
contre le duc de Guise, l'autre contre le cardinal de
Lorraine, dont les calomnies avaient failli le perdre
du vivant de François IF. Après comme avant l'arrêt
du 13 juin, la paix du royaume était en danger. Con-
vaincue que « si les grands esloient d'accord, les petits
« demeureroient en paix, » Catherine travailloit de
toutes ses forces à « vuider le différend » de Guise et
de Condé ^. Elle en chargea d'abord le connétable et
lui recommanda cette mission comme le couronne-
ment de son œuvre de pacification \ Le connétable se
mit en frais de négociation ; il s'aida de ses neveux de
Chastillon et surtout du cardinal, huguenot plus mesuré
que ses coreligionnaires. Les pourparlers étaient déjà
connus à la cour au milieu de juillef".
Au moment de la conclusion, l'extravagance du
prince de Condé faillit raviver la querelle. Depuis
1. Lettre de Suriano, du 17 juin (Mss.; Dépêches vénit., ûlza4,
f. 318).
2. Lettre de Windebanck à lord Cecil, du 19 juin {Calendars,
1561, p. 149).
3. Lettre d'un amb. vénitien, du 26 juin (D(''cbi(îroment non
signé; Dépêches vénit., tilza 4 bis, f. 27).
4. P. Mathieu, Hiat. de France, t. I, p. 244, in-fol.
5. Lettre de Tornabuoni, du 27 août (Négoc. de la France avec la
Toscane, t. III, p. 460).
6. Lettre de Suriano, du 1.5 juillet (Déchilfremont ; Dépèches
vénit., filza 4 bis, ('. 143).
118 ANTOINE DE BOURBON
sa délivrance, jamais il n'avait cessé de pratiquer
la Réforme, mais il avait eu la sagesse de la pra-
tiquer sans fanfaronnade. Vers le mois d'août, de
concert avec la marquise de Rollielin, mère du duc
de Longueville, il rassembla à Paris les prêcheurs
les plus bruyants de son parti. Les sermons et les con-
venticules se multiplièrent sous sa protection. Les
fidèles, enllammés par les excitations des ministres,
en allant ou en sortant du prêche, parcouraient la
ville , armés de toutes pièces , et chantaient des
psaumes comme pour défier l'ennemi. Ému de ces pro-
vocations, le parlement fit dresser des procès-verbaux
et allait entamer une instruction, quand le roi de
Navarre, sur l'ordre de la reine, accourut à la barre.
Il demanda à la cour l'annulation de la procédure'. Il
l'obtint heureusement, car la paix publique n'aurait
pas résisté à une nouvelle instance dirigée contre le
prince de Coudé.
Après une longue négociation, entravée de part et
d'autre par la [)assion cl la mauvaise foi, les parties
se mirent d'accord. Tout étant préparé et les moindres
détails du cérémonial discutés et résolus par écrit ^,
la séance fut fixée au l'etour du duc de Guise à Saint-
Germain. Le roi avait constitué une sorte de conseil
arbitral, composé des princes, des cardinaux et des
chevaliers de l'ordre. Le 24 août^ le jour oij le duc
\. Lettre d'un des ambassadeurs vénitiens (Déchilïremcui daté
du 15 août; Dépèches vénit., filza 4 bis, f. '?!>!).
2. Lettre de Suriano du -i'i auùt (Dépèches vénit., lilza 4,
f. 334).
3. De Thon dit le 28 août. C'est une des rares erreurs de ce
grand historimi. Aux sources que uous avons citées et que
ET JEANNE d'aLBRET. H9
de Guise revint de Calais, le roi le fit appeler au logis
du connétable ^ François de Lorraine entra en grand
équipage avec une suite de plus de cent cinquante sei-
gneurs des plus qualifiés^. L'éclat de son cortège fit
honte au prince de Condé, qui n'avait auprès de lui
qu'un petit train de huguenots de mauvaise mine. Le
prince dépêcha tout bas son chambellan, le sire de
Damquerque, à l^rançois de Montmorency, pour l'in-
viter à lui prêter assistance avec sa suite de soixante
gentilshommes. Damquerque remplit sa mission en
toute diligence, mais, quand il revint avec les gens de
la maison de Montmorency, la séance était terminée^.
Lorsque tout le monde eut pris place à son rang, le
roi s'adressa ainsi à sa mère :
— « Madame, j'ay fait assembler ceste compagnie
pour l'accord du différend qui est entre M. le prince
de Condé et M. le duc de Guise, qui se accommode-
ront pour le bien et mon service et de ce royaume. »
Et au duc de Guise :
— « Et affin que mond. s. demeure esclarcy de
l'opinion qu'il en a eue, vous, mon cousin de Guise,
luy direz ce qui en est. »
Le jeune roi accentua bien ces paroles, dit Suriano,
« comme on lui avoit enseigné de les dire^ »
nous citerons qui prouvent que la cérémonie eut lieu le 24, on
peut ajouter une lettre de Claude de l'Aubespine à l'évèquc de
Rennes (Mémoires de Castelnau, 1731, t. I, p. 732).
i. Négociaiions de la France avec la Toscane, t. III, p. 460.
2. Lettre de Suriano du 24 août (Dépêches vénit., lilza 4, f. 334).
3. La Place, Estât de religion et republique, édit. du Panth.
litt., p. 139.
4. Lettre de Suriano du 24 août (Dépêches v('nit., lilza 4,
f. 334).
120 ANTOI^•E UE BOURBON
Le duc de Guise répondit :
— « Sire, puisqu'il vous plaît que j'esclaircisse M. le
prince de l'opinion qu'il a, je luy en diray ce qui
en est. »
Et se tournant vers le prince de Condé :
— « Monsieur, je ne vouldrois avoir mis en avant
aucune chose qui feust contre vostre honneur, et n'ay
esté autheur, motif ne instigateur de vostre prison. »
Le ])oinl essentiel de la négociation était la réponse
du prince. Il prononça ces paroles, dont la moms
significative avait été pesée au conseil :
— « Monsieur, je tiens pour meschant et malheu-
reux celluy et ceux qui en ont esté cause. »
— « Je le crois ainsi, répondit le duc de Guise;
cela ne me touche en rien ^ . »
Après cette double déclaration, le roi pria les deux
rivaux de s'embrasser comme cousins et de demeurer
bons amis. Les secrétaires d'état, Claude de l'Aubes-
pine et Jacques Bourdin, dressèrent un procès-verbal
que signèrent les témoins désignés par le roi". Cathe-
rine offrit aux courtisans un grand festin ^ où les sei-
gneurs des deux partis se firent mutuellement fête.
Bientôt le prince de Condé, s'arrachantaux « accolées »
des catholiques, rejoignit Théodore de Bèze, arrivé le
jour même, avec lequel il se railla de la comédie qu'il
1. Ce dialogue est textuellement extrait du procès-verbal.
Voyez la note suivante.
2. L'original de ce procès-verbal est conservé dans le vol. 6609
du fonds français. Ou en trouve de nombreuses copies dans les
pajiiors du temps. Il a été im])rimé dans 17//,v/. de France de La
Popeliniùre, t. I, f. 2ô5.
3. La Place, Ealat de religion et republique, édit. du Panth. litt.,
p. liO.
ET JEANNE d'aLBRET. 121
avait jouée'. Les témoins clairvoyants ne se faisaient
aucune illusion sur les suites du racconimodement :
« Ne scay si leurs estomacs sont bien nets, écrit le
« secrétaire d'état Claude de l'Aubespine à son frère,
« car d'heure en autre sourdent nouvelles armes et
« débats, dont ceste pauvre royne porte la paste au
« four. Et est grandement à plaindre n'osant déplaire
« à pas ung et estant peu obéie, sinon en les grâ-
ce tifiant de ce qu'ils veulent-. »
Le plus perspicace des ambassadeurs étrangers,
Michel Suriano, félicita la reine d'avoir mené à fin la
négociation avant l'arrivée de la reine de Navarre :
« Ce fut une véritable fortune, dit-il, que cet accord
« ait été conclu avant l'arrivée de la reine de Navarre,
« qu'on attend dans deux jours. Si cette princesse
« s'était trouvée à la cour en ce moment, beaucoup
« de gens croient que, à cause de la haine qu'elle a
« contre la maison de Guise, elle aurait mis toutes
« choses en désordre, car c'est une femme qui a une
« tête terrible^. »
En effet, pendant que la comédie de la réconcilia-
tion se jouait sous les yeux du roi, Jeanne d'Albret
était aux portes de Saint-Germain. Il est nécessaire de
revenir en arrière pour reprendre l'histoire de cette
princesse, qui n'avait pas paru à la cour depuis l'avè-
nement de Charles IX.
\. Baum, Theodor Deza, appendice, p. M. Lettre de de Bèze à
Calvin.
•2. Lettre de L'Aubespine à 1 "évoque de Limoge» du Î9 août 1561
(Orig., f. fr., vol. 6618, f. 4).
3. Essendo dona di terribile cervello (Lettre du 24 août à la
république vénitienne; Dépèches vénit., filza 4, f. 334).
122 ANTOINE DE KOURBON
Lorsque François II avait convoqué le roi de
Navarre et le prince de Condé à Orléans, au mois d'oc-
tobre 1560, Jeanne d'Albret était en Béarn. Aussitôt
que le procès de Condé fut entamé, aussitôt qu'Antoine
de Bourbon fut traité en accusé par le roi, les Espa-
gnols prirent une attitude menaçante. Ainsi se dévoi-
lait l'accord secret de Philippe II et des Guises pour la
ruine de la maison d'Albret. Le duc d'Albuquerque
entra en Navarre avec la complicité des ofïîcieys royaux
de Bayonne et de Saint-Jean-de-Luz. Mais il trouva
derrière la frontière un corps d'armée béarnais, rapi-
dement armé au premier bruit du danger par Jeanne
d'Albret et soutenu par son héroïsme ^ La veille de la
rencontre des deux troupes, le duc d'Albuquerque
apprit à la fois la mort de François II et la révolution
qui portait le roi de Navarre au pouvoir. Il repassa
prudemment la frontière et ramena ses troupes en
garnison. En France, la tentative des Espagnols n'eut
aucun retentissement. Le bruit de leur agression
fut éteint par les nouvelles d'Orléans. A peine la cour
connut-elle la fausse campagne du vice-roi de la
Navarre. Certains ambassadeurs même, mal informés
de la vérité, écrivirent à leur gouvernement que le duc
d'Albiiquercjue n'avait fait que repousser un gros de
partisans lancés parles officiers de la maison d'Albret^.
Cette alerte passée, Jeanne d'Albret reprit avec sa
fermeté accoutumée l'administration de son petit
royaume.
1. Calendars, 1560, p. 'iGT. LcUrc de Throckmorton du 31 dé-
cembre 1560.
2. Lettre de Suriano du 20 décembre (Dépêches vénil., Iilza4,
f. 221). — Lettre de Chamberlain du 7 décembre (Calendars,
1560, p. 424).
ET JEANNE d'aLBRET. 123
La trésorerie du comté de Foix était occupée par
un officier de finances infidèle, appelé Jean Belin.
Le 29 décembre 15G0, le roi de Navarre le révoqua
et le remplaça par j\P Vidal du Puy^ Presque en
môme temps, Jeanne, plus indulgente, s'était conten-
tée d'exiger les compléments de ses comptes-. Les
ordres du roi de Navarre arrivèrent à Foix au milieu
de janvier, portés par le secrétaire Boulogne^. Jeanne
d'Albret, prise de pitié pour le malheureux Jean Belin,
qui dans d'autres circonstances avait fidèlement servi
sa maison, ordonna d'y surseoir par la lettre suivante :
Bologne, notre trésorier de Foix m'a fait entendre la pour-
suite que vous faites à rencontre de luy, prétendant le faire
destituer de son estât, pendant qu'il est détenu prisonnier, où
il est de si longue main qiïi me faict pytyé, joinct que, pour
l'amour de moy, il s'est employé à faire plaisir à quelque per-
sonne comme sçavez en ma faveur, duquel il pâtit. Et pour le
désir que j'ay, non que je vueille approuver sa faulte, ny nyer
qu'il n'ayt tort en ce que vous le poursuivez, et que ce que
vous en faictes n^est pour aucune vindicacion, ains pour rafTec-
tion que portez à nostre service, toutesfois, vous me ferez ser-
vice très agréable et seray bien aise d'entendre que vous ayez
différé le tout jusques à ce que par nous y aura esté aultrement
pourveu et ordonné. A quoy espérant que n'y ferés faulte, pour
l'obéissance que je m'asseure désirez me porter, je prie à tant
le Créateur, vous donner, Bologne, sa sainte grâce.
De Pau, ce 21 jour de janvier 1500.
Yostre bonne maistresse,
Jeoanne^
1. Orig., daté du 29 décembre et d'Orléans (Arch. des Basses-
Pyrénées, B. H63).
2. Lettre du 31 décembre, copie du temps (Iljid.).
3. Jean de Lescrivan, recteur de Boulogne (Ibid., E. 1993, f. 41).
4. Orig., daté de Pau. du 21 janvier 1560 (1561) (Arcb. des
Basses-l^yrénées, B. 1163).
124 ANTOINE DE BOURBON
Le secrétaire Boulogne obéit aux instructions de la
reine de Navarre et fut récompensé de son obéissance
par la lettre suivante :
Boullongnc, j'ay esté fort aise d'avoir entendu par vos lettres
le dcbvoir que vous faites tant en ce qu'il vous a esté commandé
par le Roy pour son service et aussi pour le mien, et me ferez
service très agréable de continuer en tout ce que vous m'écri-
vez de faire ce que vous pouvez en ce que vous savez que des-
pend de sa volunlé et mienne. El, pour lasscurance que j'ay de
la bonne dilligence que ferez et du bon ordre que donnerez,
tant au recouviement de ses deniers que de tous les aultres
ailaires qui nous louchent, desquels nous avons en vous fiance
je ne vous feray plus long discours^..
En même temps elle promit à Jean Belin d'ajourner
les poursuites que le conseil du roi avait entamées
contre lui et de lui donner le temps de se justifier.
Cher et bien aymé, suyvant vostre lettre et la requesle que
m'avez ftiictc par icelle, j'escris à liolloigne de suspendre la
poursuicte qu'il fait contre vous jusques à ce que vous vous
soyez jusliffié tant en la reddition de vos comptes que d'autres
choses qui ont esté proposées contre vous. A quoy je seroys
fort ayse que vous donniez tel ordre qu'il [ne] nous apparroysse
aultre. Vous assurant que jauroy vostre bon droict en telle
recommandation, sy j'ay congnoissance qu'il vous aye esté faict
tort, qu'il vous en sera faict repparation. Gependent vous exer-
cerez vostre charge si fidellement et bien qne les deniers du Roy
et noslres ne soyent en aucune sorte retardez. l*riant aultre-
nienl le créateur, chair et bien aymé, vous tenir en sa saincte
garde.
A Pau, ce xxj jour de janvyer mil cinq cens soixante-un.
Jehanne^.
\. Original, tlalé de I*au ol, du 23 janvier 1560 (15(il) (Arch.
des Basses-Pyrcnéos, B. H63).
2. Copie autlienli(juée (Arch. des Basses-Pyrénées, B. M63).
ET JEANNE d'aLBRET. 125
Quelque temps après, c(uand le trésorier Jean Belin
eut réuni les preuves de sa justitîcation, la reine de
Navarre commanda à Boulogne de se transporter à
Foix et de procéder à la vérification de ses nouveaux
comptes ' .
Les états de Béarn se réunirent au commencement
de l'année 1561 comme les années précédentes. Con-
voqués pour le 20 février, ils furent ouverts le 23 et
clos le 10 mars. Ils accordèrent au roi et à la reine
une subvention de dix mille écus à l'ordinaire et de
huit mille à l'extraordinaire ^ Plusieurs de leurs
requêtes et des décisions de la reine méritent d'être
signalées. Ainsi ils protestèrent contre les droits de
sortie dont le roi de France frappait les vivres expor-
tés en Béarn. Jeanne d'Albret promit de demander au
roi la suppression de ces droits fiscaux^. — Les
manants et gens du tiers demandèrent la liberté de
faire moudre leur blé dans les moulins des seigneurs
étrangers, lorsque leur propre seigneur n'en possé-
dait pas. A cette requête, qui révèle un des abus du
droit féodal en Béarn, Jeanne d'Albret répondit qu'elle
ordonnerait une instruction et qu'elle aviserait^. —
L'assiette des tailles avait été modifiée depuis la mort
de Henri d'Albret ; les états demandèrent le retour à
l'ancienne législation. La reine répondit que, le roi de
1. Lettre du 8 juin 1561, datée de Pau (Orig., Arch. des
Basses-Pyrénées, B. 1163).
2. Tome IV des Establissements de Béarn (Arch. des Basses-
Pyrénées, G. 682, f. 80).
3. Tome VI des Establissements de Béarn (Arch. des Basses-
Pyrénées, G. 68 i, f. 113 v°).
4. Tome VI des Establissements de Béarn (Arch. des Basses-
Pyrénées, G. 684, f. 115).
126 ANTOINE DE BOURBON
Navarre étant absent, elle ne pouvait prendre la res-
ponsabilité de résoudre une question si gravée
La question religieuse, qui agitait alors la France,
suscita, cette année, peu de mouvements aux états de
Béarn. Peut-être les députés sentaient-ils que le débat
se viderait ailleurs qu'à Pau. Quelques jours avant la
réunion, Jeanne d'Albret avait donné commission à
Guillaume et à Arnaud du Golom, ses secrétaires, de
rechercher les titres de collation de prébende accordés
par elle ou par ses prédécesseurs 2. Le 28 février, les
états demandèrent à être dispensés des frais d'entretien
des calhédrales. La reine répondit que les chapitres
étaient exemptés, de temps immémorial, des charges
des églises et qu'il n'y avait aucun motif de les
dépouiller de ce privilège, mais que, si les bâtiments
étaient suffisamment couverts et abrités de la pluie,
les trois ordres ne pouvaient être obligés de concourir
aux dépenses de l'intérieur. Ainsi les frais du culte
restaient à la charge du culte lui-même. Ce système,
contredit par les traditions du royaume, souleva une
forte opposition chez les intéressés. Chaque année la
question fut remise en discussion aux états et résolue
différemment, suivant que la cause de la Réforme était
triomphante ou vaincue^. — A la fin de la session,
sur la plainte des catholiques, le 2! mars, la reine de
Navarre rendit une ordonnance qui enjoignait aux
-1. Tome VI dos Establi^scmonls do Béarn (Ârch. des Basses-
Pyirnéos, C. 08 i, f. 101).
■•2. Original sur parchemin, dalé de Pau et du 13 janvier 1560
(1561) (Arch. des Basses-Pyrénées, E. 58-:).
3. Tome VI des EstabUsscments de Béarn (Arch. des Basses-
Pyrénées, G. 684, f. 105 vo).
ET JEANNE D'ALRRET. 127
évêques de Lescar et d'Oloron et à leurs vicaires
généraux de résider en leurs diocèses et à chaque curé
d'y prêcher habituellement « la parole de Dieu^. »
Aussitôt après la clôture des états de Béarn, Jeanne
d'Albret se prépara à rejoindre Antoine de Bourbon à
la cour de France. Le prince montrait un grand désir
de l'associer à son triomphe. Dans une de ses lettres
datée d'Orléans, il se félicite « de la bonne chère que
« je fais icy, dit-il, et de la maveze que font les Lorrains :
« que Dieu veulte qu'en puissions estre bientôt déli-
« vrés. » Et, faisant allusion au prochain voyage de
la princesse : « ... et en lieu vous avoir pour mieux
« acomoder noz afferes, suppliant le seigneur vous
« aconpaigner de santé et vostre petit troupeau jusques
« an ceste court-. >> Avant de quitter le Béarn, la
reine de Navarre, avec l'assentiment de son mari, dési-
gna comme lieutenants généraux pendant son absence
Louis d'Albret, évêque de Lescar, et Armand de Gon-
taut, s. d'Andaux^.
Le roi et la reine de Navarre, en se réunissant à
Saint-Germain , allaient se trouver étrangers l'un à
l'autre. Pendant l'été de 1560, Théodore de Bèze
était venu à Nérac, et, suivant une tradition que con-
firment les faits ultérieurs, il avait su endoctriner la
1. Tome VI des Establissements de Béarn (Arch. des Basses-
Pyrénées, C. 684, f. 111).
2. Lettres d'Antoine de Bourbon et de Jehanne d'Albret, p. 227.
3. Tome VI des Establissements de Béarn (Arch. des Basses-
Pyrénées, G. 684, f. 52). Ces lettres, datées du 20 janvier 1560
(1561), offrent cette particularité qu'elles sont datées de Saint-
Germain, alors que le roi de Navarre était à Orléans, et la reine
de Navarre à Pau.
128 ANTOINE DE BOURBON
reine de Navarre et l'attacher au calvinisme ^ Bien-
tôt les nouvelles qui arrivèrent d'Orléans pendant
les derniers jours du règne de François II, l'arres-
tation du prince de Condé, son procès, les périls
(l'Antohie de Bourbon à la cour, sa rivalité avec
le duc de Cuise, son abaissement devant les chefs du
parti catholique, les appréhensions, les angoisses que
tant d'événements semaient dans son àme, allumè-
rent la passion religieuse de la nouvelle néophyte.
Son premier acte fut de renoncer à toutes les hypo-
crisies, sous l'ombre desquelles les seigneurs de la
cour, excepté Goligny, voilaient encore leur passage
d'un culte à l'autre. Le 215 décembre 1560, suivant
Bordenavc, elle fit profession de calvinisme en pre-
nant part publiquement à la cène avec plusieurs
genlilshommes de sa cour-. Calvin lui adressa une de
ses plus belles lettres d'encouragement.
(';ir combien que déjà de longtemps il avoil mis en vous
quelque bonne semence, vous congnoissez maintenant de fait
qu'elle estoil quasi estoulTée sous les espines de ce monde,
comme par faulte de nous exercer journellement en l'escriture
saincle, la vérité que nous avions congneuc s'escoule petit à
petit jusques à s'csvanouir du tout, si ce bon Dieu n'y remédie.
Or il a prévenu par sa bonté infinie pour vous garder d'en venir
jusques-là. Vray est que ceux qui s'annonchalissent, se plaisent
on Icui' repos, pour ce qu'ils ne sentent point que c'est un dor-
\. l)elul)or(ic, Les Protestants à la cour de Saint-Germain, p. 15.
2. Bordenave, Histoire de Foix et Navarre, p. 108. — Olhaparay
(lit qu'elle ne prit part à la cène que le jour de Pâques 1561
(0 avril) (p. 530). Mais la lettre de Calvin et surtout celle de
Throckmorton, que nous citons plus loin, prouvent que l'indica-
tion do Bordenavc est la plus exacte.
ET JEANNE d'aLBRET. 129
mir mortel. Mais quand il plail à Dieu de nous resveiller et
solisciter à bon escient a la crainte de son nom, et allumer en
nos cœurs un désir ardent de servir à sa gloire, c'est une
inquiétude plus heureuse et désirable que toutes les délices,
plaisirs et voluptez, auxquelles s'esgarent les povres mondains ^ .
Elisabeth adressa aussi des félicitations à la reine de
Navarre et l'engagea à faire tous ses efforts pour pro-
pager le nouveau culte*. Jeanne d'Alhret n'avait pas
besoin d'encouragements. Les grands caractères, sous
une aimantation puissante, peuvent changer une fois
de ligne, mais se fixent profondément.
Tandis que Jeanne d'Albret embrassait résolument
le calvinisme , le roi de Navarre au contraire s'arrê-
tait dans son évolution religieuse. Jusqu'à l'établis-
sement du triumvirat, il marche en avant d'un pas
assuré. Depuis que la reine mère a remis entre ses
mains la dignité de lieutenant général, depuis qu'il
espère user, dans ses négociations avec l'Espagne, du
pouvoir presque royal dont il est investi, il montre,
sur le plus grave objet des méditations humaines, une
indécision qui ne tarde pas à le rendre suspect à tous
les partis.
Instruit par une lettre de L'Aubespine du 20 mars
que don Juan Manrique de Lara avait rapporté en
Espagne une impression défavorable de sa politique
religieuse '^, Antoine commit une de ces palinodies
qui lui devinrent familières dans la suite. L'ambassa-
1. Lettres de Calvin, t. II, p. 3G5. M. Bonnet date cette lettre
(lu 16 janvier 1561.
2. Lettre de Tlirockmorton à Jeanne d'Albret du 20 janvier
[Calendars, 1560, p. .50'.)).
3. Galland, Mémoires sur la Navarre, Preuves, p. î^'i.
m 9
130 ANTOINE DE BOURBON
deur d'Espagne avait des exigences impérieuses ; les
paroles ne suffisaienl pas, il fallait des actes. A l'oc-
casion des fêtes de Pâques, le roi de Navarre se retira
dans un monastère près de Fontainebleau et y suivit
dévotement une retraite. Le samedi saint, 5 avril, il
rentra au château, assista à une messe solennelle et
reçut la communion avec cinquante chevaliers de
l'ordre •. il ne fallait pas que cette démonstration
restât ignorée ; Antoine demanda au nonce d'infor-
mer le pape de son obéissance aux prescriptions de
l'église-. Cet acte accompli, il s'occupa de consoler
le parti huguenot ; pendant le séjour de la cour à
Fontainebleau, il prêta son logis à des assemblées
calvinistes, dont la turbulence scandalisa les ambas-
sadeurs étrangers. L'évêque de Vitei'be, nonce du
pape, protesta, et le prince, ne pouvant nier les
faits, jura que l'assemblée s'était réunie en son
absence, pendant que ses devoirs le retenaient
auprès de la reine. Le nonce accepta ces explica-
tions. Quelques jours après, Antoine fit punir ceux
de ses serviteurs qui avaient pris part à la réunion
incriminée et en informa le nonce avec force démons-
trations-^ Le prélat, mal habitué à la cour des Valois,
bien qu'il y séjournât depuis plusieurs années, crut à
la bonne foi et à la constance du [)rince. Enhardi par
le succès (|ue ses protestations avaient obtenu, il se
1. Lettre ilo Cluintoiuiy à Pliilippo II, du 7 avril (Orip. espa-
gnol; Arch. uat., K. li'Ji, 11° 73).
2. Lettre de Cliaulonay, du 7 avril (Arch. nul., K. 1 59î, n» 73).
— Lettre du nonce, du ',• avril (K. I i95, n° 30).
3. Lettre du jirésident de L'Isle au roi, du 18 juillet 1561
(Copie, r. l'r., vol. ^^\V^:^, f. 12 v"). Le président de L'Isle, ambas-
sadeur à lioiutî, r-tait lils de Guilkirt du Mortier.
ET JEANNE d'aLBRET. 131
plaignit du prince de Condé qui tenait plusieurs assem-
blées par jour en plein palais de Fontainebleau. Mais
le roi de Navarre refusa d'intervenir auprès de son
frère, même par ses conseils^.
Au moment du sacre, le lieutenant général se mon-
trait partisan des mesures de rigueur contre les
hérétiques; il conseilla à Condé et aux Chastillons
de rentrer dans le giron de l'église catholique pour
remonter au pouvoir. ^lal instruit des dispositions de
Jeanne d'Albret ou jugeant sa fermeté d'après la sienne
propre, il poussa la légèreté jusqu'à lui recommander
le triomphe du Calvinisme dans ses états de Béarn^.
Il assistait à la messe et obéissait ostensiblement à
toutes les lois de l'église, même à celles de l'absti-
nence du vendredi et du samedis
Après quelques semaines de pratiques catholiques,
au mois de juin, le roi de Navarre était revenu au
culte de la Réforme ; il avait installé un ministre dans
son logis et assistait chaque jour au sermon et à la
cène\ Le jour de la procession de la Fête-Dieu, la
reine mère, craignant de n'être pas défendue par le
lieutenant général, appela le duc de Guise au secours
du roi. Le cardinal de Chastillon et Coligny avaient
reconquis un tel ascendant sur l'esprit du prince que
l'ambassadeur d'Espagne ne put obtenir le moindre
désaveu de leur politique au conseil^.
1. Lettre de Tornabuoui, du 5 juillet [Nccjoc. de la France avec
la Toscane, t. III, p. 457).
2. Lettre du 14 mai (Dépêches vénil., lilz;i 4, f. 297).
3. Rapport du 18 mai {Calendars, 1.561, p. 142).
4. Calendars, 1501, p. 150.
5. Lettre de Chantonay à Philippe II, du l'^'' juillet 15G1 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1495, u" 49).
132 ANTOINE DE BOURBON
Vers le temps de l'édit de juillet, le roi de Navarre
incline de nouveau vers le catholicisme ^ Calvin se
plaint de son inconstance dans une lettre à Coligny :
« Geluy qui debvroit estre le premier est si froid que
« rien plus*. » Il allait à la messe avec ostentation; au
mois d'août, on célébra à la cour un service en l'hon-
neur du roi ; Antoine, pour donner plus d'éclat à sa
présence, se fit accompagner par l'ambassadeur de
Portugal ^. A cette date, sa défection paraissait d'autant
|)lus désastreuse aux chefs de son ancien parti que le
colloque de l^oissy allait mettre aux prises les deux
cultes. Dans un effort suprême, Calvin rassemble
toutes ses forces pour ramener le prince déserteur
sous le drapeau de la Réforme :
C'est à vous. Sire, de ne permellre et souffrir que la vérité
de Dieu soit ainsi trahie à veued œil. Vous avez possible cuydé
gaigner en fleschissant, mais le mal pullule et se fortifie par
Iro]), et, si vous n'y prenez garde, les confusions en sourdront
en une minute de temps, plus grandes que vous ne pensez, et
alors il ne sera pas temps d'y remédier, pour ce que Dieu
exploiclera pour punir la noncliallance de ceux (]ui n'auront
lenu compte de faire leur debvoir, selon le lieu et degré auquel
il les avoit établi. Si nous parlons un peu asprtment, croyez,
Sire, qu'il en est temps ou jamais^.
Ce n'était pas seulement en matière de religion que
le roi de Navarre montrait une inconstance fatale à sa
1. Lotlros (lo SuriaiKi, du 16 iiuii (Dt-pèclios vchiit., lllza \ bis,
f. i?6). — LoUpc du mèuic du 1") juillot {ibUL, f. i'i;^). — LoUre
de Throckmorlun, du ilj juillet (Calendars, 1061, p. 181).
2. Lettres de Calvin, t. II, p. 413.
3. Lettre de Cliantonay à Philippe II, du ?8 août (Orig. espa-
guul ; Arcli. nat., K. l'i'.)'!, u" 93).
i. Lettres de Calvin, t. IL, p. iv'U.
ET JEANNE d'alBRET. 133
dignité. Aussi faible dans sa vie privée que dans ses
croyances, il ne savait pas résister aux attraits des
dangereuses sirènes de la cour de Catherine. Son incon-
duite était assez notoire à l'époque du sacre pour que
le rigide Calvin lui adressât des remontrances :
On murnuire que quelques folles amours vous empeschenL
ou refroidissenl de faire vostre devoir en partie et que le diable
a des supports qui ne cherchent ni votre bien ni votre honneur,
lesquels par tels alleschements taschenL de vous attirer à leur
eordele, ou bien vous adoucir en sorte quïls jouissent paisible-
ment de vous en leur menées et prattiques. Je vous prie donc,
Sire, au nom de Dieu, de vous éveiller à bon escient, congnois-
sant que la plus grande vertu que vous puissiez avoir est de
batailler contre vos affections, retrancher les plaisirs mondains^
dompter les cupidités qui vous induisent à offenser Dieu, mettre
sous le pied les vanités qui vous esgarent bientost. sans que
nous y pensions ' .
Vis-à-vis de ses confidents, Calvin est plus mordant.
Il écrit le 24 mai à Bullinger : « Totus est venereus.
« Matrona (Cath. de Médicis) autem exercitata in his
« artibus, e suo gyneceo protulil quod ejus animum
« irretiret. Pabula hœc in ore quoque puerorum voli-
« tat^. » Telles étaient les légèretés du prince, que
Chantonay en égaie la gravité de Philippe II : « Il
« paroît que Vendôme se soucie fort peu de l'absence
« de sa femme, parce que, quand ils sont réunis, elle
« a la première voix en chapitre et que il n'a pas la
« liberté de visiter et de donner des fêtes aux dames
« et passer la nuit en banquets comme il le tait à pré-
« sent, ce qui le rend malade souvent et aujourd'hui
1. Lettres de Calvin, t. Il, p. 399.
2. Baum, Theodor Beza, appendice, p. 32.
134 ANTOINE DE BOURBON
« en particulier; ce qui a été cause que le conseil et
« le parlement n'ont pu se réunira »
La reine de Navarre ne resta pas longtemps dans
l'ignorance des désordres de son mari. Peut-être en
fut-elle iuCormée de plusieurs côtés ; dans les cours il
se rencontre toujours des indiscrets, empressés à se
faire valoir par leurs révélations. Mais nous ne con-
naissons, de ces amis trop zélés, qu'une lettre ano-
nyme, datée de Strasbourg, du 3 juillet, et adressée
à Jeanne d'Albret.
L'Evêque d'Auxerre, son sublime maquereau de femmes
à chaperon à Paris el d'une maréchale que bien connaissez,
avec le bon corps de Périgord, des Bories, pour ambassadeur
d'amours impudiques envers celle de Martigues, mènent ce
pauvre aveugle roy, comme ils entendent et leur plait, voire si
là s'insinuent et à sa honte que le taire n'est trop plus séant
que d'en ouvrir la bouche, combien que le dn^e en sont assez
requis, ores qu'il ne prouffilast aud. seigneur et à eulx (jue de
meilleur changement de vie et à vous, Madame, de tranquillité
et repos. Lequel je supplyc au bon Dieu vous accorder et faire
tant de grâce (ju'il vous inspire par son sainct esprit à cslongncr
de Sa Majesté et vostre telle canaille et accepter de moy la pré-
sente, corne vous vouldriez que je le faisse de vous tenant ma
place.
Escript à Strasbourg, le 2 juillet 1561 -.
On voit (jue ce n'était pas seulement à la cour, « dans
1. Lcllro de Chautonay à Philijjpe II, du J 9 juin 1561 (Orig.
espagnol; Arcli. nat., K. 1195, a° il).
2. Arch. des Bassos-Pyréuées, E. 58 i. — Original sans signa-
ture ou copie du temps. — Partie de cette lettre a été publiée
dans rinveniairc des archives du département publié par M. Ray-
mond. — François llolman, un des correspondants de Jeanne
d'Albret depuis W'iô do 15(10, était alors à Strasbourg. Cependant
nous n'osons lui attribuer cette lettre.
ET jea>:ne d'albret. 135
« le gynécée » de la reine, que le roi de Navarre prome-
nait ses assiduités. Les bourgeoises de Paris, les
femmes à chaperon recevaient ses hommages. La
maréchale, citée dans la lettre anonyme, est Marguerite
de Lustrac, femme du maréchal Saint-André, connue
à la cour pour son humeur galante, plus tard maîtresse
en titre du prince de Gondé'. La dame de Martigues,
Marie de Beaucaire, dite Mademoiselle de la Villemon-
tays, femme de Sébastien de Luxembourg, vicomte
de Martigues, était dame d'honneur de Marie Stuart-.
Quant à l'évêque d'Auxerre, Philippe de Lenoncourt,
c'était un des familiers d'Antoine, un prélat courtisan
comme la vie des cours en sème autour des princes.
Des Bories était un capitaine périgourdin, homme de
guerre plutôt que d'intrigue , qui devint plus lard
lieutenant de la compagnie du prince de Navarre, ser-
vit sous les ordres de Biaise de Monluc, et qui, à la
fin du règne de Charles IX, gouverna la ville de Péri-
gueux jusqu'au commencement de 1 573^.
On voudrait connaître les sentiments que tant d'of-
fenses à la foi jurée soulevaient dans l'àme de Jeanne
d'Albret, àme ardente, qu'embrasaient la jalousie de
la femme outragée et la passion religieuse du sectaire
trahi. Chantonay soulève un coin du voile dans sa
lettre du 1 5 août : « Combien sa femme le déteste (le
« roi de Navarre), je sais qu'elle le dit hautement,
« qu'elle n'a aucun regret ni à la religion ni à per-
« sonne, de façon que, malgré le peu de pouvoir
1. Brantôme, t. V, p. 31.
2. Brantôme, t. VU, p. 383.
3. Lettres diverses; f. fr., vol. 15548, f. 191; vol. 15555, f. 72;
vol. 15556, f. 382.
136 ANTOINE DE BOURBON
« qu'elle a, on craint qu'elle se fâche ^.. » Mais, si les
rancunes de l'épouse étaient, étouffées par la honte de
se produire au grand jour, il n'en était pas de même
des déceptions de la néophyte. Jeanne accusa le cardi-
nal d'Armagnac des tergiversations religieuses de son
mari et lui écrivit une lettre pleine d'amertume, dans
laquelle elle le menaçait de sa vengeance si à son
arrivée à la cour elle voyait son mari aller à la messe-.
Au moment où elle allait quitter le Béarn, le roi de
Navarre exprima le désir qu'elle renonçât à la com-
pagnie de ses pi'écheurs ordinaires. Une négociation
s'engagea entre les deux époux. Jeanne y mit fin en
signifiant qu'elle ne s'abaisserait ni à discuter la doc-
trine ni à suspendre les pratiques de son culte ^.
Après des retards prolongés, la reine de Navarre
partit de Nérac au commencement de juillet. Elle tra-
versa lePérigord, |)assa par la Tour-Blanche, Mareuilet
Marthon. Elle y accueillit une députation, composée
du séjiéchal de la province et de W Girart, avocat des
bourgeois de Périgueux, « pour luy présenter nostre
« service, disent les registres municipaux de la ville,
« etouyr nos plaintes contre les nouveaux chrestiens^ »
Les registres ne contiennent pas les réponses de la
reine. De là Jeanne d'Albret se dirigea sur Poitiers et y
reçut les hommages des consuls de Limoges"'. Un jour,
1. Lcllre de Cliaulonay ;'i lMiilii»iip II, du 15 aoùl (Orig. espa-
gnol; Arch. nul.., K. iV.I5, n" ù'I).
2. Lettre de Chanlouay à Philippe II, du i se]ileml)re (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. liO'i, n" '.*?).
3. Lettre de Chantonay à Philippe 11, du l'J juin (Orig. espa-
gnol ; Arch. nat., K. 1495, n° 'i7).
•i. Coll. du Périgord, vol. 50, f. ^iîG.
5. Hcgislrcs cons. de Limoges, publiés i)ar M. Ruben, 1. 1, p. 223.
ET JEANNE d'ALBRET. 137
dans une de ses étapes, pendant que ses serviteurs
ouvraient les portes du logis qu'elle devait occuper,
les planchers s'effondrèrent tout à coup et la princesse
s'arrêta avec ses enfants au bord d'un abîme. Antoine
raconta à l'ambassadeur d'Espagne le danger que la
reine de Navarre avait couru ; les ministres dans leurs
prêches remercièrent le ciel de sa « sauveté. » Le
prince présentait le salut de sa famille comme une
récompense divine bien due à sa propre politique ;
les réformés au contraire comme la preuve de l'assis-
tance que Dieu prêtait aux saints de leur parti'.
La princesse poursuivait lentement son voyage.
Arrivée à Tours, elle s'embarqua sur la Loire-. Par-
tout où elle passait, les réformés l'invoquaient comme
leur libératrice. Dans les villes oi^i l'édit de juillet avait
reçu un semblant d'exécution, elle terrifiait les officiers
du roi par ses décisions et remettait ses coreligion-
naires en jouissance des temples qu'ils avaient per-
dus. Elle leur prêchait, dit Chantonay, la confiance
dans la vertu de la cause [)rotestante et les pressait
de s'unir en confédération pour la résistance. X
Notre-Dame de Cléry, près d'Orléans, elle fit monter
en chaire son ministre, Jean de Latour''. Une partie
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 15 août (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1485, n° 62).
2. En passant à Blois, elle reçut la visite d'un vicomte de
Gruz, qui paraît n'avoir été qu'un espion. L'objet de la visite de
ce personnage reste inexpliqué. Voyez un de ses rapports à la
reine d'Angleterre daté du 2'i septembre [Calendars, 1561, p. 325).
3. Il est ainsi nommé par M. le comte Delaborde [Les Pro-
testants à la cour de Saint-Germain, p. 16). Tous les autres détails
que nous donnons sur cette partie du voyage de Jeanne d'Albret
sont tires d'une lettre de Chantonay que nous citons plus loin.
138 ANTOINE DE BOURBON
des habitants était sortie à sa rencontre et faisait la
haie le long de son passage, sur une étendue de près
d'une lieue. Les hommes d'un côté, les femmes de
l'autre chantaient des vers composés à sa louange.
Pendant son séjour à Orléans, le ministre de la reine
monta en chaire dans une des églises de la ville. Le len-
demain elle voulut entendre le pasteur des réformés
d'Orléans. Sa présence attirait au prêche une foule
immense, plus passionnée pour l'acclamer que pour la
cérémonie elle-même. « C'est avec un grand enthou-
« siasmc, écrit Chantonay d'un ton dépité, qu'elle est
« reçue par tous les hérétiques qui l'attendent comme
« le Messie, car ils sont certains qu'elle fera des mer-
« veilles en leur faveur. De cela moi-même je ne doute
« pas ; car partout où elle passe, elle ne trouve aucune
« résistance • . » Le passage de la reine de Navarre à
Orléans eut de grandes conséquences sur l'établis-
sement de la Réforme dans cette ville et fut l'occasion
de graves désordres. Throckmorton raconte que,
au monastère de Sainte -Madeleine, près d'Orléans,
vingt-cinq religieuses, « les plus belles sur soixante,
« jetèrent leur froc aux orties, tant elles abhor-
<j raient la superstition du cloître ou plutôt tant
« elles se plaisaient dans la compagnie des gens pro-
« fanes ^. »
La veille de son arrivée à Paris, le 20, suivant les
uns, ou le 221 août, suivant les autres, Jeanne d'Al-
brct s'arrêta à Longjumeau. Elle y trouva quelques
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 31 août (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1494, n" 94). — Voyez aussi une lettre de
Throckmorton (Calcndars, 1561, p. 301).
2. Lettre du 20 décembre (Calcndars, 1561, p. 449).
ET JEANNE d'aLBRET. 139
membres zélés du parti réformé parisien, envoyés
par leur église, et un ministre, qui prononça en son
honneur un sermon solennel. Mais la reine, fatiguée
par le voyage, garda le logis et se fit représenter par
son fils^ Le lendemain, elle entra à Paris- sans grand
cortège, de crainte de trouble, et y passa deux jours
dans la retraite, ne recevant que les fidèles de son
église^. Le troisième jour, dit Suriano, elle prit part à
une cérémonie calviniste qui réunit quinze mille per-
sonnes K Son arrivée à la cour avait été fixée au
29 août. Le 28, le roi et la reine mère allèrent
coucher à Monceaux^ pour laisser à leurs serviteurs
la facilité de décorer le château de Saint-Germain. Le
grand maître procéda à une nouvelle répartition des
appartements des princes et le logis de la reine de
Navarre fut préparé à la place d'honneur. Antoine de
Bourbon, Gondé et l'amiral se rendirent au-devant
d'elle jusqu'à Paris, avec tous les seigneurs qui dési-
raient fêter la vraie reine du parti réformé **.
Le lendemain, 29 août, la reine de Navarre fit son
entrée au château de Saint-Germain, accompagnée de
1. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 4 septembre (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1494, n» 97).
2. M. Forneron {Les ducs de Guise, t. I, p. 343) dit qu'elle eut
une entrevue avec de Bèze et la reine au Louvre dans la nuit
du 23 août.
3. Lettre de Ghantonay, du 4 septembre, citée plus haut.
4. Lettre de Suriano, du 24 août (Dépêches vénit., lilza 4,
f. 334).
5. Lettre de Tornabuoni, du 4 septembre (Négoc. de la France
avec la Toscane, t. III, p. 4G1).
6. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 3 1 août (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1495, n» 64). — Autre du même jour plus
détaillée {ibid., K. 1484, n» 94).
110 ANTOINE DE BOURBON
son fils et de sa fille. Elle fut reçue avec la solennité
que l'étiquette réservait aux souverains étrangers. Le
soir le château fut illuminé ; on tira des feux d'artifice;
il y eut des courses de taureaux et d'autres jeux en
son honneur. La reine avait convié la cour entière à
un souper d'apparat. A table, le prince de Béarn était
assis presque sur le même rang que le roi, auprès du
duc d'Orléans et de la princesse Marguerite. Jeanne
d'Albret occupait une place aux côtés de la reine
mère ' .
Les calholi(|ues attendaient, non sans appréhension
de la fei'meté de son caractère, l'arrivée de la reine
de Navarre à la cour-. Chantonay écrit le 15 août :
« Elle vient, résolue à faire tout le mal qu'elle pourra
« à la religion et même à s'emporter contre son mari,
« parce qu'il entend la messe. Je suis convaincu que
« la reine aura beaucoup de peine à vivre avec elle^. »
Le grave ambassadeur garde encore des formes res-
pectueuses ; mais les bas sectaires du parti étaient
atteints de frénésie, il faut citer le rapfiort d'un des
espions de Philippe 11, probablement un de ces fana-
tiques qui s'attribuaient la mission de renseigner le roi
catholique, pour mesurer la violence des passions, qui
l'année suivante devaient armer la moitié du royaume
contre l'autre moitié. Ces emportements rappellent
1. Lcllrc do Chantonay, du i soptonibro, à Pliiliiiiio II (Orig.
ospagnul ; Arch. nat., K. 1481, n" 97). — Nous croyons que c'est
la première fois que des courses de taureaux sont mentionnées
comme ayant eu lieu à la cour de France.
2. Lettre de Suriano du 39 mars (Décbilïremcnt ; Dépèches
vénit., filza 4 bis, f. 22).
3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 15 août 1561 (Orip.
espagnol; Arch. nat., K. 1495, n° G2).
ET JEANNE D ALBRET. 141
VÊpistre au tigre de la France et prouvent que les
deux partis n'avaient rien à se reprocher.
Et cette enragée de chienne lice, chassée des mon-
tagnes de Foix, Jeanne d'AIbret, comme une hèle furieuse, une
autre Jésabel, ennemie de Dieu, qu'elle a injurié et ofTenséavec
son complice Burie. Elle a détruit et ruiné quasi par toute la
Guyenne les temples, églises et monastères, tué et volé un grand
nombre de clercs et pauvres religieux, exilé ou forcé le reste à
chercher un asyle, brisé et brûlé les reliques des saints, les
croix et les calices, renversé les images, profané les vêtements
et ornements consacrés au service de Dieu, les ayant convertis
en habits pour elle; elle a fait brûler les livres, et, comme une
ennemie enragée du service et de l'honneur de Dieu, avec l'in-
tention de le détruire complètement, elle a rempli tout le pays
de la Guyenne de trompeurs, de fluissaires, qu'on appelle des
ministres et contraint le pauvre peuple d'aller et d'assister à
leurs faux sermons ' .
1. Factum, sans date ni signature, en espagnol, communiqut;
par un affidé venu de France à l'évêque de Cuenca, confesseur
de Philippe II (Arch. nat., K. 1190, n" i7).
CHAPITRE TREIZIEME.
Depuis le 25 juillet 15(31 jusqu'à la lin de novembre.
Convocation du colloque de Poissy C^b juillet 15G1).
États généraux de Pontolse (1 "" aoiit) . — Refus du pai^-
lement d' enregistrer V ordonnance d'Orléans. — Des-
titution du 'premier 'président Le Maistre (18 août).
— Asse'ïïiblée générale de Saint-Germain {%! août) .
Le pape envoie le cardinal de Ferrure à la cour. —
Affaire Artus Désiré. — Arrestatioti d'un courrier du
nonce en Piémont.
Arrivée des ministres réformés à Poissy. — Première
et seconde séance publique du colloque (9 <?H 6 sept.).
— Arrivée du cardinal de Ferrure à la cour (1 8 sept.) .
— Troisième et quatrième séance du colloque (24 et
26 sept.). — Le cardinal de Lorraine somme les
ministres d'adhérer à la confession d'Augsbourg. —
Arrivée de Baudouin et des docteurs allemands.
— Mariage de Jean de Rohan à Argenteuil (2>'i^ sept .) .
— Dernières séances du colloque (29 sept., 4 et
9 oct.). — Dernières séances des états de Pontoise.
144 ANTOINE DE BOURBON
Le saint-siège avait convoqué, pendant le règne de
François F", un concile œcuménique à Trente pour
juger les controverses soulevées par l'hérésie luthé-
rienne ; mois la lenteur des sessions sanctionnait en
fait l'impunité de la Réforme. En attendant un
arrêt définitif, le roi de Navarre avait introduit dans
l'article 6 de l'édit de juillet, malgré l'opposition de
la reine*, une disposition passagère cjui créait un con-
cile gallican. « Voulons que les juges séculiers pro-
« cèdent par manière de provision et jusques à la
« détermination du concile général ou de l'assem-
« blée des pivlats de notre royaume- » La nou-
velle session des t^tats généraux, suite des États
d'Orléans, était proche. Le conseil du roi proposa à
la reine de réunir en même temps les États et l'assem-
blée des prélats pour les gouverner l'un par l'autre,
et les deux corps furent convoqués, l'un à Pontoise,
l'autre à I^oissy, pour les derniers jours de juillet.
Les États d'Orléans s'étaient ajournés à Melun pour
le 1 " mai 1 561 . Le 1 8 février^ le roi avait enjoint aux
trois ordres de chafjue sénéchaussée de désigner un
député aux assemblées provinciales K Chaque province,
après avoir soumis les propositions royales à une nou-
velle délibération, devait nommer un député chargé
1. l^eWeïovesl^ Les f/randes Annales, 1579, in-foL, t. II, f. i6'2â v°.
2. Édit (le juillet dans Foulanon, t. IV, p. 265.
3. Cette Di-dounance est rapportée dans une ordonnance du
sénéchal des Landes du 28 février (¥= de Colbert, vol. 27, f. 293).
^. Dans une ('tude jinbliée en janvier 1883 dans la Revue histo-
rique, M. Babeau établit que re tut aux élections de 1560 que les
canipapnos jirireut part pour la première fois aux élections des
députés. Avant cette date, la rédaction des cahiers et la nomi-
nation des députt's n'appartenaient qu'aux villes.
ET JEANNE d'aLBRET. 145
(Je la représenter aux États généraux. Les trois ordres
s'étaient réunis dans la capitale de leur province,
mais, au lieu de discuter les propositions dont ils
étaient saisis sur les finances, ils avaient élaboré
divers plans de réformes politiques et religieuses.
Le mouvement fut général. Averti de ces tendances
par les résolutions des assemblées primaires de Paris,
le roi annula, le 25 mars, les délibérations prises et
convoqua de nouveau les gens des trois états à leur
siège officiel pour le 25 mai ^ .
Les États généraux enfin constitués se réunirent à
Pontoise le l*^"" août. Ils se montraient résignés à des
sacrifices pour combler les vides du trésor royal, mais
ils ne promettaient leur concours qu'au prix de conces-
sions politiques-. C'est peut-être le signe le plus signi-
ficatif des progrès de la Réforme que ces vœux impé-
rieux imposés par les États en retour de leurs votes ;
entre le monarque et ses sujets la confiance n'existe
plus ; ils passent des marchés ; les sujets payent les
dettes du prince et le prince abandonne une part de
l'autorité souveraine. C'est une aliénation en détail, à
titre onéreux, des prérogatives du pouvoir absolu.
Un mouvement analogue avait libéré les communes
au xii^ et au xiii^ siècle. Dès les premières séances
les États refusèrent de reconnaître la convention de la
reine mère et du roi de Navarre, lis demandaient que
la régence fût attribuée au premier prince du sang, et
qu'un conseil de contrôle, élu par les députés et dont
1. Ordonnance visée dans un rapport de Burie (Coll. Dupuy,
vol. 588, f. 19).
2. Lettre de Siiriano du 25 août (Dépèches vénit., lilza \ bis,
ï. 70.
III 10
146 ANTOINE DE BOURBON
les décisions seraient obligatoires, fût associé au nou-
veau gouvernement. La théorie du régime constitu-
tionnel surgissait en France plus de cent ans avant son
triomphe en Angleterre. Averti de ces tiraillements,
Ghantonay saisit un prétexte pour en conférer avec la
reine ; elle le reçut, mais elle ne lui demanda pas ses
conseils et l'ambassadeur ne trouva pas l'occasion de
les lui exprimer'. Catherine ne voulait pas de l'in-
tervention espagnole dans les troubles intérieurs.
A défaut du chancelier, un peu discrédité aux États,
elle envoya aux députés André Guillart du Mortier, con-
seiller du roi, qui avait des intelligences dans chaque
parti. Du Mortier échoua et la reine fit plaider suc-
cessivement sa cause par Coligny et par le roi de
Navarre lui-même. L'amiral surtout montra de l'ha-
bileté. Le clergé se laissa convaincre facilement par
les avocats de la régente, d'autant que les délibérations
de l'assemblée de Poissy absorbaient en ce moment
les membres de l'ordre ecclésiastique. La noblesse céda
aussi, mais de mauvaise grâce. Elle exigea qu'une
déclaration royale établît en pi'opres termes que la
régence était accordée à la reine mère en raison de
ses hautes qualités personnelles et non en raison de sa
dignité de mère du roi-. Malgré ces correctifs, le tiers
état relusa obstinément son assentiment ■. Mais la majo-
rité de l'assemblée générale ratifia le pacte de la régente
et du lieutenant général^.
1. Lettre originale en espagnol de Ghantonay au roi d'Espagne
du If) août (Arch. nat., K. 1195, n° 63). — Voyez aussi la lettre
(lu Jl août (Ibid., K. 1194, n» 91).
2. Lettre de Suriano du 25 août (Déi). vénit., illza 1 bis, f. 76).
3. Lettre de Tlirockmortoa du 19 iwùi {Calendars, 1561, p. 262).
'i. Lettre de Throckniortou du 19 août (Calendars, 1561, p. 262j.
ET JEANNE d'aLBRET. 147
Ce point réglé définitivement, non sans froisse-
ments, les deux ordres civils présentèrent une l'equête
plus impérieuse que la première. Depuis la clôture
des États d'Orléans, le chancelier de L'Hospital éla-
borait une ordonnance, qui remaniait à fond l'orga-
nisation administrative, et qui, sur le terrain de la
justice, sur l'assiette des tailles et des aides, accordait
aux doléances du tiers toutes les concessions compa-
tibles avec les mœurs du temps ^ Les principales
clauses de cet édit étaient connues des députés, bien
qu'il n'eût pas encore été publié. A l'unanimité ils
demandèrent la promulgation immédiate de l'édit, sa
mise en pratique dans le ressort de toutes les séné-
chaussées et ne promirent leur concom^s financier qu'.à
ce prix.
Le conseil avait prévu cette exigence, et, la veille
même de la réunion des États, le 28 juillet, la reine
mère avait communiqué l'édit au parlement avec une
lettre du roi qui demandait l'enregistrement immé-
diat'^. La cour se mit à l'étude, mais la lenteur tradi-
tionnelle des gens de robe, jointe à l'importance de
l'édit, prolongea la délibération. Le 4 août, la reine
envoya au parlement, par Odet de Selve, l'ordre d'abré-
ger l'examen. L'ambassadeur était bien choisi. Fils
d'un ancien premier président, il avait été lui-même
conseiller dans sa jeunesse. En quatre jours la cour
n'avait discuté que le premier article. Le 8 août, nou-
1. Isambert, Recueil des anciennes lois, t. XIV, p. 64.
2. Lettre du roi au parlement du 28 juillet (Copie; T. fr.,
vol. 16477, f. 167). — Lettre de la reine au même {Ibid.). La
reine s'excuse d'avoir mis tant de lenteur à envoyer le texte de
l'ordonnance.
148 ANTOINE DE BOURBON
velle injonction apportée par de Selve*. Le 9, le roi
de Navarre, acconipa<;né des princes de Condé et de La
l\oclie-sur-Yon, du duc d'Estampes et d'une foule de
seigneurs, se présenta en séance. Il pria le parlement
d'accepter l'édit dans son ensemble, sans le discuter en
détail, et fit valoir la nécessité d'état imposée par l'as-
semblée de Pontoise, qui refusait le moindre subside
pendant que rordonnance du 31 janvier restait en sus-
pens. Le premier président, Antoine Le Maistre, répon-
<lil (|uc, le parlement n'ayant pas été convoqué aux
états d'Orléans, malgré les j)récédenls, la cour suprême
n'avait pris aucune part aux discussions préliminaires
de l'édit, qu'elle ne pouvait se dispenser de l'étudier
article par article : « Il y a, dit-il, des articles qui pas-
ce seront sans difficulté, aussy il y en a d'autres où il
« y aura difficultés, qui pourront estre trouvés schis-
« matiques el grandement douteux, mais de précipiter
« les opinions, cela ne se peut bonnement faire-. »
Ce magistrat était animé de passions ardentes ■* et
s'était fait des ennemis dans l'entourage du roi. Le
cliancelierde L'IIospital était un de ses adversaires au
conseil. Le prince de Condé, par esprit de parti, ou
en souvenir de ses démêlés personnels, avait juré sa
perte. Un jour, à la suite d'un arrêt vigoureusement
libellé contie les assemblées religieuses, Condé lui
1. Récit lie. l'affaire du promipr présidont (Copie; f. tV,,
vol. IG'iTT, f. 170, 174 el 176).
2. Suriano dit (jue le premier président avait été maladroit et
âpre dans sa réponse (Lettre du '25 août; Dépêches vénit., iilza
■'i bis, r. 70).
;i Throckmorton d(inne cette explication de sa disgrâce, d'ac-
cord avec les autres ami)assadeurs (Calendars, 1561, p. "280).
ET JEANNE d'aLBRET. 149
envoya dire « qu'il vouloit luy faire couper le nez^ »
Quelque passionnée qu'ait pu être l'intolérance du pre-
mier président, quelque peu mesurée qu'ait été son
hostilité contre Condé, il était courageux et intègre.
Dans l'affaire de l'enregistrement de l'édit d'Orléans,
il obéissait à ses devoirs. Obliger la cour suprême à
accepter sans examen une ordonnance qui touchait à
toutes les lois, civiles et religieuses, c'était lui donner
le droit de redouter une surprise.
La réponse du premier président laissa le roi de
Navarre sans parole. Antoine pria la cour d'envoyer
au roi deux présidents de chambre et l'assemblée
désigna sur-le-champ Christophe de Thou et Paul de
Foix. Le prince manifesta l'intention de siéger et
prit place à son rang sur les bancs de la cour.
Le Maistre lui remontra que, n'ayant pas assisté aux
séances précédentes, il ne pouvait prendre part à la
délibération du jour et l'invita à se retirer. Antoine,
de plus en plus troublé, hésita un moment. Un des
vice-présidents, François de Saint-André, lui observa
que « la forme de céans » interdisait aux conseillers
d'opiner en sa présence et que quatre conseillers atten-
daient son départ pour formuler leur vote. Le prince
se leva de son siège et quitta la salle avec son cortège.
Le 11 août, les présidents de Thou et Paul de Foix
se rendirent à Saint-Germain. Arrivés avant huit heures
du matin, ils demandèrent une audience à la reine;
elle refusa de les recevoir à cette heure matinale « [)our
« son indisposition » et les ajourna à l'après-midi. Le
soir ils furent admis et reproduisirent, peut-être avec
1. Lettre de Tornabuoni du Î3 août \Nigoc. de la Franco avec la
Toscane, t. lU, p. 459).
150 ANTOINE DE BOURBON
moins d'aigreur, les observations de Le Maistre. Cathe-
rine répondit que le roi n'avait soumis l'édit à la cour
que par déférence, « qu'il falloit prendre garde que,
« par une curiosité et longueur trop grande, elle n'abu-
« sast de cest honneur. » Le roi de Navarre dit qu'il
avait trouvé le parlement bien disposé, mais son chef
c( trop licencieux en sa responce. » Le chancelier de
L'IIospital conclut que, les paroles du premier prési-
dent ayant été pi'ononcées au nom de la cour, la cour
devait les désavouer. Cet ordre de désaveu consterna
de Thou et Paul de Foix ; mais ils essayèrent en vain
de fléchir la reine. Le chancelier insista sur la pré-
tendue offense infligée à la majesté royale et la reine
sur la réparation qui lui était due.
Le lendemain, 12 août, la cour entendit le récit de
l'ambassade des deux magistrats. Le désaveu imposé
parla régente fut mis en délibération. Avant de sou-
mettre son premier dire à un examen contradictoire,
IjC Maistre demanda à récuser certains conseillers. La
cour lui accorda un « délai pour y penser, » et le
vieux magistrat se retira hors du palais. Pendant la
séance, Odet de Selve reparut à la barre et lut de nou-
veaux ordres du roi. Il était chargé d'obtenir sans
désemparer le désaveu des réponses de Le Maistre
et la vérification de l'édil. La cour lui donna acte et
arrêta d'envoyer au roi les présidents de chambre en
exercice. De Selve sorti, la cour s'enquit du traître
qui avait pu révéler au roi les termes mêmes du dis-
cours du premier président. Chaque conseiller s'ex-
cusa par serment. L'enquête, du reste, était de pure
forme juiisque les paroles incriminées avaient été
recueillies par le roi de Navarre.
ET JEANNE d'aLBRET. 151
Le 18 août, MM. Jean Picot, Jean Vaillant et Bap-
tiste du Mesnil, députés du parlement, furent reçus à
Saint-Germain par le roi de Aavarre, qui se plaignit
encore une fois de l'accueil du premier président,
« estant luy conseiller laie receu en ccste court par
« serment. » La reine les fit attendre jusqu'au lende-
main et les reçut en plein conseil privé. Un secrétaire
d'état les pressa de désavouer les déclarations du
premier d'entre eux. Les magistrats délégués sup-
plièrent le roi de ne pas se tier à des révélations
mensongères et présentèrent leurs registres, dont
Claude de l'Aubespine donna lecture. Ce texte, le seul
qui soit arrivé jusqu'à nous, ne contient aucune parole
offensante pour le roi de Navarre ou pour la reine
mère. A peine critique-t-il certains articles de l'édit,
sans désignation particulière, et la précipitation que
le roi exigeait pour l'enregistrement de l'édit. Mais
au fond des reproches que la reine et le lieutenant
général adressaient à Le Maistre, il y avait une question
de politique qui primait toute justice ^
Le chancelier de L'Hospital, qu'on regrette de
trouver complice d'une des iniquités de ce règne,
termina la séance par des menaces.
Vous vous efforcez d'excuser la faulte du premier président.
Vous feriez bien de mettre aussy grande peine de recevoir
bénignement, ainsy que vous debvcz, les édits et ordonnances
que le roy vous envoyé, ce que vous ne faites, qui apporte
scandale à ses subjects. Quant est de la faute du premier pré-
sident, le roy advisera d'en faire punition, non pas telle quil
mérite, mais selon sa bonté et miséricorde. Et, quant aux révé-
1. Tel est le jugement de Ghantunay (Lettre originale en espa-
gnol du 21 août; Arch. nat., K. li'ji, u° 91).
152 ANTOINE DE BOURBON
lalioiis, on trouve estrange que vous faites plainlc desdils révé-
lateurs en ccst endroit, car le contenu au mémoire envoyé en la
cour du parlement est la réponse du premier président faite au
roi de Navarre en présence des princes, laquelle ils ont rappor-
tée au roy et à la roync. Et vostre registre est déguisé, ne con-
tenant ce que le premier i)résident a dit. Au reste, nous sca-
vous ce que vous faites en vostre cour. Partant ferés bien de
punir les révélations, qui sera mieux employé que en cest endroit.
Le 1 9 août, on attendit en vain le premier président
au palais. L'heure de la séance avait depuis longtemps
sonne quand la cour envoya Gabriel Bruslé, un des
clercs du greffe, pour connaître les causes de son
absence. Le Maistre répondit c|ue la veille, à cinq
lieui'Cïs du soir, il avait reçu un lieutenant des gardes
chargé de lui défendre, an nom du roi, de remonter
sur sonsiège^. Sur-le-champ, la cour députa les gens
(lu ])arquet à Saint-Germain. Le soir, les présidents
lîaillet, Séguier et du Drac allèrent consulter le roi de
Navarre, présent à Paris. Antoine était fâché de se
mettre en antagonisme avec la cour suprême, sans
motifs sérieux, même pour plaire à la reine. Il répondit
qu'il était « despiaisant du cas qui s'offre, que lors-
« qu'il partit de ceste ville pour s'en retourner à
« Saint-Germain, il ne pensoit trouver les choses en
« tel estât, qu'il aime ceste compaignie et fera pour
« elle ce qu'il pourra de bon cueur, toutesfois craint
« qu'il n'y ail ici de la ditHiculté ; ne venoit cela de
« luy »
Des négociations s'engagèrent entre le conseil privé
1. liDnlounanco du mi n'est pas reproduite dans les registres
(in iiarlemeut, uiais etie se retrouve dans le f. fr., vol. 10190, non
l»agiiu".
ET JEANNE d'ALBRET. 153
et le parlement, et les gens du roi délégués ne se pré-
sentèrent à Saint-Germain que le 27 août. Baptiste du
Mesnil, avocat général, représenta à la reine, dans un
discours ampoulé, qui remontait aux Grecs et aux
Romains, qu'un magistrat ne pouvait être dépouillé
de sa charge. Le conseil délibéra plus d'une heure
pendant que les députés du parlement attendaient
dans une galerie voisine. Enfin, le chancelier leur
communiqua la décision ; il accusa de nouveau le
premier président et maintint, sans la justifier, la
défense faite à ce magistrat de prendre séance à la
cour.
Le même jour, le roi interdit au parlement de
l'importuner de ses requêtes ou de ses plaintes sans
autorisation particulière. Le 9 septembre, le roi et la
reine réclamèrent de nouveau la vérification de l'édit.
Le lendemain, 10 septembre, nouvelle injonction. De
tels ordres, accompagnés de menaces peu déguisées,
qui avaient laissé le premier président impassible,
firent fléchir la fermeté des autres conseillers. L'édit
d'Orléans fut enregistré le 12 septembre avec des
réserves qui portaient sur quatorze articles^ . Le procu-
reur général les développa dans son réquisitoire, et la
cour les résuma dans ses remontrances au roi ^. Mais les
1. Ces articles sont les 1, 4, 9, 22, 32, 43, 44, 45, 46, 47, 56, 02,
73 et 93. — Voyez la note suivante.
2. Le récit que nous avons présenté de ralVaire du président
Le Maistro est tiré de deux copies des registres du conseil du
parlement; l'une, f. fr., vol. 16477 et suiv. ; l'autre, 1". fr., vol. 23750,
non paginé. — Plusieurs autres pièces relatives à cette même
affaire sont imprimi^es dans le Recueil de pièces originales cl aulhen-
tiques concernant la tenue des étals généraux, Paris, chez Barrois,
1789, tome I", p. 287 et suiv.
154 ANTOINE DE BOURBON
résultats poursuivis par la reine mère et par le chan-
celier n'en étaient pas moins acquis ; l'édit d'Orléans
avait force de loi dans tous les ressorts du royaume.
Les hommes sages pouvaient s'en féliciter, puisque la
nouvelle législation constituait un progrès, mais ils
regrettèrent qu'un progrès fût acquis au prix d'une
injustice. Quant au premier président, son opposition
courageuse se perdit dans le courant qui entraînait
lous les corps de l'État vers la guerre civile. Le
Maistre ne remonta sur son siège que le 9 décembre
1561. Peu de temps après, il résigna sa charge aux
mains du roi, et mourut le 6 décembre 15621 ^.
Pendant que les députés, assemblés à Pontoise, pres-
saient la reine mère de leurs exigences, les principaux
prélats (lu royaume élaboraient le thème du colloque
de Poissy. L'idée de controvcrser les dogmes de la reli-
gion dans une réunion ofTicielle, comme une ordon-
[lance au conseil, avait progressé dans les esprits, et,
par une singulière fortune, le concile gallican était
approuvé de tous les partis. Le roi de Navarre le sou-
tenait comme son œuvre '^, sans discerner ses dangers
ou ses avantages. Les réformés, fiers de paraître en
égaux devant les princes de l'église, se glorifiaient
d'être appelés à saisir corps à corps en public pour
la première fois la doctrine romaine. Le plus habile
défenseur de la religion catholique, le cardinal de
Lorraine, n'était pas insensible aux triomphes que la
lutte oratoire lui ménageait ; mais, au fond, il obéis-
1. Mémoires de Condc, t. I, p. 65 et 103.
2. Navarrenus... nationalis quod vocant concilii spem facit
(Loltre de de Bèze du 2'i mai 1501 ; Baum, Theodor /?(?2fl. Appen-
dice, p. 33).
