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RAPPORT
SUR
LE PASSAGE DE MERCURE SUR LE SOLEIL,
OBSERVE A OGDEN (UTAH) LE 6 MAI 1878,
PAR
M. CHARLES ANDRÉ.
RS
I. — INTRODUCTION.
Les expériences que M. Angot et moi avions faites dans les caves
de l'École normale en vue de résoudre quelques-unes des diffi-
cultés qu'offre l'observation, soit directe, soït photographique, des
passages de Vénus ou de Mercure !, laissaient prise à une objection
sérieuse.
Dans la réalité, la planète, Vénus ou Mercure, est à une grande
distance du disque lumineux au-devant duquel elle passe et du
bord obscur au contact duquel elle paraît venir. Dans nos expé-
riences, au contraire, la planète, Vénus ou Mercure, venait tou-
cher réellement le bord obscur simulant le fond du ciel.
Les phénomènes nets et précis que l'on avait observés à l’École
? Recueil de mémoires, rapports et documents relatifs à l'observation du passage
de Vénus sur le soleil du 8-9 décembre 1874, vol. Il, seconde partie, p. 44 et suiv.
MISS. SCIENT. — Wil. 1
L LG TA ZI
1
normale se reproduiraient-ils dans les conditions, si différentes,
de la réalité? La proximité du prochain passage de Vénus rendait
désirable une prompte solution de cette difficulté.
Il nous parut que le meilleur moyen d'arriver à ce résultat était
l'observation du passage de Mercure du 6 mai 1878 faite spécia-
lement en vue de contrôler les conclusions théoriques et expéri-
mentales auxquelles nous étions arrivés.
M. Dumas, président de la commission du passage de Vénus,
voulut bien appuyer notre demande auprès de la commission et
du Ministère de l'instruction publique, demande qu'accueillit fa-
vorablement aussi M. Ed. Millaud, rapporteur de la commission
du budget. La commission du passage de Vénus mettait gracieu-
sement à notre disposition les équatoriaux qui avaient servi en
1874 : il fallait seulement construire pour l'observation photogra-
phique une lunette montée équatorialement et de puissance sufl-
sante ; M. Eichens se chargea de la partie mécanique et M. Prats-
mowsky du travail optique.
D'ailleurs dans le courant du mois de février 1878, M. le Mi-
nistre voulut bien nous adjoindre, sur la demande de l’Académie,
M. Haït, qui avait été, en 1874, le collaborateur de M. Bouquet
de la Grye à l'ile Campbell.
Dans l'intervalle, nous avions demandé aux astronomes de
Washington les renseignements météorologiques nécessaires pour
nous décider sur le choix de la région où nous devions nous éta-
blir. L'observatoire de Washington organisait, en effet, une série
d’expéditions destinées à la même observation; il se livrait donc
à une vaste enquête météorologique en vue de connaître les points
du territoire des États-Unis qui, tout en étant dans de bonnes
conditions astronomiques, présentaient pour le jour du passage
les plus grandes chances de beau temps.
La station qui nous fut proposée et que nous adoptâmes fut
Ogden, petite ville du territoire de l'Utah, située sur l'un des con-
treforts occidentaux des montagnes Rocheuses, au point de rac-
cordement des deux sections du chemin de fer qui traverse les
États-Unis de l'Ouest à l'Est. Outre les grandes probabilités de beau
temps que l’on nous annonçait, nous y trouvions l'avantage d'avoir
près de nous une main-d'œuvre commode et exercée, ainsi que
des facilités considérables pour le transport de*nos instruments;
comme on le verra plus loin, nous devions y rencontrer d'autres
se D
ressources plus précieuses encore et sur lesquelles nous ne comp-
tions pas.
M. Hatt et moi, chargés de l'observation directe du phénomène,
disposions de deux lunettes de six pouces d'ouverture, que l'Aca-
démie nous avait prêtées, et dont l’une était montée équatoriale-
ment.
M. À. Angot était chargé de l'observation photographique; il
devait le faire avec un photohéliographe de quatre pouces et demi
d'ouverture, construit spécialement dans ce but.
Nous emportions, en outre, un petit instrument méridien que
le Dépôt de la marine avait bien voulu nous confier, des chrono-
mètres et d’autres instruments accessoires dans le détail desquels
il est inutile d'entrer.
Mais M. Hatt étant retenu en France pour quelques jours en-
core, il fut convenu que M. Angot et moi prendrions l'avance et
que notre collègue nous rejoindrait à Ogden aussitôt que possible.
II. — De Paris À OGpen.
Nous quittèmes le Havre le samedi 2 mars à huit heures et demie
du matin à bord du paquebot la France (capitaine Trudelle) de
la compagnie transatlantique, sûr lequel s’embarquait aussi l’un
de nos meilleurs publicistes, M. Léon Chotteau, délégué par le co-
mité que préside M. Menier pour étudier sur place la question des
tarifs américains et chercher les moyens d’en obtenir la réduction.
_ Arrivés en rade de New-York dans la journée da 14 mars, notre
premier souci fut de nous mettre en mesure de pouvoir embarquer
pour Ogden les caisses contenant nos instruments d'observation.
Il s'agissait, en effet, d'obtenir l'entrée de ces caisses sur le ter-
ritoire américain , sans qu'on nous forçât à les ouvrir et à en dé-
baller le contenu pour le soumettre à la visite ordinaire des agents
de la douane.
Malgré tout l'empressement qu'y avait mis M. le baron de Wat-
teville, alors Directeur des missions au Ministère de l'instruction
publique !, les démarches diplomatiques nécessaires n'avaient pu
1 Je demande à M. de Watteville la permission de le remercier ici pour le
soin bienveillant avec lequel il nous a aidés à toutes les époques de cette mission.
1.
ON
être faites que peu de jours avant notre départ de France, et la
décision, en retour, n'était point encore parvenue à New-York;
pour hâter les choses, nous décidämes de nous séparer immédia-
tement.
M. Angot se chargea de voir à Washington les autorités fé-
dérales et d'y activer sur place la solution de cette importante
question; de mon côté, je restai à New-York pour veiller aux pré-
paratifs locaux.
Le voyage de M. Angoi à Washington avait d’ailleurs un second
but : il voulait se rendre compte des procédés que les astronomes
américains se proposaient d'employer pour l'observation photo-
graphique du même passage. Après le passage de Vénus de dé-
cembre 1874, les diverses méthodes photographiques d'observation
avaient, en effet, été étudiées et discutées avec soin à l'observatoire
de Washington sous la direction de M. le professeur Harkness. Un
séjour à Washington permettait à notre collègue de profiter de
l'expérience acquise par ce savant astronome. |
Reçu avec la plus grande affabilité par M. l'amiral Rodgers et
les astronomes de Washington, qui voulurent bien l'aider de leurs
conseils et de leurs démarches, M. Angot put atteindre prompte-
ment le double but de son voyage.
M. l'amiral Rodgers lui offrit même de lui confier un des appa-
reils photographiques qui avaient servi aux missions américaines
en 1874, afin qu'il pût l'expérimenter par luimême et comparer
ensuite les résultats obtenus à ceux que lui donnerait, dans les
mêmes conditions, le photohéliographe que nous avions emporté
de France. |
Une autre surprise, non moins agréable, nous était d’ailleurs
réservée. Dès son arrivée à Washington, notre collègue apprenait
que le corps des Ingénieurs Géographes de l’armée américaine avait
commencé à Ogden même l'installation d'un petit observatoire
comprenant une salle méridienne ainsi qu'une coupole équato-
riale, et auquel était attaché un sergent de l’armée, qui y demeu-
rait et y faisait pour le Signal Service of army des observations
météorologiques quotidiennes.
Cet observatoire était le point central de toute la triangulation
du territoire de l'Utah !, et M. le lieutenant Wheeler, qui en avait
! Geographical survey's West of the 100" meridian.
RS
la haute direction, le mettait temporairement à notre disposi-
tion.
était pour nous un précieux avantage; les difficultés de notre
installation étaient ainsi considérablement diminuées, le temps
qu'il faudrait consacrer à nos préparatifs généraux réduit de près
de moitié, et celui que nous pourrions consacrer aux études spé-
ciales qui formaient l'objet direct de notre mission augmenté
d'autant.
En même temps, les préparatifs d'embarquement de nos 1in-
struments se terminaient à New-York; la douane avait reçu l'ordre
de laisser passer nos caisses d'appareils; les compagnies de chemin
de fer nous accordaient d'importantes réductions sur les frais de
transport, et le samedi 23 mars nous nous dirigions vers l'Ouest
par le Pensylvania Rail Road.
Nous n'étions cependant pas encore en route directe pour Ogden,
nous avions à nous arrêter à Omaha, chef-lieu militaire des T'erri-
toires situés à l'Ouest du Missouri et tête de ligne de l'Union Pacific
Rail Road, première section du grand railway qui traverse les
montagnes Rocheuses et va rejoindre San-Francisco !.
Il nous fallait, en effet, y conférer avec M. le général Williams,
commandant en chef les troupes fédérales en garnison dans l’'Utah
et pour lequel M. le secrétaire d'État à la Guerre nous avait donné
une lettre d'introduction.
Nous avions à le prier de vouloir bien mettre à notre disposition
quelques soldats, tant pour nous aider dans nos travaux d'instal-
lation que pour garder notre observatoire lorsqu'il serait installé.
Non seulement cette faveur nous fut immédiatement accordée,
mais M. le général Williams nous offrit, en outre, de donner
ordre à l'intendance militaire du Territoire de nous aider dans la
mesure du possible ?.
En résumé, nous avions recu partout et chez tous le plus gra-
! Ce raïlway, qui part d'Omaba, se divise en deux sections, appartenant à
des compagnies différentes. L'Union Pacific Rail Road va d'Omaba à Ogden et a
été construit en partie au moyen de subventions du gouvernement fédéral. Le
Central Pacific Rail Road va d'Ogden à San-Francisco et a été établi entièrement
à l’aide de capitaux californiens; il est actuellement la propriété presque exclusive
des Rail Road men de Californie.
? Nous avons particulièrement à remercier M. Krüger, Quarter Master (inten-
dant) en résidence à Ogden, pour l’empressement avec lequel il nous a toujours
prêté son concours.
PS
cieux accueil; notre mission s'ouvrait sous les auspices les plus
favorables, et le lendemain matin nous quittions Omaha pleins,
d'espoir, pour arriver à Ogden dans la soirée du lundi 1° avril.
III. — INSTALLATION ET PRÉPARATIFS. — DESCRIPTION DE L'OBSERVATOIRE.
La première journée de notre séjour fut consacrée à visiter en
détail l'observatoire dont nous avait parlé M. le lieutenant Wheeler,
à en étudier l'emplacement et à en discuter les ressources.
Situé à un kilomètre et demi environ à l'Ouest d'Ogden, sur un
plateau sablonneux, élevé de 1,334 mètres (4,374 pieds) au-
dessus du niveau de la mer, l'observatoire domine tout le pays
environnant à l'Ouest, au Sud et jusqu'au Nord-Est ; au Nord et à
l'Est se dressent les sommets neigeux des monts Wahsatch (Wah-
satch ranges), contreforts occidentaux des montagnes Rocheuses.
À peu de distance au Nord passe le chemin de fer de l'Utah
central, qui relie Ogden à la ville du lac Salé (Salt Lake City), ville
sainte des Mormons; et, à 150 mètres à l'Est, entre Ogden et
l'observatoire, coule la rivière de Weber (Weber River), que nous
_étions obligés de traverser sur un pont du chemin de fer de l'Utah
pour regagner la ville. |
Tout autour de l'observatoire, et bien au loin du côté Sud, est
une plaine ondulée, garnie de sauges en broussailles (sage brush)
parsemée cà et là de petites fermes. |
L'emplacement était donc très bien choisi pour l'établissement
d'un observatoire; le seul inconvénient, d’ailleurs inhérent à la
nature du sol, est une poussière intense que le moindre vent sou-
lève et qui parfois rend impossible le maniement des instruments !.
Quant au bâtiment même, il est construit en briques, et se
compose, comme le montre la figure 1, d’un petit pavillon central
supportant une coupole hémisphérique de 5 mètres de diamètre,
flanqué de deux ailes latérales, l’une à l'Est, servant de logement
et de bureau à l'observateur, l’autre à l'Ouest, disposée en salle
méridienne.
La coupole n'était point achevée et exigeait certains travaux
préliminaires avant d’être mise en état de servir aux observations.
! Le célèbre La Caille avait rencontré autrefois le même inconvénient dans son
séjour au cap de Bonne-Espérance.
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La salle méridienne, au contraire, était terminée: elle était dis-
posée pour recevoir deux instruments méridiens portatifs, et l'in-
strument même qui avait servi à M. le lieutenant Wheeler pour
déterminer la position géographique d'Ogden était encore en sta-
tion. Quant au second pilier, il était, au contraire, libre.
Nous étions donc assurés de pouvoir, dès que les caisses conte-
nant nos instruments seraient arrivées, commencér immédiate-
ment le réglage de nos chronomètres.
Nous décidàmes que le photohéliographe serait installé sous la
coupole et qu’on fermerait avec des planches üne portion du
vestibule formé par la partie centrale du pavillon, de façon à
avoir une chambre noire à portée de cet instrument.
L'appareil photographique que M. l'amiral Rodgers avait prêté
à M. Angot devait être installé au dehors, au Sud de la salle mé-
ridienne et dans l'axe de la trappe méridienne correspondant au
pilier libre dont nous avons parlé : mais, pour en bien comprendre
l'installation, une description succincte de cet appareil ingénieux
est nécessaire.
Un miroir d'héliostat, en verre poli et qu'un mouvement d'hor-
logerie fait tourner uniformément autour d'un axe convenable
(fig. 2), renvoie à chaque instant les rayons du soleil suivant l'axe
optique d'un objectif achromatique à long foyer (10,64) : cet axe
optique est horizontal et sensiblement dans le plan du méridien.
L'image du soleil formée par lobjectif est reçue sur une plaque
photographique verticale coïncidant avec son plan focal et placée
dans une chambre noire spéciale : d'ailleurs, un fil à plomb
placé en avant de la plaque trace une ligne droite verticale sur
l'image solaire; de sorte que, si l’on a déterminé l'angle que fait
avec le plan du méridien le plan qui passe par le fil à plomb et
le centre optique de l'objectif, on a les données nécessaires à l’orien-
tation de l’image photographique. La mesure de cet angle se fait
de la facon la plus commode en plaçant l'objectif de manière que
son axe optique soit le prolongement de celui de la lunette méri-
dienne de l'observatoire, supposée horizontale, et en pointant sur
le fil à plomb avec le micromètre de cette lunette au travers de
l'objectif photographique. |
Entre l'objectif et la chambre noire, un petit toit en bois re-
couvre le trajet des rayons réfléchis et sert pour ainsi dire de tube
a — ———— =
= = =—— = EE
A
EEE ————"#f} =
EE —— =
EEE —
EE ————EE—_—_—_—_——]——_]—]——]——]
EE] —_—_—
EEE
ie D
à cette immense lunette. On mesure d'ailleurs avec une règle ap-
propriée la distance qui sépare l'objectif de ia plaque photogra-
phique, c’est-à-dire la distance focale de l'objectif; on a ainsi
directement la valeur angulaire d'une longueur quelconque prise
sur la plaque photographique.
Quant aux équatoriaux destinés à l'observation directe, on
décida de les installer au Sud-Est de l'observatoire, à peu de
distance l'un de l'autre; chacun d'eux devait avoir pour abri une
cabane rectangulaire en planches, dont le plancher serait élevé de
80 centimètres au-dessus du sol et le toit serait une simple toile
à voiles clouée sur la face Sud de la cabane et fixée à l'autre extré-
mité à une traverse en bois à l’aide de laquelle on la ramènerait
de facon à couvrir la cabane en passant au-dessus de la lunette
placée horizontalement.
Le lendemain 3 avril nous allämes au camp Douglas, centre de
la garnison de l'Utah, nous entendre avec l'autorité militaire lo-
cale au sujet des soldats dont nous avons déjà parlé.
Le camp Douglas est situé à 8 kilomètres environ de Salt Lake
City, au sommet d'un plateau qui domine la ville capitale de
l'Utah. Il ne faut d’ailleurs point le comparer à un de nos camps
militaires français; quatre cents hommes d'infanterie et quelques
vieilles pièces de canon en forment toute la garnison. Mais, en
revanche, l'installation matérielle des honimes est infiniment plus
confortable; chaque officier a sa petite maison, entourée d'un
jardin, et les chambres communes des soldats sont d'une propreté
qui touche à l'élégance.
Le but de notre visite fut bientôt atteint, et nous consacràmes
l'après-midi à visiter la ville sainte des Mormons, celle qu'ils ap-
pellent la Sion des temps modernes. Après la traversée du grand
désert américain (Great American desert) qui sépare Ogden d'O-
mabha, cette ville de 4o,ooo habitants fait l'effet d’une véritable
oasis créée par la civilisation; le caractère du peuple mormon lui
a imprimé d'ailleurs un cachet tout spécial, avec son Tabernacle
(temple des Mormons) à toit de forme ellipsoïdale et dont les
orgues ont été entièrement construites à Salt Lake City même, sous
la direction du vénérable Brigham Young, avec ses rues toutes
_ plantées d’arbres, longées par de petits ruisseaux dans lesquels
3 pod fs. "its
CR D
coule continuellement l’eau descendant de la montagne et qui
donnent à toute la ville l'aspect d'un vaste jardin au milieu du-
quel les maisons de banque et de commerce paraissent, au pre-
mier abord, n'être que des accessoires.
Le soir, le chemin de fer de l'Utah central nous ramenait à
Ogden.
Les derniers jours de la semaine furent consacrés à la déter-
mination exacte des emplacements de nos divers pavillons, ainsi
qu'aux commandes et ordres divers que leur construction néces-
sitait.
Le dimanche 7, notre collègue M. Hatt nous rejoignait : deux
jours après, les caisses qui contenaient nos instruments arrivaient
également; le 12, nous recevions l'appareil photographique de
Washington , et le 16, les caisses contenant l’équatorial de M. Hatt.
D'un autre côté, le 12, les soldats que nous avait promis le co-
lonel commandant le camp Douglas débarquaient à Ogden.
Pendant cet intervalle, on avait mis en place la petite lunette
méridienne du Dépôt de la marine et commencé l'étude des chro-
_nomètres, poursuivi l'installation des équatoriaux, celle de l’ap-
pareil photographique américain, et enfin la mise en place du
photohéliographe.
* Cette dernière opération surtout présenta d'assez grandes diffi-
cultés. Comme je l'ai dit en commencant, le dôme qui devait
l'abriter n'était point achevé; il avait été d’ailleurs construit à
Ogden même et à fort peu de frais, de telle sorte que certaines
parties des organes essentiels avaient dû être négligées. De plus, la
hauteur où commençait l'ouverture de ses trappes d'observation
était un peu forte par rapport à notre photohéliographe, quoique,
en raison même de la construction dissymétrique du tube de cct
appareil, on fût obligé de le mettre excentriquement par rapport
au dôme; or il était monté sur un pied complètement en fonte,
et le maniement d'une masse aussi lourde, dans un espace aussi
restreint et à l'aide d’un outillage tout à fait rudimentaire, ne
laissait point que d’être long et difficile.
IV. — RÉGIME GLIMATERIQUE D'OGDEN.
Le temps d’ailleurs était loin de nous favoriser; il commença à
DE —
devenir mauvais le mercredi 10 avril; le 11 et le 12, le vent prit
de la force, et, sous un ciel gros de nuages, nous fümes envahis
par un véritable ouragan de poussière, qui s’opposait à tout travail
extérieur.
Le 13, le vent faiblit et la neige commenca à tomber, légère-
ment d’abord, mais bientôt très abondamment; et les 14, 15 et
16, nous fûmes au milieu de la neige, de la grêle et finalement de
la pluie.
Quoique nous ayons craint souvent pour nos faibles construc-
tions extérieures non encore achevées, les dommages qu'elles en
éprouvèrent se réduisirent en définitive à peu de chose, et, le 19,
tout était réparé et les cabanes terminées.
Malheureusement, le 20, un nouvel ouragan de poussière re-
commença; redoutant la succession des mêmes phénomènes mé-
téorologiques, nous fimes clouer latéralement les toiles qui ser-
vaient de toits à nos pavillons. Le soir, en effet, la neige se mit à
tomber; elle continua toute la journée du lendemain 21 et ne
cessa le soir que pour être remplacée par une pluie battante qui
dura toute la nuit, ainsi que la matinée du lundi 22.
Décidément, les instructions météorologiques qui nous avaient
été envoyées en France par M. le professeur Newcomb et les ren-
seignements que nous avait donnés le Signal Service étaient fort
incomplets. L'expérience des habitants du pays concluait d’ailleurs
bien différemment; d’après eux, et les faits leur donnaient raison
jusque-là, l'époque où nous nous trouvions était, pour la contrée,
la saison des neiges et des pluies.
Cependant le 23, le temps redevint relativement beau; il en
fut de même le 24 et le 25. Nous en profitûmes pour terminer
l'installation des équatoriaux et continuer celle de l’appareil pho-
tographique de Washington. Mais le 26, nos travaux furent inter-
rompus par une pluie battante, qui dura tout le jour et la nuit,
et ne cessa que dans la journée du 27 avril.
On installa alors, à 1 kilomètre environ de l'observatoire, un
appareil à passage artificiel que l'on devait observer avec l'un des
équatoriaux.
Le lendemain, dimanche 28, les visiteurs arrivèrent en foule à
l'observatoire. Le repos du dimanche est, en effet, plus sacré en-
core aux veux des Mormons qu'a ceux des protestants anglais et
sud ES des
américains. Notre installation était à peu près terminée, et il n’y
avait qu'avantage pour nous à satisfaire la curiosité publique.
D'ailleurs tous ne furent point poussés par la seule curiosité.
Un d'eux, Français habitant le pays depuis de longues années,
avait fait tout exprès les 14 lieues qui nous séparaient de son petit
domaine pour venir saluer le pavillon national, qu’il n'avait pas
vu depuis vingt-trois ans.
Mais à la joie que nous avait causée la visite de notre compa-
triote devait succéder une grande tristesse. Au commencement
de la nuit, alors que M. Hatt et moi étions occupés à déterminer
les différentes constantes des instruments qui devaient nous servir,
et que M. Angot discutait ses observations de la journée dans la
pièce qui servait de bureau commun et de logement au sergent,
observateur du Signal Service, celui-ci y entra brusquement, pour
se brüler la cervelle et tomber foudroyé aux pieds de M. Angot.
Quelle était la cause de ce suicide? Rien ne put nous l'apprendre,
et l'enquête judiciaire faite à ce sujet par M. le coroner d'Ogden
resta infructueuse: aussi cet affreux événement fit-il sur nous tous
une impression profonde.
Après avoir rendu les derniers devoirs à cet auxiliaire qui nous
avait rendu depuis notre arrivée de réels services, nous reprimes
le cours de nos travaux.
‘ Le temps d’ailleurs se maintenait assez beau presque constam-
ment et nous laissait toule latitude pour mettre la dernière main
à notre installation. Nous avions, en outre, à recevoir les personnes
influentes du pays, qui profitaient des derniers jours pour visiter
l'observatoire.
Le 1° mai, ce fut M. le maire d'Ogden et son adjoint; le 2, M. le
gouverneur de l'Utah, l'administrateur délégué par le Pouvoir
central pour la direction des affaires civiles du Territoire occupé
par les Mormons; le 3, nous recûmes la visite de l'évêque mormon
Scharp et de sa famille, ainsi que du personnel de l'administration
centrale de l'Utah Central Rail Road. Les dignitaires ecclésiastiques
mormons ne sont point, en effet, confinés dans leurs attributions
religieuses ; ils sont, au contraire, entièrement mélés à la vie civile,
et, sauf la place qu'ils occupent au Tabernacle pendant les offices
et le nombre plus grand de femmes que leur dignité leur permet
d'épouser, rien ne les distingue dans la vie ordinaire du reste de
leurs concitoyens. Ainsi M. l’évêque Sharp était alors directeur
ci LR =:
(superintendant) du chemin de fer de l'Utah central. Il nous avait
fait demander par dépêche, dans l'après-midi, l'autorisation de
venir, le soir, non seulement visiter l'observatoire, mais observer
les astres avec nos instruments: À huit heures et demie, en effet,
un train spécial s'arrêtait au pied de la colline sur laquelle était
l'observatoire, et nos visiteurs en descendaient au nombre d'environ
cinquante, parmi lesquels les trois femmes de l'évêque Sharp et
leurs enfants. Nous fimes de notre mieux pour rendre leur visite
aussi agréable et instructive que possible; notre iàche était d’ail-
leurs singulièrement facilitée par la curiosité intelligente avec
laquelle ils se précipitaient pour ainsi dire au-devant des choses
qu'on leur faisait apercevoir pour la première fois dans le ciel.
Le surlendemain 5, une autre surprise nous attendait. Vers trois
heures de l’après-midi, les accents d’une fanfare toute voisine nous
firent sortir de nos salles d'observation : c'était l'Harmonie philoso-
phique d'Ogden qui venait nous souhaiter bonne chance pour le
lendemain. Trois ou quatre cents habitants de la ville s'étaient
joints à cette manifestation toute spontanée et bien inattendue.
V. — ETAT DU CIEL PENDANT LE PASSAGE.
Malheureusement le temps ne paraissait pas se disposer comme
ces braves Mormons nous le souhaitaient. Depuis le matin, le ciel
s'était peu à peu couvert, le baromètre baissait rapidement et le
vent fraîchissait beaucoup; vers quatre heures, le vent commença
à souffler en tempête, soulevant d'énormes tourbillons de poussière
et de sable. H nous était trop facile de reconnaitre les symptômes
avantcoureurs d'une tempête de sable et de neige; il semblait
nous rester cette seule chance que l’accalmie qui servait pour ainsi
dire de transition entre ces deux tempêtes se produisit pendant la
durée du passage de Mercure sur ie Soleil.
À cinq heures, on fit clouer les toiles qui servaient de toits aux
cabanes équatoriales et enlever le mouvement d’horlogerie de
l'appareil de Washington. Dans la soirée, le vent redoubla d'inten-
sité, il soufflait par moments avec une véritable furie, le sable était
emporté épais, aveuglant. Ouvrir les trappes méridiennes Nord ou
Sud était chose absolument impossible, et, pour réussir à observer
quelques étoiles, on dut se borner à tirer seulement la petite portion
- de trappe supérieure placée dans la direction même du rayon visuel
à fl ‘2
CN, 7 nee
allant à l'étoile. À neuf heures, il fallut même renoncer à ouvrir
quoi que ce füt de la salle méridienne; les toiles de nos cabanes
équatoriales faiblissaient, on dut clouer par-dessus des traverses
en planches. Le ciel, qui depuis sept heures était clair, se re-
couvrit, le vent augmenta encore de violence et, pendant une
demi-heure, ce fut un ouragan de sable tel que nous n'en avions
point encore vu depuis notre arrivée, et sous les efforts duquel
tout paraissait devoir être emporté.
Cependant vers minuit, le baromètre, qui avait baissé de 20 mil-
limètres depuis la veille à la même heure, remontait un peu, Île
vent fléchissait, et, quoique le ciel fut encore entièrement couvert,
tout espoir n'était peut-être point perdu.
Le lendemain 6, en effet, à quatre heures du matin, un peu
de neige couvrait le sol, le vent était presque tombé et le ciel
d'une grande pureté; nous pensions que ce calme durerait. Hn'en
était rien.
Vers 6° 30" les nuages envahirent de nouveau le ciel; à 7° 25",
la neige commenca à tomber par petits flocons espacés, et s'il nous
fut possible d'apercevoir Mercure aux environs du premier con-
tact interne, ce fut uniquement pour conslater que cette planète
était déjà tout entière sur le disque du Soleil depuis quelques
minutes. |
. D'ailleurs les flocons de neige tombaient peu à peu plus larges
et plus serrés, le vent redevenait violent et nous étions encore au
milieu d’un ouragan, non plus de sable comme la veille, mais de
neige; et, comme la veille, nous fûmes obligés de clouer les toits
de nos cabanes.
Ce temps affreux persista sans aucun changement jusqu’à
11 45", une trouée se fit alors dans le ciel, et M. Angot put com-
mencer à prendre des photographies. À partir de ce moment, le
temps s'améliora peu à peu, la neige cessa progressivement de tom-
ber, les éclaircies devinrent de plus en plus fréquentes et durables;
mais jamais, pendant toute la durée du passage, nous n'eûmes
un ciel à moitié dégagé.
Vers 2° A5", une grande éclaircie commenca à se diriger vers
le Soleil; et, comme le moment de la sortie approchait, l'espoir
nous revint. Il n’a point été déçu : la portion du ciel entourant le
Soleil, s’est maintenue pure jusqu'au moment de la sortie, que
nous avons observée dans d'excellentes conditions. Mais une mi-
= 16 —
nute après que la planète eut franchi le bord du Soleil, celui-ci
était de nouveau entièrement caché par les nuages.
VI. — OBSERYATION DU PASSAGE DE MERCURE.
Plan d'ensemble.
Le plan d'ensemble que nous avions adopté pour l'observation
était le suivant :
1° Observation directe.
L'observation du premier contact interne était destinée à véri-
fier : |
Qu'avec une lunette de 6 pouces d'ouverture, le ligament noir se
produit forcément aux environs du contact, si l'on donne à l'image
solaire reçue par l'œil toute l'intensité lumineuse que cet organe
peut supporter;
Que les dimensions et l'intensité de ce ligament augmentent
quand on diminue l'ouverture de la lunette;
Qu'on peut réduire à volonté les dimensions et l'intensité de ce
ligament en augmentant graduellement le pouvoir absorbant du
verre noir employé pour l'observation,
L'observation du second contact interne devait servir à com-
pléter les vérifications précédentes et à comparer la précision de
l'observation faite à l’aide du ligament noir à celle qui avait été
faite au moyen d'un écran formé d'anneaux très étroits, alterna-
tivement vides et pleins, que des expériences antérieures m'avaient
conduit à croire excellent pour l'observation des passages de
Vénus et de Mercure.
On devait, en outre, observer avec soin les contacts externes,
et, pendant la durée du passage, examiner attentivement les sur-
faces du Soleil et de Mercure, et surtout les portions du disque
solaire avoisinant la planète.
2° Observation photographique.
M. Angot se proposait de comparer entre eux le procédé du
photohéliographe et celui que les astronomes américains avaient
employé lors du dernier passage de Vénus, ainsi que les différentes
- sortes de collodion dont on se sert habituellement pour ces obser-
PAT: Fou
vations; et, enfin, d'étudier l'influence que peut avoir la durée
de pose sur le résultat des mesures des photographies prises pen-
dant le passage. M. Angot s'était chargé directement du photohélio-
graphe et avait confié l'appareil de Washington à M. Hoffmann,
photographe à Ogden.
Résultats.
1° Observation directe.
L'état du ciel ne nous a point permis de réaliser complètement
le programme que nous nous étions tracé. L'observation du second
contact interne nous étant seule possible, nous avons limité notre
observation à la partie la plus importante de ce programme,
l'étude du ligament noir, dont la seconde partie est une conséquence
théorique.
M. Hatt conserve entière l'ouverture de son équatorial; à
3" 14" 0°, temps moyen d'Ogden, il aperçoit la première trace de
ligament; c'est une simple traînée obscure, réunissant le bord du
Soleil et celui de la planète. Amenant alors en face de son œil
une portion du verre noir gradué plus absorbante pour la lumière,
il voit le ligament disparaître. Bientôt après, le ligament réapparaît;
M. Hatt le fait disparaître de nouveau par le même moyen, et
ainsi de suite jusqu’au moment où les deux astres lui paraissent
en contact géométrique à 3" 14" 2685.
M. André avait diaphragmé à quatre pouces l'ouverture de son
équatorial. À 3° 14" 5°, il voit la première trace de ligament, qui,
au bout de quelques secondes, devient très large et très obscur
et de dimensions sensiblement comparables à celles de la pla-
nète.
: Quand on enlève le diaphragme, on voit le ligament se réduire
de plus de moitié. Si l’on remet alors le diaphragme et qu’on se
serve ensuite du verre noir gradué, on fait disparaître le ligament
notr, et les deux astres paraissent très nettement distants l’un de
l'autre.
En ramenant le verre noir à sa position primitive, on voit le
ligament réapparaître très large et très intense, et de même une
seconde fois.
M. André a noté le contact à 3" 14" 32°.
MISS. SCIENT. — VI. 2
LIRE
Quant au contact externe de sortie, aucun phénomène parti-
culier ne l’a accompagné, et il s'est présenté à nous avec son appa-
rence géométrique.
M. Hatt l'a noté à 3° 17" 26°, et M. André à 3° 17" 18.
On n’a d’ailleurs rien observé de spécial ni sur la planète ni sur
la région du disque solaire qui l’entourait successivement.
2° Observation photographique.
Un accident survenu pendant la tourmente de la veille à l’appa-
reil de Washington a empêché d'employer celui-ci pendant les
éclaircies de peu de durée. Aussi le nombre des photographies ob-
tenues avec cet instrument est-il relativement restreint : il y en
a trente.
Avec le photohéliographe, au contraire, M. Angot a pu profiter
de toutes les éclaircies, et le nombre des photographies qu'il a
prises est de quarante-trois.
Les mesures que ces photographies exigent sont en cours d’exé-
cution; leur examen fera l’objet d'un rapport particulier.
VII. — Coxczusiows.
Il résulte des observations précédentes que le phénomène réel
du passage de Mercure sur le disque solaire ne diffère pas sensi-
blement de celui que nous avions étudié artificiellement dans les
caves de l’École normale. Le procédé expérimental que l'on avait
alors employé reçoit ainsi sa consécration définitive, et les conclu-
sions qu'on en a déduites doivent être considérées comme véri-
fiées. |
Le ligament noir est donc bien un phénomène de diffraction, tou-
jours sensible avec les ouvertures habituelles des instruments
d'observation, si le pouvoir absorbant du verre noir employé est
suffisamment faible; mais on peut le faire disparaître à volonté.
Et, en employant le procédé simple et méthodique dont s’est servi
M. Hatt, les observations d’un contact interne de sortie de Vénus,
d’ailleurs beaucoup plus faciles que celles d’un contact analogue
de Mercure, semblent devoir atteindre une approximation d'au
moins deux secondes de temps.
no
Les données numériques de ces observations sont résumées dans
le tableau suivant :
TROISIÈME CONTACT. QUATRIÈME CONTACT.
AR... .. 3° 14" 28° NE AE Per 77 35:
André: 2... :.: Ut 133 M. André: 17.:: Est di ÉTUV18
La position géographique de l'observatoire d'Ogden, telle qu’elle
a été déterminée en 1877 par M. le lieutenant Wheeler, est donnée
par les nombres suivants :
| Rd NONd. 0 D PP IILbr 101,0
Longitude Ouest (de Paris). .... NUS an a.
Charles ANDPÉ.
__Lyon, le 18 fevrier 1880.
at:
+--#
4 , os 1p sut a, ñ Lies
(*É quad 1e » cbr ( tancaivais 94 M ARE
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RAPPORTS
SUR
UNE MISSION DANS L'ÎLE DE JAVA
ET EN AUSTRALIE,
PAR M. CHARNAY.
Soerakarta, 22 juillet 1878.
Monsieur le Ministre,
J'ai quitté Batavia le 15 et je suis arrivé le 16 à Samarang, j'en
repartais le 17 pour Soerakarta ou Solo, placé au centre des lieux
que j'avais à visiter. Solo est la ville javanaise par excellence, celle
où l'on peut le mieux étudier le Javanais dans ses mœurs, ses
arts anciens et ses coutumes. Solo a conservé des princes indépen-
dants, qui, sous la protection de la Hollande, ont gardé leur exis-
tence propre et toute l'étiquette des cours orientales. Des relations
de voyages célèbres, celle entre autres du marquis de Beauvoir, les
ont assez fait connaître; et comme j'ai vu les mêmes choses, je n’ai
point à en parler. L'auteur, cependant, ne s’est pas assez étendu sur
la densité d'une population qui dépasse de beaucoup, par kilomètre
carré, celle des pays les plus peuplés de l'Europe, et sur la fécon-
dité d’une contrée la plus belle et la mieux cultivée du monde.
Il n'a pas noté non plus cette circonstance toute locale d'un
peuple vivant à l'ombre des bois. La campagne est une suite d'im-
menses bosquets où s'abritent les cultivateurs; des villes immenses,
comme Solo par exemple, qui possède, me dit-on, 200,000 ha-
bitants, ne sont en réalité qu'une vaste et magnifique forêt semée
de palais, de maisons et de cabanes.
Je remarque également que Java seule, au milieu d'îles plus
considérables restées barbares, a subi dans l'antiquité l'influence
d'un élément civilisateur, et que, dans les temps les plus anciens,
la religion échelonnait ses temples en centres religieux loin des
= 99
grandes villes. Je prends note du fait comme preuve à l'appui d’un
système que je m'appliquerai à développer un jour et qui repose-
rait sur l’'étonnante ressemblance entre la civilisation bouddhique et
certaines civilisations américaines.
J'avais à visiter, dans les environs, les temples de Boeroe-boedor
et de Brambanan, qui se trouvent, le premier à une demi-journée
de Djoejo-karta, que je pouvais gagner en chemin de fer, et les
autres sur la ligne même de la voie ferrée.
Je partais donc le 19 de Soerakarta, après avoir été saluer le
résident et obtenu une audience du prince Mangkou-Nagoro; aus-
sitôt arrivé à Djoejo-karla, je commandais une voiture de poste, et
le lendemain, 20, j'arrivais à destination.
Le temple de Boeroe-boedor, qui date du vr° siècle, est la der-
nière et la plus brillante manifestation du génie bouddhique à
Java. C'est une colline artificielle doublée de pierre, et l'édifice
constitue non pas un monument proprement dit, mais plutôt une
pyramide, puisqu'il n'a pas d'intérieur. C’est un groupe de cinq
corniches superposées, dominées par une terrasse sur laquelle
s'élèvent, comme couronnement, une foule de rotondes avec toits à
jour, abritant des bouddhas de grandeur naturelle. Au milieu se
dresse une rotonde beaucoup plus haute ce abrite un bouddha
colossal.
En somme, c'est un motif à corniches et à galeries semées de
niches pour les bouddhas et décorées des bas-reliefs les plus beaux
qi se puissent voir. D'architecture, point; les lignes manquent;
mais, comme art, c'est une épopée complète où, dans des milliers
de tableaux, plus de vingt-quatre mille personnages de quart et
de démi-grandeur, d’un très haut relief, parlent et chantent toute
la merveilleuse histoire de Bouddha.
Je n'ai pris que six clichés du temple de Boeroe-boedor, un
entre autres qui m'intéresse tout particulièrement et qui n'avait
pas été reproduit; c'est une porte en encorbellement qui repré-
sente exactement la manière de batir des habitants de Palenque,
d'Oaxaca et du Yucatan. La colline artificielle existe aussi en
Amérique; elle est, comme ici, doublée de pierre et supporte le
temple. Nous retrouvons les mêmes coutumes dans l'Inde et le
Japon bouddhiques. Le temple, pas plus ici qu'en Amérique, n’est
_un bâtiment destiné à contenir les fidèles; c'est une simple niche
pour le dieu, un lieu de pèlerinage, comme en Amérique, et
sn UN ms
remarquez que de ressemblances et de souvenirs on retrouve dans
certaines figures décoratives, ressemblances lointaines, mais sou-
venirs certains, si vous faites passer cette civilisation par la Chine
et le Japon.
Le 21, j arrivais à Brambanan, les mille temples. On fait re-
monter ces constructions, ruinées pour la plupart, au 1v° siècle.
Moins importantes que le Boeroe-boedor, les constructions de
Brambanan ont beaucoup plus d'architecture; ce sont de véri-
tables édifices, édicules plutôt; car, en dehors de quatre ou cinq
monceaux de pierre qui dénotent des édifices plus considérables,
ce ne sont que de petits monuments de 3 mètres carrés à peine
sur 7 à 8 de hauteur, ornés de bas-reliefs et contenant chacun soit
un bouddha de grandeur naturelle, soit, dans de petites niches
élégamment sculptées, d’autres petits bouddhas.
À quatre siècles de distance, le dieu est toujours le même; c’est
un type hiératique consacré. Quant aux bas-reliefs, ils sont moins
- beaux, moins fouillés, moins finis qu'à Boeroe-boedor, moins con-
sidérables aussi comme masse. Nous trouvons là, cependant, un
groupe d'au moins quatre cents témples disposés en carré et séparés
par des allées, avec le temple central qui le domine. Voilà qui con-
stitue un ensemble de travaux gigantesques; j'en ai pris six clichés.
Vous constaterez que la, comme précédemment, nous avons la
colline artificielle; nous y trouvons, de plus, le petit temple, espèce
d'oratoire devant lequel se prosternait le fidèle, de même que
dans le Yucatan et à Palenque. Dans les édifices centraux, au lieu
d'une simple niche, nous avons quatre petites salles situées aux
quatre points cardinaux; elles sont pourvues d’autels pour le
bouddha sous différentes formes et renferment une pièce souter-
raine où se dissimulait le prêtre pour rendre ses oracles, comme
en Amérique.
Me voilà de retour à Soerakarta, légèrement fatigué d’une traite
aussi rapide et préparant ma correspondance et mon expédition au
Lawoe, où il n'est pas facile de parvenir. Heureusement le prince,
que je dois voir demain et sur les terres duquel se trouvent les
ruines, donnera des ordres afin que je puisse me procurer des
chevaux de selle et des porteurs. À mi-route, en effet, il n'ya plus
qu'un sentier de piétons et nul secours à attendre. Que trouverai-
je à Soeko ? Selon Dupuis, ce sont les ruines les plus anciennes, et,
d'après renseignements puisés à Batavia, ce ne sont que les restes
EN Ve
d'une époque de décadence datant du x1v° siècle, à la suite des
guerres de religion provoquées par la conquête musulmane. Vais-
je donc voir se réaliser la fable des bâtons flottants? De loin, c'est
quelque chosè et de près ce n'est rien. Ce serait vraiment pénible.
Quoi qu'il en soit, je suis déjà satisfait de ma récolte en vue de ma
future expédition à Palenque; je pourrais au besoin me passer de
Soeko, d'autant que chacun me dissuade d'y aller en m’annonçant
que je n’y dois trouver qu'un escalier et que nous avons Rafile.
Je me suis vainement informé des Kalanks dont m'avait parlé
le gouverneur général; fondus dans les populations environnantes,
ils ont complètement disparu. Leurs descendants n’ont même plus
trace de cheveux crépus.
Au sujet du musée ethnographique, n’y aurait-il pas une occa-
sion bien rare de se procurer pour rien, ou presque pour rien, la
collection la plus complète qui se puisse rencontrer. Cette collec-
tion est toute portée; c’est celle qu'ont exposée les Indes néerlan-
daises. Il est clair que le gouvernement hollandais aimerait mieux
céder ou donner cette collection à la France que de la réemballer
et la réemporter aux Indes pour la faire dévorer par les fourmis
blanches qui détruisent chaque jour la belle collection du musée
de Batavia. Je vous soumets cette idée, Monsieur le Ministre; vous
seul, en prenant l'initiative, pouvez en mener la réalisation à
bonne fin. |
D'un autre côté, j'espère vous avoir préparé le don d’une petite
collection assez curieuse. J'en ai parlé au propriétaire, M. Kins-
bergen, qui paraît tout disposé à l'offrir au Ministère, mais qui
tient naturellement à s'en faire honneur. Ce sont des bouddhas,
des crânes et des idoles en bois.
Soerakarta, 25 juillet.
Je reviens du Lawoe, ou plutôt de mon essai d'expédition. La
mauvaise chance semble s'attacher à cette affaire. Parti le 24 à la
nuit, j'ai vu ma voiture se briser à moitié route el me voilà en
pleine campagne, sans aide d'aucune sorte, obligé de passer la nuit
dans un campong.
Dans l'impossibilité de réparer la voiture et pensant bien que
mes porteurs de la montagne seraient partis après m'avoir vaine-
. ment attendu, je suis revenu à Soerakarta comme j'ai pu, sur un
cheval, suivi de mes domestiques portant mes bagages. J'ai néan-
1 OÙ —
moins utilisé mon désastre en prenant trois vues de campongs. Je
ne tenterai plus l'aventure, d'autant que, comme je vous le disais
dans ma lettre du 22, j'ai des preuves suflisantes, si preuves il y
a, que les ruines fort maigres de Soeko se trouvent dans Rafle;
que j'ai à Soerakarta diverses vues intéressantes à prendre, soit
comme paysages, soit comme types, chez le prince, entre autres,
qui m'a donné rendez-vous pour demain, 26, et que je compte
partir le 28 pour Samarang, afin de ne pas manquer ma corres-
pondance.
Mon courrier de Batavia vous donnera le résumé de mon séjour
à Java et la nomenclature de mes clichés qui vous parviendront en
même temps que ma lettre.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de mon
dévouement respectueux.
D. CHarNay.
Batavia, 4 août 1878.
Monsieur le Ministre,
À l'appui des mensurations de Malais et de Javanais que J'ai
l’honneur de vous envoyer, suit une esquisse des trois branches de
la race malaise qui habitent Java. Mes mensurations pèchent pro-
bablement un peu, mais c'est la conséquence nécessaire d’un tra-
vail nouveau pour moi. Je fais mieux chaque jour.
La race malaise, à Java, se divise en trois branches : les Sunda-
nais, à l'Ouest; les Javanais, au centre et à l'Est, et les Malais à
Madure, à Bali et sur la côte de Batavia. |
Toutes trois se servent de langues qui diffèrent beaucoup, tout
en se rattachant à une origine commune, et souvent un Malais ne
comprendra pas un Javanais.
Cela tient à la conquête indoue, qui a plus fortement absorbé le
Javanais que le Malais.
Les crânes diffèrent entre eux. Le Malais a la tête plus longue
et plus large, le creux plus aplati.
Le Javanais a la tête plus ronde et le crâne plus haut.
Le Malais a le front plus développé dans le haut, les cheveux
plantés à l’européenne, tandis que chez les Javanais ils sont
ss OR
presque toujours plantés en demi-cercle. Chez les uns comme chez
les autres, le nez est généralement très camard et les pommettes
sont saillantes à ce point que, chez les femmes surtout, on pour-
rait appliquer une règle sur les pommettes sans qu'elle touchàt
l'arête du nez.
Les instincts diffèrent également.
Le Javanais est plus sédentaire; il est cultivateur, et il a offert
par cela même une prise plus facile à la conquête. Aussi, depuis
vingt siècles passe-t-il d'un joug sous un autre joug, esclave sous
ses princes, esclave sous les Indous brahmanes ou bouddhistes,
aujourd'hui serf de la Hollande.
Il a de même plus facilement accepté les doctrines religieuses
qu'on lui impose, quoique, en somme, il mélange toutes les su-
perstitions. |
Ses instincts artistiques ont été plus développés, si l’on en juge
par les monuments superbes qui couvrent l'Est, à Boeroe-boedor, à
Brambanan, au Dieng et dans le Kédiri. Dans l'Ouest, chez les
Sundanais, peuple de montagnards, il a conservé dans ses idoles le
type polynésien, c'est-à-dire le grotesque et le barbare par excel-
lence. Mais le Sundanais, habitant les montagnes, s'est-il mêlé da-
vantage aux premières populations de l'ile, aux Papous qui, selon
toutes probabilités, en étaient les autochtones? |
Le Malais est plus fier, comme tous les peuples qui ne font rien ;
il est guerrier ou pirate et n’a jamais aussi facilement accepté la
conquêle que le Javanais, témoin la guerre d'Atchin; et si dans
les îles de Madure, d’Amboine et à Macassar, la Hollande recrute
ses meilleurs soldats, c'est qu'on a pour eux les plus grands
égards et qu'ils sont presque considérés à l'égal des soldats eu-
ropéens.
Ils sont aussi domestiques très volontiers pour ne rien faire, car
toute la race est essentiellement indolente. Cela se voit dans leurs
danses aux mouvements d’une lenteur désespérante, dans leur
musique aux tons plaintifs et d’une navrante mélancolie, dans leur
vie de tous les jours, car ils se trainent et n'agissent pas; dans le
silence des foules, qui parlent bas; dans les jeux des enfants, que
nul cri, nul rire ne vient égayer.
Hs sont d'une taille au-dessous de la moyenne et, quoique petits,
bien proportionnés; leur force musculaire est peu développée,
témoin leurs pressions au manomètre; les coolies cependant portent
= =
de lourds fardeaux, mais c’est là une affaire d'habitude. Ils ne sont
jamais obèses, ce qui tient à leur sobriété; car pour les métis, qui
vivent dans un autre milieu, ils sont généralement ou obèses ou
étiques. Il faut noter ce fait que les familles européennes qui vivent
à Java produisent, en moyenne, cinq femelles contre deux mâles
à la première génération, et que le plus souvent elle ss’éteignent à
la seconde.
Chez le Malais, nul souci du lendemain. Le Malais ne sera
jamais riche; et, quel que soit le produit de son travail, il n’accu-
mule pas et vit dans la même cabane avec la même nourriture et
couvert des mêmes vêtements; mais il a près de lui une sangsue
dévorante : le Chinois implanté depuis le v° siècle dans les îles de
lOcéanie; celui-ci a fait du Malais sa propriété, sa vache à lait.
Partout où s'assemblent dix Malais surgit un Chinoïs qui les sucera
jusqu'a la moelle.
En somme, race destinée au servage, mais qui vivra parce
qu'elle est cultivatrice et parce que ses conquérants en auront
toujours besoin.
D. CHARNAY.
Batavia, 6 août 1878.
Monsieur le Ministre,
J'ai honneur de vous confirmer ma lettre n° 3 de Soerakarta
du 22 juillet.
De retour à Batavia, j'ai développé mes clichés, qui sont généra-
lement bons, mais un peu posés. Je les ai décollés sur papier, sui-
vant la formule, et j'ai repris mes mensurations. J'en ai collationné
trente-huit, tant de Malais que de Javanais. J'ai repris quelques
vues et des types, et je vous envoie par les Messageries une caisse
contenant divers objets dont vous trouverez la liste cr-incluse en
même temps que la liste de mes clichés et une esquisse du Malais
et du Javanais. En ce qui touche la photographie, il y a beaucoup
à dire et voici des observations qui pourront être utiles à d’autres :
Le procédé à l’émulsion est bon, et tout opérateur d'expérience
est assuré du succès; mais alors il faudrait renoncer à tout l’attirail
des produits chimiques, car, dans les condilions présentes, le pro-
cédé n'a presque nul avantage sur le collodion humide. En effet,
+ JR 2
il faut nettoyer les glaces, collodionner les plaques, développer,
laver, décoller; autant d'opérations très délicates, fort difficiles et
presque impossibles dans certains milieux.
Vous ne sauriez croire quel travail m'ont coûté les quarante et un
clichés que je vous envoie et qui, avec les expériences prélimi-
paires, en représentent cent. Ajoutez-y mes autres travaux et le
climat, et vous aurez une somme de fatigues que bien peu de
gens pourraient supporter.
De plus, le décollage, que je pratique assez bien aujourd’hui, est
néanmoins dangereux et j'y ai perdu mes deux plus beaux clichés;
une fois décollé, le collodion se fendille sur le papier, le talc pro-
bablement fait aussi soulever le collodion pendant le développe-
ment, et l'on a peine à sauver son cliché. En outre, le système
exige, en France, pour le transport des clichés sur une nouvelle
glace, une opération qui doit être des plus délicates. Je me propose
de supprimer tout cela, car une fois en Australie dans une petite
ville, un village ou le désert, je n'aurai rien de ce qu'il faudra
pour mener à bien mes opérations. Je renonce donc aux produits
chimiques et à tout mon attirail. À Melbourne, je ferai confec-
tionner six boites à glaces semblables aux miennes, de vingt-cinq
glaces chacune, ce qui me fera deux cents glaces que je préparerai
avec tout le soin imaginable. Ces glaces restent bonnes et sensibles
un temps illimité; j'exposerai tout simplement en numérotant
chaque glace, et nous développerons en France. Je vous enverrai les
caisses au fur et à mesure. Pour les types, ie me munirai d’un bà-
ton à bout ferré que j'enfoncerai dans le sol et qui servira d'appui
au modèle, qu'il est impossible de bien photographier, quelque
rapidité qu'on mette dans la pose, le sujet bougeant toujours.
Je n'ai pu réunir que quatre crânes, dont deux chinois et deux
malais; impossible de me procurer des javanais. On m'en prépare
en ce moment, mais ils ne seront prêts que dans un mois et on les
remettra à M. Kinsbergen, qui les joindra à la collection qu'il doit
envoyer au Ministère. C’est une promesse faite et sur laquelle on
peut compter.
Vous trouverez également dans la caisse un exemplaire d'un
livre nouveau publié à Batavia, ayant trait à l'histoire javanaise.
C'est une traduction en anglais de chroniques chinoises remontant
au commencement du v° siècle, et ce sont les seuls documents au-
thentiques qu'on possède sur les premiers temps de Java.
ce, (fo
Vous m'avez demandé de vous livrer toutes mes impressions et
peut-être me trouverez-vous un peu concis; je tiens bien un jour-
nal de voyage, mais J'éprouverais, je vous l'avoue, une certaine
pudeur à livrer ces impressions toutes nues et je préférerais les
vêtir à mon retour. Si cependant vous l’exigez, je me hâterai de
vous satisfaire. Je prends le vapeur du jeudi 3 pour Singapour, le
vapeur d'Australie quitte cette ville le 19. Je n’arriverai donc à
Melbourne que le 20 septembre. Ce sont quinze jours de perdus.
Comme il y a parmi les clichés que je vous envoie de très jolis
paysages et des types curieux, si le recollage, par suite du fendil-
lement du collodion, devenait trop difficile, il vaudrait mieux
simplement cirer le papier pour tirer les épreuves; ce ne serait
pas beau, mais cela vaudrait mieux que de les perdre.
D. CHarNay.
/
LISTE DES OBJETS RENFERMES DANS LA CAISSE.
ee
2 crânes chinois, métis probablement.
1 crâne malais de Madure.
1 crâne malais d'Amboine.
19 photographies données par Mangkou-Nagoro.
4 photographies, types, bas-reliefs et monuments de Boeroe-boedor,
Brambanan, Dieng et Kédiri.
1 boîte contenant 20 paquets de cheveux.
1 ceinture, œuvre des Malais de Timor-Dilly.
1 paquet de minerai de cuivre de Timor-Dilly.
2 kris malais anciens.
41 clichés sur papier en un paquet.
38 mensurations : 30 Javanais, 8 Malais.
1 exemplaire des Notes on the malay archipelayo, par Groenevelt
(trad. de chroniques chinoises du v* siècle).
Les crânes javanais sont en préparation et parviendront au
Ministère par l'intermédiaire de M. Kinsbergen.
DES -<
LISTE DES CLICHÉS.
N° 1. Vue générale de Boeroe-boedor, bouddhique (Batavia).
2. Porte du temple en encorbellement (trop posé).
3, 4, 5 et 6. Bas-reliefs du temple.
7. Ganesa, statue à Brambanan.
8. Vue de la ruine; temple brahmanique.
9. Bas-reliefs et cabane.
10. Temple à Brambanan.
11. Vue générale des quatre cents temples bouddhiques.
12. La résidence à Soerakarta.
13. Intérieur de jardin à Soerakarta.
14. Rue à Soerakarta; entrée du Craton.
15. Une riche maison javanaise, province de Soerakarta.
16. Entrée d'un campong, province de Soerakarta.
17. Intérieur du campong, province de Soerakarta.
18. Groupe de danseurs chez Mangkou-Nagoro.
19. Deux danseurs, face et profil, chez Mangkou-Nagoro.
20,21. Deux groupes de danseurs chez Mangkou-Nagoro.
22. Gamelan, musique du prince.
23. Intérieur de la salle de réception du prince.
24, 25. Vue de deux maisons à Batavia.
26. Un intérieur de campong malais.
27. Vue d’une rivière à Batavia.
28. Vue d’une avenue à Batavia.
29. Intérieur d'un jardin à Batavia.
30. Type javanais, profil,
31. Type javanais, face (probablement métangé arabe).
32, 33. Type malais, face et profil.
34, 35. Type malais, face et prolil.
36. Palais du gouverneur, à Buitengorg.
37. Groupe de Victoria regia.
38,39. Deux groupes de palmiers.
0, 41. Vue d'un ravin à Java.
Melbourne, 1°° octobre 1878.
Monsieur le Ministre,
Je suis arrivé à Melbourne après une longue traversée de trente-
deux jours, etaffecté d’un urticaire, contracté, je pense, à la suite
FN" Re
des chaleurs de Java, ou gagné pendant le voyage dans quelque
lit malpropre des hôtels ou des vapeurs. Ce n’est qu'une indispo-
sition, très désagréable plutôt qu'inquiétante, mais qui nécessitera
un traitement et du repos. J’ai vu sir Edmund Barry, qui est le
gentleman le plus obligeant qu'on puisse rencontrer. Bibliothèque,
muséum, université, il m'a présenté partout et toutes facilités me
seront données pour mes études. Il y a certainement de bien inté-
ressantes choses à dire sur les écoles, la bibliothèque et les mines;
quant aux collections, le naturel a disparu depuis longtemps et je
le retrouverai plus au Nord. Je compte cependant me procurer
un squelette complet d’Austraulien du Sud, pièce rare aujour-
d'hui; je réunirai également une belle collection de minerais. On
me promet un exemplaire de tous les ouvrages publiés à Mel-
bourne sur l'Australie. Je crois que sir Edmund a dû vous en en-
voyer une collection.
Je resterai donc quelque temps à Melbourne et dans les envi-
rons, glanant ce que je pourrai, mais je ne récolterai que dans le
Nord, où je ferai le plus long séjour. Outre mes recherches person-
nelles, J'ai, en passant, établi deux stations, à Cooktown et à
Thumday Island, dans le détroit de Torres, où l’on s'occupe de
me collectionner insectes, squelettes, armes et vêtements; je cen-
traliserai tout cela à Brisbane et à Rockhampton, suivant les faci-
lités. Quant aux vues de Melbourne et aux types, je me contenterai
d'y acheter les collections, dont l’une {les types) fort belle a, je
crois, obtenu une médaille à l'Exposition. Je réserverai mes clichés
tout préparés pour le Nord.
Sir Edmund me charge pour vous de ses meilleurs souvenirs.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de mes sen-
timents les plus distingués.
D. CHarnay.
Melbourne, 18 octobre 1878.
Monsieur le Ministre,
J'ai l'honneur de vous accuser réception de votre lettre du
6 août, en même temps que de la brochure et des rapports qu'elle
contenait.
en
Je m'efforcerai, en suivant les instructions que vous me donnez
au sujet des échanges internationaux, de vous amener des adhé-
rents en provoquant la formation, à ce sujet, de commissions spé-
ciales dans les deux principales villes que je visiterai : Sidney et
Brisbane.
À Melbourne, pour la province de Victoria, sir Edmund Barry,
à qui vous avez envoyé les mêmes communications, est l'homme
de tous les progrès, et il n'a pas été besoin d’insister près de lui.
Je pense qu’il répondra bientôt à la lettre que vous lui avez écrite
et je crois pouvoir vous assurer que des communications régu-
. lières s’établiront sous peu entré le gouvernement de la colonie
et le ministère de l'instruction publique.
En ce qui me touche, j'ai fait fabriquer quatre boîtes de clichés
semblables à celles que j'ai emportées de Paris. Je vais donc pouvoir
préparer cent soixante plaques, qui seront, je crois, suffisantes pour
ma campagne du Nord. J'utiliserai vingt-cinq ou trente de ces cli-
chés dans une station où l'on a recueilli tout ce qui reste des aneïens
naturels de la province. Ils sont là soixante ou soixante-dix, sur-
veillés et entretenus comme les aurochs dans les forêts de la Tran-
sylvanie; ce qui ne les empêche pas de s’éteindre. Ils disparaîtront
bientôt; j'aurai donc l’heureuse fortune de les photographier et de
prendre des mensurations qui seront d'autant plus précieuses que
la colonie est composée de pur sang et de métis. De cette façon,
je pourrai vous envoyer de Melbourne mieux que je ne pensais.
Du reste, le pays est vraiment ingrat pour un explorateur cher-
chant le pittoresque, et les notes que je prends n'offriront, je le
crains, qu'un maigre intérêt. Melbourne rappelle en effet les villes
de l'Ouest aux États-Unis, Saint-Louis, Louisville ou Cincinnati;
elle est aussi importante, quoique plus jeune; lés maisons y sont
groupées, moins somptueuses, et les plantations dans les avenues
et les parcs, en même temps qu'une population fort mêlée, rap-
pellent trop l'âge de la colonie.
L’Américain s'y croirait cependant chez lui; il y retrouverait
ses rues droites et larges, les magasins et les palais de ses importa-
teurs, les clochers pointus de ses églises façon gothique, les banques
monumentales qui s'élèvent à chaque pas, et surtout la multitude
de bars où il s’abreuve et s'empoisonne.
IL s'y croirait d'autant mieux chez lui, qu'il reconnaïtrait dans
la constitution de la colonie la constitution de l'État le plus libéral
mm hg
et le plus avancé de l’Union : suffrage universel, école gratuite,
laïque et obligatoire, institutions de bienfaisance et d'utilité pu-
blique le plus largement dotées (l’école absorbe, cette année, plus
de 20 mullions pour une population de 830,000 habitants); en
un mot, toutes les qualités et déjà tous les vices d'une démocratie
absolue. L’Américain y trouverait de plus des projets de lois que ses
plus violents agitateurs n’eurent point imaginés : une assemblée
soumettant ses résolutions à un plébiscite, c'est-à-dire le gouverne-
ment direct de la populace, et des taux de 25 p. 0/0 à prélever sur
le revenu de tout habitant riche vivant en dehors de la colonie,
attaque à la propriété. S'il faut ajouter à cela des rivalités entre
colonies qui vont jusqu’à la haine, une protection exagérée qui
grève le consommateur sans protéger efficacement l'industrie lo-
cale, vous aurez une idée d'un pays qui, dans des conditions de
vitalité exceptionnelle, marche droit à sa ruine, si le gouverne-
ment de Londres n'intervient, ce qu'il refuse de faire, ou si un
parti plus modéré n'arrive au pouvoir, ce que le suffrage universel
rend bien difficile.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de mes sen-
timents les plus distingués.
D. Crarnay.
P. S. Je compte laisser mes produits photographiques et deux
de mes caisses au laboratoire de chimie de Melbourne, plutôt que
de vous les renvoyer, car les frais de port dépasseraient de beau-
coup la valeur des caisses. Mes caisses me serviront alors d'em-
ballage.
Station de Corandarck. — Melbourne, 28 novembre 1878.
Monsieur le Ministre,
ll est une loi bien constatée aujourd'hui, loi qui s'applique
à tous les règnes et contre laquelle ne prévaudront jamais ni la
religion ni la philosophie, c'est que toute race inférieure s'éteint
devant une race supérieure. Nous avons beau nous révolter, nous
Français, contre cette loi du plus fort; cela fait honneur à nos in-
stincts plutôt qu'à notre intelligence ; mais l'histoire de nos colonies
MISS. SCIENT. —— VII. 3
— 34 —
est là pour témoigner que nous sommes les dupes de notre phi-
lanthropie. -
Je suis dans un des lieux où cette loi terrible a son cours; je
vois la mort s'acharner sous toutes ses formes sur le malheureux
Australien : ivresse, phtisie, débauche, etc. ; le Tasmanien a depuis
longtemps disparu et le noir de Victoria le suivra bientôt.
J'ai en effet l'honneur de vous écrire de l’une des stations où
vivent, où s'éteignent, surlout sous la protection du gouvernement,
les derniers aborigènes de la province de Victoria. Ces stations sont
au nombre de six : Corandarck, lake Wellington , lake Tyers, lake
Coudah, Framlingham et lake Hindmarch. Sans uülité pratique
et sans avenir, ces refuges ne sont qu'une réparation tardive faite
aux naturels survivants dont les pères ont été dépouillés et assas-
sinés par la race nouvelle.
L’Australien trouve, en effet, dans ces stations le nécessaire de
la vie : une maison toute préparée, des rations de riz, farine,
sucre, thé, arrow root, tabac, etc., tout, sauf la viande, qui devient
l'appät du travail, car on ne saurait le forcer à travailler. Et quel
travail exige-t-on de lui? Six heures au plus, employées à la culture
du houblon et à la garde des bestiaux, travail souvent interrompu
par de longs repas et d’interminables causeries. Je les ai vus à
l'œuvre. Les Australiens ont une école et une église dans leurs vil-
lages. L'école, me dit le maïtre, donne des résultats remarquables,
vu le passé de la race. Les enfants écrivent, calculent, chantent
et font preuve d'une grande facilité. C'est de la mémoire, car pas
un ne peut dire son âge et nul ne peut donner l'heure d’une
montre.
Ils n’ont pas les notions du temps, et quand je demande à l'un
d'eux, depuis longues années pensionnaire de la station et culti-
vant le houblon, à quand la récolte? La plante est à peine sortie
de terre, et mon homme, après avoir réfléchi, me répond, dans
un mois, à la Noël, et la récolte se fait en avril, dans quatre mois.
J'ai visité l’école : les enfants ont une belle écriture et j'assiste à
la confection de certains calculs réussis après un assez long travail.
On épelle, on lit, on chante; mais je remarque que, sur trente-
quatre élèves, la moitié pourraient passer pour blancs, l’autre quart
est métis, et Je ne vois que cinq ou six noirs purs. L'église donne
de moins beaux résultats; car, en dehors du chant accompagné de
l'orgue, dont les naturels sont enthousiastes, le sermon ou l’exhor-
— 35 —
tation religieuse les laïsse froids, et je les apercoïs riant, dormant
ou se faisant des grimaces de singe. Maintenant quelle est la fin de
cette éducation? On n’a pu leur inculquer l'amour du travail, et
la faim seule leur met une pioche ou une hache à la main; la mo.
rale est un mot qu'ils ne comprennent pas encore : toute femme
se donnera pour un verre de whiskey, et le ministre me montre
des familles de six enfants qui viennent tous de différents pères;
il est vrai que ces choses se peuvent remarquer autre part.
Dans le jeune âge, ce sont des anges; mais, comme chez le petit
gorille prisonnier, les instincts sauvages leur reviennent à la pu-
berté. L'enfant ment, vole et commet alors toutes les horreurs sans
en avoir conscience.
L'Australien, comme le EE que J'ai vu autrefois, accepte
volontiers les lois de l'État ou les cérémonies de l'Église, à condi-
tion qu’elles soient accompagnées d’un présent. Tels les Australiens
de l'Ouest dirigés par un évêque espagnol et qui chaque mois
venaient faire baptiser leurs enfants. Et quoi d'étonnant à cela? Ils
sortent à peine du bush, qu'ils parcouraient sans entraves et sans
lois; quelques superstitions, quelques traditions au sujet des ma-
riages et des rapports entre tribus dirigeaient seules leur état social,
et l’on voudrait leur imposer un joug que des milliers d'années
d'entraînement nous font encore trouver trop lourd ! Quel trouble
n'apportez-vous pas dans ces têtes; quel bouleversement dans leur
organisation et dans des habitudes que ramènent forcément les
instincts héréditaires ! Aussi que de contrastes, que de places vides
dans leurs cervelles. Le directeur me parle d’un enfant, choisi et
élevé par lui avec tout l'amour d’un père, obéissant, doux, labo-
rieux, aimé de tous , qui se transforma , à quatorze ans, en un sujet
de la pire espèce. La situation devenait intolérable, il fallut se sé-
parer du prodige. On l'exila et sur le vaisseau qui l'emportait, au
moment de quitter celui qui l'avait tant aimé, l'influence morale
reprit un instant son empire : devant les passagers et l'équipage
étonnés, l'enfant se prosterna devant son protecteur et, dans un
discours qui arracha des larmes aux assistants, lui demanda sa
bénédiction dernière; quelques jours après, il courait dans les
bois. La directrice me montre la lettre d’une jeune fille highly edu-
cated, un prodige également : elle écrit à une amie au sujet de la
Noël, et la lettre ne manque ni de sentiment ni de poésie; puis,
sans transition, c’est la chatte qui a fait ses petits; le Christ revient;
#.
—— 00 —
puis c'est papa qui est allé tondre des brebis dans le Nord, son
absence durera deux mois, et maman s'est remariée! Vous voyez
que rien ne s'enchaîne, que tout se mêle, l’église, l'école et le bush.
Quant aux métis, tout le monde est d'accord à leur endroit, ils
réunissent les vices des deux races, sans avoir aucune de leurs -
qualités.
Outre leurs rations, les noirs recoivent aussi des étoffes pour
s'habiller. Les voilà vêtus à l’européenne, mais ils ne changent
jamais de chemises et de bas, aussi ces malheureux exhalent-ils
une odeur repoussante, et j'en sais quelque chose, moi qui les
mesure. Quant à leurs femmes, femelles hier, lubras, elles veulent
aujourd'hui des chapeaux à plumes et des robes à queue !
Corandarck est la station la plus importante des six que j'ai
citées plus haut; il y a cent trente-quatre individus, enfants et
un seul vieillard; trente à peine sont de sang pur; dans quelques
années, il ne restera que des métis.
J'ai pris des mensurations, peu faciles à obtenir, malgré l'ordre
du gouvernement. Les naturels jouent la pudeur pour obtenir
de plus fortes étrennes, je leur ai donné 2 shillings; quant aux
femmes, il faut y renoncer, messieurs leurs maris, chose étrange vu
leurs mœurs, étant d'une jalousie féroce. J’ai pris des types, faces
et profils, et j'ai trouvé des armes, quoiqu'elles soient fort rares,
les naturels n’en fabriquant plus depuis qu’ils n’en ont plus besoin.
Pour mes clichés, paysages dans les Alpes australiennes et types,
ils sont généralement bons; mais j'ai toutes les difficultés du monde
à maintenir le collodion sur les plaques, il glisse et s'échappe. Je
n’ai cependant point usé de talc pour le nettoyage. D'où cela vient-
11? Avis à M. Davanne.
A mon second jour d'opération, les noirs m'ont annoncé que
ce serait dorénavant 5 shillings par personne, et comme J'avais
besoin d'eux, j'ai accepté les conditions. Alors ce fut 10, puis
20 shillings, de sorte que je les envoyai au diable.
Leurs armes sont généralement mal faites et, de plus, grossières ;
rien à comparer avec les armes de la Nouvelle-Guinée ou les iles
de la Polynésie; l’Australien ne connaît ni l'arc ni la flèche, mais
il a pour lui le boomerang. Je l'ai vu jeter, et c'est une merveille.
L'arme lancée à 100 mètres en avant, par l'un d’eux, revint en ar-
rière et tomba dans la main qui l'avait envoyée. Le boomerang, à
mon avis, c’est la feuille de l’eucalyptus, et cette idée me vint du
RRME : - ee
premier jour où je vis tomber une feuille que le vent emporta
en tourbillonnant. Y a-t-il une relation quelconque entre ces deux
objets? Je le crois, car tout dans l’homme n'est qu'imitation de la
nature; son langage n'est qu'onomatopée; ses inventions ne sont
qu'imitations ou interprétations des choses qu'il voit; partout il
copie la nature ou s'en inspire. Les Nouveaux-Calédoniens ont imité
la fourmi dans la construction de leurs cases, et les Arabes ont pris
dans la pastèque ouverte le modèle de leurs pendentifs et de leurs
stalactites. Quart au boomerang, que l’on prétend retrouver dans
l'Inde et en Égypte, c'est faux d’après B. Smyth, qui a dernière-
ment publié un magnifique ouvrage sur les naturels d'Australie.
En somme, ma récolte ici sera beaucoup plus riche que je ne
l'espérais, car je vous expédierai dans huit jours et par voilier, pour
économiser les frais, cinq ou six caisses de minerais, bois, orne-
ments, oiseaux clichés et armes diverses. Pour les lances et les
armes de jet qui sont trop longues pour être emballées, j'atten-
drai d'en avoir un fort paquet que je vous remettrai à mon re-
tour, car autrement elles arriveraient en pièces.
_ J'ai également visité les vignobles, dont quelques-uns sont
merveilleux; j'en ferai le sujet d'un article spécial.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de mes sen-
timents distingués.
D. CHARNAY.
Je partirai pour Sydney dans quinze jours au plus tard, aussitôt
mes emballages terminés.
Melbourne, 9 décembre 1878.
Monsieur le Ministre,
J'ai l'honneur de vous expédier par le steamer Hankow cinq
CHER. 2,2, 3, 4. 5.
Que 21 kilogr., ornithologie.
33 kilogr., bois de Victoria.
77 kilogr., minéraux.
54 kilogr., minéraux.
59 kilogr., crânes, clichés, armes.
mew =
AN d'
Outre la marque ci-dessus, que j'ai mise par prudence, les
caisses portent une affiche imprimée de celles qui m'ont été
remises à Paris, et chaque objet a une étiquette.
La caisse n° 5 contient une boite de vingt-six clichés, enfermée
dans un panier australien. Dans ce même panier vous trouverez un
‘paquet de sept petits clichés, types des Australiens de Queensland,
et un autre paquet renfermant cinq échantillons de cheveux.
Cette caisse contient aussi sept crànes divers et des fragments de
cränes, au milieu desquels ces messieurs du Muséum chercheron!
à se reconnaître. J'ai rempli les interstices avec divers objets.
cuvettes et flacons de produits chimiques, dont je n’aurai plus
besoin, puisque je ne développerai plus les clichés. J'en ai en
main cent trente de préparés, et, avec un peu d'ordre, je pré-
tends les ramener à Paris et les développer là-bas sans com-
mettre d'erreur.
Quant aux armes longues, dont je possède déjà quelques-unes,
lances, arcs et flèches qu'on ne peut emballer, je réunirai en un
faisceau tout ce que je pourrai trouver et vous les porterai moi-
même ; autrement le tout serait brisé.
Je partirai pour Sydney dans trois ou quatre jours, car les con-
naissements des caisses ne me parviendront que demain; et à ce
sujet, que de temps perdu ! Sur une absence de douze mois, j'aurai
eu quatre mois de mer, sans compter les déplacements et les attentes
vaines, c’est-à-dire à peine cinq mois de travail effectif, et que
faire en un si court espace? C'est désolant.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de mes senti-
ments distingués.
D. CHarnay.
Inclus : cinq mensurations de naturels et le connaissement des
cinq caisses.
RAPPORT
SUR
UNE MISSION À SUMATRA,
OBSERVATIONS SUR LA PROVINCE DE DELI,
PAR
M. E. BERTHAULT.
SL:
Cette province a attiré surtout l’attention, depuis peu d'années,
par la fertilité de son sol, dont l'appropriation spéciale à la culture
du tabac a donné parfois de prodigieux résultats pécuniaires. Ce
ne serait sans doute pas la seule qui pourrait rémunérer largement
les efforts des agriculteurs. Le sucre et le café apporteront, par
la suite, leur contingent à la richesse publique. Le souvernement
colonial hollandais se montre très favorable à l'immigration sé-
rieuse, en réservant ses sévérités pour l'élément aventurier, im-
propre au travail minutieux et continu qui détermine le succès
dans les entreprises agricoles. Les chefs indigènes eux-mêmes
souhaitent la présence des étrangers, parce qu’ils ont reconnu
qu'elle était pour eux une source de bien-être et de progrès.
Le climat, que l’on serait tenté de croire si rude aux Européens
sous des latitudes aussi basses, est cependant très facilement sup-
portable. Les communications sont incessantes avec les grands
centres d'activité commerciale, tels que Singapore. Tout donne
à penser que la prospérité naissante de ce pays marchera d'un pas
rapide. Les Français y sont en infime minorité; mais le nombre -
des habitants chinois et allemands est considérable. Là, comme
dans tout l'extrême Orient, les Chinois sont les premiers pionniers
d'une civilisation naissante; par leur travail, leur amour du gain,
leur aptitude commerciale et leur esprit d'économie, ils forment
une base solide pour tout développement ultérieur.
ER, en
2.
GONFIGURATION ET CLIMAT.
La grandeïle de Sumatra, dont la direction est du Nord-Ouest au
Sud-Est, est traversée longitudinalement par une chaïne de hautes
montagnes, en partie inexplorées encore. Sur le versant oriental,
de nombreux cours d’eau sillonnent les vastes plaines qui s'étendent
entre le pied de ces montagnes et le détroit de Malacca. Deli, la ca-
pitale d’un district où l’on culuive principalement le tabac, est située
sur la rivière du même nom, à deux heures environ de son em-
bouchure et par 3 degrés de latitude Nord.
L'année climatérique est partagée en deux saisons égales, qui
correspondent à la mousson du Nord-Est et à la mousson du Sud-
Ouest. On peut considérer la saison sèche comme régnant de jan-
vier en juin, et la saison pluvieuse de juillet en décembre. Durant
toute l’année, le thermomètre oscille entre 28 et 32 degrés cen-
tigrades le jour. Les nuits sont assez froides pour reposer les co-
lons de la chaleur qui règne tous les jours de l’année. Aussi la
salubrité y est-elle générale, bien que le terrain ne s'élève vers les
montagnes que par une pente très douce; mais si l'on se rap-
proche des embouchures, le sol devient très marécageux, et les
fièvres décimeraient probablement une populanon européenne qui
s'établirait dans ces parages.
Sur toutes les parties de la côte Est de Sumatra que j'ai visitées,
J'ai toujours rencontré la même nature de terrain : une épaisseur
de terre végétale plus ou moins considérable, qui peut varier de
1 à 4 mètres, et un sous-sol argilo-siliceux. Les forêts impénétrables
qui s'étendent de la mer aux montagnes ont accumulé depuis des
siècles les détritus organiques, créant ainsi un sol prodigieusement
fertile et particulièrement favorable à la culture du tabac. Il sem-
blerait que les premiers coups de pioche donnés dans cette terre
vierge dussent amener des émanations meurtrières; il n’en est rien
cependant, et l’on attribue cette salubrité inattendue aux immenses
incendies qui accompagnent tout défrichement!. Ajoutons que si
! En rendant compte de ce travail au comité des voyages et missions, M. Milne
Edwards a fait remarquer que l'influence salutaire de ces grands incendies dé-
pend probablement en partie de la destruction des germes de microbes pestilen-
tiels qui, dans les pays chauds, paraissent se propager dans les ‘terrains humides
EE
les coolies chinois et indiens ne sont pas décimés par les fièvres,
ils ne peuvent se soustraire aux maladies de la peau , qui n’arrêtent
pas leurs travaux, mais qui sont presque incurables malgré une.
grande propreté et des ablutions répétées plusieurs fois par Jour.
St8.
POPULATION.
La population indigène avec laquelle je me suis trouvé en con-
tact se compose de Malais et de Battaks. Ces derniers sont les habi-
tants primitifs de lile. Ils ont élé relégués dans les montagnes
lorsque les Malais, après des descentes successives, eurent pris pos-
session définitive du littoral. Il paraït bien certain que l'usage de
manger de la chair humaine s’est encore maintenu de nos jours
parmi eux. Les plus civilisés d’entre eux ont commencé à se mettre
en contact avec les Européens. Nous en employions quelques-uns
dans notre plantation. Les défrichements, la conduite des Sampans,
la construction des maisons, sont une spécialité qu'ils partagent
avec les Malais. Beaucoup de planteurs leur donnent même la
préférence. Nous n'avons jamais eu à nous en plaindre; tout au
contraire, nous les avons trouvés généralement d’une rigoureuse
exactitude à remplir tous leurs engagements.
° Les premiers villages de Battaks commencent à une journée
environ au-dessus de notre plantation !. Sur les frontières, ils sont
mélangés aux Malais, avec lesquels ils paraissent vivre en assez
bonne intelligence; leur manière de vivre du reste est également
semblable à celle de leurs conquérants. Le riz, le thé et les bananes
sont le fond de leur nourriture; de part et d'autre, même con-
struction de maisons : des bois non dégrossis coupés dans la forêt
composent les pièces de charpente et les toits, tandis que les mu-
railles sont formées de feuilles d’une espèce particulière de pal-
miers. [| me serait difficile de dire à quelle religion se rattache celle
des Battaks; ils n’ont pas adopté les croyances des Malais, qui, pour
la plus grande partie, professent la religion musulmane. Quant à
leur langage, il est aussi différent de la langue malaise. Ils ont une
et y être la principale cause des fièvres paludéennes. On sait en effet que tous
les ferments de cet ordre périssent lorsqu'on les soumet à l’action d’une tem-
pérature de 100 à 120 degrés.
! Jungle-Brau. d
af Q 2
écriture dont les caractères se rapprochent beaucoup des caractères
arabes.
Ces deux peuples, du reste, tendent à disparaître devant l'in-
vasion des Chinois et des Indous, qui leur sont bien supérieurs
par l'intelligence, l'activité et la force physique. Indiens et Chinois
font par leur travail la fortune de la province Deli. Ce sont eux
que l’on voit employés dans toutes les plantations pour la culture
du tabac. Les Chinois sont en général plus intelligents, plus re-
bustes que les Indiens, et ceux-ci sont d’un caractère plus doux et
plus faciles à mener. Ils émigrent volontiers avec leurs familles;
le foyer domestique est une sécurité pour le planteur; tandis que
le Chinois est seul, ne contracte que rarement des alliances avee
les femmes du pays et s’'adonne surtout aux enivrements de l’opium.
SR
INDUSTRIE. —— COMMERCE. ë
L'industrie est complètement nulle dans la province de Deli; on
n'y rencontre aucune carrière de pierres de construction ou de
pierres à chaux. Les maisons les plus solides ont été élevées à Deli,
qui fait venir les briques de Poulo-Penang. |
Bien que les forêts renferment les essences de bois les plus va-
riées, les Européens n'en ont pas encore tenté l’exploitation, et
toutes les planches dont les planteurs font un si grand usage sont
tirées de Penang ou de Singapore. Les montagnes renferment-elles
des richesses en mines qui feraient la fortune de hardis pion-
niers? Je n'ai pas entendu parler d'exploration sérieuse à ce sujet,
H y a de l'or certainement dans les montagnes du royaume
d'Atchim, qui forme la pointe septentrionale de Sumatra. Les
indigènes le retirent en faible quantité des sables de leurs cours
d’eau ; mais aucune étude n'a démontré jusqu'à présent que lex-
ploitation en serait profitable avec les moyens que la science a
mis à la disposition des Européens.
L'opium, les vins, l'eau-de-vie, la bière et les cotonnades an-
glaises sont les principaux articles d'importation. Il n’y a à Deli
qu'une maison de commerce européenne : ce sont des Allemands,
qui ont à soutenir une lutte sérieuse contre plusieurs maisons chi-
_noises qui leur font concurrence. Partout où il y a quelque tralic à
faire, où s'ouvrent quelques places à l'activité humaine, les Chinois
LR
sont des premiers à se montrer. Leur patience, leur économie,
leur travail, en font toujours de redoutables rivaux pour les
colons européens. Le commerce d'exportation consiste surtout en
poivre, muscade et tabac.
$ 5.
GOUVERNEMENT.
Le gouvernement hollandais s'étend sur presque toute l'ile de
Sumatra. Mais il y a encore des régions montagneuses où son in-
fluence ne s’est pas fait sentir. Les différents sultans qui se parta-
geaient la domination de cette contrée ont fait successivement leur
soumission. Les Européens qui se sont adonnés à la culture du ta-
bac habitent les provinces de Deli, Langkalt et Serdan. Les deux
premières sont sous la dépendance du sultan de Deli. La troisième
appartient au sultan de Serdan. La haute autorité, dans ces trois
provinces, réside dans un sous-gouverneur hollandais qui contrôle
_etsanctionne tous les actes des autorités malaises. Le gouvernement
hollandais se montre facile dans la concession de terres aux Euro-
péens de toutes les nations. Mais les Chinois et les Indous, d’après
les règlements de la colonie, ne peuvent, dans aucun cas, devenir
concessionnaires de terrains. li leur est interdit également de porter
des armes, mesure de prudence que justifie leur nombre, très
considérable relativement à la force armée dont dispose le gouver-
neur. Le gouvernement colonial, qui n’est pas d’une nature tracas-
sière, il faut lui tendre cette justice, aime assez, d’un autre côté,
que des réclamations trop nombreuses ne viennent pas troubler sa
tranquillité. Pour les travaux publics il ne s’est pas lancé dans des
dépenses extravagantes. Une route d’une vingtaine de kilomètres,
mal construite et mal entretenue, telle est à peu près la seule pro-
digalité qu'il se soit permise.
Le service topographique à été mieux partagé. Il est l’objet de
soins tout particuliers. Plusieurs brigades d'ingénieurs sont à
l'œuvre, deux brigades sont sous la direction d’un capitaine d’état-
major. Le service est centralisé à Batavia, et il y a lieu d'espérer
que, dans peu d'années, on aura une carle exacte de la grande île
de Sumatra. Le travail topographique est lent et dispendieux : les
cours d'eau étant infestés de crocodiles et le sol couvert de forêts
d’un fouillis inextricable.
— lk —
Les rajahs malais des districis à tabac ne sont pas sans appré-
cier les bénéfices qu'ils retirent de la présence des Européens, et
ils sont généralement favorables à leur établissement dans le pays.
Comme dans tout l'Orient, le principe autoritaire est hors de
toute atteinte, et le peuple s'incline avec respect devant toute dé-
cision venue d'en haut. Le colon, s'il n’a pas beaucoup à compter
sur l'énergie et l’activité travailleuse de la race malaise, peut du
moins se livrer à ses entreprises sans grande crainte d'être inquiété
par les indigènes.
$ 6.
CULTURE DU TABAC.
La culture du tabac a pris une extension très considérable dans
l'espace d'une dizaine d'années. Les Européens se sont portés en
grand nombre dans les provinces de Deli, Langkalt et Serdan, qui
sont les seules exploitées jusqu'à présent pour ce genre de culture,
Les Hollandais, les Allemands et les Suisses forment la majorité
des planteurs, puis viennent les Anglais, et les Français en dernier
lieu. On compte trois familles françaises qui sont venues s'établir à
Deli, il y a environ cinq années, avec peu de ressources dès le
début; elles sont maintenant dans une situation très florissante.
Les « colons explorateurs » sont les seuls parmi les Français qui n’y
aient pas prospéré. | |
Des sociétés hollandaises par actions se sont montées avec un ca-
pital de plusieurs millions. Parmi les plus importantes, la grande
société de Deli tient la tête; elle possède de nombreuses plantations
et emploie plusieurs millrers de coolies.
Les coolies chinois et indous sont obtenus par l'entremise de
courtiers de leur nationalité qui résident à Poulo-Penang et à Sin-
gapore. Chaque coolie se paye en moyenne de 100 à 150 francs,
rendu à la plantation. Les avances qu’on lui fait pour sa nourriture
et son entretien pendant une année s'élèvent à environ 250 francs.
Il se trouve donc, jusqu'à la fin de la récolte, débiteur enversle
planteur d’une somme de 400 francs. Or le travail manuel d'un
coolie produit en moyenne 5 piculs de tabac, le picul étant de
60 kilogrammes, et le picul lui est payé 100 francs; de sorte qu'une
année de travail doit permettre au coolie de se libérer des dettes
qu'il à contractées envers le planteur, et un bénéfice net de
es =
100 francs lui reste acquis; pour un certain nombre de coolies, il
en est ainsi; mais il arrive, dans les plantations mal dirigées, que
le travailleur n’atteint pas la moyenne que je viens d'indiquer. Les
dettes des coolies vont en augmentant et les plantations dépérissent.
Quand la moyenne est dépassée, au contraire, c’est la fortune du
planteur qui progresse, en même temps que le bénéfice de ses
hommes, mais dans des proportions beaucoup plus considérables.
D'une manière générale, on compte que les dépenses d'une planta-
tion s'élèvent à autant de fois 1,000 francs qu'il y a de travail-
leurs attachés à la culture proprement dite. Pour une plantation
de 100 coolies cultivateurs, les dépenses totales s’élèveraient à
100,000 francs. Le bénéfice net d’une année serait donné par le pro-
duit de 500 francs par le nombre des coolies : soit 50,000 francs
pour le cas cité.
Il est à noter que s’il se présente des années plus où moins fruc-
tueuses, il n'y a pas d'exemple d'années improductives pour cause
d'inondations, invasion de sauterelles, ouragans et autres fiéaux
qui, dans d’autres contrées tropicales, sont si redoutables pour les
colons.
Les terrains doivent être surtout choisis à bonne distance des
bords de la mer, pour que le carbonate de potasse que renferment
les végétaux brülés à la suite des défrichements, el qui est néces-
saire à la combustion des feuilles de tabac, ne soit pas transformé
en chlorate de potasse, corps beaucoup moins combustible.
Les défrichements se font dans le dernier mois de l’année, puis
les semis au printemps. En mai on transplante, et au milieu d’oc-
tobre 1l faut que tous les pieds de tabac soient coupés et trans-
portés sous de vastes hangars où se fait la dessiccation, L’opéra-
tion dernière est la fermentation, qui a pour but de priver en
partie les feuilles du principe-appelé nicotine, dont la force serait
insupportable aux fumeurs, s’il n’était pas éliminé. Après avoir été
soumises à l’action énergique d’une presse, les feuilles sont em-
ballées et expédiées à Amsterdam. Le tabac de Sumatra est très
apprécié en Hollande.
Sa valeur, plus grande que celle du tabac de Java, s'élève en
moyenne à 350 francs le picul de 60 kilogrammes; il sert princi-
palement à recouvrir les cigares fabriqués avec les feuilles de ha-
vane de qualité inférieure.
D'après ce qui précède, on peut voir que le grand avantage de
RER ne
la culture du tabac consiste surtout dans la promptitude avec la-
quelle le colon rentre dans ses fonds. Il suffit quelquefois d’une an-
née pour que les produits de la récolte couvrent bien au delà les
dépenses effectuées. Des fortunes considérables ont été faites ces
dernières années dans la province de Deli. L'immigration euro-
péenne augmente de jour en jour; bientôt il n’y aura plus de place
pour de nouveaux colons, et il faudra se porter plus au Sud, sur
les rivières qui avoisinent l'ile de Benkalib, où réside le gouverneur
hollandais, dont dépend le sous-gouverneur de Deli. Déjà des plan-
tations commencent à s'élever dans ces parages ; mais il est pru-
dent d'attendre pour porler un jugement sur le tabac obtenu. Je
pourrais résumer mes observations en disant que l'ordre, la probité
et une surveillance incessante des coolies sont des conditions in-
dispensables de succès. La fortune des colons dépend en grande
partie des qualités de leurs travailleurs.
$ 7.
CULTURE DU CAFÉ.
La culture du café présente plusieurs avantages, quand on la
compare à celle du tabac. Les prix du café, sur les marchés euro-
péens, subissent moins d'oscillation que ceux du tabac. L'arbuste
qui produit les grains est moins sensible aux intempéries des sai-
sons. La considération importante qui explique l'abstention des
colons de Sumatra jusqu'à présent, est la lenteur avec laquelle on
rentre dans ses fonds. Plusieurs années sont nécessaires avant que
l'arbuste produise des fruits; il faut avoir assez de capitaux pour
pouvoir attendre; ce qui n’est pas le cas pour la plupart des émi-
grants. Cependant quelques planteurs, qui sont plus rapprochés
des montagnes et dont le terrain présente des ondulations que l'on
ne rencontre pas dans les parties basses de la plaine, ont com-
mencé quelques essais; mais ces tentatives sont trop peu nom-
breuses et ont été faites sur une trop petite échelle pour que l’on
puisse en tirer des conclusions bien sérieuses. Toul porte à croire
que, dans les parties les plus élevées de la province de Deli, la
culture du café réussira. Les plus expérimentés des planteurs
m'ont donné à ce sujet les indications suivantes : |
Les deux premières années, l’arbuste ne rapporte pas, et les dé-
penses doivent s'élever à environ 40,000 francs. La troisième et
DT Mers
la quatrième année, on obtient des récoltes qui ne suffisent pas à
couvrir les frais d'exploitation. Les déboursés qui correspondent à
ces deux dernières années s'élèveraient à une cinquantaine de mille
francs; calculons largement une dépense totale de 100,000 francs
pour les quatre années d'exploitation.
À partir de la cinquième année, les recettes l'emporteront sur
les dépenses dans les proportions ci-dessous :
Bénéfice net.
he année: ..:.- SA MERE LE 2 fes ur < 10,000!
0 = CR ORAN AN D CRT 25,000
s RE Ce En M M à au VER 55,000
SPENCER es en CRE PEN TE 90,000
9° SR A TR SE RE ae nn É + QE 100,000
D DU ni Une de ne 135,000
$ 8.
CULTURES DIVERSES.
Le poivre et la muscade sont des articles importants d'exporta-
tion. Leur culture est tout entiere entre les mains des indigènes.
Pour résumer mes impressions sur cette grande île de Sumatra
que j'ai quittée à regret et plus tôt que je ne l'avais prévu, je pense
qu'elle a devant elle un avenir de prospérité. Sa position géogra-
phique, sa proximité de Java, l’île sœur, son climat, si favorable
à la végétation, sont des gages sérieux d’un progrès rapide. Les
rapports entre les Hollandais et les Français sont plus faciles
qu'entre ces derniers et les Anglais. La langue malaise est le lien
qui relie entre elles toutes ces populations diverses; elle est facile
à parler, et s’apprend très vite. En faisant exception des colonies
latines, c’est un des points du globe où le Français se sent le moins
dépaysé. Très peu de nos compairiotes, cependant, ont tenté la
fortune à Sumatra; mais sur ce petit nombre, j'en ai connu plu-
sieurs, actifs, intelligents, persévérants, qui sont en pleine voie
de prospérité. Ici, comme partout ailleurs, les capitaux ont besoin
d'être fécondés par le travail. Mais ici, plus facilement que dans
nos sociétés plus avancées, le travail seul peut conduire à la
fortune, par l'activité, les économies et la persévérance.
E. BERTHAULT.
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Pr wraaét 5 ee: # el D 0 im vo
| vs é, rs ÉLE HIT ju k
S RAPPORT
SUR
UNE MISSION EN TROADE,
PAR M. ÉMILE BURNOUF.
DIRECTEUR HONORAIRE DE L'ÉCOLE D’ATHÈNES.
Monsieur le Ministre,
Pour tenter’avec quelque chance de succès la solution des pro-
blèmes relatifs à la légende troyenne, la première condition à
remplir était d’avoir une carte exacte de la Troade. Aucune des
anciennes cartes ne pouvait servir de base à une discussion : les
unes s'éloignent beaucoup de la vérité topographique, donnant aux
objets des proportions toutes différentes des proportions réelles ;
les autres sont des dessins de fantaisie, tracés, non d’après des
mesures prises sur les lieux, mais pour appuyer une opinion pré-
concue et une interprétation systématique des textes anciens. Telles
sont les cartes de Choiseul-Gouffier, de Barker-Webb, de M. Nico-
laïidès. Une seule carte reproduit avec sincérité la configuration
du sol: c’est celle de MM. Graves et Spratt, publiée en 1844 par
l’amirauté anglaise; nos cartes marines en ont seulement rectifié
les longitudes et les latitudes. Elle s'étend de Ténédos à l'Oulou-
dagh, chaîne secondaire de l'Ida, et des côtes de la Chersonèse
aux montagnes de Chigri (l’ancienne Kenkhreia), comprenant ainsi
la plaine de Troie et ses environs.
Toutefois cette carte même, dressée probablement en temps
d'inondation, offre quelques inexactitudes en ce qui concerne les
rivières; elle ne porte qu'un petit nombre d’altitudes, et le graveur
n’a pas donné aux reliefs un aspect topographique assez marqué.
J'ai d’abord vérifié un assez grand nombre d’angles pour m'as-
MISS. SCIENT. — VII. /
Le AU
surer s'ils avaient été bien rapportés, et j'ai constaté que les divers
points géographiques y sont à leur place. Les corrections ont prin-
cipalement porté sur le cours des rivières et sur les largeurs de
leurs lits, rendues par la carte d'une facon quelquefois trop conven-
tionnelle. Par exemple, le ruisseau qui, de Bounarbachi se rend à
la baie de Béchika par un canal en partie creusé de main d'homme,
aurait bo mètres de largeur, si on le rapportait à l'échelle, tandis
qu'il en a seulement de 2 à 4. L'ancien lit du Scamandre en au-
rait 60, tandis qu'il en a 03 au pont sous Hissarlik et plus de 250
sur d’autres points. Ces rectifications nécessaires n'ôtent rien de sa
valeur à l'excellent travail des topographes anglais; leur carte était
l'unique base sur laquelle nous devions nous-mêmes nous appuyer.
Les puits que M. Virchow et moi avons fait creuser sur plu-
sieurs points de la plaine nous ont fourni des données précises sur
sa nature et sur son origine. Nous pouvons affirmer qu'elle n'est
pas le produit des alluvions du Scamandre et du Simoïs et que
sa formation est antérieure à l'existence même de ces rivières.
L’argile plastique, mêlée de détritus granitiques, dont elle se com-
pose, est toute différente des sables quartieux qu'entraîne le Sca-
mandre; le fleuve s'est creusé des lits successifs dans cetle argile
et y coule entre des berges dont l’escarpement va jusqu'à la mer.
Tel est le sol de la plaine; c'est un dépôt d’eau douce. En outre,
de Bounarbachi à l'Hellespont, cette plaine est inclinée de plus
de 20 mètres; la mer n’en a jamais couvert aucune partie. Il n'y
a près du rivage aucun marais salé; le fleuve n’y forme point de
delta. | |
Le bras que les anciens nommaient Stomalimné n’est pas maré-
cageux; l'eau en est profonde, limpide, un peu saumâtre, parce
qu'elle s'ouvre largement du côté de la mer et en subit le flux et
le reflux. Sur sa rive gauche existe une dune peu élevée; j'y ai
exécuté un sondage et constaté que le sol est formé de sable; les
parties basses des ondulations de la dune sont au niveau de la mer ;
les saillies ont à peine 2 mètres de hauteur. C'est le seul apport
des rivières à leur embouchure; la dune n’a es 250 mètres sur.
150 en superficie.
Lors des inondations, le Scamandre dépose dans les endroits
submergés une couche de sable fin de 2 ou 3 millimètres. Quand
les eaux se sont retirées, ce sable se dessèche, les vents violents de
: la Troade le soulèvent, en emportent au loin une partie, rassem-
eat." ER
blent le reste en petits monticules le long des rives et y forment
des dunes fluviales : l'argile cultivée est ainsi remise à nu. En
temps ordinaire, les sables charriés par le fleuve coulent entre ses
rives escarpées, descendent jusqu'à la mer. Là ils rencontrent le
courant de l'Hellespont, dont la vitesse est de 6 à 8 mètres, et qui
les entraîne vers le Sud. Le remous produit par la pointe de Koum-
kalé en arrête une partie, qui se dessèche sur le rivage et qui,
amoncelée par les vents, ensevelit aujourd'hui cette forteresse jus-
qu'aux créneaux. Le reste est entraîné dans la mer Egée.
11 résulte de ces données positives que, depuis l’époque géolo-
gique où la rupture de l'Hellespont donna passage aux eaux de la
Propontide, si le rivage troyen a subi queique changement, c’a été
une diminution et non un accroissement du côté de la mer: car le
courant du détroit l'a rongé pendant une longue période de temps,
en a enlevé la couche d'argile et a laissé à nu la couche dure sous-
jacente, qui forme maintenant une sorte de rivage sous-marin.
Aux temps héroïques, le rivage était vraisemblablement déjà dans
l'état où il est aujourd’hui et avait la forme rectiligne qui le carac-
térise. Seulement la pointe qui va du cap Sigée à Koum-kalé pou-
_vait ne pas exister ou être moindre qu'elle n’est : car l’accumula-
tion du sable y est due en grande partie à la présence du fort.
Le Scamandre arrose, au pied de l'Ida, une plaine supérieure,
d'où il s'échappe par une gorge escarpée derrière le village de
Bounarbachi. Il entre dans la plaine de Troie et la parcourt du
Sud-Est au Nord-Ouest sur toute sa longueur, dans un lit sinueux
et variable. Au sortir du défilé, il dépose, pendant ses inondations,
des cailloux roulés qui obstruent sa marche et en changent facile-
ment la direction. Ses eaux se répandent alors sur ses deux rives,
entraînant des masses de débris et des arbres entiers. Les eaux de
la rive gauche se répandent sur la plaine et vont quelquefois gros-
sir le petit ruisseau de Bounarbachi. Celles de la rive droite, plus
abondantes, se déversent dans un ancien lit, qui prend successi-
vement les noms des lieux où il passe : Pacha-tépé-asmak, Califatli-
asmak.
De sa rive gauche, le Scamandre ne recoit aucun affluent, parce
que les collines qui bordent la plaine de ce côté sont étroites et ont
la mer derrière elles du côté du couchant; en outre, elles sont in-
terrompues vers le milieu de leur longueur et laissent passer dans
leur dépression le ruisseau de Bounarbachi; c’est cette dépression
4.
SLR" OR
qui forme la baie de Béchika. Du côté de l'Est, la plaine est limi-
tée par une suite de collines dont la partie supérieure est un large
plateau et qui vont se réunir au chaïnon de l'Ida nommé Oulou-
dagh. Le long de ce plateau s'étendent de l'Est à l'Ouest et du Nord-
Est au Sud-Ouest deux vallées faisant un angle droit et un angle
aigu avec la plaine de Troie: celle du Sud est arrosée par le Thym-
brios; celle du Nord, par le Simoïs. Enfin une dernière rangée de
collines sépare la vallée du Simoïs de l’Hellespont et se termine
au cap Rhætion.
Le Thymbrios etle Simoïs ont leurs sources dans l'Oulou-dagh,
dont l'altitude est de A29",80. Le premier se jette dans le Scamandre
à l'endroit où ce fleuve sort du défilé de Bounarbachi. Le second
a son confluent beaucoup plus bas, à 3 kilomètres de la mer. La
vallée du Thymbrios est étroite, accidentée, garnie de grands ar-
bres et bordée au Sud d'assez hautes montagnes. Celle du Simoïs
est large, plane et comprise entre des collines peu élevées; c'est
une grande plaine, terminée vers le bas par un gradin de 2 mè-
tres au-dessus de celle du Scamandre; les eaux de la rivière n'ont
qu’une très faible pente à sa parlie inférieure et y donnent nais-
sance à deux vastes marais.
Le plateau qui sépare les deux vallées jette en outre sur la
plaine du Scamandre plusieurs promontoires, entre lesquels il n’y
a pas de rivières, mais seulement des ravins et de petits maré-
cages, où s’écoulent les eaux de la pluie. Le dernier de ces pro-
montoires, du côté du Nord, domine à la fois les deux vastes
plaines du Scamandre et du Simois, et a vue sur l'Hellespont. C'est
cette pointe qui porte le nom d'Hissarlik.
Le confluent du Simoïs et du Scamandre a particulièrement
attiré notre attention. En effet, sur les anciennes cartes, le premier
de ces deux cours d'eau, nommé Doumbrekson , est marqué comme
ayant un lit séparé jusqu'à la mer, où il se jette sous le nom d’In-tépé-
asmak ou rivière du tombeau d'Ajax. Ce tracé est tout à fait faux:
car il y a entre ce dernier lit et celui du Simoïs des hautes terres
qui les ont toujours tenus séparés. Mais la principale masse des eaux
du Scamandre a coulé autrefois dans un lit que ce fleuve occupe en-
core en partie sous le nom de Califaili-asmak et dont la largeur at-
teint Jusqu'à 250 mètres. Ce lit passe devant Hissarlik et recoit un
peu plus bas les eaux du Simoïs, à l'Est du village de Koum-keni. De
_ là il tourne brusquement vers l'Ouest et n’atteint la mer qu'à la
— 53 — |
Stomalimné , non loin de Koumkalé. J'ai fait avec le plus grand soin
le nivellement de cette partie de la plaine: à 1,000 mètres à l'Ouest
de Koum-Keni se trouve une petite dune qui, dans l’antiquité, porta
vraisemblablement le nom de tombeau d’Ilus; produite par les lais
du fleuve après des inondations, elle a obstrué l’espace entre lui
et l’In-tépé-asmak et l’a forcé à se frayer vers l'Ouest, dans l'argile
de la plaine, le lit profond où il coule aujourd’hui. Maïs aux sables
qu'il a laissés sur une longueur de plus de 1,500 mètres, on
reconnaît qu'il s'écoulait autrefois par le lit de l'Instépé. Les don-
nées topographiques de l'Jliade, ordinairement très précises, s’ac-
cordent avec ces faits et nous induisent à penser qu'aux temps
héroïques le cours principal du Scamandre était encore à l'Est de
la plaine, qu'il recevait le Simoïs là où l’ancien lit le reçoit au-
jourd’hui et qu'il gagnait la mer par le lit non encore oblitéré de
l'In-tépé-asmak. Son embouchure était donc près du cap Rhætion,
tandis qu’elle est aujourd'hui à Koum-kalé, non loin du cap Sigée.
Il faut observer seulement que le lit moderne du Scamandre à
pu exister dans les anciens temps, mais comme rigole secondaire
et accessoire; car 1l a tous les caractères d’un canal de formation
récente. Celui de Califatli présente, au contraire, l'aspect d’un
ancien lit abandonné qui tend à s'oblitérer de plus en plus. Les
deux points critiques où le changement s'est opéré se trouvent
aux confluents du Thymbrios et du Simoïs avec le Scamandre; il
a suffi d'une crue extraordinaire et simultanée de ces deux rivières
pour y amonceler les cailloux et les dunes qui ont obstrué le fleuve
et l'ont refoulé de l’autre côté de la plaine. C’est ce que nous
avons constaté pour le Simoïs à l'endroit nommé tombeau d'Ilus :
le village de Koum-keni, ou village du sable, est bali sur une
vaste dune au confluent de cette rivière avec l’ancien Scamandre,
et celte dune est d’origine fluviale.
Il
Les sites où ont pu exister d'anciens centres de population sont
répandus le long des collines qui bordent les trois plaines et par-
ticulièrement celle du Scamandre. Outre les traces d'habitations
antiques, ces hauteurs portent un certain nombre de tumuli, dont
plusieurs sont signalés par les anciens auteurs. Les limites de ce
rapport ne comportent pas l'étude approfondie de chacun de ces
RERO | te
points et je ne puis y consigner que les résuliats généraux auxquels
nos recherches nous ont conduits.
Des fouilles décisives ont été faites en plusieurs endroits et à diffé-
rentes époques par MM. de Hahn, John Lubbock, Calvert, et surtout
par M. Schliemann , à qui seront dues en réalité les plus importantes
données du problème. Les fouilles faites sur les hauteurs derrière
Bounarbachi ont mis au jour une petite forteresse dont les murs,
de construction polygonale, indiquent par la précision de la taille
le 1v° ou au plus le v° siècle avant J.-C. Les fragments de poterie
trouvés dans ces ruines se rapportent à la même époque; aucun
n'a un caractère non seulement préhistorique, mais même de
haute antiquité. Il est raisonnable de voir dans ces ruines la
petite place de Gergis qui commandait les gorges du Scamandre et
le passage entre les deux plaines. La hauteur au-dessous du fort
porte quatre tumuli, qui ont aussi été fouillés. Mais on ne trouve
sur le sol aucune trace d'habitations humaines; il n'y a dans les
déclivités aucune accumulation de débris, aucun fragment deterres
cuites. La même absence de tout reste antique se remarque sur la
pente qui descend vers Bounarbachi et près des sources qui ont
donné leur nom au village. Les marbres que l’on avait cru y voir
sont des blocs naturels de calcaire auxquels le voisinage de roches
éruptives a donné un caractère métamorphique. Dans tout cet es-
pace, il n’y a ni débris humains ni aucun indice d'anciennes ha-
bitations ; partout le sol est dans son état primitif, partout la vé-
gétation spontanée couvre les autres collines de la Troade.
Nous avons examiné altentivement les divers promontoires qui
bordent du côté de l'Est la plaine du Scamandre et en particulier
celui que Démétrius de Sképsis semble avoir pris pour le site de
l'ancienne Troie. C’est une colline allongée qui, du tumulus appelé
Pacha-tépé, s'avance vers l'occident, C’est là aussi que M. Webb
(s'il est possible d'accorder son texte avec sa carte) semble avoir
placé la ville de Priam. Sur toute la superficie de ce promontoire
il n'y a que quelques centimètres de terre, dans laquelle on trouve
des’ poteries grecques récentes en très petit nombre, des tessons
romains et turcs, des fragments de marbres de couleur; mais ül
n’y a aucun débris d’une antiquité reculée.
L'examen successif des hauteurs comprises entre le Thymbrios
(où était la petite ville de Thymbra et le temple d’Apollon-thym-
bræos) ei la vallée du Simoïs met tour à tour hors de cause cha-
me
cune d'elles et aboutit au promontoire le plus septentrional, celui
d'Hissarlik ; 11 termine le plateau et fait saillie sur les deux plaines
à la fois. Il répond à cette donnée constante de l'antiquité, que la
ville de Troie était au confluent des deux rivières, protégée en
même temps par les marais du Simoïs. La seule objection spé-
cieuse qui se présentât était la proximité de la mer, que l’on sup-
posait avoir reculé. Or nous savons que la mer n’a pas reculé; elle
est à 4 kilomètres et demi d'Hissarlik en ligne directe; en fait, ül
faut 50 minutes pour franchir la plus courte distance au trot du
cheval. Une plaine immense s'étend entre cette colline et le rivage;
on y pourrait faire battre deux armées six fois plus nombreuses que
celles des Troyens et des Achéens, à plus forte raison celles d’un
poème où la muse présente toutes choses sous des formes ampli-
fiées. Il convient d'ajouter que les faits racontés dans l’/liade s’ap-
pliquent généralement avec exaclitude et facilité à la topographie
locale, dans l'hypothèse qui place à Hissarlik Ja ville de Troie,
tandis que dans toute autre hypothèse il faut tourmenter les textes
pour les adapter aux lieux; encore est-on souvent arrêté par des
impossibilités. Observons seulement que cette coïncidence des textes
et de la topographie ne prouve en rien la réalité des faits et des
personnages chantés dans l’Iliade, puisque le propre des légendes
helléniques est précisément de s'être exactement localisées. L’exis-
tence même de la ville de Troie serait encore un problème, si
lon pouvait continuer de dire avec Lucain : Etiam periere ruine.
Mais ce jeune homme ignorait qu'il est une chose qui ne périt
jamais : ce sont les poteries; parce que, même brisées, elles se
mêlent à la terre et se trouvent dans le sol lors même que la char-
rue l'a retourné pendant des siècles.
Des fragments de poterie, de marbre et d’autres objets couvrent
le plateau d'Hissarlik sur une superficie de 790,000 mètres carrés.
Ils signalent par leur présence et leur mode de fabrication la ville
gréco-romaine d'Ilion. Des sondages nombreux ont fait voir que
les débris de cette ville ont plusieurs mètres d'épaisseur, et l’on a
pu suivre le tracé de ses murs d'enceinte. Elle reste toute à dé-
blayer. À l'angle qui domine les deux plaines, le sol est plus élevé
et figure une sorte d'acropole où des sondages et des tranchées
ont fait reconnaitre les murs dont elle a été entourée à diverses
époques, notamment celui que les textes anciens attribuent à
Lysimaque.
EX LE
Enfin, comme le point culminant de la colline se trouvait à
l'extrémité du promontoire et que celui-ci ne paraissait pas avoir
pu être notablement agrandi de ce côté par des remblais, c'était là
que des fouilles pouvaient se faire avec le plus de chances de
succès. Le docteur Schliemann a mené des tranchées dans plu-
sieurs directions : 1° de l'Est à l'Ouest, sur une longueur de
190 mètres, une largeur moyenne de 20 et une profondeur
moyenne de 8; 2° du Nord au Sud, par le milieu de la colline,
sur une longueur de 80 mètres, une largeur moyenne de 45
et une profondeur moyenne de 8; 3° enfin un vaste déblaye-
ment central a rejeté hors de la colline environ 25,000 mètres
cubes de décombres. Le total des matières extraites peut être éva-
lué approximativement à 90,000 mètres cubes. J'ai assisté à l’ex-
traction de 10,000 mètres cubes environ, enlevés dans la partie
centrale des fouilles. C’est ce dernier déblayement qui a enfin
porté la lumière au milieu de ruines entassées, dont la confusion
parut d’abord, à M. Virchow et à moi, impénétrable. +
Les tranches verticales qui limitent de tous côtés les excava-
tions montrent aux yeux plusieurs faits essentiels, autour desquels
beaucoup d'observations secondaires peuvent se grouper et qui
désormais serviront de base à toute discussion. Elles ont été des-
cendues jusqu'au rocher, de manière à atteindre les plus an-
ciennes constructions. En les regardant, on a devant soi des murs
de maisons ou de salles superposées, qui ont été successivement
bâties sur les décombres les unes des autres. Comme on n'y creu-
sait pas de caves, une ville ruinée servait de sol à une autre ville,
que l'on bâtissait au-dessus d’elle : ainsi se sont élevées successive-
ment les quatre ou peut-être bien les cinq villes donton a devant
les yeux les sections verticales. Leurs dates relatives, mais non
absolues, sont données par le fait même de leur superposition et
par la nature des objets trouvés dans leurs décombres.
