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Full text of "Antoine de Bourbon et Jeanne d'Albret, suite de Le mariage de Jeanne d'Albret"

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HANDBOUND 
AT  THE 


UNIVERSITY  OF 
TORONTO  PRESS 


4?71^ 


ANTOINE  DE  BOURBON 


ET 


JEANNE  D'ALBRET 


IMl'RIMEnjP:    DAUPKI.KY-dOlYERNEUR,    A    NOGENT-LE-nOTROU. 


//  / 


ANTOINE  DE  BOURBON 


ET 


JEANNE  D'ALBRET 


SI  ITE      I»E 


LE  MARIAGE  DE  JEANNE  D'ALBRET 


LE  BARON  ALPHONSE  DE  RUBLE 


TOME   TROISIÈME 


PARIS 

ADOLPHE   LAP.ITTE 

LIBRAIRE    DE   La    BIBLIOTHEQUE    NATIONALE 
4.    UUi;    DE    LILLE,     'i 

1885 


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ANTOINE   DE   BOURBON 


ET 


JEANNE   D'ALBRET 


CHAPITRE  ONZIÈME. 


Depuis  la  mort  de  François  II  (5  décembre  15G0)  jusqu'à  l'édit 
du  19  avril. 


Avènement  de  Charles  IX  (o  déc.  1560).  —  Catherine 
de  Médicis  se  fait  attribuer  la  régence  aux  dépens  du 
roi  de  Navarre.  —  Disgrâce  des  Guises.  —  31ise  en 
liberté  du  prince  de  Coudé.  —  Etats  généraux  d'Or- 
léans (13  déc.  1500-31  janvier  1561).  —  La 
Bé  forme.  —  Démonstrations  opposées  de  F  Espagne 
et  de  r Angleterre.  —  Mission  de  Pedro  d'Albret  à 
Rome.  —  La  cour  quitte  Orléans  et  se  rend  à  Fon- 
tainebleau (2  février  1561).  —  A/faire  des  clefs  du 
château  (28  février).  —  Arrêt  du  conseil  portant 
justification  du  prince  de  Condé  (8  mars).  —  États 
provinciaux  de  Paris  (  1 5  tnars) .  —  Le  roi  de  Navarre 
est  nommé  lieutenant  général  du  roi  (27  mars).  — 
Etablissement  du  triumvirat  (6  avril).  —  Edit  de 
tolérance  du  19  avril  1561. 

ui  1 


ANTOINE    DE   BOURBON 


Aussitôt  que  François  II  eut  rendu  le  dernier  sou- 
pir, Catherine  de  Médicis,  d'un  ton  impérieux,  s'ar- 
rogea le  commandement  de  la  maison  du  roi.  Elle  fit 
fermer  les  portes,  appela  sous  les  armes  les  compa- 
gnies de  service,  convoqua  les  membres  du  conseil 
privé  et  proclama  le  nouveau  roi,  Charles  de  Valois, 
duc  d'Orléans,  sous  le  nom  de  Charles  IX.  Anxieuse, 
animée  d'une  énergie  fébrile,  pendant  qu'elle  prenait 
ses  dispositions,  elle  interrogeait  des  yeux,  dit  Clian- 
tonay,  les  mouvements  du  roi  de  Navarre  que  les 
ordres  du  feu  roi  ne  pouvaient  plus  retenir.  Mais 
Antoine  ne  souleva  aucune  opposition  dans  ce 
moment  solennel*.  Il  était  près  de  minuit.  Malgré 
l'heure  avancée,  elle  envoya  chercher  Louis  de  Saint- 
Gelais,  seigneur  de  Lansac,  et  lui  dicta  une  lettre  au 
connétable  de  Montmorency.  La  lettre  écrite,  Cathe- 
rine la  signa  d'une  main  ferme  et  commanda  à  Lansac 
lui-même  de  se  rendre  à  la  rencontre  du  connétable 
qui  s'avançait  à  petites  journées 2. 

Le  nouveau  roi  de  France,  cinquième  enfant  de 
Henri  II  et  de  Catherine  de  Médicis,  était  âgé  de  dix  ans. 
«  C'est  un  enfant  admirable,  écrit  l'ambassadeur  véni- 

1.  Lettre  de  Ghantouay  du  8  décembre  1560  (Arch.  uat.,  K. 
1493,  n"  115).  —  Relation  de  ce  qui  se  passa  à  Orléans  le  lende- 
main de  la  mort  de  François  II  {Mémoires  de  Co?idé,  t.  Il,  p.  211). 

2.  Le  corps  de  la  lettre  est  de  la  main  de  Lansac  (Orip.  f.  fr., 
vnl.  31.")7,  1'.   MO).  Lcllres  de  Catherine  de  Médicis,  t.  I,  j).  155. 


ET   JEANNE   D  ALBRET.  S 

«  tien  Michieli  en  1  561  ;  et  tout  ce  qu'un  roi  peut  faire 
«  espérer  en  talent,  en  esprit,  en  affabilité,  en  libéra- 
«  lité,  en  courage,  on  peut  l'attendre  de  lui.  Sa  figure 
«  est  belle  *  ;  il  a  surtout  de  très  beaux  yeux  comme 
«  son  père.  Ses  mouvements  et  ses  manières  respirent 
«  l'aisance  et  la  grâce*.  »  Charles  IX  avait  pour  gou- 
verneurs le  prince  de  la  Roche-sur-Yon  et  Philibert  de 
Marcilly,  sire  de  Cypierre.  Le  premier  n'exerçait  qu'une 
fonction  nominale,  mais  Cypierre  ne  quittait  son  dis- 
ciple ni  jour  ni  nuit.  Ancien  favori  de  Henri  II,  renommé 
pour  son  élégance  et  son  adresse  à  la  cour,  il  avait 
su  captiver  le  cœur  de  son  jeune  maître  en  le  suivant 
dans  tous  les  exercices  de  son  âge".  Depuis  sa  pre- 
mière enfance,  Charles  IX  recevait  aussi  les  leçons  de 
Jacques  Amyot  S  mais  il  n'aimait  pas  l'application^  et 
ne  prenait  plaisir  «  qu'à  la  paume  en  temps  sec  et 
«  beau,  à  danser  et  jouer  des  armes  en  temps  humide 
«  et  pluvieux  '^.  »  En  vain  le  grand  helléniste  s'était 

1.  On  le  trouve  quelquefois  désign'é  dans  les  pamphlets  du 
temps  sous  le  surnom  peu  gracieux  de  roi  morveux.  Ce  surnom 
n'était  pas  motivé,  comme  on  pourrait  le  croire,  par  l'extrême 
jeunesse  du  roi,  mais  par  un  trait  naturel  qu'il  avait  au-dessous 
du  nez.  Voyez  une  étude  dans  le  Recueil  des  Mémoires  de  la 
Société  des  Antiquaires  de  France,  2*^  série,  t.  IV,  p.  189. 

2.  Relations  des  ambassadeurs  vénitiens  dans  les  Documents 
inédits.,  t.  I,  p.  419.  —  Voyez  aussi  la  lettre  de  Michel  Suriano 
à  la  répubhque  de  Venise  du  6  décembre  (Bibl.  nat.,  Dépèches 
des  ambassadeurs  vénitiens,  filza  4,  f.  205). 

3.  Telle  est  l'appréciation  de  Chantonay,  ambassadeur  d'Espagne 
(Lettre  en  espagnol  à  Philippe  II,  du  28  décembre  1560  ;  Arch. 
nat.,  K.  1494,  n°  12).  L'ambassadeur  vénitien,  Jean  Michieli, 
paraît  du  même  avis  {Relations  des  amb.  vm.,  t.  I,  p.  421). 

4.  Œuvres  morales  de  Plutarque.,  Paris,  1802,  épitre  do  dédicace 
au  roi,  p.  13. 

5.  Relations  des  ambassadeurs  vénitiens.,  t.  I,  p.  419. 

6.  Lettre  sans  date,  1561  (Négociations  sous  François  II,  p.  793). 


4  ANTOINE   DE   BOURBON 

efforcé  d'assujettir  à  l'étude  des  lettres  ce  «  jeune  lion  » 
indompté  qui  ne  rêvait  que  chasse  et  que  combats. 
Charles  IX  lisait  les  vies  de  Plutarquc,  vivait  et  pensait 
avec  ses  héros,  mais,  au  lieu  d'y  puiser  «  la  sainte 
sapience,  discipline  des  rois^,  »  il  n'y  cherchait  que 
l'image  de  la  guerre.  Vers  le  même  temps,  un  autre 
prince,  destiné  agrandir  à  côté  de  lui,  Henri  de  Béarn, 
sur  les  conseils  de  sa  mère,  recueillait  à  cette  même 
lecture  la  source  «  de  ses  bons  déportemens.  »  Cepen- 
dant le  fils  de  Henri  II  se  montrait  sensible  aux  soins 
d'Amyot.  A  l'exemple  de  Charles-Quint,  qui  avait  fait 
nommer  pape  son  ancien  précepteur,  Adrien  II,  il  vou- 
lut, le  lendemain  de  son  avènement,  montrer  sa  recon- 
naissance à  son  maître  ;  son  premier  acte  fut  de  con- 
férer à  Jacques  Amyot  la  charge  de  grand  aumônier  ^. 
L'ancienne  constitution  du  royaume,  qui  n'était  pas 
discutée,  parce  qu'elle  n'avait  jamais  été  écrite,  attri- 
buait la  régence  au  roi  de  Navarre  comme  premier 
prince  du  sang.  La  reine  mère  n'a  droit,  écrit  Chan- 
tonay  à  Philippe  II,  qu'à  la  tutelle  de  son  fils^.  Mais 
l'autorité  de  la  reine  pouvait  primer  celle  des  tradi- 
tions. Il  importait  de  résoudre  la  question  avant  le 
1 3  décembre,  date  de  l'ouverture  des  états  généraux, 
dont  les  assemblées  bruyantes  auraient  passionné  le 
débat.  Catherine  avait  à  peine  huit  jours,  et  son  natu- 

i.  Préface  do  la  traduction  dos  OEuvres  morales. 

2.  Orduunauco  datée  du  0  décembre  1560  (copie  du  temps; 
coll.  Clairembauit,  vol.  HH,  f.  257). 

3.  Ghantonay  cunstatc  que  ce  point  n'était  pas  discuté  (Lettre 
orig.  à  Pliilippe  II,  du  5  décembre;  Arcli.  nat.,  K.  1493,  n"  111). 
Dans  une  autre  lettre,  du  28  décembre,  il  raisonne  longuement 
ce  puint  de  droit  (Ibid.,  K.  149i,  n°  12).  —  Lettre  de  Throckmorton 
du  31  décembre  (Calcndars,  15GU,  p.  4G7). 


ET   JEANNE    D  ALl'.RET.  5 

rel  ne  la  portait  pas  aux  décisions  rapides^.  Quelques 
heures  avant  la  mort  du  roi  ~,  elle  était  allée  consul- 
ter le  cardinal  de  Tournon  et  s'était  fait  un  plan  de 
conduite,  dont  le  trait  principal  était  de  résoudre  la 
question  par  l'autorité  du  fait  accompli^.  Dans  la 
matinée  du  G  décembre,  sur  les  conseils  du  maréchal 
de  Vieilleville  \  elle  convoqua  à  l'hôtel  Groslot  les 
princes,  les  membres  du  conseil,  les  hauts  seigneurs 
présents  à  la  cour.  L'assemblée  réunie,  elle  fît  ouvrir 
les  portes  de  la  chambre  du  roi.  Le  roi  de  Navarre, 
les  cardinaux  de  Tournon,  de  Lorraine,  de  Guise  ^  et 
de  Chastillon,  le  prince  de  la  Roche-sur- Yon,  les  ducs 
de  Guise,  d'Aumale  et  d'Estampes,  le  chancelier  Michel 
de  l'Hospital,  les  maréchaux  de  Saint-André  et  de  Bris- 
sac,  l'amiral  de  Goligny,  les  évêques  d'Orléans,  de 
Valence  et  d'Amiens,  les  s.  du  Mortier  et  d'Avanson, 
tous  membres  du  conseil  privé,  furent  admis  solen- 
nellement auprès  du  nouveau  roi,  qui  les  remercia 
«  benignement  »  de  leurs  services  et  leur  commanda 
d'obéir  à  la  reine  mère. 


\.  Baschet,  La  diplomatie  vénitienne^  pièces  citées,  p.  515  et 
518.  —  Sur  les  incertitudes  de  Catherine,  pendant  les  premiers 
jours  du  règne  de  Cliarles  IX,  voyez  les  Commentaires  de  Mon- 
luc  (t.  Il,  p.  33G,  édit.  de  la  Société  de  l'Histoire  de  France). 

2.  La  veille  de  la  mort  du  roi  elle  avait  écrit,  dans  la  pré- 
voyance de  ce  qui  allait  se  passer,  une  très  belle  lettre  à  Guil- 
laume de  Saulx,  s.  de  Villefrancon,  pour  lui  demander  de 
maintenir  l'ordre  dans  la  province  fOrig.,  f.  IV.,  vol.  4638,  f.  5). 

3.  Lettre  do  Tornabuoni  au  grand -duc  de  Toscane,  du 
6  décembre  1500  ;  Négociations  de  la  France  avec  la  Toscane^  t.  III, 
p.  427. 

4.  Mémoires  de  Vincent  Carloix^  liv.  VIII,  cbap.  xvi. 

5.  «  Point  ne  fcurent  paresseux  ceux  de  Guise  à  saluer 
«  Charles  »  (D'Aubigné,  Histoire  universelle^  1626,  t.  I,  col.  141). 


6  ANTOINE    DE   BOURBON 

Après  eux  les  cinq  capitaines  des  gardes,  les  quatre 
secrétaires  d'État,  l'Aubespine,  Bourdin,  de  Fresne 
et  Robertet,  ies  intendants  des  finances,  les  chevaliers 
de  l'ordre,  les  gentilshommes  de  la  chambre  reçurent 
les  mêmes  instructions.  Le  cardinal  de  Lorraine  rap- 
porta le  cachet  de  François  II  et  le  rompit  en  présence 
du  conseil.  On  fabriqua  un  autre  cachet  au  chiffre  du 
nouveau  roi,  qui  devait  rester  entre  les  mains  de  la 
reine  mère^.  Les  secrétaires  d'État  dressèrent  immé- 
diatement des  lettres  d'avis  à  l'adresse  des  cours  souve- 
raines et  des  gouverneurs  de  places,  pour  faire  con- 
naître à  la  fois  la  mort  de  François  II,  l'avènement 
de  son  successeur  et  l'organisation  du  nouveau  pou- 
voir. Dans  ces  lettres  le  roi  déclare  «  que  la  pru- 
«  dence  de  la  royne  mère  suppléera  aux  défauts  de 
«  son  âge,   »  ou  bien  qu'il  «  a  supplié  la  royne  de 

«  prendre  en  main  la  charge  des  affaires avec  le 

«  prudent  ad  vis  et  conseil  de  son  oncle  le  roy  de 
«  Navarre  -.  »  Catherine  ajouta  une  lettre  signée  d'elle 
à  celles  du  roi.  Ainsi  s'établit  dans  le  gouvernement 
une  dualité  qui  dura  jusqu'à  la  fin  du  règne  de  Henri  III. 

Catherine  de  Médicis  associa  immédiatement  le  roi 
de  Navarre  aux  affaires.  La  reine  et  le  prince  agitèrent 
un  moment  de  n'appeler  au  conseil  (jue  le  chancelier, 
le  cardinal  de  Lorraine,  le  duc  de  Guise,  le  conné- 
table, les  maréchaux  de  Brissac  et  de  Saint-André,  le 


1.  Relation  de  ce  qui  se  passa  à  Orléans  le  lendemain  de  la 
mort  de  François  II  [Mémoires  de  Condé,  t.  II,  p.  211). 

2.  Lettre  du  roi  à  Antoino  do  Noailles  (Vc  de  Colbert,  vol.  27, 
f.  2i0)  ;  lettre  à  Coignet,  ambassadeur  en  Suisse  [Lettres  de  Cathe- 
rine de  Médicis,  t.  I,  p.  567,  note)  ;  lettre  du  roi  au  duc  d'Aumalc 
du  8  décembre  (f.  IV.,  vol.  1639,  f.  6). 


ET   JEANNE    D  ALBRET.  7 

duc  de  Montpensier  et  le  prince  de  la  Roche-sur-Yon ^ . 
Mais  la  reine  voulut  ajouter  à  la  liste  quelques-unes 
de  ses  créatures  et  Antoine  de  Bourbon  ses  plus  fidèles 
partisans.  Les  concessions  furent  réciproques,  et,  d'ad- 
jonction en  adjonction,  la  liste  monta  à  trente  noms. 
La  reine  fut  représentée  au  conseil  par  le  cardinal  de 
Tournon,  les  maréchaux  et  le  sire  de  Crussol  ;  le  roi 
de  Navarre  par  les  princes  du  sang,  les  Montmorency 
et  les  Chastillon-.  La  séance  d'inauguration  fut  fixée 
au  lendemain,  7  décembre. 

Le  roi  de  Navarre,  comme  le  reste  de  la  cour, 
subissait  passivement  l'ascendant  de  Catherine,  mais 
ne  ratifiait  aucune  de  ses  combinaisons.  Sa  docilité 
cachait  des  réserves.  Étourdi  d'un  coup  de  fortune, 

\.  Lettre  de  Tornabuoni  au  grand-duc  de  Florence  ;  Négociations 
de  la  France  avec  la  Toscane^  t.  III,  p.  427.  —  Lettre  de  Ghantonay 
à  Philippe  II,  du  8  décembre  1560  (Orig.  espagnol,  Arch.  nat., 
K.  1594,  n"  115).  —  Lettre  de  Suriano  du  6  décembre  (Dép.  des 
ambassadeurs  vénitiens,  filza  4,  f.  205). 

2.  Voici  la  liste  complète  des  membres  du  conseil  :  le  roi  de 
Navarre  ;  les  cardinaux  de  Tournon,  de  Lorraine,  de  Bourbon, 
de  Ghastillon,  de  Guise  et  d'Armagnac  ;  le  prince  de  Gondé  ;  le 
duc  de  Montpensier,  gouverneur  de  l'Anjou  et  du  Maine  ;  le 
prince  de  la  Roche-sur- Yon,  gouverneur  d'Orléans  ;  le  duc  de 
Guise,  grand-maitre  et  gouverneur  du  Dauphiné  ;  le  duc  de 
Nevers,  gouverneur  de  Brie  et  Champagne  ;  le  duc  d'Aumale, 
gouverneur  de  Bourgogne  ;  le  connétable  de  Montmorency,  gou- 
verneur du  Languedoc  ;  le  chancelier  de  l'Hôpital  ;  le  duc 
d'Estampes,  gouverneur  "de  Bretagne;  le  maréchal  Saint-André, 
gouverneur  du  Lyonnais  et  Forez;  le  maréchal  de  Brissac, 
gouverneur  de  Picardie  ;  l'amiral  Coligny  ;  le  s.  du  Mortier  ; 
Morvilliers,  évêque  d'Orléans  ;  le  s.  d'Avanson  ;  Monluc,  évoque 
de  Valence  ;  Pellevé,  évêque  d'Amiens  ;  le  s.  de  Selve  ;  le  maré- 
chal de  Thermes  ;  le  maréchal  de  Montmorency,  gouverneur  de 
risle-de-Francc  ;  le  maréchal  de  Vicilleville  ;  le  sire  de  Crussol  ; 
Cossé,  s.  de  Gonnort.  (Extraits  des  registres  de  Claude  de  l'Au- 
bespine;  coll.  Brienne,  vol.  257,  f.  45.) 


8  ANTOINE    DE    BOURBON 

qui,  suivant  plusieurs  témoins,  lui  sauvait  la  vie^, 
pénétré  de  son  droit  à  la  régence,  mais  ne  sachant 
comment  le  faire  valoir,  il  attendait  une  inspiration. 
Malheureusement  pour  lui,  Jeanne  d'Albret  était  en 
Béarn.  Catherine,  témoin  de  son  incertitude,  le  fit 
circonvenir  par  le  sire  de  Carrouges,  par  Saint-Gelais 
de  Lansac,  négociateur  habile,  toujours  au  premier 
rang  dans  les  intrigues  de  Catherine,  et  par  la  duchesse 
de  Montpensier,  sa  cousine,  qui  avait  conquis  du  crédit 
sur  lui  ^.  Antoine  avait  repris  pour  favoris  François 
d'Escars  et  Philippe  de  Lenoncourt,  évèque  d'Auxerre  ; 
elle  les  achela,  l'un  par  des  présents,  l'autre  par  la 
promesse  du  chapeau  de  cardinal.  Trois  conditions 
furent  offertes  au  roi  de  Navarre  de  la  part  de  la 
reine  :  la  première,  de  délivrer  tous  les  prisonniers 
et  particulièrement  le  prince  de  Condé,  la  dame  de 
Roye  et  le  vidame  de  Chartres  ;  la  seconde,  de  lui  don- 
ner le  titre  de  lieutenant  général  et  le  gouvernement 
de  toutes  les  provinces  ;  la  troisième  proposition 
répondait  au  rêve  secret  d'Antoine  ;  la  reine  s'enga- 
geait à  user  de  son  crédit  auprès  du  roi  d'Espagne 
pour  demander,  sinon  la  restitution  de  la  Navarre,  au 
moins  une  compensation  suffisante.  Telles  étaient, 
d'après  Davila  ^,  les  clauses  du  marché. 

1.  Nous  ajoutons  aux  t('mûiguages  que  nous  avons  cités 
dans  les  notes  du  tome  II  le  témoignage  de  Melvil,  présent  à 
Orléans,  qui  affirme  que,  si  François  II  avait  vécu,  le  roi  de 
Navarre  aurait  suivi  Condé  sur  l'échafaud  (Mémoires^  1694,  t.  I, 
p.  107).  —  De  Bèze  écrit  que  le  prince  aurait  été  seulement 
emprisonné,  de  même  que  le  connétable  (Lettre  du  "i?"?  janvier  ; 
Baum,  Teodor  Deza,  Preuves,  p.  18). 

2.  Notamment  dans  les  derniers  jours  du  règne  de  François  II. 
Voy.  de  Thon,  liv.  XXVI,  1740,  t.  II,  p.  832  et  834. 

3.  Davila,  favori  de  la  reine  mère  quelques  années  après,  reçut 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  9 

Antoine  ne  se  sentait  pas  d'aise  d'avoir  reconquis 
de  l'importance.  D'Escars,  poussé  par  la  cupidité, 
Lenoncourt,  par  l'ambition,  pressaient  ce  prince  faible 
et  indécis.  Le  titre  de  régente,  que  la  reine  se  réser- 
vait, n'offrait  guères,  disaient-ils,  que  de  vaines 
prérogatives.  L'apparence  du  pouvoir  appartenait  à 
Catherine,  mais  le  pouvoir  réel  restait  au  lieutenant  du 
roi.  La  délivrance  de  Condé  couvrait  de  confusion  les 
ennemis  des  Bourbons.  Enfin  l'appui  sincère  du  roi  de 
France  donnait  aux  revendications  de  la  Navarre  une 
autorité  qu'elles  n'avaient  jamais  eue.  Dans  la  maison  de 
Bourbon  deux  influences  rivales  se  balançaient  ;  Condé, 
altéré  de  vengeance,  se  montrait  intraitable  ;  mais  le 
duc  de  Montpensier  et  le  prince  de  la  Roche-sur- Von  se 
déclaraient  satisfaits.  Trois  jours  après  la  mort  de  Fran- 
çois II,  on  disait  communément  à  la  cour  que  la  reine 
et  le  roi  de  Navarre  «  marchaient  du  même  pas  »  et 
que  les  états  consacreraient  l'accord  en  les  investis- 
sant, l'une  du  titre  de  régente,  l'autre  du  pouvoir  de 
lieutenant  général. 

Au  milieu  de  ses  hésitations,  Antoine  reçut,  d'un 
de  ses  conseillers  du  parti  l'éformé ,  un  mémoire 
empreint  d'une  énergie  hautaine  : 

Devez  dire  haut  et  clair  que  ne  voulez  pour  rien  quicter 

vostre  droit,  car  tant  plus  vous  en  parlerez  haut  et  plus  ébran- 
lerez ceux  qui  le  voudroient  empêcher  de  faire  autrement 

La  prise  de  vostre  chancelier,  les  Lspagnolz  entrez  en  vostre 
pays,  le  volage  de  M.  de  Termes,  si  autre  chose  n'y  a  que  je  ne 
puisse  savoir,  vous  donnent  assez  à  connoistre  que  c'est  à  vous 

les  confidences  de  Catherine.  Aussi  son  récit  ost-il  plus  complet 
qu'aucun  autre  sur  ces  négociations  [Hist.  des  Querrcs  civiles,  1. 1, 
trad.  in-fol.,  p.  76  et  suiv.). 


10  ANTOINE    DE   BOURBON 

à  qui  ilz  en  vouloient  et  voudront  toutes  les  foys  qu'ilz  auront 
puissance  de  vous  nuyre.  Pourtant  gardez-vous  bien  de  vous 
défaire  de  l'autorité  que  les  loix  vous  donnent,  pendant  laquelle 

vous  pouvez  tellement  vous  forliffier et  les  quatre  ans  vous 

les  prolongerez  jusqu'à  huit  ou  dix  en  pareille  puissance. 

Enfin  le  mémoire  anonyme  conseillait  au  prince  de 
se  liguer  avec  la  noblesse,  de  ne  point  quitter  Orléans 
«  qui  Juy  est  grande  commodité  s'il  en  scayt  user,  » 
de  conserver  aux  états  leur  autorité,  «  qui  est  d'or- 
«  donner,  non  de  demander;  et  en  ce  faisant  peult 
«  acquérir  grande  faveur  de  peuple  ;  »  de  faire  quelque 
édit  fi  synon  d'interym,  au  moins  de  souffrance  pour 
«  un  temps,  afifin  que  l'évangile  se  puisse  avancer,  » 
et  de  réhabiliter  les  conjurés  d'Amboise^. 

Cette  instruction,  (|ui  commandait  sur  le  ton  du 
conseil  ~,  surprit  le  roi  de  Navarre  au  milieu  de  ses 
perplexités.  Le  soin  de  faire  triompher  «  l'évan- 
«  gile  »  en  ce  moment  était  loin  de  sa  pensée.  Pour 
satisfaire  son  parti,  il  demanda  à  la  reine  l'exclusion 
des  Guises  de  toutes  les  charges  de  la  cour.  Cette  exi- 
gence faillit  rompre  les  pourparlers.  Catherine  répon- 
dit que  chasser  les  Guises,  c'était  courir  les  chances 

1.  Mémoire  au  roi  de  Navarre  sur  la  conduite  qu'il  doit  tenir 
après  la  mort  de  François  II  ;  sans  date  ni  signature  ;  écriture 
du  temps  (Arcli.  des  Basses-Pyrénées,  E.  580).  Une  lettre  de 
Calvin  aux  ministres  de  Paris,  qui  probablement  arriva  trop  tard 
à  son  adresse,  contient  les  mêmes  conseils  (Bonnet,  Lettres  de 
Calvin^  t.  Il,  p.  120). 

2.  On  regrette  de  ne  pouvoir  percer  l'anonyme,  car  la  pièce 
est  animée  d'un  esprit  politique  assez  élevé.  Il  y  a  des  allu- 
sions que  nous  ne  pouvons  deviner.  Ainsi  on  y  parle  des  pri- 
sonniers de  Melun,  ce  qui  s'applique  probablement  au  chancelier 
Bouchard  et  à  ses  compagnons.  Un  personnage  y  est  signalé  sous 
le  surnom  de  l'OEillcl-d'Indc  comme  chargé  d'une  entreprise ? 


ET   JEANNE    d'aLBRET,  H 

de  la  guerre  civile,  que  la  demande  était  contraire  au 
principe  même  de  sa  politique,  l'accord  entre  tous  les 
partis.  Antoine  se  contenta  de  la  réponse  ;  mais,  au 
moment  de  signer  le  pacte,  il  déclara  qu'il  ne  voulait 
rien  conclure  sans  consulter  le  connétable.  11  fallut 
subir  les  prétentions  de  ce  nouveau  négociateur  ;  Cathe- 
rine le  désintéressa  aux  dépens  du  roi  de  Navarre. 

Le  connétable  de  Montmorency,  convoqué  à  la  cour 
dans  les  derniers  jours  du  règne  du  feu  roi,  s'avan- 
çait à  pas  comptés.  Se  sentant  menacé  dans  son  crédit 
par  les  favoris  de  François  II,  il  «  feignoit  le  malade  » 
et  se  faisait  porter  dans  un  brancard.  Par  prudence, 
il  avait  laissé  son  fils  à  Chantilly.  Lansac,  qui  lui  avait 
été  dépêché  par  la  reine  mère,  le  rencontra  à  Étampes. 
Aussitôt  qu'il  eut  appris  la  mort  du  roi  et  lu  la  lettre 
de  la  reine,  le  connétable  sortit  de  sa  litière,  monta  à 
cheval  et  pressa  sa  marche  vers  Orléans  ^  La  prin- 
cesse de  Condé  vint  au-devant  de  lui  à  Artenay  et 
s'épancha  en  récriminations  contre  l'emprisonnement 
de  son  mari.  Montmorency  arriva  le  matin  du 
8  décembre  à  la  porte  Banière^.  Les  murailles  étaient 
gardées  par  des  compagnies  en  armes.  Surpris  de  cet 
étalage  militaire ,  il  chassa  rudement  les  soldats  et 
menaça  les  capitaines  «  de  les  faire  pendre  »  en  disant 
que  «  c'estoit  chose  mal  séante  qu'estant  le  roy  dans 
«  Orléans,  au  milieu  de  son  royaume,  on  gardast  les 


1.  Mémoires  de  Jacques  Melvil,  1694,  t.  I,  p.  108. 

2.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du  8  décembre  1500 
(Orig.  espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1193,  n"  115).  —  Throckmorton 
dit  que  le  connétable  arriva  le  7  (Calendars,  1560,  p.  438). 
Ghantonay  est  plus  précis  dans  son  récit. 


12  ANTOINE    DE   BOURBON 

«  portes  ' .  »  Dès  qu'il  fut  arrivé  au  logis  du  roi,  la 
reine  mère  le  prit  à  part,  lui  parla  de  ses  douleurs 
et  l'adjura  en  termes  émus,  au  nom  de  tant  de  rois 
dont  il  avait  été  le  lieutenant,  de  servir  d'appui  à  la 
veuve  de  son  maître  et  à  l'orphelin  couronné.  De 
nouvelles  angoisses  prêtaient  à  ses  paroles  un  accent 
de  vérité;  le  jour  même,  Charles  IX  était  tombé 
malade  ^  IMontmorency  s'attendrit,  versa  des  larmes 
et  jura  d'employer  son  influence  et  son  épée  contre 
ceux  qui  refuseraient  d'obéir  à  la  reine '^ 

Le  %\  décembre,  un  règlement  du  conseil,  homo- 
logué par  le  roi,  partagea  inégalement  l'autorité  entre 
la  reine  mère  et  le  roi  de  Navarre''.  «  La  reine,  dit 
«  un  témoin  d'un  sens  rare,  Etienne  Pasquier,  pour- 
ce  voira  aux  choses  tant  ecclésiastiques  que  séculières, 
«  qui  proviennent  de  la  liljéralité  du  roy,  le  tout  tou- 
«  lesfois  soubz  le  nom  du  roy  ;  et  pareillement  elle 
«  ordonnera  les  finances^.  »  Les  finances  avaient  été 
gérées  pendant  le  règne  de  François  II  par  le  cardinal 
de  Lorraine.  Maint  abus  s'y  était  introduit  que  le  car- 
dinal de  Tournon  affectait  de  relever  au  conseil  ''.  On 


1.  La  Placo,  Estât  de  religion  et  république,  édit.  du  Panlh.  litt., 
p.  76.  —  Aubi^iK',  Ilisloire  universelle,  1626,  t.  I,  col.  1  îO. 

2.  Lettres  de  Catherine  de  Médicis,  t.  I,  p.  157. 

3.  Cette  scène  est  racontée  par  Davila,  t.  I,  p.  80.  —  Jacques 
Melvil,  dans  ses  Mémoires,  certifie  le  fond  du  récit  (1694,  t.  I, 
p.  108). 

1.  Cet  acte  important  est  imprimé  par  Du^iuv  {Traité  de  la 
majorité  des  rois,  p.  352). 

5.  Lettres  de  l^asquicr  dans  les  OEuvres  complètes,  t.  II,  col.  86. 

6.  Tornabuoni  emploie  une  expression  singulière  pour  exprimer 
cette  idée  :  «  Il  cardinale  de  Tournon  dà  addosso  al  cardinale  de 

«  Lorraine »  {Négociations  de  la  France  avec  la  Toscane,  t.  III, 

p.  432.) 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  13 

remit  les  clefs  du  trésor  à  la  reine  pour  rendre  moins 
amère  la  dépossession  du  cardinal.  Catherine,  obli- 
gée de  s'en  décharger,  les  proposa  à  l'intègre 
chanceher,  et,  sur  son  refus,  les  confia  au  maréchal 
de  Vieilleville,  à  Lansac  et  au  sire  de  Grussol,  son  che- 
valier d'honneur^.  Quant  aux  correspondances,  «  les 
et  secrétaires  d'Estat,  sans  aucunement  les  ouvrir,  les 
«  présenteront  incontinent  à  lad.  dame  reine  mère, 
«  qui  les  verra  à  part-,  b  Cette  clause  permettait  à 
Catherine  de  dissimuler  certaines  affaires  au  roi  de 
Navarre.  Elle  ne  s'en  fit  faute.  On  lit  dans  une  lettre 
de  Robertet  à  l'Aubespine  :  «  Vous  trouverez  en  ce 
«  pacquet  troys  lettres,  une  première  et  deux  après  ; 
«  la  première  et  seconde  vous  sont  envoyées  à  part  et 
«  vous  y  ferez  responce  par  une  lettre  particulière. 
c(  Quant  à  l'autre,  qui  est  pour  le  faict  du  roy  de 
«  Navarre,  ceste-là  luy  a  esté  communiquée  ;  vous  y 
«  ferez  responce  dans  la  lettre  que  vous  ferez  au  roy, 
«  qu'il  verra  aussy.  Il  se  fault  ainsy  conduire  au  temps 
«  où  nous  sommes^.  » 

Le  roi  de  Navarre,  «  foible  pour  son  trop  de  bonté*, 
«  se  contenta  de  l'ombre,  quictant  volontairement  le 
«  corps  et  la  substance  à  la  royne  mère  ^.  »  Peut-être 
espérait-il  que  les  états  le  relèveraient  à  son  rang.  11 
aura,  dit  Pasquier,  «  la  charge  sur  tous  gens  de  guerre, 
«  pourvoira  aux  villes  frontières  avec  le  nom  et  filtre 

\.  Lettre  de  Turnabuoni  au  grand-duc  de  Florence  (Négociations 
de  la  France  avec  la  Toscane^  t.  III,  p.  430). 

2.  Décision  du  conseil,  du  21  décembre  ;  Dupuy,  Traité  de  la 
majorité  des  rois^  p.  35'i. 

3.  Original  daté  du  27  mars  (15GI)  ;  f.  fr.,  vol.  GG17,  f.  139. 

4.  Mémoires  de  Tavannes,  coll.  Petitot,  t.  XXIV,  p.  31  G. 

5.  Bèze,  Histoire  ecclésiastique^  1841,  t.  I,  p.  25 j. 


14  ANTOINE   DE   BOURBON 

«  de  lieutenant  général  du  roy  par  toute  la  France  ^ .  » 
Ce  partage  du  pouvoir  parut  équitable  à  la  cour  et  au 
parlement  ~.  Malgré  les  précédents,  malgré  les  anciens 
statuts  du  royaume,  chacun  jugeait  tout  bas  qu'un 
prince,  accusé  de  conspiration  la  veille  de  la  mort  du 
feu  roi,  ne  pouvait  être  promu  à  la  régence  le  lende- 
main. 

Le  jour  même  de  l'arrivée  du  connétable,  le  roi  de 
Navarre  donna,  en  sa  qualité  de  prince  du  sang,  le 
collier  de  l'ordre  Saint-Michel  au  jeune  roi  et  à  son 
frère  le  duc  d'Orléans^.  La  gloire  déjouer  le  premier 
rôle  dans  une  cérémonie  d'apparat  s'accrut  dans  la 
même  journée  des  hommages  des  ambassadeurs  étran- 
gers. Perrenot  de  Chantonay,  représentant  du  roi 
d'Espagne,  fit  sa  visite  de  condoléance  à  la  reine 
mère  et,  sur  le  conseil  de  Catherine,  alla  saluer  le 
roi  de  Navarre.  Le  lendemain,  Nicolo  Tornabuoni, 
ambassadeur  du  grand-duc  de  Toscane,  remplit  le 
même  devoir  ^  La  reine  et  le  prince  certifièrent,  cha- 
cun de  leur  côté,  le  parfait  accord  qui  régnait  entre 
eus.  deux-'.  Dans  ses  lettres,  Catherine  rendait  justice, 
non  sans  un  peu  de  surprise,  au  désintéressement  du 
prince.  «  Il  faut  (jue  je  vous  dye,  écrit-elle  à  sa  fille, 
«  que  le  roy  de  Navarre,  qui  est  le  premier  et  auquel 

1.  Lettres  de  Pasquier  dans  les  OEuvres  complètes,  t.  II,  col.  86. 

2.  Lettre  du  parlement  au  roi,  du  12  décembre  (Dupuy,  Trailé 
de  la  majorité  dex  rois^  p.  351). 

3.  Lettre  de  Tornabuoni  du  9  décembre  1560  [Négociations  de  la 
France  avec  la  Toscane,  t.  III,  p.  427).  —  Lettre  de  Chantonay  à 
Philippe  II,  du  2i  décembre  (Orig.  espagnol,  Arch.  nat.,  K.  1494, 
n»  M). 

4.  Négociations  de  la  France  avec  la  Toscane,  t.  III,  ]).  4-?7. 

5.  Lettre  originale  en  espagnol  de  Chantonay  à  Philippe  II, 
en  (laie  (hi  8  dé-cembre  (.\rch.  nat.,  K.  1  i93,  n°  115). 


ET   JEANNE   d'ALBRET.  15 

«  les  lois  du  royaume  donnent  beaucoup  d'avantage, 
«  s'est  si  doulcement  et  franchement  porté  en  mon 
«  endroict  que  j'ay  grande  occasion  de  m'en  con- 
«  tenter^.  » 

Débarrassée  de  l'opposition  au  moins  immédiate 
d'Antoine  de  Bourbon,  la  reine  mère  essaya  son  ascen- 
dant sur  les  Guises.  François  de  Lorraine  était  assez 
fort  à  Orléans  pour  faire  «  trembler  non  pas  la  court 
«  seulement,  mais  toute  la  France.  »  Il  pouvait  réduire 
le  roi  et  la  reine  «  à  son  bon  plaisir  et  les  autres  comme 
«  il  eust  voulu-.  »  La  majorité  du  conseil  et  tous  les 
gens  de  guerre  étaient  «  à  sa  dévotion.  »  Il  fallait 
désarmer  cet  ennemi.  Catherine  fît  appeler  le  maré- 
chal Saint-André,  le  confident  des  Lorrains,  et,  par 
des  insinuations  habiles,  lui  persuada  que  le  nouveau 
régime  réservait  aux  Guises  d'aussi  beaux  jours  que 
le  règne  éphémère  de  François  II.  Le  maréchal  sortit 
de  l'entretien  en  disant  à  ses  amis  que  la  reine  mère 
seule  pouvait  rétablir  le  crédit  de  la  maison  de  Lor- 
raine et  écarter  sans  éclat  les  ambitieux  Bourbons.  Le 
duc  de  Guise  se  résigna  à  une  déchéance  momen- 
tanée, à  la  condition  de  conserver  ses  charges,  mais 
le  cardinal  de  Lorraine  se  montra  plus  difficile  à 
convaincre  •*. 

1.  Lettres  de  Catherine  de  Médicis,  p.  569. 

2.  Cet  aperçu  historique  est  tort  bien  exposé  par  Brantôme, 
alors  présent  à  Orléans,  t.  IV,  p.  226  et  suiv.  — La  popularité  et 
la  puissance  du  duc  de  Guise  sont  aussi  certifiées  par  une  lettre 
de  Suriano  du  6  décembre  1560  (Dép.  des  ambassadeurs  vénitiens, 
filza4  bis,  f.  6). 

3.  Lettre  de  l'ambassadeur  vénitien  du  6  décembre  (DéchilVre- 
ment;  Dépèches  vénitiennes,  filza  4  bis,  f.  6).  —Lettre  de  Ghan- 
tonay,  du  28  décembre,  à  Philippe  II  (Orig.  espagnol  ;  Arch.  nat., 
K.  1494,  no  12). 


16  ANTOINE   DE   BOURBON 

Bientôt  se  répandit  le  bruit  de  la  disgrâce  des 
Guises.  La  reine  mère,  qui  pendant  le  règne  précé- 
dent avait  été  peu  écoutée  de  son  fils',  laissa  percer 
sa  satisfaction  d'être  délivrée  de  la  tutelle  des  Lorrains^; 
le  cardinal  de  Tournon,  sa  jalousie  contre  le  cardinal 
de  Lorraine^.  Telles  démonstrations  permirent  aux 
rancunes  des  courtisans  inférieurs  de  s'étaler  au  grand 
jour.  Le  cardinal  de  Lorraine  surtout  était  poursuivi 
par  des  ennemis  acharnés.  Tremblant  pour  ses  richesses 
et  même  pour  ses  jours,  dès  le  6  décembre,  il  avait 
fait  passer  en  Lorraine  une  partie  de  ses  trésors  et 
annoncé  sa  retraite  dans  son  diocèse  de  Reims*.  Le 
duc  de  Guise,  plus  courageux  que  son  frère,  assez  fier 
pour  subir  sans  émotion  les  bassesses  des  courtisans, 
«  faisoit  bonne  mine  en  mauvais  jeu •'.  » 

Le  premier  effet  de  la  chute  des  Guises  fut  de 
rendre  la  liberté  au  prince  de  Condé.  Au  moment 
de  la  mort  du  roi,  le  prince  jouait  aux  dés  avec  ses 

\.  Voyez  les  singuliers  aveux  (le  Catherine  [Lettres  de  Catherine 
de  Mcdlcis^  t.  I,  p.  5911. 

2.  Mémoires  de  Jacques  Melvil^  169i,  t.  I,  p.  107.  —  Cependant 
l'ambassadeur  vénitien  écrit,  le  6  décembre,  que  la  reine  mère 
soutient  les  Guises  (Dép.  dos  ambassadeurs  vénitiens,  filza  'i  bis, 
f.  6).  Il  était  mal  informé. 

3.  Lettre  de  Tornabuoni  du  6  décembre  (Négociations  de  la 
France  avec  la  Toscane^  t.  III,  p.  427). 

4.  Lettre  non  signée  d'un  ambassadeur  vénitien  (Michel  Suriano) 
à  la  république  de  Venise  (Bibl.  nat.,  Dépèches  des  ambassadeurs 
vénitiens,  filza4  bis,  f.  6).  — Lettre  de  Tornabuoni  au  grand-duc 
de  Florence  {Néyocialions  de  ta  France  avec  la  Toscane,  t.  III, 
p.  i27|.  —  Vincent  Carloix  donne,  sur  la  sortie  de  la  cour  du 
canliiiiil  ftc  Lorraine,  des  détails  qui  ne  sont  point  d'accord  avec 
les  k'Llrcs  des  ambassadeurs  {Mémoires  sur  Vieillevillc,  liv.  VIII, 
chap.  xvi). 

5.  Bèze,  Histoire  ecclésiastique^  18il,  t.  I,  p.  253. 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  17 

gardiens,  quand  un  page  de  service  s'approcha  de  lui, 
et,  feignant  de  ramasser  un  dé,  lui  dit  tout  bas  :  «  Notre 
c(  homme  est  croquée  »  Condé  resta  impassible,  acheva 
sa  partie,  congédia  sa  suite  et  apprit  d'un  de  ses  gen- 
tilshommes le  détail  de  la  maladie  de  François  IL 
D'après  le  récit  de  l'ambassadeur  espagnol,  le  roi  de 
Navarre  obsédait  la  reine  mère  en  faveur  de  son  frère 
et  Catherine  refusait  de  l'élargir  avant  sa  justification  ~. 
Mais  bientôt  le  prince,  mieux  conseillé,  cessa  ses  ins- 
tances, et  Condé  refusa  de  sortir  «  sans  savoir  qui 
«  était  sa  partie^.  »  Chacun,  redoutant  son  ressenti- 
ment, rejetait  sur  le  feu  roi  cette  dangereuse  respon- 
sabilité. Catherine  rappelait  qu'elle  avait  été  éloignée 
des  affaires  ;  les  Guises  invoquaient  les  dernières  décla- 
rations de  François  II.  En  attendant  l'aveu  de  ses 
accusateurs,  Condé  demeurait  en  prison,  gardé  à  vue 
par  quatre  archers  sans  armes,  plus  inquiets  de  le 
satisfaire  que  de  veiller  sur  lui*.  Cependant  Catherine 
lui  fit  rendre  son  épée  et  sa  dague.  Le  prince  les  reçut 
en  jurant  de  les  employer  à  se  venger  des  Guises,  et 


\.  Mémoires  de  Castelnaii,  1731,  t.  I,  p.  515. 

2.  Lettre  originale  en  espagnol  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du 
8  décembre  15G0  (Arch.  nat.,  K.  1493,  n»  115).  —  Il  était  alors 
question  de  faire  juger  le  prince  par  le  i)arlement.  Voyez  sa 
lettre  au  roi  de  Navarre  et  à  la  reine  [Mémoires  de  Condé^  t.  U, 
p.  388  et  390). 

3.  Tel  était  le  conseil  de  Calvin  (Lettre  aux  ministres  de  Paris  ; 
Bonnet,  Lettres  de  Calvin^  t.  II,  p.  l'20).  —  Lettre  de  Ghantonay 
à  Philippe  II,  du  9  d('cembre  15G0  (Orig.  espagnol;  Arch.  nat., 
K.  1193,  ri°  M  G). 

4.  Lettre  originale  en  espagnol  de  Ghantonay  à  Philippe  II, 
du  28  décembre  1560  (Arch.  nat.,  K.  1494,  n»  12).  —  La  Place, 
Estai  de  religion  et  république^  édit.  du  Panth.  litt.,  \\.  7G.  — 
Aubigné,  Histoire  universelle^  1GÎ4,  t.  I,  col.  lUl. 

m  2 


18  ANTOINE   DE   BOURBON 

fit  serment,  dit  Chantonay,  de  ne  jamais  assister  à  la 
messe  ni  d'en  autoriser  la  célébration  devant  lui^. 
Lorsque  le  pouvoir  de  la  reine  fut  mis  à  l'abri  de  toute 
contestation  par  l'assentiment  du  roi  de  Navarre, 
Catherine  fit  mettre  le  prince  en  liberté  sous  la  cau- 
tion nominale  de  son  frère.  Le  messager,  qui  lui 
apporta  la  déclaration,  le  trouva  jouant  avec  ses 
gardiens  et  les  faisant  courir,  les  yeux  bandés,  dans 
un  cercle  tracé  au  charbon  ^  Il  sortit  de  prison 
le  20  décembre^.  Mais  ses  imprudences,  ses  intem- 
pérances de  langue  le  firent  éloigner.  Il  quitta  Orléans 
le  2i4^  avec  sa  femme,  dans  le  coche  du  cardinal  de 
Bourbon.  Le  roi  de  Navarre,  le  connétable  et  une  foule 
de  seigneurs,  en  partie  de  chasse,  guettaient  son  pas- 
sage dans  la  foret  d'Orléans,  tandis  que  le  duc  de  Guise, 
le  cardinal  de  Lorraine  et  leurs  partisans,  sortis  de  la 
ville  dès  le  matin,  du  côté  opposé  à  la  route  du  prince, 
étaient  allés  se  confesser  à  Notre-Dame  de  Cléry.  Condé 
rencontra  ses  amis  au  milieu  des  bois.  Il  y  eut  là  des 
promesses  d'alliance  échangées  et  bien  des  anathèmes 
prononcés  contre  les  favoris  du  feu  roi.  Le  prince  se 
retira  à  Ham  en  Picardie,  ville  de  l'apanage  de  la  maison 
de  Vendôme,  en  attendant  la  déclaration  d'innocence 
qu'il  exigeait  ^.  C'était  un  coup  de  maître  pour  la  reine 

1.  Lcltro.  originale  en  espagnol  de  Chantonay  à  Philippe  II, 
du  28  décembre  1560  (Arch.  nat.,  K.  1494,  n»  12). 

2.  D'Aubigné,  Histoire  universelle,  1626,  col.  141. 

3.  Lettre  do  Michel  Suriano  à  la  république  de  Venise,  du 
20  décembre  1560  (Dépèches  des  ambassadeurs  vénitiens,  iilza  4, 
f.  221). 

4.  Lettre  originale  en  espagnol  de  Chantonay  à  Phihppe  II,  du 
24  décembre  1560  (Arch.  nat.,  K.  1494,  n"  11).  —  Calendars, 
1560,  p.  457  et  467. 

5.  Lettre  originale  en  espagnol  de  Chantonay  à  PhiUppc  II,  du 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  19 

que  de  l'avoir  éloigné  au  moment  de  l'ouverture  des 
états  généraux. 

Quelques  jours  après  la  mort  de  François  II,  l'union 
régnait  ou  semblait  régner  à  la  cour.  La  reine  mère  par- 
tageait avec  Antoine  de  Bourbon  l'autorité  suprême. 
Elle  évitait  de  prendre  le  titre  de  régente  et  ne  se  lais- 
sait qualifier  que  de  tutrice  de  son  fils^.  Les  lettres 
des  ambassadeurs,  les  rapports  des  lieutenants  du  roi 
lui  étaient  remis,  mais  elle  ne  décidait  aucune  affaire 
sans  prendre  l'avis  du  conseil.  Le  sceau  du  nouveau 
roi  restait  entre  ses  mains.  Le  roi  de  Navarre  était  ou 
paraissait  réconcilié  avec  le  duc  de  Guise.  «  Le  bon 
«  roi,  écrit  Tornabuoni,  soit  que  cela  soit  vrai,  soit 
«  qu'il  le  dise,  ne  parait  avoir  reçu  des  Guises  aucune 
«  injure.  »  Chantonay  accuse  davantage.  «  Le  duc  de 
«  Guise  va  quelquefois  dîner  chez  M.  de  Vendôme  où 
«  ils  se  traitent  familièrement-.  »  Enfin  l'ambassadeur 
vénitien  raconte  que,  le  duc  ayant  proposé  de  quitter 
la  cour,  Antoine  usa  de  toutes  ses  instances  pour  le 
retenir,  et  que,  à  bout  d'arguments,  il  lui  déclara  que. 


28  décembre  15G0  (Arch.  nat.,  K.  1494,  n»  12).  —  Gondé  était 
alors  tellement  pressé  d'argent  qu'il  faisait  appel  à  ses  dernières 
ressources.  La  princesse  de  Gondé  écrivit,  le  29  décembre, 
d'Anisy,  au  connétable  pour  le  supplier  de  lui  envoyer  le  règle- 
ment intégral  de  l'affaire  pendante  avec  lui  au  sujet  do  la  vente 
de  la  terre  de  G-ermigny  (f.  fr.,  vol.  6620,  f.  115). 

\.  Le  père  Griffet  en  avait  déjà  fait  la  remarque  [Traité  des 
preuves  qui  servent  à  la  vérité  de  fhistoire,  1770,  p.  2051.  Gette 
observation  s'accorde  avec  toutes  les  lettres  des  ambassadeurs 
étrangers  que  nous  citons  plus  loin. 

2.  Lettre  de  Tornabuoni  du  16  décembre  (Négociations  de  la 
France  et  de  la  Toscane,  t.  III,  p.  431).  —  Lettre  de  Ghantonay  à 
Philippe  II,  du  24  décembre  (Orig.  espagnol,  Arch.  nat.,  K.  1  i94, 
n«  11). 


20  ANTOINE    DE   BOURBON 

s'il  se  retirait,  il  se  retirerait  avec  lui  '.  Le  connétable 
avait  repris  ses  fonctions  de  chef  militaire  avec  autant  ' 
de  calme  que  s'il  ne  les  eût  jamais  perdues.  Ses  quatre 
fils  étaient  assidus  auprès  du  roi  de  Navarre.  Le  prince 
ne  prenait  aucune  détermination  sans  consulter  a  son 
«  bon  compère,  »  Le  cardinal  de  Lorraine  semblait 
résigné  à  sa  déchéance  ;  le  duc  de  Guise  exerçait  pai- 
siblement la  grande  maîtrise  de  la  maison  du  roi. 
Mais  des  inimitiés  passionnées  fermentaient  sous  cette 
paix  apparente.  Les  maisons  de  Bourbon  et  de  Guise 
étaient  séparées  par  des  rivalités  ardentes.  Gondé, 
avant  de  revenir  à  la  cour,  exigeait  un  débat  éclatant. 
Le  connétable,  jaloux  de  tout  le-  monde,  ne  subissait 
la  suprématie  de  personne-.  En  vain  la  reine  mère 
dépensait  ses  forces  à  concilier  ces  ambitions  enne- 
mies. La  plus  petite  querelle  remettait  la  paix  en 
question,  et,  lorsque  l'accord  régnait  à  la  surface,  le 
sentiment  des  dangers  secrets  de  l'heure  présente 
disposait  les  courtisans  aux  plus  absurdes  alarmes. 

Telle  était  la  cour  au  moment  de  l'ouverture  des 
états  d'Orléans. 

tYançois  II,  après  l'assemblée  de  Fontainebleau, 
avait  convoqué  les  états  généraux  à  Meaux  pour  le 
1 0  décembre  suivant.  Au  commencement  de  novembre, 
la  ville  de  Meaux  ne  paraissant  plus  assez  sûre  aux 

1.  Lottro  d'un  dos  ambassadeurs  vénitions  à  la  n>pul)lique  de 
Venise,  du  l''''  mars  15G1  (DéchillVemenl  non  sigué  ;  Dép.  véni- 
tiennes, lilza  4  bis,  f.  15).  —  Autre  du  3  mars  (Ibid.,  f.  18). 

2.  Lettre  non  signée  d'un  ambassadeur  vénitien  (Dép.  des 
ambassadeurs  vénitiens,  filza  4  bis,  f.  6).  —  Lettre  de  Throck- 
morton  du  9  décembre  (CalendarSy  1560,  p.  438).  —  Lettre  do 
Tornabuoni  du  10  et  du  16  décembre  (Négociations  de  la  France 
avec  la  Toscane,  l.  III,  p.  430  cl  431). 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  21 

Guises,  ils  appelèrent  les  députés  à  Orléans^.  Chaque 
bailliage  devait  envoyer  trois  députés,  un  de  chaque 
ordre,  et  leur  dicter  un  cahier  de  remontrances^.  Le 
roi  avait  recommandé  à  ses  officiers  d'écarter  des  élec- 
tions «  les  gens  studieux  de  nouvelleté  et  d'altération 
«  d'estat  ^,  »  c'est-à-dire  les  réformés  et  les  ennemis 
des  Guises.  IMalgré  la  pression,  un  grand  nombre  de 
provinces  avaient  choisi  des  députés  pénétrés  de  l'es- 
prit d'indépendance  de  la  Réforme. 

Le  vendredi,  13  décembre,  le  roi,  accompagné  de 
sa  mère,  du  roi  de  Navarre,  du  connétable,  du  duc 
de  Guise,  du  chancelier  et  des  membres  de  son  con- 
seil, tous  en  habit  de  deuil,  ouvrit  les  états ''^  dans  la 
grande  salle  que  son  prédécesseur  avait  fait  prépa- 
rer^. L'Hospital  adressa  aux  députés  un  discours  où 
les  embarras  financiers  étaient  exposés  en  termes  d'une 
éloquence  grave'''.  Le  lendemain,  les  trois  ordres  s'as- 
semblèrent séparément  dans  trois  églises  d'Orléans, 
le  clergé  aux  Cordeliers,  la  noblesse  aux  Jacobins  et 

1.  Négociations  sous  François  //,  p.  48fi  cl  039. 

2.  Pour  nous  renfermer  dans  les  limites  de  la  province  dont  le 
roi  de  Navarre  était  gouverneur,  nous  ne  citerons  que  les  pou- 
voirs confiés  par  la  noblesse  de  Guyenne  à  M.  de  Duras,  son 
député.  Ils  sont  imprimés  dans  les  Arcliives  de  la  Gironde,  t.  VIII, 
p.  537. 

3.  Négociations  sous  François  II,  p.  489.  —  Régnier  de  La  Planche 
a  raconté  les  efforts  des  Guises  à  Blois  pour  empêcher  que 
«  ceste  assemblée  ne  fust  aucunement  bigarrée.  »  {Estât  do 
France,  in-fol.,  col.  291  et  292.) 

A.  Le  cérémonial  de  la  séance  est  raconté  dans  une  ])iéce 
publiée  dans  les  Négociations  sous  François  II,  p.  789. 

5.  Voyez  la  Description  du  théâtre  fait  à  Orléans  pour  l'assemblée 
des  trois  estats,  1560  (Recueil  de  pièces  de  Fontanieu,  Bibl.  nat., 
imprimés,  vol.  295,  n"  il). 

C).  OEuvres  complètes  de  l'IIospilal,  t.  I,  ]i.  375. 


22  ANTOINE   DE   BOURBON 

le  tiers  état  aux  Carmes.  Avant  de  délibérer,  les 
deux  derniers  ordres,  à  l'instigation  de  la  noblesse 
de  Guyenne,  remontrèrent  au  roi  de  Navarre  que  la 
mort  du  feu  roi,  qui  les  avait  appelés,  «  avoit  esteinct 
«  leur  pouvoir  et  charge,  »  et  qu'ils  ne  pouvaient 
sanctionner  l'organisation  du  conseil  de  régence  sans 
«  nouveaux  matidements  »  de  leurs  électeurs  * .  La 
requête  ouvrait  au  roi  de  Navarre  une  porte  pour 
rentrer  au  pouvoir-.  Catherine,  directement  visée, 
mit  ses  amis  en  campagne,  mais  elle  ne  trouva  chez 
les  députés  de  la  noblesse  que  de  froides  réserves  en 
faveur  de  la  monarchie  et  de  ses  traditions.  Le  conseil 
privé  discuta  la  remontrance  et  décida,  le  20  décembre, 
que,  «  de  par  la  loy  du  royaume,  l'autorité  royale  ne 
«  mouroit  pas,  que  le  mort  saisissoit  le  vif  et  que  l'au- 
«  torité  royale  passoit  sans  transition  du  roy  défunt  à 
«  son  légitime  successeur^.  »  Le  lendemain  la  reine 
rendit  un  édit  c|ui  consacrait  son  accord  avec  le  roi 
de  Navarre  et  le  fît  signifier  aux  états  sous  le  titre 
d'Acte  de  constitution  de  la  régence  pendant  la  mino- 
rité du,  roij  ^  Mais  la  noblesse  opposante  ne  s'arrêta 

1.  Remontrances  de  la  noblesse  {Recueil  des  états  généraux^ 
t.  XI,  p.  169).  Tous  les  bailliages  et  toutes  les  sénéchaussées  ne 
paraissent  pas  avoir  pris  part  à  cette  réclamation.  Sismondi 
observe  que  les  députés  réformés,  enorgueillis  de  leur  nombre 
obtenu  malgré  la  pression  des  Guises,  se  flattaient  d'obtenir  un 
bien  plus  grand  nombre  de  sièges  sous  l'administration  du  roi 
de  Navarre  (Ilist.  des  Français,  t.  XVIII,  p.  193). 

2.  Gastelnau  constate  que  les  états  désiraient  élire  le  roi  de 
Navarre  comme  régent  (Mémoires,  1731,  t.  I,  p.  06).  —  Lettre  de 
Chantonay  à  Pliilippe  II,  du  2\  décembre  (Orig.  espagnol,  K. 
IV.l'i,  w^  M). 

3.  M.  Picot  a  très  bien  présenté  ces  diverses  phases  des  états 
d'Orléans  (Histoire  des  états  généraux,  t.  II,  p.  38). 

i.  Recueil  des  anciennes  lois  françaises  d'Isambcrt,  t.  XIX,  p.  58. 


ET   JEANNE    d'ALBRET.  23 

pas  à  ces  actes.  Les  députés  arguèrent,  clans  une 
seconde  requête,  de  l'impossibilité  de  voter,  sans  renou- 
vellement de  leur  mandat,  les  subsides  demandés  par 
le  chancelier.  A  cette  nouvelle  instance  la  reine  riposta 
par  le  commandement  de  préparer  les  cahiers  de 
doléance^. 

Trois  jours  après,  le  214  décembre,  une  députation 
de  trente  membres  de  l'ordre  de  la  noblesse  demanda 
audience  à  la  reine.  Le  conseil  privé  était  en  séance. 
Comme  on  les  faisait  attendre,  les  députés  se  plai- 
gnirent à  grand  bruit.  Un  secrétaire  sortit  et  les 
invita,  s'ils  avaient  une  requête,  à  la  présenter  par 
écrit.  Ils  répondirent  qu'ils  voulaient  être  entendus 
sur  l'heure.  Aussitôt  introduits,  ils  déclarèrent  qu'ils 
récusaient  d'avance  tout  gouvernement  ou  conseil  qui 
ne  serait  pas  désigné  par  les  états.  L'un  d'eux  ajouta 
même  que  la  régence  appartenait  au  premier  prince 
du  sang.  Personne  n'osa  entamer  la  discussion.  Un 
secrétaire  reçut  la  requête  et  dit  que  le  conseil  en 
délibérerait". 

Ce  n'était  pas  seulement  dans  les  rangs  de  la  noblesse 
que  la  reine  mère  trouvait  des  opposants.  Parmi  les 
députés  du  tiers,  les  hommes  de  loi  observaient  que 
son  élévation  était  contraire  aux  traditions  de  la 
monarchie^.  D'autres,  s'élevant  contre  une  princesse 

1.  Picot,  Histoire  des  états  généraux,  t.  II,  p.  41.  —  De  tous  les 
historiens  du  temps,  le  président  Laplace  est  celui  qui  donne  le 
plus  de  détail  sur  les  étals  d'Orléans  (Estât  de  religion  et  répu- 
blique, édit.  du  Panlh.  litt.,  p.  79  et  88  et  suiv.). 

2.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du  24  décembre  (Orip. 
espagnol;  Arch.  nat,,  K.  1494,  n"  12). 

3.  Ghantonay  traite  ce  sujet  à  fond  dans  sa  lettre  du  24  dé- 
cembre. 


24  ANTOINE   DE   BOURBON 

étrangère,  ambitieuse  d'asservir  la  France,  rappelaient 
le  dicton  du  vidame  de  Chartres  : 

Catherine  Florentine 
Est  de  France  la  ruine; 
Catherine  de  Florence 
Est  la  ruine  de  France  ^ 

De  violentes  propositions  furent  faites  à  l'as- 
semblée du  tiers  contre  elle.  Le  secret  s'ébruita, 
et,  avant  qu'il  en  fût  délibéré,  un  député,  Pierre 
de  Mondore,  représentant  du  duché  et  du  bailliage 
d'Orléans,  avertit  Catherine.  Celle-ci  se  plaignit  en 
termes  amers  et  le  tiers  état  fut  obligé  de  désavouer, 
en  les  niant,  les  discours  qui  avaient  été  prononcés. 
L'acte  de  désaveu  fut  rédigé  par-devant  notaire,  signé 
de  la  plupart  des  députés,  et  I^ierre  de  Mondore  qua- 
lifié de  «  cause  de  plusieurs  désordres  et  contradic- 
«  tions".  » 

Peu  encouragés  par  le  roi  de  Navarre,  les  trois  ordres 
cédèrent  enfin  à  la  reine  et  confirmèrent  ses  pouvoirs. 
«  Je  suis,  écrit-elle  à  la  reine  d'Espagne,  sur  la  con- 
c(  clusion  des  Estats,  par  lesquels  je  vous  veux  bien 
«  adverlir  que  le  gouvernement  et  administration  de 
«  la  personne  du  roy,  monsieur  mon  fils  et  du  royaume 
«  m'ont  esté  confirmées  •^.  » 

1.  Le  Tocsin  contre  les  massacreurs^  1579,  p.  8.  «  El  comme  il 
«  eust  répété  cela  par  plusieurs  fois  et  qu'on  l'eust  admonesté  de 
«  so  désister,  d'autant  qu'on  pensoit  que  le  mal  luy  tirast  ces 
«  mots  de  la  bouche  par  forme  de  rosveric,  il  respondit  qu'il 
«  sçavoit  bien  ce  qu'il  disoit  et  n'estoit  si  malade  qu'il  ne  luy 
«  souvint  do  plorer  les  malheurs  dont  il  voyoit  que  la  France 
«  cstoit  menacée  par  une  femme  estrangère  et  remuante.  >) 

2.  Cet  acte  singulier  est  conserv(''  aux  archives  dos  Basses- 
Pyrénées,  E.  582. 

3.  Lettres  de  Catherine  de  Môdicis^  t.  I,  p.  162. 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  25 

Les  violentes  inimitiés,  reflet  des  passions  de  la 
cour,  qui  divisaient  l'assemblée,  éclatèrent  quand 
les  états  passèrent  à  la  rédaction  de  leurs  cahiers  de 
doléance.  Dès  la  séance  du  17  décembre,  le  clergé 
avait  choisi  pour  orateur  le  cardinal  de  Lorraine  «  s'il 
fi  luy  plaist  en  prendre  la  peine.  »  Cette  désignation, 
bien  justifiée,  mais  inattendue  dans  les  circonstances 
présentes,  fît  espérer  aux  Guises  qu'ils  ressaisiraient  faci- 
lement leur  ascendant.  L'usage  permettait  aux  trois 
ordres  de  nommer  un  seul  orateur  pour  la  séance  royale. 
Le  cardinal  enviait  cet  honneur  qui  lui  aurait  donné 
l'occasion  de  briller  au  premier  rang.  Mais  les  intrigues 
de  ses  partisans  ne  purent  lui  épargner  un  échec  ;  la 
majorité  de  la  noblesse  et  du  tiers  état,  peuplée  de 
calvinistes,  lui  refusa  obstinément  son  vote^.  Plusieurs 
députés  déclarèrent  même  qu'ils  ne  voulaient  pas  être 
représentés  par  celui  qu'ils  se  proposaient  d'accuser. 
L'orgueilleux  prélat,  repoussé  par  les  deux  corps 
laïques,  s'excusa  auprès  du  clergé".  Il  eut  le  crédit 
d'empêcher  la  nomination  d'un  autre  orateur  et  les 
trois  ordres  décidèrent  qu'ils  auraient  chacun  un  avo- 
cat auprès  du  roi.  La  noblesse  désigna  le  roi  de  Navarre. 
Le  prince  refusa  pour  conserver  sa  liberté  d'action, 


1.  Les  deux  ordres  laïques  répondirent  :  «  que,  pour  la  grandeur 
«  et  hauteur  du  seigneur  cardinal  et  parce  qu'il  estoit  au  nombre 
«  de  ceux  qui  examineront  et  jugeront  les  remonstrances  des 
«  estats,  ils  n'osoient  entreprendre  de  le  requérir  de  prendre 
«  ceste  charge,  et  nommcroient  un  de  leur  estât  pour  faire  leur 
«  remonstrance  particulière.  »  (Procès-verbaux  du  clergé^  états 
généraux^  t.  I,  voyez  p.  119,  128, 137  et  l'i3,  d'après  Sismondi.) 

2.  La  Place,  Estât  de  religion  ci  république^  p.  79.  M.  Picot  a 
raconté  cet  incident  avec  détails  (t.  II,  p.  42,  note). 


26  ANTOINE    DE    BOURBON 

comme  premier  prince  du  sang,  chargé  de  suppléer  à 
l'incapacité  du  roi^ 

La  séance  royale,  après  plusieurs  ajournements,  fut 
tenue  le  1  ^"^  janvier  1 56 1 ,  à  une  heure  de  relevée  dans 
la  grande  salle  des  états.  L'orateur  du  tiers,  Jean 
Lange,  alors  avocat,  plus  lard  conseiller  au  parlement 
de  Bordeaux,  parla  le  premier^.  Ce  personnage,  des- 
tiné par  sa  fougue  et  peut-être  par  son  éloquence  à 
jouer  un  rôle  dans  la  guerre  civile,  n'était  pas  encore 
devenu  ce  catholique  furieux  qu'offensait  même  la 
modération  du  président  Lagebaston.  Il  prononça 
devant  le  roi  un  discours  amer  contre  le  clergé.  Il 
accusa  les  prêtres  et  les  moines  d'ignorance,  d'avarice 
et  de  luxure.  Leur  avarice,  disait-il,  laissait  les  pauvres 
périr  de  misère  dans  les  campagnes  ;  leur  ignorance 
et  leurs  vices  faisaient  la  fortune  du  calvinisme  en  met- 
tant en  relief  les  vertus  des  réformateurs.  Incapables 
de  prêcher,  «  ces  chiens  muets  »  laissaient  sans  réponse 
les  objections  théologiques  des  ministres.  La  noblesse 
était  traitée  moins  sévèrement,  mais  blâmée  de  ses 


1.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du  24  décembre  (Orig. 
espagnol  ;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n">  12). 

2.  L'ordre  dans  lequel  parlèrent  les  ti'ois  orateurs  des  états 
généraux  d'Orléans  laisse  quelques  doutes.  M.  Picot  dit  (Histoire 
des  états  généraux^  t.  II,  p.  46)  que  l'orateur  du  clergé  parla  le 
premier,  puis  celui  de  la  noblesse,  puis  celui  du  tiers.  II  s'appuie 
sur  l'ordre  dans  lequel  les  trois  discours  sont  imprimés  dans  le 
Recueil  de  Mayer  [Des  états  généraux^  t.  X,  p.  348)  et  sur  un  mot 
assez  précis  du  titre  du  discours  de  Jean  Lauge.  Malgré  ces 
autorités,  nous  avons  adopté  l'ordre  inverse  ;  nous  nous  appuyons 
sur  le  récit  du  président  La  Place,  qui  dit  positivement  que  le 
discours  du  député  de  la  noblesse  succéda  à  celui  du  tiers  [Estai 
de  la  religion  et  république^  p.  89),  et  sur  celui  de  De  Thou  (1740, 
t.lll,  p.  7). 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  27 

prétentions  féodales.  Sur  l'administration  intérieure, 
le  discours  contenait  quelques  idées  sages,  mais 
noyées  au  milieu  d'un  flot  de  rhétorique,  comme  la 
périodicité  des  états  généraux  et  l'unité  commerciale 
du  royaume^. 

Après  Jean  Lange  parla  le  délégué  de  la  noblesse, 
le  seigneur  de  Rochefort.  Bien  que  l'orateur  ne  fût  pas 
signalé  comme  huguenot,  son  discours  fut  l'écho  des 
passions  de  la  Réforme  ~.  Il  proposa  de  mettre  toutes 
les  dettes  du  roi  à  la  charge  du  clergé  et  réclama  pour 
les  seigneurs  protestants  le  droit  de  pratiquer  libre- 
ment la  religion  nouvelle  dans  l'intérieur  de  leurs  châ- 
teaux. 

L'orateur  ecclésiastique  élu  à  défaut  du  cardinal  de 
Lorraine,  Jean  Quintin,  professeur  en  droit  canon,  dans 
une  harangue  peu  mesurée,  attaqua  le  calvinisme,  «  les 

«  fossoyeurs  de  vieille  hérésie les  licencieux  et  pré- 

«  fuges  libertins.  »  Il  somma  le  roi  de  sévir  contre  ces 

«  idolastres et  leurs  porteurs  de  requestes.   »  Il 

réclama  l'abolition  des  tailles  que  les  officiers  de 
finance  levaient  sur  les  biens  du  clergé^.   «  Tout  le 

1.  La  plupart  de  ces  idées  justesse  retrouvent  dans  les  cahiers 
du  tiers  état,  qu'il  n'entre  pas  dans  notre  plan  d'examiner  en 
détail.  Qu'il  nous  suffise  de  dire  que  ces  cahiers  faisaient  l'admi- 
ration d'Augustin  Thierry  (Hist.  du  tiers  état^  1855,  p.  90). 

2.  On  remarqua,  dit  de  Bèze,  que  le  discours  de  Rochefort  ne 
contenait  pas  le  mot  de  Majesté  [flist.  ecclés.,  1841,  t.  I,  p.  279), 

3.  Ces  trois  discours  sont  reproduits  textuellement  par  La 
PopeUnière  [Histoire  de  France^  1581,  t.  I,  p.  225,  229  et  239).  Ils 
ont  été  réimprimés  à  nouveau  dans  le  Recueil  des  états  généraux^ 
1789,  t.  X,  p.  348  et  suivantes.  —  Il  existe  beaucoup  d'autres 
pièces  inédites  sur  les  états  généraux  d'Orléans,  notamment 
dans  les  volumes  4812  et  suiv.,  7517  et  suiv.,  3970  du  fonds 
français. 


28  ANTOINE   DE    BOURBON 

«  parcours  de  ceste  concion  ,  amas  de  lieux  com- 
«  muns^,  »  était  mal  placé  dans  une  assemblée  réunie 
pour  aviser  aux  moyens  de  rétablir  la  concorde  et  de 
combler  les  vides  du  trésor.  L'amiral  de  Coligny  et 
ses  coreligionnaires  se  déclarèrent  personnellement 
insultés.  Le  corps  de  la  noblesse  presque  entier  pro- 
testa contre  ces  invectives  et  Jean  Quintin  fut  obligé 
de  jurer  qu'il  n'avait  désigné  personne  ^. 

La  question  de  finances  ne  tut  abordée  que  le 
1 3  janvier.  Le  roi  de  Navarre  et  le  chancelier  se  trans- 
portèrent à  l'assemblée  générale  au  couvent  des  Cor- 
deliers  et  le  chancelier  révéla  le  chiffre  du  déficit.  Le 
roi  était  en  retard  de  43  millions  ^,  somme  quadruple 
du  revenu  annuel  du  royaume.  L'aveu  provoqua  une 
discussion  tumultueuse.  La  dette  était  d'autant  plus 
difficile  à  justifier  (juc  Henri  II,  à  son  avènement,  avait 
trouvé  dans  l'épargne  plus  de  1,700,000  écus,  sans 
compter  les  quartiers  échus.  La  meilleure  partie  du 
domaine  royal  était  vendue  ou  engagée  ^.  Enfin  le 
royaume  entier  subissait  une  crise  d'autant  plus  cruelle 

1.  Aubigné,  Hist.  univ.^  1626,  t.  I,  col.  144. 

2.  La  Place,  Estât  de  religion  ou  république,  érlit.  du  Panth. 
un.,  p.  109.  —  De  Serres,  Commenlariortim  de  statu  religionis 
libri  très,  1571,  in-S»,  p.  159.  L'auteur,  après  La  Place,  analyse 
avec  détails  les  discours  des  trois  ordres  (p.  144  à  160).  —  Peu 
de  jours  après,  Quintin  mourut  «  de  tascherie  »  [Uist.  des  quatre 
rois,  1595,  p.  59). 

3.  Estât  abrégé  de  ce  (]ue  luonlont  les  dettes  et  parties  à  payer 
(Estais  généraux,  édit.  Mayer,  t.  XI,  p.  49.S).  Le  chilVrc  exact  est 
de  43,483,939  livres  9  sols  et  6  deniers.  —  Pour  évaluer  cette 
somme,  au  prix  de  l'argent  de  nos  jours,  nous  estimons  qu'il  faut 
multiplier  par  10,  soit  430  millions. 

4.  Mémoires  de  Castelnau,  1731,  t.  I,  p.  65. 


ET  JEANNE   d'aLBRET.  29 

que  les  dernières  années  avaient  été  moins  produc- 
tives, même  dans  les  provinces  fertiles^. 

La  reine  proposait  des  économies  et  en  donnait 
l'exemple.  Elle  diminua  son  douaire  de  120,000  livres 
et  imposa  aux  pensionnaires  de  la  couronne  une  réduc- 
tion de  moitié  ~.  Elle  renonça  à  la  chasse,  son  délas- 
sement favori  '%  congédia  les  officiers  de  vénerie  et  la 
plupart  des  fauconniers,  qui  coûtaient  300,000  écus 
par  an  ;  elle  restreignit  le  service  de  la  chapelle  et  de 
la  musique  de  la  chambre  du  roi  ;  elle  ajourna  les  funé- 
railles de  François  II  qui  exigeaient  une  dépense  de 
130,000  ducats^.  Elle  fit  demander  par  le  cardinal  de 
Tournon  aux  marchands  de  Lyon,  à  qui  le  trésor  royal 
devait  19,000,000,  un  délai  de  paiement^.  Lavais- 
selle  d'or  et  d'argent  du  feu  roi,  ses  bijoux  et  pierres 
précieuses  furent  inventoriés  à  Fontainebleau,  prélude 
de  la  mise  en  gage^.  La  moitié  des  galères  fut  désar- 

1.  Lettre  de  Suriano  à  la  république  de  Venise,  du  13  jan- 
vier 1561  (Dépêches  vénitiennes,  filza  4,  f.  232). 

2.  Lettre  de  Suriano  à  la  république  de  Venise,  du  13  jan- 
vier 1560  (1561)  (Dépêches  vénitiennes,  filza  4,  f.  232). 

3.  Dès  le  lendemain  de  la  mort  de  François  n,  elle  avait 
renoncé  à  la  chasse  «  pour  que  le  temps  ne  lui  manquât  pas 
«  pour  les  affaires,  »  mais  Chantonay  était  d'avis  qu'elle  ne 
tarderait  pas  à  le  regretter  (Lettre  originale  en  espagnol  à  Phi- 
lippe n,  du  8  décembre;  Arch.  nat.,  K.  1493,  n»  115). 

4.  Lettre  originale  en  espagnol  de  Chantonay  à  Philippe  II, 
du  24  décembre  1560  (Arch.  nat.,  K.  1494,  n»  11).  Castelnau 
nous  apprend  que  le  service  de  la  maison  du  roi  occupait  plus  de 
600  officiers  [Mémoires^  1731,  t.  I,  p.  65). 

5.  Lettre  de  Suriano  à  la  république  de  Venise,  du  13  jan- 
vier 1561  (Dépêches  vénitiennes,  filza  4,  f.  232). 

6.  Inventaire  original  dressé  le  15  janvier  1560  (1561)  par  Jehan 
Babou  de  La  Bourdaisière,  Tristan  Rostaing  de  Brou,  Florimond 
Robertet  et  Nicolas  Legendre  de  Ville roy  (sur  parchemin;  f.  fr., 
vol.  4732). 


30  ANTOINE   DE   BOURBON 

mée^,  la  solde  des  gens  de  guerre,  à  pied  et  à  che- 
val, diminuée  dans  les  provinces  éloignées  de  la  cour  ^. 
La  reine  voulait  réduire  les  gages  des  officiers  du  roi, 
mais  ils  objectèrent  qu'il  était  plus  juste  de  supprimer 
les  compagnies  suisses,  allemandes  et  italiennes,  et  la 
garde  écossaise,  que  les  rois  de  France  entretenaient 
depuis  le  règne  de  Charles  VII.  La  question  fut  sou- 
mise et  discutée  au  conseil.  Avec  une  égale  insistance, 
les  deux  partis  demandaient,  l'un  le  licenciement, 
l'autre  le  maintien  de  cette  compagnie,  presque  entiè- 
rement composée  de  huguenots  :  L'importance  du 
capitaine,  Jacques  Hamilton,  comte  d'Arran,  héritier 
présomptif  de  la  couronne  d'Ecosse  et  l'un  des  pré- 
tendants à  la  main  de  Marie  Stuart,  justifiait  les  hési- 
tations du  conseil.  Cependant  le  roi  de  Navarre  se 
prononça  pour  l'économie  et  la  garde  écossaise  fut 
licenciée  ^. 

La  plus  grave  réforme  financière,  celle  ({ui  pas- 
sionnait le  plus  les  députés,  était  la  restitution  des 
dons  excessifs  que  les  favoris  du  roi,  sous  Henri  II  et 
sous  François  II,  avaient  extorqués  au  trésor  royal. 
Diane  de  Poitiers,  le  connétable,  la  tribu  des  Guises 
et  de  leurs  amis  s'étaient  enrichis  aux  dépens  du 
roi.  La  reine  mère  souleva  l'idée  de  la  restitu- 
tion, qui  fut  accueillie  avec  transport  par  les  trois 
ordres.  Le  roi  de  Navarre,  ne  voulant  pas  se  laisser 

1.  LoUre  do  Suriano  à  la  république  de  Venise,  du  'J  jan- 
vier 1501  (Dépêches  vénitiennes,  filza  4,  f.  229). 

2.  Etat  des  paiements  des  gens  de  guerre  en  Languedoc,  Pro- 
vence et  Guyenne,  janvier  et  février  (1561)  (Collection  Dupuy, 
vol.  588,  f.  125;  copie  du  temps). 

3.  La  Pldcc, Estât  dereligion  et  république,  édit.  du  Pantli.  litt., 
p.  11;^. 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  31 

dépasser  en  générosité,  proposa  de  commencer  l'exa- 
men par  ses  biens  personnels  ;  mais  le  connétable, 
le  cardinal  de  Lorraine,  le  duc  de  Guise,  le  duc  d'Au- 
male,  futur  héritier  de  la  duchesse  de  Valentinois,  le 
maréchal  Saint-André  accueillirent  froidement  la  pro- 
position. «  Ils  firent  tant  que  le  coup  fut  rompu, 
«  espérant  que  le  temps  ferait  parler  d'autre  chose 
«  que  de  rendre^.  » 

Malgré  les  économies  de  la  reine,  malgré  ses 
instances  auprès  des  députés,  après  dix  jours  de 
dispute,  le  clergé  refusa  au  roi  tout  subside  et  trouva 
des  imitateurs  dans  les  deux  autres  ordres.  Les  députés, 
plus  irrités  des  prodigalités  de  la  maison  royale  que 
terrifiés  du  déficit,  désiraient  se  retirer  auprès  de 
leurs  électeurs  et  leur  demander  de  nouveaux  pou- 
voirs. La  séance  solennelle  de  clôture  eut  lieu  le 
31  janvier,  sous  la  présidence  du  roi  de  Navarre.  Le 
chancelier  prononça  un  dernier  discours  et  promit  la 
convocation  d'une  nouvelle  assemblée,  à  Melun,  pour 
le  l'^'mai  suivant^. 

Les  états  généraux  avaient  été  convoqués  pour 
combler  un  déficit  dans  le  trésor  du  roi,  mais  une 
question  plus  grave  s'imposait  à  leurs  délibérations. 
La  réforme,  qui  n'avait  été  qu'un  mouvement  d'idées 
sous  François  P',  une  dissidence  religieuse  sous 
Henri  II,  une  occasion  de  troubles  sous  François  II, 
menaçait,   à  l'avènement  de  Charles  IX,  à  la  fois  la 

1.  Mémoires  de  Melvil^  t.  I,  p.  109.  —  Bèze,  Ilist.  eccL,  18il, 
t.  I,  p.  280.  —  Histoire  des  quatre  rois,  1595,  p.  59. 

2.  Récit  détaillé  do  cette  dernière  réunion  {Estats  généraux, 
édit.  Mayer,  t.  XI,  p.  503).  —  Malgré  cet  échec  financier,  la 
reine  mère,  qui  peut-être  s'attendait  à  pire,  s'applaudit  des  résul- 
tats de  la  session  (Lettres  de  Catherine  de  Médicis,  p.  577). 


32  ANTOINE   DE   BOURBON 

monarchie  et  l'église.  Point  de  province,  point  de 
ville  (jui  ne  lut  la  proie  des  séditieux  de  la  religion 
nouvelle.  Les  hommes  mêmes  (jui  la  repoussaient 
étaient  pénétrés  de  son  esprit  d'indépendance.  Les 
cahiers  de  la  plupart  des  bailliages  et  des  sénéchaussées 
exigeaient,  sur  un  ton  impérieux,  un  concile  et  la 
réforme  ecclésiastique.  Les  gens  de  Meaux  avaient 
môme  «  effrontément  demandé  »  la  suppression  de  la 
messe  ^  L'appui  déclaré  du  roi  de  Navarre,  du  prince 
de  Gondé,  et  surtout  des  trois  Chastillons,  l'assenti- 
ment déguisé  de  beaucoup  d'autres  seigneurs  faisait 
de  la  Réforme  un  parti  d'autant  plus  redoutable,  à  la 
fin  de  l.")GO,  qu'il  personnifiait  la  résistance  aux  excès 
de  pouvoir  des  Guises. 

Le  roi  de  Navarre  passait  pour  le  chef  de  la  réforme. 
Il  disait  ou  laissait  dire  autour  de  lui  qu'il  n'avait  laissé 
à  la  reine  le  premier  rang  dans  l'État  qu'à  la  condition 
«  d'ouvrir  peu  à  peu  aux  huguenots  un  chemin  à  la 
«  liberté  de  conscience.  »  Soutenu  par  les  états,  il 
réclamait  cha(}iie  jour  la  liberté  des  prêches  pour  ses 
coreligionnaires.  Gatherine  «  se  servit  avec  accortise 
fi  de  plusieurs  excuses ,  sur  l'espérance  que  les 
«  demandes  du  roi  de  Navarre  se  ralentiroient  avec 
«  le  temps  ;  »  elle  dit  qu'elle  ne  pouvait  résoudre, 
pendant  la  minorité  du  roi,  sans  l'assentiment  des 
parlements,  une  question  si  grave  ;  que  la  liberté  de 
conscience  entraînerait  des  désordres,  la  ruine  de 
l'alliance  avec  l'Espagne  et  peut-être  l'excommunica- 
tion du  royaume  ;  cpiil  serait  facile  au  nouveau  lieu- 
tenant du  roi  d'adoucir,  par  des  mesures  indirectes, 

1.  Loltro  lie  C-liantonay  à  Philippo  11,  du  -2'!  décembre  (Orig. 
esiiagnol  ;  Arch.  iiai.,  K.  li'.ti,  n"  11). 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  33 

la  rigueur  des  anciens  édits  et  d'introduire  en  fait  la 
tolérance  dans  l'administration  des  provinces.  Antoine 
«  s'eschauffoit  de  plus  en  plus  à  demander  ce  qu'on 
a  luy  avoit  promis  »  et  trouvait  un  appui  au  conseil, 
chez  le  chancelier  de  l'Hospital*.  Les  réformés  de 
toutes  les  sectes  l'exaltaient  comme  le  héros  futur  de 
leur  délivrance.  Hotman  lui  écrivit  :  «  Vous  estant 
«  aujourd'huy  rendue  l'autorité  qui  vous  appartenoit, 
«  Vostre  Majesté  aura  plus  d'esgard  à  l'obéissance 
«  qu'elle  doit  à  Dieu  qu'à  l'amitié  des  tyrans  qui  sont 
a  en  exécration  et  de  Dieu  et  des  hommes-.  »  Calvin 
gardait  du  doute.  Dans  une  lettre  du  1 6  janvier  1 5G1 , 
il  hasarde  cette  sommation  :  «  Qu'il  vous  plaise 
«  prendre  courage  pour  batailler  vertueusement  et  de 
«  plus  en  plus  contre  toutes  les  difficultés  dont  je  sais 
«  que  vous  estes  entouré.  »  Mais,  plus  loin,  il  gour- 
mande la  modération  d'Antoine  d'un  ton  peu  assuré 
et  laisse  percer  la  crainte  d'être  importun^.  Antoine, 
se  sentant  poussé  par  les  impatients  qui  ne  consen- 
taient à  le  suivre  qu'à  la  condition  de  le  guider, 
agissait   «    mollement.    »  Il  favorisait  la  réforme  et 

\.  Davila,  Hist.  des  guerres  civiles^  in-foL,  t.  I,  p.  81  et  83. 
Davila  est  digne  de  crédit  en  tout  ce  qui  touche  la  reine  mère. 

2.  Lettre  autographe,  datée  de  Strasbourg  et  du  31  décembre 
(Arch.  des  Basses-Pyrénées,  E.  582).  Cette  lettre  a  été  publiée 
dans  le  Bulletin  de  l'Histoire  du  Protestantisme  français,  t.  IX, 
p.  32.  Par  ce  mot  de  tyrans  il  désigne  certainement  les  Guises. 
Dans  une  autre  lettre,  presque  de  la  même  date,  écrite  à  Bul- 
linger,  Hotman  ne  se  montre  pas  entièrement  satisfait  du  roi  do 
Navarre  :  «  Rex  Navarreus  non  nobis  quidem  satisfecit.  Vinxit 
«  tamen  spem  et  expectationem  omnium.  »  (Lettre  du  8  jan- 
vier 1561  ;  Hotomanorum  epistolx,  in-4°,  1700,  p.  30.) 

3.  Lettres  de  Calvin,  t.  II,  p.  303. 

m  3 


34  ANTOINE   DE   BOURBON 

protestait  de  son  orthodoxie  ;  il  faisait  prêcher  les 
ministres  et  continuait  d'assister  à  la  messe'. 

Le  prince  de  Gondé,  beaucoup  plus  résolu  que  son 
frère,  était  le  chef  nominal  du  parti  réformé,  mais 
l'amiral  de  Goligny  en  était  l'àme-.  Coligny,  ferme  et 
droit  dans  sa  voie,  indifférent,  au  moins  en  appa- 
rence, à  tout  calcul  d'ambition  personnelle,  centra- 
lisait entre  ses  mains  la  triple  charge  d'encourager, 
de  secourir,  de  défendre  les  pauvres  religionnaires 
qui  formaient  le  gros  de  l'armée  huguenote.  Trois 
jours  à  peine  après  la  mort  de  François  II,  on  reçut 
la  nouvelle  à  la  cour  que  les  protestants  de  Bre- 
tagne avaient  pris  les  armes.  L'amiral  opina  au 
conseil  que  le  soulèvement  j)ouvait  avoir  une  cause 
légitime  ;  le  duc  de  Guise  riposta  qu'un  acte  contraire 
aux  édits  ne  pouvait  être  justifié.  La  querelle  s'échauffa 
si  vivement  que  le  roi  de  Navarre  appela  la  reine 
mère.  Le  duc  de  Guise,  irrité,  se  retira  en  disant  tout 
haut  que  «  n'était  le  temps  présent,  il  poignarderait 
«  l'amiral  ''.  » 

Gatherine  de  Médicis  subordonnait  les  questions 
religieuses  aux  questions  de  gouvernement.  Imbue 
depuis  qu'elle  était  en  France  de  ce  scepticisme  ita- 
lien dont  son  parent  Strozzi  avait  été  le  modèle  à  la 
cour,  elle  évitait  de  se  prononcer  entre  les  deux  cultes. 
Elle  prêtait  l'oreille  tour  à  tour  aux  conseils  du  cardinal 
de  Tournon  et  de  l'amiral  de  Goligny.  Les  seigneurs 

1.  Calcndars^  1560,  p.  5ii. 

2.  Ce  point  de  vue  est  mis  eu  relief  dans  une  lettre  d'un  des 
ambassadeurs  vénitiens,  du  6  décembre  1560  (Dépêches  vénit., 
filza  4  bis,  f.  6). 

3.  Lettre  originale  en  espagnol  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du 
8  décembre  1560  (Arcli.  nal.,  K.  1193,  n«  115). 


ET   JEANNE   B'ALBRET.  35 

avaient  pris  parti  d'après  leurs  tendances  religieuses 
et  se  divisaient  en  deux  armées  toujours  prêtes 
à  se  combattre  ^  ;  les  catholiques  suivaient  le  duc  de 
Guise  et  les  réformés  le  roi  de  Navarre.  Entre  les  deux 
factions  planait  le  pouvoir  de  la  reine  mère,  prête  à 
associer  les  chefs  au  pouvoir  en  partie  égale,  réso- 
lue à  limiter  leur  influence  et  à  les  gouverner  l'un 
par  l'autre  à  la  faveur  de  leurs  rivalités  mutuelles-. 
Sa  politique  de  bascule  est  exposée  en  termes  saisis- 
sants par  d'Aubigné  :  «  La  royne,  dit-il,  jettoit  par- 
«  fois  de  l'huile  sur  tel  feu,  parfois  de  l'eau,  suivant 
c(  que  l'eslévation  de  l'un  de  ces  partis  menaçoit  la 
«  maison  de  France  et  en  ceste  maison  son  authorité^.  » 
Le  gouvernement  du  royaume  se  ressentait  de  ces  fluc- 
tuations. Le  7  janvier  une  déclaration  du  roi  confirme 
l'édit  de  Romorantin,  dont  la  disposition  principale 
attribuait  aux  prélats  la  connaissance  du  crime  d'hé- 


1.  De  Bèze  raconte  que  les  seigneurs  de  la  cour  consentirent 
volontiers  au  partage,  espérant  maîtriser  facilement  une  faible 
femme  {Hist.  ecclés.,  1841,  t.  I,  p.  255). 

2.  Cette  politique  est  très  bien  exposée  dans  un  pamphlet  du 
temps  (Le  réveille-matin  des  François^  1574,  p.  IG).  Voyez  aussi  la 
note  suivante. 

3.  Aubigné,  Histoire  wiiverselle^  1G26,  t.  I,  col.  141.  —  Une 
lettre  de  Tornabuoni ,  du  10  janvier,  ajoute  des  traits  nou- 
veaux :  «  Les  Guises  sont  mal  vus  et  ont  la  haine  géné- 
«  raie  ;  chacun  voudrait  qu'ils  s'en  allassent  et  on  crie  contre 
«  eux.  Et  tout  cela  est  fait  pour  les  faire  partir,  ce  qu'ils  seront 
«  forcés  do  faire  si  la  reine  no  les  retient  pour  conserver  sa 
«  grandeur  à  l'aide  de  la  désunion  ;  parce  que,  bien  que  le  roi  de 
«  Navarre  et  le  connétable,  encore  davantage,  lui  montrent  une 
«  grande  soumission,  on  croit  que,  si  les  Guises  étaient  chassés, 
«  ceux-là  commenceraient  vouloir  lui  reprendre  l'autorité  comme 
«  les  Guises  avaient  projeté  de  le  faire.  »  [Négociaiions  de  la  France 
avec  la  Toscane^  t.  III,  p.  •414.) 


36  ANTOINE   DE   BOURBON 

résic.  Le  1 3,  de  nouvelles  lettres  ordonnent  la  répres- 
sion de  troubles  suscités  par  les  religionnaires  à 
Paris  ^  Le  23,  le  roi  requiert  le  conseil  de  Genève 
de  rappeler  «  les  prédicans  et  dogmatisans,  »  qu'il 
accuse  de  «  troubler  le  repos  de  nostre  estât  et, 
«  par  une  pernicieuse  semence  de  discussion  et 
«  division,  exciter  nosdits  sujets  à  une  désobéissance 
«  contre  les  saints  commandemens  de  Dieu~.  »  Ces 
ombres  légères  se  perdaient  pour  le  parti  réformé 
dans  l'éclat  du  triomphe.  Le  %1  janvier,  les  députés 
des  églises  prient  solennellement  le  roi  de  surseoir 
à  toutes  poursuites  jusqu'à  la  décision  du  concile^. 
Le  lendemain,  une  ordonnance  fait  mettre  en  liberté 
tous  les  prisonniers  détenus  pour  cause  de  religion, 
et,  deux  jours  après,  une  nouvelle  ordonnance  défend 
à  «  toutes  personnes  d'entrer  en  débat,  de  prendre 
«  querelle  et  de  se  reprocher  aulcune  chose  les  uns 
«  aux  autres,  pour  le  fait  de  la  religion,  sur  peine  de 
«  la  vie  ^  » 

La  lutte  entre  les  deux  cultes  devait  amener  des 
violences  d'autant  plus  grandes  que  les  puissances 
étrangères  menaçaient  d'y  prendre  part.  L'Allemagne 
du  Nord  et  l'Angleterre  appartenaient  à  la  religion 


\.  L'ordonnanco  du  7  janvier  est  citée  dans  les  Mémoires  de 
Condc  (t.  II,  ]>.  2GC)).  On  en  trouve  le  texte  dans  la  coll.  Dupuy, 
vol.  205,  1".  1S3.  —  L'ordonnance  du  13  est  imprimée  dans  les 
Mémoires  de  Cundé,  t.  II,  p.  2G6. 

î.  Cotto  lottre  est  imprimée  par  M.  Roget,  Hisloire  du  peuple 
de  Genève^  I.  VI,  l'"*"  livraison,  p.  67.  —  La  réponse  du  conseil  de 
Genève,  rédigée  par  Calvin,  est  imprimée  p.  70. 

3.  Celte  pièce  est  imprimée  dans  le  Recueil  des  états  généraux 
attribui'  à  Moyor,  t.  XI,  p.  i92. 

'i.  Mémoires  de  Condv,  t.  II,  p.  200  et  -273. 


ET    JEANNE    DALBRET.  3/ 

nouvelle  ;  l'Italie  et  l'Espagne  à  l'ancienne.  Restait  la 
France,  qui  allait  devenir  le  champ  de  bataille  des 
deux  influences,  le  champ  clos  du  Nord  et  du  Midi. 
L'Espagne  et  l'Angleterre ,  les  plus  passionnées  dans 
la  lutte,  prirent  les  devants.  Quelques  jours  avant  la 
mort  de  François  II,  Catherine  avait  demandé  l'appui 
de  Philippe  II  ^  Peu  après  elle  chargea  son  ambassa- 
deur, Sébastien  de  l'Aubespine,  évêque  de  Limoges, 
d'excuser  auprès  du  roi  catholique  les  changements 
du  nouveau  gouvernement,  l'élévation  du  roi  de 
Navarre,  l'abaissement  des  Guises,  la  composition  du 
conseil  ~.  Ces  démarches  offraient  au  roi  d'Espagne  un 
prétexte  pour  intervenir.  «  L'influence  de  Votre 
«  Majesté  est  si  grande,  écrit  Ghantonay  à  son  maître, 
c(  qu'elle  fera  bien  de  faire  entendre  à  la  reine  que,  si 
«  elle  s'écarte  de  l'intérêt  du  bien  de  la  religion  pour 
«  favoriser  ou  prêter  l'oreille  aux  égarés,  Votre  Majesté 
«  lui  retirera  ses  bons  offices^.  »  Ces  paroles  con- 
tiennent en  germe  toute  la  politique,  occulte  ou  décla- 
rée, de  la  cour  d'Espagne  vis-à-vis  de  la  maison  de 
Valois  pendant  plus  de  quarante  ans.  Mais  la  reine 
mère  n'était  pas  seule  au  pouvoir.  Depuis  la  mort  de 
François  II,  il  fallait  compter  avec  le  roi  de  Navarre. 

\.  Lettre  originale  en  espagnol  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du 
3  décembre  1560  (Arch.  nat.,  K.  1493,  n»  113). 

2.  Lettre  originale  de  l'Aubespine  au  duc  d'Albe,  du  28  décembre 
1560  (Arch.  nat.,  K.  14U3,  n°  118).  Une  lettre  de  l'Aubespine  à 
la  reine,  écrite  peu  après  la  mort  de  François  II,  révèle  l'inquié- 
tude de  Philippe  II  sur  la  direction  de  la  politique  de  la  cour  de 
France  {Négoc.  sous  François  11^  p.  782). 

3.  Lettre  originale  en  espagnol  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du 
5  décembre  1560  (Arch.  nat.,  K.  1493,  n"  lli).  François  II  n'était 
pas  encore  mort  à  l'heure  où  l'ambassadeur  écrivait,  mais  sa  lin 
était  certaine. 


38  ANTOINE   DE   BOURPON 

Philippe  II  put  bientôt  pressentir  que,  pour  réduire  son 
adversaire,  il  n'aurait  pas  besoin  d'un  grand  déploie- 
ment de  forces.  Ghantonay  visita  le  prince  le  8  dé- 
cembre et  Antoine  promit  «  de  garder  et  obéir  les 
«  commandcmens  de  Dieu  et  de  l'église  et  de  vivre 
fi  dans  la  loi  de  ses  ancêtres.  »  L'ambassadeur  le  féli- 
cita, et  le  même  jour,  au  conseil,  le  prince  flatté  sou- 
tint, au  grand  étonnement  de  tous  les  seigneurs,  cer- 
taines propositions  du  cardinal  de  Tournon  contre  les 
réformés  ^ . 

Averti  des  hésitations  de  la  reine  et  du  prince, 
Philippe  II  envoya  à  la  cour,  au  commencement  de 
janvier,  «  pour  plaindre  le  deuil  »  de  la  maison  de 
France,  un  ambassadeur  extraordinaire,  don  Juan 
Manrique  de  Lara,  avec  une  instruction  aussi  ferme 
qu'impérieuse. 

«  Vous  direz  (à  la  reine  mère)  que  ce  qui  nous 
«  pousse  à  la  favoriser,  c'est  le  zèle  qu'elle  aura  sur 
«  les  choses  de  la  religion,  les  efforts  qu'elle  emploiera 
«  à  la  conservation  et  aux  progrès  de  l'ancien  culte, 
«  ajoutant  à  cela  combien  nous  désirons  la  pacification 

«  de  ce  royaume  et  le  bien  du  roi  son  fils Vous 

«  devez  lui  parler  clairement  et  ouvertement  quant  à 
«  la  religion,  l'exhortant  de  ma  part  à  employer  ses 
«  soins  et  sa  surveillance  au  bien  de  la  religion  et  à 
«  ne  point  permettre  l'avancement  des  nouveautés 
et  qui  sont  nées  dans  ce  royaume,  et  à  ne  plus  donner 
«  de  faveur  ni  d'autorité  à  ceux  qui  ne  se  montrent 
«  pas  fermes  comme  ils  devraient  l'être  dans  la  reli- 
«  gioii.  »  A  ces  conseils  généraux,  dignes  d'un  grand 

\.  Lettro  originale  en  espagnol  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du 
8  décembre  1560  (Arch.  nat.,  K.  1193,  n»  115). 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  39 

roi,  Philippe  II  ajoutait  des  recommandations  particu- 
lières, l'acceptation  du  concile  de  Trente,  l'ajournement 
du  concile  national  français,  la  diminution  du  nombre 
des  membres  du  conseil  pour  éviter  les  divisions,  et 
enfin,  ce  qui  devait  toucher  Catherine,  l'exhortation 
au  roi  d'obéir  à  sa  mère^. 

A  la  cour  chacun  se  douta  que  don  Manrique  de 
Lara,  trésorier  du  roi  d'Espagne,  grand  maître  de 
l'artillerie,  apportait  d'autres  paroles  que  des  compli- 
ments de  condoléance  -.  Don  Manrique  devait  arriver 
le  1 9  ou  le  20  janvier,  presque  en  même  temps  que 
les  ambassadeurs  du  pape  et  du  duc  de  Florence, 
mais  il  se  retarda  jusqu'au  24  \  Bien  accueilli  par  le 
roi,  il  fut  reçu  par  la  reine  avec  effusion.  Elle  fit 
parade  de  «  son  grand  amour  pour  la  religion  »  et 
remercia  Philippe  II  de  son  zèle  *.  Cependant  la 
composition  et  l'attitude  de  son  entourage  détrui- 
saient ces  protestations.  Les  trois  Chastillons, 
attentifs  à  leur  rôle,  se  relayaient  pour  que  l'un 
d'eux  fût  toujours  présent  auprès  d'elle  ^\  Aucun 
d'eux  n'allait  à  la  messe  ;  tous  trois  affectaient  de 
rester   étrangers  aux   pratiques    religieuses,    même 

1.  Instruction  de  I^hilippe  II  à  don  Juan  Manrique  de  Lara, 
en  date  du  4  janvier  1561  (Orig.  espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1495, 
n»  14).  Cette  instruction  est  accompagnée  d'une  lettre  adressée 
à  la  reine  môme  (Minute  orig.  avec  ratures,  ibid.^  n"  11). 

2.  Calendars^  1560,  p.  489.  Lettre  de  Throckmorton  du  10  jan- 
vier 1561  à  la  reine. 

3.  Calendars,  1560,  p.  500  et  514. 

4.  Lettre  collective  de  Chantonay  et  de  Manrique  de  Lara  à 
Philippe  II,  du  28  janvier  1561  (Orig.  espagnol;  Arch.  nat., 
K.  1494,  n°  55). 

5.  Lettre  originale  en  espagnol  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du 
28  déccmhre  1560  (Arch.  nat.,  K.  1491,  n»  12). 


40  ANTOINE    DE   BOURBON 

aux  cérémonies  officielles  de  la  cour.  L'amiral  venait 
d'avoir  un  fils  ;  il  le  fit  baptiser  à  la  mode  de  Genève ^ 
au  milieu  d'une  grande  aOluencc  de  seigneurs,  sans 
que  cette  «  nouvelleté  »  suscitât  la  moindre  opposition 
de  la  reine  ou  môme  affaiblit  la  faveur  de  l'amiral  ~. 
La  présence  des  trois  Chastillons,  leur  attitude  froide 
et  hautaine  était  un  défi  pour  les  ambassadeurs  espa- 
gnols. Catherine  aurait  désiré,  au  moment  de  l'ar- 
rivée de  don  Manrique  de  Lara,  éloigner  le  cardinal 
qu'ils  repoussaient  comme  apostat.  Mais  le  roi  de 
Navarre,  qui  avait  pris  l'habitude  de  travailler  avec 
lui  comme  la  reine  mère  avec  Coligny,  prit  la  défense 
de  son  conseiller.  La  reine  insista;  Antoine  resta  ferme. 
Enfin  le  cardinal  demeura  à  la  cour  ^. 

Soutenir  la  religion  catholique  d'une  main  et  l'ébran- 
ler de  l'autre  formait  une  politique  que  l'ambassadeur 
espagnol  qualifia  sévèrement.  Un  jour,  en  plein  con- 
seil privé,  don  Manrique  signifia  à  la  reine  que,  si  la 
réforme  triomphait  en  France,  le  roi  d'Espagne  pren- 
drait les  armes  pour  l'écraser,  aussi  bien  dans  l'intérêt 
du  roi  que  pour  ne  pas  «  laisser  infester  ses  États  par 
«  cette  peste.  »  La  menace,  formulée  avec  l'autorité 
qui  appartenait  à  un  si  haut  seigneur,  frappa  le  conseil. 
La  reine  tondit  en  larmes  ^  Pendant  deux  jours,  elle 

1.  L'onfaul  l'tail  m-  à  Cliastillon,  le  2'i  décembre  précédent 
(Dolaborde,  Coligny^  t.  ï,  p.  500). 

2.  Lettre  du  comte  de  Bedford  à  lord  Cecil,  du  li  février  1561 
(Galc/idars,  1561,  p.  544). 

3.  Lettres  de  Tlirockmortoii  du  -26  février  et  du  lî  mars  1561 
{Calemlars,  1560,  jl  565  et  6-20). 

4.  Lettre  de  Michel  Suriano  à  la  République  de  Venise,  du 
19  février  1560  (1561).  (Déchitlrement,  Dépêches  vénit.,  filza 
4  bis,  f.  60.) 


ET  JEANNE   d'aLBRET.  41 

se  montra  aussi  catholique  que  le  cardinal  de  Tournon. 
Mais  le  surlendemain,  tidèle  à  son  système,  elle  enjoi- 
gnit au  parlement  d'exécuter  les  lettres  closes  du 
28  janvier  précédent,  qui  rendaient  la  liberté  aux 
prisonniers  pour  cause  de  religion  i. 

Aussitôt  après  son  arrivée  à  la  cour,  don  Man- 
rique  de  Lara  demanda  à  voir  le  roi  de  Navarre 
et  lui  rendit  les  mêmes  honneurs  que  Chantonay. 
Antoine  le  reçut  avec  apparat  et  l'invita  à  dîner. 
Il  aurait  été  moins  glorieux  s'il  eût  su  que,  dans  l'ins- 
truction confiée  à  l'ambassadeur,  le  roi  d'Espagne 
disait  expressément  :  «  Puisque  l'entrée  de  M.  de  Ven- 
«  dôme  au  conseil  est  inévitable,  il  faut  tâcher  de  ne 
c<  pas  lui  laisser  le  premier  rôle  et  qu'il  soit  réduit 
«  comme  un  des  autres  membres  du  conseil,  à  cause 
«  des  inconvénients  que  vous  connaissez-.  »  Don  Man- 
rique  était  porteur  d'une  lettre  de  Philippe  II  adressée 
«  A  mon  cousin  le  duc  de  Vendôme,  prince  de  Béarn^.  » 
Antoine  examina  la  suscription,  et,  sans  refuser  la  lettre, 
observa  que  l'empereur  Charles-Quint  et  Philippe  II 
lui-même  l'avaient  souvent  qualifié  de  roi,  'prince  de 
Béarn,  et  qu'il  «  ne  comprenait  pas  pourquoi  on  le 
«  supposait  déchu  de  sa  dignité  royale.  »  Don  Man- 
rique  ne  s'arrêta  pas  à  cette  observation.  Le  soir  môme 
il  écrivit  à  Philippe  II  que,  la  mission  dont  il  était 
chargé,  toute  de  condoléance,  ne  s'adressant  pas  au 

1.  Lettres  patentes  du  22  fi'vrior  1560  (1561).  (Mémoires  de 
Condé,  t.  II,  p.  271.) 

2.  Instruction  de  Philippe  II  à  don  Juan  Manrique  do  Lara, 
du  i  janvier  1561  (Arch.  nat.,  K.  Ii95,  n»  14). 

3.  Minute  ou  copie  sans  date  (Arch.  nat.,  K.  1495,  u"  4).  Cette 
lettre  est  une  simi)le  lettre  de  salutation  contenant  une  recom- 
mandation hautaine  en  faveur  «  du  service  de  Dieu.  » 


42  ANTOINE    DE    BOURBON 

prince,  il  n'avait  pas  cru  devoir  lui  faire  la  moindre 
concession  ' .  L'insulte  était  d'autant  plus  humiliante 
qu'elle  avait  été  faite  de  propos  délibéré.  L'Aubespine 
avait  été  consulté  à  Madrid  sur  l'étiquette  de  la  cour 
de  France  et  avait  conseillé  à  Philippe  II  d'adresser  sa 
lettre  «  Au  roy,  mon  cousin,  prince  de  Biard  ~.  » 

La  reine  d'Angleterre  inaugurait  une  politique 
aussi  énergique  en  faveur  de  la  Réforme  que  Phi- 
lippe II  dans  le  sens  contraire.  Au  milieu  de  dé- 
cembre, l'ambassadeur  anglais  demanda  audience 
au  roi  de  Navarre.  Le  prince  l'invita  à  souper  pour 
le  213.  Throckmorton  trouva  le  prince  avec  le 
cardinal  de  Bourbon,  les  ducs  de  Nevers  et  de  Bouil- 
lon, l'amiral  de  Goligny  et  le  comte  d'Eu.  Antoine, 
s'écarta nt  de  la  compagnie,  annonça  à  l'ambassadeur 
le  projet  de  repousser  le  concile  de  Trente  et  se  porta 
garant  des  tendances  de  la  reine  mère,  qui  commen- 
çait, dit-il,  «  à  prendre  goût  à  la  vraie  religion.  » 
Throckmorton,  à  la  suite  de  ces  déclarations,  conseilla 
au  prince  de  prendre  les  conseils  de  Goligny,  et 
Elisabeth  écrivit  au  roi  de  Navarre  comme  au  plus 
sûr  de  ses  alliés.  Le  comte  d'Arran,  chef  des  réformés 
en  Ecosse,  lui  dépêcha  le  capitaine  Forbes.  Dans  sa 
contiance,  Throckmorton  pressait  l'arrivée  d'un  ambas- 
sadeur extraordinaire,  chargé  de  recevoir  les  engage- 
ments officiels  du  prince.  Elisabeth,  satisfaite  d'avoir 
un  coreligionnaire,  presque  un  complice  aux  pieds  du 


1.  Lollrc  oripinalc  en  espagnol  de  Manrirjuo  de  Lara  et  de 
Chantouay  à  IMiiliiiiu-  II,  du  l'''  février  1561  (Arcli.  nat.,  K. 
i-m,  n«  56). 

2.  Avis  de  iV'vèque  de  Limoges,  sans  date  (commencement  de 
janvier  1561)  (Arch.  nat.,  K.  W.Vè,  n°  40). 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  43 

trône  de  France,  accrédita  auprès  d'Antoine  un  gen- 
tilhomme, Nicolas  Fremyn,  qui  devait  servir  d'inter- 
médiaire entre  le  prince  et  Throckmorton  ' . 

Elisabeth,  bien  que  la  plus  proche  voisine  du  roi  de 
France,  n'avait  pas  encore  envoyé  d'ambassade  de 
condoléance.  Elle  attendait  le  départ  de  don  Juan  Man- 
rique  de  Lara  pour  agiter  plus  librement  les  passions 
fanatiques  qui  fermentaient  à  la  cour~.  Throckmorton 
lui  recommanda  de  choisir  un  personnage  de  renom, 
capable  de  balancer  l'autorité  de  l'Espagnol  ;  elle  choisit 
le  comte  de  Bedford.  Throckmorton  fit  préparer  l'hôtel 
de  Henri  de  Montmorency-Damville  dans  la  rue  Saint- 
Antoine^.  Bedford  arriva  le  15  février  à  Paris  et  se 
rendit  le  1 6  à  la  cour.  Le  roi  l'accueillit  avec  beaucoup 
d'honneur,  le  remercia  de  ses  condoléances  et  le  pré- 
senta à  Marie  Stuart.  Le  roi  de  Navarre  l'engagea  à 
dîner.  La  première  entrevue  s'écoula  en  compliments 
réciproques.  Le  soir,  les  ambassadeurs  anglais  visitè- 
rent la  duchesse  de  Ferrare.  Le  1 8  au  matin,  ils  eurent 
une  audience  du  roi  de  Navarre  où  l'on  traita  d'affaires 
sérieuses.  Bedford  avait  charge  de  recommander  le 
prince  de  Gondé  et  les  Chasti lions,  de  détourner  la 
France  de  prendre  part  au  concile  de  Trente  et  d'im- 
poser au  nouveau  roi,  en  retour  de  son  alliance, 
l'abandon  des  conquêtes  nouvelles,  qui  avaient  jeté 

1.  Lettres  de  Throckmorton,  de  décembre  et  de  janvier  {Calen- 
dars,  p.  167,  474,  471,  477,  485,  489,  494,  492,  504,  505,  514, 
519). 

2.  Observation  de  Throckmorton  [Calendars^  1560,  p.  500 
et  514). 

3.  Lettre  de  Throckmorton,  du  10  janvier  {Calendars,  1560, 
p.  489).  —  Autre  de  John  Somers  (p.  514).  —  Autre  de  Throck- 
morton (p.  565). 


44  ANTOINE   DE   BOURBON 

tant  d'éclat  sur  le  nom  du  duc  de  Guise.  Antoine 
promit  tout,  excepte  la  restitution  de  Calais,  et  ren- 
voya les  ambassadeurs  anglais  convaincus  de  la  fer- 
meté de  son  amitié  ^ . 

Pendant  que  le  roi  de  Navarre  payait  de  promesses 
la  reine  d'Angleterre,  il  entrait  secrètement  en  rela- 
tions avec  la  cour  romaine.  Dans  les  derniers  jours  du 
règne  de  François  II,  il  avait  envoyé  à  Rome  don  Pedro 
d'Albret,  son  ancien  ambassadeurauprèsde  Philippe  II. 
Pedro  était  chargé  en  apparence  de  rendre  hommage  au 
pape,  en  réalité  de  faire  inscrire  son  maître  au  nombre 
des  souverains  et  d'infliger  ainsi  un  démenti  au  roi  d'Es- 
pagne, qui  s'obstinait  à  désigner  le  chef  de  la  maison 
d'Albret  sous  l'étiquette  peu  révérencieuse  de  Mon- 
sieur de  Vendôme.  Don  Pedro  arriva  le  21  novembre  à 
Rome,  demanda  une  audience  solennelle  et  «  fit  pro- 
«  vision  de  harangue.  »  Le  26  novembre,  il  fut  reçu  au 
Vatican  et  parla  «  du  tort  que  aucuns  meschants  héré- 
«  tiques  et  séditieux  avoient  voulu  faire  à  la  réputation 
a  du  roy  et  royne  de  Navarre,  se  servans  à  faux  titre 
«  de  leur  nom  pour  couvrir  leurs  malheureuses  opi- 
«  nions  el  volontez.  »  Il  «  s'estendit  sur  ce  propos  en 
«  langue  espagnole,  de  telle  grâce  et  finesse,  que 
«  nostre  saint  pcre  y  print  plaisir.  »  Le  pape  était 
résolu  de  le  recevoir  en  plein  consistoire  comme  les 
autres  ambassadeurs,  nonobstant  l'opposition  des 
Espagnols,  (juand  il  apprit  du  nonce  de  France  que 
le  roi  «  n'avoit  à  plaisir  »  que  le  représentant  de  la 
Navarre  reçût  les  honneurs  d'une  audience  solennelle. 
Le  coup  partait  de  la  main  des  Guises,  alors  tout-puis- 

1.  Lottro  (lu  "20  février  {Calendars,  lôGO,  j).  hC)b).  —  Lettre  du 
20  février  [ibid.,  ji.  555).  —  Lettre  du  l.'  mars  (ibid.,  p.  620). 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  45 

sants  auprès  de  François  II.  Paul  IV  proposa  à  don 
Pedro  de  se  contenter  d'une  «  réception  privée,  » 
mais  celui-ci  insista  sur  les  honneurs  dus  à  son  maître. 
L'ambassadeur  de  France,  pressentant  un  mystère  de 
cour,  «  s'estoit  délibéré  de  se  taire  sans  parler.  »  Il 
se  serait  montré  encore  plus  circonspect  s'il  eût  prévu 
que  ses  lettres,  écrites  le  5  décembre  1560  et  adres- 
sées à  François  II,  seraient  ouvertes  dans  un  conseil 
tenu  sous  la  présidence  du  roi  de  Navarre. 

Aussitôt  après  l'avènement  de  Charles  IX,  Antoine 
envoya  un  messager  au  pape^.  Le  messager  n'était 
pas  encore  arrivé  à  Rome  ^  que  le  pape  était  sorti 
de  ses  hésitations.  Malgré  les  remontrances  de  don 
Juan  de  Vargas,  ministre  de  Philippe  II,  la  cour 
romaine  fut  convoquée  pour  le  14  décembre  dans 
la  salle  des  rois.  Au  dernier  moment  le  saint -père 
hésita  de  nouveau  et  proposa  à  Philibert  Babou, 
ambassadeur  de  France,  de  procéder  à  la  cérémonie 
dans  une  autre  salle,  «  attendu  le  froid  et  le  mauvais 
«  temps.  »  Babou  refusa  péremptoirement  en  son 
nom  et  au  nom  de  don  Pedro  et  ramena  le  pape 
à  ses  premiers  projets^.  Le  14,  les  deux  ambassa- 
deurs se  présentèrent  et  don  Pedro  prononça  une 
harangue  d'apparat  en  latin,  qui  avait  été  écrite  par 


1.  Lettre  de  Michel  Surianu  à  la  République  de  Venise,  du 
20  décembre  1560  (Dépêches  vénit.,  hlza  4,  f.  221). 

2.  A  la  date  du  14  décembre,  la  cour  romaine  ignorait  encore 
la  mort  de  François  II.  Elle  n'en  fut  informée  que  le  16  (Lettre 
de  Babou,  du  18  décembre;  Vc  de  Golbert,  vol.  343,  f.  G23). 

3.  Lettres  de  Babou  du  25  novembre,  du  5  décembre  15G0  et 
du  9  janvier  1560  (1561)  (Galland,  Mémoires  sur  l'histoire  de  la 
Navarre,  p.  88  et  suiv.).  Les  trois  lettres  sont  conservées  dans 
les  cinq  cents  de  Golbert,  vol.  343,  p.  612,  618  et  623. 


46  ANTOINE    DE   BOURBON 

le  célèbre  humaniste  Marc-Antoine  Murets  Le  chance- 
lier du  pape,  Florebellius,  répondit  au  nom  de  la  cour 
romaine,  et  un  procès-verbal,  signé  de  tous  les  cardi- 
naux, certifia  les  honneurs  rendus  au  représentant  de 
la  maison  d'Albret^.  Dès  ce  jour  le  saint-siège  entra 
en  communication  officielle  avec  le  roi  de  Navarre 
comme  avec  les  autres  souverains.  Pie  IV  lui  écrivit 
une  lettre  de  congratulation  le  4  janvier  1561  ^ 

La  mission  de  don  Pedro  d'Albret  fut  peu  connue 
en  France  et  la  popularité  d'Antoine  dans  le  parti 
huguenot  n'en  fut  pas  atteinte.  Ses  amis  présentaient 
ses  démarches  à  Rome  comme  une  manœuvre  anti- 
espagnole. Les  agents  anglais  signalaient  malignement 
son  succès  ^  Par  contre,  Ghantonay  observait  à  son 
maître  que  la  condescendance  de  Pie  IV  aurait  de 
graves  conséquences  sur  les  négociations  futures  du 
roi  de  Navarre''. 

En  Espagne  les  nouvelles  de  Rome  bouleversèrent 
la  chancellerie  de  Philippe  II.  La  qualification  de  roi 
de  Navarre,  atti'ibuée  au  chef  de  la  maison  d'Albret 
par  le  pape,  impliquait  un  désaveu  de  la  prétendue 
bulle  au  nom  de  laquelle  le  successeur  de  Ferdinand  le 

1.  Cette  harangue  est  reproduite  dans  les  OEuvres  de  Muret, 
Liège,  1789,  t.  I,  p.  51.  Le  discours,  qui  est  conçu  dans  le  sens 
calliolitiuo  le  plus  pur,  fut  plus  tard  désavoué  par  le  roi  de 
Navarre  (Lettre  de  Mundt  à  lord  Cecil  du  13  mai;  Calendars, 
1561,  p.  10'.)). 

2.  Lcllrcs  du  cardinal  d'Ossal,  1732,  t.  II,  p.  A2ï  et  128. 

3.  Caloidars,  1500,  p.  186. 

\.  Galcndars,  1500,  p.  151  et  152.  Lettres  do  John  Shers  à  lord 
Cecil  et  de  Guido  Giannetti  à  la  reine.  —  Autre  (ibid.,  1561, 
p.  05). 

5.  Lettre  originale  en  espagnol  de  Chantonay  à  Philippe  IL  du 
13  janvier  1501  (Arch.  nat.,  K.  1494,  n»  53). 


ET    JEANNE    d'ALBRET.  47 

Catholique  possédait  la  Navarre  espagnole^.  Philippe  II 
commença  par  se  plaindre  au  nonce.  Puis  il  chargea 
don  Juan  d'Ayala  de  représenter  au  pape  le  «  contre- 
fit cueur  »  qu'il  éprouvait-  et  de  lui  remettre  un  long 
factum  sur  ses  droits  rédigé  par  un  casuiste  à  ses 
gages ^.  Don  Juan  d'Ayala  remplit  brutalement  sa 
mission.  Il  se  présenta  au  Vatican  sans  demander 
d'audience  et  obligea  par  son  insistance  le  pape  à 
retarder  un  voyage  à  Civita-Vecchia.  Introduit  auprès 
du  saint-père,  il  ne  se  mit  pas  à  genoux  et  se  contenta 
de  s'incliner  la  tête  nue.  Au  miheu  de  sa  harangue,  il 
se  couvrit  grossièrement  et  garda  sa  toque  jusqu'à  la 
fin  du  discours.  Son  impertinence  fit  scandale  dans 
toutes  les  cours,  même  en  Angleterre^.  Le  mécon- 
tentement de  Phihppe  II  refroidit  les  relations  de  la 
cour  romaine  et  de  la  cour  espagnole  ^.  Le  comte 


1.  Cette  prétendue  bulle  de  Jules  II  n'avait  jamais  existé, 
mais  le  gouvernement  espagnol  laissait  croire  qu'il  retenait  la 
Navarre  espagnole  à  ce  titre.  Voyez  le  Mariage  de  Jeanne  d'Albret^ 
p.  13. 

2.  Lettre  de  l'Aubespine  au  roi  de  Navarre,  du  20  mars  1560 
(1561)  (Galland,  Mémoires  sur  l'hist.  de  la  Navarre^  Preuves, 
p.  84).  —  Autres  lettres  du  même,  du  4  et  du  17  avril  [ibid.^ 
p.  85  et  87). 

3.  Ce  factum,  plein  do  droit  canonique,  sans  faits  nouveaux, 
est  conservé  aux  Archives  d'État  de  la  secrétairerie  d'Espagne 
(Navarre,  leg.  358,  f.  374). 

4.  Lettre  de  Shers  à  lord  Cecil,  du  26  avril  1561  (Calendars, 
1561,  p.  80). 

5.  Lettre  de  Throckmorton  à  lord  Cecil,  du  22  mars  1561 
(Calendars,  1560,  p.  3i).  Toile  était  l'obscurité  que  Piiilippe  II 
avait  réussi  à  accumuler  autour  de  ses  droits  sur  la  Navarre  que 
Throckmorton  croyait  lui-même  à  l'existence  de  la  bulle  do 
Jules  U.  —  Lettre  do  Shers  à  lord  Cecil  du  19  avril  (Calendars, 
1561,  p.  64). 


48  ANTOINE   DE   BOURBON 

Annibal,  un  des  neveux  du  pape,  qui  sollicitait  à 
Madrid  en  faveur  d'un  mariage,  paya  la  «  faiblesse  » 
de  son  oncle.  Il  fut  éconduit  par  le  prince  d'Eboli  au 
nom  du  roi  et  renvoyé  sans  égards^.  Seul,  don  Pedro 
recueillit  de  brillants  fruits  de  sa  mission  :  du  roi  de 
France  il  obtint  l'évêché  de  Comminges,  du  pape 
l'expédition  gratuite  de  la  bulle  de  confirmation-,  et 
il  s'installa  officiellement  à  Rome  comme  ambassadeur 
du  roi  de  Navarre  •^ 

Deux  jours  après  la  clôture  des  états  généraux,  le 
roi  (juitta  le  séjour  d'Orléans  marqué  par  de  si  funestes 
souvenirs.  Une  sorte  de  fatalité  pesait  sur  la  ville.  Peu 
après  la  mort  de  François  II,  le  marquis  de  Beaupréau, 
âgé  de  douze  ans,  fils  unique  du  prince  de  La  Roche- 
sur-Yon,  dans  un  exercice  de  carrousel,  en  se  jouant 
avec  le  roi  et  d'autres  jeunes  seigneurs,  tomba  sous 
les  pieds  de  son  cheval  et  fut  écrasé.  Il  languit 
quelques  semaines  et  mourut  ^  On  observa  que  dans 
un  mois  la  famille  royale  avait  perdu  deux  de  ses 
membres,  tous  deux  à  la  fleur  de  l'âge,  le  premier  et 
le  dernier.  Des  phénomènes  effrayants  ajoutaient  une 

1.  Lotlrc  do  L'Aubospine,  du  17  avril  1561  (Galland,  Mémoires 
sur  iliist.  de  la  Navarre,  Preuves,  p.  87). 

2.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du  11)  juin  làfit  (Orig. 
espagnol;  Arch.  uat.,  K.  liOâ,  n"  -17).  — Autre  [Oalejidars,  1561, 
p.  108). 

3.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du  26  mars  1561  (Orig. 
esiuignul,  K.  1194,  n»  68).  —  Autre  {Calcndars,  1561,  p.  107). 

A.  Lettre  de  Suriano  à  la  République  de  Venise,  du  9  janvier 
1560  (1561)  (Dép.  vénit.,  iUza  i,  p.  229).  Plusieurs  historiens  et 
géni'alogistes  ont  hxé  la  mort  de  ce  jeune  prince  au  18  décembre. 
Suriano  est  tellement  précis  cjue  son  récit  ne  comporte  aucun 
doule.  Ce  fut  la  chute  (|ui  eut  lieu  probablement  le  18  décembre. 
Brantôme  raconte  un  pou  (lillV'ronimonl  l'accident  (t.  V,  p.  28). 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  49 

sorte  de  terreur  superstitieuse  à  l'impression  pénible 
des  courtisans.  Le  grave  Chantonay  raconte  que,  le 
28  décembre,  à  cinq  heures  du  matin,  on  aperçut  un 
feu  lumineux,  «  grand  comme  une  maison,  »  au- 
dessus  du  logis  du  roi.  Ses  rayons  éclairèrent  la  ville 
pendant  plusieurs  heures  et  s'éteignirent  aux  premières 
lueurs  du  jour^.  Un  plus  grave  fléau  menaçait  Orléans. 
La  disette  s'y  faisait  sentir.  Les  vivres,  épuisés  par 
l'armée  de  valets  et  de  soldats  que  le  roi  et  les  courti- 
sans traînaient  à  leur  suite,  commençaient  à  manquer 
même  aux  ambassadeurs  étrangers-. 

Le  roi  se  mit  en  marche  à  petites  journées,  le 
2  février,  et  arriva  le  5  à  Fontainebleau  avec  la  reine 
mère  et  le  roi  de  Navarre. 

La  prépondérance  du  roi  de  Navarre,  malgré  ses 
droits  de  premier  prince  du  sang,  malgré  son  accord 
avec  la  reine  mère,  ne  s'établissait  pas  sans  obstacle. 
Aux  approches  du  carême,  la  reine  décida  que  tous 
les  prélats  rejoindraient  leur  résidence.  Les  cardinaux 
de  Lorraine  et  de  Guise  donnèrent  l'exemple.  Le  pre- 
mier fit  des  adieux  touchants  à  la  reine  ;  il  lui  baisa 
les  mains  et  trouva  des  paroles  émues  pour  protester 
de  son  dévouement  au  roi  ^.  Il  partit  le  23  février  et 
alla   prêcher  à  Reims  *.  Antoine  voulait  garder   au 

1.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du  28  décembre  1560 
(Orig.  espagnol,  Arch.  nat.,  K.  1494,  n°  12). 

