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Full text of "A propos d'éducation: lettres à M. l'abbé Bailla[i]rgé du collège de Joliette"

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CiE d'Imprimerie Desaulniers, *22 Rue St. Gabriel. 



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A PROPOS 



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LETTRES A M. L'ABBE BAILLARGE 



DU COLLÈGE DE JOLIETTE 



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LOUIS fk-Eckeetth: 



EDITION REVUE ET CONSIDÉRABLEMENT AUGMENTÉE 



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CiE d'Imprimerie Desaulniers, 22 Rue St Gabriel 

1893 




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A PROPOS 



D'EDUCATION 



LETTRES A M. L'ABBE BAILLASGE 



DU COLLÈGE DE JOLIETTE 



— PAR — 



LOUIS FRECHETTE 



EDITION REVUE ET CONSIDÉRABLEMENT AUGMENTÉE 



PREMIERE LETTRE 

Montréal, 7 avril 1893. 



Monsieur Tabbé, 



Qu'est-ce que cela veut donc dire ? 

Quand, d'un bout du monde à l'autre, tous les hommes d'intelligence 
et de progrès s'évertuent à trouver les moyens de rehausser le niveau de 
l'instruction publique, chez nous, à la fin du XIXe siècle, en pleine Amé- 
rique démocratique, c'est, à votre avis, un crime d'insinuer que les études 
seraient plus complètes, si l'on enseignait à parler correctement, à bien lire, 
avec un peu de calligraphie. 

Eb c'est pour avoir suggéré quelques améliorations sous ce rapport, 
que je me vois aujourd'hui en butte à vos traits malveillants. Car, si obtus 
qu'ils soient, ils n'en ont pas moins la prétention d'être méchants, vos 
traits, monsieur l'abbé. Remarquez que je ne dis pas malins : il y a une 
nuance. 







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4 A PROPOS d'Éducation 

Mais ce sont vos traits seulement qui visent à la méchanceté, car, 
quant à vous, vous êtes un oint du Seigneur, et — j'en ai déjà fait quelque 
épreuve — un oint du Seigneur est toujours pénétré, imprégné, saturé de 
Tonction sainte qui doit caractériser les ministres de celui qui disait : *' Je 
suis doux et humble de cœur." 

Ce qui m'a mérité cette mercuriale, ou plutôt cette averse d'eau peu 
propre, c'est mon immixtion intempestive dans une chose où, paraît-il, mon 
ignorance me^défendait d'avoir aucune affaire. 

Un Philistin comme moi parler d'éducation, n'est-ce pas le dernier 
mot de l'outrecuidance ? 

Un père de famille s'inquiéter de ce qu'on peut enseigner à ses enfants, 
lorsque vous êtes là, vous, monsieur l'abbé Baillargé, pour surveiller la 
chose, n'est-ce pas le renversement de tous les principes ^i 
' Où sont mes grâces d'état ? 

Où est ma soutane ? 

Moi qui n'ai même jamais été domestique de marguillier, comment 
puis-je avoir le front de parler d'enseisjnement pratique ? 

Aussi, monsieur l'abbé Baillargé, vous qui êtes, sur ces matières, la 
compétence en personne, vous qui connaissez bien mieux que moi ce qu'il 
faut à mes enfants, qui avez reçu ex professione tous les dons de l'intelli- 
gence et du savoir, vous ne ipanquez pas de me remettre à ma place avec 
une virtuosité qui donne la plus haute idée de votre humilité chrétienne, 
et surtout de cette bonne éducation dont vous semblez vous constituer 
l'apôtre. 

Reproduisons quelques-unes de vos aménités sacerdotales : 

** Vous parlez en Tair de choses que vous ne connaissez pas . . . Vous parlez 
au hazard (avec un 0, c'est moins académique, mais c'est sans doute plus ortlio- 
doxe). 

" Vous êtes de ceux qui croient qu'avec de l'audace on peut tout dire . . . 

" Nous en savons plus long que tous, monsieur Fréchette ! 

** Vous jetez du ridicule sur des maisons que vous ne connaissez guère . . . 
sur un système que vous ignorez en grande partie. 

*' Incongruités . . . fadaises . . . vermine I . . . 

" C'est indigne et ridicule. 

" M. Fréchette se contredit lui-mêïiie, '' 

Lui-m&nie, vous comprenez bien ! je me contredis moi-^yienie. Ce qui 
est beaucoup plus grave que si je me contredisais par un autre. 



(( 



Iniquitas inentita est sibi. " 



Au fait ne fallait-il pas saupoudrer le salmigondis d'un peu de latin ? 
L*huile professionnelle qui suinte. 

Eh bien, monsieur l'abbé, vous allez sans doute être surpris d'une 
pareille imprudence de la part d'un misérable laïque qui ne sait rien en 
fait d'éducation ni d'instruction ; mais je me suis mis en tête, si indigne 
■que je sois de tout rapport avec une auguste personnalité comme la vôtre, 
et si ridicule que cela vous paraisse, de mettre la main à la plume pour 
vous faire assavoir de mes nouvelles, qui — malgré l'éreintement que je 
dois à votre incontestable savoir-vivre — sont encore très bonnes, Dieu 
merci. 



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A I^iîOPOS DÉDrCATION 



Loin de moi la prc^tention d'exhiber les allures conquérantes que 
l'enseignement de la théologie morale et dogmatique semble, dans certains 
quartiers, donner à certaines âmes bien disposées. 

J *ose seulement — incliné dans l'attitude pleine d'humilité et de 
componction que ma qualité de méprisable homme marié m'impose — 
élever une voix trop iiardie sans doute, pour répondre à votre semonce par 
quelques observations aussi timides que peu cléiicales. 

Si vous me permettez cela, je m'engage en retour à veiller avec un 
œil de lynx sur la moindre de mes expressions. 

C'est dans mon intérêt, du reste, d'être circonspect. 

Différent des anciens apôtres, qui enduraient patiemment les injures, 
et ne vous préoccupant guère du précepte qui enjoint aux souffletés de 
présenter l'autre joue, vous êtes, au moins sous ce rapport, un homme de 
votre siècle ; et il est bon pour nous, tourbe vulgaire, de ne pas oublier 
que, suivant l'expression du poète, nous sommes toujours devant la hiérar- 
chie " comme si nous n'étions pas, " excepté toutefois quand il s'agit de 
recevoir des étrivières. 

J'ai la mémoire trop bonne pour m'exposer à un procès criminel 
comme celui que vous avez intenté à un confrère journaliste qui avait 
porté l'irrévérence jusqu'à affirmer que vous n'étiez pas un aliéné ordinaire, 
mais bel et bien un asile à vous tout seul. 

Jq répudie d'avance toute expression de ma part pouvant donner à 
entendre que vous êtes extraordinaire en quoi que ce soit. 

Si vous êtes quelque chose, n'importe sous quel rapport, je suis prêt à 
admettre d'emblée, pour vous faire plaisir, que vous l'êtes d'une façon 
ordinaire, — très ordinaire même. C'est suffisant pour désarmer votre 
noble et évangélique courroux, n'est-ce pas ? 

A propos, j'ai même eu l'occasion de prendre votre défense — de 
pretidre votre part, comme on dit au collège — Tautre soir à Québec. 

Une dame qui, par gageure sans doute, avait lu vos Coups de crayon^ 
disait : 

— Mais c'est un imbécile, cet éciivain-là ! 
Elle oubliait qu'elle parlait d'un abbé. 

— Prenez garde. Madame, lui dis-je, si vous prétendez que M. l'abbé 
Baillargé est un imbécile, ne manquez pas d'ajouter le mot ordiiiaire, car 
il serait capable de vous traduire en police cerrectionnelle. Il est intrai- 
table sur la question. 

Donc nous sommes entre amis. 

Je n'ai, du reste, aucune objection à déclarer solennellement — autant 
qu'une déclaration de laïque peut être solennelle — que vous n'avez 
aucunement les proportions d'un asile. 

Seulement, vous admettrez que, étant en présence d'un personnage 
comme vous, simultanément supérieur et directeur d'un collège classique 
et d'un séminaire, qui est sensé y enseigner la rhétorique et la théologie, 
qui rédige entre temps quatre journaux : VEtvdiant^ le Couvent, la Famille 
et le Bon Combat^ ce qui ne l'en) pêche pas de publier des livres sur la 
littérature, l'économie politique, les verbes irréguliers, la Sainte-Trinité, et 
l'influence des eaux salines sur les rognons et les intestins, vous admettrez, 
dis-je, que, si je ne dois pas le confondre avec un asile» j§j|^]^aia guère 
m'empêcher de le considérer un peu comme une institut ' 








6 A PROPOS d'Éducation 






Et c'est justement comme institution, monsieur l'abbé, que je vous 
demande la permission de vous traiter pour l'instant. 

Vous voyez que, pour un profane, j'ai assez le don de m'insinuer, et 
de prendre les grands hommes par leur faible. 

Donc, en ce temps-là, moi, laïque incorrigible, déjà à moitié excom- 
munié pour m'être proclamé républicain — c'est-à-dire deux fois publi- 
cain — une quinzaine d'années avant Léon XIII, j'étais sorti sans 
vergogne de mes attributions pour donner mon avis sur un point d'ensei- 
gnement qui me paraissait aussi important qu'élémentaire. 

Le chef d'un collège éminent de la province crut devoir réclamer 
pour sa part. 

Et nous échangeâmes quelques lettres courtoises où l'honorabilité 
individuelle, les intentions et l'intelligence furent respectées de part et 
d'autre. 

Etant du même âge peut-être, ayant chacun acquis certaines connais- 
sances dans les sphères respectives où nous avions gravité, nous crûmes 
que quelques franches paroles entre nous ne pouvaient qu'être profitables 
à tous deux. 

C'est au moins ce que M. l'abbé Nantel a paru comprendre. J'en ai 
été flatté, et je ne lui ai pas ménagé ma main largement ouverte. 

Mais cela ne faisait pas votre affaire, à vous, monsieur l'abbé, qui 
vous êtes constitué gardien de l'arche d'alliance et le défenseur attitré des 
vrais principes. 

Vous vous êtes dit : " Voilà un des nôtres qui agit tout bonnement 
comme un monsieur, cela n'est pas tolérable. Il va gâter la sauce. Nous 
sommes compromis ! vite, mettons fin à cela, ou l'abomination de la 
désolation est dans le lieu saint ! " 

Et vous me tombez dessus, " que c'est comme une bénédiction." 

Par exemple, je vous soupçonne déjouer double jeu. Je vois bien la 
dent — elle est visible. Dieu merci — une dent canine que j'aimerais à voir 
examinée de près par le bon Pasteur (celui de Paris) ; maisje me demande 
si cette dent aussi pointue que dévote est plus dirigée contre moi que 
contre M. l'abbé Nantel. 

En t<)ut cas, cher professeur de tant de choses, si vous gardez rancune 
au distingué supérieur du collège de Sainte-Thérèse pour l'appréciation 
bien trop flatteuse qu'il a faite de votre monumental traité d'économie 
politique, je vais faire en sorte — ne serait-ce que pour reconnaître sa 
courtoisie — de détourner un peu les coups de dents de mon côté, si vous 
n'y avez pas trop d'objections. 

Que votre charité pastorale ne s'en alarme pas : je suis habitué à ces 
escarmouches ; et ce qui pourrait peut-être faire de la peine à M. Nantel, 
me laissera, moi, d'une froideur aussi indigne que ridicule. 

J'ai déjà eu affaire à la gent sacro-politicienne, et ses douches, qu'elles 
tombassent de la chaire ou des journaux — admirez mon endurcissement ! — 
ne m'ont jamais plus fait d'effet qu'une goutte d'eau sur l'aile d'un canard. 

Mais j'y songe, monsieur l'abbé, vous allez probablement trouver mon 
préambule un peu long : je me hâte de vous détromper. 

M'étant permis de vous considérer comme une institution, je me suis 
imposé en même temps le devoir de vous traiter comme une institution. 





K PROPOS d'Éducation 7 

C'est dire que, si mon préambule vous paraît trop étendu, vous serez 
forcé de modifier votre avis, quand vous aurez vu la suite. 

Vous me fournissez gratuitement l'occasion de dire bien des choses 
qui méritent d'être dites depuis longtemps, monsieur Tabbé ; n'allez pas 
croire que je sois homme à la manquer. 

Tant d'autres se taisent qui brûlent de parler, tant de plumes 
voudraient écrire qui sont paralysées : je ne puis que bénir cet empres- 
seoDent d'aveugle qui me met sous la main un agresseur impoli et méchant, 
dont la suffisance fatigante a depuis si longtemps besoin d'une verte 
leçon, et qui me force, pour ainsi dire à mon corps défendant, de porter le 
bistouri dans certaines plaies qui rongent notre société, et qui sont en 
train de compromettre notre avenir national, si les hommes de cœur et 
d'action ne se donnent la main pour réagir. 

Non, monsieur l'abbé, mon préambule n'est pas trop long, car j'ai 
décidé — vu l'importance du sujet qui m'a valu votre avalanche de piche- 
nettes — de vous consacrer quelques lignes toutes les semaines, jusqu'aux 
vacances. Et, je vous le promets — que vous alliez passer celles-ci aux 
sources de Saint Léon ou ailleurs — vous n'aurez pas besoin d'écrire un 
nouveau livre pour communiquer au public l'intéressant état chronolo- 
gique de vos intestins. Les lecteurs sauront à quoi s'en tenir. 

Et n'allez pas croire, vu le ton léger de mon exorde, que le reste sera 
toujours amusant. Pour les autres, peut-être ; pour vous, je me garderais 
d'en répondre. 

Vous vous êtes attiré des surprises, monsieur l'abbé ; des surprises 
qui vous feront regretter d'avoir gratuitement attribué des intentions 
inavouables à un citoyen qui ne demande qu'à fournir devant Dieu sa 
quote-part d'énergie et d'expérience dans les efforts que tous les hommes 
de bonne volonté doivent faire en faveur d'une cause aussi vitale que celle 
de l'éducation. 

Si les coups — et par malheur il n'en peut guère être autrement — 
ricochent un peu sur certains de vos confrères, ceux-ci ne devront pas s'en 
prendre à moi, mais à la corneille qui s'est mêlée d'abattre des noix, sans 
se demander — comme une corneille qu'elle est — sur quelles têtes ces 
noix pourraient tomber. 

Vous mettez déjà de mes amis en cause, en disant que je viens jeter 
du ridicule sur des maisons que je ne connais guère ^)/?*« que pour les 
politesses que j'y ai reçues. 

Passons sur le gu^e plus que pour (style classique et grammatical en 
honneur, je suppose, au collège de Joliette) et veuillez prendre ceci en 
note, monsieur l'abbé Baillargé : 

Je sais de quel collège vous voulez parler. J'y ai reçu non seulement 
des politesses, qui, par parenthèse, ne m'ont jamais été reprochées, mais 
j'y ai reçu aussi une certaine instruction — qui aurait pu être plus considé- 
rable, je l'avoue, si mes talents et ma docilité l'eussent permis. 

En recevant là des politesses, monsieur l'abbé Baillargé, j'y ai reçu 
simplement ce que tout le monde y reçoit, car la politesse et la cordialité 
sont traditionnelles dans ce bon vieux collège que Dieu bénisse ! 

Peut-être la politesse est-elle traditionnelle aussi dans le collège de 
Joliette. En tous cas, si vous êtes chargé de prouver qu'elle n'y est pas 
universellement pratiquée, vous vous acquittez de la tâche en conscienca. 



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8 A PROPOS d'Éducation 

Quant à renseignement, monsieur le savant écrivain, les professeur», 
du collège de Nicolet ont pu tomber dans la faute que je reproche aux 
autres, en ne surveillant pas assez le langage de leurs élèves, mais quant 
au savoir, aucun d'eux n'en manque assez pour jamais écrire et surtout 
publier, ni la phrase que je viens de citer, ni celle-ci : 

" Nous avons entendu plus de prêtres que M. Fréchette, nous avons rencontre 
chez Timmense majorité une lecture très convenable." 

Rencontrer une lecture ! . . . . 

Il faut absolument être supérieur du collège de Joliette, parler au nom 
du clergé enseignant et se proclamer le porte-drapeau des études classiques 
telles qu'on les pratique au Canada, pour faire des rencontres aussi rares. 

Mais ce n'est pas là le seul tour de force du genre que vous ayez à 
votre crédit, monsieur l'abbé. Des bourdes et des fautes de français, on 
n'a qu'à ouvrir vos volumes et vos journaux, au hasard, pour être à même 
d'en servir à la discrétion des amateurs. 

Il n'y a pas cinquante ans de cela, un M. Castonguay, un prêtre, un 
homme comme vous, un homme aux vrais principes, professeur de rhétori- 
que au petit séminaire de Sherbrooke, se permit d'écrire une lettre très 
cavalière à un journaliste distingué de Québec. 

La lettre fut publiée, et un cocher, un élève des Frères, un instituteur 
de campagne signalèrent neuf fautes de français dans la première phrase 
seulement ! •* 

Et il n'y a pas à dire, je suis prêt à parier pour huit, monsieur l'abbé. 
C'était là un exploit dont vous seul, peut-être, pourriez disputer la palme ;, 
mais elles y étaient. Je les ai comptées avec le sentiment de profonde 
humiliation que j'éprouve en lisant vos ouvrages .... les ouvrages d'un de 
ceux qui se chargent d'instruire notre jeunesse et se prétendent le boulevard 
de notre nationalité française. 

Or qu'arriva-t-il ? Peu de jours après, un grand nombre d'élèves avaient 
été retirés du collège, deux autres professeurs offraient leur démission j et, 
au bruit d'un éclat de rire universel dans le pays, le savant professeur dut 
prendre ses cliques et ses claques, et boucler ses malles, pour aller, à titre 
de vicaire, dans une paroisse quelconque, se donner le loisir d'étudier la 
petite grammaire de Lhomond. 

Eh bien, permettez-moi de vous dire en terminant ce préambule, 
monsieur l'abbé, que si, dans quelques semaines, vous n'êtes pas appelé à 
prendre à votre tour une retraite aussi avantageuse pour vous que pour vos 
élèves, c'est que la haillargerie de Joliette est beaucoup moins fière que le 
collège de Sherbrooke. 

Il y a,, du reste, me dit-on, une différence marquée entre les supérieurs 
des deux institutions. * 

A la semaine prochaine, monsieur l'abbé. 



* Quand cette lettre fut écrite, M. Tabbé BaiUargé passait à tort on à raison povr le 
■upérieiir du collège de Joliette. 



Monsieur l'abbé, 



DEUXIKME LETTRE 

Montréal, 14 avril 1893. 



Si voua daignez me prêter encore un moment d'attention, nous allons 
reprendre notre petite conversation de la semaine dernière. Comme les 
bons comptes font les bons amis, je tiens à régler avec vous jusqu'au 
dernier centime. 

Je voudrais être plus sérieux de temps en temps, monsieur l'abbé — 
le sujet que nous traitons le mérite — mais vous êtes trop amusant. Je 
ne puis lire deux lignes de vous sans otre pris de fou rire — d'un fou 
rire ordinaire, notez bien ; ne pas travestir ma pensée. 

A propos d'un professeur dont j'ai parlé précédemment, et qui raillait 
ses élèves lorsqu'ils prononçaient bien au lieu de beii, vous dites : 

** Combien y a-t-il d'années que vous avez entendu cela, M. Fréchette ? Vers 
V&ge de 16 ans sans doute, puisque vous êtes né en 1839 et par suite eu 1855 (voilà 
un par suite qui n'indique guère l'esprit de suite chez son inventeur), c'est-à-dire 
il y a près de 40 ans. Lt de quel bois était-il fait, cet illustre professeur T* 

Cet illustre professeur, cher grand homme, était fait du bois dont on 
fait certains directeurs d'institutions classiques, car il s'appelait l'abbé 
Gonthier, et dirigea le collège de Lévis durant plusieurs années. 

Voilà ce qui s'appelle la monnaie d'une pièce, ou je n'y entends rien. 

Et pourquoi donc, monsieur l'abbé, me demandez- vous en quelle année 
c'était ? Auriez-vous la prétention de nous faire accroire (jue cela n'existe 
plus de nos jours ? Vous n'y réussirez pas. 

Un de mes jeunes amis, littérateur marquant — qui n'a pas cinquante 
ans comme moi, et dont je puis vous donner le noïn si vous le désirez — 
m'affirme sur l'honneur qu'au collège de Sorel, la chose se pratiquait libéîa- 
lement de son temps. 

— Quins, quins ! disait-on, en voilà encore un qui parle dans les tarmes! 

Il paraît que c'est l'expression consacrée. 

Vous prétendez qu'il y a progrès ; je ne le crois pas. Les institutions 
irresponsables et sans concurrence (au collège et dans VEtudia^it, on dit 
compétition) ne progressent point. 

Comment voudrait-on qu'un homme comme vous progresse, monsieur 
l'abbé, quand il est convaincu d'être la perfection même 1 

Il en est ainsi de nos collèges. Tant qu'ils se croiront à l'apogée du 
savoir, tant qu'ils se prétendront incomparables dans le monde entier, et 
qu'ils recevront les bons conseils en vouant à la géhenne ceux qui ont le 
courage de leur en donner, ils ne progresseront pas. 

Non, ils n'ont pas progressé, nos collèges, monsieur l'abbé; et la preuve, 
c'est que les jeunes gens qui en sortent aujourd'hui ne savent ni plus l'anglais, 
ni plus l'histoire, ni plus la géographie, ni plus l'arithmétique, ni plus la 
tenue des livres, ni plus les sciences, que ceux qui en sortaient de mon 
temps. Et, ce qui est tout particulièrement désolant, ils parlent et écrivent 
le français encore plus mal que nous — beaucoup plus mal que nous ! 

Si on le conteste, je publierai des lettres de bacheliers. 







10 A PROPOS d'Éducation 

Tenez, monsieur Tabbé, je ne me demande pas si je suis bien inférieur 
à vous qui avez fait vos études longtemps après moi, car vous ne manque- 
riez pas d'attribuer Tirrévérencieube audace d'une telle comparaison à 
Tesprit d'orgueil qui anime tous les mécréants de mon espèce ; mais j'Ai 
peine à me persuader que les vieux prêtres de mon temps fussent, comme 
vous le donnez à entendre à plusieurs reprises, de si pauvres minus habentes, 
comparés à vous et aux autres astres de votre âge. 



" Croyez-vous que rien n*a marché, dites-vous, depuis 40 ans? 
" Il y a des gens comme cela, qui ont le talent de conclure du particulier au 
général et du passé au présent ! '* 



A-t-on remarqué que le passé est toujours lâché pour le présent ? 

— Permettez, dit-on, cela pouvait bien avoir lieu dans le passé, avec 
les vieux professeurs d'alors, mais à présent, c'est autre cho^e. Depuis que 
nous sommes-là, tout est bien changé ; tout est parfait maintenant ! 

C'est comme pour les mauvais prêtres ; on est toujours disposé à 
admettre qu'il y en a eu dans le passé ; quelques-uns vont même jusqu'à 
nous laisser entrevoir la consolante perspective qu'il y en aura toujours ; 
mais quant au présent il est indemne, n'y touchez pas ! 

Attendez que cela soit passé ! . . . 

Vous avez le droit d'écrire, comme M. l'abbé Scott, de Lévis, qu'il y 
a eu des papes infâmes et des cardinaux empoisonneurs ; mais si vous avez 
le malheur d'insinuer que votre vicaire pourrait bien n'être pas un phœnix 
de vertu ou de savoir, gare là-dessous ! 

Le texte de la censure est tout cliché ! 

Et puis, monsieur l'abbé, quand vous n'affirmez pas votre supériorité 
bien carrément sur vos prédécesseurs, vous avez une petite manière de 
l'insinuer que j'admire : 

*' Si Ton fait une allusion à des personnes âgées, sorties du collège il y a 25 ou 

30 ans, nous n'avons pas à en juger 

•* S'il s'afçit de jeunes prêtres " etc. 

C'est autre chose naturellement. 

De sorte qu'aux yeux de votre humilité transcendante, monsieur l'abbé 
Baillargé, les vieux prêtres autrefois chargés de l'enseignement n'étaient 
<jue des mazettes comparés aux lumières qui éclairent aujourd'hui les 
sommets de nos incomparables études. 

Eh bien, au risque de vous déplaire encore une fois, cher abbé de mon 
cœur, j'oserai différer légèrement d'opinion avec vous. Je sais qu'en thèse 
générale, il n'est pas permis à un simple laïque de différer d'opinion avec 
un oint du Seigneur, mais je plaide circonstances atténuantes en vertu de 
l'intention. 

Il est vrai que ces vieux professeurs — n'étant pas des institutions à 
eux tout seuls — n'ont jamais rêvé de régénérer la société du haut en bas, 
à l'aide de VEtudianty du Couvent, de la Famille et du Bon Combat ; mais, 
entre nous, si j'en juge d'après mon expérience et mes renseignements, ces 
professeurs du temps passé n'étaient pas si vieilles croûtes que tout cela, 
monsieur le supérieur du collège de Joliette ! 

J'en ai connu qui ne lisaient peut-être pas comme Legouvé, ni môme 




A PROPOS d'Éducation 11 

comme M. l'abbë Baillargé ; mais qui n'écrivaient certainement pas comme 
M. l'abbé Baillargé non plus, prenez-en ma parole ! 

J'ai connu, au séminaire de Québec, des vieux du nom de Legaré, Hamel, 
Paquet, Koussel, Cbandonnet, qui avaient étudié quelque chose, monsieur 
le rédacteur de VEtudianty et qui savaient l'enseigner. 

J'ai connu d'autres vieux, au séminaire de Nicolet, qui avaient noms 
Laflèche, Caron, Desaulniers, Gélinas, Bellemare, Moreau, qui étaient aussi 
quelque peu au courant de leur besogne. 

A Saint-Hyacinthe, on m'a signalé un autre M. Desaulniers, un M. 
Raymond et un M. Ouellet, en particulier, qui n'étaient pas non plus trop 
ramollis, bien qu'ils fussent de mon temps. 

Au collège de Montréal, on a eu l'abbé Billion, l'abbé Collin, l'abbé 
Troie ; pas trop stupides non plus, ces gens-là ! 

A Sainte-Thérèse, on dit qu'il a existé un M. Aubry, à Sainte-Marie- 
de-Monnoir un M. Crevier, et à Terrebonne un M. Pelletier, qui, bien que 
nécessairement très gâteux, pouvaient encore subir une comparaison pas 
trop humiliante avec les aigles de Joliette. 

Tous ces vieux arriérés n'ont rien publié comme vous, monsieur l'abbé, 
relativement aux perturbations chroniques de leurs rognons et autres 
organes intestinaux ; ils ont préféré se faire connaître par la tête. 

Trahit 8ua qiiemque voluptas. 

Traduction libre : Chacun fait ce qu'il peut. 

Or, lorsque je songe à toutes ces têtes-là, monsieur l'abbé, quand même 
je ne connaîtrais des autres ni l'état de leurs rognons ni le fonctionnement 
de leurs boyaux, je puis difficilement me ranger de votre avis, et admettre 
que les professeurs de mon temps aient été si inférieurs à ceux de l'époque 
actuelle. 

Mais, en supposant un instant que la chose fût prouvée, je n'en 
resterais pas moins sous l'empire d'une certaine perplexité ; car, si ces 
vieux professeurs étaient même de la plus infime infériorité en face de la 
profondeur de votre savoir et de l'altitude alpestre de vos facultés, je ne 
puis m'empêcher de me rappeler que, alors comme à présent, il était 
défendu à tout laïque de trouver la moindre chose à reprendre dans l'en- 
seignement ecclésiastique. 

C'était, tout comme aujourd'hui, sans défaut, et\ . . infaillible ! 

Vous allez peut-être m'accuser de vous servir de la vermine, en vous 
parlant de ces dignes et savants professeurs du bon vieux temps, monsieur 
l'abbé. 

Ces messieurs, cependant, n'auront pas plus que moi raison de s'en 
fâcher — du moins ceux d'entre eux qui vivent encore — car s'ils vous ont 
lu, ils connaissent votre force en histoire naturelle comme en littérature ; 
et quand un professeur est de taille à ranger les maringouins parmi les 
animalcules (voir les Coupa de crayon), il peut fort bien ranger même les 
rossignols parmi la vermine. 

Pardonnez-moi cette remarque aussi indigne que ridicvie. 

Je crois avoir assez bien montré la valeur de votre premier argument, 
monsieur l'abbé ; passons au second. Car il ne faut pas oublier que vous 
en avez un autre, argument. 

Oui en incomparable logicien que vous êtes, vous avez trouvé le 




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12 A PROPOS d'Éducation 

moyen d'introduire jusqu'à deux arguments en faveur du présent système 
d'éducation, dans huit pages de revue seulement ! 

Avec cela qu'ils ne sont pas manchots, ces deux jolis petits jumeaux 
éclos tout armés, comme Minerve, d'un cerveau souverain. 

Le premier était mirobolant ; le second pourrait trouver place dans 
une comédie de Labiche. 

Il se résume à ceci : Si les enfants parlent mal dans nos collèges, c'est 
qu'ils ont apporté cela de leurs familles ! i 

Tiens, tiens, tiens ! . . . De naissance peut-être. 

Et moi qui m'imaginais tout bêtement que les parents envoyaient 
leurs enfants au collège pour les faire instruire. . . 

Ce que c'est que la naïveté ! 

Monsieur l'abbé Baillargé, vous méritez d'être nommé ministre de 
l'Instruction publique chez les Patagons pour avoir fait cette découverte. 

Quel trait de génie ! 

Quelle ressource désormais pour un pédagogue embarrassé ! Quelle 
argument sans réplique ainsi gratuitement fournie aux membres de notre 
immortel professorat à court de raisonnement ! 

Ecoutez les dialogues futurs : 

— Mais, monsieur le supérieur, dira quelqu'un, ces jeunes gens ont 
terminé leurs études ? 

— Oui. 

— Comment se fait-il donc qu'ils parlent un pareil charabia ? 

— Ils parlaient de cette façonJà quand ils sont entrés chez nous, 
Monsieur. Ils ont apporté cela de leurs familles. 

— Comment, monsieur le professeur, s'écriera un autre bon paroissien, 
ces élèves ont fait leur philosophie ? Mais ils sont d'une ignorance crasse !... 

— Que voulez- vous. Monsieur, ils étaient aussi ignorants que ça 
quand on nous les a confiés. Nous ne les avons pas plus abrutis qu'ils ne 
l'étaient ! 

La franchement, monsieur l'abbé, encore une trouvaille comme celle- 
là, et vous passez à la postérité entre l'honorable Jocrisse et le révérend 
Calino. 

Quel problème résolu pour la simplification des études ! 

Seulement, monsieur l'abbé — il y a toujours des grincheux, vous 
savez — on entend parfois dire, je ne vous le cacherai pas, que certains de nos 
collèges n'ont pas atteint l'idéale perfection qu'on trouve à Joliette, et que 
nomlore de jeunes élèves — quelle que soit la beauté de l'iroquois en usage 
chez leurs parents — trouvent encore le moyen de l'améliorer dans les 
séminaires. 

Je connais pour ma part deux petits enfants qui, appartenant à des 
parents misérablement préjugés, parlaient assez correctement avant d'avoir 
commencé leurs études, et qui maintenant, quand ils visitent leur famille, 
peuvent dire : " Poupa^ chut^ arrivé ! " comme n'importe quel grand 
homme de Joliette ou d'ailleurs. 

C'est, du reste, ce que vous admettez implicitement quand vous dites : 
** Plusieurs enfants les apportent (ces expressions) de leurs familles. " 

Plusieurs n'implique pas la totalité ; et si tout le monde parle mal, 
c'est que les autres ont appris à mal parler ailleurs que chez eux. Peut- 
être pourriez-vous nous dire où, monsieur l'abbé. 



c 



A PROPOS d'Éducation 1*3 

Dernièrement trois élèves d'une de nos plus brillantes institutions 
disaient devant moi : 

— Quand on asseye de ben parler, les ceusses qici nous écoutent risent 
de nus aut\ 

— Et les maîtres, que font-ils pendant ce temps-là ? 

— Y risent étout. 

lyEonsieur l'abbé, quand j*ai signalé cette plaie, entre mille autres que 
j'aurais pu signaler et qui sont en train de voir le jour, grâce à votre si 
diplomatique intervention, je concluais à une coupable indififérence chez les 
professeurs et non pas à leur incapacité. 

Je me vois forcé — vos confrères ont dû déjà vous en offrir leurs félici- 
tations, monsieur Tabbé — de modifier mes conclusions, au moins en ce qui 
regarde le collège de Joliette. 

Laissez venir mes prochaines lettres, monsieur l'abbé ; et les lecteurs 
sauront s'il est possible — à moins que les professeurs subalternes ne soient 
de petits Vaugelas auprès de leur supérieur — que le français, parlé ou 
écrit, puisse être convenablement enseigné dans cette institution, qui, par 
ses publications, prétend donner le ton aux autres, et se faire le boulevard 
attitré de notre présent système d'éducatjion nationale. 

A la semaine prochaine, monsieur l'abbé ! 



TROISIEME LETTRE 

Montréal, 21 avril 1893. 



Monsieur Tabbé, 



Vous êtes un chançard numéro un] 

Savez vous que, si remuant que vous ayez été jusqu'ici, jamais la 
célébrité ne vous a aussi amoureusement caressé de son aile ? On ne parle 
que de vous à Montréal et dans le pays. Les lettres pleuvent chez moi 
pour me demander des renseignements sur votre multicolore personnalité. 

Il en est même une qui demande où l'on pourrait se procurer votre 
portrait. 

Vous êtes un véritable ingrat, monsieur l'abbé, si vous ne me faites 
pas une petite part dans vos dévotions, car — soit dit sans prétention 
aucune — c'est à moi que vous devez ce surcroît de popularité. 

Je ne vous le reproche pas, au contraire ; je suis prêt à recommencer, 
tant j'aime les gens désintéressés qui fournissent aux autres, avec un 
empressement digne de George Dandin, l'occasion et les moyens de faire 
ainsi mousser la petite bière à si peu de frais. 