Les maisons supérieures, au-dessus desquelles la charrue pas-
sait chaque année, font partie de la ville grecque, agrandie par
les successeurs d'Alexandre et protégée par les empereurs romains.
Cette acropole avait une enceinte de murs en pierre de taille et
un temple de marbre blanc. Elle fut établie sur une surface
élargie de tous côtés au moyen de remblais, dont les fouilles per-
mettent de mesurer l'épaisseur. Dans ces remblais, dont les couches
ont la pente naturelle des terres éboulées, il y a des lits de co-
2, cf nt et"
es
peaux de marbre qui en donnent la date approximative, et les
font contemporains de la construction du temple de marbre. Ils
contiennent aussi des fragments du petit temple dorique signalé
par Strabon comme ayant été remplacé par ce dernier.
La couche placée immédiatement au-dessous de la ville gréco-
romaine est nécessairement comprise entre ces grands remblais.
Un intervalle de temps assez long parait séparer lune de l'autre;
car on trouve dans cette seconde couche des poteries et d’autres
objets indiquant une antiquité beaucoup plus haute. J'ajoute qu'il
est bien difficile d'y distinguer une période de temps nettement
limitée : car les maisons qu’elle renferme ne sont pas sur un même
niveau horizontal. Il est à croire que la plupart d’entre elles ont eu
un seul étage, tandis que quelques-unes en avaient deux; par ces
inégalités elles pénètrent çà et là dans la couche supérieure ou des-
cendent dans la couche située au-dessous d'elles. Enfin la ville de
cette époque semble avoir été quelque temps sous la domination
lydienne, si l'on en juge par une série de vases très analogues à
ceux de la Lydie dont nos musées offrent de nombreux spécimens.
Cette ville fut bâtie sur les décombres d’une ville antérieure,
qu'un vaste incendie avait dévorée; mais elle paraït avoir dépassé
en superficie les limites de cette dernière, principalement du côté
de l'Est, qui est le côté des collines.
La ville incendiée est la plus intéressante; mais pour en com-
prendre la construction il est nécessaire de se rendre compte de ce
qui existait avant elle.
Les premières habitations, établies sur le rocher, étaient en
pierres à leur partie inférieure ; ces pierres étaient jointes avec de
la boue et supportaient des murs de terre. Les maisons étaient
couvertes en terrasses et ces terrasses étaient probablement sou-
tenues, selon un usage qui existe encore dans le pays, sur des po-
teaux extérieurs et des traverses de bois. L’épaisseur des décombres
laissés par cette première ville permet de croire que les habitations
avaient un étage au-dessus du rez-de-chaussée, ou, qu'ayant été
plusieurs fois détruites elles ont été tour à tour remplacées par
d’autres habitations de terre construites sur leurs débris. En effet
celte épaisseur dépasse 46 mètres, au moins dans la partie Nord
de la grande excavation. La ville primitive ne fut pas détruite
par le feu : on trouve une ou deux pièces qui portent des traces
d'incendie; mais ce sont là des faits locaux et isolés. L'ensemble
PR, pu
des maisons a été détruit d’une autre manière. La section verticale
opérée par les fouilles dans la direction du Nord-Sud fait voir des
ravins profonds, creusés par les pluies dans les décombres de la
ville primitive; comme il a faliu un certain nombre d'années pour
les produire, on est en droit de penser que la ville a été, pendant
un laps de temps assez long, dépourvue d'habitants et que le site
est demeuré désert. Toutefois on ne pourrait généraliser cette con-
clusion , parce qu'il a pu y avoir à la même époque des maisons
habitées dans les parlies non encore fouillées.
Quoi qu'il en soit, les nouveaux habitants qui vinrent s'établir
sur ces décombres y construisirent leurs demeures suivant un
plan systématique, plan bien conçu, le seul qui ait laissé des
traces apparentes dans toute la série des villes troyennes. Autour
de l’ancien site, on construisit une forte muraille de pierres liées
avec de la terre; la face extérieure de cette muraille est inclinée
de 17 degrés vers l'intérieur. Le vide laissé entre elle et le mas-
sif des anciens décombres fut comblé au moyen de pierres èt de
terre jeiées pêle-mêle; on combla de même les ravins dont j'ai
parlé tout à l'heure. Par cette opération, la surface de la colline
se trouva nivelée, dressée horizontalement, et forma un terre-plein
propre à recevoir des constructions régulières. L'ensemble de ces
constructions se développa sous la forme d’un triangle, dont un
des côtés {celui de l'Est, qui fait face aux collines) est une ligne
droite, tandis que les deux autres ,tournés vers le Sud-Ouest et le
Nord-Ouest, figurent des lignes brisées et irrégulières; ces deux
côtes ont vue, l’un sur le Simois, l'autre sur le Scamandre. Le
côté du Simois donne sur une pente très rapide et à peu près
inaccessible ; le côté du Scamandre donne sur un terrain moins
incliné, devant lequei est une projection ou étage, comme il s'en
trouve en avant de presque tous les promontoires entre le Simoiïs
et le Thymbrios. |
C’est vers le milieu de ce côté Sud-Ouest que fut construite la
porte ou propylée donnant entrée dans l'enceinte de l'acropole.
Sur le gros mur de soutènement, on éleva un mur de briques de
plusieurs mètres d'épaisseur, dont il ne reste plus que quelques
massifs. Ces briques ont environ 45 centimètres sur 52 de super-
ficie et une épaisseur de 12 à 15 centimètres. Elles sont faites d'ar-
.gile pétrie avec des herbes de la plaine, dont les espèces sont
quelquefois reconnaissables. Elles sont cuites : nous n’en avons pas
ET ue
trouvé une seule qui fût crue; seulement la cuisson a-été impar-
faite , trop faible dans certaines parties, poussée sur d’autres points
‘jusqu’à la vitrification. Nous ne connaissons pas la hauteur de ce
mur de briques : sur le côté Sud-Ouest, on compte encore seize
assises superposées.
Voici comment on procéda dans sa construction. Sur le mur de
soutènement on établit une sorte de pavé horizontal, qui s’éten-
dait assez loin dans l’intérieur de la citadelle. Sur ce pavé on ver-
sait une sorte de mortier sans chaux, fait de brique concassée et
d’eau; puis on posait là-dessus les assises de briques, en les liant
au moyen de cette même barbotine. Sur certains points, pour
des motifs que nous ignorons, entre le pavé et la première assise
de briques, règne une couche d'environ 70 centimètres de haut,
dont la constitution semble être un fait jusqu'à présent inconnu
dans l’art de batir. On délayait séparément les terres que l’on
avait sous la main, de manière à en former des pâtes assez molles;
parnui elles il ÿy en avait une qui paraît avoir joué le principal rôle:
c'est une argile jaune, apportée du dehors et destinée, selon toute
apparence, à assurer à l'ensemble plus de solidité. L’ouvrier pre-
nait une portion de pâte et l’étendait en place de manière à lui
donner la forme d’une galette épaisse ou d’une lentille; il entre-
mélait ainsi des séries de galettes et en formait un massif dans le-
quel il ne restait pas le moindre vide. Quand le massif était assez
sec, on élevait dessus le mur de briques. Ce mode de construction
a eté employé sur tous les points de l’acropole troyenne.
L’aire des maisons était faite de la manière suivante : sur un
sous-sol formé de galettes, on répandait un mortier de briques et,
par-dessus ce mortier, on étendait une sorte d’enduit de terre si-
liceuse. |
Les œurs des salles sont en pierres jointes avec de la terre dé-
layée, que l'on prenait à pied d'œuvre et qui contenait tous les
restes de la ville antérieure, des argiles, de l'huunus, des cendres,
des tessons, des coquilles et des os. Il est probable que ces murs
de pierres ne s’élevaient pas plus haut que le rez-de-chaussée et
que, sil y avait un étage, il était fait de briques, de terre, de
bois ou de clayonnages pris entre deux enduits, comme on en
voit encore dans les villages de la Troade.
Nous ne savons pas quel fut le nombre des salles comprises
dans l'enceinte du mur de briques, parce que beaucoup ont été
M —
détruites par les fouilles. On voit cependant encore que plusieurs
étaient assez spacieuses et que telle d’entre elles avait jusqu'a
12 mètres de largeur. Je ne puis, dans un rapport succinct, en-
trer dans l'examen détaillé de ces constructions, curieuses à tous
égards. Je ferai seulement observer que leur ensemble ne répond
pas à l’idée que le mot ville exprime. C'est plutôt une acropole,
plus petite que celle d'Athènes; c’est une forteresse, ou plus exac-
tement peut-être , une sorte de chateau féodal, aupy0s, DÉpyauos,
qui occupait la pointe du plateau central de la Troade, dominait
les deux belles plaines du Scamandre et du Simoïs, et avait vue
sur la mer. On y accédait par une montée pavée de grandes dalles ;
on y entrait par un double porche spacieux. A l’intérieur, il était
pourvu de provisions contenues dans d'énormes jarres en terre
cuite; le long du mur d'enceinte, il y avait un.pavé, des salles et
des magasins, probablement destinés aux défenseurs du château.
Quoique ia civilisation v fut bien rudimentaire, de riches sei-
gneurs habitaient cette citadelle, si l’on en juge aux parures’ d'or
et aux autres objets précieux que les fouilles ont mis au jour. À
l'extérieur, du côté du plateau et des collines, il y avait des mai-
sons pouvant former une sorte de ville, maisons dont quelques-
unes sont déblayées, mais qui peuvent s'étendre assez loin sous les
décombres non encore remués.
Avec les armes de bronze dont on disposait alors, quand on ne
faisait pas de sièges en règle, de blocus, et que l'on tentait seule-
ment des assauts, ce château pouvait résister de longues années à
toutes les attaques. Il fut détruit par un incendie. Le feu com-
mença probabiement du côté de la porte et, favorisé par le vent
qui souffle tous les jours avec violence sur ces hauteurs, il dévora
le chateau et les maisons voisines, n’épargnant que l’angle Sud-
Est, sur lequel les flammes n'étaient point poussées. L'incendie fit
écrouler dans les salles les terrasses et les toitures; elles écrasèrent
sous leur poids une foule de vases et d'objets divers dont les mai-
sons étaient garnies et que les fouilles ont remis au jour. C'est
toute une civilisation qui est sortie de ces cendres. Le feu fut si
ardent que, par le retrait de argile, il fit incliner les murs de
briques malgré leur énorme épaisseur, en vitrifia la surface et
poussa dans leur profondeur, ainsi que dans le sol, une buée
noire de plusieurs décimètres d'épaisseur.
Un fait prouve que l'incendie fut Fœuvre, non du hasard, mais
A es
de l'ennemi. C’est que les murs, même les murs de soutènement,
furent démolis sur plusieurs points et laissèrent des brèches qui
n'ont jamais été réparées. En effet, quand de nouveaux habitants
s'établirent sur ces ruines, non seulement ils ne firent aucune ré-
paration, mais ils ne relevèrent pas non plusle chäteau et ne bà-
tirent plus en briques. Une partie de ces énormes décombres fut
rejetée hors des murs écroulés, qui se trouvèrent ensevelis, et ser-
vit à élargir une seconde fois la superficie de la place. En général,
à chacun des renouvellements qu’elle éprouva, elle s’agrandit des
débris de maisons rejetés au dehors, débris qui forment aujour-
d’hui des massifs disposés en couches obliques suivant la pente
naturelle des terres. Le plus grand accroissement qu'eile aura recu
est celui de ces dernières années: car les fouilles ont vidé presque
tout l’espace occupé par le château, une partie de la ville atte-
nante et plusieurs grands espaces sur d'autres points de la colline.
Je ne crois pas pouvoir, Monsieur le Ministre, aborder dans ce
rapport la discussion dès textes anciens, ni traiter les problèmes
relatifs à la ville de Troie. Ces sujets occuperaient certainement
plus d'un volume et sortiraient du but de ma mission, qui était
avant tout topographique. Je ferai seulement remarquer que d’une
part la topographie locale, traitée avec l'exactitude que je me suis
efforcé d'atteindre, ne permet guère de chercher ailleurs qu'à His-
«sarlik l’Ilion légendaire. D'autre part, la grandeur des ruines, la
superposition des villes, leur haute antiquité, le mode de construc-
tion du château féodal, l'incendie qui le détruisit à la fin d'une
guerre, s'accordent d’une manière frappante avec les traditions
de l'antiquité. Les autres sites indiqués par un seul auteur ancien
et par plusieurs voyageurs modernes comme ayant été celui de
Troie, ou ne présentent que le sol vierge, ou n'offrent que quel-
ques vestiges de siècles relativement récents. On est donc conduit
par l'observation des faits jusqu’au site d'Hissarlik, c’est-à-dire à
la pointe même du grand plateau central, où s’est élevé l'Ilion
des temps helléniques et où presque toute l'antiquité a placé la
ville homérique de Troie. Sur le point culminant, les fouilles ont
mis au jour des ruines superposées, dont l'épaisseur totale at-
teint 16 mètres, le quart de la hauteur des tours de Notre-Dame.
‘étude approfondie et comparative des objets innombrables
trouvés dans ces déblais devra donner deux résultats. Première-
ment, elle permettra de discerner ce qui, dans la tradition, appar-
pe
tient à la réalité et ce qui est purement poétique ou mytholo-
gique; il sera possible d'illustrer les textes homériques au moyen
de faits que l'on a maintenant sous les yeux. La partie mytholo-
gique, une fois mise à part, pourra à son tour être éclairée par
son rapprochement avec les conceptions de peuples plus anciens,
appartenant soit à la race aryenne, soit à d’autres races. En se-
cond lieu, les objets trouvés dans les fouilles seront mis en rela-
tion avec les objels similaires que les anciens peuples méditerra-
néens ont laissés après eux, aussi bien qu'avec ceux de lAssyrie
ou même de l'extrême Orient. Les antiquités troyennes deviendront
par là une sorte de jalon dans l’histoire de l'humanité.
Nous n’aurions pas accompli toute notre tâche, si nous n'avions
pas exploré les tumuli de la plaine de Troie, tertres coniques
élevés de main d'homme, auxquels les modernes comme les an-
ciens se sont plu à ratiacher les noms d'anciens héros. 1° Celui
de Rhaætion, connu sous le nom de tombeau d’Ajax, avait été fouillé
il y a bientôt cent ans, et l'on y avait reconnu l’œuvre d’Adrien.
Il n'y avait pas à y revenir, d'autant moins que tout le monde
peut en visiter l’intérieur. — 2° Plus près du rivage se trouve un
tumulus plus petit, qui paraït avoir été le vrai tombeau d’Ajax de
la tradition hellénique. Fouillé par M. Schliemann, il n’a rien
fourni, ni squelette, ni cendres, ni vases. Seulement, au pied
de ce tertre, j'ai ramassé un fragment de poterie d’un haut intérêt,
identique à d’autres qu'a fournis la ville primitive d'Hissarlik et
dont la perfection contraste avec tous les autres débris de cette
ancienne céramique. — 3° Le tumulus nommé Achilleion, au cap
Sigée, avait été fouillé par l'ordre de Choiseul-Gouffier; mais une
lettre de l'empereur Julien, récemment publiée, nous fait savoir
qu'un prêtre d'Achille l'avait déjà excavé. — 4° Les tumuli de Bou-
narbachi avaient été explorés il y a quelques années. — 5° M" Schlie-
mann avail fouillé celui de Chiblak, connu sous le nom de Pacha-
tépé, dans l'opinion qu'il pouvait être celui de Myriné. Elle nya
trouvé que quelques tessons mêlés à la terre du tumulus. — 6° Le
tumulus de Koum-keni répond assez bien à la position du tombeau
d'Ilas dans Homère; excavé dans la présente campagne, il a été
également stérile et n’a donné que du sable de rivière accumulé
sur l'argile de la plaine. — 7° Rien non plus dans le petittumulus
TT +. —
a Er
situé entre Hissarlik et Pacha-tépé, au pied des collines. Restaient
le tumulus de Thymbra dans la propriété de M. le consul d'Amé-
rique Calvert, le grand tépé de Béchika, et le plus élevé de tous,
celui d'Ujek, mis quelquefois sous le nom du héros Æsyétès. —
8° Le tumulus de Béchika ne nous a livré que les fragments de
poterie qui se trouvaient déjà dans la terre de la colline lors de
son érection: on ne peut en déterminer avec certitude ni l’âge, ni
l'attribution, ni même ie but. — 9° Celui d'Ujek, qui a 20 mètres
de haut sur un diamètre de 100 et dont ie cube est de 50,000 mè-
tres, offrait par ses dimensions un intérêt spécial. Un puits dans
l’axe, un tunnel horizontal et des galeries pratiquées au centre
nous y ont fait découvrir un massif quadrangulaire en maçon-
nerie de 4*,50 de côlé, contenant dans son intérieur une petite
cavité verticale remplie seulement de terre fine; ce massif est bâti
sur le mur d’une enceinte circulaire plus ancienne en pierres po-
Iygonales, mais non d'une haute antiquité. Du reste, le tumulus
ne contenait ni cendres ni ossements; mais il y avait jusqu à son
centre des poteries grecques et même romaines aliestant l'époque
récente de son érection. Ces faits nous ont induits à supposer que
le tumulus d'Ujek est celui que Caracalla fit élever en l'honneur
de son ami Festus, qu'il avait lui-même mis à mort. — 10° Le
tumulus de Thymbra, connu dans le pays sous le nom de Kanai-
lépé, a été exploré pour nous par M. Calvert. C’est un véritable
cimetière ; on en a retiré plus de quarante squelettes. La couche
supérieure contient des tombes byzantines ou même turques. La
partie moyenne est composée d’une quarantaine de couches minces
de cendres renfermées dans une enceinte circulaire de pierres. La
base a fourni quatre squelettes très anciens et des poteries remon-
tant aux époques troyennes. Mais la fouille n'est pas encore ter-
minée et l'on ne pourra aborder les questions qui s’y rattachent
que quand le tumulus aura été totalement exploré.
Je ne dois pas, Monsieur le Ministre, insister plus longuement
dans ce rapport sur les résultats importants obtenus dans cette
campagne; elle sera probablement la dernière, puisqu'elle a mis
au jour tout le château légendaire des rois troyens. D'autres pour-
ront déblayer ie reste de la ville, ainsi que la ville des temps hel-
léniques, et en tirer encore une ample collection d'objets divers.
Je considère comme un grand avantage pour la science que nous
ayons été assistés pendant un mois par M. le professeur Virchow,
CR CR
parce que son autorité de savant donnera une valeur plus grande
aux conclusions auxquelles l'évidence dés faits ou la probabilité
des inductions nous ont conduits. Le grand ouvrage que nous pré-
parons et où seront réunis, coordonnés et discutés les faits décou-
verts depuis le commencement des fouilles, contiendra aussi une
carte exacte de la Troade, des plans détaillés, des sections verti-
cales et des vues perspectives, qui permettront l'étude des pro-
blèmes troyens, même aux personnes auxquelles le voyage d’Asie
Mineure est interdit.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'assurance de tout mon
respect.
Emile Burnour.
RAPPORT
SUR
UNE MISSION À DÉLOS,
PAR M. T. HOMOLLE.
Délos, 10 juillet 1879.
Monsieur le Ministre,
Conformément aux instructions contenues dans votre lettre du
7 avril dernier, j'ai l'honneur de vous adresser un premier rapport
sur les fouilles que vous m'avez autorisé à faire dans l’île de Délos.
Je n’ai pu quitter la France qu'à la fin de mai; à Athènes, M. le
Directeur de l'École française avait eu la bonté d'engager des né-
gociations avec l’éphore des antiquités, mais sans pouvoir les ter-
miner; il m'a fallu attendre quelques semaines l'expédition des
pièces officielles qui m'étaient nécessaires. J'ai profité de ce délai
. pour visiter les travaux d'Olympie.
Je suis arrivé à Délos le 26 juin, et j'ai immédiatement com-
mencé les fouilles; elles ont duré jusqu'ici dix jours. Le nombre
des ouvriers a été de douze la première semaine, de vingt-deux la
seconde; je l'ai porté maintenant à trente.
J'ai cru répondre à vos intentions, Monsieur le Ministre, en
considérant la mission que vous avez bien voulu me confièr comme
la suite et le complément de celles dont j'avais été chargé ner M. le
Directeur de l'École francaise d'Athènes pendant les années 1877
et 1870. Ma pensée n'est donc pas, au début du moins, d'entre-
prendre des recherches sur un terrain nouveau, mais plutôt de
donner à celles que j'ai poursuivies durant deux années déjà, au-
tour du temple d’Apollon, toute l'étendue et toute la précision
possibles. Déterminer les limites du téménos, retrouver la voie
sacrée que suivaient les processions des théores, rendre au jour
tous les édifices contenus dans le péribole et, entre autres, ces
autels célèbres dont parlent les poètes et les historiens anciens, ne
MISS. SCIENT. — VII. 5
Lg ME *
laisser échapper aucun des débris de statues ou d'inscriptions que
la terre peut recéler encore en ce lieu, telles sont les données
d’un programme qui peut suffire quelque temps, peut-être jusqu'au
bout, à mes efforts.
Parmi les lacunes de mes travaux antérieurs, je regrettais particu-
lièrement de n'avoir reconnu qu’à la hâte et fort imparfaitement l’es-
pace circonscrit entre le temple d'Apollon et la mer. Il y a de l’un à
l'autre une différence de niveau assez forte; il importait de savoir
comment on accédait du rivage au sanctuaire, si C'était par une
pente douce ou par des degrés; la question de topographie était
en même temps une question d'art. Un examen approfondi, une
exploration complète de cette région n'était pas moins nécessaire
pour retrouver l'enceinte du terrain sacré, pour fixer la position
et l'orientation des Propylées; le point de départ et la direction de
la voie sacrée. Ces raisons m'ont décidé à commencer par là mes
recherches cette année.
Je ne suis pas encore à même de donner à chacun des problèmes
que J'ai posés une solution définitive; car 1l me faudra quelques
jours pour arriver jusqu'a la plage. Dès à présent, je crois pouvoir
affirmer qu'il existait en avant du temple une grande esplanade
nivelée, dallée et très légèrement inclinée, qui se terminait en ter-
rasse au-dessus de la plage. En effet, j'ai retrouvé partout les restes
d'un dallage antique, composé de larges plaques de pierre schis-
teuse; le niveau de ce dallage, sauf une pente peu sensible, est
partout le même; ce niveau est encore au point extrême que j'ai
atteint (à 6 mètres environ de la plage), élevé de plus de 1 mètre
au-dessus du sable; enfin, la plage est bordée en cet endroit par
des talus dont la hauteur dépasse un peu le niveau du dallage. De
ce fait on peut conclure, ce me semble, que l'entrée du téménos
n'était pas placée dans l'axe du temple; que la voie sacrée doit être
cherchée vers le Nord ou vers le Sud; que le mur qui soutient
l’esplanade en terrasse doit servir de ce côté de limite à l'enceinte
sacrée. Mais de nouvelles recherches sont nécessaires pour vérifier
l'exactitude de ces hypothèses, si toutefois les nombreux remanie-
ments qu'a subis le terrain en cet endroit depuis las, peuvent
permettre d'arriver à des résultats certains. |
Des tranchées exécutées à une vingtaine de mètres environ de
l'angle Sud-Ouest du temple d’Apollon ont mis au jour plusieurs
monuments, quelques morceaux de sculpture et un nombre assez
ET Per
considérable d'inscriptions; en ce point, les découvertes sont à la
fois plus importantes et plus sûres.
J'avais été attiré de ce côté par la présence de quelques débris
qui avaient fait partie d'un monument d'ordre dorique : on y
voyait un larmier et une colonne à demi enterrée. Après quelques
recherches, on y trouva des morceaux de triglyphes, d’architrave,
enfin des soubassements.
Je pensais également rencontrer en cet endroit l'extrémité du
portique de Philippe; et en.cela aussi mes prévisions ont été jus-
tifiées. AUTO TE
Je prends la liberté, Monsieur le Ministre, de vous soumettre
la description des édifices récemment découverts et de vous indi-
quer le nombre et la valeur des objets que j'ai trouvés dans le voi-
sinage.
L'édifice dorique a la forme d’un rectangle; ses côtés les plus
longs font face au Nord et au Sud; il mesure environ un tiers de
plus en ce sens que dans l’autre. Il reposait, comme la plupart des
monuments de Délos, sur des.fondations en granit; il a été com-
plètement détruit jusqu’au dallage, qui lui-même n’est pas entiè-
rement conservé. Il était élevé sur quatre degrés du côté du front
Sud, sur trois du côté du front Ouest, sur un seul du côté du front
Nord; vers l'Est, il est encore engagé dans des constructions de
‘basse époque que j'ai provisoirement respectées. Les degrés placés
en avant des fronts Sud et Nord sont très usés; en avant du front
Ouest, ils sont presque intacts. Il en résulte que le monument était
ouvert au Nord et au Sud, fermé des deux autres côtés, et qu'il
servait de passage. Ce passage devait être très fréquenté, à en
juger par les sillons profonds creusés dans les degrés. Cette dis-
position ne semble pas pouvoir convenir à un autre monument
qu'à des Propylées. En effet, on trouve en avant et en arrière une
grande voie entièrement dégagée, d'une largeur égale à celle de
l'édifice. Tandis que, aux environs, des bases de statues, de petits
monuments se pressent en grand nombre, on a réservé en cet en-
droit le terrain tout à fait libre. Je ne saurais indiquer encore quel
était l'aménagement intérieur; mais les morceaux qui subsistent
permettent au moins de restaurer l’ordre; je possède non seulement
la colonne, mais le chapiteau, l’architrave, les triglyphes, le lar-
mier et la corniche; des mufles de lion servaient probablement
de gargouilles. Quelques lettres sur un fragment d'architrave,
5
Ÿ.
mr ve
OZOAE, font connaître que le monument avait été dédié par le
peuple athénien. La date de la construction ne peut pas être anté-
rieure à la seconde moitié du u° siècle avant notre ère.
Comme la couche de terre répandue en cet endroit est assez
épaisse, les restes antiques y ont été mieux conservés. Ici c'est une
statue debout, là un alignement de piédestaux dressés sur leurs
bases, plus loin un exèdre presque intact; on aperçoit comme un
coin encore à demi animé de l’ancienne ville.
Le déblayement du portique de Philippe est nécessaire pour une
restauration complète de ce monument. Stuart et Revett et, après
eux, Blouet, qui l'ont étudié, en ont présenté sans doute une élé-
vation restaurée; mais ils n'ont pu en donner le plan. D'autre
part, le dégager tout entier serait un travail long, difficile et su-
perflu; quelques tranchées en des points bien choisis sufhront
pour en déterminer rigoureusement les mesures et en reconnaître
l'économie. Une seule de ces tranchées est achevée maintenant:
j'attendrai qu'elles soient toutes terminées pour vous présenter,
Monsieur le Ministre, des résultats complets.
Je dois vous signaler aussi deux morceaux d'architecture trouvés
en cet endroit, bien qu'ils n’appartiennent ni à l'un ni à l'autre
des édifices dont j'ai parlé. Tous les voyageurs qui ont visité Délos
ont remarqué comme une particularité unique des colonnes de
forme ovale; on en avait seulement quelques tambours; on en
possède maintenant le tore et le chapiteau, qui est d'ordre corin-
thien. Le second morceau est un chapiteau d'ordre ionique. Ces
deux chapiteaux sont de grandes dimensions, par suite, assez dif-
ficiles à déplacer; ils prouvent l'existence de deux édifices qui
sont à retrouver et qui doivent être recherchés sans doute à peu
de distance. |
Les statues sont rares à Délos, bien qu'on ait dû dans l'antiquité
les compter par centaines; et je ne saurais mestimer trop mal-
heureux en ayant trouvé deux. La première, qui est une statue
d'homme, rappelle les œuvres du style archaïque et notamment
les plus anciennes représentations d'Apollon : les muscles forte-
ment accusés sont étudiés avec un certain soin; la poitrine est
large, saillante, les articulations fines; et bien que l'exécution
soit peu poussée, elle révèle des qualités déjà remarquables. Par
malheur, le marbre est tout rongé, uséet déformé; la tête manque,
et il est difficile dans ces conditions de reconnaître quelle était la
PU es
divinité représentée. Les deux bras sont pendants, appliqués le
long du corps; mais les jambes, bien que rapprochées, ne sont
déjà plus accolées l’une à l’autre; le corps repose sur la jambe
droite et la gauche est légèrement portée en avant.
L'autre statue devait être aussi très ancienne : la facon dont sont
traitées les étoffes, qui tombent en quelques plis épais et raides; la
disposition même de la statue, qui, au lieu d'être élevée sur une
base, est placée au ras du sol, sans autre appui que la plinthe qui
fait corps avec elle, me semblent indiquer suffisamment l'antiquité
de cet ouvrage. La partie inférieure du marbre était encore en
place; j'ai pu y rajuster un autre morceau qui gisait dans le voi-
sinage. Malgré cela, le torse manque en entier, et l'on ne peut
espérer de le découvrir; car il est manifeste, d’après l'aspect de la
cassure, qu'il a été brisé à dessein. Tout ce que l'on peut dire dans
ces conditions, c'est que la statue représente une femme vêtue
d'une longue tunique et appuyée contre un arbre, autour duquel
s'enroule un serpent. Le mauvais état du marbre est d'autant plus
à regretter que le monument était, semble-t-il, plus intéressant.
D’autres fragments, qui proviennent de petites statues ou d'œuvres
inférieures, ne valent pas la peine d’être mentionnés. Comme les
années précédentes, les objets de bronze et de terre cuite font com-
plètement défaut.
C'est de beaucoup l'épigraphie qui a le plus profité aux nou-
velles fouilles. Les inscriptions se répartissent en trois classes dif-
-férentes : les comptes, les décrets, les dédicaces.
Chaque année, les magistrats préposés à l'administration des
temples devaient rendre compte de leur gestion. Les richesses du
dieu se composaient à la fois du matériel du culte, des offrandes,
de sommes en lingots ou en argent monnayé et de propriétés fon-
cières; les trésoriers devaient justifier de la conservation de tous
les objets confiés à leur garde et de l'emploi qu'ils avaient fait des
biens meubles et immeubles; pour cela, ils rédigeaient des inven-
taires, ils tenaient divers registres sur lesquels étaient inscrites les
recettes, les dépenses et les diverses transactions qu'ils avaient
opérées.
Je n'ai trouvé que des fragments en général peu étendus des
monuments de cette classe; on peut cependant y relever quelques
faits nouveaux.
Je citerai, par exemple, une liste malheureusement incomplète
des fêtes célébrées à Délos; elle mentionne iles Paneiïa, en l’hon-
neur du dieu Pan; les Philadelpheia, les Demetrieia, les Philétai-
reila, fondées en souvenir des services rendus par Ptolémée Phila-
delphe, Démétrius, roi de Macédoine, et Philétaire, frère du roi
de Pergame Eumène II.
Un autre fragment contient une sorte de journal des menues dé-
penses, des frais d'entretien du temple: à des ouvriers, 1 1 drachmes;
pour la nourriture des victimes, 13 drachmes; tant pour des figues
sèches et tant pour du vin, du charbon, un agneau, du poisson
salé, du fromage, des couronnes, etc.
Le fragment le plus long compte environ cinquante lignes, et il
est gravé sur les deux faces; il est, en outre, fort important, parce
qu’ permet de restituer complètement la formule de l'intitulé des
inventaires et des comptes sacrés et fait connaître ainsi les règles
suivant lesquelles s'opérait d'année en année et de magistrats à
magistrats la transmission du trésor sacré. Elle avait lieu en pré-
sence du sénat, des secrétaires de l’archonte et de la ville et des
ieporouoë. La formule ainsi restituée est conçue dans des termes
identiques à ceux de l'intitulé d’une inscription publiée par Bæckh
sous le n° 2953 b.
Ainsi se trouve démontrée avec évidence la justesse de l'hypo-
thèse que j'avais émise en revendiquant pour Délos et cette in-
scription que Bæœckh attribuait à Éphèse et une autre inscription
analogue que Le Bas croyait être de Paros, et Keïl, de Myconos.
Les deux monuments ainsi rattachés à l’épigraphie délienne sont.
de la plus haute importance pour l'étude de l'administration sa-
crée.
- Les décrets sont, pour la piupart, des décrets de proxénie;
outre que plusieurs se réduisent à quelques lignes ou même à
quelques lettres, ils sont conformes au type le plus commun des
inscriptions cle ce genre; quelques variantes dans les formules sont
des détails trop petits pour trouver place dans ce rapport. J'appel-
lerai seulement votre attention, Monsieur le Ministre, sur deux
décrets; l’un est de Délos et l’autre du Synédrion des Nostra.
Bien que le premier soit très incomplet, il est aisé d'en saisir le
sens. Un oracle avait ordonné pour le bien de la ville quelques
cérémonies sacrées; le décret a pour objet de louer et de récom-
penser soit les ambassadeurs qui étaient allés consulter l’oraele, soit
les magistrats qui avaient accompli ses prescriptions. La confédé-
dd à CSSS
Pr, Eee
ration des NnosdTau est mal connue encore ; un acte du Synédrion
est donc un monument intéressant. Par le nom du personnage
récompensé, Théon, agent du roi d Égypte dans Alexandrie, il
fournit une preuve nouvelle des rapports qui existaient entre les
Nnosdro et les Ptolémées et de la protection que ces princes ac-
cordaient au Synédrion.
Les dédicaces forment la série la e nombreuse. Les bases sur
lesquelles ces inscriptions étaient gravées, et que souvent nous re-
trouvons encore en place, portaient les statues des plus considé-
rables d'entre les Déliens ou des étrangers qui avaient bien mérité
du peuple, celles de rois, de magisirats athéniens, de fonctionnaires
romains. Les noms de tous ces personnages sont intéressants à re-
cueillir; quelquelois ils permettent de corriger, sur la foi de do-
cuments authentiques, des lecons vicieuses de manuscrits !; on
trouve parfois dans cès textes, si courts qu'ils soient, des données
chronologiques ou des faits nouveaux. Enfin, il arrive que les au-
teurs des statues signent leurs œuvres, et ces signatures sont de
précieux renseignements pour l'histoire de l'art ?.
Parmi les personnages dont les statues existaient en cet endroit,
je citerai le roi Massinissa, le roi de Macédoine Philippe, fils de
Démétrius, celui qui avait élevé dans Délos un superbe portique;
un certain Chrysermos, qui porte le titre de parent du roi d’ Égypte
et qui avait rempli les fonctions d’exégète, de chef des médecins,
de président du Musée; d'un autre ar égyplien, nommé
Lochos, qui avait rendu service aux négociants et armateurs ro-
mains lors de la prise d'Alexandrie, sous le règne de Ptolémée
Evergète Il; de Peisistratos, navarque des Rhodiens, qui avait
consacré à Apollon le butin fruit de ses victoires, etc.
Les inscriptions du 1v° siècle sont jusqu'ici très peu nombreuses ;
j'ai été assez heureux pour en recueillir deux nouvelles : la pre-
mière est un fragment des comptes des amphictyons; la seconde,
la dédicace d’un hermès consacré à Apollon par les amphictyons
en charge sous l’archontat de Nicomaque (341); j'ai cru devoir
! Dans toutes les éditions de Tite-Live, le père du grand Massinissa est ap-
pelé Galas; une inscription de Délos prouve que le nom véritable est T'afas.
? Sur les marbres découverts cette année, j'ai rencontré six de ces signatures ;
quatre fois celle de Polianthès de Cyrèue, une fois celle de Héphaistion, fils de
Myron Athénien, et une fois celle de Démostratos, fils de Démostratos Athénien.
Une septième n'a pu encore être céchiffrée avec certitude.
ER 28
mettre à part ces deux monuments en raison de leur importance
et de leur rareté.
Soixante inscriptions ou fragments, deux statues de style ar-
chaïque, deux édifices et quelques petits monuments, tels sont,
Monsieur le Ministre, les fruits des dix premières journées de
fouilles; j'espère qu'il me sera donné dans la suite de répondre
mieux encore à la confiance que vous avez eu la bonté de me
témoigner.
Veuillez excuser, Monsieur le Ministre, les imperfections de ce
rapport rédigé en grande hâte au milieu des travaux, et agréer
l'hommage des sentiments respectueux avec lesquels j'ai l'honneur
d'être
Votre obéissant serviteur,
T. Homozze.
RAPPORT
SUR
UNE SECONDE MISSION EN ESPAGNE.
PAR M. CH. GRAUX.
| L'Escurial, 19 août 1879.
Monsieur le Ministre,
J'ai l'honneur de vous adresser un rapport succinct sur les ré-
sultats de mes recherches depuis mon arrivée en Espagne, au
milieu du mois dernier, jusqu'à ce jour.
I
À Madrid, j'ai découvert un manuscrit qui contient, de huit
biographies {dont une incomplète) de Plutarque, un texte meilleur
que celui de la vulgate actuelle. J’ai encore eu le temps, en juillet, de
collationner sur ce manuscrit précieux les Vies de Démosthène et
de Cicéron. Pendant tout le mois d'août, la bibliothèque de Madrid
est fermée : J'achèverai le dépouillement du volume pendant la
seconde quinzaine de septembre et les premiers jours d'octobre.
J'ai acquis la certitude, par la collation de quelques pages prises
ça et là au hasard, que le manuscrit possédait la même valeur
pour la constitution du texte des six biographies restantes que
pour les deux déjà étudiées. La découverte de ce Plutarque sera
considérée comme importante par les philologues.
II
A l'Escurial, j'ai entrepris un travail historique sur la forma-
lion des collections de manuscrits grecs qui se rencontrent aujour-
d'hui en Espagne, y compris la collection si intéressante des cinq
cents manuscrits de l’'Escurial. En relevant les souscriptions que
ce
présentent cerlains manuscrits; en étudiant leurs signes de pro-
venance et les marques de classification qu'ils ont successivement
portées; en observant les fers des reliures; en dépouillant les in-
ventaires de collections particulières réunies du temps de Charles-
Quint, de Philippe IT et de Philippe IV, et en parcourant la
correspondance de plusieurs savants de la renaissance, tant espa-
gnols qu'italiens, je recueille ici divers éléments, qui, rappro-
chés les uns des autres, m'amènent à iles résultats sûrs, consi-
dérables, de deux sortes, devant servir, les uns aux historiens de
la renaissance des lettres en Espagne, les autres aux philologues
qui s'occupent de la constitution des textes grecs, classiques ou
sacrés. D'une part, en effet, le spectacle de la formation laborieuse
des bibliothèques de manuscrits réunies par Antoine Augustin,
par les deux Covarrubias, les deux Mendoza, etc. nous fait entrer
dans la confidence de leurs études et de leurs idées. D’autre part,
la recherche de l'histoire individuelle de chaque manuscrit, en re-
montant autant que possible jusqu'à sa naissance, nous fait con-
naître ou nous aide à deviner l’archétype, souvent encore existant
de nos jours, sur lequel il a été copié : les questions de classe-
ment des manuscrits des auteurs se trouvent par là simplifiées et
éclairées.
Voilà l'étude à laquelle je suis occupé depuis le 1° août; elle
me retiendra ici jusqu'à la fin du mois. Alors je dois partir pour
explorer le Portugal, la Galice, les Asturies, Léon et Palencia; je
pense, comme je viens de le dire, achever, au retour de cette
excursion, mes travaux à la Bibliothèque nationale de Madrid. C'est
seulement alors, c’est-à-dire très probablement vers le 8 ou le
15 d'octobre, que je me trouverai libre de revenir à l'Escurial
pour reprendre et, s'il se peut, mener à bonne fin la recherche,
à la fois historique et philologique, dont je viens d'exposer le
plan et lutilité. Vers la fin d'octobre, je considérerai ma mission
comme terminée, et je rentrerai à Paris.
TITI
Quant à la collection de fac-similé photographiques que vous
m'avez chargé de rapporter d'Espagne, il n'y a encore, à l'heure
qu'il est, aucun cliché de fait. Les plaques ne doivent m'arriver
de Paris que vers le commencement de septembre. Mais toutes
ES OMS LE
les dispositions matérielles sont prises. J'opérerai moi-même, avec-.
l'aide de mon ami don José Sancho Rayon, bibliothécaire du mi-
nistère de fomento de Madrid, et qui est en même temps un très
habile photographe. L'administration de Ia Bibliothèque natio-
nale de Madrid consent à nous envoyer les manuscrits à l'atelier
même de M. Sancho, et les négociations entamées avec l'inten-
dance royale, de laquelle dépend la bibliothèque de l'Escurial,
sont assez avancées pour que j'espère maintenant avoir les manus-
crits de l’'Escurial dans le même atelier. Dans ces conditions, et
munis d'un bon objectif Dallmeyer, pouvant compter d’ailleurs sur
d'excellentes plaques à la gélatine que nous prépare en ce moment
M. Paul Dujardin, nous devons obtenir des clichés satisfaisants.
J’ai choisi les manuscrits qu'il me paraît à propos de reproduire,
et déterminé la page de chacun de ces volumes qui doit donner,
au double point de vue dela paléographie et de la photographie,
les meilleurs résultats. Tout est donc en bonne voie. Je compte
rapporter vingt-quatre clichés, la plupart de petite dimension.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de mon pro-
fond respect.
Ch. Graux.
Paris, 31 décembre 1880.
Tel était le programme que j'avais l'intention de remplir, étant
à l'Escurial, au milieu du mois d'août de l’année dernière. Depuis,
le temps me manqua pour visiter, comme je me l’étais proposé,
le Portugal ainsi que l'Espagne du Nord-Ouest. Voici du moins ce
que j'ai pu faire concernant le Plutarque, l'histoire des collections
grecques d'Espagne et l'album de fac-similé de manuscrits grecs.
I
Le manuscrit de Plutarque en question est conservé à la Biblio-
thèque nalionale de Madrid sous le n° N-55. Il est en papier de
coton, composé de deux parties indépendantes et d'origines diffé-
rentes. Il paraït dater tout entier du xiv° siècle. La seconde partie
semble être sans valeur. La première, au contraire, présente des
variantes du plus grand prix, Cetie première partie contient les
PR, |
quatre paires de vies parallèles qui suivent : 1° Nicias et Crassus;
2° Alcibiade et Coriolan; 3° Démosthène et Cicéron; 4° Agésilas et
Pompée. La première paire est incomplète en tête; la quatrième
l'est à la fin. J'ai collationné d'un bout à l'autre cette première
partie du manuscrit. Puis, je viens de tirer de ce travail une
thèse latine qui a été acceptée par la faculté des lettres de Paris
et qui est intitulée : De Plutarchi codice manu scripto Matritensi
injuria neglecto À.
J'ai essayé d'établir dans cette thèse que, du vivant même de
Plutarque ou peu de temps après sa mort, il se répandit dans le
monde romain une certaine édition de ses Vies des hommes illus-
tres, fortement altérée et interpolée, avec des différences portant
non seulement sur le style et l'expression de la pensée, mais aussi
sur les noms propres et sur les chiffres. De cette antique mais peu
fidèle édition dériverait le texte de plusieurs Vies qu'on trouve au-
jourd'hui reproduit dans toutes les éditions imprimées, sans excep-
tion. Le manuscrit de Madrid, au contraire, serait, à mes yeux, un
descendant en ligne directe de la souche originelle. Quelque dégé-
néré quil soit, il n'en devrait pas moins être regardé, pour quatre
ou cinq biographies, comme l'unique représentant, actuellement
connu, de l'édition authentique de Plutarque.
Pour faire profiter les classes de cette découverte, je viens de
publier, à la librairie Hachette, une petite édition de la Vie de
Démosthène, dont le texte a été revu sur le manuscrit de Madrid ?;
et je compléterai aussi prochainement que possible cette publica-
tion en donnant, dans la même collection, la seconde partie de ce
livre de Plutarque, savoir la Wie de Cicéron avec le Parallèle des
deux grands orateurs. Grâce à la collation du manuscrit espagnol,
beaucoup de passages embarrassants et de non-sens disparaissent
de ces textes. Ainsi Plutarque cesse d’être en contradiction avec
lui-même dans le récit de la grace accordée par Alexandre le Grand
aux dix orateurs athéniens. La position de la question des sources
auxquelles le biographe a puisé pour retracer la vie de Démosthène
est modifiée. On voit par là, pour le dire en passant, que la cri-
! Paris, Klincksieck, 1880, 1 vol. in-8° de 57 pages.
? Vie de Démosthène par Plutarque. Texte grec revu sur le manuscrit de Ma-
drid, accompagné de notes en français et précédé d’une notice sur Plutarque et
sur les sources de la Vie de Démosthène, par Ch. Graux. (Paris, Hachette, 1880,
à vol. in-16.)
ES
tique des sources historiques de l'antiquité doit marcher la main
dans la main avec la critique des textes.
Il
Concernant l’histoire de diverses collections espagnoles de ma-
nuscrits grecs plus ou moins importantes, j'ai été à même de re-
cueillir quelques renseignements supplémentaires qui, m'ayant
échappé lors de ma précédente exploration de l'Espagne, ne sont
pas consignés dans mon rapport de 1876 !. Ils trouveront place
tout naturellement dans les notices qui seront rédigées pour chaque
bibliothèque en particulier, lorsque je publierai, ce qui ne tar-
dera sans doute plus bien longtemps, le catalogue des manuscrits
grecs conservés en Espagne ailleurs qu’à l'Escurial. L
Mais l’histoire des origines du fonds grec de l’'Escurial formait un
tout en soi, bien un, bien délimité, et qui se détachait parfaite-
ment de cet ensemble de recherches. Je l'ai donc traitée à part.
Le sujet, certes, en valait la peine : une histoire complète des ori-
gines de la bibliothèque de l'Escurial serait, à peu de chose près,
celle de 1a renaissance des lettres en Espagne. J'ai fait de cette
étude du fonds grec de l'Escurial ma thèse française de doctorat.
En voici le titre exact : Essai sur les origines du fonds grec de l'Escu-
ral. Épisode de l’histoire de la renaissance des lettres en Espagne ?.
I]
La campagne photographique réussit, finalement, au delà de
mes espérances. Elle me coùta un peu plus de peine que je
, Q ! ° D Sen RE . / Q On
n'avais prévu. J'avais à prendre des clichés de manuscrits de l'Es-
curial et de Madrid; ceux de l'Escurial étaient de beaucoup les plus
nombreux. Or je ne pus obtenir que tant de précieux volumes
fussent apportés du monastère à Madrid. L'intendance royale crai-
gnit de s'engager trop loin dans la voie dangereuse des complai-
. 1 2 : A A . ,
sances : je n’hésite pas à reconnaître le bien fondé du refus par
lequel il me fut répondu. J'en fus quitte pour me transporter
à l'Escurial avec armes et bagages. Là, le Père Pagès, président
! Voy. Archives des Missions, t. V de la présente série, p. 111.
? Paris, Vieweg, 1880, 1 vol. in-8° de xxxI-529 pages.
248 —-
de la chapelle royale, mit à ma disposition, avec la grande bien-
veillance qu'il n'a toujours montrée, l'élégante Galeria de los con-
valescientes, portique en équerre, regardant le levant et le midi.
Le soleil venait m'y visiter le anatin de bonne heure. Une fois
monté un peu haut dans le ciel, il était caché par le toit de la gale-
rie. I se montrait de nouveau entre les colonnes pour quelques
instants l'après-midi. Je mettais à profit, chaque jour, les heures
favorables. Une celluie abandonnée, donnant sur la galerie, fut
convertie en cabinet noir. L'instailation, en somme, n'était pas
mauvaise. Un employé de la bibliothèque, don Manuel Montaña,
me servait à la fois d'aide et de surveillant. Le bibliothécaire en
chef, M. Félix Rozanski, voulut bien me donner plus d'un conseil
utile. Bref, j'ai pu rapporter du monastère trente-neuf clichés de
toutes dimensions, depuis le format de 0",13 sur 0,18, qui me
servit maintes fois à recueillir une souscription ou un fragment de
page, jusqu'à la grande plaque de 0,30 sur 0”,40, sur laquelle je
prenais, en grandeur naturelle, des pages de manuscrits in-folio.
En ajoutant aux clichés rapportés de l'Escurial ceux que j'avais
précédemment pris à Madrid, de manuscrits appartenant pour la
plupart à la Bibliotheca nacional, j oblins un total de cinquante-
quatre clichés. Je les ai répartis entre quiuze planches destinées à
être lirées sur des feuilles de papier de 0",40 sur 0",58, ce qui est
le format déjà adopté pour les fac-similé héliographiques de l’École
des chartes.
Voici l'énumération de ces quinze planches, avec le détail des
clichés contenus dans chacune d'elles :
Planche I. — 1° Une page de l'Évangéliaire du Camarin (voyez
mon rapport de 1876, cité plus haut). — 2° Fragment de page du
même manuscrit, contenant l'inscription en vertu de laquelle on
admet que ce volume provient de saint Jean Chrysostome.— 3° et
4° Page et fragment de page du manuscrit de l’Escurial ®-Il-20
(Homélies), en onciale penchée, caractère du 1x° siècle, avec titres
en onciale droite et barres ornées pour séparer les morceaux.
Planches IT et IIT.— 5° Page du manuscrit de Madrid N-71 (Gloses
de l'Iliade) : elle est mi-partie en minuscule, mi-partie en onciale
penchée, caractère du 1x°-x° siècle. — 6° Fragment de page du même
manuscrit, contenant l’explicit du volume, en onciale droite, et
| — 79 —
une inscription autographe de Constantin Lascaris. — 7° Page du
manuscrit de Madrid N-16, palimpseste : première écriture, on-
ciale penchée, sur deux colonnes (Job), caractère du 1x° siècle;
écriture supérieure, minuscule liée et abrégée, aussi sur deux
colonnes ( T'héophane Cerameus), caractère du xiv° siècle.
8° Autre page du même manuscrit : première écriture, minus-
cule, caractère du 1x° siècle (Eusèbe) [écrilure supérieure comme
au fac-similé n° 7]. — 9° Page de l'Escorialensis R-I-18, palimp-
seste : première écriture, minuscule (Contenu ecclésiastique), à deux
colonnes, caractère du x1° siècle; dessus, minuscule liée et abrégée
(Tzeizes), caractère du xiv° siècle. Écusson d'Honorato Juan.
Planches IV et V. — 10° à 14° Une page et quatre fragments
de page du manuscrit de la collection de ‘Tolède n° 1-12 (actuel-
lement à la Bibliothèque nationale de Madrid) : deux types de mi-
nuscule et quatre types très différents d'onciale droite {Évangiles,
avec Chaine), caractère du x° siècle. Titre en or; ornements divers
et initiale enluminée. |
15° et 16° Deux pages du manuscrit de Madrid 0-78, l'une
en «petite onciale », l’autre en minuscule (Fragment du Nouveau
Testament), caractère du x° siècle, modèle d'élégance. — 17° Une
page de l’'Escorialensis T-Il-17. (Ce manuscrit et celui duquel
sont tirés les deux fac-similé n° 15 et 16 sont évidemment deux
parties d’un niême manuscrit dépecé.) — 18° Page contenant la
souscription de lEscorialensis Y-IIl-14 (Mélanges de médecine),
manuscrit en papier, daté de l'an 1323, écrit en minuscule mo-
derne, calligraphiée {abréviations clairsemées).
Planches VI et VIT. — 19° Page de l'Escorialensis Z-i-10, mi-
_nuscule calligraphiée, avec notes marginales en «petite onciale »
(Hippocrate), caractère du x° siècle. — 20° Page du Xénophon de
TEscurial, T-IIT-14 (Cyropédie), belle minuscule, caractère des x°-
x1° siècles. Initiale enluminée; ornement de titre.
21° à 23° Une page et deux fragments de page du Matrüensis
O-74 (S. Nil) : type d'écriture rare, semblant appartenir au xr' siècle.
Frois initiales et une plate-bande ornées, d’un caractère particu-
lier. — 24° et 25° Page de l'Escorialensis Y-IV-2 (Jean Climax), ma-
nuscrit daté de l'an 1000, et fragment de page du même volume,
contenant la souscription.
00 =
Planches VIIL et IX. — 26° et 27° Page de l'Escorialensis
Y-HT-5 (Évangiles), en minuscule, manuscrit daté de l'an 1014,
et fragment de page du inême volume, contenant la souscription.
Un en-tête de colonne et une initiale ornée. — 28° et 29° Page de
l’Escorialensis Q-IV-22 (Mélanges d’ascétisme), en minuscule,
manuscrit antérieur à l'an 1035, et fragment de page du même
volume, contenant la souscription. Initiale et plate-bande ornées.
30 et 31° Page de l'Escorialensis T-Il1-3 (Histoire de Barlaam),
en minuscule, manuscrit daté de l'an 1057, et fragment de page
du même volume, contenant la souscription.— 32° Dernière page,
contenant la souscription, de l’Escorialensis XÆII-6 (Mélanges d'as-
cétsme), en minuscule, manuscrit daté de l’an 1107.
Planches X et XI. — 33° à 37° Cinq pages de l’EÉscorialensis
X-IV-17 (Evangiles), en minuscule calligraphiée, caractère du
xr-xn° siècle; quatre miniatures représentant les Évangélistes, et
la première page du volume, contenant un en-tête d’une grande
élégance, ainsi qu'une jolie minuscule. — 38° Page, contenant la.
souscription, de l’Escorialensis X-IV-9 (Partie du Nouveau Testa-
ment), en minuscule calligraphiée, manuscrit en papier de coton,
daté de l'an 1332.
39° à 41° Première page, avec titre orné et initiale, page offrant
une miniature qui représente saint Marc, d’un caractère original,
et fragment de page, contenant la souscription, de l'Eternel
X-IV-0 1 (Évangiles), eu minuscule -calligraphiée, manuscrit daté
de l'an 1140. — 42° Page, contenant trois lignes d'écriture, une
splendide initiale (Ÿ) qui se développe dans la marge inférieure,
et une remarquable miniature, de l’Escorialensis RT-19 (Hymnes),
en minuscule moderne, caractère du xrv°xv° siècle.
Planches XIX et XII. — 43° Page de l'Escorialensis ®-IN-8
{Philostrate), en minuscule abrégée, caractère du xu° siècle. — 44°
et A5° Première page, avec plate-bande et initiale ornées, et frag-
ment de page, contenant la souscription, de l'Escorialensis Y-III-16
(Lexique), en minuscule abrégée, manuscrit en papier de coton,
daté de l'an 1256. — 46° et 47° Page, occupée moitié par le
texte, moitié par les scolies, et page finale, contenant la sous-
cription, de l’Escorialensis ®D-IIT-10 (Aristote), en minuscule liée
et abrégée, manuscrit en papier de coton, daté de l'an 1286.
D Re FE
= SP
48° à 5o° Page entière et deux fragments de page de l'Escoria-
lensis Q-I-16 (Théophylacte sur les Évangiles), grand manuscrit
in-folio à deux colonnes, en papier de coton, on en minuscule
calligraphiée, portant la date de l'an 1293. Plusieurs initiales de
fantaisie, un en-tête de colonne en IF, titre en grande onciale by-
zantine, plate-bande el barre finale ornées, souscription.
Planches XIV et XV. — 51° Page, à deux colonnes, contenant
la souscription, de l'Escorialensis ®-IT-19 (Iliade), manuscrit en
papier de coton, in-folio, en minuscule liée et abrégée, daté de l'an
1309. — 22° Page du Ménologe de l'Université centrale à Madrid,
manuscrit à deux colonnes, in-folio, en minuscule calligraphiée,
daté de l'an 1326, et fragment de page du même volume conte-
nant la souscription. |
53° Page, contenant la nt de l’Escorialensis W-II-5
(Ocioëchus) , manuscrit à deux colonnes, in-folio, en minuscule calli-
graphiée, daté de l'an 1392.— 54° Page de l'Escorialensis QTIT 10
(Homélies), avec la souscription, manuscrit en papier, daté de l'an
1436, en minuscule moderne, liée et abrégée.
Nora. Parmi les manuscrits compris dans la liste précédente,
sont en parchemin tous ceux dont il n'est pas dit qu'ils sont en
papier de coton ou en papier de chiffe. Sauf la première planche,
qui resie isolée, toutes les autres sont disposées deux à deux de
facon à se faire pendant.
Voici maintenant quelques explications sur les principes qui
m'ont guidé dans le choix de ces fac-similé.
J'ai cherché à réunir dans ces quinze planches les principaux
types d'écritures grecques qu'il est d’une réelle utilité aux phi-
lologues de savoir lire. Is ont rarement à faire à des manuscrits
plus anciens que le 1x° siècle : c'est à ce siècle que je commence.
L'écriture des manuscrits grecs exécutés en Italie à la renais-
sance ne présente pas de difficultés particulières provenant soit de:
l'alphabet, soit des abréviations et ligatures employées; s'il en est
quelques-uns de difficiles à lire, cela vient uniquement de ce que
le copiste écrivait mal : tandis que, dans les siècles précédents,
surtout au xur° et au xiv° siècle, une écriture d’une fort belle main
MI1S8. SCTENT. — VII. (à
1 —
peut être très malaisée à déchiffrer. Partant je me suis fait une
loi de négliger les manuscrits plus récents que la prise de Constan-
tinople.
Entre le 1x° siècle et l'année 1453, ces quinze planches con-
tiennent des spécimens d'à peu près toutes les sortes d’onciale et
de minuscule, soit calligraphiées, soit abrégées, qui ont été en
usage. À partir de l'an 1000, quelques facsimilé en très petit
nombre représentent des manuscrits non datés, mais remarquables
à certains égards : tous les auires sont tirés de manuscrits datés.
On a toujours eu soin de reproduire la souscription qui fixe l’âge
de ces derniers.
Des fac-similé de manuscrits datés remontant sensiblement au
même temps, mais écrits sur des matières différentes, parchemin,
papier de coton et papier de chiffe, permettent d'apprécier l'in-
fluence de la matière qui reçoit l'écriture, sur la forme et le style
de celle-ci.
Les planches II et IIT ont principalement pour but de faire voir
ce que vaut l'héliographie appliquée aux palimpsestes.
Les planches X et XI sont consacrées presque en entier à la
reproduction de miniatures curieuses, de dates diverses.
Enfin la minuscule à abréviations du xnr° siècle et celle du xtm°
et du xiv° siècle, dont on trouve extrêmement peu de spécimens
dans les publications de fac-similé grecs faites jusqu'à ce jour en
Allemagne, en Angleterre, en Russie, en France}, est largement
représentée dans les planches XII, XIV, IT et IL
Un texte offrant, outre la transcription des planches, quelques
détails sur l'histoire, le contenu et la paléographie de chaque ma-
nuscrit, doit accompagner ces reproductions. Dans une introduc-
tion, on se propose de retracer l'histoire de l'écriture des manuscrits
grecs. Celte introduction, suffisamment développée tout en restant
élémentaire, sera une clef destinée aux personnes qui voudraient se
servir de cet ouvrage pour s'exercer à la lecture des manuscrits grecs.
! Tandis que la Paléographic universelle de Sivestre, qui remonte à 1841, est
l'unique recueil publié en France dans ce siècle où l’on trouve une petite série de
fac-similé de manuscrits grecs ,— pour ne pas parler de la belle et précieuse collec-
tion des Papyrus du Louvre, qui rentre dans un ordre de recherches un peu dif-
ferent, — l'Allemagne et l'Autriche ont produit, depuis une douzaine d'années , de
nombreuses et importantes publications dans le domaine de la paléographie grecque,
par exemple : la Anleitung zur grieckischen Palaeographie (avec 1 2 planches), les
Mes
Cette collection, ainsi composée, semble appelée à rendre
quelques services aux philologues. Mais elle n'existe encore qu'à
l'état de clichés. I s'agirait maintenant de la graver. J'espère,
Monsieur le Ministre, avec votre appui, trouver à Paris un édi-
teur qui ne recule pas devant l’entreprise.
Ch. Graux.
Schriftiafeln zur Geschichte der griechischen Schrift und zum Studium der grie-
chischen Palaeographie (deux séries de chacune 20 planches), et les Exempla co-
dicum graecorum litteris minusculis scriptorum (50 planches), de M. W. Watten-
bach; Griechische Palaeographie, avec un cortège de Beiträge zur griechischen Pa-
lacographie (nombreuses planches de diverse nature), de M. V. Gardthausen; Die
Ueberreste der griechischen Tachygraphie (la première livraison , seule encore parue,
renferme 14 planches), de M. Gitibauer, etc. En Angleterre, le Palaeographical So-
ciely, pour ne rien dire d’autres publications plus anciennes, livre chaque année à
ses membres, depuis 1873, entre autres reproductions, une demi-douzaine environ
de planches de grec. La Russie même participe activement aux progrès de la paléo-
graphie grecque. Après les Specimina palacographica codicum graecorum publiés en
1863 par MF Sabas, évêque de Moscou, voici, en 1876, les Observations paléo-
graphiques faites sur des monuments d'écriture grecque, par M. Sreznevskij, et tout
récemment la Description paléographique de manuscrits grecs des 1x° et x° siècles
(avec 26 planches), premier volume d’une publication qui promet d’être consi-
dérable, de l’archimandrite Amphilochij (Moscou, 1879). Il est grand temps que
Ja France entre dans ce mouvement si général, d’où doit résulter dans quelques
dizaines d'années une rénovation entière de la paléographie grecque.
6.
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RAPPORT
SUR
UNE MISSION EN ALLEMAGNE
POUR ÉTUDIER
LES COLLECTIONS D’ANATOMIE COMPARÉE,
PAR M. POUCHET.
Monsieur le Ministre,
Nommé par vous professeur d'anatomie comparée au Muséum
d'histoire naturelle, je me trouvais par cette situation appelé à
diriger, à conserver et à augmenter une collection d'anatomie qui,
même dans son état actuel assez peu satisfaisant, compte parmi
les plus considérables de l'Europe. Je n’ai pas à en rappeler
ici l’histoire. Née d'un morcellement de l’ancien Cabinet du Roi,
* enrichie de bonne heure de pièces précieuses provenant des cabi-
nets des émigrés et des couvents, ainsi que d'autres pièces rap-
portées de Hollande et d'Italie par les armées de la République,
la galerie d'anatomie comparée du Muséum fut installée dès l'ori-
gine par Cuvier dans les locaux qu’elle occupe encore, locaux
devenus tout à fait insuffisants et dont la disposition antique ne
remplit aucune des conditions reconnues aujourd’hui comme in-
dispensables pour une bonne exposition et un bon entretien des
pièces anatomiques.
De nouveaux bâtiments, dont les belles proportions font le plus
grand honneur à l'architecte !, s'élèvent en ce moment au Muséum
pour recevoir les collections. C’est donc à brève échéance un re-
maniement complet de la collection d'anatomie comparée qui se
prépare; et vous avez pensé, Monsieur le Ministre, qu'il pourrait
être avantageux de faire étudier dans les collections pareilles à
1 M. André.
1e
l'étranger les meilleures dispositions à adopter, les perfectionne-
ments nouveaux à introduire dans la préparation ou le classement
des pièces exposées au public, dans l'organisation du personnel, du
laboratoire et des ateliers que suppose toujours derrière elle une
collection importante, toutes les mesures, en un mot, les plus
propres à augmenter et à conserver intactes pour nos successeurs
les richesses scientifiques et les objets naturels qui tendent (on en
a des exemples nombreux) à devenir chaque jour plus rares !, ou
même à disparaître entièrement ? de la planète.
Vous avez bien voulu, Monsieur le Ministre, me confier, sur
ma demande, une mission pour cet objet : j'ai l'honneur de vous
en rendre compte.
Le temps me faisait défaut pour étudier dans l’espace des
vacances toutes les collections européennes d'anatomie. D’arlleurs
plusieurs m'étaient déjà connues. Je crus devoir porter spéciale-
ment mon attention sur celles du centre de l’Allemagne et des
pays limitrophes. J'ai successivement visité Zurich, Tubimgue,
Munich, Würzburg, Giessen, Goettingue, Francfort-sur-le-Mein
(qui n'est point ville d'université, maïs qui possède une collection
importante), Leipzig, Prague, Breslau, Berlin, Leyde et Gand:
Un voyage plus complet ne m'aurait sans doute fourni aucune
donnée nouvelle. Je me suis rapidement convaincu, en effet
(comme on pouvait d'ailleurs le prévoir), que les mêmes disposi-
tions générales, la même organisation se répétaient à peu près
partout; en sorte qu'après avoir visité de grandes universités
comme Leipzig et Munich, qui sont aujourd'hui avec Strasbourg
les centres les plus importants pour les études biologiques, et de
petites universités comme Giessen, Tubingue, où l’enseignement
de la biologie et de la médecine est concentré dans les mains d'un
petit nombre de professeurs, j'avais tous les éléments de l'étude
spéciale que je m'étais proposée : celle de l’organisation des collec-
tions, aussi bien que des laboratoires d'anatomie comparée. J'ai
cru devoir, en effet, étendre mon attention sur ce qui touchait
d'un peu moins près au but spécial de mes informations : collec-
tions d'anatomie pathologique, installation des cours d’histologie,
entretien des animaux nécessaires aux expériences, etc.
Pendant les vacances, je ne pouvais espérer trouver les profes-
* Certaines Baleines, l'Aptéryx......
? Le Do‘’o, le Solitaire de J'ile Rodrigue, etc.
Du
seurs à leur poste. Partout où je les ai rencontrés, je n’ai eu qu'à
me féliciter de la cordialité empressée avec laquelle j'ai été recu.
Je dois ici tout particulièrement adresser mes remerciements à
MM. les professeurs Semper (Würzburg), Leuckart (Leipzig),
Eckhart (Giessen), Eimer (Tubingue), Rüdinger (Munich), Hasse
(Breslau), Plateau (Gand). Je ne puis oublier non plus M. du Bois-
Reymond (Berlin) qui, apprenant que je visitais son institut, m'a
fait prier de me présenter à lui.
J'ai divisé ce rapport en deux parties. Dans la première, j'essaye
de condenser le résultat de mes observations et j'indique le profit
qu’il me paraît convenable d’en faire pour l'amélioration de la
collection d'anatomie du Muséum et de l’enseignement dont je
suis chargé. La seconde partie n’est qu’un dossier de pièces justi-
ficatives : ce sont les notes mêmes prises au cours de mon voyage,
après mes visites aux instituts et aux collections. ,
PREMIÈRE PARTIE.
L
Je dois le dire tout d'abord : l'impression générale rapportée
par moi des collections et ‘des laboratoires que j'ai visités en Alle-
magne est toute à l'avantage de Paris, sinon de la France, car il
faut bien se garder ici d’une confusion. Paris est sans conteste,
pour les sciences biologiques, le centre le plus actif de l'Europe,
bien plus actif que Vienne, Leipzig ou Berlin. Mais, d'autre part,
nous n'avons en France rien qui ressemble à ces universités
de second ordre répandues sur le territoire germanique, non
moins vivantes que les grandes, et par lesquelles ont passé tous
les hommes marquants dans les sciences, au temps de leur jeu-
nesse et de leur plus grande activité intellectuelle. Et si Paris
(nous le répétons) est à tous les points de vue la première ville
universitaire du monde, l'Allemagne l'emporte de beaucoup à
son tour par ses ressources d'enseignement supérieur sur la
France prise dans son ensemble. Pour ce qui touche le Muséum
en particulier, le professeur d'anatomie comparée, avec le person-
nel, les laboratoires et les ressources dont il dispose, serait mal
venu à se plaindre ou à envier qui que ce soit. Certes, la collection
— D
que lui ont laissée ses prédécesséurs est en assez triste état par
différentes causes, mais elle n’en demeure pas moins une des plus
riches, et nous n'avons guère vu que la collection de l’université
de Berlin (M. Reichert) qui puisse lui être comparée. Encore
celle-ci est-elle dans un état d'entretien beaucoup moins satisfai-
sant que la nôtre. Sans doute, les laboratoires dépendant de 1a
chaire d'anatomie comparée du Muséum pourraient être mieux
agencés et de façon plus conforme aux exigences de la science
actuelle, mais ces laboratoires sont vastes, bien éclairés, et suffi-
sants pour de nombreux élèves; les fonds d'entretien représentent
une somme plus élevée que n'en possèdent la plupart des services
à peu près similaires dans les universités allemandes; le personnel
est plus nombreux !.
! On consultera avec intérêt le tableau suivant des crédits des instituts des
universités prussiennes de Berlin, Breslau et Goettingue, que nous avons visites,
d’après le buaget prussien pour 1877-1878. ( Uebersicht der Einnahmen und Aus-
gaben der Universitäts-Institute, nach den Etats pro 1” April 1877-1878.)
DÉTAIL.
TOTAL
EE me
du crédit FONDS TRAITEMENT ET RÉMUNÉRATION.
cb provenant |
de
la caisse
des
universites.
DÉSIGNATION.
des dépenses,
FONCTIONS. MONTANT.
NOMBRE.
BERLIN.
Prosecteur
À Custodés et assistants.| 7,500
Collection £ h1,268118°| 41,268! 18° Assistant
anatomique :
Concierge
Garçons
Employes. ......... 11,290
Assistant
Institut physiologique. . | 27,247 oo | 27,247 00 rt
J Pottier. AE ENEREE
Mécanicien
Garcon
Institut pathologique. . | 26,812 50 | 26,812 50 | Assistants
Directeur
Custodes
Collection zoologique. . 63,810 00 Pour des assistants. .…
Préparateurs
Garçon... .….:#., 4e
D'où vient dès lors cette inégalité souvent reconnue dans la
somme de l'instruction donnée, des travaux scientifiques publiés?
On n’accusera pas sans doute notre nalion d’être moins intelli-
gente, moins active. Mais nous péchons par la mauvaise mise en
œuvre des ressources dont nous disposons et par certains vices
de notre système universitaire. Dans les universités allemandes,
l'action du professeur s'exerce plus directement : il est beaucoup
plus maître de son personnel et de l'emploi des fonds attribués à
son service. La garantie de sa bonne gestion et de son zèle profes-
soral est dans l'existence d’une solidarité d'intérêts effective entre
les membres d’un même corps enseignant. En France, rien de tel.
DÉTAIL.
TOTAL
du crédit FONDS TRAITEMENT ET RÉMUNÉRATION.
et provenant ©
de a
la caisse
des FONCTIONS. MONTANT.
: on
unlversites.
DÉSIGNATION.
des dépenses.
BRESLAU.
lustitut anatomique... . | 16,770! o0°| 16,770! oo°
Institut pathologico-ana- Assistants....,
: 10,850 00 | 10,850 00
tomique
Institut physiologique.. | 10,667 50 | 10,660 00
Gancon RC CRE.
Assistant
Collection zoologique... 9,120 00 9,120 00 Préparateur
Garçon...
GOETTINGUE.
ut in 585 Bo ce 1 Prosecteur........ Ke
nstitut anatomique. .. 1 o°| 11, 5o à
q 7 7 Gardien...
Assistant..,.. à
Gardien. ...-:.. ot
ASSISTAN ES eee s eee se
1 Assistant
Institut physiologique... | 6,600 00 | 6,600 00
Institut pathologique . . 6,500 00 6,500 00 Cine à
Gardien
AGgSISÉANES. . Res
Institut zoologique. ...| 10,500 oo | 10,500 00 <
Préparateurs
TP — -
; .
.
DO.
Le retour réel à l'État des droits d'inscription payés par les élèves
dans les facultés, à plus forte raison l'absence singulière de toute
rémunération dans d'autres établissements d'enseignement supé-
rieur, ont pour résultat de détacher le professeur de son ensei-
gnement. On s'étonne de voir les professeurs allemands faire six,
huit leçons par semaine et souvent plus, mais ils ont à cela un
intérêt pécuniaire direct. C’est là le secret de ce lien qu'il serait à
désirer voir se former en France entre les professeurs et les élèves
et qui ne peut exister qu'à cetie condition. Sans doute, on trouve
en France nombre de professeurs dévoués qui multiplient leur
enseignement, mais pour combien d'autres le professorat est-il
simplement une fonction d État plus ou moins convenablement
rétribuée !
Cependant, même dans ce système défectueux, il semble qu'une
plus grande latitude pourrait être laissée par le Gouvernement à
ceux quil a investis de sa confiance. Nous parlons d'une plus
grande latitude pour l'emploi des fonds, pour la nomination aux
situations secondaires (aides-naturalistes, préparateurs, garçons
de laboratoire, etc.). Si quelques abus se produisaient dans ce
système {et aucun n'en est exempt), le résultat général serait du
moins, selon nous, une somme beaucoup plus grande de tra-
vail scientifique et d'enseignement. Il suffit, pour en avoir la
preuve, de comparer au jeu de plusieurs de nos anciennes insti-
tutions ce que rend l'École des hautes études, où le maître jouit
d’une indépendance et d'une liberté relatives.
On a remarqué avec raison qu'en Allemagne l'université n’est
pas une collection de chaires, «auxquelles on doit régulièrement
pourvoir, mais plutôt une réunion de savants qui se partagent
un peu comme ils l’entendent le travail de l'enseignement : c’est
là une tradition qui a été inaugurée à Goettingue. Le professeur
n'est pas nommé à une professure, mais appelé (berufen) à l’univer-
sité 1 | |
En France, aucun établissement, même le Collège de France
n'est un «collège de professeurs»; et c’est à notre sens un des
principaux vices de notre organisation. On peut ajouter que c’est
celui de tous auquel ïl serait le plus facile de remédier, puisqu'une
! Montargis et Seignobos, L'université de Goettingue , dans la Société pour
l'étude des questions d enseignement supérieur. Études de 1878.
ET Te et -
Le @h 2
simple mesure législative, ne touchant à aucun intérêt ni à aucune
situation de personnes, sufhirait pour introduire cette réforme
dans nos grands établissements, où la perpétuité des chaires a
pour conséquence des créations incessantes de chaires nouvelles et
amène forcément un état de choses dont il faudra bien se préoc-
cuper dans un avenir prochain. Partout où l’enseignement est
normal, comme dans une faculié de médecine ou une faculté des
sciences, il est bien certain que les branches principales de la
science devront avoir leur enseignement assuré et que certaines
chaires devront se perpétuer ; mais la même nécessité n'existe plus
pour les sciences connexes qui se transforment avec le temps, elle
n'existe à aucun titre pour les établissements dont l’enseignement
doit être à chaque époque l'expression même des progrès en cours
d’accomplissement dans les connaissances humaines. Tour à tour
chaque science prend là une importance dominante ou disparait.
Or, en Allemagne, l’organisation universitaire se prête d'elle-même
merveilleusement à cette évolution inévitable, tandis que chez
nous la perpétuité des professures Y est une entrave sérieuse. Sans
doute, l'inévitable loi du temps finit par imposer d’utiles modifica-
tions, mais qui s'accomplissent alors par voie détournée et comme
subrepticement; c'est ainsi que la chaire d'anthropologie du Mu-
séum, si bien en harmonie avec les tendances scientifiques ac-
‘tuelles, n'est rien autre que l'ancienne chaire d'anatomie de
l’homme, transformée jusque dans son titre. Mais ces change-
ments heureux ne sauraient suffire à ouvrir toutes les voies nou-
velles à l’enseignement, et l’on pourrait citer telles branches de
la biologie qui ne sont peut être point cultivées en France pour
cette seule raison qu'elles n'ont aucune place dans le cadre des
titres officiels des professures. Certes, nous savons qu'en présence
d’un mérite éclatant l’Administration n'hésitera pas à proposer
au pouvoir législatif l'ouverture d’un crédit nouveau, mais l’in-
convénient est précisément alors de créer pour un homme un
enseignement qui lui survivra, qu'on ne pourra plus supprimer
après en avoir proclamé l'urgence indépendamment de tout nom
de personne. Les choses iraient beaucoup mieux si nos grands
établissements étaient avant tout des collèges de professeurs, si la
matière de l’enseignement restait subordonnée au choix du pro-
fesseur, non le choix du professeur à la matière de l'enseigne-
ment.
ces MOD
Nulle part en Allemagne l'anatomie comparée n’est enseignée
par un professeur spécial. Dans certaines universités, comme à
Breslau (M. Hasse), à Berlin (M. Reichert), cet enseignement in-
combe au professeur d'anatomie humaine. Ailleurs, comme à Tu-
bingue (M. Eimer), Giessen (M. Eckhart), Leipzig (M. Leuckart),
il rentre dans les attributions du professeur de zoologie. Ceci pa-
raît être la règle, tandis que l'anatomie générale, au contraire,
reste plus intimement liée à l’enseignement de l'anatomie humaine
ou même de la physiologie !, mais surtout à celui de la pathologie.
L'institut pathologique de l'hôpital de la Charité de Berlin (M. Vir-
chow) a été le point de départ de ce grand mouvement; et, au-
jourd’hui, c'est dans les instituts pathologiques seuls qu'on trouve
des salles spécialement disposées pour l’enseignement microsco-
pique; nous citerons Munich (M. Buhl), Würzburg (M. Rind-
fleisch), Leipzig (M. Cohnheim). De même, l’embryogénie in-
combe à Leipzig au professeur d'anatomie (M. His), tandis qu'a
Munich, après avoir été longtemps jointe de même à la chaire
d'anatomie avec M. Bischoff, elle en est distraite depuis que
M. Rüdinger lui a succédé, et elle va former avec l'histologie le
domaine d’un professeur nouveau qu'il est question d'appeler.
Comme on le voit, il n'y a aucune règle fixe pour la divi-
sion de l'enseignement. Tout dépend des hommes. L'institution
universitaire allemande se prête à la marche générale de l'es-
prit humain avec la même élasticité qu'aux changements d'ap-
titudes du personnel enseignant. Chaque professeur garde en
somme sa pleine liberté, et l'idée d'un règlement quelconque pour
délimiter des attributions de chaire plongerait à coup sûr nos voi-
sins dans le plus sérieux étonnement. Un spectacle fort instructif
des facultés allemandes est cette confusion constante qu'on y
trouve des enseignements anatomique, physiologique et patholo-
gique. Si les instituts physiologiques possèdent des laboratoires pour
les recherches histologiques, les grands instituts anatomiques,
comme celui de Berlin, ont à leur tour des laboratoires de phy-
sique et de chimie complètement montés. De même les instituts
1 Nous avons trouvé des laboratoires pour les recherches histologiques à l'in-
stitut physiologique de Breslau (M. Heidenhain) et à celui de Berlin (M. du Bois-
Reymond). I en est de même dans un autre laboratoire de physiologie célèbre,
celui de M. Donders à Utrecht, et de même également, si nous ne nous trom-
] ons, dans le laboratoire de physiologie de M. Paul Bert à la Sorbonne.
C3
PPS PET ee
— 93 —
pathologiques offriront des salles exclusivément réservées aux re-
cherches physiologiques, munies d'appareils coûteux qui n'existent
pas, tant s’en faut, dans bien des laboratoires de physiologie même
les mieux installés. On peut citer le laboratoire de M. Cohnheim à
Leipzig, avec une salle spéciale exclusivement réservée à un grand
kymographion et avec un mécanicien employé à l’année pour le
montage des appareils dans cet institut consacré pourtant aux
études pathologiques.
De même, une très grande liberté d'action est laissée au pro-
fesseur sur son personnel. En France, ce personnel est nommé
administrativement et, par suite, indépendant dans une certaine
mesure. En voulant prévenir quelques abus, on a créé parfois les :
situations les plus inextricables et les plus fausses, dont l'intérêt
scientifique souffre peut-être encore plus que des faveurs intem-
pestives qu'on a voulu éviter. Rien de tel, avons-nous besoin de
le dire, n'existe en Allemagne, où tout le personnel d’un service
est à l'entière discrétion du professeur. En général, ce personnel
se divise, soit dans le laboratoire, soit pour le soin des collec-
tions, en deux catégories : 1° le personnel véritablement scien-
tifique, très mobile de sa nature, passant d'une université à
l'autre, composé d'aspirants professeurs pour la plupart; 2° le
personnel qu'on pourrait appeler manouvrier, spécialement atta-
ché à l'institut, n'ayant pas de grades universitaires ou les ayant
quelquefois obtenus comme récompense de longs et modestes ser-
vices. Ces employés, quand ils sontoccupés au soin des collections,
prennent le nom de conservateurs; ils répondent à nos préparateurs.
On verra par le tableau donné plus haut que leur traitement est
souvent supérieur à celui des assistants; mais il ne faut pas oublier
que ceux-ci touchent, pour les leçons qu'ils donnent, des rétribu-
tions payées par les élèves. C’est là encore une force vive que le
système universitaire allemand sait mettre en jeu et qui est perdue
chez nous avec nos assistants, nos aides-naturalistes, nos prépa-
rateurs fonctionnaires.
Souvent les garcons de laboratoire exercent un métier. À lin-
stitut impérial et royal de Prague, par exemple, le chauffeur est
serrurier de son état, un des garçons est menuisier. Quand il y a
dans les laboratoires des mécaniciens, on les autorise à faire, sous
la surveillance du professeur, le commerce des instruments dont
ils ont la spécialité,
Se RE ee
IT
Dans cette organisation si différente de la nôtre, on conçoit
que je n’aie trouvé aucune comparaison rigoureuse à faire avec le
service dont je suis chargé au Muséum. En Allemagne, pour les
raisons que nous avons indiquées, la répartition des services se
modifie incessamment. L'annuaire académique allemand (Deut-
sches Akademisches Jahrbuch) publié en 1875 nest déjà plus
tout à fait au courant, comme nous avons pu nous en assurer.
Aussi les chaires en Allemagne n'ont pas d'histoire. En France,
-elles en ont une, et l'on a trop souvent voulu régler au nom du
passé les attributions des professeurs venus plus tard, alors que
la face de la science avait changé. Pour cette raison, il ne nous a
pas paru sans intérêt d'étudier les solutions diverses données en
Allemagne au problème des rapports de l’anatomie comparée avec
les autres sciences biologiques, du moins dans l’enseignement, et
de rechercher les avantages ou les inconvénients des diverses
combinaisons adoptées.
Au Muséum, l'enseignement par le même professeur de « l’ana-
tomie des animaux », comme on a dit d'abord, et de « l'anatomie
humaine », est la combinaison ancienne : celle du siècle dernier.
Le décret du 10 juin 1793 sépara les deux choses : Portal res-
tait chargé de l'anatomie humaine; l'enseignement de l’anatomie
comparée était confié à Mertrud, bientôt suppléé par Cuvier.
Celui-ci en même temps y rattachait les études paléontologiques,
créant ainsi une tradition qui na été rompue que depuis peu.
Pour Cuvier, l'anatomie comparée était une sorte d'anatomie
purement descriptive des espèces animales. Geoffroy Saint-Hi-
laire l’envisagea au point de vue évolutif. Hunter, peut-être le
premier, et après lui de Blainville, Johannès Muller, virent à
leur tour dans l'anatomie comparée la base, l’assise même de la
physiologie : c'est dans cet esprit que M. Milne Edwards a concu
le monumental ouvrage auquel il travaille depuis trente ans.
Aujourd'hui il semble que certains esprits ne voient en elle qu'une
annexe de la zoologie, dans laquelle ils auraient la prétention de
l'absorber. Cetie conception a certainement pour point de départ
les beaux travaux monographiques publiés par Johannès Muller et
M. Milne Edwards eux-mêmes, par MM. de Quatrefages, Koelliker,
nl dpi RE
=. 05).
de Lacaze-Duthiers, etc.; mais elle nous semble toutefois reposer
sur une notion inexacte des études propres à l'anatomie et des
procédés qu’elle emploie. Bien que s'appliquant aux mêmes
objets, l'anatomie comparée et la zoologie sont deux sciences jus-
tement aussi distinctes que la chimie et la physique, qui étudient
aussi les mêmes corps bruts, mais à deux points de vue différents.
L'anatomie a pour objet la connaissance de l’organisation des ani-
maux, de leur mécanique, si l’on veut de leurs moyens d’être. La
zoologie a plutôt pour essence l'étude des rapports des animaux
avec le monde extérieur. Leroy, Buffon, les Huber, M. Darwin,
M. Weismann dans ses derniers travaux, nous semblent Ja person-
nification même de la zoologie. Il est bien certain qu'aujourd'hui
la plupart des zoologistes donnent une attention considérable à
l’organisation intérieure des êtres qu'ils étudient : on a même
cherché à affirmer par un nom nouveau cetie tendance nouvelle
en la décorant du nom de zoologie scientifique. De là à concevoir
une collection qui offrirait, en même temps que l'ordre systéma-
tique du règne animal, le tableau complet de l'organisation de
chaque groupe, il n’y a qu'un pas. Dans une des collections que
nous avons visitées, cette conception a été de tous points réalisée.
Dans d’autres, l'union de l'anatomie et de la zoologie est plus ou
moins complète. Nous avons trouvé toutes les combinaisons pos-
sibles : nous pouvons juger ce qu'elles valent.
Dans la petite collection nationale tchèque de Prague (M. H.
Frick), les pièces anatomiques sont partout méthodiquement
rapprochées des animaux en peau ou conservés dans lalcool
auxquels elles se rapportent. L’anatomiste trouve ainsi chaque
être dans sa forme à côté des détails de son organisation; nous
ignorons si les zoologistes seraient également satisfaits de voir
interrompues de la sorte par des pièces anatomiques les admi-
rables séries des grandes collections comme celles des musées de
Leyde, de Paris ou de Londres. Il faut bien noter que cette collec-
tion de Prague, appartenant à une société particulière, est loin
d’avoir l'extension des collections nationales européennes ni
même de beaucoup de collections universitaires allemandes.
Cet exemple de la petite collection tchèque de Prague est
unique. Partout ailleurs où la zoologie et l'anatomie sont con-
fondues dans une collection commune, l'anatomie est sacrifée,
souvent réduite aux seuls squelettes, presque toujours isolée,
«
mir US) ce
quelquefois complètement délaissée. À l'institut zoologique el
zootomique de Leipzig (M. Leuckart), les squelettes sont à part,
dans la même salle que les mammifères en peau; de même les
squelettes d'oiseaux. Quant aux pièces molles, elles sont toutes re-
léguées sans distinction (mammifères, mollusques, poissens, etc.)
dans une vitrine unique. Les principes qui ont guidé dans l’orga-
nisation du musée tchèque de Prague ne sont donc plus ici du
tout observés : nous n'avons plus qu'une collection zoologique à
laquelle sont jointes un certain nombre de pièces anatomiques
dont l'importance reste tout à fait secondaire.
À l'institut zoologico-zootomique de Würzhburg (M. Semper),
on retrouve ce qui existe à Leipzig, mais encore atlénué : un
certain nombre de pièces molles et des squelettes sont simplement
méêlés aux pièces zoologiques sans ordre intentionnel apparent.
Enfin, la collection zoologico-zootomique de Munich (M. de
Siebold) offre un effacement encore plus complet de l'anatomie,
représentée seulement par des squelettes, c’est-à-dire d'une ma-
nière plus qu'insuffisante; et même, ces squelettes sont relégués
dans des salles spéciales. La collection de Francfort, celle de Leyde,
plus riche encore, présentent une distribution analogue, avec cette
différence que les salles des squelettes sont publiques, tandis qu'à
Munich elles ne le sont pas. |
Pour nous résumer, on ne trouve que dans une seule collection
— et fort secondaire — le groupement rigoureux des pièces ana-
tomiques près des espèces auxquelles elles se rapportent. On ne
saurait formuler aucune objection sérieuse contre cette manière
de comprendre une collection zoologique; maïs on peut affirmer
d'autre part que, dans ce cas, l'anatomie sera toujours sacriliée,
même quand les tendances des directeurs de ces collections sem-
bleraient les porter, comme MM. de Siebold, Leuckart, Semper,
plutôt du côté des études anatomiques. La raison en est simple.
On peut appliquer aisément les principes de la zoologie scientifique
aux animaux inférieurs dont l'organisation est peu compliquée et
s'offre souvent tout entière aux yeux quand on ouvre lanimal,
ou même se voit par transparence à travers ses téguments. Mais
il n'en est plus ainsi des vertébrés, dont les parties beaucoup plus
compliquées exigent toujours un nombre considérable de pré-
parations pour être bien mises en lumière. Il est évident, en.
effet, que si le système dont nous parlons pouvait être défendu,
=> ®R —
c’est à la condition qu'on l’appliquera dans toute sa rigueur, comme
à Prague. Il faudra mêler aux pièces zoologiques (animaux en
peau, dans l'alcool, etc.), non pas seulement les squelettes, mais
les préparations de ioute sorte, sèches ou humides, injections,
corrosions, etc., car elles sont souvent encore plus caractéristiques
pour un groupe donné de vertébrés que les particularités du
squelette. Si l’on admet que les divisions des mammifères re-
posent sur la présence, l'absence ou la forme du placenta, cet
organe devra figurer parmi les pièces indispensables d'une collec-
tion ainsi conçue. On ne saurait non plus négliger les particula-
rités de certains systèmes anatomiques dans tel ou tel groupe : les
réseaux admirables des loris et des édentés, l'estomac des rumi-
nants, les organes génitaux des didelphes, le système des vaisseaux
cardiaques chez les ovipares, l'appareil respiratoire et natatoire
des poissons, etc. Ajoutons qu'en comprenant ainsi une collection
zoologique, il n’y aurait aucune raison plausible de n'y point
intercaler également toutes les espèces fossiles à leur place systé-
matique.
En réalité, la biologie est une. Seule, l'extension qu’elle a prise
explique les divisions introduites dans l'enseignement de ses
branches diverses. C’est une nécessité dont il faut tenir compte
sans en exagérer les effets. Au Muséum, l'anatomie comparée n'a
‘pas été sans souffrir un peu, depuis quelques années, d’une part
trop grande faite à l'étude des formes animales éteintes, comme
elle souffrirait plus encore de se fondre dans la zoologie. Si les
collections d'anatomie comparée du collège des chirurgiens de
Londres et de l’université de Berlin, qui l’une et l’autre renferment
naturellement et nécessairement des fossiles, sont aujourd’hui aussi
riches, c'est que de tout temps, ou au moins de bonne heure,
elles eurent une existence indépendante : telle l'eut également la
galerie d'anatomie comparée du Muséum.
Il nous semble donc évident, d’après tout ce qui précède, que
la complète indépendance d’une collection d'anatomie comparée
apparaît comme la condition même de sa richesse et de son im-
portance. Et en effet, où donc trouveraient place dans une collec-
tion rangée comme celle de Prague les séries véritablement com-
paratives que Cuvier, Geoffroy Saint-Hilaire, de Blainville ont
laissées dans la galerie du Muséum pour attester leurs travaux :
séries de têtes désarticulées en vertèbres, séries d’hyoïdes, de
MISS. SCIENT. — VII. 7
ET
phanères, etc. De même, d’autres séries pourront montrer les mo-
difications successives d’un appareil ou d’un organe avec l’âge, avec
l'époque de l’année (testicule des oiseaux, bois des cervidés), celles
qui sont en rapport, dans un groupe plus ou moins étendu, avec
des adaptations fonctionnelles diverses. On n'en finirait pas d’énu-
mérer les séries de ce genre qu'une collection d'anatomie compa-
rée digne de ce nom doit renfermer à côté des préparations de sys-
tèmes anatomiques entiers : dentaire, artériel, veineux, musculaire,
osseux , etc. Nous n'avons guère vu de ces pièces véritablement cormn-
paratives qu’à l'institut anatomique impérial et royal de Prague.
(M. Toldt). Forcément elles font défaut partout où la collection
d'anatomie tend à se fondre dans celles de zoologie. Au contraire,
elles deviendront facilement, si lon veut, la partie la plus
attrayante et en même temps la plus instructive d’une collection
d'anatomie. Et celle-ci, par contre, ne saurait souffrir aucun pré-
judice des pièces squelettiques ou autres qu'on jugerait à propos
de mêler aux séries zoologiques.
Sous ce rapport, le Musée zoologique de Berlin peut être cité.
Placé dans le même bâtiment, à deux pas de la collection ana-
tomique sans contredit la plus riche de toute l'Allemagne, il
offre un exemple intéressant de la mesure dans laquelle les
pièces anatomiques peuvent servir à éclairer la classification.
Un certain nombre de squelettes sont mêlés aux animaux en peau
ou dans l'alcool. Le crane osseux de beaucoup de mammifères
est sur le plateau même qui les porte. Ces préparations viennent
ici compléter la collection zoologique, comme on complète ailleurs
des collections ornithologiques.et entomologiques avec des nids ou
d'autres ouvrages de l'instinct des animaux, avec les représenta-
tions de l'aire géographique occupée par chaque espèce, en un
mot avec tout ce qui touche à son histoire.
III
L'existence distincte d’une collection anatomique étant recon-
nue nécessaire, nous avions à nous préoccuper de linstallation
même provisoire de la collection du Muséum confiée à nos soins
et surtout de l'installation définitive qu’il conviendra de lui donner
dans les nouveaux bâtiments qui s'élèvent sur l'emplacement de
l'ancien Cabinet du Roi. Nous avions à étudier les problèmes mul-
ET TT
Se (00! =
tiples que soulève l’arrangement d’une grande collection anato-
mique et à formuler d'avance, d’après ce qui existe ailleurs, les
principes qui doivent guider en pareil cas.
Et d’abord la question de l'extérieur des bâtiments importe
peu. On à fait, dans ces derniers temps, en Allemagne comme en
France, des dépenses considérables pour loger les instituts et les
collections. À Munich, à Würzburg, à Prague, surtout à Leipzig
et à Berlin, on s'est abandonné à un luxe architectural chaque
jour plus grand, qui semble même atteindre, pour l'institut phy-
siologique de M. du Bois-Reymond, à Berlin, avec ses vingt-huit
élégantes fenêtres de façade sur la Dorotheen-Strasse, une impor-
tance tout à fait démesurée!.
En France aussi, l'enseignement supérieur se laisse trop aller,
selon nous, depuis quelques années, au goût des belles construc-
tions, tout au moins inutile quand il s’agit d'établissements scien-
tifiques. Les architectes sont dans leur rôle en saisissant toute
occasion qui se présente d'affirmer leurs talents; aussi n'est-ce pas
à eux qu'il faut s'en prendre. Seulement on peut se demander si
notre enseignement supérieur n’a pas de plus pressants besoins
et si les demeures somptueuses qu'on lui érige n’abritent point
des indigences regrettables dans les moyens donnés au travail.
L'observatoire de Paris, avec sa sévère simplicité, est sous ce
‘rapport un modèle admirable, construit exclusivement en vue de
la fonction qu'il est appelé à remplir, sans ornements inutiles.
Parmi les constructions modernes, on peut citer comme exemple
le bâtiment où se loge à l'aise l'immense collection zoologique de
Leyde : il n’a pas même de façade sur la rue.
Nous admettons que la place réservée à l'anatomie comparée
est suffisante et que l'éclairage est parfait : la disposition en galeries
avec quelques petites salles annexes semble avoir des avantages sur
la disposition en grandes salles distinctes. Ces petites salles permet-
! Le budget ordinaire prussien pour 1877-1878, sur l'augmentation de
23,996 marks pour l’université de Berlin, porte : « Pour l'institut physiologique,
en suite de son agrandissement, de son augmentation de crédit pour six mois
à partir d'octobre 1877, 17,550 marks. » D'autre part, on trouve au budget extra-
ordinaire pour la même année 1877-1878, ch. xxr, titre IV : «Construcüon de
bâtiments pour l'institut physiologique et l'institut physique, 6° crédit :
500,000 marks» {le budget de 1876-1877, titres XXIV à XXVI, paraît avoir porté
pour le même objet 89,000 marks)... titre VI : «Aménagement instrumental
de l'institut physiologique, 1° crédit : 20,000 marks.»
— 100 —
tront d'isoler des séries spéciales : cires, pièces d’un intérêt histo-
rique, monstres, etc.... qu'il est toujours assez difficile de faire
rentrer dans l’ensemble de la collection. Toutefois, dans l’installa-
tion prochaine de la galerie d'anatomie comparée, la remarquable
collection de squelettes de grands cétacés que possède le Muséum
exigera une très vaste salle pour les recevoir. Sauf ces squelettes et
ceux des grands quadrupèdes atteignant ou dépassant la taille du
cheval et du bœuf, toutes les pièces anatomiques devront être abri-
tées par des vitrines. Il est superflu de dire qu'aucun squelette,
qu’elles qu’en soient les dimensions, ne devra rester exposé aux in-
tempéries, même sous un abri, comme cela existe actuellement !, JI
est facile de constater avec quelle rapidité les squelettes se dété-
riorent dans ces conditions. L'altération est déjà très sensible après
un petit nombre d'années sur ceux des grands quadrupèdes : elle
a une gravité exceptionnelle quand elle porte sur des squelettes de
cétacés qui deviennent chaque jour de plus en plus rares, comme
certaines baleines.
Il ne paraït y avoir, au contraire, aucun inconvénient à laisser
ces squelettes de grands animaux au milieu des salles, à la con-
dition qu'ils soient hors d'atteinte de la main des visiteurs. Au
musée d'anatomie comparée de Berlin, l'espace ainsi occupé est
entouré de meubles à hauteur d'appui. Cette disposition sera avan-
tageusement modifiée en relevant à la hauteur des meubles la
partie centrale du parquet sur laquelle on placera ces grandes
pièces osseuses.
Vitrines. — Meubles. — Dans un grand nombre de collections
allemandes? on a adopté le principe des vitrines placées perpendi-
culairement aux fenêtres. Ailleurs, à Giessen 5, à Munich #, comme
à Leyde, le principe des vitrines latérales appliquées aux murs
domine. Dans d’autres collections, les deux systèmes sont plus ou
moins heureusement combinés. Le système des vitrines perpen-
! Dans la cour dite «de la Baleine». Un grand cétacé est exposé de même au
jardin zoologique d’Anvers.
? Collection zoologique de Berlin, institut zoologique de Leipzig, musée de
Francfort, etc.
* Collection d'anatomie.
* Collection zoologico-zootomique.
* Collection zoologique.
— 101 —
diculaies, malgré l'autorité de M. Leuckart qui va l'appliquer
dans le nouvel institut zoologique de Leipzig, nous paraît devoir
être absolument rejeté. S'il épargne la place occupée, 1l a le grave
inconvénient d'encombrer en quelque sorte les salles : il n'est
commode n1 pour le public circulant ni pour le visiteur studieux,
auquel beaucoup plus de choses échappent que dans les galeries
où les vitrines sont en alignement. Enfin les vitrines perpendicu-
laires ont le désavantage de ne laisser guère de place pour les
meubles, toujours indispensables dans une collection anatomique.
Les vitrines ne doivent avoir ni une grande hauteur ni une
grande profondeur. On peut regarder comme profondeur maxi-
mum nécessaire celle qui permettra d'y mettre un squelette d’au-
truche. Toutes les pièces qui n’y trouveraient pas place avec ces
. dimensions resteront sans inconvénient au milieu des salles, sauf
celles qui seraient d’une rareté extraordinaire. Les vitrines ne
doivent pas être trop élevées, parce qu'alors les objets qui en
occupent le haut ne sont plus en vue. Pour la même raison, le
bas recevra toujours de gros objets. Si la vitrine ne doit contenir
que de petits objets, le mieux serait de ne pas la faire descendre
dans ce cas jusqu'au parquet. Si l'élévation des salles le permet,
on ne doit point hésiter à superposer les galeries comme au col-
lège des chirurgiens de Londres, au musée Orfila et au musée
d'histoire naturelle de Rouen, remarquable à tant d'égards par ses
heureuses dispositions !. Le musée municipal de Rouen, installé
par F. À. Pouchet, continue aujourd’hui d’être dirigé dans le même
esprit par M. le docteur Pennetier. Tous deux ont su faire d’une
co'lection à tout prendre fort exiguë (particulièrement en ce qui
touche l'anatomie comparée) un véritable modèle qu'on peut s’ef-
forcer d’imiter même sur un théâtre beaucoup plus grand.
Extérieurement, les vitrines doivent être aussi simples et leurs
châssis aussi réduits que possible. Une monture en fer est peut-
être préférable au bois (bien que nous n'en ayons point trouvé
d'exemple), pourvu qu'elle se prête à l'application des bourrelets
ou de garnitures quelconques destinées à empêcher la poussière
1 Une application moins heureuse du système des galeries superposées se
retrouve à Zurich {collection de hôpital), à Breslau (institut anatomique }, à
Berlin {collection anatomico-zoologique). Dans ces établissements, les galeries
supérieures sont reléguées aü-dessus des fenêtres, et l'éclairage y est par suite
absolument défectueux.
— 102 —
de pénétrer jusqu'aux préparations. L'ancienne disposition de la
collection des bâtiments de l'académie, à Munich, où les vitrines
s'étendaient dans toute la longueur d’une salle, sans cloison entre
elles !, aurait l'avantage d'augmenter la place : elle est surtout
commode pour les squelettes de grands animaux. Mais il faut en
tous cas qu'un système de crémaillères distinct, répondant à chaque
vitrine, permette de toujours installer, au besoin , une cloison où
cela sera nécessaire pour marquer les divisions utiles dans 1a
collection.
Üne question très importante est celle de la couleur quil con-
vient de donner au fond des vitrines et des meubles. Sous ce
rapport, toutes les combinaisons imaginables se sont offertes à
nous. Nous avons noté les nuances et les couleurs suivantes : noir ?,
rouge brun ÿ, chamois *, bleu foncé 5, bleu clair ou blanc bleuté’,
blanc?. Notre impression a éié que les pièces molles dans l'alcool,
mais surtout des pièces sèches, doivent être placées sur un fond
clair ou blanc. À Rouen, la couleur bianche est obtenue au moÿen
d’un papier glacé qu'on trouve en rouleau dans le commerce et
qui a l'avantage de ne pas laisser prise à la poussière. Les tablettes
sont recouvertes du même papier, et, pourvu qu'il soit bien collé,
l'effet général est des plus satisfaisants. Le fond blanc ou clair est
indispensable pour les pièces sèches; les pièces molles dans l’al-
cool nous ont paru ressortir presque aussi bien sur fond sombre,
pourvu que l'éclairage soit intense. Le fond sombre est indispen-
sable pour les pièces squelettiques. Parmi les nuances que nous
avons énumérées, le bleu foncé doit être tout d’abord écarté,
comme tendant par contraste simultané à rendre encore plus
jaunes les os, qui sont déjà jaunàtres par eux-mêmes. Le brun rouge
semble en faveur : à Munich il a été adopté depuis plusieurs
années par M. de Siebold pour ia magnifique collection de sque-
lettes des bâtiments de lacadémie, et il vient de l'être dans la
collection de l'institut pathologique récemment consiruit. M. Ei-
! Voy. G. Pouchet, Les collections d'anatomie comparée de Murich, dans les
Actes du muséum de Rouen, t. II, 1868.
? Institut anatomique de Breslau.
* Collection zoologico-zootomique et institut pathologique, à Munich.
Institut anatomique, à Würzburg.
Institut pathologique, à Würzhurg.
Collection de l'hôpital, à Zurich; théâtre anatomique de Giessen.
Institut pathologico-anatomique, à Tubingue.
A
5
6
«
— 105 —
mer cherche à introduire cette nuance dans sa collection de
Tubingue, et M. Hasse se propose de l'adopter à Breslau dans le
nouvel institut anatomique qui doit s'élever bientôt. Cette couleur
paraît être au reste celle qu'indique la théorie, tendant par con-
traste à bleuter les os eux-mêmes un peu jaunes, c'est-à-dire à les
faire paraïître plus blancs.
Dans la collection actuelle ! de Breslau, le noir est employé,
mais on en a tiré mauvais parti. Les vitrines et des sortes de
rayons sont entièrement peints en noir et vernis, ce qui donne à
l'ensemble un aspect fort sombre que le ton clair des pièces
osseuses ne parvient en aucune façon à dissiper. À Rouen, les
vitrines sont extérieurement peintes en blanc, les tablettes sont éga-
lement blanches; seul le fond de la vitrine sur lequel doivent se
détacher les squelettes est peint en noir mat à la colle; les plateaux
sur lesquels sont montées les pièces osseuses sont noirs, vernis
avec grand soin, de manière à ne pas laisser prise à ia poussière;
les étiquettes sont jaunes {nuance de l'acide picrique). Ce noir mat
du fond a sur le brun rouge l'avantage de s’harmoniser mieux avec
la couleur des plateaux; les tablettes blanches, les étiquettes jaunes
corrigent dans une mesure suffisante le sombre aspect des pla-
teaux et du fond; la couleur vive des étiquettes clairsemées n'est
pas sans contribuer peut-être à faire paraître les os plus blancs par
contraste de ton.
Pour les pièces molles, on commence à employer, dans plusieurs
collections allemandes, des bocaux rectangulaires fabriqués par la
maison Warmbrunn et Kwillitz de Berlin. Outre l'avantage d'é-
viter la déformation optique que subissent les pièces dans les bo-
caux cylindriques, ils ont encore celui d'épargner l'alcool, spécia-
lement pour les pièces, toujours nombreuses, disposées sur des
plaques. Une question assez délicate en ce qui touche les pièces
molles contenues dans des bocaux est de savoir s’il convient de
les placer simplement sur des rayons, à la portée directe du
public, comme au collèse des chirurgiens de Londres, comme à
Breslau ?, à Gœttingue $, ou s'il est préférable de les renfermer
dans des vitrines, comme le faisait déjà Albinus“ et comme
? Collection zoologico-zootomique.
? Institut anatomique.
* Collection d'anatomie pathologique de l'hôpital.
# Voy. la gravure en tête de : Suppellex anatomica B. S. Albuni (8°, 1775).
— 104 —
elles le sont encore dans la plupart des collections, en particulier
dans celle de Leyde, où se retrouvent nombre d'anciennes pièces
du cabinet du célèbre anatomiste. En général, il est toujours
fâcheux d'exposer une pièce anatomique sous double verre, ce
qui est forcément le cas pour celles qui sont dans des bocaux :
l'éclairage doit étre excellent. Aussi l'autre système sera-t-il pré-
féré chaque fois que cela est possible; il n’est en tout cas applicable
que là où les travailleurs seuls ont accès. Dans une grande collec-
tion, quand il existe des galeries superposées, corame celles-ci
restent toujours fermées au public, il sera aisé de les réserver
pour ces sortes de préparations, qui pourront dès lors être laissées
sans inconvénient sur de simples tablettes.
Dans une galerie d'anatomie comparée, les meubles sont indis-
pensables. On devra toujours en établir dans les embrasures des
fenêtres, dans le milieu des salles, partout où cela sera possible
sans nuire à la circulation et à l'effet général. Ces meubles seront
à hauteur d'appui. La vitre supérieure ou les deux vitres (pôur
les meubles doubles) devront toujours être inclinées; quand il y
aura deux vitres, elles seront avantageusement séparées par une
tablette assez large pour recevoir soit des objets isolés, soit au
besoin une petite vitrine pour des objets précieux à voir des deux
côtés.
Quant à la partie inférieure de ces meubles, il faut en faire,
si l'éclairage est suffisant, une vitrine pour des pièces massives et
de grande dimension, ou, dans le cas contraire, l’occuper par des
tiroirs. Ces derniers sont toujours indispensables pour une foule
d'objets d'étude : têtes de petits animaux, os séparés, etc., qui,
placés dans les vitrines et dans les meubles, comme nous l'avons
vu dans maintes collections allemandes, n’attirent pas suffisam-
ment l’attention du public ou bien ont un fächeux air de désordre.
Les petites têtes osseuses, les os détachés de petite dimension de-
vront toujours être renfermés dans des tubes de verre bouchés.
1 peut être bon de ne pas laisser certaines pièces exposées aux
yeux du public, soit à cause de leur nature même, soit parce
qu'elles se détériorent sous l’action de la lumière. Dans le pre-
mier cas, les pièces seront dérobées à la vue par un rideau inté-
rieur. Une vitrine ainsi voilée existe à Munich dans la collection de
l'institut anatomique, qui n’est cependant pas publique. Cette
vitrine renferme les cerveaux, conservés dans l'alcool, d’un certain
— 105 —
nombre de personnages académiques, parmi lesquels Tiedmann
et Liebig. Pour les objets qu'il faut simplement préserver de la
lumière, le rideau sera extérieur : cette disposition est adoptée au
Muséum pour la collection des batraciens. De même, les meubles
pourront être recouverts de lames de carton fixes ou mobiles que
le visiteur soulève ou déplace, comme cela existe dans la collection
paléontologique de Zurich et dans la collection minéralogique des
bâtiments de l'académie à Munich.
Étiqueties. — Catalogues. — Dans la plupart des collections que
nous avons visitées, l'étiquetage est défectueux, ou bien, quand il
ne laisse rien à désirer, comme à l'institut pathologique de Breslau,
c'est un étiquetage exclusivement scientifique, en plusieurs lignes
d'écriture courante sur de grandes étiquettes collées aux bocaux.
On remarquera que l'essence même des pièces pathologiques est
d’être individuelles; elles peuvent exiger pour leur détermination
de longs détails. Il n'en est pas de même des pièces purement
anatomiques. Pour celles-ci létiquette, à notre avis, ne doit en
général porter qu'uné brève indication : les longs renseignements
qui peuveut être utiles trouveront mieux leur place au catalogue.
I n’est pas non plus nécessaire que l'étiquette de galerie soit fixée
à l'objet même, du moment que celui-ci porte un numéro de renvoi
‘au catalogue. À Rouen, beaucoup d'étiquettes sont ainsi mobiles,
placées devant l'objet. Ce système a encore l'avantage de signaler
les pièces qui seraient momentanément enlevées. Ces étiquettes
sont jaunes, tantôt verticales et tantôt obliques, selon les cas et
les objets, toujours proportionnées à la grandeur des pièces.
Enfin, elles sont, autant que possible, imprimées. L’étiquette
imprimée, quand le prix n’en est pas trop élevé, sera toujours
préférée, comme plus lisible et plus durable. Il y aurait avantage
à installer au Muséum, comme cela existe à la manufacture de
Sèvres, une imprimerie dont le service serait combiné pour Féta-
blissement tout entier. Un seul homme y suffirait certainement, et
le nombre des types pourrait être fort restreint.
Toute collection doit être cataloguée. Cela va de soi. Un cata-
logue est l'organe fondamental de la collection, dont il constitue
en quelque sorte les archives. À Giessen, M. Eckhart possède
encore le catalogue manuscrit de Sæmmering, dont les numéros
se voient reproduits sur beaucoup de préparations. Ruysch semble
— 106 —
avoir donné le premier l'exemple de publier un catalogue raisonnée
et illustré !, et cet exemple a été plusieurs fois suivi. On peut citer
au siècle dernier les catalogues de Vater?, celui de Daubenton
pour le Cabinet du Roi inséré dans l’œuvre de Buffon , celui de
Sandifort # qu'on trouve encore à Leyde, dans la collection, sur
une table. Plus récemment, les catalogues de Walter ÿ, d'Hodgkinf,
de Barkow?, d'Ehrmann*, la belle série des catalogues de la col-
lection du collège des chirurgiens Ÿ, qui sont aussi laissés à la
disposition du public dans les salles, et enfin, de nos jours, le
catalogue que publie M. Houel pour le musée Dupuytren !. Ce sont
là des exemples qu'il serait bon d’imiter: Nous n'avons rien trouvé
de semblable dans les collections que nous avons visitées en Alle-
magne.
Si ces catalogues imprimés rendent les plus grands services, ils
ne sauraient en tout cas remplacer le catalogue manuscrit, dont
ils ne doivent être que la reproduction ou le développement. Ils
1 F. Ruyschü Thesaurus anotomicus primus cum figuris ænes (4°, Amsterdam,
1701; en latin et en hollandais).
? A. Vateri Museum analomicum proprium in quo omnis generis nitidissima
præparala anatomica mira arte et stupenda industria magnoque labore ab autore ejus
confecta (4°, Helmstadii, 1700).
8 Histoire naturelle générale et particulière , avec la description du Cabinet du Roi,
par M. de Buffon et M. Daubenton (t. IT, et suiv., 1749..... 4 sel ells
* Museum analomicum Academiæ Lugduno-Bataviæ descriptum (fol. Leyde,
vol. I, 1703).
5 J. G. Walter, Museum anatomicum per X et quod excurrit, lustra maximo stu dio
congestum indefessoque labore perfectum (4°, Berolini, 1805).
$ T. Hodgkin, À Catalogue of the preparations in the anathomical museum of
Guys hospital (1 vol. in-8°, 1829).
7 H. L. Barkow, Comparative Morphologie des Menschen und der menschenähn
lichen Thiere. 2° Theil oder das anthropotomisch-zootomisches Museum der kônig-
lichen Universuät zu Breslau.
$ C. H. Ehrmann, Musée anatomique de la faculté de médecine de Strasbourg ou
Catalogue méthodique de son cabinet d'anatomie physiologique , comparée et pathelo-
gique , avec indication des ouvrages, mémoires et observations où se trouve consignée
l'histoire des maladies qui se rapportent aux différentes préparations que renferme
cette collection (8°, Strasbourg, 1837).
* Cataloque of the Hunterian collection in the museum of the R. college of Sur-
geons in London; Descript. and illustrated Catalog. of the physiolog. series of cem-
parative anatomy in the museum of the R. college of Surgeons in London (4°, 1830-
1853).
. ® Houel, Catalogue des pièces du musée Dapuytren , publié sous les auspices de
la faculté de médecine de Paris (8°, vol. I à IV, 1873-1839).