2.  Lettre  de  Suriano  à  la  République  de  Venise,  «du  13  jan- 
vier 1561  (Dépêches  vénit.,  filza  1,  f.  232).  Il  est  juste  d'ajouter 
que,  dans  sa  correspondance,  Suriano  est  toujours  très  occupé 
des  soins  de  sa  vie  matérielle. 

3.  Lettre  de  Chantonay  et  de  Manriquo  de  Lara  à  Philippe  II 
(Orig.  espagnol  du  1«'"  février  1561  ;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n^  56). 

4.  Lettre  de  de  Bèze,  du  25  mars  (Baum,  Theodor  Deza,  appen- 
dice, p.  31).  —  M.  Cheruel  a  publié  une  lettre  du  card.  de  Lor- 

ni  4 


50  ANTOINE   DE   BOURBON 

conseil  les  cardinaux  de  Bourbon  et  de  Ghastillon,  dont 
les  voix  lui  étaient  acquises.  L'un  se  souciait  peu  de 
(juitter  la  cour,  l'autre  de  se  présenter  à  ses  ouailles  ; 
mais  ils  furent  forcés  d'obéir.  Dans  son  dépit,  le  prince 
demanda  l'éloignement  du  cardinal  de  Tournon.  En 
vain  la  reine  lui  représenta  le  grand  âge  et  les  infirmités 
de  ce  prélat  ;  elle  dut  employer  son  autorité  de  régente 
à  retenir  le  cardinal  auprès  d'elle.  Le  vieux  ministre 
de  François  P%  (jui  avait  vu  naître  Antoine  de  Bourbon, 
se  vengea  de  son  hostilité  par  des  railleries.  Il  dit  au 
duc  de  Montpensier  (ju'il  était  «  à  charge  à  Vendôme 
«  pour  le  bien  qu'il  cherchait  à  lui  faire  au  corps  et  à 
«  l'àme,  »  allusion  peut-être  à  des  conseils  de  morale 
inutilement  prodigués^. 

Les  plus  amers  échecs  du  roi  de  Navarre  venaient  du 
duc  de  Guise.  François  de  Lorraine  travaillait  à  rega- 
gner le  terrain  perdu  depuis  la  mort  de  François  IL 
Au  conseil  sa  parole  habile  s'imposait  d'elle-même. 
Plusieurs  fois  son  avis  prévalut  sur  celui  du  roi  de 
Navarre.  Ses  amis  encouragés  se  ralliaient  peu  à  peu. 
La  veille  de  Noél,  il  voulut  aller  en  pèlerinage  à 
Notre-Dame-de-Cléry  et  «  emmena,  dit  Brantôme, 
«  quasi  toute  la  court  avec  luy '.  »  Déjà  son  parti  se 
reformait  derrière  lui  et  chacun  pouvait  prévoir  qu'à 
force  de  patience  et  de  ténacité  le  chef  des  Lorrains 
retrouverait  son  ancien  crédit  ^ 

raine,  (latée  du  l'"'"  avril,  qui  prouve  la  tranquillité  de  ce  prélat 
et  sa  profonde  retraite  dans  son  diocèse  {Marie  Stuart  et  Cathe- 
rine de  MMicis,  ]>.  ■2\). 

1.  Lettre  do  Clianlunay  à  [Miilippo.  U,  du  4  mars  (Orig.  espa- 
gnol; Arch.  uat.,  K.  I.'i9i,  n»  6-2). 

■2.  Brantôme,  t.  IV,  p.  22G  et  suiv. 

3.  Suriano  insiste  sur  ce  point  (Lettre  du  19  février  1560 
(lôOi);  DéchillV.,  Dt'pèclics  vénit.,  ûlza  i  bis,  i'.  00). 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  51 

L'un  des  plus  brillants  champions  du  parti  catho- 
lique, Jacques  de  Savoie,  duc  de  Nemours,  était  depuis 
longtemps  en  lutte  avec  les  amis  d'Antoine  de  Bourbon. 
11  avait  séduit  Françoise  de  Rohan,  cousine  germaine 
de  Jeanne  d'Albret,  sous  promesse  de  mariage  et  refu- 
sait de  tenir  son  serment.  Les  deux  parties  étaient  en 
instance  auprès  de  l'officialité  diocésaine  et  bataillaient 
avec  acharnement  à  coups  d'arrêts.  Toute  la  cour  était 
engagée  dans  cette  querelle  qui  remontait  au  règne 
de  Henri  IL  Les  Guises  soutenaient  le  duc  de  Nemours 
que  de  tendres  liens  attachaient  déjà  à  la  duchesse  de 
Guise,  et  les  Réformés  sa  victime.  Les  premiers,  con- 
duits par  un  jeune  seigneur  peu  mesuré  dans  ses 
paroles,  remplissaient  la  cour  de  leurs  rodomontades 
et  essayaient  leurs  forces  à  l'ombre  de  ce  débat  parti- 
culier. La  reine  fit  appeler  le  jeune  duc  et  le  blâma 
de  ses  bravades.  Il  répondit  qu'on  en  voulait  à  sa 
vie  et  se  plaignit  des  partisans  des  Rohan  ^.  Enfin  la 
reine  réussit  à  l'apaiser  ;  elle  parla  aussi  au  roi  de 
Navarre  et  les  décida  tous  deux,  puisque  le  procès 
était  engagé,  à  attendre  les  décisions  de  la  justice 
ecclésiastique.  Le  duc  de  Guise  aida  la  reine,  et,  à  la 
suite  d'une  conférence  pacifique,  le  roi  de  Navarre 
offrit  à  Guise  et  à  Nemours  un  repas  qui  sembla  les 
réconcilier  tous  les  trois  ^. 

Au  commencement  de  février,  l'un  des  frères  de 
mademoiselle  de  Rohan  arriva  de  Bretagne  avec  une 


1.  Lettre  de  Tornabuoni  au  grand  duc  de  Toscane,  du  10  et 
du  12  janvier  15G1  (Négoc.  de  la  France  avec  la  Toscane,  l.  III, 
p.  '144  et  447). 

2.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du  12  janvier  1561  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n"  52). 


52  ANTOINE   DE   BOURBON 

suite  de  200  gentilshommes  armés  en  guerre.  Le  1 0  il 
fut  présenté  à  la  cour  par  le  roi  de  Navarre.  Nemours 
se  prétendit  personnellement  visé  par  cette  invasion 
bretonne,  s'entoura  de  défenseurs  et  affecta  de  ne  se 
montrer,  môme  devant  le  roi,  que  bien  accompagné. 
Catherine  se  plaignit  au  roi  de  Navarre  du  train  belli- 
queux du  sire  de  Rohan.  Antoine  répondit  que  le  rang 
d'un  cousin  germain  de  Jeanne  d'Albret  comportait  tel 
équipage.  Le  duc  de  Guise  faisait  valoir  la  modération 
de  Nemours  par  comparaison  avec  les  menaces  des 
Rohan.  Il  fut  appuyé  par  le  connétable.  Montmo- 
rency fît  venir  des  gens  d'armes  ;  chaque  parti  con- 
voqua ses  soldats.  Peu  à  peu  la  cour  se  remplit 
d'aventuriers  prêts  à  tirer  l'épée.  Le  duc  de  Guise 
s'assura  de  l'appui  du  duc  de  Lorraine  en  cas  de 
conllit' .  Blâmé  par  la  reine  et  par  les  seigneurs,  mieux 
conseillé  par  ses  amis,  Antoine  décida  enfin  que  le 
sire  de  Rohan  partirait  le  ;24  février  pour  la  Bretagne. 
Rohan  resta  auprès  du  roi  de  Navarre,  mais  il  ne  se 
montra  plus  à  la  cour  en  tenue  de  guerre^. 

Plus  tard,  sur  le  bruit  de  la  mort  du  duc  de  Nevers, 
Antoine  demanda  le  gouvernement  de  Champagne 
pour  son  frère,  le  prince  de  Condé,  mais  la  reine,  à 
la  requête  du  duc  de  Guise,  le  promit  au  duc  de 
Nemours^.  Autant  de  griefs  de  la  part  du  prince, 
autant  de  causes  de  jalousie  contre  son  rival. 

1.  Lcllre  de  Chautoaay  à  Philippe  II,  du  1)  mars  (Orig.  espa- 
gnol; Arch.  ual.,  K.  liO'j,  n»  Gi). 

2.  Lettre  du  comte  de  Bedford  à  lord  Gecil,  du  11  février 
(Calcndars,  13G0,  p.  5i4).  —  Lettre  de  Ghaatonay  à  Philippe  II, 
du  4  mars  (Orig.  espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n°  62). 

3.  Lettre  d'un  des  ambassadeurs  vénitiens  (Déchiffrement  non 
signé,  daté  du  1"'  mars  1561;  Dépêches  vénit.,  hlza  4  bis,  f.  15). 


ET   JEANNE    d'alBRET.  53 

La  rivalité  dégénéra  bientôt  en  querelle.  Depuis  la 
mort  de  François  II,  des  bruits  menaçants  se  répan- 
daient de  la  cour  dans  les  provinces.  Tantôt  on 
racontait  que  les  Lorrains  avaient  pris  les  armes, 
tantôt  que  le  roi  de  Navarre,  profitant  de  l'absence  du 
duc  de  Guise,  retenu  aux  obsèques  du  feu  roi,  s'était 
emparé  de  la  personne  de  Charles  IX  et  de  celle  de 
la  reine  mère.  Le  récit,  entouré  de  circonstances 
dramatiques,  courut  jusqu'à  Pampelune^  Catherine, 
assaillie  de  craintes,  prit  le  parti  de  faire  coucher  le 
roi  dans  sa  propre  chambre^.  Ces  dangers,  vrais  ou 
imaginaires,  donnaient  une  grande  importance  à  la 
garde  du  roi.  Le  duc  de  Guise,  en  qualité  de  grand 
maistre,  la  commandait  en  chef.  Un  jour,  à  Orléans, 
Antoine  ne  craignit  pas  de  renvoyer  les  soldats  dési- 
gnés par  le  grand  maistre  et  introduisit  de  nouvelles 
compagnies  de  son  choix  ^.  Le  duc  de  Guise  se  dit 
insulté  dans  sa  dignité  et  se  plaignit  à  la  reine  mère. 
Antoine  assistait  à  l'entretien.  Il  interrompit  durement 
le  duc  dans  ses  plaintes  :  «  Le  roi  et  la  reine  le  veu- 
«  lent  ainsi  et  ainsi  cela  sera*.  »  La  contestation 
dura  plusieurs  jours.  Les  gens  de  pied  chassés  par 
le  roi  de  Navarre  se  groupaient  autour  du  duc  de 

1.  Lettre  du  duc  d'Albuquerque  à  Philippe  II,  du  15  décembre 
(Orig.  espagnol;  Arcli.  de  la  secret.  d'État  d'Espagne,  leg.  358, 
f.  52). 

2.  Lettre  originale  eu  espagnol  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du 
9  décembre  (Arch.  nat.,  K.  1493,  n°  116).  Chantonay  ajoute  qu'il 
pense  que  cette  sollicitude  ne  durera  pas.  —  Lettre  de  Throckmor- 
ton  au  conseil,  du  9  décembre  [Calcndars^  1560,  p.  438). 

3.  Lettre  de  Tornabuoni  au  grand  duc  de  Toscane,  du  10  jan- 
vier 1561  [Négoc.  de  la  France  avec  la  Toscane,  t.  III,  p.  444). 

4.  Lettre  de  Tornabuoni,  du  10  janvier  [Négoc.  de  la  France  et 
de  la  Toscane,  t.  III,  p.  444). 


54  ANTOINE   DE   BOURBON 

Nemours  ;  on  disait  qu'ils  cherchaient  roccasion  de 
surprendre  le  prince.  Un  soir,  le  connétable,  mis 
en  éveil  par  de  secrets  rapports,  amena  lui-même 
une  escorte  au  prince  à  la  porte  du  logis  de  la 
duchesse  de  Montpensier  ;  le  lendemain,  il  le  recon- 
duisit avec  ses  gentilshommes  armés  jusqu'à  l'hôtel 
du  roi.  Le  duc  de  Nemours,  sommé  de  s'expliquer, 
s'excusa  de  quelques  paroles  imprudentes.  Les  habi- 
tants, maltraités  par  les  soldats  des  Lorrains,  offrirent 
au  roi  de  Navarre  une  garde  spéciale  qu'il  eut  la 
sagesse  de  refuser*. 

Vers  la  fin  du  mois  de  février,  pendant  le  séjour  du 
roi  à  Fontainebleau,  Antoine  se  plaignit  à  la  reine  que 
le  duc  de  Guise  lui  était  préféré,  qu'il  avait  pris  les 
clefs  du  château,  que,  malgré  la  présence  du  pre- 
mier prince  du  sang,  l'ambitieux  Lorrain  tranchait  du 
maître  au  conseil.  Il  signifia  que,  si  le  duc  demeurait 
à  la  cour,  il  devrait  à  sa  propre  dignité  de  retourner 
dans  ses  états.  La  reine  répondit  que  le  duc  de  Guise, 
en  retenant  les  clefs  des  portes,  obéissait  aux  devoirs 
de  sa  charge  et  suivait  l'exemple  de  Montmorency. 
Le  roi  de  Navarre  épilogua  sur  le  point  de  savoir  si 
Montmorency  avait  retenu  les  clefs  du  château  à 
titre  de  grand  maistre  ou  à  titre  de  connétable. 

Le  duc  de  Guise,  informé  de  cette  nouvelle  explo- 
sion de  jalousie,  y  riposta  avec  d'autant  plus  de 
hauteur  i|u'il  se  sentait  dans  son  droit.  Il  allait  disant 
à  tous  les  courtisans  que  le  roi  et  la  reine  connais- 
saient depuis  longtemps  son  intention  de  se  retirer  à 
Nanteuil,  mais  qu'il  était  contraire  à  sa  dignité  de  céder 

l.  La  Placo,  Estât  de  Religion  et  Ri'publiqiiCy  édit.  du  Pantli. 
un.,  p.  110. 


ET   JEANNE    D  ALBRET.  05 

à  la  menace  ;  du  moment  où  ses  ennemis  prenaient  à 
tâche  de  l'offenser,  il  refusait  d'abdiquer  les  droits  de 
sa  charge  et  de  se  laisser  chasser  de  la  cour.  Pendant 
deux  jours  le  roi  de  Navarre  cessa  de  paraître  au 
conseil  et  même  de  rendre  visite  au  roi  et  à  la  reine. 
Le  26  février,  Catherine  avec  ses  enfants  et  les 
seigneurs  de  la  maison  de  Guise  allèrent  à  la  chasse. 
Antoine,  les  Montmorency  et  les  Chastillons  sortirent 
presque  en  même  temps  et  affectèrent  de  se  diriger 
vers  une  autre  partie  de  la  forêt.  Au  retour  la  reine 
s'enferma  dans  sa  chambre  avec  le  roi,  ne  recevant  que 
le  cardinal  de  Tournon.  On  s'attendait  à  des  querelles 
sanglantes  dans  l'intérieur  du  château,  qui  auraient 
donné  le  signal  de  la  guerre  civile,  et  les  ambassadeurs 
étrangers  en  supputaient  même  les  chances  ^ 

Le  lendemain  Catherine  sortit  de  sa  retraite  et 
déclara  qu'à  l'avenir  les  clefs  seraient  déposées  chaque 
soir  dans  sa  chambre  par  les  capitaines  de  service.  Le 
roi  de  Navarre,  qui  servait  d'instrument  aux  mécon- 
tents^, ne  se  tint  pas  pour  satisfait.  Il  fît  grand  bruit 
de  ses  droits,  prit  les  allures  d'un  homme  offensé  et  se 
retira  dans  son  logis.  Le  jour  suivant  il  annonça  qu'il 
quitterait  la  cour.  En  vain  le  jeune  roi  chercha  à  le 

1.  Lettres  de  rambassadeur  vénitien,  du  1"  et  du  5  mars 
(Déchilîrement,  Dépèches  vénit.,  filza  4  bis,  f.  15  et  \9).  —  Lettre 
de  Chantonay  à  Philippe  U,  du  4  et  du  9  mars  1561  (Orig.  espa- 
gnol ;  K.  1494,  nos  go  et  64).  —  Lettre  de  Tornabuoni,  du  26  février 
[Négoc.  de  la  France  et  de  la  Toscane,  t.  III,  p.  472.  —  C'est  par 
erreur  que  l'éditeur  a  placé  cette  lettre  à  l'année  1562;  elle  ne 
peut  être  que  de  1561). 

2.  Suriano  raconte  qu'on  lui  avait  persuadé  que  les  pouvoirs 
du  duc  de  Guise  mettaient  sa  vie  en  danger  (Dépèches  vénit., 
filza  4  bis,  f.  15).  —  Sic,  lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du 
4  mars  (Orig.  espagnol,  K.  1494,  n»  62). 


56  ANTOINE   DE   BOURBON 

retenir  et  le  pria  avec  instance  de  ne  pas  l'abandonner. 
Antoine  «  fit  venir  ses  chevaux  et  mulets,  trousser 
«  son  lit  et  botter  ses  gens  prêts  à  partira  »  Ses 
équipages  allèrent  l'attendre  à  Melun.  Les  princes 
du  sang,  notamment  le  duc  de  Montpensier,  engagés 
malgré  eux  à  suivre  le  chef  de  leur  maison,  le  blâ- 
maient ouvertement,  mais  ils  n'osaient  se  séparer  de 
lui.  Le  connétable,  ses  fils,  les  Chastillons,  par  esprit 
de  parti,  soutenaient  hautement  la  cause  du  prince.  La 
reine  courait  le  danger  d'être  laissée  en  tête  à  tête  avec 
le  duc  de  Guise,  et  déjà  l'on  disait  au  château  que 
l'ambitieux  grand  maistre  tramerait  la  cour  à  Paris 
pour  se  faire  offrir  la  régence  parle  parlement. 

Le  roi  de  Navarre  et  les  princes  étaient  montés  à 
cheval  ;  ils  s'attendaient  mutuellement  pour  donner 
plus  d'éclat  à  leur  départ  quand  le  cardinal  de  Tournon 
accourut.  Il  venait  de  la  part  du  roi  sommer  le  conné- 
table de  se  rendre  à  l'instant  auprès  de  lui.  Le  conné- 
table obéit  ;  le  roi  était  dans  sa  chambre  au  milieu  de 
ses  secrétaires  d'État.  «  Mon  compère,  lui  dit-il,  je 
fi  compte  peu  d'années;  je  connais  cependant  les 
«  services  que  vous  avez  rendus  à  mon  père  et  corn- 
et bien  vous  avez  été  aimé  de  lui.  Je  sais  aussi  et  je 
«  n'ai  pas  oublié  le  serment  que  vous  m'avez  fait.  » 
Ces    paroles    émurent    le    connétable    qui    se    laissa 

1.  Lctlro  de  la  reine  mère,  du  3  mars  {Lettres  de  Catherine  de 
Médicis,  t.  I,  p.  ■'186).  Cette  lettre  donne  la  date  exacte  de  cet 
incident.  Catherine  écrit  qiie  cela  se  passait  «  jeudi  dernier  »  ; 
or,  cette  indication,  en  1561,  désigne  le  27  février.  L'affaire  des 
clefs  du  château  est  donc  antérieure  à  l'arrivée  de  Condé  à  la 
cour,  contrairement  à  ce  «ju'ont  écrit  i)resque  tous  les  historiens. 
—  La  lettre  de  Chantonay  à  PhiUppe  II,  du  4  mars,  s'accorde 
avec  la  lettre  de  la  reine  pour  la  date  (Arch.  nat.,  K.  149 i,  n»  6Î). 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  57 

ébranler.  Le  roi  reprit  :  «  Mon  compère,  je  vous 
«  commande  de  ne  pas  m'abandonner  ^ .  »  Pendant  cet 
entretien,  le  roi  de  Navarre  et  les  princes  s'impatien- 
taient aux  portes  du  château.  Ils  envoyèrent  le  duc 
François  de  Montmorency  rappeler  à  son  père  qu'il 
était  attendu.  Le  vieux  capitaine  n'hésitait  plus.  Il 
déposa  son  harnois  de  voyage  et  répondit  qu'il  ne 
partirait  pas.  Cette  nouvelle,  communiquée  aux 
princes ,  changea  rapidement  leurs  dispositions. 
Personne  ne  voulut  quitter  Fontainebleau  et  le  roi  de 
Navarre  envoya  quérir  ses  équipages  à  Melun.  A  la 
suite  de  cet  incident,  il  y  eut  une  réconciliation 
générale  à  la  cour.  Tous  les  seigneurs  jurèrent  d'oublier 
leurs  dissentiments  personnels  et  de  se  liguer  contre 
le  premier  «  qui  donnerait  une  occasion  de  discorde -.  » 
A  peine  cette  querelle  était-elle  éteinte  que  le 
prince  de  Condé,  le  plus  exigeant  de  tous  les  mécon- 
tents, reparut  à  la  cour.  La  reine  mère,  dans  un  but 
de  paix,  avait  résolu  de  faire  oublier  le  procès  de  ce 
prince  ;  elle  fit  signer  au  roi  des  lettres  qui  dessaisis- 
saient la  cour  suprême  au  profit  du  conseil  privé  ^  et 


■1.  Tout  ce  discours  est  rapporté  textuellement  dans  la  lettre 
de  l'ambassadeur  vénitien,  du  3  mars  1561  (Déchiffrement; 
Dépêches  vénit.,  filza  4  bis,  f.  18). 

2.  Outre  les  documents  inédits  cités  dans  les  notes  précédentes, 
nous  citerons,  parmi  les  imprimés,  La  Place,  Estât  de  religion  et 
rt'imblique,  édit.  du  Panth.  litt.,  p.  120;  lettre  de  Catherine  à 
Philippe,  du  5  mars  1561  [Négoc.  sous  François  11^  p.  820)  ;  Davila, 
Hist.  des  guerres  civiles^  t.  I,  p.  84  ;  Dupleix,  Hisl.  de  France^ 
t.  ni,  p.  637.  —  La  Popnlinière  a  absolument  copié  La  Place 
(f.  254  v).  —  Dupleix  (t.  lU,  p.  637)  sans  le  copier  s'est  inspiré 
de  son  récit.  —  Voyez  aussi  Brantôme,  t.  VU,  p.  352. 

3.  Lettre  de  l'ambassadeur  vénitien  du  1*''  mars  (Déchiffrement; 
Dépêches  vénit.,  ûlza  4  bis,  f.  15). 


58  ANTOINE    DE   BOURBON 

commanda  à  Condé  de  se  rendre  à  Fontainebleau.  Le 
prince  quitta  La  Fère  et  s'approcha  de  Paris  en  grand 
équipage.  Les  fils  du  connétable  de  Montmorency  et 
une  foule  de  seigneurs,  que  Gliantonay  évalue  à  7  ou 
800  cavaliers,  étaient  venus  à  sa  rencontre  aux  portes 
de  la  ville  et  l'escortèrent  jusqu'à  son  logis^.  Le  prince 
s'arrêta  quelques  jours  dans  Paris,  y  tenant  cour 
plénière,  entouré  des  plus  remuants  du  parti  huguenot. 
La  foule  d'intrigants,  qui  se  pressait  autour  de  lui, 
dépassait,  dit  l'ambassadeur  vénitien,  le  nombre  des 
courtisans  du  roi.  Enfin  le  prince  prit  la  poste  et  partit 
pour  Fontainebleau  avec  ses  nouveaux  partisans.  A 
distance  du  château,  il  éloigna  son  cortège,  qui  ressem- 
blait à  une  armée  d'invasion,  et  se  présenta  seul 
devant  le  roi  avec  le  comte  de  La  Rochefoucault  et  le 
sire  de  Sénarpont^.  Charles  IX  l'accueillit  avec  une 
affabilité  qui  rappelait  par  contraste  la  raideur  mal- 
veillante que  François  II  lui  avait  montrée  à  son  arrivée 
à  Orléans,  moins  de  quatre  mois  auparavant.  Ce  fut 
au  tour  de  Condé  à  faire  parade  de  son  dédain.  Il 
accepta  les  avances  du  roi  comme  une  restitution  qui  lui 
était  due  et  ne  dissimula  pas  ses  ressentiments.  Debout 
auprès  du  siège  du  roi,  en  qualité  de  grand  maître, 
le  duc  de  Guise  attendit  un  regard  du  nouveau  venu. 
Condé  ne  jeta  même  pas  les  yeux  sur  lui  et  la 
conversation  s'engagea  entre  le  roi,  la  reine  et  le 
prince,  sans  que  les  deux  rivaux  eussent  échangé  une 
révérence  '^. 

i.  Résumé  do  chancellerie  de  lettres  de  Gliantonay  (mars  15G1) 
(Arch.  nat.,  K.  Ii9i,  n«  70). 

2.  La  Place,  p.  120. 

3.  Lettre  de  Suriano  à  la  n^publique  de  Venise,  du  16  mars 
1fi61  (Dépêches  véiiit.,  iilza  '(,  1'.  267). 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  59 

Bientôt  le  conseil  fut  assemblé  et  procéda  au  juge- 
ment du  prince.  L'arrêt  n'était  pas  discuté  ;  cependant 
les  charges  abondaient.  On  avait  saisi  des  lettres  qui 
prouvaient  la  complicité  de  Gondé  avec  les  conjurés 
d'Amboise  et  avec  les  séditieux  de  Lyon.  Le  prince  se 
défendait  en  accusant  son  secrétaire  d'avoir  abusé 
d'un  blanc-seing  et  demandait  à  être  confronté  avec 
ce  secrétaire,  mais  le  coupable  avait  disparu.  Tous 
les  efforts  pour  le  retrouver  ayant  été  inutiles,  les 
amis  des  Bourbons  disaient  que  les  Guises  l'avaient 
fait  disparaître  par  des  moyens  criminels  ^  Quelles  que 
fussent  les  preuves,  les  circonstances  imposaient  à  la 
reine  l'oubli  du  passé.  Le  duc  de  Guise  se  faisait 
remarquer  parmi  les  défenseurs  les  plus  ardents  du 
prince.  Il  répétait  que  toutes  les  mesures  prises  contre 
le  frère  du  roi  de  Navarre  étaient  l'œuvre  du  feu  roi 
et  il  le  prouvait  par  des  lettres  signées  de  François  II 
lui-même.  Il  affectait  de  trouver  les  témoignages  insuf- 
fisants et  conseillait  d'anéantir  les  dossiers  de  justice 
que  ses  propres  agents  avaient  accumulés-.  Après  un 
simulacre  de  délibération,  le  conseil  prononça,  le 
8  mars,  un  arrêt  qui  renvoyait  Gondé  de  toute  plainte  ; 


1 .  Lettre  de  Tornabuoni  au  grand  duc  de  Toscane,  du  1 6  décembre 
1560  {Négoc.  de  la  France  et  de  la  Toscane,  t.  III,  p.  431). 

2.  Lettre  d'un  ambassadeur  vénitien  (Déchiffrement  daté  du 
l^'  mars;  Dépèches  vénit.,  filza  4  bis,  f.  15).  —  Lettre  de  Ghan- 
tonay,  du  9  mars  1561  (Orig.  espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1191, 
n"  61).  Dans  un  extrait  de  la  correspondance  de  Chantonay, 
imprimé  dans  les  Mémoires  de  Gondé  (t.  II,  p.  2  et  3),  il  est  dit 
que  le  roi  de  Navarre  reprocha  au  duc  de  Guise  l'opposition 
qu'il  faisait  à  la  justification  do  Gondé.  Il  ^n'y  a  rien  de  pareil 
dans  les  originaux.  Le  duc  de  Guise  défendait  ardemment  le 
prince. 


60  ANTOINE   DE   BOURBON 

la  reine  mère  lui  rendit  sa  place  au  conseil  prive  et  le 
convoqua  pour  la  première  séance'. 

Le  prince  de  Condé  repoussa  le  bénéfice  de  cette  déci- 
sion et  déclara  à  la  reine  qu'il  ne  se  croirait  absous 
que  par  un  arrêt  du  parlement^.  La  reine  l'exhorta  à 
se  réconcilier  avec  le  duc  de  Guise.  Il  répondit  qu'il 
voulait  être  justifié  légalement  avant  de  se  retrouver 
en  face  de  ses  ennemis,  et  que,  le  jugement  rendu, 
s'il  y  avait  lieu,  il  appellerait  le  duc  de  Guise  seul  à 
seul  en  champ  clos.  Le  roi  de  Navarre  approuvait 
hautement  ces  exigences  et  disait  que  les  accusations 
portées  contre  son  frère  devaient  être  éclaircies.  Un 
jour  il  osa  assurer  à  la  reine  que  le  duc  de  Guise  avait 
acheté  quelques-uns  des  témoins  de  l'instruction.  Le 
duc,  qui  était  présent,  sut  contenir  sa  colère,  d'autant 
que  le  prince  était  bien  accompagné^.  A  la  cour 
on  disait  que  le  prince  de  Gondé  n'attendait  que 
l'occasion  de  chercher  querelle  à  son  rival,  «  et  de 
«  faict  il  luy  en  faisoit  la  mine.  »  Le  duc  de  Guise  n'y 
prenait  garde.  «  Je  ne  vis  jamais,  dit  Brantôme,  M.  de 
«  Guy  se  estonné  pour  cela,  faisant  bonne  mine  tous- 
«  jours,  marchant  la  teste  haut  eslevée,  résolu  de  se 
«  bien  battre  si  on  l'attaquoit  ^  »  Un  geste,  une  ren- 
contre, un  acte  de  zèle  d'un  gentilhomme  pouvait 

1.  L'arrêt  esl  imprimé  dans  les  Mémoires  de  Condé,  t.  III, 
p.  156.  A  la  suite  de  cet  arrêt,  le  roi  rendit  en  faveur  du 
prince  une  ordonnance  de  justification  qui  est  imprimée  dans  les 
Mémoires  de  Castelnau^  173i,  t.  I,  p.  703. 

2.  Lettre  do  Cluiutonay  à  Philippe  11,  du  9  mars  1561  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  149i,  n»  64). 

3.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du  4  mars  (Orig.  espa- 
gnol ;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n»  62). 

4.  Brantôme,  t.  IV,  p.  268. 


ET  JEANNE   d'aLBRET.  61 

donner  le  signal  d'une  lutte  armée  à  la  cour  et  la 
moindre  escarmouche  entre  les  courtisans  pouvait 
s'étendre  à  la  France  entière.  La  reine  mère  avertit 
secrètement  les  capitaines  de  son  parti  d'accourir 
au  premier  tumulte  dans  la  chambre  du  roi  avec 
leurs  gens  et  leurs  armes.  Elle  renouvela  les  ordon- 
nances contre  le  port  des  arquebuses  et  des  pistolets, 
et  défendit  aux  gens  de  service  de  conserver  même 
des  cuirasses  ;  elle  doubla  le  nombre  des  compa- 
gnies de  garde  et  leur  recommanda  une  plus  active 
surveillance^. 

Catherine  s'efforçait  en  vain  d'apaiser  le  prince  de 
Condé  comme  elle  avait  satisfait  le  roi  de  Navarre  ; 
elle  y  perdit  ses  finesses  italiennes.  Condé,  d'autant 
plus  intraitable  qu'on  le  redoutait  davantage,  annonça 
qu'il  poursuivrait  lui-même  le  soin  de  sa  justification-. 
Le  17  mars,  il  se  rendit  à  Paris  et  entama  ses 
démarches.  Le  20,  il  se  présenta  avec  son  frère,  le 
cardinal  de  Bourbon,  à  la  barre  du  Parlement,  et 
requit  «  que  le  tout  y  fust  jugé  et  décidé  par  un  hono- 
«  rable  et  mémorable  arrêt.  »  L'avocat  Robert  prit  la 
parole,  et  le  Parlement,  toutes  chambres  réunies, 
décida  que  le  procès  serait  revisé.  Les  témoins,  Jacques 
de  La  Sague,  arrêté  à  la  suite  de  l'assemblée  de  Fon- 
tainebleau, Gilles  Trion,  dit  Le  Gautier,  et  d'autres 
aventuriers,  plus  ou  moins  complices  du  prince, 
furent  entendus  une  seconde  fois.  L'instruction  se 
prolongea  pendant  plusieurs  mois^. 

i.  Lettre  de  Suriano  à  la  république  de  Venise,  du  16  mars 
1561  (Dépêches  vénit.,  iilza  4,  f.  267). 

2.  Ibid. 

3.  Récit  du  temps  (Mémoires  de  Condé^  t.  II,  p.  383). 


62  ANTOINE   DE   BOURBON 

Dans  l'intervalle,  le  prince  de  Condé  utilisait  ses 
loisirs.  A  Paris,  à  la  cour,  pendant  les  visites  qu'il 
était  obligé  de  faire  au  roi,  il  travaillait  à  l'organisa- 
tion du  parti  huguenot.  Coligny  s'effaçait  modeste- 
ment derrière  lui,  sauf  à  le  diriger  à  son  insu.  A  Paris 
surtout,  dans  les  conférences  que  le  prince  multipliait, 
il  n'était  plus  question  de  sa  réhabilitation,  mais  de 
circonvenir,  de  désarmer  et  finalement  d'anéantir  le 
culte  catholique^ 

Les  circonstances  prêtaient  un  appui  aux  assail- 
lants. Les  états  provinciaux,  réunis  dans  toutes  les 
villes  du  royaume,  en  vertu  d'une  ordonnance  du  roi 
du  18  février-,  préparaient  les  cahiers  des  futurs  états 
généraux.  A  Paris,  les  députés  avaient  repris  l'œuvre 
des  états  d'Orléans^.  La  constitution  du  gouvernement, 
les  rivalités  des  princes  absorbaient  leur  attention  au 
préjudice  de  la  recherche  des  ressources  financières. 
Le  15  mars,  animés  par  Antoine  Fuméc^,  conseiller 
au  parlement  de  Paris,  victime  des  Guises  sous  les 
règnes  de  Henri  II  et  de  François  II,  un  des  chefs  du 
parti  réformé  et  l'un  d(îs  plus  résolus,  ils  décidèrent 
que  la  régence  devait  appartenir  au  roi  de  Navarre, 
non  à  la  reine  mère,  et,  à  défaut  du  roi  de  Navarre, 
au  prince  de  Condé,  que  «  tous  ceux  de  la  maison  de 

1.  Loltro  do  Chant onay  à  Philippo  II,  du  26  mars  (Orig.  espa- 
gnol; Ai-ch.  nal.,  K.  l'iOi,  n»  68).  —  Lettre  de  Suriano  à  la 
rcpublicjue  de  Venise,  du  18  mars  (Dépêches  vénit. ,  lilza  -i, 
f.  262). 

2.  Copie  du  temps;  Vc  de  Colbert,  vol.  27,  f.  289. 

3.  Leurs  di'lihérations  sont  analysées  dans  le  journal  de  Brus- 
lard  (Mcmoires  de  Condi\  t.  I,  p.  24). 

\.  Lettre  do  Uobertet  à  L'Aubespine,  du  27  mars  (1561)  (f.  fr., 
\ol.  6G17,  f.  139). 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  63 

«  Guise  ou  qui  ont  esté  advancés  par  leur  moyen  seroient 
«  non  seulement  ostés  du  conseil  du  roy,  mais  aussy 
«  esloignés  de  la  compaignie  de  Messieurs  ses  frères,  » 
que  les  cardinaux,  évoques  et  autres  qui  ont  le  «  ser- 
«  ment  à  autre  que  au  roy,  »  seraient  chassés  du  conseil, 
même  le  cardinal  de  Bourbon,  «  s'il  ne  laisse  le  cha- 
«  peau,  »  que  le  maréchal  Saint-André  serait  exclu  du 
conseil  et  tenu  de  rendre  compte  des  «  dons  excessifs  » 
des  feus  rois,  que  le  conseil  ne  serait  composé  que  des 
princes  du  sang,  du  connétable,  des  trois  autres  maré- 
chaux et  de  l'amiral,  que  Coligny  serait  gouverneur 
du  jeune  roi.  A  ces  clauses,  les  états  en  ajoutaient  une 
autre,  grosse  d'orages,  et  qui  réservait  l'avenir  :  «  Du 
cr  surplus,  les  estais  y  doibvent  adviser^.  » 

Ces  paroles  impératives,  qui  sonnaient  le  tocsin  de 
la  guerre  civile,  jetèrent  l'alarme  au  conseil.  Catherine 
envoya  le  duc  François  de  Montmorency  à  Paris,  fit 
dissoudre  l'assemblée  provinciale  et  ordonna  de  nou- 
velles élections.  Le  roi  de  Navarre  ne  se  sentait  pas 
d'aise  d'être  ainsi  recherché  par  les  états.  Il  attendait 
avec  une  modestie  simulée  les  décisions  des  autres 
provinces,  quand  la  reine  voulut  apprendre  de  sa 
bouche  quelle  part  il  prenait  à  ces  intrigues.  Elle  lui 
demanda  «  si  c'estoit  à  sa  sollicitation  que  cecy  se 
«  faisoit,  ne  pouvant,  écrit-elle  à  L'Aubespine,    que 

1.  Négociations  sous  François  II,  p.  833.  —  Cette  délibération 
et  ses  conséquences  probables  sont  très  exactement  analysées 
par  Throckmorton  {Calendars,  1561,  p.  41).  Il  ajoute  que  ce  n'est 
qu'à  ce  prix  que  les  états  consentaient  à  payer  les  dettes  du  roi. 
Cette  clause  n'existe  pas  dans  le  document.  —  Suriano,  dans 
une  dépêche  chiffrée,  en  date  du  17  mars,  a  aussi  donné  quelques 
intéressants  détails  sur  la  décision  des  états  (Dépèches  vénit., 
mza4  bis,  f.  20). 


64  ANTOINE   DE   BOURBON 

«  trouver  bien  estrange  de  ce  que,  après  m' avoir 
«  cédé  l'authorité  et  me  l'avoir,  tous  les  estats, 
«  appi^ouvée  à  Orléans,  il  se  trouvoit  des  fols  qui  me 
«  la  voulsissent  ester.  »  Antoine  répondit  «  qu'il 
«  estoit  bien  aise  de  ce  qu'il  voyoit,  car  par  là,  dit 
«  Catherine,  je  congnoistrois  ce  qui  luy  appartenoit  et 
«  ce  qu'il  faisoit  pour  moy  en  me  le  cédant.  »  Cette 
générosité  ne  convint  pas  à  la  reine,  qui  réclamait, 
non  pas  une  faveur,  mais  un  droit.  «  Je  luy  réplic- 
«  quay,  écrit-elle,  que  je  scavois  assez  ce  qu'il  faisoit 
«  pour  moy,  mais  que  de  luy  avoir  obligation  d'une 
«  chose  que  je  cuidois  m'appartenir,  je  ne  le  pouvois 
«  nullement  du  monde  endurer.  »  Antoine  riposta  en 
se  prévalant  de  la  qualité  de  premier  prince  du  sang, 
qui  lui  aurait  assuré  la  régence  s'il  eut  voulu  se  mon- 
trer exigeant;  malgré  ses  droits,  disait-il,  il  ne  retirait 
pas  ses  concessions  à  la  reine,  mais  il  demandait  des 
grâces  nouvelles,  l'accroissement  de  ses  pouvoirs 
comme  lieutenant  général  et  l'expulsion  du  duc  de 
Guise  de  la  cour.  «  Sur  ce  dernier  point,  écrit  la 
«  reine,  j'ay  insisté  inthiiment,  ne  pouvant,  à  ung 
«  prince  d'honneur  et  de  vertu,  qui  avoit  bien  servy 
«  le  roy,  mon  seigneur,  et  ceste  couronne,  faire  ceste 
«  honte  de  le  chasser  et  l'envoyer  comme  ung  mal- 
ce  heiun'ux.  El  luy  persistoit  si  obstinément  en  cela 
«  qu'il  ne  m'estoit  possible  d'y  trouver  moyen^.  » 

Le  récit  de  cet  entretien,  que  la  reine  et  le  prince 
se  hâtèrent  de  colporter  j)armi  leurs  paitisans,  divisa 
la  cour  en  deux  camps.  Les  députés  des  états,  tiers 
de  leur  incursion  sur  le  terrain  de  la  haute  politique, 

1.  Lottro  lie  CatluM-ino  à  L'Aubespiue,  du  27  mars  (Lettres  de 
Catherine,  t.  I,  |).  176). 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  65 

voulaient,  les  uns  étendre,  les  autres  restreindre  le 
pouvoir  de  la  reine  mère  ou  du  roi  de  Navarre.  Le 
chancelier  de  l'Hospital  s'efforçait  d'écarter  ces  dis- 
cussions, étrangères  à  la  compétence  des  états  provin- 
ciaux, et  la  duchesse  de  Montpensier  de  prémunir  le 
prince  contre  les  entraînements  de  ses  amis.  Après  quel- 
ques jours  «  de  contension,  »  la  question  n'avait  pas  fait 
un  pas^  Enfin,  le  connétable  de  Montmorency  se  laissa 
tenter  encore  une  fois  par  la  grandeur  du  rôle  d'arbitre. 
Il  passa  une  journée  en  conférence  avec  la  régente,  et, 
aidé  de  l'amiral  de  Coligny,  il  sut  lui  persuader  que 
les  droits  du  roi  de  Navarre  et  son  crédit  sur  les 
députés  des  états  méritaient  un  sacrifice.  Le  soir  même, 
Catherine  fit  appeler  le  duc  de  Guise  ^.  A  la  sortie  du 
duc  la  cour  apprit  que,  d'une  part,  le  roi  de  Navarre 
et  les  Lorrains  «  s'estoient  appoinctés  et  réconciliés  et 
«  promis  mutuelle  amitié^,  »  et  que  d'autre  part  la 
reine  mère  et  le  premier  prince  du  sang  avaient  pro- 
cédé à  une  nouvelle  répartition  du  pouvoir.  Antoine 
reconnaissait  la  reine  mère  comme  réi^ente  et  s'enga- 
geait  à  la  faire  reconnaître  par  ses  frères.  Catherine 
l'investissait  de  l'autorité  de  lieutenant  général  «  par 
«  tout  le  royaume,  comme  a  esté  M.  de  Guise*.  »  La 
possession  du  sceau  royal,  marque  distinctive  de  l'au- 
torité suprême,  restait  indivise.  Le  sceau  devait  être 

1.  Lettres  de  Catherine  de  Médicis,  t.  I,  p.  176. 

2.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du  26  mars  1061  (Orig. 
espagnol;  K.  1494,  n"  68). 

3.  Lettres  de  Catherine  de  Médicis,  t.  I,  p.  171.  —  Suriano  men- 
tionne cette  réconciliation  comme  un  fait  important  (Dôpèches 
vénit.,  filza  4,  f.  278). 

4.  Lettre  de  Catherine  à  L'Aubespine,  du  27  mars  (Lettres  de 
Catherine  de  Médids^  t.  I,  p.  176). 

m  5 


66  ANTOINE   DE   BOURBON 

renfermé  dans  un  coffre  à  deux  clefs,  qui  ne  pouvait 
être  ouvert  que  simultanément,  par  la  régente  et  par 
le  lieutenant  général  ^ ,  L'accord  fut  libellé  par  écrit, 
signé  de  la  reine,  du  roi  de  Navarre,  du  prince  de 
Condé,  du  duc  de  Montpensier,  du  prince  de  la  Roclie- 
sur-Yon,  et  communiqué  au  parlement,  qui  l'enre- 
gistra officiellement  2. 

Les  acteurs  de  la  querelle,  les  ambassadeurs 
étrangers,  qui,  d'un  œil  curieux,  avaient  suivi  les 
péripéties  de  la  lutte,  en  retinrent  une  impression 
bien  différente.  Le  duc  de  Guise  montrait  un  grand 
calme,  comme  s'il  n'eût  rien  perdu  tant  qu'il  conser- 
vait un  siège  à  la  cour.  Confiant  dans  sa  supériorité, 
il  déclara  simplement  qu'il  n'obéirait  qu'aux  ordres 
du  roi  et  de  la  reine  ^.  Cependant  il  se  retira  à 
Blandy,  chez  le  duc  de  Longueville.  Deux  jours  après, 
il  écrivit  à  Giiillanme  de  Saulx-Tavannes  :  «  Si  j'estois 
«  pour  une  heure  ou  deux  auprès  de  vous,  je  vous 
«  conterois  de  belles  querelles  et  bien  fondées.  Ci  sont 
«  choses  qui  ne  s'escrivent  point  et  ci  m'asseure  qu'en 
«  sarés  de  plusieurs  fassons  et  du  tout'.  »  Catherine 
s'applaudissait  de  son  triomphe.  Dans  une  lettre  à 
l'Aubespine,  elle  énumère  avec  orgueil  les  attributions 

4.  Lettre  de  Throckmorton ,  du  31  mars  [Calendars  ^  1561, 
p.  H).  Cette  clause  ne  rerut  point  d'exécution  et  le  sceau  resta 
à  la  reine. 

2.  Mémoires  de  Condé,  l.  il,  p.  r27'J.  Le  roi  de  Navarre  écrivit 
aussi  au  I^arlement  pour  confirmer  la  lettre  du  roi  {ibid.,p.  281). 

3.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du  2G  mars  1561  (Orig. 
espagnol  ;  K.  \^9\,  n°  68). 

4.  Lettre  originale  datée  de  Blandy,  et  du  29  mars  1560  (1561) 
(f.  fr.,  vol.  'iGiO,  f.  27).  —  La  retraite  du  duc  de  Guise  est  signa- 
lée par  Tornahuoni  [Négoc.  de  la  France  ci  de  la  Toscane^  t.  lU, 
p.  US). 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  67 

de  la  régence  :  «  11  veult  et  consent  que  je  commande 
«  absolument  partout  sans  jamais  m'y  pouvoir  donner 
«  aucun  trouble  ou  empeschement.  Je  retiens  tousjours 
«  la  principale  authorité,  comme  de  disposer  de  tous 
«  les  eslats  du  royaume,  pourvoir  aux  offices  et  béné- 
«  fîces,  le  cachet  et  les  despêches  et  le  commandement 
«  des  finances'.  »  Et  dans  une  autre  lettre  :  «  Je  l'ay 
«  faict  lieutenant  général  du  roy  mon  fils  par  tout  le 
«  royaume    soubs  moi,    auquele   reste    la    suprême 

«  authorité comme  je  l'ay  eue  jusqu'icy-.   »  Un 

des  plus  clairvoyants  parmi  les  secrétaires  d'État,  Flo- 
rimond  Robertet,  du  parti  catholique,  écrit  à  l'Aubes- 
pine  par  le  même  courrier  :  «  La  Royne  demeure  en 
c<  son  authorité.  Le  roy  de  Navarre  est  content  et  la 

«  paix  est  partout Les  fols  et  pauvres  gens, 

«  studiosi  reriim  novarum,  ne  demandoient  pas 
«  mieux  ;  les  riches  et  gens  de  bien  les  craignoient 
«  infiniement^.  » 

Les  ambassadeurs  étrangers,  au  contraire,  prévenus 
par  l'arrogance  des  partisans  du  roi  de  Navarre, 
regardaient  la  reine  comme  réduite  en  servitude.  Te! 
était  l'avis  de  Chantonay,  spectateur  moins  clairvoyant 
que  haineux^.  Tornabuoni,  représentant  du  duc  de 
Florence,  raillait  la  faiblesse  de  Catherine  :  «  La  reine 


1.  Lettres  de  Catherine  de  Médicis^  t.  I,  p.  176. 

2.  Lettres  de  Catherine  de  Mêdicis,  t.  I,  p.  180. 

3.  Lettre  de  Robertet,  du  27  mars  (15G1);  f.  fr.,  vol.  6G17, 
f.  139.  Il  y  a  une  copie  de  cette  lettre;  f.  fr.,  vol.  G020,  1".  110. 

4.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du  26  mars  (Orig.  espa- 
gnol ;  Arch.  nat.,  K.  UQ^i,  n"  68). —  Résumé  de  chancellerie 
{ibid.^  n"  70).  —  Tel  était  aussi  l'avis  du  nonce  (Avis  anonyme 
italien,  du  2  avril;  ibid.^  K.  1495,  n»  29).  . 


68  ANTOINE   DE   BOURBON 

«  a  enfin  prouvé  qu'elle  n'était  qu'une  femme^.  » 
Philippe  II  était  absent  de  Tolède.  L'Aubespine  lui 
notifia  par  écrit  les  changements  qui  venaient  d'avoir 
Heu  à  la  cour  comme  une  victoire  de  la  régente^.  Le 
roi  d'Espagne  feignit  d'accepter  ces  appréciations.  Il 
adressa  à  Chantonay  l'ordre  de  féliciter  Catherine.  «  Je 
«  regarde  la  reine,  dit-il  dans  sa  lettre,  comme  une 
«  vraie  mère  et  en  cette  qualité  je  dois  toujours  cher- 
ce  cher  à  conserver  son  autorité  et  à  l'assister  et  aider 
«  dans  ce  but  et  pour  le  bien  et  augmentation  de  la 
«  religion,  avec  toutes  mes  forces,  comme  le  fils  qui 
«  l'aime  et  l'estime  plus  que  tout  autre  ^.  » 

Les  partisans  du  roi  de  Navarre  triomphaient  et  se 
regardaient  déjà  comme  les  maîtres  de  la  France.  Ils  se 
flattaient  que  le  premier  progrès  de  leur  maître  serait 
suivi  d'un  second  et  que,  d'empiétement  en  empiéte- 
ment, la  reine  serait  réduite  à  la  garde  de  ses  enfants^. 
Pendant  les  premiers  jours,  la  réforme  déborda  à  la 
cour  comme  un  torrent  qui  a  franchi  ses  digues.  Les 
fêtes  de  Pâques  approchaient  et  les  Réformés  prépa- 
raient des  manifestations  éclatantes.  Plusieurs  ministres 
étaient  arrivés  de  Genève  et  prêchaient  avec  un  zèle 
bruyant  à  Paris  et  dans  les  principales  villes.  La  dame 
de  Roye,  belle-mère  du  prince  de  Gondé,  avait  amené 
un  prédicateur  tellement  violent  dans  ses  sermons 
que   les    magistrats    municipaux    l'expulsèrent.    Les 

1.  Négoc.  de  la  France  avec  la  Toscane^  t.  IIl,  p.   148.  —  Autre 
du  même  ambassadeur  [ibid.,  p.  450). 

2.  Original  daté  du  4  avril  (Arch.  nat.,  K.  1494,  n°  7î). 

3.  Copie  du  temps,  sans  date,  datée  de  Madrid  (Arch.  nat., 
K.  1495,  no  27). 

4.  Lettre  de  Ghantoiuiy  ù  IMiilippe  II,  du  26  mars  (Orig.  espa- 
gnol; Arch.  mu.,  K.  149i,  no  68). 


ET   JEANNE    d'alBRET.  69 

anciennes  ordonnances,  qui  proscrivaient  la  vente  de 
la  viande  en  carême,  n'étaient  plus  obéies^.  L'amiral 
de  Coligny,  que  la  reine  avait  réussi  à  écarter  depuis 
la  mission  de  don  Juan  ^lanrique  de  Lara,  reprit  son 
siège  au  conseil-.  On  disait  que,  conformément  au 
vœu  des  états  provinciaux  de  Paris,  il  serait  dési- 
gné, en  place  de  Cypicrre,  comme  gouverneur  du 
roi^.  Il  avait  installé  un  ministre  dans  son  logis,  en 
plein  château  de  Fontainebleau,  et  admettait  tous  les 
auditeurs,  seigneurs  et  gens  de  commun  à  ses  ser- 
mons^. La  reine  laissait  tout  dire  et  tout  faire.  Un 
jour,  au  grand  scandale  du  nonce  et  de  l'ambassadeur 
d'Espagne,  elle  conduisit  le  roi  et  ses  autres  enfants 
au  prêche  de  l'amiral^.  Le  nonce,  ne  pouvant  obtenir 
une  audience  pour  adresser  des  remontrances,  se 
plaignit  au  cardinal  de  Tournon'\  «  Ce  qui  est  plus 
«  grave  que  tout,  écrit  l'ambassadeur  vénitien,  c'est 
«  le  péril  de  la  religion,  de  la  conservation  de  laquelle 


1.  LiSiViaLce,  Estât  de  7'eligion  et  république^  éàit.  du  Panth.  litt.^ 
p.  122. 

2.  Lettre  de  rambassadeur  vénitien,  du  '29  mars  (Déchillrement 
non  signé;  Dépèches  vénit.,  filza  'i  bis,  f.  ■22). 

3.  Lettre  de  Throckmorton  à  la  reine,  du  31  mars  [Calendars, 
1561,  p.  41). 

4.  Lettre  de  Suriano  à  la  république  de  Venise,  du  4  avril  1561 
(Dépèches  vénit.,  filza  4,  f.  273).  —  Autre  du  même,  du  18  avril 
{ibid.,  f.  275). 

5.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du  9  avril  1561  (Orig. 
espagnol;  K.  1494,  n"  75).  —  Nouvelles  anonymes  en  italien,  du 
9  avril  (Lettre  du  nonce?  K.  1495,  W^  30).  —  Le  bruit  courut 
même  en  Espagne  que  le  roi  n'allait  plus  à  la  messe  (Négoc.  sous 
François  II,  p.  849). 

6.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du  9  avril  (Orig.  espa- 
gnol; K.  1494,  n»  75). 


70  ANTOINE   DE   BOURBON 

«  je  n'ai  plus  d'espérance,  le  gouvernement  étant  dans 
«  les  mains  entre  lesquelles  il  est'.  » 

Le  prédicateur  ordinaire  de  la  cour  pendant  les 
jours  saints,  bien  qu'il  fût  évêque,  n'était  guère  plus 
orthodoxe  que  les  ministres  de  l'amiral  de  Coligny. 
C'était  Jean  de  Monluc,  évoque  de  Valence,  frère  de 
l'auteur  des  Commentaires,  prélat  sceptique  et  roué, 
habile  à  caresser  tous  les  partis.  Ancien  ambassadeur 
à  Venise  et  à  Constantinople,  il  avait  eu  un  fils,  qui 
débutait  à  la  cour  tandis  que  le  père  prêchait  le  carême 
au  roi.  Catherine  lui  accordait  toute  contiance  et  lui 
avait  fait  attribuer  un  privilège  général  pour  l'impres- 
sion de  ses  ouvrages,  faveur  que  de  grands  théolo- 
giens avaient  peine  à  obtenir^. 

Au  moment  des  fêtes  de  Pâques,  parmi  les  seigneurs 
de  la  cour,  aucun  ne  témoignait  plus  de  souci  des  inno- 
vations religieuses  que  le  connétable  de  Montmorency. 
Depuis  quelques  jours,  il  montrait  de  l'animosité  à 
l'amiral.  Il  avait  pris  la  peine  d'accorder  la  reine 
mère  et  le  roi  de  Navarre,  et  Colisfnv  avait  recueilli 
les  fruits  de  cet  accord.  La  jalousie  aidant,  l'esprit 
de  discipline  du  vieux  capitaine  s'avisa,  dit  La  Place, 
du  désordre  qui  s'était  introduit  à  la  cour  par  les 
prêches,  d'abord  discrets  et  timides,  puis  bruyants  et 
offensifs,  du  prince  de  Condé  et  de  Coligny.  Deux 
influences  se  combattaient  dans  la  maison  du  con- 
nétable.  Sa  femme,  Madeleine  de   Savoie,   apparte- 

\.  Lettre  d'un  ambassadeur  vénitien,  du  29  mars  (Déchiff.  non 
signé;  Dépèches  vénit.,  Glza  4  bis,  f.  22).  —  Autre,  en  date  du 
31  mars  [ibiil.,  f.  23).  —  Tel  est  aussi  l'avis  de  Tornabuoni 
[Négoc.  de  la  Franc,  cl  de  la  Toscane,  t.  III,  p.  448). 

2.  Copie  espagnole,  datée  du  25  février  1561  (Arch.  nat. , 
K.  1494,  n°  60). 


ET   JEANNE    d'aLBRET,  71 

nait  au  parti  catholique.  Son  beau-frère,  Honorât  de 
Savoie,  gouverneur  de  Provence,  voulait  se  venger  de 
l'amiral,  qui,  au  conseil,  avait  pris  la  défense  des 
Réformés  provençaux  ^  Son  fils  aîné,  au  contraire,  le 
duc  François,  le  pressait  de  s'unir  plus  étroitement  au 
parti  des  princes  et  d'accabler  d'un  dernier  coup  la 
maison  de  Guise.  Montmorency  hésitait;  mais,  quand  il 
relisait  sa  devise  Dieu  aide  au  premier  baron  chrétien,  il 
inclinait  à  ne  point  «  endurer  la  diminution  de  l'église 
a  romaine.  »  Un  jour  le  connétable  et  le  duc  de  Guise 
allèrent  entendre  Jean  de  Monluc  dans  la  grande  salle 
du  château.  Tantôt  le  prédicateur  supprimait  l'invoca- 
tion de  Dieu  et  des  saints;  tantôt  il  la  remplaçait  par 
l'invocation  angélique.  «  Sur  la  fin  il  proposa  que  la 
«  sainte  escripture  debvoit  estre  leue  à  chascung,  en 
«  toute  langaige,  et  les  psalmes  chantés  et  une  infinité 
«  d'aultres  resveries^.  »  A  la  suite  de  ce  sermon  «  sans 
«  ordre,  ni  queue,  ni  teste,  »  Montmorency,  grand 
«  rabroueur,  »  dit  à  l'évêque  qu'il  ne  retournerait 
plus  à  son  prêche.  Monluc  lui  répondit  modestement 
«  qu'il  prioit  Dieu  que  sa  parole  peust  profiter  en  tous 
c(  endroits^.  »  Le  lendemain,  le  connétable,  le  duc  de 
Guise,  le  duc  de  Montpensier,  le  maréchal  de  Saint- 
André  se  rencontrèrent  dans  les  communs  du  château, 
au  sermon  qu'un  pauvre  Jacobin  prêchait  pour  les 
gens  de  service.  Cette  rencontre  fortuite  amena  un 
échange  d'observations  sur   la   politique   du  roi   de 

1.  La  Place,  p.  122. 

2.  Lettre  de  Ghantonav,  du  13  avril  {Mémoires  de  Condé,  t.  II, 
p.  4). 

3.  La  Place,  p.  122. 


72  ANTOINE   DE    BOURBON 

Navarre.  Le  connétable  fulminait  contre  les  ménage- 
ments de  la  reine  et  contre  le  crédit  de  Goligny. 
Cependant  il  hésitait  encore  sur  le  parti  à  prendre, 
quand  un  excès  de  zèle  de  son  fils  le  jeta  pour  toujours 
dans  le  camp  catholique. 

François  de  Montmorency  présidait  à  Pontoise  les 
nouveaux  états  provinciaux.  Excités  par  les  ennemis 
des  Guises  et  favorisés  par  leur  président,  les  députés 
votèrent  que  les  seigneurs  qui  avaient  reçu  des  dons 
excessifs  depuis  l'avènement  de  François  P""  les  rap- 
porteraient au  trésor  du  roi.  La  question  avait  déjà 
été  soulevée  aux  états  d'Orléans.  Les  états  provin- 
ciaux de  Pontoise  n'avaient  pas  le  droit  d'imposer  un 
vœu  de  cette  gravité,  mais  ils  flattaient  secrètement 
les  princes  dans  leur  haine  contre  les  Guises,  Cathe- 
rine dans  sa  rancune  contre  Diane  de  Poitiers.  A  cette 
nouvelle,  l'ancienne  favorite  de  Henri  II,  tous  les 
Lorrains,  le  maréchal  Saint-André  se  mirent  en  mou- 
vement. Ils  circonvinrent  le  connétable  et  lui  prou- 
vèrent que  les  restitutions  des  Guises  précéderaient  de 
bien  peu  les  siennes.  En  vain  François  de  Montmo- 
rency lui  jura  que  le  vœu  des  états  n'était  pas  dirigé 
contre  sa  maison.  François  reçut  la  nouvelle  que  sa 
femme,  Diane  de  France,  était  tombée  malade  à  Chan- 
tilly et  fut  obligé  d'abandonner  son  père  à  ses  nou- 
veaux conseillers.  Le  lendemain  de  son  départ,  le  car- 
dinal de  Chastillon  et  l'amiral  de  Goligny  essayèrent 
de  le  suppléer  auprès  du  connétable.  Montmorency, 
déjà  mal  disposé  pour  eux,  leur  répondit  avec  son 
bon  sens  «  qu'il  estoit  bon  serviteur  du  roy  et  de  tous 
«  ses  petits  maistres  (entendant  parler  de  Messieurs 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  73 

«  ses  frères)  et  qu'il  ne  se  pouvoit  faire  mutation  de 
«  religion  sans  un  changement  d'estat  ^ .  » 

Le  jour  de  Pâques,  6  avril  1 561 ,  le  connétable,  le 
duc  de  Guise  et  le  maréchal  Saint-André  commu- 
nièrent ensemble  dans  la  chapelle  de  Fontainebleau 
et  scellèrent  à  la  sainte  table  la  célèbre  alliance  con- 
nue sous  le  nom  de  triumvirat  ~.  Le  soir  même  le 

1.  La  Place,  p.  1Î3.  —  Davila,  t.  I,  p.  88.  Nuiis  citons  à  des- 
sein les  deux  plus  considérables  historiens  de  chaque  parti.  Tous 
les  autres  les  ont  suivis  dans  leur  récit.  —  Melvil  assure  que  le 
désir  de  la  reine  d'imposer  des  restitutions  aux  favoris  des  feus 
rois  fut  une  des  causes  du  triumvirat  {Mémoires^  1G94,  t.  I, 
p.  109). 

2.  On  trouve  dans  les  Mémoires  de  Condé  (t.  III,  p.  209)  et  dans 
les  Mémoires-Journaux  du  duc  de  Guise  (p.  4G4)  une  pièce  intitu- 
lée :  Sommaire  des  choses  premièrement  accordées  entre  les  ducs  de 
Montmorency^  connestable^  et  de  Guyse^  grand  maistre^  pair  de 
France^  et  le  maresclial  de  Saint-André^  pour  la  conspiration  du 
triumvirat...  Cette  pièce  est  un  plan  de  campagne,  dont  le  but 
est  la  destruction  de  la  maison  du  roi  de  Navarre  et  de  tous  les 
Huguenots  :  «  Premièrement,  ahn  que  la  chose  soit  conduite  par 
«  plus  grande  authorité,  on  est  d'avis  de  bailler  la  superinten- 
«  dance  de  tout  l'affaire  au  roy  Philippe  catholique...  » 

Cette  pièce  a  été  acceptée  par  M.  Capefigue,  qui,  après  eu  avoir 
publié  une  partie  {Hist.  de  la  Réforme.,  de  la  Ligue....,  t.  II,  p.  243), 
ajoute  en  note  (p.  245)  :  «  J'ai  trouvé  cette  pièce,  ({u'on  a  crue 
«  supposée,  en  original  et  signée  dans  les  mss.  Colbert.  » 
M.  Michelet  la  regarde  comme  supposée  {La  Ligue  et  Henri  IV^ 
p.  466)  et  M.  Henri  Martin,  qui  l'avait  d'abord  accueillie,  la 
repousse  dans  la  dernière  édition  de  son  Histoire  de  France  (t.  IX, 
p.  81,  note). 

Pour  nous,  malgré  le  témoignage  de  M.  Capefigue,  nous  ne 
pouvons  croire  à  l'existence  d'un  tel  pacte;  il  faudrait  en  voir 
l'original  pour  y  croire,  et  personne  de  ceux,  à  conmiencer  par 
nous,  qui  l'ont  cherché  dans  le  fonds  Colbert,  ne  l'y  a  trouvé. 
Sa  présence  dans  les  papiers  du  duc  de  Guise  lui  donne  bien 
une  certaine  valeur,  mais  seulement  la  valeur  d'un  iirojcl,  d'un 
conseil,  d'un  mauvais  conseil  qui  fut  donné  au  duc  de  Guise. 
Enfin,  ce  qui  prouve  absolument  que  ce  pacte  n'a  jamais  existé, 


74  ANTOINE   dp:   BOURBON 

connétable  donna  à  souper  au  duc  de  Guise,  au  prince 
de  Joinville,  son  fils,  et  au  maréchal  Saint-André, 
témoignage  d'amitié  qu'il  n'avait  peut-être  jamais 
accordé  au  chef  des  Lorrains.  Le  lendemain,  il  quitta 
la  cour  et  se  rendit  à  Ilumières  pour  assister  au  mariage 
de  son  cinquième  fils,  Guillaume  de  Montmorency, 
seigneur  de  Thoré,  avec  la  fille  du  sire  d'Humières^. 
De  son  côté,  le  duc  de  Guise  se  retira  à  Nanteuil.  Le 
rapprochement  des  résidences  permettait  aux  deux 
seigneurs,  que  liait  un  pacte  définitif,  de  conférer 
ensemble  à  l'abri  des  regards  curieux-. 

Bientôt  les  ducs  de  Nevers,  de  Nemours  et  de 
Montpensier  adhérèrent  au  triumvirat -^  Ces  adhé- 
sions troublèrent  la  reine  et  lui  ouvrirent  les  yeux  sur 
les  conséquences  d'une  ligue  qui  n'avait  pas  de  précé- 
dents depuis  le  moyen  âge.  Quelques  jours  après,  elle 
demanda  au  duc  de  Guise  «  s'il  étoit  vrai  qu'il  eût  fait 
«  une  ligue,  comme  elle  l'avoit  entendu  dire,  pour  le 

c'est  qu'il  n'en  est  jamais  parlé  dans  les  lettres  do  l'ambassadeur 
d'Espagne  à  Philippe  II,  lettres  qui  existent  encore  au  complet 
et  sans  lacune  pour  cette  période. 

M.  Henri  Martin  signale  (t.  IX,  p.  81,  note)  une  copie  de  ce 
pacte  ])rétendu,  comme  conservée  dans  le  vol.  215  du  supplément 
français,  f.  131  verso,  à  la  Bibliothèque  nationale  (actuellomont 
f.  fr.,  vol.  10193).  Cette  indication  n'est  pas  plus  exacte  que  celle 
de  M.  Capefigue.  A  la  place  indiquée  se  trouve  un  Mémorial  sans 
rapport  avec  l'acte  du  triumvirat,  et  qui  est  imprimé  sous  le  titre 
de  Requête  dans  les  Mémoires  de  Condè^  t.  III,  p.  388. 

1.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du  9  avril  1561  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1-494,  n°  75). 

2.  La  Place,  p.  123  et  121.  Tous  les  historiens  ont  copié  le  pré- 
sident La  Place  dans  le  récit  de  la  constitution  du  triumvirat, 
même  les  historiens  catholiques.  Nous  citerons  notamment 
Davila  (trad.  Baudouin,  t.  I,  p.  85)  et  Dupleix  (t.  III,  p.  639). 

3.  Mémoires  de  Tavannes,  édit.  Petitot,  p.  317. 


ET    JEANNE   d'aLBRET.  75 

«  maintien  de  la  religion.  »  Le  duc  répondit  «  qu'il  se 
«  soumettoit  au  jugement  du  Parlement  pour  estre  puni 
«  s'ils'étoit  trompé  en  agissant  comme  il  l'avoit  faict.  » 
Elle  lui  demanda  encore  si  les  triumvirs  refuseraient 
de  lui  obéir  dans  le  cas  où  le  roi  serait  forcé  d'em- 
brasser la  religion  nouvelle.  Guise  répondit  affirmati- 
vement sans  hésiter,  «  quoique,  dit-il,  tant  qu'ils 
«  suivroient  les  traces  de  leurs  prédécesseurs,  il  fût 
«  disposé  à  mourir  pour  leur  service  '.  »  Cette  profes- 
sion de  dévouement  conditionnel  était  aussi  menaçante 
qu'une  déclaration  de  guerre. 

Le  premier  effet  du  triumvirat  fut  de  resserrer  le 
pacte  de  la  reine  mère  et  du  roi  de  Navarre-.  Le  len- 
demain du  départ  du  connétable,  Catherine,  pré- 
voyant déjà  que  l'excuse  des  triumvirs  serait  de  dire 
qu'elle  avait  eu  la  main  forcée  en  abandonnant  une 
part  de  l'autorité  souveraine,  remit  au  prince  une 
déclaration  qui  constatait  sa  pleine  liberté. 

Je  suis  contente  que  le  roy  de  Navarre,  souyt  lieutenent  géné- 
rai du  roy,  mon  fils,  cornent  aytoyt  Monsieur  de  Guise  du  feu 
roy,  monsigneur  et  mon  fyls,  et  que  je  ne  fayré  neuUe  chause 
San  la  comeunycquer  au  dyst  roy  de  Navarre  et  qui  sera  nomé 
dan  toutte  le  letre  au  (où)  je  sayré  nomaye. 

Caterine^. 

Après  cette  déclaration  elle  fit  signer  au  roi  les 
lettres  patentes  qui  accordaient  au  roi  de  Navarre  la 

1.  Lettre  do  Chantonay  citée  par  le  marquis  de  Bouille  {llist. 
des  Guises,  t.  II,  p.  135). 

2.  Davila  met  cette  considération  en  relief  (t.  I,  p.  88). 

3.  Autographe,  sans  date  (Arch.  des  Basses-Pyrénées,  E.  582). 
Cette  pièce  a  été  lithographiée  en  fac-similé  par  Dugcnne  (Pano- 
rama de  Pau,  p.  108). 


76  ANTOINE    DE   BOURBON 

lieutenance  f:fénéralc.  Ce  pouvoir  était  si  ample  dans 
ses  termes,  si  détaillé,  si  complet  dans  son  énuméra- 
tion,  qu'il  devait  contenter  l'anihilion  du  prince  ^ 

Le  second  effet  de  l'établissement  du  triumvirat  fut 
de  rapprocher  la  reine  du  parti  réformé.  Jusqu'à 
ce  jour  sa  politique  indécise  avait  seulement  incliné 
dans  le  sens  de  la  tolérance.  La  ligue  des  Guises  et  des 
Montmorency  paraissant  dirigée  contre  elle  ou  au 
moins  destinée  à  lui  forcer  la  main  en  faveur  des  catho- 
liques, elle  espéra  c{ue  leurs  ennemis  pourraient  deve- 
nir les  instruments  dévoués  de  la  monarchie  des 
Valois.  Un  incident  lui  donna  bientôt  l'occasion  d'ac- 
centuer l'évolution  de  sa  politique. 

Le  cardinal  Odet  de  Chaslillon,  bien  qu'il  portât  la 
robe  rouge,  n'était  pas  moins  engagé  que  son  frère 
dans  les  rangs  des  Réfornîés.  11  vivait  maritalement 
avec  Isabelle  de  Ilauteville,  dame  de  Loré-.  Le  pape, 
informé  du  désordre  de  sa  vie,  l'avait  cité  à  la  barre 
du  saint  office  par  une  bulle  que  la  reine  avait  refusé 


1.  Original  sur  parchemin,  daté  de  Fontainebleau,  et  du  8  avril 
1561  (Arcli.  do8  Basses-Pyrénées,  E.  58i).  On  trouvera  cette 
pièce  importante  aux  Pièces  justiiicatives  du  volume.  Nous  avons 
jugé  qu'elle  méritait  l'impression  pour  plusieurs  raisons  :  parce 
qu'elle  est  inédite;  parce  qu'elle  n'existe  en  copie  ni  à  la  Biblio- 
thèque nationale,  ni  aux  Archives,  à  notre  connaissance;  parce 
qu'elle  n'a  jamais  été  enregistrée  ;  parce  qu'elle  est  plus  ample 
dans  ses  termes  qu'aucune  des  pièces  de  ce  genre.  Cette  dernière 
circonstance  explique  sa  rareté  ;  la  reine  ne  voulut  peut-être 
])as  que  cette  pièce,  qui  constitue  une  véritable  abdication 
momentanée  du  roi,  pût  établir  un  ]iré(H''dont  en  faveur  des 
lieutenants  généraux  à  venir. 

2.  Cette  dame,  qu'il  avait  connue  à  la  cour  de  Marguerite  de 
France,  duchesse  de  Savoie,  l'épousa  le  1«''  décembre  156i  {Bull, 
de  la  Soc.  du  Prot.  franc.,  187i,  p.  137). 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  77 

de  reconnaître^.  Le  cardinal  avait  essayé  d'excuser  sa 
vie  auprès  du  cardinal  de  Tournon;  mais  le  nonce 
demandait  que  le  prélat  «  confessât  sa  faute  »  auprès 
de  la  cour  romaine,  sous  peine  d'être  dégradé  par  le 
collège  des  cardinaux-.  Cette  exigence  avait  brisé  les 
derniers  liens  qui  retenaient  Odet  de  Ghastillon  dans 
le  sein  de  l'Église.  Ce  fut  au  château  de  Merlemont, 
près  de  Beauvais,  dans  les  premiers  jours  d'avril,  que 
se  consomma  l'apostasie  de  ce  prélat,  depuis  long- 
temps séparé  de  l'Église  par  ses  mœurs  ^.  Il  adhéra 
en  termes  solennels  à  la  confession  évangélique  en 
présence  de  Jean  des  Gourtils,  sire  de  Merlemont,  et 
de  plusieurs  seigneurs  de  la  province^. 

Quelques  jours  après,  le  cardinal  rentra  à  Beauvais, 
sa  ville  épiscopale.  Le  jour  de  Pâques,  suivant  les  uns, 
le  lundi,  suivant  les  autres,  au  lieu  de  célébrer  la  fête 
dans  sa  cathédrale,  Odet  de  Ghastillon,  retiré  dans 
son  palais,  fit  venir  un  théologien  huguenot,  Louis 
Bouteiller,  qui  évangélisait  obscurément  les  fau- 
bourgs de  la  ville,  le  fit  monter  en  chaire  dans  sa 
propre  chapelle  et  prit  part  à  la  cène  avec  ses  gens. 
La  cérémonie  fit  du  bruit  et  le  menu  peuple,  composé 
surtout  de  cardeurs  de  laine,  se  souleva.  Les  plus 
ardents,  après  avoir  pillé   quelques  maisons,  assié- 


1.  Lettre  originale  en  espagnol  de  Ghantonay  à  Philippe  II, 
du  5  décembre  1560  (Arch.  nat.,  K.  1493,  n"  114). 

2.  Lettre  originale  en  espagnol  de  Ghantonay  à  Phili]ipe  II, 
du  9  décembre  1500  (Arch.  nat.,  K.  1493,  n^  116). 

3.  Le  bruit  courut  jusqu'en  Espagne  qu'il  s'était  marié  [Nvgoc. 
sous  François  II,  p.  86'i). 

4.  Bulletin  de  l'Hist.  du  Prot.  français,  t.  XXIII,  p.  81,  cité 
d'après  Gaspard  de  Coligmj,  par  le  comte  Delaborde,  t.  I,  p.  507, 
noie. 


78  ANTOINE    DE    BOURBON 

gèrent  le  palais  épiscopal.  Les  gens  du  cardinal  résis- 
tèrent; la  lutte  s'échauffa  et  les  assaillants  en  armes 
forcèrent  les  portes.  Les  gardes  du  prélat  furent  bat- 
tus, plusieurs  tués  ou  blessés,  le  ministre  accablé  de 
coups,  traîné  au  dehors,  égorgé  avec  des  raffinements 
de  cruauté,  et  jeté  sur  un  bûcher  par  une  populace 
en  furie.  Le  cardinal,  menacé  par  les  séditieux,  s'en- 
fuit sous  un  déguisement  et  se  tint  caché  pendant 
quelques  jours ^.  D'après  le  récit  dedeThou,  confirmé 
par  un  procès-verbal  des  magistrats  municipaux  de 
Beauvais,  les  séditieux  ne  purent  forcer  le  palais  épis- 
copal, garni  de  tours  et  de  bonnes  murailles,  mais  leur 
fureur  tomba  sur  un  prêtre,  nommé  Adrien  Fourré, 
accusé  d'enseigner  aux  enfants  les  prières  du  culte 
nouveau.  Ils  le  massacrèrent,  et  le  bourreau  de  la  ville 
jeta  son  cadavre  sur  le  bûcher.  Le  cardinal  apaisa  lui- 
môme  la  sédition  en  se  montrant  aux  fenêtres  de  son 
palais,  revêtu  de  ses  ornements  pontificaux-.  Le  len- 
demain, le  maréchal  de  Montmorency  arriva  à  Beau- 
vais, rétablit  l'ordre  et  délivra  son  oncle.  Plusieurs 
accusés  furent  arrêtés,  jugés  et  mis  à  mort.  Mais  le 
spectacle  de  ces  supplices  ne  produisit  pas  l'effet 
qu'attendait  le  maréchal,  La  sédition  se  ralluma  après 
son  départ,  et  le  peuple  victorieux  pendit  le  bourreau 
qui  avait  exécuté  les  coupables  ^. 

1.  Loltre  do  Tornabuoni,  du  15  avril  {Négoc.  de  la  France  et  de 
la  Toscane^  t.  III,  p.  '(50).  —  Lettre  de  Suriano  à  la  république 
de  Venise,  du  18  avril  (Dépèches  vénit.,  iilza  4,  f.  ^Ih).  —  Cliaii- 
tonay  dit  que  deux  hommes  l'ureut  tués  dans  le  ])alais  du  cardi- 
nal [Mémoires  de  Co)idc,  t.  II,  p.  11). 

2.  De  Thou,  1740,  t.  III,  p.  51  et  52. 

3.  Lettre  do  Ghantonay,  du  10  mai  {Mémoires  de  Condé,  t.  II, 
p.  M).  Le  DuUcti/ide  la  Société  de  l'histoire  du  protestantisme  fran- 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  79 

Le  bruit  de  la  sédition  de  Beauvais  eut  un  grand 
retentissement  à  la  cour.  Le  cardinal  de  Chastillon  se 
rendit  au  Parlement  en  habits  sacerdotaux,  et  attribua 
le  désaveu  sanglant,  que  lui  avaient  appliqué  ses 
propres  ouailles,  aux  excitations  d'un  moine  fanatique^. 
Goligny,  beaucoup  plus  avisé  que  tous  les  siens,  écri- 
vit à  la  reine,  mais  sa  lettre,  affectant  le  désintéresse- 
ment en  ce  qui  touche  son  frère,  ne  parle  que  d'une 
réunion  incriminée  à  Issoudun-.  Chacun  demandait  la 
répression  des  séditieux  de  Beauvais.  La  noblesse  du 
parti  réformé  se  sentait  directement  menacée  dans 
ses  privilèges  religieux.  Que  devenait  le  droit  de 
faire  prêcher  dans  les  châteaux,  laissé  par  les  édits 
royaux  aux  seigneurs,  si  les  manants  s'ingéraient 
dans  l'exercice  de  ce  droit  ?  La  noblesse  catholique, 
sans  tenir  compte  du  vice  hérétique  d'Odet  de  Chas- 
tillon, ne  voyait  que  les  coups  portés  à  ses  prérogatives 
féodales  par  des  serfs.  Le  clergé  lui-même  ne  pouvait 
oublier  que  le  cardinal  était  un  prince  de  l'Église. 
Catherine,  feignant  de  céder  à  la  pression  générale,  fît 
signer  au  roi,  le  1 9  avril,  un  édit  qui  donnait  à  cha- 
cun, même  aux  petites  gens,  la  liberté  des  prêches  en 
privé  et  qui  rendait  la  liberté  aux  détenus  pour  cause 


çais  a  publii!  (15  février  1874)  un  procès-verbal  qui  confirme  lo 
récit  de  de  Thou.  II  n'y  est  pas  question  de  l'attaque  du  palais 
épiscopal,  qui  est  le  trait  le  plus  important  de  la  sédition.  II  nous 
semble  que  les  déposants  ont  voulu  affaiblir  la  portée  de  l'évé- 
nement. Quoi  qu'il  en  soit,  l'attaque  du  palais  épiscopal  est  cer- 
tifié par  les  ambassadeurs  étrangers. 

1.  Lettre  de  Tornabuoni,  du  (i  mai  (Négoc.  de  la  France  avec  la 
Toscane,  t.  III,  p.  451). 

2.  Cette  letLre,  datée  du  9  avril,  est  publiée  par  le  comte  Dela- 
borde  (Gaspard  de  Goligny,  t.  I,  p.  505). 


80  ANTOINE   DE   BOURBON 

de  religion^.  C'était,  dit  Tornabuoni,  le  droit  pour 
chacun  de  vivre  à  sa  guise  dans  sa  propre  maison  ~, 
liberté  en  opposition  avec  les  mœurs  du  temps.  Les 
Huguenots  les  plus  impatients  n'avaient  jamais  osé  en 
demander  davantage. 

L'édit  fut  transmis  à  tous  les  lieutenants  du  roi  sans 
passer  par  l'enregistrement  du  Parlement.  La  cour 
suprême  protesta,  rendit  arrêts  sur  arrêts  dans  un 
sens  contraire  aux  lettres  du  19  avril,  et,  armée 
de  ses  anciens  droits,  agita  de  citer  L'Hospital  à  sa 
barre  comme  ministre  responsable  et  de  le  dégrader 
de  sa  dignité  de  chancelier^.  Le  parlement  fut  appuyé 
par  l'ambassadeur  d'Espagne.  Quelques  jours  après  la 
promulgation  de  l'édit,  Ghantonay  eut  une  audience 
de  la  reine  mère  à  Fontainebleau,  et  la  conversation 
s'engagea  sur  les  événements  du  jour.  Il  se  plaignait 
surtout  de  l'ordonnance  du  1 9  avril  qui  jetait  «  les 
«  catholiques  en  désespération  »  et  qui  soumettait  «  la 
«  congnoissance  et  cliastoy  des  assemblées  et  prêches 
«  illicites  »  aux  juges  séculiers  «  dépravés  ou  la  plu- 
«  part  timides  et  nonchalans'.  »  La  reine  protesta  de 
son  orthodoxie  et  de  celle  de  ses  conseillers,  mais  dit 
fermement  qu'il  n'était  pas  possible  de  tolérer  au 
milieu  du  royaume,  sur  des  prétextes  vrais  ou  faux, 
des  soulèvements  populaires  qui  servaient  de  prélude 

1.  Mémoires  de  Condé^  t.  II,  p.  33 i.  Ghantonay,  dans  une  lettre 
à  la  rcino  du  22  avril,  établit  que  l'édit  «  a  esté  faict  à  l'occasion 
de  l'accident  de  Beauvais.  »  [Mémoires  de  Gondé.  t.  II,  p.  7.) 

2.  Négociations  de  la  France  avec  la  Toscane^  t.  III,  p.  450. 

3.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du  8  juin  (Orig.  espa- 
gnol ;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n»  il). 

A.  Lettre  de  Ghantonay  à  la  reine,  du  22  avril  {Mémoires  de 
Condé,  t.  II,  p.  6). 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  81 

à  la  guerre  civile^.  L'édit  fut  reçu  «  avec  grande 
«  dévotion  »  par  les  Réformés,  sauf  à  être  déclaré 
insuffisant  plus  tard.  Ses  conséquences  se  firent 
sentir  rapidement  ;  les  prêches  se  multiplièrent. 
«  Hz  disent  (les  Réformés),  écrit  le  lieutenant  cri- 
«  minel  de  Montpellier,  leurs  assemblées  ne  pouvoient 
«  estre  appelées  illicites,  estans  faictes  pour  la  cause 
«  que  dessus  (cause  de  religion)  et  n'estre  aucu- 
«  nement  comprinses  en  la  défense  des  assemblées 
«  publiques,  dont  mention  est  faicte  aux  lettres  du  roy, 
«  attendu,  qu'ilz  s'assemblent  seulement  dans  leurs 
«  maisons  privées,  huis  cloz,  en  petite  compaignie,  et 
«  sans  aucun  escandalle  ne  port  d'armes-.  » 

1.  Lettre  originale  en  espagnol  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du 
ler  mai  1561  (Arch.  nat.,  K.  1494,  n"  84). 

2.  Lettre  de  Charles  de  Barges,  lieutenant  criminel  de  Mont- 
pellier, à  la  reine,  en  date  du  18  mai  (Orig.;  f.  fr.,  vol.  3186, 
f.  122). 


III 


^3 


CHAPITRE  DOUZIÈME. 


Depuis  le  19  avril  jusqu'au  29  août  1561. 


Troubles  de  Paris  (fm  avril  15G1). 

Sacre  du  roi  à  Reims  (15  mai). 

Procession  de  la  Fête-Dieu  à  Paris  (24  juin) . 

Requête  des  réformés  au  roi  (11  juin).  —  Êdit  de 
juillet  (11  juillet). 

Départ  de  Marie  Stuartpour  V Ecosse  (15  août). 

Arrêt  du  parlement  jiortant  justification  du  -prince  de 
Condé  (13  juin).  —  Réconciliation  du  prince  de 
Condé  et  du  duc  de  Guise  (24  août) . 

Jeanne  d'Albret  en  Réarn.  —  Tergiversations  reli- 
gieuses du  roi  de  Navarre.  —  Sa  conduite  privée.  — 
Arrivée  de  Jeanne  d'Albret  à  la  cour. 


Le  roi  de  Navarre  se  contentait  de  la  seconde  place, 
le  duc  de  Guise  de  la  conservation  de  sa  charge^  les 

1.  Le  duc  de  Guiso  semblait  se  résigner  à  la  retraite.  Tavaimes 
s'étant  plaint  à  lui  de  n'avoir  point  reçu  d'instructions,  le  duc  lui 
répondit  le  6  janvier  1560  (1561)  :  «  Pource  que  je  me  suis  des- 
«  chargé  de  tels  affaires,  je  ne  vous  y  puis  satisfaire.  »  (Orig.,  f. 
fr.,  vol.  4610,  f.  25.)  La  lettre  est  signée  Françoys  tout  court,  du 
nom  que  prenait  François  de  Lorraine  dans  ses  jours  d'orgueil. 
Quelques  jours  après,  il  écrivit  au  même  une  simple  lettre  d'amitié 


84  ANTOINE   DE   BOURBON 

Chastillons  de  leurs  espérances  ;  mais  leurs  partisans 
n'avaient  pas  signé  la  paix.  A  la  cour  sous  les  yeux  de 
la  reine,  dans  les  provinces  loin  des  passions  de  la 
cour,  les  partis  ne  cessaient  de  se  provoquer.  Parmi 
les  religionnaires  «  aucuns  d'entre  eux  moins  patiens, 
«  ne  pouvans  supporter  ceux  qui  les  appelloient 
«  Huguenots,  se  laissoyent  aller  à  répliques  de  mesme, 
«  nommans  Papistes  ceux  (jui  les  agacoyent.  Des  mots 
«  picquans  l'on  venoit  aux  querelles^.  »  De  Bèze  écrit 
le  25  mars  :  «  In  Gallia  videntur  omnia  ad  civiles  dis- 
«  cordias  tendere'-.  »  Jean  de  Monluc,  évêque  de 
Valence,  chargé  au  mois  d'avril  par  la  reine  de  visiter 
le  Bourbonnais,  signale  une  fermentation  menaçante 
dans  toutes  les  villes  de  son  passage^.  Le  cardinal  de 
Rambouillet  se  plaint  des  séditions  journalières  de  sa 
ville  épiscopale'^  A  Meaux,  dans  les  premiers  jours  de 
juin,  le  désordre  est  tel  que  le  roi  est  obligé  d'envoyer 
un  capitaine  et  une  compagnie''.  A  Tours,  à  Amboise, 
à  Blois,  les  séditieux  prennent  les  armes,  et,  comme 
sur  un  mot  d'ordre,  tournent  leur  fureur  contre  les 
églises  et  les  chapelles.  Les  autels  sont  profanés,  les 
reliquaires  et  les  vases  sacrés  brisés,  les  reliques  jetées 
à  la  voirie.  A  Lyon,  ils  attaquent  une   procession 


qui   Gsl  signée   Françoys   de  Lorraine   (15  février   1560  (1561)  ; 
Orig.,  f.  fr.,  vol.  4640,  f.  26). 

1.  Histoire  des  quatre  rois,  in-8°,  1598,  p.  131. 

2.  Baum,  Theodor  Dcza,  appendice,  p.  30. 

3.  Lettre  de  Jean  de  Monluc  à  la  reine,  du  12  avril  (Delaborde, 
Gaspard  de  Coligny,  p.  505,  note). 

4.  Lettre  originale  de  Rambouillet  à  la  reine,  du  23  avril  (Orig., 
f.  fr.,  vol.  3159,  f.  47). 

5.  Instruction  du  roi  en  date  du  2  juin  (coll.  Brienne,  vol.  205, 
f.  265). 


ET  JEANNE    DALBRET.  85 

après  l'avoir  couverte  d'outrages,  pillent  les  orne- 
ments sacrés  et  dispersent  les  fidèles.  Dans  la  lutte 
un  soldat  armé  d'une  épée  se  rue  sur  le  prêtre  offi- 
ciant, et  d'un  coup  de  taille  lui  tranche  le  bras  qui 
tenait  le  saint  sacrement'. 

Ce  n'étaient  pas  les  seuls  hérétiques  qui  troublaient 
la  paix  du  royaume.  Dans  le  comté  de  Laval,  François 
d'Andelot,  frère  de  Coligny,  avait  dû  réprimer  le  zèle 
de  quelques  «  turbulents  »  sans  acception  de  religion-. 
A  Angers,  la  noblesse  et  les  bourgeois  catholiques 
s'étaient  secrètement  armés  pour  tomber  à  l'improviste 
sur  les  religionnaires  et  les  exterminer  en  un  jour.  A 
Toulouse,  le  parlement,  conduit  par  des  meneurs 
impitoyables,  distribuait  à  tort  et  à  travers  des  con- 
damnations à  mort  et  les  faisait  exécuter  sans  tenir 
compte  des  nouveaux  édits^. 

La  licence  et  le  mépris  de  l'autorité  du  roi  avaient 
pénétré  jusque  dans  les  chaires  catholiques.  A  Paris, 
à  l'église  de  Saint-Severin,  le  jour  du  dimanche  des 
Rameaux,  un  prédicateur  fanatique,  nommé  Fournier, 
prononça  ces  paroles  :  «  Ce  n'est  pas  Testât  d'une 
«  femme  de  conférer  les  évêchés  et  les  bénéfices. 
«  Peuple,  regarde  si  ceste  bonne  reine,  mère  de  Jésus- 
«  Christ,  en  l'eslection  de  saint  Mathias  au  heu  de 
«  Judas,  s'en  voulut  mesler.  »  Il  avait  pris  pour  texte 
de  son  sermon  ces  paroles  de  l'évangile  du  jour  :  Allez 
en  ce  chasteau  qui  est  contre  vous.  «  Scais-tu,  criait-il 

1.  Lettre  de  Tornabuoni,  du  12  juin  [Ncyoc.  de  la  France  avec  la 
Toscane,  t.  III,  p.  454). 

2.  Lettre  de  d'Andelot  à  la  roine,  du  30  mai   (Orip:.,  ('.  fr., 
vol.  3159,  f.  68). 

3.  Lettre  de  Tremellius  à  Tlirockmorton,  du  15  mai  iCalendars, 
1561,  p.  111). 


86  ANTOINE   DE   BOURBON 

«  au  peuple,  qui  est  ce  chasteau  qui  est  contre  vous. 
«  C'est  le  chasteau  qui  vous  jettera  hors  de  vos  mai- 
«  sons.  Au  latin  y  a  Castellum,  mais  il  n'est  pas  entier 
«  chasteau.  Gomment  le  nommerons-nous?  Il  faut  le 
«  nommer  en  françois  Chastelet.  Chastelet  n'est  pas 
«  propre  ;  il  faut  hre  Chastillon.  C'est  ce  Chastillon 
«  qui  est  contre  vous  et  qui  vous  ruinera  si  vous  n'y 
«  prenez  garde  ^ .  » 

La  reine,  directement  prise  à  partie  par  cet  énergu- 
mène,  envoya  le  maréchal  François  de  Montmorency 
à  Paris  et  lui  commanda  de  «  faire,  des  chefs  et  auteurs 
«  de  telles  esmotions,  si  roide  punition  que  les  autres 
«  y  prennent  exemple.  »  Quant  aux  Huguenots  pai- 
sibles, elle  enjoint  au  procureur  général  de  ne  pas 
«  trop  curieusement  resercher  ceulx  qui  seront  en 
«  leurs  maisons  ni  trop  exactement  s'enquérir  de  ce 
«  qu'ils  y  feront-.  » 

Ces  ordres  n'étaient  pas  encore  arrivés  à  leur 
adresse  que  des  troubles  plus  graves  transformaient 
un  quartier  de  la  ville  en  champ  de  bataille.  De  temps 
immémorial  le  pré  aux  clercs  servait  aux  ébats  des 
écoliers  de  l'Université.  Le  24  avril  au  soir,  une  troupe 
de  Réformés  le  parcourait  en  chantant  des  psaumes. 
Attaqués  à  coups  de  bâton  par  une  bande  d'éco- 
liers, ils  se  réfugièrent  dans   une    maison   voisine, 

\.  Félibien,  Histoire  de  Paris,  t.  Il,  p.  1074.  Ce  passage  est 
roproduil  textuellement  par  Félibien  d'après  les  registres  du  Par- 
lement (Bibl.  nat.,  coll.  du  ï^arlement,  vol.  82,  f°?33).  Enfin  il  a 
été  également  reproduit  dans  les  Mémoires  de  Claude  Hatou. 

2.  Lettre  du  27  avril  [Lettres  de  Catherine  de  Médicis,  1. 1,  p.  193). 
Le  roi  écrivit  aussi  aux  gens  du  Parlement  pour  leur  ordonner 
de  punir  Fournier  de  ses  «  propos  scandaleux.  »  Ces  deux  lettres 
sont  imprimées  dans  les  Mémoires  de  Condc,  t.  II,  p.  285. 


ET    JEANNE    1)   ALRRET.  87 

dite  la  maison  du  Pavanier,  habitée  par  le  seigneur  de 
Longjumeau,  maison  mal  famée  auprès  des  clercs  et 
qui  passait  pour  un  repaire  d'hérétiques  Cette  victoire 
facile  enfla  le  courage  des  vainqueurs.  Deux  jours  après, 
le  2G  avril,  les  écoliers,  au  nombre  de  deux  mille,  suivis 
d'une  multitude  attirée  par  l'espoir  du  pillage,  mar- 
chèrent à  l'attaque  de  la  maison  du  Pavanier.  Le  sire 
de  Longjumeau  avait  préparé  sa  défense.  Dix  ou  quinze 
hommes  à  cheval,  armés  de  pied  en  cap,  protégeaient 
les  dehors  de  la  maison  ;  des  arquebusiers  étaient 
postés  aux  fenêtres  ou  le  long  d'un  mur  de  jardin. 
Chantonay  remarque  qu'on  y  voyait  au  premier  rang 
le  fils  du  maréchal  Strozzi,  cousin  de  la  reine,  et  un 
capitaine  Lucquois,  Franciotto,  de  la  maison  du  roi. 
Un  avocat,  nommé  Ruzé,  était  l'àme  de  la  défense. 
Revêtu  d'un  manteau  écarlate  qui  servait  de  ralliement, 
l'épée  à  la  main,  dit  Bruslard,  il  commandait  en  vrai  capi- 
taine les  300  défenseurs  que  le  seigneur  de  Longjumeau 
avait  groupés  autour  de  lui.  Au  moment  où  les  écoliers 
s'approchèrent  de  la  maison,  les  gens  de  Ruzé  enton- 
nèrent un  de  leurs  cantiques,  fondirent  sur  la  bande 
des  assaillants,  en  tuèrent  sept  ou  huit  et  en  blessèrent 
quinze  ^  Le  combat  continuait,  quand  Antoine  du  Prat 
de  Nantouillet,  prévôt  de  Paris,  arriva  sur  le  champ  de 
bataille  avec  le  guet  à  cheval.  Son  intervention  sauva  les 
habitants  de  la  maison  du  Pavanier.  Malgré  la  supériorité 
de  leur  armement,  ils  étaient  débordés  par  le  nombre 
de  leurs  ennemis.  Portes  et  fenêtres  étaient  défoncées 


1.  Chantonay  dit  qu'ils  on  tuèrent  quatorze.  Voyez  les  notes 
suivantes.  Les  registres  du  parlement  évaluent  les  morts  à  cinq 
ou  six,  dont  «  une  pouvre  femme  qui  n'y  pensoit  en  rien.  » 
(Extrait  des  reg.  du  parlement,  f.  fr.,  vol.  23750,  non  paginé.) 


88  ANTOINE   DE   BOURBON 

et  le  feu  flambait  déjà  dans  les  salles  basses  de  la 
maison.  l*cndant  la  nuit  ils  se  retirèrent  par  petits 
groupes,  emportant  leurs  effets  les  plus  précieux.  Le 
lendemain,  qui  était  un  dimanche,  l'armée  des  écoliers 
reparut,  mais  diminuée  par  l'échec  de  la  veille.  D'autre 
part  le  seigneur  de  Longjumeau  avait  comblé  ses  vides. 
Les  deux  partis  restèrent  sur  la  défensive'. 

Le  28,  un  avocat  du  roi  au  parlement,  M®  du  Mesnil, 
présenta  requête  contre  ces  désordres^.  Longjumeau 
de  son  côté  excipa  des  ordonnances  qui  autorisaient  le 
Hbre  exercice  de  la  religion  dans  l'intérieur  des  mai- 
sons. Le  lieutenant  civil  et  le  parlement  lui  comman- 
dèrent de  se  tenir  caché  dans  Paris  ou  de  se  retirer 
dans  sa  seigneurie  de  Longjumeau.  Les  sergents,  char- 
gés de  lui  signifier  cet  ordre,  le  trouvèrent  sous  les 
armes  à  la  porte  de  son  logis,  prêt  à  défendre  les 
ouvriers  qui  réparaient  les  brèches.  Le  %S  avril,  le  roi 
lui  envoya,  par  Jacques  d'Auzance,  l'ordre  de  sortir  de 
Paris.  Longjumeau  hésitait  à  obéir.  Un  nouvel  arrêt 
lui  commanda  de  quitter  Paris  le  jour  même  avec  sa 
famille  et  ses  gens^.  Il  se  retira  enfin  à  Ghailly,  altéré 

\ .  Voici  la  liste  des  documents  d'après  lesquels  nous  racontons 
ce  combat  qui  n'a  été  que  très  incomplètement  présenté  par 
Félibieu  : 

1»  Lettre  de  Cliantonay  à  Philippe  II,  du  1"  mai  1561  (Orig. 
espagnol  ;  Arch.  nat.,  K.  149i,  n»  84). 

2"  Lettre  de  Tornabuoni  au  grand  duc  de  Toscane,  du  6  mai 
(très  détaillée  et  très  précise).  (Ncgoc.  de  la  France  avec  la  Toscane, 
t.  m,  p.  \b\.) 

3°  Journal  de  Bruslard  (Mi^nioires  de  Condô,  t.  i,  p.  26). 

2.  Celte  requête  est  conservée  en  copie  dans  le  vol.  23750  du 
fonds  français. 

3.  La  lettre  du  roi  et  l'arrêt  du  parlement  sont  conservés  à 
leur  date  dans  les  registres  du  parlement  (f.  fr.,  vol.  23750). 


ET   JEANNE    d'alBRET.  89 

de  vengeance,  et  ne  cessa  dès  ce  jour  de  porter  aide 
aux  ennemis  du  roi.  Au  mois  de  février  1563,  on  trouva, 
cachées  dans  sa  maison,  des  pièces  d'artillerie  qui 
appartenaient,  les  unes  à  la  ville  de  Montlhcry,  les 
autres  au  premier  président  Gilles  le  Maistre  ^ . 

La  gravité  de  la  sédition  décida  la  reine  à  envoyer  le 
roi  de  Navarre  à  Paris.  Antoine  arriva  le  1  '^'"  mai,  et,  le 
lendemain  matin-,  après  avoir  entendu  la  messe,  il  se 
rendit  au  parlement  avec  le  prince  de  Condé,  qui  avait 
voulu  appuyer  en  personne  les  revendications  du 
parti  réformé^,  avec  le  prince  de  La  Roche-sur-Yon, 
le  cardinal  de  Chastillon  en  habit  pontifical,  le  duc  de 
Longueville,  le  maréchal  de  Thermes,  les  sires  de 
Lorges  et  de  Caudale^.  Il  dit  qu'il  était  venu  au  nom 
du  roi  pour  apaiser  les  troubles  et  requit  l'assistance  de 
la  cour  suprême^.  Le  président  Baillet  lui  conseilla 
d'adresser  des  remontrances  aux  prédicateurs  des 
églises,  aux  docteurs  de  Sorbonne  et  au  recteur  de 
l'Université.  Le  prince  fut  reconduit  à  la  porte  du 
palais  de  justice  avec  les  honneurs  qu'on  avait  coutume 
de  rendre  au  roi*^.  Le  même  jour,  Antoine  convoqua 
au  Louvre  les  curés  des  paroisses,  deux  membres  de 

1.  Félibien,  Histoire  de  Paris,  t.  IV,  p.  810. 

2.  Il  y  a  un  peu  de  divorgence  pour  les  dates  entre  les  divers 
documents  que  nous  allons  citer.  Les  uns  disent  le  \"  mai,  les 
autres  le  2  mai. 

3.  La  présence  du  prince  de  Condé  n'est  mentionnée  que  dans 
une  lettre  de  Séchelles  [Calcndars,  1561,  p.  93). 

4.  Lettre  de  Throckmorton  du  i  mai  [Calendars,  15G1,  p.  06). 

5.  Lettre  de  Tornabuoni,  du  6  mai  (Négoc.  de  la  France  avec  la 
Toscane,  t.  III,  p.  451).  —  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du 
12  mai  (Orig.  espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n»  85). 

6.  Lettre  de  Suriano,  du  4  mai  (Mss.,  Dépêches  vénit.,  filza  4, 
f.  292). 


90  ANTOINE    DE   BOURBON 

chaque  ordre  religieux,  les  régents  des  collèges,  les 
théologiens  de  la  Sorbonne,  le  recteur  de  l'Université, 
une  députation  des  conseillers  de  la  ville  et  desquarte- 
niers,  et  leur  fît  donner  lecture  des  lettres  de  commis- 
sion du  roi.  Ces  lettres,  assez  sévères  pour  les  sédi- 
tieux du  parti  catholique,  distribuaient  impartialement 
le  blâme  aux  officiers  du  parlement  et  du  Ghastelet, 
au  chevalier  du  guet,  au  prévôt  des  marchands  et  aux 
échevins,  au  recteur  et  aux  suppôts  de  l'Université  et 
même  aux  curés  de  Paris  ^ 

Après  cette  lecture,  le  roi  de  Navarre  prit  la  parole 
et  reprocha  aux  prédicateurs  leurs  excitations  passion- 
nées, au  recteur  son  indulgence  coupable  pour  les  actes 
de  fanatisme  des  écoliers,  aux  officiers  municipaux  leur 
manque  de  surveillance.  Cet  accueil  les  frappa  d'éton- 
nement.  Non  seulement  ils  ne  s'attendaient  pas  à  un 
blâme,  mais  ils  espéraient  qu'une  expiation  sévère  serait 
infligée  au  seigneur  de  Longjumeau  et  à  ses  coreli- 
gionnaires, coupables  de  s'être  trop  bien  défendus.  La 
veille,  les  conseillers  de  la  ville  avaient  décidé  d'inter- 
dire «  tous  conventicules  et  assemblées  particulières 
«  dans  la  ville  et  faubourgs,  sous  peine  de  lèze- 
«  majesté-,  »  Malgré  le  roi  de  Navarre,  quelques  jours 
après  le  départ  du  prince,  le  parlement  lit  enfermer 
à  la  Conciergerie  l'avocat  Ruzé,  et  le  maréchal  de 
Thermes  expulsa  de  Paris  le  conseiller  Fumée,  un 
des  chefs  du  partie 

1 .  L'instruction  datée  du  30  avril  est  conservée  en  copie  dans 
la  coll.  Brienne,  vol.  205,  f.  255. 

2.  Extrait  des  registres  de  l'hôtel  de  ville  (V<:  de  Colbert, 
vol.  252,  f.  200). 

3.  Journal  de  Bruslard  dans  les  Mémoires  de  Condé,  t.  I,  p.  27 
et  28. 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  91 

Le  combat  de  la  maison  du  Pavanier  et  beaucoup 
d'autres  mouvements  tumultueux,  où  les  catholi(|ues 
avaient  joué  le  rôle  d'agresseurs,  l'appui  que  les  sédi- 
tieux trouvaient  dans  lescorpsétablis  révélaient  à  la  reine 
l'existence  d'un  parti  catholique  puissant,  aussi  prompt 
à  prendre  les  armes  que  le  parti  réformé,  aussi  résolu 
à  l'attaque  de  l'ennemi  qu'à  sa  propre  défense.  Dans 
les  chaires  catholiques  on  prêchait  ouvertement  que 
le  changement  de  religion  du  roi  déliait  les  sujets  du 
serment  de  fidélité  ^  C'était  un  nouvel  écueil  pour  la 
monarchie  et  la  paix  du  royaume.  Le  parti  réformé, 
même  dans  ses  jours  de  rébellion,  n'avait  jamais  osé 
proférer  de  telles  menaces.  Catherine  résolut  de  faire 
sacrer  son  fils  avec  éclat,  dans  l'espoir  que  la  céré- 
monie raviverait  les  traditions  du  royaume  et  resser- 
rerait les  liens  des  sujets  et  du  roi~.  Le  sacre,  depuis 
longtemps  annoncé,  avait  été  retardé  par  économie '. 
Avant  d'en  fixer  la  date,  Catherine  prit  les  conseils  de 
Gabriel  Simeoni,  littérateur,  antiquaire,  géographe, 
poète,  traducteur  et  surtout  astrologue  ^.Simeoni  était  à 


i.  Lettre  de  Suriano  du  16  mai  (DéchiflYcment  non  signé  ;  Mss., 
Dépêches  vénit.,  lilza  i  bis,  f.  20). 

2.  Cette  considération  est  exposée  par  de  Tliou  (17'iO,  t.  111, 
p.  46). 

3.  Lettre  de  Suriano,  du  29  mars  (Mss.;  Dépêches  vénit.,  lilza  i, 
f.  271).  — Autre  retard  de  la  cérémonie  du  sacre  (lettre  du  même, 
du  4  avril;  ibid.,  f.  273). 

4.  Dans  un  livre  fort  rare  que  nous  avons  sous  les  yeux,  Epi" 
tome  de  l'origine  et  succession  de  la  duché  de  Ferrare,  Paris,  1553, 
in-S",  mêlé  de  vers  et  de  prose,  et  composé  d'épitres  aux  grands 
de  son  siècle,  Simeoni  examine  La  ■propriété  et  vertu  de  la  lune 
tant  au  ciel  qu'à  la  mer  et  en  terre,  tandis  qu'elle  passe  par  les 
douze  signes  du  ciel.  Ce  traité  est  dédié  à  Diane  de  Poitiers.  Ce 
qu'il  y  a  de  plus  curieux  dans  ce  volume,  c'est  qu'où  y  voit  que 


92  ANTOINE    DE   BOURBON 

Chiaramonte  en  Italie.  Après  avoir  consulté  les  astres, 
complété  ses  incantations,  parfait  ses  calculs,  il  répon- 
dit enfin,  le  31  mai  : 

J'ai  trouvé  quel  jour  serait  le  meilleur  pour  le  couronnement 
du  roi,  et,  pour  consolider  la  source  de  sa  naissance,  je  trouve 
que  on  ne  peut  pas  trouver  un  jour  plus  heureux  que  le  ^  0  juin, 
pour  les  raisons  qu'un  parfait  astrologue  trouvera  dans  la  pré- 
sente figure  que  je  vous  envoie,  ainsi  que  l'heure,  qui  sera  envi- 
ron celle  de  midi,  quand  la  couronne  lui  sera  posée  sur  la  tête. 
En  outre,  ayant  donné  un  coup  d'œil  au  changement  de  cette 
année,  j'ai  trouvé  que  la  lune,  venue  à  la  place  de  Saturne, 
occupant  la  place  du  Soleil,  de  Jupiter  et  de  Mercure,  Mars  étant 
uni  à  la  lune  et  à  la  tète  du  Dragon,  et  Jupiter  étant  dans  la 
quadrature  de  la  lune,  marquent  que,  cette  année,  il  y  aura  de 
très  grands  troubles  au  sujet  de  la  religion;  qui  deviendront 
d'autant  plus  grands  que  Saturne  sera,  <à  partir  du  i"  juil- 
let, possesseur  du  Cancer.  Et  même,  si  quelques  hommes  ter- 
restres se  rient  des  choses  du  ciel,  les  malheurs,  qui  néanmoins 
auront  apparu,  éclaireront  entre  aujourd'hui  et  deux  ans  leur 
incrédulité  ^ 

Sans  attendre  cette  consultation,  la  reine  mère  avait 
invité  les  principaux  seigneurs  du  royaume  pour  le 
\%  mai^.  Au  moment  de  prendre  ses  dernières  dispo- 
sitions, elle  fut  assaillie  de  nouvelles  alarmes  ;  on 
parlait  d'une  conspiration  ourdie  par  les  Guises,  qui 


Simconi  avait  choisi  pour  devise  Non  est  mortale  quod  opto,  devise 
(lui  fut,  plus  tard  adoptée  par  le  roi  Charles  IX. 

1.  Original  italien,  daté  du  31  mai  (coll.  Dupuy,  vol.  588,  f.  174). 
Nous  avons  traduit  littéralement  ce  document  singulier.  —  La 
lettro  originalo  est  accompagnée  d'un  dessin  bizarre,  représentant 
trois  carrés  à  angle  droit,  superposés  l'un  dans  l'autre.  Au  milieu 
du  dernier  carré  on  lit  Junii  XVI  ad  meridiem. 

2.  Lettres  de  Catherine,  t.  I,  p.  182. 


ET   JEANNE    d'alBRET.  93 

devait  éclater  à  Reims  à  la  faveur  de  la  cérémonie  '  ;  elle 
tomba  malade  et  se  crut  empoisonnée-.  Enfin  la  cour, 
suivie  d'un  nombreux  cortège  de  seigneurs,  quitta  Fon- 
tainebleau le  3  mai^  et  se  rendit  à  Monceaux-en-Brie, 
puis  à  Nanteuil,  château  du  duc  de  Guise.  De  son  côté, 
le  roi  de  Navarre,  le  lendemain  de  sa  conférence  avec 
les  gens  de  l'Université,  se  porta  au-devant  du  roi^. 
Ses  partisans  avaient  vainement  cherché  à  le  détourner 
de  la  «  maison  de  ses  ennemis^.  »  Antoine  rejoignit 
le  roi  à  Nanteuil,  incertain  s'il  assisterait  au  sacre  et 
résolu  de  retarder  ses  étapes  jusqu'au  jour  du  couron- 
nement^. 

Le  séjour  du  roi  à  Nanteuil  ne  fut  pas  exempt 
d'orages.  Le  duc  de  Nemours  se  plaignit  à  la  reine  du 
crédit  du  roi  de  Navarre,  de  sa  propre  disgrâce,  et,  de 
plainte  en  plainte,  ce  jeune  prince,  enivré  par  l'amer- 
tume de  son  dépit,  s'épancha  en  récriminations  contre 
la  politique  qui  triomphait  à  la  cour.  Catherine  ne 
put  lui  faire  sentir  son  impertinence  ;  il  sortit  de  la 
chambre  de  la  reine  en  murmurant  des  menaces.  Le 
soir,   calmé    par   la  réflexion,   tremblant    de   s'être 

1.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du  9  avril  (Orig.  espa- 
gnol ;  Arch.  nat.,  K.  1494, 11°  75).  —  Lettres  de  Catherine  de  Médicis, 
t.  I,  p.  194. 

2.  Lettre  de  Sechelles,  du  l*^""  mai  [Calendars,  1561 ,  p.  93).  Voyez 
aussi  les  documents  que  nous  citons  plus  loin. 

3.  Lettre  de  Suriano,  du  3  mai  (Mss.;  Dépêches  vénit.,  filza  4, 
f.  289). 

4.  Lettre  de  Suriano,  du  7  mai  (Mss.;  Dépêches  vénit.,  tilza  4, 
f.  295). 

5.  Lettre  de  Suriano,  du  3  mai  (Mss.;  Dépêches  vénit.,  filza  4, 
f.  289). 

6.  Calendars,  1561,  p.  96.  — Lettre  de  Suriano,  du  7  mai  (Mss.; 
Dépêches  vénit.,  filza  4,  f.  295). 


94  ANTOINE   DE   BOURBON 

compromis,  Nemours  prit  la  poste  et  s'enfuit  en 
Savoie^.  Plus  tard,  sur  le  conseil  du  duc  de  Guise,  il 
adressa  à  la  reine  une  lettre  d'excuse.  Catherine  lui 
répondit  avec  indulgence  :  «  Le  malheur  des  temps, 
«  à  qui  il  fault  que  vous  en  preniez,  m'a  forcée  souvent 
«  faire  le  contraire  de  ma  volunté-.  » 

La  reine  voulait  faire  figurer  au  sacre  au  premier 
rang  des  pairs,  comme  duc  de  Bourgogne,  Henri  de 
Valois,  duc  d'Orléans,  son  fils  préféré,  âgé  de  moins 
de  dix  ans.  Ce  titre,  concédé  autrefois  à  Henri  d'Albret, 
appartenait  alors  au  connétable  de  Montmorency  ■' .  Rien 
n'était  plus  difficile  que  d'arracher  une  concession  à  cet 
avide  vieillard.  Lorsque  la  reine  lui  demanda  le  man- 
teau de  pair  pour  son  fils  bien-aimé,  le  connétable 
refusa  aigrement  comme  si  elle  eût  voulu  le  dépouiller 
de  tous  ses  biens.  En  vain  elle  s'efforça  de  le  séduire 
dans  son  orgueil  en  lui  promettant  de  le  visiter  au 
château  de  La  Fère,  et  dans  son  intérêt  en  lui  accordant 
des  «  droits  de  relief  »  qu'il  ambitionnait  ^  Montmo- 
rency menaça  de  recourir  au  parlement.  De  son  côté, 
elle  avait  déjà  prescrit  des  recherches  aux  archives  du 
greffe^'.  Enfin,  sur  les  conseils  du  cardinal  de  Lorraine, 

1.  Lettre  de  Throckmorton,  du  21  mai  (Calendars,  1561,  p.  119). 
—  Nemours  était  encore  en  Savoie  au  mois  de  juin  et  prétendait 
y  remplir  une  mission  [ibid.,  p.  130). 

2.  La  lettre  de  Nemours  est  conservée  dans  le  vol.  3159,  f.  49, 
du  fonds  français.  La  réponse  de  la  reine  est  imprimée  dans 
Lettres  de  Catherine  de  Médicis,  t.  I,  p.  197.  — Nous  avons  raconté 
cet  incident  dans  Le  duc  de  Nemours  et  Mademoiselle  de  Rohan. 

3.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du  12  mai  1561  (Orig. 
espagnol  ;  Arch.  nat.,  K.  l'»94,  n'  85). 

■'(.  Voyez  les  deux  lettres  (Lettres  de  Catherine  de  Médicis,  t.  I, 
p.  104)/ 

5.  Lettres  de  Catherine  de  Médicis,  t.  I,  ]).  195,  —  Le  roi  écrivit 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  95 

elle  se  résigna,  non  sans  regrets,  à  ne  pas  troubler  le 
connétable  dans  ses  droits  ^ .  Habile  à  dissimuler,  Cathe- 
rine sut  maîtriser  son  dépit  ;  sa  correspondance  avec 
Montmorency  garde  le  ton  de  la  bienveillance^. 

Quelques  jours  avant  le  sacre,  Jacqueline  de  Rohan, 
veuve  de  François  d'Orléans,  marquis  de  Rothelin,  avait 
prié  la  reine  d'accorder  à  son  fils,  Léonor  d'Orléans,  duc 
de  Longueville,  les  fonctions  de  grand  chambellan  pen- 
dant la  cérémonie  du  sacre.  Sa  demande  reposait  sur 
une  donation  de  Charles  VII  et  sur  une  longue  posses- 
sion. La  charge  de  grand  chambellan  appartenait  au  duc 
de  Guise.  Il  répondit  à  la  dame  de  Rothelin  qu'il  céde- 
rait volontiers  cet  honneur  au  jeune  duc  de  Longue- 
ville,  à  la  condition  qu'il  en  jouirait  non  comme  d'un 
droit,  dont  il  pourrait  se  prévaloir  un  jour,  mais  en 
représentation  du  duc  de  Guise,  retenu  au  banc  des 
pairs.  Longueville  refusa  et  renonça  à  figurer  au  sacre. 
Il  écrivit  à  la  reine  que  sa  conscience  ne  lui  permettait 
pas  d'assister  à  la  messe.  Dès  ce  jour,  il  entra  dans  les 
rangs  du  parti  réformé  ;  il  rompit  son  mariage  avec 
une  fille  du  duc  de  Guise.  Les  Lorrains  perdirent  plus 
d'avantages  réels  qu'ils  ne  gagnaient  d'honneurs  ;  car 
ils  virent  s'évanouir  l'alliance  d'une  maison  puissante, 
issue  du  beau  Dunois,  qui  depuis  plus  d'un  siècle  tenait 
en  fief  une  partie  de  la  Picardie  \ 

aussi  au  parlement  sur  lo  même  sujot  (Godefroy,  Cérémonial  fran- 
çais^ t.  II,  p.  315). 

1.  Lettre  de  Ghantonay  à  IMiilippe  II,  du  12  mai  (Orig.  espagnul  ; 
Arch.  nat.,  K.  1494,  n»  85). 

2.  Voyez  Lettres  de  Catherine  de  Médicts,  t.  I,  p.  198,  199,  i02. 

3.  Lettre  de  Throckmorton,  du  21  mai  [Calendars,  1561,  p.  119). 
—  La  Place,  Estât  de  reliqion  et  république,  ôdit.  du  Panlh.  litl., 
p.  126.  —  De  Thou,  1740,  t.  III,  p.  47. 


96  ANTOINE    DE   BOURBON 

La  cour  arriva  à  Reims  le  1  3  mai  et  y  fit  une  entrée 
solennelle^.  Le  sacre  fut  célébré  le  15  mai,  le  jour  de 
l'Ascension,  par  le  ministère  du  cardinal  de  Lorraine, 
suivant  l'ordre  traditionnel  de  la  monarchie  2.  Le  duc 
et  la  duchesse  de  Lorraine,  la  duchesse  douairière, 
Christine  de  Danemark,  le  comte  de  Vaudemont, 
le  comte  de  Bedfort  assistaient  à  la  cérémonie.  Le 
prince  de  Condé,  l'amiral  de  Goligny  s'étaient  excu- 
sés pour  ne  pas  entendre  la  messe.  Les  deux  fils  du 
connétable,  le  maréchal  François  de  Montmorency  et 
Henri  de  Montmorency  Damville,  dont  les  opinions 
religieuses  étaient  encore  indécises,  étaient  absents^. 
Le  cardinal  de  Ghaslillon  était  présent  comme  pair  et 
comte  de  Beau  vais.  «  Il  ne  faudroit  plus  au  sacre  que 
«  la  place  de  madame  la  Cardinale,  écrit  Chantonay  ; 
«  qu'est  chose  tant  publique  que  j'entends  que  l'admi- 
«  rai  la  taict  précéder  sa  femme  ^.  » 

Les  pairs  étaient  au  nombre  de  douze,  six  ecclésias- 
tiques et  six  laïques,  et  prenaient  place  d'après  leur 
ancienneté.  Le  duc  de  Guise,  en  qualité  de  pair  anté- 
rieur, prétendit  avoir  le  pas  sur  le  duc  de  Montpensier 
comme  au  sacre  de  François  IL  La  question  avait  été 

1.  Le  cardinal  do  Lorraino  raccuoillit  par  une  harangue  qui 
est  reproduite  dans  la  grande  histoire  du  président  Montagne 
(f.  fr.,  vol.  15494,  f.  1). 

2.  Le  président  Jacques  de  Montagne,  dans  un  des  deux  frag- 
ments qui  nous  restent  de  sa  grande  histoire  de  l'Euroiiode  1559 
à  1587,  a  raconté  avec  beaucoup  de  détails  le  sacre  de  Charles  IX. 
Son  récit  contient  une  foule  de  faits  nouveaux.  Nous  le  publions 
à  la  lin  du  volume  sous  forme  de  pièce  justihcaiive. 

3.  Calendars,  1561,  p.  119. 

4.  Lettre  de  Chantonay  dans  Xo'è  Mémoires  de  Condé,  t.  II,  p.  H. 
—  Le  cardinal  Odot  do  Chastillun  était  l'ainé  de  Gaspard  de 
CoHgny. 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  97 

déjà  résolue  en  faveur  des  princes  du  sang,  mais  le  pré- 
cédent, invoqué  par  le  duc  de  Guise,  obligea  ie  conseil 
à  de  nouvelles  délibérations.  La  reine  en  profita  pour 
arrêter  que  les  princes  auraient  la  préséance  sur  tous 
les  pairs,  quelle  que  fut  leur  ancienneté,  et  qu'ils  mar- 
cheraient dans  l'ordre  de  leur  parenté  avec  le  roi.  Cette 
décision  pouvait  déplaire  au  roi  de  Navarre,  qui  se 
trouvait  dépassé  par  les  frères  du  roi,  mais  Antoine  céda 
avec  empressement  au  désir  de  la  reine  mère,  et  le  duc 
d'Orléans,  que  le  connétable  n'avait  pas  voulu  investir 
de  l'honneur  de  représenter  la  Bourgogne,  monta  au 
premier  rang^.  Le  jeune  prince  prit  place  à  la  droite 
du  roi  ;  Antoine  de  Bourbon  à  sa  gauche  ;  le  duc  de 
Montpensier  à  côté  du  chef  de  sa  maison .  Au  moment 
où  la  messe  du  sacre  commençait,  le  duc  de  Guise 
s'introduisit  entre  les  deux  princes  de  Bourbon  et  y 
maintint  son  siège  malgré  les  réclamations.  La  crainte 
de  troubler  la  cérémonie  détermina  le  duc  de  Mont- 
pensier à  garder  le  silence,  mais  les  princes  blâmèrent 
l'usurpateur-. 

Tous  les  honneurs  furent  pour  le  duc  d'Orléans  et 
pour  le  roi  de  Navarre.  Le  jeune  duc,  vêtu  de  velours 
brun  et  paré  d'un  collier  doublé  d'hermine,  posa  le 
diadème  sur  la  tête  du  roi.  Antoine  de  Bourbon,  vêtu 
à  peu  près  de  même,  mais  couvert  de  broderies  d'or, 
le  chef  ceint  d'une  couronne  royale  garnie  de  rayons 

1.  De  Thou,  1740,  t.  III,  p.  40,  d'après  La  Place  (édit.  du 
Panth.  lut.,  p.  127).  Le  récit  de  La  Place  a  été  littéralement  copié 
par  La  Popclinière  (1581,  in  fol.,  t.  I,  p.  258). 

2.  Documents  déjà  cités.  Sic,  La  Place,  p.  127,  Dupleix,  t.  III, 
p.  640. 

III  7 


98  ANTOINE   DE   BOURBON 

d'or  en  forme  d'auréole,  lui  attacha  les  éperons  ^  Pen- 
dant la  durée  de  la  messe  et  des  offices,  Charles  IX, 
dit  Pierre  Mathieu,  «  ennuyé  de  la  longueur  des  céré- 
«  nionies  et  de  la  pesanteur  des  habits  royaux,  ne  fit 
«  que  pleurer,  et  ses  larmes  furent  prises  pour  pré- 
«  sages  des  calamités  effroyables  dont  son  règne  fut 
«  comblé-.  »  Le  cardinal  de  Lorraine  exhorta  le  nou- 
veau roi  à  maintenir  la  religion  catholique,  à  garder 
«  le  titre  de  roi  très  Chrétien  et  à  n'être  pas  le  pre- 

«  mier  qui  l'abandonnât et  ajouta  que,  s'il  changeait 

«  de  sentiment,  il  en  résulterait  sa  destruction  et  que 
«  quiconque  lui  conseillerait  de  changer  de  religion  lui 
«  arracherait  en  même  temps  la  couronne  sur  la  tête  ^.  » 

Le  roi  et  la  reine  quittèrent  Reims  le  17  mai  et 
visitèrent  successivement^  Villers-Costerets,  Saint- 
Marcoul  de  Corbcry,  Marchais,  Nisy-en-Soissonnais, 
Soissons,  Gaillon,  Villaines,  Saint- Léger,  à  la  grande 
satisfaction  du  jeune  roi,  qui  put  se  livrer  pour  la  pre- 
mière fois,  à  l'ombre  des  vastes  forêts  du  cardinal  de 
Lorraine,  à  la  passion  de  la  chasse  '\ 

Aux  premiers  jours  de  juin,  la  cour  arriva  à  Paris 
et  s'installa  à  l'abbaye  de  Saint-Germain-des-Prés. 
La  ville  était  en  proie  à  une  effervescence  qui  tou- 


1.  Lettre  do  Cliantonay,  du  -26  mai  (Orip.  espagnol;  Arcli.  uat., 
K.  149i,  no  86). 

2.  P.  Mathieu,  Histoire  de  France,  t.  I,  p.  243. 

3.  Lettres  de  Cliantonay  citées  par  le  marquis  de  Bouille  {flist. 
des  Guises,  t.  II,  p.  137).  —  Sic,  La  l^lace,  p.  127.  —  La  reine  lit 
frapper  une  médaille  représentant  le  Saint-Esprit  sous  la  forme 
tl'une  colombe  qui  tient  dans  son  bec  la  sainte  ampoule  avec  cet 
exergue  :  Remis  saa-a  et  saluta,  18  mai  15G1  (f.  fr.,  vol,  4921,  f.  15). 

4.  Calendars,  lâGl,  p.  119. 

5.  Lettres  de  Catherine  de  Médicis,  t.  I,  p.  202. 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  99 

cliait  à  la  guerre  civile.  Ni  ordre  ni  gouvernement; 
les  partis  se  faisaient  justice  eux-mêmes;  chaque  jour, 
à  la  porte  des  églises  catholiques  ou  des  maisons  con- 
nues pour  servir  aux  prêches  calvinistes,  des  rixes 
entre  les  deux  populaces  fanatiques,  où  les  Réformés 
étaient  le  plus  souvent  battus  par  le  grand  nombre. 
Le  prévôt  des  marchands,  suivi  de  plusieurs  notables, 
porta  plainte  à  la  reine,  au  nom  de  la  ville,  contre  les 
séditions  des  hérétiques.  Catherine  promit  d'aviser, 
mais  le  roi  de  Navarre  renvoya  rudement  l'infortuné 
prévôt.  Il  lui  reprocha  de  n'être  venu  à  la  cour  que 
pour  y  apporter  la  dispute  et  de  n'avoir  amené  une 
foule  de  bourgeois  que  pour  intimider  la  reine^ 

Aux  approches  de  la  Fête-Dieu,  la  reine  fut  avertie 
quelesReligionnaires  avaient  résolu  d'attaquer  les  pro- 
cessions partout  où  ils  se  sentiraient  assez  forts  et  elle 
recommanda  aux  magistrats  un  redoublement  de  sur- 
veillance-. A  Paris,  le  danger  était  plus  grand  que  dans 
les  autres  villes  parce  que  les  chefs  y  étaient  rassem- 
blés. Mal  soutenue  par  le  roi  de  Navarre,  qui  était 
revenu  à  la  Réforme^,  la  reine  envoya  en  hâte  cher- 
cher le  duc  de  Guise  à  Nanteuil.  «  Puisqu'il  y  va  de 
«  l'honneur  de  Dieu,  dit-il,  je  m'y  en  vois  :  et  qui  vou- 
er dra  y  entreprendre,  j'y  mourray,  ne  pouvant  mieux 
«  mourir*.  »  Il  partit  à  franc  étrier  la  veille  de  la  fête 
et  parut  le  lendemain  au  lever  du  roi  (2!4  juin  1 561  ) . 

\.  Lettre  de  Tornabuoni,  du  23  juin  [Ncgoc.  entre  la  France  et  la 
Toscane,  t.  III,  p.  455). 

■?.  Lettre  de  cachet  en  date  du  24  mai  15C1,  datée  de  Soissous 
(cojjie,  coll.  Brienne,  vol.  205,  1".  263). 

3.  Calendars,  1561,  p.  1.50. 

4.  Brantôme,  t.  IV,  p.  232.  Partie  des  détails  qui  suivent  est 
tirée  du  récit  de  cet  écrivain. 


100  ANTOINE    DE    BOURBON 

Son  arrivée  rendit  courage  aux  courtisans.  Le  roi  sui- 
vit la  procession  de  l'abbaye  Saint-Germain-des-Prés, 
une  torclie  à  la  main.  François  de  Lorraine,  magnifi- 
quement vêtu,  monté  sur  un  genêt  noir,  dirigeait  le 
cortège  au  milieu  des  ovations  du  peuple.  Le  roi  de 
Navarre,  entouré  de  quelques  gentilshommes  gascons, 
aux  habits  râpés,  faisait  triste  figure,  dit  Brantôme, 
derrière  son  rival.  Le  prince  de  Condé,  les  Chastillons, 
confinés  dans  leurs  hôtels,  passèrent  la  journée  au 
milieu  de  leurs  coreligionnaires  sans  se  montrer.  Le 
jeudi  suivant,  jour  de  l'octave,  la  procession  de  l'ab- 
baye fut  encore  plus  brillante,  et  le  cardinal  de  Lor- 
raine, encouragé  j)ai*  le  triomphe  de  son  frère,  osa 
pontifier  et  porter  le  saint  sacrement  ^ 

Telle  était  la  politique  de  la  régente;  elle  espérait 
résoudre  les  difficultés  en  les  ajournant.  Lorsqu'elle 
se  sentait  menacée  par  les  Réformés,  elle  envoyait 
chercher  le  duc  de  Guise,  comme  plus  tard  elle  appela 
Condé  quand  le  danger  lui  parut  venir  du  parti  catho- 
lique. Lorsqu'il  fallait  se  prononcer  en  faveur  de  l'un 
ou  de  l'autre  culte,  elle  renvoyait  la  solution  au  roi 
de  Navarre,  (|ui  la  remettait  au  chancelier,  lequel  à 
so!i  tour  en  saisissait  le  conseil  privé.  Chantonay 
remarque  que,  si  l'un  des  quatre  donnait  une  réponse 
un  peu  ferme,  les  trois  autres  prenaient  à  tâche  de 
ratlaiblir-'. 