Mais cela ne m'empêche pas de compter un peu sur votre recon- 
naissance ; et si, comme moi, vous aimez à payer vos dettes, me voilà pour 
longtemps avec un stock de bénédictions à mon crédit dans les coffres-forts 
du Bon Combat, du Coupent, etc. 



iiwni KimiiTr - irn wn n -wr "Tiir- ' r 




14 A PROPOS d'Éducation 

Avec cela que je suis arrivera un autre résultat. Le public sait main- 
tenant à quoi s'en tenir sur vos charges et dignités. 

Jusqu'à tout ^dernièrement vous faisiez partie des nébuleuses. 

On sentait bien là un astre de première grandeur, mais les contours 
en étaient peu déônis. Il y avait du vague. Vous voguiez dans des 
hauteurs presque inaccessibles à nos télescopes profanes — ce qui nous 
laissait quelque peu dans l'incertitude relativement à vos attributions. 
Maintenant nous voilà renseignés. Vous n'êtes pas le supérieur du collège 
de Joliette. 

Je suis d'autant mieux disposé à accepter votre dénégation, monsieur 
l'abbé, que, au fond, je ne vous ai jamais cru si supérieur que tout ça. 

Admettons que vous n'êtes pas supérieur du tout, — sans prêter 
l'oreille aux médisants qui prétendent que vous brillez même par une 
infériorité notoire. 

Il n'y a que les médisants pour dire des choses pareilles. 

Enfin, n'importe, voilà un point éclairci ; et, à mes yeux aussi 
indignes que ridiciUeSy vous n'en êtes pas moins la brillante institution 
que vous savez ; et cela ne diminue en rien l'incommensurable intérêt que, 
tout vulgaire laïque que je suis, je me permets de porter à vos révérends 
intestins et rognons. 

Je veux même, pour vous faire plaisir, me prêter, avec une platitude 
tout à fait hiérarchique, à certaines de vos petites exigences. 

Ainsi, ne goûtant pas du tout — les goûts nous viennent généralement 
de naissance — mon humble manière de raisonner avec du gros bon sens 
pour toute argumentation, vous voudriez me voir cultiver le froid syllo- 
gisme et autres plates-bandes, aussi peu fleuries que tirées au cordeau, de 
la logique collégiale. 

J'y songerai tout à l'heure. 

A vos yeux et aux yeux de l'enfant de chœur qui vient à votre secours 
dans la Minerve du 12, c'est là ce qui s'appelle du jugement. 

En voilà un, par exemple, qui doit raisonner à votre goût, ce gentil 
nourrisson de nos études classiques ! 

Si l'on n'enseigne ni à parler, ni à lire, ni à écrire dans nos collèges, 
c'est parce que je n'ai pas de jugement. 

C'est clair, n'est-ce pas î On sent là tout de suite le jeune dialecticien 
élevé dans le duvet de l'ergotage scolastique. 

De mon temps, au collège, quand un bon fruit sec — pas une huître 
ordinaire, mais un banc d'huîtres à lui seul — se sentait dépourvu de tout 
le reste, il se rabattait sur le jugement. 

Toutes les nullités, les cancres, les buses brillaient ainsi par le juge- 
ment. Le jugement était le refugium peccatorum. 

Quant aux élèves qui remportaient tous les prix, aux yeux des désap- 
pointés qui n'avaient pas obtenu seulement un accessit, ils avaient bien 
quelque talent comme ça, mais rien de sérieux ; ils manquaient de jugement. 

A ce point de vue-là, je vous le concède, monsieur l'abbé, vous êtes un 
homme d'un rare jugement ; et je n'ai pas attendu que votre compère de la 
Minerve vienne me le dire pour le constater avec enthousiasme. 

Voyez- vous, on ne sait pas trop ce qui se passe au fond de ces cerveaux 
exceptionnels qui, non seulement ont le génie en partage avec les grâces 



^ 



A PROPOS d'Éducation 51 

d'état, mais qui en outre ont eu l'avantage de puiser l'art de la 
dialectique aux vraies sources. 

Ne méprisons pas ceux qui ne montrent rien. 

Cela me fait penser à cette bonne marchande de dindes qui venait de 
voir vendre un perroquet pour vingt dollars. mh^yjj 

— A-t-on jamais vu ! s'écriait-elle ; vingt piastres pour un méchant 
oiseau gros comme le poing, tandis que j'ai peine à trouver sept chelins et 
demi pour les miens qui sont trois fois gros comme ma tête ! 

— Mais il ne parlent pas, les vôtres, lui répondit-on. 

— Tiens, c't'histoire ! ça les empêche-t-y de penser, ça ? 

C'est la chose, la vraie chose : pas brillants les gros oiseaux, mais 
pleins de jugement ! 

N'allez pas croire au moins, monsieur l'abbé, qu'en tout cela, je veuille 
vous comparer au perroquet ! 

Mais à propos d'oiseaux, vous me permettrez de vous passer encore un 
petit grain de sel, n'est-ce pas ? Vous le mettrez où vous voudrez. 

Votre copain de la Minerve — en voilà un qui sans posséder tous vos 
accomplissements, comme on dit au collège, parle du jugement comme si 
c'était sa spécialité ! — votre copain de la Minerve croit me faire beaucoup 
de peine en me disant que je ne suis pas un aigle. 

Je 1 admets, monrsieur l'abbé, je ne suis pas un aigle ; mais si je pensais 
mon assertion aussi facile à croire que la sienne, plus poli que lui, je dirais 
que le charmant enfant de chœur, malgré sa plume, n'est pas une oie non 
plus. 

Malheureusement il y a sa plume ! 

Car elle est forte, la plume de l'homme au gros jugement, monsieur 
l'abbé. 

Si vous êtes allé la chercher, comme le démon de l'Evangile qui, 
réduit aux abois, va requérir l'aide de sept autres camarades plus habiles 
que lui, vous n'avez pas fait fausse route. 

Sa tactique — pour la plume d'un enfant chœur cela promet — con- 
siste à me prêter des opinions et des théories que je n'ai jamais ni 
entretenues ni formulées. 

Par exemple : j'exprime l'idée qu'il vaut mieux savoir l'anglais et 
gagner sa vie, que de mourir à l'hôpital en traduisant Cicéron. L'honnête 
jeune homme en conclut que je méprise Cicéron, et que je condamne ceux 
qui enseignent à le traduire. 

J'exprime l'idée qu'on devrait, en même temps que le grec et le 
latin, enseigner un peu à parler le français dans nos collèges. Le jeune 
homme en conclut que je fais la guerre aux études classiques. 

Monsieur l'abbé, je fais la guerre aux études classiques telles qu'on 
les comprend dans la plupart de nos collèges, car si des études classiques 
comme celles-là peuvent faire chez les prêtres, des supérieurs d'institutions, 
elles ne peuvent faire, chez les laïques, que des inférieurs et des déclassés ; 
mais je sais trop la valeur des vraies études classiques pour ne pas en 
apprécier les avantages. 

Et si j'avais à donner une preuve irrécusable de ce que j'avance ici, 
je dirais au public : Venez chez moi ; je n'ai qu'un fils, et vous le trouverez 
penché sur sa grammaire grecque et sur son dictionnaire latin. C'est 
concluant, ce me semble. 







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':■-.?: 



16 A PROPOS d'Éducation 

— Pourquoi donc ne le Diettez-vous pas au collège ? me dira-t-on. 

Pourquoi je ne le mets pas au collège 5 Ce qui va suivre le fera 
savoir assez. 

En attendant, il ne faut pas que j'oublie vous avoir promis un petit 
raisonnement dans les règles de Tart. 

Ne serait-ce que pour entretenir le charme des doux ëpanchements si 
heureusement inaugurés entre nous, monsieur Tabbé, je veux bien consen- 
tir, pour racheter ma promesse, à abandonner un instant ma manière 
rustique dt me faire comprendre. 

Je vais essayer d'aborder le grand genre, la logique à haute portée, 
la véritable argumentation classique. 

Que dites- vous du raisonnement suivant ? 

Je pose pour prémisses que vous avez été éduqué — je m'entends sur le 
mot éduqué — dans un de nos collèges classiques ; je ne le nomme pas, 
pour ne point le compromettre. 

Ces prémisses, vous les admettez, n'est-ce pas ? Bon ! 

Or, si je prouve — ce n'est encore qu'à l'état de si, vous comprenez, 
car je n# peux pas tout faire à la fois — si je prouve, dis-je, que — tout 
éduqué que vous avez ét^, dans un de nos collèges classiques — vous êtes 
resté fieffé ignorant quand même, un dilemme intéressant ne peut manquer 
de se présenter à l'esprit. 

Ce dilemme, je vous le soumets humblement, monsieur l'abbé, et 
j'espère que vous y trouverez tout ce qui constitue un dilemme orthodoxe. 

Procédons. 

Puisque vous avez été éduqué dans un de nos collèges, et que vous 
êtes resté un fieffé ignorant tout de même, il s'ensuit de deux choses l'une : 

Ou le collège laissait à désirer, ou votre intelligence n'était pas à la 
hauteur de la situation. 

Dans la première alternative, la thèse de ceux qui prétendent que nos 
collèges sont insuffisants serait prouvée. 

Dans la seconde elle le serait aussi, puisque, fieffé ignorant, on vous 
voit briller parmi les étoiles de nos collèges, dont, avec votre Couvent et 
votre Etudiant, vous avez l'air de vous constituer l'oracle et l'organe. 

Là, voyons, êtes-vous satisfait ? N'est-ce pas de la logique, de la vraie 
logique, ça ? Trouvez-moi un raisonnement plus corsé. 

Eh bien, cher monsieur l'abbé, je puis vous en servir du raisonnement 
aussi classique que cela à la ribambelle (au collège on dit à la rubandelle, 
style de rigueur surtout pour ceux qui se destinent à l'enseignement 
classique). 

Malheureusement cela ennuierait certains de mes amis — car je n'ai 
pas que vous d'ami dans le monde, monsieur l'abbé — et je crois qu'il vaut 
mieux, pour cette fois, vous tirer une révérence aussi indigne que ridicule, 

A la semaine prochaine ! 




.\ 



QUATRIÈME LETTRE 

Montréal, 28 avril 1893. 
.Monsieur Tabbë, 

On vient de me remettre VEtoUe du Nord, qui contient votre dernier 
écrit. 

Voas faites bien de m'adresser ces choses-là ; d'ordinaire elles parvien- 
nent rarement à Montréal ; — nous sommes si loin ici des coUegiana et des 
joliettensiay deux noms de fleurs de votre composition que je puise dans 
VJSftudiant, et qui ne sont pas plus ridicules qu'il ne le faut pour faire hon- 
neur à leur origine. 

Dans ce petit écrit, vous vous montrez impatient (au collège et dans 
YJStudiant on dit anxievac) de savoir ce que j'ai à dire de vos ouvrages et 
de votre grammaire. 

Ceci dénote un désir bien légitime de vous instruire, monsieur l'abbé, 
et je vous en félicite. Chez un professeur de collège, on ne peut blâmer 
-cette ambition toute naturelle. 

Au fond, vous étiez peut-être mieux doué qu'on ne pense. C'est le 
milieu qui fait l'homme. Peut-être que, dans un autre pajs doté d'un sys- 
tème d'éducation plus pratique, vous auriez pu devenir un assez bon teneur 
• de livres, ou tout au moins un portier d'évêché passable. 

Four ce dernier poste surtout, comme la politesse n'jr est pas plus 
obligatoire que gratuite, vous aviez probablement des dispositions spé- 
ciales. 

Donc j'ai reçu votre petit écrit — tout petit écrit, l'innocence même ! 
vet, en correspondant honnête, je dois faire part au public de la confidence 
que vous m'y faites. 

Avec la confiance que je ne suis aucunement surpris de vous inspirer, 
vous me glissez onctueusement dans le pertuis auriculaire que, malgré mes 
efforts pour vous démolir, " le château-fort est encore debout." 

Bravo ! enfin, nous savons à quoi nous en tenir sur l'édifice ! 

M. Filiatreault — un pauvre diable excommunié pour avoir manqué 
de respect à la mémoire de l'abbé Guyhot — vous avait pris pour un 
Asile, Cette illusion d'optique lui a coûté assez cher. 

En y regardant de plus près, et instruit par l'expérience d'autrui, 
j'avais cru découvrir chez vous tous les éléments de ce qu'on appelle une 
Institution, 

Erreur ! n'étant pas éclairés par les grâces d'état, nous étions tous 
les deux dans une erreur profonde : une erreur aussi indigne que ridiciUe. 

Vous faites assavoir urbi et orhi (un peu de latin pour huiler le méca- 
nisme) que vous n'êtes ni un asile, ni une institution, mais un château-fort. 

Merci, mon Dieu ! comme disent tous les mélodrames qui se res- 
pectent. 

Pour lors, je m'incline avec toute la bassesse qui convient à un mépri- 
sable père Je fsûnille laïque, et désormais je me ferai un devoir de vous 
considérer comme un château aussi fort que vous voudrez. 

S 




^îêi^l'.Ui^.-IL 



18 A PROPOS d'Éducation 

Je consens même à vous regarder de loin comme une forteresse mena- 
çante, perchée sur un roc sourcilleux, avec donjon, poirrîères, échauguettes,. 
courtines, mâchicoulis, barbacanes, meurtrières, herses et ponts-levis : tout 
ce qu'il y a de plus moyen âge en fait de boutique orthodoxe. 

Suis-je de bon compte au moins ! 

Monsieur l'abbé, ne cherchez pas ailleurs composition meilleure que 
chez moi, vous ne feriez pas vos frais. 

Seulement ne soyez point non plus trop exigeant. Vous avez beau 
être château-fort, ce n'est pas une raison pour me forcer do monter à l'assaut 
à fond de train. 

Vous ne m'avez pas consulté avant de commencer l'échange des bons • 
procédés ; veuillez, en interlocuteur courtois, ne pas me presser plus qu'il 
ne faut. 

J'aime à prendre mon temps. Et me reprocher la condescendance que 
je mets à vous consacrer toute la considération réfléchie que mérite .... 
un château-fort de vos dimensions, ne me semble pas l'esprit de justice en 
personne. 

Du reste, tenez — autant vous faire cette confidence tout de suite, en 
retour de la vdtre, — je suis un peu désappointé. 

J'ai passé votre livre, les Coups de crayon, à un petit indigne de 
l'école des Frères — vous savez, celui de M. Castonguay — afin qu'il me 
souligne, dans votre intérêt de professeur de français, les anglicismes, les 
barbarismes et les fautes de syntaxe que vous y avez si amoureusement 
cultivés. 

Et le galopin n'aboutit pas. Il prétend que je l'ai pris en traître. 

J'ai dû doubler ses honoraires et payer deux personnes pour le tenir 
éveillé. 

Vous allez finir par me coûter aussi cher qu'à M. Filiatreault, monsieur 
l'abbé. 

Et puis il ne faut pas que je néglige non plus votre ami, le gentil 
enfant de chœur de la Minerve ; l'homme au gros jugement. 

Ce gentil farceur, si peu versé qu'il soit — afin de ne pas déroger — 
dans cette science aussi inférieure que vulgaire qu'on appelle l'arithmétique, . 
est très fort sur la division. Ecoutez-le parler à propos d'études : 

*' Chacun de c«s degrés se divise en branches distinctes." 

Des degrés qui se divisent en branches, ce doit être tout ce qu'il y a 
de plus classique — dans le genre canayen ! O nos collèges ! 



• • • 



** Il y a par exemple, la branche commerciale, la branche industrielle, la 
branche scientifique, la oranche littéraire ou classique." 

Je voudrais bien savoir sur quelle de ces branches perche le coucou 
qui a pu pondre une pareille ineffabilité. Ce doit être la branche classique. 

Ces distinctions subtiles expliquent évidemment pourquoi tant de 
gras nourrissons des incomparables collèges " que l'Europe nous envie " 
étaient si souvent et aussi victorieusement retoqués aux examens pour 
l'admission aux professions libérales, avant qu'une loi protectrice les eût 
mis à l'abri de cette épreuve désagréable. 

Question de branche tout simplement. 





A pjiopos d'éducation 19 

Vou8 les voyez d'ici : 

— Pourriez-vous nous dire quels sont les principaux fleuves de 
^Espagnef 

-— Cest de la géographie, ça ! c'est pas dans ma branche ! 

— Pourriez-vous nous dire ce qui s'est passé de plus important sous 
le règne d'Henri IV î 

— De rhistoire f pas dans ma branche, Monsieur ! 

— Pourriez-vous nous dire à quoi est égal le carré de l'hjrpothénuse % 

— Pas dans ma branche ! 

— Pourriez-vous dire quel est l'intérêt de $100 à 6 pour cent par 

azmëet 

— Pas dans ma branche non plus. 

— Pouvez- vous rédiger un reçu t 

— Non, Monsieur, c'est pas dans ma branche. 

— Un billet, une traite 1 

— Pas dans ma branche. 

— Avez- vous étudié l'anglais î 

— Qu'est-ce que c'est que ça ? Pas dans ma branche. 

— Connaissez- vous un nommé Victor Hugo ? 

— Oui, Monsieur, c'est un homme qui est mort sans confession. 

— Au point de vue littéraire ? 

— Au point de vue littéraire, qn le cite souvent comme exemple de 
mauvais style ; mais c'est pas dans ma branche. 

— Connaissez- vous quelque grand peintre ? 

— Oui, Monsieur, Raphaël. 

— Et ensuite ? 

— J'en connais pas d'autre. Monsieur : c'est pas dans ma branche. 

— Vous pourriez peut-être nous dire ce qui caractérise les différentes 
espèces d'astres î 

— Des astres î 

— Oui. 

— J'en connais pas. Monsieur, c'est pas dans ma branche. 

— Savez-vous la sténographie ? 

— Pas dans ma branche. 

— La télégraphie 1 

— Pas dans ma branche. 
— .La clavigraphie î 

— Pas dans ma branche. 

— Dessinez- vous ? 

— Pas dans ma branche. 

— Savez-vous enfin quelque chose pour gagner votre vie ? 

— Pas dans ma branche, Monsieur ! 

— Qu'avez-vous donc appris au collège ? 

— J'ai fait des études classiques. 

Ça, c'est la branche, la vraie branche ! 

Dans bon nombre de nos collèges, cela consiste à apprendre le latin 
dans le De Viris, le grec dans les Actes des Apôtres^ la littérature dans 
Leframc, la poésie dans Mme Deshoulières, la philosophie dans Mgr de 






20 A PROPOS d'éducatiok 

Ségnr, la comptabilité, la géographie, l'histoire, le français et Tànglais 
nulle part. Les degrés ne se divisent pas en branches jusque-là ! 

Vouloir aller plus loin c'est de la curiosité. Et l'on n'aime pas les 
curieux dans certains de nos collèges. 

La phrase suivante — ûeur typique éclose dans les parterres de notre 
éducation aussi canadienne que sans rivale — en fait foi. C'est un de nos 
savants professeurs qui parle, si l'on peut appeler cela parler : 

— Gàr lé don voir, lui ! ça sait rien, pi ça se mêle de faire des 
questions ! 

La phrase est tout ce qu'il peut y avoir d'invraisemblable, n'est-ce 
pas ? Eh bien, elle est en même temps tout ce qu'il y a de plus autheatique. 

Ces chers professeurs, ils se sont pourtant confié la mission de conser- 
ver notre langue ! Seulement ils la conservent dans du vinaigre, avec une 
légère décoction de microbes au fond du bocal. 

— Mais, me dira-t-on, il y a des professeurs intruits par-ci par-là. 
Certes oui, et je ne dois pas avoir besoin de faire les mêmes excep- 
tions dans chacune de mes lettres. 

Les professeurs qui ont appris quelque chose et qui savent l'enseigner 
sont connus, et ils gémissent comme moi sur l'état déplorable de nos 
collèges, et la triste infériorité de notre système d'éducation. 

Je ne leur reproche qu'une chose, à eux : c'est de ne pas séparer leur 
cause de celle de leurs confrères ; c'egt de ne pas se joindre franchement 
aux pères de famille qui demandent des réformes ; c'est surtout de consen- 
tir à s'associer avec les Bail larges de tous les rangs et de tous les grades, 
qui seraient capables d'encapuchonner l'humanité, si on les laissait faire. 

Oui, je sais, monsieur l'abbé, qu'en disant ce que vous m'avez forcé de 
dire, je fais de la peine à des hommes instruits, à de saints hommes qui 
ont toute ma vénération — et qui, au fond du cœur, je l'espère, ne m'en 
estimeront que plus — mais il y a quelque chose qui doit passer avant les 
aflfections. 

C'est le devoir ! ' 

Et dans le moment, plus que jamais, le devoir s'impose. 

Si, aujourd'hui, personne n'a le courage de parler, autant se résigner, 
soi et sa race, à l'anéantissement intellectuel et moral. 

Il y a assez longtemps que la fécondité àe nos femmes fait le thème de nos 
déthyrambes patriotiques, et se charge de prouver au monde entier la supério- 
rité de notre race ; il me semble qu'un peuple pourrait avoir quelque autre 
sujet de fierté, que la caractéristique qui distingue l'intéressante famille des 
lapins — encore plus prodifiques que nous. 

Un Canadien un peu orgueilleux pourrait^ à mon avis, avoir quelque 
autre ambition que celle des poules couveuses. 

Malheureusement elle ne s'élève pas haut l'ambition du Canayen. 

Nous avons beau avoir des imbéciles qui proclament que nous écrivons 
le français comme Corneille ; nous avons beau avoir des idiots qui chantent 
sur tous les tons que nous parlons notre langue comme Sarah Bernhardt ; 
nous avons beau surtout avoir des régiments d'aliénés pour écouter cela et 
applaudir, le bon sens perce toujours un peu, et d'instinct, nous ne pou- 
Tons nous empêcher de laisser naïvement éclater, dans quelque aveu monu- 
mental, notre infériorité désespérante. 





A PROPOS d'éducation • 21 

C'est an point qae, lorsqu'un des nôtres — Casault — a été fait capo- 
ral dans l'armée française — caporal, vous m'entendez bien ! — on a presque 
crie au miracle. 

D'un bout à l'autre du pays on a publié des articles intitulés : Hon- 
fieur au Canada ! et dans lequel on démontrait, preuves en mains, qu'un 
Canadien *' pouvait faire son chemin tout comme un autre ! " 

N'est-ce pas un crime que d'abâtardir ainsi toute une nation ? 

Et l'on appelle cela nous éclairer ! 

Nous illuminer, oui ! 

Or ce sont les victimes de cet état de choses qui se lèvent aujourd'hui, 
monsieur l'abbé, et qui parlent par ma voix. 

Avec une politesse de bouvier vous avez voulu engager une lutte qui ne 
vous était pas offerte : tenez-vous bien ! 

Un des vôtres, un prêtre distingué de Montréal, disait hier à un 
médecin de mes amis : 

— Cher docteur, vous avez quelque influence auprès de M. Fréchette, 
priez-le donc de lâcher ce pauvre Baillargé. Un poète n'a pas le cœur si 
cruel que cela, voyons ! 

— Monsieur l'abbé, vous m'étonnez, a répondu mon ami ; en êtes-vous 
au point de croire que Fréchette ferraille contre l'abbé Baillargé, dans le 
moment ? Il s'en bat l'œil un peu ferme, par exemple ! 

— Aurait- il l'intention de s'attaquer au clergé ? 

— Pas du tout ; mais si le clergé se met sous le même bonnet, et prend 
fait et cause contre les pères de famille qui demandent une instruction 
plus rationnelle pour leurs enfants, il n'hésitera pas. Fréchette est un de 
ceux qui savent distinguer entre leur curé et le bon Dieu : il est payé pour 
cela de longue date. Et puis, ce n'est pas un simple individu qui parle à 
llieure qu'il est. C'est la poussée formidable de l'opinion publique qui se 
fait sentir. Devant ce courant-là, il n'y a pas d'ex'éommunication qui 
tienne. 

— Diable ! il devrait pourtant y avoir un moyen. . . 

— De bâillonner l'opinion publique î ... Je vous conseille d'endiguer 
le Saint-Laurent ! . . . 

— Le fait est, a conclu le pauvre abbé en baissant la tête, que nous 
n'avons pas assez de castors pour cela .... 

A la semaine prochaine, cher médecin des âmes ! 



.■■■■iÉ< 



CINQUIÈME LETTRE 

Montréal, 5 mai 1893. 
Monsieur Tabbië, 

Yous dites, dans la charmante ét)ître provocatrice dès observations 
que je me permets de vous soumettre depuis plus d'un mois : 



" M. Fréchette doit avoir la honte facile.** 

Je ne sais pas trop — probablement parce que je n'ai pitô étudié dans 
la haillarfferie — ce que c'est qu'une honte facile ou difficile ; mais je sais 
très bien, par exemple, ce que c'est qu'une honte profonde. Car c'est ce 
que j'ai éprouvé, lorsque, après avoir lu vos Coups de crayon^ de la première à 
la dernière ligne — pour voir jusqu'où les choses humiliantes vont quelque- 
fois — je jetai la petite immondice sur ma table en m'écriant : 

" Voilà ce que peut produire, dans notre pauvre pays, sous les jeux 
de son évêque, un prêtre censé avoir fait ses classes, un professeur dans 
une de ces hautes maisons d'éducation qui ont le monopole de notre avenir» 
et sur le compte desquelles il est absolument défendu aux pères de famille 
de hasarder la moindre remarque ! " 

Oui, monsieur l'abbé, j'ai éprouvé ce jour-là, non pas une honte 
fabile, mais, je le répète, une honte profonde. 

Je ne savais pas alors que vous battiez monnaie en inondant, par 
l'intermédiaire de petits journaux malfaisants, les collèges et les couvents 
de votre prose infirme et de votre abominable grammaire ; car alors, pris 
d'une indignation plus que légitime, j'aurais publiquement signalé cet 
attentat contre l'intelligence de notre jeunesse, déjà si soigneusement 
accommodée à l'étouffée. 

C'est là le point important de cette discussion, monsieur l'abbé. II 
s'agit moins d'extirper une simple verrue, que de cautériser un chancre 
public. 

Ne croyez pas que c'est votre individualité que je mets en relief 
depuis cinq semaines ! 

Non, monsieur l'abbé ; si je vous tiens si impitoyablement sur la 
sellette, ce n'est pas comme personnage plus ou moins avarié sous le rapport 
de la tête et des rognons : vous êtes là comme professeur de collège 
s'arrogeant la mission de parler au nom du clergé enseignant, pour 
insulter et essayer de bâillonner les citoyens qui se permettent de demander 
qu'on n'abrutisse pas leurs enfants sous prétexte de les instruire. 

Tous êtes là non pas comme tête-de-Turc sur laquelle je me plairais à 
frapper, monsieur l'abbé ; mais comme un argument vivant pour démon- 
trer que les collèges où l'on enseigne ou laisse enseigner ainsi la langue du 
pays ont besoin d'une réforme immédiate et radicale. 

Qu'est-ce que cela me fait, à moi, que vous maltraitiez la grammaire 
comme l'abbé Castonguay, et que vous écriviez en style de statut refondu ? 
Je m'en moque avec une profondeur d'indifférence qui vous étonnerait. 



X 




A PROPOS d'Éducation 



83 



Mais que vous infectiez de votre ignorance pjrainûiàle non seulement 
ie colley de Joliette, mais encore les autres maisons d'éducation du pays 
-à beaux deniers comptants, comprenez-vous que c'est chose difl^r^nte ? 

Si les prêtres des autres collèges vous permettent de répandre (fcinsi 
vos productions malsaines parmi les enfants qu'ils se sont chargés d'ins- 
truire, alors il devient du devoir de tout honnête homme de se lever et de 
parler ! Il faut mettre fin à de pareils abus. 

Un prêtre n'est tenu d'être ni un savant ni un écrivain ; mais s'il 
ignore les éléments de sa langue, qu'il ne se charge pas de l'enseigner ! 

Surtout qu'on ne lui permette pas de propager ses ineptie?, spus 
prétexte d'éducation, paripi notre pauvre jeunesse sans défense, déjà tropi 
prédisposée à croire le prêtre aussi infaillible en syntaxe qu'il l'est en 
politique. 

Si je n'ai plus le droit de réclamer pour la politique, j^ai au moins 
celui de protester au nom de la syntaxe. 

Et ppur cela, je vais me permettre, monsieur l'abbé, de présenter 
VEtiidiarU à mes lecteurs. 

Qu'on se couvre ! 

Jj Etudiant est une petite revue rédigée par un sa.vant professeur qui 
i^;ne F, A, Baillargéy Pire, publiée sous le toit aussi classique que sacré du 
collège de Joliette, et répandue, dit-on, à grand renfort de réclame ecclé- 
siastique dans plusieurs autres, sinon dans tous les autres collèges et 
séminaires de la Province. 

Cette revue a la prétention d'être un foyer de science classique à 
l'usage de la jeunesse studieuse et chrétienne. 

C'est bien cela, n'est-ce pas t 

Eh bien, je n'ai que deux numéros de V Etudiant sous la main, monsieur 
Tabbé ; et, en attendant que je fasse admirer les beautés des autres produc- 
tions que vous mettez si libéralement au service des petits malheureux 
confiés à vos soins, nous allons, si vous le voulez bien, parcourir une page 
ou deux de ces intéressants spécimens du journalisme alimenté aux sources 
mêmes de ces profondes études classiques que les laïques n'ont pas le droit 
de critiquer. 

Nous ne chercherons pas longtemps, vous allez voir 1 
1ère page, 1ère ligne : 

C'est naturellement vous-même, monsieur l'abbé, qui avez la parole : 

" Notre course de santé est terminée.** 

Moi, je sais ce que c'est qu'une course de chevaux et même qu'une 
course de cocher ; mais si le lecteur veut apprendre ce qui s'entend par un©. 
course de santé, il lui faudra s'adresser chez vous, monsieur l'abbé, qui en 
êtes l'inventeur, et qui sans doute ne livrez ce secret que sur demande 
accompagnée de quelques centinSy comme vous dites, pour vos bonnes 
iBuvres. 

2e ligne : 

"Le 80 octobre, nous avons laissé Llverpool." 

Comment, monsieur l'abbé, vous n'avez pas emporté Liverpool arec 
vous ! . . . C'est dommage, vous auriez peut-être pu faire des Canayens 







24 A PROPOS d'éducation 

de tout ce monde-là Monsieur Tabbë, si vous ne savez pas la différence- 

qu'il j a entre quitter et laiêser^ comment pouvez-vous l'enseigner 1 £t^ 
teux qui la connaissent, comment peuvent-ils vous permettre d'induire 
ainsi en erreur les élèves que l'on confie à leurs soins pour les faire 
instruire t Comprenez- vous que c'est là le point 1 

Va pour deux lignes ! et continuons, même page : 

" J*ai eu en ce jour Textrême honneur d'être reçu en atidience par S. S- 
Léon Xin." 

Mais comment diable vouliez- vous donc ^tre reçu ? On dit en audience 
privée ou en audience publiqtie, suivant le cas, monsieur l'abbé ; on ne dit- 
jamais en audience tout court, à moins qu'on ne signale en même temps 
le nombre des personnes teçues. C'est parler comme un homme qui ne 
connaît ni la valeur ni l'étymologie des mots. 

Allons plus loin ; même page toujours : 

" Mon père, G. -F. Qaillargé, député-ministre des Travaux publics — " 

Buies, Lusignan, Legendre, criez fort dans les journaux contre l'angli- 
cisme ; il j aura toujours quelque bon professeur de collège infaillible qui 
enseignera à ses élèves à traduire deputy minister par députa ministre. Et. 
cela pour créer de nouveau en France — ou chez ceux qui ignorent le 
canayen — les quiproquos qui ont, il y a deux ans, à Paris, failli faire 
passer Mgr Labelle pour un menteur ! 

Comment corriger le langage de notre jeunesse, quand se sont les 
professeurs mêmes qu'il faudrait d'abord instruire ? 

Et comme ces derniers croient tout savoir, parbleu .... et qu'on ne 
saurait insinuer qu'ils peuvent ignorer quelque chose, sans recevoir sur . le 
coco le contenu de quelque sale ustensile, que voulez-vous y faire î 

Suivons la même page toujours : 

** Les appartements de Léon XIII sont à Tétage le plus élevé du Vatican et 
donnant vue sur la place Saint-Pierre." 

Vous voudrez bien dire à vos élèves, cher monsieur le professeur, que 
donnant vue n'est pas français dans ce sens-là ! C'est ayant vue qu'il faut 
dire, ce qui est bien différent. 

** Mgr délia Volpe m'introduit finalement dans un modeste appartement 
contigu, je crois, au cabinet de travail du Pape." 

Y a-t-il un dictionnaire de la langue française dans votre collège, 
monsieur l'abbé ? S'il y en a un, ouvrez-le donc, et vous verrez ce que veut 
dire le mot appartement^ dont on s'évertue depuis quinze ans à donner la 
définition dans les journaux laïques. 

*' Craignant de fatiguer Sa Sainteté, je me contente ensuite de dire, sana 
déployer les autres cartes, que la 2e est unerelaiive à l'Eglise anglicane. . 

Qu'est-ce que c'est qu'wwe relative ? Mystère ! 

'*I1 était chagrin de ne pouvoir se rendre au désir (f un chacun de ses enfants."* 
Faites assavoir à vos élèves, monsieur l'abbé» qu'un mécréant de 




À PROPOS d'Éducation ?5 

Montréal, qui ne respecte rien, prétend qn^un chacun ne se dit plus que par 
plaisanterie. Ce n'est pas ma faute, mais c'est comme ça. 

Enfin, monsieur Pabbë, lâchez donc une bonne fois le mot piastre ; 
l'Académie donne le mot dollar comme vocable français pour désigner la 
pièce de cinq francs américaine. La piastre est une monnaie espagnole om 
turque. 

JEt cœtera. 

Et tout cela dans un seul petit feuillet de revue grande comme la 
main ! . . . Une revue publiée dans ]e but d'instruire la jeunesse ! 

Jb ne m'arrêterai pas à relever tous les anglicismes, toutes les incor- 
rections et toutes les absurdités de langage dont regorgent les pages qui 
Tiennent à la suite ; il faudrait presque tout citer. 