ET JEANNE d'aLBRET. 155
sait à une ambition plus élevée. Informé des diver-
gences passionnées qui séparaient les Calvinistes et les
Luthériens en Allemagne, il voulait les mettre aux
prises, les battre l'un par l'autre et utiliser les varia-
tions de chaque docteur pour l'acculer à ses propres
contradictions'.
Le chancelier de L'Hospital poursuivait le rêve
d'une transaction entre les deux cultes-, comme si
une religion pouvait faire des concessions de dogme.
Seul le cardinal de Tournon, « vieux routier en affaires
« d'estat, » jugeait avec bon sens les dangers du
colloque. Sa protestation ne fut pas écoutée, mais il
refusa « d'apparier à soy » les ministres hérétiques^.
Il ne fut appuyé que par le maréchal de Saint-André.
Le 3 septembre, pendant une séance du conseil, à
l'occasion d'une plainte portée contre Antoine d'Albon,
archevêque de Lyon en survivance, neveu et lieutenant
du maréchal en Lyonnais, Saint-André s'en prit au roi
de Navarre de l'illégitimité du concile national, et
soutint qu'il était contraire aux devoirs du roi très
chrétien d'aboucher des princes de l'église avec des
moines apostats. Antoine répondit avec vivacité, et,
de réplique en réplique, les deux seigneurs en vinrent
aux menaces. Le prince se retranchant dans sa dignité
1. Cet aperçu, qui a été adopté par tous les historiens, a été
signalé par Gastelnau {Mémoires, liv. III, chap. 4, 1731, t. I,
p. 73). Gastelnau observe que Charles-Quint avait fait de même,
vingt ans auparavant, au colloque de Ratisbonne. — C'était à
l'occasion de la cène que le cardinal de Lorraine voulait voir aux
prises les docteurs des deux communions réformées.
2. Lettre de Suriauo du 5 août (Dépêches vénit., Ulza i bis,
f. 69 v-o).
3. Lettres de Pasquier, liv. IV, lettre xi, édit. de 1723.
156 ANTOINE Dp] BOURBON
de lieutenant général, le maréchal refusa de le recon-
naître pour maître. La cour s'attendait à les voir vider
la querelle en champ clos quand le maréchal tomba
malade. La reine vint le visiter dans sa chambre et le
décida à partir pour son château de Valory^.
Catherine de Médicis avait convoqué à l'assem-
blée de Poissy, par lettres du 25 juillet, les prélats
qui faisaient partie des Etats généraux de Pontoise et
les représentants des églises réformées ~. Chaque
prince, poursuivant le triomphe de ses intérêts, essayait
d'y introduire les docteurs inféodés à sa politique. Le
roi de Navarre invita Théodore de Bèze, avec lequel
il s'était accordé d'avance l'année précédente, et cer-
tains docteurs de l'église de Genève^. Condé, Coligny,
les chefs du parti huguenot, appelèrent Calviti avec
instance. Mais l'illustre réformateur se donna garde de
commettre sa réputation devant un cénacle d'évêques.
11 répondit que « la Seigneurie » le retenait à Genève,
mais qu'elle autorisait, non sans regret, de Bèze à se
séparer momentanément d'elle^.
Les prélats présents aux états de Pontoise se réu-
nirent à l^oissy le 30 juillet. Ils étaient au nombre de
quarante, sans compter les cardinaux de Tournon, de
1. Lettre de Throckmortoii du 11 septembre (Calendars, 1561,
p. 301). — Lettres de Ghautonay à Philippe II des 4, 12 et 21 sep-
tembre (Orig. cspag. ; Arcb. nat., K. Ii9i, n«s 97, 101, et 1495,
n» 70). — Dans sa lettre du 28 octobre, Ghantonay, revenant sur
la dispute du roi de Navarre avec Saint-André, déclare qu'il y a
du doute sur les causes de cette querelle (Ibid., K. 1494, i\° 105).
2. Ces lettres sont reproduites dans les Mémoires de Condé, t. II,
p. 41.
3. Sa lettre à 'riu^'odore <le Hèze est imprimée jiar liauni, Théo-
dor Ikza, Appendice, p. 35.
4. Lettres de Calvin, t. II, p. 424 et note.
ET JEANNE d'aLBRET. 157
Lorraine, d'Armagnac, de Bourbon, de Chastillon et
de Guise ' . Les six cardinaux et six autres évêques,
désignés par leurs collègues, se constituèrent en
commission pour recevoir les propositions de tous les
corps ecclésiastiques du royaume. Deux cardinaux et
deux évêques furent chargés des négociations du con-
cile à la cour. Avant d'ouvrir leurs travaux, le
dimanche 3 août, ils assistèrent à une messe du Saint-
Esprit, célébrée par le cardinal d'Armagnac, où tous
les prélats communièrent, excepté le cardinal de
Chastillon, Jean de Monluc, évêque de Valence,
l'évêque d'Uzès et trois docteurs, qui prirent part à
la cène, suivant le rite de Genève'.
Dès la première séance, les prélats travaillèrent
à déterminer le thème du concile. La reine mère leur
communiqua un résumé en six articles de la thèse
canonique des réformés ^ Les évoques, sous la prési-
dence du cardinal de Lorraine, rédigèrent un ques-
1. Mémoires de Claude Despence (f. fr., vol. 17813, f. 8). Claude.
Despence était un théologien de Ghâlons-sur-Marne qui parvint
par son mérite au poste de recteur de l'Université de Paris. Il a
laissé deux mémoires sur le colloque de Poissy. Le premier est
un journal, le second un compte-rendu théologique. Le premier,
de beaucoup le plus intéressant pour l'histoire politique, est con-
servé en copie à la Bibliothèque nationale dans le vol. 17813 du
fonds français et dans le vol. 641 de la collection Dupuy. Il a été
utilisé par M. Klipffell dans son étude sur le Colloque de Poissy,
Paris, in-18, s. d. — Le second mémoire de Despence est égale-
ment conservé en copie dans le vol. 17813 du f. fr.
2. Lettre de Suriano du 5 août (Dépêches vénit., lil/.a 'i bis,
f. 69 v°). — Claude Despence dit, dans ses mémoires, qu'ils
communièrent « à leur mode » dans l'église de la paroisse après
un sermon de l'évêque d'Uzès (f. fr., vol. 17813, f. 8 v«).
3. Cette pièce est publiée par M. le comte de La Ferrière dans
Le XVI'' siècle el les Valois, in-S», p. .55.
158 ANTOINE DE BOURBON
tionnaire en douze articles, qui touchait à la fois aux
réformes de l'église et aux prétentions calvinistes^.
Mais déjà les intrigues de la cour troublaient les
conférences des prélats. Les délibérations devaient
être secrètes, et cependant le récit de chaque séance
était communiqué à la reine. Un jour, l'assemblée
reçut une lettre de doléance de l'archevêque de
Bourges sur les excès des Réformés de son diocèse.
Le cardinal de Tournon, qui présidait, invita le car-
dinal do Lorraine à adresser des remontrances à la
reine, sans nommer l'archevêque de Bourges. Le Lor-
rain répondit que sa discrétion serait inutile, parce
que, dit-il, « Duodecim sumus, sed unus ex nobis dia-
« bolus est. » Tous les regards se portèrent sur Jean
de Monluc, évêque de Valence, accusé de trahir les
secrets de l'assemblée-. Le 17, le roi de Navarre
reçut une requête, accompagnée d'une profession de
foi et signée de deux cents gentilshommes du parti
réformé, qui demandaient à prendre part aux confé-
rences préparatoires du concile. Antoine renvoya la
requête à la reine, et Catherine la laissa sans réponse^.
C'est un trait de ce temps que des gens de^ guerre,
sachant à peine lire, se piquaient de théologie. Le
parlement de Paris demanda aussi à être entendu. Le
conseil lui lit répondre par le roi que ce « n'estoit à
« lad. cour s'enquérir pour quoy et sur quoy les pré-
« lats estoient assemblés, et, ores qu'ils feussent
1. CoUo piùce inlituK'o Thonata concilii csl imprimée dans les
Mémoires de Condé, t. II, p. 'i8. Cependant son authenticité, sinon
comme ibnds au moins comme forme, n'est pas hors de doute.
2. Mémoirca de Condé, t. II, p. 49 et 50.
3. Lettre de ThrocknKirlon du V) 'A()i\[ (Calcndars, 1561, p. 26î).
ET JEANNE d'aLBRET. 159
« assemblés sur ce que lad. cour estimoit, que néan-
« moins le roy estoit conservateur des saints décrets
« et pour faire vivre en son royaume ses subjects sous
« l'esglise gallicane''. »
Les États généraux de Pontoise et les prélats convo-
qués à Poissy passèrent le mois d'août, les uns à rédi-
ger leurs cahiers, les autres à discuter les procès-
verbaux de la future conférence. Le 27 août, les deux
assemblées se réunirent en séance générale dans la
grande salle du château de Saint-Germain, Le roi
était sur le trône, sa mère à gauche et sa sœur à
droite, le duc d'Orléans et le roi de Navarre à ses
pieds, le connétable et le chancelier sur des escabeaux.
Le duc de Guise prit place sur les marches du trône,
le bâton de grand maitre entre les jambes, « que
« aucuns trouvèrent mal séant. » A l'ouverture de la
réunion s'éleva une querelle de préséance entre les
princes du sang et les cardinaux. Les deux corps vou-
laient siéger à la droite du roi. Les traditions, et
notamment les précédents des états de Tours de 1 484,
établissaient que les cardinaux avaient le pas sur les
princes, mais la reine mère avait solennellement
décidé, à l'occasion du sacre, que les princes précé-
deraient les pairs et les cardinaux-. Après un violent
débat, prêt à dégénérer en dispute sous les yeux du
roi, les cardinaux renoncèrent à leurs prérogatives.
1. La remontrance du parlement est du 13 août ; la réponse du
roi, qui est accompagnée de lettres de la reine et du chancelier,
est du 17 août (Registres du parlement, f. fr., vol. 23750, non
paginé).
2. Lettre de Chantonay à Philippe 11 du 31 août (Orig. espa-
gnol; K. 1495, no 6i).
160 ANTOINE DE BOURBON
Seul, le cardinal de Bourbon, frère du roi de Navarre,
s'assit à droite, en qualité de prince; les cardinaux de
Chastillon et d'Armagnac prirent la gauche sans protes-
ter.Maisle cardinal deTournon,doyendu sacré-collège,
les cardinaux de Lorraine et de Guise se retirèrent de
l'assemblée plutôt que de céder la droite à Coudé et
aux Montpensier. Le cardinal de Lorraine reprocha à
la reine cette atteinte aux anciennes coutumes, qui en
laissait prévoir de plus graves, mais il n'avait pas
voulu, dit-il, en prolongeant la dispute, aggraver les
embarras du roi^. En sortant de la salle des états, le
cardinal de Guise dit tout haut, à l'adresse de ceux
qui restaient, qu'il y avait des prélats « qui faisoient
« honneur au chapeau et d'autres qui en estoient
« honorés-. »
Le chancelier prit la parole et exposa l'objet de l'as-
semblée, la détresse du trésor, la nécessité de trouver
des ressources. Après lui parlèrent Jean Bretaigne,
vierg'^ ou maire de la ville d'Autun, député du tiers
état, et Nicolas de Bauffremont, baron de Sennecey,
bailli de Chalon, député de la noblesse. Leurs discours
répondent aux inimitiés du temps contre le clergé*.
\. Lottre d'un des ambassadeurs vénitiens, déchiffrement daté
du 29 août (Dépêches vénit., tilza 4 bis, f. 29).
2. La Place, Estât de relUjion et république, édit. du Panth. lilt.,
p. l'iO. — Sic de Thou [liist. univ., 1710, t. III, p. 5G et suiv.).
3. Le maire d'Autun était nommé vierg, parce que, du temps
de Jules César, le premier magistrat de cette cité se nommait
vergobrete.
4. Le nom du député de la noblesse ne nous est donné que par
la grande histoire du président Montagne (f. fr., vol. 15194, f. 29).
— Leurs discours sont conservés dans le vol. 3970 du même fonds.
— Celui du tiers est pubUé par La PopeUnière, 1. 1, f. 263, 1581.
— Celui de la noblesse est analysé par le président Montagne
ET JEANNE d'aLBRET. 161
Les deux ordres laïques étaient unanimes à mettre
les dettes du roi à la charge du corps ecclésias-
tique*. Le clergé, qui n'avait pris aucune part aux
réunions antérieures, se réserva d'en délibérer à
Poissy. Le lendemain, les États de Pontoise se sépa-
rèrent. Cette assemblée, trop négligée par les histo-
riens, laissait après elle un principe nouveau, celui
du contrôle appliqué aux affaires publiques. Il lui
manqua, pour conquérir de grandes réformes, l'atten-
tion, la faveur publique, qui à cette heure se concen-
traient sur le colloque de Poissy-.
{loc. oit.). — Claude de rAubespine écrit à son frère que les deux
ordres laïques demandaient des temples pour faire prêcher « libre-
« ment la parole de Dieu et changer peu à peu la vieille rehgiun. »
(Orig. du 29 août; f. fr., vol. 6618, f. 4.)
1. Jusqu'à concurrence d'un million de Uvres de revenu (Lettre
orig. de Claude de l'Aubespine à Sébastien de l'Aubespine du
29 août 1561 ; f. fr., vol. 6618, f. 4).
2. Les états de Pontoise ont été très bien jugés dans V Histoire
des états généraux de M. Picot, t. II, p. 57 et suiv. — Parmi les
anciens, il est un historien qui leur a réservé une grande place,
le président Montagne. On sait que sa grande histoire est inédite
et qu'il n'en reste que quelques fragments. Le fragment qui
raconte l'année 1561 (f. fr., vol. 15494, f. 29) contient le résumé
des vœux. A cette seule énumération on pourra juger de l'impor-
tance des états de Pontoise :
Approbation et confirmation du gouvernement de la reine.
Cessation de la persécution religieuse jusqu'à la célébration (hj
concile national.
Don de temples aux réformés.
Règlement du conseil du roi.
Révocation de l'édit de juillet.
Convocation du concile national.
Que guerre ne soit entreprise ni nouveau subside imposé sans
l'avis des états.
Requêtes diverses touchant l'institution des enfants et pour
m il
162 ANTOINE DE BOURBON
Au moment de laisser le champ libre aux théo-
logiens, la reine mère avait écrit officiellement aux
puissances catholiques, mais en termes destinés à affai-
blir la portée du colloque. Au pape, d'après Jean de
Serres et de Thou, elle remontra que le grand nombre
des réformés et leur importance dans le royaume
imposait peut-être cfuelqucs concessions extérieures
pour sauver le dogme ^. Au roi d'Espagne, elle pré-
senta l'assemblée des évêques comme un simple synode
d'ordre intérieur, tenu par le clergé, non pour tran-
cher des questions fondamentales, mais pour éclairer
à l'avance les difficultés soumises au concile de Trente
et désigner les représentants du clergé français^. Ces
palliatifs ne désarmaient pas l'ambassadeur d'Espagne.
Il informa son maître que la régente voulait fonder une
église nationale. Chaque jour, il venait à la cour et profé-
l'entretien des collèges (vœu en faveur de l'instruction publique).
Enlever toute juridiction aux ecclésiastiques.
Les officiers du roi ne doivent tenir bénéfices, ni les bénéfi-
ciers offices.
Demande de rendre compte aux ofliciers de finance du règne
de François 1"' et de Henri II.
Restitution des dons et pensions excessifs des feux rois.
Conseil du roi de prendre le tiers du revenu des bénéfices et
offices ecclésiastiques, qui no sont pas actuellement pourvus de
titulaires.
Conseil de prendre la dépouille (succession ecclésiastique) des
évoques et moines.
Autres conseils, pour l'acquit des dettes du roi, jiar l'entière
aliénation du temporel des ecclésiastiques.
1. .Iciiii de Serres est le priMuier historien qui produise le texte
de cette lettre ; il la traduit eu latin {Commentariorum de statu
religionis libri 1res, 157 I, p. '212). De Tfiou a retraduit le texte en
français (17U), t. III, p. GO).
"2. Lettre de Suriano du 5 août (Dépêches véuit., lilza -'i bis,
f. m v").
ET JEANNE d'aLBRET. 163
rait devant la reine de nouvelles menaces. « A toutes
« heures, écrit L'Aubespine, ce beau Chantonay vient
« se plaindre de ce que l'on fait en France au fait de
« la religion Et encore envoya hier, ledit Chanto-
« nay, son petit secrétaire dire à lad. dame que son
« maistre ne se pouvoit plus tenir d'écrire à son roy
« ce qu'il en voyoit Elle le rembarra fort et ferme
« et luy manda qu'il escripvist ce qu'il voudroit, l'as-
« seurant que son maistre la croiroit mieux que luy ' . »
Fatiguée de ces réclamations, Catherine prit le parti de
se rendre inabordable pendant quelques jours. Quand
Chantonay se présentait aux portes du château, hérissé
de plaintes et de reproches, les officiers de la maison
du roi avaient ordre de répondre que la reine était
à la chasse avec le roi de Navarre-.
L'évêque de Viterbe, nonce du pape, prélat souple
et insinuant, négociateur plus mesuré que Chantonay,
feignait au contraire d'accepter les protestations de
la reine mère. Il reçut avec une confiance apparente
la promesse que le colloque de Poissy resterait étran-
ger à toute discussion de dogme ^, Mais la cour
romaine n'était pas restée inactive, et Pie IV, avant
l'ouverture de l'assemblée, avait pris des mesures
pour entraver le nouveau concile gallican, d'où pou-
vait surgir une hérésie aussi redoutable que celle de
Luther et de Calvin.
d. Lettre de Glaurlo de l'Aubespine à son frère, l'évêque de
Limoges, ambassadeur en Espagne, en date du 29 août (Orig.,
f. fr., vol. 6618, f. i).
2. Lettre de Tornabuoni du 27 août [Négoc. de la France, avec la
Toscane, t. III, p. 460).
3. Lettre de Suriano du 5 août (Dépêches vénit., lilza h bis,
r. 69 v»).
164 ANTOINE DE BOURBON
Parmi les habiles négociateurs que les précédents
pontificats avaient légués au règne de Pie IV, le saint-
siège avait toujours distingué le cardinal Hippolyte
d'Esté, fils de Lucrèce Borgia et de Alphonse d'Esté,
connu sous le nom de cardinal de Ferrare. C'était
l'homme d'état le plus délié, le courtisan le plus
subtil que le génie de la renaissance italienne ait
envoyé en mission à la cour de France. Pie IV le dési-
gna, dans un consistoire du commencement de juin,
comme légat extraordinaire à la cour de Charles IX,
chargé d'inviter le roi de France au concile de Trente '.
Le cardinal de Ferrare quitta Rome le 2 juillet, suivi
d'un cortège de 5 à 600 chevaux, voyageant à petites
journées avec l'apparat d'un grand dignitaire del'église^
Il rencontra à Ferrare l'ambassadeur de France à
Venise et lui dit qu'il venait à Saint-Germain pour
établir un modum vivendi en attendant la fin du con-
cile de Trente ; il ne demandait à la reine que de ne
pas s'engager à Poissy avant d'avoir conféré avec
lui^
L'envoi d'un ambassadeur aussi qualifié fit craindre
à la reine que la cour romaine préparât en secret une
de ces démonstrations, moitié pacifiques, moitié mili-
tantes, par lesquelles, au moyen âge, elle avait si sou-
vent manifesté sa puissance morale. Le saint-siège
n'avait-il pas en France le grand duc de Guise pour
capitaine et les catholiques pour soldats? La corres-
\. Calendars, 1561, p. 130. — L'ouvragP Facilitâtes Hippoliti,
card. Ferrariensis, conlieiil les pouvoirs donnés par le pape (p. 1);
les Annales de Raynal contiennent les bulles de Pie IV (t. XXI,
1561, u<>=* 8'i et 86)"
l. Mrinoires de Castelnau, 1. 1, ji. 7'28 et sniv., p. 759 et suivantes,
3. Ibid. — Calendars, 1561, p. l'.)i.
ET JEANNE d'aLBRET. 165
pondance du nonce prit un développement inaccou-
tumé. Ghantonay se mit aussi à adresser de fréquentes
dépêches, soit au pape, soit à Alonzo de Vargas,
représentant du roi d'Espagne à Rome. La faiblesse
de la reine à l'égard des réformés, les progrès du roi
de Navarre, les fanfaronnades du prince de Condé, le
crédit croissant de Coligny, les signes précurseurs
de l'apostasie de la cour de France étaient le sujet
de ces lettres ^ . D'autres indices entretenaient les
soupçons de la reine. Chaque jour, l'ambassadeur
d'Espagne ou le nonce, et quelquefois tous les deux,
lui portaient des plaintes. Elle reconnut qu'ils met-
taient en commun les renseignements de leurs espions,
et la sûreté de leurs informations l'effraya. Point de
résolution arrêtée au conseil, qui ne fût rapportée
aussitôt aux deux ambassadeurs catholiques, avec une
exactitude dans les noms propres et une précision
dans les faits qui ruinait d'avance toute dénégation-.
Évidemment, un traître était aux écoutes, soit à la
porte du conseil, soit même dans l'entourage familier
de Catherine.
Quelque temps auparavant, la reine avait trouvé
la preuve que le roi d'Espagne entretenait des intelli-
gences en France. Un moine, Artus Désiré, s'était
chargé de servir de messager entre Philippe II et
les gens de la Sorbonne. Son secret fut éventé par un
peintre de la reine, nommé Nicolas, et Artus Désiré
fut suivi jusqu'au presbytère de l'église Saint-Paterne a
1. On peut voir la plupart (h^s lettres espagnoles et italiennes
que nous avons citées dans le chapitre précédent.
2. Lettre originale en espagnol de Ghantonay à Philippe [I du
28 août (Arch. nat., K. liO'i, n" 93).
166 ANTOINE DE BOURBON
Orléans. Arrêté par le prévôt des maréchaux sur le
bateau qui descendait la Loire, il fut trouvé porteur
d'une requête sans signature, dictée par les passions
qui, trente ans plus tard, inspirèrent la Ligue ^. On
étouffa l'affaire. Artus Désiré fut condamné par le
parlement à cinq ans de pénitence aux Chartreux et
à l'amende honorable sur les propositions contre la
puissance royale, que contenait le message saisi entre
ses mains-.
Ces découvertes suggérèrent à la reine un acte qui a
souvent été imité depuis le xvi® siècle, sans en être
moins odieux^. Vers la fin de juillet, informée que le
nonce avait expédié force dépêches en un jour^, elle
envoya, d'accord avec le roi de Navarre, à Imbert de
la Platrière, sire de Bourdillon, l'ordre d'arrêter, au
passage des Alpes, tous les courriers de France à
Rome ^. Claude de l'Aubespine, secrétaire d'état,
recommanda à Bourdillon un secret absolu^'. Le vieux
capitaine exécuta le commandement en soldat soumis.
Le courrier venu de France fut arrêté à Moncalieri,
1 . De Bèze donne beaucoup de détails sur cette affaire et pro-
duit la requête de même que les lettres d'Artus Désiré au roi et
à la reine (Hist. ecclés., 1810, t. I, p. 'j60 à 464). — De Thou,
Hist. unh\, 1740, t. III, j). 80. — Daum, Thcodor Beza, Preuves,
p. 31.
2. Decvcla eccles. GalL, a Bochcllo, p. 733. Arrêt du 1 î juil-
let -151)1.
3. Chantonay atlribue à la reine l'initiative du projet (Lettre
originale en espagnol à lMiilii)i)P II du 10 septembre 1561 ; Arch.
nal., K. 1404, n» 100).
4. Mémoires de Castclnau, 1731, t. I, p. "'^i.
5. Calendars, 1561, p. 283, 284 et 285.
6. Lettre de L'Aubespine du 3 août (Minute autog., f. fr.,
vol. 15542, f. 33).
ET JEANNE d'aLBRET. 167
conduità Turin et retenu quatre jours en prison. Toutes
ses dépêches furent saisies, et, par surcroît, des bijoux
et une somme de 4,000 couronnes destinée à Ruscelli'.
il était chargé de lettres du nonce et de Famljassadeur
d'Espagne; mais, malheureusement, les lettres, con-
çues en termes mesurés, ne contenaient aucune des
indications que cherchait la reine mèrc^. Cet acte,
quand il fut connu, excita une réprobation générale.
Chantonay protesta plus haut que personne ; le nonce,
quoique plus intéressé, fut plus discret^. Tous les
autres ambassadeurs se plaignirent avec tant d'en-
semble que le roi désavoua les instructions de la
régente"^. Bourdillon fut blâmé en public et reçut en
secret l'ordre de s'excuser sur de prétendues conspi-
rations qu'il aurait découvertes contre les villes du
roi en Piémont^. Chantonay réclama l'original de
ses dépèches, que les secrétaires d'état déchiffraient
péniblement dans le cabinet de la reine. L'Aubespine
fit répondre par Bourdillon que, dans la confusion
du premier moment, on avait déchiré les dépèches
de l'ambassadeur d'Espagne, et qu'il n'était resté
1. Peut-être Guillaume Ruscelli, éruditdeTiterbe,mort en 156(i.
2. Lettre originale en espagnol de Chantonay à Philippe II
du 28 août (Arch. nat., K. 1494, n" 93).
3. Lettre de Claude de l'Aubespine à 1 evêque de Limoges
du 29 août (Orig., f. fr., vol. 6618, f. 4).
4. Lettre du roi à Bourdillon du 4 septembre (f. fr., vol. 15542,
f. 41). — Lettre de Chantonay à Philippe II du 10 septembre
(Orig. espagnol, Arch. nat., K. 1494, n» 100).
5. Lettre de L'Aubespine du 25 et du 28 août à Bourdillon ;
Lettre du roi au même du 29 août (Minutes; f. fr., vol. 15542,
f. 34, 36 et 38). — Une lettre du roi de Navarre à Bourdillon lui
concède une certaine somme pour les besoins de son gouverne-
ment. Peut-être était-ce une récompense (Bibl. Saint-Péters-
bourg, coll. d'autographes, vol. 52).
lf)8 ANTOINE DE BOURBON ,
que des fragments sans suite ^, L'argent fut retenu,
comme porté à l'étranger en fraude, et appliqué aux
besoins des places du Piémont. Les bagues et autres
bijoux, trouvés dans les bagages du courrier, furent
contisqués^, mais, quelques jours après, rendus aux
marchands de Lyon, (jui les avaient expédiés^. Aux
yeux des seigneurs de la cour, moins bien informés
que les ambassadeurs intéressés, les secrétaires d'état
reçurent l'ordre de laisser un peu d'ombre sur les
auteurs de l'arrestation. Les Alpes et les Pyrénées
étaient pleines de bandouliers que l'on accusa de cet
acte de brigandage ^ On osa même l'attribuer au duc
de Savoie, et Philibert Emmanuel se crut obligé
d'envoyer un ambassadeur à la cour, le seigneur de
Morette, pour se disculper de la calomnie^.
Dans ce moment de transition, qui allait décider de
l'avenir de la Réforme en France, la cour offrait un
spectacle inquiétant pour la religion catholique. Cathe-
rine de Médicis et le roi de Navarre accentuaient tous
les jours leur indifférence, et pratiquaient la politique
du laissez-faire, l'un par crainte, l'autre par ambition.
1. Lettre de L'Aubespine à Bnurdillon du i septembre (f. fr.,
vol. 15542, f. 45). — Voyez cependant la lettre de Ghantonay
du 10 septembre (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 149'i, n° 100).
2. Lettre du roi à Bourdillon du \ septembre (f. fr., vol. 15542,
1. 'il). — Voyez aussi une lettre de la reine de môme date {Ibid.,
r. 42).
3. Lettre de (ibarles IX à lîourdilldu du '.) septembre (f. fr.,
vol. 15542, f. 44).
4. Lettre de L'Aubespini' à la reine du 20 uuii (Orig., f. fr.,
vol. 3192, f. 50). — Lellr(^ du roi à L'Aubôspine du 20 juin (Orig.,
f. fr., vol. 6612, f. 20).
5. Lettre de Ghantonay à IMiilippe II du '.» novembre (Orig.
espagnol; Arcli. nal., K. Iî*.)i, n" 107).
ET JEANNE d'aLIÎHET. 169
Mais, en dehors de la reine et du prince, capitaines ou
gens de robe, officiers de justice ou de finance, excepté
les parlementaires, nobles et bourgeois, à la cour et à
la ville, poussaient au triomphe de la Réforme sans
raisonner leur engouement. C'était surtout dans les
classes élevées que le Calvinisme trouvait des adhé-
rents, dans le tiers état des villes, offensé par les
abus de l'ordre ecclésiastique, chez les gentils-
hommes ambitieux et turbulents. Parmi les dames de
la haute noblesse, qui se laissaient séduire par les
dehors sévères et les doctrines généreuses de la
Réforme, en tête du parti, marchaient Jeanne d'Albret,
dont l'arrivée allait donner un nouvel essor aux
prêches^. Renée de France, duchesse de Ferrare, pro-
tectrice de Théodore de Rèze~, la comtesse de Roye,
belle-mère du prince de Condé, martyre de la cause à
Saint-Germain, la dame de Crussol, Jacqueline de
Rohan, marquise de Rothelin, mère du duc de Lon-
gueville, Léonor de Roye, princesse de Condé, la com-
tesse de la Rochefoucault, la comtesse de Seninghen,
mère du prince de Porcien. Quelques jours avant l'ou-
verture du colloque, le parti protestant perdit un de
ses meilleurs appuis. Jacqueline de Longwy, duchesse
de Montpensier, mourut le 28 août à Paris. Elle appar-
tenait au parti intermédiaire représenté par le chance-
lier \ Jean de Monluc, évoque de Valence, la nommait
1. Bèze, Hist. ecclés., L I, p. 'j81.
2. Lettre de de Bôzc du 22 août (Baum, Tlicodor Ikza, Appen-
dice, p. 44).
3. Elle avait employé son crédit à paciiier les démêlés de la
reine mère et du roi de Navarre et aussi à rétablir la fortune de
la maison de Montpensier. Voyez une pièce dans Négociations
.sous François II, p. 68 'i.
170 ANTOINE DE BOURBON
« sa fille spirituelle ' . » Pendant sa dernière mala-
die, dit La Place, elle envoya chercher un ministre
calviniste, Jean Malet, et rendit le dernier soupir entre
ses mains-.
Cependant, de tous les points du royaume, les
ministres accouraient au rendez-vous de Poissy. Les
premiers arrivants occupèrent ensemble le logis du
cardinal de Cliastillon, puis celui de Renée de France.
Le 17 août, Augustin Marlorat et François de Saint-
Paul demandèrent au roi de ne point être jugés par
les évoques, « attendu, dit la requête, qu'ils sont nos
« parties adverses, » et de présider le colloque en
personne". Le plus illustre des défenseurs de la
Réforme, Théodore de Bèze, se fit attendre. Le bruit
courait qu'il n'osait paraître, et, le 12! août, le roi de
Navarre adressa de nouvelles instances à la Seigneurie
de Genève^. Le réformateur chevauchait déjà à cette
date sur la route de France. Il arriva à Saint-Ger-
main le 23 août et y fut accueilli avec plus d'honneur,
1. Lettre de Jean de Monluc au secrétaire d'état de Fizes
du 12 avril 1561 (Autog., f. fr., vol. 3898, f. 29). Moulue .donne
la même qualité à la comtesse de Gharuy et à mademoiselle du
Goguier.
2. La Place, Estât de la religion et république, édit. du Panih.
litt., p. 153. — Catherine en annonçant la mort de la duchesse
ne dit rien de seniblahle {Lettres de Catherine, t. I, p. 231), mais
on ne peut rien induire de ce silence. — De Thou dit qu'elle
envoya chercher Jean Malot, mais non pas qu'elle mourut en
communion spirituelle avec lui [Hist. univ., 1740, t. III, p. 59
et 60).
3. Bèze, Hist. ccclvs., t. I, 1840, p. 307 à 310.
1. Lettre du roi de Navarre du 12 août. Cette lettre a été publiée
plusieurs fois : Spon, Hist. de Genève, t. I, p. 307. — Baum, Theo-
dor Deza, Appendice, p. 39. — Roget, Hist. du peuple de Genève,
t. VI, p. 99.
ET JEANNE d'aLBRET. 171
dit Claude Hattoii, « que n'eust esté le pape de Rome,
c( s'il y feust venu ^ » De Bèze raconte ainsi son entrée
à Saint-Germain :
A l'entrée, je trouve le chancelier c[ue savez qui vouloit avoir
l'honneur de ra'avoir introcluict. Gela ne dura guière, car il n'y
avoit que trois pas au cabinet, à l'entrée duquel je trouve
monsieur l'amiral, que je n'eus pas loisir de saluer, que voyez
le roy de Navarre et monsieur le prince qui se jettent sur moy
avec une fort grande affection, ce me semble. De là, je voy
auprès de moy le cardinal de Bourbon et puis le cardinal de
Ghaslillon, qui me tendoient leurs mains. Je ne vous puis escrire
au long les propos qui furent tenus, seulement, je vous diray
que je protestay à monsieur le cardinal de Bourbon, que je
n'avoys reçu change depuis qu'il n'avoit voulu parler à moy de
peur d'estre excommunié, et luy de sa part déclaira qu'il avoit
désir d'entendre les affaires à la vérité, de quoy je kiy présentay
mes services, le priant de continuer de ceste volonté. Sur cela,
peu s'en falut qu'on n'entrast en propos, mais le bon seigneur
le feit court et moy aussy. Quant au roy de Navarre, la somme
du propos fut que j'avoys grand peur que bientost il ne fust
pas si joyeux de ma venue s'il ne se délibéroit de faire autre-
ment. Il se print à rire, et je luy respondy que c'estoit à bon
escient qu'il y falloit penser-.
En attendant l'ouverture du colloque, les ministres
demandèrent à évangéliser leurs hôtes, « ce qui leur
« fut accordé plus volontiers qu'ils ne le requirent ^ »
1. Mémoires de Claude flatton dans la Collection des Ducumerits
inédits, t. I, p. 155.
2. Lettre de de Bèze à Calvin (Baum, Theodor Beza, Appen-
dice, p. 45 et suiv.). Cette lettre a été publiée dans V Histoire
ecclésiastique, mais son texte français est produit littéralement
pour la première fois dans le livre de Baum.
En 1576, de Bèze publia la correspondance de Calvin et y inséra
sa lettre du 25 août en latin et avec des détails nouveaux, qui
sont également reproduits en note dans le livre de Baum.
3. Mémoires de Claude Ilatton, t. I, p. 156.
172 ANTOINE DE BOURBON
De Bèze prononça un premier sermon au logis du
prince de Condé, devant la princesse et ses serviteurs,
le jour même de la réconciliation du prince avec le duc
de Guise. Le soir, il fut appelé auprès du roi de Navarre.
Il y trouva le roi de France, la reine et les plus
hauts seigneurs de la cour. L'orateur fut surpris d'un
si noble auditoire, mais « cela n'empêcha, dit-il, qu'en
« peu de paroles, je ne desclairasse la cause de ma
« venue. » Le cardinal de Lorraine lui reprocha ami-
calement quelques-unes de ses déclarations précé-
dentes^. « Je vous adjure, dit-il, que vous ayez à con-
« férer avec moy, et vous trouverez que je ne suis
« pas si noir qu'on me faict. » La dame de Crussol, à
ces mots, lui prit la main en disant : « Bonhomme
« pour ce soir, mais demain quoy? » Le lendemain,
de Bèze prêcha chez l'amiral, et, les jours suivants,
au logis du prince de Condé-.
Le réformateur était alors âgé de quarante-un ans.
Voici le portrait que trace de lui un ennemi de la foi
protestante, Marc-Antoine Barbaro, ambassadeur de
Venise : « Il a un esprit vif et fin, mais dépourvu de
« prudence et de jugement; il paraît être éloquent,
« car il parle avec facilité et dans un beau langage; il
« a toujours prête quek|ue subtilité pour tromper,
« mais la science lui manque, et il n'a fait qu'effleurer
« les choses. Il cultive les lettres grecques et latines....,
1 . Do Bèze en donne lo détail (Baum, Thendor Deza, Appendice,
p. 48) dans sa lettre à Calvin. — De Thou confirme le récit
{Hist. univ., 1740, l. III, p. 64).
2. Lettre de de Bèze à Calvin (Baum, T/teodor Besa^ Appendice,
p. 45). — Lettre de Claude de l'Aubespine, secrétaire d'État, à
son frère Sébastien de l'Aubespine, évêque de Limoges, ambas-
sadeur on Espagne (Orig., daté du 39 août; f. fr., vol. 6618, f. 4).
ET JEANNE d'aLBRET. 178
« il professe même la théologie Ce méchant
« homme, protégé par le prince de Gondé, prêche et
« enseigne la fausse doctrine ; et il a tant fait que
« non seulement il a séduit un bon nombre de nobles
« et de grands surtout, mais qu'il est comme adoré
« en France par beaucoup de personnages qui gar-
ce dent son image dans leurs chambres ' . » Dans ce
portrait, où des jugements téméraires s'allient à
beaucoup de vérités, Marc-Antoine Barbaro ne parle
pas de l'effet entraînant des sermons de de Bèze.
« D'une langue diserte et bien affilée, dit Claude
« Hatton, par ung beau et propre vulgaire fran-
« çois, il triomphoit de caqueter, ayant la mine et les
« gestes attrayans les cœurs et vouloirs de ses audi-
« teurs ~. » Les princes se pressaient a ses leçons, et
les pages se battaient aux portes. Jamais la cour
n'avait été possédée d'un tel enivrement^. La reine en
oubliait sa politique de bascule, et le roi de Navarre
ses négociations avec l'Espagne. Tous deux, en l'écou-
tant, dit Claude Hatton, se seraient déclarés huguenots
s'ils l'eussent osé. La plupart des seigneurs voulurent
avoir un ministre et chassèrent les aumôniers, les
chapelains, les clercs de leur maison. « Aulcuns de
« ces pauvres domestiques se tournèrent à lad. reli-
« gion pour demeurer au service de leurs maistres^. »
Les ministres se partagèrent la faveur des princes.
De Bèze, bien inspiré, s'attacha à Jeanne d'Albret,
1. Relations des ambassadeurs vénitiens, l. il, p. 53.
2. Mémoires de Hatton, t. I, p. 156.
3. Lettre de Pin àBourdillon du 31 août 1561 (f. l'r., vtil. 1554'2,
f. 40).
\. Mémoires de Claude Hatton, t. I, p. 150.
174 ANTOINE DE BOURBON
Pierre Martyr à Condé, Jean Malet à Coligny. Les
prêches, les sermons, le chant des psaumes, la cène
calviniste devinrent roccupation ordinaire des sei-
gneurs, des pages et des valets. « Tout ce qu'est
« loisible à Genève, écrit Ghantonay, se peult faire
« impunément par tout le royaume, et est tenu
« pour beste qui n'y faict du pis qu'il peult ^. » Les
chefs du parti catholique suivaient de l'œil avec
tristesse l'empressement des courtisans autour des
minisires. Chaque prélat s'accusait lui-même et sur-
tout accusait ses collègues du désastre qui menaçait
la religion romaine. Plusieurs gémissaient, dit
Suriano, sur l'ingratitude de leurs fidèles, et se
lamentaient avec tant d'onction qu'ils faisaient couler
des larmes ~. Les plus clairvoyants attribuaient les
progrès de la Iléforme à l'absence continuelle des
évêques diocésains. Aussi, les cardinaux de Tournon
et de Lorraine, qui avaient passé leur vie, l'un à
Rome, l'autre à la cour, prêchaient pour l'avenir la
résidence aux autres évêques ; eux-mêmes confessaient
d'ailleurs « qu'ils avoyent grandement failly de ce
« qu'ils n'avoyent repeu leurs troupeaux^. »
Malgré les discussions préparatoires, ni le conseil
du roi, ni les prélats ne savaient bien ce qu'ils avaient
à demander au colloque de Poissy. Dans le courant
d'août, le roi se rendit à l^oissy et pria les évêques
« que, avant partir de set lieu, qui reguardet (qu'ils
1. Lottro (lo Chanlonay ù Tisnac du G septembre {Mémoires de
Condé, I. Il, p. M).
2. Lettre de Suriaim du l'i ai)ùt (Dépèches vénil. , lilza 'i bix.
f. 74).
3. Bauiu, Thcodor Bcza, Appendice, p. 55. Lettre de Morel à
Calvin du -25 août .
ET JEANNE d'aLBRET. 175
« regardent) acomoder et régler le chause de quoy
« sont veneu le trouble en set royaume ' . » Ces paroles
vagues pouvaient s'appliquer aux violences des deux
partis, mais chaque parti les renvoyait à ses adversaires.
Le roi écrit au duc de Savoie : « Les prélats de mon
« royaume sont assemblés à Poissy, où ils travaillent
« incessamment à la réformation des mœurs, qui sont
« fort dépravez, et de beaucoup d'autres choses de
« l'esglize, qui ont grave besoing d'une bonne correc-
« tion pour les réduire en leur première splain-
« deur- » C'était la thèse de la réforme de l'église
par elle-même, La reine mère, tout en protestant au
pape et au roi d'Espagne que le colloque resterait
étranger aux matières de dogme '\ avait formé ses
plans. Sceptique, indifférente aux deux cultes, per-
suadée qu'on mène les hommes avec des mots et que
les religions vivent de cérémonies et de formules,
elle avait résolu de demander au pape, en attendant
les décrets du concile de Trente, la communion sous
les deux espèces, les prières en français et le mariage
des prêtres. D'après l'ambassadeur de France à Rome,
Pie IV ne paraissait pas éloigné de ces trois conces-
sions ^, et Catherine se flattait de lui forcer la main
1. Lettres de Catherine^ t. I, p. 221.
2. Minute datée d'août (f. fr., vol. 15875, f. 144).
3. Lettre de Ghantonay du 10 septembre à Philippe II (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1494, n" 100).
4. Peu après la dissolution du colloque, le 24 octobre, le roi
ordonna au s. de Lisle, ambassadeur à Rome, de demander au
pape une partie de ces concessions (Dupuy, Mémoires sur le
concile de Trente, p. 100). De Lisle répondit le 6 novembre que
le pape y semblait disposé (Ibid., p. 110). Sur cette affaire voyez
les documents publiés par Dupuy, p. 114, 116, 117, 140. Voyez
aussi l'historien Mathieu [Hist. de France, in-fol., t. I, p. 240).
176 ANTOINE DE BOURBON
à l'aide des décisions de l'église gallicane. Ainsi, à
Poissy, chaque personnage, chaque corps se prépa-
rait à suivre sa vocation politique. Pour le conseil
(lu roi, le colloque était une réunion ordinaire du
clergé, destinée à étudier les moyens de solder les
dettes du roi' ; pour le roi de Navarre, le champ de
bataille où il allait montrer au roi d'Espagne le poids
de sa parole et mériter la restitution de la Navarre^.
Les prélats se considéraient comme des juges appelés
à condamner l'hérésie tout entière, représentée par
ses ministres^. Les réformés, au contraire, traitaient
le colloque d'assemblée délibérante, où les deux partis
religieux étaient appelés à débattre leurs dogmes à
armes égales, et où le triomphe serait décerné par la
pluralité des voix au plus digne ^.
Le roi avait décidé que la première réunion aurait
lieu le mardi, 9 septembre, dans la salle du réfec-
toire des religieuses dominicaines de Poissy. Le
matin, les prélats arrêtèrent l'ordre de la séance
royale. Les ministres réformés, montés sur des
mules et des haquenées, partirent de Saint-Germain
1. L'instruction du roi au duc de Guise et au connétable, que
le roi envoya ofTiciollemenl à Poissy, avec la mission de s'occu-
per de la cotisation du clergé, datée du il septembre, est impri-
mée dans les Mémoires journaux de Guise, collection Michaud et
Poujoulat, p. 460.
2. Lettre de Ghantonay à Pbilippe II du 10 s(>ptembre (Orig.
espagnol; Arcli. nat., K. l-'i9i, n° 100).
3. Lettre de Claude de l'Aubespine à son frère l'évèque de
Limoges, du 29 août 1561 (Orig., f. l'r., vol. 6618, f. 4). Partie de
cette lettre a été imprimée par M. le comte Delaborde, Les Pro-
teslanls à la cour de Saint-Germain, p. 7.
4. Cet aperçu est fort bien exposé dans une lettre de Suriano
du l 'i anùl iDi-pèches véuit., lilza i bis, f. 7'i).
ET JEANNE d'aLBRET. 177
en troupe vers dix heures du matin, accompagnés
d'une escorte de cent cavaliers. Ils furent reçus à la
porte du couvent, par le duc de Guise, grand maître
delà maison du roi^ Vers le milieu du jour, la cour
arriva et la séance commença. Le jeune monarque,
accompagné de sa mère, de ses frères, du roi et de la
reine de Navarre, du prince de Condé, prit place sui^
un trône, assisté à droite et à gauche par les cardinaux
et les évêques. Le duc de Guise introduisit les mi-
nistres. Ils entrèrent, entourés des archers de la garde
du roi, et se rangèrent debout le long d'une balustrade
qui les séparait de l'enceinte royale-. Ce cérémonial,
arrêté par le duc de Guise, avait le défaut de les pré-
senter en accusés, cités à la barre d'un tribunal.
Dans cette foule de docteurs, il y avait des prê-
cheurs de Genève, des députés des églises de France,
des moines défroqués, des gentilshommes huguenots,
Marlorat, Saint-Paul, Malot, des Gallars, Jean Viret,
Merlin, Théodore de Bèze^, etc., « point de
« personnes de marque, dit avec acrimonie Suriano,
1. Les listes publiées dans les documents du temps ne con-
cordent pas absolument entre elles. Voyez les Mémoires de Hatton,
t. I, p. 155, note, et le Colloque de Poissij, par M. Kliplîel, p. 84.
— Autre liste dans la correspondance de Ghantonay (Arcli. nal.,
K. 1494, no 95).
2. Lettre de de Bèze à Calvin (Baum, Thcodor Ikza, p. 61,
Appendice).
3. « Nous sommes là douze ministres et vingt assesseurs nom-
més par les églises réformées. » (Lettre de des Gallars du 10 sep-
tembre ; La Perrière, Le XV l" siècle et les Valois, p. 57.) La liste
la plus complète est donnée par M. le comte Delaborde, Coligny,
t. I, p. 520. — Journal de Claude Despence (f. fr., vol. 17813,
f. 18).
m 12
178 ANTOINE DE BOURBON
« ni par leurs connaissances, ni par leurs mœurs,
« ni par la naissance, ni par leur apparence, tous
« gens bas et abjects, avec des figures odieuses, avec
« des manières étranges et grossières, et, pour tout
« dire en un mot, tous des coquins ' »
Après un moment de silence, un des compagnons
de de Bèze, le seigneur de Monneville, gentilhomme
normand, ouvrit la séance par une sorte d'action de
grâce, où il remerciait Dieu et le roi de l'occasion qui
était offerte à ses coreligionnaires de justifier leur
doctrine^. Le roi répondit qu'il désirait rétablir la paix
entre ses sujets, et promit sa protection à tous ceux
qui l'aideraient^. Le chancelier prononça un discours
sur l'objet de la réunion. Le cardinal de Tournon,
doyen des cardinaux, demanda au chancelier l'énoncé
par écrit de ses propositions, tant religieuses que
financières , afin que l'assemblée pût en délibérer ;
mais le chancelier s'obstina à répondre que tous les
auditeurs avaient pu l'entendre*. La cour attendait
les déclarations des réformés. Théodore de Bèze,
choisi comme orateur, se détacha du groupe et
\. « pra li quali non erano ninno da conto, neper doctrina
ne por costumi, no per altezza di sangue, ne per presenzia, ne per
loniia, ma tutti villi et abjetti, concerte faccie odiose et concerte
me manière strane et sgarbate, et, per dir in una parola tutti fur-
fanli » (Lettre do Suriano du 10 septembre; Dépècbes vénit.,
(ilza \ bis, r. SI v).
•2. Lettre de Suriano du lU septembre (Dépècbes vénit., fdza
'i bis, f. 81 v»). — Journal de Claude Despence (f. fr., vol. 17813,
1'. 18 V"). — Do Bèzo ni La F^Iaco ne parlent du siro de Mon-
neville.
3. Son discours est n^produit textuellement par de Bèze (Hist.
ecdés., t. I, p. 31'i).
A. La Place, Estât de religion et république, p. 158.
ET JEANNE d'aLBRET. 179
s'avança devant le roi. Son exorde dépassa l'attente
des auditeurs. 11 débuta à genoux par l'oraison domi-
nicale et par une invocation à Dieu, pleine de piété
et de grandeur ; puis , se relevant pour s'adresser
au roi, il traça à grands traits l'histoire de la doc-
trine calviniste. Point de récriminations contre l'into-
lérance des parlements et la politique de Henri II ;
d'un bout à l'autre du discours, un langage noble, ins-
piré par une philosophie sereine et par un sentiment
élevé. Sa parole touchait au cœur les seigneurs les
plus hostiles*. L'orateur était écouté avec attention,
peut-être même avec sympathie; mais, à la fin de sa
profession de foi, entraîné par un mouvement oratoire,
il lui échappa de dire, à l'occasion du sacrement de
l'Eucharistie, que « le corps de Jésus-Christ, bien qu'il
« nous fût véritablement offert et communiqué en
« icelle, estoit toutesfois aussi loin du pain que le
« haut des cieux est éloigné de la terrée » A cette
parole impie, lancée avec une ardeur de sectaire, l'as-
semblée entière éclata en imprécations, comme si
tous les assistants, « atteints par une injure person-
« nelle, en avaient été blessés et souillés. » Les uns
criaient blasphemavit ; d'autres demandaient à quitter
1. Mémoires de Castebiau, liv. III, chap. 4 (1731, t. I, p. 71). —
Le récit des ambassadeurs catholiques prouve le grand effet de
cette harangue. Voyez les notes suivantes.
2. De Bèze avait écrit, disait-on, que le corps de Jésus-Christ
n'était pas plus présent dans la cène que dans la boue (non inagis
in cœna quam in cceno). A son arrivée à Saint-Gei'main, il avait
désavoué ces paroles inconvenantes (Baum, Theodor Deza, Appen-
dice, p. 45), mais le fonds de l'idée qu"il développait à Poissy était
le même. De Thou dit que le cardinal de Lorraine attribuait à
de Bèze un mot que Melanchton reprochait à Jean Œcolam-
pade (Ilist. imiv., t. UI, p. Gi).
180 ANTOINE DE BOURBON
la salle. Les réformés eux-mêmes restaient interdits;
Suriano remarqua que l'amiral de Coligny se couvrit
les yeux. De Bèze, intimidé, interrompit sa démons-
tration. Le cardinal de Tournon s'adressa à la reine :
« Supporterez-vous, Madame, d'entendre ces horribles
« blasphèmes en présence du roy et de votre autre
« jeune tils, qui sont dans un âge si tendre et si
« innocent ? » Le roi , la reine et les princes res-
taient impassibles*. Enfin, Catherine rétablit le silence
par quelques mots impérieux. De Bèze reprit sa
péroraison, mais, dit Suriano, il avait perdu son
assurance, et il balbutia d'une voix tremblante ses
derniers développements. La reine essaya en vain de
lui rendre « courage » : « Monsieur de Bèze, parlez
« hardiment. Ne vous estonnez point-. » L'orateur
présenta la confession des églises réformées au roi,
« qui la reçut bénignement » des mains du seigneur
de la Ferté, capitaine de ses gardes^. Aussitôt, le car-
dinal de Tournon se leva et pria le roi de repousser
les erreurs qu'il venait d'entendre. Il demanda jour
pour réj)ondrc au nom du parti catholique, et promit
que le roi, « ayant ouy la response, seroit ramené;
« puis, soudain se corrigeant, non pas, dit-il, ramené,
1. Catherine dit dans une lettre à lëvèque de Rennes quelle
n'imposa pas silence à de Bèze pour qu'il ne put se plaindre qu'on
lui avait coupé la parole [Lettres de Catherine, t. I, p. 608).
2. Lettre de Suriano du 10 septembre (Dépêches vénit., filza
\ bis, f. 81 v°). — Ces détails sont presque textuellement confir-
més par Tornabuoni dans sa lettre du 11 septembre [Ncgoc. de la
France avec la Toscane, l. III, p. 461) et par un des correspondants
de Calvin (Baum, Thcodor Beza, Appendice, p. 66).
3. Le discours de de Bèze est reproduit textuellement par La
Place {Estât de religion et république, p. 159) et jiar VHist. ecclés.
(18i0, t. I, p. 316 et suiv.).
ET JEANNE d'aLBRET. 181
« mais entretenu en la bonne voie. » Ses paroles
étaient entrecoupées, et lui-même troublé par la
colère. La reine répondit qu'elle ne désirait point
« innover » en matière religieuse, et que le colloque
n'avait été convoqué que pour « remettre les forvoyés
« en vray chemin ^ . »
Le lendemain, Théodore de Bèze adressa à la reine
mère une lettre où, sans se rétracter, il atténuait une
partie de ses déclarations de la veille-. Le même jour,
les prélats, réunis en conseil, s'épanchaient en ana-
thèmes contre le blasphémateur. « A la mienne volonté,
« dit le cardinal de Lorraine, que celui-là eust esté
« muet ou que nous eussions esté sourds. » Chargé de
réfuter de Bèze, le cardinal choisit comme aide un des
docteurs du clergé catholique, Claude Despence.
L'assemblée arrêta de ne répondre qu'à deux points
du discours de la veille, l'autorité de l'église et la pré-
sence réelle. On agita même d'imposer aux ministres
une profession de foi et de chasser du colloque ceux
qui refuseraient de la signer^. Ainsi disparaissait, dès
la première séance, sous le poids des haines passion-
nées que soulevaient les premiers mots de contro-
1. La Pla.ce, Estât de religion et république, édit. du Panth. litt.,
p. 168. — De Bèze, Hisl. ecclcs., t. I, p. 328, 1841. — Le second
historien copie le premier, mais non pas textuellement. — Le
président Montagne présente, dans les fragments qui nous restent
de sa grande histoire, un récit qui conhrme celui des autres his-
toriens (f. fr., vol. 15494, f. 107 et suiv.). Malheureusement ce
récit, qui serait plus important qu'aucun autre, en raison de. l'au-
torité de l'écrivain, n'est presque qu'un recueil de pièces.
2. Cette lettre est publiée dans VHistoire ecclésiastique, t. I,
p. 328.
3. La Place, p. 170. — De Bèze, p. 330.
182 ANTOINE DE BOURBON
verse, l'espoir ehimérique, caressé par le chancelier,
de réconcilier les deux cultes.
La seconde séance publique se tint le mardi 1 6 sep-
tembre, en présence du roi, de la reine mère, des
princes et seigneurs qui avaient assisté à la séance pré-
cédente. Les ministres furent conduits à Poissy avec le
même cérémonial et prirent les mêmes places que le
9 septembre. Le cardinal de Lorraine devait répondre.
Il prononça un discours, composé peut-être pour le
fonds par Claude Despence, mais où coule à pleins
bords la vivacit(' d'expression et l'élégance de forme
personnelle à l'illustre prélat. Catholiques et réformés
attendaient de violentes imprécations qu'aurait jus-
tifiées le blasphème de de Bèze. A peine y trouva-t-on
une fine et discrète ironie à l'adresse de novateurs qui
voulaient réformer en quelques jours une église vieille de
(|uinze siècles^. En vain de Bèze, sur le bruit répandu
par les catholiques que le triomphe oratoire du cardinal
clorait à jamais le colloque, insista sur son droit de
réplique. La reine, épouvantée de l'animation des deux
partis, leva la séance, sans indiquer le jour de la pro-
chaine réunion. Prélats et ministres se séparèrent
dans le plus grand trouble. Tandis que les catho-
liques proclamaient leur victoire, les réformés disaient
1. L;t. IMaco, Estât de religion et république, édit. du Panth. LUI.,
p. 170. La Place reproduit, toxtuellomenl le discours au moins
dans ses parties principales. De Bèze l'a également imprimé
[Hisl. ecclés., t. I, p. 382, 1841). — Voyez aussi la lettre de Tor-
uabuoni du 20 septembre [Négoc. de la France avec la Lorraine,
t. III, p. 463). — Claude Dcspence ne reproduit le discours du
cardinal que dans sou second mémoire et en latin (f. fr.,
vol. 17813, f. 87).
ET JEANNE d'aLBRET. 183
que le cardinal, battu une première fois, se sentait
incapable de prendre une revanche.
Il fallait conclure. Les deux partis proposaient de
s'excommunier l'un l'autre. La reine était indécise
et s'efforçait d'apaiser les fanatiques. Elle fit venir
Pierre Martyr déguisé* au château de Saint-Germain
et l'interrogea sur l'effet de la harangue du cardinal.
Pierre Martyr, ancien moine florentin, ministre envoyé
de Zurich, était un docteur plus mesuré que Théodore
de Bèze. Il répondit que le cardinal de Lorraine s'était
rapproché de la doctrine calviniste plus qu'aucun autre
controversiste^. Peut-être voulait-il obtenir la conti-
nuation du colloque par cette audacieuse appréciation.
D'autres conseils entretenaient les incertitudes de la
reine. Jeanne d'Albret cherchait à lui inspirer, en
faveur de la rénovation religieuse, un peu de sa réso-
lution virile^. Les réformés, qui sentaient le terrain
trembler sous leurs pieds, redoublaient de requêtes
et d'intrigues^. Du côté des catholiques, le cardinal
de Tournon pressait la reine d'imposer aux minis-
tres, avant de leur rendre la parole, la reconnais-
sance des points primordiaux traités par le cardinal
de Lorraine « afin qu'il n'y eust en ce royaume très
« chrestien qu'une foy, une loy, un roy^. » C'était le
i. ... incamuffatto, dit Tornaliuoni (Lettre du 20 septembre;
Négoc. de la France et de la Toscane, t. III, p. 163).
2. Klipffel, Le Colloque de Poissy, p. 98.
3. Lettre de Tornabuoni du 20 septembre {Négoc. de la France
avec la Toscane, t. III, p. 463).
i. Ils adressèrent une requête qui est analysée par La Place,
p. 178, et par de Bèze, p. 330. — La reine vit encore une fois
Théodore de Bèze (Baum, Thcodor Deza, Appendice, p. 65).
5. La Place, p. 178.
184 ANTOINE DE BOURBON
langage de l'ancien clergé gallican, qui refusait tout
accommodement. La reine discutait souvent avec le
vieux cardinal et s'animait pour lui faire accepter un
moyen terme. Un jour elle s'impatienta jusqu'à lui dire
« (ju'il resvoit. » Tournon lui répondit : « Madame, je
« ne resvc point ; je ne resvay jamais, sinon lorsque
« je traictay vostre mariage et vous fis venir en
« France ^ . »
Le colloque avait tenu ses deux premières séances
quand le cardinal de Ferrare arriva à la cour. Parti
de Rome le 2 juillet, l'habile prélat n'avait pas
pressé sa marche. Après un voyage de deux mois, il
n'était encore, vers le commencement de septembre,
qu'à Lyon^. Le 14, il arriva à Briare, sur les bords
de la Loire, et y fut reçu par Antoine de Noailles au
nom du roi ^. Le 18, il coucha à l^aris, et, le 19, il se
rendit à Saint-Germain. Le duc d'Orléans, plus tard
Henri III, le prince de Joinville, fils du duc de Guise,
et d'autres seigneurs allèrent au-devant de lui. Le roi
et la reine mère l'attendaient dans la grande salle
du château et l'accueillirent avec froideur. 11 ame-
nait une escorte de trois cents cavaliers, plusieurs
évèques et quelques docteurs de grand savoir, entre
autres les pères Laynez, général des jésuites, et
Polenque, un des dignitaires de Tordre '. Quand il eut
i. Brantôme, édit. de la Société de l'Histoire de France, t. V,
p. 288.
2. Lettre de (vhantonay du (5 septemltre {Mémoires de Gondé,
t. II, p. 17).
3. Lettre de Noailles à la reine (Minute orig. datée du li sept.;
f. fr., vol. 6908, f. 98).
4. Les Jésuites avaient été acceptés par un décret de l'assem-
blée des prélats réunie à Poissy, le 15 septembre, trois jours avant
ET JEANNE d'aLBRET. 185
exhibé ses lettres de créance, les jeunes princes, qui
l'avaient reçu, le conduisirent à son logis. Sauf le con-
nétable, le roi de Navarre et le duc de Guise, peu de
seigneurs lui rendirent hommage * . Le chancelier refusa
de sceller ses pouvoirs, parce qu'ils contenaient des
stipulations contraires à l'ordonnance d'Orléans et le
parlement d'enregistrer la bulle.
Malgré ces « rebuffades » le cardinal de Ferrare ne
montrait aucun embarras. Il semblait ignorer la poli-
tique de tolérance de la reine mère, les tergiversations
du roi de Navarre, la présence des ministres, le col-
loque de Poissy. Cette attitude dégagée lui permit de
s'insinuer par degrés dans la faveur de tout le monde-.
Un jour cependant, les pages et les valets de la cour,
peut-être encouragés par leurs maîtres, huèrent son
porte-croix et lui jetèrent des pierres en criant : au
Renard. Le cardinal ne parut pas s'offenser de cette
grossière insulte et se contenta de supprimer son
porte-croix. « Le regnard, dit de Bèze, ne s'effarou-
« cha et ne cessa qu'il fust venu à bout de la charge à
« luy commise^. »
Dans ses entretiens le cardinal de Ferrare ne par-
lait que du rétablissement des annates, impôt que la
cour romaine prélevait sur les revenus des bénéfices
l'arrivée du cardinal de Ferrare. Ce décret a été j)ublié par
M. Gretineau Joly, t. I, chap. vu. — Le P. Poleuquc est auleur
d'un traité sur la Conduite des confesseurs.
\. Calendars, 1561, p. 328.
2. Ces détails sont contenus dans la lettre de Ghautonay du
21 septembre (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1495, n» 70).
3. De Bèze, Hist. ecclés., 1840, t. I, p. 348. — De Thou ajoute
que des libelles sur Alexandre VI et sur Lucrèce Borgia, grand-
père et mère du cardinal de Ferrare, furent répandus à la cour
[Hist. univ., t. III, p. 98).
186 ANTOINE DE BOURBON
à chaque changement de titulaire. Le conseil du roi
résistait avec àpreté, car les annates étaient le gage
de la contribution du clergé''. Ainsi réduite à une
négociation d'argent, l'ambassade du cardinal de
Ferrare paraissait inoffensive. Mais le rusé prélat
réservait pour le secret du cabinet ses armes les
plus affilées. Il gagna le roi de Navarre par la flat-
terie et la reine mère en lui promettant l'appui du
pape-. Peu à peu, quand il se sentit en faveur, il osa
davantage. Il insinua à la reine que le colloque de
Poissy tendait à briser ses liens, que les docteurs, en
discutant le dogme de la présence réelle, sortaient du
programme primitivement imposé à l'assemblée ; il
représenta le danger, même pour les pouvoirs civils,
de remettre en discussion des dogmes immuables ; il
cita l'exemple de l'Allemagne où la guerre civile avait
surgi des luttes théologiques. De quelle utilité était la
controverse ouverte ? Au lieu de rapprocher les deux
cultes, la discussion les éloignait l'un de l'autre, d'au-
tant que, après chaque séance, les deux partis s'attri-
buaient la victoire. Son réquisitoire contre le colloque,
chaque jour reproduit en termes mesurés, chaque
jour poussé plus avant, ébranla la régente. D'autres
manœuvres souterraines convertirent le chancelier et
le tiers parti, promoteurs de l'assemblée. Eniin le car-
dinal de Ferrare obtint de la reine la promesse de dis-
soudre le colloque. « Cependant, écrit Tornabuoni, j'y
« ai peu de foi (à la dissolution du colloque), parce
1. Lettre de Suriauu du M septembre (Dépèches vénit., fdza
4 bis, f. 83).
2. Lettre de Chantonuy à Philippe II du 21 septembre (Orig.
espagnol; Arch. mit., K. 1495, a» 70).
ET JEANNE d'aLBRET. 187
« qu'on sait que la cause de la religion n'est pas sou-
« tenue par zèle, mais qu'elle s'est élevée entre les
« Guises et les Bourbons, et que, sous ce prétexte, ils
« cherchent à s'abaisser les uns les autres ^ »
Au bruit que la reine mère se disposait à congédier
les docteurs, le parti réformé, qui croyait toucher au
triomphe tant qu'il pouvait se produire avec reten-
tissement, fit agir le ban et l'arrière-ban de ses pro-
tecteurs. La reine mère fut assaillie de prières et le
roi de Navarre d'objurgations. Jeanne d'Albret, le
prince de Condé et l'amiral « travaillèrent » tellement
l'esprit de Catherine qu'ils l'épouvantèrent et qu'elle
manqua de parole au cardinal de Ferrare^. Cependant,
elle reprit en détail la concession qu'elle n'avait
osé retenir dans son ensemble. Le colloque fut réduit
aux seuls controversistes, son éclat diminué ; les cour-
tisans, les seigneurs, les évèques eux-mêmes qui l'or-
naient de leur présence furent éloignés des séances.
Au lieu des assemblées solennelles où les défenseurs
des deux communions luttaient comme en champ
clos en face du roi et de la cour, la reine décida que la
délibération se poursuivrait presque secrètement, sans
témoins et dans une salle close ^.
Le 2l3, elle écrivit à l'évêque de Rennes, aml^assa-
deur auprès de l'empereur, qu'elle avait trouvé bon
que les prélats catholiques « entrassent en colloque
« gracieux » avec les ministres. Mais, ayant « veu qu'il
« n'en estoit sorti que confusion de disputes sur dis-
1. Lettre de Tornabuoni du 25 septembre (Négoc. entre la France
et la Toscane, t. III, p. 463).
2. Calendars, 1561, p. 360.
3. Journal de Despence, f. fr., vol. 17813, f. 95.
188 ANTOINE DE BOURBON
« putes, iiorrisses de dissensions et discordes, » elle
se décidait à réduire le colloque « à cinq ou six d'entre
« eux
Le 24 septembre, Catherine réunit douze docteurs
de l'une et de l'autre religion dans la chambre priorale
de Poissy, et ouvrit la séance avec le roi de Navarre.
La cause catholique était défendue par trois docteurs
de Sorbonne et par trois évêques, Jean de Morvilliers,
Jean de Monluc- et Antoine Caracciolo. Le choix des
deux derniers, qui inclinaient à la Réforme, parut sin-
gulier à la cour. « On ne sait, dit Tornabuoni, s'ils
« n'aimoient pas autant la défaite que les autres la vic-
« toire^. » Le cardinal de Lorraine, que la reine aurait
voulu éloigner, arriva à l'ouverture de la séance,
chargé de livres, avec trois docteurs de Sorbonne,
Claude Despence, un dominicain, Claude de Sainctes,
et le cordclier Justinian, un des compagnons de voyage
du cardinal de Ferrare. Le cardinal de Tournon, après
avoir tout fait pour dissoudre le colloque, avait refusé
d'y paraître.
A l'ouverture des débats, le cardinal de Lorraine
1 . Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 239. Cette lettre est
imprimée sous la date du 23 octobre, mais ne peut être que du
23 septembre puisque, à la date du 23 octobre, le colloque de Poissy
était terminé.
2. Dans une de ces séances, Jean de Moulue prononça un
« Aviz de réformation ez cérémonies observées en l'eglize
« romeyne » qui n'a été reproduit que par le président Montagne
(f. l'r., vol. 15494, f. 107). — Ce discours est analysé sommai-
rement par de Thou [Hisl. univ., 1740, t. III, p. 77).
3. Notre récit est presque en entier tiré de cette lettre (25 sep-
tembre 1561 ; Ncgoc. de la France avec la Toscane, t. III, p. 463).