Encouragé  par  cette  indécision,  le  parti  réformé 
montait  à  l'assaut  du  pouvoir  avec  un  esprit  de  suite 
et  une  audace  invincibles.  Le  parlement  de  Toulouse 

1.  .It)uni;il  (le  Brushiril  dans  les  Mémoires  de  Condé,  t.  I,  p.  39. 
•2.  LoUro  orip.  oa  ospapnol  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du 
8  juin  15G1  (Arch.  nat.,  K.  1495,  n"  41). 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  101 

venait  de  rendre,  le  2  mai,  un  arrêt  solennel  contre  les 
hérétiques,  qui  rompait  avec  la  politique  de  la  cour'. 
L'arrêt  fut  déféré  au  roi,  au  retour  du  sacre,  le  jour 
de  son  passage  à  Soissons.  Une  semaine  après,  le 
1 1  juin,  le  seigneur  d'Esternay,  un  des  suivants  du  prince 
de  Gondé,  présenta  au  roi,  au  nom  de  son  parti,  une 
requête  sur  les  poursuites  que  certains  officiers  de 
justice  dirigeaient  encore  contre  les  religionnaires,  et 
pour  obtenir  «  des  temples  ou  autres  lieux  publics 
«  bastis  ou  à  bastir  à  leurs  dépens  ^  »  Le  temps  n'était 
pas  éloigné  où  ils  trouveraient  trop  long  de  bâtir  des 
temples  et  où  ils  demanderaient  la  possession  des 
églises  catholiques.  La  reine,  n'osant  ni  accorder  ni 
refuser,  soumit  la  requête  au  conseil^.  Le  conseil, 
tiraillé  en  sens  divers,  repoussa  la  responsabilité  d'une 
décision  et  renvoya  la  requête  au  Parlement.  En  fait, 
c'était  la  question  do  la  liberté  des  cultes  avec  toutes 
ses  conséquences  qui  était  en  jeu .  Le  Parlement,  jugeant 
en  cour  plénière,  toutes  chambres  réunies,  s'adjoignit 
les  conseillers  privés  du  roi,  les  pairs  et  les  princes  du 
sang.  Le  débat,  dit  Pasquier,  fut  très  libre  et  se  prolon- 
gea pendant  tout  le  mois  de  juin.  Tous  les  intrigants 
du  dehors  s'efforçaient  de  peser  sur  les  membres  de 
la  haute  assemblée.  L'ambassadeur  d'Espagne  se  mon- 
trait tellement  pressant  que  lareine  mère  défendit  nomi- 
nalement aux  conseillers  de  conférer  avec  lui  pendant 


1.  Cet  arrêt  a  été  imiirimé,  in-4o,  Tolose,  choz  Colomiès.  Il  fut, 
communiqué  au  roi  d'Espagne,  car  on  le  trouve  dans  sa  corres- 
pondance (Arcli.  nat.,  K.  1495,  n°  35). 

2.  Cette  requête  est  imprimée  dans  les  Mémoires  de  Condc,  t.  Il, 
p.  370. 

3.  Lettre  de  Cliantonay  dans  \q,^  Mémoires  de  C onde,  t.  II,  p.  12. 


102  ANTOINE   DE   BOURBON 

laduréedeladélibération '.Chaque  jour  leroideNavarre 
et  les  membres  du  conseil  se  rendaient  aux  séances  de 
la  cour  suprême-.  Le  parti  catholique  était  unanime  à 
repousser  la  requête  ;  les  réformés  l'acceptaient  en  prin- 
cipe, mais  se  divisaient  dans  l'application.  L'amiral 
voulait  faire  triompher  la  cause  calviniste,  le  cardinal  de 
Chastillon  la  tolérance,  jusqu'à  la  décision  du  concile 
œcuménique.  Antoine  de  Bourbon  prononça  peu  de 
paroles,  presqu'à  voix  basse  et  d'une  conclusion  équi- 
voque. Cependant  l'ambassadeur  vénitien  le  met  au 
nombre  des  conseillers  catholiques^.  Au  scrutin,  tous 
les  membres  de  l'assemblée,  au  nombre  de  1 20,  suivant 
les  uns,  de  140,  suivant  les  autres,  remirent  à  la  reine 
leur  vote  motivé  par  écrit.  Les  catholiques  l'empor- 
taient de  trois  voix,  «  estant  la  résolution  qu'il  falloit  ou 
«  suivre  l'église  romaine  ou  vuidcr  le  royaume  avec 
«  permission  de  vendre  ses  biens.  »  La  minorité  éclata 
en  murmures,  disant  «  qu'il  n'estoit  pas  raison  qu'à 
«  l'appétit  de  trois  voix  toute  la  France  entrast  en 
«  combustion,  comme  estant  ce  bannissement  impos- 
«  sible  à  exécuter.  »  L'amiral  Coligny  protesta  plus 
haut  que  personne.  Le  duc  de  Guise  applaudit  au  vote 
et  déclara  «  que  son  espée  ne  tiendroit  jamais  au 
«  fourreau  quand  il  seroit  question  de  faire  sortir  effect 
«  à  cest  arrêté.  »  La  reine  mère  resta  impassible  ;  elle 
j)rit  tous  les  bulletins  et  les  fit  brûler  en  sa  présence*. 

1.  Lettre  originale  en  espagnol  de  Chantouay  à  Philippe  II  du 
!«■•  juillet  lalil  (Arch.  nat.,  K.  liDâ,  n"  -49). 

2.  Lettre  de  Tlirockmortondu  13  juillet  {Cakndars,  1561,  p.  178). 

3.  Dépêche  de  Suriano,  du   li  juillet  l.")6I   (Mss.,  Dépèches 
vénit.,  filza  4  bis,  f.  141). 

h.  Mémoires  de  Caslelnau,  1731,  i.  l,  p.  (17.  —  OE livres  complètes 
de  Pasquier,  t.  II,  p.  83,  lettre.  —  DcTliuii,  17  iO,  t.  III,  p.  54. 


ET   -lEANNE    d'aLBRET.  103 

Peu  de  jours  après,  le  i  1  juillet,  la  reine  promulgua 
le  célèbre  éditde  juillet  qui  détendait  les  prêches  et  con- 
firmait l'ordonnance  de  Romorantin^  Le  chancelier  de 
l'IIospital  avait  introduit  dans  cet  acte  des  adoucisse- 
ments aux  peines  portées  contre  les  hérétiques-,  mais 
la  proscription  de  la  Réforme  n'en  subsistait  pas  moins. 
L'édit  eut  d'autant  plus  de  retentissement  qu'il  avait 
été  élaboré  avec  plus  de  liberté,  au  sein  d'un  corps 
judiciaire  dont  l'autorité  morale  balançait  l'autorité 
du  roi^. 

L'édit  de  juillet,  si  les  Réformés  en  avaient  redouté 
l'exécution,  aurait  donné  le  signal  de  la  guerre  civile, 
mais  ils  furent  bientôt  avertis,  par  les  indiscrétions  des 
courtisans,  qu'il  irait  grossir  dans  les  archives  du  par- 
lement le  nombre  des  papiers  inutiles.  Le  chancelier  se 
montrait  presque  aussi  partisan  de  la  tolérance  que  le 
cardinal  de  Ghastillon  ;  la  reine,  malgré  ses  démons- 
trations en  paroles,  ne  jugeait  jamais  au  conseil  que 
l'heure  fût  venue  de  sévir^.  Les  chefs  du  parti  réformé 
avertirent  leurs  coreligionnaires  de  ne  pas  s'etlPrayer. 
«  Combien  qu'il  vous  puisse  sembler,  écrit  Merlin, 
«  que  on  nous  veuille  ravir  une  si  saincte  pasture  par 

«  la  défense  des  assemblées vous  pouvez  assurer 

«  que  l'intention  du  prince  est  qu'en  toute  simplicité, 
«  modestie  et  petit  nombre,  nous  poursuyvions  de  nous 

1.  L'édit  do  juillet  a  été  imprimé  plusieurs  fois.  On  le  trouve 
dans  le  Recueil  des  anciejines  loix  d'hamhert,  t.  XIV,  p.  109. 

2.  De  Bèze,  Hist.  ecclésiastique,  t.  I,  p.  294  et  487. 

3.  Lettre  orig.  en  espagnol  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du 
8  juin(Arch.  nat.,  K.  1495,  n»  41). 

4.  Lettre  de  Suriano,  du  27  juillet  (Dépêches  vénit.,  iilza  4  bis, 
f.  72). 


104  ANTOINE    DE    BOURBON 

«  assembler...^.  »  Le  duc  de  Guise,  le  seul  des  sei- 
gneurs qui  aurait  ose  rappeler  à  la  reine  rexécution  de 
l'édii,  tomba  malade  et  fut  obligé  de  se  retirer  de  la 
cour.  Le  cardinal  de  Lorraine  lui-même  fut  atteint 
«  d'une  collique  extrême^.  »  On  parla  d'empoisonne- 
ment, mais  le  roi  de  Navarre  fut  indisposé  comme  ses 
deux  rivaux.  Les  chefs  des  deux  partis  furent  ainsi 
disculpés '^  Libre  de  ses  actes  par  la  retraite  des  Lor- 
rains, la  régente  fit  signer  au  roi  des  lettres  closes  qui 
commandaient  de  n'exécuter  qu'avec  ménagement  l'édit 
de  juillet  ;  l'ordre  fut  notamment  adressé  à  François  de 
Montmorency,  gouverneur  de  l'Isle-de-France.  Adressée 
à  ce  seigneur,  dont  les  tendances  calvinistes  étaient 
marquées,  la  recommandation  équivalait  à  la  suspension 
de  l'édit^.  En  même  temps  la  reine,  sans  crainte  de  se 
contredire,  persistait,  auprès  des  soutiens  de  la  religion 
orthodoxe,  à  protester  de  son  zèle.  Le  2  août,  le  roi 
adressa  à  son  ambassadeur  en  Espagne  une  longue 
apologie  de  l'édit  de  juillet  :  «  Tant  y  a  que  vous 
«  pouvez  assurer  le  roi,  mon  bon  frère,  qu'il  n'y  a 
«  prince  en  la  chrestienté  qui  désire  plus  de  veoir  la 
«  religion  chrestienne  en  sa  pristine  splendeur  et  qui 
«  apporte  une  meilleure  et  plus  fervente  volunté  à  la 
«  manutention  de  la  foy  catholique^.  » 

1.  Lettre  de  Merliu,  du  l-'i  juillet  1561  (Delaborde,  Les  Proies- 
tants  à  la  cour  de  Sainl-Gcrmain,  p.  78). 

2.  Lettre  du  duc  de  Guise  à  la  reine,  du  '28  juillet,  datée  de 
Meru  (Orig.,  F.  IV.,  vol.  15875,  f.  64). 

;^.  Lettre  de  Suriano,  du  38  juillet  (Dép.   vénit.,  filza  'i  bis, 
f.  72  V). 

4.  Lettre  du  1<"''  août  1561  (Copie;  coll.  Moreau,  vol.  718,  f.  6). 

5.  La  lettre  est  publiée  par  M.  le  comte  Delaborde  [Les  Protes- 
tants à  la  cour  de  Saint-Germain,  p.  81). 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  105 

La  promulgation  de  l'édit  de  juillet  contentait  les 
catholiques  ;  son  inexécution  comblait  les  désirs  des 
Réformés.  Catherine  pouvait  donc  se  flatter  d'avoir 
satisfait  tous  les  partis.  Mais  deux  points  noirs  la 
préoccupaient  depuis  le  sacre  :  la  présence  de  Marie 
Stuart  à  la  cour,  qui  était  une  menace  pour  la  reine 
d'Angleterre  ;  l'attitude  provocatrice  que  le  prince  de 
Condé  affectait  vis-à-vis  du  duc  de  Guise. 

Marie  Stuart,  à  peine  âgée  de  dix-huit  ans,  n'était  pas 
alors  cette  princesse  impétueuse  et  violente,  véritable 
fille  du  sang  des  Guises ^  qui  tint  plus  tard  en  échec 
la  reine  Elisabeth.  Depuis  la  mort  de  François  II,  elle 
traînait  à  la  cour  de  Charles  IX  une  existence  impor- 
tune. Pendant  la  maladie  du  roi,  elle  avait  passé  les 
jours  et  les  nuits  au  chevet  de  son  lit-.  Aussitôt  après 
sa  mort,  elle  rendit  les  diamants  de  la  couronne^'  et 
quitta  les  appartements  qu'elle  occupait  comme  reine. 

Le  soir  même,  elle  se  revêtit  de  blanc  et  s'enferma  dans 
une  chambre  tendue  de  noir,  nuit  et  jour  éclairée  par 
quelques  torches.  Elle  y  passa  plus  d'un  mois  «  pleine 
«  d'affliction  et  de  douleur  et  comme  ensevelie  dans  un 
«  sépulcre*.  »  Pendant  les  premiers  jours,  elle  ne  vou- 
lut recevoir  personne ,  puis  elle  consentit  à  voir  le 
nouveau  roi,   les  princes,  le  roi  de  Navarre  et  ses 


1.  Elle  avait,  dit  Castelnau,  «  un  osprit  grand  et  inquiété  comme 
«  celuy  du  feu  cardinal  de  Lorraine,  son  oncle.  »  (Mémoires  de 
Castelnau,  liv.  V,  chap.  13.) 

2.  Lettre  de  Throckmorton,  du  6  décembre  [Calendars,  1560, 
p.  421). 

3.  L'inventaire,  daté  du  6  décembre,  est  imprim('^  dans  Négo- 
ciations sous  François  II,  p.  738. 

4.  Lettre  de  Suriano,  du  9  janvier  1561  (Dépêches  vénit., 
filza  4,  f.  229). 


100  ANTOINE   DE   BOURBON 

oncles  de  Guise.  Cinq  ou  six  jours  après,  elle  admit 
les  évêques  et  les  anciens  chevaliers  de  l'ordre,  puis 
enfin  les  rares  courtisans  qui  lui  restaient  fidèles,  le 
seigneur  de  Martigues,  mari  d'une  de  ses  dames 
d'honneur,  et  les  ambassadeurs  étrangers.  La  pitié 
de  la  cour  la  suivit  dans  sa  retraite.  Le  dur  Nicolas 
Throckmorton  ne  peut  lui-même  retenir  ses  senti- 
ments de  compassion  quand  il  parle  de  Marie  Stuart*. 
Michel  Suriano,  l'ambassadeur  vénitien,  décrit  l'état  de 
l'infortunée  princesse  avec  une  délicatesse  qu'aucun  de 
ses  biographes  n'a  égalée. 

«  Ainsi  peu  à  peu  sera  oubliée  par  tous  la  mort  du  feu 
«  roi,  excepté  par  la  petite  reine,  sa  femme,  laquelle, 
«  étant  aussi  noble  d'àme  que  belle  et  gracieuse,  et 
c(  songeant  qu'elle  reste  veuve  dans  un  âge  si  tendre  et 
«  qu'elle  est  privée  d'un  mari,  si  grand  roi  et  qui  l'aimoit 
«  tant,  et  qu'elle  est  dépouillée  de  la  possession  d'un 
«  royaume  de  France  avec  peu  d'espérance  de  ravoir 
«  celui  d'Ecosse,  qui  est  tout  son  patrimoine  et  sa  dot, 
«  ne  veut  recevoir  aucune  consolation  ;  mais,  se  remé- 
«  morant  toujours  en  l'un  ou  l'autre  de  ses  malheurs, 
«  par  ses  larmes  incessantes  et  ses  lamentations 
«  pleines  de  douleur  et  d'affection,  elle  fait  grande 
«  compassion  à  tous...-.  »  Son  douaire  fut  réglé  parci- 

1.  Calendars,  1560,  p.  421.  La  partie  la  plus  intéressante  de 
cette  lettre  de  Throckmorton  a  été  traduite  et  citée  dans  VHis- 
toire  de  Marie  Stuart  de  M.  Jules  Gauthier,  t.  I,  p.  89. 

2.  Cosi  a  poco  a  poco  si  anderà  scordando  da  tutti  la  morte  del 
Re  passato,  eccetto  dalla  Reginetta  già  sua  moglie,  la  quale  essendo 
cosi  nobile  de  animo  comc  ô  bella,  et  gratiosa  d'aspetto,  et  consi- 
derando  che  resta  vedova  in  cosi  fresca  età  et  che  è  priva  del 
marito  lanto  grau  Ro  cl  che  tanto  la  amava,  et  che  è  spogliata 
dclla  possession  d'un  Regno  di  Francia,  et  con  poca  speranza  di 
ritruvarc  (jucllo  di  Hcotia,  che  é  tutto  il  suo  palriomonio  et  la  sua 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  107 

monieusement  le  35  décembre  et  fixé  à  60  mille  livres 
de  rente,  assis  sur  le  duché  de  Touraine  et  le  comté 
de  Poitou  ^  Elle  renvoya  toute  sa  maison  et  ne  voulut 
garder  auprès  d'elle  que  sa  grand'mère,  Antoinette  de 
Bourbon,  duchesse  douairière  de  Guise.  La  vieille  et 
la  jeune  princesse  vécurent  ensemble  dans  l'intimité  ; 
elles  occupaient  la  même  chambre-.  Le  15  janvier, 
Marie  Stuart  clôtura  son  grand  deuil  par  un  service 
religieux  en  l'honneur  du  roi  défunt  dans  un  couvent 
de  la  ville  d'Orléans^. 

Marie  Stuart  allait  se  retirer  à  Joinville  avec  sa 
grand'mère,  quand  Throckmorton  l'informa  que  la 
reine  Elisabeth  avait  chargé  le  comte  de  Bedfort  de  lui 
présenter  ses  compliments  de  condoléance.  Bedfort 
arriva  le  1 6  février  et  assaillit  la  jeune  reine  de 
demandes  et  de  réclamations  politiques.  Marie  répon- 
dit aux  questions  les  plus  insidieuses  avec  une  pré- 
sence d'esprit  qui  déconcerta  les  deux  ambassadeurs. 
Ni  l'un  ni  l'autre  ne  purent  obtenir  d'elle  une  de  ces 
déclarations  imprudentes  que  guettait  la  perfide  Elisa- 
beth pour  ruiner  le  crédit  de  sa  sœur  en  Ecosse^. 


dote,  non  vuol  ricevcrc  niuna  consolatione,  ma  rapprescntau- 
dosi  sompre  hora  una,  hora  un'altra  di  queste  sue  disgratie  cou 
continue  lacrime  et  con  lamentationi  piene  di  affetto,  et  di  dolorc 
move  gran  compatione  a  tutti... 

(Lettre  de  Suriano  à  la  république  de  Venise,  du  8  décembre  1560  ; 
Dépêches  vénit.,  filza  4,  f.  207.) 

1.  Lettres  patentes  du  25  décembre  15G0  (Registre  du  parlement, 
1".  fr.,  vol.  23750,  non  paginé). 

2.  Lettre  de  Ghantonay,  du  28  décembre,  à  Philippe  11  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n"  12). 

3.  Lettre  de  Throckmorton,  du  1 8  janvier  {Galendars,  1 5G0,  p.  500) . 

4.  Lettre  de  Throckmorton,  du  26  février  [Galendars,  1560, 
p.  565).  II  faut  hre  dans  la  correspondance  de  l'ambassadeur 


108  ANTOINE   DE    BOURBON 

Vers  la  fin  du  mois  de  mars,  Marie  Stuart  quitta 
délinitivement  la  cour.  Elle  avait  désiré  se  rendre  à 
NanteuiP,  château  du  duc  de  Guise,  mais,  sur  les 
conseils  du  cardinal  de  Lorraine,  elle  se  retira  à 
Reims,  auprès  de  sa  tante.  Renée  de  Lorraine,  abbesse 
de  Saint-Pierre-.  Sa  retraite  causa  de  grands  soucis 
à  Throckmorton.  A  la  cour,  il  pouvait  l'entourer  d'es- 
pions; en  Champagne,  elle  échappait  à  sa  surveillance. 
Parfaitement  informé  des  vacillations  et  de  la  faiblesse 
de  ce  caractère  de  femme,  il  redoutait  l'influence  du 
duc  de  Guise,  du  cardinal  de  Lorraine,  qui  pouvaient 
guider  et  raffermir  la  belle  veuve ,  et  surtout  des 
princes  qui  pouvaient  l'épouser.  Depuis  la  mort  de 
François  II,  la  politique  d'Elisabeth  s'était  fixée  sur  ce 
point  :  écarter  tous  les  princes  du  continent,  afin  que 
la  jeune  princesse  succombât  sans  défenseurs^. 

Le  mariage  de  Marie  Stuart  était  l'affaire  capitale 
des  chancelleries  cosmopolites  qui  intriguaient  à  la 
cour  de  France.  L'Allemagne,  riche  en  archiducs 
disponibles,  avait  envoyé  des  ambassadeurs  à  la  jeune 
reine  en  faveur  d'un  des  Jieveux  de  Ferdinand  P^ 
Bedfort  et  Throckmorton  en  parlèrent  au  roi  de 
Navarre  :  «  Je  vous  ai  donné,  répondit  le  prince,  un 
«  remède  contre  cette  mauvaise  aventure,  à  quoy  vous 
«  ne  m'avez  fait  aucune  réponse.  Vous  savez  ce  que  je 

d'Angloterro  l'émouvant  rôcit  des  conversations  de  la  princesse 
avec  les  deux  ambassadeurs  qui  cherchent  à  la  compromettre.  Le 
plus  souvonl  la  victoire  n'appartient  pas  aux  deux  agents  d'Eli- 
sabeth. 

1.  Calendars,  1501,  p.  '-'T.  Lettre  du  18  mars. 

2.  Lettre  de  Suriano,  du  18  mars  (Dépêches  vénit.,  filza  4,  f.  262). 

3.  Instruction  de  la  reine  au  comte  de  Bedlbrt,  du  20  janvier 
{Calendars,  1560,  p.  505). 


ET  JEANNE    d'aLBRET.  109 

«  veux  dire^  »  Un  ambassadeur  du  roi  de  Danemark 
avait  posé  la  candidature  de  son  maitre'.  Ces  princes 
étaient  des  fils  de  famille  en  quête  d'un  bon  mariage. 
Le  prince  le  plus  redouté  par  la  reine  d'Angleterre 
était  don  Carlos,  fils  unique  de  Philippe  II.  La  jeune 
reine,  mieux  avisée  qu'on  ne  pouvait  l'espérer  d'une 
enfant  de  dix-huit  ans,  sentait  déjà  qu'elle  n'avait 
d'autre  appui  que  celui  du  roi  d'Espagne.  Avant 
la  mort  de  François  II,  elle  avait  envoyé  le  cardinal 
de  Lorraine  à  l'ambassadeur  d'Espagne^.  Quelques 
jours  après,  elle  remercia  Philippe  II  de  ses  promesses 
d'amitié  avec  une  effusion  filiale"^.  Le  cardinal  de  Lor- 
raine, dit  Chantonay,  «  se  plaignant  du  malheur  de 
«  sa  nièce  et  du  peu  de  moyens  de  lui  trouver  un 
«  parti  égal,  me  dit  clairement  qu'elle  n'en  avait  d'autre 
«  que  Son  Altesse.  Je  ne  voulus  lui  répondre  autre  chose, 
ce  sinon  qu'étant  une  princesse  si  belle  et  si  aimable, 
«  elle  ne  pouvait  manquer  de  trouver  un  mari  coiive- 
«  nable  à  sa  grandeur''.  »  Bientôt  les  colloques  de 
l'ambassadeur  espagnol  et  des  Guises  se  multiplièrent. 
Souvent  il  se  faisait  admettre  auprès  de  Marie  Stuart  ; 
un  jour,  vers  la  fin  de  décembre,  il  resta  plus  d'une 
heure  en  conférence  secrète  avec  elle^. 

1.  Lettre  de  Bedfort  et  de  Throckmorton,  du  26  février  [Calen- 
dars,  1560,  p.-  565). 

2.  Lettre  de  Throckmorton,  du  31  mars  [Calendars,  1561,  p.  41). 
—  Sommaire  de  chancellerie  de  lettres  de  Chantonay  (Arch. 
nat.,K.  1494,  n»  70). 

3.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du  3  décembre  1500  (Orig. 
espagnol  ;  Arch.  nat.,  K.  1493,  n»  113). 

4.  Labanof,  Recueil  des  lettres  de  Marie  Stuart,  t.  I,  p.  91. 

5.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du  28  décembre  1560 
(Orig.  espagnol:  Arch.  nat.,  K.  1494,  n»  12). 

6.  Calendars,  1560,  p.  471,  489. 


110  ANTOINE   DE    BOURBON 

Lanégociation  cheminait  versle  succès,  au  grand  avan- 
tage de  la  reine  d'Ecosse,  quand  la  reine  mère  essaya  de 
l'entraver.  La  France  devait  redouter  la  concentration 
dans  les  mains  de  don  Carlos  des  royaumes  d'Ecosse 
et  d'Espagne,  d'autant  que  la  reine  Elisabeth  n'avait 
pas  d'enfants  et  que  Marie  Stuart  était  son  héritière 
naturelle,  mais  Catherine  avait  des  motifs  moins  élevés 
de  s'opposer  à  ce  mariage.  Marie  représentait  les 
Guises,  dont  le  nom  détesté  rappelait  à  la  reine  mère 
le  souvenir  de  sa  servitude^.  Marie  avait  osé  l'outra- 
ger en  la  traitant  de  fille  de  marchand  ^.  Catherine 
commença  par  éloigner  le  cardinal  de  Lorraine  de 
l'alliance  espagnole  -^  ;  elle  persuada  à  Elisabeth  de 
Valois,  sa  fille,  que  l'intronisation  de  Marie  Stuart  à 
la  cour  de  Madrid  éclipserait  son  influence.  Enfin, 
convaincue  que  la  meilleure  méthode  de  faire  échouer 
la  candidature  de  la  reine  d'Ecosse  était  de  lui  sus- 
citer une  rivale,  elle  proposa  à  Philippe  II  la  main  de 
Marguerite  de  Valois,  sœur  du  roi,  pour  l'infant  don 
Carlos,  et  envoya  à  l'infant  les  portraits  des  deux 
princesses,  Marguerite  et  Marie.  Le  peintre,  bon  cour- 
tisan, avait  flatté  la  première  et  enlaidi  la  seconde. 
Le  petit  prince  les  regarda  toutes  deux  et  dit  senten- 
cieusement :  «  Mas  hermosa  es  la  pequegna^.   »  Le 


\.  Mol  vil  (louno  (iu('lf]uos  dôtails  (Mémoires,  1694,  t.  I,  p.  107). 

2.  Loltro  du  canlinal  do.  Sainte-Croix,  citée  par  M.  Ghoruol 
(Marie  Stuart  et  Catherine  de  Mcdicis,  1858,  p.  17). 

3.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du  l'2  janvier  1561  (Orig. 
esj)agnol  ;  Arch.  nat.,  K.  1191,  n»  52). 

4.  Lettres  de  Catherine,  d'Elisabeth  et  de  l'Aubespine  (iV^^^oc/a- 
tions  sous  François  H,  p.  787,  806,  819,  823,  824,  844).  —  Les 
négociations  de  la  reine  mère  remplissent  sa  correspondance 
(Lettres  de  Catherine,  l.  I,  }).  593,  595,  etc.).  Dans  ses  lettres  à 


ET    JEANNE    d'ALBRET.  111 

roi  de  Navarre,  qui  demandait  Marguerite  pour  son 
fils,  entravait  de  son  côté  les  projets  de  la  reine  mère^. 
Il  fit  surgir  un  nouveau  prétendant  à  la  main  de  Marie 
Stuart,  James  Hamilton,  comte  d'Arran^ 

Pendant  tout  l'hiver,  Catherine  poursuivit  la  négo- 
ciation avec  ardeur.  Marie  Stuart  fut  entourée  de 
traîtres  chargés  de  peser  sur  elle.  Throckmorton  fit 
intervenir,  comme  interprète  des  lairds  écossais,  James 
Stuart,  frère  naturel  de  la  reine.  Un  jour  on  demanda  à 
ce  seigneur  ce  qu'il  penserait  du  mariage  de  sa  maîtresse 
avec  un  prince  catholique.  Il  répondit  qu'il  en  serait 
fâché  ^.  De  perfides  amis  rapportèrent  aussitôt  à  la 
princesse  que  ses  sujets  se  prononçaient  contre  un 
mariage  catholique. 

Tandis  que  ces  intrigues  s'agitaient  autour  d'elle, 
Marie  Stuart  parcourait  pour  la  dernière  fois  les 
grandes  résidences  de  la  maison  de  Guise.  Après  an 
assez  long  séjour  à  Reims,  au  mois  de  mai,  elle  se 
rendit  à  Vitry-le-François,  à  Saint-Dizier,  à  Joinville, 
auprès  de  sa  grand'mère,  puis  entîn  à  Nancy,  à  la 
cour  du  duc  de  Lorraine^.  Dans  les  premiers  jours  de 
juin,  elle  revint  en  France  et  entra  à  Paris  le  1  0  juin. 
Le  roi  venait  d'y  arriver  et  la  reçut  avec  les  honneurs 

l'ambassadeur  de  France  en  Espagne,  elle  désigne  Marie  Stuart 
sous  le  sobriquet  le  gentilhomme.  —  Voyez  aussi  Clieruel,  Marie 
Stuart  et  Catherine  de  Médicis,  p.  19  et  suiv. 

1.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du  13  janvier  (Orig.  espa- 
gnol; K.  1494,  n»  53). 

2.  Lettre  de  Ghantonay,  du  24  décembre  1560  (Orig.  espagnol; 
Arch.  nat.,  K.  1494,  \\°  11).  —  Autres  lettres  anglaises,  Calcndars, 
1560,  p.  485,  489,  494  ;  1.561,  p.  17,  30,  55,  75. 

3.  Calendars,  1561,  p.  96. 

4.  Lesley,  De  rébus  gestis  Scotorum,  cité  dans  Négociationa  sous 
François  II,  p.  751. 


112  ANTOINE   DE   BOURBON 

réservés  aux  reines.  Le  duc  d'Orléans,  le  roi  de 
Navarre,  le  prince  de  Condé,  tous  les  princes  du  sang 
l'attendaient  à  une  lieue  de  la  ville,  et,  quand  elle 
approcha  de  son  logis,  le  roi  et  la  reine  mère  vinrent 
au-devant  d'elle  à  travers  un  concours  immense  de 
peuple  qui  se  pressait  pour  voir  encore  une  fois  la 
Reine  Blanche  ^ . 

Cependant  Marie  Stuart  se  préparait  à  rentrer  en 
Ecosse.  Les  Guises,  ses  conseillers  ordinaires,  la  pous- 
saient à  partir,  estimant  que  la  possession  d'une  cou- 
ronne valait  bien  le  voyage.  Marie  envoya  à  Londres 
Henri  Clutin,  seigneur  d'Oysel,  pour  demander  à  Elisa- 
beth un  refuge  en  Angleterre,  si  le  mauvais  temps  la 
jetait  sur  les  côtes.  La  fille  de  Henri  VHI  refusa  dure- 
ment et  prit  des  mesures  pour  retenir  sa  rivale  en  pri- 
son. Marie  fut  plus  offensée  qu'effrayée  de  ces  menaces. 
Un  jour,  elle  dit  à  Throckmorton  :  «  Si  la  reine,  votre 
«  maîtresse,  me  tient  entre  ses  mains,  elle  pourra 
«  faire  de  moi  ce  qu'il  lui  plaira,  et,  si  elle  a  le  cœur 
«  assez  dur  pour  désirer  ma  mort,  elle  pourra  se  satis- 
«  faire ^  »  Les  ministres  anglais  ne  dissimulaient  même 
pas  la  déloyauté  d'Elisabeth.  I^ord  Cecil  écrivit  à  lord 
Sussex  que  «  le  coup  fait,  on  arguerait  pour  le  justifier 
«  du  refus  de  la  reine  d'Ecosse  d'approuver  le  traité 
«  d'Edimbourg '^  »  D'un  autre  côté,  le  duc  de  Guise 
organisait  le  départ  de  sa  nièce  dans  le  plus  grand 
secret,  et  le  roi  de  t^rance  obtint  de  Philippe  II  que 


1.  Lettre  de  Throckmorton,  du  23  juin  {Calendars,  1561,  p.  150). 
—  Voyez  aussi  Laferrière,  Le  XVI^  siècle  et  les  Valois,  p.  50. 

2.  Calendars,  1561,  p.  198.  Lettre  de  Throckmorton  au  conseil 
d'Angleterre,  du  26  juillet  1561. 

3.  ïl.id. 


ET   JEANNE    d'aLBRET,  113 

tous  les  officiers  des  Pays-Bas  lui  prêteraient  leur  aide 
en  cas  de  besoin^. 

Le  24  juillet',  Marie  Stuart  partit  de  Paris  pour 
assister  à  une  grande  fête  d'adieu  que  le  roi  donna  à 
Saint-Germain  en  son  honneur.  Après  un  arrêt  de 
quatre  jours  dans  cette  cour  brillante,  qu'elle  ne  devait 
plus  revoir,  elle  se  mit  en  route,  escortée  par  les  cour- 
tisans du  parti  des  Guises  et  par  de  généreux  seigneurs 
que  séduisait  son  infortune.  Le  3  août,  elle  attend 
encore  à  Beauvais  le  retour  d'un  messager  que  le  roi 
de  Navarre  a  envoyé  en  Angleterre^.  Sa  marche, 
tour  à  tour  lente  et  précipitée,  est  conduite  avec  la 
plus  grande  habileté  par  le  duc  de  Guise.  Le  10  août, 
elle  arrive  à  Calais  et  envoie  à  Elisabeth  un  nouvel 
ambassadeur.  Mais,  sans  attendre  la  réponse,  le 
\'ô\  elle  s'embarque  avec  sa  suite  sur  deux  petites 
galères  que  Michel  de  Castelnau  avait  ramenées  de 
Nantes^  et  que  commandaient  Villegaignon  et  Octa- 
vian  Bosso. 

Brantôme  a  trouvé  d'admirables  récits  pour  racon- 
ter le  dernier  voyage  de  la  reine  d'Ecosse  : 

Ainsi  donc  qu'elle  commençoit  à  vouloir  sortir  du  port,  et  que 


1.  Lettre  du  roi  à  l'Aubespine,  évoque  de  Limoges,  du  W  juin 
(Orig.,  f.  fr.,  vol.  6612,  f.  26). 

2.  Lettre  de  Gtiantonay  dans  les  Mémoires  de  Condé,  t.  II,  p.  W. 
Plusieurs  autres  liistoriens  ont  dit  le  21  juillet. 

3.  Calendars,  1561,  p.  22'.). 

4.  Ce  départ  fut  si  secrètement  exécuté  que  le  18  la  reine 
Elisabeth  l'ignorait  encore  (Lettre  à  Throckniurton;  Calendars, 
1561,  p.  260). 

ô.  Mémoires  de  Castelnau,  1731,  t.  I,  p.  5'J. 

ni  8 


114  ANTOINE   DE   BOURBON 

les  rames  commenroient  à  se  vouloir  mouiller,  elle  y  visL  entrer 
en  plaine  mer,  el  tout-à-coup  à  sa  veue,  s'enfoncer  un  navire 
devant  elle  et  se  périr,  et  la  pluspart  des  mariniers  se  noyer, 
pour  n'avoir  pas  bien  pris  le  courant  et  le  fond;  ce  qu'elle 
voyant,  s'escria  incontinent  :  «  Ah  !  mon  Dieu  !  quelle  augure 
«  de  voyage  est  cecy  !»  Et  la  gallère  estant  sortie  du  port,  et 
s'estant  eslevéun  petit  vent  frais,  on  commença  à  faire  voile,  et 
la  chiorme  se  reposer.  Elle,  sans  songer  à  autre  action,  s'appuye 
les  deux  bras  sur  la  pouppe  de  la  gallère  du  coslé  du  timon,  et 
se  mist  à  fondre  en  grosses  larmes,  jestant  tousjours  ses  beaux 
yeux  sur  le  port  et  le  lieu  d'où  elle  esloit  partie,  prononceant 
tousjours  ces  tristes  parolles  :  «  Adieu  France  !  Adieu  France  !  » 
les  répétant  àchasque  coup;  etluy  dura  cet  exercice  dolent  près 
de  cinq  heures,  jusqucs  qu'il  commença  à  faire  nuict,  et  qu'on 
lui  desmanda  si  elle  ne  se  vouloit  point  osier  de  là  et  souper  un 
peu.  Alors,  redoublant  ses  pleurs  plus  que  jamais,  dict  ces 
mots  :  «  C'est  bien  à  ceste  heure,  ma  chère  France,  que  je  vous 
«  perds  du  tout  de  veue,  puisque  la  nuict  obscure  est  jalouse  de 
«  mon  contentement  de  vous  voir  tant  que  j'eusse  peu,  et 
«  m'apporte  un  voile  noir  devant  mes  yeux  pour  me  priver  d'un 
«  tel  bien.  Adieu  donc,  ma  chère  France,  je  ne  vous  verray 
«  jamais  plus  !  »  Ainsi  se  retira,  disant  qu'elle  avoit  faict  tout 
le  contraire  de  Didon,  que  ne  flst  que  regarder  la  mer  quand 
Anéas  se  despartil  d'avec  elle,  et  elle  regardoit  tousjours  la 
terre.  Elle  voulut  se  coucher  sans  n'avoir  mangé  qu'une  sal- 
lade  et  ne  voulut  descendre  en  bas  dans  la  chambre  de  pouppe-, 
mais  on  hiy  fil  flresser  la  traverse  de  la  gallère  en  haull  de  la 
pouppe,  el  luy  dressa-on  là  son  licl;  cl  reposa  peu,  n'oubliant 
nullement  ses  souspirs  el  larmes.  Elle  commanda  au  timonnier, 
sitôt  qu'il  seroit  jour,  s'il  voyoit  et  descouvroit  encor  le  terrain 
de  la  France,  (lu'il  Fesveillast  et  ne  craignisl  de  Tappeller.  A 
quoy  la  fortune  la  favorisa  ;  car  le  vent  s'estant  cessé,  et  aiant 
eu  recours  aux  rames,  on  ne  fist  guières  de  chemin  ceste  nuict; 
si  bien  (|ue,  le  jour  paressant,  parut  encor  1*^  terrain  de  France; 
et,  n'ayant  failly  le  timonnier  au  commandement  qu'elle  luy 
avoit  faicl,  elle  se  leva  sur  son  licl,  et  se  mit  à  contempler  la 
France  encor,  el  tant  qu'elle  peut.  Mais  la  gallère  s'esloignant, 
elle  esloigna  son  contentement  cl  ne  visl  plus  son  beau  terrain. 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  115 

Adonc  redoubla  encor  ces  mois  :  «  Adieu  la  France  !  Cela  est 
a  faict.  Adieu  la  France  !  je  pense  ne  vous  voir  jamais  plus^  !  » 

Le  départ  de  Marie  Stuart  dégageait  la  politique  de 
Catherine  de  toute  responsabilité  dans  les  affaires 
d'Ecosse.  Restait  le  prince  de  Gondé,  qui  par  son  lan- 
gage provoquant,  par  ses  menaces  et  par  ses  récri- 
minations publiques  semblait  «  sonner  le  boute-feu 
«  de  la  guerre  civile.  »  Le  réconcilier  avec  le  duc  de 
Guise  était  un  coup  de  maître  ;  mais  il  fallait  agir  vite  et 
surtout  prévenir  l'arrivée  de  Jeanne  d'Albret,  dont 
l'àme  implacable  repoussait  tout  accommodement. 

Catherine  crut  apaiser  le  prince  par  une  justification 
éclatante  -.  Au  commencement  de  mai,  le  roi  de  Navarre 
avait  sollicité  en  personne  une  prompte  revision  du 
procès  ^  La  cour  étudia  l'affaire  avec  une  lenteur 
impartiale.  Le  prince  comparut  à  la  barre  «  et  con- 
«  tenta  merveilleusement  ceste  grande  compaignie.  » 
Après  lui,  la  dame  de  Roye,  Robert  de  La  Haye  et  le 
s.  de  Gany  furent  admis  à  déposer  en  sa  faveur*.  Les 
charges  furent  déclarées  mensongères,  les  actes  de 
l'information  convaincus  de  faux,  les  signatures  con- 
trefaites^.  Un  Basque,  probablement  Jacques  de  la 

1.  Brantôme,  t.  VII,  p.  416. 

2.  Deux  lettres  de  Catherine,  du  20  et  du  27  mai  (Lettres  de 
Catherine  de  Médicis,  t.  I,  p.  197  et  201). 

3.  Lettre  de  Tornabuoni,  du  6  mai  (Négoc.  de  la  France  avec  la 
Toscane,  t.  III,  p.  451).  —  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du 
12  mai  (Orig.  espagnol  ;  Arch.  nat.,  K.  149i,  n»  85). 

4.  Pièce  sur  le  procès  {Mémoires  de  Condé,  t.  Il,  p.  387).  —  Cette 
pièce  a  été  presque  entièrement  reproduite  textuellement  dans 
VEstat  de  religion  et  république  de  La  Place,  édit.  du  Panth.  litt., 
p.  128  et  suiv.  —  De  Thou  a  très  exactement  analysé  ce  récit 
(liv.  xxvni). 

5.  Lettre  de  Throckmortuu,  (lu  i'i']\xm(Calendars,  1501,  p.  150). 


116  ANTOINE   DE   BOURBON 

Sague,  qui  avait  été  mis  à  la  torture  à  Fontainebleau, 
en  septembre  1 560,  pour  déposer  au  profit  de  l'accusa- 
tion, y  fut  remis  pour  témoigner  en  faveur  de  la  défense. 
Il  reconnut  que  ses  premières  réponses  avaient  eu 
pour  objet  de  satisfaire  le  cardinal  de  Lorraine  et  fut 
condamné  à  mort  après  cet  aveu.  Suriano  parle  de  lui 
comme  d'un  martyr  de  la  politique,  destiné  à  mourir 
pro  populo^  Enfin,  le  13  juin,  le  parlement  en  robe 
rouge,  présidé  par  M^Baillet,  toutes  chambres  réunies, 
en  présence  du  roi  de  Navarre,  des  princes  du  sang, 
des  cardinaux  et  autres  seigneurs,  notamment  du  duc 
de  Guise  et  du  cardinal  de  Lorraine,  rendit  un  arrêt 
qui  libérait  Condé  de  toute  poursuite-.  Pasquier  trace 
de  cette  comédie  judiciaire  un  tableau  piquant  :  «  Vous 
«  ne  vistes  jamais  tel  spectacle.  Chacun  çouroit  aupa- 
c(  ravant  pour  le  condamner,  maintenant  chacun  non 
«  pas  pour  l'absoudre  (car  cette  parole  eut  sonné  mal, 
«  veu  que  nul  ne  l'accusoit  et  l'absolution  présuppose 
«  l'accusation),  ains  pour  le  déclarer,  tel  qu'il  se  dési- 
c(  roit,  innocent;  n'ayant  lors,  si  ainsi  faut  le  dire, 
«  autre  partie  que  soy-mesme  et  estant  demandeur  et 
«  défendeur  tout  ensemble.  Ce  prince  estant,  ce  luy 
«  semble,  au  dessus  du  vent,  se  ressent  de  sa  prison 
«  et  ne  se  peut  taire  du  tort  qu'il  dit  luy  avoir  esté 
«  procuré.  Bref,  il  en  rejette  le  tort  sur  M .  de  Guise  "^.  » 
A  la  suite  de  l'arrêt  du  13  juin,  chacun  comptait 
sur  un  apaisement  général  parmi  les  seigneurs.  Le 


1.  Lettre  du  26  juin  (DéchilVrement  non  signé  ;  Mss.;  Dépêches 
vénit.,  filza  i  bis,  f.  27). 

2.  Cet  arrêt,  qui  fut  imprimé  en  plaquette,  a  été  reproduit  par 
La  Popelinière,  1581,  t.  I,  f.  2i'i. 

3.  Lettres  de  Pasquier,  dans  OEuvrcs  complètes,  t.  II,  p.  85. 


ET   JEANNE   d'aLRRET.  H7 

bruit  se  répandit  que  le  prince  de  Condé  et  le  duc  de 
Guise  s'étaient  «  appoinctés',  »  que  le  roi  de  Navarre, 
le  prince  de  Condé,  le  duc  de  Guise  et  le  cardinal 
de  Lorraine,  en  l'honneur  de  la  réconciliation  géné- 
rale, s'étaient  assis  à  la  même  table-.  Mais  on  apprit 
bientôt  que  le  prince  et  le  roi  de  Navarre  n'avaient 
rien  abandonné  de  leurs  projets  de  vengeance,  l'un 
contre  le  duc  de  Guise,  l'autre  contre  le  cardinal  de 
Lorraine,  dont  les  calomnies  avaient  failli  le  perdre 
du  vivant  de  François  IF.  Après  comme  avant  l'arrêt 
du  13  juin,  la  paix  du  royaume  était  en  danger.  Con- 
vaincue que  «  si  les  grands  esloient  d'accord,  les  petits 
«  demeureroient  en  paix,  »  Catherine  travailloit  de 
toutes  ses  forces  à  «  vuider  le  différend  »  de  Guise  et 
de  Condé ^.  Elle  en  chargea  d'abord  le  connétable  et 
lui  recommanda  cette  mission  comme  le  couronne- 
ment de  son  œuvre  de  pacification  \  Le  connétable  se 
mit  en  frais  de  négociation  ;  il  s'aida  de  ses  neveux  de 
Chastillon  et  surtout  du  cardinal,  huguenot  plus  mesuré 
que  ses  coreligionnaires.  Les  pourparlers  étaient  déjà 
connus  à  la  cour  au  milieu  de  juillef". 

Au  moment  de  la  conclusion,   l'extravagance  du 
prince  de  Condé   faillit  raviver  la  querelle.   Depuis 

1.  Lettre  de  Suriano,  du  17  juin  (Mss.;  Dépêches  vénit.,  ûlza4, 
f.  318). 

2.  Lettre  de  Windebanck  à  lord  Cecil,  du  19  juin  {Calendars, 
1561,  p.  149). 

3.  Lettre  d'un  amb.  vénitien,  du  26  juin  (D(''cbi(îroment  non 
signé;  Dépêches  vénit.,  tilza  4  bis,  f.  27). 

4.  P.  Mathieu,  Hiat.  de  France,  t.  I,  p.  244,  in-fol. 

5.  Lettre  de  Tornabuoni,  du  27  août  (Négoc.  de  la  France  avec  la 
Toscane,  t.  III,  p.  460). 

6.  Lettre  de  Suriano,  du  1.5  juillet  (Déchilfremont  ;  Dépèches 
vénit.,  filza  4  bis,  ('.  143). 


118  ANTOINE   DE    BOURBON 

sa  délivrance,  jamais  il  n'avait  cessé  de  pratiquer 
la  Réforme,  mais  il  avait  eu  la  sagesse  de  la  pra- 
tiquer sans  fanfaronnade.  Vers  le  mois  d'août,  de 
concert  avec  la  marquise  de  Rollielin,  mère  du  duc 
de  Longueville,  il  rassembla  à  Paris  les  prêcheurs 
les  plus  bruyants  de  son  parti.  Les  sermons  et  les  con- 
venticules  se  multiplièrent  sous  sa  protection.  Les 
fidèles,  enllammés  par  les  excitations  des  ministres, 
en  allant  ou  en  sortant  du  prêche,  parcouraient  la 
ville ,  armés  de  toutes  pièces ,  et  chantaient  des 
psaumes  comme  pour  défier  l'ennemi.  Ému  de  ces  pro- 
vocations, le  parlement  fit  dresser  des  procès-verbaux 
et  allait  entamer  une  instruction,  quand  le  roi  de 
Navarre,  sur  l'ordre  de  la  reine,  accourut  à  la  barre. 
Il  demanda  à  la  cour  l'annulation  de  la  procédure'.  Il 
l'obtint  heureusement,  car  la  paix  publique  n'aurait 
pas  résisté  à  une  nouvelle  instance  dirigée  contre  le 
prince  de  Coudé. 

Après  une  longue  négociation,  entravée  de  part  et 
d'autre  par  la  [)assion  cl  la  mauvaise  foi,  les  parties 
se  mirent  d'accord.  Tout  étant  préparé  et  les  moindres 
détails  du  cérémonial  discutés  et  résolus  par  écrit ^, 
la  séance  fut  fixée  au  l'etour  du  duc  de  Guise  à  Saint- 
Germain.  Le  roi  avait  constitué  une  sorte  de  conseil 
arbitral,  composé  des  princes,  des  cardinaux  et  des 
chevaliers  de  l'ordre.  Le  24  août^  le  jour  oij  le  duc 


\.  Lettre  d'un  des  ambassadeurs  vénitiens  (Déchilïremcui  daté 
du  15  août;  Dépèches  vénit.,  filza  4  bis,  f.  '?!>!). 

2.  Lettre  de   Suriano  du  -i'i   auùt  (Dépèches  vénit.,  lilza  4, 
f.  334). 

3.  De  Thon  dit  le  28  août.  C'est  une  des  rares  erreurs  de  ce 
grand  historimi.  Aux    sources  que    uous    avons    citées  et  que 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  H9 

de  Guise  revint  de  Calais,  le  roi  le  fit  appeler  au  logis 
du  connétable  ^  François  de  Lorraine  entra  en  grand 
équipage  avec  une  suite  de  plus  de  cent  cinquante  sei- 
gneurs des  plus  qualifiés^.  L'éclat  de  son  cortège  fit 
honte  au  prince  de  Condé,  qui  n'avait  auprès  de  lui 
qu'un  petit  train  de  huguenots  de  mauvaise  mine.  Le 
prince  dépêcha  tout  bas  son  chambellan,  le  sire  de 
Damquerque,  à  l^rançois  de  Montmorency,  pour  l'in- 
viter à  lui  prêter  assistance  avec  sa  suite  de  soixante 
gentilshommes.  Damquerque  remplit  sa  mission  en 
toute  diligence,  mais,  quand  il  revint  avec  les  gens  de 
la  maison  de  Montmorency,  la  séance  était  terminée^. 
Lorsque  tout  le  monde  eut  pris  place  à  son  rang,  le 
roi  s'adressa  ainsi  à  sa  mère  : 

—  «  Madame,  j'ay  fait  assembler  ceste  compagnie 
pour  l'accord  du  différend  qui  est  entre  M.  le  prince 
de  Condé  et  M.  le  duc  de  Guise,  qui  se  accommode- 
ront pour  le  bien  et  mon  service  et  de  ce  royaume.  » 

Et  au  duc  de  Guise  : 

—  «  Et  affin  que  mond.  s.  demeure  esclarcy  de 
l'opinion  qu'il  en  a  eue,  vous,  mon  cousin  de  Guise, 
luy  direz  ce  qui  en  est.  » 

Le  jeune  roi  accentua  bien  ces  paroles,  dit  Suriano, 
«  comme  on  lui  avoit  enseigné  de  les  dire^  » 


nous  citerons  qui  prouvent  que  la  cérémonie  eut  lieu  le  24,  on 
peut  ajouter  une  lettre  de  Claude  de  l'Aubespine  à  l'évèquc  de 
Rennes  (Mémoires  de  Castelnau,  1731,  t.  I,  p.  732). 
i.  Négociaiions  de  la  France  avec  la  Toscane,  t.  III,  p.  460. 

2.  Lettre  de  Suriano  du  24  août  (Dépêches  vénit.,  lilza  4,  f.  334). 

3.  La  Place,  Estât  de  religion  et  republique,  édit.   du  Panth. 
litt.,  p.  139. 

4.  Lettre  de  Suriano  du  24   août   (Dépêches  v('nit.,   lilza  4, 
f.  334). 


120  ANTOI^•E    UE    BOURBON 

Le  duc  de  Guise  répondit  : 

—  «  Sire,  puisqu'il  vous  plaît  que  j'esclaircisse  M.  le 
prince  de  l'opinion  qu'il  a,  je  luy  en  diray  ce  qui 
en  est.  » 

Et  se  tournant  vers  le  prince  de  Condé  : 

—  «  Monsieur,  je  ne  vouldrois  avoir  mis  en  avant 
aucune  chose  qui  feust  contre  vostre  honneur,  et  n'ay 
esté  autheur,  motif  ne  instigateur  de  vostre  prison.  » 

Le  ])oinl  essentiel  de  la  négociation  était  la  réponse 
du  prince.  Il  prononça  ces  paroles,  dont  la  moms 
significative  avait  été  pesée  au  conseil  : 

—  «  Monsieur,  je  tiens  pour  meschant  et  malheu- 
reux celluy  et  ceux  qui  en  ont  esté  cause.  » 

—  «  Je  le  crois  ainsi,  répondit  le  duc  de  Guise; 
cela  ne  me  touche  en  rien  ^ .  » 

Après  cette  double  déclaration,  le  roi  pria  les  deux 
rivaux  de  s'embrasser  comme  cousins  et  de  demeurer 
bons  amis.  Les  secrétaires  d'état,  Claude  de  l'Aubes- 
pine  et  Jacques  Bourdin,  dressèrent  un  procès-verbal 
que  signèrent  les  témoins  désignés  par  le  roi".  Cathe- 
rine offrit  aux  courtisans  un  grand  festin  ^  où  les  sei- 
gneurs des  deux  partis  se  firent  mutuellement  fête. 
Bientôt  le  prince  de  Condé,  s'arrachantaux  «  accolées  » 
des  catholiques,  rejoignit  Théodore  de  Bèze,  arrivé  le 
jour  même,  avec  lequel  il  se  railla  de  la  comédie  qu'il 

1.  Ce  dialogue  est  textuellement  extrait  du  procès-verbal. 
Voyez  la  note  suivante. 

2.  L'original  de  ce  procès-verbal  est  conservé  dans  le  vol.  6609 
du  fonds  français.  Ou  en  trouve  de  nombreuses  copies  dans  les 
pajiiors  du  temps.  Il  a  été  im])rimé  dans  17//,v/.  de  France  de  La 
Popeliniùre,  t.  I,  f.  2ô5. 

3.  La  Place,  Ealat  de  religion  et  republique,  édit.  du  Panth.  litt., 
p.  liO. 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  121 

avait  jouée'.  Les  témoins  clairvoyants  ne  se  faisaient 
aucune  illusion  sur  les  suites  du  racconimodement  : 
«  Ne  scay  si  leurs  estomacs  sont  bien  nets,  écrit  le 
«  secrétaire  d'état  Claude  de  l'Aubespine  à  son  frère, 
«  car  d'heure  en  autre  sourdent  nouvelles  armes  et 
«  débats,  dont  ceste  pauvre  royne  porte  la  paste  au 
«  four.  Et  est  grandement  à  plaindre  n'osant  déplaire 
«  à  pas  ung  et  estant  peu  obéie,  sinon  en  les  grâ- 
ce tifiant  de  ce  qu'ils  veulent-.  » 

Le  plus  perspicace  des  ambassadeurs  étrangers, 
Michel  Suriano,  félicita  la  reine  d'avoir  mené  à  fin  la 
négociation  avant  l'arrivée  de  la  reine  de  Navarre  : 
«  Ce  fut  une  véritable  fortune,  dit-il,  que  cet  accord 
«  ait  été  conclu  avant  l'arrivée  de  la  reine  de  Navarre, 
«  qu'on  attend  dans  deux  jours.  Si  cette  princesse 
«  s'était  trouvée  à  la  cour  en  ce  moment,  beaucoup 
«  de  gens  croient  que,  à  cause  de  la  haine  qu'elle  a 
«  contre  la  maison  de  Guise,  elle  aurait  mis  toutes 
«  choses  en  désordre,  car  c'est  une  femme  qui  a  une 
«  tête  terrible^.  » 

En  effet,  pendant  que  la  comédie  de  la  réconcilia- 
tion se  jouait  sous  les  yeux  du  roi,  Jeanne  d'Albret 
était  aux  portes  de  Saint-Germain.  Il  est  nécessaire  de 
revenir  en  arrière  pour  reprendre  l'histoire  de  cette 
princesse,  qui  n'avait  pas  paru  à  la  cour  depuis  l'avè- 
nement de  Charles  IX. 


\.  Baum,  Theodor  Deza,  appendice,  p.  M.  Lettre  de  de  Bèze  à 
Calvin. 

•2.  Lettre  de  L'Aubespine  à  1  "évoque  de  Limoge»  du  Î9  août  1561 
(Orig.,  f.  fr.,  vol.  6618,  f.  4). 

3.  Essendo  dona  di  terribile  cervello  (Lettre  du  24  août  à  la 
république  vénitienne;  Dépèches  vénit.,  filza  4,  f.  334). 


122  ANTOINE    DE    KOURBON 

Lorsque  François  II  avait  convoqué  le  roi  de 
Navarre  et  le  prince  de  Condé  à  Orléans,  au  mois  d'oc- 
tobre 1560,  Jeanne  d'Albret  était  en  Béarn.  Aussitôt 
que  le  procès  de  Condé  fut  entamé,  aussitôt  qu'Antoine 
de  Bourbon  fut  traité  en  accusé  par  le  roi,  les  Espa- 
gnols prirent  une  attitude  menaçante.  Ainsi  se  dévoi- 
lait l'accord  secret  de  Philippe  II  et  des  Guises  pour  la 
ruine  de  la  maison  d'Albret.  Le  duc  d'Albuquerque 
entra  en  Navarre  avec  la  complicité  des  ofïîcieys  royaux 
de  Bayonne  et  de  Saint-Jean-de-Luz.  Mais  il  trouva 
derrière  la  frontière  un  corps  d'armée  béarnais,  rapi- 
dement armé  au  premier  bruit  du  danger  par  Jeanne 
d'Albret  et  soutenu  par  son  héroïsme  ^  La  veille  de  la 
rencontre  des  deux  troupes,  le  duc  d'Albuquerque 
apprit  à  la  fois  la  mort  de  François  II  et  la  révolution 
qui  portait  le  roi  de  Navarre  au  pouvoir.  Il  repassa 
prudemment  la  frontière  et  ramena  ses  troupes  en 
garnison.  En  France,  la  tentative  des  Espagnols  n'eut 
aucun  retentissement.  Le  bruit  de  leur  agression 
fut  éteint  par  les  nouvelles  d'Orléans.  A  peine  la  cour 
connut-elle  la  fausse  campagne  du  vice-roi  de  la 
Navarre.  Certains  ambassadeurs  même,  mal  informés 
de  la  vérité,  écrivirent  à  leur  gouvernement  que  le  duc 
d'Albiiquercjue  n'avait  fait  que  repousser  un  gros  de 
partisans  lancés  parles  officiers  de  la  maison  d'Albret^. 

Cette  alerte  passée,  Jeanne  d'Albret  reprit  avec  sa 
fermeté  accoutumée  l'administration  de  son  petit 
royaume. 

1.  Calendars,  1560,  p.  'iGT.  LcUrc  de  Throckmorton  du  31  dé- 
cembre 1560. 

2.  Lettre  de  Suriano  du  20  décembre  (Dépêches  vénil.,  Iilza4, 
f.  221).  —  Lettre  de  Chamberlain  du  7  décembre  (Calendars, 
1560,  p.  424). 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  123 

La  trésorerie  du  comté  de  Foix  était  occupée  par 
un  officier  de  finances  infidèle,  appelé  Jean  Belin. 
Le  29  décembre  15G0,  le  roi  de  Navarre  le  révoqua 
et  le  remplaça  par  j\P  Vidal  du  Puy^  Presque  en 
môme  temps,  Jeanne,  plus  indulgente,  s'était  conten- 
tée d'exiger  les  compléments  de  ses  comptes-.  Les 
ordres  du  roi  de  Navarre  arrivèrent  à  Foix  au  milieu 
de  janvier,  portés  par  le  secrétaire  Boulogne^.  Jeanne 
d'Albret,  prise  de  pitié  pour  le  malheureux  Jean  Belin, 
qui  dans  d'autres  circonstances  avait  fidèlement  servi 
sa  maison,  ordonna  d'y  surseoir  par  la  lettre  suivante  : 

Bologne,  notre  trésorier  de  Foix  m'a  fait  entendre  la  pour- 
suite que  vous  faites  à  rencontre  de  luy,  prétendant  le  faire 
destituer  de  son  estât,  pendant  qu'il  est  détenu  prisonnier,  où 
il  est  de  si  longue  main  qiïi  me  faict  pytyé,  joinct  que,  pour 
l'amour  de  moy,  il  s'est  employé  à  faire  plaisir  à  quelque  per- 
sonne comme  sçavez  en  ma  faveur,  duquel  il  pâtit.  Et  pour  le 
désir  que  j'ay,  non  que  je  vueille  approuver  sa  faulte,  ny  nyer 
qu'il  n'ayt  tort  en  ce  que  vous  le  poursuivez,  et  que  ce  que 
vous  en  faictes  n^est  pour  aucune  vindicacion,  ains  pour  rafTec- 
tion  que  portez  à  nostre  service,  toutesfois,  vous  me  ferez  ser- 
vice très  agréable  et  seray  bien  aise  d'entendre  que  vous  ayez 
différé  le  tout  jusques  à  ce  que  par  nous  y  aura  esté  aultrement 
pourveu  et  ordonné.  A  quoy  espérant  que  n'y  ferés  faulte,  pour 
l'obéissance  que  je  m'asseure  désirez  me  porter,  je  prie  à  tant 
le  Créateur,  vous  donner,  Bologne,  sa  sainte  grâce. 

De  Pau,  ce  21  jour  de  janvier  1500. 

Yostre  bonne  maistresse, 
Jeoanne^ 

1.  Orig.,  daté  du  29  décembre  et  d'Orléans  (Arch.  des  Basses- 
Pyrénées,  B.  H63). 

2.  Lettre  du  31  décembre,  copie  du  temps  (Iljid.). 

3.  Jean  de  Lescrivan,  recteur  de  Boulogne  (Ibid.,  E.  1993,  f.  41). 

4.  Orig.,  daté  de  Pau.  du  21  janvier  1560  (1561)  (Arcb.  des 
Basses-l^yrénées,  B.  1163). 


124  ANTOINE    DE   BOURBON 

Le  secrétaire  Boulogne  obéit  aux  instructions  de  la 
reine  de  Navarre  et  fut  récompensé  de  son  obéissance 
par  la  lettre  suivante  : 

Boullongnc,  j'ay  esté  fort  aise  d'avoir  entendu  par  vos  lettres 
le  dcbvoir  que  vous  faites  tant  en  ce  qu'il  vous  a  esté  commandé 
par  le  Roy  pour  son  service  et  aussi  pour  le  mien,  et  me  ferez 
service  très  agréable  de  continuer  en  tout  ce  que  vous  m'écri- 
vez de  faire  ce  que  vous  pouvez  en  ce  que  vous  savez  que  des- 
pend de  sa  volunlé  et  mienne.  El,  pour  lasscurance  que  j'ay  de 
la  bonne  dilligence  que  ferez  et  du  bon  ordre  que  donnerez, 
tant  au  recouviement  de  ses  deniers  que  de  tous  les  aultres 
ailaires  qui  nous  louchent,  desquels  nous  avons  en  vous  fiance 
je  ne  vous  feray  plus  long  discours^.. 

En  même  temps  elle  promit  à  Jean  Belin  d'ajourner 
les  poursuites  que  le  conseil  du  roi  avait  entamées 
contre  lui  et  de  lui  donner  le  temps  de  se  justifier. 

Cher  et  bien  aymé,  suyvant  vostre  lettre  et  la  requesle  que 
m'avez  ftiictc  par  icelle,  j'escris  à  liolloigne  de  suspendre  la 
poursuicte  qu'il  fait  contre  vous  jusques  à  ce  que  vous  vous 
soyez  jusliffié  tant  en  la  reddition  de  vos  comptes  que  d'autres 
choses  qui  ont  esté  proposées  contre  vous.  A  quoy  je  seroys 
fort  ayse  que  vous  donniez  tel  ordre  qu'il  [ne]  nous  apparroysse 
aultre.  Vous  assurant  que  jauroy  vostre  bon  droict  en  telle 
recommandation,  sy  j'ay  congnoissance  qu'il  vous  aye  esté  faict 
tort,  qu'il  vous  en  sera  faict  repparation.  Gependent  vous  exer- 
cerez vostre  charge  si  fidellement  et  bien  qne  les  deniers  du  Roy 
et  noslres  ne  soyent  en  aucune  sorte  retardez.  l*riant  aultre- 
nienl  le  créateur,  chair  et  bien  aymé,  vous  tenir  en  sa  saincte 
garde. 

A  Pau,  ce  xxj  jour  de  janvyer  mil  cinq  cens  soixante-un. 

Jehanne^. 


\.  Original,  tlalé  de  I*au  ol,  du  23  janvier  1560  (15(il)  (Arch. 
des  Basses-Pyrcnéos,  B.  H63). 

2.  Copie  autlienli(juée  (Arch.  des  Basses-Pyrénées,  B.  M63). 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  125 

Quelque  temps  après,  c(uand  le  trésorier  Jean  Belin 
eut  réuni  les  preuves  de  sa  justitîcation,  la  reine  de 
Navarre  commanda  à  Boulogne  de  se  transporter  à 
Foix  et  de  procéder  à  la  vérification  de  ses  nouveaux 
comptes  ' . 

Les  états  de  Béarn  se  réunirent  au  commencement 
de  l'année  1561  comme  les  années  précédentes.  Con- 
voqués pour  le  20  février,  ils  furent  ouverts  le  23  et 
clos  le  10  mars.  Ils  accordèrent  au  roi  et  à  la  reine 
une  subvention  de  dix  mille  écus  à  l'ordinaire  et  de 
huit  mille  à  l'extraordinaire  ^  Plusieurs  de  leurs 
requêtes  et  des  décisions  de  la  reine  méritent  d'être 
signalées.  Ainsi  ils  protestèrent  contre  les  droits  de 
sortie  dont  le  roi  de  France  frappait  les  vivres  expor- 
tés en  Béarn.  Jeanne  d'Albret  promit  de  demander  au 
roi  la  suppression  de  ces  droits  fiscaux^.  —  Les 
manants  et  gens  du  tiers  demandèrent  la  liberté  de 
faire  moudre  leur  blé  dans  les  moulins  des  seigneurs 
étrangers,  lorsque  leur  propre  seigneur  n'en  possé- 
dait pas.  A  cette  requête,  qui  révèle  un  des  abus  du 
droit  féodal  en  Béarn,  Jeanne  d'Albret  répondit  qu'elle 
ordonnerait  une  instruction  et  qu'elle  aviserait^.  — 
L'assiette  des  tailles  avait  été  modifiée  depuis  la  mort 
de  Henri  d'Albret  ;  les  états  demandèrent  le  retour  à 
l'ancienne  législation.  La  reine  répondit  que,  le  roi  de 

1.  Lettre  du  8  juin   1561,  datée   de   Pau   (Orig.,  Arch.   des 
Basses-Pyrénées,  B.  1163). 

2.  Tome  IV  des  Establissements  de  Béarn  (Arch.  des  Basses- 
Pyrénées,  G.  682,  f.  80). 

3.  Tome  VI  des  Establissements  de  Béarn  (Arch.  des  Basses- 
Pyrénées,  G.  68 i,  f.  113  v°). 

4.  Tome  VI  des  Establissements  de  Béarn  (Arch.  des  Basses- 
Pyrénées,  G.  684,  f.  115). 


126  ANTOINE   DE   BOURBON 

Navarre  étant  absent,  elle  ne  pouvait  prendre  la  res- 
ponsabilité de  résoudre  une  question  si  gravée 

La  question  religieuse,  qui  agitait  alors  la  France, 
suscita,  cette  année,  peu  de  mouvements  aux  états  de 
Béarn.  Peut-être  les  députés  sentaient-ils  que  le  débat 
se  viderait  ailleurs  qu'à  Pau.  Quelques  jours  avant  la 
réunion,  Jeanne  d'Albret  avait  donné  commission  à 
Guillaume  et  à  Arnaud  du  Golom,  ses  secrétaires,  de 
rechercher  les  titres  de  collation  de  prébende  accordés 
par  elle  ou  par  ses  prédécesseurs 2.  Le  28  février,  les 
états  demandèrent  à  être  dispensés  des  frais  d'entretien 
des  calhédrales.  La  reine  répondit  que  les  chapitres 
étaient  exemptés,  de  temps  immémorial,  des  charges 
des  églises  et  qu'il  n'y  avait  aucun  motif  de  les 
dépouiller  de  ce  privilège,  mais  que,  si  les  bâtiments 
étaient  suffisamment  couverts  et  abrités  de  la  pluie, 
les  trois  ordres  ne  pouvaient  être  obligés  de  concourir 
aux  dépenses  de  l'intérieur.  Ainsi  les  frais  du  culte 
restaient  à  la  charge  du  culte  lui-même.  Ce  système, 
contredit  par  les  traditions  du  royaume,  souleva  une 
forte  opposition  chez  les  intéressés.  Chaque  année  la 
question  fut  remise  en  discussion  aux  états  et  résolue 
différemment,  suivant  que  la  cause  de  la  Réforme  était 
triomphante  ou  vaincue^.  —  A  la  fin  de  la  session, 
sur  la  plainte  des  catholiques,  le  2!  mars,  la  reine  de 
Navarre  rendit  une  ordonnance   qui  enjoignait  aux 


-1.  Tome  VI  dos  Establi^scmonls  do  Béarn  (Ârch.  des  Basses- 
Pyirnéos,  C.  08 i,  f.  101). 

■•2.  Original  sur  parchemin,  dalé  de  Pau  et  du  13  janvier  1560 
(1561)  (Arch.  des  Basses-Pyrénées,  E.  58-:). 

3.  Tome  VI  des  EstabUsscments  de  Béarn  (Arch.  des  Basses- 
Pyrénées,  G.  684,  f.  105  vo). 


ET   JEANNE   D'ALRRET.  127 

évêques  de  Lescar  et  d'Oloron  et  à  leurs  vicaires 
généraux  de  résider  en  leurs  diocèses  et  à  chaque  curé 
d'y  prêcher  habituellement  «  la  parole  de  Dieu^.  » 

Aussitôt  après  la  clôture  des  états  de  Béarn,  Jeanne 
d'Albret  se  prépara  à  rejoindre  Antoine  de  Bourbon  à 
la  cour  de  France.  Le  prince  montrait  un  grand  désir 
de  l'associer  à  son  triomphe.  Dans  une  de  ses  lettres 
datée  d'Orléans,  il  se  félicite  «  de  la  bonne  chère  que 
«  je  fais  icy,  dit-il,  et  de  la  maveze  que  font  les  Lorrains  : 
«  que  Dieu  veulte  qu'en  puissions  estre  bientôt  déli- 
«  vrés.  »  Et,  faisant  allusion  au  prochain  voyage  de 
la  princesse  :  «  ...  et  en  lieu  vous  avoir  pour  mieux 
«  acomoder  noz  afferes,  suppliant  le  seigneur  vous 
«  aconpaigner  de  santé  et  vostre  petit  troupeau  jusques 
«  an  ceste  court-.  >>  Avant  de  quitter  le  Béarn,  la 
reine  de  Navarre,  avec  l'assentiment  de  son  mari,  dési- 
gna comme  lieutenants  généraux  pendant  son  absence 
Louis  d'Albret,  évêque  de  Lescar,  et  Armand  de  Gon- 
taut,  s.  d'Andaux^. 

Le  roi  et  la  reine  de  Navarre,  en  se  réunissant  à 
Saint-Germain ,  allaient  se  trouver  étrangers  l'un  à 
l'autre.  Pendant  l'été  de  1560,  Théodore  de  Bèze 
était  venu  à  Nérac,  et,  suivant  une  tradition  que  con- 
firment les  faits  ultérieurs,  il  avait  su  endoctriner  la 


1.  Tome  VI  des  Establissements  de  Béarn  (Arch.  des  Basses- 
Pyrénées,  C.  684,  f.  111). 

2.  Lettres  d'Antoine  de  Bourbon  et  de  Jehanne  d'Albret,  p.  227. 

3.  Tome  VI  des  Establissements  de  Béarn  (Arch.  des  Basses- 
Pyrénées,  G.  684,  f.  52).  Ces  lettres,  datées  du  20  janvier  1560 
(1561),  offrent  cette  particularité  qu'elles  sont  datées  de  Saint- 
Germain,  alors  que  le  roi  de  Navarre  était  à  Orléans,  et  la  reine 
de  Navarre  à  Pau. 


128  ANTOINE    DE   BOURBON 

reine  de  Navarre  et  l'attacher  au  calvinisme  ^  Bien- 
tôt les  nouvelles  qui  arrivèrent  d'Orléans  pendant 
les  derniers  jours  du  règne  de  François  II,  l'arres- 
tation du  prince  de  Condé,  son  procès,  les  périls 
(l'Antohie  de  Bourbon  à  la  cour,  sa  rivalité  avec 
le  duc  de  Cuise,  son  abaissement  devant  les  chefs  du 
parti  catholique,  les  appréhensions,  les  angoisses  que 
tant  d'événements  semaient  dans  son  àme,  allumè- 
rent la  passion  religieuse  de  la  nouvelle  néophyte. 
Son  premier  acte  fut  de  renoncer  à  toutes  les  hypo- 
crisies, sous  l'ombre  desquelles  les  seigneurs  de  la 
cour,  excepté  Goligny,  voilaient  encore  leur  passage 
d'un  culte  à  l'autre.  Le  215  décembre  1560,  suivant 
Bordenavc,  elle  fit  profession  de  calvinisme  en  pre- 
nant part  publiquement  à  la  cène  avec  plusieurs 
genlilshommes  de  sa  cour-.  Calvin  lui  adressa  une  de 
ses  plus  belles  lettres  d'encouragement. 

(';ir  combien  que  déjà  de  longtemps  il  avoil  mis  en  vous 
quelque  bonne  semence,  vous  congnoissez  maintenant  de  fait 
qu'elle  estoil  quasi  estoulTée  sous  les  espines  de  ce  monde, 
comme  par  faulte  de  nous  exercer  journellement  en  l'escriture 
saincle,  la  vérité  que  nous  avions  congneuc  s'escoule  petit  à 
petit  jusques  à  s'csvanouir  du  tout,  si  ce  bon  Dieu  n'y  remédie. 
Or  il  a  prévenu  par  sa  bonté  infinie  pour  vous  garder  d'en  venir 
jusques-là.  Vray  est  que  ceux  qui  s'annonchalissent,  se  plaisent 
on  Icui'  repos,  pour  ce  qu'ils  ne  sentent  point  que  c'est  un  dor- 

\.  l)elul)or(ic,  Les  Protestants  à  la  cour  de  Saint-Germain,  p.  15. 

2.  Bordenave,  Histoire  de  Foix  et  Navarre,  p.  108. —  Olhaparay 
(lit  qu'elle  ne  prit  part  à  la  cène  que  le  jour  de  Pâques  1561 
(0  avril)  (p.  530).  Mais  la  lettre  de  Calvin  et  surtout  celle  de 
Throckmorton,  que  nous  citons  plus  loin,  prouvent  que  l'indica- 
tion do  Bordenavc  est  la  plus  exacte. 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  129 

mir  mortel.  Mais  quand  il  plail  à  Dieu  de  nous  resveiller  et 
solisciter  à  bon  escient  a  la  crainte  de  son  nom,  et  allumer  en 
nos  cœurs  un  désir  ardent  de  servir  à  sa  gloire,  c'est  une 
inquiétude  plus  heureuse  et  désirable  que  toutes  les  délices, 
plaisirs  et  voluptez,  auxquelles  s'esgarent  les  povres  mondains  ^ . 

Elisabeth  adressa  aussi  des  félicitations  à  la  reine  de 
Navarre  et  l'engagea  à  faire  tous  ses  efforts  pour  pro- 
pager le  nouveau  culte*.  Jeanne  d'Alhret  n'avait  pas 
besoin  d'encouragements.  Les  grands  caractères,  sous 
une  aimantation  puissante,  peuvent  changer  une  fois 
de  ligne,  mais  se  fixent  profondément. 

Tandis  que  Jeanne  d'Albret  embrassait  résolument 
le  calvinisme ,  le  roi  de  Navarre  au  contraire  s'arrê- 
tait dans  son  évolution  religieuse.  Jusqu'à  l'établis- 
sement du  triumvirat,  il  marche  en  avant  d'un  pas 
assuré.  Depuis  que  la  reine  mère  a  remis  entre  ses 
mains  la  dignité  de  lieutenant  général,  depuis  qu'il 
espère  user,  dans  ses  négociations  avec  l'Espagne,  du 
pouvoir  presque  royal  dont  il  est  investi,  il  montre, 
sur  le  plus  grave  objet  des  méditations  humaines,  une 
indécision  qui  ne  tarde  pas  à  le  rendre  suspect  à  tous 
les  partis. 

Instruit  par  une  lettre  de  L'Aubespine  du  20  mars 
que  don  Juan  Manrique  de  Lara  avait  rapporté  en 
Espagne  une  impression  défavorable  de  sa  politique 
religieuse '^,  Antoine  commit  une  de  ces  palinodies 
qui  lui  devinrent  familières  dans  la  suite.  L'ambassa- 

1.  Lettres  de  Calvin,  t.  II,  p.  3G5.  M.  Bonnet  date  cette  lettre 
(lu  16  janvier  1561. 

2.  Lettre  de  Tlirockmorton  à  Jeanne  d'Albret  du  20  janvier 
[Calendars,  1560,  p.  .50'.)). 

3.  Galland,  Mémoires  sur  la  Navarre,  Preuves,  p.  î^'i. 

m  9 


130  ANTOINE   DE    BOURBON 

deur  d'Espagne  avait  des  exigences  impérieuses  ;  les 
paroles  ne  suffisaienl  pas,  il  fallait  des  actes.  A  l'oc- 
casion des  fêtes  de  Pâques,  le  roi  de  Navarre  se  retira 
dans  un  monastère  près  de  Fontainebleau  et  y  suivit 
dévotement  une  retraite.  Le  samedi  saint,  5  avril,  il 
rentra  au  château,  assista  à  une  messe  solennelle  et 
reçut  la  communion  avec  cinquante  chevaliers  de 
l'ordre  •.  il  ne  fallait  pas  que  cette  démonstration 
restât  ignorée  ;  Antoine  demanda  au  nonce  d'infor- 
mer le  pape  de  son  obéissance  aux  prescriptions  de 
l'église-.  Cet  acte  accompli,  il  s'occupa  de  consoler 
le  parti  huguenot  ;  pendant  le  séjour  de  la  cour  à 
Fontainebleau,  il  prêta  son  logis  à  des  assemblées 
calvinistes,  dont  la  turbulence  scandalisa  les  ambas- 
sadeurs étrangers.  L'évêque  de  Vitei'be,  nonce  du 
pape,  protesta,  et  le  prince,  ne  pouvant  nier  les 
faits,  jura  que  l'assemblée  s'était  réunie  en  son 
absence,  pendant  que  ses  devoirs  le  retenaient 
auprès  de  la  reine.  Le  nonce  accepta  ces  explica- 
tions. Quelques  jours  après,  Antoine  fit  punir  ceux 
de  ses  serviteurs  qui  avaient  pris  part  à  la  réunion 
incriminée  et  en  informa  le  nonce  avec  force  démons- 
trations-^  Le  prélat,  mal  habitué  à  la  cour  des  Valois, 
bien  qu'il  y  séjournât  depuis  plusieurs  années,  crut  à 
la  bonne  foi  et  à  la  constance  du  [)rince.  Enhardi  par 
le  succès  (|ue  ses  protestations  avaient  obtenu,  il  se 

1.  Lettre  ilo  Cluintoiuiy  à  Pliilippo  II,  du  7  avril  (Orip.  espa- 
gnol; Arch.  uat.,  K.  li'Ji,  11°  73). 

2.  Lettre  de  Cliaulonay,  du  7  avril  (Arch.  nul.,  K.  1 59î,  n»  73). 
—  Lettre  du  nonce,  du  ',•  avril  (K.  I  i95,  n°  30). 

3.  Lettre  du  jirésident  de  L'Isle  au  roi,  du  18  juillet  1561 
(Copie,  r.  l'r.,  vol.  ^^\V^:^,  f.  12  v").  Le  président  de  L'Isle,  ambas- 
sadeur à  lioiutî,  r-tait  lils  de  Guilkirt  du  Mortier. 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  131 

plaignit  du  prince  de  Condé  qui  tenait  plusieurs  assem- 
blées par  jour  en  plein  palais  de  Fontainebleau.  Mais 
le  roi  de  Navarre  refusa  d'intervenir  auprès  de  son 
frère,  même  par  ses  conseils^. 

Au  moment  du  sacre,  le  lieutenant  général  se  mon- 
trait partisan  des  mesures  de  rigueur  contre  les 
hérétiques;  il  conseilla  à  Condé  et  aux  Chastillons 
de  rentrer  dans  le  giron  de  l'église  catholique  pour 
remonter  au  pouvoir.  ^lal  instruit  des  dispositions  de 
Jeanne  d'Albret  ou  jugeant  sa  fermeté  d'après  la  sienne 
propre,  il  poussa  la  légèreté  jusqu'à  lui  recommander 
le  triomphe  du  Calvinisme  dans  ses  états  de  Béarn^. 
Il  assistait  à  la  messe  et  obéissait  ostensiblement  à 
toutes  les  lois  de  l'église,  même  à  celles  de  l'absti- 
nence du  vendredi  et  du  samedis 

Après  quelques  semaines  de  pratiques  catholiques, 
au  mois  de  juin,  le  roi  de  Navarre  était  revenu  au 
culte  de  la  Réforme  ;  il  avait  installé  un  ministre  dans 
son  logis  et  assistait  chaque  jour  au  sermon  et  à  la 
cène\  Le  jour  de  la  procession  de  la  Fête-Dieu,  la 
reine  mère,  craignant  de  n'être  pas  défendue  par  le 
lieutenant  général,  appela  le  duc  de  Guise  au  secours 
du  roi.  Le  cardinal  de  Chastillon  et  Coligny  avaient 
reconquis  un  tel  ascendant  sur  l'esprit  du  prince  que 
l'ambassadeur  d'Espagne  ne  put  obtenir  le  moindre 
désaveu  de  leur  politique  au  conseil^. 

1.  Lettre  de  Tornabuoui,  du  5  juillet  [Nccjoc.  de  la  France  avec 
la  Toscane,  t.  III,  p.  457). 

2.  Lettre  du  14  mai  (Dépêches  vénil.,  lilz;i  4,  f.  297). 

3.  Rapport  du  18  mai  {Calendars,  1.561,  p.  142). 

4.  Calendars,  1501,  p.  150. 

5.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du  l'^''  juillet  15G1  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1495,  u"  49). 


132  ANTOINE    DE    BOURBON 

Vers  le  temps  de  l'édit  de  juillet,  le  roi  de  Navarre 
incline  de  nouveau  vers  le  catholicisme  ^  Calvin  se 
plaint  de  son  inconstance  dans  une  lettre  à  Coligny  : 
«  Geluy  qui  debvroit  estre  le  premier  est  si  froid  que 
«  rien  plus*.  »  Il  allait  à  la  messe  avec  ostentation;  au 
mois  d'août,  on  célébra  à  la  cour  un  service  en  l'hon- 
neur du  roi  ;  Antoine,  pour  donner  plus  d'éclat  à  sa 
présence,  se  fit  accompagner  par  l'ambassadeur  de 
Portugal  ^.  A  cette  date,  sa  défection  paraissait  d'autant 
|)lus  désastreuse  aux  chefs  de  son  ancien  parti  que  le 
colloque  de  l^oissy  allait  mettre  aux  prises  les  deux 
cultes.  Dans  un  effort  suprême,  Calvin  rassemble 
toutes  ses  forces  pour  ramener  le  prince  déserteur 
sous  le  drapeau  de  la  Réforme  : 

C'est  à  vous.  Sire,  de  ne  permellre  et  souffrir  que  la  vérité 
de  Dieu  soit  ainsi  trahie  à  veued  œil.  Vous  avez  possible  cuydé 
gaigner  en  fleschissant,  mais  le  mal  pullule  et  se  fortifie  par 
Iro]),  et,  si  vous  n'y  prenez  garde,  les  confusions  en  sourdront 
en  une  minute  de  temps,  plus  grandes  que  vous  ne  pensez,  et 
alors  il  ne  sera  pas  temps  d'y  remédier,  pour  ce  que  Dieu 
exploiclera  pour  punir  la  noncliallance  de  ceux  (]ui  n'auront 
lenu  compte  de  faire  leur  debvoir,  selon  le  lieu  et  degré  auquel 
il  les  avoit  établi.  Si  nous  parlons  un  peu  asprtment,  croyez, 
Sire,  qu'il  en  est  temps  ou  jamais^. 

Ce  n'était  pas  seulement  en  matière  de  religion  que 
le  roi  de  Navarre  montrait  une  inconstance  fatale  à  sa 

1.  Lotlros  (lo  SuriaiKi,  du  16  iiuii  (Dt-pèclios  vchiit.,  lllza  \  bis, 
f.  i?6).  —  LoUpc  du  mèuic  du  1")  juillot  {ibUL,  f.  i'i;^).  —  LoUre 
de  Throckmorlun,  du  ilj  juillet  (Calendars,  1061,  p.  181). 

2.  Lettres  de  Calvin,  t.  II,  p.  413. 

3.  Lettre  de  Cliantonay  à  Philippe  II,  du  ?8  août  (Orig.  espa- 
guul  ;  Arcli.  nat.,  K.  l'i'.)'!,  u"  93). 

i.  Lettres  de  Calvin,  t.  IL,  p.  iv'U. 


ET   JEANNE    d'alBRET.  133 

dignité.  Aussi  faible  dans  sa  vie  privée  que  dans  ses 
croyances,  il  ne  savait  pas  résister  aux  attraits  des 
dangereuses  sirènes  de  la  cour  de  Catherine.  Son  incon- 
duite était  assez  notoire  à  l'époque  du  sacre  pour  que 
le  rigide  Calvin  lui  adressât  des  remontrances  : 

On  murnuire  que  quelques  folles  amours  vous  empeschenL 
ou  refroidissenl  de  faire  vostre  devoir  en  partie  et  que  le  diable 
a  des  supports  qui  ne  cherchent  ni  votre  bien  ni  votre  honneur, 
lesquels  par  tels  alleschements  taschenL  de  vous  attirer  à  leur 
eordele,  ou  bien  vous  adoucir  en  sorte  quïls  jouissent  paisible- 
ment de  vous  en  leur  menées  et  prattiques.  Je  vous  prie  donc, 
Sire,  au  nom  de  Dieu,  de  vous  éveiller  à  bon  escient,  congnois- 
sant  que  la  plus  grande  vertu  que  vous  puissiez  avoir  est  de 
batailler  contre  vos  affections,  retrancher  les  plaisirs  mondains^ 
dompter  les  cupidités  qui  vous  induisent  à  offenser  Dieu,  mettre 
sous  le  pied  les  vanités  qui  vous  esgarent  bientost.  sans  que 
nous  y  pensions  ' . 

Vis-à-vis  de  ses  confidents,  Calvin  est  plus  mordant. 
Il  écrit  le  24  mai  à  Bullinger  :  «  Totus  est  venereus. 
«  Matrona  (Cath.  de  Médicis)  autem  exercitata  in  his 
«  artibus,  e  suo  gyneceo  protulil  quod  ejus  animum 
«  irretiret.  Pabula  hœc  in  ore  quoque  puerorum  voli- 
«  tat^.  »  Telles  étaient  les  légèretés  du  prince,  que 
Chantonay  en  égaie  la  gravité  de  Philippe  II  :  «  Il 
«  paroît  que  Vendôme  se  soucie  fort  peu  de  l'absence 
«  de  sa  femme,  parce  que,  quand  ils  sont  réunis,  elle 
«  a  la  première  voix  en  chapitre  et  que  il  n'a  pas  la 
«  liberté  de  visiter  et  de  donner  des  fêtes  aux  dames 
«  et  passer  la  nuit  en  banquets  comme  il  le  tait  à  pré- 
«  sent,  ce  qui  le  rend  malade  souvent  et  aujourd'hui 

1.  Lettres  de  Calvin,  t.  Il,  p.  399. 

2.  Baum,  Theodor  Beza,  appendice,  p.  32. 


134  ANTOINE    DE    BOURBON 

«  en  particulier;  ce  qui  a  été  cause  que  le  conseil  et 
«  le  parlement  n'ont  pu  se  réunira  » 

La  reine  de  Navarre  ne  resta  pas  longtemps  dans 
l'ignorance  des  désordres  de  son  mari.  Peut-être  en 
fut-elle  iuCormée  de  plusieurs  côtés  ;  dans  les  cours  il 
se  rencontre  toujours  des  indiscrets,  empressés  à  se 
faire  valoir  par  leurs  révélations.  Mais  nous  ne  con- 
naissons, de  ces  amis  trop  zélés,  qu'une  lettre  ano- 
nyme, datée  de  Strasbourg,  du  3  juillet,  et  adressée 
à  Jeanne  d'Albret. 

L'Evêque  d'Auxerre,  son  sublime  maquereau  de  femmes 

à  chaperon  à  Paris  el  d'une  maréchale  que  bien  connaissez, 
avec  le  bon  corps  de  Périgord,  des  Bories,  pour  ambassadeur 
d'amours  impudiques  envers  celle  de  Martigues,  mènent  ce 
pauvre  aveugle  roy,  comme  ils  entendent  et  leur  plait,  voire  si 
là  s'insinuent  et  à  sa  honte  que  le  taire  n'est  trop  plus  séant 
que  d'en  ouvrir  la  bouche,  combien  que  le  dn^e  en  sont  assez 
requis,  ores  qu'il  ne  prouffilast  aud.  seigneur  et  à  eulx  (jue  de 
meilleur  changement  de  vie  et  à  vous,  Madame,  de  tranquillité 
et  repos.  Lequel  je  supplyc  au  bon  Dieu  vous  accorder  et  faire 
tant  de  grâce  (ju'il  vous  inspire  par  son  sainct  esprit  à  cslongncr 
de  Sa  Majesté  et  vostre  telle  canaille  et  accepter  de  moy  la  pré- 
sente, corne  vous  vouldriez  que  je  le  faisse  de  vous  tenant  ma 
place. 

Escript  à  Strasbourg,  le  2  juillet  1561  -. 

On  voit  (jue  ce  n'était  pas  seulement  à  la  cour,  «  dans 

1.  Lcllro  de  Chautonay  à  Philijjpe  II,  du  J 9  juin  1561  (Orig. 
espagnol;  Arcli.  nat.,  K.  1195,  a°  il). 

2.  Arch.  des  Bassos-Pyréuées,  E.  58 i.  —  Original  sans  signa- 
ture ou  copie  du  temps.  —  Partie  de  cette  lettre  a  été  publiée 
dans  rinveniairc  des  archives  du  département  publié  par  M.  Ray- 
mond. —  François  llolman,  un  des  correspondants  de  Jeanne 
d'Albret  depuis  W'iô  do  15(10,  était  alors  à  Strasbourg.  Cependant 
nous  n'osons  lui  attribuer  cette  lettre. 


ET  jea>:ne  d'albret.  135 

«  le  gynécée  »  de  la  reine,  que  le  roi  de  Navarre  prome- 
nait ses  assiduités.  Les  bourgeoises  de  Paris,  les 
femmes  à  chaperon  recevaient  ses  hommages.  La 
maréchale,  citée  dans  la  lettre  anonyme,  est  Marguerite 
de  Lustrac,  femme  du  maréchal  Saint-André,  connue 
à  la  cour  pour  son  humeur  galante,  plus  tard  maîtresse 
en  titre  du  prince  de  Gondé'.  La  dame  de  Martigues, 
Marie  de  Beaucaire,  dite  Mademoiselle  de  la  Villemon- 
tays,  femme  de  Sébastien  de  Luxembourg,  vicomte 
de  Martigues,  était  dame  d'honneur  de  Marie  Stuart-. 
Quant  à  l'évêque  d'Auxerre,  Philippe  de  Lenoncourt, 
c'était  un  des  familiers  d'Antoine,  un  prélat  courtisan 
comme  la  vie  des  cours  en  sème  autour  des  princes. 
Des  Bories  était  un  capitaine  périgourdin,  homme  de 
guerre  plutôt  que  d'intrigue ,  qui  devint  plus  lard 
lieutenant  de  la  compagnie  du  prince  de  Navarre,  ser- 
vit sous  les  ordres  de  Biaise  de  Monluc,  et  qui,  à  la 
fin  du  règne  de  Charles  IX,  gouverna  la  ville  de  Péri- 
gueux  jusqu'au  commencement  de  1 573^. 

On  voudrait  connaître  les  sentiments  que  tant  d'of- 
fenses à  la  foi  jurée  soulevaient  dans  l'àme  de  Jeanne 
d'Albret,  àme  ardente,  qu'embrasaient  la  jalousie  de 
la  femme  outragée  et  la  passion  religieuse  du  sectaire 
trahi.  Chantonay  soulève  un  coin  du  voile  dans  sa 
lettre  du  1 5  août  :  «  Combien  sa  femme  le  déteste  (le 
«  roi  de  Navarre),  je  sais  qu'elle  le  dit  hautement, 
«  qu'elle  n'a  aucun  regret  ni  à  la  religion  ni  à  per- 
«  sonne,   de  façon  que,  malgré  le  peu  de  pouvoir 

1.  Brantôme,  t.  V,  p.  31. 

2.  Brantôme,  t.  VU,  p.  383. 

3.  Lettres  diverses;  f.  fr.,  vol.  15548,  f.  191;  vol.  15555,  f.  72; 
vol.  15556,  f.  382. 


136  ANTOINE    DE   BOURBON 

«  qu'elle  a,  on  craint  qu'elle  se  fâche ^..  »  Mais,  si  les 
rancunes  de  l'épouse  étaient,  étouffées  par  la  honte  de 
se  produire  au  grand  jour,  il  n'en  était  pas  de  même 
des  déceptions  de  la  néophyte.  Jeanne  accusa  le  cardi- 
nal d'Armagnac  des  tergiversations  religieuses  de  son 
mari  et  lui  écrivit  une  lettre  pleine  d'amertume,  dans 
laquelle  elle  le  menaçait  de  sa  vengeance  si  à  son 
arrivée  à  la  cour  elle  voyait  son  mari  aller  à  la  messe-. 
Au  moment  où  elle  allait  quitter  le  Béarn,  le  roi  de 
Navarre  exprima  le  désir  qu'elle  renonçât  à  la  com- 
pagnie de  ses  pi'écheurs  ordinaires.  Une  négociation 
s'engagea  entre  les  deux  époux.  Jeanne  y  mit  fin  en 
signifiant  qu'elle  ne  s'abaisserait  ni  à  discuter  la  doc- 
trine ni  à  suspendre  les  pratiques  de  son  culte  ^. 

Après  des  retards  prolongés,  la  reine  de  Navarre 
partit  de  Nérac  au  commencement  de  juillet.  Elle  tra- 
versa lePérigord,  |)assa  par  la  Tour-Blanche,  Mareuilet 
Marthon.  Elle  y  accueillit  une  députation,  composée 
du  séjiéchal  de  la  province  et  de  W  Girart,  avocat  des 
bourgeois  de  Périgueux,  «  pour  luy  présenter  nostre 
«  service,  disent  les  registres  municipaux  de  la  ville, 
«  etouyr  nos  plaintes  contre  les  nouveaux  chrestiens^  » 
Les  registres  ne  contiennent  pas  les  réponses  de  la 
reine.  De  là  Jeanne  d'Albret  se  dirigea  sur  Poitiers  et  y 
reçut  les  hommages  des  consuls  de  Limoges"'.  Un  jour, 

1.  Lcllre  de  Cliaulonay  ;'i   lMiilii»iip  II,  du  15  aoùl  (Orig.  espa- 
gnol; Arch.  nul..,  K.  iV.I5,  n"  ù'I). 

2.  Lettre  de  Chanlouay  à  Philippe   II,  du   i  se]ileml)re  (Orig. 
espagnol  ;  Arch.  nat.,  K.  liO'i,  n"  '.*?). 

3.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  11,  du    l'J  juin  (Orig.  espa- 
gnol ;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n°  'i7). 

•i.  Coll.  du  Périgord,  vol.  50,  f.  ^iîG. 

5.  Hcgislrcs  cons.  de  Limoges,  publiés  i)ar  M.  Ruben,  1. 1,  p.  223. 


ET   JEANNE    d'ALBRET.  137 

dans  une  de  ses  étapes,  pendant  que  ses  serviteurs 
ouvraient  les  portes  du  logis  qu'elle  devait  occuper, 
les  planchers  s'effondrèrent  tout  à  coup  et  la  princesse 
s'arrêta  avec  ses  enfants  au  bord  d'un  abîme.  Antoine 
raconta  à  l'ambassadeur  d'Espagne  le  danger  que  la 
reine  de  Navarre  avait  couru  ;  les  ministres  dans  leurs 
prêches  remercièrent  le  ciel  de  sa  «  sauveté.  »  Le 
prince  présentait  le  salut  de  sa  famille  comme  une 
récompense  divine  bien  due  à  sa  propre  politique  ; 
les  réformés  au  contraire  comme  la  preuve  de  l'assis- 
tance que  Dieu  prêtait  aux  saints  de  leur  parti'. 

La  princesse  poursuivait  lentement  son  voyage. 
Arrivée  à  Tours,  elle  s'embarqua  sur  la  Loire-.  Par- 
tout où  elle  passait,  les  réformés  l'invoquaient  comme 
leur  libératrice.  Dans  les  villes  oi^i  l'édit  de  juillet  avait 
reçu  un  semblant  d'exécution,  elle  terrifiait  les  officiers 
du  roi  par  ses  décisions  et  remettait  ses  coreligion- 
naires en  jouissance  des  temples  qu'ils  avaient  per- 
dus. Elle  leur  prêchait,  dit  Chantonay,  la  confiance 
dans  la  vertu  de  la  cause  [)rotestante  et  les  pressait 
de  s'unir  en  confédération  pour  la  résistance.  X 
Notre-Dame  de  Cléry,  près  d'Orléans,  elle  fit  monter 
en  chaire  son  ministre,  Jean  de  Latour''.  Une  partie 


1.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du  15  août  (Orig.  espa- 
gnol; Arch.  nat.,  K.  1485,  n°  62). 

2.  En  passant  à  Blois,  elle  reçut  la  visite  d'un  vicomte  de 
Gruz,  qui  paraît  n'avoir  été  qu'un  espion.  L'objet  de  la  visite  de 
ce  personnage  reste  inexpliqué.  Voyez  un  de  ses  rapports  à  la 
reine  d'Angleterre  daté  du  2'i  septembre  [Calendars,  1561,  p.  325). 

3.  Il  est  ainsi  nommé  par  M.  le  comte  Delaborde  [Les  Pro- 
testants à  la  cour  de  Saint-Germain,  p.  16).  Tous  les  autres  détails 
que  nous  donnons  sur  cette  partie  du  voyage  de  Jeanne  d'Albret 
sont  tires  d'une  lettre  de  Chantonay  que  nous  citons  plus  loin. 


138  ANTOINE   DE   BOURBON 

des  habitants  était  sortie  à  sa  rencontre  et  faisait  la 
haie  le  long  de  son  passage,  sur  une  étendue  de  près 
d'une  lieue.  Les  hommes  d'un  côté,  les  femmes  de 
l'autre  chantaient  des  vers  composés  à  sa  louange. 
Pendant  son  séjour  à  Orléans,  le  ministre  de  la  reine 
monta  en  chaire  dans  une  des  églises  de  la  ville.  Le  len- 
demain elle  voulut  entendre  le  pasteur  des  réformés 
d'Orléans.  Sa  présence  attirait  au  prêche  une  foule 
immense,  plus  passionnée  pour  l'acclamer  que  pour  la 
cérémonie  elle-même.  «  C'est  avec  un  grand  enthou- 
«  siasmc,  écrit  Chantonay  d'un  ton  dépité,  qu'elle  est 
«  reçue  par  tous  les  hérétiques  qui  l'attendent  comme 
«  le  Messie,  car  ils  sont  certains  qu'elle  fera  des  mer- 
«  veilles  en  leur  faveur.  De  cela  moi-même  je  ne  doute 
«  pas  ;  car  partout  où  elle  passe,  elle  ne  trouve  aucune 
«  résistance  • .  »  Le  passage  de  la  reine  de  Navarre  à 
Orléans  eut  de  grandes  conséquences  sur  l'établis- 
sement de  la  Réforme  dans  cette  ville  et  fut  l'occasion 
de  graves  désordres.  Throckmorton  raconte  que, 
au  monastère  de  Sainte -Madeleine,  près  d'Orléans, 
vingt-cinq  religieuses,  «  les  plus  belles  sur  soixante, 
«  jetèrent  leur  froc  aux  orties,  tant  elles  abhor- 
<j  raient  la  superstition  du  cloître  ou  plutôt  tant 
«  elles  se  plaisaient  dans  la  compagnie  des  gens  pro- 
«  fanes  ^.  » 

La  veille  de  son  arrivée  à  Paris,  le  20,  suivant  les 
uns,  ou  le  221  août,  suivant  les  autres,  Jeanne  d'Al- 
brct  s'arrêta  à  Longjumeau.  Elle  y  trouva  quelques 

1.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du  31  août  (Orig.  espa- 
gnol; Arch.  nat.,  K.  1494,  n"  94).  —  Voyez  aussi  une  lettre  de 
Throckmorton  (Calcndars,  1561,  p.  301). 

2.  Lettre  du  20  décembre  (Calcndars,  1561,  p.  449). 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  139 

membres  zélés  du  parti  réformé  parisien,  envoyés 
par  leur  église,  et  un  ministre,  qui  prononça  en  son 
honneur  un  sermon  solennel.  Mais  la  reine,  fatiguée 
par  le  voyage,  garda  le  logis  et  se  fit  représenter  par 
son  fils^  Le  lendemain,  elle  entra  à  Paris-  sans  grand 
cortège,  de  crainte  de  trouble,  et  y  passa  deux  jours 
dans  la  retraite,  ne  recevant  que  les  fidèles  de  son 
église^.  Le  troisième  jour,  dit  Suriano,  elle  prit  part  à 
une  cérémonie  calviniste  qui  réunit  quinze  mille  per- 
sonnes K  Son  arrivée  à  la  cour  avait  été  fixée  au 
29  août.  Le  28,  le  roi  et  la  reine  mère  allèrent 
coucher  à  Monceaux^  pour  laisser  à  leurs  serviteurs 
la  facilité  de  décorer  le  château  de  Saint-Germain.  Le 
grand  maître  procéda  à  une  nouvelle  répartition  des 
appartements  des  princes  et  le  logis  de  la  reine  de 
Navarre  fut  préparé  à  la  place  d'honneur.  Antoine  de 
Bourbon,  Gondé  et  l'amiral  se  rendirent  au-devant 
d'elle  jusqu'à  Paris,  avec  tous  les  seigneurs  qui  dési- 
raient fêter  la  vraie  reine  du  parti  réformé  **. 

Le  lendemain,  29  août,  la  reine  de  Navarre  fit  son 
entrée  au  château  de  Saint-Germain,  accompagnée  de 

1.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du  4  septembre  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n»  97). 

2.  M.  Forneron  {Les  ducs  de  Guise,  t.  I,  p.  343)  dit  qu'elle  eut 
une  entrevue  avec  de  Bèze  et  la  reine  au  Louvre  dans  la  nuit 
du  23  août. 

3.  Lettre  de  Ghantonay,  du  4  septembre,  citée  plus  haut. 

4.  Lettre  de  Suriano,  du  24  août  (Dépêches  vénit.,  lilza  4, 
f.  334). 

5.  Lettre  de  Tornabuoni,  du  4  septembre  (Négoc.  de  la  France 
avec  la  Toscane,  t.  III,  p.  4G1). 

6.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du  3 1  août  (Orig.  espa- 
gnol; Arch.  nat.,  K.  1495,  n»  64).  —  Autre  du  même  jour  plus 
détaillée  {ibid.,  K.  1484,  n»  94). 


110  ANTOINE    DE   BOURBON 

son  fils  et  de  sa  fille.  Elle  fut  reçue  avec  la  solennité 
que  l'étiquette  réservait  aux  souverains  étrangers.  Le 
soir  le  château  fut  illuminé  ;  on  tira  des  feux  d'artifice; 
il  y  eut  des  courses  de  taureaux  et  d'autres  jeux  en 
son  honneur.  La  reine  avait  convié  la  cour  entière  à 
un  souper  d'apparat.  A  table,  le  prince  de  Béarn  était 
assis  presque  sur  le  même  rang  que  le  roi,  auprès  du 
duc  d'Orléans  et  de  la  princesse  Marguerite.  Jeanne 
d'Albret  occupait  une  place  aux  côtés  de  la  reine 
mère  ' . 

Les  calholi(|ues  attendaient,  non  sans  appréhension 
de  la  fei'meté  de  son  caractère,  l'arrivée  de  la  reine 
de  Navarre  à  la  cour-.  Chantonay  écrit  le  15  août  : 
«  Elle  vient,  résolue  à  faire  tout  le  mal  qu'elle  pourra 
«  à  la  religion  et  même  à  s'emporter  contre  son  mari, 
«  parce  qu'il  entend  la  messe.  Je  suis  convaincu  que 
«  la  reine  aura  beaucoup  de  peine  à  vivre  avec  elle^.  » 
Le  grave  ambassadeur  garde  encore  des  formes  res- 
pectueuses ;  mais  les  bas  sectaires  du  parti  étaient 
atteints  de  frénésie,  il  faut  citer  le  rapfiort  d'un  des 
espions  de  Philippe  11,  probablement  un  de  ces  fana- 
tiques qui  s'attribuaient  la  mission  de  renseigner  le  roi 
catholique,  pour  mesurer  la  violence  des  passions,  qui 
l'année  suivante  devaient  armer  la  moitié  du  royaume 
contre  l'autre  moitié.  Ces  emportements  rappellent 

1.  Lcllrc  do  Chantonay,  du  i  soptonibro,  à  Pliiliiiiio  II  (Orig. 
ospagnul  ;  Arch.  nat.,  K.  1481,  n"  97).  —  Nous  croyons  que  c'est 
la  première  fois  que  des  courses  de  taureaux  sont  mentionnées 
comme  ayant  eu  lieu  à  la  cour  de  France. 

2.  Lettre  de  Suriano  du  39  mars  (Décbilïremcnt  ;  Dépèches 
vénit.,  filza  4  bis,  f.  22). 

3.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du  15  août  1561  (Orip. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n°  G2). 


ET   JEANNE   D  ALBRET.  141 

VÊpistre  au  tigre  de  la  France  et  prouvent  que  les 
deux  partis  n'avaient  rien  à  se  reprocher. 

Et  cette  enragée  de  chienne  lice,  chassée  des  mon- 
tagnes de  Foix,  Jeanne  d'AIbret,  comme  une  hèle  furieuse,  une 
autre  Jésabel,  ennemie  de  Dieu,  qu'elle  a  injurié  et  ofTenséavec 
son  complice  Burie.  Elle  a  détruit  et  ruiné  quasi  par  toute  la 
Guyenne  les  temples,  églises  et  monastères,  tué  et  volé  un  grand 
nombre  de  clercs  et  pauvres  religieux,  exilé  ou  forcé  le  reste  à 
chercher  un  asyle,  brisé  et  brûlé  les  reliques  des  saints,  les 
croix  et  les  calices,  renversé  les  images,  profané  les  vêtements 
et  ornements  consacrés  au  service  de  Dieu,  les  ayant  convertis 
en  habits  pour  elle;  elle  a  fait  brûler  les  livres,  et,  comme  une 
ennemie  enragée  du  service  et  de  l'honneur  de  Dieu,  avec  l'in- 
tention de  le  détruire  complètement,  elle  a  rempli  tout  le  pays 
de  la  Guyenne  de  trompeurs,  de  fluissaires,  qu'on  appelle  des 
ministres  et  contraint  le  pauvre  peuple  d'aller  et  d'assister  à 
leurs  faux  sermons  ' . 

1.  Factum,  sans  date  ni  signature,  en  espagnol,  communiqut; 
par  un  affidé  venu  de  France  à  l'évêque  de  Cuenca,  confesseur 
de  Philippe  II  (Arch.  nat.,  K.  1190,  n"  i7). 


CHAPITRE  TREIZIEME. 


Depuis  le  25  juillet  15(31  jusqu'à  la  lin  de  novembre. 


Convocation  du  colloque  de  Poissy  C^b  juillet  15G1). 

États  généraux  de  Pontolse  (1  ""  aoiit) .  —  Refus  du  pai^- 
lement  d' enregistrer  V ordonnance  d'Orléans.  — Des- 
titution du  'premier  'président  Le  Maistre  (18  août). 

—  Asse'ïïiblée  générale  de  Saint-Germain  {%!  août) . 
Le  pape  envoie  le  cardinal  de  Ferrure  à  la  cour.  — 

Affaire  Artus  Désiré.  — Arrestatioti  d'un  courrier  du 
nonce  en  Piémont. 
Arrivée  des  ministres  réformés  à  Poissy.  —  Première 
et  seconde  séance  publique  du  colloque  (9  <?H  6  sept.). 

—  Arrivée  du  cardinal  de  Ferrure  à  la  cour  (1 8  sept.) . 

—  Troisième  et  quatrième  séance  du  colloque  (24  et 
26  sept.).  —  Le  cardinal  de  Lorraine  somme  les 
ministres  d'adhérer  à  la  confession  d'Augsbourg.  — 
Arrivée  de  Baudouin  et   des   docteurs   allemands. 

—  Mariage  de  Jean  de  Rohan  à  Argenteuil  (2>'i^  sept .) . 

—  Dernières  séances  du  colloque  (29  sept.,  4  et 
9  oct.).  —  Dernières  séances  des  états  de  Pontoise. 


144  ANTOINE   DE    BOURBON 

Le  saint-siège  avait  convoqué,  pendant  le  règne  de 
François  F",  un  concile  œcuménique  à  Trente  pour 
juger  les  controverses  soulevées  par  l'hérésie  luthé- 
rienne ;  mois  la  lenteur  des  sessions  sanctionnait  en 
fait  l'impunité  de  la  Réforme.  En  attendant  un 
arrêt  définitif,  le  roi  de  Navarre  avait  introduit  dans 
l'article  6  de  l'édit  de  juillet,  malgré  l'opposition  de 
la  reine*,  une  disposition  passagère  cjui  créait  un  con- 
cile gallican.  «  Voulons  que  les  juges  séculiers  pro- 
«  cèdent  par  manière  de  provision  et  jusques  à  la 
«  détermination  du  concile  général  ou  de  l'assem- 
«  blée  des  pivlats  de  notre  royaume- »  La  nou- 
velle session  des  t^tats  généraux,  suite  des  États 
d'Orléans,  était  proche.  Le  conseil  du  roi  proposa  à 
la  reine  de  réunir  en  même  temps  les  États  et  l'assem- 
blée des  prélats  pour  les  gouverner  l'un  par  l'autre, 
et  les  deux  corps  furent  convoqués,  l'un  à  Pontoise, 
l'autre  à  I^oissy,  pour  les  derniers  jours  de  juillet. 

Les  États  d'Orléans  s'étaient  ajournés  à  Melun  pour 
le  1  "  mai  1 561 .  Le  1 8  février^  le  roi  avait  enjoint  aux 
trois  ordres  de  chafjue  sénéchaussée  de  désigner  un 
député  aux  assemblées  provinciales  K  Chaque  province, 
après  avoir  soumis  les  propositions  royales  à  une  nou- 
velle délibération,  devait  nommer  un  député  chargé 


1.  l^eWeïovesl^  Les  f/randes  Annales,  1579,  in-foL,  t.  II,  f.  i6'2â  v°. 

2.  Édit  (le  juillet  dans  Foulanon,  t.  IV,  p.  265. 

3.  Cette  Di-dounance  est  rapportée  dans  une  ordonnance  du 
sénéchal  des  Landes  du  28  février  (¥=  de  Colbert,  vol.  27,  f.  293). 

^.  Dans  une  ('tude  jinbliée  en  janvier  1883  dans  la  Revue  histo- 
rique, M.  Babeau  établit  que  re  tut  aux  élections  de  1560  que  les 
canipapnos  jirireut  part  pour  la  première  fois  aux  élections  des 
députés.  Avant  cette  date,  la  rédaction  des  cahiers  et  la  nomi- 
nation des  députt's  n'appartenaient  qu'aux  villes. 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  145 

(Je  la  représenter  aux  États  généraux.  Les  trois  ordres 
s'étaient  réunis  dans  la  capitale  de  leur  province, 
mais,  au  lieu  de  discuter  les  propositions  dont  ils 
étaient  saisis  sur  les  finances,  ils  avaient  élaboré 
divers  plans  de  réformes  politiques  et  religieuses. 
Le  mouvement  fut  général.  Averti  de  ces  tendances 
par  les  résolutions  des  assemblées  primaires  de  Paris, 
le  roi  annula,  le  25  mars,  les  délibérations  prises  et 
convoqua  de  nouveau  les  gens  des  trois  états  à  leur 
siège  officiel  pour  le  25  mai  ^ . 

Les  États  généraux  enfin  constitués  se  réunirent  à 
Pontoise  le  l*^""  août.  Ils  se  montraient  résignés  à  des 
sacrifices  pour  combler  les  vides  du  trésor  royal,  mais 
ils  ne  promettaient  leur  concours  qu'au  prix  de  conces- 
sions politiques-.  C'est  peut-être  le  signe  le  plus  signi- 
ficatif des  progrès  de  la  Réforme  que  ces  vœux  impé- 
rieux imposés  par  les  États  en  retour  de  leurs  votes  ; 
entre  le  monarque  et  ses  sujets  la  confiance  n'existe 
plus  ;  ils  passent  des  marchés  ;  les  sujets  payent  les 
dettes  du  prince  et  le  prince  abandonne  une  part  de 
l'autorité  souveraine.  C'est  une  aliénation  en  détail,  à 
titre  onéreux,  des  prérogatives  du  pouvoir  absolu. 
Un  mouvement  analogue  avait  libéré  les  communes 
au  xii^  et  au  xiii^  siècle.  Dès  les  premières  séances 
les  États  refusèrent  de  reconnaître  la  convention  de  la 
reine  mère  et  du  roi  de  Navarre,  lis  demandaient  que 
la  régence  fût  attribuée  au  premier  prince  du  sang,  et 
qu'un  conseil  de  contrôle,  élu  par  les  députés  et  dont 

1.  Ordonnance  visée  dans  un  rapport  de  Burie  (Coll.  Dupuy, 
vol.  588,  f.  19). 

2.  Lettre  de  Siiriano  du  25  août  (Dépèches  vénit.,  lilza  \  bis, 
ï.  70. 

III  10 


146  ANTOINE   DE   BOURBON 

les  décisions  seraient  obligatoires,  fût  associé  au  nou- 
veau gouvernement.  La  théorie  du  régime  constitu- 
tionnel surgissait  en  France  plus  de  cent  ans  avant  son 
triomphe  en  Angleterre.  Averti  de  ces  tiraillements, 
Ghantonay  saisit  un  prétexte  pour  en  conférer  avec  la 
reine  ;  elle  le  reçut,  mais  elle  ne  lui  demanda  pas  ses 
conseils  et  l'ambassadeur  ne  trouva  pas  l'occasion  de 
les  lui  exprimer'.  Catherine  ne  voulait  pas  de  l'in- 
tervention espagnole  dans  les  troubles  intérieurs. 
A  défaut  du  chancelier,  un  peu  discrédité  aux  États, 
elle  envoya  aux  députés  André  Guillart  du  Mortier,  con- 
seiller du  roi,  qui  avait  des  intelligences  dans  chaque 
parti.  Du  Mortier  échoua  et  la  reine  fit  plaider  suc- 
cessivement sa  cause  par  Coligny  et  par  le  roi  de 
Navarre  lui-même.  L'amiral  surtout  montra  de  l'ha- 
bileté. Le  clergé  se  laissa  convaincre  facilement  par 
les  avocats  de  la  régente,  d'autant  que  les  délibérations 
de  l'assemblée  de  Poissy  absorbaient  en  ce  moment 
les  membres  de  l'ordre  ecclésiastique.  La  noblesse  céda 
aussi,  mais  de  mauvaise  grâce.  Elle  exigea  qu'une 
déclaration  royale  établît  en  pi'opres  termes  que  la 
régence  était  accordée  à  la  reine  mère  en  raison  de 
ses  hautes  qualités  personnelles  et  non  en  raison  de  sa 
dignité  de  mère  du  roi-.  Malgré  ces  correctifs,  le  tiers 
état  relusa  obstinément  son  assentiment  ■.  Mais  la  majo- 
rité de  l'assemblée  générale  ratifia  le  pacte  de  la  régente 
et  du  lieutenant  général^. 

1.  Lettre  originale  en  espagnol  de  Ghantonay  au  roi  d'Espagne 
du  If)  août  (Arch.  nat.,  K.  1195,  n°  63).  —  Voyez  aussi  la  lettre 
(lu  Jl  août  (Ibid.,  K.  1194,  n»  91). 

2.  Lettre  de  Suriano  du  25  août  (Déi).  vénit.,  illza  1  bis,  f.  76). 

3.  Lettre  de  Tlirockmortoa  du  19  iwùi  {Calendars,  1561,  p.  262). 
'i.  Lettre  de  Throckniortou  du  19  août  (Calendars,  1561,  p.  262j. 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  147 

Ce  point  réglé  définitivement,  non  sans  froisse- 
ments, les  deux  ordres  civils  présentèrent  une  l'equête 
plus  impérieuse  que  la  première.  Depuis  la  clôture 
des  États  d'Orléans,  le  chancelier  de  L'Hospital  éla- 
borait une  ordonnance,  qui  remaniait  à  fond  l'orga- 
nisation administrative,  et  qui,  sur  le  terrain  de  la 
justice,  sur  l'assiette  des  tailles  et  des  aides,  accordait 
aux  doléances  du  tiers  toutes  les  concessions  compa- 
tibles avec  les  mœurs  du  temps  ^  Les  principales 
clauses  de  cet  édit  étaient  connues  des  députés,  bien 
qu'il  n'eût  pas  encore  été  publié.  A  l'unanimité  ils 
demandèrent  la  promulgation  immédiate  de  l'édit,  sa 
mise  en  pratique  dans  le  ressort  de  toutes  les  séné- 
chaussées et  ne  promirent  leur  concom^s  financier  qu'.à 
ce  prix. 

Le  conseil  avait  prévu  cette  exigence,  et,  la  veille 
même  de  la  réunion  des  États,  le  28  juillet,  la  reine 
mère  avait  communiqué  l'édit  au  parlement  avec  une 
lettre  du  roi  qui  demandait  l'enregistrement  immé- 
diat'^. La  cour  se  mit  à  l'étude,  mais  la  lenteur  tradi- 
tionnelle des  gens  de  robe,  jointe  à  l'importance  de 
l'édit,  prolongea  la  délibération.  Le  4  août,  la  reine 
envoya  au  parlement,  par  Odet  de  Selve,  l'ordre  d'abré- 
ger l'examen.  L'ambassadeur  était  bien  choisi.  Fils 
d'un  ancien  premier  président,  il  avait  été  lui-même 
conseiller  dans  sa  jeunesse.  En  quatre  jours  la  cour 
n'avait  discuté  que  le  premier  article.  Le  8  août,  nou- 


1.  Isambert,  Recueil  des  anciennes  lois,  t.  XIV,  p.  64. 

2.  Lettre  du  roi  au  parlement  du  28  juillet  (Copie;  T.  fr., 
vol.  16477,  f.  167).  —  Lettre  de  la  reine  au  même  {Ibid.).  La 
reine  s'excuse  d'avoir  mis  tant  de  lenteur  à  envoyer  le  texte  de 
l'ordonnance. 


148  ANTOINE   DE    BOURBON 

velle  injonction  apportée  par  de  Selve*.  Le  9,  le  roi 
de  Navarre,  acconipa<;né  des  princes  de  Condé  et  de  La 
l\oclie-sur-Yon,  du  duc  d'Estampes  et  d'une  foule  de 
seigneurs,  se  présenta  en  séance.  Il  pria  le  parlement 
d'accepter  l'édit  dans  son  ensemble,  sans  le  discuter  en 
détail,  et  fit  valoir  la  nécessité  d'état  imposée  par  l'as- 
semblée de  Pontoise,  qui  refusait  le  moindre  subside 
pendant  que  rordonnance  du  31  janvier  restait  en  sus- 
pens. Le  premier  président,  Antoine  Le  Maistre,  répon- 
<lil  (|uc,  le  parlement  n'ayant  pas  été  convoqué  aux 
états  d'Orléans,  malgré  les  j)récédenls,  la  cour  suprême 
n'avait  pris  aucune  part  aux  discussions  préliminaires 
de  l'édit,  qu'elle  ne  pouvait  se  dispenser  de  l'étudier 
article  par  article  :  «  Il  y  a,  dit-il,  des  articles  qui  pas- 
ce  seront  sans  difficulté,  aussy  il  y  en  a  d'autres  où  il 
«  y  aura  difficultés,  qui  pourront  estre  trouvés  schis- 
«  matiques  el  grandement  douteux,  mais  de  précipiter 
«  les  opinions,  cela  ne  se  peut  bonnement  faire-.  » 
Ce  magistrat  était  animé  de  passions  ardentes  ■*  et 
s'était  fait  des  ennemis  dans  l'entourage  du  roi.  Le 
cliancelierde  L'IIospital  était  un  de  ses  adversaires  au 
conseil.  Le  prince  de  Condé,  par  esprit  de  parti,  ou 
en  souvenir  de  ses  démêlés  personnels,  avait  juré  sa 
perte.  Un  jour,  à  la  suite  d'un  arrêt  vigoureusement 
libellé   contie   les  assemblées  religieuses,  Condé   lui 

1.  Récit  lie.  l'affaire  du  promipr  présidont  (Copie;  f.  tV,, 
vol.  IG'iTT,  f.  170,  174  el  176). 

2.  Suriano  dit  (jue  le  premier  président  avait  été  maladroit  et 
âpre  dans  sa  réponse  (Lettre  du  '25  août;  Dépêches  vénit.,  iilza 
■'i  bis,  r.  70). 

;i  Throckmorton  d(inne  cette  explication  de  sa  disgrâce,  d'ac- 
cord avec  les  autres  ami)assadeurs  (Calendars,  1561,  p.  "280). 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  149 

envoya  dire  «  qu'il  vouloit  luy  faire  couper  le  nez^  » 
Quelque  passionnée  qu'ait  pu  être  l'intolérance  du  pre- 
mier président,  quelque  peu  mesurée  qu'ait  été  son 
hostilité  contre  Condé,  il  était  courageux  et  intègre. 
Dans  l'affaire  de  l'enregistrement  de  l'édit  d'Orléans, 
il  obéissait  à  ses  devoirs.  Obliger  la  cour  suprême  à 
accepter  sans  examen  une  ordonnance  qui  touchait  à 
toutes  les  lois,  civiles  et  religieuses,  c'était  lui  donner 
le  droit  de  redouter  une  surprise. 

La  réponse  du  premier  président  laissa  le  roi  de 
Navarre  sans  parole.  Antoine  pria  la  cour  d'envoyer 
au  roi  deux  présidents  de  chambre  et  l'assemblée 
désigna  sur-le-champ  Christophe  de  Thou  et  Paul  de 
Foix.  Le  prince  manifesta  l'intention  de  siéger  et 
prit  place  à  son  rang  sur  les  bancs  de  la  cour. 
Le  Maistre  lui  remontra  que,  n'ayant  pas  assisté  aux 
séances  précédentes,  il  ne  pouvait  prendre  part  à  la 
délibération  du  jour  et  l'invita  à  se  retirer.  Antoine, 
de  plus  en  plus  troublé,  hésita  un  moment.  Un  des 
vice-présidents,  François  de  Saint-André,  lui  observa 
que  «  la  forme  de  céans  »  interdisait  aux  conseillers 
d'opiner  en  sa  présence  et  que  quatre  conseillers  atten- 
daient son  départ  pour  formuler  leur  vote.  Le  prince 
se  leva  de  son  siège  et  quitta  la  salle  avec  son  cortège. 

Le  11  août,  les  présidents  de  Thou  et  Paul  de  Foix 
se  rendirent  à  Saint-Germain.  Arrivés  avant  huit  heures 
du  matin,  ils  demandèrent  une  audience  à  la  reine; 
elle  refusa  de  les  recevoir  à  cette  heure  matinale  «  [)our 
«  son  indisposition  »  et  les  ajourna  à  l'après-midi.  Le 
soir  ils  furent  admis  et  reproduisirent,  peut-être  avec 

1.  Lettre  de  Tornabuoni  du  Î3  août  \Nigoc.  de  la  Franco  avec  la 
Toscane,  t.  lU,  p.  459). 


150  ANTOINE    DE   BOURBON 

moins  d'aigreur,  les  observations  de  Le  Maistre.  Cathe- 
rine répondit  que  le  roi  n'avait  soumis  l'édit  à  la  cour 
que  par  déférence,  «  qu'il  falloit  prendre  garde  que, 
«  par  une  curiosité  et  longueur  trop  grande,  elle  n'abu- 
«  sast  de  cest  honneur.  »  Le  roi  de  Navarre  dit  qu'il 
avait  trouvé  le  parlement  bien  disposé,  mais  son  chef 
c(  trop  licencieux  en  sa  responce.  »  Le  chancelier  de 
L'IIospital  conclut  que,  les  paroles  du  premier  prési- 
dent ayant  été  pi'ononcées  au  nom  de  la  cour,  la  cour 
devait  les  désavouer.  Cet  ordre  de  désaveu  consterna 
de  Thou  et  Paul  de  Foix  ;  mais  ils  essayèrent  en  vain 
de  fléchir  la  reine.  Le  chancelier  insista  sur  la  pré- 
tendue offense  infligée  à  la  majesté  royale  et  la  reine 
sur  la  réparation  qui  lui  était  due. 

Le  lendemain,  12  août,  la  cour  entendit  le  récit  de 
l'ambassade  des  deux  magistrats.  Le  désaveu  imposé 
parla  régente  fut  mis  en  délibération.  Avant  de  sou- 
mettre son  premier  dire  à  un  examen  contradictoire, 
IjC  Maistre  demanda  à  récuser  certains  conseillers.  La 
cour  lui  accorda  un  «  délai  pour  y  penser,  »  et  le 
vieux  magistrat  se  retira  hors  du  palais.  Pendant  la 
séance,  Odet  de  Selve  reparut  à  la  barre  et  lut  de  nou- 
veaux ordres  du  roi.  Il  était  chargé  d'obtenir  sans 
désemparer  le  désaveu  des  réponses  de  Le  Maistre 
et  la  vérification  de  l'édil.  La  cour  lui  donna  acte  et 
arrêta  d'envoyer  au  roi  les  présidents  de  chambre  en 
exercice.  De  Selve  sorti,  la  cour  s'enquit  du  traître 
qui  avait  pu  révéler  au  roi  les  termes  mêmes  du  dis- 
cours du  premier  président.  Chaque  conseiller  s'ex- 
cusa par  serment.  L'enquête,  du  reste,  était  de  pure 
forme  juiisque  les  paroles  incriminées  avaient  été 
recueillies  par  le  roi  de  Navarre. 


ET  JEANNE   d'aLBRET.  151 

Le  18  août,  MM.  Jean  Picot,  Jean  Vaillant  et  Bap- 
tiste du  Mesnil,  députés  du  parlement,  furent  reçus  à 
Saint-Germain  par  le  roi  de  Aavarre,  qui  se  plaignit 
encore  une  fois  de  l'accueil  du  premier  président, 
«  estant  luy  conseiller  laie  receu  en  ccste  court  par 
«  serment.  »  La  reine  les  fit  attendre  jusqu'au  lende- 
main et  les  reçut  en  plein  conseil  privé.  Un  secrétaire 
d'état  les  pressa  de  désavouer  les  déclarations  du 
premier  d'entre  eux.  Les  magistrats  délégués  sup- 
plièrent le  roi  de  ne  pas  se  tier  à  des  révélations 
mensongères  et  présentèrent  leurs  registres,  dont 
Claude  de  l'Aubespine  donna  lecture.  Ce  texte,  le  seul 
qui  soit  arrivé  jusqu'à  nous,  ne  contient  aucune  parole 
offensante  pour  le  roi  de  Navarre  ou  pour  la  reine 
mère.  A  peine  critique-t-il  certains  articles  de  l'édit, 
sans  désignation  particulière,  et  la  précipitation  que 
le  roi  exigeait  pour  l'enregistrement  de  l'édit.  Mais 
au  fond  des  reproches  que  la  reine  et  le  lieutenant 
général  adressaient  à  Le  Maistre,  il  y  avait  une  question 
de  politique  qui  primait  toute  justice  ^ 

Le  chancelier  de  L'Hospital,  qu'on  regrette  de 
trouver  complice  d'une  des  iniquités  de  ce  règne, 
termina  la  séance  par  des  menaces. 