Je saute d'emblée à la dernière, pour relever une phrase qui n'est jpias 
une perle ordinaire, mais tout un écrin à elle seule : 

" Une plainte amère s'échappe de sa plume en songeant à tout le temi)s que 
nous avons perdu, et cela devant la marée montante d'antagonistes qui nous 
exploitent et qui convoitent de plus en plus une terre achetée par le sang de nos- 
ancêtres. " ^ 

Quel coup d'oeil que cette plainte amère qui s^écltappe d^une phmne, et 
qui se met tout de suite à sotiger, en face d'une marée d'antagonistes^ 
pendant que le sang de nos ancêtres achète des terres ! 

Enfoncé " le char de l'Etat qui navigue sur un volcan ! " 

Voyons, cher abbé, on ne vous a donc jamais enseigné ce que c'est 
que la concordance des figures en rhétorique ! Vous n'avez donc jamais 
appris seulement la valeur des mots ! A votre place, moi, je ne me tuerais 
pas à défendre ceux qui m'auraient enseigné la langue française de cette 
façon. 

Mais ce n'est pas tout : ouvrons l'autre numéro de la petite gazette 
classique, et cueillons au hasard (avec un s, monsieur l'abbé, un s aussi 
indigtie que ridictde), 

** Les Madrilènes sont particuliers sur la toilette ; haut col, cravaite (avec 
deux tt) de soie avec épinglette, poignets saillants avec boutons. " 

Ah ! voilà une observation importante, monsieur l'abbé, puisque c'est. 
la seule que vous ayez faite à Madrid ! Ce que c'est que de voyager env 
dilettante ! 

Comme ces Madrilènes sont particuliers en effet ! Dire qu'ils" portent" 
des boutons à leur chemise ! car ce que vous appelez des poignets (saillants, 
on ne sait trop pourquoi) doivent être des poignets de chemise ou des 
manchettes; et porter des boutons â ses poignets de chemise ou à ses 
manchettes, c'est en effet assez original pour attirer l'attention des étran- 
gers ! 

Seulement un Français peu éclairé se demanderait sans doute ce que' 
peut bien être cette épinglette que des gens si particuliers portent à leur 
cravatte (avec deux «, puisque vous y tenez). 

Mais les Français n'ont pas l'avantage de comprendre le canayen. 
qu'on enseigne au collège de Joliette. 

Il n'en faut guère plus long, monsieur l'abbé, pour nous faire entre- 




.«■■ 



'^ A PROPOS d'Éducation 



voir, C6 xanmmhUf la raison pour laquelle nos éyèufam'^opppÊiexit en bfoc à 
ce que les professeurs eoolésîjuitiqnes sabÎMenfe des examens avant d'entrer 
•dans le professorat. 

Par exemple, je me demande pourquoi on en ferait subir aux amtres 
^midtres d'école. 

Quant à être confits dans Tignorànce, j'aimerais qu'on me montrât ce 
que nous avons à gagner à ce que le chaudron soit plus ou moins bénit î 

Mais vous n^êtes pas le seul, monsieur l'abbé, à fournir ces charmants 
exemples de style destiné à ankyloser l'imagination dès nobles espoirs 
du peuple qui doit un jour régénérer l'Amérique du Nord. 

Vous avez des c<^borateurs en prose et en vers qui ne sont pas de 
votre force, mais dont quelques-uns ne manquent pas non plus de titres à 
.4a gloire. 

J'en veux citer un — pour le /un. 

C'est un poète, celui-là, un vrai modèle à mettre sous les yeux des 
jeunes générations canadiennes, pour remplacer Victor Hugo et Lamartine^ 
qui, comme on le sait, ne peuvent que fausser l'intelligence et faire perdre le 
goût de la saine littérature. 

Je reproduis tout au long, persuadé que les lecteurs qui ont lu oe que 
j'ai cité de vous peuvent subir cette épreuve sans trop grave danger 
>d'aliénation mentale : 

Salut I noble Reine, 

Notre Souveraine : 
Mère de pitié, dont le coeur 
S'émeut tant des maux du pécheur ; 

Douce vie où l'âme 
Peut espérer son but. 

Et suave flamme 
Du saint amour : salut t 

Notre voix s'élève 
Pour réclamer votre secours : 

Faibles enfants d'Eve 
Nous comptons sur votre concours. 

Concours pour aide, voilà une impropriété de terme que le pauvre 
'diable d'auteur n'a certainement pas apporté de chez lui quand il était tout 
petit : il a dû apprendre cela au collège. 

Vers vous nous soupirons 

Dans nos vives alarmes ; 
Nous gémissons et nous pleurons : 

Cette vallée, hélas ! 

Etant celle des larmes 
Nous en versons jusqu'au trépas. 

G cœur si doux. 
G puissante avocate I 

Exemptez-noMSf 
Malgré notre conduite ingrate. 

Du divin courroux. 




A PROPOS d'éducation t7 

Maosmpier pour prêgervery voilà encore une chose que Tautear n'a pas 
'apporté de naissance ! 

Cœur généreux 
Que le ciel nous accorde. 

Tournez les yeux 
Comme votre miséricorde 

Vers les malheureux. 

9 

Et Jésus,' fruit adorable 

Qui nous fut destiné. 
Et <mi de vous, Vierge adorable {Une rime riche /> 

J^ous est né, 
Faites qu'après cette vie 

Hors d'exil désormais 
Il s'oflfre à notre âme ravie 

A Jamais ! 

G clémence ! 
Cceur immense I 
Tant doté 
De bonté! 

G pieuse et douce Marie 
Du Très-Haut la Fille chérie ! 
Â.7ntn, 

Et cette ëlucubration de triple imbécile, publiée par Tautorité et sous 
' les auspices d'un collège qui prétend enseigner la littérature, est immédiate- 
ment suivie — ne croyez pas que je badiiM ! — d'un article sur VUtUité des 
vers latins ! 

Ce serait à se tenir les côtes, s'il n'était si triste de voir ainsi une 

• partie de notre jeunesse enfouie à son insu sous cette couche do créti- 
nisme à quintuple pression ! * 

Si la connaissance de la prosodie latine est avantageuse à qui veut savoir 
' le latin, la connaissance de la prosodie française ne serait-oUe^s aussi de 
'Quelque utilité à qui veut savoir le français ? 

Or la prosodie française est partout répudiée et bannie dans nos col- 
'ièges. Quand on y tolère quelques récalcitrances, c'est miracle. 

N'est-il pas ridicule et même indigne de voir nos enfants la tête 
- bourrée de dactyles, de spondées et d'anapestes, nous parler de la pénul- 

* tième et de l'antépénultième, sans pouvoir nous dire ce que c'est qu'une 
césure et qu'un hémistiche français ! . . . . 

Où trouver, parmi nos prêtres, nos avocats, nos médecins, nos notaires, 
<^eeux qui sont en état de distinguer si un alexandrin est correct ou non 7 
Et n'est-ce pas là une partie importante des belles-lettres ? 
Mais il paraît que ce n'est pas dans la '^ vraie branche." 
Et l'on viendra encore nous bassiner en disant qu'on donne tout cela 
à bon marché ! 

Il ne manquerait plus que de nous le faire payer cher ! . . . . 
A la semaine prochaine, monsieur l'abbé ! 








SIXIEME LETTRE 

Montréal, 12 mai 1893. 
Monsieur l'abbë, 

J'ai connu plusi^rs fins-fins dans ma vie, mais j'en ai rarement- 
rencontre comme celui qui m'honore, à votre acquit, de ses attentions danS' 
le Courrier du Canada, 

Ce fin-fin est à croquer. 

Pour prouver qu'on enseigne parfaitement le français dans nos- 
collèges, il se morfond à démontrer que je ne l'ai jamais appris moi-même f 

GuiboUard fait des petits, à ce qu'il paraît. 

Et moi qui n'osais pas me citer comme exemple ! 

Voilà une partie de ma démonstration faite, tant mieux ! Vous 
voudrez bien offrir mes remerciements au fin-fin, n'est-ce pas î 

Depuis notre dernière entrevue, monsieur l'abbé, j'ai reçu quatre 
lettres de prêtres. Je ne parle pas des lettres anonymes qui sentent leur 
encens à quinze pieds à la ronde ; celles-là, malgré leur caractère évidem- 
ment sacré, n'ont pas le privilège de troubler le mien, qui à l'endroit de 
toutes les lâchetés — cléricales ou laïques — est d'une impartialité on ne 
peut plus profane 

Or, sur ces quatre lettres, il y en a une qui dit ceci en substance : 

" Merci, ]!lJ!onsieur ; vous faites une bonne œuvre. Les conservateur» 
ne veulent pas parler parce qu'ils ont des sympathies à ménager, les- 
libéraux parce qu'ils ont à se tenir en garde contre les préjugés sans 
cesse soulevés contre eux, les prêtres — ceux qui comprennent — sont' 
condamnés à un mutisme Sncore plus absolu que les autres,, parce que .... 
parce qu'ils sont prêtres tout simplement. J'applaudis à votre courage, et 
j'aime à voue dire que vous avez plus d'adhérents dans le clergé que vous 
ne pensez. Plusieurs prêtres sont las de toujours porter le fardeau de 
l'ignorance et des fautes de leurs confrères, san<s pouvoir dégager leur 
responsabilité." 

Très bien ! voilà le langage d'un homme, au moins ! 

Ce sont ceux-là, monsieur l'abbé, ce sont les prêtres de cette trempe* 
qui soutiennent l'édifice ébranlé du pouvoir ecclésiastique dans le pays» 
Lorsqu'il ne restera plus que des Baillargés et certains autres personnage»» 
qu'il est inutile de nommer, vous m'en direz des nouvelles ! 

Quant aux trois autres lettres, elles peuvent se résumer à ceci : 

" Vous touchez à l'Eglise. 

" Vous n'avez pas le droit de critiquer les prêtres : ils ne relèvent 
point de l'opinion publique ; les mandements de nos évêques le disent. 

" Vous êtes catholique pourtant .... 

" Vous devez beaucoup au clergé . . . . " Etc. 

Ainsi, monsieur l'abbé, en vous touchant, je touche à l'Eglise ! 

Je vous avouerai que cette prétention me rend tant soit peu perplexe^ 
Je sais bien que vous êtes, ou tout au moins que vous vous croyez l'orne- 
ment du sacerdoce, le pilier du sanctuaire, le b^Ievard. des vrais principes. 



A PROPOS d'Éducation 29 

'^t l'organe attitré du clergé dans notre pays ; mais vous n'ôteS' p>as TEglise 
-à vous tout seul. Et d'ailleurs il me semble que l'Eglise ne se recrute pas 
-<lans le clergé exclusivement. 

Quand j'étais petit, on m'a enseigné au cathéchisme que l'Eglise, c'est 
"'^ la communion des fidèles unis entre euK par le lien d'une même foi, la 
participation aux mêmes sacrements et la soumission au même pasteur légi- 
time." 

Or, comme vous n'avez pas changé cela depuis, à ma connaissance, 
monsieur l'abbé, il me semble que, dans ces conditions-1^ j'en suis, moi 
aussi, de l'Eglise ! En sorte que, quand vous -me sautez au collet, vous 
attaquez autant l'Eglise, que moi quand je vous gifle un peu pour me dé- 
barrasser. 

J'y mets peut-être un peu moins d'ardeur cléricale, voilà tout. 

'* Les prêtres ne relèvent point de l'opinion publique : les mandements 
•sont là qui le disent." 

Entendons-nous bien, d'abord. Si vous parlez du prêtre comme prêtre, 
-«'est-à-dire en autant qu'il s'agit de ses actes de prêtre, je suis avec vous. 

Mais si vous voulez dire que le prêtre, parce qu'il est prêtre, ne relève 
•en rien de l'opinion publique, c'est une autre affaire, une toute autre 
a£faire ! 

Si c'est là ce qu'on prétend, écoutez, monsieur l'abbé, et pesez bien 
mes paroles comme je les pèse moi-même. Qu'on n'essaie point d'imposer 
ane pareille doctrine à notre époque, même dans notre pays ! On ne fera 
plus de dupes. Cela créera peut-être quelques papelarts de plus par-ci 
par-là, mais fera surgir à coup sûr des révoltés à toutes les portes. 

C'est un catholique, et un catholique sincère qui vous dit cela ! 

Quand on mettrait — je ne cherche pas à rié veiller inutilement des 
aouvenirs humiliants, mais je prends ce qui me tombe sous la main de plus 
propice à illustrer ma pensée — quand, dis- je, on mettrait dix soutanes 
flur le dos de l'abbé Guy hot, on ne me le ferait» pas plus respecter pour 
cela ; et s'il avait le toupet de venir frapper à ma porte, fût-il en chasuble 
et en étole, je n'irais pas demander la permission de Monseigneur pour le 
■recevoir sans plus de cérémonie qu'un laïque de son espèce... s'il en existe. 

N'en voilà-t-il pas des immunités !... 

Monsieur l'abbé, le pape lui-même relève de l'opinion publique, en 
tout ce qui ne concerne pas les dogmes et la discipline de l'Eglise. 

En fait de science, en fait de moralité, en fait d'orthographe, en fait 
d'éducation, il peut être la plus haute autorité du monde, si l'on veut, mais 
il relève de l'opinion publique. 

En d'autres termes, le prêtre qui se fait corrupteur d'âmes et d'intel- 
ligences est responsable de ses actes comme un autre citoyen, et — n'en 
déplaise à toute la gent à qucU^pattes ou à genoux — les fautes de français 
commises par des prêtres sont aussi bien des fautes que si elles étaient 
l'oeuvre du plus insignifiant des laïques. 

Pour ma part — et c'est là une manière de voir qui se propage terri- 
blement, monsieur l'abbé — quand j'entendrai un bachelier dire que Louis 
XIV a été fait prisonnier à la bataille de Pavie, ou que Charles VIII a 
■été tué au siège de La Rochelle, le susdit bachelier aura beau plaider que 
^soh professeur d'histoire était un prêtre, je ne me gênerai pas le moins du 



— ij 



) 



"«^ 



pi^.V--:7*?j 




80 A PROPOS d'éducation 

monde pour le classer dans mes papiers parmi les ignorants, en dépit d^ 
tous les mandements de la création. 

" Vous êtes catholique, pourtant ..." 

Cette trouvaille ! . . . Eh ! mais, parce qu'on est catholiqne, Mte^ 
une raison pour être plus globe-mouche que les autres f 

Saint Louis disait à Joinville qu'il ambitionnait le renom de 
prud'homme, mais n'avait aucune envie d'être pris pour béguin. Je penser 
comme saint Louis. 

Oui, je suis catholique, mais je n'ai pas le gosier mieux construit pour 
avajer des couleuvres que^i j'étais protestant ou libre penseur ! 

C'est encore là des grâces d'état qui manquent à ma personnalité aussi 
indigne que ridicule. 

Pour moi, le prêtre à l'autel, au confessionnal, c'est-à-dire dans le- 
strict exercice de son ministère, c'est le prêtre. Et je suis prêt à lui accor- 
der, comme tel, tous les privilèges qui s'attachent à ses fonctions, en même 
temps que mon profond respect, s'il s'^en montre digne. 

Mais quand il enseigne, il devient maître d'école, et responsable aux 
citoyens comme les autres maîtres d'école. 

S'il est incompétent, s'il ne sait rien surtout, au large ! Qu'on eik 
mette un autre à sa place ! C'est aussi simple que cela. 

L'évêque de Peoria, cité par M. l'abbé Rouleau, le distingué principal 
de l'école Normale de Québec, a dit quelque part : 

" Une bonne religieuse n'est pas par le fait même une bonne institutrice. 
Comme les hommes faibles ayant 1 autorité font plus de mal que les méchants, de- 
même rien n'est si pernicieux dans une institutrice que Vincompétence.** 

Eh bien, ce que Mgr Spalding dit des religieuses, on peut le dire des- 
prêtres — même des prêtres instruits. Et cette pensée, le savant prélat 
la développe comme suit : 

" L'éducation est devenue une science, et l'enseignement un art qui ne peut 
être exercé d'une manière intelligente que par ceux qui sont tout à fait versés - 
dans cette science 

" Il nous est permis d'espérer que nous sommes tout près du jour où l'on 
considérera comme cr-hninel le fait de confier des enfants à ceux qui ignorent la 
science et l'art de les instruire 

" Il y a des hommes avec lesquels il suffit de venir en contact intime pour- 
recevoir une éducation de première classe, et il y a des universités oii Von petit 
passer des années et n'en rapporter qu'une stupidité acquise, pire et pltts 
irrémédiable que le caractère nat^trel " 

Oui, monsieur, je ne me lasserai pas de le répéter, on a trop habitué 
notre population à croire que le prêtre est doué de la science infuse et de 
la compétence universelle. 

Le prêtre — vous devriez savoir au moins cela, monsieur l'abbé — ne 
connaît que ce qu'il a appris, comme les autres hommes ; et, dans l'ordre 
temporel, il n'est pas nécessairement mieux doué que le commun des 
mortels. 

En sorte que, moi comme un autre, j'ai le droit, le droit absolu, 
remarquez-le bien, de penser et agir à ma guise sur les questions libres, 
sans avoir à en rendre compte au clergé, et même de différer largement 
d'opinion avec vous, ce dont j'abuse en particulier sur le point suivant,, 
monsieur l'abbé : 



A PROPOS d'Éducation 31 

Vous prétendez, comme prêtre, jouir de privilèges à part dans la 
société, ayant mission de régler exclusivement tout ce qui concerne l'édu- 
cation de nos enfants, pouvant vous servir des lois et des tribunaux du 
pays pour satisfaire vos rancunes, mais vous réservant de récuser ces 
mêmes lois et ces mêmes tribunaux, le jour où Ton voudrait les invoquer 
contre vous ; et enfin réclamant l'irresponsabilité absolue du sacerdoce 
devant l'Etat, même pour vos confrères sacrilèges et corrupteurs. 

Eh bien, voilà des principes infiniment trop moyenâgeux pour notre 
temps, monsieur l'abbé. Ces choses-là ne s'avalent plus comme autrefois. 

La vraie religion n'enseigne rien de tel ; les prêtres instruits et irré- 
prochables n'ont jamais songé à s'arroger d'aussi exorbitantes prérogatives ; 
et ce ne sera pas les mandements, si respectables que je les considère, qui 
m'empêcheront de différer d'opinion avec vous là-dessus ! 

Si vous êtes ignorant comme une carpe et grossier comme un pain 
d'orge, vous aurez beau me dire : " Pardon, je suis prêtre," je vous 
répondrai : " Vous n'en êtes que plus coupable ; car si vous êtes prêtre, 
vous devez avoir eu l'occasion de vous instruire, et quant au savoir-vivre, 
vous êtes, par devoir d'état, tenu de donner au moins l'exemple de la 
douceur et de la mansuétude." 

Un de mes correspondants ajoute que ''je dois beaucoup au clergé." 

Certes, oui, je dois beaucoup au clergé. Ce n'est pas moi qui le 
contesterai. 

Je lui dois toutes sortes de choses, au clergé : bien des choses que la 
reconnaissance me fait un devoir de me rappeler ; et aussi, bien des 
choses que le précepte chrétien me recommande d'oublier. 

Mais, dans un cas comme dans l'autre, monsieur Tabbé, je fais, moi, 
la part du clergé et celle du prêtre. Je n'agis pas comme mes révérends 
contradicteurs, qui se sentent tous atteints par les petits traits d'amitié 
que ma gratitude vous décoche. 

Voyons, parce que j'ai rencontré de saints prêtres bien payés qui se 
sr»nt voués à mon instruction du mieux qu'ils ont pu, dois-je renoncer au 
droit ou plutôt manquer au devoir qu'a tout citoyen de s'occuper des ques- 
tions qui intéressent le plus l'avenir de son pays? 

Parce que ce sont dos prêtres qui m'ont enseigné partie de ce que je 
sais, dois-je nécessairement trouver que vous faites couvre pie en répandant 
vos bordées d'anglicismes et vos paragraphes de cliar-bonnier dans tous les 
collèges et les couvents de la Province ? 

Parce que de vrais prêtres à l'esprit droit et au noble cœur m'ont 
honoré, encouragé et vivitié de leur généreuse et loyale alVection, s'ensuit-il 
que je doive baiser la férule dont, sans la muindrc provocation ni l'ombre 
d'un prétexte, vous essayiez de me cingler les épaules '! 

Tenez, monsieur l'ablM*, on s'ét(»nne quehjuet'ois do ce que le peuple sr» 
sente porté à tenir tout le cler«^u plus ou moins solidaire des écarts coiumis 
par un de ses membres. 

Si le peuple subit cette impression, à qui la faute ? 

La faute en est aux prêtres, qui connue masse; font toujours cause à 
part dans leurs relations avec les luï([ues. 

La faute en est à ces j)rêtres iiiii, à la nouvelle d'un difVérond entre 
un laïque et un de leurs confrères, se rangent, immédiatement et à l'aveugle, 




Mi *t 



32 A PROPOS d'éducation 

du côté de celui-ci, sans s'occuper de savoir s'ils ne prennent point, par là, 
fait et cause pour la persëcutioii contre le bon droit. 

La faute en est à ces prêtres qui ne veulent jamais admettre la turpi- 
tude d'un des leurs, quand même elle leur crèverait les yeux, et qui, du 
haut de la chaire, traitent de calomniateurs et de lâches les citoyens qui 
«sont assez jaloux de leur honneur et de la moralité publique pour mettre 
les familles en garde contre les agissements des loups déguisés. 

La faute en est k ces prêtres qui ne manquent jamais de faire la plus 
détestable des réputations à tout avocat qui aura eu l'audace de poursui- 
"vre un des leurs devant les cours de justice, et surtout de le faire punir. 

La faute en est à ces prêtres qui, en ce moment même, disent : 
^* Fréchette en veut au clergé ! " parce que je n'approuve pas aveuglement 
notre système d'éducation collégiale, et que je ne baisse pas la tête — 
comme j'étais forcé de le faire à l'époque où l'on pouvait tenir un parti 
politique solidaire de mes actes — devant les insultes d'un jeune matamore 
-qui n'a que sa soutane pour le recommander à la considération publique ! 

La faute enlin en est à ceux qui se mettent d'eux-mêmes sous les 
gouttières (sous les dégouttièreSy comme on dit au collège). 

Mais, si vous êtes prêtre, monsieur l'abbé, ce n'est pas ma faute ; et 
si vous m'avez empoigné brutalement et sans raison, ce n'est pas ma faute 
non plus. 

Je suis plein de respect pour les prêtres en général, mais pas au point 
de me laisser écorcher par l'un d'eux pour le plaisir de me sentir les omo- 
plates labourées par des griffes bénites. 

Quant à notre système d'enseignement, si je l'attaque, ce n'est pas 
parce que nous le devons aux prêtres ; c'est d'abord parce que voua m'y 
. avez forcé, et ensuite parce qu'il est mauvais, notre système. Ce que je 
m'engage à démontrer jusqu'à la plus complète évidence. 

Mais, que dis-je, n'êtes-vous pas vous-même, monsieur l'abbé, un de 
ceux qui travaillent le plus à établir dans l'esprit public cette solidarité 
que le clergé repousse avec tant d'énergie le jour où elle devient lourde à 
porter? 

Une fois, j'écris une pièce de vers à mon ami M. Mercier : c'est 
détestable ! 

Le lendemain j'en écris une autre à Mgr le chanoine Boucher : c'est 
un chef-d'œuvre ! 

L'une s'adressait à un misérable laïque, l'autre à un membre du clergé,. ^ 
voilà tout ; et c'en était assez. 

Plus que cela, un ami me passe le numéro d'octobre de votre EtttdiofU, 
et qu'est-ce que j'y trouve? Plus de quatre pages sur l'affaire Guyhot. 
C'est intitulé : Cité du bien, cité du McU, 

Pas besoin de ce demander dans quelle de ces deux cités se trouvent 
respectivement placés le clergé et les laïques aussi indignes que ridictdes. 

Citons quelques lignes : 

** L« clergé canadien vient de subir une tempête, enfant légitime de la cité du 
mal, 

** Quel sera le jugement de l'histoire? 

" Haine, vengeance, têtes sans cervelle ! 

" La libre pensée, mère de la haine contre tout ce qui tient à Dieu (ce qui tient 
■à Di«u c'est Guyhot naturellement !) existe quelque peu dans notre jeune pays. 



N 



y- 



A PROPOS d'Éducation 33 

" Nos petits libres peyisfAirs ( ne faut-il pas être libre penseur en effet ? ) ont donc 
parlé avec colère ec surtout avec le zèle emphatique de iliypocrisie. Ces messieurs 
ont usé largement de la peinture noire en vente chez Dame Calomnie (style 
Jolieftensia ?). 

" Quelques-uns ont eu inaille à partir avec certains curés ( les misérables ! ) ; 
ils ont sjibi des défaites, ils se vengent.'' 

Oui, et vont même jusqu'à déranger un saint homme dans ses 
dévotions ! Est-ce tolérable ? 

*' Une seconde catégorie dans le débat qui nous occupe ( une catégorie dans un 
débat i quel débat ? on n'a jamais pu savoir ) ce sont les gens qui n ont pas bien 
digéré:' 

Quand j'aurai parlé de vos Coups de crayon, monsieur Tabbé, le public 
saura jusqu'à quel poini ces questions de digestion vous remuent profon- 
dément, et jusqu'à quel invraisemblable degré elles touchent de près à vos 
plus nobles facultés. * 

*" Les symptômes de dyspepsie sont peut-être moins prononcés au Canadien 
et au Canada, mais il y a complication chez eux, bien qu'ils ne paraissent pas 
avoir conscience de leur état ; ces messieurs, dans tous les cas, préfèrent pour 
leur œuvre d« régénération les cavstiquea aux pilvZes " 

Toujours la même préoccupation. Vous étiez né pour être vétérinaire 
ou garçon d'hôpital, monsieur l'abbé ! - 

" Le propre du caustique est d'arriver à la destruction du mal en produisant 
tout d'abord l'effet de la brûlure (je sais ça i ) Il y a des caustiques plus actifs,, 
comme la pierre à cautère ; on la trouve davantage au Canarda," 

Davantage est ici pour en plus grande quantité ; c'est du joliettensiay 
le français en honneur dans la baillargerie ! Ne pas faire attention. 

*' Les caustiques moins violents, comme la pierre infernale, par exemple, se 
trouvent en abondance au Canadien 

*' U Etendard s'est fait à Montréal le défenseur du clergé ; cette bonne action 
lui portera bonheur." 

Sans doute, monsieur l'abbé, sans doute ; aussi la sainte feuille. est-elle* 
allée chercher sa récompense là-haut, parmi ceux dont le royaume n'est 
pas de ce monde .... 

Mais ne badinons plus, et faisons un petit retour sur vous-même, 
monsieur l'abbé. Ecoutez-bien ! 

Voici un individu — dépositaire des dignités sacerdotales et institué 
ex cathedra gardien de la foi et de la morale dans la paroisse Saint- 
Jacques de Montréal — qui donne le spectacle d'un scandale à déconcerter 
l'imagination du marquis de Sade. 

D'un autre côté, voilà un prêtre aussi, du même diocèse, revêtu des 
mêmes dignités, chargé en outre de diriger la j«ninesse, et qui, comme 
journaliste, a l'occasion et même le devoir de ho prononcer. 

Il prend la plume, que va-t il faire î 

Il va s'indigner sans dout<î ; il va dt*nonfM*r, foudroyer le misérable 
souillé de crimes qui a perverti les âmes, abusé de U>ute» les choses saintes,, 
et déplorablement compromis le cler^»* t\l hi religion . . . 

Ah bien, oui !.. . Va-t-en voir s'iU vi<;nnent ! . . . Pas un seul mot 

3 



^':. 



34 A PROPOS d'éducation 

* 

de blâme ! pas un soupir de regret ! cela humilierait le corps. Pas même 
un mouvement de surprise indignée ! 

Mais les laïques, en revanche, les misérables laïques qui ont eu la 
bassesse de se sentir blessés dans l'honneur de l'un d'eux, les pères de 
famille qui ont songé un instant aux incroyables dangers auxquels sont 
parfois exposés l'honneur et l'âme de leurs enfants, tous ceux qui obt parlé 
enfin. ... le saint prêtre n'a pas d'expressions assez méprisantes pour dire 
à chacun d'eux : 

On vous a fait, seigneur, 

En vous croquant beaucoup d'honneur ! 

Chut I taisez- vous, libre penseur ! 

Voilà la morale transcendante qu'on répand dans nos collèges. C'est 
du propre, n'est pas ? 

Ne croyez-vous pas, monsieur l'abbé, que voilà une plaie sociale bonne 
à cautériser aussi ? 

Mais assez pour aujourd'hui, noble vengeur de la religion outragée. 

Je vous salue aveo autant de sincérité que de compassion. 

A la semaine prochaine. 



SEPTIEME LETTRE 

Montréal, 19 mai 1893. 
Moûsieur Tabbé, 

Savez-vous que vous êtes pour ma conscience un grand sujet de 
•scandale ? 

Se battre ainsi les flancs pour induire un pauvre diable comme moi en 
péché d'orgueil, cela n'est pas bien, monsieur l'abbé. 

Pour un oint du Seigneur surtout, c'est même très mal. 

Ainsi, dans votre Bon Combat, que je reçois à l'instant, il y aurait de 
quoi me faire crever comme la grenouille de Lafontaine, si mon humilité 
bien connue ne me tenait à l'abri de semblables accidents. 

D'abord, deux sujets s'imposaient à votre attention de journaliste 
'dans la circonstance actuelle : les noces d'argent de notre vénérable arche- 
vêque, et. . . ma personne aussi méprisable que laïque. 

Or — j'en suis froissé dans mes sentiments de fidèle brebis, mais ce 
n'est pas ma faute — le compte-rendu des noces d'or de Monseigneur ne 
couvre pas une page entière de votre revue, tandis que tout le reste m'est 
consacré, c'est-à-dire douze belles pages bien comptées !. . . 

Hein ! ... et il y en a qui prétendront que je m'exagère mon impor- 
tance ! . . . 




j::^ Sto€Mon« ColH^ 



A PROPOS d'Éducation 35 

Mais ce n'est pas tout. Ces douane pages peuvent S3 résumer en ces 
quelques mots : Je ne suis pas un grand poète comme Victor Hugo, Lamar- 
tine et Alfred de Musset. 

Rien que ça de rivaux ! . . . 

J'ai remarqué déjà plus d'une fois la manie périodique qu'ont mes 
démolisseurs — car j'ai mes démolisseurs, comme la colonne Vendôme — 
de me comparer aux trois plus illustres poètes du siècle. 

Ça ne rate jamais. 

Comment ne pas se sentir la corde vaniteuse agréablement chatouillée ? 

Il faut que vous trouviez mes vers rudement beaux, monsieur l'abbé, 
pour leur aller chercher si haut des points de comparaison. 

Avouez-le, la main sur la conscience, là, vous les trouvez beaux ! 

Bien plus beaux que je ne les trouve moi-même, allez ! Vous essayez 
de les échitfer : si vous me voyiez les échiflFer moi-même! Je vous jure que 
ce n'est pas moi qui me mettrai en ligne de rivalité ni avec Victor J 

Hugo, ni avec Lamartine, ni avec Alfred de Musset, monsieur l'abbé. Je ^ 

laisse ce soin à mes amis les ennemis, qui s'en acquittent en conscience. ^ 

A vous entendre, mon style vous rappellerait en outre celui de plusieurs J 

grands écrivains de France. ; 

Vous êtes trop aimable, monsieur l'abbé ; et je voudrais bien vous • 

rendre politesse pour politesse. i • 

Je voudrais, par exemple, en feuilletant vos ouvrages, pouvoir dire de 5 

temps en temps : " Tiens, voici quelque chose qui ressemble à Chateau- 
briand, voici une tournure de phrase qui rappelle Théophile Gautier, une C 
alliance d'expressions dans le genre de Mérimée, etc. " 

Malheureusement c'est impossible. Vous êtes d'une originalité invrai- "■ 

semblable. Je défie Argus aux cent yeux de découvrir, dans vos livres ou Z 

vos journaux, rien qui fassent seulement penser à Tardivel. Ça ne ) 

ressemble à aucun style civilisé. Vous êtes un écrivain absolument unique «j 

dans son genre ! ^ 

Voyons, monsieur l'abbé, parlons sérieusement, pourquoi vous donner jj 

tant de mal à démontrer que je ne suis pas un écrivain hors pair, 
lorsque [e suis prêt à admettre que j'en suis même un très mauvais ? 

Quant à mes vers, il est entendu que si l'Académie les a couronnés, J 

c'est qu'elle n'a pas hésité à sacrifier sa réputation pour faire plaisir aux ^ 

Canayens (une drôle d'idée tout de même que de vouloir récompenser tout ■* 

un peuple avec un prix d'enfant tellement ridicule qu'on ne l'offrirait pas à 
un poète de troisième ordre, un prix tellement insignifiant que c'en est 
une pitié). 

Quant à ma pro.se — qui n'a pas été couronnée, ell« — jugez ! 

Mais, .monsieur l'abbé, puisque cette petite branche de laurier vous 

empêche de dormir, n'en parlez donc jan*ais. Il me lemble que je n'en 

,; rabats pas les oreilles de mes compatriotes, moi ! Le fait est que si les 

■jaloux et les envieux ne se chargeaient pas de la remettre à chaque instant 

sur le tapis, la petite branche, il y aurait longtemps qu'on l'aurait oubliée. 

Oui, monsieur l'abbé, je l'admets puisque cela vous fait plaisir, je suis 
Un très mauvais écrivain. Cet aveu doit vous faire comprendre que, si 
▼oug avez l'espoir de me voir m'arrêter en route et gaspiller mon temps à 
^iéfendre mes vers, c'est vous qui perdez le vôtre d'une manière profond©. 



9 



''^'' A : 1' i'^ :■ lI'V» ATi«.»x 



Ou-^ \ -r-; '..rr's ^•=- iri-r:.'.:- :.: •r-x-ix.-:..'rî ! Sii» en sont incapablei,. 
pi-: p ♦.'=-;• eux. 

L*u ir-.*:.^. 'r r*Vr..-*::j:.'r ri-?. ::."i : }r ce suis pas professeur dati 
co: - »- j:e c H- - i ■ t u r ; Mes c T f :-. i: : < . 1 ; . r c -:. s^j'^u eut . ne ! egardent que moi i 
il.î Ti^ peuvf-n: être contosirux. 