— 107 —
ne sauraient, en effet, se prêter comme celui-ci aux extensions
progressives et aux suppressions nécessaires qu'amène le temps
dans toute collection. Ce catalogue manuscrit est, par excellence,
ie document authentique : il est en même temps l'inventaire de la
collection.
Il y a longtemps, alors que nous étions aide-naturaliste, nous
avions commencé un catalogue de la galerie d'anatomie. Mais le
travail en fut bientôt suspendu par le professeur M. Serres, qui
fit même effacer, par nous ne savons quel scrupule, les numéros
déja placés sur plus de 500 pièces. L'expérience de douze années
écoulées ne nous a point appris qu'il fallüt procéder autrement
que nous n'avions fait alors. Chaque pièce porte un numéro in-
délébile écrit en caractères d’une dimension proportionnée aux
dimensions de l’objet. Quand l'estampage ou le burinage ne sont
pas possibles, la peinture au vermillon ou l'encre de Chine (pour
les très petits objets), recouvertes d’un vernis, présentent une inal-
térabilité suffisante. I n'est pas nécessaire que ces numéros soient
en vue : pour les pièces fixées à un support, ils pourront être 1in-
scrits sur celui-ci; pour les pièces humides, M. Semper a fait à
Wäürzburg divers essais, introduisant dans le bocal les indications
nécessaires gravées sur une lamelle de verre ou écrites à l'encre
de Chine et ensuite recouvertes de paraffine. Cet excès de précau-
‘tion paraît inutile : le numéro inscrit sur le bocal, même sur le
couvercle quand celui-ci est scellé, sera toujours suffisant.
Ces numéros (que l'étiquette pourra reproduire) sont im-
posés successivement à toute pièce faisant partie de la galerie,
sans égard à sa nature ou à sa place. Ils forment une série unique
depuis 1 jusqu’à. .... Pour distinguer ce chiffre de toute autre
indication, on le fera précéder d’un signe ou d’une lettre, À ou
toute autre, quon modifierait au besoin pour une seconde série
de chiffres commencée dans des conditions nouvelles, avec un
professeur nouveau, etc. Ce numéro correspond à un registre auto-
graphe : nous entendons par là qu'il ne sera jamais une copie; il
doit être écrit par celui-là même qui a le soin de la collection ou
par ses représentants immédiats. Sur ce registre seront consignés
l'indication de la nature de la pièce, l'état où elle se trouve
actuellement, tout ce qu’on sait d'elle (quand cela offre quelque
intérêt), son origine, les figures ou les descriptions qu'en ont don-
nées les auteurs, les remarques mêmes que telle ou telle personne
— 108 —
compétente aura faites sur elle, les époques successives où la
pièce aura été modifiée, réparée, enfin réformée. La mention
rigoureuse de la place occupée par la préparation dans la collec-
tion n'est pas nécessaire. L'ordre systématique quelconque que
l’on aura adopté suffit toujours à la faire retrouver.
Public. — Doit-on donner au public le libre accès des collections,
et en particulier d'une collection d'anatomie comparée? Il est
impossible, quand on veut répondre à cette question, de ne pas
tenir compte des usages nationaux. Dans plusieurs petites univer-
sités allemandes, la coutume existait autrefois de laisser, un jour
par an, tout le monde entrer à la bibliothèque : c'était une fête.
Commerçants, paysans, servantes, se précipitaient; chacun pou-
vait prendre et regarder les livres à sa fantaisie. L'usage existe
encore, seulement les visiteurs étrangers n'ont plus que le droit
de désigner à un custode le livre qu'ils veulent regarder, et ils
l'examinent sous sa surveillance. Pour un jour, l'université se dé-
partit de sa majesté et laisse approcher les profanes!. C'est le
régime du privilège, celui qui ouvrait aussi autrefois au public
parisien le Cabinet du Roï et quelques autres collections privées.
Un sentiment tout nouveau, né de la Révolution avec les premiers
musées nationaux, a voulu qu'ils soient largement accessibles au
peuple. C'était affaire d'éducation nationale. On escompta la part
d'influence que pourrait avoir sur les esprits, même le moins cul-
tivés, le contact des œuvres d’art ou des choses de la Nature.
Mais, depuis cette époque, le caractère des collections d'histoire
naturelle en particulier s’est beaucoup modifié. La recherche de
la curiosité a fait place à l'esprit scientifique, et nos galeries mo-
dernes du Muséum n'ont plus rien de commun avec l’ancien Cabi-
net du Roi; l'on peut se poser aujourd'hui la question de savoir
sil y a plus de raisons de laisser pénétrer le public dans nos collec-
tions systématiques modernes que de lui laisser feuilleter un her-
bier ou examiner les livres d’une bibliothèque? Nulle part, aucune
collection d'anatomie patholosique n'est ouverte au public; il en
est de même en Allemagne de beaucoup de collections d'anatomie
comparée. À Munich, les salles réservées aux squelettes (admira-
blement préparés) dans le musée zoologico-zootomique, bien que
! À Gœitingue, 1l y a même un jour public par semaine.
— 109 —
celui-ci appartienne à l'État, restent toujours fermées au public,
dans l'intérêt de la conservation des pièces.
Il n’y a aucun mal, et il y a des avantages à ce qu'une galerie
d'anatomie comparée soit ouverte quelques heures par semaine à
tous; mais elle ne saurait l'être, selon nous, tous les jours sans
les plus graves inconvénients. Il faut bien se garder, en exagérant
l'influence morale que peut avoir sur la masse populaire le spec-
tacle des objets naturels, de tomber dans un système préjudiciable
à la collection elle-même. Il ne faut pas non plus se leurrer en
invoquant certaines habitudes de générosité nationale qui ne sont
en définitive que duperie, puisqu'elles ne sont pas payées de
retour.
En France, à Paris, il est tont à fait suffisant pour l'éducation
populaire qu'une galerie soit publique pendant certaines heures
du dimanche et des jours fériés. On atteindra ainsi le but social
dont chacun se doit préoccuper : de prévenir certaines timidités
prolétaires en engageant à franchir le seuil ceux qui n'osent solli-
citer une carte, frapper à une porte, même pénétrer sous un ves-
tibule. |
Mais s’il est bon de convier par tous les moyens certain public
à la fréquentation des galeries d'histoire naturelle, il ne faut pas
oublier que ce public-là, pendant la semaine, est retenu à l'atelier.
* Les visiteurs des autres jours que le dimanche sont tous des
oisifs, des étrangers, des gens aisés auxquels il serait, selon nous,
d'une démocratie bien entendue d'appliquer le système en usage
dans toutes les expositions nationales et qu'on retrouve d’ailleurs
dans la plupart des collections européennes : au musée de Ken-
sington comme à l'institut zoologique de Leipzig et à la collection
nationale tchèque de Prague, publique deux fois par semaine,
mais où l’on paye le reste du temps un droit assez élevé (1 florin).
À Paris, ce système est appliqué, si nous ne nous trompons, au
Conservatoire des arts et métiers, et nul ne s’en plaint. Il n'y a au-
cune raison de ne point faire de même au Muséum. Il faut bien se
dire que cet impôt percu en semaine frappe exclusivement des
visiteurs qui ont largement les moyens de l'acquitter. Si l’État
accomplit une de ses fonctions en prenant à sa charge le surcroît
d'entretien que nécessite la circulation du public du dimanche, il
n'en est plus du tout de même des frais résultant de la présence
des visiteurs de semaine, étrangers pour la plupart et qui ne sau-
— 110 —
raient se plaindre d'un régime presque partout en vigueur chez
eux!. Le grand inconvénient de l'accès du public dans les galeries
est l’entretien des parquets et la poussière qui en résulte et dont
on ne se préserve jamais tout à fait, bien que les vitrines, avons-
nous dit, doivent fermer hermétiquement. Or, dans une collection
anatomique, la cause principale et presque unique de la dété-
rioration des pièces, surtout des pièces sèches, est l'époussetage : il
est donc naturel de chercher à le rendre aussi rare que possible.
1 doit de plus être fait par le personnel même ou au moins sous
la surveillance du personnei qui à lhabitude de la prépara-
tion et du maniement des pièces anatomiques aussi bien que la
connaissance de leur valeur. Il semblera peut-être singulier d'avoir
à formuler ces principes élémentaires du bon entretien de toute
collection. Cela n'est pourtant pas inutile, et c'est pour avoir
négligé des prescriptions aussi simples que la galerie d'anatomie
comparée du Muséum doit en partie l’état peu satisfaisant où elle
est aujourd hui. |
Une autre cause encore a peut-être contribué pour sa part, si
faible qu'elle soit, à amener cet état facheux. Le but de toute
collection est de conserver, et de préserver de la destruction, des
matériaux d'étude, des pièces rares, des objèts uniques; on les
expose à la vue de la manière la plus favorable, précisément pour
éviter de les déplacer, de les manipuler et de les casser. Pour cela
aussi, on n'en laisse que rarement le libre accès dans les vitrines
et les meubles aux personnes tout à fait compétentes. Or, c'est un
principe, dans toutes les collections d'Allemagne que nous avons
visitées, qu'aucune pièce ne soit distraite de sa place, même pour
les lecons du professeur de qui dépend la collection; ou bien alors
des précautions extraordinaires sont prises pour prévenir les dété-
riorations. Dans le nouvel institut zoologique qu'on élève à Leip-
zig, M. Leuckart fait disposer un ascenseur destiné à remonter et
à descendre sur une table, de la galerie à l’amphithéätre, les
pièces devant servir aux lecons, animaux en peau, bocaux,
la plupart moins fragiles que des préparations anatomiques. On
n'a pas moins cru devoir prendre toute précaution pour les sous-
! H est bien entendu que nous parlons ici d'un droit d'entrée régulièrement
acquitté, sans rien de commun avec les impôts vexatoires perçus dans certaines
collections pour les cannes et parapluies, et aïlleurs sous la forme odieuse de
pourboires.
— Il —
traire aux inconvénients d’un transport à la main fait par des
employés subalternes ignorants de la valeur des choses. On remar-
quera au reste que les préparations montrées à un public placé
sur les bancs d’un amphithéâtre seront toujours beaucoup mieux
vues par lui à leur place dans les galeries. Il suffira toujours de
quelques pièces sommaires pour fixer les points importants d’une
démonstration : encore faudra-t-il qu’elles aient un certain volume,
afin d'être bien vues à distance.
Assez souvent en Allemagne, à côté de la collection proprement
dite, on trouve une collection spéciale pour les besoins de l’ensei-
gnement. C’est ainsi qu'à Munich, près de la belle collection
zoologique dirigée par M. de Sieboldt, existe une autre collection
sommaire qui seule sert au cours de celui-ci. À l'institut anato-
mique de Breslau, une collection particulière est de même réservée
aux lecons et aux études des élèves. Le prosecteur qui en a le soin
est astreint à tenir cette collection en état : il doit refaire lui-
même les préparations à mesure qu'elles se détériorent. Pour l'ana-
tomie comparée, une telle collection n'aura jamais besoin d’être
bien nombreuse, si le professeur dans ses lecons cherche à instruire
quelques « élèves apprentis hommes de science », plutôt qu'à satis-
faire la curiosité d’un auditoire désœuvré. Le véritable étudiant
saura toujours trouver dans la collection les objets importants sur
desquels son attention a été appelée; disons mieux, il les connaîtra
d'avance. C'est plutôt le laboratoire qui doit fournir aux exigences
des leçons, avec les pièces en double ou de peu de valeur qui s'y
trouvent ou les pièces en cours de préparation qui n’ont pas encore
leur place dans la galerie.
Telles sont, Monsieur le Ministre, les considérations principales
sur l’arrangement et la conservation d’une galerie d'anatomie
auxquelles m'a conduit l'étude des collections que j'ai visitées en
Allemagne. Il n’est pas douteux qu'en cherchant à appliquer ces
principes à la galerie d'anatomie comparée du Muséum elle ne
justifie un jour, par son bon état, sa belle ordonnance dans les
locaux plus favorables qu'elle doit occuper, le rang que lui assi-
gnent ses origines et sa richesse. Il ne suffit pas qu’elle soit des
premières : elle peut, elle doit être la première d'Europe, digne du
pays qui a été le berceau de l’anatomie comparée avec Vicq-d’Azyr,
et de l'anatomie générale avec Bichat.
— 112 —
DEUXIÈME PARTIE.
ZURICH.
À Zurich, il existe deux collections anatomiques, bien que la
seconde, fort restreinte, mérite à peine ce nom : l'une dans les bati-
ments de l'hôpital, l’autre au Polytechnicum.
1° COLLECTION DES BÂTIMENTS DE L'HÔPITAL |.
La collection anatomique, assez peu importante, est placée sous
la direction du professeur H. Mever; elle occupe une seule pièce
à l'extrémité des bâtiments de l'hôpital, près de la salle de dissec-
tion. L'anatomie pathologique est reléguée dans une galerie supé-
rieure courant autour de la pièce et à laquelle on accède par
deux escaliers en spirale.
Le plus grand désordre règne dans cette collection, dont quelques
vitrines pleines de bocaux rappellent ce qui existe dans la collection
d'anatomie comparée de Paris. Beaucoup de ées bocaux contien-
nent ou des animaux entiers ou simplement des viscères en vrac.
Un certain nombre de ces bocaux sont directement placés sur des
tables. Le fond des vitrines est bleuté; les tablettes sont de la
même nuance; dans plusieurs vitrines, elles ne sont pas peintes
du tout. Toutes les têtes osseuses, même d'hommes, sont placées
dans des boîtes de carton, de couleur bleutée ou grise.
Un certain nombre de squelettes sont sur des plateaux noirs.
Souvent des pièces détachées dépendant du squelette ou apparte-
nant à un autre individu de la même espèce sont placées sur le
plateau. Un même plateau par exemple porte un squelette de
Caïiman et deux têtes à droite et à gauche, au-dessous du cou.
On remarque : squelette d'Espadon assez intéressant par Île
développement des pièces apophysaires des vertèbres; squelettes
de Morses; Globiceps; tête de Narwal avec sa dent.
En résumé, cette collection n'offre aucun intérêt.
? Anatomie. C'est ainsi que l'établissement est désigné dans le Deutsches aka-
demisches Jahrbuch (Erster Jahrgaug, 1895).
— 1135 —
2° COLLECTION DU POLYTECHNICUM.
Le musée zoologique ! existant dans les bâtiments du Polytech-
nicum possède quelques crânes et quelques squelettes (6 vitrines
en tout), qui paraissent bien entretenus, mais qui sont relégués
dans un couloir. Aucune pièce anatomiquen’est mêlée aux collec-
tions zoologiques.
Nota. — Dans la collection géologique, les meubles contenant
des pièces pouvant être endommagées par le soleil sont recouverts
de cartons mobiles, peints de la couleur des meubles. Ces cartons
sont enlevés à volonté par le public et trouvent leur place natu-
relle sur le carton voisin. Ils portent en avant et en arrière un
bord à angle qui suffit à empêcher qu'ils ne soient jamais de tra-
vers sur le meuble quand le public les a déplacés.
TUBINGUE.
L'université de Tubingue, longtemps fréquentée surtout par les
théologiens , semble en ce moment attirer chaque jour plus d'élèves
en médecine, et elle a par conséquent subi une transformation cor-
respondante. On y a construit récemment un institut physiolo-
gique; un institut spécial est destiné à l'anatomie; l'institut patho-
logique est à peine installé. On peut considérer l'université de
Tubingue comme le type des petites universités prospères de
l'Allemagne. Elle est encore remarquable en ce qu’elle possède, au
nombre de ses sept facultés, une faculté spéciale des sciences natu-
relles (Naturwissenschaftliche Faculiat).
On compte à Tubingue trois collections d'anatomie :
1° Collection d'anatomie pathologique à l'institut patholo-
gique ?; |
2° Collection d'anatomie humaine et monstruosités à l’« Ana-
tomie » ou institut anatomique *;
3° Collection d'anatomie comparée dansles vieux bâtiments de
l'université, récemment réparés, où sont également les collections
! Zoologische Sammlung (Deutsch. akad. Jahrbuckh).
? Patologisch-anatomisches Institut (Deutsch. akad. Jahrbuch).
* Anatomusches Institut (Deutsch. akad. Jahrbuch).
MISS. SCIENT. — VII. à‘
— 114 —
de zoologie réunies au même service ! et la riche collection de
paléontologie.
Ces trois collectionssont entièrementdistinctes et placées, comme
cela arrive souvent, dans des établissements éloignés les uns des
autres.
1° COLLECTION DE L'INSTITUT PATHOLOGIQUE.
L'institut pathologique occupe un bâtiment spécial, qui s'élève
près de l’hôpital dans les jardins de l'université; il a été construit
en 1872 et est actuellement sous la direction du professeur von
Schuppel. À cause de la date récente de sa fondation, cet institut
mérite une attention particulière. Il est décoré intérieurement avec
une certaine élégance. Dans le vestibule s'ouvre une garde-robe pour
les étudiants, qui déposent là leurs effets. Le bâtiment renferme
des cabinets de travail pour le professeur et son assistant. La salle
d’autopsie est au premier étage, avec un système de chariots et
de trucs pour apporter et enlever les cadavres. La collection, dont
l'agencement est tout récent, est très soignée. Le mobilier est des
plus simples, mais le contenu des vitrines est élégamment disposé.
On a cherché partout l’uniformité, qui paraît toujours être, dans
une collection, la condition principale d’un coup d'œil agréable.
Extérieurement, les vitrines sont peintes en bois; intérieurement,
elles sont d'un blanc éclatant. Elles sont toutefois trop hautes et
trop profondes. Beaucoup de pièces molles. Les objets, dans cer-
taines vitrines, sont parfois disposés en deux rangs sur des tablettes
larges alternant avec des tablettes plus étroites qui n'occupent
que la moitié de la profondeur de la vitrine. Cette disposition est
essentiellement mauvaise, et les inconvénients en deviennent
d'autant plus manifestes que la collection s'enrichit davantage.
Il y a des meubles. On peut regarder l'existence de ceux-ci
comme indispensable dans une collection d'anatomie; mais il faut
compter que le dessous de ces meubles demeure à peu près perdu :
on n’y peut mettre que de gros objets, et le mieux sera toujours
de l’occuper par des tiroirs. Un certain nombre d’ossements et de
pièces diverses, tels que calculs biliaires, urinaires, etc..., sont
librement placés dans des boïtes de carton. De celles-ci, les unes
sont quadrilatères et noires, rappelant celies où étaient autrefois dis-
#1 Zoologische Sammlung (Deutsch. akad. Jahrbuch).
— 115 —
posées les petites têtes de mammifères dans la galerie du Muséum ;
les autres sont hexagonales et il y en a de deux dimensions. Ces
boîtes, fort bien construites, sont recouvertes de papier noir glacé
ou bleu très foncé. L'effet, avec les deux couleurs, est le même.
L’agencement de ces boîtes hexagonales est assez plaisant à l'œil,
mais il ne permet pas la disposition en séries, qui est le grand
avantage des boîtes rectangulaires, surtout quand leurs propor- -
tions sont calculées pour se combiner. De petils objets similaires,
disposés dans des tubes, sont parfois réunis dans la même boite.
(Voyez plus loin.) — La nature même de la collection, essentiel-
lement consacrée à la pathologie, me dispense de m'y étendre da-
vantäge.
Salle de microscopie. — Les tables, de la largeur commune, sont
disposées sur deux rangs : le second rang est surélevé au moyen
d'une grande marche occupant la moitié de la salle. La place de
chaque élève mesure un peu plus d'un mètre. Chacun recoit
un microscope (l'institut en possède trente-deux) et un petit maté-
riel de travail fort élémentaire : une serviette changée tous les
quinze jours, des verres, des aiguilles montées, un flacon de gly-
cérine, un autre d'acide acétique. Cette installation se retrouve
à peu près la même dans la plupart des universités.
x
2° COLLECTION DE L'INSTITUT ANATOMIQUE.
On désigne à Tubingue sous le nom d’Anatomie un bâtiment
placé à mi-côte de la hauteur qui domine le quartier où se trouve
l'université. Il est exclusivement consacré à l'étude de l'anatomie
de l’homme et dirigé actuellement par le professeur J.-W. Henke,
auteur d’un traité d'anatomie topographique bien connu. L’Ana-
tomie, bâtie en 1835, est aujourdhui insuflisante, et il est
question de la remplacer par une construction nouvelle qui s’élè-
vera dans le voisinage même de l'ancienne. Comme à l'institut
_ pathologique, on trouve à l’Anatomie des salles de dissection, un
amphithéâätre où les élèves ont, comme partout en Allemagne, un
pupitre devant eux, sur lequel ils prennent leurs notes avec moins
de fatigue que sur leurs genoux. |
L'amphithéätre, muni d’une table tournante, est, comme la plu-
part des amphithéâtres d'anatomie, à gradins étroits et très élevés;
il est éclairé par une immense baie qui donne autant de lumière
8.
— 116 —
que si l’on était à ciel ouvert. Sous ce rapport, cet amphithéätre
est un des mieux partagés que nous connaissions. La collection
est à l'étage supérieur; elle comprend des pièces sèches ou dans
l'alcool qui ne présentent rien de notable. Quelques-unes sont
dans des vases en forme de coupe avec pied, que l’on rencontre
fréquemment en Allemagne et qui nous semblent fort peu pra-
tiques. Il faut signaler parmi les pièces molles une riche collection
de monstres humains eten particulier beaucoup de monstres dou-
bles. L'ordre et la disposition des pièces humides laissent beaucoup
à désirer. L’éclairage de la salle est d’ailleurs peu satisfaisant. Le
fond des vitrines est bleuté. Elles sont trop profondes, et les pièces
y sont par suite souvent disposées sur plusieurs rangs, ce qui
devra toujours être évité : la collection du collège des chirurgiens
de Londres,sous ce rapport, est un modèle. Les pièces sèches sont
placées dans des meubles à fond noir, ce qui est d’un très mau-
vais effet pour ces sortes de préparations.
Beaucoup de pièces osseuses sont dans des boîtes de carton
carrées, dont le fond est rouge sombre, ou noir, ou bleuté, sans
aucune uniformité. |
Parmi les objets dignes d'intérêt : une boîte contenant des mo-
dèles de globules du sang de l'homme et des batraciens grossis cinq
mille fois en diamnètre. À noter encore : une collection de vues sté-
réoscopiques faites sur les pièces corrodées du D’ Danstcher, d'In-
spruck !. Cette collection, placée dans de riches étuis, a été offerte
à l’université de Tubingue quand elle a:fêté, il y a deux ans, son
quatre centième anniversaire. Ces vues stéréoscopiques accompa-
gnent un exemplaire magnifiquement relié de photographies à plus
grande échelle des mêmes pièces : Photographischer Atlas nach Cor-
rosionpraeparaten des Innsbrücker anaitomischen Museums (Inspruck,
1877), que l’auteur a fait précéder de quelques pages de texte où
il expose ses procédés.
._ La place étant tout à fait insuffisante, on a dû hs sur le
palier de l'escalier un certain nombre de grandes pièces molles
dans des auges fermées, comme on en trouve dans presque
toutes les universités pour servir aux démonstrations. Ce sont,
pour la plupart, des coupes macroscopiques du tronc ou des
inembres ayant servi à l'ouvrage du professeur Henke. Ces pièces
! Chez Frédéric Bopp, photographe. Inspruck.
.
— 117 —
baignent entièrement dans l'alcool. Quelques-unes des auges sont
en zinc; mais ce métal a une influence fàcheuse sur la conserva-
lion des pièces, qui s'y recouvrent d’une sorte d’enduit gras. On
doit en fabriquer d’autres !.
L’Anatomie possède, comme l'institut pathologique, une salle
pour les études microscopiques, qui n'offre aucune disposition
notable.
3° COLLECTION D'ANATOMIE COMPAREE.
Cette collection occupe le second étage d’un vieux bâtiment
nouvellement restauré, dont la collection zoologique remplit le
premier étage. Le rez-de-chaussée et deux sous-sols abritent la col-
lection paléontologique. La collection anatomique et la collection
zoologique dépendent du professeur Eimer. La première est à
coup sûr remarquable pour une petite ville comme Tubingue. Le
milieu de la salle, aussi bien que les côtés, sont occupés par des
vitrines. Elles sont moins hautes que celles de l'institut patholo-
gique, et, comme presque toujours, trop profondes. Le fond est
bleuté, mais il semble qu’on tende à substituer à cette couleur, au
moins pour certaines vitrines, le rouge brun employé ailleurs. En
effet , dans la restauration récente des bâtiments , le mur de la salle
a été peint de cette nuance, sur laquelle ressortent admirablement
les squelettes. Le fond de quelques vitrines pleines de bocaux est
également peint de cette couleur brune; mais l’avantage n'est plus
ici le même, et le blanc semble préférable pour les préparations
molles.
Beaucoup de squelettes sont placés sur les vitrines Les grands
squelettes de mammifères sont sur le parquet, sans que rien les
garantisse; mais on n'oubliera pas que la collection (comme cela
1 [Il est psssible qu'en combinant l’emploi du chlorure de zinc et de l'alcool
on obvie complètement à cet inconvénient. C'est au moins ce qui paraît résulter
d'une observation qui nous est personnelle. Le laboratoire d'anatomie comparée
du Muséum se sert de grandes auges où des pièces ainsi traitées par le chlorure
de zinc et l'alcool, ne plongeant pas entièrement dans celui-ci et simplement re-
couvertes de linges, se sont très bien conservées pendant un temps qui a dépassé
parfois dix ans. J'ai retrouvé dans ces auges, en 1879, le Fourmilier dont j'avais
fait l'étude en 1867 et 1868; les chairs étaient restées souples; les matieres à
injection ne s'étaient pas dissoutes, et l'on put encore faire, au bout de ce temps,
avec l'animal, un certain nombre de préparations sèches très convenables qui
figurent dans la galerie du Muséum.
— 118 —
est le cas ordinaire en Allemagne) n'est pas publique, bien qu’on
y laisse entrer ceux qui désirent la voir, le dimanche de 11 heures
à 2 heures et le jeudi de 2 à 4 heures. Les pièces molles sont pla-
cées dans des bocaux cylindriques, sur des tablettes en retrait les
unes des autres; les étiquettes sont fixées sur les bocaux, selon
un usage très général en Allemagne. Les pièces molles sont d'ail-
leurs et de beaucoup les moins nombreuses, avec quelques pièces
sèches, estomacs soufflés, etc... La collection se compose essen-
ticllement de squelettes, en général bien préparés. On remarque :
Éléphant jeune, Balénoptère, Globiceps, Narwal, Crocodile de
grande taille, Chameau , etc...; quelques beaux squelettes de pois-
sons, en particulier : Diodon, Balistes, etc... Les oiseaux sont
placés obliquement et alignés, comme dans les collections de z00-
logie, sur des tablettes en retrait les unes des autres, disposition
à laquelle on devra toujours préférer des vitrines peu profondes.
Les squelettes qui se présentent le moins bien sont ceux de ser-
pents : la plupart sont de petite taille, rectilignes et soutenus en
l'air à une certaine distance du plateau. A cette disposition, on
doit préférer celle qui est adoptée pour ces squelettes au muséum
de Rouen : l'animal, placé directement sur le plateau, est replié
contre lui-même un nombre plus ou moins grand de fois. Tous les
squelettes, ÿY compris ceux qui ne sont point abrités dans les vi-
trines, sont montés sur des plateaux noirs où le nom de l'animal
est peint en blanc, ce qui est d’un assez mauvais effet. Certains
squelettes (Pangolins, embryons, etc.) sont dans l'alcool.
Aucun squelette sec n’est verni. Aucune pièce n’est défendue
par un abri spécial à l'intérieur des vitrines. Il n’existe pas, à
proprement parler, de collections d'os séparés. Des squelettes ré-
duits en pièces sont placés sans ordre dans des boîtes carrées,
bleutées, avec le fond en papier brun rougeûtre, glacé, rappelant
læ nuance du fond des vitrines. |
Pour les têtes désarticuléés des très petits animaux, chaque os
est dans un très petit tube bouché avec soin, et tous ces tubes sont
placés ensemble dans la même boîte de carton. Cette disposition
pour de tels objets paraît excellente et devra être imitée. La salle
de préparation est petite, et un seul homme est attaché aux soins
de la collection.
Collection microscopique. — Du service de l'anatomie comparée
— 119 —
et de la zoologie dépend également une collection microscopique
placée dans le cabinet du professeur. Les préparations. d'ailleurs
peu nombreuses, reposent à plat dans les tiroirs. L'ordre adopté
est l’ordre zoologique. |
Budget. — Le professeur Eimer, pour les achats, l'entretien et le
personnel de sa collection, m'a dit ne disposer que de 800 marks.
Il n’a pas d’assistants et regrette la dispersion des universités alle-
mandes, dont quelques-unes sont dans de véritables villages, tan-
dis qu'à une petite distance se trouvent parfois de grandes villes,
comme Stuttgard, riches en collections eten moyens d’études,
Institut physiologique. — L'institut physiologique forme un bàti-
ment spécial, où le professeur, M. le D' Vierordt, a son logement
Cet institut ne présente rien de particulier. Le bestiaire est isolé
au milieu d’un herbage. 11 se compose d'un petit bâtiment à large
toit avec quatre portes donnant dans quaire réduits. Trois sont
occupés par des lapins; le quatrième sert de magasin à fourrage. Ces
réduits sont bitumés, à parquet incliné. Ils paraissent être rarement
nettoyés. Les animaux, pour se cacher, ont des terriers artificiels,
recouverts de planches qu’on peut lever au moyen d’anneaux.
MUNICH.
J'ai publié, il y a un certain nombre d'années déjà , une étude
sur les collections de Munich !. Ce qui suit est donc en partie le
rappel de mes anciennes observations, en même temps que j'aurai
à indiquer les changements survenus depuis la publication du
travail auquel je fais allusion. |
Munich possède quatre collections d'anatomie, groupées aujour-
d'hui autrement qu’elles ne l'étaient il y a quatorze ans:
1° Collection zoologico-zootomique ? de l'académie, sous la di-
1 Les collections d'anatomie comparée de Murich, dans les Actes du muséum de
Rouen (1864).
? Zoologisch-zootomische Sammlung, faisant partie du General Conservatorium
der wissenschaftlichen Sammlungen des Staates. Dans le Deutsches akademisches
Jahrbuch , cette collection est rangée au nombre des instituts et des collections de
l'État, etc., qui, sans être des attributs immédiats de l’université, servent à l'en-
seilgnement.
— 120 —
rection de M. de Siebold, et distincte de la collection de paléon-
tologie sous la direction de M. Zittel, qui appartient aussi à
l'académie;
2° Collection d'anatomie comparée, autrefois placée à l'institut
physiologique! et actuellement dans les bâtiments de lacadé-
mie ; |
3° Collection de l'institut anatomique ?, formée par M. de Bis-
choff, et aujourd'hui sous la direction de M. Rüdinger.
4° Collection de l'institut pathologique.
1° COLLECTION ZOOLOGICO-ZOOTOMIQUE DE L’ACADÉMIE ÿ.
Cette collection comprend la zoologie et une collection de sque-
letles entièrement distincte. Celle-ci est dans des salles spéciales,
et, pendant que la collection zoologique est ouverte au public,
cette collection squelettologique ne l’est jamais; elle a été déplacée
depuis 1864 : elle occupe aujourd'hui deux salles, mais la pre-
mière attire évidemment tous les soins.
À. Première salle. — Elle comprend les squelettes entiers. Trois
côtés de la salle sont garnis de vitrines. Entre elles et le côté
des fenêtres sont des meubles, de la hauteur d'un homme,
vitrés sur les quatre faces, mais non en dessus, ce qui fait un
mauvais effet. Quelques grands squelettes (ceux d'Éléphant, de
Girafe, de Chameau) sont sur le parquet; mais les squelettes même
de la taille de ceux de Dugong et de Lamantin sont abrités. Les vi-
trines sont peu profondes; un squelette d'Autruche y trouve juste
sa place. « Le fond et les planches *, tout l'intérieur des vitrines en
un mot est peint à la colle d'une couleur brun cramoisi foncé.
Cette nuance nous paraît préférable à la couleur noire employée
au même usage dans les galeries de Vienne* en Autriche et dans
1 Physiologisches Institut und physiologische Sammlung ( Deutsch. akad. Jahrbuch ).
? Anatomische Sammlung in anatomischer Anstalt (Deutsch. akad. Jahrbuch).
3 Zoologisch-cootomische Sammlung. « Gonservator D° von Siebold. I Adjunkt
D° Kriegsbaumer; IT Adjunkt D° Gemminger; I Preparator D' Kuhn; Il Pre-
parator D° Will.» |
# Les parties guillemetées sont extraites presque textuellement de mon étude
de 1864.
5. Voyez Hyrtl, Das vergleichend-anatomische Museum an der Wiener medicinischer
Faculiät (Wien, 1865, page 143, note 1).
— 121 —
d’autres que nous avons visitées. Cette nuance fait ressortir à mer-
veille la blancheur remarquable des squelettes. M. de Siebold a
depuis longtemps rigoureusement banni l'emploi des vernis, qui a
pour effet de jaunir à la longue et aussi de rendre extrêmement
cassants les os délicats des petits vertébrés. Mais ce qui est surtout
intéressant, c’est la perfection de ces squelettes. La plupart sont
dus à la patience d'un préparateur aussi modeste qu’habile,
M. Will, qui n’a pas ruiné le musée en outillage. « J'ai tout fait avec
«ce scalpel, nous disait-il en nous montrant un vieil instrument,
« depuis un squelette de Girafe jusqu'à des squelettes d'Épinoche. »
Tous les squelettes, quand cela a été possible, ont été montés sur
des fils de fer passés dans les os longs des membres, et même dans
un des métatarsiens chez les animaux digitigrades. Les deux ar-
matures antérieures, passant sous les omoplates, vont rejoindre,
vers la deuxième vertèbre dorsale, l’'armature rachidienne. Les
deux armatures des membres postérieurs, chez les quadrupèdes,
chez les oiseaux, passent par la tête du fémur, traversent le fond
des cavités cotyloïdes, et se joignent dans l'excavation du bassin.
Ces fers passés dans les membres suffisent toujours amplement à
soutenir le squelette, quelles qu’en soient les dimensions; nous
n'avons guère vu qu'une Girafe soutenue en outre, dans la région
de la deuxième vertèbre dorsale, sur une tige de fer de la gros-
seur du doigt. Les oiseaux sont montés de même, sans appareil
visible; et nous n'exceptons pas les Échassiers, les Spatules, les
Flamants, les Avocettes. L'armature rachidienne, recourbée en
boucle, est engagée dans le trou occipital et retient la tête, qui
n'est pas autrement attachée. Cet artifice est suffisant pour empé-
cher.tout mouvement. |
« L’attitude de la plupart des squelettes est la station normale
ou physiologique. Il y a toutefois à cette rèsle d'assez nombreuses
exceptions. Nous les regardons comme fâcheuses. Un des premiers
soins dans une collection squelettologique doit être, en effet, de
conserver l'attitude physiologique des animaux. Il ne faut s’écaiter
de cette règle que le moins possible, soit qu'il s'agisse de donner
aux OS une position qui permette de mieux étudier certains dé
tails, soit qu'on veuille ramener le squelette à une espèce d'’atti-
tude théorique. L’altitude théorique d’un poisson pleuronecte, par
exemple , est celle qu'on lui donne en replaçant les névrapophyses
et les hémapophyses dans le plan vertical. Ce sont là de vraies pré-
AE
paralions d'anatomie comparée. En peut-on dire autant de ces
squelettes de chauves-souris étalées comme celles qui sont clouées
sur les portes des campagnes? Sans doute on voit de la sorte un
peu mieux le sternum et d’autres détails, et 11 y aurait même tout
autant de raison de préparer ainsi des oiseaux, ce qu'on ne fait pas :
de telles pièces sont bonnes au même titre que des os détachés,
mais, en principe, les squelettes de cheiroptères devront toujours
être montés dans l'attitude quadrupède, qui est leur attitude nor-
male, sinon habituelle, parce que c'est le seul moyen de montrer
et de faire valoir les analogies anatomiques des bras et des mains
chez ces animaux. C'est ainsi que Blainville les a figurés dans son
Ostéographie et qu’on en voit au reste dans la collection qui nous
occupe. L'Orang-outan, l’homme des bois de la collection du sta-
thouder de Hollande pouvait être pendu par le sinciput droit sur
ses pieds, si mal faits cependant pour appuyer par la plante sur le
sol : Blainville, quand il fit monter des squelettes de singes anthro-
- poïdes les plaça invariablement dans l'attitude quadrupède qui
caractérise leur démarche !.
«Mais ce qui est surtout digne d’admiration dans la collection
ostéologique des bâtiments de l'académie de Munich, c'est la mi-
nutieuse recherche, le rigorisme scientifique qui a présidé à la
confection des squelettes les plus délicats. Aucun os, si petit qu'il
soit, n’a échappé, et tous sont entièrement nettoyés. Nous pouvons
citer comme difficultés vaincues : les dernières vertèbres de la queue
d'un Calotes cristatelus Kull.; les os de l'oreille conservés en place
de l’'Ameiva vulgaris Licht., du Platydactylus quttatus Cuv.; les côtes
d'un Draco volans, ou encoreles membres rudimentaires de toute
une série d’ophidiens, tels que Seps chalcides Bon., Tortrix sçytale
Oppel., Acontias meleagris Cuv., Eryx jacalus Daud... Les os des
membres, chez quelques-uns de ces reptiles, ne sont pas de la gros-
seur de nos plus fines aiguilles, et, à la difficulté de leurs dimen-
sions, ils joignent encore celle d’être perdus au milieu des
chairs. l
«Pour les squelettes très délicats, et en particulier pour les
poissons, voici comment on procède. L'animal est conservé dans
l'alcool tant qu'on n'y travaille pas, mais la préparation est faite
! Toutefois un squelette de gorille pourra toujours très bien figurer à côté d'un
squelette d'homme, étant mohté de même. Un très bon spécimen de ce genre
existe dans la collection de Goettingue. (Voyez plus loin.)
— 193 —
sous l’eau, dans une cuvette de verre placée sur un fond noir.
L'animal est divisé ordinairement en trois morceaux : la tête, le
thorax , la queue. Ces trois parties sont plus tard réunies par de la
gomme et des chevilles de bois. Jamais on n'emploie de métal à
cet usage. Le squelette achevé est soutenu dans l'attitude qu'on
veut lui donuer par deux fils de laiton très fins. Certaines têtes
de poissons sont aussi articulées avec des fils métalliques !. On
remarque parmi les préparations rares ou intéressantes de cette
galerie : squelettes de Chirogaleus olivaceus Lin., Stenops gracils
IL. , Chlamydophorus truncatus [1., Dasypus setosus Lin., Siren lacer-
tina Lin.; un squelette de Pelecus cristatas avec ses innombrables
arêtes replacées après coup (il a été impossible de faire autre-
ment), une Anguilla fluviatilis avec toutes les pièces osseuses des
nageoires dorsale et ventrale, des Gasterosteus aculeatus avec les
plaques de leurs cuirasses conservées en place, un squelette de
Turbot recouvert de sa peau avec les boucles osseuses qui la gar-
nissent, un, Accipenser slurio (jeune) préparé de même et montrant
à la fois le squelette profond et le dermatosquelette, un Ostracion
dont une moitié de la carapace enlevée laisse également voir le
squelette interne en place. Ces squelettes, à peu d’exceptions près,
sont sur des plateaux noirs. Les plus rares, et aussi parfois les plus
délicats, sont sous des cages de verre, toujours proportionnées à
leurs dimensions ?. Les angles de ces cages sont peints en noir,
comme le plateau. Celui-ci est toujours parfaitement verni et poli.
On y place les pièces qui ont dû être détachées du squelette et
qu'il a paru important de conserver, comme l'appareil hyoïdien
des poissons %, des hyoïdes de reptiles, des otolithes de poissons,
les membranes terminales avec les ongles des pattes de lornitho-
rynque, etc. |
« L'ordre zoologique n'est suivi que dans la mesure de ia con-
venance, ce qui n'a aucun inconvénient pour une collection d’ana-
! Le fil d'argent, dans ce cas, doit toujours être préféré.
2 I] nous avait paru que dans l’ancienne galerie, où l'éclairage était meilleur,
les objets souffraient moins de cette addition d’un nouveau verre. En principe,
elle doit toujours être éritée.
5 [1 en est de même dans la collection de Vienne : « Bei allen Skeleten ist das
Zungenbein-Kiemengerüsle aus dem Kopfe herauszgenommen und mit besonde-
rem Schutz aufgestellt, zur genaueren Besichtigung dieses complicirten Appa-
rates, dessen Verbleiben im Kopfe ihn der Uniersuchung vollends entzogen
haben würde.» (Hyrtl, loc. cit., page 143, note 1.)
ou UNE
tomie. Il importe peu, en définitive, que des squelettes soient
rangés dans un ordre biotaxique absolument rigoureux. Il suffit de
les réunir en groupes aussi naturels qu'on le peut faire. Agir
autrement, c’est s'exposer à des pertes de place énormes par la
présence de grands animaux au milieu de petits, mais c'est s’ex-
poser surlout à un autre inconvénient plus grave : celui d'éloigner
du regard les objets les plus précieux, les plus rares ou les mieux
préparés, quand la rigueur de la classification exigera qu'ils soient
placés ou très haut ou très bas. Il nous paraît que, dans une col-
lection bien entendue, on doit toujours avoir soin de mettre en
bonne vue et en grande lumière les pièces les plus délicates, les
plus belles, surtout les plus intéressantes.
« L'étiquetage manque d'uniformité; les étiquettes sont petites,
toutes écriles à la main, et ne portent que le nom zoologique de
Fanimal. »
Nous avons dit que la collection n'était pas publique. L'accès
des vitrines est seulement réservé aux travailleurs et aux hommes
spéciaux. Le même préparateur qui fait les squelettes est seul à les
soigner et à tout entretenir dans une propreté parfaite.
Chose à noter : M. de Siebold lui-même ne se sert jamais pour
ses cours de cette collection. Jamais les pièces ne sortent de leurs
vitrines sous aucun prétexte. Il y a pour l'enseisnement une col-
lection spéciale dont nous parlerons plus bas.
B. Deuxième salle. — Cette salle est beaucoup moins soignée et
semble une sorte de débarras. On y voit cependant au milieu un
beau squelette de Cachalot jeune, encore épiphysé. Les vitrines
occupent trois côtés de la salle; quelques meubles renferment une
collection de têtes osseuses et de squelettes dissociés. Le fond des
vitrines est bleuté; les têtes sont placées la plupart dans des boîtes
de carton également bleutées et d'un aspect en général assez peu
plaisant. Dans les meubles sont des séries de têtes d'oiseaux très
bien préparées et disposées dans de grandes boites.
2° GOLLECTION D’ANATOMIE COMPARÉE l.
Nous avons dit que la collection de l'académie ne servait jamais
! Vergleichend-anatomische Anstalt. « Conservator D° von Siebold.» — Ce ser-
vice parait fort peu fréquenté des élèves. Il y a une salle de dissection avec quel-
ques lables n'offrant rien de particulier.
“
— 125 —
aux leçons. On a transporté pour cet objet à l'académie, où se font
les cours d'histoire naturelle, une collection qui existait précédem-
ment à l'institut physiologique !. Elle est reléguée dans d'anciennes
vitrines, placées elles-mêmes dans une sorte de couloir. Elle se
ressent beaucoup des transporis que subissent les pièces et ne
présente aucun intérêt. Nous y noterons cependant l'existence
de plusieurs embryons de cétacés Phocæna, Narwal, etc. et un très
petit embyon de Balænoptera rostrata avec son œil relativement
énorme. |
as 3° COLLECTION DE L'INSTITUT ANATOMIQUE ©.
Cette collection, commencée par M. de Bischoff, est aujourd'hui
dirigée par M. Rüdinger, longtemps son assistant et actuellement
son successeur désigné. Elle occupe le premier étage de l'institut
anatomique, spécialement destiné à l'enseignement de l'anatomie
humaine *. Cette collection comprenait autrefois l'anatomie patho-
logique, qui a été transportée à l'institut pathologique. Il en sera
parlé plus loin. Dans sa nouvelle distribution comme dans lan-
cienne#, elle occupe trois salles, ayant chacune leur destination
écrite sur la porte. Ces désignations montrent bien l'évolution
même qu'a subie la collection en passant des mains de M. de
Bischoff dans celles de son successeur, attiré vers un autre ordre
de travaux.
RASE Re CNE IQUET:
1" Sazze. — Ostéologie, anatomie topographique.
Cette salle, comme les suivantes, comprend à la fois des vitrines
et des meubles; les vitrines sont peu profondes. Elles sont tapissées
de papier gris-bleu foncé, dont l'effet est beaucoup moins satis-
faisant que la teinte rouge-bran. Au milieu des vitrines, on en
voit une, garnie de rideaux intérieurs, où sont les cerveaux d'un
certain nombre de personnages connus, anciens professeurs, elc.,
et entre autres celui de Tiedemann, celui de Liebig, conservés
dans l'alcool. Ces pièces humides sont le complément d’une col-
lection de cires placée dans ia salle suivante.
! Voyez notre étude de 1864, p. 14.
? Anatomische Ansta!t.
$ On attend la création prochaine d’une chaire d’embryologie et d'histologie,
pour laquelle le gouvernement bavarois demande des fonds aux Chambres.
* Voyez notre étude de 1864.
= 406 —
Dans les autres vitrines, on remarques "
° Une collection considérable de crânes, parmi lesquels trois
hi ge d'anciens Égyptiens:
° Une série de moulages à la cire des sinus maxillaires mon-
trant la différence de volume qu'ils offrent chez l’homme et chez
la femme. Pour obtenir ces pièces, les os sont plongés un temps
suffisant dans la cire chaude, puis corrodés;
3° Des modèles agrandis de l'ostéologie du pied et de la main;
4° Des séries montrant le développement de certains os chez
l'homme, où le même os est répété dix et douze fois avec une
grande régularité de proportions depuis l'apparition (macrosco-
pique) de l'organe jusqu’à la naissance. Ces séries sont élégam-
ment disposées sur des fonds de velours noir. Les parties répondant
à certaines cavités en formation, telles que celles des sinus, sont
peintes, afin d'en laisser mieux suivre le développement. Le velours
uoir à toutefois l'inconvénient de prendre la poussière. Au reste,
ces préparations avaient été spécialement faites pour la photo-
graphie.
Sur les meubles sont des coupes du corps humain pratiquées
au moyen de la congélation. Ces coupes, en long, en travers, etc.,
sont conservées dans l'alcool, soit däns des vases plats et à pied
pour les plus délicates; soit, pour celles du tronc, dans des caisses
élégantes en bois de chêne, avec un couvercle vitré, et munies
à l'intérieur d’un revêtement de métal anglais (Britanniametall).
Celui-ci conserve son poli, sinon tout son brillant. Le couvercle
est retenu par de gros crochets de cuivre qui le pressent et font
une fermeture suffisamment hermétique. Ces caisses sont con-
struites par Riedinger (Mechanikfabrik, Augsbourg). Le prix, qui
varie avec la grandeur de la caisse, est toujours assez élevé. Parmi
les coupes placées dans des vases, on remarque celles qui montrent
les rapports des parties du bassin chez le fœtus et des parties de
l'orbite chez l'adulte. Elles sont généralement fixées sur des plaques
de cire de diverses nuances avec des piquants de hérisson; mais
ces plaques ont toujours le grave inconvénient de se décolorer
plus ou moins. Des cadres verticaux contiennent des coupes micro-
scopiques dans le baume : œsophage et trachée à diverses hauteurs,
troncs de jeunes embryons, etc. M. Rüdinger nous a montré en
outre, dans son laboratoire, d'autres coupes semblabies disposées
pour êlre vues à plat : les préparations sont sur une vitre horizon-
se me nie À © à. PRÉ RS DÉS
LE
— 127 —
tale recouvrant une glace inclinée à 45 degrés. Quand celle-ci est
tournée du côté du jour, les préparalions se trouvent éclairées en
dessous !.
2° SALLE. — Anatomie normale.
Cette salle comprend des pièces sèches, des pièces humides,
des corrosions de M. Rüdinger qui ont figuré à l'Exposition de
1867 à Paris, pièces en somme peu instructives et qui ont le
grave inconvénient de se détériorer par la chaleur. Là sont aussi des
moulages de cellules mastoïdiennes en connexion avec la caisse du
tympan, obtenus, comme ceux des sinus maxillaires, par corrosion.
Sur quelques pièces humides on a tiré un excellent parti « de la
méthode des imbibitions partielles » : pour moutrer un nerf déter-
miné au milieu de toute une pièce disséquée, on le colore en
limbibant de carmin insoluble dans l'alcocl.
Pour les organes mous et creux, tels que le cœur, on a mis à
profit le durcissement par l'acide chromique. L’organe est forte-
ment injecté avec la solution dans laquelle on le plonge (acide
chromique 1 p. o/o). Les vaisseaux sont liés de manière que l’or-
gane reste gonflé, et quand il est fixé, on pratique des coupes qui
montrent tous les détails des cavités; on conserve ensuite la pièce
dans l'alcool.
3° SALLE. — Embryologie et pièces de cire.
Dans les vitrines sont des pièces humides se rapportant à l’em-
bryogénie de l’homme et des mammifères, ainsi qu’une collection
de monstres. Sur les meubles sont des modèles de cire se rappor-
tant à l'anatomie de l’homme et de la femme gravide, au déve-
loppement de l'homme et des animaux, à l'ovulation, à l'anatomie
du fœtus, aux circulations primitives, au développement de l’ovule
dans les végétaux et dans les animaux, à l'anatomie de l’'Am-
phioxus, aux métamorphoses des Échinodermes, etc. Beaucoup de
ces cires sont du D’ Ziegler de Fribourg-en-Brisgau; d’autres sont
du D° Weisker de Leipzig. Toute une série de pièces se rapportant
à l'ovologie du lapin sont uniques.
! Dans le cabinet du professeur, un meuble renferme une très belle collection
de préparations microscopiques uniquement relatives à l'anatomie de l'homme.
Les coupes ont élé généralement faites sur ces pièces traitées par l'acide chro-
mique à 1 p. 0/0, et paraissent plutôt propres à l'étude des rapports des tissus
qu'à celle des éléments mêmes.
— 128 —
On remarque enfin une collection de moules de cerveaux
humains en cire. Cette collection, commencée par M. de Bischoff,
n’a donné, que nous sachions, aucun résultat comparatif digne
d'être signalé, malgré la conviction de l'honorable professeur,
exprimée autrefois devant nous, qu'elle conduira tôt ou tard à
d'importantes vérifications. « Ces modèles proviennent de personnes
dont on a connu les aptitudes et le degré d'intelligence. Le modèle
du cerveau de Tiedemann, beau-père de M. de Bischoff, est là; le
modèle du cerveau du père de M. de Bischoff également, et ceux
de plusieurs professeurs d'université. Ces moulages sont obtenus
par un procédé bon à faire connaïfre : après avoir extrait avec
soin le cerveau, on moule à la cire la cavité cérébrale: sur
l'épreuve ainsi obtenue on sculpte à l'ébauchoir les circonvolu-
tions d'après le cerveau lui-même. Ce procédé évite les défor-
mations qui se font toujours dans l'encéphale extrait du crâne.
C'est la seule manière qui ait paru à M. de Bischoff vraiment
satisfaisante; il est certain que l'on arrive ainsi à constater des
différences considérables entre des cerveaux qu'on aurait pu
croire identiques. On fait de même pour les animaux, pour les
grands singes en particulier. Quand M. de Bischoff n'a pas eu le
cerveau, il a sculpté les circonvolutions d’après les dessins inédits
de Tiedemann ou les figures de Gratiolet et d’autres. »
L'étiquetage dans les trois salles laisse beaucoup à désirer. Ce
sont parfois de très petites étiquettes en écriture cursive sur papier
brunûtre.
° COLLECTION DE L’INSTITUT PATHOLOGIQUE.
Cette collection occupe l'étage supérieur de l'institut patholo-
gique, dont le directeur est le D' L. von Buhl. Les salles sont
vastes, sans vitrines du côté des fenêtres, munies de meubles dans
le milieu. Les vitrines sont de couleur vieux bois; les montures
sont en saillie, ce qui donne une certaine élégance à l’ensemble
mais perd beaucoup de place et attire trop le regard aux
dépens du contenu des vitrines. Celles-ci, trop élevées, ne
descendent pas jusqu'au sol : à 75 centimètres du parquet environ
une tablette de 4o à 50 centimètres court tout autour de la salle
devant les vitrines. Leur intérieur et celui des meubles est peint
en rouge brun. Cette dernière nuance ne m'a pas paru trop nuire
aux pièces molles, qui sont là mieux peut-être que sur fond clair.
189 —
Les vitrines sont peu profondes, comme il convient, et certains
meubles ont une forme qui paraît avantageuse. Les deux vitres,
inclinées de chaque côté, sont séparées à la partie supérieure par
une tablette sur laquelle on dépose des objets qui ne demandent
point à être abrités. |
Belle collection de monstres humains.
Laboratoire d’histologie. — L'institut possède un laboratoire d’his-
tologie, dirigé également par M. le professeur von Buhl. Les tables
sont disposées sur trois gradins. Elles sont relativement étroites.
Sur chaque table, un système permet de faire rouler un chariot
portant un microscope, rappelant ce que Quecket avait installé,
croyons-nous, le premier, dans son amphithéâtre du sous-sol du
collège des chirugiens de Londres.
On donne à chaque élève du linge, qui est renouvelé, et un
microscope pour deux. Vingt-cinq élèves peuvent facilement tra-
vailler dans ce laboratoire. En avant des tables existe une petite
rigole où coule constamment de l'eau. Les élèves y placent leurs
bandes de verre et leurs verres minces, qui se trouvent ainsi net-
toyés. N'ayant visité ce laboratoire que pendant les vacances, je ne
saurais dire si ce système est vraiment pratique.
Dans la salle se trouve une collection d'étude, composée de
. fragments de tumeurs, etc. fixés ou durcis par les procédés ordi-
naires et conservés dans l'alcool. | j
+
WÜRZBURG.
Wäürzburg est un exemple frappant des accroissements con-
siants que les établissements scientifiques d'Allemagne n’ont cessé
d'offrir dans ces vingt dernières années. Lorsque je suivais les
cours de cette université, un seul institut abritait à la fois l’ana-
tomie, l’histologie, la physiologie, l'anatomie pathologique. Aujour-
d'hui à côté du vieil établissement se dresse un bâtiment plus
vaste et spécialement destiné à la pathologie, l'institut pathologique.
L'année prochaine, on va commencer les travaux d'un nouvel
institut pour l'anatomie et la physiologie, à leur tour trop à l’étroit
dans le local qu’elles partageaient autrefois avec la pathologie.
Enfin l'emplacement est déjà désigné pour un institut zoologique
et zootomique, aujourd'hui relégué dans les bâtiments de l’uni-
MISS. SCIENT. — VII. 9
— 130 —
versité, à l'autre extrémité de la ville, et qui viendra ainsi se
joindre à tous ces établissements spéciaux (on achève en ce mo-
ment même un institut physique nouveau) qui s'élèvent, d'une
facon si commode pour l'étude, les uns près des autres derrière
le grand hôpital Julius. | |
Trois collections ont dù fixer notre attention à Würzburg : 1° la
première, sous la direction du professeur E. Rindfleisch, pour
l'anatomie pathologique, à l'institut pathologique; 2° la seconde
consacrée à l'anatomie normale et à l'anatomie comparée, sous
la direction du professeur Kôlliker, à l'institut anatomique; 3° la
troisième à l'institut zoologico-zootomique, dans les bätiments de
l'université.
1° COLLECTION D’ANATOMIE PATHOLOGIQUE |.
Collection très riche, surtout composée de pièces molles.
La plupart des bocaux ne sont pas fermés hermétiquement. Le
fond des vitrines est bleuté dans une salle, et de couleur bleu
foncé dans l'autre. Cette nuance n’a aucun avantage sur le bleuté
simple et semble même un contresens, faisant paraître par con-
traste les os plus jaunes. Le centre des deux salles est occupé par
de longues vitrines doubles, sans cloison, sur les tablettes des-
quelles sont disposées des préparations molles. Cet agencement,
même pour des préparations généralement faites pour être vues
d’un seul côté, n'est pas désagréable à l'œil. Dans certains cas
même, ces sortes de vitrines doubles, sans cloison, peu profondes,
peuvent être d'une grande ressource pour une collection.
Le laboratoire annexé à la collection possède : 1° un appareïl
à macération; 2° un appareil à dégraissement.
L'appareil à macération consiste en une caisse à fermeture hydrau-
lique dans laquelle un courant d'eau chaude est entretenu. Celle-ci
ge Tr e-
s'échauffe en passant dans un serpentin disposé dans un récipient
au-dessous duquel brüle un bec de gaz. L'eau entre par le bas
dans la cuve où macère la pièce, et s'échappe par le haut, de ma-
nière à entrainer les graisses.
1 Pathologisches Institut (Deutsch. akad. Jahrbuch).
— 151 —
L'appareil a dégraisser ne fonctionnait pas. Il se compose d'un
grand récipient à fermeture hydraulique et à soupape. L'agent
employé est la vapeur de benzine.
Laboratoire d'histologie. — Le laboratoire d'histologie de l'in-
stitut pathologique est, comme celui de l'institut pathologique à
Munich, surtout un laboratoire d'enseignement pour la pratique
microscopique. Il n’est ouvert au reste que pendant une durée de
deux heures, à certains jours. Il occupe une grande salle largement
éclairée par des fenêtres de deux côtés !. Les tables sont pour
deux élèves. Il y en a quarante-deux. Les sièges sont de très bonnes
chaises. Chaque élève a son microscope et un linge; et il y a sur
chaque table (pour deux élèves par conséquent) une petite boite en
cartonnage avec quelques réactifs, glycérine, acide acétique, etc.
Devant les tables, au milieu de la salle, se trouve la chaire du
professeur, et sur une des murailles latérales un immense tableau
blanc pour des projections.
2° COLLECTION DE L'INSTITUT ANATOMIQUE 2
Cette collection n'offre rien de remarquable. Elle comprend
deux salles, une pour l'anatomie humaine, l’autre pour l'anatomie
comparée. Les vitrines sont peintes intérieurement de couleur
chamois, ce qui n'est d'aucun avantage. Beaucoup de pièces
sèches sont montées sur des planchettes noires, ce qui est égale-
ment une combinaison peu favorable. Dans la première salle se
trouve une caisse à conserver les préparations, à peu près aussi
grande que celles du laboratoire d'anatomie comparée du Mu-
séum, doublée entièrement de cuivre étamé et à fermeture hydrau-
lique. Pour celle-ci, on emploie la glycérine ou du moins l’eau gly-
cérinée.
La deuxième salle est garnie de meubles très hauts, mesurant
environ 1,40. Des meubles semblables existent également dans la
collection pathologique; ils ne me paraissent présenter aucun avan-
tage particulier. Dans les vitrines, un certain nombre de bocaux ou
! Parmi les laboratoires d’histologie que j'ai visités, je n’en ai vu aucun com-
plètement vitré sur la devanture comme ceux de Paris, au Collège de France et
au Muséum.
? Anatomische Anstalt und Institut für vergleichende Anatomie , Histologie und
Embryologte (Deutsch. akad. Jahrb.).
— 132 —
plutôt de bouteilles contenant des animaux inférieurs sont rangés
zoologiquement avec les étiquettes portées sur des pieds. Toutefois
cette salle est surtout consacrée à la squelettologie. Des squelettes,
même de dimension moyenne, comme ceux de chiens, sont sur le
parquet sans aucune défense. À Ia vérité, la salle n’est pas publique.
Je remarque dans les vitrines un squelette de Roussette en position
quadrupède. Enfin des os séparés sont placés dans des boîtes sans
uniformité, quelques-unes de couleur vert de Scheele et d’un très
mauvais effet.
Le laboratoire d'histologie dépendant de l'institut anatomique
n'offre rien de particulier. Le régime est à peu près le même que
dans les autres laboratoires que nous avons déjà signalés, et qui
sont avant tout des laboratoires d'enseignement. Les élèves tra-
vaillent sur de petites tables qui paraissent même manquer de la
stabilité nécessaire. On leur fournit des ee
Le laboratoire d'anatomie et d’histologie n’a LE de bestiaire. Les
animaux utiles aux études de développement qu'on y poursuit en
ce moment même sont placés dans de mauvaises cages empilées
les unes au-dessus des autres, derrière le bàtiment.
L'institut anatomique comprend aussi le service de la physio-
logie (professeur M. À. Frick), dont l'installation intérieure est
sans intérêt. Nous n'en dirions rien, si lon ne venait précisé-
ment d'élever pour ce laboratoire un besliaire nouveau qui peut
être considéré comme un modèle parmi tous ceux que nous
avons visités. Il est séparé du laboratoire par un herbage et destiné
à remplacer le chenïil actuel, sorte de hangar où les chiens sont
enfermés dans de vieilles cages. Il n’est pas encore complètement
occupé. C'est une maison à un étage. Les salles sont partout
dallées et inclinées pour faciliter l'écoulement des urines. Les
fenêtres sont munies d'un grillage pour empêcher les oiseaux, tels
que pigeons, etc., de s'échapper. Au rez-de-chaussée, deux salles
sont destinées aux chiens, qui continueront toutefois probablement
d’être maintenus en cage. L’étage est destiné aux lapins et com-
prend également deux pièces : dans la première, on laisse sécher
le fourrage; la seconde est divisée en deux parcs. D'un côté sont
les mâles; de l’autre les femelles, un seul mâle et les jeunes. Les
animaux, tous d’une espèce rousse et de grande taille, paraissent
se trouver très bien. Une barrière à claire-voie et percée seulement
de -deux chattières isole le râtelier. Contre la muraille sont dis-
— 1353 —
posées des cabanes indépendantes s'ouvrant chacune par une chat-
tière , et dont le couvercle mobile peut être soulevé pour surveiller
ce qui s'y passe, l’âge des portées, etc.
Au milieu de l’herbage qui sépare le laboratoire du nouveau
bestiaire se trouve un bassin de 5 à 6 mètres où l’on garde les
grenouilles. Il est entouré, à 50 centimètres environ de ses bords,
d’une cloison de zinc haute de 80 centimètres à peu près et que les
animaux ne peuvent franchir. Ils se nourrissent et se reproduisent -
dans ce bassin, où on les pêche pour les besoins du laboratoire et
où ils nous ont paru atteindre une fort belle taille.
3° INSTITUT ZOOLOGICO-ZOOTOMIQUE.
À Würzburg comme à Tubingue, le service de la zoologie et de
l'anatomie comparée est concentré dans les mains du même pro-
fesseur. L'institut zoologique et zootomique est placé au deuxième
étage des anciens bâtiments de l’université. I est dirigé par M. le
professeur Semper, aidé d'un assistant et d’un préparateur. L’as-
sistant reçoit 870 marks, le préparateur 1,300, auxquels s'a-
joutent quelques petits bénéfices. On remarquera que le prépa-
teur est plus payé que l'assistant, qui est toujours un homme de
passage, appelé tôt ou tard à devenir professeur quelque part.
Pour les frais de la collection et des recherches (entretien, achat
de bocaux, esprit-de-vin, animaux vivants et leur nourriture, etc.),
le budget de l'institut est de 1,000 marks.
La collection n'offre rien de remarquable; elle est très peu riche,
installée dans des locaux très défectueux. Les animaux en peau
sont séparés des pièces anatomiques proprement dites, squelettes
ou pièces molles. Un certain nombre de squelettes sont faits avec
une grande perfection. Ils sont préparés au moyen de la solution
chaude de potasse, même des squelettes de poissons. Le point
important est de donner à la solution le degré de concentration
convenable, ce qui se reconnaît simplement au doigt, quand elle
devient légèrement onctueuse. Le temps qu’on la laisse agir dif-
fère selon la grosseur des animaux. En tout cas, les ligaments ne
doivent pas être atteints.
Pour les pièces humides, M. Semper parait s’applaudir beau-
coup de l'emploi de bocaux de forme rectangulaire. (Voy. ci-dessus,
p. 103.) La surface où s'applique le couvercle doit être dépolie,
et, pour le bouchage, la paralline est très supérieure au mastic.
— 154 —
Les laboratoires de l'institut sont insuffisants ou plutôt n'existent
pas. C'est dans la galerie, qui n’est d’ailleurs jamais ouverte au
public, que le professeur poursuit en ce moment même des
expériences sur l'influence de la lumière.
Au lieu de verres de montre, M. Semper se sert, pour mettre
les coupes microscopiques qui doivent être observées dans un
ordre déterminé, de plateaux de porcelaine avec quarante cupules,
qui sont fabriqués ou au moins monopolisés par le professeur
Graaf à Aschaffenburg.
Je dois encore signaler ici un mode de préparation très intéres-
sant qu’a bien voulu me communiquer M. Semper en me montrant
des objets que j'ai dû prendre d'abord pour des moules admirables
obtenus avec une pâte blanche non cassante; il m'a fait voir ainsi
des anodontes où l’on distinguait les plus petits détails des bran-
chies. Pour obtenir ces pièces, voici comment on procède. L'animal
vivant est placé dans une solution très faible d'acide chromique,
à laquelle on ajoute quelques gouttes d'acide acétique. Cette solu-
tion est, pour ainsi dire, seulement destinée à tuer l'animal; les
petits animaux, les mollusques, y sont laissés deux heures; de
plus gros, huit heures. L'animal est ensuite. porté dans lalcool
faible, pour être durci. On remplace cet alcool par de l'alcool de
plus en plus fort; le but est une déshydratation complète, et, pour
l'atteindre, il faut arriver jusqu'à l'alcool absolu. De là la pièce est
portée dans l'essence de térébenthine, où on la maintient encore
quelque temps. On n’a plus alors qu’à la laisser sécher. On obtient
l'animal même, dont les organes n’ont été en rien déformés, et qui
est constitué par une pâte souple. Les plus petits détails, tels que
les nerfs d'un escargot disséqué, sont conservés avec leur volume,
et l’état. des parties intérieures est tel, que les coupes microsco-
piques donnent la notion exacte de leurs rapports.
L'institut zoologique et zootomique n'a aucun bestiaire spé-
cial. Les animaux vivants, nombreux, qui servent aux études de
M. Semper et de son assistant, sont dispersés où l’on peut. Une
portion d'appartement est convertie en grandes cages pour des
perruches ondulées qui ne cessent de pondre et de couver toute
l’année. Dans les caves sont les aquariums, placés au-dessus d’une
sorte de long évier : de cette façon, les pertes par les joints des.
appareils sont sans importance. L'eau est de l’eau de rivière
filtrée. Les anodontes y vivent très bien, et une série de ces ani-
— 135 —
maux, rangés à l'étroit dans un plat creux sous un courant d’eau
vive, se reproduisent et ont permis de suivre tout leur dévelop-
pement.
L'institut zoologique et zootomique publie un recueil scienti-
fique spécial dans lequel ont paru d'importants travaux.
GIESSEN.
Trois collections distinctes existent à Giessen :
1° Üne collection d'anatomie humaine, sous la direction de
M. C. Eckhart;
-2° Une collection d'anatomie comparée, sous la direction de
M. Scheffer ;
3° Une collection d'anatomie pathologique.
Ces collections sont toutes trois dans le même bâtiment !. Les
deux premières occupent l'étage; la troisième se trouve au rez-de-
chaussée, avec l'amphithéätre.
1° COLLECTION D'ANATOMIE HUMAINE.
M. le professeur Eckhart a bien voulu me faire les honneurs de
sa collection, qui m'avait été signalée comme un modèle et qui
se recommande, en effet, par son ordre admirable. Elle occupe
une grande salle au milieu de laquelle s'étend un long meuble.
Les vitrines appliquées contre le mur sont peu élevées. Toutes les
préparations, sèches ou humides, sont rangées et convenablement
espacées (comme au musée des chirurgiens de Londres); c'est une
grande condition de bonne apparence. Le dessous des meubles
est occupé par des tiroirs, où sont placées les préparations micro-
scopiques. Le fond des vitrines et des meubles est bleuté.
Parmi les pièces les plus intéressantes, on remarque une nom-
breuse collection de crânes, des injections lymphatiques, et enfin
une série de préparations microscopiques dans le baume venant
de la collection de Sæœmmering, à Francfort, collection qui a été
achetée tout entière par l’université de Giessen. Beaucoup de ces
anciennes pièces sont enfermées dans des cages de verre hermé-
tiquement scellées. Je remarque des injections d'épididyme et de
testicule au mercure, plongées ensuite dans le baume de Canada,
1 Anatomisches Theater (Deutsch. akad. Jahrb.).
—. 136 —
où elles se sont merveilleusement conservées. Nous avons dit que
le catalogue manuscrit de Sæœmmering existait entre les mains de
M. Eckhart : les numéros se rapportant à à ce catalogue sont encore
sur chaque pièce.
2° COLLECTION D'ANATOMIE COMPARÉE.
Cette collection dépend du même service que la collection z00-
logique, mais elle en est entièrement distincte et placée dans une
salle spéciale. Elle est relativement riche. La disposition de la salle
est la même que pour l'anatomie humaine, mais l'ordre est beau-
coup moins satisfaisant. Le milieu de la pièce est occupé par de
grands squelettes pressés les uns contre les autres. On a dü en
mettre également sur les vitrines. Une partie des pièces provient
aussi de la collection de Sæœmmering; d’autres pièces sont dues à
Frorip et un certain nombre aussi à Bischoff.
On remarque une tête de Narwal dont le seconde incisive n'est
pas complètement avortée et fait une saillie de 20 centimètres en-
viron. Elle ne paraît pas tordue, et son diamèire augmente subi-
tement dans l'alvéole, où par suite elle demeure retenue, pen
qu’elle soit rectiligne et mobile.
3° COLLECTION D’ANATOMIE PATHOLOGIQUE.
Cette collection ne présente rien de particulier.
FRANCFORT-SUR-LE-MEIN.
Francfort-sur-le-Mein, qui n'est pas ville d'université, possède
deux collections d'anatomie, d'ailleurs peu intéressantes. La pre-
mière fait partie du riche musée zoologique que possède dans
cette ville une société particulière ; la seconde est annexée à l'hô-
pital.
1° COLLECTION DU MUSÉE ZOOLOGIQUE.
La collection zoologique de Francfort est fort riche en sque-
leltes. Ces derniers, même les plus grands, tels que les squelettes
de Girafe et de jeune Éléphant, sont abrités dans des vitrines.
La seule pièce qui n’y soit pas renfermée est une tête de jeune
Baleine franche. Les vitrines sont doubles, sans cloison médiane,
— 157 —
perpendiculaires aux fenêtres de la salle. Ces sortes de vitrines, où
l'on peut placer sans inconvénient des pièces humides, comme
nous l'avons vu à Würzburg, sont du plus mauvais effet quand
elles abritent des squelettes dont les os se mêlent dans le champ
de la vue. Les squelettes sont de toutes les pièces celles qui sup-
portent le moins la superposition. Le fond des vitrines est bleu,
les plateaux gris ardoise ou noirs.
2° COLLECTION DE L'HÔPITAL.
Cette collection, consacrée à l'anatomie normale, occupe, avee
l'amphithéâtre et la salle de dissection, un petit bâtiment du siècle
dernier, qui s'élève dans le jardin botanique. Une inscription placée
sur la porte relate qu'il a été consacré à l'anatomie par la libéra-
lité de Senkenberg!. L’amphithéâtre est circulaire, à gradins se
surplombant considérablement. Dans l’amphithéâtre même, selon
l'ancien usage ?, et dans des salles annexes sont des vitrines con-
tenant une, collection d'anatomie humaine qui laisse beaucoup à
désirer. On voit dans un coin un médaillon encadré avec cette
inscription :
Pietro Campero
Praeceplori ac Fautori summo
Pietas Sam. Thom. Soemmering.
MDCCLXXIX.
GOETTINGUE,
ingu ssè ux ections d'anatomie : 1° l’une con-
Goettingue possède deux collections d
sacrée à l'anatomie humaine, dans le Theatrum anatomicum ;
2° l’autre à l'anatomie pathologique, dans les sous-sols de l'hôpital.
1° COLLECTION DU THEATRUM ANATOMICUM.
Ce nom est celui d’un petit édifice avec un portique grec et
surmonté d'une coupole, sous laquelle est l’amphithéâtre, circu-
laire, selon l’ancienne mode. Autour de l’'amphithéâtre sont des
salles contenant la collection d'anatomie humaine, sous la direc:
tion du professeur Hesse (assistant D' von Braun).
1 Nous ne trouvons pas ce nom dans Îles biographies.
? L’amphithéâtre de Leyde au xvn° siècle était ainsi
— 138 —
Le fond des vitrines est peint en bleu foncé, nuance que nous
avons déjà rencontrée et qui n’a aucun avantage. On y remarque
une belle collection de préparations de Stilling dans des vases de
verre rectangulaires, moins hauts que larges. Une autre collection
intéressante est celle de Blumenbach, composée de crànes et de
squelettes. On l'a enrichie récemment d’un fort beau squelette de
gorille adulte, monté dans la station verticale.
Les crânes (parmi lesquels un moulage de celui de Paracelse,
remarquablement brachycéphale) sont placés dans des boîtes
noires d'un effet assez peu plaisant.
Dans la même salle se trouvent également des momies rappor-
tées par le docteur Tschüdi. Signalons enfin une collection de
monstres humains et autres.
2° COLLECTION D'ANATOMIE PATHOLOGIQUE.
Cette collection, sous la direction du professeur J. Orth, occupe
deux salles fort mal éclairées, dans un sous-sol de lhôpital. Les
pièces molles sont bien rangées et bien étiquetées sur des tablettes
peintes en blanc.
Collection de monstres humains.
En somme, la collection est peu riche.
LEIPZIG.
Leipzig est aujourd’hui un des grands centres universitaires de
l'Allemagne pour l'étude des sciences naturelles et de la médecine.
Les noms de Ludwig, His, Leuckart et Cohnheim personnifient
quatre branches des sciences biologiques vers lesquelles notre atten-
tion devaii se porter : la physiologie, l'anatomie humaine, l’ana-
tomie pathologique, et la zoologie et zootomie. Les trois premières
de ces sciences ont des instituts magnifiques; et un institut encore
plus beau et plus grand, actuellement terminé, va recevoir au
printemps prochain le service de la zoologie et zootomie. Tous ces
instituts sont dans le voisinage les uns des autres, avec un institut
physique, un institut chimique, un institut pour les sourds-muets
(ce dernier en cours de construction également), et enfin l’hôpital.
De sorte que les étudiants ne perdent point, à se déplacer, un
temps qu'ils peuvent mieux employer.
- Comme à Munich, comme à Würzburg, ces instituts sont tou-
— 139 —
jours d'autant mieux installés qu'ils sont plus récents. L'institut
anatomique, bâti depuis cinq ans, est plus beau que l'institut phy-
siologique, plus ancien, et sera dépassé par le luxe de l'institut zao-
logique qui s'élève actuellement. Dans un certain nombre de ces
instituts, les professeurs sont logés (institut physiologique et zo0-
logique) ; dans d’autres, les assistants seulement ont un logement
de garcon. Cette combinaison est assez pratique, en ce sens qu'elle
entraine le renouvellement forcé de ces assistants 1.
1° INSTITUT PHYSIOLOGIQUE ?.
Cet institut, célèbre par la direction que lui a imprimée
M. Ludwig, ne pouvait m'intéresser qu'au point de vue de cer-
taines dispositions spéciales. On yÿ remarque, comme dans les
autres instituts de Leipzig, une grande tendance, non pas à isoler
les travailleurs, mais à les grouper dans des appartements spé-
_ciaux. Déjà j'avais été frappé, à l'institut physiologique de Munich,
du grand nombre de petits appartements consacrés en quelque
sorte à chaque genre de recherches.
Le professeur, avons-nous dit, est logé dans l'institut, il en oc-
cupe le premier étage; dans le sous-sol, une machine à gaz du
système Rôsike de la force de quatre chevaux dessert le laboratoire
et peut, en outre, actionner une essoreuse; un mécanicien, qui à
son atelier près de la machine, la conduit et travaille au mon-
tage des appareils; le rez-de-chaussée, très vasle, est occupé
par une série de salles, servant : l’une aux expériences sur les
gaz, une autre aux recherches d'électricité, d’autres aux vivi-
sections. Dans une des salles sont des kymographions de divers
modèles. Une saile est spécialement destinée aux injections : l'ap-
pareil est une cuve plate en forme de table roulante, un bec de
yaz placé sous la table entretient l’eau de la cuve à la lempérature
nécessaire, un grillage placé au-dessus de l’eau permet de tenir
les animaux chauds pendant l'injection et laisse couler les ma-
tières injectées. Trois auges placées latéralement chauffent au
bain-marie (au moyen d'un bec de gaz placé au-dessous) les fla-
cons contenant les masses. Quant à la pression, elle est réglée
; Quelque chose d'analogue existe à Paris pour le médecin de Sainte-Barbe
logé par l'établissement et dont cette simple condition entraine la fréquente
mutation.
? Phystologisches Institut (Deutsch. akad. Jahrbuch).
— 1410 —
par différence d'écoulement dans un vase fermé et muni d'un ma-
nomètre à mercure qui permet toujours de mesurer cette pression
à chaque instant; il y a trois de ces vases, afin de pouvoir prati-
quer trois injections simultanées. Ces appareils sont fabriqués par
le professeur Hirtzel, à Plagewitz (aux environs de Leipzig). L'in-
slitut possède également une salle spéciale consacrée aux recherches
microscopiques, avec une collection de préparations.
Il y a aussi un laboratoire de chimie, et enfin une petite
bibliothèque. Naturellement une salle spéciale est réservée aux
balances; chaque balance, outre sa cage de verre, est encore
abritée par une cloche de carton exactement suspendue à un
contrepoids et qu'on soulève quand on doit faire une pesée.
L'amphithéâtre est spécialement disposé pour l’enseignement
de la physiologie. Les animaux en expérience y sont apportés sur
une table roulante recouverte d’une glace sur fond jaunûtre.
Bestiaire. — Dans plusieurs pièces du sous-sol du laboratoire
sont des cages, d’un modèle identique, pour les chiens. Le fond est
formé de planches qu'on peut retirer isolément afin de les laver.
Ces cages sont élevées de 50 centimètres environ au-dessus du sol
pour permettre le nettoyage du parquet bitumé au-dessous des ani-
maux. Dans une pièce spéciale est un fourneau pour préparer leur
nourriture. Une autre pièce présente une série de petites auges
longues de 60 centimètres environ, larges de 30 et grillées en
dessus, pour mettre les grenouilles pendant l’hiver. Comme elles
se nuisent en s'empilant les unes sur les autres, on n'en met que
cinquante dans chaque bassin, avec 8 à 10 centimètres d'eau.
Celle-ci est renouvelée tous les jours pendant l’hiver.
Le laboratoire possède un jardin dans lequel est une volière,
puis une grande cage en forme de volière abritant un bassin pour
les grenouilles en été. Enfin, près de là est une écurie pouvant
recevoir deux chevaux, avec une salle munie d'une grande table
roulante et des trucs nécessaires pour immobiliser ces animaux et
pratiquer sur eux des opérations. — Une pièce voisine est consa-
crée aux lapins. Ceux-ci s’abritent dans des boîtes munies d'une
chattière et d’un couvercle qui se lève. Ces boïtes sont beaucoup
plus petites qu’à l'institut physiologique de Würzburg. D'ailleurs
on ne trouve pas pratique, à l'institut de Leipzig, d'élever ou de
nourrir des lapins, et on les achète selon les besoins.
— ll —
2° INSTITUT PATHOLOGIQUE |.
Cet institut, sous la direction de M. le professeur Cohnheim,
est plus considérable, à tout prendre, que l'institut physiologique.
L’assistant, le docteur Weigert, y est seul logé. Je n’ai visité que
les salles du premier étage. M. Cohnheim m'a informé que sa
galerie placée au second étage était toute en réfection et ne pou-
vait m'offrir, pour l'instant, aucun intérêt.
Toutes les salles du premier étage de l'institut pathologique
sont éclairées par de larges fenêtres. Les étudiants les plus
avancés ou qui poursuivent des recherches travaillent générale-
ment dans des salles particulières, distinctes des grandes salles
agencées pour l’enseignement micrographique et où se font, à cer-
tains jours et à certaines heures de la semaine, des cours forcé-
ment élémentaires. Nous avons déjà signalé cette distinction entre
ce qu'on pourrait appeler véritablement des amphithéätres de
microscopie et les vrais laboratoires de recherches. Dans l’am-
phithéätre, l'élève, comme partout, reçoit un matériel uni-
forme, consistant en une petite boîte ou plutôt cuvette de car-
ton, avec les réactifs indispensables. Chaque élève a de plus une
armoire. |
Comme à Würzburg, il existe pour cet enseignement une
‘collection de matériaux (pathologiques), consistant en tumeurs
fragmentées et conservées dans l'alcool, quelquefois après macé-
ration dans la liqueur de Müller ou dans l'acide chromique. Ces
fragments sont donnés aux élèves pour pratiquer des coupes.
Le professeur a, pour son usage personnel, plusieurs cabinets,
Une salle renferme tout un matériel destiné aux études de patho-
logie expérimentale, appareils de contention, pompes à mercure,
enregistreurs électriques, etc..... Dans une autre salle voisine
est un grand kymographion abrité par une sorte de châssis de
toile qui s'ouvre en deux et se sépare comme un paravent. Un
constructeur-mécanicien est spécialement attaché à l'institut pa-
thologique. Celui-ci, comme partout, peut, quand il le veut, faire
commerce des instruments qu'il fabrique. C’est la coutume géné-
rale en Allemagne et en Hollande (université d'Utrecht).
! Pathologisch-anatomusches Institut (Deutsch. akad. Jahrbuch),
RE —
3° INSTITUT ANATOMIQUE |.
Cet institut, placé sous la direction du professeur His, est
exclusivement consacré à l'étude de lanatomie normale et de
l'embryogénie, par suite de la nature des travaux personnels du
professeur. L'anatomie topographique y est FHASBpS par M. le
professeur Braune. j
L'institut offre un développement considérable, Les professeurs
n'y habitent pas; seul, l'assistant, M. Hesse, y a son logement.
L’amphithéâtre, circulaire, à bancs se surplombant, est très
grand : deux cents élèves suivent le cours de M. His. I est éclairé
au gaz, mais peut l'être aussi à l'électricité. En dehors de la grande
salle de dissection dont il va être parlé, les élèves commençants
ont encore à leur disposition une salle presque aussi grande
(salle de démonstration), munie de tables ordinaires où ils
étudient les os, les pièces sèches ou celles qui ont servi au cours.
La salle de dissection est cirée. Les cadavres, montés par un tiuc,
sont mis sur des plateaux, qui vont trouver place à leur tour sur
une table de bois portée par un pied central, pouvant tourner et
qu'on fixe fortement au moyen d'une clef dans la position favorable
pour la dissection. Les liquides s'écoulent par un orifice pratiqué
au milieu du plateau et de la table, à travers le pied. De plus,
chacune de ces tables est munie d'un robinet à eau et d’un tube
de caoutchouc qui permet d’asperger directement ou même de
laisser sous un courant continu chaque partie du plateau ou du
cadavre. Au-dessus de chaque table, un double bec de gaz est dis-
posé pour pouvoir s'élever ou s'abaisser. Enfin les étudiants sont
assis sur des tabourets de bois, ronds, légèrement excavés.
Un grand nombre de petites salles sont occupées par les élèves
les plus avancés.
Collection anatomique. — Celle-ci est disposée avec beaucoup
d'ordre dans de vastes salles, où, malgré sa richesse, elle est
largement à l'aise. Une salle spéciale est consacrée à l'anatomie
topographique; on y voit un grand nombre de coupes prati-
quées après congélation, comme celles du professeur Rüdinger à
! Anatonusches Institut (Deutsch. akad. Jahrbuch), comprenant : Topograplusch-
anatomische Abtheilung.
— 143 —
Munich, et conservées dans des caisses doublées d'étain. Des
coupes entières de fœtus conservées dans le baume, moins par-
faites toutefois que celles du professeur Rüdinger, sont exposées
comme nous avons dit que l’étaient celles-ci. Le fond des vitrines
est bleuté; les meubles ont des vitres inclinées; leur fond est
noir. Une collection d'os de l'oreille est montée entre deux verres
de montre, portés eux-mêmes verticalement sur un pied; le verre
postérieur est noirci par derrière; les deux verres sont collés
avec le baume!. Des boites noires servent à placer de petits os
séparés.
Un mouleur (M. F.-J. Steger) et un Hneñable sont attachés
à l'institut.
A° INSTITUT ZOOLOGIQUE ET ZOOTOMIQUE À.
Cet institut, dirigé par M. Leuckart, est encore aujourd’hui dans
l’Augusteum *; mais, comme il doit être prochainement déplacé,
nous n'en dirons que quelques mots.
L'amphithéatre est tout à fait insuffisant, et on a dû y construire
une sorte de tribune en planches. Le laboratoire ne paraît rece-
voir que peu d'élèves; le service de la galerie en est absolument
distinct et incombe à des employés spéciaux. La collection, mal
placée dans des locaux défavorables, est remarquable en ce qu'elle
‘ offre dans une certaine mesure le mélange des pièces anatomiques
avec les animaux en peau et même avec quelques pièces paléonto-
logiques. Toutefois le mélange n’est pas complet. D'abord toutes
les pièces humides sont à part; puis les squelettes des mammi-
fères sont ensemble, ailleurs les squelettes des oiseaux, également
réunis; enfin ceux des reptiles et des poissons, avec un certain
nombre d'empreintes fossiles des animaux de ces deux classes.
Tous les squelettes sont sur des plateaux noirs, mais le fond des
vitrines est blanc. Les serpents sont sous des cages de verre dont
les angles ont été noircis. La collection des pièces humides paraît
! On pourrait employer la paraffine, mais le baume est transparent et a
Re de ne pas se voir.
? Zoologisches Institut und Museum (Deutsch. akad. Jahrbuch). Le même
recueil indique à Leipzig : Zootomische Sammlung (im Paulinum). Nous n’avons
pas visité cette collection.
3 Nom des bâtiments mêmes de l’université.
— ll —
n'avoir été commencée qu'en 1870. Beaucoup de ces préparations
sont disposées sur du verre violet foncé, qui semble noir et qui
est peut-être préférable au verre bleu.
On remarque : 1° un cœur presque entier de baleine desséché,
avec la plus grande partie des parois ventriculaires; 2° un fœtus
femelle de Balænoptera boops (Vadsæ, Juli 1872, D' Meinert) ;
3° la collection cranioscopique et chirognomique de C.-G. Carus;
4° des pièces en cire du docteur Weiïsker, et enfin des modèles en
verre de diverses méduses et de divers hydraires, qu’on se procure
à Dresde, à la soufflerie de verre de Blaschka !.
Dans le cabinet du professeur est une riche collection micro-
scopique avec un grand nombre de préparations conservées dans
la glycérine et fermées au bitume. Pour l'entretien de la galerie
et du laboratoire, achat d'animaux, d'alcool, ete., le professeur
a environ 3,000 francs. Mais il est absolument maître de son
personnel. Celui-ci, en dehors de l'assistant, se réduit à un conser-
vateur, c'est-à-dire à un préparateur, et à un aide de celui-ci qui
fait à peu près toute la besogne, l’autre étant souvent détourné de
ses travaux. La galerie est ouverte en tout temps aux visiteurs,
moyennant une carte (prix : 50 pfenning), et au public deux fois
par semaine, le jeudi et le dimanche. Les vitrines sont préservées
de la poussière par de la lisière, et tous les six mois on procède à
un nettoyage général.
Grâce à l'obligeance de M. le professeur Leuckart, j'ai pu
visiter les bâtiments du nouvel institut zootomo-zoologique, qui
est presque achevé et dont les plans seront d’ailleurs publiés plus
tard. Il constitue un grand bâtiment en équerre. La porte monu-
mentale est à l'angle extérieur: l'angle intérieur est occupé par
un amphithéâtre dont les bancs, un peu circulaires, sont équi-
distants ?. |
Au rez-de-chaussée, les deux ailes du bâtiment sont parcourues
par deux longs couloirs partant de la porte d'entrée. Ce rez-de-
chaussée doit être presque entièrement consacré à l'installation de
l'institut. Il comprend un grand nombre de salles ayant des desti-
nations diverses: c’est toujours le principe de l'isolement relatif
! Le prix de la collection est seulement de 80 marks.
? Nous n'avons nulle part trouvé appliqué en Allemagne le principe de
M. Lachez sur la construction des amphithéâtres. (Voy. Acoustique et optique des
salles de réunions , in-8°, Paris, 1870.)
— 145 —
des élèves parvenus à un certain degré d'instruction. L'assistant
trouvera là également un logement.
Une seule des salles du rez-de-chaussée, située à l'extrémité
d’une des ailes, recevra une partie de la collection. Cette salle est
d’ailleurs reliée par un pelit escalier au premier étage, occupé
tout entier par la galerie. Le système des vitrines perpendicu-
laires aux fenêtres sera adopté (comme il l’est déjà à l’Augus-
teum), et le groupement zoologique observé autant que possible,
« en évitant toute pédanterie », m'a dit M. Leuckart.
Au second étage, le professeur sera logé dans une des ailes, et
dans l’autre le directeur de l'institut minéralogique, où n'existe
point de place pour un logement.
Dans le sous-sol est le logement du portier (Haussmeister).
C'est là également qu'on doit disposer les aquariums et le
bestiaire.
PRAGUE.
Prague possède :
1° Une collection de zoologie, dépendant de l’université et
placée dans le Clementinunr, sous la direction du professeur E.
von Stein;
2° Une collection d'anatomie à l’Institut anatomique impérial
et royal, sous la direction de M. le professeur Toldt;
3° Une seconde collection zoologique au musée national
tchèque, indépendant du gouvernement. — Enfin il y a encore
à Prague une collection d'anatomie pathologique remarquable par
son bel ordre, et placée dans l'hôpital, mais que je n’ai point eu
le loisir de visiter.
1° COLLECTION ZOOLOGIQUE DU CLEMENTINUM !.
Cette collection est fort mal installée; la disposition des locaux
aussi bien que la préparation des pièces laissent beaucoup à dé-
.sirer. Elle comprend quelques squelettes; les plus grands sont sur
le plancher des salles; les autres sont tous réunis dans des vitrines
placées elles-mêmes dans une salle spéciale, qui est celle où l’on
fait le cours. Je remarque des séries de dents fort bien disposées;
elles se retrouvent d’ailleurs dans les autres collections de Prague
L K. K. Zoologisches Cabinet (Deutsch. akad. Jahrbuch).
MISS. SCIENT. —— VII, 10
— 146 —
et doivent être l'œuvre du même anatomiste; la série est double,
les dents sont placées les unes au-dessus des autres, celles du côté
droit étant vues par leur face externe et celles du côté gauche par
leur face interne; chaque dent est collée sur un petit fond noir
découpé lui-même dans un tableau blanc; le tout en somme est
fort élégant.
2° COLLECTION DE L'INSTITUT ANATOMIQUE IMPÉRIAL ET ROYAL.
Cet institut est dans un très beau bâtiment, achevé depuis deux
ans environ et consacré aux études d'anatomie normale. Il est di-
rigé par M. le professeur Toldt, qui a là son logement, convena-
blement séparé du reste de l'institut. Il administre et dirige seul
l'établissement. Son personnel est ainsi composé :
1° Deux assistants, docteurs;
2° Deux démonstrateurs, étudiants:
3° Trois garcons, dont l’un est menuisier de son état;
4° Un chauffeur, qui est en même temps serrurier.
On retrouve dans cet institut le système des salles multiples
pour la même étude, afin d'isoler les élèves plus avancés et de les
séparer des commencçants.
Les salles de dissection ne présentent rien de particulier;
les tables sont de marbre, très massives, mais pouvant toutefois
tourner sur leur pied, par lequel se fait l'écoulement. Au-dessus
de chaque table, quatre becs de gaz, afin qu'on ne soit point obligé
de les baisser et que la chaleur ne soit pas trop forte pour les tra-
vailleurs. Deux salles sont consacrées à la microscopie. Les meil-
leurs élèves et les docteurs qui continuent des recherches tra-
vaillent dans la même salle que le professeur, qui a toutefois son
cabinet particulier. À côté de la salle de dissection : 1° une salle
d'étude, comme à Leipzig, munie de tables où les élèves travaillent
sur les os, les pièces sèches, etc.; 2° l'amphithéâtre, avec un ta-
bleau fait d'une glace très légèrement dépolie sur fond noir.
Au sous-sol, la salle de macération possède des cuves à fermeture
hydraulique et à courant continu d'eau tiède. Dans ces cuves,
le courant d'eau tiède entre par le fond; mais la prise d’écoule-
ment s'ouvre également dans le bas, afin que les graisses n’aillent
pas obstruer les conduits. La température du bain est maintenue
à 4o degrés et on laisse les pièces dans l'appareil quatre ou cinq
jours.
x
— 147 —
La collection est disposée dans plusieurs salles. Elle comprend
à la fois l'anatomie humaine et l'anatomie comparée. M. Hyrtl
ansi que Purkinje ont successivement travaillé à l'augmentation
de cette collection. La couleur adoptée pour le fond des vitrines est
le bleu clair. On remarque : 1° des sinus frontaux dont la paroi
antérieure a été conservée, pendant que la table externe du crâne
était enlevée, ce qui donne d'excellentes préparations d'étude;
2° une collection de moules de l'oreille interne faits par M. Hyrtl
avec une masse qui doit être un mélange de plâtre et de cire,
dégagée ensuite par corrosion. M. Toldt se borne à pratiquer
un petit orifice aux conduits de l'oreille interne pour l’échappe-
ment de l'air, et à plonger ensuite l'os dans la cire chaude : les
canaux se remplissent, et on corrode ensuite. Ces pièces sont
montées, comme à Leipzig, entre deux verres de montre; seule-
7
ment ceux-ci, au lieu d'être portés sur une petite fourche de
métal, sont maintenus dans un cadre de bois lourd et disgracieux.
On remarque encore une collection de cerveaux très bien con-
-servés dans lalcoo!. M. Toldt trouve surtout avantageux, pour
ces sortes de pièces, d’injecter au préalable l'animal ou l'embryon
(il s’agit ici surtout d’embryons) avec une solution de chlorure
de zinc.
La collection d'anatomie comparée est riche en squelettes, dont
quelques-uns sont fort bien montés. Ils ont été laissés par Hulk,
qui a fait aussi un certain nombre de séries comparatives de
cornées d'oiseaux, d’'hyoïdes d'oiseaux, etc..., disposées sur des
planchettes noires. Des squelettes de petites chauves-souris sont
dans la position quadrupède que leur donne de Blainville, les
doigts rapprochés.
On remarque encore une collection de monstres et une très
riche collection d'embryons humains, dont quelques-uns sont
conservés dans l’aicool après fixation par lacide chromique.
3° COLLECTION DU MUSÉE NATIONAL.
Le musée national est une institution privée appartenant à
une société de patriotes, dont le président est actuellement Île
comte Clam-Martinitz et le vice-président le prince de Schwar-
zenberg. Ce musée est ouvert deux fois la semaine. Les autres
jours, on paye un droit d'entrée élevé (1 florin), qui constitue une
des ressources du musée. Il comprend une collection minéralo-
10,
— 148 —
gique, une collection géologique distincte, et enfin une collection
zoologique dirigée par M. le docteur Fric, qui est en même temps
professeur extraordinaire de zoologie à la faculté.
Cette collection est disposée dans de grandes vitrines latérales
et centrales occupant une salle unique. Les vitrines centrales sont
adossées l’une à l’autre, formant ainsi au milieu de la salle un
meuble très élevé. Cette collection est surtout remarquable en ce
qu'elle offre un complet mélange de pièces anatomiques de toutes
sortes, squelettes, têtes, parties molles, avec les animaux en peau.
La règle est partout observée et le système appliqué dans toute
sa rigueur. Toutefois, un certain nombre de squelettes de mam-
mifères, qui sont les plus nombreux, sont relégués sur une vitrine
centrale. La pièce la plus intéressante du musée paraït être une
portion antérieure de tête de Dronte, retrouvée il y a quelques
années par un custode dans les magasins.
BRESLAU.
Breslau possède plusieurs collections d'anatomie :
1° La collection de l'institut pathologique (professeur M. Pon-
fick) ;
2° La collection d'anatomie normale et comparée (professeur
M. C. Hasse); |
3° La collection des bâtiments de luniversité (professeur
M. Grube);
4° Enfin l'institut physiologique devait aussi attirer notre at-
tention. |
1° COLLECTION DE L'INSTITUT PATHOLOGIQUE |.
Cet institut, inauguré il y a cinq ans, occupe un bâtiment spé-
cial derrière l’hôpital, avec lequel il est en communication directe.
C'est dans l'institut même, aux étages inférieurs, que se fait tout le
service mortuaire. Au rez-de-chaussée sont les salles d’autopsie,
dont l'installation laisse quelque peu à désirer; mais on notera
que c'est ici un institut pathologique, et que les cadavres n'y font
que passer. Il ÿ a deux grands amphithéätres : l’un est à gradins
autour d'une table de dissection; l’autre est disposé avec des
! Pathologisches Institut (Deutsch. akad. Jahrbuch).
— 149 —
tables toutes reliées les unes aux autres (selon un usage fréquent
en Allemagne), afin que la même pièce de démonstration puisse
circuler facilement devant les élèves. C'est là également qu'ils
apprennent la microscopie. On remet à chacun un microscope
(l'établissement en possède trente-six) et une boîte avec les réactifs
indispensables.
Une salle est réservée aux études des élèves sur les pièces
sèches; une autre sert d'amphithéätre pour les assistants, les cours
théoriques, etc. Au premier étage se trouve : 1° la salle de travail
du professeur; 2° une salle de travail pour les assistants, où se
tiennent aussi les élèves avancés qui font quelque recherche ;
3° un laboratoire de chimie complètement installé, où fonctionnait
au moment de notre visite une couveuse artificielle pour des
recherches sur les bactéries ; 4° une salle de débarras pour verre-
ries, lavage, etc... ; 5° une petite salle pour vivisections; 6° une
autre grande salle également pour vivisections, avec les appareils
à contention nécessaires, un kymographe fixe abrité sous une caisse
de carton, étune trompe donnant la force motrice pour deux souf-
filets à respiration artificielle, tandis qu'un manomètre marque
constamment la pression d’eau.
Collection. — Celle-ci est surtout une collection d'étude; elle
occupe seulement une salle assez petite garnie de vitrines latérales
et médianes. L’éclairage, qui vient des deux côtés, est d’ailleurs
très satisfaisant. Les vitrines sont peintes extérieurement couleur
de bois foncé. Elles s'ouvrent à glissière. Les tablettes sont égale-
ment couleur de bois foncé. Les pièces sont dans des bocaux
cylindriques, offrant une notable uniformité. Ils sont fermés avec
un mastic qui reste mou; tous étiquelés, rangés et catalogués avec
le plus grand soin. Sous ce rapport, la collection peut être signalée
comme un modèle. |
Dans une salle spéciale se trouve aussi une très grande collec-
tion de matériaux d'étude, comme celles de: Tubingue et de
Leipzig. Seulement ici elle est beaucoup plus considérable. La
collection de monstres est peu importante. |
La macération des pièces se fait dans le grenier, largement
éclairé par une grande baie; dans un coin sont relégués quelques
squelettes d'animaux monstrueux.
Au sous-sol, une pièce bitumée sert de bestiaire. Là se trouve
— 150 —
egalement une glacière dans laquelle on met les pièces anatomiques
fraîches, qui se conservent ainsi jusqu’à quinze jours.
Les cours de microscopie sont suivis généralement par soixante-
quinze à quatre-vingts élèves qui payent 32 marks par semestre,
30 marks pour suivre le cours de pathologie.
2° COLLECTION D'ANATOMIE COMPARÉE |.
À Breslau, l’enseignement de l'anatomie comparée est réuni avec
celui de l'anatomie normale et celui de l'embryogénie, et confié
au même professeur, M. Hasse. Toutefois, l'assistant, M. G. Born,
paraît spécialement chargé de ces deux dernières sciences.
L'institut n’a pas de siège spécial : il est placé dans les anciens
bâtiments de la Catherinenstrasse. C'est là que les élèves dissèquent
en hiver, dans une salle basse et voütée, qui n'offre aucune com-
modité. Pendant le semestre d'été, ils travaillent au microscope
dans une salle qui ne doit pas être mieux disposée ?. Il y a, comme
presque partout, deux amphithéâtres : un grand et un petit. À côté
du grand amphithéâtre est une salle d'étude pour les pièces sèches,
comme à Leipzig, à Prague, etc...
La collection comprend l'anatomie humaine, l'anatomie com-
parée et aussi quelques pièces paléontologiques. Elle occupe trois
grandes salles.
Première salle. — Cette salle est consacrée aux pièces molles,
aux os séparés et aux verlébrés fossiles. Les fossiles sont d'ail-
leurs peu nombreux # : les pièces, les os séparés et les prépara-
tions humides occupent les quatre côtés de la salle. Les objets
ne sont point placés dans des vitrines, mais simplement sur des
tablettes fixes, peintes, ainsi que le fond, en noir. Cette installation
toutefois remonte au prédécesseur de M. Hasse, qui paraît disposé
à adopter, dans le nouvel institut qu’on doit prochainement con-
struire pour son service, l’arrangement et la couleur vieux bois
de la collection de l’institut pathologique.
1 Anatomisches Institut nebst anatomischem und zootomischem Cabinet (Deutsch.
akad. Jahrb.).
? Je n'ai point vu cette salle.
* D’autres ossements fossiles, et, en particulier, une très belle tête de
Bhinoceros tichorhinus, figurent dans la collection géologique et minéralogique,
admirablement rangée par le D' Ferd. Rocmer.
— 151 —
Le centre de la salle est occupé par un grand nombre de sque-
lettes de ruminants et de carnassiers.
Seconde salle. — Cette salle est tout entière remplie de squelettes ;
les côtés sont occupés par des vitrines à fond noir, le milieu de la
salle par de grands squelettes, en particulier de cétacés. Trois
Balénoptères à différents âges (l'adulte est de très grande taille),
deux Narwals, l'un mâle et l’autre femelle, etc. etc... un sque-
lette d'Eléphant, des squelettes d’Autruche. Dans les vitrines, on
remarque deux beaux squelettes d'Orangs adultes, mâle et femelle,
un squelette de Chimpanzé. La collection des oiseaux est riche;
celle des poissons présente, au contraire, de très nombreuses
lacunes.
Troisième salle. — Cette salle possède une galerie circulaire supé-
rieure. Elle est consacrée à l'anatomie humaine et aux mons-
truosités. Les vitrines sont latérales et peintes en noir. Le milieu
de la salle est occupé par des meubies non vitrés, ou plutôt des
étagères sur lesquelles sont rangés les bocaux contenant la collec-
tion de monstres, tant de l'homme que des animaux. Cette collec-
tion parait être la plus importante qu’il y ait en Allemagne, et
peut-être dans le monde entier.
M. le professeur Hasse a spécialement attiré mon attention, dans
cette galerie, sur un certain nombre d'animaux en peau, montés
avec un soin tout particulier et qu’il se propose d’intercaler au
milieu des squelettes, afin de mieux faire comprendre le rôle de
ceux-Ci.
Une petite salle spéciale est consacrée aux cires.
Comme dans la plupart des collections, les pièces ne sortent
jamais des salles. [l existe, pour les cours, une collection indépen-
dante, collection d'anatomie comparée aussi bien que d'anatomie
humaine disposée dans une salle spéciale. La surveillance de cette
collection appartient aux assistants. Et si quelque pièce est mise
hors d'usage, l'assistant en exercice doit la remplacer, c'est-à-dire
la refaire.
3° COLLECTION ZOOLOGIQUE !.
Cette collection, sous la direction du professeur Grube, est
! Zoologisches Museum (Deutsch. akad. Jahrbuch).
— 152 —
dans les bâtiments de l’université. Elle est exclusivement zoolo-
gique. Je ne la signale que parce qu'elle possède une collection,
d’ailleurs très restreinte, de squelettes, représentant seulement
les types. Ces squelettes sont relégués dans un appartement spécial,
et la plupart sur le plancher. Ils sont assez mal entretenus.
À° INSTITUT PHYSIOLOGIQUE !.
L'institut physiologique occupe la plus grande partie du pre-
mier étage d’un établissement de charité (Ohlauerstatsgraben
n° 16). M. le professeur Heidenhain a son logement sur le même
palier. L'institut comprend, selon l'usage, un grand nombre
d'appartements distincts, destinés, autant que possible, à des
études spéciales. Dans l'un de ces appartements est un kymogra-
phion et une petite machine à vapeur chauffée par le gaz, mais
qui est d'un entretien délicat. Elle sert pour les respirations arti-
ficielles. Dans plusieurs appartements sont disposées, sur des
tablettes fixes, des boussoles à miroir. Une salle spéciale ést
consacrée à la bibliothèque, où sont reçus tous les journaux de
physiologie allemands et étrangers. A l'étage inférieur, un petit
laboratoire de chimie dépend également de l'institut. L'enseigne-
ment de l’histologie normale rentre aussi dans les attributions de
la chaire du professeur Heidenhain. Les élèves travaillent en été
avec le microscope. Quant à l'installation des animaux, elle n'offre,
m'a-t-on dit, rien de particulier ?.
L'institut ne possède pas de collections , mais sébtédétt quelques
pièces, parmi lesquelles M. Heidenhain m'a fait remarquer des
préparations de cerveau où la substance grise est colorée en rose
par le carmin, tandis que la substance blanche demeure presque
incolore, au moins pendant un temps assez long.
- BERLIN.
À Berlin, les établissements suivants devaient appeler d’une
manière toute spéciale mon attention :
1° La collection d'anatomie comparée, sous la direction de M. le
professeur Reichert :
L Physiologisches Institut (Deutsch. akad. Jahrbuch).
2 Je ne l'ai point vue.
— 155 —
2° L'institut anatomique, également dirigé par M. le professeur
Reichert ;
3° La collection de zoologie, sous la direction de M. le profes-
seur Peters;
4° La collection de linstilut pathologique, sous la direction de
M. le professeur Virchow;
5° Enfin l'institut physiologique, dont le directeur est M. du
Bois-Reymond.
1° COLLECTION D’ANATOMIE COMPARÉE !.
M. le professeur Reichert est chargé à la fois de l’enseignement
pratique de l'anatomie, qui se fait dans un institut spécial (voyez
ci-dessous), et de la direction de la collection d'anatomie. Celle-ci
n'est pas placée dans l'institut : elle est logée dans les bâtiments
mêmes de l'académie. Elle comprend la plus grande partie de l’an-
cienne collection de Johannès Müller. Depuis deux ans toutefois,
les pièces concernant l'anatomie pathologique ont été transportées
à l'institut pathologique de la Charité. Cette collection comprend
aussi l’anthropologié et un certain nombre de pièces paléontolo-
giques, bien qu’il y ait pour la paléontologie une collection spé-
ciale. La collection d'anatomie est en somme considérable et dis-
posée dans des salles devenues beaucoup trop petites et, de plus,
mal agencées, mal éclairées. Dans deux de ces salles, une galerie
supérieure ne reçoit le jour que de bas en haut. Au reste, dans ce
moment même, M. Reichert est en instance près du gouverne-
ment pour obtenir un institut suflisant pour loger la collection.
Aucune salle n’est spécialement destinée soit au montage des
pièces, soit aux travaux des élèves, dont les tables sont placées
devant les fenêtres dans des couloirs encombrés ou même dans
les salles de la collection.
Tous ces défauts d'installation sont d'autant plus choquants
que la collection paraît être extrêmement riche, du moins en
squelettes, car les pièces molles font à peu près défaut. Les
vitrines sont le plus souvent appliquées contre les murs. Il yen a
aussi de centrales, perpendiculaires aux fenêtres; tout cela sans
uniformité. Le fond des vitrines et des meubles est partout blanc.
Dans la première salle sont placés des squelettes, des os séparés
! Die anatonusch-zootomusche Sammlung (Deutsch. akad. Jahrbuch.).
— 154 —
{en désordre); on remarque des séries considérables de cränes
de quadrumanes }; la collection présente plusieurs de ces séries
tout à fait remarquables. On y trouve aussi un grand nombre de
squelettes humains de diverses races, car l'anthropologie se con-
fond ici avec l'anatomie comparée, de même que la paléonto-
logie.
Dans la seconde salle, entourés par un meuble à hauteur d’ap-
pui, sont des squelettes de grands mammifères, des têtes, des
squelettes plus petits placés entre les jambes des grands, etc.?. Là
est un squelette de Baleine franche de taille moyenne. Le musée,
me dit-on, en possède une autre plus grande, mesurant 58 pieds
et qui n'a pu encore trouver place. Notons encore un Balénoptère
de très grande taille, une mâchoire de Cachalot de forte dimen-
sion, et la tête d'un individu jeune. Là enfin est le Zeuglodon
de l’Alabama, acheté par Johannès Müller à un prix considé-
rable. Dans cette salle se trouvent, comme dans fa précédente,
des séries de crânes fort nombreux pour une même espèce. Par-
fois les têtes osseuses de très petit volume sont disposées en séries
dans des tubes, avec la mâchoire inférieure retenue en place par
un fil qui enveloppe en même temps la supérieure. Une vitrine
renferme toute une série de déformations de bois de cervidés.
La salle suivante est consacrée à la pathologie etaux monstres
humains ou autres. On y remarque un squelette entier de micro-
céphale. C’est dans celte salle et la précédente qu’existe la petite
galerie supérieure mal éclairée. Elle est réservée aux invertébrés;
mais il ne s’y trouve que fort peu de préparations véritables, telles
que dissections de crustacés et d'insectes : un grand nombre de
flacons contiennent les animaux entiers.
Enfin vient une salle consacrée à l'anatomie humaine, avec une
collection craniologique considérable et une collection embryogé-
nique. La sont également les pièces de cire. Je remarque une in-
jection des veines du cràne faite: préalablement avec un mélange
de plâtre et de cire, très finement disséquée ensuite et conservée
! J'ai remarqué à l'institut anatomique {voy. ci-dessous) une trentaine au moins
de cränes de singes anthropoiïdes sur lesquels M. Reiïchert fait en ce moment un
travail, et l'on m'a assuré qu'il en avait encore au moins autant à son domicile
parüiculier, appartenant tous à la collection d'anatomie comparée.
? Cette disposition, légèrement modifiée, pourrait être très bonne : il sufMirait
d'élever à la hauteur des meubles l'espace entouré par eux.
— 155 —
dans l'alcool, ce qui est d’un tres heureux effet. Des injections
Iymphatiques conservées de même sont bien préférables aux injec-
tions lymphatiques sèches.
La collection et le service des travaux anatomiques sont surtout
alimentés par le jardin zoologique, qui y envoie la plupart de ses
animaux morts. Ils sont, m’a-t-on dit, payés en gros chaque année
et reviennent au total à très bon marché.
On peut signaler encore quelques préparations flexibles (ailes
de chauves-souris, poissons cartilagineux, etc.) faites par le procédé
d'un attaché au service de la collection, M. J. Wickersheimer.
2° INSTITUT ANATOMIQUE :.
L'institut anatomique est également sous la direction de M. le
professeur Reichert; il occupe un grand bâtiment situé au mi-
lieu du jardin de l’école vétérinaire (Thierartzneischule), pla-
cée derrière l'hôpital de la Charité, dont elle est séparée par une
rue. Le bâtiment de l'institut n'est pas consacré exclusivement aux
études anatomiques ; 11 comprend le service de la médecine légale,
ainsi que des salles pour les examens d'état (Siaatsprüfungen).
Le directeur a au premier étage un vaste cabinet communiquant
par un petit escalier avec des salles d'étude placées au rez-
de-chaussée. Au premier étage également se trouvent une petite
bibliothèque, une autre salle pour les recherches chimiques, où
l'on étudiait les urines lors de ma visite, puis l’amphithéâtre, qui
est grand et parait bien disposé. Un truc monte directement les
cadavres, placés d'avance sur une table roulante quon pousse
ensuite au milieu de l'amphithéâtre. Le dessus de cette table est
en glace. |
Près de l’amphithéâtre est une collection spécialement destinée
aux leçons : il n'en existe pas d'autre dans l'institut; elle est
en très mauvais état; il n'y a point de vitrines, mais seulement des
tablettes peintes de couleur bois et appliquées contre la muraille
badigeonnée en bleu. Au milieu de la salle sont de grandes
caisses (en zinc?) renfermant des pièces humides. La véritable
collection anatomique est au musée de l'Université.
Au même étage encore se trouve une salle de cours pour les
| Das aualomische Theater (Deutsch. akad. Jahrbuc ).
— 156 —
assistants : c'est là que se font aussi les lecons d'anatomie pour les
artistes.
Le rez-de-chaussée est occupé par un cabinet de travail pour le
professeur, par des salles de dissection assez mal disposées et mal
éclairées, et par des salles pour l'histologie qui ne sont guère
mieux installées. Je n'ai pas vu le bestiaire, qui, m’a-ton dit, n’a
rien de particulier et peut loger seulement quatre chiens.
3° MUSÉE ZOOLOGIQUE.