Vous  vous  efforcez  d'excuser  la  faulte  du  premier  président. 
Vous  feriez  bien  de  mettre  aussy  grande  peine  de  recevoir 
bénignement,  ainsy  que  vous  debvcz,  les  édits  et  ordonnances 
que  le  roy  vous  envoyé,  ce  que  vous  ne  faites,  qui  apporte 
scandale  à  ses  subjects.  Quant  est  de  la  faute  du  premier  pré- 
sident, le  roy  advisera  d'en  faire  punition,  non  pas  telle  quil 
mérite,  mais  selon  sa  bonté  et  miséricorde.  Et,  quant  aux  révé- 

1.  Tel  est  le  jugement  de  Ghantunay  (Lettre  originale  en  espa- 
gnol du  21  août;  Arch.  nat.,  K.  li'ji,  u°  91). 


152  ANTOINE   DE    BOURBON 

lalioiis,  on  trouve  estrange  que  vous  faites  plainlc  desdils  révé- 
lateurs en  ccst  endroit,  car  le  contenu  au  mémoire  envoyé  en  la 
cour  du  parlement  est  la  réponse  du  premier  président  faite  au 
roi  de  Navarre  en  présence  des  princes,  laquelle  ils  ont  rappor- 
tée au  roy  et  à  la  roync.  Et  vostre  registre  est  déguisé,  ne  con- 
tenant ce  que  le  premier  i)résident  a  dit.  Au  reste,  nous  sca- 
vous  ce  que  vous  faites  en  vostre  cour.  Partant  ferés  bien  de 
punir  les  révélations,  qui  sera  mieux  employé  que  en  cest  endroit. 

Le  1 9  août,  on  attendit  en  vain  le  premier  président 
au  palais.  L'heure  de  la  séance  avait  depuis  longtemps 
sonne  quand  la  cour  envoya  Gabriel  Bruslé,  un  des 
clercs  du  greffe,  pour  connaître  les  causes  de  son 
absence.  Le  Maistre  répondit  c|ue  la  veille,  à  cinq 
lieui'Cïs  du  soir,  il  avait  reçu  un  lieutenant  des  gardes 
chargé  de  lui  défendre,  an  nom  du  roi,  de  remonter 
sur  sonsiège^.  Sur-le-champ,  la  cour  députa  les  gens 
(lu  ])arquet  à  Saint-Germain.  Le  soir,  les  présidents 
lîaillet,  Séguier  et  du  Drac  allèrent  consulter  le  roi  de 
Navarre,  présent  à  Paris.  Antoine  était  fâché  de  se 
mettre  en  antagonisme  avec  la  cour  suprême,  sans 
motifs  sérieux,  même  pour  plaire  à  la  reine.  Il  répondit 
qu'il  était  «  despiaisant  du  cas  qui  s'offre,  que  lors- 
«  qu'il  partit  de  ceste  ville  pour  s'en  retourner  à 
«  Saint-Germain,  il  ne  pensoit  trouver  les  choses  en 
«  tel  estât,  qu'il  aime  ceste  compaignie  et  fera  pour 
«  elle  ce  qu'il  pourra  de  bon  cueur,  toutesfois  craint 
«  qu'il  n'y  ail  ici  de  la  ditHiculté  ;  ne  venoit  cela  de 
«  luy » 

Des  négociations  s'engagèrent  entre  le  conseil  privé 

1.  liDnlounanco  du  mi  n'est  pas  reproduite  dans  les  registres 
(in  iiarlemeut,  uiais  etie  se  retrouve  dans  le  f.  fr.,  vol.  10190,  non 
l»agiiu". 


ET   JEANNE    d'ALBRET.  153 

et  le  parlement,  et  les  gens  du  roi  délégués  ne  se  pré- 
sentèrent à  Saint-Germain  que  le  27  août.  Baptiste  du 
Mesnil,  avocat  général,  représenta  à  la  reine,  dans  un 
discours  ampoulé,  qui  remontait  aux  Grecs  et  aux 
Romains,  qu'un  magistrat  ne  pouvait  être  dépouillé 
de  sa  charge.  Le  conseil  délibéra  plus  d'une  heure 
pendant  que  les  députés  du  parlement  attendaient 
dans  une  galerie  voisine.  Enfin,  le  chancelier  leur 
communiqua  la  décision  ;  il  accusa  de  nouveau  le 
premier  président  et  maintint,  sans  la  justifier,  la 
défense  faite  à  ce  magistrat  de  prendre  séance  à  la 
cour. 

Le  même  jour,  le  roi  interdit  au  parlement  de 
l'importuner  de  ses  requêtes  ou  de  ses  plaintes  sans 
autorisation  particulière.  Le  9  septembre,  le  roi  et  la 
reine  réclamèrent  de  nouveau  la  vérification  de  l'édit. 
Le  lendemain,  10  septembre,  nouvelle  injonction.  De 
tels  ordres,  accompagnés  de  menaces  peu  déguisées, 
qui  avaient  laissé  le  premier  président  impassible, 
firent  fléchir  la  fermeté  des  autres  conseillers.  L'édit 
d'Orléans  fut  enregistré  le  12  septembre  avec  des 
réserves  qui  portaient  sur  quatorze  articles^ .  Le  procu- 
reur général  les  développa  dans  son  réquisitoire,  et  la 
cour  les  résuma  dans  ses  remontrances  au  roi  ^.  Mais  les 


1.  Ces  articles  sont  les  1,  4,  9,  22,  32,  43,  44,  45,  46,  47,  56,  02, 
73  et  93.  —  Voyez  la  note  suivante. 

2.  Le  récit  que  nous  avons  présenté  de  ralVaire  du  président 
Le  Maistro  est  tiré  de  deux  copies  des  registres  du  conseil  du 
parlement;  l'une,  f.  fr.,  vol.  16477  et  suiv.  ;  l'autre,  1".  fr.,  vol.  23750, 
non  paginé.  —  Plusieurs  autres  pièces  relatives  à  cette  même 
affaire  sont  imprimi^es  dans  le  Recueil  de  pièces  originales  cl  aulhen- 
tiques  concernant  la  tenue  des  étals  généraux,  Paris,  chez  Barrois, 
1789,  tome  I",  p.  287  et  suiv. 


154  ANTOINE   DE    BOURBON 

résultats  poursuivis  par  la  reine  mère  et  par  le  chan- 
celier n'en  étaient  pas  moins  acquis  ;  l'édit  d'Orléans 
avait  force  de  loi  dans  tous  les  ressorts  du  royaume. 
Les  hommes  sages  pouvaient  s'en  féliciter,  puisque  la 
nouvelle  législation  constituait  un  progrès,  mais  ils 
regrettèrent  qu'un  progrès  fût  acquis  au  prix  d'une 
injustice.  Quant  au  premier  président,  son  opposition 
courageuse  se  perdit  dans  le  courant  qui  entraînait 
lous  les  corps  de  l'État  vers  la  guerre  civile.  Le 
Maistre  ne  remonta  sur  son  siège  que  le  9  décembre 
1561.  Peu  de  temps  après,  il  résigna  sa  charge  aux 
mains  du  roi,  et  mourut  le  6  décembre  15621  ^. 

Pendant  que  les  députés,  assemblés  à  Pontoise,  pres- 
saient la  reine  mère  de  leurs  exigences,  les  principaux 
prélats  (lu  royaume  élaboraient  le  thème  du  colloque 
de  Poissy.  L'idée  de  controvcrser  les  dogmes  de  la  reli- 
gion dans  une  réunion  ofTicielle,  comme  une  ordon- 
[lance  au  conseil,  avait  progressé  dans  les  esprits,  et, 
par  une  singulière  fortune,  le  concile  gallican  était 
approuvé  de  tous  les  partis.  Le  roi  de  Navarre  le  sou- 
tenait comme  son  œuvre '^,  sans  discerner  ses  dangers 
ou  ses  avantages.  Les  réformés,  fiers  de  paraître  en 
égaux  devant  les  princes  de  l'église,  se  glorifiaient 
d'être  appelés  à  saisir  corps  à  corps  en  public  pour 
la  première  fois  la  doctrine  romaine.  Le  plus  habile 
défenseur  de  la  religion  catholique,  le  cardinal  de 
Lorraine,  n'était  pas  insensible  aux  triomphes  que  la 
lutte  oratoire  lui  ménageait  ;  mais,  au  fond,  il  obéis- 

1.  Mémoires  de  Condc,  t.  I,  p.  65  et  103. 

2.  Navarrenus...  nationalis  quod  vocant  concilii  spem  facit 
(Loltre  de  de  Bèze  du  2'i  mai  1501  ;  Baum,  Theodor  /?(?2fl.  Appen- 
dice, p.  33). 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  155 

sait  à  une  ambition  plus  élevée.  Informé  des  diver- 
gences passionnées  qui  séparaient  les  Calvinistes  et  les 
Luthériens  en  Allemagne,  il  voulait  les  mettre  aux 
prises,  les  battre  l'un  par  l'autre  et  utiliser  les  varia- 
tions de  chaque  docteur  pour  l'acculer  à  ses  propres 
contradictions'. 

Le  chancelier  de  L'Hospital  poursuivait  le  rêve 
d'une  transaction  entre  les  deux  cultes-,  comme  si 
une  religion  pouvait  faire  des  concessions  de  dogme. 
Seul  le  cardinal  de  Tournon,  «  vieux  routier  en  affaires 
«  d'estat,  »  jugeait  avec  bon  sens  les  dangers  du 
colloque.  Sa  protestation  ne  fut  pas  écoutée,  mais  il 
refusa  «  d'apparier  à  soy  »  les  ministres  hérétiques^. 
Il  ne  fut  appuyé  que  par  le  maréchal  de  Saint-André. 
Le  3  septembre,  pendant  une  séance  du  conseil,  à 
l'occasion  d'une  plainte  portée  contre  Antoine  d'Albon, 
archevêque  de  Lyon  en  survivance,  neveu  et  lieutenant 
du  maréchal  en  Lyonnais,  Saint-André  s'en  prit  au  roi 
de  Navarre  de  l'illégitimité  du  concile  national,  et 
soutint  qu'il  était  contraire  aux  devoirs  du  roi  très 
chrétien  d'aboucher  des  princes  de  l'église  avec  des 
moines  apostats.  Antoine  répondit  avec  vivacité,  et, 
de  réplique  en  réplique,  les  deux  seigneurs  en  vinrent 
aux  menaces.  Le  prince  se  retranchant  dans  sa  dignité 


1.  Cet  aperçu,  qui  a  été  adopté  par  tous  les  historiens,  a  été 
signalé  par  Gastelnau  {Mémoires,  liv.  III,  chap.  4,  1731,  t.  I, 
p.  73).  Gastelnau  observe  que  Charles-Quint  avait  fait  de  même, 
vingt  ans  auparavant,  au  colloque  de  Ratisbonne.  —  C'était  à 
l'occasion  de  la  cène  que  le  cardinal  de  Lorraine  voulait  voir  aux 
prises  les  docteurs  des  deux  communions  réformées. 

2.  Lettre  de  Suriauo  du  5  août  (Dépêches  vénit.,  Ulza  i  bis, 
f.  69  v-o). 

3.  Lettres  de  Pasquier,  liv.  IV,  lettre  xi,  édit.  de  1723. 


156  ANTOINE    Dp]   BOURBON 

de  lieutenant  général,  le  maréchal  refusa  de  le  recon- 
naître pour  maître.  La  cour  s'attendait  à  les  voir  vider 
la  querelle  en  champ  clos  quand  le  maréchal  tomba 
malade.  La  reine  vint  le  visiter  dans  sa  chambre  et  le 
décida  à  partir  pour  son  château  de  Valory^. 

Catherine  de  Médicis  avait  convoqué  à  l'assem- 
blée de  Poissy,  par  lettres  du  25  juillet,  les  prélats 
qui  faisaient  partie  des  Etats  généraux  de  Pontoise  et 
les  représentants  des  églises  réformées  ~.  Chaque 
prince,  poursuivant  le  triomphe  de  ses  intérêts,  essayait 
d'y  introduire  les  docteurs  inféodés  à  sa  politique.  Le 
roi  de  Navarre  invita  Théodore  de  Bèze,  avec  lequel 
il  s'était  accordé  d'avance  l'année  précédente,  et  cer- 
tains docteurs  de  l'église  de  Genève^.  Condé,  Coligny, 
les  chefs  du  parti  huguenot,  appelèrent  Calviti  avec 
instance.  Mais  l'illustre  réformateur  se  donna  garde  de 
commettre  sa  réputation  devant  un  cénacle  d'évêques. 
11  répondit  que  «  la  Seigneurie  »  le  retenait  à  Genève, 
mais  qu'elle  autorisait,  non  sans  regret,  de  Bèze  à  se 
séparer  momentanément  d'elle^. 

Les  prélats  présents  aux  états  de  Pontoise  se  réu- 
nirent à  l^oissy  le  30  juillet.  Ils  étaient  au  nombre  de 
quarante,  sans  compter  les  cardinaux  de  Tournon,  de 

1.  Lettre  de  Throckmortoii  du  11  septembre  (Calendars,  1561, 
p.  301).  —  Lettres  de  Ghautonay  à  Philippe  II  des  4, 12  et  21  sep- 
tembre (Orig.  cspag.  ;  Arcb.  nat.,  K.  Ii9i,  n«s  97,  101,  et  1495, 
n»  70).  —  Dans  sa  lettre  du  28  octobre,  Ghantonay,  revenant  sur 
la  dispute  du  roi  de  Navarre  avec  Saint-André,  déclare  qu'il  y  a 
du  doute  sur  les  causes  de  cette  querelle  (Ibid.,  K.  1494,  i\°  105). 

2.  Ces  lettres  sont  reproduites  dans  les  Mémoires  de  Condé,  t.  II, 
p.  41. 

3.  Sa  lettre  à  'riu^'odore  <le  Hèze  est  imprimée  jiar  liauni,  Théo- 
dor  Ikza,  Appendice,  p.  35. 

4.  Lettres  de  Calvin,  t.  II,  p.  424  et  note. 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  157 

Lorraine,  d'Armagnac,  de  Bourbon,  de  Chastillon  et 
de  Guise  ' .  Les  six  cardinaux  et  six  autres  évêques, 
désignés  par  leurs  collègues,  se  constituèrent  en 
commission  pour  recevoir  les  propositions  de  tous  les 
corps  ecclésiastiques  du  royaume.  Deux  cardinaux  et 
deux  évêques  furent  chargés  des  négociations  du  con- 
cile à  la  cour.  Avant  d'ouvrir  leurs  travaux,  le 
dimanche  3  août,  ils  assistèrent  à  une  messe  du  Saint- 
Esprit,  célébrée  par  le  cardinal  d'Armagnac,  où  tous 
les  prélats  communièrent,  excepté  le  cardinal  de 
Chastillon,  Jean  de  Monluc,  évêque  de  Valence, 
l'évêque  d'Uzès  et  trois  docteurs,  qui  prirent  part  à 
la  cène,  suivant  le  rite  de  Genève'. 

Dès  la  première  séance,  les  prélats  travaillèrent 
à  déterminer  le  thème  du  concile.  La  reine  mère  leur 
communiqua  un  résumé  en  six  articles  de  la  thèse 
canonique  des  réformés  ^  Les  évoques,  sous  la  prési- 
dence du  cardinal  de  Lorraine,  rédigèrent  un  ques- 

1.  Mémoires  de  Claude  Despence  (f.  fr.,  vol.  17813,  f.  8).  Claude. 
Despence  était  un  théologien  de  Ghâlons-sur-Marne  qui  parvint 
par  son  mérite  au  poste  de  recteur  de  l'Université  de  Paris.  Il  a 
laissé  deux  mémoires  sur  le  colloque  de  Poissy.  Le  premier  est 
un  journal,  le  second  un  compte-rendu  théologique.  Le  premier, 
de  beaucoup  le  plus  intéressant  pour  l'histoire  politique,  est  con- 
servé en  copie  à  la  Bibliothèque  nationale  dans  le  vol.  17813  du 
fonds  français  et  dans  le  vol.  641  de  la  collection  Dupuy.  Il  a  été 
utilisé  par  M.  Klipffell  dans  son  étude  sur  le  Colloque  de  Poissy, 
Paris,  in-18,  s.  d.  —  Le  second  mémoire  de  Despence  est  égale- 
ment conservé  en  copie  dans  le  vol.  17813  du  f.  fr. 

2.  Lettre  de  Suriano  du  5  août  (Dépêches  vénit.,  lil/.a  'i  bis, 
f.  69  v°).  —  Claude  Despence  dit,  dans  ses  mémoires,  qu'ils 
communièrent  «  à  leur  mode  »  dans  l'église  de  la  paroisse  après 
un  sermon  de  l'évêque  d'Uzès  (f.  fr.,  vol.  17813,  f.  8  v«). 

3.  Cette  pièce  est  publiée  par  M.  le  comte  de  La  Ferrière  dans 
Le  XVI''  siècle  el  les  Valois,  in-S»,  p.  .55. 


158  ANTOINE   DE   BOURBON 

tionnaire  en  douze  articles,  qui  touchait  à  la  fois  aux 
réformes  de  l'église  et  aux  prétentions  calvinistes^. 
Mais  déjà  les  intrigues  de  la  cour  troublaient  les 
conférences  des  prélats.  Les  délibérations  devaient 
être  secrètes,  et  cependant  le  récit  de  chaque  séance 
était  communiqué  à  la  reine.  Un  jour,  l'assemblée 
reçut  une  lettre  de  doléance  de  l'archevêque  de 
Bourges  sur  les  excès  des  Réformés  de  son  diocèse. 
Le  cardinal  de  Tournon,  qui  présidait,  invita  le  car- 
dinal do  Lorraine  à  adresser  des  remontrances  à  la 
reine,  sans  nommer  l'archevêque  de  Bourges.  Le  Lor- 
rain répondit  que  sa  discrétion  serait  inutile,  parce 
que,  dit-il,  «  Duodecim  sumus,  sed  unus  ex  nobis  dia- 
«  bolus  est.  »  Tous  les  regards  se  portèrent  sur  Jean 
de  Monluc,  évêque  de  Valence,  accusé  de  trahir  les 
secrets  de  l'assemblée-.  Le  17,  le  roi  de  Navarre 
reçut  une  requête,  accompagnée  d'une  profession  de 
foi  et  signée  de  deux  cents  gentilshommes  du  parti 
réformé,  qui  demandaient  à  prendre  part  aux  confé- 
rences préparatoires  du  concile.  Antoine  renvoya  la 
requête  à  la  reine,  et  Catherine  la  laissa  sans  réponse^. 
C'est  un  trait  de  ce  temps  que  des  gens  de^  guerre, 
sachant  à  peine  lire,  se  piquaient  de  théologie.  Le 
parlement  de  Paris  demanda  aussi  à  être  entendu.  Le 
conseil  lui  lit  répondre  par  le  roi  que  ce  «  n'estoit  à 
«  lad.  cour  s'enquérir  pour  quoy  et  sur  quoy  les  pré- 
«  lats    estoient   assemblés,    et,    ores    qu'ils   feussent 


1.  CoUo  piùce  inlituK'o  Thonata  concilii  csl  imprimée  dans  les 
Mémoires  de  Condé,  t.  II,  p.  'i8.  Cependant  son  authenticité,  sinon 
comme  ibnds  au  moins  comme  forme,  n'est  pas  hors  de  doute. 

2.  Mémoirca  de  Condé,  t.  II,  p.  49  et  50. 

3.  Lettre  de  ThrocknKirlon  du  V)  'A()i\[  (Calcndars,  1561,  p.  26î). 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  159 

«  assemblés  sur  ce  que  lad.  cour  estimoit,  que  néan- 
«  moins  le  roy  estoit  conservateur  des  saints  décrets 
«  et  pour  faire  vivre  en  son  royaume  ses  subjects  sous 
«  l'esglise  gallicane''.  » 

Les  États  généraux  de  Pontoise  et  les  prélats  convo- 
qués à  Poissy  passèrent  le  mois  d'août,  les  uns  à  rédi- 
ger leurs  cahiers,  les  autres  à  discuter  les  procès- 
verbaux  de  la  future  conférence.  Le  27  août,  les  deux 
assemblées  se  réunirent  en  séance  générale  dans  la 
grande  salle  du  château  de  Saint-Germain,  Le  roi 
était  sur  le  trône,  sa  mère  à  gauche  et  sa  sœur  à 
droite,  le  duc  d'Orléans  et  le  roi  de  Navarre  à  ses 
pieds,  le  connétable  et  le  chancelier  sur  des  escabeaux. 
Le  duc  de  Guise  prit  place  sur  les  marches  du  trône, 
le  bâton  de  grand  maitre  entre  les  jambes,  «  que 
«  aucuns  trouvèrent  mal  séant.  »  A  l'ouverture  de  la 
réunion  s'éleva  une  querelle  de  préséance  entre  les 
princes  du  sang  et  les  cardinaux.  Les  deux  corps  vou- 
laient siéger  à  la  droite  du  roi.  Les  traditions,  et 
notamment  les  précédents  des  états  de  Tours  de  1 484, 
établissaient  que  les  cardinaux  avaient  le  pas  sur  les 
princes,  mais  la  reine  mère  avait  solennellement 
décidé,  à  l'occasion  du  sacre,  que  les  princes  précé- 
deraient les  pairs  et  les  cardinaux-.  Après  un  violent 
débat,  prêt  à  dégénérer  en  dispute  sous  les  yeux  du 
roi,  les  cardinaux  renoncèrent  à  leurs  prérogatives. 


1.  La  remontrance  du  parlement  est  du  13  août  ;  la  réponse  du 
roi,  qui  est  accompagnée  de  lettres  de  la  reine  et  du  chancelier, 
est  du  17  août  (Registres  du  parlement,  f.  fr.,  vol.  23750,  non 
paginé). 

2.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  11  du  31  août  (Orig.  espa- 
gnol; K.  1495,  no  6i). 


160  ANTOINE   DE    BOURBON 

Seul,  le  cardinal  de  Bourbon,  frère  du  roi  de  Navarre, 
s'assit  à  droite,  en  qualité  de  prince;  les  cardinaux  de 
Chastillon  et  d'Armagnac  prirent  la  gauche  sans  protes- 
ter.Maisle  cardinal  deTournon,doyendu  sacré-collège, 
les  cardinaux  de  Lorraine  et  de  Guise  se  retirèrent  de 
l'assemblée  plutôt  que  de  céder  la  droite  à  Coudé  et 
aux  Montpensier.  Le  cardinal  de  Lorraine  reprocha  à 
la  reine  cette  atteinte  aux  anciennes  coutumes,  qui  en 
laissait  prévoir  de  plus  graves,  mais  il  n'avait  pas 
voulu,  dit-il,  en  prolongeant  la  dispute,  aggraver  les 
embarras  du  roi^.  En  sortant  de  la  salle  des  états,  le 
cardinal  de  Guise  dit  tout  haut,  à  l'adresse  de  ceux 
qui  restaient,  qu'il  y  avait  des  prélats  «  qui  faisoient 
«  honneur  au  chapeau  et  d'autres  qui  en  estoient 
«  honorés-.  » 

Le  chancelier  prit  la  parole  et  exposa  l'objet  de  l'as- 
semblée, la  détresse  du  trésor,  la  nécessité  de  trouver 
des  ressources.  Après  lui  parlèrent  Jean  Bretaigne, 
vierg'^  ou  maire  de  la  ville  d'Autun,  député  du  tiers 
état,  et  Nicolas  de  Bauffremont,  baron  de  Sennecey, 
bailli  de  Chalon,  député  de  la  noblesse.  Leurs  discours 
répondent  aux  inimitiés  du  temps  contre  le  clergé*. 

\.  Lottre  d'un  des  ambassadeurs  vénitiens,  déchiffrement  daté 
du  29  août  (Dépêches  vénit.,  tilza  4  bis,  f.  29). 

2.  La  Place,  Estât  de  relUjion  et  république,  édit.  du  Panth.  lilt., 
p.  l'iO.  —  Sic  de  Thou  [liist.  univ.,  1710,  t.  III,  p.  5G  et  suiv.). 

3.  Le  maire  d'Autun  était  nommé  vierg,  parce  que,  du  temps 
de  Jules  César,  le  premier  magistrat  de  cette  cité  se  nommait 
vergobrete. 

4.  Le  nom  du  député  de  la  noblesse  ne  nous  est  donné  que  par 
la  grande  histoire  du  président  Montagne  (f.  fr.,  vol.  15194,  f.  29). 

—  Leurs  discours  sont  conservés  dans  le  vol.  3970  du  même  fonds. 

—  Celui  du  tiers  est  pubUé  par  La  PopeUnière,  1. 1,  f.  263, 1581. 

—  Celui  de  la  noblesse  est   analysé  par  le  président  Montagne 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  161 

Les  deux  ordres  laïques  étaient  unanimes  à  mettre 
les  dettes  du  roi  à  la  charge  du  corps  ecclésias- 
tique*. Le  clergé,  qui  n'avait  pris  aucune  part  aux 
réunions  antérieures,  se  réserva  d'en  délibérer  à 
Poissy.  Le  lendemain,  les  États  de  Pontoise  se  sépa- 
rèrent. Cette  assemblée,  trop  négligée  par  les  histo- 
riens, laissait  après  elle  un  principe  nouveau,  celui 
du  contrôle  appliqué  aux  affaires  publiques.  Il  lui 
manqua,  pour  conquérir  de  grandes  réformes,  l'atten- 
tion, la  faveur  publique,  qui  à  cette  heure  se  concen- 
traient sur  le  colloque  de  Poissy-. 

{loc.  oit.).  —  Claude  de  rAubespine  écrit  à  son  frère  que  les  deux 
ordres  laïques  demandaient  des  temples  pour  faire  prêcher  «  libre- 
«  ment  la  parole  de  Dieu  et  changer  peu  à  peu  la  vieille  rehgiun.  » 
(Orig.  du  29  août;  f.  fr.,  vol.  6618,  f.  4.) 

1.  Jusqu'à  concurrence  d'un  million  de  Uvres  de  revenu  (Lettre 
orig.  de  Claude  de  l'Aubespine  à  Sébastien  de  l'Aubespine  du 
29  août  1561  ;  f.  fr.,  vol.  6618,  f.  4). 

2.  Les  états  de  Pontoise  ont  été  très  bien  jugés  dans  V Histoire 
des  états  généraux  de  M.  Picot,  t.  II,  p.  57  et  suiv.  —  Parmi  les 
anciens,  il  est  un  historien  qui  leur  a  réservé  une  grande  place, 
le  président  Montagne.  On  sait  que  sa  grande  histoire  est  inédite 
et  qu'il  n'en  reste  que  quelques  fragments.  Le  fragment  qui 
raconte  l'année  1561  (f.  fr.,  vol.  15494,  f.  29)  contient  le  résumé 
des  vœux.  A  cette  seule  énumération  on  pourra  juger  de  l'impor- 
tance des  états  de  Pontoise  : 

Approbation  et  confirmation  du  gouvernement  de  la  reine. 

Cessation  de  la  persécution  religieuse  jusqu'à  la  célébration  (hj 
concile  national. 

Don  de  temples  aux  réformés. 

Règlement  du  conseil  du  roi. 

Révocation  de  l'édit  de  juillet. 

Convocation  du  concile  national. 

Que  guerre  ne  soit  entreprise  ni  nouveau  subside  imposé  sans 
l'avis  des  états. 

Requêtes  diverses  touchant  l'institution  des  enfants  et  pour 
m  il 


162  ANTOINE   DE   BOURBON 

Au  moment  de  laisser  le  champ  libre  aux  théo- 
logiens, la  reine  mère  avait  écrit  officiellement  aux 
puissances  catholiques,  mais  en  termes  destinés  à  affai- 
blir la  portée  du  colloque.  Au  pape,  d'après  Jean  de 
Serres  et  de  Thou,  elle  remontra  que  le  grand  nombre 
des  réformés  et  leur  importance  dans  le  royaume 
imposait  peut-être  cfuelqucs  concessions  extérieures 
pour  sauver  le  dogme  ^.  Au  roi  d'Espagne,  elle  pré- 
senta l'assemblée  des  évêques  comme  un  simple  synode 
d'ordre  intérieur,  tenu  par  le  clergé,  non  pour  tran- 
cher des  questions  fondamentales,  mais  pour  éclairer 
à  l'avance  les  difficultés  soumises  au  concile  de  Trente 
et  désigner  les  représentants  du  clergé  français^.  Ces 
palliatifs  ne  désarmaient  pas  l'ambassadeur  d'Espagne. 
Il  informa  son  maître  que  la  régente  voulait  fonder  une 
église  nationale.  Chaque  jour,  il  venait  à  la  cour  et  profé- 

l'entretien  des  collèges  (vœu  en  faveur  de  l'instruction  publique). 

Enlever  toute  juridiction  aux  ecclésiastiques. 

Les  officiers  du  roi  ne  doivent  tenir  bénéfices,  ni  les  bénéfi- 
ciers  offices. 

Demande  de  rendre  compte  aux  ofliciers  de  finance  du  règne 
de  François  1"'  et  de  Henri  II. 

Restitution  des  dons  et  pensions  excessifs  des  feux  rois. 

Conseil  du  roi  de  prendre  le  tiers  du  revenu  des  bénéfices  et 
offices  ecclésiastiques,  qui  no  sont  pas  actuellement  pourvus  de 
titulaires. 

Conseil  de  prendre  la  dépouille  (succession  ecclésiastique)  des 
évoques  et  moines. 

Autres  conseils,  pour  l'acquit  des  dettes  du  roi,  jiar  l'entière 
aliénation  du  temporel  des  ecclésiastiques. 

1.  .Iciiii  de  Serres  est  le  priMuier  historien  qui  produise  le  texte 
de  cette  lettre  ;  il  la  traduit  eu  latin  {Commentariorum  de  statu 
religionis  libri  1res,  157  I,  p.  '212).  De  Tfiou  a  retraduit  le  texte  en 
français  (17U),  t.  III,  p.  GO). 

"2.  Lettre  de  Suriano  du  5  août  (Dépêches  véuit.,  lilza  -'i  bis, 
f.  m  v"). 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  163 

rait  devant  la  reine  de  nouvelles  menaces.  «  A  toutes 
«  heures,  écrit  L'Aubespine,  ce  beau  Chantonay  vient 
«  se  plaindre  de  ce  que  l'on  fait  en  France  au  fait  de 

«  la  religion Et  encore  envoya  hier,  ledit  Chanto- 

«  nay,  son  petit  secrétaire  dire  à  lad.  dame  que  son 
«  maistre  ne  se  pouvoit  plus  tenir  d'écrire  à  son  roy 

«  ce  qu'il  en  voyoit Elle  le  rembarra  fort  et  ferme 

«  et  luy  manda  qu'il  escripvist  ce  qu'il  voudroit,  l'as- 
«  seurant  que  son  maistre  la  croiroit  mieux  que  luy  ' .  » 
Fatiguée  de  ces  réclamations,  Catherine  prit  le  parti  de 
se  rendre  inabordable  pendant  quelques  jours.  Quand 
Chantonay  se  présentait  aux  portes  du  château,  hérissé 
de  plaintes  et  de  reproches,  les  officiers  de  la  maison 
du  roi  avaient  ordre  de  répondre  que  la  reine  était 
à  la  chasse  avec  le  roi  de  Navarre-. 

L'évêque  de  Viterbe,  nonce  du  pape,  prélat  souple 
et  insinuant,  négociateur  plus  mesuré  que  Chantonay, 
feignait  au  contraire  d'accepter  les  protestations  de 
la  reine  mère.  Il  reçut  avec  une  confiance  apparente 
la  promesse  que  le  colloque  de  Poissy  resterait  étran- 
ger à  toute  discussion  de  dogme  ^,  Mais  la  cour 
romaine  n'était  pas  restée  inactive,  et  Pie  IV,  avant 
l'ouverture  de  l'assemblée,  avait  pris  des  mesures 
pour  entraver  le  nouveau  concile  gallican,  d'où  pou- 
vait surgir  une  hérésie  aussi  redoutable  que  celle  de 
Luther  et  de  Calvin. 

d.  Lettre  de  Glaurlo  de  l'Aubespine  à  son  frère,  l'évêque  de 
Limoges,  ambassadeur  en  Espagne,  en  date  du  29  août  (Orig., 
f.  fr.,  vol.  6618,  f.  i). 

2.  Lettre  de  Tornabuoni  du  27  août  [Négoc.  de  la  France,  avec  la 
Toscane,  t.  III,  p.  460). 

3.  Lettre  de  Suriano  du  5  août  (Dépêches  vénit.,  lilza  h  bis, 
r.  69  v»). 


164  ANTOINE   DE   BOURBON 

Parmi  les  habiles  négociateurs  que  les  précédents 
pontificats  avaient  légués  au  règne  de  Pie  IV,  le  saint- 
siège  avait  toujours  distingué  le  cardinal  Hippolyte 
d'Esté,  fils  de  Lucrèce  Borgia  et  de  Alphonse  d'Esté, 
connu  sous  le  nom  de  cardinal  de  Ferrare.  C'était 
l'homme  d'état  le  plus  délié,  le  courtisan  le  plus 
subtil  que  le  génie  de  la  renaissance  italienne  ait 
envoyé  en  mission  à  la  cour  de  France.  Pie  IV  le  dési- 
gna, dans  un  consistoire  du  commencement  de  juin, 
comme  légat  extraordinaire  à  la  cour  de  Charles  IX, 
chargé  d'inviter  le  roi  de  France  au  concile  de  Trente  '. 
Le  cardinal  de  Ferrare  quitta  Rome  le  2  juillet,  suivi 
d'un  cortège  de  5  à  600  chevaux,  voyageant  à  petites 
journées  avec  l'apparat  d'un  grand  dignitaire  del'église^ 
Il  rencontra  à  Ferrare  l'ambassadeur  de  France  à 
Venise  et  lui  dit  qu'il  venait  à  Saint-Germain  pour 
établir  un  modum  vivendi  en  attendant  la  fin  du  con- 
cile de  Trente  ;  il  ne  demandait  à  la  reine  que  de  ne 
pas  s'engager  à  Poissy  avant  d'avoir  conféré  avec 
lui^ 

L'envoi  d'un  ambassadeur  aussi  qualifié  fit  craindre 
à  la  reine  que  la  cour  romaine  préparât  en  secret  une 
de  ces  démonstrations,  moitié  pacifiques,  moitié  mili- 
tantes, par  lesquelles,  au  moyen  âge,  elle  avait  si  sou- 
vent manifesté  sa  puissance  morale.  Le  saint-siège 
n'avait-il  pas  en  France  le  grand  duc  de  Guise  pour 
capitaine  et  les  catholiques  pour  soldats?  La  corres- 

\.  Calendars,  1561,  p.  130.  —  L'ouvragP  Facilitâtes  Hippoliti, 
card.  Ferrariensis,  conlieiil  les  pouvoirs  donnés  par  le  pape  (p.  1); 
les  Annales  de  Raynal  contiennent  les  bulles  de  Pie  IV  (t.  XXI, 
1561,  u<>=*  8'i  et  86)" 

l.  Mrinoires  de  Castelnau,  1. 1,  ji.  7'28  et  sniv.,  p.  759  et  suivantes, 

3.  Ibid.  —  Calendars,  1561,  p.  l'.)i. 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  165 

pondance  du  nonce  prit  un  développement  inaccou- 
tumé. Ghantonay  se  mit  aussi  à  adresser  de  fréquentes 
dépêches,  soit  au  pape,  soit  à  Alonzo  de  Vargas, 
représentant  du  roi  d'Espagne  à  Rome.  La  faiblesse 
de  la  reine  à  l'égard  des  réformés,  les  progrès  du  roi 
de  Navarre,  les  fanfaronnades  du  prince  de  Condé,  le 
crédit  croissant  de  Coligny,  les  signes  précurseurs 
de  l'apostasie  de  la  cour  de  France  étaient  le  sujet 
de  ces  lettres  ^ .  D'autres  indices  entretenaient  les 
soupçons  de  la  reine.  Chaque  jour,  l'ambassadeur 
d'Espagne  ou  le  nonce,  et  quelquefois  tous  les  deux, 
lui  portaient  des  plaintes.  Elle  reconnut  qu'ils  met- 
taient en  commun  les  renseignements  de  leurs  espions, 
et  la  sûreté  de  leurs  informations  l'effraya.  Point  de 
résolution  arrêtée  au  conseil,  qui  ne  fût  rapportée 
aussitôt  aux  deux  ambassadeurs  catholiques,  avec  une 
exactitude  dans  les  noms  propres  et  une  précision 
dans  les  faits  qui  ruinait  d'avance  toute  dénégation-. 
Évidemment,  un  traître  était  aux  écoutes,  soit  à  la 
porte  du  conseil,  soit  même  dans  l'entourage  familier 
de  Catherine. 

Quelque  temps  auparavant,  la  reine  avait  trouvé 
la  preuve  que  le  roi  d'Espagne  entretenait  des  intelli- 
gences en  France.  Un  moine,  Artus  Désiré,  s'était 
chargé  de  servir  de  messager  entre  Philippe  II  et 
les  gens  de  la  Sorbonne.  Son  secret  fut  éventé  par  un 
peintre  de  la  reine,  nommé  Nicolas,  et  Artus  Désiré 
fut  suivi  jusqu'au  presbytère  de  l'église  Saint-Paterne  a 

1.  On  peut  voir  la  plupart  (h^s  lettres  espagnoles  et  italiennes 
que  nous  avons  citées  dans  le  chapitre  précédent. 

2.  Lettre  originale  en  espagnol  de  Ghantonay  à  Philippe  [I  du 
28  août  (Arch.  nat.,  K.  liO'i,  n"  93). 


166  ANTOINE    DE   BOURBON 

Orléans.  Arrêté  par  le  prévôt  des  maréchaux  sur  le 
bateau  qui  descendait  la  Loire,  il  fut  trouvé  porteur 
d'une  requête  sans  signature,  dictée  par  les  passions 
qui,  trente  ans  plus  tard,  inspirèrent  la  Ligue  ^.  On 
étouffa  l'affaire.  Artus  Désiré  fut  condamné  par  le 
parlement  à  cinq  ans  de  pénitence  aux  Chartreux  et 
à  l'amende  honorable  sur  les  propositions  contre  la 
puissance  royale,  que  contenait  le  message  saisi  entre 
ses  mains-. 

Ces  découvertes  suggérèrent  à  la  reine  un  acte  qui  a 
souvent  été  imité  depuis  le  xvi®  siècle,  sans  en  être 
moins  odieux^.  Vers  la  fin  de  juillet,  informée  que  le 
nonce  avait  expédié  force  dépêches  en  un  jour^,  elle 
envoya,  d'accord  avec  le  roi  de  Navarre,  à  Imbert  de 
la  Platrière,  sire  de  Bourdillon,  l'ordre  d'arrêter,  au 
passage  des  Alpes,  tous  les  courriers  de  France  à 
Rome  ^.  Claude  de  l'Aubespine,  secrétaire  d'état, 
recommanda  à  Bourdillon  un  secret  absolu^'.  Le  vieux 
capitaine  exécuta  le  commandement  en  soldat  soumis. 
Le  courrier  venu  de  France  fut  arrêté  à  Moncalieri, 


1 .  De  Bèze  donne  beaucoup  de  détails  sur  cette  affaire  et  pro- 
duit la  requête  de  même  que  les  lettres  d'Artus  Désiré  au  roi  et 
à  la  reine  (Hist.  ecclés.,  1810,  t.  I,  p.  'j60  à  464).  —  De  Thou, 
Hist.  unh\,  1740,  t.  III,  j).  80.  —  Daum,  Thcodor  Beza,  Preuves, 
p.  31. 

2.  Decvcla  eccles.  GalL,  a  Bochcllo,  p.  733.  Arrêt  du  1  î  juil- 
let -151)1. 

3.  Chantonay  atlribue  à  la  reine  l'initiative  du  projet  (Lettre 
originale  en  espagnol  à  lMiilii)i)P  II  du  10  septembre  1561  ;  Arch. 
nal.,  K.  1404,  n»  100). 

4.  Mémoires  de  Castclnau,  1731,  t.  I,  p.  "'^i. 

5.  Calendars,  1561,  p.  283,  284  et  285. 

6.  Lettre  de  L'Aubespine  du  3  août  (Minute  autog.,  f.  fr., 
vol.  15542,  f.  33). 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  167 

conduità  Turin  et  retenu  quatre  jours  en  prison.  Toutes 
ses  dépêches  furent  saisies,  et,  par  surcroît,  des  bijoux 
et  une  somme  de  4,000  couronnes  destinée  à  Ruscelli'. 
il  était  chargé  de  lettres  du  nonce  et  de  Famljassadeur 
d'Espagne;  mais,  malheureusement,  les  lettres,  con- 
çues en  termes  mesurés,  ne  contenaient  aucune  des 
indications  que  cherchait  la  reine  mèrc^.  Cet  acte, 
quand  il  fut  connu,  excita  une  réprobation  générale. 
Chantonay  protesta  plus  haut  que  personne  ;  le  nonce, 
quoique  plus  intéressé,  fut  plus  discret^.  Tous  les 
autres  ambassadeurs  se  plaignirent  avec  tant  d'en- 
semble que  le  roi  désavoua  les  instructions  de  la 
régente"^.  Bourdillon  fut  blâmé  en  public  et  reçut  en 
secret  l'ordre  de  s'excuser  sur  de  prétendues  conspi- 
rations qu'il  aurait  découvertes  contre  les  villes  du 
roi  en  Piémont^.  Chantonay  réclama  l'original  de 
ses  dépèches,  que  les  secrétaires  d'état  déchiffraient 
péniblement  dans  le  cabinet  de  la  reine.  L'Aubespine 
fit  répondre  par  Bourdillon  que,  dans  la  confusion 
du  premier  moment,  on  avait  déchiré  les  dépèches 
de   l'ambassadeur  d'Espagne,   et  qu'il   n'était   resté 

1.  Peut-être  Guillaume  Ruscelli,  éruditdeTiterbe,mort  en  156(i. 

2.  Lettre  originale  en  espagnol  de  Chantonay  à  Philippe  II 
du  28  août  (Arch.  nat.,  K.  1494,  n"  93). 

3.  Lettre  de  Claude  de  l'Aubespine  à  1  evêque  de  Limoges 
du  29  août  (Orig.,  f.  fr.,  vol.  6618,  f.  4). 

4.  Lettre  du  roi  à  Bourdillon  du  4  septembre  (f.  fr.,  vol.  15542, 
f.  41).  —  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II  du  10  septembre 
(Orig.  espagnol,  Arch.  nat.,  K.  1494,  n»  100). 

5.  Lettre  de  L'Aubespine  du  25  et  du  28  août  à  Bourdillon  ; 
Lettre  du  roi  au  même  du  29  août  (Minutes;  f.  fr.,  vol.  15542, 
f.  34,  36  et  38).  —  Une  lettre  du  roi  de  Navarre  à  Bourdillon  lui 
concède  une  certaine  somme  pour  les  besoins  de  son  gouverne- 
ment. Peut-être  était-ce  une  récompense  (Bibl.  Saint-Péters- 
bourg, coll.  d'autographes,  vol.  52). 


lf)8  ANTOINE    DE    BOURBON  , 

que  des  fragments  sans  suite ^,  L'argent  fut  retenu, 
comme  porté  à  l'étranger  en  fraude,  et  appliqué  aux 
besoins  des  places  du  Piémont.  Les  bagues  et  autres 
bijoux,  trouvés  dans  les  bagages  du  courrier,  furent 
contisqués^,  mais,  quelques  jours  après,  rendus  aux 
marchands  de  Lyon,  (jui  les  avaient  expédiés^.  Aux 
yeux  des  seigneurs  de  la  cour,  moins  bien  informés 
que  les  ambassadeurs  intéressés,  les  secrétaires  d'état 
reçurent  l'ordre  de  laisser  un  peu  d'ombre  sur  les 
auteurs  de  l'arrestation.  Les  Alpes  et  les  Pyrénées 
étaient  pleines  de  bandouliers  que  l'on  accusa  de  cet 
acte  de  brigandage  ^  On  osa  même  l'attribuer  au  duc 
de  Savoie,  et  Philibert  Emmanuel  se  crut  obligé 
d'envoyer  un  ambassadeur  à  la  cour,  le  seigneur  de 
Morette,  pour  se  disculper  de  la  calomnie^. 

Dans  ce  moment  de  transition,  qui  allait  décider  de 
l'avenir  de  la  Réforme  en  France,  la  cour  offrait  un 
spectacle  inquiétant  pour  la  religion  catholique.  Cathe- 
rine de  Médicis  et  le  roi  de  Navarre  accentuaient  tous 
les  jours  leur  indifférence,  et  pratiquaient  la  politique 
du  laissez-faire,  l'un  par  crainte,  l'autre  par  ambition. 

1.  Lettre  de  L'Aubespine  à  Bnurdillon  du  i  septembre  (f.  fr., 
vol.  15542,  f.  45).  —  Voyez  cependant  la  lettre  de  Ghantonay 
du  10  septembre  (Orig.  espagnol;  Arch.  nat.,  K.  149'i,  n°  100). 

2.  Lettre  du  roi  à  Bourdillon  du  \  septembre  (f.  fr.,  vol.  15542, 
1.  'il).  —  Voyez  aussi  une  lettre  de  la  reine  de  môme  date  {Ibid., 
r.  42). 

3.  Lettre  de  (ibarles  IX  à  lîourdilldu  du  '.)  septembre  (f.  fr., 
vol.  15542,  f.  44). 

4.  Lettre  de  L'Aubespini'  à  la  reine  du  20  uuii  (Orig.,  f.  fr., 
vol.  3192,  f.  50).  — Lellr(^  du  roi  à  L'Aubôspine  du  20  juin  (Orig., 
f.  fr.,  vol.  6612,  f.  20). 

5.  Lettre  de  Ghantonay  à  IMiilippe  II  du  '.»  novembre  (Orig. 
espagnol;  Arcli.  nal.,  K.   Iî*.)i,  n"  107). 


ET    JEANNE    d'aLIÎHET.  169 

Mais,  en  dehors  de  la  reine  et  du  prince,  capitaines  ou 
gens  de  robe,  officiers  de  justice  ou  de  finance,  excepté 
les  parlementaires,  nobles  et  bourgeois,  à  la  cour  et  à 
la  ville,  poussaient  au  triomphe  de  la  Réforme  sans 
raisonner  leur  engouement.  C'était  surtout  dans  les 
classes  élevées  que  le  Calvinisme  trouvait  des  adhé- 
rents, dans  le  tiers  état  des  villes,  offensé  par  les 
abus  de  l'ordre  ecclésiastique,  chez  les  gentils- 
hommes ambitieux  et  turbulents.  Parmi  les  dames  de 
la  haute  noblesse,  qui  se  laissaient  séduire  par  les 
dehors  sévères  et  les  doctrines  généreuses  de  la 
Réforme,  en  tête  du  parti,  marchaient  Jeanne  d'Albret, 
dont  l'arrivée  allait  donner  un  nouvel  essor  aux 
prêches^.  Renée  de  France,  duchesse  de  Ferrare,  pro- 
tectrice de  Théodore  de  Rèze~,  la  comtesse  de  Roye, 
belle-mère  du  prince  de  Condé,  martyre  de  la  cause  à 
Saint-Germain,  la  dame  de  Crussol,  Jacqueline  de 
Rohan,  marquise  de  Rothelin,  mère  du  duc  de  Lon- 
gueville,  Léonor  de  Roye,  princesse  de  Condé,  la  com- 
tesse de  la  Rochefoucault,  la  comtesse  de  Seninghen, 
mère  du  prince  de  Porcien.  Quelques  jours  avant  l'ou- 
verture du  colloque,  le  parti  protestant  perdit  un  de 
ses  meilleurs  appuis.  Jacqueline  de  Longwy,  duchesse 
de  Montpensier,  mourut  le  28  août  à  Paris.  Elle  appar- 
tenait au  parti  intermédiaire  représenté  par  le  chance- 
lier \  Jean  de  Monluc,  évoque  de  Valence,  la  nommait 

1.  Bèze,  Hist.  ecclés.,  L  I,  p.  'j81. 

2.  Lettre  de  de  Bôzc  du  22  août  (Baum,  Tlicodor  Ikza,  Appen- 
dice, p.  44). 

3.  Elle  avait  employé  son  crédit  à  paciiier  les  démêlés  de  la 
reine  mère  et  du  roi  de  Navarre  et  aussi  à  rétablir  la  fortune  de 
la  maison  de  Montpensier.  Voyez  une  pièce  dans  Négociations 
.sous  François  II,  p.  68 'i. 


170  ANTOINE    DE   BOURBON 

«  sa  fille  spirituelle  ' .  »  Pendant  sa  dernière  mala- 
die, dit  La  Place,  elle  envoya  chercher  un  ministre 
calviniste,  Jean  Malet,  et  rendit  le  dernier  soupir  entre 
ses  mains-. 

Cependant,  de  tous  les  points  du  royaume,  les 
ministres  accouraient  au  rendez-vous  de  Poissy.  Les 
premiers  arrivants  occupèrent  ensemble  le  logis  du 
cardinal  de  Cliastillon,  puis  celui  de  Renée  de  France. 
Le  17  août,  Augustin  Marlorat  et  François  de  Saint- 
Paul  demandèrent  au  roi  de  ne  point  être  jugés  par 
les  évoques,  «  attendu,  dit  la  requête,  qu'ils  sont  nos 
«  parties  adverses,  »  et  de  présider  le  colloque  en 
personne".  Le  plus  illustre  des  défenseurs  de  la 
Réforme,  Théodore  de  Bèze,  se  fit  attendre.  Le  bruit 
courait  qu'il  n'osait  paraître,  et,  le  12!  août,  le  roi  de 
Navarre  adressa  de  nouvelles  instances  à  la  Seigneurie 
de  Genève^.  Le  réformateur  chevauchait  déjà  à  cette 
date  sur  la  route  de  France.  Il  arriva  à  Saint-Ger- 
main le  23  août  et  y  fut  accueilli  avec  plus  d'honneur, 

1.  Lettre  de  Jean  de  Monluc  au  secrétaire  d'état  de  Fizes 
du  12  avril  1561  (Autog.,  f.  fr.,  vol.  3898,  f.  29).  Moulue  .donne 
la  même  qualité  à  la  comtesse  de  Gharuy  et  à  mademoiselle  du 
Goguier. 

2.  La  Place,  Estât  de  la  religion  et  république,  édit.  du  Panih. 
litt.,  p.  153.  —  Catherine  en  annonçant  la  mort  de  la  duchesse 
ne  dit  rien  de  seniblahle  {Lettres  de  Catherine,  t.  I,  p.  231),  mais 
on  ne  peut  rien  induire  de  ce  silence.  —  De  Thou  dit  qu'elle 
envoya  chercher  Jean  Malot,  mais  non  pas  qu'elle  mourut  en 
communion  spirituelle  avec  lui  [Hist.  univ.,  1740,  t.  III,  p.  59 
et  60). 

3.  Bèze,  Hist.  ccclvs.,  t.  I,  1840,  p.  307  à  310. 

1.  Lettre  du  roi  de  Navarre  du  12  août.  Cette  lettre  a  été  publiée 
plusieurs  fois  :  Spon,  Hist.  de  Genève,  t.  I,  p.  307.  —  Baum,  Theo- 
dor  Deza,  Appendice,  p.  39.  —  Roget,  Hist.  du  peuple  de  Genève, 
t.  VI,  p.  99. 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  171 

dit  Claude  Hattoii,  «  que  n'eust  esté  le  pape  de  Rome, 
c(  s'il  y  feust  venu  ^  »  De  Bèze  raconte  ainsi  son  entrée 
à  Saint-Germain  : 

A  l'entrée,  je  trouve  le  chancelier  c[ue  savez  qui  vouloit  avoir 
l'honneur  de  ra'avoir  introcluict.  Gela  ne  dura  guière,  car  il  n'y 
avoit  que  trois  pas  au  cabinet,  à  l'entrée  duquel  je  trouve 
monsieur  l'amiral,  que  je  n'eus  pas  loisir  de  saluer,  que  voyez 
le  roy  de  Navarre  et  monsieur  le  prince  qui  se  jettent  sur  moy 
avec  une  fort  grande  affection,  ce  me  semble.  De  là,  je  voy 
auprès  de  moy  le  cardinal  de  Bourbon  et  puis  le  cardinal  de 
Ghaslillon,  qui  me  tendoient  leurs  mains.  Je  ne  vous  puis  escrire 
au  long  les  propos  qui  furent  tenus,  seulement,  je  vous  diray 
que  je  protestay  à  monsieur  le  cardinal  de  Bourbon,  que  je 
n'avoys  reçu  change  depuis  qu'il  n'avoit  voulu  parler  à  moy  de 
peur  d'estre  excommunié,  et  luy  de  sa  part  déclaira  qu'il  avoit 
désir  d'entendre  les  affaires  à  la  vérité,  de  quoy  je  kiy  présentay 
mes  services,  le  priant  de  continuer  de  ceste  volonté.  Sur  cela, 
peu  s'en  falut  qu'on  n'entrast  en  propos,  mais  le  bon  seigneur 
le  feit  court  et  moy  aussy.  Quant  au  roy  de  Navarre,  la  somme 
du  propos  fut  que  j'avoys  grand  peur  que  bientost  il  ne  fust 
pas  si  joyeux  de  ma  venue  s'il  ne  se  délibéroit  de  faire  autre- 
ment. Il  se  print  à  rire,  et  je  luy  respondy  que  c'estoit  à  bon 
escient  qu'il  y  falloit  penser-. 

En  attendant  l'ouverture  du  colloque,  les  ministres 
demandèrent  à  évangéliser  leurs  hôtes,  «  ce  qui  leur 
«  fut  accordé  plus  volontiers  qu'ils  ne  le  requirent  ^  » 

1.  Mémoires  de  Claude  flatton  dans  la  Collection  des  Ducumerits 
inédits,  t.  I,  p.  155. 

2.  Lettre  de  de  Bèze  à  Calvin  (Baum,  Theodor  Beza,  Appen- 
dice, p.  45  et  suiv.).  Cette  lettre  a  été  publiée  dans  V Histoire 
ecclésiastique,  mais  son  texte  français  est  produit  littéralement 
pour  la  première  fois  dans  le  livre  de  Baum. 

En  1576,  de  Bèze  publia  la  correspondance  de  Calvin  et  y  inséra 
sa  lettre  du  25  août  en  latin  et  avec  des  détails  nouveaux,  qui 
sont  également  reproduits  en  note  dans  le  livre  de  Baum. 

3.  Mémoires  de  Claude  Ilatton,  t.  I,  p.  156. 


172  ANTOINE   DE   BOURBON 

De  Bèze  prononça  un  premier  sermon  au  logis  du 
prince  de  Condé,  devant  la  princesse  et  ses  serviteurs, 
le  jour  même  de  la  réconciliation  du  prince  avec  le  duc 
de  Guise.  Le  soir,  il  fut  appelé  auprès  du  roi  de  Navarre. 
Il  y  trouva  le  roi  de  France,  la  reine  et  les  plus 
hauts  seigneurs  de  la  cour.  L'orateur  fut  surpris  d'un 
si  noble  auditoire,  mais  «  cela  n'empêcha,  dit-il,  qu'en 
«  peu  de  paroles,  je  ne  desclairasse  la  cause  de  ma 
«  venue.  »  Le  cardinal  de  Lorraine  lui  reprocha  ami- 
calement quelques-unes  de  ses  déclarations  précé- 
dentes^. «  Je  vous  adjure,  dit-il,  que  vous  ayez  à  con- 
«  férer  avec  moy,  et  vous  trouverez  que  je  ne  suis 
«  pas  si  noir  qu'on  me  faict.  »  La  dame  de  Crussol,  à 
ces  mots,  lui  prit  la  main  en  disant  :  «  Bonhomme 
«  pour  ce  soir,  mais  demain  quoy?  »  Le  lendemain, 
de  Bèze  prêcha  chez  l'amiral,  et,  les  jours  suivants, 
au  logis  du  prince  de  Condé-. 

Le  réformateur  était  alors  âgé  de  quarante-un  ans. 
Voici  le  portrait  que  trace  de  lui  un  ennemi  de  la  foi 
protestante,  Marc-Antoine  Barbaro,  ambassadeur  de 
Venise  :  «  Il  a  un  esprit  vif  et  fin,  mais  dépourvu  de 
«  prudence  et  de  jugement;  il  paraît  être  éloquent, 
«  car  il  parle  avec  facilité  et  dans  un  beau  langage;  il 
«  a  toujours  prête  quek|ue  subtilité  pour  tromper, 
«  mais  la  science  lui  manque,  et  il  n'a  fait  qu'effleurer 
«  les  choses.  Il  cultive  les  lettres  grecques  et  latines...., 

1 .  Do  Bèze  en  donne  lo  détail  (Baum,  Thendor  Deza,  Appendice, 
p.  48)  dans  sa  lettre  à  Calvin.  —  De  Thou  confirme  le  récit 
{Hist.  univ.,  1740,  l.  III,  p.  64). 

2.  Lettre  de  de  Bèze  à  Calvin  (Baum,  T/teodor  Besa^  Appendice, 
p.  45).  —  Lettre  de  Claude  de  l'Aubespine,  secrétaire  d'État,  à 
son  frère  Sébastien  de  l'Aubespine,  évêque  de  Limoges,  ambas- 
sadeur on  Espagne  (Orig.,  daté  du  39  août;  f.  fr.,  vol.  6618,  f.  4). 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  178 

«  il    professe    même    la   théologie Ce    méchant 

«  homme,  protégé  par  le  prince  de  Gondé,  prêche  et 
«  enseigne  la  fausse  doctrine  ;  et  il  a  tant  fait  que 
«  non  seulement  il  a  séduit  un  bon  nombre  de  nobles 
«  et  de  grands  surtout,  mais  qu'il  est  comme  adoré 
«  en  France  par  beaucoup  de  personnages  qui  gar- 
ce dent  son  image  dans  leurs  chambres  ' .  »  Dans  ce 
portrait,  où  des  jugements  téméraires  s'allient  à 
beaucoup  de  vérités,  Marc-Antoine  Barbaro  ne  parle 
pas  de  l'effet  entraînant  des  sermons  de  de  Bèze. 
«  D'une  langue  diserte  et  bien  affilée,  dit  Claude 
«  Hatton,  par  ung  beau  et  propre  vulgaire  fran- 
«  çois,  il  triomphoit  de  caqueter,  ayant  la  mine  et  les 
«  gestes  attrayans  les  cœurs  et  vouloirs  de  ses  audi- 
«  teurs  ~.  »  Les  princes  se  pressaient  a  ses  leçons,  et 
les  pages  se  battaient  aux  portes.  Jamais  la  cour 
n'avait  été  possédée  d'un  tel  enivrement^.  La  reine  en 
oubliait  sa  politique  de  bascule,  et  le  roi  de  Navarre 
ses  négociations  avec  l'Espagne.  Tous  deux,  en  l'écou- 
tant, dit  Claude  Hatton,  se  seraient  déclarés  huguenots 
s'ils  l'eussent  osé.  La  plupart  des  seigneurs  voulurent 
avoir  un  ministre  et  chassèrent  les  aumôniers,  les 
chapelains,  les  clercs  de  leur  maison.  «  Aulcuns  de 
«  ces  pauvres  domestiques  se  tournèrent  à  lad.  reli- 
«  gion  pour  demeurer  au  service  de  leurs  maistres^.  » 
Les  ministres  se  partagèrent  la  faveur  des  princes. 
De  Bèze,  bien  inspiré,   s'attacha  à  Jeanne  d'Albret, 


1.  Relations  des  ambassadeurs  vénitiens,  l.  il,  p.  53. 

2.  Mémoires  de  Hatton,  t.  I,  p.  156. 

3.  Lettre  de  Pin  àBourdillon  du  31  août  1561  (f.  l'r.,  vtil.  1554'2, 
f.  40). 

\.  Mémoires  de  Claude  Hatton,  t.  I,  p.  150. 


174  ANTOINE   DE   BOURBON 

Pierre  Martyr  à  Condé,  Jean  Malet  à  Coligny.  Les 
prêches,  les  sermons,  le  chant  des  psaumes,  la  cène 
calviniste  devinrent  roccupation  ordinaire  des  sei- 
gneurs, des  pages  et  des  valets.  «  Tout  ce  qu'est 
«  loisible  à  Genève,  écrit  Ghantonay,  se  peult  faire 
«  impunément  par  tout  le  royaume,  et  est  tenu 
«  pour  beste  qui  n'y  faict  du  pis  qu'il  peult  ^.  »  Les 
chefs  du  parti  catholique  suivaient  de  l'œil  avec 
tristesse  l'empressement  des  courtisans  autour  des 
minisires.  Chaque  prélat  s'accusait  lui-même  et  sur- 
tout accusait  ses  collègues  du  désastre  qui  menaçait 
la  religion  romaine.  Plusieurs  gémissaient,  dit 
Suriano,  sur  l'ingratitude  de  leurs  fidèles,  et  se 
lamentaient  avec  tant  d'onction  qu'ils  faisaient  couler 
des  larmes  ~.  Les  plus  clairvoyants  attribuaient  les 
progrès  de  la  Iléforme  à  l'absence  continuelle  des 
évêques  diocésains.  Aussi,  les  cardinaux  de  Tournon 
et  de  Lorraine,  qui  avaient  passé  leur  vie,  l'un  à 
Rome,  l'autre  à  la  cour,  prêchaient  pour  l'avenir  la 
résidence  aux  autres  évêques  ;  eux-mêmes  confessaient 
d'ailleurs  «  qu'ils  avoyent  grandement  failly  de  ce 
«  qu'ils  n'avoyent  repeu  leurs  troupeaux^.  » 

Malgré  les  discussions  préparatoires,  ni  le  conseil 
du  roi,  ni  les  prélats  ne  savaient  bien  ce  qu'ils  avaient 
à  demander  au  colloque  de  Poissy.  Dans  le  courant 
d'août,  le  roi  se  rendit  à  l^oissy  et  pria  les  évêques 
«  que,  avant  partir  de  set  lieu,  qui  reguardet  (qu'ils 

1.  Lottro  (lo  Chanlonay  ù  Tisnac  du  G  septembre  {Mémoires  de 
Condé,  I.  Il,  p.  M). 

2.  Lettre  de  Suriaim  du  l'i  ai)ùt  (Dépèches  vénil. ,  lilza  'i  bix. 
f.  74). 

3.  Bauiu,  Thcodor  Bcza,  Appendice,  p.  55.  Lettre  de  Morel  à 
Calvin  du  -25  août . 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  175 

«  regardent)  acomoder  et  régler  le  chause  de  quoy 
«  sont  veneu  le  trouble  en  set  royaume  ' .  »  Ces  paroles 
vagues  pouvaient  s'appliquer  aux  violences  des  deux 
partis,  mais  chaque  parti  les  renvoyait  à  ses  adversaires. 
Le  roi  écrit  au  duc  de  Savoie  :  «  Les  prélats  de  mon 
«  royaume  sont  assemblés  à  Poissy,  où  ils  travaillent 
«  incessamment  à  la  réformation  des  mœurs,  qui  sont 
«  fort  dépravez,  et  de  beaucoup  d'autres  choses  de 
«  l'esglize,  qui  ont  grave  besoing  d'une  bonne  correc- 
«  tion   pour   les   réduire    en    leur   première   splain- 

«  deur- »  C'était  la  thèse  de  la  réforme  de  l'église 

par  elle-même,  La  reine  mère,  tout  en  protestant  au 
pape  et  au  roi  d'Espagne  que  le  colloque  resterait 
étranger  aux  matières  de  dogme '\  avait  formé  ses 
plans.  Sceptique,  indifférente  aux  deux  cultes,  per- 
suadée qu'on  mène  les  hommes  avec  des  mots  et  que 
les  religions  vivent  de  cérémonies  et  de  formules, 
elle  avait  résolu  de  demander  au  pape,  en  attendant 
les  décrets  du  concile  de  Trente,  la  communion  sous 
les  deux  espèces,  les  prières  en  français  et  le  mariage 
des  prêtres.  D'après  l'ambassadeur  de  France  à  Rome, 
Pie  IV  ne  paraissait  pas  éloigné  de  ces  trois  conces- 
sions ^,  et  Catherine  se  flattait  de  lui  forcer  la  main 

1.  Lettres  de  Catherine^  t.  I,  p.  221. 

2.  Minute  datée  d'août  (f.  fr.,  vol.  15875,  f.  144). 

3.  Lettre  de  Ghantonay  du  10  septembre  à  Philippe  II  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n"  100). 

4.  Peu  après  la  dissolution  du  colloque,  le  24  octobre,  le  roi 
ordonna  au  s.  de  Lisle,  ambassadeur  à  Rome,  de  demander  au 
pape  une  partie  de  ces  concessions  (Dupuy,  Mémoires  sur  le 
concile  de  Trente,  p.  100).  De  Lisle  répondit  le  6  novembre  que 
le  pape  y  semblait  disposé  (Ibid.,  p.  110).  Sur  cette  affaire  voyez 
les  documents  publiés  par  Dupuy,  p.  114,  116,  117,  140.  Voyez 
aussi  l'historien  Mathieu  [Hist.  de  France,  in-fol.,  t.  I,  p.  240). 


176  ANTOINE    DE   BOURBON 

à  l'aide  des  décisions  de  l'église  gallicane.  Ainsi,  à 
Poissy,  chaque  personnage,  chaque  corps  se  prépa- 
rait à  suivre  sa  vocation  politique.  Pour  le  conseil 
(lu  roi,  le  colloque  était  une  réunion  ordinaire  du 
clergé,  destinée  à  étudier  les  moyens  de  solder  les 
dettes  du  roi'  ;  pour  le  roi  de  Navarre,  le  champ  de 
bataille  où  il  allait  montrer  au  roi  d'Espagne  le  poids 
de  sa  parole  et  mériter  la  restitution  de  la  Navarre^. 
Les  prélats  se  considéraient  comme  des  juges  appelés 
à  condamner  l'hérésie  tout  entière,  représentée  par 
ses  ministres^.  Les  réformés,  au  contraire,  traitaient 
le  colloque  d'assemblée  délibérante,  où  les  deux  partis 
religieux  étaient  appelés  à  débattre  leurs  dogmes  à 
armes  égales,  et  où  le  triomphe  serait  décerné  par  la 
pluralité  des  voix  au  plus  digne ^. 

Le  roi  avait  décidé  que  la  première  réunion  aurait 
lieu  le  mardi,  9  septembre,  dans  la  salle  du  réfec- 
toire des  religieuses  dominicaines  de  Poissy.  Le 
matin,  les  prélats  arrêtèrent  l'ordre  de  la  séance 
royale.  Les  ministres  réformés,  montés  sur  des 
mules  et  des  haquenées,  partirent  de  Saint-Germain 

1.  L'instruction  du  roi  au  duc  de  Guise  et  au  connétable,  que 
le  roi  envoya  ofTiciollemenl  à  Poissy,  avec  la  mission  de  s'occu- 
per de  la  cotisation  du  clergé,  datée  du  il  septembre,  est  impri- 
mée dans  les  Mémoires  journaux  de  Guise,  collection  Michaud  et 
Poujoulat,  p.  460. 

2.  Lettre  de  Ghantonay  à  Pbilippe  II  du  10  s(>ptembre  (Orig. 
espagnol;  Arcli.  nat.,  K.  l-'i9i,  n°  100). 

3.  Lettre  de  Claude  de  l'Aubespine  à  son  frère  l'évèque  de 
Limoges,  du  29  août  1561  (Orig.,  f.  l'r.,  vol.  6618,  f.  4).  Partie  de 
cette  lettre  a  été  imprimée  par  M.  le  comte  Delaborde,  Les  Pro- 
teslanls  à  la  cour  de  Saint-Germain,  p.  7. 

4.  Cet  aperçu  est  fort  bien  exposé  dans  une  lettre  de  Suriano 
du  l 'i  anùl  iDi-pèches  véuit.,  lilza  i  bis,  f.  7'i). 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  177 

en  troupe  vers  dix  heures  du  matin,  accompagnés 
d'une  escorte  de  cent  cavaliers.  Ils  furent  reçus  à  la 
porte  du  couvent,  par  le  duc  de  Guise,  grand  maître 
delà  maison  du  roi^  Vers  le  milieu  du  jour,  la  cour 
arriva  et  la  séance  commença.  Le  jeune  monarque, 
accompagné  de  sa  mère,  de  ses  frères,  du  roi  et  de  la 
reine  de  Navarre,  du  prince  de  Condé,  prit  place  sui^ 
un  trône,  assisté  à  droite  et  à  gauche  par  les  cardinaux 
et  les  évêques.  Le  duc  de  Guise  introduisit  les  mi- 
nistres. Ils  entrèrent,  entourés  des  archers  de  la  garde 
du  roi,  et  se  rangèrent  debout  le  long  d'une  balustrade 
qui  les  séparait  de  l'enceinte  royale-.  Ce  cérémonial, 
arrêté  par  le  duc  de  Guise,  avait  le  défaut  de  les  pré- 
senter en  accusés,  cités  à  la  barre  d'un  tribunal. 
Dans  cette  foule  de  docteurs,  il  y  avait  des  prê- 
cheurs de  Genève,  des  députés  des  églises  de  France, 
des  moines  défroqués,  des  gentilshommes  huguenots, 
Marlorat,  Saint-Paul,  Malot,  des  Gallars,  Jean  Viret, 

Merlin,   Théodore  de  Bèze^,  etc.,    «    point  de 

«  personnes  de  marque,  dit  avec  acrimonie  Suriano, 

1.  Les  listes  publiées  dans  les  documents  du  temps  ne  con- 
cordent pas  absolument  entre  elles.  Voyez  les  Mémoires  de  Hatton, 
t.  I,  p.  155,  note,  et  le  Colloque  de  Poissij,  par  M.  Kliplîel,  p.  84. 
—  Autre  liste  dans  la  correspondance  de  Ghantonay  (Arcli.  nal., 
K.  1494,  no  95). 

2.  Lettre  de  de  Bèze  à  Calvin  (Baum,  Thcodor  Ikza,  p.  61, 
Appendice). 

3.  «  Nous  sommes  là  douze  ministres  et  vingt  assesseurs  nom- 
més par  les  églises  réformées.  »  (Lettre  de  des  Gallars  du  10  sep- 
tembre ;  La  Perrière,  Le  XV l"  siècle  et  les  Valois,  p.  57.)  La  liste 
la  plus  complète  est  donnée  par  M.  le  comte  Delaborde,  Coligny, 
t.  I,  p.  520.  —  Journal  de  Claude  Despence  (f.  fr.,  vol.  17813, 
f.  18). 

m  12 


178  ANTOINE   DE   BOURBON 

«  ni  par  leurs  connaissances,  ni  par  leurs  mœurs, 
«  ni  par  la  naissance,  ni  par  leur  apparence,  tous 
«  gens  bas  et  abjects,  avec  des  figures  odieuses,  avec 
«  des  manières  étranges  et  grossières,  et,  pour  tout 

«  dire  en  un  mot,  tous  des  coquins  ' » 

Après  un  moment  de  silence,  un  des  compagnons 
de  de  Bèze,  le  seigneur  de  Monneville,  gentilhomme 
normand,  ouvrit  la  séance  par  une  sorte  d'action  de 
grâce,  où  il  remerciait  Dieu  et  le  roi  de  l'occasion  qui 
était  offerte  à  ses  coreligionnaires  de  justifier  leur 
doctrine^.  Le  roi  répondit  qu'il  désirait  rétablir  la  paix 
entre  ses  sujets,  et  promit  sa  protection  à  tous  ceux 
qui  l'aideraient^.  Le  chancelier  prononça  un  discours 
sur  l'objet  de  la  réunion.  Le  cardinal  de  Tournon, 
doyen  des  cardinaux,  demanda  au  chancelier  l'énoncé 
par  écrit  de  ses  propositions,  tant  religieuses  que 
financières ,  afin  que  l'assemblée  pût  en  délibérer  ; 
mais  le  chancelier  s'obstina  à  répondre  que  tous  les 
auditeurs  avaient  pu  l'entendre*.  La  cour  attendait 
les  déclarations  des  réformés.  Théodore  de  Bèze, 
choisi   comme    orateur,    se    détacha    du    groupe   et 

\.  «  pra  li  quali  non  erano  ninno  da  conto,  neper  doctrina 

ne  por  costumi,  no  per  altezza  di  sangue,  ne  per  presenzia,  ne  per 
loniia,  ma  tutti  villi  et  abjetti,  concerte  faccie  odiose  et  concerte 
me  manière  strane  et  sgarbate,  et,  per  dir  in  una  parola  tutti  fur- 
fanli  »  (Lettre  do  Suriano  du  10  septembre;  Dépècbes  vénit., 
(ilza  \  bis,  r.  SI  v). 

•2.  Lettre  de  Suriano  du  lU  septembre  (Dépècbes  vénit.,  fdza 
'i  bis,  f.  81  v»).  —  Journal  de  Claude  Despence  (f.  fr.,  vol.  17813, 
1'.  18  V").  —  Do  Bèzo  ni  La  F^Iaco  ne  parlent  du  siro  de  Mon- 
neville. 

3.  Son  discours  est  n^produit  textuellement  par  de  Bèze  (Hist. 
ecdés.,  t.  I,  p.  31'i). 

A.  La  Place,  Estât  de  religion  et  république,  p.  158. 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  179 

s'avança  devant  le  roi.  Son  exorde  dépassa  l'attente 
des  auditeurs.  11  débuta  à  genoux  par  l'oraison  domi- 
nicale et  par  une  invocation  à  Dieu,  pleine  de  piété 
et  de  grandeur  ;  puis ,  se  relevant  pour  s'adresser 
au  roi,  il  traça  à  grands  traits  l'histoire  de  la  doc- 
trine calviniste.  Point  de  récriminations  contre  l'into- 
lérance des  parlements  et  la  politique  de  Henri  II  ; 
d'un  bout  à  l'autre  du  discours,  un  langage  noble,  ins- 
piré par  une  philosophie  sereine  et  par  un  sentiment 
élevé.  Sa  parole  touchait  au  cœur  les  seigneurs  les 
plus  hostiles*.  L'orateur  était  écouté  avec  attention, 
peut-être  même  avec  sympathie;  mais,  à  la  fin  de  sa 
profession  de  foi,  entraîné  par  un  mouvement  oratoire, 
il  lui  échappa  de  dire,  à  l'occasion  du  sacrement  de 
l'Eucharistie,  que  «  le  corps  de  Jésus-Christ,  bien  qu'il 
«  nous  fût  véritablement  offert  et  communiqué  en 
«  icelle,  estoit  toutesfois  aussi  loin  du  pain  que  le 
«  haut  des  cieux  est  éloigné  de  la  terrée  »  A  cette 
parole  impie,  lancée  avec  une  ardeur  de  sectaire,  l'as- 
semblée entière  éclata  en  imprécations,  comme  si 
tous  les  assistants,  «  atteints  par  une  injure  person- 
«  nelle,  en  avaient  été  blessés  et  souillés.  »  Les  uns 
criaient  blasphemavit  ;  d'autres  demandaient  à  quitter 

1.  Mémoires  de  Castebiau,  liv.  III,  chap.  4  (1731,  t.  I,  p.  71).  — 
Le  récit  des  ambassadeurs  catholiques  prouve  le  grand  effet  de 
cette  harangue.  Voyez  les  notes  suivantes. 

2.  De  Bèze  avait  écrit,  disait-on,  que  le  corps  de  Jésus-Christ 
n'était  pas  plus  présent  dans  la  cène  que  dans  la  boue  (non  inagis 
in  cœna  quam  in  cceno).  A  son  arrivée  à  Saint-Gei'main,  il  avait 
désavoué  ces  paroles  inconvenantes  (Baum,  Theodor  Deza,  Appen- 
dice, p.  45),  mais  le  fonds  de  l'idée  qu"il  développait  à  Poissy  était 
le  même.  De  Thou  dit  que  le  cardinal  de  Lorraine  attribuait  à 
de  Bèze  un  mot  que  Melanchton  reprochait  à  Jean  Œcolam- 
pade  (Ilist.  imiv.,  t.  UI,  p.  Gi). 


180  ANTOINE   DE   BOURBON 

la  salle.  Les  réformés  eux-mêmes  restaient  interdits; 
Suriano  remarqua  que  l'amiral  de  Coligny  se  couvrit 
les  yeux.  De  Bèze,  intimidé,  interrompit  sa  démons- 
tration. Le  cardinal  de  Tournon  s'adressa  à  la  reine  : 
«  Supporterez-vous,  Madame,  d'entendre  ces  horribles 
«  blasphèmes  en  présence  du  roy  et  de  votre  autre 
«  jeune  tils,  qui  sont  dans  un  âge  si  tendre  et  si 
«  innocent  ?  »  Le  roi ,  la  reine  et  les  princes  res- 
taient impassibles*.  Enfin,  Catherine  rétablit  le  silence 
par  quelques  mots  impérieux.  De  Bèze  reprit  sa 
péroraison,  mais,  dit  Suriano,  il  avait  perdu  son 
assurance,  et  il  balbutia  d'une  voix  tremblante  ses 
derniers  développements.  La  reine  essaya  en  vain  de 
lui  rendre  «  courage  »  :  «  Monsieur  de  Bèze,  parlez 
«  hardiment.  Ne  vous  estonnez  point-.  »  L'orateur 
présenta  la  confession  des  églises  réformées  au  roi, 
«  qui  la  reçut  bénignement  »  des  mains  du  seigneur 
de  la  Ferté,  capitaine  de  ses  gardes^.  Aussitôt,  le  car- 
dinal de  Tournon  se  leva  et  pria  le  roi  de  repousser 
les  erreurs  qu'il  venait  d'entendre.  Il  demanda  jour 
pour  réj)ondrc  au  nom  du  parti  catholique,  et  promit 
que  le  roi,  «  ayant  ouy  la  response,  seroit  ramené; 
«  puis,  soudain  se  corrigeant,  non  pas,  dit-il,  ramené, 

1.  Catherine  dit  dans  une  lettre  à  lëvèque  de  Rennes  quelle 
n'imposa  pas  silence  à  de  Bèze  pour  qu'il  ne  put  se  plaindre  qu'on 
lui  avait  coupé  la  parole  [Lettres  de  Catherine,  t.  I,  p.  608). 

2.  Lettre  de  Suriano  du  10  septembre  (Dépêches  vénit.,  filza 
\  bis,  f.  81  v°).  —  Ces  détails  sont  presque  textuellement  confir- 
més par  Tornabuoni  dans  sa  lettre  du  11  septembre  [Ncgoc.  de  la 
France  avec  la  Toscane,  l.  III,  p.  461)  et  par  un  des  correspondants 
de  Calvin  (Baum,  Thcodor  Beza,  Appendice,  p.  66). 

3.  Le  discours  de  de  Bèze  est  reproduit  textuellement  par  La 
Place  {Estât  de  religion  et  république,  p.  159)  et  jiar  VHist.  ecclés. 
(18i0,  t.  I,  p.  316  et  suiv.). 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  181 

«  mais  entretenu  en  la  bonne  voie.  »  Ses  paroles 
étaient  entrecoupées,  et  lui-même  troublé  par  la 
colère.  La  reine  répondit  qu'elle  ne  désirait  point 
«  innover  »  en  matière  religieuse,  et  que  le  colloque 
n'avait  été  convoqué  que  pour  «  remettre  les  forvoyés 
«  en  vray  chemin  ^ .  » 

Le  lendemain,  Théodore  de  Bèze  adressa  à  la  reine 
mère  une  lettre  où,  sans  se  rétracter,  il  atténuait  une 
partie  de  ses  déclarations  de  la  veille-.  Le  même  jour, 
les  prélats,  réunis  en  conseil,  s'épanchaient  en  ana- 
thèmes  contre  le  blasphémateur.  «  A  la  mienne  volonté, 
«  dit  le  cardinal  de  Lorraine,  que  celui-là  eust  esté 
«  muet  ou  que  nous  eussions  esté  sourds.  »  Chargé  de 
réfuter  de  Bèze,  le  cardinal  choisit  comme  aide  un  des 
docteurs  du  clergé  catholique,  Claude  Despence. 
L'assemblée  arrêta  de  ne  répondre  qu'à  deux  points 
du  discours  de  la  veille,  l'autorité  de  l'église  et  la  pré- 
sence réelle.  On  agita  même  d'imposer  aux  ministres 
une  profession  de  foi  et  de  chasser  du  colloque  ceux 
qui  refuseraient  de  la  signer^.  Ainsi  disparaissait,  dès 
la  première  séance,  sous  le  poids  des  haines  passion- 
nées que  soulevaient  les  premiers  mots  de  contro- 

1.  La  Pla.ce,  Estât  de  religion  et  république,  édit.  du  Panth.  litt., 
p.  168.  —  De  Bèze,  Hisl.  ecclcs.,  t.  I,  p.  328,  1841.  —  Le  second 
historien  copie  le  premier,  mais  non  pas  textuellement.  —  Le 
président  Montagne  présente,  dans  les  fragments  qui  nous  restent 
de  sa  grande  histoire,  un  récit  qui  conhrme  celui  des  autres  his- 
toriens (f.  fr.,  vol.  15494,  f.  107  et  suiv.).  Malheureusement  ce 
récit,  qui  serait  plus  important  qu'aucun  autre,  en  raison  de.  l'au- 
torité de  l'écrivain,  n'est  presque  qu'un  recueil  de  pièces. 

2.  Cette  lettre  est  publiée  dans  VHistoire  ecclésiastique,  t.  I, 
p.  328. 

3.  La  Place,  p.  170.  —  De  Bèze,  p.  330. 


182  ANTOINE   DE   BOURBON 

verse,  l'espoir  ehimérique,  caressé  par  le  chancelier, 
de  réconcilier  les  deux  cultes. 

La  seconde  séance  publique  se  tint  le  mardi  1 6  sep- 
tembre, en  présence  du  roi,  de  la  reine  mère,  des 
princes  et  seigneurs  qui  avaient  assisté  à  la  séance  pré- 
cédente. Les  ministres  furent  conduits  à  Poissy  avec  le 
même  cérémonial  et  prirent  les  mêmes  places  que  le 
9  septembre.  Le  cardinal  de  Lorraine  devait  répondre. 
Il  prononça  un  discours,  composé  peut-être  pour  le 
fonds  par  Claude  Despence,  mais  où  coule  à  pleins 
bords  la  vivacit('  d'expression  et  l'élégance  de  forme 
personnelle  à  l'illustre  prélat.  Catholiques  et  réformés 
attendaient  de  violentes  imprécations  qu'aurait  jus- 
tifiées le  blasphème  de  de  Bèze.  A  peine  y  trouva-t-on 
une  fine  et  discrète  ironie  à  l'adresse  de  novateurs  qui 
voulaient  réformer  en  quelques  jours  une  église  vieille  de 
(|uinze  siècles^.  En  vain  de  Bèze,  sur  le  bruit  répandu 
par  les  catholiques  que  le  triomphe  oratoire  du  cardinal 
clorait  à  jamais  le  colloque,  insista  sur  son  droit  de 
réplique.  La  reine,  épouvantée  de  l'animation  des  deux 
partis,  leva  la  séance,  sans  indiquer  le  jour  de  la  pro- 
chaine réunion.  Prélats  et  ministres  se  séparèrent 
dans  le  plus  grand  trouble.  Tandis  que  les  catho- 
liques proclamaient  leur  victoire,  les  réformés  disaient 

1.  L;t.  IMaco,  Estât  de  religion  et  république,  édit.  du  Panth.  LUI., 
p.  170.  La  Place  reproduit,  toxtuellomenl  le  discours  au  moins 
dans  ses  parties  principales.  De  Bèze  l'a  également  imprimé 
[Hisl.  ecclés.,  t.  I,  p.  382,  1841).  —  Voyez  aussi  la  lettre  de  Tor- 
uabuoni  du  20  septembre  [Négoc.  de  la  France  avec  la  Lorraine, 
t.  III,  p.  463).  —  Claude  Dcspence  ne  reproduit  le  discours  du 
cardinal  que  dans  sou  second  mémoire  et  en  latin  (f.  fr., 
vol.  17813,  f.  87). 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  183 

que  le  cardinal,  battu  une  première  fois,  se  sentait 
incapable  de  prendre  une  revanche. 

Il  fallait  conclure.  Les  deux  partis  proposaient  de 
s'excommunier  l'un  l'autre.  La  reine  était  indécise 
et  s'efforçait  d'apaiser  les  fanatiques.  Elle  fit  venir 
Pierre  Martyr  déguisé*  au  château  de  Saint-Germain 
et  l'interrogea  sur  l'effet  de  la  harangue  du  cardinal. 
Pierre  Martyr,  ancien  moine  florentin,  ministre  envoyé 
de  Zurich,  était  un  docteur  plus  mesuré  que  Théodore 
de  Bèze.  Il  répondit  que  le  cardinal  de  Lorraine  s'était 
rapproché  de  la  doctrine  calviniste  plus  qu'aucun  autre 
controversiste^.  Peut-être  voulait-il  obtenir  la  conti- 
nuation du  colloque  par  cette  audacieuse  appréciation. 
D'autres  conseils  entretenaient  les  incertitudes  de  la 
reine.  Jeanne  d'Albret  cherchait  à  lui  inspirer,  en 
faveur  de  la  rénovation  religieuse,  un  peu  de  sa  réso- 
lution virile^.  Les  réformés,  qui  sentaient  le  terrain 
trembler  sous  leurs  pieds,  redoublaient  de  requêtes 
et  d'intrigues^.  Du  côté  des  catholiques,  le  cardinal 
de  Tournon  pressait  la  reine  d'imposer  aux  minis- 
tres, avant  de  leur  rendre  la  parole,  la  reconnais- 
sance des  points  primordiaux  traités  par  le  cardinal 
de  Lorraine  «  afin  qu'il  n'y  eust  en  ce  royaume  très 
«  chrestien  qu'une  foy,  une  loy,  un  roy^.  »  C'était  le 


i.  ...  incamuffatto,  dit  Tornaliuoni  (Lettre  du  20  septembre; 
Négoc.  de  la  France  et  de  la  Toscane,  t.  III,  p.  163). 

2.  Klipffel,  Le  Colloque  de  Poissy,  p.  98. 

3.  Lettre  de  Tornabuoni  du  20  septembre  {Négoc.  de  la  France 
avec  la  Toscane,  t.  III,  p.  463). 

i.  Ils  adressèrent  une  requête  qui  est  analysée  par  La  Place, 
p.  178,  et  par  de  Bèze,  p.  330.  —  La  reine  vit  encore  une  fois 
Théodore  de  Bèze  (Baum,  Thcodor  Deza,  Appendice,  p.  65). 

5.  La  Place,  p.  178. 


184  ANTOINE   DE   BOURBON 

langage  de  l'ancien  clergé  gallican,  qui  refusait  tout 
accommodement.  La  reine  discutait  souvent  avec  le 
vieux  cardinal  et  s'animait  pour  lui  faire  accepter  un 
moyen  terme.  Un  jour  elle  s'impatienta  jusqu'à  lui  dire 
«  (ju'il  resvoit.  »  Tournon  lui  répondit  :  «  Madame,  je 
«  ne  resvc  point  ;  je  ne  resvay  jamais,  sinon  lorsque 
«  je  traictay  vostre  mariage  et  vous  fis  venir  en 
«  France  ^ .  » 

Le  colloque  avait  tenu  ses  deux  premières  séances 
quand  le  cardinal  de  Ferrare  arriva  à  la  cour.  Parti 
de  Rome  le  2  juillet,  l'habile  prélat  n'avait  pas 
pressé  sa  marche.  Après  un  voyage  de  deux  mois,  il 
n'était  encore,  vers  le  commencement  de  septembre, 
qu'à  Lyon^.  Le  14,  il  arriva  à  Briare,  sur  les  bords 
de  la  Loire,  et  y  fut  reçu  par  Antoine  de  Noailles  au 
nom  du  roi ^.  Le  18,  il  coucha  à  l^aris,  et,  le  19,  il  se 
rendit  à  Saint-Germain.  Le  duc  d'Orléans,  plus  tard 
Henri  III,  le  prince  de  Joinville,  fils  du  duc  de  Guise, 
et  d'autres  seigneurs  allèrent  au-devant  de  lui.  Le  roi 
et  la  reine  mère  l'attendaient  dans  la  grande  salle 
du  château  et  l'accueillirent  avec  froideur.  11  ame- 
nait une  escorte  de  trois  cents  cavaliers,  plusieurs 
évèques  et  quelques  docteurs  de  grand  savoir,  entre 
autres  les  pères  Laynez,  général  des  jésuites,  et 
Polenque,  un  des  dignitaires  de  Tordre  '.  Quand  il  eut 

i.  Brantôme,  édit.  de  la  Société  de  l'Histoire  de  France,  t.  V, 
p.  288. 

2.  Lettre  de  (vhantonay  du  (5  septemltre  {Mémoires  de  Gondé, 
t.  II,  p.  17). 

3.  Lettre  de  Noailles  à  la  reine  (Minute  orig.  datée  du  li  sept.; 
f.  fr.,  vol.  6908,  f.  98). 

4.  Les  Jésuites  avaient  été  acceptés  par  un  décret  de  l'assem- 
blée des  prélats  réunie  à  Poissy,  le  15  septembre,  trois  jours  avant 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  185 

exhibé  ses  lettres  de  créance,  les  jeunes  princes,  qui 
l'avaient  reçu,  le  conduisirent  à  son  logis.  Sauf  le  con- 
nétable, le  roi  de  Navarre  et  le  duc  de  Guise,  peu  de 
seigneurs  lui  rendirent  hommage  * .  Le  chancelier  refusa 
de  sceller  ses  pouvoirs,  parce  qu'ils  contenaient  des 
stipulations  contraires  à  l'ordonnance  d'Orléans  et  le 
parlement  d'enregistrer  la  bulle. 

Malgré  ces  «  rebuffades  »  le  cardinal  de  Ferrare  ne 
montrait  aucun  embarras.  Il  semblait  ignorer  la  poli- 
tique de  tolérance  de  la  reine  mère,  les  tergiversations 
du  roi  de  Navarre,  la  présence  des  ministres,  le  col- 
loque de  Poissy.  Cette  attitude  dégagée  lui  permit  de 
s'insinuer  par  degrés  dans  la  faveur  de  tout  le  monde-. 
Un  jour  cependant,  les  pages  et  les  valets  de  la  cour, 
peut-être  encouragés  par  leurs  maîtres,  huèrent  son 
porte-croix  et  lui  jetèrent  des  pierres  en  criant  :  au 
Renard.  Le  cardinal  ne  parut  pas  s'offenser  de  cette 
grossière  insulte  et  se  contenta  de  supprimer  son 
porte-croix.  «  Le  regnard,  dit  de  Bèze,  ne  s'effarou- 
«  cha  et  ne  cessa  qu'il  fust  venu  à  bout  de  la  charge  à 
«  luy  commise^.  » 

Dans  ses  entretiens  le  cardinal  de  Ferrare  ne  par- 
lait que  du  rétablissement  des  annates,  impôt  que  la 
cour  romaine  prélevait  sur  les  revenus  des  bénéfices 

l'arrivée  du   cardinal  de   Ferrare.    Ce  décret  a  été   j)ublié   par 
M.  Gretineau  Joly,  t.  I,  chap.  vu.  —  Le  P.  Poleuquc  est  auleur 
d'un  traité  sur  la  Conduite  des  confesseurs. 
\.  Calendars,  1561,  p.  328. 

2.  Ces  détails  sont  contenus  dans  la  lettre  de  Ghautonay  du 
21  septembre  (Orig.  espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n»  70). 

3.  De  Bèze,  Hist.  ecclés.,  1840,  t.  I,  p.  348.  —  De  Thou  ajoute 
que  des  libelles  sur  Alexandre  VI  et  sur  Lucrèce  Borgia,  grand- 
père  et  mère  du  cardinal  de  Ferrare,  furent  répandus  à  la  cour 
[Hist.  univ.,  t.  III,  p.  98). 


186  ANTOINE    DE   BOURBON 

à  chaque  changement  de  titulaire.  Le  conseil  du  roi 
résistait  avec  àpreté,  car  les  annates  étaient  le  gage 
de  la  contribution  du  clergé''.  Ainsi  réduite  à  une 
négociation  d'argent,  l'ambassade  du  cardinal  de 
Ferrare  paraissait  inoffensive.  Mais  le  rusé  prélat 
réservait  pour  le  secret  du  cabinet  ses  armes  les 
plus  affilées.  Il  gagna  le  roi  de  Navarre  par  la  flat- 
terie et  la  reine  mère  en  lui  promettant  l'appui  du 
pape-.  Peu  à  peu,  quand  il  se  sentit  en  faveur,  il  osa 
davantage.  Il  insinua  à  la  reine  que  le  colloque  de 
Poissy  tendait  à  briser  ses  liens,  que  les  docteurs,  en 
discutant  le  dogme  de  la  présence  réelle,  sortaient  du 
programme  primitivement  imposé  à  l'assemblée  ;  il 
représenta  le  danger,  même  pour  les  pouvoirs  civils, 
de  remettre  en  discussion  des  dogmes  immuables  ;  il 
cita  l'exemple  de  l'Allemagne  où  la  guerre  civile  avait 
surgi  des  luttes  théologiques.  De  quelle  utilité  était  la 
controverse  ouverte  ?  Au  lieu  de  rapprocher  les  deux 
cultes,  la  discussion  les  éloignait  l'un  de  l'autre,  d'au- 
tant que,  après  chaque  séance,  les  deux  partis  s'attri- 
buaient la  victoire.  Son  réquisitoire  contre  le  colloque, 
chaque  jour  reproduit  en  termes  mesurés,  chaque 
jour  poussé  plus  avant,  ébranla  la  régente.  D'autres 
manœuvres  souterraines  convertirent  le  chancelier  et 
le  tiers  parti,  promoteurs  de  l'assemblée.  Eniin  le  car- 
dinal de  Ferrare  obtint  de  la  reine  la  promesse  de  dis- 
soudre le  colloque.  «  Cependant,  écrit  Tornabuoni,  j'y 
«  ai  peu  de  foi  (à  la  dissolution  du  colloque),  parce 

1.  Lettre  de  Suriauu  du  M  septembre  (Dépèches  vénit.,  fdza 
4  bis,  f.  83). 

2.  Lettre  de  Chantonuy  à  Philippe  II  du  21  septembre  (Orig. 
espagnol;  Arch.  mit.,  K.  1495,  a»  70). 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  187 

«  qu'on  sait  que  la  cause  de  la  religion  n'est  pas  sou- 
«  tenue  par  zèle,  mais  qu'elle  s'est  élevée  entre  les 
«  Guises  et  les  Bourbons,  et  que,  sous  ce  prétexte,  ils 
«  cherchent  à  s'abaisser  les  uns  les  autres  ^  » 

Au  bruit  que  la  reine  mère  se  disposait  à  congédier 
les  docteurs,  le  parti  réformé,  qui  croyait  toucher  au 
triomphe  tant  qu'il  pouvait  se  produire  avec  reten- 
tissement, fit  agir  le  ban  et  l'arrière-ban  de  ses  pro- 
tecteurs. La  reine  mère  fut  assaillie  de  prières  et  le 
roi  de  Navarre  d'objurgations.  Jeanne  d'Albret,  le 
prince  de  Condé  et  l'amiral  «  travaillèrent  »  tellement 
l'esprit  de  Catherine  qu'ils  l'épouvantèrent  et  qu'elle 
manqua  de  parole  au  cardinal  de  Ferrare^.  Cependant, 
elle  reprit  en  détail  la  concession  qu'elle  n'avait 
osé  retenir  dans  son  ensemble.  Le  colloque  fut  réduit 
aux  seuls  controversistes,  son  éclat  diminué  ;  les  cour- 
tisans, les  seigneurs,  les  évèques  eux-mêmes  qui  l'or- 
naient de  leur  présence  furent  éloignés  des  séances. 
Au  lieu  des  assemblées  solennelles  où  les  défenseurs 
des  deux  communions  luttaient  comme  en  champ 
clos  en  face  du  roi  et  de  la  cour,  la  reine  décida  que  la 
délibération  se  poursuivrait  presque  secrètement,  sans 
témoins  et  dans  une  salle  close  ^. 

Le  2l3,  elle  écrivit  à  l'évêque  de  Rennes,  aml^assa- 
deur  auprès  de  l'empereur,  qu'elle  avait  trouvé  bon 
que  les  prélats  catholiques  «  entrassent  en  colloque 
«  gracieux  »  avec  les  ministres.  Mais,  ayant  «  veu  qu'il 
«  n'en  estoit  sorti  que  confusion  de  disputes  sur  dis- 

1.  Lettre  de  Tornabuoni  du  25  septembre  (Négoc.  entre  la  France 
et  la  Toscane,  t.  III,  p.  463). 

2.  Calendars,  1561,  p.  360. 

3.  Journal  de  Despence,  f.  fr.,  vol.  17813,  f.  95. 


188  ANTOINE   DE   BOURBON 

«  putes,  iiorrisses  de  dissensions  et  discordes,  »  elle 
se  décidait  à  réduire  le  colloque  «  à  cinq  ou  six  d'entre 


«  eux 


Le  24  septembre,  Catherine  réunit  douze  docteurs 
de  l'une  et  de  l'autre  religion  dans  la  chambre  priorale 
de  Poissy,  et  ouvrit  la  séance  avec  le  roi  de  Navarre. 
La  cause  catholique  était  défendue  par  trois  docteurs 
de  Sorbonne  et  par  trois  évêques,  Jean  de  Morvilliers, 
Jean  de  Monluc-  et  Antoine  Caracciolo.  Le  choix  des 
deux  derniers,  qui  inclinaient  à  la  Réforme,  parut  sin- 
gulier à  la  cour.  «  On  ne  sait,  dit  Tornabuoni,  s'ils 
«  n'aimoient  pas  autant  la  défaite  que  les  autres  la  vic- 
«  toire^.  »  Le  cardinal  de  Lorraine,  que  la  reine  aurait 
voulu  éloigner,  arriva  à  l'ouverture  de  la  séance, 
chargé  de  livres,  avec  trois  docteurs  de  Sorbonne, 
Claude  Despence,  un  dominicain,  Claude  de  Sainctes, 
et  le  cordclier  Justinian,  un  des  compagnons  de  voyage 
du  cardinal  de  Ferrare.  Le  cardinal  de  Tournon,  après 
avoir  tout  fait  pour  dissoudre  le  colloque,  avait  refusé 
d'y  paraître. 

A  l'ouverture  des  débats,  le  cardinal  de  Lorraine 

1 .  Lettres  de  Catherine  de  Médicis,  t.  I,  p.  239.  Cette  lettre  est 
imprimée  sous  la  date  du  23  octobre,  mais  ne  peut  être  que  du 
23  septembre  puisque,  à  la  date  du  23  octobre,  le  colloque  de  Poissy 
était  terminé. 

2.  Dans  une  de  ces  séances,  Jean  de  Moulue  prononça  un 
«  Aviz  de  réformation  ez  cérémonies  observées  en  l'eglize 
«  romeyne  »  qui  n'a  été  reproduit  que  par  le  président  Montagne 
(f.  l'r.,  vol.  15494,  f.  107).  —  Ce  discours  est  analysé  sommai- 
rement par  de  Thou  [Hisl.  univ.,  1740,  t.  III,  p.  77). 

3.  Notre  récit  est  presque  en  entier  tiré  de  cette  lettre  (25  sep- 
tembre 1561  ;  Ncgoc.  de  la  France  avec  la  Toscane,  t.  III,  p.  463). 
—  L'i'vèque  de  Valence  est  signalé  comme  huguenot  par  Suriano 
(Relat.  des  ambassadeurs  vénitiens,  t.  II,  p.  525). 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  189 

demanda  aux  ministres  s'ils  acceptaient  les  points  prin- 
cipaux de  son  dernier  discours.  Théodore  de  Bèze  lui 
répondit.  Après  lui  Claude  Despence  prit  la  parole. 
La  discussion  se  traîna  sans  ampleur  dans  les  lieux 
communs  Ihéologiques.  De  Bèze  voulut  répliquer, 
mais  «  un  moine  blanc  (Claude  de  Sainctes),  ardent 
«  et  eschauffé  pour  combattre  »  reprit  tous  les  argu- 
ments de  Despence  «  avec  paroles  aiguës  et  piquantes.  » 
De  Bèze  entin  put  parler,  puis  encore  Despence, 
Sainctes  et  d'autres.  De  Bèze  essaya  de  déplacer  la 
question  et  traita  des  abus  de  l'église  romaine  :  «  Un 
«  chacun  sçait  assez,  dit-il,  quelle  farce  que  l'on  y 
«  joue.  »  Il  blâma  le  concordat  de  François  I",  et 
accusa  le  roi  d'avoir  livré,  dans  un  intérêt  temporel, 
l'église  de  France  aux  convoitises  de  la  cour  romaine  ; 
il  énuméra  les  désordres,  les  faiblesses,  les  actes  de 
lâcheté  des  évéques,  compara  les  vertus  des  ministres 
aux  vices  des  moines,  et  se  plaignit,  au  nom  de  ses 
coreligionnaires,  c  d'estre  vilipendé  et  moqué  sans 
«  cause.  »  Ses  attaques  firent  dresser  le  cardinal  de 
Lorraine  :  «  Le  commencement  d'injurier  est  venu  de 
«  vous,  dit-il,  jusques  à  vous  çuer  sur  nos  rois.  » 
Les  voix  s'élevèrent,  le  ton  s'aigrit  ;  chaque  docteur 
voulut  prendre  part  à  l'incident.  Les  réformés  rappe- 
laient les  tâtonnements  de  l'église  orthodoxe  pendant 
les  premiers  siècles,  les  catholiques  les  divergences 
des  communions  réformées.  Le  cardinal  de  Lorraine 
domina  le  bruit  par  une  apostrophe  imprévue  ;  il 
demanda  aux  ministres  s'ils  reconnaissaient  la  con- 
fession d'Augsbourg^  De  Bèze  le  somma  de  la  recon- 

1.  La  confession  d'Augsbourg,  au  sujet  de  l'Eucliaristie,  tenait 
le  milieu  entre  la  foi  des  catholiques  et  la  thèse  des  Calvinistes, 


190  ANTOINE    DE   BOURBON 

naître  lui-même.  Tous  les  assistants  parlaient  à  la  fois 
et  le  colloque  tourna  en  tumulte.  La  reine  mère  leva 
la  séance  au  milieu  d'un  trouble  aussi  vif  que  le 
trouble  du  premier  jour^ 

L'assemblée  s'était  ajournée  au  lendemain,  mais  elle 
ne  se  réunit  que  le  26  septembre  en  présence  de  la 
reine.  De  Bèze  parla  le  premier  et  débuta  par  une 
imprudence.  Blessé  par  les  reproches  qu'il  avait  essuyés 
à  la  séance  précédente,  il  ramena  la  discussion  sur  la 
confession  d'Augsbourg  et  mit  les  prélats  catholiques 
en  demeure  de  la  signer  avant  de  la  lui  recommander. 
Le  cardinal  de  Lorraine,  Despence,  Pierre  Martyr 
prirent  successivement  la  parole.  Don  Diego  Laynez, 
général  des  jésuites,  intervint  à  son  tour.  C'était  la 
première  fois  que  le  royaume  très  chrétien  entendait 
dans  une  assemblée  délibérante  les  conseils  de  cet 
ordre  ecclésiastique.  Il  parla  avec  plus  de  violence 
que  de  solidité.  Il  traita  les  hérétiques  de  singes,  de 
loups,  de  renards,  et  proposa,  pour  tout  argument, 
de  les  renvoyer  au  concile  de  Trente^.  De  Bèze  épilo- 


entro  la  présence  réelle  et  le  sons  ligure.  Ce  système  porte  le 
nom  de  Consuhstantiaiion. 

1.  La  Place,  p.  179  et  suiv.,  189  et  suiv.  —  Bèze,  Hist.  ecclés., 
1840,  t.  I,  p.  349  et  suiv.  —  Mémoires  de  Castelnau,  1731,  t.  I, 
p.  71.  —  Lettre  de  de  Bèze  à  l'électeur  Palatin  (Baum,  Theodor 
Ikza,  Appendice,  p.  88). 

2.  La  Place,  Estât  de  religion  et  république,  p.  197.  —  De  Thou, 
liv.  28  (1740,  t.  III,  p.  75).  —  Tel  est  le  récit  de  tous  les  histo- 
riens; mais  il  faut  remarquer  que  le  texte  olïiciel  du  discours  de 
Laynez  ne  contient  rien  de  seml)lable  {lîist.  soc.  Jcsu  ah  Orlandino, 
2"  part.,  p.  278).  Il  est  vrai  que  ce  texte  olïiciel  ressemble  à  une 
harangue  arrangée  après  coup.  —  Claude  Despence  dit  dans  son 
journal  que  le  P.  Laynez  «  uza  de  si  grande  véhémence  à  la 
«  modo  italienne  qu'il  lit  venir  les  larmes  aux  yeux  de  la  reine 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  191 

giia  sur  les  mots  Hoc  est  corpus  meum.  Despence  lui 
répondit.  La  gravité  des  premiers  discours  était  rem- 
placée par  des  invectives.  Les  Sorbonnistes  mena- 
çaient du  poing  Théodore  de  Bèze.  L'un  d'eux  lui 
cria  :  «  Si  nous  te  tenions  en  nostre  école'.  » 

La  discussion  se  concentrait  sur  l'article  de  la  con- 
fession d'Augsbourg  relatif  à  la  présence  réelle,  que 
le  cardinal  de  Lorraine  soutenait  comme  s'il  eût 
été  disposé  à  l'admettre.  Cette  tactique  trahissait  son 
secret.  Les  Luthériens  et  les  Calvinistes  se  combat- 
taient mutuellement  avec  autant  de  passion  qu'ils 
combattaient  les  Catholiques.  Outre  l'avantage  do 
prendre  les  deux  communions  hérétiques  en  flagrant 
délit  de  désaccord,  il  espérait  tirer  un  grand  effet  moral 
du  spectacle  de  leurs  divisions.  Aussitôt  après  la 
séance  du  1 6  septembre,  il  avait  dépêché  au  maréchal 
de  Vieille  ville  «  un  sien  espion  à  gages,  nommé  Ras- 
ce  calon,  lequel,  de  povre  coquin,  (il)  avoitfait  valet  de 
«  chambre  du  roy,  pour  demander  gens  sçavans  qui 
«  entendent  et  puissent  parler  clairement  et  défendre 
«  la  confession  d'Augsbourg^,  »  Vieilleville  était  plus 
capable  de  choisir  des  capitaines  que  des  théologiens, 
mais  le  cardinal  avait  prévu  son  embarras,  et  avait 
décidé  le  roi  de  Navarre  à  lui  prêter  ses  conseillers  au 
delà  du  Rhin. 

L'Allemagne  protestante  était  alors  menée  par  le 
duc  Christophe  de  Wurtemberg,  le  plus  passionné  des 

«  iiiùro,  à  ce  qu'on  dict,  en  uzant  de  ces  paroles  vulgaires  ila- 
«  lionnes  allencontre  desditz  adversaires  de  nostre  foy  et  religion, 
«  loupi,  volpi,  serpenti,  asmssini  »  (T.  fr.,  vol.  17813,  f.  28  v"). 

1.  La  Place,  Eslat  de  religion  et  république,  p.  198. 

2.  Bèze,  Histoire  ecclés.,  t.  I,  p.  331.  —  De  Thou,  Hist.  univ., 
1710,  t.  m,  p.  73. 


192  ANTOINE   DE   BOURBON 

princes  allemands  de  la  confession  d'Augsbourg. 
Jamais  la  nébuleuse  Germanie  n'avait  donné  le  jour  à 
un  prince  plus  ardent  pour  la  controverse  théologique. 
Il  envoyait  des  docteurs  partout  où  se  discutait  la 
Réforme.  Dix  ans  auparavant,  il  avait  accrédité  des 
ambassadeurs  auprès  du  concile  de  Trente,  traitant 
d'égal  à  égal  avec  l'église  catholique,  et  ne  se  consolait 
pas  d'avoir  été  éconduit.  Attentif  aux  nouvelles  du  col- 
loque de  Poissy ,  il  montrait  du  dépit  de  n'y  être  pas  con- 
voqué. Il  avait  ouvert  des  relations  avec  la  reine,  avec 
le  roi  de  Navarre,  avec  le  duc  de  Guise,  sans  distinguer 
entre  les  partis  pourvu  qu'ils  consentissent  à  l'écouter. 
On  verra  plus  loin  quelles  avaient  été  ses  négociations 
avec  le  duc  de  Guise.  Au  roi  de  Navarre,  il  avait  envoyé 
un  neveu  de  Vergerius  et  bientôt  après  François  Bau- 
douin, jurisconsulte  d'Arras,  ancien  professeur  en 
droit  canon  à  Genève  et  à  Heydelberg'.  Baudouin 
apportait  au  prince  la  consultation  d'un  théologien, 
nommé  Georges  Gassandre,  fort  renommé  en  Alle- 
magne, en  faveur  de  la  confession  d'Augsbourg,  qu'il 
présentait  comme  le  remède  à  tous  les  maux  de  la  reli- 
gion-. Bien  accueilli  par  le  roi  de  Navarre,  Baudouin 
avait  été  reçu  en  ennemi  par  les  ministres  protestants 
rassemblés  à  Poissy.  Ils  l'accusèrent  d'apostasie,  le 
traitèrent  d'Ecebole  '  et  repoussèrent  toute  conférence 
avec  lui.   Gai  vin   se  plaignit  directement  au  roi  de 

1.  Lettres  françaises  de  Calvin,  I.  Il,  p.  'rJO. 

2.  De  Thou,  liv.  28  (17i0,  t.  III,  ]).  7'i).  —  Nous  croyons  quo 
coLle  consultation  est  une  pièce  intitulée  De  officio  pii  ac  publica' 
tranqnillitaiis  vcre  amanlis  viri  in  hoc  religionis  dissidio,  1561, 
août,  in-'i». 

3.  Ecebole  iHait  un  sophiste  grec,  lauieux  par  ses  fréquentes 
apostasies.  —  Voyez  de  Thou,  t.  III,  p.  l^. 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  193 

Navarre  et  accabla  en  termes  amers  le  docteur  Bau- 
douin. 

Il  y  a  un  autre  rustre  aposté,  qui  se  nomme  Baudouin,  qui 
a  desjà  esté  trois  ou  quatre  fois  apostat  de  Jésus-Clirist,  et  pos- 
sible toutesfois  se  sera  insinué  tellement  vers  vous,  Sire,  que 
vous  en  seriez  trompé,  si  vous  n'en  estiez  adverty.  Nous  sup- 
plions doncques  Vostre  Majesté  d'estre  sur  ses  gardes  au  milieu 
de  tant  d'embusches,  et  de  rechef  aussi  nous  vous  prions,  Sire, 
au  nom  de  Dieu,  de  ne  vous  laisser  point  esbranler  ne  çà  ne  là, 
que  la  parole  de  Dieu  ne  soit  maintenue  en  son  entier  ^ 

Cependant  le  duc  de  Wurtemberg,  à  la  prière  du 
roi  de  Navarre  et  du  maréchal  de  Vieilleville,  avait  fait 
un  choix  parmi  les  représentants  de  la  secte  luthé- 
rienne. Le  duc  de  Saxe  et  le  comte  Palatin  avaient 
aussi  désigné  quelques-uns  de  leurs  prêcheurs^.  Le 
duc  de  Wurtemberg  réunit  tous  les  docteurs  et  les 
expédia  en  France  avec  une  profession  de  foi  doctri- 
nale^. L'annonce  de  leur  arrivée  jeta  le  trouble  dans 
les  rangs  des  ministres  de  Poissy.  La  difficulté  de 
tenir  tête  aux  cardinaux  allait  s'aggraver  de  querelles 
intestines.  Théodore  de  Bèze  essaya  de  les  arrêter  en 

\.  Lettres  de  Calvm,  t.  II,  p.  420.  M.  Bonnet  attribue  cette 
lettre  au  mois  d'août  1561.  La  présence  de  Baudouin  à  Saint- 
Germain  prouve  qu'elle  ne  peut  être  que  du  mois  de  septembre. 
Nous  mentionnons  ici  pour  mémoire  certaine  lettre  de  Calvin 
au  s.  du  Poet,  datée  du  14  septembre,  dont  la  fausseté  a  été  si 
bien  démontrée  par  M.  Bonnet  qu'il  n'y  a  plus  lieu  d'y  revenir. 

2.  Documents  cités  par  le  comte  Delaborde,  Les  Protestants  à 
la  cour  de  Saint-Germain,  p.  49  et  suiv.  —  Leur  arrivée  est  aigre- 
ment signalée  par  Ghantonay  comme  un  renfort  pour  les 
ministres  huguenots  de  Poissy  (Lettre  orig.  en  espagnol  à  Phi- 
lippe II,  du  13  novembre;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n»  108). 

3.  Cette  pièce,  datée  du  3  octobre,  est  imprimée  dans  Vllistoire 
des  ducs  de  Wurtemberg,  1771,  in-4o,  t.  IV,  p.  191. 

ni  13 


194  ANTOINE   DE   BOURBON 

route  ;  il  écrivit  au  duc  de  Wurtemberg  et  le  supplia 
d'épargner  aux  défenseurs  de  la  cause  commune  la 
dure  épreuve  d'une  lutte  fratricide.  Luthériens  et  Cal- 
vinistes ,  disait-il ,  sont  les  apôtres  de  la  Réforme  et 
doivent  éviter  le  piège  de  l'ennemi  commune  Calvin 
aussi  pressentit  le  danger  :  «  Je  vous  prie ,  écrivit-il 
c<  à  Coligny,  tenir  la  main  que  la  confession  d'Augs- 
«  bourg  ne  vienne  au  jeu ,  laquelle  ne  seroit  qu'un 
«  flambeau  pour  allumer  le  feu  des  discordes^.  » 

Pendant  que  les  docteurs  allemands  cheminaient 
vers  la  France,  le  parti  réformé  avait  posé  hardiment 
son  droit  à  un  culte  public.  Le  29  septembre,  à 
l'heure  où  le  roi  réunissait  à  la  messe  traditionnelle  de 
l'ordre  de  Saint-Michel  les  seigneurs  du  parti  catho- 
lique, le  roi  de  Navarre,  le  connétable,  les  Guises  et 
leurs  partisans,  Théodore  de  Bèze  célébra  à  Argen- 
teuil,  sous  les  auspices  de  Jeanne  d'Albret,  le  mariage 
de  Jean  de  Rohan,  seigneur  de  Fontenay,  cousin  ger- 
main de  la  reine  de  Navarre ,  et  de  Diane  de  Bar- 
bançon,  fille  du  seigneur  de  Cany,  une  des  victimes 
du  procès  de  Condé.  La  cérémonie  fut  célébrée  dans 
la  matinée  avec  une  grande  pompe  en  présence  du 
prince  et  de  la  princesse  de  Condé,  de  Coligny  et  de 
sa  femme,  du  comte  et  de  la  comtesse  de  La  Rochefou- 
cault,  du  duc  de  Longueville  et  d'une  foule  de  sei- 
gneurs. Le  choix  du  jour  de  la  cérémonie  d'Argenteuil 
fut  considéré  à  la  cour  comme  un  acte  de  défi  de  la 
part  des  réformés^. 

\.  Cette  lettre,  datée  du  3  octobre,  est  imprimée  par  Baum, 
Theodor  Beza,  appendice,  p.  88. 

2.  Lettres  de  Calvin,  t.  II,  p.  428. 

3.  Calendars,  1561,  p.  339,  360  et  367.  Parmi  les  princes  pré- 
sents à  la  fête  de  l'ordre,  Throckmorton  nomme  le  roi  de  Navarre. 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  195 

Aussitôt  après  le  mariage  de  Jean  de  Rohan,  de 
Bèze  se  rendit  à  Poissy.  La  reine  avait  encore  diminué 
le  nombre  des  docteurs  admis  au  colloque  ^  La  liste 
des  ministres  avait  été  réduite  à  de  Bèze,  Martyr,  des 
Gallars,  Marlorat  et  l'Espine,  et  celle  des  prélats  à 
Jean  de  Monluc,  Pierre  du  Val,  évêque  de  Séez,  et  à 
trois  docteurs  de  Sorbonne.  Mais  déjà  le  colloque  de 
Poissy  mourait  de  ses  violences.  Les  catholiques  refu- 
saient de  se  prêter  à  la  discussion  de  leurs  dogmes 
sacramentels,  et  les  ministres  redoutaient  de  se  trouver 
en  présence  des  docteurs  de  la  communion  d'Augs- 
bourg^.  Les  dernières  séances,  celles  du  4  et  du 
9  octobre,  donnèrent  lieu,  de  la  part  des  réformés  et 
des  catholiques,  à  des  formulaires  sur  la  sainte  cène 
qui  furent  repoussés  sans  être  développés.  Ce  double 
échec  termina  le  colloque^.  Le  18,  à  défaut  d'une  pro- 
fession de  foi  doctrinale,  le  roi  promulgua  une  décla- 
ration «  sur  le  fait  de  la  police  et  règlement  qu'il  veut 
«  être  tenu  entre  ses  sujets^.  »  «  Geste  déclaration,  dit 
«  le  président  Montagne,  fut  publiée  par  tout  le 
«  royaume, et  apporta  quelque  modération  des  troubles 
«  pour  le  regard  du  port  des  armes  défendu  par  icelle  ; 
«  mais  elle  enhardit  tellement   ceux  de  la  nouvelle 

1.  D'après  Le  Laboureur  la  reine  ne  prit  cette  résolution  que 
le  30  septembre  {Mémoires  de  Castelnau,  1731,  t.  I,  p.  737  et  738). 
—  D'après  Claude  Despence,  la  reine  fit  appeler  à  Saint-Germain, 
par  une  lettre  signée  de  Bourdin  et  datée  du  28  septembre,  les 
docteurs  Salignac,  Bouteiller  et  Despence,  et  leur  signifia  de 
vive  voix  ses  ordres  (Journal  de  Despence,  f.  fr.,  vol.  17812,  f.  99). 

2.  Voyez  la  lettre  de  de  Bèze  au  duc  de  Wurtemberg  (Baum, 
Theodor  Beza,  appendice,  p.  88). 

3.  La  Place,  Estât  de  religion  et  république,  p.  199. 

4.  L'édit,  sous  forme  de  lettres  patentes,  est  imprimé  dans  les 
Mémoires  de  Condé,  t.  II,  p.  520. 


196  ANTOINE   DE   BOURBON 

«  religion  pour  le  regard  de  leurs  assemblées,  pour  la 
«  suspension  de  l'effet  et  des  peines  contenues  en 
«  l'édit  de  juillet,  qu'elles  en  furent  de  jour  en  jour 
«  augmentées.  Et  par  ce  moyen  furent  commises  plu- 
«  sieurs  grandes  insolences  par  aucuns  de  la  Reli- 
«  gion^.  » 

Les  ministres  réunis  à  Poissy  étaient  à  peine  séparés 
quand  les  docteurs  allemands  arrivèrent.  Ils  furent 
reçus  ensemble  à  Paris,  le  19  octobre,  par  Hubert 
Languet  à  l'hôtellerie  du  Porcelet.  Le  roi  de  Navarre 
les  retint  pendant  quelques  jours  loin  de  la  cour. 
L'aiguille  politique  du  prince  avait  tourné,  et  ces  doc- 
teurs, qu'il  appelait  avec  instance  un  mois  auparavant, 
lui  étaient  déjà  importuns.  Cependant,  le  26  octobre, 
il  les  fit  appeler  à  Saint-Germain.  Ils  allaient  s'y 
rendre  quand  l'un  d'eux,  Jacques  Beurlin,  mourut 
d'une  maladie  contagieuse.  Sa  mort  les  obligea  à 
attendre  de  nouveaux  ordres.  Enfin,  le  7  novembre, 
ils  furent  reçus  à  la  cour  par  le  roi  de  Navarre. 
Feignant  de  regretter  les  divergences  qui  séparaient 
les  diverses  sectes  de  la  nouvelle  église,  Antoine  leur 
demanda  une  profession  de  foi  digne  d'être  acceptée 
par  toutes  les  communions  françaises.  Les  théologiens 
allemands  entrèrent  en  délibération,  mais  ils  ne  purent 
s'accorder.  Les  Palatins  recommandaient  une  formule 
et  les  Wurtembergeois  une  autre.  Antoine  les  reçut 
toutes  deux ,  et ,  sans  engager  de  polémique ,  les 
pria  de  demander  à  leurs  souverains  respectifs  un 
nouveau  colloque  d'où  l'union  pourrait  sortir.  Les 
Allemands  restèrent  à  la  cour,  admis  en  coreligion- 
naires chez  les  seigneurs  réformés,  chez  la  reine  de 

1.  Fragment  de  la  gramle    histoire  du  président  Montagne 
(f.  Ir.,  vol.  15'i'Ji,  t.  181). 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  197 

Navarre  et  chez  le  prince  de  Condé,  en  alliés  chez  les 
partisans  du  duc  de  Guise.  Le  cardinal  de  Lorraine  et 
les  habiles  de  son  parti  auraient  désiré  rouvrir  les 
séances  du  colloque  «  pour  que  la  dispute  de  la  cène 
«  fust  recommencée  entre  lesd.  ministres,  d'une  part 
c(  et  d'autre  ;  affin  que,  les  ayant  mis  au  combat  les 
«  uns  contre  les  autres,  l'on  se  pust  retirer  dud.  col- 
ce  loque  avecq  risée  desd.  ministres.  Ce  qu'ayant  senty, 
«  ceulx  qui  estoient  venus  d'Almagne  se  retirèrent 
«  doulcement  en  leurs  maisons  et  pays  K  »  Le  15  no- 
vembre, à  Poissy,  Théodore  de  Bèze  leur  fit  une  visite 
amicale.  Le  21  ,  Catherine  de  Médicis  leur  donna 
audience.  Après  avoir  pris  congé  de  la  reine  mère,  du 
roi  de  Navarre  et  de  Jeanne  d'Albret,  ils  retournèrent 
à  Paris  et  reprirent,  sans  avoir  rien  fait  d'utile,  le 
chemin  de  Strasbourg-. 

Les  ministres  calvinistes  du  colloque  de  Poissy  se 
séparèrent.  Merlin  s'était  déjà  retiré  à  Genève.  Pierre 
Martyr  reçut  du  roi  un  don  de  200  écus  et  quitta  la 
France  ".  Nicolas  des  Gallars  rentra  en  Angleterre^.  De 


1.  Récit  du  colloque  de  Poissy  (f.  fr.,  vol.  17813,  f.  135).  Cette 
pièce  a  été  presque  textuellement  reproduite  par  le  président 
La  Place  et  forme  le  fonds  de  son  récit,  mais  il  s'est  gardé  d'in- 
sérer le  passage  ci-dessus. 

2.  Le  récit  de  l'ambassade  des  docteurs  allemands  a  été  fort 
bien  résumé  par  M.  le  comte  Delaborde  {Les  Protestants  à  la  cour 
de  Saint-Germain,  p.  63  et  suiv.),  d'après  Kugler,  Kluckhohn  et 
les  lettres  d'Hubert  Languet.  —  Voyez  aussi  La  Place,  Estât  de 
religion  et  république,  p.  200. 

3.  Calendars,  1561,  p.  399.  —  Lettres  du  roi  de  Navarre  aux 
habitants  de  Zurich,  du  29  octobre  1561  (Baum,  Theodor  Deza, 
Preuves,  p.  116).  —  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du  31  oc- 
tobre (Orig.  espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1491,  u»  106). 

1.  Lettre  du  roi  de  Navarre  à  la  reine  d'Angleterre,  du  23  no- 
vembre 1561  (Calendars,  1561,  p.  411). 


198  ANTOINE   DE   BOURBON 

Bèze  resta  à  Saint-Germain  au  service  de  Jeanne  d'Al- 
bret. 

Les  prélats  catholiques  restèrent  réunis  pendant 
quelques  jours,  mais  leurs  délibérations,  affaiblies  par 
le  départ  de  leurs  contradicteurs,  ne  se  portèrent  que 
sur  des  sujets  financiers.  Cependant  l'évêque  de 
Valence  et  le  cardinal  de  Lorraine  proposèrent  la  com- 
munion sous  les  deux  espèces,  afin  de  diviser  les 
réformés  et  de  faire  montre  de  conciliation  vis-à-vis 
du  nouveau  culte  ;  la  majorité  réserva  la  question 
au  concile  de  Trente  ^  Le  clergé  fut  plus  généreux 
à  l'égard  du  trésor  royal  que  les  ordres  laïques.  Le 
conseil  du  roi  lui  avait  demandé  de  se  charger  du 
rachat  du  domaine  jusqu'à  concurrence  de  1 3  millions^. 
Le  clergé  s'y  engagea  et  demanda  seize  années  pour 
acquitter  sa  dette.  La  reine  exigea  un  délai  plus  rap- 
proché, et  l'assemblée,  pour  mériter  la  faveur  du  roi, 
promit  au  duc  de  Guise  et  au  connétable  de  Montmo- 
rency de  fournir  chaque  année  un  appoint  de  seize 
cent  mille  livres.  L'exemple  du  premier  corps  de  l'État 
décida  les  ordres  laïques  à  des  sacrifices.  Coligny  et 
d'Andelot  obtinrent  des  États  de  Pontoise,  au  prix  de 
l'abrogation  de  l'édit  de  juillet,  l'établissement  pour  six 
ans  d'un  nouvel  impôt  sur  les  vins  qui  devait  rapporter 
douze  cent  mille  livres  par  an^. 

Les  prélats  catholiques  quittèrent  la  cour  à  la  fin  de 

1.  Ilist.  du  concile  de  Trente,  do  Sarpi,  iii-i",  1726,  t.  U,  p.  125. 

2.  L'instruction  du  roi  au  duc  de  Guise  et  au  connétable  de 
Montmorency,  envoyés  à  Poissy,  datée  du  11  septembre,  est 
conservée  en  copie  dans  le  vol.  17813  du  f.  fr.,  f.  115. 

3.  Procès-verbal  de  la  dernière  session  des  états  de  Pontoise 
analysé  par  Garnier,  flist.  de  France,  t.  XV,  p.  202.  —  Voyez 
aussi  P.  Mathieu,  t.  I,  p.  247. 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  199 

novembre  pour  se  rendre  au  concile  de  Trente  ^ .  Le 
jour  de  leur  départ,  il  s'éleva  un  vent  violent  qui  fit 
dire  aux  plaisants  du  parti  huguenot  «  que  le  diable 
«  les  emportoit.  »  Mais  on  ne  songea  pas,  dit  de  Bèze, 
«  qu'il  les  devoit  ramener,  comme  il  fit*.  » 

1.  Voici,  d'après  une  lettre  de  Chantonay  du  9  novembre,  la 
liste  des  prélats  désignés  à  cette  date  pour  aller  au  concile  de 
Trente.  On  sait  que  cette  liste  varia  souvent. 

Les  archevêques  d'Embrun  et  d'Arles. 

Les  évêques  de  Paris,  de  Lizieux,  d'Avranches,  de  Séez,  de 
Châlons,  de  Troyes,  de  Nevers,  du  Mans,  de  Toulon  (ambassa- 
deur du  duc  de  Savoie),  de  Pamiers,  de  Lavaur,  de  Mirepoix, 
de  Castres,  de  Béziers,  d'Alep,  de  Saint-Pons,  de  Montpellier,  de 
Lodève,  de  Périgueux,  d'Agen,  de  Montauban,  de  Tulle,  de  Com- 
minges  et  d'Ayre  (Arch.  nat.,  K.  1494,  n"  107).  —  H  y  a  une 
autre  liste  dans  le  f.  fr.,  vol,  15409,  f.  22. 

2.  Bèze,  Histoire  ecclés.,  t.  I,  p.  419. 


Z-OI 


CHAPITRE  QUATORZIÈME. 

La  cour  pendant  et  après  le  colloque  de  Poissy, 


Progrès  de  la  Ré  forme  pendant  le  colloque.  —  Pratiques 
religieuses  de  Jeanne  d'Albret.  —  Jeanne  d'Albret  et 
Charles  IX.  —  Jeanne  d'Albret  et  le  cardinal  de 
Ferrare.  —  Instances  de  Jeanne  auprès  de  son  mari 
en  faveur  de  la  Réforme.  —  Mariages  arrêtés  entre 
les  Rourbons  et  les  Valois. 

Négociations  de  Philippe  II  pour  forcer  la  main  à  la 
reine.  —  Tentative  du  duc  de  Nemours  pour  enlever 
le  duc  d'Orléans  {%0  octobre  1561).  —  Fuite  de 
Nemours.  —  Arrestation  de  Ligneroles.  —  Compli- 
cité du  roi  d'Espagne. 


Le  colloque  de  Poissy,  loin  de  pacifier  le  royaume, 
avait  élevé  l'audace  des  réformés.  «  Depuis  qu'ils  ont 
«  esté  ouis  en  public,  écrit  Pasquier,  ils  parlent  plus 

«  haut Ils  ne  demandoient  qu'à  tenir  des  assem- 

«  blées,  ils  exigent  des  temples Déjà  ils  s'en  sont 

«  donné  de  leur  autorité  privée  ^   »   Au  mois  d'oc- 
tobre, l'usurpation  générale  des  églises  catholiques  fut 

1.  Lettres  de  Pasquier,  t.  11  des  ÛEuvres  complètes,  cul.  87. 


202  ANTOINE   DE   BOURBON 

rol)jet  des  délibérations  du  conseil.  Le  roi  de  Navarre 
blâma  ces  violences  «  avec  tant  de  force,  dit  Suriano, 
«  qu'il  montra  bien  avoir  mis  de  côté  tout  respect 
«  humain  ^ .  »  Le  %0  octobre,  un  édit,  crié  à  son  de 
trompe  dans  toutes  les  villes,  commanda  aux  réformés 
de  restituer  les  églises  catholiques-.  Mais,  quelques 
jours  après,  le  roi  écrivit  au  prince  de  Condé  une 
lettre,  bientôt  répandue  dans  les  consistoires,  qui 
affaiblissait  la  portée  de  l'édit  royal  ^. 