CV;i bieîi corr.ijrii?. ta-v..!.-? a autre ohi>*e. 

Je veux au'oupî'hui diie uii hj. t «lu C"«ivià/, — un joli petit jon 
tout petit, tout p*•ti^ tout peti''. avec *iei articles tout petits, tout|K 
tout petit-, et dta fautes. ... oh ! c:e< fautes, par exemple. . . . paspc 
du tout, les fautes I 

Ce bi;ou «le journal est ùestiné — son nom l'indique — à édi 
l'inteiligei.ce des jeuires filles que les Ij* innés religieuses se chargent d'ék 

Chaque numéro s'ouvre {générale nient par un article d'une quiiv 
de lignes sigiié /'. A. BaiUartji: Vtr»., et où s'étalent, sans la wk 
pudeur. de.=^ phrases comme celles-ci : 

" Appîiquez-vou> aux travaux de la maison tt de la cuisine, comme à 
df la couture." 

.Si j étais un scolastique comme vous, monsieur Tabbé, je vous dii 
Préci-sez : qu'est-ce que c'est que les tra^aux de la maison, les travan: 
la cui.sine et les travaux de la couture ? Cette cuisine qui n'appartient 
à la maison, et surtout cette couture qui a des travaux me jettent dan 
ahurissement on ne peut plus hétérodoxe. 

Puis viennent des reproductions. 

Et enfin des réclames en faveur de la Familier de la LittércttM 
Canada en 1890, du fameux Traite d^ Economie politiqtie, et des B 
nymes simples : 30 ceiitins^ 50 centins, 60 centins ! car je constate qi 
cenltUy si laïque que soit son origine, m'a Tair d'avoir mieux su que 
trouver grâce aux yeux de votre clérical mépris. 

Faisons donc une légère incursion, monsieur l'abbé, parmi les récli 
que vous mettez ainsi tous les mois entre les mains des jeunes filles d( 
couvents : 

" .rai ftouffert d'excès de bile et j'ai souffert de constipation pendant { 
durant) quinze ans. Diverses préparations me iMTeut euggérées (pour r» 
mandées). Knfin un ami me recommande YAugust Flower. J'en prends suivi 
direction indiquée (par des écritures écrites sans doute). L'effet fut surprei 
Je me trouvai délivré des douleurs d'estomac dont je souffrais depuis si 
temps, etc." 

*' G. G. Green, 'inanufactureuT 

Ainsi, chères petites filles de nos couvents, vous entendrez p)eu 
dire un de ces jours par quelque laïque aussi indigne que ridicule, q 
mot français n'est pas manu/actureur mais manxïfacturier ; voua pc 
répondre hardiment : " Je sors d'une de ces institutions que l'Euroi)e 
envie, et là, M. rabV>é Baillargé — une autre institution que l'Euro] 
peut manquer de nous envier aussi quelqu'un de ces jours — nous a ' 
É^né, dans «on cher petit journal le Couvent^ qu'il faut dire manvfactv 

Une autre jolie page : attention ! 

" Nouvelle découverte par accident. En faisant un composé chimîqu 
partie de ce composé est tombée sur la main du chimiste qui, après s'être ] 



^ 



PROPOS d'ÉDL'CATIOU 37 

. ..t que isjjoW était complitemeiit disparu,. Cette préparation est tout à 

(ait inolTeDslTe et si simple ou un eafaat peut a'ea servir. Relevez le poil et 
app iquez le mélange pendonf quelques «ninutes, elle poil disparaît d'une façon 
maglqae aana causer la moindre douleur et sans causer le moindre tort sar le 
nioment ou après. Des milliers de dames qui étaifitt ennunéts de poils sur la 
fleure, le cou et les bras, témoignent de ses mérites. Les messieurs (ceci intéresse 
fort les jeunes filles du couvent) (jul n'aiment pasàavoirde la barbe ou du poil au 
cou devraient se servir de ce remède qui met de côté la nécessité (sic) (fe se raser, 
en empêchant pour toujours la croissance du poil. Prlic îl la bouteille, envoyée 
(rOinca par la poste en boite de sUreté, Ces boites sont scellées de manière à éviter 

l'observation du public. Envoyez le montant e-ci argent ou en timbres ' t n 

pouvez enregistrer votre lettre à n'importe quel bureau de poste, afin, de vous en 
assurer ta livraison. Nous paierons 8500 pour chaque cas d'insuccès de cette 
préparation ou pour la moindre injure qu'elle ait causée à une personne qui en a 
acheté. Aux dames qui répandent 25 bouteilles. . . . nous donnerons une robe de _ 

Voyons, là, mes compatriotes canayens, quand vous mettez vos petites * 

filies au couvent, est-ce pour leur faire lire des insanités de cette espèce ! C 

Est-ce pour leur faire apprendre ce français-là ? ■ 

Mais ce n'est pas tout, vous leur en servez bien davantage, à nos 3 

petites filles, monsieur l'abbé. Passons à une autre réclame ; c'est du corsé : J 

"J'avais souffert de dyspepsie pendant cinq mois. Les médecins me dirent S 

qu'elle était chronique. J'éprouvais, après mes repas, une fatigue à l'intérieur, L 

•t il me semblait avoir un grand poids dans le fond de l'estomac. J'avais aussi 7 

fréquemment soufTprt do la pituite remplie de matière. Quelquefois je me croyais i 

l'estomac atteint par une maladie mortelle ..." « 

Se voir l'estomac en danger de mort, voilà qui n'est pas folâtre ! j 

e faisaient souffrir martyre. 

3 

Voilà, monsieur l'abbë, le français et le langage du bonne compagnie, _ 

que, grâce au prestige de votre soutane, voua introduisez dans nos couvents - 

de jeunes filles, pour la modique somme de vingt-cinq sous par année ! Et ) 

vous viendrez nous dire que, si les élèves parlent mal, c'est qu'ils ont i 

apporté cela de leur famille .... J 

On s'imagine cette jeune tlemoiselle récemment sortie de pension, ï 

dans toute la grâce virginale de ses dix-huit printemps, et qui parle de sa Z 

sant^ à des visiteurs ; } 

— J'ai la pituite remplie de matière, monsieur. Ma flatuosité me 
donne des coliques. J'ai besoin de remède contre la constipation ; il faut 
que j'écrive au manufaetureur, car je ne puis seulement pas roter ! 

A ces paroles aussi expressives qu'ingénues, on reconnaît tout de suite 
une élève du grand homme qui a su donner à ses rognons et à ses intestins 
une célébrité enviée sans doute par toutes les autres parties de son inénar- 
rable personne. 

Bénissons le ciel de ce que des êtres exceptionnels comme voua, 
monsieur l'abbé, des êtres tout débordants de grâces d'état se chargent 
jiinsi, pour une bagatelle par année, d'instruire si lien nos enfants, de leur 
si bien enseigner surtout à parler, à écrire et à vivre. 

Et cela saas que ni les pères ni les mères aient à y voir ni de près ni 
de loin. Ah bien oui ! il leur est même défendu de s'en inquiéter. 

Que quelqu'un s'avise de venir vous dire ; " Mais, 



i 



d'images, tout «nchantëes de glisser leurs économies de fillettes dana votre 
benoîte escarcelle, cher confrère, pour le plaisir de voir leur nom imprimé 
sur la bande d'un journal. 

Ces sous-là, monsieur l'abbé, brûleraient les doigts de n'importe quel 
individu, prêtr» ou laïque, qui aurait le cœur un peu plus sensible que les 
rognons. 

Mais si l'on ne connaît pas le chiffre exact des exploits du fameux 
Gonvent, on peut avoir — ce qui revient au même — une idée des prouesses 
de V EtudiaiLtf par le petit entrefilet suivant, que je détaclie du numéro de 
mars 1892 : 

'' Le petit séminaire de Québec a voulu profiter des avaDta):;es eiceptioDneli 
que nous donnons aux collèges. 54 de ses élevés se sont abonnés à r£Yu^iaii^ 
S'il ; a un moyen à prendre pour mériter rencouragemeaC des collèges, qu'on le 
dise, nous le prendrons." 

On est stupéfié en lisant cela. 



Comment peuvent-ila laisser entre les nmias de leurs élèves ce f 

dégoûtant olla-podrida de tout ce que l'ignorance crasse peut enfanter S 
d'anglicismes, de fautes de syntaxe, d'expressions impropres et de langage 

biscornu 1 t 

, Il y a mille à parier contre un que, si VEtudiant eût . itè publia par ' 

un laïque, il ne serait jamais entré au séminaire de Québec, ni dans aucun ■ 

ftutre collège du pays. C'est toujours le même principe ; des examens * 

pour les laïques tant qu'on voudra ; pour les prêtres, jamais ! j 

N'est ce pas un peu grâce k tout cela que les trois quarts, je dirais <■ 

même les sept-huitièmes des jeunes gêna qui sortent de nos collèges tous ■■ 

les ans ne sauraient écrire une lettre importante en bon français 1 j 

Et, quand ils ne savent seulement pas la syntaxe, quelle autre chose g 

peuvent ils avoir sérieusement apprise î _ 3 

Sans compter qu'il est des collèges où les professeurs eux-mêmes ne j 

savent pas un mot de ce qu'on les charge d'enseigner. J 

Ce fait à l'appui ; ■" 

Ua élève du collège de Sainte-Anne — un homme fort intelligent et j 

bien connu — ae présente à Mgr Langevin, de Rimouski, pour obtenir 1* ; 

soutane. i 

— Très-bien, fait l'évèque ; mais nous avons besoin de professeurs aa j 
collège, vous (crez la cla'^se. i 

— - Volontiers, que devrai-je enseigner î 

— Les mathématiques. 

— Je ferai remarquer i Votre Grandeurqu'ayant très peu de dispo-i- 

tions pour cette science, je n'y ai pas réussi du tout. Le fait est que je ne ■: 

saurais résoudre un problème d'algèbre. \ , 

— Ça ne signifie rien ; il y a des auteurs qui les donnent tout faits. 
Allez ! la première vertu du séminariste, c'est l'obéissance. 



■■-•-Y .y.: :.■ . - . .^ ■ ' . - . ■ *.S Ai^kl^Jt» 



40 A PROPOS d'éducation 

— Et voilà comment, me disait le héros de cette aventure, j'ai enseigné 
les mathématiques, sans les avoir jamais sues. 

Et les braves parents, pendant ce temps-là, se disaient en se rengor- 
geant dans leur confiance béate : " Mon fils est en Mathématiques ! " 

Et Lusignan, n'a-t-il pas raconté, lui aussi, comment il a été professeur 
de grec sans Tavoir jamais étudié ? Il apprenait la veille ce qu'il devait 
enseigner le lendemain. Ce n'était pas plus difficile que ça. 

Est-il besoin après cela de se demander pourquoi nos études sont si 
faibles 1 pourquoi nos bacheliers sont si honteusement ignorants compa- 
rés aux élèves qui sortent des lycées ou collèges de France ? 

Il me semble en entendre protester qui vous diront demain sans y 
songer : " Ali ! c'est un homme capable, il a étudié en Europe." 

La chose échappe même à mon petit enfant de chœur de la Minerve^ 
qui prétend que les élèves de nos collèges, quand ils vont se perfectionner 
en France, ne font pas plus mauvaise figure que les autres. 

Et vous-même, monsieur l'abbé, n'enregistrez-vous pas le même aveu, 
quand vous dites que "depuis dix ans, les collèges font des sacrifices 
pécuniaires considérables pour envoyer à l'étranger leurs professeurs et 
relever d'autant l'enseignement ? " 

Il me semble qu'on ne peut guère admettre plus carrément la déplora- 
ble infériorité de nos études indigènes. 

Si nos professeurs sont forcés d'aller étudier à l'étranger : si ceux 
d'entre nous qui veulent savoir quelque chose sont obligés d'aller compléter 
leurs études ailleurs, c'est qu'il doit être permis de ne pas s'extasier devant 
nos hautes maisons d'éducation depuis si longtemps proclamées incompa- 
rables. 

Si nos collèges sont si parfaits, pourquoi donc aller étudier en Europe? 

Je conçois qu'un médecin, par exemple, trouve des avantages à suivre 
les cours des grands maîtres de la science, dans les centres qui seuls peuvent 
oflfrir un aussi vaste champ aux expérimentations pratiques ; mais quand 
il s'agit du latin, du français, de l'histoire, de la géographie, de la philoso- 
phie, pourquoi cela ne pourrait-il pas s'apprendre tout aussi bien ici 
qu'ailleurs ? 

Il fut un temps où les plus fortes études classiques du monde se faisaient 
en Islande. 

Hélas ! ceux qui ont étudié quelque chose, savent bien tout cela comme 
moi ; mais ils ne veulent pas l'admettre. Et qu'un père de famille ose 
insinuer qu'un évêque, sur les questions d'éducation, n'est pas nécessaire- 
ment plus compétent qu'un autre citoyen instruit, on le traitera de maria- 
7iette, si on ne lui dit pas : Marche fassire ! 

— C'est, me disait un jour une femme d'esprit, en entendant, à bord 
d'un steamer transatlantique, cette expression tomber de la bouche d'un 
de nos hommes de profession libérale, que j'ai reconnu avoir afiaire à un 
compatriote. Seulement, comme il y avait des Français à bord, je ne m'en 
suis pas vantée ! 

Une anecdote pour terminer : 

Je causais un jour, avec un marin, d'explorations hyperboréennes et 
d'expéditions au pôle nord. 

Quelqu'un nous interrompit : 




A PK01'0.S d'édccation 41 . 

— Pourquoi n'essaie-t-on pas, dit-il, d'aller au pôle sud f Y fait-il trop 
chaud 1 

Or l'auteur de cette énorniité était un jeune homme bien élevé, d'excel- 
lente famille, un garçon de talents remarquables, et qui veiuiit de terminer 
son cours d'études complet !. . . 

' e prochaine, monsieur l'abbé. 



HUITIEME LETTRE 



Monsieur l'abbé, 

JJEvêTiemenf du 15 dit en parlant de notre petite discussion : 



Ce quasi-blâme trouve son correctif et même sa réponse dans les lignes 
suivantes extraites du même journal en date du 13 : 

" Si TOUS vous risquez k augurer cei'taioes réformes dans notre système 
d'Instruction publique qui pourtant en a tant besoin ; si tous blâmez un acte 
btâmable commia par un membre du clergé ; si tous répondez vertement à un 
prêtre qui se fait joarnallste pour vous injurier, vous êtes un Impie, un libre 
penseur, un rien qui vaille, un révolutionnaire, etc. " 

N'est-ce pas 1 

Or, cela étant donné, que reste-t-il à faire î Abandonner t»uto lutte 1 
Henoncer à toute liberté î Laisser aller le pays où on le pousse I 

Non, sans doute. Eh bien, qui veut la fin veut les moyens ; et, pour 
combattre avec quelques chances de succès des adversaires usant d'armes 
déloyales, il faut d'abord leur faire tomber ces armes des mains. 

Loin de moi le désir de diminuer en rien le prestige du clergé en ee 
qui regarde son rôle spirituel ; mais lorsqu'il s'agit de choses purement 
temporelles, je prétends avoir droit à mes coudées franches et à mon franc 
parler, aussi bien qu'un prêtre ou qu'un ëvêque. 

En matière de fait, ce droit est cependant virtuellement refusé aux 
laïques, dans notre pays, depuis un temps immémorial, même en ce qui 
ne touche aucunement ni à la religion, ni à la morale, ni au clergé. 

Que les messieurs de \'£vhit:ment essaient de traiter une question 
quelconque afft^clant les intérêts exclusivement matériels du pays — 
n'importe laquelle I — ils auront beau entasser des montagnes d'arguments 
comme Pélion sur Ossa, le premier petit vicaire venu peut leur faire rire 
au nez en un tour de main, s'il s'avise seulement de dire* Tut ! tut ! tut I 
tut!.. . 



1 

Montréal 26 mai 1893. j 






■Mé^ 



42 A PROPOS d'éducation fl 

C'est cette influence indice^ cet autoritarisme arbitraire et aveuglement S 
accepté qu'il faut d'abord remettre à sa place, si l'on veut parler à l'esprit J 
public avec quelque chance d'être écouté. Avant de discuter avec un™ 
membre du clergé, il faut commencer par faire comprendre à notre popula- fl 
tion que le prêtre est un être perfectible, que son habit ne le dispense pat I 
de raisonner pour avoir raison, et qu'enfin la tonsure ne constitue pas un S 
brevet d'exemption contre Vhumanum est errare, fl 

Depuis cent ans au moins, un argument prévaut %hez nous; il décide ■ 
tout, règle tout, prime tout. Quand on a dit : " Gros-Jean qui fait la leçon ■ 
à son curé ! " s'agirait-il de creuser un puits ou de ferrer un cheval, il n'y M 
a pas à répliquer. Il n'y a plus qu'à se soumettre. ■ 

Eh bien, moi, ayant maille à partir avec " mon curé", et n'étant point M 
dans les dispositions de m'agenouiller pour recevoir des coups de férule, ■ 
j'ai dû commencer par le commencement. J'ai dû démontrer, d'abord, que- ■ 
le Gros- Jean, c'est plutôt lui que moi, et me prémunir de cette façon contre ■ 
la redoutable logique du tut tut tut, avant d'entrer dans le vif de la question. ■ 
Avec cela qu'au fond, j'y suis toujours indirectement dans le vif delà ■ 
question, n'est-ce pas, monsieur l'abbé 1 M 

Vous êtes le personnage le plus en vue d'un de nos collèges classiques ; M 
vous y êtes oracle et professeur ; vous rédigez un tas de jouçnaux pédàgo- 1 
giques dont vous inondez nos séminaires et nos couvents ; vous publiex des 1 
livres sur toute espèce de questions, que vous répandez à droite et à I 
gauche parmi la jeunesse de nos écoles ; s'il est quelqu'un qja'on soit en I 
droit de considérer comme un représentant attitré de l'enseignement clérical l 
dans le pays, c'est bien vous, ce me semble. 

Vous vous êtes offert comme prototype ; je vous ai accepta comme 
prototype. J'en gémis — je l'ai déjà dit — pour vos confrères, mais c'est 
vous qui en portez la responsabilité. 

Vous vous faites l'apologiste de nos maisons d'éducation : je vous 
prends comme exemple, et je dis : " Voilà ce qu'on vous a enseigné, et 
voilà ce que vous enseignez vous-même aux autres ! " 

Vous êtes ma pièce à conviction, mon document humain. J'expéri- 
mente 171 anima vili, si le mot ne vous offusque pas trop. 

Maintenant, pour me servir d'une expression que je vous prie de ne 
pas trouver trop fin-de-siècle, qu'on me laisse secouer un peu la légende 
par les oreilles ; qu'on me laisse montrer le fantoche sous la défroque du 
fantôme ; et les choses pratiques viendront après. 

C'est la question de Gros-Jean qu'il faut d'abord régler. Il faut 
d'abord couper le sifflet au tzU tut tut. 

Vous devez vous apercevoir déjà, monsieur l'abbé, que vous ne serinez 
plus ce refrain-là avec autant de virtuosité qu'au commencement. Laissez 
faire, vous en verrez bien d'autres. Entre nous, rien ne m'amuse comnoie 
de faire la nique aux faux nez des masques, si ce n'est remettre sur le vrai 
ton ce IX qui ambitionne de chanter plus haut que leurs moyens. 

Nous allons donc, pour le moment, continuer notre petite é^ude sui; 
vos incomparables et classiques productions. 

Le jeune indigne de l'école des Frères, à qui j'avais confié vos Coups 
de crayon — celui de M. l'abbé Castonguay, vous savez — m'a enfin 




>j 







A Piiopos d'Éducation 48 

rapporté le petit livre, après y avoir indiqué les plus grosses énomiités de 
style et de syntaxe qu'il a pu y rencontrer. 

Le difficile est de se débrouiller là-dedans, car le volume se trouve 
dCmligné à peu près d'un bout à l'autre. 

Commençons toujours par le commencement, et disons tout de suite 
que le document est à la disposition de ceux qui se refuseraient à croire 
ces chcses-là possibles. 

La dédicace d'abord : 

" A itia mère,., témoignage d'estime et d'affection, " 

On a bien lu : témoignage d*estime ! 

Ainsi, monsieur l'abbé, vous faites l'honneur à madame votre mère de 
l'estimer. Comme elle doit être flattée ! Dame aussi, on a beau être la 
mère d'un abbé, on n'en reste pas moins simple laïque tout de même .... 

C'est égal, voilà un bel exemple de piété filiale. Il me rappelle cet 
ecclésiastique du district de Québec «[ui ne permettait ni à son père de le 
tutoyer, ni à sa sœur de s'asseoir près de lui à table ! Il craignait d'en être 
profané. 

Passons, et feuilletons un peu le petit chef-d'œuvre. C'est une espèce 
de journal de vacances, où vous daignez vous montrer, monsieur l'abbé, 
dans tout le charme d'un laisser-aller rare. 

— Allez-vous nous parler de ses rognons et de ses intestins î me de- 
mande un indiscret qui s'intéresse à vous et qui lit par-dessus mon épaule, 
— dans mon dos, suivant votre expression aussi élégante que classique. 

— Ma foi, va pour les rognon» et les intestins ! J'aime autant com- 
mencer par cela que par autre chose. 1 1 n'y a qu'à citer : 

Page 107. — Je suis en route pour les sources de St-Léon. Il y a là des eaux 
minérales dont on vante partout refficacité. Je veux y noyer le rhumatisme. Les 
rognons y trouveront peut-être aussi quelque bien. 

Un autre aurait dit " mes rognons " ; mais ces intéressants organes 
ont pour vous tant d'importance, à ce qu'il paraît, monsieur l'abbé, que 
vos rognons, ce sont les rognons, les rognons par excellence. C'est comme 
un souverain quand il parle de la Couronne. ^ 

Pt^e 127. — Gare aux ananas. Une tranche, une simple tranche me fait depuis 
le midi une guerre à outrance. Hein ! la voilà qui rerire de bord. 

Pas d'accident ? merci, mon Dieu ! j'avais peur pour la tranche d'ana- 
nas. Elle a fini par passer tout de même. A (juelle heure ? Vous nous 
laissez là-dessus dans une incertitude qu'il faudra dissiper lors d'une 
prochaine édition, n'est-ce pas, monsieur l'abbé ? 

Paee 142. — Bien que les eaux de St-Léon n'ait i)as eu sur fru rognons l'effet 
voulu, elles m'ont cependant fait beaucoup de bien au point de '\-iie {!) du rhuma- 
tisme. Ainsi pendant toute l'année Hcotaire je me suis félicité d'être allé aux 
sources St-Léon et j'y retournerai. 

Avis aux amateurs de beaux cas. 

Page 192. — Nuit massacrante, DouleurH qui me font croire à un commence- 
ment dTinflammation des intestins, .le le nute pour marquer en mente temps que 
trois prises de bismuth ont fait cesser toute guerre intestine. En voyage ayouK 
toujours quelques prises de cette excellente poudre. 



îTTiv-saijT 






44 A PROPOS d'Éducation 

En effet, c'est une bonne précaution ; mais cela n'empêche pas un peu 
de frugalité à table d'avoir son mérite aussi, monsieur l'abbé, même en 
voyage. 

Page 207. — Que l'on dise et que l'on fasse ( pour quoi que Von dise^ etc., style 
Joliettensia ! ) le cochon de lait n'est pas facile à digérer. Ce que j'ai mangé chez 
l'oncle Théode Giroux était pourtant fait à la perfection. 

Un petit cochon bien fait, c'est entendu ; peut-être aussi app^^êté dans 
la perfection, comme on dit, quand on sait parler français. 

Pour donner à la chaire de cet intéressant quadrupède 

Diable ! voilà les cochons de lait qui se payent une chaire maintenant. 
Une chaire d'histoire naturelle sans doute. Des petits laïques qui se mêlent 
d'enseigner ; c'est peut-être pour cela que vous ne pouvez pas les digérer. 

Pour donner à la chaire de cet intéressant quadrupède toutes les qualités 
dont elle est susceptible (être susceptible de qualités, c'est du neuf I) il faut la 
laisser 15 heures dans la saumure et la faire cuire au four. 

Voilà une opération assez difficile à faire subir à une chaire ; mai» 
c'est dans votre partie, monsieur l'abbé, je n'ai rien à dire. 

Lorsque l'estoi^ac monte au cerveau avec sa grande échelle indigestion (style 
colUgiana!) les pensées des autres sont avec raison les préférées. 

Qu'on ne me demande pas ce que cela veut dire. 

Page 116. — Quoi qu'il en soit, grâce à l'eau de la source, on ne laisse pas de 
bien digérer ; c'est une compensation qui a bien sa valeur. 

Page 117. —Cette eau ainsi réchauffée agit davantage sur l'estomac et les 
intestins. 

Page 134. — D'heure en heure un verre d'eau sulfureuse. Ne commencer qu'une 
heure après chaque repas, pour donner à la digestion le temps de se mettre en 
marche. 

Tais- toi, mon cœur ! 

Dans V Etudiant^ dans le Couvent^ dans le Bon Combat — peut-être 
même dans le Traité d^ Economie politique — on trouve aussi à chaque ins- 
tant la trace des préoccupations sympathiques que votre cerveau entretient 
à l'endroit des nobles organes au fonctionnement desquels le vulgaire a le 
tort de prêter une attention si distraite. 

Que dis-je, vos propres infirmités ne sont pas les seules au secret des- 
quelles vous aimiez à initier vos lecteurs et lectrices, monsieur l'abbé. 
Celles des autres — pourvu que ce no soient point des infirmités laïques — 
ont aussi le don d'occuper votre sollicitude : 

Page 113. — Mgr Racine prend deux bains chauds par jour à une température 
5F. Il ■ ■ ' ' 



de 115 F. Il en a également pris l'année dernière et ses rhumatismes ont de beau 
établie. 



coup diminué. L'efficacité des eaux de Saint-Léon me paraît de ce coté, bien 
bl 



Du côté des rhumatismes ! Tout à l'heure c'était un point de vue, 
maintenant c'est un point de côté. Au fait, les rhumatismes, c'est si capri- 
cieux. En tout cas voilà un 2^oint d'histoire bien fixé. Les Garneaux et 
les Suites de l'avenir sauront — pour l'édification des siècles futurs — 




r - - 




A FR(jPos d'Éducation 45 

combien, en Tan de grâce 1887, Mgr Racine prenait de bains par jour, et 
k quel degré de température. 

Nations, écoutez ! Terre, prêtez l'oreille ! 

Enfin, voilà ! rognons, intestins, boyaux, rhumatismes, cataplasmes, 
pilules, cautères, caustiques, purgation, estomac, borborigmes, éructations, 
digestion, indigestions, nourriture, cuisine, déjeuners, dîners, soupers, si 
on enlevait tout cela de vos ouvrages, monsieur l'abbé, m'est avis qu'il n'y 
resterait pas grand'chose. 

Vous y mettez parfois de l'éclectisme. Dans V Etudiant vous trouvez 
le moyen de combiner le rhumatisme avec la digestion : 

" Aujourd'hui je n'ai rien vu, dites-vous. J'ai digéré les suavités rhumatis- 
males que j'ai prises hier à la suite d'une course de taureaux." 

Cette prédilection qui vous distingue a été cause que j'ai scandalisé le 
grand saint des derniers jours vulgairement appelé Tardivel. 

Il s'est voilé la face parce que j'ai donné le titre de révérend à vos 
rognons et intestins. 

Dame, monsieur l'abbé, en vous voyant mépriser les laïques au point 
d'offrir votre estime à madame votre mère, tandis que vous manifestiez 
pour vos rognons et vos intestins des sentiments si vifs et si touchants, 
j'ai cru que vous considériez ces respectables spécimens anatomiques d& 
votre individu comme faisant partie d'un ordre religieux quelconque, et 
c'est pour vous faire plaisir que je leur ai appliqué l'épithète sacrée que 
vous réclamez pour vous-même, et que vous prodiguez à tort et à travers à 
tout ce qui porte une soutane. 

Sachez donc une fois pour toutes — par parenthèse, monsieur l'abbé 
— que le titre de révérend est réservé aux pasteurs protestants et aux 
membres des différents ordres religieux. Les prêtres séculiers n'y ont 
aucun droit. .. en français. 

Vous employez même, page 316, le mot messire à l'adresse d'un abbé. 
Vous devriez pourtant savoir que ce titre, qui s'appliquait autrefois aux 
avocats, aux médecins et aux prêtres, ne s'emploie plus que par ironie. Si 
vous le savez, vous êtes peu respectueux, monsieur l'abbé. 

A propos de titres, je trouve, page 103 : 

" Madame Dr A. TrudeV 

Madame docteur .... hein ! 

Chers petits Canayens qui avez le bonheur d'apprendre ce français-là, 
vous ferez sans doute rire de vous par les gens instruits quand vous direz : 
" Madame juge Barbanchu " ou " Madame l'honorable Tartampion ; "^ 
mais n'en ayez cure. Vous pourrez confondre les railleurs en nommant le 
grand homme qui vous enseignait à dire : " Madame docteur Trudel." 

Mais ce n'est pas là oe qui me renverse le plus dans vos écrits, 
monsieur l'abbé ; c'est k. pédantesque suffisance avec laquelle vous parlez 
de style, comme si vous y entendiez quelque chose. 

Ainsi dans votre Littérature au Canada en 1890, on trouve presque 
à chaque page des phrases comme celles-ci, qu'on lit en se tenant les côtes : 

'* Son style a de l'assurance et de la fermeté, bien qu'il ne soit pas exempt de 
quelques négligences. 





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laskitifê^. miâM e^- 



.mmÊm-^ 



■ -■ '*l{,i 



46 



A PROPOS d'Éducation 



** Bien que Tauteur ne soit point maître en l'art d'écrire, son livre a cependant, 
un vrai mérite littéraire. 

'* Son style est remarquable. 

" Quant au style, il est rapide et ne manque pas d'une certaine chaleur. 

*' M. Un Tel écrit avec une facilité et une correction qui sont certainement 
au-dessus de la moyenne." Etc. 

Il me semble entendre d'ici les petits écoliers qui se disent en lisant 
cela : " Hein ! Fabbé Baillargé, en voilà un qui connaît ça la littérature. 
Pour le style il est iinhattahle. 

On verra, le moment venu, monsieur l'abbé, quel arbitre compétent 
vous êtes en ce qui regarde la correction du langage. 

En attendant, donnons quelques échantillons du style de ce savant 
professeur lui-même, qui s'arroge la mission de juger ex cathedra les 
écrivains de son pays, dans l'intérêt et au bénéfice de la jeunesse studieuse. 

Puisque nous avons le livre sous la main, citons d'abord la Littérature 
au Canada en 1890, en piquant au hasard de la fourchette : 

Page 87. — Quant à la cause du rtial de langue, chez nous, ne l'attribuons pas 
exclusivement aux journalistes. 

Page 179. — Quant à ce qu'il dit de notre province, il ( construction gram- 
maticale nouvellement inventée !) il est presque toujours dans les patates (style 
noble ). 

Page 185. — Quelle que soit la 'manière de voir d'un chacun, il sera toujours 
vrai de dire qu'il y a chez notre premier ministre une manière distinguée qui est 
loin d'être co^ntnune. 

Page 190. — La Rome du Nouveau-Monde (épelé comme un titre de journal) 
possède en effet des annales très chargées. Il est difficile de choisir et il n'est pas 
. aisé de fondre, car tout et se succède en nombre et vite. 

Un bâton de sucre d'orge à qui comprendra ! 

Page 237. — Il va sans dire qu'il faut toujours se proportionner à l'enfant — 

Comme le prophète Elie, je suppose. 

Page 238. — Quant à la gymnastique, il en faut, mais pas trop. Plus, un peu, 
que ce que nous avons. 

Pa^e 243. — La rédaction est excellente. M. Legendre a bonne réputation de 
ce côte (du côté de la rédaction !) Ajoutons que si la certitude ne règne pas 
toujours dans ** Nos Ecoles ", toujours y régnent la bonne foi et la dignité. 

Ici aussi comprenne qui pourra ! 

Page 315. —Les gravures donnent à l'ensemble un cachet qui fait que cela 
sent bon. 

Hein ! des gravures qui donnent un cachet qui fait que cela sent bon ! 

Ces gravures feraient sans doute leur effet à l'Exposition de Chicago. 
Mais revenons aux chers Coupa de crayon, et citons toujours des modèles 
de style : 

Page 37. — La politesse dans le monde n'est souvent qu'un sépulcre blanchi. 

Admirable logique dans les idées ! 

Page 28. — Le couvent de Saint-Thimothée est un splendide édifice du coût de 
$14,000. 

Il n'y a point là de gîte pour le luxe. 

Page 29. — La vigne y croît merveilleusement, les pommiers y poussent en 
grand nombre ; plus est les plantes sauvages s'y présentent à l'état civilisé. 

Page 31. — Le rév. Fr. directeur, alors Frère Forêt, aujourd'hui à Rigaud. . . . 




ments. Un vieux prêtre français me disait un jour ; " Je n'y coiiipi-enda 
rien ; au Canada, on parle de filles comme on parle de 6on nez ! " 

Page 52. — A peine avons-nous déposé nos panle 
(leBmSdnfçouinB l ) a'abatfenf légion sur noua,., 
jambes de bas par-deasus nies pantalons. 

Comment, monsieur l'abbé, voua ne vous contentez pas de monter des ■ 

jambes de bas, comme une somëre son manche à balai, vous portez même ) j 

plusieurs pantalons en été ! Ce doit être assez incommode pour la venti- < ■ 

lation. Mais vous êtes peut-être frileux. *'■> 



oéliasant d^euuer, nous noue arrêtâmta à droite et à 



Voyez donc un peu ! Un autre aurait dit : Après un déjeuner récon- J 

fortant, noua parlimen à droite et k gauche à la recherche. Au collège de ■ 

Joliette, pour aller à la chasse après un déjeuner qui, loin d'apaiser votre ' 

faim, voua met au contraire en appétit, on s'arréU en recherche du gibier. 
Ce n'est guère naturel et encore moins français, mais c'est probablement 
plus conforme à la litburgie. 

PageflO.— Une longue instruction noua eut (sic) fait fondre sans rien Fonder. 

Ça, c'a la prétention d'être spirituel ! 