Une particularité intéressante m'engage à dire ici un mot du
musée zoologique |, placé sous la direction de M. le professeur
W. Peters. Ce musée, très beau, est situé, comme celui d'anatomie,
dans des salles dont la disposition est peu favorable; mais il est
tenu avec un soin extrême. La collection offre un certain nombre
de squelettes mêlés aux animaux en peau, surtout parmi les
mammifères. Près des singes anthropomorples figure leur crâne.
Parmi les ruminants, beaucoup ont également leur crane osseux
sur le plateau qui les porte: de même, un jeune Lamantin. On
remarquera d’ailleurs qu'on voit également un certain nombre
de mammifères conservés dans l'alcool mêlés aux animaux en
peau.
Dans la salle des poissons, il y a également plusieurs squelettes,
la plupart fort beaux, entre autres celui d’une très petite Baudroie.
Beaucoup de ces squelettes sont abrités sous des cages de verre.
Mais ici les squelettes ne sont plus mêlés aux bocaux. Ils sont tous
réunis. Les plus parfaits sont dus au docteur Hilgendorf, qui a été
professeur au Japon, d’où il a rapporté un certain nombre de ces
pièces.
| 4° INSTITUT PATHOLOGIQUE ?.
Cet institut a subi depuis vingt ans des agrandissements no-
tables. On y a ajouté deux ailes, un étage supérieur, etc. Celui-ci
est occupé par une collection anatomique disposée dans des vi-
trines latérales et médianes : le fond est peint de couleur brune, à
peu près celle du bois lui-même. Cette collection paraït très riche,
mais elle n’a pas l’air d’être rangée : les bocaux sont placés en bloc
! Das zoologische Museum ( Deutsch. akad. Jahrb.).
? Pathologisches Institut (Deutsch. akad. Jahrb.).
— 157 —
dans les vitrines, quelquefois simplement sur le parquet. On
trouve là aussi un grand nombre de cränes et de calottes crâäniennes
servant ou ayant servi aux études actuelles de M. Virchow.
Le reste de l'institut ne présente point de particularité bien
notable; le système des salles nombreuses est appliqué ici comme
à peu près partout en Allemagne. Toutefois la salle des morts offre
un certain intérêt : une cheminée dans laquelle un foyer de plu-
sieurs becs de gaz brüle constamment, y entretient un courant
d'air pur. Les cadavres sont tous recouverts avec des draps im-
prégnés d'acide phénique, et tous les jours sans exception les
voûtes, les murailles, le parquet, sont abondamment aspergés
d’eau.
L'institut possède un bestiaire complètement organisé. Il com-
prend d’abord un chenil avec une quinzaine de cages environ
pour des chiens, puis une cour au milieu de laquelle est un bas-
sin muni d'un grillage pour les grenouilles et un pavillon pour
les lapins et les cochons d'Inde. Ces animaux y sont en partie
enfermés dans les loges appliquées contre le mur et en partie libres
dans deux fosses que l’on fait communiquer l'une avec l’autre au
moyen de planches inclinées. Dans ces fosses , le fumier est en-
levé une seule fois par an. On se contente d'ajouter toujours de
nouvelle paille fraiche.
Une pièce du sous-sol de l'institut contient aussi deux rangs de
loges pour mettre des lapins en expérience.
5° INSTITUT PHYSIOLOGIQUE.
Cet institut, le plus luxueux que paraisse posséder aujourd’hui
l'Allemagne, a extérieurement presque l’apparence d'un palais
dans la Dorotheenstrasse, avec ses vingt-huit à trente fenêtres de
façade au premier étage. à,
Cet étage est occupé tout entier par le logement du professeur,
par les salles pour ses recherches et celles de ses assistants, qui
sont au nombre de quatre. Certaines salles servent aux études phy-
siques, d’autres aux travaux chimiques. L’histologie a également
une installation spéciale sous la direction du docteur Fritsch!.
Chaque élève à un microscope (il y en a vingt) et la moitié d'un
* L?s autres assistants sont, je crois, MM. H, Munk, H. Kroneker et Sal-
kowski, tous trois professeurs extraordinaires , ainsi que M. Fritsch (Deutsch. Uni-
versitäts-Kalender, 1879-1880).
— 158 —
tiroir avec une petite boîte renfermant les divers réactifs essentiels.
Il y a des microtomes de loute dimension, y compris le grand dont
s'est servi M. Fritsch pour ses recherches et avec lequel on pra-
tique des coupes de cerveau entier. Là est également une collec-
tion où les animaux en fragments sont conservés, mais surtout
dans l'alcool, quelques-uns après avoir été fixés par l'acide chro-
mique.
L'amphithéâtre est très grand et très beau; la table du pro-
fesseur, longue et machinée pour les expériences de toutes sortes,
est même munie d’une petite machine rotatoire à eau que M. le
professeur du Bois-Reymond m'a déclarée inférieure aux machines
Schmidt.
Près de l'amphithéâtre est une salle de démonstration dans
laquelle les élèves répètent ou voient répéter les expériences de la
leçon. C’est le pendant des salles d'étude des instituts anato-
miques.
L'institut possède un aquarium; dans une des vasques, c’est de
l'eau de mer qui se renouvelle constamment. Elle est injectée avec
de lair pulvérisé; elle est reprise par un tropplein, tombe à
l'étage inférieur dans un filtre, et de là dans un réservoir, où elle
est pompée jour et nuit au moyen d'une machine à gaz du sys-
ième Rôsike. Les autres vasques de l'aquarium sont pour les ani-
maux d’eau douce. Toutes sont chauffées en hiver par un système
de circulation d'eau indépendant. |
Une seconde machine à vapeur ordinaire de la force de six che-
vaux fournit au laboratoire la force motrice nécessaire: toutefois
elle m'a semblé avoir pour fonction ordinaire de donner la lumière
électrique. Enfin dans le sous-sol se trouve aussi une essoreuse,
comme à l'institut de Leipzig, dont les principales dispositions
paraissent avoir inspiré M. du Bois-Reymond dans l'installation de
son institut.
LEYDE.
Deux collections d'anatomie existent à Leyde : l’une est jointe
au musée zoologique, l’autre est dans l'établissement consacré à
l'enseignement de l'anatomie.
1° COLLECTION DU MUSÉE ZOOLOGIQUE.
Cette collection renferme exclusivement des squelettes, et elle
— 159 —
est très nombreuse. Les grands squelettes ne sont pas abrités. Les
autres sont placés dans des vitrines dont le fond est blanc. Les
squelettes eux-mêmes sont montés sur des plateaux blancs : des
cages de verre abritent les plus précieux. La collection, d’ailleurs
considérable, n'offre aucune disposition saillante.
2° COLLECTION ANATOMIQUE.
La collection anatomique proprement dite est fort soignée,
disposée dans plusieurs salles distinctes. Mais l’anatomie comparée
y est peu ou point représentée. Elle renferme encore les restes, et
parmi ceux-ci quelques pièces humides bien conservées, des an-
ciennes collections d’Albinus et de Sandifort. Le catalogue de ce
dernier est à la disposition des visiteurs sur une table. On remarque
des vitrines profondes à trois faces, appuyées contre la muraille, avec
des tablettes de verre sur lesquelles les bocaux convenablement
écartés se présentent bien. Pour les bocaux en particulier, l'écar-
tement semble toujours une condition de bonne apparence.
Le sous-sol est en partie occupé par le bestiaire. L’inslallalion,
qui n'est que provisoire, m'a-t-on dit, ne parait pas en somme
excellente. Les chiens sont placés dans des cages dont le fond,
horizontal en arrière, est incliné en avant. La portion horizontale
est en bois, l’autre en zinc. L'expérience à démontré que l'animal
fait toujours ses ordures sur celle-ci. Une rigole permet de re-
cueillir les urines. Les lapins et les cochons d'Inde sont dans une
pièce bitumée, avec de la paille et de la tourbe mélées dans un
coin. Mais on ne peut les élever au delà d’un certain âge. Les gre-
nouilles sont dans un grand nombre d'auges en brique disposées
autour d’une pièce spéciale. Chaque auge est fermée en dessus
par un grillage à charnières et à cadenas. L'eau coule constam-
ment, et on la laisse dans les auges à une hauteur telle que la
tête des animaux reste hors de l’eau. ;
GAND.
La collection d'anatomie de l’université, sous la direction de
M. le professeur Plateau, est une véritable collection d'anatomie
comparée à peu près comprise comme !a collection huntérienne
du collège des chirurgiens de Londres. Elle renferme peu de
squelettes, peu de pièces d'ensemble. La plupart des préparations
— 160 —
représentent des portions d'appareils ou des organes isolés. Mais eile
est remarquable par sa variété et les divers embranchements y sont
représentés à peu près proportionnellement à leur importance. Le
fond des vitrines est blanc pour,les pièces sèches et humides; il
est noir pour les os isolés.
Je remarque des estomacs desséchés, placés sur des planchettes
verticales, comme celles qui sont en usage dans le musée de
Rouen : seulement ces planchettes sont peintes en blanc, et le pied
seul est noir.
Poucet,
Professeur au Muséum.
Paris, ce 1° décembre 1870.
79
ÉTUDE
SUR
QUELQUES MANUSCRITS
DE SERVIUS ET DE VIRGILE,
DE SUISSE, D'ALLEMAGNE ET DE HOLLANDE,
PAR M. E. THOMAS.
Monsieur le Ministre,
Mon départ ayant eu lieu plus tard que je ne l'avais espéré, j'ai
été forcé de resserrer le cercle que je m'étais d’abord proposé de
parcourir.
Parmi les manuscrits de Servius, ceux de Dresde, de Leipzig,
de Munich étaient les moins importants, puisqu'ils ne contiennent
, que la Vulgate, autrement dit le texte le plus court et le plus ré-
pandu de Servius, augmenté à Dresde d’additions savantes du
xv° siècle. L'édition Thilo (Leipzig, 1878) a donné déjà de ces ma-
nuscrits pour les trois premiers livres de l'Énéide une collation
soignée. Il n’était pas absolument nécessaire qu'ils fussent exa-
minés à nouveau. J'ai donc renoncé à visiter ces trois bibliothèques,
et donné tout mon temps aux manuscrits de Berne, de Carlsruhe,
de Leyde et de Cassel.
Il
BERNE.
Je savais d'avance que je trouverais à Berne les manuscrits en
minuscule les plus anciens et les plus curieux de Virgile et de
Servius, et quoi qu'ils fussent bien connus, je pouvais espérer y
découvrir quelque indication nouvelle. Mon espérance n’a pas été
déçue, puisque J'ai pu pressentir dès mon arrivée à Berne, puis
MISS. SCIENT. — VII. 11
— 162 —
préciser et prouver les rapports du meïlleur de ces manuscrits, le
Bernensis 172, avec notre Parisinus (de la Bibliothèque nationale)
7929. |
Il m'a paru, d’après le nouveau catalogue des manuscrits de
Berne de M. Hagen, que les seuls exemplaires que j'avais à exa-
miner étaient, avec les manuscrits de Virgile annotés n° 165,
167 et 172, les trois manuscrits numérotés 184, 189 et 363.
Je commence par ces derniers, que je réunis en un seul groupe.
sA5,
Bernensis 184, sæc. 1x-x, membr, 4°.
On voit au commencement et à la fin la signature de Bongars.
C. G. Müller (Analecta Bernensium, part. IT, p. 9) avait signalé
dans ce manuscrit « copiosa commentaria... quæ omnes mar-
gines occupant ». Le catalogue d'Hagen dit plus exactement : «in
marginibus aliquot scholia leguntur e Servio petita. » Je tenais:à
examiner ces noles pour en déméêler l’origine et la valeur. Elles
m'ont paru n'être pas toujours de la même main que le texte, et
dans toutes celles que j'ai vues en divers endroits du manuscrit,
au commencement des Géorgiques, au commencement de l'Énéide
et au VII! livre, je n'ai trouvé que des extraits de la Vulgate fort
abrégés, en somme sans valeur.
Bernensis 189. « P. Danielis philologica congesta a Bongarsio. »
Parmi ces notes de P. Daniel, M. Hagen a signalé, mais sans les
publier, les brouillons de l'avertissement au lecteur que Daniel
devait mettre en tête de son Virgile et où il indiquait les manuscrits
dont il s’est servi pour les scolies, en grande partie inédites, qu'il a
publiées.
Le premier brouillon {n° 47, fol. 1 v°) est le plus étendu ; il est
tout couvert de surcharges et de ratures. J'omets le commencement,
qui diffère peu du texte imprimé. Il continue ainsi « .. .ïis malo
genio nunc destitutus, vix potuit ordinem seriemque suæ scrip-
turæ (au-dessus : rationem) distinguere cum vellet horum fontem
indicare quæ ex quoque desumpta essent. (La forme de cette fin
de phrase est légèrement modifiée dans un renvoi.) Codices (sic)
quatuor a vetustissimis adjutus fuit, tribus Gallicis, F1. (renvoi au-
dessus de celte note : in aliquot locos Georg. et Æn.) , lem. , Antissio-
— 163 —
dorensi, quarto Germanico ex collegio Fuldensi {ici renvoi à une
note ainsi conçue : ? ipsum tn autographum videre sib... non
licuit sed tn excerpta a fr. Modio e primo [au-dessus de ces deux
mots : duob. lb. prior.]). Ut vero legentibus auctor. . . »le reste à
peu près comme dans le texte imprimé.
Deuxième brouillon, même page : « quinque (écrit au-dessus de
quatuor barré)... vetustissimis et optimis adjutus fuit, quatuor Gal-
licis, Lemovicensis in (Georg. barré) Bucolica et Georgica, Floria-
censis in aliquot locos Georgicon et Æneidos {renvoi à cette note :
si bene meminit is n ab eo desideratur), Antissiodorensis in ? om-
nes Æneidos libros (et au-dessus Turon et un mot barré que je
ne puis lire) quinto Germanico ex collegio Fuldensi cujus tn auto-
graphum tn autographum (au-dessus un mot que je ne lis pas:
? germanicum) videre non sibi licuisse, sed nonnulla excerpta a
fr. Modio e duobus...» |
Troisième brouillon, fol. 4 : « quatuor præcipue.. . trib. Gallicis,
Flor., Lemovicensi et Antissiodorensi, et quarto Germano ex col-
legio Fuldensi quæ alios {? quem alias) recognoscendi fortasse
dabitur tempus..» |
Enfin la copie définitive, où je remarque seulement que la
phrase sur le caractère du Turonensis « eadem quæ—integriore »
est dans un renvoi à la marge.
Il résulte de la comparaison de ces rédactions successives que
Daniel avait probablement réuni en une copie d’une seule teneur
les scolies diverses de ses manuscrits; mais que, la copie faite, il ne
se rappelait plus que vaguement où il les avait prises. I n'est précis
que pour le Lemovicensis {Vossianus 80) qu'il possédait encore;
mais il n’avait plus le Floriacensis (Bern. 172 et Paris, 7929) dont
il n’a pu indiquer que vaguement l'étendue et le caractère. Le
Turonensis (Bern. 165) n'est mentionné que dans le deuxième
brouillon et dans la rédaction définitive, ce qui prouve que
l'importance n’en paraissait à Daniel que secondaire. L’Antissiodo-
rensis est marqué nettement comme ayant servi pour l'Enéide en-
üère; il est donc, non pas, comme on l'avait supposé, le Parisi-
nus 7929, mais le Bernensis-167. Enfin on voit que, comme on
s'en doutait, c’est bien à Modius que Daniel avait dû les extraits
du manuscrit de Fulda.
Bernensis 363, petit in-4° en parchemin, du var ou du 1x° siècle,
11,
— 164 —
en lettres anglo-saxonnes. Au commencement et à la fin, la signa-
ture de Bongars; au bas de la première page, d'une encre très
blanche, un nom illisible : « Gf de Armid. ,.»
Je ne m'occupe que de la première partie du manuscrit, où sont
données, sans le texte de Virgile, les scolies sur les Bucoliques, les
Géorgiques et l'Énéide.
Titre des scolies : « Incipit expositio Sergii gramatici in Bucoli-
con, in libros Georgicon atque Æneadum. Bucolica ut, etc.» Le
nom de Servius ne se trouve nulle part ailleurs. Le préambule de
l'Énéide commence aux mots : « Titulus operis, qualitas, etc.» En
marge sont des signes destinés à appeler l'attention du lecteur sur
telle ou telle scolie :
q ou qftio — quaestio
fab — fabula
iq. où p pou lege nu
Entre les scolies des Bucoliques et des Géorgiques sont intercalés
de petits poèmes dont le sujet est ainsi résumé : « Incipit epitafium
Terentii;... epitafñium Lucani...»
J'ai examiné particulièrement de comménééent du livre VI de
l'Énéide. Le manuscrit ne contient aucune addition et ne donne
même qu'un abrégé de la Vulgate. Aussi pour l'étude de Servius et
des scolies, à part son antiquité qui le met en tête de tous les ma-
nuscrits, n'a-t-il qu'une importance médiocre.
S°2:
J'arrive aux trois manuscrits de Berne qui contiennent le texte
de Virgile (dans l'édition de Ribbeck a, b, c) et d'où Daniel a tiré
la plupart de ses scolies particulières. Ils sont numérotés 172, 167
et 165:
Le plus riche en scolies nouvelles est sans contredit le Bernensis
172, parchemin, carré, sæc. x. Le feuillet de garde en parchemin
porte : « P. Danielis Aurel. » Il a dû appartenir d’abord à l'abbaye
de Fleury-sur-Loire; c’est donc le Floriacensis de Daniel. On lit sur
la feuille extérieure quelques notes de ce dernier : extraits du Dia-
logue des orateurs; noms de grammairiens anciens; indication d’un
passage où Servius reprend Donat; de plus, sur un feuillet en pa-
pier qui sépare le feuillet de garde du manuscrit, la note suivante :
— 165 —
« pag. 23 (c’est un renvoi à la page où est la suscripüon des scolies
des Bucoliques : les noms propres y ont été soulignés probablement
par Daniel) :
Titus Gallus
Interpretes Bucolicon et Romani
et Georgicorum Gaudentius
Junilius Flagrius Mediolanen »
Daniel, qui note au bas du manuscrit dans toute l’Enéide les
noms de tous les auteurs cités, n’a noté dans les deux autres
poèmes que trois noms au premier feuillet; les deux premiers sont :
« Gaudentius et Junilius Flagri ». On à ainsi la preuve qu'il a
connu les auteurs des scolies de Berne, et que, s'il les a volontaire-
ment passés sous silence dans son édition, ç’a été une omission
réfléchie, qu'il aurait justifiée sans doute par la médiocrité de la
forme des scolies, et surtout par cette remarque qu'elles sont don-
nées nettement dans le manuscrit comme étant de commentateurs
autres que : Servius.
Voici la disposition des feuillets et des cahiers : les feuillets 2,
3 et 5 du premier cahier sont seuls anciens. Puis, viennent : un
cahier de cinq feuillets (6-10), un cahier de neuf (11-19), un de
quatre (20-23) et six de huit (24-71), tous sans DT ni réclame.
Le cahier suivant de huit feuillets (72-80) marqué A contient les
neuf derniers vers des Géorgiques et commence l'Énéide. Suivent
neuf cahiers de huit feuillets (81-152) marqués des lettres de l’al-
phabet B, D,F, G, H, I; la marque a été effacée dans'le deuxième
(G)'et dans le quatrième (E), et l'on comprend qu'elle ait disparu
dans le dernier (K) puisque le dernier feuillet (152) a perdu la
moitié de sa largeur. Les derniers mots du texte sont «et hærent »
(En. V, 852) et la dernière scolie est celle du v. 851 « fraude sereni,
serenitatis etc. » Au commencement, le premier mot d'écriture an-
cienne est Ég. 1,48 : « Limosoque palus. » La page a 0,315 de hau-
teur et 0",28 de largeur et contient trois colonnes. Dans celle du
milieu sont les vers de Virgile, régulièrement vingt-quatre à la page,
les initiales de chaque vers détachées dans une colonne à droite,
tous les huit vers avec une initiale plus forte de traits. À droite et
à gauche, les scolies d’une écriture beaucoup plus fine, mais très
soignée. Quarante-sept lignes sont rayées pour ces scolies, mais
l'écriture les suit inégalement. L’initiale de chaque scolie est aussi
détachée dans une petite colonne. Il y a rarement d'une écriture
— 166 —
grossière quelques gloses et par exemple feuillet 31 : « Hora nom
accepit de horologio. »
Titres des poèmes de Virgile et des scolies :
1° Virgile.
Titres des Eglogues d'une main ancienne :
II. POETA CORYDON.
IV. SÆCULI NOYI INTERPRETATIO.
VI. FAUNORUM SATYRORUM ET SILENORUM DELECTATIO.
VII. MELIBOEUS CORYDON THYRSIS.
VII. DAMONIS ELPHESIBOEI CERTAMEN.
IX. DE QUESTIONE POETÆ DE AMISSO AGRO LICIDA MOERIS.
X. INCIPIT EGLOGA DECIMA DE DESIDERIO GALLI CIRCA VOLUMINIAM
CUI HCIDEM MERETRICEM QUM LICORIDEM DICIT CON
QUESTIO CUM GALLO DE AGRIS.
Dans la suscription des Bucoliques, dans les titres des Géorgiques
il n'y a que de simples explicit et incipit. Je note seulement pour
les (réorgiques, ici comme dans le Bernensis 167, le mot præfatio
par lequel on désigne les sommaires en vers des différents livres !.
Titre de l'Énéide, après les vers attribués à Ovide (Versiculi
Ovidii Nasonis super XII libros Æneidorum) : « ÆNEIDORUM LIBRI x
HOC IN CORPORE CONTINENTUR VIRGILII MARONIS ARMA VIRUM... »
Dans les différents livres, simplement explicit et incipit, avec le
numéro du livre.
2° Scoles.
Les scolies n'ont pas de titre général.
Le nom de Servius n'est nulle part.
On sait que les scolies des EÉgloques et des Géorgiques offrent
cette particularité? que chacune d'elles est suivie séparément du
nom du commentateur auquel elles ont été empruntées :« Junilius
dicit, Gaudentius dicit. » On a de plus pour cette partie deux sus-
criptions générales bien connues et très discutées : 1° la première
à la fin des Églogues : « Hæc omnia de commentariis romano-
* Dans le Bernensis 167, avant la première scolie du livre IV de l'Énéide : «in-
CIPIT PROLOGUS APPOLLONIUS ARGONAUTICA SCRIPSIT UBI... »
? Voir la publication de M. Hagen: Scholia Bernensia ad Vergili Bucolica atque
Georgica (Leipzig, 1867).
— 167 —
rum congregavi id e titi galli et gaudentii et maxime junilii fla-
grii mediolanenses. » M. Hagen h'indique pas cette forme du der-
nier mot mediolanenses qui est aussi dans le Bernensis 167, mais
de seconde main. Le même critique (p. 839) a séparé cette inscrip-
tion des Égloques, et l’a reportée en tête des Géorgiques, auxquelles
elle lui semble devoir étre appliquée. Sa place dans le manuscrit
ne semble guère le permettre. Elle est à la fin de la X° Églogue et
se trouve séparée du commencement des Géorgiques par un feuillet
contenant l’énumération des« figuræ græcorum », un dessin du z0-
diaque, enfin par une page blanche. — 2° la suscription du livre I*
des Gréorgiques, qui est ici à la colonne de droite. On verra (p.169),
par la note relative au Bernensis 167, que, par suite de cette dis-
position , elle devait manquer dans ce manuscrit. Voici comment la
donne le Bernensis 172 : « .. .neque audit translatio. Titus Gallus
d&rib : commentariis adlensine hec fecit. »
Le préambule des Géorgiques, d'ordinaire attribué à ue
(Virgilius in operibus suis. . .) et qui est ici sous ce titre : « Junilius
Flagrius Valentiano Mediolani, » est écrit des deux côtés à la place
des scolies.
Le premier livre de l'Énéide contient quelques notes très courtes
et très rares d’une main récente (indication de quelques figures;
étymologie de sal, qui viendrait de sapor, fable d’Ajax).
Le deuxième livre n’en renferme aucune.
À partir du troisième livre, au contraire, il y a quantité de
scolies, et leur nombre ne commence à diminuer que vers le
livre V.
-Le manuscrit ne s'arrétait pas d’ailleurs au livre V. Le Bernen-
sis 172 est le premier tome d’un exemplaire dont le Parisinus 7929
de la Bibliothèque nationale est le second tome. J’ai donné de cette
origine unique des deux manuscrits, dans la Revue criüique du
11 octobre 1879, des preuves qui me paraissent mettre ce point
hors de doute et qu'au besoin on pourrait compléter par la confec-
tion d’un fac-similé. Le texte de Virgile, Énéide, VI-XII, qu'on n'a
pas encore examiné dans le Parisinus, est, dans ce manuscrit
comme dans le Bern. 172 (a de Ribbeck), une recension presque
identique à celle du Romanus et peut suppléer à ses lacunes. J'ai
donné une collation des principales variantes dans un supplément
à mon Essai sur Servius (p. nr et suiv.).
L'écriture dans le Bernensis 172 est la même que dans le Pari-
— 168 —
sinus, avec la même forme pour ret rt, les mêmes fautes de copie
énormes (En. IV, 687, 691) et souvent embarrassantes dans des
passages importants : ainsi En. IV, 694, poenia (dans le Bern.
165 : phenico) pour désigner Phrynichus (Rheinisches Museum, IX,
p. 625).
Des déplacements ou confusions de scolies ou parties de scolies
(En. IV, 685, 691) qui ont dû être juxtaposées prouvent ici en-
core, comme dans le Parisinus, que le manuscrit a dû être copié
sur un original contenant le texte et les scolies.
Le Floriacensis (Bern. 172 et Paris. 7929) a été la source prin-
cipale où Daniel a puisé. L’Antissiodorensis (Bern. 167), qu'il di-
sait plus correct, et le Turonensis (Bern. 165), qui contient une
partie des mêmes scolies, ne lui ont servi qu’à vérifier le texte et
à compléter ce premier fonds, qui est sans comparaison le plus
riche.
Comme on a dans l'édition Thilo la collation du livre IE, j'ai
vérifié particulièrement les scolies des v. En. IV, 660 à V, 31. Toutés
les additions de P. Daniel {sauf. V, 9, « occurrit tellus; » cette note
vient du Vossianus 79), les plus courtes, les simples conjonctions,
se retrouvent dans le manuscrit et prouvent avec quel soin il l’a
consulté et avec quel scrupule il l'a reproduit. :
Le Bernensis 167, sæc. 1x-x, membr. 4°, contient vingt-six
cahiers de huit feuillets, primitivement marqués en chiffres ro-
mains. Mais dans beaucoup d’entre eux la marque a disparu. Le
vingt-septième cahier n'a que six feuillets. Au bas du feuillet de
garde est un nom dont il ne reste plus que quelques lettres.
Le manuscrit est écrit sur deux colonnes. La colonne intérieure,
beaucoup plus large, contient le texte de Virgile; les scolies sont
dans la colonne extérieure. (Cf. le Parisinus de la Bibliothèque na-
tionale 16236.) Le nombre des vers contenus à la page est fort
inégal; il varie de vingt-sept à trente-quatre. La première lettre
du vers et celle de la scolie sont détachées en capitale dans une
colonne séparée.
Daniel a écrit en plusieurs endroits le titre des poèmes (Geor-
gicon lib. IV, Æneidos lib. I), ou ajouté à la marge la fin de
quelques scolies incomplètes.
Ce Bernensis finit Énéide, XII, 769. Ce n’est donc pas de ce
manuscrit que Daniel a tiré les scolies qu'il donne après XII, 818.
— 169 —
Titre placé en tête des préambules de Servius : «INGIPT ExPsr
SERVII GRAM IN BUCOLIC IN LIBRIS GEORG ATQUE ÆNEIDVM. Bucolica ut
ferunt...»
Le nom de Servius n’est nulle part ailleurs.
Titre du préambule des Géorgiques : « LIB PM EXPLANATIONV GEOR-
rcorvm. Virgilius in operibus. . . »
Titre du préambule de V'Énéide : « INGIPT LIB PRIMUS ÆNe1pOs. In
exponendis..,»
Les scolies sont celles de la recension particulière aux Bernenses.
Mais comme celui-ci a le commencement des Bucoliques qui
manque dans le Bernensis 172, c'est à lui que M. Hagen a em-
prunté les scolies de la première Églogue, 1-49. Elles sont repro-
duites exactement dans ses Scholia Bernensia. Je remarque seule-
ment que le préambule « hic loquuntur —amicorum » est séparé des
scolies par le titre et par un fragment «de tribus ducibus, » etc. Le
commencement des scolies proprement dites est : «nunc loquitur
pastor, » ec.
Les titres des Églogues sont les mêmes que dans le Bernensis
172. La suscription des Églogues est aussi celle de ce manuscrit.
Mais les mots « Cgregavi id est titi» paraissent ajoutés après coup
et le manuscrit porte « Mediolanen** ». Ici encore, comme dans le
Bern. 172, la disposition extérieure ne permet guère de détacher
‘la suscription des Bucoliques pour l'appliquer aux Géorgiques. Au-
dessous de la suscription est ce titre : « VIRGILII MARONIS BOCOLICA.
EXPLICIT FELICITER. » Puis, dans une petite colonne, un nouveau
titre avec deux parties du préambule des Géorgiques à droite ei à
gauche :
INCIP,T
Juniius Flagrius Valentiano Me- GEOR AE af ;
Georgicoru dues species, alia
dionali. GICON tra se,
SL à aaues dl ad agricultuam.. .
irgilius I operib : suis diversos. ..… LIBER
PRIM
J'ai vérifié en divers endroits, Ég. X, Georg. 1, Én. I, et trouvé
exacte, sans aucune exception, la remarque de M. Hagen (Scholia
Bernensia, p. 689) que ce manuscrit contient les mêmes scolies
que le Bernensis 172, mais avec cette différence curieuse, que re-
produisant les scolies de la colonne de gauche, il omet constam-
ment celles qui sont à droite. La suscription du livre I‘ des Géor-
— 170 —
giques, étant à droite dans le Bernensis 172, ne se trouve pas dans
le Bernensis 167.
Je dois dire cependant que, dans la reproduction de ces scolies
de gauche, j'ai vu des omissions : ainsi au folio 105 du Bernen-
sis 172, la moitié de la colonne « peregre licet augurium — mulla
movens animo » (En. III, 34) est omise.
J'ai comparé les scolies de ce manuscrit En. VIII, 1-51, avec
celles du Parisinus 7929 et reconnu que le Bernensis 167 a omis
toutes les scolies qui sont à droite dans le Parisinus. Le système
du copiste a donc été appliqué aux derniers livres comme aux pre-
miers, et, d'autre part, on voit confirmé par cette sorte de contre-
épreuve ce que j'avais découvert sur l’origine commune du Pari-
sinus 7929 et du Bernensis 172.
Les sommaires en vers, le titre général et les titres particuliers
pour l’Enéide sont ici les mêmes que dans le Bernensis 172. Mais
le Bernensis 167 diffère de ce manuscrit en ce que le livre K° y
contient quelques scolies. Ce sont des extraits de Servius, dont la
cinquième partie environ est reproduite avec plus ou moins de fidé-
lité. Il n’y a pas trace des additions des Fuldenses. Je vois ici près
de «urbs» en capitales la petite scolie « RESPONSIO MYSÆ VEL DEÆ»
que Daniel à reproduite dans son édition (En. I, 2), mais en la
plaçant d'une manière inintelligible, et dont Thilo (p. 16, note 6)
n'a pu ni comprendre le sens ni découvrir l'origine. Dans le
IF ivre, ces scolies sont beaucoup plus rares et souvent deviennent
de simples gloses.
Ce manuscrit, plus correctement écril, mais beaucoup moins
complet que le Bernensis 172, ne peut servir qu'à le vérifier,
et je ne serais pas étonné que Daniel, par une confusion dont
nous avons vu plus haut un autre exemple, ait supposé entre
son Antissiodorensis (Bern. 167) et son Turonensis (Bern. 165)
un rapport qu'il aurait établi plus justement enire son Floria-
censis (Bern. 172 et Parisin. 7929) et le manuscrit dont nous
parlons ici : «eadem... interpretatione singulari, sed paulo inte-
griore: » | |
Je n'ai vu nulle part rien qui puisse indiquer à quel monastère
a appartenu le Bernensis 167. Mais comme tous les manuscrits
qu'a nommés Daniel sont retrouvés, moins celui d'Auxerre (son
Antissiodorensis), il paraît hors de doute que c'est à ce nom que
correspond le Bernensis 167, où l’on reconnait en plusieurs en-
— 171 —
droits, comme nous l'avons dit, la main de Daniel, et qui partant
faisait partie des manuscrits dont il s'est servi.
_ Ce Bernensis n’a aucune des scolies de Daniel que j'ai notées
dans mon Essai sur Servius, page 91, et dont la source m'était
alors inconnue.
Le Bernensis 165, en parchemin presque carré, est sûrement
le Turonensis de Daniel, comme le prouve la mention au premier
feuillet du don du manuscrit à Saint-Martin de Tours. Comme
dans le Bernensis qui précède, on reconnait ici la main de Daniel
à quelques titres (2 Georg. 3, ou 4 Æneiïd.). |
Le manuscrit comprend vingt-huit cahiers, tous de huit feuillets,
à l'exception du premier, qui n’en contient que quatre, et du
dernier, qui n’en a plus que cinq. Les cahiers sont marqués en
chiffres romains. La marque, probablement coupée, a disparu aux
cahiers m1, v, XV-XVIT, xx, xx VII et xxvin. Les feuillets de garde ne
portent aucune note. :
La page comprend au milieu trente vers, dont la première lettre
est détachée en capitales rouges dans une colonnette. Des deux
côtés et entre les lignes, ou encore en haut et en bas de la page, sont
des scolies, parfois d'encre et d'écriture différentes, toutes cepen-
dant, sauf peut-être un très petit nombre, écrites au plus tard au
x° siècle. L'écriture tironienne n’est employée que pour des mots
assez courts, probablement pour les plus usuels, comme dans le
Parisinus 7926 de la Bibliothèque nationale.
Il n'y a ni titre ni suscription générale. Les Églogues ont les
titres que j'ai notés dans le Bernensis 172. Dans les Géorgiques et
dans l'Énéide, il n'y a que le nom de Virgile et le numéro des
livres. \
J'ai examiné les scolies du commencement de l'Enéide. Elles
viennent de Servius, mais ne reproduisent nullement la Vulgate
sous sa forme complète. Il n’y a pas trace ici des additions de Da-
niel , autrement dit des notes des Fuldenses.— J'ai trouvé le même
système d'abréviations dans le livre VI et les suivants. Le compila-
teur empruntait à la Vulgate, mais il ne craignait pas de la mo-
difier profondément par des omissions et par des additions. Il y a
aussi, et même à un plus haut degré, une diversité singulière dans
la date et dans l’origine des notes, transcrites à des époques diffé-
rentes et empruntées et à Donat et au véritable et au faux Servius.
— 172 —
Car, dans ces derniers livres, le rédacteur puisait aussi à la source
d’où sont dérivés le Bernensis 172 et le Parisinus 7929. Dans plu-
sieurs de ces scolies, il ne se fait pas faute non plus de changer
ou d’abréger : ainsi Énéide, V,a, 2, etc. Mais ce qui est fort cu-
rieux, ce que je n'ai vu signalé nulle part et que Daniel a eu
tort de ne pas indiquer, cest qu'en empruntant à la dernière
ne je viens d'indiquer, le scoliaste la désigne comme
étrangère à Servius. Par ex. la scolie Én. IV, , 694 : «Ali dicunt
Euripidem...» est ici amenée ainsi: «præt quod Servius dici
quida dicunt...» De même V, 30, au lieu de « alii dicunt Lao-
medontem. .. » il dit : «quida pt qd Servius dicunt Laomedon-
tem...» C’est la preuve matérielle, qui nous manquait jusqu'ici,
que ces scolies, même à une époque fort ancienne, n'étaient pas
regardées comme une partie du commentaire authentique.
Enfin j'ai trouvé dans ce manuscrit (sauf la scolie En. VII, 715)
toutes les additions que je signalais dans mon Essai sur Servius,
page 91, comme dérivées d’une source inconnue.
J'ai constaté de petits changements de forme dans la PRE
tion de Daniel, par ex. En. VI. 2 et encore Én. VII, 740, où il
a mal lu ce qui était cependant fort net : «se junxisse ».
Le Bernensis 165 n’a pas les scolies qui suivent Enéide, XII,
818, et qui, autant qu'on en juge par leur orthographe, ont dû
provenir d’un feuillet détaché du Parisinus 7929.
Daniel avait sans doute sous les yeux, en même temps que son
manuscrit principal le Floriacensis (Bern. 172 et Paris. 7929),
les deux autres manuscrits qu’il appelle l’Antissiodorensis (Bern.
167) et le Turonensis (Bern. 165); et il vérifiait et, dans les rares
occasions où il le pouvait, il complétait les scolies du premier par
celles des deux autres. Nous avons vu par un exemple cité plus
haut (p. 168) que le Bernensis 165 est parfois plus correct que
le Bernensis 172.
Il
CARLSRUHE.
La bibliothèque de Carlsruhe possède :
1° Une collation de la publication du Cassellanus de Bergk
faite sur un manuscrit qu'on ne connait pas, mais qui doit être
— 173 —
récent, puisque Enéide, Il, 457, p. 17, il donnait la quæstio :
« Quare... solvitur... » qui n'est que dans les éditions de Fabri-
cius.
2° Un fragment provenant de Durlach n° 85 : À feuillets en
parchemin qui ont servi de feuillets de garde et qui contiennent :
F° 1 recto du quaternio : Én. IX, 265-348 :
F° 2 recto et verso : Én. IX, 348- 398 ;
F° 7 recto à demi coupé et très effacé à la fin ;
A 8 recto et verso : En. IX, 705-773.
écriture est du x° siècle, avec trente-huit lignes à la page rayées
au-style; les lemmes en capitales; d’ailleurs rien que les scolies.
C'est un texte de la Vulgate assez médiocre; des mots sont
passés, d’autres mal liés. Il n’y a aucune addition.
3° Un manuscrit parchemin petit in-folio provenant de
Reichenau, CXVT. Il me paraît du x° siècle. On y lit d'une main
. moderne :
174 ab’ moñ augiæ majoris.
IX
26
Titre en caractères à demi effacés : « INCIPIVNT ex positi. nes sr
HAE: 2. ..... VERGILIT OPERA ID EST.B... GEORG.... BuCo-
lica ut ferunt. »
Les scolies de Servius, que le manuscrit donne sans le texte de
Virgile, se suivent dans cet ordre : Bucoliques, Géorgiques, Énéide,
dans des pages de trente et une à trente-trois lignes rayées au style.
En marge, les sommaires, les titres, quelques notes. Les lemmes
en onciales. Il y a eu une revision d’un correcteur qui a rétabli
les phrases omises.
Le manuscrit contient quarante-cinq cahiers de huit feuillets
marqués en chiffres romains. Le premier n’est plus marqué et ne
renferme que sept feuillets. Il manque le _ XXXII conte-
nant Énéide VIL, 603 : « utque impulit» jusqu'au livre VIIT, 23 :
« quia primo aquam ». Le manuscrit finit Énéide XIT, 951 : « morte
ut corpus ».
Pas de suscription générale. Dans les livres de l'Énéide, seule-
ment explicit, incipit, avec le numéro du livre. Dans les Géorgiques,
«INCIPIT LIBER PRIMVS EXPLANATIONVM GEORGICON.» Aux Églogues,
— 174 —
seulement le numéro de l’Églogue, Dans le texte, absolument au-
cune addition d’aucun genre.
Bon manuscrit de la Vulgate.
4° Un manuscrit en parchemin in-4°, provenant de Reichenau
CLXXXVI, dont Thilo a donné la collation pour les 338 premiers
vers du premier chant de l'Énéide.
Au bas de la première page, d’une écriture du xiv* siècle: « Lib”
augie majoris », et d’une autre écriture : « Mon‘üij Augiae Divitis. »
Neuf cahiers marqués en chiffres romains, de huit feuillets cha-
cun, sauf le sixième, qui en a neuf, et le neuvième, qui n’en ren-
ferme que sept. Le manuscrit contient les scolies des Géorgiques
(il commence Géorgiques, 1, 21: «Prætereat qd au d.»), et les
338 premiers vers de l'Énéide; ses derniers mots sont « civitalis
Euboicæ ». Il y a à la page trente-deux lignes rayées au style; des
lemmes sont en onciales; le grec est partout horriblement estropié.
Titre de l'Énéide : « mic LIBER 1 ENEIDORY inciprr. » Dans les Géor-
giques, simples numéros des livres, avec explicit et incipil.
On peut voir par la collation de Thilo pour l'Énéide, I, que ce
manuscrit se rapproche du Bernensis 363, et que, comme lui, il
a une tendance très visible à omettre en tout ou en partie les
exemples cités. C'est donc une recension-déjà légèrement abrégée
de la Vulgate. Ce caractère nr'a paru moins marqué dans les Géor-
giques, peut-être à cause de la sécheresse particulière à cette partie
du Servius.
Je n’y ai relevé qu’une omission, il est vrai fort curieuse, puis-
qu’elle semble appuyer une hypothèse de G. Nick mentionnée dans
le Philologus, xxxvi, 3 ( Revue des revues, 1878, p. 150, 52): «Sie
Ovidius in fastis » (G. 1, 43) est supprimé dans ce manuscrit.
Pour le reste , il n'y a aucune trace des additions ni du Lemo-
vicensis, ni du Leidensis 165, n1 de celles de Fabricius ou de
Robert Estienne.
En résumé, c'est un assez bon texte de la Vulgate.
Le bibliothécaire d'Heidelberg m'a écrit qu'il ne possédait que
des copies de Virgile du xvi° siècle et aucun manuscrit de Servius.
— 175 —
TTL
ë CASSEL.
Le célèbre manuscrit de Servius conservé à Cassel, en parche-
min, du 1x° ou du x° siècle, contenait, quand il était complet, au
moins vingt-trois cahiers de huit feuillets marqués en chiffres
romains au bas du recto de la première page. Nous avons encore
les cahiers 1, ut, v-vin, x, x1 (seulement cinq feuillets), xmr, x1v,
XVII, XVII, Après ce cahier, la pagination reprenait à l'unité, et au
cahier suivant commencent les scolies du sixième livre de l'Énéide.
Nous avons de cette seconde série les cahiers 1, 117, in] (seulement
six feuillets). Le mänuscrit ne donne que les scolies, sans le texte
de Virgile. Voici la dernière ligne : « Vel quod in ejus templo nun-
quam aliquis deorum simul colitur » (En. VI, 831). Le commen-
cement (au milieu du premier livre de l'Enéide) n’est pas, comme
a paru le dire Bergk, mutilé dans le manuscrit; car il porte les
premiers mots avec une disposition qui implique l'erreur d’un co-
piste, mais exclut l’idée d’une mutilation : « ARMA VIRVM, GANO.ET
IN SECVNDO LIBRO ALIQVOS VERSVS POSVERAT, » et au commencement
de la ligne suivante : « quos constat», etc.
Il n’y a nulle part le nom d'aucun commentateur. Les titres
manquent à certains livres (ainsi liv. Il), ou bien ils contiennent
simplement le numéro du livre (ainsi aux livres V et VI), où ils
ont cette forme : « P VIRGL MARONIS COMMENTORV ÆNEIDOS LIBER. »
En marge, quelques sommaires sans importance. Au bas, je vois
aussi des notes, dont l'écriture me semble, non pas du xrv° siècle,
comme le pense M. Thilo, mais du xn*; enfin, des notes du
xv°siècle, mais assez rares. La main du copiste se fatigue et change
d'une manière assez considérable. Les corrections me paraissent
moins nombreuses et, le dirai-je, moins importantes que je ne
l'avais cru d’après le programme de M. Thilo (Naumburg, 1856).
/ La question la plus intéressante de toutes celles qui concernent
ce manuscrit consiste à savoir s’il est bien celui dont Daniel a pos-
sédé une copie et dont il a publié la collation dans le supplément
de son édition. J'ai indiqué dans mon Essai sur Servius, p. 71 et
suiv., pour quelles raisons l’affirmative me semblait très douteuse.
M. Thilo a essayé, dans le programme que je viens de citer,
d'expliquer les différences du manuscrit et du texte de Daniel
en supposant que la collation était mal faite et que Scioppius avait
souvent préféré aux leçons anciennes des variantes et des notes de
main récente. Tout ce raisonnement me parait erroné. Le Cassel-
lanus n’a rien qui, de près ou de loin, explique les variantes
propres au Fuldensis (voir ma page 74). J'ai vérifié le manuscrit
aux passages que J'avais cités dans cette page. Le texte que j'avais
emprunté à l’article de Dübner est bien exact, sauf que le manuscrit
écrit: « cælæ . . . aliu ». Dune part, il a bien les omissions indiquées,
et l'on se demande d’où a pu venir la scolie donnée par Daniel
au supplément, et, d'autre part, il est impossible de rejeter dans la
lacune, comme le voulait M: Thilo, l'omission II, 601; car la page
est complète; elle se termine aux mots «deorum conspiratione
subverti», c'est-à-dire beaucoup plus bas, et il n'est guère vrai-
semblable qu'on ait eu l’idée de rétablir à une page ce qui man-
quait totalement à une autre.
Ces preuves, qui me paraissaient très fortes, ont été confir-
mées encore par les indications que m'a données avec beauceup
de bonne grâce le bibliothécaire, M. le D' H. Schubart. Parti d’un
autre point de vue que moi, il était arrivé, de son côté, à la
même conclusion et pour des raisons en quelque sorte extérieures
et réelles. À la suite de tout ce qu'il avait appris sur l’origine des
manuscrits de Cassel, M. Schubart s'était persuadé que l'identité
dont on parlait n'était que pure hypothèse.
Je résume les renseignements curieux que je lui dois.
Les manuscrits de Cassel qui proviennent de la bibliothèque
de Fulda, — il y en a quatorze et parmi eux quelques-uns de fort
importants, — son! tous, sans exception, reliés en parchemin, etils
portent tous sur la couverture un chiffre romain et, après le mot
ord., un nouveau chiffre ou la place d’un nouveau chiffre; ainsi,
pour un «ars Donati»: xxxix ord,.... On a l'explication très
claire de ce numérotage dans un ancien catalogue manuscrit de
Fulda publié sous lanonyme à Leipzig et à Francfort, en 1812,
par Nicolas Kindlinger : « Catalogus librorum omnium bibliothecæ
majoris ecclesiæ Fuldensis anno millesimo quingentesimo sexa-
gesimo primo repertorum in pergameo. » Ce catalogue n’est pas le
premier qui ait été fait à Fulda; car on voit par une note de la fin
qu'on en avait dressé un autre en 15/40. Sept cent quatre-vingit-qua-
torze manuscrits y sont répartis en dix repositoria, qui se divisent en
ordines, chaque ordo comptant un certain nombre de manuscrits
— 177 —
numérotés. Les numéros des manuscrits qu'on possède encore sont
exactement ceux du catalogue.
En dehors de cette collection de quatorze Fuldenses certains, la
bibliothèque de Cassel possède trois manuscrits précieux : un
Thucydide, un Lucain avec scolies et un Servius, reliés en ba-
sane sans aucun chiffre. L'origine n’en est pas nettement connue.
On voit seulement par un acte inséré au commencement du Thu-
cydide qu’il appartenait à une église; mais ce volume ne devait pas
faire partie de la bibliothèque de Fulda, puisqu'il n'y a pas de
Thucydide mentionné au catalogue. Le Lucain a, d’ailleurs, cette
note qui désigne un autre possesseur : « H. (Hermann) Di gas’ the
(Thuringiæ) lanrg'ui (landgravius) et Saxonie comes palatin’. »
Les recherches faites sur la liste des comtes palatins font dater
cette note de 1190 à 12/46.
Je n’ai pu trouver dans le catalogue de Kindlinger l'indication
d'un commentaire de Servius. Mais peut-être l'ouvrage commu-
niqué à Daniel est-il celui qui est ainsi désigné à la page 79 Re-
pertorii noni ordo secundus : « Virgilii Maronis opera cum notis
(cujus illæ sint non video) 4o or.»
On ne douterait pas que ces manuscrits n'aient été tout à fait
étrangers à Fulda sans une note du même Lucain, fol. 130 b : «C
(Conradus) di grät Fuldn eccies abbas... vilico suo in (mot illisible
. ?bigmchein) saî et omé bonü. » Sans doute voilà la preuve que ces
manuscrits ont été quelque temps à Fulda : « Fuldn eccies abbas. »
Mais c'est la preuve aussi qu'ils n’y étaient qu’à titre provisoire, ou
comme une propriété particulière de l'abbé, ou plutôt comme un
prêt que l'abbé restituait en renvoyant le manuscrit à l’un de ses
villicus, probablement d'un village de Thuringe, où l’abbaye de
Fulda possédait des propriétés nombreuses.
La conclusion de ces recherches est que le supplément de Daniel
a été tiré, non du Cassellanus que nous avons, mais d’un manu-
scrit de la même famille, et que M. Thilo à eu tort de ne pas
donner les leçons de ce supplément de Daniel, qui sont, au même
titre que le Cassellanus, une des sources du texte.
M. Thilo a publié dans son édition une collation extrêmement
détaillée du Cassellanus; on l’en louera et on l'en a déjà loué;
cependant, un bon juge, Wagner, ne l'aurait peut-être pas ap-
prouvé sans réserve, et telle n’était pas l’idée qu'il se faisait d’une
édition de Servius, puisqu'il disait dans un article de la Schul-
MISS. SCIENT, — VIL | 12
— 178 —
zeitung (1830, p. 185) que j'ai pu voir justement à Cassel : « Jam
quum Servius non is sit scriptor ex cuJus oratione petamus flos-
culos, quibus nostram orationem distinguamus plenioremque et
uberiorem reddamus, sed a quo doceri multa cupiamus, vel ad
absconditam antiquitatem illustrandam, vel ad veteris sermonis
proprietatem enucleandam pertinentia, non hærendum erit horum
commentariorum editori circa syllabas et verba singula, nec ea
religione in hoc scriptore emendando versandum qua in aliis qui
vocantur classici; satis erit si hoc assecuti fuerimus, ‘ut, si intel-
lexerimus quid quoque loco dicere Servius voluerit, id plane et
dilucide dicatur. Itaque haud reprehenderem eum qui Servium
editurus textum Burmannianum sibi repetendum sumat ita ut quæ
nihil intersit quomodo legantur intacta relinquat . .. quanquam
sedulo cavendum erit ne qua ad rerum reconditarum enarrationem
pertinentia, si forte ipsis vitiose scripta visa sint, enodare super-
sedeant. » Ces réflexions me paraissent pleines de sens. Je me de-
mande s’il n’y a pas quelque excès dans cette mode de notre temps
qui, pour ses exigences, ne distingue pas entre les auteurs, etssi
ces minulies auxquelles on descend si volontiers ne cachent pas
souvent sous leur belle apparence, et il n’en peut être autrement,
un bon nombre d'inexactitudes. J'ai trouvé ainsi des omissions
et quelques fautes dans la collation de M. Thilo. Mais je dois ajouter
qu’en général elle m’a paru faite avec beaucoup de soin, et je n’ai
été amené aux remarques qui précèdent que par la conviction où
je suis que le Cassellanus nous est précieux sans doute au même
titre que le Lemovicensis et le Floriacensis, mais qu’il n’est pas pour
la Vulgate un manuscrit dont la supériorité soit bien démontrée:
IV
LEYDE.
$. 1%. — Lerpenses DE P. DANIEL.
1° Le manuscrit le plus important de Leyde sur Servius est
l’ancien Lemovicensis de Daniel, actuellement Vossianus 80, qui
seul contient les scolies de Daniel sur les Églogues IV-X et sur le
premier livre des Géorgiques, 1-278.
C'est un très petit in-12, en parchemin, du x° siècle, rayé au
style : vingt et une lignes à la page dans les Églogues, vingt-cinq dans
— 179 —
les Géorgiques. I contient les scolies, mais non le texte de Vir-
gile. Les femmes sont en onciales et le plus souvent en une encre
coloriée. Une bande imprimée indique le dernier possesseur :
« Ex bibliotheca viri illustr. Isaaci Vossii. » Il est bien le manuscrit
de Daniel, puisqu'il a précisément l'étendue que Daniel indique
comme celle de son Lemovicensis et qu'on lit sur le feuillet de
papier qui sert de garde : « Petri Danielis Aurel. » , et sur le parche-
min qui forme le feuillet extérieur : « À Monsieur Daniel d'Or-
léans. » De plus, on voit que le même savant, suivant sa méthode
ordinaire, a souligné les citations et marqué en marge le nom des
auteurs. Le petit poème de Juret sur le Servius de 1600 est ici
sur le feuillet de garde, de l'écriture de Daniel, qui a corrigé cer-
tains vers, et qu'on surprend ainsi, mettant lui-même la main
à son panégyrique. Le premier cahier n'a pas de marque, le se-
cond est marqué v; les cahiers qui suivent, tous de huit feuillets,
sont marqués : le troisième, vi; le quatrième, vr; le cinquième,
vu; le sixième, vir; le septième, x, et le huitième, par erreur,
encore x. Les cahiers suivants, qui contiennent les Géorgiques,
n'ont plus de marque; cependant, ils sont de la même écriture,
quoique leur disposition soit différente.
On ne voit nulle part le nom du commentateur. Pas de titre
aux Géorgiques. Les Églogues ou n’ont pas de titre, ou portent
simplement en tête les noms des bergers qu'introduit le poète.
J'ai vérifié les dernières scolies des Géors ne dans le manuscrit
et les premières scolies de l'Églogue IX. Je n'y ai pas trouvé toutes
les additions de Daniel comme je les retrouvais dans ses manuscrits
de l'Énéide; mais le Vossianus 80 a du moins, en général, toutes
celles qui contiennent des citations ou des notes d’antiquité. À
l'Églogue IX, 1, le manuscrit n’a pas les mots «ut Servius dicit »,
-sur lesquels on a tant fondé de raisonnements. (Voir mon Essai,
p- 47.)
2° Le Vossianus 79 est bien! un fragment du manuscrit dont
a fait partie aussi le Parisinus (Bibl. nationale) 1750 (parchemin
petit in-folio du x° siècle; voir mon Essai, p. 47). Il est de la même
écriture, avec les mêmes abréviations. Les cahiers ont les mêmes
marques. Le premier cahier, de huit feuillets, n'est pas marqué; le
! J'ai eu tort de mettre ce point en doute dans mon Essai, p. 64.
— 180 —
second, de huit feuillets, est marqué 11; le troisième, de six feuil-
lets, ur; le quatrième, de huit feuillets, est marqué encore 115; le
cinquième, de cinq feuillets, est marqué nn; le sixième, de huit
feuillets, n’est pas marqué; enfin ;al y a, de plus, à la fin deux feuil-
lets et demi , et, au bas du dernier feuillet, le reste d’une marque nr.
Hi finit, Énéide, V, 69, par ces mots : « Cestus aü p diphtongon
pugilum arma significat. »
’écriture, d’abord très régulière et soignée, change assez vite
et tellement que Suringar ! affirmait que les livres IV et V étaient
d'un autre copiste que les précédents. Il se trompait : ces livres
sont, avec moins de régularité et de soin, la suite du même tra-
vail. Le manuscrit, écrit probablement à la tâche, a été terminé en
toute hâte; des demi-pages restent en blanc sans qu'il y ait de la-
cunes. Au lieu de vingt-huit lignes, on en compte ensuite trente-
neuf, et souvent on voit resserrée en une page la matière de deux
pages semblables à celles du commencement.
Ce Vossianus a été collationné par Mommsen en 1859 et plus
tard par M. Holder. li a, comme le précédent, la bande imprimée:
« Ex bibliotheca viri illustris Isaaci Vossii.» On y reconnait aussi
la main de Daniel, mais il ne porte pas son nom.
Les titres ne contiennent que le numéro du livre; ainsi: «In-
cipit liber Haeneidor. tertius, quartus, etc.» Dans les Églogues, ils
sont souvent ceux cles Bernenses. Le titre général est : « INGIPIT EX-
POSITIO VIRGILIT POETE. »
J'ai vérifié dans l'Énéide les scolies de la fin du TT. IT, celles de
la fin du livre IV et enfin celles du commencement du livre V de
l'Énéide. Le Vossianus contient en entier quelques-unes des additions
que Daniel a tirées du Floriacensis (Bernensis 172). Mais d'ordi-
naire il les abrège, aussi bien que les scolies de Servius parmi les-
quelles il choisit, et ses abrégés sont si resserrés qu’on a peine
parfois à les comprendre.
Pour les Éc glogues et les Géorgiques, il donne un abrégé de la
recension des Bernenses. Il n’est donc utile qu'aux endroits où
ceux-ci manquent ou sont particulièrement fautifs. Je m'étonne
que M. Hagen n'ait pas employé ce manuscrit pour les quarante-
sept premiers vers de la première Églogue qui manquent dans le
! Historia Scholiast. latin., t. Il, p. 270, note. «Quæ ad librum III et IV
Æneidos reperiuntur scholia nec ejusdem auctoris esse videntur.»
— 181 —
Bernensis 172 et que le Bernensis 167 ne donne qu'en parie On
dira qu’on ne perd pas beaucoup à celte omission et qu'on n'ap-
prendrait pas l’histoire du deuxième triumvirat en lisant des pau-
vretés comme celle-ci dans le préambule des Bucoliques : « Tem-
pore illo, gubernante Julio Cesare imperium, regnavit Brutus
Cassius super duodecim plebes Tuscorum et exortum est bellum
inter Julium (cod. Juliam) Cesarem et Brutum et Cassium (cod.
Brutum Caseum) cum quo Virgilius erat superaturque Brutus a
Julio, » etc. Mais ces défauts de forme sont communs à toutes les
scolies de Bernensis et le Vossianus 79 a l'avantage de joindre à
des scolies connues l'abrégé d’autres notes perdues pour nous.
Je n'ai vu, ni Églogue Ï,12, ni Églogue IX, 1, les mots «ut
Servius dicit », sur lesquels Suringar raisonnait longuement sans se
donner la peine d'ouvrir les manuscrits qu'il avait sous la main.
Le Vossianus 79 ne comprend pas non plus les additions de
Daniel qui précèdent la quatrième Églogue ou qui suivent Géor-
giques, I, 279-
On sait qu'il a après les É gloques et après le premier livre des
Géorgiques la même suscription que les Bernenses.
Partout dans les Égloques, dans les trois derniers livres des
Géorgiques, comme au troisième livre de l'Énéide, J'ai observé le
même système d'abréviation que j'avais remarqué dans le Parisi-
nus 1750 pour les deux premiers livres de l'Enéide ! et qui était le
caractère particulier de tout le manuscrit.
$ 2. —— LEIDENSES DE BURMANN.
Je n'avais ici qu'à chercher d'abord de quels manuscrits de
Leyde s'était servi Burmann et auquel d'entre eux correspondait
chacun de ses signes, puis à vérifier si ses collations sont exactes.
° Bibl. publ. 5; Burmann L, parchemin grand in-folio,
xu° siècle. — On en ignore la provenance. Je lis sur un feuillet de
garde en papier (le bibliothécaire, M. du Rieu, m'assure que ces
notes ajoutées par Gronovius méritent une confiance entière) :
« Servium hunc contulit Heinsius et notavit lilera V;» puis cette
lettre est effacée et remplacée par L. Sur le premier feuillet de
parchemin : « Frepericus Sandius me possidet, »
1 Voir mon Essai, p. 68 et suiv.
— 182 —
Les poèmes de Virgile remplissent les soixante-cinq premiers
feuillets : Servius occupe le reste du manuscrit.
Titre général : « MARII SERVII GRAMMATICI INCIPIT LIBER PRIMUS IN
ÆNEIDEM. » Même forme à la suscription générale. Elle est à remar-
quer; car, en dehors des manuscrits du xv° siècle, ce Leidensis est
le premier où le nom du grammairien soit accompagné d’un pré-
nom !. Les parties du commentaire se suivent ici dans l'ordre où
elles ont été composées ? : Énéide, Buacoliques, Géorgiques, tandis
que tous les autres manuscrits (sauf celui de la bibliothèque
Mazarine) les ont rétablies dans l'ordre habituel des poèmes de
Virgile.
Le manuscrit finit Géorgiques, UT, 475: « Noricum pars est. »
La collation de Burmann me paraït en général exacte.
2° M. Thilo (Rheinisches Museum, XIV, p. 539) s’est trompé en
indiquant le Vossianus fol. 25, parchemin in-fol., xI° siècle, comme
le V de Burmann. Le signe de Burmaun qui correspond à ce Vos-
sianus est Voss.
Il porte la bande : « Ex bibliotheca viri illustrisisaaci Vossii 39.»
Sur une feuille extérieure, on lit cette note qu'on à barrée ensuite
tout entière : « Servium hunc contulit Heins. et notavit litera V, »
puis, au lieu de ces derniers mots : et notavit L litera. » Il est clair
qu'Heinsius ou plutôt ceux qui l'ont suivi ne comprenaient plus
ses annotations.
Cent soixante-dix-neuf feuillets. Trois colonnes à la page. Dans
celle du milieu, les vers de Virgile; au-dessus et au-dessous, les
scolies. |
Titres : « Comentü Servii in Bucolica P. Virgili Maronis incipit
feliciter. Expositio Eglogæ primæ..... Tractatus Eglosæ secundæ
..... Expositio Georgicorum. .... » |
« Commentariorum Servü g. in Æneid Virg hbü... explicit. ....»
« Expositio Servii hbri VII. ....» |
« COMENTUM SERVII GRAMATICI IN BUCOLICA , GEORGICA , HENEIDA PUBLII
VIRGILIT MARONIS EXPLICITV FELICITER. »
La collation de ce manuscrit dans Burmann me paraît en géné-
ral exacte, mais incomplète.
! Voir mon Essai, p. 134.
2 Ibid. , p. 150 et suiv.
— 1835 —
3° Je n'ai pu trouver quel est et je ne sais quel peut être le ma-
nuscrit complet de Servius dont Burmann a donné la collation
avec la lettre V.
$ 3. — LEIDENSES ALIORUM.
Les autres manuscrits de Servius à Leyde sont :
I. Ceux de Rutgersius.
1° Bibl. publ., 14, gr. in folio, xr° siècle : « Jani DR »
Scolies sur les Bucoliques, les Géorgiques et l Énéide jusqu’au livre I,
90. Titre de l'Énéide : « Encrerr commentum ejusdé Servi in libris
Æneidos...» Dans les autres livres : « Tractatus ejusdé... »
Texte passable de la Vulgate.
2° Bibl. publ., 52, in-fol. x° siècle: « Jani Rutgersii. » Fragments
du commentaire du livre VI de l'Énéide à XI, 262. Titre : « Explicit
liber quintus expositionum Servii grammatici. »
Bon texte de la Vulgate. |
3° Bibl. publ., 35, xn° siècle : « Jani Rutgersii. » Au verso, sur
un feuillet de papier: « Leidensis tertius Heinsio. » Une main ré-
cente a écrit sur le premier feuillet de parchemin: « Virgilius cum
glossis Servii et aliorum. »
Ce sont en effet des extraits très libres de Servius.
IL Manuscrits de Nansius.
Bibl. publ., 43, xr° siècle.
Texte de Virgile et scolies écrites avec beaucoup de soin. Extraits
inégaux et très libres de Servius.
IT. Manuscrits divers.
Bibl. publ., 92, À. Sur le premier feuillet de papier : « Leid.
sec. Heinsio; » xin° siècle. Texte de Virgile et scolies. Celles-ci ne
sont que des abrégés. Le nom de Servius n’est nulle part.
Voss. 78, xv° siècle. Notes et gloses sans valeur.
Je n'ai pu voir le Leidensis 135, (Voir mon Essai sur Servius,
_p. 59, 276 et 327.) Il était prêté à Buda-Pesth.
E. Tomas.
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RAPPORT
SUR
LE TRAVAIL DE M. CAUVIN,
MEDECIN DE LA MARINE,
INTITULÉ
RAPPORT SUR LES MENSURATIONS
ET LES CARACTÈRES MORPHOLOGIQUES
D'UNE SÉRIE DE CRÂNES AUSTRALIENS,
PAR M. DE QUATREFAGES.
Bien que chargé d'étudier les diverses questions d'anthropologie
que pourrait soulever l'Exposition de Sydney, M. Cauvin n'a été
dispensé d'aucune des obligations du service à bord. Le nombre et
la gravité des maladies qu’il a eu à traiter ne lui ont laissé, nous
dit-il, que peu d’heures de loisir. On doit lui savoir d'autant plus
gré d’avoir réussi à tirer un fort bon parti des matériaux de travail
. que lui fournissaient l'Exposition et les collections de la ville.
Notre missionnaire paraît s'être occupé presque exclusivement
de la mensuration des crânes et des squelettes des diverses races
océaniennes. Îl exprime, à ce sujet, le regret que les instruments
mis à sa disposition aient laissé à désirer. Par suite de leur imper-
fection, il regarde comme possible que quelques-uns des détails
donnés par lui ne soient entachés d'erreur. Toutefois il ne pense
pas que les résultats généraux puissent s’en trouver altérés.
Au moment où il écrivait, M. Cauvin avait mesuré :
ho crânes et 1 squelette d'Australiens,
2 — de Néo-Calédoniens,
8 — de Néo-Zélandais,
13 — d'habitants de diverses îles du détroit de Torrès,
2 — de Néo-Guinéens,
1 — des Sandwich,
+de Samoa,
1 — de la Nouvelle-Irlande.
Torar : 69 crânes, y compris celui du squelette.
— 186 —
Dans le travail actuel, l’auteur ne s'occupe d'ailleurs que des
quarante et un crànes d'Australiens. Pour chacune de ces têtes
osseuses, M. Cauvin nous donne dix-sept mesures numériques sous
les titres de : Indices cräniens, Circonférences, Projections, Angles,
Indices faciaux. Les diamètres ne figurent pas dans ses tableaux,
mais on voit qu'ils ont été pris, puisqu'ils sont les éléments des
indices. Ils font d’ailleurs partie d’un tableau spécial consacré aux
moyennes générales.
M. Cauvin ne s’est pas borné à décrire en bloc ses quarante et un
crânes. Il les a distribués en séries, et par là même il a donné à son
travail bien plus de précision et de valeur.
Et d’abord l’auteur a tenu compte du sexe. Ses quarante el un
crànes comprennent : dix-sept têtes masculines, onze féminines et
treize qualifiées par lui d’inceriaines. De ses tableaux de mensura-
tion il résulte que le crâne australien masculin est plus allongé
d'avant en arrière que le féminin. M. Cauvin se montre fort surpris
de ce résultat. I n’y a pourtant là rien que de très normal. Depuis
longtemps on a reconnu que, dans une même race, l’homme est a
peu près constamment plus dolichocéphale que la femme. Les ta-
bleaux de mensuration de M. Pruner-bey présentent, il est vrai,
une ou deux exceptions à cette règle générale; mais la rareté de
ces faits conduit à penser que ces cas exceptionnels tiennent seule-
ment à ce que le nombre des cranes mesurés n’était pas suffisant
pour dégager la véritable moyenne. En ce qui concerne les Austra-
liens en particulier, les mensurations prises par M. Hamy et pu-
bliées dans nos Crania Ethnica, avaient déjà montré que cette race
rentre dans la règle générale.
Les crànes étudiés par M. Cauvin avaient été decn iles sur les
points les plus divers de l'Australie : les uns dans l'extrême Sud,
d’autres dans l'extrême Nord, dans l'intérieur ou sur les côtes, sur
le continent même ou dans l'ile Melville, au Nord de la terre
d’Arnheim, etc. Cette diversité de provenance coïncidait avec des
différences de caractère et de conformation générale. L'auteur en
a conclu avec raison que tirer des conclusions de leur moyenne
collective serait agir d’une manière aussi peu rationnelle qu'il le
serait d'étudier en bloc, sous le titre de crûnes français, des cranes
bretons, basques, provençaux, alsaciens, etc. En conséquence, il
a soigneusement distingué les provenances, comme nous l'avons
fait nous-mêmes, M. Hamy et moi, dans nos Crania Ethnica.
— 187 —
M. Cauvin a, en outre, groupé ses têtes en séries distinctes, selon
leur plus où moins d’élongation.
À l'appui de ses tableaux de mensuration, l’auteur a formé un
atlas de dessins stéréographiques, dont le nombre paraît être con-
sidérable. Faute de temps, il s'est borné à envoyer les calques du
trait de quatre têtes. Chacune d'elles est représentée sous cinq
points de vue : par devant, par derrière, de côté, par en haut et
par en bas. Le choix fait par M. Cauvin est d'ailleurs très instructif
el permet d'apprécier toute l'étendue des différences que peuvent
présenter les crânes australiens.
Ces différences sont considérables, et elles ont conduit l’auteur
à admettre l'existence à la Nouvelle-Hollande de plusieurs races
distinctes. Il arrive ainsi à une conclusion que je crois avoir été un
des premiers à formuler il y a plus de vingt ans et qu'ont con-
firmée depuis lors la plupart des anthropologistes, en particulier
notre collègue M. Topinard, dans son excellente Étude sur les races
indigènes de l'Australie.
Mais, tout en se trouvant d'accord quant au fait général, les
hommes de science qui ont examiné et mesuré les têtes austra-
liennes ne le sont pas toujours dans la manière d’en comprendre
la diversité. Je ne saurais évidemment ni exposer ni discuter ici
les diverses opinions émises à ce sujet. Je me borne à résumer les
‘idées de M. Cauvin, en les comparant rapidement à celles que
nous avons adoptées, M. Hamy et moi, dans nos Crania Ethnica.
Pour M. Cauvin, dont je cite ici textuellement les paroles,
« l’aborigène australien appartient à deux races. L’une dolichocé-
phale, dont les représentants sont les plus nombreux, et qui
donne lieu pour le moins à deux types : un type classique, l’autre
plus négroïde par la face peut-être, moins par le crane. La
seconde race est brachycéphale. Il est à désirer que des observa-
tions plus nombreuses viennent, non seulement confirmer l’exis-
tence de cette race, mais encore permettre d'en découvrir l’origine
ethnique. »
En mettant en lumière par ses mensurations l'existence chez
les Australiens d'individus vraiment brachycéphales, M. Cauvin
apporte un fait entièrement nouveau pour la morphologie cépha-
lique de ces populations. Mais est-il fondé à voir dans le très petit
nombre de cas observés la preuve qu'il v a là une race brachyce-
phale, indigène au-même titre que la race dolichocéphale ? Je ne
— 188 —
le pense pas. Il me paraït bien plus probable que le raccourcisse-
ment de la tête chez certains individus est ici le résultat de l'in-
tervention d'une ou plusieurs races étrangères, accidentellement
croisées avec les vrais Australiens. |
Et d'abord, sur les quarante et un crânes inscrits aux tableaux À
et B de M. Cauvin, deux seulement sont brachycéphales. Ils pro-
viennent, l'un de Rockhampton (indice 83,42), l’autre de Port-
Darwin (indice 84,21). Quatre crànes sous-dolichocéphales sont en
outre indiqués comme venant des régions entre le cap York et
la Nouvelle-Galles. C'est précisément dans ces régions que divers
auteurs ont signalé l'existence de Polynésiens, dont une colonie a
été découverte par M. Verreaux sur la côte orientale de la pres-
qu'ile d'York. Or, les Polynésiens occidentaux sont parfois bien
près de la brachycéphalie. Sur cinq crànes masculins des iles
Wallis faisant partie des collections du Muséum, un a pour indice
81,65, l'autre 82,02. Aussi n’avons-nous pas été surpris, M. Hamy
et moi, de trouver. sur six têtes provenant de Rockhampton, deux
crànes dont les indices atteignaient 78,18 et 78,31, tandis que les
autres restaient absolument typiques.
‘élément malais a dû jouer un rôle analogue dans l'extrême
Nord-Ouest. C'est la une opinion que M. Cauvin a pressentie dans
son travail et qui peut invoquer en sa faveur l'observation di-
recte. Earl nous montre les navires drossés assez fréquemment
par la tempête à Port-Essington; il nous apprend que les praos
des îles Sarwatti sont fréquemment jetées sur les côtes occiden-
tales d'Australie; et, comme conséquence de ces accidents de
mer, il parle d'individus, ayant tous les caractères des Malais pur
sang, observés au milieu des tribus côtières de cette partie de
l'Australie.
Si les Polynésiens et les Indonésiens ont contribué à modifier
sur quelques points les populations australiennes, comment en
eùt-il été autrement des Néo-Guinéens? Les récits des pêcheurs de
Trépang, recueillis par Earl, nous disent que des Nègyres à che-
veux laineux occupent au moins une partie des îles Melville et
Bathurst, à l'extrémité de la terre d'Arnhem; Mac-Gillivray regarde
l'archipel du Prince-de-Galles, placé tout près du cap York, comme
le lieu où les races néo-guinéennes et australiennes se sont ren-
contrées. Il est, peut-on dire, impossible que les premières, sé-
parées ici du continent seulement par de simples détroils, n'aient
— 189 —
pas atteint de temps à autre la grande terre, ne fût-ce que par
suite des accidents de navigation.
Par suite de ces accidents, la Nouvelle-Guinée a dû introduire
en Australie deux éléments ethnologiques fort différents; car elle
n’a pas seulement des Papouas dolichocéphales, elle possède aussi
des Negrito-Papous brachycéphales. M. Hamy et moi avons suivi
ce dernier type jusque dans l'île Toud, en plein détroit de Torrès.
Un crâne féminin de cette localité présentait un indice de 86,16.
Ces Negrito-Papous ont pu, ont dû, selon toute apparence, être
pour quelque chose dans le raccourcissement de certaines têtes
australiennes. |
En revanche, les Papouas ont dû en allonger certaines autres.
On sait que cette race est une des plus dolichocéphales, et c’est
inême chez elle qu'Huxley a rencontré l'indice le plus bas connu
jusqu'ici (62,90). Son intervention accidentelle explique tout na-
turellement l'existence des têtes ultra-dolichocéphales que M. Cau-
vin pense devoir constituer en sous-type. Elles sont au nombre de
trois seulement, et les deux dont l'indice moyen descend à 64,95
viennent précisément du cap York, c'est-à-dire du point de la côte
le plus rapproché des colonies néo-guinéennes.
Le métissage accidentel rend, on le voit, facilement compte
des extrêmes exceptionnels portés aux tableaux de M. Cauvin. Ces
extrêmes Ôtés, 1l reste une majorité très grande de crànes rentrant
tous dans le type australien proprement dit, tel que nous l’avons
circonscrit, M. Hamy et moi. Rien ne me paraît indiquer que
M. Cauvin ait eu entre les mains quelque spécimen du type néan-
derthaloïide découvert par Huxley dans les tribus d’Adélaïde et
sur lequel nous avons donné des détails assez circonstanciés dans
les Crania Ethnica.
Indépendamment des deux tableaux où les crànes sont disposés
par race et selon les provenances, M. Cauvin en a donné un troi-
sième faisant connaître les moyennes générales par sexe. Ici le
nombre des mesures s'élève à trente pour le cràne, à vingt et un
pour la face. On comprend que je ne saurais aborder la discussion,
même d'un petit nombre de ces données. Ce qui précède suffit,
je pense, pour montrer que le Rapport de M. Cauvin est un tra-
vail très sérieux qui apporte un fait nouveau inattendu et soulève
par cela même des questions d'ethnographie où sont intéressées
presque toutes les races principales de l'Océanie. L'auteur n’a pu
— 190 —
obtenir ce résultat qu'à la suite d'études longues et minutieuses
accomplies dans des conditions qui paraissent avoir été assez dif-
ficiles. Il a donc doublement bien mérité de la science, et j'ai
l'honneur de proposer à la Commission de publier son mémoire.
DE QUuATREFAGES.
RAPPORT
SUR
LES MENSURATIONS ET LES CARACTÈRES MORPHOLOGIQUES
D'UNE SÉRIE DE CRÂNES AUSTRALIENS,
PAR M. CAUVIN.
Sydney, 30 mars 1880.
Monsieur le Ministre,
La mission d’études anthropologiques que vous avez bien voulu
me confier ne m’ayant dispensé d'aucune des obligations du ser-
vice à bord, et ces dernières, par suite du nombre et de la gravité
des maladies que j'ai eu à traiter, ne n’ayant laissé que relative-
ment peu d'heures de loisir; d’un autre côté, pensant qu’il est
beaucoup plus scientifique de réunir d'abord des faits aussi nom-
breux que possible d'où l’on tirera ensuite des conclusions que
les découvertes ultérieures confirmeront en les précisant, que de
_ bâtir sur quelques observations isolées et recueillies à la hâte des
hypothèses plus ou moins originales que les observations suivantes
font écrouler, j'ai dû me résigner à vous paraître, par mon long
silence, bien peu occupé des travaux dont vous m'avez fait l’hon-
neur de me charger.
J'ose espérer que l'exposé que je viens placer aujourd'hui sous
vos yeux, Monsieur le Ministre, quelque incomplet qu’il soit, vous
montrera qu'il n'en a pas été ainsi.
À la date de ce jour, mes mensurations comprennent :
4o crânes et 1 squelette d'Australiens.
2 — de Néo-Calédoniens.
8 — de Néo-Zélandais.
13 .— d'habitants de diverses iles du détroit de Torrès.
2 — dela Nouvelle-Guinée.
1 — de chacun des archipels Sandwich, Samoa et de la
Nouvelle-Irlande.
— 192 —
Quarante-quatre de ces crânes. parmi lesquels trente-cinq d’Au-
straliens, ont été dessinés au stéréographe sous plusieurs de leurs
aspects ou plans et m'ont donné cent quatre-vingt-dix dessins.
Notre séjour à Sydneÿ devant se prolonger encore quelque
temps, j'espère pouvoir, si la saison plus favorable et la santé de
l'équipage me le permettent, compléter ces études craniométriques
par des observations d'anthropométrie auxquelles je n’ai pu encore
me livrer, mes occupations professionnelles m’ayant empêché de
m'’éloigner de mon navire.
Avant d'entrer en matière, je demanderai à faire quelques ob-
servations.
Malgré tout le soin que j'ai apporté aux dessins comme aux
mensurations, il est impossible que quelques erreurs ou incorrec-
tions ne se soient pas glissées. Si quelques-unes, et je ne fais au-
cune difficulté de l’admettre, peuvent être mises sur le compte
de mon inhabileté de débutant, d’autres sont certainement im-
putables à l'imperfection des instruments qui m'ont été envoyés
dans les tout à fait derniers jours qui ont précédé mon départ de
France. |
Je ne parlerai pas des ennuis et des pertes de temps que ces
imperfections matérielles m'ont occasionnés. Ce qui est plus grave,
c’est que l'insuffisance des instruments privera le présent travail
d'une partie de ses éléments, qui ne sont pas les moins impor-
tants.
Dans quelques mois, une exposition va s'ouvrir à Melbourne,
qui promet de surpasser celle, pourtant fort remarquable, qui
va finir à Sydney. Si la Société d'anthropologie est dans l’inten-
tion de solliciter pour quelqu'un, comme l'a fait pour moi M. le
professeur Broca, une mission similaire à la mienne, il est vive-
ment à désirer, dans l'intérêt de la personne chargée de la mis-
sion et dans l'intérêt de ses travaux eux-mêmes, que son outillage
soit plus complet que celui dont je dispose et ait été éprouvé.
Je joins en annexe une note détaillée sur ce sujet.
Qu'il me soit permis d'ajouter que, dans ma conviction, les
incorrections auxquelles je fais allusion ne sont que de détails et
n'altèrent pas les résultats généraux.
Les quarante et un crànes australiens dont je vais m'occuper
exclusivement dans le présent rapport se partagent en trois séries :
ceux d'hommes, qui sont au nombre de dix-sept; ceux de femmes,
— 193 —
qui s'élèvent à onze, et ceux dont le sexe n'a pu être déterminé
d'une manière certaine et qui, au nombre de treize, sont rubriqués
«incertains ».
Il est à remarquer que, dans cette dernière série, les crânes
qui semblent être de mâles, sont au nombre de trois; les autres,
* moins un réellement incertain, paraissent provenir de femmes.
Nous a donc dire que nous avons à examiner deux séries
de puel crànes chacune.
‘étais quelque peu mécontent de cette grande proportion de
cranes femelles, à la pensée que ceux-ci, «intermédiaires entre
l'enfant et l'adulte masculin », me donneraient moins bien les ca-
ractères ethniques du crâne. J'ai été tranquillisé depuis, en lisant
que «c'est le sexe féminin qui conserve le plus longtemps les traits
les plus accusés du type primitif, et c'est en lui que nous devons
retrouver les traces les plus pures. »
Ces divers crânes m'ont montré quelques différences entre eux
au point de vue morphologique, et, d'un autre côté, leur prove-
nance varie beaucoup. Les uns viennent des contrées méridionales
de la Nouvelle-Galles du Sud, d’autres des plaines à l'Ouest de la
chaîne de séparation, ceux-ci de divers points des côtes de l'État
de Queensland, ceux-là de l'extrémité Nord de l'Australie, des
deux côtés du golfe de Carpentarie (cap York et Port-Darwin);
enfin, l'un provient de l'ile Melville.
Cette diversité de provenance, se joignant à des différences de
caractères ou de conformation, m’a fait penser que tirer des con-
clusions de leurs moyennes collectives serait marcher vers un
résultat aussi erroné que le seraient, par exemple, les moyennes
prises sur des mensurations de crânes bretons, basques, proven-
çaux , alsaciens, etc. réunis sous la dénomination de type français.
J'ai donc cru devoir les examiner selon leur provenance, et
j'étais d'autant plus justifié dans cette manière de faire que, si la
majeure partie de ces crânes appartient au type dolichocéphale ou
sous-dolichocéphale, j'en ai rencontré deux mésaticéphales et deux
brachycéphales.
Dans le classement que j'ai fait, j'ai dû m'en rapporter aux in-
dications du catalogue du muséum de Sydney, indications qui ne
sont que la reproduction de celles qu'ont fournies les donateurs de
ces objets; toutefois, de l’aveu même de M. le curateur du mu-
séum , il y a des réserves à faire sur la justesse de ces indications.
MISS, SCIENT. —— Wii. a
— 194 —
Les crânes ont été parfois déterrés, d’après des indications exactes,
dans des lieux connus comme ayant servi à la sépulture d'indi-
gènes; mais, d'autres fois, leur découverte a été due au hasard, en
creusant un puits, par exemple; ou les fondations d'un édifice.
Quelques-uns de ces cranes émargés d’un ? sont évidemment austra-
liens; d’autres, catalogués « aborigènes », manquent de quelques-
uns des caractères réputés caractéristiques de la race australienne
et appartiennent peut-être à un rameau particulier.
Si donc on peut reprocher au classement par provenance de se
montrer insuffisant par suite du trop petit nombre de crànes for-
mant ainsi une série; si, d'autre-part, nous voyons avec la même
provenance des crânes de types différents, je suis cependant auto-
risé à former comme des groupes, que nous pourrons ensuite com-
parer entre eux, rapprocher, fusionner même quand ils paraîtront
similaires, sans introduire à priori des éléments qui nous condui-
raient, ce me semble, à des conclusions erronées.
Voici comment se partage ma série de crânes sous le rapport de
la provenance :
Hommes. Femmes, Incertains. Toraz.
NOUVELLE-GALLES DU SUD.
CGôobrasu Li. als. Bas st CE 1 ire ” 2
Mudeep et 42 + re APR # l 7 1
SHOADAVER. . PS. CNMTEMEN 1 ” ” 1
Manoing Ver RENE nes 1 1 u 2
Müurrambidéee.}, 20500, © “ # 44 1
Jervis- Bay RE). LES ÉE HS : ? 1 “ 1
Kiama._ 1... à. Éécn des er Ele ” ? 1 1
Port-Stephens...... ZAC u ” 1 1
Clarence River. .......... 4 1 ” 1
Sydney (Port-Jackson)..... 1 ” u 1
Sans désignation de localité. A 2 3 9
ÉTAT DE QUEENSLAND.
Brisbane. 1, EAN PE 1 + 1 b
Wide-Bay RES SAT RAA A 7 & JEU / fl 2 be.
Rockhampton dense. RE x ds 2 ” 1 >
Cap YO : 727 de + 3 1 2 6
Port-Fairy LE PUIS SO ER LS “ # 1
ÉTAT DE L’AUSTRALIE DU SUD.
Port-Darwin. ...... Vie 2 Ki 2
re, Melville: 227 RER ” ” l 1
— 195 —
J'aurais bien voulu corroborer cette étude par lenvoi des des-
sins stéréographiques : leurs dimensions et leur nombre considé-
rable ne me permettent pas de les joindre ici, et je n'ai pas les
moyens d'en faire des réductions. J'envoie néanmoins quelques
calques sur papier mince pour suppléer à l'insuffisance des des-
criptions.
De l'examen des tableaux À et B qui suivent, il ressort une
première conclusion à laquelle nous amènera aussi la revue des
caractères descriptifs : le type australien n’est pas unique.
En effet, dans cette série de quarante et un crànes, nous en
trouvons trente-deux qui sont dolichocéphales (indice minimum,
64.28; indice maximum, 75), dont treize cranes mâles avec un
indice moyen de 70.29, neuf femelles donnant 70.89,et dix in-
certains, où les crânes supposés femelles dominent, avec 72.22.
De ces premières données, nous tirerions volontiers la proposi-
tion quelque peu étonnante, s’il ne s'agissait de l'Australie où tout
est au rebours de l’ancien monde, que le crâne est plus allongé
chez l’homme que chez la femme.
La moyenne générale nous donne 71.13, chiffre un peu plus
faible que celui qui a été obtenu par M. Broca.
L'indice des trois sous-dolichocéphales (deux femmes de la Nou-
velle-Galles du Sud et un homme de Port-Fairy) donne une
‘moyenne de 76.32.
Les deux mésaticéphales ont respectivement 78.09 et 78.53.
Enfin, les deux brachycéphales (hommes de Rockhampton et
de Port-Darwin) ont 83.42 et 84.21.
Voilà donc évidemment je ne dirai pas deux types, mais très
probablement deux races distinctes.
Mais, parmi les dolichocéphales, rangerons-nous dans le même
groupe, par exemple, le n° 9 (hommes), dont l'indice céphalique,
moyenne de deux éléments assez semblables, est de 64.95, avec
là plupart des autres crânes? Je ne le crois pas possible; car, en
plus de cette prédominance du diamètre antéro-postérieur sur le
transversal qui forme l'élongement du cràne, nous remarquerons
une différence notable dans l'indice frontal chez les uns et chez
les autres.
Tandis que, sur la plupart des cranes, l'indice frontal, c'est-à-
dire le rapport du diamètre frontal minimum au diamètre trans-
D]
13.
— 196 —
versal maximum, est à peu près le même que le rapport de ce
dernier avec le grand diamètre antéro-postérieur, nous voyons
chez notre ultra- dolichocéphale « ce rapport énormément plus élevé
(81.03 indice frontal).
Nous ne trouverons pas moins remarquable le rapport des
mêmes indices (céphalique et frontal) chez le n° 3 (femmes).
Tel n'est-il pas aussi, dans des proportions sautant peut-être
moins aux yeux, le n° 5 (hommes) du même tableau ?
Il est évident qu'au fur et à mesure que le diamètre transversal
s'accroît, le diamètre frontal restant le même, le rapport entre
ces deux dimensions diminue, d'où le rapport très petit des indices
frontaux de nos brachycéphales; mais il ne s’agit pas seulement
des rapports; les diamètres frontaux sont absolument plus grands
chez nos ultra-dolichocéphales que chez les dolichocéphales simples;
en sorte que, au point de vue de la capacité cränienne, la com-
pensation en largeur pour l’encéphale se fait en faveur de sa partie
antérieure.
Je citerai volontiers comme un des plus remarquables de ce
type celui qui porte le n° 5 (hommes) dans le tableau À (voir
pl. I, fig. 1 à 5). Ce crane, qui s'éloigne du type classique austra-
lien par l'absence d’arcades sourcilières, par son front bombé, par
un ensemble, en un mot, qui le classe à part des autres,ce crane,
disje, me paraît répondre au premier groupe des crânes de la
collection étudiée par M. P. Topinard (Etudes sur les races indi-
gènes de l'Australie, p. 42), et, comme celui de ce groupe dont
la provenance est indiquée, il vient de Port-Jackson.
Mon registre d'inscription porte les mentions suivantes : « Ce
crâne, de grandes dimensions... a le front arrondi, une bosse
frontale unique, médiane, formée par les deux bosses latérales
qui se rejoignent.
« Inion très bas, arrondi, courbe occipitale supÉtEnse très accen-
tuée, épaisse de 28 millimètres à droite et de 17 à gauche. Ptérion
gauche renversé; la deuxième molaire un peu plus grosse que la
première, à droite surtout.
« Suture sagittale en creux, la profondeur de la rigole allant jus-
qu'à 2 millimètres et demi.
« Les points d'appui du cràne sont, en avant, les dents; en ar-
rière, la ligne courbe occipitale. »
= Cette dernière mention implique la petitesse des apophyses
— 197 —
mastoides, le retrait, en haut de la partie médiane ou condylienne,
de la base du crane.
Ces signes sont féminins, en effet; je n'ai pas hésité cependant,
vu les autres caractères, à classer ce crâne parmi les crânes mâles
à première vue, sans connaître, à ce moment, la mention qu'en
avait faite M. Topinard. C’est qu'en effet, ces différences ne sont
pas des différences simplement sexuelles, mais bien des différences
de type.
Voici les mensurations de ce crâne, qui, à mon avis, appartient
à une tribu refoulée vers l'intérieur par l'arrivée des Européens
ou peut-être même disparue aujourd'hui : |
Diam. anléro-postér. maxim.. 200 Diam. naso-basilaire. . . ... 119
— transversal maxim. ... 136 — biorbitaire externe. . 113.5
Bt verbal à PYYEL La r 139 : — — interne. . 104
4 frontalmaimmie..s + 1: LoÔiot-cubimaldiress 25.4 cn 4
— stéphanique......... Me a sPjueals te HEAR TUE
— iniaque . LE Lu 190 — bizygomatique. .... 134
=Hrhaunceutaire. :..... 1207 Hauteur de Forbile::.:442 30:
— bitempocul......... 11200 Parseurde orbites..." 39.9
—— à astérique. .......... 110
Les autres indications seront trouvées sur le tableau A.
La proposition, émise plus haut, de la pluralité des types austra-
liens se dégagera encore plus nette par l'étude et la comparaison
des caractères descriptifs des crànes de la série que j'examine ici.
Plan horizontal.
La norma verticalis est ovoïde, elliptique même, chez le plus
grand nombre; mais nous la trouvons aussi représentant comme
un rectangle dont le côté occipital seul est convexe; quant aux
brachycéphales, la norma verticalis a naturellement une forme
presque arrondie.
Plan transversal,
La silhouette du plan vertical transversal offre deux types bien
accentués, dont les sujets sont en petit nombre, et un type inter-
médiaire, qui est celui de la majorité des cas.
Dans l'un, le plus grand diamètre transversal passant par les
bosses pariétales et ia voûte cranienne étant en toit, la silhouette
présente assez bien l'aspect d’un pentagone; dans l’autre, le dia-
— 198 —
mètre transversal maximum tombe vers la base des apophyses
mastoïdes, et, la voûte étant toujours en toit, la silhouette de la
tête est conique.
Enfin, dans le type intermédiaire, le diamètre passe vers le
milieu de la hauteur totale de la tête, qui présente alors un aspect
normal, avec cette restriction que les parois du crâne sont souvent
comme reclilignes.
J'ai parlé de la voûte en toit : elle est fréquente; mais le degré
d’inclinaison de ses pentes varie beaucoup.
Plan vertical antéro-postérieur.
Le front est généralement fuvant, et la plus grande hauteur du
crane se trouve un peu en arrière du bregma.
Sur un des cränes, le front est réellement élevé; mais, à partir
du bregma, la courbe antéro-postérieure s'avale comme la croupe
d'un cheval vulgaire. Sur un autre crâne, le front surplombait
toute la face, mais probablement en raison de la soudure des su-
tures de la voûte.
Sur deux crânes, la partie sous-jacente à l’inion était complète-
ment horizontale.
Dolichocéphalie occipitale.
La majorité des cranes nous présente un renflement particulier,
quelquefois très accentué, de la partie sus-iniaque de l’occipital;
quelques-uns ont l'occiput ou mieux toute la partie postérieure
du crâne presque aplatie, toutefois pas au même degré des chez
les Malais.
Phénozygie.
N'oublions pas d'ajouter que, si la phénozygie est la règle, nous
n'avons pas été peu étonné de trouver sous les aiguilles du stéréo-
graphe des arcades zygomatiques dépassant à peine le contour de
la voute crânienne.
Poids du crâne.
Quelques crânes nous ont paru si anormalement lourds que
nous en avons porté la mention sur notre registre d'inscription :
mais, à côté, nous trouvons signalés des crânes dont la lévèrelé est
remarquable.
— 199 —
Quant à l'épaisseur des os, nous l'avons notée dans deux cas
spéciaux; au point iniaque, sur l'un d'eux, l'épaisseur était de
24 millimètres.
Nez-racine.
Ea racine du nez est très déprimée chez ceux qui ont les arcades
sourcilières saillantes, et non chez les autres, ce qui indique que
la dépression, si remarquable au premier aspect, n’est qu'objective.
L'indice nasal nous donne une moyenne générale de 55.47, les
extrêmes individuels étant de 36.36 et de 68.51.
Remarquons que, sauf quelques exceptions ayant pour indice
nasal 43.07 et 47.46, tous les dolichocéphales de ma série sont
platyrhiniens, tandis que les brachycéphales sont leptorhiniens.
Il serait certainement fort intéressant de retrouver les traces de
cette race à caractères du vieux continent, de savoir si ces crânes
brachycéphales déjà signalés sont ceux d’une race qui a vécu sur
le continent australien ou seulement ceux de quelques individus
de passage, d'immigrants malais.
Quoi qu'il en soit, ne trouverions-nous pas dans la rencontre de
ces cranes la confirmation des témoignages de voyageurs qui parlent
de nez minces et aquilins ?
Orbites.
Les orbites sont généralement quadrilatères, à angles arrondis,
mais à bords droits; sur quelques sujets, ils ont une forme plus
ronde; le diamètre transversal est toujours plus grand que la hau-
teur et toujours oblique en dehors et en bas, mais à des degrés
divers jusqu'à la presque horizontalité. L'indice orbitaire est à peu
près le même chez la femme:que chez l'homme; mais, par suite
des autres dimensions moindres, tant de la face que du crâne, les
orbites et, par suite, les yeux paraissent plus grands que chez *
l'homme. La ligne biorbitaire est ordinairement tangente au bord
inférieur des os nasaux, ou, pour parler plus exactement, passe
au point {ou à 2 ou 3 millimètres du point) où le bord oblique
en dedans du maxillaire supérieur change de direction pour aller
en arrière. Le bord extrême des orbites, quelquefois épais, présente
une configuration qui, suivant le point que l'on choisit, peut faire
varier la largeur de l'orbite de 2 millimètres. La face antérieure
de l'apophyse orbitaire est partagée en deux faces par une arête;
— 200 —
la face interne, servant d'attache à la capsule de Tenon, est comme
dépolie, et Ja démarcation avec l'externe est très nette. J'ai toujours
pris les mesures sur le bord le plus externe, marqué en trait plein
sur la figure (voir pl. IV, fig. 2).
Face,
En dehors des différences sexuelles, il y a peu de différence
dans la face au point de vue des mensurations; toutefois, à hau-
teur égale, la largeur est plus grande chez l’homme que chez la
femme; quant à la différence en hauteur, elle provient particu-
fièrement de ce que les distances ophryo-nasale et spino-alvéolaire
sont moindres chez la femme, le nez (ligne N. S.) ayant sensible-
ment la même longueur dans les deux sexes.
Au point de vue de l'aspect d'ensemble, nous indiquerions vo-
lontiers deux types : dans l’un, les fosses canines sont très excavées:
elles forment comme une niche dans l'angle rentrant du maxil-
laire, et le trou sous-orbitaire en occupe le sommet; dans l’autre,
la face est comme poussée en avant, et la face antérieure du maxil-
laire supérieur est, pour ainsi dire, plane de la fossette incisive à
la suture maxillo-malaire. Dans la majorité des cas, le plancher
osseux des fosses nasales est oblique en avant et en bas, et les deux
arêtes qui, chez le blanc, forment le bord inférieur de l'ouverture
nasale et vont se rejoindre pour constituer l'épine, passent, dans les
cranes australiens, en arrière d'un segment concave transversale-
ment qui empiète sur la hauteur alvéolaire, mais fait encore partie
de la région nasale; c'est, d'ailleurs, une caractéristique des nez
de la race nègre. | -
Je ne parlerai pas ici de l'angle facial; le tableau en dit suffi-
samment à cet égard : on y verra un écart considérable entre le
maximum et le minimum individuels.
Nous ne retiendrons qu'une ehose : c’est que, chez la femme,
l'angle facial de Broca est plus grand que chez l'homme, ce que
j'ai trouvé, depuis, constaté sur des mesures de crànes de nègres
males et femelles.
Chaque fois que nous l'avons pu, nous avons pris l'angle ophryo-
alvéolaire (angle de Claquet modifié par Topinard). Le tableau G
nous montre qu'il est en moyenne, dans les crâänes qui nous oc-
cupent, de 10 degrés inférieur à l'angle ophryo-spinal; mais indivi-
duellement celte différence est bien autre : chez un sujet, j'ai trouvé
— 201 —
le premier (ophryo-spinal) 81 et le second (ophryo-alvéolaire)
63.5; un autre avait 78 et 65, 75 et 61.7, landis que d’autres n’ac-
cusaient qu'une différence de 2 ou 3 degrés, l'angle de Broca étant
de 72:
Ici encore l'angle est plus ouvert chez la femme que chez
l'homme, d'où le visage moins bestial... Et je ne puis m'em-
pêcher de penser que les chiffres sont une bien belle chose; car
je n'ai jamais vu de têtes de guenon plus horriblement grimacantes
que les visages de ces belles Australiennes. Il me tarde de con-
firmer sur le vivant la vérité de ce que nous enseignent les chiffres.
La figure 1, pl. IV, présente le profil d’une tête dont l’angle de
_ Cloquet a donné 59 degrés au goniomètre de Broca.
Je n’ai pas trouvé qu’à un degré plus grand de prognathisme
alvéolaire correspondit une plus grande distance du point alvéolaire
au basion. (
La forme de l’arcade dentaire est généralement parabolique;
dans un ou deux cas, hyperbolique; dans un cas, elliptique.
J'ai eu peu de mandibules à ma disposition, bien quil s'en
rencontre plusieurs dans les vitrines du muséum de Sidney; mais
comme ces os sont séparés de leur tête respective et que je n'ai
pas le temps de chercher à les apprécier, je n’ai pas cru devoir les
mesurer comme mandibules australiennes. Quant à celles qui,
fixées à leur crâne, sont réellement d’aborigènes, elles ne sont pas
encore assez nombreuses pour donner lieu à des conclusions.
Pour les dents, elles sont généralement très usées, et l'usure
n° 4 du tableau de Broca n'est pas rare. Cette usure est tantôt
horizontale, tantôt oblique en dehors. J'ai rencontré des arcades
dentaires, soit supérieures, soit inférieures, tellement curieuses
sous le rapport de l'usure des dents, que je me suis proposé d'en
prendre des moules.
L'édentation ethnique d’une ou de plusieurs dents n’a été ob-
servée que sur sept crânes. Cette édentation porte toujours sur les
incisives; tantôt c'est l'incisive moyenne droite (trois cas), tantôt
la moyenne gauche (deux cas) , tantôt les deux incisives du même
côté (deux cas).
I n'y a aucun rapport entre le sexe et le côté où se produit
l'avulsion de la,dent.
Je ferai remarquer que, sur ces sept cas de mutilation, six ap-
partiennent à des crànes provenant de la Nouvelle-Galles du Sud
— 202 —
et un (édenté des deux incisives du même côté) vient de Brisbane.
Or cette édentation existe dans les tribus qui vivent actuellement
dans les environs de Sydney et se trouve également sur le crâne
(pl. I, fig. 1 à 5) recueilli dans,.une baie de Port-Jackson dont
j'ai parlé plus haut. Cette coutume existerait donc dans des tribus
dissemblables de la partie orientale du continent australien. La
carie est rare; la dimension des dents est très variable. L’appari-
tion de la dent de sagesse ne doit être guère plus précoce que dans
les autres races nègres, si l’on en juge par l'usure des autres dents,
alors que la troisième molaire est presque intacte. C’est même cette
considération qui m'a fait penser que les deux cas où j'ai rencontré
la suture basilaire ouverte avec la sortie des dents de sagesse étaient
des anomalies et non un simple indice de jeunesse et de précocité
dans l'évolution des dernières molaires. Une seule fois, la loi de
croissance des molaires a été trouvée simienne.
Sutures. ë
La suture coronale est habituellement simple, linéaire; les zig-
zags mêmes que fait cette suture lorsqu'elle traverse la zone entre
les courbes temporales manquent très fréquemment. Tous les de-
orés de complication se remarquent dans les-sutures sagittale ‘et
lambdoïde.
La soudure qui se présente le plus est celle des environs du
lambda, plus généralement de l'obélion au lambda, coïncidant
fréquemment avec la soudure de la branche corono-pariétate du
ptérion. J'ai rencontré une fois la soudure postérieure de la suture
écailleuse du temporal. J'ai parlé plus haut de la non-soudure ba-
silaire observée deux fois sur des sujets paraissant adultes par
d’autres caractères.
Je n’ai pu, non seulement faute de l'outillage nécessaire, mais
surtout faute d'aide, mesurer la capacité des crânes, et le nombre
qui forme la collection que j'étudie ici est assez considérable pour
que cette lacune soit fort regrettable.
Je suis le premier à le sentir.
La courbe temporale supérieure se montre très diverse : chez
les uns, elle s'approche beaucoup de la sagittale; chez d’autres,
elle en est éloignée; chez les uns, elle est saillante, en forme de
crête; chez les autres, elle se présente sous l'aspect d’une bande
lisse bordée d'une ligne comme dépolie; chez certains, elle appa-
— 203 —
rait si peu que, sur quelques-uns de mes dessins, Je ne l'ai pas
marquée; mais, chez tous, elle se projette fort en arrière, avec
cette particularité que, tandis que la courbe inférieure continue
sa courbe régulière, la supérieure change de rayon et de centre
de manière à n'être plus parallèle à l'autre. |
Les planches que j'ajoute à ce travail donneront une idée des
divers aspects de ces lignes d'insertion aponévrotique et muscu-
laire.
Enfin, je signale quelques particularités observées dans le cours
de l'examen des crânes pour leur description :
Le diamètre des trous nerveux sus et sous-orbitaires est large; le
sus-orbitaire est presque toujours sur le bord et forme, non un
trou, mais une échancrure. Par contre,.les trous pariétaux au voi-
sinage de l'obélion manquent fréquemment, ainsi que les trous
condyliens postérieurs de la base de l'occipital. La voûte palatine
est parsemée comme de stalactites osseuses chez plusieurs sujets,
qui ont jusqu à 2 1/2 et même 3 millimètres de hauteur.
En résumé, l’aborigène australien appartient à deux races. L'une
dolichocéphale, dont les représentants sont les plus nombreux et
qui donne lieu pour le moins à deux types : un type classique,
Vautre plus négroïde par la face peut-être, moins par le cràne.
La seconde race est brachycéphale; il est à désirer que des obser-
vations plus nombreuses viennent non seulement confirmer l’exis-
tence de cette race, mais encore permettre d'en découvrir l'ori-
gine ethnique.
Je suis avec un profond respect, Monsieur le Ministre, votre
très obéissant serviteur.
C. V. Cauvin,
Médecin de première classe de la marine.
— 204 —
ANNEXE.
Les incorrections qui seront remarquées dans les dessins sté-
réographiques que j'ai faits des crâänes du muséum de Sydney pro-
viennent : |
1° De ce que la libelle ne s'adapte pas bien au craniophore de
facon à permettre de placer sans tätonnements le crâne à dessiner
dans une position telle que son plan antéro-postérieur soit exac-
tement perpendiculaire à la surface de la planchette du stéréo-
graphe. |
Cette libelle est susceptible d’un certain jeu autour de l’axe du
support du craniophore, ce qu’il ne faut pas. Au lieu d’être ellip-
tique, il me paraît préférable qu'elle soit carrée, ainsi que le sup-
port du craniophore. Ou encore, s'il vaut mieux que le support
soit arrondi pour mieux s'adapter à la concavité du trou occipital,
pourquoi la libelle ne glisserait-elle pas le long de ce support à la
manière d'un curseur, et ne serait-eile pas maintenue dans sa posi-
tion parallèle aux côtés du pied du craniophore par deux arêtes qui
s'engageraient dans deux rainures correspondantes de cet instru-
ment ?
Une fois le crane mis en place et serré par la
tige à vis, on ferait descendre la libelle jusqu’au
bas du support de manière à ne pas gêner le pas-
sage des tringles dessinatrices;
2° De ce que le suspenseur a les angles ou
arêtes de sa base de bois fort usés, de manière
que, sous une légère pression, il vacille et mo-
difie, par suite, assez notablement le plan dans
lequel une partie du dessin a été déja faite.
Il importe que cette.base soit lourde, en fonte,
par exemple, surtout pour les cas où le crane est
pesant et où, pour atteindre, avec la tringle, les parties les plus
éloignées du dessinateur, on est obligé de rapprocher le suspenseur
jusqu’au bord de la tablette du stéréographe. On pourrait, me dira-
t-on, prendre une aiguille plus longue. Ce n'est pas mon avis : outre
la perte de temps plus grande qu'occasionnerait le changement des
tringles, surtout si l'on n'a qu'une seule bague, il y a cet autre
Coupe horizontale.
— 205 —
inconvénient que, plus la tringle est longue, plus sa pointe a de
chance de dévier de son axe sous la pression exercée pour suivre
exactement un contour, et, par conséquent, plus il y a de chance
d'erreur pour le dessin, l'axe de la tringle n'étant plus celui du
Crayon ;
3° De ce que l'axe des trous du suspenseur n'était pas le même
pour tous deux; il en résulte une certaine obliquité à laquelle je
ne pouvais remédier.
D'un autre côté, les fiches auriculaires glissaient parfois si faci-
lement dans leurs bagues, que la légère pression de l'aiguille dessi-
natrice suffisait pour déplacer latéralement le crâne, et plus d’un
dessin a dû être recommencé par suite de cet accident.
J'ai déjà suggéré l’idée que les fiches auriculaires soient faites
en pas de vis. |
Le dessin stéréographique des mandibules présente beaucoup
d'intérêt, en ce qu’il présente certains détails qui défient toute des-
cription, et la comparaison de ces dessins peut donner lieu à des
observations curieuses que ne peuvent faire naître les chiffres et
les mots les plus nombreux et les plus exacts. C'est toujours le
vers d'Horace : « Ce qui parle aux yeux...»
Mes tentatives pour suppléer au manque d'instruments n’ont
pas été très fructueuses, et la modicité de mes ressources ne me
permettait pas de recourir à l'habilelé professionnelle d’un méca-
nicien.
On peut bien prendre des moules, mais ce n'est pas là un pro-
cédé simple : l'opération est plus longue; elle exige une certaine
habileté manuelle; les résultats en sont encombrants {car il ne
faut pas oublier que je parle pour le voyageur qui dépense ses loi-
sirs en études craniométriques), et l’on n’a pas l'avantage d'illustrer
par leur reproduction son étude sur une série de ces os.
Enfin, Ja mesure de la capacité des crânes devant être faite avec
certaines précautions et un manuel opératoire fort minutieux,
sous peine d’avoir des résultats qui ne pourraient être utilisés, et
certains instruments recommandés par M. Broca ne se trouvant
pas facilement à l'étranger, il importe que le voyageur chargé
d'une mission d'études craniométriques soit muni de l'appareil
destiné au mesurage de la capacité crânienne.
C. V. Cauvix.
— 206 —
À. — TABLEAU DES INDICES ET DE DIVERSER
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1 — 207 —
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— 206 —
A. — TABLEAU DES INDICES ET DE pivrr
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INDICES CRÂNIENS. CIRCONFÉRENCE
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4, Manning River... 71:73 73:91 | 103.03 | 71.96 | 87.15 507 432 506
5. Sydney....,,... 1] 68 69:50 | 102.27 | 73.94 | 90.59 | 557 432 590
6. Inconnu. .,..... 2] 72.23 | 55.73 | 104.88 | 95.47 | 04.54 | 512.6 | 430 519
7. Brisbane. ... sus 1] 7 74:79 | 105.34 | 71.75 | 83.92 | 519.5 | 44o 505
8. Rockhampton!. .. à 70:80 78.74 | 112.88 | 82.09 | 93.22 | 538 450 535
9. Cap York... sure 2 64:95 | 7o.12 | 107.93 | 81.03 | 90.42 | 533 435.5| 54
10. Port-Darwin".... 1] 72.06 | 79.32 110.07 | 70.94 | 86.66 | 50og.5 | 440 486
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1 è - 11 70.07 | 74:72 | 105.42 | 56.74 | 93.83 | 5où 435 503
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9. Cap NOT TE LE es RARES 2278 200 Le 2.
de 71:90 | 72.61 | 101.84 | 7ou1 | 94 535 461 525
207 —
DK GRÂNES AUSTRALIENS.
OBSERVATIONS,
1 Cet indice ést la
moyenneulo deux. termes
très différents, 3:07 €L
b Ces indices sont la
moyenne de deux termes
assez dissemblables.
° L'un des crûnes «a
—6, l'autre +9.
Un de 65°, l'autre
© Les monsurationsqui
manquent n'ont pu être
prises, pour divers. mo-
f Des deux crânes de
celle provenance; l'un est
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6 Un de +4,5 ,un de
7, un de —4.
h L'un de + 10°, l’au-
tre de + 3°.
i Un angle de 72°,
l'autre de 81°,
Nora. — L'exactitude
de quelques-uns de ces
renvois me parait dou-
touse; mais je ne puis
que respecter le texte
dont j'ai à corriger les
épreuves: A. pe Q.
YENSURATIONS
PROJECTION ANGLES: 7s URSS PAGE
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112: | 102 214.5 | 74 65.5 n° 67.44 81.06 ST
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98 90.5 | 188.5 | 72 67 12.5 |62.59 | 89.47 | 53.56
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106 | 93 5 | 63 5 0.94 | 91.67 |48.35
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9h | 98 |192 75 |68.84| ”5. |62.35 | 83.14 | 59.38
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106209 |.76.5'| 66.3 | 1.25|65.48 | 82.60 | 04:
— 208 —
B. — TABLEAU DES INDICES ET DE DIVERS
- INDICES CRÂNIENS. ' CIRCONFÉRENCE
LOCALITES
de , 5 ne :
1° ver- 2° ver- Stépha- médiane | tranver horizo
Frontal. sale tale
PROVENANCE. tical. tical. nion. totale.
totale. totale
SOUS-DOLICHOCÉPHAL
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. Cap York
. Jervis-Bay * 76.5 : D: 58. 86. 512
2. Inconnue 75. ; 2.4 D. : 473
. Nouv.-Galles du Sud.. | 78.55 | 73.52 $ ; 479.5 | 430
. Rockhampton | 3 7.03 | 497 |480o | 500
+ Port-Darwin e 4 : æ 492.5 | 450 495
— 209 —
ENSURATIONS DE CRÂNES AUSTRALIENS.
ANGLES. INDICES FACIAUX.
A —
De OBSERVATIONS.
S- te-
pet DE Dauben- | Facial, | Orbitaire. | Nasal.
.rieure.
manquent n'ont pu être
99.81 prises, pour divers motifs.
86.48
4 Les mensuration 1
| 6 1. 39 S qui
ne
MISS. SCIENT. — VII. | i
— 208 —
B. — TABLEAU DES INDICES ET DE DIVERSES
” INDICES CRÂNIENS
LOCALITES
J J = 1 ver-
PROVENANCE. tical.
1. Port-Fairy. ..
2. Cap York
99.71
76.50
92.48
79:22
. Jervis-Bay*
69.89
. Inconnue
1. Nouv.-Galles du Sud..| 78.55 | 73.52 | 99.52
83.42
84.21
82,85
78.95
99-31
93.79
1. Rockhampton
2. Port-Darwin
92.86
88.93
86.87
85.78
84.82
CIRCONFÈRENCE
TE —
tranver- | horizon
sale tale
totale. lotale,
|
|
médiane
totale.
HOM
539 555
508 hg2
FEM
512 | 510
473 47o
INCER
479.5 | | 500 |
BRACHY
HOM
480 500
497 L
450 TE)
492.5
SU Che
MENSURATIONS DE CRÂNES AUSTRALIENS.
PROJECTION ANGLES,
Ophryo- Ophryo- De
= alvéo- | Dauben-
laire. ton.
ante- poste-
rieure,
totale. Facial, | Orbitaire.
ricure. spinal.
es
ET MÉSATICÉPHALES.
79.61
86.48
» | 95 | 97
CÉPHALES.