Dans  chaque  ville,  dans  chaque  province  surgis- 
saient des  prêcheurs  disposés  à  supplanter  les  prêtres, 
surtout  dans  les  bénéfices  ecclésiastiques.  Plusieurs 
étaient  des  théologiens  de  Genève  qui  évangélisaient  à 
l'abri  du  colloque.  Mais  le  plus  grand  nombre  de  ces 
apôtres  improvisés  étaient  des  moines  défroqués  ou  de 
simples  aventuriers  sans  mission,  qui  cherchaient  for- 
tune dans  les  troubles  publics.  Ce  mouvement  est 
décrit  avec  ironie  par  un  annaliste  contemporain. 

Toiil  ce  fait  de  Poissy  acheva  de  gaster  tout  d'autant  que  les 
ministres  ayant  libre  entrée  en  France  y  gaignerent  en  peu 
d'heure  beaucoup  d'hommes  curieux  des  choses  nouvelles 
comme  porte  le  naturel  de  la  nation.  Puis  on  ne  veit  onc  gens 
mieux  contrefaisans  les  sainctes  personnes,  ny  parlant  plus 
attrayemment.  Joint  que  leurs  sectateurs  transportez  d'affection 
en  semoient  tant  de  faulses  louanges,  que  plusieurs  simples  se 
laissoient  mener  à  crédit.  11  n'y  avoit  ville,  bourg  ne  bourgade 

l.Loltro  de  Suriano  du  1!)  octobre  (Dépèches  vénit.,  filza 
4  bis,  f.  96  v"). 

2.  Cet  édit  est  imprimé  dans  le  recueil  de  Fontanon,  t.  IV, 
p.  265.  —  Il  y  en  eut  un  second,  daté  du  3  novembre,  qui  est 
analysé  par  de  Thou  (1740,  t.  lit,  p.  99). 

3.  Lettre  du  3  novembre  (Copie  ;  coll.  Bricnnc,  vol.  205,  f.  293). 
Cette  lettre  manque  aux  Mémoires  de  Condé. 


ET   JEANNE    D'aLBRET.  203 

qui  n'eust  raison  de  ministres,  voire  aux  hosleleries  mesmes  y 
en  avoit  d'entretenus  pour  gaster  les  paysans,  tant  ces  hommes 
poursuivoient  furieusement  leur  pointe.  Et  qui  pis  est,  un  tas 
de  coquins,  ignorans  de  toutes  lettres,  s'avançoient  impudem- 
ment de  monter  en  chaire,  et  corriger  Magnificat.  Car,  pour 
estre  savant  entr'eux,  c'estoit  alors  assez  de  chanter  les  psalmes 
de  Marot,  et  vomir  forces  injures  contre  la  messe  et  le  pape. 
Quant  à  la  défense  à  eux  faite  de  ne  prescher  es  villes,  ils  s'en 
mocquoient  disans  qu'il  falloit  obéir  plus  tost  à  Dieu  qu'aux 
hommes.  Tellement  qu'à  les  ouyr  et- voir,  on  eust  dit  qu'ils 
avoient  parlé  à  Dieu  bouche  à  bouche  comme  Moyse,  et  receu 
commission  expresse  de  faire  indifféremment  tout  ce  qu'il  leur 
venoit  à  gré,  et  montoil  à  la  fantaisie  ^ 

Attentive  au  mouvement  qui  emportait  la  France 
vers  des  horizons  nouveaux,  Catherine  se  montrait 
plus  disposée  à  le  suivre  qu'à  l'enrayer.  Mais,  trem- 
blant de  compromettre  son  pouvoir  et  la  couronne 
de  ses  enfants,  elle  subordonnait  ses  actes  aux  néces- 
sités du  moment  et  ses  paroles  aux  passions  de  ses 
interlocuteurs.  «  Elle  nous  a  dit  assez  souvent,  écrit 
«  l'ambassadeur  vénitien  Marc-Antoine  Barbaro,  qu'elle 
«  était  née  chrétienne,  qu'elle  voulait  vivre  et  mourir 

«  dans  sa  foi  et  y  élever  le  roi  et  ses  autres  enfants , 

«  qu'il  fallait  pour  le  moment  tolérer  plusieurs  choses, 
«  mais  que  le  roi  lui-même,  lorsqu'il  aurait  l'âge, 
«  remédierait  à  tant  de  maux-.  »  Les  catholiques 
lui  donnaient  d'aussi  rudes  alertes  que  les  réformés. 
Les  gronderies  du  connétable  devenaient  chaque  jour 
plus  graves  et  le  mécontentement  du  duc  de  Guise 

1.  Piguerre,  Histoire  française  de  notre  temps,  in-fol.,  1581,  t.  I, 
f.  399.  Cet  annaliste  ne  s'est  point  inspiré  de  La  Popelinière, 
comme  on  l'a  écrit  souvent,  mais  de  Belleforest. 

1.  Relations  des  ambass.  vénitiens,  t.  II,  p.  85. 


204  ANTOINE   DE   BOURBON 

plus  menaçant.  Ils  «  soufflent,  écrit  Claude  de  l'Au- 
«  bespine,  tant  qu'ils  peuvent  le  feu  pour  faire  peur  à 
«  ladite  dame.  »  Un  soir,  à  minuit,  Guise  et  le  conné- 
table réveillèrent  la  reine  pour  lui  dire  «  que  les  catho- 
«  liques  s'armaient,  montrant  qu'il  y  avait  apparent 
«  danger  de  bientôt  voir  le  royaume  en  deux  ^ .  »  Pressée 
entre  les  factions,  Catherine  de  Médicis,  comme  tous  les 
pouvoirs  faibles,  suivait  une  politique  de  compromis, 
même  dans  la  maison  du  roi.  Les  princes  étant  par- 
tagés en  deux  camps,  elle  permit  que  la  chapelle  du 
château  servit  successivement  aux  cérémonies  des  deux 
cultes.  Le  jour  du  prêche,  un  ministre  montait  en 
chaire  ;  la  reine  de  Navarre,  Condé,  les  Chasti lions  et 
leurs  adhérents  se  groupaient  autour  du  prédicateur. 
Le  lendemain  l'église  appartenait  aux  prêtres  ortho- 
doxes ;  le  roi,  ses  frères,  les  cardinaux,  le  connétable, 
les  Guises  entendaient  la  messe  dans  le  sanctuaire  et  la 
foule  des  courtisans  dans  la  nef 2.  Suivant  les  cir- 
constances, la  reine  mère  assistait  à  l'un  ou  à  l'autre 
sermon.  Le  roi  de  Navarre,  pour  plaire  aux  deux 
partis,  n'avait  rien  trouvé  de  mieux  que  de  se  rendre 
aux  deux  offices.  Il  accompagnait  habituellement  le 
roi  à  la  messe  ^,  suivait  sa  femme  au  prêche  et  par- 
ticipait à  la  cène  comme  un  chrétien  des  anciens 
jours  ^  Il  ne  se  cachait  que  de  l'ambassadeur  d'Es- 
pagne, et  croyait,  à  l'aide  de  démentis  puérils,  lui 

1.  Lettre  de  Claude  de  l'Aubespino  à  sou  frère,  ambassadeur 
en  Espagne,  du  29  août  (Orig.,  f.  fr.,  vol.  6618,  f.  4). 

2.  Lettre  de  Throckmorton  du  13  décembre  [Calendars,  1561, 
p.  437). 

3.  Calendars,  1561,  p.  413. 

4.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du  26  novembre  (Orig. 
espagnol  ;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n°  120). 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  205 

dissimuler  sa  conduite  ^  Ce  double  jeu  était  la  fable  de 
la  cour.  Chantonay  s'en  plaignit  au  cardinal  de  Tour- 
non  qui  haussa  les  épaules  sans  répondre^.  Le  par- 
tage de  la  chapelle  royale  était  interrompu  lorsqu'un 
ministre  de  renom,  de  Bèze,  Pierre  Martyr,  des  Gal- 
lars  ou  un  autre,  obtenait  une  audition  exceptionnelle. 
En  ce  cas,  la  cour  presque  entière  se  réunissait  dans  la 
chapelle  avec  un  empressement  où  il  entrait  plus  de 
fantaisie  que  de  ferveur.  C'est  ainsi  que,  le  9  décembre, 
le  cardinal  de  Chastillon  fît  prêcher  devant  la  reine 
mère,  le  roi  et  les  princes,  son  ministre  favori,  M^  Bou- 
teiller  ^. 

Tandis  que  le  roi  de  Navarre,  avec  la  légèreté  qui 
lui  appartenait,  cherchait  ses  intérêts,  courtisait  les 
deux  partis  et  se  discréditait  auprès  de  tous,  Jeanne 
d'Albret  suivait  une  ligne  droite,  ferme,  qu'aucune 
considération  humaine  ne  pouvait  faire  fléchir.  Le 
colloque  de  Poissy  et  le  mouvement  religieux  de  la 
cour  ouvraient  une  carrière  à  son  ardeur  de  néo- 
phyte. Dès  le  premier  jour  de  son  arrivée,  elle  travailla 
à  l'organisation  du  culte  public  de  la  Réforme.  Madame 
de  Vendôme  est  arrivée,  écrit  Chantonay,  «  vivant  à 
«  sa  façon,  de  laquelle  elle  ne  délibère  changer  aucune 
c<  chose  ^.  »  Sa  façon,  c'était  de  faire  prêcher  dans  ses 
appartements,  toutes  portes  ouvertes.   Chaque  jour 

1 .  L'ambassadeur  d'Espagne  n'habitait  pas  le  château  de  Saint- 
Germain.  Toutes  ses  lettres  de  cette  époque  sont  datées  de  Poissy 
ou  de  Saint-Gloud,  ou  de  Paris. 

2.  Lettre  de  Chantonay  au  duc  d'Albe,  du  3  décembre  (Arch. 
nat.,  K.  1495,  n»  92). 

3.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du  10  décembre  (Orig. 
espagnol  ;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n"  95). 

4.  Lettre  du  6  septembre  {Mémoires  de  Condé,  t.  II,  p.  17). 


206  ANTOINE  DE   BOURBON 

elle  rassemblait  trois  ou  quatre  cents  néophytes,  enre- 
gistrait leurs  noms,  recevait  leurs  serments,  leur  fai- 
sait entendre  un  prêche  et  chanter  certains  psaumes 
de  Marot.  Après  la  cène,  les  fidèles  passaient  dans  le 
logis  de  la  dame  de  Roye,  puis  de  la  princesse  de 
Condé  et  renouvelaient  })lusieurs  fois  les  mêmes  céré- 
monies^. L'attention  de  Jeanne  d'Albret  se  portait 
même  sur  le  pauvre  peuple  des  égHses  calvinistes.  Les 
petites  gens  trouvaient  auprès  d'elle  un  point  de  ral- 
liement. Elle  recevait  les  ministres  en  sauveurs,  les 
réformés  en  frères  et  prêtait  son  appui  aux  plus  humbles 
croyants.  Informée  que  la  veuve  de  l'historien  Martin 
du  Bellay,  belle-sœur  du  cardinal  du  Bellay,  «  violen- 
ce tait  la  conscience  »  d'une  de  ses  filles,  qui  avait 
refusé  de  l'accompagner  à  la  messe,  elle  prit  si  éner- 
giquement  le  parti  de  la  jeune  révoltée  que  la  mère  se 
vit  forcée  de  l'envoyer  à  la  cour  auprès  de  sa  protec- 
trice^. 

Chantonay  porta  plainte  au  roi  de  Navarre  des  mau- 
vais exemples  de  Jeanne  d'Albret,  des  ministres  qu'elle 
traînait  après  elle,  de  ses  chantres,  de  ses  offices 
publics  dans  les  salles  du  château.  Le  hasard  avait 
logé  la  princesse  et  le  cardinal  de  Ferrare  dans  des 
appartements  peu  éloignés.  Le  chant  continuel  des 
psaumes,  crié  à  pleine  voix,  dit  Chantonay,  «  devant, 
«  dessus  et  à  côté  du  logis  du  légat ,  »  troublait  son 
repos '\  Chantonay  somma  le  roi  de  Navarre  de  faire 

1.  Lottre  de  Cliantonay  à  Philippe  II,  du  14  octobre  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  l'jQS,  n"  83).  —  Voyez  aussi  une  lettre 
adressée  à  Throckmorton  (Calendars,  1561,  p.  367). 

2.  Lettres  d'Ant.  de  Dourho7i  et  de  Jehanne  d'Albret,  p.  241,  243, 
245,  246,  251. 

3.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du  14  octobre  (Orig. 
espagnol  ;  Arch.  nat.,  K.  1  V,)5,  n»  83). 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  207 

cesser  des  exercices  qui  offensaient  le  représentant  du 
saint-siège.  Antoine  reçut  ces  plaintes  en  mari  peu 
assuré  de  son  autorité.  «  Il  me  répondit  avec  le  plus 
«  grand  sangfroid ,  écrit  Chantonay ,  qu'il  n'aurait 
«  jamais  cru  telle  chose  de  sa  femme ,  que,  quand  il 
«  était  sorti  de  ses  états,  il  l'avait  abandonnée  à  elle- 
«  même,  certain  qu'elle  ne  s'écarterait  jamais  de  ses 
«  devoirs  de  catholique  ,  qu'il  n'avait  jamais  été 
«  informé  qu'elle  eût  fait  autrement ,  et  qu'il  saurait 
«  bien  lui  faire  entendre  la  vérité  s'il  en  était  besoin  ; 
«  que  pour  lui  i!  l'avait  toujours  connue  bonne  , 
«  honnête,  aimant  la  vertu  et  détestant  le  vice.  » 
Antoine  prétendait  ignorer  qu'elle  entretînt  à  sa  suite 
des  théologiens  de  mauvaise  réputation  et  assurait 
qu'elle  était  seulement  accompagnée  d'un  ancien  moine, 
défroqué  avec  l'autorisation  du  pape,  le  même  qui 
avait  assisté  Marguerite  d' Angoulême  dans  ses  dernières 
années.  «  Je  pris  cette  réponse  pour  ce  qu'elle  doit 
«  être,  écrit  Chantonay,  car  ce  sont  des  affaires  que 
«  l'on  ne  peut  discuter,  même  en  ayant  des  preuves 
«  en  main,  avec  des  personnes  de  cette  qualité  '.  » 

Poussée  par  son  zèle,  la  reine  de  Navarre,  d'accord 
avec  le  prince  de  Condé  et  les  trois  Ghastillons,  désira 
fonder  une  église  nationale-.  Les  Grussol  et  une  foule 
de  courtisans,  pressés  d'adorer  le  soleil  levant  de  la 
religion  nouvelle,  se  joignirent  plus  tard  à  l'asso- 
ciation ^.  C'est  dans  ce  dessein  que  Jeanne  d'Albret 

1.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du  28  août  (Orig.  espa- 
gnol; Arch.  nat.,  K.  1494,  n»  93). 

2.  Baum,  Theodor  Beza,  Preuves,  p.  118  et  121.  Lettre  de 
de  Bèze  à  Calvin,  du  30  octobre. 

3.  Calendars,  1561,  p.  449  et  458.  —  Lettre  de  Chantonay  à 
Philippe  II,  du  21  décembre  (Orig.  espagnol;  Arch.  nat.,  K. 
1495,  no  103). 


208  ANTOINE   DE    BOURBON 

écrivit  à  la  république  de  Genève  pour  s'assurer  le 
ministère  de  Théodore  de  Bèze. 

Magnifiques  Seigneurs.  Nous  sommes  résolus  et  advisés 
retenir  pour  trois  ou  quatre  mois  auprès  de  nous  vénérable 
personne  M.  Théodore  de  Bèze,  espérant  que  les  occasions  se 
présenteront  durant  ce  temps  que  Dieu  se  pourra  servir  de  luy 
pour  la  paix  de  son  église  et  le  bien  de  la  républicque  chres- 
tienne,  vouspryant  pour  une  si  bonne  et  nécessaire  cause  voul- 
loir  excuser  le  desfault  qui  vous  peult  fere  par  son  absence  et 
préférer  l'utilité  commune  et  universelle  à  la  vostre,  laquelle 
pour  cela  nous  n'envions  poinct,  ains  prions  nostre  Dieu, 
magnificques  Seigneurs,  la  vous  conserver  et  vous  tenir  en  sa 
protection  et  sauvegarde. 

Escript  à  Saint-Germain-en-Laie,  ce  25^  jour  de  novembre 

La  Royne  de  Navarre, 

JeHA!V!VE^ 

L'église  nationale ,  organisée  par  la  reine  de 
Navarre,  aurait  pu  attirer  beaucoup  d'adeptes.  «  Il  ne 
«  manquait  plus  que  cela,  écrit  Tornabuoni,  pour 
«  donner  le  dernier  coup  à  la  religion  et  faire  que  la 
«  reine,  qui  s'était  encore  montrée  catholique,  ne  joue 
«  maintenant  à  cartes  découvertes-.  »  Heureusement 
pour  la  paix  du  royaume,  l'entreprise  n'eut  pas  de 
suite. 

Les    réformés    reconnaissants    traitaient     Jeanne 

1.  L'original  est  conservé  aux  archives  de  Genève,  daté  de 
Saint-Germain  et  du  25  novembre.  M.  le  comte  Delaborde  a 
connu  cette  lettre  et  en  a  publié  des  extraits  {Les  Protestants  à  la 
cour  de  Saint-Germain,  p.  73).  —  Le  prince  de  Coudé  écrivit  dans 
le  même  sens  aux  gens  de  Genève.  Sa  lettre  est  imprimée  dans 
l'Histoire  de  Condé,  du  duc  d'Aumale,  t.  I,  p.  344. 

2.  «  Adesso  dia  le  carte  alla  scopecta.  »  (Négoc.  de  la  France 
avec  la  Toscane,  t.  III,  p.  461  ;  Lettre  du  4  sept.  15G1.) 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  209 

d'Albret  en  reine.  Le  célèbre  jurisconsulte,  Charles 
du  Molin,  lui  dédia  un  de  ses  livres  au  nom  de  «  tous 
«  loyaux  serviteurs  et  amateurs  de  Dieu  et  de  Jésus- 
ce  Christ.  »  Dans  la  préface,  pas  un  mot  sur  le  roi 
de  Navarre,  mais  un  hommage  à  son  fils,  «  prince 
«  de  très  heureuse  et  royale  espérance  ' .  »  La  reine 
d'Angleterre  prit  l'habitude  de  correspondre  avec 
Jeanne  d'Albret,  Throckmorton  de  traiter  directement 
avec  elle^.  Aussitôt  après  son  arrivée,  il  avait  été  le 
premier  des  ambassadeurs  étrangers  à  lui  présenter 
ses  hommages".  Les  ambassadeurs  catholiques  se 
gardaient  de  la  princesse  comme  de  l'ennemi.  Le  véni- 
tien retarda  longtemps  la  visite  que  l'étiquette  de  la 
cour  lui  imposait^.  Quant  à  Chantonay,  il  s'en  dis- 
pensa ;  dans  ses  lettres  il  ne  prononce  le  nom  de  la 
reine  de  Navarre  que  pour  la  maudire. 

Jeanne,  plus  habile  qu'on  ne  pouvait  l'espérer, 
sentait  que  la  destinée  de  son  parti  dépendait  des  dis- 
positions futures  du  roi.  Elle  entreprit  de  faire  son 
éducation  avec  une  délicatesse  maternelle.  Elle  aimait, 
dit  Chantonay,  à  se  trouver  seule  avec  lui  et  lui  tenait 

1.  Ce  livre  a  pour  titre  :  La  première  partie  du  traicté  de  l'ori- 
gine, progrès  et  excellence  du  royaume  et  monarchie  des  Françoys  et 
couronne  de  France,  Lyon,  à  la  Salamandre,  156L  La  préface  est 
datée  du  7  septembre  156L  L'ouvrage  est  une  étude  sur  l'anti- 
quité du  royaume  et  ses  anciennes  lois,  dans  laquelle,  sous  pré- 
texte d'études  historiques  et  de  comparaison  avec  l'empire 
romain,  l'auteur  blâme  l'idolâtrie  du  catholicisme. 

2.  Il  lui  remit  une  lettre  de  félicitation  de  la  reine  d'Angle- 
terre, datée  du  !«■•  septembre  [Calendars,  1561,  p.  286). 

3.  Lettre  de  Throckmorton,  du  20  septembre  (Calendars,  1561, 
p.  311).  —  Autres  {ibid.,  p.  355  et  362). 

4.  Lettre  de  Suriano,  du  2  octobre  (Dépêches  vénit.,  (ilza  4, 
f.  348). 

m  14 


210  ANTOINE   DE   BOURBON 

des  conversations  appropriées  aux  goûts  de  son  âge*. 
Un  jour,  dans  une  de  ces  conférences  familières  qui 
aidaient  la  princesse  à  se  mettre  en  faveur,  s'engagea 
le  dialogue  suivant  : 

Le  roi.  —  Bonne  lante,  je  vous  prie  de  me  dire  ce  que  cela 
signifie,  que  le  roi  mon  oncle,  votre  mari,  va  tous  les  jours  à 
la  messe  et  que  vous  n'y  venez  pas,  ni  mon  cousin  votre  fils, 
le  prince  de  Navarre. 

Jeanne  d'Albrei.  —  Sire,  le  roi  mon  mari  le  fait  ainsi  parce 
que  vous  y  allez,  pour  vous  accompagner  el  obéir  à  votre  ordre 
et  commandement. 

Le  roi.  —  Non,  tante,  je  ne  lui  commande  pas  de  le  faire  et 
je  ne  désire  pas  qu'il  le  fasse.  Si  ce  n'est  pas  une  bonne  chose, 
comme  je  rcnlends  dire,  il  pourrait  aussi  bien  s'abstenir  d'y 
aller  et  je  ne  m'en  offenserai  pas.  Car,  si  j'avais  pouvoir  ainsi 
que  lui  et  si  je  croyais  sur  ce  point  comme  il  croit,  je  n'irais 
pas  moi-même. 

Jeanne  d'Albret.  —  Comment,  Sire,  que  croyez-vous  là- 
dessus  ? 

Le  roi.  —  La  reine  ma  mère,  M.  de  Cipierre  et  mon  précep- 
teur me  disent  que  c'est  très  bien  et  que  je  vois  Dieu  journel- 
lement à  la  messe,  mais  j'entends  dire  par  d'autres  que  Dieu 
n'y  est  pas  et  que  la  messe  n'est  pas  une  bonne  pratique.  Et 
assurément,  Lante,  pour  être  sincère  avec  vous,  si  ce  n'était 
pas  pour  plaire  à  la  reine  ma  mère,  je  n'irais  pas  moi-même. 
Vous  pouvez  hardiment  continuer  de  vivre  comme  vous  faites  \ 
et  le  roi  votre  mari  peut  agir  en  cette  affaire  suivant  sa  cons- 
cience sans  craindre  de  me  causer  aucun  déplaisir.  Et  assuré- 
ment, lante,  quand  je  me  gouvernerai  moi-même,  j'ai  l'intention 
de  quitter  toutes  ces  prati(iues.  Mais  je  vous  prie  de  garder  ces 
secrets  pour  vous  et  tic  l'aire  en  sorte  qu'ils  ne  reviennent 
jamais  aux  oreilles  de  ma  mère. 

La  reine  de  Navarre,  triomphante  des  dispositions 

1.  Lettre  do  Ghantouay  à  IMiilippe  II,  du  '21  septembre  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n°  70). 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  211 

de  son  élève,  rapporta  la  conversation  à  l'ambassadeur 
d'Angleterre'*  et  en  tira  bon  augure  pour  l'avenir.  «  Je 
«  ne  puis  me  défendre,  ajouta-t-elle,  de  certaines 
«  appréhensions  à  la  vue  de  ce  royal  enfant.  Il  me 
«  semble  qu'il  a  de  trop  bonnes  inclinations,  trop  de 
«  bon  vouloir  et  de  trop  riches  qualités  pour  rester  au 
«  milieu  de  nous.  » 

Malgré  le  témoignage  de  la  reine  de  Navarre,  il 
semble  que  le  jeune  roi,  bien  conseillé  par  le  conné- 
table et  par  son  précepteur,  Jacques  Amyot,  montrât 
assez  de  suite  dans  la  pratique  de  l'ancienne  religion. 
Claude  Hatton  raconte  que  sa  mère  le  conduisit  un  jour 
au  prêche  de  Théodore  de  Bèze  et  voulut  «  le  faire 
«  catéchiser  en  ceste  nouvelle  opinion  ;  mais  il  ne  s'y 
«  voulut  ranger,  encores  qu'il  fut  jeune  enfant-.  » 
Chantonay,  Suriano,  Tornabuoni  constatent  qu'il  allait 
habituellement  à  la  messe.  Un  jour,  le  2  janvier  15G^, 
passant  devant  le  logis  de  la  reine  de  Navarre,  il  frappa 
violemment  et  entra.  Le  ministre  était  en  chaire.  Le  roi 
parut  sur  le  seuil  delà  porte,  considéra  l'assistance  d'un 
œil  curieux  et  se  retira  en  disant  :  «  Ne  doutez  pas  que, 
«  si  vous  continuez  à  prêcher  ainsi,  vous  serez  tous 
«  brûlés^.  »  En  attendant  l'exécution  de  ces  menaces, 
l'amitié  du  roi  pour  sa  tante  se  traduisait  par  des 
faveurs.  Il  lui  donna,  en  considération  de  ses  dépenses 
à  la  cour,  une  somme  de  i)0,000  livres  tournois  à 

1.  Lettre  de  Throckmorton,  du  2G  novembre  (Calendars,  1561, 
p.  413).  Nous  traduisons  littéralement  le  récit  de  l'ambassadeur 
anglais.  Plusieurs  historiens,  le  comte  Delaborde  et  M.  Forneron, 
l'avaient  reproduit  avant  nous. 

2.  Mémoires  de  Claude  Ilatton,  t.  I,  p.  156. 

3.  Lettre  de  Tornabuoni  au  grand  duc  de  Toscane,  du  3  jan- 
vier 1.562  (Négoc.  de  la  France  avec  la  Toscane,  t.  III,  p.  470). 


212  ANTOINE   DE   BOURBON 

prendre  sur  la  vente  des  arbres  «  tombez  ou  versez 
«  par  l'impétuosité  des  vents  durant  la  présente  année  » 
dans  toutes  les  forêts  royales  ^ . 

Au  milieu  de  l'efFervescence  protestante  de  la  cour, 
le  cardinal  de  Ferrare  gardait  l'impassibilité  d'un 
romain.  Le  parlement  de  Paris ^  et  le  chancelier,  en 
vertu  des  libertés  gallicanes,  avaient  refusé,  l'un  d'en- 
registrer, l'autre  de  sceller  ses  bulles,  et  le  prélat 
attendait  patiemment  le  bon  vouloir  des  corps  judi- 
ciaires. Antoine  se  montra  empressé  auprès  de  lui, 
dès  son  arrivée,  pour  s'en  faire  un  protecteur  auprès 
du  pape.  Le  cardinal,  dit  Ghantonay,  accepta  d'au- 
tant plus  volontiers  ces  avances  que  Pie  IV  était 
vieux  et  qu'il  aspirait  à  la  tiare  ^  L'appui  qu'il  pro- 
mettait à  la  maison  d'Albret,  sa  froideur  pour  les 
Guises  lui  avaient  attiré  des  partisans,  même  parmi 
les  réformés  les  plus  endurcis.  Gondé  et  l'amiral  le 
soutenaient  ouvertement  contre  le  chancelier^.  Entîn, 
agissant  d'autorité,  Antoine  lui  livra  une  chapelle  pour 
ses  offices  et  fît  dresser  secrètement  ses  pouvoirs^. 


1.  Lettres  patentes  datées  de  Saint-Germain,  et  du  11  novembre, 
coiiiirmées  le  5  février  1561  (156:2)  et  le  1«'"  juin  15G2  (Copie; 
Arch.  nat.,  P.  2312,  f.  1593).  Cette  même  pièce  nous  apprend 
que  la  reine  de  Navarre  jouissait  des  forêts  de  Chasteauneuf,  de 
Champrond  et  de  Sononches. 

2.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  U,  du  28  octobre  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n"  105). 

3.  Lettre  de  Ghantonay,  du  21  septembre,  à  Philippe  II  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n°  70). 

4.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du  14  octobre  et  du 
13  novembre  (Orig.  espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n"  83,  et  1494, 
n»  108). 

5.  Cette  pièce  est  imprimée  dans  Facultates  HippoUti  card.  Fer- 
raricnsis,  f.  53.  —  Autres  pièces  relatives  à  la  môme  affaire  {ihid., 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  213 

Un  jour,  pendant  l'absence  du  chancelier,  aidé  du 
prince  de  Condé  et  de  Coligny,  il  déroba  le  sceau  du 
roi  et  le  fit  apposer  par  Claude  de  l'Aubespine.  Le 
brevet  de  légat,  régularisé  au  prix  d'une  supercherie, 
fut  présenté  au  parlement  et  enregistré,  malgré  l'oppo- 
sition du  chancelier,  avec  une  clause  qui  réservait 
l'avenir  ^  Mais  il  suffisait  au  rusé  prélat  d'être  toléré 
à  la  cour  pour  y  nouer  ses  trames. 

Les  rapports  du  cardinal  de  Ferrare  avec  Jeanne 
d'Albret,  par  suite  de  sa  bonne  volonté  pour  le  roi  de 
Navarre,  prirent  une  teinte  de  cordialité.  Jeanne 
l'invita  à  souper  et  le  cardinal  accepta  sans  autre  con- 
dition que  de  rendre  «  la  courtoisie.  »  En  vain  le  car- 
dinal de  Tournon,  qui  avait  reçu  secrètement  du  pape 
une  sorte  de  droit  de  veto  sur  les  actes  du  légat,  en 
vain  le  connétable,  au  nom  de  sa  vieille  expérience, 
s'efforcèrent  de  l'en  détourner.  Le  12  novembre, 
le  cardinal  de  Ferrare,  accompagné  du  cardinal  d'Ar- 
magnac, se  rendit  au  logis  de  la  princesse.  Au  com- 
mencement et  à  la  fin  du  repas,  un  ministre  pro- 
testant récita  une  prière  à  la  mode  de  Genève.  Les 
tables  enlevées,  la  salle  s'emplit  peu  à  peu  et  un 
franciscain  défroqué,  ancien  condisciple  d'un  des 
docteurs  du  légat,  monta  en  chaire.   H  parla  avec 


f.  57).  —  Autres  {Preuves  des  libertés  gallicanes,  3^  partie,  p.  103 
et  105). 

1.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du  13  novembre  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  I'i9i,  n"  108).  —  Voyez  aussi  de  Thou 
(1740,  t.  in,  p.  98).  —  Throckmorton  raconte  que  la  reine  était 
d'accord  avec  le  roi  de  Navarre  [Caïendars,  1561,  p.  396).  — 
Ghantonay  dit  qu'il  fut  expressément  défendu  au  cardinal  d'user 
de  ses  pouvoirs  de  légat,  afin  que  le  précédent  actuel  n'en- 
gageât pas  la  jurisprudence  du  parlement  à  l'avenir. 


214  ANTOINE    DE    BOURBON 

tant  de  modération,  dit  Ghantonay,  que  les  deux  pré- 
lats l'approuvèrent  en  tous  points;  le  cardinal  d'Arma- 
gnac déclara  que  saint  Paul  n'aurait  pas  mieux  prê- 
ché. Après  le  sermon  commença  le  chant  des  psaumes. 
Le  légat,  assis  à  la  place  d'honneur,  était  entouré  de 
princesses  qui  y  prenaient  dévotement  leur  part.  Dans 
le  chœur,  dit  Boquin,  on  distinguait  les  voix  enfan- 
tines du  prince  de  Béarn  et  de  son  cousin  germain, 
Henri  de  Bourbon  Gondé,  tous  deux  âgés  de  moins  de 
dix  ans.  Les  deux  prêtres,  silencieux,  assistaient  à 
la  cérémonie  sans  donner  la  moindre  preuve  d'impro- 
bation.  Cependant  les  réformés  leur  reprochèrent 
d'être  restés  couverts  et  de  n'avoir  pas  fléchi  le  genou 
pendant  l'oraison  dominicale  et  au  nom  de  Jésus- 
Christ  ^ 

Tous  les  catholiques  avaient  blâmé  le  cardinal  de 
Ferrare  de  sa  condescendance,  et  s'étaient  moqués  de 
sa  mésaventure,  mais  les  rieurs  se  retournèrent  de 
son  côté  quand  la  cour  apprit  que  la  reine  de  Navarre, 
fidèle  à  sa  promesse,  irait  entendre  un  sermon  catho- 
lique au  logis  du  prélat-.  La  réception,  d'abord  fixée  au 
vendredi,  1 3  novembre,  fut  renvoyée  au  samedi  à  cause 

1.  Cette  scène  est  racontée  avec  détails  par  Ghantonay  (Lettre 
à  Philippe  II,  du  13  nov.;  Orig.  espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1494, 
n"  108),  et  par  Boquin,  amhassadeur  de  Frédéric  le  Pieux  {Lettres 
de  Frédéric  le  Pieux,  18r)8,  Munich,  t.  II,  p.  315).  La  lettre  de 
Boquin,  («crito  en  latin,  a  été  traduite  en  partie  par  M.  le  comte 
Dclabordo  [Les  protestants  à  la  cour  de  Saint-Germain,  p.  70).  — 
Les  lettres  de  Suriano,  du  19  novembre  (Dépêches  vénit.,filza  4  bis, 
f.  110  V),  et  de  Tornabuoni,  du  20  novembre  [Négoc.  de  la  France 
avec  la  Toscane,  t.  III,  p.  468),  contiennent  un  récit  plus  abrégé. 

2.  Lettre  du  cardinal  do  Sainte-Croix,  nonce  du  pape,  du 
15  novembre  (Cimbor  et  Danjou,  Archives  curieuses  pour  servir  à 
ihist.  de  France,  t.  VI,  p.  12). 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  215 

de  l'état  de  santé  de  la  princesse.  Jeanne  arriva  dans 
la  chapelle  cardinale,  accompagnée  du  prince  de  Condé 
et  de  Coligny,  et  s'assit  en  face  de  la  chaire.  Mais  elle 
ne  montra  pas  autant  de  bonne  grâce  que  le  légat.  En 
entrant,  elle  dit  à  haute  voix  à  ses  gens  :  «  Mainte- 
«  nant,  puisque  nous  avons  fait  la  folie  de  venir  à  ce 
«  sermon,  il  faut  la  pousser  jusqu'à  la  fin  en  montrant 
«  par  notre  attitude  que  nous  y  venons  de  très  mau- 
«  vaise  volonté  ^ .  »  Bientôt  elle  quitta  sa  place  et 
monta  dans  une  tribune  haute,  avec  son  ministre,  le 
franciscain  défroqué.  Le  cardinal  de  Ferrare  fit  prê- 
cher un  cordelier  de  sa  suite,  le  père  Justinian, 
connu  à  la  cour  depuis  le  colloque  de  Poissy.  Mais  le 
prédicateur  n'eut  pas  le  succès  qu'attendait  le  légat.  Il 
se  répandit  en  railleries  contre  les  moines  qui  avaient 
jeté  le  froc,  railleries  inopportunes  devant  le  favori 
de  la  reine  de  Navarre,  et  descendit  de  chaire  sans 
avoir  converti  personne-. 

Le  zèle  que  Jeanne  d'Albret  déployait  en  faveur  de 
ses  coreligionnaires  était  encore  plus  actif  vis-à-vis  de 
son  mari.  Il  n'est  pas  d'instance  dont  elle  n'usât  pour 
presser  le  roi  de  Navarre  d'embrasser  ouvertement 
la  religion  nouvelle.  Elle  rêvait  une  grande  destinée 
pour  son  culte,  pour  sa  maison  et  pour  son  fils.  Aveu- 
glée par  son  ambition,  elle  promit  à  son  mari,  dit  Chan- 
tonay,  avant  trois  mois,  au  prix  d'une  conversion  écla- 

1.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du  18  novembre  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  iiOi,  n'  109). 

2.  Lettre  de  Tornabuoni,  du  20  novembre  (Ncgociations  de  ta 
France  avec  la  Toscane,  t.  III,  p.  468).  —  Lettre  de  Suriano  et  de 
Barbaro,  du  19  novembre  (Dépêches  vénit.,  (ilza4  bis,  f.  110  v°). 
—  Lettre  de  Throckmorton,  du  26  novembre  [Calendars,  1561, 
p.  413). 


216  ANTOINE   DE   BOURBON 

tante,  un  grand  royaume,  sans  désigner  autrement  le 
royaume  de  France  ^ .  Chaque  jour  le  faible  prince  était 
en  butte  à  de  nouvelles  obsessions,  mais  chaque  jour 
le  terrain  gagné  par  la  princesse  était  reconquis  par 
les  conseillers  catholiques  de  son  mari.  Coligny  aussi 
savait  le  retourner  à  son  gré,  mais  le  dernier  mot 
appartenait  toujours  à  l'ambassadeur  d'Espagne.  A  sa 
femme,  Antoine  répondait  que  sa  dignité  de  lieutenant 
général  l'obligeait  à  accompagner  le  roi  à  la  messe , 
au  cardinal  de  Tournon  qu'il  ne  voulait  pas  affliger  la 
reine  de  Navarre,  dont  l'état  de  santé  réclamait  des 
ménagements.  Cette  rivalité  d'influence  était  l'occa- 
sion de  querelles  intestines.  Antoine  voulut  interdire 
les  cérémonies  dont  le  logis  de  sa  femme  était  le 
théâtre.  Jeanne  se  retira  immédiatement  à  Paris  «  pour 
«  y  vivre  à  sa  façon,  »  mais  peu  de  jours  après  elle 
revint  à  la  cour-.  Il  défendit  ces  chants  bruyants  des 
psaumes  qui  assourdissaient  les  gens  du  château,  mais 
il  ne  put  la  conduire  à  l'église.  Jeanne  répondit  vive- 
ment que ,  «  quand  on  la  tuerait ,  elle  n'irait  pas  à 
«  la  messe  et  que,  pour  ne  pas  vivre  comme  une  bête 
«  ou  un  athée,  il  fallait  qu'elle  eût  une  religion  quel- 
«  conque  et  que  celle  qu'elle  professait  lui  était  sufïi- 
«  sante^.  »  Le  jour  oîi  elle  assista  au  sermon  du  père 
Justinian,  elle  reprocha  à  son  mari,  en  sortant  de  la 
chapelle,  de  s'être  agenouillé  au  moment  de  la  prière 

1.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du  3  décembre  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n»  115). 

2.  Lettre  de  Suriano,  du  3  novembre  (Dépêches  vénit.,  lilza  4 
bis,  f.  102  Y"). 

3.  Ces  étranges  paroles  furent  rapportées  par  le  roi  de  Navarre 
lui-même  à  Ghantonay.  Voyez  la  lettre  du  21  novembre  que  nous 
citons  plus  bas. 


ET   JEANNE    d'ALBRET.  217 

finale.  Antoine  protesta  qu'elle  s'était  trompée  et  qu'il 
s'était  seulement  découvert.  Les  deux  époux  en  vinrent 
aux  paroles  acrimonieuses  et  le  prince  se  plaignit  que 
sa  femme  le  déconsidérait  par  ses  reproches  et  le  fai- 
sait passer  pour  un  homme  sans  honneur^.  La 
lutte  de  la  reine  de  Navarre  n'était  un  secret  pour 
personne  à  la  cour.  Pas  un  réformé  qui  n'en  espérât 
le  triomphe  de  la  cause  commune.  Calvin  écrivit  à  la 
princesse  une  éloquente  lettre  d'encouragement. 

Nous  avons  de  quoy  bénir  Dieu  de  ce  qu'il  besongne  vertueu- 
sement en  vous,  Madame,  et  vous  fail  surmonter  tout  ce  qui 
vous  pourroit  divertir  du  bon  chemin.  Il  seroitbien  à  souhaiter 
que  le  roy,  vostre  mary,  print  pour  un  bon  coup  telle  résolution, 
que  ce  ne  fust  plus  pour  nager  entre  deux  eaux.  Je  scay  com- 
ment vous  y  travaillez.  Mais  je  vous  prie,  Madame,  que  si  vous 
n'en  venez  si  tost  à  bout  qu'il  seroit  à  souhaiter  que  l'attente 
ne  vous  lasse  ne  refroidisse^. 

La  division  religieuse  des  deux  époux  s'aggravait 
des  légèretés  du  roi  de  Navarre.  Malgré  son  âge 
(Antoine  avait  alors  la  barbe  blanche^),  malgré  sa 
dignité  de  père  de  famille,  il  menait  une  vie  de  galan- 
terie et  de  désordre.  Parmi  ses  affidés  se  trouvait  un 
capitaine  portugais,  appelé  Melchior  Yaez,  qu'il  avait 
employé  l'année  précédente  en  Afrique.  Vaez  avait  une 
fille  d'une  beauté  remarquable,  que  Jeanne  d'Albret 
avait  prise  à  son  service.  Antoine  la  courtisait  secrète- 

1.  Lettres  de  Ghantonay  des  18,  21,  26  novembre  et  3  décembre, 
à  Philippe  n  (Orig.  espagnols;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n'^  109, 110, 
120  et  115). 

2.  Lettre  du  24  décembre  {Lettres  de  Calvin,  t.  II,  p.  438). 

3.  Lettre  de  Suriano,  du  18  octobre  (Dépêches  vénit.,  filza  4 
bis,  f.  94).  Cependant  le  roi  de  Navarre  n'avait  que  quarante- 
trois  ans. 


218  ANTOINE    DE    BOURBON 

ment.  Il  éloigna  le  père  et  s'efforça  de  séduire  la  fille, 
mais  il  ne  put  triompher  de  sa  vertu.  La  fille  feignit 
une  maladie  et  se  retira  à  Arras  avec  un  de  ses  frères. 
Antoine  essaya  d'engager  avec  la  mère  un  marché  hon- 
teux qui  fut  repoussé.  Jeanne  d'Albret  eut  peut-être 
connaissance  de  cette  basse  intrigue,  car  elle  renvoya 
les  Vaez  sous  prétexte  qu'ils  refusaient  d'embrasser  la 
Réforme.  Ces  Portugais  étaient  de  pauvres  aventuriers, 
forcés  pour  vivre  de  se  mettre  aux  gages  d'un  pro- 
tecteur. Mal  payé  par  le  roi  de  Navarre,  Vaez  avait  déjà 
offert  ses  services  à  la  reine  d'Angleterre.  En  quittant 
la  maison  d'Albret,  il  s'aboucha  avec  Ghantonay  et  se 
donna  au  roi  d'Espagne  ^ 

La  reine  de  Navarre,  écrit  Ghantonay,  était  arrivée 
«  rayonnante  de  la  joie  que  lui  causait  la  conclusion 
«  du  mariage  de  son  fils  avec  la  sœur  du  roi  et  de  celui 
«  de  sa  fille  avec  Monseigneur  d'Anjou-.  »  Le  fils 
de  Jeanne  d'Albret,  Henri  de  Béarn,  un  enfant  de 
huit  ans,  que  sa  mère  élevait  dans  le  culte  de  la 
Réforme^,  devait  épouser  Marguerite  de  Valois,  plus 
âgée  que  lui  de  sept  mois.  La  fille  de  Jeanne  d'Albret, 
Catherine  de  Navarre,  née  à  Paris  le  7  février  1559, 
était  promise  à  Monseigneur  d'Anjou,  Alexandre  de 
Valois,  tantôt  nommé  duc  d'Orléans  et  tantôt  duc 
d'Anjou  à  cette  date,  plus  tard  Henri  III.  Ces  mariages 
étaient  depuis  longtemps  en   négociation.   Henri  II 


1.  Galendars,  1561,  p.  161.  —  Lettre,  de  Chantuuay  à  Philippe  II, 
du  14  octobre  (Orip.  espagnol  ;  Arch.  nat.,  K.  1195,  n°  83). 

2.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du  31  août  1561  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1194,  n°  94). 

3.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du  31  août  (Orig.  espa- 
gnol ;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n°  94). 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  219 

avait  eu  la  première  idée  de  celui  de  Henri  de  Béarn^ 
Lorsque  le  roi  de  Navarre,  après  la  mort  de  François  II, 
céda  à  Catherine  de  Médicis  la  régence  et  le  premier 
rang  dans  l'état,  la  double  alliance  des  deux  maisons 
fut  expressément  stipulée  par  le  premier  prince  du 
sang.  Les  engagements  de  la  reine  étaient  connus  à 
la  cour  dès  les  premiers  jours  du  règne  de  Charles  IX  ~. 
Quand  surgirent  les  négociations  du  mariage  de  don 
Carlos  d'Espagne  avec  Marie  Stuart ,  Catherine  les 
traversa  en  offrant  Marguerite  à  l'infant  d'Espagne. 
Bientôt  la  renonciation  de  don  Carlos^,  le  voyage  de 
Jeanne  d'Albret  à  Saint-Germain  assurèrent  la  candida- 
ture du  prince  béarnais^.  Le  soir  même  de  l'arrivée  de 
la  reine  de  Navarre,  au  souper  du  roi,  Hemn  de  Béarn 
occupait  aux  côtés  du  roi  et  de  sa  fiancée  une  place 
d'honneur,  qui  révélait  aux  courtisans  le  rang  qu'il 
allait  tenir  dans  la  maison  royale^. 

La  reine  mère  avait  accueilli  Jeanne  d'Albret  avec 
ce  front  d'airain  qu'elle  savait  garder  dans  les  plus 

i.  Antoine  de  Bourbon  et  Jeanne  d'Albret,  t.  I,  p.  139. 

2.  Lettre  de  Throckmorton,  du  31  décembre  1560  [Calendars, 
1560,  p.  467).  —  Lettre  de  Toruabuoni,  du  10  janvier  [Négoc.  de 
la  France  avec  la  Toscane,  p.  444,  t.  UI). 

3.  Négoc.  de  la  France  avec  la  Toscane,  t.  III,  p.  454.  Lettre  de 
Tornabuoni,  du  12  juin.  L'ambassadeur  confirme  le  mariage 
du  duc  d'Orléans  avec  Catherine  de  Navarre. 

4.  Négoc.  de  la  France  avec  la  Toscane,  t.  III,  p.  461  ;  Lettre  de 
Tornabuoni,  du  4  septembre. 

5.  Lettre  de  Chantonay,  du  4  septembre,  adressée  à  Philippe  II 
(Orig.  espagnol;  Arch.  nat.,K.  1494,  n°97).  —  Henri  de  Béarn, 
depuis  le  règne  de  Henri  II  (Lettres  d'Antoine  de  Bourbon  et  de 
Jehanne  d'Albret,  p.  127),  était  capitaine  d'une  compagnie  de 
cinquante  hommes  d'armes.  A  ce  titre  il  touchait  dos  gages  de 
450  livres  par  trimestre  (Quittance  originale  du  31  octobre  1561; 
1".  fr.,  vol.  20387,  f.  105). 


220  ANTOINE  DE   BOURBON 

mauvais  jours.  Mais  bientôt  des  froissements  réci- 
proques approfondirent  l'abîme  qui  divisait  les  deux 
reines.  Ce  fut  à  l'occasion  de  leurs  enfants  qu'écla- 
tèrent leurs  sentiments  d'inimitié.  Ghantonay  raconte 
que  Catherine  repoussait  secrètement  les  prétentions 
de  l'héritier  de  la  maison  d' Albret  à  la  main  de  sa  fille  ^ , 
mais  elle  jugeait  le  sacrifice  utile.  «  Elle  croit,  dit-il, 
«  que  par  ce  moyen  elle  pourra  trouver  le  repos  qu'elle 
«  souhaite  depuis  si  longtemps-.  »  Elle  proposa 
cependant  d'autres  partis  à  Henri  de  Béarn,  notam- 
ment une  fille  du  roi  de  Bohème.  Dans  une  des  confé- 
rences tenues  à  ce  sujet  avec  Chantonay,  Catherine 
laissa  échapper  le  secret  de  sa  haine  ;  elle  souhaita 
ardemment  la  mort  de  Jeanne  d'Albret  pour  que  le 
roi  de  Navarre ,  dit-elle ,  put  épouser  la  princesse 
Juana  de  Castille,  la  sœur  de  Philippe  II,  veuve  du  roi 
de  Portugal^. 

De  son  côté,  Jeanne  d'Albret  n'était  pas  éloignée  de 

1.  Telle  est  l'opinion  la  plus  vraisemblable,  mais  il  y  en  aune 
autre.  Un  vicomte  de  Gruz,  agent  ou  espion  à  la  cour  de  France, 
écrit  à  la  reine  d'Angleterre,  le  24  septembre,  que,  les  fils  de 
Catherine  ayant  tous  les  trois  mauvaise  santé,  elle  craignait  de 
les  voir  mourir  successivement  sans  enfants,  et  que  ce  motif  la 
décida  à  promettre  sa  fille  à  Henri  de  Béarn  (Lettre  de  Gruz, 
du  24  septembre  1561;  Calendars,  1561,  p.  320).  Cette  opinion 
s'est  fait  jour  dans  beaucoup  d'historiens  postérieurs,  mais  il  est 
intéressant  de  la  signaler  à  sa  source.  Evidemment,  elle  avait 
cours,  en  septembre  1561,  dans  les  antichambres  de  Saint-Ger- 
main. Suriano  raconte  que  Nostradamus  avait  prédit  à  la  reine 
qu'elle  verrait  tous  ses  fils  sur  le  trône  [Relat.  â'^s  ambas.  vcnit., 
t.  I,  p.  543). 

2.  Lettre  de  Chantonay,  du  31  août,  à  Philippe  U  (Orig.  espa- 
gnol; Arch.  nat.,  K.  1494,  n»  94). 

3.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  du  28  novembre  (Orig. 
espagnol-;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n°  114). 


ET   JEANNE    d'aLBRET,  221 

considérer  ce  mariage  comme  une  mésalliance  à  cause 
de  Torigine  roturière  de  la  maison  de  Médicis^  Elle 
était  offensée  d'entendre  chaque  jour  la  reine  mère 
appeler  Henri  de  Béarn  son  fils  ;  sans  doute  elle  désirait, 
dit  Chantonay,  que  la  reine  de  France  l'honorât  du 
titre  de  Monseigneur^.  Mais  le  mariage  était  arrêté;  le 
roi  de  Navarre  en  tirait  sa  force,  Catherine  ses  espé- 
rances de  pacification,  et  trop  de  ligues  politiques  y 
étaient  attachées  pour  qu'aucun  des  intéressés  son- 
geât à  le  rompre. 

Aussitôt  après  son  arrivée,  Jeanne  d'Albret  demanda 
que  la  princesse  Marguerite  fût  élevée  dans  le  culte 
de  la  Réforme^.  ÎMadame  de  Curton,  la  gouvernante, 
reçut  froidement  cet  ordre,  et  Catherine,  aussitôt  con- 
sultée, commanda  de  ne  rien  changer  à  l'éducation  de 
la  princesse^.  Sagement  dirigée  par  sa  gouvernante, 
Marguerite  montrait  des  sentiments  catholiques^. 
Catherine  espérait  peut-être  trouver  un  jour  de  l'aide 
dans  les  dispositions  de  sa  fille. 

Le  mariage  d'Alexandre,  plus  tard  Henri  de  Valois, 
avec  Catherine  de  Navarre  déplaisait  encore  davan- 


1.  Ces  idées  se  font  encore  jour  dans  des  documents  bien  pos- 
térieurs à  cette  époque,  notamment  dans  le  Divorce  satyriquc. 
Voyez  l'édition  Lemerre  des  OEuvres  de  d'Aubignù,  t.  II,  p.  G64. 

2.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du  31  août  (Orig.  espa- 
gnol; Arch.  nat.,  K.  1494,  n»  94). 

3.  Lettre  de  Tornabuoni,  du  4  septembre  (Négoc.  de  la  France 
avec  la  Toscane,  t.  UI,  p.  461). 

4.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du  21  septembre  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n"  70). 

5.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  U,  du  16  octobre  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n°  84).  —  Voyez  le  gracieux 
tableau  que  cette  spirituelle  princesse  trace  dans  ses  Mémoires  de 
sa  constance  reUgieuse  (Édit.  de  la  Bibl.  elzév.,  p.  6  et  7). 


222  ANTOINE   DE   BOURBON 

tage  à  la  reine  mère.  Mais  il  tenait  au  cœur  d'Antoine 
de  Bourbon  autant  que  celui  de  son  fils.  Il  avait  été  si 
bien  avancé  que  les  accords  matrimoniaux  avaient  été 
expressément  stipulés.  La  dot  de  la  jeune  princesse 
se  composait,  d'après  Chantonay'',  du  duché  d'En- 
ghien  et  d'autres  biens,  que  la  maison  de  Bourbon  pos- 
sédait en  Flandre^.  Catherine  laissait  la  négociation 
suivre  son  cours  et  les  négociateurs  disposer  de  la  des- 
tinée de  son  fils  préféré.  Gomme  la  future  épouse 
n'avait  que  trois  ans,  Catherine  se  flattait  de  trouver  à 
l'aide  du  temps  les  moyens  de  dénouer  ce  mariage^. 
Élevé  à  partager  les  antipathies  de  sa  mère,  Henri  de 
Valois  détestait  son  cousin  de  Béarn^.  Ainsi  les  passions 
haineuses,  qui  divisaient  la  maison  royale,  se  reflé- 
taient dans  ce  peuple  de  «  petits  mignons,  »  âgés  de 
six  à  dix  ans. 

Entre  tous  ces  enfants,  le  Béarnais  était  le  plus  vif. 
L'esprit  français,  l'humeur  gaie  et  malicieuse  débordait 
chez  ce  prince  de  huit  ans.  Chaque  jour  il  inventait 

1.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du  23  janvier  1562  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1497,  n°  6). 

2.  Voici  la  liste  exacte  de  ces  biens  :  le  duché  d'Enghien,  entre 
Mons  et  Bruxelles,  qui  fut  vendu  au  prince  d'Aremberg  sous  le 
règne  de  Henri  IV  ;  les  terres  d'Oisy,  de  Rhodes  ;  les  terres  sou- 
veraines de  Flandrin  et  de  Hambordin  ;  la  chastellenie  de  Lille  ; 
les  seigneuries  de  Dunkerque,  de  Graveline,  de  Bourbourg  et 
autres.  Après  la  mort  d'Antoine  de  Bourbon  ces  terres  devinrent 
la  propriété  de  son  fds.  Nous  prenons  cette  liste  dans  une  lettre 
de  Ségur,  de  mai  1587,  qui  fut  envoyé  en  Flandre  pour  les 
mettre  en  gage  (Vc  de  Golbert,  vol.  402^  f.  86). 

3.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du  28  novembre  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n"  114). 

4.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du  14  octobre  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n"  83).  —  Lettre  de  Surianoi  du 
4  novembre  (Dépêches  vénit.,  filza  4  his,  f.  104). 


ET   JEANNE    d'ALBRET.  223 

une  saillie  nouvelle.  Un  jour,  pendant  une  grave  con- 
férence de  Catherine  et  du  cardinal    de   Ferrare,  la 
porte  de  la  chambre  de  la  reine  s'ouvre  avec  fracas 
et  donne  passage  à  une  procession  de  «  petits  mignons  » 
montés  sur  des  ânes.  A  leur  tête  chevauchait  Henri  de 
Béarn,  en  soutane  rouge,  en  rochet  et  camail,  suivi  de 
seigneurs   de   son   âge,   vêtus    en    archevêques,   en 
évêques,  en  abbés  et  en  moines,   et  enfin  d'autres 
enfants  habillés  à  la  façon  des  courtisanes.  A  cette 
invasion  inattendue,  le  premier  mouvement  de  la  reine 
et  du  cardinal  de  Ferrare  fut  de  rire,  mais  le  second 
mouvement  de  Catherine  fut  de  se  fâcher.  Elle  chassa 
les  jeunes  étourdis  et  dit  «  qu'il  se  rencontrerait  cer- 
«  tainement  à  la  cour  des  personnes  assez  complai- 
«  santés  pour  rapporter  ce  qui  s'était  passé.  »  Elle 
ne  se  trompait  pas.  Chantonay  narra  l'incident  à  son 
maître  avec  autant  de  sérieux  que  la  négociation  du 
concile  de  Trente'.   Enchantés  de  cette  partie,   les 
princes  voulurent  la  renouveler-.  Le  roi,  qui  n'avait 
pas  de  plus  cher   camarade   que  Henri   de   Béarn, 
parcourut  le  château,  revêtu  d'une  aube,    crosse  et 
mitre.  Sa  suite  était  affublée  de  même.  L'ambassadeur 
d'Espagne  traita  encore  cette  mascarade  comme  une 
affaire  d'état^.  Il  en  parla  au  nonce,  le  cardinal  de  Sainte- 
Croix,  qui,  nouveau  venu  à  la  cour,  crut  de  sa  dignité 
de  se  plaindre  à  la  reine.  Catherine  lui  remontra  «  que 


1.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du  24  octobre   (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n"  86). 

2.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  Jl^  du  28  octobre   (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n»  105). 

3.' Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du  13  novembre  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n"  108). 


224  ANTOINE   DE   BOURBON 

«  toutes  ces  choses  avoient  esté  des  badinoges  de  petits 
«  enfants^.  » 

Non  seulement  Jeanne  d'Albret  faisait  prêcher  en 
son  logis,  mais  elle  présidait  quelquefois  les  grandes 
assemblées  que  le  parti  huguenot  convoquait  autour 
d'elle-.  La  curiosité,  l'attrait  que  cette  jeune  reine  au 
cœur  viril  exerçait  sur  le  peuple,  attirait  la  foule.  Beau- 
coup d'indifférents  ne  se  rendaient  au  prêche  que  pour 
l'acclamer.  A  Paris,  dit  Ghantonay,  elle  réunit  plu- 
sieurs fois  jusqu'à  G, 000  assistants^.  A  la  suite  d'une 
de  ces  grandes  assemblées,  Calvin  lui  adressa,  le 
24  décembre,  une  lettre  d'encouragement^.  A  Saint- 
Germain  l'exemple  de  la  reine  de  Navarre  créait  des 
foyers  de  propagande  jusques  aux  portes  du  château. 
De  Bèze  prêcha  et  célébra  la  cène  dans  un  champ  con- 
tigu  au  palais  du  roi,  en  présence  de  700  tidèles, 
parmi  lesquels  un  grand  nombre  de  gens  de  marque^. 
Le  pauvre  peuple,  les  manants  du  voisinage,  chapi- 
trés par  les  valets  des  princes,  subissaient  peu  à  peu 
l'influence  de  la  cour  ^  Un  jour,  dans  une  des 
paroisses  de  Saint-Germain,  pendant  un  sermon  catho- 

1.  Lottre  de  Sainte-Croix,  du  15  novembre  (Gimber  et  Danjou, 
Arch.  curieuses  "pour  servir  à  l'hist.  de  France,  t.  VI,  p.  5). 

2.  Calendars,  1561,  p.  449.  — Plusieurs  lettres  d'elle  constatent 
ses  voyages  à  Paris  {Lettres  d'Ant.  de  Bourbon  et  de  Jehanne 
d'Albret,  p.  V\h  et  ?46).  —  Lettre  de  de  Bèze  à  Calvin  (Baum, 
Theodor  Beza,  preuves,  p.  145). 

3.  Lettre  de  Chautonay  à  Philippe  II,  du  21  décembre  (Orig. 
espagnol  ;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n°  103). 

4.  Lettres  de  Calvin,  t.  U,  p.  437. 

5.  Baum,  Theodor  Beza,  preuves,  p.  141. 

6. 11  n'entre  pas  dans  notre  plan  d'exposer  l'état  des  provinces, 
si  ce  n'est  des  provinces  gouvernées  par  le  roi  de  Navarre  en 
qualité  de  licutonant  du  roi.  Voyez  les  volumes  suivants. 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  225 

lique,  un  calviniste  se  dressa  en  face  de  la  chaire  et 
lança  un  démenti  au  prédicateur.  Les  assistants 
s'ameutèrent;  l'interrupteur  fut  soutenu  et  un  com- 
bat allait  s'engager  lorsque  les  sergents  de  justice 
arrivèrent.  Le  coupable  fut  conduit  en  prison,  mais 
l'instruction  n'eut  pas  de  suite  ' . 

La  crainte  de  voir  la  France  entière,  à  la  faveur  de 
l'énergie  des  uns,  de  la  faiblesse  des  autres,  embrasser 
le  culte  réformé,  suggéra  à  Philippe  II  un  de  ces  des- 
seins astucieux,  familiers  à  sa  politique.  Il  inventa  de 
peser  sur  la  reine  à  l'aide  de  quelques  seigneurs 
français,  d'abord  par  des  plaintes  modérées,  puis 
graduellement  par  des  menaces  ^.  Ghantonay  reçut 
l'ordre  de  favoriser  à  la  cour  la  création  d'une  cabale 
assez  forte  pour  que  la  reine  ne  pût  y  résister. 
L'ambassadeur  s'en  ouvrit  d'abord  au  cardinal  de 
Tournon  et  lui  dit  que  le  roi  d'Espagne  mettrait  avec 
plaisir  toutes  ses  armées  au  service  des  catholiques 
du  royaume,  si  les  défenseurs  de  l'ancienne  religion 
donnaient  le  signal  d'un  mouvement;  il  demandait 
qu'un  prince  se  mit  en  avant ,  réunit  un  parti , 
consolidât  la  résistance,  et  ne  craignit  pas  de  prendre 
l'initiative  contre  les  novateurs.  L'entreprise  agréa  au 
vieux  cardinal  ;  il  répondit  «  que  tous  les  bons  »  ne 
manqueraient  pas  à  l'appel.  Le  plus  difticile  était  de 
trouver  l'initiateur.  Ghantonay  nomma  le  duc  de 
Guise.  Tournon  observa  qu'il  avait  trop  à  perdre  en  cas 

1.  Lettre  de  Ghantonay  à  Pliilippe  U,  du  9  novembre  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n°  107).  —  Lettre  du  même  à 
Tisnac  (Mémoires  de  Condé,  t.  II,  p.  19). 

2.  Cet  aperçu  n'a  pas  échappé  à  la  sagacité  de  l'historien  Ranke 
[Hist.  de  France,  t.  I,  p.  231). 

m  15 


226  ANTOINE   DE    BOURBON 

d'insuccès  et  désigna  le  duc  de  Nemours.  Après  avoir 
posé  ces  bases,  les  deux  négociateurs  examinèrent  les 
forces  de  leurs  adversaires.  Le  parti  huguenot  était 
incapable  de  soutenir  la  lutte.  Il  disposait  de  l'alliance 
des  Allemands,  mais  il  manquait  d'argent.  Le  dépouil- 
lement des  églises  catholiques  était  d'une  exécution 
difficile  ;  on  pouvait  en  tirer  des  trésors,  mais  non  des 
subventions  régulières;  et  «  sans  argent,  avec  cette 
«  nation  (les  Allemands),  il  n'y  avait  ni  secours  ni 
«  aide  '.  » 

Quelques  jours  après,  Chantonay  eut  une  nouvelle 
conférence  avec  le  cardinal  ;  il  le  trouva  plus  froid. 
Le  prélat  se  portait  encore  garant  de  la  fermeté  des 
catholiques,  mais  il  craignait,  disait-il,  en  cas  d'in- 
vasion étrangère ,  de  les  voir  s'unir  aux  réformés 
contre  l'ennemi.  En  vain  Chantonay  protestait  du 
désintéressement  de  son  maître.  Le  cardinal  insinua 
que  nul  seigneur  de  la  cour  n'oserait  entamer  l'action, 
et  la  conférence  fut  levée  sans  conclusion  ^ 

Peu  à  peu  Chantonay  trouva  des  adhérents  moins 
timorés.  Chaciue  jour  mêlé  aux  courtisans  qui  se  pres- 
saient aux  portes  du  cabinet  de  la  régente,  il  alluma  des 
passions,  il  sema  des  encouragements  qui  portèrent 
leurs  fruits.  Un  complot  se  forma  à  la  cour,  dans  lequel 

1.  Lettre  de  Chantonay  au  duc  d'Albe,  du  3  décembre  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n"  9î).  Cette  lettre  est  bien  du 
3  décembre,  mais  elle  raconte  des  négociations  antérieures. 
L'idée  prêtée  au  parti  huguenot  de  dépouiller  les  églises  catho- 
liques pour  payer  ses  armements  est  plusieurs  fois  exprimée  par 
Chantonay.  Voyez  sa  lettre  du  7  décembre  (Orig.,  Arch.  nat., 
K.  1495,  n»  93). 

2.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du  16  décembre  (Orig. 
espagnol  ;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n"  99).  Cette  lettre  rapporte  des 
faits  antérieurs  à  sa  date. 


ET   JEANNE   D'alBRET.  227 

entrèrent  inégalement  la  plupart  des  seigneurs  catho- 
liques, surtout  les  Guises,  les  uns  comme  acteurs, 
les  autres  comme  conseillers. 

Le  troisième  fils  de  Catherine  deMédicis,  Alexandre, 
duc  d'Orléans,  plus  tard  Henri,  duc  d'Anjou  et  enfin 
roi  de  France  sous  le  nom  de  Henri  HI,  avait  toujours 
été  «  le  mignon  »  de  sa  mère^  Né  le  20  septembre 
1551 ,  Alexandre  n'était  encore  qu'un  enfant,  mais  il 
était  le  premier  prince  du  sang.  Au  milieu  du  mouve- 
ment religieux  qui  surexcitait  alors  toutes  les  jeunes 
têtes,  dès  le  14  octobre,  Chantonay  le  signale  comme 
un  des  ennemis  de  la  Réforme  :  «  Personne  ne  parle 
«  (contre  la  nouvelle  religion)  avec  autant  de  liberté 
«  que  le  duc  d'Orléans.  Il  ne  peut  pas  la  supporter  ni 
«  voir  personne  qui  suive  ces  nouveautés.  Et  dit  qu'il 
«  voit  très  bien  qu'on  veut  se  défaire  des  bons  servi- 
ce teurs  des  rois  précédents,  et  que,  s'il  avait  l'autorité 
«  de  son  frère,  il  montrerait  la  peine  que  cela  lui 
«  cause-.  »  Le  duc  d'Orléans  paraissait  peu  intelligent 
et  n'avait  pas  de  volonté.  Son  esprit  ne  montrait 
encore  aucune  des  espérances  qu'il  fît  naître  pendant 
sa  jeunesse^.  Mais  cette  médiocrité  promettait  un 
prince  facile  à  conduire  et  plaisait  aux  conjurés  comme 
une  qualité  de  plus. 


1.  Lettre  d'une  femme  de  service,  nommée  Albanie,  sur  le 
prince,  adressée  à  la  reine  (f.  fr.,  vol.  6620,  f.  69). 

2.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  U,  du  44  octobre  (Orig. 
espagnol  ;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n»  83).  —  Chantonay  conhrme 
ces  appréciations  dans  sa  lettre  du  16  octobre  (Ibid.,  no  84).  — 
Sic,  lettre  de  Suriano,  du  4  novembre  (Dépèches  vénit.,  filza 
4  bis,  f.  104). 

3.  Lettre  de  Chantonay,  du  28  avril  1562  (Orig.  espagnol; 
Arch.  nat.,  K.  1497,  n»  26). 


228  ANTOINE   DE   BOURBON 

Encouragés  par  ces  dispositions,  les  Guises  réso- 
lurent d'enlever  le  duc  d'Orléans,  de  le  conduire  en 
Lorraine  ou  en  Savoie  et  de  l'opposer  à  Charles  IX 
comme  chef  nominal  du  parti  catholique.  Soutenu  par 
les  partisans  de  l'ancienne  religion  et  par  les  forces 
du  roi  d'Espagne,  le  duc  d'Orléans  pouvait  contre- 
balancer le  pouvoir  royal.  Le  capo  di  parti \  cherché 
par  Chantonay,  le  prince  qu'il  voulait  mettre  à  la  tête 
des  mécontents,  était  ainsi  indiqué  d'avance. 

Parmi  les  condottieri  du  parti  catholique,  se  trouvait 
«  un  jeune  prince  plein  de  vaillance,  énergique,  ennemi 
«  mortel,  particulier  et  général  de  tous  les  hérétiques, 
«  et  pauvre-,  »  Jacques  de  Savoie,  duc  de  Nemours, 
le  séducteur  de  Françoise  de  Rolian  et  le  favori  de  la 
duchesse  de  Guise.  Depuis  qu'elle  était  soutenue  par 
Jeanne  d'Albret,  Françoise,  sa  victime,  le  traînait  de 
tribunal  en  tribunal.  Nemours  n'avait  d'autre  appui 
que  les  Lorrains  et  s'était  mis  à  leur  service^,  accor- 
dant ainsi  son  amour  pour  la  duchesse  de  Guise  avec 
ses  intérêts.  Ayant  peu  à  perdre,  beaucoup  à  gagner, 
il  accepta  d'être  l'homme  d'action  du  complot''. 

La  mauvaise  santé  du  roi  pouvait  rendre  la  personne 
du  duc  d'Orléans  doublement  précieuse.  Charles  IX 
était  faible  et  délicat ,   dormait  et  mangeait  peu   et 

1.  Mot  de  Throckmorloii  (Lettre  du  1  i  novembre  ;  Calendars, 
15G1,  p.  39G). 

2.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du  24  octobre  1561  (Orig. 
espagnol  ;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n«.86). 

3.  Le  duc  de  Guise  lavait  fait  entrer  au  conseil  à  la  lin  de 
juillet,  malgré  l'opposition  de  l'amiral  (Lettre  orig.  en  espagnol 
de  Chantonay  à  Philippe  II,  du  24  juillet  1561;  Arch.  nat., 
K.  1495,  no  5'2). 

4.  Lettre  de  Suriauo,  du  4  novembre  (Dépêches  vénit.,  lilza 
4  bis,  r.  104). 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  229 

compromettait  dans  les  exercices  violents  la  force  qui 
lui  restait  '.  A  la  fin  de  septembre,  il  fut  atteint  d'une 
dysenterie  continue,  mêlée  d'accès  de  fièvre.  Le  dan- 
ger dura  huit  ou  dix  jours  et  fut  assez  grave  pour  que 
le  médecin  du  roi  dit  à  la  cour  quod  rex  pericidose 
œgrotaverat- .  L'indisposition  du  roi  donna  le  signal 
aux  Guises. 

Par  une  coïncidence  cherchée  pour  les  uns,  fortuite 
pour  les  autres,  les  principaux  seigneurs  avaient  quitté 
la  cour  au  commencement  d'octobre.  Le  29  septembre, 
les  ducs  d'Aumale  et  de  Nemours,  et  bientôt  après  le 
duc  de  Guise,  se  retirèrent  dans  les  terres  de  la  mai- 
son de  Lorraine  en  Picardie.  Loin  des  regards  de  la 
reine,  ils  combinèrent  leurs  dernières  dispositions, 
celles  des  relais  qui  devaient  servir  à  l'enlèvement  du 
prince^.  Le  1^'  ou  le  %  octobre,  le  connétable  partit 
de  Saint-Germain^;  il  dit  à  ses  amis  qu'il  voulait 
«  laisser  extravaguer  »  les  chefs  du  nouveau  gouver- 
nement en  les  privant  de  ses  conseils  ^.  Le  vieux  Mont- 
morency ne  se  consolait  pas  de  la  faveur  que  Catherine 
de  Médicis  laissait  prendre  aux  réformés,  surtout  à 
Goligny.  «  Le  seigneur  ^  écrit  Claude  de  l'Aubespine, 

•1.  Lettre  du  24  septembre  [Calendars,  1561,  p.  320). 

2.  Laferrière,  Le  IT/*"  siècle  et  les  Valois,  p.  59  et  60.  —  Calen- 
dars, 1561,  p.  367. 

3.  Lettre  de  Throckmorton,  du  9  octobre  {Calendars,  1561, 
p.  360).  —  Lettre  de  Suriano,  du  25  octobre  (Dépêches  vénit., 
lilza  4  his,  f.  100  v»). 

4.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  n,  du  14  octobre  (Orig. 
espagnol  ;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n»  83).  —  Lettre  de  Throckmor- 
ton, du  14  novembre  {Calendars,  1561,  p.  396). 

5.  Lettre  de  Chantonay,  du  24  octobre  (Orig.  espagnol  ;  Arch. 
nat.,  K.  1495,  n»  86). 

6.  Surnom  du  connétable. 


230  ANTOINE   DE   BOURBON 

«  gronde  comme  un  cheval,  car  il  cuide  adumbrer  et 
«  couvrir  toute  chose  soubz  ce  manteau  de  religion^.  » 

Le  cardinal  de  Tournon  par  dépit,  le  chancelier  par 
regret  de  son  impuissance,  demandèrent  aussi  leur 
congé,  l'un  pour  aller  àMeudon,  Taulre  à  Paris,  mais 
un  ordre  impérieux  de  la  reine  les  retint  à  la  cour. 
Tous  deux  obéirent,  mais  ils  se  confinèrent  dans  la 
retraite  au  château.  Trompés  dans  leurs  espérances, 
le  cardinal  et  le  chancelier,  quoique  partis  de  points 
opposés,  aboutissaient  au  même  découragement-. 

Les  conjurés  revinrent  bientôt  à  Saint-Germain  et  le 
duc  de  Nemours  annonça  pubhquement  qu'il  allait  faire 
un  voyage  en  Savoie  pour  les  affaires  de  sa  maison  ^.  En 
attendant  son  départ,  il  se  montrait  assidu  auprès  du 
duc  d'Orléans  et  le  suivait  dans  les  jeux  de  son  âge 
avec  Henri  de  Lorraine  ^.  Cette  attention  n'étonna  per- 
sonne, car  le  duc  de  Nemours  était  passé  maître  dans 
tous  les  exercices.  Seule,  la  reine  mère  prit  méfiance 
et  fit  surveiller  son  fils. 

La  conjuration  se  manifesta  d'abord,  d'après  Throck- 
morton,  par  des  coups  d'essai  mal  organisés.  Quelques 
jours  après  le  départ   du   duc   de  Guise,   le  roi  et 

1.  IjCttro  do  Claude  de  rAul)Cs})iao  à  sou  frère,  ambassadeur 
en  Espague,  du  29  août  1561  (Orig.,  f.  fr.,  vol.  6618,  f.  i). 

2.  Lettre  de  Cliantonay  à  Philippe  II,  du  14  octobre  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n»  83).  — Lettre  du  même,  du 
Vi  cet.  (Ibid.,  n"  86).  —  Lettre  de  Suriano,  du  25  octobre 
(Dépèches  vénit.,  filza  4  bis,  f.  100  v»).  —  Lettre  du  môme,  du 
3  novembre  (Ibid.,  f.  102  v°|.  —  Lettre  de  Chaiitonay,  du  13  no- 
vembre, à  Philiiipe  II  (Orig.  espagnol;  Arch.  ual.,  K.  149i, 
n«  1U8). 

3.  Lettre  de  Cliantonay  à  Philippe  II,  du  24  octobre  (Orig. 
espagnol  ;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n»  86). 

4.  Enquête  citée  plus  loin. 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  231 

la  reine  de  Navarre  furent  victimes  d'un  empoi- 
sonnement. On  arrêta  un  médecin ,  un  apothicaire 
et  d'autres  serviteurs  de  la  cour.  Quelques-uns 
avouèrent  le  crime,  mais  l'ambassadeur  anglais  insi- 
nue que  la  responsabilité  du  crime  remontait  beaucoup 
plus  haut.  Le  prévôt  entama  une  enquête,  qui  proba- 
blement n'aboutit  pas,  car  il  n'est  plus  parlé  de  cette 
tentative  dans  les  documents  originaux  ^ . 

Le  samedi  20  octobre,  premier  jour  de  la  conva- 
lescence du  roi  ~,  au  milieu  de  la  foule  qui  se  pressait 
dans  sa  chambre,  Nemours  s'approcha  du  duc  d'Or- 
léans et  lui  demanda  familièrement  «  de  quelle  religion 
«  il  estoit  et  s'il  estoit  huguenot.  »  L'enfant  répondit 
qu'il  «  estoit  de  la  religion  de  la  royne  sa  mère.  »  Le 
duc  lui  proposa  alors  de  lui  dire  «  vingt-cinq  paroles.  » 
Les  murs  étaient  ornés  de  tapisseries,  derrière  les- 
quelles écoutaient  deux  femmes  de  chambre,  que  la 
reine  mère  y  avait  postées  à  tout  événement.  Le  duc 
s'aperçut  peut-être  qu'il  avait  des  auditeurs  cachés, 
car  il  emmena  le  prince  et  le  conduisit  dans  un  coin 
écarté,  sur  un  coffre,  près  de  la  porte  du  cabinet  du 
roi.  Lorsqu'il  fut  assuré  de  ne  pas  être  surpris  :  «  Je 
c(  voy,  dit-il,  beaucoup  de  troubles  en  ce  royaume,  et 
«  vous  n'y  estes  pas  en  sûreté  ;  car  le  roy  de  Navarre 
«  et  le  prince  de  Gondé  veulent  se  faire  rois  et  vous 
«  veulent  tuer.  Si  vous  voulez,  je  vous  mènerais  en 
«  Lorraine  et  en  Savoie,  là  où  vous  serez  si  aise.  » 
L'enfant  répondit  qu'il  ne  voulait  point  abandonner  le 

1.  Lettre  de  Throckmorlon,  du  11  novembre  {Calendars,  1561, 
p.  396). 

2.  De  Bèzc,  Hist.  ecclcs.,  1841,  t.  I,  p.  120.  Do  Bèze  était  alors 
à  la  cour. 


232  ANTOINE   DE   BOURBON 

roi  ni  la  reine  sa  mère,  et  le  duc  de  Nemours  insista 
vainement  ^  Cependant  il  crut  avoir  ébranlé  le  prince 
et  il  ajouta  :  «  Souvenez-vous,  Monsieur,  quand  Mon- 
«  seigneur  de  Guise  partira,  de  lui  dire  :  Mon  cousin, 
«  quand  j'auray  affaire  de  vous,  venez,  si  vous  ne  pou- 
«  vez  m'emmener  avec  vous  à  cette  heure.  »  Avant  de 
clore  l'entretien,  Nemours  recommanda  au  prince  de 
ne  rien  révéler  à  sa  mère,  ni  à  Carnavalet  et  à  Ville- 
quier,  ses  gouverneurs  :  «  Si  est-ce  qu'il  ne  faut  pas 
«  que  vous  leur  en  dites  rien  ;  et,  s'ils  vous  demandent 
«  que  c'est  que  je  vous  disois,  dites  que  je  vous  par- 
ce lois  de  comédies.  » 

Le  duc  de  Guise  suivait  de  l'œil  ce  colloque  en  se 
chauffant  devant  la  cheminée  avec  son  fils.  Lorsque 
Nemours  se  retira,  il  se  rapprocha  du  prince  :  «  Mon- 
«  sieur,  lui  dit-il,  j'ay  entendu  que  la  royne  veut 
«  envoyer  monsieur  d'Anjou  ~  et  vous  en  Lorraine,  en 
«  un  fort  beau  chasteau,  pour  prendre  l'air  ^.  Par 
«  ainsi,  si  vous  y  voulez  venir,  nous  vous  y  ferons 
«  bonne  chère.  »  Le  duc  d'Orléans  répondit  :  «  Je  ne 
c(  pense  pas  que  la  royne,  ma  mère,  vueille  que  j'aban- 
«  donne  le  roy.  »  Alors  se  mêla  à  l'entretien  le  jeune 
Henri  de  Lorraine,  fils  aîné  du  duc  de  Guise,  seigneur 

1.  La  conversation  do  Nemours  est  rapportée  par  Suriano 
comme  dans  l'enquête  (Lettre  de  Suriano,  du  ^  nov.  ;  Dépêches 
vénit.,  filza  4  bis,  f.  104). 

2.  Hercule  de  Valois,  duc  d'Anjou,  le  plus  jeune  des  fils  de 
Catherine,  connu  plus  tard  sous  le  nom  de  François,  duc  d'Alon- 
çon.  Il  ne  rojirit  le  Litre  de  duc  d'Anjou  qu"aj)rès  la  paix  de 
Monsieur  en  1576. 

3.  Ghantonay  avait  conseillé  à  la  reine  d'envoyer  le  duc  d'Or- 
léans en  Lorraine  (Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  du  "28  oc- 
tobre 1561  ;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n»  105).  Voilà  ce  qui  avait  pu 
donner  naissance  à  ce  bruit. 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  233 

de  l'âge  du  duc  d'Orléans  et  son  plus  intime  eompa- 
gnon  ^  «  Si  vous  voulez,  dit-il,  venir  en  Lorraine  et 
«  entendre  ce  que  monsieur  de  Nemours  vous  a  dit,  il 
«  vous  en  pourra  bien  venir.  »  Le  prince  ne  répondit 
rien.  Le  lendemain,  Henri  de  Lorraine  reprit  la  con- 
versation et  proposa  au  duc  d'Orléans  de  lui  révéler 
le  secret  du  voyage  :  «  On  vous  enlèvera  en  plein 
«  minuit  et  on  vous  fera  sortir  par  une  fenestre  sur 
«  un  pont  du  parc  et  après  on  vous  mettra  en  coche. 
«  Et  ainsi  vous  serez  en  Lorraine  avant  qu'on  s'en 
«  aperçoive.  »  Chantonay  raconte  que  le  prince  de 
Joinville  employa  d'autres  arguments,  bien  propres  à 
séduire  un  enfant  de  dix  ans.  Il  lui  assura  «  qu'il  s'en 
c(  allait  là  où  il  s'amuserait,  plutôt  que  de  rester  auprès 
«  du  roi,  où  il  fallait  aller  chaque  jour  à  l'école,  tandis 
«  que  en  Lorraine  on  ne  ferait  que  chasser  et  s'amu- 
«  ser.  »  A  ce  tableau  Nemours  ajouta  la  promesse 
«  d'un  joH  cheval  d'Espagne-.  »  Le  22  octobre,  Jacques 
de  Savoie  prit  congé  du  roi.  En  se  retirant  il  dit  tout 
bas  au  duc  d'Orléans  :  «  Monsieur,  souvenez-vous  de 
«  ce  que  je  vous  ai  dit  et  n'en  révélez  rien  à  per- 
«  sonne  ".  » 

1.  Lettre  de  Suriano,  du  4  novembre  (Dépèches  véuit.,  filza 
4  bis,  L  104). 

2.  Lettre  de  Ghautonay  à  Philippe  II,  du  28  octobre  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n"  105). 

3.  Nous  avons  suivi,  pour  le  récit  de  cette  scène,  l'original  de 
la  déposition  du  duc  d'Orléans  (f.  fr.,  vol.  6608,  f.  19).  Mais  il 
existe,  de  cette  déposition,  un  texte  plus  développé  qui  a  été 
reproduit  dans  les  Mémoires  de  Condé  (t.  III,  p.  375).  Le  texte 
imprimé  ne  nous  parait  pas  moins  authentique  que  le  texte 
manuscrit.  Le  récit  et  les  paroles  sont  le  plus  souvent  les  mêmes. 
Seulement,  tout  ce  qui  accuse  les  Guises  est  absent  du  texte  ofliciel. 

Voici   comment    nous    expliquons    ces    différences.    Lorsque 


234  ANTOINE   DE    BOURBON 

Le  danger  que  Nemours  avait  voulu  prévenir  se  réa- 
lisa de  point  en  point.  Le  duc  d'Orléans  confia  son 
secret  à  un  laquais  de  sa  chambre^.  Jeanne  d'Albret 
le  découvrit  la  première-.  Catherine,  bientôt  informée, 
interrogea  son  fils  et  lui  arracha  la  vérité  par  des 
menaces^.  Le  29  octobre,  le  jeune  prince  comparut 
devant  le  conseil  privé  en  présence  du  roi,  du  roi  de 
Navarre,  du  cardinal  de  Bourbon,  du  prince  de  Gondé, 
des  cardinaux  de  Tournon,  d'Armagnac  et  de  Chastil- 
lon,  du  duc  de  Montpensier,  du  chancelier  de  l'Hospi- 
tal,  de  l'amiral  de  Coligny,  de  Jean  de  Morvillier, 
évèque    d'Orléans,    de  Jean  de  Monluc,   évêque  de 

Catherine  de  Médicis  lut  informée  de  ce  projet  d'enlèvement, 
elle  résolut  de  poursuivre  le  duc  de  Nemours,  l'auteur  principal, 
mais  elle  n'osa  pas  poursuivre  les  Guises,  ses  complices,  dont  la 
culpabilité  d'ailleurs  ne  paraissait  qu'au  second  plan.  Elle  fit 
donc  effacer,  de  la  déposition  du  duc  d'Orléans,  dont  l'original 
devait  être  joint  au  dossier,  tout  ce  qui  concernait  le  duc  de  Guise 
et  le  prince  de  Joinville.  Mais  il  courut  des  copies  de  la  déposi- 
tion entière.  Le  comte  de  Laferrière  en  a  trouvé  une  dans  la 
dépêche  d'un  agent  anglais.  La  présence  de  cette  pièce  dans  un 
document  diplomatique  lui  donne  un  certificat  d'authenticité. 
{Lettres  de  Catherine  de  Médicis,  t.  I,  p.  247,  note.)  —  La  déposi- 
tion intégrale  fut  même  imprimée,  probablement  dans  un  de  ces 
nombreux  pamphlets  qui  paraissaient  chaque  jour  (De  Bèze,  Hist. 
codes.,  1841,  t.  I,  p.  420),  et  imprimée  aussitôt  après  l'événement 
qui  y  donna  lieu,  car  elle  est  presque  textuellement  reproduite 
dans  une  oraison  de  Spifame ,  prononcée  en  novembre  1562, 
qui  est  elle-même  réimprimée  dans  les  Mémoires  de  Gondé,  t.  IV, 
p.  03. 

1.  Lettre  de  LigneroUes  à  la  reine,  du  22  décembre  15Gi  ;  f.  fr., 
vol.  6608,  f.  65.  Le  fait  est  aussi  raconté  dans  d'autres  documents. 

2.  De  Bèze,  Ilist.  ecclés.,  1841,  t.  I,  p.  420.  —  De  Bèze  était 
alors  auprès  de  la  reine  de  Navarre,  ce  (jui  rend  son  témoignage 
plus  précieux. 

3.  Lettre  de  Suriauo,  du  4  novembre  {Dépèches  vénit.,  filza 
4  bis,  f.  104). 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  235 

Valence,  des  s.  du  Mortier,  d'Avançon,  de  Selve,  de 
Goniior  et  de  Grussol,  presque  tous  du  parti  de  la  tolé- 
rance, que  les  Guises  regardaient  comme  leurs  pires 
ennemis.  Le  prince  prêta  serment  et  fit  sa  déposition  K 
La  reine,  blessée  au  point  le  plus  sensible  de  son 
cœur  maternel,  fulminait  contre  le  ravisseur.  Altérée 
de  vengeance,  elle  donna  sur  le  premier  moment  des 
ordres  sanguinaires.  Si  Nemours  avait  été  présent  à  la 
cour,  il  aurait  été  puni  comme  le  dernier  des  traîtres. 
Elle  doubla  les  gardes  du  château,  multiplia  les  senti- 
nelles et  posta  dans  la  chambre  même  de  son  fils  des 
serviteurs  dévoués,  dont  elle  pressait  elle-même  la 
vigilance.  Les  poternes  furent  murées  à  l'extérieur. 
Ghaque  soir,  à  la  tombée  de  la  nuit,  une  ronde  de  capi- 
taines visitait  les  murs  et  verrouillait  les  portes^.  Elle 
envoya  chercher  l'ambassadeur  d'Espagne  et  lui  con- 
fia avec  émotion  ses  découvertes.  Ghantonay  reçut 
froidement  la  confidence.  Sans  doute,  répondit-il,  le 
crime  est  grave,  mais  il  n'est  pas  prouvé.  Et  il 
insinua  que  l'accusation  lui  paraissait  une  calomnie 
des  chefs  du  parti  réformé,  à  peine  étayée  sur  des 
imprudences  de  langage.  Le  roi  de  Navarre  assistait  à 
l'entretien  et  renchérissait  sur  les  doléances  de  Cathe- 
rine. Gharles  IX  et  le  duc  d'Orléans  étaient  assis  à 
droite  et  à  gauche  de  la  reine  ;  elle  se  tourna  vers  le 
plus  jeune,  et,  dans  un  mouvement  de  tendresse,  lui 

\.  C'est  la  pièce  que  nous  avons  signalée  plus  haut,  p.  233, 
note  3.  —  Voyez  aussi  la  lettre  de  Tornabuoui  du  5  novembre 
(Ncgoc.  de  la  France  avec  la  Toscane,  t.  UI,  p.  467). 

2.  Lettre  de  Ghantonay  au  roi  d'Espagne  du  31  octobre  1561 
(Orig.  espagnol  ;  Arch.  nat.,  K.  1494,  u°  106).  —  Lettre  de  Suriano 
du  4  novembre  (Dépêches  vénit.,  filza  4  his,  f.  101).  —  Autre 
lettre  de  Ghantonay  plus  abrégée  [Mémoires  de  Gondé,  t.  Il,  p.  18). 


236  ANTOINE   DE    BOURBON 

demanda  pourquoi  il  voulait  la  quitter.  Le  prince 
fondit  en  larmes  :  «  Pardonnez-moi,  Madame,  dit-il, 
«  je  n'y  ai  jamais  pensé  ^ .  » 

Le  22!  octobre,  le  duc  de  Nemours  et  le  duc  de  Guise 
étaient  partis  jîour  Nanteuil,  accompagnés  d'une  suite 
de  6  ou  700  chevaux^.  La  première  colère  passée, 
Catherine  revint  à  la  prudence.  N'osant  s'attaquer 
directement  aux  Lorrains,  elle  leur  envoya  Antoine 
de  Crussol.  Crussol  arriva  à  Nanteuil  à  huit  heures 
du  matin,  le  lendemain  de  la  séance  du  conseil,  et 
raconta  au  duc  de  Guise  et  au  cardinal  de  Lorraine 
la  tentative  du  duc  de  Nemours.  Le  duc  et  le  cardinal 
affectèrent  le  plus  grand  étonnement;  le  cardinal 
déclara  que,  «  si  cella  estoit  vray,  il  ne  pouvoit  dire 
«  autre  chose  dud.  s.  de  Nemours  sinon  qu'il  estoit 
«  un  fou.  »  Après  un  assez  long  entretien,  où  les  deux 
Lorrains  feignirent  tour  à  tour  la  surprise  et  l'incré- 
dulité, ils  allèrent  tous  à  la  messe.  Au  retour,  ils  se 
mirent  à  table  avec  le  duc  de  Longueville,  le  duc  de 
Nemours,  le  cardinal  de  Guise  et  la  duchesse  de  Guise. 
Dans  la  journée  le  duc  écrivit  à  la  reine  une  lettre  de 
protestation  de  dévouement  en  son  nom  et  au  nom  de 
Nemours,  ajoutant  «  que  plus  il  pansoit,  luy  et  mon- 
«  sieur  son  frère,  tant  moins  ils  trouvoient  d'appa- 
«  rence  à  ce  que  leur  avoit  dit  Crussol.  »  Crussol 
avait  encore  la  mission  de  consulter  le  duc  et  le  cardinal 
sur  les  moyens  de  démêler  la  vérité  et  sur  la  punition 


i  .  Ibid. 

2.  Lettre  de  Throckmorton  du  14  novembre  [Calendars,  1561, 
p.  396).  Throckmorton  se  trompe  en  disant  qu'ils  partirent  le 
20  octobre.  L'enquête  ol'licielle  nous  apprend  qu'ils  ne  partirent 
que  le  22. 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  237 

que  la  reine  devait  infliger  au  coupable.  La  question 
était  embarrassante.  Les  Lorrains  répondirent  :  au 
premier  point,  que  la  reine  devait  interroger  le  duc 
de  Nemours  sous  la  foi  du  serment;  au  second,  «  qu'il 
«  ne  sauroit  estre  assez  puny.  »  Après  cette  déclara- 
tion le  duc  de  Guise  n'eut  d'autre  souci  que  d'écon- 
duire  Crussoi,  sans  doute  pour  écarter  un  témoin 
importun  :  «  C'est  tout,  dit-il,  ce  que  nous  pouvons 
«  dire  sur  ce  fet.  Quand  vous  sériés  ici  ung  mois, 
«  monsieur  mon  frère  et  moy,  ne  vous  en  saurions 
«  dire  davantaige.  »  Cependant  il  arrêta  Crussoi  prêt 
à  prendre  congé  et  le  pria  de  conseiller  à  la  reine  de 
cacher  au  roi  ce  mystère,  «  qui  le  feroit  entrer  en 
«  quelque  opinion,  que  ne  luy  pourroit  pas  peult  estre 
«  estre  légèrement  ostée  ' .  » 

A  l'entrée  de  la  nuit  arrivèrent  de  Paris  des  affidés 
des  Guises,  chargés  d'avertir  le  duc  de  Nemours  que 
le  prévôt  de  la  maison  du  roi  accourait  en  hâte  pour 
le  prendre  mort  ou  vif.  Les  deux  ducs  montèrent  à 
cheval,  armèrent  leurs  gens  et  donnèrent  l'ordre  de 
battre  la  campagne  jusqu'à  Dammartin  et  Meaux.  Au 
moment  où  la  herse  s'abattait  pour  donner  passage  à 
ces  cavaliers,  le  prévôt  avec  ses  sergents  était  déjà 
sous  les  murs  du  château,  mais,  intimidé  par  le  bruit 
et  par  l'appareil  militaire,  il  se  cacha  jusqu'au  jour  dans 
un  petit  bois-.  Tranquillisés  par  leurs  éclaireurs,  les 

1.  Rapport  de  Crussoi  à  la  reine,  copie  du  temps,  sans  date; 
f.  fr.,  vol.  6608,  f.  H. 

2.  Lettre  de  Suriauo  du  i  novembre  (Dépèches  vénit.,  lilza  i  bis, 
f.  104).  — Lettre  de  Jehan  Sailly  à  un  bailli,  son  futur  beau-père, 
datée  d'Annecy  du  15  novembre  1561  ;  f.  fr.,  vol.  6608,  f.  43.  Ce 
Jehan  Sailly  était  un  des  hommes  d'armes  ou  un  des  serviteurs 
de  Nemours.  Sa  lettre  est  étrangère  à  la  pohtique  et  ne  raconte 


238  ANTOINE    DE    BOURBON 

deux  seigneurs  préparèrent  leur  fuite.  Deux  heures 
avant  le  jour,  ils  s'éloignèrent  rapidement  de  Nanteuil  ; 
le  duc  de  Guise  et  son  frère  le  cardinal  se  retirèrent  à 
Joinville,  prêts  à  passer  en  Lorraine  ;  le  duc  de  Nemours, 
accompagné  du  sire  de  la  Mirandole  et  d'Octavian 
de  Frégose,  partit  en  poste  pour  l'Italie^.  Conduit  par 
des  guides  fidèles,  Jacques  de  Savoie,  à  la  faveur  de  la 
nuit,  passa  la  Marne  à  Château-Thierry,  place  ouverte, 
sans  être  reconnu.  Il  traversa  la  Bourgogne  à  grandes 
journées,  évitant  les  villes  closes  et  fuyant  les  lieu- 
tenants du  roi,  sans  repaître  ailleurs  que  dans  les 
logis  désignés  d'avance,  chez  des  gentilshommes  du 
parti  lorrain ~.  Il  atteignit  ainsi  la  frontière  et  entra  à 
Annecy  en  Savoie  le  jeudi,  8  novembre,  avec  une 
escorte  de  treize  cavaliers^.  Sa  diligence  le  servit  bien. 
Pendant  qu'il  courait  les  champs,  des  émissaires  armés 
le  cherchaient  en  tous  lieux,  à  Nemours,  sur  la  route 
de  Lorraine  et  de  Lyon.  Il  avait  promis  de  revenir  à 
Paris  avant  de  sortir  de  France  ;  le  prévôt  lui  tendit 

qu'on  passant,  la,  reconnaissance  exécutée  par  les  ordres  du  duc 
de  Guise.  La  présence  de  ce  document  dans  le  dossier  de  l'cnlè- 
Yonient  du  duc  d'Orléans  nous  fait  penser  qu'il  avait  été  saisi 
entre  les  mains  du  porteur  chargé  de  la  remettre  à  destination. 

1.  Lettre  de  Throckmorton  du  14  novembre  [Calendars,  1561, 
p.  396). 

2.  On  trouve  quelques  détails  assez  curieux  sur  le  voyage  de 
Nemours  et  son  arrêt  chez  un  gentilhomme,  nommé  le  s.  d'Aoust, 
dans  la  déposition  du  s.  Bérenger,  qui  fut  interrogé  à  la  requeste 
d'un  conseiller  du  roi  (Orig.  daté  du  18  décembre  1561  ;  f.  fr., 
vol.  6608,  f.  57).  —  Lettre  de  L'Au])espine  citée  dans  la  note 
suivante. 

3.  Lettre  do  Claude  do  rAnl)es])ine  à  Sébastien  de  l'Aubespine 
du  9  nov.  1561  (Déchifl'.,  f.  fr.,  vol.  6618,  f.  18).  —  Déposition  de 
Lignerollcs,  guidon  du  duc  de  Nemours  (f.  fr.,  vol.  6608,  f.  35). 
Cette  dernière  pièce  est  très  importante. 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  239 

une  embuscade  dans  cette  ville.  Le  moindre  de  ce  qui 
pouvait  lui  arriver,  dit  Chantonay,  était  d'être  forcé 
d'épouser  sur  l'heure  Mademoiselle  de  Rohan  ou  de 
voir  tous  ses  biens  confisqués  ' . 

Le  roi  dépêcha  à  Turin  Nicolas  de  Piambouillet, 
de  la  maison  d'Angennes,  avec  une  mission  de  con- 
fiance pour  le  duc  de  Savoie-.  Il  écrivit  au  maréchal 
de  Bourdillon,  son  lieutenant  en  Piémont,  qu'il  avait 
expulsé  de  la  cour  le  duc  de  Nemours  «  à  cause  d'ung 
«  certain  traict,  »  et  que  ses  capitaines  devaient  lui 
fermer  les  portes  de  toutes  ses  places  ^  On  craignait  que 
l'enlèvement  du  duc  d'Orléans  ne  fût  le  premier  acte 
d'un  soulèvement  général  du  parti  catholique  et  que  les 
principales  villes  du  Piémont  ne  fussent  menacées.  Le 
même  courrier  apporta  à  Jacques  de  Savoie  l'injonction 
de  rentrer  à  la  cour  pour  s'y  justifier^.  L'accusé  se 
garda  d'obéir.  Il  envoya  à  Saint-Germain  son  guidon, 
Philibert  de  Lignerolles,  avec  une  lettre  à  la  reine  où 
il  protestait  de  son  dévouement  sans  entrer  dans  le 
détail  des  faits  ^.  Il  écrivit  aussi  au  maréchal  de  Mont- 


1.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II  du  31  octohre  (Orig.  espa- 
gnol; Arch.  nat.,  K.  1494,  n»  106). 

2.  Lettre  du  roi  à  Bourdillon  du  -23  octohre  (Orig.,  f.  fr., 
vol.  15.542,  f.  49). 

3.  Lettre  de  Charles  IX  à  Bourdillon  du  30  octobre  (Orig.,  f.  fr., 
vol.  15542,  f.  51). 

4.  Dupuy,  Mémoires  5U?'  le  concile  de  Trente,  p.  109.  —  Lettre 
du  roi  au  s.  de  Llsle. 

5.  Original  daté  du  15  novembre  1.561  (f.  fr.,  vol.  6608,  f.  32). 
A  cette  lettre  se  rattache  un  singulier  détail  d'histoire  rétros- 
pective. 

La  lettre  de  Nemours  fut  envoyée  en  copie  à  L'Aubespine, 
cvêque  de  Limoges.  Le  frère  de  L'Aubespine,  chargé  de  l'expé- 
dition, souUgna  un  certain  passage,  oii  Nemours,  en  termes  obs- 


240  ANTOINE   DE   BOURBON 

morency  «  de  vouloir  estre  occasion,  dit-il,  que  je  sorte 
«  de  cette  peine,  qui  est  la  plus  grande  où  je  fus  jamais 
«  et  qui  m'importe  le  plus'.  » 

A  peine  arrivé  à  la  cour,  le  213  novembre-.  Ligne- 
roi  les  fut  arrêté  et  traité  en  coupable.  II  comparut 
devant  une  commission  composée  du  chancelier  de 
l'Hospital,  de  Jean  de  Monluc,  de  Grussol,  de  du  Mor- 
tier et  d'Avançon.  Il  répondit  qu'il  ne  savait  rien  des 
accusations  portées  contre  son  maître  ;  pour  sa  propre 
justification,  il  allégua  sa  présence  à  la  cour,  preuve 
d'une  conscience  tranquille^.  On  le  confronta  avec  le 
laquais  qui  avait  reçu  les  premières  confidences  du  duc 
d'Orléans.  Le  secrétaire  d'état  Bourdin  cita  en  témoi- 
gnage ou  fit  arrêter  *  plusieurs  «  personnaiges  »  de 


curs,  rappelait  à  la  reine  les  services  qu'il  lui  avait  rendus.  En 
regard  de  ce  passage,  il  écrivit  :  «  La  royne  a  bien  ri  quand  elle 
«  a  vu  dessus  la  lettre  de  M.  de  Nemours  ces  lignes  marquées, 
«  se  souvenant  qu'elle  le  vouloit  employer  lorsque'mad.  de  Valen- 
ce tinois  la  fachoit  tant  à  luy  faire  jeter  par  luy  d'une  eau  forte 
«  distillée,  comme  par  manière  de  jeu  sur  le  visage,  de  quoy  elle 
«  fut  toute  sa  vie  demeurée  défigurée,  et  ainsi  pensoit  de  en  reti- 
«  rer  le  feu  roy  son  mari;  ce  qui  ne  fut  pas  fait,  car  elle  y  pensa 
«  depuis.  —  Bruslez  ceste  lettre  après  l'avoir  lue,  s'il  vous  plaist.  » 
Ce  fait  ne  paraît  pas  avoir  été  signalé. 

Nous  n'avons  pas  la  copie  envoyée  à  L'Aubespine,  mais  le 
même  recueil  conserve  (f.  2'J)  une  copie  récente  faite  sur 
celle-ci. 

1.  Autograi)he  sans  date  (f.  fr.,  vol.  3157,  f.  9). 

2.  Lettre  de  Tbrockmorton  du  26  novembre  {Galendars,  1561, 
p.  113). 

3.  Déposition  orig.  de  LigneroUes  en  date  du  20  novembre  (f.  fr., 
vol.  6608,  f.  35).  Cette  pièce  est  très  importante,  mais  elle  four- 
nit plus  de  détails  sur  le  voyage  de  Nemours  que  sur  la  tenta- 
tive d'enlèvement. 

4.  Lettre  de  Bourdin  à  la  reine  mère  du  15  novembre  1561 
(Orig.,  f.  fr.,  vol.  6608,  f.  25). 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  841 

toutes  les  classes,  un  laquais  du  sire  de  la  Barge  \  de 
la  compagnie  de  Nemours,  Jehan  de  Nogaret  de  la 
Valette,  le  s.  de  Bérenger^  Le  chancelier  interrogea 
tous  les  familiers,  tous  les  serviteurs  du  duc  de 
Nemours  qu'il  put  soupçonner^.  La  colère  de  la  reine 
la  poussait  à  des  mesures  aveugles  ;  le  conseil  agita  de 
soumettre  Lignerolles  à  la  torture  et  même  de  le  pendre 
pour  faire  croire  à  la  culpabilité  de  son  maître^.  En 
attendant  la  découverte  de  nouveaux  indices,  il  fut 
retenu  en  prison  sans  autre  motif  que  la  crainte  qu'il 
inspirait.  Il  n'avait  pas  encore  recouvré  la  liberté  à  la 
date  du  22  décembre^'.  Dans  les  premiers  jours  de  jan- 
vier, il  fut  enlevé  des  cachots  du  château  de  Saint- 
Germain  et  transféré  de  nuit  à  Melun  avec  tant  de 
précipitation  que  les  archers,  chargés  de  le  conduire, 
manquèrent  de  chevaux,  et  que  le  prince  de  Gondé 
prêta  les  siens '^. 

L'instruction  se  poursuivait  secrètement  au  milieu 
d'un  mystère  profond.  A  chaque  découverte  le  com- 

1.  La  Barge  s'était  réfugié  en  Piémont.  Catherine  ordonna  à 
Bordillon  de  l'interroger  (Lettres  de  Catherine,  t.  I,  p.  258),  mais 
Bordillon  ne  put  le  saisir  [Ibid.,  f.  265). 

2.  Leurs  dépositions  ne  fournissent  aucun  renseignement  pré- 
cis et  s'étendent  sur  des  faits  étrangers  à  l'enquête.  Elles  sont 
conservées  dans  le  f.  fr.,  vol.  6G08,  f.  16,  48  et  57. 

3.  Voyez  notamment  les  interrogatoires  de  Pierre  Grenier  et 
de  Jehan  de  Nogaret  de  la  Valette,  datés  du  7  décembre  1561  ; 
orig.,  f.  fr.,  vol.  6608,  f.  16  et  48. 

4.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II  du  26  noveml)re  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n»  112). 

5.  Il  écrivit  à  la  reine  mère  ce  jour-là  une  longue  lettre  de 
justification  qui  ne  nous  apprend  rien  do  nouveau  (Autog.;  f.  fr., 
vol.  6608,  f.  65). 

6.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II  du  13  janvier  1562  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1197,  u»  5). 

m  16 


242  ANTOINE    DE   BOURBON 

plot  se  révélait  plus  grave.  Le  9  novembre,  Claude  de 
l'Aubespine  écrit  à  son  frère,  ambassadeur  en  Espagne  : 
«  Plus  on  va  en  avant,  plus  se  découvre  du  dessein 
«  de  M.  de  Nemours,  que  l'on  estime  avoir  esté  de 
«  l'intelligence  de  beaucoup'.  »  Les  chefs  du  parti 
catholique  au  contraire  s'efforçaient  d'atténuer  la 
gravité  de  l'affaire  ;  ils  faisaient  ressortir  la  faiblesse 
de  l'accusation,  qui  n'avait  d'autre  base  que  le  témoi- 
gnage d'un  enfant  de  dix  ans  :  «  L'affaire  de  M.  de 
«  Nemours,  écrit  l'ambassadeur  d'Espagne,  chaque 
«  jour  paraît  plus  aux  gens  sages  et  sans  passion  un 
«  soupçon  pris  sans  aucune  occasion^.  » 

Dans  l'impossibilité  de  saisir  le  duc  de  Nemours  en 
personne,  la  reine  voulut  l'atteindre  dans  ses  dignités. 
Le  roi  convocjua  un  conseil  de  l'ordre  Saint-Michel  pour 
les  fêtes  de  Noël  et  annonça  d'importantes  résolutions 
à  prendre^.  Le  cardinal  de  Lorraine  fut  dépouillé  de 
la  dignité  de  chancelier  de  l'ordre*.  François  II  avait 
nommé  près  de  vingt  chevaliers  que  l'on  supposait 
être  des  affîdés  des  Guises.  Charles  IX  en  nomma 
quinze  pour  déplacer  la  majorité ',  huit  le  7  décembre 
et  sept  le  lendemain,  François  de  Bourbon,  dauphin 
d'Auvergne,  tils  du  duc  de  Montpensier,  le  comte  de 
Rocquendorf,  Jean  d'Annebaut,  baron  de  Retz,  le  sei- 
gneur de  Chaulne,  gouverneur  de  Saint-Quentin,  Fran- 

1.  Déchiirremont  original  daté  du   ',)    novembre   1561;  f.   fr., 
vol.  6618,  f.  18. 

2.  Lettre  originale  en  espagnol  de  Chantoiiay  au  roi  d'Espagne 
du  13  novembre  1561  (Arch.  nat.,  K.  Ii94,  u»  108). 

3.  Lettre  de  Cluintonay  à  Philippe  II  du  13  novembre  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nal.,  K.  1494,  n°  108). 

4.  Calendars,  1561,  p.  360. 

5.  Lettres  de  Pasquier  dans  les  OEuvres  compUles,  t.  II,  p.  87. 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  243 

çois  d'Escars,  favori  du  roi  de  Navarre,  le  seigneur 
dePiennes,  de  Kernevenoy,  dit  de  Carnavalet,  gouver- 
neur du  duc  d'Orléans,  le  comte  de  Gharny,  le  sei- 
gneur de  la  Meilleraye,  lieutenant  de  la  compagnie  de 
Coligny,  Jean  Larchevêque,  seigneur  de  Soubize, 
Antoine  de  Gramont,  vicomte  d'Aster,  le  seigneur  de 
Sault,  ancien  ambassadeur  en  Angleterre,  un  des  favo- 
ris du  roi  de  Navarre,  le  seigneur  de  Gordes,  lieute- 
nant de  la  compagnie  du  connétable,  le  seigneur  d'Au- 
mont,  Joachim  de  Monluc,  seigneur  de  Lioux^.  Les 
nouveaux  chevaliers  appartenaient  à  la  Réforme  ou  au 
tiers  parti;  cependant  ils  assistèrent  tous  à  la  messe. 
Seul,  Antoine  de  Gramont  refusa  obstinément  de 
paraître  à  l'église-.  On  pensait  que  le  projet  de  la 
reine  était  de  citer  le  duc  de  Nemours  devant  le  con- 
seil de  l'ordre  et  de  le  faire  condamner  à  la  dégrada- 
tion par  défaut,  de  le  bannir  du  royaume  et  d'attribuer 
tous  ses  biens  à  Mademoiselle  de  Rohan^. 

Le  duc  de  Guise  s'était  réfugié  à  Joinville,  puis  à 
Doullens,  afin  de  laisser  passer  l'orage.  Le  12  no- 
vembre,  il   écrivit  au   connétable  une  lettre,    dont 

1.  Calendars,  lôGl,  p.  430.  —  Le  Laboureur,  Mémoires  de  Cas- 
telnaUy  1731,  t.  I,  p.  368.  —  Ce  fut  un  scandale,  dit  Throckmor- 
ton,  de  ne  pas  voir  nommer  le  s.  de  Montpezat  ;  mais  il  était 
lieutenant  du  duc  de  Guise  {Calendars,  1561,  p.  437).  —  A  cette 
occasion,  dit  Throckmorton  dans  une  autre  lettre,  on  réédita  le 
vieux  mot  que  «  le  collier  de  l'ordre  était  un  collier  à  toutes 
«  bêtes.  »  (Lettre  du  20  décembre;  Calendars,  1561,  p.  449.) 

2.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II  du  7  décembre  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1495,  no  93). 

3.  Lettre  de  Ghantonay  du  13  novembre  à  Philippe  II  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n°  108).  —  Lettre  de  Tornabuoni 
du  29  décembre  (Négoc.  de  la  France  avec  la  Toscane,  t.  III,  p.  469). 
—  Lettre  de  Throckmorton  du  14  novembre  [Calendars,  1561, 
p.  396). 


244  ANTOINE   DE   BOURBON 

le  ton  dégagé  semble  affecté  :  «  Ce  porteur  vous 
«  dira  ce  que  nous  faisons  à  la  chasse  et  comme 
«  nous  Y  employons  le  temps,  cardinal  de  Guise, 
«  duc  d'Aumale,  mes  frères  et  moy,  qui  commence  à 

«  gouster  le  plaisir  de  mon  mcsnage Toutes  mes 

«  nouvelles  ne  sont  que  de  chiens  et  d'oyseaux  et  que 
«  l'on  se  porte  à  ces  cjuartiers  assez  bien  pour  la  reli- 

«  gion^ »  Catherine  l'avait  convoqué  à  la  cour.  Il 

répondit  qu'il  reviendrait  si  la  reine  lui  en  donnait 
l'ordre,  mais  qu'il  aimerait  mieux  prolonger  sa  retraite. 
Son  allié,  le  connétable,  reparut  à  Saint-Germain 
pour  ne  pas  être  compromis  dans  le  procès  de 
Nemours,  à  la  grande  joie  de  la  reine  qui  se  fiait  en  sa 
loyauté^. 

A  Rome,  la  tentative  du  duc  de  Nemours  était  jugée 
avec  indulgence  et  «  plus  atténuée  que  blâmée.  »  Un 
seigneur  romain  dit  à  l'ambassadeur  «  que  l'on  en  ver- 
«  roit  bien  d'autres^.  »  Mais  tous  les  autres  souve- 
rains, la  reine  d'Angleterre,  la  république  de  Venise, 
le  duc  de  Savoie ,  compatirent  aux  angoisses  de  la  reine  ^ . 

1.  Orig.,  f.  Cr.,  vol.  3158,  f.  12.  C'est  par  erreur  que,  sur  le 
catalogue  du  fonds  français  de  la  Bibl.  nat.,  cette  lettre  a  été 
placée  à  l'année  15G0.  — Autre  lettre  du  duc  de  Guise  au  conné- 
table en  date  du  G  décembre.  Même  affectation  de  n'être  occupé 
que  de  chasse  et  de  fauconnerie  (Orig.,  f.  fr.,  vol.  3197,  f.  10). 

2.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II  du  13  novembre  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n"  108).  —  Lettre  de  Tornabuoni 
du  20  novembre  [Ncgoc.  de  la  France  avec  la  Toscane,  t.  ILE,  p.  468). 
— Lettre  de  Throckmorton  du  14  novembre  [Calendars,  1561 ,  p.  396). 

3.  Lettre  du  président  de  l'Islo,  ambassadeur  à  Rome,  au  roi, 
en  date  du  9  décembre  1561  (Uupuy,  Mémoires  sur  le  concile  de 
Trente,  p.  115). 

4.  Lettre  de  Tornabuoni  du  20  novembre  (Négoc.  de  la  France 
avec  la  Toscane,  t.  III,  p.  468).  —  Le  duc  de  Savoie  envoya  même 
un  ambassadeur,  le  sire  de  Morete  (Lettre  de  Ghantonay  à  Phi- 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  245 

Le  duc  de  Lorraine,  qu'elle  avait  choisi  pour  confident, 
lui  écrivit  :  «  J'ay  veu  par  la  lettre  que  m'avés  escrit 
«  comme  M.  de  Nemours  a  vouleu  emmener  Monsieur 
«  et  que  aviés  peur  qui  ne  vint  isy.  Je  panse,  Madame, 
«  qui  n'avoit  garde  de  venir  isy  après  cet  acte.  Je 
«  n'euse  fali  de  faire  ce  qui  vous  plesroit  me  comman- 
a  der^.  » 

La  reine  attendait  avec  anxiété  la  première  impres- 
sion de  Philippe  II  sur  ses  doléances-.  Sachant  qu'il 
aimait  à  paraître  le  conseiller  des  familles  en  môme 
temps  que  l'arbitre  de  l'Europe,  elle  lui  demanda  son 
avis^.  Il  répondit,  le  29  novembre,  par  des  remon- 
trances sur  la  politique  religieuse  de  la  cour  de  France. 
Peu  s'en  fallut  que,  d'un  crime  reproché  au  parti  catho- 
lique, il  ne  se  fit  une  arme  contre  les  Huguenots. 

Madame,  j'ai  veu  la  lettre  que  Votre  Majesté  m'écrit  de 
sa  propre  main,  concernant  le  duc  de  Nemours,  et  je  regrette 
dans  l'âme  la  peine  qu'avec  raison  Votre  Majesté  a  ressentie 
de  sa  conduite.  Les  représentations  que  j'ai  si  souvent  adres- 
sées à  Votre  Majesté  pour  qu'elle  voulut  bien  porter  remède 
aux  choses  de  la  Religion,  bien  que  je  l'eusse  fait  pour  le  bien 
seul  de  la  Religion,  pour  laquelle  j'ai  l'obligation  et  la  détermi- 
nation de  mourir,  avaient  aussi  pour  but  de  vous  faire  prévoir 
que  les  désordres  dans  la  Religion  amèneraient  aussi  des  chan- 
gements dans  le  temporel,  qui  occasionneraient  à  Votre  Majesté 

lippe  II  du  9  novembre;  Orig.  espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1494, 
no  107). 

1.  Orig.  autographe,  daté  du  3  nov.  1561  ;  f.  fr.,  vol.  6608,  f.  2-2. 

2.  Lettres  de  Catherine  de  Mcdicis,  t.  I,  p.  250. 

3.  Lettres  de  Catherine  de  Mcdicis,  t.  I,  p.  244.  La  lettre  adres- 
sée au  roi  d'Espagne  est  particulièrement  détaillée.  Au  dos  de 
l'original  on  lit  cette  annotation  autographe  de  Phihppe  II  :  «  En 
esto  pensado,  pongo  lo  que  se  la  habra  de  responder  de  que  se  le 
habrâ  de  hacer  carta  de  mi  mano.  » 


246  ANTOINE   DE    BOURBON 

les  travaux  el  les  soucis  qui  eu  résultent  ordinairement.  La 
clisimulation  que  Votre  Majesté  a  montré  dans  ce  cas-ci  me 
paraît  conforme  à  Votre  grande  prudence,  et  ce  qu'il  y  aurait 
de  mieux  à  faire  et  de  plus  convenable,  il  me  semble  que  ce 
serait  que  les  sujets  du  Roi  très  chrétien  fussent  tous  traités 
de  la  même  manière,  et  qu'il  n'y  eut  pas  cette  disparité  entre 
les  égarés  et  les  catholiques,  afin  que  ceux-ci  ne  soient  poussés 
à  tenter  des  choses  semblables  ;  ce  qui,  si  nous  voulons  le  juger 
par  ce  qui  est  arrivé  d'autres  fois,  ne  peut  manquer  d'arriver, 
si  Votre  Majesté  ne  prend  pas  le  chemin  que  je  lui  ai  proposé 
si  souvent  de  prendre.  Que  Votre  Majesté  soit  bien  convaincue 
que  je  lui  parle  là-dessus  en  fils  qui  l'aime  comme  soi-même'. 

La  fin  de  la  lettre  était  encore  moins  rassurante. 
Philippe  II,  après  avoir  protesté  de  son  dévouement 
aux  volontés  de  la  reine,  insinuait  que  les  catholiques, 
persécutés  partout,  avaient  droit  à  un  refuge  :  «  Et 
«  tant  que  Dieu  me  fera  la  grâce  de  connaître  la  vérité 
«  comme  je  la  connais  maintenant,  c'est  moi  qui  les 
«  protégerai  et  les  accueillerai.  » 

Cette  réponse  était  de  nature  à  faire  naître  la  méfiance 
de  la  reine  mère  ;  de  nouveaux  indices  s'y  ajoutè- 
rent. Quelques  jours  avant  le  20  octobre,  Chantonay 
avait  de  lui-même  conseillé  à  la  reine  d'envoyer 
le  duc  d'Orléans  en  Lorraine.  Son  insistance  revint 
après  coup  au  souvenir  de  Catherine-.  Peu  à  peu  les 
découvertes  de  l'instruction  révélèrent  que  le  roi  d'Es- 
pagne était  décidé  à  prêter  aux  conjurés  un  concours 
actif.  Dès  le  20  novembre,  Tornabuoni  écrit  au  grand 
duc  de  Toscane  que  Nemours  passe  à  la  cour  pour 

1.  Copie  espagnole,  en  date  du  "37  novembre  (Arcli.  nat., 
K.  1495,  n°  90).  L'original,  dit  une  note  marginale,  écrit  de  la 
main  de  I^hilippe  II,  fui  envoyé  à  la  reine. 

2.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II  du  28  octobre  (Orig.  espa- 
gnol, K.  I'i9'j,  n^iOf)). 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  247 

avoir  obtenu  l'assentiment  du  roi  d'Espagne  et  du 
pape*.  Le  bruit  se  répandit  que  les  complices  de 
Nemours  étaient  en  route  pour  l'Espagne  et  Antoine 
expédia  en  hâte  des  messagers  chargés  de  surveiller 
les  défilés  de  la  Navarre-.  Le  29  novembre,  Catherine 
ne  doute  plus  et  écrit  à  son  ambassadeur  en  Espagne  : 
«  Combien  que  l'on  n'ait  pas  atteint  la  source  et  la 
«  pure  vérité  du  mal,  si  verrez-vous  bien  par  la  copie 
«  de  l'instruction,  qu'il  (Nemours)  a  baillée  à  ung 
«  gentilhomme  des  siens,  envoyé  ici  pour  s'excuser, 
«  qu'il  avoit  parlé  à  mon  fils  d'Orléans  ;  de  telle  sorte 
«  qu'il  y  avoit  quelque  chose  de  caché,  ce  que  je  seroy 
c(  très  aise  que  vous  fassiez  entendre  par  delà^  » 

Bientôt  les  révélations  des  lieutenants  du  roi  forti- 
fièrent les  soupçons  de  la  reine.  Pendant  que  le  duc 
de  Nemours  jouait  son  rôle,  le  roi  d'Espagne  faisait 
étudier  un  plan  de  campagne  en  France.  Un  espion 
parcourut  la  frontière  du  Nord  et  fit  un  rapport  au 
seigneur  de  Courteville,  un  des  secrétaires  du  roi 
catholique.  La  «  pratique  »  avec  les  Guises,  dit-il, 
devrait  se  dresser  du  côté  des  Flandres,  parce  que  le 
duc  et  ses  frères  se  sont  retirés  sur  cette  frontière.  Il 
vaut  mieux  s'adresser  au  duc  qu'au  cardinal,  parce 
qu'il  fit  ira  plus  rondement  à  la  besoigne,  et  sur  le  dire 


1.  Négociations  de  la  France  avec  la  Toscane,  t.  m,  p.  468. 

2.  Lettre  du  duc  d'Albuquerque  à  Philippe  II  du  17  janvier 
1562,  de  Pampelune  (Cop.  espag.;  Arch.  de  la  secret,  detat 
d'Espagne,  leg.  358,  f.  52). 

3.  Lettres  de  Catherine  de  Médicis,  t.  I,  p.  253.  Cette  lettre  a  été 
imprimée  incomplètement  d'après  une  copie  communiquée  par 
M.  Charavay.  L'original,  qui  est  également  incomplet,  est  con- 
servé dans  le  f.  fr.,  vol.  6605,  f.  70.  Il  est  suivi  d'une  copie 
(f.  72)  qui  paraît  complète. 


248  ANTOINE    DE   BOURBON 

«  duquel  l'on  se  doibt  plus  fonder  que  dud.  cardinal, 
«  encoires  qu'il  soit  assez  apparent  qu'il  ne  le  voudra 
«  résouldre  sans  le  participer  à  luy  et  peult  estre  à  ses 
«  autres  frères  ^ .  » 

A  dater  du  moment  où  sa  conviction  fut  formée, 
Catherine  arrêta  l'enquête.  Les  recherches  furent 
étouffées,  les  interrogatoires  interrompus,  les  procé- 
dures supprimées.  Sans  doute  elle  jugea  dangereux  de 
laisser  éclater  ses  soupçons  contre  des  instruments 
obscurs,  quand  le  promoteur  principal  était  à  l'abri 
de  toute  sanction  pénale.  Chantonay  continuait  à 
traiter  le  complot  de  calomnie.  Il  en  conféra  avec 
la  reine  dans  les  premiers  jours  de  décembre  et 
prétendit  lui  prouver  que  le  duc  de  Nemours  n'avait 
proposé  au  duc  d'Orléans  de  l'élever  au  trône  qu'en 
cas  de  mort  du  roi,  proposition  correcte  qui  ne  bles- 
sait personne.  La  reine  répondit  peu  de  paroles.  Chan- 
tonay conclut  de  son  silence  qu'elle  était  embarrassée 
de  l'éclat  qu'elle  avait  laissé  prendre  à  l'instruction  ^. 
Un  mois  après,  il  fît  naître  l'occasion  de  disculper  son 
maitre  des  soupçons  qui  pesaient  sur  sa  tête.  L'ac- 
cusation portée  contre  M.  de  Nemours,  dit-il  à  la 
reine,  «  n'est  pas  aussi  grave  qu'on  l'avait  dit  dans 
«  le  commencement.  »  Le  roi  de  Navarre,  qui  assis- 
tait à  l'entretien,  combattit  vivement  celte  appré- 
ciation. L'ambassadeur  sentit  qu'il  faisait  fausse  route 
et  s'arrêta  court.   t<  .l'ai  pensé,  écrit-il  à  Philippe  II, 

1.  Rap])orl  dat('  du  mois  do  décembre  {Papiers  d'estal  de  Gran- 
velle,  t.  VI,  p.  439). 

2.  Lettre  de  Chantonay  à  IMiilippe  11  du  10  décembre  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1495,  u"  95). 


ET   JEANNE    d'alBRET.  249 

c<  que  ce  n'était  ni  le  temps  ni  le  lieu  de  discuter 
c<  cette  affaire,  mais  qu'il  fallait  la  débattre  petit  à 
«  petit,  et  je  résolus  de  ne  pas  m'y  arrêter^.  » 

1.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II  du  8  janvier  1563  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1497,  n°  4). 


Zs/ 


CHAPITRE  QUINZIÈME. 


Négociations  du  roi  de  Navarre  avec  l'Espagne  pendant 
l'année  1561. 


Motifs  de  la  déférence  du  roi  de  Navarre  pour  Cathe- 
rine de  Médicis.  —  Premières  négociations  d'Antoine 
de  Bourbon  avec  r ambassadeur  d'Espagne.  — Négo- 
ciations de  Sébastien  de  VAubespine  à  Madrid.  — 
Antoine  dema?ide  Sienne.  —  Négociations  du  roi  de 
Navarre  en  Allemagne.  —  Catherine  demande  la 
Sardaigne  à  Philippe  IL 

Le  roi  de  Navarre  envoie  Antonio  d'Ahncida  en  Espagne 
{mai  1 5G1  ).  —  //  veut  y  accréditer  Philippe  de  Lenon- 
court,  évêque  d'Auxerre,  et  Jean-Jacques  de  Mesmes. 

—  Catherine  adjoint  à  F  ambassade  Jacques  de  Mont- 
beron,  seig^ieur  d'Auzance.  —  La  mission  de  V évêque 
d'Auxerre  et  de  de  Mesmes  est  ajournée  et  d'Auzance 
part  seul  pour  Madrid  (216  juillet) .  —  Envoi  de  Fran- 
çois d'Escars  à  Rome  (fin  août).  —  Retour  de  d'Au- 
zance  à  Saint-Germain  (14  octobre). 

Suite  des  négociations  du  roi  de  Navarre  à  Madrid  et 
auprès  de  Chantonaij.  —  Chantonay  concède  en 
principe  la  reconnaissance  des  droits  du  roi  de  Navarre . 

—  Jacques  d'Auzance  repart  pour  V  Espagne  {fm 
novembre) .  —  Echange  de  la  Navarre  proposé  par 


252  ANTOINE    DE    BOURBON 

les  ministres  de  Philippe  IL  —  Philippe  II  confirme 
les  concessions  de  principe  de  Chaîitonmj.  —  Antoine 
écrit  au  duc  d'Albe.  —  Retour  de  d'Aiizance  à  Saint- 
Germain  {%  janvier) . — Satisfaction  du  roi  de  Navarre. 
—  Il  passe  définitivement  au  parti  catholique. 


La  mort  de  François  II  et  l'intérêt  de  la  défense  per- 
sonnelle avaient  fondé  le  rapprochement  de  la  reine 
mère  et  du  roi  de  Navarre.  L'organisation  du  trium- 
virat avait  resserré  l'alliance  et  inauguré  l'âge  d'or  de 
leur  association .  Catherine  avait  du  goût  pour  le  prince  ^ . 
Ses  défauts,  sa  versatilité,  sa  faiblesse  de  caractère  ne 
lui  déplaisaient  pas,  parce  qu'elle  se  sentait  capable 
d'y  porter  remède,  et  ses  qualités,  la  générosité  de 
ses  sentiments,  sa  bravoure  la  séduisaient  sans  lui 
faire  ombrage.  Depuis  leur  commun  avènement,  la 
régente  et  le  roi  de  Navarre,  malgré  quelques  ombres 
passagères,  administraient  ensemble  le  royaume  avec 
une  unité  parfaite,  trop  parfaite  pour  ne  pas  couvrir 
la  dépendance  de  l'un  d'eux.  Le  plus  souvent,  dans 
ses  instructions  administratives,  le  roi  de  Navarre 
aime  à  s'en  rapporter,  même  sur  les  questions  de  sa 
compétence,  aux  décisions  de  la  régente.  Jamais  il  ne 
rappelle  aux  gouverneurs  de  province,  aux  capitaines 
de  places,  qu'ils  ne  doivent  obéir  qu'à  ses  lettres. 
Lieutenant  subordonné,  il  transmet  modestement, 
aux  officiers  qu'il  a  le  droit  de  commander,  les 
ordres  de  la  reine  mère,  comme  émanant  d'un  pouvoir 

1.  Lottro  (le  Tonuihuoui  {Ncgoc.  de  la  France  avec  la  Toscane, 

t.  m,  p.  m). 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  253' 

supérieur.  Soit  qu'il  s'agisse  d'une  assemblée  tenue  à 
Beaune  et  de  mesures  prises  par  le  parlement  de 
Dijon  \  de  la  solde  des  gens  de  guerre  en  Pié- 
mont ',  du  paiement  des  gages  des  conseillers  du  par- 
lement de  Paris  ",  de  la  convocation  des  gens  des  trois 
états  aux  assemblées  provinciales  %  d'une  simple  recom- 
mandation au  parlement  de  Bourgogne  ^,  d'un  accord 
ménagé  entre  deux  gentilshommes  tourangeaux*',  de 
l'élévation  de  la  reine  à  la  dignité  de  régente  ^,  de  l'en- 
voi d'un  messager  à  la  seigneurie  de  Lucques*^,  des 
dettes  du  trésor  royal  vis-à-vis  des  soldats  et  des  capi- 
taines du  Piémont '^,  de  la  recommandation  du  sei- 
gneur de  la  Roque,  gentilhomme  delà  maison  du  roi. 