On croit rêver. Je me demande ce qui domine là-dedans ; la niaiaerie 
de la phrase, l'inconvenance de l'idée ou l'incorrection du langage. Et c'est 
cela qu'on enseigne à nos enfants I 



48 A PROPOS 1^'ÉDUCATION 

Page 118. — Elle se trouve si bien dans cette eau qu'elle demande à proie 
la durée de son bain. Après plusieurs ablutions la jeune fille se trouve gué 
ce point que son frère venant un soir de Québec pour la voir, se trouve tout t 
porté en la trouvant si bien. 

Et quelques lignes plus bas : 

Elle prit des bain^ pendant 8 jours, et s'en trouva très bien. 

On dirait une gageure. 

Trouve, trouve, trouve, trouvant, trouva, en sept ou huit lignes, 
trouvé ! Et ce monsieur parle de style ! 

Page 129. —U extra n'est pas dans cet amalgame de vieillesse et de ieui 
il est dans l'accoutrement de Madame. Il faut voir comme elle est attelée ! 

Page 130. — Ce rédacteur fort de ses convictions, et juge éclairé des di^ 
questions, ne son^e pas à ricer et à beugler dans son journal. 

Pa«e 137. — J'étais à la veille de me rendre à son désir, lorsque je m^en 
désiste. 

Désisté de quoi ? de son désir ? 

Se désister du désir d'autrui me semble nécessiter des grâces i 
spéciales. En tout cas, ce serait une opération bien difficile pour un \i 

Page 141. — M. Caron tiendra sans doute à ce qu'une partie de son pen 
sache le français, ce qui n'existait gu^e en 1887. 

Ceux qui vous ont instruit, monsieur l'abbé, n'étaient pas si exig< 
Qu'est-ce qui n'existait guère en 1887? Aucune notion de lo 
dans les idées. 

Page 145. — Les méchants tendent instinctivement à l'égalité. S'ils n'y 
nent garde ils y arrivent purement et simplement, souvent, par la n^édisa] 
par la calomnie. 

On n'est pas forcé de comprendre. 

Page 146. — Le monde est rempli d'affirmations gratuites. 
Page 149. — Gladstone s'élève avec véhémence contre la législation crc 
de la coercition en Irlande. 

On demande ce que c'est qu'une législation crocodile de coerc 

Page 168. — On aime à avoir plus de cinq centins devant soi, en cas de mj 
ou de nécessité des proches. 

Nécessité des proches, pardonne aux pauvres ignorants à qi 
charmes n'ont pas encore été révélés ! 

Page 171. — Quant à la décoration du chœur, elle me va peu, les statue 
le grand nombre sont loin d'être, à ce qu'il me semble, artistement et 
chonnées. 

Page 188. — M. Curran est plein d'histoires agréables. 

Paçe 192 — Sauf une ressemblance de valse par un couple qui avait g 
ment 1 air trognon de chou, tout fut parfaitement convenable ; on de^ 
attendre, les employés se composant en grande partie d'Irlandais catholiqu 

L'air trognon de chou ne me semble pas d'une limpidité cristf 
mais ce n'est rien comparé à ces employés qui se composent .... I 




SfOCUMt, Ujllf- j 



I 



c'est encore mieux qae s'ils >e .ï'C.-.-i ;•■•>•,» ,':,};. Ou ivsU\ *îo \:\ p.*ri iVun 
écrivain qui confond u u • ri^s- '.- i ?■ '• î ^i .-r a veo :i:t .xf ? i *•' . î ? i.r^ 011 po n t > ' :* 1 1 o n «i n* 
à pis encore. 

Page 195. — Un jeune hoiiime qui/'a*;' rnmour à tiîio.iouno *îon\oiNoUo 

Pères de famille, mettez- vous en quatrt^ pour om}vVljrr nivh <M^fantN 
d'employer cette expression dun^M'uditô obs^oon*^ : M. r.ïbK^ UjwU.'njtfO ost 
là avec ses li\Tes pour leur dire : ** Tut ! lut ! lut ! i\\\oy \» Ion out^utN ' 
laissez radoter papa. 

Oh ! notre incomparable éducation ! 

Paee 19S. — P^/tf/.a/if uae bonne partie do la soirro. pluMîourM d<MnolH«>no?« iiut 
travaillé à se magnétiser. 

Page 200. — Il imite h la perfection lo bruit ilo Irt soio sur lo UiiIn. «m Iou!i»m Ii«m 
circonstances qui précèdent, a^comfïaf/nruf et suivtttf /. fitluMnh* mtut i/'tif». 
bouteille. 

C'est un prêtre, un curé, ifui se livrait ;i ovt oxoroiiM^ distin^ui^ i»n ploin 
salon d'hôtel. Il doit vous être recon-naissant , monsiour l'ablH^ \\\\\\\ avoir 
fait ainsi connaître au pays ses talents dv .s(hmi'm.<^ ' 



De VEtiùclianf, nov. 00. — La milice du t*nllt>;{0 chI hwwh Ion tinno'< t nu xhII i'Iii>k 
plusieurs élèves du bois pour faire de hoiiHHoldatH; clio/. <riinln*M,|{i piillloriMh|iiiilo 
Bur le bois. 

Du même journal, même No. — Lo cliiiMir hoiin l'Iialtiln lilriM'iInn iln l(i>vil AI 
Laforce a très bien rendu la messe do Diinoni ... A \i(priw, hwi prumiiion riiiinil 
re7u2u9 avec accompagnement du Kuitarn (!) ... Ati mhIuI li*i>liiiiiiii>i|iir \ii Mntiti 
rsm2iY avec autant de tact que d'hahili.fr {hW) Vtl sittnhtn.t /iii.i/ni irmi iiiiiilii . 

Et moi aussi je suis reiula. Ont'! jo ii'tii |wm I7mAi/i^' iralliu |ihiii 
loin pour aujourd'hui. 

Il m'a fallu citer tout^is ces iiM*pl.ii*(, hi'^tmiiMiii, pim m m ni i|iiiOi|iiMrMl i 
8ales,'à peu près sans commenUiirrtH. ( 'iMiinioiit huii> iiuintilii Imil nu ijn'il 
y a d'absurde, de baro<^]ue et d'in<:orn"'t ilnm i'liiii<iiiii> il>> • i«'i |ihiiiiinM '/ Il 
n'y aurait plus de bout. 

Que chacun juge un p«;u par lui riiftno iii< xnlm Mlylit, iiiinixlniir l'alilHi 
Tok semaine prochaine y. in^atrai <'ri rolit'l' Inn (Mikoi'h nifilm-i Iim, It^M nlllv^lf^^ 
colossales, les fautes d'ortho(.^r;iplii^ f>i. d(« fjrniiiMiiMiin, li-ii iiinln •'iii|ilfiyfiii îk 
contresens, les angliciisni';-^ *'X miUft. (iiiitnifil'i iimlin lit Itiiif/iin, «in'on 
découvre à chaque pag*^ d*; vt, . \r/%t- 

C'est une hesfy^n*; <-n n u y «-.ij :•.<', uifii». njl*. i-ii m- .mi. 

A bientôt donc. h\.'nh\ j/rof«'!.:i m 





NEUVIÈME LETTRE 

Montréal, 2 juin 1893. 
Monsieur Tabbé, 

Si cela ne vous déplaît pas trop, nous allons aujourd'hui conclure 
notre petite le(5*on de français. 

Vous dites, page 20 de vos Coujis de crayon, dans un français à vous : 

Il importe, avant toute érudition, de bien savoir sa langue. 

Je suis de votre avis, monsieur Tabbé; et j'ajoute, comme corjllaire 
qu'il est important, pour arriver là, d'avoir quelqu'un qui puisse nous 
l'enseigner. 

Entrons donc en matière. 

Une page de V Etudiant d'abord ; car il faut tous dire que, depuis 
peu, j'en reçois de tous côtés, des numéros de VEtudiant. 

Vous nous racontez vos impressions de voyage en Espagne : 

La vie coûte cher, il faut à chaque instant calculer son affaire^ ne pas trop 

s'avancer, voir s'il en restera suffisamment pour revenir 

A Lourdes, j'ai failli coucher dehors, faute de place dedans. 

Tiens ! vous avez pourtant un talent rare pour vous faire mettre 
dedans. Quand vous serez encore embarrassé de cette façon, monsieur 
l'abbé, recommencez une petite dissertation sur l'enseignement classique, 
et vous serez sûr de ne pas être longtemps dehors. 

En revenant de Lourdes à Pau, j'ai perdu mon chapeati, 

Ouaïe ! j'ai connu un poète qui a déjà fait rimer cela : quel plagiaire 
vous êtes ! 

Je regrette ce chapeau ; il avait la propriété de ratnasser la fumée de loco- 
motive ( 1 1 i ; 

Pour voir cette course — 

Il s'agit d'une course de taureaux ; cinq taureaux et six chevaux 
éventrés ; quel spectacle attendrissant pour un doux lévite 1 Et dire que le 
juge Dugas, lui, fourre sans cérémonie en prison ceux qui vont seulement 
voir des batailles de coqs ! 

Lisez VEiudiant, chers élèves de nos collèges, lisez VEtudiant, et vous 
serez bientôt au-dessus de bien des préjugés sociaux. 

Pourvoir cette course, continuez- vous, j'ai fait 24 lieues, et j'ai dépensé ^5.00 
sans compter la chaleur et la pov^sih^e. ' ' 

Ah ! vous avez dépensé aussi de la chaleur et de la poussière ! Il 
paraît que vous y teniez. Vous êtes d'une extravagance, mon pauvre a))bé I 

On peut du reste on juger par le menu de vos repas, dont vous ne 
manquez pas d'informer vos lecteurs, pour qu'ils les prennent en note et 
transmettent cela à leurs petits-fils. 



'^ 



II««Miwn« 



A PROPOS I> EDUCATION 



51 



Cest rheare du souper, diteK-vous ; on nous a donné : 
lo Soupe au yermicelle, aoupondrtr de fromage. 

Saupoudrer est canayen, monsieur l'abbé ; en frantjais on dit saupou- 

9 

2û Tranches de bœuf a à la sauce / 

Tout comme on dit des souliers de brvîtts. Pardi, on est canaven ou 
ne l'est pas. Seulement il ne faut p;Ls me demander ce que c'est que des 
à la sauce. En fait de hœu/a à la sauct, je suis d'une ignorance 
ittensîanesque. 

9o Viande cachée sous pâte : cela avait goût de hareng. 
4o Beefstake avec j^âtes faites. 

J'ignore ce que vous entendez par jjâtes faites^ monsieur l'abbé ; mais 
kis qu'en anglais on écrit bBef-ateak^ et en français bifteck. 11 n'y a que 
dans la baillargerie où l'on écrive beefstake. 

5o Crème à la glace ; 6o Fromage ; 7o Raisin ( un seul ! ) poches grosses comme 
[jolies pommes fameuses et biscuits. Quand au vin, il ne vaut pas Teau du St- 
iirent ; il est acre et capiteux. Il y a huit jours ce vin m'a cassé les jambes et 
ibras ; de plus, il m*a fait couclier une heure avant le tempH. 

Hë ! hé ! hé ! hé !.. . pas possible ! Ça devait être beau de voua 

Ire, . . Mauvais pour les rognons, monsieur l'abbé. 
Aviez- vous vos prises de bisnmth au moins 1 

Ck>mme tous ces détails sont intéressants ! Parlez moi des impressions 
yoyage ! Mais citons toujours : 

.lies femmes sont assez en parlement, de par la nature, sans les j/ constituer 
' ' " sment. 

[ Hein I en voilà-t-il du français ! Abonnez-vous à VEtudiaiUy chers 
! 

Pendant plusieurs mois cette grande cuisinière non patentée ( la presse) uous 
' du canadien bouilli, du canadien saute, du canadien brûle ; elle use main- 
it un peu plus de sauce blanche. 

C'est une obsession ; la niangeaille et les grands principes, vous ne sortez 
de là ! 

Les Italiens commencent à s entendre monis, signe .que plusieurs 
ident jjlvs (?) 

Le R. P. Desjardins prêche la retraite. Les instructions sont solides, 
incuea et bien fraj)p''es ! 

Qui a pu convaincre ces instructions ? qui a pu les frapper ? on n'a 
pu savoir. 

^Les femmes sont plus int'yuhs que les hommes et cela parce qu'il y a pbis de 
u dans leur nature ; le sable, on le sait, est très mouvant. 
'Et sur quoi vivons-nous, disons mieux : sur quoi roule la vie ? Elle ra beaucoup 
fie caractère, 

,lArace déicide devrait trouver en ce fait extraordinaire de dispersion univer- 
\une raison de conrej^sion. 




Mais revenons aux Coups de crayon ; la niaiserie n'a jamais été plus 
loin : 

Page 15. — Le SUv. J. Piessis-Bélair a succédé au Révd. M. Roux comme cur.- 
de la paroisse. Il eut une anuée comme vicaire le Révd M. Beauchcmin, ce qui 
ialsait dire : que les habitants desCèdresaTaientalors tout àla fois beaachenjîn 



Voici encore d'autres détails dignes de passer à la^ postérité : 

Page 36 — La voiture du EéT. M. Brissette est là. Le slèjce est malheureuse 
ment trop étroit. M. Bél'air qui compta pour 200 livres dans la balance prend 

Elace sur le genou gauche de M. le vicaire et sur mon genou droit. Plue petit que 
I, l'abbé Dufour, j avais Incontestablement la majeure partie du fardeau. Gare à 
ma jambe t J'éprouvai àés lors quelques-unea des impressions dont Atlas portant 
le monde ae fallait un badinage. 

Puis vient une note pour expliquer ce qu'était Atlas. érudition ! 

- Je prends le dfner chez n 



„_.. ^flUe!) cette jeune nlleprometbeaucouppour l'avenir. Samaîtresse 

lui ayant fait un reproche mérité et modéré, elle lui répondit sans sourciller ; 
" Laissez-moi donc tranquille, dairmée vache ! " 

Et vous n'avez pas trouvé cela bien, monsieur l'abbé 1 Vous êtes 
difficile. Mon compliment sur vos relations sociales, en passant. 



Ça, c'est du classique, monsieur l'abbé ! Je vous en fais encore mon 
sincère compliment, de même que pour le bon conseil que vous donnez au 
public, page 118 : 

Il est boa, dites-vous, d'apporter avec soi un thermomètre, un peigne et uue 
brosse à bains. 

Quant à la brosse à dents, lorsqu'on s'en sert, on l'emprunte au 
Mais voici qui révèle l'homme du monde consommé : 

Page 122. — Lorsque l'on converse atm eaux avec unefemme, il fautla laissai 
libre une heure avant le dtner et une heure avant le souper, afin de lui permettra 

de raffraîchir sa toilette. 

Les italiques ne sont pas de moi. Pas besoin de commentaires, n'est 
ce pas 1 Ce que c'est que de voyager ! On apprend des merveilles qu'or 
transmet ensuite à ceux qui n'ont pas eu cet avantage. Dame, qu&itd ot 
çst professeur de théologie morale et dogmatique ! . . . . 

Une observation très sérieuse maintenant : 



-1- ^fâckton» Calife 



A PROPOS d'Éducation 53 

Page 173. — Qui a bu boira. Jeune homme, ne buvez point et vous ne boirez 
j amais 

i 

Et vous avez découvert cela tout seul, monsieur l'abbé ! C^est ^rodi- 



♦^leux. 



Avant de tirer l'échelle sur ces insanités, il faut citer la troisième 
phrase du volume ; elle en vaut la peine : 

Ce sujet, tout disparate qu'il soit, n'en est pas moins d'un intérêt général, 
puisque tout homme doit vivre de la vie réelle, et qu'il en vit d'autant plus qu'il la 
connaît mieux et qu'il la prévoit davantage. 

A Montréal, M. Filiatreault n'aurait eu qu'à citer cette phrase-là pour 
gagner son procès. 

Avec cela, monsieur l'abbé, qu'il aurait pu vous donner une petite 
leçon de syntaxe, en vous apprenant qu'on peut dire : " Si ou qtbélqvs 
disparate qu'il «otY," mais'que la grammaire exige : " Tout disparate qu'il 
€8t:' 

Ma foi, puisque nous en sommes aux fautes de français, continuons 
sur cette corde-là. I 

Dans la même page, vous écrivez : " Dieu me garde d^y contredire,^* . 

Cela n'est plus français, monsieur l'abbé. On contredit quelque chose, on [ 

ne contredit plus à quelque chose. ! 

On ne dit pas un ancre, mais une ancre, monsieur l'abbé ; c'est un > 

mot féminin. ; 

On ne dit pas non plus : " Si quelqu'un s^objecte à cette infaillibilité.** ' 

Cela n'est pas français. • 

Pas français non plus " l'arbre si fier à Vétê,^^ ^ 

De même qu'une rivière qui "coule des eaux tranquilles." • 

Une maison qui peut loger (pour contenir) trois cents personnes, pas 
français ! 

Se retirer au Grand-Hôtel, dans le sens d*y loger, pas français non 
plus, monsieur l'abbé. I 

On ne dit jamais : " Cette étude est plus intéressante qu'on se 
l'imagine. . . il était à craindre qu'il y eût. . . la polygamie est bien moins 
en usage qu'on le pense, chez les mormons. La grammaire exige : " qu'on 
7i€ se l'imagine, qu'il n'y eût, et qu'on ne le pense," cher grand professeur ! 

On enseigne cela dans les petites écoles de campagne. 

Ne pas écrire non plus ^^quoiquHl en soit," mais quoi qu^il en soit, en 
deux mots ; c'est une règle élémentaire. 

Il ne faut pas dire : " Mgr Eèvre n'a jamais écrit à ma connaissance 
qu'il est opposé " ; il faut dire i-^^quHlJût opposé." 

Mais, non seulement vous ne savez paiS votre syntaxe, cher pilier de 
collège, vous n'avez pas même la moindre notion du génie de la langue. Les 
phrases suivantes en font foi : 

Ce travail est soigné, nous le recommandons aux maîtres et aux maîtresses, il 
est de nature (je respecte la ponctuation ), s'il est bien appliqué^fi. donner des idée» 
et à former le jugement, choses que l'on néglige trop souvent, comme si l'homme 
ne devait vivre que de mémoire et dHm^agination. 

L'histoire de Montréal ne paraît pas assez ; ce n'est pas, il faut l'avouer, une 
légère difficulté. 

Ce travail, ainsi que celui sur les grands lacs. . . 



54 A PROPOS d'éducation 

Il est vrai, vingt fois vrai, que les journaux canadiens, à partir des plus consi- 
dérables ne donnent pas assez cTattention aux écrivains canadiens. 

Remarquez que je cueille au hasard. Les phrases de cette force-là 
pullulent sous votre plunue, monsieur Tabbé — toujours pour le plus grand 
bien de la jeunesse studieuse ! i 

Quant à la valeur des mots et la propriété des termes, vous ne vous 
en doutez seulement pas : vous êtes là complètement à tâtons. 

Vous dites : " Il tient à certifier tout ce qu'il avance." C'est prouver 
que vous voulez dite. 

" L'idée de mettre les dortoirs au rez-de-chaussée n! aboutira point," 
pour ne prévaudra point. 

Vous appelez Victor Hugo chef d'école antisocialiste^ quand vous avez 
tout le contraire dans l'idée. 

Vous écrivez : " L'histoire de Leadville rappelle à l'auteur les récits 
des Mille et une nuits ; ce n'est pas sans fondennent^^ pour ce n'est pas 
sans raison. 

Et encore : " Un homme compétent nous ew avait fait cette remarque, 
nous en avons constaté la vérité ; " pour la justesse. i 

" La détnonstration d'illustre aventurier que l'on donne à Jacques 
Cartier " . . . . pour la dénomination — et encore ! 

" La plume du R. P. Duguay exerce certains actes de justice ; " pour 
accomplir^ perpétrer. " 

" Il n'en reste pas moins dans l'esprit de quelques-uns une prédisposi- 
tion à porter un jugement sinistre sur les moindres apparences," pour 
défavorable, injuste, téméraire. 

Disputer un cheval, pour le morigéner. 

" Ordonner les moyens à la fin," pour coordonner, je suppose, ou 
plutôt proportionner. 

" Sortir de chaloupe," pour débarquer. 

" En revanche vous ne ratez pas : débarquer des chars, pour descen- 
dre de chemin de fer. 

Vous confondez partout brochure avec livre broché ; ce qui n'est pas 
du tout la même chose, monsieur l'abbé. 

" Vous dites : la nourriture d'un hôtel," pour la table, la cuisine. 
Pas français, monsieur l'abbé. 

Dans le sens de conseil ou d'avts, vous vous servez du mot suggestion, 
qui ne s'emploie qu'en mauvaise part. 

Vous confondez vingt fois le verbe laisser avec le verbe quitter. 

Au lieu de par -ci par-là, vous écrivez par ici par là. 

A quatre ou cinq endroits différents, vous employez le mot salaire^ 
pour le traitement ou les appointements des instituteurs et des employés 
publics. 

Vous dites une j^^^^^ d*eau, pour ville d^eau, station balnéaire ou 
thermale ; une opinion plus ou moins probable, pour plus ou moins juste. 

A chaque instant, on trouve sous votre plume : du côté de, au point de 
vue de, pour sous ce rapport, en ce sens ; causes pour raisons ; en cîiamhre 
pour en parlement, etc. 

Vous appelez les pom/nes de terre des patates ; ce sont pourtant deux 
tubercules bien différents. 




A PKOPOS d'Éducation 55 

Partout vous confondez le mot station avec gare. 

Vous appelez chars les wagons de chemin de fer ; ce qui n'est pas 
permis à un écrivain. Et pour comble — oh ! un vrai comble celui-là ! — 
vous dites les chars pour désigner le chemin de fer lui-même : 

Si cette place (!) était plus connue et plu^ près des chars^ le nombre des étran- 
gers serait toujours assez considérable." *. 

Et vous viendrez nous dire que vous reprenez les élèves qui parlent 
incorrectement .... A d'autres ! 

Invariablement, vous employez la préposition pendant, quand il faut 
dicrant, et durant quand il i^ixxt pendant. 

Vous employez à tort et à travers animaux pour bestiaux, probabilité 
pour plausibilité, résidence pour demeure, habitation ou domicile, bâtisse 
pour construction, édifice, cliance pour billet de loterie, etc. 

Fautes de français tout cela, monsieur l'abbé. Procurez- vous un 
dictionnaire ; je vous en prie, pour l'honneur de notre enseignement 
classique. 

Et combien de mots canayens ! 

Machine à feu pour locomotive ; envaliser pour empaqueter ; couvertes 
pour couvertures ; de valeur pour fâcheux ; volier de maringouins pour une 
volée ; membre pour député ; enrhumatisé pour rhumatisant ; voteur pour 
votant, électeur ; avancé pour assertion ; finissants pour élèves de dernière 
année, etc. 

Une véritable mosaïque. 

Et les anglicismes donc ! 

Ici une parenthèse. On se trompe souvent sur la valeur du mot 
anglicisme. L'anglicisme n'est pas l'emploi d'un mot anglais, mais plutôt 
celui d'un mot français ou d'une tournure française, dans le sens que le 
mot ou la phrase peut avoir en anglais. 

Ainsi, ce n'est pas quand je dis un square que je fais un anglicisme : 
ce vocable étranger est passé dans notre langue ; c'est quand je traduis ce 
niot par un carré. Quand je dis un pia^w, je parle français, t,out en me 
servant d'un terme italien ; tandis que si, pour traduire en français le mot 
piano {doux) je disais : " Je me suis acheté un doux aujourd'hui ; je com- 
mettrais un italianisme, et personne ne me comprendrait. 

Ceci expliqué, passons à vos anglicismes, monsieur l'abbé : 

Faire sa marque pour faire ses preuves, se distinguer. 

Entrée^ dans un livre, pour inscription. 

Introductio7iy dans le sens de présenter une personne à quelqu'un. 

Des pantalons (pants) pour un pantalon. 

Danses vives ( fast dances) pour danses tournantes, danses à deux. 

Bfi recherche (in search) pour à la recherche. 

Anxieux (anadous) pour désireux. 

Terme {term) pour exercice, durée d'office. 

Compétition pour concurrence. 

File pour série, liasse. 

Place pour endroit. 

Député-ministre (deputy minister) pour sous-ministre, ou mieux chef 
de bureau au ministère. . . 



_i. .■«V._J.-. j> 



56 A PROPOS d'éducation 

Homme qualifié pour compétent. 

Faire apologie pour présenter des excuses, etc. 

Sans compter les machines comme ceci : 

Jouer à l'argent ; tirer une course ; quant au fusil fen suis peu ; Vune 
de ses vacances; s'amuser aux verbes irréguliers; un pèlerinage j!>or^ewr d'un 
tableau ; voir une église pousser au feu, etc. 

Enfin, tout ce qu'il y a de plus corsé en fait d'iroquois, présenté sans 
aucun respect des règles les plus élémentaires de la rédaction orthogra- 
phique. 

Ainsi, vous ne connaissez même pas la différence qu'il y a entre la 
manière d'écrire le nom d'un endroit — Saint-Timothée, par exemple — et 
la manière d'écrire le nom du saint lui-même — saint Timothée. 

Vous ne savez pas que les titres de inonseigneur, monsieur, 
madame et mademoiselle s'écrivent tout au long à la deuxième personne, 
et toujours en abrégé à la troisième. 

Vous écrivez n'importe quel nombre en chiffres, ce qui nous procure 
des phrases comme celles-ci : 

1, 2, 10, 20, 30 maringouins . . . 

Le Journal des Sçavans a 6 pouces | de long sur 3 pouces | de large et 12 
pages de texte. 

J'ai remarqué 2 jeunes filles dont Tune s*est passé les mains dans la figure 
13 fois en 2 minutes, et l'autre 72 fois en | d'heure. 

Vous avez compté cela montre en main ! En égrenant votre chapelet 
sans doute .... saint abbé. 

La jolie rédaction que cela fait, n'est-ce pas ? 

Mais comment connaîtriez- vous ces détails, cher professeur, quand 
vous ne savez seulement pas épeler les mots ? 

Vous écrivez hazard avec un z, habilité pour habileté, chaire pour 
chair, eravatte avec deux t, surrexcité avec deux r, collossal avec deux Z, 
quelquefois en deux mots, des timbres-postes avec un s final, et cela trente 
fois au moins, quelqu^amour pour quelque amour, un remou pour remous, 
grand^parents trois fois, grand^oncle quatre fois, réflexe sept fois dans la 
même page, etc., etc. 

Mais ce n'est pas seulement en fait de langue et de grammaire que 
vous êtes d'une ignorance monumentale, cher grand homme. 

Vous nous apprenez qu'au petit séminaire des Trois-Rivières on a 
joué un drame tragique ! 

Dans VEtudiant vous apprenez aux élèves des collèges qu'il faut 
" dire maintenant sir Abbott, sir Lacoste, sir Mowatt," quand tout le monde 
sait, ô illustre professeur, que le titre de sir ne s'accole jamais directement 
au nom de famille, et doit toujours être suivi du prénom. On ne peut pas 
plus dire sir Lacoste que Bonaparte III. 

Votre savoir me semble tout aussi remarquable en mythologie, 
monsieur l'abbé. Après avoir donné à des poésies fugitives le titre 
d^ enfants de Tlialie et de Calliope, vous ajoutez en note : Muses qui 
présidaient à la poésie. 

Erreur profonde, illustre professeur classique : Tlialie est la muse 
de la comédie et des festins ; Calliope celle de l'éloquence et de la poésie 
héroïque. Si aucune d'elles a jamais présidé à la poésie fugitive, ce ne peut 
être Que dans la baillarcrerie de Joliette. 




ï 



A PROPOS D'KDL'CATION Ô? 

Mais ce qui dépasse toutes les bornes de l'ignorance permise, le voici : 

Paçe 150 des Coups de crayoti. — On élève en France une pofenir pour le 
meurtrier Pranzini. 

Ça, par exemple, c'est trop fort, monsieur l'abbé. Je vous savais 
■ phénoménal, mais pas tant que <;a. Ignorer qu'en France on guillotine 
\ les assassins au lieu de les pendre, ce serait invraisemblable chez le dernier 
[ des ouvriers de- Montréal ; comment cela peut-il s'appeler chez un prêtre 
qui est en même temps journaliste, auteur et professeur dans un collège 
classique ? 

Cela casse les bras et les jambes comme le vin de Séville. 

Et, qu'on le remarque bien, en tout ce qui procède, je n'ai fait que 
citer ce qui porte votre signature. 

Si je prenais la peine de relever toutes les inefFabilités qui émaillent 
les productions et les réclames que votre Etudiant offre à l'intelligence de 
la jeunesse : la cimfi des vallons, par exemple ; le verbe gir pour gésir : le 
emUdle pour le cristal, la mosaic pour la mosaïque, etc., quelle jolie 
cueillette je pourrais faire ! 

Ces choses-là ont leur importance cependant. L'enfant lit cela sur 
les pages d'une revue publiée dans un collège classique par un prêtre 
professeur ; il s'imagine tout naturellement que rien n'est plus correct ; et 
tout naturellement aussi il écrit de cette façon plus tard. 

Ce qui, par parenthèse, nous fait des bacheliers un peu propres ! 

Maintenant, monsieur rabl)é, qu'en dites- vous ? Vous a-ton mal 
enseigné le français, ou bien étiez- vous incapable de l'apprendre ? Car, il 
n'y a pas à dire, vous devez vous apercevoir enfin que vous ne l'avez jamais 
appris, le français ; et cela ne peut dépendre que de l'une de ces deux 
causes. 

Et n'oubliez pas que, d'après vous, c'est un pauvre ignorant qui vous 
révèle ces horizons inconnus. 

Imaginez-vous maintenant ce qu'il en retournerait si je n'étais pas 
aussi dépourvu de talent, si je connaissais bien ma langue, et si j'avais 
feit des études sérieuses. 

Enfin, comme il ne fallait pas être un génie pour cela, je crois avoir 
<îémontré suflisamment que vous ignorez les éléments du français ; que, 
pour vous payer des villégiatures annuelles dans l'intérêt de vos rognons, 
vous corrompez systématiquement l'intelligence des enfants confiés aux 
8oin8 de nos collèges et de nos couvents ; que vous êtes, en outre, étranger 
*ûx moindres notions de savoir-vivre, et qu'enfin, si vous avez jamais été 
^n professeur de théologie d'une valeur quelconque, c'est que l'acquisition 
Qe cette science ne nécessite pas des facultés aussi élevées que les 
sommets de l'Hymalaya. 

A l'avenir, monsieur l'abbé, parlez d'éducation, discutez sur les études 
classiques, dites qu'on montre bien le français dans nos collèges, insultez 
les pères de famille qui s'inquiètent de ce qu'on enseigne à leurs enfants, 
surtout opposez vous bien fort à ce que les professeurs ecclésiastiques soient 
tenus à subir des examens, et si l'on ne votfs rit pas au nez, c'est qu'on sera 
charitable. 




M 






?ss. 



58 



A PROPOS- d'Éducation 



La semaine prochaine, monsieur l'abbé, je serai forcé de négliger 
votre personnalité pour m'occuper un peu plus directement de nos collèges. 

Mais, si cela vous fait trop de peine, vous n'aurez qu'à le dire ; je ne 
reculerai pas devant quelques petits sacrifices pour ne pas laisser se dénouer 
trop vite des relations d'amitié qui nous ont procuré, à mes lecteurs et à 
moi, de si francs accès de gaieté. 

A la semaine prochaine, monsieur l'abbé. 



DIXIEME LETTRE 



M;ontréal, 9 juin 1893. 



Monsieur l'abbé, 



Les vacances approchent ; et comme il me faudra bientôt vous laisser 
à vous-même, avec les graves sujets de méditation que je vous ai fournis, 
je dois me hâter de conclure, en signalant les principaux défauts reprochés 
à nos maisons d'éducation, et en indiquant quelques-unes des principales 
réformes réclamées par le public. 

Cette tâche est difficile et délicate, car tout en étant sincère et véridi- 
que, j'ai aménager des susceptibilités respectables, d'incontestables droitures 
d'intention, dont il serait malséant de ne pas tenir compte. 

Oui, cette tâche est difficile et délicate, car ce qui est vrai dans un. 
collège peut ne pas l'être dans un autre ; à côté d'un mal-appris il peut y 
avoir un gentilhomme ; un professeur nul et prétentieux est souvent 
coudoyé par un confrère aussi instruit que modeste ; et, si déterminé que 
ie sois à remplir dans toute son étendue ce que je crois être mon devoir de 
citoyen, je ne veux pas être injuste envers qui que ce soit, je ne veux point 
représenter les choses autrement qu'elles ne sont. 

Autant je trouve absurdes les compliments tout clichés que nombre 
d'intéressés adressent à tort et à travers à nos maisons d'éducation, ces 
" savantes et incomparables institutions que l'Europe nous envie ",• autant 
il me répugnerait de méconnaître et le savoir et les vertus de la plupart de 
ceux qui sont chargés de diriger ces institutions, de même que les services 
incalculables que celles-ci ont rendus dans le passé. 

Je sais m'incliner devant ces hommes, et il ne me coûte en rien de 
reconnaître hautement ces services. 

Seulement — ainsi qu'un citoyen plus autorisé que moi l'a fait 
remarquer dernièrement dans une circonstance solennelle — tout progresse, 
tout se transforme, tout évolue autour de nous, excepté notre système 
d'éducation qui, lui, reste immiffeble. 

Ce système, on le proclame parfait, infaillible, et personne — pas 
même ceux qui paient — n'a le droit de le critiquer. 




A PROPOS d'Éducation 59 

Là est le mal ; et là aussi le danger, car, qu'on le veuille ou non, mon- 
sieur Tabbé, la réforme se fera. 

Elle se fera fatalement, en dépit de toutes les résistances, de toutes 
les entraves, de toutes les haines et de tous les préjugés suscités contre 
ceux qui la prêchent et qui ont droit de l'exiger. 

Malheureusement, quand cette réforme s'imposera de force, il sera 
peut-être trop tard pour les intérêts de ceux qui auraient pu la diriger et 
dont la mission naturelle serait de la modérer. 

Si nos collèges ne veulent pas avancer, nous avancerons sans eux, 
voilà tout. 