87-17
92-11
69.96
66.17
MISS, SCIENT. — VII.
INDICES FACIAUX.
Nasal.
OBSERVATIONS,
* Les mensurotions qui |
manquent n'ont pu êlre
prises, pour divers motifs,
— 910 —
C. —— TABLEAUX DES MOYENN
DIAMÈTRES.
DÉSIGNATION.
Antéro-postér"
maximum
Transversal
maximum.
Vertical.
minimum,
Stéphanique.
Iniaque.
Biauriculaire.
Bitemporal.
Astérique,
Maximum. ....
Hommes... { Minimum, ....
Moyenne de 17.
Maximum. ....
Femmes... { Minimum. ....
Moyenne de 13.
Maximum, ....
Incertains.. { Minimum
Moyenne de 11.
MOYENNE GÉNÉRALE : .43| 107.03|177.1| 117.03/126.3| 105.73] *99.83| 72.16
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DÉSIGNATION. FRE Din È £ # a È :
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Hommes. .... { Minimum. ....... 103 99.5 111.9 111 128 81 13,2 20
| Moyenne générale .| 110.2 100.9 114.8 118.8 136 90 9 17.9 23
{ Maximum........ 108.4 97-° 119 117 134 89 19 27
Femmes...... Minimum... 100 90 97 104,5 117 76 9:10
| Moyenne générale..| 103.8 94.8 108.1 110.5 126.7 82.17 14.7 20.
Maximum........ 116 109 117.5 126 140.5 93.9 26.5 24.5
Incerlains. ... 4 Minimum. ....... 99 91 99 103.5 117 78 13.5 18.
Moyenne geéncrale..| 106.7 98.4 109.8 113. 130.3 84.96 17.8 20.4
MOYENNE GÉNÉRALE. ..... 106.9 98.03 110.9 114,2 131 86.01 16.8 21.
e
Le Ml ==
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C. — TABLEAUX DES MOYENNES GÉNÉRALES PAR SEXE
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DIAMÈTRES. INDICES CRÂNIENS. TROU COURBE MÉDIANE COURBE PROJECTION
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RÉGION
HAUTEUR
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LARGEUR FACIALE
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biorbitaire
biorbitaire
interne
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Maximum
Incertains. ... { Minimum. ......,
Moyenne générale. .
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ORBITE.
Espace
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de l'orbite,
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RAPPORT
SUR LE PAPIER AU JAPON,
SA FABRICATION ET SES USAGES,
PAR
M. A. DYBOWSKI.
Le papier joue un grand rôle au Japon et, malgré son prix re-
lativement élevé, il y est très répandu et sert aux usages les plus
variés. Indépendamment de ceux auxquels on l'applique en Eu-
rope, papeterie et librairie, papier de tenture et d'emballage, etc.,
il en a un grand nombre d’autres.
À chacune de ses destinations correspond ordinairement une
variété particulière. Cette règle n'est pas sans exception, et
certaines variétés reçoivent des applications ne présentant pas
entre elles la moindre analogie. On peut citer comme exemple le
papier appelé Hans, un des plus répandus et qui sert de papier à
lettres, de vitres ou de mouchoirs de poche.
Le papier japosais est employé à un grand nombre d’usages
auxquels le papier européen ne peut convenir, parce qu'il possède
des propriétés toules spéciales, dues soit à la nature des matières
premières, soit à son mode de fabrication. Ses qualités les plus
caractéristiques sont la grande souplesse et la grande solidité.
À côté de ces avantages, le papier japonais présente aussi
plusieurs inconvénients : en premier lieu, son prix élevé; dans
l'endroit même où on le fabrique, il coùte plus cher que le
papier européen, malgré les frais de transport, de douane, etc.
_ dont ce dernier est grevé. Cette élévation du prix tient à ce que
tous les papiers de bonne qualité sont fabriqués avec des ma-
tières premières neuves; on ne se sert de débris de papiers, chif-
fons, etc. que pour Ja fabrication des papiers de qualité tout à fait
inférieure.
— 214
Mais la cause principale provient certainement des procédés si
primitifs employés dans leur fabrication. Les diverses industries
japonaises possèdent fort peu d'usines disposant soit d’un matériel,
soit même d’un local suffisants. Tout se fabrique sur une petite
échelle et les machines, qui manquent presque complètement,
sont remplacées par la main-d'œuvre, qui coûte très bon marché,
il est vrai!, mais qui, dans la plupart des cas, devient tout à fait
insuffisante.
Quelques usines mieux installées se sont fondées à Tokio et
ont essayé d'introduire les méthodes perfectionnées; il en est
même où l'on fabrique, avec un matériel venu d'Europe, des pa-
piers en tout semblables aux nôtres; mais ces essais sont encore
bien timides et les anciens procédés subsistent en majeure partie.
Il est probable qu'en appliquant en grand ces méthodes perfec-
tionnées, les Japonais pourraient obtenir leurs papiers à des prix
comparables à ceux des papiers européens, auquel cas leur
usage déjà si étendu se pit encore dans leur pays. et peut-
être aussi à l'étranger.
Ün autre inconvénient de ce papier est la coloration jaune
plus ou moins foncée que l’on remarque à peu près dans toutes
les variétés et qui lui donne un aspect désagréable. On pourrait
il est vrai, le blanchir à l'aide du chlore; mais le papier y per-
drait beaucoup de sa solidité, un de ses principaux mérites.
En général, les papiers japonais ne sont pas glacés et s'im-
bibent facilement, ce qui est encore un inconvénient lorsqu'on
veut écrire avec nos plumes européennes; les filaments qu'ils
gardent toujours dans leur pâte ajoutent un nouvel obstacle.
Mais avec la manière d'écrire des japonais, caractères de grande
dimension, tracés rapidement au pinceau avec une encre moins
absorbable, cette propriété présente cet avantage que l'écriture
sèche immédiatement.
Tel qu'il est, le papier japonais pourrait servir en Europe anis
un certain nombre de cas, où ses qualités spéciales en rendraient
l'usage avantageux. |
1 Un manœuvre se paye en moyenne vingt sens par jour et même moins. té
Le sen est la centième partie du yeu, unité monétaire du Japon, valant, suivant
les époques, de 4 à 5 francs. |
— 215 —
MATIÈRES PREMIÈRES.
Les papiers japonais, considérés dans leur ensemble, se fabri-
quent, de même que les papiers eurcpéens, avec les matériaux
les plus divers : écorce de différents arbres, herbes, pailles, vieux
chiffons et vieux papiers. Mais cette diversité dans Îles matières
premières se rapporle surtout aux papiers de qualité inférieure.
Les papiers de meilleure qualité, ceux qui présentent plus
spécialement les propriétés qui les distinguent des papiers euro-
péens, sont fabriqués presque exclusivement avec l'écorce de trois
espèces de plantes qui sont répandues un peu par tout le Japon.
Ces trois espèces de plantes sont :
1° Le Mütsoumata (m. à m. trois pointes), ainsi nommé à cause
de son mode de ramification ( Edgeworthia papyrifera, famille des
Thymélées), arbuste que l'on obtient de semis. Les graines se
_récoltent en élé et on les sème au printemps suivant. Au bout
d’un an on transplante, et, trois ans après, les tiges, ayant atteint
2 ou 3 chiakous! de hauteur, sont coupées à une petite distance
du sol. Chaque année, on renouvelle cette opération lorsque les
nouvelles branches atteignent une longueur de 4 à 5 chiakous.
Cette coupe se fait en hiver. C’est l'écorce de ces tiges, convena-
blement préparée, qui servira à la fabrication du papier.
Le Mitsoumata est cultivé surtout dans les provinces de Totomi
et de Sourouga, où croissent les espèces les plus estimées.
2° Le Kozou (Broussonetia papyrifera, famille des Morées) est
un arbuste qui atteint au Japon à peu près les mêmes dimensions
qu'en France (il-peut s'élever jusqu'à une hauteur de 10 chiakous
ou 3 mètres) et y présente aussi une grande polymorphie des
feuilles. Pour multiplier cette plante, il suffit de couper les plus
longues racines en fragments de 3 sunns ? de long environ et de
les mettre en terre en ayant soin de leur laisser dépasser quelque
peu le sol.
En automne et jusqu'en hiver, on fait la coupe des tiges, qui
atteignent une hauteur de 3 chiakous environ; on recommande de
1 Le chiakou ou shakou vaut 0",30303.
? Le sunn vaut o,1 de chiakou.
ss GES —
les couper obliquement et de telle façon que la face de section soit
tournée vers le Sud. On laisse en terre les racines, qui repro-
duisent annuellement des rejetons de même dimension; au bout
de quatre ou cinq années, la plante dégénère et on est obligé de la
renouveler. |
On peut aussi multiplier cet arbuste par marcoltage au prin-
temps et l'on transplante au bout d'une année.
Les meilleures qualités de Kozou se trouvent dans le Sud, dans
les îles de Sikok et Kioussiou , et plus spécialement dans la province
d'Tyo (Sikok).
3° Le Gampi (Wikstræmia, famille des Thymélées), plante wi-
vace dont la culture exige peu de soin et dont la taille varie entre
2 et 8 chiakous.
Comme la précédente, cette plante est assez répandue; mais
les meilleures qualités se trouvent dans le Sud, dans les îles
Kioussiou et de Sikok et dans les provinces de Kii, Yamashiro,
Tamba, Mino, Omi, et enfin dans les environs d’Atami (province
d'Idzou ).
On fabrique encore du papier avec beaucoup d’autres produits,
comme l'écorce du mürier et de certaines salicinées, les chaumes
de l'orge, plusieurs espèces de conifères, le bambou, etc. Mais
les papiers de ces provenances sont moins en usage. Il sont de
qualité inférieure, ou ne servent qu'à des usages spéciaux et très
peu répandus.
Les fabriques de papiers de choix destinés aux usages courants
emploient exclusivement les trois plantes que je viens de men-
tionner et qui présentent chacune des propriétés particulières.
Le Mitsoumaia donne les papiers les moins bons, généralement
légers et peu résistants.
Le Kozou sert à fabriquer les papiers les plus solides; mélangé
aux deux autres plantes, il est destiné à rendre les papiers plus
forts et à leur donner surlout de la résistance à la déchirure.
Le Gampi produit les papiers les plus fins et les plus beaux;
ils ont naturellement un aspect glacé et lisse et se distinguent par
leur propriété de ne pas être mangés par les vers.
Ces trois espèces de plantes s’emploient quelquefois isolément;
le plus souvent on les mélange dans diverses proportions.
— 217 —
Préparation des matières premières.
[l
Après avoir recueilli les tiges et avoir coupé celles qui sont
trop longues en portions de 2 à 3 chiakous, on enlève l'écorce,
qui.est la seule partie que l’on ait à expédier. Afn de la séparer
facilement, on soumet les tiges à l’action de la vapeur; pour
cela, on les réunit en faisceaux, que l’on place verticalement
dans une chaudière où l’on verse de l’eau jusqu’à une hauteur
d'environ 3 sunns. On recouvre la partie supérieure des tiges
avec un tonneau défoncé et on chauffe jusqu'à ébullition. Après
deux heures environ, on voit les peaux extérieures se contracter
et blanchir; à ce moment, l'opération est terminée. On enlève les
tiges, qui se laissent dès lors dépouiller avec facilité. On sèche
l'écorce ainsi obtenue en la mettant en faisceaux que l’on ficelle
à une extrémité et que l’on expose au soleil à cheval sur des
bambous horizontaux.
L'écorce est ensuite placée pendant quelques jours dans des
bassins pleins d’eau, ou mieux dans de l'eau courante, jusqu à ce
qu'on puisse facilement, en la grattant avec un couleau, séparer
le liber de l'enveloppe brune extérieure; celle-ci est employée
uniquement pour les papiers grossiers.
Plantes accessoires.
Parmi les malières premières qui servent à la fabrication du
papier, je dois encore citer d'autres plantes qui donnent une
espèce de colle ou substance gommeuse que l’on mêle à la pâte à
papier pour lui donner de la cohésion et afin que cetle pâte,
tenue en suspension dans l’eau, se répande également dans les
formes.
Les plantes qui servent à cet effet sont :
1° Le Néri ou Tororo (Hibiscus, famille des Malvacées), plante
annuelle, dont les graines se récoltent en octobre et se sèment en
avril : elle s'élève à une hauteur d'environ 1 chiakou. La partie
utile est la racine, que l’on recueille de juin à octobre. Elle donne
une substance mucilagineuse après une immersion dans Peau
d'uve heure environ.
Si l’on fait sécher cette racine au soleil , elle ne peut servir que
pendant trois mois environ; passé ce temps, elle ne donne plus de
— 218 —
mucilage. Mais si on la fait sécher à l’ombre, on peut s’en servir
a : :
pendant tout l'hiver et jusqu'au printemps suivant.
2° Le Norinoki (m. à m. arbre à colle) (Hydrangea, famille des
Saxifragées), plante croissant aussi bien dans les régions mon-
tagneuses que dans les plaines. La partie employée est l'écorce.
Lorsqu'on en a enlevé la peau extérieure, on la lave dans une
légère lessive de cendres et on peut la conserver ainsi après
l'avoir fait sécher.
On l'emploie de préférence au Néri, parce qu’il donne beau-
coup de mucilage et est en même temps moins altérable. Mais
comme il n’est pas très abondant, on est obligé d’avoir recours
au Néri.
On extrait la substance mucilagineuse du Norinoki en le plon-
geant simplement dans l'eau pendant un temps suffisant.
FABRICATION.
A
La première opération à laquelle on soumet, dans les fabriques,
l'écorce des plantes précédemment citées consiste à en faire un
nettoyage complet et à la débarrasser de son épiderme brun, qui
ne doit pas entrer dans la fabrication des papiers de choix. Pour
cela on plonge de nouveau les bandes d’écorce, réunies en paquets,
pendant deux jours dans des bassins contenant de l'eau froide,
ou mieux dans de l’eau courante, après quoi on gratte séparément
chaque bande avec un couteau sur un support en bois, jusqu’à
ce qu'elle soit complètement propre. On les assemble alors de
nouveau en paquets, que l'on ficelle à une extrémité et que l’on
suspend au soleil. L’écorce ainsi séchée est lavée de nouveau,
puis on la soumet à la compression, ordinairement en la dispo-
sant en tas sur des planches ou sur des dalles et en la faisant pié-
tiner par des hommes de façon à la briser.
On la place alors dans de grandes cuves en fonte, de dimen-
sions Variables, avec de l’eau contenant une lessive caustique de
cendres de bois ordinaire, ou mieux avec des cendres particu-
lières, de tiges de tabac par exemple. On ajoute quelquefois une
certaine quantité de chaux. Pour le Gampi, on se sert ordinaire-
ment de la poudre obtenue en calcinant des coquilles de mol-
lusques. Actuellement, dans certaines usines, on remplace les
cendres par du carbonate de soude.
ee ARS
On mélange généralement les cendres avec le double de leur
poids d’eau; puis, après avoir placé l'écorce dans la chaudière, on
verse cette lessive jusqu’à ce qu’elle recouvre un peu la masse;
on fait bouillir pendant plusieurs heures, généralement le soir, et
on laisse ensuite refroidir lentement pendant le reste de la nuit.
On retire alors la substance et on la lave à grande eau, en la pla-
çant dans des baquets percés de trous, puis on procède à un triage
pour enlever les nœuds et les parties restées dures.
La substance se trouvant ainsi convenablement préparée, on
procède au martelage. Cette opération s'effectue quelquefois dans
de vastes mortiers en bois formés d’un gros tronc d'arbre évidé
intérieurement, et l’on se sert
alors d’un pilon en bois dur dis-
posé comme un marteau à long
manche. Ces mortiers, appelés
Kioussou , sont aussi très employés
au Japon pour la décortication
des grains.
Dans les usines mieux instal-
lées, le martelage s'opère À nd 3
tites portions, sur des planches épaisses en bois dur, à l'aide
de maillets prismatiques allongés. Après une heure environ, la
substance se réduit en une pâte molle qui ne doit pas présenter
de longs filaments. On est arrivé au decré voulu lorsqu'une petite
portion de cette pâte, mise dans l’eau, y produit des flocons lai-
teux sans consistance. La durée du martelage dépend d’ailleurs
de la finesse que l’on veut donner au papier.
La pâte à papier étant ainsi préparée, on la transporte dans de
grandes caisses en bois contenant de l’eau, jusqu’à ce que le mé-
langé ait atteint une certaine consistance que l’ouvrier doit savoir
apprécier. Dans un coin de la caisse, on place dans un sac en
toile la plante Tororo ou Norinoki qui doit fournir la matière
peremeuse destinée à faire étendre uniformément la pâte à pa-
pier et. à lui donner de la cohésion. On peut aussi ajouter de la
farine de riz, qui rend le papier plus beau, mais en même temps
un: peu :cassant; quelquefois on colore la pâte avec différentes
— 220 —
substances. Enfin, parfois on blanchit la pate à papier avec du
chlore, mais c’est au détriment de sa solidité.
Fabrication des feuilles.
La pâte à papier étant convenablement étendue d’eau, on la
puise à l’aide de châssis formés d'un cadre et d'un large treïllage
-en bois, entre lesquels on interpose une claie de la dimension des
feuilles que l’on veut obtenir et formée de fines lamelles de bam-
bou disposées parallèlement et réu-
nies par des fils de soie. Après
f avoir puisé le liquide on donne
au châssis un mouvement de va-
et-vient dans deux directions rec-
tangulaires (de droite à gauche et
d’arrière en avant et vice versa) ou
quelquefois presque uniquement
dans une seule direction, si l'on
veut que le papier se déchire plus facilement dans un sens que
dans l’autre. Pendant ce mouvement, l’eau s'écoule par les inter-
stices; on achève d’ailleurs de la vider soit en inclinant le châssis,
soit en enlevant le cadre; la pâte reste, en formant ainsi une feuille
de papier. *
On ôte la claie de bambou avec la feuille qui y adhère et on la
renverse sur la pile de feuilles préparée précédemment, après quoi
on détache la claie, qui se trouve ainsi placée au-dessus et s'enlève
facilement. On a soin d'insérer entre les feuilles successives, le
long de l'un des bords, des brins de paille qui permettront de les
séparer plus facilement. Après avoir obtenu une pile de feuilles
suffisamment haute, on 1a comprime pour en extraire l'eau, soit
en la mettant entre deux planches et en chargeant de poids da
planche supérieure, soit au moyen de presses de différents mo-
dèles; dans quelques fabriques, on emploie des presses hydrau-
liques. Lorsque l'eau a cessé de s'écouler, on sépare à la main les
feuilles une à une pour les étendre à l'aide d’un pinceau plat et
mou sur des planches bien unies; on les fait sécher ainsi, soit au
soleil, soit dans des étuves. Pour les papiers de qualité supérieure,
on eniève les empreintes laissées par le pinceau en les frottant
avec des feuilles de camélia.
.Ce mode de fabrication ne s'applique qu'aux feuilles ‘d'assez
— 9221 —
petites dimensions pour qu'on puisse manœuvrer le châssis avec
les mains. Pour les feuilles de dimensions plus considérables, le
châssis est supporté au-dessus de la cuve qui contient la pâte à
papier, à l'extrémité d'un le-
vier et équilibré au moyen
d'un contrepoids. Il est dis-
posé de telle sorte qu'on
puisse l’élever ou l’abaisser
et lui donner un mouve-
ment de va-et-vient dans le
sens horizontal. On rem-
place de plus la claie de
bambou par un cadre en
bois sur lequel est tendu un
tissu de soie à maliles peu
serrées. Il faut avoir autant
de cadres que l'on veut fa-
briquer de feuilles, car dans
ce cas on les laisse dessus
jusqu'à ce qu'elles soient
complètement sèches.
Les procédés que je viens de décrire s'appliquent à toutes
. espèces de papiers, quelles que soient les matières premières dont
on se sert. Le papier de Kozou se prépare plutôt pendant l'hiver,
et celui de Gampi pendant l'été; c’est surtout pour ce dernier
que l’on emploie le Norinoki de préférence au Néri ou Tororo.
Quand les feuilles sont sèches, on les détache des planches ou
des cadres sur lesquels elles sont étendues et on les livre au com-
merce.
Principales variétés de papier.
Torinokoganu. Papier en assez grandes feuilles, fabriqué avec
du Gampi et du Kozou. Il sert pour les actes el autres écrits im-
portants. Les meilleures qualités viennent des provinces d'Tyo et
d'Ichizen. Quelquefois on remplace le Kozou par du Mitsoumata,
mais le papier est moins beau.
Hochiogami. Papier fait avec du Kozou de choix mélangé à
de la farine de riz et à du Norinoki. On prépare des feuilles de ce
papier de différentes épaisseurs; elles servent aux mêmes usages
que le Torinokogami.
Gampissi. Fabriqué exclusivement avec du Gampi. Sa prépara-
tion se fait avec beaucoup de soin; pour le rendre bien lisse, on
le frotle sur ses deux faces, pendant qu'il est encore humide, avec
des feuilles de camélia. Il est employé comme beau papier à
lettres.
Oussouiogami. Papier mince fait à peu près comme le Gam-
pissi; on s'en sert beaucoup pour la librairie et comme papier à
lettres.
Les plus estimés viennent des provinces de Mino et de Kaï. Ce
papier, comme le précédent, a la propriété de ne pas être mangé
par les vers.
Hansi. Un des papiers les plus employés.
On en fabrique dans toutes les parties du Japon, mais princi-
palement dans les provinces de Mino, Iyo et Shimosa. Celui de
Iwakouni, province de Shimosa, est le plus estimé.
Il y a un grand nombre de variétés de Hansi, toutes composées
généralement de Kozou mêlé à de la farine de riz; elles diffèrent
par la taille et la qualité. Certaines d'entre elles sont encore faites
avec du Mitsoumata.
Tengoudzio. Quoique en feuilles excessivement minces, ce pa-
pier est néanmoins assez résistant, étant préparé avec des écorces
choisies de Kozou. |
On en fait des fils qui servent à fabriquer certains tissus. Il est
encore employé pour filtrer les vernis et les laques.
On imprime quelquefois sur ce papier des dessins avec du
gofuun (poudre de coquilles de mollusques); il prend alors le nom
de Montengoudzio, et sert, entre autres usages, à faire des lan-
ternes pour l'intérieur des maisons et à être collé sur les vitres
pour remplacer le verre dépoli.
— 9223 —
USAGES.
Papiers à lettres, papiers pour actes et écritures de toutes sortes,
peintures, librairie.
Pour les lettres et les écritures de toutes sortes, on emploie,
en général, des papiers minces mais résistants et plus ou moins
glacés à la surface, glaçage que l'on obtient en frottant avec un
corps lisse. Le Gampi, soit seul, soit mêlé au Kozou, convient plus
spécialement pour ces espèces de papier.
Il existe des qualités très variables de papiers à lettres. Ces pa-
piers sont employés sous forme de longues bandes collées bout à
bout puis roulées; on les déroule à mesure que l'on écrit et on
les coupe transversalement après avoir fini la lettre.
Pour les actes et autres écrits destinés à être conservés, on se
sert de papiers plus épais et de plus grand format, tels que le
Torinokogami et le Hochiogami.
Les papiers minces conviennent encore spécialement à la pein-
ture, qui, au Japon, diffère peu de l'écriture, au point de vue du
procédé. La librairie emploie surtout du papier Gussouiogami.
Il faut remarquer que, pour l'écriture aussi bien que pour l'im-
primerie, on ne trace jamais, au Japon, de caractères que sur un
. seul côté du papier. Les pages des livres sont toujours formées
chacune de deux feuilles, réunies seulement par leur bord.
Papier de tenture.
Les papiers de tenture sont généralement fabriqués avec du
Mitsoumala et, par suite, sont de qualité inférieure. Ils contiennent
beaucoup de colle. Il y en a de petitet &e grand format. Les petits
ont en moyenne 1 chiakou sur 1,5, et les grands, 2 à 3 chiakous
sur 5 ou 6.
Les grandes feuilles sont employées plus spécialement pour les
paravents et pour les karakamis, panneaux à coulisses servant à
séparer les chambres. Ils sont formés d'un cadre en bois recouvert
de papier grossier sur lequel on colle extérieurement du papier de
tenture. Sur certains de ces papiers, ceux de petites dimensions,
on fait à l'aide de planches à impression des dessins avec du
gofunn (poudre de coquilles de mollusques) soit blanc, soit coloré
par différentes substances. D’autres fois, on teinte la pâte à papier
!
sas
elle-même, et parfois aussi on y ajoute de la poudre d'or, que l’on
sème, au moment de la fabrication des feuilles, sur le châssis qui
contient la pâte à papier encore humide.
Enfin on donne encore au papier un aspect ridé. Il est néces-
saire pour cela que là feuille soit préparée sur un cadre à tissu de
soie sur lequel on puisse la laisser sécher; on applique contre le
sol un des côtés du cadre, et, les encoignures n'étant pas tout à
fait immobiles, on incline le cadre dans un sens, puis dans un
autre, de façon à le déformer très légèrement suivant un parallé-
logramme. Pendant cette opération, la feuille se fronce et prend
l'aspect que l'on se proposait d'obtenir.
LA
Eventaiis, écrans.
Les éventails et les écrans sont très répandus au Japon, les
hommes s’en servent autant que les femmes. Il s’en vend, surtout
en été, des quantités considérables. On emploie pour cet usage
des papiers solides, de préférence ceux à base de Kozou.
Papier pour Shrodzi.
Les Shiodzis, qui remplacent les vitrages au Japon, sont formés
d'un cadre en bois supportant un réseau à mailles rectangulaires
faites de minces lamelles de bois et sur lequel on colle du papier
translucide. Quoiqu'on se serve pour cela de différents papiers,
on en fabrique néanmoins un spécial qui ne se détériore pas trop
vite sous l’action de la pluie et de l'humidité. Il est composé de
Kozou avec très peu de colle.
Mouchoirs.
Les papiers employés comme mouchoirs sont de qualité infé-
rieure, du Hansi, ou encore du Tiligami, papier fabriqué avec les
les déchets de Kozou.
Mèches de chandelles.
Le papier entre encore dans la composition des mèches de
chandelles. Pour préparer les chandelles, on prend une tige mince
de bois sur l’une des extrémités de laquelle on enroule un papier
poreux quelconque; autour de ce papier on enroule en spirale la
moelle longue et flexible fournie par certaines plantes maréca-
geuses, de la famille des joncées. |
On trempe alors le tout un certain nombre de fois dans un
— 2925 —
mélange de cire végétale et de suif. On arrive par grattage à une
forme à peu près cylindrique; il ne reste plus alors qu’à enlever la
tige centrale. Ces chandelles ont le désavantage de donner une
flamme très fuligineuse et douée d’un faible pouvoir éclairant.
Papier huilé (Abourakami), lanternes, parapluies.
On prépare un papier imperméable appelé Abourakami en
enduisant du papier avec de l'huile légèrement cuite extraite des
graines du Yegoma (Perilla ocymoides , famille des Labiées).
On emploie pour l’'Abourakami un papier résistant, le Senka,
fait avec du Kozou et du Mitsoumata. On le froisse d'abord à la
main pour lui donner de la souplesse, après quoi on l’enduit d’une
ou plusieurs couches d'huile de Yegoma sur chaque face. Si l'on
veut obtenir de grandes pièces, il faut avoir soin de coller les
feuilles bout à bout avant de les enduire d'huile.
On fabrique avec ce papier des bâches, des manteaux imper-
méables, enfin des capotes pour les djinrikchas, petits tilburys
traînés par des hommes et dont le public se sert pour se faire
voiturer. |
Les parapluies se font avec un papier plus solide que le
Senka, le Nishinoouti, préparé encore avec du Kozou et du Mit-
soumata. On les enduit de la même huile que l’Abourakami, mais
, sur la face extérieure seulement. Tous les montants des para-
pluies sont en bois; après les avoir disposés dans la position du
parapluie ouvert, on colle dessus le papier, sur lequel on trace
les bandes colorées, les inscriptions et autres ornements, après
quoi on l'enduit d'huile cuite de Yegoma.
Les lanternes (Tsiotsinn) sont très usilées au Japon pour l’éclai-
rage des rues; on les suspend devant les maisons et les magasins;
elles sont aussi portées à la main par les voituriers et les prome-
neurs; on les emploie en outre pour faire de très belles illumina-
tions. Elles se fabriquent à peu près comme les parapluies, mais
le papier est en général plus mince et de moins bonne qualité;
on le colle sûr une charpente en lamelles de bambou; puis, après
avoir peint dessus les enjolivements voulus, on le couvre à l'ex-
térieur seulement d’une mince couche d'huile de Yegoma.
Les Abourakamis, les parapluies et les lanternes, à cause même
de leurs fréquents usages, se fabriquent dans tout le Japon, même
dans les petits villages.
MISS. SCIENT. — VII. 15
+
Papier-cu ir.
Le principal lieu de production de ce papier est la province
d'Issé, et plus particulièrement la ville de Yamada , renommée au
Japon par ses anciens temples shintoïstes. Il existe dans cette ville
et dans les environs beaucoup de fabriques de ce produit, toutes
très modestes d’ailleurs et disposant d’un matériel très restreint.
On fait encore ce papier dans un certain nombre d’autres loca-
lités, à Tokio en particulier.
Pour préparer le papier-cuir, on se sert d'un papier épais fa-
briqué avec du Kozou et du Mitsoumata, et appelé Bounkoganu,
provenant, en majeure partie, de la province de Mino, de Kioto
(province de Yamashiro) et d'Osaka (province de Setsou). On
commence par le froisser fortement pour lui donner de la sou-
plesse. Cette opération s'effectue de la façon suivante : on enroule
alternativement sur une tige cylindrique en bois six feuilles de
Bounkogami et six feuilles de papier-cuir plus ou moins froissé,
puis on porte le tout sous une
presse et l’on comprime le rou-
leau de papier dans le sens de
la longueur en pressant sur les
deux bases. Après avoir ainsi
comprimé pendant quelques
minutes, on défait le rouleau,
puis on enroule de nouveau les
feuilles, mais dans une autre
direction, et l’on comprime
comme précédemment; on répète la même opération une ving-
taine de fois, en changeant chaque fois la disposition des feuilles.
Le papier, par suite de ce travail, devient plus épais aux dépens
de son étendue, mais en même temps il acquiert une souplesse
remarquable. Quand on veut donner au papier-cuir des dessins
en relief, on l'applique avec des brosses dures sur des planches à
impression.
On peint ensuite le papier avec une substance composée de la
farine de certains pois mélangée à de la poudre de charbon ou à
d’autres matières colorantes; puis, les feuilles étant sèches, on les
colle deux à deux suivant deux bords opposés, afin de pouvoir plus
; Ù
EE
tard les suspendre plus facilement. On les enduit alors d'huile ou
de vernis à l’aide de pinceaux larges et plats.
On emploie, à cet effet, l'huile de Yegoma que lon fait réduire
plus ou moins par une ébullition prolongée.
On emploie aussi certains vernis et particulièrement le Shibou,
vernis extrait des fruits encore verts de l'arbre Kaki (Diospyros,
famille des Ébénacées).
Les feuilles, une fois convenablement imprégnées d'huile, sont
empilées au nombre de plusieurs centaines et laissées ainsi pen-
dant trois ou quatre jours pour que l'huile ait le temps de bien
les pénétrer. Puis on les sépare, on les suspend sur des tiges de
bambou que l'on passe dans les doubles feuilles et on les expose
ainsi au soleil. |
Ces feuilles exigent un très long iemps pour sécher : la durée
varie entre quatre-vingt-dix et deux cents jours, et même plus.
Quand une fois les feuilles sont convenablement séchées, on les
sépare et on les gratte d’abord au couteau sur un coussin dur, puis
on les soumet au poncage, après quoi on les recouvre d'une nou-
velle couche d'huile ou de vernis, qui sèche bien plus rapidement
que la première.
Le papier-cuir est utilisé pour remplacer les cuirs de toutes
espèces. Il laisse à désirer au point de vue de la solidité, mais plus
encore à cause de son odeur désagréable; il a sur le cuir l’avan-
tage du bon marché. On en consomme de grandes quantités pour
la fabrication de blagues à tabac et de fourreaux de pipes. Il sert
aussi à recouvrir des boîtes et est employé comme papier de ten-
ture.
Fils de papier.
Les fils de papier sont fort en usage et servent à remplacer
dans certains cas les ficelles de paille dont l'emploi est si commun
au Japon. Les ficelles de chanvre coûtent cher et sont rarement em-
ployées. Ces fils de papier se préparent souvent au moment même
où l’on en a besoin en roulant entre les doigts, obliquement, de
longues bandes de papier. On peut d’ailleurs obtenir des fils suffi-
samment longs en roulant un certain nombre de ces bandes placées
bout à bout et empiétant un peu les unes sur les autres. Ces fils
sont solides, même aux points où les bandes se raccordent, et ils
peuvent être très réguliers lorsqu'ils sont préparés avec soin.
A5
— 228 —
H existe une espèce particulière de fils de papier appelée Mottoi,
qui fait l’objet d’une fabrication spéciale. Ces fils sont employés
pour la coiffure des deux sexes et principalement des femmes.
Les Mottoïs se préparent avec un papier spécial, le Mottoigami,
qui se fabrique avec du Kozou. Lors de la confection des feuilles,
on a soin d’agiter les chässis qui contiennent la pâte à papier dans
une seule direction, de façon que le papier ne soit facile à déchirer
que dans un sens.
Les feuilles de Mottoïgami sont coupées en bandes étroites ayant
environ 1 mètre à 1,50 de longueur, que l’on roule légèrement
entre les doigts en les plaçant bout à bout de façon à avoir un long
fil dont on forme de grosses pelotes, qui sont envoyées dans les
fabriques de Mottois.
RU PAUL
Dar
LD
- Là, on commence par les tremper dans l’eau, puis on enlève la
— 229 —
majeure partie de l’eau en les pressant entre les mains, après quoi
on soumet le fil encore humide à une torsion convenable. Pour
cela, on l'attache par une de ses extrémités à une pièce formée
d'une tige de fer deux fois recourbée, fixée sur une barre de bois
à laquelle est attaché un cordon qui vient s’enrouler sur un petit
treuil. À une distance de 30 à 4o chiakous, l’autre extrémité du
fil, que l'on a coupé à la longueur voulue, vient se prendre à un
crochet qu'on peut animer d’un mouvement rapide de rotation
autour de l’axe du fil au moyen d’une poulie de renvoi. L’ouvrier
doit reconnaître par le raccourcissement du fil le moment où il
est suffisamment tordu. D’ailleurs sa rupture ne présente pas de
grands inconvénients : on déroule un peu entre les doigts les deux
parties ainsi séparées; on les superpose et on les roule de nouveau
ensemble; puis, après quelques tours imprimés au crochet, le mal
se trouve réparé.
Lorsqu'une fois le fil est ainsi tordu, on l’ôte du crochet pour
l'attacher à une pièce analogue à celle qui se trouve à l’autre extré-
mité et que je viens de décrire; elle en diffère en ce que le cordon
qui la supporte vient s'attacher, non plus à un treuil, mais à un
poteau fixe.
On prépare ainsi un grand nombre de ces Mottoïs et on les fait
sécher en les laissant tendus sur le métier, après quoi on les en-
duit abondamment de colle blanche obtenue par la cuisson d’une
plante marine, le Tsounomata. On les essuie ensuite avec un linge;
on fait sécher de nouveau; puis, pour les lisser, un ouvrier dis-
pose deux troncs de bambou comme une sorte de laminoir de
telle façon qu'ils frottent tous les deux contre les fils, et il les fait
glisser ainsi un grand nombre de fois. Comme pendant cette opé-
ration les fils s’allongent, on a soin de les tendre de temps en
temps.
Ces opérations étant terminées, on coupe les fils suivant des
longueurs déterminées. On les vend blancs ou bien colorés; pour
la coiffure, on en emploie de blancs, de noirs, de dorés ou
d'argentés. On en trouve aussi de moitié rouges et moitié blancs
qui servent à attacher les objets donnés en in ces fils sont
alors appelés Midzoushiki.
Papier froissé.
Le papier froissé par des procédés analogues à ceux que j'ai
= "06 =
indiqués en parlant du papier-cuir, s'emploie encore sans être
imbibé d'huile. On se sert quelquefois à cet effet de papiers sur
lesquels on a imprimé et colorié des gravures qui, après que le
papier a été froissé, se trouvent réduites dans de notables propor-
tions. Ces feuilles sont ou vendues dans cet état ou employées à
recouvrir certains objets, comme des carnets ou des blagues à
tabac. |
C’est encore avec du papier froissé que l’on fabrique une umi-
tation de crèpe de soie appelée Tilimennogami et servant dans la
coiffure des femmes. On se sert à cet effet d'un papier mince,
comme par exemple l'Oussouiogami; après l'avoir froissé, on le
place sur une planche présentant des dessins en creux et on le
frappe avec une brosse dure. Le papier présente alors en relief
les creux de la planche; on le colore sur la face inférieure seule-
ment, en opérant assez rapidement pour que Îles reliefs gardent
en parlie la couleur blanche.
: Tissus de papier.
On fabrique au Japon plusieurs tissus dans lesquels le papier
entre en certaine proportion et est employé concurremment avec
le coton ou la soie; on ne fait d’ailleurs usage du papier dans ce
cas que pour les trames. Le Shifou est une étoffe transparente
tissée avec des fils de soie ou quelquefois de coton et avec des
fils de papier excessivement fins. Ces fils se préparent avec du
Tengoudzio, et sont fabriqués par les mêmes procédés que les
Mottois; ils sont généralement blancs. On s'en sert dans le tissage
dans les mêmes conditions que la soie et le coton. La fabrication
des Shifous a presque complètement cessé depuis quelques années.
On en confectionnait des vêtements qui résistaient au lavage.
Le Mishiki est une étoffe dans le tissage de laquelle entre du
papier doré. Pour préparer les fils destinés à cet usage, on colle
des feuilles d’or sur du papier très mince et on les coupe ensuite
en bandes excessivement étroites, que l’on emploie au tissage. Les
étoffes ainsi préparées ont un très bel aspect, mais elles s’abiment
vite par le frottement.
A. DyBowski,
Professeur à l'Université de Tokio.
RAPPORT
A M. LE MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
SUR
LA DERNIÈRE EXPÉDITION DES CHOTTS.
COMPLÉMENT DES ÉTUDES
RELATIVES
AU PROJET DE MER INTÉRIEURE,
PAR
LE COMMANDANT ROUDAIRE.
hr ——
NIVELLEMENT. — METÉOROLOGIE. — SONDAGES. — REPONSE AUX OBJECTIONS.
PROCEÉDÉS D’EXÉCUTION. — FRAIS D’EXÉCUTION.
25 octobre 1880.
Monsieur le Ministre,
En 1876, votre prédécesseur avait bien voulu me confier une
mission qui me permettait de continuer en Tunisie des travaux
que j'avais commencés les années précédentes en Algérie, dans le
but d'étudier la dépression des chotts, et de reconnaître s’il était
possible de la transformer en mer intérieure en y amenant les eaux
de la Méditerranée. À mon retour en France, j'eus l'honneur de
lui adresser un rapport qui fut publié dans les Archives des mis-
sions scientifiques et littéraires !, Ce travail fut présenté à l'Acadé-
mie des sciences, qui le soumit à l'examen d’une commission coim-
posée de MM. Dumas, Daubrée, Jurien de la Gravière et Paris,
commissaires; Yvon Villarceau et Favé, rapporteurs.
M. Villarceau était chargé d'examiner la triangulation de la mé:
ridienne de Biskra et les opérations de nivellement et de topogra-
1 5° série, tome IV.
EN
phie exécutées entre le golfe de Gabès et l'extrémité australe de la
méridienne de Biskra. Après avoir discuté, dans un rapport dé-
taillé, les opérations faites sur le terrain et les méthodes de calcul
employées, l'éminent membre de l’Institut s’arrêtait aux conclu-
sions suivantes | :
« La mesure de ia méridienne de Biskra constitue un travail
géodésique exécuté avec le plus grand soin, et le degré de préci-
sion obtenu dans la mesure des angles des triangles ne parait
pas avoir été dépassé dans les meilleures triangulations que l'on
exécute à notre époque.
« Les observations astronomiques ont été exécutées avec un soin
supérieur à celui que pouvait réclamer l'emploi d'instruments
transportables non établis sur des piliers de maconnerie.
« Ce serait exagérer la limite d'erreur du nivellement que de la
fixer à 1 mètre.
« En résumé, le nivellement exécuté par M. Roudaire dans la
région des choits et le levé qui l'accompagne constituent un tra-
vail d’une grande valeur au point de vue de la géographie et de la
topographie de cette partie du continent africain.
Ce rapport, qui établit d'une manière indiscutable la valeur
scientifique des données sur lesquelles est fondé le projet de mer
intérieure, fut adopté par l'Académie des sciences dans sa séance
du 7 mai 1877. |
M. le général Favé était spécialement chargé d'examiner le projet
en lui-même. Dans la première partie de son rapport, il entrait
dans de longs développements sur les modifications beureuses que
la submersion du bassin des chotts exercerait sur le climat de VAI
gérie et de la Tunisie. Après avoir servi d'écran contre l’ardeur des
rayons solaires et contre le rayonnement nocturne, les masses de
vapeur produites par la nouvelle mer, mises en contact par les
vents du Sud avec les parties élevées, partant refroidies des monts
Aurès ou des autres montagnes de l'Algérie, se condenseraient en
nuages et se résoudraient en pluies fécondes. Des torrents aujour-
d’hui desséchés se transformeraient en cours d'eau permanents
et réguliers. On verrait jaillir du sol des sources qui n'existent
plus. La vapeur d'eau, en se reformant sur le parcours des cours
1 Comptes rendus de l'Académie des sciences , t. LXXXIV, séance du 7 mai 1877.
— 233 —
d'eau, étendrait son influence sur les deux versants des mon-
tagnes, jusqu’à des contrées éloignées des chotts.-
Le vent du Sud dit siroco, si désastreux actuellement parce
qu'il est très sec, se chargerait d'humidité au contact des lacs et
perdrait la plus grande partie de ses effets nuisibles. Ce même
vent, en effet, qui détruit la végétation en Algérie, est fertilisant
pour le territoire de la France, à cause de la vapeur d’eau dont
il se charge en traversant la Méditerranée.
« Des avantages si considérables qui résulteraient de l'eau de
la mer amenée dans les chotts, disait en terminant M. le général
Favé, expliquent et légiliment la persévérance avec laquelle
M. Roudaire en a poursuivi l’idée, sans se laisser arrêter par au-
cune des difficultés qui se sont présentées. Le plus grand des ob-
stacles provient de ce que le chott El-Djerid, le plus voisin du golfe
de Gabès, n’a pas, comme les deux autres, le fond de sa cuvette
au-dessous, mais au contraire au-dessus du niveau de la mer. La
surface du terrain est ondulée: elle s'élève jusqu'a 20 mètres ou
même plus sur certains points, pour descendre jusqu'à zéro sur
d'autres points. M. Roudaire a apprécié, par des moyens d'estime
un peu vagues, que la hauteur moyenne du fond peut être de
6 mètres au-dessus du niveau de la mer. Nonobstant cet obstacle,
M. Roudaire ne renonça pas à l'espoir de pouvoir faire arriver l’eau
de la mer dans le chott El-Djerid pour la déverser ensuite dans les
deux autres chotts. Il croit avoir trouvé pour cela un point d'appui
dans la nature du fond ou, pour parler plus exactement, dans
l'existence d’une couche aquifère placée à une petite profondeur
au-dessous du sol.
« Sans se prononcer dès aujourd'hui, avec des documents in-
suffisants, sur l’avant-projet de mer intérieure tel que M. Rou-
daire l’a conçu, votre commission reconnaît avec lui la nécessité
préalable d'exécuter dans le lit du choit El-Djerid des sondages
destinés à faire connaître la nature du sous-sol. On devrait avoir
en vue, dans l'exécution de ces sondages, d'apprécier aussi les dif-
ficultés d'exécution d’un canal destiné à amener directement l’eau
de la mer au chott Rharsa, dans le cas où le sol du chott El-Djerid
ne pourrait pas être abaissé par l'écoulement des eaux souterraines,
ainsi qu'on l’a supposé. Si l’entreprise conçue par M. Roudaire se
continue, de nouvelles opérations de nivellement, appuyées sur
— 23h —
les résultats déjà acquis, devront être étendues à travers les trois
chotts pour donner plus exactement la mesure de leur capacité.
Des sondages devront être exécutés en outre dans les trois seuils
qui séparent le golfe de Gabès du chott El-Djerid, celui-ci du
chott Rharsa et le chott Rharsa du chott Melrir.
« Le projet d'introduire l’eau de la mer dans les chotts du dé-
sert de l'Afrique peut sembler aussi d’une réalisation difficile en
se plaçant au point de vue des dépenses qu’il entraînerait; mais
nous ne devons point perdre de vue que l’industrie est entrée, de-
puis un temps bien court, dans une nouvelle ère où sa puissance
grandit avec rapidité. Depuis que l’homme a acquis le moyen de
faire travailler la chaleur à son profit, les richesses, qui sont le
produit du travail accumulé, ont augmenté dans une proportion
considérable. Ce mouvement n'est pas près de s'arrêter. De même
que le canal de Suez n'aurait pu être fait, tel qu'il est, dans un
temps antérieur au nôtre, les générations qui nous suivront mè-
neront à bonne fin des entreprises qui seraient, au moment pré-
sent, inexécutables.
« Conclusions. — En résumé, l'eau ramenée, par quelque moyen
que ce soit, dans les chotts qu’elle a autrefois remplis, près du
versant Sud de l'Aurès, exercerait, sans nul ‘doute, une très fa-
vorable influence sur de vastes contrées actuellement presque
désertes; elle ferait pénétrer graduellement la civilisation euro-
péenne vers le centre d’un continent livré à la barbarie. |
« Si les nouvelles études dont nous avons signalé la nécessité
doivent amener un jour la réalisation du projet dont nous venons
de nous occuper, M. Roudaire aura eu l’incontestable mérite de
l'avoir concu et d'en avoir le premier provoqué l'exécution par
des travaux sérieux. En conséquence, votre commission vous pro-
pose d'accorder l'encouragement de vos éloges à M. Roudaire
comme une récompense due à sa vaillante et généreuse entreprise. »
L
Les conclusions de ce rapport furent adoptées dans la séance
du 21 mai 1877.
Afin de subvenir aux frais des études complémentaires et prin-
cipalement des sondages dont la nécessité venait d’être reconnue
par l’Académie des sciences, M. Bardoux allait demander un crédit
supplémentaire, lorsque M. Georges Périn prit l'initiative de cette
demande de crédit par un amendement au budget. Cet amende-
— 9255 —
ment fut développé avec beaucoup de chaleur et d'éloquence par
l'honorable député, et adopté par la Chambre dans sa séance du
11 février 1876.
Ce vote ayant élé confirmé par-le Sénat, je fus chargé de la
mission dont Je vais avoir l'honneur de vous rendre compte.
J'avais à cette époque à terminer un plan relief de la région
‘des chotts qui devait figurer à l'Exposition. D'un autre côté, la
saison la plus favorable aux travaux que je devais exécuter dans
cette région étant la saison d'hiver, mon départ fut remis à l’au-
tomne. Il me restait donc plusieurs mois pour organiser le per-
sonnel et le matériel de l'expédition.
I fallait pour les sondages un outillage spécial qui, tout en per-
mettant d'atteindre des profondeurs de 50 à 60 mètres, püt faci-
lement se démonter et se diviser par caisses transportables à dos
de chameau. Je m’adressai à M. Dru, ingénieur civil, constructeur
d'appareils de sondages, qui étudia la question avec beaucoup de
soin. Les appareils spéciaux qu’il construisit se composaient :
1° D'une sonde légère de 7 centimètres de diamètre avec che-
valet en fer portatif (elle était destinée aux explorations superfi-
cielles pouvant atteindre une profondeur de 10 à 15 mètres);
2° D'une sonde un peu plus forte pour les recherches de 25 à
30 mètres, se mouvant à l’aide d’une bigue également en fer, avec
treuil fixe sur l'appareil;
3° Pour les sondages d'une plus grande profondeur, d’une chèvre
en bois composée de quatre montants assemblés par longueurs de
2 mètres afin de faciliter le transport à dos de chameau.
Les pièces accessoires de cette chèvre se démontaient de ma-
nière à former des colis de 75 à 80 kilogrammes.
À cet appareil de sondage étaient jointes plusieurs séries de
tubages destinés à garantir les trous de sonde des éboulements.
Ces tubes, fractionnés par longueurs variables ne dépassant pas
2 mètres, se réunissaient au moyen de manchons à vis. On avait,
avec ce système, l'avantage de manœuvres rapides, condition
indispensable dans des terrains meubles, souvent fluides, où les
colonnes devaient être employées à l'exécution du trou de sonde,
puis retirées pour l'exécution d'un autre sondage.
Ün plancher de 30 mètres de surface, assemblé par parties,
avait été prévu pour le cas où l’on rencontrerait des terrains com-
pressibles et mouvants.
— 236 —
Chaque outillage était combiné pour fonctionner isolément avec
des séries différentes, mais pouvant se réunir et former, si cela
était nécessaire, une longueur de sonde de plus de 70 mètres.
Des instruments spéciaux avaient été également prévus pour
conslater la température des eaux dans les trous de sonde et leur
qualité. Enfin une bouteille-éprouvette permettait de se rendre
un compte exact de la densité des eaux et de leur salure à la base
des sondages.
Les instruments destinés aux opérations de nivellement et de
topographie et aux observations météorologiques étaient les sui-
vanis :
Deux niveaux à bulle d’air (systèmes Brünner et Gravet-Lenoir,
avec leurs mires parlantes);
Un théodolite réitérateur de MM. Brünner (cet instrument, dont
le réticule portait cinq fils verticaux, pouvait servir à la fois aux
observations géodésiques et astronomiques);
Un grand chronomètre du Dépôt de la marine battant la demi-
seconde :
Trois grandes boussoles ;
Deux petites boussoles ;
Un psychromètre;
Plusieurs thermomètres, dont un hetréeméee à maxima et un
à Minima;
Un baromètre Fortin ;
Trois baromètres anéroïdes ;
Un ozonomètre ;
Trois évaporomètres Piche;
Un bassin destiné à observer directement l'éyaporations <
Un pluviomètre;
Et enfin un appareil de photographie.
Le personnel de l'expédition fut composé de la manière sui-
vante :
° M. Baronnet, ingénieur civil, qui n'avait déjà accompagné
dans l'expédition de 1876 (M. Baronnet était spécialement chargé
des nivellements et de la photographie);
2° M. Jégou, ingénieur civil, qui m'avait été désigné par M. Dru
el qui devait diriger les travaux de sondage;
3° M. Dufour, chargé de la surveillance du camp, des ravitail-
lements, et devant coopérer au besoin aux diverses opérations;
— 9257 —
4° M. André, médecin major au 15° bataillon de chasseurs,
que M. le Ministre de la guerre avait bien voulu mettre à ma dis-
position (M. André était chargé des observations météorologiques
ainsi que de l'étude de la faune et de la flore de la région explo-
rée) ;
5° Derœux, sous-officier d'artillerie et six soldats du 15° ba-
taillon de chasseurs à pied, mis à ma disposition par le Ministre .
de la guerre. (Derœux, fils d’un maïtre sondeur de la maison Dru,
connaissait parfaitement la pratique des travaux de sondage, et son
concours m'a été des plus utiles. Les six soldats devaient être em-
ployés au service du camp et à surveiller comme contremaîtres
les Arabes employés aux manœuvres des sondages).
Je complétai plus tard ce personnel à Tunis, en attachant
comme interprète à la mission M. Laurent Alleoro, qui m'avait
déjà accompagné en 1876 et dont je n'avais eu qu’à me louer
sous tous les rapports.
Je m'embarquai le 13 novembre à Marseille, avec MM. Baron-
net, Dufour, Jégou et le sous-officier Derœux. À Bône, où le bâti-
ment fit escale, le docteur André et les six hommes du bataillon
de chasseurs à pied se joignirent à nous. Le 17, nous débarquions
à Tunis, où nous trouvions M. Lacoste, vice-consul de France à
Gabès, qui avait quitté son poste pour venir au-devant de nous.
Il me fallut environ huit jours pour me concerter avec les au-
torités tunisiennes par l'intermédiaire de notre consul général,
M. Roustan. Je fus reçu par le Bey et le premier ministre, qui me
promireni le concours des autorités locales des régions que je
devais explorer, et me firent remettre des lettres m'accréditant
auprès des chefs de tribus de l’Arad et du Djerid. Un odobachi,
muni lui-même de lettres spéciales qui l’accréditaient auprès des
caïds comme représentant du Bey, fut mis à ma disposition pour
la durée de l'expédition.
M. Ferdinand de Lesseps, appelé à Tunis par un devoir de fa-
mille, y était arrivé en même temps que nous. Il avait été reçu par
le Bey avec des honneurs tout particuliers. La bienveillance qu'il
nous témoignait avait beaucoup contribué à l'accueil favorable qui
nous avail été fait. L'illustre promoteur du canal de Suez, qui en
toute circonstance s’est montré favorable au projet de mer inté-
rieure, résolut de profiter de son voyage à Tunis pour aller visi-
ter le seuil de Gabès. Le Ministre de la marine avait mis à sa
— 238 —
disposition un bâtiment de l'État (le Champlain), commandé par
M. Michaux, capitaine de vaisseau. Le 25 novembre, nous nous
embarquions à la Goulette, accompagnés de M. Lacoste, et le 27
nous débarquions à Gabès. |
Dès le lendemain matin, MM. de Lesseps, Baronnet, Jégou et
moi, nous montions à cheval; nous nous dirigions sur l’'embou-
chure de l'oued Melah, et nous explorions le seuil en remontant
le cours de cette rivière; le soir, nous étions rentrés à Gabès après
avoir parcouru de 50 à 60 kilomètres. M. de Lesseps avait reconnu
que nulle part on ne trouve de vestiges de pierre et que les berges
de l’oued Melab , très élevées en certains endroits, sont uniquement
formées de terre ou de sable agglutiné. J'aurais désiré qu'il püt
rester quelques jours avec nous pour assister aux premiers travaux
de sondage, mais le temps le pressait; il dut repartir le lendemain
sur le Champlain. Le 9 décembre, il était de retour à Paris, et fai-
sait à l’Académie des sciences un récit succinct de sa visite au seuil
de Gabès !. |
Les journées des 29 et 30 novembre furent consacrées aux
derniers préparalifs de l'expédition. Je louai les quinze ou seize
voitures que possède Gabès, et le 1° décembre nous allions camper
à la fontaine d'Oudref. Cette source, qui fournit en abondance
une eau très bonne pour le pays, est située à peu près à égale dis-
tance entre la mer et le sommet du seuil. De ce point nous pou-
vions, sans que les hommes eussent un trop long trajet à faire pour
se rendre au travail, exécuter des sondages dans toute cette partie
du seuil, longue d'environ 12 kilomètres.
: Le 2 novembre fut consacré à l'exploration sur la ligne de
faite. Nous choisimes le point où devait être exécuté le premier
sondage. Le 3 décembre, nous fimes ouvrir les caisses contenant
les appareils et les instruments. MM. Jégou et Derœux mon-
trèrent aux hommes l'emploi des différentes pièces de l'outillage
ct leur apprirent à monter et à démonter les chèvres. Le A dé-
cembre, le grand appareil fut transporté au point choisi comme
emplacement du premier sondage, et le 5 les opérations commen-
çaient. À partir de ce moment, elles ne furent plus interrompues
qu'un seul jour, le 1° janvier. À plusieurs reprises, nous organi-
Comptes rendus de l'Académie des sciences , t. LXXX VIT, séance du 9 décembre
1878. Î
À — 239 —
sames même des ateliers de nuit, et le travail fut continué nuit et
jour sans interruption. ù
Avant d'entrer dans le détail des opérations et d'exposer les ré-
sultats obtenus, je vais faire un rapide résumé historique de la
marche des opérations pendant la campagne.
Pendant que les travaux du sondage n° 1 continuaïent sans re-
lâche sous la direction du maréchal des logis Derœux , assisté du
soldat Rolland, je fis commencer le 12 décembre, avec le petit ap-
pareil, un autre sondage en face d'Oudref, près du cours de l'oued
Melah, à l'altitude de 20°,75. Ce travail, dans lequel les Arabes
étaient dirigés par les soldats Marcilly et Toquet, fut arrêté le
31 décembre, à la profondeur de 30",75, c'est-à-dire à 10 mètres
au-dessous du niveau de la mer. Les sondes n’avaient rencontré
que des sables et des marnes argileuses.
Le 2 janvier, le petit appareil fut transporté sur le bord de la
mer, à l'embouchure de l’oued Melah, et le sondage n° 3 fut com-
mencé. Il fut arrêté le 6 janvier, à la profondeur de 10 mètres
au-dessous du niveau de la mer.
Le petit appareil étant devenu libre, je fis commencer le son-
dage n° 4, dans le chott Hameïmet, à 2,600 mètres à l'Est du
sondage n° 1, à l'altitude de 34,86.
Dans le sondage n° 1, après n’avoir traversé, jusqu’à la profon-
deur de 34°,18 , que des sables et des marnes argileuses, lessondes
avaient rencontré un banc de calcaire de 1°,57 d'épaisseur. Elles
traversèrent ensuite 3”,13 de marnes très tendres, dans lesquelles
élaient intercalés deux petits bancs de calcaire de 20 centimètres
et de 17 centimètres d'épaisseur. Mais le 30 décembre nous re-
trouvions le calcaire à la profondeur de 38",88. Ceite roche était
assez dure. Avec notre outillage peu puissant, nous n'étions par-
venus le 10 juin qu'à la profondeur de 40",01. Je résolus alors de
faire faire de nouveaux sondages sur la ligne de faîte afin d'étudier
le relief de ce banc de calcaire souterrain. Le 10 janvier, je fis
arrêter les travaux, el le 11 janvier nous commencions le son-
dage n° 5 à 1,280 mètres au Sud du sondage n° 1, à l'altitude de
hr, 32: |
Les sondages entre Oudref et la mer étant terminés, il y avait
grand intérêt à rapprocher le camp de la ligne de faite du seuil.
Le 8 janvier, M. Jégou avait fait commencer un puits en un point
situé à 250 mètres à l'Est de l'emplacement du sondage n° 5, à
— 240 —
l'altitude de 46",89. Le 10 janvier, on y trouvait en abondance
une eau qui, quoique légèrement saumûtre , était propre aux usages
domestiques. Le 13 janvier, je fis lever le camp d'Oudref, et nous
vinmes nous installer près de ce puits, que nous appelàmes Bir
Toquet, du nom d'un de nos soldats, qui y avait travaillé avec beau-
coup d’ardeur.
L'installation du camp à Bir Toquet imprima aux travaux une
activité nouvelle.
Le 26 janvier, on rencontrait, au sondage n° 5, le calcaire à la
profondeur de 26,89, et par conséquent à l'altitude de 20",42 au-
dessus du nivéau de la mer; tandis que nous ne lavions trouvé,
au sondage n°1, qu’à l'altitude de 13,19. Il était donc probable
que la faille, si elle existait, se trouvait au Nord de ce dernier son-
dage. Le 27 janvier, nous commencames le sondage n° 1?, à
l'altitude de 46",85, à Aoo mètres au Nord-Est du sondage n° 1.
Le A février, nous rencontrions le calcaire à la profondeur de
28",ho, c’est-à-dire à l'altitude de 18",45 au-dessus du niveau.de
la mer.
Le 5 février, nous entreprimes le sondage n° 1° à l'altitude
de 47",50, à peu près à égale distance entre les sondages n° 1 et 5.
Le 12 février, nous nous arrêtions en rencontrant le calcaire à la
profondeur de 28",51, soit à l'altitude de 18",99. Le même
jour, nous commencions le sondage n° 1* à l'altitude de 47°,24,
el à go mètres environ au Nord du sondage n° 1. Le 17 février, le
calcaire y fut rencontré à la profondeur de 34",84, et par con-
séquent à l'altitude de 12”,40.
En abandonnant le 10 janvier le sondage n° 1, nous avions laissé
le tubage en place, afin de pouvoir, au besoin, reprendre le tra-
vail. Le premier banc de calcaire que nous avions trouvé n'avait
qu'une épaisseur de 1",57, et nous l'avions traversé assez facilement.
Nous avions rencontré ensuite 3 mètres de marnes très tendres.
Je voulais essayer de forer le deuxième banc et d'en déterminer
l'épaisseur. Le 18 février, les travaux furent repris. Le 21, on ne
s'était enfoncé que de 22 centimètres, et, devant les difficultés
d'une opération pour laquelle notre outillage était insuffisant, nous
abandonnions définitivement le sondage n° 1.
L'outillage fut alors transporté un peu plus au Nord, à 160 mètres
environ du sondage n° 1, et le sondage n° 15 fut commencé à l'alti-
tude de 47",08.
— 241 —
Pendant que les sondages n° 5, n° 1°, n° 13, n° 14, n° 15 étaient
exécutés avec le grand appareil, le petit appareil n'avait cessé de
fonctionner. Les travaux commencés le 7 janvier au sondage n° 4,
avec ce dernier outillage, avaient continué sans interruption. Après
n'avoir traversé que des sables et des marnes argileuses, on ren-
contra le calcaire à la profondeur de 41,72, soit à l'altitude de
6*,86 au-dessous du niveau de la mer. Le 5 février, je fis arrêter
le travail à 41°,90, et l'appareil fut transporté à l'entrée du chott
Fejej, où un nouveau sondage (n° 6) fut commencé le 6 février.
Le 16 février, on était arrivé à la profondeur de 41 mètres, et l'on
était encore dans des terrains très mous et très vaseux, lorsqu'un
trépan se brisa et resta dans le trou de sonde. Il fut impossible de
le retirer. On se trouvait d’ailleurs à ce moment à 8",52 au-des-
sous de la marée basse. Il n’y avait pas intérêt à aller plus loin;
le travail fut arrêté.
Le petit appareil fut alors transporté sur le versant Ouest du
seuil, à 400 mètres de la ligne de faîte, et un nouveau sondage
(n° 16) fut'entrepris le 17 février, à l'altitude de 45",35. Ce son-
dage était destiné à nous donner des indications sur le pendage du
sous-sol rocheux dans la direction de l'Ouest. La présence du cal-
caire fut constatée à la profondeur de 37,95, c’est-à-dire à l’al-
titude de 7”,40 au-dessus de la mer, et le sondage fut arrêté le
l'hamers.La:302,;12.
Le même jour, je faisais cesser les travaux au sondage n° 1°,
commencé le 21 février avec le grand appareil. On y avait ren-
contré le calcaire à la profondeur de 35",14, et par conséquent à
l'altitude de 11”,94 au-dessus du niveau de la mer. Les sondages
n°1,n°1*et n° 1° nous prouvaient que le sous-sol rocheux s’abais-
sait vers le Nord. Peut-être, en faisant de nouveaux sondages dans
cette direction, eussions-nous trouvé le calcaire à une profondeur
beaucoup plus grande, mais le temps nous pressait, nous étions
déjà au 1° mars. Il nous restait à explorer le chott Djerid et le seuil
situé entre ce chott et le chott Rharsa. En se placant d’ailleurs au
point de vue pratique de l'exécution d'un canal, il n'y avait aucun
intérêt à trouver plus au Nord un passage sans roches dures. Les
couches alternées de calcaires et de marnes, dont l'étendue est
exactement limitée à l'Est par le sondage 4 et dont le sondage 16
fait connaître l'inclinaison vers l'Ouest, ne présenteront qu'un
obstacle insignifiant qu'il ne faut pas hésiter à attaquer plutôt
MISS. SCIENT. —- VII. 16
— 242 —
que d’allonger le canal en le rejetant vers le Nord en dehors de son
trajet normal, dût-on n'y rencontrer absolument que des sables et
des marnes.
En 1876, j'avais suivi de préférence le rivage Sud du chott,
parce qu'on ÿ trouve plus d'eau que sur la rive Nord et que la
proximité des oasis du Nifzaoua y rend des ravitaillements beau-
coup moins difficiles. Afin de compléter les études, je pris la ré:
solution de suivre cette fois la rive Nord.
Pendant notre séjour à Oudref et à Bir Toquet, j'avais, avec
M. Baronnet, refait de nombreux nivellements sur de seuil de Ga-
bès et de nombreuses excursions topographiques dans les chaînes
de montagnes qui forment, au Nord et au Sud, la ceinture du bas-
sin. Le 27 février, le niveilement avait été poussé dans le choït
Fejej jusqu’à un point situé à 10 kilomètres à l'Ouest du sondage
n° 6. Ce point fut choisi comme emplacement d'un nouveau son-
dage. Au Nord, à 5 kilomètres environ, se trouvent des ruines ro-
maines très importantes, probablement les ruines de Silesva, pla-
cée, par les Tables de Peutinger, à 54 milles de Capsa (Gafsa) et
à 19 milles d'Aquæe Tacapitanæ (la Hamma). Un vieux puits
romain très bien conservé, que les Arabes appellent Bir Lhmra; y
fournit une eau abondante et assez bonne. Le 2 mars, une cinquan-
taine de chameaux transportaient le camp et le matériel de son-
dage de Bir Toquet à Bir Lhmra, où nous nous installions avec une
trentaine d’Arabes exercés aux HAnŒUNRÉS) qui avaient pris l'en-
gagement de nous suivre jusqu’à la fin de DERPA TRES
Le 3 mars, le sondage n° 7 était commencé avec le grand appa-
reil à l'altitude de 27",65. Afin d'utiliser le petit appareil, je fis
installer le même jour le sondage n° 8 à 2 kilomètres à l'Ouest
du sondage n° 7, à l'altitude de 26*,60.
À la profondeur de 11”,82, il se produisit, dans ce dernier
sondage, un éboulement qui remblaya le trou. On ne put parve-
nir à dégager là sonde, qui rompit sous l'effort des vérins. Nous
choisimes alors, à 200 ou 300 mètres à l'Ouest, un nouvel empla-
cement où le sondage n° 9 fut entrepris à l'altitude de 26,30.
Le 14 mars, le sondage n° 7 était parvenu à la profondeur de
34",52. Le trou était protégé par environ 20 mètres de tubes quil
fut impossible d'enfoncer plus profondément. Comme nous étions
déjà à 6",87 au-dessous du niveau de la mer, et que rièn d'ailleurs
ne faisait prévoir le voisinage de roches dures, je fis arrêterlestravail,
”
— 243 —
À ce moment le sondage n° 9 était arrivé à la profondeur de
17",50. Ce travail n'avait été entrepris que pour utiliser le petit
appareil, les couches traversées étaient identiqués à celles du son-
dage n° 7; il n'y avait pas d'intérêt à continuer, et le travail fut
arrêté également le 14 mars.
Pendant que l'on exécutait les sondages n° 7,8 et 9,le nivellement
avait été continué vers l'Ouest. Le 15 mars au matin, nous levions
le camp de Bir Lhmra, et le soir nous faisions dresser nos tentes
sur le bord Nord du chott, à 2 kilomètres sud des puits de Berrada,
en face du point où nous devions faire exécuter le sondage n° 10.
Commencé le 15 mars, à l'altitude de 21",42, ce sondage fut arrêté
le 24 mars, à la profondeur de 30",65, et par conséquent à la
cote de 8,75 au-dessous du niveau de la rner.
Le 24 mars, nous quittions Bir Berrada, et nous venions camper
àa Bir Bemi Zid. L'eau de Bir Berrada était assez mauvaise, mais
celle de Bir Beni Zid était exceptionnellement saumâtre. Afin de
ne pas trop fatiguer nos hommes déjà très épuisés, je résolus de
n'y pas exécuter de sondage, me réservant de combler plus tard
cette lacune en en faisant un sur la rive opposée, à Seflimi, où
nous devions camper en rentrant à Gabès.
Il ne faut pas s'étonner que la question d'eau ait joué un rôle
assez imporlant pour influencer la marche des opérations. Les
Arabes eux-mêmes fréquentent très peu cette partie du rivage
Nord du chott Djerid. S'ils y séjournaient avec nous, c’est qu'ils
élaient rassurés par notre présence et par la vue du drapeau fran-
çais qui flottait au-dessus du camp; mais en temps ordinaire ils ne
se hasardent que rarement, et toujours avec crainte, dans cette
région mal famée, où la tribu des Hammama, très puissante et
très redoutée, fait de fréquentes incursions. Aussi n’obtenions-nous
d'eux que des renseignements non seulement insuffisants, mais
presque toujours inexacts. Ceux que j'avais consultés m'avaient
affirmé, par exemple, que l'eau de Bir Beni Zid était excellente,
tandis qu'il suffisait, en réalité, d'y plonger la main et de la lais-
ser sécher à l’air pour qu’elle fût recouverte d’une légère couche
de sel. D'un autre côté, il ne nous était guère possible de songer
à transporter avec nous l'eau nécessaire pour les besoins du camp,
car notre petite colonne, avec les soldats, les spahis, les Arabes
manœuvres et les chameliers, ne comptait pas moins de cent
hommes, vingt chevaux et une cinquantaine de chameaux.
26,
— 2h44 —
Pendant que le camp se transportait le 24 de Bir Berrada à
Bir Beni Zid, j'avais continué le nivellement avec M. Baronnet, et
nous élions arrivés à peu près à hauteur de ce dernier puits. Mon
intention était d'aller camper à l’oued Zitoun, où, d'après les
Arabes, nous devions trouver beaucoup d’eau; mais il était néces-
saire de pousser d’abord le nivellement plus avant vers l'Ouest.
Malgré la mauvaise qualité de l’eau, je me décidai donc à séjour-
ner le 25 à Bir Beni Zid. Le 26, le camp fut levé, et nous arrivions
le soir, à la nuit tombante, à l’oued Zitoun, que nous trouvions
complètement à sec.
Il fallut nous résigner à y passer la nuit, et, le lendemain 27,
nous venions camper à l'Ain Kebirita, qui fournit une eau relati-
vement douce et suffisamment abondante:
Le 28 mars, le sondage n° 11 fut installé dans le chott, à 2 ki-
lomètres de la rive Nord, à l'altitude de 14",52. Le 30, les sondes
avaient pénétré à la profondeur de 26 mètres, et par conséquent
à 11,48 au-dessous du niveau de la mer, après n’avoir traversé
que des sables et des vases irès fluides, séparés par de minces
couches d'argile.
Pendant qu'avec le grand appareil on forait le sondage n° 11,
je fis avec M. Jésou une reconnaissance vers l’intérieur du chott.
Nous y trouvàmes des ouvertures circulaires qui laissaient aperce-
voir une nappe d’eau souterraine. Nos hommes purent sans diffi-
culté y enfoncer à la main les barres de sonde qu'ils avaient ap-
portées. Ces trous sont appelés par les Arabes Ain el-Behhar (œil de
la mer). Nous fimes transporter le petit appareil auprès de lun
d'eux et nous y installämes le sondage n° 12, à 5 kilomètres Sud du
sondage n° 11, à l'altitude de 14”,29.
Le 30 mars, on descendit la sonde, et en deux heures on par-
vint à la profondeur de 17 mètres. Les hommes qui manœuvraient
ne pouvant plus, à cette profondeur, soulever les barres, on décida
que le trou serait tubé, et on remit le travail au lendemain. Le
31 mars, on descendit 14 mètres de tube, et en 45 minutes on par-
vint à 22 mètres. Le 1° avril, on poussa jusqu'à 26 mètres, soit
11,71 au-dessous du niveau de la mer, et le travail fut arrêté.
Pendant qu'on exécutait les sondages, le nivellement avait été
continué, et, le 31 mars, il avait été poussé jusqu'au delà du son-
dage n° 11, dans la direction de Kriz.
Le 2 avril, le camp fut transporté d’Aïn Kebirita à Kriz. Le
ï — 9245 —
4 avril, le sondage n° 13 fut installé dans le chott, au Sud-Est de
Kriz, à 1 kilomètre environ du rivage, à l'altitude de 15,50.
Le 8 avril, on était parvenu à la profondeur de 33",10, et par
conséquent à 17",60 au-dessous du niveau de la mer.
Pendant notre séjour à Bir Lhmra, j'avais reçu une lettre de
M. Roustan. Il m'annonçait que j'avais été nommé membre de la
commission d'enquête chargée d'examiner le différend qui s'était
élevé entre le Gouvernement tunisien et un de nos compatriotes,
M. de Sancy. M. Roustan insistait beaucoup pour que j'acceptasse
ces fonctions, et ajoutait que le désir en avait été exprimé par
M. le Ministre des affaires étrangères, président du Conseil. Con-
sidérant ce désir comme un ordre, espérant d’ailleurs que la com-
mission ne se réunirait qu’au mois de mai, époque où nos travaux
seraient terminés, j'avais répondu à M. Roustan que je me tenais
à sa disposition. Le 5 avril, à 3 heures de l'après-midi, je faisais le
nivellement du col de Kriz, lorsque je reçus une lettre de M. La-
coste, vice-consul de France à Gabès. I[ me transmettait une lettre
de M. Roustan qui lui annonçait que la commission allait se réu-
nir et que la frégate à vapeur le Forbin partait pour Gabès afin de
m'y prendre et de me conduire à Tunis.”
Quelque contrarié que je fusse de ce contretemps; il nr'était
impossible de reculer. Je pouvais d’ailleurs compter sur M. Ba-
ronnet pour le nivellement et sur M. Jégou pour les sondages.
J'employai la journée du 6 avril à leur donner des instruc-
tions détaillées, que je leur laissai en outre par écrit. Je venais
de reconnaitre que le seuil de Kriz, que je n'avais pas eu le temps
de niveler en 1876, avait une altitude beaucoup plus grande que
celle que j'avais déduite à cette époque de mes observations baro-
“métriques. Je chargeai donc M. Baronnet de continuer le nivelle-
ment vers l'Ouest jusqu'au delà de Nefta, afin de chercher un point
de passage plus favorable, de pousser ensuite les opérations aussi
loin que possible dans le chott Rharsa, et de revenir, en côtoyant
la rive Nord de ce chott, se vérifier au repère que j'avais laissé le
» avril au sommet du col de Kriz.
Le 7 avril, je me séparai de la mission et je me dirigeai sur
Gabès, où j'arrivai le 10.
Le 9 avril, le camp de Kriz fut levé etla mission vint s'installer
à Tozeur, auprès du marabout de Si Ali bou Lifa, où nous avions
déjà-campé en 1876. Le même jour, MM. Baronnet et Jégou déter-
— 246 —
minaient l'emplacement du sondage n° 14. Le sol était très vaseux,
et l’on ne put pénétrer dans le chott à plus de 600 ou 700 mètres
du rivage. On dut installer le plancher de manœuvre afin d’avoir
un appui solide pour la chèvre et les hommes qui manœuvraient.
Commencé le 10 avril, à altitude de 17”,41, le sondage parve-
nait le 15 à la profondeur de 28",07, soit à 10",66 au-dessous
du niveau de la mer.
Pendant ce temps, les opérations de nivellement avaient été
continuées par M. Baronnet, assisté de M. Allegro, et avaient été
conduites le 13 avril jusqu'à Tozeur. De Tozeur le nivellement
fut dirigé sur la crête des hauteurs qui séparent le chott Rharsa
du chott Djerid. Les opérateurs suivirent ensuite constamment la
crête en se dirigeant vers l'Ouest.
Le 17 avril, fe camp fut transporté de Tozeur à Nefta. Le même
jour, le sondage n° 15 fut installé à environ 1,500 mètres du ri-
vage, dans la partie du chott appelée la saline de Nefta. On ne put
aller plus loïn : le sol était extrêmement vaseux , et encore fallait-il,
pour arriver jusqu’au sondage, suivre un sentier de 5o centimètres
de largeur qui décrit de nombreux lacets afin de contourner Îles
endroits dangereux. |
Ce sondage, situé à l’altitude de 16",95, fut rattaché par un ni-
vellement partiel exécuté par M. Jésou, à la mire 888 de la ligne
principale du nivellement. Les travaux y furent commencés le
18 avril et arrêtés le 22 avril, à la profondeur de 26,53, soit à
9”,58 au-dessous du niveau de la mer.
Ainsi que je viens de le dire plus haut, le nivellement, à partir
de Tozeur, avait été éxécuté sur la crête des collines qui séparent
le chott Rharsa du chott Djerid. Cette crête, après s'être maintenue
à des hauteurs supérieures à 150 mètres, n’atteint plus, en face
de Nefta, que l'altitude de 97 mètres. Elle continue ensuite à
s’abaisser régulièrement dans la direction de l'Ouest, jusqu’au
col de l’oued Kebir, situé à 12 kilomètres Ouest de Nefta. La
hauteur de ce col est de 50 mètres; mais, à 500 mètres du point
culminant, le lit de l'oued Kebir ne se trouve déjà plus qu'à l'al-
titude de 4A3",80.
Cette région est très tourmentée, sillonnée de ravins et couverte
d'excavations larges et profondes, dans lesquelles il était impossible
de faire descendre le nivellement, sous peine de n’opérer que par
portées excessivement courtes, ce qui aurait considérablement al-
— 247 —
longé le travail. Les mires étaient donc toujours placées sur des
points élevés du sol. Il en résulte qu’en calculant les. déblais
d’après les cotes du nivellement, on obtient des chiffres exagérés,
puisque entre les mires se trouvaient des excavations souvent pro-
fondes d’une dizaine et même d’une quinzaine de mètres.
Dans un de ces entonnoirs situé à peu de distance du sommet
du col se trouve le puits de Bir Sultan, où nous avions campé
en 1876. Ce fut près de ce puits que l'on installa, le 25 avril, le
sondage n° 16, à l'altitude de 34,18. Le travail fut arrêté le 4 mai.
On était arrivé à la profondeur de 44,25, soit 10",07 au-dessous
du niveau de la mer, après n'avoir rencontré que des sables et des
Inarnes.
Après être arrivé au sommet du col de l’oued Kebir, M. Baronnet
avait rattaché par un nivellement partiel ce point au chott Djerid.
Le 26 avril, il continuait les opérations en se dirigeant au Nord sur
le chott Rharsa. La nécessité de poursuivre le nivellement sur le
littoral de ce chott et d’aller se raccorder au repère du col de
Kriz le décida à se séparer du gros de l'expédition retenu au son-
‘dage de Mouiïat Sultan. Après être arrivé à la cote:de 7",36 au-
dessous du niveau de la mer, sur ie bord même du chott Rharsa,
dont le lit s'inclinait rapidement dans la direction du Nord, il cô-
toya le rivage en se dirigeant vers l'Est, et, le 5 mai, il atteignait le
sommet du col de Kriz. Le 7 et le 8 mai, il fit un profil en travers
vers le Nord dans le but de se raccorder à un repère que nous avons
laissé en 1876 sur le bord oriental du chott Rharsa, mais ce repère
avail élé probablement détruit par les indigènes, et ses recherches
furent infructueuses.
-Les opérations de nivellement étaient terminées. Depuis le
7 avril, jour où j'avais dû me séparer de la mission, M. Baronnet
les avait dirigées avec beaucoup d'intelligence et n'avait reculé de-
vant aucune difficulté pour remplir aussi bien et aussi conscien-
cieusement que possible la tâche que je lui avais confiée.
Après avoir terminé le 4 mai le sondage de Mouiat Sultan, la
partie principale de l’expédition était revenue sur ses pas. Le 5 mai,
elle avait campé à Tozeur, le 6 mai à Kriz, le 7 elle traversait
le chott Djerid sur le chemin d’'El-Mensof, que nous avions nivelé
en 1876,êet campait le soir à Dhabcha. Le 8 mai, elle dressait ses
tentes à Seftimi, où le sondage n° 17 fut installé et où M. Baronnet
la rejoignit le 11 mai. (
— 248 —
Le sondage n° 17 fut arrêté le 14 mai, à la profondeur de
28,32, soit à 4",97 seulement au-dessous du niveau de la mer,
par suite de la rupture du dernier cordage. Les terrains traversés
avaient été les mêmes qu'au sondage n° 10, exécuté sur la rive Nord
du chott. |
La mission reprit alors la route de Gabès, où elle arriva le 17 mai.
L'enquête sur l'affaire de Sancy m'avait retenu à Tunis jusqu'au
15 mai. Grèce au télégraphe qui relie Gabès à Tunis, j'avais pu
me tenir en correspondance avec l'expédition, dont j'avais suivi la
marche et les travaux. Le 15 mai, je m'embarquai à Tunis sur le
Forbin, et le 18 je débarquais à Gabès, où j'avais la satisfaction de
retrouver iout le personnel bien portant. À part quelques indispo-
silions sans gravité, tout le monde avait parfaitement supporté les
fatigues de la campagne. Du reste, on n’avait eu réellement à souf-
frir que de la mauvaise qualité des eaux. Les vivres n'avaient ja-
mais manqué. Les ravitaillements, organisés par M. Lacoste, vice-
consul de France à Gabès, et M. Sicard, actuellement agent con-
sulaire, nous étaient toujours parvenus en temps opportun. En
toute occasion, d’ailleurs, MM. Lacoste et Sicard se sont mis
entièrement à notre disposition avec un dévouement dont je leur
témoigne ma reconnaissance. Ils ont usé de toute l'influence qu'ils
avaient su acquérir sur les Arabes, pour faciliter nos rapports
avec eux.
Nos relations avec les indigènes avaient du reste toujours été
excellentes. Je dois dire cependant qu'à Nefta, ville très fanatique,
l'expédition rencontra une hostilité marquée, qui se traduisit
bientôl par des actes de violence, car les Arabes se portèrent en
foule au sondage et s’opposèrent à la continuation des travaux.
Mais, grâce à l'énergie du cheik, dont la conduite en cette circon-
stance mérite les plus grands éloges, ce mouvement fut prompte-
ment et sévèrement réprimé. L'accès du camp et du chantier fut
interdit à la population sous les peines les plus rigoureuses, et les
travaux furent continués sans entrave.
NIVELLEMENT.
En 1876, il m'avait été impossible de faire des observations
régulières sur la marée. J'avais dû m'en tenir à quelques obser-
vations rapides et aux renseignements que m'avaient fournis les
— 249 —
indigènes. En 1878, le séjour prolongé que nous fimes à Aïn-
Oudref, à proximité du rivage du golfe de Gabès, me permit de
combler cette lacune. Je fis établir un maréomètre près de l’em-
bouchure de l’oued Melah. La plus grande marée observée fut celle
qui eut lieu le 11 décembre 1878, un jour et demi environ après
la pleine lune du 9. La différence de niveau entre la haute mer
et la basse mer fut de 2”,08. D’après la connaissance des temps,
la hauteur de cette marée était de 0”,77. On peut en conclure
qu'au moment des plus grandes marées, comme par exemple celle
qui eut lieu après la pleine lune du 18 mars 1878, dont la hau-
teur était 1,17, la différence de niveau peut atteindre 3 mètres
dans le golfe de Gabès. Quoi qu'il en soit, un piquet-repère fut en-
foncé au ras de terre sur la rive droite de l'oued Melah, à environ
260 mètres du rivage, et relié au maréomètre par un nivellement.
La hauteur de la tête de ce repère au-dessus de la basse mer du
11 décembre fut reconnue égale à 1”,5815, et cetle cote servit de
point de départ à nos nivellements. Toutes les altitudes que nous
avons déterminées se trouvent donc rapportées au niveau de la plus
basse mer que nous ayons pu observer, celle du 1 1 décembre 1878.
Les nivellements ont été exécutés avec l'appareil (système Brun-
uer) dont je m'étais déja servi en 1873, 1874, 1875 et 1876.
Afin de déterminer l’écartement des fils qui servaient de stadia,
je fis mesurer une base avec soin, el la distance angulaire com-
prise entre le fil central et chacun des fils excentriques fut, d’après
les observations faites le long de cetle base, reconnue égale à
1657",36, dont la cotangente est 202,75. Les lectures étaient
faites en doubles centimètres. Pour obtenir la portée en mètres,
il suffisait donc de multiplier la différence des lectures par
202,79 X ——— 4,055. Ces calculs ont été faits au moyen d’une
table dressée à l'avance.
Nous ne nous sommes pas astreints à donner la même longueur
aux porlées d'avant et d'arrière. Il y avait donc lieu de faire subir
une correction aux cotes brutes déduites des lectures faites sur les
mires. Ces corrections ont été faites sur les registres de nivelle-
ment, où elles sont inscrites, à l'encre rouge, en dixièmes de
millimètre. Elles ont été calculées au moyen de la formule
} Lettmt ts ds dans laquelle & représente l'erreur faite sur la
lecture, par suite de la sphéricité de la terre et de la réfraction,
— 250 —
p'le rayon de la terre, K la longueur de la portée, et n le coefli-
cient de réfraction, pour lequel j'ai adopté la valeur 0,06 déduite
des observations géodésiques que J'avais faites en 1873 sur les
bords du cholt Melrir; les corrections sont négatives pour les portées
d’arrière, et positives pour les portées d'avant. Après un parcours
de 296 kilomètres, leur somme algébrique ne s'est élevée qu'a
0",2719. Afin de simplifier le travail, j'avais calculé une table
dans laquelle on entre par l'argument K.
Dans cette dernière expédition, le seuil de Gabès a été nivelé
quatre fois, de la mer au chott Fejej : deux fois en suivant les
sinuosités du cours de l’oued Melah, et deux fois en marchant en
ligne droite à travers la plaine. De nombreux nivellements ont,
en outre, été exécutés, tant sur la ligne de faite du seuil qu'entre
les divers sondages et dans les directions où il paraissait intéressant
d'étudier le relief du sol. Ces dernières opérations m'ont permis
de dresser la carte topographique de la partie supérieure du seuil
par courbes équidistantes de 1 mètre.
Nos nivellements se sont vérifiés de la manière suivante :
PIQUET-REPÈRE DU SONDAGE N° 1 AU POINT CULMINANT DU SEUIL.
Premier nivellement. :........... dore Eee GR ES
Deuxième nivellement........ cs nee TRE k7 3670
EGABR sel. > 11 00) 00
Premier nivelement........ 3 Le Eté dise . abs 32”,0699
Deuxième nivellement.. ...... CB nb Lisa Lui SATA RES
Écrans. 5.211000 None
Premernivellements 2m. lo. sas a als si nt AD DE
Deuxième mivgellsment. 2.20 >. LE re CRC 30 -5467
Émitsins vçse o oo41
Entre le repère n° 2 et le repère placé à la mire 566, près de
Kriz, le nivellement n’a pas été vérifié directement, c’est-à-dire
qu'il n’a été exécuté qu’une fois. Mais à chaque station on faisait
deux lectures au fil central et deux lectures aux fils supérieur et
inféricur, cet lon ne quitlait jamais la station sans s'être assuré
0,9985 |
1,2760
1,3865
1,1359
1,0690
1,3560
— 251 —
que la moyenne des lectures faites aux fils excentriques était sen-
siblement égale à la moyenne des lectures faites au fil central. On
peut donc dire que chaque opération se vérifait d'elle-même, et
que les erreurs de lecture ou autres étaient absolument impos-
sibles.
On se rendra bien compte de la valeur de cette vérification par
l'examen de nos registres de nivellement, dont nous extrayons,
comme exemple, la page suivante :
T4 VISÉES LEE DIFFÉRENCES.
en ;
des |doubles en ; AZIMUTS.
mas, |, conti
$ mètres.
metres.
— 252 —
Les chiffres inscrits en marge, à gauche, représentent la somme
des lectures faites aux fils excentriques, leclures inscrites dans la
colonne inlitulée Stadias. On voit que cette somme est toujours
identique, à un millimètre près, à la somme des deux lectures
faites au fil central, avant et après le retournement de la lunelte,
lectures inscrites dans la colonne intitulée : Wisées en mètres.
Ces additions étaient faites sur le terrain, et toutes les fois que
les résultats présentaient un écart sensible, on refaisait les obser-
vations. En procédant ainsi, nous faisions, en réalité, deux fois
le nivellement, puisqu'on pourrait calculer les altitudes à l'aide
des seules lectures faites aux fils excentriques, aussi bien qua
l'aide des lectures faites au fil central. On obtiendrait presque iden-
tiquement le même résultat. Nos opérations étaient donc, en réa-
lité, soumises à une vérification rigoureuse.
Du piquet-repère placé à la mire 566, au Sud de Kriz, le ni-
vellement avait été dirigé sur le col de Kriz, au sommet duquel un
repère avait été laissé. Les opérations furent ensuite reprises à‘la
mire 566, et continuées dans la direction de l'Ouest, d’abord le
long du chott Djerid, et ensuite sur la ligne de crête des collines
qui sépare ce chott du chott Rharsa. Enfin, après avoir franchi le
col de l'oued Kebir, près de Mouïat Sultan, et côtoyé le chott
Rharsa de l'Ouest à l'Est, la ligne nivelée était venue se refermer
au repère du col de Kriz. La nouvelle cote trouvée pour ce repère
fut 91°,3774; les premières opérations avaient donné 91",1714.
La vérification se faisait donc à 0,206 près, après un parcours
de 123,45/4-mêtres...
En 1876, deux nivellements avaient été exécutés entre le cholt
Rharsa et le chott Djerid : lun à l'Ouest par Mouiat Sultan et
Bir et Tame, et l'autre à l'Est par la route de Tezeur à la Hamma.
Le temps limité dont nous disposions ne nous avait pas permis
de déterminer géométriquement l’altitude du col situé au Nord de
Kriz. Malgré le peu de confiance que j'ai dans la précision des ré-
sultats donnés par les baromètres anéroïdes, j'avais dû déduire
provisoirement cette altitude d'observations faites avec un de ces
instruments. Cette lacune a été comblée pendant la dernière expé-
dition, et nous avons reconnu que la hauteur de 45 mètres cal-
culée à l’aide des indications du baromètre anéroïde était consi-
dérablement erronée, puisqu'elle est en réalité de g1 mètres, ainsi
que l’a prouvé le nivellement géométrique.
— 9253 —
Nos dernières observations nous ont donné en outre l'occa-
sion de rectifier les limites du bassin inondable du chott Rharsa.
Ce bassin se trouve agrandi et sa superficie est élevée de
1,350 à 1,390 kilomètres carrés par suite d’une inflexion que
la courbe zéro fait vers le Sud dans la direction de Mouiat
Sultan, inflexion qui n'avait pas été indiquée dans la carte
publiée en 1877.
En additionnant tous les nivellements exécutés dans la dernière
expédition, on trouve une longueur totale de 422,126 mètres.
Si l’on divise ce chiffre par le nombre des portées (4,438), on
trouve 95 mètres pour la longueur moyenne de la portée.
En 1874, 1875 et 1876, le parcours du nivellement exé-
culé dans le bassin des chotts algériens et tunisiens avait été de
1,089 kilomètres. En y ajoutant les 422 kilomètres de la der-
nière expédition, on arrive à un total de 1,511 kilomètres nivelés
pas à pas.
OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES.
Pendant toute la durée de l'expédition, des observations mé-
téorologiques ont été faites régulièrement trois fois par Jour, à
. 7 heures du matin, à midi et à 5 heures du soir. M. le docteur
André en était chargé. Afin de ne pas surcharger ce rapport, je
me bornerai à donner les moyennes mensuelles des observations.
TEMPÉRATURE.
TEMPÉRATURE
THERMOMÈTRE AIR. | THERMOMÈTRE NOIRCI. | THERMOMÈTRE SABLE. ;
EXTREME.
8 &
=) =]
& E
# Vs
ENLE
Décembre. 15° 45 21° 32|4° 05
Janvier... 15 20 20 27/2 28
Février... 18 67 23 56/2 51
Mars. ... 16 66 | 24 o4|3 60
Avril. ... 18 28 66|7 og
Mars 03 > i 29 02|7 77
— 254 —
OBSERVATIONS PSYCHROMETRIQUES.
TENSION HUMIDITÉ
MOIS.
DE LA VAPEUR. RELATIVE,
millimètres.
Décembre 4: 5,78
Janvier . 5,61
SR
4,84
5,00
4,87
ÉVAPORATION.
x
Nous avions trois évaporomètres Piche et un évaporomètre cy-
lindrique que j'avais fait construire sur les indications de M. d’Ab-
badie, membre de l'Institut. Cet instrument se composait d'un
bassin métallique de 4o centimètres de diamètre dont la paroi était
munie intérieurement d'une tige recourbée de bas en haut et ter-
minée par une pointe que l’on amenait, au moyen d'une vis, en
contact avec la surface du liquide. Un vernier permettait d'appré-
cier, à un demi-dixième de millimètre près, les déplacements de
cette tige, et par conséquent la hauteur de la tranche liquide éva-
porée entre deux observations. S
Cet évaporomètre donnait en général des résultats légèrement
plus forts que les évaporomètres Piche. Ainsi, pendant le mois
de décembre, les évaporomètres Piche ont donné une moyenne
de 7**,373, et l'évaporomètre de M. d'Abbadie une moyenne de.
ae NA 1. différence provient sans doute de la facilité avec la-
quelle s'échauffaient les parois métalliques du vase, malgré la pré-
caution que nous avions prise de les entourer extérieurement de
matières mauvaises conductrices de la chaleur.
Nous voulions faire des observations comparatives entre l'éva-
poration de l’eau douce et celle de l’eau de mer. Nous nous aper-
çûmes bientôt que les évaporomètres Piche ne pouvaient nous don-
ner aucun renseignement précis sur l'évaporation de l'eau de mer.
— 9255 —
Au bout de quelques heures, le sel obstruait les pores de la ron-
delle de carton, et l'appareil ne fonctionnait plus. Je m’estimai
donc très heureux de m'être muni de l’'évaporomètre cylindrique,
qui nous rendit un véritable service eu cette circonstance. C’est
avec cet instrument qu'ont été faites sur l’eau de mer les observa-
tions dont les résultats sont consignés dans le tableau suivant. Les
chiffres donnés pour l’eau douce sont la moyenne des indications
fournies par deux évaporomètres Piche, indications qui d’ailleurs
étaient presque toujours identiques.
EAU DOUCE. EAU DE MER.
millimètres. millimètres,
Écosse. sect. 1
Janvier ee 3,49
Février....... Es ARE DES NE 5,49
5,48
PLUIE,
L'hiver 1878-1879 a été exceptionnellement sec au Sud de la
Tunisie. Nous n'avons eu à enregistrer que 15"",3 de pluie, ainsi
répartis :
+ décemihre te. HAS se. cut ANR À SyiS steRE RU 20
15 décembre........ RSR RES LE Re men E'RBN
MILAN TUE Een ae den comen SU TOO
s'afeNierts. O0. HONEILD SE 1302 20lma06z9.1f Stan 66
16 mans oibaat pal diiesz 146193 5140). erommenft. garni, 2
RE ro à MERE SE LP EEE LE de Ca
TE RP SSSR ER ee RETEA Q
TOME 4046" Sache LAS
Le 7 janvier, le 5 février et le 19 mars, il était tombé quelques
. gouttes de pluie, mais le pluviomètre n'avait donné aucune indi-
cation.
— 256 —
VENTS.
Les observations régulièrement faites pendant la campagne ont
donné le résultat suivant :
DIRECTION DES VENTS.
| S. O. | TOTAL,
Décembre . ....
FSAVIer 5,
Fémmerir 4%...
LLETONRT
SONDAGES.
Pendant l'expédition, 23 sondages ont été exécutés : 11 au seuil
de Gabès, 11 dans les chotts Fejej et Djerid, et 1 au seuil de Mouiat
Sultan. 670 mètres de terrain ont été ainsi explorés souterraine-
ment par la sonde. Partout les travaux ont été poussés jusqu’à une
profondeur variant entre 8 et 12 mètres au-dessous du niveau de
la mer, à travers des couches uniquement composées de sables, ou
de marnes sableuses ou argileuses. Il faut excepter toutefois le
faîte du seuil de Gabès, où la présence du calcaire a été constatée à
des altitudes comprises entre 12 et 20 mèlres.
Les travaux étaient exécutés sous la direction de M. Jégou, assisté
du sous-officier Derœux, qui remplissait les fonctions de contre-
maître. Chaque fois que l'on constatait un changement dans la
nature du terrain traversé par la sonde, on remontait un échan-
tillon. 265 échantillons ont été recueillis et classés.
Je ne puis entrer ici dans le détail des opérations auxquelles a
donné lieu chaque sondage. Les résultats sont résumés et généra-
lisés dans la coupe géologique annexée à ce rapport. Cette coupe
a été exécutée sous la direction de M. Dru, ingénieur civil.
— 9257 —
Il a été dressé pour chaque sondage un tableau donnant la nature
des terrains, l'épaisseur des couches, la profondeur à laquelle elles
ont été rencontrées et le numéro des échantillons recueillis. Je
donne ci-dessous comme spécimens les tableaux des sondages n° 1
et n° 1°, exécutés au sommet du seuil de Gabès, et celui du sondage
n° 13, exécuté sur le bord du chott Djerid, au Sud-Est de Kriz.
SONDAGE N° 1.
Cote du sol + 47,37.
p
NATURE DES TERRAINS TRAVERSÉS.
PROFONDEUR.
EPAISSEUR.
des échantillons.
Sable rougeâtre pulvérulent avec Helix aspersa .
Sable fin gypseux rosé avec gypse aggloméré. .
Sable fin gypseux avec traces noirâtres de vase
ou de matières organiques bee
Marne jaune blanchâtre avec gypse blanc. ...
Gypse un peu marneux, avec sables fins pulvé-
BUGS OMAN ee ee Mare Dole me eee
Rognons de gypse blanc avec pelits cristaux...
O2 © ©
Gypse un peu verdâtre avec marne.........
Marne blanche très gypseuse.........
Plaque de gypse saccharoïde rougeâtre
| Argile très sableuse jaune
Marne verdätre plastique. ...... OR LE
Marne jaune verdätre veinée, un peu sableuse.
© & © ©) © OC
Marne rougeâtre gypseuse
Marne jaunâtre avec cailloux roulés de calcaire
et de quartz (horizon des poudingues.)....
Calcaire blanc dur, cristallin. .
Marne jaune rougeatre très tendre
Marne blanche
Calepres.s.
D © © © C9 Co
Marne jaunâtre très tendre. .......
Roche dure, calcaire blanc jaunâtre, un peu
siliceuse. .
Marne jaune
Calcaire blanc dur
Fin du sondage dans cette couche.
MISS. SCIENT. — VII. 17
— 258 —
SONDAGE N° 10.
Cote du sol +45,35.
NATURE DES TERRAINS TRAVERSES.
NUMÉRO
des échantillons.
ÉPAISSEUR.
r
PROFONDEUR.
Sable très fin, rougeâtre, gypseux et sali-
ÉOPE SRE ER RES OR ee
Gypse aggloméré en petits cristaux et sa-
bleux 8 4
Sable jaune pulvérulent, gypseux .......
Argile marneuse verdâtre , un peu sableuse,
SR 2 ER TN MSIE NE UNE LNUNT
Aroile marneuse jaunâtre , sableuse , salifère.
Argile marneuse , jaunerougeûtre, plastique,
léperemient sablense =. -...-...
Marne "jaune "sapiens 2 tee
Sables et graviers quartzifères {niveau des
PORTER -E----2-e--
Fin du sondage dans la même couche.
SONDAGE N° 19.
Cote du sol +15,50.
EUR.
NUMERO
des échantillons.
NATURE DES TERRAINS TRAVERSÉS.
e)
Z
©
=
©
=
œ
1 1 | Marne jaune, rosée, gypseuse et salifére. 2 40% 1°,00
2 14,00 |} Marne PTISe SAHIGTE. EE. » ue ee - pee © PR LE
0 1 30 | Sable noirâtre vaseux, un peu salifère...... Eat Dr : ho
& | 1 7o | Sable gris pulvérulent, très salé...... ARE Li
5 | 2 oo | Argile jaune gypseuse {gros cristaux), salifère....| o 4o
6 2 4o | Sable jaune gypseux, pulvérulent, salé.........| o 5o
7 2 90 | Sable blanc gypseux, pulvérulent, salé.........| © 4o
8 | 3 3o | Sable bleuâtreet jaunâtre, gypseux, pulvérulent ,salél o 70
9 | 4 oo | Sable bleuâtre argileux (traces de lignite.)......| o 30
10 | 4 3o | Argile verte très ER LOS .| 2190
— 259 —
NATURE DES TERRAINS TRAVERSÉS.
NUMÉROS
des échantillons.
PROFONDEUR.
EPAISSEUR.
Sable fin, verdâtre
Aroile gris verdâtre et brune, avec gros cristaux de
gypse, un peu salée
Argile verte
Sable blanc, vaseux, très salé
Aroïle jaune, sableuse, gypsifère
Argile verte, un peu sableuse, légèrement salifère.
Sable verdâtre agglutiné, dur, avec gypse
DD VELUAITe. Are DEUX A AR. eee dose de de
Fin du sondage dans la même couche.
Eau salée très amère trouvée à 1°,30, remontée à
0” ,70.
M. Dru a examiné avec soin tous les échantillons de terrain
que nous avons rapportés. Il a bien voulu se charger de la détermi-
nation et de la classification de nos fossiles, parmi lesquels se trou-
vent plusieurs espèces nouvelles, en recourant au besoin aux lu-
mières des savants spéciaux, parmi lesquels je citerai notamment
M. Munier-Chalmas, sous-directeur du laboratoire de géologie de
la Sorbonne. MM. Dru et Mulnier-Chalmas ont résumé dans les
notices suivantes le résultat de l’étude à laquelle ïls se sont livrés
sur l’hydrologie, la géologie et la paléontologie de la région des
chotts, d’après les renseignements que je leur ai fournis.
NOTE SUR L'HYDROLOGIE, LA GÉOLOGIE ET LA PALÉONTOLOGIE
DU BASSIN DES CHOTTS, PAR M. DRU.
HYDROLOGIE.
Le régime des eaux souterraines a, dans la région des chotts,
une importance plus considérable qu'on ne pourrait le supposer,
Li
17:
— 260 —
étant donnée la sécheresse exceptionnelle de cette contrée. Partout
on rencontre, à peu de profondeur sous le sol, des nappes d'infiltra-
tion superficielles, et dans les parties où le terrain crétacé acquiert
un certain développement, on trouve des sources nombreuses et
abondantes.
La nature a réservé une compensation aux habitants de ces im-
menses solitudes, dépourvues de la végétation qui enrichit toujours
les contrées douées d’un climat humide; le sol recèle dans sa masse
profonde des niveaux puissants qui pourront un jour, grace aux
efforts de l’homme, répandre sur ce pays le bien-être et la pros-
périté. Quand la colonisation cherchera à cultiver cette terre, elle
y trouvera, comme dans l'Algérie, l'élément indispensable à la cul-
ture : l’eau jaïllira des formations géologiques qui entourent les
chotts, pour fertiliser les solitudes de l’Erg et les versants aban-
donnés qui bordent la dépression saharienne. |
Dans ces parages peu connus, la diversité des terrains donne
naissance aux régimes les plus variés. Au Sud, c'est la région
de l'Erg ou des dunes qui domine, absorbant les eaux qui tom-
bent à la surface et les emmagasinant pour de longues années
dans ses masses sableuses. Sur les rives des chotts, ce sont les roches
crétacées qui constituent le régime aquifère, et. lorsque ces terrains
émissaires affleurent ou sont recouverts faiblement par les dépôts
plus récents, ils donnent naissance aux belles sources du Nifzaoua
et du Djerid. Enfin, dans les sebkhas, dont le sol argilo-sableux
présente un degré de perméabilité moindre que l'Erg, on obtient
encore, à la surface, des nappes d'infiltration abondantes et salées,
mais en profondeur on retrouve des eaux douces et même des
griffons naturels qui se font jour à travers à sédiments accumulés
dans le fond de ces dépressions.
J'ai tracé, sur la coupe géologique de Gabès, au seuil de Mouiat
Sultan, le niveau et les ondulations des nappes d'infiltration, et il
est remarquable de les voir suivre les pentes et les sommets des
seuils avec une continuité parfaite. Malgré les sécheresses pro-
longées et l'absence de pluies, la permanence du régime super-
ficiel se maintient. Ce phénomène s'explique par la composition
sableuse de la surface du terrain, qui permet l'absorption des
eaux; une fois qu'elles sont accumulées dans les couches aréna-
cées qui leur servent de réservoir, elles s’écoulent lentement de ce
filtre fin et ténu. Des pluies excessivement rares mais abondantes
| — 308 —
suffisent pour y entretenir pendant de longues périodes une hu-
midité générale et constituer à de grandes hauteurs des régimes
même artésiens. Au sondage n° 1? du seuil de Gabès, les eaux
rencontrées vers le fond du trou de sonde, à 28”,75, se sont
écoulées à 0",11 au-dessus du sol, soit à la cote + 46,96 au-dessus
du niveau de la mer. À la cote + 47,31, au sondage n° 5, la tra-
versée des premiers terrains a fait découvrir des eaux amères et
sulfatées : c’est le caractère presque constant des nappes superfi-
cielles; mais, à la profondeur de 17",16, un niveau d’eau douce
s’est élevé à la surface du sol et a servi à l'alimentation du camp
pendant les travaux d'étude du seuil. L'eau était potable et même
de qualité supérieure à oelle de la source voisine de l’aïn Oudref,
dont je donnerai l'analyse. Ces faits prouvent l'abondance des
eaux souterraines qui suivent les ondulations du sol dans un
même système de couches; les points qui dominaïent l'orifice des
trous de sonde étaient situés seulement à quelques mètres plus
haut, et cela suffisait à établir la pression nécessaire à ce petit
régime artésien. |
Quant à l’ordre de superposition des niveaux, il est constam-
ment le même : les eaux salées, malgré leur densité, sont toujours à
la surface et les eaux douces au-dessous; elles se trouvent ainsi éta-
gées dans les couches sableuses et argileuses du terrain quaternaire.
Vers l'Ouest des chotts, les nappes superficielles affleurent dans
les parties submergées. Aujourd'hui elles sont déjà très rares, et ten-
dent chaque jour à disparaître. Ce sont les endroits où l'émergence
naturelle des nappes fait équilibre à l'absorption atmosphérique et
à l'évaporation. C'est principalement le cas pour le chott Rharsa.
Dans les chotts Djerid et Fejej, la période de desséchement est
en pleine activité. M. Tissot rapporte que, dans son voyage fait il y
a une vingtaine d'années, en 1857, il a traversé pendant plusieurs
heures, aux environs de Mensof, en suivant la route de Dbabcha à
Kriz, de grandes étendues d'eau dans lesquelles les chevaux de sa
caravane entraient jusqu’au poitrail. Mais ces eaux, anciennement
plus profondes, ont presque totalement disparu. M. le comman-
dant Roudaire, dans l'intervalle de ses missions, n’a plus re-
trouvé la même submersion, et, dans son dernier voyage, il a
constaté un asséchement des régions qu'il avait antérieurement par-
courues. Les eaux séjournent au-dessous de la surface, mais main-
tiennent encore, dans les parties centrales des dépressions, surtout
— 262 —
au nord du chott, un état d'humidité tel, que le sol est élastique
et mouvant. On y rencontre des ouvertures que les indigènes ap-
pellent Ain el-Behhar (œil de la mer), où l’on voit les eaux de la
nappe souterraine des chotts à quelques décimètres de la surface.
C'est dans une de ces cheminées naturelles, sorte de griffon qui
amène les eaux au sol, que fut pratiqué le sondage n° 12, à la cote
+ 14,20, en face du seuil de Kriz. La sonde y traversa d’abord des
vases noiratres et verdâtres sur 3 mètres environ de bauteur, puis le
même système argilo-sableux que l'on rencontre partout, mais très
vaseux et fluide jusqu’à 33 mètres. Ces terrains, remontés par la
sonde, ont été analysés au laboratoire de l'Ecole des mines parles
soins de M. Carnot !, et leur composition «lonne pour 100 parties :
SAIReS. EFAREMES 02 MAR Rene Pos ll 59.33
de ChAUES . NTI EE SRE Er PR 1109
Carbonate S
dé'imagnésie. 5,040 2 LE LRQ 36 4 5.54
Sulfate dechauxa rs 6. Josnmaliunrs2mhid. leseste 21.78
Benéxyde dede CE EE GR «sl: s
MORAL. ut. Feu 100.00
Comme dans les sondages précédents, les eaux de la surface
étaient séléniteuses, salées, contenant 140 à 150 grammes de ré-
sidu fixe par litre; mais plus bas, à la profondeur de 33 mètres,
elles étaient beaucoup plus douces, et l’auraient été complètement
si le trou de sonde avait traversé toute la couche argilo-sableuse
que l’on percait. On aurait même obtenu des eaux fortement jail-
lissantes en continuant le sondage, car la nappe du fond s'écou-
lait, malgré un tubage assez imparfait, à 12 centimètres au-dessus
du sol. Beaucoup de ces ouvertures sont des puits artésiens ma-
turels dont les eaux émergent à la surface. Par l'évaporation so-
laire, ces eaux donnent naïssanee à un dépôt salé dont les éléments
sont empruntés aux formations qu’elles traversent. La croûte salée
ainsi formée est peu épaisse et continuellement détruite par le
mouvement ascensionnel de la nappe. C’est ce qui explique le fait
de la présence du sel, soit à l'état de dissolution, soit à l'état de
dépôt cristallin, à la partie supérieure de ces terrains. C'est tou-
jours le même apport continuellement élaboré.
La force ascensionnelle des eaux souterraines est encore sufi-
! M. À. Carnot, ingénieur, professeur de docimasie à l'Ecole nationale des
mines, à Paris.
— 263 —
samment énergique pour traverser ces masses sableuses assez denses.
Cependant on reconnaît qu’elles agissent rapidement pour la ré-
duire, et c’est quand leur résistance fait équilibre à la pression de
la nappe que celle-ci cesse de couler. Toutes les sources disparues,
entrainant avec elles la perte d'oasis jadis florissantes, se sont taries
par cette seule cause, et il n'y a que dans quelques rares localités,
où les efforts des indigènes ont contribué à entretenir et à désen-
sabler les sources, que la végétation a persisté, récompensant ainsi
leur persévérance. Aujourd'hui on compte près de cent oasis per-
dues dans la région, par suite du tarissement des sources, et le
moment n’est peut-être pas fort éloigné où celles du Nifzaoua, de
Nefta et de Tozeur disparaïtront à leur tour, abandonnées qu’elles
sont à l’incurie et à l'insouciance de leurs habitants. |
La distribution géographique des eaux dans le bassin des chotts
est intimement liée à l'orographie et à la géologie du sol; mais on
n'y voit pas les sources former, à la naissance des thalwegs, des ruis-
seaux et rivières, qui viennent ensuite converger dans une vallée
basse et centrale. Il y a fort peu de rivières à régime constant, et
si l’on excepte l’oued Gabès et l’oued El-Hamma, celles qui pré-
sentent cette continuité dans leur régime ne débitent qu'une quan-
tité d’eau excessivement faible. De ce nombre, on peut citer l’oued
Melah (rivière de sel), qui déverse ses eaux dans le golfe de Ga-
bès. Cette rivière prend. sa source au djebel Gloua, à 20 kilomètres
au Sud du chott Hameïmet. Elle coule directement du Sud au
Nord, puis, après avoir atteint la pointe orientale du chott, dont
elle draine les eaux superficielles, elle fait un coude vers l'Est
pour aller se jeter dans le golfe de Gabès. D'Oudref à la mer, son
lit est fortement encaissé entre des berges de 15 à 20 mètres de hau-
teur. Vers son embouchure cependant, les rives s’abaissent et n’ont
plus que 5 à 6 mètres, mettant à jour des alluvions stratifiées. Au
bord du golfe, la rivière a une largeur de 150 à 200 mètres, formant
un marais bordé sur le littoral par des dunes d’alluvions marines
d'environ 5 à 6 mètres de hauteur. Les eaux s’étalent sur le dépôt
d’atterrissement vaseux, et s’'écoulent dans la mer par une brèche
qu’elles ont pratiquée à travers le cordon littoral d’alluvions.
La salure de l’oued Melah démontre que cette rivière ne draine
guère que les eaux salées des nappes superficielles.
À 15 kilomètres plus au Nord, la plage de Gabès reçoit l'oued
Akarit, qui est à sec une grande partie de l’année. Cette rivière, ali-
Le DM on
mentée par des eaux douces, et par conséquent des nappes pro-
fondes, prend sa source dans les terrains crétacés du Khanghat el-
Aïcha, du djebel Mida et du djebel Roumana. Sur un parcours de
17 kilomètres, son lit est formé d’alluvions épaisses, terreuses; les
berges atteignent une hauteur de 15 à 17 mètres, et donnent à ce
thalweg l'aspect d’un profond sillon. C'est un des points le mieux
cultivés de la région, la nature des alluvions permettant avec
succès la culture des céréales.
On voit dans cette vallée des ruines romaines assez nombreuses,
ce qui fait supposer qu'elle avait autrefois une plus grande impor-
tance. Sur le littoral existent plusieurs oued, mais leurs thalwegs
desséchés ne sont plus actuellement que de simples ravines d'écou-
lement des eaux pluviales.