1.  Lettre  orig.  autog.  du  roi  de  Navarre  à  Tavannes,  datée  de 
février  1560  (1561)  ;  f.  fr.,  vol.  4632,  f.  Ii2.  La  lettre  de  la  reine 
mère,  coniirmative  de  la  lettre  du  prince,  est  imprimée  dans 
Lettres  de  Catherine  de  Médicis,  t.  I,  p.  168. 

2.  Lettres  d'Antoine  de  Bourbon  et  de  Jehanne  d'Albret,  p.  227. 

3.  Lettre  du  roi  de  Navarre  du  22  février  1560  (1561)  (Copie; 
f.  fr.,  vol.  23750,  non  paginé  ;  extrait  des  registres  du  conseil  du 
parlement). 

4.  Lettre  du  roi  de  Navarre  du  dernier  de  février  1560  (1561), 
citée  dans  une  ordonnance  du  sénéchal  des  Lannes  (Landes) 
(Vc  de  Golbert,  vol.  27,  f.  294  v»). 

5.  Lettre  du  roi  de  Navarre  du  \^  mars  (Orig.,  coll.  Moreau, 
vol.  883,  f.  166). 

6.  Lettre  du  roi  de  Navarre  du  20  mars  [Hist.  généal.  de  la 
noblesse  de  Touraine,  par  Lhermite  Souliers,  1669,  p.  \\\). 

7.  Lettre  du  roi  de  Navarre  du  30  mars  (Lettres  d\Ant.  de  Bour- 
bon et  de  Jehanne  d'Albret,  p.  231).  —  Autre  lettre  du  roi  de 
Navarre  sur  le  même  sujet  en  date  du  15  avril  (Orig.,  coll.  Moreau, 
vol.  833,  f.  172). 

8.  Lettre  du  roi  de  Navarre  du  14  avril  {Flist.  généal.  de  la 
noblesse  de  Touraine,  par  Lhermite  Souliers,  1669,  p.  421). 

9.  Lettre  du  roi  de  Navarre  du  28  avril  [Lettres  d'Anl.  de  Bour- 
bon et  de  Jchannç  d'Albret,  p.  232). 


254  ANTOINE   DE   BOURBON 

qui  a  été  indûment  rayé  des  rôles  ^  d'une  autorisation 
donnée  à  deux  gentilshommes,  Birague  et  Vimercat, 
de  vider  un  différend  les  armes  à  la  main  ~,  de  solli- 
citations auprès  du  parlement  de  Paris  en  faveur  de  la 
prompte  expédition  du  procès  du  s.  de  Ciergue"\  le  roi 
de  Navarre  ne  se  départ  jamais  de  sa  déférence  vis- 
à-vis  de  la  reine  mère  et  parle  d'elle  comme  un  sujet 
parle  de  son  roi.  A  ces  démonstrations  officielles  le 
prince  ajoute  des  actes.  Il  n'eût  tenu  qu'à  lui  d'obte- 
nir des  états  généraux  d'Orléans  et  plus  tard  des 
états  provinciaux  de  Paris  la  régence  du  royaume, 
ou  de  l'enlever  de  haute  lutte  à  l'aide  de  son  cré- 
dit sur  les  gens  de  guerre.  Ses  amis  l'y  poussaient 
en  lui  représentant  qu'il  en  avait  le  droit;  ses  enne- 
mis eux-mêmes  reconnaissaient  qu'il  en  avait  le  pou- 
voir. Malgré  ses  avantages,  il  s'était  incliné  devant  la 
volonté  de  Catherine.  Antoine  et  la  régente  en  étaient 
aux  attentions  délicates.  Dans  une  lettre,  il  demande 
«  en  toute  dilligence  »  à  Jeanne  d'Albret  «  des  graines 
«  de  melons,  concombres,  cardes  et  ognons  doulx  » 
pour  fiiire  plaisir  à  la  reine  ^.  La  reine,  de  son  côté, 
étale  dans  ses  lettres  la  satisfaction  qu'elle  éprouve 
de  l'attitude  du  roi  de  Navarre.  Un  jour  elle  traduit 
son  approbation,  au  grand  profit  de  ce  prince,  en 
tranchant  en  sa  faveur  la  question  litigieuse  d'un  don 


4.  Lottro  du  roi  do  Navarre  du  11  juin  (Orig.,  f.  l'r.,  vol.  20459, 
f.  127). 

2.  Lettre  du  roi  de  Navarre  du  Çt  juillet  {Di/férend  entre  Vimer- 
cat et  Birague,  p.  1")). 

3.  Lettre  du  roi  de  Navarre  au  parlement  de  Paris  du  26  nov. 
1561  (Copie  :  coll.  du  parlement,  vol.  555,  f.  26). 

4.  Lettres  d'Antoine  de  Bourbon  et  de  Jehanne  d'Albret,  p.  225. 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  255 

de  dix  mille  livres,  que  Henri  11  lui  avait  accordé  en 
15571. 

La  reine  et  le  prince  ne  se  divisèrent  qu'une  fois 
pendant  les  premiers  mois  du  règne  de  Charles  IX. 
11  était  question  d'exécuter  le  traité  de  Cateau-Cam- 
brésis;  le  conseil  du  roi  discutait  la  nécessité  de  resti- 
tuer certaines  places  du  Piémont  au  duc  de  Savoie. 
La  reine,  qui  croyait  avoir  besoin  du  duc  Philibert 
Emmanuel,  voulait  se  rendre  aux  vœux  de  ce  prince. 
Antoine  s'y  opposa,  vu  la  minorité  du  roi,  et  fut 
appuyé  par  le  duc  de  Guise.  Le  conseil  adopta  ses 
conclusions  et  la  restitution  fut  ajournée  -. 

Les  ambassadeurs  étrangers  témoignaient  de  la 
déférence  d'Antoine  et  Chantonay  lui-même,  malgré 
sa  malveillance,  faisait  valoir  ces  égards  comme  une 
bonne  note^.  Le  nonce,  dans  une  lettre  du  9  avril, 
appuie  l'ambassadeur  d'Espagne  et  conseille  au  pape 
d'encourager  la  réserve  du  prince  dans  les  conseils 
du  gouvernement  ^. 

La  subordination  volontaire  d'Antoine  de  Bourbon 
vis-à-vis  de  Catherine  ne  s'explique  pas  seulement 
par  sa  faiblesse  de  caractère.  Les  esprits  faibles  ne  se 
laissent  pas  toujours  conduire.  Le  prince  avait  un 
mobile  ;  il  voulait   mériter  la   reconnaissance   de  la 


1.  Acte  daté  du  26  juin  (Copie;  Arch.  nat.,  P.  2312,  f.  119). 

2.  Lettre  de  Suriano  à  la  république  de  Venise  du  19  février 
(Déchiffrement;  Dépêches  vénit.,  filza  4  bis,  f.  60). 

3.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  U  du  8  décembre  1."j60  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1493,  n°  11.5).  —  Presque  toutes  les 
lettres  du  même  ambassadeur  de  cette  époque,  jusqu'en  mars 
1561,  contiennent  les  mêmes  rapports. 

4.  Lettre  non  signée  en  italien  (Copie  communiquée  à  la  cour 
d'Espagne?)  (Arch.  nat.,  K.  1195,  n»  30). 


256  ANTOINE    DE    BOURBON 

reine.  Depuis  son  mariage  avec  Jeanne  d'Albret,  il 
ambitionnait  la  restitution  de  la  Navarre  espagnole  et 
ne  poursuivait  le  pouvoir  que  pour  imposer  ses  reven- 
dications à  Philippe  II.  Le  rêve  du  recouvrement  inté- 
gral ou  de  la  «  compensation  honneste,  »  qui,  pendant 
le  règne  de  Henri  II,  n'avait  cessé  de  hanter  son  esprit, 
inspira  de  nouveau  toute  sa  politique  aussitôt  que  son 
crédit  de  lieutenant  général  lui  permit  de  mettre  en 
action  les  forces  de  la  monarchie  des  Valois. 

Le  jour  même  de  la  première  visite  de  Ghantonay, 
après  la  mort  de  François  II,  le  8  décembre,  Antoine 
le  «  prêcha  sur  les  commandements  de  Dieu  et  de 
«  l'église  ;  combien  il  était  saint  d'aimer  Dieu  et  son 
«  prochain  et  de  ne  pas  faire  à  autrui  ce  que  nous  ne 
«  voulons  pas  qu'il  nous  fasse.  »  Sa  conclusion  fut  que 
le  roi  catholique  devait  lui  restituer  le  patrimoine  de 
sa  femme.  Ghantonay  écouta  le  sermon  en  silence  ; 
il  n'en  avisa  même  pas  son  maître.  Le  218  décembre, 
le  connétable  envoya  chercher  l'ambassadeur  ;  il  lui 
parla  longuement  du  chancelier  de  Granvelle,  frère 
de  Ghantonay,  avec  lequel  il  avait  négocié  du  vivant 
de  Gharles-Quint ,  de  sa  propre  vie  passée,  de  la 
nécessité  de  faire  des  sacrifices  au  maintien  de  la 
paix  et  enfin  des  droits  du  roi  de  Navarre.  Ghanto- 
nay jugea  que  ce  long  discours  était  le  prélude  d'une 
revendication  pacifique  des  provinces  que  le  roi 
d'Espagne  détenait  au  delà  des  Pyrénées'. 

La  négociation  ne  se  fit  pas  attendre.  Antoine  écrivit 
au  duc  d'Albuquerque,  gouverneur  de  la  Navarre  espa- 
gnole, et  posa  la  question  de  restitution.  Le  duc  ne 

1.  Lotiro  (le  Chanloiiay  à  Pliilippe  II  iOrig.  espagnol;  Arch. 
nal.,  K.  ri9'i,  u»  1-2). 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  257 

répondit  pas.  Le  secrétaire  du  prince  adressa  j)lu- 
sieurs  lettres  au  duc,  qui  restèrent  également  sans 
réponse*.  En  même  temps,  Antoine  avait  envoyé  à 
Pampelune  et  dans  les  principales  villes  de  la  pro- 
vince des  agents  actifs,  notamment  un  chanoine  nommé 
Monréal.  Ils  racontaient,  en  les  amplifiant,  les  triom- 
phes d'Antoine  de  Bourbon  à  la  cour  de  France  et 
faisaient  courir  une  prétendue  lettre  du  pape,  qui 
conseillait  à  Philippe  II  de  rendre  la  Navarre  au  chef 
de  la  maison  d'Albret.  Averti  de  ces  menées,  le  duc 
d'AIbuquerque  fit  saisir  le  chanoine  Monréal,  la  lettre 
du  pape  et  les  porteurs  chargés  de  la  répandre*. 

Sébastien  de  l'Aubespine,  évèque  de  Limoges, 
ambassadeur  de  France,  reçut  la  mission  de  faire  une 
ouverture  à  la  cour  de  Madrid.  Il  n'obtint  une  audience 
du  roi  que  pour  recevoir  les  réprimandes  de  Phi- 
lippe II  sur  la  conduite  de  la  reine  mère  vis-à-vis  des 
réformés,  «  ayant  nommé  expressément  le  roy  de 
«  Navarre,  MM.  le  cardinal  de  Chastillon  et  admirai, 
«  affin,  écrit-il  à  la  reine  mère,  que  vous  les  reculas- 
«  siez  de  vous  et  pour  le  moins  ne  preslissiez  l'oreille 
«  en  ce  qui  concerne  le  faict  de  la  religion,  disant  à 
«  la  royne,  sa  femme,  qu'ils  vous  trompoient,  et  que, 
«  si  vous  ne  serriez  la  main  pour  tenir  les  choses  en 
«  debvoir  et  discipline,  qu'en  brief  vous  vous  verriez 

1.  Nous  n'avons  pas  trouvé  ces  lettres  aux  archives  de  Siman- 
cas.  Leur  existence  nous  est  révélée  par  une  lettre  du  duc 
d'AIbuquerque  à  Philippe  II  du  17  février  1561  (Orig.  espagnol  ; 
Arch.  de  la  secret,  d'état  d'Espagne,  leg.  358,  f.  52). 

2.  Lettre  du  duc  d'AIbuquerque  à  Philippe  II  du  31  mars  1561 
(Orig.  espagnol;  Arch.  de  la  secret,  d'état  d'Espagne,  leg.  358, 
f.  52). 

m  17 


258  ANTOINE   DE   BOURBON 

«  affligée^.  »  Catherine  avait  prévu  ce  mode  de 
défense.  Dès  le  mois  de  décembre,  elle  avait  prié  Phi- 
lippe II  de  ne  garder  aucune  méfiance  de  l'orthodoxie 
du  prince^.  A  la  fin  de  janvier,  dans  une  conférence 
avec  don  Juan  Manrique  de  Lara,  elle  renouvela  ses 
attestations.  Le  seul  reproche  à  lui  faire,  dit-elle,  est 
de  mal  choisir  ses  familiers,  et  le  seul  danger  «  c'est 
«  que  ceux  qui  l'entourent  ne  le  pervertissent^.  » 
Deux  jours  après,  les  ambassadeurs  espagnols  recueil- 
lirent de  la  bouche  même  du  roi  de  Navarre  des 
promesses  formelles.  Ils  lui  demandaient  de  ne  point 
favoriser  les  empiétements  des  Huguenots.  Antoine 
répondit  que  ses  devoirs  de  lieutenant  général  l'obli- 
geaient à  recevoir  en  personne  leurs  requêtes  avec  un 
semblant  d'impartialité,  mais  il  s'engagea  à  les  faire 
échouer  au  conseil.  Les  ambassadeurs  se  retirèrent 
satisfaits.  Le  lendemain  de  cette  déclaration,  l'amiral 
de  Goligny  présenta  une  requête.  Le  prince  l'appuya  si 
vivement  qu'elle  faillit  réunir  la  pluralité  des  voix'^. 

L'Espagne  était  menacée  par  les  armements  de  Soli- 
man II.  De  nombreuses  flottes,  montées  par  des  cor- 
saires, parcouraient  la  Méditerranée  et  portaient  la 
terreur  dans  les  possessions  espagnoles.  Catherine,  qui 
n'ignorait  pas  que  l'invasion  des  Turcs  était  le  grand 
souci  de  Philippe  II,  lui  proposa  sa  médiation  auprès  du 

1.  Lettre  du  mois  de  mars  1560  (1561)  adressée  à  la  reine  (Orig., 
f.  fr.,  vol.  0614,  f.  81). 

!2.  Lettre  de  L'Aubespine  au  duc  d'Alho  du  28  décembre  (Orig. 
français;  Arch.  nat.,  K.  i493,  n»  il8|. 

3.  Lettre  de  Gbantonay  et  de  Manrique  de  Lara  à  Philippe  II 
du  28  janvier  1561  (Orig.  espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n"  55). 

4.  Lettre  de  Gbantonay  et  de  Manrique  de  Lara  à  Philippe  U  du 
!«'■  lévrier  (Orig.  espagnol,  K.  1494,  n»  56). 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  259 

sultan''.  L'Aubespine  devait  en  outre  insinuer  que  la 
reine  mère  se  chargerait,  avec  le  même  empresse- 
ment, de  régler  l'ancienne  querelle  de  la  Navarre.  La 
proposition  fut  froidement  accueillie  par  Philippe  II, 
qui  promit  «  qu'il  y  adviseroit  suivant  la  commodité 
a.  de  ses  affaires  '.  » 

La  reine  mère  assaillit  aussi  sa  fille,  Elisabeth  de 
Valois,  d'instances  en  faveur  du  prince  :  «  Je  ne  vos 
«  oublyer  à  vous  dyre  que  l'ambassadeur  vous  parlera 
«  pour  le  fayt  du  roi  de  Navarre.  S'il  estoit  possible 
«  de  le  satisfaire  de  quelque  chause,  ce  seroit  heun 
c(  grand  repos  pour  moy.  » 

Après  les  prières  vinrent  les  menaces.  Catherine 
révéla  à  sa  fille  que  les  afïîdés  du  roi  de  Navarre  con- 
seillaient à  leur  maître  de  prendre  le  pouvoir  et  de 
déclarer  la  guerre  au  roi  d'Espagne,  que  jamais  elle 
n'autoriserait  une  conflagration  générale  pour  le  seul 
profit  de  la  maison  d'Albret,  mais  qu'elle  craignait  de 
se  voir  débordée  et  que  l'unique  moyen  de  conjurer 
une  attaque  était  de  contenter  le  prince  \  Prières  et 
menaces  trouvèrent  Philippe  II  également  sceptique 
et  disposé  à  traîner  la  négociation  en  longueur. 

Vers  cette  époque  passèrent  en  France  deux  servi- 
teurs du  roi  d'Espagne,  le  secrétaire  d'état  Erasso  et 
le  baron  de  Polwiller,  au  retour  d'une  mission  en 
Allemagne.  Erasso,  natif  de  la  Navarre,  se  disait  dévoué 

1.  Lettres  de  Catherine  do  Médicis  du  3  et  du  '27  mars  {Lettres 
de  Galherlne,  t.  I,  p.  583  et  179).  —  Lettre  du  roi  do  Navarre  à 
L'Aubespine  du  5  mars  [Lettres  d'Antoine  de  Bourbon  et  de  Jehanne 
d-Albret,  p.  229). 

2.  Lettre  de  L'Aubespine  à  la  reine  du  4  avril  1561  (Galland, 
Mémoires  sur  la  Navarre,  p.  92,  et  Preuves,  p.  85). 

3.  Lettres  de  Catherine  de  Médicis,  t.  I,  p.  581  et  590. 


260  ANTOINE   DE   BOURBON 

à  la  maison  d'Albret,  et  le  baron  de  Poiwiller  était 
un  agent,  ambassadeur  ou  espion,  que  Charles-Quint 
avait  employé.  Tous  deux  parlèrent  de  la  ville  de  Sienne, 
vantèrent  sa  richesse,  l'attachement  qu'elle  avait 
montré  à  la  France  pendant  les  guerres  d'Italie  et 
encouragèrent  Antoine  à  la  demander  comme  fief  de 
la  couronne  d'Espagne  ^ 

Les  villes  de  Florence  et  de  Sienne  vivaient  depuis 
des  siècles  en  état  de  guerre.  Sienne  avait  été  vaincue 
en  1 555,  à  la  suite  d'une  défense  mémorable,  qui  fit  la 
gloire  de  Biaise  de  Monluc,  et  mise  sous  la  domination 
de  sa  rivale.  Le  roi  d'Espagne  avait  longtemps  soutenu 
la  maison  de  Florence,  mais,  en  1  561 ,  il  était  las  de 
son  alliance.  Catherine,  habile  à  distinguer  ces  nuances, 
prit  au  sérieux  les  insinuations  de  Poiwiller;  elle  écri- 
vit, le  7  avril,  à  L'Aubespine,  et  revendiqua  Sienne 
avec  ardeur  pour  le  roi  de  Navarre.  «  Le  roy  catlio- 
«  lique,  écrit-elle,  feroit  chose  équitable  et  louée  de 

«  Dieu  et  des  hommes et  il  s'osteroit  du  pied  cette 

«  épine  du  royaume  de  Navarre,  dont  est  pour  sai- 
«  gner  longuement  et  davantage  ^.  »  Lorsque  Fran- 
çois de  Clèves,  comte  d'Eu,  puis  duc  de  Ncvers,  alla 
épouser  en  Espagne  Anne  de  Bourbon-Montpensier, 
fille  d'honneur  de  la  reine  Elisabeth,  il  reçut  la  charge 
de  presser  l^hilippe  II  ■\  Mais  le  roi  d'Espagne  ne  vou- 
lait à  aucun  prix  l'établissement  d'un  prince  français 
au  cœur  de  Tltalie.  Bientôt  Galherine  l'ut  informée  que 
Philippe  11  réservait  Sienne  à  don  Juan  d'Autriche, 

\.  Galland,  Mémoires  sur  la  Navarre,  p.  9-4. 

2.  Lettre  du  7  avril  (Lettres  de  Galherine  de  Médicis,  t.  I,  p.  IS'i). 

3.  Lettre  de  L'Aubespine  à  la  reine  du  20  mai  1501  (Galland, 
Mémoires  sur  la  Navarre,  p.  95). 


ET    JEANNE    d'alBRET.  261 

son  frère  bâtard,  et  elle  essaya  de  traverser  les  des- 
seins du  roi  catholique  en  les  révélant  au  grand-duc 
de  Toscane^. 

Le  royaume  d'Espagne,  au  temps  de  sa  grandeur, 
avait  dans  son  organisation  intérieure  un  vice  qui 
tôt  ou  tard  devait  l'épuiser.  Outre  ses  possessions 
ibérifjues  et  ses  colonies  d'outre-mer,  plus  vastes  que 
lé  monde  connu,  Philippe  II  tenait  de  son  père  les 
Flandres,  le  berceau  de  sa  maison,  le  plus  riche,  le 
plus  fécond  royaume  du  xvi®  siècle.  Les  Flandres 
étaient  perpétuellement  menacées  par  les  princes 
allemands.  La  Réforme,  que  la  Flandre  du  nord 
avait  empruntée  à  l'Allemagne,  augmentait  l'afïinité 
des  deux  pays,  et,  dès  le  commencement  du  règne 
de  Charles  IX,  Philippe  II  pouvait  prévoir  une  grande 
guerre,  non  une  guerre  d'ambition  entre  princes,  mais 
une  lutte  de  race  entre  le  Nord  et  le  Midi,  aigrie  par 
l'antagonisme  des  religions.  Le  roi  de  Navarre  avait 
très  bien  compris  que  le  point  faible  de  la  monarchie 
hispano-flamande  était  sur  les  bords  du  Rhin.  D'ac- 
cord avec  la  reine,  il  envoya  à  Vienne  le  maréchal^ 
de  Vieilleville  pour  sonder  les  princes  allemands,  pro- 
testants et  catholiques,  et  négocier  des  alliances  en 
vue  de  l'avenir.  Vieilleville,  gouverneur  de  Metz, 
était  un  grand  seigneur  étranger  aux  partis,  que  la 
faveur  de  Henri  II  avait  élevé  au  premier  rang  à 
la  cour.  Il  partit  au  milieu  de  l'hiver  1561,  visita 
l'électeur    de    Bavière    à    Heidelberg,    le    duc     de 

1.  Lettres  de  Catherine  de  Médicis,  t.  I,  p.  205. 

2.  Vieilleville  n'était  encore  maréchal  qu'en  expectative  de 
par  un  brevet  de  Henri  IL  II  succéda  au  maréchal  de  Saint- 
André  en  1563. 


2G2  ANTOINE   DE   BOURBON 

Wurtemberg,  le  duc  de  Saxe  et  enfin  l'empereur 
Ferdinand  à  Vienne.  Partout  il  fut  traité  en  «  bon 
c<  compaignon,  »  et  prit  sa  part  de  nombreux  festins 
de  bienvenue.  A  Heidelberg  notamment,  dit  son  bio- 
graphe, Vincent  Garloix,  avec  un  accent  de  reconnais- 
sance, c(  nous  trouvasmes  une  embuscade  de  50  ou 
«  60  bouteilles  de  vin  d'Alsace,  très  excellent.  »  A 
Vienne,  il  eut  l'honneur  d'une  audience  secrète  et 
sollicita  de  l'empereur  la  main  de  sa  nièce,  la  prin- 
cesse Elisabeth,  fille  de  Maximilien,  pour  le  roi  de 
France^.  La  proposition  fut  très  bien  accueillie  et 
Maximilien  écrivit  au  roi  de  Navarre  une  lettre  d'ami- 
tié 2. 

Depuis  la  mission  de  Vieilleville,  le  roi  de  Navarre 
entretint  avec  les  princes  allemands  de  la  communion 
d'Augsbourg,  qui  n'étaient  représentés  en  France  que 
par  des  ambassadeurs  de  passage,  des  relations  plus 
suivies  que  ne  le  comportait  l'état  ordinaire  de  la  chan- 
cellerie des  Valois.  Son  premier  acte,  aussitôt  qu'il 
fut  investi  de  la  lieutenance  générale,  fut  de  faire  dis- 
tribuer, malgré  la  pauvreté  de  l'épargne,  à  titre  de 
don  volontaire  du  roi,  une  somme  de  40,000  écus 

1.  Le  n'-cil  do  Garloix  est  très  imagé  et  peint  les  mœurs  de 
rAllemagno  du  xvi«  siècle  (livre  VIII,  chap.  17etsuiv.).  Malheu- 
reusement il  est  rempli  d'erreurs  de  dates.  Ainsi  la  mission  de 
Vieilleville  est  portée  à  l'année  1562.  La  lettre  de  Maximilien, 
que  nous  citons  un  peu  plus  loin,  sans  compter  beaucoup  d'autres 
preuves,  certifie  que  la  mission  eut  lieu  au  commencement  de 
1561. 

2.  C(^tLo  lettre,  datée  de  Vienne  et  du  ^'i^mai  1561,  est  conser- 
vée en  original  aux  archives  de  Pau  (E.  58i).  —  Ces  projets  de 
mariage  s'ébruitèrent  assez  vite.  Une  lettre  de  la  duchesse  de 
Lorraine  à  la  reine  mère,  sans  date,  mais  de  1561,  en  fait  men- 
tion (Autog.;  r.  fr.,  vol.  6009,  f.  12). 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  263 

aux  princes  allemands  ^ .  C'était  le  moyen  d'acheter  leur 
faveur.  Au  xvi^  siècle,  l'Allemagne  tout  entière  était  à 
vendre,  et  l'histoire  entière  des  relations  des  deux  pays 
peut  se  résumer  en  un  compte  de  banque.  Plus  tard, 
Antoine  proposa  au  duc  de  Wurtemberg  une  alliance 
personnelle  contre  les  pays  catholiques,  et  la  négocia- 
tion fut  assez  avancée  pour  que  le  prince  allemand 
dépêchât  à  Fontainebleau  un  ambassadeur  chargé  d'en 
discuter  les  conditions-.  L'électeur  de  Bavière,  l'élec- 
teur de  Saxe  et  plusieurs  autres  souverains  allemands, 
dans  l'espoir  d'un  don,  envoyèrent  aussi  des  pléni- 
potentiaires. Le  Saxon,  trop  avide,  fut  froidement 
écouté  et  se  retira  mécontent^;  mais  les  autres  obtin- 
rent des  dons  et  des  promesses.  Ils  portaient  aux 
nues  le  roi  de  Navarre.  Bien  disposés  par  la  pluie  d'or 
que  le  prince  versait  sur  eux,  ils  lui  promirent  qu'à  la 
première  diète  les  voix  des  électeurs  allemands  rélè- 
veraient à  l'empire^.  Antoine,  dit  Chantonay,  se  com- 
plaisait dans  ces  perspectives.  Sa  qualité  de  prince 
français  n'était  pas  un  obstacle,  puisqu'il  possédait  en 
Flandre  de  grands  biens  qui  le  rendaient  sujet  du 
saint-empire  ^.  En  attendant  la  couronne  de  Charle- 

i.  Lettre  d'un  ambassadeur  vénitien  du  31  mars  (Déchiff.  non 
signé;  Dépêches  vénit.,  filza  4  bis,  f.  23). 

2.  Instruction  du  duc  de  Wurtemberg  du  12  juin  ;  Gonsilium 
d.  Brentii...  du  14  juin  (Hist.  des  ducs  de  Wurtemberg,  en  alle- 
mand, in-4°,  t.  IV,  p.  172  et  178). 

3.  Lettre  de  Suriano  du  15  juillet  (Dépêches  vénit.,  filza  4  bis, 
f.  143). 

4.  Lettre  de  Chantonay  du  19  juin  à  Philijipe  II  (Orig.  espa- 
gnol ;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n"  47). 

5.  Il  avait  désiré  vendre  ces  biens  (Lettre  de  Suriano  du  15  juil- 
let; Dépêches  vénit.,  fdza  4  bis,  f.  143)  et  avait  projeté  de  deman- 
der une  autorisation  à  Philiitpe  II.  Mais,  à  partir  de  ce  moment, 


264  ANTOINE   DE   BOURBON 

magne,  Antoine  de  Bourbon  demandait  aux  con- 
fédérés de  l'ancienne  ligue  de  Smalcade  de  ne  point 
donner  de  soldats  au  parti  des  Guises,  de  secourir  les 
réformés  contre  les  attaques  du  pape,  du  roi  d'Es- 
pagne et  de  ses  alliés.  Les  électeurs  du  Nord  ne  refu- 
saient pas  de  s'engager,  sauf  à  ne  pas  tenir,  mais  ils 
exigeaient  qu'à  leur  exemple  les  réformés  de  France 
embrassassent  la  confession  d' Augsbourg '' .  Le  duc  de 
Guise  fit  échouer  la  convention.  Il  se  mit  en  corres- 
pondance avec  l'électeur  palatin  et  avec  le  duc  de 
Wurtemberg  ~  et  coml)attit  le  roi  de  Navarre  avec  les 
mômes  armes,  celles  des  dons.  Dès  lors  le  «  négoce  » 
d'outre-Rhin  devint  entre  les  deux  princes  français 
une  lutte  d'enchères.  Les  rapports  du  roi  de  Navarre 
avec  les  Allemands,  pendant  le  colloque  de  Poissy,  ne 
furent  qu'un  incident  de  la  grande  négociation  que  le 
prince  dirigeait  secrètement  contre  le  roi  d'Espagne. 
Vers  le  milieu  de  l'année  1 561 ,  il  se  forma  à  la  diète 
un  parti  qui  voulait  porter  Antoine  de  Bourbon  sur  le 
trône  de  Danemarck  pour  le  faire  arriver  un  jour  à 
l'empire.  L'empereur  Ferdinand,  comme  les  autres 
princes  d'Allemagne,  mendiait  les  dons  de  la  cour  de 
France.  L'échec  des  docteurs  allemands  au  colloque 
de  Poissy  ne  refroidit  pas  les  ducs  de  Saxe,  de  Wur- 

il  n'est  plus  ])arl(''  do  son  dôsir  do  vonto  dans  les  correspondances 
diplomatiques. 

1.  Lcllrc  de  Mundl  à  lord  Gccil  du  l'J  juillet  1561  {Calcndars, 
1561,  p.  188).  Cet  agent  est  celui  qui  résume  le  mieux  cette  négo- 
ciation ol)scure.  —  Lettre  do  Ghantonay  du  19  juin  (Arch.  nat., 
K.  1/195,  n"  M). 

2.  Lettre  du  duc  de  Guise  au  dur  do  Wurtemberg  et  au  palatin 
du  2  juillet.  I^éponse  du  duc  de  Wurtemberg  du  25  juillet  (Bull, 
de  la  Soc.  de  l'Hist.  du  Prot.  français,  t.  2-i,  p.  71  et  73). 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  265 

temberg  et  de  Bavière.  Ils  offrirent,  dit  Shakerley,  au 
roi  de  Navarre  une  armée  de  vingt  mille  hommes, 
soldée  pendant  six  mois,  pour  l'aider  à  faire  triompher 
la  confession  d'Augsbourg^  Antoine  avait  pris  l'ha- 
bitude de  leur  soumettre  ses  actes,  comme  à  ses  alliés 
naturels.  Il  ne  proposait  rien  en  Espagne  et  à  Rome 
sans  leur  en  donner  avis  «  afin  qu'ils  n'en  aient  aucun 
c(  soupçon  ;  leur  montrant  qu'il  le  fait  pour  ce  qui 
«  convient  le  mieux  à  ses  affaires  et  non  au  préjudice 
«  de  l'espérance  dans  laquelle  il  les  entretient  relati- 
«  vement  à  la  religion  -.  »  La  cour  de  France  était  alors 
le  modèle  de  toutes  les  cours  de  l'Europe.  Le  duc  de 
Bavière  y  «  faisait  nourrir  »  un  de  ses  fils  ^  Le  duc 
de  Wurtemberg,  le  landgrave  de  Hesse  demandèrent 
à  y  faire  élever  leurs  princes  ;  Antoine  et  Gondé 
répondirent  qu'ils  les  traiteraient  comme  leurs  propres 
enfants^.  Ces  témoignages  d'amitié  entretenaient  les 
relations  et  cimentaient  peu  à  peu  l'alliance. 

La  chancellerie  espagnole,  pour  connaitre  en  détail 
et  pour  traverser  l'intrigue  allemande,  remit  en  avant 
le  baron  Nicolas  de  Poiwiller,  un  des  anciens  confi- 
dents du  roi  de  Navarre.  Poiwiller,  afin  de  rentrer  en 
faveur  comme  «  très  fidèle  serviteur  du  prince  contre 
«  tous,  excepté  contre  les  catholiques,  »  lui  offrit  ses 
services  en  ces  termes  :  «  On  dit  que  Vostre  Majesté, 
«  soulz  coulleur  de  la  relligion,  veult  forcer  le  pape 

1.  Lettre  de  Shakerley  à  Throckmorton  du  14  décembre  iOalen- 
dars,  1561,  p.  440). 

2.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II  du  21   décembre  (Orig. 
espagnol  ;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n^  103). 

3.  Mémoires  de  la  Ifugucrye,  publiés  pour  la  Société  de  l'Hist. 
de  France,  t.  III,  p.  5. 

4.  Lettre  do  Mundt  du  7  oclobrc  [Calcndars,  1501,  p.  349). 


266  ANTOINE    DE    BOURBON 

c(  et  aussi  le  roy  catholique  de  s'accorder  avec  elle  et 
«  de  luy  rendre  le  royaume  de  Navarre  ou  bien  luy 
«  en  faire  aultre  récompense,  disant  Vostre  Majesté 
«  estrc  en  son  pouvoir  de  faire  non  seulement  la 
«  France,  mais  le  reste  du  monde  ou  catholique  ou 
«  calviniste.  »  Il  se  vante  de  décider  lui-même  le  roi 
d'Espagne  à  restituer  la  Navarre  et  assure  que  les 
anciens  pourparlers  n'ont  pas  réussi,  parce  que  d'autres 
agents  avaient  prétendu  s'en  mêler.  L'intrigant,  avec 
la  présomption  d'un  agent  irresponsable,  étend  bien 
au  delà  de  la  Navarre  l'horizon  qu'il  ouvre  à  l'ambi- 
tion d'Antoine  ;  il  insinue  vaguement  que  «  toutes 
c(  pratiques  sont  enchemisnées  pour  deschasser  la  pos- 
te térité  de  la  maison  de  Valois,  se  dit-on.  »  En  retour 
de  la  Navari'e  et  peut-être  du  trône  de  France,  Pol- 
willer  ne  sollicite  que  la  confiance  du  prince.  Encore 
ne  le  presse-t-il  pas.  Retiré  à  Haguenau  en  Alsace,  il 
attendra  pendant  tout  l'hiver,  dit-il  à  la  fin  de  sa 
lettre,  dans  sa  retraite  «  ou  à  la  chasse  dans  les  envi- 
«  rons,  »  la  réponse  du  roi  de  Navarre  K 

A  la  réception  de  cette  étrange  ouverture,  Antoine, 
pour  la  première  fois  de  sa  vie,  ne  tomba  pas  dans  le 
piège.  Il  montra  la  lettre  à  la  reine  et  lui  demanda 
ses  conseils.  L'avis  de  Catherine  fut  immédiatement 
consigné  par  un  secrétaire  d'état  au  bas  de  la  signa- 
ture du  baron  de  Polwiller  : 

Aujourd'huy,  7  décembre  -1361,  le  roy  estant  à  Saint-Ger- 
main, le  roy  de  Navarre,  ayant  receii  ceste  lettre,  Ta  présentée 
à  la  royne  mère  du  roy  et  faict  lire  en  sa  présence,  pource  sur 
icelle  prendre  telle  résolution  qu'il  luy  plairoit,  parce  que  led. 

1.  Original,  pout-ètrc  autograiilio,  dalé  du  15  novembre  1561 
et  de  Ilaguonau  (xVrcli.  des  Basscs-Pyrénéos,  E.  584). 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  267 

S.  roy  de  Navarre  n'y  vouloit  faire  aucune  responce.  Sur  quoy 
lad.  dame  a  conclu  envoyer  un  gentilhomme  vers  Polwiller 
pour  essayer  de  descouvrir  plus  avant  ce  que  peult  estrc  de 
caché  au  discours  de  lad.  lettre. 

Le  roi  de  Navarre  répondit  le  1 G  décembre  : 

Monsieur  le  baron,  j'ai  bien  connu  par  votre  lettre  que  l'afîec- 
tion  et  la  bonne  volunté  que  vous  avez  de  long  temps  de  me 
faire  service  vous  dure  encores,  ayant  soing  de  ce  qui  me  touche 
si  avant  que  j'ay  veu  par  vostred.  lettre,  ce  que  je  n'oublieray 
jamais.  Et,  pour  entendre  ce  que  vous  désirez  me  faire  scavoir 
sur  le  contenu,  je  despêche  ce  porteur  exprès  devers  vous,  par 
lequel  je  vous  prye  m'adverlir  bien  au  long  et  par  le  menu  du 
moyen  que  vous  avez.  Et  seroit  bon  de  venir,  pour  parvenir  à 
ce  que  m'escripvez  et  des  autres  choses  que  vous  avez  remises, 
à  la  venue  de  celluy  que  je  vous  envoyerois,  pour,  après  avoir 
le  tout  entendu,  vous  faire  sur  ce  scavoir  mon  intention.  Rcmec- 
tant  le  surplus  sur  ced.  porteur,  pryant  Dieu,  monsieur  le 
baron,  vous  avoir  en  sa  sainte  gardée 

Saint-Germain-en-Laye,  le  Hi  décembre  ^5Gi. 

Il  est  probable  que  cette  lettre  ne  répondait  pas  aux 
espérances  du  baron  de  Polwiller.  Inique  dans  son 
amour-propre  ou  démasqué  dans  son  œuvre ,  il  ne 
donna  aucune  explication  ;  du  moins  les  documents 
originaux  sont  muets. 

L'alliance  des  souverains  du  Nord  était  moins  impor- 

1.  Minute  originale  (Arch.  des  Basses-Pyrénées,  E.  584)  suivie 
de  l'apostille  suivante  : 

Nous  certiiions  à  tous  qu'il  appartiendra  que  par  nostre  com- 
mandement très  exprès  le  roy  de  Navarre  a  fait  la  responce  et 
escript  au  baron  de  Polwiller  la  lettre  cy-dessus  transcripte, 
laquelle  a  esté  envoyée  au  s.  de  Yicilleville  à  Metz  jiour  la  luy 
faire  tenir  par  le  secrétaire  Du  val. 

Fait  les  jours  et  an  que  dessus. 

Charles.        Catherine. 


208  ANTOINE   DE   BOURBON 

tante  pour  le  roi  de  Navarre  que  celle  des  princes 
allemands,  mais  elle  offrait  cependant  des  avantages. 
Le  1 9  mars  1 561 ,  était  arrivé  à  la  cour  Georges  Gluck, 
ambassadeur  du  roi  Frédéric  de  Danemarck.  Après 
une  hésitation  de  quelques  jours,  Antoine  se  montra 
très  empressé  auprès  de  lui  ^  Il  l'invita  à  dîner  et  lui 
promit  qu'avant  la  fin  de  l'année  il  ferait  triompher  la 
Réforme  en  France.  Gluck  en  accepta  l'augure  et 
recommanda,  de  préférence  à  la  doctrine  de  Calvin, 
la  confession  d'Augsbourg,  que  professaient  les  rois 
du  Nord.  Le  prince  répondit  que,  lorsque  «  l'ennemi 
«  commun  »  serait  abattu,  il  serait  possible  de  récon- 
cilier les  deux  sectes-.  Encouragé  par  cet  accueil, 
l'ambassadeur  formula  d'autres  vœux  ;  il  demanda  les 
ports  de  Dieppe  ou  de  la  Rochelle  pour  les  pêcheurs 
de  sa  nation.  Cette  concession  fut  énergiquement 
repoussée  au  conseil  par  Coligny,  et  l'ambassadeur  de 
Danemarck  partit  sans  avoir  rien  obtenu^.  Peu  de 
temps  après,  la  cour  de  l^rance  reçut  un  ambassadeur 
de  Suède,  chargé  de  demandes.  Les  rois  du  Nord,  par 
ce  motif  qu'ils  pratiquaient  la  Réforme,  estimaient  que 
le  royaume  de  France  était  leur  proie.  Il  ne  paraît  pas 
(|uc  le  roi  de  Suède  ait  tiré  des  avantages  de  cette 
démarche*.  Toutes  ces  négociations  étaient  racontées 
jour  par  jour  au  roi  d'Espagne  et  commentées  dans  les 
dépèches  de  Chantonay  avec  une  aigreur  malveillante. 

1.  Calendars,  1561,  p.  Aï. 

2.  De  Thou,  17^il,  t.  III,  p.  40,  d'après  La  Place  {Eslat  de  reli- 
gion et  république,  édit.  du  Panih.  litt.,  p.  121). 

;5.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II  du  9  avril  (Orig.  espagnol  ; 
Arch.  nat.,  K.  1494,  n"  75). 

4.  Lettre  de  Chantonay  du  19  juin  à  Phihppe  II  (Orig.  espa- 
gnol ;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n«  47). 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  269 

Aussitôt  qu'il^fut  investi  de  la  dignité  de  lieutenant 
général,  le  roi  de  Navarre  accentua  ses  revendications 
auprès  du  roi  d'Espagne.  La  reine,  qui  le  servait  avec 
dévouement,  commanda  à  L'Aubespine  «  de  faire  tout 
«  ce  que  vous  pourrez,  dit-elle,  envers  le  roy  catlio- 
«  lique,  mon  bon  fîlz,  afin  qu'il  se  veuille  accommoder 
«  à  lui  faire  raison  de  son  royaulme,  comme  semble 
«  que  Téquité  et  la  justice  le  requièrent  devant  Dieu 
«  et  les  hommes.  »  Et,  pour  donner  une  base  pré- 
cise au  traité,  la  reine  ajoutait   :   «   en  baillant 

«  quelque  pièce  qui  ne  luy  est  d'importance  comme 
«  la  Sardaigne'.  »  Cette  île  appartenait  à  l'Espagne 
depuis  le  milieu  du  xiv*  siècle  et  n'offrait  ni  commerce, 
ni  richesses,  ni  ressources.  Les  côtes,  mal  connues 
des  navigateurs,  ne  présentaient  aucun  port  utile.  Elle 
n'était  peuplée,  dans  les  plaines  les  moins  incultes, 
que  de  rares  villages  élevés  à  l'ombre  des  monastères, 
et  dans  l'intérieur  de  l'ile,  couvert  de  hautes  montagnes, 
que  par  un  peuple  de  brigands  à  l'état  sauvage.  L'Es- 
pagne ne  tirait  de  la  Sardaigne  ni  impôt,  ni  vivres,  ni 
môme  des  soldats  ^  Catherine  avait  justement  défini 
cette  province  en  la  demandant  à  Philippe  II  comme 
une  «  pièce  qui  ne  luy  est  d'importance.  » 

Le  roi  de  Navarre,  mal  informé  de  la  pauvreté  de  la 
Sardaigne,  la  désirait  avec  autant  de  passion  que  la 
Lombardie.  «  Je  vous  prieray,  écrit-il  à  L'Aubespine, 
«  voulloir  embrasser  la  négociation  des  choses  qui  me 
«  touchent  selon  que  je  me  suis  promis  de  vostre  bonne 
«  affection^.  »  Catherine  était  éclectique.  La  Navarre, 

1.  Lettre  du  22  mars  (LeUres  de  Caiherine  de  Môdicis,  t.  I,  p.  590). 

2.  De  Thou,  1740,  t.  lU,  p.  96. 

3.  Lettre  du  27  mars  LôGO  (15fil)  (Archives  du  château  do  Ville- 


270  ANTOINE   DE   BOURBON 

la  Sardaigne,  Sienne,  tout  lui  agréait,  pourvu  que  le 
prince  fût  satisfait.  Le  21  avril,  elle  adressa  à  L'Aubes- 
pinc  un  nouveau  plaidoyer  en  faveur  du  roi  de  Navarre. 
Non  seulement  elle  mettait  en  mouvement  tous  ses 
agents,  mais  encore  elle  proposait  d'agir  de  sa  per- 
sonne et  demandait  à  Philippe  II  une  entrevue  «  pour 
«  guérir  ceste  plaie  de  la  querelle  de  la  Navarre.  » 
Après  les  États,  écrit-elle,  «  je  me  pourrois  acheminer 
«  en  Touraine  soubz  ombre  d'aller  voir  Ghenonceaux. 
«  Et  de  là  le  roy  de  Navarre  a  envye  de  nous  mener 
«  en  Gascoigne  pour  faire  voir  le  Roy  à  ses  subjets, 
«  d'où  nous  ne  serions  pas  loing  pour  faire  ledit 
«  voyage  que  je  désire  tant,  duquel  je  ne  parlerois  pas 
«  tant  que  nous  fussions  par  delà  ;  aussy  il  y  auroit 
«  peu  de  compagnie  et  penseroit-on  la  chose  non  pré- 
«  méditée  * .  »  Le  roi  catholique  n'avait  aucun  désir  de 
se  rencontrer  avec  sa  belle-mère  :  c<  Jamais  ce  prince, 
«  écrit  L'Aubespine ,  n'a  eu  intention  de  faire  aucune 
«  entrevue.  »  Mais  il  était  surtout  résolu  à  éviter  le 
roi  de  Navarre  :  «  Groyez  que  pour  fuir  sa  seule  pré- 
ce  sencc,  ajoute  l'ambassadeur,  quand  bien  il  auroit 
«  délibéré  de  vous  voir,  seroit  occasion  de  l'en  diver- 
«  tir^.  » 

Cependant  son  antipathie  pour  la  personne  du  prince 


luiu,  l'apinrs  do  L'Auhespine).  Analysée  par  M.  lo  maniuis  de 
Rochaniltnau  dans  Lettres  de  Jehanned'Âlbret  et  d'Antoine  de  Bour- 
bon, p.  ;!8'i.  On  disait  à  la  cour  que  lo  roi  de  Navarre  n'aimait 
pas  L'Aubespine  {Négoc.  sous  François  II,  p.  806).  Aussi  le  prince, 
pour  exciter  le  zèle  do  l'ambassadeur,  lui  renouvelle  ses  assu- 
rances d'amitié  dans  chaque  lettre. 

1.  Lettres  de  Calherine  de  Médicis,  t.  I,  p.  189. 

?.  Tjottre  à  la  reine  du  9  mai  (Galland,  Mémoires  sur  la  Navarre, 
Prouves,  p.  89). 


ET  JEANNE    d'aLBRET.  271 

ne  put  le  décider  à  faire  violence  à  ses  habitudes  en 
refusant  franchement  :  «  Il  faut,  écrivit-il  à  Chantonay, 
«  se  garder  que  ni  la  reine  ni  Vendôme  puissent  pen- 
«  ser  que  nous  déclinons  entièrement  cette  entrevue. 
«  Il  faut  au  contraire  que  Vendôme  en  conserve  l'es- 
c(  poir,  parce  que  cet  espoir  pourroit  beaucoup  ser- 


«  vir 


Chaque  jour  les  actes  de  condescendance  du  roi  de 
Navarre  pour  la  Réforme  permettaient  au  roi  d'Es- 
pagne de  formuler  de  nouvelles  plaintes  et  de  retarder 
sa  réponse.  Vers  la  fin  d'avril ,  Chantonay  eut  une 
audience  de  la  reine  mère  à  Fontainebleau,  et  la  con- 
versation s'engagea  sur  les  événements  du  jour.  La 
reine  désirait  que  le  roi  d'Espagne  restituât  au  chef 
de  la  maison  d'Albret  le  titre  de  roi,  qu'il  lui  avait 
donné  en  plusieurs  circonstances,  notamment  quand  la 
reine  Elisabeth  avait  été  remise  aux  Espagnols  à  Ron- 
cevaux.  Chantonay  répondit  que  son  maître  ne  pouvait 
fournir  des  armes  à  ses  ennemis.  La  reine  parla  alors 
de  la  nécessité  de  donner  au  prince  une  «  récom- 
«  pense  »  en  place  de  la  Navarre  espagnole.  Chantonay, 
épiloguant  sur  le  mot,  dit  que  le  mot  «  récompense  » 
supposait  un  droit  réel,  que  le  conseil  d'Espagne  ne 
reconnaissait  pas  dans  l'espèce.  Catherine  insista  au 
nom  de  l'intérêt  du  roi  d'Espagne  et  «  protesta,  dit 
«  Chantonay,  qu'elle  voulait  plutôt  le  bien  de  Votre 
«  Majesté  et  de  ses  fils  que  le  bien  de  Vendôme,  mais 
«  que  cependant,  pour  que  Vendôme  lui  soit  plus 
«  dévoué,  elle  voulait  qu'on  lui  donnât  une  récom- 
«  pense.  »  Chantonay  déplaça  la  discussion   et  prit 

\.  Lettre  de  Philippe  11  à  Chantonay  du  42  juin  (Orig.  espa- 
gnol ;  Arch.  nat.,  K.  1-495,  u^  45). 


272  ANTOINE    DE   BOURBON 

l'offensive  à  son  tour.  Il  se  plaignit  des  progrès  de  la 
Réforme,  de  la  multiplicité  des  prêches  qui  s'établis- 
saient même  à  la  cour,  du  crédit  de  Coligny  ;  il  dit  à  la 
reine  que  sans  doute  elle  avait  perdu  de  son  crédit 
puisqu'elle  tolérait  de  si  graves  désordres.  Ce  fut  à 
la  reine  à  répondre  en  accusée  ;  elle  allégua  les  dif- 
ficultés de  sa  régence.  Gomme  dernier  argument  en 
faveur  du  roi  de  Navarre,  elle  montra  à  l'ambassadeur 
une  lettre  bienveillante  que  Pie  IV  avait  écrite  à  ce 
prince.  Chantonay  la  lut  et  dit  sèchement  que,  si  le 
pape  avait  été  bien  informé  de  ce  qui  se  passait  à  la 
cour,  il  ne  l'aurait  pas  écrite. 

Au  sortir  de  l'audience,  Chantonay  se  rendit  auprès 
du  roi  de  Navarre  et  lui  porta  les  mêmes  plaintes. 
Antoine  répondit  qu'il  ignorait  l'existence  de  ces 
prêches  ;  bien  plus,  il  les  nia  absolument  et  reprocha  à 
l'ambassadeur  de  dépenser  des  sommes  considérables 
en  espionnage  à  la  cour,  le  tout  pour  acheter  des 
informations  calomnieuses.  Il  ajouta  «  qu'il  était  décidé 
«  à  vivre  et  à  mourir  dans  la  foi  de  ses  ancêtres.  » 
Chantonay  feignit  d'être  convaincu  de  son  zèle,  mais 
il  maintint  ses  affirmations  relativement  aux  prêches 
et  à  l'impunité  qui  les  encourageait  à  s'étendre  ^ 

Quelques  jours  après  arriva  d'Espagne  un  courrier 
porteur  de  lettres  de  Philippe  II,  et  Chantonay  obtint 
une  nouvelle  audience  de  la  reine.  Catherine,  sans 
attendre  ses  ouvertures,  lui  parla  encore  une  fois  de 
la  Sardaigne.  L'ambassadeur  ayant  peu  approuvé  cette 
idée,  elle  demanda  les  îles  Baléares,  qui  ne  valaient 
pas  mieux  et  qui  étaient  encore  plus  exposées  aux 

1.  T.oltro  (le  Cluiuloiiay  à  Philippe  II  du  1«''  mai  1561  (Orig. 
ospagudl  ;  Arcli.  nul.,  K.  li'.li,  n^  8i). 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  273 

incursions  barbaresques.  Chantonay  répondit  qu'il  en 
référerait  à  son  maître,  mais  sur  un  ton  peu  encoura- 
geant, comme  pour  enterrer  la  nouvelle  négociation. 
Catherine  blessée  lui  dit  vivement  qu'il  fallait  une 
«  récompense  »  au  prince.  Chantonay  expliqua  pour 
la  seconde  fois  que  son  maitre  ne  devait  rien.  Il  était 
porteur  de  lettres  arrivées  d'Espagne  la  veille  à  l'adresse 
des  principaux  seigneurs  de  la  cour.  Catherine  désira 
voir  la  suscription  de  celle  qui  devait  être  adressée 
au  roi  de  Navarre.  Il  n'y  en  avait  pas  pour  lui.  La  reine, 
de  plus  en  plus  dépitée,  interdit  à  l'ambassadeur  de 
remettre  les  autres  et  l'obligea  à  les  remporter  chez  lui^ . 
Pendant  tout  l'été  de  l'année  1561 ,  le  roi  d'Espagne 
continua  à  montrer  peu  d'empressement  à  répondre 
aux  sommations  de  la  reine.  L'Aubespine  écrit  de 
Tolède  le  i  0  mai  :  «  Pour  l'égar  de  ce  qui  touche  le 
«  roy  de  Navarre,  je  ne  tire  autre  response  que  paroles 
«  générales.  Toutesfois  luy  en  refreschissant,  suivant 
«  vostre  commandement,  souvent  la  mémoire,  je 
c<  verray  si  le  temps  y  pourra  amener  quelque  accom- 
«  modement  et  autre  volunté,  comme  il  seroit  plus  que 
«  raisonnable-.  »  Dans  une  autre  lettre,  L'Aubespine  est 
plus  franc  ;  il  écrit  à  la  régente  «  que,  si  n'est  à  coups 
«  de  baston  ou  par  quelques  autres  occasions  que  celles 
«  qui  se  présentent  maintenant,  jamais  le  roy  catho- 
«  lique  ne  seroit  pour  lui  rendre  (au  roi  de  Navarre)  ce 
«  qu'il  prétend  en  Navarre  et  aussi  peu  le  récompcn- 
«  ser.  »  Les  «  coups  de  baston  »  voilà  le  seul  argu- 
ment qui  put  toucher  Philippe  II.  Le  roi  de  Navarre 

1.  Lotlre  orig.  en  espagnol  de  Chantonay  à  Philippe  II  (Arch. 
,     nat.,  K.  1495,  n»  36). 

^ï     2.  Original,  adressé  au  roi  (F.  fr.,  vol.  3192,  f.  29i. 
13  m  18 


274  ANTOINE   DE    BOURBON 

aurait  dû  s'en  douter.  Ruy  Gomez  de  Silva  expliquait 
Ja  politique  de  son  maître  par  l'irritation  «  de  ce  qui 
«  se  passoit  pour  le  gouvernement  du  royaume  * .  » 

Cependant  Philippe  II  mettait  presque  autant  de 
soin  à  entretenir  les  espérances  du  roi  de  Navarre  que 
de  lenteur  à  les  satisfaire.  Au  fond  il  craignait  la  guerre 
et  le  pouvoir  dont  le  prince  était  investi  lui  appa- 
raissait comme  une  menace.  Il  dit  à  L'Aubespine  qu'il 
avait  toujours  eu  «  bonne  opinion  »  du  prince  et  s'ex- 
cusa presque  de  ne  pas  lui  avoir  donné  le  titre  de  roi  ~. 
A  la  cour  une  foule  de  gentilshommes,  excités  par 
Condé ,  par  Goligny ,  poussaient  Antoine  à  la  guerre 
contre  l'Espagne,  et  le  jeune  Charles  IX  lui-même  ne 
rêvait  C{ue  combats.  En  vain  la  reine  mère  protestait 
de  ses  intentions  pacifiques.  Les  progrès  de  la  Réforme 
laissaient  prévoir  le  jour  où  elle  aurait  la  main  forcée, 
le  jour  où,  pour  trouver  une  diversion  aux  désordres 
de  l'intérieur,  elle  lâcherait  sur  la  frontière  des  Pays- 
Bas  les  plus  impatients  des  ennemis  du  roi  catholique  ^. 
Le  nonce,  trop  naïf  pour  un  Italien,  conseillait  au  roi 
d'Espagne  d'adresser  de  sévères  remontrances  à  L'Au- 
bespine et  de  rappeler  son  ambassadeur  si  elles 
n'étaient  pas  écoutées  ^  Philippe  II  se  gardait  d'obéir 

1.  Lettre  de  L'Aubespine  du  9  mai  (Galland,  Mémoires  sw  la 
Navarre,  Preuves,  p.  88).  Cette  lettre  fut  apportée  à  la  cour  par 
le  malheureux  Buade,  capitaine  employé  par  le  roi  de  Navarre 
en  Maroc,  ([ui,  à  la  suite  de  cette  expédition,  avait  été  longtemps 
retenu  prisonnier  en  Espagne.  Voyez  le  tome  U,  p.  105. 

2.  Lettre  de  L'Aubespine  à  la  reine  du  3  avril  (Orig.,  f.  fr., 
vol.  15874,  f.  1). 

3.  Ces  consid(''rati()ns  sont  pr(''sentées  par  Galland  {Mémoires 
sur  la  Navarre,  p.  D'i  et  95). 

'i.  Nouvelles  italiennes  du  2  avril  (Copie  non  signée;  Arch. 
nat.,  K.  1195,  n°  29). 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  275 

à  de  telles  suggestions  ;  il  louvoyait  avec  prudence  et 
cherchait  à  se  faire  un  parti  en  France.  Il  avait  long- 
temps soutenu  le  connétable  de  tout  son  crédit,  mais 
sa  faveur  passa  bientôt  aux  Guises.  Un  jour,  raconte 
Suriano,  il  dit  publiquement  que,  sous  le  règne  précé- 
dent, lorsque  François  II  avait  résolu  la  mort  du  con- 
nétable ,  il  lui  aurait  volontiers  donné  asile  dans  ses 
états,  mais  que  désormais  il  n'accorderait  sa  confiance 
qu'aux  Guises  ^  Chantonay  et  Montmorency,  qui  ne 
passaient  pas  un  jour  sans  conférer  ensemble  au  début 
du  règne,  ne  se  voyaient  plus  que  rarement-.  En 
attendant  le  retour  au  pouvoir  de  ses  nouveaux  alliés, 
Chantonay  payait  d'audace  et  faisait  valoir  les  res- 
sources de  l'Espagne.  «  Il  rudoyait  presque  toujours 
«  le  roi  et  la  reine  mère  et  les  menaçait  d'une  guerre 
«  de  la  part  de  son  maître.  Les  paroles  prononcées  en 
«  présence  de  leurs  j\Iajestés  étaient  dures  et  poi- 
«  gnantes^.  »  Hurault  de  Boistaillé,  ambassadeur  de 
France  à  Gonstantinople,  remarque  que  l'ambassadeur 
espagnol  enflait  d'autant  plus  la  voix  qu'il  était  plus 
rassuré  sur  les  armements  de  Soliman.  Son  insolence 
diminuait  avec  le  danger  et  s'accroissait  avec  la  sécurité 
de  son  maître  ^ 

L'art  d'attendre  était  la  seule  science  de  Philippe  II, 
mais  elle  lui  tenait  lieu  des  autres.  Il  savait  lasser  l'ar- 

1.  Cependant  il  lui  écrivit  une  lettre  fort  amicale  le  13  juin 
(Copie,  coll.  Moreau,  vol.  718,  f.  1). 

2.  Lettre  de  Suriano  du  17  mars  (Déchiffrement  non  signé; 
Dépêches  vénit.,  filza  4  ois,  ï.  20). 

3.  Relations  des  ambassadeurs  vénitiens,  puhl.  par  M.  Tomaseo, 
t.  n,  p.  89. 

4.  Lettre  du  17  mai  (Négoc.  de  la  France  dans  le  Levant,  t.  Il, 
p.  655). 


276  ANTOINE    DE   BOURBON 

deur  de  ses  adversaires  et  les  réduire  à  force  de 
patience.  Le  12  juin,  il  adressa  à  Chantonay  une  ins- 
truction, où  il  déterminait  ainsi  sa  politique. 

La  même  entrevue  que  vous  devez  avoir  avec  la  reine,  nous 
voulons  que  vous  l'ayez  aussi  avec  Mgr  de  Vendôme-,  et  vous 
tâcherez  d'avoir  toujours  des  relations  suivies  avec  lui,  et  de  lui 
faire  bien  comprendre  qu'en  suivant  la  ligne  de  conduite,  qu'une 
personne  comme  lui  doit  suivre  pour  le  service  de  Dieu  et  de 
son  Roy,  il  trouvera  en  moi  appui  et  faveur  pour  tout  ce  qui  le 
concerne.  Vous  tâcherez  de  le  calmer  et  d'en  faire  votre  confi- 
dent; le  visitant  souvent  et  vous  rapprochant  de  lui  autant  que 
possible;  et  lui  parlant,  comme  vous  jugerez  convenable  pour 
qu'il  consente  à  s'attacher  à  vous  intimement,  principalement 
du  service  qu'il  rendra  à  Dieu,  à  son  roi  et  à  tout  le  royaume, 
et  qu'à  moi  il  fera  grand  plaisir  ^ 

Le  roi  d'Espagne  ajoutait  ces  mots ,  qui  résument 
ses  négociations  avec  le  roi  de  Navarre  :  «  Es  neces- 
«  sario  ganar  tiempo.  » 

L'incertitude  de  ces  réponses  suggéra  au  roi  de 
Navarre  l'idée  d'envoyer  en  Espagne  un  ambassadeur 
officiel  pour  faire  appel  aux  sentiments  de  géné- 
rosité du  roi  et  discuter  les  termes  d'un  accommo- 
dement. Mais,  avant  d'exécuter  ce  projet,  vers  le 
mois  de  mai,  il  chargea  un  Portugais,  dont  il  avait 
éprouvé  la  dextérité,  Antonio  d'Almeida,  de  sonder 
les  dispositions  de  la  cour  du  roi  catholique  et  d'en 
conlerer  avec  Esparsa,  un  des  agents  béarnais  qu'il 
entretenait  sur  la  frontière.  D'Almeida  eut  de  la  peine 
à  se  faire  entendre  à  Madrid.  Quelques  jours  avant 
son  arrivée,  un  courrier  de  Chantonay  avait  apporté 
la  nouvelle  de  prétendus  armements  du  roi  de  Navarre. 

1.  Lettre  de  l'iiilippe  II  à  Ghanluiiay  du  l"2  juin  1061  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1495,  a^  15). 


ET    JEANNE    d'alBRET.  277 

Ce  courrier  s'était  rencontré  à  la  chancellerie  du  roi 
d'Espagne  avec  un  messager  du  duc  d' Albuquerque  qui 
confirmait  les  rapports  de  Chantonay.  Le  jeune  duc 
d' Albuquerque,  investi  depuis  la  mort  de  son  père  du 
gouvernement  de  la  Navarre,  faisait  montre  de  zèle. 
Périodiquement,  au  moindre  indice,  il  s'effarait  et 
renouvelait  par  ses  alarmes  les  angoisses  de  la  cour 
d'Espagne  ;  tantôt  c'était  une  conspiration  qui  embras- 
sait la  Navarre  entière  ;  tantôt  une  armée  béarnaise 
qui  se  formait  sur  la  frontière.  Philippe  II  croyait  tenir 
ses  lieutenants  en  éveil  en  prenant  ces  avertissements 
au  sérieux,  et  le  duc  d'Albuquerque,  pour  se  rendre 
important,  les  renouvelait  souvent.  La  coïncidence  des 
nouvelles  venues  de  Paris  et  de  Pampelune  troubla  le 
succès  de  la  mission  d'Almeida.  Les  ministres  espa- 
gnols parlaient  de  le  faire  reconduire  à  la  frontière 
ou  de  le  traiter  en  espion.  Le  messager,  sans  presser 
les  conseillers  du  roi,  attendit  patiemment,  et,  ainsi 
qu'il  était  arrivé  si  souvent,  le  bruit  des  armements 
des  Béarnais  se  dissipa  de  lui-mcme^  Antonio  vit  le 
duc  d'Albe ,  le  prince  d'Éboli ,  alors  favori  de  Phi- 
lippe II,  et  reçut  force  bonnes  paroles.  Le  1^''  août, 
il  écrivit  à  son  maître  et  rendit  compte  de  sa  mission 
sur  le  ton  du  triomphe.  Le  duc  d'Albe,  le  prince 
d'Éboli,  disait-il,  le  roi  catholique  lui-même  sont  dis- 
posés à  recevoir  les  représentants  du  roi  de  Navarre 
avec  autant  d'honneur  que  les  plénipotentiaires  du  roi 
de  France^. 


1.  Lettre  de  L'Aubespine  au  roi  de  Navarre  du  M  août  1561 
(Copie  du  temps;  f.  fr.,  vol.  16103,  f.  37  V). 

2.  Orig.  espagnol,  daté  du  l^""  août  1561  ;  Arch.  des  Basses- 
Pyrénées,  E.  584). 


278  ANTOINE   DE   BOURBON 

Antoine  de  Bourbon,  convaincu  qu'un  ambassadeur 
plus  autorisé  que  d'Almeida  serait  aussi  bien  accueilli, 
choisit  Philippe  de  Lenoncourt,  évoque  d'Auxerre, 
prélat  habile  et  rompu  aux  plus  délicates  missions, 
et  Jean-Jacques  de  Mesmes,  maître  des  requêtes,  qui 
avait  déjà  plaidé,  aux  conférences  de  Cercamp,  la 
cause  de  la  maison  d'Albret.  Lenoncourt  reçut  une 
instruction  du  roi  et  de  la  reine  de  Navarre.  La  pièce 
débute  par  un  éloge  emphatique  de  Philippe  II,  qu'on 
prendrait  pour  une  ironie.  «  Bien  louent-ils  Dieu  (le 
«  roi  et  la  reine  de  Navarre)  d'avoir  affaire  à  un  prince, 
«  lequel  est  si  grand  que  chose  de  si  peu  d'impor- 
«  tance,  comme  le  fait  qu'ils  poursuyvent,  ne  peult 
«  apporter  notable  diminution  à  tant  de  royaumes  et 
«  autres  pays  èsquels  Sa  Majesté  commande,  et  que 
«  ceste  grandeur  est  accompagnée  de  tant  de  belles 
«  vertus  dont  une  équité  et  justice  sont  les  premières.  » 
Après  ce  début  trop  flatteur,  le  roi  et  la  reine  de 
Navarre  représentent  à  leur  puissant  voisin  que,  «  se 
c(  voyans  jà  d'aage  et  pleins  d'cnfans,  ils  ne  peuvent  ni 
«  à  iceux  ny  à  eux-mesmcs  défaillir.  »  C'est  pourquoi 
ils  requièrent  Sa  Majesté  y  «  donner  quelque  bonne 
«  fin,  selon  qu'il  connoît  le  faict  de  soy-mesme  assez 
«  le  requérir.  »  Lenoncourt  ne  devait  pas  entrer  dans 
la  discussion  du  point  de  âroit  à  moins  d'y  être  pro- 
voqué, et  dans  ce  dernier  cas  Jean-Jacques  de  Mesmes 
était  chargé  de  soutenir  la  discussion.  Pour  prouver 
au  roi  catholique  combien  le  roi  et  la  reine  de  Navarre 
«  marchent  de  bon  pied,  »  c'est-à-dire  sont  fermes 
sur  leur  droit,  ils  lui  demandaient  de  «  nommer  tels 
«  juges,  arbitres  ou  amiables  compositeurs  non  sus- 
ce  pects,  que  Sa  Magcsté  voudra  choisir,  estans  prêts, 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  279 

«  pour  l'assurance  qu'ils  ont  de  leur  droict,  à  subir 
c(  toute  juridiction  bien  ordonnée.  »  Enfin,  disaient-ils, 
c(  si  leur  royaume  semble  pour  l'asseurance  du  reste 
«  des  Espaignes  tant  importer,  ils  se  contenteront  de 
«  n'en  plus  parler  et  accepteront  très  volontiers  ailleurs 
«  récompense,  digne  de  la  juste  estimation  qui  se 
«  feroit  pour  Sa  Magesté,  digne  aussi  du  degré  que 
«  eulx  tiennent,  encores  qu'il  s'y  trouvast  quelque 
«  inégalité^.  »  On  rédigea  même  la  harangue  que 
i'évêque  d'Auxerre  devait  prononcer  en  présence  de 
Philippe  II,  pesant  morceau  de  rhétorique  qui  n'ap- 
prend rien  à  l'histoire^. 

La  reine  mère  réunit  ses  recommandations  person- 
nelles à  celles  du  roi  de  Navarre.  Elle  adjoignit  à 
I'évêque  d'Auxerre  un  gentilhomme  du  roi,  Jacques  de 
Montberon,  seigneur  d'Auzance,  ancien  gouverneur  de 
Metz,  négociateur  aussi  estimé  qu'habile  capitaine. 
Ainsi,  dit  Suriano,  la  mission  représentait  deux 
rois^.  Catherine  remit  à  son  ambassadeur  une  longue 
instruction,  qui  reproduisait  sans  arguments  nouveaux 
les  titres  du  roi  de  Navarre^.  Elle  ajouta  une  lettre 

1.  Copie  du  temps,  sans  date  (juillet  1561)  (Arch.  des  Basses- 
Pyrénées,  E.  580). 

2.  L'original  est  conservé  aux  archives  de  Pau  (E.  585).  Il  a 
été  fort  suffisamment  analysé  par  M.  Raymond  dans  V Inventaire 
sommaire  des  Archives  des  Basses-Pyrénées.  On  en  trouve  une  copie 
à  Paris  dans  la  Coll.  Doat,  vol.  237,  f.  241. 

3.  Lettre  du  15  juillet  (Dépèches  vénit.,  filza  4  bi.s,  f.  143). 

4.  Cette  instruction  est  conservée  dans  la  Coll.  Moreau , 
vol.  740,  f.  63,  en  copie  du  temps,  datée  du  18  juillet  1561.  — 
Catherine  avait  fait  aussi  intervenir  le  roi,  qui  écrivit  à  L'Aubes- 
pine,  à  propos  du  roi  de  Navarre,  «  afin  que  le  roy,  mon  frère, 
«  saiche  que  en  riens  plus  ne  me  peult-il  gratiiïier  que  cela.  » 
(Orig.,  daté  du  20  juin;  f.  fr.,  vol.  6012,  f.  26.) 


280  ANTOINE   DE    BOURBON 

autographe  à  l'instruction  officielle  :  «  Mon  filz ,  je 
«  prendre  l'ardyese  de  vous  en  parler  comme  je  fayrés 
«  à  mon  propre  filz ,  qui  ayt  que ,  voyant  le  roy  de 
«  Navarre  qu'il  a  perdu  son  royaume  sans  espérance 
«  de  plulx  le  ravoir,  aie  au  moyns  heune  réconpanse. 
«  Je  crayndrés  bien  fort  que  je  nepeuse  plulx  l'anter- 
«  tenir  en  sete  bonne  volonté  ver  nostre  relygion  et 
«  qui  pensast,  se  monstrent  de  l'aultre,  avoyr  plus  de 

«  moyen »  Elle  écrivit  aussi  au  duc  d'Albe  et  au 

prince  d'Éboli  sur  le  même  ton  de  la  prière ,  et  à  sa 
fille,  Élizabeth,  la  jeune  reine,  dont  l'influence  se  fai- 
sait sentir  dans  les  affaires  d'Espagne  plus  qu'on  n'au- 
rait pu  l'espérer  de  son  inexpérience  ^ . 

Rien  ne  convenait  moins  à  Philippe  II  que  cette 
mise  en  demeure.  Aussi  Chantonay  s'efforçait-il  de 
retarder  le  départ  du  négociateur.  Il  observait  que 
la  mission  de  l'évêque  d'Auxerre  était  prématurée  et 
que  son  maître  ne  saurait  y  faire  droit  tant  que  les 
affaires  de  la  religion  en  France  resteraient  en  suspens. 
Il  fit  une  démarche  auprès  de  la  reine  et  ne  réussit 
pas'^.  Cependant  sa  ténacité  troublait  l'assurance  du 
roi  de  Navarre.  Antoine  l'invita  à  dîner  le  18  juil- 
let. L'Espagnol  accepta  le  rendez- vous  et  partit  de 
Paris  pour  Fontainebleau.  Pendant  que  les  serviteurs 
préparaient  la  table,  le  prince  et  l'ambassadeur  se  pro- 
menèrent dans  le  jardin.  Chantonay  ne  cessait  de  repré- 
senter les  inconvénients  de  la  mission  de  l'évêque 


1.  Ces  lottros  sont,  publiées  dans  Lettres  de  Catherine  de 
Médicis,  t.  I,  p.  212  et  suiv.  et  600. 

2.  Lettre  de  Suriano  du  13  juillet  (Dépèches  vénitiennes, 
filza  4  bis,  f.  113).  —  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II  du 
24  juillel  (Orig.  espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n»  52). 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  281 

d'Auxerre,  les  dangers  d'une  fausse  démarche,  les 
froissements  réciproques  qui  pouvaient  en  résulter. 
Antoine,  retombé  dans  ses  indécisions,  tiraillé  par  des 
favoris  vendus  à  l'Espagne,  le  combattit  faiblement. 
Au  sortir  du  repas,  Chantonay  passa  chez  la  reine  et 
renouvela  ses  conseils  d'ajournement*.  Il  y  eut  de 
nouvelles  conférences.  Les  avis  du  conseil  étaient  par- 
tagés ;  la  reine  hésitait.  Finalement  l'ambassade  de 
l'évèque  d'Auxerre  fut  renvoyée  à  de  meilleurs  jours. 
Cet  acte  de  prudence  épargna  une  déconvenue  au 
roi  de  Navarre.  Le  conseil  d'état  d'Espagne,  consulté 
par  Philippe  II  sur  l'opportunité  de  recevoir  l'ambas- 
sadeur du  roi  de  Navarre,  avait  répondu  par  cet  avis 
injurieux  :  «  Sa  Majesté  ne  recevra  pas  d'ambassa- 
«  deurs  d'une  personne  qui  a  suspendu  le  remède  de 
«  la  religion  en  France.  Loi'sque  Vendôme  remplira 
«  dûment  les  services  d'un  bon  chrétien,  ce  sera  alors 
«  l'occasion  à  Sa  Majesté  de  le  regarder  avec  bien- 
«  veillance,  sans  lui  donner  aucun  autre  espoir  pour 
«  l'heure-.  »  Le  représentant  d'Angleterre  en  Espagne 
raconte  que  Philippe  II  avait  dit  qu'il  ne  repousserait 
jamais  les  envoyés  du  duc  de  Vendôme,  mais  que, 
du  roi  de  Navarre,  il  ne  pouvait  accueillir  aucun 
ambassadeur,  parce  qu'il  ne  connaissait  d'autre  roi  de 
Navarre  que  lui-même  ". 

D'Auzance  partit  seul  le  26  juillet  à  petites  jour- 


1.  Lettre  de   Chantonay  du  24  juillet   1561    (Orig.  espagnol; 
Arch.  nat.,  K.  1495,  no  55). 

2.  Avis    du  conseil    d'état    du    25    septembre    (Arch.    uat. , 
K.  1495,  n°  71). 

3.  Lettre   de    Chamberlain   du    IG  octobre   (Calendars ,   15G1, 
p.  370). 


282  ANTOINE   DE   BOURBON 

nées  ^ .  Le  roi  de  Navarre  lui  avait  donné  deux  lettres 
de  créance  pour  Sébastien  de  l'Aubespine,  qui  devait 
lui  servir  de  guide-. 

Cependant  le  roi  de  Navarre  savait  que  ses  défail- 
lances religieuses  nuisaient  au  succès  de  ses  revendica- 
tions en  Espagne,  que  Chantonay  ne  cessait  d'écrire  à 
son  maître  que  les  promesses  du  prince  étaient  de 
vaines  paroles  ^.  Fervent  calviniste  ou  luthérien  devant 
les  ambassadeurs  allemands  et  anglais,  Antoine  avait 
su  tromper  les  envoyés  italiens  par  ses  protesta- 
tions catholiques.  Ainsi  il  s'excusa  un  jour  à  Torna- 
buoni  des  ménagements  gardés  à  l'égard  des  hérétiques 
avec  un  accent  de  sincérité  qui  séduisit  le  Floren- 
tin'^. Il  entretenait  les  illusions  du  nonce,  l'évêque  de 
Viterbe ,  par  ses  témoignages  d'obéissance  à  la  cour 
romaine^.  Il  apportait  à  cette  œuvre  de  séduction, 
outre  ses  démonstrations  hypocrites,  une  aménité  per- 
sonnelle, relevée  par  le  prestige  du  pouvoir  suprême''. 
Mais  le  ministre  d'Espagne,  le  sévère  Chantonay, 
était  le  seul  de  tous  les  ambassadeurs  étrangers 
dont  il  ne  put  endormir  la  vigilance.  Vendôme,  écrit 
Chantonay  à  Philippe  II,  «  avec  cette  fausse  couleur 

1.  Mémoires  de  Condé,  t.  II,  p.  14. 

?.  Lettres  datées  du  18  et  du  22  juillet  (Orig.,  f.  fr. ,  vol.  6606, 
r.  0  et  7).  —  Autre  du  l*^-'  août  (Minute;  f.  l'r.,  vol.  15875,  f.  107). 

3.  Lettre  de  Chantonay  du  22  mai  (Orig.  espagnol  ;  Arch.  uat., 
K.  1495,  no  36). 

4.  Négoc.  de  la  France  avec  la  Toscane,  t.  III,  p.  ÎJO. 

5.  Lettre  de  Chantonay  à  Philijjpe  II  (Orig.  ;  K.  1494,  \\°  77). 

6.  Au  mois  de  juin  précinlent,  le  roi  de  Navarre  avait  prié  le 
roi,  dans  une  audience  d'apparat,  de  faire  chevalier  un  des  sei- 
gneurs de  l'ambassade  vénitienne.  Cette  faveur  parait  avoir  sin- 
gulièrement flatté  les  repn'scntants  de  la  république  séi'énissime 
(Dépèches  vénit.,  hlza  4  bis,  f.  135). 


ET   JEANNE    D ALBRET.  283 

«  de  religion,  fait  son  possible  pour  que  Votre  Majesté 
«  se  découvre  davantage,  afin  qu'au  nom  de  son 
«  royaume  il  puisse  faire  ses  affaires  ^  »  Au  moment 
où  d'Auzance  chevauchait  vers  l'Espagne,  c'eût  été  un 
coup  de  maître,  pour  le  roi  de  Navarre,  d'obtenir  la 
recommandation  du  pape.  Pie  IV  avait  montré  à  l'am- 
bassadeur béarnais,  don  Pedro  d'Albret,  assez  de  bien- 
veillance pour  faire  espérer  cette  faveur.  Les  rela- 
tions avaient  continué  tout  l'hiver  sans  coûter  au  roi 
de  Navarre  d'autres  sacrifices  que  des  paroles  cha- 
leureuses. 

Depuis  qu'il  était  élevé  à  la  dignité  de  lieutenant 
général,  le  roi  de  Navarre  courtisait  le  nonce  avec 
succès.  Convaincu  que  le  prélat  romain  ne  serait  pas 
insensible  à  des  avantages  de  l'ordre  temporel,  il  lui 
fit  obtenir  une  abbaye  de  1,300  ducats  de  rente.  En 
lui  remettant  publiquement  les  lettres  de  donation  du 
roi,  Antoine  lui  conseilla  d'en  savoir  gré  «  à  ceux  que 
«  l'on  appelle  huguenots,  car  de  ceux  que  l'on  appelle 
c(  catholiques,  et  notamment  du  duc  de  Guise,  jamais 
«  nonce  n'avait  reçu  le  moindre  bienfait.  »  Le  prince 
espérait,  dit  Chantonay,  «  clore  la  bouche  au  nonce 
«  avec  ce  bénéfice.  »  Après  la  séance,  le  roi  de 
Navarre  envoya  secrètement  son  secrétaire  au  logis 
du  cardinal  pour  lui  représenter  que  son  langage 
n'avait  pas  été  plus  décisif  en  faveur  des  catholiques, 
parce  que  Guillart  du  Mortier,  secrétaire  du  roi, 
huguenot  avoué-,   assistait    à   l'audience.    Le   nonce 

1.  Lettre  de  Gliaiitoiiay  à  Philippe  II  du  4  septembre  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nal.,  K.  1494,  n»  97). 

2.  Signalé  par  Surianu  comme  huguenot  (Relations  des  cunbass. 
vénitiens,  t.  II,  p.  ô25). 


284,  ANTOINE   DE   BOURBON 

reçut  avec  d'autant  plus  d'étonnement  cette  explica- 
tion singulière  que  le  prince  insistait  à  nouveau  sur 
son  orthodoxie  et  le  priait  d'en  témoigner  auprès 
du  pape.  En  racontant  cette  scène  à  son  maître, 
Chantonay  anathématise  «  tous  ces  gens  qui  veulent 
«  avoir  deux  cordes  à  leur  arc ,  et  qui ,  pour  ne  pas 
«  mécontenter  un  vilain,  qui  devrait  être  châtié  exem- 
«  plairement,  n'osent  parler  ouvertement  à  ceux  qui 
«  professent  la  vraie  religion  '• .  » 

En  ce  moment  la  politique  de  la  cour  romaine  était 
de  sacrifier  tous  les  froissements  au  succès  du  concile 
de  Trente.  Le  nonce  avait  reçu  l'ordre  de  fermer 
les  yeux  sur  les  tergiversations  des  uns,  les  fai- 
blesses des  autres  et  de  ne  s'attacher  qu'au  triomphe 
définitif  des  grandes  assises  catholiques.  Aussi  par- 
donnait-il à  la  reine  mère  ses  édits  de  tolérance  et  le 
colloque  de  Poissy,  à  la  condition  que  les  prélats  du 
royaume  prendraient  part  au  concile  et  que  l'église 
gallicane  en  subirait  les  décrets.  Aux  termes  de  cette 
instruction,  Antoine  méritait  de  l'indulgence  ;  il  recon- 
naissait le  concile,  puisqu'il  lui  avait  soumis  directe- 
ment le  jugement  de  son  litige  avec  le  roi  d'Espagne-. 
Ses  promesses  d'obéissance  aux  décrets  du  concile, 
ses  protestations  au  saint  Siège,  ses  égards  vis-à-vis 
du  nonce  lui  avaient  mérité  la  bienveillance  du  pape. 
Au  mois  d'avril  Pie  IV  lui  adressa  une  lettre  d'encou- 
ragement. 

\.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II  (Orig.  espagnol  ;  K.  1494, 
n»  77). 

2.  Lettre  de  L'Aubespine  au  roi  du  20  mars,  à  la  reine  du 
4  avril  (Galland,  Uisi.  de  Navarre,  l'reuves,  p.  85). 


ET   JEANNE   D'ALBRET.  285 

Bien  aimé  fils,  Antoine  de  Navarre,  roi  très  illustre. 

Très  cher  fils,  salut  et  bénédiction  apostolique.  Nous  avons 
reçu  par  le  seigneur  de  Rambouillet  la  lettre  de  Votre  Majesté, 
qui  nous  a  été  très  agréable  sous  beaucoup  de  rapports  et  prin- 
cipalement parce  que  vous  nous  avez  assuré  de  ce  que  vous  nous 
aviez  déjà  fait  entendre  et  de  ce  que  nous  avons  connu  par  les 
faits-,  c'est-à-dire  votre  dévotion  et  observance  au  service  de 
Dieu  et  de  ce  saint  Siège,  et  les  bons  offices  que  vous  promettez 
dans  tous  les  lieux,  où  votre  autorité  et  votre  conseil  auront  à 
intervenir.  Nous  avons  en  vérité  toujours  cru  qu'il  fallait  avoir 
confiance  dans  la  bonté  naturelle  de  Votre  Majesté,  et  si,  comme 
vous  le  dites,  il  a  été  proposé  dans  les  états  tenus  à  Orléans 
quelque  chose  qui  ait  pu  donner  ombrage,  nous  n'avons  néan- 
moins jamais  cru  que  l'intention  des  supérieurs  et  particulière- 
ment celle  de  Votre  Majesté  ne  fût  bonne  et  sainte  et  que  leur 
autorité  n'ait  à  tenir  tous  les  peuples  dans  le  devoir  et  à  les 
maintenir  dans  l'union  avec  l'église  et  dans  l'obéissance  envers 
ce  saint  Siège  ^ . 

Cette  lettre  accrut  la  confiance  du  roi  de  Navarre. 
Que  ne  pouvait-il  espérer  de  l'intervention  d'une 
puissance  dont  le  roi  d'Espagne  faisait  profession  de 
vénérer  les  moindres  conseils.  La  reine  mère  montra 
la  lettre  à  Ghantonay  et  lui  en  laissa  prendre  copie-. 

Le  succès  de  l'ambassade  du  roi  de  Navarre  au 
pape  pouvait  dépendre  de  la  personne  de  l'ambas- 
sadeur. Pedro  d'Albret,  qui  venait  de  l'emporter  à 
Rome  sur  les  représentants  du  roi  d'Espagne,  était 
revenu  en  France.  Antoine  jeta  les  yeux  surlui^,  mais  il 

4.  Lettre  datée  du  8  avril,  en  italien  (Copie  du  temps  ;  Arch. 
nat.,  K.  1494,  n»  74). 

2.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II  du  l'^''  mai  1561  (Orig. 
espagnol  ;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n°  84).  Cette  copie  fut  transmise 
à  Pliilippe  II,  et  c'est  ainsi  que  la  lettre  du  pape  nous  a  été  con- 
servée. 

3.  Déchitl'remcnt  du  1.")  juillet  (Dép.  viuiit.,  iil/.a  4  bis,  f.  143). 


286  ANTOINE   DE    BOURBON 

fît  bientôt  un  autre  choix.  Glorieux  d'avoir  obtenu 
l'évéché  de  Comminges,  Pedro  d'Albret  se  considérait 
comme  une  des  colonnes  de  l'église.  L'inconstance  reli- 
gieuse de  son  maître  le  scandalisait.  11  racontait,  sans 
trop  de  secret,  que  le  pape  lui  avait  dit  que,  si  le  roi 
de  Navarre  passait  au  calvinisme ,  il  lui  enlèverait  le 
titre  de  roi.  En  conséquence  Pedro  d'Albret,  bien  que 
enfant  naturel,  osait  poser  sa  candidature  à  la  cou- 
ronne de  Navarre.  Il  révéla  ses  desseins  à  l'ambassa- 
deur d'Espagne  et  lui  confia  que,  pour  en  conférer  avec 
Philippe  II,  il  cherchait  à  se  faire  envoyer  à  Madrid  au 
lieu  de  l'évéque  d'Auxerre.  Chantonay  écouta  sérieu- 
sement ses  confidences  et  démêla  les  vraies  causes  de 
son  dépit.  Antoine  lui  avait  fait  obtenir  l'évéché  de 
Comminges,  mais  il  retenait  les  deux  tiers  du  revenu, 
sous  prétexte  de  les  appliquer  aux  besoins  d'un  de 
ses  bâtards,  qu'il  destinait  à  la  survivance  de  la  dignité 
épiscopale  de  Pedro  d'Albret  ^ . 

A  défaut  de  cet  aventurier,  le  roi  de  Navarre  appela, 
au  grand  étonnement  de  la  cour  -,  son  ancien  famiher, 
François  de  Peyrusse,  seigneur  d'Escars,  personnage 
d'une  fidélité  douteuse,  mais  connu  comme  catholique 
dans  les  conseils  du  prince  \  Avant  de  le  faire  partir, 
il  pria  le  cardinal  de  Tournon  de  l'appuyer  auprès  du 
pape  et  des  principaux  prélats  du  sacré  collège.  Le 

4.  Lettre  de  Chantonay  dn  15  août  à  Philippe  II  (Orig.  espa- 
gnol; K.  1495,  n"  62). 

'■?.  La  Place,  Estât  de  la  religion  et  république ,  édit.  du  Panth. 
lilt.,  p.  131. —  Cette  partie  du  rrcit  de  La  Place  est  une  de  celles 
qui  ont  o'-té  littéralement  reproduites  par  La  Popelinière,  1581, 
in-fol.,  t.  I,  f.  259  v°. 

3.  Lettres  de  Chantonay  à  Philippe  II  du  7  et  du  2'i  juillet 
(Arch.  uat.,  K.  1495,  n"*  50  et  52;  Orig.  espagnol). 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  287 

vieux  cardinal  loua  le  prince  de  ses  bonnes  intentions, 
mais  se  garda,  dans  ses  conversations  avec  le  nonce, 
si  l'on  en  croit  les  lettres  de  Ghantonay,  de  se  porter 
garant  de  leur  durée  ' . 

Le  seigneur  d'Escars  quitta  la  cour  dans  les  der- 
niers jours  d'août-,  nanti  de  toutes  les  recommanda- 
tions de  la  reine  mère  ^  et  du  roi  ^.  Le  nonce  de  France 
intercédait  aussi  auprès  du  nonce  d'Espagne  en  faveur 
de  son  royal  client.  Le  pape  lui-même  était  entré  en 
pourparlers  avec  le  confesseur  de  Philippe  II  ' .  En  route, 
d'Escars  rencontra  le  cardinal  de  Ferrare  et  reçut  de 
sa  bouche  de  nouveaux  encouragements^.  Il  arriva  à 
Rome  le  24  septembre  au  soir.  Pie  IV  était  au  moment 
de  partir  pour  Pérouse,  mais  il  retarda  son  voyage, 
et  le  président  de  l'Isle,  ambassadeur  de  France",  con- 
duisit le  messager  béarnais,  le  lendemain,  à  trois 
heures,  à  l'audience  pontificale.  D'Escars  baisa  le  pied 
du  saint-père  et  lui  remit  des  lettres  du  roi,  de  la  reine 

1.  Lettre  de  Ghantonay  du  7  juillet  à  Philippe  II  (Orig.  espa- 
gnol; Arch.  nat.,  K.  1495,  n"  50). 

2.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  U  du  4  septembre  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  li9i,no97).  Ghantonay  dit  que  d'Escars 
partit  il  y  a  cinq  ou  six  jours. 

3.  Lettres  de  Catherine  de  Médicis,  t.  I,  p.  227  et  228. 

4.  Lettre  du  roi  au  pape  (Minute  datée  de  novembre;  f.  fr., 
vol.  15877,  f.  322). 

5.  Lettre  de  L'Auljespine  au  roi  de  Navarre  du  5  septembre 
(Copie  du  temps;  f.  fr. ,  vol.  16103,  f.  47  \°). 

6.  Lettre  de  Ghantonay  à  PhiUppe  II  du  21  septembre  (Orig. 
espagnol  ;  Arch.  nat.,  K.  1495,  no  70). 

7.  Le  président  de  l'Isle  avait  remplacé  PhiUbert  Babou,  t'vèque 
d'Angoulème.  Il  était  fils  de  Guillart  du  Mortier  et  passait  auprès 
de  quelques-uns  pour  hérétique  comme  son  père  (Sommaire  de 
chancellerie  de  lettres  de  Ghantonay  ;  lin  mars  1561  ;  Arch.  nat., 
K.  1494,  n"  70). 


288  ANTOINE   DE   BOURBON 

mère  et  du  roi  de  Navarre.  11  n'en  avait  pas  de  Jeanne 
d'Albret.  Après  avoir  protesté  de  l'orthodoxie  de  son 
maître,  certifiée  d'ailleurs  par  la  présente  mission, 
d'Escars  demanda  au  pape  son  appui  auprès  de  la  cour 
d'Espagne.  Pie  IV  répondit  avec  bienveillance  ;  puis  il 
interrogea  familièrement  d'Escars  sur  son  voyage,  sur 
les  villes  qu'il  avait  traversées  et  le  renvoya  au  lende- 
main pour  le  détail  de  la  négociation  '.  Parmi  les  sin- 
gulières ouvertures  que  d'Escars  était  chargé  de  déve- 
lopper au  cardinal  Farnèze,  Vargas  en  signale  une  qui 
paraît  invraisemijlable  à  force  d'être  chiméri(}ue. 
Antoine  voulait  proposer  à  Philippe  II  de  l'aider  à 
conquérir  l'Angleterre,  promettant  de  se  désister  de 
toute  prétention  sur  la  Navarre  en  cas  de  succès^. 

Don  Francisco  de  Vargas,  ambassadeur  de  Phi- 
lippe II ,  s'était  déjà  mis  en  campagne  contre  le  sei- 
gneur d'Escars.  Malgré  son  opposition,  le  29  sep- 
tembre, à  neuf  heures  du  soir.  Pie  IV  réunit  un 
consistoire  et  soumit  au  sacré  collège  son  projet  d'en- 
voyer un  légat  spécial  en  Espagne  en  faveur  de  la 
maison  d'Albret.  La  majorité  des  prélats,  qui  appar- 
tenait au  parti  espagnol,  désapprouva  le  saint-père. 
Mais  Pie  IV  était  un  homme  d'énergie ,  qui  savait  se 
priver  d'approbation  quand  il  croyait  les  intérêts  de 
l'église  engagés.  Son  premier  mouvement  fut  de  passer 
outre  l'avis  de  ses  conseillers.  Déjà  il  avait  choisi  le 
légat  Fabricio  Serbelloni,  un  de  ses  neveux,  préparé 
l'instnictioii ,  (|uan(l  arrivèrent  les  nouvelles  du  col- 

1.  Lcltro  (lu  pn'sidont  de  l'Islo  au  roi  du  30  septembre  (Copie; 
f.  IV.,  vol.  3955,  f.  33  y°).  Partie  de  cette  lettre  a  été  publiée  par 
Dujiuy  [Mcmoires  sui-  le  concile  de  Trente,  p.  98), 

2.  Papiers  ifélat  de  Granvelle,  t.  VI,  p.  'i08. 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  289 

loque  de  Poissy.  L'ardeur  fanatique  de  Jeanne  d'Albret 
et  le  peu  de  fermeté  du  roi  de  Navarre  firent  hésiter 
le  pape  ^  Il  s'arrêta  à  une  décision  qui  caractérise 
les  cours  italiennes  du  x\f  siècle.  Serbelloni  partit  à 
grand  bruit  pour  l'Espagne,  mais  avec  l'ordre  secret 
de  feindre  une  maladie  à  Avignon  et  d'interrompre 
son  voyage^.  Dans  une  dernière  audience,  le  président 
de  risie  et  François  d'Escars,  qui  croyaient  triompher 
des  Espagnols,  trouvèrent  le  pape  «  changé  et  disposé 
«  tout  au  contraire.  »  En  vain  les  deux  ambassadeurs 
s'efforcèrent  de  le  confirmer  dans  sa  première  résolu- 
tion. Pie  IV  leur  répondit  par  des  promesses  vagues  ^. 
Cependant  il  envoya  au  nonce  d'Espagne  des  instruc- 
tions favorables  au  roi  de  Navarre.  Au  fond  du  cœur 

1.  Lettres  de  Vargas  au  roi  d'Espagne  (Papiers  d'état  de  Gran- 
velle,  t.  VI,  p.  342,  369  et  380).  —  Ces  négociations  sont  racon- 
tées sommairement  dans  deux  lettres  de  Guido  Giannetti  à  la 
reine  d'Angleterre  {Calendars,  1561,  p.  364,  386,  406  et  408).  — 
Cabrera  de  Gordova  {Hist.  de  Philippe  II,  t.  I,  liv.  V,  cap.  16)  en 
dit  quelques  mots,  généralement  exacts,  sauf  qu'il  accepte  la  pré- 
tendue bulle  de  Jules  II,  comme  tous  les  historiens  de  l'école 
espagnole. 

2.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II  du  28  octobre  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n"  105).  Serbelloni  partit  pour 
Avignon  et  s'occupa  de  mettre  la  ville  en  défense  contre  les 
Huguenots  du  voisinage.  Ses  armements  inquiétèrent  d'autant 
plus  la  cour  de  France  qu'elle  fut  informée  que  le  roi  d'Espagne 
embarquait  une  armée  de  5,000  hommes  qui  devait  loucher  à 
Gênes.  Le  bruit  courut  que  les  troupes  du  pape  et  du  roi  d'Es- 
pagne coalisées  se  préparaient  à  surprendre  Marseille.  Le  roi  en 
écrivit  à  son  ambassadeur  à  Madrid  (Lettre  du  26  décembre  1561  ; 
Minute  orig.,  f.  fr.,  vol.  15875,  f.  444). 

3.  Lettre  du  président  de  l'Isle  au  roi  du  14  octobre  (Copie; 
f.  fr.,  vol.  3955,  f.  41).  —  Ces  nouvelles  furent  communiquées 
d'abord  par  le  duc  de  Florence  à  la  cour  de  Madrid  et  y  causèrent 
une  joie  extrême  (Lettre  do  L'Aubespine  au  roi  de  Navarre  du 
4  novembre;  Orig.,  f.  fr.,  vol.  15875,  f.  299i. 

m  19 


290  ANTOINE   DE    BOURBON 

il  légitimait  sa  requête  ^  Plus  tard,  dans  le  cours  de 
la  négociation,  lorsque  le  président  de  l'Isle  l'im- 
plorait en  faveur  du  prince,  il  répondait  tristement  : 
«  Speramus  optima,  sed  cogitamus  difficillima  ^  » 

D'Escars  repartit  le  1 4  octobre  pour  Saint-Germain. 
En  route,  si  l'on  en  croit  Vargas,  il  perdit  les  dépêches 
du  pape  et  fît  demander  à  la  chancellerie  romaine 
un  duplicata,  qu'on  se  hâta  de  lui  expédier.  Cette 
singulière  négligence  excita  quelques  soupçons^. 
L'insuccès  de  sa  mission  excita  la  colère  du  roi  de 
Navarre.  Il  se  répandit  en  menaces  contre  le  pape, 
«  disant  que,  puisque  les  Français  avaient  pris  Rome 
«  une  fois,  ils  pouvaient  la  reprendre  une  seconde 
«  fois'^.  » 

Pendant  que  d'Escars  pressait  le  pape  en  faveur  de 
son  maître,  Jacques  de  Montberon,  seigneur  d'Au- 
zance,  cheminait  vers  Madrid.  11  arriva  dans  de 
fâcheuses  circonstances.  Phihppe  II  venait  d'apprendre 
que  le  roi  de  Navarre  entretenait  des  intelligences 
avec  les  chefs  barbaresques  de  la  côte  marocaine. 
Un  juif  portugais,  soudoyé  par  la  reine  d'Angle- 
terre et  par  le  prince,  avait  plusieurs  fois  traversé 
la  Méditerranée,  préparé  des  armements  à  Bordeaux 
et  vendu  des  munitions  sur  la  côte  d'Afrique^.  Le  duc 

1.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II  tlu  '28  octobre  (Orig. 
espagnol  ;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n"  105). 

2.  Lettre  du  inrsident  de  Tlsle  au  roi  du  t  novembre  4561 
(Co})ie  du  tcmpri  ;  f.  IV.,  vul.  3955,  l".  47  v"). 

3.  Papiers  d'état  de  Granvelle,  t.  VI,  p.  408. 

-4.  Rapport  au  conseil  d'Angleterre;  résumé  de  cbancellerie 
(Calendars,  4561,  p.  ■465). 

5.  Lettre  d(^  C-liantonay  à  Philippe  II  du  31  août  (Orig.  espa- 
gnol; Arch.  nat.,  K.  1494,  n"  9i). 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  ^91 

d'Albiiquerque  avait  découvert  de  nouvelles  menées 
des  agents  de  la  maison  d'Albret  à  Pampelune^.  Un 
vicaire  de  Saint-Nicolas,  Antoine  de  Fraycos,  et  Arnaud 
de  Orta  furent  mis  à  la  torture  et  convaincus  de  com- 
plicité avec  le  chanoine  Monréal.  Le  duc  croyait  tenir 
la  clef  de  la  conspiration  dans  la  personne  d'Arnaud 
de  Orta.  Un  jour,  comme  on  lui  apportait  des  vivres 
dans  sa  prison,  Orta  demanda  à  boire.  Le  geôlier  sortit 
sans  méfiance,  laissant  le  pain  et  le  couteau.  L'accusé 
saisit  le  couteau  et  se  frappa  la  poitrine  avec  tant  de 
violence,  qu'il  mourut  sans  avoir  rien  révélé.  Ce  sui- 
cide accrut  les  soupçons  de  Philippe  II ~.  On  parla  du 
complot  navarrais  jusqu'à  Rome^.  Le  chanoine  Mon- 
réal, prisonnier  à  Madrid,  fut  mis  et  remis  à  la  torture. 
On  cherche,  écrit  L'Aubespine,  à  tirer  de  lui  «  par  force 
«  plus  de  la  moitié  que  je  m'asseure  qu'il  ne  sait  ^.  » 
Les  alarmes  de  la  cour  de  Madrid  se  prolongèrent  pen- 
dant tout  l'hiver.  Philippe  II  renouvela  les  défenses 
de  la  frontière  du  Nord  et  remplaça  le  duc  d'Albu- 
querque  dans  le  gouvernement  de  la  Navarre  par  un 
capitaine  plus  expérimenté,  le  comte  de  Feria^. 
Les  amis  du  roi  de  Navarre  à  la  cour,  aussi  impru- 

1.  Lettre  du  duc  d'Albuquerque  à  Philippe  II  du  G  septembre 
(Arch.  de  la  secret,  d  état  d'Espagne,  leg.  358,  f.  52). 

2.  Lettre  du  duc  d'Albuquerque  à  Philippe  II  du  14  octobre  1561 
(Arch.  de  la  secret,  d'état  d'Espagne,  leg.  358,  f.  52). 

3.  Lettre  du  président  de  l'Isle  au  roi  du  30  septembre  (Copie 
du  temps;  f.  fr.,  vol.  3955,  f.  32  v").  —  Avis  du  20  septembre 
[Calendars,  1561,  p.  317). 

4.  Lettre  de  L'Aubespine  au  roi  de  Navarre  du  4  novembre  1561 
(Orig.;  f.  fr.,  vol.  15875,  f.  299). 

5.  Lettres  de  Chamberlain,  de  Shakerley  et  du  duc  d'Albu- 
querque (Calendars,  1561,  p.  405,  446,  452,  473)  ;  (Arch.  de  la 
secret,  d'état  d'Espagne,  leg.  358,  f.  52.) 


292  ANTOINE   DE   BOURBON 

dents  que  fanfarons,  commentaient  ces  obscures 
intrigues  par  des  hâbleries  et  répandaient  le  bruit  que 
la  mission  de  Jacques  d'Auzance,  en  cas  d'insuccès, 
amènerait  une  déclaration  de  guerre  ^ .  En  vain  L'Au- 
bespine  protestait  contre  de  telles  rodomontades  et 
conseillait  au  prince  ce  de  s'accommoder  aux  passions 
«  et  aux  lenteurs  »  de  la  cour  d'Espagne  ^ 

Ces  menaces,  de  la  part  d'un  prince  qui  se  présen- 
tait en  solliciteur,  indisposèrent  Philippe  II.  «  Il  y  a 
«  quelques  mois,  écrit  Sébastien  de  l'Aubespine,  la 
«  négociation  était  en  meilleur  train  que  maintenant, 
«  parce  qu'ils  se  sont  imaginés  qu'on  voulait  leur  faire 
«  peur^.  »  D'Auzance,  à  son  arrivée,  ne  put  obtenir 
une  audience  du  roi;  Philippe  II  pour  l'éviter  partit 
pour  Aranjuez.  Pendant  l'absence  du  roi,  L'Aubespine, 
d'Auzance  et  Luillier  visitèrent  la  reine  Elisabeth, 
qu'ils  trouvèrent  «  dans  la  même  opinion  que  son  mary 
«  au  sujet  des  affaires  de  France.  »  Ils  réussirent  à  la 

«  retourner et  dès  lors  elle  print  la  charge  d'em- 

«  brasser  les  affaires  du  roy  de  Navarre  comme  siens 
«  et  y  disposer  son  mary  ;  ce  qu'elle  exécuta  la  pre- 
«  mière  nuit  qu'il  arriva.  »  Le  lendemain  le  roi  envoya 
chercher  L'Aubespine  et  d'Auzance  j)ar  le  marquis  de 

1.  Calendars,  1561,  p.  319  et  47'i. 

2.  Lettre  de  L'Aubespine  au  roi  de  Navarre  du  24  septembre 
(Copie  du  temps;  i'.  fr.,  vol.  10103,  f.  52).  —  Dans  une  autre 
lettre  de  même  date  adressi'e  à  la  reine,  L'Aubespine  insiste  sur 
le  mécontentement  de  la  cour  d'Espagne  aux  nouvelles  qui 
arrivent  cbaquc  jour  de  France  (Orig.;  1'.  fr.,  vol.  15875,  f.  239). 

3.  Lettre  de  L'Aubespine  du  5  septembre  (Copie  du  temps  ; 
f.  fr.,  vol.  10103,  f.  17  v").  —  Dans  une  conversation  avec  la 
reine  mère,  à  la  lin  d'août,  Chantonay,  pour  justifier  l'opposition 
de  son  maître,  s'appuie  sur  les  progrès  du  calviuismc  eu  Béarn 
(Orig.  espagnol  du  28  août  ;  Arcb.  nal.,  K.  I'i9i,  n"  93). 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  293 

las  Naves,  son  maître  d'hôtel.  Il  les  accueillit  favo- 
rablement et  les  mit  en  conférence  avec  le  duc 
d'Albe.  Le  duc  parla  longuement  des  droits,  des  pré- 
tentions et  de  la  politique  du  roi  de  Navarre.  Il 
«  caressa  bien  »  d'Auzance  et  lui  dit  qu'avant  son 
arrivée  «  ils  avoient  longuement  disputé  s'ilz  le  tien- 
«  droient  comme  hérault  d'armes  ou  paisible  ambassa- 
«  deur.  »  Le  lendemain  «  semblable  office  »  avec  le 
comte  de  Feria  et  le  secrétaire  Erasso  ;  le  comte  d'Eboli 
dit  que  le  crédit  de  la  reine  mère  pourrait  obtenir  de 
son  maître  «  ce  que  la  force  n'arracheroit  jamais.  »  Le 
jour  suivant  fut  occupé  par  un  tournois  et  par  une 
mascarade,  où  les  deux  ambassadeurs  furent  conviés. 
Ils  furent  reçus  par  la  princesse  dona  Juana  de  Por- 
tugal, parle  confesseur  du  roi,  par  le  nonce,  qui  sou- 
tenait chaudement  les  intérêts  du  roi  de  Navarre. 
«  Nul,  écrit  L'Aubespine,  n'eust  peu  désirer  de  luy 
«  plus  qu'il  n'y  a  fait.  » 

Quinze  jours  se  passèrent,  pendant  lesquels  le  roi 
assembla  cinq  ou  six  fois  le  conseil  de  guerre  en  sa 
chambre  «  sans  se  pouvoir  résouldre.  »  Enfin,  le 
27  septembre,  le  duc  d'Albe  envoya  chercher  L'Aubes- 
pine et  d'Auzance.  Il  s'épancha  en  doléances  sur  l'état 
de  la  religion  en  France,  l'indifférence  de  la  reine 
mère,  les  préférences  trop  marquées  du  roi  de  Navarre. 
Sa  conclusion  fut  de  «  prier  leurs  Majestés  de  prendre 
«  en  bonne  part  si,  parniy  telles  calamités  en  la  relli- 
«  gion  et  assez  d'aultres  aigreurs  au  maniment  des 
«  affaires,  il  ne  pouvoit  pour  ceste  heure  s'accommo- 
«  der  à  leur  requeste.  Mais  que,  le  voyant  aller  de  bon 
«  pied  et  franchement  en  l'ung  et  en  l'aultre  article,  il 
«  feroit  au  roy  et  à  la  royne  connoître  de  quelle  vigueur 


294  ANTOINE   DE   BOURBON 

«  et  importance  estoient  les  prières  des  personnes 
«  qu'il  estimoit  et  honoroit  tant,  et  que,  jusques  à  là, 
«  il  ne  se  falloit  rien  promettre  de  sa  bonne  grâce 
«  à  Tendroict  du  roy  de  Navarre  ;  n'estans  pas  si 
«  aveugles  que,  sous  coulleur  d'une  messe  que  l'on 
«  alloit  ouyr,  encores  que  ce  feust  bien  fait,  ils  ne 
«  sceussent  bien  la  dissimulation  et  fondement  du  sur- 
et plus,  quoyque  l'on  le  fîst  soubz  main  et  feignant  n'y 
«  pouvoir  remédier.  » 

Les  deux  ambassadeurs  ne  purent  obtenir  davantage. 
Le  duc  d'Albe  ne  voulut  même  pas  s'engager  à  recevoir 
le  représentant  du  roi  de  Navarre,  l'évêque  d'Auxerre, 
sans  motiver  son  refus  autrement  «  qu'ainsy  estoit 
«  la  volunté  de  son  maistre,  fondée  sur  Dieu  et  rai- 
«  son.  »  Après  la  fête  de  la  Saint-Michel,  Philippe  II 
donna  audience  aux  plénipotentiaires  français  pour  la 
seconde  fois,  «  se  remettant,  quant  à  ce  qui  touchoit 
«  le  roy  de  Navarre,  à  ce  que  le  duc  d'Albe  en  avoit 
«  dit.  »  L'Aubespine  le  pria  de  s'expliquer  plus  claire- 
ment, mais  «  il  redit  le  mcsme  en  substance.  »  Cette 
visite  mit  lîn  «  au  négoce.  »  D'Auzance  prit  congé  de 
la  reine,  qu'il  trouva  plus  froide  que  la  première  fois. 
Il  apprit  en  sortant  que  le  roi  l'avait  «  retournée  »  à 
son  tour  la  nuit  précédente^. 

Jacques  d'Auzance  partit  le  même  jour  pour  la  France 
et  arriva  le  14  octobre  à  Saint-Germain.  Au  moment 
où  il  fut  introduit  dans  la  chambre  de  la  reine  mère, 

1.  Lottrc  de  L'Aul)espiiio  au  roi  du  l'"''  octobre  '15(Jl  (Gallaud, 
Mémoires  sur  la  Navarre,  Preuves,  p.  92).  Ou  trouve  de  nom- 
breuses copies  de  cette  lettre  dans  les  recueils  du  xvi«  siècle. 
M.  Gacliard  l'a  signalée  et  analysée  (La  Biblioth.  nat.  à  Paris, 
t.  II,  p.  120).  L'original,  qui  n'a  jamais  été  signalé,  est  conserve 
dans  la  coll.  Dupuy,  vol.  86,  f.  100. 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  295 

Catherine  était  en  conférence  avec  le  cardinal  de  Lor- 
raine. Devant  témoins,  elle  affecta  de  ne  lui  parler  que 
de  choses  indifférentes,  mais  d'Auzance  ne  comprit  pas 
sa  réserve.  Au  lieu  de  se  taire,  il  dit  que  le  roi  d'Es- 
pagne était  irrité  du  colloque  de  Poissy,  et  que,  si  la 
réforme  triomphait,  il  déclarerait  la  guerre  à  la  France 
pour  préserver  ses  pays  de  la  contagion.  En  ce  moment 
entra  le  roi  de  Navarre.  D'Auzance  lui  déclara  que  «  son 
«  erreur  était  grande  s'il  espérait  obtenir  quelque 
«  chose  dans  l'état  actuel  des  choses  ;  qu'il  ne  devait 
«  pas  se  faire  d'illusion,  parce  que,  s'il  aigrissait  trop 
«  le  roi  d'Espagne,  il  en  porterait  la  peine  le  premier, 
«  tant  sur  ce  qu'il  possédait  en  Flandre  que  sur  tout 
«  le  reste.  »  Il  ajouta,  avec  le  franc-parler  d'un  soldat, 
«  que  c'était  vraiment  pitié  de  voir  ce  qui  se  passait 
«  dans  tout  le  pays  qu'il  avait  parcouru,  depuis  les 
«  Pyrénées  jusqu'à  Paris,  qu'on  ne  se  souvenait  pas 
«  plus  qu'il  y  eut  un  roi  en  France  que  s'il  n'y  en  avait 
«  pas  ^  »  Il  remit  à  la  reine  deux  lettres  autographes 
de  sa  fille,  la  reine  d'Espagne,  qui  tiraient  des  circons- 
tances actuelles  une  sorte  d'importance  politique.  La 
première  était  une  objurgation  suppliante  en  faveur 
du  cathohcisme.  Elisabeth  va  jusqu'à  dire  que  son  mari 
ne  se  contentera  pas  de  paroles,  «  car  issy  nous  ne 
(S.  croyons  que  ce  que  nous  voyons.  »  Le  roi  de  Navarre 
y  est  traité  avec  indulgence.  «  Nous  savons  bien  qu'il 
«  vit  comme  crestien,  mais  aussy  sçavons-nous  qu'il 
«  croit  et  a  auprès  de  lui  beaucoup  de  gens  qui  ne 
«  valent  guières.  Et  cela,  je  croy,  luy  faict  grant  tort, 
«  car  l'on  pansse  par  dessà  qu'il  soit  consentant  à 

1.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  U  du  16  octobre  (Orig.  espa- 
gnol ;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n»  8i). 


296  ANTOINE    DE   BOURBON 

«  beaucoup  de  preschemaus  ^  »  La  seconde  lettre  jeta 
la  terreur  dans  l'esprit  de  Catherine.  Elisabeth  révélait 
à  sa  mère  qu'un  moine  dominicain,  réfugié  en  Espagne, 
prétendait  connaître  les  secrets  d'une  conjuration 
contre  la  famille  royale.  Deux  médecins,  Pépiny  et 
Ampile,  étaient  chargés  de  l'empoisonner.  Les  der- 
niers mots  semblent  accuser  Jeanne  d'Albret.  «  Cela, 
«  écrit  la  reine  d'Espagne,  il  le  témoignera  devant 
«  eux-mesmes  (les  médecins) ,  si  vous  voulez  qu'il  aille 
«  là  (à  la  cour) ,  et  luy  donner  seureté ,  car  il  craint 
«  fort  Madame  de  Vendôme,  pour  ce  qu'il  dit  avoir  esté 
«  prisonnier  trois  ou  quatre  fbis^.  » 

L'échec  de  Jacques  d'Auzance  fut  bientôt  connu 
à  la  cour^  Dans  une  conférence  avec  la  reine,  tenue 
le  17  octobre,  Chantonay  loua  béatement  la  réponse 
de  son  maître,  mais  Catherine  se  montra  fort  sèche  et 
dit  à  l'ambassadeur  qu'elle  attendait  mieux  de  son 
gendre.  Au  sortir  de  l'audience,  il  vit  le  roi  de  Navarre 
et  reçut  ses  plaintes.  Antoine  avait  imaginé  un  nou- 
veau système  d'apologie.  «  Il  avait  remis,  dit-il,  toute 
«  son  autorité  entre  les  mains  de  la  reine  ;  il  était  le 
«  ministre  chargé  d'exécuter  ce  qui  serait  ordonné 

1.  Lettre  sans  date,  mais  écrite  au  lendemain  de  la  mission  de 
d'Auzance  (Gallaud,  Mémoires  sur  la  Navarre,  Preuves,  p.  98). 
Il  s'en  trouve  de  nombreuses  copies  dans  les  recueils  du  temps. 
L'original,  qui  n'a  jamais  été  signalé,  est  conservé  dans  le  f.  fr., 
vol.  3902,  f.  76. 

2.  Autographe  sans  date;  f.  IV.,  vol.  3902,  f.  82.  Les  noms  des 
médecins  sont  dilliciles  à  lire. 

3.  Philippe  II  communiqua  ses  dernières  résolutions  à  Chan- 
tonay par  lettres  du  2  octobre  (R(>sumé  de  chancellerie  ;  Arch. 
nat.,  K.  1495,  n°  80).  —  Chamberlain,  ambassadeur  d'Angleterre 
à  Madrid,  en  informa  la  reine  Elisabeth  à  la  même  date  {Calen- 
dars,  15G1,  p.  370). 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  297 

«  par  le  conseil.  Que  si  on  lui  commandait  d'aller 
«  chasser  les  hérétiques  des  temples  qu'ils  avaient 
«  usurpés ,  il  le  ferait  lui-même  ;  il  ferait  rendre  et 
«  restituer  ce  qu'on  avait  volé  aux  églises  et  aux  ecclé- 
«  siastiques.  »  Dans  la  conversation,  il  laissa  poindre 
l'intention  d'envoyer  une  seconde  ambassade  à  iMadrid. 
Chantonay  allait  lui  demander  des  explications  quand 
un  message  de  la  reine  appela  immédiatement  le  prince 
au  conseil  ' . 

Aussitôt  après  le  retour  de  d'Auzance,  sans  se 
décourager,  le  roi  de  Navarre,  le  premier  moment 
d'humeur  passé,  avait  repris  en  sous-œuvre  son  éter- 
nelle revendication.  Sébastien  de  l'Aubespine  et  x4nto- 
nio  d'Almeida  avaient  reçu  l'ordre  de  poursuivre  les 
sollicitations-.  Ils  obéirent,  mais  sans  confiance,  et 
transmirent  à  Philippe  II  les  désirs  de  leur  maître. 
L'Aubespine  modifia  la  forme  de  sa  requête.  Au  lieu 
de  réclamer  directement  telle  ou  telle  province,  ins- 
tance qui  blessait  la  cupidité  du  roi  catholique,  il 
demanda  à  Philippe  II  de  reconnaître  en  principe  la 
légitimité  des  droits  de  l'héritier  de  la  maison  d'Albret, 
sauf  à  discuter  plus  tard  et  suivant  les  événements 
les  clauses  de  la  restitution.  La  concession  n'aurait 
guère  lié  le  roi  catholique,  puisqu'on  ne  le  pressait 
pas  de  conclure.  Cependant  il  refusa  de  s'engager  \ 

1.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II  du  24  octobre  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n"  86). 

2.  Lettre  de  L'Aubespine  au  roi  de  Navarre  du  16  octobre 
(Copie  du  temps  ;  f.  fr.,  vol.  16103,  f.  71). 

3.  Résumé  de  chancellerie  daté  du  9  novembre  et  communique- 
au  duc  d'Albe  (Arch.  nat.,  K.  1495,  n"  88).  —  Lettre  de  L'Aubes- 
pine au  roi  et  au  roi  do  Navarre  du  12  novembre  (Copie  du 
temps;  f.  Ir.,  vol.  16103,  f.  89  et  95). 


298  ANTOINE   DE   BOURBON 

La  négociation  paraissait  abandonnée  à  Madrid 
quand  elle  se  raviva  à  la  cour  de  France  * .  Au  mois  de 
novembre,  le  cardinal  de  Tournon  tit  appeler  Ghanto- 
nay.  L'ambassadeur  vint  à  Saint-Germain  et  fut  reçu 
par  le  duc  de  Montpensier.  G'était  le  jour  où  Jeanne 
d'Albret  entendait  un  sermon  catholique  au  logis  du 
cardinal  de  Ferrare.  La  cour  était  en  grand  mouve- 
ment. Le  duc  de  Montpensier  amena  l'ambassadeur, 
par  des  passages  détournés,  dans  la  chambre  du  cardi- 
nal. Après  avoir  fait  appel  à  la  droiture  de  Philippe  II, 
Tournon  demanda  l'île  de  Sardaigne  au  nom  du 
roi  de  Navarre.  La  proposition  n'était  pas  nouvelle, 
mais  Ghantonay  la  discuta  comme  s'il  l'entendait  pour 
la  première  fois.  Il  répondit  sans  conclure  en  faisant 
un  procès  de  tendance  au  prince  ;  il  rappela  sa  faiblesse 
et  le  scandale  incessant  que  Jeanne  d'Albret  étalait  à  la 
cour^.  Deux  jours  après,  le  connétable  entreprit  l'am- 
bassadeur sur  le  même  sujet.  Le  lendemain  la  reine 
mère  le  pria  d'en  converser  à  nouveau  avec  le  car- 
dinal de  Tournon  et  le  connétable.  Les  trois  plénipoten- 
tiaires se  réunirent  dans  la  chambre  du  cardinal.  Le 
connétable  observa  que  le  roi  de  Navarre,  malgré  ses 
hésitations,  était  encore  le  plus  solide  rempart  de  la 
religion  catholique  en  France.  Ghantonay  reconnaissait 
(jue  le  prince  obéissait  quelquefois  à  de  bons  mouve- 
ments, mais  il  n'avait  que  des  anathèmes  pour  Jeanne 
d'Albret  et  les  Ghasti lions.  Montmorency  discutait 
tristement  ;  il  versa  môme  des  larmes  en  «  parlant  de 

1.  C'était  le  conseil  de  Ghantonay  jiour  éviter  l'intervention  de 
Sébastien  de  l'Aubespine  (Lettre  à  Philiiipe  U  du  7  décembre  ; 
Orig.  espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1495,  no  93). 

2.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II  du  18  novembre  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  149i,  u»  109). 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  299 

«  la  méchanceté  de  ses  neveux.  »  Enfin,  passant  à 
l'objet  de  la  conférence,  le  cardinal  de  Tournon  renou- 
vela la  demande  de  la  Sardaigne.  Pour  rendre  sa 
requête  plus  acceptable,  au  nom  du  roi  de  Navarre,  il 
consentait  à  des  sacrifices  inexplicables.  Outre  ses 
enfants  qu'il  promettait  comme  otages,  Antoine  offrait 
au  roi  d'Espagne  toutes  les  forteresses  de  l'île  ;  il 
livrerait  même  celles  des  Pyrénées  en  gage  de  sa 
parole,  ne  réservant  queNavarreins  et  les  petites  places 
de  la  plaine.  Après  une  longue  séance,  où  les  trois 
interlocuteurs,  dit  Ghantonay,  s'épuisèrent  à  soutenir 
leur  opinion,  l'ambassadeur,  assailli  d'arguments  et 
feignant  de  se  laisser  convaincre,  reconnut  les  droits 
de  la  maison  d'Albret  et  promit  de  conseiller  à  son 
maître  de  les  reconnaître  en  principe.  Jamais  le  prince 
n'avait  obtenu  une  concession  aussi  féconde  en  consé- 
quences. La  reine  jugea  que  la  promesse  de  Ghantonay 
était  une  victoire.  En  rendant  compte  à  Philippe  11, 
Ghantonay  semble  incliner,  malgré  les  dangers  d'une 
alliance  de  Vendôme  avec  les  Maures  de  la  côte 
d'Afrique,  à  lui  abandonner  la  Sardaigne,  parce  que, 
dit-il,  «  dans  peu  de  temps  on  pourrait  lui  enlever  ce 
«  qu'on  lui  aurait  accordée  »  Gette  considération  peut 
servir  de  devise  à  la  politique  espagnole. 

Quelques  jours  plus  tard ,  le  27  novembre ,  Ghan- 
tonay conféra  avec  le  roi  de  Navarre  lui-même.  Après 
avoir  échangé  des  vues  d'ensemble  sur  ce  débat  fatal, 
qui  lui  faisait  perdre  sa  fierté,  le  prince  prit  une  atti- 
tude suppliante.  11  était  disposé  à  accepter  toute 
compensation  de  la  main  du  roi  d'Espagne  et  jurait, 

1.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II  du  21  novembre  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n"  110). 


300  ANTOINE    DE   BOURBON 

en  retour  de  ses  dons,  de  lui  obéir  comme  «  les 
«  ministres  ou  les  vice-rois  »  de  ses  provinces.  En  cas 
de  débat  entre  la  France  et  l'Espagne,  il  s'engageait  à 
garder  la  neutralité.  Cliantonay,  qui  ne  pouvait  avoir 
encore  reçu  de  réponse  à  ses  lettres  du  21  novembre, 
resta  sur  la  défensive  et  dit  au  prince  que  sa  des- 
tinée ne  dépendait  que  de  lui-même.  Philippe  II  avait 
fait  la  même  réponse  à  Jacques  d'Auzance.  Antoine, 
toujours  suppliant,  répliqua  qu'il  n'était  pas  respon- 
sable du  désordre  du  royaume,  excuse  que  Cliantonay 
accueillit  par  un  sourire.  A  ce  moment  le  connétable 
entra  dans  la  chambre  du  prince  et  Antoine  le  prit  à 
témoin  de  sa  sincérité.  Ghantonay  conseilla  au  roi 
de  Navarre  de  suivre  les  exemples  du  connétable  et 
termina  la  séance  en  le  morigénant  sur  le  ton  d'un 
pédagogue  mécontent.  Le  lendemain,  d'Escars  se  fit 
introduire  dans  le  cabinet  de  l'ambassadeur  d'Espagne. 
Antoine  demandait  quels  sacrifices  le  roi  catholique 
lui  imposait.  Cliantonay  eut  beau  jeu  à  énumérer  les 
faiblesses,  les  lâchetés  du  gouvernement  royal  depuis 
(|ue  le  roi  de  Navarre  en  était  le  chef.  D'Escars  écoutait 
humblement  ce  réquisitoire  à  l'adresse  de  son  maître. 
Enfin  l'ambassadeur,  précisant  le  remède,  exigea 
que  le  li(3utenant  général ,  par  un  édit,  expulsât  tous 
l(>s  ministres  du  culte  réformé,  interdit  les  prêches  et 
les  assemblées  secrètes  ou  privées,  le  tout  sous  peine 
de  mort,  remît  aux  évêques  catholiques  toute  l'admi- 
nistration ecclésiastique.  «  On  peut,  disait  Chantonay, 
«  donner  la  direction  que  l'on  veut  à  l'éducation  du 
«  peuple.  Mais  il  faudrait  (jue  dans  cet  édit  on  ne  fît 
«  aucune  exception,  queltiue  personne  que  ce  soit.  Ce 
«  ne  serait  pas  un  grand  inconvénient  que  de  renvoyer 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  301 

«  ces  prédicateurs,  car  la  plus  grande  partie  d'entre 
«  eux  sont  des  étrangers  ^ .  » 

La  négociation  engagée  sur  ces  bases,  Jacques  d'Au- 
zance  repartit  pour  l'Espagne,  chargé  de  mémoires 
et  de  recommandations.  Sébastien  de  l'Aubespine  fut 
prévenu  par  une  lettre  du  roi  de  Navarre. 

Monsieur  de  Limoges,  voyant  le  soupçon  en  quoy  ils  sont,  de 
par  de  là,  la  i-oyne  a  advisé  de  renvoyer  ce  s.  d'Auzance  pour 
ester  la  royne  sa  fille  de  la  poyne  en  quoy  elle  est,  par  lequel 
vous  entendrez  si  amplement  combien  ceste  doubte  est  sans 
occasion  ny  apparence  de  vérité  que  je  ne  vous  en  rediray  riens 
davantage.  Seulement  je  vous  prieray,  mons.  de  Lymoges,  de 
continuer  ce  que  vous  avez  très  bien  fait  jusques  icy,  d'avoir 
mes  affaires  si  bien  recommandés  à  gens  qu'ils  se  monstrent 
froids  à  comprendre  et  donner  remède^. 

L'instruction  que  la  reine  confia  à  d'Auzance 
témoigne  des  dissentiments  que  cette  contestation 
semait  entre  les  deux  cours.  Philippe  II  s'était  plaint 
des  menaces  du  prince  ;  Catherine  débute  par  des 
assurances  pacifiques.  Le  maréchal  Charles  de  Cossé- 
Brissac,  que  les  espions  espagnols  signalaient  comme 
le  chef  de  la  future  armée  d'invasion  en  Flandre, 
dit-elle,  est  gravement  malade  depuis  trois  mois.  La 
France  jouit  de  la  paix  religieuse  dans  toute  l'étendue 
de  ses  provinces.  Quant  à  la  constance  de  la  famille 
royale  et  de  la  cour,  la  reine  supplie  le  roi  d'Espagne 
d'éloigner  des  soupçons  qui  amèneraient  «  tant 
c(  d'aigreur  et  d'aliénation  que  finablement  il  s'engen- 
«  dreroit   de   ceste  couverte    défiance    une   rupture 

1.  Lettre  de  Cluintonay  à  IMiiliiJpc  II  du  28  novembre  1501 
(Orig.  espagnol;  Arch.  nat.,K.  l'iUi,  n"  l\'i). 

2.  Minute  datée  seulement  de  novembre  1561  ;  f.  l'r.,  vol.  15875, 
f.  276. 


302  ANTOINE   DE   BOURBON 

«  manifeste.  »  Elle  repousse  encore  plus  vivement 
les  accusations  qui  regardent  son  orthodoxie  per- 
sonnelle ;  elle  dépasse  même  la  mesure  de  la  vrai- 
semblance en  portant  témoignage  de  la  fidélité  catho- 
lique de  Jeanne  d'Albret  : 

Elle  (la  reine)  a  vescu  comme  elle  faicl  depuis  qu'elle  est  en  ce 
royaume  sans  qu'on  y  ait  veu  un  seul  point  de  changement.  Et, 
quant  à  ses  filles,  le  s.  d'Auzance  asseurera  la  Royne  catholique 
que  la  Royne  n'en  a  poinct  qui  soit  si  mal  conseillée  de  luy  tant 
désohéir;  car  là  où  elles  refuseroient  de  l'accompaigner  là  où  elle 
va,  elle  se  peult  asseurer  qu'elles  ne  demoureroient  point  en  sa 
compaignie,  et  qu'elle  les  esloigneroit  tant  d'elle  qu'elles  ne 
seroient  point  cause  de  scandalle  en  sa  maison.  Aussi  peu  est-il 
véritable  de  la  royne  de  Navarre;  car  tant  s'en  fault  qu'elle  face 
insolence  en  l'Église  qu'elle  n'y  entre  poinct.  Par  où  la  dicte 
dame  pourra  congnoistre  que  toutes  ces  nouvelles  sont  forgées 
souhz  la  passion  de  ceux  qui  les  mandent,  qui  manderoient 
encore  pis  s'ilz  pouvoient;  tant  ils  ont  envye  de  brouiller  les 
cartes  et  regret  de  veoir  ces  deux  princes  si  bons  amys  qu'ilz 
sont. 