— L'i'vèque de Valence est signalé comme huguenot par Suriano
(Relat. des ambassadeurs vénitiens, t. II, p. 525).
ET JEANNE d'aLBRET. 189
demanda aux ministres s'ils acceptaient les points prin-
cipaux de son dernier discours. Théodore de Bèze lui
répondit. Après lui Claude Despence prit la parole.
La discussion se traîna sans ampleur dans les lieux
communs Ihéologiques. De Bèze voulut répliquer,
mais « un moine blanc (Claude de Sainctes), ardent
« et eschauffé pour combattre » reprit tous les argu-
ments de Despence « avec paroles aiguës et piquantes. »
De Bèze entin put parler, puis encore Despence,
Sainctes et d'autres. De Bèze essaya de déplacer la
question et traita des abus de l'église romaine : « Un
« chacun sçait assez, dit-il, quelle farce que l'on y
« joue. » Il blâma le concordat de François I", et
accusa le roi d'avoir livré, dans un intérêt temporel,
l'église de France aux convoitises de la cour romaine ;
il énuméra les désordres, les faiblesses, les actes de
lâcheté des évéques, compara les vertus des ministres
aux vices des moines, et se plaignit, au nom de ses
coreligionnaires, c d'estre vilipendé et moqué sans
« cause. » Ses attaques firent dresser le cardinal de
Lorraine : « Le commencement d'injurier est venu de
« vous, dit-il, jusques à vous çuer sur nos rois. »
Les voix s'élevèrent, le ton s'aigrit ; chaque docteur
voulut prendre part à l'incident. Les réformés rappe-
laient les tâtonnements de l'église orthodoxe pendant
les premiers siècles, les catholiques les divergences
des communions réformées. Le cardinal de Lorraine
domina le bruit par une apostrophe imprévue ; il
demanda aux ministres s'ils reconnaissaient la con-
fession d'Augsbourg^ De Bèze le somma de la recon-
1. La confession d'Augsbourg, au sujet de l'Eucliaristie, tenait
le milieu entre la foi des catholiques et la thèse des Calvinistes,
190 ANTOINE DE BOURBON
naître lui-même. Tous les assistants parlaient à la fois
et le colloque tourna en tumulte. La reine mère leva
la séance au milieu d'un trouble aussi vif que le
trouble du premier jour^
L'assemblée s'était ajournée au lendemain, mais elle
ne se réunit que le 26 septembre en présence de la
reine. De Bèze parla le premier et débuta par une
imprudence. Blessé par les reproches qu'il avait essuyés
à la séance précédente, il ramena la discussion sur la
confession d'Augsbourg et mit les prélats catholiques
en demeure de la signer avant de la lui recommander.
Le cardinal de Lorraine, Despence, Pierre Martyr
prirent successivement la parole. Don Diego Laynez,
général des jésuites, intervint à son tour. C'était la
première fois que le royaume très chrétien entendait
dans une assemblée délibérante les conseils de cet
ordre ecclésiastique. Il parla avec plus de violence
que de solidité. Il traita les hérétiques de singes, de
loups, de renards, et proposa, pour tout argument,
de les renvoyer au concile de Trente^. De Bèze épilo-
entro la présence réelle et le sons ligure. Ce système porte le
nom de Consuhstantiaiion.
1. La Place, p. 179 et suiv., 189 et suiv. — Bèze, Hist. ecclés.,
1840, t. I, p. 349 et suiv. — Mémoires de Castelnau, 1731, t. I,
p. 71. — Lettre de de Bèze à l'électeur Palatin (Baum, Theodor
Ikza, Appendice, p. 88).
2. La Place, Estât de religion et république, p. 197. — De Thou,
liv. 28 (1740, t. III, p. 75). — Tel est le récit de tous les histo-
riens; mais il faut remarquer que le texte olïiciel du discours de
Laynez ne contient rien de seml)lable {lîist. soc. Jcsu ah Orlandino,
2" part., p. 278). Il est vrai que ce texte olïiciel ressemble à une
harangue arrangée après coup. — Claude Despence dit dans son
journal que le P. Laynez « uza de si grande véhémence à la
« modo italienne qu'il lit venir les larmes aux yeux de la reine
ET JEANNE d'aLBRET. 191
giia sur les mots Hoc est corpus meum. Despence lui
répondit. La gravité des premiers discours était rem-
placée par des invectives. Les Sorbonnistes mena-
çaient du poing Théodore de Bèze. L'un d'eux lui
cria : « Si nous te tenions en nostre école'. »
La discussion se concentrait sur l'article de la con-
fession d'Augsbourg relatif à la présence réelle, que
le cardinal de Lorraine soutenait comme s'il eût
été disposé à l'admettre. Cette tactique trahissait son
secret. Les Luthériens et les Calvinistes se combat-
taient mutuellement avec autant de passion qu'ils
combattaient les Catholiques. Outre l'avantage do
prendre les deux communions hérétiques en flagrant
délit de désaccord, il espérait tirer un grand effet moral
du spectacle de leurs divisions. Aussitôt après la
séance du 1 6 septembre, il avait dépêché au maréchal
de Vieille ville « un sien espion à gages, nommé Ras-
ce calon, lequel, de povre coquin, (il) avoitfait valet de
« chambre du roy, pour demander gens sçavans qui
« entendent et puissent parler clairement et défendre
« la confession d'Augsbourg^, » Vieilleville était plus
capable de choisir des capitaines que des théologiens,
mais le cardinal avait prévu son embarras, et avait
décidé le roi de Navarre à lui prêter ses conseillers au
delà du Rhin.
L'Allemagne protestante était alors menée par le
duc Christophe de Wurtemberg, le plus passionné des
« iiiùro, à ce qu'on dict, en uzant de ces paroles vulgaires ila-
« lionnes allencontre desditz adversaires de nostre foy et religion,
« loupi, volpi, serpenti, asmssini » (T. fr., vol. 17813, f. 28 v").
1. La Place, Eslat de religion et république, p. 198.
2. Bèze, Histoire ecclés., t. I, p. 331. — De Thou, Hist. univ.,
1710, t. m, p. 73.
192 ANTOINE DE BOURBON
princes allemands de la confession d'Augsbourg.
Jamais la nébuleuse Germanie n'avait donné le jour à
un prince plus ardent pour la controverse théologique.
Il envoyait des docteurs partout où se discutait la
Réforme. Dix ans auparavant, il avait accrédité des
ambassadeurs auprès du concile de Trente, traitant
d'égal à égal avec l'église catholique, et ne se consolait
pas d'avoir été éconduit. Attentif aux nouvelles du col-
loque de Poissy , il montrait du dépit de n'y être pas con-
voqué. Il avait ouvert des relations avec la reine, avec
le roi de Navarre, avec le duc de Guise, sans distinguer
entre les partis pourvu qu'ils consentissent à l'écouter.
On verra plus loin quelles avaient été ses négociations
avec le duc de Guise. Au roi de Navarre, il avait envoyé
un neveu de Vergerius et bientôt après François Bau-
douin, jurisconsulte d'Arras, ancien professeur en
droit canon à Genève et à Heydelberg'. Baudouin
apportait au prince la consultation d'un théologien,
nommé Georges Gassandre, fort renommé en Alle-
magne, en faveur de la confession d'Augsbourg, qu'il
présentait comme le remède à tous les maux de la reli-
gion-. Bien accueilli par le roi de Navarre, Baudouin
avait été reçu en ennemi par les ministres protestants
rassemblés à Poissy. Ils l'accusèrent d'apostasie, le
traitèrent d'Ecebole ' et repoussèrent toute conférence
avec lui. Gai vin se plaignit directement au roi de
1. Lettres françaises de Calvin, I. Il, p. 'rJO.
2. De Thou, liv. 28 (17i0, t. III, ]). 7'i). — Nous croyons quo
coLle consultation est une pièce intitulée De officio pii ac publica'
tranqnillitaiis vcre amanlis viri in hoc religionis dissidio, 1561,
août, in-'i».
3. Ecebole iHait un sophiste grec, lauieux par ses fréquentes
apostasies. — Voyez de Thou, t. III, p. l^.
ET JEANNE d'aLBRET. 193
Navarre et accabla en termes amers le docteur Bau-
douin.
Il y a un autre rustre aposté, qui se nomme Baudouin, qui
a desjà esté trois ou quatre fois apostat de Jésus-Clirist, et pos-
sible toutesfois se sera insinué tellement vers vous, Sire, que
vous en seriez trompé, si vous n'en estiez adverty. Nous sup-
plions doncques Vostre Majesté d'estre sur ses gardes au milieu
de tant d'embusches, et de rechef aussi nous vous prions, Sire,
au nom de Dieu, de ne vous laisser point esbranler ne çà ne là,
que la parole de Dieu ne soit maintenue en son entier ^
Cependant le duc de Wurtemberg, à la prière du
roi de Navarre et du maréchal de Vieilleville, avait fait
un choix parmi les représentants de la secte luthé-
rienne. Le duc de Saxe et le comte Palatin avaient
aussi désigné quelques-uns de leurs prêcheurs^. Le
duc de Wurtemberg réunit tous les docteurs et les
expédia en France avec une profession de foi doctri-
nale^. L'annonce de leur arrivée jeta le trouble dans
les rangs des ministres de Poissy. La difficulté de
tenir tête aux cardinaux allait s'aggraver de querelles
intestines. Théodore de Bèze essaya de les arrêter en
\. Lettres de Calvm, t. II, p. 420. M. Bonnet attribue cette
lettre au mois d'août 1561. La présence de Baudouin à Saint-
Germain prouve qu'elle ne peut être que du mois de septembre.
Nous mentionnons ici pour mémoire certaine lettre de Calvin
au s. du Poet, datée du 14 septembre, dont la fausseté a été si
bien démontrée par M. Bonnet qu'il n'y a plus lieu d'y revenir.
2. Documents cités par le comte Delaborde, Les Protestants à
la cour de Saint-Germain, p. 49 et suiv. — Leur arrivée est aigre-
ment signalée par Ghantonay comme un renfort pour les
ministres huguenots de Poissy (Lettre orig. en espagnol à Phi-
lippe II, du 13 novembre; Arch. nat., K. 1494, n» 108).
3. Cette pièce, datée du 3 octobre, est imprimée dans Vllistoire
des ducs de Wurtemberg, 1771, in-4o, t. IV, p. 191.
ni 13
194 ANTOINE DE BOURBON
route ; il écrivit au duc de Wurtemberg et le supplia
d'épargner aux défenseurs de la cause commune la
dure épreuve d'une lutte fratricide. Luthériens et Cal-
vinistes , disait-il , sont les apôtres de la Réforme et
doivent éviter le piège de l'ennemi commune Calvin
aussi pressentit le danger : « Je vous prie , écrivit-il
c< à Coligny, tenir la main que la confession d'Augs-
« bourg ne vienne au jeu , laquelle ne seroit qu'un
« flambeau pour allumer le feu des discordes^. »
Pendant que les docteurs allemands cheminaient
vers la France, le parti réformé avait posé hardiment
son droit à un culte public. Le 29 septembre, à
l'heure où le roi réunissait à la messe traditionnelle de
l'ordre de Saint-Michel les seigneurs du parti catho-
lique, le roi de Navarre, le connétable, les Guises et
leurs partisans, Théodore de Bèze célébra à Argen-
teuil, sous les auspices de Jeanne d'Albret, le mariage
de Jean de Rohan, seigneur de Fontenay, cousin ger-
main de la reine de Navarre , et de Diane de Bar-
bançon, fille du seigneur de Cany, une des victimes
du procès de Condé. La cérémonie fut célébrée dans
la matinée avec une grande pompe en présence du
prince et de la princesse de Condé, de Coligny et de
sa femme, du comte et de la comtesse de La Rochefou-
cault, du duc de Longueville et d'une foule de sei-
gneurs. Le choix du jour de la cérémonie d'Argenteuil
fut considéré à la cour comme un acte de défi de la
part des réformés^.
\. Cette lettre, datée du 3 octobre, est imprimée par Baum,
Theodor Beza, appendice, p. 88.
2. Lettres de Calvin, t. II, p. 428.
3. Calendars, 1561, p. 339, 360 et 367. Parmi les princes pré-
sents à la fête de l'ordre, Throckmorton nomme le roi de Navarre.
ET JEANNE d'aLBRET. 195
Aussitôt après le mariage de Jean de Rohan, de
Bèze se rendit à Poissy. La reine avait encore diminué
le nombre des docteurs admis au colloque ^ La liste
des ministres avait été réduite à de Bèze, Martyr, des
Gallars, Marlorat et l'Espine, et celle des prélats à
Jean de Monluc, Pierre du Val, évêque de Séez, et à
trois docteurs de Sorbonne. Mais déjà le colloque de
Poissy mourait de ses violences. Les catholiques refu-
saient de se prêter à la discussion de leurs dogmes
sacramentels, et les ministres redoutaient de se trouver
en présence des docteurs de la communion d'Augs-
bourg^. Les dernières séances, celles du 4 et du
9 octobre, donnèrent lieu, de la part des réformés et
des catholiques, à des formulaires sur la sainte cène
qui furent repoussés sans être développés. Ce double
échec termina le colloque^. Le 18, à défaut d'une pro-
fession de foi doctrinale, le roi promulgua une décla-
ration « sur le fait de la police et règlement qu'il veut
« être tenu entre ses sujets^. » « Geste déclaration, dit
« le président Montagne, fut publiée par tout le
« royaume, et apporta quelque modération des troubles
« pour le regard du port des armes défendu par icelle ;
« mais elle enhardit tellement ceux de la nouvelle
1. D'après Le Laboureur la reine ne prit cette résolution que
le 30 septembre {Mémoires de Castelnau, 1731, t. I, p. 737 et 738).
— D'après Claude Despence, la reine fit appeler à Saint-Germain,
par une lettre signée de Bourdin et datée du 28 septembre, les
docteurs Salignac, Bouteiller et Despence, et leur signifia de
vive voix ses ordres (Journal de Despence, f. fr., vol. 17812, f. 99).
2. Voyez la lettre de de Bèze au duc de Wurtemberg (Baum,
Theodor Beza, appendice, p. 88).
3. La Place, Estât de religion et république, p. 199.
4. L'édit, sous forme de lettres patentes, est imprimé dans les
Mémoires de Condé, t. II, p. 520.
196 ANTOINE DE BOURBON
« religion pour le regard de leurs assemblées, pour la
« suspension de l'effet et des peines contenues en
« l'édit de juillet, qu'elles en furent de jour en jour
« augmentées. Et par ce moyen furent commises plu-
« sieurs grandes insolences par aucuns de la Reli-
« gion^. »
Les ministres réunis à Poissy étaient à peine séparés
quand les docteurs allemands arrivèrent. Ils furent
reçus ensemble à Paris, le 19 octobre, par Hubert
Languet à l'hôtellerie du Porcelet. Le roi de Navarre
les retint pendant quelques jours loin de la cour.
L'aiguille politique du prince avait tourné, et ces doc-
teurs, qu'il appelait avec instance un mois auparavant,
lui étaient déjà importuns. Cependant, le 26 octobre,
il les fit appeler à Saint-Germain. Ils allaient s'y
rendre quand l'un d'eux, Jacques Beurlin, mourut
d'une maladie contagieuse. Sa mort les obligea à
attendre de nouveaux ordres. Enfin, le 7 novembre,
ils furent reçus à la cour par le roi de Navarre.
Feignant de regretter les divergences qui séparaient
les diverses sectes de la nouvelle église, Antoine leur
demanda une profession de foi digne d'être acceptée
par toutes les communions françaises. Les théologiens
allemands entrèrent en délibération, mais ils ne purent
s'accorder. Les Palatins recommandaient une formule
et les Wurtembergeois une autre. Antoine les reçut
toutes deux , et , sans engager de polémique , les
pria de demander à leurs souverains respectifs un
nouveau colloque d'où l'union pourrait sortir. Les
Allemands restèrent à la cour, admis en coreligion-
naires chez les seigneurs réformés, chez la reine de
1. Fragment de la gramle histoire du président Montagne
(f. Ir., vol. 15'i'Ji, t. 181).
ET JEANNE d'aLBRET. 197
Navarre et chez le prince de Condé, en alliés chez les
partisans du duc de Guise. Le cardinal de Lorraine et
les habiles de son parti auraient désiré rouvrir les
séances du colloque « pour que la dispute de la cène
« fust recommencée entre lesd. ministres, d'une part
c( et d'autre ; affin que, les ayant mis au combat les
« uns contre les autres, l'on se pust retirer dud. col-
ce loque avecq risée desd. ministres. Ce qu'ayant senty,
« ceulx qui estoient venus d'Almagne se retirèrent
« doulcement en leurs maisons et pays K » Le 15 no-
vembre, à Poissy, Théodore de Bèze leur fit une visite
amicale. Le 21 , Catherine de Médicis leur donna
audience. Après avoir pris congé de la reine mère, du
roi de Navarre et de Jeanne d'Albret, ils retournèrent
à Paris et reprirent, sans avoir rien fait d'utile, le
chemin de Strasbourg-.
Les ministres calvinistes du colloque de Poissy se
séparèrent. Merlin s'était déjà retiré à Genève. Pierre
Martyr reçut du roi un don de 200 écus et quitta la
France ". Nicolas des Gallars rentra en Angleterre^. De
1. Récit du colloque de Poissy (f. fr., vol. 17813, f. 135). Cette
pièce a été presque textuellement reproduite par le président
La Place et forme le fonds de son récit, mais il s'est gardé d'in-
sérer le passage ci-dessus.
2. Le récit de l'ambassade des docteurs allemands a été fort
bien résumé par M. le comte Delaborde {Les Protestants à la cour
de Saint-Germain, p. 63 et suiv.), d'après Kugler, Kluckhohn et
les lettres d'Hubert Languet. — Voyez aussi La Place, Estât de
religion et république, p. 200.
3. Calendars, 1561, p. 399. — Lettres du roi de Navarre aux
habitants de Zurich, du 29 octobre 1561 (Baum, Theodor Deza,
Preuves, p. 116). — Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 31 oc-
tobre (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1491, u» 106).
1. Lettre du roi de Navarre à la reine d'Angleterre, du 23 no-
vembre 1561 (Calendars, 1561, p. 411).
198 ANTOINE DE BOURBON
Bèze resta à Saint-Germain au service de Jeanne d'Al-
bret.
Les prélats catholiques restèrent réunis pendant
quelques jours, mais leurs délibérations, affaiblies par
le départ de leurs contradicteurs, ne se portèrent que
sur des sujets financiers. Cependant l'évêque de
Valence et le cardinal de Lorraine proposèrent la com-
munion sous les deux espèces, afin de diviser les
réformés et de faire montre de conciliation vis-à-vis
du nouveau culte ; la majorité réserva la question
au concile de Trente ^ Le clergé fut plus généreux
à l'égard du trésor royal que les ordres laïques. Le
conseil du roi lui avait demandé de se charger du
rachat du domaine jusqu'à concurrence de 1 3 millions^.
Le clergé s'y engagea et demanda seize années pour
acquitter sa dette. La reine exigea un délai plus rap-
proché, et l'assemblée, pour mériter la faveur du roi,
promit au duc de Guise et au connétable de Montmo-
rency de fournir chaque année un appoint de seize
cent mille livres. L'exemple du premier corps de l'État
décida les ordres laïques à des sacrifices. Coligny et
d'Andelot obtinrent des États de Pontoise, au prix de
l'abrogation de l'édit de juillet, l'établissement pour six
ans d'un nouvel impôt sur les vins qui devait rapporter
douze cent mille livres par an^.
Les prélats catholiques quittèrent la cour à la fin de
1. Ilist. du concile de Trente, do Sarpi, iii-i", 1726, t. U, p. 125.
2. L'instruction du roi au duc de Guise et au connétable de
Montmorency, envoyés à Poissy, datée du 11 septembre, est
conservée en copie dans le vol. 17813 du f. fr., f. 115.
3. Procès-verbal de la dernière session des états de Pontoise
analysé par Garnier, flist. de France, t. XV, p. 202. — Voyez
aussi P. Mathieu, t. I, p. 247.
ET JEANNE d'aLBRET. 199
novembre pour se rendre au concile de Trente ^ . Le
jour de leur départ, il s'éleva un vent violent qui fit
dire aux plaisants du parti huguenot « que le diable
« les emportoit. » Mais on ne songea pas, dit de Bèze,
« qu'il les devoit ramener, comme il fit*. »
1. Voici, d'après une lettre de Chantonay du 9 novembre, la
liste des prélats désignés à cette date pour aller au concile de
Trente. On sait que cette liste varia souvent.
Les archevêques d'Embrun et d'Arles.
Les évêques de Paris, de Lizieux, d'Avranches, de Séez, de
Châlons, de Troyes, de Nevers, du Mans, de Toulon (ambassa-
deur du duc de Savoie), de Pamiers, de Lavaur, de Mirepoix,
de Castres, de Béziers, d'Alep, de Saint-Pons, de Montpellier, de
Lodève, de Périgueux, d'Agen, de Montauban, de Tulle, de Com-
minges et d'Ayre (Arch. nat., K. 1494, n" 107). — H y a une
autre liste dans le f. fr., vol, 15409, f. 22.
2. Bèze, Histoire ecclés., t. I, p. 419.
Z-OI
CHAPITRE QUATORZIÈME.
La cour pendant et après le colloque de Poissy,
Progrès de la Ré forme pendant le colloque. — Pratiques
religieuses de Jeanne d'Albret. — Jeanne d'Albret et
Charles IX. — Jeanne d'Albret et le cardinal de
Ferrare. — Instances de Jeanne auprès de son mari
en faveur de la Réforme. — Mariages arrêtés entre
les Rourbons et les Valois.
Négociations de Philippe II pour forcer la main à la
reine. — Tentative du duc de Nemours pour enlever
le duc d'Orléans {%0 octobre 1561). — Fuite de
Nemours. — Arrestation de Ligneroles. — Compli-
cité du roi d'Espagne.
Le colloque de Poissy, loin de pacifier le royaume,
avait élevé l'audace des réformés. « Depuis qu'ils ont
« esté ouis en public, écrit Pasquier, ils parlent plus
« haut Ils ne demandoient qu'à tenir des assem-
« blées, ils exigent des temples Déjà ils s'en sont
« donné de leur autorité privée ^ » Au mois d'oc-
tobre, l'usurpation générale des églises catholiques fut
1. Lettres de Pasquier, t. 11 des ÛEuvres complètes, cul. 87.
202 ANTOINE DE BOURBON
rol)jet des délibérations du conseil. Le roi de Navarre
blâma ces violences « avec tant de force, dit Suriano,
« qu'il montra bien avoir mis de côté tout respect
« humain ^ . » Le %0 octobre, un édit, crié à son de
trompe dans toutes les villes, commanda aux réformés
de restituer les églises catholiques-. Mais, quelques
jours après, le roi écrivit au prince de Condé une
lettre, bientôt répandue dans les consistoires, qui
affaiblissait la portée de l'édit royal ^.
Dans chaque ville, dans chaque province surgis-
saient des prêcheurs disposés à supplanter les prêtres,
surtout dans les bénéfices ecclésiastiques. Plusieurs
étaient des théologiens de Genève qui évangélisaient à
l'abri du colloque. Mais le plus grand nombre de ces
apôtres improvisés étaient des moines défroqués ou de
simples aventuriers sans mission, qui cherchaient for-
tune dans les troubles publics. Ce mouvement est
décrit avec ironie par un annaliste contemporain.
Toiil ce fait de Poissy acheva de gaster tout d'autant que les
ministres ayant libre entrée en France y gaignerent en peu
d'heure beaucoup d'hommes curieux des choses nouvelles
comme porte le naturel de la nation. Puis on ne veit onc gens
mieux contrefaisans les sainctes personnes, ny parlant plus
attrayemment. Joint que leurs sectateurs transportez d'affection
en semoient tant de faulses louanges, que plusieurs simples se
laissoient mener à crédit. 11 n'y avoit ville, bourg ne bourgade
l.Loltro de Suriano du 1!) octobre (Dépèches vénit., filza
4 bis, f. 96 v").
2. Cet édit est imprimé dans le recueil de Fontanon, t. IV,
p. 265. — Il y en eut un second, daté du 3 novembre, qui est
analysé par de Thou (1740, t. lit, p. 99).
3. Lettre du 3 novembre (Copie ; coll. Bricnnc, vol. 205, f. 293).
Cette lettre manque aux Mémoires de Condé.
ET JEANNE D'aLBRET. 203
qui n'eust raison de ministres, voire aux hosleleries mesmes y
en avoit d'entretenus pour gaster les paysans, tant ces hommes
poursuivoient furieusement leur pointe. Et qui pis est, un tas
de coquins, ignorans de toutes lettres, s'avançoient impudem-
ment de monter en chaire, et corriger Magnificat. Car, pour
estre savant entr'eux, c'estoit alors assez de chanter les psalmes
de Marot, et vomir forces injures contre la messe et le pape.
Quant à la défense à eux faite de ne prescher es villes, ils s'en
mocquoient disans qu'il falloit obéir plus tost à Dieu qu'aux
hommes. Tellement qu'à les ouyr et- voir, on eust dit qu'ils
avoient parlé à Dieu bouche à bouche comme Moyse, et receu
commission expresse de faire indifféremment tout ce qu'il leur
venoit à gré, et montoil à la fantaisie ^
Attentive au mouvement qui emportait la France
vers des horizons nouveaux, Catherine se montrait
plus disposée à le suivre qu'à l'enrayer. Mais, trem-
blant de compromettre son pouvoir et la couronne
de ses enfants, elle subordonnait ses actes aux néces-
sités du moment et ses paroles aux passions de ses
interlocuteurs. « Elle nous a dit assez souvent, écrit
« l'ambassadeur vénitien Marc-Antoine Barbaro, qu'elle
« était née chrétienne, qu'elle voulait vivre et mourir
« dans sa foi et y élever le roi et ses autres enfants ,
« qu'il fallait pour le moment tolérer plusieurs choses,
« mais que le roi lui-même, lorsqu'il aurait l'âge,
« remédierait à tant de maux-. » Les catholiques
lui donnaient d'aussi rudes alertes que les réformés.
Les gronderies du connétable devenaient chaque jour
plus graves et le mécontentement du duc de Guise
1. Piguerre, Histoire française de notre temps, in-fol., 1581, t. I,
f. 399. Cet annaliste ne s'est point inspiré de La Popelinière,
comme on l'a écrit souvent, mais de Belleforest.
1. Relations des ambass. vénitiens, t. II, p. 85.
204 ANTOINE DE BOURBON
plus menaçant. Ils « soufflent, écrit Claude de l'Au-
« bespine, tant qu'ils peuvent le feu pour faire peur à
« ladite dame. » Un soir, à minuit, Guise et le conné-
table réveillèrent la reine pour lui dire « que les catho-
« liques s'armaient, montrant qu'il y avait apparent
« danger de bientôt voir le royaume en deux ^ . » Pressée
entre les factions, Catherine de Médicis, comme tous les
pouvoirs faibles, suivait une politique de compromis,
même dans la maison du roi. Les princes étant par-
tagés en deux camps, elle permit que la chapelle du
château servit successivement aux cérémonies des deux
cultes. Le jour du prêche, un ministre montait en
chaire ; la reine de Navarre, Condé, les Chasti lions et
leurs adhérents se groupaient autour du prédicateur.
Le lendemain l'église appartenait aux prêtres ortho-
doxes ; le roi, ses frères, les cardinaux, le connétable,
les Guises entendaient la messe dans le sanctuaire et la
foule des courtisans dans la nef 2. Suivant les cir-
constances, la reine mère assistait à l'un ou à l'autre
sermon. Le roi de Navarre, pour plaire aux deux
partis, n'avait rien trouvé de mieux que de se rendre
aux deux offices. Il accompagnait habituellement le
roi à la messe ^, suivait sa femme au prêche et par-
ticipait à la cène comme un chrétien des anciens
jours ^ Il ne se cachait que de l'ambassadeur d'Es-
pagne, et croyait, à l'aide de démentis puérils, lui
1. Lettre de Claude de l'Aubespino à sou frère, ambassadeur
en Espagne, du 29 août (Orig., f. fr., vol. 6618, f. 4).
2. Lettre de Throckmorton du 13 décembre [Calendars, 1561,
p. 437).
3. Calendars, 1561, p. 413.
4. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 26 novembre (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1494, n° 120).
ET JEANNE d'aLBRET. 205
dissimuler sa conduite ^ Ce double jeu était la fable de
la cour. Chantonay s'en plaignit au cardinal de Tour-
non qui haussa les épaules sans répondre^. Le par-
tage de la chapelle royale était interrompu lorsqu'un
ministre de renom, de Bèze, Pierre Martyr, des Gal-
lars ou un autre, obtenait une audition exceptionnelle.
En ce cas, la cour presque entière se réunissait dans la
chapelle avec un empressement où il entrait plus de
fantaisie que de ferveur. C'est ainsi que, le 9 décembre,
le cardinal de Chastillon fît prêcher devant la reine
mère, le roi et les princes, son ministre favori, M^ Bou-
teiller ^.
Tandis que le roi de Navarre, avec la légèreté qui
lui appartenait, cherchait ses intérêts, courtisait les
deux partis et se discréditait auprès de tous, Jeanne
d'Albret suivait une ligne droite, ferme, qu'aucune
considération humaine ne pouvait faire fléchir. Le
colloque de Poissy et le mouvement religieux de la
cour ouvraient une carrière à son ardeur de néo-
phyte. Dès le premier jour de son arrivée, elle travailla
à l'organisation du culte public de la Réforme. Madame
de Vendôme est arrivée, écrit Chantonay, « vivant à
« sa façon, de laquelle elle ne délibère changer aucune
c< chose ^. » Sa façon, c'était de faire prêcher dans ses
appartements, toutes portes ouvertes. Chaque jour
1 . L'ambassadeur d'Espagne n'habitait pas le château de Saint-
Germain. Toutes ses lettres de cette époque sont datées de Poissy
ou de Saint-Gloud, ou de Paris.
2. Lettre de Chantonay au duc d'Albe, du 3 décembre (Arch.
nat., K. 1495, n» 92).
3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 10 décembre (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1495, n" 95).
4. Lettre du 6 septembre {Mémoires de Condé, t. II, p. 17).
206 ANTOINE DE BOURBON
elle rassemblait trois ou quatre cents néophytes, enre-
gistrait leurs noms, recevait leurs serments, leur fai-
sait entendre un prêche et chanter certains psaumes
de Marot. Après la cène, les fidèles passaient dans le
logis de la dame de Roye, puis de la princesse de
Condé et renouvelaient })lusieurs fois les mêmes céré-
monies^. L'attention de Jeanne d'Albret se portait
même sur le pauvre peuple des égHses calvinistes. Les
petites gens trouvaient auprès d'elle un point de ral-
liement. Elle recevait les ministres en sauveurs, les
réformés en frères et prêtait son appui aux plus humbles
croyants. Informée que la veuve de l'historien Martin
du Bellay, belle-sœur du cardinal du Bellay, « violen-
ce tait la conscience » d'une de ses filles, qui avait
refusé de l'accompagner à la messe, elle prit si éner-
giquement le parti de la jeune révoltée que la mère se
vit forcée de l'envoyer à la cour auprès de sa protec-
trice^.
Chantonay porta plainte au roi de Navarre des mau-
vais exemples de Jeanne d'Albret, des ministres qu'elle
traînait après elle, de ses chantres, de ses offices
publics dans les salles du château. Le hasard avait
logé la princesse et le cardinal de Ferrare dans des
appartements peu éloignés. Le chant continuel des
psaumes, crié à pleine voix, dit Chantonay, « devant,
« dessus et à côté du logis du légat , » troublait son
repos '\ Chantonay somma le roi de Navarre de faire
1. Lottre de Cliantonay à Philippe II, du 14 octobre (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. l'jQS, n" 83). — Voyez aussi une lettre
adressée à Throckmorton (Calendars, 1561, p. 367).
2. Lettres d'Ant. de Dourho7i et de Jehanne d'Albret, p. 241, 243,
245, 246, 251.
3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 14 octobre (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1 V,)5, n» 83).
ET JEANNE d'aLBRET. 207
cesser des exercices qui offensaient le représentant du
saint-siège. Antoine reçut ces plaintes en mari peu
assuré de son autorité. « Il me répondit avec le plus
« grand sangfroid , écrit Chantonay , qu'il n'aurait
« jamais cru telle chose de sa femme , que, quand il
« était sorti de ses états, il l'avait abandonnée à elle-
« même, certain qu'elle ne s'écarterait jamais de ses
« devoirs de catholique , qu'il n'avait jamais été
« informé qu'elle eût fait autrement , et qu'il saurait
« bien lui faire entendre la vérité s'il en était besoin ;
« que pour lui i! l'avait toujours connue bonne ,
« honnête, aimant la vertu et détestant le vice. »
Antoine prétendait ignorer qu'elle entretînt à sa suite
des théologiens de mauvaise réputation et assurait
qu'elle était seulement accompagnée d'un ancien moine,
défroqué avec l'autorisation du pape, le même qui
avait assisté Marguerite d' Angoulême dans ses dernières
années. « Je pris cette réponse pour ce qu'elle doit
« être, écrit Chantonay, car ce sont des affaires que
« l'on ne peut discuter, même en ayant des preuves
« en main, avec des personnes de cette qualité '. »
Poussée par son zèle, la reine de Navarre, d'accord
avec le prince de Condé et les trois Ghastillons, désira
fonder une église nationale-. Les Grussol et une foule
de courtisans, pressés d'adorer le soleil levant de la
religion nouvelle, se joignirent plus tard à l'asso-
ciation ^. C'est dans ce dessein que Jeanne d'Albret
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 28 août (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1494, n» 93).
2. Baum, Theodor Beza, Preuves, p. 118 et 121. Lettre de
de Bèze à Calvin, du 30 octobre.
3. Calendars, 1561, p. 449 et 458. — Lettre de Chantonay à
Philippe II, du 21 décembre (Orig. espagnol; Arch. nat., K.
1495, no 103).
208 ANTOINE DE BOURBON
écrivit à la république de Genève pour s'assurer le
ministère de Théodore de Bèze.
Magnifiques Seigneurs. Nous sommes résolus et advisés
retenir pour trois ou quatre mois auprès de nous vénérable
personne M. Théodore de Bèze, espérant que les occasions se
présenteront durant ce temps que Dieu se pourra servir de luy
pour la paix de son église et le bien de la républicque chres-
tienne, vouspryant pour une si bonne et nécessaire cause voul-
loir excuser le desfault qui vous peult fere par son absence et
préférer l'utilité commune et universelle à la vostre, laquelle
pour cela nous n'envions poinct, ains prions nostre Dieu,
magnificques Seigneurs, la vous conserver et vous tenir en sa
protection et sauvegarde.
Escript à Saint-Germain-en-Laie, ce 25^ jour de novembre
La Royne de Navarre,
JeHA!V!VE^
L'église nationale , organisée par la reine de
Navarre, aurait pu attirer beaucoup d'adeptes. « Il ne
« manquait plus que cela, écrit Tornabuoni, pour
« donner le dernier coup à la religion et faire que la
« reine, qui s'était encore montrée catholique, ne joue
« maintenant à cartes découvertes-. » Heureusement
pour la paix du royaume, l'entreprise n'eut pas de
suite.
Les réformés reconnaissants traitaient Jeanne
1. L'original est conservé aux archives de Genève, daté de
Saint-Germain et du 25 novembre. M. le comte Delaborde a
connu cette lettre et en a publié des extraits {Les Protestants à la
cour de Saint-Germain, p. 73). — Le prince de Coudé écrivit dans
le même sens aux gens de Genève. Sa lettre est imprimée dans
l'Histoire de Condé, du duc d'Aumale, t. I, p. 344.
2. « Adesso dia le carte alla scopecta. » (Négoc. de la France
avec la Toscane, t. III, p. 461 ; Lettre du 4 sept. 15G1.)
ET JEANNE d'aLBRET. 209
d'Albret en reine. Le célèbre jurisconsulte, Charles
du Molin, lui dédia un de ses livres au nom de « tous
« loyaux serviteurs et amateurs de Dieu et de Jésus-
ce Christ. » Dans la préface, pas un mot sur le roi
de Navarre, mais un hommage à son fils, « prince
« de très heureuse et royale espérance ' . » La reine
d'Angleterre prit l'habitude de correspondre avec
Jeanne d'Albret, Throckmorton de traiter directement
avec elle^. Aussitôt après son arrivée, il avait été le
premier des ambassadeurs étrangers à lui présenter
ses hommages". Les ambassadeurs catholiques se
gardaient de la princesse comme de l'ennemi. Le véni-
tien retarda longtemps la visite que l'étiquette de la
cour lui imposait^. Quant à Chantonay, il s'en dis-
pensa ; dans ses lettres il ne prononce le nom de la
reine de Navarre que pour la maudire.
Jeanne, plus habile qu'on ne pouvait l'espérer,
sentait que la destinée de son parti dépendait des dis-
positions futures du roi. Elle entreprit de faire son
éducation avec une délicatesse maternelle. Elle aimait,
dit Chantonay, à se trouver seule avec lui et lui tenait
1. Ce livre a pour titre : La première partie du traicté de l'ori-
gine, progrès et excellence du royaume et monarchie des Françoys et
couronne de France, Lyon, à la Salamandre, 156L La préface est
datée du 7 septembre 156L L'ouvrage est une étude sur l'anti-
quité du royaume et ses anciennes lois, dans laquelle, sous pré-
texte d'études historiques et de comparaison avec l'empire
romain, l'auteur blâme l'idolâtrie du catholicisme.
2. Il lui remit une lettre de félicitation de la reine d'Angle-
terre, datée du !«■• septembre [Calendars, 1561, p. 286).
3. Lettre de Throckmorton, du 20 septembre (Calendars, 1561,
p. 311). — Autres {ibid., p. 355 et 362).
4. Lettre de Suriano, du 2 octobre (Dépêches vénit., (ilza 4,
f. 348).
m 14
210 ANTOINE DE BOURBON
des conversations appropriées aux goûts de son âge*.
Un jour, dans une de ces conférences familières qui
aidaient la princesse à se mettre en faveur, s'engagea
le dialogue suivant :
Le roi. — Bonne lante, je vous prie de me dire ce que cela
signifie, que le roi mon oncle, votre mari, va tous les jours à
la messe et que vous n'y venez pas, ni mon cousin votre fils,
le prince de Navarre.
Jeanne d'Albrei. — Sire, le roi mon mari le fait ainsi parce
que vous y allez, pour vous accompagner el obéir à votre ordre
et commandement.
Le roi. — Non, tante, je ne lui commande pas de le faire et
je ne désire pas qu'il le fasse. Si ce n'est pas une bonne chose,
comme je rcnlends dire, il pourrait aussi bien s'abstenir d'y
aller et je ne m'en offenserai pas. Car, si j'avais pouvoir ainsi
que lui et si je croyais sur ce point comme il croit, je n'irais
pas moi-même.
Jeanne d'Albret. — Comment, Sire, que croyez-vous là-
dessus ?
Le roi. — La reine ma mère, M. de Cipierre et mon précep-
teur me disent que c'est très bien et que je vois Dieu journel-
lement à la messe, mais j'entends dire par d'autres que Dieu
n'y est pas et que la messe n'est pas une bonne pratique. Et
assurément, Lante, pour être sincère avec vous, si ce n'était
pas pour plaire à la reine ma mère, je n'irais pas moi-même.
Vous pouvez hardiment continuer de vivre comme vous faites \
et le roi votre mari peut agir en cette affaire suivant sa cons-
cience sans craindre de me causer aucun déplaisir. Et assuré-
ment, lante, quand je me gouvernerai moi-même, j'ai l'intention
de quitter toutes ces prati(iues. Mais je vous prie de garder ces
secrets pour vous et tic l'aire en sorte qu'ils ne reviennent
jamais aux oreilles de ma mère.
La reine de Navarre, triomphante des dispositions
1. Lettre do Ghantouay à IMiilippe II, du '21 septembre (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1495, n° 70).
ET JEANNE d'aLBRET. 211
de son élève, rapporta la conversation à l'ambassadeur
d'Angleterre'* et en tira bon augure pour l'avenir. « Je
« ne puis me défendre, ajouta-t-elle, de certaines
« appréhensions à la vue de ce royal enfant. Il me
« semble qu'il a de trop bonnes inclinations, trop de
« bon vouloir et de trop riches qualités pour rester au
« milieu de nous. »
Malgré le témoignage de la reine de Navarre, il
semble que le jeune roi, bien conseillé par le conné-
table et par son précepteur, Jacques Amyot, montrât
assez de suite dans la pratique de l'ancienne religion.
Claude Hatton raconte que sa mère le conduisit un jour
au prêche de Théodore de Bèze et voulut « le faire
« catéchiser en ceste nouvelle opinion ; mais il ne s'y
« voulut ranger, encores qu'il fut jeune enfant-. »
Chantonay, Suriano, Tornabuoni constatent qu'il allait
habituellement à la messe. Un jour, le 2 janvier 15G^,
passant devant le logis de la reine de Navarre, il frappa
violemment et entra. Le ministre était en chaire. Le roi
parut sur le seuil delà porte, considéra l'assistance d'un
œil curieux et se retira en disant : « Ne doutez pas que,
« si vous continuez à prêcher ainsi, vous serez tous
« brûlés^. » En attendant l'exécution de ces menaces,
l'amitié du roi pour sa tante se traduisait par des
faveurs. Il lui donna, en considération de ses dépenses
à la cour, une somme de i)0,000 livres tournois à
1. Lettre de Throckmorton, du 2G novembre (Calendars, 1561,
p. 413). Nous traduisons littéralement le récit de l'ambassadeur
anglais. Plusieurs historiens, le comte Delaborde et M. Forneron,
l'avaient reproduit avant nous.
2. Mémoires de Claude Ilatton, t. I, p. 156.
3. Lettre de Tornabuoni au grand duc de Toscane, du 3 jan-
vier 1.562 (Négoc. de la France avec la Toscane, t. III, p. 470).
212 ANTOINE DE BOURBON
prendre sur la vente des arbres « tombez ou versez
« par l'impétuosité des vents durant la présente année »
dans toutes les forêts royales ^ .
Au milieu de l'efFervescence protestante de la cour,
le cardinal de Ferrare gardait l'impassibilité d'un
romain. Le parlement de Paris ^ et le chancelier, en
vertu des libertés gallicanes, avaient refusé, l'un d'en-
registrer, l'autre de sceller ses bulles, et le prélat
attendait patiemment le bon vouloir des corps judi-
ciaires. Antoine se montra empressé auprès de lui,
dès son arrivée, pour s'en faire un protecteur auprès
du pape. Le cardinal, dit Ghantonay, accepta d'au-
tant plus volontiers ces avances que Pie IV était
vieux et qu'il aspirait à la tiare ^ L'appui qu'il pro-
mettait à la maison d'Albret, sa froideur pour les
Guises lui avaient attiré des partisans, même parmi
les réformés les plus endurcis. Gondé et l'amiral le
soutenaient ouvertement contre le chancelier^. Entîn,
agissant d'autorité, Antoine lui livra une chapelle pour
ses offices et fît dresser secrètement ses pouvoirs^.
1. Lettres patentes datées de Saint-Germain, et du 11 novembre,
coiiiirmées le 5 février 1561 (156:2) et le 1«'" juin 15G2 (Copie;
Arch. nat., P. 2312, f. 1593). Cette même pièce nous apprend
que la reine de Navarre jouissait des forêts de Chasteauneuf, de
Champrond et de Sononches.
2. Lettre de Chantonay à Philippe U, du 28 octobre (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1494, n" 105).
3. Lettre de Ghantonay, du 21 septembre, à Philippe II (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1495, n° 70).
4. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 14 octobre et du
13 novembre (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1495, n" 83, et 1494,
n» 108).
5. Cette pièce est imprimée dans Facultates HippoUti card. Fer-
raricnsis, f. 53. — Autres pièces relatives à la môme affaire {ihid.,
ET JEANNE d'aLBRET. 213
Un jour, pendant l'absence du chancelier, aidé du
prince de Condé et de Coligny, il déroba le sceau du
roi et le fit apposer par Claude de l'Aubespine. Le
brevet de légat, régularisé au prix d'une supercherie,
fut présenté au parlement et enregistré, malgré l'oppo-
sition du chancelier, avec une clause qui réservait
l'avenir ^ Mais il suffisait au rusé prélat d'être toléré
à la cour pour y nouer ses trames.
Les rapports du cardinal de Ferrare avec Jeanne
d'Albret, par suite de sa bonne volonté pour le roi de
Navarre, prirent une teinte de cordialité. Jeanne
l'invita à souper et le cardinal accepta sans autre con-
dition que de rendre « la courtoisie. » En vain le car-
dinal de Tournon, qui avait reçu secrètement du pape
une sorte de droit de veto sur les actes du légat, en
vain le connétable, au nom de sa vieille expérience,
s'efforcèrent de l'en détourner. Le 12 novembre,
le cardinal de Ferrare, accompagné du cardinal d'Ar-
magnac, se rendit au logis de la princesse. Au com-
mencement et à la fin du repas, un ministre pro-
testant récita une prière à la mode de Genève. Les
tables enlevées, la salle s'emplit peu à peu et un
franciscain défroqué, ancien condisciple d'un des
docteurs du légat, monta en chaire. H parla avec
f. 57). — Autres {Preuves des libertés gallicanes, 3^ partie, p. 103
et 105).
1. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 13 novembre (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. I'i9i, n" 108). — Voyez aussi de Thou
(1740, t. in, p. 98). — Throckmorton raconte que la reine était
d'accord avec le roi de Navarre [Caïendars, 1561, p. 396). —
Ghantonay dit qu'il fut expressément défendu au cardinal d'user
de ses pouvoirs de légat, afin que le précédent actuel n'en-
gageât pas la jurisprudence du parlement à l'avenir.
214 ANTOINE DE BOURBON
tant de modération, dit Ghantonay, que les deux pré-
lats l'approuvèrent en tous points; le cardinal d'Arma-
gnac déclara que saint Paul n'aurait pas mieux prê-
ché. Après le sermon commença le chant des psaumes.
Le légat, assis à la place d'honneur, était entouré de
princesses qui y prenaient dévotement leur part. Dans
le chœur, dit Boquin, on distinguait les voix enfan-
tines du prince de Béarn et de son cousin germain,
Henri de Bourbon Gondé, tous deux âgés de moins de
dix ans. Les deux prêtres, silencieux, assistaient à
la cérémonie sans donner la moindre preuve d'impro-
bation. Cependant les réformés leur reprochèrent
d'être restés couverts et de n'avoir pas fléchi le genou
pendant l'oraison dominicale et au nom de Jésus-
Christ ^
Tous les catholiques avaient blâmé le cardinal de
Ferrare de sa condescendance, et s'étaient moqués de
sa mésaventure, mais les rieurs se retournèrent de
son côté quand la cour apprit que la reine de Navarre,
fidèle à sa promesse, irait entendre un sermon catho-
lique au logis du prélat-. La réception, d'abord fixée au
vendredi, 1 3 novembre, fut renvoyée au samedi à cause
1. Cette scène est racontée avec détails par Ghantonay (Lettre
à Philippe II, du 13 nov.; Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1494,
n" 108), et par Boquin, amhassadeur de Frédéric le Pieux {Lettres
de Frédéric le Pieux, 18r)8, Munich, t. II, p. 315). La lettre de
Boquin, («crito en latin, a été traduite en partie par M. le comte
Dclabordo [Les protestants à la cour de Saint-Germain, p. 70). —
Les lettres de Suriano, du 19 novembre (Dépêches vénit.,filza 4 bis,
f. 110 V), et de Tornabuoni, du 20 novembre [Négoc. de la France
avec la Toscane, t. III, p. 468), contiennent un récit plus abrégé.
2. Lettre du cardinal do Sainte-Croix, nonce du pape, du
15 novembre (Cimbor et Danjou, Archives curieuses pour servir à
ihist. de France, t. VI, p. 12).
ET JEANNE d'aLBRET. 215
de l'état de santé de la princesse. Jeanne arriva dans
la chapelle cardinale, accompagnée du prince de Condé
et de Coligny, et s'assit en face de la chaire. Mais elle
ne montra pas autant de bonne grâce que le légat. En
entrant, elle dit à haute voix à ses gens : « Mainte-
« nant, puisque nous avons fait la folie de venir à ce
« sermon, il faut la pousser jusqu'à la fin en montrant
« par notre attitude que nous y venons de très mau-
« vaise volonté ^ . » Bientôt elle quitta sa place et
monta dans une tribune haute, avec son ministre, le
franciscain défroqué. Le cardinal de Ferrare fit prê-
cher un cordelier de sa suite, le père Justinian,
connu à la cour depuis le colloque de Poissy. Mais le
prédicateur n'eut pas le succès qu'attendait le légat. Il
se répandit en railleries contre les moines qui avaient
jeté le froc, railleries inopportunes devant le favori
de la reine de Navarre, et descendit de chaire sans
avoir converti personne-.
Le zèle que Jeanne d'Albret déployait en faveur de
ses coreligionnaires était encore plus actif vis-à-vis de
son mari. Il n'est pas d'instance dont elle n'usât pour
presser le roi de Navarre d'embrasser ouvertement
la religion nouvelle. Elle rêvait une grande destinée
pour son culte, pour sa maison et pour son fils. Aveu-
glée par son ambition, elle promit à son mari, dit Chan-
tonay, avant trois mois, au prix d'une conversion écla-
1. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 18 novembre (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. iiOi, n' 109).
2. Lettre de Tornabuoni, du 20 novembre (Ncgociations de ta
France avec la Toscane, t. III, p. 468). — Lettre de Suriano et de
Barbaro, du 19 novembre (Dépêches vénit., (ilza4 bis, f. 110 v°).
— Lettre de Throckmorton, du 26 novembre [Calendars, 1561,
p. 413).
216 ANTOINE DE BOURBON
tante, un grand royaume, sans désigner autrement le
royaume de France ^ . Chaque jour le faible prince était
en butte à de nouvelles obsessions, mais chaque jour
le terrain gagné par la princesse était reconquis par
les conseillers catholiques de son mari. Coligny aussi
savait le retourner à son gré, mais le dernier mot
appartenait toujours à l'ambassadeur d'Espagne. A sa
femme, Antoine répondait que sa dignité de lieutenant
général l'obligeait à accompagner le roi à la messe ,
au cardinal de Tournon qu'il ne voulait pas affliger la
reine de Navarre, dont l'état de santé réclamait des
ménagements. Cette rivalité d'influence était l'occa-
sion de querelles intestines. Antoine voulut interdire
les cérémonies dont le logis de sa femme était le
théâtre. Jeanne se retira immédiatement à Paris « pour
« y vivre à sa façon, » mais peu de jours après elle
revint à la cour-. Il défendit ces chants bruyants des
psaumes qui assourdissaient les gens du château, mais
il ne put la conduire à l'église. Jeanne répondit vive-
ment que , « quand on la tuerait , elle n'irait pas à
« la messe et que, pour ne pas vivre comme une bête
« ou un athée, il fallait qu'elle eût une religion quel-
« conque et que celle qu'elle professait lui était sufïi-
« sante^. » Le jour oîi elle assista au sermon du père
Justinian, elle reprocha à son mari, en sortant de la
chapelle, de s'être agenouillé au moment de la prière
1. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 3 décembre (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1494, n» 115).
2. Lettre de Suriano, du 3 novembre (Dépêches vénit., lilza 4
bis, f. 102 Y").
3. Ces étranges paroles furent rapportées par le roi de Navarre
lui-même à Ghantonay. Voyez la lettre du 21 novembre que nous
citons plus bas.
ET JEANNE d'ALBRET. 217
finale. Antoine protesta qu'elle s'était trompée et qu'il
s'était seulement découvert. Les deux époux en vinrent
aux paroles acrimonieuses et le prince se plaignit que
sa femme le déconsidérait par ses reproches et le fai-
sait passer pour un homme sans honneur^. La
lutte de la reine de Navarre n'était un secret pour
personne à la cour. Pas un réformé qui n'en espérât
le triomphe de la cause commune. Calvin écrivit à la
princesse une éloquente lettre d'encouragement.
Nous avons de quoy bénir Dieu de ce qu'il besongne vertueu-
sement en vous, Madame, et vous fail surmonter tout ce qui
vous pourroit divertir du bon chemin. Il seroitbien à souhaiter
que le roy, vostre mary, print pour un bon coup telle résolution,
que ce ne fust plus pour nager entre deux eaux. Je scay com-
ment vous y travaillez. Mais je vous prie, Madame, que si vous
n'en venez si tost à bout qu'il seroit à souhaiter que l'attente
ne vous lasse ne refroidisse^.
La division religieuse des deux époux s'aggravait
des légèretés du roi de Navarre. Malgré son âge
(Antoine avait alors la barbe blanche^), malgré sa
dignité de père de famille, il menait une vie de galan-
terie et de désordre. Parmi ses affidés se trouvait un
capitaine portugais, appelé Melchior Yaez, qu'il avait
employé l'année précédente en Afrique. Vaez avait une
fille d'une beauté remarquable, que Jeanne d'Albret
avait prise à son service. Antoine la courtisait secrète-
1. Lettres de Ghantonay des 18, 21, 26 novembre et 3 décembre,
à Philippe n (Orig. espagnols; Arch. nat., K. 1494, n'^ 109, 110,
120 et 115).
2. Lettre du 24 décembre {Lettres de Calvin, t. II, p. 438).
3. Lettre de Suriano, du 18 octobre (Dépêches vénit., filza 4
bis, f. 94). Cependant le roi de Navarre n'avait que quarante-
trois ans.
218 ANTOINE DE BOURBON
ment. Il éloigna le père et s'efforça de séduire la fille,
mais il ne put triompher de sa vertu. La fille feignit
une maladie et se retira à Arras avec un de ses frères.
Antoine essaya d'engager avec la mère un marché hon-
teux qui fut repoussé. Jeanne d'Albret eut peut-être
connaissance de cette basse intrigue, car elle renvoya
les Vaez sous prétexte qu'ils refusaient d'embrasser la
Réforme. Ces Portugais étaient de pauvres aventuriers,
forcés pour vivre de se mettre aux gages d'un pro-
tecteur. Mal payé par le roi de Navarre, Vaez avait déjà
offert ses services à la reine d'Angleterre. En quittant
la maison d'Albret, il s'aboucha avec Ghantonay et se
donna au roi d'Espagne ^
La reine de Navarre, écrit Ghantonay, était arrivée
« rayonnante de la joie que lui causait la conclusion
« du mariage de son fils avec la sœur du roi et de celui
« de sa fille avec Monseigneur d'Anjou-. » Le fils
de Jeanne d'Albret, Henri de Béarn, un enfant de
huit ans, que sa mère élevait dans le culte de la
Réforme^, devait épouser Marguerite de Valois, plus
âgée que lui de sept mois. La fille de Jeanne d'Albret,
Catherine de Navarre, née à Paris le 7 février 1559,
était promise à Monseigneur d'Anjou, Alexandre de
Valois, tantôt nommé duc d'Orléans et tantôt duc
d'Anjou à cette date, plus tard Henri III. Ces mariages
étaient depuis longtemps en négociation. Henri II
1. Galendars, 1561, p. 161. — Lettre, de Chantuuay à Philippe II,
du 14 octobre (Orip. espagnol ; Arch. nat., K. 1195, n° 83).
2. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 31 août 1561 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1194, n° 94).
3. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 31 août (Orig. espa-
gnol ; Arch. nat., K. 1494, n° 94).
ET JEANNE d'aLBRET. 219
avait eu la première idée de celui de Henri de Béarn^
Lorsque le roi de Navarre, après la mort de François II,
céda à Catherine de Médicis la régence et le premier
rang dans l'état, la double alliance des deux maisons
fut expressément stipulée par le premier prince du
sang. Les engagements de la reine étaient connus à
la cour dès les premiers jours du règne de Charles IX ~.
Quand surgirent les négociations du mariage de don
Carlos d'Espagne avec Marie Stuart , Catherine les
traversa en offrant Marguerite à l'infant d'Espagne.
Bientôt la renonciation de don Carlos^, le voyage de
Jeanne d'Albret à Saint-Germain assurèrent la candida-
ture du prince béarnais^. Le soir même de l'arrivée de
la reine de Navarre, au souper du roi, Hemn de Béarn
occupait aux côtés du roi et de sa fiancée une place
d'honneur, qui révélait aux courtisans le rang qu'il
allait tenir dans la maison royale^.
La reine mère avait accueilli Jeanne d'Albret avec
ce front d'airain qu'elle savait garder dans les plus
i. Antoine de Bourbon et Jeanne d'Albret, t. I, p. 139.
2. Lettre de Throckmorton, du 31 décembre 1560 [Calendars,
1560, p. 467). — Lettre de Toruabuoni, du 10 janvier [Négoc. de
la France avec la Toscane, p. 444, t. UI).
3. Négoc. de la France avec la Toscane, t. III, p. 454. Lettre de
Tornabuoni, du 12 juin. L'ambassadeur confirme le mariage
du duc d'Orléans avec Catherine de Navarre.
4. Négoc. de la France avec la Toscane, t. III, p. 461 ; Lettre de
Tornabuoni, du 4 septembre.
5. Lettre de Chantonay, du 4 septembre, adressée à Philippe II
(Orig. espagnol; Arch. nat.,K. 1494, n°97). — Henri de Béarn,
depuis le règne de Henri II (Lettres d'Antoine de Bourbon et de
Jehanne d'Albret, p. 127), était capitaine d'une compagnie de
cinquante hommes d'armes. A ce titre il touchait dos gages de
450 livres par trimestre (Quittance originale du 31 octobre 1561;
1". fr., vol. 20387, f. 105).
220 ANTOINE DE BOURBON
mauvais jours. Mais bientôt des froissements réci-
proques approfondirent l'abîme qui divisait les deux
reines. Ce fut à l'occasion de leurs enfants qu'écla-
tèrent leurs sentiments d'inimitié. Ghantonay raconte
que Catherine repoussait secrètement les prétentions
de l'héritier de la maison d' Albret à la main de sa fille ^ ,
mais elle jugeait le sacrifice utile. « Elle croit, dit-il,
« que par ce moyen elle pourra trouver le repos qu'elle
« souhaite depuis si longtemps-. » Elle proposa
cependant d'autres partis à Henri de Béarn, notam-
ment une fille du roi de Bohème. Dans une des confé-
rences tenues à ce sujet avec Chantonay, Catherine
laissa échapper le secret de sa haine ; elle souhaita
ardemment la mort de Jeanne d'Albret pour que le
roi de Navarre , dit-elle , put épouser la princesse
Juana de Castille, la sœur de Philippe II, veuve du roi
de Portugal^.
De son côté, Jeanne d'Albret n'était pas éloignée de
1. Telle est l'opinion la plus vraisemblable, mais il y en aune
autre. Un vicomte de Gruz, agent ou espion à la cour de France,
écrit à la reine d'Angleterre, le 24 septembre, que, les fils de
Catherine ayant tous les trois mauvaise santé, elle craignait de
les voir mourir successivement sans enfants, et que ce motif la
décida à promettre sa fille à Henri de Béarn (Lettre de Gruz,
du 24 septembre 1561; Calendars, 1561, p. 320). Cette opinion
s'est fait jour dans beaucoup d'historiens postérieurs, mais il est
intéressant de la signaler à sa source. Evidemment, elle avait
cours, en septembre 1561, dans les antichambres de Saint-Ger-
main. Suriano raconte que Nostradamus avait prédit à la reine
qu'elle verrait tous ses fils sur le trône [Relat. â'^s ambas. vcnit.,
t. I, p. 543).
2. Lettre de Chantonay, du 31 août, à Philippe U (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1494, n» 94).
3. Lettre de Ghantonay à Philippe II, du 28 novembre (Orig.
espagnol-; Arch. nat., K. 1494, n° 114).
ET JEANNE d'aLBRET, 221
considérer ce mariage comme une mésalliance à cause
de Torigine roturière de la maison de Médicis^ Elle
était offensée d'entendre chaque jour la reine mère
appeler Henri de Béarn son fils ; sans doute elle désirait,
dit Chantonay, que la reine de France l'honorât du
titre de Monseigneur^. Mais le mariage était arrêté; le
roi de Navarre en tirait sa force, Catherine ses espé-
rances de pacification, et trop de ligues politiques y
étaient attachées pour qu'aucun des intéressés son-
geât à le rompre.
Aussitôt après son arrivée, Jeanne d'Albret demanda
que la princesse Marguerite fût élevée dans le culte
de la Réforme^. ÎMadame de Curton, la gouvernante,
reçut froidement cet ordre, et Catherine, aussitôt con-
sultée, commanda de ne rien changer à l'éducation de
la princesse^. Sagement dirigée par sa gouvernante,
Marguerite montrait des sentiments catholiques^.
Catherine espérait peut-être trouver un jour de l'aide
dans les dispositions de sa fille.
Le mariage d'Alexandre, plus tard Henri de Valois,
avec Catherine de Navarre déplaisait encore davan-
1. Ces idées se font encore jour dans des documents bien pos-
térieurs à cette époque, notamment dans le Divorce satyriquc.
Voyez l'édition Lemerre des OEuvres de d'Aubignù, t. II, p. G64.
2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 31 août (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1494, n» 94).
3. Lettre de Tornabuoni, du 4 septembre (Négoc. de la France
avec la Toscane, t. UI, p. 461).
4. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 21 septembre (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1495, n" 70).
5. Lettre de Chantonay à Philippe U, du 16 octobre (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1495, n° 84). — Voyez le gracieux
tableau que cette spirituelle princesse trace dans ses Mémoires de
sa constance reUgieuse (Édit. de la Bibl. elzév., p. 6 et 7).
222 ANTOINE DE BOURBON
tage à la reine mère. Mais il tenait au cœur d'Antoine
de Bourbon autant que celui de son fils. Il avait été si
bien avancé que les accords matrimoniaux avaient été
expressément stipulés. La dot de la jeune princesse
se composait, d'après Chantonay'', du duché d'En-
ghien et d'autres biens, que la maison de Bourbon pos-
sédait en Flandre^. Catherine laissait la négociation
suivre son cours et les négociateurs disposer de la des-
tinée de son fils préféré. Gomme la future épouse
n'avait que trois ans, Catherine se flattait de trouver à
l'aide du temps les moyens de dénouer ce mariage^.
Élevé à partager les antipathies de sa mère, Henri de
Valois détestait son cousin de Béarn^. Ainsi les passions
haineuses, qui divisaient la maison royale, se reflé-
taient dans ce peuple de « petits mignons, » âgés de
six à dix ans.
Entre tous ces enfants, le Béarnais était le plus vif.
L'esprit français, l'humeur gaie et malicieuse débordait
chez ce prince de huit ans. Chaque jour il inventait
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 23 janvier 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 6).
2. Voici la liste exacte de ces biens : le duché d'Enghien, entre
Mons et Bruxelles, qui fut vendu au prince d'Aremberg sous le
règne de Henri IV ; les terres d'Oisy, de Rhodes ; les terres sou-
veraines de Flandrin et de Hambordin ; la chastellenie de Lille ;
les seigneuries de Dunkerque, de Graveline, de Bourbourg et
autres. Après la mort d'Antoine de Bourbon ces terres devinrent
la propriété de son fds. Nous prenons cette liste dans une lettre
de Ségur, de mai 1587, qui fut envoyé en Flandre pour les
mettre en gage (Vc de Golbert, vol. 402^ f. 86).
3. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 28 novembre (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1494, n" 114).
4. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 14 octobre (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1495, n" 83). — Lettre de Surianoi du
4 novembre (Dépêches vénit., filza 4 his, f. 104).
ET JEANNE d'ALBRET. 223
une saillie nouvelle. Un jour, pendant une grave con-
férence de Catherine et du cardinal de Ferrare, la
porte de la chambre de la reine s'ouvre avec fracas
et donne passage à une procession de « petits mignons »
montés sur des ânes. A leur tête chevauchait Henri de
Béarn, en soutane rouge, en rochet et camail, suivi de
seigneurs de son âge, vêtus en archevêques, en
évêques, en abbés et en moines, et enfin d'autres
enfants habillés à la façon des courtisanes. A cette
invasion inattendue, le premier mouvement de la reine
et du cardinal de Ferrare fut de rire, mais le second
mouvement de Catherine fut de se fâcher. Elle chassa
les jeunes étourdis et dit « qu'il se rencontrerait cer-
« tainement à la cour des personnes assez complai-
« santés pour rapporter ce qui s'était passé. » Elle
ne se trompait pas. Chantonay narra l'incident à son
maître avec autant de sérieux que la négociation du
concile de Trente'. Enchantés de cette partie, les
princes voulurent la renouveler-. Le roi, qui n'avait
pas de plus cher camarade que Henri de Béarn,
parcourut le château, revêtu d'une aube, crosse et
mitre. Sa suite était affublée de même. L'ambassadeur
d'Espagne traita encore cette mascarade comme une
affaire d'état^. Il en parla au nonce, le cardinal de Sainte-
Croix, qui, nouveau venu à la cour, crut de sa dignité
de se plaindre à la reine. Catherine lui remontra « que
1. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 24 octobre (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1495, n" 86).
2. Lettre de Chantonay à Philippe Jl^ du 28 octobre (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1494, n» 105).
3.' Lettre de Chantonay à Philippe II, du 13 novembre (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1494, n" 108).
224 ANTOINE DE BOURBON
« toutes ces choses avoient esté des badinoges de petits
« enfants^. »
Non seulement Jeanne d'Albret faisait prêcher en
son logis, mais elle présidait quelquefois les grandes
assemblées que le parti huguenot convoquait autour
d'elle-. La curiosité, l'attrait que cette jeune reine au
cœur viril exerçait sur le peuple, attirait la foule. Beau-
coup d'indifférents ne se rendaient au prêche que pour
l'acclamer. A Paris, dit Ghantonay, elle réunit plu-
sieurs fois jusqu'à G, 000 assistants^. A la suite d'une
de ces grandes assemblées, Calvin lui adressa, le
24 décembre, une lettre d'encouragement^. A Saint-
Germain l'exemple de la reine de Navarre créait des
foyers de propagande jusques aux portes du château.
De Bèze prêcha et célébra la cène dans un champ con-
tigu au palais du roi, en présence de 700 tidèles,
parmi lesquels un grand nombre de gens de marque^.
Le pauvre peuple, les manants du voisinage, chapi-
trés par les valets des princes, subissaient peu à peu
l'influence de la cour ^ Un jour, dans une des
paroisses de Saint-Germain, pendant un sermon catho-
1. Lottre de Sainte-Croix, du 15 novembre (Gimber et Danjou,
Arch. curieuses "pour servir à l'hist. de France, t. VI, p. 5).
2. Calendars, 1561, p. 449. — Plusieurs lettres d'elle constatent
ses voyages à Paris {Lettres d'Ant. de Bourbon et de Jehanne
d'Albret, p. V\h et ?46). — Lettre de de Bèze à Calvin (Baum,
Theodor Beza, preuves, p. 145).
3. Lettre de Chautonay à Philippe II, du 21 décembre (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1495, n° 103).
4. Lettres de Calvin, t. U, p. 437.
5. Baum, Theodor Beza, preuves, p. 141.
6. 11 n'entre pas dans notre plan d'exposer l'état des provinces,
si ce n'est des provinces gouvernées par le roi de Navarre en
qualité de licutonant du roi. Voyez les volumes suivants.
ET JEANNE d'aLBRET. 225
lique, un calviniste se dressa en face de la chaire et
lança un démenti au prédicateur. Les assistants
s'ameutèrent; l'interrupteur fut soutenu et un com-
bat allait s'engager lorsque les sergents de justice
arrivèrent. Le coupable fut conduit en prison, mais
l'instruction n'eut pas de suite ' .
La crainte de voir la France entière, à la faveur de
l'énergie des uns, de la faiblesse des autres, embrasser
le culte réformé, suggéra à Philippe II un de ces des-
seins astucieux, familiers à sa politique. Il inventa de
peser sur la reine à l'aide de quelques seigneurs
français, d'abord par des plaintes modérées, puis
graduellement par des menaces ^. Ghantonay reçut
l'ordre de favoriser à la cour la création d'une cabale
assez forte pour que la reine ne pût y résister.