Croyez- vous en bonne vérité que c'est avec des phrases de journaux 
proclamant l'excellence de nos études que l'on va boucher les yeux des 
pères de famille, au point de les empêcher de constater l'immense 
supériorité des collèges anglais sur les nôtres ? Qu'on ne se récrie point : 
cette supériorité est incontestable ; et en formulant ce pénible aveu je ne 
fais que répéter tout haut ce que tous les hommes d'expérience se disent 
tout bas. 

Les citoyens qui vivent dans le monde, en lutte continuelle avec les 
nécessités de la vie ne sont pas aveugles à ce qui se passe autour d'eux, 
monsieur l'abbé. 

Ils comprennent ce qui leur manque ; ils voient ce quo les autres 
possèdent ; ils savent ce qu'il faudrait à leurs enfants. 

Peut-on comparer à cette expérience pratique, mise en éveil par la 
plus sainte des responsabilités, l'expérience d'un célibataire, aussi impec- 
cable, aussi intelligent que vous voudrez, enfermé dans un séminaire 
depuis l'âge de dix ans, et qui n'a jamais eu d'autre horizon ni vu d'autre 
arène que le cercle restreint de sa communauté ? 

Ce serait absurde, n'est-ce pas ? Eh bien, c'est à ces pères de famille 
— les plus intéressés dans la question après tout — c'est à ces citoyens 
instruits par les leçons de chaque jour, que vous venez dire, vous jeune 
religieux, relégué dans un séminaire de village : " Les choses de l'édu- 
cation ne vous regardent pas ; c'est à vous que Dieu donne des enfants, 
mais c'est nous qui avons les grâces d'état pour les élever ; si vous n'ad- 
mettez pas cela, vous êtes des ennemis de Dieu et de la religion ! " 

Ces doctrines-là n'ont qu'un temps, monsieur l'abbé, croyez-moi. 

Encore une fois, quand ceux qui prétendent nous tenir perpétuelle- 
ment en lisière s'apercevront que chacun doit marcher avec son temps, ils 
pourraient bien se trouver irrémédiablement distancés, — comme en cer- 
tains autres pays. 

Le danger n'est ni dans mes articles, ni dans les réclamations légiti- 
mes des pères de famille ; il est dans la résistance, dans l'accaparement, 
dans l'exclusivisme et l'autoritarisme du clergé, qui veut être seul à contrô- 
ler l'éducation, sans se demander s'il est plus en état que les autres 
citoyens de bien ju^r des besoins du pays et des exigences du moment. 

Remontons à l'origine de notre discussion, monsieur l'abbé. 

Je m'étais bien modestement permis de faire remarquer que l'on 
devrait enseigner plus de calligraphie dans nos collèges, qu'on devrait y 
donner des leçons de lecture à haute voix, et qu'on devrait faire des efforts 
pour apprendre aux élèves à parler un langage convenable. C'était bien 
inofiensif pourtant, ej le conseil bien opportun surtout. 





jOi. 






A PROIMJS 1) EDUCATION 

■ » x >. ■ l::» uu ieuue professeur — qui s^adressait récemment aux 

•\ui >e fiiire déclarer sain d'esprit — un piètre écrivailleur aussi 

•. >.. «îq^iac^ que dépourvu d'orthographe, une espèce de détraque 
.* ML»: !>.*;> saugrenues font la risée du public, qui me saute dessus 
^ . . .t> Vv:te5> de gendarme, tout scandalisé, tout révolté de ce qu'un 
I* ..Xi ^.r e^'s; l'audace de porter la main sur l'arche d'alliance. 

. •>*,io i'iiîlîaûce, c'est notre éducation classique, couverte par l'irren- 
.sK»^K*.>%:'.',v ^bcsolue du prêtre devant l'opinion publique. 

>»' ,c,CNun oolomniateur, tout simplement. 

'.» .V ".'ieu fallu admettre les faits, cependant. 

',Vu: ^u se débattant comme diablotins dans l'eau bénite pour se 
^c»' i^K vies airs de nier, on a tout admis : 

^\*iui de calligraphie, ce n'est pas nécessaire. Point de lecture, on 
\,M?. . *V:i ^>i4sser. Quant au mauvais langage, l'enfant apporte cela de sa 
*^ v;l't\ et il est impossible de l'en corriger. 

Nt^nmoins j'étais un calomniateur tout de même. Un calomniateur 
s;v»\ AXîiii juré guerre à mort aux études classiques. 

A v*ette dernière accusation je réponds par un argument péremptoire, 
nv iut* semble : je n'ai qu'un fils et je lui fais faire des études classiques ; 
^Ixt^r moi, si vous voulez, mais je lui fais faire des études classiques. 

Mes agresseurs vont-ils reconnaître leur erreur ? Vont-ils sinon se 
rétracter, du moins se taire ? 

Pas du tout. Ces honnêtes gens — il faut que le péril leur paraisse 
grand en la demeure — voyant se fermer à leur nez la porte de tous les 
joui-naux de Montréal, font les frais de fonder une feuille ad hoc, qu'ils 
ont l'audace sacrilège d'intituler La Croix, tt y rééditent sans vergogne 
les mêmes faussetés. 

La première fois ce pouvait être une erreur ; la deuxième fois cela 
devient un pur mensonge. 

Un mensonge bien carré, bien volontaire, bien calculé, ayant pour 
étiquette l'instrument sacré de la rédemption, le symbole du christianisme. 

Un odieux parjure par conséquent. 

C'est le cas de s'écrier avec le poète de Guernesey : 

O saints du ciel I est-il, sous l'œil de Dieu qui règne, 
Charlatans plus hideux et d'un plus lâche esprit, 
Que ceux qui, sans frémir, accrochent leur enseigne 
Aux clous saignants de Jésus-Christ I 

♦ 

Non, monsieur l'abbé, vous le savez comme moi, personne ne désire 
voir les études classiques disparaître du pays ; mais tous les hommes de 
progrès et d'intelligence insistent pour qu'on les réforme ; car si le présent 
système se prolonge, nos collèges ne seront bientôt plus que des fabriques 
de déclassés trop instruits pour labourer, et trop ignorants pour tenir un 
comptoir ou manier une plume. 

Si l'éducation qu'on y donne est suffisante pour faire des prêtres, elle 
ne l'est certainement pas pour faire des hommes du monde. 

Or, si important que soit le rôle du prêtre dans la société, c'est 
l'homme du monde, c'est le citoyen laïque qui, par la puissance du nombre 
t.J|i sphère dç son action, constitue le principal élément de la commu- 




A PROPOS d'édiccation 61 

C'est lui qui crée la famille et la sustente ; c'est lui qui exploite et 
développe les ressources du pays, soutient le fardeau du présent et édifie 
l'avenir. 

C'est même lui qui subventionne le clergé ! 

Le considérer comme quantité négligeable en matière d'enseignement, 
sacrifier ses intérêts aux intérêts problématiques d'une exception, c'est non 
seulement mettre la charrue devant les bœufs, c'est se faire un jeu des 
destinées nationales et méconnaître tout devoir patriotique. 

Avec notre présent système d'éducation, dans quelle position se 
trouvent les pères de famille qui ont des garçons chez qui ils ne décou- 
▼rent point de dispositions spéciales pour la prêtrise ? 

Ils sont condamnés à opter, pour les faire instruire, entre les collèges 
et les écoles dites commerciales. 

Tl leur faut choisir entre priver ces enfants de toute instruction pra- 
tique, ou leur fermer tout accès aux carrières libérales ; c'est-à-dire les 
jeter dans le monde presque sans armes pour s'y frayer un chemin, ou 
bien les vouer pour la vie à une infériorité relative dans le domaine intel- 
lectuel. 

Tous les jours vous entendez des dialogues dans ce genre-ci : 

— Que faites- vous de votre fils ? 

— Je l'ai retiré du séminaire pour le mettre à l'école commerciale. 

— Est-ce possible ? pas d'études diaKsinues ! vous qui avez le moyen ! 
Songez- vous à tout ce dont vous privez votre enfant ? 

— Hélas ! oiii, mais que voulez-vous ? si je le laisse au collège, il en 
sortira à vingt ans, avec un peu de latin et de grec, mais pas d'anglais, pas 
de comptabilité, aussi ignorant que l'enfant qui \ ient de naître de tout ce 
qui est nécessaire pour se tirer d'affaires en ce monde, condamné, faute de 
connaissances pratiques, à végéter sous l'œil des Anglais, qui s'emparent de 
tout en pous jetant au nez cette parole qui pour eux veut tout 
dire : Educated hy the priests ! 

Maintenant tournons la médaille : 

— Vous avez mis votre fils au collège ? 

— Oui, monsieur. 

— Alors vous trouvez qu'il est plus utile de savoir le grec et le latin 
que l'anglais ! 

— Mon Dieu, non ; mais que voulez-vous, entre deux maux je choisis 
celui qui me semble le moindre. Voulant à tout prix lui donner une édu- 
cation littéraire et philosophique, j'ai demandé aux Frères des Ecoles 
chrétiennes, si, tout en suivant leurs cours, mon fils pourrait prendre chez 
eux des leçons de latin et de grec ; — j'aurais fourni le professeur. Ils 
m'ont répondu que la chose ne leur était pas permise, à cause de la concur- 
rence que cela pourrait faire aux collèges classiques ? Il me restait bien les 
écoles protestantes ; mais ma femme, à qui l'on a persuadé que le'prêtre a le 
droit de commander partout, s'y opposée. Or, comme les professeurs parti- 
culiers qui peuvent tout enseigner également bien sont à peu près introu- 
vables, et qu'en payer plusieurs dépasserait les limites de mes moyens, j'ai 
dû baisser la tête sous les fourches Caudines. Je sais bien que mon fils en 
souffrira toute sa vie, mais je n'y puis rien. Il fera comme moi, il se tirera 
d'affaires comme il pourra. 





62 A PROPOS d'éducation 

Voilà la cruelle alternative que l'on nous impose, et qu'on voudrait 
maintenir indéfiniment, croyant y voir les intérêts du clergé ! 

Monsieur l'abbé, ne sentez- vous pas que cela est anormal ? Ne sentez- 
vous pas que cela ne peut durer ? 

Si je signale en particulier cette négligence presque totale de l'anglais 
dans le programme de la plupart de nos maisons d'éducation classique, 
c'est que cette lacune est la plus apparente, et que ses déplorables consé- 
quences sautent le plus aux yeux de tout le monde. 

Comment ! dans un pays anglais, où toutes les affaires commerciales 
se font en anglais, où presque toutes les banques, les compagnies d'assu- 
rances, les grandes administrations, les entreprises financières et indus- 
trielles sont entre les mains des Anglais, où l'on est à chaque instant forcé 
de s'exprimer en anglais devant les tribunaux et devant les Chambres, on 
a le toupet de proclamer la nécessité des langues latine et grecque, tout en 
^considérant l'anglais comme du superflu ! 

N'est-ce pas l'aberration des aberrations ? 

Le fait est que l'anglais est mieux enseigné dans les collèges de 
France, qu'ici où c'est la langue du pays. Les étrangers en tombent des 
nues quand on les met au courant de cet incroyable état de choses. 

Et à défaut d'anglais, si l'on enseignait bien le français au moins ! 
Mais, je ne crains pas de le dire, dans bon nombre de nos collèges, pendant 
qu'on fait piocher les enfants des années et des années dans la grammaire 
grecque et le Gradus latin, on leur fait à peine effleurer la syntaxe 
française. 

S'il y a des exceptions, elles sont le fait de certains bons professeurs 
épris de notre langue, qui réagissent d'eux-mêmes contre le système. 

' Du reste, monsieur l'abbé, j'ai fait voir par vous-même, n'est-ce pas, 
•quelle espèce de français est en honneur dans certains de nos collèges 
classiques ! 

Pour que la leçon fût complète, il faudrait mettre en regard de votre 
ignorance le savoir des professeurs de français que les institutions anglaises 
de Montréal font venir à grands frais de France et de Suisse. 

Ce serait un spectacle très propre à nous enorgueillir — nous qui 
réclamons la langue française comme un des plus beaux joyaux de notre 
héritage — que de voir ces professeurs de collèges anglais passer un 
examen en même temps que vous et M. l'abbé Castonguay, par exemple, 
sur la syntaxe française ! 

Il est vrai que, de par l'autorité qui commande dans le conseil d«» 
l'Instruction publique, nous ne sommes pas exposés à nous laisser étourdir 
par un pareil sujet d'orgueil. 

Et heureusement que, pour la paix de leur conscience, ceux qui ne 
savent rien sont généralement les derniers à s'en apercevoir. 

Parbleu, vous-même, monsieur l'abbé, si vous aviez seulement soup- 
çonné votre ignorance de la grammaire, vous n'auriez jamais songé à publier 
des livres, n'est-ce pas 1 

H en est de même chez ceux qui proclament à pleines colonnes de 
journaux la solidité des études ïrançaises dans nos collèges. 

bonne foi, je veux le croire ; ils ne se doutent pas le moins 
'aurais qu'à signaler les fautes de français dont leurs arti- 



Jlt^BQ nt de bonne 
éMMBÉato je n'aui 



A PROPOS d'Éducation 63 

clés sont farcis pour prouver au public que ces braves gens parlent de la 
question comme un aveugle parlerait des couleurs. 

!Mais tout cela m'entraînerait trop loin. 

Je clorai pour aujourd'hui par une petite digression rétrospective : 

Quelques personnes, trompées par la teneur équivoque de certains 
mandements, et préjugées par les prétentions de ceux qui voudraient bien 
être reconnus comme 3orps absolument irresponsable dans l'Etat, ont été 
bien surprises de m'entendre dire que la religion n'avait jamais réclamé 
l'indépendance du clergé devant la loi civile. 

La doctrine de l'Eglise est pourtant bien explicite là-dessus, et il ne 
faut pas chercher longtemps pour la trouver formulée de la façon la plus 
claire. Deux citations me suffiront pour aujourd'nui. Voici ce que le pape 
saint Gélase écrivait, vers la fin du Ve siècle, à Anastase 1er, empereur 
d'Orient : 

" Pour ce qui touche les choses de l'ordre public, nous reconnaissons que voua 
tenez votre autorité de Dieu môme, et sous ce rapport les évêques eux-mêmes sont 
soumis à vos lois.'' 

Le pape Innocent III, au quatrième concile de Latran, — 18e œcumé- 
nique, chapitre 42 — est encore plus formel : 

" De même que nous interdisons aux laïques d'usurper les droits du clergé, d© 
même, 7ious ne voulons pas que le clergé empiète sur tes droits des laïques. En 
conséquence, que nul des jclercs ne s'avise, sous prétexte de liberté ecclésiastique ^ 
d'étendre sa juridiction au préjudice de l'autorité séculière, mais qu'il 7*este soumis 
aux lois écrites et aux coutumes légitimement établies.*' 

Qu'en dites-vous, monsieur l'abbé, l'opinion d'un pape canonisé et les 
décisions d'un concile œcuménique ne valent-elles pas les prétentions de 
certains curés canadieiis, qui ont toujours le mot d'excommunication à la 
bouche lorsque quelqu'un parle de les poursuivre devant les tribunaux du 
pays pour les faire rendre compte de leurs actes comme citoyeni ? 

Mais je n'ai pas seulement affirmé le principe ; j'ai ajouté que les 
prêtres intelligents et irréprochables ne songeaient jamais à s'arroger 
d'aussi exorbitantes prérogatives. 

Or je puis en fournir la preuve par le témoignage suivant, que je 
recevais, il y a eu lundi quinze jours, et qui est signé par deux des plus 
érainents curés canadiens des Etats-Unis. Voici cette lettre ; je la publie 
à cause du poids qu'elle ajoute à mes paroles auprès de mes lecteurs : 

18 mai 1893. 
A M. L. Fréchette, 

Nous, soussignés, prêtres canadiens des Etats-Unis, aimons à vous dire que 
nous lisons toujours avec intérêt les critiques spirituelles que nous publiez au 
sujet de l'éducation qui est donnée dans les collèges du Canada, et «ous sommes 
heureux de vous assurer que nous partageons entièrement vos opinions. Si vous 
avez des taupes au Canada qui ne veulent ou qui ne peuvent rien voir, sachez qu'il 
y a ici, sur cette terre de progrès et de liberté, des Canadiens aux vues larges et 
impartiales, qui de loin assistent à vos vaillantes polémiques et sont fiers de se 
proclamer vos adhérents. 

Ce soir, après avoir revu ensemble ces intéressantes lettres, nous avons décidé 
de ne pas nous séparer sans vous offrir nos meilleures félicitations et vous encou- 
rager dans votre bonne œu^Te. 

Si, comme vous le faites entendre, vous publiez ces correspondances sous 
forme de volume, vous pouvez nous compter au nombre de vos souscripteurs. 




64 ^ A PROPOS d'éducation 

Il est fort probable que certains ultramontés de Québec ou d'ailleurs 
vont contester encore l'authenticité de cette lettre : il n'y a pas comme un 
coquin pour suspecter l'honnêteté d'autrui. 

Eh bien, qu'on choisisse un homme en la parole de qui je puisse me 
i5er, et je suis prêt à lui soumettre l'original du document. 

S'il est vrai que j'en veuille autant au clergé, on admettra que ma. 
haine a d'importantes exceptions à faire. 

A la semaine prochaine, monsieur l'abbé. 



ONZIEME LETTRE 

Montréal, 16 juin 1893, 



Monsieur l'abbé, 



Je disais dans une de mes précédentes lettres, que les institutions 
sans concurrence ne progressent pas. 

Cela est vrai dans l'industrie, cela est vrai daïis le commerce, et cela 
est vrai dans l'enseignement. En général le zèle pour la bonne cause est 
un bien faible stimulant, lorsqu'il n'est pas aiguillonné par une légère 
pointe de rivalité d'intérêt ou d'amour-propre. 

En ce qui regarde l'enseignement, on connaît le% magnifiques résultats 
produits en France par la course au clocher des écoles libres et congréga- 
nistes avec les lycées créés par l'Etat. 

Le résultat est si naturel que, l'automne dernier, voici ce que me 
disait un prêtre distingué à qui je témoignais la véléité d'envoyer mon fils 
terminer ses études aux Etats-Unis. 

— Dans une institution catholique, sans doute ? me dit-il. 

— Autant que possible. 

— Les jésuites ont là d'excellents collèges, dit-on. 

— 8ur un haut pied ? 

— Dame, il faut bien qu'ils luttent avec les autres . . . 

Voilà ! lutter avec les autres, c'est le moyen d'avancer ; et, en matière 
d'éducation plus qu'en toute autre chose, ne pas s'avancer c'est reculer. 

Or, sous se rapport, que se passe-t-il chez nous ? 

Loin de rechercher ces résultats si désirables, cédant à je ne sais quelles 
mesquines considérations, tout le monde semble s'entendre parfaitement 
pour que notre pauvre province soit, en cela comme en tout, à la remorque 
des autres pays civilisés. 

Ec pour le moment, c'est aux législateurs surtout que je m'en prends. 
La loi donnant aux collèges le pouvoir d'imposer aux professions libérales 
tous les aspirants porteurs de diplômes conférés par eux est inique et 
impolitique. 

Inique, parce que c'est aux membres de chaque profession à juger si 




A PROPOS d'Éducation 65 

un jeune homme est assez instruit pour être des leurs, et non aux profes- 
seurs qui lui ont enseigné ce qu'il sait, efc qui sont peut-être responsables 
de ce qu'il ne sait pas. 

Impolitique, parce qu'un pareil système ferme la porte à toute concur- 
rence, ce qui est diamétralement opposé à l'intérêt public. 

Pourquoi les Anglais ont-ils demandé cela ? Ce n'est pas — comme on 
a voulu îe prétendre — parce que leurs études sont plus faibles que les 
nôtres mais parce qu'elles sont plus rationnelles. C'est parce que, pour mar 
cher avec leur temps, ils ont remplacé des vieilleries inutiles par des matières 
plus pratiques, tandis que nous, qui sommes le grand nombre et contrôlons 
par conséquent les examens, nous tenons à ces vieilleries, sans nous préoc- 
cuper de certaines autres matières de première importance. 

Si les Anglais avaient eu la haute main sur les examens, et nous 
avaient imposé leur programme, ce sont nos collèges sans doute qui auraient 
pris l'initiative de la loi. 

Quoi qu'il en soit, quand il est du plus haut intérêt social que nos 
professions — celle de la Médecine surtout — soient exercées par des 
hommes d'élite ; quand, depuis trente ans au moins, tous le monde crie à 
l'encombrement de ces professions, voilà qu'on y laisse entrer à pieds joints 
tout les aspirants munis de diplômes conférés par des professeurs de collèges, 
devenus juges et parties ! 

De sorte qu'il pourrait fort bien se faire que ce fût vous, monsieur 
Tahbé, qui eussiez à décider un de ces jours si tel jeune homme sait assez 
bien le français pour étudier le Droit ou la Médecine ! Un comble. 

Avec le présent système, si renversante que la chose paraisse, ce sont 
les prêtres qui disent au barreau et au collège des médecins : " Voici les 
jeunes gens que vous devez admettre dans votre profession. " 

On verrait beau jeu si le barreau ou le collège des médecins avait 
jamais la prétention d'en dire autant au clergé ! 

Oui, nous en sommes-là : non seulement c'est le clergé qui juge de la 
valeur des professeurs universitaires et qui les nomme ; mais c'est encore 
lui qui possède le privilège de choisir les jeunes gens auxquels il permettra 
d'être avocats, médecins ou notaires. 

Il ne nous reste plus qu'à dire : " Que désirez vous encore, messieurs ? " 

Et comme personne n'ose crier : holà ! tout le monde laisse faire, et 
ça marche ... à reculons. 

Avec cela que, pour la jeunesse, la perspective est alléchante : 

— Vous voulez être avocat, jeune homme ? médecin, notaire ? venez 
chez nous ; après quelques années de bancs de collège, nous vous bombar- 
derons bachelier, ce qui vous dispensera de tout autre examen. Tandis que 
si vous tâtez des professeurs particuliers, gare à vous ! les examens sont 
devenus très sévères pour ceux qui n'ont pas de diplômes. 

Efc, il n'y a pas à dire, ils le sont, très sévères, les examens. Aux 
dernières admissions à l'étude de la Médecine, par exemple, on a demandé, 
en algèbre, le plus petit commun multiple, et, en physique, la formule 
atomique de l'alcool méthylique. 

Je me demande combien de bacheliers de Joliette, par exemple, 
auraient victorieusement répondu à cela. 

Par parenthèse, je ferai remarquer qu'il est absurde d'interroger des 

5 




•^ 



• I.' 



«vÂ^-'v-- ■■■ ^rî 



66 A PROPOS d'éducation 

élèves de collège sur des points scientifiques qui ne sont pas dans le 
domaine des études ordinaires. Un algébriste de profession est seul sensé 
pouvoir répondre à la première de ces questions, et quant à la seconde, la 
formule dont il s*agit est basée sur une théorie toute nouvelle, et que 
d^aucuns prétendent même fort discutable. 

Il ne faudrait pas conclure de ce qui précède que je blâme les exami- 
nateurs d'être sévères et exigeants. Au contraire, ces restrictions faites, 
je les félicite et tout le monde doit les féliciter. 

Il y va de notre honneur national que nos professions soient des corps 
d'élite. 

Il faudrait qu'ici comme en France, en Angleterre et dans tous les 
autres pays de l'Europe, les titres d'avocat, de médecin^ de notaire et 
ôUngénieur civil fussent synonymes à^ homme instruit. . . 

Et, grands dieux, que nous sommes loin de cet idéal ! 

— C'est un avocat, ce monsieur 1 me demandait, il y a quelques mois, 
un étranger de passage, qui venait d'échanger quelques paroles avec un de 
nos professeurs de droit . . . s'il vous plaît. 

— Oui, monsieur. 

— Vraiment ! . . . 

Le brave étranger n'avait pas trouvé d'expression plus polie pour 
manifester son abasourdissement. 

Ajoutons que ce n'est pas la sévérité des examens qui découragera 
jamais les professeurs dignes ^e ce nom. 

— Tant mieux, me disait l'un d'eux, il n'y a pas longtemps ; plus les 
examens seront sérieux, plus on appréciera les vrais professeurs, et partant 
plus le niveau de l'enseignement s'élèvera. 

C'est parfait ; mais alors, une seule règle pour tout le monde I 

L'élève instruit par des professeurs particuliers doit subir des examens 
sans aucun doute ; mais à quel titre en exempter celui qui a fait ses classes 
au collège 1 

Ne trouve-t-on pas que le clergé est déjà assez omnipotent et assez 
irresponsable î 

Dans ses attributions sacerdotales, je l'ai déjà dit, le prêtre ne saurait 
^tre jbrop indépendant ; mais comme éducateur public ou simple maître 
d'école, ça n'est plus ça. Ici l'omnipotence doit s'arrêter, car la responsa- 
bilité commence. 

Voyons, parlons froidement tant que vous voudrez, est-ce que la 
société n'a pas son mot à dire dans tout cela ? Entre messieurs les médecins, 
qui ont intérêt à rendre l'accès de leur profession le plus difficile possible, 
et nos collèges, dont l'intérêt est au contraire d'attirer à soi le plus grand 
nombre d'élèves, de quel côté se trouve l'intérêt du public 1 

Ne serait-il pas à propos d'y songer ? 

— Mais, me dira-t-on, vous n'avez pas le droit de présumer que les 
diplômes de bacheliers sont accordés sans discernement. 

Ce n'est pas là ma prétention. Mais, comme on m'a répété tant de 
fois depuis dix mois que les prêtres sont des hommes, j'aimerais mieux pour 
ma part, voir ceux qui dirigent nos maisons d'éducation avoir plus à 
compter, pour allonger la liste de leurs élèves, sur la valeur de leur ensei- 
gnement, que sur la bénignité de l^urs examens. 




A PROPOS d'Éducation 67 

Loin de leur pensée sans doute d'attirer la clientèle par des concessions 
malhonnêtes; mais loin de leur pensée aussi, soyons-en bien persuadés, de 
•chasser les clients en rehaussant trop le niveau des études ! 

Et rehausser le niveau des études, c'est pourtant là un besoin qui se 
fait impérieusement sentir. 

Voici à ce propos une lettre que je viens de recevoir : 

Monsieur, —je ne sais à quel point de vue vous allez traiter la question de 
renseignement dans les collèges ; mais je crois que vous feriez bien de vous assurer 
des faits suivants : 

lo — II paraît que le séminaire de Québec, sous la pression des autres collèges 
de la Province, avait dû baisser le niveau des connaissances exigées pour le bacca- 
lauréat, afin de permettre aux élèves de ces collèges de prétendre aux honneurs 
universitaires. 

2o — Il paraît que l'année dernière tous les collèges de la région de Montréal 
ont exercé une nouvelle pression, et fait baisser encore le niveau des études. 

Si ces faits sont vrais — et il vous est facile de vous en assurer — ils justifient 
nos craintes et celles de bien d'autres personnes intéressées au progrès intellectuel 
de la jeunesse canadienne. 

Je donne cette lettre pour ce qu'elle vaut ; mais sa teneur indique au 
moins jusqu'à quel point la confiance publique est ébranlée. 

Elle le serait à moins, du reste ; car il est vraiment décourageant de 
constater la désolante faiblesse des bacheliers que nos collèges jettent tous 
les ans sur les avenues de nos professions libérales. Sur dix lettres de 
demande d'admission (d'application, comme ils disent) à peine si une ou 
deux pourraient supporter l'impression. 

Et, en dehors de leur langue, si négligée pourtant, que savent-ils de 
sérieusement appris ? A peu près rien. 

Il n'y a pas très longtemps encore, j'en faisais l'expérience dans la 
personne d'un jeune homme supérieurement doué, et sorti du collège avec 
tous les premiers prix de sa classe, sans compter le prix du prince de 
Galles. 

Le jeune homme, qui croyait réellement savoir quelque chose, préten- 
dait que, dans son collège au moins, on enseignait la géographie. 

— Eh bien, lui dis- je, vous avez fait de brillantes études ; je suis un 
vieil ami de votre père, et le vôtre ; me permettriez-vous de vous poser 
quelques questions ? 

— Volontiers, Monsieur, pourvu que ce ne soit pas sur des points trop 
difficiles. 

— Oh ! sur tout ce qu'il y a de plus élémentaire, vous allez voir. 
L'Europe est la plus importante des cinq parties du monde, n'est-ce pas t 
et les fleuves, ce qu'il y a de plus remarquable comme éléments topogra- 
phiques ? Eh bien, pouvez-vous me dire quel est le seul grand fleuve de 
l'Europe qui se jette dans l'océan Arctique ? 

Silence ! 

— Pouvez-vous me dire quel est le seul fleuve de l'Europe qui se jette 
dans la mer Blanche ? 

Silence ! 

— Pouvez-vous me dire quel est le seul fleuve de l'Europe qui se jette 
dans le golfe de Finlande ? 

Silence ! 

— Combien y a-t-il de fleuves qui se déchargent dans la mer Baltique 1 





68 A PROPOS d'éducation 

Silence ! 

— Pouvez-vous m'en nommer un dés quatre ? 
Silence ! 

— Combien dans la mer du Nord 1 
Silence ! ., 

— Pouvez-vous m'en nommer un des six ? 
Silence ! 

— Où se jette la Tamise ? 

— Dans la Manche. 

La première réponse était une hérésie. 

Ce jeune monsieur, qui sera un jour un de nos hommes de profession 
libérale les plus distingués, parce qu'il a du talent et qu'il étudie, m'a 
quitté, convaincu que, si l'on enseigne la géographie dans son collège, on ne 
l'enseigne pas assez bien pour que les élèves la sache. 

Et, comme dit Cicéron : ira?/i non solum scire aliquid artis est, sed ars 
etiam docendi. ' 

Et rhistoire donc ! Et les sciences ! 

Un prêtre de mes amis me racontait avoir visité le jardin des Plantes, 
à Paris, en compagnie d'un enfant de douze ans, élève d'un lycée quelconque. 

— Si vous aviez entendu, disait-il, ce galopin-là me donner des leçons 
d'histoire naturelle ! J'en ai été tellement humilié, que je suis allé m'ache- 
ter un Buffon dans l'après-midi. 

Imaginez- vous maintenant si, à la place de mon ami, vous aviez été là, 
vous, monsieur l'abbé Baillargé, savant professeur classique qui rangez les 
maringouins parmi les animalcules ! 

Vous auriez eu beau dire : " Je suis prêtre ! " vous n'auriez pas convaincu 
le gamin, qui est un bon petit catholique, dit-on, mais comme moi libre 
penseur en diable quand il s'agit de bêtes petites ou grosses. Il y a, là- 
bas comme ici, des gens aussi indignes que ridicules. 

Mais enseigne-t-on bien le latin au moins dans nos collèges, — ce latin 
pour lequel on semble négliger presque tout le reste ? 

Si l'on posait cette question à l'un des chanoines les plus en vue de 
notre archevêché, et qu'il voulût bien répéter ce qu'il disait tout dernière- 
ment en ma présence et en présence de personnes qui n'étaient point toutes 
de misérables laïques, il répondrait par un non bien sec qui me dispense- 
rait de toute autre démonstration. 

Et en fait de belles-lettres 1 "^ 

En fait de belles-lettres, on passe sous silence le dix-neuvième siècle 
en entier, moins une toute petite exception en faveur de Chateaubriand. 
Le dix-huitième n'est guère plus en honneur. Le seizième semble ne pas 
avoir existé : rien de Marot, de Ronsard, de du Bellay, d' Agrippa d'Aubi- 
gné, de Rabelais, d'Amyot, de Montaigne, de Brantôme, qui furent cepen- 
dant les créateurs de notre langue. On ne touche qu'au dix-septième siècle 
seulement, ^p. commençant par Malherbe, dont on fait réciter les quatre 
strophes que tout le monde sait ; et puis : C'est ça la littérature française ! 

Quant à la littérature étrangère, inutile de dire que la chose est tout 
ce qu'il y a de plus inconnu au régiment. 

Vous aurez beau crier et vous récrier, monsieur l'abbé, vous n'empê- 
cherez point^mt cela d'être des faits. 




■rJ.^ 



A PROPOS d'Éducation 69 

Et l'on vient nous parler d^études classiques en mordant dans les 
mots ! Ce serait à hausser les épaules de pitié, s*il ne s'agissait d'une chose 
aussi grave. 

Et ne venez pas dire, monsieur l'abbé, que cela pouvait être vrai de 
mon temps, mais ne l'est plus de nos jours. Nous savons ce qui se passe, 
allez ! Et pour ma part, je tiens mes renseignements de jeunes gens récem- 
ment sortis du collège, qui m'en ont dit beaucoup plus que je ne voudrais 
répéter. 

Je sais cependant que, sur plusieurs de ces points, il y à d'impor- 
tantes exceptions à faire, mais on comprendra qu'il m'est impossible d'être 
plus explicite. 

Je sais aussi qu'en mettant ces détails à nu, je m'attire des haines 
nombreuses et puissantes. 

Mais n'importe, j'ai la conviction de remplir un devoir, de faire du 
bien à mon pays, c'est tout ce que je désire, et je me moque du reste. 

On en voit la preuve dans le cas que je fais des colonnes d'injures à 
moi prodiguées par les correspondants — anonymes, cela va de soi — de la 
presse ultramontée de Québec, de Hull et des Trois-Rivières. 

Je veux pourtant faire aujourd'hui une exception en faveur d'un 
article auquel le Courrier du Canada a donné l'hospitalité il y a quelques 
jours, et qui, par le parfum tout particulier de petit manteau qui s'en 
dégage à chaque phrase, mérite cette distinction insolite de ma part. 

Rien que quatre colonnes de style sacro-mondain, où, pour prouver la 
haute valeur de nos études classiques, et pour me donner une leçon de 
modération et de politesse, on me traite dévotement de rruiroujley de 
canaille de polisson et de goujat, 

O aménités des saintes âmes ! ô suavités des épanchements mys- 
tiques ! . . . 

C'est ce qu'on appelle me ramener à la^ question de Véducation, 

Point de signature — naturellement — mais la tartine doit être 
l'œuvre d'un joli garçon, car ce que j'ai pu y découvrir de plus important, 
c'est que je ne suis pas beau. . . Me voilà cloué ! 

Et notre système d'éducation sauvé ! 