La  fin  de  l'instruction  renferme  une  mission  encore 
plus  délicate  : 

Le  s.  dAuzancc  s'en  reviendra  par  la  cosle  de  Languedoc, 
afin  de  veoir  au  retour  par  ceste  frontière  et  entendre  le  plus 
dextrement  qu'il  pourra,  si  de  ce  costé-là  ils  s'arment  et  font 
contenance  de  vouUoir  se  remuer,  dont  il  advertira  en  passant 
le  s.  de  Joyeuse,  afin  que,  s'il  y  avoit  apparence  de  mauvaise 
volonté  en  leur  endroict,  ils  y  pourvoient  doulcement  et  sans 
])ruit.  Le  semblable  fera-il  en  s'en  allant  pov  lîayonne  au 
vicomte  d'Uorte,  qu'il  advertira  de  ce  qu'il  en  aura  peu  descou- 
vrir'. 

\.  MiiuiLo  originale  cliargéc  de  ratures,  datée  do  novembre  1561 
(f.  IV.,  v(d.  15875,  f.  279).  Il  faut  ajouter  à  cette  pièce  une  lettre 
do  Calliorine  du  '•23  novomljre  (Lctlrcs  de  Catherine  de  Médias,  t.  I, 


ET  JEANNE   d'aLBRET.  303 

Poussé  dans  ses  derniers  retranchements,  mécon- 
tent peut-être  d'avoir  concédé  le  principe  de  la  reven- 
dication, le  roi  d'Espagne  imagina  une  proposition  qui 
refroidit  la  reine.  A  plusieurs  reprises,  pendant  le 
règne  de  Henri  II,  le  roi  de  Navarre  avait  négocié  avec 
Philippe  II  un  échange  des  restes  de  la  Navarre  contre 
une  province  plus  riche  en  Italie.  Ce  pacte,  qui  aurait 
eu  pour  effet  d'établir  l'Espagnol  en  deçà  de  la  fron- 
tière naturelle  du  Midi,  avait  été  discuté  avec  mys- 
tère, loin  des  regards  des  agents  français,  et  finale- 
ment abandonné.  Le  duc  d'Albe  le  fit  revivre  à  la 
fin  de  novembre  et  envoya  à  Antoine  un  agent,  le 
seigneur  de  Lutaine,  pour  en  poser  les  bases.  Telle 
était  la  crédulité  de  ce  prince  qu'il  tomba  dans  le  piège. 
Il  accepta  avec  empressement,  sans  réfléchir  qu'il 
livrait  les  clefs  de  la  France  du  midi  à  ses  pires  enne- 
mis. Il  renvoya  le  seigneur  de  Lutaine  à  L'Aubespine 
avec  son  assentiment,  se  croyant  déjà  le  roi  de  la  Sar- 
daigne  ou  de  la  ville  de  Sienne  et  peut-être  des  deux. 
L'Aubespine  lui  répondit  que  le  traité  ne  pouvait  mar- 
cher aussi  vite  que  ses  désirs  ^  La  reine  mère,  con- 
vaincue que  tout  raisonnement  serait  inutile  avec  un 
ambitieux  aveuglé,  ne  voulut  pas  heurter  de  front  les 
pourparlers.  Elle  écrivit  à  L'Aubespine  : 

La  Royne  mère  pense  cstre  advertye  de  bon  lieu  que  ce  qui 
a  donné  argument  au  roy  catholique  et  à  ces  seigneurs,  qui  vous 

p.  251).  —  Voyez  aussi  une  lettre  du  roi  à  L'Aubespine  portant 
recommandation  en  faveur  de  d'Auzance,  datée  du  22  nov.  (f.  fr., 
vol.  15875,  f.  384),  et  une  lettre  du  roi  de  Navarre  au  même  sur 
le  même  sujet  (Arch,  de  Yillebon,  anal,  par  M.  de  Rochambeau 
dans  Lettres  d'Ant.  de  Bourbon  et  de  Jeh.  d'Albret,  p.  385). 

1.  Lettre  de  L'Aubespine  au  roi  de  Navarre  du  28  novembre 
(Copie  du  temps;  f.  fr.,  vol.  1G103,  f.  121). 


304  ANTOINE   DE    BOURBON 

ont,  et  depuis  au  Roy  de  Navarre,  faict  Touverturc  pour  laquelle 
Lutainevlnt  icy,  qui  est  cause  du  voyage  de  ce  porteur,  est  que 
ledit  roy  de  Navarre  s'est  laissé  entendre  que,  si  on  luy  veult 
bailler  Sienne  ou  Sardaigne,  quictera  et  remestra  es  mains  du 
Roy  ce  qu'il  tient  encores  et  luy  est  demouré  des  terres  du 
royaume  de  Navarre;  chose  qu'il  luy  semble  qu'il  ne  seroit  à 
propos  pour  le  bien  de  ce  royaume.  Aussy  ne  peult-elle  croire 
qu'il  voulust  laisser  une  chose  si  certaine  pour  l'incertaine  et 
si  loing.  Mais,  à  toutes  avantures,  elle  m'a  commandé  vous  en 
advertir,  afin  que  vous  mcctiez  peine  de  le  descouvrir,  s'il  est 
possible.  A  vous  en  parler  franchement,  le  roy  de  Navarre  se 
laisse  aller  à  beaucoup  de  choses,  en  quoy  ceulx  qui  l'ayment 
et  honnorcnt  tiennent  (|u'il  est  mal  conseillé,  mesmement  se 
fiant  en  ce  porteur,  que  vous  connoissez  mieux  que  personne; 
et  ne  luy  faict-on  point  déplaisir  quand  on  le  luy  dict^ 

L'Aubespine  remit  une  copie  de  cette  instruction  au 
ducd'Albe^  et  la  proposition  fut  définitivement  enter- 
rée. 

La  négociation  était  revenue  au  point  de  départ. 
Philippe  II  refusait  tout  accord.  A  peine  reconnaissait-il 
en  principe  que  la  maison  d'Albret  gardait  quelques 
droits,  concession  de  pure  théorie  sans  conséquences 
pi^aliqucs.  Cependant  les  circonstances  favorisaient  le 
roi  de  Navarre,  li  se  disait  l'arbitre  de  la  religion  en 
France  et  son  iniluence  justifiait  sa  prétention.  Un 
jour,  dit  Suriano,  il  déclara  au  cardinal  de  Tour- 
non  que,  de  la  réponse  définitive  de  Philippe  II  à 
Jacques  d'Auzance,   dépendrait  la  destinée  du  culte 

1.  DécliillVomont  sans  date  (la  lettre  de  L'Aubespine  citée  dans 
la  note  précédente  donne  la  date  de  la  présente  pièce)  (f.  fr., 
vol.  6617,  f.  151). 

2.  C'est  écrit  en  tête  même  de  la  pièce.  —  Ranke  a  connu 
sommairement  cette  négociation,  dont  il  attribue  l'idée  première 
au  cardinal  de  Granvello,  et  en  parle  sans  détails  [nist.  de  France 
au  AT/c  siècle,  t.  I,  p.  232). 


ET    JEANNE    d'alBRET.  305 

catholique  en  France  ^  Un  autre  jour,  il  annonça  à  l'am- 
bassadeur de  Portugal  qu'il  aurait  une  entrevue  avec 
le  roi  d'Espagne  et  que  de  cette  entrevue  sortirait  le 
triomphe  des  catholiques  ou  des  protestants.  «  Je  crois, 
c(  dit  Ghantonay,  que  ce  sont  de  vaines  paroles,  comme 
«  Vendôme  a  coutume  quelquefois  d'en  dire  pour 
«  amplifier  son  pouvoir  et  montrer  que  tout  est  en 
«  sa  main^.  » 

Ghantonay  cependant  n'était  pas  aussi  rassuré  qu'il 
voulait  le  paraître  sur  les  dangers  de  pousser  à  bout 
le  roi  de  Navarre.  Son  inquiétude  perce  dans  toutes 
ses  lettres.  Tandis  qu'il  faisait  publiquement  le  rodo- 
mont  à  la  cour  de  France,  il  s'efforçait  en  secret  de 
faire  prévaloir  des  conseils  de  modération  à  Madrid  et 
en  Flandre.  A  force  d'insinuations  détournées,  il  avait 
réussi  à  assouplir  la  morgue  castillane  des  ministres 
de  son  maître.  Inspirée  par  lui,  la  consulte  d'état 
d'Espagne,  opposée  depuis  Charles-Quint  à  toute 
composition,  recommande,  à  la  fin  de  1 561 ,  des  ména- 
gements à  l'égard  du  lieutenant  général  de  France-'. 
Marguerite  de  Parme,  gouvernante  du  Pays-Bas, 
princesse  mesurée  et  prudente,  la  meilleure  conseil- 
lère de  Philippe  II,  écrit  au  roi  catholique  :  «  Ce 
«  que  jedoubte  le  plus  est  que  le  seigneur  de  Vendôme 
«  ne  se  vueille  servir  du  temps  et  de  l'occasion  et 
«  d'adventurer  de  se  perdre,  comme  celuy  qui  n'a  rien 

1.  Lettre  de  Suriano  déjà  citée.  —  Vargas  raconte  qu'il  avait 
dit  que,  «  tenant  la  religion  dans  ses  mains,  il  la  vendrait  ou  en 
«  ferait  ce  qu'il  jugerait  le  plus  convenable.  »  [Papiers  d'état  de 
Granvelle,  t.  VI,  p.  357.) 

2.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II  du  .5  septembre  (Orig. 
espagnol  ;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n"  99). 

3.  Avis  du  12  novembre  (Arch.  nat.,  K.  1495,  n"  89). 

m  20 


306  ANTOINE   DE   BOURBON 

«  OU  peu,  pour  veoir  si,  durant  la  minorité  de  ce  roy, 
«  et  de  l'autorité  qu'il  a  prins  en  France  comme  roy, 
«  il  se  pourroit  avancer  à  quelque  chose  ' .  »  Et  quelques 
jours  après,  sur  un  bruit  de  guerre  répandu  en  Flandre, 
la  duchesse  de  Parme,  qui  se  sent  en  danger  aux 
avant-postes,  engage  son  frère  à  patienter,  en  accor- 
dant au  prince  quelque  compensation  afin  de  donner 
à  ses  sujets  le  temps  de  «  se  restaurer-.  »  Le  car- 
dinal de  Granvelle  est  encore  plus  formel  :  «  La  puis- 
ce  sance  de  Vendôme  est  trop  bien  établie  maintenant 
«  pour  la  renverser  par  des  menaces.  Peut-être  serait-il 
«  bien  de  l'amuser  par  des  espérances  et  même  par 
«  des  offres^.  » 

Les  conseils  réunis  de  Ghantonay,  de  Marguerite  de 
Parme  et  du  cardinal  de  Granvelle  influencèrent  le 
roi  d'Espagne.  Ge  prince  n'avait  pas  la  présomption 
de  l'omniscience  personnelle.  Jamais  souverain  ne  fut 
si  docile  aux  avis  de  ses  favoris,  en  faisant  parade 
de  plus  d'indépendance.  Absorbé  par  ses  correspon- 
dances, qu'il  étudiait  avec  l'activité  d'un  simple  secré- 
taire, résigné  à  ne  pas  quitter  le  territoire  d'Espagne, 
il  savait  que  Granvelle  et  Marguerite,  toujours  sur  la 
brèche,  à  cinq  cents  lieues  de  leur  maître,  pesaient 
mieux  que  lui  les  dangers  de  la  domination  espagnole 
en  Flandre.  11  céda  à  demi  et  approuva  les  conces- 
sions de  Ghantonay  ^ 

1.  Lettre  du  13  d(!ceml)re  [Papiers  d'estat  de  Granvelle,  t.  VI, 
p.  448). 

2.  Correspondance  de  la  duchesse  de  Parme  avec  Philippe  11,  publiée 
par  M.  Gachard,  t.  II,  p.  6. 

3.  Papiers  d'estat  du  card.  Granvelle,  t.  VI,  j».  4G1. 

4.  Lettre  de  Philippe  II  du  28  novembre  (Arcb.  nat.,  K.  1495, 
n»  91). 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  307 

Les  ordres  de  Philippe  lî  n'étaient  pas  encore  arrivés 
à  la  cour  de  France  que  Chantonay  eut  une  nouvelle 
conférence  avecle  roi  de  Navarre.  Le  prince,  lassé  d'être 
dupe,  le  prit  de  haut  avec  l'ambassadeur.  Il  se  présenta 
en  victime  et  réclama  la  restitution  de  son  royaume  ou 
une  compensation,  non  comme  une  faveur,  mais  comme 
un  droit.  L'emportement  de  son  langage  étonna  le 
négociateur.  Peu  de  jours  auparavant,  Suriano,  convié 
à  un  grand  repas  chez  le  roi  de  Navarre,  avait  surpris 
dans  la  conversation  des  cardinaux  d'Armagnac  et  de 
Ghastillon  des  allusions  à  une  guerre  prochaine  ; 
Antoine  avait  demandé  au  Vénitien  l'alliance  de  la  Répu- 
blique ^  Chantonay  ne  l'ignorait  pas.  A  la  vivacité  du 
prince,  à  sa  colère,  écrit  l'ambassadeur,  «  il  me  parut 

«  qu'il  allait  rompre J'ai   donc  jugé  prudent  de 

«  trouver  un  prétexte  pour  gagner  un  mois  ou  deux.  » 
Chantonay  répondit  qu'il  n'était  que  le  «  domestique  » 
du  roi  d'Espagne  et  qu'une  atTaire  de  cette  importance 
devait  être  traitée  auprès  du  roi,  son  maître-. 

Cette  réponse  détermina  le  roi  de  Navarre  à  invo- 
quer l'appui  du  duc  d'Albe. 

Mon  cousin,  conférant  ces  jours  passez  avecques  mons.  l'am- 
bassadeur du  Roy,  vostre  maisLre,  et,  après  les  alfaires  communs 
de  noz  princes,  tumbant  en  propos  de  celles  qui  particulière- 
ment me  touchent,  pour  avoir  quelque  satisfaction  de  mes  pré- 
tentions, il  m'en  a  si  saigement  et  vertueusement  parlé  qu'à  la 
fin  de  son  propos  il  m'a  bien  vouleu  conseiller  de  m'en  adresser 
à  vous  et  à  mons.  le  prince  d'Eboly,  s'asseurant  que,  pour 
le  grand  et  bon  lieu  que  vous  tenez  auprès  de  S.  M.  C,  je  ne 

1.  Lettre  de  Suriano  du  2  et  du  18  uctol)re  (Dépêches  vénit., 
filza4,  f.  348,  et  4  bis,  t.  94). 

2.  Lettre  de  Chantonay  à  Phihppe  II  (hi  3  décembre  (Orig. 
espagnol  ;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n*^  115). 


308  ANTOINE    DE    BOURBON 

scauroys  prendre  meilleur  moyen;  qui  est  cause  que  j 'envoyé 
expressément  ce  porteur  devers  vous  deulx.  Vous  pryant  croyre, 
mons.  de  Lymoges  et  luy,  de  ce  que  plus  particulièrement  ilz 
vous  diront  de  ma  part  et  estre  asseuré  que,  oultre  que  S.  M. 
ne  scauroyt  obliger  prince  qui  plus  affectueusement  désire  luy 
faire  service,  que  de  vostre  part  vous  estant  introposé  en  cest 
affaire,  comme  je  sçay  bien  n'y  pouvoir  employer  plus  digne 
instrument,  je  seray  tousjours  prest  à  le  recongnoistre  par 
loutz  les  bons  offices,  en  quoy  j'auray  moyen  de  vous  complaire. 
Pryant  Dieu,  mon  cousin,  après  m'estre  très  affectueusement 
recommandé  à  vostre  bonne  grâce,  vous  donner  en  parfaicte 
santé  longue  vye  ' . 

Catherine  écrivit  à  IMiilippe  II  et  à  l'orgueilleux 
favori,  et  Charles  IX  lui-même  recommanda  son  oncle 
à  c(  son  bon  frère  »  d'Espagne  2.  Ferdinand  Alva- 
rez de  Tolède,  duc  d'Albe,  retranché  dans  les  dignités 
qu'il  avait  obtenues  après  le  mariage  de  la  princesse 
Elisabeth  de  Valois,  n'avait  aucun  désir  d'endosser 
la  responsabilité  du  litige  de  la  Navarre,  mais  il  ne 
put  s'y  soustraire.  Il  était  nanti  de  toutes  les  instruc- 
tions de  son  maître  quand  Jacques  d'Auzance,  parti 
de  Saint-Germain  à  la  fin  de  novembre,  arriva  à 
Madrid.  Le  duc  lui  donna  audience  et  lui  dit  que  le  roi 
acceptait  le  principe  de  la  «  récompense,  »  mais  qu'il 
ajournait  l'exécution  de  ses  promesses  au  temps  où  le 
roi  de  Navarre  aurait  tenu  les  siennes  ;  et  il  énuméra 
les  services  qu'il   attendait  du  lieutenant  général   : 

1.  Lettre  originalo,  datée  de  Saint-Germain  et  du  7  décembre 
1561  (Arch.  nat.,  K.  1494,  n°  116).  Quelques  jours  auparavant  il 
avait  écrit  à  L'Aubespino  (Lettres  d'Antoine  de  Bourbon  et  de 
Jehanne  d'Albret,  p.  247). 

2.  Originaux  sans  date.  Los  deux  lettres  à  Philippe  II  sont 
autographes.  Celle  de  Catherine  au  duc  d'Albe  n'est  qu'à  l'état 
do  iruduction  (Arch.  nat.,  K.  1496,  u^^  12,  14  et  15). 


ET    JEANNE    d'aLRRET.  309 

la  proscription  du  culte  réformé  même  dans  la  maison 
des  princes,  l'expulsion  des  ministres  et  des  prêcheurs, 
la  restitution  des  églises,  des  chapelles,  des  bénéfices 
usurpés.  En  vain  L'Aubespine  représentait  que  les 
troubles  des  dernières  années  empêchaient  le  rétablis- 
sement du  culte  catholique  dans  l'état  où  il  était  du 
vivant  de  Henri  11^.  Le  duc  d'Albe  resta  sur  ses  décla- 
rations. Les  négociateurs  se  réunirent  plusieurs  fois, 
mais  il  refusa  de  tempérer  les  exigences  de  son  maître  2. 
Son  caractère,  implacable  jusqu'à  la  dureté,  se  prêtait 
mal  aux  souplesses  d'une  discussion  contradictoire.  La 
ténacité  de  L'Aubespine  ne  put  arracher  une  concession 
de  plus  au  roi  d'Espagne,  à  Ruy  Gomez  de  Silva,  à 
aucun  des  ministres.  Elisabeth  elle-même,  bien  qu'elle 
étendît  tous  les  jours  son  empire  à  la  cour  de  Madrid, 
refusa  de  demander  davantage  «  par  la  crainte  d'im- 
«  portuner  le  roy  son  mary  ^.  »  Ainsi  le  roi  d'Espagne 
ne  promettait  «  une  récompense  »  au  roi  de  Navarre 
qu'à  une  condition  irréalisable,  celle  de  rétablir  la 
religion  catholique  «  dans  sa  pristine  splendeur.  » 
D'Auzance  arriva  de  Madrid  à  Saint-Germain  le  2  jan- 

1.  Mémento  de  chancellerie  sur  les  réponses  à  faire  au  s.  d'Au- 
zance  de  la  part  de  Philippe  II,  du  15  décembre  (Copie  du  temps  ; 
Arch.  nat.,  K.  1495,  n»  98).  —  H  y  a  une  seconde  copie  de 
cette  pièce  dans  le  même  carton,  n°  101. 

2.  Mémento  de  L'Aubespine  au  duc  d'Albe  à  communiquer  au 
roi,  daté  du  20  décembre  (Copie  en  espagnol  ;  Arch.  nat.,  K.  1495, 
n»  100). 

3.  Lettre  de  Claude  de  Nancay,  une  des  dames  d'Elisabeth,  à 
la  reine  mère,  datée  du  18  décembre  (1561);  autog. ,  f.  fr. , 
vol.  15875,  f.  403.  La  dame  de  Nancay  nous  donne  le  secret  du 
crédit  d'Elisabeth  :  «  Je  ne  puis  croyre  qu'elle  ne  deviene  grosse 
«  bientost  avec  les  bonnes  ])rières  que  tout  le  monde  en  faict.  » 
{IMd.) 


310  ANTOINE    DE    BOURBON 

vier,  à  trois  heures  de  l'après-midi.  Aussitôt  qu'il  eut 
quitté  l'étrier,  sans  aller  chez  la  reine,  il  courut  au 
logis  du  roi  de  Navarre,  et  raconta  sa  mission.  11  fut 
accueilli  en  vainqueur.  Le  prince  croyait  triompher 
de  ses  ennemis.  Il  appela  ses  familiers  et  voulut  que 
d'Auzance  réitérât  son  récit  en  leur  présence.  Puis  il 
conduisit  son  plénipotentiaire  chez  la  reine  et  lui  fit 
rendre  compte  du  voyage  une  troisième  fois.  A 
chaque  répétition,  d'Auzance  amplifiait  son  message 
et  Antoine  se  glorifiait  avec  plus  d'orgueil.  Aux 
courtisans  qui  venaient  le  féliciter  des  concessions  du 
roi  d'Espagne,  il  répondait  que  Philippe  II  était  le 
plus  grand  des  rois  et  qu'il  allait  changer  de  politique 
pour  mériter  ses  bonnes  grâces.  Le  soir  même  le  prince 
donna  une  fête  de  nuit,  le  lendemain  un  festin  et  un 
bal  mené  par  une  armée  de  violons.  «  Ces  réjouis- 
«  sauces,  dit  Ghantonay,  étaient  si  grandes  et  si 
«  extraordinaires  que  tout  le  monde  fut  d'avis  que  le 
«  bruit  était  plus  grand  que  les  nouvelles^.  »  Telle 
était  la  légèreté  du  roi  de  Navarre  !  Les  ministres  du 
roi  catholique  ne  s'expliquaient  pas  sur  ce  que  vau- 
drait cette  «  récompense.  »  Philippe  II,  immobile  dans 
son  formalisme,  refusait  de  lui  donner  le  titre  de  roi, 
même  sur  la  suscription  de  ses  lettres  ^  Mais  le  roi 
d'Espagne  avait  promis;  (juoi  ?  nul  ne  pouvait  le  dire. 
La  promesse  suffisait  au  prince^. 

1.  Lettre  do  Cliantonay  ù  Philippe  II  du  5  janvier  1562  (Orig. 
espagnol  ;  Arch.  nat.,  K.  1497,  n"  3).  —  Lettre  de  Throckmorton 
(Oalendars,  1561,  \).  479).  —  Tous  les  ambassadeurs  témoignent 
de  la  joie  du  roi  de  Navarre. 

2.  Mémento  de  chancellerie  du  15  décembre  cité  plus  haut 
(Arch.  nat.,  K.  1495,  n»  98). 

3.  Une  lettre  de  Chanlonay  du  26  novembre  constate  que,  dès 


,         ET    JEANNE    d'aLBRET.  311 

Le  président  La  Place,  Davila,  Le  Laboureur,  tous 
les  historiens  qui  ont  étudié  les  mouvements  de  l'an- 
née 1  56 1  racontent  que  les  etforts  persuasifs  du  car- 
dinal de  Ferrare,  la  nécessité  de  s'accommoder  aux 
exigences  de  Philippe  II,  l'impuissance,  révélée  au 
colloque  de  Poissy,  des  docteurs  réformés  à  formuler 
un  dogme,  le  désir  d'échapper  à  l'autorité  despotique 
de  Jeanne  d'Albret,  avaient  ébranlé  les  attaches  du 
roi  de  Navarre  avec  le  parti  huguenot^.  Les  catho- 
liques s'efforçaient  d'attirer  le  prince  dans  leurs  rangs. 
La  négociation  était  menée  en  grand  secret,  loin  des 
yeux  de  la  reine  mère,  par  les  cardinaux  de  Tournon 
et  de  Ferrare,  par  Ghantonay  et  les  hommes  du  trium- 
virat. Chacun  présentait  son  leurre  à  l'ambitieux  lieu- 
tenant général  ;  Ferrare,  l'appui  du  pape,  Ghantonay, 
la  «  capitulation  »  du  roi  d'Espagne,  le  triumvirat,  «  la 
«  régence  tout  entière,  au  lieu  qu'il  n'en  possédait  que 
«  l'ombre  sous  l'autorité  d'une  femme  ^.  »  Les  uns  lui 
promettaient  que  dans  son  île  de  Sardaigne  il  «  seroit 
«  comme  roy  de  la  mer,  assisté  des  galères  d'Espagne 
«  et  de  France,  qui  seroient  à  son  commandement^.  » 

que  Philippe  II  parut  résigné  à  faire  une  concession  de  principe, 
le  roi  de  Navarre  s'abandonna  à  la  joie  du  triomphe  (Lettre  du 
26  nov.  à  Philippe  II;  Orig.  espag.;  Arch.  nat.,K.  4494,  n"^  120). 

1.  La  Place,  Eûat  de  religion  et  république,  édit.  du  Panthéon 
litt.,  p.  192  et  193.  —  Davila,  Hist.  des  guerres  civiles,  in-fol.,  tra- 
duction,  t.  I,  p.  93  et  suiv.  —  Dupleix ,  Hist.  de  France,  t.  III, 
p.  649.  —  Le  Laboureur,  Mémoires  de  Castelnau,  t.  I,  p.  744.  — 
Lettre  de  Throckmorton  du  16  février  [Calendars,  1561,  p.  .524). 

2.  Dupleix,  Histoire  de  France,  in-fol.,  t.  III,  p.  649.  Dupleix 
dit  que  le  maréchal  Saint-André  fut  l'inventeur  de  cette  four- 
berie. 

3.  De  Bèze,  Hist.  ecclés.,  t.  I,  p.  432.  Cette  partie  a  été  littéra- 
lement copiée  par  La  Popelinière  sur  de  Bèze  ou  par  de  Bèze 


312  ANTOINE   DE    BOURBON 

Les  antres,  rappelant  d'anciennes  prédictions  sur  la 
mort  prématurée  de  tous  les  enfants  de  Henri  II  i,  fai- 
saient briller  à  ses  yeux  la  couronne  du  roi  très  chré- 
tien, qui  ne  pouvait  appartenir,  quelle  que  fût  sa  nais- 
sance, qu'à  un  prince  catholique-.  Les  promesses  du 
roi  d'Espagne  aidèrent  aux  efforts  combinés  du  cardi- 
nal de  Ferrare  et  du  triumvirat.  Deux  jours  après  le 
retour  de  d'Auzance,  le  roi  de  Navarre  eut  une  confé- 
rence avec  la  reine  mère  et  l'ambassadeur  d'Espagne. 
Catherine  partageait  ou  feignait  de  partager  l'allégresse 
du  prince^.  Antoine  de  Bourbon,  exultant  des  pro- 
messes de  Philippe  II,  accentua  si  vivement  sa  pro- 
fession de  foi  nouvelle  que  Ghantonay  fut  obligé  de  le 
modérer^. 

Le  prince  voulut  étudier  les  dogmes  catholiques, 
et  le  docteur  François  Baudouin,  cet  intrigant  que 
le  duc  de  Wurtemberg  avait  envoyé  auprès  de  lui 
pour  le  convertir  à  la  communion  d'Augsbourg, 
après  le  colloque  de  Poissy,  accepta  la  mission  de 

sur  La  Poiielinière(in-ful.,  1581,  f.  282,  t.  I)  et  par  VHistoire  dite 
des  quatre  rois,  1595,  in-S",  f.  67. 

1.  Suriano  raconte  que  Nostradamus  avait  prédit  à  la  reine 
qu'elle  verrait  tous  ses  fils  sur  le  trône  {Relations  des  ambass. 
vénitiens,  t.  I,  p.  543). 

2.  Mémoires  de  Castelnaii,  liv.  III,  chap.  6.  —  Sic  Davila,  t.  I, 
p.  94  et  95. 

3.  La  méfiance  de  Catherine  contre  le  roi  d'Espagne  est  attestée 
par  une  lettre  que  le  roi  écrivit  le  26  décemlire  (1561)  à  L'Aubes- 
pine  à  Madrid,  luiil  jours  avant  l'arrivée  de  d'Auzance,  mais 
dans  un  niomonl  où  elle  devait  pressentir  le  sens  des  réponses 
qu'il  ajiportait.  Partie  de;  cette  lettre  a  été  imprimée  par 
M.  le  comte  de  Larcrriùre  dans  le  t.  I  des  Lettres  de  Catherine  de 
Médicis,  p.  266,  note. 

1.  Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II  du  8  janvier  1562  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1497,  n»  4). 


ET    JEANNE    D'aLBRET.  313 

l'instruire^.  Baudouin  sut  entrer  fort  avant  dans 
la  faveur  du  roi  de  Navarre.  Habile  à  caresser  ses 
rêves,  il  lui  persuada,  dit  La  Place,  «  qu'il  avoit 
«  trouvé  un  bon  moyen  pour  recouvrer  son  royaume 
«  de  Navarre,  luy  produisant  la  copie  de  quelques 
«  vieilles  chartes.  »  Outre  «  une  bonne  somme  de 
«  deniers  »,  il  obtint  la  charge  de  précepteur  d'un  de 
ses  bâtards  et  une  pension  de  mille  à  douze  cents  livres-. 
Antoine  prit  aussi  à  son  service  un  ecclésiastique  d'un 
mérite  plus  sérieux,  Vincent  Lauro,  plus  tard  évêque 
de  Mondovi  et  cardinal.  Lauro,  recommandé  par  le 
général  des  Jésuites,  acquit  un  grand  crédit  et  en  abusa, 
dit  de  Thou,  dans  d'obscures  intrigues.  Il  mettait  sa 
science  à  catéchiser  son  nouveau  maitre  ^.Mais  Antoine 
n'avait  pas  besoin  d'instruction  théologique.  Ses  inté- 
rêts lui  tenaient  lieu  d'arguments.  Il  rapprocha  de  lui 
l'évêque  d'Auxerre  et  Jacques  d'Escars,  ses  conseillers 
catholiques.  Il  appela  le  connétable  et  le  cardinal  de 
Tournon  et  s'engagea  à  se  conduire  d'après  leurs 
avis.  Les  prêcheurs  huguenots,  les  docteurs  de  Genève 
furent  expulsés  de  sa  maison  et  remplacés  par  des  cha- 
pelains, des  clercs  et  des  moines  de  tout  ordre  ^.  Il 
cessa  d'aller  au  prêche  et  se  montra  assidu  a  la  messe  ^. 

1.  Voyez  ci-dessus,  p.  19-^. 

2.  La  Place,  Estât  de  religion  et  république,  p.  193. 

3.  De  Thou  est  le  seul  qui  parle  de  Vincent  Lauro  (1740,  t.  III, 
p.  97). 

4.  Lettre  de  Ghantonay  à  Pliilippe  II  du  5  janvier  1562  (Orig. 
espagnol  ;  Arcli.  nat.,  K.  1497,  n.  3).  —  Lettre  de  Throckmorton 
[Calendars,  1561,  j).  479). 

5.  Le  premier  document  où  l'on  parle  des  nouvelles  tendances  du 
roi  de  Navarre  est  une  lettre  de  Ghantonay  du  21  décembre  à 
Philippe  II  (Orig.  espagnol  ;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n°  103).  —A  la 
date  du  24  décembre,  Calvin  n'était  encore  informé  que  de  ses 


314  ANTOINE   DE    BOURBON 

H  envoya  le  seigneur  de  Foix  à  la  reine  d'Angleterre 
pour  justifier  son  changement  de  front  ^ .  Ses  actes  et  ses 
paroles  s'accordaient  aussi  bien  que  Chantonay  pouvait 
le  désirer.  Le  maréchal  Saint-André  se  portait  garant 
de  sa  conversion  et  promit  à  l'ambassadeur  que  les 
concessions  de  Philippe  II  seraient  d'un  grand  profit 
pour  la  religion  romaine-.  Le  cardinal  de  Ferrare 
ne  se  louait  pas  moins  du  prince^.  Cependant,  par  un 
reste  de  méfiance  vis-à-vis  d'un  néophyte  qui  avait 
donné  l'exemple  de  tant  d'évolutions  religieuses,  Chan- 
tonay pria  le  cardinal  de  Tournon  de  veiller  à  sa  per- 
sévérance^. 

La  précaution  était  inutile.  L'ambition  du  roi  de 
Navarre,  une  ambition  mal  dirigée,  était  le  gage  de 
son  retour  à  l'orthodoxie,  et  les  secrètes  attaches  des 
amours  faciles,  la  garantie  de  sa  rupture  avec  Jeanne 
d'Albret. 

tergiversations  (Lelircs  de  Calvin,  t.  II,  p.  437).  —  Lettre  de 
Throckmorton  du  28  décembre  {Calcndars,  15()1,  p.  458). 

1.  Calendars,  1561,  p.  417  et  461.  La  mission  du  s.  de  Foix  eut 
un  autre  prétexte,  mais  Tlirockmorton  n'a  pas  tout  su.  Une  con- 
versation du  roi  de  Navarre  avec  Tlirockmorton  {Calendars,  1561, 
p.  413)  porte  les  traces  d'un  projet  de  changement.  Paul  de  Foix 
avait  été  envoyé  en  Angleterre  pour  représenter  la  France  au 
milieu  de  mars  de  l'année  1561  [Calcndars,  1561,  p.  27). 

2.  Lettre  de  Ghant(»nay  à  Pliilipi)e  II  du  5  janvier,  citée  plus 
haut. 

3.  Lettre  du  cardinal  de  Ferrare  au  card.  lîorromée  du  10  jan- 
vier [Ncgoc.  du  card.  de  Ferrare,  p.  4). 

4.  Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II  du  13  janvier  1562  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1497,  n- 5). 


PIÈCES    JUSTIFICATIVES. 


Lettre  de  la  dame  de  Noailles  a  la  rei^e  de  Navarre. 

Bordeaux,  24  nov.  1560. 
Le  roi  de  Navarre  à  la  cour  de  France. 

Madame,  ayant  trouvé  ce  pourteur^  le  jardinier  que  je  don- 
nay  au  roy  de  Navarre,  qui  s'en  rctournoit  vers  Vostre  Majesté, 
je  n'ay  voulu  perdre  si  bonne  occasion  de  vous  faire  ce  mot, 
pour  vous  dire.  Madame,  que,  suivant  votre  intention  d'accom- 
moder son  père  pour  se  conduire  à  Pau,  et,  pour  ce  que  vous 
a  plu  en  écrire  à  Mons.  de  Burye,  je  m'en  rendray  soigneuse- 
ment à  la  venue  qu'il  fera  d'Irlande,  comme  je  ferois  d'une 
chose  trop  plus  difficile  qui  vous  pourroit  être  agréable. 

Au  surplus,  Madame,  je  ne  veux  obmettre  de  vous  dire  comme 
Mons.  de  Lisle,  mon  frère,  vint  liier  de  la  cour  en  poste,  ayant 
laissé  ledit  seigneur,  roy  de  Navarre,  en  très-bonne  santé,  comme 
il  se  peut  croire,  pour  ce  que  il  va  quelques  fois  à  la  chasse,  se 
plait  parmy  les  forêts,  de  sorte  qu'il  en  acoucbé  dehors.  Leroy 
se  trouvoit,  quand  il  partit,  un  peu  mal  disposé;  qui  avoit  esté 


316  ANTOINE   DE    BOURBON 

cause  de  rompre  un  voyage  qu'ils  debvoient  faire  à  Chambort 
et  à  Bloys  pour  les  chasses.  El  ne  sachant  autre  particularité 
digne  de  vous  être  répétée,  je  feray  ici  la  fin  en  suppliant  le 
créateur  de  vous  donner,  Madame,  en  parfaite  prospérité  et 
santé,  très  longue  et  bienheureuse  vie. 

De  Bordeaux,  ce  24  jour  de  novembre  1560. 

(Minute  orig.,  f.  fr.,  vol.  6908,  f.  145.) 


II. 

Lettre  de  Catherine  de  Médicis  a  M.  de  Villefrancon. 

Orléans,  4  décembre  1560. 

Annonce  de  la  maladie  de  François  II.  —  Ordre  de  prendre  des  mesures 
de  conservation  en  vue  de  l'avenir. 

Monsieur  de  Villefrancon,  depuis  quelques  jours  le  roy,  mon 
filz,  s^'est  trouvé  affaibly  d'un  cathare  qui  l'a  totallemenl  et  si 
fort  persécuté,  accompagné  d'une  grosse  fièvre  qui  l'a  mis  en 
très  fort  danger  pour  la  griefve  malladye  qu'il  supporte.  Et 
comme  toutes  choses  sont  en  la  main  de  Dieu,  de  la  bonté 
duquel  toutes  foys  j'espère  tant  de  grâces  et  tant  de  biens  en  ce 
royaulme,  qu'il  le  préservera  et  ramènera  s'il  luy  plaist  en  par- 
faicte  santé,  si  ay-je  bien  voullu  vous  en  advertyr,  affm  que 
vous  sachiez  Testât  en  quoy  il  est;  en  vous  priant^  pour  l'affec- 
tion grande  que  je  scais  que  vous  avez  tousjours  portée  à  son 
service  et  bien  de  ceste  couronne,  avoir  l'œil  plus  ouvert  que 
jamais  et  contenir  les  choses  qui  sont  soubs  vostre  charge,  en 
la  meilleure  seurelé  et  plus  grande  lran(|uillilé  qu'il  vous  sera 
possible  ;  donnant  ordre  que  l'obéissance  soit  gardée  et  rendue 
telle  qu'il  appartient,  et  que,  advenant  et  triste  et  regrettable 
inconvénient,  il  ne  puisse  survenir  de  vostre  cousté  aucune 
nouvolleté,  maiz  que  tout  soit  contenu  en  debvoir  et  soubs  la 
fideilité  et  service  deus  à  ceste  couronne.  Grâces  à  nostre  Sei- 
gneur il  n'a  pas  laissé  ce  royaulme  despourveu  devrayset  légi- 
times successeurs,  dont  je  suys  la  mère,  qui,  pour  le  bien  d'icel- 
luy.  prendroit  en  mains  la  charge  du  debvoir  qu'il  faudra  rendre 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  317 

à  l'administration  qui  y  sera  nécessaire,  par  l'advis  et  bon  con- 
seille des  premiers  et  grands  personnes,  dont  il  n'y  a  pas  faulte, 
Dieu  mercy  ;  comme  tous  le  désirent  et  font  parfaite  démons- 
tration de  tout  ce  que  l'on  pourroit  attendre  des  bons,  fidelles 
et  dévotz  subjectz  de  leur  prince;  ainsi  que  je  masseure  que 
vous  ferez  de  vostre  part.  Et,  si  vous  cognoissez  et  scavez  ce 
malheur  advenu,  qu'il  se  dressast  ou  commençast  aulcune 
assemblée  ou  menée  par  tous  les  lieus  de  vostre  gouvernement, 
où  vous  ferez  prendre  garde  de  près  pour  n'y  faire  troubles, 
n'actendé  pas  qu'elle  croisse,  mais  y  mectré  si  tost  et  si  bien  la 
main  que  la  fource  en  demeure  au  roy  mon  fils.  Schachant, 
comme  vous  scavez  assez,  que,  quelque  issue  que  preigne  ce 
commancement,  vous  ferez  service  très  grand  au  roy  et  à 
moy 

A  Orléans,  le  4  décembre  ^360. 

Caterine. 

(Orig.,  f.  fr.,  vol.  4638,  f.  5.  —  Guillaume  de  Saulx,  s.  de  Viliefran- 
con,  était  lieutenant  du  roi  en  Bourgogne,  pendant  l'absence  du  maréchal 
de  Tavannes,  son  frère.) 


m. 

Lettre  de  Babou  de  la  Bourdaisière,  ambassadeur  à  Rome,  au 
roi,  Rome,  3  décembre  ^360.  —  Compte-rendu  de  la  mission 
de  Pedro  d'Albret,  ambassadeur  du  roi  et  de  la  reine  de  Navarre, 
auprès  du  saint-siège.  —  L'ambassadeur  a  écrit  au  roi  le  23  du 
passé  que  le  roi  et  la  reine  de  Navarre  avaient  envoyé  Pedro 
d'Albret  «.  pour  prêter  obédience  de  leur  royaume  de  Navarre 
«  au  pape,  qui  estoit  résolu  de  le  recevoir  en  la  forme  et  au  lieu 
«  accoustumé,  quand,  au  nom  des  autres  rois,  il  se  fait  sem- 
«  blable  cérémonie.  »  —  Le  pape  l'a  reçu  le  26.  —  Excellent 
accueil.  —  Don  Pedro  s'étendit  sur  le  tort  que  faisaient  a  ses 
maîtres  les  séditieux  hérétiques  qui  abusaient  de  leur  nom.  — 
Don  Pedro  parla  «  sur  ce  propos  en  langue  espagnole  de  telle 
«  grâce  et  façon  que  nostre  saint-père  y  prist  plaisir.  »  —  IJ  se 
contenta  de  ces  déclarations  et  était  résolu  de  l'admettre  offi- 
ciellement à  prêter  l'obédience  comme  les  autres  rois,  malgré 
l'opposition  des  ambassadeurs  espagnols.  —  Sans  les  consis- 


318  ANTOINE    DE   BOURBON 

loires  de  la  semaine  passée,  ce  fût  déjà  fait.  —  Mais,  le  2  de  ce 
mois,  le  pape  appela  l'ambassadeur  pour  lui  déclarer,  en  la  pré- 
sence du  cardinal  de  Fcrrare,  qu'il  avait  reçu  des  lettres  du 
nonce  «  qui  luy  mandoit  que  vous,  Sire,  n'aviez  à  plaisir  que 
«  led.  don  Pedro  feust  reccu  à  faire  l'acte  de  lad.  obédience, 
«  fust  en  consistoire  publié  ou  privé  ou  autre  façon  que  ce  fust.  « 
Le  pape  cherche  tous  les  moyens  «  d'accommoder  cette  affaire 
«  et  désireroit  bien  que  led.  don  Pedro  se  contentast  de  quelque 
«  privée  réception.  «  —  L'ambassadeur  ne  pense  pas  qu'il  y 
consente,  «  ayant  toujours  protesté  de  s^en  aller  sans  rien  faire, 
«  s'il  y  manque  rien  de  la  cérémonie  deue  aux  rois.  »  —  La 
Bourdaisière  ne  sait  à  quoi  le  pape  s'arrêtera  ;  il  a  pris  toute  la 
semaine  pour  y  penser.  —  Quant  à  lui,  dit-il,  «  je  suis  délibéré 
«  de  me  taire  sans  parler  ne  pour  ne  contre,  sinon  pour  empê- 
«  cher  qu'ils  ne  soient  receuz  en  autre  qualité  que  de  roys  de 
«  Navai-re.  »  (Copie du  temps;  V°  de  Colbert,  vol.  343,  f.  GH.) 


IV. 

Lettre  de  Chantonay,  ambassadeur  d'Espagne,  à  Philippe  II, 
Orléans^  5  décembre  ^560.  —  Le  roi  de  France  est  à  la  der- 
nière extrémité.  —  S'il  meurt,  la  reine  mère,  suivant  toutes  les 
prévisions  des  courtisans,  sera  régente,  et  Vendôme,  premier 
prince  du  sang,  sera  lieutenant  général  de  la  régente.  —  Com- 
position probable  du  futur  conseil  du  roi.  —  L'amiral  de  Coli- 
gny  et  le  cardinal  de  Chastillon,  favoris  de  la  reine  mère,  auront 
un  grand  crédit.  —  L'ambassadeur  conseille  au  roi  d'Rspagne 
d'écrire  à  la  reine  qu'il  lui  retirera  son  appui  si  elle  prête 
faveur  aux  hérétiques.  —  Il  tâchera  d'obtenir  une  audience  de 
la  reine  aussitôt  après  la  mort  du  roi  afin  de  peser  sur  sa 
politique.  (Orig.  espagnol,  K.  ^493,  n°  ^^4.) 

IjCttre  d'un  des  ambassadeurs  vénitiens  à  la  république  de 
Venise,  Orléans,  (>  décembre  ^5()0.  —  Inimitié  profonde  entre 
les  princes  de  Bourbon,  les  Guises  et  le  connétable.  —  Caractère 
du  connétable  et  du  cardinal  de  Lorraine.  —  Bonnes  disposi- 
tions de  la  reine  pour  la  maison  de  Guise.  —  Popularité  de 
François  de  Lorraine.  —  Son  frère,  le  cardinal,  est  délesté.  — 


ET   JEANNE   D'ALBRET.  319 

Caractère  et  dispositions  du  roi  de  Navarre.  —  Le  prince  de 
Gondé  est  le  chef  du  parti  réformé.  —  Portrait  de  Charles  IX. 
—  Composition  probable  du  Conseil  de  la  reine  mère.  (Déchif- 
frement; Dépêches  vénitiennes,  fdza  A  bis,  f.  6.) 


Lettre  du  roi  à  Antoine  de  Noailles,  sans  date.  —  Annonce 
de  la  mort  de  François  IL  —  Il  espère  «  que  la  prudence  de  la 
«  royne  et  mère  suppléera,  dit-il,  aux  défauts  de  mon  âge.  » 

—  Il  déclare  formellement  qu'il  remet  toute  l'autorité  entre  ses 
mains.  (Minute-,  V*^  de  Colbert,  vol.  27,  f.  240.) 

Ordonnance  de  Charles  IX  qui  confère  à  Jacques  Amyot, 
abbé  deBellozane,  l'état  de  grand  aumônier,  Orléans.,  (J  décembre 
-1560.  (Copie  du  temps;  coll.  Clairembault,  vol.  MM,  f.  2:37.) 

Lettre  de  Charles  IX  au  duc  d'Aumale,  Orléans,  s  décembre 
'loGO.  —  Annonce  de  la  mort  de  Franf-ois  II  et  de  la  délégation 
des  pouvoirs  royaux  à  la  reine  mère.  (Orig.,  f.  fr.,  vol.  4639, 
f.  6.) 

VL 

Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  Orléans.,  8  décembre  i  560. 

—  Récit  de  la  mort  du  roi  ;  il  a  rendu  le  dernier  soupir  jeudi, 
à  dix  heures  du  soir.  —  Audience  donnée  par  la  reine  mère  à 
l'ambassadeur  d'Espagne.  —  Dispositions  d'obéissance  de  Ven- 
dôme pour  la  reine.  —  Catherine  a  engagé  Chantonay  à  faire 
une  visite  de  cérémonie  audit  Vendôme.  —  Récit  de  cette  visite. 

—  Vendôme  montre  les  dispositions  d'un  bon  catholique.  — 
Composition  du  nouveau  conseil.  —  Arrivée  du  connétable  de 
Montmorency  à  Orléans.  —  Vive  discussion  entre  le  duc  de 
Guise  et  Tamiral  de  Coligny  au  sujet  d'une  émeute  survenue 
en  Bretagne.  Conseils  à  Philippe  II  d'écrire  au  roi  de  Navarre. 

—  Le  prince  de  Condé  est  toujours  en  prison.  (Orig.  espagnol  ; 
Arch.  naL,  K.  ^493,  n'^  UH.) 

Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  Orléans,  9  décembre  i  560. 

—  Soins  que  la  reine  mère  prend  du  nouveau  roi  ;  elle  couche 


320  ANTOINE    DE   BOURBON 

habituellement  dans  sa  chambre.  —  L'état  du  trésor  royal 
n'ayant  pas  permis  de  procéder  aux  obsèques  solennelles  de 
François  II,  la  reine  mère  s'est  contentée  de  faire  inhumer  le 
cœur  du  feu  roi  dans  l'église  principale  d'Orléans.  —  Affaire 
de  François  de  Montmorency  et  de  mademoiselle  de  Piennes  ; 
le  pape  a  envoyé  l'autorisation  de  mariage  de  ce  seigneur  avec 
Diane  de  France.  —  Conférence  de  la  reine  avec  le  nonce  au 
sujet  du  cardinal  de  Ghastillon  ;  la  reine  prend  ouvertement  la 
défense  de  ce  prélat.  —  Suite  du  procès  de  Gondé  ;  il  demande 
des  juges  et  ne  veut  sortir  de  prison  qu'après  le  jugement  de 
son  procès.  —  Des  prochains  états  généraux  -,  difficultés  au  sujet 
de  l'attribution  de  la  régence  et  des  divisions  religieuses  du 
royaume.  —  Nouveaux  détails  sur  l'audience  donnée  par  la 
reine  h  l'ambassadeur  le  lendemain  de  la  mort  de  François  II. 

—  Réserve  de  la  reine  au  sujet  de  l'alliance  espagnole.  —  Dif- 
ficultés touchant  l'exécution  du  traité  de  Gateau-Cambrésis  et 
au  sujet  des  frontières  de  Lorraine.  (Orlg.  espagnol  ;  Arch.  nal.^ 
K.  1403,  n"  iH).] 

Lettre  de  Michel  Suriano,  ambassadeur  de  Venise,  à  la  répu- 
blique, Orléans,  dS  décembre  iuGO.  —  Visite  de  l'ambassadeur 
au  roi  et  aux  personnages  de  la  famille  royale.  —  Visite  au  con- 
nétable. —  Composition  du  conseil  du  roi.  (Dépêches  vénit., 
filza^,  f.  2^2.) 

Lettre  de  Michel  Suriano  à  la  république  de  Venise,  Orléans, 
20  décembre  1500.  —  Récit  de  l'expédition  armée  du  duc  d'Al- 
buquer({ue  contre  la  Navarre.  —  Mise  en  liberté  du  prince  de 
Gondé  sur  la  caution  du  roi  de  Navarre.  —  Mise  en  liberté  du 
vidamc  de  Chartres.  —  Prochaine  ambassade  du  roi  de  Navarre 
au  pape.  (Dépêches  vénit.,  filza  4,  f.  22^.) 

Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  Orléans^  24  décembre  1 300. 

—  La  reine  mère,  par  mesure  d'économie,  a  renvoyé  tous  les 
domcsti(iues  de  chasse  du  feu  roi.  —  Autres  économies.  —  Les 
obsèques  de  François  II  sont  ajournées.  —  Relations  du  duc  de 
Guise  et  de  Vendôme  ;  ils  se  traitent  très  familièrement.  — 
Affaires  d'Ecosse;  probabilité  d'un  nouveau  mariage  de  Marie 
Stuart.  —  Ouverture  des  états  généraux  d'Orléans.  —  La 
régence  de  la  reine  mère  et  la  composition  du  conseil  actuel 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  321 

seront  difficilement  acceptées.  —  Le  bailliage  de  Meaux  propose 
la  suppression  de  la  messe.  —  Le  prince  de  Condé  se  rendra 
probablement  à  Vendôme.  —  Le  vidame  de  Chartres  est  sorti 
malade  de  la  Bastille  el  s'est  retiré  à  la  Tournelle.  —  Les  pro- 
cès pour  cause  de  religion  sont  interrompus  et  les  hérétiques 
reprennent  courage.  —  Transport  du  corps  du  feu  roi  à  Saint- 
Denis.  —  Le  connétable  soutient  les  droits  des  princes  du  sang 
à  rencontre  de  la  reine.  —  Rapprochement  du  cardinal  de  Tour- 
non  avec  les  Guises.  —  L'ambassadeur  prévoit  pour  un  temps 
peu  éloigné  de  grandes  divisions  entre  les  princes.  —  Les 
grands  et  les  états  soutiennent  les  princes  contre  la  reine.  — 
Licenciement  de  quelques  compagnies  d'hommes  d'armes  et  de 
gens  de  pied.  (Orig.  espagnol-,  Arch.  nat.,  K.  ^1494,  n°  ^-^.) 

Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  Orléans^  28  décembre  \  560. 

—  Le  connétable  est  venu  rendre  visite  à  Fambassadeur  et  lui 
a  vivement  recommandé  les  intérêts  de  Vendôme  ;  il  demande 
que  le  roi  d'Espagne  lui  rende  le  patrimoine  de  la  maison  d^Al- 
bret.  —  Désaccord  aux  états  généraux  sur  la  régence  de  la  reine 
mère  -,  il  est  admis  que  la  régence  lui  sera  accordée  non  en  vertu 
de  sa  qualité  de  mère  du  roi,  mais  à  cause  de  sa  valeur  person- 
nelle. —  Requête  d'une  partie  des  gentilshommes  auprès  de  la 
reine.  —  Faveur  de  Goligny  et  de  ses  frères  auprès  de  la  reine. 

—  Décroissance  du  crédit  des  Guises.  —  Intrigues  au  sein  des 
étals.  Le  chancelier  est  accusé  d'encourager  les  requêtes  des 
députés  réformés.  —  Durée  probable  des  états.  —  Le  cardinal 
de  Lorraine  désirerait  être  désigné  comme  l'orateur  général  des 
trois  ordres.  —  Vendôme  est  sollicité  d'être  l'orateur  de  l'ordre 
de  la  noblesse.  —  Elargissement  du  prince  de  Condé  ;  détails 
sur  son  séjour  en  prison;  ses  rodomontades  contre  le  culte 
catholique  et  contre  les  Guises.  —  Mort  du  vidame  de  Chartres  ; 
détails  sur  son  testament.  —  Retraite  prochaine  de  Marie  Stuart 
à  Reims.  —  Bruit  de  son  futur  mariage  avec  le  prince  d'Es- 
pagne; crainte  que  ce  mariage  cause  à  l'ambassadeur  d'Angle- 
terre; conversation  de  l'ambassadeur  avec  le  cardinal  de  Lor- 
raine à  ce  sujet.  —  Du  concile  général  de  Trente  ;  mécontentement 
que  cause  à  la  cour  de  France  la  forme  de  la  bulle  de  convoca- 
tion. —  Cypierre  gouverneur  du  roi.  —  On  dit  que  la  reine 

m  21 


322  ANTOINE   DE    BOURBON 

Elisabeth  d'Angleterre  est  secrètement  mariée  avec  Leicester-, 
l'ambassadeur  d'Angleterre,  lui-même,  semble  le  croire  ainsi 
que  le  cardinal  de  Lorraine.  —  Présages  sinistres  aperçus  dans 
le  ciel.  (Orig.  espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n°  -12.) 


VII. 


Lettre  de  Sf'p.astieiv  de  l'Aubespine,  e'vèqde  de  Limoges,  ambas- 
sadeur DE  France  en  Espagne,  au  duc  d'Albe  ou  en  son  absence 

AU  PRINCE  d'EbOLI. 

Tolède,  28  décembre  1560. 

Établissement  du  nouveau  gouvernement  à  la  cour  de  France.  —  Prière 
au  roi  d'Espagne  de  n'avoir  aucune  méfiance  du  roi  de  Navarre.  —  Du 
choix  du  confesseur  de  la  reine  Elisabeth. 

Monsieur,  je  fus  bien  marry  avant  vostre  parlement  n'avoir 
pu  deviser  avec  vous  plus  au  long  afin  de  vous  dire  le  bon  com- 
mencement que  noslre  Seigneur  démonstroit  donner  à  Testablis- 
sement  de  nostro  royaulme,  après  avoir  voulu  appeller  à  luy  le 
feu  roy,  à  qui  Dieu  par  sa  grâce  face  pardon.  Depuis,  comme 
la  roy  ne  mère  est  surtout  désirant  que  Sa  Majesté  catholique 
cognoisse  d'heure  à  aultre  son  comportement  et  loue  et  trouve 
bon  ce  qu"'elle  faict  pour  s'appuyer  et  establir  fermement  en  la 
souveraine  authorité  que  Dieu  et  tout  le  royaume  luy  ont  don- 
née, elle  m'a  commandé  par  une  despeche  veoir  Sa  Majesté;  ce 
que  j'eusse  faict  de  bon  cueur  si  j'eusse  pensé  la  trouver  à  Aran- 
chois,  mais,  craincte  que  cependant  le  s.  don  Juan  de  Manrique 
ne  partist,  j'ay  estimé,  par  l'advis  mesmes  de  la  royne,  à  laquelle 
j'ay  baillé  une  lettre  de  la  royne,  sa  mère,  que  meilleur  seroit 
d'en  faire  quelque  part  parescrità  Vostre  Excellance,  afin  qu'il 
luy  pleust  le  communiquer  à  Sa  Majesté,  attendant  que  j'aye  ce 
bien  de  la  veoir  et  vous  aussi. 

M'eslant  advis^,  pour  dire  en  peu  de  paroles  ce  que  j"ay  de 
charge,  que  les  choses  sont  en  nostre  court  pour  tumber  et 
s'establir  ainsi  que,  dernièrement  devisant  là-dessus  avec  vous, 
me  semblicz  le  désirer  et  estimer  meilleur  pour  le  bien  univer- 
sel de  la  chrétiejilé;  car  la  royne  mère  <{ui,  Dieu  mercy,  est 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  323 

receue  souveraine  soubz  le  roy,  mon  seigneur,  en  tout  et  par- 
tout a  appelle,  cognoissant  que  le  royaume  et  la  raison  vou- 
loient  que  les  princes  du  sang  feussent  au  conseil  et  affaires, 
Messeigneurs  le  cardinal  de  Bourbon,  duc  de  Montpensier, 
prince  de  la  Roche-sur- Yon  et  connestable,  afin  que,  avec  le 
roy  de  Navarre,  ilz  eussent  part  à  la  conseiller,  estans  saiges  et 
bons  catholiques  comme  ilz  sont.  De  là  est  advenu,  à  son  regret, 
que  tout  le  monde  ne  s'en  est  pas  contenté,  tellement  qu'il 
semble  qu^aucuns  du  dernier  gouvernement  le  prennent  en 
mauvaise  part  avec  quelque  apparance  de  se  retirer.  Et  vous 
scavez,  Monsieur,  que  lad.  dame,  pour  s'establir  fermement  et 
au  contentement  du  royaume,  ne  le  pouvoit  aultrement;  ce 
qu'elle  requiert  que  le  Roy  trouve  bon  et  cognoisse  que  sans 
cela  il  n'y  avoit  nulle  seureté  ni  repos  au  publicq.  Il  luy  reste 
une  difficulté  qui  la  retient  ung  peu  en  peine,  car  aymant  Sa 
Majesté  catholique  de  tout  son  cueur,  comme  je  scay  qu'elle 
faict,  elle  veult  que  luy  et  tous  ses  ministres  soient  en  repos 
d'esprit  et  ne  se  mectent  en  la  teste  opinion  qui  feust  pour  nour- 
rir la  moindre  deffiance  du  monde  entre  leurs  Majestés;  c'est 
que,  estant  près  d'elle  le  roy  de  Navarre,  Sa  Majesté  catholique 
juge  que,  pour  les  prétentions  que  pouvez.  Monsieur,  come 
plus  saige,  penser  qu'il  a,  il  peust  près  d'elle  faire  mauvais 
offices  à  l'avenir-,  chose  que  lad.  dame  a  tellement  préveu  et  jà 
fermé  la  porte  et  oreilles  à  tout  ce  que  en  pouvoit  procéder, 
qu'elle  désire  infiniment  que  sadicte  Majesté  catholique  estime 
qu'ayant  tout  pouvoir  souverain  au  royaume  et  tant  d'autres 
bons  conseillers  près  d'elle  de  son  vivant,  il  ne  surviendra  inno- 
vation, tant  petite  soit-elle,  qui  puisse  faire  cognoistre  aud.  sei- 
gneur ne  à  tous  ses  ministres  autres  comportemens  que  d'ac- 
croissement d'une  mutuelle  affection  et  bonne  intelligence  à 
jamais.  Tant  elle  ad'envye  de  nourrir,  allier  et  estraindre  leurs 
deux  Majestés  et  maisons,  pour  Tentretenement  du  bien  et  tran- 
quilité  universelle. 

Me  commandant  bien  expressément  de  dire  et  supplier  infini- 
ment Sa  Majesté  que,  surtout,  ce  qu'elle  souhaite  est  d'entendre 
que  led.  seigneur  trouve  bon  cet  establissement  qu'elle  a  faict 
par  nécessité  pour  sa  conservation,  et  que  ce  luy  sera  ung  sin- 
gulier plaisir  si  je  la  puis  asseurer  par  mes  premières  que,  pour 


324  ANTOINE    DE   BOURBON 

l'égard  du  roy  de  Navarre  aussi,  sadicte  Majesté  en  soit  sans 
deffiance;  ce  que,  Monsieur,  je  vous  prie,  par  ungmot  de  vous, 
me  tesmoigner,  et  où  cy-après  surviendroit  quelque  opinion 
contraire  me  le  dire  et  communiquer  franchement  et  sans  rien 
garder  ainsi  qu'avez  faict  jusques  à  présent.  Qui  sera  soubz  cor- 
rection la  meilleure  négociation  qui  se  puisse  emploier  parmy 
si  bonnes  voluntez,  car  vous  cognoistrez  par  les  effectz  et  satis- 
faction que  Ton  vous  en  donnera,  ainsi  qu'elle  asseure,  aussi 
qu'il  se  fera  de  ceste  part,  que,  si  son  intention  est  bonne,  les 
œuvres  seront  de  mesmes. 

Je  ne  puis  par  lettre  assés  exprimer  à  Vostre  Excellence  la 
bonne  inclination  d'elle  et  de  tous  ceulx  qui  l'approchent,  qui 
me  faict  désirer  que  le  s.  don  Juan  de  Manrique  parte  en  ceste 
confiance  et  commandement  de  Sa  Majesté  de  trouver  bon,  louer 
et  approuver  ce  que  dessus. 

Le  jour  que  vous  partistes  d'icy,  il  vint  ung  gentilhomme 
vostre,  qui  m'asseura  de  vostre  part  que  j'aurois  responce  le 
lendemain  d'une  lettre  que  je  vous  escrivis  le  jour  précédant 
vostre  desloger;  pource  que  j'ay  peur  qu'elle  n'ait  esté  oubliée 
quelque  part,  je  le  ramentois  à  Vostre  Excellence,  me  recom- 
mandant très  humblement  à  Vostre  bonne  grâce,  vous  disant  à 
Dieu,  auquel  je  supplie  vous  donner,  Monsieur,  en  très  bonne 
santé  très  heureuse  et  longue  vye. 

De  Tolède,  ce  28  décembre  ^560. 

Vostre  très  humble  serviteur, 

De  L'Aubespine,  évêque  de  Limoges. 

Monsieur,  d'autant  que  le  confesseur  de  la  royne  se  meurt  et 
qu'elle  a  entendu  par  nions,  le  comte  dWlbe  que  Sa  Majesté  luy 
avoit  donné  Pacheco,  qui  est  notable  et  digne,  qu'elle  désireroit 
bien,  elle  m'a  toutesfois  chargé  vous  escrire  sur  ceste  occasion 
qu'elle  ne  se  peult  confesser  qu'en  sa  langue  et  qu'elle  est  en 
peine  et  tiendroit  sa  conscience  chargée  de  parler  à  ung  homme 
qui  ne  Tcntendist  franchement.  Pour  ceste  cause  s'il  y  avoit 
quelque  aulre  homme  docte  licspaignol  ou  Flament,  qui  sceust 
la  langue  ou  |)our  le  moins  l'entendist  bien,  ce  seroit,  ce  me 
semble,  plus  pour  le  service  de  Dieu,  son  contentement  d'esprit 
et  repos  de  sa  conscience. 

(Original;  Arch.  nat.,  K.  1  i93,  n"  118.  —  Au  dos  :  Sobre  el  govieriio 
y  cousejeros  deste  nuevo  rey.) 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  325 


VIII. 


Lettre  de  Le'onor  de  Roye,  princesse  de  Gondé,  au  conne'table. 

Anisy,  29  décembre  1560. 
Demande  du  règlement  intégral  de  l'achat  de  la  terre  de  Germigny. 

Monsieur,  me  voyant  de  toutes  parts  environnée  de  maints 
grands  affaires  et  d'extrêmes  peines  et  nécessité  de  savoir  où 
recouvrer  deniers  pour  y  remédier  et  subvenir  comme  elles  me 
pressent,  mesmement  du  costé  de  ceulx  qui  tiennent  mes  bagues 
et  effets  et  pour  quoy  je  suis  entrée  si  avant  avec  vous  à  propos 
de  ma  terre  de  Garmigny,  mais  encores  beaucoup  plus  pressée 
que  je  ne  vous  puis  dire  de  la  retirer  promptement,  ou  de  perdre 
le  tout,  comme  j'en  suis  menacée  de  nouveau,  je  suis  contraincte 
vous  envoyer  ce  porteur  exprès  et  vous  supplier,  Monsieur,  de 
me  voulloir  faire  ce  bien  que  de  me  mander  par  luy,  sur  ce, 
resolutivement  vostre  intention  et  volonté  et  de  y  adviser  de 
deux  choses  l'une  ;  ou  de  m'en  parfaire  le  paiement  prompte- 
ment et  comptant,  et  en  ce  faisant  m'envoyer  tel  de  vos  gens 
incontinant  avec  pouvoir  pour  vous  en  passer  la  vendition,  telle 
qu'elle  vous  a  esté  arrestée  par  Madame  ma  mère,  sans  m'y 
tenir  davantage  en  suspens,  affin  que  je  n'aye  à  regretter  cy 
après  que  vingt  mille  livres  ayent  esté  causes  de  m'en  faire 
perdre  cent  mille,  comme  je  m'a])erçois  desjà  estre  en  chemin 
et  dangier;  ou  bien  me  quitter  de  la  promesse  que  vous  y  a 
faicte  Madame  ma  mère,  en  vous  remboursant  des  quinze  cens 
escus  que  m'y  avez  advancés,  pour,  d'un  costé  ou  d'aultre, 
(comme  j'en  ay  desjà  d'ailleurs  offre  de  trente  mil  francs)  avoir 
de  quoy  appaiser  mes  marchands  et  r'avoir  mes  besognes.  Si 
est-ce,  Monsieur,  quMl  me  desplairoit  fort,  puisque  en  sommes 
si  avant  et  que  la  chose  vous  est  si  propre,  qu'elle  ne  tombast 
en  vos  mains.  Qui  est  cause  que,  si  avez  double  de  quelque 
chose,  que  j'accorde  et  consens  dès  à  présent  que  vous  puissiez 
par  mes  mains  mesmes,  faire  faire  la  distribution  desdits  deniers, 
ainsi  qu'il  vous  plaira,  à  ceulx  qui  ont  mes  dictes  besognes, 


3â6  ANTOINE   DE   BOURBON 

pourveu  que  dès  ceste  heure  ils  me  les  rendent  sans  que  j'en 
touche  un  seul  denier. 

Pour  quoy,  Monsieur,  je  vous  supplie  très  humblement  ceste 
fois  m'y  resouldre  au  retour  de  ce  dit  porteur,  en  la  suffisance 
duquel  je  remettray  à  vous  dire  toutes  les  aullres  nouvelles  et 
de  raoy  et  de  mon  petit  ménage,  oîi  puys  deux  moys  j'ay  tou- 
jours eu  tant  d'adversité  et  soucys  que  encores  ne  vous  pour- 
rois-je  brièvement  escrire  de  ma  main.  Vous  excuserez  le  tout 
s'il  vous  plaist,  me  continuant  tousjours  en  vos  bonnes  grâces.. . 

D'Anisy,  ce  29  de  décembre  -1560. 

Vostre  humble  et  obéissante  niepce, 
Léonor  de  Roye. 

(Original;  f.  fr.,  vol.  G620,  f.  15.  —  Ajoutez  à  cette  lettre  une  pre- 
mière lettre  de  la  princesse  de  Condé  au  connétable  en  date  du  29  sep- 
tembre 1560;  Orig.,  f.  fr.,  vol.  3260,  f.  81.) 


IX. 

Lettre  de  Jeanne  d'Albret  relative  à  la  suspension  de  Jehan 
Rélin  de  son  office  de  trésorier  du  pays  de  Foix;  Pau, 
31  décembre  loOO.  (Copie  du  temps;  Arch.  des  Basses-Pyré- 
nées, B.  ^^63.) 


Advertimiento  de  lo  que  paresce  de  obispo  de  Limoges  qde  séria 

BIEN  SCRIVIR  A  FrAIVCIA. 

[Décembre  1560.) 

Avis  de  Sébastien  de  l'Aubcspine  sur  les  lettres  de  condoléance  que  le 
roi  d'Espagne  doit  écrire  en  France.  —  Conseil  d'écrire  au  roi  de 
Navarre.  —  Titres  à  donner  aux  seigneurs  de  la  cour. 

Monsieur,  il  me  semble  qu'il  sera  bcsoing  principalement  de 
deux  lettres  de  créance  du  Roy,  Tune  pour  monsieur  le  connes- 
table  et  l'autre  pour  monsieur  de  Guise,  afin  que  sur  icelle 
monsieur  de  Cbanlonnay  face  l)ons  offices  et  dye  le  consente- 
ment que  Sa   Majesté   catholique  a   d'avoir  entendu   qu'ils 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  327 

assistent  si  fermement  la  Royne.  Et  fault  qu'il  parle  de  telle 
sorte  que  chascun  cognoisse  que,  s'il  advenoit  ou  feust  advenu 
aultrement,  elle  eust  receu  ung  grand  mescontentement  et  res- 
sentiment. Au  demeurant  je  scay  que  vous  faictes  quelque  dif- 
ficulté de  donner  au  roy  de  Navarre  les  tiltres  qui  luy  appar- 
tiennent et  desquelz  vous  aviez  de  coustume  user  sur  les  lettres 
que  l'on  luy  escrivoit.  Et,  encores  que  le  meilleur  feust  de  luy 
escrire  une  pareille  lettre  de  créance  en  tout  événement,  si  l'on 
en  faict  difficulté,  il  me  semble  qu'il  sera  grandement  néces- 
saire que  M.  de  Chantonay  ayt  audience  de  luy  et  luy  facedoul- 
cement  et  afl'ectionnément  tOLiclier  au  doid  la  part  du  Roy,  aussi 
la  satisfaction  qu'a  eu  Sa  Majesté  de  l'establissement  et  concorde 
qui  est  entre  eulx,  et  avec  dextérité  luy  faire  sentir  et  juger 
combien  Sa  Majesté  ayme  la  Royne,  sa  mère,  et  qu'il  n'a  rien 
qu'il  ne  feist  pour  emploier  pour  l'amour  d'elle;  adhortant  led. 
seigneur  roy  de  Navarre  à  continuer  et  faire  les  mêmes  gaillards 
offices  vers  M.  le  prince  de  Condé,  son  frère,  qui  est  à  la  court. 
Au  surplus,  madame  de  Montpensier,  mère  de  mademoiselle  de 
Bourbon,  qui  cy  est,  pour  la  grande  part  qu'elle  a  près  la  royne 
et  le  roy  de  Navarre,  a  usé  dernièrement  de  toute  dextérité  et 
soing  afin  d'establir  et  radresser  ce  que  aucuns  séditieux  avoient 
voulu  brouiller.  Et,  d'autant  qu'elle  a  grands  moiens  en  ce  que 
dessus,  je  ne  scay  si  Sa  Majesté  vouldroit  luy  en  escrire  ung 
mot.  Pour  le  moins  il  sera  bon  et  proufitable  qu'il  luy  plaise 
que,  par  ledit  ambassadeur,  elle  entende  que  Sa  Majesté  a  sceu 
son  devoir  et  les  services  qu'elle  faict  à  la  royne,  sa  mère, 
l'adhortant  à  poursuivre  de  bien  en  mieulx.  Et  désirerois  que 
le  semblable  se  feist  envers  monsieur  l'admirai. 

Au  roy,  mon  cousin,  prince  de  Biard. 

A  mon  cousin  le  duc  de  Montmorency,  pair  et  connétable  de 
France. 

A  mon  cousin,  le  duc  de  Guyse,  pair  et  grand  maistre  de 
France. 

A  mons.  de  Saint- André,  marquis  de  Fronsac  et  mareschal 
de  France. 

A  ma  cousine,  madame  la  duchesse  de  Montpensier. 

A  mons.  de  Chastillon,  admirai  de  France. 

(Copie  du  temps,  sans  date  ni  signature;  Arch.  nat.,  K.  1493,  n»  40.) 


328  ANTOINE   DE   BOURBON 

XL 

Lettre  de  Philippe  II  au  roi  de  Navarre. 

Tolède,  décembre  1560. 

Lettre  de  condoléance  sur  la  rnort  de  François  II  et  de  créance  en 
faveur  de  don  Juan  Manrique  de  Lara. 

Por  lo  que  de  ahi  me  ha  escrito  mi  embajador  he  entendido 
et  fallecimiento  del  rey  Francisco,  rai  hermano,  de  que  he  reci- 
bido  mucha  pena,  por  haber  fallecido  en  tal  edad  y  por  el 
dendo  y  amor  que  entre  nos  otros  habia,  y  la  falta  que  harâ  à 
ese  reino.  Y  asi  habiendole  sucedido  el  rey  cristianisimo ,  su 
hermano,  he  mandado  al  cavero,  don  Juan  Manrique  de  Lara, 
mi  Mayordomo,  y  del  mi  consejo  de  Estado,  que  vaya  â  visitarle 
de  mi  parte  y  à  la  reina  madré  y  que  â  vos  os  hable.  Lo  que  de 
el  entendereis,  yo  os  ruego  muy  afectuosamente  que  le  deis  fée 
y  creencia  como  à  mi  propià  persona,  y  hagais  en  todo  lo  que 
debeis  â  vos  mismo  y  al  servicio  de  Dios,  y  bien  de  ese  reino  y 
universai  de  la  cristiandad.  Que  à  mi  me  hareis  en  ello  tan 
singular  placer,  como  os  lo  declararâ  el  dicho  don  Juan  Man- 
rique, â  quien  nos  remilimos. 

Nuestro  Senor  os  tenga  en  su  continua  guarda. 

De  Toledo,  â  de  Diciembre  -1500. 

(Minute  originale;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n°  4.) 


XIL 


Instruction  de  Philippe  II  à  don  Juan  Manrique  de  Lara, 
ambassadeur  extraordinaire  en  France,  Madrid,  A  janvier  \^6i . 
—  Compliments  de  condoléance  à  présenter  au  roi  et  à  la  reine 
mère  de  la  part  du  roi  d'Espagne.  —  Pliilii)pc  II  conseille,  vu 
la  minorité  du  roi,  que  le  gouvernement  reste  aux  mains  d'une 
personne  capable,  et  il  désigne  la  reine  mère  comme  réunissant 
toutes  les  conditions.  —  Conseils  à  Charles  IX  d'obéir  à  sa 
mère.  —  Il  ne  l'aut  concéder  à  Vendôme  que  la  plus  petite  part 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  329 

possible  dans  le  gouvernement,  puisqu'on  ne  peut  Técarter 
absolument.  —  Recommandation  de  diminuer  le  nombre  des 
membres  du  conseil  du  roi  pour  éviter  les  divisions.  —  Le  roi 
d'Espagne  demande  de  sévères  mesures  contre  les  hérétiques. 

—  Il  préconise  le  concile  de  Trente  et  réclame  l'abandon  du 
concile  national  français.  —  Exécution  du  traité  de  Cateau- 
Cambrésis  au  sujet  de  la  délimitation  de  la  France  et  de  la 
Flandre.  (xMinute  espagnole;  Arch.  nat.,  K.  U93;  n°  UA.] 

XUI. 

Lettre  de  Michel  Suriano  à  la  république  de  Venise,  Orléans, 
9jan.v.  ]o6\.  —  Travaux  des  états.  —  Après  la  séparation  des 
députés,  la  cour  partira  pour  Fontainebleau.  —  Économies 
réalisées  par  le  nouveau  gouvernement.  —  La  moitié  des  galères 
de  marine  a  été  désarmée  et  les  équipages  licenciés.  —  Oppo- 
sitions que  les  capitaines  font  à  ces  économies,  —  Visite  de 
condoléance  faite  par  l'ambassadeur  à  Marie  Stuart.  —  Mort  du 
prince  de  Baupréau.  (Dépêches  vénit.,  filza  4,  (°  229.) 

Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II  (Fragment),  Orléans, 
^2  janvier  ioGi.  —  Procès  du  duc  de  Nemours  et  de  Françoise 
de  Rohan.  —  Vendôme  soutient  la  cause  de  Françoise  de  Rohan. 

—  Querelles  entre  Nemours  et  Vendôme.  —  Le  duc  de  Guise 
les  réconcilie  et  les  détermine  à  attendre  les  arrêts  de  la  justice. 

—  Les  Guises  désirent  le  mariage  de  don  Carlos  et  de  Marie 
Stuart.  —  Mécontentement  que  ce  projet  cause  à  la  reine  mère. 
(Orig.  espagnol-,  Arch.  nat.,  K.  -1494,  n"  52.) 

Lettre  de  Michel  Suriano  à  la  république  de  Venise,  Orléans, 
i3  janvier  iodi.  —  La  cour  est  obhgée  de  quitter  Orléans  à 
cause  du  manque  de  vivres.  —  Disette  générale.  —  Travaux 
des  états  d'Orléans.  —  Dettes  du  trésor  royal.  —  Le  cardinal 
de  Tournon  est  envoyé  à  Lyon  pour  contracter  un  emprunt.  — 
Économies  réalisées  à  la  cour.  —  Désintéressement  de  la  reine 
mère  qui  abandonne  une  partie  de  son  douaire.  (Dépèches  vénit. , 
filza  4,  f.  232.) 

Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II  (Fragment),  Orléans, 
^3  janvier  \o6l.  —  Vendôme  est  satisfait  d'avoir  été  classé  à 


330  ANTOINE   DE   BOURBON 

Rome  au  nombre  des  souverains  régnants.  —  Touchant  le 
mariage  de  Marie  Stuart.  —  Vendôme  soulève  les  obstacles  au 
mariage  de  cette  princesse  avec  don  Carlos.  (Orig.  espagnol; 
Arch.  nat.,  K.  iA9\,  n°  53.) 

XIV. 

Inventaire  de  la  vaisselle  et  des  bijoux  de  François  II,  roi  de 
France,  dressé  à  Fontainebleau  le  ^5  janvier  -1500  (1561)  par 
Jehan  Babou,  s.  de  la  Bourdaisière,  Tristan  Rostaing,  s.  de 
Brou,  Florimond  Robertet  et  Nicolas  Legendre,  s.  de  Villeroy. 
(Original  sur  parchemin,  f.  fr.,  vol.  4732-,  exemplaire  de 
Charles  IX  à  ses  armes,  avec  ces  deux  devises  :  Ardorem  extincta 
testantur  vivere  flamwa,  et  Pietate  et  justifia.  Cet  inventaire 
est  beaucoup  plus  détaillé  que  celui  de  Marie  Stuart,  qui  est 
imprimé  dans  Négociations  sous  François  f/,  p.  738.) 

XV. 

Commission  de  Jeanne  d'Albret  à  Guillaume  et  Arnaud  du 
Colom,  ses  secrétaires,  pour  rechercher  les  litres  de  collation 
de  prébende  accordés  par  elle  ou  par  ses  prédécesseurs,  Pau^ 
\Z  janv.  -1560  (156^).  (Original  sur  parchemin;  Arch.  des 
Basses-Pyrénées,  E.  582.) 

Lettres  patentes  d'Antoine  de  Bourbon  et  de  Jeanne  d'Albret 
nommant  comme  lieutenants  généraux  en  Béarn  l'évêque  de 
Lescars  et  le  seigneur  d'Andaux,  Saint-Germain,  20  janvier 
i'660  (1561).  (T.  VI  des  Establissemenls  de  Béarn;  Arch.  des 
Basses-Pyrénées,  C.  (î84,  f.  52.) 

Lettres  de  Jeanne  d'Albret  à  Bologne  et  à  Bélin  du  21  janvier 
et  du  23  janvier  -1560  (-156'!).  (Voir  ci-dessus,  p.  \23  et  424.) 

XVI. 

Lettre  de  Chantonay  et  de  Manrique  de  Lara  à  Philippe  II 
(Fragment),  Orléans,  2S  janvier  V6{y\ .  —  Bonne  opinion  que 
la  reine  mère  garde  de  Vendôme.  —  Protestations  de  ce  prince 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  331 

en  matière  de  religion.  Vendôme  est  entouré  de  favoris  héré- 
tiques. (Orig.  espagnol  5  Arch.  nat.,  K.  -1494,  n°  55.) 

Lettre  de  Chantonay  et  de  Manrique  de  Lara  à  Philippe  II, 
Orléans^  4'^''  février  \^(}\ .  —  Les  deux  ambassadeurs  espagnols 
ont  accepté  un  dîner  chez  Vendôme.  —  Ils  lui  ont  conseillé  de 
laisser  la  régence  à  la  reine  mère.  —  Vendôme  acquiesce  à  ces 
conseils.  —  Ils  lui  ont  conseillé  aussi  de  repousser  les  requêtes 
des  Réformés.  —  Le  prince  leur  a  promis  de  ne  point  les  favo- 
riser; cependant  peu  de  jours  après  il  a  soutenu  au  conseil  une 
requête  de  Goligny.  —  Conduite  ambiguë,  en  matière  de  reli- 
gion, de  Jean  de  Monluc,  évêque  de  Valence.  —  Vendôme 
a  refusé  de  recevoir  la  lettre  du  roi  d'Espagne,  parce  qu'elle  ne 
portait  pas  le  titre  de  roi.  —  Le  cardinal  de  Lorraine  part 
demain  pour  Reims.  —  Ses  adieux  touchants  au  roi  et  à  la 
reine.  —  Les  Réformés  ont  la  prétention  d'introniser  un  roi  de 
leur  religion  et  d'interdire  la  pratique  du  culte  catholique. 
(Orig.  espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n°  56.) 

XVII. 

Recueil  d'ordonnances  de  Jeanne  d'Albret  et  de  pièces  sur  les 
états  annuels  de  Béarn,  Paii^  février  ^5G0  (ISG'J).  (Voir  ci- 
dessus,  p.  -125  et  suiv.) 

XVIII. 

Lettre  du  roi  de  Navarre  a  M.  de  Tavannes. 

Fontainebleau^  15  février  1560  (1561). 
Protestation  d'amilié  et  ordre  d'obéir  au  roi  et  à  la  reine  mère. 

Monsieur  de  Tavannes,  vostre  vertu  et  l'estyme  que  j'ay 
tousjours  eue  de  vous  se  sont  de  sy  longtemps  acquis  envers 
moy  beaucoup  de  recommandation ,  qui  se  s'offrira  jamais 
chose  icy  ou  ailleurs  en  particulier  qui  vous  touche,  où  je  n'es- 
saye de  vous  faire  tout  le  plaisir  qui  me  sera  possible,  aynsy 
que  je  l'ay  dit  à  vostre  serviteur  présent  porteur.  Et,  quant  au 
reste  de  sa  despesche,  vous  verrez  ce  que  le  Roy  et  la  Royne 


332  ANTOINE   DE   BOURBON 

mère  vous  en  escripvent.  Qui  me  gardera  de  vous  faire  ceste 

lettre  plus  longue.  Pryant  Dieu,  Mons.  de  Tavannes,  qu'il  vous 

ayt  en  sa  sainte  garde. 

Escript  à  Fontainebleau,  le  xv*  jour  de  feubvrier  -loeo. 

Vostre  bien  bon  amy, 

Antoine. 
(Original;  f.  fr.,  vol.  4632,  f.  142.) 

XIX. 

Lettre  du  duc  d'Albuquerque  à  Philippe  II,  Sangueza,  M  fé- 
vrier \^^\ .  —  Bruit  de  la  rivalité  du  duc  de  Guise  et  du  duc  de 
Vendôme.  —  Lettres  écrites  par  Vendôme  et  par  ses  secrétaires 
au  duc  d'Albuquerque  pour  poser  les  bases  de  ses  nouvelles 
revendications.  —  Par  prudence  le  duc  n'a  pas  répondu.  — 
Demande  d'instruction  à  ce  sujet.  —  Prochaine  assemblée  pro- 
vinciale de  Sangueza.  (Orig.  espagnol;  Arch.  de  la  secret.  d'État 
d'Espagne,  Navarre,  leg.  358,  f.  D^.) 

Lettre  d'un  ambassadeur  vénitien  à  la  république  de  Venise, 
Paris,  'lO  février  1561.  —  Progrès  de  l'influence  du  duc  de 
Guise  dans  le  gouvernement.  —  Les  catholiques  redoutent  le 
crédit  du  roi  de  Navarre.  —  Manrique  de  Lara  menace  la  reine 
de  la  guerre  si  elle  laisse  grandir  le  parti  réformé.  —  L'impres- 
sion que  ces  menaces  causent  à  la  reine  fait  couler  ses  larmes. 
—  La  reine  voulait  exécuter  le  traité  de  Cateau-Cambrésis  en  ce 
qui  regarde  la  restitution  des  places  de  Savoie,  mais  le  roi  de 
Navarre  et  le  duc  de  Guise  l'ont  décidée  à  l'ajourner  jusqu'à  la 
majorité  du  roi.  (Déchiffrement;  Dépêches  vénit.,  fîlza  4  bis, 
f.  60.) 

XX. 

Lettre  dd  roi  de  Navarre  au  parlement  de  Paris. 

Fontainebleau^  2i  février  1561  (1562). 
Touchant  les  gages  des  conseillers  du  parlement. 

Messieurs,  vous  entendrez  par  Messieurs  les  gens  du  Roy, 
mon  seigneur,  ce  qu'il  a  advisé  avec  la  Royne  en  son  conseil, 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  333 

sur  les  remonstrances  qui  ont  esté  faites  sur  l'entier  payement 
de  voz  gages,  en  quoy,  quant  à  ce  qui  deppend  de  l'effect  et 
démonstration  de  la  bonne  affection  que  j'ay  tousjours  porté  à 
vostre  compagnie,  sy  j'ay  faict  office  correspondant  à  la  bonne 
opinion  que  je  désire  qu'en  ayez.  Je  m'en  rapporte  à  ce  qu'ils 
vous  diront,  sans  qu'il  soit  besoing  que  je  vous  en  rapporte 
cette  lettre  plus  longue,  estimant  que  vous  demeurerez  tous 
persuadez  et  asseurez,  comme  je  vous  prie  de  Pestre,  qu'il  n'y 
aura  jamais  affaires  qui  vous  touche  que  je  n'embrasse  de 
mesme  volonté  que  les  miens  mesmes.  Priant  Dieu,  Messieurs, 
qu'il  vous  ayt  en  sa  saincte  et  digne  garde. 

Escript  à  Fontainebleau,  le  vingt-deuxiesme  février,  mil  cinq 
cens  soixante  et  un. 

Vostre  plus  affectionné  amy, 

Antoine. 

(Copie  des  registres  du  parlement  de  Paris  ;  f.  fr.,  vol.  23750,  non 
paginé.) 

XXI. 

Lettre  du  roi  de  Navarre  a  Charles  de  Goucy,  s.  de  Bdrie, 

LIEDTE.NA.NT  DU  ROI  EX  GdïEN-\E. 

Fontainebleau,  28  février  1560  (1561). 
Assemblée  des  états  provinciaux  à  Bordeaux  et  à  Angoulême. 

Mon  cousin,  par  la  coppie  que  je  vous  envoyé  des  lectres 
patentes  qu'il  a  pieu  au  Roy,  mon  seigneur,  m'adresser,  vous 
verres  comme  il  entent  rassembler  en  la  ville  de  Melun,  le  pre- 
mier jour  du  moys  de  may  prochain,  les  Estats  généraulx  de 
son  royaulme  -,  et  que  aulx  assemblées  qui  ce  feront  à  Bour- 
deaulx  et  en  la  ville  d'Angoiesme,  le  vingtiesme  jour  du  moys 
de  mars  prochain,  il  assiste  en  chacun  lieu  personne  quy  me 
représanle  comme  gouverneur  du  pays  et  duché  de  Guyenne. 
Et  d'aultant  que  l'assignation  esclioeit  à  mesme  jour,  et  par  ce 
moyen  ne  scauriez-vous  estre  présent  aux  deux,  j'ay  advisé  de 
commettre  à  cest  le  s""  d'Escars,  et  luy  escriz  affin  qu'il  ne 
faille  de  se  rendre  au  dict  Angolesme  au  jour  désigné  pour  tenir 


334  ANTOINE    DE   BOURBON 

en  ceste  compagnie  le  lieu  et  place  de  mon  lieutenant  ;  comme 
vous  ferez  le  semblable  audict  Bordcaulx.  Vous  priant,  mon 
cousin,  à  ce  qu'on  se  résolve  et  prenne  délibération  de  bien 
conseiller  mondict  Seigneur  et  de  proposer  et  arrester  sur  ce 
que  leur  semblera  util,  veu  les  calamités  passées  et  le  temps  où 
nous  sommes,  tant  pour  la  nésessité  de  ses  affaires  que  pour  le 
bien  universel  de  la  chose  publicque  et  de  Testât  de  cedict 
royaume,  de  manière  que  l'issue  en  soict  telle,  comme  tous 
ceulx  qui  y  sont  bien  affectionnez  le  doibvent  prouver  et 
désirer. 
De  Fontainebleau,  ce  dernier  jour  de  febvrier  -1560. 

Antoine. 

(Copie  du  temps  ;  Vc  de  Colbert,  vol.  27,  f.  303.  —  Voyez  une  lettre 
analogue  du  roi  au  sénéchal  des  Lannes  (Landes)  ;  ibid.,  f.  294,  v°.) 

XXII. 

Lettre  de  Sébastien  de  l'Aubespine  à  la  reine  mère,  Tolède^ 
mars  ^560  (I56i).  —  Sentiments  d'animosité  du  roi  d'Espagne 
contre  les  chefs  du  parti  réformé,  et  principalement  contre  le 
roi  de  Navarre,  le  cardinal  de  Ghastillon  et  l'amiral  de  Goligny. 
—  Ici,  dit  l'ambassadeur,  «  on  ne  parle  que  de  la  messe  que 
«  tout  le  monde  néglige  »  à  la  cour  de  France.  —  Les  senti- 
ments du  roi  d'Espagne  pour  les  réformés  et  pour  le  roi  de 
Navarre  ne  laissent  pas  espérer  à  LWubespine  le  succès  de  la 
requête  que  la  reine  lui  a  commandé  d'adresser  au  roi  catho- 
lique au  profit  de  la  maison  d'Albret.  —  La  dame  de  Clermont, 
une  des  dames  de  la  reine  d'Espagne,  a  demandé  son  congé, 
ainsi  que  Montai  et  Guttinières,  et  partira  dans  dix  ou  douze 
jours.  —  La  damedeGurton  rappelle  aussi  sa  fille.  (Orig.,  f.  fr., 
vol.  6f)l4,  f.  8L) 

XXIII. 

Lettre  d'un  ambassadeur  vénitien  à  la  république  de  Venise, 
P«m,  ^"  mars  \M\.  —  L'affaire  du  gouvernement  de  Cham- 
pagne promis  au  duc  de  Nemours  au  préjudice  du  prince  de 
Condé,  l'ordre  de  la  reine  sur  la  résidence  des  cardinaux ,  la 
lettre  du  roi  relative  au  procès  de  Gondé  et  surtout  la  rivalité 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  335 

du  roi  de  Navarre  et  du  duc  de  Guise  au  sujet  des  clefs  du  châ- 
teau ont  tellement  indisposé  ce  prince  qu'il  a  menacé  de  quitter 
la  cour.  —  Détails  sur  sa  tentative  de  retraite  et  sur  sa  récon- 
ciliation avec  la  reine.  —  Antoine  de  Bourbon  avait  promis  au 
duc  de  Guise  à  Orléans  de  quitter  la  cour  s'il  la  quittait  aussi. 

—  Le  duc  de  Guise  se  fait  hal3ituellement  au  conseil  l'avocat 
du  prince  de  Condé.  (Déchiffrement  ;  Dépèches  vénit.,  fdza  4  bis, 
f.  ^5.) 

Lettre  d'un  ambassadeur  vénitien  à  la  république  de  Venise, 
Paris,  3  mars  ^D6^.  —  Nouveaux  détails  sur  les  projets  de 
retraite  du  roi  de  Navarre.  —  Il  est  probable  que  le  procès  du 
prince  de  Gondé  se  terminera  par  une  ordonnance  de  non-lieu. 

—  Condé  a  été  appelé  à  la  cour.  —  Le  duc  de  Guise  défend  la 
cause  de  Gondé  et  veut  faire  annuler  les  procédures.  —  Cepen- 
dant la  culpabilité  de  ce  prince  est  certaine,  surtout  à  Lyon. 
(Déchiffrement;  Dépêches  vénit.,  fdza 4  bis,  f.  48.) 

Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  Moret,  4  mars  4.561.  — 
Tous  les  évêques  sont  renvoyés  dans  leur  résidence  épiscopale. 

—  Le  cardinal  de  Lorraine  est  éloigné  pour  longtemps  de 
la  cour.  —  Vendôme  voudrait  aussi  éloigner  le  cardinal  de 
Tournon.  —  x\ffaire  des  clefs  du  château  ;  la  reine  a  décidé  qu'elle 
les  garderait  elle-même.  —  Vendôme  prétend  chasser  le  duc  de 
Guise  de  la  cour.  —  Le  sire  de  Rohan,  frère  de  Françoise  de 
Rohan,  est  arrivé  à  Fontainebleau  avec  170  chevaux  et  doit  y 
séjourner,  dit-on,  jusqu'au  24  de  ce  mois.  —  Retour  sur  l'af- 
faire des  clefs  du  château.  —  Le  26  février,  les  Guises  sont 
allés  à  la  chasse  ensemble,  tandis  que  Vendôme,  les  Montmo- 
rencys et  les  Chastillons  allaient  d'un  autre  côté.  —  Le  27, 
Vendôme  a  tenté  de  quitter  la  cour.  —  Il  assure  aux  courtisans 
que  le  duc  de  Guise  avait  acheté  des  témoins  contre  le  prince  de 
Gondé.  —  Le  duc  de  Guise,  poussé  à  bout,  a  déclaré  qu'il  ne 
sortirait  de  la  cour  que  sur  l'ordre  de  la  reine.  —  Vendôme 
n'est  que  le  prête-nom  des  Chastillons.  —  Le  procès  du  prince 
de  Condé,  malgré  la  culpabilité  évidente  de  ce  prince,  n'aura 
aucune  suite.  (Orig.  espagnol;  Arch.  nat.,  K.  4404,  n"  62.) 

Lettre  d'un  ambassadeur  vénitien  à  la  république  de  Venise, 
Paris,  5  mars  4:361.  —  L'affaire  des  clefs  du  château,  la  que- 


336  ANTOINE    DE   BOURBON 

relie  du  roi  de  Navarre  et  du  duc  de  Guise  auraient  pu  être  le 
signal  de  la  guerre  civile.  —  Chances  comparées  des  deux 
partis.  (Décliiffrement  ;  Dépêches  vénit.,  filza  A  bis,  f.  ^9.) 

Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II  (Fragment),  Moret,  9  mars 
VôGi.  —  Vendôme  désire  que  le  procès  du  prince  de  Condé  se 
termine  par  un  arrêt  du  parlement.  —  Le  connétable  se  plaint 
de  l'ambition  envahissante  de  Vendôme.  —  Le  duc  de  Guise 
dit  qu'il  ne  veut  pas  que  sa  rivalité  avec  Vendôme  allume  la 
guerre  civile,  et  qu'il  est  prêt  à  régler  cette  querelle  de  per- 
sonne à  personne.  —  Vendôme  se  présente  toujours  à  la  cour 
accompagné  du  sire  de  Rohan  et  de  ses  partisans.  (Orig.  espa- 
gnol ;  Arch.  nat.,  K.  ^494,  n"  64.) 

Mémoire  donné  à  don  Juan  de  Ayala  sur  les  prétentions  de 
Vendôme,  Tolède,  \\  mars  ^561.  —  Discussion  de  droit  inter- 
national pour  rétorquer  les  arguments  que  Vendôme  ne  man- 
quera pas  de  tirer  de  ce  fait  que  son  ambassadeur  a  été  reçu  à 
Rome  comme  représentant  du  roi  de  Navarre.  —  Démonstration 
sans  faits  nouveaux.  (Orig.  espagnol  ;  Arch.  de  la  secrétairerie 
d'État  d'Espagne,  Navarre,  Leg.  n°  358,  f.  374.) 

Lettre  de  Suriano  à  la  république  de  Venise  (Fragment), 
Paris,  16  mars  156^.  —  Le  prince  de  Gondé  retourne  à  Paris. 
—  Réception  qui  lui  est  faite.  —  Attitude  menaçante  de  Gondé 
devant  le  duc  de  Guise.  —  La  reine  aurait  désiré  retirer  raffaire 
de  Gondé  au  Parlement  el  l'évoquer  devant  le  conseil  du  roi.  — 
Gondé  a  refusé.  —  La  reine  désire  la  réconciliation  de  ce  prince 
avec  le  duc  de  Guise  ;  sa  réponse.  —  Nouveaux  édits  défendant 
le  port  des  armes  à  la  cour.  —  Redoublement  des  gardes.  — 
La  reine  détient  elle-même  les  clefs  du  château.  —  En  cas  de 
troubles,  les  capitaines  fidèles  ont  ordre  d'accourir  avec  leurs 
armes  dans  la  chambre  du  roi.  (Dépêches  vénit.,  filza  4,  f.  267.) 

Lettre  d'un  ambassadeur  vénitien  à  la  république  de  Venise, 
Paris,  17  itiars  ib('}\.  —  Le  roi  d'Espagne  aimait  beaucoup  le 
connétable,  mais  sa  faveur  est  passée  aux  Guises,  chefs  du 
l)arti  catholique.  —  Les  nouveaux  états  montrent  l'intention  de 
déférer  la  régence  au  roi  de  Navarre.  (Déchiffrement  ;  Dépèches 
vénit.,  filza  4  bis,  f.  20.) 

Lettre  de  Suriano  à  la  république  de  Venise  (Fragment), 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  337 

Paris,  ]S  mars  ^56^ .  —  Entrée  du  prince  de  Gondé  à  Paris.  — 
Acquittement  du  prince  au  conseil.  —  Marie  Stuart  est  passée 
à  Paris  en  se  rendant  à  Reims.  (Dépèches  vénit.,  filza  4,  f.  202.) 

XXIV. 

Lettre  du  roi  de  Navarre  au  pre'sident  Alixant,  du  parlement 

DE   BoURGOGiVE. 

Fontainebleau,  18  mars  1560  (1561). 

Ordre  de  donner  à  l'abbé  de  Bourras  un  nouveau  délai  pour  rassembler 
ses  preuves  dans  son  procès  au  i)arlenient  de  Bourgogne. 

Monsieur  le  président,  j'ay  entendu  par  Mons.  l'abbé  de 
Bourras  comme  au  procès  pendant  en  vostre  court  entre  luy  et 
M^  Celse  Morin,  pour  raison  du  prieuré  de  Gonches,  il  a  esté 
dict  par  une  dernière  ordonnance  de  lad.  court  que,  dans  cer- 
tain temps  bien  près  à  expirer,  led.  abbé  de  Bourras  produira 
ce  que  bon  luy  semblera  pour  la  défense  de  sa  cause  et  sans 
spérance  de  plus  ample  délay.  A  quoy  il  n'a  peu  encores  satis- 
faire pour  l'occupation  quMl  a  eue  ez  afTaires  où  mon  frère, 
Mons.  le  duc  de  Nyvernoys,  l'a  employé,  ainsy  qu'il  vous  en 
tcsmoigne  par  ses  lettres,  avec  prière,  telle  que  je  la  vous  faiz 
par  la  présente,  de  vouloir  donner  aud.  abbé  de  Bourras  autre 
délay  de  six  sepmaines  seulement,  pour  mettre  devers  lad.  court 
les  pièces  qu'il  aura  pour  la  conservation  du  droit  qui  luy 
appartient  aud.  prieuré.  En  quoy  faisant  j'estime  que  sa  partie 
ne  se  pourra  tenir  aucunement  offensée  ne  prendre  occasion  de 
se  plaindre  de  ses  juges,  qui  doibvent  toujours  mieulx  aymer 
d'asseoir  jugement  sur  pièces  et  tiltres  que  sur  une  seulle  for- 
malité. A  tant,  que  confiant  que  vous  en  userez  si  équitable- 
ment  qu'il  ne  s'y  trouvera  à  redire,  je  vous  diray  qu'en  l'en- 
droict  où  vous  m'emploierez  je  vous  feray  plaisir  d'aussy  bon 
cueurque  supplie  le  Créateur  vous  tenir.  Monsieur  le  président, 
en  sa  très  saincte  grâce. 

De  Fontainebleau,  cexvnt''  jour  de  mars  \M0. 

Le  tout  vostre, 

Antoine. 

(Orig.,  Coll.  Moreau,  vol.  883,  f.  166.  —  A  la  suite  (f.  167)  se  trouve 
un  double  de  la  présente  Icllrc,  adressée  au  même,  même  date,  égale- 
ment originale,  sans  aucuni'  variation  de  texte.) 

m  22 


338  ANTOINE    DE    BOURBON 


XXV. 


Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  Moref,  26  mars  ^56^.  — 
Vendôme  est  promu  à  la  dignité  de  lieutenant  général  du  roi. 

—  II  commandera  toutes  les  compagnies  de  gens  d'armes.  — 
Satisfaction  orgueilleuse  de  ses  partisans.  —  On  craint  à  la 
cour  que  son  inlluence  l'emporte  sur  celle  du  roi  et  de  la  reine. 

—  Le  connétable  est  l'auteur  de  la  convention  nouvelle  qui  a 
partagé  le  pouvoir  entre  la  reine  mère  et  Vendôme.  —  On  dit 
que  Pedro  d'Albret,  évêque  de  Gomminges  depuis  la  mort  du 
cardinal  Caraffa,  va  fixer  sa  résidence  à  Rome  comme  ambas- 
sadeur de  Vendôme.  —  Condé  à  Paris  ;  danger  de  sa  présence 
pour  les  affaires  de  la  religion.  (Orig.  espagnol  -,  Arch.  nat., 
K.  4494,  n°  68.) 

XXVL 

Lettre  du  roi  de  Navarre  a  Sébastien  de  l'Acbespine, 
ambassadeur  en  espagne. 

Fontainebleau^  Tl  mars  1560  (1561). 
Recommandation  de  Buade. 

Mons.  de  Lymoges,  il  ne  fault  pas,  avecques  de  si  bons 
harangueurs  que  ceste  volée  de  jeuneusse  que  nous  vous 
envoyons  par  deçà,  que  je  vous  fasse  grand  discours  de  nos 
nouvelles,  pour  ce  qu'oullre  ce  que  vous  en  diront  de  toutes 
sortes,  je  ne  vous  en  scauroys  dire  davantage  que  ce  que  vous 
en  entendrez  par  la  depesche  du  Roy  et  de  la  Royne.  Seullement 
je  vous  prieray  voulloir  embrasser  la  négociation  des  choses 
qui  me  touchent  selon  que  je  me  suys  promys  de  vostre  bonne 
affection,  et  au  surplus  ayder  que  ce  pauvre  Ruade,  en  faveur 
du(iael  la  Royne  escript  à  ce  coup  plus  affectueusement  que 
jamays,  puisse  sortir  de  cette  misère,  où  il  a  si  longuement  esté 
détenu,  que  le  tems  debvroit  servir  de  peyne  et  de  pénitence  de 
toute  la  pugnition  que  l'on  pourroit  prétendre  pour  [lacune)  de 
son  offense.  Je  le  vous  recommande.  Ce  que  mon  nepveu  le 


ET   JEANNE   d'alBRET.  339 

comte  d'Eu  dira  en  parole,  si  voyez  qu'il  soit  besoing  au  nom 
du  Roy  et  de  la  Roy  ne,  comme  pour  un  des  leui's  subgects, 
puisque  je  suis  suspect  en  cette  matière.  Pryant  Dieu,  Mons.  de 
Lymoges,  qu'il  vous  ayt  en  sa  saincte  garde. 

Escript  à  Fontainebleau,  le  xxvii*'  jour  de  mars  I5G0. 
Voslre  bien  bon  amy, 

Antoine. 

(Orig.,  Arch.  de  Villebon,  papiers  de  L'Aubespine.  —  Lettre  commu- 
niquée par  M.  le  marquis  de  Rochambeau  et  analysée  dans  Lettres  d'An- 
toine de  Bourbon  et  de  Jehanne  d'Albret,  p.  384.) 

XXVII. 

Lettre  do  secrétaire  d'état  Robertet  a  Sébastien  de 
l'Aubespine. 

Fontainebleau,  27  mars  1561. 

Nouveau  pacte  de  la  reine  mère  et  du  roi  de  Navarre.  —  Rivalité  de  ce 
prince  et  du  duc  de  Guise.  —  Imminence  de  la  guerre  civile.  — 
Intrigues  de  Fumée  au  sein  des  Étals.  —  Nécessité  de  dissimuler  cer- 
taines correspondances  au  roi  de  Navarre. 

Monseigneur,  l'occasion  de  la  dépesche  de  ce  courrier  est 
pour  vous  advertir  de  la  peyne  en  quoy  nous  avons  esté 
extresme  depuys  le  parlement  de  vostre  bomme,  telle  que  vous 
puys  assurer  que  nous  n'aurions  pas  esté  moings  que  à  veoir 
les  préparatifs  d'une  bataille  dans  ce  royaume,  qui  s'en  feust 
infailliblement  ensuyvye,  si  les  cboses  fussent  venues  au  point 
que  beaucoup  de  folz  le  desiroycnt  ^  mais  Dieu  y  a  pourveu.  Et 
a  esté  purifié  le  tout,  de  façon  que  la  Royne  demeure  en  son 
authorité.  Le  roy  de  Navarre  est  content  et  la  paix  est  partout. 
Les  folz  et  pauvres  gens,  studiosi  rerum  novarum^  ne  deman- 
doient  pas  mieux  ;  les  riches  et  gens  de  bien  le  craignoient  infi- 
niment. A  la  fin,  Monsieur  de  Guyse  est  demeuré,  que  l'on 
vouloyt  avec  tant  de  contention  esloigner  d'icy,  et  le  (lonseil  du 
feu  Roy,  que  ces  belistres  vouloyent  chasser,  demeure  en  son 
entier.  Et  pour  ce  coup,  Monsieur  Fumée,  qui  a  remué  tout 
cecy  à  Paris,  n'y  demeurera  pas,  comme  ilz  les  avoyent  mis. 
Vous  ne  scauriez  ci'oyrc  les  bons  offices  que  mon  compère  y 


340  ANTOINE   DE    BOURBON 

faicl,  taril  pour  appaiser  loul  cecy  que  pour  la  réconciliation  du 
roy  de  Navarre  avec  Monsieur  de  Guyse  ;  en  quoy  il  trompe 
l'oppinion  de  beaucoup  de  gens.  Mais  véritablement  il  y  a  hon- 
neur et  la  bonne  grâce  de  la  Royne  et  de  toutes  les  parties. 
Vous  trouverez  en  ce  pacquet  troys  lectres,  une  première  et 
deux  après  ;  les  première  et  seconde  vous  sont  envoyées  à  part, 
et  vous  y  ferez  responce  par  une  lectre  particulière.  Quant  à 
l'aultre,  qui  est  pour  le  faict  du  roy  de  Navarre,  ceste-là  luy  a 
esté  communiquée.  Vous  y  ferez  responce  dans  la  lectre  que 
vous  ferez  au  Roy,  qu'il  verra  aussy.  Il  se  faultainsy  conduyre 
au  temps  où  nous  sommes  ;  et  aussy  vous  en  fault-il  advertir 
pour  ne  vous  gaster.  Je  ne  sçay  plus  que  vous  dire,  sinon  que 
vous  sçavez  bien  que  je  suys  à  vous,  à  vendre  et  à  despendre, 
et  que  vous  pouvez  faire  estât  de  moy  comme  de  vostre  frère 
mesme.  Et  sur  ce  je  vous  baise  les  mains  et  prie  Dieu,  Monsieur, 
vous  donner  longue  et  heureuse  vie. 
De  Fontaynebleau,  le  xw!!*"  jour  de  mars. 

Vostre  humble  serviteur  et  plus  affectionné  amy, 

Robertet. 

Si  le  roy  d'Espaigne  a  agréable  que  l'on  face  l'office  envers 
le  Grand  Seigneur,  dont  l'on  vous  escript,  le  roy  de  Navarre 
m'a  prié  vous  prier  de  sa  part  d'en  donner  icy  advis  par  ung 
gentilhomme,  nommé  le  Baron  d'Ingrande,  qui  est  avec  Mon- 
sieur le  conte  d'Eu,  qu'il  auroit  envie  envoyer  en  Levant  pour 
cest  effect. 

(Original  ;  T.  fr.,  vol.  6617,  f.  139.  —  Copie  récente  ;  f.  fr.,  vol.  6620, 
L  110.) 

XXVIII. 

Lettre  d'un  ambassadeur  vénitien  à  la  république  de  Venise 
(Fragment),  Paris^  29  )nars  i'iGJ.  —  Nouveau  pacte  de  la  reine 
mère  et  du  roi  de  Navarre.  —  La  reine  sera  régente  et  le  roi  de 
Navarre  lieutenant  général.  —  Abaissement  des  Guises.  — 
Dangers  de  la  religion  catholique.  —  L'amiral  prend  une  part 
prépondérante  au  conseil.  —  Un  attend  la  reine  de  Navarre, 
qui  est  passioiniéc  j)our  la  Réforme.  (Déchiffrement  ;  Dépêches 
véiiit.,  lilza  4  bis,  f.  22.) 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  341 

Lettre  du  duc  d'AIbuquerque  à  Philippe  II,  Sanyueza,  Z\  mars 
\o^\.  —  Récit  de  l'arrestation  du  chanoine  Montréal,  —  A 
Pampelune  circule  une  prétendue  lettre  du  pape  conseillant  à 
Philippe  II  de  restituer  la  Navarre  à  Vendôme.  —  Le  duc  d'AI- 
buquerque a  fait  saisir  la  lettre  et  ceux  qui  la  répandaient. 
(Arch.  de  la  secrétairerie  d'État  d'Espagne.  Navarre,  Leg.  358, 
f.  52.) 

Lettre  d'un  ambassadeur  vénitien  à  la  république  de  Venise 
(Fragment),  Paris^  ^\  mars  \V:t&\.  —  Dangers  que  la  religion 
catholique  court  en  France.  —  Subvention  de  40,000  écus 
envoyée  aux  princes  protestants  d'Allemagne.  (Déchiffrement  ; 
Dépêches  vénit.,  filza  4  bis,  f.  23.) 

Lettre  de  Suriano  à  la  ré])ublique  de  Venise,  Paris,  \  avril 
\^iS\.  —  Prêches  publics  à  la  cour  dans  les  appartements  de 
l'amiral.  —  Renouvellement  de  la  défense  faite  aux  réformés 
de  se  réunir  secrètement.  — Arrestation  de  plusieurs  ministres, 
dont  un  chez  Madame  de  Roye.  —  Nouveau  retard,  par  écono- 
mie, du  sacre  du  roi  et  du  voyage  de  la  cour  à  Reims.  (Dépêches 
vénit.,  rilza4,  f.  273.) 

XXIX. 

Lettre  de  Sébastien  de  l'Aubespine  a  Philippe  II. 

Tolède,  4  avril  1561. 

Le  nouveau  pacte  de  la  reine  mère  et  du  roi  de  Navarre  a  maintenu  la 
paix  en  France.  —  Les  états  ont  été  ajournés  à  la  fin  d'août.  —  Le 
prince  de  Condé  s'est  contenté  d'une  déclaration  d'innocence.  — 
Déplacements  de  la  cour.  —  Le  roi  sera  sacré  le  20  mai  et  fera  son 
entrée  à  Paris  en  juin. 

Sire,  par  ce  que  la  royne  aura  peu  escrire  à  Vostre  Mageslé 
et  mons.  le  prince  d^Eboly  aussi,  vous  aurez  entendu  Testât 
auquel  les  choses  se  retrouvoient  parmy  les  estatz  particuliers 
en  France,  il  y  a  vingt  jours,  par  la  malice  de  quelques  ungs, 
mal  sentans  de  la  foy,  les  quelz  avoient  faict  une  menée  en 
certaines  provinces  afin  que  l'on  feist  tomber  le  gouvernement 
du  royaume  en  autre  main  que  celuy  de  la  Royne  vostre  mère, 


342  ANTOINE    DE    BOURBON 

la  sentans  ferme  et  constante  à  n'endurer  leurs  erreurs  et  à  les 
punir.  Despuis  est  arrivé  l'un  de  mes  gens  avec  deux  pacquetz 
de  mons.  de  Ghantonay,  lesquelz  j'ay  faicl  mettre  entre  les 
mains  de  Sajas,  m'adverlissant  ladicte  dame  par  le  mesme 
courrier  que  le  roy  de  Navarre  s'est  monstre  si  conforme  en 
tout  ce  ({u'elle  a  désiré  et  peu  approuvant  la  témérité  de  telles 
entrepryses  qu'il  s'est  accommodé,  pour  aussi  recevoir  quelque 
lieu  et  contentement,  d'estre  seul  lieutenant  général  du  Roy, 
vostre  bon  frère,  en  France  soubz  lad.  dame,  afin  que  la  multi- 
tude des  autres  seigneurs  et  gouverneurs  de  tout  le  royaume 
n'amenast  poinct  la  confuzion  qui  y  estoit,  et  que,  par  ce  moien 
aussi,  il  feust  plus  honnoré  et  respecté  d'un  g  chascun,  sans 
aucune  diminution  de  l'authorité  de  lad.  dame  ;  laquelle,  Sire, 
demeure  chef  de  toutes  choses,  ayant  les  quatre  secrétaires 
d'Eslat  soubz  elle,  les  pacquetz,  finances,  dons  et  autres  grâces 
avec  la  personne  du  Roy.  Et  commande  au  conseil  ainsi  que  de 
coustume,  tellement  que  chascun  espère,  comme  aussi  faict  Sa 
Magesté  et  ainsi  qu'elle  me  commande  vous  dire,  Sire,  que 
desormès  il  y  a  certaine  apparance  de  toute  tranquillité  et  repos  ; 
car  ce  que  dessus  est  passé,  arresté  et  signé  entre  eulx  et  de 
leurs  mains  pour  articles  irrévocables,  ayant  pour  ceste  cause, 
mandé  aux  l^stats  qu'ilz  eussent  à  ne  penser  ne  disputter  plus 
sur  telz  pointz,  ains  seullement  en  ce  qui  concerne  le  mesnaige 
du  royaume  ;  les  recuUans  et  remettans  à  s'assembler  à  la  fin 
de  l'esté  prochain. 

Et  cependant,  suivant  l'instante  requeste  du  peuple,  le  Roy, 
vostre  bon  frère.  Sire,  partira  de  Fontainebleau  incontinent 
après  Ouasimodo  pour  se  faire  sacrer  a  Rheims,  dedans  le  20 
de  may,  et  incontinent  après,  sur  le  mois  de  juin,  faire  son 
entrée  à  Paris,  d'autant  que  ces  deux  actes  solemnels  donnent 
plus  d'autorité  et  contentement  à  tous  noz  suhjects,  et  que  cela 
faict,  la  Royne,  vostre  mère,  pourra  aussi,  comme  elle  désire 
])lus  soigneusement,  user  de  la  main  forte  et  juîîicc  en  (oui  ce 
qui  se  présentera.  Ce  que  dessus,  Sire,  amandera,  s'il  vous 
j)laist,  en  voslre  endroict,  l'opinion  mauvaise  que  nous  avions 
quand  je  parlay  à  mons.  le  prince  d'Eboly  de  l'yssue  de  noz 
Estatz,  lesquelz,  par  ce  renK^de,  sont  frustrez  de  plus  rien  lou- 
cher ne  négulicr  qui  concerne  le  gouvcrnemenl. 


ET   JEANNE   D'aLBRET.  343 

Me  commandant  très  expressément  la  Royne  de  remercier 
fort  affectionnement  Vostre  Magesté  des  bons  et  roiddes  offices, 
desquelz  mons.  de  Chantonay  a  usé  près  d'elle  pendant  ces 
disputz,  et  asseuranl  Vostre  Magesté  que  ce  luy  est  obligation 
telle  qu'elle  peult  faire  estât  de  son  amour  et  affection  autant 
que  de  sa  propre  mère,  comme  de  son  costé  elle  se  confie  tant 
en  sa  bonté  et  amitié  que,  si  l'on  eust  voulu  faire  plus  de  tort 
à  son  honneur  et  prééminence,  elle  eust  usé  de  ce  que  Dieu  a 
mis,  Sire,  soubz  vostre  obéissance  comme  de  son  meilleur  amy, 
désirant  que  Vostre  Magesté  face  en  semblable  estât  de  tout 
ce  que  sera  en  elle. 

Ceulx,  Sire,  qui  avoient  tramé  ce  que  dessus  pensoient 
remuer  en  nostre  conseil  et  autres  endroitz  les  hommes  et 
honneurs  à  leur  guise,  mais^  par  ce  moien  ilz  sont  hors  de 
leurs  desseings.  S'estant  mons.  le  prince  de  Condé  contenté 
d'une  déclaration  qu'on  luy  a  donnée  pour  sa  justification,  à  la 
charge  qu'il  peust,  quant  bon  luy  sembleroit,  estre  à  la  cour 
près  lad.  dame  ainsi  qu'il  y  a  esté  permis.  Mons.  le  Connétable 
a,  Sire,  faict  de  bons  et  saiges  offices  en  cest  établissement,  me 
chargeant  de  vous  présenter  ses  très  humbles  recommandations, 
vous  requérant  comme  font  leurs  Mageslés  qu'il  vous  plaise  en 
sa  faveur  confirmer  en  Flandres  une  abbaye  de  dames  à  l'une 
de  ses  parentes,  que  les  religieuses  désirent  fort  depuis  le  décès 
de  mad.  de  Lallain,  comme  j'écris  à  mons.  le  comte  d'Horne. 
Ce  que.  Sire,  j'eusse  de  bouche  esté  faire  entendre  à  Vostre 
Magesté,  mais  la  crainte  que  j'ay  eu  de  le  troubler  parmy  ces 
sainctz  et  dévotz  jours  m'excusera,  s'il  luy  plaist.  Et  comman- 
dera à  mons.  le  prince  d'Eboly,  qui  en  est,  de  me  faire  donner 
quelque  responce  sur  ceste  lettre  et  sur  une  précédante  que  je 
vous  escrivis,  il  y  a  deux  jours,  afin  que  je  puisse  faire  entendre 
à  la  Royne,  vostre  bonne  mère,  le  contentement  que  recevrez  de 
ce  que  dessus  et  vostre  bon  conseil. 

Quand  mon  courrier  partit,  mons.  le  comte  d'Heu  avoit  desjà 
esté  licencié  du  Roy  et  de  la  Royne  mère,  et  suis  en  attendant. 
Sire,  mons.  de  Montrucuil,  lieutenant  de  mons.  le  prince  de  la 
Roche  sur  Yon,  lequel  arrivera  icy  dedans  quatre  ou  cinq  jours, 
venant  devant  pour  préparer  ce  qu'il  sera  de  besoing  et  pour 
aussi  visiter  la  Royne  ;  qui  me  faict  estimer  que  Icd.  seigneur 


344  ANTOINE    DE    BOURBON 

comte  ne  sera  pas  en  cesLe  ville  que  quatre  ou  cinq  jours  après 
Quasimodo,  dont  nos  dames  ne  sont  pas  contentes,  la  Royne 
pour  le  désir  qu'elle  a  de  recevoir  Vostre  Magesté  plus  tost  et 
les  autres  pour  leur  intérêt  particulier. 
Tolède,  î  avril  ^  56^ . 

L'Aubespine,  év.  de  Limoges. 

(Orig.,  Arcli.  nat.,  K.  1494,  n"  72.  —  A  la  fin  de  la  lettre  on  lit  la 
note  suivante,  autographe  de  Piiilijipe  II  :  «  Es  menester  tener  reunido 
lo  que  se  les  ha  de  dar  para  este  tieinpo.  ») 


XXX. 


Lettre  de  Ghanlonay  à  Philippe  II,  Moref,  7  avril  I56^.  — 
Retour  du  Juif  envoyé  par  Vendôme  au  chérif  du  Maroc,  avec 
sa  réponse.  —  Pendant  la  semaine  sainte,  Vendôme  s'est  retiré 
dans  un  monastère  près  de  Fontainebleau  et  a  fajt  ses  Pâques. 
—  Il  a  prié  le  nonce  d'informer  le  pape  de  son  attitude  ortho- 
doxe. —  Le  nonce  a  demandé  à  Vendôme  si  Pedro  d'Albret 
avait  eu  la  mission  de  donner  au  pape  quelque  espoir  sur  les 
affaires  de  la  religion  dans  le  royaume.  (Orig.  espagnol;  Arch. 
nal..  Iv.  IV.)î,  n^TS.) 


XXXI. 

.  Lettres  patentes  par  lesquelles  le  roi  accorde  au  roi  de  Navarre 

LA  LIEDTENA1VCE  GÉNe'rALE  DU  ROYAUME. 

Fontainebleau,  8  avril  1561. 

("liarles,  par  la  grâce  de  Dieu,  roy  de  France,  à  tous  ceulx 
qui  CCS  présentes  letres  verront,  salut.  Ainsi  que  toutes  choses 
sont  condiiictes  et  manyées  par  la  grande  bonlé  de  nostrc  Sei- 
gneur, et  disposées  de  son  incompréhensible  i)rudence  et  saincte 
volunté,  nous  ayant  aj)pelé  jeune  et  en  l'aagc  tendre  auquel 
nous  sommes,  à  ceste  couronne  et  mis  soubs  nostre  puissance 
une  si  pesante  charge,  que  ladminislration  duu  tel  et  si  grand 


ET    JEANNE    d'ALBRET.  345 

royaume  ;  il  luy  a  pieu  pour  faire  congnoistre  qu'il  nous  ayme 
et  nos  subgects,  nous  laisser  la  royne,  noslre  très  chère  et  très 
honorée  dame  et  mère,  pourveue  de  tant  et  si  très  excellentes 
vertus  et  rares  qualités,  (|u'il  faut  espérer,  de  sa  sage  et  pru- 
dente conduicte,  soubs  laquelle  nous  reposons  principallemcnt 
la  totalle  administration  de  nostred.  royaume,  tout  heur,  repos 
et  félicité,  accompagnée  comme  elle  est  de  noslre  très  cher  et 
très  amé  oncle  le  roy  de  Navarre,  qui  monstre  au  bien  de  cestuy 
nostre  royaume,  par  tous  bons  effects  et  grand  zèle,  telle  et  si 
sincère  affection  procédant  de  la  singulière  amour  et  naturelle 
inclination  qu'il  a  à  la  grandeur  de  ceste  nostre  couronne.  Qu'il 
est  bien  raisonnable,  regardant  aussi  sa  digne  condition  et  le 
lien  grand  qu'il  doyt  avoir  en  ce  royaume,  comme  le  premier 
et  plus  prochain  prince  de  nostre  sang,  qu'il  soit,  de  nostre 
part,  recongneu  de  tout  l'honneur  que  sa  grandeur  et  ses  très 
vertueuses  méritoires  et  très  recommandablcs  qualités  le 
requèrent. 

Pour  lesquelles  considérations,  aussi  pour  les  insignes  très 
grands  et  mémorables  services  que  iceluy  nostre  oncle  a  faicts 
à  nos  très  honorés  seigneurs,  ayeul  et  père  les  roys  Françoys, 
premier  de  ce  nom,  et  Henry,  de  très  heureuse  mémoire,  en  la 
tuition  deffence  et  ampliffication  de  nostred.  royaume;  enquoy 
il  s'est  si  prudemment  gouverné  et  conduict  et  eu  de  nostre 
Seigneur  tant  de  grâce  et  d'heur  qu'il  en  est  sorty  très  grande 
utilité  et  accroissement  à  cestuy  nostre  royaume  et  à  luy 
demeuré  réputation  de  très  heureux,  très  vertueux  et  bon 
prince,  de  façon  que,  nous  ne  pourrions  nous  reposer  de  la 
seureté  de  nostred.  royaume  en  meilleure  ne  plus  digne  main 
que  la  sienne. 

Confians  pour  toutes  ces  causes  si  asseurement  de  la  per- 
sonne de  nostred.  oncle  et  de  ses  grands  sens,  prudence,  vail- 
lance, ensemble  de  la  cordialle  affection  qu'il  nous  porte  et  à  la 
prospérité  de  tous  nos  affaires,  que  nous  ne  scaurions,  ce  nous 
semble,  assez  faire  de  démonstrations,  du  bien  et  de  l'hormeur 
que  nous  luy  désirons  pour  la  parfaicte  et  fidelle  dévotion  que 
nous  congnoissons  en  luy,  et  pour  autres  bonnes,  grandes  et 
favorables  considérations  à  ce  nous  mouvans;  iceluy  nostre 
oncle  avons,  par  l'advis  de  nostre  dame  et  mère,  i)rinces  de 


346  ANTOINE    DE    BOURBON 

nostre  sang  el  gens  de  nostred.  conseil  privé,  faicl,  constitué, 
ordonné  et  estably,  faisons,  constituons,  ordonnons  et  establis- 
sons  par  ces  présentes,  nostre  lieutenant  général,  représentant 
nostre  personne  absente  et  présente,  dedans  et  hors  nostre 
royaume,  tans  par  mer  que  par  terre.  Luy  donnant  plain  pou- 
voir, puissance  et  auctorité  de  convocquer  et  assembler  toutes 
et  quantesfoys  que  besoing  sera  et  qu'il  verra  estre  requis,  pour 
le  bien  de  nostre  royaume,  tous  les  princes,  conestable,  mares- 
chaulx  et  amyraulx  de  France,  gouverneurs  et  nos  lieutenans 
généraulx  des  provinces,  maistre  et  capitaine  général  de  nostre 
artillerye  et  tous  autres  sieurs,  gentilzhommes  et  capitaines,  de 
quelque  condition  et  qualité  qu'ils  soient,  pour  avecques  eulx 
communiquer  des  affaires  qu'il  leur  vouldra  proposer,  et,  présens 
ou  absens,  leur  faire  entendre  et  ordonner  ce  qui  sera  à  propos 
pour  nostre  service,  faire  aussi  venir  devers  luy  les  capitaines, 
chefs  et  conducteurs  des  gens  de  guerre,  tant  de  cheval  que  de 
pied,  que  nous  entretiendrons  en  nostre  service,  soit  de  nos 
ordonnances  ban  et  arrière-ban,  chevaulx  legiers,  pistoUiers  ou 
autres,  de  quelque  qualité,  langage  et  nation  qu'ils  soient,  capi- 
taines de  nos  places,  chasteaulx,  forteresses,  ensemble  de  nos 
gallaires  et  vaisseaulx,  pour  leur  commander  et  ordonner  tout 
ce  qui  luy  semblera  expédient  pour  le  faicl  de  leurs  charges. 
Mander  semblablement  nos  baillys,  séneschaulx  et  prevostz, 
lorsqu'il  s'offrira  (luelquc  chose  à  leur  dire,  commander  et 
ordonner  pour  nostre  service,  seureté  de  nos  places  ou  pour  le 
bien  et  repos  de  nos  subgecls.  Envoyer  celles  des  compaignies 
de  nos  ordonnances  et  autres  gens  de  guerre  en  tels  lieux  et 
endroicts,  soit  dedans  ou  dehors  nostre  royaume  qu'il  advisera, 
tant  pour  la  conservation  des  places  d'iceluy,  ou  pour  retenir  la 
tranquillité  publicque,  ou  autre  bonne  occasion.  Tirer  desd. 
gouvernemcns  et  provinces  les  gens  de  guerre  qui  y  seront, 
pour  les  envoyer  es  autres  gouvernemcns  ou  les  faire  marcher 
la  part  qu'il  verra  estre  à  faire,  et  de  rechef  les  y  renvoyer  et 
les  départir  en  d'autres  endroicts,  pour  tenir  garnison  comme  il 
verra  bon  estre,  relever  les  hommes  d'armes  et  archers  qui 
pourront  estre  mis  absens  es  monstres  de  la  gendarmerye, 
casser  ceulx  qu'il  verra  devoir  estre  cassés  et  faire  le  semblable 
des  prévosts,  des  mareschaulx  de  France. 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  347 

Ordonner  des  monstres,  rcveues  et  payemens  de  nos  pens  de 
guerre,  tant  de  cheval  que  de  pied.  lesquelles  monstres  et 
reveues,  il  fera  faire  toutes  quantes  foys  que  bon  luy  semblera 
et  verra  estre  à  faire  par  les  commissaires  ordinaires  de  nos 
gens  de  guerre,  auxquels  il  commandera  el  dont  il  fera  le  dépar- 
tement, si  bon  luy  semble,  et  en  leur  absence  par  tels  autres 
qu'il  y  vouldra  commètre,  les  faisant  payer  de  leurs  gaiges  et 
vacations  par  celuy  ou  ceulx  des  trésoriers  de  nos  guerres, 
qu'il  appartiendra.  D'assembler  aussi  et  faire  trouver  es 
endroicts  de  nostre  royaume  ou  dehors,  où  il  congnoistra 
quelque  danger,  ou  quil  sera  question  de  l'honneur,  grandeur 
et  accroissement  de  nostred.  Estât  el  bien  de  nostred.  royaume, 
tel  nombre  desd.  gens  de  guerre,  tant  de  pied  que  de  cheval  et 
de  toutes  nos  forces,  artilleries  et  munitions,  quMl  verra  estre  à 
faire  pour  y  donner  ordre,  ainsi  que  l'importance  le  requerra. 
Et  pour  cest  effect  lever  de  nouveau,  ou  faire  lever  et  mètre  sus, 
si  besoing  est,  telles  compaignyes  de  gens  de  cheval  et  de  pied 
qu'il  vouldra  et  les  disposer  aux  places  fortes  de  nos  frontières 
et  emploier  comme  il  advisera. 