L'ambassadeur s'en ouvrit d'abord au cardinal de
Tournon et lui dit que le roi d'Espagne mettrait avec
plaisir toutes ses armées au service des catholiques
du royaume, si les défenseurs de l'ancienne religion
donnaient le signal d'un mouvement; il demandait
qu'un prince se mit en avant , réunit un parti ,
consolidât la résistance, et ne craignit pas de prendre
l'initiative contre les novateurs. L'entreprise agréa au
vieux cardinal ; il répondit « que tous les bons » ne
manqueraient pas à l'appel. Le plus difticile était de
trouver l'initiateur. Ghantonay nomma le duc de
Guise. Tournon observa qu'il avait trop à perdre en cas
1. Lettre de Ghantonay à Pliilippe U, du 9 novembre (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1495, n° 107). — Lettre du même à
Tisnac (Mémoires de Condé, t. II, p. 19).
2. Cet aperçu n'a pas échappé à la sagacité de l'historien Ranke
[Hist. de France, t. I, p. 231).
m 15
226 ANTOINE DE BOURBON
d'insuccès et désigna le duc de Nemours. Après avoir
posé ces bases, les deux négociateurs examinèrent les
forces de leurs adversaires. Le parti huguenot était
incapable de soutenir la lutte. Il disposait de l'alliance
des Allemands, mais il manquait d'argent. Le dépouil-
lement des églises catholiques était d'une exécution
difficile ; on pouvait en tirer des trésors, mais non des
subventions régulières; et « sans argent, avec cette
« nation (les Allemands), il n'y avait ni secours ni
« aide '. »
Quelques jours après, Chantonay eut une nouvelle
conférence avec le cardinal ; il le trouva plus froid.
Le prélat se portait encore garant de la fermeté des
catholiques, mais il craignait, disait-il, en cas d'in-
vasion étrangère , de les voir s'unir aux réformés
contre l'ennemi. En vain Chantonay protestait du
désintéressement de son maître. Le cardinal insinua
que nul seigneur de la cour n'oserait entamer l'action,
et la conférence fut levée sans conclusion ^
Peu à peu Chantonay trouva des adhérents moins
timorés. Chaciue jour mêlé aux courtisans qui se pres-
saient aux portes du cabinet de la régente, il alluma des
passions, il sema des encouragements qui portèrent
leurs fruits. Un complot se forma à la cour, dans lequel
1. Lettre de Chantonay au duc d'Albe, du 3 décembre (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1495, n" 9î). Cette lettre est bien du
3 décembre, mais elle raconte des négociations antérieures.
L'idée prêtée au parti huguenot de dépouiller les églises catho-
liques pour payer ses armements est plusieurs fois exprimée par
Chantonay. Voyez sa lettre du 7 décembre (Orig., Arch. nat.,
K. 1495, n» 93).
2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 16 décembre (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1495, n" 99). Cette lettre rapporte des
faits antérieurs à sa date.
ET JEANNE D'alBRET. 227
entrèrent inégalement la plupart des seigneurs catho-
liques, surtout les Guises, les uns comme acteurs,
les autres comme conseillers.
Le troisième fils de Catherine deMédicis, Alexandre,
duc d'Orléans, plus tard Henri, duc d'Anjou et enfin
roi de France sous le nom de Henri HI, avait toujours
été « le mignon » de sa mère^ Né le 20 septembre
1551 , Alexandre n'était encore qu'un enfant, mais il
était le premier prince du sang. Au milieu du mouve-
ment religieux qui surexcitait alors toutes les jeunes
têtes, dès le 14 octobre, Chantonay le signale comme
un des ennemis de la Réforme : « Personne ne parle
« (contre la nouvelle religion) avec autant de liberté
« que le duc d'Orléans. Il ne peut pas la supporter ni
« voir personne qui suive ces nouveautés. Et dit qu'il
« voit très bien qu'on veut se défaire des bons servi-
ce teurs des rois précédents, et que, s'il avait l'autorité
« de son frère, il montrerait la peine que cela lui
« cause-. » Le duc d'Orléans paraissait peu intelligent
et n'avait pas de volonté. Son esprit ne montrait
encore aucune des espérances qu'il fît naître pendant
sa jeunesse^. Mais cette médiocrité promettait un
prince facile à conduire et plaisait aux conjurés comme
une qualité de plus.
1. Lettre d'une femme de service, nommée Albanie, sur le
prince, adressée à la reine (f. fr., vol. 6620, f. 69).
2. Lettre de Chantonay à Philippe U, du 44 octobre (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1495, n» 83). — Chantonay conhrme
ces appréciations dans sa lettre du 16 octobre (Ibid., no 84). —
Sic, lettre de Suriano, du 4 novembre (Dépèches vénit., filza
4 bis, f. 104).
3. Lettre de Chantonay, du 28 avril 1562 (Orig. espagnol;
Arch. nat., K. 1497, n» 26).
228 ANTOINE DE BOURBON
Encouragés par ces dispositions, les Guises réso-
lurent d'enlever le duc d'Orléans, de le conduire en
Lorraine ou en Savoie et de l'opposer à Charles IX
comme chef nominal du parti catholique. Soutenu par
les partisans de l'ancienne religion et par les forces
du roi d'Espagne, le duc d'Orléans pouvait contre-
balancer le pouvoir royal. Le capo di parti \ cherché
par Chantonay, le prince qu'il voulait mettre à la tête
des mécontents, était ainsi indiqué d'avance.
Parmi les condottieri du parti catholique, se trouvait
« un jeune prince plein de vaillance, énergique, ennemi
« mortel, particulier et général de tous les hérétiques,
« et pauvre-, » Jacques de Savoie, duc de Nemours,
le séducteur de Françoise de Rolian et le favori de la
duchesse de Guise. Depuis qu'elle était soutenue par
Jeanne d'Albret, Françoise, sa victime, le traînait de
tribunal en tribunal. Nemours n'avait d'autre appui
que les Lorrains et s'était mis à leur service^, accor-
dant ainsi son amour pour la duchesse de Guise avec
ses intérêts. Ayant peu à perdre, beaucoup à gagner,
il accepta d'être l'homme d'action du complot''.
La mauvaise santé du roi pouvait rendre la personne
du duc d'Orléans doublement précieuse. Charles IX
était faible et délicat , dormait et mangeait peu et
1. Mot de Throckmorloii (Lettre du 1 i novembre ; Calendars,
15G1, p. 39G).
2. Lettre de Chantonay à Philippe II, du 24 octobre 1561 (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1495, n«.86).
3. Le duc de Guise lavait fait entrer au conseil à la lin de
juillet, malgré l'opposition de l'amiral (Lettre orig. en espagnol
de Chantonay à Philippe II, du 24 juillet 1561; Arch. nat.,
K. 1495, no 5'2).
4. Lettre de Suriauo, du 4 novembre (Dépêches vénit., lilza
4 bis, r. 104).
ET JEANNE d'aLBRET. 229
compromettait dans les exercices violents la force qui
lui restait '. A la fin de septembre, il fut atteint d'une
dysenterie continue, mêlée d'accès de fièvre. Le dan-
ger dura huit ou dix jours et fut assez grave pour que
le médecin du roi dit à la cour quod rex pericidose
œgrotaverat- . L'indisposition du roi donna le signal
aux Guises.
Par une coïncidence cherchée pour les uns, fortuite
pour les autres, les principaux seigneurs avaient quitté
la cour au commencement d'octobre. Le 29 septembre,
les ducs d'Aumale et de Nemours, et bientôt après le
duc de Guise, se retirèrent dans les terres de la mai-
son de Lorraine en Picardie. Loin des regards de la
reine, ils combinèrent leurs dernières dispositions,
celles des relais qui devaient servir à l'enlèvement du
prince^. Le 1^' ou le % octobre, le connétable partit
de Saint-Germain^; il dit à ses amis qu'il voulait
« laisser extravaguer » les chefs du nouveau gouver-
nement en les privant de ses conseils ^. Le vieux Mont-
morency ne se consolait pas de la faveur que Catherine
de Médicis laissait prendre aux réformés, surtout à
Goligny. « Le seigneur ^ écrit Claude de l'Aubespine,
•1. Lettre du 24 septembre [Calendars, 1561, p. 320).
2. Laferrière, Le IT/*" siècle et les Valois, p. 59 et 60. — Calen-
dars, 1561, p. 367.
3. Lettre de Throckmorton, du 9 octobre {Calendars, 1561,
p. 360). — Lettre de Suriano, du 25 octobre (Dépêches vénit.,
lilza 4 his, f. 100 v»).
4. Lettre de Chantonay à Philippe n, du 14 octobre (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1495, n» 83). — Lettre de Throckmor-
ton, du 14 novembre {Calendars, 1561, p. 396).
5. Lettre de Chantonay, du 24 octobre (Orig. espagnol ; Arch.
nat., K. 1495, n» 86).
6. Surnom du connétable.
230 ANTOINE DE BOURBON
« gronde comme un cheval, car il cuide adumbrer et
« couvrir toute chose soubz ce manteau de religion^. »
Le cardinal de Tournon par dépit, le chancelier par
regret de son impuissance, demandèrent aussi leur
congé, l'un pour aller àMeudon, Taulre à Paris, mais
un ordre impérieux de la reine les retint à la cour.
Tous deux obéirent, mais ils se confinèrent dans la
retraite au château. Trompés dans leurs espérances,
le cardinal et le chancelier, quoique partis de points
opposés, aboutissaient au même découragement-.
Les conjurés revinrent bientôt à Saint-Germain et le
duc de Nemours annonça pubhquement qu'il allait faire
un voyage en Savoie pour les affaires de sa maison ^. En
attendant son départ, il se montrait assidu auprès du
duc d'Orléans et le suivait dans les jeux de son âge
avec Henri de Lorraine ^. Cette attention n'étonna per-
sonne, car le duc de Nemours était passé maître dans
tous les exercices. Seule, la reine mère prit méfiance
et fit surveiller son fils.
La conjuration se manifesta d'abord, d'après Throck-
morton, par des coups d'essai mal organisés. Quelques
jours après le départ du duc de Guise, le roi et
1. IjCttro do Claude de rAul)Cs})iao à sou frère, ambassadeur
en Espague, du 29 août 1561 (Orig., f. fr., vol. 6618, f. i).
2. Lettre de Cliantonay à Philippe II, du 14 octobre (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1495, n» 83). — Lettre du même, du
Vi cet. (Ibid., n" 86). — Lettre de Suriano, du 25 octobre
(Dépèches vénit., filza 4 bis, f. 100 v»). — Lettre du môme, du
3 novembre (Ibid., f. 102 v°|. — Lettre de Chaiitonay, du 13 no-
vembre, à Philiiipe II (Orig. espagnol; Arch. ual., K. 149i,
n« 1U8).
3. Lettre de Cliantonay à Philippe II, du 24 octobre (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1495, n» 86).
4. Enquête citée plus loin.
ET JEANNE d'aLBRET. 231
la reine de Navarre furent victimes d'un empoi-
sonnement. On arrêta un médecin , un apothicaire
et d'autres serviteurs de la cour. Quelques-uns
avouèrent le crime, mais l'ambassadeur anglais insi-
nue que la responsabilité du crime remontait beaucoup
plus haut. Le prévôt entama une enquête, qui proba-
blement n'aboutit pas, car il n'est plus parlé de cette
tentative dans les documents originaux ^ .
Le samedi 20 octobre, premier jour de la conva-
lescence du roi ~, au milieu de la foule qui se pressait
dans sa chambre, Nemours s'approcha du duc d'Or-
léans et lui demanda familièrement « de quelle religion
« il estoit et s'il estoit huguenot. » L'enfant répondit
qu'il « estoit de la religion de la royne sa mère. » Le
duc lui proposa alors de lui dire « vingt-cinq paroles. »
Les murs étaient ornés de tapisseries, derrière les-
quelles écoutaient deux femmes de chambre, que la
reine mère y avait postées à tout événement. Le duc
s'aperçut peut-être qu'il avait des auditeurs cachés,
car il emmena le prince et le conduisit dans un coin
écarté, sur un coffre, près de la porte du cabinet du
roi. Lorsqu'il fut assuré de ne pas être surpris : « Je
c( voy, dit-il, beaucoup de troubles en ce royaume, et
« vous n'y estes pas en sûreté ; car le roy de Navarre
« et le prince de Gondé veulent se faire rois et vous
« veulent tuer. Si vous voulez, je vous mènerais en
« Lorraine et en Savoie, là où vous serez si aise. »
L'enfant répondit qu'il ne voulait point abandonner le
1. Lettre de Throckmorlon, du 11 novembre {Calendars, 1561,
p. 396).
2. De Bèzc, Hist. ecclcs., 1841, t. I, p. 120. Do Bèze était alors
à la cour.
232 ANTOINE DE BOURBON
roi ni la reine sa mère, et le duc de Nemours insista
vainement ^ Cependant il crut avoir ébranlé le prince
et il ajouta : « Souvenez-vous, Monsieur, quand Mon-
« seigneur de Guise partira, de lui dire : Mon cousin,
« quand j'auray affaire de vous, venez, si vous ne pou-
« vez m'emmener avec vous à cette heure. » Avant de
clore l'entretien, Nemours recommanda au prince de
ne rien révéler à sa mère, ni à Carnavalet et à Ville-
quier, ses gouverneurs : « Si est-ce qu'il ne faut pas
« que vous leur en dites rien ; et, s'ils vous demandent
« que c'est que je vous disois, dites que je vous par-
ce lois de comédies. »
Le duc de Guise suivait de l'œil ce colloque en se
chauffant devant la cheminée avec son fils. Lorsque
Nemours se retira, il se rapprocha du prince : « Mon-
« sieur, lui dit-il, j'ay entendu que la royne veut
« envoyer monsieur d'Anjou ~ et vous en Lorraine, en
« un fort beau chasteau, pour prendre l'air ^. Par
« ainsi, si vous y voulez venir, nous vous y ferons
« bonne chère. » Le duc d'Orléans répondit : « Je ne
c( pense pas que la royne, ma mère, vueille que j'aban-
« donne le roy. » Alors se mêla à l'entretien le jeune
Henri de Lorraine, fils aîné du duc de Guise, seigneur
1. La conversation do Nemours est rapportée par Suriano
comme dans l'enquête (Lettre de Suriano, du ^ nov. ; Dépêches
vénit., filza 4 bis, f. 104).
2. Hercule de Valois, duc d'Anjou, le plus jeune des fils de
Catherine, connu plus tard sous le nom de François, duc d'Alon-
çon. Il ne rojirit le Litre de duc d'Anjou qu"aj)rès la paix de
Monsieur en 1576.
3. Ghantonay avait conseillé à la reine d'envoyer le duc d'Or-
léans en Lorraine (Lettre de Chantonay à Philippe II, du "28 oc-
tobre 1561 ; Arch. nat., K. 1494, n» 105). Voilà ce qui avait pu
donner naissance à ce bruit.
ET JEANNE d'aLBRET. 233
de l'âge du duc d'Orléans et son plus intime eompa-
gnon ^ « Si vous voulez, dit-il, venir en Lorraine et
« entendre ce que monsieur de Nemours vous a dit, il
« vous en pourra bien venir. » Le prince ne répondit
rien. Le lendemain, Henri de Lorraine reprit la con-
versation et proposa au duc d'Orléans de lui révéler
le secret du voyage : « On vous enlèvera en plein
« minuit et on vous fera sortir par une fenestre sur
« un pont du parc et après on vous mettra en coche.
« Et ainsi vous serez en Lorraine avant qu'on s'en
« aperçoive. » Chantonay raconte que le prince de
Joinville employa d'autres arguments, bien propres à
séduire un enfant de dix ans. Il lui assura « qu'il s'en
c( allait là où il s'amuserait, plutôt que de rester auprès
« du roi, où il fallait aller chaque jour à l'école, tandis
« que en Lorraine on ne ferait que chasser et s'amu-
« ser. » A ce tableau Nemours ajouta la promesse
« d'un joH cheval d'Espagne-. » Le 22 octobre, Jacques
de Savoie prit congé du roi. En se retirant il dit tout
bas au duc d'Orléans : « Monsieur, souvenez-vous de
« ce que je vous ai dit et n'en révélez rien à per-
« sonne ". »
1. Lettre de Suriano, du 4 novembre (Dépèches véuit., filza
4 bis, L 104).
2. Lettre de Ghautonay à Philippe II, du 28 octobre (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1494, n" 105).
3. Nous avons suivi, pour le récit de cette scène, l'original de
la déposition du duc d'Orléans (f. fr., vol. 6608, f. 19). Mais il
existe, de cette déposition, un texte plus développé qui a été
reproduit dans les Mémoires de Condé (t. III, p. 375). Le texte
imprimé ne nous parait pas moins authentique que le texte
manuscrit. Le récit et les paroles sont le plus souvent les mêmes.
Seulement, tout ce qui accuse les Guises est absent du texte ofliciel.
Voici comment nous expliquons ces différences. Lorsque
234 ANTOINE DE BOURBON
Le danger que Nemours avait voulu prévenir se réa-
lisa de point en point. Le duc d'Orléans confia son
secret à un laquais de sa chambre^. Jeanne d'Albret
le découvrit la première-. Catherine, bientôt informée,
interrogea son fils et lui arracha la vérité par des
menaces^. Le 29 octobre, le jeune prince comparut
devant le conseil privé en présence du roi, du roi de
Navarre, du cardinal de Bourbon, du prince de Gondé,
des cardinaux de Tournon, d'Armagnac et de Chastil-
lon, du duc de Montpensier, du chancelier de l'Hospi-
tal, de l'amiral de Coligny, de Jean de Morvillier,
évèque d'Orléans, de Jean de Monluc, évêque de
Catherine de Médicis lut informée de ce projet d'enlèvement,
elle résolut de poursuivre le duc de Nemours, l'auteur principal,
mais elle n'osa pas poursuivre les Guises, ses complices, dont la
culpabilité d'ailleurs ne paraissait qu'au second plan. Elle fit
donc effacer, de la déposition du duc d'Orléans, dont l'original
devait être joint au dossier, tout ce qui concernait le duc de Guise
et le prince de Joinville. Mais il courut des copies de la déposi-
tion entière. Le comte de Laferrière en a trouvé une dans la
dépêche d'un agent anglais. La présence de cette pièce dans un
document diplomatique lui donne un certificat d'authenticité.
{Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 247, note.) — La déposi-
tion intégrale fut même imprimée, probablement dans un de ces
nombreux pamphlets qui paraissaient chaque jour (De Bèze, Hist.
codes., 1841, t. I, p. 420), et imprimée aussitôt après l'événement
qui y donna lieu, car elle est presque textuellement reproduite
dans une oraison de Spifame , prononcée en novembre 1562,
qui est elle-même réimprimée dans les Mémoires de Gondé, t. IV,
p. 03.
1. Lettre de LigneroUes à la reine, du 22 décembre 15Gi ; f. fr.,
vol. 6608, f. 65. Le fait est aussi raconté dans d'autres documents.
2. De Bèze, Ilist. ecclés., 1841, t. I, p. 420. — De Bèze était
alors auprès de la reine de Navarre, ce (jui rend son témoignage
plus précieux.
3. Lettre de Suriauo, du 4 novembre {Dépèches vénit., filza
4 bis, f. 104).
ET JEANNE d'aLBRET. 235
Valence, des s. du Mortier, d'Avançon, de Selve, de
Goniior et de Grussol, presque tous du parti de la tolé-
rance, que les Guises regardaient comme leurs pires
ennemis. Le prince prêta serment et fit sa déposition K
La reine, blessée au point le plus sensible de son
cœur maternel, fulminait contre le ravisseur. Altérée
de vengeance, elle donna sur le premier moment des
ordres sanguinaires. Si Nemours avait été présent à la
cour, il aurait été puni comme le dernier des traîtres.
Elle doubla les gardes du château, multiplia les senti-
nelles et posta dans la chambre même de son fils des
serviteurs dévoués, dont elle pressait elle-même la
vigilance. Les poternes furent murées à l'extérieur.
Ghaque soir, à la tombée de la nuit, une ronde de capi-
taines visitait les murs et verrouillait les portes^. Elle
envoya chercher l'ambassadeur d'Espagne et lui con-
fia avec émotion ses découvertes. Ghantonay reçut
froidement la confidence. Sans doute, répondit-il, le
crime est grave, mais il n'est pas prouvé. Et il
insinua que l'accusation lui paraissait une calomnie
des chefs du parti réformé, à peine étayée sur des
imprudences de langage. Le roi de Navarre assistait à
l'entretien et renchérissait sur les doléances de Cathe-
rine. Gharles IX et le duc d'Orléans étaient assis à
droite et à gauche de la reine ; elle se tourna vers le
plus jeune, et, dans un mouvement de tendresse, lui
\. C'est la pièce que nous avons signalée plus haut, p. 233,
note 3. — Voyez aussi la lettre de Tornabuoui du 5 novembre
(Ncgoc. de la France avec la Toscane, t. UI, p. 467).
2. Lettre de Ghantonay au roi d'Espagne du 31 octobre 1561
(Orig. espagnol ; Arch. nat., K. 1494, u° 106). — Lettre de Suriano
du 4 novembre (Dépêches vénit., filza 4 his, f. 101). — Autre
lettre de Ghantonay plus abrégée [Mémoires de Gondé, t. Il, p. 18).
236 ANTOINE DE BOURBON
demanda pourquoi il voulait la quitter. Le prince
fondit en larmes : « Pardonnez-moi, Madame, dit-il,
« je n'y ai jamais pensé ^ . »
Le 22! octobre, le duc de Nemours et le duc de Guise
étaient partis jîour Nanteuil, accompagnés d'une suite
de 6 ou 700 chevaux^. La première colère passée,
Catherine revint à la prudence. N'osant s'attaquer
directement aux Lorrains, elle leur envoya Antoine
de Crussol. Crussol arriva à Nanteuil à huit heures
du matin, le lendemain de la séance du conseil, et
raconta au duc de Guise et au cardinal de Lorraine
la tentative du duc de Nemours. Le duc et le cardinal
affectèrent le plus grand étonnement; le cardinal
déclara que, « si cella estoit vray, il ne pouvoit dire
« autre chose dud. s. de Nemours sinon qu'il estoit
« un fou. » Après un assez long entretien, où les deux
Lorrains feignirent tour à tour la surprise et l'incré-
dulité, ils allèrent tous à la messe. Au retour, ils se
mirent à table avec le duc de Longueville, le duc de
Nemours, le cardinal de Guise et la duchesse de Guise.
Dans la journée le duc écrivit à la reine une lettre de
protestation de dévouement en son nom et au nom de
Nemours, ajoutant « que plus il pansoit, luy et mon-
« sieur son frère, tant moins ils trouvoient d'appa-
« rence à ce que leur avoit dit Crussol. » Crussol
avait encore la mission de consulter le duc et le cardinal
sur les moyens de démêler la vérité et sur la punition
i . Ibid.
2. Lettre de Throckmorton du 14 novembre [Calendars, 1561,
p. 396). Throckmorton se trompe en disant qu'ils partirent le
20 octobre. L'enquête ol'licielle nous apprend qu'ils ne partirent
que le 22.
ET JEANNE d'aLBRET. 237
que la reine devait infliger au coupable. La question
était embarrassante. Les Lorrains répondirent : au
premier point, que la reine devait interroger le duc
de Nemours sous la foi du serment; au second, « qu'il
« ne sauroit estre assez puny. » Après cette déclara-
tion le duc de Guise n'eut d'autre souci que d'écon-
duire Crussoi, sans doute pour écarter un témoin
importun : « C'est tout, dit-il, ce que nous pouvons
« dire sur ce fet. Quand vous sériés ici ung mois,
« monsieur mon frère et moy, ne vous en saurions
« dire davantaige. » Cependant il arrêta Crussoi prêt
à prendre congé et le pria de conseiller à la reine de
cacher au roi ce mystère, « qui le feroit entrer en
« quelque opinion, que ne luy pourroit pas peult estre
« estre légèrement ostée ' . »
A l'entrée de la nuit arrivèrent de Paris des affidés
des Guises, chargés d'avertir le duc de Nemours que
le prévôt de la maison du roi accourait en hâte pour
le prendre mort ou vif. Les deux ducs montèrent à
cheval, armèrent leurs gens et donnèrent l'ordre de
battre la campagne jusqu'à Dammartin et Meaux. Au
moment où la herse s'abattait pour donner passage à
ces cavaliers, le prévôt avec ses sergents était déjà
sous les murs du château, mais, intimidé par le bruit
et par l'appareil militaire, il se cacha jusqu'au jour dans
un petit bois-. Tranquillisés par leurs éclaireurs, les
1. Rapport de Crussoi à la reine, copie du temps, sans date;
f. fr., vol. 6608, f. H.
2. Lettre de Suriauo du i novembre (Dépèches vénit., lilza i bis,
f. 104). — Lettre de Jehan Sailly à un bailli, son futur beau-père,
datée d'Annecy du 15 novembre 1561 ; f. fr., vol. 6608, f. 43. Ce
Jehan Sailly était un des hommes d'armes ou un des serviteurs
de Nemours. Sa lettre est étrangère à la pohtique et ne raconte
238 ANTOINE DE BOURBON
deux seigneurs préparèrent leur fuite. Deux heures
avant le jour, ils s'éloignèrent rapidement de Nanteuil ;
le duc de Guise et son frère le cardinal se retirèrent à
Joinville, prêts à passer en Lorraine ; le duc de Nemours,
accompagné du sire de la Mirandole et d'Octavian
de Frégose, partit en poste pour l'Italie^. Conduit par
des guides fidèles, Jacques de Savoie, à la faveur de la
nuit, passa la Marne à Château-Thierry, place ouverte,
sans être reconnu. Il traversa la Bourgogne à grandes
journées, évitant les villes closes et fuyant les lieu-
tenants du roi, sans repaître ailleurs que dans les
logis désignés d'avance, chez des gentilshommes du
parti lorrain ~. Il atteignit ainsi la frontière et entra à
Annecy en Savoie le jeudi, 8 novembre, avec une
escorte de treize cavaliers^. Sa diligence le servit bien.
Pendant qu'il courait les champs, des émissaires armés
le cherchaient en tous lieux, à Nemours, sur la route
de Lorraine et de Lyon. Il avait promis de revenir à
Paris avant de sortir de France ; le prévôt lui tendit
qu'on passant, la, reconnaissance exécutée par les ordres du duc
de Guise. La présence de ce document dans le dossier de l'cnlè-
Yonient du duc d'Orléans nous fait penser qu'il avait été saisi
entre les mains du porteur chargé de la remettre à destination.
1. Lettre de Throckmorton du 14 novembre [Calendars, 1561,
p. 396).
2. On trouve quelques détails assez curieux sur le voyage de
Nemours et son arrêt chez un gentilhomme, nommé le s. d'Aoust,
dans la déposition du s. Bérenger, qui fut interrogé à la requeste
d'un conseiller du roi (Orig. daté du 18 décembre 1561 ; f. fr.,
vol. 6608, f. 57). — Lettre de L'Au])espine citée dans la note
suivante.
3. Lettre do Claude do rAnl)es])ine à Sébastien de l'Aubespine
du 9 nov. 1561 (Déchifl'., f. fr., vol. 6618, f. 18). — Déposition de
Lignerollcs, guidon du duc de Nemours (f. fr., vol. 6608, f. 35).
Cette dernière pièce est très importante.
ET JEANNE d'aLBRET. 239
une embuscade dans cette ville. Le moindre de ce qui
pouvait lui arriver, dit Chantonay, était d'être forcé
d'épouser sur l'heure Mademoiselle de Rohan ou de
voir tous ses biens confisqués ' .
Le roi dépêcha à Turin Nicolas de Piambouillet,
de la maison d'Angennes, avec une mission de con-
fiance pour le duc de Savoie-. Il écrivit au maréchal
de Bourdillon, son lieutenant en Piémont, qu'il avait
expulsé de la cour le duc de Nemours « à cause d'ung
« certain traict, » et que ses capitaines devaient lui
fermer les portes de toutes ses places ^ On craignait que
l'enlèvement du duc d'Orléans ne fût le premier acte
d'un soulèvement général du parti catholique et que les
principales villes du Piémont ne fussent menacées. Le
même courrier apporta à Jacques de Savoie l'injonction
de rentrer à la cour pour s'y justifier^. L'accusé se
garda d'obéir. Il envoya à Saint-Germain son guidon,
Philibert de Lignerolles, avec une lettre à la reine où
il protestait de son dévouement sans entrer dans le
détail des faits ^. Il écrivit aussi au maréchal de Mont-
1. Lettre de Chantonay à Philippe II du 31 octohre (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1494, n» 106).
2. Lettre du roi à Bourdillon du -23 octohre (Orig., f. fr.,
vol. 15.542, f. 49).
3. Lettre de Charles IX à Bourdillon du 30 octobre (Orig., f. fr.,
vol. 15542, f. 51).
4. Dupuy, Mémoires 5U?' le concile de Trente, p. 109. — Lettre
du roi au s. de Llsle.
5. Original daté du 15 novembre 1.561 (f. fr., vol. 6608, f. 32).
A cette lettre se rattache un singulier détail d'histoire rétros-
pective.
La lettre de Nemours fut envoyée en copie à L'Aubespine,
cvêque de Limoges. Le frère de L'Aubespine, chargé de l'expé-
dition, souUgna un certain passage, oii Nemours, en termes obs-
240 ANTOINE DE BOURBON
morency « de vouloir estre occasion, dit-il, que je sorte
« de cette peine, qui est la plus grande où je fus jamais
« et qui m'importe le plus'. »
A peine arrivé à la cour, le 213 novembre-. Ligne-
roi les fut arrêté et traité en coupable. II comparut
devant une commission composée du chancelier de
l'Hospital, de Jean de Monluc, de Grussol, de du Mor-
tier et d'Avançon. Il répondit qu'il ne savait rien des
accusations portées contre son maître ; pour sa propre
justification, il allégua sa présence à la cour, preuve
d'une conscience tranquille^. On le confronta avec le
laquais qui avait reçu les premières confidences du duc
d'Orléans. Le secrétaire d'état Bourdin cita en témoi-
gnage ou fit arrêter * plusieurs « personnaiges » de
curs, rappelait à la reine les services qu'il lui avait rendus. En
regard de ce passage, il écrivit : « La royne a bien ri quand elle
« a vu dessus la lettre de M. de Nemours ces lignes marquées,
« se souvenant qu'elle le vouloit employer lorsque'mad. de Valen-
ce tinois la fachoit tant à luy faire jeter par luy d'une eau forte
« distillée, comme par manière de jeu sur le visage, de quoy elle
« fut toute sa vie demeurée défigurée, et ainsi pensoit de en reti-
« rer le feu roy son mari; ce qui ne fut pas fait, car elle y pensa
« depuis. — Bruslez ceste lettre après l'avoir lue, s'il vous plaist. »
Ce fait ne paraît pas avoir été signalé.
Nous n'avons pas la copie envoyée à L'Aubespine, mais le
même recueil conserve (f. 2'J) une copie récente faite sur
celle-ci.
1. Autograi)he sans date (f. fr., vol. 3157, f. 9).
2. Lettre de Tbrockmorton du 26 novembre {Galendars, 1561,
p. 113).
3. Déposition orig. de LigneroUes en date du 20 novembre (f. fr.,
vol. 6608, f. 35). Cette pièce est très importante, mais elle four-
nit plus de détails sur le voyage de Nemours que sur la tenta-
tive d'enlèvement.
4. Lettre de Bourdin à la reine mère du 15 novembre 1561
(Orig., f. fr., vol. 6608, f. 25).
ET JEANNE d'aLBRET. 841
toutes les classes, un laquais du sire de la Barge \ de
la compagnie de Nemours, Jehan de Nogaret de la
Valette, le s. de Bérenger^ Le chancelier interrogea
tous les familiers, tous les serviteurs du duc de
Nemours qu'il put soupçonner^. La colère de la reine
la poussait à des mesures aveugles ; le conseil agita de
soumettre Lignerolles à la torture et même de le pendre
pour faire croire à la culpabilité de son maître^. En
attendant la découverte de nouveaux indices, il fut
retenu en prison sans autre motif que la crainte qu'il
inspirait. Il n'avait pas encore recouvré la liberté à la
date du 22 décembre^'. Dans les premiers jours de jan-
vier, il fut enlevé des cachots du château de Saint-
Germain et transféré de nuit à Melun avec tant de
précipitation que les archers, chargés de le conduire,
manquèrent de chevaux, et que le prince de Gondé
prêta les siens '^.
L'instruction se poursuivait secrètement au milieu
d'un mystère profond. A chaque découverte le com-
1. La Barge s'était réfugié en Piémont. Catherine ordonna à
Bordillon de l'interroger (Lettres de Catherine, t. I, p. 258), mais
Bordillon ne put le saisir [Ibid., f. 265).
2. Leurs dépositions ne fournissent aucun renseignement pré-
cis et s'étendent sur des faits étrangers à l'enquête. Elles sont
conservées dans le f. fr., vol. 6G08, f. 16, 48 et 57.
3. Voyez notamment les interrogatoires de Pierre Grenier et
de Jehan de Nogaret de la Valette, datés du 7 décembre 1561 ;
orig., f. fr., vol. 6608, f. 16 et 48.
4. Lettre de Chantonay à Philippe II du 26 noveml)re (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1494, n» 112).
5. Il écrivit à la reine mère ce jour-là une longue lettre de
justification qui ne nous apprend rien do nouveau (Autog.; f. fr.,
vol. 6608, f. 65).
6. Lettre de Chantonay à Philippe II du 13 janvier 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1197, u» 5).
m 16
242 ANTOINE DE BOURBON
plot se révélait plus grave. Le 9 novembre, Claude de
l'Aubespine écrit à son frère, ambassadeur en Espagne :
« Plus on va en avant, plus se découvre du dessein
« de M. de Nemours, que l'on estime avoir esté de
« l'intelligence de beaucoup'. » Les chefs du parti
catholique au contraire s'efforçaient d'atténuer la
gravité de l'affaire ; ils faisaient ressortir la faiblesse
de l'accusation, qui n'avait d'autre base que le témoi-
gnage d'un enfant de dix ans : « L'affaire de M. de
« Nemours, écrit l'ambassadeur d'Espagne, chaque
« jour paraît plus aux gens sages et sans passion un
« soupçon pris sans aucune occasion^. »
Dans l'impossibilité de saisir le duc de Nemours en
personne, la reine voulut l'atteindre dans ses dignités.
Le roi convocjua un conseil de l'ordre Saint-Michel pour
les fêtes de Noël et annonça d'importantes résolutions
à prendre^. Le cardinal de Lorraine fut dépouillé de
la dignité de chancelier de l'ordre*. François II avait
nommé près de vingt chevaliers que l'on supposait
être des affîdés des Guises. Charles IX en nomma
quinze pour déplacer la majorité ', huit le 7 décembre
et sept le lendemain, François de Bourbon, dauphin
d'Auvergne, tils du duc de Montpensier, le comte de
Rocquendorf, Jean d'Annebaut, baron de Retz, le sei-
gneur de Chaulne, gouverneur de Saint-Quentin, Fran-
1. Déchiirremont original daté du ',) novembre 1561; f. fr.,
vol. 6618, f. 18.
2. Lettre originale en espagnol de Chantoiiay au roi d'Espagne
du 13 novembre 1561 (Arch. nat., K. Ii94, u» 108).
3. Lettre de Cluintonay à Philippe II du 13 novembre (Orig.
espagnol; Arch. nal., K. 1494, n° 108).
4. Calendars, 1561, p. 360.
5. Lettres de Pasquier dans les OEuvres compUles, t. II, p. 87.
ET JEANNE d'aLBRET. 243
çois d'Escars, favori du roi de Navarre, le seigneur
dePiennes, de Kernevenoy, dit de Carnavalet, gouver-
neur du duc d'Orléans, le comte de Gharny, le sei-
gneur de la Meilleraye, lieutenant de la compagnie de
Coligny, Jean Larchevêque, seigneur de Soubize,
Antoine de Gramont, vicomte d'Aster, le seigneur de
Sault, ancien ambassadeur en Angleterre, un des favo-
ris du roi de Navarre, le seigneur de Gordes, lieute-
nant de la compagnie du connétable, le seigneur d'Au-
mont, Joachim de Monluc, seigneur de Lioux^. Les
nouveaux chevaliers appartenaient à la Réforme ou au
tiers parti; cependant ils assistèrent tous à la messe.
Seul, Antoine de Gramont refusa obstinément de
paraître à l'église-. On pensait que le projet de la
reine était de citer le duc de Nemours devant le con-
seil de l'ordre et de le faire condamner à la dégrada-
tion par défaut, de le bannir du royaume et d'attribuer
tous ses biens à Mademoiselle de Rohan^.
Le duc de Guise s'était réfugié à Joinville, puis à
Doullens, afin de laisser passer l'orage. Le 12 no-
vembre, il écrivit au connétable une lettre, dont
1. Calendars, lôGl, p. 430. — Le Laboureur, Mémoires de Cas-
telnaUy 1731, t. I, p. 368. — Ce fut un scandale, dit Throckmor-
ton, de ne pas voir nommer le s. de Montpezat ; mais il était
lieutenant du duc de Guise {Calendars, 1561, p. 437). — A cette
occasion, dit Throckmorton dans une autre lettre, on réédita le
vieux mot que « le collier de l'ordre était un collier à toutes
« bêtes. » (Lettre du 20 décembre; Calendars, 1561, p. 449.)
2. Lettre de Ghantonay à Philippe II du 7 décembre (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1495, no 93).
3. Lettre de Ghantonay du 13 novembre à Philippe II (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1494, n° 108). — Lettre de Tornabuoni
du 29 décembre (Négoc. de la France avec la Toscane, t. III, p. 469).
— Lettre de Throckmorton du 14 novembre [Calendars, 1561,
p. 396).
244 ANTOINE DE BOURBON
le ton dégagé semble affecté : « Ce porteur vous
« dira ce que nous faisons à la chasse et comme
« nous Y employons le temps, cardinal de Guise,
« duc d'Aumale, mes frères et moy, qui commence à
« gouster le plaisir de mon mcsnage Toutes mes
« nouvelles ne sont que de chiens et d'oyseaux et que
« l'on se porte à ces cjuartiers assez bien pour la reli-
« gion^ » Catherine l'avait convoqué à la cour. Il
répondit qu'il reviendrait si la reine lui en donnait
l'ordre, mais qu'il aimerait mieux prolonger sa retraite.
Son allié, le connétable, reparut à Saint-Germain
pour ne pas être compromis dans le procès de
Nemours, à la grande joie de la reine qui se fiait en sa
loyauté^.
A Rome, la tentative du duc de Nemours était jugée
avec indulgence et « plus atténuée que blâmée. » Un
seigneur romain dit à l'ambassadeur « que l'on en ver-
« roit bien d'autres^. » Mais tous les autres souve-
rains, la reine d'Angleterre, la république de Venise,
le duc de Savoie , compatirent aux angoisses de la reine ^ .
1. Orig., f. Cr., vol. 3158, f. 12. C'est par erreur que, sur le
catalogue du fonds français de la Bibl. nat., cette lettre a été
placée à l'année 15G0. — Autre lettre du duc de Guise au conné-
table en date du G décembre. Même affectation de n'être occupé
que de chasse et de fauconnerie (Orig., f. fr., vol. 3197, f. 10).
2. Lettre de Ghantonay à Philippe II du 13 novembre (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1495, n" 108). — Lettre de Tornabuoni
du 20 novembre [Ncgoc. de la France avec la Toscane, t. ILE, p. 468).
— Lettre de Throckmorton du 14 novembre [Calendars, 1561 , p. 396).
3. Lettre du président de l'Islo, ambassadeur à Rome, au roi,
en date du 9 décembre 1561 (Uupuy, Mémoires sur le concile de
Trente, p. 115).
4. Lettre de Tornabuoni du 20 novembre (Négoc. de la France
avec la Toscane, t. III, p. 468). — Le duc de Savoie envoya même
un ambassadeur, le sire de Morete (Lettre de Ghantonay à Phi-
ET JEANNE d'aLBRET. 245
Le duc de Lorraine, qu'elle avait choisi pour confident,
lui écrivit : « J'ay veu par la lettre que m'avés escrit
« comme M. de Nemours a vouleu emmener Monsieur
« et que aviés peur qui ne vint isy. Je panse, Madame,
« qui n'avoit garde de venir isy après cet acte. Je
« n'euse fali de faire ce qui vous plesroit me comman-
a der^. »
La reine attendait avec anxiété la première impres-
sion de Philippe II sur ses doléances-. Sachant qu'il
aimait à paraître le conseiller des familles en môme
temps que l'arbitre de l'Europe, elle lui demanda son
avis^. Il répondit, le 29 novembre, par des remon-
trances sur la politique religieuse de la cour de France.
Peu s'en fallut que, d'un crime reproché au parti catho-
lique, il ne se fit une arme contre les Huguenots.
Madame, j'ai veu la lettre que Votre Majesté m'écrit de
sa propre main, concernant le duc de Nemours, et je regrette
dans l'âme la peine qu'avec raison Votre Majesté a ressentie
de sa conduite. Les représentations que j'ai si souvent adres-
sées à Votre Majesté pour qu'elle voulut bien porter remède
aux choses de la Religion, bien que je l'eusse fait pour le bien
seul de la Religion, pour laquelle j'ai l'obligation et la détermi-
nation de mourir, avaient aussi pour but de vous faire prévoir
que les désordres dans la Religion amèneraient aussi des chan-
gements dans le temporel, qui occasionneraient à Votre Majesté
lippe II du 9 novembre; Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1494,
no 107).
1. Orig. autographe, daté du 3 nov. 1561 ; f. fr., vol. 6608, f. 2-2.
2. Lettres de Catherine de Mcdicis, t. I, p. 250.
3. Lettres de Catherine de Mcdicis, t. I, p. 244. La lettre adres-
sée au roi d'Espagne est particulièrement détaillée. Au dos de
l'original on lit cette annotation autographe de Phihppe II : « En
esto pensado, pongo lo que se la habra de responder de que se le
habrâ de hacer carta de mi mano. »
246 ANTOINE DE BOURBON
les travaux el les soucis qui eu résultent ordinairement. La
clisimulation que Votre Majesté a montré dans ce cas-ci me
paraît conforme à Votre grande prudence, et ce qu'il y aurait
de mieux à faire et de plus convenable, il me semble que ce
serait que les sujets du Roi très chrétien fussent tous traités
de la même manière, et qu'il n'y eut pas cette disparité entre
les égarés et les catholiques, afin que ceux-ci ne soient poussés
à tenter des choses semblables ; ce qui, si nous voulons le juger
par ce qui est arrivé d'autres fois, ne peut manquer d'arriver,
si Votre Majesté ne prend pas le chemin que je lui ai proposé
si souvent de prendre. Que Votre Majesté soit bien convaincue
que je lui parle là-dessus en fils qui l'aime comme soi-même'.
La fin de la lettre était encore moins rassurante.
Philippe II, après avoir protesté de son dévouement
aux volontés de la reine, insinuait que les catholiques,
persécutés partout, avaient droit à un refuge : « Et
« tant que Dieu me fera la grâce de connaître la vérité
« comme je la connais maintenant, c'est moi qui les
« protégerai et les accueillerai. »
Cette réponse était de nature à faire naître la méfiance
de la reine mère ; de nouveaux indices s'y ajoutè-
rent. Quelques jours avant le 20 octobre, Chantonay
avait de lui-même conseillé à la reine d'envoyer
le duc d'Orléans en Lorraine. Son insistance revint
après coup au souvenir de Catherine-. Peu à peu les
découvertes de l'instruction révélèrent que le roi d'Es-
pagne était décidé à prêter aux conjurés un concours
actif. Dès le 20 novembre, Tornabuoni écrit au grand
duc de Toscane que Nemours passe à la cour pour
1. Copie espagnole, en date du "37 novembre (Arcli. nat.,
K. 1495, n° 90). L'original, dit une note marginale, écrit de la
main de I^hilippe II, fui envoyé à la reine.
2. Lettre de Chantonay à Philippe II du 28 octobre (Orig. espa-
gnol, K. I'i9'j, n^iOf)).
ET JEANNE d'aLBRET. 247
avoir obtenu l'assentiment du roi d'Espagne et du
pape*. Le bruit se répandit que les complices de
Nemours étaient en route pour l'Espagne et Antoine
expédia en hâte des messagers chargés de surveiller
les défilés de la Navarre-. Le 29 novembre, Catherine
ne doute plus et écrit à son ambassadeur en Espagne :
« Combien que l'on n'ait pas atteint la source et la
« pure vérité du mal, si verrez-vous bien par la copie
« de l'instruction, qu'il (Nemours) a baillée à ung
« gentilhomme des siens, envoyé ici pour s'excuser,
« qu'il avoit parlé à mon fils d'Orléans ; de telle sorte
« qu'il y avoit quelque chose de caché, ce que je seroy
c( très aise que vous fassiez entendre par delà^ »
Bientôt les révélations des lieutenants du roi forti-
fièrent les soupçons de la reine. Pendant que le duc
de Nemours jouait son rôle, le roi d'Espagne faisait
étudier un plan de campagne en France. Un espion
parcourut la frontière du Nord et fit un rapport au
seigneur de Courteville, un des secrétaires du roi
catholique. La « pratique » avec les Guises, dit-il,
devrait se dresser du côté des Flandres, parce que le
duc et ses frères se sont retirés sur cette frontière. Il
vaut mieux s'adresser au duc qu'au cardinal, parce
qu'il fit ira plus rondement à la besoigne, et sur le dire
1. Négociations de la France avec la Toscane, t. m, p. 468.
2. Lettre du duc d'Albuquerque à Philippe II du 17 janvier
1562, de Pampelune (Cop. espag.; Arch. de la secret, detat
d'Espagne, leg. 358, f. 52).
3. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 253. Cette lettre a été
imprimée incomplètement d'après une copie communiquée par
M. Charavay. L'original, qui est également incomplet, est con-
servé dans le f. fr., vol. 6605, f. 70. Il est suivi d'une copie
(f. 72) qui paraît complète.
248 ANTOINE DE BOURBON
« duquel l'on se doibt plus fonder que dud. cardinal,
« encoires qu'il soit assez apparent qu'il ne le voudra
« résouldre sans le participer à luy et peult estre à ses
« autres frères ^ . »
A dater du moment où sa conviction fut formée,
Catherine arrêta l'enquête. Les recherches furent
étouffées, les interrogatoires interrompus, les procé-
dures supprimées. Sans doute elle jugea dangereux de
laisser éclater ses soupçons contre des instruments
obscurs, quand le promoteur principal était à l'abri
de toute sanction pénale. Chantonay continuait à
traiter le complot de calomnie. Il en conféra avec
la reine dans les premiers jours de décembre et
prétendit lui prouver que le duc de Nemours n'avait
proposé au duc d'Orléans de l'élever au trône qu'en
cas de mort du roi, proposition correcte qui ne bles-
sait personne. La reine répondit peu de paroles. Chan-
tonay conclut de son silence qu'elle était embarrassée
de l'éclat qu'elle avait laissé prendre à l'instruction ^.
Un mois après, il fît naître l'occasion de disculper son
maitre des soupçons qui pesaient sur sa tête. L'ac-
cusation portée contre M. de Nemours, dit-il à la
reine, « n'est pas aussi grave qu'on l'avait dit dans
« le commencement. » Le roi de Navarre, qui assis-
tait à l'entretien, combattit vivement celte appré-
ciation. L'ambassadeur sentit qu'il faisait fausse route
et s'arrêta court. t< .l'ai pensé, écrit-il à Philippe II,
1. Rap])orl dat(' du mois do décembre {Papiers d'estal de Gran-
velle, t. VI, p. 439).
2. Lettre de Chantonay à IMiilippe 11 du 10 décembre (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1495, u" 95).
ET JEANNE d'alBRET. 249
c< que ce n'était ni le temps ni le lieu de discuter
c< cette affaire, mais qu'il fallait la débattre petit à
« petit, et je résolus de ne pas m'y arrêter^. »
1. Lettre de Ghantonay à Philippe II du 8 janvier 1563 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n° 4).
Zs/
CHAPITRE QUINZIÈME.
Négociations du roi de Navarre avec l'Espagne pendant
l'année 1561.
Motifs de la déférence du roi de Navarre pour Cathe-
rine de Médicis. — Premières négociations d'Antoine
de Bourbon avec r ambassadeur d'Espagne. — Négo-
ciations de Sébastien de VAubespine à Madrid. —
Antoine dema?ide Sienne. — Négociations du roi de
Navarre en Allemagne. — Catherine demande la
Sardaigne à Philippe IL
Le roi de Navarre envoie Antonio d'Ahncida en Espagne
{mai 1 5G1 ). — // veut y accréditer Philippe de Lenon-
court, évêque d'Auxerre, et Jean-Jacques de Mesmes.
— Catherine adjoint à F ambassade Jacques de Mont-
beron, seig^ieur d'Auzance. — La mission de V évêque
d'Auxerre et de de Mesmes est ajournée et d'Auzance
part seul pour Madrid (216 juillet) . — Envoi de Fran-
çois d'Escars à Rome (fin août). — Retour de d'Au-
zance à Saint-Germain (14 octobre).
Suite des négociations du roi de Navarre à Madrid et
auprès de Chantonaij. — Chantonay concède en
principe la reconnaissance des droits du roi de Navarre .
— Jacques d'Auzance repart pour V Espagne {fm
novembre) . — Echange de la Navarre proposé par
252 ANTOINE DE BOURBON
les ministres de Philippe IL — Philippe II confirme
les concessions de principe de Chaîitonmj. — Antoine
écrit au duc d'Albe. — Retour de d'Aiizance à Saint-
Germain {% janvier) . — Satisfaction du roi de Navarre.
— Il passe définitivement au parti catholique.
La mort de François II et l'intérêt de la défense per-
sonnelle avaient fondé le rapprochement de la reine
mère et du roi de Navarre. L'organisation du trium-
virat avait resserré l'alliance et inauguré l'âge d'or de
leur association . Catherine avait du goût pour le prince ^ .
Ses défauts, sa versatilité, sa faiblesse de caractère ne
lui déplaisaient pas, parce qu'elle se sentait capable
d'y porter remède, et ses qualités, la générosité de
ses sentiments, sa bravoure la séduisaient sans lui
faire ombrage. Depuis leur commun avènement, la
régente et le roi de Navarre, malgré quelques ombres
passagères, administraient ensemble le royaume avec
une unité parfaite, trop parfaite pour ne pas couvrir
la dépendance de l'un d'eux. Le plus souvent, dans
ses instructions administratives, le roi de Navarre
aime à s'en rapporter, même sur les questions de sa
compétence, aux décisions de la régente. Jamais il ne
rappelle aux gouverneurs de province, aux capitaines
de places, qu'ils ne doivent obéir qu'à ses lettres.
Lieutenant subordonné, il transmet modestement,
aux officiers qu'il a le droit de commander, les
ordres de la reine mère, comme émanant d'un pouvoir
1. Lottro (le Tonuihuoui {Ncgoc. de la France avec la Toscane,
t. m, p. m).
ET JEANNE d'aLBRET. 253'
supérieur. Soit qu'il s'agisse d'une assemblée tenue à
Beaune et de mesures prises par le parlement de
Dijon \ de la solde des gens de guerre en Pié-
mont ', du paiement des gages des conseillers du par-
lement de Paris ", de la convocation des gens des trois
états aux assemblées provinciales % d'une simple recom-
mandation au parlement de Bourgogne ^, d'un accord
ménagé entre deux gentilshommes tourangeaux*', de
l'élévation de la reine à la dignité de régente ^, de l'en-
voi d'un messager à la seigneurie de Lucques*^, des
dettes du trésor royal vis-à-vis des soldats et des capi-
taines du Piémont '^, de la recommandation du sei-
gneur de la Roque, gentilhomme delà maison du roi.
1. Lettre orig. autog. du roi de Navarre à Tavannes, datée de
février 1560 (1561) ; f. fr., vol. 4632, f. Ii2. La lettre de la reine
mère, coniirmative de la lettre du prince, est imprimée dans
Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 168.
2. Lettres d'Antoine de Bourbon et de Jehanne d'Albret, p. 227.
3. Lettre du roi de Navarre du 22 février 1560 (1561) (Copie;
f. fr., vol. 23750, non paginé ; extrait des registres du conseil du
parlement).
4. Lettre du roi de Navarre du dernier de février 1560 (1561),
citée dans une ordonnance du sénéchal des Lannes (Landes)
(Vc de Golbert, vol. 27, f. 294 v»).
5. Lettre du roi de Navarre du \^ mars (Orig., coll. Moreau,
vol. 883, f. 166).
6. Lettre du roi de Navarre du 20 mars [Hist. généal. de la
noblesse de Touraine, par Lhermite Souliers, 1669, p. \\\).
7. Lettre du roi de Navarre du 30 mars (Lettres d\Ant. de Bour-
bon et de Jehanne d'Albret, p. 231). — Autre lettre du roi de
Navarre sur le même sujet en date du 15 avril (Orig., coll. Moreau,
vol. 833, f. 172).
8. Lettre du roi de Navarre du 14 avril {Flist. généal. de la
noblesse de Touraine, par Lhermite Souliers, 1669, p. 421).
9. Lettre du roi de Navarre du 28 avril [Lettres d'Anl. de Bour-
bon et de Jchannç d'Albret, p. 232).
254 ANTOINE DE BOURBON
qui a été indûment rayé des rôles ^ d'une autorisation
donnée à deux gentilshommes, Birague et Vimercat,
de vider un différend les armes à la main ~, de solli-
citations auprès du parlement de Paris en faveur de la
prompte expédition du procès du s. de Ciergue"\ le roi
de Navarre ne se départ jamais de sa déférence vis-
à-vis de la reine mère et parle d'elle comme un sujet
parle de son roi. A ces démonstrations officielles le
prince ajoute des actes. Il n'eût tenu qu'à lui d'obte-
nir des états généraux d'Orléans et plus tard des
états provinciaux de Paris la régence du royaume,
ou de l'enlever de haute lutte à l'aide de son cré-
dit sur les gens de guerre. Ses amis l'y poussaient
en lui représentant qu'il en avait le droit; ses enne-
mis eux-mêmes reconnaissaient qu'il en avait le pou-
voir. Malgré ses avantages, il s'était incliné devant la
volonté de Catherine. Antoine et la régente en étaient
aux attentions délicates. Dans une lettre, il demande
« en toute dilligence » à Jeanne d'Albret « des graines
« de melons, concombres, cardes et ognons doulx »
pour fiiire plaisir à la reine ^. La reine, de son côté,
étale dans ses lettres la satisfaction qu'elle éprouve
de l'attitude du roi de Navarre. Un jour elle traduit
son approbation, au grand profit de ce prince, en
tranchant en sa faveur la question litigieuse d'un don
4. Lottro du roi do Navarre du 11 juin (Orig., f. l'r., vol. 20459,
f. 127).
2. Lettre du roi de Navarre du Çt juillet {Di/férend entre Vimer-
cat et Birague, p. 1")).
3. Lettre du roi de Navarre au parlement de Paris du 26 nov.
1561 (Copie : coll. du parlement, vol. 555, f. 26).
4. Lettres d'Antoine de Bourbon et de Jehanne d'Albret, p. 225.
ET JEANNE d'aLBRET. 255
de dix mille livres, que Henri 11 lui avait accordé en
15571.
La reine et le prince ne se divisèrent qu'une fois
pendant les premiers mois du règne de Charles IX.
11 était question d'exécuter le traité de Cateau-Cam-
brésis; le conseil du roi discutait la nécessité de resti-
tuer certaines places du Piémont au duc de Savoie.
La reine, qui croyait avoir besoin du duc Philibert
Emmanuel, voulait se rendre aux vœux de ce prince.
Antoine s'y opposa, vu la minorité du roi, et fut
appuyé par le duc de Guise. Le conseil adopta ses
conclusions et la restitution fut ajournée -.
Les ambassadeurs étrangers témoignaient de la
déférence d'Antoine et Chantonay lui-même, malgré
sa malveillance, faisait valoir ces égards comme une
bonne note^. Le nonce, dans une lettre du 9 avril,
appuie l'ambassadeur d'Espagne et conseille au pape
d'encourager la réserve du prince dans les conseils
du gouvernement ^.
La subordination volontaire d'Antoine de Bourbon
vis-à-vis de Catherine ne s'explique pas seulement
par sa faiblesse de caractère. Les esprits faibles ne se
laissent pas toujours conduire. Le prince avait un
mobile ; il voulait mériter la reconnaissance de la
1. Acte daté du 26 juin (Copie; Arch. nat., P. 2312, f. 119).
2. Lettre de Suriano à la république de Venise du 19 février
(Déchiffrement; Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 60).
3. Lettre de Chantonay à Philippe U du 8 décembre 1."j60 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1493, n° 11.5). — Presque toutes les
lettres du même ambassadeur de cette époque, jusqu'en mars
1561, contiennent les mêmes rapports.
4. Lettre non signée en italien (Copie communiquée à la cour
d'Espagne?) (Arch. nat., K. 1195, n» 30).
256 ANTOINE DE BOURBON
reine. Depuis son mariage avec Jeanne d'Albret, il
ambitionnait la restitution de la Navarre espagnole et
ne poursuivait le pouvoir que pour imposer ses reven-
dications à Philippe II. Le rêve du recouvrement inté-
gral ou de la « compensation honneste, » qui, pendant
le règne de Henri II, n'avait cessé de hanter son esprit,
inspira de nouveau toute sa politique aussitôt que son
crédit de lieutenant général lui permit de mettre en
action les forces de la monarchie des Valois.
Le jour même de la première visite de Ghantonay,
après la mort de François II, le 8 décembre, Antoine
le « prêcha sur les commandements de Dieu et de
« l'église ; combien il était saint d'aimer Dieu et son
« prochain et de ne pas faire à autrui ce que nous ne
« voulons pas qu'il nous fasse. » Sa conclusion fut que
le roi catholique devait lui restituer le patrimoine de
sa femme. Ghantonay écouta le sermon en silence ;
il n'en avisa même pas son maître. Le 218 décembre,
le connétable envoya chercher l'ambassadeur ; il lui
parla longuement du chancelier de Granvelle, frère
de Ghantonay, avec lequel il avait négocié du vivant
de Gharles-Quint , de sa propre vie passée, de la
nécessité de faire des sacrifices au maintien de la
paix et enfin des droits du roi de Navarre. Ghanto-
nay jugea que ce long discours était le prélude d'une
revendication pacifique des provinces que le roi
d'Espagne détenait au delà des Pyrénées'.
La négociation ne se fit pas attendre. Antoine écrivit
au duc d'Albuquerque, gouverneur de la Navarre espa-
gnole, et posa la question de restitution. Le duc ne
1. Lotiro (le Chanloiiay à Pliilippe II iOrig. espagnol; Arch.
nal., K. ri9'i, u» 1-2).
ET JEANNE d'aLBRET. 257
répondit pas. Le secrétaire du prince adressa j)lu-
sieurs lettres au duc, qui restèrent également sans
réponse*. En même temps, Antoine avait envoyé à
Pampelune et dans les principales villes de la pro-
vince des agents actifs, notamment un chanoine nommé
Monréal. Ils racontaient, en les amplifiant, les triom-
phes d'Antoine de Bourbon à la cour de France et
faisaient courir une prétendue lettre du pape, qui
conseillait à Philippe II de rendre la Navarre au chef
de la maison d'Albret. Averti de ces menées, le duc
d'AIbuquerque fit saisir le chanoine Monréal, la lettre
du pape et les porteurs chargés de la répandre*.
Sébastien de l'Aubespine, évèque de Limoges,
ambassadeur de France, reçut la mission de faire une
ouverture à la cour de Madrid. Il n'obtint une audience
du roi que pour recevoir les réprimandes de Phi-
lippe II sur la conduite de la reine mère vis-à-vis des
réformés, « ayant nommé expressément le roy de
« Navarre, MM. le cardinal de Chastillon et admirai,
« affin, écrit-il à la reine mère, que vous les reculas-
« siez de vous et pour le moins ne preslissiez l'oreille
« en ce qui concerne le faict de la religion, disant à
« la royne, sa femme, qu'ils vous trompoient, et que,
« si vous ne serriez la main pour tenir les choses en
« debvoir et discipline, qu'en brief vous vous verriez
1. Nous n'avons pas trouvé ces lettres aux archives de Siman-
cas. Leur existence nous est révélée par une lettre du duc
d'AIbuquerque à Philippe II du 17 février 1561 (Orig. espagnol ;
Arch. de la secret, d'état d'Espagne, leg. 358, f. 52).
2. Lettre du duc d'AIbuquerque à Philippe II du 31 mars 1561
(Orig. espagnol; Arch. de la secret, d'état d'Espagne, leg. 358,
f. 52).
m 17
258 ANTOINE DE BOURBON
« affligée^. » Catherine avait prévu ce mode de
défense. Dès le mois de décembre, elle avait prié Phi-
lippe II de ne garder aucune méfiance de l'orthodoxie
du prince^. A la fin de janvier, dans une conférence
avec don Juan Manrique de Lara, elle renouvela ses
attestations. Le seul reproche à lui faire, dit-elle, est
de mal choisir ses familiers, et le seul danger « c'est
« que ceux qui l'entourent ne le pervertissent^. »
Deux jours après, les ambassadeurs espagnols recueil-
lirent de la bouche même du roi de Navarre des
promesses formelles. Ils lui demandaient de ne point
favoriser les empiétements des Huguenots. Antoine
répondit que ses devoirs de lieutenant général l'obli-
geaient à recevoir en personne leurs requêtes avec un
semblant d'impartialité, mais il s'engagea à les faire
échouer au conseil. Les ambassadeurs se retirèrent
satisfaits. Le lendemain de cette déclaration, l'amiral
de Goligny présenta une requête. Le prince l'appuya si
vivement qu'elle faillit réunir la pluralité des voix'^.
L'Espagne était menacée par les armements de Soli-
man II. De nombreuses flottes, montées par des cor-
saires, parcouraient la Méditerranée et portaient la
terreur dans les possessions espagnoles. Catherine, qui
n'ignorait pas que l'invasion des Turcs était le grand
souci de Philippe II, lui proposa sa médiation auprès du
1. Lettre du mois de mars 1560 (1561) adressée à la reine (Orig.,
f. fr., vol. 0614, f. 81).
!2. Lettre de L'Aubespine au duc d'Alho du 28 décembre (Orig.
français; Arch. nat., K. i493, n» il8|.
3. Lettre de Gbantonay et de Manrique de Lara à Philippe II
du 28 janvier 1561 (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1494, n" 55).
4. Lettre de Gbantonay et de Manrique de Lara à Philippe U du
!«'■ lévrier (Orig. espagnol, K. 1494, n» 56).
ET JEANNE d'aLBRET. 259
sultan''. L'Aubespine devait en outre insinuer que la
reine mère se chargerait, avec le même empresse-
ment, de régler l'ancienne querelle de la Navarre. La
proposition fut froidement accueillie par Philippe II,
qui promit « qu'il y adviseroit suivant la commodité
a. de ses affaires '. »
La reine mère assaillit aussi sa fille, Elisabeth de
Valois, d'instances en faveur du prince : « Je ne vos
« oublyer à vous dyre que l'ambassadeur vous parlera
« pour le fayt du roi de Navarre. S'il estoit possible
« de le satisfaire de quelque chause, ce seroit heun
c( grand repos pour moy. »
Après les prières vinrent les menaces. Catherine
révéla à sa fille que les afïîdés du roi de Navarre con-
seillaient à leur maître de prendre le pouvoir et de
déclarer la guerre au roi d'Espagne, que jamais elle
n'autoriserait une conflagration générale pour le seul
profit de la maison d'Albret, mais qu'elle craignait de
se voir débordée et que l'unique moyen de conjurer
une attaque était de contenter le prince \ Prières et
menaces trouvèrent Philippe II également sceptique
et disposé à traîner la négociation en longueur.
Vers cette époque passèrent en France deux servi-
teurs du roi d'Espagne, le secrétaire d'état Erasso et
le baron de Polwiller, au retour d'une mission en
Allemagne. Erasso, natif de la Navarre, se disait dévoué
1. Lettres de Catherine do Médicis du 3 et du '27 mars {Lettres
de Galherlne, t. I, p. 583 et 179). — Lettre du roi do Navarre à
L'Aubespine du 5 mars [Lettres d'Antoine de Bourbon et de Jehanne
d-Albret, p. 229).
2. Lettre de L'Aubespine à la reine du 4 avril 1561 (Galland,
Mémoires sur la Navarre, p. 92, et Preuves, p. 85).
3. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 581 et 590.
260 ANTOINE DE BOURBON
à la maison d'Albret, et le baron de Poiwiller était
un agent, ambassadeur ou espion, que Charles-Quint
avait employé. Tous deux parlèrent de la ville de Sienne,
vantèrent sa richesse, l'attachement qu'elle avait
montré à la France pendant les guerres d'Italie et
encouragèrent Antoine à la demander comme fief de
la couronne d'Espagne ^
Les villes de Florence et de Sienne vivaient depuis
des siècles en état de guerre. Sienne avait été vaincue
en 1 555, à la suite d'une défense mémorable, qui fit la
gloire de Biaise de Monluc, et mise sous la domination
de sa rivale. Le roi d'Espagne avait longtemps soutenu
la maison de Florence, mais, en 1 561 , il était las de
son alliance. Catherine, habile à distinguer ces nuances,
prit au sérieux les insinuations de Poiwiller; elle écri-
vit, le 7 avril, à L'Aubespine, et revendiqua Sienne
avec ardeur pour le roi de Navarre. « Le roy catlio-
« lique, écrit-elle, feroit chose équitable et louée de
« Dieu et des hommes et il s'osteroit du pied cette
« épine du royaume de Navarre, dont est pour sai-
« gner longuement et davantage ^. » Lorsque Fran-
çois de Clèves, comte d'Eu, puis duc de Ncvers, alla
épouser en Espagne Anne de Bourbon-Montpensier,
fille d'honneur de la reine Elisabeth, il reçut la charge
de presser l^hilippe II ■\ Mais le roi d'Espagne ne vou-
lait à aucun prix l'établissement d'un prince français
au cœur de Tltalie. Bientôt Galherine l'ut informée que
Philippe 11 réservait Sienne à don Juan d'Autriche,
\. Galland, Mémoires sur la Navarre, p. 9-4.
2. Lettre du 7 avril (Lettres de Galherine de Médicis, t. I, p. IS'i).
3. Lettre de L'Aubespine à la reine du 20 mai 1501 (Galland,
Mémoires sur la Navarre, p. 95).
ET JEANNE d'alBRET. 261
son frère bâtard, et elle essaya de traverser les des-
seins du roi catholique en les révélant au grand-duc
de Toscane^.
Le royaume d'Espagne, au temps de sa grandeur,
avait dans son organisation intérieure un vice qui
tôt ou tard devait l'épuiser. Outre ses possessions
ibérifjues et ses colonies d'outre-mer, plus vastes que
lé monde connu, Philippe II tenait de son père les
Flandres, le berceau de sa maison, le plus riche, le
plus fécond royaume du xvi® siècle. Les Flandres
étaient perpétuellement menacées par les princes
allemands. La Réforme, que la Flandre du nord
avait empruntée à l'Allemagne, augmentait l'afïinité
des deux pays, et, dès le commencement du règne
de Charles IX, Philippe II pouvait prévoir une grande
guerre, non une guerre d'ambition entre princes, mais
une lutte de race entre le Nord et le Midi, aigrie par
l'antagonisme des religions. Le roi de Navarre avait
très bien compris que le point faible de la monarchie
hispano-flamande était sur les bords du Rhin. D'ac-
cord avec la reine, il envoya à Vienne le maréchal^
de Vieilleville pour sonder les princes allemands, pro-
testants et catholiques, et négocier des alliances en
vue de l'avenir. Vieilleville, gouverneur de Metz,
était un grand seigneur étranger aux partis, que la
faveur de Henri II avait élevé au premier rang à
la cour. Il partit au milieu de l'hiver 1561, visita
l'électeur de Bavière à Heidelberg, le duc de
1. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 205.
2. Vieilleville n'était encore maréchal qu'en expectative de
par un brevet de Henri IL II succéda au maréchal de Saint-
André en 1563.