Au Sud de l'oued Melah se trouve Gabès, dont la rivière est ali-
mentée par des sources, qui sont, avec celles de l’oued El-Hamma,
les plus considérables de la contrée; les eaux émergent du terrain
crétacé; elles sont douces et de bonne qualité. à
Un massif isolé, le djebel Hadissa, situé au Sud de l’oued Melah,
près de la route de Gabès à la Hamma, donne naissance à quel-
ques sources et à quelques ruisseaux presque toujours à sec, qui
sécoulent vers le rivage du golfe. Leurs berges très rapprochées
forment des ravines de 15 à 20 mètres de hauteur, creusées ‘dans
des couches marno-sableuses qui reposent sur des calcaires blancs,
parfois siliceux. Un de ces petits cours d’eau aboutit à une sebkba
située entre M'touia et Aouinet. |
Si l'on remonte ensuite dans la direction du chott Fejej, on
trouve au pied du djebel Tebaga les sources thermales de la
Hamma, dont la température est de 45 degrés !. Cinq à six griffons
amènent, sans qu'il y ait trace de captage, les eaux chaudes à la
surface du sol, où elles remplissent des piscines étroites qui-e-
montent à l'époque romaine. Au sortir des bains, les eaux arrosent
l'oasis et tombent dans l’oued El-Hamma, qui, à son arrivée dans le
chott Fejej, possède encore 26 degrés. Dans l'antiquité , elles étaient
connues sous le nom d'Aquæ Tacapitanæ; leur composition a tou-
jours. été indiquée comme sulfureuse; mais le degré sulfhydro-
métrique est faible, comme d’ailleurs celui de toutes les eaux sul-
fureuses chaudes. |
! Température de l'air de jour de l'observation, 16°.
— 265 —
De cette station on ne trouve plus, en marchant vers l'Ouest,
. que l’oued Magroun, qui sort du massif du djebel Tebaga, dont
le régime soit à peu près permanent dans une fraction de son
parcours. La partie supérieure de son lit contient des eaux de
source pures et fraiches qui coulent dans des grès crétacés très
durs; mais la partie inférieure est complèlement à sec.
Puis vient l'oued Nakla, alimenté seulement dans les périodes
pluvieuses. Sur la route qui part de la Hamma et qui suit la rive
Sud du chott parallèlement à la chaine du Tebaga, le voyageur
ne rencontre que quelques sources rares et peu abondantes, dont
les plus importantes sont celles de Nebchet ed-Dib et de la petite
oasis de Limagues. À partir de Limagues et de l’oasis voisine de
Seftimi, la chaîne du djebel Tebaga se rapproche du chott, pour
former plus loin le promontoire de Dbhabcha, où abordent toutes
les caravanes venant du Djerid.
C'est à 3 kilomètres Nord-Ouest de Seftimi que fut exécuté le son-
dage n° 16, descendu à 28",32 de profondeur, et dans lequel le
niveau s'éleva à 0,25 au-dessous du sol. Au Nord de Seftimi, qui
possède des eaux analogues à celles de Limagues, on peut voir,
en plein chott Fejej, les traces d’une oasis {Aïn Tarafñ} disparue
avec les sources qui l’alimentaient. |
À Seftimi commence la région des nombreuses sources et
, Oasis qui composent la contrée du Nifzaoua. Les eaux abondent
sur ce littoral du chott Djerid, notamment à Bechni, Mansourah,
Kebilli, Rhamat, et, plus au Sud, à Douz, Sobria et Aïn Foouara.
Cette abondance de sources est due aux affleurements crétacés
moyens et inférieurs dans lesquels la mission a découvert de nom-
breux gites fossilifères.
À Bou Abdallah existent encore des puits percés de galeries
transversales qui s'étendent assez loin dans les couches crétacées
du Tebaga. Ce sont d'anciens captages destinés à recueillir les eaux
souterraines.
Lorsqu'on quitte le Nifzaoua pour suivre le bord Sud. du
Djerid, on ne retrouve plus, à partir d'Ain Foouara, que des puits
plus ou moins abondants, à une altitude ne dépassant pas 18 à
20 mètres. C'est l'ouverture du Dijerid vers les solitudes de l'Erg,
le passage des masses sableuses qui ont dû concourir au remplis-
sage des immenses sebkhas du Melrir, du Rharsa et du Djerid.
Après avoir contourné la pointe occidentale du chott Djerid,
— 266 —
qui prend le nom de chott El-Abed, si l'on marche 20 kilomètres
environ dans la direction de l'Est, on arrive à la grande oasis de
Nefta, qui dispute à Tozeur le titre de Reine du Dijerid. C'est de
Nefta que partent les nombreuses caravanes qui se dirigent vers
Tebessa, Biskra, l'oued Rhir et le Souf. Ses jardins riants sont
arrosés par des sources importantes qui entretiennent une grande
humidité sur les rives mêmes du chott. Au trou de sonde n° 15, en
face de Nefta, il fallait suivre un étroit sentier de 0,50 pour ne pas
s’enliser, sentier frayé par les indigènes qui exploitent le sel pro-
duit par l’'évaporation des eaux à la surface du chott. Le sondage, ar-
rêté à la profondeur de 26°,53, a donné des eaux jaillissant à1,13
au-dessus du sol. C’est le plus fort jaillissement que l’on ait obtenu
par voie de sondage dans le chott; maiïsles eaux traversant le même
système de terrains salifères avaient encore 16 degrés à l’aréomètre
et une température de 22 degrés. Dans un trou voisin du son-
dage, l'eau de la nappe d'infiltration marquait 39 degrés centi-
grades et 31°,2 de densité; une petite couche de sel diaphane était
cristallisée à la surface, et le rayonnement solaire suffisait pour
augmenter de plusieurs degrés la température de la masse liquide
située au-dessous de cette couche. On se trouvait en présence de
combinaisons pareilles à celles que l'on produit par la méthode
d'évaporation dans les salines avec des eaux ayant le maximum
de saturation, soit 28 degrés, condition recherchée dans l'industrie
salinière. |
Tozeur, la véritable capitale du Dijerid, possède, comme Nefta,
des eaux abondantes; le débit des sources n’est pas estimé à moins
de 2,500 litres Fes minute, quoiqu'il ait beaucoup diminué dans
ces dernières années. Le chott est vaseux au Sud de l'oasis; aussi,
pour l'installation du sondage n° 14, a-ton eu recours au plancher
mobile que l’on avait emporté en prévision de difficultés de cette
nature; sans cette plate-forme, les manœuvres auraient été impra-
ticables, les hommes pénétrant par leur poids (de 0",60: à 0,70)
dans le sol sans consistance.
Une route conduit de Tozeur au chott Rharsa par l’oasis de la
Hamma du Djerid; une seconde route de Tozeur à Dgache et à
Kriz, où commence la region montagneuse du Cherb el-Dakhlania,
qui forme la ceinture Nord du bassin du chott Fejej.
Kriz est le point de départ du Djerid pour le Nifzaoua. La route,
tracée dans le terrain argilo-sableux du chott, passe par El-Mensof
— 267 —
et aboutit à Dbabcha. Elle offre sur son parcours un sol fangeux et
détrempé. Dans cette partie du chott Djerid , une des plus basses où
l'on ait pu pénétrer pour faire le nivellement, se trouvent de nom-
breuses ouvertures, sortes de regards formés par l'ascension des
eaux de la nappe souterraine. Quelques-unes sont recouvertes d'une
croûte de sel qui cache des eaux verdätres amères, dégageant une
forte odeur d'hydrogène sulfuré. Beaucoup sont asséchées ou obli-
térées; elles se reconnaissent par une sorte de cône aplati d'environ
150 mètres de rayon, formé de déjections amenées à la surface
par les anciennes eaux jaiïllissantes. Le sondage n° 12, dont j'ai
déjà parlé, fut placé dans une de ces tubulures naturelles créées
par la circulation des niveaux inférieurs.
A Lun de Kriz, la bordure du chott décrit une ligne ie
à peu près parallèle au 34° degré de latitude Nord. Elle est dominée
par les massifs des djebel Bou Hellal, Tarfaoui, Keribiti et Zi-
touna. Au point de vue hydrologique, cette ligne présente peu d’in-
térêt. On n’y rencontre que quelques sources assez élevées, entre
autres cellé de l’aïn Kebirita, qui prend naissance au pied du
massif de cenom, pour former ensuite l’oued Kebiriti, puis l’oued
Zitouna, qui contient un peu d'eau; plus loin les puits de Bir
Rekeb, de Bir Beni-Zid et de Bir Berrada. Ce dernier est situé en
face du Cherb el-Berrania, dont la courbe accentuée passe par
. le djebel Hadifa, montagne remarquable par ses gisements de sel
tertiaire, et se continue par le djebel Stehe, le Goroun Storan, le
Coudiat Sekkeur, le djebel Aïdoudi, le Fejej Kbir, le Fejej Srir, le
Zemlet el-Bida et le Khanghat el-Amor, qui se redresse brusque-
ment vers le Nord-Est pour Mate se rattacher au Khanghat el-Aïcha
et au djebel Mida, où l’oued Akarit prend sa source.
Au pied du mamelon de Ras Knafès, extrémité occidentale
de la chaine de l’Aïdoudi, au milieu de ruines importantes qui
doivent être celles de la station de Silesva, des Tables de Peutinger,
il y a, à l'altitude de 5o mètres, deux puits de construction ro-
maine , d’une profondeur d'environ 15 mètres, les puits de Knafès
et de Lhmra, qui fournissent une eau relativement assez bonne.
Tel est à peu près l’ensemble de la distribution des eaux dans
les contours de l’immense bassin qui enclave les chotts Fejej et
Djerid.
Ainsi qu’on a pu le remarquer, les eaux de bonne qualité y sont
rares, notamment dans les terrains quaternaires et terliaires; on
— 268 —
peut même dire que c’est une exception; car la plupart de ces eaux,
ainsi que le démontrent les analyses, contiennent toujours en dis-
solution des sels abondants de chaux, de magnésie et du chlorure
de sodium. Comme type d’eau potable, on peut citer celle qui a
été recueillie au sondage n° 5 du seuil de Gabès. Elle appartient par
sa position géologique à la base du terrain quaternaire; peut-être
est-elle due aussi à des sources tertiaires ou crétacées circulant à
travers les couches supérieures. Quoi qu'il en soit, on peut lui at-
tribuer une origine tertiaire, car elle se rapproche du type déter-
miné par M. Ville, d'après les nombreuses analyses de M. Marigny
sur les eaux de l'Algérie. De longues recherches avaient permis à
ce savant ingénieur d'établir la quantité moyenne des sels en dis-
solution par litre et de fixer le classement ci-dessous, qui donne
une relation entre les eaux et la nature des terrains :
1° Eau des terrains secondaires, 325 milligrammes;
2° Eau des terrains tertiaires, 18°,991.
Les eaux du sondage n° 5 ont donné 15,626 par litre! Elles
seraient également du type tertiaire, bien supérieures cependant
comme qualité à celles de la source d’Ain Oudref qui émergent à
la surface du sol dans le voisinage de ce trou de sonde et qui con-
tiennent 35,41 de résidus fixes par litre. Si des échantillons des
sources du Nifzaoua ou de Tozeur avaient pu être rapportés, on
aurait obtenu bien certainement une composition voisine de celle
des eaux du terrain secondaire, qui est représenté dans la contrée
par des assises puissantes.
La température n’a pas sensiblement varié dans les sondages;
elle s’est maintenue d’une façon assez constante entre 21 et 22 de-
grés, celle de l'air variant de 12 à 15 degrés. Ii n’a pas été possible
de vérifier la loi d'accroissement, la profondeur des trous de sonde
n'ayant pas dépassé 30 à 4o mètres.
Dans tous les cas, il est un fait constant, c'est que, sous cetle
latitude et dans le pays exploré par l'expédition, la température
des eaux superficielles a toujours été de 21°,5 à 22 degrés centi-
grades, soit environ 10 degrés de plus que les nappes de même
profondeur de nos régions. Pour les sources plus profondes émer-
geant naturellement du sol ou des terrains crétacés , elle a offert de
grandes variations; quelques-unes, comme l’aïn Oudref et l’ain Ke-
birila, ont accusé 18 degrés; mais, en général, elles ont une tem-
pérature plus élevée. Les sources de Tozeur, par exemple, sortent
— 269 — |
à 30 degrés; celles de Nefta et de Kriz marquent 30 à 31 degrés.
D’autres enfin atteignent une thermalité très grande, comme celle
de la Hamma de Gabès.
Un aperçu résumant les conditions de régime et d'écoulement
des sources et des oueds, avec l'indication des provenances et de
la composition des eaux, n'était pas, à mon sens, dépourvu d'in-
térêt. J'ai donc recueilli fidèlement les observations utiles ayant
trait à celte question, convaincu qu'elles pourront guider les re-
cherches ultérieures qui seraient faites dans le but de découvrir
des eaux souterraines, le succès en étant dès aujourd’hui assuré
par les documents importants de la mission de M. le commandant
Roudaire.
SOURCES (TEMPÉRATURE).
Aix Ouprer. — Température prise une dizaine de fois : 18°; la tempé-
rature de l'air variant de 6° à 22°.
La Hamma De GaBës. — Le 8 février, à 3° du soir, la température de
l'ain El-Bordj était de 44°.
Ain KEBIRITA. — 31 mars : 8 matin, la température de l'air étant de
15°,4, celle de la source est de 18°,2.
Le mème jour, à 2° du soir, la température de l'air étant de 24°,
celle de la source est de 17°,6.
J'attribue cette différence à l’évaporation plus rapide de l'eau
mouillant le thermomètre.
Kriz. — Température prise plusieurs fois : 28° au milieu du bassin,
31°,9 à l'endroit où l'eau jaillit du rocher.
Tozeur. — 5 mai : 29°,5 au milieu de la source; l'eau vient en filtrant
à travers l'argile. Si l'on creuse un peu avec la main sur les bords
de la source, on obtient 30°.
Nerra. — Température prise plusieurs fois : 26°,2 au milieu du bassin,
28° sur les bords, aux points où l’eau sort de terre, et 30° sous les
cabanes en troncs de palmier qui vont chercher l’eau un peu plus
profondément dans l'argile.
SEFTIMI. — 14 mai: 7° matin, température de l'air, 16°; température
de la source, 23°; 2° soir, température de l'air, 24°,9; température
de la source, 24°,5.
— 270 —
SONDAGES.
TEMPÉRATURE ET DENSITÉ DES EAUX. -
DÉSIGNATION TEMPÉRATURE
DENSITÉ
je PROFONDEURS. 8
À L’ARÉOMÈTRE
SONDAGES. S à DE L’EAU. DE L'AIR.
1”essal, 22°
2° essai, 21° 8
3° essai, 21° 5
22°
29°
22°
22°
ANALYSES DES ÉCHANTILLONS D’EAUX PROVENANT DES SONDAGES
FAITS DANS LES CHOTTS |.
EAU DU CHOTT HAMEÏMET.
Dose par litre.
de mMagnésiih er LEP A TRE 228,128
Chiorare {éde potdssiine Cu uL en PE 3 287
de sodiimit heat re cer te net TOO
He SDUAeLLE Le CLÉS URLS en nie OT EURE
slfte tt)
re dde chaux 00e 7e LEA SRE TRE re 2 oo
RONA Me 1H 5 . ‘194, M9
EAU DU CHOTT DJERID.
Dose par litre
dé Mage Een. |... 0e, fe 76,014
Chlorure 4 de potassium. ..... sq. ŒLETE 3 586
vd ‘sodrum.s4ot. oies 7 ui Are 123 697
désuude.s10 ID. Que LOT, 1, YOU 1 779
Sulfat
er de chaux. 0e 20 run Lé HER: 6 664
POPAMRPANNA ES |. IS 142 736
! Ces analyses ont été faites au laboratoire de l'Ecole des mines, sous la direc-
üon de M. A. Carnot, professeur de docimasie.
— 271 —
EAU DE L'AÏN OUDPEF.
Dose par litre.
FES 20 DORE PR REA ETES 05',2542
de MASRÉME LL ne ele seb «eme ego se M ONRO UE
Carbonate
de Chat en auras Es Re al RTE CURE
Sulfat
NACRE | FRS OU) Eee ste ee Mr ie dr a de ME pr 0 : 15.
d di . 2e 000000 500 0 tee ee € 3053
Chlorure HUE. ME
de pôtassiam. :..4.4.,.,.:.:.:..:.+ O 0614
ANA EME Ne c'e de yo 120
EAU ASCENDANTE DU SONDAGE N° 2.
Dose par litre.
d h X ee elris eletn a nls elelsd ele etant se 7
Carbonate | ec 7e 06",2694
DORA RESIE RS eee moe à ÉPÉÉPRÉTEE O 2270
PRE de CHA e.-e 2e 40 se D ON O7
HA Mia de Fee (0.400. ai LS 44 EC? . 1 2069
de potassium. ........ FD AB SUTIQN A a LOF
Merde sulfhydriquéi. &ifié ns. 2unemullaa, te 5 Naveœ71568
ROTAES AU ART 0 del ee AN 6268
GÉOLOGIE ET PALÉONTOLOGIE.
Dans les diverses missions dont il avait été-chargé de 1872 à
1876, M. le commandant Roudaire avait étudié avec soin la topo-
graphie de la région des chotts, et fixé, au moyen de nivellements
de précision, l'altitude de ces immenses dépressions. Mais les res-
sources dont il disposait ne lui avaient pas permis de déterminer
la nature géologique du sous-sol.
L'expédition de 1878 a comblé cette lacune; car, en dehors des
nivellements exécutés sur un parcours considérable, la mission
a réuni, grace à de nombreux sondages et à de fréquentes excur-
sions sur les rives des chotts, un ensemble de documents qui per-
mettent aujourd'hui d’avoir une idée exacte de la structure des
terrains dans lesquels s’est formé le bassin des chotts, et d’en fixer
l’âge géologique.
Chargé par M. le commandant Roudaire de collationner les re-
1 L’acide sulfhydrique contenu dans l’eau du sondage n° 5 paraît être en partie
libre et en partie combimé (sulfures de calcium et de sodium).
— 272 —
levés des sondages et les échantillons rapportés par la mission,
j'ai pris soin de réunir les faits les plus intéressants, capables
d'apporter quelque lumière sur la géologie et de cette contrée.
On avait, il est vrai, conjecturé des terrains qui circonscrivent
les chotts par des études faites dans les formations similaires
de l'Algérie; les déductions, assez justes d’ailleurs, qu'on en
avait tirées de l'hypothèse de la continuité des couches qui bordent
vers l'Est le littoral méditerranéen, semblaient confirmées par
les rapports de MM. À. Pomel et Fuchs.sur l’isthme de Gabès.
Cependant ïl restait à compléter de visu l'exactitude de ces
informations pour redresser les erreurs inséparables d'examens
faits sur de si vastes étendues, dont quelques points seulement
avaient été rapidement visités. C’est ce résultat que M. le com-
mandant Roudaire s’est donné la tâche d'obtenir dans son récent
voyage. |
Les chotts Fejej et Djerid, qui ont été le principal objectif
des travaux, ne forment qu'une seule et même dépression dont
les contours sont assez nettement définis et que l’on confond le
plus souvent sous l’unique dénomination de Chott Djerid.
Au Nord et au Sud, les rives du chott Fejej sont dessinées
par une bordure rocheuse dont les sommets atteignent des alti-
tudes de 4oo à 500 mètres. La bordure Sud, le djebel Tebaga,
‘affecte la forme d’un arc immense qui appuie l’une de ses extré-
mités au soulèvement de Gabès, et dont l’autre extrémité forme
un promontoire avancé entre les chotts Djerid et Fejej.
C’est de Dhabcha, dans le Nifzaoua, que part la route principale
des chotts, laquelle, après un parcours de 45 kilomètres dans ces
solitudes souvent marécageuses, aboutit-à Kriz et Dgache. Ce clre-
min est la ligne de séparation, plus fictive que réelle, des chotts
Fejej et Djerid.
Vers le Nord, le relief est plus accusé et d'une allure irrégu-
lière, formant en divers points le rivage même du chott Fejej. Il
commence au seuil de Gabès pour se continuer par les massifs
d’Aidoudi, Hadifa, Cherb Berrania et Dakhlania, dont les escarpe- .
ments prennent naissance sur le chott et vont se joindre au seuil
de Kriz par les djebel Zitouna, Kebiriti et Bou Hellal. Le seuil de
Kriz limite le chott Djerid au N. O. et le sépare du chott Rharsa,
qui est situé entre le 5° et le 6° degré de longitude orientale du
méridien de Paris, et où les nivellements ont accusé des cotes de
— 273 —
30 mètres au-dessous du niveau de la mer. Le seuil de Gabès. est
le seuil opposé à l'Est, sorte de barrage fermant la communication
du Fejej avec la mer.
Le chott Djerid, le plus important, n'est pas limité dans toutes
ses parties par des rives rocheuses; ses bords sont, au Sud, à une
altitude moyenne de 18 à 20 mètres, et en contact avec la région
des dunes (lErg). C’est de ce côté qu'il faut vraisemblablement
voir une partie de l'apport des terrains qui ont, dans la dernière
période géologique, comblé les chotts. |
Contrairement à l'opinion qui tend à établir un écoulement
vers le golfe de Gabès, la pente est de l'Est à l'Ouest; le point le
plus bas qui ait été nivelé se trouve entre les sondages n° 11 et
n° 12, à la hauteur du djebel Kebiriti, à l'altitude de 13,33. Par
l'inspection générale des rives, on voit que toutes les côtes sont
dentelées; partout on constate des formations redressées sous des
angles divers se rapprochant même de la verticale. Il en résulte
une série de failles, de déchirures, dont les intervalles sont comblés
par des terrains plus récents. Dans ces faïlles ou brisures se sont
formés de nombreux thalwegs où viennent émerger des sources
qui s’écoulent vers les chotts.
Avec leur bordure rocheuse, les chotts présentent une immense
vallée dont les rives se redressent en sens opposé; celle du Nord,
‘ plus élevée, montre ses stratifications inclinées dans la même di-
rection. Au Sud, les masses minérales, orientées plus régulière-
ment, donnent une ligne d'horizon moins agresle, accusant un
pendage vers le Sud.
Les sondages entrepris dans l'expédition de 1878-1879 sont re-
produits en partie sur la coupe géologique ! qui traverse les chotts,
de Gabès à Mouiat Sultan, situé à l'Ouest de Nefta.
Ils donnent un total de 670 mètres de terrains explorés sou-
terrainement par la sonde. C'est un chiffre assez important, si
lon songe aux difficultés de tels travaux dans ces régions où l'on
ne dispose pas toujours de moyens de transport faciles, puis
aux inconvénients d'un état climatérique spécial, toujours sec,
où le vent du Sud souffle continuellement et acquiert parfois
une telle intensité qu'il bouleverse les abris et aveugle les tra-
vailleurs. Quoi qu'il en soit, les observations ont été faites avec le
1 Planche If.
MISS. SCIENT. — VII. : 18
— 9274 —
plus grand soin, et l'on peut dire que les points les plus extrêmes
des chotts présentent une stratificalion assez régulière dans le dépôt
des couches superficielles.
Tout l'ensemble des terrains relevés par les sondages est sableux ,
salifère ou marno-gypseux. À la surface, ce sont des sables ré-
cents d'épaisseur variable, où les Helix et le Cardium edule se ren-
contreut en grand nombre. Cette couché n’a quelquefois que 30 à
ho centimètres, et repose, comme dans les sondages n°8 et 9 du
chott Fejej, sur des marnes rougeatres.
Vers les régions basses, la couche sableuse disparaît sous un
dépôt marno-salifère vaseux dû au transport et au séjour des
eaux pluviales ou de celles qui s'écoulent des oueds. Er d'autres
endroits elle continue en profondeur avec une coloration presque
toujours grisètre. Son épaisseur ne dépasse pas 21 mètres environ
au trou de sonde n° 14 (région extrême du chott), el repose sur
une zone à peu près semblable, plus marneuse cependant et sou-
vent jaunätre. J'ai indiqué dans la coupe cette séparation, parce
qu'elle me semble pouvoir être déterminée, quoique, par suite de
la déviation de la coupe où les sondages n° 11 et 13 sont indiqués
par projection, les couches se confondent en quelques points du
diagramme, surtout vers l'Ouest, où les horizons sableux et argi-
leux alternent; mais pour l'étude du seuil qui est l'objectif des
travaux , la séparation est bien manifeste dans les sondages n°* 1 et 6,
par exemple, où le dépôt à de 13 à 20 mètres.
Ces sables, argiles et marnes subordonnés sont tous gypsifères;
le gypse est à l’état pulvérulent ou cristallisé, coloré par des oxydes
de fer. Les parties supérieures sont fortement imprégnées de sel
et couvertes d'efflorescences salines.
Le deuxième niveau contient les mêmes éléments, mais plus
marneux. Les marnes vertes y sont plus développées , mais la colo-
ration en est généralement jaunûtre. Sur le versant Ouest du seuil,
ce niveau suit une ligne à peu près parallèle au premier et s’abaisse
rapidement dans la direction du seuil de Kriz.
Le troisième horizon est mieux défini. C'est un ensemble de
marnes et argiles vertes et rouges accompagnées de gypses en cris-
taux, où les sables sont plus rares. Il est superposé, au seuil de
Gabès, à un lit mince de marnes contenant des fragments de quartz
et de calcaires remaniés, passant à un poudingue à base calcaire,
qui a été observé dans les trous de sonde intercalés entre les n°” 1,
— 275 —
À et 5. Cette couche de poudingues que l’on retrouve sur les deux
versants du seuil doit limiter les dépôts quaternaires. Par suite du
plongement des formations vers l'Ouest, les poudingues n’ont pas
été alteints dans les sondages du chott Djerid; il aurait fallu des-
cendre à de grandes profondeurs; mais il est certain qu'alors ils
auraient été constatés. C’est immédiatement au-dessous que furent
rencontrés au sondage n° 1, à la profondeur de 34",18, les cal-
caires blancs à texture fine et cristalline alternant avec des marnes
qui, suivant toutes probabilités, représentent les terrains du Cou-
diat Hameïmet.
Au point culminant de la coupe de Gabès, ce troisième et der-
nier horizon a une dizaine de mètres, mais il est facile de remar-
quer qu'il acquiert, dans son prolongement sur les deux versants
du seuil, un développement plus considérable.
La réunion de toutes ces assises donne la série des couches qui
ont comblé les chotts à l’époque quaternaire. Il serait difficile de
dire si le fond du bassin dans le chott Djerid n'est pas constitué
par des couches tertiaires en place, formées pendant les périodes
pliocène ou miocène. Il y a quelques probabilités pour que cette
hypothèse soit fondée, si l’on tient compte de ce que, dans la ré-
gion, les dépôls tertiaires sont fréquents. On serait donc peut-
être en présence d'un ancien bassin tertiaire, en parlie remanié
* à sa surface, et comblé ensuite soit par Papport de terrains détri-
tiques empruntés aux formations environnantes, soit surtout par
celui des sources propres au régime des chotts, dépôt qui a coiïn-
cidé avec la période quaternaire.
Les différentes phases de ce mouvement s'expliquent par le
soulèvement des terrains crétacés dont les sommets atteignent
4oo à 5oo mètres d’allitude. Ce soulèvement a donné naissance à
l'immense dépression, accompagnée de failles, qui s’est produite à
la place où nous voyons les chotts, dépression qui a été remplie
d’abord par tous les débris éboulés des berges crétacées et des ter-
rains englobés entre ces rives au moment du phénomène. Sous l’ac-
tion puissante des eaux, le nivellement s'est ensuite opéré graduel-
lement par l'apport des couches meubles. Enfin l'Erg, avec ses
masses puissantes de sables dont l’entrée n’a dü rencontrer aucun
obstacle à la partie Sud du Djerid, a donné au sok des chotts son
dernier facies. Il est certain que, à différents intervalles, des oscil-
lations modifiaient aussi les centres de la dépression et détermi-
LB.
— 276 —
naient la prédominance de certains dépôts; mais de l’ensemble
des faits il résulte bien que cette période quaternaire a dù com-
mencer par le remaniement et l'ablation des couches tertiaires si
répandues dans les chaînes du Tebaga, du Cherb el-Dakhlania, où
l'on a trouvé abondamment l'Ostrea crassissima, et que l’exhaus-
sement le plus récent.s'est manifesté au seuil de Gabès, renversant
ainsi la pente naturelle du bassin.
Ce dernier phénomène est visible sur le rivage du golfe, où un
cordon littoral, coquillier, constaté par M. Fuchs en 18741, con-
tenant des espèces encore vivantes dans la Méditerranée, telles que
le Murextrunculus (Lin.),lOstrea edulis (Lin.), des Natices, plusieurs
variétés de Cardium edule, etc., s'élève à une altitude d’une quin-
zaine de mètres au-dessus du niveau de la mer, chiffre qui se rap-
porte assez bien à la position des calcaires crétacés trouvés au
sondage n° 1°, à l’altitude de 12 mètres. La partie interne du sou-
Jèvement indiqué dans la coupe géologique fait voir le parallélisme
des couches superposées à ces calcaires. L’amincissement de tôus
les dépôts argilo-sableux déposés sur l'axe du profil est d’ailleurs
bien conforme au méde d'écoulement ou de déformation des
masses minérales élastiques et malléables. Si donc par la pensée
on rétablit les choses en l’état où elles se trouvaient avant le sou-
lèvement que le cordon littoral détermine, on reconnait que, pen-
dant la période quaternaire, la dépression saharienne était en
communication avec la mer. Les calcaires devaient même encore
être au-dessous du point où nous les constatons aujourd'hui. C'est
l'hypothèse probable.
Il est alors plus facile d'expliquer, pour la contrée du Djerid,
l'existence géologique de ces grandes sebkhas qui se continuent à
l'Ouest par les chotts Rharsa et Melrir. À l’époque quaternaire,
le chott Fejej devait être une sorte de chenal bordé par deux rives
crétacées, qui reliait le bassin des chotis à la Méditerranée.
Il a fallu, dans la suite, un état climatérique spécial, une hu-
midité excessive, pour engendrer les eaux nécessaires au transport
et au remaniement de ces masses considérables, dans lesquelles on
reconnaît une stratification assez régulière.
Les derniers mouvements des formations crélacées ont fermé
par des seuils, dont le soulèvement s'est continué après l'époque
1 Comptes rendus de l'Académie des sciences, 2° semestre 1874, p. 353 et 354.
— 277 —
quaternaire, les dépressions que nous retrouvons aujourd'hui et
dont quelques-unes sont au-dessous du niveau de la’mer. Elles oc-
cupent encore, dans le Nord du continent africain, des surfaces
importantes. Tous les chotts qui sont alignés à peu près parallèle-
ment à la chaîne de l'Atlas et que l’on rencontre à partir du Maroc,
tels que les chotts Gharbi, Chergui, El-Hodna et Melrir, ont une
origine commune avec ceux du Rharsa et du Djerid de la Tunisie;
mais les phénomènes de soulèvement ont eu en Algérie une action
bien plus puissante, car quelques-unes de ces sebkhas ont été rele-
vées à 700 ou 800 mètres au-dessus du niveau de la mer.
Du deïita que présentait le grand atterrissement du golfe de
Gabès, il ne reste de lémoin visible que l'ile de Kerkenna, formée
de sédiments quaternaires. M. Pomel, dans son étude géologique
sur la petite Syrte et la région des chotts (1877), traçait les condi-
tions de cette île, et il ajoutait même que l'on devait fixer sa phase
- de séparation du continent tunisien à une époque antérieure à la
constitution orographique du relief actuel du golfe.
Je dois finir l'exposé de ces considérations en rappelant l'opinion
très judicieuse émise par M. Tournouër dans son rapport à la sec-
tion géologique du congrès de Paris en 1878. I terminait ses con-
clusions en déclarant qu'il ne voyait pas l'impossibilité de la com-
munication de la mer quaternaire avec la dépression du Djerid, et
il appuyait son hypothèse sur les oscillations très grandes commen-
cées avec la période quaternaire et dont sont encore affectés, de
nos jours, les rivages de la Méditerranée, principalement Îes côtes
barbaresques. On ne pouvait, il faut le reconnaitre, envisager la
question sous un point de vue plus exact.
La coupe géologique traverse le seuil dans ses points les plus
déprimés, laissant, à droite et à gauche, des hauteurs formées de
couches tertiaires et crétacées; elle doit donc donner, à mon sens,
un diagramme très juste de l'allure des terrains, les sommets, par
leur attitude, étant beaucoup plus sujets à des renversements et
à des déformations.
Si l’action érosive des agents atmosphériques à pu modifier le
relief en quelques endroits el contribuer à la création de nou-
veaux terrains, les eaux souterraines ont joué un rôle peut-être plus
prépondérant dans la composition des couches récentes, et ce rôle
est toujours très actif; les sources nombreuses du bassin du Djerid
contribuent à former encore de nos jours les grands dépôts de
— 278 —
sels, de gypses et de travertins que l'on rencontre dans les chotts
et sur leurs versants.
Il est avéré aujourd’hui que tous les gisements salifères de l'AI-
gérie et de Tunisie ont une origine tertiaire; cette opinion a été
appuyée par les travaux de M. Dubocq, ingénieur des mines, qui
a démontré que les dépôts de sels étaient toujours supérieurs
aux terrains crétacés et subordonnés à l'Ostrea crassissima. M. Co-
quand (exploration de la province de Constantine) dit avoir reconnu
que les formations salifères des Zouabis d’Ain Gueber et du djebel
el-Melah, près d'El-Outaïa, étaient toutes supérieures au terrain
crélacé ct presque au conlact des couches à Inocérames qui repré-
sentent le niveau supérieur de la craie.
Dans la région tunisienne, ces gisements sont également au-
dessus des terrains secondaires et intercalés dans les assises ter-
tiaires, probablement dans le miocène, ou peut-être le pliocène,
quoique sa présence semble douteuse dans le Djerid. Aucun des
fossiles, très rares d’ailleurs, de cette assise tertiaire n’a été recueilli
par la mission , et il est difhicile d'affirmer ou de nier l'existence de
ce niveau. Le terrain lertiaire est l'horizon commun à la plupart
des dépôts gypso-salifères. On en à trouvé en Sicile, dans l'Arménie,
la Perse, etc. Les lacs salés de l'Algérie, la mer Caspienne, la mer
Morte, les lacs de Hurmiah, d'Elton et de Van en Arménie sont
des sebkhas dont le niveau s'est maintenu, mais qui, dans leur
évaporetion continuelle, conservent toujours la salure empruntée
aux terrains encaissants. |
Pour la production du sel, quelques géologues ont fait entrer,
comme agent actif, les sources thérmo-minérales salées; mais rien
ne peut justifier cette intervention. Toutes les sources thermales
comme celles de la Hamma de Gabès sont peu minéralisées; il en est
de même, à quelques exceptions près, de toutes celles de l'Alsérie, et
encore les sources thermales qui donnent des eaux minérales salées
ne contiennent-elles qu'une très faible proportion de chlorure de so-
dium ei de sulfate de soude. Dans la région des chotis, les sources
profondes sont généralement pures, surtout celles dont le régime
prend naissance dans le terrain crétacé, et cette dernière remarque
a été faite bien des fois par M. Ville dans ses nombreuses recherches:
en Algérie. Les dépôts salifères du bassin des chotts sont dus aux
sources, qui se chargent, dans leur passage à travers les assises ter-
laires et quaternaires, de principes salés, qu'elles abandonnent
— 279 —
ensuite à l’évaporation solaire. Dans certaines régions des chotts,
celte évaporation est accusée par une sorte de cône de matière sa-
line qui borde leur ouverture. |
Les gisements de sel et les gypses qu’ils accompagnent sont lou-
jours en amas et affectent la forme lenticulaire. On en rencontre
d'importants sur la rive Nord du chott Fejej, au djebel Hadifa.
Quant aux gypses, ils sont disséminés dans les assises tertiaires
et quaternaires; dans ce dernier étage, ils ont quelquefois le carac-
tère d’un véritable gisement ; leur présence est due à l'émission des
sources, qui de nos jours amènent encore à la surface les mêmes
sédiments. Quelques bancs de gypse peuvent cependant exister
dans les couches crétacées, comme en Algérie dans le turonien, au
col de Sfax près Biskra, ou dans le santonien de l'oued Tebessa
(province de Constantine); mais ces formations gypseuses crélacées
sont l'exception. Sur le versant Est du seuil de Gabès, l'action
des sources a déterminé l'accumulation de couches calcaires assez
remarquables et déposées sur de larges surfaces. Le calcaire ainsi
formé rappelle le travertin; c'est quelquefois un tuf blanc, ou
coloré en jaune par les oxydes de fer en dissolution; il contient
des Helix. Une étendue importante des versants Est du Coudiat
Hameïmet est couverte de cette formation, qui modèle les pentes
et les reliefs du sol. On la suit au Sud dans le djebel Hadissa,
à Ghannoush, près de l'oued Melab, et plus au Nord sur un par-
cours d'environ 20 kilomètres vers loued Zaouaï. Son développe-
ment n'a rien d’anormal, car dans bien des pays ces produits de
sources minéralisées ont une importance très grande : en Italie par
exemple, à San Vignone, Viterbe et Tivoli; en France, dans l’Au-
vergne; à Maragha, dans le Caucase, etc. Ces dépôts couvrent de
grands espaces et atteignent quelquefois une épaisseur de 50 à
60 mètres. On connait également en Algérie les sources des val-
lées de Mafruch (province de Constantine), de la Chiffa (province
d'Alger) et de Hamma bou Hadjar (province d'Oran), qui de nos
jours forment encore des concrétions calcaires. Sur les rives du
solfe, ces terrains sédimentaires sont peu épais, situés à une alti-
. tude qui n'est pas inférieure à celle de Gabès, et ne semblent pas
avoir changé, ce quiindiquerait que leur formation est assez récente.
Dans les parties basses, les travertins sont mélangés à des poudin-
gues etse montrent, à l'intérieur des couches les plus rapprochées
de la surface du sol, avec le facies d’une véritable brèche imprégnée
280 —
de sable jaunâtre terreux renfermant de nombreux Cardium edule
qui se retrouvent également dans l'oued Beni Zid , au djebel Diabit.
Lorsque ces calcaires se rencontrent à une altitude plus élevée, au
contact des terrains tertiaires, on pourrait supposer qu'ils appar-
tiennent au pliocène; mais en tenant compte de l’ensemble des
faits géologiques et de la continuité de tous les caractères propres à
ces dépôts jusque dans les couches récentes, il paraît logique de les
rattacher à l’horizon des terrains quatcrnaires et probablement en
grande partie à l'époque des dernières périodes de cet étage.
Parmi les sédiments encore récents dus à l'action des eaux, je
dois citer ceux du Belad Hameïmet. Ils sont composés de sables
d’une très grande finesse, presque impalpables; vers le sommet du
seuil, ils ont 2 à 3 mètres d'épaisseur, couvrent une grande partie
du chott Hameïmet, et atteignent, vers l’oued Melah, jusqu'à 25
et 30 mètres. Cette matière blanche, pulvérulente, d'une ténuité
extrême, contient environ 50 p. o/o de silice et de quartz, du sul-
fate de chaux dans une forte proportion, un peu de carbonate de
chaux, des quantités appréciables de chlorure de calcium et de
sodium, enfin des traces de magnésie. On peut encore reconnaitre
dans ces couches l'action des sources chaudes chargées de silice.
La silice, dont la solution a dû être activée par la présence des
alcalis, a formé ce dépôt important en se précipitant dans des eaux
tranquilles. Je dois signaler en faveur de ces hypothèses le fait
particulier de l'existence, dans le voisinage de ce gisement, de
sources actuelles très abondantes, la source d'Oudref, par exemple,
et principalement celle de la Hamma de Gabès, dont la thermalité
est encore de A5 degrés.
Tels sont, dans leur ensemble, les phénomènes principaux qui
ont présidé à la formation des terrains de l’époque quaternaire, si
développés dans la région des choîits, et dont l'importance ne peut
échapper dans la question qui fait l'objet de ce rapport. Le peu
de consistance de ces formations, les nappes qui imbibent toute
leur masse, les sources nombreuses qui émergent naturellement
des terrains crétacés qui sont en dessous, et qui fournissent la
majeure partie du volume des eaux que l'on voit aujourd'hui à la
surface du sol, donneront incontestablement les plus grandes faci-
lités pour l'exécution des travaux qui pourront être entrepris pour
la jonction des chotts à la Méditerranée.
La faune de ce terrain est en parlie composée d'espèces ‘ac-
— 281 —
tuelles. Dans les sables récents qui couvrent la surface, on trouve
de nombreux débris d'elixz, de Mélanies, Mélanopsides, etc., et
plusieurs variétés de Cardium edule, espèce caractéristique du qua-
ternaire ancien et souvent du pliocène. Le Cardium edule présente
deux variétés principales : l’une commune aux mers actuelles, el
que l’on retrouve sur tous les rivages méditerranéens; l’autre propre
aux eaux des mers moins salées et vivant dans les lagunes. Gette
forme saumâtre existe dans les étangs de la Barre, de Lavalduc,
d'Arcachon, dans la mer Caspienne et dans la Baltique. On a re-
connu, dans différentes régions, que ses conditions d'existence pou-
vaient encore s’accorder avec des eaux dont la salure ne dépassait
pas 15 à 20 degrés. Elle devait donc se développer facilement dans
cetle contrée, au milieu d'eaux saumâtres de saturation variable.
Sur les bords du chott, à Bir Beni Zid, le Cardium edule est si
abondant qu’il constitue une brèche grossière avec les sables agglu-
tinés de loued. Quelques Helix ont été retirées des couches du
sondage de Bir Toquet (seuil de Gahèës), à 1”,70 du sol; elles
peuvent se’rapporter à l'Helix vermivulata (Muller).
À Zemlet el-Bida et sur le sommet de l'Hameïmet, on a re-
cueilli des échantillons de Zonites candidissima et de Bulimus de-
collatus. Une très belle variété d'Helix, voisine de *’Albella ei de
lOxygira, a été également trouvée par le médecin attaché à la
mission. Elle est décrite par M. le commandant Morlet! et dédiée
à M. Lacoste, vice-consul de Gabès {Helix Lacosteana).
Je fais enfin-mention de traces de stations préhistoriques ren-
contrées du côté de Ras Knafès et dans le djebel Tebaga; des
spécimens de silex taillés avaient été déja découverts au seuil de
Gabès, dans l’oued Akarit et l'oued Melah ?.
Les formations qui composent la série géologique visible dans
les reliefs tunisiens appartiennent aux étages du tertiaire supérieur
et du crétacé. Les sondages sont tous restés dans les assises qua-
ternaires. Ces dépôts peu épais, par suite du relèvement du seuil
de Gabès, ont permis la rencontre, à environ 13 mètres au-dessus
du niveau de la mer, des calcaires blancs qui se rattachent aux
! M. le commandant Morlet, préparateur au Muséum, a bien voulu se charger
du classement des coquilles tcrrestres. Son travail est annexé au rapport.
2? lJ'ailleurs, les témoins de l’âge de la pierre taillée abondent dans tout le
Djerid ; partout on a rencontré des vestiges de silex tailiés, et il y aurait à faire
à cet égard une étude fort intére:sante.
— 282 —
assises crélacées du Coudiat Hameïmet. Le miocène est caractérisé
par des marnes vertes ct rouges avec lits renfermant en grande
abondance l'Ostrea crassissima (Lamk.) qui a été retrouvée dans
les chaines du Tebaga, du djebel Diabit et de Ras Knafès.
Ces marnes sont mélangées de grès rouges, roses ou violets, à
texture fine, cristalline, et sans apparence de fossiles, puis de
poudingues et de grès à facies molassique. Dans les couches mar-
neuses du sommet du seuil de Kriz, du djebel Aïdoudi et du Dia-
bit, on a trouvé quelques beaux spécimens de l’Ostrea Maresi
(M.-Ch.), qui est spéciale au miocène.
Les gypses y sont fréquents et toujours en amas. Ils sont blancs
ou colorés, à texture grenue ou fibreuse, et présentent, en outre,
toutes les variétés de forme cristalline les plus répandues. Ils ac-
compagnent les gisements de sel gemme qui ont dû fournir une
grande partie des dissolutions salines de l'époque quaternaire.
Ün caractère constant du terrain tertiaire est d’être en stratilica-
tion discordante avec le terrain crétacé; de sorte qu'à première
vue, sauf les accidents locaux, fort nombreux, il est vrai, qui ont
disloqué les couches tertiaires et qui les ont placées au contact des
assises crétacées, on reconnait très bien les deux formations par
leur mode de superposition. La présence des terrains tertiaires est
commune à toute la région comprise entre Ras Knafès et le seuil
de Kriz. Tous les témoins de ces couches sont souvent relevés à de
grandes altitudes, rejetés dans les failles, sur les versants des col-
lines des chotts, et ne peuvent, par suile de ces dislocations, oc-
cuper de grands espaces. |
Il est difficile d'affirmer, faute de fossiles, la présence du phio-
cène ct de l'éocène. Au premier on pourrait peut-être attribuer les
calcaires blancs el les poudingues à petits éléments et à pâte
calcaire du Coudiat Hameïmet, du djebel Mida et de Ras Knafès;
mais de nombreuses recherches n’ont pu faire rencontrer aucune
trace des couches nummulitiques de l'éceène.
Le terrain crétacé qui constitue l’immense substratum de toute
la contrée du Djerid offre à l'étude de la paléontologie une faune
excessivement riche, et les couches puissantes, composées de cai-
caires blancs ou cristallins, de marnes et grès à Trigonies, qui
renferment les gîtes fossilifères, se retrouvent de Kriz à Gabès sur
une étendue de :4o kilomèlres et dans la longueur de toute la
chaine du Tebaga.
— 283 —
Dans les intervalles, malheureusement trop courts où l'ou pou-
vait quilter la ligne des sondages, la mission a recueilli plusieurs
centaines de mollusques fossiles qui, à défaut de diagramme indi-
quant la position respective des espèces dans les divers horizons
des terrains, peuvent encore donner une idée suffisamment exacte
des différents étages de la craie du Djcrid, qui n’a pas, jusqu’à ce
jour, été exploré par les géoloyues. Dans le classement assez long
de toutes ces coquilles, j'ai consulté MM. Douvillé, ingénieur des
mines, et M. MunierChalmas, le sous-directeur du laboratoire de
M. Hébert, dont la collection et les conseils sont toujours mis si
obligeamment à la disposilion du public : je tiens ici à leur adresser
mes remerciements pour les renseignements qu'ils m'ont donnés.
J'ai classé les fossiles par localités et par étages. Leur réunion per-
met de recomposer l'ensemble du système crétacé qui entoure les
chotts et dont les affleurements sont à peu près en relation avee les
mouvements du sol, c’est-à-dire que dans la partie centrale de la rive
Nord du massif, où les altitudes dépassent 250 à 300 mètres, appa-
raissent les couches les plus anciennes, les niveaux de l'étage cé-
nomanien et peut-être de l’urgo-aptien, tandis que sur les points
extrêmes on a des couches plus élevées dans la série géologique.
Le soulèvement qui a donné naissance à l'immense brisure dans
laquelle se sont formées ces grandes sebkhas, et qui, dans sa dispo-
. sion orographique, affecte, comme le pays de Bray, la forme
d'une boutonnière, a atteint son maximum d'expansion entre le
djebel Kebiriti et le djebel Aïdoudi.
Sur la bordure opposée, les probabilités sont pour une pareille
hypothèse; le djebel Tebaga, avec sa structure plus régulière et des
altitudes de 350 mètres environ, a été côloyé dans le retour de
l'expédition, et, malgré des étapes de 60 kilomètres, on a pu encore
recueillir des indices certains de la présence du miocène (Ostrea
crassissima), et de deux étages du terrain crétacé, le sénonien par
lOst. flabellata (d'Orb.} et l'Ost. Maiheroniana {(d'Orb.), puis le céno-
manien supérieur, avec l'Ost. Mermeti (Coq.), et une variété de cette
dernière espèce, var. Sulcata, trouvée par M. Lartet en Palestine.
Sur les points extrêmes de la dépression, action du soulèvement
a été moindre : au seuil de Gabès, dans le Coudiat Hameïmet, ce
sont les niveaux supérieurs (le sénonien)} qui s'élèvent à une hau-
teur moyenne de 85 mètres. Les mêmes terrains sont encore ca-
ractérisés, au Zemlet el-Bida et à Khanghat el-Aïcha, par Îles [no-
— 284 —
ceramus regularis et d'autres variétés se rapprochant du Goldfussi,
mais probablement nouvelles. On y a découvert une variété étroite
de l’Ostrea Boucheroni (Coq.) : l'Ost. Pomeli et la Plicatula Fourneli,
qui sont «les espèces algériennes.
A l'extrémité opposée, vers l'Ouest, au seuil de Kriz, situé à une
alütude un peu plus élevée (80 à 100 mètres environ), on remarque
aussi le même horizon (santonien ou sénonien) qui domine jusque
dans le versant de l'Oudian. Quelques Æchinides appartenant aux
genres Echinobrinus, Botryopyqus, tels que les Ech. Setifensis (Cott.),
Bot. Coquandi (Cott.), furent trouvés dans ces deux localités. Deux
autres espèces d'Échinodermes trouvés également à Kriz sont ac-
tuellement désignées par MM. Péron et Gauthier sous le nom de E.
cassiduliformis et E. Meslei. Ils paraïtront proctiainement dans leurs
publications des espèces sénoniennes d'Algérie. Ajoutons encore que
l'Ost. Matheroniana (d'Orb.) , Vesicularis (Lamk.) et sa variété Costata,
lOst. dichotoma (Bayle), Sollieri et Plicifera (Coq.), enfin des moules
de Rostellaires et de Natices ont été rapportés également du seuïl-de
Kriz. De l’autre côté du seuil, sur les pentes du chott Rharsa, vers
l'oued Chakmo, on a constaté la même faune qui caractérise la
- craie supérieure, notamment l'Ost. Nicaisei (Coq.) et Plicifera, va-
riété spinosa (Coq.). Non loin du seuil de Kriz, au-dessous du djebel
Kebiriti, les affleurements de l'aïn Kebirila ont donné des spéci-
mens d'Echinobrissus Julieni (Coq.) et Coquandi (Cott.) qui appar-
ticunent au sénonien supérieur; puis l'Hemiaster Latigrunda (Cott.)
avec plusieurs autres espèces turoniennes.
Les localités les plus importantes au point de vue fossilifère et
qui présentent lamajeure partie des étages crétacés sont: Ras Knafès,
le djebel Diabit et le petit massif de l’Aïdoudi. Cette remarque
résulte du nombre et de la variété des échantillons rapportés.
À Ras Knafès, on a recueilli quelques espèces d’Epiasters,
dont un voisin du Vatonnei(d'Orb.), l’Hemiaster verrucosus ? (d'Orb:.},
Fourneli (Desh.), quelques Plicatules, de nombreux /noceramus
Pegqularis {variété); des moules d’Astartes, de Turritelles et de Car-
dites. Dans la quantité très considérable de fossiles appartenant à
cette station, M. Munier-Chalmas a reconnu cinq espèces nou-
velles, ce sont : Spondylus Jegoui, Scolymus stromboides, Astarte
Numidica, Citherea Africana et Roudairia Drui.
La série des Ostracés y est représentée par de nombreux échan-
üllons. On y distingue l'Ostrea Haliotidea (d'Orb.), Ost. syphax
— 285 —
(Coq.), qui déterminent bien le niveau du cénomanien inférieur
ou rothomagien.
Les couches supérieures renferment lOstrea Matheroniana
(d'Orb.), Proboscidea (Arch.), l'Ostrea lateralis (Nil.), Vesicularis
(variété coslata, Coq.), Talmontiana (variété d’Arch.) et Pomeli.
Ce dernier fossile paraît jouer un rôle prépondérant dans la strati-
graphie de toute la région; il est localisé dans une zone marneuse
jaunâtre ou blanchâtre, passant quelquefois à l'état calcaire. Il y est
accompagné de nombreux débris de fossiles, parmi lesquels on
remarque des Plicatules et quelques espèces d’huitres, dont nne
voisine de la variété étroite de lOstrea Boucheront. Cette assise,
. par l'abondance des Ostracées qu'elle renferme, a quelquefois l’as-
pect d’une lumachelle; elle est presque toujours superposée à des
grès ou à des calcaires renfermant les Inocerames de la craie supé-
rieure; dans d’autres localités, elle supporte un système tertiaire
marno-gréseux au milieu duquel on a constalé la présence de l'Os-
trea crassissima (Lamk. ). |
L'Ostrea Pomeli a été trouvée dans la plupart des stations : à
Kriz, dans l’oued Chakmo, au djebel Kebiriti, dans l’oued Zaouai,
à Ras Knafès, à Khanghat el-Aïcha, et toujours dans le niveau mar-
neux. C’est avec l'Ostrea proboscidea et TOst. vesicularis, le fossile le
plus commun aux oueds qui descendent les pentes de Kriz, des
Cherb el-Dakhlania et el-Berrania. La nature friable de la roche
qui constitue cet horizon fossilifère facilite la désagrégation du
terrain et permet le transport de ces espèces très résistantes.
Dans l’Aidoudi, massif très voisin de Knafès, ce sont les mêmes
étages. On y distingue des Astartes, des Fusus et des Strombus, un
Bryozoaire, de nombreuses huîtres, parmi lesquelles il faut dis-
tinguer les Ostrea plicifera, syphax, Matheroniana et flabellata, une
Astarte nouvelle, ainsi qu'une espèce d’acéphale très commune à
Ras Knafès, formant, d'après M. Munier-Chalmas, un genre nou-
veau qu'il a désigné sous le nom de Roudairia et dont il donne plus
loin la description. |
Je crois important de faire remarquer la présence dans l’Aïdoudi
de l'Ostrea syphax, qui, comme à Ras Knafès, caractérise le rotho-
magien ou cénomanien et dont le type ne peut se distinguer des
exemplaires algériens.
Au Djebel Diabit, on est presque exclusivement dans la craie
moyenne avec l'Ostrea flabellata (d'Orb.), Auressensis (Coq.), Lin-
-
gularis (Lamk.), une des variétés voisines, de l'Ostrea Eumenides
(Coq.), le Strombus Mermeti (Coq.) et de nombreux moules appar-
tenant aux genres Venus, Pleroceras, Cypricardia, Isocardia, Arca,
Astarle, elc. |
C'est du djebel Diabit que provient l'Ostrea Tunetana (Mun.-Ch.),
qui se rapproche beaucoup de l'Ost. Delettrei (Coq.), mais que
M. Munier-Chalmas a considérée à juste raison comme une espèce
nouvelle offrant de nombreuses variétés.
J'ai parlé de l'hypothèse probable des couches aptiennes; elles
ie paraissent indiquées par la présence, à Bir Beni Zid et au dje-
bel Diabit, de deux espèces qui se rapprochent de l'Ostrea Pes ele-
phantis (Coq.) et Callimorphe (Goq.). Ces espèces ont été décrites
| par M. Coquand dans la paléontologie de l'aptien de l'Espagne.
Près de Bir Beni Zid se rencontrent des couches turoniennes
avec la Nerinea Pauli (Coq.) et l'O. Caderensis trouvée aussi à Bir
Berrada. Entre ces deux localités, on voit les niveaux inférieurs
de la craie moyenne, et, sur la plage qui borde le chott, le
voyageur foule aux pieds des bancs pétris de nombreux fossiles,
parmi lesquels dominent des Astarte, Mytilus, Cassiope, Cytherea,
appartenant à des espèces nouvelles.
Le gault semble faire défaut dans la série crétacée. Aucun fos-
sile n'apparaît pour témoigner de son affleurement, et l’on peut
supposer son absence par la constatation, dans le voisinage immé-
diat, d'espèces très voisines de celles de laptien. Ces faits concordent
d’ailleurs avec l’ensemble de la géologie algérienne, dont la Tunisie
forme une suite directe aussi bien par son facies ee par le carac-
tère constant de ses fossiles.
En résumé, les échantillons rapportés par M. le commandant
Roudaire, quoique sortant un peu du programme des études sou-
terraines de la partie centrale des chotts, sont assez nombreux
pour déterminer la succession des terrains qui constituent la
bordure rocheuse de la dépression saharienne, et établissent nette-
ment la présence, dans la région des chotts, de terrains quater-
naires dont la mer s’est trouvée en communication avec la Médi-
terranée avant l'exhaussement du seuil de Gabès. Hs permettent
en outre de constater l'existence du terrain miocène, qui offre des
gisements abondants d’Ostrea crassissima, comparables peut-être
à ceux d'El-Kantara (province de Constantine), découverts par
M. Fournel; de plusieurs étages crétacés : le sénonien, le turo-
— 987 —
nien et le cénomanien, et enfin, d'assises appartenant à l'horizon
probable de laptien.
ESPÈCES FOSSILES.
SEUIL DE KRIZ.
Echanobrissus Setifensis, Cott. ................. .-. Sénonien supérienr.
Échinobrissus cassiduliformis , Péron et Gauthier...... Idem.
Botryopyqus Goquandi, Cott. ........ PRE AA ET SR Idem.
D Sole Ce. +. Idem:
Ostrea Matheroniana, d'Orb. ........: OA IA... |. Idem.
Ostrea vesicularis, Lamk. ....... PÉRNNER ETT RRT . Idem.
Osirea vdesicularms (varièté, costata). . ....,:...::41. Idem.
Ostrea dichotoma, Bayle. ............ PRE sa NO Idens
Ostreu proboscidea, d'Arch. ....... PTE VAE den Aù LOER
Ostrea plicifera (variété spinosa), Coq.......... ss LCN.
Ostrea plicifera (passant à la Matheronianu), Coq. ... Idem.
Ce PE... SRE EP EL à à .. Idem.
Hostellerie) S)..,.43.. PONTS PP PS Idem.
ne Tr. RTE RES Idem.
ns PAPE SNS ed hs en lei:
_ Ostrea Nicaisei , CT PO ET EEE TT ER OL Sénonien supérieur.
EE COM Es. Idem.
(irémwetendaris:, amk. ..:...11 521052... Idem.
* Ostrea plicifera (variété spinosa)? Coq. ...... sra01e Idem.
OUDIAN.
Orbitoides (voisine de FO. Media), d'Orb. ......... Sénonien supérieur.
PAR nue. RU. à à 2 à HN en d'u 7 3 Us 0 Idem.
Echinobrissus Setifensis, Cott. ................... Idem.
Echinobrissus Meslei, Péron et Gauthier. ........... Idem.
Echinobrissus cassiduliformis, Péron et Gauthier...... Idem.
Botryopygus Coquandi, Cott..................... - Idem.
Cardin. 2... 00% M is ssssatusd à sistte: Idem.
Caculléæe : MM . à à à à ns aisiitit es ras Idem.
Pholadomya (variété de la P. elongata)............. Idem.
allons. MARS 22 à D), Mapa. Idem.
MS ln NP à Mas à à Laviies sdds ar: Idem.
— 288 —
DJEBEL KEBIRITI,
Ostrea crassissima (individu jeune), Lamk. ......... Miocène.
Ostrea (individus jeunes; es; èce indéterminée). ..... Idem.
Ostrea Matheroniana, d'Orb. ........#........:. (Sénonien supérieur.)
Ostrea Pomell,}Gaq: Fa EC RO REP Idem. |
Sphærulites Syriacus. . ........... L,IAALRAR, Le Turonien.
Ostrea Mermeti (var. communs , Lartet, Palestine), Coq. Cénomanien supérieur.
Arca foie eee Ce D E Cénomanien inférieur.
Ostren' Déletiner Ga. he TS Ce RNA RES Idem. -
Restellarne. 1, REZ Le SEC CR ÉRE RARE CET Idem.”
Botryopyqus Goquandi, Colt. .................... Sénonien supérieur.
Echinobrissus Julien, Coq. .......... PT Idem.
Éermaster LalgrandasOolt.: 4... .. +. u2e Turonien supérieur.
PAPERS SR SRE RME RE RU ec Ne AN EE Turonien inférieur.
Candiames 2e RSR LR MR. suc dt Idem.
Rostelare : . :-. le... NL Puma Cet Æ Idem.
Dsirea encstssone Pak, DEN OR PEENRS SEEN er Miocène.
Ostrea Maresi, Mun.-Chal:....:::..::::: De MU Idem.
Oftrea Tanclana: Mon Chat EEE re Sénonien.
Ostrea (voisine de l'O. Eumenides), Coq. .......... ‘Turonien supérieur.
Pellinn (moule). ARE OR EAST Idem.
Susmbas Mere Coq .Lre nine ae Idem.
Pterodonta (moule), individu jeune............... (Indiqué avec doute par Co-
quand dans le sénonien;
doit être placé plutôt dans la
craie moyenne [turonien ]).
Ostrea flabellata , D'IDÉES ....... Cénomanien supérieur. :
Ostrea lingularis , Fame TC MER LES Ce PURE PÉPSTELEN + 0.
Nalta ET a rscresee POSE RE CRC TIee ee E .. Idem.
PITCR SES SET RERO TDPE CNRS PE UNSS TRE Cénomanien inférieur.
Astarte (moule)........ SEULS CSS ri Idem.
Aiésocarilie. 25 RC. CRÉES EE cale Idem.
Cypricardia.. . ... NN Ne ARE 2e RUE | Idem.
Venus 2 ans RER UUTE ROSE PAT Idem.
Isocardia (moule)........... RP Te ... Idem.
Pholadomya...."ReREER RCE «510 Idem:
Gertthinmm…. 5. et NES RO RES à « Idem.
Ostrea Auressensts Go..." 422 nues, TR
Acteonélla.. .\ 21, et See SO PRERRE Es _ Idem.
Ostrea (voisine de l'O. Pes elephantis), Goq. ........ Apüen.
Ostrea (Gryphoid@a EN EC E RINRRR. 6 lee
— 060 —
BIR BENI ZID.
Nemo... "AR AP Pa 2 rares Turonien supérieur.
PR 2 4 de DROITS NN Re SAR Idem.
Ostrea (voisine de l'O. callimorphe), Cog........... Aptien.
BIR BERRADA.
Ostrea Caderensis, Coq........ A te eat .. , Turonjen supérieur.
Mytilus Andrei, Mun.-Chal............. EL Idem.
Cytherta,cycladell,, Mun:-Chal.. ...........,,..4l Idem.
Bassiope, Dajoari, Mon-Chal.................;, Idem.
SE dame einer Pr sis en pd € êCe à Cénomanien inférieur.
Une pince de crabe indéterminable.
BORDURE NORD DU CHOTT ENTRE BERRADA ET KRIZ.
eme OBM . .............. 0..." Sénonien supérieur.
Otren Pomeh, Col ve vreurerrs reve Idem.
a ES. cu u vabt ON Cénomanien inférieur.
Ofirea Auressensis (}h)Coq. : . 202 «4109 NE. R8J0N Idem.
PLAGE DU CHOTT EL-FEJEJ (NORD).
AU SUD DE BIR BERRADA.
Ostrea Caderensis, Coq........ RAA dt As A à Turonien supérieur.
ans pee cote d Mere à e Cénomanien inférieur.
Do crisonue. Lamk.... im... eoccues Miocène.
Henuwaster Fournel ; Deshayes. . ................., Sénonien supérieur.
Echinobrissus Meslei, Péron et Gauthier............ Idem.
Ostrea Matheroniana, d'Orb..................... Idem.
Re CO... AR... Idem.
Ostrea vesicularis (variété Costata), Lamk.......... Idem.
Ostrea (voisine de l'O. Decussata), Cog............ Idem.
Bree lateral (fragments), Nil. ........:...... Idem.
Craroboscideas dCi. ........,........ Idem.
Ostrea Talmontiana (variété), d’Arch.........,.... Idem.
Spondylus Jegoui, Mun.-Chal.................... Idem.
LT ge 02 20e) cle cree CRUODOOPMARRAMREEE ESS Idem.
Praceramus requlans @Orbr 222: ::::::; MIS. Idem.
Inaceramus regularis ? (Naneté), : :: : : : 2, AUS Iden.
Inoceramus Goldfnssi? d'Orb...... RER CR EE Idem.
MISS. SCIENT. —— VII. 19
Boadaria Dr , Man.-Chal. : UTC EME.
Astarte Nunuidica, Mun.-Chal....:../....:.......
Cytherea Tissou , Man. Chal:.1 4.090 tre eee
Cardita Baronneti, Mun.-Chal.. . ...............
Scolymus stromboides , Mun.-Chal. .:.....%.2222.20
Pierocer as. LR EREe de see RS de DOTE Eee CENT
Natiearrtos | MAI. . mettez titetrrete es
Epiaster (voisin du Vatonei)
Hemiaster verrucosus ? d'Orb..........:.:..........
Ostrea haliotidea , d'Orb MPRTIT IS TT ENT LT.
Oro ypher GG... :::5:66:22282 22880003
Turritella (species)... .... RE .
Ostreu Matheronna:MOrb..........lrresceseer
Ostrea Pomel, Coeh?.-::-:..°. es DNS AE PE Et
Ostrea plicifera (variété Spinosa), Coq............
Ostrea plicifera (variété à côtes sur le côté), Coq....
Ostrea proboscidea, d'Arch....... MS DORÉ RE TEE
Roudairia Drui, Mun.-Chal.......... SEULS JE Æ
Tellina. ons eee ve eANSS AGE TOUS -
Astarte Numidica , Mun.-Chal............. DÉOUE
Scolymus stromboides. ....... RE NES TS Là
OStres Gaerensts Ode seche. ges
Bryozoaire ( Celleporina?)..... SRE PRE ENS à Re
Osirea Sypher AObne EL CRETE EC PERTE EE Te
Cardiam..... 900. 5:35 :35 5 RSI: SEEN
Fasusi ei Re ŒMRIQUE RCA RARE TR SRE D PET QU
ZEMLET EL-BIDA.
Inoceramus (moule, espèce nouvelle à sillon).......
Phéqialafe. © Rue PE ER.
Cytherea tn ES CORNE ECS COPÉRAE VE et 5e, RNNNE
ASHTÉÈL EE ARE ST TÉRET Re 2 Lg à > RE
Ostrea Pomeh og 4. © 74e PRE: - - .
Ostrea Boucheroni (variété étroite), Coq. .... A
Ostrea proboscidea (variété Minor), d’Arch..........
Plicatula Fourneli. ...... Ve SELS CCE Mir. à
Idem.
Turonien.
Idem.
Cénomanien supérieur.
Cénomanien inférieur.
1dem.
Sénonien supérieur.
-
Idem.
Idem.
Idem.
Idem.
Idem.
Idem.
Idem.
Idem.
Turonien supérieur.
Cénomanien inferieur.
Idem. |
Idem.
Idem.
Sénonien supérieur.
Idem.
Idem.
Idem.
Sénonien supérieur.
Idem.
Idem.
Cénomanien inférieur.
— 291 —
OUED ZAOUAÏ,
Inoceramus (voisin de TI. Goldfussi), d'Orb.........
Ostrea Pomeli , Coq........... ÉADPSE ESS à MES, 4%
COUDIAT HAMEÏMET.
Inoceramus (deux variétés se rapprochant de VI. Gold-
fassi, dont une à côtes larges), d'Orb...... 1 SE
Inoceramus regularis , DOS rt Soda € à
Dre... 2... RATS APE ONNIENE En PURE
LAIT OT RE ne Rd dE. PEN. PR LUS.
Ammonites (individu jeune, indéterminable).........
DJEBEL TEBAGA.
Ostrea crassissima, Lamk....... RENE RES EPS MATE
Ostrea Matheroniana , d'Orb.......... re, + ufr
Ostrea plicifera , RE CRM RE RER ER ARRE TE CCEEE
sn Meme fNpe), Coq... .°.."......1....."
Ostrea Mermeu (variété Sulcata de Palestine), Coq...
Er Habellata”)d'Qrbe. E . .......... 2.
Senonien supérieur.
Idem.
Sénonien supérieur.
Idem.
Idem.
Turonien supérieur.
Idem.
Miocène.
Sénonien supérieur.
Idem.
Cénomanien supérieur.
Idem.
Idem.
ESPÈCES NOUVELLES DE LA RÉGION DU DJERID,
DÉCRITES PAR M. MUNIER-CHALMAS,
SOUS-DIRECTEUR DU LABORATOIRE DE GÉOLOGIE À LA SORBONNE.
Ostrea Tunetana, Mun.-Chalm.
Spondylus Jeqoui, Mun.-Chalm.
Mytilus Andrei, Mun.-Chalm.
’
/ acéphales . re
Cytherea Tissoti, Mun.-Chalm.
Cytherea cycladella, Mun.-Chalm.
Roudairia Drui, Mun.-Chalm.
Mollusques Cardita Baronneti, Mun.-Chalm.
Astarte Numidica, Mun.-Chalm.
gastéropodes.
: Scolymus stromboides , Mun.-Chalm.
Cassiope Dufouri, Mun.-Chalm.
Une de ces espèces a été dédiée à M. Charles Tissot, quatre
autres rappellent les noms de MM. Baronnet, Jégou , André et Du-
four, membres de la mission dirigée par M. le commandant Rou-
daire.
L. Dru.
19:
— 292 —
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ANVAdOND ‘NN AA LA ANDIGUOG ‘IV ‘A HA SNOILVOIIISSVIO XAAG SAT LNVAINS SHDVLA SI4 AVATIAVL
— 2935 —
NOTE PALÉONTOLOGIQUE
SUR LES FOSSILES RECUEILLIS PAR M. LE COMMANDANT ROUDAIRE
DANS SON EXPÉDITION SCIENTIFIQUE EN TUNISIE, ET DESCRIPTION
DES ESPÈCES NOUVELLES, PAR M. MUNIER-CHALMAS.
M. Dru, ingénieur, m'a prié d'examiner les fossiles qui lui ont
été communiqués par M. Roudaire; ils appartiennent tous au
terrain crétacé supérieur, sauf l'Ostrea crassissima, si caractéris-
tique du miocène moyen, et une ou deux espèces rappelant des
formes aptiennes. Toutes les espèces rigoureusement déterminées
se répartissent dans le cénomanien, le turonien et le sénonien.
Les résultats géologiques et paléontologiques de l'expédition de
Tunisie sont très intéressants, en ce qu'ils ont confirmé l'exactitude
des relations qui réunissent étroitement la constitution géologique
de la Tunisie à celle de l'Algérie. Ces relations sont telles, que les
mêmes caractères minéralogiques et stratigraphiques, ainsique
les moindres variations des espèces, se retrouvent dans les deux
régions. |
Au point de vue paléontologique, il faut encore signaler l’inté-
rêt que présente une variété d'Ostrea Mermeti, identique à une
forme de Palestine, décrite par M. Louis Lartet, et un genre nou-
veau d’acéphale (Roudairia), voisin des Cyprines, genre qui a des
représentants très voisins dans le terrain crétacé supérieur des Indes.
Aujourd’hui que des études géologiques sérieuses ont été faites sur
le littoral de la Méditerranée, en Europe, en Asie et en Afrique,
on peut dire que le turonien et le sénonien de ces régions, à l'ex-
ception de quelques variations locales, présentent-deux facies prin-
cipaux assez tranchés : l’un situé au Nord, et l’autre au Sud de
celte mer. |
Le facies Nord ou alpin commence à prendre ses véritables
caractères dans les Alpes, à l'Ouest du Véronais; il se poursuit à
travers les Alpes vénitiennes, le Frioul et la province de Trieste;
il contourne à l'Est l'Adriatique, qui n’est qu'une dépeudance de
la Méditerranée, en longeant l'Istrie et la Dalmatie. Sur tout ce
parcours, il est caractérisé par des calcaires compacts roses, gris ou
blancs. renfermant presque toujours, en très grande abondance,
des Radiolites, des Sphærulites, et, sur quelques points, des Brachio-
podes, en général peu nombreux, et des Échinodermes, assez rares.
— 294 —
Le type du facies Sud se trouve très bien représenté en Algérie,
où il se montre dans tout son développement. Là, il a été étudié
avec beaucoup de soin par MM. Fournel, Deshayes, Pomel, Co-
quand, Péron et Marès.
D'après les matériaux recueillis par M. le commandant Rou-
daire, ce facies se poursuit en Tunisie avec des caractères iden-
tiques; il passe ensuite en Égypte; mais, comme les travaux géo-
logiques faits sur ce pays sont encore fort peu nombreux, il en
résulte qu'il est à peine connu. Enfin, à l'Ouest de la Méditerra-
née, il a été rencontré en Palestine par M. Louis Lartet, qui d'a
fait connaître dans son beau travail sur la géologie de cette région.
Le facies algérien, qui est connu de tous les géologues, est sur-
tout caractérisé par un nombre considérable d’huitres appartenant
soit à des espèces propres au facies Sud, soit à d’autres espèces,
moins nombreuses, se retrouvant dans le terrain crétacé supérieur
d'Europe. IH faut encore ajouter, comme caractéristiques, ur grand
nombre d'Échinodermes appartenant surtout aux genres Hemia-
ster, Echinobrissus, etc.
Si l'on analyse maintenant les caractères des fossiles rapportés
de Tunisie par M. le commandant Roudaire, il sera facile de se
rendre compte de la grande ressemblance qui existe entre la faune
de cette région et celle de l'Algérie.
Je vais passer rapidement, et très succinctement, en revue les
matériaux que j'ai eus à ma disposition. Je n'ai pas à m'occuper
de la répartition locale des espèces, ce travail ayant été fait par
M. Dru, dans la parte stratigraphique à laquelle est jointe la liste
de toutes les espèces recueillies.
POEYPIERS.
Ce groupe est à peine indiqué par quelques fragments indé-
terminables.
ÉCHINODERMES.
Les Échinides sont assez nombreux; ils se répartissent dans les
genres Hemiaster, Periaster Botryopygus et Echinobrissus, MM. Cot-
teau et Péron ont bien voulu se charger de leur étude. Ces auteurs,
qui ont fait de nombreux travaux sur les Échinodermes d'Algérie,
ont reconnu que toutes les espèces qu’ils ont déterminées avec cer-
ütude étaient des formes algériennes.
— 295 —
Les Hemiaster sont, en général, comprimés et peu détermi-
nables; on peut cependant, à la rigueur, signaler deux espèces :
la première, dont on ne connaît qu’un exemplaire, a une grande
affinité avec l'Hemiaster Fournel (Desor); elle a été trouvée à Ras
Knafès; la seconde provient également de Ras Knafès, elle rap-
pelle l’'Hemiasler verrucosus du cénomanien, si bien caractérisé par
ses grosses granulations et par l’absence de sillon antérieur. La
troisième forme est voisine de l'Hemiaster Latigrunda (Cotteau}, et
se trouve à Aïn Kebiriti.
Le genre Epiaster est seulement indiqué par une espèce très
voisine de l'Epiaster Vatonei (Coq.). |
Le genre Botryopyqus est représenté au seuil de Kriz et à El-Ou-
dian par des individus de différentes‘tailles, appartenant tous au
Botryopyqus Coquandi (Cotteau); ils rappellent absolument par leur
forme le type algérien. Cette espèce et les espèces suivantes ap-
partiennent toutes au sénonien et au turonien.
Les Echinobrissus ont fourni quatre espèces connues depuis long-
temps en Algérie, savoir :
1° Deux échantillons du chott Djerid (Aïn Kebirita}, en assez
mauvais état, rappelant l'Echinobrissus trigonopyqus (Cotteau), ou
VE. Jalieni (Coquand);
2° Quatre autres individus d'El-Oudian et du seuil de Kriz, très
bien caractérisés, mais de tailles inégales, appartenant à l'Echino-
brissus Setifensis (Cotteau) :
3° Une série d'exemplaires nombreux et bien conservés consti-
tuant deux espèces nouvelles, que MM. Péron et Gauthier avaient
déjà indiquées, dans leur collection, sous les noms de Echinobrissus
Meslei et E. cassiduliformis. Elles seront décrites d’après les dia-
gnoses de ces auteurs.
BRACHIOPODES ET BRYOZOAIRES.
Ces deux classes ne sont représentées que par quelques frag-
ments en mauvais état.
ACÉPHALES.
Les mollusques acéphales, au contraire, sont relativement très
nombreux ; ils appartiennent, en grande majorité, au genre Ostrea ;
les autres espèces se répartissent dans les genres Plicatula, Spon-
— 296 —
dylus, Inoceramus, Mytilus, Astarte, Cardita, Venus, Roudairia. Il y
a bien encore quelques autres formes, mais elles ne sont indiquées
que par des moules internes plus ou moins mal conservés et, par
conséquent, sans intérêt. |
Nous avons pu, M. Dru et moi, déterminer avec certitude
vingt-deux espèces d’huïîtres, dont onze sont spéciales au facies
algérien, savoir : Ostrea Auresensis, Boucheroni, Deleitrei, dicho-
toma, gryphoides, Mermeti, Nicaisei, Pomeli, Syphax, Sollieri, vesi-
cularis (var. costata). Dix espèces se retrouvent à la fois dans le
terrain crétacé supérieur d'Europe et d'Algérie, ce sont : Ostrea
Caderensis, flabellata, haliotidea, lateralis, lingularis, Matheroniana,
plicifera, proboscidea, Talmontiana et vesicularis. Enfin une dernière
espèce, qui est nouvelle, est spéciale à la Tunisie, elle sera décrite
sous le nom d'Ostrea Tunetana.
Je dois signaler ici quelques variations, assez intéressantes, parmi
les huîtres. Au seuil de Kriz, où l’on trouve dans les mêmes strates
les Ostrea plicifera (var. spinosa) et Matheroniana, on rencontre un
certain nombre d'individus qui, ayant des caractères propres aux
deux espèces, ne peuvent être séparés avec certitude. Un fait ana-
logue se passe au djebel Tebaga. En triant les Ostrea Matheroniana et
Jlabellaia de cette localité, qui avaient été réunis ensemble, quoique
provenant de couches différentes, j'ai constaté qu'après avoir sé-
paré les formes typiques il restait un certain nombre d'exemplaires
intermédiaires qu'il était très difficile, sinon impossible, de placer
plutôt dans une espèce que dans l’autre. Ces formes intermédiaires
et ces variations n ont rien qui doivent surprendre chez des espèces
qui paraissent provenir d'un type commun.
L’Osirea vesicularis présente au seuil de Kriz et à Ras Knafès
une variété remarquable par des indices de côtes transverses. Cette
variété, qui a été figurée par M. Coquand (Mon. du gerre Ostrea,
p. 35, pl. XIX, fig. 4), est jusqu'ici propre à la région africaine;
elle peut être désignée sous le nom d'Ostrea vesicularis, Lamk. (var.
Costata), à moins que plus tard de nouveaux échantillons ne per-
mettent de lui assigner des caractères spécifiques.
Au djebel Tebaga, on rencontre encore, en même temps que
la forme typique de l'Ostrea Mermeti, une variété de cette espèce,
qui porte des côtes transverses très accusées (var. Sulcata). Cetle
forme intéressante, qui a été trouvée pour la première fois en Pa-
lestine par M. Louis Lartel, a été très bien figurée par cet auteur
— 297 —
dans son ouvrage sur la géologie de cette région (L. Lartet, Géo-
logie de la Palestine, p. 63, pl. X, fig. 14, 15).
Les Plicatules sont représentées dans quelques localités par des
échantillons en général peu nombreux et d'une médiocre conser-
vation. Elles appartiennent aux Plicatula Fourneli, Pomeli, espèces
algériennes déjà citées dans la partie stratigraphique.
Les Inoceramus qui ont été recueillis sont de tailles très diffé-
rentes : les uns très grands, à côtes espacées, larges et peu saïl-
Jantes; les autres, de moyenne taille, à côtes plus élevées et plus
serrées; quoique en général incomplets, ils paraissent cependant
identiques ou très voisins des formes sénoniennes que l'on ren-
contre dans l’Aquitaine, les Pyrénées et le Hanovre; deux ou trois
exemplaires se rapportent assez exactement à l’Înoceramus regularis
(d'Orbigny).
Les Rudistes sont indiqués par quelques échantillons en assez
mauvais état, appartenant aux genres Radiolites et Sphærulites. Ce
sont des espèces turoniennes qu'il est presque impossible de dé-
terminer avec certitude. Cependant l’une d'elles paraït appartenir,
d’après M. Bayle, à une forme de Syrie, qu'il a désignée sous le
nom de Sphærulite Syriacus. |
Il faut encore ajouter aux Acéphales que je viens de passer en
revue sept espèces nouvelles du sénonien et du turonien supé-
rieurs, se répartissant ainsi : Spondylus Jegoui, Mytilus Andreï, As-
tarte Nunudica, Cardita Baronneti, Citherea Tissoti, Citherea cycla-
della, Roudairia Dr; ce dernier genre, sur lequel j'ai du reste à
revenir, est représenté dans le terrain crétacé supérieur de l'Inde
par deux espèces très voisines de la forme tunisienne; c’est un
rapprochement paléontologique intéressant entre les deux régions.
GASTÉROPODES.
Les mollusques gastéropodes n’offrent qu’un intérêt secondaire;
ils se présentent en général à l’état de moules internes rarement
déterminables. Les principaux sont : Natica, Pterodonta, Turri-
tella, Pteroceras, Nerinœa Pauli, et quelques exemplaires parais-
sant se rapprocher beaucoup du Strombus Mermeti (Coquand).
J'ai encore à citer un Cassiope nouveau de Bir Berrada et un
Gastéropode assez curieux provenant de Ras Knafès; il présente
deux plis columellaires, et parait devoir se ranger parmi les Sco-
lymus, ou former un genre très voisin des Turbinella.
— 298 —
CÉPHALOPODES.
Il me reste encore à signaler un ou deux débris de Céphalopodes,
annonçant la présence des genres Nautiles et Ammonites.
Maintenant que j'ai terminé l'examen rapide des différents
groupes, je vais donner la description des espèces nouvelles.
MM. Péron et Gauthier ont bien voulu m'envoyer la diagnose
des deux nouveaux échinides de Tunisie qu'ils avaient déjà ren-
contrés en Algérie el qui étaient désignés depuis longtemps dans
leur collection sous les noms de Echinobrisius cassiduliformis et
E. Meslei !.
DESCRIPTION DES ESPÈCES NOUVELLES.
ÉGHINOBRISSUS CASSIDULIFORMIS, PER. et GaurT. (in litteris).
Espèce de grande taille, forme allongée, peu épaisse, rappelant
celle des Botryopyqus et des Cassidulus; partie antérieure arrondie,
mais un peu étroite; partie postérieure très peu tronquée; dessous
très plat.
Péristome légèrement excentrique en avant, entouré d'un flos-
celle bien accusé. |
Périprocie très rapproché du bord postérieur; sillon anal très
court, large; ambulacres larges et très pétaloïdes; pores allongés,
les extérieurs plus longs.
Habitat. — Seuil de Kriz (Tunisie), Algérie. Sénonien supé-
rieur. |
Observations. — Cette espèce, tout en conservant ses principaux
caractères, présente quelques variations individuelles qu'il est bon
de signaler; il y a des exemplaires allongés et étroits, d’autres
plus larges ou plus élevés. Voici leurs principaux rapports :
E mm
Longueur, 31°". Largeur, 24°”. Hauteur, 15
32 26 16
36 28 20
38 32 20
! Ces deux espèces paraïîtront dans les Echinides d'Algérie, publiés par
MM. Péron et Gauthier (Annales des sciences géologiques , 2° fascicule des espèces
sénoniennes ). 6
— 299 —
Ecmnogrissus MEsLer, PER. et Gaur. (in litteris ).
Espèce courte, renflée, assez étroite, coupée très obliquement
à la partie postérieure, qui est très déclive.
Dessous épais, renflé au pourtour, très déprimé au milieu,
autour du péristome.
Sommet excentrique en avant.
Péristome très grand, central, pentagonal, profondément en-
foncé.
Périprocte situé dans un sillon très long, étroit, oblique d’avant
en arrière. à
Ambulacres longs, étroits, très peu pétaloïdes. Pores peu déve-
loppés; les intérieurs presque ronds, les extérieurs obliques et en
forme de virgule.
Habitat. — Djerid (Tunisie), Algérie. Sénonien supérieur.
Observations. —L'Echinobrissus Meslei offre quelques différences
assez notables dans la longueur et la largeur relatives de son sillon
périproctal et däns la déclivité du bord postérieur. Les exemplaires
de Tunisie sont, d'après M. Péron, semblables aux types moyens
de l'espèce algérienne.
Ostrea Tunetana, Mun.-Cnazu. (pl. 1, fig. 1-5).
Test allongé, étroit, surbaissé; crochets aigus bien développés
et légèrement inclinés ou courbés à gauche. Bord droit moins
arqué que le gauche. Bord palléal arrondi.
Valve supérieure presque plane ou à peine convexe, présentant
une petite inflexion concave submédiane faisant relever légèrement
le bord palléal; surface externe ornée de lamelles concentriques
assez rapprochées et régulières.
Valve inférieure peu convexe, exceptionnellement plus renflée
près du crochet et présentant généralement sur le bord gauche
une petite expansion lamelleuse, située un peu au-dessous du talon.
Bord droit relevé plus brusquement que le bord opposé. Bords
droit et gauche épais, laissant apercevoir les lames d’accroisse-
ment. Surface externe présentant des lamelles concentriques assez
espacées qui présentent des indices de plissement. Surface fixée,
\
— 300 —
en général peu étendue. Talon allongé et triangulaire, creusé d’une
fossette longue et assez large.
Habitat. — Djebel Diabit (Tunisie). Sénonien (?)
Observations. —L'Ostrea Tunetana , qui rappelle beaucoup l'Ostrea
Delettrei, s'en distingue nettement par ses lames, qui ne présentent
pas les plis de cette dernière espèce. J'ai donné les dimensions des
individus de moyenne taille; il y a des exemplaires qui atteignent
le double de grandeur. Le-dernier individu mesuré, qui a 30 milli-
mètres d'épaisseur près du crochet, est une forme assez rare.
SPonpyLus JEGOuI, Mun.-CHazm. (pl. II, fig. 9-11).
Test de petite taille. Aréa cardinale triangulaire assez surbaissée.
Valve supérieure peu convexe, ornée de quarante-deux à qua-
rante-quatre côtes transverses, rapprochées, saillantes, droites ou
très légèrement sinueuses, séparées par des sillons bien accusés.
(Entre ces côtes, dont dix-huit à vingt portent des épines très es-
pacées et à peine indiquées vers le milieu des valves, on trouve
sur le côté gauche trois ou quatre petites côtes moins fortes, inter-
calées entre les premières.) Crochet assez saillant, ligne cardinale
oblique. |
Valve inférieure assez convexe, ornée de côtes droites plus larges
que hautes, séparées par des sillons peu profonds; elles sont cou-
pées près de la région cardinale par quelques expansions lamel-
leuses, épaisses et concentriques, et munies, sur le reste de leur
étendue, d’épines espacées et fortes, également disposées en séries
concentriques. Surface fixée peu considérable.
Diam. ant. post, 2771 Diam. trans., 347. Epaiss., 17°”.
Habitat. — Un seul exemplaire provenant de Ras Knafès (Tu-
nisie). Sénonien supérieur avec Astarte Numidica.
Myrizus AnpreI, Mun.-CHaLm. (pl. III, fig. 15-16).
Test allongé, étroit, rétréci en avant, un peu dilaté en arrière.
Valves ornées de stries d’accroissement plus ou moins accusées et
présentant un angle longitudinal très oblique et obtus forme par.
la réunion des côtes antérieures et postérieures.
Côié antérieur étroit et peu développé. Côté postérieur régu-
— 301 —
lièrement arqué. Bord palléal droit présentant une sinuosité en
s’approchant de l'angle oblique qui sépare le milieu des valves.
Région cardinale allongée et presque droite.
Diam. ant. post., 21 Diam. trans., 10°". Epaiss., 9°”.
Habitat. — Bir Berrada (Tunisie). Turonien supérieur avec
Cytherea cycladella.
CarprrA BARONNETTI, Mun.-CHaLm. (pl. IT, fig. 4-8).
Test transverse et subtrigone chez les jeunes et obliquement ova-
laire chez les adultes. Crochets saillants et fortement recourbés.
Valves ornées de vingt-six à vingt-huit côtes transverses et arron-
dies, séparées par un sillon étroit et peu profond. Ces côtes, qui
sont plus faibles et aplaties à leur base sur le côté postérieur, devien-
nent un peu plus écartées et plus saillantes sur le côté antérieur;
près des crochets, elles présentent de petits tubercules espacés qui
disparaissent assez promptement sur le côté postérieur et sur le
milieu des'valves, où ils sont remplacés par des stries d’accrois-
sement, fines, serrées et assez régulières. Chaque valve porte, .en
général, de trois à six plis d'accroissement assez marqués.
Valve droite présentant une charnière large et subtrigone,
munie d’une dent cardinale longue et saillante.
Diam. ant. post., 40"”, Diam. trans., 40°”. Épaiss. 2307
29 32 26
Habitat. — Ras Knafès (Tunisie). Sénonien supérieur avec l’As-
tarte Numidica.
Observations. — Cette espèce rappelle un peu la forme générale
du Cardita Beugnei (Coq.) du carentonien de Batna (Algérie).
AsTARTE Numipica, Mun.-CaaL. (pl. III, fig. 4-9).
Test trigone, presque aussi large que haut, en général peu
renflé.
Valves peu convexes, ornées près des crochets de huit à dix côtes
concentriques et surbaissées, entre lesquelles se montrent de très
petits plis, également concentriques et peu accusés; ces côtes, qui
sé courbent sur le côté postérieur pour se diriger en avant, dispa-
raissent sur tout le reste de la surface des valves, où elles sont
remplacées par des lignes d’accroissement fines et serrées.
— 9302 —
Côté antérieur beaucoup plus court que le postérieur.
Côté postérieur présentant un espace assez étroit, séparé du reste
de la surface du test par un angle obtus et très peu accusé; bords
postérieurs offrant de chaque côté de leur plan d'intersection
une carène longitudinale délimitant une petite dépression ({ pseudo-
lunule).
Ligament mince et allongé se logeant vers le milieu de la partie
supérieure de la pseudo-lunule.
Diam. ant. post., 26°". Diam. trans., 24°". Epaiss., 15°.
24 23 13
Var. à (pl. IT, fig. 1-3). — Test plus convexe; lunule plus large
que dans le type.
Diam. ant. post., 26°. Diam. trans., 24°". Epaiss., 17".
Var. B (pl. HI, fig. 10-11). — Région palléale légèrement si-
nueuse près du bord postérieur.
Côté antérieur beaucoup plus court que dans le type. Lunule
large et allongée.
Diam. ant. post., 27°". Diam. trans., 27°". Epaiss., 18°”.
Var. y (pl. IE, fig. 12-14). — Test très obliquement trans-
verse. Bord antérieur très court, tombant brusquement. Pseudo-
lunule très développée.
Diam. ant. post., 23°. Diam. trans., 22°”. Epaiss., 17°”.
Habitat. — Ras Knafès (fig. 1-5, 7-4) et Aïdoudi (fig. 6, 12-4)
(Tunisie). Sénonien supérieur. |
Observations. — Cette espèce est assez répandue dans les deux
localités citées ci-dessus; elle est, comme on vient de le voir, très
variable. La variété y surtout est assez éloignée du type; mais,
comme on trouve tous les passages entre ces différentes formes,
qui conservent du reste les mêmes ornements, on ne doit y voir
que de simples variations individuelles.
Crraerea Tissort, Mun.-CHaz. (pl. IE, fig. 1-3).
Test ovalaire transverse et très renflé. Valves très convexes, or-
nées de stries concentriques étroites et serrées.
Côté antérieur très court, à peine saillant, et faisant un angle
— 303 —
d'environ 90 degrés avec le côté opposé. Côté postérieur tres déve.
loppé, fortement arqué et convexe.
Lunule ovale et large, légèrement convexe vers son milieu et à
peine séparée du reste de la surface des valves par un sillon étroit
et peu profond.
Ligament étroit et allongé.
Diam. ant. post., 42". Diam. trans., 37°”. Épaiss. 130%
Habitat. — Ras Knafès (Tunisie). Sénonien supérieur.
CYTHEREA CYCLADELLA, Mun.-CHazm. (pl. V, fig. 2-6).
Test subtrigone peu renflé.
Valves peu convexes, ne présentant que des stries concentriques
d’accroissement plus ou moins accusées et serrées. Crochets peu
recourbés et peu proéminents.
Côté postérieur tombant assez rapidement.
Côté antérieur presque aussi long que le côté opposé.
Ligament étroit et assez court.
Diam. ant. post., 22m, Diam. trans. » 20710 Épaiss. RE Lpar)
20 16 10
Habitat. — Bir Berrada. Rivages du chott Djerid. Turonien su-
périeur. Dans cette localité, on trouve réunis dans la même couche
les Cytherea cycladella, Mytilus et Cassiope.
La présence du genre Cassiope au milieu de cette petite faune
indique que la couche qui renferme ces trois espèces s’est déposée
dans des eaux peu salées. Elle est directement en contact avec les
couches à Ostrea Caderensis. On rencontre assez fréquemment cette
dernière espèce dans les couches à Hippuriles cornuvaccinum du
midi de la France.
Observations. — Il ne m'a pas été possible de voir la charnière
du Citherea cycladella, qui rappelle aussi par sa forme certains
Cyclas et Cyrena. Il existe quelques échantillons de cette espèce
dont la taille dépasse d’un tiers les types figurés.
RouparrrA, Mux.-CHALM.
Test trigone et obliquement transverse; valves présentant un
angle oblique formé par la rencontre du bord antérieur avec le
bord postérieur qui constitue le corselet.
— 304 —
Valve gauche portant trois dents cardinales et une dent latérale
postérieure, ainsi réparties : 1° une dent cardinale centrale, tri-
gone et forte; 2° une dent cardinale antérieure en forme de V ren-
versé, présentant en arrière une cavité non délimitée; 3° une dent
cardinale postérieure, plus ou moins oblique, prenant naissance
contre la nymphe ligamentaire et se prolongeant sur le côté anté-
rieur en longeant le bord, pour passer au-dessus des deux pre-
mières dents cardinales décrites; 4° une dent latérale postérieure,
forte et longue.
Valve droite munie de trois dents cardinales et d'une dent laté-
rale postérieure, disposées de la manière suivante : 1° une dent
cardinale postérieure, plus ou moins oblique, située contre la
nymphe ligamentaire; 2° une dent antérieure subtrigone placée
contre le bord antérieur, se prolongeant en avant au-dessus des
deux dents cardinales décrites ci-dessous; 3° deux dents cardinales
antérieures, de moyenne taille, situées sur le bord interne du plan-
cher cardinal; 4° une dent latérale postérieure.
Impressions musculaires bien nettes; l’antérieure un peu plus
petite que la postérieure.
Impression palléale simple.
Ligament externe et saillant, supporté par des nymphes assez
larges et plus ou moins longues.
Type Roudairia Drui, Mun.-Chal.
Observation. — J'ai saisi avec empressement l'occasion qui
m'était offerte d’attacher le nom de M. le commandant Roudaire
au nouveau genre tunisien que j'avais à Créer.
-
M. Stoliczka a fait connaître en 1870, dans son travail sur la
paléontologie des Indes, deux espèces nouvelles de Cyprines qu'il
a décrites sous le nom de Cyprina cristata et Forbesiana; ces deux
espèces doivent rentrer dans le genre Roudairia, car leur forme
générale, et surtout l’organisation de leur charnière, très bien dé-
crite et figurée par M. Stoliczka, ne laissent aucun doute sur ce
rapprochement. Les différences génériques qui existent entre les
Cyprines typiques et le genre que je viens de décrire résident dans
la forme générale des valves et surtout dans le mode de réparti-
tion des dents cardinales. Cette différence est telle que je ne crois
pas devoir m'y arrêter.
Il me reste maintenant à examiner le sous-genre Cicatrea, que
— 305 —
M. Stoliczka a établi pour la Cyprina cordialis. Cette section, qui
doit être élevée, sans aucun doute, au rang de coupe générique,
présente plus de rapports avec les Roudairia qu'avec les Cyprines,
mais la disposilion et la forme des dents cardinales et de deux
dents latérales ne permettent pas de réunir ces deux genres.
Lorsqu'on étudie les descriptions et les figures que M. Stoliczka
a données des différentes espèces dont j'ai parlé, on voit bien vite
que les Roudairia, qui appartiennent certainement aux Cyprinide,
doivent se placer à côté des Cicatrea.
RouDarnra Drur Mun.-Cuazu. (pl. IV, fig. 1-7).
Test rappelant extérieurement la forme générale des trigonies
du groupe des Costatæ.
Côté postérieur (corselet) large et long, faisant presque un.
angle droit avec le reste de la surface des valves et présentant en
général une carene plus ou moins saïllante. Valves ornées de côtes
longitudinales larges, espacées, arrondies, rarementsubanguleuses,
en général plus saillantes sur le côté postérieur. Ces côtes, qui
peuvent disparaître par places avant d'atteindre la carène, passent
très souvent sur le corselet en denticulant la carène,
Charnière très forte.
Impressions musculaires fortement imprimées; l’antérieure,
petite et profonde; la postérieure présentant en avant un renfle-
menti du test, qui produit une petite élévation semi-circulaire.
Diam. ant. post. , 56°". Diam. trans., 457". Épaiss. PRYE LERt
54 46
Ligament court, renflé, supporté par des nymphesligamentaires
assez larges.
Var. à (pl. IV, fig. 7, et pl. V, fig. 1). Test plus allongé et plus
obliquement transverse que dans le type. Côté antérieur convexe.
Diam. ant. post., 62°". Diam. trans., 42°, Épaiss., At
Habitat. — Ras Knafès (fig. 1,2,3, L, 5, 6) et Aïdoudi (Gg. 7)
(Tunisie). Sénonien supérieur avec Astarte Numidica.
Observations. — Le Roudairia Drui est très abondant; il présente
quelques variations individuelles. Entre la variété a et les autres
formes, on trouve tous les intermédiaires.
MISS. SCIENT. — Vil, | 20
— 306 —
Le nouveau genre que j'ai créé renferme actuellement les trois
espèces suivantes, qui appartiennent au lerrain sénonien :
Rouparr1A Drur, Mun.-Chalm (Tunisie).
RouparrIA FORBESIANA , Stol. sp.! (Indes).
ROUDAIRIA CRISTATA, Stol. sp. (Indes).
Eu dédiant la première de ces espèces à M. Dru, je suis heureux
de lui donner un témoignage d'estime et d'amitié.
Cassrope Durourr, Mux.-Caazm. (pl. V, fig. 5-9).
Test turriculé, conique, croissant régulièrement. Spire com-
posée de neuf à dix tours légèrement concaves vers leur milieu et
présentant : 1° à leur base, contre la ligne suturale, un bourrelet
en général surbaïssé et peu saillant; 5° vers leur partie supérieure,
une côte longitudinale ou carène obiuse, dernier tour montrant
une côte longitudinale obtuse située un peu au-dessus de la ca-
rène. Surface ornée de stries d'accroissement assez espacées et
plus ou moins fortes, ne denticulant que très rarement la carène
ou les côtes longitudinales.
Long., 34°". Lars r90
Habitat. — Bir Berrada (Tunisie). Turonien supérieur avec
Cytherea cycladella.
Observations. — Les échantillons de Cassiope sont toujours in-
complets; il ne m'a pas été possible d'en trouver avec l'ouverture
entière. Cette espèce se distingue nettement de ses congénères par
l'absence d'ornements et la forme de ses tours. Elle rappelle comme
ornement le Cassiope Helvetica, mais l'enroulement des tours de
spire est différent. i
ScoLYMus STROMBOIDES Mux.-CuaLm. (pl. V, fig. 10-11).
Test non ombiliqué, strombiliforme; partie supérieure inconnue.
Spire conique et très courte, composée de cinq à six tours peu con-
vexes, reproduisant en partie, près de la suture, les tubercules du
tour précédent qu'ils recouvrent. Suture sinueuse, étroite et peu
profonde.
Dernier tour très grand, présentant : 1° un peu au-dessus de la
! Les deux espèces décrites par Stoliczka se trouvent dans la subdivision du
terrain crétacé supérieur établie par les géologues de l'Inde sous le nom d’Ar-
rialar group. (Stoliczka, Paléont. de l'Inde, vol. HT, p. 197, pl. IX, 1870).
: Em ve
suture, un rang de tubercules arrondis, saillants, espacés et assez
larges; 2° à sa partie supérieure, une dépression longitudinale
qui délimite une surface large et peu convexe comprise entre les
tubercules et cette dépression.
Ouverture longue. Columelle munie de deux plis obliques et
espacés; l’inférieur un peu plus fort que le supérieur.
Long., 53"*. Larg., 40°”.
Habitat. — Ras Knafès (Tunisie). Sénonien supérieur avec
l’'Astarte Numidica.
Observations. — J'ai décrit cette espèce d’après deux individus
mialheureusement incomplets, leur partie supérieure faisant com-
plètement défaut. Malgré cette lacune, on peut encore facilement
voir leurs principaux caractères génériques et spécifiques. Cette
forme, intéressante pour les lerrains crétacés, paraît devoir se
ranger, par les caractères lirés de ses ornements et ses plis collumel-
laires, dans les Scolymus ou dans un genre très voisin des Turbi-
nella ; elle présente plus d’analogie avec les espèces tertiaires qu'avec
les espèces actuelles.
Munier-CHArMAS.
En jetant un coup d'œil sur les coupes géologiques, on reconnait
que le seuil de Gabès n’est pas un massif entièrement composé
de roches dures, comme un examen superficiel l'avait fait croire
à quelques géologues. La dépression de l’oued Melah, que nous
avons explorée, n’est, en effet, presque exclusivement formée que
de sables et de marnes sableuses ou argileuses. Le calcaire y appa-
raît au-dessous de la ligne de faîte, mais il ne se trouve qu’à la pro-
fondeur de 30 et quelques mètres. Sur la ligne directe qui joint
le chott Fejej à la Méditerranée, il ne forme, au-dessus du niveau
de la marée basse, qu’une saillie peu considérable dont l'altitude,
au point culminant, ne dépasse pas 12 à 13 mètres. La coupe géo-
logique n° 3 montre, en outre, que ce banc de calcaire s’abaisse
vers le Nord. Il est très. probable qu'en faisant de nouveaux son-
dages dans cette direction, nous aurions constaté sa présence à
une profondeur plus grande; mais, ainsi que je l’ai déjà dit, ces
recherches n’offraient aucun intérêt au point de vue du creusement
d’un canal de communication. Des bancs composés de couches al-
ternatives de calcaire et de marne ne présenteront pas un obstacle
20,
— 308 —
sérieux , et il vaudra mieux les attaquer que d'allonger le canal en
le rejetant vers le Nord en dehors de sa direction normale, düt-on
y trouver un passage absolument sans roches dures.
Dans son étude géologique sur le bassin des chotts, M. Dru con-
clut à la communication de ce bassin avec la Méditerranée pendant
la période quaternaire. En 1877, à la suite de deux explorations
topographiques, j'avançais, en m'appuyant sur la configuration des
lieux, sur les traditions restées si vivaces dans le pays et sur di-
vers passages d'Hérodote, de Scylax, de Pomponius Mela, etc.,
que, pendant la période historique, la dépression des chotts avait
formé un golfe de la Méditerranée, sous le nom de baie ou golfe de
Triton. Cette opinion d’ailleurs n’était pas nouvelle; elle avait déjà
été émise par un grand nombre d'auteurs, parmi lesquels je cite-
rai Shaw, sir Grenville Temple, Rennel, MM. Duvevrier et Gué-
rin, etc. M. C. Tissot, actuellement ambassadeur à Constantinople,
si connu par ses savantes recherches archéologiques, ayant visité
le chott Djerid en 1853 et 1857, était arrivé aux mêmes conclu-
sions et les avait consignées dans une thèse intitulée : De Trito-
nide lacu, soutenue en 1863 pour le doctorat ès lettres. M. Tissot
a, en outre, publié dernièrement sur ce sujet, dans le Bulletin de
la Société de géographie?, un article remarquable qu’il avait bien
voulu me communiquer depuis longtemps, et dont j'avais cité
quelques passages dans mon rapport de 1877%. Tout récem-
ment, M. de Lesseps m'a signalé une carte de Tunisie publice
en 1570 dans l’atlas d'Alatbus, où le chott Dierid est relié à
la Méditerranée par un détroit. Les noms des lieux et les indica-
tions y sont inscrits dans ce latin corrompu qui a cessé d’être en
usase au xIm° siècle : ce qui tendrait à faire supposer qu’elle avait
été copiée sur une autre carte beaucoup plus ancienne. Au Congrès
de l'association française pour l'avancement des sciences, tenu à
Paris en 1878, M. Tournouër, ancien président de la Société géo-
logique de France, terminait par les paroles suivantes une très
intéressante communication sur les coquilles marines recueïllies
dans la région des chotts : « Tout ce que j'ai voulu dire, je le ré-
pète, à propos de quelques faits conchyologiques qui touchent à
ces grandes questions, c'est que ces faits ne me paraissent pas,
! Page 276.
? Bulletin de juillet 1870.
3 Pages 57 et suiv.
— 909 —
jusqu'a présent, concluants en faveur de l'hypothèse de la mer
saharienne, quoiqu'’ils ne soient pas contradictoires avec cette hy-
pothèse. »
Notre dernière exploration géologique ne nous a fourni aucune
preuve matérielle qui permette d'établir que le bassin des chotts ait
été un golfe de la Méditerranée pendant la période historique. Les
lais de mer, s'ils existent, ont été recouverts par les sables. Le faible
diamètre de nos sondes ne nous laissait que bien peu de chances
de constater leur présence, et si quelques vestiges sont restés à la
surface du sol, ils ont échappé à nos recherches. Des investigations
postérieures apporteront peul-être des éléments nouveaux à la
question. Quoi qu'il en soit, en l'absence de preuves géologiques,
je ne reprendrai pas la thèse de l'identité de la baie de Triton et du
bassin des chotts, qui ne manquerait pas de donner naissance à
des controverses dont le résultat serait de déplacer la question. Si
séduisantes en effet que puissent paraître de semblables discus-
sions, elles n'intéressent, ainsi que je le disais en terminant mon
dernier rapport, que très indirectement le projet de mer inté-
rieure, qui est avant tout un problème de géographie physique. La
baie de Triton n’eût-elle jamais existé, il n’en serait pas moins
mathématiquement démontré qu'il existe actuellement, au Sud de
l'Algérie et de la Tunisie, une vaste dépression dont le niveau est
inférieur à celui de la Méditerranée, et que cette dépression, oc-
cupée par des marais insalubres, serait recouverte par les eaux de
la mer si elle était reliée au golfe de Gabès. Il est d’ailleurs un
fait qui n’est contesté pas personne, c’est que, à l'époque histo-
rique, ces dépressions étaient recouvertes par les eaux. Les débris
de la galère antique ! trouvés à Gattan ech-Cheurfa, où la tradition
place l’ancien port de Nefta,suffraient à en établir la preuve. Un
autre fait incontestable, c'est que les régions voisines où les Ro-
mains avaient fondé un grand nombre d'établissements? étaient
incomparablement plus fertiles que de nos jours. Ainsi donc, les
régions voisines étaient fertiles lorsque les cholts contenaient de l’eau ;
elles sont devenues stériles lorsque les chotts se sont desséchés. C'est
là surtout le fait historique qui nous intéresse.
Il importe peu, en effet, que les chotts fussent alors séparés de
! Rapport de 1877, p. 58.
2 Ibid., p. 77 et suiv.
— 310 —
la mer ou en communication avec elle. Ils étaient remplis d’eau,
et la fertilité était due aux pluies résultant de l’évaporation qui
se faisait à leur surface. Cela ne peut faire aucun doute pour ceux
qui ont lu saus parti pris le rapportdu général Favé, ainsi que les
développements dans lesquels je suis entré à ce sujet. L'expérience
historique vient donc à l'appui des considérations théoriques fon-
dées sur Îles lois physiques qui régissent la formation et la conden-
sation des vapeurs d'eau. Nous pouvons aujourd'hui, en reliant des
chotts à la Méditerranée, rétablir les anciennes conditicns clima-
tériques et créer en même temps, au Sud de l’Algérie au delà de
la chaîne de l'Atlas, une voie commerciale et politique de la plus
haute importance. Quelles seraient les difficultés à vaincre pour
arriver à ce résultat? C’est ce que j'examinerai plus loin. Avant
d'aborder cette question, il convient de répondre aux objections
élevées contre l'opportunité du projet.
RÉPONSE AUX OBJECTIONS.
Dans le rapport que j'ai eu l'honneur de#ous adresser en 1877,
je me suis efforcé de répondre aux objections élevées contre le
projet-de mer intérieure. Depuis cette époque, la controverse à
continué. Quelques arguments nouveaux ont été invoqués par les
advérsaires du projet. Le plus souvent, les mêmes objections ont
été reproduites dans des termes presque identiques, soit devant
l’Académie des sciences, soit devant la Société de géographie. Afin
de faire la lumière aussi complète que possible autour de la ques-
tion, je crois nécessaire de reproduire textuellement les attaques
ainsi que les réponses qui leur ont été faites, en complétant, au
besoin, ces dernières et en les corroborant des arguments tirés du
résultat de mes derniers travaux.
AGRICULTURE. — A propos de la mer intérieure du Sahara algérien.
(Lettre à M. Daubrée, par M. Naunix !.)
«Je lis, dans l’avant-dernier numéro des Comptes rendus (21 mai,
P- 1123), que vous avez, ainsi que M. Dumas, fait vos réserves
sur les conséquences de la coupure du seuil qui, aujourd'hui, sé-
pare du golfe de Gabès les chotts de la Tunisie et du Sahara algé-
* Communiquée à l'Académie des sciences le 1 1 Juin 1877.
rien, coupure qui, dit-on, aurait pour résultat le remplissage de
ces cholts et la création, dans cette partie dé l'Afrique, de ce qu'on
est convenu d'appeler une mer intérieure.
« Vos réserves sont certainement très fondées. Les partisans, on
pourrait dire les adinirateurs enthousiastes de ce projet, se com-
plaisent à nous montrer, dans un prochain avenir, la vie, le mouve-
ment, l’agriculture, le commerce, en un mot, toute une nouvelle
ère de prospérité et de civilisation, s'éveillant dans cette région
désolée, par le seul fait du remplissage de ces larges dépressions
du sol actuellement noyées par les pluies de l’hiver, transformées
dans les autres saisons en marécages insalubres, et qui semblent
vouées à une éternelle stérilité. Il suffit cependant d'y réfléchir
quelque peu pour voir s'évanouir ces espérances et pour qu'on en
vienne à se demander si cette difficile et coûteuse opération ne
serait pas un malheur irréparable pour notre colonie algérienne.
« On cite l'exemple de l'Égypte, dont le climat s’est sensible-
ment amélioré depuis la création du canal de Suez et à la suite
des plantations d'arbres qu'il a dès lors été possible d'y faire; mais
il n'y a aucune parité à établir entre les deux régions : l'Égypte est
adossée à deux mers; de plus, elle est traversée par un fleuve im-
mense , sujet à des crues périodiques, et, du côté du Sud, elle ne
confine pas à la steppe aride et torride du Sahara. La région des
chotts algériens, au contraire, est déjà très éloignée de la mer, et,
si elle n’est pas tout à fait le plein Sahara, elle en est du moins
le commencement. Ajoulez à cela qu'elle n’a point de Nil pour la
rafraichir et lui procurer l’eau douce indispensable à toute culture.
« On dit, il est vrai, que l'évaporation à la surface de la mer
intérieure projetée engendrera des pluies plus fréquentes, parce
que l’eau vaporisée par le soleil et poussée par le vent du Sud vers
la chaîne de l'Aurès s’y condensera pour retomber en pluie et en
neige et fera naître des sources et des rivières qui ramèneront à
la mer intérieure une partie de l'eau qu’elle aura perdue. C’est là
une hypothèse à laquelle il ne serait pas difficile d'en opposer
d'autres d'égale valeur; toutefois ce n’est encore que la moindre
objection à faire aux projets de M. le capitaine Roudaire. Selon
moi, il ÿy en a une autre bien plus grave et qui suffirait, si elle est
fondée, comme je le crois, pour faire repousser à tout jamais l’exé-
cution de ce projet.
« Cette objection est celle-ci : En remplissant d'eau de mer les
— 312 —
bassins peu profonds des chotts algériens, on n'aura très probable-
ment abouti qu'à établir, de main d'homme et à coups de nuil-
lions, un immense foyer pestilentiel, bien autrement dangereux
que les maremmes de la Toscane ou les marais Pontins. D’après
les évaluations de M. le capitaine Roudaire, la profondeur maxi-
mum de la mer intérieure ne dépassera pas 24 à 25 mètres, et
cela au centre du bassin; mais ce qui intéresse dans la question,
c'est bien moins le centre que les bords. Quelle sera la profondeur
de cette mer artificielle sur son contour? On peut dire qu’elle sera
nulle, à cause de la faiblesse des pentes. Supposez les chotts rem-
plis par la mer, leur périmètre ne sera qu'une plage basse, de
plusieurs kilomètres de largeur, alternativement noyée dans la sai-
son des pluies et laissée à sec pendant l'été, inabordable à la batelle-
rie, et où se trouveront réunies toutes les conditions de la plus redou-
table insalubrité, c’est-à-dire le mélange de l’eau douce et de l’eau
salée, une vive lumière solaire et une chaleur tropicale pendant
les deux tiers de l’année, conditions qui auront pour conséquence.
une active pullulation d'organismes végétaux et animaux. La pu-
tréfaction de ces organismes ne pourra manquer de corrompre
l'air à plusieurs lieues à la ronde et rendra fort dangereux le voi-
sinage de cetle prétendue mer intérieure. Je le répète : à mes
yeux, le point essentiel de la question n’est pas tant de savoir ce
que sera la profondeur maximum de l’eau introduite dans les
chotts, que de savoir ce que sera sa profondeur moyenne calculée
d’après l'étendue totale de la nappe d’eau, et surtout de savoir
quel sera le régime du littoral qui s'établira avec des alternatives
de hausse et de baisse dans le niveau des eaux. C’est de ce côté,
je crois, que les études de M. le capitaine Roudaire devraient do-
rénavant être dirigées.