Visiter,  toutes  et  quantes  foys  qu'il  luy  plaira,  les  provinces 
et  gouvernemens  de  nostre  royaume,  ensemble  toutes  les  villes 
et  places  fortes  d'iceluy,  y  entrer  avecques  telle  compaignie 
forte  ou  foible  qu'il  advisera.  Entendre  des  gouverneurs  et  lieu- 
tenans  généraulx  de  chacun  pays  et  gouvernement  Testât  des 
affaires  et  occurances  qui  y  seront,  y  pourveoir  et  donner  ordre, 
faire  fortiffier  celles  de  nos  places  qu'il  congnoistra  en  avoir 
plus  de  besoing,  et  y  faire  employer  telles  sommes  de  deniers 
que  bon  luy  semblera. 

Sçavoirquel  devoir  et  diligence  chacun  desd.  capitaines  desd. 
places  aura  faict  et  fera,  tant  a  la  seureté  et  conservation  d'icclles 
que  à  faire  veoir  leur  gens  de  guerre  en  bon  ordre,  justice  et 
police,  de  faire  administrer,  sur  les  plainctes  qui  seront  faictes 
par  les  habitans  d'icelles,  bonne  et  brefve  justice  et  veoir  comme 
les  deniers  destinés  aux  réparations  d'icelles  auront  esté 
employés;  et  où  il  y  auroit  quelques  faultes,  abbus  ou  malver- 
sations, faire  procéder  contre  les  coulpables  ainsi  qu'il  appar- 
tiendra pour  le  bien  de  nostre  service.  Se  faire  représenter  les 
armes,  vivres,  artilleryes  et  munitions  qui  seront  esd.  places 


348  ANTOINE    DE    BOURBON 

avecques  les  inventaires  d'iceulx.  Faire  venir  les  présidents  et 
conseillers  de  nos  Cours  de  parlement,  en  tel  nombre  et  tel  lieu 
qu'il  les  mandera;  et  quant  il  sera  es  lieux  ou  nosd.  cours  sont 
establyes,  entrer  en  icelles,  les  assembler  en  corps  ou  en 
moindre  compaignye,  pour  leur  communiquer  et  conférer  de 
toutes  choses,  qu'il  verra  appartenir  au  bien  de  nostre  service 
et  de  la  chose  publique  de  nostre  royaume.  Et  sur  ce,  leur  dire 
et  faire  entendre  ce  qu'il  verra  estre  à  propos. 

Entendre  particulièrement  de  nos  baillys,  séneschaulx,  pré- 
vosts  et  autres  nos  officiers,  s'il  y  a  aucuns  troubles,  machina- 
tions, monopoles,  et  assemblées  en  armes  ou  autrement  qui 
tendent  à  la  perturbation  de  nostre  Estât,  pour  y  pourveoir  par 
assemblées  de  gens  de  guerre,  main  armée  et  autres  moyens 
ainsi  qu^il  congnoistra  lebesoing-,  et  faire  pugnir  et  chastier 
les  séditieux  et  ceulx  qui  conciteront  le  peuple  à  émotion^  soubs 
quelque  prétexte  que  ce  soit,  par  les  peynes  requises  et  sans 
forme  ni  figure  de  procès,  s'il  veoid  que  faire  se  doibve.  Con- 
tenir nos  peuples  et  subgects  en  union  et  concorde  et  en  la 
fidélité,  dévotion  et  obéissance  qu'ils  nous  doibvent,  les  gardant 
d'oppressions  et  molestations  indeues  -,  et  selon  les  remons- 
Irances,  plainctes  et  doléances  qui  luy  seront  faictes,  tant  à 
l'administration  et  distribution  de  justice  et  à  la  pohce  des 
villes,  tenir  vifvement  la  main,  en  ce  qu'il  pourra,  que  les 
ordonnances  de  nos  prédécesseurs  roys  et  de  nous  soyent  invio- 
lablement  gardées  et  observées. 

Gomme  au  semblable  nous  voulons  que  les  ordonnances  que 
nostred.  oncle  fera  aux  camps  et  armées  où  il  sera,  et  autres 
lieux  où  il  y  aura  gens  de  guerre,  soient  aussi  très  estroicte- 
ment  entretenues  et  suyvies  par  tous  ceulx,  et  ainsi  qu'il  appar- 
tiendra; et  les  transgresseurs  et  infracteurs  pugnis  et  chasliés 
exemplairement,  ainsi  qu'ils  se  trouveront  avoir  mérité,  ou 
bien  leur  quitter,  remettre  et  pardonner  l'ofTence  qu'ils  auroient 
commise  esd.  lieux  en  tous  delicts  militaires. 

l^]t  pour  raccomplis>omcnt  de  loul  ce  que  dessus,  circonstances 
et  dépendances,  ordonner  de  tous  frais  qui  seront  rec^uis  auxd. 
trésoriers  de  nos  guerres,  tant  ordinaires  que  extraordinaires, 
auxquels  nous  voulons  et  entendons  estre  passé  et  alloué  en  la 
despence  de  leurs  comptes  et  rabattu  de  leur  recepte  tout  ce  que 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  349 

payé  et  baillé  ils  auront,  en  vertu  des  ordonnances  de  nostred. 
oncle,  par  nos  amés  et  féaulx  les  gens  de  nos  comptes,  et  par- 
tout ailleurs  où  besoing  sera  ;  leur  mandant  ainsi  le  faire  sans 
difficulté,  en  rapportant  suriceulx  comptes  le  vidimus  de  cesd. 
présentes,  faict  soubs  cei  royal,  les  quittances  des  partyes  où 
elles  escherront,  avecques  les  mandemens  de  nostred.  oncle  le 
roy  de  Navarre  et  les  cahiers  desd.  frais  et  despences  deument 
de  luy  signés,  certifflés  et  approuvés,  lesquels  mandemens  et 
ordonnances  nous  avons  dès  à  présent,  comme  pour  lors,  validés 
et  auctorisés,  vallidons  et  auctorisons  par  ces  présentes,  comme 
s'ils  avoient  esté  faicts  et  expédiés  de  nous. 

Et  générallement  commander  et  ordonner,  en  toutes  choses 
requises  et  nécessaires,  pour  l'accroissement  et  augmentation  de 
nostre  estât,  seureté  d'iceluy  et  la  tranquillité  publicque  par 
dessus  toute  personne,  quelle  qu'elle  soit,  indifféremment  et 
quelque  pouvoir  qu'il  puisse  avoir,  soit  pour  le  regard  de  leurs 
estats  ou  par  commissions  et  pouvoirs  particuliers  et  spéciaulx, 
selon  Findubitable  et  parfaicte  fiance  que  nous  avons  en  luy.  Si 
donnons  en  mandement  à  nos  amés  et  féaulx  conseillers,  les 
gens  de  nos  courts  de  parlement,  de  nos  comptes  et  à  tous  nos 
lieutenans.  gouverneurs,  conestable,  mareschaulx,  amiraulx, 
visamiraulx,  capitaine  général  de  nos  gallaires,  maistre  de 
nostre  artillerye,  trésoriers  de  France  et  généraulx  de  nos 
finances  et  aydes,  baillys,  seneschaulx,  juges,  prévostz,  leurs 
lieutenans,  capitaines,  chefs  et  conducteurs  de  nosd.  gens  de 
guerre,  tant  de  cheval  que  de  pied;  capitaines  et  gardes  des 
villes,  cités,  chasteaulx,  forteresses-,  maires,  consuls,  esclievins 
et  gardes  des  ports,  péages,  passages^  jurisdictions  et  destroicts 
et  à  tous  nos  autres  justiciers  et  officiers  et  à  chacun  d'eulx, 
en  droict  soy  et  si  comme  à  luy  appartiendra,  que  à  nostred.  oncle 
le  roy  de  Navarre  ils  obéissent,  facent  obéir  et  entendre  dili- 
gemment en  tout  ce  qui  leur  sera  commandé  et  ordonné  pour 
nostre  service,  tous  ainsi  qu'à  nostre  propre  personne. 

Et  cesd.  présentes  ils  feront  lire,  publier  et  enregistrer  es 
registres  de  nosd.  courts,  bailliages  et  séneschaussées  quant  ils 
en  seront  requis.  Car  tel  est  nostre  plaisir. 

En  tesmoing  de  ce,  nous  avons  signé  ces  présentes  de  nostre 
main  et  à  icelles  faict  mettre  et  apposer  nostre  scel. 


350  ANTOINE   DE    BOURBON 

Donné  à  Fontainebleau,  le  huitième  jour  d'avril,  l'an  de  grâce 
mil  cinq  cens  soixante  ung,  et  de  nostre  règne,  le  premier. 

Charles. 

Par  le  roy, 

De  l'xlubespine. 

(Original  sur  parchemin  ;  le  sceau  manque  ;  Arch.  des  Basses-Pyrénées, 

E.  584.) 


XXXII. 

Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II  (Fragment),  Moret,  9  avril 
^D6^.  —  L'ambassadeur  de  Danemark  demande  que  le  roi 
ouvre,  à  Dieppe  ou  à  la  Rochelle,  un  refuge  aux  pêcheurs  de 
ses  nations.  —  Opposition  de  l'amiral  de  Goligny.  —  Crédit  de 
l'amiral  sur  Vendôme.  —  Le  sacre  est  ajourné  au  M  mai.  — 
Bruit  d'une  conspiration  ourdie  contre  le  roi  à  l'occasion  du 
sacre.  —  Vendôme  a  fait  appeler  l'ambassadeur  d'Espagne  pour 
recevoir  ses  plaintes  au  sujet  de  la  réforme.  —  Le  connétable 
est  actuellement  en  Picardie  chez  le  sire  d'Humières.  —  La 
reine  mère  a  conduit  le  roi  et  ses  autres  enfants  à  un  prêche 
protestant.  —  Remontrances  du  nonce  à  ce  sujet  soutenu  par  le 
cardinal  de  Tournon.  (Orig.  espagnol;  Arch.  nat.,  K,  -1494, 
n"  75.) 

Lettre  du  nonce  ?  Paris,  9  avril  1561.  —  Union  de  la  reine 
et  du  roi  de  Navarre.  —  Conseil  au  pape  d'encourager  cette 
union.  —  L'amiral  a  fait  prêcher  un  ministre  en  présence  du 
roi.  —  Le  roi  de  Navan-e  a  demandé  au  nonce  d'informer  le 
pape  de  ses  dispositions  catholiques.  (Copie  italienne,  Arch.  nat., 
K.  U9o,  n"  30.) 

Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II  (Fragment).  Moret^  \\  avril 
•1561 .  —  Le  roi  de  Navarre  a  fait  octroyer  au  nonce  une  abbaye 
de  treize  cents  ducats  de  rente.  —  (irainte  de  Vendôme  de  pas- 
ser pour  huguenot  à  l'étranger.  —  Il  ne  cesse  de  prier  le  nonce 
de  témoigner  de  son  orthodoxie.  (Orig.  espagnol;  Arch.  nat., 
K.  1494  ,n"  77.) 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  351 


XXXIII. 


Lettre  de  Philippe  II  à  Chantonay,  Madrid,  vers  le  lo  avril 
•1561.  —  x\ppréciation  du  roi  d'Espagne  sur  les  efforts  des  états 
pour  faire  passer  la  régence  entre  les  mains  du  roi  de  Navarre. 
—  Le  roi  d'Espagne  se  félicite  que  le  pouvoir  suprême  soit  resté 
entre  les  mains  de  la  reine  mère.  —  Il  désire  que  le  roi  célèbre 
son  sacre  et  fasse  solennellement  son  entrée  à  Paris,  dans  l'es- 
poir que  ces  deux  cérémonies  fortifieront  le  pouvoir  royal.  — 
Éloge  de  la  reine  que  Philippe  II  estime  comme  sa  mère  et  à 
laquelle  il  promet  tout  son  appui.  —  Envoi  de  lettres  pour  la 
régente  et  pour  plusieurs  seigneurs.  —  Ordre  de  conformer  sa 
politique  aux  instructions  ci-dessus  et  de  soutenir  de  toute  son 
influence  les  intérêts  de  la  religion  catholique.  (Copie  espagnole  ; 
Arch.  nat.,  K.  1495,  n°  27.) 

Lettre  de  Michel  Suriano  à  la  république  de  Venise,  Paris, 
M  avril  •1561.  —  Réconciliation  générale  de  tous  les  seigneurs 
de  la  cour,  notamment  du  roi  de  Navarre  et  du  duc  de  Guise. 
(Dépêches  vénit.,  filza  4,  f.  278.) 

Lettre  de  Michel  Suriano  à  la  république  de  Venise,  Paris, 
18  avril  1561.  —  Prêches  au  logis  de  Tamiral  de  Coligny.  — 
Récit  de  l'émeute  dirigée  à  Beauvais  contre  le  cardinal  de  Chas- 
tillon.  (Dépêches  vénit.,  filza  4,  f.  275.) 

XXXIV. 

Lettre  du  roi  de  Navarre  au  parlement  de  Bourgogne. 
Fontainebleau,  15  avril  1561. 

Avis  de  son  accord  avec  la  reine  mère  et  envoi  des  lettres  pat.  du  roi 
qui  constatent  cet  accord. 

Messieurs,  oultre  ce  que  vous  entendrez  par  les  lettres 
patentes  du  Roy,  qui  vous  sont  présentement  envoyées,  du  bon 
estât  en  quoy  sont  toutes  choses  par  deçà  et  de  l'unyon  et  sin- 
cère intelligence  qui  est  entre  la  royne.  sa  mère,  et  moy,  pour 
l'administration  de  ce  royaume,  du  bien  duiiuel,  avec  le  service 


352  ANTOINE   DE   BOURBON 

du  Roy,  nous  regardons  tant  seullement  eL  non  à  auLre  chose, 
j'ay  bien  voullu.  pour  vous  en  donner  plus  de  cerlilude,  vous 
en  escripre  ceste  lettre,  laquelle  je  vous  prie  faire  lire  en  vostre 
compaignie  et  enregistrer  en  voz  registres,  affin  que  ung  cha- 
cun congnoisse  que  nous  n'avons  en  cella  que  une  volunté  et 
une  mesme  intention  et  tout  tendant  au  bien  du  service  du  roy 
et  repoz  de  ses  subjectz  ;  qui  ne  scauroient  riens  faire  qui  me 
soit  plus  agréable  que  de  suyvre  l'exemple  que  nous  leur  don- 
nons en  cest  endroict.  Pryant  Dieu,  Messieurs,  vous  donner  ce 
que  désirez. 

De  Fontainebleau,  le  xv"  jour  d'avril  -irjfil,  après  Pasques. 

Vostre  bien  bon  amy, 
Antoine. 

(Orig.,  Coll.  Moreau,  vol.  883,  f.  172.) 

XXXV. 

Lettre  de  l'empereur  Maximilien  au  roi  de  Navarre  en  réponse 
à  la  lettre  apportée  par  le  maréchal  de  Vieilleville,  Vienne^ 
V  mai  VM)\.  —  Bonnes  paroles  et  protestations  d'amitié. 
(Orig.;  Arch.  des  Basses-Pyrénées,  E.  584.) 

XXXVl. 

Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  Mord,  I®""  tuai  1501.  — 
Vendôme  persiste  à  nier  contre  l'évidence  les  prêches  (|ui  se 
font  publiquement  à  la  cour  et  dans  presque  toutes  les  villes  du 
royaume.  —  Conférence  de  l'ambassadeur  avec  la  reine.  — 
Elle  demande  au  roi  catholique  de  donner  à  Vendôme  le  titre 
de  roi  ;  réponse  de  Ghantonay.  —  11  se  plaint  à  la  reine  du 
nombre  et  de  la  publicité  des  prêches.  —  Conférence  de  Ciianto- 
nay  avec  Vendôme  au  sujet  de  ses  revendications  auprès  du  roi 
d'Espagne.  —  Il  se  plaint  à  Vendôme  de  la  multiplicité  des 
prêches  et  du  crédit  de  l'amiral  au  conseil.  —  Protestations 
orthodoxes  de  Ven(i(')me.  —  Hê(juisitoire  contre  Tamiral  de  Coli- 
gny.  —  Troubles  à  Paris,  ciiez  le  seigneur  de  Longjumeau.  — 
Le  prince  de  la  Roche-sur- Yon  est  envoyé  à  Paris  pour  rétablir 
l'ordre  public.  —  Le  roi  part  demain  pour  Reims.  —  Iniluence 


ET   JEANNE   D'aLBRET.  353 

fatale  de  l'amiral.  —  Si  la  reine  possédait  l'autorité  qu^elle  pré- 
tend avoir,  les  prêches  ne  prendraient  pas  un  si  grand  dévelop- 
pement. —  Ghantonay  a  dit  à  la  reine  que  Philippe  II  ne  peut 
renoncer  à  la  Navarre.  —  Catherine  proteste  qu'elle  est  dévouée 
à  Philippe  II  plutôt  qu^à  Vendôme,  mais  qu'elle  doit  soutenir 
le  prince.  —  Lettre  du  pape  adressée  à  Vendôme  et  argument 
que  la  reine  en  tire  en  faveur  de  l'orthodoxie  de  ce  prince. 
(Orig.  espagnol-,  iVrch.  nat.,  K.  l/f94,  n°  84.) 

Extrait  des  informations  faites  à  Tolède  par  le  docteur  Suarez 
de  Tolède,  alcade  de  cour,  2  mai  I3G^.  — Plusieurs  Espagnols, 
prisonniers  de  guerre  des  Turcs,  déclarent,  sous  la  foi  du  ser- 
ment, qu'ils  ont  entendu  parler  de  quelques  expéditions  frétées 
par  le  comte  de  Tende  au  profit  du  roi  d'Alger,  tant  durant  les 
guerres  passées  que  depuis  le  traité  de  Gateau-Gambrésis,  qu'il 
en  envoie  journellement,  qu'il  autorise  le  commerce  des  muni- 
tions avec  Alger.  —  Ils  nomment  les  mariniers  qui  servent 
d'intermédiaires,  notamment  un  renégat  appelé  Gatana.  —  Dons 
de  chevaux,  do  lions,  de  chiens  et  de  faucons  du  roi  d'Alger  au 
comte  de  Tende.  (Gopie  du  temps-,  f.  fr.,  vol.  3192,  f.  67.) 

Lettre  de  Michel  Suriano  à  la  république  de  Venise,  Paris, 
3  mai  '^^6^.  —  La  cour  part  aujourd'hui  pour  Reims.  —  Les 
partisans  du  roi  de  Navarre  s'elforcent  de  Tempècher  de  se 
rendre  à  Reims  à  cause  des  dangers  qu'il  peut  y  courir  de  la 
part  du  duc  de  Guise.  —  Le  prince  est  arrivé  hier  à  Paris  pour 
rétablir  l'ordre.  —  Il  part  demain  pour  Reims.  (Dépêches  vénit., 
fdza4,  f.  289.) 

Lettre  de  Suriano  à  la  république  de  Venise  (Fragment),  Paris, 
4-7  mai  I56I.  —  Visite  de  l'ambassadeur  au  roi  de  Navarre. 

—  Grands  honneurs  qui  lui  sont  rendus.  —  Ge  prince  s'est  mis 
en  route  pour  Nanteuil.  (Dépêches  vénit.,  filza  4,  f.  292  et  293.) 

Lettre  de  Sébastien  de  l' Aubespine  au  roi ,  Tolède,  \  0  mai  \  561 . 

—  L'ambassadeur  a  informé  le  roi  d'Espagne  de  l'accord  sur- 
venu entre  la  reine  mère  et  le  roi  de  Navarre.  —  Le  roi  catho- 
lique espère  que  cet  accord  mettra  fin  à  toutes  les  séditions.  — 
Réponses  vagues  de  ce  prince  au  sujet  des  revendications  du  roi 
de  Navarre.  —  L'amitié  que  la  reine  montre  au  lieutenant  géné- 

m  23 


354  ANTOINE    DE    BOURBON 

rai  «  peu  à  peu  accommoderont  les  cœurs  et  les  intentions  » 
des  Espagnols.  (Orig.,  f.  fr.,  vol.  3192,  f.  29.) 

Lettre  de  Chanlonay  à  Philippe  11  (Fragment),  Beims, 
]2  mai  V6(i\.  —  La  reine  a  prié  le  connétable  d'abandonner,  à 
l'occasion  de  la  cérémonie  du  sacre,  le  titre  de  pair  de  France 
au  duc  d'Orléans.  —  Refus  du  connétable.  —  Mission  de  Ven- 
dôme à  Paris  ;  il  a  recommandé  au  parlement  la  cause  de  son 
frère.  —  Ses  reproches  au  recteur  de  l'Université.  (Orig.  espa- 
gnol; Arch.  nat.,  K.  ^494,  n°  85.) 

Lettre  de  Suriano  à  la  république  de  Venise  (Fragment),  Paris, 
H  mai  ioCyi.  —  Confusion  générale  du  royaume  en  matière  de 
religion.  —  Le  roi  de  Navarre,  redevenu  catholique,  est  parti- 
san des  mesures  de  rigueur  contre  les  séditieux.  —  Il  s'efforce 
de  ramener  le  prince  de  Gondé  au  catholicisme,  ainsi  que  la  reine 
de  Navarre,  qui  est  encore  en  Béarn.  (Dépêches  vénit.,  filza  4, 
f.  297.) 

XXXVIL 

Sacre  de  Charles  IX. 

(ir.  mai  1561.) 

En  premier  lieu,  dès  lors  que  le  Roy  fut  levé  de  son  lit  ordi- 
nere,  il  fut  mis  dans  un  lit  royal,  auquel  fezant  semblant  de 
dormir,  le  s.  de  Montmorency,  conestable  de  France,  vint  àluy 
tenant  l'espée  royale  nue  en  sa  main.  Et  dit  au  Roy  :  «  Sire, 
«  esveillés-vous.  Il  n'est  plus  temps  de  dormir,  veu  que  Dieu 
«  vous  a  esleu  Koy,  pour  commander  à  une  si  grande  et  excel- 
«  lante  monarchie  qu'est  le  royaume  de  France,  et  apele  en  ce 
«  jour  pour  recevoir  les  signes  sacrés  des  grâces  et  faveurs 
«  divines,  à  vous  promizes  de  Dieu  pour  vous  pouvoer  digne- 
ce  ment  acquiter  de  si  pezante  et  importante  charge.  »  Avec 
autres  paroles  accoustumées,  lesquelles  luy  ayant  donné  occa- 
zion  de  se  lever  à  la  haste,  fust  soudain  habile  tout  de  blanc  : 
à  savoir  d'un  grand  manteau  de  drap  d'argent,  un  bonet  de 
velours  blanc  avec  la  plume  blanche,  les  botines  de  couleur  de 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  355 

cher,  en  sorte  qu'il  sembloet  avoer  les  jambes  et  piedz  nus.  Et 
en  cest  équipage  estant  conduit  dans  l'esglise  Nostre-Dame  avec 
grande  manificence  et  trionfe.  Estant  en  Fesglise,  il  fut  mis  au 
siège  qui  lui  estoest  préparé.  Et  après  luy  les  pairs  de  France 
furent  assis,  les  laicz  d'un  costé,  et  les  eccleziastiques  de  l'autre. 
Du  costé  des  eccleziastiques,  le  cardinal  de  Loraine,  faizant  l'of- 
fice comme  premier  pair  d'esglize  à  cause  de  son  arcevèché  de 
Rains,  estoet  assis  près  de  Fautel;  et  au  dessouz,  du  costé  de 
la  main  dextre  du  Roy,  estoet  assis  le  cardinal  de  Bourbon. 
Après  luy,  le  cardinal  de  Chatillon  comme  évesque  de  Beauvoys. 
Après,  le  cardinal  de  Guise,  come  évesque  de  Langres,  et 
l'évesque  de  Noyon,  vestus  d'habitz  convenables  à  leurs  digni- 
tés, et  au  dessus  de  fort  riches  chappes  et  mitres. 

De  l'autre  costé,  à  main  senestre  du  roy,  estoet  assis  le  duc 
d'Orléans,  frère  ayné  du  Roy,  le  roy  de  Navarre,  le  duc  de  Guize, 
le  duc  de  Nevers,  le  duc  de  Montpencier  et  le  duc  de  Montmo- 
rancy,  vestus  d'anciens  et  riches  habits,  desquelz  souloyent 
uzer  les  premiers  pairs  de  France  aus  assemblées  solennelles. 
Et  entre  ses  deuz  rancz,  audevant  du  Roy,  estoet  assis,  sur  un 
siège  seul,  le  chancelier  de  France  .AP  Michel  de  L'Hospital.  Et 
après  les  pairs,  aussi  en  sièges  séparés,  estoet  assis  d'un  costé 
les.  de  Joinville,  fizayné  du  ducdeGuize,  comme  grand  cham- 
bellan, et  de  l'autre  le  s.  de  Saint-André,  maréchal  de  France, 
servant  de  grand  Maistre. 

Chacun  estant  ainsy  assis  selon  son  ordre,  le  cardinal  de 
Loraine  commansa  prononcer  à  haute  voys  quelques  orezons 
propres  à  ceste  cérémonye,  pendant  qu'on  aportoyt  au  Roy  ses 
botines,  que  luy  furet  chaussées  par  le  grand  chambelan.  Et 
incontinent  après  luy  furet  atachés  ses  espérons  par  le  Roy  de 
Navare,  tenant  le  lieu  du  duc  de  Bourgongne,  premier  pair  de 
France.  Etcefet,  le  cardinal  de  Lorraine  print  sur  l'autel  l'espée 
royale  avec  la  ceinture  que  le  connestable  de  France  a  en  garde. 
Et  l'ayant  aportée  au  Roy,  il  la  luy  seignit.  Et  après  la  tira  hors 
du  foureau,  et  la  mit  nue  en  la  main  du  Roy,  lequel  soudain  la 
balia  au  connestable,  luy  recommandant  la  défance  de  son 
royaume  et  de  ses  subjetz,  pour  laquelle  il  luy  mettoet  toutes 
ses  forces  en  sa  main,  luy  baliant  ses  armes.  Et  depuis  le  cones- 
table  tint  toujours  en  sa  main  ceste  espée  nue;  estant  assis 


356  ANTOINE    DE    BOURBON 

audevant  du  Roy  durant  touLes  les  cérémonies,  à  chacune  des- 
quelles ledit  cardinal  de  Loraine  prononcoit  orezons  à  ce  propos 
et  pour  ce  ordonnées,  mêmes  lorsqu'il  bénit  ladite  espée  avant 
la  porter  au  Roy. 

Incontinent  après,  ledit  cardinal  ala  prendre  le  Roy  en  son 
siège  et  l'amena  devant  l'autel,  ou  toutz  deuz  se  prosternarent 
en  terre,  sur  un  drap  d'or  et  des  oreilliers,  avec  un  arcediacre 
de  chacun  costé,  aussi  couches  un  peu  au-dessouz.  Et  en  tel 
estât  demeurarent  environ  un  quart  d'eure,  dizans  tous  deuz  les 
litanies  dans  un  livre  a  basse  voix  ;  les  chantres  les  fezant  reson- 
ner en  muzique. 

Pendant  lequel  tans,  les  seigneurs  de  Meru  et  de  Monberon, 
filz  du  connestable,  le  comte  de  Gharny  et  le  fîlz  du  s.  de  Bris- 
sac,  maréchal  de  France,  furent  envoyés  ostages  pour  la  sainte 
Ampoule,  laquelle  est  gardée  en  l'esglise  de  l'abaye  Saint-Remy. 
Le  prieur  avec  les  religieux  acompaignarent  l'ampoule  jusques 
à  la  porte  de  l'esghsc  Nostre-Dame;  estant  portée  par  l'un  des 
habilans  du  village  de  Ghene,  qui  est  à  catre  lieues  près  de 
Rains,  monté  sur  l'un  des  chevauz  du  Roy.  Les  sieurs  que  j'ay 
dict  avoir  esté  envoyés  pour  otages  portoint  un  riche  poêle,  avec 
catre  guidons  devant  eulz,  esquels  estoyt  peintes  leurs  armoe- 
ries.  Et  estoient  suivis  de  tous  les  habitans  de  ce  lieu  de  Ghene 
en  armes,  vestus  des  couleurs  du  roy;  estans  par  privilège 
ordonnés  pour  la  garde  de  l'Ampoule,  en  récompense  du  cheval 
sur  lequel  est  monté  celuy  qui  la  porte,  pour  ce  que,  au  tans 
que  la  vile  de  Rains  fust  prinze  et  pillée  par  les  Angloys,  qui, 
entre  autres  chozes,  en  aportoient  cestc  Ampoule,  les  habitans 
de  ce  lieu  trouvèrent  moyen  de  la  leur  oster,  et  la  rendiret  au 
temple  de  l'abbaye  Saint-Remy.  Et  ainsi  estant  aportée  jus(jues 
à  la  porte  du  grand  temple  de  Nostre-Dame,  où  se  fesoyt  la 
cérémonie  du  sacre,  ledit  cardinal  de  Loraine,  suivi  des  autres 
prélatz  qui  hiy  acisloyt,  la  vint  recevoyr,  et  la  porta  en  ses 
mains  jusques  au  grand  autel,  la  montrant  au  peuple. 

Et  le  Roy  remis  en  son  siège,  luy  fut  osté  le  manteau  de  drap 
d'argent,  souz  lequel  se  trouva  vestu  d'une  jupe  de  satin  cra- 
moezi,  qui  se  ouvroet  à  boutons,  et  la  chemisse  de  mesme,  en 
sorte  que  la  chair  aparoessoet  aux  licutz  et  end  roy  Lz  où  il  devoyt 
estre  oing,  ausquelles  lins  ledit  cardinal,  ayant  vuydé  quelques 


ET   JEANNE    DALBRET.  357 

goûtes  de  l'ampoule  sur  une  platine,  il  ala  oindre  le  Roy  au 
front,  sur  l'estomac,  entre  les  espaules,  au  repli  des  bras  et  au 
creuz  des  mains. 

Incontinent  après  fut  aportée  la  courone  impériale  devant  le 
grand  autel,  auquel  lieu  vindrent  les  pairs  de  France  fere  le  ser- 
ment de  fidélité  es  mains  du  chancelier,  touchans  tous  à  la  foys 
ceste  courone.  Et  pendant  que  le  serment  se  fezoyt,  le  Roy  fust 
vestu  des  anciens  habillemens  des  Roys.  Et  ce  fet  tous  les  ditz 
pairs  ensemble  portarent  la  couronne  sur  la  leste  du  Roy,  et  luy 
mirent  le  septre  en  une  main,  et  à  l'autre,  la  main  de  justice. 
Et  en  tel  estât,  le  Roy  fit  le  serment  que  ses  prédécesseurs  ont 
accoutumé  fère. 

Après,  le  Roy  fut  mené  de  ce  lieu  a  l'entrée  du  chœur,  où 
estoyt  dressé  un  grand  eschaufaut,  ayant  un  degré  de  chacun 
côté  pour  monter  et  desendre,  contenant  environ  trente  marches 
couvertes  de  velours  cramoezy,  ramply  de  lettres  d'or  en  bro- 
derie ;  sur  lequel  eschaufaut  estoet  dressé  un  siège  royal,  auquel 
le  Roy  fut  assis  pour  estre  veu  d'un  chacun,  ainsi  habile  à  la 
Reale,  avec  la  courone  en  teste  et  le  septre  à  la  main  :  s'estant 
à  ces  fins  tourné  du  coûté  de  la  grande  nef  de  l'église,  où  il  fut 
assis  long  tems  sur  une  chaise.  Et  après  s'estant  remis  en  son 
siège  royal,  le  visage  vers  le  grand  autel,  ayant  lesditz  pairs  à 
dextre  et  à  senextre  de  luy,  assis  selon  leur  ordre,  ilz  vindret 
baizer  le  Roy  à  la  joue  tous  l'un  après  l'autre,  avec  les  cérémo- 
nies et  révérances  acoustumées.  Puys  se  tournoient  devers  le 
grand  autel,  disant  :  Vive  le  Roy  éternellement.  Et  après  les 
chantres  leur  répondoient  de  mesme  en  latin  en  chantant.  EL  ce 
pendant  les  hérautz  de  France,  estants  sur  l'eschaufautz,  tour- 
nés du  côté  de  la  grand  nef  vers  le  peuple,  criarent  à  haute  voix  : 
vive  le  Roy  Charles  neuvième  avec  tout  heur  et  féUcité  pour  le 
bien  et  soulagement  de  son  peuple.  Et  ce  fet,  criarent  largesse, 
gelant  grandes  pongnées  d'espèces  d'or  et  d'argent,  ausquelles 
d'une  part  estoyt  reprezantée  Téfigie  du  Roy  et  de  l'autre  sa 
devize  avec  les  armoeries  de  France  avec  telles  figures. 

Cependant  la  grande  messe  se  dizoet  par  ledit  cardinal  de 
Loraine.  Et  lorsqu'il  falut  aler  à  l'offerte  ledit  cardinal  vint 
devers  le  Roy,  pour  ne  luy  donner  peine  d'aler  si  loing,  estant 
chargé  de  courone  et  de  tant  d'abitz,  et  ayant  esgard  à  sa  jeu- 


358  ANTOINE    DE   BOURBON 

nesse.  EL  là  Sa  Majesté  offrit  un  pain  d'or  et  un  pain  d'argent 
dans  un  anap  d'argent. 

E  la  messe  achevée,  le  Roy  desendit  de  son  dit  siège  et  eschau- 
faut  et  vint  au  grand  autel  recevoir  le  sacrement  de  l'autel.  Et 
dura  ceste  cérémonie  depuys  les  huit  heures  du  matin  jusques 
à  une  heure  après  midi. 

(Extrait  de  la  grande  Histoire  du  président  Montagne,  f.  fr.,  vol.  15494, 
f.  1.) 


XXXVIII. 

Lettre  de  Michel  Suriano  à  la  république  de  Venise,  Paris, 
U\  mai  l;i(jl.  —  Le  parti  réformé  est  vigoureusement  combattu 
par  la  Sorbonne  et  le  Parlement.  —  Revendications  du  roi  de 
Navarre  auprès  du  roi  d'Espagne.  —  En  ce  moment  il  se  montre 
favorable  au  parti  catholique.  —  On  admet  que  le  changement 
de  religion  du  roi  délierait  les  sujets  du  serment  de  fidélité. 
(Dépêches  vénit.,  fdza  4  bis,  f.  26.) 

Lettre  de  Charles  deRarges,  lieutenant  criminel  à  Montpellier, 
à  la  reine,  contenant  une  demande  d'interprétation  sur  les 
termes  de  l'éditdu  19  avril  qui  proscrit  les  assemblées  illicites. 
(Orig.,  Montpellier,  LS  mai[\M\]  ;  f.  fr.,  vol.  3(86,  f.  ^22.) 

Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II  (Fragment),  Paris,  22  mai 
-1564.  —  Nouvelle  conférence  de  Chantonay  avec  la  reine  mère 
et  avec  Vendôme.  —  Ses  plaintes  sur  les  progrès  de  la  réforme. 

—  Remise  à  la  reine  de  lettres  de  Philippe  II.  —  Catherine 
demande  à  Chantonay  la  Sardaigne  ou  l'ile  de  Majorque.  — 
Chantonay  répond  à  la  reine  que  le  roi  d'Espagne  ne  doit  rien 
à  Vendôme.  (Orig.  espagnol;  K.  4  495,  n°  36.) 

Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II  (Fragment),  la  Ferté-sur- 
Milon,  26  mai  1561.  —  Récit  du  couronnement  du  roi  à  Reims. 

—  Place  de  Vendôme  à  la  cérémonie.  —  Son  costume  et  son 
rôle.  —  Ses  intrigues  secrètes  avec  les  mécontents.  (Orig.  espa- 
gnol-, K.  1494,  n°  S6.) 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  359 


XXXIX. 


Ordre  de  Jeanne  d'Albret  au  maître  des  requêtes,  Bologne, 
de  se  transporter  à  Foix  pour  procéder  à  la  vérification  des 
comptes  de  Jehan  Bélin,  accusé  d'infidélité  par  le  conseil  du  roi 
et  de  la  reine  de  Navarre.  [Pmi,  S  juin  ^56^,  Arch.  des  Basses- 
Pyrénées,  B.  UQB.) 

Lettre  du  roi  de  Navarre  au  seigneur  de  Boisy,  contenant 
recommandation  en  faveur  du  s.  de  la  Roque,  gentilhomme  de 
la  maison  du  roi,  qui  n'a  pu  faire  son  service  dernièrement  à 
Orléans  pour  cause  de  maladie,  et  qui,  pour  ce  manquement,  a 
été  rayé  des  rôles  de  la  maison  du  roi,  avec  prière  de  l'y  réta- 
blir. {Paris,  Wjuin  ^36^  ;  Orig.,  f.  fr.,  vol.  20-^39,  f.  ^27.) 


XL. 


Lettre  des  trois  ambassadeurs  vénitiens  à  la  république  de 
Venise,  Paris,  \2juin  •130^.  —  Audience  de  congé  demandée 
par  les  ambassadeurs.  —  Déclaration  de  la  reine  en  faveur  du 
concile.  —  Le  roi  de  Navarre  demande  au  roi  de  donner  l'acco- 
lade à  un  des  seigneurs  vénitiens.  (Dépêches  vénit.,  filza  4  bis, 
f.  ^33.) 

Lettre  de  Philippe  II  àChantonay,  Madrid,  \2juin  -1361.  — 
Ordre  de  faire  de  nouveaux  efforts  auprès  de  la  reine  en  faveur 
de  la  religion.  —  Ordre  d'en  conférer  également  avec  le  roi  de 
Navarre  et  de  lui  dire  qu'il  ne  trouvera  de  faveur  auprès  du  roi 
d'Espagne  qu'à  la  condition  que,  de  son  coté,  il  soutiendra  les 
intérêts  du  parti  catholique.  —  Touchant  l'entrevue  demandée 
par  la  reine  à  Philippe  II,  le  roi  catholique  commande  à  son 
ambassadeur  de  ne  faire  que  des  réponses  évasives  afin  de 
gagner  du  temps.  —  Ordre  de  se  plaindre  de  l'amiral.  (Copie 
espagnole;  Arch.  nat.,  K.  1493,  n"  43.) 

Lettre  de  Philippe  II  au  connétable  contenant  des  protestations 
de  dévouement  en  faveur  de  la  reine  mère  et  de  la  religion. 
[Madrid,  iSjuin  UJC-l.  Copie,  coll.  Moreau,  vol.  7i8,  f.  i.] 


360  ANTOINE    DE    BOURBON 

Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  Paris,  ]9jum  'I56^.  — 
Arrivée  de  l'ambassadeur  du  roi  de  Suède  et  de  messagers  de 
plusieurs  princes  protestants  d'Allemagne,  —  Ils  cherchent  à 
attirer  Vendôme  à  la  confession  d'Augsbourg  et  lui  promettent 
de  le  faire  élire  empereur  par  la  diète.  —  Pedro  d'Albret  est  de 
retour  de  Rome.  —  Madame  de  Vendôme  retarde  son  arrivée  à 
la  cour.  —  Elle  ne  veut  pas  être  forcée  d'aller  à  la  messe.  — 
Vendôme  est  satisfait  de  son  absence,  parce  qu'elle  domine  dans 
le  ménage  et  parce  qu'elle  l'empêche  de  faire  la  cour  aux  dames. 
—  Il  est  souvent  malade  de  ses  excès.  (Orig.  espagnol;  Arch. 
nat.,  R.  ^1495,  n°  47.) 

Lettre  de  Charles  IX  à  Sébastien  de  l'Aubespine,  Saint-Ger- 
tnain-des-Prés,  20  juin  -1561.  —  Lettre  relative  au  concile  de 
Trente.  —  Mesures  de  police  à  prendre  contre  les  pillards  des 
deux  nations  sur  la  frontière  des  Pyrénées.  —  Passage  de  Marie 
Stuart  en  Ecosse.  —  Prière  au  roi  d'Espagne  de  la  recomman- 
der à  ses  officiers  des  Pays-Bas.  —  Instances  en  faveur  des 
revendications  du  roi  de  Navarre.  (Orig.,  f.  fr.,  vol.  66^2,  f.  26.) 

Confirmation  d'une  ordonnance  de  Henri  II,  datée  du  -J  6  août 
■1557,  stipulant  le  paiement  au  roi  de  Navarre  et  au  prince  de 
la  Roche-sur- Yon  du  restant  de  la  somme  de  cent  mille  livres  à 
eux  donnée  sur  les  restes  des  comptes.  (Copie,  Arch.  nat., 
P.  23^2,  f.  U9.] 

Lettre  d'un  ambassadeur  vénitien  à  la  république  de  Venise, 
Paris^  26  juin  \  56 1 .  —  Révélation  d'un  témoin  contre  le  prince 
de  Condé.  —  Haine  de  ce  prince  contre  le  cardinal  de  Lorraine. 
(Déchiffrement;  Dépêches  vénit.,  filza  4  bis,  f.  27.) 

XLI. 

Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  Paria,  1  juillet  'I56^.  — 
Vendôme  parait  croire  et  dit  qu'il  est  l'arbitre  de  la  religion  en 
France.  —  Son  désir  de  s'entendre  avec  Phihppe  II  au  sujet  de 
la  Navarre.  —  Il  veut  envoyer  l'évêquc  d'Auxerre  en  Espagne 
et  François  d'Escars  à  Rome.  —  Au  roi  d'Espagne  il  demande 
la  Sardaigue  ou  l'Ile  de  Majorque.  —  Conférence  de  Vendôme 
avec  le  cardinal  de  Tournon  ;  il  le  |)rie  de  parler  au  nonce  en 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  361 

son  nom.  —  L'ambassadeur  juge  utile,  sans  attendre  les  ins- 
tructions de  son  maître,  de  mettre  obstacle  à  la  mission  de 
l'évêque  d'Auxerre.  —  La  reine  veut  envoyer  le  s.  d'Auzances 
avec  l'évêque  d'Auxerre.  —  Jean-Jacques  de  Mesmes  sera  joint 
à  la  mission  pour  discuter  le  point  international.  (Orig.  espa- 
gnol, K.  1495,  n°  50.) 

Lettre  d'un  ambassadeur  vénitien  à  la  république  de  Venise, 
Paris,  H  juillet  ^56^.  —  Arrêt  de  bannissement  rendu  contre 
les  ministres  huguenots.  —  Discussion  du  conseil  du  roi  à  ce 
sujet.  —  Préparation  de  l'édit  de  juillet  au  parlement.  —  Le  roi 
de  Navarre  est  resté  sur  la  réserve,  mais  a  semblé  conclure  dans 
le  sens  catholique,  (Déchiffrement^  Dépêches  vénit.,  filza  4  bis, 
f.UL) 

Lettre  d'un  ambassadeur  vénitien  à  la  république  de  Venise, 
Paris,  \  o  juillet  i  36^ .  —  Mécontentement  du  parti  réformé 
contre  les  tergiversations  du  roi  de  Navarre.  —  Il  montre  en  ce 
moment  des  dispositions  catholiques.  —  Il  va  envoyer  l'évêque 
d'Auxerre  en  Espagne,  et  Pedro  d'Albret  ou  tout  autre  à  Rome. 
—  La  reine  envoie  le  s.  d'Auzances  en  Espagne.  —  Le  roi  de 
Navarre  a  demandé  à  Philippe  II  l'autorisation  de  vendre  ses 
terres  de  Flandre.  —  Accord  de  Guise  et  de  Gondé.  —  Arrivée 
à  la  cour  de  l'ambassadeur  de  Saxe.  (Déchiffrement;  Dépêches 
vénit.,  filza  4  bis,  f.  ^43.) 

Lettre  du  roi  et  de  la  reine  de  Navarre  à  Philippe  II,  portant 
créance  en  faveur  de  l'évêque  d'Auxerre,  envoyé  comme  ambas- 
sadeur à  Madrid.  (Copie  du  temps,  sans  date  (18  juillet  ^5G^). 
Cette  pièce  a  été  reproduite  ci-dessus  dans  ses  parties  essen- 
tielles. —  Archives  des  Basses-Pyrénées,  E.  580.  —  On  en 
trouve  une  autre  copie  dans  la  collection  Moreau,  vol.  740,  f.  63.) 

XLII. 

Lettre  du  roi  de  Navarre  à  Sébastien  de  l'Aubespine,  évêque 
de  Limoges,  ambassadeur  en  Espagne,  Saint-Germain,  \H  juil- 
let ^D6'^.  —  Lettre  de  créance  en  faveur  du  s.  d'Auzance  et 
recommandation  de  faire  de  grands  efforts  pour  le  succès  de  sa 
mission.  (Orig.^  f.  fr.,  vol.  6606,  f.  9.) 


362  ANTOINE    DE   BOURBON 

Lettre  du  même  au  même,  Saint-Germain^  22  juillet  ^  56^ 
—  Même  sujet.  (Orig.,  f.  fr.,  vol.  6606,  f.  7.) 


XLIII. 

Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II  (Fragment),  Paris,  2A  juil- 
let \5Qi.  —  Conférence  de  l'ambassadeur  d'Espagne  avec  Ven- 
dôme. —  Ténacité  de  ce  prince  dans  ses  revendications  auprès 
du  roi  catholique.  —  La  reine  va  envoyer  Jacques  de  Montbe- 
ron,  seigneur  d'Auzance,  en  Espagne.  —  Le  prince  va  envoyer 
le  seigneur  d'Escars  à  Rome.  —  Vendôme  était  décidé  aussi  à 
envoyer  Philippe  de  Lenoncourt,  évêqued'Auxerre,  à  Phihppe  II, 
mais  (ihantonay,  à  force  de  représentations,  a  réussi  à  faire 
ajourner  la  mission  de  Févêque  d'Auxerre.  —  Tableau  de  la 
cour  à  Saint-Germain.  —  Nouvelle  conférence  de  Ghantonay 
avec  la  reine  au  sujet  des  affaires  de  la  religion  et  des  intérêts 
de  Vendôme.  —  Le  duc  de  Nemours  est  de  retour  de  la  Savoie 
et  le  duc  de  Guise  a  obtenu  l'entrée  de  ce  seigneur  au  conseil 
du  roi.  (Orig.  espagnol;  Arch.  nat.,  K.  -1495,  n"*  52.] 

Lettre  d'un  ambassadeur  vénitien  à  la  république  de  Venise, 
Paris,  27  juillet  iTiOL  —  L'ambassadeur  signale  à  son  gouver- 
nement les  tendances  de  la  reine  mère  en  faveur  du  parti  réformé, 
bien  qu'elle  multiplie  les  démonstrations  en  faveur  du  parti 
catholique.  (Déchiffrement non  signé;  Dépêches  vénit.,  filza -^  bis, 
f.  72.) 

XLIV. 

Lettre  dd  duc  di:  Guise  a  la  Reine. 

Mern,  ^S  juillet  1561. 
Nouvelles  de  sa  santé  et  de  relie  de  son  frère  le  cardinal. 

Madame,  je  ne  scauroys  assez  vous  très  humblement  remer- 
cyer  de  la  bonne  souvenance  qu'il  a  pieu  a  Vostre  Majesté  avoir 
de  m'envoyer  visiter  par  Octavian,  lequel  m'a  trouvé  en  tel  estât 


ET    JEANNE    d'ALBRET.  363 

qu'il  vous  sçaura  bien  dire.  Si  esse,  Madame,  qu'ayant  esté  tra- 
vaillé d'un  fort  long  accès  de  fiebvre,  il  me  semble  que,  si  ne 
me  survient  pis  qu'il  a  faict  aujourd'huy  que  j'ay  pris  médecine, 
que  j'en  seray  quicte  à  bon  marché.  Et  me  desplaist  grandement 
de  l'inconvénient  qui  est  pareillement  advenu  à  monsieur  le  car- 
dinal, mon  frère,  d'une  collique  si  extresme  qui  luy  a  duré  ces 
deux  jours  passez,  pour  le  désir  qu'il  auroyt  de  retourner  à 
l'assemblée  des  prélatz  qui  se  faict  à  Poissy,  ainsy  qu'il  vous 
avoyt  pieu  luy  commander.  Sitost  que  sa  santé  le  pourra  por- 
ter, il  ne  fauldra.  Madame,  de  se  acheminer,  comme  je  feray  en 
mon  voyaige  pour  accompagner  la  Royne,  madame  nostre  niepce, 
jusques  à  son  embarquement  5  ainsi  qu'il  a  pieu  a  vostre  dicte 
Majesté  me  permectre  et  donner  congié. 

Vous  verrez,  s'il  vous  plaist.  Madame,  la  dépesche  que  j'ay 
receue  en  ce  lieu  de  Monsieur  de  la  Mothe  Gondrin,  par 
laquelle  vostre  Majesté  scaura  bien  juger  à  quoy  tendent  les 
céditieux.  Lesquelz,  j'espère,  après  la  publication  de  l'édict, 
recongnoistront  Dieu  ;  mais  ce  sera  soubz  l'obéissance  et  aucto- 
rité  du  Roy,  ainsi  que  desjà  ledict  s.  de  la  Mothe  les  a  bien  ache- 
mynez.  Je  ne  veulx  oublier  vous  dire,  Madame,  que  ce  porteur 
ma  faict  entendre  ce  qu'il  a  rapporté  à  vostre  Magesté  du  voyaige 
de  Monsieur  le  Prince  de  Clondé.  Et  vous  rendra  si  bon  compte 
de  Testât  auquel  il  a  trouvé  ceste  compaignye  que  je  ne  vous 
ennuyeray  de  faire  ceste-cy  plus  longue. 

Madame,  je  supplye  le  Créateur  tant  et  si  très  humblement 
que  faire  puys  vous  donner  en  parfaicte  santé  très  longue  et 
très  heureuse  vye. 

De  Meru,  ce  xxviiie  jour  de  juillet  iodi . 

François  de  Lorraine. 

Madame,  j'avoys  faict  faire  ceste  dépesche  dès  hyer  au  soir  et 
ne  voulluz  laisser  partir  ledict  Octavian  que  je  ne  fusse  asseuré 
ce  qui  m'aviendroyt  ceste  nuict,  qui  ne  m'a  guères  esté  plus 
favoraljle  que  celle  d'entre  vendredy  etsamedy;  de  sorte  que  la 
fiebvre  m'a  repris  à  la  mesme  heure,  mais  elle  ne  m'a  pas  tant 
duré;  qui  me  faict  espérer.  Madame,  quelque  apparence  de 
n'estre  pas  longtemps  malade. 

(Orig,,  f.  fr.,  vol.  15875,  f.  64.) 


364  ANTOINE    DE   BOURBON 

XLV. 

Lettre  du  roi  de  Navarre  à  Sébastien  de  l'Aubespine,  évêque 
de  Limoges,  Saint-Germain^  !*"■  août  \  50 1 .  —  Recommandation 
de  ses  intérêts  et  avis  de  l'ambassade  de  Jacques  d'Auzance. 
(Minute-,  f.  fr.,  voL  -13875,  f.  ^07.) 

Lettre  d'Antonio  d'Almeida  au  roi  de  Navarre,  Madrid, 
^er  août  J5(M.  —  Compte-rendu  de  sa  mission  en  Espagne. 
(Autog. -,  Arch.  des  Basses-Pyrénées,  E.  584.) 

XLVL 

Lettre  de  Suriano  à  la  république  de  Venise,  Paris,  5  août  ^  56-1 . 
—  Le  colloque  dePoissy  aura  le  caractère  d'un  concile  bien  que 
la  cour  affecte  de  ne  le  considérer  que  comme  une  assemblée 
d'ordre  intérieur  du  clergé  français.  —  Le  chancelier  de  l'Hos- 
pital  y  proposera  de  chercher  un  terme  moyen  entre  les  deux 
rehgions.  —  Liste  des  cardinaux  qui  doivent  assister  au  col- 
loque. —  Le  cardinal  de  Ghastillon  et  Jean  de  Monluc,  évêque 
de  Valence,  ont  refusé  de  communier  à  la  messe  d'ouverture  de 
rassemblée  préparatoire.  (Déchiffrement;  Dépêches vénit.,  filza 
4  bis,  f.  09  vo.) 

XLVIL 

Recueil  de  pièces,  lettres  du  roi  et  de  la  reine  et  autres  docu- 
ments au  sujet  de  l'interdiction  du  premier  président  Antoine 
le  Maistre.  (F.  fr.,  vol.  ^0477,  f.  -107  et  suivants;  ibid., 
vol.  3425,  f.  00.) 

XLVIU. 

Lettre  de  Sébastien  de  l'Aubespine  au  roi  de  Navarre.  Madrid, 
12  août  1501.  —  Avant  l'arrivée  d'Antonio  d'Almeida  est  venu 
un  courrier  de  Ghantonay,  porteur  de  la  nouvelle  des  arme- 
ments des  Béarnais.  —  Le  duc  d'Albu(iuerque  a  aussi  écrit  de 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  365 

Pampelune  qu'il  avait  découvert  certaines  menées  en  Navarre, 
par  le  moyen  d'un  prêtre.  —  L'ambassadeur  s'est  vainement 
efforcé  de  détruire  la  mauvaise  impression  causée  par  ces  bruits 
en  mettant  en  relief  les  sentiments  pacifiques  du  roi  de  Navarre 
et  sa  fidélité  aux  traités.  (Copie  du  temps;  f.  fr.,  vol.  -10103, 
f.  37  V.) 

Lettre  de  Suriano  à  la  république  de  Venise,  Paris^  J4  août 
'^5C^.  —  Détails  sur  l'assemblée  préparatoire  du  colloque  de 
Poissy.  —  Le  cardinal  de  Bourbon,  bien  qu'il  soit  orthodoxe,  a 
fait  une  déclaration  singulière  sur  la  présence  réelle.  —  Exposé 
de  cette  opinion,  qui  est  généralement  attribuée  à  la  faiblesse 
d'esprit  du  cardinal.  —  Passion  de  l'amiral  Coligny  en  faveur 
de  la  réforme.  —  Il  voudrait  réunir  un  collège  d'hommes  doctes 
chargés  de  décider  quelle  serait  la  meilleure  religion.  (Déchiffre- 
ment; Dépêches  vénit.,  filza  4  bis^  f.  74.) 

Lettre  d'un  ambassadeur  vénitien  à  la  république  de  Venise, 
Paris,  15  août  •lîJtH.  —  Prêches  dans  la  maison  du  prince  de 
Gondé  et  de  la  dame  de  Rothelin.  —  Le  roi  de  Navarre  décide 
le  parlement  à  ne  pas  sévir.  (Déchiffrement  non  signé  ;  Dépêches 
vénit.,  filza  4  bis,  f.  28.) 

Lettre  de  Ghantonay  à  Phihppe  II,  Paris,  ^o  août  1501.  — 
Les  états  généraux  réunis  à  Pontoise  ont  décidé  que  la  régence 
appartenait  de  droit  à  Vendôme  et  qu'il  l'exercerait  sous  la  sur- 
veillance d'un  conseil  nommé  par  les  députés.  —  Les  partisans 
de  Vendôme  prétendent  enlever  à  la  reine  toute  influence  dans 
le  gouvernement.  —  L'ambassadeur  a  signalé  à  la  reine  le  dan- 
ger de  la  réunion  des  états,  au  sein  desquels  Vendôme  intrigue 
ouvertement  à  son  profit.  —  Le  parti  réformé  grandit  chaque 
jour.  —  L'autorité  de  la  reine  diminue  à  proportion  qu'aug- 
mente le  prestige  de  Vendôme.  —  Don  Pedro  d'Albret  raconte 
à  Ghantonay  ses  démarches  à  Rome  et  pose  sa  candidature  au 
trône  de  Navarre.  —  La  dame  de  Vendôme  a  écrit  une  lettre 
de  menace  au  cardinal  d'Armagnac.  —  Arrivée  prochaine  de 
cette  princesse.  —  Ses  sentiments  de  vengeance  contre  son 
mari.  —  Accident  qui  a  failli  lui  arriver  pendant  son  voyage.  — 
Don  Pedro  d'Albret  prétend  avoir  des  droits  à  la  succession  de 
la  maison  d'x\lbret.  —  Il  dit  que,  si  madame  de  Vendôme  s'ef- 


366  ANTOINE    DE   BOURBON 

force  de  se  venger  de  lui,  il  ira  vivre  en  Espagne  sous  la  protec- 
tion du  roi  catholique.  —  Affaire  des  annates.  (Orig.  espagnol; 
Arcli.  nat.,  K.  -1493,  n»  62.) 

Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II  (Fragment),  Saint-Cloud, 
21  août  1561.  —  Il  y  a  quatre  partis  aux  états;  le  premier 
demande  que  Vendôme  exerce  la  régence  sans  en  référer  à  la 
reine  mère-,  le  second  demande  que  Vendôme  soit  réduit  à  la 
qualité  de  prince  du  sang  et  exclu  du  pouvoir  actif;  le  troisième, 
que  la  reine  mère  soit  régente  et  que  Vendôme  gouverne  au 
même  titre  qu'elle;  le  quatrième,  enfin,  que  Vendôme  ne  soit 
que  le  lieutenant  de  la  reine  mère.  —  Récit  de  Finterdiction  du 
premier  président  le  Maistre  au  parlement  de  Paris.  (Orig.  espa- 
gnol; Arch.  nat.,  K.  1494,  no  91.) 

Lettre  de  Suriano  à  la  république  de  Venise,  Paris,  24  août 
1361.  —  Exécution  du  traité  de  Gateau-Cambrésis  en  ce  qui 
regarde  le  duc  de  Savoie.  —  Récit  détaillé  de  la  réconciliation 
du  prince  de  Condé  et  du  duc  de  Guise.  —  Arrivée  prochaine 
de  la  reine  de  Navarre.  —  Détails  sur  son  voyage.  —  Elle  est 
actuellement  à  Paris  et  a  assisté  à  une  cérémonie  calviniste, 
qui  avait  réuni,  dit-on,  quinze  mille  personnes.  (Dépêches  vénit. , 
filza  4,  f.  334.) 

Lettre  de  Suriano  à  la  république  de  Venise,  Paris,  23  aoiU 
1 361 .  —  11  a  été  décidé  aux  états  que  la  reine  mère  serait  inves- 
tie de  la  dignité  de  régente,  sans  que  ce  précédent  engageât  l'ave- 
nir. —  C'est  aux  efforts  de  l'amiral  qu'est  due  cette  décision.  — 
Récit  des  efforts  faits  par  le  roi  de  Navarre  pour  faire  enregistrer 
au  parlement  de  Paris  Tédit  d'Orléans.  —  Suspension  du  pre- 
mier président  le  Maistre.  (Déchiffrement-,  Arch.  vénitiennes, 
filza  4  bis,  f.  76.) 

Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II  (Fragment),  Saint -Cloud, 
28  août  1361.  —  Conférence  de  l'ambassadeur  avec  la  reine 
mère;  il  explique  que  le  roi  d'Espagne  ne  peut  rien  accorder  au 
roi  de  Navarre  tant  que  le  calvinisme  continuera  à  être  ouver- 
tement favorisé  en  Réarn,  à  cause  du  danger  que  ce  mauvais 
exemple  peut  présentera  ses  États  voisins.  (Orig.  espagnol; 
Arch.  nat.,  K.  1494,  n°  93.) 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  '  367 

XLIX. 

Lettre  d'un  ambassadeur  vénitien  à  la  république  de  Venise, 
Paris,  29  aoiU  ^56l.  —  Récit  de  la  séance  générale  des  états, 
tenue  en  présence  du  roi  ;  les  cardinaux  sont  déchus  de  leur  pré- 
séance à  la  cour.  (DéchilTrement  non  signé;  Dépêches  vénit., 
fdza  4  bis,  f.  29.) 

Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II  (Fragment),  Paris, 
3\  aoiU  1561.  —  Séance  générale  des  états.  —  Ancienne  pré- 
séance des  cardinaux  sur  les  princes  aux  états  de  Tours  de  1 48  i. 

—  Malgré  ce  précédent,  les  cardinaux  ont  été  déchus  de  leurs 
droits  au  profit  des  princes.  —  Le  roi  et  la  cour  ont  quitté  Saint- 
Germain  pour  permettre  à  leurs  serviteurs  de  faire  une  nouvelle 
distribution  des  appartements  afm  de  pouvoir  loger,  suivant 
son  rang,  la  dame  de  Vendôme.  —  Elle  arrive  avec  son  fds  et 
sa  fdle.  —  Vendôme  et  les  principaux  seigneurs  huguenots  sont 
allés,  le  28,  à  sa  rencontre.  (Orig.  espagnol;  Arch.  nat.,  K.  ^495, 
n"  64.) 

Deuxième  lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II  (Fragment),  Saint- 
Cloud,  31  août  1361.  —  Départ  momentané  delà  cour.  — Pro- 
chaine arrivée  de  la  dame  de  Vendôme.  —  Honneurs  qui  lui  ont 
été  rendus  pendant  son  voyage  et  qui  lui  seront  rendus  à  la 
cour.  —  Mai'iage  futur  de  Henri  de  Béarn  avec  Marguerite  de 
Valois,  et  du  duc  dOrléans  avec  Catherine  de  Navarre.  —  Satis- 
faction que  ces  deux  mariages  inspirent  aux  deux  maisons  de 
Valois  et  de  Vendôme.  —  Intelligences  que  Vendôme  entretient 
avec  le  chérif  de  la  côte  marocaine  ;  il  lui  a  envoyé  un  juif  por- 
tugais. —  Henri  de  Béarn  est  élevé  dans  le  culte  de  la  réforme. 

—  Vanité  de  Jeanne  d'Albret  pour  son  fils.  (Orig.  espagnol; 
Arch.  nat.,  K.  1494,  n°  94.) 

Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  Saint-Cloud,  4  septembre 
-1 561 .  —  François  d'Escars  est  parti  pour  Rome,  il  y  a  cinq  ou 
six  jours.  — VendônKî  met  la  religion  au  service  de  ses  intérêts. 

—  Lettre  de  menace  de  la  dame  de  Vendôme  au  cardinal  d'Ar- 
magnac, qu'elle  veut  rendre  responsable  des  tergiversations 
religieuses  de  son  mari.  —  Arrivée  de  la  dame  de  Vendôme  à 


368  ANTOINE   DE    BOURBON 

Orléans  et  fêles  qui  lui  ont  été  offertes  à  cette  occasion.  —  Son 
arrêt  à  Longjumeau.  —  Différend  soulevé  hier  au  conseil  entre 
Vendôme  et  le  maréchal  Saint-André.  (Orig.  espagnol-,  Arch. 
nal.,  K.  -1494,  n°  97.) 

Lettre  de  Charles  IX  au  pape,  portant  recommandation  de 
François  d'Escars  que  le  roi  de  Navarre  envoie  à  Rome. 
[Août  ^56^.)  (Minute;  f.  fr.,  vol.  -iriSTT,  f.  322.) 


Lettre  du  roi  de  Navarre  au  mare'chal  de  Bordillon. 

Sainl-Germain,  -4  septembre  1.561. 
Ordre  d'obéir  aux  présentes  lettres  du  roi. 

Mons»-  de  Bourdillon,  la  présente  ne  sera  seullement  que  pour 
accompaigncr  celle  que  le  Roy,  monseigneur,  vous  escript,  sur 
laquelle  me  remectant,  et  après  vous  avoir  prié  de  faire  le  mieulx 
mesnaiger  que  vous  pourrez  l'argent  par  vous  arresté  en  l'achapt 
des  provisions  et  munitions  qui  vous  seront  nécessaires,  je  prie- 
ray  Dieu,  Mons''de  Bourdillon,  qu'il  vousayt  en  sa  sainte  garde. 

Escript  à  Saint-Germain-en-Laye,  le  iv"  jour  de  septembre 

Vostre  bien  bon  cousin, 
Antoine. 

(Orig.,  Bibl.  iinp.  de  Saint-Pétersbourg,  coll.  des  Autog.,  vol.  52.  — 
Analysée  par  M.  le  marquis  de  Rochatnbeau  dans  Lettres  d'Antoine  de 

Bourbon  et  de  Jehanne  d'Albret,  p.  38i.) 


LL 


Lellrc  du  roi  de  Navarre  à  Charles  de  Coucy,  s.  de  Burie, 
lieutenant  du  roi  en  Guyenne,  Sainl-Germam^  4  septembre  \  56-( . 
—  Ordre  d'obéir  à  la  lettre  du  roi  du  même  jour.  —  Ordre  de 
se  mettre  en  campagne  contre  les  séditieux.  —  Le  prince  com- 
mande à  sa  compagnie  de  suivre  le  lieutenant  du  roi,  ainsi  que 


ET  JEANNE   d'aLBRET.  369 

à  celle  de  Biaise  de  Monluc  et  à  celle  du  prince  de  Béarn.  — 
Ordre  de  lever  une  nouvelle  compagnie  de  trente  arquebusiers 
à  cheval  et  de  rassembler  le  ban  et  larrière-ban  des  gens  de 
pied  pour  le  service  du  roi.  ^  Envoi  de  commission  en  blanc 
pour  les  capitaines  et  les  gentilshommes.  —  Le  roi  ne  veut  pas 
«  molester  »  les  gens  delà  religion  qui  n'ont  pas  pris  les  armes 
et  n'en  veut  qu'aux  rebelles.  (Minute-,  f.  fr.,vol,  -l.^STo,  f.  209. 
—  La  lettre  du  roi  dont  il  est  parlé  ci-dessus  est  conservée 
dans  le  même  volume,  f.  207.) 

LU. 

Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  Saint-Cloud,  "3  septembre 
\v>{j\.  —  La  reine  et  Vendôme  vont  édicter  une  ordonnance  qui 
commande  aux  gouverneurs  de  provinces  de  résider  dans  leur 
gouvernement  et  de  désarmer  indistinctement  les  catholiques  et 
les  réformés.  —  Vendôme,  indécis  entre  les  deux  partis,  attend 
les  événements  pour  se  prononcer.  —  Il  se  dit  l'arbitre  de  la 
religion  en  France.  ^Déchiffrement  espagnol;  Arch.  nat.,  R. 
^494,  n°  99.) 

Lettre  de  Sébastien  de  l'Aubespine  au  roi  de  Navarre,  3  sep- 
tembre 1561.  —  Le  nonce  de  France  a  dit  au  nonce  d'Espagne 
que  le  prince  montrait  du  zèle  en  faveur  de  l'orthodoxie.  — 
Bonnes  intentions  du  pape  à  l'égard  du  prince  ;  il  est  entré  en 
pourparler  avec  le  confesseur  de  Philippe  II.  —  Mais  cette  nation 
«  est  tellement  pleine  d'hypocrisie  et  ce  roy  fds  de  son  père  en 

«  telle  matière »  qu'on  trouve  toujours  des  prétextes.  — 

La  négociation  demande  à  être  conduite  avec  prudence.  —  Il  y  a 
quelques  mois,  elle  était  en  meilleure  préparation  que  à  cette 
heure,  parce  que  les  Espagnols  se  sont  imaginé  qu'on  voulait 
leur  faire  peur  et  leur  forcer  la  main.  Copie  du  temps,  f.  fr., 
vol.  ^6^03,  f.  47  v°.) 

Lettre  du  duc  d'Âlbuquerque  à  Philippe  II,  Pampelune^  6  sep- 
tembre loGI.  —  Envoi  de  l'instruction  dressée  par  le  duc  sur 
les  intrigues  de  Vendôme  en  Navarre.  (Copie;  Archives  de  la 
secrétairerie  d'État  d'Espagne,  leg.  338,  f.  52.) 

Lettre  de  Suriano  à  la  république  de  Venise,  Paris,  \  0  sep- 
m  24 


370  ANTOINE   DE    BOURBON 

tcmbre  -1 56^ .  —  Récit  détaillé  de  la  première  séance  du  colloque 
de  Poissy.  —  Déclaration  de  Théodore  de  Bèze  contre  la  présence 
réelle.  (Déchiffrement;  Dépêches  vénit.,  filza  4  bis,  f.  S'I  v".) 

Lettre  deChantonay  à  Philippe  II,  Sainf-Cloud,  \(i  septembre 
V6(>\.  —  Récit  de  la  première  séance  du  colloque  de  Poissy.  — 
Vendôme  et  la  reine  disent  que  le  colloque  ne  s'occupera  pas  de 
dogme.  —  On  nie  à  la  cour  que  le  courrier  de  Turin  ait  été 
arrêté  par  ordre  du  roi.  —  Mécontentement  du  nonce  au  sujet 
de  cette  arrestation.  —  On  accuse  la  reine  d'en  avoir  eu  la  pre- 
mière idée.  —  Vendôme  promet  de  servir  le  parti  catholique, 
mais  ses  actes  ne  s'accordent  pas  avec  ses  paroles.  —  Ambition 
réciproque  de  la  reine  et  de  Vendôme.  —  La  reine  assure  que 
Vendôme  lui  est  soumis.  —  L'amiral,  dont  le  crédit  est  toujours 
dominant,  et  les  Huguenots  mènent  la  reine  à  sa  perte.  (Orig. 
espagnol-,  Arch.  nat.,  K.  4494,  n°  400.) 

Lettre  de  Suriano  à  la  république  de  Venise,  Paris,  W  sep- 
tembre 1 564 .  —  La  reine  a  décidé,  sur  la  demande  du  cardinal 
de  Ferrarc,  que  les  annates  seraient  payées  au  pape.  —  Pau- 
vreté du  trésor  royal.  —  La  reine  ménage  l'assemblée  du  clergé 
dans  Fespoir  qu'elle  paiera  les  dettes  du  roi.  (Déchiffrement; 
Dépêches  vénit.,  filza  4  bis,  f,  83.) 

Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II  (Fragment),  Saint-Cloud, 
\  2  sepionbre  \  50  f .  —  Récit  des  luttes  soulevées  au  conseil  entre 
le  roi  de  Navarre  et  le  maréchal  Saint-André,  à  l'occasion  du 
colloque  de  Poissy.  (Orig.  espagnol;  Arch.  nal.,  K.  4494,  if  420.) 

Lettre  de  Sébastien  de  l'Aubespine  au  roi  de  Navarre,  Madrid, 
24  septembre  4  574.  —  Atermoiements  et  préjugés  de  la  cour 
d'Espagne.  —  Invitation  au  prince,  pour  réussir,  «  de  s'accom- 
«  moder  aux  passions  de  ceste  cour.  »  —  Renvoi  aux  réponses 
orales  que  portera  Jacques  d'Auzance.  (Copie  du  temps;  f.  fr., 
vol.  4  6403,  f.  52.  —  Une  lettre  originale  du  même  à  la  reine  et 
de  même  date  traite  des  mêmes  matières;  f.  fr.,  vol.  4  5873, 
f.  239.) 

Avis  de  la  consulte  d'état  d'Espagne,  Madrid,  25  sep- 
tembre 4  564 .  —  Conseils  à  la  reine  mère  d'user  de  répression 
vis-à-vis  des  réformés.  —  Quant  au  fait  de  Vendôme,  le  roi 
dVEspagne  ne  pourra  recevoir  officiellement  ses  ambassadeurs 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  371 

que  quand  il  remplira  ses  devoirs  de  bon  catholique.  (Copie  du 
temps  en  espagnol;  Arch.  nal.,  K.  U9o,  n"  71.) 


LUI. 

Compte  de  la  terre  et  seigneurie  d'Oisy,  appartenant  au  roi 
de  Navarre,  pour  une  année  commençant  à  la  Saint-Rémy 
(^*'■  octobre)  'f  ^6^  et  finissant  au  dernier  de  septembre  ioQ2.  — 
Terrier  et  compte  de  recettes  et  de  redevances  féodales.  (Origi- 
nal sur  papier,  f.  fr.,  vol.  -18749.) 

LIV. 

Lettre  du  roi  de  Navarre  au  maréchal  de  Bordillon. 

Saint-Germain,  2  octobre  1561. 
Recommandation  du  capitaine  Breziquelles. 

Monsieur  de  Bourdillon, 
Veoiant  le  peu  de  moien  qu'il  y  a  de  satisfaire  pour  le  pré- 
sent le  cappitaine  Breziquelles,  de  ce  qui  luipeust  estre  deu,  et 
le  long  temps  qu'il  pourroit  cependant  consumer  par  deçà  devant 
qu'il  en  peult  emporter  bonne  yssue,  le  Roy,  mon  seigneur, 
a  esté  d'advis  de  le  vous  renvoyer,  en  atendant  que  dedans 
quelque  temps  il  se  puisse  présenter  quelque  bonne  occasion  de 
le  récompenser  comme  il  mérite,  l'ayant  bien  vouUu  accompai- 
gner  de  la  présente  pour  vous  prier,  Mons""  de  Bourdillon, 
•l'avoir  tousjours  pour  recommandé,  ce  que  m'asseurant  que 
vous  ferez,  je  ne  vous  feray  la  présente  plus  longue,  priant 
Dieu,  Mons""  de  Bourdillon,  qu'il  vous  ait  en  sainte  garde. 
Escript  à  Saint-Gerraain-en-Laye,  le  ii«  jour  de  octobre  ^  '66i . 

Vostre  bien  bon  amy, 
Antoine. 
(Orig.,  Biblioth.  imp.  de  Sainl-Pctersljourg,  Collect.  d'autogr.,  vol.  52. 
—  Analysée  par  M.  le  marquis  de  Rochambeau  dans  Lettres  d'Antoine 
de  Bourbon  et  de  Jehanne  d'Albret,  p.  385.) 


37â  ANTOINE    DE    BOURBON 


LV. 


Lettre  de  Philippe  II  à  Chantonay,  Madrid^  2  octobre  '^36^. 
—  Instruction  du  roi  d'Espagne  à  son  ambassadeur  au  sujet 
des  affaires  de  France.  —  Le  colloque  de  Poissy.  —  Le  concile 
de  Trente.  —  Récit  des  négociations  du  duc  d'Albe  avec  l'évêque 
de  Limoges  et  Jacques  d'Auzance  au  sujet  des  affaires  de  la  reli- 
gion et  des  revendications  de  Vendôme.  (Minute  ou  copie  en 
espagnol;  Arch.  nal.,  K.  ^493,  n"  80.) 


LVI. 


Lettre  du  roi  de  Navarre  au  maréchal  de  Bordillon,  Saint- 
Germain^  4  octobre  \V)i\\.  —  Accusé  de  réception  des  dépêches 
portées  à  la  cour  par  le  capitaine  Murs.  —  Lettre  de  créance  en 
faveur  dudit  capitaine  que  le  roi  renvoie  en  Piémont.  (Orig.; 
f.  fr.,  vol.  -15342,  f.  47.) 


LVII. 


Lettre  du  s.  de  l'Isle,  ambassadeur  à  Rome,  au  roi,  Rome, 
\  4  oct.  \  3()i .  —  François  d'Escars,  qui  part  aujourd'hui,  remettra 
cette  lettre  au  roi.  —  L'ambassadeur  a  dit  au  pape  que  le  roi  pre- 
nait l'affaire  du  roi  de  Navarre  comme  la  sienne  propre  et  qu'il 
espérait  bien  que  le  pape  le  soutiendrait  auprès  du  roi  d'Espagne. 
—  L'ambassadeur  a  trouvé  le  pape  «  changé  et  disposé  tout  au 
«  contraire,  »  et  lui  en  a  demandé  raison.  «  (^ar,  quant  aux  rai- 
«  sons  qu'elle  allégeoit  (S.  S.)  touchant  la  personne  de  la  reine 
«  de  Navarre,  je  ne  pouvois  estimer  qu'elle  voulut  fonder  une 
«  telle  résolution  sur  quelques  avis  et  rapports  qu'elle  en  pou- 
«  voit  avoir,  malins  et  calomnieux,  comme  il  est  raisonnable  de 
«  le  croire,  attendu  que  lad.  dame  n'est  accusée  ne  condamnée. 
«  Et  seroit  bien  la  traiter  au  rebours  de  ce  qu'elle  mérite, 
«  lorsque  la  cause  de  son  estât  est  mise  en  avant  et  rapportée  à 
«  S.  S.  comme  estant  de  celles  qui  doivent  estre  soumises  à  son 
a  jugement.  »  (Copie  du  temps,  f.  fr. ,  vol.  3933,  f.  4-1.) 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  373 

LVIII. 

Lettre  de  Sébastien  de  l'Aubespine  au  roi  de  Navarre,  Madrid^ 
46  octobre  4304.  —  Depuis  que  Jacques  d'Auzance  est  revenu 
en  France,  le  roi  d'Espagne  n'a  fait  aucune  déclaration  nouvelle. 

—  Antonio  d'Almeida  a  travaillé  à  connaître  le  fond  de  la  pen- 
sée du  roi  catholique  et  du  prince  d'Eboli  et  en  rendra  compte 
à  la  cour  de  France.  —  Bonne  réception  faite  au  chevalier  Pari- 
sot.  (Copie  du  temps;  f.  fr.,  vol.  16-103,  f.  71.) 

Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  Saint-Cloud^  4  6  octobre 
4  564.  —  Retour  de  Jacques  d'Auzance.  —  Il  rend  compte  à  la 
reine  et  à  Vendôme  de  sa  mission  en  Espagne.  —  Fermeté 
catholique  du  duc  d'Orléans,  second  fils  de  la  reine,  et  de  Mar- 
guerite de  Valois.  (Orig.  espagnol;  Arch.  nat.,  K..  44iJ5,  n''  84.) 

Lettre  de  Suriano  à  la  république  de  Venise,  Paris,  4  8  octobre 
4  564.  —  Récit  de  la  mission  de  Jacques  d'Auzance  en  Espagne. 

—  Conférence  de  Fambassadeur  avec  le  roi  de  Navarre.  —  Le 
prince  demande  à  la  république  d'intervenir  en  sa  faveur  auprès 
du  roi  d'Espagne.  —  Vie  privée  de  ce  prince;  sa  vieillesse  pré- 
maturée. (Déchiffrement;  Dépêches  véiiit.,  filza  4  bis,  f.  94.) 

Lettre  de  Suriano  à  la  république  de  Venise,  Paris,  49  octobre 
4  564.  —  Suite  du  colloque  dePoissy.  —  La  résidence  est  impo- 
sée aux  évêqucs.  —  Envoi  de  lieutenants  dans  les  provinces.  — 
Ordre  aux  réformés  de  restituer  les  églises  catholiques.  (Déchif- 
frement; Dépêches  vénit.,  filza  4  bis,  f.  96  v°.) 

LIX. 

Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  Saint-Cloud,  24  octobre 
4  564.  —  Conférence  de  l'ambassadeur  avec  la  reine  mère  et 
avec  Vendôme  au  sujet  de  la  mission  de  Jacques  d'Auzance.  — 
Plaintes  de  l'ambassadeur  au  sujet  delà  tolérance  religieuse.  — 
Vendôme  proteste  (ju'il  n'est  que  le  lieutenant  de  la  reine  et 
qu^elle  garde  toutes  les  responsabilités  du  gouvernement.  —  11 
a  l'intention  d'envoyer  une  seconde  ambassade  à  Madrid  en  suite 
de  celle  de  d'Auzance.  —  Retraite  du  duc  de  Nemours  en  Savoie. 


374  ANTOINE   DE   BOURBON 

—  Portrait  de  ce  prince,  —  Le  connétable  a  quitté  la  cour  dans 
l'espoir  d'être  rappelé.  —  Le  cardinal  de  Tournon  se  retire  à 
Meudon.  —  Les  affaires  de  la  religion  empirent  tous  les  jours. 

—  Le  président  Séguicr  est  envoyé  en  Savoie.  —  Emeute  à  Ver- 
dun pour  cause  de  religion.  —  Le  cardinal  de  Ferrare  n'a  pas 
encore  obtenu  ses  pouvoirs  de  la  cour  de  France.  —  Envoi  de 
François d'Escars à  Rome.  (Orig.  espagnol;  Arcli.  nat.,  R.  -l'iOa, 
n°  86.) 

Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  Saint-Cloud,  31  octobre 
\  3()^ .  —  Arrivée  du  comte  de  Ilorn  à  la  cour  de  France.  — 
Plaintes  de  la  reine  sur  la  tentative  d'enlèvement  du  duc  d'Or- 
léans. —  Instruction  dirigée  contre  le  duc  de  Nemours.  —  Fuite 
de  ce  seigneur.  —  Complicité  prétendue  du  duc  de  Guise  et 
d'autres  seigneurs  catholiques.  —  Nemours  et  mademoiselle  de 
Rohan.  —  Amnistie  accordée  aux  séditieux  du  règne  de  Fran- 
çois 11.  —  (conférence  sur  la  délimitation  des  frontières  du 
Nord.  —  Envoi  de  la  Forest  à  Bruxelles.  (Orig.  espagnol; 
Arch.  nat.,  K.  -HlV.,  n^  ^06.) 

Requête  de  la  Sorbonne  au  roi  pour  le  supplier  «  maintenir, 
«  défendre  et  garder  vostre  peuple  en  sa  simplicité  et  dévotion 

«  telle  qu'il  a  reçue  apprise  et  pratique  de  ses  pères ne  souf- 

«  frir  (jue  la  candeur  et  pureté  du  lys  de  France  soit  souillée  et 

«  tachée  des  ténèbres  d'erreur  et  d'hérésie »  {Octobre  \  561  ?) 

(Copie  du  temps;  Arch.  nat.,  K.  |/i95,  n"  74.) 


LX. 

Quittance  de  la  somme  de  450  livres,  signée  par  le  prince 
Henri  de  Béarn,  pour  l'état  de  capitaine  de  cinquante  hommes 
d'armes  pour  le  quartier  de  juillet,  août  et  septembre  ^56^. 
(Original  sur  parchemin,  daté  du  31  octobre  1561;  f.  fr., 
voL  20387,  f.  ^05.) 

LXI. 

Lettre  de  Suriano  à  la  république  de  Venise,  Paris,  3  novembre 
\  561 .  —  Progrès  menaçants  de  la  réforme.  —  Les  principaux 


ET    JEANNE    D  ALBRET.  375 

seigneurs  catholiques,  le  connétable  et  les  Guises  se  sont  retirés 
de  la  cour,  —  La  reine  de  Navarre  a  quitté  Saint-Germain  pour 
vivre  à  sa  guise.  —  A  Paris,  les  prêches  sont  protégés  par  la 
faveur  de  la  reine  contre  la  fureur  du  peuple.  (Déchiffrement  ; 
Dépêches  vénit.,  fdza  4  bis,  f.  -f02  v°.) 

Mémoire  de  Sébastien  de  TAubespine  au  roi  sur  l'état  des 
négociations  avec  l'Espagne  et  sur  la  politique  extérieure  de  la 
France,  principalement  en  Allemagne,  Madrid,  4  novembre  \  56 1 . 
(Copie  du  temps;  f.  fr.,  vol.  ^15875,  f.  303.) 

Lettre  de  Sébastien  de  l'Aubespine  au  roi  de  Navarre,  Madrid^ 
4  novembre  ^36f .  —  La  cour  d'Espagne  a  appris  par  le  duc  de 
Florence  l'insuccès  de  la  mission  de  François  d'Escars  à  Rome. 

—  Demande  d'instructions.  —  Le  chanoine  de  Pampelune  est 
toujours  en  prison.  —  Lettre  de  créance  en  faveur  du  présent 
porteur.  (Original;  f.  fr.,  vol.  -15875,  f.  299.) 

Lettre  de  Suriano  à  la  république  de  Venise,  Paris,  4  novembre 
•1561.  —  Récit  de  la  tentative  d'enlèvement  du  duc  d'Orléans. 

—  Caractère  et  tendances  religieuses  de  ce  prince.  —  Son  anti- 
pathie pour  le  prince  de  Navarre.  —  Son  amitié  pour  le  prince 
de  Joinville,  fds  du  duc  de  Guise.  (Déchiffrement;  Dépèches 
vénit.,  filza  4  bis,  f.  -104.) 

Résumé  des  points  traités  par  l'ambassadeur  de  France  auprès 
de  Philippe  II  en  faveur  du  roi  de  Navarre,  communication  faite 
au  duc  d'Albe,  Madrid^  9  novembre  1561.  (Note  de  chancellerie 
en  français;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n°  88.) 

Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  Paris,  9  novembre  '156^. 

—  La  tolérance  de  la  reine  pour  les  réformés  saccuse  tous  les 
jours  davantage.  —  Le  prince  de  la  Roche-sur- Yon  est  à  Paris. 

—  Insolence  d'un  huguenot  dans  une  église  de  Saint-Germain. 

—  Instruction  dirigée  contre  le  duc  de  Nemours.  —  Pillage 
commis  dans  les  Indes  par  le  Français  Lacelle.  —  Prélats  fran- 
çais au  concile  de  Trente.  —  Le  duc  de  Savoie  a  envoyé  à  la 
cour  l'ambassadeur  Morete.  (Orig.  espagnol;  Arch.  nat., 
K.  ^494,  n"  i07.) 


376  ANTOINE    DE    BOURBON 

LXII. 

Rapport  du  seigneur  de  Grussol  a  la  reine. 

{Novembre  1561.) 

Tentative  d'enlèvement  du  duc  d'Orléans  par  le  duc  de  Nemours. 

Le du  moys  de  octobre  j'arrivois  à  Nanleul  à  huit  heures 

au  matin,  où,  après  avoir  présenté  la  lettre  de  la  Royne  à  Mes- 
sieurs le  cardinal  de  Lorraine  et  duc  de  Guise,  leur  fis  entendre 
la  charge  que  j'avois  de  la  ditte  dame,  qui  estoit  en  substance 
ce  que  Mons''  de  Nemours  avoit  dit  à  Monsieur  de  persuader  de 
l'emmener  hors  de  ce  royaulme,  et  la  fasson  dont  ledit  sieur  de 
Nemours  avoit  uzé  en  l'endroit  de  mondit  seigneur.  Et  lors 
messieurs  le  cardinal  de  Lorraine  et  duc  de  Guise  me  dirent 
qu'ils  ne  pouvoient  croire  telle  chose,  et  que  Mons""  de  Nemours 
ne  leur  en  avoit  jamais  parlé,  et  que  ledit  seigneur  de  Nemours 
leur  avoit  dit  que  il  s'en  devoit  aller  dens  peu  de  jours  à  Paris 
pour  son  procès  et  de  là  à  la  court  pour  quelques  ungs  de  affères. 
Lors  je  leur  respondis  que  je  croyois  très  iiien  que  Mons'  de 
Nemours  ne  leur  eust  pas  voulu  communiquer  une  telle  entre- 
prise, sachant  bien  le  selle  et  affection  qu'il  avoit  au  service  du 
Roy.  A  quoy  Mons""  le  cardinal  respondit  que,  si  cella  estoit  vray, 
que  il  ne  pouvoit  dire  aultre  chose  dudit  s.  de  Nemours  sinon 
qu'il  estoit  ung  foui.  Et  lors  Mons""  de  Guise  me  dit  que  c'estoit 
choses  qui  estoint  de  grande  conséquence  et  que  cella  valloit 
bien  d'i  panser  avant  (jue  d'en  donner  avis  à  la  Royne.  Lors  je 
luy  dis  :  «  Ouy,  Mons"',  tant  qu'il  vous  plera.  » 

El  dellà  partirent  lesd.  s.  cardinal  et  duc  de  Guise,  pour  aller 
à  la  messe,  où  je  leur  fis  compagnie.  Et  puis  se  mirent  à  table, 
attendant  que  Messieurs  de  Longucville,  Nemours  et  cardinal 
de  Guise  vinrent  de  l'esglise  du  prioré  avec  Madame  de  Guise, 
qui  nienoit  la  mariée. 

Et  après  le  disner  se  retirarent  losdits  seigneurs,  cardinal  et 
duc  de  Guise,  en  la  chambre  dudit  cardinal,  où  après  avoir  esté 
quelque  temps,  m'envoyarent  quérir  pour  parler  à  eulx.  El 
estant  arrivé  en  la  chambre,  après  m'avoir  fiel  assoir  auprès 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  377 

d'eulx,  me  leurent  la  lettre  qu'ils  escrivoient  à  la  Royne.  Puis  me 
dit  Mons""  le  cardinal  :  «  Monsieur  de  Crussol,  nous  ne  pouvons 
assés  remercier  la  Royne  de  l'honneur  qu'elle  nous  fet  que  de 
nous  fère  entendre  ce  que  vous  nous  avés  dit  de  la  part  de 
Mons'  de  Xemours,  ensamble  l'avis  qu'il  luy  plait  que  nous  luy 
donnions  sur  ce  fet.  Et  pour  y  satisfere  nous  vous  dirons  que 
tout  ce  que  nous  avons  peu  congnoistre  de  M""  de  Nemours  a 
esté  que  toute  l'espéranse  qu'il  a  aujourd'huy  en  ce  monde  est 
la  bonté  de  la  Royne;  sachant  bien  que  sens  cella  il  est  tout 
assuré  que,  par  le  conseil  ny  aultrement,  il  ne  peult  espérer  que 
Mons"'  de  Savoie  puisse  obtenir  la  restitution  des  places  de  Pié- 
mont ;  qui  fet  la  chose  du  monde  que  Mons'  de  Xemours  désire 
le  plus  de  pouvoir  obtenir;  sachant  bien  que  de  là  toute  sa 
grandeur  despant.  Et  pour  ceste  occasion  nous  a  souvant  dit 
qu'il  ne  vouloit  entrer  au  conseil  du  Roy  qu'il  ne  vit  une  fin  en 
cella  et  que  eust  peu  opiner.  Parellement  que,  après  que  Mons' 
de  Nemours  fut  party  de  Nanteul,  quant  il  s'en  alla  en  Savoie, 
ils  savent  bien  qu'il  n'a  jamais  escrit  que  Mons'  de  Savoye  n'eust 
escrit  à  la  Royne  pour  ne  prandre  en  mauvaise  part  le  partemant 
qu'il  avoit  fet,  et  qu'il  n'avoit  jamais  rien  tant  désiré  que  de 
pouvoir  venir  et  estre  en  la  bonne  grâce  du  Roy  et  de  la  Royne. 
Que,  plus  il  pansoit,  luy  et  Monsieur  son  frère,  tant  moins  ils 
Irouvoient  d'aparanse  a  ce  que  je  leur  avois  dit,  car  ilz  ne 
peuvent  panser  où  Mons'  de  Nemours  l'eust  peu  mener.  Si 
c'eust  esté  en  Espagne,  le  chemyn  est  fort  lonc  ;  il  fault  passer 
par  le  gouvernement  du  roy  de  Navarre,  qui  y  fust  empesché.  » 
Et  lors  je  leur  dis  que  c'estoit  en  Savoye.  «  Comment,  me  dit 
Mons'  le  cardinal,  chascun  sçait  bien  que  toulte  la  grandeur  et 
bien  de  Mons'  de  Savoye  ne  despant  que  de  la  bonne  grâce  du 
Roy.  Et  quant  ce  eust  esté  qu'il  Teust  mesme  mené  en  Lorraine, 
qui  est  plus  près,  chescun  sçait  bien  que  ny  Mons'  de  Lorraine 
ny  Mons'  de  Savoye,  ny  tous  tant  nous  sommes,  ne  sarions  résis- 
ter à  chose  qui  peult  desplère  au  Roy  ;  et  que  touttes  fois  qu'il 
envoiera  mille  hommes  d'armes,  il  se  fera  seigneur  et  de  noz 
personnes  et  de  noz  biens.  Touttes  ces  choses  là  sont  impos- 
sibles ;  et,  tant  plus  nous  y  pansons,  tant  moins  nous  y  trou- 
vons de  fondemant.  Tout  ce  que  nous  disons  n'est  pas  pour 
excuser  Mons'  de  Nemours,  car,  encores  qu'il  soit  nostre  bon 


378  ANTOINE    DE   BOURBON 

seigneur  etamy,  si  est-ce  que,  s'il  avoit  fet  telle  chose,  il  n'aroit 
point  ung  plus  grand  ennemy  que  nous;  car  nous  ne  serons 
jamais  en  double  de  la  fidellité  que  nous  devons  au  Roy  et  à  la 
Royne;  et  vous  prions  de  l'en  assurer  et  luy  dire  que  nous  la 
suplions  de  fère  estât  de  nous.  » 

Lors  je  leus  dis  que  la  Royne  desiroit  savoir  d'euls  :  la  pre- 
mière, le  moïen  qu'elle  devoit  tenir  pour  vérifier  ce  fet;  et 
l'aultre,  si  d'avanture,  il  estoit  vérifié,  comme  elle  s'i  devroit 
gouverner.  Il  me  fut  respondu  par  euls  :  quant  à  la  vérification 
que  ils  ne  saroint  m'en  dire  aultre  chose,  attendu  qu'il  n'y  avoit 
que  ung  tesmoin  seul^  et  qu'on  pourroit  le  demander  à  Mons^  de 
Nemours  en  sermant;  et,  s'il  le  nioit,  que  la  Royne  luy  pour- 
roit dire  que,  si  il  l'avoit  fet,  elle  luy  feroit  bien  conoistre 
l'offanse  qu'il  aroit  fette,  et  se  gouverner  en  cella  comme  ilz  ont 
entendu  aultres  foys  que  Madame  la  Régente  fit  à  feu  Mons""  de 
Sainct-Pol  et  Mons""  de  Guise,  leur  père.  Quant  au  secont  point, 
que,  s'il  estoit  vérifié,  il  ne  saroit  estre  assés  puny,  et  que  les 
loix  sont  pleines  de  telles  punitions. 

Puis  Monsr  de  Guise  me  dit  :  «  C'est  tout  ce  que  nous  vous 
pouvons  dire  pour  ce  fet;  quant  vous  sériés  icy  ung  mois, 
Mons""  mon  frère  et  moy,  ne  vous  en  sarions  dire  davantaige.  » 
Et,  après  avoir  pris  congé  d'eulx,  ilz  me  priarent  de  assurer  la 
Royne  de  la  dévotion  qu'ils  ont  au  service  du  Roy  et  au  sien. 
Ce  que  je  leur  promis.  Et  puis  Mons""  de  Guise  me  dit  que  je 
disse  à  la  Royne  de  sa  part  qu'il  seroit  bon  que  le  Roy  ne  sceut 
rien  de  tout  cessy  et  que  cella  le  feroit  entrer  en  quelque  opinion 
que  ne  luy  pourroit  pas,  peult-estre,  estre  légèrement  ostée,  et 
qu'elle  luy  serviroit  de  bon  témoins;  que  quant  elle  luy  a  fet 
cest  honneur  de  luy  demander  avis,  il  a  tousjours  esté  d'opinion 
de  ne  séparer  point  le  Roy  et  Messieurs  et  qu'ils  ne  saroient 
estre  trop  unis  ensambles;  et  qu'il  fault  qu'il  me  confesse  une 
chose,  que  l'entreprise  dont  je  luy  ay  parlé,  si  elle  eust  esté  fais- 
sable,  fust  peult-estre  esté  la  plus  pernicieuse  pour  ce  royaulme 
que  chose  qui  y  fust  peu  avenir,  et  sufisante  quasi,  veu  les  divi- 
sions qui  y  sont,  pour  raenasser  et  ruiner  touttes  choses. 

Et  voylà  tout  ce  que  j'ay  peu  entendre. 

(Copie  du  temps,  f.  fr.,  vol.  6608,  f.  11.) 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  379 

LXIII. 

Don  du  roi  à  la  reine  de  Navarre,  en  considération  de  ses 
dépenses  «  auprès  de  nous  et  à  notre  suitle,  »  attendu  qu'elle 
n'a  point  joui  de  la  traite,  à  elle  accordée,  de  20  mille  ton- 
neaux de  blé,  puisque,  par  une  ordonnance  postérieure,  toutes 
les  traites  ont  été  supprimées,  le  roi  donne  à  ladite  reine  la 
somme  de  50,000  livres  tournois  à  prendre  sur  le  produit  de  la 
vente  des  arbres  «  tombez  ou  versez  par  l'impétuosité  des  vents 
a  durant  la  présente  année,  »  dans  toutes  les  forêts  royales, 
excepté  dans  les  forêts  de  Châteauneuf,  Champrond  et  Senonches 
(dont  lad.  princesse  avait  la  jouissance).  Saint-Gennain, 
W  novembre  1561.  (Copie;  Arch.  nat.,  P.  2312,  f.  1593.  — 
Ce  don  fut  confirmé  par  lettres  patentes  du  5  février  et  du 
1"  juin  suivants;  ibid.) 

LXIV. 

Lettre  de  Sébastien  de  l' Aubespine  au  roi  de  Navarre,  Madrid^ 
\2  novembre  1561.  —  L'ambassadeur  regrette  de  ne  pouvoir 
fournir  au  prince  d'éclaircissements  définitifs  sur  les  sentiments 
du  roi  d'Espagne.  —  Lenteur  et  dissimulation  de  ce  prince.  — 
Protestations  de  dévouement.  (Copie  du  temps  ;  f.  fr.,  vol.  -16103, 
f.  95.) 

Résumé  de  chancellerie  de  la  négociation  de  Jacques  d'Au- 
zance  à  Madrid,  avec  réponses  inscrites  à  la  marge,  point  par 
point,  par  Philippe  II,  Madrid^  \2  novembre  ioGi .  (Orig.  espa- 
gnol; Archives  nat.,  K.  1495,  n"  89.) 

Lettre  de  Chanlonay  a  Philippe  II,  Saint-Cloud,  13  novembre 
1561.  —  Le  connétable,  soupçonné  de  complicité  avec  le  duc 
de  Nemours  dans  la  tentative  d'enlèvement  du  duc  d'Orléans, 
est  de  retour  à  la  cour.  —  Le  cardinal  de  Tournon  a  été  retenu 
à  la  cour  malgré  lui.  —  Le  maréchal  Saint- André  est  absent. 
—  Le  cardinal  de  Lorraine  n'a  pas  été  appelé  par  la  reine.  — 
Le  duc  de  Guise  s'est  excusé  de  revenir  à  Saint-Germain.  — 
Les  absences  de  ces  seigneurs  sont  le  résultat  de  la  faveur  de 
Vendôme.  —  Etforts  des  réformés  pour  s'emparer  des  gouver- 


380  ANTOINE    DE   BOURBON 

nements  de  provinces  et  des  capitaineries  de  places.  —  Instruc- 
tion dirigée  contre  le  duc  de  Nemours.  —  Mascarade  du  prince 
de  Béarn  à  Saint-Germain.  —  Affaire  de  l'enregistrement  des 
pouvoirs  du  légat.  —  Arrivée  àPoissy  des  prêcheurs  du  duc  de 
Wurtemberg.  —  Prêches  et  cérémonies  calvinistes  à  Paris,  — 
L'enregistrement  de  l'édit  de  juillet;  sa  non  exécution.  —  Pau- 
vreté du  trésor  royal;  dettes  du  roi.  —  La  dame  de  Vendôme 
a  invité  le  cardinal  de  Ferrare  à  venir  chez  elle  et  l'a  obligé  à 
entendre  un  prêche  huguenot.  —  Difficultés  sur  la  liberté  des 
mers  dans  les  Indes.  —  Le  roi  a  convoqué  une  assemblée  solen- 
nelle de  l'ordre  de  Saint-Michel.  —  On  croit  que  cette  assem- 
blée aura  à  juger  le  duc  de  Nemours.  (Orig.  espagnol  ;  Arch. 
nat.,  R.  1494,  n"  ^108.) 

LXV. 

Déclaration  du  roi  qui  met  le  roi  de  Navarre  en  jouissance 
des  seigneuries  du  Chasteauneuf,  Champron,  Senonches,  Bre- 
zolles  et  autres  biens,  Saini-Germain^  ^6  novembre  \o(S\. 
(Copie;  Arch.  nat.,  P.  23^2,  f.  \M.  Cette  donation  fut  confir- 
mée par  une  déclaration  du  roi  en  date  du  ^2  février  ^56^ 
(^502),  ibid.) 

LXVI. 

Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  Saini-Cloud .,  ^8  novembre 
^56^.  —  Le  cardinal  de  Ferrare  a  fait  entendre  un  sermon 
catholique  à  la  dame  de  Vendôme.  —  Mauvaise  grâce  de  cette 
princesse  pendant  la  cérémonie.  —  Nouvelle  conférence  de 
l'ambassadeur  avec  le  cardinal  de  Tournon  au  sujet  des  aflaires 
de  Vendôme.  —  Le  cardinal  demande  la  Sardaigne  pour  le 
prince.  —  L'ambassadeur  répond  sans  conclure  on  rappelant 
les  tendances  hérétiques  du  prince.  —  Chaque  jour,  la  dame 
de  Vendôme  renouvelle  ses  instances  auprès  de  son  mari  pour 
le  décider  à  se  prononcer  en  faveur  de  la  réforme.  (Orig.  espa- 
gnol ;  .\rch.  nat.,  K.  ^VJ4,  n"  -109.) 

Lettre  de  Suriano  et  de  Barbaro  à  la  république  de  Venise, 
Poissy,  \9  novembre  4  5(H .  —  Récit  du  festin  offert  par  la  reine 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  381 

de  Navarre  au  cardinal  de  Ferrare,  à  l'issue  duquel  la  princesse 
a  fait  prêcher  un  de  ses  ministres.  (Déchiffrement  ;  Dépêches 
vénit.,  filza  4  bis,  f.  MO  v°.) 

Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  Saint-Cloud,  21  novembre 
^D6I.  —  Conférence  de  l'ambassadeur  avec  le  connétable  et  le 
cardinal  de  Tournon  au  sujet  de  la  Sardaigne  que  le  cardinal  a 
demandée  à  l'ambassadeur  pour  Vendôme.  —  L'ambassadeur 
incline  à  lui  accorder  cette  ile,  malgré  les  dangers  pour  l'Es- 
pagne d'une  alliance  de  Vendôme  avec  les  Maures,  parce  qu'on 
pourrait  plus  tard  la  lui  reprendre.  —  Tendances  de  ce  prince. 

—  Antonio  d'Almeida  le  représente  à  Madrid.  —  La  dame  de 
Vendôme  presse  son  mari  de  donner  des  gages  au  parti  réformé. 

—  Conditions  offertes  par  Vendôme  en  retour  de  la  Sardaigne. 

—  11  laisserait  ses  enfants  en  otage  et  ses  forteresses  en  gage 
de  ses  promesses.  —  Lettre  de  la  reine  d'Espagne  à  la  reine 
mère.  —  Émotion  qu'elles  ont  causée  à  la  reine.  —  Faiblesse 
de  Vendôme  vis-à-vis  de  sa  femme.  —  Il  s'excuse  en  disant 
qu'il  craint  de  la  contrarier.  —  L'ambassadeur  avoue  qu'elle 
est  gravement  malade.  —  La  reine  mère  approuve  les  dépêches 
que  Chantonay  a  adressées  à  Madrid.  —  Envoi  de  Rambouillet 
au  duc  de  Savoie.  —  (Orig.  espagnol;  Arch.  nat.,  K.  ^494, 
nM^O.) 

LXVII. 

Lettre  oxj  roi  de  Navarre  au  maréchal  de  Bordillon. 

Saint-Germam,  23  novembre  1561. 
Impossibilité  d'augmenter  le  nombre  des  gens  de  guerre  du  Piémont. 

Mons""  de  Bourdillon,  par  la  lectre  que  le  Roy,  mon  seigneur, 
vous  escrit  présentement,  vous  serez  si  amplement  satisfaict  à 
toutes  voz  dernières  dépesches  que,  me  remectant  sur  icelle,  je 
ne  vous  diray  rien  davantage,  sinon  qu'il  est  impossible  de 
vous  croistre  ne  augmenter  pour  le  présent  le  nombre  de  gens 
de  guerre  que  vous  demandez,  au  moyen  que  les  affaires  de  Sa 
Majesté  ne  le  peuvent  aucunement  porter  en  ceste  saison  :  qui 
sera  cause  que  je  vous  prieray  de  regarder  de  vous  accomoder 


382  ANTOINE    DE   BOURBON 

de  si  peu  que  vous  avez,  et  penser  que  si  nous  pouvions  mieulx 
faire,  nous  le  ferions.  Priant  Dieu,  Mons'  de  Bourdillon,  qu'il 
vous  ait  en  sa  saincte  et  digne  garde. 
De  Saint-Germain-en-Laye,  ce  xxiii^  jour  de  novembre  ^56^. 

Vostre  bien  bon  amy, 
Antoine. 

(Orig.,  Bibliolh.  imp.  de  Saint-Pétersbourg,  Collect.  d'autographes, 
vol.  52.  —  Analysée  par  M.  le  marquis  de  Rochanibeau  dans  Lettres 
d'Antoine  de  Bourbon  et  de  Jehanne  d'Albret,  p.  385.) 


LXVIII. 

Lettre  dd  roi  de  Navarre  a  Sébastien  de  l'Acbespoe. 

Saint-Germain,  23  novembre  1561. 
Ordre  d'apfiuyer  les  démarches  du  s.  d'Auzance  à  la  cour  d'Espagne. 

Monsieur  de  Lymoges,  aveques  la  depesche  du  s"-  d'Ozances, 
qui  va  pour  l'occasion  que  vous  entendez,  j'ay  pensé  quMl  ne 
seroit  que  très  à  propos  de  faire  au  Roy  et  à  la  Royne  catho- 
licque  les  lettres  que  vous  verrez  pour,  suivant  l'advis  de  ladite 
dame,  de  l'affection  de  laquelle  envers  moy  j'ay  assez  d'asseu- 
rance,  en  user  comme  vous  adviserez  pour  le  mieulx,  ledit 
s''  d'Ozances  et  vous,  au  bien  de  mes  affaires,  lesquels  j'ay 
tant  cogneu  que  vous  avez  toujours  embrassez  de  bon  cœur  et 
vous  y  estes  emploies  si  voluntiers  que  je  ne  craindray  point  à 
vous  prier  encores  de  continuer  de  n'y  espargner  les  bons 
moyens  que  je  sçay  que  vous  y  porez  avoir  -,  avecques  asseu- 
rance  que  vous  ne  ferez  jamais  pour  prince  quy  ayt  meilleure 
souvenance  du  service  de  ceulx  qui  l'ayment  comme  vous 
faictes  moy.  Ainsy  que  j'ay  donné  cbarge  audit  s""  d'Ozances 
vous  dire  plus  au  long  de  ma  part,  sur  lequel  je  remects  le 
surplus.  Priant  Dieu,  Mons--  de  Lymoges,  vous  donner  ce  que 
désirez. 

De  Saint-Germain-cn-Laie,  le  23^  jour  de  novembre  VS(A . 

(Autographe.)  J'ay,  Mons'  de  Lymoges,  telle  fiance  à  voustre 
bonne  voulonté  et  à  vostre  saige  conduycte  que,  s'il  y  a  moien 
de  fere  fere  quelque  chose  de  bon  pour  moy  au  Roy  catholique, 


ET   JEANNE    d'aLBRET.  383 

que  de  ce  coup  vous  feré  une.  Je  m'en  senLiré,  comme  j'ay  prié 
vostre  frère  de  vous  escripre  plus  au  long  et  de  l'affection  que 
je  porte  à  yous  et  à  ce  qui  vous  touche.  Ainsy  vous  prie  de 
croire 

Vostre  bien  bon  amy, 
Antoine. 

(Original;  la  fin  autographe.  Arch.  de  Villebon,  papiers  de  l'Aubespine. 
—  Communiquée  par  M.  le  marquis  de  Rochambeau  et  citée  par  lui  dans 
Lettres  d'Antoine  de  Bourbon  et  de  Jehanne  d'Albrcl,  p.  385.) 


LXIX. 

Lettre  du  roi  de  Navarre  au  parlement  de  Paris. 

Saint- Germain,  26  novembre  1561. 

Recommandation  du  procès  du  s.  de  Cierque. 

Messieurs,  vous  verrez  par  les  lettres  que  le  roy,  mon  sei- 
gneur, et  la  royne,  sa  mère,  vous  escripvent,  l'affection  qu'ils 
ont  que  mettiez  une  bonne  et  brieve  fm  au  procès  qu'a  le  s.  de 
Cierque  par  devant  vous  contre  aucuns  du  clergé,  des  secré- 
taires de  la  maison  et  couronne  de  France,  pour  raison  de  ses 
prétendus  droits  de  bourses,  en  quoy  ne  désirant  moins  le 
favoriser  de  ma  part  que  les  services  qu'il  a  de  long  temps  faits 
à  ceste  couronne  le  méritent,  lesquelz  lesd.  seigneur  et  dame 
vous  testifient  assez  par  leurs  lettres,  je  vous  prie  luy  vouloir, 
en  ma  contemplation,  ayant  esgard  à  sa  qualité  et  vieil  âge, 
départir  si  bonne  et  brieve  justice  qu'il  se  puisse  en  brief  res- 
sentir en  combien  de  sortes  luy  profitera  ceste  mienne  recom- 
mandation; estant  asseurez  que  vous  me  ferez  un  1res  singulier 
et  particulier  plaisir  en  ce  faisant.  Priant  Dieu,  Messieurs, 
qu'il  vous  ayt  en  sa  sainte  garde. 

Escript  à  Saint-Germain-en-Laye,  le  2G«  jour  de  novembre 
^564. 

Vostre  bon  amy, 
Antoine. 

(Copie  ;  Coll.  du  parlement,  vol.  555,  f.  26.) 


384  ANTOINE   DE   BOURBON 

LXX. 

Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II  (Fragment) ,  26  novembre 
V)6L  —  L'affaire  du  duc  de  Nemours  est  une  intrigue  des 
réformés  contre  les  Guises.  —  Arrivée  à  la  cour  de  Lignerolles, 

—  Les  réformés  craignent  que  Nemours  ne  passe  au  service 
du  roi  d'Espagne.  (Orig.  espagnol;  Arcli.  nat.,  K.  ^494,  n"  -112.) 

Seconde  lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  H,  Poissy,  26  no- 
vembre ]^G].  —  Vendôme  au  prêche.  —  Il  se  croit  assuré  de 
l'emporter  dans  ses  négociations  avec  le  roi  d^Espagne.  — 
Vendôme  au  sermon.  —  Il  est  prudent  d'entretenir  ces  espé- 
rances. —  Querelle  de  ce  prince  avec  sa  femme.  (Orig.  espa- 
gnol ;  Arch.  nat.,  K.  ^1494,  n^  ^120.) 

Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  Poissy^  28  novembre  \  561 . 

—  Gonférence  de  Ghantonay  avec  Vendôme.  —  Il  accepterait 
une  vice-royauté  qui  le  rendrait  lieutenant  du  roi  d'Espagne 
et  s'engagerait,  en  cas  de  guerre  entre  la  France  et  l'Espagne, 
à  garder  la  neutralité.  —  A  cette  proposition,  Ghantonay  a 
répondu  en  renouvelant  les  communications  précédemment 
faites  à  d'Auzance.  —  Insistance  du  connétable  dans  cette 
négociation.  —  Gonférence  de  Ghantonay  avec  la  reine.  —  Le 
mariage  du  duc  d'Orléans  avec  la  princesse  de  Vendôme  n'est 
pas  assuré.  —  Paroles  de  la  reine  contre  la  dame  de  Vendôme. 

—  Pourparler  du  mariage  de  Henri  de  Béarn  avec  une  fille  du 
roi  de  Bohème.  —  Vendôme  envoie  François  d"Escars  auprès 
de  Ghantonay.  —  Plaintes  de  Tambassadeur  contre  la  faiblesse 
de  Vendôme  vis-à-vis  des  réformés.  —  La  reine  et  le  lieutenant 
général  refusent  le  secours  du  roi  d'Espagne  pour  rétablir  la 
paix  religieuse.  (Orig.  espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1494,  n°  114.) 

Lettre  de  Philippe  II  à  Ghantonay,  Madrid^  28  novembre 
-1501.  —  L'ambassadeur  de  France  lui  a  présenté  un  mémorial 
sur  les  affaires  de  Vendôme,  auquel  le  roi  d'Espagne  a  répondu 
qu'il  n'avait  rien  à  ajouter  aux  communications  précédemment 
faites  à  d'Auzance.  parce  qu'il  n'y  avait  aucun  changement  dans 
les  affaires  de  la  religion  en  France.  —  Lettre  de  la  reine  mère 
au  roi  catholique  sur  la  tentative  d'enlèvement  du  duc  d'Or- 
léans. (Gopie  espagnole;  Arch.  nat.,  K.  ^495,  n^  9i.) 


ET    JEANNE    d'aLBRET.  385 

Lettre  de  Sébastien  de  l'Aubespine  au  roi  de  Navarre,  Madrid, 
28  novembre  -^56^.  —  Réponse  à  la  lettre  portée  à  l'ambassa- 
deur par  le  s.  de  Lutaine.  —  La  négociation  ne  saurait  marcher 
aussi  rapidement  que  le  prince  le  désire.  —  Promesses  vagues. 
(Copie  du  temps;  f.  fr.,  vol.  1(5 103,  f.  121.) 

Lettre  de  Ghantonay  à  Philippe  II,  Poissy,  3  décembre  ISG'I. 

—  Conférence  de  Chantonay  avec  Vendôme,  en  présence  du 
connétable.  —  Vendôme  se  pose  en  prince  dépouillé  injuste- 
ment et  réclame  ses  droits.  —  Chantonay  refuse  d'accepter  les 
discussions  sur  ce  terrain.  —  Les  emportements  de  Vendôme 
sont  tels  que  l'ambassadeur  craint  une  rupture  des  négocia- 
tions. —  Il  va  essayer  de  «  l'amuser  «  pendant  un  mois  et  davan- 
tage. —  La  dame  de  Vendôme  presse  son  mari  de  donner  des 
gages  à  la  réforme  et  lui  promet  une  couronne  avant  trois 
mois.  —  Au  sortir  de  sa  conférence  avec  l'ambassadeur  d'Es- 
pagne, Cohgny  a  parlé  au  jjrince  et  Fa  retourné  en  faveur  du 
parti  huguenot.  —  François  d'Escars  confère  quelquefois  avec 
le  cardinal  de  Tournon.  (Orig.  espagnol;  Arch.  nat.,  K.  •Hl)4, 
n°  ^15.) 

Lettre  de  Chantonay  au  duc  d'Albe,  Poissy,  3  décembre  150]. 

—  Récit  rétrospectif  d'une  conversation  de  l'ambassadeur  avec 
le  cardinal  de  Tournon  au  sujet  des  affaires  de  Vendôme.  — 
Vendôme  a  assisté  au  prêche  et  a  participé  à  la  cène.  —  (chan- 
tonay a  conseillé  d'essayer  de  forcer  la  main  à  la  reine  en 
faveur  du  parti  catholique.  — 11  choisit  le  duc  de  Guise  comme 
auteur  de  démarches  impératives.  —  Le  cardinal  de  Tournon 
désigne  le  duc  de  Nemours.  (Orig.  espagnol;  Arch.  nat., 
K.  4495,  n''  92.) 

LXXI. 

Lettre  du  roi  uk  Navarre  a  madame  la  vidame  d'Amiens. 

Saint-Germain,  7  décembre  1561. 

Touchant  ia  terre  de  Rayneval. 

Ma  cousine,  pour  ce  que  je  suis  entré  en  quelques  termes  et 
propos  avecques  mons.  le  vidamc  de  d'Amyens  pour  recouvrer 
III  2^ 


386  ANTOINE   DE   BOURBON 

sa  terre  de  Rayneval,  laquelle  j'entends  vous  estre  obligée  de 
charge  de  quelque  somme  de  deniers  qui  vous  est  affectée  pour 
vostre  doire,  j'envoye  ce  gentilhomme,  l'ung  des  miens,  exprès 
devers  vous,  affin  de  scavoir  ce  que  vous  y  prétendez  et  vous 
dire  de  ma  part  le  désir  que  j'ay,  en  m'accommodant  de  lad. 
terre,  faire  en  sorte  aussy  que  vous  soyez  contante  sans  vous 
départir  en  aulcune  chose  de  ce  qui  vous  appartient.  Vous 
pryant  à  ceste  cause,  ma  cousine,  m'ayder  de  ce  que  vous 
pourrez  bien  à  ce  que  cest  affaire  se  perface,  ainsy  qu'il  est 
achemyné,  comme  ced.  porteur  vous  dira  plus  amplement^  sur 
la  parole  duquel  je  me  remetteray,  vous  asseurant  que  l'hon- 
nesteté  et  plaisir  que  vous  m'en  remonstrerez  sera  tousjours 
recogneu  de  moy  de  tout  le  bon  voulloir  avecques  l'efTect  que 
je  vous  pourray  démonstrer.  Pryant  Dieu,  ma  cousine,  qu'il 
vous  ayt  en  sa  sainte  garde. 
Escript  à  Saint-Germain-en-Laye,  le  vif  jour  de  décembre 

Vostre  bien  cousin  et  amy, 
Antoine. 

(Autographe,  adressée  à  Françoise  de  Batarnay,  fille  de  René  de  Balar- 
nay,  comte  du  Bouchage,  et  d'Isabelle  de  Savoie,  veuve,  depuis  le  mois 
de  janvier  1560,  de  François  d'Ailly,  vidame  d'Amiens;  f.  fr.,  vol.  3188, 
f.  16.) 

LXXII. 

Mémorial  dressé  par  ordre  de  Philippe  II,  contenant  les 
réponses  que  le  duc  d'Albe  doit  faire  à  Jacques  d'Auzance  pen- 
dant sa  seconde  négociation,  Madrid.,  ^o  décembre  -JoGl.  — 
Le  roi  d'Espagne  est  prêt  à  entrer  en  transaction  avec  le  duc 
de  Vendôme  aussitôt  qu'il  aura  donné  des  gages  de  ses  pro- 
messes au  sujet  des  affaires  de  la  religion.  (Copie  espagnole  ; 
Arch.  nat.,  K.  1495,  n"  98  ;  Autre  copie,  n"  \Q\.] 

Lettre  de  Ghantonayà  Philippe  II,  Poissy,  {^décembre  •1561. 
—  Élection  de  l'évêque  de  Grenoble.  —  Trois  candidats  ont  été 
présentés  au  roi,  dont  deux  hérétiques.  —  Apostasie  d'Antoine 
Garacciolo,  évêque  de  Troyes.  —  Faveur  de  Vendôme  et  de  sa 
femme  pour  ce  personnage.  —  Expédition  au  Canada  ou  au 


ET   JEANNE   d'aLBRET.  387 

Brésil  ou  vers  les  côtes  de  la  Floride,  organisée  par  Tamiral  de 
Coligny  aux  frais  de  la  reine,  de  Yendùme,  du  prince  de  Gondé 
et  de  Grussol  (il  s'agit  de  l'expédition  de  Jean  Ribaut).  (Orig. 
espagnol;  Arch.  nat.,  K.  1495,  n"  97.) 

Mémoire  à  conamuniquer  au  roi  d'Espagne  remis  par  l'am- 
bassadeur de  France  en  Espagne  au  duc  d'Albe,  au  sujet  des 
négociations  du  roi  de  Navarre,  Madrid,  20  décembre  136^.  — 
Conférence  du  duc  d'Albe  et  de  Sébastien  de  l'Aubespine.  — 
Demandes  de  l'ambassadeur  en  faveur  du  roi  de  Navarre.  — 
Le  duc  d'Albe  répond  que,  lorsque  Vendôme  tiendra  les  pro- 
messes qu'il  a  faites  en  faveur  de  la  religion,  le  roi  catholique 
lui  en  tiendra  compte.  —  L'Aubespine  prend  acte  de  cette 
déclaration.  —  Il  avoue  que  la  reine  de  Navarre  est  très  dévouée 
à  la  religion  nouvelle  et  que  son  zèle  est  un  sujet  de  dissenti- 
ment avec  son  mari.  (Copie  espagnole;  Arch.  nat.,  K.  ^495, 
n"  -100.) 

Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II,  Poissy,  2i  décembre  \  36-1 . 
—  Incertitude  des  tendances  religieuses  de  Vendôme.  — 
Chaque  mission  envoyée  par  lui  à  Rome  est  communiquée  aux 
princes  d'Allemagne.  —  Il  assiste  publiquement  à  la  messe.  — 
Prêche  à  Paris,  principalement  au  faubourg  Saint-Marceau.  — 
La  dame  de  Vendôme,  le  prince  de  Gondé  et  l'amiral  y  assis- 
tent. —  Plusieurs  fois,  les  assistants  ont  été  au  nombre  de  six 
mille.  —  On  ne  sait  si  Vendôme  viendra  à  Paris.  (Orig.  espa- 
gnol ^  Arch.  nat.,  K.  1493,  n°  103.) 

Lettre  de  Chantonay  à  Philippe  II  (Fragment),  Poissy,  o jan- 
vier ^362.  —  Jacques  dWuzance  est  arrivé  à  la  cour  le  2  jan- 
vier. —  Satisfaction  de  Vendôme.  —  Fête  qu'il  donne  à  cette 
occasion.  (Orig.  espagnol  -,  Arch.  nat.,  K.  1497,  n"  3.) 

Lettre  du  duc  d'Albuquerque  à  Philippe  II,  Pampclune^ 
\7  janvier  io(j2.  —  Vendôme,  convaincu  que  le  roi  catholique 
a  soudoyé  les  complices  du  duc  de  Nemours,  a  donné  à  ses 
lieutenants  en  Béarn  l'ordre  de  les  saisir  à  leur  passage  en 
Espagne.  (Copie  espagnole  ;  Arch.  de  la  secrétairerie  d^État 
d'Espagne,  leg.  358,  f.  52.) 


TABLE. 


CHAPITRE  ONZIEME. 

Depuis  la  mort  de  François  II  (5  décembre  1560)  jusqu'à  Védit  du 
19  avril.  —  Page  1. 

Avènement  de  Charles  IX  (5  déc.  1560).  — Catherine  de  Médicis 
se  fait  attribuer  la  régence  aux  dépens  du  roi  de  Navarre.  — 
Disgrâce  des  Guises.  —  Mise  en  liberté  du  prince  de  Condé.  — 
États  généraux  d"Orléans  (13  déc.  1560-31  janvier  1561).  —  La 
Réforme.  —  Démonstrations  opposées  de  l'Espagne  et  de 
l'Angleterre.  —  Mission  de  Pedro  d'Albret  à  Rome.  — 
—  La  cour  quitte  Orléans  et  se  rend  à  Fontainebleau  (2  février 
1561).  —  Affaire  des  clefs  du  château  (28  févrierl.  —  Arrêt  du 
conseil  portant  justification  du  prince  de  Condé  (8  mars).  — 
États  provinciaux  de  Paris  (15  mars).  — Le  roi  de  Navarre  est 
nommé  lieutenant  général  du  roi  (27  mars).  —  Établissement 
du  triumvirat  (6  avril).  —  Édit  de  tolérance  du  19  avril  1561. 

CHAPITRE  DOUZIÈME. 

Depuis  le  19  avril  jusqu'au  29  août  1561.  —  Page  83. 

Troubles  de  Paris  (iin  avril  1561). 

Sacre  du  roi  à  Reims  (15  mai). 

Procession  de  la  Fête-Dieu  à  Paris  (24  juin). 

Requête  des  réformés  au  roi  (11  juin).  —  Édit  de  juillet  (Il  juillet). 

Départ  de  Marie  Stuart  pour  l'Ecosse  (15  août). 


390  TABLE. 

Arrêt  du  parlement  portant  justification  du  prince  de  Gondé 

(13  juin).  —  Réconciliation  du  prince  de  Gondé  et  du  duc  de 

Guise  (24  août). 
Jeanne  d'Albret  en  Béarn.  —  Tergiversations  religieuses  du  roi 

de  Navarre.  —  Sa  conduite  privée.   —   Arrivée  de  Jeanne 

d'Albret  à  la  cour  (28  août  1561). 

GHAPITRE  TREIZIÈME. 

Depuis  le  2b  juillet  1561  jusqu'à  la  fin  de  novembre.  —  Page  143. 

Convocation  du  colloque  de  Poissy  (25  juillet  1561). 

Etats  généraux  de  Pontoise  (l^""  août).  —  Refus  du  parlement 
d'enregistrer  l'ordonnance  d'Orléans.  —  Destitution  du  pre- 
mier président  LeMaistre  (18  août).  —  Assemblée  générale  de 
Saint-Germain  (27  août). 

Le  pape  envoie  le  cardinal  de  Ferrare  à  la  cour.  —  Affaire  Artus 
Désiré.  —  Arrestation  d'un  courrier  du  nonce  en  Piémont. 

Arrivée  des  ministres  réformés  à  Poissy.  —  Première  et  seconde 
séance  publique  du  colloque  (9  et  16  sept.).  —  Arrivée  du  car- 
dinal de  Ferrare  à  la  cour  (18  sept.).  —  Troisième  et  quatrième 
séance  du  colloque  (24  et  26  sept.).  —  Le  cardinal  de  Lorraine 
somme  les  ministres  d'adhérer  à  la  confession  d'Augsbourg.  — 
Arrivée  de  Beaudouin  et  des  docteurs  allemands.  —  Mariage 
de  Jean  de  Rohan  à  Argenteuil  (29  sept.).  —  Dernières  séances 
du  colloque  (29  sept.,  4  et  9  oct.).  —  Dernières  séances  des 
états  de  Pontoise. 

GHAPITRE  QUATORZIÈME. 

La  cour  pendant  et  après  le  colloque  de  Poissy.  —  Page  201. 

Progrès  de  la  Réforme  pendant  le  colloque.  —  Pratiques  reli- 
gieuses de  Jeanne  d'Albret.  —  Jeanne  d'Albret  et  Gharles  IX. 
—  Jeanne  d'Albret  et  le  cardinal  de  Ferrare.  —  Instances  de 
Jeanne  auprès  de  son  mari  en  faveur  de  la  Réforme.  — 
Mariages  arrêtés  entre  les  Bourbons  et  les  Valois. 

Négociations  de  Philippe  U  pour  forcer  la  main  à  la  reine.  — 
Tentative  du  duc  de  Nemours  pour  enlever  le  duc  d'Orléans 
(20  octobre  1561).  —  Fuite  de  Nemours.  —  Arrestation  de 
Ligneroles.  —  Gomphcité  du  roi  d'Espagne. 


TABLE.  391 


CHAPITRE  QUINZIÈME. 

Négociations  du  roi  de  Navarre  avec  l'Espagne  pendant  l'année  1561. 
—  Page  251. 

Motifs  de  la  déférence  du  roi  de  Navarre  pour  Catherine  de  Médi- 
cis.  —  Premières  négociations  d'Antoine  de  Bourbon  avec 
l'ambassadeur  d'Espagne.  —  Négociations  de  Sébastien  de 
l'Aubespine  à  Madrid.  —  Antoine  demande  Sienne.  —  Négo- 
ciations du  roi  de  Navarre  en  Allemagne.  —  Catherine  demande 
la  Sardaigne  à  Philippe  II. 

Le  roi  de  Navarre  envoie  Antonio  d'Almeida  en  Espagne  (mai 
1561).  —  Il  veut  y  accréditer  Philippe  de  Lenoncourt,  évèque 
d'Auxerre,  et  Jean-Jacques  de  Mesmes.  —  Catherine  adjoint  à 
l'ambassade  Jacques  de  Montberon,  seigneur  d'Auzance.  — 
La  mission  de  l'évêque  d'Auxerre  et  de  de  Mesmes  est  ajournée 
et  d'Auzance  part  seul  pour  Madrid  (26  juillet).  —  Envoi  de 
François  d'Escars  à  Rome  (Qn  août).  —  Retour  de  d'Auzance 
à  Saint-Germain  (14  octobre). 

Suite  des  négociations  du  roi  de  Navarre  à  Madrid  et  auprès  de 
Chantonay.  —  Chantonay  concède  en  principe  la  reconnais- 
sance des  droits  du  roi  de  Navarre.  —  Jacques  d'Auzance 
repart  pour  l'Espagne  (un  novembre).  —  Echange  de  la  Navarre 
proposé  par  les  ministres  de  Philippe  II.  —  PhiUppe  II  con- 
firme les  concessitms  de  principe  de  Chantonay.  —  Antoine 
écrit  au  duc  d'Albe.  —  Retour  de  d'Auzance  à  Saint-Germain 
(2  janvier).  —  Satisfaction  du  roi  de  Navarre.  —  Il  passe  défi- 
nitivement au  parti  cathohque. 

Pièces  justificatives Page  315 


Nogent-le-Rotrou,  imprimerie  Daupeley-Gouverneur. 


OUVRAGES  DU  MEME  AUTEUR 


Commentaires  et  Lettres  de  Rlaise  de  Moxluc  ,  maréchal  de 
France,  -18(54-1872,  5  vol.  in-8,  édition  publiée  pour  la 
Société  de  l'Histoire  de  France.  Tom.  I  et  II  épuisés. 

Mémoires  ixédits  de  Michel  de  la  Huguerye,  -1877-1880,  3  vol. 
in-8,  publiés  pour  la  Société  de  l'Histoire  de  France. 

Notice  des  principaux  Livres  manuscrits  et  imprimés  qui  ont 

FAIT  partie    de   l'ExPOSITION   DE   l'ART   ANCIEN    AU  TrOCADÉRO  , 

-1879,  in-8,  Techener. 

François  de  Montmorency,  gouverneur  de  Paris  et  lieutenant 
nu  roi  dansl'Isle  de  France  (^  530-1 579),  extrait  du  tome  VI 
des  Mémoires  de  la  Société  de  l'histoire  de  Paris  et  de  l'Ile- 
de-France. 

Le  Mariage  de  Jeanne  d'Albret,  -1877,  in-8,  Labitte. 

Antoine  de  Bourbon  et  Jeanne  d'Albret,  suite  de  Le  Mariage 
de  Jeanne  d'Albret,  t.  I  et  II,  in-8,  Labitte. 

Le  duc  de  Nemours  et  mademoiselle  de  Rohan  (-1531-^592). 
Paris,  -1883,  petit  in-8,  tiré  à  -170  exemplaires. 


Nogenl-le-Rolrou,  imprinierio  Daupeley-Gouverneur. 


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DC  Ruble,   Alphonse,  baron  ds 
112  Antoine  de  Bourbon  et 

A6R8  Jeanne  d'Albret 
t. 3 


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