2G2 ANTOINE DE BOURBON
Wurtemberg, le duc de Saxe et enfin l'empereur
Ferdinand à Vienne. Partout il fut traité en « bon
c< compaignon, » et prit sa part de nombreux festins
de bienvenue. A Heidelberg notamment, dit son bio-
graphe, Vincent Garloix, avec un accent de reconnais-
sance, c( nous trouvasmes une embuscade de 50 ou
« 60 bouteilles de vin d'Alsace, très excellent. » A
Vienne, il eut l'honneur d'une audience secrète et
sollicita de l'empereur la main de sa nièce, la prin-
cesse Elisabeth, fille de Maximilien, pour le roi de
France^. La proposition fut très bien accueillie et
Maximilien écrivit au roi de Navarre une lettre d'ami-
tié 2.
Depuis la mission de Vieilleville, le roi de Navarre
entretint avec les princes allemands de la communion
d'Augsbourg, qui n'étaient représentés en France que
par des ambassadeurs de passage, des relations plus
suivies que ne le comportait l'état ordinaire de la chan-
cellerie des Valois. Son premier acte, aussitôt qu'il
fut investi de la lieutenance générale, fut de faire dis-
tribuer, malgré la pauvreté de l'épargne, à titre de
don volontaire du roi, une somme de 40,000 écus
1. Le n'-cil do Garloix est très imagé et peint les mœurs de
rAllemagno du xvi« siècle (livre VIII, chap. 17etsuiv.). Malheu-
reusement il est rempli d'erreurs de dates. Ainsi la mission de
Vieilleville est portée à l'année 1562. La lettre de Maximilien,
que nous citons un peu plus loin, sans compter beaucoup d'autres
preuves, certifie que la mission eut lieu au commencement de
1561.
2. C(^tLo lettre, datée de Vienne et du ^'i^mai 1561, est conser-
vée en original aux archives de Pau (E. 58i). — Ces projets de
mariage s'ébruitèrent assez vite. Une lettre de la duchesse de
Lorraine à la reine mère, sans date, mais de 1561, en fait men-
tion (Autog.; r. fr., vol. 6009, f. 12).
ET JEANNE d'aLBRET. 263
aux princes allemands ^ . C'était le moyen d'acheter leur
faveur. Au xvi^ siècle, l'Allemagne tout entière était à
vendre, et l'histoire entière des relations des deux pays
peut se résumer en un compte de banque. Plus tard,
Antoine proposa au duc de Wurtemberg une alliance
personnelle contre les pays catholiques, et la négocia-
tion fut assez avancée pour que le prince allemand
dépêchât à Fontainebleau un ambassadeur chargé d'en
discuter les conditions-. L'électeur de Bavière, l'élec-
teur de Saxe et plusieurs autres souverains allemands,
dans l'espoir d'un don, envoyèrent aussi des pléni-
potentiaires. Le Saxon, trop avide, fut froidement
écouté et se retira mécontent^; mais les autres obtin-
rent des dons et des promesses. Ils portaient aux
nues le roi de Navarre. Bien disposés par la pluie d'or
que le prince versait sur eux, ils lui promirent qu'à la
première diète les voix des électeurs allemands rélè-
veraient à l'empire^. Antoine, dit Chantonay, se com-
plaisait dans ces perspectives. Sa qualité de prince
français n'était pas un obstacle, puisqu'il possédait en
Flandre de grands biens qui le rendaient sujet du
saint-empire ^. En attendant la couronne de Charle-
i. Lettre d'un ambassadeur vénitien du 31 mars (Déchiff. non
signé; Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 23).
2. Instruction du duc de Wurtemberg du 12 juin ; Gonsilium
d. Brentii... du 14 juin (Hist. des ducs de Wurtemberg, en alle-
mand, in-4°, t. IV, p. 172 et 178).
3. Lettre de Suriano du 15 juillet (Dépêches vénit., filza 4 bis,
f. 143).
4. Lettre de Chantonay du 19 juin à Philijipe II (Orig. espa-
gnol ; Arch. nat., K. 1495, n" 47).
5. Il avait désiré vendre ces biens (Lettre de Suriano du 15 juil-
let; Dépêches vénit., fdza 4 bis, f. 143) et avait projeté de deman-
der une autorisation à Philiitpe II. Mais, à partir de ce moment,
264 ANTOINE DE BOURBON
magne, Antoine de Bourbon demandait aux con-
fédérés de l'ancienne ligue de Smalcade de ne point
donner de soldats au parti des Guises, de secourir les
réformés contre les attaques du pape, du roi d'Es-
pagne et de ses alliés. Les électeurs du Nord ne refu-
saient pas de s'engager, sauf à ne pas tenir, mais ils
exigeaient qu'à leur exemple les réformés de France
embrassassent la confession d' Augsbourg '' . Le duc de
Guise fit échouer la convention. Il se mit en corres-
pondance avec l'électeur palatin et avec le duc de
Wurtemberg ~ et coml)attit le roi de Navarre avec les
mômes armes, celles des dons. Dès lors le « négoce »
d'outre-Rhin devint entre les deux princes français
une lutte d'enchères. Les rapports du roi de Navarre
avec les Allemands, pendant le colloque de Poissy, ne
furent qu'un incident de la grande négociation que le
prince dirigeait secrètement contre le roi d'Espagne.
Vers le milieu de l'année 1 561 , il se forma à la diète
un parti qui voulait porter Antoine de Bourbon sur le
trône de Danemarck pour le faire arriver un jour à
l'empire. L'empereur Ferdinand, comme les autres
princes d'Allemagne, mendiait les dons de la cour de
France. L'échec des docteurs allemands au colloque
de Poissy ne refroidit pas les ducs de Saxe, de Wur-
il n'est plus ])arl('' do son dôsir do vonto dans les correspondances
diplomatiques.
1. Lcllrc de Mundl à lord Gccil du l'J juillet 1561 {Calcndars,
1561, p. 188). Cet agent est celui qui résume le mieux cette négo-
ciation ol)scure. — Lettre do Ghantonay du 19 juin (Arch. nat.,
K. 1/195, n" M).
2. Lettre du duc de Guise au dur do Wurtemberg et au palatin
du 2 juillet. I^éponse du duc de Wurtemberg du 25 juillet (Bull,
de la Soc. de l'Hist. du Prot. français, t. 2-i, p. 71 et 73).
ET JEANNE d'aLBRET. 265
temberg et de Bavière. Ils offrirent, dit Shakerley, au
roi de Navarre une armée de vingt mille hommes,
soldée pendant six mois, pour l'aider à faire triompher
la confession d'Augsbourg^ Antoine avait pris l'ha-
bitude de leur soumettre ses actes, comme à ses alliés
naturels. Il ne proposait rien en Espagne et à Rome
sans leur en donner avis « afin qu'ils n'en aient aucun
c( soupçon ; leur montrant qu'il le fait pour ce qui
« convient le mieux à ses affaires et non au préjudice
« de l'espérance dans laquelle il les entretient relati-
« vement à la religion -. » La cour de France était alors
le modèle de toutes les cours de l'Europe. Le duc de
Bavière y « faisait nourrir » un de ses fils ^ Le duc
de Wurtemberg, le landgrave de Hesse demandèrent
à y faire élever leurs princes ; Antoine et Gondé
répondirent qu'ils les traiteraient comme leurs propres
enfants^. Ces témoignages d'amitié entretenaient les
relations et cimentaient peu à peu l'alliance.
La chancellerie espagnole, pour connaitre en détail
et pour traverser l'intrigue allemande, remit en avant
le baron Nicolas de Poiwiller, un des anciens confi-
dents du roi de Navarre. Poiwiller, afin de rentrer en
faveur comme « très fidèle serviteur du prince contre
« tous, excepté contre les catholiques, » lui offrit ses
services en ces termes : « On dit que Vostre Majesté,
« soulz coulleur de la relligion, veult forcer le pape
1. Lettre de Shakerley à Throckmorton du 14 décembre iOalen-
dars, 1561, p. 440).
2. Lettre de Ghantonay à Philippe II du 21 décembre (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1495, n^ 103).
3. Mémoires de la Ifugucrye, publiés pour la Société de l'Hist.
de France, t. III, p. 5.
4. Lettre do Mundt du 7 oclobrc [Calcndars, 1501, p. 349).
266 ANTOINE DE BOURBON
c( et aussi le roy catholique de s'accorder avec elle et
« de luy rendre le royaume de Navarre ou bien luy
« en faire aultre récompense, disant Vostre Majesté
« estrc en son pouvoir de faire non seulement la
« France, mais le reste du monde ou catholique ou
« calviniste. » Il se vante de décider lui-même le roi
d'Espagne à restituer la Navarre et assure que les
anciens pourparlers n'ont pas réussi, parce que d'autres
agents avaient prétendu s'en mêler. L'intrigant, avec
la présomption d'un agent irresponsable, étend bien
au delà de la Navarre l'horizon qu'il ouvre à l'ambi-
tion d'Antoine ; il insinue vaguement que « toutes
c( pratiques sont enchemisnées pour deschasser la pos-
te térité de la maison de Valois, se dit-on. » En retour
de la Navari'e et peut-être du trône de France, Pol-
willer ne sollicite que la confiance du prince. Encore
ne le presse-t-il pas. Retiré à Haguenau en Alsace, il
attendra pendant tout l'hiver, dit-il à la fin de sa
lettre, dans sa retraite « ou à la chasse dans les envi-
« rons, » la réponse du roi de Navarre K
A la réception de cette étrange ouverture, Antoine,
pour la première fois de sa vie, ne tomba pas dans le
piège. Il montra la lettre à la reine et lui demanda
ses conseils. L'avis de Catherine fut immédiatement
consigné par un secrétaire d'état au bas de la signa-
ture du baron de Polwiller :
Aujourd'huy, 7 décembre -1361, le roy estant à Saint-Ger-
main, le roy de Navarre, ayant receii ceste lettre, Ta présentée
à la royne mère du roy et faict lire en sa présence, pource sur
icelle prendre telle résolution qu'il luy plairoit, parce que led.
1. Original, pout-ètrc autograiilio, dalé du 15 novembre 1561
et de Ilaguonau (xVrcli. des Basscs-Pyrénéos, E. 584).
ET JEANNE d'aLBRET. 267
S. roy de Navarre n'y vouloit faire aucune responce. Sur quoy
lad. dame a conclu envoyer un gentilhomme vers Polwiller
pour essayer de descouvrir plus avant ce que peult estrc de
caché au discours de lad. lettre.
Le roi de Navarre répondit le 1 G décembre :
Monsieur le baron, j'ai bien connu par votre lettre que l'afîec-
tion et la bonne volunté que vous avez de long temps de me
faire service vous dure encores, ayant soing de ce qui me touche
si avant que j'ay veu par vostred. lettre, ce que je n'oublieray
jamais. Et, pour entendre ce que vous désirez me faire scavoir
sur le contenu, je despêche ce porteur exprès devers vous, par
lequel je vous prye m'adverlir bien au long et par le menu du
moyen que vous avez. Et seroit bon de venir, pour parvenir à
ce que m'escripvez et des autres choses que vous avez remises,
à la venue de celluy que je vous envoyerois, pour, après avoir
le tout entendu, vous faire sur ce scavoir mon intention. Rcmec-
tant le surplus sur ced. porteur, pryant Dieu, monsieur le
baron, vous avoir en sa sainte gardée
Saint-Germain-en-Laye, le Hi décembre ^5Gi.
Il est probable que cette lettre ne répondait pas aux
espérances du baron de Polwiller. Inique dans son
amour-propre ou démasqué dans son œuvre , il ne
donna aucune explication ; du moins les documents
originaux sont muets.
L'alliance des souverains du Nord était moins impor-
1. Minute originale (Arch. des Basses-Pyrénées, E. 584) suivie
de l'apostille suivante :
Nous certiiions à tous qu'il appartiendra que par nostre com-
mandement très exprès le roy de Navarre a fait la responce et
escript au baron de Polwiller la lettre cy-dessus transcripte,
laquelle a esté envoyée au s. de Yicilleville à Metz jiour la luy
faire tenir par le secrétaire Du val.
Fait les jours et an que dessus.
Charles. Catherine.
208 ANTOINE DE BOURBON
tante pour le roi de Navarre que celle des princes
allemands, mais elle offrait cependant des avantages.
Le 1 9 mars 1 561 , était arrivé à la cour Georges Gluck,
ambassadeur du roi Frédéric de Danemarck. Après
une hésitation de quelques jours, Antoine se montra
très empressé auprès de lui ^ Il l'invita à dîner et lui
promit qu'avant la fin de l'année il ferait triompher la
Réforme en France. Gluck en accepta l'augure et
recommanda, de préférence à la doctrine de Calvin,
la confession d'Augsbourg, que professaient les rois
du Nord. Le prince répondit que, lorsque « l'ennemi
« commun » serait abattu, il serait possible de récon-
cilier les deux sectes-. Encouragé par cet accueil,
l'ambassadeur formula d'autres vœux ; il demanda les
ports de Dieppe ou de la Rochelle pour les pêcheurs
de sa nation. Cette concession fut énergiquement
repoussée au conseil par Coligny, et l'ambassadeur de
Danemarck partit sans avoir rien obtenu^. Peu de
temps après, la cour de l^rance reçut un ambassadeur
de Suède, chargé de demandes. Les rois du Nord, par
ce motif qu'ils pratiquaient la Réforme, estimaient que
le royaume de France était leur proie. Il ne paraît pas
(|uc le roi de Suède ait tiré des avantages de cette
démarche*. Toutes ces négociations étaient racontées
jour par jour au roi d'Espagne et commentées dans les
dépèches de Chantonay avec une aigreur malveillante.
1. Calendars, 1561, p. Aï.
2. De Thou, 17^il, t. III, p. 40, d'après La Place {Eslat de reli-
gion et république, édit. du Panih. litt., p. 121).
;5. Lettre de Chantonay à Philippe II du 9 avril (Orig. espagnol ;
Arch. nat., K. 1494, n" 75).
4. Lettre de Chantonay du 19 juin à Phihppe II (Orig. espa-
gnol ; Arch. nat., K. 1495, n« 47).
ET JEANNE d'aLBRET. 269
Aussitôt qu'il^fut investi de la dignité de lieutenant
général, le roi de Navarre accentua ses revendications
auprès du roi d'Espagne. La reine, qui le servait avec
dévouement, commanda à L'Aubespine « de faire tout
« ce que vous pourrez, dit-elle, envers le roy catlio-
« lique, mon bon fîlz, afin qu'il se veuille accommoder
« à lui faire raison de son royaulme, comme semble
« que Téquité et la justice le requièrent devant Dieu
« et les hommes. » Et, pour donner une base pré-
cise au traité, la reine ajoutait : « en baillant
« quelque pièce qui ne luy est d'importance comme
« la Sardaigne'. » Cette île appartenait à l'Espagne
depuis le milieu du xiv* siècle et n'offrait ni commerce,
ni richesses, ni ressources. Les côtes, mal connues
des navigateurs, ne présentaient aucun port utile. Elle
n'était peuplée, dans les plaines les moins incultes,
que de rares villages élevés à l'ombre des monastères,
et dans l'intérieur de l'ile, couvert de hautes montagnes,
que par un peuple de brigands à l'état sauvage. L'Es-
pagne ne tirait de la Sardaigne ni impôt, ni vivres, ni
môme des soldats ^ Catherine avait justement défini
cette province en la demandant à Philippe II comme
une « pièce qui ne luy est d'importance. »
Le roi de Navarre, mal informé de la pauvreté de la
Sardaigne, la désirait avec autant de passion que la
Lombardie. « Je vous prieray, écrit-il à L'Aubespine,
« voulloir embrasser la négociation des choses qui me
« touchent selon que je me suis promis de vostre bonne
« affection^. » Catherine était éclectique. La Navarre,
1. Lettre du 22 mars (LeUres de Caiherine de Môdicis, t. I, p. 590).
2. De Thou, 1740, t. lU, p. 96.
3. Lettre du 27 mars LôGO (15fil) (Archives du château do Ville-
270 ANTOINE DE BOURBON
la Sardaigne, Sienne, tout lui agréait, pourvu que le
prince fût satisfait. Le 21 avril, elle adressa à L'Aubes-
pinc un nouveau plaidoyer en faveur du roi de Navarre.
Non seulement elle mettait en mouvement tous ses
agents, mais encore elle proposait d'agir de sa per-
sonne et demandait à Philippe II une entrevue « pour
« guérir ceste plaie de la querelle de la Navarre. »
Après les États, écrit-elle, « je me pourrois acheminer
« en Touraine soubz ombre d'aller voir Ghenonceaux.
« Et de là le roy de Navarre a envye de nous mener
« en Gascoigne pour faire voir le Roy à ses subjets,
« d'où nous ne serions pas loing pour faire ledit
« voyage que je désire tant, duquel je ne parlerois pas
« tant que nous fussions par delà ; aussy il y auroit
« peu de compagnie et penseroit-on la chose non pré-
« méditée * . » Le roi catholique n'avait aucun désir de
se rencontrer avec sa belle-mère : c< Jamais ce prince,
« écrit L'Aubespine , n'a eu intention de faire aucune
« entrevue. » Mais il était surtout résolu à éviter le
roi de Navarre : « Groyez que pour fuir sa seule pré-
ce sencc, ajoute l'ambassadeur, quand bien il auroit
« délibéré de vous voir, seroit occasion de l'en diver-
« tir^. »
Cependant son antipathie pour la personne du prince
luiu, l'apinrs do L'Auhespine). Analysée par M. lo maniuis de
Rochaniltnau dans Lettres de Jehanned'Âlbret et d'Antoine de Bour-
bon, p. ;!8'i. On disait à la cour que lo roi de Navarre n'aimait
pas L'Aubespine {Négoc. sous François II, p. 806). Aussi le prince,
pour exciter le zèle do l'ambassadeur, lui renouvelle ses assu-
rances d'amitié dans chaque lettre.
1. Lettres de Calherine de Médicis, t. I, p. 189.
?. Tjottre à la reine du 9 mai (Galland, Mémoires sur la Navarre,
Prouves, p. 89).
ET JEANNE d'aLBRET. 271
ne put le décider à faire violence à ses habitudes en
refusant franchement : « Il faut, écrivit-il à Chantonay,
« se garder que ni la reine ni Vendôme puissent pen-
« ser que nous déclinons entièrement cette entrevue.
« Il faut au contraire que Vendôme en conserve l'es-
c( poir, parce que cet espoir pourroit beaucoup ser-
« vir
Chaque jour les actes de condescendance du roi de
Navarre pour la Réforme permettaient au roi d'Es-
pagne de formuler de nouvelles plaintes et de retarder
sa réponse. Vers la fin d'avril , Chantonay eut une
audience de la reine mère à Fontainebleau, et la con-
versation s'engagea sur les événements du jour. La
reine désirait que le roi d'Espagne restituât au chef
de la maison d'Albret le titre de roi, qu'il lui avait
donné en plusieurs circonstances, notamment quand la
reine Elisabeth avait été remise aux Espagnols à Ron-
cevaux. Chantonay répondit que son maître ne pouvait
fournir des armes à ses ennemis. La reine parla alors
de la nécessité de donner au prince une « récom-
« pense » en place de la Navarre espagnole. Chantonay,
épiloguant sur le mot, dit que le mot « récompense »
supposait un droit réel, que le conseil d'Espagne ne
reconnaissait pas dans l'espèce. Catherine insista au
nom de l'intérêt du roi d'Espagne et « protesta, dit
« Chantonay, qu'elle voulait plutôt le bien de Votre
« Majesté et de ses fils que le bien de Vendôme, mais
« que cependant, pour que Vendôme lui soit plus
« dévoué, elle voulait qu'on lui donnât une récom-
« pense. » Chantonay déplaça la discussion et prit
\. Lettre de Philippe 11 à Chantonay du 42 juin (Orig. espa-
gnol ; Arch. nat., K. 1-495, u^ 45).
272 ANTOINE DE BOURBON
l'offensive à son tour. Il se plaignit des progrès de la
Réforme, de la multiplicité des prêches qui s'établis-
saient même à la cour, du crédit de Coligny ; il dit à la
reine que sans doute elle avait perdu de son crédit
puisqu'elle tolérait de si graves désordres. Ce fut à
la reine à répondre en accusée ; elle allégua les dif-
ficultés de sa régence. Gomme dernier argument en
faveur du roi de Navarre, elle montra à l'ambassadeur
une lettre bienveillante que Pie IV avait écrite à ce
prince. Chantonay la lut et dit sèchement que, si le
pape avait été bien informé de ce qui se passait à la
cour, il ne l'aurait pas écrite.
Au sortir de l'audience, Chantonay se rendit auprès
du roi de Navarre et lui porta les mêmes plaintes.
Antoine répondit qu'il ignorait l'existence de ces
prêches ; bien plus, il les nia absolument et reprocha à
l'ambassadeur de dépenser des sommes considérables
en espionnage à la cour, le tout pour acheter des
informations calomnieuses. Il ajouta « qu'il était décidé
« à vivre et à mourir dans la foi de ses ancêtres. »
Chantonay feignit d'être convaincu de son zèle, mais
il maintint ses affirmations relativement aux prêches
et à l'impunité qui les encourageait à s'étendre ^
Quelques jours après arriva d'Espagne un courrier
porteur de lettres de Philippe II, et Chantonay obtint
une nouvelle audience de la reine. Catherine, sans
attendre ses ouvertures, lui parla encore une fois de
la Sardaigne. L'ambassadeur ayant peu approuvé cette
idée, elle demanda les îles Baléares, qui ne valaient
pas mieux et qui étaient encore plus exposées aux
1. T.oltro (le Cluiuloiiay à Philippe II du 1«'' mai 1561 (Orig.
ospagudl ; Arcli. nul., K. li'.li, n^ 8i).
ET JEANNE d'aLBRET. 273
incursions barbaresques. Chantonay répondit qu'il en
référerait à son maître, mais sur un ton peu encoura-
geant, comme pour enterrer la nouvelle négociation.
Catherine blessée lui dit vivement qu'il fallait une
« récompense » au prince. Chantonay expliqua pour
la seconde fois que son maitre ne devait rien. Il était
porteur de lettres arrivées d'Espagne la veille à l'adresse
des principaux seigneurs de la cour. Catherine désira
voir la suscription de celle qui devait être adressée
au roi de Navarre. Il n'y en avait pas pour lui. La reine,
de plus en plus dépitée, interdit à l'ambassadeur de
remettre les autres et l'obligea à les remporter chez lui^ .
Pendant tout l'été de l'année 1561 , le roi d'Espagne
continua à montrer peu d'empressement à répondre
aux sommations de la reine. L'Aubespine écrit de
Tolède le i 0 mai : « Pour l'égar de ce qui touche le
« roy de Navarre, je ne tire autre response que paroles
« générales. Toutesfois luy en refreschissant, suivant
« vostre commandement, souvent la mémoire, je
c< verray si le temps y pourra amener quelque accom-
« modement et autre volunté, comme il seroit plus que
« raisonnable-. » Dans une autre lettre, L'Aubespine est
plus franc ; il écrit à la régente « que, si n'est à coups
« de baston ou par quelques autres occasions que celles
« qui se présentent maintenant, jamais le roy catho-
« lique ne seroit pour lui rendre (au roi de Navarre) ce
« qu'il prétend en Navarre et aussi peu le récompcn-
« ser. » Les « coups de baston » voilà le seul argu-
ment qui put toucher Philippe II. Le roi de Navarre
1. Lotlre orig. en espagnol de Chantonay à Philippe II (Arch.
, nat., K. 1495, n» 36).
^ï 2. Original, adressé au roi (F. fr., vol. 3192, f. 29i.
13 m 18
274 ANTOINE DE BOURBON
aurait dû s'en douter. Ruy Gomez de Silva expliquait
Ja politique de son maître par l'irritation « de ce qui
« se passoit pour le gouvernement du royaume * . »
Cependant Philippe II mettait presque autant de
soin à entretenir les espérances du roi de Navarre que
de lenteur à les satisfaire. Au fond il craignait la guerre
et le pouvoir dont le prince était investi lui appa-
raissait comme une menace. Il dit à L'Aubespine qu'il
avait toujours eu « bonne opinion » du prince et s'ex-
cusa presque de ne pas lui avoir donné le titre de roi ~.
A la cour une foule de gentilshommes, excités par
Condé , par Goligny , poussaient Antoine à la guerre
contre l'Espagne, et le jeune Charles IX lui-même ne
rêvait C{ue combats. En vain la reine mère protestait
de ses intentions pacifiques. Les progrès de la Réforme
laissaient prévoir le jour où elle aurait la main forcée,
le jour où, pour trouver une diversion aux désordres
de l'intérieur, elle lâcherait sur la frontière des Pays-
Bas les plus impatients des ennemis du roi catholique ^.
Le nonce, trop naïf pour un Italien, conseillait au roi
d'Espagne d'adresser de sévères remontrances à L'Au-
bespine et de rappeler son ambassadeur si elles
n'étaient pas écoutées ^ Philippe II se gardait d'obéir
1. Lettre de L'Aubespine du 9 mai (Galland, Mémoires sw la
Navarre, Preuves, p. 88). Cette lettre fut apportée à la cour par
le malheureux Buade, capitaine employé par le roi de Navarre
en Maroc, ([ui, à la suite de cette expédition, avait été longtemps
retenu prisonnier en Espagne. Voyez le tome U, p. 105.
2. Lettre de L'Aubespine à la reine du 3 avril (Orig., f. fr.,
vol. 15874, f. 1).
3. Ces consid(''rati()ns sont pr(''sentées par Galland {Mémoires
sur la Navarre, p. D'i et 95).
'i. Nouvelles italiennes du 2 avril (Copie non signée; Arch.
nat., K. 1195, n° 29).
ET JEANNE d'aLBRET. 275
à de telles suggestions ; il louvoyait avec prudence et
cherchait à se faire un parti en France. Il avait long-
temps soutenu le connétable de tout son crédit, mais
sa faveur passa bientôt aux Guises. Un jour, raconte
Suriano, il dit publiquement que, sous le règne précé-
dent, lorsque François II avait résolu la mort du con-
nétable , il lui aurait volontiers donné asile dans ses
états, mais que désormais il n'accorderait sa confiance
qu'aux Guises ^ Chantonay et Montmorency, qui ne
passaient pas un jour sans conférer ensemble au début
du règne, ne se voyaient plus que rarement-. En
attendant le retour au pouvoir de ses nouveaux alliés,
Chantonay payait d'audace et faisait valoir les res-
sources de l'Espagne. « Il rudoyait presque toujours
« le roi et la reine mère et les menaçait d'une guerre
« de la part de son maître. Les paroles prononcées en
« présence de leurs j\Iajestés étaient dures et poi-
« gnantes^. » Hurault de Boistaillé, ambassadeur de
France à Gonstantinople, remarque que l'ambassadeur
espagnol enflait d'autant plus la voix qu'il était plus
rassuré sur les armements de Soliman. Son insolence
diminuait avec le danger et s'accroissait avec la sécurité
de son maître ^
L'art d'attendre était la seule science de Philippe II,
mais elle lui tenait lieu des autres. Il savait lasser l'ar-
1. Cependant il lui écrivit une lettre fort amicale le 13 juin
(Copie, coll. Moreau, vol. 718, f. 1).
2. Lettre de Suriano du 17 mars (Déchiffrement non signé;
Dépêches vénit., filza 4 ois, ï. 20).
3. Relations des ambassadeurs vénitiens, puhl. par M. Tomaseo,
t. n, p. 89.
4. Lettre du 17 mai (Négoc. de la France dans le Levant, t. Il,
p. 655).
276 ANTOINE DE BOURBON
deur de ses adversaires et les réduire à force de
patience. Le 12 juin, il adressa à Chantonay une ins-
truction, où il déterminait ainsi sa politique.
La même entrevue que vous devez avoir avec la reine, nous
voulons que vous l'ayez aussi avec Mgr de Vendôme-, et vous
tâcherez d'avoir toujours des relations suivies avec lui, et de lui
faire bien comprendre qu'en suivant la ligne de conduite, qu'une
personne comme lui doit suivre pour le service de Dieu et de
son Roy, il trouvera en moi appui et faveur pour tout ce qui le
concerne. Vous tâcherez de le calmer et d'en faire votre confi-
dent; le visitant souvent et vous rapprochant de lui autant que
possible; et lui parlant, comme vous jugerez convenable pour
qu'il consente à s'attacher à vous intimement, principalement
du service qu'il rendra à Dieu, à son roi et à tout le royaume,
et qu'à moi il fera grand plaisir ^
Le roi d'Espagne ajoutait ces mots , qui résument
ses négociations avec le roi de Navarre : « Es neces-
« sario ganar tiempo. »
L'incertitude de ces réponses suggéra au roi de
Navarre l'idée d'envoyer en Espagne un ambassadeur
officiel pour faire appel aux sentiments de géné-
rosité du roi et discuter les termes d'un accommo-
dement. Mais, avant d'exécuter ce projet, vers le
mois de mai, il chargea un Portugais, dont il avait
éprouvé la dextérité, Antonio d'Almeida, de sonder
les dispositions de la cour du roi catholique et d'en
conlerer avec Esparsa, un des agents béarnais qu'il
entretenait sur la frontière. D'Almeida eut de la peine
à se faire entendre à Madrid. Quelques jours avant
son arrivée, un courrier de Chantonay avait apporté
la nouvelle de prétendus armements du roi de Navarre.
1. Lettre de l'iiilippe II à Ghanluiiay du l"2 juin 1061 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1495, a^ 15).
ET JEANNE d'alBRET. 277
Ce courrier s'était rencontré à la chancellerie du roi
d'Espagne avec un messager du duc d' Albuquerque qui
confirmait les rapports de Chantonay. Le jeune duc
d' Albuquerque, investi depuis la mort de son père du
gouvernement de la Navarre, faisait montre de zèle.
Périodiquement, au moindre indice, il s'effarait et
renouvelait par ses alarmes les angoisses de la cour
d'Espagne ; tantôt c'était une conspiration qui embras-
sait la Navarre entière ; tantôt une armée béarnaise
qui se formait sur la frontière. Philippe II croyait tenir
ses lieutenants en éveil en prenant ces avertissements
au sérieux, et le duc d'Albuquerque, pour se rendre
important, les renouvelait souvent. La coïncidence des
nouvelles venues de Paris et de Pampelune troubla le
succès de la mission d'Almeida. Les ministres espa-
gnols parlaient de le faire reconduire à la frontière
ou de le traiter en espion. Le messager, sans presser
les conseillers du roi, attendit patiemment, et, ainsi
qu'il était arrivé si souvent, le bruit des armements
des Béarnais se dissipa de lui-mcme^ Antonio vit le
duc d'Albe , le prince d'Éboli , alors favori de Phi-
lippe II, et reçut force bonnes paroles. Le 1^'' août,
il écrivit à son maître et rendit compte de sa mission
sur le ton du triomphe. Le duc d'Albe, le prince
d'Éboli, disait-il, le roi catholique lui-même sont dis-
posés à recevoir les représentants du roi de Navarre
avec autant d'honneur que les plénipotentiaires du roi
de France^.
1. Lettre de L'Aubespine au roi de Navarre du M août 1561
(Copie du temps; f. fr., vol. 16103, f. 37 V).
2. Orig. espagnol, daté du l^"" août 1561 ; Arch. des Basses-
Pyrénées, E. 584).
278 ANTOINE DE BOURBON
Antoine de Bourbon, convaincu qu'un ambassadeur
plus autorisé que d'Almeida serait aussi bien accueilli,
choisit Philippe de Lenoncourt, évoque d'Auxerre,
prélat habile et rompu aux plus délicates missions,
et Jean-Jacques de Mesmes, maître des requêtes, qui
avait déjà plaidé, aux conférences de Cercamp, la
cause de la maison d'Albret. Lenoncourt reçut une
instruction du roi et de la reine de Navarre. La pièce
débute par un éloge emphatique de Philippe II, qu'on
prendrait pour une ironie. « Bien louent-ils Dieu (le
« roi et la reine de Navarre) d'avoir affaire à un prince,
« lequel est si grand que chose de si peu d'impor-
« tance, comme le fait qu'ils poursuyvent, ne peult
« apporter notable diminution à tant de royaumes et
« autres pays èsquels Sa Majesté commande, et que
« ceste grandeur est accompagnée de tant de belles
« vertus dont une équité et justice sont les premières. »
Après ce début trop flatteur, le roi et la reine de
Navarre représentent à leur puissant voisin que, « se
c( voyans jà d'aage et pleins d'cnfans, ils ne peuvent ni
« à iceux ny à eux-mesmcs défaillir. » C'est pourquoi
ils requièrent Sa Majesté y « donner quelque bonne
« fin, selon qu'il connoît le faict de soy-mesme assez
« le requérir. » Lenoncourt ne devait pas entrer dans
la discussion du point de âroit à moins d'y être pro-
voqué, et dans ce dernier cas Jean-Jacques de Mesmes
était chargé de soutenir la discussion. Pour prouver
au roi catholique combien le roi et la reine de Navarre
« marchent de bon pied, » c'est-à-dire sont fermes
sur leur droit, ils lui demandaient de « nommer tels
« juges, arbitres ou amiables compositeurs non sus-
ce pects, que Sa Magcsté voudra choisir, estans prêts,
ET JEANNE d'aLBRET. 279
« pour l'assurance qu'ils ont de leur droict, à subir
c( toute juridiction bien ordonnée. » Enfin, disaient-ils,
c( si leur royaume semble pour l'asseurance du reste
« des Espaignes tant importer, ils se contenteront de
« n'en plus parler et accepteront très volontiers ailleurs
« récompense, digne de la juste estimation qui se
« feroit pour Sa Magesté, digne aussi du degré que
« eulx tiennent, encores qu'il s'y trouvast quelque
« inégalité^. » On rédigea même la harangue que
i'évêque d'Auxerre devait prononcer en présence de
Philippe II, pesant morceau de rhétorique qui n'ap-
prend rien à l'histoire^.
La reine mère réunit ses recommandations person-
nelles à celles du roi de Navarre. Elle adjoignit à
I'évêque d'Auxerre un gentilhomme du roi, Jacques de
Montberon, seigneur d'Auzance, ancien gouverneur de
Metz, négociateur aussi estimé qu'habile capitaine.
Ainsi, dit Suriano, la mission représentait deux
rois^. Catherine remit à son ambassadeur une longue
instruction, qui reproduisait sans arguments nouveaux
les titres du roi de Navarre^. Elle ajouta une lettre
1. Copie du temps, sans date (juillet 1561) (Arch. des Basses-
Pyrénées, E. 580).
2. L'original est conservé aux archives de Pau (E. 585). Il a
été fort suffisamment analysé par M. Raymond dans V Inventaire
sommaire des Archives des Basses-Pyrénées. On en trouve une copie
à Paris dans la Coll. Doat, vol. 237, f. 241.
3. Lettre du 15 juillet (Dépèches vénit., filza 4 bi.s, f. 143).
4. Cette instruction est conservée dans la Coll. Moreau ,
vol. 740, f. 63, en copie du temps, datée du 18 juillet 1561. —
Catherine avait fait aussi intervenir le roi, qui écrivit à L'Aubes-
pine, à propos du roi de Navarre, « afin que le roy, mon frère,
« saiche que en riens plus ne me peult-il gratiiïier que cela. »
(Orig., daté du 20 juin; f. fr., vol. 6012, f. 26.)
280 ANTOINE DE BOURBON
autographe à l'instruction officielle : « Mon filz , je
« prendre l'ardyese de vous en parler comme je fayrés
« à mon propre filz , qui ayt que , voyant le roy de
« Navarre qu'il a perdu son royaume sans espérance
« de plulx le ravoir, aie au moyns heune réconpanse.
« Je crayndrés bien fort que je nepeuse plulx l'anter-
« tenir en sete bonne volonté ver nostre relygion et
« qui pensast, se monstrent de l'aultre, avoyr plus de
« moyen » Elle écrivit aussi au duc d'Albe et au
prince d'Éboli sur le même ton de la prière , et à sa
fille, Élizabeth, la jeune reine, dont l'influence se fai-
sait sentir dans les affaires d'Espagne plus qu'on n'au-
rait pu l'espérer de son inexpérience ^ .
Rien ne convenait moins à Philippe II que cette
mise en demeure. Aussi Chantonay s'efforçait-il de
retarder le départ du négociateur. Il observait que
la mission de l'évêque d'Auxerre était prématurée et
que son maître ne saurait y faire droit tant que les
affaires de la religion en France resteraient en suspens.
Il fit une démarche auprès de la reine et ne réussit
pas'^. Cependant sa ténacité troublait l'assurance du
roi de Navarre. Antoine l'invita à dîner le 18 juil-
let. L'Espagnol accepta le rendez- vous et partit de
Paris pour Fontainebleau. Pendant que les serviteurs
préparaient la table, le prince et l'ambassadeur se pro-
menèrent dans le jardin. Chantonay ne cessait de repré-
senter les inconvénients de la mission de l'évêque
1. Ces lottros sont, publiées dans Lettres de Catherine de
Médicis, t. I, p. 212 et suiv. et 600.
2. Lettre de Suriano du 13 juillet (Dépèches vénitiennes,
filza 4 bis, f. 113). — Lettre de Chantonay à Philippe II du
24 juillel (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1495, n» 52).
ET JEANNE d'aLBRET. 281
d'Auxerre, les dangers d'une fausse démarche, les
froissements réciproques qui pouvaient en résulter.
Antoine, retombé dans ses indécisions, tiraillé par des
favoris vendus à l'Espagne, le combattit faiblement.
Au sortir du repas, Chantonay passa chez la reine et
renouvela ses conseils d'ajournement*. Il y eut de
nouvelles conférences. Les avis du conseil étaient par-
tagés ; la reine hésitait. Finalement l'ambassade de
l'évèque d'Auxerre fut renvoyée à de meilleurs jours.
Cet acte de prudence épargna une déconvenue au
roi de Navarre. Le conseil d'état d'Espagne, consulté
par Philippe II sur l'opportunité de recevoir l'ambas-
sadeur du roi de Navarre, avait répondu par cet avis
injurieux : « Sa Majesté ne recevra pas d'ambassa-
« deurs d'une personne qui a suspendu le remède de
« la religion en France. Loi'sque Vendôme remplira
« dûment les services d'un bon chrétien, ce sera alors
« l'occasion à Sa Majesté de le regarder avec bien-
« veillance, sans lui donner aucun autre espoir pour
« l'heure-. » Le représentant d'Angleterre en Espagne
raconte que Philippe II avait dit qu'il ne repousserait
jamais les envoyés du duc de Vendôme, mais que,
du roi de Navarre, il ne pouvait accueillir aucun
ambassadeur, parce qu'il ne connaissait d'autre roi de
Navarre que lui-même ".
D'Auzance partit seul le 26 juillet à petites jour-
1. Lettre de Chantonay du 24 juillet 1561 (Orig. espagnol;
Arch. nat., K. 1495, no 55).
2. Avis du conseil d'état du 25 septembre (Arch. uat. ,
K. 1495, n° 71).
3. Lettre de Chamberlain du IG octobre (Calendars , 15G1,
p. 370).
282 ANTOINE DE BOURBON
nées ^ . Le roi de Navarre lui avait donné deux lettres
de créance pour Sébastien de l'Aubespine, qui devait
lui servir de guide-.
Cependant le roi de Navarre savait que ses défail-
lances religieuses nuisaient au succès de ses revendica-
tions en Espagne, que Chantonay ne cessait d'écrire à
son maître que les promesses du prince étaient de
vaines paroles ^. Fervent calviniste ou luthérien devant
les ambassadeurs allemands et anglais, Antoine avait
su tromper les envoyés italiens par ses protesta-
tions catholiques. Ainsi il s'excusa un jour à Torna-
buoni des ménagements gardés à l'égard des hérétiques
avec un accent de sincérité qui séduisit le Floren-
tin'^. Il entretenait les illusions du nonce, l'évêque de
Viterbe , par ses témoignages d'obéissance à la cour
romaine^. Il apportait à cette œuvre de séduction,
outre ses démonstrations hypocrites, une aménité per-
sonnelle, relevée par le prestige du pouvoir suprême''.
Mais le ministre d'Espagne, le sévère Chantonay,
était le seul de tous les ambassadeurs étrangers
dont il ne put endormir la vigilance. Vendôme, écrit
Chantonay à Philippe II, « avec cette fausse couleur
1. Mémoires de Condé, t. II, p. 14.
?. Lettres datées du 18 et du 22 juillet (Orig., f. fr. , vol. 6606,
r. 0 et 7). — Autre du l*^-' août (Minute; f. l'r., vol. 15875, f. 107).
3. Lettre de Chantonay du 22 mai (Orig. espagnol ; Arch. uat.,
K. 1495, no 36).
4. Négoc. de la France avec la Toscane, t. III, p. ÎJO.
5. Lettre de Chantonay à Philijjpe II (Orig. ; K. 1494, \\° 77).
6. Au mois de juin précinlent, le roi de Navarre avait prié le
roi, dans une audience d'apparat, de faire chevalier un des sei-
gneurs de l'ambassade vénitienne. Cette faveur parait avoir sin-
gulièrement flatté les repn'scntants de la république séi'énissime
(Dépèches vénit., hlza 4 bis, f. 135).
ET JEANNE D ALBRET. 283
« de religion, fait son possible pour que Votre Majesté
« se découvre davantage, afin qu'au nom de son
« royaume il puisse faire ses affaires ^ » Au moment
où d'Auzance chevauchait vers l'Espagne, c'eût été un
coup de maître, pour le roi de Navarre, d'obtenir la
recommandation du pape. Pie IV avait montré à l'am-
bassadeur béarnais, don Pedro d'Albret, assez de bien-
veillance pour faire espérer cette faveur. Les rela-
tions avaient continué tout l'hiver sans coûter au roi
de Navarre d'autres sacrifices que des paroles cha-
leureuses.
Depuis qu'il était élevé à la dignité de lieutenant
général, le roi de Navarre courtisait le nonce avec
succès. Convaincu que le prélat romain ne serait pas
insensible à des avantages de l'ordre temporel, il lui
fit obtenir une abbaye de 1,300 ducats de rente. En
lui remettant publiquement les lettres de donation du
roi, Antoine lui conseilla d'en savoir gré « à ceux que
« l'on appelle huguenots, car de ceux que l'on appelle
c( catholiques, et notamment du duc de Guise, jamais
« nonce n'avait reçu le moindre bienfait. » Le prince
espérait, dit Chantonay, « clore la bouche au nonce
« avec ce bénéfice. » Après la séance, le roi de
Navarre envoya secrètement son secrétaire au logis
du cardinal pour lui représenter que son langage
n'avait pas été plus décisif en faveur des catholiques,
parce que Guillart du Mortier, secrétaire du roi,
huguenot avoué-, assistait à l'audience. Le nonce
1. Lettre de Gliaiitoiiay à Philippe II du 4 septembre (Orig.
espagnol; Arch. nal., K. 1494, n» 97).
2. Signalé par Surianu comme huguenot (Relations des cunbass.
vénitiens, t. II, p. ô25).
284, ANTOINE DE BOURBON
reçut avec d'autant plus d'étonnement cette explica-
tion singulière que le prince insistait à nouveau sur
son orthodoxie et le priait d'en témoigner auprès
du pape. En racontant cette scène à son maître,
Chantonay anathématise « tous ces gens qui veulent
« avoir deux cordes à leur arc , et qui , pour ne pas
« mécontenter un vilain, qui devrait être châtié exem-
« plairement, n'osent parler ouvertement à ceux qui
« professent la vraie religion '• . »
En ce moment la politique de la cour romaine était
de sacrifier tous les froissements au succès du concile
de Trente. Le nonce avait reçu l'ordre de fermer
les yeux sur les tergiversations des uns, les fai-
blesses des autres et de ne s'attacher qu'au triomphe
définitif des grandes assises catholiques. Aussi par-
donnait-il à la reine mère ses édits de tolérance et le
colloque de Poissy, à la condition que les prélats du
royaume prendraient part au concile et que l'église
gallicane en subirait les décrets. Aux termes de cette
instruction, Antoine méritait de l'indulgence ; il recon-
naissait le concile, puisqu'il lui avait soumis directe-
ment le jugement de son litige avec le roi d'Espagne-.
Ses promesses d'obéissance aux décrets du concile,
ses protestations au saint Siège, ses égards vis-à-vis
du nonce lui avaient mérité la bienveillance du pape.
Au mois d'avril Pie IV lui adressa une lettre d'encou-
ragement.
\. Lettre de Chantonay à Philippe II (Orig. espagnol ; K. 1494,
n» 77).
2. Lettre de L'Aubespine au roi du 20 mars, à la reine du
4 avril (Galland, Uisi. de Navarre, l'reuves, p. 85).
ET JEANNE D'ALBRET. 285
Bien aimé fils, Antoine de Navarre, roi très illustre.
Très cher fils, salut et bénédiction apostolique. Nous avons
reçu par le seigneur de Rambouillet la lettre de Votre Majesté,
qui nous a été très agréable sous beaucoup de rapports et prin-
cipalement parce que vous nous avez assuré de ce que vous nous
aviez déjà fait entendre et de ce que nous avons connu par les
faits-, c'est-à-dire votre dévotion et observance au service de
Dieu et de ce saint Siège, et les bons offices que vous promettez
dans tous les lieux, où votre autorité et votre conseil auront à
intervenir. Nous avons en vérité toujours cru qu'il fallait avoir
confiance dans la bonté naturelle de Votre Majesté, et si, comme
vous le dites, il a été proposé dans les états tenus à Orléans
quelque chose qui ait pu donner ombrage, nous n'avons néan-
moins jamais cru que l'intention des supérieurs et particulière-
ment celle de Votre Majesté ne fût bonne et sainte et que leur
autorité n'ait à tenir tous les peuples dans le devoir et à les
maintenir dans l'union avec l'église et dans l'obéissance envers
ce saint Siège ^ .
Cette lettre accrut la confiance du roi de Navarre.
Que ne pouvait-il espérer de l'intervention d'une
puissance dont le roi d'Espagne faisait profession de
vénérer les moindres conseils. La reine mère montra
la lettre à Ghantonay et lui en laissa prendre copie-.
Le succès de l'ambassade du roi de Navarre au
pape pouvait dépendre de la personne de l'ambas-
sadeur. Pedro d'Albret, qui venait de l'emporter à
Rome sur les représentants du roi d'Espagne, était
revenu en France. Antoine jeta les yeux surlui^, mais il
4. Lettre datée du 8 avril, en italien (Copie du temps ; Arch.
nat., K. 1494, n» 74).
2. Lettre de Ghantonay à Philippe II du l'^'' mai 1561 (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1494, n° 84). Cette copie fut transmise
à Pliilippe II, et c'est ainsi que la lettre du pape nous a été con-
servée.
3. Déchitl'remcnt du 1.") juillet (Dép. viuiit., iil/.a 4 bis, f. 143).
286 ANTOINE DE BOURBON
fît bientôt un autre choix. Glorieux d'avoir obtenu
l'évéché de Comminges, Pedro d'Albret se considérait
comme une des colonnes de l'église. L'inconstance reli-
gieuse de son maître le scandalisait. 11 racontait, sans
trop de secret, que le pape lui avait dit que, si le roi
de Navarre passait au calvinisme , il lui enlèverait le
titre de roi. En conséquence Pedro d'Albret, bien que
enfant naturel, osait poser sa candidature à la cou-
ronne de Navarre. Il révéla ses desseins à l'ambassa-
deur d'Espagne et lui confia que, pour en conférer avec
Philippe II, il cherchait à se faire envoyer à Madrid au
lieu de l'évéque d'Auxerre. Chantonay écouta sérieu-
sement ses confidences et démêla les vraies causes de
son dépit. Antoine lui avait fait obtenir l'évéché de
Comminges, mais il retenait les deux tiers du revenu,
sous prétexte de les appliquer aux besoins d'un de
ses bâtards, qu'il destinait à la survivance de la dignité
épiscopale de Pedro d'Albret ^ .
A défaut de cet aventurier, le roi de Navarre appela,
au grand étonnement de la cour -, son ancien famiher,
François de Peyrusse, seigneur d'Escars, personnage
d'une fidélité douteuse, mais connu comme catholique
dans les conseils du prince \ Avant de le faire partir,
il pria le cardinal de Tournon de l'appuyer auprès du
pape et des principaux prélats du sacré collège. Le
4. Lettre de Chantonay dn 15 août à Philippe II (Orig. espa-
gnol; K. 1495, n" 62).
'■?. La Place, Estât de la religion et république , édit. du Panth.
lilt., p. 131. — Cette partie du rrcit de La Place est une de celles
qui ont o'-té littéralement reproduites par La Popelinière, 1581,
in-fol., t. I, f. 259 v°.
3. Lettres de Chantonay à Philippe II du 7 et du 2'i juillet
(Arch. uat., K. 1495, n"* 50 et 52; Orig. espagnol).
ET JEANNE d'aLBRET. 287
vieux cardinal loua le prince de ses bonnes intentions,
mais se garda, dans ses conversations avec le nonce,
si l'on en croit les lettres de Ghantonay, de se porter
garant de leur durée ' .
Le seigneur d'Escars quitta la cour dans les der-
niers jours d'août-, nanti de toutes les recommanda-
tions de la reine mère ^ et du roi ^. Le nonce de France
intercédait aussi auprès du nonce d'Espagne en faveur
de son royal client. Le pape lui-même était entré en
pourparlers avec le confesseur de Philippe II ' . En route,
d'Escars rencontra le cardinal de Ferrare et reçut de
sa bouche de nouveaux encouragements^. Il arriva à
Rome le 24 septembre au soir. Pie IV était au moment
de partir pour Pérouse, mais il retarda son voyage,
et le président de l'Isle, ambassadeur de France", con-
duisit le messager béarnais, le lendemain, à trois
heures, à l'audience pontificale. D'Escars baisa le pied
du saint-père et lui remit des lettres du roi, de la reine
1. Lettre de Ghantonay du 7 juillet à Philippe II (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1495, n" 50).
2. Lettre de Ghantonay à Philippe U du 4 septembre (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. li9i,no97). Ghantonay dit que d'Escars
partit il y a cinq ou six jours.
3. Lettres de Catherine de Médicis, t. I, p. 227 et 228.
4. Lettre du roi au pape (Minute datée de novembre; f. fr.,
vol. 15877, f. 322).
5. Lettre de L'Auljespine au roi de Navarre du 5 septembre
(Copie du temps; f. fr. , vol. 16103, f. 47 \°).
6. Lettre de Ghantonay à PhiUppe II du 21 septembre (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1495, no 70).
7. Le président de l'Isle avait remplacé PhiUbert Babou, t'vèque
d'Angoulème. Il était fils de Guillart du Mortier et passait auprès
de quelques-uns pour hérétique comme son père (Sommaire de
chancellerie de lettres de Ghantonay ; lin mars 1561 ; Arch. nat.,
K. 1494, n" 70).
288 ANTOINE DE BOURBON
mère et du roi de Navarre. 11 n'en avait pas de Jeanne
d'Albret. Après avoir protesté de l'orthodoxie de son
maître, certifiée d'ailleurs par la présente mission,
d'Escars demanda au pape son appui auprès de la cour
d'Espagne. Pie IV répondit avec bienveillance ; puis il
interrogea familièrement d'Escars sur son voyage, sur
les villes qu'il avait traversées et le renvoya au lende-
main pour le détail de la négociation '. Parmi les sin-
gulières ouvertures que d'Escars était chargé de déve-
lopper au cardinal Farnèze, Vargas en signale une qui
paraît invraisemijlable à force d'être chiméri(}ue.
Antoine voulait proposer à Philippe II de l'aider à
conquérir l'Angleterre, promettant de se désister de
toute prétention sur la Navarre en cas de succès^.
Don Francisco de Vargas, ambassadeur de Phi-
lippe II , s'était déjà mis en campagne contre le sei-
gneur d'Escars. Malgré son opposition, le 29 sep-
tembre, à neuf heures du soir. Pie IV réunit un
consistoire et soumit au sacré collège son projet d'en-
voyer un légat spécial en Espagne en faveur de la
maison d'Albret. La majorité des prélats, qui appar-
tenait au parti espagnol, désapprouva le saint-père.
Mais Pie IV était un homme d'énergie , qui savait se
priver d'approbation quand il croyait les intérêts de
l'église engagés. Son premier mouvement fut de passer
outre l'avis de ses conseillers. Déjà il avait choisi le
légat Fabricio Serbelloni, un de ses neveux, préparé
l'instnictioii , (|uan(l arrivèrent les nouvelles du col-
1. Lcltro (lu pn'sidont de l'Islo au roi du 30 septembre (Copie;
f. IV., vol. 3955, f. 33 y°). Partie de cette lettre a été publiée par
Dujiuy [Mcmoires sui- le concile de Trente, p. 98),
2. Papiers ifélat de Granvelle, t. VI, p. 'i08.
ET JEANNE d'aLBRET. 289
loque de Poissy. L'ardeur fanatique de Jeanne d'Albret
et le peu de fermeté du roi de Navarre firent hésiter
le pape ^ Il s'arrêta à une décision qui caractérise
les cours italiennes du x\f siècle. Serbelloni partit à
grand bruit pour l'Espagne, mais avec l'ordre secret
de feindre une maladie à Avignon et d'interrompre
son voyage^. Dans une dernière audience, le président
de risie et François d'Escars, qui croyaient triompher
des Espagnols, trouvèrent le pape « changé et disposé
« tout au contraire. » En vain les deux ambassadeurs
s'efforcèrent de le confirmer dans sa première résolu-
tion. Pie IV leur répondit par des promesses vagues ^.
Cependant il envoya au nonce d'Espagne des instruc-
tions favorables au roi de Navarre. Au fond du cœur
1. Lettres de Vargas au roi d'Espagne (Papiers d'état de Gran-
velle, t. VI, p. 342, 369 et 380). — Ces négociations sont racon-
tées sommairement dans deux lettres de Guido Giannetti à la
reine d'Angleterre {Calendars, 1561, p. 364, 386, 406 et 408). —
Cabrera de Gordova {Hist. de Philippe II, t. I, liv. V, cap. 16) en
dit quelques mots, généralement exacts, sauf qu'il accepte la pré-
tendue bulle de Jules II, comme tous les historiens de l'école
espagnole.
2. Lettre de Ghantonay à Philippe II du 28 octobre (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1494, n" 105). Serbelloni partit pour
Avignon et s'occupa de mettre la ville en défense contre les
Huguenots du voisinage. Ses armements inquiétèrent d'autant
plus la cour de France qu'elle fut informée que le roi d'Espagne
embarquait une armée de 5,000 hommes qui devait loucher à
Gênes. Le bruit courut que les troupes du pape et du roi d'Es-
pagne coalisées se préparaient à surprendre Marseille. Le roi en
écrivit à son ambassadeur à Madrid (Lettre du 26 décembre 1561 ;
Minute orig., f. fr., vol. 15875, f. 444).
3. Lettre du président de l'Isle au roi du 14 octobre (Copie;
f. fr., vol. 3955, f. 41). — Ces nouvelles furent communiquées
d'abord par le duc de Florence à la cour de Madrid et y causèrent
une joie extrême (Lettre do L'Aubespine au roi de Navarre du
4 novembre; Orig., f. fr., vol. 15875, f. 299i.
m 19
290 ANTOINE DE BOURBON
il légitimait sa requête ^ Plus tard, dans le cours de
la négociation, lorsque le président de l'Isle l'im-
plorait en faveur du prince, il répondait tristement :
« Speramus optima, sed cogitamus difficillima ^ »
D'Escars repartit le 1 4 octobre pour Saint-Germain.
En route, si l'on en croit Vargas, il perdit les dépêches
du pape et fît demander à la chancellerie romaine
un duplicata, qu'on se hâta de lui expédier. Cette
singulière négligence excita quelques soupçons^.
L'insuccès de sa mission excita la colère du roi de
Navarre. Il se répandit en menaces contre le pape,
« disant que, puisque les Français avaient pris Rome
« une fois, ils pouvaient la reprendre une seconde
« fois'^. »
Pendant que d'Escars pressait le pape en faveur de
son maître, Jacques de Montberon, seigneur d'Au-
zance, cheminait vers Madrid. 11 arriva dans de
fâcheuses circonstances. Phihppe II venait d'apprendre
que le roi de Navarre entretenait des intelligences
avec les chefs barbaresques de la côte marocaine.
Un juif portugais, soudoyé par la reine d'Angle-
terre et par le prince, avait plusieurs fois traversé
la Méditerranée, préparé des armements à Bordeaux
et vendu des munitions sur la côte d'Afrique^. Le duc
1. Lettre de Ghantonay à Philippe II tlu '28 octobre (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1494, n" 105).
2. Lettre du inrsident de Tlsle au roi du t novembre 4561
(Co})ie du tcmpri ; f. IV., vul. 3955, l". 47 v").
3. Papiers d'état de Granvelle, t. VI, p. 408.
-4. Rapport au conseil d'Angleterre; résumé de cbancellerie
(Calendars, 4561, p. ■465).
5. Lettre d(^ C-liantonay à Philippe II du 31 août (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1494, n" 9i).
ET JEANNE d'aLBRET. ^91
d'Albiiquerque avait découvert de nouvelles menées
des agents de la maison d'Albret à Pampelune^. Un
vicaire de Saint-Nicolas, Antoine de Fraycos, et Arnaud
de Orta furent mis à la torture et convaincus de com-
plicité avec le chanoine Monréal. Le duc croyait tenir
la clef de la conspiration dans la personne d'Arnaud
de Orta. Un jour, comme on lui apportait des vivres
dans sa prison, Orta demanda à boire. Le geôlier sortit
sans méfiance, laissant le pain et le couteau. L'accusé
saisit le couteau et se frappa la poitrine avec tant de
violence, qu'il mourut sans avoir rien révélé. Ce sui-
cide accrut les soupçons de Philippe II ~. On parla du
complot navarrais jusqu'à Rome^. Le chanoine Mon-
réal, prisonnier à Madrid, fut mis et remis à la torture.
On cherche, écrit L'Aubespine, à tirer de lui « par force
« plus de la moitié que je m'asseure qu'il ne sait ^. »
Les alarmes de la cour de Madrid se prolongèrent pen-
dant tout l'hiver. Philippe II renouvela les défenses
de la frontière du Nord et remplaça le duc d'Albu-
querque dans le gouvernement de la Navarre par un
capitaine plus expérimenté, le comte de Feria^.
Les amis du roi de Navarre à la cour, aussi impru-
1. Lettre du duc d'Albuquerque à Philippe II du G septembre
(Arch. de la secret, d état d'Espagne, leg. 358, f. 52).
2. Lettre du duc d'Albuquerque à Philippe II du 14 octobre 1561
(Arch. de la secret, d'état d'Espagne, leg. 358, f. 52).
3. Lettre du président de l'Isle au roi du 30 septembre (Copie
du temps; f. fr., vol. 3955, f. 32 v"). — Avis du 20 septembre
[Calendars, 1561, p. 317).
4. Lettre de L'Aubespine au roi de Navarre du 4 novembre 1561
(Orig.; f. fr., vol. 15875, f. 299).
5. Lettres de Chamberlain, de Shakerley et du duc d'Albu-
querque (Calendars, 1561, p. 405, 446, 452, 473) ; (Arch. de la
secret, d'état d'Espagne, leg. 358, f. 52.)
292 ANTOINE DE BOURBON
dents que fanfarons, commentaient ces obscures
intrigues par des hâbleries et répandaient le bruit que
la mission de Jacques d'Auzance, en cas d'insuccès,
amènerait une déclaration de guerre ^ . En vain L'Au-
bespine protestait contre de telles rodomontades et
conseillait au prince ce de s'accommoder aux passions
« et aux lenteurs » de la cour d'Espagne ^
Ces menaces, de la part d'un prince qui se présen-
tait en solliciteur, indisposèrent Philippe II. « Il y a
« quelques mois, écrit Sébastien de l'Aubespine, la
« négociation était en meilleur train que maintenant,
« parce qu'ils se sont imaginés qu'on voulait leur faire
« peur^. » D'Auzance, à son arrivée, ne put obtenir
une audience du roi; Philippe II pour l'éviter partit
pour Aranjuez. Pendant l'absence du roi, L'Aubespine,
d'Auzance et Luillier visitèrent la reine Elisabeth,
qu'ils trouvèrent « dans la même opinion que son mary
« au sujet des affaires de France. » Ils réussirent à la
« retourner et dès lors elle print la charge d'em-
« brasser les affaires du roy de Navarre comme siens
« et y disposer son mary ; ce qu'elle exécuta la pre-
« mière nuit qu'il arriva. » Le lendemain le roi envoya
chercher L'Aubespine et d'Auzance j)ar le marquis de
1. Calendars, 1561, p. 319 et 47'i.
2. Lettre de L'Aubespine au roi de Navarre du 24 septembre
(Copie du temps; i'. fr., vol. 10103, f. 52). — Dans une autre
lettre de même date adressi'e à la reine, L'Aubespine insiste sur
le mécontentement de la cour d'Espagne aux nouvelles qui
arrivent cbaquc jour de France (Orig.; 1'. fr., vol. 15875, f. 239).
3. Lettre de L'Aubespine du 5 septembre (Copie du temps ;
f. fr., vol. 10103, f. 17 v"). — Dans une conversation avec la
reine mère, à la lin d'août, Chantonay, pour justifier l'opposition
de son maître, s'appuie sur les progrès du calviuismc eu Béarn
(Orig. espagnol du 28 août ; Arcb. nal., K. I'i9i, n" 93).
ET JEANNE d'aLBRET. 293
las Naves, son maître d'hôtel. Il les accueillit favo-
rablement et les mit en conférence avec le duc
d'Albe. Le duc parla longuement des droits, des pré-
tentions et de la politique du roi de Navarre. Il
« caressa bien » d'Auzance et lui dit qu'avant son
arrivée « ils avoient longuement disputé s'ilz le tien-
« droient comme hérault d'armes ou paisible ambassa-
« deur. » Le lendemain « semblable office » avec le
comte de Feria et le secrétaire Erasso ; le comte d'Eboli
dit que le crédit de la reine mère pourrait obtenir de
son maître « ce que la force n'arracheroit jamais. » Le
jour suivant fut occupé par un tournois et par une
mascarade, où les deux ambassadeurs furent conviés.
Ils furent reçus par la princesse dona Juana de Por-
tugal, parle confesseur du roi, par le nonce, qui sou-
tenait chaudement les intérêts du roi de Navarre.
« Nul, écrit L'Aubespine, n'eust peu désirer de luy
« plus qu'il n'y a fait. »
Quinze jours se passèrent, pendant lesquels le roi
assembla cinq ou six fois le conseil de guerre en sa
chambre « sans se pouvoir résouldre. » Enfin, le
27 septembre, le duc d'Albe envoya chercher L'Aubes-
pine et d'Auzance. Il s'épancha en doléances sur l'état
de la religion en France, l'indifférence de la reine
mère, les préférences trop marquées du roi de Navarre.
Sa conclusion fut de « prier leurs Majestés de prendre
« en bonne part si, parniy telles calamités en la relli-
« gion et assez d'aultres aigreurs au maniment des
« affaires, il ne pouvoit pour ceste heure s'accommo-
« der à leur requeste. Mais que, le voyant aller de bon
« pied et franchement en l'ung et en l'aultre article, il
« feroit au roy et à la royne connoître de quelle vigueur
294 ANTOINE DE BOURBON
« et importance estoient les prières des personnes
« qu'il estimoit et honoroit tant, et que, jusques à là,
« il ne se falloit rien promettre de sa bonne grâce
« à Tendroict du roy de Navarre ; n'estans pas si
« aveugles que, sous coulleur d'une messe que l'on
« alloit ouyr, encores que ce feust bien fait, ils ne
« sceussent bien la dissimulation et fondement du sur-
et plus, quoyque l'on le fîst soubz main et feignant n'y
« pouvoir remédier. »
Les deux ambassadeurs ne purent obtenir davantage.
Le duc d'Albe ne voulut même pas s'engager à recevoir
le représentant du roi de Navarre, l'évêque d'Auxerre,
sans motiver son refus autrement « qu'ainsy estoit
« la volunté de son maistre, fondée sur Dieu et rai-
« son. » Après la fête de la Saint-Michel, Philippe II
donna audience aux plénipotentiaires français pour la
seconde fois, « se remettant, quant à ce qui touchoit
« le roy de Navarre, à ce que le duc d'Albe en avoit
« dit. » L'Aubespine le pria de s'expliquer plus claire-
ment, mais « il redit le mcsme en substance. » Cette
visite mit lîn « au négoce. » D'Auzance prit congé de
la reine, qu'il trouva plus froide que la première fois.
Il apprit en sortant que le roi l'avait « retournée » à
son tour la nuit précédente^.
Jacques d'Auzance partit le même jour pour la France
et arriva le 14 octobre à Saint-Germain. Au moment
où il fut introduit dans la chambre de la reine mère,
1. Lottrc de L'Aul)espiiio au roi du l'"'' octobre '15(Jl (Gallaud,
Mémoires sur la Navarre, Preuves, p. 92). Ou trouve de nom-
breuses copies de cette lettre dans les recueils du xvi« siècle.
M. Gacliard l'a signalée et analysée (La Biblioth. nat. à Paris,
t. II, p. 120). L'original, qui n'a jamais été signalé, est conserve
dans la coll. Dupuy, vol. 86, f. 100.
ET JEANNE d'aLBRET. 295
Catherine était en conférence avec le cardinal de Lor-
raine. Devant témoins, elle affecta de ne lui parler que
de choses indifférentes, mais d'Auzance ne comprit pas
sa réserve. Au lieu de se taire, il dit que le roi d'Es-
pagne était irrité du colloque de Poissy, et que, si la
réforme triomphait, il déclarerait la guerre à la France
pour préserver ses pays de la contagion. En ce moment
entra le roi de Navarre. D'Auzance lui déclara que « son
« erreur était grande s'il espérait obtenir quelque
« chose dans l'état actuel des choses ; qu'il ne devait
« pas se faire d'illusion, parce que, s'il aigrissait trop
« le roi d'Espagne, il en porterait la peine le premier,
« tant sur ce qu'il possédait en Flandre que sur tout
« le reste. » Il ajouta, avec le franc-parler d'un soldat,
« que c'était vraiment pitié de voir ce qui se passait
« dans tout le pays qu'il avait parcouru, depuis les
« Pyrénées jusqu'à Paris, qu'on ne se souvenait pas
« plus qu'il y eut un roi en France que s'il n'y en avait
« pas ^ » Il remit à la reine deux lettres autographes
de sa fille, la reine d'Espagne, qui tiraient des circons-
tances actuelles une sorte d'importance politique. La
première était une objurgation suppliante en faveur
du cathohcisme. Elisabeth va jusqu'à dire que son mari
ne se contentera pas de paroles, « car issy nous ne
(S. croyons que ce que nous voyons. » Le roi de Navarre
y est traité avec indulgence. « Nous savons bien qu'il
« vit comme crestien, mais aussy sçavons-nous qu'il
« croit et a auprès de lui beaucoup de gens qui ne
« valent guières. Et cela, je croy, luy faict grant tort,
« car l'on pansse par dessà qu'il soit consentant à
1. Lettre de Ghantonay à Philippe U du 16 octobre (Orig. espa-
gnol ; Arch. nat., K. 1495, n» 8i).
296 ANTOINE DE BOURBON
« beaucoup de preschemaus ^ » La seconde lettre jeta
la terreur dans l'esprit de Catherine. Elisabeth révélait
à sa mère qu'un moine dominicain, réfugié en Espagne,
prétendait connaître les secrets d'une conjuration
contre la famille royale. Deux médecins, Pépiny et
Ampile, étaient chargés de l'empoisonner. Les der-
niers mots semblent accuser Jeanne d'Albret. « Cela,
« écrit la reine d'Espagne, il le témoignera devant
« eux-mesmes (les médecins) , si vous voulez qu'il aille
« là (à la cour) , et luy donner seureté , car il craint
« fort Madame de Vendôme, pour ce qu'il dit avoir esté
« prisonnier trois ou quatre fbis^. »
L'échec de Jacques d'Auzance fut bientôt connu
à la cour^ Dans une conférence avec la reine, tenue
le 17 octobre, Chantonay loua béatement la réponse
de son maître, mais Catherine se montra fort sèche et
dit à l'ambassadeur qu'elle attendait mieux de son
gendre. Au sortir de l'audience, il vit le roi de Navarre
et reçut ses plaintes. Antoine avait imaginé un nou-
veau système d'apologie. « Il avait remis, dit-il, toute
« son autorité entre les mains de la reine ; il était le
« ministre chargé d'exécuter ce qui serait ordonné
1. Lettre sans date, mais écrite au lendemain de la mission de
d'Auzance (Gallaud, Mémoires sur la Navarre, Preuves, p. 98).