« La région saharienne est incontestablement ce qu'il y a de plus
mauvais dans toute l'Algérie, et c’est une idée généreuse de vouloir
la transformer et la rendre habitable. Y réussira-t-on jamais? Nul
ne saurait le dire, mais peut-être devrail-on dès à présent tenter
la seule chose qui semble possible pour atteindre le but dans un
avenir encore éloigné, je veux dire la plantation ou le semis d’une
végétation arborescente capable de s’accommoder de la nature de ce
sol et de ce climat. Si les eucalyptus de lAustralie, ou du moins
quelques-uns d’entre eux, pouvaient croître tant bien que mal
dans une terre imprégnée de sel, leur place y serait indiquée; à
— 313 —
leur défaut, il faudrait chercher ailleurs, et, en attendant qu'on
trouvât mieux, on pourrait se contenter des Tamarix, arbres et
arbrisseaux du pays qui, sans grande valeur par eux-mêmes,
prépareraient le sol à recevoir une végétation forestière plus impor-
tante. Quel que füt le résultat de ces essais, ils seraient peu coùû-
teux comparativement aux travaux que nécessiterait le remplissage
des chotts, et, dans tous les cas, ils ne compromettraient point
l'avenir. Mais ce qui serait plus urgent encore, ce serait le reboi-
sement des pentes et des sommets dénudés des montagnes de l'AI-
géric par des semis de pins laricio, de pins d'Alep, de chênes et
de châtaigniers, suivant la nature calcaire ou siliceuse des terrains,
parce qu'après tout les forêts sont le plus puissant modificateur
des climats. Elles tempèrent la chaleur et le froid; elles modèrent
la violence des vents, elles assainissent l'air en arrêlant au passage
les effluves marécageuses, elles condensent la vapeur d’eau répandue
dans l'atmosphère et provoquent la chute de la pluie. Ce sont
encore les forêts qui défendent le sol contre les ravinements, qui
y emmagisinent l'eau de pluie, et qui diminuent par là le danger
ces inondations. Enfin elles enrichissent la terre de leurs détritus,
et, en fin de compte, elles produisent le bois, une des matières
les plus indispensables à toute nation civilisée. Je pense donc que,
si jamais l'État ou des compagnies veulent consacrer quelques
dizaines de millions à faire des expériences en Algérie, leur argent
sera infiniment mieux employé à reconstituer les forêts là où elles
manquent, qu'à créer une mer problématique, sans profondeur,
saks portée commerciale, dangereuse pour la santé des populations
environnantes et d’une étendue beaucoup trop faible pour modi-
lier sensiblement le climat saharien, à plus forte raison pour ouvrir
une voie à la civilisation européenne vers le centre d'un continent
livré à la barbarie. »
GÉOGRAPHIE. — Réponse aux objections élevées par M. Naupin contre le
projet de mer intérieure d'Algérie. (Note de M. RoupatRe, présentée par
M. de Lesseps !.)
« Dans une note insérée au Compte rendu de la séance du 11 juin,
M. Naudin élève contre le projet de la mer intérieure d’Algtrie des
obiections que je ne puis laisser sans réponse.
! Académie des sciences (séance du 25 juin 1877).
— 314 —
« On dit, écrit M. Naudin, que lévaporation, à la surface de la
«mer projetée, engendrera des pluies plus fréquentes, parce que
« l’eau vaporisée par le soleil, poussée par le vent du Sud vers la
«chaine de l'Aurès, s'y condensera pour retomber en pluie et en
«neige et fera naître des sources et des rivières qui ramèneront à
«la mer intérieure une partie de l'eau qu'elle aura perdue. C’est
« là une hypothèse à laquelle il ne serait pas difficile d'en opposer
« d’autres d'égale valeur. »
«Je pourrais me borner à renvoyer M. Naudin au rapport si
concluant de M. le général Favé, mais je dois faire remarquer ce
qu'il y a de spécieux dans une objection qui consiste à traiter d'hy-
pothèses, à priori et sans discussion, des prévisions fondées sur
l'observation et le calcul.
« D'après les observations précises faites aux lacs Amers, placés
dans les mêmes conditions climatériques que les chotts, la hauteur
de la couche évaporée en vingt-quatre heures est, en moyenne,
de 0*,003. En multipliant ce chiffre par la surface de la mer inté-
ricure, on reconnaît qu’elle perdrait chaque jour 39 millions de
mètres cubes d'eau par suite de l’évaporation. Est-ce là une hy-
pothèse
« Par les vents de Sud, de Sud-Est ou de Sud-Ouest, qui sont les
vents dominants de la région !, comme l'indique la disposition des
dunes, dont le talus le plus doux fait toujours face à une de ces
directions, celte énorme masse d’eau vaporisée serait nécessaire-
ment poussée vers le Nord et par conséquent sur l'Algérie et la
Tunisie. Or, d’une part, le calcul prouve qu'elle suffirait pour
saturer à demi, sous la pression 0,760 et à la température de
12 degrés, une couche d’air de 24 mètres de hauteur recouvrant
toute l’Algérie et toute la Tunisie; d'autre part, la science démontre
qu'une semblable couche d'air humide aurait la propriété d’atté-
nuer considérablement l'ardeur des rayons solaires pendant le jour
et le refroidissement dù au rayonnement pendant la nuit. .
« Mais ces vapeurs n'agiront pas seulement comme écran pro-
tecteur; elles se condenseront en pluie et même en neige, car elles
rencontreront presque immédiatement la haute chaine de l’Aurès
que la nature semble avoir placée tout exprès au Nord des chotts
pour y servir de condenseur. Lorsqu'un vent du Sud, à dem
! Voir les observations météorologiques, p. 256.
= GÈ
saturé de vapeur d’eau, franchira ce massif, où l’on trouve encore
de la neige au cœur de l'été, il suffira que la température s’abaisse
de 25 à 14 degrés, par exemple, pour que la vapeur se condense.
Or, l'évaporation sera doublée par le siroco, et ce vent, qui ne
doit ses propriétés désastreuses qu’à son extrême sécheresse, pous-
sera vers l’Aurès 78 millions de mètres cubes d'eau en vingt-
quatre heures. Si ce sont là de simples hypothèses, quelles hypo-
thèses d’égale valeur peut-on donc leur opposer?
« J'ajouterai, pour en finir avec cette objection, que le passé est
garant de l'avenir. Personne ne conteste que les chotts étaient
anciennement remplis d'eau. Or, l'Algérie et la Tunisie étaient à
celte époque incomparablement plus fertiles que de nos jours.
« Examinons maintenant l'objection que M. Naudin considère
comme la plus grave. Elle peut se résumer ainsi : Le périmètre de
la nouvelle mer ne sera qu’une plage basse, alternativement noyée
dans la saison des pluies et laissée à sec pendant l'été. On aurait
ainsi créé un immense foyer pestilentiel.
« La carte du nivellement montre que le bassin inondable est
limité par des pentes beaucoup plus accentuées que ne le croit
M. Naudin. En beaucoup de points, il v aura 20 et même 30 mètres
de tirant d’eau très près du littoral. La plage la plus basse se trou-
vera au Nord du chott Melrir et sera absolument analogue à celle
de Sfax. Quoi qu'il en soit, en vertu des lois de la physique, l'équi-
libre tendra constamment à s'établir entre le niveau de la Médi-
terranée et celui de la mer intérieure. Si l'évaporation est plus
aclive en été, si elle est portée de 0”,003 à 0”,006, il en résultera
un accroissement de vitesse dans le courant venant du golfe de
Gabès, sans que l’on puisse admettre que la baisse de niveau pro-
duite atteigne jamais la différence entire les deux chiffres, c’est-à-
dire 0,003. |
« Mais, loin de devenir un foyer pestilentiel, la mer intérieure
recouvrira des bas-fonds dont l'influence est des plus funestes.
Au Nord du ghott Melrir, l'oued Djeddi ct l'oued El-Arab s’épa-
nouissen! en larges deltas et répandent leurs eaux dans des maré-
cages appelés farfaria, dont la superficie est de 1,000 kilomètres
carrés environ. Inaccessible en hiver, cette vaste région, couverte
de joncs et de roseaux gigantesques, se dessèche en été et devient
un redoutable foyer de pestilence. Dès le mois de mars, les no-
mades en fuient les abords. Le nivellement a prouvé qu'elle est à
— 316 —
une vingtaine de mètres au-dessous du niveau de la mer. Elle sera
donc enfouie sous une couche profonde d'eaux vives.
« M. Naudin dit, en terminant, que la mer intérieure sera sans
profondeur et sans poriée commerciale. La profondeur moyenne
sera de 24 mètres. À quel point de vue pourrait-on se placer pour
désirer une profondeur plus grande? Il suffit, d'autre part, de re-
garder la carte pour voir que les produits des régions de l'Algérie et
de la Tunisie situées au Sud de l’Aurès et de l'Atlas se dirigeront
inévilablement vers les nouveaux ports. Ajoutons qu'il sera d'autant
plus facile alors de décider les caravanes venant du centre de
l'Afrique à reprendre la route qu'elles suivaient autrefois par la
sebliha d’Amaghdor, Ouargla et Tougqourt, alors que le litloral se
trouvera rapproché de 4oo kilomètres environ.
« En résumé, les résultats généraux de la création de la mer inté-
rieure seraient :
« Amélioration profonde du climat de l'Algérie et de la Tunisie;
« Ouverture d’une nouvelle voie commerciale pour les régions
situées au Sud de l’Aurès et de l'Atlas et pour les caravanes du
centre de l'Afrique;
« Amélioration des conditions hygiéniques de la contrée;
« Sécurité complète pour l'Algérie; car, nos troupes pouvant
débarquer au Sud de Biskra, il n’y aurait plus d'insurrection pos-
sible. »
AGRICULTURE. — Réponse à la dernière note de M. RouDAIRE au sujet
de la mer intérieure du Sahara. (Note de M. C. Naupnx!.)
« Dans sa réponse aux objections que j'ai soulevées contre le
projet de créer une mer artificielle en Algérie, M. le capitaine
Roudaire me paraît s'être mépris sur l'application que j'ai faite du
mot hypothèse. Ce mot ne s'adressait point à ses chservations, mais
seulement aux conjeclures qu'on a cru pouvoir étayer sur elles.
Personne plus que moi ne rend justice au talent el à la persévé-
rance avec lesquels M. le capitaine Roudaire s'est acquitté d'une
tâche laborieuse et qui n’était pas exempte de périls; personne
non plus, je crois pouvoir le dire, ne comprend mieux l'avantage
qu'il y aurait pour l'Algérie à voir sa région saharienne trans-
formée en une vraie mer, profonde, permanente, indéfiniment na-
* Académie des sciences (séance du 9 juillet 1877).
U — 317 —
vigable et largement rattachée à la Méditerranée. Le dissentiment
qui nous sépare roule tout entier sur ce point : les condilions étant
ce qu'elles sont, le remplissage des chotts par l’eau de la Méditer-
ranée amènerait-il le résultat désiré? La question est assez impor-
tante pour mériter d'être discutée et examinée sous toutes ses faces.
« Je n'ai jamais douté que l’évaporation ne dût être très forte à
la surface de la mer intérieure, et je ne regarde pas comme hypo-
thétique le chiffre de 39 millions de mètres cubes d’eau enlevés
chaque jour à cette mer par la chaleur du soleil; maïs ce que je
tiens toujours pour une hypothèse, c’est que l'Algérie bénéficie
sensiblement de cette évaporation. Quelque considérable qu’elle
soit, tout le monde n'’accordera qu’elle est insignifiante à côté de
celle qui se produit sur la surface entière de la Méditerranée,
dont les vapeurs, entrainées par les vents qui balayent cette mer
en long et en large, sont dispersées sur tous les pays riverains.
L'Algérie en a sa part, et si ce n’est pas pour elle l'unique source
de la pluie, c'en est du moins la plus immédiate et peut-être la
plus importante. Les vapeurs enlevées à la mer saharienne s'y
ajouteront sans en grossir beaucoup le total, et elles auront la
même destinée. Que le massif de lAurès condense ces vapeurs en
brouillards et en nuages quand le vent soufflera du bon côté, ce
ne sera pas une raison sufhisante pour qu’elles relombent en pluie
là où on le voudrait, surtout dans la saison d'été. Ces montagnes
ne sont pas assez hautes pour arrêter les vents du Sud, puisqu'ils
se font encore sentir (siroco) jusque sur le midi de l’Europe; et
par conséquent il est irès vraisemblable qu'ils entraîneront beau-
coup plus loin les vapeurs, même condensées en nuages, qu'ils
auront enlevées à la mer intérieure. Une preuve que les montagnes
ne suffisent pas à elles seules pour réaliser les conditions de la
pluie nous est fournie par les massifs montagneux qui limitent au
Nord les plaines du bas Languedoc et de la Provence. Ces plaines,
quoiqu'elles confinent à la mer, n’en sont pas moins exposées à des
sécheresses fréquentes et quelquefois désastreuses. Cependant les
Cévennes, le Ventoux et les Alpines, situés à 8 ou 10 degrés de
latitude plus au Nord que l'Aurès, doivent être au moins d'aussi
bons condenseurs de la vapeur d’eau que ce dernier. C’est que les
conditions qui déterminent la chute de la pluie sont complexes;
et, si l'altitude des lieux y contribue, comme nous l’apprennent
les observations météorologiques, le climat général et surtout les
— 518 —
courants d’air de différentes températures qui règnent dans les
haute et moyenne régions de l'atmosphère jouent an rôle prépon-
dérant dans le phénomène.
« Je n’insiste pas sur ces menus détails et je fais aux partisans
de la mer saharienne toutes les concessions qu'ils peuvent désirer
sur ce point. Supposons donc que le projet, pris au sérieux, ait
été exécuté. Tous les travaux ont marché à souhait : le canal est
ouvert, les chotts sont remplis jusqu'aux bords, leurs rivages rapi-
dement inclinés, presque abruptes même, ont une bonne profon-
deur d’eau et la navigation commence. Combien de temps cet état
de choses durera-til? C'est ce dont nous allons chercher à nous
rendre compte.
« Comme toutes les mers, grandes ou petites, la mer saharienne
aura ses tempèêles; les vents violents de la région en bouleverseront
la surface, et les vagues viendront baltre ces rivages jusque-là si
nettement dessinés. Des grèves s’y formeront, et les terres affouil-
lées par le flot seront entrainées sous l'eau et se déposeront à
quelque distance, adoucissant la pente etexhaussant le fond. Dans
la saison des pluies, les cours d'eau, plus ou moins torrentueux
suivant la région qu'ils auront traversée, déposeront, à ieur en-
trée dans la petite mer, le gravier et le limon qu'ils auront ramassés
sur leur parcours. Il s’y formera des atterrissements, puis des
deltas, avec leur accompagnement habituel de lagunes d’eau douce
et d'eau saumâtre. Quand ces accidents se produisent au bord
d'une vaste mer, ils peuvent, malgré de sérieux inconvénients,
passer inaperçus; mais ils ont une tout autre gravité quand il
s'agit d’une mer aussi resserrée et aussi peu profonde que celle
qui nous occupe. Il est évident, en effet, que ces apports sans cesse
renouvelés de matériaux solides dans un bassin fermé en exhaus-
seront insensiblement le fond, et qu'avec le temps, en quelques
siècles tout au plus, ils auront assez comblé la petite mer pour y
rendre la navigation impossible.
« Mais ce n’est là encore, selon moi, que le moindre des dan-
gers qui menaceront la mer saharienne. Le plus grand de tous lui
viendra précisément de ce canal sans lequel elle ne saurait exister.
Remarquons bien qu'il ne s’agit pas ici d'un simple canal de com-
munication entre deux mers situées à très peu près ou tout à fait
au même niveau, comme celui de Suez par exemple, mais d’un
canal de remplissage, avec un courant dont le volume et la vitesse
”
— 319 —
devront être en proportion de la capacité du bassin à remplir,
D'après les évaluations de M. le capitaine Roudaire, le canal de-
vra chaque jour restituer à la mer les 39 millions de mètres cubes
d’eau que l’évaporation lui aura fait perdre, faute de quoi le ni-
veau s'abaïsserait rapidement. Se fait-on une idée bien nette d'un
pareil volume d’eau et de sa puissance d'érosion lorsqu'il est en
mouvement? Un cours d’eau capable d'amener en vingt-quatre
heures 39 millions de mètres cubes d’eau sur un point donné est
un fleuve, on peut même dire un grand fleuve, car ces 39 millions
de mètres cubes reviennent à un débit de 451 mètres cubes d'eau
par seconde. La Seine, à Paris, en temps ordinaire et coulant avec
une vitesse de 60 à 65 centimètres par seconde, débite, dans le
même temps, 130 mètres cubes d'eau; la Garonne, à Toulouse,
150 mètres cubes !. Ainsi, en supposant l'eau du canal animée de
la même vitesse que celle de ces deux rivières, le fleuve artificiel
dont il aura fallu creuser le lit aura trois fois le volume de la Ga-
ronne à Toulouse et près de trois fois et demie celui de la Seine à
Paris. Je laisse à penser ce que sera un pareil travail et quelles
dégradations le passage de cette énorme quantité d’eau occasion-
nera aux parois du canal dans des terrains ameublis par les ma-
chines et les outils.
« Ce sera bien aulre chose encore au moment des crues, car ce
canal aura des crues. M. le capitaine Roudaire a soin, en effet,
de nous avertir que, dans les fortes chaleurs de l'été et principa-
lement sous l'influence des vents brûlants du Sahara, l'évaporation
pourra être doublée et que la petite mer intérieure perdra par là,
dans les vingt-quatre heures, jusqu'à 78 millions de mètres cubes
d’eau. Naturellement le canal devra répondre à l'appel fait par ce
vide; il débitera alors 900 mètres cubes à Ja seconde, c'est-à-dire
à peu près une fois et demie la quantité d’eau qui passe sous les
ponts du Rhône, à Lyon, et avec la même vitesse, Il n’est pas pos-
sible de croire que les berges du canal résistent à un pareil tor-
rent; elles seront emportées par l’eau, elles obstrueront le canal,
et ce qui en arrivera à la mer intérieure y formera des atterrisse-
ments plus considérables encore que ceux que je signalais plus
haut. Le seul moyen d'empêcher ces dévastations serait de donner
au canal une seclion assez grande (et elle devrait être vraiment
! J'emprunte ces chiffres au Traité élémentaire de mécanique de M. Delaunay.
— 320 —
énorme) pour que Îe courant füt presque insensible par tous les
temps. Mais, eût-on fait ce travail gigantesque, on n’en serait pas
beaucoup plus avancé, ainsi qu'on va le voir,
« L'eau de mer n'est pas toujours pure. Dans les gros temps, les
vagues qui s'abattent sur les plages y soulèvent de la vase et du
sable, et elles se troublent sur une zone plus ou moins large, sui-
vant la force et la durée de la tempête. Ces eaux troubles entre-
ront immanquablenient dans le canal, et iront épaissir la couche
des sédiments qui, par d'autres causes, se seront déja déposés
dans le bassin de la mer intérieure. Le canal lui-même s'ensa-
blera, et par quel moyen le désercombrer, si ce n'est en faisant
entrainer par l'eau, loujours vers la mer intérieure, les matériaux
déposés sur son fond? Il ne faut pas oublier que, si ce canal est
un fleuve artificiel, c'est aussi un fleuve à rebours, qui tire sa source
de la mer au lieu d'y porter ses eaux.
« Enfin il y a un autre point dont il ne semble pas qu'on se soit
beaucoup préoccupé jusquici. L'eau de mer tient en dissolution
diverses substances qui s'en séparent à l’état solide quand elle est
arrivée à son maximum de saturation, et celle de la Méditerranée
ést particulièrement riche sous ce rapport. Tant en sel ordinaire
qu'en chlorure de magnésium et de potassium, en sulfate et
carbonate de magnésie et de chaux et quelques autres substances,
elle contient sur 1,000 parties, en poids, 41.64 parties de ma-
tières qui se précipitent à l'état solide, quand l'évaporation l'a
suffisamment concentrée. En supposant que le mélange de ces
diverses substances ait trois fois la densité de l'eau (celle du chlo-
rure de sodium est 2.13), 1,000 mètres cubes de cetle eau, en
s'évaporant, laisseraient un résidu solide de 15 à 16 mètres cubes.
Qu'on juge par la de ce que produira l'évaporation journalière de
39 millions de mètres cubes dès que la totalité de l’eau de la mer
intérieure sera arrivée à son point de saturation! On voit que les
sédiments formés de cette manière sont loin d'être nésligeables.
«La mer intérieure du Sahara ne sera jamais qu'un bassin
fermé dans lequel s'accumuleront sans cesse et sans relâche des
dépôts de toute nature, provenus de sources diverses, et dont il
n’y aura aucun moyen de la débarrasser, car il ne faudrait pas
espérer leur faire remonter le canal qui les aurait apportés. Elle
s'encombrera inévitablement et peut-être en beaucoup moins de
temps qu'on ne serait tenté de le croire au premier abord. L'enorme
— 321 —
travail auquel on se serait livré n'aurait donc abouti, comme je
le disais précédemment, qu'à créer un immense marais, source
de pestilence pour les générations futures. Y at-il lieu de s'étonner
si, devant une telle perspective, le projet, d’ailleurs séduisant, de
M. le capitaine Roudaire a trouvé quelques incrédules? »
RÉPONSE À LA NOTE DE M. NAUDIN.
M. Naudin n'admet pas que l'Algérie bénéficie sensiblement de
l'évaporation qui aura lieu à la surface de la mer intérieure. Cette
évaporation serait insignifiante, dit-il, à côté de celle qui se pro-
duit à la surface entière de la Méditerranée. Les vapeurs enlevées
à la mer intérieure s’y ajouteront sans en grossir beaucoup le total.
Eh bien , cette objection , très sérieuse en apparence, tombe devant
une élude approfondie de la question. Je démontrerai plus loin !
que les vents venus de la Méditerranée en passant sur Algérie et
en se refroidissant jusqu'à la température de la glace fondante,
c'est-à-dire jusqu’à o degré, ne peuvent produire en moyenne que
65 centigrammes de pluie par mètre cube, tandis qu'il suffira que
les vents venus de la mer intérieure descendent à la température
de 10 degrés pour produire 55",76 de pluie par mètre cube. Or la
température de o degré sera rarement atteinte, landis que celle
de 10 degrés le sera toujours. « Les montagnes de l’Aurès, ajoute
mon honorable contradicteur, ne sont pas assez hautes pour ar-
rêler les vents du Sud, puisqu'ils se font encore sentir (siroco) sur
le midi de l'Europe.» Je n'ai jamais dit que l’Aurès, pas plus
qu'un massif montagneux quelconque, püt arrêter une masse d’air
en mouvement; mais Voici ce qui se passe : en rencontrant l’Aurès,
les vents du Sud s'élèvent pour le franchir et se refroidissent par
suile du travail de dilatation qu'ils subissent nécessairement; une
fois le massif montagneux franchi, ils redescendent et s’échauffent
en se condensant sous une plus grande pression.
À l'appui de ce que j'avance, je citerai le passage suivant em-
prunté à une communication faite à l’Académie des sciences par
M. Charles Grad ? :
« La théorie mécanique de la chaleur permet d'expliquer aisé-
ment et d'une manière bien simple ces manifestations caractéris-
1 Pages 362, 363.
? Comptes rendus de l'Acalémie des sciences, 2° semestre, 1874, p. 248.
MISS. SCIENT. — VII. 21
— 322 —
tiques du Fœhn, à l’aide d'un principe posé par Poisson, et déve-
lopppé, plus récemment, par M. Peslin. Un courant d'air en
mouvement vient-il à rencontrer un obstacle, il tend à s'élever
en se refroidissant, par suite du travail de dilatation produit.
Après avoir surmonté l'obstacle, l'accroissement de la pression,
sur la même masse d'air, en augmenie la densité et la fait redes-
cendre avec une nouvelle élévation de température. Ainsi, un cou-
rant d'air qui possède une température de 3 degrés à l'altitude de
3,000 mètres, hauteur de l’observatoire du col de Saint-Théo-
dule où j'ai demeuré en 1866, sous une pression de 530 mulli-
mètres, tombant à une altitude de 500 mètres, sous une pression
de 713 millimètres, peut atteindre 27 degrés. Si l'air est saturé
d'humidité , l’abaissement de la température entraîne une préci-
pitation de vapeur d'eau, sous forme de pluie ou de neïge, et la
chaleur latente de la vapeur précipitée rend le refroidissement
moins rapide que si l'air était sec.»
Aïnsi les vents ne sont pas arrêtés par les montagnes, mais ils
subissent, en les franchissant, un refroidissement d'autant plus
considérable qu'elles sont plus élevées, et les vapeurs dont ils
sont chargés se précipitent alors sous forme de pluie ou de neige.
Si la mer intérieure était créée, les vents de Sud, en franchissant
l'Aurès, dont les points culminants dépassent 2,300 mètres d’al-
titude, se dépouilleraient de la plus grande partie des vapeurs
d’eau qu'ils auraient enlevées à cette mer.
Telle est, du reste, l'opinion de M. Charles Grad, qui termine
de la manière suivante la communication dont nous venons de
citer un extrait :
«Bref, la création d’une mer intérieure dans la dépression
saharienne n’influera pas d'une manière sensible sur le climat de
la France ou de l'Europe méridionale; mais elle promet, pour
l'Algérie, du côté du Sahara, une augmentation de pluies, sans
cependant que cet avantage entraîne un nouveau développement
de cultures; car dans notre colonie l’homme ne manque pas de
terre, mais la terre manque de bras. *
Sans mw’arrêter trop longtemps sur cetie dernière appréciation
de M. Ch. Grad, je ferai remarquer que si la terre manque de
bras, cela tient surtout à ce qu'elle manque de pluies. Le jour où
les colons, n'ayant plus à redouter la sécheresse, seront assurés de
trouver, dans une récolte abondante, la rémunération légitime de
— 323 —
leurs efforts et de leur travail, les cultures se développeront rapi-
dement.
M. Naudin cite l'exemple des plaines du bas Languedoc ét de
la Provence, exposées à des sécheresses fréquentes, malgré le voi-
sinage de la mer et la présence du Ventoux et des Alpines. D’après
M. Charles Martins, la pluie se distribue sur le terriloire français
de la manière suivante :
vosgienne, ou du SO EEPE TE 66
séquanienne, où du Nord -URIESE.. à Anse ss 548
Région { girondine, ou du Sud-Ouest. ............... 586
méditerranéenne, ou provencale. .....:...... , 651
. rhodanienne, ou du Sud-Est,....... BURN 0 946
MOYENNE. ..... 13 À 681
On voit que, sous le rapport des pluies, la région provençale
est loin d’être une des plus déshérilées. Examinons d’ailleurs le
rôle que doivent jouer les montagnes citées par M. Naudin.
Les Cévennes , dont l'altitude est de 1,000 à 1,200 mètres,
courent du Nord au Sud. En Provence, les vents dominants sont
ceux de Nord-Ouest et d'Ouest. Ces vents, après s'être dépouillés
d’une grande partie de leur humidité en traversant les bassins de
la Loire et de la Garonne, produisent encore des pluies sur le
versant Ouest des Cévennes ; mais leur température s'élève lors-
qu'ils redescendent les pentes du versant Est, et les vapeurs qu'ils
contiennent encore se dilatent au lieu de se condenser. Cette
chaîne de montagnes ne peut d’ailleurs, vu sa direction Nord-Sud,
exercer une influence quelconque sur les vapeurs enlevées à la
Méditerranée par les vents accidentels du Sud. Quant aux vents
d’Est, le refroidissement considérable qu’ils ont subi en franchis-
-sant le massif élevé des Alpes a précipité la plus grande partie
des vapeurs qu'ils contenaient, et ils ne peuvent, cela est clair, at-
teindre leur point de saturation en franchissant les Cévennes. Les
Alpines, par suite de leur orientalion, pourraient sans aucun doute
remplir le rôle de condenseur; malheureusement, leur altitude !
moyenne nest guère que de 300 mètres, et les vents de Sud, en
les franchissant, ne subissent pas un refroidissement assez consi-
! Les points culminants des Alpines sont : les Houpies, 492 mètres ; le si-
gnal de la Chaume, 386 mètres ; la montagne du Défends, 309 mètres.
21.
— 324 —
dérable. Le mont Ventoux, dont la hauteur atteint, il est vrai,
1,912 mètres, n’est qu'un contrefort jeté comme un promontoire
avancé sur la vallée du Rhône, qu'il resserre sans la barrer; aussi
ne peut-il exercer qu'une action très restreinte sur le climat dé la
contrée. r
« Comme toutes les mers grandes ou petites, dit M. Naudin,
la mer intérieure aura ses tempêtes ; les vents violents de la région
en bouleverseront la surface, et les vagues viendront battre ces
rivages jusque-là si nettement dessinés ; des grèves s’y formeront,
et les terres affouillées par les flots seront entrainées sous l'eau et
se déposeront à quelque distance, adoucissant la pente et exhaus-
sant le fond. » On doit conclure des faits observés et il est facile de
comprendre en même temps, par un raisonnement très simple,
que les vagues soulevées par les vents sur la mer intérieure au-
ront précisément pour résultat de rejeter sur le rivage les dépôts
qui tendraient à en diminuer la profondeur. C'est ce qui se passe
encore de nos jours dans le golfe de Gabès, qui s’est notablement
approfondi depuis les Romains, puisque ceux-ci, malgré le peu
de tirant d'eau de leurs galères, n'y naviguaient qu'avec les plus
grandes difficultés !, tandis qu'aujourd'hui nos bateaux à vapeur
vont facilement à Djerba et à Gabès. Le mouvement des vagues
empêchera également les limons et les graviers transportés par les
cours d'eau d’être entrainés vers le centre de la nouvelle mer.
Les dépôts se formeront près de l'embouchure. Cela se passe ainsi
sur toutes les mers, qui, le plus souvent cependant, n'ont pas, à
l'endroit où se forment les estuaires des fleuves, des profondeurs
plus grandes que la mer future. Il semble que tout devienne dan-
ger lorsqu'il s'agit de cette mer, qui n'est actuellement à sec que
par suite d'un accident géographique, et que, pour la maintenir
une fois rétablie, 1 faudrait suspendre les lois de la nhysique: Si
le golle de Gabès, dont la profondeur sur le rivage n’est certaine-
ment pas plus grande que celle de la mer intérieure, venait à se
séparer de la Méditerranée, et qu'il soit question de rétablir les
choses en l'état où elles sont aujourd’hui, ne ferait-on pas les
mêmes objections ?
M. Naudin croit que le plus grand des dangers qui menaceront
la mer saharienne lui viendra du canal de communication, dans
! Voir à ce sujet le rapport de 1877, p. 101.
— 9325 —
lequel il se produirait, par suite de l'évaporation, un courant
d’une violence telle que les berges seraient emportées el formeraient
des atterrissements considérables dans la mer intérieure. On verra
plus loin (p. 384) combien ces craintes sont peu légitimes.
Quant à l'objection fondée sur l'accumulation des résidus pro-
venant de l’évaporation, elle a été longuement réfutée dans mon
rapport de 1877 (p. 88 et suiv.).
M. de Lesseps, de son côté, a bien voulu répondre der
l'Académie des sciences aux dernières objections de M. Naudin.
On trouvera cette réponse plus loin (p. 332-335).
GÉOGRAPHIE ET AGRICULTURE. — Réponse à la dernière communication
de M. RoupaIRE sur son projet de création d’une mer saharienne. (Note de
M. E. Cossox. — Séance du 2 juillet 1877.)
« Dans la séance du 17 août 1874, j'ai eu l'honneur de sou-
mettre à l'Académie des objections au projet de M. Roudaire qui
me semblaient tout à fait concluantes. Depuis, M. Roudaire à
exécuté le nivellement d’une partie de la région où il propose
l'établissement d’une mer. Je ne viens pas contester la valeur des
travaux géodésiques de M. Roudaire; mais, en ce qui concerne
la création d'une mer intérieure, je puis affirmer, d’après mes
longues études sur la région saharienne, d’après ma connaissance
des lieux et les renseignements pris auprès des indigènes, que les
avantages qui lui sont attribués sont plus que contestables, et que
celte conception ne me paraît pas mériter l'étendue et l'impor-
tance de la discussion dont elle a déjà été l’objet, quelles que
soient d’ailleurs l'autorité et l'illustration des savants qui l'ont prise
sous leur patronage.
« Ces avantages, d’après la dernière note de M. Roudaire en
réponse aux objections de M. Naudin !, sont :
«1° Amélioration profonde du climat de l'Algérie et de la Tunisie ;
« 2° Ouverture d'une nouvelle voie commerciale pour les régions
situées au Sud de l’Aurès et de l'Atlas et pour les caravanes du
centre de l'Afrique ;
«3° Amélioration des conditions hygiéniques de la contrée;
« 4° Sécurité complète pour l'Algérie, car nostroupes pouvant dé-
barquer au Sud de Biskra , il n°y aurait plus d’insurrection possible.
l Voir dans les Comptes rendus (juin 1877, p. 1356) : Lettre à M. Daubrée à
propos de la mer intérieure du Sahara algérien , par M. Naudin.
= oi
« Sans reproduire ici toutes les considérations que j'ai déjà in-
voquées contre le projet de M. Roudaire, je me bornerai à dis-
cuter une à une ses conclusions.
«1. Le prolongement du golfe de Gabès jusqu'aux chotts
méridionaux de la province de Constantine n’amènerait aucun
changement notable daus le climat général de l'Algérie et de la
Tunisie : l'évaporation produite, ou se disséminerait dans le Sahara
ou se perdrait au-dessus de la Méditerranée, ou se condenserait
dans la chaîne de l’Aurès ou ailleurs sur des espaces limités. Le
climat local lui-même ne subirait pas de modifications sensibles;
les influences climatériques qui dominent dans le Sahara tiennent
à des causes trop générales pour être changées par la présence
d'un bassin d'une aussi faible étendue, comparativement à l'im-
mensité d'une région qui s'étend du versant sud de l'Atlas jusqu'à
la limite des pluies estivales, c’est-à-dire du 34° degré au 1 2° degré
de latitude Nord environ. Et ce n'est pas là une hypothèse, puisque
la côte méridionale du Maroc, d’après sa végétation dont j'ai fait
une étude attentive, présente, malgré l'immense évaporation pro-
duite par l'océan Atlantique, les caractères climatériques géné-
raux du Sahara, et qu'il en est de même de Gabès et de la côte
de la Tripolitaine, dont la flore et les produits agricoles sont ceux
du Sahara lui-même, malgré le voisinage immédiat de la Méditer-
ranée. D'autre part, s'il devait se produire un changement quel-
conque dans le climat local, ce serait au détriment de la culture
du dattier, qui redoute l'influence maritime, et qui, pour donner
ses meilleurs produits, a besoin surtout d'une grande somme de
chaleur, de la rareté des pluies et de la sécheresse de l'atmosphère.
En admettant d’ailleurs que le climat local dût être modifié, ce
que je conteste, et que de nouvelles cultures pussent être intro-
duites, elles seraient loin de compenser la perte certaine à laquelle
on s'exposerail en compromettant la production de la datte, qui
est la véritable richesse du pays. Du reste, la région qui serait oc-
cupée par la mer projetée, bien que peu salubre, est loin d’être
inhabitable!, Les oasis, depuis Biskra jusqu'à Touggourt, forment
depuis la rive occidentale du chott Melghir une série presque
! Le lit des chotts, où les eaux s'accumulent en hiver, est au contraire géné-
ralement à sec en été et recouvert d’une couche de sel, de telle sorte que c'est
dans la saison chaude que son voisinage est le moins dangereux.
ee GER
continue sur une étendue en longueur de près de 60 lieues et que
les Arabes, dans leur langage imagé, comparent à une véritable
rivière de dattiers (Oued Rir). Il en est de même en Tunisie pour
la région de la nouvelle mer.
« Si les puits artésiens actuels, creusés par les indigènes ou
forés par les soins de l'Administration française, ne suffisent pas à
fournir les eaux d'irrigation nécessaires au développement des
oasis existantes ou à la création d’oasis nouvelles, l'abondance de
la nappe artésienne qui existe dans toute la région permettra
toujours d'en augmenter le nombre et de satisfaire à tous les
besoins. | |
« La partie méridionale de l'Algérie et de la Tunisie est, il est
vrai, moins fertile que du temps des Romains; maïs ce fait
s'explique naturellement, sans invoquer le changement du climat,
quand on a vu les restes des canaux d'irrigation construits dans
la partie inférieure de l’Aurès par les Romains qui, au moyen de
barrages, avaient converti des vallées en vastes réservoirs recevant
les eaux des pluies et de la fonte des neiges et destinés à répandre
ensuite au loin la fertilité, Il en est de même de la Sicile, ce grenier
d'abondance de l’ancienne Rome !.
«2, La voie nouvelle n’aurait qu’une bien faible importance com-
merciale, car les caravanes du Centre-Afrique ne se détourneraient
pas de leur route ordinaire et continueraient à se diriger vers le
Maroc et la Tripolitaine. Elles évitent surtout, dans la traversée du
Sahara, les dunes des. Ares, que, pour gagner soit l'Algérie, soit
la Tunisie, elles auraient à franchir dans leur plus grande
étendue. Je dois rappeler que le commerce d'exportation pratiqué
par les caravanes, si l’on en excepte les esclaves, est réduit à un
bien petit nombre d'articles, tels que la poudre d'or, les dépouilles
d'animaux, les plumes d’autruche, l'ivoire, etc. D'autre part, la
plus grande partie de la mer projelée se trouverait en Tunisie,
et 1l serait à craindre que les caravanes se portassent plutôt chez
une puissance musulmane que dans la province de Constantine.
« On ne peut d’ailleurs assimiler le mince trafic de quelques
caravanes au commerce ouvert au monde par le percement de
! Des savants, dont le nom fait autorité dans la science, admettent que la
fertilité moindre de la Sicile à l'époque actuelle peut s'expliquer par la diminu-
tion dans le sol de la quantité des phosphates.
— 328 —
l'isthme de Suez. La mer rêvée ne serait, je le répète, qu'un pro-
longement du golfe de Gabès et elle n'éviterait aucuns frais de
transbordement, ces frais restant les mêmes que si les marchan-
dises étaient transportées directement à Gabès, délaissée pour Mo-
sador et Tripoli.
« 3. Les conditions de salubrité de la contrée seraient loin
d'être améliorées. Il serait à craindre, au contraire, que le pays
pe devint inhabitable; les variations du niveau de la mer intérieure
résultant soit de l’évaporation, soit du flux et du reflux qui
s'élèvent à 1,60. amèneraient alternativement l'inondation ou
l'exondation des plages des chotts, à pentes généralement presque
insensibles et sur d'immenses surfaces qui, dans la saison chaude,
ainsi que l’a fait remarquer si judicieusement M. Naudin, devien-
draient une véritable cause de pestilence.
« D'autre part, la salure de ces plages alternativement inon-
dées et exondées et la pression exercée par la mer sur son fond
amèneraient vraisemblablement l'augmentation de la quantité de
matières salines déja contenue dans la nappe artésienne et en ren-
draient les eaux impotables et impropres à l'irrigation des cultures:
« Quant aux avantages prétendus qui résulteraient de l'humidité
atmosphérique, qui, selon moi, ne doit pas se produire ou se
produire seulement sur les bords de la nouvelle mer el au grand
dommage de la qualité des dattes, elles me paraissent reposer sur
une erreur d'appréciation : on sait que les températures élevées
sont d'autant plus facilement supportées que l'air est plus sec et
les phénomènes de rayonnement plus intenses; or, dans la région
des chotis comme dans tout le Sahara, à des chaleurs tempérées
de +20° à 30° succèdent souvent et sans transition des tempé-
ratures de -—ho°, et, sous l'influence du siroco, de +49° à +52°.
Dans ces conditious, Fanémie qui, dans la région tropicale, où
l'atmosphère humide dépasse rarement 30 ou 32 degrés, décime
déja les Européens, serait bien plus fatalement la conséquence de
l'habitation d'une contrée où les dangers causés par l'humidité at-
mosphérique seraient aggravés par des températures bien plus
extrêmes.
«4. Loin d'assurer la sécurité de l'Algérie, la mer dite saha-
rienne la compromeltrat et serait même un danger perwauent
— 329 —
pour la domination française. Cette mer, dont l'entrée et la plus
grande partie seraient situées en Tunisie et dont nous ne posséde-
rions guère que les plages occidentales, devrait être l'objet d'une
surveillance incessante pour empêcher l'introduction des mar-
chandises étrangères qui inondent déjà les marchés du Sud, et
surtout la contrebande de guerre, d'autant plus redoutable qu’elle
se produirait chez les populations dont la soumission est rendue
plus difficile par le voisinage immédiat de la frontière.
« En résumé, aucun des avantages attribués à la création de la
nouvelle mer ne me paraît pouvoir être sérieusement établi, et les
centaines de millions à consacrer à l’entreprise seraient dépensés
en pure perte pour l'intérêt général. Si cette mer existait, elle
serait même un tel danger pour les intérêts français que je n'hésite
pas à dire qu'il faudrait la combler.
« Pour améliorer les conditions générales de la région et facili-
ter les relations commerciales, on ferait bien plus, comme je l'ai
déjà dit, en multipliant les puits, en rétablissant les puits indi-
gènes effondrés, en plantant des arbres appropriés au climat sur
tous les points où ils peuvent vivre, en aménageant les eaux et en
les distribuant par des aqueducs on des canaux. »
PHYSIQUE DU GLOBE. — Réponse aux observations de M. Cosson sur le
projet de mer saharienne, par M. D'ABBADIE. (Séance du 23 juillet.)
« M. Cosson vient de résumer, sous plusieurs points de vue, ses
objections contre la création d’un bassin maritime dans la région
des chotits. L'Académie me permettra de lui soumettre quelques
réflexions à ce sujet.
« L. En premier lieu, notre confrère n'admet poiut qu'un pareil
bassin puisse changer le climat local. Il me semble téméraire d'é-
mettre cette affirmation jusqu'au jour où l'on pourra présenter,
avec leurs détails, les régimes du vent et de l'évaporation, tant en
plein Sahara que sur tout le pourtour de celte contrée encore im-
parfailement connue.
« Le siroco, cité par M. Cosson comme existant en ces régions,
est un vent très sec venant du Sud ou du Sud-Est. Il est naturel
d'admettre qu’en traversant le golfe artiliciel des chotts ce vent se
chargerait de vapeurs, et que, trouvant au Nord les monts Aurès
sur son passage, il serait arrêté par cet obstacle. Au lieu d'aller
— 330 —
jeter alors, sans profit, sa précieuse humidité dans la Méditecra-
née, il la déposerait sur presque toute la région traversée. On ne
saurait renoncer à cette conclusion qu'après avoir vu prouver, par
des observations précises, que, dans le pays dont il s'agit, léva-
poration d'une nappe d’eau est nulle sous le vent du siroco.
« Dans l’état actuel de la science météorologique, les probabilités
se réunissent pour faire croire qu'un bras de mer dans l’intérieur du
Sahara modifierait heureusement la région immédiatement voisine.
« En attendant que le projet de M. Roudaire passe dans le do-
maine des faits, nous devons remercier M. Cosson d’avoir appelé
l'attention de nos colons sur le rétablissement des barrages antiques
en Algérie. On ne saurait trop insister sur l'utilité de réservoirs
artificiels pour conserver et aménager les eaux qui, dans tout pays
chaud, donnent la vie à l’agriculture. On se demande toutefois si
les sources et les pluies actuelles sufliraient à alimenter utilement
ces réservoirs ou si les lits desséchés de fleuves antiques dans les
ouad Souf et Irgharghar n'étaient pas entretenus jadis par un climat
bien plus humide. |
« Quant à la diminution des phosphates du sol, tant en Sicile
que dans la province de Constantine, n'est-il pas utile d’étayer
cette explication par la citation des expériences précises qui en au-
raient démontré la réalité?
« 2. La deuxième objection regarde le commerce, et M. Cosson
fait observer avec raison qu'il est fort réduit dans le Sahara. Faut:il
conclure de là qu’il n'augmentera jamais, et que sa grande route
pe se dirigera pas vers l'Algérie? I est bien difficile de maintenir
une pareille assertion, car on sait que le commerçant africain,
toujours préoccupé de ses gains, ne compte pas avec le temps, et
que de biens légers avantages au bout de sa route suffisent pour
qu'il préfère un marché à un autre. Dans le Nord de l'Afrique, le
commerce prendra son essor quand il sera affranchi des rivalités
intestines de tribu à tribu et de leurs douanes locales; il n'est pas
rivé pour toujours au Maroc n1 à la Tripolitaine. Enfin il en est dw
commerce comme du drainage agricole : quand on favorise l'écou-
lement, les produits arrivent par mille petits canaux toujours dif-
ficiles à prévoir. Une histoire complète du Sahara, morale autant
que graphique, permettrait seule de raisonner avec un peu de
sureté sur une matière aussi compliquée, où tant de causes diverses
— 331 —
entrent en jeu. On peut au moins admettre que l'ouverture d’une
voie navigable sera toujours un attrait pour un commerçant harassé
par un long parcours terrestre. |
«N'oublions pas qu'avant notre conquête, en 1830, les cara-
vanes du Sud se rendaient en Algérie par Ouargla. Il n'est donc
pas impossible de rendre au commerce ses errements d'autrefois,
tout en facilitant ses voyages jusqu'a nos marchés du littoral, où
les prix de vente et d'achat sont plus avantageux pour les mar-
chands de l’intérieur.
« 3. Il est encore plus aisé d’être affirmatif quant à la question
de salubrité, car on s'appuie sur l’analogie des faits connus. Je ci-
terai ce qui se passe à Mucawwa dans la mer Rouge. La tempéra-
ture moyenne de l’année y est de 31 degrés centigrades, c'est-à-
dire la plus haute qu’on aït encore observée, et pour gagner un
peu de fraîcheur, on a construit, comme habitations, plusieurs
chambres dont le sol est à quelques décimètres au-dessus de la
mer. Il est impossible d’être plus à portée des miasmes, s’il en
existe, car un trou dans le plancher, toujours mal joint, permet
de puiser de l’eau avec une cuiller quand la marée est haute ou
de remuer la vase si la mer est basse. Cependant cette ville, si
resserrée et si chaude, n’est pas insalubre. On y citait des cente-
naires, dont l’un a passé ue partie de sa vie non loin de là, à
Harquyquaw, où la plage a une pente si douce qu’on est toujours
forcé d'y débarquer dans l’eau. L’inondation ou l’exondation de
celte plage n’a jamais été alléguée comme cause d’une endémie,
car il n’en existe point.
« La question est assez importante pour mériter d’être serrée de
près, et je demanderai la production de faits probants avant d’ad-
mettre que l’eau franchement salée puisse exercer une mauvaise
influence sur la santé de l'homme. Partout où j'ai vu l'action délé-
tère de l’eau dans les pays chauds, au Brésil comme en Afrique,
il s'agissait d'eau douce qui s'évaporait lentement. Ce qui se passe
autour des chotts confirme cette conclusion. Les eaux des torrents
qui s'y rendent ne trouvent ni courant, ni marée, ni une issue
quelconque. Elles croupissent sur place et alimentent une végéta-
üon luxuriante de roseaux qui, en prolongeant la durée de l’éva-
poration, la rendent plus délétère. C'est ce qui arrive en été, et
non en hiver, comme M. Cosson le dit par imégarde. Dès le com-
sr TR
mencement du printemps, les indigènes fuient ces lieux empestés
qui, vu leur altitude négative, seraient submergés par la mer pro-
jetée des chotts. Loin d’être une cause de pestilence, celle mer se-
rait un puissant moyen d'assainissement pour une contrée déshé-
-ritée. Si mon savant confrère, qui a dû , comme moi, se préoccuper
de la question des miasmes pendant ses voyages en Afrique, n’ac-
cepte pas mes convictions à cet égard, 1l rendra un service réel à
l'hygiène en prouvant que l'eau salée est, comme l'eau douce, une
source d'infection dans les pays chauds et en montrant pourquoi
elle n'en amène pas autour des plages les plus brülantes de la mer
Rouge.
«4. Il me serait aisé de réfuter les dernières objections de
M. Cosson, mais cela m'amènerait à faire de la politique, et ül
vaut mieux s’en abstenir. »
M. ne Lessers, après avoir donné lecture de la note précédente,
au nom de M. d'Abbadie absent de Paris, ajoute :
« M. d’Abbadie, lorsqu'il m'a envoyé cette note, ne connaissait
pas encore un nouvel écrit de M. Naudin, inséré dans le Compte
rendu de la séance du 9 juillet.
« Je crois donc devoir corroborer les arguments de M. d’Abbadie
par le simple énoncé de faits que j'ai personnellement expéri-
mentés.
«M. Naudin a dit :
« Le plus grand des dangers qui menaceront la mer saharienne
« lui viendra précisément du canal sans lequel elle ne saurait
“exister. Remarquons bien qu'il ne s’agit pas ici d’un canal de
«communication entre deux mers situées au même niveau, comme
« celui de Suez, par exemple, mais d'un canal de remplissage avec
« un courant dont le volume et la vitesse devront être en propor-
« Lion de la capacité du bassin à remplir. :
« Et plus loin : |
« L'eau de mer n’est pas toujours pure; dans les gros temps, les
« vagues qui s'abattent sur les plages y soulèvent de la vase et du
«sable, et elles se troublent sur une zone plus ou moins large, sui-
«vant la force ou la durée de la tempête. Ces eaux troubles entre-
«ront immanquablement dans le canal et iront épaissir la couche
«des sédiments qui, par d’autres causes, se seront déjà déposés dans
« la mer intérieure. Le canal lui-même s’ensablera. Il ne faut pas
— 333 —
« oublier que, si ce canal est un fleuve artificiel, c'est aussi un fleuve
«à rebours, qui tire sa source de la mer au lieu d'y porter ses eaux.
«... La mer intérieure du Sahara ne sera jamais qu’un bassin
« fermé dans lequel s’accumuleront sans cesse et sans relâche des
« dépôts de toute nature... elle s'encombrera inévitablement. . .
«L'énorme travail auquel on se serait livré n’aurait donc abouti
« qu’à créer un immense marais, source de pestilence pour les gé-
«nérations futures. »
« Pendant plusieurs années et dans le cours de nos travaux, le
canal de Suez, aboutissant au vaste bassin du lac Timsah, n'avait
encore aucune communication avec la mer Rouge; cependant l’an-
cien marécage avait disparu, et la mer qui l'avait remplacé était
parfaitement pure el claire, comme toutes les mers, ÿy compris la
mer Morte dont la salure ne permet pas aux poissons d’y vivre,
et qui cependant est d'une limpidité et d’une transparence extraor-
dinaires, tant au milieu que sur les bords. La mer Morte, n'ayant
d'autre affluent que le Jourdain, resserrée de tous côtés entre l’em-
bouchure de ce fleuve et le désert, est soumise à une grande évapo-
ration et n’a point dé dépôts. Elle a aussi ses tempêtes, comme les
bassins du lac Timsah et des lacs Amers, et pourtant ses eaux n’en
sont point troublées. En général, le mouvement des vagues, lors-
qu’elles frappent sur des plages, n'entraîne point de débris, car
‘ Pinclinaison des plages naturelles, qui est ordinairement de 7 mè-
tres de long sur 1 de hauteur, les met à l'abri des érosions. C’est
en imitant la nature que nous avons cherché à établir artificielle-
ment, sur plusieurs points du canal de Suez, des pentes semblables
à celles des rivages de la mer, et nous nous en sommes bien
trouvés. |
«Les variations de niveau des mers extérieures ou intérieures,
provenant de l’évaporation, ne sont pas admissibles, ainsi que l'a
si bien constaté le capitaine américain Maury, dans ses recherches
sur les courants maritimes, recherches qui font loi aujourd'hui.
« Si la mer intérieure saharienne a des marées, elle se trouvera
dans les mêmes conditions que toutes les mers du monde, et no-
tamment le golfe de Gabès, qui jouit du mên:e climat, possède
beaucoup de plages plus basses que les plages futures, et dont le
littoral est très salubre. |
« Mais il est probable qu'il n’y aura pas de marées sensibles
dans la mer intérieure saharienne, parce que l'épanouissement
— 334 —
des eaux dans le bassin des chotts, au sortir du canal de commu-
nication, amortira le courant. Je citerai, comme exemple, ce qui
se passe dans les lacs Âmers, où les marées de la Méditerranée, et
même celles de la mer Rouge, se font à peive sentir.
VARIATION LA PLUS GRANDE DU NIVEAU DES MARÉES
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“ En se plaçant au point de vue de M. Cosson et de M. Naudin,
la mer projelée se trouvera dans de meilleures conditions que le
golfe actuel de Gabès, doni personne ne se plaint.
« Il a éte dit qu'il serait préférable de creuser, sur le versant Sud
de l’Aurès, des puits artésiens au lieu de créer une mer intérieure.
« Dans les terres d’alluvion si riches situées au Nord des chotts,
on a creusé jusqu'à 250 mètres sans rencontrer la nappe arté-
sienne. D'après M. Ville, il faudrait atteindre 300 à 4oo mètres.
« M. Becquerel père a déposé, il y a quelques années, à l'Aca-
démie, le procès-verbal de sondages faits par M. Degousée sur les
côtes du Sénégal. Il résulte de ces sondages que les terrains situés
au-dessous du niveau de la mer ne permettent pas d'obtenir des
puits artésiens. C'est également ce qui a été constaté sur la côte
égyptienne, à Alexandrie, à Damiette et à Port-Saïd.
« Enfin on a objecté que les dattiers de la région des chotts se-
raient exposés à disparaître par l'invasion de la mer intérieure.
Les oasis qui les produisent sont, d’après les nivellements de
M. Roudaire, au-dessus du niveau de la mer, et c'est justément
par cette raison qu'elles sont fertiles, autrement elles participe-
raient à la stérilité des terrains situés au-dessous du niveau de la
mer.
« Le voisinage de la mer n’est pas nuisible au dattier, comme le
craint M. Cosson. C’est sur les bords de la Méditerranée, dans des
terrains salés qui avoisinent le lac Menzaleh, que se recueillent
les meilleures dattes de l'Égypte, dont les arbres forment, sur une
étendue de plusieurs lieues, une véritable forêt de haute futaie. En
Tunisie, les dattes du littoral sont moins savoureuses que celles
du Djerid, parce que ces dernières sont fournies par une variété
de dattiers dont la supériorité est renommée.
— 335 — ’
« Ainsi que je l'ai déjà dit à l'Académie, M. le capitaine Rou-
daire se prépare à entreprendre l'exploration complémentaire qui
lui a été conseillée par le rapporteur de votre commission d'exa-
men. Je crois intéressant pour la science que ses études continuent
à être encouragées, afin qu'il puisse les terminer d’une manière
définitive.
« Il ne peut d’ailleurs que savoir gré à ceux de nos savants con-
frères qui ont opposé des objections et prévu des difficultés pour
la réussite de son projet.
« Dans une entreprise née viable, müûrie par le temps et par un
travail persévérant, il arrive souvent que les obstacles sont les aides
du succès. »
GÉOGRAPHIE ET AGRICULTURE. — Troisième note sur le projet de création
d'une mer sabarienne, par M. E. Cossox. {Séance du 30 juillet 1877.)
« La note que j'ai eu l'honneur de soumettre à l'Académie, dans
sa séance du 2 de ce mois, en réponse à une communication de
M. Roudaire, me paraissait avoir démontré qu'aucun des avantages
attribués à la création de la mer dite intérieure de l'Algérie ou
saharienne n’était établi, et que cette mer, d'une utilité probléma-
tique pour l'intérêt général, constituerait un véritable danger pour
les intérêts français. Dans la dernière séance (23 juillet), deux de
nos éminents confrères, MM. &’Abbagie et de Lesseps, ainsi que
l’auteur même du projet, ont contesté l'exactitude des faits que
j'avais avancés, et révoqué en doute les conséquences que j'en tirais.
Pour ne pas abuser des instants de l’Académie, je présenterai mes
réponses sous la forme collective la plus concise, et dans l’ordre
même que j'ai adopté dans mon précédent article, en évitant de
reproduire les arguments que j'ai déjà exposés avec des détails suffi
sants.
«1. Le climat général de l'Algérie et de la Tunisie ne pourrait,
comme l’a avancé M. Roudaire, être changé par la création d’un
bassin d’une étendue relativement aussi faible que celle de la mer
projetée. La modification du climat local lui-même, que M. d’Ab-
badie paraît seulement admettre, serait nulle ou presque nulle,
ou, si elle se produisait au voisinage immédiat de la mer, elle se-
rait nuisible à la production de 1a datte.
« Je suis loin d’avoir nié l'intensité de l'évaporation dont la nou-
— 3360 —
vellé mer serait le siège, surtout sous l'influence du siroco; cette
intensité d'évaporation serait même un danger, en raison de lé-
tendue des surfaces alternativement inondées et exondées où elle
se produirait. Mais ce que j'ai contesté, c'est que les vapeurs émises
dussent nécessairement retomber en pluies soit dans la région
même de la mer ou dans son voisinage, au lieu de se disséminer
dans le Sahara, de se perdre au-dessus de la Méditerranée ou de
se condenser dans la chaîne de l’Aurès ou ailleurs sur des espaces
limités. Les vapeurs surchauffées par les températures élevées du
Sahara se condenseraient bien plutôt soil sur les versants Nord de
la chaîne de l’Aurès, soit sur les Hauts-Plateaux, où la température
est plus basse, que sur le versant Sud de la chaîne dont la tem-
pérature se rapproche davantage de celle du Sahara lui-même.
M. Naudin a cité l'exemple frappant d'un fait analogue en France:
Béziers, Agde, Narbonne, etc., malgré le voisinage de la mer et
celui des montagnes des Cévennes, qui paraïtraient devoir barrer
les venis chargés de vapeurs maritimes, ont un climat chaud et
très sec, tandis que, au contraire, les plateaux, les versants occi-
dentaux et septentrionaux des Cévennes sont arrosés par des pluies
abondantes et souvent quotidiennes, dont les habitants des loca-
lités situées au Sud de la chaîne ne voient que passer les nuages.
« Pour fertiliser les terres situées entre l’Aurès et le chott Melghir,
il n’est pas besoin de forer les puits artésiens : il suffirait de bien
aménager les eaux fournies par les ravins de l’Aurès, par l'oued
Biskra, par l’oued El-Abiod , l'oued El-Arab, etc. À partir de Chegga,
c'est-à-dire au voisinage du chott, le forage de puits artésiens abon-
dants est partout facile, comme le démontre le nombre des puits
établis ou restaurés par l'Administration française, grâce à l'initia-
tive du général Desvaux, secondé par le regrettable Ch. Laurent
et les dévoués continuateurs de cette œuvre moins grandiose que
la nouvelle mer, mais d’une utilité moins contestable.
«Je n’ai pas dit que le voisinage de la mer soit nécessairement
nuisible au dattier, mais j'ai insisté sur ce fait que l'influence
maritime est généralement défavorable à la production des dattes
des meilleures variétés. Une localité voisine de la mer peut pro-
duire de bonnes dattes si, par la disposition du terrain ou toute
autre cause, elle est soustraite aux vents chargés d'émanations sa-
lines; ce ne serait pas le cas pour les oasis situées au voisinage de
la. mer projetée, où, en raison du nivellement d'un sol sans relè-
— 337 —
vement notable, les vents peuvent se faire sentir indifféremment
dans toutes les directions. Si en Tunisie les dattes du littoral méri-
dional et de l’île de Djerba sont moins savoureuses que celles du
Blad el-Dierid, cela ne tient pas, comme le pense M. de Lesseps,
à ce qu'elles sont fournies par des dattiers de variélés inférieures,
mais bien à ce que les meilleures variétés de dattiers n'y donnent
plus que de moins bons produits. I en est de même à Biskra, à El-
Kantara, à Laghouat, dans tous les Ksour du Sud de la province
d'Oran, c'est-à-dire sur les points où le dattier est à la limite de sa
véritable zone de culture ou dans des conditions défavorables.
« 2. J'ai assez insisté sur le peu d'importance qu’aurait la nou-
velle mer au point de vue commercial pour ne pas revenir sur ce
côté de la question. Je me bornerai à rappeler que les caravanes,
ayant d'immenses distances à parcourir, tiendront toujours, dans
le choix de leur route, plus compte des difficultés de la traversée
des grandes dunes des Areg, qu'elles ont à franchir dans leur plus
grande étendue pour gagner l'Algérie, que de la faible réduction
de trajet résultant de la nouvelle mer, laquelle ne leur éviterait,
du reste, aucuns frais de transbordement. Un autre molif encore
détermine les caravanes à délaisser l'Algérie pour le Maroc et la
Tripolitaine : c'est l'abolition absolue de la traite des nègres dans
nos possessions. Si, avant la domination française, elles se ren-
daient en Algérie par Ouargla, c’est qu’elles y trouvaient un vaste
marché ouvert à la vente des esclaves, principal article d’exporta-
tion du Centre-Afrique.
« 3. Sauf sur quelques points, où il y a mélange des eaux sa-
lées et des eaux douces fournies par des sources ou des puits effon-
drés, points où croissent les grands roseaux dont parle M. Rou-
daire, les bords du chott Melghir n’offrent que les plantes
caractéristiques des terrains fortement salés, telles que des Suæda,
des Salsola, des Atriplex, des Caroxylon, des Arthrocnemum, etc. ,
qui y acquièrent un développement exceptionnel. Cette végétation
révèle la salure intense des eaux qui s'accumulent dans le lit du
chott en hiver. En été, ce lit est à sec, et, dès le mois d'avril, il est
souvent presque desséché, ainsi que j'ai pu le constater; l'extrême
salure des eaux ou la couche de sel qui-le recouvre en rend alors
le voisinage moins dangereux que celui des mares d’eau douce,
des puits artésiens effondrés ou des eaux que les indigènes laissent
MISS. SCIENT. — VII. 22
— 338 —
croupir dans les canaux d'irrigation (saguias) de leurs oasis. Avec
la mer nouvelle, le danger, qui actuellement n’est que temporaire,
deviendrait permanent, car il y aurait constamment et en toules
saisons des variations de niveau. L'influence du flux et du reflux,
celle des vents si intenses dans cette région et d’autres causes amè-
neraient l'exondation et la submersion alternalives d'immenses
plages vaseuses à pentes presque insensibles qui, comme Pa dit
M. Naudin, seraient une véritable cause de pestilence.
« La nouvelle mer-ne pouvant, comme Île reconnaît M: Rou-
daire , subvenir à l'immense évaporation de sa surface que par la
rapidité du courant qui devrait s’y établir de Ja Méditerranée à ses
plages occidentales, serait, pour me servir de l'expression carac-
téristique de M. Naudin, un immense fleuve & rebours; dans sa
partie occidentale algérienne, les alluvions et les détritus de toutes
sortes viendraient incessamment s'accumuler et augmenter encore
les causes d’insalubrité, en formant barrage à l'écoulement des eaux
douces fournies par les innombrables ravins, par les saguias et par
les puits effondrés, qui actuellement se déversent dans le chott.
«On sait que c’est surtout le mélange des eaux salées et des
eaux douces qui, dans les pays chauds, amène les plus grands
dangers d'infection paludéenne. Dans l'état actuel, on peut v re-
médier par le boisement, par la plantation d'oasis nouvelles, par
l'aménagement des eaux douces que l'on emploiera à l'irrigation
ou que l'on concentrera dans des espaces limités au moyen de
fossés ou de tranchées; mais 11 n’en serait plus de même lorsque
par d'immenses travaux de creusement on aurait amené la con-
fluence de l’eau de mer avec les eaux douces qui existent généra-
lement à une faible profondeur, comme le reconnaît M. Roudaire,
et comme je l'ai constaté moi-même.
«4. Je n'ai pas à revenir sur les considérations que j'ai exposées
pour montrer que la mer rêvée, loin d'assurer la sécurité de notre
domination, serait pour elle un danger permanent. Ces considé-
rations n’ont pas besoin d’être plus explicites pour être évidentes.
«Les explorations complémentaires que M. le capitaine Rou-
daire se propose d'entreprendre auront sans doute une importance
scientifique, la Commission de l’Académie chargée de l'examen
des travaux de nivellement qu'il a déjà exécutés en a reconnu l’in-
térêt; mais, sans attendre les résultats des nouvelles recherches,
— 339 —
je n'hésite pas à affirmer que les avantages attribués au projet ne
paraissent pas supporler une discussion sérieuse.
«La connaissance du pays et mes études sur la région me dé-
montrent toute la valeur des réserves faites par notre illustre se-
crétaire perpétuel M. Dumas et par notre éminent confrère
M. Daubrée. Je me propose de reprendre la question lorsque
M. Roudaire aura terminé son travail d'ensemble; il me sera fa-
cile de démontrer par ‘les faits qu'il a constatés lui-même la
presque impossibilité de la réalisation de la mer projetée. Les
avantages hypothétiques du projet ne sauraient d’ailleurs être mis
en parallèle avec l’énormilé de la dépense, avec les inconvénients
et les dangers qu'entraînerait sa réalisation. »
PHYSIQUE DU GLOBE. — Réponse à quelques-unes des objections formulées
par M. Cossox contre le projet de création d'une mer saharienue, par
M. Roupaire. {Séance du 6 août 1877.)
«M. pe Lesseps déclare, en présentani cette note, que, dans la
dernière séance de l'Académie, il n’a pas voulu répondre aux obser-
vations de M. Cosson au sujet du projet de remplissage des chotis
tunisiens et algériens, parce qu'il lui semblait que les objections
présentées contre le projet avaient été-suffisamment réfutées; mais,
ajoute-t-il, je ne puis me dispenser de communiquer une note de
M: Roudaire , qui demande la parole pour un fait personnel. Il s’agit
de certaines indications qu'il avait données sur d'anciens lits de ri-
vières et dout on avait contesté l'exactitude. Cet officier distingué,
dont les études ont été faites si consciencieusement, établit, dans
la note suivante , les preuves qui viennent à l'appui de son opinion.
NOTE DE M. ROUDAIRE 1.
« MM. Yvon Villarceau et Favé, dit M. Roudaire, ont résumé les
travaux de la Commission dans des rapports dont l’Académie a
adopté les conclusions.
« La Commission, il est vrai, a exprimé le désir de voir com-
pléterles travaux de nivellement par des sondages. J'ai accueilli
ce conseil avec la plus grande déférence, et j'ai pris immédiatement
la résolution de my conformer et de retourner l'hiver prochain
dans la région des chotts.
! L'objection à laquelle ceite note répondait avait été faite devant l'Académie
des sciences, mais elle n’a pas été msérée dans les Comptes rendus.
22,
— 9340 —
« Ces sondages sont uniquement destinés à faire connaître exac-
tement les diMcultés d'exécution. Mais ce n’est pas de ces difficultés
que M. Cosson se préoccupe, puisque, selon lui, si la mer inté-
rieure existait, 11 faudrait la combler: c’est donc contre les avan-
tages du projet, c'est-à-dire contre l'opinion exprimée par la majo-
rité de la Commission qu'il s'élève, et c'est celte opinion que je
me contenterai de lui opposer.
«Je ne puis cependant, sans y répondre, laisser avancer que j'ai
commis une erreur en disant que l’oued Souf et l’ouea Igharghar
étaient autrefois de grands fleuves.
« L'oued Souf est presque complètement envahi, il est vrai, par
les sables: mais on trouve encore des iraces de son lit à Amiech,
qui n’est qu'un faubourg d'Et-Oued, et jusque vers Rhadamès,
dans la vallée de Bir Ghardeïa. De nombreuses traditions arabes
viennent d’ailleurs à l'appui des faits observés. Dans son ouvrage
Le Sahara de la province de Constantine !, M. W. Ragot assimile
l'oued Souf au quatrième embranchement du Gir de Ptolémée ;
M. Largeau, de son côté?, l'identifie avec le fleuve Triton des
anciens; mais ce qui ne fait de doute pour aucun explorateur,
c'est que la vallée du Souf était occupée par un grand cours d’eau.
« Dans son ouvrage Les Touaregs du Nord, M.H. Duveyrier com-
mence ainsi le chapitre intitulé Hydrographie :
« Du Ahaggàr et du Tasili descendent trois longues vallées : lune
«au Nord, l'ouàdi /gharghar ; l'autre au Sud, louàdi Tafassàset; la
« troisième à l'Ouest, l'ouàdi Tirhéret. Elles méritent une atten-
«tion particulière comme principales gouttières d'écoulement des
«eaux de cette partie du Sahara. Les lits de ces ouddis, aujourd’hui à
«a sec, ont dû étre autrefois des rivières importantes. »
«Le cheik Othman des Touaregs, qui vint à Alger au com-
mencement de 1864, disait que le lit de l'Igharghar était encore
parfaitement dessiné el que l'on pouvait en suivre le cours depuis
son origine (le massif de l’Ahaggàr) jusqu’à l'oued Rir. Dans le
voyage qu'il a fait à Rhadamès, M. Largeau put se convaincre de
l'exactitude de ces renseignements; il a donné, dans les chapitres,
in et 1 de la deuxième partie de la relation de son voyage, des
descriptions précises du lit de ce fleuve que les Arabes lui dési-
gnaient sous le nom de fleuve Mort. » |
5 Pages 54 el suiv. #
? Le Sahara, deuxième voyage d'exploration, p.235 et 474.
— 341 —
«Je pourrais mulliplier les citations, mais celles-ci suffisent à
démontrer que je ne me suis pas avancé à la légère. »
PHYSIQUE DU GLOBE. — Le régime des vents et l'évaporation dans la région
des chotts algériens. (Note de M. À. Axcor. — Séance du 13 aoüt1877.)
«Dans la séance du 28 mai dernier, à propos des réserves ex-
primées par M. Dumas sur le projet de création d’une mer inté-
rieure en Algérie, M. d'Abbadie émettait le vœu que des éludes
fussent faites sur le régime des vents dans la région des chotts. Les
données à cet égard ne manquent pas entièrement : on peut les
trouver dans les publications du service météorologique algérien,
organisé, il y a trois ans, par les soins persévérants de M. Charles
Sainte-Claire Deville , et qui fonctionne avec une régularité remar-
quable sous les ordres du général commandant supérieur du génie
et sous Ja direction spéciale de M. le commandant Bongarçon,
chef d'état-major du génie en Algérie.
«Chargé, presque dès l'origine, par M. Charles Sainte-Claire
Deville de centraliser les observations algériennes et d’en diriger
la publication, j'espère pouvoir présenter prochainement un tra-
vail d'ensemble sur le régime des vents dans le Nord de l'Afrique;
mais je crois bon de publier dès maintenant quelques données
plus spécialement relatives au projet qui intéresse actuellement
l'Académie.
« La région des chotts est bornée, on le sait, du Nord-Est à
l'Ouest par les monts Aurès et le Grand-Atlas; au Sud, elle ouvre
directement sur le Sahara. Du Nord-Est à l'Ouest, l'air est ainsi
constamment refroidi par les montagnes, tandis qu'au Sud il s’é-
chauffe au contact du désert. D’après les lois ordinaires de la cir-
culation atmosphérique, l'air doit affluer des régions froides vers
les régions chaudes, ce qui tend à produire au-dessus des chotts
un veut général compris entre le Nord-Est et l'Ouest, avec prédo-
minance du Nord-Ouest. À ce courant doivent se joindre des vents
d'Est venant du golfe de Gabès, qui s’échauffe, surtout en été,
moins que le Sahara. Cette explication est, du reste, conforme
à tous les faits connus : les importantes recherches de M. Brault
sur le régime des vents dans l'Atlantique Nord ont parfaitement
montré le rôle que joue, sur la côte occidentale d'Afrique, le Sa-
hara comme point de convergence des vents.
«On ne saurait donc, à priori, compter, pour la région des
— 342 —
chotts, sur des vents du Sud, Sud-Ouest et Sud-Est, qui, dans la
pensée de M. Roudaire !, seraient les vents dominants de cette
contrée. L'observation ne fait que justifier les prévisions énoncées
plus haut. |
« Considérons, en effet, la ville de Biskra, qui se trouve au
Nord-Ouest des chotts, à mi-chemin entre leur extrémité occiden-
tale et l'Atlas. On y possède une série régulière d'observations faites
trois fois par jour, à 7 heures du matin, 1 heure et 7 heures
du soir. Cette série a commencé le 1°” janvier 1874 et est faite
par des adjoints du génie, observateurs exacts et consciencieux.
Le dépouillement des feuilles d'observations m'a permis de former
les tableaux suivants, qui donnent, pour chaque saison, la propor-
tion des huit vents principaux sur cent vents observés réellement,
c'est-à-dire en ne faisant pas entrer les calmes dans la somme.
BISKRA.
PROPORTION DE CHAQUE VENT SUR CENT OBSERVATIONS &
Hiver. ...
Printemps.
3
7
.
L2
D OO & I
OT D
RE SRE RES 5r NAS pq AIT. NES La des
Comptes ren«œus | seance AU 29 juin 1077: P- O1?
Conformement aux habitudes qui prévalent maintenant en météorologie, les
— 343 —
« Quant à la proportion des calmes au nombre total des obser-
valions, elle est en moyenne de 17 p. 0/0.
« Les résultats seront encore plus frappants si l'on groupe d’une
part les vents de N.E., N. et N. W., et de l’autre ceux deS. E., S.
et S. W.; on obtient ainsi les nombres suivants :
PROPORTION , SUR CENT VENTS OBSERVES.
r
Hiver. Printemps. Etc. Automne. Annee.
NE, Net NW. g7:7.- - 68,9: - : 5750 - + 47/6 40,3
co
A C7 It ee
_« Les vents favorables au projet de M. Roudaire sont aux vents
défavorables dans le rapport de 1 à 9.4, au moins pour la période
considérée. En admettant la possibilité du remplissage, les vapeurs
qu'ils émettraient seraient donc emportées presque totalement vers
le Sahara, sans profit pour l'Algérie !.
« Quant à l’évaporation, elle intervient plutôt comme cause dé-
favorable, et les chiffres sont doubles de ceux que l’on avait sup-
posés jusqu'ici. Les observations faites avec l’évaporomètre Piche,
qui représente à peu près, on le sait, l'évaporation à la surface
d'une nappe d’eau, donnent les nombres suivants :
ÉPAISSEUR, EN MILLIMÈTRES, DE LA COUCHE D'EAU ÉVAPORÉE EN MOYENNE
PAR JOUR.
1874. 1875. 1876.
da eng aue Aide : Que 3,2 3,8 2,8
Ldéoto cata ee - Lea re 3 LA ed Le 2) 4,9 gi
MES A0 SON DE EU UC 028 DO 4,8 6,3
vents d'Ouest sont désignés, dans les tableaux, par la lettre W. La lettre O avait
l'inconvénient de désigner à la fois l'Ouest en français et l'Est (651) dans les pu-
blications faites en langue allemande.
De même, nous avons conservé la division météorologique de l’année, com-
mençant le 1° décembre, de façon que lhiver comprenne les trois’ mois froids
(décembre, janvier, février), ct l'été les trois mois chauds (juin, juillet, août).
1 Les observations faites dans un autre endroit de Biskra semblent donner
une proportion un peu plus grande de vents de S.K. Mais les vents de N. W.
restent toujours de beaucoup les plus nombreux ; cette deuxième série, du reste,
est trop incomplète, jusqu'à ce jour, pour fournir des résultats importants. S'il
m'est possible d'obtenir les mois d'observations qui ne me sont pas parvenus, je
publierai les résultats de la comparaison entre les deux stations et ceux d’autres
observations faites il y a bientôt trente ans.
1574 1875 1876
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Moyenne de l’année... ... 6,3 5,8 6,9
« Comme on le voit, c’est a une moyenne de plus de 6 millimètres
qu'il faut estimer la couche d’eau enlevée en vingt-quatre heures,
par l'évaporation, à la mer projetée; cela porterait au moins à
78 millions de mètres cubes la quantité d'eau que le canal de
communication devrait laisser écouler chaque jour pour maintenir
constant le niveau de la mer saharienne. »
PHYSIQUE DU GLOBE. — Réponse à une communication récente de M. Axcor
sur l’évaporation dans la région des chotts algériens. (Note de M. Rouparre,
présentée par M. Yvon ViHarceau. — Séance du 17 août 1877.)
«Le 13 août dernier, M. Angot a fait, à l'Académie des sciences,
une communication de laquelle il semble résulter :
«1° Que les vents du Sud soufflent exceptionnellement dans la
région des chotts;
« 2° Que lévaporation enlèverait, en vingt-quatre heures, à la
mer intérieure, une couche de 0”,006 de hauteur, et par consé-
quent double de celle que j'ai prévue.
« Les observations météorologiques d'où ces conclusions sont dé-
duites paraissent probantes. Je vais démontrer qu'on serait étran-
gement induit en erreur en les considérant comme telles.
« 1. Direction des vents. — Les observations relatives à la direc-
lion des vents, sur lesquelles s'appuie M. Angot, ont été faites à
Biskra. En consultant la carte du Dépôt de la guerre, on voit que
cette ville est située sur la bissectrice et vers le sommet d’un angle
formé par les chaînes du Matraf et du Bourzel d’une part, et par
© Nombre interpolé, par suite du manque d'observations en septembre 1875.
— 9345 —
les derniers contreforts de l’Aurès d'autre part. Les vents de Sud,
de Sud-Est et de Sud-Ouest, en s'engageant dans cet angle ouvert
du côté du Sud, y subissent des déviations successives; 1l se pro-
duit même, vers le somunet de l'angle, à Biskra, des mouvements
giratoires; de sorte que la direction du vent varie suivant le point
où l’on est placé. Ce fait ressort de la communication même de
M. Angot, qui, dans la note de la page 399 des Comptes rendus,
déclare que les observations faites à Biskra, en deux points diffé-
rents, n'ont pas donné les mêmes résultats. En 1874, je m'étais
rendu compte de ces déviations : étant à Biskra, je remarquai que
le siroco, bien facile à reconnaître à sa sécheresse et à sa tempé-
ralure élevée, semblait venir de l'Ouest et même du Nord-Ouest.
Plus tard, en comparant les observations que nous avions failes
sur le bord des chotts aux observations correspondantes faites
à Biskra, je constatai que les résultats ne présentaient pas la
moindre concordance. Des vents de Sud et de Sud-Ouest étaient
devenus, à, Biskra, des vents d'Ouest et de Nord-Ouest. Aussi,
quoique connaissant les observalions invoquées par M. Angot, je
savais qu'il était impossible d'en déduire le régime des vents de la
région des chotts. |
« Mais, à défaut d'observations régulières faites dans cette région,
nous avons les dunes, dont le témoignage ne saurait être contesté.
On sait que ces monticules de sable se déplacent lentement, suivant
la direction que leur imprime la résultante générale des vents, et
qu'ils se disposent de manière à lourner leur talus le plus doux
vers celte résultante, c'est-à-dire vers les vents dominants. Or ce
talus est, ainsi que je l'ai déja dit souvent, presque toujours tourné
vers le Sud-Est, le Sud ou le Sud-Ouest. À l'appui de mes propres
observations, je citerai le passage suivant, extrait d’une commu-
nication faite à la Société de géographie par M. Largeau : «Près
« de l'Oued, dit cet observateur consciencieux, les dunes sont dis-
« posées en longues veines, hautes de 10 à 15 mètres, dont {a di-
« reclion invariable est du Nord-Est au Sud-Ouest; ce qui est une
« preuve qu'elles sont formées par les venis de Sud-Ouest.
« La: ville d'El-Oued, dont il est ici question, est située dans le
Souf, au Sud du chott Melrir. Il n’y a pas, dans le voisinage, de
montagues qui fassent dévier les vents, comme à Biskra, et l’on
* Bulletin de la Société de géographie (novembre 1875), p. 513.
— 316 —
voit que c'est incontestablement le vent de Sud-Ouest qui y est le
vent dominant.
« Des observations régulières faites dans la région des chotts, à
une distance convenable de l’Aurès, feront seules connaître exac-
tement dans quelle proportion soufflent les vents du Sud. Je me
propose d'étudier la question avec soin, dès que je retournerai
dans les chotts; mais 1l serait vivement à désirer que le service
météorologique de l'Algérie, si dévoué à la science, püt créer des
stations à El-Oued et à Touggourt. Ces deux villes, il est vrai, ne
sont habitées que par des Arabes; mais ne pourrait-on pas y in-
staller des appareils enregistreurs?
«2. Évaporation. — Rien n'est plus facile de répondre à la
deuxième objection de M. Angot.
«En 1874 et 1875, j'ai fait moi-même, dans la région des
chotts, avec l'évaporomètre Piche, des observations qui m'ont pré-
cisément donné les résultats fournis par M. Angot. J'en ai conclu
les rapports qui existent entre les couches d’eau évaporées par telle
ou telle température, par tel ou tel vent. C'est ainsi que j'ai re-
connu que l’évaporaiion moyenne est doublée les jours de siroco;
mais il ne n'est jamais venu à l'esprit de considérer les chiffres
obtenus en observant une surface de 5 ou 6 centimètres carrés,
somme représentant l'évaporation qui se produirait sur de grandes
surfaces salées. Pour démontrer combien une semblable interpré-
tation serait fausse, il suffit de citer ce qui s’est passé pendant le
remplissage des lacs Amers :
« Du 7 au 15 juillet, le déversoir {destiné à régler l'introduction
«des eaux) n'avait fonctionné qu'avec un très petit nombre d’ai-
«guilles levées, et le niveau était resté stationnaire dans les lacs.
« L'introduction avait été déterminée par le calcul à 3,540,942 mè-
«tres cubes, soit, en chiffres ronds, à 400,000 mètres cubes par
«jour. Ce dernier chiffre donne donc la quantité d’eau absorbée
«par l'évaporation qui, d’après la surface correspondante, produisait
« 0,003 à 0",0035 de dénivellation pendant vingt-quatre heures, el
«cela pendant le mois le plus chaud de l'année.
« Ce résultat justifiait les prévisions des ingénieurs qui avaient déclaré
«que le chiffre 0",020 1, admis comme chiffre moyen de l'évaporation
‘ Ce chiffre avait été deduit d'observations faites avec des évaporomètres:
— 947 —
een Égypte, ne serail jamais atleint, vu la couche d'air humide qui
« devait recouvrir la surface des lacs Amers et le degré de salure des
« eaux |.
« Toutes les observations faites, depuis cette époque, par les
ingénieurs de la Compagnie de Suez, ont donné le même résultat.
Les lacs Amers sont les seules grandes surfaces sur lesquelles il ait
été possible d'observer, avec précision, la hauteur de la couche
d'eau enlevée par l’évaporation. Le bassin des chotts étant situé à
peu près sous la même latitude, et jouissant d’un climat analogue,
on peut aflirmer que l'évaporation moyenne sera également de
3 millimètres, chiffre sur lequel j'ai basé tous mes calculs.
PHYSIQUE DU GLOBE. — Sur le régime des vents dans la région des chotts
algériens. {Note de M. À. Axcor. — Séance de septembre 1877.)
«Dans une note présentée à la séance dernière, M. Roudaire
attribue à la position particulière de Biskra la grande fréquence
des vents de N. W., N.et N.E, que les observalions avaient révélée
pour cette ville. J'avais indiqué moi-même la possibilité d’influences
locales; mais, avant de publier aucun chiffre, je m'étais assuré que
ces influences, si elles existent, sont extrêmement fables.
« Je ne puis mieux faire, pour le montrer, que de donner les
observations faites à Touggour! pendant les mois de mars, avril et
«mat des années 1974, 1875 et 1876. Touggourt étant un des
points que M. Roudaire indique lui-même comme un de ceux où
il désire voir faire des observations, j'espère que les nombres sui-
vants paraïtront dignes d'intérêt.
« Sur cent observations effectives faites au printemps à Toug-
gourt, la proportion de chaque vent est la suivante :
N° N° E. E. SPORTS SPA En entente
— — — s%y0— — — —
1974... open 25,8. 6,8 6 dore si 610427. 4130:6
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MOYENNE. ..... QT D, 00 6,9» ..3,8 08-219 008 05/1
| ess
« Si l'on se reporte au tableau publié dans la séance du 13 août
(p. 342), et que, pour simplifier, on réunisse, d'une part, les
L Le Percement de l'isthme de Suez, par L. Monteil , ingénieur de la Compagnie
de-Suez
— 348 —
vents de N. W., N. et N. E., de l’autre ceux deS. E., S. et S. W.,
on trouve que sur Cent vents il en a soufflé, au printemps :
DuN.W.,N.etN.E DusS.E.,S.etS.W.
À Touggourt.............. td: HO 20,5
RENE AE eau ge Er 6,9
« Les influences locales dont parle M. Roudaire ne portent
donc que sur les vents d’Est ou d'Ouest, et ne modifient nullement
la fréquence des vents de la région du Nord. Ces derniers dominent
toujours, à Biskra comme à Touggourt, c’est-à-dire dans la région
des chotts qui s'étend entre ces deux villes. L'examen des obser-
vations individuelles, et non plus des moyennes, conduirait exac-
tement au même résultat,
« C’est seulement après avoir constaté cette concordance entre
les observations des deux stations que j'ai publié, de préférence,
les nombres de Biskra, les observations n'ayant pas été continuées
régulièrement à Touggourt pendant tous les mois de l'année.
« Quant à l’évaporation, les chiffres donnés par lévaporomètre
Piche concordent généralement avec ceux que fournit l'observation
directe à la surface de grandes nappes d’eau. Ils sont même souvent
plus faibles, surtout pendant la saison chaude, d'appareil se refroi-
dissant, par l’évaporation même, d'une manière notable. Il n'y a
donc pas de raison actuelle pour rejeter les observations d'évapo-
ration faites à Biskra. La comparaison avec ce quise passe aux lacs
Amers ne saurait avoir ici aucune valeur. Sans discuter, en effet,
le degré de précision des chiffres invoqués par M. Roudaire et qui
semblent très vraisemblables, il est clair que les conditions d’éva-
poration aux lacs Amers et dans les chotts sont absolument diffé-
rentes. Les premiers sont dans le voisinage immédiat de la mer
Rouge, dont l'atmosphère extraordinairement humide est bien
connue de tous ceux qui l'ont traversée. Les chotts, au contraire,
se trouvent en plein Sahara, la région la plus sèche du monde
entier.
« Comme M. Roudaire, je serai heureux que des observations
régulières soient continuées, pour augmenter la valeur de celles
que nous avons déjà; et, si j'ai publié ces dernières, c'est beaucoup
plutôt pour en indiquer l'existence, à laquelle personne n'avait
encore fait allusion, que pour ouvrir un nouveau débat sur une
question qui en déjà provoqué un si grand nombre. »
— 919 —
PHYSIQUE DU GLOBE. — Réponse à la dernière note de M. Axcor sur le
régime des vents dans la région des chotts algériens, par M. RoupaIRE, com-
muniquée par M. Yvon Villar ceau. (Séance a 1°" octobre 1877.)
« Dans sa dernière note, M. Angot a 1 cité les observations faites
à Tousgourt pendant les mois de mars, d'avril et de mai 1874,
1875 ct 1876. Ces observations étant incomplètes, puisqu'elles
n'embrassent que cinq mois de l’année, il est impossible d’en dé-
duire le régime général des vents qui règnent à Touggourt, mais
elles n’en démontrent pas moins que dans la même période les
vents de Sud-Est, de Sud et de Sud-Ouest ont soufflé à Touggourt
dans la proportion de 20,5 p. o/o, tandis qu'ils ue soufflaient à
Biskra que dans la proportion de 6,9 p. 0/0. J'avais donc raison
d'affirmer que les observations faites dans cette dernière ville, ob-
servations sur lesquelles M. Angot s'était appuyé dans sa première
note, n'avaient aucune valeur sérieuse. Dans cette même note,
M. Angot avait invoqué les Importantes recherches de M. Brault. J'ai
lenu moi-même à consulter ce savant officier de marine. Voici ce
qu'il a bien voulu me répondre :
« Vous me faites l'honneur de me demander ce que je pense des
« objections que vous a présentées M. Angot.
« Voici ma réponse :
« Et tout d’abord il ne m'appartient pas de juger l'ensemble de
« votre projet; aussi me bornerai-je à la question posée, qui est
« une question de météorologie.
« Tout en remerciant M. Angot de la façon dont il qualifie mes
«travaux, je me permetirai de faire remarquer qu'il va peut-être
«un peu loin en donnant à penser que ces travaux prouvent ce
« qu'il avance.
« Ni M. Angot ni moi ne connaissons le régime des vents de la
«région des chotts; et ni M. Angot ni moi ne saurions le con-
«clure des observations qu'il a présentées dans ses deux dernières
« notes à l’Académie, pas plus que des miennes.
«Il s’agit d’un pays où les influences locales peuvent être pré-
« pondérantes (voilà ce qui aurait dû frapper M. Angot) et où l'ob-
«servation directe peut seule décider.
« Biskra est mal situé, Touggqourt est trop éloigné.
«Je dirai plus. Si actuellement les vents qui règnent sur les
«chotts sont généralement faibles, je ne crois pas que l'on puisse
«affirmer que la création d’une mer intérieure au Sud des monts
— 350 —
« Aurès {qui sont, il faut le remarquer, dirigés presque Estet Ouest)
«ne serait pas une cause suffisante pour modifier le régime des
« vents de ces parages au moins dans les alentours de la mer inté-
«Trieure.
« Quant à ce qui est du siroco, je ne vois pas non plus comi-
« ment on pourrait nier à priori l'heureuse influence qu'apportera
«sans doute la présence de la mer intérieure sur ce vent dont la
«sécheresse est parfois si désastreuse pour notre colonie.
«En résumé, Monsieur, si d’ane part il me semble évident
«qu'au point de vue météorologique les études de votre projet
«ont besoin d'être complétées, comme vous êtes du reste le
« premier à le dire, d'autre part je reste convaincu que ni M.'An-
«got ni moi n'avons encore publié de documents qui permettent
« de contredire sérieusement ce que vous avez avancé. » |
« Je n'ajouterai rien à cette lettre. Je ferai seulement remarquer
que M. Brault trouve Touggaurt trop éloigné de la région des
chotts. Il est en cela d’un avis contraire à celui que j'avais
exprimé, en indiquant cette ville comme un point où il était utile
de faire des observations. M. Brault a fait une étude trop complète
du régime des vents pour que je n'accepte pas son opinion.
« En ce qui concerne l'évaporation sur laquelle M. Angot revient,
n'est-il pas évident qu'elle est nécessairement moins active sur de
grandes surfaces, au-dessus desquelles règne toujours une couche
d'air humide, que sur de petites surfaces en contact avec un air
relativement sec qui se renouvelle constamment? Je demanderai
en outre à M. Angot comment il lui a été possible de constater que
les chiffres donnés par l’évaporomètre Piche concordent avec ceux
que fournit l'observation directe sur de grandes surfaces. Quelles
sont donc les grandes surfaces salées (je parle de surfaces de plusieurs
centaines de kilomètres carrés) où l'on ait pu faire des observa-
tions précises, en tenant compte des pluies qui y tombent ou des
fleuves qui s’y déversent. Les lacs Amers sont, je le crois, le seul
exemple que l’on puisse citer. C’est en observant des surfaces res-
treintes, comme celles des évaporomètres et des canaux que l'on
avait trouvé 0",020, pour évaporation moyenne en Égypte, tandis
qu'elle n’est en réalité sur les lacs Amers ep de 0",0035 pendant
le mois le plus chaud de l'année.
« C'est en s'appuyant sur le chiffre 0°,020 que des ingénieurs
avaient prouvé, dans de longs mémoires, que les lacs Amers ne
— 351 —
se rempliraient jamais, tandis que la rapidité du remplissage à
dépassé les prévisions les plus favorables.
« Si j'insiste sur ce point, ce n’est pas que je considérerais une
évaporation de 0",006 comme un obstacle à la réalisation du pro-
jet; je n’y verrais qu'un avantage plus grand au point de vue de
l'influence heureuse que la mer intérieure exercerait sur le climat
des régions voisines; mais les observations faites sur les lacs Amers,
placés, quoi qu'on en puisse dire, dans les mêmes conditions cli-
matériques que les chotts, ne de pas de prévoir une éva-
poration moyenne supérieure à 0°,003. »
Je dois aujourd’hui compléter la réponse que Je faisais à M. An-
got le 1°" octobre 1877, en ajoutant que les observations faites,
pendant la dernière expédition!, sur la direction des vents et
l'évaporation m'ont donné complètement raison. Ën groupant les
premières, comme fa fait M. Angot, on obtient les résultats sui-
vants, bien différents de ceux qu'il a déduits des observations
faites à Biskra
) PROPORTION
SUR CENT VENTS OBSERVES.
—
Hiver. Printemps. 6 mois.
— — —
Na EN: EF, et Nu oh 29:00:44 29:00 29,00
D CE ete D 760. 308n dB
Ce tableau, comme on le voit, fait ressortir une prédominance
marquée des vents de la région Sud sur ceux de la région Nord.
Les observations journalières que nous avons faites pendant les
mois de janvier, février et mars sur l’évaporation de l'eau douce
et celle de l'eau de mer ont donné, d'autre part, pour l’eau douce
une moyenne de 7"",24, et pour l’eau de mer une moyenne de
4%®,82 seulement?. Ce résultat prouve surabondamment qu'on
commet une grave erreur en partant des observations faites avec
l'évaporomètre Piche pour en déduire l'évaporation qui se produit à
la surface des mers, puisque, méme en petite quantité, l'eau de mer
s'évapore beaucoup moins vite que l’eau douce. Or, c'est toujours
d’eau douce qu'on se sert pour garnir les évaporomiètres Piche.
Avec l'eau de mer, le sel obstrue bientôt les pores de la rondelle de
carton et l'appareil ne fonctionne plus. La conclusion à tirer de
ces faits est que nous devons nous en tenir aux seules observa-
1! Voir page 256.
2? Voir page 255.
— 352 —
tions précises qui aient été faites sur de grandes surfaces d'eau
de mer, c'est-à-dire aux observations qui ont été faites pendant le
remplissage des lacs Amers !, Le bassin des chotts étant situé sous
la même latitude et dans les mêmes conditions climatériques,
je maintiens, ainsi que je l’avais avancé dans mon dernier rapport,
que l’évaporation y sera d'un mètre par an.
PHYSIQUE DU GLOBE. — Observations sur le projet de la création d’une mer
intérieure dans le Sahara oriental, par MM. Cm. Mars et En. Desor.
(Séance du 10 février 1879.)
« Dans l'hiver de 1863, nous nous rendions à Biskra avec notre
regrettable ami Arnold Escher von der Linth, afin d’avoir une
idée de la physionomie du Sahara algérien. À Constantine, M. le
général Desvaux, gouverneur de la province, voulut bien nous
engager à prolonger notre voyage jusqu'à Touggourt et à pénétrer
dans le désert de sable appelé Oued Souf. Il fit plus. Il nous donna
pour guide le capitaine d’artillerie Zickel, qui avait déjà exécuté
dans le Sahara un certain nombre de forages artésiens sur le trajet
que nous devions parcourir. Nous fimes ainsi tout le tour du lac Salé
ou chott Melrir, moitié occidentale de ia mer saharienne, dont M. le
capitaine Roudaire propose le rétablissement. Le monde savant tout
entier applaudit aux études préparatoires si persévérantes etsi mé-
ritoires de cet officier et de ses collaborateurs. À yant parcouru ces
contrées, nous pouvons, mieux que ceux qui ne les ont pas isi-
tées, nous rendre compte des difficultés à vaincre, des dangers à
courir, des fatigues à supporter pour dresser la carte et déterminer
l'altitude négative de ces lacs salés séparés par des terres boueuses,
hantées par la fièvre ou bordées de dunes mobiles bouleversées
par le souffle brûlant du simoun. Tant qu'il n'a été question que
d’études de géographie physique, nous avons gardé le silence;
mais, depuis que l'autorité du grand nom de M. de Lesseps semble
aux yeux du public assurer la réalisation de ce projet gigantesque,
nous croyons devoir joindre notre faible voix à celles de MM. Du-
mas, Daubrée, Fuchs, Pomel, Naudin et Cosson pour présenter
quelques objections qui nous ont été suggérées par nos explora-
tions et la lecture des rapports de M. Roudaire.
«a Nous ne mettons point en doute le soin apporté aux nivelle-
ments nécessaires pour déterminer les côtes du bord des chotts
.! Voir page 346.
2
— 953 —
ou lacs salés qui s'étendent de loued Rir au golfe de Gabès,
et dont la surface est à un niveau inférieur à celui de la Méditer-
ranée. Leur exactitude est la base de tout le projet, et, comme il
s’agit ici de différences de niveau qui, suivant M. Roudaire lui-
même, ne dépassent pas 31",5 à l'angle Nord-Ouest du chott
Melrir, on conçoit que des erreurs de 1 ou 2 mètres auraient, dans
un pays aussi plat, les plus graves conséquences pour déterminer
l'étendue de la surface submersible, le tirant d’eau des navires et
même des bateaux à l'approche du rivage , ainsi que la préservation
des oasis voisines. Or, si l'on admire, à juste titre, la rigueur
exceplionnelle du nivellement des chemins de fer français par
M. l'ingénieur Bourdaloue et celui de la Suisse par MM. Hirsch
et Plantamour, qui sont parvenus à éliminer toutes les causes
d'erreur, que ne doit-on pas craindre quand il s’agit d’un nivelle-
ment exécuté dans le pays classique du mirage, où la surface
du sol est constamment altérée et déformée par la réflexion et la
réfraction des rayons lumineux qui arrivent à l'œil de l'observa-
teur? Quel est celui qui oserait affirmer que la mire qu'il vise,
même dans une portée de 100 mètres, est réellement à la place où il
la voit? Or, au Sud de la mer projetée se trouve l'oued Souf, dé-
sert de sable où mürissent les dattes que nous mangeons sous le
nom de dattes de Tunis, leur port d'embarquement; c’est une cul-
ture toute spéciale. Les Berbères creusent dans le sable des cavités
ayant la forme d’un cône tronqué renversé, de 5 à 6 mètres de
profondeur au-dessous du niveau moyen du sol et mesurant au
fond 12 à 16 mètres de diamètre. Ces cratères artificiels se nom-
ment des ritans.
« Les palmiers-dattiers sont plantés dans le fond du cratère,
afin que leurs racines puissent atteindre la nappe d’eau saumâtre
qui s'élend au-dessous d'une couche continue de gypse, la seule
pierre connue dans le pays. M. Roudaire aflirme que cette nappe est
au-dessus du niveau de la Méditerranée ; mais, quand on songe que
l'existence des populations si laborieuses du Souf repose en entier
sur un seul arbre, le dattier, qui leur fournit des matériaux de
construclion, un aliment précieux et un moyen d'échange, n’est:il
pas à craindre, s’il y avait la moindre erreur dans le nivellement,
que les eaux de la nouvelle mer ne s'infiltrent à travers le sable
! Rapport de 1877, p. 63.
MISS. SCIENT. — VI1.
Le
©9
/
— 9394 —
mobile des dunes, ne remplissent ces cavités et ne détruisent les
palmiers? On comprend dès lors que, pour ne pas compromettre
l'existence d'une population tout entière, il faut avoir la certitude
absolue que le niveau de la mer qu’on se propose de créer sera
partout et toujours inférieur au fond des ritans, et par conséquent
à 8 ou 10 mètres au-dessous du niveau moyen de la région du
Souf. Nous nous demandons si les prévisions des ingénieurs, dans
un travail sans précédent et sur un sol si extraordinaire et si peu
expérimenté que celui du Sahara, peuvent acquérir un degré de
probabilité tel qu'il soit équivalent à la certitude.
« Le grand argument invoqué par les partisans de la mer inté-
rieure, c'est qu'elle aurait existé jadis dans les temps historiques.
Nous n’aborderons pas cette question et ne chercherons pas à savoir
si le lac Triton comprenait tous les chotts ou seulement, comme
le veut Petermann !, le chott le plus voisin du seuil de Gabès, dont
le rameau oriental porte le nom de chott Fejej, tandis que le bassin
occidental est connu sous le nom de chott Djerid. Nous avons d’au-
tres preuves de l'existence d'une mer intérieure, mais dans les
temps préhistoriques, à une époque où le régime hydrographique
de l’Europe était aussi bien différent de ce qu'il est aujourdhui.
Le 7 décembre 1863, nous campions près du puits de Buchana,
entre l’oasis de Guemar et l'extrémité méridionale du chott Mel-
rir; nous quittions le désert des sables pour aborder celui des pla-
teaux. Les érosions des couches gypseuses présentaient des tranches
régulières comme celles des terrains de sédiment, et, dans ces
couches, nous recueillimes des débris de coquilles véritablementma-
rines, telles que Buccinum giberrulum (Lamk.) et Balanus miser (L.) ;
le terrain qui renfermait ces coquilles était donc un terrain marin.
« Au-dessus de ces coquilles, dans le sable, se trouvait le Car-
dium edule (L.), mieux conservé que nous ne l’avions vu jusqu'ici,
car, depuis que nous avions abordé le chott Melrir, le sable du
désert était couvert d'innombrables débris de cette coquille; or, si
les Balances et les Buccins sont des mollusques qui n’habitent que
le rivage de la mer, le Cardium edule s'y trouve rarement, mais il
caractérise la faune des marais salants, ligunes ou lacs d’eau sau-
mâtre. Les bords de tous ceux de la Camargue et des côtes du Lan-
guedoc, depuis Aigues-Mortes jusqu'à Cette, sont blanchis, lorsque
‘1 Das nuttelländische Meer und Nord Afrika Carte , von A. Petermann.
355 —
leurs eaux sont basses, par les innombrables coquilles de Cardium,
dont les individus vivants se multiplient à l'infini dans ces eaux
saumâtres. Ainsi donc, nous avions sous les yeux les fossiles ca-
ractéristiques des eaux marines et de celles qui sont un mélange
d’eau douce et d’eau salée. Si donc une mer intérieure pénétrait
dans le Sahara, elle s'est retirée depuis et a été remplacée par un
réseau de lagunes et de marais salants, dont les chotts actuels sont
les derniers restes, qui ont persisté dans les dépressions les plus
profondes. Actuellement, la salure de leurs eaux est telle qu'aucun
animal ne peut y subsister, tandis que le Cardium edule vivait en
abondance dans les anciennes lagunes.
« Trois causes peuvent expliquer la itisfeséntit d'un golfe
maritime en lagunes : 1° les atterrissements de fleuves ou de ri-
vières: 2° la formation des cordons liltoraux marins, comme nous
le voyons sur les côtes du Languedoc; 3° le soulèvement de la côte
tout entière. Les deux premières causes, supposant l'existence de
longs fleuves chargés de limon, tels que le Pô, le Rhône, l'Ebre
où ke Nil, ne sauraient être invoquées, la région saharienne étant
privée de ces grands cours d’eau. La dernière cause en est indé-
pendante; elle est le résultat d'un phénomène général, l’exhaus-
sement des continents, attesté par les plages soulevées que pré-
sentent presque toutes les côtes maritimes dans l’ancien comme
‘dans le nouveau monde. Nous pensons donc que la surface inon-
dable du Sahara, quoiqu'elle soit maintenant encore au-dessous
du niveau de la Méditerranée, était encore plus basse à l’époque
où elle ne formait qu'un prolongement du golfe de Gabès. Par suite
de son exhaussement, une partie du golfe à été séparée de la mer
et convertie en un réseau de lagunes. Le sol est imprégné de sel, et
la végétation qui le couvre ressemble à celle qui entoure les ma-
rais salants du Languedoc, séparés également de la mer par des
cordons littoraux dont les uns sont l’œuvre directe du Rhône, de
la Durance, du Vidourle et d’autres cours d’eau; les autres, celle
des courants transportant les sables déposés à leur embouchure !.
« On a dit que la création d'une mer intérieure, de 13,280 ki-
lomètres carrés suivant le général Favé?, changerait le régime plu-
viométrique de la contrée et même celui de l'Algérie tout entière.
1 Voir Topographie géologique des environs d'Aigues-Mortes (Comptes rendus,
t. LXXVIII, p. 1748).
? Comptes rendus, t. LXXXIV, p. 1119.
— 306 —
C’est, selon nous, une grande illusion. Quoique les lois des mou-
vements atmosphériques généraux soient encore peu connues, ce-
pendant on entrevoit déjà que l'Atlantique est le grand réservoir
d’où s'élèvent les vapeurs qui sesrésolvent en pluies au-dessus du
continent européen. Nous croyons qu'il en est de même pour le
Nord de l'Afrique. Quand on déploie une grande mappemonde,
on voit que la Méditerranée n’est qu'un golfe relativement bien
peu étendu de l'océan. Atlantique, et l'addition de 13,000 kilo-
mètres carrés n’ajoutera rien à son influence climatérique. On a
fait de longs calculs sur la quantité d'eau évaporée par la mer nou-
velle; mais, suivant M. Angot, les vents régnant à Biskra et à
Touggourt sont des vents du Nord. La preuve en est que nous avons
vu les tiges de tous les arbrisseaux du Souf (Relama, Ephebra, Cal-
ligonum) inciinées vers le Sud-Est.
«À priori, cela devait être. En effet, si le contraste calorifique
entre l'air froid des Alpes, des Cévennes et de la montagne Noire
avec l'air chaud du littoral de la Provence et du Languedcc en-
gendre le vent du Nord appelé mistral, qui souffle surtout en hiver
et au printemps, de même la chaîne des Aurès s’élevant au Nord
des sables du Sahara doit rendre les vents du Nord prédominants.
Les vapeurs de ce golfe méditerranéen seraient donc entraïînées
vers le désert; or, ici nous partageons complètement l'opinion de
M. Cosson. Le moindre changement dans le climat du Souf serait
préjudiciable à la culture des dattiers; s'ils mürissent leurs fruits,
c'est gràce à la sécheresse et à la température de l'air réfléchi par
les paroïs des cavités coniques, appelées ritans, au fond desquelles
is sont plantés. Un air plus humide ou plus froïd leur serait éga-
lement défavorable, et les habitants seraient obligés d'abandonner
une contrée où ils ont su établir la seule culture possible au mi-
heu de ces sables arides. Les alentours des mers intérieures, telles
que la Caspienue et le lac Aral, sont des steppes célèbres par leur
sécheresse: les bords de la Méditerranée en souffrent également
lorsque, ainsi qu'on l’a vu l'année dernière, les pluies du Nord ne
s'étendent pas dans le Midi.
« Pour toules ces raisons, déjà indiquées en partie par nos pré-
décesseurs, nous nous joignons à eux pour déclarer qu'il n'y a au-
cune parité à établir entre le percement de l'isthme de Suez réa-
lisé par M. de Lesseps et le rétablissement d'une mer intérieure
dans le Sahara algérien proposé par M. Roudaire. »
— 357 —
PHYSIQUE DU GLOBE. — Sur le projet de mer intérieure en Algérie.
(Note de M. [. Favé. — Séance du 17 février 1879.)
« Les observations sur le projet de la création d'une mer intérieure
dans le Sahara oriental, qui ont été insérées au Compte rendu de la
dernière séance, insistent sur la crainte que l'exécution d’un tel
projet ne compromette les palmiers-dattiers que les indigènes
plantent dans l’oued Souf, au fond d’un cône tronqué renversé
dont la profondeur est de 5 à 6 mètres.
« Comme il s’agit d'éviter que les eaux de la mer intérieure ne
puissent s'étendre, par infiltration, à travers les terres jusqu’à l’in-
térieur de ces cavités, la confiance que la pratique des nivellements
peut inspirer se trouve ici en cause.
« Nous nous demandons, disent les auteurs de la note, si les pré-
« visions d’un travail sans précédent et sur un sol si extraordinaire
“et si peu expérimenté que celui du Sahara peuvent acquérir un
« degré de probabilité tel qu'il soit équivalent à la certitude.
« Ils avaient dit un peu auparavant, après avoir signalé quelques
nivellements opérés en France et en Suisse avec une rigueur excep-
lionnelle :
« Que ne doit-on pas craindre quand il s’agit d’un nivellement
« exécuté dans le pays classique du mirage, où la surface du sol est
« constamment altérée et déformée par la réflexion et la réfraction
, « des rayons lumineux qui arrivent à l'œil de l'observateur? Quel
«est celui qui oserait aflirmer que la mire qu'il vise, même dans
«une portée de 100 mètres, est réellement à la place où il la voit?
« Toutes les difficultés qui sont ici signalées existent sans nul
doute; mais l’art du topographe en a su triompher par ses méthodes
et obtenir en outre des vérifications fréquentes qui donnent la me-
sure des inexactitudes. S'il en était autrement, le percement de
l'isthme de Suez n'aurait pas pu être entrepris sans une insigne
imprudence. Son exécution, qui s’est opérée sans aucun mécompte,
a prouvé que les procédés du nivellement topographique, mis en
pratique sur un sol comparable à celui du Sahara, n'en ont pas
moins donné, là comme partout ailleurs, des résultais remplissant
les conditions de la certitude. »
RÉPONSE AUX OBSERVATIONS DE MM. MARTINS ET DESOR.
À l’époque où la lettre de MM. Martins et Desor fat communi-
— 358 —
quée à l'Académie des sciences, je faisais exécuter des sondages
dans la région des chotts tunisiens; je ne pus donc répondre
aux critiques de ces deux savants. Dans la note qui précède,
M. le général Favé a bien voulu faire ressortir combien étaient
peu fondés les doutes qu'ils avaient exprimés sur le degré de pré-
cision du nivellement. Aucun géodésien n'ignore que le nivelle-
ment de proche en proche, exécuté avec soin par petites portées,
échappe complètement, rigoureusement, aux causes d'erreur qui
proviennent de la déviation des rayons visuels, même lorsque cette
déviation est anormale comme dans les contrées où se produit le
mirage. Les faits d’ailleurs prouvent surabondamment l'exactitude
de la théorie.
A l'exemple des nivellements exécutés à l’isthme de Suez, cités
par M. le général Favé, nous pouvons ajouter l'exemple tiré des
nivellements de notre dernière campagne, qui ont donné le même
résultat que ceux de 1876. Rien d’ailleurs n’est plus éloquent que
les chiffres. Or, si l’on se reporte à la page 250 de ce rapport, on
verra que deux nivellements indépendants l'un de l’autre se sont
vérifiés dans le chott Fejej, au repère 2, à 4 millimètres près, sur
un parcours de 27 kilomètres.
Au col de Kriz, la vérification s’est faite à 206 millimètres près,
sur un parcours de 123 kilomètres.
La précision du nivellement étant bien établie, il nous est facile
de rassurer MM. Martins et Desor au sujet des craintes qu'ils ont
exprimées sur le préjudice que la submersion du bassin des chotts
pourrait causer aux oasis du Souf. En 1875, nous avons rattaché
le Souf par un nivellement géométrique à la ligne principale d’opé-
rations. Nous avons reconnu que Debila, l’oasis la plus basse et la
plus rapprochée des chotts, est à l'altitude de 53°,50 au-dessus
du niveau de la mer. Les ritans y sont creusés à la profondeur de
8 ou 10 mètres. Le fond de ces excavations est donc encore à
43 mètres d'altitude, et se trouve par conséquent plus élevé au-
dessus de la Méditerranée que Paris ne l’est au-dessus de la
Manche. El-Oued, l’oasis la plus éloignée, est à l'altitude de
77 mètres. Les ritans y sont plus profonds (environ 15 ou 20 mè-
tres), mais le pied des palmiers reste encore à 60 mètres en
moyenne au-dessus du niveau de la Méditerranée.
MM. Martins et Desor enfin ne croient pas que la submersion
du bassin des chotts puisse exercer une influence sensible sur le
— 359 —
climat, et fondent leur opinion sur les observations citées par
M. Angot. J'ai répondu à ce rajel (page 351 du présent rap-
port).