Ce que c'est que d'avoir affaire à un Adonis comme vous, monsieur 
l'abbé, dont la tournure élégante, la carrure sculpturale et les traits clas- 
siques font une si sérieuse concurrence à votre grammaire et à vos 
rognons ! 

Non, je ne suis pas beau : " ^«s petites filles du couvent Vont 
remarqué. ^^ 

J'ai " la lèvre retroussée," 

La " moustache insolente," 

La " face rubiconde," 

Et "le ventre. . . en balcon ! " 

Ça fait presque des vers. 

Pour ce qui est de la lèvre retroussée, monsieur Tabbé, je plaide non 
coupable. C'est un défaut que je tiens de père et mère — comme vous, 
votre noble torse — et les braves gens, j'en mettrais vos Coups de crayon 
au feu, n'ont jamais songé un instant que cela pourrait déplaire au clergé. 

Quant à ma moustache, par exemple, je ne puis qu'invoquer des cir- 





) 



70 A PROPOS d'éducation 

constances atténuantes. Lorsque j^ai eu la malencontreuse idée d'en orner 
mon visage, sans en parler à mon évêque, j'étais jeune, dépourvu d'expé- 
rience ; et, n'ayant jamais lu votre Couvent, j'ignorais encore tout ce que 
le poil peut avoir d'influence et d'intérêt au point de vue de l'éducation 
féminine. 

Et maintenant, quand — en complaisant Alexis désireux de plaire à 
son aimable Corydon — je ferais tomber mes moustaches sous le tranchant 
d'un acier destructeur, je n'en resterais pas moins avec ma face rubiconde, 
monsieur l'abbé. Et je ne me dissimule pas, allez, la singulière figure je 
ferais quand même au fond d'une stalle de chœur, où l'on ne voit jamais 

— c'est connu — que des visages étiques, émaciés par l'abstinence et les 
privations. 

Mais le comble, ô bourreau des cœurs ! c'est que j'ai le " ventre en 
balcon." Et un ventre en balcon, paraît-il, les petites filles du couvent ne 
trouvent pas cela gracieux du tout. 

Hélas ! doux abbé de mes rêves, je confesse humblement avoir négligé 
plus que vous l'occasion de briller par le péritoine ; et — indifférence qui 
vous surprendra... chez un misérable laïque — je n'ai jamais essayé de 
rendre .cette partie de mon physique plus engageante pour les petites filles 
que pour les petits garçons. Je ne savais même pas — ô naïveté profane ! 

— qu'on pût aller au. couvent pour se faire admirer la tournure, — de 
même qu'on entre quelquefois à la brasserie Spîendide pour déguster des 
bocks en compagnie de la haute bicherie parisienne. A mon âge du reste, 
on n'est pas si vaillant que tout ça. 

Cet embonpoint désagréable, dont la vie sédentaire €t les destins 
jaloux m'ont affligé, est peu poétique, j'en conviens. C'est même assez 
incommode pour faire faire la planche aux baigneuses d'Orchard Beach. 
Mais, que voulez-vous, j'ai eu beau jeûner pour les fredaines de l'abbé 
Guyot — secundum ordinem Melchissedec — ça ne m'a pas fait maigrir ; et 
j'ai bien peur d'atteindre la fin de mes jours sans retrouver cette sveltesse 
de taille qui faisait la grâce de mon printemps, et que monopolisent aujour- 
d'hui — avec la charité et l'abnégation de caractère — ceux qui ont renoncé 
aux vulgaires satisfactions de ce monde. 

Je me suis bien, il est vrai, laissé conter certaines histoires de tables à 
manger échan crées pour la commodité de ventripotences aussi peu laïques que 
remarquablement protubérantes ; mais ces histoires ont dû germer dans le 
cerveau des impies et des libres penseurs. 

Enfin tant pis, je renonce à maigrir. 

A moins qu'on ne me fasse jeûner pour vos fautes de français, monsieur 
l'abbé.... 

Mais alors autant me condamner à mourir de faim tout de suite; 

Franchement il est des gens qui abusent de leurs avantages ! 

A la semaine prochaine. 

P. S. — Rien contre votre caractère en tout ceci, monsieur l'abbé. 




1 



DOUZIÈME LETTRE 

Montréal, 23 juin 1893. 
Monsieur l'abbë, 

J'ai entendu dire bien des fois : " Ah ! les Anglais sont plus riches que 
nous : ils ont la bosse des affaires ; mais nous les battrons toujours sur le 
domaine de Tart et de la littérature, car nous avons hérité du génie gaulois ! 
Aux Anglais la haute finance, à nous la suprématie intellectuelle ! " 

Ah bien oui ! nous pouvons en pafler de notre suprématie intellectuelle. 

Où sont nos bibliothèques, nos musées d'antiquités, nos musées géolo- 
giques, nos musées d'histoire naturel'e, les théâtres, les salles de concert, • 
les galeries de peintures 1 De notre côté ou du côté des Anglais t 

Qui fait vivre nos artistes musiciens 1 Qui emploie nos dessinateurs — 
c'est-à-dire qui les apprécie î Est-ce nous ou les Anglais t 

Comptons les sociétés de géographie et d'histoire, les clubs littéraires 
et artistiques du pays, et constatons combien nous en avons sur le nombre ! 

Le marquis de Lorne a fondé chez nous une académie Royale de pein- 
ture et de sculpture ; combien y a-t-il de Canadiens-français qui en fassent 
partie ? Un seul, je crois. 

Au Salon du printemps, tenu dans la Galerie des Arts, Fhilipps 
square -^ une institution anglaise, cela va sans dire — sur quatre-vingt- 
cinq exposants, il y avait juste deux de nos compatriotes ! 

On parle d'Art t Voyez nos églises, nos collèges, nos couvents, nos 
édifices nationaux en général ; et, au point de v«e du mérite architectural, 
comparez-les à ceux qui sont construits par les Anglais. 

Depuis un siècle nous n'avons pas dépassé, en fait d'architecture 
religieuse, la vieille basilique de Québec, qui est encore la plus belle église 
catholique du pays. 

. Dans une sphère plus restreinte, visitez les demeures de nos citoyens, 
et cherchez-y les œuvres d'art qui indiquent chez leur propriétaire des goûts 
intellectuels et des préoccupations autres que celles du terre à terre des 
affaires et de la vie mondaine. A quelques exceptions près, vous n'en 
trouverez pas ailleurs que chez les Anglais. 

C'est triste à dire, mais c'est comme ça ! 

Des mains en cire, des chromos de quatre sous, des lithographies 
étoilëes de clinquant, à la bonne heure ! en veux-tu en voilà ! . . . Que 
voulez-vous, nous n'avons jamais entendu parler d'autre chose. 

Mon Dieu, pour être doués, nous le sommes au moins autant que les 
autres. Le génie gaulois ne nous manque pas. Nous avons l'intelligence, 
le goût inné. L'étoffe y est sans doute. Mais c'est la lanterne sous le 
boisseau. Il faudrait que tout cela fût mis au jour, cultiv^ développé par 
l'éducation. 

Or, je le déclare sans crainte d'être contredit, notre éducation, en fait 
d'art, est aussi nulle que possible. 

On fait pianoter un peu, sans l'ombre de principes la plupart du temps. 
On laisse souffler dans des cuivres et taper sur des tambours les jours de 




1 



;/ 



— S^ecktorsj, Col». 



A PROPOS d'Éducation 73 

j 

Pour cela, il faut que Tenfant soit non seulement éduqué, mais élevé. 

C'est-à-dire qu'on doit lui donner des leçons de politesse, de distinction, 
de maintien, de savoir-vivre, de propreté et d'hygiène corporelle en géné- 
ral, sous peine d'en faire un homme inférieur au moral et au physique. 

Et voici, monsieur l'abbé, la partie la plus pénible de la tâche que j'ai 
entreprise; car je ne puis aborder cette question délicate sans toucher à la 
prunelle de l'œil de bien des gens, et sans mettre le doigt sur une plaie 
très humiliante pour notre fierté nationale. 

Pas moyen pourtant de reculer ; malgré mes répugnances, il me faut > 
aller jusqu'au bout, sous peine de manquer le but que je me suis proposé 
dès le commencement. 

Il y a ici — pour moi tout particulièrement — un écueil à éviter : en 
courtoisie, en honneur et en justice, je ne dois ni être, ni paraître person- 
nellement agressif. 

Pour éviter cet écueil, j'ai résolu de laisser de côté malgré ce que je 
pourrais en tirer à l'appui de ma thèse, tout ce qui tient à mon expérience 
propre, et de n'alléguer que ce qui m'a été rapporté par autrui. 

Mes paroles auront un peu moins dQ poids peut-être, mais je ne veux 
pas qu'elles aient l'air de refléter le moindre sentiment d'antipathie ou de 
rancune — injustifiable d'ailleurs — contre les collèges où j'ai eu l'avantage 
d'étudier, et qui ont droit — je suis heureux d'en faire ici une déclaration 
émue — à tout mon respect et à toute ma reconnaissance. 

Donc, qu'on ne cherche aucune allusion personnelle sous ma plume. f 

Je déclare sur l'honneur qu'il n'y en aura pas. 

J'éviterai même d'appuyer sur ce qui sort des limites ordinaires des 
choses. Ainsi je ne mentionnerai que pour la curiosité du fait ce direc- 
teur qui ne se gênait pas le moins du monde pour lancer le mot de 
Cambronne et les accessoires, en pleine salle d'étude, en face de toute la 
communauté réunie pour la lecture spirituelle. 

Je n'en dirai pas plus de ces professeurs qui racontent aux enfants 
des histoires émaillées de révoltantes crudités. 

Ce sont là des exceptions, et les exceptions ne prouvent pas grand 
chose, si ce n'est qu'elles peuvent se produire, — ce qui est déjà énorme, 
vous en conviendrez. , 

Mais voici qui n'est pas une exception, par exemble : ce sont les 
professeurs impolis et même bassement grossiers dans leurs rapports avec 
leurs élèves. 

Il ne manque pas de jeunes ecclésiastiques qui apostrophent ceux à 
qui ils sont chargés d'enseigner les bonnes manières, de la façon la plus 
outrageante, et qui, devant les réclamations d'une fierté bien légitime, ^ 

couronnent leur algarade par cette phrase qu'un malin pourrait bien I 

remettre à la poste à l'adresse de l'auteur : 

— Vous saurez qu'il n'y a pas de messieurs ici ! 

Les malheureux oublient que nous mettons nos fils au collège précisé- 
ment pour en faire des messieurs. 

Si l'on détruit chez l'enfant son propre respect, on lui enlève la moitié 
de son ressort moral. Respectons -le, il sentira sa dignité d'homme et se 
respectera lui-même. 

Un enfant aux études, c'est un citoven de l'avenir, c'est un homme 



v=r i . JT aio^<»uiiiLiLi Jiuac£:r?/* ■:•'.': * 




74 A PROPOS d'éducation 

d^Etat, un ëvêque, un futur cardinal peut-être, un grand homme possible ; 
il doit être traité en conséquence, et non rebuté avec des taloches et des 
gros mots. 

Soyez poli pour un enfant, vous créerez un homme poli ; et un homme 
poli, dans toutes les situations de l'existence, a son chemin à moitié fait 
devant lui. 

Vous avez affaire à un caractère peu pliant : dirigez le, ne le brisez 
pas. Vous formerez un homme, au lieu d'un avachi ou d'un révolté. 

Croyez-moi, on obtient cent fois plus en prenant un enfant par le 
sentiment de l'honneur, en lui manifestant de la confiance et en lui per- 
suadant qu'il a du cœur, qu'en lui faisant baiser la terre et en le traitant 
de tocaon du matin au soir. 

Mais pour cela, il faut que les professeurs et les maîtres soient des 
hommes calmes, des hommes d'expérience, mûris dans le métier par des 
lectures solides, et non des séminaristes, improvisés professeurs, qui appor- 
tent trop souvent dans la tribune du maître les rancunes et les antipathies 
du camarade. 

Quant au maintien, au langage réservé, aux bonnes manières — c'est 
bien pénible à constater — les enfants vont le plus souvent perdre au 
collège ce qu'ils peuveïit, sous ce rapport, avoir appris chez leurs parents. 
J'en appelle à l'expérience de toutes les bonnes familles ' 

Toilette débraillée, démarche insouciante, paroles saugrenues, bouscu- 
lades brutales, criailleries vulgaires, voilà ce qui caractérise la plupart de 
nos collégiens. 

Cela n'est pas précisément encouragé par les professeurs, sans doute ; 
mais — de même que le mauvais langage — c'est presque universellement 
toléré. Du moment que le règlement est observé dans ses grands lignes, 
on ferme les yeux sur le reste. C'est une faute grave. L'entant se ressent 
toute sa vie des habitudes relâchées qu'on lui a laissé prendre dans sa 
jeunesse. 

On rapporte que des scènes rabelaisiennes du plus haut goût ont eu 
lieu dans une fête de collège récente. Cela serait-il arrivé si ces messieurs 
avaient été habitués d'avance à soigner leurs propos et leurs manières ? 

Rien d'immoral, si vous voulez ; mais nous, les misérables laïques, 
aussi indignes que ridicuhs, nous nous étonnons toujours qu'on puisse aussi 
facilement allier la sainteté et la prière avec la poissardise et la polissonnerie. 

Et à table donc ! à table où l'homme bien élevé et celui qui ne l'est 
pas se révèlent comme à livre ouvert ! où est la surveillance 1 où est le bon 
conseil î où est la réprimande ? où est l'enseignement, en un mot ? Nulle 
part, ou à peu près ! 

Au contraire, l'élève voit le plus souvent à ses côtés — il est des 
exceptions, je n'ai pas besoin de le répéter — un pion en soutane qui s'enve- 
loppe le cou de sa serviette, qui aspire son potage avec un bruit d'écluse, 
qui coupe son pain sur la nappe, qui pérore la bouche pleine, qui refroidit 
son thé ou son café dans sa soucoupe, qui gesticule avec sa fourchette ou 
sa cuiller, qui porte sa serviette au nez, qui torche son assiette avec une 
bouchée de pain, qui éructe aux quatre vents comme s'il était payé pour 
cela, et qui surtout — oh ! surtout ! — s'introduit chaque morceau dans la 
bouche avec son couteau, au risque d'être obligé de recourir au chirurgien 
pour une reprise devenue nécessaire quelque part. 




'. \r... .'.-^A 




A PROPOS d'Éducation 75 

Avec ce spectacle sous les yeux, et devant cet exemple donné par un 
supérieur en soutane — un être à peu près infaillible, c'est entendu — 
chargé par évêques et parents de ^instruire, que voulez-vous que fasse le 
potache ? 

Il imite, naturellement. 

Pauvre enfant ! s'il n'a point de parents en état de réagir, quelles 
humiliations l'avenir lui réserve ! 

S'il a le toupet de coudoyer, il sera conspué ; s'il est timide et conscient 
de son ignorance, il craindra son ombre, il verra des ornières partout, 
perdra la moitié de ses ressources, et, mal à l'ais» dans la bonne société, 
fuira le monde et les hautes sphères, où il aurait peut-être fait un chemin 
brillant et rendu de grands services à son pays. 

Tout le monde sait cela, tout le monde en gémit, et personne n'ose le 
dire. Eh bien, ça y est, monsieur l'abbé Baillargé ! Vous avez voulu, pour 
le plaisir de monter sur vos petits chevaux, attirer cela à vos confrères, ils 
l'ont ! A eux de vous en remercier. 

Une autre partie de l'éducation qui jusqu'ici a été considérée dans nos 
collèges comme matière absolument sans aucune importance, c'est l'hygiène 
corporelle — ce qui s'appelle, dans la langue des familles, la propreté. 

Tranchons le mot sans hésister, puisqu'il faut que l'opération se fasse ; 
dans nos collèges on ignore les premiers éléments de cette vertu, qui est 
non seulement le cachet du gentilhomme, mais encore la mère du mens 
sana in corpore sano. 

H n'y a pas à se le dissimuler, nos enfants croupissent littéralement 
dans la crasse, tous les ans, depuis l'ouverture des classes jusqu'à la distri- 
bution des prix. 

Durant ces dix mois, chaque collégien est tenu d'avoir un scapulaire. 
C'est excellent, je n'en doute pas ; mais pense-t-on qu'uneHbrosse à dents 
n'aurait pas son utilité aussi ? 

Il est louable, j'en conviens, d'avoir un chapelet dans sa poche ; mais 
un cure-oreille, un canif à ongles, n'y feraient pas une trop mauvaise figure 
non plus, monsieur l'abbé, je vous assure ! 

Tous les jeunes gens de ma connaissance, récemment sortis du collège, 
me racontent des choses qui seraient incroyables, si les habitudes prises 
n'étaient pas là pour en garantir l'authenticité. 

Dans la presque totalité de nos collèges, disent-ils, si l'on passait en 
revue les élèves — depuis ceux des Eléments jusqu'à ceux de Philosophie — 
on n'en trouverait pas cinq par collège qui eussent les dents propres, et 
dont les ongles ne fussent bordés de noir comme des cartes de visite en deuil. 

Jamais d'inspection, jamais de remarques là-dessus ! 

Au contraire — quand, dans les collèges anglais et américains, et 
même dans certains de nos couvents, chaque élève est tenu, à l'ouverture 
de la classe, d'exhiber sa bouche et ses mains, et de recommencer honteu- 
sement sa toilette, s'il y a lieu — il ne manque pas chez nous de maîtres et 
de professeurs pour gourmander les enfants qui se brossent les dents et les 
ongles, sous prétexte que c'est là sacrifier au démon de la vanité — de la 
fierté^ comme ils disent. 

Se laver la tête est chose inconnue dans nos collèges. Et d'après ce 
que j'ai pu recueillir de renseignements, il n'est, dans tout le pays, qu'un 




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76 A PROPOS d'éduc:ati()N 

seul pensionnat de garçons où les élèves soient tenus de se laver les pieds 
une fois par mois ! 

D'ordinaire cela n'arrive que deux fois par an, à Noël et à Pâques. En 
certains endroits, c'est un événement unique dans l'année. Il est même 
des institutions modèles où, si l'on s'avisait de prêcher une pareille innova- 
tion, on risquerait fort de se faire une réputation d'esprit subversif et 
dangereusement avancé. 

Aussi on peut s'imaginer quelle espèce d'atmosphère parfumée flotte 
dans les dortoirs, surtout après un jour de congé, quand les chaussettes 
sèchent sur les malles ou sur le pied des lits. 

Faut-il parler des bains ? 

Quelqu'un me dit qu'au séminaire de Montréal et au collège de Sainte- 
Marie, on est en frais d'en construire. 

A la fin du dix-neuvième siècle, il est temps ! 

Espérons que ce n'est pas la seule réforme que l'opinion publique 
réussira à imposer. 

Oui, les bains ! en voilà une rareté par exemple ! Je connais des mères 
qui sont obligées de faire sortir leurs enfants du collège presque de force, 
pour aller les savonner quelque part. 

Quand on leur demande : "Avez- vous des bains 1 " certains directeurs de 
séminaires répondent avec empressement : " Certainement, nous en avons ! " 

Ils oublient d'ajouter que ces bains — une baignoire unique, le plus 
souvent — font partie de l'infirmerie, et que, loin de les imposer aux élèves, 
on prélève au contraire une somme de vingt-cinq sous sur ceux qui en 
usent, et chaque fois qu'ils en usent : 

tJn jeune étudiant me disait dernièrement : 

— En 1889, on a installé une baignoire pour les malades dans mon 
collège. Noui^sommes tous allés voir ça. C'était notre professeur de 
physique qui nous expliquait le fonctionnement de la machine. Il mêla 
même à ses explications une allusion historique au fameux Eurêka 
d'Archimède, et conclut en disant que certaines gens du monde se servaient 
de ces inventions-là même en pleine santé. Soins bien frivoles, ajouta-t- 
il, et bien ridicules pour cette poignée de boue qui s'appelle le corps humain ! 

C'est drôle, monsieur l'abbé, mais il me semble, à moi, que c'est juste- 
ment parce que notre corps a le malheur de n'être qu'une poignée de boue, 
que nous devons faire d'autant plus d'efforts pour le tenir propre. 

Ce n'est pas parce que nos collèges auraient pour mission principale 
de faire des prêtres que l'on devrait penser autrement, ce me semble ; car 
rien n'est répugnant, suivant moi, comme de voir monter un prêtre à l'autel 
pour y dire sa messe, avec des dents, des ongles et un cou qu'on tolérerait 
à peine chez un palefrenier. 

Et ils ne sont pas rares ceux-là, monsieur l'abbé ; ils sont même nom- 
breux ; trop nombreux pour le prestige de notre clergé. 

Or, croyez-vous que tel serait le cas, si tous ces abbés collants et 
visqueux avaient été forcés de se saucer dans l'eau une fois par semaine au 
moins durant leurs études 1 

S'ils avaient appris dès leur jeunesse la diflérence qu'il y a entre fleurer 
le savon et sentir l'escafignon, ils le sauraient encore, à la grande satisfac- 
tion de ceux qui sont obligés d'aller à confesse à eux. 




A PROPOS d'Éducation 77 

S'ils avaient appris, dès le collège, à changer de faux-col, sinon de 
chemise, tous les matins, ils ne porteraient pas de cols romains en celluloïde, 
avec bordure terre de sienne, pour économiser quelques sous par mois sur 
le blanchissage. 

Monsieur l'abbé, il est des gentilhommes dans le clergé ... Grands 
dieux, qu'ils doivent être humiliés parfois ! 

Mais, à propos, vous avez découvert que le bain est un exercice hygie- 
tiique^ si j'en crois vos Coups de crayon. 

Alors, monsieur, vous devriez bien faire mettre cette découverte en 
pratique dans votre propre collège — pour ne pas dire votre collège propre — 
dont on rapporte des choses qui, sous le rapport de la vertu dont il s'agit, 
ne le cèdent en rien à votre politesse et à vos connaissances linguistiques. 

— Je voudrais mettre mon fils dans tel collège, disait un jour quel- 
qu'un à mon ami Horace Saint-Louis ; y a-t-il un uniforme de rigueur ] 

— Sans doute, comme dans les autres collèges, répondit le fin loustic : 
une redingote ou tunique (quand votre fils sera instruit, il appellera cela 
un capot) une redingote ou tunique à nervures blanches, un ceinturon de 
laine verte, et un tour de- cou gris fer. 

— Tout cela doit être fourni par les parents sans doute ? 

— Oui, excepté le tour-de-cou : c'est le collège qui fournit cette partie 
du costume. 

Avons-nous le droit de nous étonner, après cela, d'entendre quelque- 
fois dans nos campagnes ce sarcasme inconscient et naif : Propre comme 
un Anglais 1 

Vous allez dire encore que j'ai la Aonte /aci/e, monsieur l'abbé, mais, 
je vous l'avoue ingénuement et sans ambages, ces choses-là me font terri- 
blement honte. 

Aussi me verrez- vous sans cesse et de tout cœur avec ceux qui crient : 

— Il nous faut des réformes ! 

Cela devient une question de dignité nationale, une question de patrio- 
tisme. 

De votre côté, avant de crier au sacrilège, recueillez-vous un peu ; et, 
devant Dieu, la main sur la conscience, demandez-vous si cela n'est pas 
strictement vrai. 

A moins d'être de mauvaise foi, vous direz : oui. 

Eh bien, alors, qu'on me garde la plus amère des rancunes, si l'on 
veut ; mais qu'on se réforme ! 

Du moment qu'on se réformera, je suis prêt à me soumettre à toutes 
les représailles ; je sais depuis longtemps qu'on ne cuisine pas d'omelettes 
sans casser des œufs ; et quand on risque du nettoyage, n'est-ce pas, on ne 
peut guère s'attendre à ce qu'il ne vous rajaillisse pas un peu d'eau sale sur 
les doigts. 

Voici ma douzième lettre à sa fin, monsieur l'abbé ; et le terme que 
j'avais fixé à cette correspondance est bien près d'être atteint, s'il ne l'est déjà. 

ÎSTéanmoins, comme j'ai encore quelque chose à dire sur le sujet, et que 
vous vous êtes montré bon enfant depuis un certain temps, je vais vou% 
donner ce qu'on appelle la " douzaine du boulanger " ; et puis, je vous 
laisserai aller, à Saint-Léon ou ailleurs, prendre des bains et soigner vos 
rognons. 

A la semaine procbûoe, donc, pour la dernière fois. 





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TREIZIÈME ET DERNIÈRE LETTRE 

Montréal, 1er juillet 1893. 
Monsieur l'abbé, 

Certains de nos évêques nous disenj} quelquefois : " Vous réclamez des 
réformes ; alors signalez-nous celles que vous désirez, et nous verrons." 

De sorte que ceux qui réclament tout contrôle sur l'éducation demandent 
qu'on les renseigne sur ce qu'ils ont à faire pour s'acquitter de leur tâche. 

On me permettra de ne pas trouver cela d'une logique serrée. 

Il me semble que ce serait à ceux qui nous disent : " Vous ne serez 
instruits que par nous et chez nous ", de savoir ce qu'ils peuvent et doivent 
nous donner. 

Que penserait-on d'un marchand qui, ayant obtenu le monopole d'un 
certain commerce, s'adresserait aux consommateurs pour savoir où se 
procurer la marchandise ? 

Cette prétention est aussi illogique qu'elle peut l'être. Néanmoins, je 
veux tout de même soumettre quelques considérations de mon crû, relati- 
vement à ces réformes, dont chacun peut fort bien sentir la nécessité, sana 
pouvoir indiquer ni les abus ni les lacunes. Autre chose est de se sentir 
malade, et autre chose est de trouver le remède pour se guérir. 

Loin de moi la prétention de rien décréter : je ne suis pas du métier, 
et n'ai fait aucune étude approfondie de la question. Ceci humblement ' 
avoué, mes remarques vaudront ce qu'elles vaudront. 

D'abord, monsieur l'abbé, nous avons, suivant moi et suivant bien 
d'autres, trop de collèges classiques dans le pays. D'après vos propres 
chiffres, ils sont au nombre de dix-sept. Permettez-moi de vous le dire : 
c^est quatre fois trop. 

En France, où la population est de 38,000,000, et où les carrières 
réclamant une éducation supérieure sont relativement beaucoup plus nom- 
breuses, il n'y a que 110 institutions de hautes études. 

Comme nombre, c'est quatre fois moins que chez nous. Mais au point 
de vue de la valeur des études, je ne crains pas de le dire, c'est vingt fois 
plus fort, au plus bas mot ! 

Si nous n'avions que quatre ou cinq grands collèges où viendraient 
étudier les élèves qui auraient manifesté des dispositions spéciales dans les 
classes préparatoires, on ne serait pas en pareille pénurie de professeurs. 

Ceux-ci seraient rémunérés de façon à pouvoir se livrer exclusivement 
à la carrière, sans soupirer après un vicariat ou une cure de campagne. 

Nous aurions des bibliothèques mieux choisies et plus modernes, des 
cabinets de physique plus complets, des laboratoires de chimie mieux 
pourvus, des globes, des cartes, des télescopes, un observatoire, des œuvres 
d'art, des clavigraphes, un gymnase, des bains, etc., enfin tout ce qui est 
de première nécessité dans une maison d'éducation sérieuse. 

Et comme conséquence toute naturelle, nos collèges pourraient être 
comparés sans désavantage avec ceux des autres pays ; nos études devien- 
draient dignes de ce nom ; tant de nos prêtres, de nos avocats, de nos 




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A PROPOS d'éducation 79 

médecins, de nos notaires et de nos ingénieurs civils, ne seraient pas si 
désespérément ignorants, nos professions libérales ne s'encombreraient pas 
tous les ans d'individus qui feraient mieux cent fois, pour leur avantage et 
le nôtre, de rester aux mancherons de la charrue. 

Et, par contre-coup, beaucoup plus d'études commerciales et indus- ^t 
trielles ; partant plus de carrières pour la jeunesse ; exploitation plus intelli- 
gente des ressources du pays ; moins de course au clocher pour obtenir des 
places du gouvernement ; et surtout moins de théories et plus de sens 
pratique chez nos législateurs. . . Ce qui vaudrait bien, croyez moi, vos 
fariboles sur l'économie politique, monsieur l'abbé. 

Mais cette réforme ne se fera pas : le clergé craindrait de ne pas y 
trouver son compte. 

Ce n'est pas le clergé qui' est fait pour le pays, c'est le pays qui est 
fait pour le clergé. 

Les prêtres intelligents en gémissent, parce qu'ils savent où cela 
conduit le clergé et le pays ; mais ils n'y peuvent rien, ni moi non plus. 

Une autre réforme que tout le monde demande et qu'on semble bien 
déterminé à ne pas nous accorder, c'est celle qui a trait à l'enseignement 
de l'aio^lais. 

Et, cependant, il nous faut cette réforme, monsieur l'abbé .... Il nous 
la faut, ou les collèges — c'est fatal — se videront au profit des IIi(/h 
Schooh. 

Car le public — si vous ne le savez pas, apprenez-le — est las de 
subir, dans le programme de nos études, cette exclusion systématique de la 
langue dont la connaissance est le plus indispensable en Amérique. Et si 
quelqu'un était porté à croire que j'exagère en parlant d'exclusion systéma- 
tique^ le mauvais œil avec lequel, dans certains quartiers, on regarde l'uni- 
versité d'Ottawa et le collège de Saint-Laurent, où l'on a franchement 
rompu avec les vieilles routines, devrait être suffisant pour le démontrer. 

— Mais nous n'avons pas de professeurs, me dira-t-on. 

Je le sais bien, que vous n'avez pas de professeurs ; mais alors pour- 
quoi vous trouver insultés quand on ose seulement insinuer ce que vous 
invoquez comme circonstance à décharge ? 

Si vous n'avez pas de professeurs, il faut en avoir, c'est tout simple. 
Sinon, fermez boutique, et laissez l'Etat nous en donner, car il en faut. 

On dit aussi quelquefois : Mais c'est le temps qui manque. 

Je reviendrai sur cette objection, dans un instant. En attendant, je 
demanderai pourquoi on ne ferait pas étudier certaines sciences en an- 
glais ; l'anglais s'apprendrait en même temps que la science. 

Pourquoi, par exemple, ne ferait-on pas traduire du latin en anglais 1 

Pourquoi pas un jour d'anglais et un jour de français ? 

Encore une fois, je suggère sans approfondir. Mais, quelle que soit la 
solution suggérée, il n'y a pas à dire, une solution quelconque s'impose ; 
car l'anglais, dans un pays comme le nôtre, doit être enseigné à l'égal du 
français, puisque les deux langues y sont tout aussi nécessaires l'une que 
l'autre. 

Mais, quand je dis à l'égal du français, il faut s'entendre ; je ne parle 
pas du français tel que vous pourriez l'enseigner, vous, monsieur l'abbé. 

Je ne parle ^as du français tel que peuvent l'enseigner ceux qui vous 
lisent sans s'apercevoir qu'ils lisent de l'iroquois. 



80 A PROPOS d'éducation 

Je ne parle pas même du français qu'enseignent ceux qui, volontaire- 
ment, laissent pénétrer auprès de leurs élèves les élucubrations indigestes 
que votre prétentieuse ignorance leur sert périodiquement moyennant 
finance. 

Du français de cette espèce, il vaut mieux ne pas en savoir ; car il ne 
sert qu'à tenir notre race à l'écart, sans rien nous donner comme compen- 
sation. 

Je parle du français, du vrai français, du français de France, ce qui 
est bien différent du canayen. 

Or si l'on enseigne le vrai français quelque part, monsieur l'abbé, ce 
n'est certainement pas dans le collège où vous avez étudié, ni dans celui 
où vous êtes professeur. 

Si on l'enseigne ailleurs, nous sommes à même d'en juger par le lan- 
gage de nos avocats, par les sermons de nos prêtres, par nos journaux — 
même ceux qui sont publiés sous le toit de nos collèges — par nos docu- 
ments publics, par nos statuts surtout, qu'on pourrait soumettre à l'aca- 
démie des Inscriptions et Belles-Lettres, comme le plus beau des casse-tête 
qui ait jamais pu germer dans un cerveau du Céleste- Empire. ^ 

Et pourtant la première chose qu'on devrait exiger d'un homme qui a 
fait un cours complet d'études classiques serait, ce me semble, de parler et 
écrire correctement sa propre langue, n'est-ce pas ? 

S'il n'a appris ni sa grammaire ni son orthographe, qu'a-t-il appris î 

Malheureusement le mal me paraît incurable, car ceux qui pourraient 
opérer la réforme ne se doutent aucunement de son urgence. 

Pour se soigner ou se faire soigner, il faut commencer par savoir 
qu'on est malade. Or ici la maladie même, c'est de se croire en bonne santé. 

La réforme qu'il y aurait à opérer sur ce point, la voici : 

Il faudrait que tous nos professeurs de Belles-Lettres et de Rhétorique 
fussent des Français de France ; car, lors même qu'un Canadien parvien- 
drait, par une rare initiative personnelle, à bien posséder la grammaire 
française et le génie de la langue, ce n'est pas même avec quarante ans 
d'études constantes, faites sans guide et à tâtons, qu'il apprendra cette 
chose si vaste, si complexe et si difficile pour ceux qui n'ont pas eu le 
milieu : le vocabulaire. 

' Mais cette réforme ne se fera pas non plus ; ce serait avouer qu'on ne 
sait pas le français. 

Et avouer ignorer quelque chose, serait admettre l'opportunité d'exa- 
mens aussi redoutés par nombre de ceux qui enseignent, que reconnus 
nécessaires par ceux qui les paient. 

C'est dans l'ordre des choses non pratiques, et surtout non praticables. 

Puisque nous en sommes sur les langues, parlons donc un peu du latin 
et du grec. La question est importante; mais je crois pou voir en disposer 
en peu de mots. 

Le grec n'est pas une langue qu'un homme de nos jours a l'occasion de 
parler et d'écrire, n'est-ce pas ? 

C'est une langue morte, qui est une des sources de notre idiome, et 
qui est devenue, dans le monde entier, la mère du langage scientifique. 
C'est à ces deux points de vue qu'il est opportun de l'apprendre, et pas 
pour autre chose. 




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— âtoCKion« %.««■". ; 



A PROPOS d'éducation 81 

Des professeurs qui se croient avisés, prétendent que c'est un moyen . 
d'exercer le jugement. C'est possible, mais il y a cent mille choses plus "^ 
utiles que le grec, qui pourraient exercer le jugement, monsieur Tabbé. 