Il s'en trouve de nombreuses copies dans les recueils du temps.
L'original, qui n'a jamais été signalé, est conservé dans le f. fr.,
vol. 3902, f. 76.
2. Autographe sans date; f. IV., vol. 3902, f. 82. Les noms des
médecins sont dilliciles à lire.
3. Philippe II communiqua ses dernières résolutions à Chan-
tonay par lettres du 2 octobre (R(>sumé de chancellerie ; Arch.
nat., K. 1495, n° 80). — Chamberlain, ambassadeur d'Angleterre
à Madrid, en informa la reine Elisabeth à la même date {Calen-
dars, 15G1, p. 370).
ET JEANNE d'aLBRET. 297
« par le conseil. Que si on lui commandait d'aller
« chasser les hérétiques des temples qu'ils avaient
« usurpés , il le ferait lui-même ; il ferait rendre et
« restituer ce qu'on avait volé aux églises et aux ecclé-
« siastiques. » Dans la conversation, il laissa poindre
l'intention d'envoyer une seconde ambassade à iMadrid.
Chantonay allait lui demander des explications quand
un message de la reine appela immédiatement le prince
au conseil ' .
Aussitôt après le retour de d'Auzance, sans se
décourager, le roi de Navarre, le premier moment
d'humeur passé, avait repris en sous-œuvre son éter-
nelle revendication. Sébastien de l'Aubespine et x4nto-
nio d'Almeida avaient reçu l'ordre de poursuivre les
sollicitations-. Ils obéirent, mais sans confiance, et
transmirent à Philippe II les désirs de leur maître.
L'Aubespine modifia la forme de sa requête. Au lieu
de réclamer directement telle ou telle province, ins-
tance qui blessait la cupidité du roi catholique, il
demanda à Philippe II de reconnaître en principe la
légitimité des droits de l'héritier de la maison d'Albret,
sauf à discuter plus tard et suivant les événements
les clauses de la restitution. La concession n'aurait
guère lié le roi catholique, puisqu'on ne le pressait
pas de conclure. Cependant il refusa de s'engager \
1. Lettre de Chantonay à Philippe II du 24 octobre (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1495, n" 86).
2. Lettre de L'Aubespine au roi de Navarre du 16 octobre
(Copie du temps ; f. fr., vol. 16103, f. 71).
3. Résumé de chancellerie daté du 9 novembre et communique-
au duc d'Albe (Arch. nat., K. 1495, n" 88). — Lettre de L'Aubes-
pine au roi et au roi do Navarre du 12 novembre (Copie du
temps; f. Ir., vol. 16103, f. 89 et 95).
298 ANTOINE DE BOURBON
La négociation paraissait abandonnée à Madrid
quand elle se raviva à la cour de France * . Au mois de
novembre, le cardinal de Tournon tit appeler Ghanto-
nay. L'ambassadeur vint à Saint-Germain et fut reçu
par le duc de Montpensier. G'était le jour où Jeanne
d'Albret entendait un sermon catholique au logis du
cardinal de Ferrare. La cour était en grand mouve-
ment. Le duc de Montpensier amena l'ambassadeur,
par des passages détournés, dans la chambre du cardi-
nal. Après avoir fait appel à la droiture de Philippe II,
Tournon demanda l'île de Sardaigne au nom du
roi de Navarre. La proposition n'était pas nouvelle,
mais Ghantonay la discuta comme s'il l'entendait pour
la première fois. Il répondit sans conclure en faisant
un procès de tendance au prince ; il rappela sa faiblesse
et le scandale incessant que Jeanne d'Albret étalait à la
cour^. Deux jours après, le connétable entreprit l'am-
bassadeur sur le même sujet. Le lendemain la reine
mère le pria d'en converser à nouveau avec le car-
dinal de Tournon et le connétable. Les trois plénipoten-
tiaires se réunirent dans la chambre du cardinal. Le
connétable observa que le roi de Navarre, malgré ses
hésitations, était encore le plus solide rempart de la
religion catholique en France. Ghantonay reconnaissait
(jue le prince obéissait quelquefois à de bons mouve-
ments, mais il n'avait que des anathèmes pour Jeanne
d'Albret et les Ghasti lions. Montmorency discutait
tristement ; il versa môme des larmes en « parlant de
1. C'était le conseil de Ghantonay jiour éviter l'intervention de
Sébastien de l'Aubespine (Lettre à Philiiipe U du 7 décembre ;
Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1495, no 93).
2. Lettre de Ghantonay à Philippe II du 18 novembre (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 149i, u» 109).
ET JEANNE d'aLBRET. 299
« la méchanceté de ses neveux. » Enfin, passant à
l'objet de la conférence, le cardinal de Tournon renou-
vela la demande de la Sardaigne. Pour rendre sa
requête plus acceptable, au nom du roi de Navarre, il
consentait à des sacrifices inexplicables. Outre ses
enfants qu'il promettait comme otages, Antoine offrait
au roi d'Espagne toutes les forteresses de l'île ; il
livrerait même celles des Pyrénées en gage de sa
parole, ne réservant queNavarreins et les petites places
de la plaine. Après une longue séance, où les trois
interlocuteurs, dit Ghantonay, s'épuisèrent à soutenir
leur opinion, l'ambassadeur, assailli d'arguments et
feignant de se laisser convaincre, reconnut les droits
de la maison d'Albret et promit de conseiller à son
maître de les reconnaître en principe. Jamais le prince
n'avait obtenu une concession aussi féconde en consé-
quences. La reine jugea que la promesse de Ghantonay
était une victoire. En rendant compte à Philippe 11,
Ghantonay semble incliner, malgré les dangers d'une
alliance de Vendôme avec les Maures de la côte
d'Afrique, à lui abandonner la Sardaigne, parce que,
dit-il, « dans peu de temps on pourrait lui enlever ce
« qu'on lui aurait accordée » Gette considération peut
servir de devise à la politique espagnole.
Quelques jours plus tard , le 27 novembre , Ghan-
tonay conféra avec le roi de Navarre lui-même. Après
avoir échangé des vues d'ensemble sur ce débat fatal,
qui lui faisait perdre sa fierté, le prince prit une atti-
tude suppliante. 11 était disposé à accepter toute
compensation de la main du roi d'Espagne et jurait,
1. Lettre de Ghantonay à Philippe II du 21 novembre (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1494, n" 110).
300 ANTOINE DE BOURBON
en retour de ses dons, de lui obéir comme « les
« ministres ou les vice-rois » de ses provinces. En cas
de débat entre la France et l'Espagne, il s'engageait à
garder la neutralité. Cliantonay, qui ne pouvait avoir
encore reçu de réponse à ses lettres du 21 novembre,
resta sur la défensive et dit au prince que sa des-
tinée ne dépendait que de lui-même. Philippe II avait
fait la même réponse à Jacques d'Auzance. Antoine,
toujours suppliant, répliqua qu'il n'était pas respon-
sable du désordre du royaume, excuse que Cliantonay
accueillit par un sourire. A ce moment le connétable
entra dans la chambre du prince et Antoine le prit à
témoin de sa sincérité. Ghantonay conseilla au roi
de Navarre de suivre les exemples du connétable et
termina la séance en le morigénant sur le ton d'un
pédagogue mécontent. Le lendemain, d'Escars se fit
introduire dans le cabinet de l'ambassadeur d'Espagne.
Antoine demandait quels sacrifices le roi catholique
lui imposait. Cliantonay eut beau jeu à énumérer les
faiblesses, les lâchetés du gouvernement royal depuis
(|ue le roi de Navarre en était le chef. D'Escars écoutait
humblement ce réquisitoire à l'adresse de son maître.
Enfin l'ambassadeur, précisant le remède, exigea
que le li(3utenant général , par un édit, expulsât tous
l(>s ministres du culte réformé, interdit les prêches et
les assemblées secrètes ou privées, le tout sous peine
de mort, remît aux évêques catholiques toute l'admi-
nistration ecclésiastique. « On peut, disait Chantonay,
« donner la direction que l'on veut à l'éducation du
« peuple. Mais il faudrait (jue dans cet édit on ne fît
« aucune exception, queltiue personne que ce soit. Ce
« ne serait pas un grand inconvénient que de renvoyer
ET JEANNE d'aLBRET. 301
« ces prédicateurs, car la plus grande partie d'entre
« eux sont des étrangers ^ . »
La négociation engagée sur ces bases, Jacques d'Au-
zance repartit pour l'Espagne, chargé de mémoires
et de recommandations. Sébastien de l'Aubespine fut
prévenu par une lettre du roi de Navarre.
Monsieur de Limoges, voyant le soupçon en quoy ils sont, de
par de là, la i-oyne a advisé de renvoyer ce s. d'Auzance pour
ester la royne sa fille de la poyne en quoy elle est, par lequel
vous entendrez si amplement combien ceste doubte est sans
occasion ny apparence de vérité que je ne vous en rediray riens
davantage. Seulement je vous prieray, mons. de Lymoges, de
continuer ce que vous avez très bien fait jusques icy, d'avoir
mes affaires si bien recommandés à gens qu'ils se monstrent
froids à comprendre et donner remède^.
L'instruction que la reine confia à d'Auzance
témoigne des dissentiments que cette contestation
semait entre les deux cours. Philippe II s'était plaint
des menaces du prince ; Catherine débute par des
assurances pacifiques. Le maréchal Charles de Cossé-
Brissac, que les espions espagnols signalaient comme
le chef de la future armée d'invasion en Flandre,
dit-elle, est gravement malade depuis trois mois. La
France jouit de la paix religieuse dans toute l'étendue
de ses provinces. Quant à la constance de la famille
royale et de la cour, la reine supplie le roi d'Espagne
d'éloigner des soupçons qui amèneraient « tant
c( d'aigreur et d'aliénation que finablement il s'engen-
« dreroit de ceste couverte défiance une rupture
1. Lettre de Cluintonay à IMiiliiJpc II du 28 novembre 1501
(Orig. espagnol; Arch. nat.,K. l'iUi, n" l\'i).
2. Minute datée seulement de novembre 1561 ; f. l'r., vol. 15875,
f. 276.
302 ANTOINE DE BOURBON
« manifeste. » Elle repousse encore plus vivement
les accusations qui regardent son orthodoxie per-
sonnelle ; elle dépasse même la mesure de la vrai-
semblance en portant témoignage de la fidélité catho-
lique de Jeanne d'Albret :
Elle (la reine) a vescu comme elle faicl depuis qu'elle est en ce
royaume sans qu'on y ait veu un seul point de changement. Et,
quant à ses filles, le s. d'Auzance asseurera la Royne catholique
que la Royne n'en a poinct qui soit si mal conseillée de luy tant
désohéir; car là où elles refuseroient de l'accompaigner là où elle
va, elle se peult asseurer qu'elles ne demoureroient point en sa
compaignie, et qu'elle les esloigneroit tant d'elle qu'elles ne
seroient point cause de scandalle en sa maison. Aussi peu est-il
véritable de la royne de Navarre; car tant s'en fault qu'elle face
insolence en l'Église qu'elle n'y entre poinct. Par où la dicte
dame pourra congnoistre que toutes ces nouvelles sont forgées
souhz la passion de ceux qui les mandent, qui manderoient
encore pis s'ilz pouvoient; tant ils ont envye de brouiller les
cartes et regret de veoir ces deux princes si bons amys qu'ilz
sont.
La fin de l'instruction renferme une mission encore
plus délicate :
Le s. dAuzancc s'en reviendra par la cosle de Languedoc,
afin de veoir au retour par ceste frontière et entendre le plus
dextrement qu'il pourra, si de ce costé-là ils s'arment et font
contenance de vouUoir se remuer, dont il advertira en passant
le s. de Joyeuse, afin que, s'il y avoit apparence de mauvaise
volonté en leur endroict, ils y pourvoient doulcement et sans
])ruit. Le semblable fera-il en s'en allant pov lîayonne au
vicomte d'Uorte, qu'il advertira de ce qu'il en aura peu descou-
vrir'.
\. MiiuiLo originale cliargéc de ratures, datée do novembre 1561
(f. IV., v(d. 15875, f. 279). Il faut ajouter à cette pièce une lettre
do Calliorine du '•23 novomljre (Lctlrcs de Catherine de Médias, t. I,
ET JEANNE d'aLBRET. 303
Poussé dans ses derniers retranchements, mécon-
tent peut-être d'avoir concédé le principe de la reven-
dication, le roi d'Espagne imagina une proposition qui
refroidit la reine. A plusieurs reprises, pendant le
règne de Henri II, le roi de Navarre avait négocié avec
Philippe II un échange des restes de la Navarre contre
une province plus riche en Italie. Ce pacte, qui aurait
eu pour effet d'établir l'Espagnol en deçà de la fron-
tière naturelle du Midi, avait été discuté avec mys-
tère, loin des regards des agents français, et finale-
ment abandonné. Le duc d'Albe le fit revivre à la
fin de novembre et envoya à Antoine un agent, le
seigneur de Lutaine, pour en poser les bases. Telle
était la crédulité de ce prince qu'il tomba dans le piège.
Il accepta avec empressement, sans réfléchir qu'il
livrait les clefs de la France du midi à ses pires enne-
mis. Il renvoya le seigneur de Lutaine à L'Aubespine
avec son assentiment, se croyant déjà le roi de la Sar-
daigne ou de la ville de Sienne et peut-être des deux.
L'Aubespine lui répondit que le traité ne pouvait mar-
cher aussi vite que ses désirs ^ La reine mère, con-
vaincue que tout raisonnement serait inutile avec un
ambitieux aveuglé, ne voulut pas heurter de front les
pourparlers. Elle écrivit à L'Aubespine :
La Royne mère pense cstre advertye de bon lieu que ce qui
a donné argument au roy catholique et à ces seigneurs, qui vous
p. 251). — Voyez aussi une lettre du roi à L'Aubespine portant
recommandation en faveur de d'Auzance, datée du 22 nov. (f. fr.,
vol. 15875, f. 384), et une lettre du roi de Navarre au même sur
le même sujet (Arch, de Yillebon, anal, par M. de Rochambeau
dans Lettres d'Ant. de Bourbon et de Jeh. d'Albret, p. 385).
1. Lettre de L'Aubespine au roi de Navarre du 28 novembre
(Copie du temps; f. fr., vol. 1G103, f. 121).
304 ANTOINE DE BOURBON
ont, et depuis au Roy de Navarre, faict Touverturc pour laquelle
Lutainevlnt icy, qui est cause du voyage de ce porteur, est que
ledit roy de Navarre s'est laissé entendre que, si on luy veult
bailler Sienne ou Sardaigne, quictera et remestra es mains du
Roy ce qu'il tient encores et luy est demouré des terres du
royaume de Navarre; chose qu'il luy semble qu'il ne seroit à
propos pour le bien de ce royaume. Aussy ne peult-elle croire
qu'il voulust laisser une chose si certaine pour l'incertaine et
si loing. Mais, à toutes avantures, elle m'a commandé vous en
advertir, afin que vous mcctiez peine de le descouvrir, s'il est
possible. A vous en parler franchement, le roy de Navarre se
laisse aller à beaucoup de choses, en quoy ceulx qui l'ayment
et honnorcnt tiennent (|u'il est mal conseillé, mesmement se
fiant en ce porteur, que vous connoissez mieux que personne;
et ne luy faict-on point déplaisir quand on le luy dict^
L'Aubespine remit une copie de cette instruction au
ducd'Albe^ et la proposition fut définitivement enter-
rée.
La négociation était revenue au point de départ.
Philippe II refusait tout accord. A peine reconnaissait-il
en principe que la maison d'Albret gardait quelques
droits, concession de pure théorie sans conséquences
pi^aliqucs. Cependant les circonstances favorisaient le
roi de Navarre, li se disait l'arbitre de la religion en
France et son iniluence justifiait sa prétention. Un
jour, dit Suriano, il déclara au cardinal de Tour-
non que, de la réponse définitive de Philippe II à
Jacques d'Auzance, dépendrait la destinée du culte
1. DécliillVomont sans date (la lettre de L'Aubespine citée dans
la note précédente donne la date de la présente pièce) (f. fr.,
vol. 6617, f. 151).
2. C'est écrit en tête même de la pièce. — Ranke a connu
sommairement cette négociation, dont il attribue l'idée première
au cardinal de Granvello, et en parle sans détails [nist. de France
au AT/c siècle, t. I, p. 232).
ET JEANNE d'alBRET. 305
catholique en France ^ Un autre jour, il annonça à l'am-
bassadeur de Portugal qu'il aurait une entrevue avec
le roi d'Espagne et que de cette entrevue sortirait le
triomphe des catholiques ou des protestants. « Je crois,
c( dit Ghantonay, que ce sont de vaines paroles, comme
« Vendôme a coutume quelquefois d'en dire pour
« amplifier son pouvoir et montrer que tout est en
« sa main^. »
Ghantonay cependant n'était pas aussi rassuré qu'il
voulait le paraître sur les dangers de pousser à bout
le roi de Navarre. Son inquiétude perce dans toutes
ses lettres. Tandis qu'il faisait publiquement le rodo-
mont à la cour de France, il s'efforçait en secret de
faire prévaloir des conseils de modération à Madrid et
en Flandre. A force d'insinuations détournées, il avait
réussi à assouplir la morgue castillane des ministres
de son maître. Inspirée par lui, la consulte d'état
d'Espagne, opposée depuis Charles-Quint à toute
composition, recommande, à la fin de 1 561 , des ména-
gements à l'égard du lieutenant général de France-'.
Marguerite de Parme, gouvernante du Pays-Bas,
princesse mesurée et prudente, la meilleure conseil-
lère de Philippe II, écrit au roi catholique : « Ce
« que jedoubte le plus est que le seigneur de Vendôme
« ne se vueille servir du temps et de l'occasion et
« d'adventurer de se perdre, comme celuy qui n'a rien
1. Lettre de Suriano déjà citée. — Vargas raconte qu'il avait
dit que, « tenant la religion dans ses mains, il la vendrait ou en
« ferait ce qu'il jugerait le plus convenable. » [Papiers d'état de
Granvelle, t. VI, p. 357.)
2. Lettre de Ghantonay à Philippe II du .5 septembre (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1494, n" 99).
3. Avis du 12 novembre (Arch. nat., K. 1495, n" 89).
m 20
306 ANTOINE DE BOURBON
« OU peu, pour veoir si, durant la minorité de ce roy,
« et de l'autorité qu'il a prins en France comme roy,
« il se pourroit avancer à quelque chose ' . » Et quelques
jours après, sur un bruit de guerre répandu en Flandre,
la duchesse de Parme, qui se sent en danger aux
avant-postes, engage son frère à patienter, en accor-
dant au prince quelque compensation afin de donner
à ses sujets le temps de « se restaurer-. » Le car-
dinal de Granvelle est encore plus formel : « La puis-
ce sance de Vendôme est trop bien établie maintenant
« pour la renverser par des menaces. Peut-être serait-il
« bien de l'amuser par des espérances et même par
« des offres^. »
Les conseils réunis de Ghantonay, de Marguerite de
Parme et du cardinal de Granvelle influencèrent le
roi d'Espagne. Ge prince n'avait pas la présomption
de l'omniscience personnelle. Jamais souverain ne fut
si docile aux avis de ses favoris, en faisant parade
de plus d'indépendance. Absorbé par ses correspon-
dances, qu'il étudiait avec l'activité d'un simple secré-
taire, résigné à ne pas quitter le territoire d'Espagne,
il savait que Granvelle et Marguerite, toujours sur la
brèche, à cinq cents lieues de leur maître, pesaient
mieux que lui les dangers de la domination espagnole
en Flandre. 11 céda à demi et approuva les conces-
sions de Ghantonay ^
1. Lettre du 13 d(!ceml)re [Papiers d'estat de Granvelle, t. VI,
p. 448).
2. Correspondance de la duchesse de Parme avec Philippe 11, publiée
par M. Gachard, t. II, p. 6.
3. Papiers d'estat du card. Granvelle, t. VI, j». 4G1.
4. Lettre de Philippe II du 28 novembre (Arcb. nat., K. 1495,
n» 91).
ET JEANNE d'aLBRET. 307
Les ordres de Philippe lî n'étaient pas encore arrivés
à la cour de France que Chantonay eut une nouvelle
conférence avecle roi de Navarre. Le prince, lassé d'être
dupe, le prit de haut avec l'ambassadeur. Il se présenta
en victime et réclama la restitution de son royaume ou
une compensation, non comme une faveur, mais comme
un droit. L'emportement de son langage étonna le
négociateur. Peu de jours auparavant, Suriano, convié
à un grand repas chez le roi de Navarre, avait surpris
dans la conversation des cardinaux d'Armagnac et de
Ghastillon des allusions à une guerre prochaine ;
Antoine avait demandé au Vénitien l'alliance de la Répu-
blique ^ Chantonay ne l'ignorait pas. A la vivacité du
prince, à sa colère, écrit l'ambassadeur, « il me parut
« qu'il allait rompre J'ai donc jugé prudent de
« trouver un prétexte pour gagner un mois ou deux. »
Chantonay répondit qu'il n'était que le « domestique »
du roi d'Espagne et qu'une atTaire de cette importance
devait être traitée auprès du roi, son maître-.
Cette réponse détermina le roi de Navarre à invo-
quer l'appui du duc d'Albe.
Mon cousin, conférant ces jours passez avecques mons. l'am-
bassadeur du Roy, vostre maisLre, et, après les alfaires communs
de noz princes, tumbant en propos de celles qui particulière-
ment me touchent, pour avoir quelque satisfaction de mes pré-
tentions, il m'en a si saigement et vertueusement parlé qu'à la
fin de son propos il m'a bien vouleu conseiller de m'en adresser
à vous et à mons. le prince d'Eboly, s'asseurant que, pour
le grand et bon lieu que vous tenez auprès de S. M. C, je ne
1. Lettre de Suriano du 2 et du 18 uctol)re (Dépêches vénit.,
filza4, f. 348, et 4 bis, t. 94).
2. Lettre de Chantonay à Phihppe II (hi 3 décembre (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1494, n*^ 115).
308 ANTOINE DE BOURBON
scauroys prendre meilleur moyen; qui est cause que j 'envoyé
expressément ce porteur devers vous deulx. Vous pryant croyre,
mons. de Lymoges et luy, de ce que plus particulièrement ilz
vous diront de ma part et estre asseuré que, oultre que S. M.
ne scauroyt obliger prince qui plus affectueusement désire luy
faire service, que de vostre part vous estant introposé en cest
affaire, comme je sçay bien n'y pouvoir employer plus digne
instrument, je seray tousjours prest à le recongnoistre par
loutz les bons offices, en quoy j'auray moyen de vous complaire.
Pryant Dieu, mon cousin, après m'estre très affectueusement
recommandé à vostre bonne grâce, vous donner en parfaicte
santé longue vye ' .
Catherine écrivit à IMiilippe II et à l'orgueilleux
favori, et Charles IX lui-même recommanda son oncle
à c( son bon frère » d'Espagne 2. Ferdinand Alva-
rez de Tolède, duc d'Albe, retranché dans les dignités
qu'il avait obtenues après le mariage de la princesse
Elisabeth de Valois, n'avait aucun désir d'endosser
la responsabilité du litige de la Navarre, mais il ne
put s'y soustraire. Il était nanti de toutes les instruc-
tions de son maître quand Jacques d'Auzance, parti
de Saint-Germain à la fin de novembre, arriva à
Madrid. Le duc lui donna audience et lui dit que le roi
acceptait le principe de la « récompense, » mais qu'il
ajournait l'exécution de ses promesses au temps où le
roi de Navarre aurait tenu les siennes ; et il énuméra
les services qu'il attendait du lieutenant général :
1. Lettre originalo, datée de Saint-Germain et du 7 décembre
1561 (Arch. nat., K. 1494, n° 116). Quelques jours auparavant il
avait écrit à L'Aubespino (Lettres d'Antoine de Bourbon et de
Jehanne d'Albret, p. 247).
2. Originaux sans date. Los deux lettres à Philippe II sont
autographes. Celle de Catherine au duc d'Albe n'est qu'à l'état
do iruduction (Arch. nat., K. 1496, u^^ 12, 14 et 15).
ET JEANNE d'aLRRET. 309
la proscription du culte réformé même dans la maison
des princes, l'expulsion des ministres et des prêcheurs,
la restitution des églises, des chapelles, des bénéfices
usurpés. En vain L'Aubespine représentait que les
troubles des dernières années empêchaient le rétablis-
sement du culte catholique dans l'état où il était du
vivant de Henri 11^. Le duc d'Albe resta sur ses décla-
rations. Les négociateurs se réunirent plusieurs fois,
mais il refusa de tempérer les exigences de son maître 2.
Son caractère, implacable jusqu'à la dureté, se prêtait
mal aux souplesses d'une discussion contradictoire. La
ténacité de L'Aubespine ne put arracher une concession
de plus au roi d'Espagne, à Ruy Gomez de Silva, à
aucun des ministres. Elisabeth elle-même, bien qu'elle
étendît tous les jours son empire à la cour de Madrid,
refusa de demander davantage « par la crainte d'im-
« portuner le roy son mary ^. » Ainsi le roi d'Espagne
ne promettait « une récompense » au roi de Navarre
qu'à une condition irréalisable, celle de rétablir la
religion catholique « dans sa pristine splendeur. »
D'Auzance arriva de Madrid à Saint-Germain le 2 jan-
1. Mémento de chancellerie sur les réponses à faire au s. d'Au-
zance de la part de Philippe II, du 15 décembre (Copie du temps ;
Arch. nat., K. 1495, n» 98). — H y a une seconde copie de
cette pièce dans le même carton, n° 101.
2. Mémento de L'Aubespine au duc d'Albe à communiquer au
roi, daté du 20 décembre (Copie en espagnol ; Arch. nat., K. 1495,
n» 100).
3. Lettre de Claude de Nancay, une des dames d'Elisabeth, à
la reine mère, datée du 18 décembre (1561); autog. , f. fr. ,
vol. 15875, f. 403. La dame de Nancay nous donne le secret du
crédit d'Elisabeth : « Je ne puis croyre qu'elle ne deviene grosse
« bientost avec les bonnes ])rières que tout le monde en faict. »
{IMd.)
310 ANTOINE DE BOURBON
vier, à trois heures de l'après-midi. Aussitôt qu'il eut
quitté l'étrier, sans aller chez la reine, il courut au
logis du roi de Navarre, et raconta sa mission. 11 fut
accueilli en vainqueur. Le prince croyait triompher
de ses ennemis. Il appela ses familiers et voulut que
d'Auzance réitérât son récit en leur présence. Puis il
conduisit son plénipotentiaire chez la reine et lui fit
rendre compte du voyage une troisième fois. A
chaque répétition, d'Auzance amplifiait son message
et Antoine se glorifiait avec plus d'orgueil. Aux
courtisans qui venaient le féliciter des concessions du
roi d'Espagne, il répondait que Philippe II était le
plus grand des rois et qu'il allait changer de politique
pour mériter ses bonnes grâces. Le soir même le prince
donna une fête de nuit, le lendemain un festin et un
bal mené par une armée de violons. « Ces réjouis-
« sauces, dit Ghantonay, étaient si grandes et si
« extraordinaires que tout le monde fut d'avis que le
« bruit était plus grand que les nouvelles^. » Telle
était la légèreté du roi de Navarre ! Les ministres du
roi catholique ne s'expliquaient pas sur ce que vau-
drait cette « récompense. » Philippe II, immobile dans
son formalisme, refusait de lui donner le titre de roi,
même sur la suscription de ses lettres ^ Mais le roi
d'Espagne avait promis; (juoi ? nul ne pouvait le dire.
La promesse suffisait au prince^.
1. Lettre do Cliantonay ù Philippe II du 5 janvier 1562 (Orig.
espagnol ; Arch. nat., K. 1497, n" 3). — Lettre de Throckmorton
(Oalendars, 1561, \). 479). — Tous les ambassadeurs témoignent
de la joie du roi de Navarre.
2. Mémento de chancellerie du 15 décembre cité plus haut
(Arch. nat., K. 1495, n» 98).
3. Une lettre de Chanlonay du 26 novembre constate que, dès
, ET JEANNE d'aLBRET. 311
Le président La Place, Davila, Le Laboureur, tous
les historiens qui ont étudié les mouvements de l'an-
née 1 56 1 racontent que les etforts persuasifs du car-
dinal de Ferrare, la nécessité de s'accommoder aux
exigences de Philippe II, l'impuissance, révélée au
colloque de Poissy, des docteurs réformés à formuler
un dogme, le désir d'échapper à l'autorité despotique
de Jeanne d'Albret, avaient ébranlé les attaches du
roi de Navarre avec le parti huguenot^. Les catho-
liques s'efforçaient d'attirer le prince dans leurs rangs.
La négociation était menée en grand secret, loin des
yeux de la reine mère, par les cardinaux de Tournon
et de Ferrare, par Ghantonay et les hommes du trium-
virat. Chacun présentait son leurre à l'ambitieux lieu-
tenant général ; Ferrare, l'appui du pape, Ghantonay,
la « capitulation » du roi d'Espagne, le triumvirat, « la
« régence tout entière, au lieu qu'il n'en possédait que
« l'ombre sous l'autorité d'une femme ^. » Les uns lui
promettaient que dans son île de Sardaigne il « seroit
« comme roy de la mer, assisté des galères d'Espagne
« et de France, qui seroient à son commandement^. »
que Philippe II parut résigné à faire une concession de principe,
le roi de Navarre s'abandonna à la joie du triomphe (Lettre du
26 nov. à Philippe II; Orig. espag.; Arch. nat.,K. 4494, n"^ 120).
1. La Place, Eûat de religion et république, édit. du Panthéon
litt., p. 192 et 193. — Davila, Hist. des guerres civiles, in-fol., tra-
duction, t. I, p. 93 et suiv. — Dupleix , Hist. de France, t. III,
p. 649. — Le Laboureur, Mémoires de Castelnau, t. I, p. 744. —
Lettre de Throckmorton du 16 février [Calendars, 1561, p. .524).
2. Dupleix, Histoire de France, in-fol., t. III, p. 649. Dupleix
dit que le maréchal Saint-André fut l'inventeur de cette four-
berie.
3. De Bèze, Hist. ecclés., t. I, p. 432. Cette partie a été littéra-
lement copiée par La Popelinière sur de Bèze ou par de Bèze
312 ANTOINE DE BOURBON
Les antres, rappelant d'anciennes prédictions sur la
mort prématurée de tous les enfants de Henri II i, fai-
saient briller à ses yeux la couronne du roi très chré-
tien, qui ne pouvait appartenir, quelle que fût sa nais-
sance, qu'à un prince catholique-. Les promesses du
roi d'Espagne aidèrent aux efforts combinés du cardi-
nal de Ferrare et du triumvirat. Deux jours après le
retour de d'Auzance, le roi de Navarre eut une confé-
rence avec la reine mère et l'ambassadeur d'Espagne.
Catherine partageait ou feignait de partager l'allégresse
du prince^. Antoine de Bourbon, exultant des pro-
messes de Philippe II, accentua si vivement sa pro-
fession de foi nouvelle que Ghantonay fut obligé de le
modérer^.
Le prince voulut étudier les dogmes catholiques,
et le docteur François Baudouin, cet intrigant que
le duc de Wurtemberg avait envoyé auprès de lui
pour le convertir à la communion d'Augsbourg,
après le colloque de Poissy, accepta la mission de
sur La Poiielinière(in-ful., 1581, f. 282, t. I) et par VHistoire dite
des quatre rois, 1595, in-S", f. 67.
1. Suriano raconte que Nostradamus avait prédit à la reine
qu'elle verrait tous ses fils sur le trône {Relations des ambass.
vénitiens, t. I, p. 543).
2. Mémoires de Castelnaii, liv. III, chap. 6. — Sic Davila, t. I,
p. 94 et 95.
3. La méfiance de Catherine contre le roi d'Espagne est attestée
par une lettre que le roi écrivit le 26 décemlire (1561) à L'Aubes-
pine à Madrid, luiil jours avant l'arrivée de d'Auzance, mais
dans un niomonl où elle devait pressentir le sens des réponses
qu'il ajiportait. Partie de; cette lettre a été imprimée par
M. le comte de Larcrriùre dans le t. I des Lettres de Catherine de
Médicis, p. 266, note.
1. Lettre de Ghantonay à Philippe II du 8 janvier 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n» 4).
ET JEANNE D'aLBRET. 313
l'instruire^. Baudouin sut entrer fort avant dans
la faveur du roi de Navarre. Habile à caresser ses
rêves, il lui persuada, dit La Place, « qu'il avoit
« trouvé un bon moyen pour recouvrer son royaume
« de Navarre, luy produisant la copie de quelques
« vieilles chartes. » Outre « une bonne somme de
« deniers », il obtint la charge de précepteur d'un de
ses bâtards et une pension de mille à douze cents livres-.
Antoine prit aussi à son service un ecclésiastique d'un
mérite plus sérieux, Vincent Lauro, plus tard évêque
de Mondovi et cardinal. Lauro, recommandé par le
général des Jésuites, acquit un grand crédit et en abusa,
dit de Thou, dans d'obscures intrigues. Il mettait sa
science à catéchiser son nouveau maitre ^.Mais Antoine
n'avait pas besoin d'instruction théologique. Ses inté-
rêts lui tenaient lieu d'arguments. Il rapprocha de lui
l'évêque d'Auxerre et Jacques d'Escars, ses conseillers
catholiques. Il appela le connétable et le cardinal de
Tournon et s'engagea à se conduire d'après leurs
avis. Les prêcheurs huguenots, les docteurs de Genève
furent expulsés de sa maison et remplacés par des cha-
pelains, des clercs et des moines de tout ordre ^. Il
cessa d'aller au prêche et se montra assidu a la messe ^.
1. Voyez ci-dessus, p. 19-^.
2. La Place, Estât de religion et république, p. 193.
3. De Thou est le seul qui parle de Vincent Lauro (1740, t. III,
p. 97).
4. Lettre de Ghantonay à Pliilippe II du 5 janvier 1562 (Orig.
espagnol ; Arcli. nat., K. 1497, n. 3). — Lettre de Throckmorton
[Calendars, 1561, j). 479).
5. Le premier document où l'on parle des nouvelles tendances du
roi de Navarre est une lettre de Ghantonay du 21 décembre à
Philippe II (Orig. espagnol ; Arch. nat., K. 1495, n° 103). —A la
date du 24 décembre, Calvin n'était encore informé que de ses
314 ANTOINE DE BOURBON
H envoya le seigneur de Foix à la reine d'Angleterre
pour justifier son changement de front ^ . Ses actes et ses
paroles s'accordaient aussi bien que Chantonay pouvait
le désirer. Le maréchal Saint-André se portait garant
de sa conversion et promit à l'ambassadeur que les
concessions de Philippe II seraient d'un grand profit
pour la religion romaine-. Le cardinal de Ferrare
ne se louait pas moins du prince^. Cependant, par un
reste de méfiance vis-à-vis d'un néophyte qui avait
donné l'exemple de tant d'évolutions religieuses, Chan-
tonay pria le cardinal de Tournon de veiller à sa per-
sévérance^.
La précaution était inutile. L'ambition du roi de
Navarre, une ambition mal dirigée, était le gage de
son retour à l'orthodoxie, et les secrètes attaches des
amours faciles, la garantie de sa rupture avec Jeanne
d'Albret.
tergiversations (Lelircs de Calvin, t. II, p. 437). — Lettre de
Throckmorton du 28 décembre {Calcndars, 15()1, p. 458).
1. Calendars, 1561, p. 417 et 461. La mission du s. de Foix eut
un autre prétexte, mais Tlirockmorton n'a pas tout su. Une con-
versation du roi de Navarre avec Tlirockmorton {Calendars, 1561,
p. 413) porte les traces d'un projet de changement. Paul de Foix
avait été envoyé en Angleterre pour représenter la France au
milieu de mars de l'année 1561 [Calcndars, 1561, p. 27).
2. Lettre de Ghant(»nay à Pliilipi)e II du 5 janvier, citée plus
haut.
3. Lettre du cardinal de Ferrare au card. lîorromée du 10 jan-
vier [Ncgoc. du card. de Ferrare, p. 4).
4. Lettre de Chantonay à Philippe II du 13 janvier 1562 (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1497, n- 5).
PIÈCES JUSTIFICATIVES.
Lettre de la dame de Noailles a la rei^e de Navarre.
Bordeaux, 24 nov. 1560.
Le roi de Navarre à la cour de France.
Madame, ayant trouvé ce pourteur^ le jardinier que je don-
nay au roy de Navarre, qui s'en rctournoit vers Vostre Majesté,
je n'ay voulu perdre si bonne occasion de vous faire ce mot,
pour vous dire. Madame, que, suivant votre intention d'accom-
moder son père pour se conduire à Pau, et, pour ce que vous
a plu en écrire à Mons. de Burye, je m'en rendray soigneuse-
ment à la venue qu'il fera d'Irlande, comme je ferois d'une
chose trop plus difficile qui vous pourroit être agréable.
Au surplus, Madame, je ne veux obmettre de vous dire comme
Mons. de Lisle, mon frère, vint liier de la cour en poste, ayant
laissé ledit seigneur, roy de Navarre, en très-bonne santé, comme
il se peut croire, pour ce que il va quelques fois à la chasse, se
plait parmy les forêts, de sorte qu'il en acoucbé dehors. Leroy
se trouvoit, quand il partit, un peu mal disposé; qui avoit esté
316 ANTOINE DE BOURBON
cause de rompre un voyage qu'ils debvoient faire à Chambort
et à Bloys pour les chasses. El ne sachant autre particularité
digne de vous être répétée, je feray ici la fin en suppliant le
créateur de vous donner, Madame, en parfaite prospérité et
santé, très longue et bienheureuse vie.
De Bordeaux, ce 24 jour de novembre 1560.
(Minute orig., f. fr., vol. 6908, f. 145.)
II.
Lettre de Catherine de Médicis a M. de Villefrancon.
Orléans, 4 décembre 1560.
Annonce de la maladie de François II. — Ordre de prendre des mesures
de conservation en vue de l'avenir.
Monsieur de Villefrancon, depuis quelques jours le roy, mon
filz, s^'est trouvé affaibly d'un cathare qui l'a totallemenl et si
fort persécuté, accompagné d'une grosse fièvre qui l'a mis en
très fort danger pour la griefve malladye qu'il supporte. Et
comme toutes choses sont en la main de Dieu, de la bonté
duquel toutes foys j'espère tant de grâces et tant de biens en ce
royaulme, qu'il le préservera et ramènera s'il luy plaist en par-
faicte santé, si ay-je bien voullu vous en advertyr, affm que
vous sachiez Testât en quoy il est; en vous priant^ pour l'affec-
tion grande que je scais que vous avez tousjours portée à son
service et bien de ceste couronne, avoir l'œil plus ouvert que
jamais et contenir les choses qui sont soubs vostre charge, en
la meilleure seurelé et plus grande lran(|uillilé qu'il vous sera
possible ; donnant ordre que l'obéissance soit gardée et rendue
telle qu'il appartient, et que, advenant et triste et regrettable
inconvénient, il ne puisse survenir de vostre cousté aucune
nouvolleté, maiz que tout soit contenu en debvoir et soubs la
fideilité et service deus à ceste couronne. Grâces à nostre Sei-
gneur il n'a pas laissé ce royaulme despourveu devrayset légi-
times successeurs, dont je suys la mère, qui, pour le bien d'icel-
luy. prendroit en mains la charge du debvoir qu'il faudra rendre
ET JEANNE d'aLBRET. 317
à l'administration qui y sera nécessaire, par l'advis et bon con-
seille des premiers et grands personnes, dont il n'y a pas faulte,
Dieu mercy ; comme tous le désirent et font parfaite démons-
tration de tout ce que l'on pourroit attendre des bons, fidelles
et dévotz subjectz de leur prince; ainsi que je masseure que
vous ferez de vostre part. Et, si vous cognoissez et scavez ce
malheur advenu, qu'il se dressast ou commençast aulcune
assemblée ou menée par tous les lieus de vostre gouvernement,
où vous ferez prendre garde de près pour n'y faire troubles,
n'actendé pas qu'elle croisse, mais y mectré si tost et si bien la
main que la fource en demeure au roy mon fils. Schachant,
comme vous scavez assez, que, quelque issue que preigne ce
commancement, vous ferez service très grand au roy et à
moy
A Orléans, le 4 décembre ^360.
Caterine.
(Orig., f. fr., vol. 4638, f. 5. — Guillaume de Saulx, s. de Viliefran-
con, était lieutenant du roi en Bourgogne, pendant l'absence du maréchal
de Tavannes, son frère.)
m.
Lettre de Babou de la Bourdaisière, ambassadeur à Rome, au
roi, Rome, 3 décembre ^360. — Compte-rendu de la mission
de Pedro d'Albret, ambassadeur du roi et de la reine de Navarre,
auprès du saint-siège. — L'ambassadeur a écrit au roi le 23 du
passé que le roi et la reine de Navarre avaient envoyé Pedro
d'Albret «. pour prêter obédience de leur royaume de Navarre
« au pape, qui estoit résolu de le recevoir en la forme et au lieu
« accoustumé, quand, au nom des autres rois, il se fait sem-
« blable cérémonie. » — Le pape l'a reçu le 26. — Excellent
accueil. — Don Pedro s'étendit sur le tort que faisaient a ses
maîtres les séditieux hérétiques qui abusaient de leur nom. —
Don Pedro parla « sur ce propos en langue espagnole de telle
« grâce et façon que nostre saint-père y prist plaisir. » — IJ se
contenta de ces déclarations et était résolu de l'admettre offi-
ciellement à prêter l'obédience comme les autres rois, malgré
l'opposition des ambassadeurs espagnols. — Sans les consis-
318 ANTOINE DE BOURBON
loires de la semaine passée, ce fût déjà fait. — Mais, le 2 de ce
mois, le pape appela l'ambassadeur pour lui déclarer, en la pré-
sence du cardinal de Fcrrare, qu'il avait reçu des lettres du
nonce « qui luy mandoit que vous, Sire, n'aviez à plaisir que
« led. don Pedro feust reccu à faire l'acte de lad. obédience,
« fust en consistoire publié ou privé ou autre façon que ce fust. «
Le pape cherche tous les moyens « d'accommoder cette affaire
« et désireroit bien que led. don Pedro se contentast de quelque
« privée réception. « — L'ambassadeur ne pense pas qu'il y
consente, « ayant toujours protesté de s^en aller sans rien faire,
« s'il y manque rien de la cérémonie deue aux rois. » — La
Bourdaisière ne sait à quoi le pape s'arrêtera ; il a pris toute la
semaine pour y penser. — Quant à lui, dit-il, « je suis délibéré
« de me taire sans parler ne pour ne contre, sinon pour empê-
« cher qu'ils ne soient receuz en autre qualité que de roys de
« Navai-re. » (Copie du temps; V° de Colbert, vol. 343, f. GH.)
IV.
Lettre de Chantonay, ambassadeur d'Espagne, à Philippe II,
Orléans^ 5 décembre ^560. — Le roi de France est à la der-
nière extrémité. — S'il meurt, la reine mère, suivant toutes les
prévisions des courtisans, sera régente, et Vendôme, premier
prince du sang, sera lieutenant général de la régente. — Com-
position probable du futur conseil du roi. — L'amiral de Coli-
gny et le cardinal de Chastillon, favoris de la reine mère, auront
un grand crédit. — L'ambassadeur conseille au roi d'Rspagne
d'écrire à la reine qu'il lui retirera son appui si elle prête
faveur aux hérétiques. — Il tâchera d'obtenir une audience de
la reine aussitôt après la mort du roi afin de peser sur sa
politique. (Orig. espagnol, K. ^493, n° ^^4.)
IjCttre d'un des ambassadeurs vénitiens à la république de
Venise, Orléans, (> décembre ^5()0. — Inimitié profonde entre
les princes de Bourbon, les Guises et le connétable. — Caractère
du connétable et du cardinal de Lorraine. — Bonnes disposi-
tions de la reine pour la maison de Guise. — Popularité de
François de Lorraine. — Son frère, le cardinal, est délesté. —
ET JEANNE D'ALBRET. 319
Caractère et dispositions du roi de Navarre. — Le prince de
Gondé est le chef du parti réformé. — Portrait de Charles IX.
— Composition probable du Conseil de la reine mère. (Déchif-
frement; Dépêches vénitiennes, fdza A bis, f. 6.)
Lettre du roi à Antoine de Noailles, sans date. — Annonce
de la mort de François IL — Il espère « que la prudence de la
« royne et mère suppléera, dit-il, aux défauts de mon âge. »
— Il déclare formellement qu'il remet toute l'autorité entre ses
mains. (Minute-, V*^ de Colbert, vol. 27, f. 240.)
Ordonnance de Charles IX qui confère à Jacques Amyot,
abbé deBellozane, l'état de grand aumônier, Orléans., (J décembre
-1560. (Copie du temps; coll. Clairembault, vol. MM, f. 2:37.)
Lettre de Charles IX au duc d'Aumale, Orléans, s décembre
'loGO. — Annonce de la mort de Franf-ois II et de la délégation
des pouvoirs royaux à la reine mère. (Orig., f. fr., vol. 4639,
f. 6.)
VL
Lettre de Chantonay à Philippe II, Orléans., 8 décembre i 560.
— Récit de la mort du roi ; il a rendu le dernier soupir jeudi,
à dix heures du soir. — Audience donnée par la reine mère à
l'ambassadeur d'Espagne. — Dispositions d'obéissance de Ven-
dôme pour la reine. — Catherine a engagé Chantonay à faire
une visite de cérémonie audit Vendôme. — Récit de cette visite.
— Vendôme montre les dispositions d'un bon catholique. —
Composition du nouveau conseil. — Arrivée du connétable de
Montmorency à Orléans. — Vive discussion entre le duc de
Guise et Tamiral de Coligny au sujet d'une émeute survenue
en Bretagne. Conseils à Philippe II d'écrire au roi de Navarre.
— Le prince de Condé est toujours en prison. (Orig. espagnol ;
Arch. naL, K. ^493, n'^ UH.)
Lettre de Chantonay à Philippe II, Orléans, 9 décembre i 560.
— Soins que la reine mère prend du nouveau roi ; elle couche
320 ANTOINE DE BOURBON
habituellement dans sa chambre. — L'état du trésor royal
n'ayant pas permis de procéder aux obsèques solennelles de
François II, la reine mère s'est contentée de faire inhumer le
cœur du feu roi dans l'église principale d'Orléans. — Affaire
de François de Montmorency et de mademoiselle de Piennes ;
le pape a envoyé l'autorisation de mariage de ce seigneur avec
Diane de France. — Conférence de la reine avec le nonce au
sujet du cardinal de Ghastillon ; la reine prend ouvertement la
défense de ce prélat. — Suite du procès de Gondé ; il demande
des juges et ne veut sortir de prison qu'après le jugement de
son procès. — Des prochains états généraux -, difficultés au sujet
de l'attribution de la régence et des divisions religieuses du
royaume. — Nouveaux détails sur l'audience donnée par la
reine h l'ambassadeur le lendemain de la mort de François II.
— Réserve de la reine au sujet de l'alliance espagnole. — Dif-
ficultés touchant l'exécution du traité de Gateau-Cambrésis et
au sujet des frontières de Lorraine. (Orlg. espagnol ; Arch. nal.^
K. 1403, n" iH).]
Lettre de Michel Suriano, ambassadeur de Venise, à la répu-
blique, Orléans, dS décembre iuGO. — Visite de l'ambassadeur
au roi et aux personnages de la famille royale. — Visite au con-
nétable. — Composition du conseil du roi. (Dépêches vénit.,
filza^, f. 2^2.)
Lettre de Michel Suriano à la république de Venise, Orléans,
20 décembre 1500. — Récit de l'expédition armée du duc d'Al-
buquer({ue contre la Navarre. — Mise en liberté du prince de
Gondé sur la caution du roi de Navarre. — Mise en liberté du
vidamc de Chartres. — Prochaine ambassade du roi de Navarre
au pape. (Dépêches vénit., filza 4, f. 22^.)
Lettre de Chantonay à Philippe II, Orléans^ 24 décembre 1 300.
— La reine mère, par mesure d'économie, a renvoyé tous les
domcsti(iues de chasse du feu roi. — Autres économies. — Les
obsèques de François II sont ajournées. — Relations du duc de
Guise et de Vendôme ; ils se traitent très familièrement. —
Affaires d'Ecosse; probabilité d'un nouveau mariage de Marie
Stuart. — Ouverture des états généraux d'Orléans. — La
régence de la reine mère et la composition du conseil actuel
ET JEANNE d'aLBRET. 321
seront difficilement acceptées. — Le bailliage de Meaux propose
la suppression de la messe. — Le prince de Condé se rendra
probablement à Vendôme. — Le vidame de Chartres est sorti
malade de la Bastille el s'est retiré à la Tournelle. — Les pro-
cès pour cause de religion sont interrompus et les hérétiques
reprennent courage. — Transport du corps du feu roi à Saint-
Denis. — Le connétable soutient les droits des princes du sang
à rencontre de la reine. — Rapprochement du cardinal de Tour-
non avec les Guises. — L'ambassadeur prévoit pour un temps
peu éloigné de grandes divisions entre les princes. — Les
grands et les états soutiennent les princes contre la reine. —
Licenciement de quelques compagnies d'hommes d'armes et de
gens de pied. (Orig. espagnol-, Arch. nat., K. ^1494, n° ^-^.)
Lettre de Ghantonay à Philippe II, Orléans^ 28 décembre \ 560.
— Le connétable est venu rendre visite à Fambassadeur et lui
a vivement recommandé les intérêts de Vendôme ; il demande
que le roi d'Espagne lui rende le patrimoine de la maison d^Al-
bret. — Désaccord aux états généraux sur la régence de la reine
mère -, il est admis que la régence lui sera accordée non en vertu
de sa qualité de mère du roi, mais à cause de sa valeur person-
nelle. — Requête d'une partie des gentilshommes auprès de la
reine. — Faveur de Goligny et de ses frères auprès de la reine.
— Décroissance du crédit des Guises. — Intrigues au sein des
étals. Le chancelier est accusé d'encourager les requêtes des
députés réformés. — Durée probable des états. — Le cardinal
de Lorraine désirerait être désigné comme l'orateur général des
trois ordres. — Vendôme est sollicité d'être l'orateur de l'ordre
de la noblesse. — Elargissement du prince de Condé ; détails
sur son séjour en prison; ses rodomontades contre le culte
catholique et contre les Guises. — Mort du vidame de Chartres ;
détails sur son testament. — Retraite prochaine de Marie Stuart
à Reims. — Bruit de son futur mariage avec le prince d'Es-
pagne; crainte que ce mariage cause à l'ambassadeur d'Angle-
terre; conversation de l'ambassadeur avec le cardinal de Lor-
raine à ce sujet. — Du concile général de Trente ; mécontentement
que cause à la cour de France la forme de la bulle de convoca-
tion. — Cypierre gouverneur du roi. — On dit que la reine
m 21
322 ANTOINE DE BOURBON
Elisabeth d'Angleterre est secrètement mariée avec Leicester-,
l'ambassadeur d'Angleterre, lui-même, semble le croire ainsi
que le cardinal de Lorraine. — Présages sinistres aperçus dans
le ciel. (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1494, n° -12.)
VII.
Lettre de Sf'p.astieiv de l'Aubespine, e'vèqde de Limoges, ambas-
sadeur DE France en Espagne, au duc d'Albe ou en son absence
AU PRINCE d'EbOLI.
Tolède, 28 décembre 1560.
Établissement du nouveau gouvernement à la cour de France. — Prière
au roi d'Espagne de n'avoir aucune méfiance du roi de Navarre. — Du
choix du confesseur de la reine Elisabeth.
Monsieur, je fus bien marry avant vostre parlement n'avoir
pu deviser avec vous plus au long afin de vous dire le bon com-
mencement que noslre Seigneur démonstroit donner à Testablis-
sement de nostro royaulme, après avoir voulu appeller à luy le
feu roy, à qui Dieu par sa grâce face pardon. Depuis, comme
la roy ne mère est surtout désirant que Sa Majesté catholique
cognoisse d'heure à aultre son comportement et loue et trouve
bon ce qu"'elle faict pour s'appuyer et establir fermement en la
souveraine authorité que Dieu et tout le royaume luy ont don-
née, elle m'a commandé par une despeche veoir Sa Majesté; ce
que j'eusse faict de bon cueur si j'eusse pensé la trouver à Aran-
chois, mais, craincte que cependant le s. don Juan de Manrique
ne partist, j'ay estimé, par l'advis mesmes de la royne, à laquelle
j'ay baillé une lettre de la royne, sa mère, que meilleur seroit
d'en faire quelque part parescrità Vostre Excellance, afin qu'il
luy pleust le communiquer à Sa Majesté, attendant que j'aye ce
bien de la veoir et vous aussi.
M'eslant advis^, pour dire en peu de paroles ce que j"ay de
charge, que les choses sont en nostre court pour tumber et
s'establir ainsi que, dernièrement devisant là-dessus avec vous,
me semblicz le désirer et estimer meilleur pour le bien univer-
sel de la chrétiejilé; car la royne mère <{ui, Dieu mercy, est
ET JEANNE d'aLBRET. 323
receue souveraine soubz le roy, mon seigneur, en tout et par-
tout a appelle, cognoissant que le royaume et la raison vou-
loient que les princes du sang feussent au conseil et affaires,
Messeigneurs le cardinal de Bourbon, duc de Montpensier,
prince de la Roche-sur- Yon et connestable, afin que, avec le
roy de Navarre, ilz eussent part à la conseiller, estans saiges et
bons catholiques comme ilz sont. De là est advenu, à son regret,
que tout le monde ne s'en est pas contenté, tellement qu'il
semble qu^aucuns du dernier gouvernement le prennent en
mauvaise part avec quelque apparance de se retirer. Et vous
scavez, Monsieur, que lad. dame, pour s'establir fermement et
au contentement du royaume, ne le pouvoit aultrement; ce
qu'elle requiert que le Roy trouve bon et cognoisse que sans
cela il n'y avoit nulle seureté ni repos au publicq. Il luy reste
une difficulté qui la retient ung peu en peine, car aymant Sa
Majesté catholique de tout son cueur, comme je scay qu'elle
faict, elle veult que luy et tous ses ministres soient en repos
d'esprit et ne se mectent en la teste opinion qui feust pour nour-
rir la moindre deffiance du monde entre leurs Majestés; c'est
que, estant près d'elle le roy de Navarre, Sa Majesté catholique
juge que, pour les prétentions que pouvez. Monsieur, come
plus saige, penser qu'il a, il peust près d'elle faire mauvais
offices à l'avenir-, chose que lad. dame a tellement préveu et jà
fermé la porte et oreilles à tout ce que en pouvoit procéder,
qu'elle désire infiniment que sadicte Majesté catholique estime
qu'ayant tout pouvoir souverain au royaume et tant d'autres
bons conseillers près d'elle de son vivant, il ne surviendra inno-
vation, tant petite soit-elle, qui puisse faire cognoistre aud. sei-
gneur ne à tous ses ministres autres comportemens que d'ac-
croissement d'une mutuelle affection et bonne intelligence à
jamais. Tant elle ad'envye de nourrir, allier et estraindre leurs
deux Majestés et maisons, pour Tentretenement du bien et tran-
quilité universelle.
Me commandant bien expressément de dire et supplier infini-
ment Sa Majesté que, surtout, ce qu'elle souhaite est d'entendre
que led. seigneur trouve bon cet establissement qu'elle a faict
par nécessité pour sa conservation, et que ce luy sera ung sin-
gulier plaisir si je la puis asseurer par mes premières que, pour
324 ANTOINE DE BOURBON
l'égard du roy de Navarre aussi, sadicte Majesté en soit sans
deffiance; ce que, Monsieur, je vous prie, par ungmot de vous,
me tesmoigner, et où cy-après surviendroit quelque opinion
contraire me le dire et communiquer franchement et sans rien
garder ainsi qu'avez faict jusques à présent. Qui sera soubz cor-
rection la meilleure négociation qui se puisse emploier parmy
si bonnes voluntez, car vous cognoistrez par les effectz et satis-
faction que Ton vous en donnera, ainsi qu'elle asseure, aussi
qu'il se fera de ceste part, que, si son intention est bonne, les
œuvres seront de mesmes.
Je ne puis par lettre assés exprimer à Vostre Excellence la
bonne inclination d'elle et de tous ceulx qui l'approchent, qui
me faict désirer que le s. don Juan de Manrique parte en ceste
confiance et commandement de Sa Majesté de trouver bon, louer
et approuver ce que dessus.
Le jour que vous partistes d'icy, il vint ung gentilhomme
vostre, qui m'asseura de vostre part que j'aurois responce le
lendemain d'une lettre que je vous escrivis le jour précédant
vostre desloger; pource que j'ay peur qu'elle n'ait esté oubliée
quelque part, je le ramentois à Vostre Excellence, me recom-
mandant très humblement à Vostre bonne grâce, vous disant à
Dieu, auquel je supplie vous donner, Monsieur, en très bonne
santé très heureuse et longue vye.
De Tolède, ce 28 décembre ^560.
Vostre très humble serviteur,
De L'Aubespine, évêque de Limoges.
Monsieur, d'autant que le confesseur de la royne se meurt et
qu'elle a entendu par nions, le comte dWlbe que Sa Majesté luy
avoit donné Pacheco, qui est notable et digne, qu'elle désireroit
bien, elle m'a toutesfois chargé vous escrire sur ceste occasion
qu'elle ne se peult confesser qu'en sa langue et qu'elle est en
peine et tiendroit sa conscience chargée de parler à ung homme
qui ne Tcntendist franchement. Pour ceste cause s'il y avoit
quelque aulre homme docte licspaignol ou Flament, qui sceust
la langue ou |)our le moins l'entendist bien, ce seroit, ce me
semble, plus pour le service de Dieu, son contentement d'esprit
et repos de sa conscience.
(Original; Arch. nat., K. 1 i93, n" 118. — Au dos : Sobre el govieriio
y cousejeros deste nuevo rey.)
ET JEANNE d'aLBRET. 325
VIII.
Lettre de Le'onor de Roye, princesse de Gondé, au conne'table.
Anisy, 29 décembre 1560.
Demande du règlement intégral de l'achat de la terre de Germigny.
Monsieur, me voyant de toutes parts environnée de maints
grands affaires et d'extrêmes peines et nécessité de savoir où
recouvrer deniers pour y remédier et subvenir comme elles me
pressent, mesmement du costé de ceulx qui tiennent mes bagues
et effets et pour quoy je suis entrée si avant avec vous à propos
de ma terre de Garmigny, mais encores beaucoup plus pressée
que je ne vous puis dire de la retirer promptement, ou de perdre
le tout, comme j'en suis menacée de nouveau, je suis contraincte
vous envoyer ce porteur exprès et vous supplier, Monsieur, de
me voulloir faire ce bien que de me mander par luy, sur ce,
resolutivement vostre intention et volonté et de y adviser de
deux choses l'une ; ou de m'en parfaire le paiement prompte-
ment et comptant, et en ce faisant m'envoyer tel de vos gens
incontinant avec pouvoir pour vous en passer la vendition, telle
qu'elle vous a esté arrestée par Madame ma mère, sans m'y
tenir davantage en suspens, affin que je n'aye à regretter cy
après que vingt mille livres ayent esté causes de m'en faire
perdre cent mille, comme je m'a])erçois desjà estre en chemin
et dangier; ou bien me quitter de la promesse que vous y a
faicte Madame ma mère, en vous remboursant des quinze cens
escus que m'y avez advancés, pour, d'un costé ou d'aultre,
(comme j'en ay desjà d'ailleurs offre de trente mil francs) avoir
de quoy appaiser mes marchands et r'avoir mes besognes. Si
est-ce, Monsieur, quMl me desplairoit fort, puisque en sommes
si avant et que la chose vous est si propre, qu'elle ne tombast
en vos mains. Qui est cause que, si avez double de quelque
chose, que j'accorde et consens dès à présent que vous puissiez
par mes mains mesmes, faire faire la distribution desdits deniers,
ainsi qu'il vous plaira, à ceulx qui ont mes dictes besognes,
3â6 ANTOINE DE BOURBON
pourveu que dès ceste heure ils me les rendent sans que j'en
touche un seul denier.
Pour quoy, Monsieur, je vous supplie très humblement ceste
fois m'y resouldre au retour de ce dit porteur, en la suffisance
duquel je remettray à vous dire toutes les aullres nouvelles et
de raoy et de mon petit ménage, oîi puys deux moys j'ay tou-
jours eu tant d'adversité et soucys que encores ne vous pour-
rois-je brièvement escrire de ma main. Vous excuserez le tout
s'il vous plaist, me continuant tousjours en vos bonnes grâces.. .
D'Anisy, ce 29 de décembre -1560.
Vostre humble et obéissante niepce,
Léonor de Roye.
(Original; f. fr., vol. G620, f. 15. — Ajoutez à cette lettre une pre-
mière lettre de la princesse de Condé au connétable en date du 29 sep-
tembre 1560; Orig., f. fr., vol. 3260, f. 81.)
IX.
Lettre de Jeanne d'Albret relative à la suspension de Jehan
Rélin de son office de trésorier du pays de Foix; Pau,
31 décembre loOO. (Copie du temps; Arch. des Basses-Pyré-
nées, B. ^^63.)
Advertimiento de lo que paresce de obispo de Limoges qde séria
BIEN SCRIVIR A FrAIVCIA.
[Décembre 1560.)
Avis de Sébastien de l'Aubcspine sur les lettres de condoléance que le
roi d'Espagne doit écrire en France. — Conseil d'écrire au roi de
Navarre. — Titres à donner aux seigneurs de la cour.
Monsieur, il me semble qu'il sera bcsoing principalement de
deux lettres de créance du Roy, Tune pour monsieur le connes-
table et l'autre pour monsieur de Guise, afin que sur icelle
monsieur de Cbanlonnay face l)ons offices et dye le consente-
ment que Sa Majesté catholique a d'avoir entendu qu'ils
ET JEANNE d'aLBRET. 327
assistent si fermement la Royne. Et fault qu'il parle de telle
sorte que chascun cognoisse que, s'il advenoit ou feust advenu
aultrement, elle eust receu ung grand mescontentement et res-
sentiment. Au demeurant je scay que vous faictes quelque dif-
ficulté de donner au roy de Navarre les tiltres qui luy appar-
tiennent et desquelz vous aviez de coustume user sur les lettres
que l'on luy escrivoit. Et, encores que le meilleur feust de luy
escrire une pareille lettre de créance en tout événement, si l'on
en faict difficulté, il me semble qu'il sera grandement néces-
saire que M. de Chantonay ayt audience de luy et luy facedoul-
cement et afl'ectionnément tOLiclier au doid la part du Roy, aussi
la satisfaction qu'a eu Sa Majesté de l'establissement et concorde
qui est entre eulx, et avec dextérité luy faire sentir et juger
combien Sa Majesté ayme la Royne, sa mère, et qu'il n'a rien
qu'il ne feist pour emploier pour l'amour d'elle; adhortant led.
seigneur roy de Navarre à continuer et faire les mêmes gaillards
offices vers M. le prince de Condé, son frère, qui est à la court.
Au surplus, madame de Montpensier, mère de mademoiselle de
Bourbon, qui cy est, pour la grande part qu'elle a près la royne
et le roy de Navarre, a usé dernièrement de toute dextérité et
soing afin d'establir et radresser ce que aucuns séditieux avoient
voulu brouiller. Et, d'autant qu'elle a grands moiens en ce que
dessus, je ne scay si Sa Majesté vouldroit luy en escrire ung
mot. Pour le moins il sera bon et proufitable qu'il luy plaise
que, par ledit ambassadeur, elle entende que Sa Majesté a sceu
son devoir et les services qu'elle faict à la royne, sa mère,
l'adhortant à poursuivre de bien en mieulx. Et désirerois que
le semblable se feist envers monsieur l'admirai.
Au roy, mon cousin, prince de Biard.
A mon cousin le duc de Montmorency, pair et connétable de
France.
A mon cousin, le duc de Guyse, pair et grand maistre de
France.
A mons. de Saint- André, marquis de Fronsac et mareschal
de France.
A ma cousine, madame la duchesse de Montpensier.
A mons. de Chastillon, admirai de France.
(Copie du temps, sans date ni signature; Arch. nat., K. 1493, n» 40.)
328 ANTOINE DE BOURBON
XL
Lettre de Philippe II au roi de Navarre.
Tolède, décembre 1560.
Lettre de condoléance sur la rnort de François II et de créance en
faveur de don Juan Manrique de Lara.
Por lo que de ahi me ha escrito mi embajador he entendido
et fallecimiento del rey Francisco, rai hermano, de que he reci-
bido mucha pena, por haber fallecido en tal edad y por el
dendo y amor que entre nos otros habia, y la falta que harâ à
ese reino. Y asi habiendole sucedido el rey cristianisimo , su
hermano, he mandado al cavero, don Juan Manrique de Lara,
mi Mayordomo, y del mi consejo de Estado, que vaya â visitarle
de mi parte y à la reina madré y que â vos os hable. Lo que de
el entendereis, yo os ruego muy afectuosamente que le deis fée
y creencia como à mi propià persona, y hagais en todo lo que
debeis â vos mismo y al servicio de Dios, y bien de ese reino y
universai de la cristiandad. Que à mi me hareis en ello tan
singular placer, como os lo declararâ el dicho don Juan Man-
rique, â quien nos remilimos.
Nuestro Senor os tenga en su continua guarda.
De Toledo, â de Diciembre -1500.
(Minute originale; Arch. nat., K. 1495, n° 4.)
XIL
Instruction de Philippe II à don Juan Manrique de Lara,
ambassadeur extraordinaire en France, Madrid, A janvier \^6i .
— Compliments de condoléance à présenter au roi et à la reine
mère de la part du roi d'Espagne. — Pliilii)pc II conseille, vu
la minorité du roi, que le gouvernement reste aux mains d'une
personne capable, et il désigne la reine mère comme réunissant
toutes les conditions. — Conseils à Charles IX d'obéir à sa
mère. — Il ne l'aut concéder à Vendôme que la plus petite part
ET JEANNE d'aLBRET. 329
possible dans le gouvernement, puisqu'on ne peut Técarter
absolument. — Recommandation de diminuer le nombre des
membres du conseil du roi pour éviter les divisions. — Le roi
d'Espagne demande de sévères mesures contre les hérétiques.
— Il préconise le concile de Trente et réclame l'abandon du
concile national français. — Exécution du traité de Cateau-
Cambrésis au sujet de la délimitation de la France et de la
Flandre. (xMinute espagnole; Arch. nat., K. U93; n° UA.]
XUI.
Lettre de Michel Suriano à la république de Venise, Orléans,
9jan.v. ]o6\. — Travaux des états. — Après la séparation des
députés, la cour partira pour Fontainebleau. — Économies
réalisées par le nouveau gouvernement. — La moitié des galères
de marine a été désarmée et les équipages licenciés. — Oppo-
sitions que les capitaines font à ces économies, — Visite de
condoléance faite par l'ambassadeur à Marie Stuart. — Mort du
prince de Baupréau. (Dépêches vénit., filza 4, (° 229.)
Lettre de Chantonay à Philippe II (Fragment), Orléans,
^2 janvier ioGi. — Procès du duc de Nemours et de Françoise
de Rohan. — Vendôme soutient la cause de Françoise de Rohan.
— Querelles entre Nemours et Vendôme. — Le duc de Guise
les réconcilie et les détermine à attendre les arrêts de la justice.
— Les Guises désirent le mariage de don Carlos et de Marie
Stuart. — Mécontentement que ce projet cause à la reine mère.
(Orig. espagnol-, Arch. nat., K. -1494, n" 52.)
Lettre de Michel Suriano à la république de Venise, Orléans,
i3 janvier iodi. — La cour est obhgée de quitter Orléans à
cause du manque de vivres. — Disette générale. — Travaux
des états d'Orléans. — Dettes du trésor royal. — Le cardinal
de Tournon est envoyé à Lyon pour contracter un emprunt. —
Économies réalisées à la cour. — Désintéressement de la reine
mère qui abandonne une partie de son douaire. (Dépèches vénit. ,
filza 4, f. 232.)
Lettre de Chantonay à Philippe II (Fragment), Orléans,
^3 janvier \o6l. — Vendôme est satisfait d'avoir été classé à
330 ANTOINE DE BOURBON
Rome au nombre des souverains régnants. — Touchant le
mariage de Marie Stuart. — Vendôme soulève les obstacles au
mariage de cette princesse avec don Carlos. (Orig. espagnol;
Arch. nat., K. iA9\, n° 53.)
XIV.
Inventaire de la vaisselle et des bijoux de François II, roi de
France, dressé à Fontainebleau le ^5 janvier -1500 (1561) par
Jehan Babou, s. de la Bourdaisière, Tristan Rostaing, s. de
Brou, Florimond Robertet et Nicolas Legendre, s. de Villeroy.
(Original sur parchemin, f. fr., vol. 4732-, exemplaire de
Charles IX à ses armes, avec ces deux devises : Ardorem extincta
testantur vivere flamwa, et Pietate et justifia. Cet inventaire
est beaucoup plus détaillé que celui de Marie Stuart, qui est
imprimé dans Négociations sous François f/, p. 738.)
XV.
Commission de Jeanne d'Albret à Guillaume et Arnaud du
Colom, ses secrétaires, pour rechercher les litres de collation
de prébende accordés par elle ou par ses prédécesseurs, Pau^
\Z janv. -1560 (156^). (Original sur parchemin; Arch. des
Basses-Pyrénées, E. 582.)
Lettres patentes d'Antoine de Bourbon et de Jeanne d'Albret
nommant comme lieutenants généraux en Béarn l'évêque de
Lescars et le seigneur d'Andaux, Saint-Germain, 20 janvier
i'660 (1561). (T. VI des Establissemenls de Béarn; Arch. des
Basses-Pyrénées, C. (î84, f. 52.)
Lettres de Jeanne d'Albret à Bologne et à Bélin du 21 janvier
et du 23 janvier -1560 (-156'!). (Voir ci-dessus, p. \23 et 424.)
XVI.
Lettre de Chantonay et de Manrique de Lara à Philippe II
(Fragment), Orléans, 2S janvier V6{y\ . — Bonne opinion que
la reine mère garde de Vendôme. — Protestations de ce prince
ET JEANNE d'aLBRET. 331
en matière de religion. Vendôme est entouré de favoris héré-
tiques. (Orig. espagnol 5 Arch. nat., K. -1494, n° 55.)
Lettre de Chantonay et de Manrique de Lara à Philippe II,
Orléans^ 4'^'' février \^(}\ . — Les deux ambassadeurs espagnols
ont accepté un dîner chez Vendôme. — Ils lui ont conseillé de
laisser la régence à la reine mère. — Vendôme acquiesce à ces
conseils. — Ils lui ont conseillé aussi de repousser les requêtes
des Réformés. — Le prince leur a promis de ne point les favo-
riser; cependant peu de jours après il a soutenu au conseil une
requête de Goligny. — Conduite ambiguë, en matière de reli-
gion, de Jean de Monluc, évêque de Valence. — Vendôme
a refusé de recevoir la lettre du roi d'Espagne, parce qu'elle ne
portait pas le titre de roi. — Le cardinal de Lorraine part
demain pour Reims. — Ses adieux touchants au roi et à la
reine. — Les Réformés ont la prétention d'introniser un roi de
leur religion et d'interdire la pratique du culte catholique.
(Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1494, n° 56.)
XVII.
Recueil d'ordonnances de Jeanne d'Albret et de pièces sur les
états annuels de Béarn, Paii^ février ^5G0 (ISG'J). (Voir ci-
dessus, p. -125 et suiv.)
XVIII.
Lettre du roi de Navarre a M. de Tavannes.
Fontainebleau^ 15 février 1560 (1561).
Protestation d'amilié et ordre d'obéir au roi et à la reine mère.
Monsieur de Tavannes, vostre vertu et l'estyme que j'ay
tousjours eue de vous se sont de sy longtemps acquis envers
moy beaucoup de recommandation , qui se s'offrira jamais
chose icy ou ailleurs en particulier qui vous touche, où je n'es-
saye de vous faire tout le plaisir qui me sera possible, aynsy
que je l'ay dit à vostre serviteur présent porteur. Et, quant au
reste de sa despesche, vous verrez ce que le Roy et la Royne
332 ANTOINE DE BOURBON
mère vous en escripvent. Qui me gardera de vous faire ceste
lettre plus longue. Pryant Dieu, Mons. de Tavannes, qu'il vous
ayt en sa sainte garde.
Escript à Fontainebleau, le xv* jour de feubvrier -loeo.
Vostre bien bon amy,
Antoine.
(Original; f. fr., vol. 4632, f. 142.)
XIX.
Lettre du duc d'Albuquerque à Philippe II, Sangueza, M fé-
vrier \^^\ . — Bruit de la rivalité du duc de Guise et du duc de
Vendôme. — Lettres écrites par Vendôme et par ses secrétaires
au duc d'Albuquerque pour poser les bases de ses nouvelles
revendications. — Par prudence le duc n'a pas répondu. —
Demande d'instruction à ce sujet. — Prochaine assemblée pro-
vinciale de Sangueza. (Orig. espagnol; Arch. de la secret. d'État
d'Espagne, Navarre, leg. 358, f. D^.)
Lettre d'un ambassadeur vénitien à la république de Venise,
Paris, 'lO février 1561. — Progrès de l'influence du duc de
Guise dans le gouvernement. — Les catholiques redoutent le
crédit du roi de Navarre. — Manrique de Lara menace la reine
de la guerre si elle laisse grandir le parti réformé. — L'impres-
sion que ces menaces causent à la reine fait couler ses larmes.
— La reine voulait exécuter le traité de Cateau-Cambrésis en ce
qui regarde la restitution des places de Savoie, mais le roi de
Navarre et le duc de Guise l'ont décidée à l'ajourner jusqu'à la
majorité du roi. (Déchiffrement; Dépêches vénit., fîlza 4 bis,
f. 60.)
XX.
Lettre dd roi de Navarre au parlement de Paris.
Fontainebleau^ 2i février 1561 (1562).
Touchant les gages des conseillers du parlement.
Messieurs, vous entendrez par Messieurs les gens du Roy,
mon seigneur, ce qu'il a advisé avec la Royne en son conseil,
ET JEANNE d'aLBRET. 333
sur les remonstrances qui ont esté faites sur l'entier payement
de voz gages, en quoy, quant à ce qui deppend de l'effect et
démonstration de la bonne affection que j'ay tousjours porté à
vostre compagnie, sy j'ay faict office correspondant à la bonne
opinion que je désire qu'en ayez. Je m'en rapporte à ce qu'ils
vous diront, sans qu'il soit besoing que je vous en rapporte
cette lettre plus longue, estimant que vous demeurerez tous
persuadez et asseurez, comme je vous prie de Pestre, qu'il n'y
aura jamais affaires qui vous touche que je n'embrasse de
mesme volonté que les miens mesmes. Priant Dieu, Messieurs,
qu'il vous ayt en sa saincte et digne garde.
Escript à Fontainebleau, le vingt-deuxiesme février, mil cinq
cens soixante et un.
Vostre plus affectionné amy,
Antoine.
(Copie des registres du parlement de Paris ; f. fr., vol. 23750, non
paginé.)
XXI.
Lettre du roi de Navarre a Charles de Goucy, s. de Bdrie,
LIEDTE.NA.NT DU ROI EX GdïEN-\E.
Fontainebleau, 28 février 1560 (1561).
Assemblée des états provinciaux à Bordeaux et à Angoulême.
Mon cousin, par la coppie que je vous envoyé des lectres
patentes qu'il a pieu au Roy, mon seigneur, m'adresser, vous
verres comme il entent rassembler en la ville de Melun, le pre-
mier jour du moys de may prochain, les Estats généraulx de
son royaulme -, et que aulx assemblées qui ce feront à Bour-
deaulx et en la ville d'Angoiesme, le vingtiesme jour du moys
de mars prochain, il assiste en chacun lieu personne quy me
représanle comme gouverneur du pays et duché de Guyenne.
Et d'aultant que l'assignation esclioeit à mesme jour, et par ce
moyen ne scauriez-vous estre présent aux deux, j'ay advisé de
commettre à cest le s"" d'Escars, et luy escriz affin qu'il ne
faille de se rendre au dict Angolesme au jour désigné pour tenir
334 ANTOINE DE BOURBON
en ceste compagnie le lieu et place de mon lieutenant ; comme
vous ferez le semblable audict Bordcaulx. Vous priant, mon
cousin, à ce qu'on se résolve et prenne délibération de bien
conseiller mondict Seigneur et de proposer et arrester sur ce
que leur semblera util, veu les calamités passées et le temps où
nous sommes, tant pour la nésessité de ses affaires que pour le
bien universel de la chose publicque et de Testât de cedict
royaume, de manière que l'issue en soict telle, comme tous
ceulx qui y sont bien affectionnez le doibvent prouver et
désirer.
De Fontainebleau, ce dernier jour de febvrier -1560.
Antoine.
(Copie du temps ; Vc de Colbert, vol. 27, f. 303. — Voyez une lettre
analogue du roi au sénéchal des Lannes (Landes) ; ibid., f. 294, v°.)
XXII.
Lettre de Sébastien de l'Aubespine à la reine mère, Tolède^
mars ^560 (I56i). — Sentiments d'animosité du roi d'Espagne
contre les chefs du parti réformé, et principalement contre le
roi de Navarre, le cardinal de Ghastillon et l'amiral de Goligny.
— Ici, dit l'ambassadeur, « on ne parle que de la messe que
« tout le monde néglige » à la cour de France. — Les senti-
ments du roi d'Espagne pour les réformés et pour le roi de
Navarre ne laissent pas espérer à LWubespine le succès de la
requête que la reine lui a commandé d'adresser au roi catho-
lique au profit de la maison d'Albret. — La dame de Clermont,
une des dames de la reine d'Espagne, a demandé son congé,
ainsi que Montai et Guttinières, et partira dans dix ou douze
jours. — La damedeGurton rappelle aussi sa fille. (Orig., f. fr.,
vol. 6f)l4, f. 8L)
XXIII.
Lettre d'un ambassadeur vénitien à la république de Venise,
P«m, ^" mars \M\. — L'affaire du gouvernement de Cham-
pagne promis au duc de Nemours au préjudice du prince de
Condé, l'ordre de la reine sur la résidence des cardinaux , la
lettre du roi relative au procès de Gondé et surtout la rivalité
ET JEANNE d'aLBRET. 335
du roi de Navarre et du duc de Guise au sujet des clefs du châ-
teau ont tellement indisposé ce prince qu'il a menacé de quitter
la cour. — Détails sur sa tentative de retraite et sur sa récon-
ciliation avec la reine. — Antoine de Bourbon avait promis au
duc de Guise à Orléans de quitter la cour s'il la quittait aussi.
— Le duc de Guise se fait hal3ituellement au conseil l'avocat
du prince de Condé. (Déchiffrement ; Dépèches vénit., fdza 4 bis,
f. ^5.)
Lettre d'un ambassadeur vénitien à la république de Venise,
Paris, 3 mars ^D6^. — Nouveaux détails sur les projets de
retraite du roi de Navarre. — Il est probable que le procès du
prince de Gondé se terminera par une ordonnance de non-lieu.
— Condé a été appelé à la cour. — Le duc de Guise défend la
cause de Gondé et veut faire annuler les procédures. — Cepen-
dant la culpabilité de ce prince est certaine, surtout à Lyon.
(Déchiffrement; Dépêches vénit., fdza 4 bis, f. 48.)
Lettre de Ghantonay à Philippe II, Moret, 4 mars 4.561. —
Tous les évêques sont renvoyés dans leur résidence épiscopale.
— Le cardinal de Lorraine est éloigné pour longtemps de
la cour. — Vendôme voudrait aussi éloigner le cardinal de
Tournon. — x\ffaire des clefs du château ; la reine a décidé qu'elle
les garderait elle-même. — Vendôme prétend chasser le duc de
Guise de la cour. — Le sire de Rohan, frère de Françoise de
Rohan, est arrivé à Fontainebleau avec 170 chevaux et doit y
séjourner, dit-on, jusqu'au 24 de ce mois. — Retour sur l'af-
faire des clefs du château. — Le 26 février, les Guises sont
allés à la chasse ensemble, tandis que Vendôme, les Montmo-
rencys et les Chastillons allaient d'un autre côté. — Le 27,
Vendôme a tenté de quitter la cour. — Il assure aux courtisans
que le duc de Guise avait acheté des témoins contre le prince de
Gondé. — Le duc de Guise, poussé à bout, a déclaré qu'il ne
sortirait de la cour que sur l'ordre de la reine. — Vendôme
n'est que le prête-nom des Chastillons. — Le procès du prince
de Condé, malgré la culpabilité évidente de ce prince, n'aura
aucune suite. (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 4404, n" 62.)
Lettre d'un ambassadeur vénitien à la république de Venise,
Paris, 5 mars 4:361. — L'affaire des clefs du château, la que-
336 ANTOINE DE BOURBON
relie du roi de Navarre et du duc de Guise auraient pu être le
signal de la guerre civile. — Chances comparées des deux
partis. (Décliiffrement ; Dépêches vénit., filza A bis, f. ^9.)
Lettre de Chantonay à Philippe II (Fragment), Moret, 9 mars
VôGi. — Vendôme désire que le procès du prince de Condé se
termine par un arrêt du parlement. — Le connétable se plaint
de l'ambition envahissante de Vendôme. — Le duc de Guise
dit qu'il ne veut pas que sa rivalité avec Vendôme allume la
guerre civile, et qu'il est prêt à régler cette querelle de per-
sonne à personne. — Vendôme se présente toujours à la cour
accompagné du sire de Rohan et de ses partisans. (Orig. espa-
gnol ; Arch. nat., K. ^494, n" 64.)
Mémoire donné à don Juan de Ayala sur les prétentions de
Vendôme, Tolède, \\ mars ^561. — Discussion de droit inter-
national pour rétorquer les arguments que Vendôme ne man-
quera pas de tirer de ce fait que son ambassadeur a été reçu à
Rome comme représentant du roi de Navarre. — Démonstration
sans faits nouveaux. (Orig. espagnol ; Arch. de la secrétairerie
d'État d'Espagne, Navarre, Leg. n° 358, f. 374.)
Lettre de Suriano à la république de Venise (Fragment),
Paris, 16 mars 156^. — Le prince de Gondé retourne à Paris.
— Réception qui lui est faite. — Attitude menaçante de Gondé
devant le duc de Guise. — La reine aurait désiré retirer raffaire
de Gondé au Parlement el l'évoquer devant le conseil du roi. —
Gondé a refusé. — La reine désire la réconciliation de ce prince
avec le duc de Guise ; sa réponse. — Nouveaux édits défendant
le port des armes à la cour. — Redoublement des gardes. —
La reine détient elle-même les clefs du château. — En cas de
troubles, les capitaines fidèles ont ordre d'accourir avec leurs
armes dans la chambre du roi. (Dépêches vénit., filza 4, f. 267.)
Lettre d'un ambassadeur vénitien à la république de Venise,
Paris, 17 itiars ib('}\. — Le roi d'Espagne aimait beaucoup le
connétable, mais sa faveur est passée aux Guises, chefs du
l)arti catholique. — Les nouveaux états montrent l'intention de
déférer la régence au roi de Navarre. (Déchiffrement ; Dépèches
vénit., filza 4 bis, f. 20.)
Lettre de Suriano à la république de Venise (Fragment),
ET JEANNE d'aLBRET. 337
Paris, ]S mars ^56^ . — Entrée du prince de Gondé à Paris. —
Acquittement du prince au conseil. — Marie Stuart est passée
à Paris en se rendant à Reims. (Dépèches vénit., filza 4, f. 202.)
XXIV.
Lettre du roi de Navarre au pre'sident Alixant, du parlement
DE BoURGOGiVE.
Fontainebleau, 18 mars 1560 (1561).
Ordre de donner à l'abbé de Bourras un nouveau délai pour rassembler
ses preuves dans son procès au i)arlenient de Bourgogne.
Monsieur le président, j'ay entendu par Mons. l'abbé de
Bourras comme au procès pendant en vostre court entre luy et
M^ Celse Morin, pour raison du prieuré de Gonches, il a esté
dict par une dernière ordonnance de lad. court que, dans cer-
tain temps bien près à expirer, led. abbé de Bourras produira
ce que bon luy semblera pour la défense de sa cause et sans
spérance de plus ample délay. A quoy il n'a peu encores satis-
faire pour l'occupation quMl a eue ez afTaires où mon frère,
Mons. le duc de Nyvernoys, l'a employé, ainsy qu'il vous en
tcsmoigne par ses lettres, avec prière, telle que je la vous faiz
par la présente, de vouloir donner aud. abbé de Bourras autre
délay de six sepmaines seulement, pour mettre devers lad. court
les pièces qu'il aura pour la conservation du droit qui luy
appartient aud. prieuré. En quoy faisant j'estime que sa partie
ne se pourra tenir aucunement offensée ne prendre occasion de
se plaindre de ses juges, qui doibvent toujours mieulx aymer
d'asseoir jugement sur pièces et tiltres que sur une seulle for-
malité. A tant, que confiant que vous en userez si équitable-
ment qu'il ne s'y trouvera à redire, je vous diray qu'en l'en-
droict où vous m'emploierez je vous feray plaisir d'aussy bon
cueurque supplie le Créateur vous tenir. Monsieur le président,
en sa très saincte grâce.
De Fontainebleau, cexvnt'' jour de mars \M0.
Le tout vostre,
Antoine.
(Orig., Coll. Moreau, vol. 883, f. 166. — A la suite (f. 167) se trouve
un double de la présente Icllrc, adressée au même, même date, égale-
ment originale, sans aucuni' variation de texte.)
m 22
338 ANTOINE DE BOURBON
XXV.
Lettre de Chantonay à Philippe II, Moref, 26 mars ^56^. —
Vendôme est promu à la dignité de lieutenant général du roi.
— II commandera toutes les compagnies de gens d'armes. —
Satisfaction orgueilleuse de ses partisans. — On craint à la
cour que son inlluence l'emporte sur celle du roi et de la reine.
— Le connétable est l'auteur de la convention nouvelle qui a
partagé le pouvoir entre la reine mère et Vendôme. — On dit
que Pedro d'Albret, évêque de Gomminges depuis la mort du
cardinal Caraffa, va fixer sa résidence à Rome comme ambas-
sadeur de Vendôme. — Condé à Paris ; danger de sa présence
pour les affaires de la religion. (Orig. espagnol -, Arch. nat.,
K. 4494, n° 68.)
XXVL
Lettre du roi de Navarre a Sébastien de l'Acbespine,
ambassadeur en espagne.
Fontainebleau^ Tl mars 1560 (1561).
Recommandation de Buade.
Mons. de Lymoges, il ne fault pas, avecques de si bons
harangueurs que ceste volée de jeuneusse que nous vous
envoyons par deçà, que je vous fasse grand discours de nos
nouvelles, pour ce qu'oullre ce que vous en diront de toutes
sortes, je ne vous en scauroys dire davantage que ce que vous
en entendrez par la depesche du Roy et de la Royne. Seullement
je vous prieray voulloir embrasser la négociation des choses
qui me touchent selon que je me suys promys de vostre bonne
affection, et au surplus ayder que ce pauvre Ruade, en faveur
du(iael la Royne escript à ce coup plus affectueusement que
jamays, puisse sortir de cette misère, où il a si longuement esté
détenu, que le tems debvroit servir de peyne et de pénitence de
toute la pugnition que l'on pourroit prétendre pour [lacune) de
son offense. Je le vous recommande. Ce que mon nepveu le
ET JEANNE d'alBRET. 339
comte d'Eu dira en parole, si voyez qu'il soit besoing au nom
du Roy et de la Roy ne, comme pour un des leui's subgects,
puisque je suis suspect en cette matière. Pryant Dieu, Mons. de
Lymoges, qu'il vous ayt en sa saincte garde.
Escript à Fontainebleau, le xxvii*' jour de mars I5G0.
Voslre bien bon amy,
Antoine.
(Orig., Arch. de Villebon, papiers de L'Aubespine. — Lettre commu-
niquée par M. le marquis de Rochambeau et analysée dans Lettres d'An-
toine de Bourbon et de Jehanne d'Albret, p. 384.)
XXVII.
Lettre do secrétaire d'état Robertet a Sébastien de
l'Aubespine.
Fontainebleau, 27 mars 1561.
Nouveau pacte de la reine mère et du roi de Navarre. — Rivalité de ce
prince et du duc de Guise. — Imminence de la guerre civile. —
Intrigues de Fumée au sein des Étals. — Nécessité de dissimuler cer-
taines correspondances au roi de Navarre.
Monseigneur, l'occasion de la dépesche de ce courrier est
pour vous advertir de la peyne en quoy nous avons esté
extresme depuys le parlement de vostre bomme, telle que vous
puys assurer que nous n'aurions pas esté moings que à veoir
les préparatifs d'une bataille dans ce royaume, qui s'en feust
infailliblement ensuyvye, si les cboses fussent venues au point
que beaucoup de folz le desiroycnt ^ mais Dieu y a pourveu. Et
a esté purifié le tout, de façon que la Royne demeure en son
authorité. Le roy de Navarre est content et la paix est partout.
Les folz et pauvres gens, studiosi rerum novarum^ ne deman-
doient pas mieux ; les riches et gens de bien le craignoient infi-
niment. A la fin, Monsieur de Guyse est demeuré, que l'on
vouloyt avec tant de contention esloigner d'icy, et le (lonseil du
feu Roy, que ces belistres vouloyent chasser, demeure en son
entier. Et pour ce coup, Monsieur Fumée, qui a remué tout
cecy à Paris, n'y demeurera pas, comme ilz les avoyent mis.
Vous ne scauriez ci'oyrc les bons offices que mon compère y
340 ANTOINE DE BOURBON
faicl, taril pour appaiser loul cecy que pour la réconciliation du
roy de Navarre avec Monsieur de Guyse ; en quoy il trompe
l'oppinion de beaucoup de gens. Mais véritablement il y a hon-
neur et la bonne grâce de la Royne et de toutes les parties.
Vous trouverez en ce pacquet troys lectres, une première et
deux après ; les première et seconde vous sont envoyées à part,
et vous y ferez responce par une lectre particulière. Quant à
l'aultre, qui est pour le faict du roy de Navarre, ceste-là luy a
esté communiquée. Vous y ferez responce dans la lectre que
vous ferez au Roy, qu'il verra aussy. Il se faultainsy conduyre
au temps où nous sommes ; et aussy vous en fault-il advertir
pour ne vous gaster. Je ne sçay plus que vous dire, sinon que
vous sçavez bien que je suys à vous, à vendre et à despendre,
et que vous pouvez faire estât de moy comme de vostre frère
mesme. Et sur ce je vous baise les mains et prie Dieu, Monsieur,
vous donner longue et heureuse vie.
De Fontaynebleau, le xw!!*" jour de mars.
Vostre humble serviteur et plus affectionné amy,
Robertet.
Si le roy d'Espaigne a agréable que l'on face l'office envers
le Grand Seigneur, dont l'on vous escript, le roy de Navarre
m'a prié vous prier de sa part d'en donner icy advis par ung
gentilhomme, nommé le Baron d'Ingrande, qui est avec Mon-
sieur le conte d'Eu, qu'il auroit envie envoyer en Levant pour
cest effect.
(Original ; T. fr., vol. 6617, f. 139. — Copie récente ; f. fr., vol. 6620,
L 110.)
XXVIII.
Lettre d'un ambassadeur vénitien à la république de Venise
(Fragment), Paris^ 29 )nars i'iGJ. — Nouveau pacte de la reine
mère et du roi de Navarre. — La reine sera régente et le roi de
Navarre lieutenant général. — Abaissement des Guises. —
Dangers de la religion catholique. — L'amiral prend une part
prépondérante au conseil. — Un attend la reine de Navarre,
qui est passioiniéc j)our la Réforme. (Déchiffrement ; Dépêches
véiiit., lilza 4 bis, f. 22.)
ET JEANNE d'aLBRET. 341
Lettre du duc d'AIbuquerque à Philippe II, Sanyueza, Z\ mars
\o^\. — Récit de l'arrestation du chanoine Montréal, — A
Pampelune circule une prétendue lettre du pape conseillant à
Philippe II de restituer la Navarre à Vendôme. — Le duc d'AI-
buquerque a fait saisir la lettre et ceux qui la répandaient.
(Arch. de la secrétairerie d'État d'Espagne. Navarre, Leg. 358,
f. 52.)
Lettre d'un ambassadeur vénitien à la république de Venise
(Fragment), Paris^ ^\ mars \V:t&\. — Dangers que la religion
catholique court en France. — Subvention de 40,000 écus
envoyée aux princes protestants d'Allemagne. (Déchiffrement ;
Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 23.)
Lettre de Suriano à la ré])ublique de Venise, Paris, \ avril
\^iS\. — Prêches publics à la cour dans les appartements de
l'amiral. — Renouvellement de la défense faite aux réformés
de se réunir secrètement. — Arrestation de plusieurs ministres,
dont un chez Madame de Roye. — Nouveau retard, par écono-
mie, du sacre du roi et du voyage de la cour à Reims. (Dépêches
vénit., rilza4, f. 273.)
XXIX.
Lettre de Sébastien de l'Aubespine a Philippe II.
Tolède, 4 avril 1561.
Le nouveau pacte de la reine mère et du roi de Navarre a maintenu la
paix en France. — Les états ont été ajournés à la fin d'août. — Le
prince de Condé s'est contenté d'une déclaration d'innocence. —
Déplacements de la cour. — Le roi sera sacré le 20 mai et fera son
entrée à Paris en juin.
Sire, par ce que la royne aura peu escrire à Vostre Mageslé
et mons. le prince d^Eboly aussi, vous aurez entendu Testât
auquel les choses se retrouvoient parmy les estatz particuliers
en France, il y a vingt jours, par la malice de quelques ungs,
mal sentans de la foy, les quelz avoient faict une menée en
certaines provinces afin que l'on feist tomber le gouvernement
du royaume en autre main que celuy de la Royne vostre mère,
342 ANTOINE DE BOURBON
la sentans ferme et constante à n'endurer leurs erreurs et à les
punir. Despuis est arrivé l'un de mes gens avec deux pacquetz
de mons. de Ghantonay, lesquelz j'ay faicl mettre entre les
mains de Sajas, m'adverlissant ladicte dame par le mesme
courrier que le roy de Navarre s'est monstre si conforme en
tout ce ({u'elle a désiré et peu approuvant la témérité de telles
entrepryses qu'il s'est accommodé, pour aussi recevoir quelque
lieu et contentement, d'estre seul lieutenant général du Roy,
vostre bon frère, en France soubz lad. dame, afin que la multi-
tude des autres seigneurs et gouverneurs de tout le royaume
n'amenast poinct la confuzion qui y estoit, et que, par ce moien
aussi, il feust plus honnoré et respecté d'un g chascun, sans
aucune diminution de l'authorité de lad. dame ; laquelle, Sire,
demeure chef de toutes choses, ayant les quatre secrétaires
d'Eslat soubz elle, les pacquetz, finances, dons et autres grâces
avec la personne du Roy. Et commande au conseil ainsi que de
coustume, tellement que chascun espère, comme aussi faict Sa
Magesté et ainsi qu'elle me commande vous dire, Sire, que
desormès il y a certaine apparance de toute tranquillité et repos ;
car ce que dessus est passé, arresté et signé entre eulx et de
leurs mains pour articles irrévocables, ayant pour ceste cause,
mandé aux l^stats qu'ilz eussent à ne penser ne disputter plus
sur telz pointz, ains seullement en ce qui concerne le mesnaige
du royaume ; les recuUans et remettans à s'assembler à la fin
de l'esté prochain.
Et cependant, suivant l'instante requeste du peuple, le Roy,
vostre bon frère. Sire, partira de Fontainebleau incontinent
après Ouasimodo pour se faire sacrer a Rheims, dedans le 20
de may, et incontinent après, sur le mois de juin, faire son
entrée à Paris, d'autant que ces deux actes solemnels donnent
plus d'autorité et contentement à tous noz suhjects, et que cela
faict, la Royne, vostre mère, pourra aussi, comme elle désire
])lus soigneusement, user de la main forte et juîîicc en (oui ce
qui se présentera. Ce que dessus, Sire, amandera, s'il vous
j)laist, en voslre endroict, l'opinion mauvaise que nous avions
quand je parlay à mons. le prince d'Eboly de l'yssue de noz
Estatz, lesquelz, par ce renK^de, sont frustrez de plus rien lou-
cher ne négulicr qui concerne le gouvcrnemenl.
ET JEANNE D'aLBRET. 343
Me commandant très expressément la Royne de remercier
fort affectionnement Vostre Magesté des bons et roiddes offices,
desquelz mons. de Chantonay a usé près d'elle pendant ces
disputz, et asseuranl Vostre Magesté que ce luy est obligation
telle qu'elle peult faire estât de son amour et affection autant
que de sa propre mère, comme de son costé elle se confie tant
en sa bonté et amitié que, si l'on eust voulu faire plus de tort
à son honneur et prééminence, elle eust usé de ce que Dieu a
mis, Sire, soubz vostre obéissance comme de son meilleur amy,
désirant que Vostre Magesté face en semblable estât de tout
ce que sera en elle.
Ceulx, Sire, qui avoient tramé ce que dessus pensoient
remuer en nostre conseil et autres endroitz les hommes et
honneurs à leur guise, mais^ par ce moien ilz sont hors de
leurs desseings. S'estant mons. le prince de Condé contenté
d'une déclaration qu'on luy a donnée pour sa justification, à la
charge qu'il peust, quant bon luy sembleroit, estre à la cour
près lad. dame ainsi qu'il y a esté permis. Mons. le Connétable
a, Sire, faict de bons et saiges offices en cest établissement, me
chargeant de vous présenter ses très humbles recommandations,
vous requérant comme font leurs Mageslés qu'il vous plaise en
sa faveur confirmer en Flandres une abbaye de dames à l'une
de ses parentes, que les religieuses désirent fort depuis le décès
de mad. de Lallain, comme j'écris à mons. le comte d'Horne.
Ce que. Sire, j'eusse de bouche esté faire entendre à Vostre
Magesté, mais la crainte que j'ay eu de le troubler parmy ces
sainctz et dévotz jours m'excusera, s'il luy plaist. Et comman-
dera à mons. le prince d'Eboly, qui en est, de me faire donner
quelque responce sur ceste lettre et sur une précédante que je
vous escrivis, il y a deux jours, afin que je puisse faire entendre
à la Royne, vostre bonne mère, le contentement que recevrez de
ce que dessus et vostre bon conseil.
Quand mon courrier partit, mons. le comte d'Heu avoit desjà
esté licencié du Roy et de la Royne mère, et suis en attendant.
Sire, mons. de Montrucuil, lieutenant de mons. le prince de la
Roche sur Yon, lequel arrivera icy dedans quatre ou cinq jours,
venant devant pour préparer ce qu'il sera de besoing et pour
aussi visiter la Royne ; qui me faict estimer que Icd. seigneur
344 ANTOINE DE BOURBON
comte ne sera pas en cesLe ville que quatre ou cinq jours après
Quasimodo, dont nos dames ne sont pas contentes, la Royne
pour le désir qu'elle a de recevoir Vostre Magesté plus tost et
les autres pour leur intérêt particulier.
Tolède, î avril ^ 56^ .
L'Aubespine, év. de Limoges.
(Orig., Arcli. nat., K. 1494, n" 72. — A la fin de la lettre on lit la
note suivante, autographe de Piiilijipe II : « Es menester tener reunido
lo que se les ha de dar para este tieinpo. »)
XXX.
Lettre de Ghanlonay à Philippe II, Moref, 7 avril I56^. —
Retour du Juif envoyé par Vendôme au chérif du Maroc, avec
sa réponse. — Pendant la semaine sainte, Vendôme s'est retiré
dans un monastère près de Fontainebleau et a fajt ses Pâques.
— Il a prié le nonce d'informer le pape de son attitude ortho-
doxe. — Le nonce a demandé à Vendôme si Pedro d'Albret
avait eu la mission de donner au pape quelque espoir sur les
affaires de la religion dans le royaume. (Orig. espagnol; Arch.
nal.. Iv. IV.)î, n^TS.)
XXXI.
. Lettres patentes par lesquelles le roi accorde au roi de Navarre
LA LIEDTENA1VCE GÉNe'rALE DU ROYAUME.
Fontainebleau, 8 avril 1561.
("liarles, par la grâce de Dieu, roy de France, à tous ceulx
qui CCS présentes letres verront, salut. Ainsi que toutes choses
sont condiiictes et manyées par la grande bonlé de nostrc Sei-
gneur, et disposées de son incompréhensible i)rudence et saincte
volunté, nous ayant aj)pelé jeune et en l'aagc tendre auquel
nous sommes, à ceste couronne et mis soubs nostre puissance
une si pesante charge, que ladminislration duu tel et si grand
ET JEANNE d'ALBRET. 345
royaume ; il luy a pieu pour faire congnoistre qu'il nous ayme
et nos subgects, nous laisser la royne, noslre très chère et très
honorée dame et mère, pourveue de tant et si très excellentes
vertus et rares qualités, (|u'il faut espérer, de sa sage et pru-
dente conduicte, soubs laquelle nous reposons principallemcnt
la totalle administration de nostred. royaume, tout heur, repos
et félicité, accompagnée comme elle est de noslre très cher et
très amé oncle le roy de Navarre, qui monstre au bien de cestuy
nostre royaume, par tous bons effects et grand zèle, telle et si
sincère affection procédant de la singulière amour et naturelle
inclination qu'il a à la grandeur de ceste nostre couronne. Qu'il
est bien raisonnable, regardant aussi sa digne condition et le
lien grand qu'il doyt avoir en ce royaume, comme le premier
et plus prochain prince de nostre sang, qu'il soit, de nostre
part, recongneu de tout l'honneur que sa grandeur et ses très
vertueuses méritoires et très recommandablcs qualités le
requèrent.
Pour lesquelles considérations, aussi pour les insignes très
grands et mémorables services que iceluy nostre oncle a faicts
à nos très honorés seigneurs, ayeul et père les roys Françoys,
premier de ce nom, et Henry, de très heureuse mémoire, en la
tuition deffence et ampliffication de nostred. royaume; enquoy
il s'est si prudemment gouverné et conduict et eu de nostre
Seigneur tant de grâce et d'heur qu'il en est sorty très grande
utilité et accroissement à cestuy nostre royaume et à luy
demeuré réputation de très heureux, très vertueux et bon
prince, de façon que, nous ne pourrions nous reposer de la
seureté de nostred. royaume en meilleure ne plus digne main
que la sienne.
Confians pour toutes ces causes si asseurement de la per-
sonne de nostred. oncle et de ses grands sens, prudence, vail-
lance, ensemble de la cordialle affection qu'il nous porte et à la
prospérité de tous nos affaires, que nous ne scaurions, ce nous
semble, assez faire de démonstrations, du bien et de l'hormeur
que nous luy désirons pour la parfaicte et fidelle dévotion que
nous congnoissons en luy, et pour autres bonnes, grandes et
favorables considérations à ce nous mouvans; iceluy nostre
oncle avons, par l'advis de nostre dame et mère, i)rinces de
346 ANTOINE DE BOURBON
nostre sang el gens de nostred. conseil privé, faicl, constitué,
ordonné et estably, faisons, constituons, ordonnons et establis-
sons par ces présentes, nostre lieutenant général, représentant
nostre personne absente et présente, dedans et hors nostre
royaume, tans par mer que par terre. Luy donnant plain pou-
voir, puissance et auctorité de convocquer et assembler toutes
et quantesfoys que besoing sera et qu'il verra estre requis, pour
le bien de nostre royaume, tous les princes, conestable, mares-
chaulx et amyraulx de France, gouverneurs et nos lieutenans
généraulx des provinces, maistre et capitaine général de nostre
artillerye et tous autres sieurs, gentilzhommes et capitaines, de
quelque condition et qualité qu'ils soient, pour avecques eulx
communiquer des affaires qu'il leur vouldra proposer, et, présens
ou absens, leur faire entendre et ordonner ce qui sera à propos
pour nostre service, faire aussi venir devers luy les capitaines,
chefs et conducteurs des gens de guerre, tant de cheval que de
pied, que nous entretiendrons en nostre service, soit de nos
ordonnances ban et arrière-ban, chevaulx legiers, pistoUiers ou
autres, de quelque qualité, langage et nation qu'ils soient, capi-
taines de nos places, chasteaulx, forteresses, ensemble de nos
gallaires et vaisseaulx, pour leur commander et ordonner tout
ce qui luy semblera expédient pour le faicl de leurs charges.
Mander semblablement nos baillys, séneschaulx et prevostz,
lorsqu'il s'offrira (luelquc chose à leur dire, commander et
ordonner pour nostre service, seureté de nos places ou pour le
bien et repos de nos subgecls. Envoyer celles des compaignies
de nos ordonnances et autres gens de guerre en tels lieux et
endroicts, soit dedans ou dehors nostre royaume qu'il advisera,
tant pour la conservation des places d'iceluy, ou pour retenir la
tranquillité publicque, ou autre bonne occasion. Tirer desd.
gouvernemcns et provinces les gens de guerre qui y seront,
pour les envoyer es autres gouvernemcns ou les faire marcher
la part qu'il verra estre à faire, et de rechef les y renvoyer et
les départir en d'autres endroicts, pour tenir garnison comme il
verra bon estre, relever les hommes d'armes et archers qui
pourront estre mis absens es monstres de la gendarmerye,
casser ceulx qu'il verra devoir estre cassés et faire le semblable
des prévosts, des mareschaulx de France.
ET JEANNE d'aLBRET. 347
Ordonner des monstres, rcveues et payemens de nos pens de
guerre, tant de cheval que de pied. lesquelles monstres et
reveues, il fera faire toutes quantes foys que bon luy semblera
et verra estre à faire par les commissaires ordinaires de nos
gens de guerre, auxquels il commandera el dont il fera le dépar-
tement, si bon luy semble, et en leur absence par tels autres
qu'il y vouldra commètre, les faisant payer de leurs gaiges et
vacations par celuy ou ceulx des trésoriers de nos guerres,
qu'il appartiendra. D'assembler aussi et faire trouver es
endroicts de nostre royaume ou dehors, où il congnoistra
quelque danger, ou quil sera question de l'honneur, grandeur
et accroissement de nostred. Estât el bien de nostred. royaume,
tel nombre desd. gens de guerre, tant de pied que de cheval et
de toutes nos forces, artilleries et munitions, quMl verra estre à
faire pour y donner ordre, ainsi que l'importance le requerra.
Et pour cest effect lever de nouveau, ou faire lever et mètre sus,
si besoing est, telles compaignyes de gens de cheval et de pied
qu'il vouldra et les disposer aux places fortes de nos frontières
et emploier comme il advisera.
Visiter, toutes et quantes foys qu'il luy plaira, les provinces
et gouvernemens de nostre royaume, ensemble toutes les villes
et places fortes d'iceluy, y entrer avecques telle compaignie
forte ou foible qu'il advisera. Entendre des gouverneurs et lieu-
tenans généraulx de chacun pays et gouvernement Testât des
affaires et occurances qui y seront, y pourveoir et donner ordre,
faire fortiffier celles de nos places qu'il congnoistra en avoir
plus de besoing, et y faire employer telles sommes de deniers
que bon luy semblera.
Sçavoirquel devoir et diligence chacun desd. capitaines desd.
places aura faict et fera, tant a la seureté et conservation d'icclles
que à faire veoir leur gens de guerre en bon ordre, justice et
police, de faire administrer, sur les plainctes qui seront faictes
par les habitans d'icelles, bonne et brefve justice et veoir comme
les deniers destinés aux réparations d'icelles auront esté
employés; et où il y auroit quelques faultes, abbus ou malver-
sations, faire procéder contre les coulpables ainsi qu'il appar-
tiendra pour le bien de nostre service. Se faire représenter les
armes, vivres, artilleryes et munitions qui seront esd. places
348 ANTOINE DE BOURBON
avecques les inventaires d'iceulx. Faire venir les présidents et
conseillers de nos Cours de parlement, en tel nombre et tel lieu
qu'il les mandera; et quant il sera es lieux ou nosd. cours sont
establyes, entrer en icelles, les assembler en corps ou en
moindre compaignye, pour leur communiquer et conférer de
toutes choses, qu'il verra appartenir au bien de nostre service
et de la chose publique de nostre royaume. Et sur ce, leur dire
et faire entendre ce qu'il verra estre à propos.
Entendre particulièrement de nos baillys, séneschaulx, pré-
vosts et autres nos officiers, s'il y a aucuns troubles, machina-
tions, monopoles, et assemblées en armes ou autrement qui
tendent à la perturbation de nostre Estât, pour y pourveoir par
assemblées de gens de guerre, main armée et autres moyens
ainsi qu^il congnoistra lebesoing-, et faire pugnir et chastier
les séditieux et ceulx qui conciteront le peuple à émotion^ soubs
quelque prétexte que ce soit, par les peynes requises et sans
forme ni figure de procès, s'il veoid que faire se doibve. Con-
tenir nos peuples et subgects en union et concorde et en la
fidélité, dévotion et obéissance qu'ils nous doibvent, les gardant
d'oppressions et molestations indeues -, et selon les remons-
Irances, plainctes et doléances qui luy seront faictes, tant à
l'administration et distribution de justice et à la pohce des
villes, tenir vifvement la main, en ce qu'il pourra, que les
ordonnances de nos prédécesseurs roys et de nous soyent invio-
lablement gardées et observées.
Gomme au semblable nous voulons que les ordonnances que
nostred. oncle fera aux camps et armées où il sera, et autres
lieux où il y aura gens de guerre, soient aussi très estroicte-
ment entretenues et suyvies par tous ceulx, et ainsi qu'il appar-
tiendra; et les transgresseurs et infracteurs pugnis et chasliés
exemplairement, ainsi qu'ils se trouveront avoir mérité, ou
bien leur quitter, remettre et pardonner l'ofTence qu'ils auroient
commise esd. lieux en tous delicts militaires.
l^]t pour raccomplis>omcnt de loul ce que dessus, circonstances
et dépendances, ordonner de tous frais qui seront rec^uis auxd.
trésoriers de nos guerres, tant ordinaires que extraordinaires,
auxquels nous voulons et entendons estre passé et alloué en la
despence de leurs comptes et rabattu de leur recepte tout ce que
ET JEANNE d'aLBRET. 349
payé et baillé ils auront, en vertu des ordonnances de nostred.
oncle, par nos amés et féaulx les gens de nos comptes, et par-
tout ailleurs où besoing sera ; leur mandant ainsi le faire sans
difficulté, en rapportant suriceulx comptes le vidimus de cesd.
présentes, faict soubs cei royal, les quittances des partyes où
elles escherront, avecques les mandemens de nostred. oncle le
roy de Navarre et les cahiers desd. frais et despences deument
de luy signés, certifflés et approuvés, lesquels mandemens et
ordonnances nous avons dès à présent, comme pour lors, validés
et auctorisés, vallidons et auctorisons par ces présentes, comme
s'ils avoient esté faicts et expédiés de nous.
Et générallement commander et ordonner, en toutes choses
requises et nécessaires, pour l'accroissement et augmentation de
nostre estât, seureté d'iceluy et la tranquillité publicque par
dessus toute personne, quelle qu'elle soit, indifféremment et
quelque pouvoir qu'il puisse avoir, soit pour le regard de leurs
estats ou par commissions et pouvoirs particuliers et spéciaulx,
selon Findubitable et parfaicte fiance que nous avons en luy. Si
donnons en mandement à nos amés et féaulx conseillers, les
gens de nos courts de parlement, de nos comptes et à tous nos
lieutenans. gouverneurs, conestable, mareschaulx, amiraulx,
visamiraulx, capitaine général de nos gallaires, maistre de
nostre artillerye, trésoriers de France et généraulx de nos
finances et aydes, baillys, seneschaulx, juges, prévostz, leurs
lieutenans, capitaines, chefs et conducteurs de nosd. gens de
guerre, tant de cheval que de pied; capitaines et gardes des
villes, cités, chasteaulx, forteresses-, maires, consuls, esclievins
et gardes des ports, péages, passages^ jurisdictions et destroicts
et à tous nos autres justiciers et officiers et à chacun d'eulx,
en droict soy et si comme à luy appartiendra, que à nostred. oncle
le roy de Navarre ils obéissent, facent obéir et entendre dili-
gemment en tout ce qui leur sera commandé et ordonné pour
nostre service, tous ainsi qu'à nostre propre personne.
Et cesd. présentes ils feront lire, publier et enregistrer es
registres de nosd. courts, bailliages et séneschaussées quant ils
en seront requis. Car tel est nostre plaisir.
En tesmoing de ce, nous avons signé ces présentes de nostre
main et à icelles faict mettre et apposer nostre scel.
350 ANTOINE DE BOURBON
Donné à Fontainebleau, le huitième jour d'avril, l'an de grâce
mil cinq cens soixante ung, et de nostre règne, le premier.
Charles.
Par le roy,
De l'xlubespine.
(Original sur parchemin ; le sceau manque ; Arch. des Basses-Pyrénées,
E. 584.)
XXXII.
Lettre de Chantonay à Philippe II (Fragment), Moret, 9 avril
^D6^. — L'ambassadeur de Danemark demande que le roi
ouvre, à Dieppe ou à la Rochelle, un refuge aux pêcheurs de
ses nations. — Opposition de l'amiral de Goligny. — Crédit de
l'amiral sur Vendôme. — Le sacre est ajourné au M mai. —
Bruit d'une conspiration ourdie contre le roi à l'occasion du
sacre. — Vendôme a fait appeler l'ambassadeur d'Espagne pour
recevoir ses plaintes au sujet de la réforme. — Le connétable
est actuellement en Picardie chez le sire d'Humières. — La
reine mère a conduit le roi et ses autres enfants à un prêche
protestant. — Remontrances du nonce à ce sujet soutenu par le
cardinal de Tournon. (Orig. espagnol; Arch. nat., K, -1494,
n" 75.)
Lettre du nonce ? Paris, 9 avril 1561. — Union de la reine
et du roi de Navarre. — Conseil au pape d'encourager cette
union. — L'amiral a fait prêcher un ministre en présence du
roi. — Le roi de Navan-e a demandé au nonce d'informer le
pape de ses dispositions catholiques. (Copie italienne, Arch. nat.,
K. U9o, n" 30.)
Lettre de Chantonay à Philippe II (Fragment). Moret^ \\ avril
•1561 . — Le roi de Navarre a fait octroyer au nonce une abbaye
de treize cents ducats de rente. — (irainte de Vendôme de pas-
ser pour huguenot à l'étranger. — Il ne cesse de prier le nonce
de témoigner de son orthodoxie. (Orig. espagnol; Arch. nat.,
K. 1494 ,n" 77.)
ET JEANNE d'aLBRET. 351
XXXIII.
Lettre de Philippe II à Chantonay, Madrid, vers le lo avril
•1561. — x\ppréciation du roi d'Espagne sur les efforts des états
pour faire passer la régence entre les mains du roi de Navarre.
— Le roi d'Espagne se félicite que le pouvoir suprême soit resté
entre les mains de la reine mère. — Il désire que le roi célèbre
son sacre et fasse solennellement son entrée à Paris, dans l'es-
poir que ces deux cérémonies fortifieront le pouvoir royal. —
Éloge de la reine que Philippe II estime comme sa mère et à
laquelle il promet tout son appui. — Envoi de lettres pour la
régente et pour plusieurs seigneurs. — Ordre de conformer sa
politique aux instructions ci-dessus et de soutenir de toute son
influence les intérêts de la religion catholique. (Copie espagnole ;
Arch. nat., K. 1495, n° 27.)
Lettre de Michel Suriano à la république de Venise, Paris,
M avril •1561. — Réconciliation générale de tous les seigneurs
de la cour, notamment du roi de Navarre et du duc de Guise.
(Dépêches vénit., filza 4, f. 278.)
Lettre de Michel Suriano à la république de Venise, Paris,
18 avril 1561. — Prêches au logis de Tamiral de Coligny. —
Récit de l'émeute dirigée à Beauvais contre le cardinal de Chas-
tillon. (Dépêches vénit., filza 4, f. 275.)
XXXIV.
Lettre du roi de Navarre au parlement de Bourgogne.
Fontainebleau, 15 avril 1561.
Avis de son accord avec la reine mère et envoi des lettres pat. du roi
qui constatent cet accord.
Messieurs, oultre ce que vous entendrez par les lettres
patentes du Roy, qui vous sont présentement envoyées, du bon
estât en quoy sont toutes choses par deçà et de l'unyon et sin-
cère intelligence qui est entre la royne. sa mère, et moy, pour
l'administration de ce royaume, du bien duiiuel, avec le service
352 ANTOINE DE BOURBON
du Roy, nous regardons tant seullement eL non à auLre chose,
j'ay bien voullu. pour vous en donner plus de cerlilude, vous
en escripre ceste lettre, laquelle je vous prie faire lire en vostre
compaignie et enregistrer en voz registres, affin que ung cha-
cun congnoisse que nous n'avons en cella que une volunté et
une mesme intention et tout tendant au bien du service du roy
et repoz de ses subjectz ; qui ne scauroient riens faire qui me
soit plus agréable que de suyvre l'exemple que nous leur don-
nons en cest endroict. Pryant Dieu, Messieurs, vous donner ce
que désirez.
De Fontainebleau, le xv" jour d'avril -irjfil, après Pasques.
Vostre bien bon amy,
Antoine.
(Orig., Coll. Moreau, vol. 883, f. 172.)
XXXV.
Lettre de l'empereur Maximilien au roi de Navarre en réponse
à la lettre apportée par le maréchal de Vieilleville, Vienne^
V mai VM)\. — Bonnes paroles et protestations d'amitié.
(Orig.; Arch. des Basses-Pyrénées, E. 584.)
XXXVl.
Lettre de Ghantonay à Philippe II, Mord, I®"" tuai 1501. —
Vendôme persiste à nier contre l'évidence les prêches (|ui se
font publiquement à la cour et dans presque toutes les villes du
royaume. — Conférence de l'ambassadeur avec la reine. —
Elle demande au roi catholique de donner à Vendôme le titre
de roi ; réponse de Ghantonay. — 11 se plaint à la reine du
nombre et de la publicité des prêches. — Conférence de Ciianto-
nay avec Vendôme au sujet de ses revendications auprès du roi
d'Espagne. — Il se plaint à Vendôme de la multiplicité des
prêches et du crédit de l'amiral au conseil. — Protestations
orthodoxes de Ven(i(')me. — Hê(juisitoire contre Tamiral de Coli-
gny. — Troubles à Paris, ciiez le seigneur de Longjumeau. —
Le prince de la Roche-sur- Yon est envoyé à Paris pour rétablir
l'ordre public. — Le roi part demain pour Reims. — Iniluence
ET JEANNE D'aLBRET. 353
fatale de l'amiral. — Si la reine possédait l'autorité qu^elle pré-
tend avoir, les prêches ne prendraient pas un si grand dévelop-
pement. — Ghantonay a dit à la reine que Philippe II ne peut
renoncer à la Navarre. — Catherine proteste qu'elle est dévouée
à Philippe II plutôt qu^à Vendôme, mais qu'elle doit soutenir
le prince. — Lettre du pape adressée à Vendôme et argument
que la reine en tire en faveur de l'orthodoxie de ce prince.
(Orig. espagnol-, iVrch. nat., K. l/f94, n° 84.)
Extrait des informations faites à Tolède par le docteur Suarez
de Tolède, alcade de cour, 2 mai I3G^. — Plusieurs Espagnols,
prisonniers de guerre des Turcs, déclarent, sous la foi du ser-
ment, qu'ils ont entendu parler de quelques expéditions frétées
par le comte de Tende au profit du roi d'Alger, tant durant les
guerres passées que depuis le traité de Gateau-Gambrésis, qu'il
en envoie journellement, qu'il autorise le commerce des muni-
tions avec Alger. — Ils nomment les mariniers qui servent
d'intermédiaires, notamment un renégat appelé Gatana. — Dons
de chevaux, do lions, de chiens et de faucons du roi d'Alger au
comte de Tende. (Gopie du temps-, f. fr., vol. 3192, f. 67.)
Lettre de Michel Suriano à la république de Venise, Paris,
3 mai '^^6^. — La cour part aujourd'hui pour Reims. — Les
partisans du roi de Navarre s'elforcent de Tempècher de se
rendre à Reims à cause des dangers qu'il peut y courir de la
part du duc de Guise. — Le prince est arrivé hier à Paris pour
rétablir l'ordre. — Il part demain pour Reims. (Dépêches vénit.,
fdza4, f. 289.)
Lettre de Suriano à la république de Venise (Fragment), Paris,
4-7 mai I56I. — Visite de l'ambassadeur au roi de Navarre.
— Grands honneurs qui lui sont rendus. — Ge prince s'est mis
en route pour Nanteuil. (Dépêches vénit., filza 4, f. 292 et 293.)
Lettre de Sébastien de l' Aubespine au roi , Tolède, \ 0 mai \ 561 .
— L'ambassadeur a informé le roi d'Espagne de l'accord sur-
venu entre la reine mère et le roi de Navarre. — Le roi catho-
lique espère que cet accord mettra fin à toutes les séditions. —
Réponses vagues de ce prince au sujet des revendications du roi
de Navarre. — L'amitié que la reine montre au lieutenant géné-
m 23
354 ANTOINE DE BOURBON
rai « peu à peu accommoderont les cœurs et les intentions »
des Espagnols. (Orig., f. fr., vol. 3192, f. 29.)
Lettre de Chanlonay à Philippe 11 (Fragment), Beims,
]2 mai V6(i\. — La reine a prié le connétable d'abandonner, à
l'occasion de la cérémonie du sacre, le titre de pair de France
au duc d'Orléans. — Refus du connétable. — Mission de Ven-
dôme à Paris ; il a recommandé au parlement la cause de son
frère. — Ses reproches au recteur de l'Université. (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. ^494, n° 85.)
Lettre de Suriano à la république de Venise (Fragment), Paris,
H mai ioCyi. — Confusion générale du royaume en matière de
religion. — Le roi de Navarre, redevenu catholique, est parti-
san des mesures de rigueur contre les séditieux. — Il s'efforce
de ramener le prince de Gondé au catholicisme, ainsi que la reine
de Navarre, qui est encore en Béarn. (Dépêches vénit., filza 4,
f. 297.)
XXXVIL
Sacre de Charles IX.
(ir. mai 1561.)
En premier lieu, dès lors que le Roy fut levé de son lit ordi-
nere, il fut mis dans un lit royal, auquel fezant semblant de
dormir, le s. de Montmorency, conestable de France, vint àluy
tenant l'espée royale nue en sa main. Et dit au Roy : « Sire,
« esveillés-vous. Il n'est plus temps de dormir, veu que Dieu
« vous a esleu Koy, pour commander à une si grande et excel-
« lante monarchie qu'est le royaume de France, et apele en ce
« jour pour recevoir les signes sacrés des grâces et faveurs
« divines, à vous promizes de Dieu pour vous pouvoer digne-
ce ment acquiter de si pezante et importante charge. » Avec
autres paroles accoustumées, lesquelles luy ayant donné occa-
zion de se lever à la haste, fust soudain habile tout de blanc :
à savoir d'un grand manteau de drap d'argent, un bonet de
velours blanc avec la plume blanche, les botines de couleur de
ET JEANNE d'aLBRET. 355
cher, en sorte qu'il sembloet avoer les jambes et piedz nus. Et
en cest équipage estant conduit dans l'esglise Nostre-Dame avec
grande manificence et trionfe. Estant en Fesglise, il fut mis au
siège qui lui estoest préparé. Et après luy les pairs de France
furent assis, les laicz d'un costé, et les eccleziastiques de l'autre.
Du costé des eccleziastiques, le cardinal de Loraine, faizant l'of-
fice comme premier pair d'esglize à cause de son arcevèché de
Rains, estoet assis près de Fautel; et au dessouz, du costé de
la main dextre du Roy, estoet assis le cardinal de Bourbon.
Après luy, le cardinal de Chatillon comme évesque de Beauvoys.
Après, le cardinal de Guise, come évesque de Langres, et
l'évesque de Noyon, vestus d'habitz convenables à leurs digni-
tés, et au dessus de fort riches chappes et mitres.
De l'autre costé, à main senestre du roy, estoet assis le duc
d'Orléans, frère ayné du Roy, le roy de Navarre, le duc de Guize,
le duc de Nevers, le duc de Montpencier et le duc de Montmo-
rancy, vestus d'anciens et riches habits, desquelz souloyent
uzer les premiers pairs de France aus assemblées solennelles.
Et entre ses deuz rancz, audevant du Roy, estoet assis, sur un
siège seul, le chancelier de France .AP Michel de L'Hospital. Et
après les pairs, aussi en sièges séparés, estoet assis d'un costé
les. de Joinville, fizayné du ducdeGuize, comme grand cham-
bellan, et de l'autre le s. de Saint-André, maréchal de France,
servant de grand Maistre.
Chacun estant ainsy assis selon son ordre, le cardinal de
Loraine commansa prononcer à haute voys quelques orezons
propres à ceste cérémonye, pendant qu'on aportoyt au Roy ses
botines, que luy furet chaussées par le grand chambelan. Et
incontinent après luy furet atachés ses espérons par le Roy de
Navare, tenant le lieu du duc de Bourgongne, premier pair de
France. Etcefet, le cardinal de Lorraine print sur l'autel l'espée
royale avec la ceinture que le connestable de France a en garde.
Et l'ayant aportée au Roy, il la luy seignit. Et après la tira hors
du foureau, et la mit nue en la main du Roy, lequel soudain la
balia au connestable, luy recommandant la défance de son
royaume et de ses subjetz, pour laquelle il luy mettoet toutes
ses forces en sa main, luy baliant ses armes. Et depuis le cones-
table tint toujours en sa main ceste espée nue; estant assis
356 ANTOINE DE BOURBON
audevant du Roy durant touLes les cérémonies, à chacune des-
quelles ledit cardinal de Loraine prononcoit orezons à ce propos
et pour ce ordonnées, mêmes lorsqu'il bénit ladite espée avant
la porter au Roy.
Incontinent après, ledit cardinal ala prendre le Roy en son
siège et l'amena devant l'autel, ou toutz deuz se prosternarent
en terre, sur un drap d'or et des oreilliers, avec un arcediacre
de chacun costé, aussi couches un peu au-dessouz. Et en tel
estât demeurarent environ un quart d'eure, dizans tous deuz les
litanies dans un livre a basse voix ; les chantres les fezant reson-
ner en muzique.
Pendant lequel tans, les seigneurs de Meru et de Monberon,
filz du connestable, le comte de Gharny et le fîlz du s. de Bris-
sac, maréchal de France, furent envoyés ostages pour la sainte
Ampoule, laquelle est gardée en l'esglise de l'abaye Saint-Remy.
Le prieur avec les religieux acompaignarent l'ampoule jusques
à la porte de l'esghsc Nostre-Dame; estant portée par l'un des
habilans du village de Ghene, qui est à catre lieues près de
Rains, monté sur l'un des chevauz du Roy. Les sieurs que j'ay
dict avoir esté envoyés pour otages portoint un riche poêle, avec
catre guidons devant eulz, esquels estoyt peintes leurs armoe-
ries. Et estoient suivis de tous les habitans de ce lieu de Ghene
en armes, vestus des couleurs du roy; estans par privilège
ordonnés pour la garde de l'Ampoule, en récompense du cheval
sur lequel est monté celuy qui la porte, pour ce que, au tans
que la vile de Rains fust prinze et pillée par les Angloys, qui,
entre autres chozes, en aportoient cestc Ampoule, les habitans
de ce lieu trouvèrent moyen de la leur oster, et la rendiret au
temple de l'abbaye Saint-Remy. Et ainsi estant aportée jus(jues
à la porte du grand temple de Nostre-Dame, où se fesoyt la
cérémonie du sacre, ledit cardinal de Loraine, suivi des autres
prélatz qui hiy acisloyt, la vint recevoyr, et la porta en ses
mains jusques au grand autel, la montrant au peuple.
Et le Roy remis en son siège, luy fut osté le manteau de drap
d'argent, souz lequel se trouva vestu d'une jupe de satin cra-
moezi, qui se ouvroet à boutons, et la chemisse de mesme, en
sorte que la chair aparoessoet aux licutz et end roy Lz où il devoyt
estre oing, ausquelles lins ledit cardinal, ayant vuydé quelques
ET JEANNE DALBRET. 357
goûtes de l'ampoule sur une platine, il ala oindre le Roy au
front, sur l'estomac, entre les espaules, au repli des bras et au
creuz des mains.
Incontinent après fut aportée la courone impériale devant le
grand autel, auquel lieu vindrent les pairs de France fere le ser-
ment de fidélité es mains du chancelier, touchans tous à la foys
ceste courone. Et pendant que le serment se fezoyt, le Roy fust
vestu des anciens habillemens des Roys. Et ce fet tous les ditz
pairs ensemble portarent la couronne sur la leste du Roy, et luy
mirent le septre en une main, et à l'autre, la main de justice.
Et en tel estât, le Roy fit le serment que ses prédécesseurs ont
accoutumé fère.
Après, le Roy fut mené de ce lieu a l'entrée du chœur, où
estoyt dressé un grand eschaufaut, ayant un degré de chacun
côté pour monter et desendre, contenant environ trente marches
couvertes de velours cramoezy, ramply de lettres d'or en bro-
derie ; sur lequel eschaufaut estoet dressé un siège royal, auquel
le Roy fut assis pour estre veu d'un chacun, ainsi habile à la
Reale, avec la courone en teste et le septre à la main : s'estant
à ces fins tourné du coûté de la grande nef de l'église, où il fut
assis long tems sur une chaise. Et après s'estant remis en son
siège royal, le visage vers le grand autel, ayant lesditz pairs à
dextre et à senextre de luy, assis selon leur ordre, ilz vindret
baizer le Roy à la joue tous l'un après l'autre, avec les cérémo-
nies et révérances acoustumées. Puys se tournoient devers le
grand autel, disant : Vive le Roy éternellement. Et après les
chantres leur répondoient de mesme en latin en chantant. EL ce
pendant les hérautz de France, estants sur l'eschaufautz, tour-
nés du côté de la grand nef vers le peuple, criarent à haute voix :
vive le Roy Charles neuvième avec tout heur et féUcité pour le
bien et soulagement de son peuple. Et ce fet, criarent largesse,
gelant grandes pongnées d'espèces d'or et d'argent, ausquelles
d'une part estoyt reprezantée Téfigie du Roy et de l'autre sa
devize avec les armoeries de France avec telles figures.
Cependant la grande messe se dizoet par ledit cardinal de
Loraine. Et lorsqu'il falut aler à l'offerte ledit cardinal vint
devers le Roy, pour ne luy donner peine d'aler si loing, estant
chargé de courone et de tant d'abitz, et ayant esgard à sa jeu-
358 ANTOINE DE BOURBON
nesse. EL là Sa Majesté offrit un pain d'or et un pain d'argent
dans un anap d'argent.
E la messe achevée, le Roy desendit de son dit siège et eschau-
faut et vint au grand autel recevoir le sacrement de l'autel. Et
dura ceste cérémonie depuys les huit heures du matin jusques
à une heure après midi.
(Extrait de la grande Histoire du président Montagne, f. fr., vol. 15494,
f. 1.)
XXXVIII.
Lettre de Michel Suriano à la république de Venise, Paris,
U\ mai l;i(jl. — Le parti réformé est vigoureusement combattu
par la Sorbonne et le Parlement. — Revendications du roi de
Navarre auprès du roi d'Espagne. — En ce moment il se montre
favorable au parti catholique. — On admet que le changement
de religion du roi délierait les sujets du serment de fidélité.
(Dépêches vénit., fdza 4 bis, f. 26.)
Lettre de Charles deRarges, lieutenant criminel à Montpellier,
à la reine, contenant une demande d'interprétation sur les
termes de l'éditdu 19 avril qui proscrit les assemblées illicites.
(Orig., Montpellier, LS mai[\M\] ; f. fr., vol. 3(86, f. ^22.)
Lettre de Chantonay à Philippe II (Fragment), Paris, 22 mai
-1564. — Nouvelle conférence de Chantonay avec la reine mère
et avec Vendôme. — Ses plaintes sur les progrès de la réforme.
— Remise à la reine de lettres de Philippe II. — Catherine
demande à Chantonay la Sardaigne ou l'ile de Majorque. —
Chantonay répond à la reine que le roi d'Espagne ne doit rien
à Vendôme. (Orig. espagnol; K. 4 495, n° 36.)
Lettre de Chantonay à Philippe II (Fragment), la Ferté-sur-
Milon, 26 mai 1561. — Récit du couronnement du roi à Reims.
— Place de Vendôme à la cérémonie. — Son costume et son
rôle. — Ses intrigues secrètes avec les mécontents. (Orig. espa-
gnol-, K. 1494, n° S6.)
ET JEANNE d'aLBRET. 359
XXXIX.
Ordre de Jeanne d'Albret au maître des requêtes, Bologne,
de se transporter à Foix pour procéder à la vérification des
comptes de Jehan Bélin, accusé d'infidélité par le conseil du roi
et de la reine de Navarre. [Pmi, S juin ^56^, Arch. des Basses-
Pyrénées, B. UQB.)
Lettre du roi de Navarre au seigneur de Boisy, contenant
recommandation en faveur du s. de la Roque, gentilhomme de
la maison du roi, qui n'a pu faire son service dernièrement à
Orléans pour cause de maladie, et qui, pour ce manquement, a
été rayé des rôles de la maison du roi, avec prière de l'y réta-
blir. {Paris, Wjuin ^36^ ; Orig., f. fr., vol. 20-^39, f. ^27.)
XL.
Lettre des trois ambassadeurs vénitiens à la république de
Venise, Paris, \2juin •130^. — Audience de congé demandée
par les ambassadeurs. — Déclaration de la reine en faveur du
concile. — Le roi de Navarre demande au roi de donner l'acco-
lade à un des seigneurs vénitiens. (Dépêches vénit., filza 4 bis,
f. ^33.)
Lettre de Philippe II àChantonay, Madrid, \2juin -1361. —
Ordre de faire de nouveaux efforts auprès de la reine en faveur
de la religion. — Ordre d'en conférer également avec le roi de
Navarre et de lui dire qu'il ne trouvera de faveur auprès du roi
d'Espagne qu'à la condition que, de son coté, il soutiendra les
intérêts du parti catholique. — Touchant l'entrevue demandée
par la reine à Philippe II, le roi catholique commande à son
ambassadeur de ne faire que des réponses évasives afin de
gagner du temps. — Ordre de se plaindre de l'amiral. (Copie
espagnole; Arch. nat., K. 1493, n" 43.)
Lettre de Philippe II au connétable contenant des protestations
de dévouement en faveur de la reine mère et de la religion.
[Madrid, iSjuin UJC-l. Copie, coll. Moreau, vol. 7i8, f. i.]
360 ANTOINE DE BOURBON
Lettre de Chantonay à Philippe II, Paris, ]9jum 'I56^. —
Arrivée de l'ambassadeur du roi de Suède et de messagers de
plusieurs princes protestants d'Allemagne, — Ils cherchent à
attirer Vendôme à la confession d'Augsbourg et lui promettent
de le faire élire empereur par la diète. — Pedro d'Albret est de
retour de Rome. — Madame de Vendôme retarde son arrivée à
la cour. — Elle ne veut pas être forcée d'aller à la messe. —
Vendôme est satisfait de son absence, parce qu'elle domine dans
le ménage et parce qu'elle l'empêche de faire la cour aux dames.
— Il est souvent malade de ses excès. (Orig. espagnol; Arch.
nat., R. ^1495, n° 47.)