Le grec doit être enseigné seulement comme matrice de la langue scien- 
tifique, et comme auxiliaire du français ; de sorte que faire pâlir des enfants 
durant des années sur des thèmes grecs est tout simplement une absurdité. 
Les premiers principes de la grammaire, une centaine de racines bien 
apprises et bien comprises, Esope bien traduit, l'Iliade et l'Odyssée, 
Xénophon, Thucydide, Eschyle expliqués succinctement par le maître, voilà 
ce qui est nécessaire. 

Le reste est du temps perdu. J'en appelle à tous ceux qui ont fait 
leurs études dans le pays. 

Quant à traduire les Actes des Apôtres pour apprendre le grec, il 
vaudrait tout autant apprendre le latin dans Gury. 

L'essentiel, surtout dans cette branche des études, c'est d'avoir de bons 
professeurs qui saclient bien faire la différence entre ce qui est inutile et 
ce qui est nécessaire. En une heure, un helléniste sérieux ouvrira plus 
d'horizons à ses élèves, qu'un autre, sans études spéciales, n'en pourrait 
ouvrir en un mois. 

On m'assure que le fameux Jardin des Racines grecques est une 
institution du passé. Ce n'est pas moi qui regretterai cet incommensu- 
rable monument de la bêtise humaine. 

Quelqu'un disait dernièrement, pour défendre cette élucubration 
d'idiot — le plus beau facteur qui ait encore jamais été mis en action pour 
la crétinisation de la jeunesse — que cela servait à exercer la mémoire. 
Pourquoi ne pas faire apprendre le Télémaque à rebours alors ? 
Ce ne serait pas beaucoup plus bête que de l'apprendre en commen 
çant par le commencement ; et, pour la mémoire, la gymnastique serait 
encore plus forte, sinon plus intelligente. 

Comme si nous n'avions pas assez de chefs-d'œuvre littéraires en fran- 
çais et en anglais, qui pourraient, tout en cultivant la mémoire, orner ^ 
l'esprit pour la vie entière ! 

Quant au latin — j'ai des idées bien arrêtées là-dessus — pourvu qu'on 
ne lui sacrifie pas les matières de première nécessité, on ne le saura jamais 
trop. 

Mais il y a savoir le latin, et savoir le latin. 

Inutile de parler le latin, inutile même de l'écrire ; c'est le génie de 
la langue qu'il faut savoir ; ce sont les grands auteurs latins qu'il faut 
bien lire, bien comprendre, bien posséder, dont il faut s'imprégner. 

C'est pour consacrer plus de temps à l'étude du latin ainsi comprise, 
que, en 1880^ on a aboli les thèmes et les discours latins en France. 

Avec ce nouveau système, un enfant peut apprendre plus de latin en 

deux ans qu'il n'en apprend durant toutes ses études avec le système actuel. 

En somme, si paradoxale que la proposition paraisse, ce n'est pas tant 

pour savoir le grec et le latin qu'on doit étudier le latin et le grec, que 

pour savoir le français. 

Que nos préfets des études se mettent bien tette vérité dans la tête, 
et ils comprendront mieux de quel côté, à un moment donné, pousser la 
barre du gouvernail. 

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82 A PROPOS d'Éducation 

Il va sans, dire qu'il n*est pas question ici de ceux qui se destinent au 
professorat. 

Il faut à ces derniers un entraînement tout spécial et aussi des études 
toutes spéciales. C'est l'affaire des écoles normales. 

Voilà mon avis sur cette question si controversée de renseignement 
du grec et du latin. C'est l'opinion de Jules Simon et des principaux 
universitaires de France. 

Pour rester dans les grandes lignes, parlons un peu maintenant de 
géographie et d'histoire. 

Voilà encore un point sur lequel nous pommes terriblement arriérés. 

Dire qu'on en est encore à faire apprendre la géographie et l'histoire 
par cœur ! 

Sans cartes dans bien des cas — pour l'histoire surtout. 

Que reste- t-il de tout cela à la fin de l'année ? 

Et en présence de cette perte de temps inouïe, on se plaint d'en man- 
quer ! 

J'ai appris l'histoire romaine par cœur, monsieur l'abbé — un abrégé 
naturellement. Or, pendant que je me casais dans le cerveau toutes ces 
phrases que j'ai oubliées depuis, combien de pages j'aurais pu y loger dont 
je me souviendrais encore ! 

L'étude du mot à mot en matière de science est pour moi — pardon- 
nez à mon incompétence laïque, monsieur l'abbé — une incompréhensible 
aberration. C'est s'adresser à la matière au lieu de s'adresvser à l'esprit. 

On peut appliquer à toutes les autres branches de l'instruction ce que 
Mgr Spalding dit de l'enseignement religieux, sous ce rapport : 

" Notre méthode d'enseigner la religion, dit-il, qui est pourtant le trait carac- 
téristique de nos écoles, ne prête-t-elle pas à une juste critique? Les enfants 
apprennent 23ar cœur une multitude de définitions qu'il leur est hnpossible de 
comprendre, et, s'ils peuvent répondre à toutes les questions du catéchisme, ils se 
persuadent facilement qu'ils savent leur religion. Mais comme ces notions qu'ils 
ont acquises ainsi sont pour la plupart complet emeiit incompi^lses, elles ne peuvent 
contribuer à la croissance intellectuelle et sont trop souvent bientôt oubliées. Cent 
ainsi^ d'après moi, que sont semés les germes de rindill'érence et de V ignorance en 
matière religieuse. Il est presque fatal de croire que nous connaissons une chose, 
car ce qui est connu cesse d'intéresser ; mais croire qu'être capables de répéter des 
phrases dont nous ne connaissons que les mots, ccst savoir, ce n'est pas seule- 
ment une illusion, mais une sorte de perversion de V esprit. Savoir par cœur n'est 
pas du tout savoir, et c'est là une des premières leçmts que V enfant doit app^^en- 
drer 

Cette manière d'enseigner en faisant tout réciter par cœur est très 
'^ commode pour les professeurs qui sont aussi ignorants que leurs élèves ; elle 
les dispense de toute démonstration ; mais elle a fait son temps. 

Ce qu'il nous faut aujourd'hui, ce ne sont pas des perroquets capables 
de réciter à la brasse, mais des élèves qui sachent, qui comprennent, qui 
raisonnent, qui puissent s'expliquer, énoncer leurs pensées par des phrases 
de leur crû. 

Et pour obtenir cela, il nous faut commencer par avoir des professeurs 
qui ont étudié monsieur l'abbé, — qui ont étudié sérieusement, non pas 
rhistoire dans le R. P. Loriquet, Gabourd ou Poujoulat, ni la géographie 
dans l'abbé Holmes, mais la vraie histoire, telle qu'elle s'est passée, et la 
vraie géographie, telle qu'elle existe de nos jours. 




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A PROPOS d'Éducation 83 

Dans chaque collège, il faudrait un professeur d'histoire et un profes- 
seur de géographie, — des spécialistes exclusivement chargés de ces deux 
branches si importantes des études. 

Disons en passant qu'il devrait aussi y avoir une chaire d'Art et . 
d'histoire de l'Art. Avec deux heures par semaine — deux heures de 
véritable récréation — on pourrait donner à chaque élève ce vernis qui est 
peut-être la forme la plus agréable du savoir. 

Mais, encore une fois, moins de collèges et plus de professeurs ! Des 
spécialistes surtout. 

On m'apprend qu'on a engagé un professeur de mathématiques et un 
professeur d'anglais au collège de Montréal — deux laïques aussi iiidignes 
que ridicules, monsieur l'abbé ! — eh bien, voilà un bon pas de fait dans 
la vraie direction. 

Ce qu'il faut aux pères de famille qui désirent faire instruire leurs 
enfants, ce sont des professeurs capables d'enseigner : Ils s'inquiètent fort 
peu — pardonnez à cette indifférence sacrilège ! — que ces professeurs 
soient en soutane ou en redingote. 

Les mathématiques ... ah ! voilà une autre chose honteusement 
négligée dans la plupart de nos collèges ! 

Presque pas un seul chiffre jusqu'après la Rhétorique ; et tout d'un 
coup — à dix-huit ans ! — une pléthore de théorèmes et de binômes à 
affaroucher tous ceux qui ne sont pas nés mathématiciens. 

Un homme qui a été professeur dans une université du pays me 
disait : " On m'a lancé dans le calcul différentiel et infinitésimal avant de 
m'apprendre ma table de multiplication ! " 

La même chose pour la physique et la chimie. On dirait que ces 
sciences n'ont pas leur côté élémentaire, et qu'il faille entrer dedans tout 
d'un morceau, «omme un enfant dans sa première culotte. 

Il y a longtemps qu'on a abandonné ce système en France, en Angle- 
terre, en Allemagne et aux Etats-Unis. A Ottawa et à Saint-Laurent, on 
en a aussi compris l'absurdité : pourquoi se refuser si obstinément à une 
réforme reconnue comme ce qu'il y a de plus rationnel et de plus pratique ? 

Pour ce qui regarde l'enseignement de la philosophie proprement dite, 
afin d'être plus succinct, je me bornerai à reproduire ici quelques lignes 
tombées d'une des plumes les plus autorisées du pays, et, par un hasard 
d'une bizarrerie assez plaisante, égarées dans V Etudiant de mars 1892 : 

" Un fait tnalheureusement avéré, c'est que dans nos écoles catholiques, on 
s'occupe fort peu de V histoire de la philosophie. A-t-on peur que la connaissance 




j^ences 

idées qui firent vibrer l'esprit 

" Mais il m*a toujours paru regrettable que Von se contentât de faire con- 
naître par bribes, à roccasion d*une thèse, des systèmes qui, pour n'être pas vrais, 
n'en sont pas moins, selon la belle expression de saint Augustin, des rayons 
brisés de la vérité et qui peuvent toujours servir, comme les contrastes, à faire 
ressortir plus clairement la vérité absolue de nos principes chrétiens. " 

Lisez entre ces lignes, monsieur l'abbé, et rappelez- vous que leur 
auteur est un prêtre français, renommé pour son savoir, et qui fait bien des 
efforts pour nous sortir de notre ornière. 

. Mais la plus étrange des lacunes à signaler dans nos études classi- 
ques, monsieur l'abbé, c'est peut-être l'absence de toute comptabilité. 







J.S-»»"lr f' .•.-"■*■*•■'«►*■■ 



84 A PROPOS d'éducation 

On dirait qu'aux yeux de certains professeurs en soutane, ce complé- 
ment si nécessaire de toute instruction passable, est non seulement matière 
à négliger, mais encore une chose inférieure, méprisable même, une chose 
tout à fait laïque enfin ! 

Par quel raisonnement biscornu on en arrive là t c'est ce qui me 
surpasse. 

Car, au fond, s'il est une chose nécessaire dans la vie, après savoir 
lire, écrire, parler et marcher, c'est, ce me semble, de savoir compter. 

Eh bien, savoir compter est, paraît il, au-dessous d'un homme qui a 
fait des études classiques ! Quand on a appris le latin, il est entendu qu'on 
ne doit pas savoir tenir ses comptes ni faire aucune transaction de banque : 
c'est déroger ! 

Ces messieurs nous répondent, lorsqu'on en fait la remarque : ** Mais 
il y a les écoles des Frères ! Il y a les écoles commerciales ! " Et cela sur 
un ton de mépris et avec des airs de dignité rengorgée. 

C'est pour cela que nous avons tant de notaires et d'avocats, qui sont 
d'excellents jurisconsultes, mais qui se montrent d'une déplorable nullité 
dans toutes les affaires où il est question de chiffres. 

C'est peut-être un peu pour cela aussi que des presbytères qui devaient 
à l'origine ne coûter que $5,000, finissent, grâce à un procédé classique 
je suppose, par en avoir coûté trois fois autant, quand on paie un comp- 
table pour débrouiller les livres. 

Combien de procès de fabriques, ou tout au moins de difficultés, de 
mécontentements et même de ruines ne seraient pas évités, si les curés 
— dont les marguilliers sont choisis bien trop souvent parmi les gens qui 
ne savent pas lire — avaient un peu appris au collège la différence qu'il y 
a entre le Doit et l'Avoir. 

Mais n'insistons pas. Si cette lacune est déplorable, il est d'autres 
questions qui méritent non moins l'attention de ceux dont la haute 
main dirige nos études. Un point important, c'est la nourriture dans les 
pensionnats. 

Pas besoin, n'est-ce pas de démontrer qu'il faut à l'enfant, qui grandit 
et qui travaille, une table abondamment servie. 

Plus encore pour lui que pour les grandes personnes, les mets doivent, 
en outre, être agréables au goût. Devant une nourriture qui lui répugne, 
l'enfant, comme le petit animal — c'est dans la nature — ne mange pas et 
s'étiole. 

De la frugalité tant qu'on voudra, mais du sain, du propre et du bon ! 

Des pommes de terre bleuies, du beurre rance, de la soupe surie, quel 
est l'évêque ou le grand vicaire qui en mangerait ? Pourquoi alors en faire 
manger aux enfants ? 

Spéculer sur la faim de ces pauvres petits," quand soi-même on se 
coule la vie douce, ce n'est peut-être pas prouver qu'on n'a pas d'entrailles, . 
mais c'est assurément laisser soupçonner qu'on n'est pas aussi bien partagé 
sous le rapport du cœur. 

Il y avait autrefois, certains collèges — disparus j'espère — où n'importe 
quelle potée était toujours assez bonne pour l'élève ; où les nappes étaient 
inconnues ; où Ton servait, en guise de thé, une espèce de lavure, dans des 
gobelets en fer-blanc ; où la morue avait au moins deux ans de cave, et où 




t. :r«i 



À PROPOS d'Éducation ^o 

le bœuf semblait y être mort cVennui ; où l'on trrmvait jusqu'à dos carlavros 
de rats dans les soupières en vieil étain graisseux ; où le Imohis, i-sjhmm» <l(^ 
pot-pourri salmigondis^? de coquerelles, pour mo servir dq trnnc i-aii.ulien. 
s'apellait les choses les plus liybrides ûnisw^nt (juehiurfois par trouver 
leur vrai nom — du chiard. 

Merveilleux effet de notre haute éducation - entre parent lirscs - 
j ai entendu, dans une de nos bonnes maisons de canipagnr, ui;«^ braver 
femme nous dire : 

Je n'ai à vous offrir, Messieurs, qu'un peu de fricassée. <1i«'/. les 

' habitants, vous savez, on appelle ça de la fricassée : mais c'est pas iiiaïupio 

de connaître que c'est pas le vrai nom, allez ! on sait (|ue dans ii's sriiii- 

naires et les presbytères — chez les gens instruits enfin - on appelle i^a <iu 

chiard. 

Ainsi, monsieur l'abbé, voici, en particulier, un mot d«' ftJiino 
ignoble, et pas français par-dessus le marché, que nos hautes maisons dVdu 
cation sont en train d'introduire chez nos braves gens de la campagni;, 
dont la langue n'a pourtant guère liesoin d'aucun surcroît de vulgaiil»'*. 

Vous disiez, si je ne mo trompe, que les enfants ajïporirnt l<»urs 
mauvaises expressions <le leurs familles au collège, monsieur Tabbi' : il nu* 
semble que voilà un cas au moins où le collège ne reste pas «mi arritre d«* 
politesse. 

Puisque nous sommes sur la question des aliments, je me p^niiettrai 
une autre remarque, monsieur l'abbé. Comment s'e.xpli(iuer, dans la 
plupart de nos collèges, ces deux qualités de mets servis à la même table : 
une pour les maîtres, une pour les élèves ? 

Il y a quelque chose de tout particulièrement odieux dans cette 
distinction. 

On voit d'ici ce bon ecclésiastique gros et gras, (jui déguste son excel 
lent potage, sa côtelette aux petits pois, son poulet savoureux, son siR(ul(;nt 
rosbif, ses hors-d'œuvre af)péti88ants, son pain blanc et tendre, s«»n beurre 
frais, ses fruits, son café, son dessert, et quelquefois son vin, sous les 
yeux éblouis de nos pauvres petits, forcés de grignoter leur maigre pitame, 
devenue plus triste encore pfir l'effet de la comparaison. 

Je ne sais pas si c'est un préjugé ou un effet de mon imagination, mais 
cotte différence, dans la couleur du pain sui'tout, a pour moi je ne sais «(uoi 
de révoltant ; il me semble que c'est là une pratique non seulement cruelle, 
mais barbare, anti-chrétienne. 

Sans compter que ce supplice de Tantale, imposé au faible pour 
favoriser le fort, gâte en même temps celui qui en j)rofite et celui i\\ù en 
souffre ; car c'est p<mr l'un l'école de l'envie, pour l'autre celle d(î l e^oisme : 
deux b(»lles choses à cultiver ! 

r^es individus, il est vrai, sont quelquefois meilleurs que le système. 
J'ai connu, par exemple, un maître — aujourd'hui un des plus saints prêtres 
du diocèse de Nicolet — qui partageait invîiriablement son dessert entre 
ses plus proches voisins : il ne p)uvait pas faire plus. 

Que Dieu le bénisse ! Ces bagatelles font (juehiuefois un homnu^ l)ien 
grand aux yeux de Celui qui a dit: " Aimez-vous les uns les autres", et : 
" Laissez venir à moi les petits enfants ! " 

Enfift pourquoi cette lecture pendant les repiiS, cette lecture que 




■«*u *■ 



86 A PROPOS d'éducation 

personne n'écoute ? C'est du temps perdu. Il faut causer et rire à table, 
c'est hygiénique : cela aiguise l'appétit et favorise la digestion. 

Abolissez cette coutume. Ce sera, par jour, une heure et demie de 
récréation de plus pour ces petits travailleurs qui en ont tant besoin. 
Sans compter que cela peut favoriser les remarques du maître sur la 
manière de se comporter à table. 

Dois-je parler des punitions et des châtiments ? 

Ici il faut admettre qu'il s'est accompli, sous ce rapport, des progrès 
ou plutôt des réformes énormes, depuis quelques années ; mais, grands 
dieux, qu'il était temps ! 

On m'a conté des choses qui font bondir : 

Des enfants forcés de se promener à quatre pattes autour des classes 
avec un bonnet d'âne sur la tête ! 

Des enfants tenus à genoux des journées entières ! 

Des enfants courbés sur des pensums durant des semaines ! 

Des enfants condamnés à tracer vingt-cwq croix (à quelle sauce ne la 
met-on pas la divine croix du Christ !) avec leur langue sur les planchers 
épais de poussière et de crachats ! 

Des enfants obligés, la garcette aux reins, de se tenir *les bras étendus 
jusqu'à complet épuisement de force physique. 

Des enfants -xstreints à baiser des tuyaux brûlants, au risque d'y 
laisser la peau de leurs lèvres ! 

Des enfants secoués par les cheveux, et la tête brutalement frappée par 
terre ! 

Des coups de poing en pleine figure ! 

Des petites mains et des petits poignets enflés d'un demi-pouce sous la 
morsure des terribles férules en cuir piqué ! 

Et tout cela, le plus souvent, à cause d'une mémoire rétive au mot 
à mot ! 

Père et mère, y songiez- vous ? Ce pauvre être faible et frêle, votre 
chair et votre sang, que vous aviez mis au monde, sur qui vous fondiez vos 
espérances, que vous aviez dorloté, choyé, adoré, c'est ainsi qu'un impitoya- 
ble malotru vous le traitait ! 

Vous le confiiez à des prêtres pour le faire instruire et le faire élever 
dans des sentiments chrétiens, à des prêtres en qui vous aviez confiance 
comme en des hommes supérieurs, au cœur bon, juste et doux, et qui vous 
rendaient votre enfant, aigri, révolté, l'âme pleine d'amertume et de ressen- 
timent, le caractère gâté pour la vie peut-être, ou, ce qui est encore plus 
triste, aveuli et à quat'pattisé sans rémission, à tout jamais ! 

Ah ! j'en entends qui me disent : Ce n'était pas ainsi partout. 

Dieu merci, ce n'était pas ainsi partout : constatons-le non seulement 
à l'honneur de nos collèges, mais encore à l'honneur de l'humanité. 

Personne ne niera cependant que nous ayons eu ici, au Canada, et 
durant de longues générations, des collèges où la férule — sans compter les 
accessoires — semblait être le principal agent d'enseignement et de disci- 
pline. 

Des sentiments plus humains, des procédés plus intelligents semblent 
prévaloir. Tant mieux ! encore une fois, il était temps. 

Il est vrai, monsieur l'abbé, que, suivant vous (voir la Littérature au 




A PROI»<)S D'ÉDrCATIOX îS7 

Canada en 1890, page 242), le Saint-Esprit s'est déclara» on faveur de la 
férule. 

Eh bien, no vous fiez pas trop à cela, monsieur l'abho ; jo connais des 
pères de famille qui, s'ils vous surprenaic^nt un jour à exorcor vos petits 
talents de tortionnaire sur la personne de leur enfant, n'attond raient pas 
cjue vous leur ayez produit votre autorisation du Saint-lCsprit, j)oui' porter 
une main profane — tout ce qu'il y a de plus profane — sur votre oliàtoau- 
fort, et pour donner à votre charité sacerdotale une lei^'on do douceur et de • 
pitié chrétienne, à la mode d'an siècle déplorablement oublieux dos tradi- 
tions les plus sacrées ! 

Que voulez-vous, les tendances mo<lernes. . . . 

Il y a maintenant des masses d'individus comme cela, qui aiment mieux 
voir leurs enfants rire que pleurer, et aux yeux de qui les jL^itlos et les 
bourrades cléiicales n'ont rien de particulièrement préférable aux bros- 
sées et aux gourmades laïques — si intlignes et si ridlcides «ju Viles 
puissent être. 

Enfin, monsieur l'abbé, sans avoir la moindre prétention de me poser 
en moraliste, je croirais incomplète cette suite de remarqucvs jetées sans 
soin sur le papier, au hasard de la plume et en condensant le plus possibK», 
si je n'ajoutais pas que, d'après l'impression reçue par tous ceux avoir qui 
j'ai eu l'occasion d'échanger des idées sur ce point — tous, vous m'ciitondoz ! 
- - notre système d'éducaticm poche radicalement par sa base philosophique, 
et morne religieuse. 

Au lieu d'élever l'enfant en le rehaussant à ses propres ytiux, vous 
croyez le inoraliser en le rabaissant et en l'humiliant : c'est unt^ erreur 
fatale. 

Au lieu de tremper les caractères, vous les émasculez. 

Au lieu de développer l'initiative individuelle, vous cultivez la sujétion 
collective. 

Dans nos collèges, le bien ne tient presque pas de place connue action ; 
c'est un(î négative : l'absence du mal. 

Quant à celui-ci, il consiste exclusivement en ce qui est défendu. 

Dans l'esprit de l'enfant, telle chose n'est pas défendue parce qu elle 
est mal, mais elle est mal })arce (ju'elle est défendue. 

Pour ma part, je n'ai jamais entendu un de mes camanides d(î collège 
dire : " Tl ne faut pas faire cela, parce que c'est mal." 

" Si on te voit, tu seras puni " était pour nous la synthèses absolue de 
ttmte philosophie morale. 

De là, un maître sans cesse aux aguets, parce qu'il n'a pas à oncoura 
ger, mais à sévir. De là aussi, chez l'enfant, l'impression que — suivant 
la morale lacédémonienne en ce qui regardait le vol — ce n'est pas l'acte 
lui-même qui est à éviter, c'est de " se faire prendre." 

Aussi combien voyez-vous d'élèves qui, au lieu de se cacher d'un mau- 
vais coup comme d'une chose honteuse, s'en glorifient et s'en vantent, s'ils 
ont été assez adroits, assez Jbts, comme ils dis(înt, pour échapper à l'œil du 
maître ! 

♦J'en ai connu qui étaient rud(iment enviés, pauvres fanfarons du mal, 
pour leur hardiesse à défier toute discipline et toute retenue. 

Quelle morale ! 





88 A PROPOS d'éducation 

Et quelle litière de tcnis les freins et de tous les scrupules, quand le 
jeune hoinme, sorti du collège, ne sent plus personne derrière lui pour le 
surveiller et le punir ! Il faut ie voir s'en donner ! 

Et puis, quelle affection l'enfant peut-il avoir pour ce luaitre qui l'épie 
du matin au soir, sans autre intention apparente que celle de le prendre 

Chez les Anglais et les Américains il n'en est pas de même : la sur- 
veillauce se dissimule autant que possible. 
On répudie la di;lation. 

On s'étudie à montrer à l'élève de la confiance et À lui persuader qu'on 
le croit incapable de s'en rendre indigne. 

Ce n'est pas la crainte qu'on cherche à développer chez lui, c'est le 
sentiment de la droiture, de la franchise, de l'honneur. 

' Avec ce système, on ne fait peut-être pas toujours des ètrea qui se 
croient obligés d'aller demander la permission pour regarder de l'autre côté 
de la rue ; mais on fait des hommes, de vrais citovens, des chrétiens 
éclairés et. . . un pays k la hauteur des autres. 

Pourquoi aussi avoir pour principe de toujours donner raison au mattre 
dans ses démêlés avec les élèves 1 

Vous croyez par là affermir votre autorité ; vous la ravalez. L'enfant, 
blessé dans son sens intime de la justice, ne voit plus dans l'autorité que 
l'expression d'un caprice, une formule arbitraire, et vous perdez sa con- 
fiance. Et quand la confiance est morte, l'autorité qui n'a que la peur pour 
appui est bien malade. 

Deux ou trois autres remarques en peu de mots, monsieur l'abbé, et 
j'ai fini. 

On fait lever les enfants trop tôt dans nos pensionnats ; ce n'est pas 
hygiénique. L'enfant a besoin de beaucoup de sommeil, et c'est le sommeil 
du matin qui est le meilleur pour lui comme pour les autres. Il me semble 
qu'eu se levant avec l'aurore on trouve encore assez de temps pour faire 
une excellente journée. Qu'on se couche un peu plus tard, s'il le faut ! 

Pourquoi aussi infliger à l'enfant une si longue prière du matin, à 
genoux et le buste sans appui ? Une prière plus courte serait mieux fait«, ' 
et la journée de travail ne commencerait pas par un exercice épuisant, dans 
une salle où la ventilation fait souvent défaut, et au sortir d'un dortoir 
dont l'atmosphère niépliitique affaiblit les plus robustes. 

Dans le cours de mes études, j'ai vu six pauvres petits diables s'éva- 
nouir pendant cette longue prière du matin. 

Mais un abus — criant celui-là ! — c'est la violation de la correspon- 
dance de l'élève avec ses parents. Pour ma part, un article de règlement 
aussi draconien aurait seul suffit pour m'empêcher de mettre mon enfant 
au collège. Cela ne se voit pas nilleurs que chez nous, et c'est quelque 
chose, du reste, que les Canadiens seuls peuvent supporter. Je me demande 
qupjquefois ce que les Canadiens ne peuvent pas supporter. 

Maintenant, monsieur l'abbé, je terminerai cette longue nomenclature 
critique par une dernière observation qui se rattache au point de départ 
de toute cette discussion : le langage toléré chez les élèves de nos 
collèges et séminaires. 

Dans une de mes lettres à M. l'abbé Nantel, de Sainte-Thérèse, 







A PROPOS d'Éducation 89 



Je signalais cet abus, mais au point de vue de la langue &eulement. Or il y 

a beaucoup plus à signaler, et 1^ plaie est bien plus grave. Heureusement ,1 

qu'elle est aussi plus facile à guérir. I 

Je me h&te de dire que c'est par ignorance de la véritable signification 
des mots, mais dans certains de nos collèges, nombre de pfrêtres, profes- ; 

■seurs et maîtres, non seulement laissent leurs élèves se servir, mais encore ; 

se servent eux-mêmes sans scrupule, d'expressions que les journaux les 
plus pornographiques n'osent risquer qu'en abrégé et avec des points de 
suspension. 

Essayons d'en faire autant pour être compris ! 

J'ai entendu de mes oreilles des professeurs, prêtres ou ecclésiastiques, 
traiter leurs élèves de Jean F . . , tre. 

Ah ! le 6 . . gre ! Je m'en y*. . . » / Te voilà/. . .tu ! F,.,, tez-inoi la paix ! 
Ni /. . . ni br. ..le ! n'est-ce pas là des expressions qu'on entend tous les 
Jours dans la conversation et les jeux de nos collégiens ? 

Ils ne savent pas, naturellement, ce que cela veut dire ; ils ne se 
doutent pas le moins du monde qu'ils prononcent là de grossières obscénités ; 
mais il faudrait quelqu'un pour le leur apprendre. 

Que nos professeurs de collèges consultent des dictionnaires un peu 
complets, et ils sauront si, sur ce point-là au moins, les citoyens un peu 
instruits n'ont pas raison de se plaindre du langage que leurs en^nts 
4ipprennent au collège, sinon de leurs professeurs, au moins de leurs condis- 
ciples ! 

Tout cela constitue de sraves sujets de réflexion, monsieur l'abbé. Ils 
ne viennent pas d'un évoque, mais ils viennent d'un père de famille ; et, 
quand il s'agit d'élever des enfants, l'un vaut bien l'autre, allez ! 

Et, au fait, puisque les évêques — comme je le faisais remarquer au 
début de cette lettre — nous demandent notre avis sur les réformes à 
opérer dans l'enseignement, c'est qu'ils nous reconnaissent une certaine 
compétence que vous nous refusez, vpus, professeur infaillible qui avez 
trouvé la moyen de vous illustrer par tout autre chose que par la tête I 

Je sais bien que l'évêque qui a le plus particulièrement formulé cette 
invitation — un bon c«ur et un noble esprit, par parenthèse — n'entre- 
prendra pas de révolutionner notre système d'enseignement au point de 
faire mettre en pratique le quart des réformes que je me suis permis de 
suggérer. 

Mais si, comme je n'ai pas le droit d'en douter, Sa Grandeur est 
•sincèrement désireuse de faire quelque chose pour rehausser l'enseignement, 
qu'elle emploie donc son influence pour, au moins, introduire dans nos 
maisons d'éducation, un usage très répandu dans les collèges de France. . . 
l'usage de la conjonction et. 

Farce qu'elle est toute petite, je suppose, on l'a complètement perdue 
•de vue depuis des générations, et l'esprit inventif du Canayen l'a remplacée 
par la conjonction iroquoise pi. ^ 

De sorte qu'au collège on ne dit jamais : toi et moi, mais : moi pi toi — r 
prononcez : moue pi toué, comme Sarah Bernhardt. 

Je prierais bien aussi — à titr^ d'ancien camarade d'école — le digne 
<évêque d'ordonner des recherches tjour retrouver la lettre l du mot plus, 
qui est disparue depuis longtemp?^ gai de ^* circulation collégiale, et dont 






^ 




00 A PROPOS d'Éducation 

les vieux seuls ont conservé un vague souvenir. Mais on ne peut pas tout 
faire à la fois. 

Dans cinquante ans d'ici, quand les décadents, qui prétendent que les 

.Anots ont une odeur, seront à la tête du mouvement littéraire, peut-être 

s'aperce vra-t-on que cet adverbe, inofFensif quand il est complet, prend, 

ainsi écourté, une tournure suggestive de choses dont les essences de Lubin 

ne donnent que des idées imparfaites. 

Enfin, ne désespérons pas du progrès : il a beau aller lentement, il file 
son petit bonhomme de chemin malgré tout. La pierre môme sur laquelle 
on trébuche nous fait faire quelquefois un bon saut en avant. 

Ainsi, voyez, monsieur l'abbé, vous avez pesté contre moi bien des 
fois, depuis trois mois, n'est-ce pas 1 Et cependant, je vous rendais un 
fier service. 

Je vous poussais rudeinent de l'avant, pendant ce temps-là. 

Je vous apprenais, en quelques semaines, une chose (|ue vous auriez 
peut-être mis trente ans à découvrir tout seul : c'est que vous Ctes ignorant 
au point d'être le dernier à vous en apercevoir. 

Peut-être même vous ai-je donné le désir d'étudier, de feuilleter (juelques 
livres, surtout la grammaire et le dictionnaire — deux ouvrages fort utiles, 
monsieur l'abbé, pour qui se mêle d'écrire des livres et de faire de la 
critique ou de la pédagogie. 

Néanmoins, si vous suivez mon conseil, vous n'écrirez plus ; ce sera 
pour vous un fameux ridicule de moins. 

En somme, réfléchissez bien à tout cela, monsieur l'abbé, et vous 
finirez par m'avoir de la reconnaissance. 

Maintenant il me reste à vous faire mes adieux. 

J'aurais voulu, avant de me séparer de vous, ajouter à ma lettre 
quelques lignes de sympathie, pour ainsi dire tendre la main à l'adversaire 
plumé autant qu'humilié — c'est un sentiment naturel — mais la chose m'est 
impossible ; car, non seulement votre dernier article dans le Bon Coinhat 
contenait une assertion que vous saviez et savez n'être pas vraie, mais en 
outre je viens de découvrir par hasard dans votre Littérature au Canada e7i 
ISOO, page 88, deux phrases qui donnent totite la mesure de l'honnêteté 
qu'un saint homme comme vous, qui monte à l'autel tous les jours, peut 
mettre dans ses rapports avec le public, quand ce qu'il croit être ses inté- 
rêts lui paraît concerné. 

Ces deux phrases, les voici : 

'• Les défectuosités du langage trop souvent ne sont corrigées ni à l'école ni 
au collège. Le journaliste qui est passé par là (une belle faute de syntaxe pour ter- 
miner ! ) ne saurait donner une niarchandise autre que celle de ses fouiniisseurs.** 

Voilà ! or, quand on se rappelle, monsieur l'abbé, que c'est pour avoir 
dit exactement la même chose en d'autres termes, que je me suis vu l'objet 
de vos dénonciations indignées, on reste abasourdi devant cette manière, 
pour^n oint du Seigneur, de comprendre la franchise et la droiture d'in- 
tentions. 

De plus, cela révèle chez vous, un penchant assez caractérisé pour 
la diplomatie à la chauve-souris. 

Quand Lusignan et moi, nous nous donnions bien garde — de crainte 
de voir le clergé entraver notre action — d'attribuer la corruption du lan- 




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