Lettre de Charles IX à Sébastien de l'Aubespine, Saint-Ger-
tnain-des-Prés, 20 juin -1561. — Lettre relative au concile de
Trente. — Mesures de police à prendre contre les pillards des
deux nations sur la frontière des Pyrénées. — Passage de Marie
Stuart en Ecosse. — Prière au roi d'Espagne de la recomman-
der à ses officiers des Pays-Bas. — Instances en faveur des
revendications du roi de Navarre. (Orig., f. fr., vol. 66^2, f. 26.)
Confirmation d'une ordonnance de Henri II, datée du -J 6 août
■1557, stipulant le paiement au roi de Navarre et au prince de
la Roche-sur- Yon du restant de la somme de cent mille livres à
eux donnée sur les restes des comptes. (Copie, Arch. nat.,
P. 23^2, f. U9.]
Lettre d'un ambassadeur vénitien à la république de Venise,
Paris^ 26 juin \ 56 1 . — Révélation d'un témoin contre le prince
de Condé. — Haine de ce prince contre le cardinal de Lorraine.
(Déchiffrement; Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 27.)
XLI.
Lettre de Chantonay à Philippe II, Paria, 1 juillet 'I56^. —
Vendôme parait croire et dit qu'il est l'arbitre de la religion en
France. — Son désir de s'entendre avec Phihppe II au sujet de
la Navarre. — Il veut envoyer l'évêquc d'Auxerre en Espagne
et François d'Escars à Rome. — Au roi d'Espagne il demande
la Sardaigue ou l'Ile de Majorque. — Conférence de Vendôme
avec le cardinal de Tournon ; il le |)rie de parler au nonce en
ET JEANNE d'aLBRET. 361
son nom. — L'ambassadeur juge utile, sans attendre les ins-
tructions de son maître, de mettre obstacle à la mission de
l'évêque d'Auxerre. — La reine veut envoyer le s. d'Auzances
avec l'évêque d'Auxerre. — Jean-Jacques de Mesmes sera joint
à la mission pour discuter le point international. (Orig. espa-
gnol, K. 1495, n° 50.)
Lettre d'un ambassadeur vénitien à la république de Venise,
Paris, H juillet ^56^. — Arrêt de bannissement rendu contre
les ministres huguenots. — Discussion du conseil du roi à ce
sujet. — Préparation de l'édit de juillet au parlement. — Le roi
de Navarre est resté sur la réserve, mais a semblé conclure dans
le sens catholique, (Déchiffrement^ Dépêches vénit., filza 4 bis,
f.UL)
Lettre d'un ambassadeur vénitien à la république de Venise,
Paris, \ o juillet i 36^ . — Mécontentement du parti réformé
contre les tergiversations du roi de Navarre. — Il montre en ce
moment des dispositions catholiques. — Il va envoyer l'évêque
d'Auxerre en Espagne, et Pedro d'Albret ou tout autre à Rome.
— La reine envoie le s. d'Auzances en Espagne. — Le roi de
Navarre a demandé à Philippe II l'autorisation de vendre ses
terres de Flandre. — Accord de Guise et de Gondé. — Arrivée
à la cour de l'ambassadeur de Saxe. (Déchiffrement; Dépêches
vénit., filza 4 bis, f. ^43.)
Lettre du roi et de la reine de Navarre à Philippe II, portant
créance en faveur de l'évêque d'Auxerre, envoyé comme ambas-
sadeur à Madrid. (Copie du temps, sans date (18 juillet ^5G^).
Cette pièce a été reproduite ci-dessus dans ses parties essen-
tielles. — Archives des Basses-Pyrénées, E. 580. — On en
trouve une autre copie dans la collection Moreau, vol. 740, f. 63.)
XLII.
Lettre du roi de Navarre à Sébastien de l'Aubespine, évêque
de Limoges, ambassadeur en Espagne, Saint-Germain, \H juil-
let ^D6'^. — Lettre de créance en faveur du s. d'Auzance et
recommandation de faire de grands efforts pour le succès de sa
mission. (Orig.^ f. fr., vol. 6606, f. 9.)
362 ANTOINE DE BOURBON
Lettre du même au même, Saint-Germain^ 22 juillet ^ 56^
— Même sujet. (Orig., f. fr., vol. 6606, f. 7.)
XLIII.
Lettre de Chantonay à Philippe II (Fragment), Paris, 2A juil-
let \5Qi. — Conférence de l'ambassadeur d'Espagne avec Ven-
dôme. — Ténacité de ce prince dans ses revendications auprès
du roi catholique. — La reine va envoyer Jacques de Montbe-
ron, seigneur d'Auzance, en Espagne. — Le prince va envoyer
le seigneur d'Escars à Rome. — Vendôme était décidé aussi à
envoyer Philippe de Lenoncourt, évêqued'Auxerre, à Phihppe II,
mais (ihantonay, à force de représentations, a réussi à faire
ajourner la mission de Févêque d'Auxerre. — Tableau de la
cour à Saint-Germain. — Nouvelle conférence de Ghantonay
avec la reine au sujet des affaires de la religion et des intérêts
de Vendôme. — Le duc de Nemours est de retour de la Savoie
et le duc de Guise a obtenu l'entrée de ce seigneur au conseil
du roi. (Orig. espagnol; Arch. nat., K. -1495, n"* 52.]
Lettre d'un ambassadeur vénitien à la république de Venise,
Paris, 27 juillet iTiOL — L'ambassadeur signale à son gouver-
nement les tendances de la reine mère en faveur du parti réformé,
bien qu'elle multiplie les démonstrations en faveur du parti
catholique. (Déchiffrement non signé; Dépêches vénit., filza -^ bis,
f. 72.)
XLIV.
Lettre dd duc di: Guise a la Reine.
Mern, ^S juillet 1561.
Nouvelles de sa santé et de relie de son frère le cardinal.
Madame, je ne scauroys assez vous très humblement remer-
cyer de la bonne souvenance qu'il a pieu a Vostre Majesté avoir
de m'envoyer visiter par Octavian, lequel m'a trouvé en tel estât
ET JEANNE d'ALBRET. 363
qu'il vous sçaura bien dire. Si esse, Madame, qu'ayant esté tra-
vaillé d'un fort long accès de fiebvre, il me semble que, si ne
me survient pis qu'il a faict aujourd'huy que j'ay pris médecine,
que j'en seray quicte à bon marché. Et me desplaist grandement
de l'inconvénient qui est pareillement advenu à monsieur le car-
dinal, mon frère, d'une collique si extresme qui luy a duré ces
deux jours passez, pour le désir qu'il auroyt de retourner à
l'assemblée des prélatz qui se faict à Poissy, ainsy qu'il vous
avoyt pieu luy commander. Sitost que sa santé le pourra por-
ter, il ne fauldra. Madame, de se acheminer, comme je feray en
mon voyaige pour accompagner la Royne, madame nostre niepce,
jusques à son embarquement 5 ainsi qu'il a pieu a vostre dicte
Majesté me permectre et donner congié.
Vous verrez, s'il vous plaist. Madame, la dépesche que j'ay
receue en ce lieu de Monsieur de la Mothe Gondrin, par
laquelle vostre Majesté scaura bien juger à quoy tendent les
céditieux. Lesquelz, j'espère, après la publication de l'édict,
recongnoistront Dieu ; mais ce sera soubz l'obéissance et aucto-
rité du Roy, ainsi que desjà ledict s. de la Mothe les a bien ache-
mynez. Je ne veulx oublier vous dire, Madame, que ce porteur
ma faict entendre ce qu'il a rapporté à vostre Magesté du voyaige
de Monsieur le Prince de Clondé. Et vous rendra si bon compte
de Testât auquel il a trouvé ceste compaignye que je ne vous
ennuyeray de faire ceste-cy plus longue.
Madame, je supplye le Créateur tant et si très humblement
que faire puys vous donner en parfaicte santé très longue et
très heureuse vye.
De Meru, ce xxviiie jour de juillet iodi .
François de Lorraine.
Madame, j'avoys faict faire ceste dépesche dès hyer au soir et
ne voulluz laisser partir ledict Octavian que je ne fusse asseuré
ce qui m'aviendroyt ceste nuict, qui ne m'a guères esté plus
favoraljle que celle d'entre vendredy etsamedy; de sorte que la
fiebvre m'a repris à la mesme heure, mais elle ne m'a pas tant
duré; qui me faict espérer. Madame, quelque apparence de
n'estre pas longtemps malade.
(Orig,, f. fr., vol. 15875, f. 64.)
364 ANTOINE DE BOURBON
XLV.
Lettre du roi de Navarre à Sébastien de l'Aubespine, évêque
de Limoges, Saint-Germain^ !*"■ août \ 50 1 . — Recommandation
de ses intérêts et avis de l'ambassade de Jacques d'Auzance.
(Minute-, f. fr., voL -13875, f. ^07.)
Lettre d'Antonio d'Almeida au roi de Navarre, Madrid,
^er août J5(M. — Compte-rendu de sa mission en Espagne.
(Autog. -, Arch. des Basses-Pyrénées, E. 584.)
XLVL
Lettre de Suriano à la république de Venise, Paris, 5 août ^ 56-1 .
— Le colloque dePoissy aura le caractère d'un concile bien que
la cour affecte de ne le considérer que comme une assemblée
d'ordre intérieur du clergé français. — Le chancelier de l'Hos-
pital y proposera de chercher un terme moyen entre les deux
rehgions. — Liste des cardinaux qui doivent assister au col-
loque. — Le cardinal de Ghastillon et Jean de Monluc, évêque
de Valence, ont refusé de communier à la messe d'ouverture de
rassemblée préparatoire. (Déchiffrement; Dépêches vénit., filza
4 bis, f. 09 vo.)
XLVIL
Recueil de pièces, lettres du roi et de la reine et autres docu-
ments au sujet de l'interdiction du premier président Antoine
le Maistre. (F. fr., vol. ^0477, f. -107 et suivants; ibid.,
vol. 3425, f. 00.)
XLVIU.
Lettre de Sébastien de l'Aubespine au roi de Navarre. Madrid,
12 août 1501. — Avant l'arrivée d'Antonio d'Almeida est venu
un courrier de Ghantonay, porteur de la nouvelle des arme-
ments des Béarnais. — Le duc d'Albu(iuerque a aussi écrit de
ET JEANNE d'aLBRET. 365
Pampelune qu'il avait découvert certaines menées en Navarre,
par le moyen d'un prêtre. — L'ambassadeur s'est vainement
efforcé de détruire la mauvaise impression causée par ces bruits
en mettant en relief les sentiments pacifiques du roi de Navarre
et sa fidélité aux traités. (Copie du temps; f. fr., vol. -10103,
f. 37 V.)
Lettre de Suriano à la république de Venise, Paris^ J4 août
'^5C^. — Détails sur l'assemblée préparatoire du colloque de
Poissy. — Le cardinal de Bourbon, bien qu'il soit orthodoxe, a
fait une déclaration singulière sur la présence réelle. — Exposé
de cette opinion, qui est généralement attribuée à la faiblesse
d'esprit du cardinal. — Passion de l'amiral Coligny en faveur
de la réforme. — Il voudrait réunir un collège d'hommes doctes
chargés de décider quelle serait la meilleure religion. (Déchiffre-
ment; Dépêches vénit., filza 4 bis^ f. 74.)
Lettre d'un ambassadeur vénitien à la république de Venise,
Paris, 15 août •lîJtH. — Prêches dans la maison du prince de
Gondé et de la dame de Rothelin. — Le roi de Navarre décide
le parlement à ne pas sévir. (Déchiffrement non signé ; Dépêches
vénit., filza 4 bis, f. 28.)
Lettre de Ghantonay à Phihppe II, Paris, ^o août 1501. —
Les états généraux réunis à Pontoise ont décidé que la régence
appartenait de droit à Vendôme et qu'il l'exercerait sous la sur-
veillance d'un conseil nommé par les députés. — Les partisans
de Vendôme prétendent enlever à la reine toute influence dans
le gouvernement. — L'ambassadeur a signalé à la reine le dan-
ger de la réunion des états, au sein desquels Vendôme intrigue
ouvertement à son profit. — Le parti réformé grandit chaque
jour. — L'autorité de la reine diminue à proportion qu'aug-
mente le prestige de Vendôme. — Don Pedro d'Albret raconte
à Ghantonay ses démarches à Rome et pose sa candidature au
trône de Navarre. — La dame de Vendôme a écrit une lettre
de menace au cardinal d'Armagnac. — Arrivée prochaine de
cette princesse. — Ses sentiments de vengeance contre son
mari. — Accident qui a failli lui arriver pendant son voyage. —
Don Pedro d'Albret prétend avoir des droits à la succession de
la maison d'x\lbret. — Il dit que, si madame de Vendôme s'ef-
366 ANTOINE DE BOURBON
force de se venger de lui, il ira vivre en Espagne sous la protec-
tion du roi catholique. — Affaire des annates. (Orig. espagnol;
Arcli. nat., K. -1493, n» 62.)
Lettre de Ghantonay à Philippe II (Fragment), Saint-Cloud,
21 août 1561. — Il y a quatre partis aux états; le premier
demande que Vendôme exerce la régence sans en référer à la
reine mère-, le second demande que Vendôme soit réduit à la
qualité de prince du sang et exclu du pouvoir actif; le troisième,
que la reine mère soit régente et que Vendôme gouverne au
même titre qu'elle; le quatrième, enfin, que Vendôme ne soit
que le lieutenant de la reine mère. — Récit de Finterdiction du
premier président le Maistre au parlement de Paris. (Orig. espa-
gnol; Arch. nat., K. 1494, no 91.)
Lettre de Suriano à la république de Venise, Paris, 24 août
1361. — Exécution du traité de Gateau-Cambrésis en ce qui
regarde le duc de Savoie. — Récit détaillé de la réconciliation
du prince de Condé et du duc de Guise. — Arrivée prochaine
de la reine de Navarre. — Détails sur son voyage. — Elle est
actuellement à Paris et a assisté à une cérémonie calviniste,
qui avait réuni, dit-on, quinze mille personnes. (Dépêches vénit. ,
filza 4, f. 334.)
Lettre de Suriano à la république de Venise, Paris, 23 aoiU
1 361 . — 11 a été décidé aux états que la reine mère serait inves-
tie de la dignité de régente, sans que ce précédent engageât l'ave-
nir. — C'est aux efforts de l'amiral qu'est due cette décision. —
Récit des efforts faits par le roi de Navarre pour faire enregistrer
au parlement de Paris Tédit d'Orléans. — Suspension du pre-
mier président le Maistre. (Déchiffrement-, Arch. vénitiennes,
filza 4 bis, f. 76.)
Lettre de Ghantonay à Philippe II (Fragment), Saint -Cloud,
28 août 1361. — Conférence de l'ambassadeur avec la reine
mère; il explique que le roi d'Espagne ne peut rien accorder au
roi de Navarre tant que le calvinisme continuera à être ouver-
tement favorisé en Réarn, à cause du danger que ce mauvais
exemple peut présentera ses États voisins. (Orig. espagnol;
Arch. nat., K. 1494, n° 93.)
ET JEANNE d'aLBRET. ' 367
XLIX.
Lettre d'un ambassadeur vénitien à la république de Venise,
Paris, 29 aoiU ^56l. — Récit de la séance générale des états,
tenue en présence du roi ; les cardinaux sont déchus de leur pré-
séance à la cour. (DéchilTrement non signé; Dépêches vénit.,
fdza 4 bis, f. 29.)
Lettre de Chantonay à Philippe II (Fragment), Paris,
3\ aoiU 1561. — Séance générale des états. — Ancienne pré-
séance des cardinaux sur les princes aux états de Tours de 1 48 i.
— Malgré ce précédent, les cardinaux ont été déchus de leurs
droits au profit des princes. — Le roi et la cour ont quitté Saint-
Germain pour permettre à leurs serviteurs de faire une nouvelle
distribution des appartements afm de pouvoir loger, suivant
son rang, la dame de Vendôme. — Elle arrive avec son fds et
sa fdle. — Vendôme et les principaux seigneurs huguenots sont
allés, le 28, à sa rencontre. (Orig. espagnol; Arch. nat., K. ^495,
n" 64.)
Deuxième lettre de Chantonay à Philippe II (Fragment), Saint-
Cloud, 31 août 1361. — Départ momentané delà cour. — Pro-
chaine arrivée de la dame de Vendôme. — Honneurs qui lui ont
été rendus pendant son voyage et qui lui seront rendus à la
cour. — Mai'iage futur de Henri de Béarn avec Marguerite de
Valois, et du duc dOrléans avec Catherine de Navarre. — Satis-
faction que ces deux mariages inspirent aux deux maisons de
Valois et de Vendôme. — Intelligences que Vendôme entretient
avec le chérif de la côte marocaine ; il lui a envoyé un juif por-
tugais. — Henri de Béarn est élevé dans le culte de la réforme.
— Vanité de Jeanne d'Albret pour son fils. (Orig. espagnol;
Arch. nat., K. 1494, n° 94.)
Lettre de Chantonay à Philippe II, Saint-Cloud, 4 septembre
-1 561 . — François d'Escars est parti pour Rome, il y a cinq ou
six jours. — VendônKî met la religion au service de ses intérêts.
— Lettre de menace de la dame de Vendôme au cardinal d'Ar-
magnac, qu'elle veut rendre responsable des tergiversations
religieuses de son mari. — Arrivée de la dame de Vendôme à
368 ANTOINE DE BOURBON
Orléans et fêles qui lui ont été offertes à cette occasion. — Son
arrêt à Longjumeau. — Différend soulevé hier au conseil entre
Vendôme et le maréchal Saint-André. (Orig. espagnol-, Arch.
nal., K. -1494, n° 97.)
Lettre de Charles IX au pape, portant recommandation de
François d'Escars que le roi de Navarre envoie à Rome.
[Août ^56^.) (Minute; f. fr., vol. -iriSTT, f. 322.)
Lettre du roi de Navarre au mare'chal de Bordillon.
Sainl-Germain, -4 septembre 1.561.
Ordre d'obéir aux présentes lettres du roi.
Mons»- de Bourdillon, la présente ne sera seullement que pour
accompaigncr celle que le Roy, monseigneur, vous escript, sur
laquelle me remectant, et après vous avoir prié de faire le mieulx
mesnaiger que vous pourrez l'argent par vous arresté en l'achapt
des provisions et munitions qui vous seront nécessaires, je prie-
ray Dieu, Mons''de Bourdillon, qu'il vousayt en sa sainte garde.
Escript à Saint-Germain-en-Laye, le iv" jour de septembre
Vostre bien bon cousin,
Antoine.
(Orig., Bibl. iinp. de Saint-Pétersbourg, coll. des Autog., vol. 52. —
Analysée par M. le marquis de Rochatnbeau dans Lettres d'Antoine de
Bourbon et de Jehanne d'Albret, p. 38i.)
LL
Lellrc du roi de Navarre à Charles de Coucy, s. de Burie,
lieutenant du roi en Guyenne, Sainl-Germam^ 4 septembre \ 56-( .
— Ordre d'obéir à la lettre du roi du même jour. — Ordre de
se mettre en campagne contre les séditieux. — Le prince com-
mande à sa compagnie de suivre le lieutenant du roi, ainsi que
ET JEANNE d'aLBRET. 369
à celle de Biaise de Monluc et à celle du prince de Béarn. —
Ordre de lever une nouvelle compagnie de trente arquebusiers
à cheval et de rassembler le ban et larrière-ban des gens de
pied pour le service du roi. ^ Envoi de commission en blanc
pour les capitaines et les gentilshommes. — Le roi ne veut pas
« molester » les gens delà religion qui n'ont pas pris les armes
et n'en veut qu'aux rebelles. (Minute-, f. fr.,vol, -l.^STo, f. 209.
— La lettre du roi dont il est parlé ci-dessus est conservée
dans le même volume, f. 207.)
LU.
Lettre de Chantonay à Philippe II, Saint-Cloud, "3 septembre
\v>{j\. — La reine et Vendôme vont édicter une ordonnance qui
commande aux gouverneurs de provinces de résider dans leur
gouvernement et de désarmer indistinctement les catholiques et
les réformés. — Vendôme, indécis entre les deux partis, attend
les événements pour se prononcer. — Il se dit l'arbitre de la
religion en France. ^Déchiffrement espagnol; Arch. nat., R.
^494, n° 99.)
Lettre de Sébastien de l'Aubespine au roi de Navarre, 3 sep-
tembre 1561. — Le nonce de France a dit au nonce d'Espagne
que le prince montrait du zèle en faveur de l'orthodoxie. —
Bonnes intentions du pape à l'égard du prince ; il est entré en
pourparler avec le confesseur de Philippe II. — Mais cette nation
« est tellement pleine d'hypocrisie et ce roy fds de son père en
« telle matière » qu'on trouve toujours des prétextes. —
La négociation demande à être conduite avec prudence. — Il y a
quelques mois, elle était en meilleure préparation que à cette
heure, parce que les Espagnols se sont imaginé qu'on voulait
leur faire peur et leur forcer la main. Copie du temps, f. fr.,
vol. ^6^03, f. 47 v°.)
Lettre du duc d'Âlbuquerque à Philippe II, Pampelune^ 6 sep-
tembre loGI. — Envoi de l'instruction dressée par le duc sur
les intrigues de Vendôme en Navarre. (Copie; Archives de la
secrétairerie d'État d'Espagne, leg. 338, f. 52.)
Lettre de Suriano à la république de Venise, Paris, \ 0 sep-
m 24
370 ANTOINE DE BOURBON
tcmbre -1 56^ . — Récit détaillé de la première séance du colloque
de Poissy. — Déclaration de Théodore de Bèze contre la présence
réelle. (Déchiffrement; Dépêches vénit., filza 4 bis, f. S'I v".)
Lettre deChantonay à Philippe II, Sainf-Cloud, \(i septembre
V6(>\. — Récit de la première séance du colloque de Poissy. —
Vendôme et la reine disent que le colloque ne s'occupera pas de
dogme. — On nie à la cour que le courrier de Turin ait été
arrêté par ordre du roi. — Mécontentement du nonce au sujet
de cette arrestation. — On accuse la reine d'en avoir eu la pre-
mière idée. — Vendôme promet de servir le parti catholique,
mais ses actes ne s'accordent pas avec ses paroles. — Ambition
réciproque de la reine et de Vendôme. — La reine assure que
Vendôme lui est soumis. — L'amiral, dont le crédit est toujours
dominant, et les Huguenots mènent la reine à sa perte. (Orig.
espagnol-, Arch. nat., K. 4494, n° 400.)
Lettre de Suriano à la république de Venise, Paris, W sep-
tembre 1 564 . — La reine a décidé, sur la demande du cardinal
de Ferrarc, que les annates seraient payées au pape. — Pau-
vreté du trésor royal. — La reine ménage l'assemblée du clergé
dans Fespoir qu'elle paiera les dettes du roi. (Déchiffrement;
Dépêches vénit., filza 4 bis, f, 83.)
Lettre de Ghantonay à Philippe II (Fragment), Saint-Cloud,
\ 2 sepionbre \ 50 f . — Récit des luttes soulevées au conseil entre
le roi de Navarre et le maréchal Saint-André, à l'occasion du
colloque de Poissy. (Orig. espagnol; Arch. nal., K. 4494, if 420.)
Lettre de Sébastien de l'Aubespine au roi de Navarre, Madrid,
24 septembre 4 574. — Atermoiements et préjugés de la cour
d'Espagne. — Invitation au prince, pour réussir, « de s'accom-
« moder aux passions de ceste cour. » — Renvoi aux réponses
orales que portera Jacques d'Auzance. (Copie du temps; f. fr.,
vol. 4 6403, f. 52. — Une lettre originale du même à la reine et
de même date traite des mêmes matières; f. fr., vol. 4 5873,
f. 239.)
Avis de la consulte d'état d'Espagne, Madrid, 25 sep-
tembre 4 564 . — Conseils à la reine mère d'user de répression
vis-à-vis des réformés. — Quant au fait de Vendôme, le roi
dVEspagne ne pourra recevoir officiellement ses ambassadeurs
ET JEANNE d'aLBRET. 371
que quand il remplira ses devoirs de bon catholique. (Copie du
temps en espagnol; Arch. nal., K. U9o, n" 71.)
LUI.
Compte de la terre et seigneurie d'Oisy, appartenant au roi
de Navarre, pour une année commençant à la Saint-Rémy
(^*'■ octobre) 'f ^6^ et finissant au dernier de septembre ioQ2. —
Terrier et compte de recettes et de redevances féodales. (Origi-
nal sur papier, f. fr., vol. -18749.)
LIV.
Lettre du roi de Navarre au maréchal de Bordillon.
Saint-Germain, 2 octobre 1561.
Recommandation du capitaine Breziquelles.
Monsieur de Bourdillon,
Veoiant le peu de moien qu'il y a de satisfaire pour le pré-
sent le cappitaine Breziquelles, de ce qui luipeust estre deu, et
le long temps qu'il pourroit cependant consumer par deçà devant
qu'il en peult emporter bonne yssue, le Roy, mon seigneur,
a esté d'advis de le vous renvoyer, en atendant que dedans
quelque temps il se puisse présenter quelque bonne occasion de
le récompenser comme il mérite, l'ayant bien vouUu accompai-
gner de la présente pour vous prier, Mons"" de Bourdillon,
•l'avoir tousjours pour recommandé, ce que m'asseurant que
vous ferez, je ne vous feray la présente plus longue, priant
Dieu, Mons"" de Bourdillon, qu'il vous ait en sainte garde.
Escript à Saint-Gerraain-en-Laye, le ii« jour de octobre ^ '66i .
Vostre bien bon amy,
Antoine.
(Orig., Biblioth. imp. de Sainl-Pctersljourg, Collect. d'autogr., vol. 52.
— Analysée par M. le marquis de Rochambeau dans Lettres d'Antoine
de Bourbon et de Jehanne d'Albret, p. 385.)
37â ANTOINE DE BOURBON
LV.
Lettre de Philippe II à Chantonay, Madrid^ 2 octobre '^36^.
— Instruction du roi d'Espagne à son ambassadeur au sujet
des affaires de France. — Le colloque de Poissy. — Le concile
de Trente. — Récit des négociations du duc d'Albe avec l'évêque
de Limoges et Jacques d'Auzance au sujet des affaires de la reli-
gion et des revendications de Vendôme. (Minute ou copie en
espagnol; Arch. nal., K. ^493, n" 80.)
LVI.
Lettre du roi de Navarre au maréchal de Bordillon, Saint-
Germain^ 4 octobre \V)i\\. — Accusé de réception des dépêches
portées à la cour par le capitaine Murs. — Lettre de créance en
faveur dudit capitaine que le roi renvoie en Piémont. (Orig.;
f. fr., vol. -15342, f. 47.)
LVII.
Lettre du s. de l'Isle, ambassadeur à Rome, au roi, Rome,
\ 4 oct. \ 3()i . — François d'Escars, qui part aujourd'hui, remettra
cette lettre au roi. — L'ambassadeur a dit au pape que le roi pre-
nait l'affaire du roi de Navarre comme la sienne propre et qu'il
espérait bien que le pape le soutiendrait auprès du roi d'Espagne.
— L'ambassadeur a trouvé le pape « changé et disposé tout au
« contraire, » et lui en a demandé raison. « (^ar, quant aux rai-
« sons qu'elle allégeoit (S. S.) touchant la personne de la reine
« de Navarre, je ne pouvois estimer qu'elle voulut fonder une
« telle résolution sur quelques avis et rapports qu'elle en pou-
« voit avoir, malins et calomnieux, comme il est raisonnable de
« le croire, attendu que lad. dame n'est accusée ne condamnée.
« Et seroit bien la traiter au rebours de ce qu'elle mérite,
« lorsque la cause de son estât est mise en avant et rapportée à
« S. S. comme estant de celles qui doivent estre soumises à son
a jugement. » (Copie du temps, f. fr. , vol. 3933, f. 4-1.)
ET JEANNE d'aLBRET. 373
LVIII.
Lettre de Sébastien de l'Aubespine au roi de Navarre, Madrid^
46 octobre 4304. — Depuis que Jacques d'Auzance est revenu
en France, le roi d'Espagne n'a fait aucune déclaration nouvelle.
— Antonio d'Almeida a travaillé à connaître le fond de la pen-
sée du roi catholique et du prince d'Eboli et en rendra compte
à la cour de France. — Bonne réception faite au chevalier Pari-
sot. (Copie du temps; f. fr., vol. 16-103, f. 71.)
Lettre de Ghantonay à Philippe II, Saint-Cloud^ 4 6 octobre
4 564. — Retour de Jacques d'Auzance. — Il rend compte à la
reine et à Vendôme de sa mission en Espagne. — Fermeté
catholique du duc d'Orléans, second fils de la reine, et de Mar-
guerite de Valois. (Orig. espagnol; Arch. nat., K.. 44iJ5, n'' 84.)
Lettre de Suriano à la république de Venise, Paris, 4 8 octobre
4 564. — Récit de la mission de Jacques d'Auzance en Espagne.
— Conférence de Fambassadeur avec le roi de Navarre. — Le
prince demande à la république d'intervenir en sa faveur auprès
du roi d'Espagne. — Vie privée de ce prince; sa vieillesse pré-
maturée. (Déchiffrement; Dépêches véiiit., filza 4 bis, f. 94.)
Lettre de Suriano à la république de Venise, Paris, 49 octobre
4 564. — Suite du colloque dePoissy. — La résidence est impo-
sée aux évêqucs. — Envoi de lieutenants dans les provinces. —
Ordre aux réformés de restituer les églises catholiques. (Déchif-
frement; Dépêches vénit., filza 4 bis, f. 96 v°.)
LIX.
Lettre de Ghantonay à Philippe II, Saint-Cloud, 24 octobre
4 564. — Conférence de l'ambassadeur avec la reine mère et
avec Vendôme au sujet de la mission de Jacques d'Auzance. —
Plaintes de l'ambassadeur au sujet delà tolérance religieuse. —
Vendôme proteste (ju'il n'est que le lieutenant de la reine et
qu^elle garde toutes les responsabilités du gouvernement. — 11
a l'intention d'envoyer une seconde ambassade à Madrid en suite
de celle de d'Auzance. — Retraite du duc de Nemours en Savoie.
374 ANTOINE DE BOURBON
— Portrait de ce prince, — Le connétable a quitté la cour dans
l'espoir d'être rappelé. — Le cardinal de Tournon se retire à
Meudon. — Les affaires de la religion empirent tous les jours.
— Le président Séguicr est envoyé en Savoie. — Emeute à Ver-
dun pour cause de religion. — Le cardinal de Ferrare n'a pas
encore obtenu ses pouvoirs de la cour de France. — Envoi de
François d'Escars à Rome. (Orig. espagnol; Arcli. nat., R. -l'iOa,
n° 86.)
Lettre de Chantonay à Philippe II, Saint-Cloud, 31 octobre
\ 3()^ . — Arrivée du comte de Ilorn à la cour de France. —
Plaintes de la reine sur la tentative d'enlèvement du duc d'Or-
léans. — Instruction dirigée contre le duc de Nemours. — Fuite
de ce seigneur. — Complicité prétendue du duc de Guise et
d'autres seigneurs catholiques. — Nemours et mademoiselle de
Rohan. — Amnistie accordée aux séditieux du règne de Fran-
çois 11. — (conférence sur la délimitation des frontières du
Nord. — Envoi de la Forest à Bruxelles. (Orig. espagnol;
Arch. nat., K. -HlV., n^ ^06.)
Requête de la Sorbonne au roi pour le supplier « maintenir,
« défendre et garder vostre peuple en sa simplicité et dévotion
« telle qu'il a reçue apprise et pratique de ses pères ne souf-
« frir (jue la candeur et pureté du lys de France soit souillée et
« tachée des ténèbres d'erreur et d'hérésie » {Octobre \ 561 ?)
(Copie du temps; Arch. nat., K. |/i95, n" 74.)
LX.
Quittance de la somme de 450 livres, signée par le prince
Henri de Béarn, pour l'état de capitaine de cinquante hommes
d'armes pour le quartier de juillet, août et septembre ^56^.
(Original sur parchemin, daté du 31 octobre 1561; f. fr.,
voL 20387, f. ^05.)
LXI.
Lettre de Suriano à la république de Venise, Paris, 3 novembre
\ 561 . — Progrès menaçants de la réforme. — Les principaux
ET JEANNE D ALBRET. 375
seigneurs catholiques, le connétable et les Guises se sont retirés
de la cour, — La reine de Navarre a quitté Saint-Germain pour
vivre à sa guise. — A Paris, les prêches sont protégés par la
faveur de la reine contre la fureur du peuple. (Déchiffrement ;
Dépêches vénit., fdza 4 bis, f. -f02 v°.)
Mémoire de Sébastien de TAubespine au roi sur l'état des
négociations avec l'Espagne et sur la politique extérieure de la
France, principalement en Allemagne, Madrid, 4 novembre \ 56 1 .
(Copie du temps; f. fr., vol. ^15875, f. 303.)
Lettre de Sébastien de l'Aubespine au roi de Navarre, Madrid^
4 novembre ^36f . — La cour d'Espagne a appris par le duc de
Florence l'insuccès de la mission de François d'Escars à Rome.
— Demande d'instructions. — Le chanoine de Pampelune est
toujours en prison. — Lettre de créance en faveur du présent
porteur. (Original; f. fr., vol. -15875, f. 299.)
Lettre de Suriano à la république de Venise, Paris, 4 novembre
•1561. — Récit de la tentative d'enlèvement du duc d'Orléans.
— Caractère et tendances religieuses de ce prince. — Son anti-
pathie pour le prince de Navarre. — Son amitié pour le prince
de Joinville, fds du duc de Guise. (Déchiffrement; Dépèches
vénit., filza 4 bis, f. -104.)
Résumé des points traités par l'ambassadeur de France auprès
de Philippe II en faveur du roi de Navarre, communication faite
au duc d'Albe, Madrid^ 9 novembre 1561. (Note de chancellerie
en français; Arch. nat., K. 1495, n° 88.)
Lettre de Chantonay à Philippe II, Paris, 9 novembre '156^.
— La tolérance de la reine pour les réformés saccuse tous les
jours davantage. — Le prince de la Roche-sur- Yon est à Paris.
— Insolence d'un huguenot dans une église de Saint-Germain.
— Instruction dirigée contre le duc de Nemours. — Pillage
commis dans les Indes par le Français Lacelle. — Prélats fran-
çais au concile de Trente. — Le duc de Savoie a envoyé à la
cour l'ambassadeur Morete. (Orig. espagnol; Arch. nat.,
K. ^494, n" i07.)
376 ANTOINE DE BOURBON
LXII.
Rapport du seigneur de Grussol a la reine.
{Novembre 1561.)
Tentative d'enlèvement du duc d'Orléans par le duc de Nemours.
Le du moys de octobre j'arrivois à Nanleul à huit heures
au matin, où, après avoir présenté la lettre de la Royne à Mes-
sieurs le cardinal de Lorraine et duc de Guise, leur fis entendre
la charge que j'avois de la ditte dame, qui estoit en substance
ce que Mons'' de Nemours avoit dit à Monsieur de persuader de
l'emmener hors de ce royaulme, et la fasson dont ledit sieur de
Nemours avoit uzé en l'endroit de mondit seigneur. Et lors
messieurs le cardinal de Lorraine et duc de Guise me dirent
qu'ils ne pouvoient croire telle chose, et que Mons"" de Nemours
ne leur en avoit jamais parlé, et que ledit seigneur de Nemours
leur avoit dit que il s'en devoit aller dens peu de jours à Paris
pour son procès et de là à la court pour quelques ungs de affères.
Lors je leur respondis que je croyois très iiien que Mons' de
Nemours ne leur eust pas voulu communiquer une telle entre-
prise, sachant bien le selle et affection qu'il avoit au service du
Roy. A quoy Mons"" le cardinal respondit que, si cella estoit vray,
que il ne pouvoit dire aultre chose dudit s. de Nemours sinon
qu'il estoit ung foui. Et lors Mons"" de Guise me dit que c'estoit
choses qui estoint de grande conséquence et que cella valloit
bien d'i panser avant (jue d'en donner avis à la Royne. Lors je
luy dis : « Ouy, Mons"', tant qu'il vous plera. »
El dellà partirent lesd. s. cardinal et duc de Guise, pour aller
à la messe, où je leur fis compagnie. Et puis se mirent à table,
attendant que Messieurs de Longucville, Nemours et cardinal
de Guise vinrent de l'esglise du prioré avec Madame de Guise,
qui nienoit la mariée.
Et après le disner se retirarent losdits seigneurs, cardinal et
duc de Guise, en la chambre dudit cardinal, où après avoir esté
quelque temps, m'envoyarent quérir pour parler à eulx. El
estant arrivé en la chambre, après m'avoir fiel assoir auprès
ET JEANNE d'aLBRET. 377
d'eulx, me leurent la lettre qu'ils escrivoient à la Royne. Puis me
dit Mons"" le cardinal : « Monsieur de Crussol, nous ne pouvons
assés remercier la Royne de l'honneur qu'elle nous fet que de
nous fère entendre ce que vous nous avés dit de la part de
Mons' de Xemours, ensamble l'avis qu'il luy plait que nous luy
donnions sur ce fet. Et pour y satisfere nous vous dirons que
tout ce que nous avons peu congnoistre de M"" de Nemours a
esté que toute l'espéranse qu'il a aujourd'huy en ce monde est
la bonté de la Royne; sachant bien que sens cella il est tout
assuré que, par le conseil ny aultrement, il ne peult espérer que
Mons"' de Savoie puisse obtenir la restitution des places de Pié-
mont ; qui fet la chose du monde que Mons' de Xemours désire
le plus de pouvoir obtenir; sachant bien que de là toute sa
grandeur despant. Et pour ceste occasion nous a souvant dit
qu'il ne vouloit entrer au conseil du Roy qu'il ne vit une fin en
cella et que eust peu opiner. Parellement que, après que Mons'
de Nemours fut party de Nanteul, quant il s'en alla en Savoie,
ils savent bien qu'il n'a jamais escrit que Mons' de Savoye n'eust
escrit à la Royne pour ne prandre en mauvaise part le partemant
qu'il avoit fet, et qu'il n'avoit jamais rien tant désiré que de
pouvoir venir et estre en la bonne grâce du Roy et de la Royne.
Que, plus il pansoit, luy et Monsieur son frère, tant moins ils
Irouvoient d'aparanse a ce que je leur avois dit, car ilz ne
peuvent panser où Mons' de Nemours l'eust peu mener. Si
c'eust esté en Espagne, le chemyn est fort lonc ; il fault passer
par le gouvernement du roy de Navarre, qui y fust empesché. »
Et lors je leur dis que c'estoit en Savoye. « Comment, me dit
Mons' le cardinal, chascun sçait bien que toulte la grandeur et
bien de Mons' de Savoye ne despant que de la bonne grâce du
Roy. Et quant ce eust esté qu'il Teust mesme mené en Lorraine,
qui est plus près, chescun sçait bien que ny Mons' de Lorraine
ny Mons' de Savoye, ny tous tant nous sommes, ne sarions résis-
ter à chose qui peult desplère au Roy ; et que touttes fois qu'il
envoiera mille hommes d'armes, il se fera seigneur et de noz
personnes et de noz biens. Touttes ces choses là sont impos-
sibles ; et, tant plus nous y pansons, tant moins nous y trou-
vons de fondemant. Tout ce que nous disons n'est pas pour
excuser Mons' de Nemours, car, encores qu'il soit nostre bon
378 ANTOINE DE BOURBON
seigneur etamy, si est-ce que, s'il avoit fet telle chose, il n'aroit
point ung plus grand ennemy que nous; car nous ne serons
jamais en double de la fidellité que nous devons au Roy et à la
Royne; et vous prions de l'en assurer et luy dire que nous la
suplions de fère estât de nous. »
Lors je leus dis que la Royne desiroit savoir d'euls : la pre-
mière, le moïen qu'elle devoit tenir pour vérifier ce fet; et
l'aultre, si d'avanture, il estoit vérifié, comme elle s'i devroit
gouverner. Il me fut respondu par euls : quant à la vérification
que ils ne saroint m'en dire aultre chose, attendu qu'il n'y avoit
que ung tesmoin seul^ et qu'on pourroit le demander à Mons^ de
Nemours en sermant; et, s'il le nioit, que la Royne luy pour-
roit dire que, si il l'avoit fet, elle luy feroit bien conoistre
l'offanse qu'il aroit fette, et se gouverner en cella comme ilz ont
entendu aultres foys que Madame la Régente fit à feu Mons"" de
Sainct-Pol et Mons"" de Guise, leur père. Quant au secont point,
que, s'il estoit vérifié, il ne saroit estre assés puny, et que les
loix sont pleines de telles punitions.
Puis Monsr de Guise me dit : « C'est tout ce que nous vous
pouvons dire pour ce fet; quant vous sériés icy ung mois,
Mons"" mon frère et moy, ne vous en sarions dire davantaige. »
Et, après avoir pris congé d'eulx, ilz me priarent de assurer la
Royne de la dévotion qu'ils ont au service du Roy et au sien.
Ce que je leur promis. Et puis Mons"" de Guise me dit que je
disse à la Royne de sa part qu'il seroit bon que le Roy ne sceut
rien de tout cessy et que cella le feroit entrer en quelque opinion
que ne luy pourroit pas, peult-estre, estre légèrement ostée, et
qu'elle luy serviroit de bon témoins; que quant elle luy a fet
cest honneur de luy demander avis, il a tousjours esté d'opinion
de ne séparer point le Roy et Messieurs et qu'ils ne saroient
estre trop unis ensambles; et qu'il fault qu'il me confesse une
chose, que l'entreprise dont je luy ay parlé, si elle eust esté fais-
sable, fust peult-estre esté la plus pernicieuse pour ce royaulme
que chose qui y fust peu avenir, et sufisante quasi, veu les divi-
sions qui y sont, pour raenasser et ruiner touttes choses.
Et voylà tout ce que j'ay peu entendre.
(Copie du temps, f. fr., vol. 6608, f. 11.)
ET JEANNE d'aLBRET. 379
LXIII.
Don du roi à la reine de Navarre, en considération de ses
dépenses « auprès de nous et à notre suitle, » attendu qu'elle
n'a point joui de la traite, à elle accordée, de 20 mille ton-
neaux de blé, puisque, par une ordonnance postérieure, toutes
les traites ont été supprimées, le roi donne à ladite reine la
somme de 50,000 livres tournois à prendre sur le produit de la
vente des arbres « tombez ou versez par l'impétuosité des vents
a durant la présente année, » dans toutes les forêts royales,
excepté dans les forêts de Châteauneuf, Champrond et Senonches
(dont lad. princesse avait la jouissance). Saint-Gennain,
W novembre 1561. (Copie; Arch. nat., P. 2312, f. 1593. —
Ce don fut confirmé par lettres patentes du 5 février et du
1" juin suivants; ibid.)
LXIV.
Lettre de Sébastien de l' Aubespine au roi de Navarre, Madrid^
\2 novembre 1561. — L'ambassadeur regrette de ne pouvoir
fournir au prince d'éclaircissements définitifs sur les sentiments
du roi d'Espagne. — Lenteur et dissimulation de ce prince. —
Protestations de dévouement. (Copie du temps ; f. fr., vol. -16103,
f. 95.)
Résumé de chancellerie de la négociation de Jacques d'Au-
zance à Madrid, avec réponses inscrites à la marge, point par
point, par Philippe II, Madrid^ \2 novembre ioGi . (Orig. espa-
gnol; Archives nat., K. 1495, n" 89.)
Lettre de Chanlonay a Philippe II, Saint-Cloud, 13 novembre
1561. — Le connétable, soupçonné de complicité avec le duc
de Nemours dans la tentative d'enlèvement du duc d'Orléans,
est de retour à la cour. — Le cardinal de Tournon a été retenu
à la cour malgré lui. — Le maréchal Saint- André est absent.
— Le cardinal de Lorraine n'a pas été appelé par la reine. —
Le duc de Guise s'est excusé de revenir à Saint-Germain. —
Les absences de ces seigneurs sont le résultat de la faveur de
Vendôme. — Etforts des réformés pour s'emparer des gouver-
380 ANTOINE DE BOURBON
nements de provinces et des capitaineries de places. — Instruc-
tion dirigée contre le duc de Nemours. — Mascarade du prince
de Béarn à Saint-Germain. — Affaire de l'enregistrement des
pouvoirs du légat. — Arrivée àPoissy des prêcheurs du duc de
Wurtemberg. — Prêches et cérémonies calvinistes à Paris, —
L'enregistrement de l'édit de juillet; sa non exécution. — Pau-
vreté du trésor royal; dettes du roi. — La dame de Vendôme
a invité le cardinal de Ferrare à venir chez elle et l'a obligé à
entendre un prêche huguenot. — Difficultés sur la liberté des
mers dans les Indes. — Le roi a convoqué une assemblée solen-
nelle de l'ordre de Saint-Michel. — On croit que cette assem-
blée aura à juger le duc de Nemours. (Orig. espagnol ; Arch.
nat., R. 1494, n" ^108.)
LXV.
Déclaration du roi qui met le roi de Navarre en jouissance
des seigneuries du Chasteauneuf, Champron, Senonches, Bre-
zolles et autres biens, Saini-Germain^ ^6 novembre \o(S\.
(Copie; Arch. nat., P. 23^2, f. \M. Cette donation fut confir-
mée par une déclaration du roi en date du ^2 février ^56^
(^502), ibid.)
LXVI.
Lettre de Chantonay à Philippe II, Saini-Cloud ., ^8 novembre
^56^. — Le cardinal de Ferrare a fait entendre un sermon
catholique à la dame de Vendôme. — Mauvaise grâce de cette
princesse pendant la cérémonie. — Nouvelle conférence de
l'ambassadeur avec le cardinal de Tournon au sujet des aflaires
de Vendôme. — Le cardinal demande la Sardaigne pour le
prince. — L'ambassadeur répond sans conclure on rappelant
les tendances hérétiques du prince. — Chaque jour, la dame
de Vendôme renouvelle ses instances auprès de son mari pour
le décider à se prononcer en faveur de la réforme. (Orig. espa-
gnol ; .\rch. nat., K. ^VJ4, n" -109.)
Lettre de Suriano et de Barbaro à la république de Venise,
Poissy, \9 novembre 4 5(H . — Récit du festin offert par la reine
ET JEANNE d'aLBRET. 381
de Navarre au cardinal de Ferrare, à l'issue duquel la princesse
a fait prêcher un de ses ministres. (Déchiffrement ; Dépêches
vénit., filza 4 bis, f. MO v°.)
Lettre de Chantonay à Philippe II, Saint-Cloud, 21 novembre
^D6I. — Conférence de l'ambassadeur avec le connétable et le
cardinal de Tournon au sujet de la Sardaigne que le cardinal a
demandée à l'ambassadeur pour Vendôme. — L'ambassadeur
incline à lui accorder cette ile, malgré les dangers pour l'Es-
pagne d'une alliance de Vendôme avec les Maures, parce qu'on
pourrait plus tard la lui reprendre. — Tendances de ce prince.
— Antonio d'Almeida le représente à Madrid. — La dame de
Vendôme presse son mari de donner des gages au parti réformé.
— Conditions offertes par Vendôme en retour de la Sardaigne.
— 11 laisserait ses enfants en otage et ses forteresses en gage
de ses promesses. — Lettre de la reine d'Espagne à la reine
mère. — Émotion qu'elles ont causée à la reine. — Faiblesse
de Vendôme vis-à-vis de sa femme. — Il s'excuse en disant
qu'il craint de la contrarier. — L'ambassadeur avoue qu'elle
est gravement malade. — La reine mère approuve les dépêches
que Chantonay a adressées à Madrid. — Envoi de Rambouillet
au duc de Savoie. — (Orig. espagnol; Arch. nat., K. ^494,
nM^O.)
LXVII.
Lettre oxj roi de Navarre au maréchal de Bordillon.
Saint-Germam, 23 novembre 1561.
Impossibilité d'augmenter le nombre des gens de guerre du Piémont.
Mons"" de Bourdillon, par la lectre que le Roy, mon seigneur,
vous escrit présentement, vous serez si amplement satisfaict à
toutes voz dernières dépesches que, me remectant sur icelle, je
ne vous diray rien davantage, sinon qu'il est impossible de
vous croistre ne augmenter pour le présent le nombre de gens
de guerre que vous demandez, au moyen que les affaires de Sa
Majesté ne le peuvent aucunement porter en ceste saison : qui
sera cause que je vous prieray de regarder de vous accomoder
382 ANTOINE DE BOURBON
de si peu que vous avez, et penser que si nous pouvions mieulx
faire, nous le ferions. Priant Dieu, Mons' de Bourdillon, qu'il
vous ait en sa saincte et digne garde.
De Saint-Germain-en-Laye, ce xxiii^ jour de novembre ^56^.
Vostre bien bon amy,
Antoine.
(Orig., Bibliolh. imp. de Saint-Pétersbourg, Collect. d'autographes,
vol. 52. — Analysée par M. le marquis de Rochanibeau dans Lettres
d'Antoine de Bourbon et de Jehanne d'Albret, p. 385.)
LXVIII.
Lettre dd roi de Navarre a Sébastien de l'Acbespoe.
Saint-Germain, 23 novembre 1561.
Ordre d'apfiuyer les démarches du s. d'Auzance à la cour d'Espagne.
Monsieur de Lymoges, aveques la depesche du s"- d'Ozances,
qui va pour l'occasion que vous entendez, j'ay pensé quMl ne
seroit que très à propos de faire au Roy et à la Royne catho-
licque les lettres que vous verrez pour, suivant l'advis de ladite
dame, de l'affection de laquelle envers moy j'ay assez d'asseu-
rance, en user comme vous adviserez pour le mieulx, ledit
s'' d'Ozances et vous, au bien de mes affaires, lesquels j'ay
tant cogneu que vous avez toujours embrassez de bon cœur et
vous y estes emploies si voluntiers que je ne craindray point à
vous prier encores de continuer de n'y espargner les bons
moyens que je sçay que vous y porez avoir -, avecques asseu-
rance que vous ne ferez jamais pour prince quy ayt meilleure
souvenance du service de ceulx qui l'ayment comme vous
faictes moy. Ainsy que j'ay donné cbarge audit s"" d'Ozances
vous dire plus au long de ma part, sur lequel je remects le
surplus. Priant Dieu, Mons-- de Lymoges, vous donner ce que
désirez.
De Saint-Germain-cn-Laie, le 23^ jour de novembre VS(A .
(Autographe.) J'ay, Mons' de Lymoges, telle fiance à voustre
bonne voulonté et à vostre saige conduycte que, s'il y a moien
de fere fere quelque chose de bon pour moy au Roy catholique,
ET JEANNE d'aLBRET. 383
que de ce coup vous feré une. Je m'en senLiré, comme j'ay prié
vostre frère de vous escripre plus au long et de l'affection que
je porte à yous et à ce qui vous touche. Ainsy vous prie de
croire
Vostre bien bon amy,
Antoine.
(Original; la fin autographe. Arch. de Villebon, papiers de l'Aubespine.
— Communiquée par M. le marquis de Rochambeau et citée par lui dans
Lettres d'Antoine de Bourbon et de Jehanne d'Albrcl, p. 385.)
LXIX.
Lettre du roi de Navarre au parlement de Paris.
Saint- Germain, 26 novembre 1561.
Recommandation du procès du s. de Cierque.
Messieurs, vous verrez par les lettres que le roy, mon sei-
gneur, et la royne, sa mère, vous escripvent, l'affection qu'ils
ont que mettiez une bonne et brieve fm au procès qu'a le s. de
Cierque par devant vous contre aucuns du clergé, des secré-
taires de la maison et couronne de France, pour raison de ses
prétendus droits de bourses, en quoy ne désirant moins le
favoriser de ma part que les services qu'il a de long temps faits
à ceste couronne le méritent, lesquelz lesd. seigneur et dame
vous testifient assez par leurs lettres, je vous prie luy vouloir,
en ma contemplation, ayant esgard à sa qualité et vieil âge,
départir si bonne et brieve justice qu'il se puisse en brief res-
sentir en combien de sortes luy profitera ceste mienne recom-
mandation; estant asseurez que vous me ferez un 1res singulier
et particulier plaisir en ce faisant. Priant Dieu, Messieurs,
qu'il vous ayt en sa sainte garde.
Escript à Saint-Germain-en-Laye, le 2G« jour de novembre
^564.
Vostre bon amy,
Antoine.
(Copie ; Coll. du parlement, vol. 555, f. 26.)
384 ANTOINE DE BOURBON
LXX.
Lettre de Ghantonay à Philippe II (Fragment) , 26 novembre
V)6L — L'affaire du duc de Nemours est une intrigue des
réformés contre les Guises. — Arrivée à la cour de Lignerolles,
— Les réformés craignent que Nemours ne passe au service
du roi d'Espagne. (Orig. espagnol; Arcli. nat., K. ^494, n" -112.)
Seconde lettre de Ghantonay à Philippe H, Poissy, 26 no-
vembre ]^G]. — Vendôme au prêche. — Il se croit assuré de
l'emporter dans ses négociations avec le roi d^Espagne. —
Vendôme au sermon. — Il est prudent d'entretenir ces espé-
rances. — Querelle de ce prince avec sa femme. (Orig. espa-
gnol ; Arch. nat., K. ^1494, n^ ^120.)
Lettre de Ghantonay à Philippe II, Poissy^ 28 novembre \ 561 .
— Gonférence de Ghantonay avec Vendôme. — Il accepterait
une vice-royauté qui le rendrait lieutenant du roi d'Espagne
et s'engagerait, en cas de guerre entre la France et l'Espagne,
à garder la neutralité. — A cette proposition, Ghantonay a
répondu en renouvelant les communications précédemment
faites à d'Auzance. — Insistance du connétable dans cette
négociation. — Gonférence de Ghantonay avec la reine. — Le
mariage du duc d'Orléans avec la princesse de Vendôme n'est
pas assuré. — Paroles de la reine contre la dame de Vendôme.
— Pourparler du mariage de Henri de Béarn avec une fille du
roi de Bohème. — Vendôme envoie François d"Escars auprès
de Ghantonay. — Plaintes de Tambassadeur contre la faiblesse
de Vendôme vis-à-vis des réformés. — La reine et le lieutenant
général refusent le secours du roi d'Espagne pour rétablir la
paix religieuse. (Orig. espagnol; Arch. nat., K. 1494, n° 114.)
Lettre de Philippe II à Ghantonay, Madrid^ 28 novembre
-1501. — L'ambassadeur de France lui a présenté un mémorial
sur les affaires de Vendôme, auquel le roi d'Espagne a répondu
qu'il n'avait rien à ajouter aux communications précédemment
faites à d'Auzance. parce qu'il n'y avait aucun changement dans
les affaires de la religion en France. — Lettre de la reine mère
au roi catholique sur la tentative d'enlèvement du duc d'Or-
léans. (Gopie espagnole; Arch. nat., K. ^495, n^ 9i.)
ET JEANNE d'aLBRET. 385
Lettre de Sébastien de l'Aubespine au roi de Navarre, Madrid,
28 novembre -^56^. — Réponse à la lettre portée à l'ambassa-
deur par le s. de Lutaine. — La négociation ne saurait marcher
aussi rapidement que le prince le désire. — Promesses vagues.
(Copie du temps; f. fr., vol. 1(5 103, f. 121.)
Lettre de Ghantonay à Philippe II, Poissy, 3 décembre ISG'I.
— Conférence de Chantonay avec Vendôme, en présence du
connétable. — Vendôme se pose en prince dépouillé injuste-
ment et réclame ses droits. — Chantonay refuse d'accepter les
discussions sur ce terrain. — Les emportements de Vendôme
sont tels que l'ambassadeur craint une rupture des négocia-
tions. — Il va essayer de « l'amuser « pendant un mois et davan-
tage. — La dame de Vendôme presse son mari de donner des
gages à la réforme et lui promet une couronne avant trois
mois. — Au sortir de sa conférence avec l'ambassadeur d'Es-
pagne, Cohgny a parlé au jjrince et Fa retourné en faveur du
parti huguenot. — François d'Escars confère quelquefois avec
le cardinal de Tournon. (Orig. espagnol; Arch. nat., K. •Hl)4,
n° ^15.)
Lettre de Chantonay au duc d'Albe, Poissy, 3 décembre 150].
— Récit rétrospectif d'une conversation de l'ambassadeur avec
le cardinal de Tournon au sujet des affaires de Vendôme. —
Vendôme a assisté au prêche et a participé à la cène. — (chan-
tonay a conseillé d'essayer de forcer la main à la reine en
faveur du parti catholique. — 11 choisit le duc de Guise comme
auteur de démarches impératives. — Le cardinal de Tournon
désigne le duc de Nemours. (Orig. espagnol; Arch. nat.,
K. 4495, n'' 92.)
LXXI.
Lettre du roi uk Navarre a madame la vidame d'Amiens.
Saint-Germain, 7 décembre 1561.
Touchant ia terre de Rayneval.
Ma cousine, pour ce que je suis entré en quelques termes et
propos avecques mons. le vidamc de d'Amyens pour recouvrer
III 2^
386 ANTOINE DE BOURBON
sa terre de Rayneval, laquelle j'entends vous estre obligée de
charge de quelque somme de deniers qui vous est affectée pour
vostre doire, j'envoye ce gentilhomme, l'ung des miens, exprès
devers vous, affin de scavoir ce que vous y prétendez et vous
dire de ma part le désir que j'ay, en m'accommodant de lad.
terre, faire en sorte aussy que vous soyez contante sans vous
départir en aulcune chose de ce qui vous appartient. Vous
pryant à ceste cause, ma cousine, m'ayder de ce que vous
pourrez bien à ce que cest affaire se perface, ainsy qu'il est
achemyné, comme ced. porteur vous dira plus amplement^ sur
la parole duquel je me remetteray, vous asseurant que l'hon-
nesteté et plaisir que vous m'en remonstrerez sera tousjours
recogneu de moy de tout le bon voulloir avecques l'efTect que
je vous pourray démonstrer. Pryant Dieu, ma cousine, qu'il
vous ayt en sa sainte garde.
Escript à Saint-Germain-en-Laye, le vif jour de décembre
Vostre bien cousin et amy,
Antoine.
(Autographe, adressée à Françoise de Batarnay, fille de René de Balar-
nay, comte du Bouchage, et d'Isabelle de Savoie, veuve, depuis le mois
de janvier 1560, de François d'Ailly, vidame d'Amiens; f. fr., vol. 3188,
f. 16.)
LXXII.
Mémorial dressé par ordre de Philippe II, contenant les
réponses que le duc d'Albe doit faire à Jacques d'Auzance pen-
dant sa seconde négociation, Madrid., ^o décembre -JoGl. —
Le roi d'Espagne est prêt à entrer en transaction avec le duc
de Vendôme aussitôt qu'il aura donné des gages de ses pro-
messes au sujet des affaires de la religion. (Copie espagnole ;
Arch. nat., K. 1495, n" 98 ; Autre copie, n" \Q\.]
Lettre de Ghantonayà Philippe II, Poissy, {^décembre •1561.
— Élection de l'évêque de Grenoble. — Trois candidats ont été
présentés au roi, dont deux hérétiques. — Apostasie d'Antoine
Garacciolo, évêque de Troyes. — Faveur de Vendôme et de sa
femme pour ce personnage. — Expédition au Canada ou au
ET JEANNE d'aLBRET. 387
Brésil ou vers les côtes de la Floride, organisée par Tamiral de
Coligny aux frais de la reine, de Yendùme, du prince de Gondé
et de Grussol (il s'agit de l'expédition de Jean Ribaut). (Orig.
espagnol; Arch. nat., K. 1495, n" 97.)
Mémoire à conamuniquer au roi d'Espagne remis par l'am-
bassadeur de France en Espagne au duc d'Albe, au sujet des
négociations du roi de Navarre, Madrid, 20 décembre 136^. —
Conférence du duc d'Albe et de Sébastien de l'Aubespine. —
Demandes de l'ambassadeur en faveur du roi de Navarre. —
Le duc d'Albe répond que, lorsque Vendôme tiendra les pro-
messes qu'il a faites en faveur de la religion, le roi catholique
lui en tiendra compte. — L'Aubespine prend acte de cette
déclaration. — Il avoue que la reine de Navarre est très dévouée
à la religion nouvelle et que son zèle est un sujet de dissenti-
ment avec son mari. (Copie espagnole; Arch. nat., K. ^495,
n" -100.)
Lettre de Chantonay à Philippe II, Poissy, 2i décembre \ 36-1 .
— Incertitude des tendances religieuses de Vendôme. —
Chaque mission envoyée par lui à Rome est communiquée aux
princes d'Allemagne. — Il assiste publiquement à la messe. —
Prêche à Paris, principalement au faubourg Saint-Marceau. —
La dame de Vendôme, le prince de Gondé et l'amiral y assis-
tent. — Plusieurs fois, les assistants ont été au nombre de six
mille. — On ne sait si Vendôme viendra à Paris. (Orig. espa-
gnol ^ Arch. nat., K. 1493, n° 103.)
Lettre de Chantonay à Philippe II (Fragment), Poissy, o jan-
vier ^362. — Jacques dWuzance est arrivé à la cour le 2 jan-
vier. — Satisfaction de Vendôme. — Fête qu'il donne à cette
occasion. (Orig. espagnol -, Arch. nat., K. 1497, n" 3.)
Lettre du duc d'Albuquerque à Philippe II, Pampclune^
\7 janvier io(j2. — Vendôme, convaincu que le roi catholique
a soudoyé les complices du duc de Nemours, a donné à ses
lieutenants en Béarn l'ordre de les saisir à leur passage en
Espagne. (Copie espagnole ; Arch. de la secrétairerie d^État
d'Espagne, leg. 358, f. 52.)
TABLE.
CHAPITRE ONZIEME.
Depuis la mort de François II (5 décembre 1560) jusqu'à Védit du
19 avril. — Page 1.
Avènement de Charles IX (5 déc. 1560). — Catherine de Médicis
se fait attribuer la régence aux dépens du roi de Navarre. —
Disgrâce des Guises. — Mise en liberté du prince de Condé. —
États généraux d"Orléans (13 déc. 1560-31 janvier 1561). — La
Réforme. — Démonstrations opposées de l'Espagne et de
l'Angleterre. — Mission de Pedro d'Albret à Rome. —
— La cour quitte Orléans et se rend à Fontainebleau (2 février
1561). — Affaire des clefs du château (28 févrierl. — Arrêt du
conseil portant justification du prince de Condé (8 mars). —
États provinciaux de Paris (15 mars). — Le roi de Navarre est
nommé lieutenant général du roi (27 mars). — Établissement
du triumvirat (6 avril). — Édit de tolérance du 19 avril 1561.
CHAPITRE DOUZIÈME.
Depuis le 19 avril jusqu'au 29 août 1561. — Page 83.
Troubles de Paris (iin avril 1561).
Sacre du roi à Reims (15 mai).
Procession de la Fête-Dieu à Paris (24 juin).
Requête des réformés au roi (11 juin). — Édit de juillet (Il juillet).
Départ de Marie Stuart pour l'Ecosse (15 août).
390 TABLE.
Arrêt du parlement portant justification du prince de Gondé
(13 juin). — Réconciliation du prince de Gondé et du duc de
Guise (24 août).
Jeanne d'Albret en Béarn. — Tergiversations religieuses du roi
de Navarre. — Sa conduite privée. — Arrivée de Jeanne
d'Albret à la cour (28 août 1561).
GHAPITRE TREIZIÈME.
Depuis le 2b juillet 1561 jusqu'à la fin de novembre. — Page 143.
Convocation du colloque de Poissy (25 juillet 1561).
Etats généraux de Pontoise (l^"" août). — Refus du parlement
d'enregistrer l'ordonnance d'Orléans. — Destitution du pre-
mier président LeMaistre (18 août). — Assemblée générale de
Saint-Germain (27 août).
Le pape envoie le cardinal de Ferrare à la cour. — Affaire Artus
Désiré. — Arrestation d'un courrier du nonce en Piémont.
Arrivée des ministres réformés à Poissy. — Première et seconde
séance publique du colloque (9 et 16 sept.). — Arrivée du car-
dinal de Ferrare à la cour (18 sept.). — Troisième et quatrième
séance du colloque (24 et 26 sept.). — Le cardinal de Lorraine
somme les ministres d'adhérer à la confession d'Augsbourg. —
Arrivée de Beaudouin et des docteurs allemands. — Mariage
de Jean de Rohan à Argenteuil (29 sept.). — Dernières séances
du colloque (29 sept., 4 et 9 oct.). — Dernières séances des
états de Pontoise.
GHAPITRE QUATORZIÈME.
La cour pendant et après le colloque de Poissy. — Page 201.
Progrès de la Réforme pendant le colloque. — Pratiques reli-
gieuses de Jeanne d'Albret. — Jeanne d'Albret et Gharles IX.
— Jeanne d'Albret et le cardinal de Ferrare. — Instances de
Jeanne auprès de son mari en faveur de la Réforme. —
Mariages arrêtés entre les Bourbons et les Valois.
Négociations de Philippe U pour forcer la main à la reine. —
Tentative du duc de Nemours pour enlever le duc d'Orléans
(20 octobre 1561). — Fuite de Nemours. — Arrestation de
Ligneroles. — Gomphcité du roi d'Espagne.
TABLE. 391
CHAPITRE QUINZIÈME.
Négociations du roi de Navarre avec l'Espagne pendant l'année 1561.
— Page 251.
Motifs de la déférence du roi de Navarre pour Catherine de Médi-
cis. — Premières négociations d'Antoine de Bourbon avec
l'ambassadeur d'Espagne. — Négociations de Sébastien de
l'Aubespine à Madrid. — Antoine demande Sienne. — Négo-
ciations du roi de Navarre en Allemagne. — Catherine demande
la Sardaigne à Philippe II.
Le roi de Navarre envoie Antonio d'Almeida en Espagne (mai
1561). — Il veut y accréditer Philippe de Lenoncourt, évèque
d'Auxerre, et Jean-Jacques de Mesmes. — Catherine adjoint à
l'ambassade Jacques de Montberon, seigneur d'Auzance. —
La mission de l'évêque d'Auxerre et de de Mesmes est ajournée
et d'Auzance part seul pour Madrid (26 juillet). — Envoi de
François d'Escars à Rome (Qn août). — Retour de d'Auzance
à Saint-Germain (14 octobre).
Suite des négociations du roi de Navarre à Madrid et auprès de
Chantonay. — Chantonay concède en principe la reconnais-
sance des droits du roi de Navarre. — Jacques d'Auzance
repart pour l'Espagne (un novembre). — Echange de la Navarre
proposé par les ministres de Philippe II. — PhiUppe II con-
firme les concessitms de principe de Chantonay. — Antoine
écrit au duc d'Albe. — Retour de d'Auzance à Saint-Germain
(2 janvier). — Satisfaction du roi de Navarre. — Il passe défi-
nitivement au parti cathohque.
Pièces justificatives Page 315
Nogent-le-Rotrou, imprimerie Daupeley-Gouverneur.
OUVRAGES DU MEME AUTEUR
Commentaires et Lettres de Rlaise de Moxluc , maréchal de
France, -18(54-1872, 5 vol. in-8, édition publiée pour la
Société de l'Histoire de France. Tom. I et II épuisés.
Mémoires ixédits de Michel de la Huguerye, -1877-1880, 3 vol.
in-8, publiés pour la Société de l'Histoire de France.
Notice des principaux Livres manuscrits et imprimés qui ont
FAIT partie de l'ExPOSITION DE l'ART ANCIEN AU TrOCADÉRO ,
-1879, in-8, Techener.
François de Montmorency, gouverneur de Paris et lieutenant
nu roi dansl'Isle de France (^ 530-1 579), extrait du tome VI
des Mémoires de la Société de l'histoire de Paris et de l'Ile-
de-France.
Le Mariage de Jeanne d'Albret, -1877, in-8, Labitte.
Antoine de Bourbon et Jeanne d'Albret, suite de Le Mariage
de Jeanne d'Albret, t. I et II, in-8, Labitte.
Le duc de Nemours et mademoiselle de Rohan (-1531-^592).
Paris, -1883, petit in-8, tiré à -170 exemplaires.
Nogenl-le-Rolrou, imprinierio Daupeley-Gouverneur.
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UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY
DC Ruble, Alphonse, baron ds
112 Antoine de Bourbon et
A6R8 Jeanne d'Albret
t. 3
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