Enfin, je dois signaler un ras article publié par M. Cosson
dans le Bulletin de la Société de géographie, sous le titre Note sur
le projet de création d’une mer DITE INTÉRIEURE en Algérie. Le
mot intérieure paraîtraitil impropre à M. Cosson? J'en cherche en
vain la raison. Les anciens appelaient la Méditerranée mer Inté-
rieure ( Internum mare), parce qu'elle est située dans l’intérieur des
terres. La mer des chotts ne serait-elle pas tout à fait dans le
même cas? Du reste, ce document n’est que la reproduction des
objections déjà formulées par l’auteur dans ses différentes notes
à l'Académie des sciences. J'avais déjà répondu à la plupart d’entre
elles dans le rapport que j'ai eu lhonneur de vous adresser en
1877 ?. Nous venons de voir d’un autre côté que MM. de Lesseps
et d’Abbadie ont bien voulu les réfuter avec toute l'autorité qui
s'attache à leur parole *. Je ne pourrais donc répondre à ce dernier
article qu’en répétant ce qui a déjà été dit. Je crois cependant né-
cessaire de faire quelques remarques. |
Page 37, on trouve cette phrase : « Le relief montagneux désigné
par M. Roudaire sous le nom de seuil d’Asloudj, situé entre le
chott Melrir et le chott Rharsa, présente sur différents points des
Puces de hier, Lia3n,cl:33n, 1 38865 45 6
el 1l devrait être traversé par le canal d'alimentation non pas sur
une longueur de 6 kilomètres seulement, mais bien sur une lon-
gueur de 12,500 mètres. »
Je ne comprends pas très bien ce que M. Cosson a voulu prou-
ver en faisant cette énumération de chiffres; mais la réponse est
facile à donner. Il y a dans le seuil d’Asloudj, ainsi que cela a été
établi par le nivellement géométrique, un col dont la hauteur au
point culminant n'est que de 10 mètres au-dessus du niveau de la
mer. C'est naturellement par ce col, situé d’ailleurs sur le trajet
le plus direct que le seuil sera traversé par le canal de commur-
nication. Il ÿ aurait au Nord ou au Sud des altitudes non seule-
ment de 21, 23, 45 mètres, mais même de 1,000 mètres que cela
ne compliquerait en rien la question.
! Bulletin de la Société de géographie {janvier 1880).
? Pages 97 et suiv.
* Voir pages 3829-33».
— 360 —-
M. Cosson ajoute, page suivante : « Mais je ferai remarquer que
dans le chott Melrir le fond présente des variations d'altitude très
notables et souvent dans des points très rapprochés. En effet, les
profondeurs au-dessous du niveau de la mer y sont, d'après M. Rou-
daire, de —4",03, —9",35, —18",37, —20", 73 et peuvent
atteindre jusqu'à —25",75, tandis que dans la partie orientale
des reliefs, dont l'altitude atteint depuis + 6°, + 10", + 24",
+ 26" jusqu'à + 36", déterminent la formation de lagunes nom-
breuses et très étendues. »
Ce n'est pas vers le centre du bassin du chott Melrir, comme
Ja phrase précédente pourrait le faire croire, mais au contraire sur
les bords de ce bassin seulement que se trouvent, en des points
très rapprochés, des variations de profondeur très notables 1, Et il
est heureux qu'il en soit ainsi, car, s’il fallait franchir de grands
intervalles pour trouver sur les bords du bassin des variations de
profondeur notables, cela prouverait que la dépression est limitée
par des pentes très douces. Le fait d'y trouver des altitudes très dif-
férentes en des points très rapprochés prouve que ces pentes sont
au contraire très accentuées. L'argument invoqué par M. Cosson
se retourne donc contre lui, puisqu'il prouve combien sont peu
fondées les craintes qu'il a exprimées au sujet. de l’inondation et
de l’'exondation alternative des plages des chotts, dont les pentes
sont loin d'être presque insensibles, comme il l’admet ?.
C’est toujours en raison de l’accentuation des pentes que, le ni-
vellement s'étant éloigné, dans la partie orientale du chott Melrir,
des bords de la dépression, nous n'avons pas tardé à constater des
altitudes de +6",+10", L26", 136%. Mais, loin d'en conclure
qu'il se produirait des lagunes, c’est la conséquence contraire qu'il
faut en tirer. Certes, si l’on avait reconnu que de vastes espaces
avoisinant la dépression n'étaient élevés que de quelques centi-
mètres au-dessus du niveau de la mer, on aurait pu craindre la
formation de lagunes; mais rien de semblable n'existe, ainsi que
M. Cosson le fait remarquer lui-même, et les eaux de la Méditer-
ranée, si elles étaient introduites dans le bassin du chott Melrir,
s'y fixeraient entre des limites bien définies.
1 Il suffit de consulter la carte pour voir que Îles profondeurs —4",03
—9",35 —18",37 se trouvent près de la ligne bleue qui figure le niveau de la
mer el, par conséquent, le rivage de la mer future.
? Voir pages 328 et 338.
— J61 —
Page 43, M. Cosson cite comme devant être submergées : El-
Haouch, avec 8,000 dattiers et 60 maisons; Oum el-Thiour, avec
1,100 dattiers de plantation récente et 20 maisons; Bir Cedra;
l'oasis de Mguebra; Mraïer, dont l’oasis renferme 300 palmiers et
100 maisons. El-Haouch et Oum el-Thiour sont au-dessus du ni-
veau de la mer. Bir Cedra est un puits d'eau saumâtre sur les bords
duquel il n’y a ni cultures, ni habitations. Il en est de même de
Mguebra, qui n’est qu'un puits et non une oasis; seulement l'eau y
est un peu moins saumâtre. Quant à l’oasis de Mraïer, elle se trou-
verait en effet sur les bords de la nouvelle mer. Les parties les
plus basses de cette oasis seraient même recouvertes d’une couche
d’eau de 2 à 3 mètres de profondeur; mais il serait facile de les
préserver en les entourant préalablement de digues, comme je l'ai
déjà dit dans mon rapport de 1877.
M. Cosson avance plus loin ! que la faible profondeur du golfe
de Gabès exclut les grands navires. C’est là une erreur qu'il lui
aurait été facile d'éviter en consultant la carte hydrographique
levée par l'amiral Mouchez. Il aurait vu que les plus grands na-
vires peuvent, sans le moindre danger, venir jeter l'ancre à l’em-
bouchure de l’oued Melah.
Enfin, M. Cosson dit encore : « Pour démontrer que, loin d'as-
surer la sécurité complète de nos possessions d'Algérie, la mer in-
‘térieure la compromettrait et serait même un danger permanent
pour la domination francaise, il suffira de rappeler que l'entrée
de cette mer et la plus grande partie de son étendue seraient si-
tuées en Tunisie, et que nous n’en posséderions guère que les
plages occidentales. » Jai déja répondu succinctement à cette cri-
tique dans la note C annexée au rapport que j'ai adressé à votre
prédécesseur en 1877. Il y aurait encore de nombreuses considé-
ralions à développer sur ce sujet, mais je crois plus sage d’imiter
la réserve de M. d'Abbadie?. Aussi n’aurais-je même pas songé à
relever cette dernière objection si M. Cosson n'avait ajouté la
phrase suivante : « En cas d’insurrection, n’estil pas beaucoup plus
facile de concentrer nos troupes à Biskra et de les diriger contre les
révoltés, que d’avoir à les embarquer à Bône, par exemple, et
d'avoir ainsi à leur faire subir, indépendamment de la longueur
Page 47.
? Voir page 532.
— 362 —
du trajet maritime, les diflicultés d’un embarquement et d'un dé-
barquement ? »
Je répondrai à mon honorable contradicteur que, s’il y avait
une insurrection sérieuse, si les nombreuses tribus guerrières de
l’'Aurès se soulevaient, il ne serait pas si facile qu’il le pense de
concentrer nos troupes à Biskra. La route de Batna à Biskra, qui
n'est qu'une suite de défilés, serait certainement coupée par les
insurgés. Il faudrait commencer par la dégager et l'occuper forte-
ment pour assurer notre ligne d'opérations. Nos troupes finiraient
certainement par être victorieuses; mais si au début des opéra-
tions elles éprouvaient quelques échecs dans l'Aurès, la garnison
de Biskra et tous les colons établis au Sud de lAurès seraient
peut-être massacrés, comme en 1848. Avec la mer intérieure, au
contraire, on pourrait, en quelques jours, secourir Biskra et y
amener des troupes qui prendraient l'insurrection à revers. Mais
je crois que l'on n'aurait pas d’insurrection à réprimer, car les
Arabes, se sentant pris entre deux feux, ne songeraient proba-
blement plus à se révolter.
Malgré le rapport si concluant de M. le général Favé, tous les ad-
versaires du projet ont plus ou moins contesté l'heureuse influence
que le remplissage du bassin des chotts doit exercer sur le régime
climatérique des régions voisines. On a cité l'exemple de la mer
Rouge, de la Méditerranée et même de l'océan Atlantique, qui
n'empêchent point le désert de s'étendre jusqu’à leur rivage. Enfin,
on à fait ressortir que l'archipel du Cap-Vert possède une vraie
constitution saharienne. | |
Il est incontestable que le voisinage d’une grande masse d'eau
ne suffit pas pour qu’un pays soit fertile. Les conditions qui déter-
minent la pluie sont très complexes. Pour que les vapeurs trans-
porlées par un courant se précipitent sous forme de pluie, il est
nécessaire que le courant subisse un refroidissement tel que
son point de saturation soit atteint, et la quantilé de pluie pro-
duite est alors d'autant plus considérable (l'humidité relative étant
la mênie) que la température du courant était primitivement plus
élevée d'une part, et, d'autre part, que cetle température est des-
cendue d'un plus grand nombre de degrés au-dessous du point
de saturation.
Prenons des exemples.
Le vent qui pousse les vapeurs de la Méditerranée sur Algérie
= 0
est le vent du Nord. Sa température moyenne peut être estimée
à 10 ou 15 degrés. À demi saturé il contient environ 55,57 de
vapeur d’eau par mètre cube. Il faut pour qu'il atteigne son point
de saturation, que sa température descende à 2 degrés. À o degré,
un mètre cube d’air saturé contient encore 45,92 de vapeur d'eau.
Donc, lorsque la température de ce vent du Nord descend jusqu’à
o degré, en passant sur l’Algérie et la Tunisie, chaque mètre cube
perd 56,57 — 45",92 — 05,65 de vapeur d'eau qui se précipitent
en pluie; mais il arrive rarement qu'une température aussi basse
soit atteinte.
Examinons maintenant ce qui se passera par les vents de la ré-
gion Sud. En traversant la mer intérieure, les vents se chargeront
d'autant plus avidement de vapeur d’eau qu'ils sont plus chauds
et plus secs. En été, leur température atteint 40 et même 50 degrés.
En hiver, elle varie entre 25 et 30 degrés. Calculons sur cette der-
nière température. Un mètre cube d'air à demi saturé à 30 degrés
contient 155,21 de vapeur d’eau. En franchissant l’Aurès, les vents
du Sud subiront un refroidissement considérable par suite de la
dilatation résultant de leur marche ascensionnelle, de leur rayon-
nement vers les espaces supérieurs, et de leur contact avec un
massif montagneux où règne toujours une basse température. À
17 degrés, le point de saturation sera atteint; à 10 degrés, 55,76 de
‘Vapeur d’eau par mètre cube seront transformés en pluie. À o degré,
ce serait 10%,29 par mètre cube. On peut affirmer que la tempé-
rature s'abaissera au moins jusqu'à 10 degrés. En 1872 et 1873,
j'ai campé pendant le mois de juin près des sommets de l’Aurès, et
j'ai constaté que, vers le milieu du jour, la température de l’air ne
dépassait pas 6 ou 7 degrés, quoique le ciel füt très pur et les rayons
du soleil très ardents. Les vents venus de la Méditerranée, en se
refroidissant jusqu'à o degré (ce qui arrive rarement), ne pro-
duisent donc que 05,65 de pluie par mètre cube, tandis que les
vents venus de la mer intérieure, en descendant à 10 degrés seu-
lement (ce qui arrivera toujours), produiront 55,76 de pluie par
mètre cube. Or, ainsi que l’ont prouvé nos observations méléoro-
logiques, les vents de la région Sud sont plus fréquents que ceux
de la région Nord. Mais en admettant qu’ils soient beaucoup plus
rares, qu'ils ne soufflent même que deux ou trois fois par mois,
quels résultats merveilleux ne devrait-on pas attendre de la création
de la mer intérieure dans un pays où la sécheresse seule produit la
— 364 —
stérilité et où quelques jours de pluie suflisent pour assurer la
récolte de l’année?
Cette discussion fondée sur les lois les plus élémentaires de la
physique montre jusqu'à l'évidence combien sont spécieux Îes
exemples tirés de la stérilité de certaines régions situées sur le rivage
de l'Atlantique, de la Méditerranée ou de la mer Rouge, puisque,
en raison même de la complexité des conditions nécessaires pour
produire la pluie, une masse d’eau relativement petite comme la
mer intérieure peut, par suite de sa situation, exercer sur une ré-
gion déterminée une influence plus considérable qu’une grande
masse d’eau comme la Méditerranée.
Rien ne prouve mieux la justesse de ce qui précède que la fer-
tilité proverbiale de l'Algérie et de la Tunisie du temps des Ro-
mains. Que les chotts fussent des lacs fermés ou un golfe alimenté
par la mer, il est certain qu’à cette époque ils étaient remplis
d’eau et que le climat s’est modifié depuis qu’ils se sont desséchés.
Il est vrai que les adversaires du projet ont cherché à expliquer
cette ancienne fertilité par l’habileté avec laquelle les Romains
avaient aménagé les eaux; mais les aqueducs des Romains seraient
inutiles aujourd'hui, car ils n'auraient plus rien à transporter. On
se demande avec étonnement, en voyant les ruines si fréquentes
dans ces régions, où les habitants trouvaient l'eau nécessaire à leurs
premiers besoins. Ce ne sont pas seulement les sources et les puits
qui se sont taris, des rivières puissantes se sont desséchées. C'est
ainsi que dans les vallées de l’oued Souf et de l'Igharghar, on re-
trouve encore les lits larges et profonds des fleuves qui les arro-
saient. Ces cours d’eau étaient-ils donc alimentés par les aqueducs
des Romains? |
M. Cosson a dit que les températures élevées sont d'autant
plus faciles à supporter que l'air est plus sec et les phénomènes
de rayonnement plus intenses, et que l’anémie, qui dans la région
tropicale où l'atmosphère humide dépasse rarement 30 ou 32 de-
yrés décime déjà les Européens, serait bien plus fatalement la
conséquence de l'habitation des contrées voisines de la mer inté-
rieure, où les dangers causés par l'humidité atmosphérique seraient
aggravés par des températures bien plus extrêmes.
L’anémie des régions tropicales doit tenir à d’autres causes qu'à
l'humidité. À Alger, à Bône, à Cherchell, sur tout le littoral algérien
où l'air est très humide et où la température est pendant des mois
— 3065 —
entiers supérieure à 30 et à 32 degrés, il y a beaucoup moins de
cas d’anénrie qu’à Biskra, où l'air est très sec. Cela est si vrai que
les habitants de Biskra envoient leurs femmes et leurs enfants
passer l'été sur le littoral. Le climat de Biskra est tellement re-
doutable, malgré l'extrême sécheresse qui y règne, que l'autorité
militaire a établi dans l’Aurès des camps où les différentes frac-
tions qui constituent la garnison vont successivement passer une
partie de l'été.
Mais en disant que les dangers causés par l'humidité atmosphé-
rique seraient aggravés sur le littoral de la nouvelle mer par des
températures bien plus extrêmes que celles de la région tropicale,
M. Cosson a fait un cercle vicieux, car les températures extrêmes
du Sahara sont précisément dues à la sécheresse qui y règne. Tout
le monde connaît l'influence modératrice que les mers exercent
sur les climats. Quoique ce soit surtout par l'introduction dans
l'atmosphère de grandes quantités de vapeur d’eau, qui tempèrent
l'ardeur des rayons solaires pendant le jour et s'opposent au rayon-
nement pendant la nuil, que cette influence se produit, il faut
1 Tyndall a prouvé par des expériences remarquables que cette influence est
considérable. Voici le résumé des conclusions du célèbre physicien anglais :
«L'air par lui-même se comporte pratiquement comme le vide par rapport à
la transmission de la chaleur, tandis que la vapeur d’eau possède à la fois une
grande transparence pour la lumière et une grande opacité pour la chaleur.
«Plus l'air se rapproche de l'état de pureté absolue, plus son action sur la
chaleur rayonnante se rapproche de celle du vide.
«L'air a d'autant plus d'action sur la chaleur rayonnante qu'il contient plus
de vapeur. L'absorption atteint son maximum lorsqu'il est parfaitement saturé.
« Dans les circonstances habituelles, sur 200 atomes d’air, ïl y en à à peine
un de vapeur aqueuse. Cet atome a 80 fois plus d'énergie absorbante que les
200 autres, et par conséquent, en comparant l'action d'un atome d'oxygène et
d'azote à celle d’un atome de vapeur aqueuse, nous arrivons à la conclusion que
ce dernier est 16,000 fois plus puissant que les premiers.
«En considérant la terre comme une source de chaleur, on doit admettre
comme certain que 16 au moins pour 100 de la chaleur qu'elle tend à rayonner
dans l’espace sont interceptés par les dix premiers pieds d'air humide qui recou-
vrent sa surface. Ce fat seul indique assez l'énorme influence que cette propriété
nouvellement constatée de la vapeur d'eau doit avoir dans les phénomènes de la météo-
rologie. ;
« La vapeur qui absorbe si avidement la chaleur rayonne aussi abondamment.
«Si l'on enlevait à l'air qui recouvre la terre la vapeur d’eau qu'il contient, il
se ferait à la surface du sol une déperdition de chaleur semblable à celle qui a
lieu à de grandes hauteurs. Le suppression pendant une seule nuit d'été de la va-
peur contenue dans l'atmosphère qui recouvre l'Angleterre serait accompagnée
— 366 —
tenir également compte des phénomènes qui accompagnent les
différentes transformations de l'eau et de la grande capacité
spécifique qu’elle a pour la chaleur.
Supposons un vent du Sud ayant une température moyenne
de 25 degrés et enlevant, en vingt-quatre heures, à la mer in-
térieure 39 millions de mètres cubes d’eau transformés en va-
peur. La chaleur absorbée et rendue latente par l'eau qui se vapo-
rise à 25 degrés est de 560 degrés. Le pouvoir conducteur de
l'eau étant très faible, on peut admettre que la chaleur nécessaire
à l'acte de la vaporisation sera tout entière empruntée à l'air; or,
comme d'un autre côté la chaleur spécifique de l’eau est 3,080 fois
plus considérable que celle de l'air, il en résulte que 39 millions
de mètres cubes d’eau, en se transformant en vapeur, feront baisser
39000000 X 560 X 3080
5
tres cubes d’air, c'est-à-dire un volume d’air suffisant pour re-
couvrir l'Algérie et la Tunisie réunies d’une couche d'environ
k5 mètres de hauteur.
Ces calculs n’ont d'autre but que de donner une idée de la
quantité énorme de chaleur absorbée par la vaporisation ; ils prou-
vent que, non seulement le siroco, grâce à l'humidité dont il se
chargera, perdra ses propriétés nuisibles, mais que sa température
s'abaissera encore très sensiblement. En se condensant, les va-
peurs restitueront aux massifs montagneux de l'Algérie et aux
couches supérieures de l'atmosphère les énormes quantités de
chaleur latente qu'elles recélaient.
Si on laisse de côté les phénomènes de vaporisation et de con-
densation, pour ne considérer que la chaleur spécifique de l’eau,
(3,080 fois plus grande que celle de l'air), on comprend facile-
ment que les mers exercent encore une influence considérable
de 5 degrés — 13,453 milliards de mè-
de la destruction de toutes les plantes que la gelée fait périr. Dans le Sahara, où
le sol est de feu et le vent de flamme , le froid de la nuit est quelquefois très pénible
à supporter. On voit dans cette contrée si chaude de la glace se former pendant
la nuit.
« Partout où l'air est sec, l'échelle des températures est considérable.
«Plus on étudiera la question, plus on se convaincra du rôle important que
la puissance de radiation et d'absorption de la vapeur d'eau joue dans les phéno-
mènes de la météorologie. » :
TyxpazL (La chaleur, traduction de l'abbé Moigno,
p- 346 et suiv.)
— 367 —
sur les climats en remplissant le rôle d'immenses réservoirs qui
tour à tour emmagasinent et distribuent la chaleur.
Sur les côtes et dans les îles, la tempéralure des jours et des
nuits tend à s'équilibrer par les brises régulières. En hiver, les
mers rendent à l'atmosphère la chaleur lentement emmagasinée
en été, tandis que de grands courants, comme le Gulf Stream,
portent, en toute saison, vers les régions polaires une partie de
la chaleur accumulée sous l'équateur.
Un calcul analogue au précédent montre que la masse d’eau
contenue dans les chotts Melrir et Rharsa, en s’échauffant ou en
se refroidissant de quelques degrés, abaïsserait ou élèverail du
même nombre de degrés la température d’un volume d'air qui
recouvrirait l'Algérie et la Tunisie d’une couche de 1,968 mètres
de hauteur.
PROCÉDÉS D’EXÉCUTION.
/
/
En 1876, 1l suffisait de creuser un trou dans le lit des chotts
Djerid et Fejej pour qu’il se remplit instantanément d’eau. Dès
que l’on était arrivé à une profondeur de 60 à 80 centimètres,
le sol devenait tellement vaseux que les hommes s’y enfonçaient de
leur propre poids. On rencontrait fréquemment des crevasses pro-
fondes, pleines d’une eau verte et salée, et désignées par les Arabes
sous le nom d’Ain el-Behhar (œil de la mer). Ces faits m'avaient
amené à croire, avec les habitants du pays, que le sous-sol des chotts
était occupé par une immense nappe d’eau, recouverte d’une croûte
solide plus ou moins épaisse. Telle était également l'opinion de
M. Tissot, qui, dans l’article cité plus haut, s'exprime ainsi! : « La
vaste et profonde dépression du chott El-Djerid est remplie aujour-
d'hui, en grande partie, de sables mouvants. La partie centrale
du bassin parait contenir encore toutefois une masse d’eau consi-
dérable recouverte d’une croûte saline qui a fait comparer le lac,
par les voyageurs arabes, tantôt à un tapis de camphre ou de cris-
tal, tantôt à une feuille d'argent ou à une nappe de métal en
fusion. L’épaisseur de cette croûte est très variable : elle n'offre
que sur certains points une solidité assez grande pour qu'on
! Bulletin de la Société de géographie (juillet 1879, p. 12).
— 368 —
puisse sy hasarder. Dès qu'on s'écarte de ces passages, la croûte
cède et l’abime engloutit sa proie. Les gués dont je viens de parler
deviennent eux-mêmes très périlleux dans la saison des pluies,
lorsque les eaux recouvrent la croûte saline et en diminuent en-
core l'épaisseur. »
J'avais développé cette opinion dans mon dernier rapport, tout
en ajoutant qu'il était nécessaire de faire des sondages dans les
chotts Djerid et Fejej, afin de se rendre un compte exact de
l'état des choses. Au commencement de 1879, après deux an-
nées consécutives de sécheresse, le lit du choit Fejej était beau-
coup moins humide, le sous-sol plus consistant, et l'on pouvait
parcourir sans danger des parties qui, deux ans avant, étaient
inaccessibles. Les sondages exécutés dans ce chott nous ont d’ail-
leurs prouvé que, si les terrains y sont imbibés jusqu à une grande
profondeur par une nappe d'infiltration dont le niveau supérieur
se maintient à 1 ou 2 mètres, au plus, au-dessous de la surface du
sol, ils n'en présentent pas moins une solidité assez grande pour
qu'il soit nécessaire d’y creuser un canal de communication.
Quant au chott Djerid, sa partie centrale est réellement occupée,
jusqu'à une grande profondeur, par des eaux et des sables vaseux
très fluides. Au sondage n° 12, exécuté à 7 kilomètres seulement
du bord Nord du chott, à l’alutude de 13",68, on traversa d’abord
de 3 à 4 mètres d'eau et de vase noire liquide, puis des sables wva-
seux , tellement fluides que Îles barres de sonde y furent enfoncées
à la main jusqu'à une profondeur de 17 mètres. À ce moment,
les hommes ne pouvant plus soulever les barres, on plaça la
petite chèvre, et l'on pénétra jusqu'à l’altitude de 11°,71 au-
dessous du niveau de la mer, en traversant les mêmes terrains
fluides. Les sondages n° 13, 14 et 15, exécutés les jours suivants
a l'Ouest du sondage n° 12, durent être placés très près du bord
du chott, le sol n'offrant pas assez de consistance pour ” on püût
s’aventurer plus loin.
La quantité de déblais que nécessiterait le creusement d’un ca-
nal de communication entre la Méditerranée et le chott Rharsa
semble déjà présenter un obsiacle considérable à la réalisation
du projet; mais l'obstacle qui paraît le plus difficile à vaincre
est celui qui résulte de la présence des masses fluides et va-
seuses contenues dans la partie centrale du chott Djerid, à tra-
vers lesquelles il faut créer une communication. Ces difficultés,
— 369 —
en effet, seraient grandes sans le voisinage du chott Rharsa dont
le fond est à une trentaine de mètres au-dessous du niveau de la
mer.
Supposons, en effet, que l’on ait creusé à travers le seuil qui
sépare le chott Djerid du chott Rharsa un canal dont le plafond
serait incliné vers ce dernier chott. Il est évident que ce canal
drainera le chott Djerid, dont les eaux s'écouleront dans le chott
Rharsa. Que se passera-t-il, alors? Au sondage n° 12, les vases
fluides recueillies jusqu'à la profondeur de 12”,71 au-dessous
du niveau de la mer étaient composées de 2/3 d'eau et de
1/3 seulement de matières terreuses. Ce sondage, il est vrai,
était placé au-dessus d’un de ces griffons produits probablement
par des sources de fond, dont l'existence est indiquée à la surface
du sol par un léger renflement. Or les griffons étaient lrès nom-
breux dans cette partie du chott, qui, cependant, était d’un accès
très facile. Ne doit-on pas en conclure que, dans la partie centrale
inaccessible, dont la superficie ne mesure pas moins de 3,500 ki-
lomètres carrés, il existe des masses considérables d’eau, presque
pure, dont l'écoulement donnerait naissance à une dépression
inondabie ou déterminerait, tout au moins, un grand affaissement
du sol? Mais, en l'absence de données qui puissent permettre de
calculer l’affaissement qui se produirait, je me contenterai d’éta-
‘ blir qu'en reliant le chott Rharsa au chott Djerid on peut drainer
le lit de ce dernier, le dessécher, et par conséquent lui donner
la solidité nécessaire pour que l'exécution d’un canal de commu-
nication n'y rencontre plus aucun obstacle. Je me placerai même
dans les conditions les plus défavorables, puisque, dans le calcul
des déblais, j'admettrai, contre toute probabilité, que le sol n'aura
subi aucun affaissement, et je démontrerai que, même dans ces
conditions, la réalisation du projet est beaucoup plus simple
qu'elle ne le semble au premier abord.
Quoi qu'il en soit, la difficulté résultant de la présence des
eaux et des vases fluides contenues dans le chott Djerid est,
grace à,la dépression du chott Rharsa, des plus faciles à résoudre.
Quant à la difficulté provenant de la longueur et de la profondenr
du canal à creuser, il est relativement facile de la surmonter,
puisque nous pouvons faire exécuter la plus grande partie du
travail par les masses d’eau qui doivent être introduites dans les
chotts Rharsa et Melrir.
MISS. SCIENT. — VII. 2
=
— 510 —
J'ai expliqué, dans mon rapport précédent}, comment on pour-
rait arriver à ce résullat en ne creusant que de simples tranchées
initiales que le courant se chargerait d'élargir et d'approfondir. A
l'appui de cette théorie, je vais aujourd'hui citer des faits pra-
tiques. Pendant ces dernières années, en effet, le système de l’élar-
gissement et de l’approfondissement d’un canal par les eaux a été
appliqué avec le plus grand succès à ia rectification du cours de
la Meuse par M. Caland, ingénieur hollandais.
Avant de se jeter dans la mer du Nord, un des bras de la Meuse,
le Scheur, faisait un coude pour contourner la pointe de Hock Von
Holland. On lui a creusé un lit direct d’une largeur de 120 mètres
et d’une profondeur variant entre o et 3 mètres au-dessous de la
marée basse. L'ancien lit ayant été barré, le Scheur s'est écoulé
dans le nouveau chenal dont il a porté en deux ans la largeur à
200 mètres el la profondeur à 10 ou 12 mètres au dessous de la
marée basse.
M. Caland, à l'obiigeance de qui je dois ces renseignements ?,
ajoute que l'opération s’est effectuée d’un manière assez régulière,
c'est-à-dire que le rapport entre l'élargissement et l'approfondisse-
ment a été à peu près constant, quoique cependant l’élargisse-
ment ait été un peu plus fort au début de l'opération que par la
suite. La longueur de la tranchée était de 5 kilomètres. Le nombre
de mètres cubes de déblais enlevés de main d'homme pour le
creusement du chenal primitif avait été de 1,500,000 mètres cubes.
Les déblais enlevés par les eaux se sont élevés à 5 mullions de
mètres cubes.
Le système à employer pour utiliser le passage des énormes
masses d’eau qui doivent être introduites dans les bassins inon-
dables consistera à opérer comme on l’a fait à l'embouchure de la
Meuse. Au lieu de donner au canal ses dimensions définitives, on
creusera une tranchée que ie courant se chargera d'élargir et d’ap-
profondir. Mais, afin de rendre l'opération plus sûre, plus prompte
et en même temps plus régulière, nous soulèverons le sol au moyen
d’excavateurs, de sorte que les eaux n'auront qu’à entraîner des
terres désagrégées.
! Pages 64 et suiv. et note À.
? On peut consulter à ce sujet le remarquable ouvrage de M. Croizette-Des-
noyers intitulé Les travaux publics en Hollande, p. 11 et suiv.
— 371 —
La tranchée initiale aura une largeur de 1 mètre au plafond !,
2 mètres de profondeur au-dessous.de la marée basse à l'embou-
chure de l’oued Melah, des talus à + et une pente de 3 centimètres
par kilomètre vers le chott Rharsa. À la marée basse, elle aura
5 mètres de largeur à la ligne d’eau. La vitesse moyenne y sera
de 27 centimètres par seconde. La marée étant de 2 mètres, la
largeur à la ligne d’eau sera de 9 mètres à la marée haute. Elle
atteindra alors 43 centimètres par seconde et croïîtra ensuite ra-
pidement en même temps que la section de la tranchée.
Dans la partie du seuil de Gabès où existent des bancs de cal-
caire, on ne pourra pas compter sur l'agrandissement par les eaux.
Il faudra donc donner immédiatement au canal des dimensions
suffisantes. Pour fixer ces dimensions, il est nécessaire de tenir
compte du volume d’eau que le canal devra fournir pour effectuer
le remplissage, défalcation faite de l'évaporation.
J'ai dit, dans mon rapport précédent?, que, d'après les obser.
vations faites aux lacs Amers, l’évaporation enlèverait à la mer
intérieure 1 mètre d’eau par an. On m'a fait à ce sujet des objec-
tions. J'y ai répondu plus haut, en tirant de nouveaux arguments
des observations faites pendant ma dernière expédition, et j'ai dé-
moniré que le chiffre de 1 mètre ne peut être sérieusement dis-
cuté.
Un canal ayant A9 mètres de largeur au plafond, avec des talus
à —-*, une profondeur de 8 mètres au-dessous de la marée basse
à l'embouchure de loued Melah et une pente de 3 centimètres par
kilomètre vers l'Ouest, débouchera dans le chott Rharsa à la pro-
fondeur de 14,81 au-dessous de la marée basse, ou de 15",81
au-dessous du niveau moyen du golfe de Gabès. À marée moyenne,
la section liquide aura 522 mètres carrés, le périmètre mouillé
74",25, et le rayon moyen 7°,03. La chute de la veine liquide
sera de 69*",5 par kilomètre et la vitesse du courant atteindra
1",1884 par seconde. Le canal débitera donc 53,625,000 mètres
1 Dans mon dernier rapport, j'avais donné aux tranchées initiales 4 mètres de
largeur 41 plafond et un mètre seulement de profondeur, mais je me suis rallié
à l'opinion de M. Dauzats, ingénieur à la Compagnie de Suez, qui pense que l'effet
du courant sera plus sûr en réduisant la largeur au strict minimum nécessaire,
1 mètre par exemple, et en augmentant la profondeur.
? Page 63.
3 Voir page 351.
* Au sujet des talus, voir plus loin, page 384.
Je.
— 372 —
cubes par jour et 19,575 millions de mètres cubes par an. Ce
débit serait suffisant pour assurer le remplissage des bassins inon-
dables; mais il augmentera encore, comme nous le verrons par
la suite. |
Seuil de Gabès. — Déblais à exécuter de main d'homme. — Dans
la partie du seuil de Gabès où existe le calcaire, c'est-à-dire
entre les points k et à !, on donnera donc au canal les dimen-
sions que nous venons de fixer. La cote du plafond sera de —8",40
au point h, et de — 8",53 au point à. Les déblais s'élèveront à
21,570,;639 mètres cubes, dont 1,449,000 mètres cubes de
calcaire.
Entre l'embouchure de l'oued Melah et le point À d’une part, le
point ri et le point 7 d'autre part, on se contentera dé creuser
une tranchée-amorce. L’altitude du plafond de cette tranchée sera
de — 2 mètres au point a; de — 2",40 au point À; de —2",53
au point à et de — 2",68 au point 7. Les déblais s'élèveront à
16,300,899 mètres cubes.
La somme des déblais à exécuter de main d'homme dans le
seuil de Gabès s’élèvera donc à 37,871,538 mètres cubes, qui se
décomposent en 36,422,538 mètres cubes de sables ou argiles et
1,449,000 mètres cubes de calcaire.
Chott Djerid et seuil de Mouiat Sultan. — La tranchée-amorce
du seuil de Gabès prolongée, à travers le chott Djerid et le seuil de
Mouiat Sultan, jusqu'au chott Rharsa, y déboucherait, par suite de
la pente de 3 centimètres par kilomètre, à l'altitude de 8",81 au-
dessous du niveau de la mer, et les déblais nécessités par ce travail
s'élèveraient à 154,444,710 mètres cubes, qui se décomposent
ainsi: 67,624,916 du point ; aupointp (chott Fejej), 64,561,000
du point p au point v (chott Djerid) et 22,258,794 du point v
au point f’ (seuil de Mouiat Sultan). N’est-il pas possible de ré-
duire considérablement le cube des déblais à exécuter de main
d'homme? C’est ce que nous allons examiner.
Ainsi que je l'ai déjà dit, la partie centrale du chott Djerid est
complètement inaccessible et paraît contenir d'énormes masses
d’eau. En les faisant couler dans le chott Rharsa, on obtiendrait,
selon toute probabilité, un affaissement notable, peut-être même
°! Se reporter au profil n° 1, annexé à la grande carte des chotts.
EL
À
1
at br RE
D Tnt
DEL oi
— 373 —
se formerait-il une dépression dont le fond serait au-dessous du
niveau de la mer. Mais ce ne sont là que des hypothèses, et je
me contenterai de partir de ce fait indiscutable : c’est qu'on peut
faire écouler dans le chott Rharsa les eaux du chott Djerid, et
par conséquent drainer ce dernier de manière à pouvoir y creuser
une tranchée.
Tranchée supérieure dans les chotts et le seuil de Mouiat Sulian.
— Déblais à exécuter de main d'homme. — Supposons que lon
creuse dans le seuil de Mouïat Sultan une tranchée inclinée de
3 centimètres par kilomètre vers le chott Rharsa. Si on lui
donne une profondeur de 5*,20 au point v, son plafond sy
trouvera à l'altitude de 11",75. Au point b', il ne sera plus qu’à
l'altitude de 11*,23. On augmentera ensuite son inclinaison de
manière à le maintenir, aux points e, d', e', à 2 mètres au-des-
sous du sol et à le faire affleurer à la surface du lit du chott
Rharsa ; au point f’, à l'altitude de 9 mètres au-dessous du niveau
de la mer. Cette tranchée drainera les eaux du chott Djerid, dont la
partie centrale est, à l'aluitude de 13°,50, à 14 mètres au-dessus du
niveau de la Méditerranée. Au fur et à mesure que le chott Djerid se
desséchera, on prolongera la tranchée vers le golfe de Gabès, en
lui conservant la même inclinaison, ce qui lui donnera les pro-
fondeurs suivantes : au point u, 4",97; au point r, 2 mètres; au
point p, 6*,35; au point 0, 9",36; au point n, 7",72; au point m,
9,62; au point {, 8°,56; au point k, 9”,63, et enfin au point 7,
15%,36. L'altitude de ce dernier point étant de 32",42 au-dessus
du niveau de la marée basse, le plafond de la tranchée s’y trouvera
à 177,06 au-dessus de ce niveau.
Le cube total des déblais à enlever pour l'exécution de ce chenal
entre le point 7 et le point f”, c’est-à-dire du seuil de Gabès au chott
Rharsa, s'élèvera à 17,372,602 mètres cubes, savoir : 7,207,078
du point 7 au point p, 2,782,575 du point p au point v, et
7,382,949 du point v au point f.
L
Approfondissement par les eaux de la tranchée supérieure. — Cette
tranchée recueillera successivement les eaux contenues dans les
chotts Djerid et Fejej. Le volume de ces eaux sera-t1l assez con-
sidérable pour produire un courant-permanent capable d'appro-
fondir le chenal et de creuser la tranchée-amorce définitive? Je
— 974 —
crois pouvoir être aflirmatif en ce qui concerne le chott Djerid
et le seuil de Mouïat Sultan. Les vases que nous avons recueillies
dans le sondage n° 12, jusqu'à l'altitude de 11°,70 au-dessous
du niveau de la mer, se composaient de 2/3 d'eau et de 1/3 de
matières terreuses. Il est vrai que nous nous trouvions proba-
blement au-dessus d’une de ces sources de fond très fréquentes
dans la partie du chott où a été exécuté le sondage 12; mais ces
sources doivent être encore plus nombreuses dans la partie cen-
trale du chott Djerid, qui est complètement inaccessible sur une
surface d'au moins 3,500 kilomètres carrés, ce qui donne pour
la masse vaseuse, dont la profondeur est de 25 à 26 mètres, un
volume d'environ 90 milliards de mètres cubes. En admettant
que l'eau y entre dans la proportion de 1/20 seulement, on voit
que son volume s’élèverait à 4 milliards 1/2 de mètres cubes,
qui, en s’écoulant dans le chott Rharsa, creuseront la tranchée-
amorce définitive dans la partie centrale du chott Djerid et dans
le seuil de Mouïat Sultan, c’est-a-dire du point p au point f.
Entre ces deux points, le volume des déblais de la tranchée su-
périeure est de 10,165,524 mètres cubes. Le volume des déblais
de la tranchée-amorce définitive s’élèverait pour la même section
à 86,923,000 mètres cubes. Il reste, par conséquent, à faire en-
trainer par les eaux la différence entre ces deux volumes, c'est-à-
dire 76,127,476 mètres cubes. Or 4 milliards 1/2 de mètres cubes
d'eau, en ne charriant que le 1/50 de leur volume de limon, dé-
blayeraient 90 millions de mètres cubes de terre. Il ne peut donc
subsister aucun doute sur la réussite dè cette opération, Cependant
je me hâte de dire que l’utilisation des eaux du chott Djerid n'ap-
portera au projet que je vais exposer qu'un appoint qui se tra-
duira par une économie de temps, mais dont on pourrait très bien
se passer, comme on le verra plus loin.
Les sondages que nous avons faits dans le chott Fejej nous ont
prouvé que le terrain y est imbibé par une nappe d'infiltration
dont le niveau supérieur ne se tient qu'à 1 ou 2 mètres au-des-
sous de la surface du sol. Cette nappe fournirait-elle une quantité
d'eau suffisante pour entretenir dans la tranchée superficielle un
courant permanent? Cela est au moins douteux pour la partie
orientale du chott comprise entre le point 7 et le point k. |
À partir du point k, nous nous trouvons dans des conditions
bien différentes. L’oued El-Hamma, qui se jette dans le chott au
4
l
— 375 —
Sud-Est de ce point, est un cours d’eau régulier dont le débit doit
être évalué à 8 mètres cubes par seconde !. En pénétrant dans le
chott, les eaux de cette rivière sont absorbées en partie par le sol,
mais elles continuent à couler moitié superficiellement, moitié
souterrainement jusqu'au du sondage n° 8?. La tranchée supé-
rieure, dont la profondeur au point k sera de 9",63, recueillera
donc ces eaux, et il s’y établira un courant dont le débit par se-
conde ne sera jamais inférieur à 8 mètres cubes et qui, au moment
des pluies, pourra s'élever à 15 ou 20 mètres cubes. Ce courant
suffirait à lui seul pour produire l’approfondissement de la tran-
chée à l'Ouest du point k; mais je vais expliquer comment ce ré-
sultat pourrait être obtenu, même sans le secours des eaux de
l'oued El-Hamma.
Dès que la tranchée initiale du seuil de Gabès aura été creusée,
les eaux de la mer arriveront jusqu'au point 7 et s’Y trouveront à
17,06 au-dessous de la tranchée du chott Fejej à marée basse,
et à 15,06 à marée haute. Pour les introduire dans cette tran-
chée, il suffira donc de les élever de 16,06 en moyenne.
Supposons que nous élevions 4 mètres cubes par seconde. En
raison de la section et de la pente de la tranchée, ces 4 mètres
cubes formeront une veine liquide dont la hauteur sera de 3,25
et la vitesse par seconde de 29 centimètres. Il faudra donc, en
réalité, pour obtenir un courant permanent, les élever de 16,06
+ 3%,25 — 19*,31. Pour élever verticalement 2 mètres cubes d'eau
par seconde à la -hauteur de 19,31, il faut une machine de la
force de 550 chevaux-vapeur. Avec deux machines semblables, on
1 L'oued El-Hamma, alimenté par les sources chaudes de loasis de la
Hamma, dont le débit ne varie jamais, roule toujours la même quantité d'eau,
excepté à l’époque des pluies, où il se produit des crues. Voici les mesures de
la veine liquide prises pendant la saison sèche : largeur, 43”,80; profondeur
moyenne, céduite de mesures prises de mètre en mètre, 0”,255 ; vitesse du cou-
rant, 0",42 par seconde, ce qui donne un débit de 4”*,70 seulement par se-
conde. Mais il y a sept ou huit ans, les sables entrainés par les torrents, au mo-
ment des pluies, ont obstrué plusieurs sources importantes qui sont connues et
qu'il serait très facile de mettre à découvert. À cette époque, d’après les habi-
tants de l'oasis, la profondeur de l’eau dans la rivière atteignait. une brasse.
IL n’y a donc aucune exagération à compter sur un débit de 8 mètres cubes par
seconde.
? L’oued El-Hamma s’est creusé à travers le chott un lit d’une quarantaine de
mètres de largeur. Ce lit est très nettement tracé. On y trouve encore 15 ou
20 centimètres d'eau en face du sondage n° 8, qui est situé sur sa rive gauche.
— 376 —
élèvera 4 mètres cubes par seconde, ce qui donnera 345,600 mè-
tres cubes par vingt-quatre heures. Mais au fur et à mesure que le
canal se creusera, les machines pourront élever un volume d’eau
plus considérable. Après chaque approfondissement de 4 mètre,
ce volume deviendra successivement égal à 4% x HLCESENNS
15,06 + 3,50
be 19,21 A de 19,91 LE 19,91
PRET Pass PO IPEN SORT ae CURE RE EX GT s30 7
mc 19,91 me 19,91 à
— Eten / ———— au imoment E
EX EST sS0 DE KG TEE EE6 ent où le pla
fond du canal ne sera plus qu'a 6 centimètres au-dessus du niveau
de la marée basse. D’un autre côté, le cube des déblais corres-
pondant aux approfondissements successifs de 1 mètre augmen-
tera suivant la progression arithmétique suivante, dont la différence
est égale à la longueur du canal entre 7 et p multipliée par 2:
1,552,704; 1,712,864; 1,873,024; ... 3,955,004; 4,115/16%4:
Calcul du temps nécessaire pour l'approfondissement de la tran-
chée supérieure. — Si l'on part de ces données pour calculer de
temps qu'il faudrait à l'oued El-Hamma et aux machines pour dé-
biter ensemble l'eau nécessaire à chaque approfondissement de
1 mètre, en admettant que cette eau charrie des matières terreuses
dans la proportion de 1/25 de son volume, on trouve les chiffres
suivants : 37 jours pour le 1° mètre; 4o pour le 2°; 43 pour le
3°; A6 pour le 4°; 48 pour le 5°; 51 pour le 6°; 53 pour le 7°;
54 pour le 8°: 55 pour le 0°; 57 pour le 10°; 57 pour le 11°; 58
pour le 12°; 58 pour le 13°; 57 pour le 14°; 56 pour le 15°; 54
pour le 16°, et 52 pour le 17°; ce qui fait en tout 876 jours ou
2 ans et 140 jours.
Le plafond du canal-amorce se trouvera à ce moment à 6 centi-
mètres au-dessus du niveau de la marée basse; il faudra encore,
pour le porter à sa profondeur définitive, le creuser de 2”,74. Ce
travail nécessilera un entraînement de 12,111,584 mètres cubes.
En continuant à faire usage des machines, l'opération s'accom-
plira en A9 jours pour le 1° mètre, 46 jours pour le second et
32 jours pour les 74 derniers centimètres; ce qui portera à 2 ans
et 267 jours le temps nécessaire pour que la tranchée du chott
Fejej ait au point j une profondeur de 2",68 au-dessous de la
marée basse.
Il y aurait encore une autre manière d'opérer, qui consisterait à
— 9311 —
mettre la tranchée du seuil de Gabès en communication avec celle
du chott Fejej dès que le plafond de cette dernière se trouvera au
niveau de la marée basse. Une colonne d’eau de 2 mètres de hau-
teur s’engagerait alors dans la tranchée, à marée haute. À marée
basse, on intercepterait la communication au moyen de vannes,
et l’on ferait fonctionner les machines à vapeur.
On pourrait enfin supprimer complètement Femploi des ma-
chines en emmagasinant l’eau de la mer, au moment de la marée
haute, dans des bassins de retenue établis à l'embouchure de
l'oued Melah. Ces bassins serviraient plus tard de port. On obtien-
drait alors un courant permanent d'environ 2 mèires de hauteur
dans la tranchée du chott Fejej. En procédant ainsi, il faudrait
300 jours environ pour approfondir cette tranchée de 2,68. Je
crois que le moyen le plus simple et le plus expéditif sera de pro-
fiter de l'installation des machines et de les employer jusqu’à la
fin.
On voit donc que les masses d'eau contenues dans la partie
centrale du chott Djerid ne nous apporteront, ainsi que je l'ai dit
plus haut, qu'un appoint qui se traduira par une économie de
temps; supposons, en effet, quelles n'existent pas. Les eaux de
l’oued El-Hamuma, jointes à celles. de la mer élevées à l’aide de
machines, auraient alors à entraîner les déblais nécessités par
l’'approfondissement de la tranchée supérieure, aussi bien dans le
chott Djerid que dans le chott Fejej, et l'opération demanderait
un temps à peu près double.
Au momentoù le canal-amorce se trouvera définitivement creusé,
le volume introduit dans lechott Rharsa s'élèvera à 136,600,000 mè-
tres cubes de déblais, plus 6,012 millions de mètres cubes d'eau
provenant du chott Djerid, de l’oued ElHamma et de la Méditer-
ranée. Le chott Rharsa ayant, d’après nos dernières observations,
unesuperficiede 1,390 kilomètres carrés et une profondeurmoyenne
de 24 mètres, se trouverait alors rempli jusqu à la cote 19°,58 au-
dessous du niveau de la mer. Mais cette opération ayant duré 2 ans et
267 jours, pendant lesquels l'évaporation aura absorbé 2°,75 d'eau,
le niveau de l’eau se trouvera en réalité à 22",33 au-dessous de
celui de la mer.
Transformation de la tranchée initiale en canal définitif. — Calcul
du temps nécessaire. — II nous reste maintenant à rechercher dans
— 378 —
quelles conditions s’effectueront lapprofondissement et l'élargis-
sement de la tranchée initiale, c'est-à-dire sa transformation en
canal ayant 49 mètres de largeur au plafond, 8 mètres de pro-
fondeur au-dessous du niveau de la mer à l'embouchure de l’oued
Melah et une pente de 3 centimètres par kilomètre qui le fera dé-
boucher dans le chott Rharsa à la profondeur de 14",81 au-dessous
du niveau de la mer.
Dans la rectification du cours de la Meuse, on a obtenu 80 mè-
tres d’élargissement pour un approfondissement de 10 mètres.
L'action des eaux avait été régulière, et le rapport entre l'appro-
fondissement et l'élargissement à peu près constant. En admettant
que les choses se passent à peu près de la même manière dans la
tranchée initiale, ce que l’on obtiendra toujours en dirigeant l'opé-
ration au moyen d'excavateurs, il s'y produira 1 mètre d'appro-
fondissement pour 8 mètres d’élargissement. Si l'on fait le calcul :
des déblais pour chaque approfondissement successif de 1 mètre
correspondant à un élargissement de 8 mètres, on obtient la pro-
gression arithmétique suivante, dont la différence est égale à
4,015,260, chiffre qui représente la longueur du canal multipliée
par 18 : 60,303,899, 64,319,149, 68,334,409, 72,349,669,
76,364,919, 80,380,189. D'un autre côté, en calculant les sec-
tions liquides moyennes et les vitesses correspondantes, on trouve
pour les sections : 32, 81, 148, 223, 336 et 457 mètres carrés |;
et pour les vitesses : 0",4569, 0",6136, 0",7490, 0",8910,
1°,0106 et 1",1291 par seconde. Si l'on calcule d’après ces don-
nées le temps nécessaire pour chaque approfondissement de
1 mètre, en tenant compte des eaux de l'oued El-Hamma, et en
admettant toujours que les eaux entraînent les déblais dans la
proportion de 1/25 de leur volume, on trouve 707 jours pour le
1° mètre, 314 pour le 2°,162 pour le 3°, 96 pour le 4°, 63 pourle
5°, et 44 pour le 6°; en tout 3 ans et 291 jours, pendant lesquels
422,587,000 mètres cubes de limon et 10,564,675,000 ainètres
cubes d’eau, ensemble 10,987,262,000 mètres cubes, auront été
introduits dans le chott Rharsa, dont le niveau aurait été ainsi
? Les vitesses sont calculées d’après la formule de Prony :
U—1/0,005163 + 3233 R 1 — 0,0718,
dans laquelle U représente la vitesse moyenne, R le rayon moyen et I la pente
par mètre.
j
d —
?
|
;
— 379 —
exhaussé de 7",90. Mais le travail ayant duré 3 ans et 291 jours,
ce chiffre, se trouvera, par suite de l’'évaporation , réduit à 4”,10.
Le niveau du chott Rharsa se sera donc élevé de la cote — 22,33
à la cote — 18",23 et par conséquent restera encore à 3,42 au-
dessous du plafond du canal, qui débouchera dans le chott Rharsa
à la cote — 14,81.
On voit que le système d'entrainement des déblais par le
courant ne peut occasionner aucun encombrement dans le chott
Rharsa, puisque ces déblais ne pourront s’y déposer qu'au-dessous
du plan horizontal passant par la cote — 1/4",81, et que par con-
séquent, même au débouché du canal, où il se produira probable-
ment une accumulation de matériaux, la profondeur d’eau sera
au moins de 14,81 1.
C’est à ce point de vue que nous nous trouvons dans des condi-
üons exceptionnellement avantageuses. Dans les travaux analogues
entrepris à l'embouchure de la Meuse, le courant subissait né-
cessairement, en arrivant dans la mer du Nord, un ralentissement
notable. Les matières terreuses entraînées jusque-là se déposaient
alors et formaient une barre qui eût interdit à la navigation l'accès
du nouveau lit. Il a fallu faire des dragages importants et perdre
ainsi une partie du bénéfice qu'on avait réalisé en utilisant l’ac-
tion des eaux. Nous ne rencontrerons aucune ditficulté de cette
nature.
Seuil d’Asloudj. — Déblais à exécuter de main d'homme. — Entre
le chott Rharsa et le grand bassin du chott Melrir se trouve le
petit seuil d’Asloudj, dans lequel on creusera, suivant la ligne
J,1,H,G,F,E,D, C, une tranchée à laquelle donnera, comme
précédemment, 1 mètre de largeur au plafond et une pente de
3 centimètres par kilomètre vers le chott Melrir. Elle partira dans
le chott Rharsa de la cote — 8 qui se trouve à 3 kilomètres à l'Est
du point J. Elle aura les profondeurs suivantes au-dessous du
sol : au point J, 3,21; au point I, 6,73; au point H, 15,26;
au point G, 6,45; au point F, 7,58; au point E, 18,66; au
1 On doit même compter sur 15”,81, car, ainsi que je l'ai expliqué dans mon
rapport précédent (page 48) en me fondant sur l'exemple du lac Timsah et des
lacs Amers, le niveau qui s’établira dans la mer intérieure sera, selon toute pro-
babilité, le niveau moyen entre la marée basse et la marée haute du golfe de
(abès.
— 9300 —
point D, 3",74, et viendra affleurer dans le lit du chott Melrir à
l'Est du point C, à l'altitude de 8*,74 au-dessous du niveau de la
mer. Les déblais s'élèveront à 2,044,524 mètres cubes.
Dès que les eaux seront arrivées dans le chott Rharsa à hauteur
du plafond de ce chenal, elles s’y engageront et se creuseront ra-
pidement, en se précipitant vers le chott Melrir, une large commu
nication à travers le petit seuil. d'Asloudj.
Entrainement des déblais par les eaux. — Dans l'exposé du sys-
ième quil est rationnel d'adopter pour creuser économique-
ment un canal de communication entre les chotts et le golfe de
Gabès, j'ai admis que les eaux entraineraient les matières ter-
reuses dans la proportion de 1/25 de leur volume. Il est clair que
le courant ne sera pas assez forl pour arracher aux berges et au
plafond de la tranchée cette proportion de matières terreuses;
mais On arrivera au résultat demandé en procédant de la manière
suivante :
Dans le percement de l'isthme de Suez, des hommes d'une grande
valeur, et notamment M. Sciama, ingénieur en chef des travaux,
avaient songé à profiter de la dépression des lacs Amers pour bâter
le creusement du canal au moyen du courant!. M. Sciama avait
proposé d'employer, afin de faciliter l'entrainement des matières
terreuses par les eaux, des coques de bateau munies d’un appa-
reil capable de s'abaisser et de se relever à la demande et armé,
à son extrénuté inférieure, de socs de charrue pénétrant de
30 centimètres dans le sol.
Nous appliquerons ce système, en employant des excavateurs-ou
appareils fouilleurs pour désagréger, au-dessous de la ligne d’eau,
les berges et le plafond des tranchées initiales. Par suite de la na:
ture du sol, au fur et à mesure que le pied des talus sera rongé,
les terres descendront d’elles-mêmes dans les tranchées et seront
entraînées par le courant. S'il arrive par exceplion que, sur cer-
tains points, les parties supérieures des berges se maintiennent, alors
que les parties inférieures seront excavées, on en déterminera la
chute au moyen de quelques cartouches de dynamite-gomme.
Les excavateurs seront des appareils d'une grande simplicité. La
! Etude géologique de l'isthme de Suez dans ses rapports avec l'exécution du canal :
maritime, par E. Tissot (Turin, 1865).
ER
force de leur machine sera surtout employée à leur faire remonter
le courant lorsqu'ils auront fourni toute leur course en descendant.
La remonte sera facilitée par une chaîne de touage disposée dans
le chenal. Un excavateur de la force de 20 à 25 chevaux, coûtant
de 25,000 à 30,000 francs, soulèvera 5,000 mètres cubes de terre
par jour. Avec vingt de ces appareils, on désagrégera 100,000 mè-
tres cubes de terre par 24 heures.
En tenant compte de l’oued El-Hamima, le volume d'eau qui
s’écoulera en moyenne par 24 heures dans la tranchée supérieure
du chott Fejej, pendant la première période de 37 jours, sera de
1,045,900 mètres cubes. Le courant devra entrainer 41,830 mè-
tres cubes de terres, sur lesquels 38,150 seront situés au-dessous
de la ligne d’eau; il suffira donc de faire fonctionner sept ou huit
appareils Sciama. Pendant la dernière période de 32 jours, la
tranchée débitera par 24 heures 2,657,000 mètres cubes d’eau,
qui charrieront 106,300 mètres cubes de limon, dont 69,720 ex-
traits au-dessous de ia ligne d’eau; on emploiera alors quatorze
appareils. On voit donc que la réussite de l'opération est certaine,
puisqu'on ne demandera au courant d'autre service que d’entrai-
ner les déblais que les appareils auront soulevés.
Examinons maintenant ce qui se passera dans la transformation
de la tranchée initiale en canal à grande section. Pour chaque ap-
profondissement de 1 mètre correspondant à un élargissement de
8 mètres, le cube à déblayer au-dessous de la ligne d’eau (niveau
de la marée basse) sera successivement de 6,692,800 mètres cubes
pour le 1° mètre; 10,707,360 pour le 2°; 14,722,620 pour le 3°;
18,737,880 pour le 4°; 22,753,880 pour le 5°; etenfin 26,678,400
pour le 6°. Nous avons vu que ces approfondissements successifs
dureraient 707 jours pour le 1*% mètre; 314 pour le 2°; 162 pour
le 3°; 96 pour le 4°; 63 pour le 5° et 44 pour le 6°. En divisant
chaque volume par le nombre de jours correspondant, on recon-
naît que le courant devra extraire en dessous de la ligne d’eau
0,464 mètres cubes par jour pendant la 1° période; 34,080 pen-
dant la 2°; 90,800 pendant la 3°; 195,500 pendant la 4°; 361,300
pendant la 5°, et 607,700 pendant la 6°. Le nombre de mètres
cubes de terres que le courant devra déblayer en 24 heures au-
dessous de la ligne d’eau, pendant les trois dernières périodes,
sera donc supérieur à celui que peuvent désagréger vingt excava-
teurs ; mais il faut remarquer que la vitesse sera de 83 centimètres
— 382 —
par seconde au début de la 4° période, et qu'elle augmentera
progressivement de manière à atteindre 1,18.
H est hors de doute qu'un courant semblable exercera une
action érosive puissante sur des terres incessamment fouillées par
vingt excavateurs; mais en admettant même qu'il n'entraine abso-
lument que les terres soulevées par ces appareils, il n’en résulte-
rait pas un ralentissement considérable. Le temps nécessaire au
déblayement serait porté de 96 à 187 jours pour la 4° période;
de 63 à 227 pour la 5°; de 44 à 267 pour la 6°, et la trnasforma-
on de la tranchée initiale en canal à grande section demanderait
alors 5 ans et 39 jours au lieu de 3 ans et 291 jours.
Le volume total des déblais entraînés par les eaux depuis le
commencement des travaux s’élèvera alors à d61,187,000 mètres
cubes. Tous ces déblais se seront déposés à la profondeur de 14°,8 2,
au moins, au-dessous du niveau de la mer. En admettant qu'ils
s'étalent uniformément sur le lit du chott Rharsa, dont la super-
ficie est de 1,390 kilomètres carrés, ils n’en surélèveraient le fond
que de 25 centimètres.
Dès que le canal de communication aura été approfondi de
6 mètres, ce qui le fera déboucher dans le chott Rharsa à lalti-
tude de —1/4",81, on cessera de faire usage des excavateurs. Malgré
la rapidité du courant, qui atteindra alors 1,18 par seconde, les
eaux exerceront une action bien moins puissante sur les berges du
canal dès que celles-ci ne seront plus incessamment ameublies par
les appareils fouilleurs. On peut admettre cependant qu'en raison de
leur vitesse et du peu de consistance des terrains, elles produiront en
moyenne un déblayement égal à 1/400 de leur volume. À ce mo-
ment, le volume d’eau à jeter dans le chott Rharsa pour le remplir
complètement sera encore de 25,340 millions de mètres cubes. La
capacité du chott Melrir est de 160,800 millions de mètres cubes.
Les masses d’eau qui devront encore s'écouler dans le canal avant
le remplissage des bassins s’élèvera donc à 186,140 millions de
mètres cubes. En calculant sur la proportion de 1/400 , elles produi-
ront un déblayement de 465 millions de mètres cubes de terre. Le
bassin des chotts sera alors relié au golfe de Gabès par une largeet
magnifique communication ayant une profondeur d’une quinzaine
de mètres, une largeur au plafond de 120 mètres environ et des
berges suivant F'inclinaison naturelle des terres.
Ce volume énorme de 465 millions de mètres cubes, en se
DRE. io ag tt 2
— 383 —
répartissant uniformément dans le chott Rharsa , n’en exhausserait
le fond que de 33 centimètres. Il est évident que les choses ne
se passeront pas tout à fait ainsi, mais l'essentiel est que les dé-
pôts ne s'accumulent pas au-dessus d’une certaine profondeur.
Une fois arrivées au niveau du plafond du canal, les eaux com-
menceront à s'élever dans le chott Rharsa au-dessus de la cote
— 14,81 ;maiselles ne dépasseront guère la cote—8, car, parvenues
à cette hauteur, elles s'écouleront dans le chott Melrir par la tran-
chée initiale du seuil d’Asloudj. Cette tranchée ayant une section
moins grande que le canal du chott Djerid , les eaux s’élèveront mo-
mentanément au-dessus de l'altitude — 8; mais la vitesse du cou-
rant augmentera rapidement dans la tranchée du seuil d’Asloudj et
ouvrira, en peu de temps, à travers les argiles et les sables très
peu consistants qui constituent ce petit seuil une large communi-
cation dont le plafond atteindra la profondeur de 15 à 20 mètres
au-dessous de la mer. Les eaux redescendront donc dans le chott
Rharsa et ne commenceront à s'élever de nouveau que lorsque le
niveau du chott Melrir aura atteint celui du chott Rharsa.
Pendant toute cette période, les déblais ne pourront se déposer
qu'au-dessous de l’altitude — 8. Ils tendront à s’'accumuler près
du débouché du canal. Mais le courant qui s’établira dans le chott
Rharsa entre le canal du choit Djerid et celui du seuil d’Asloud;
les transportera successivement vers le centre du bassin.
Lorsqu'on cessera de faire usage des appareils fouilleurs, la vi-
tesse du courant dans le canal sera de 1,18 par seconde. Cette
vitesse croîtra en même temps que la section du canal, jusqu’à
atteindre 1°",50. Mais dès que les eaux se seront élevées dans les
bassins du Melrir et du Rharsa à l'altitude —1 4,8 1, la vitesse com-
mencera à décroître progressivement, et ne sera plus que de 0",93
au moment où le niveau aura atteint l'altitude — 8. Elle continuera
ensuite à diminuer, de manière à devenir nulle lorsque les bassins
seront entièrement remplis. Les berges du canal, soumises précé-
demment à des vitesses supérieures à 1”,18, résisteront proba-
blement à des vitesses inférieures à 0”,93. Dans tous les cas, la
proportion des matières terreuses entraînées, très faible d’abord,
tendra à devenir bientôt nulle, et le courant qui régnera toujours
dans le chott Rharsa, entre le canal du Djerid et celui d’Asloudj,
les entraînera vers la partie centrale du bassin. |
Une fois le remplissage effectué, le canal n'aura plus à fournir
— 384 —
annuellement à la mer intérieure que les 8,090 millions de mètres
cubes absorbés par l'évaporation. Il s'y produira un courant supé-
rieur allant du golfe de Gabès vers les chotts, courant dont il est
difficile de calculer la vitesse; car, d'une part, il s’établira en
même temps un contre-courant inférieur ! qui ramènera dans la
Méditerranée les eaux lourdes surchargées de sel, et, d'autre part,
une grande partie de l'eau que la mer intérieure perdra par suite
de l'évaporation lui sera rendue par les pluies et les rivières. De
là, deux actions contraires tendant, la première à augmenter la
vitesse du courant supérieur, la seconde à la diminuer. En admet-
tant qu'elles s’équilibrent, quoique le volume d’eau restitué par
les pluies et les rivières doive, sans aucun doute, être de beaucoup
le plus considérable, le courant supérieur aura une vitesse de 13
à 14 centimètres par seconde, et ne pourra, par conséquent, exer-
cer aucune action appréciable sur les berges du canal.
Ces chiffres sont la meilleure réponse que je puisse faire aux ob-
jections formulées par M. Naudin devant l'Académie des sciences®?.
On voit, en effet, que la puissance d’érosion des courants dont
l'honorable membre de l’Institut redoutait les effets, loin d'être
nuisible, sera, au contraire, d'un puissant secours, puisqu'on
l'utilisera pour creuser à peu de frais un vaste canal de commu-
nication. Quant aux déblais entraînés pendant l'opération, ils dis-
paraîtront, pour ainsi dire, dans le seul bassin du chott Rharsa,
qui, cependant est six fois moins grand que celui du chott Melrir.
L'opération une fois terminée, le courant qui s’établira dans le
canal, pour contre-balancer l'évaporation, aura une vitesse telle-
ment faible que sa puissance d’érosion sera nulle.
J'ai fait le calcul des déblais en admettant pour tous les talus
des pentes à 45 degrés. Cette inclinaison pourra sembler trop
forte. Mais je ferai remarquer qu'il suffira que les talus se main-
tiennent pendant le temps strictement nécessaire au creusement
des tranchées initiales. S'il se produit ensuite des éboulements,
is seront culbutés et entraînés lorsque le courant s’établira dans
les tranchées. À’ ce sujet, d’ailleurs, je ne puis mieux faire que
de reproduire le passage suivant d’une lettre de M. Dauzats,
ingénieur à la Compagnie de Suez :
! Voir à ce sujet le rapport de 1877, de la page 88 à la page 94.
? Voir page 319.
— 989 —
« Que se passera-t-il dans la tranchée Évidemment des ébou-
lements importants se produiront au fur et à mesure que le pied-
des talus sera rongé et excavé par le courant. Ces éboulements
pourront même avoir parfois une grande importance. Qu’arrivera-
t-il alors ?
«Les eaux s'accumuleront derrière ce barrage accidentel, jus-
qu'à ce que leur poussée soit suffisante pour le culbuter; cette
poussée sera d'autant plus puissante que les eaux continuant à
couler en aval, la différence de niveau augmentera la charge d'en-
trainement. La veine liquide ne pourra pas tourner l'obstacle, puis-
qu’elle rencontrerait latéralement une résistance plus grande dans
les terrains vierges; l’'ebstacle sera donc nécessairement emporté.
Si par extraordinaire, au début de l'opération, la masse éboulée
résistait à la poussée des eaux, on en serait quitte par l'exécution
de quelques terrassements qui viendraient l'aider.
«Je ne vois donc pas en résumé qu'aucune objection sérieuse
puisse être opposée à ce système, aussi simple qu'économique, de
relier les chotts avec la mer et d'obtenir un chenal suffisant pour
la navigation. »
Pour plus de simplicité, j'ai calculé les déblais et les vitesses
d'écoulement du canal définitif en adoptant des talus à +. Mais
ilest évident que les berges prendront la pente naturelle des terres.
. Rien ne sera plus facile d’ailleurs que de les adoucir et de les
retoucher sur les points où cela paraîtra nécessaire. Il suffira de
faire tomber les déblais dans le canal, d’où ils seront entraînés
dans le chott Rharsa. Si, comme cela est probable, les talus pren-
nent une inclinaison inférieure à A5 degrés, le résultat sera d’aug-
menter la section el la vitesse, et par conséquent de réduire le
temps nécessaire au remplissage. |
Temps nécessaire au remplissage. — Au moment où l’on cessera
de faire usage des. appareils fouilleurs, la section liquide dans le
canal de communication sera de 522 mètres carrés. Le courant,
dont la vitesse aura atteint 1°,18 par seconde, versera dans le
chott Rharsa 53,625,000 mètres cubes d’eau par jour. La section
augmentera progressivement, et sera d'environ 1,875 mètres carrés
lorsque les eaux, par leur seule puissance d'érosion, auront en-
trainé 465 millions de mètres cubes de nouveaux déblais. Quant
à la vitesse, elle croîtra en même temps que la section et atteindra
MISS. SCIENT. —— VII. Le 29
— 386 —
»,50 par seconde quand les eaux seront arrivées dans les bassins
du Melrir et du Rharsa à l'altitude de — 14",81. Le débit du canal
sera à ce moment de 282:,250,000 mètres cubes par jour. Le débit
moyen, pendant cette période, sera donc de 167,437,o00 mètres
cubes. Le volume d’eau à introduire pour élever dans Les deux bas-
sins le niveau jusqu’à l'altitude — 14,81 sera de 66,331 mil-
lions de mètres cubes, qui seront fournis par le canal en
396 jours.
La vitesse commencera ensuite à décroître, et lorsque les eaux se
seront élevées à l'altitude — 8, elle ne sera plus que de 6",937 par
seconde. Le canal débitera alors 86,722,000 mètres cubes par
jour. Le débit moyen, pendant cette seconde période, sera donc de
184,486,000. Le volume d'eau nécessaire pour remplir les chotts
de la cote— 1/4",82 à la cote — 8 étant de 55,292,900,000 mètres
cubes, cette partie du remplissage s'effectuera en 300 jours.
Le débit et la vitesse continueront à diminuer, de manière à
devenir nuls au moment où les bassins seront complètement rem-
plis. En prenant ==" mètres cubes, comme débit moyen pen-
dant cette dernière période, on voit qu’il faudra encore 1,492 jours
pousique l'eau s'élève, dans le bassin des chotts, au niveau de la
marée basse du golfe de Gabès.
L'opération du remplissage dureraiït donc six ans environ; mais
dès la fin de la deuxième année, le bassin des chotts sera recou-
vert d’une couche d’eau de 16 mètres de profondeur, accessible à
la navigation, et dont l'influence bienfaisante se fera sentir sur le
climat de la contrée. À la fin de la quatrième année, les bateaux
d’un faible tonnage pourront déjà circuler dans le canal de com-
munication.
Ces calculs, d’ailleurs, ne sont que des approximations desti-
nées à donner un aperçu du temps nécessaire au remplissage. Il
n'existe pas de données précises permettant de les établir rigou-
reusement. Je rappellerai, à ce sujet, que la rapidité du remplis-
sage des lacs Amers a dépassé toutes les prévisions théoriques
fondées sur des calculs analogues. Bien que les eaux aient été re-
tenues et modérées par des déversoirs, et que le plafond du canal
fût absolument horizontal, le remplissage a pu être effectué en
sept mois. Le chiffre de six ans doit donc être considéré comme
un maximum qui sera notablement réduit. Aussi n’ai-je pas cru
devoir tenir compte de l'évaporation. En la faisant intervenir, on
— 387 —
trouve que la durée du temps nécessaire au remplissage serait
portée de six ans à huit ans,
Durée des travaux. — On peut estimer que les déblais à exécuter
de main d'homme exigeraient environ deux ans. Nous avons vu qu'il
{faudra 2 ans et 267 jours pour l’'approfondissement de la tran-
chée supérieure des chotts; 3 ans et 291 jours, pour la transfor-
mation de la tranchée initiale en canal à grande section. Cela fait
en tout huit ans et demi environ pour la durée des travaux.
FRAIS D’EXÉCUTION.
Les déblais de la tranchée initiale du seuil de Gabès, y com-
pris ceux du canal à grande section qu'il faut .creuser de main
d'homme dans la section À r où se trouve le calcaire, s'élèvent à
36,42 2,538 mètres cubes de sables et argiles et à 1,4/49,000 mè-
tres cubes de calcaire : ensemble 37,871,538 mètres cubes. L’opi-
nion formelle de MM. de Lesseps et Dauzais, ingénieur de la Com-
pagnie de Suez, est que ces terrassements coûteront au plus 1 franc
le mètre cube, tous frais généraux compris. Il est facile de démon-
trer par des exemples que ce prix doit être largement suffisant.
Dans le projet d'amélioration de la navigation de la Scine entre
Paris et Rouen établi par M. Cheysson, ingénieur des ponts et
chaussées, directeur du Bureau de la statistique au Ministère des
travaux publics, on trouve le devis suivant :
« Terrassements à sec et sous l’eau du canal, des ouvrages d'art
el.de leurs dépendances, dans un terrain quelconque méme de
rocher, y compris fouille, charge, transport au lieu d'emploi, dé-
charge, régalage, dressement des plates-formes et des talus, reprise,
sujétions et.faux frais quelconques : 1 fr. 60 cent. le mètre cube. »
Dans ke même projet, le salaire des ouvriers et manœuvres est
fixé à 4o centimes l'heure, ce qui fait 4 fr. 4o cent. pour une
journée de onze heures. Pendant les opérations de sondage que
jai fait exécuter dans la région des chotts, j'avais d'excellents
ouvriers indigènes que Je ne payais que 1 fr. 50 cent. par jour,
J'aurais pu les payer encore moins cher, car les Arabes arrivaient
au camp par bandes, demandant à travailler moyennant 1 franc ef
25.
— 388 —
1 fr. 20 cent. D’après ce que j'ai vu, je suis persuadé que, si
l'on met le projet de mer intérieure à exécution, on trouvera
des manœuvres arabes en aussi grand nombre qu’on le désirera.
Peut-être sera-t-on amené à augmenter progressivement les prix.
Dans tous les cas, on n'arrivera pas à dépasser 2 francs par jour.
La conséquence est facile à tirer. Si les terrassements dans un
terrain quelconque, même de rocher, ne reviennent qu'à 1 fr.
6o cent. le mètre cube, alors que le salaire des manœuvres est fixé
à 4 fr. 50 cent. par jour, ils ne coüteront que de 50 à 70 centimes
dans un pays où les manœuvres ne se payent que de 1 fr. 50 cent.
à 2 francs par jour. Quoique le calcaire n'entre que dans une
faible proportion dans les déblais du seuil de Gabès, je prendrai
pour l'évaluation du mètre cube le prix maximum de 1 franc,
ce qui fait 37,871,538 francs. Le volume des déblais de la tran-
chée des chotts s'élève à 9,989,653 mètres cubes, celui de la tran-
chée du seuil de Mouiïat Sultan à 7,382,949 metres cubes, et
enfin celui de la tranchée du petit seuil d'Asloudj à 2,044,525 mè-
tres cubes : en tout 19,417,127 mètres cubes, D'après ce que je
viens d'exposer, ces déblais en terrain facile reviendront au maxi-
mum à 70 centimes le mètre cube, ce qui fait 13,591,989 francs.
Il reste enfin à évaluer la dépense des deux machines de 550 che-
vaux et des excavateurs. Le prix d’une machine de 500 chevaux
avec À chaudières de rechange peut être estimé à 450,000 francs.
La dépense en charbon est de 1 kilogramme par cheval et par
heure. En évaluant le charbon à 40 francs les 1,000 kilogrammes,
on trouve 918,720 francs pour les deux machines fonctionnant
pendant 2 ans et 140 jours. Vingt excavateurs de la force de 25 che-
vaux coûleront ensemble 600,000 francs. Ils consommeront 25,5
de charbon par cheval et par heure, ce qui donne pour chacun
d'eux une dépense par jour de 1,500 kilogrammes de charbon ou
de 60 francs. Ces vingt appareils ne fonctionneront simultanément
que vers la fin des opérations. Le cube des déblais à extraire au-
dessous de ia ligne d’eau est de 39,644,000 mètres cubes pour
l'approfondissement de la tranchée supérieure des chotts et de
77,629,060 mètres cubes pour la transformation de la tranchée
initiale en canal à grande section, ce qui fait un total de
117,293,000 mètres cubes. Ün excavateur pouvant soulever
5,000 mètres cubes par jour, les vingt excavateurs réunis devront
fournir 23,458 journées de travail, qui, à 60 francs l’une, occa-
— 389 —
sionneront une dépense de 1,407,480 francs. En récapitulant,
nous aurons :
Tranchée du seuil de Gabès......... RCE PCT 5 ce
AUÉFES (TARCNESS à 5e mu ou eo. o 0 Fe se oem de 13,991,989
Prix de deux machines de 550 chevaux......... 900,000
Dépense en charbon pendant deux ans........... 918,720
Prix de vinghexcitateurs. ss ndlà 021 tut re 600,000
Dépense en cliarbon de ces appareils MERE 2e a vs, 4 407.000
HORAE ah. à 59,289,247
En ajoutant 20 millions pour les dépenses imprévues, on arrive
au chiffre de 75 millions, avec lequel on est certain de faire large-
ment face à toutes les éventualités.
Je ferai remarquer en effet que je me suis toujours placé dans
les conditions les plus défavorables. Ainsi j'ai supposé que l'on
ferait exécuter de main d'homme tous les déblais de la tranchée
supérieure, des chotts Fejej et Djerid; mais, grâce aux eaux de
l'oued El-Hamma et aux nappes d'infiltration dont le lit des chotts
est imbibé, la presque totalité de ces déblais pourra être enlevée
à la drague. Le prix de revient. du mètre cube sera alors de 50
à 4o centimes, au lieu de 70 centimes, comme je l’ai compté, ce
qui produira une économie de plusieurs millions. D'un autre côté,
le cube des déblais du seuil de Mouiat Sultan est fort exagéré.
Comme je l'ai déjà dit, le sol de ce seuil est très tourmenté et couvert
de larges excavations dont la profondeur atteint de 10 à 15 mètres.
En faisant le vivellement, on ne pouvait suivre toutes les inflexions
du terrain, et les mires étaient toujours placées sur les points les
plus élevés du sol. J'ai calculé les déblais d'après les coles des
mires, sans tenir compte des vides profonds qui se trouvaient entre
elles. D'après des calculs approximatifs, il aurait fallu réduire
de plus d’un quart le volume des déblaïs, mais j'ai mieux aimé
donner un chiffre certainement trop fort que de m’exposer à com-
mettre une erreur en sens contraire. Je n’ai tenu également aucun.
comptt, ainsi que je l'ai déjà expliqué, des affaissements plus ou
moins considérables qui se produiront dans la partie centrale du
chott Djerid lorsque les eaux qui y séjourneni auront été déver-
sées dans le chott Rharsa. Ces raisons expliquent suffisamment
pourquoi en revanche je n’ai tenu dans le calcul des déblais aucun,
compte du foisonnement.
— 390 —
Les sondages exécutés au sommet du seuil de Gabès ont prouvé
que le terrain y est excessivement tendre. Au sondage n° r bis, si-
tué sur le trajet du canal, on est arrivé en quatre ou cinq Jours,
malgré le peu de puissance des appareils, à la profondeur de 30 et
quelques mètres. À deux ou trois reprises différentes, vers la pro-
fondeur de 15 ou 16 mètres, is sondes se sont enfoncées d'un
seul coup de plus de 1 mètre, comme si elles avaient rencontré
un miieu fluide. Ce fait s'était également produit au sondage
LS LES
Aïnsi que M. Dru le fait ressortir dans sa notice sur le régime
des eaux de la région des chotts, partout le sol recèle à une faible
profondeur des nappes d'eau considérables, grace auxquelles äl
sera facile de pourvoir à tous les besoins des chantiers. C’est là un
point des plus importants. Il ne faut pas oublier, en effet, qu'à
l'isthme de Suez, on a dù dépenser des sommes énormes pour
aller chercher les eaux du Nil, et les amener jusqu'à Ismailiah et
Suez, au moyen d'un canal de 150 kilomètres de longueur.
En considérant l'importance et la grandeur de l'œuvre, on ne
peut s'empêcher d'être frappé de la modicité des dépenses qu'exi-
gerait sa réalisation. Cela tient aux conditions toutes particulières
dans lesquelles se trouve le problème à résoudre. Aussi, en entrant
dans le détail des procédés d'exécution, ce que j'ai cherché surtout
à démontrer, c'est que l’on pouvait, en utilisant la force dyna-
mique des eaux, accomplir à peu de frais un travail gigantesque.
Je n'ai pas la prétention d'avoir exposé un projet qui doive être
suivi de point en point; on peut lui faire subir différentes mo-
difications. On peut, par exemple, adopter un autre type pour les
tranchées initiales, et augmenter leur pente afin d’obtenir des
vitesses plus grandes et de rendre ainsi l’action des eaux plus
sûre. On pourrait également supprimer les machines et n'employer
que les eaux de loued El-Hamma pour approfondir la tranchée
supérieure du chott, quitte à creuser directement la section com-
prise entre les points} et #, en amont de cette rivière. On écono-
miserait d'une part 2 millions environ sur les machines, mais
on aurait 5 ou 6 millions de plus à dépenser pour la section 74
et le temps nécessaire à l'exécution du travail serait augmenté.
J'ai fait aux dépenses imprévues une part assez large pour que ,
dans tous les cas, le chiffre de 75 millions ne soit pas dépassé.
il'est probable qu'il ne sera pas atteint.
AS CORRE +
— 391 —
Monsieur le Ministre,
Je viens de résumer dans un exposé aussi succinct el aussi
consciencieux que possible le résultat des divers travaux exécutés
dans la région des chotts pendant la mission que vous m'aviez
confiée. De nombreuses objections avaient été élevées contre
l'opportunité de la submersion du bassin des chotts. J'aurais pu
me retrancher derrière le rapport fait à l’Académie des sciences
par M. le général Favé, mais je n'ai pas voulu éludér la discus-
sion; j'ai tenu à démontrer qu'aucune de ces objéctions n'était
fondée, et que la création de là mer intérieure amènerait une
amélioration profonde dans le climät de l'Algérie et de la Tuni-
sie, amélioration qui se traduirait par un accroissement con-
sidérable de la richesse agricole de ces contrées. À ce point de vue,
la réalisation du projet intéresse profondément l'Algérie et; par
conséquent, la France entière. Il y a là une question de prospérité
générale dont l'importance ne pouvait échapper au Gouvernement.
Grâce à son appui, toutes Îes études nécessaires ont été faites. Elles
ont prouvé que, non seulement aucun obstacle sérieux ne s’op-
pose à l'exécution du projet, mais que l'homme sera au con-
traire puissamment secondé par la nature, puisqu'il pourra faire
accomplir la plus grande partie du travail par les eaux destinées à
remplir les bassins inondables. Dans les chapitres intitulés Procédés
d'exécution et Frais d'exécution, j'ai exposé les moyens à employer
pour arriver à ce résultat, et j'ai démontré qu'on fera largement
face à toutes les dépenses avec 75 millions, somme peu impor.
tante si on la met en regard de la grandeur de l’œuvre à accom-
plir.
Là se termine ma tâche. Il ne m'appartient pas, en effet, de re-
chercher par suite de quelles combinaisons financières les 75 mil-
lions nécessaires pourraient être affectés à la réalisation du projet.
Je mé bornerai à répéler ce que j'ai déjà dit dans mon rapport
précédent !, c'est que les dépenses seraient couvertes par les bé-
néfices directs, immédiats provenant des droits de passage, de na-
vigation, de pêche et de la concession d’une partie des terres situées
autour et principalement au Nord de la mer future. Ces terres,
absolument incultes aujourd'hui, acquerraient rapidement une
— 392 —
valeur sérieuse, d’abord à cause de leur fertilité naturelle, en-
suite parce qu'elles comprendront l'emplacement des nouveaux
ports. Mais ce qu’il faut surtout envisager, ce_sont les résultats gé-
néraux, tels que l'amélioration du climat et, par conséquent, le
développement de la richesse agricole de l'Algérie, la création d’une
voie de communication facile et économique qui apportera la sé-
curité au Sud de cette magnifique contrée et y imprimera un nouvel
essor au commerce et à l'industrie. C'est là ce qui rend la ques-
tion véritablement nationale. C’est ce qui a fait dire à notre grand
poèle ? :
« Le peuple est déshérité, le monde est désert : donnez-les lun
à l'autre, vous les faites heureux ! Étonnez l'univers par de grandes
choses qui ne sont pas des guerres. Ce monde, faut-il le conqué-
rir? Non. Il est à vous, il appartient à la civilisation, il attend.
Personne ne peut vous le contester. Allez, faites, marchez, colo-
nisez. Il vous faut une mer: créez-la. Une mer crée une navigation,
une navigation crée des villes. . . » |
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'hommage de mon pro-
fond respect. |
E. ROUDAIRE.
! Page 105.
2 Victor Hugo (Discours prononcé au Chäteau-d Eau, le 3 août 1879).
SAS de fé an > À Li die,
— 393 —
ANNEXE
AU
RAPPORT SUR LA MISSION DES CHOTTS..
J'avais chargé M. André, médecin-major au 15° bataillon de
chasseurs, mis à ma disposition par M. le Ministre de la guerre,
de faire des collections de plantes, de mollusques, d'insectes, d’a-
nimaux, de recueillir, en un mot, le plus de documents possible
sur la faune et la flore de la région des chotts. Ces collections ont
été classées et déterminées par MM. Cosson, Lataste, Morlet, Hé-
non, Leprieur, Simon. Je prie ces savants, qui m'ont si gracieuse-
ment prêté leur concours, d'agréer l'expression de ma reconnais-
sance. |
Voici la liste des collections :
| LISTE.
DES COQUILLES RECUEILLIES PAR M. LE D" ANDRÉ
PENDANT L'EXPEDITION DES CHOTTS
ET DESCRIPTION D’ESPÈCES NOUVELLES PAR: LE COMMANDANT L. MORLEI.
COQUILLES TERRESTRES EX FLUVIATILES |.
" Leucochroa candidissima, Moquin-Tandon. — Oued Meélah, oued
Akarit, djebel Aïdoudi, seuil de Gabès, plainé d'Hameïmet.
* Var. Perforata. — Plaine d'Hameimet.
* Leucochroa Bætica, Rossmässler. — Plaine d'Hameïmet.
* Helx aperta, Born. — Tebourba.
Helix nucula, Parreys. — Kri.
! Les espèces marquées d’un astérisque n'ont été recueillies qu'à l'état subfos-
sile ; cell:s qui sont marquées de deux astérisques ont été recueillies à l’état vivant
et subfossile; celles qui n'ont aucun signe n'ont été {trouvées qu'à l'état vivant.
+
+
*
*
*
pr
*
*
*
*
x
*
— 3594 —
Helix melanostomu, Draparnaud. — Tebourba, Zemlet el-Bida , plaine
d'Hameïmet, Bir Toquet, seuil de Gabès.
Helix vernuculata, Müller.— Oued Akarit, Tunis {consulat de France),
plaine d'Hameïmet, Zemlet el-Bida, Bir Toquet, seuil de Gabès.
* Var. Minor. — El-Bida.
Helix soluta, Michaud. — Plaine d'Hameïmet.
Helix Constantinæ , Forbes. — Tebourba.
Helix Malaspine, Bourguignat. — Tebourba.
. Helix Ehrenbergi, Bourguignat; var. Chilembia, Bourguignat. — Oued
Kebiriti et Oglat Beni Zid, plaine d'Hameïmet.
Helix lenticula, Férussac. — Tebourba, Kriz, plaine d'Hameïmet.
Helix Fleurat, Bourguignat. — Tebcurba.
Helix pulchellu, Müller. — Oued Melah.
Helix conspurcata, Draparnaud. — Tunis (consulat de France).
Helx Geryvillensis, Bourguignat. — Tebourba, Tunis (consulat de
France), la Manouba de Tunis.
Helix Durieui, Moquin-Tandon. — Oued Melah (embouchure).
Helix lauta, Lowe. — Aïn Oudref (var. déprimée), oued Melah, Dje-
rid, oued Akarit.
* Var. Alba. — Plaine d'Hameïmet.
Helix rufolabris, Benoit. — Kriz (une variélé plus grande que le type
y est.très répandue).
Helix Cretica, Férussac. — Oued Akarit.
Helix euphorca, Bourguignat. — Djerid, Berrada.
Helix Pisana, Müller. — Kriz, la Manouba de Tunis, Bir Toquet,
seuil de Gabès.
Var. Minor. — Kriz.
Helix subrostrata, Férussac. — Plaine d'Hameïmet.
Helix pyramidata, Draparnaud. — Aïn Oudref, Gabès, oued Melah,
Tebourba, oued Akarit, Zemlet el-Bida.
Helix cespitum, var. Draparnaud. — Plaine d'Hameïmet.
Helix Warnieriana, Bourguignat. — Kriz, Nefta.
Helix Lacosteuna, L. Morlet. (PI. VI, fig. 1, 2.)
Testa late umbilicata, discoidea, supra tectiformis, convextuseula, tra
convexa , acule carinata, regulariter et arcualim strialo-plicatula , albida, ma-
culis nebulosis, rufescentibus ornata ; anfractus 6 1/2, prunt lœves, lutes-
cenles , sequentes sensim crescenles , sulura subcrenulata et subexserta mar qurati
anfractus ultimus ad peripheriam depressus, vix descendens : umbilico late ,
— 395 —
perspeclwo, obluse angulato ; apertura obliqua, subrhomboidea, extus acute
angulata, margine basali arcuato-convexo ; peristoma simplex, acutum.
Hauteur, 10 millimètres ; diamètre, 22 miilimètres.
Coquille largement ombiliquée, discoide, tectiforme et un peu convexe
en dessus, plus bombée en dessous, fortement carénée à la périphérie,
ornée de stries pliciformes , régulièrement arquées et serrées ; couleur blan-
châtre , avec des taches nébuleuses d'un jaune brunâtre; six tours et demi de
spire; les premiers, lisses et jaunâtres; les suivants, déprimés, croissant
régulièrement et séparés par une suture subcrénelée et légèrement relevée ;
dernier tour déprimé à la périphérie, à peine descendant. Ombilic large,
permettant de voir les premiers tours , et obtusément anguleux. Ouverture
oblique, subrhomboïdale, très anguleuse en dehors; bord basal arqué et
convexe; péristome simple et tranchant.
Habitat. Chott Djerid, djebel Aïdouaï.
Observ. Cette espèce se rapproche de T'Helix Henoniana, Bourguignat;
mais il sera toujours très facile de l'en séparer, par sa forme générale, qui
est moins bombée, son ombilic beaucoup plus large et subanguleux, ses
stries plus régulières et plus fines, son ouverture plus anguleuse, son
dernier tour plus dilaté, sa taille plus forte.
Helx acutw, Müller. — Tebourba, Kriz, Nefta, Tunis (consulat de
France), la Manouba de Tunis.
Bulimus decollatus, Bruguière. — Tebourba, oued Akarit, Kriz,
Gabès, plaine d'Hameïmet, Zemlet el-Bida.
Ferussacia charopia, Bourguignat. — Kriz.
lerussacia procerula, Bourguignat. — Kriz.
Alexia Algerica, Bourguignat. — Aïn Oudref, oued Akarit, oued
Melah, Kriz.
Alexia Firmini, Payraudeau. — Oued Akarit (embouchure).
Alexia Michel, Mittre. — Oued Akarit.
Alexia bidentata, Montagu. — Oued Akarit (embouchure).
Planorbis subangulatus, Philippi. — Oued Melah.
Truncatella truncatula, Draparnaud. — Oued Akarit (embouchure),
Aïn Oudref.
Acme Letourneux:, Bourguignat. — Oued Akarit.
Hydrobia Peraudieri, Bourguignat. — Aïn Oudref.
Hydrobia acerosa, Bourguignat. — Ruisseau de la Hamma de Gabès.
Hydrobia arenaria, Bourguignat. — Ruisseau de la Hamma de Gabès,
Kriz, Dbabcha, oued Melah.
Hydrobia Duveyriert, Bourguignat. — Oued Akarit, Kriz.
Amnicola sumilis, Draparnaud. — Ruisseau de la Hamma de Gabès,
Kriz, oued Akarit, oued Melah.
— 396 —
Amnicolu Dupotetiana, Forbes. — Ruisseau de la Hamma de Gabès,
Aïn Oudref, oued Melah, Kriz (source chaude).
Amnicola pycnolena , Bourguignat. — Nefta, Kriz (source chaude).
LE:
Melania tuberculata, Müller. — Ruisseau de la Hamma de Gabes,
Ain Oudref, Kriz, oued Melah, Tozeur, plaine d'Hameïmet. |
* Var. Maxima. — Plaine d'Hameïmet, chott Djerid, près To-
zeur. :
Melanopsis Maroccana, Chemnitz. — Aïn Oudref, Kriz, Nefta, oued
Melah , plaine d'Hameïmet.
Var. Saharica, Bourguignat. — Nefta.
Melanopsis cariosa, Linné ; var. Sevillensis, Gra‘eloup. — Chott Dje-
rid’,
Melunopsis Tunetana, L. Morlet. (PI. VI, fig. 3, 4.)
Testa conoidea, elongata, subgracilis , solida, fusco-nigrescens , apice acuta,
interdum erosa; anfractus 6 convexti, primi nodoso-tuberculost, ultimus maxi-
mus 3/4 longitudinis superans, medio coarctatus, costis longitudinalibus ,
flexuosis, superne nodulosis, inæqualibus, vicinio suturæ evanescentbus or-
natus. Aperlura ovata, superne angulata, angusta, basi dilatata ; columella
obliqua, superne callosu ; canali basali late marginalo ; labro tenu, acuto, vix
arcuato. E
Longueur, 16 millimètres ; diamètre, 7°°,5.
Coquille conoïde, allongée, assez grêle, solide, opaque, d'un fauve noi-
râtre, aiguë au sommet, parfois érodée. Six tours de spire convexes ; les
premiers portant à leur partie moyenne une série transverse de tubercules
noduleux ; dernier tour grand, dépassant les trois quarts de la longueur
totale, rétréci et déprimé à la partie moyenne, orné de côtes longitudi-
nales, flexueuses, noduleuses , inégales, irrégulièrement développées, dis-
paraissant au voisinage de la suture. Ouverture ovale, anguleuse, linéaire
à sa partie supérieure, dilatée à la base ; columelle oblique, garnie d'une
forte callosité à sa partie supérieure; canal basal largement echancré;
labre mince, aigu, à peine arqué.
Habitat. Tozeur, Kriz.
Observ. Cette espèce diffère du Melanopsis Maresi, Bourguignat, par sa
{forme constante plus ailongée, sa spire plus eflilée, ses côtes légèrement
tuberculeuses, sa callosité plus forte, son ouverture plus é:argie et son pé-
ristome beaucoup moins arqué; du M. cariosa, Linné, par sa taille, plus
faible, sa forme plus allongée, ses côtes longitudinales moins fortes et plus
smueuses, sa spire plus longue, plus aiguë, et son ouverture plus étroite.
Enfin elle se rapproche du M. Maroccana, Morelet, par sa forme géné-
rale, mais elle en diffère par ses premiers tours- de spire tuberculeux, par
©? P. Fischer, Journ. de Conch., vol. XXIV, p. 257, 1876.
son dernier tour garni de côtes fortes assez espacées, et par la dépression
au-dessous de la suture du dernier tour.
* Neritina fluviatilis, Lamarck. — Aïn Oudref, oued Melah.
COQUILLES MARINES.
en | D trunculus, Linné. — Plage de Gabès.
* Cardium edule, Linné'. — Bords du chott, Cherb Berrania.
* Var. Solida, Tournouër. — Bords du chott Djerid , Cherb Ber
rania. (PL. VI, fig. 5.)
* Var. Fragile, Tournouër. — Bords du chott, Cherb Berrania.
* Var. Minor, Tournouër. — Bords du chott, Cherb Berrania.
Poronia rubra, Montagu. — Oued Akarit (embouchure).
” Pectunculus violacescens, Lamarck. — Plage de Gabès et fossile dans
le cordon littoral.
* Ostrea edulis, Linné. — Plage de Gabès.
Outre les espèces énumérées ci-dessus, je crois devoir signaler les
espèces suivantes ‘de coquilles marines, recueillies précédemment par
divers observateurs dans la région des chotts, et qui ont donné lieu à
quelques discussions :
Arca rhombea, Born. (Une seule valve roulée.)
Triton olearium, Linné.
Cyprea moneta, Linné.
Conus mediterraneus, Bruguière.
Massa gibbosula, Linné.
Pecten jacobœus, Linné.
Voir à ce sujet l’article publié par M. P. Fischer, dans le Journal de
Conchylologie, vol. XXIV, p. 257, 1896, et la note de M. R. Tour-
nouër, dans l'Association française pour l'avancement des sciences
(congrès de Paris, séance du 29 août 1878).
! R. Tournouër {Association française pour l'avancement des sciences. Congrès
de Paris, &878, séance du 29 août 1878). .
— 398 —
LISTE
DES VERTÉBRÉS RECUEILLIS PAR M. LE D" ANDRÉ
PENDANT L'EXPÉDITION DES CHOTTS ET DÉTERMINES PAR M. F. LATASTE.
CzassE I. — POISSONS.
{Confiés en détermination à M. Sauvage, aide-naturaliste au Muséum.)
Czasse IL. — BATRACIENS.
Ordre : ANOURES.
Sous-ordre : MÉDIOGYRINIDÉS.
Famille : DISCOGLOSSIDES.
1. Discoglossus pictus, Otth. — 2 ind. Tozeur, 1 ind. Nefta.
Sous-ordre : LÆVOGYRINIDÉS.
Famille : BUFONIDÉS.
2. Bufo mauritanicus, Schlegel. — 1 md. de Gabès au chott Feje].
3. Bufo viridis, Laurenti. — 1 ind. Cherb Berrania. ”
Famille : RANIDÉS.
4. Rana virids, Roesel. — 3 ind. de la mer au chott Feje;.
Cuasse IIL — REPTILES.
Ordre : SAURIENS.
Famille : CAMÉLÉONIENS.
5. Chameæleo cinereus, Aldrov. — 2 ind. Nefta, 2 ind. de la mer au
chott Fejej, 1 ind. de Gabès au chott Fejej.
É Famille : GEGKOTIENS.
6. Platydactylus facetanus, Aldrov. — 1 ind. Kriz.
7. Stenodactylus quttatus, Cuvier. — 1 ind. Bir Knafès et Bled Berrada.
Famille : IGUANIENXS.
8. Agama aqilis, Olivier. — 4 ind. Cherb Berrania, 2 ind. Berrada,
Fe
15:
14.
15.
16.
17:
18.
19.
20.
— 399 —
à ind. de la: mer aw chott Fejej, 5 ind. Bir Knafès et Bled Ber-
rada, 1 ind. de Gabès au chott Fejei.
Nora. Pour moi, Agama agilis, Olivier, et mutabiis, Mer-
rem, forment une seule et même espèce. J'ai trouvé en Algérie
toutes les transitions possibles d'un type à l'autre.
. Uromastix acanthinurus, Bell. — 2 ind. de Gabès au chott Feje;.
Famille : LACERTIENS.
.… Ophiops elegans, Menetriès. — 3 ind. Bir Knafès et Bled Berrada,
1 ind. de Gabès au chott Feje;.
Nora. J'ai moi-même trouvé cette espèce à Batna et à l'oued
Sedeur. C'est la première fois qu'elle est signalée en Mauri-
tanie.
Acanthodactylus boskianus, Daudin. — 4 ind. Cherb Berrania, 1 ind.
Kriz, 1 ind. Bir Knafès et Bled Berrada,
. Acanthodactylus scutellatus, Audouin. — 1 ind. de Gabès à l'Oued-
Akarit et au chott Fejej, 1 ind. de Bir Knafès et Bled Berrada.
Eremias pardalhs, Licht. — 5 ind. Cherb Berrania, 1 ind. de Gabès
à l'oued Akarit et au chott Fejej, 1 ind. Berrada, 1 ind. Kriz,
3 ind. Bir Knafès et Bled Berrada.
Famille : scrNcoïDrEs.
Scincus officinalis, Laur. — 1 ind. Mouïiat Sultan.
Sphenops capistratus, Fitz. — 2 ind. Tozeur.
Gongylus ocellatus, Gmelin. — 1 ind. Tozeur, 1 ind. de Gabès à
l'oued Akarit et au chott Fejej, 1 ind. Nefta, 1 ind. Berrada,
1 ind. Kriz, 1 ind. de Gabès au chott Fejei.
Euprepes Savignyi, Audouin. — 1 ind. Cherb Berrania, 4 ind. Ber-
rada, 3 ind. de la mer au chott Fejej, 2 ind. Kriz.
Plestiodon cyprium, Aldrov. — 1 ind. Cherb Berrania.
Ordre : OPHIDIENS.
Famille : CORONELLIDES.
Psammophylax cucullatus, Geoffroy Saint-Hilaire. — 4 ind. de la
mer au chott Fejej (2 typiques, 2 de la variété teætilis D. B.),
1 ind. de Gabès au chott Fejej (var. Teætilis, D. B.).
Famille : COLUBRIDES.
Periops algira, Jan. — 1 ind. Bir Knafès, 1 ind. Nefta, 1 ind. de la
mer au chott Fejej (variété à cercle écaiïlleux sous-oculaire com-
2 1.
22;
li.
à.
6.
— 00 —
plet, 10 sus-labiales d'un côté, la cinquième sous l'œil, 9 de
l'autre), 1 ind. loc. md.
Famille : PsAMMOPHIDÉS.
Psammophis sibilans, Limné. — 1 ind. Berrada (var. Punctata D.B.),
1 ind. Bir Knafès et Bled Berrada (var. Punctata D. B.).
Famille : VIPERIDES.
Vipera cerastes, Hasselq. — 2 ind. bords du chott Fejei.
Ccasse IV. — MAMMIFÈRES.
Ordre : CHIROPTÈRES.
. Vesperugo Kuhli, Natterer. — 1 ind.
Ordre : INSECTIVORES.
. Crocidura aranea, Schreb. — 1 ind. (soumis à l'examen de M. le
docteur Dobson).
Macroscelides Rozeti, Duvernoy. — 1 ind.
Ordre : RONGEURS.
Drpns 2076 — 3 ind. en peau de deux espèces.
Gerbillus ..... — 5 ind. en alcool de deux espèces.
Nora. Ces Dipus et Gerbillus seront éludiés et déterminés
plus tard, avec les nombreux individus de ces deux genres dif-
ficiles que j'ai moi-mème rapportés d'Algérie.
Ctenodactylus Gundi, Gmel. — 3 ind.
Mas Alexandrinus, E. Geofkr. — 3 ind.
Mus musculus, Linné. — 1 ind.
— OI —
LISTE
DES INSECTES RECUEILLIS PAR M: LE D' ANDRÉ
PENDANT L’EXPEDITION DES CHOTTS.
COLEOPTÈRES.
Eunectes griseus. — Oued Melah.
Hydroporus Cerizyi, À. — Oued Melah.
Oniophagus Amyntas, var. Atramentarius, OI. — Seftimi.
Aphodius (?). — Oudref. |
Cleonus candidus, OI. — Nefta.
C. hieroglyphicus. — Nefta.
Crytocephalus rugicollis, O1. — Kriz.
Exochomus æantoderus, Fairin. — Bir Sultan.
Zophosis minuta (?). — Nefta.
Evaniocera Dufourt (?). — Nefta.
HÉMIPTÈRES.
Nepa cinerea, L. — Oued Melah.
Lygœus saxatlis, Fab. — Tozeur.
Pentatoma. — Tozeur.
Cydnus tristis, Fab. — Tozeur.
ORTHOPTÈRES.
Blepharis mendica (nymphe). — Tozeur.
Gryllus. — Kriz.
Gryllotalpa vulgaris, Latr. — Kriz.
Tryxalis procera. — Seuil de Gabès.
Acciipe elephas, Lin. — Oued Melah.
Brachytripes megacephalus, Lefeb. — Kriz.
Eremobia Clavela (larve), Luc. — Tozeur.
Acridium peregrinum, Oliv. — Tozeur.
MISS. SCIENT. —— VHI. 206
— 40 — -
Acridium. — Tozeur.
Œdipoda arenaria, Luc. — Tozeur.
HYMÉNOPTÈRES.
Chalicodoma Sicula, Rossi. — Tozeur.
Crocisa ramosa, de Saint-Farg. — Nefta.
Antophora ridulans, Fab. — Kriz.
Polistes. — Nefta et Tozeur.
Colpa aurea, Fab. — Nefta et Tozeur.
Dorylus juvenculus, Sch. — Bir Sultan.
Fœnus affectator, Fab. — Bir Knafès.
Paniscus. — Seuil de Gabès.
LÉPIDOPTÈRES.
Vanessa cardui, Lin. — Seuil de Gabès.
Sphinx lineata. — Tozeur.
Ophiodes timhaca. — Nefta.
ARAIGNEÉES.
Galeodes Olivieri, E. S. — Seftimi.
Tetragnata nitens, Sav. — Kriz.
Ciritophora Opuntiæ, L. Duf. — Seuil de Gabès.
Stegodyphus lineatus, Latr. — Seuil de Gabès.
Prosthesima ænea, E. S. — Seuil de Gabès.
Micrommata Ligurina, C. Koch. — Seuïl de Gabès.
Steatoda Paykulliana, Walckenaer. — Tozeur.
Sparassus Walkenaerius, And. et Sav. — Nefta.
Stegadyphus lineatus, Latr. — Nefta.
Buthus Australis, L. (scorpion). — Nefta.
— 03 —
LISTE
DES PLANTES RECUEILLIES PAR M. LE D" ANDRÉ
PENDANT L'EXPÉDITION DES CHOTTS ET DETERMINÉES PAR M: COSSON.
——
RENONCULACÉES.
Ranunculus muricatus, L. — Oasis de Kriz, Tozeur, Nefta CES
Avril, mai,
on sativa, L. — Oasis de Kris, Tozeur, Nefta (Djerid). Avril, mai.
PAPAVÉRACÉES.
Hypecoum Geslini, Coss. et Kral. — Oasis du Djerid. Avnil, mai 1879.
ré HtU
Fumaria capreolata L.; var. Bastardi. — Oasis d'Oudref. —— Mars 1879.
CRUCIFÈRES.
Eruca sativa, var. Stenocarpa , Boiss. et Reut. — Aïn Kebirita. Fin mars.
Brassica Rapa, L. — Kriz. Avril.
Brassica lyrata, Desf. Enarthrocarpus clavatus, Delile. — Bir Knales.
Mars.
Moricandia suffruticosa, Coss. et D. R. Brassica FAIT, Dest: —
Montagnes au Nord d'Oudref. Mars.
Moricandia cinerea, Coss. Sisymbrium cinereum, Desf. — Berrada,
Oglat Beni Zid.
Diplotaxis pendula, D. C. — Oudref, Bir Knafès, Aïn Kebirita , etc. etc.
Mars et avril.
Diplotaxis Mere (échantillon indéterminable).
Malcolmia Ægyptiaca, Spreng ; var. Longisiliqua, Coss. et D. R. — Sables |
de Kriz, Tozeur, Nefta. — Avril.
Lonchophora Capiomontiana, D. R. — Berrada, Aïn Kebirita. Mars.
Sisymbrium Irio, L. — Kriz et oasis du Djerid. Avril, mai.
Farsetia Ægyptiaca , Turr. — Aïn Kebirita. 1° avril.
26.
— 04 —
Nasturtium coronopifolium, D. C. — Bir Knafès. Mars.
Capsella procumbens, Fries. Hutchinsia procumbens , D. C. — Kriz et oasis
du Djerid. Avril.
CAPPARIDÉES.
Cleome Arabica, L. — Kriz. Avril.
Capparis spinosa, L. — Djebel Kebiriti. Fin mars.
CISTINÉES.
Helianthemum Tunetanum, Coss. et Kral. Cistus glaucus, Desf. non Caw.
— Seuil de Gabès, Berrada, Aïn Kebirita. Mars, avril.
Helianthemum sessiiflorum, Pers. ; var. Ellipticum. — Très commun du
seuil de Gabès à l'extrémité du Djerid.
Helianthemum sessiliflorum, Pers. — Tozeur, Nefta (Djerid). Avril,
mai.
Helianthemum virgatum, Pers. — Seuil de Gabès. Février, mars.
RÉSÉDACÉES.
Reseda propinqua, R. Br. — Bir Knafès. 10 mars.
Reseda lutea, L. — Bir Knafès. 10 mars.
Reseda stricta, Pers. — Aïn Kebirita. Fin mars.
Reseda Alphonsi, Muell. Argov. — Bir Knafès, Aïn Kebirita. Mars.
FRANKENIACEES.
Frankenia pulverulenta, L. — Seuil de Gabès, Berrada. Mars.
Frankenia thymufolia, Desf. — Kriz (Djerid). Avril.
CARYOPHYLLÉES.
Silene rubella, L. — Kriz. Avril.
Silene inflata, Sm. — Kriz, Tozeur, Nefta. Avril, mai.
Spergularia media, Pers. — Oasis d'Oudref, de Kriz, de tout le Djerid et
du Nifzaoua. Mars, avril, mai.
Spergularia diandra, Heldr. — Berrada. Mars.
Stellaria media, Sm. — Kriz, Tozeur et toutes les oasis.
LINEES.
Linum strictum, L. — Berrada. Mars.
— 405 —
MALVACÉES.
Malva sylvestris, L. — Tozeur. Mai.
Malva microcarpa, Desf. — Aïn Kebirita. Plante nouvelle pour la flore
des États Barbaresques.
GÉRANIACEÉES.
Erodium glaucophyllum, Aït. — Berradah. Mars.
Erodium hirtum, Willd. — Aïn Kebirita. 1° avril.
Erodium malacoides, Wild. — Bir Knafès, Aïn Kebirita. Mars.
Gossypium herbaceum, L. — Nefta. Mai.
ZYGOPHYLLÉES.
Fagonia cretica, L. — Oudref. Février, mars.
Fagonia glutinosa, Delile. — Bir Knafès, Nefta. Mars à mai.
Fagonia virens, Coss. — Aïn Kebirita. Fin mars.
Zygophyllunt album, L. — Seuil de Gabès. Février, mars.
RUTACEES.
Peganum Harmala, L. — Très abondant autour de toutes les oasis du
Djerid. Avril, mai.
4 Haplophyllum tuberculatum, À. de Jussieu. — Berrada. 17 mars.
TÉRÉBINTHACÉES.
Rhus dioica, Wild. — Djebel Aïdoudi, près de Bir Knafès. Mars.
LÉGUMINEUSES.
Retama Rœtam., Webb. — Tous les ravins et toutes les régions voisines
des montagnes au Nord du chott.
Calycotome intermedia, Boiss. — Ravins au Nord d'Oudref.
Ononis angustissima, Lmk. — Bir Knafès, Kriz. Mars, avril.
Anthyllis tragacanthoides, Desf. — Oudref, seuil de Gabès. Février, mars.
Medicaÿo sativa , L. — Toutes les oasis du Djerid. Avril, mai.
Medicago denticulata, Wild. — Tozeur. Fin avril.
Medicago tribuloides, Lmk. — Berrada. Mars.
Medicago lacuniatu, AM. — Berrada. Mars.
Trigonella stellata, Forsk. — Berrada. Mars.
— O6 —
Trigonella Ægyptiacu, Poiret. — Berrada. Mars.
Melilotus parviflora, Desf. — Toutes les oasis du Djerid. Avril, mai. .
Melilotus elegans, Salzm. — Aïn Oudref. Mars.
Melilotus messanensis, Desf. — Aïn Oudref, Mars.
Lotus corniculatus, L.; var. Tenuis. — Aïn Oudref, Oglat Beni Zid,
Kriz, etc. Mars, avril.
Lotus hosackoides, Coss. (inédit). — Aïn Kebirita. Fin mars.
Lotus creticus, L. — Aïn Kebirita. Fin mars.
Astragalus hamosus, L. — Oued Berrada. Mars.
Astragalus Kralikianus, Coss. — Oued Berrada. Mars.
Vicia calcarata, Desf. ; var. Angustifolia. — Oued Berrada. Mars.
Vicia calcarata, Desf. — Oued Berrada. Mars.
Scorpiurus sulcata, L. — Oued Berrada. Mars.
Hippocrepis bicontorta, Loisel. — Oued Berrada. Mars.
Hedysarum carnosum, Desf. — Aïn Kebirita et oasis.
Psoralea bitununosa, L. — Oglat Beni Zid. Mars.
TAMARISCINÉES.
Tamarix Gallica, L. — Oasis de Dbabcha (Nifzaoua), 7 mai; bords de:
l'Oued Melah (seuil de Gabès), 2 mars.
Tamarix pauciovulata, J. Gay. — Djebel Kebiriti et bords de l’oued
Berrada. Mars.
Tamarix bounopæa, J. Gay. — Ogiat Beni Zid et alentours de Kriz. Mars,
avril.
C UCURBITACÉES.
Cucumis Colocynthis, L.. — Seuil de Gabès, tout le. Djerid et le Nifzaoua.,.
dans les sables.
Bryoma dioica., L.; var. Acuta. — Bir Knafès, 10 mars.
PORTULACÉES.
Portulaca olerucea, L..— Seuil de Gabès, Bir Knafès, Aïn Kébirita. et
toutes les oasis. Très commun.
CRASSULACÉES.
Umbilicus horizontalis, Guss. — Djebel Sekkeur, près Bir Knafes. Mars.
PARONYCHIÉES.
-
Paronychia Cossoniana , JS. Gay. — Aïn Kebirita, Fin mars.
— 107 —
Herniariu fruticosa, L. — Djebel Kebiriti. Fin mars.
Pieranthus echinatus, Desf. — Berrada. Mars.
Gymnocurpus decandrus, Forsk. — Berrada, Aïn Kebirita. Mars.
FICOÏDÉES.
Mesembryanthemum nodiflorum , L. —— Seftimi. 10 mai.
Reaumuria vermiculuta, L.; forma, R. stenophylla , Jaub. et Spach. —_—
Kriz. Avril.
Nitraria tridentata, Desf. — Seuil de Gabès. Très abondant.
OMBELLIFÈRES.
Hbnrai scoparia , Goss. et D. R.— Seuil de Gabès, Oudref, Berrada, etc.
Abondant. Mars, avril.
Coriandrum sativum, L. — Toutes les oasis.
Torilis nodosa, Gærtn. — Kriz, Tozeur, Nefta, etc. Avril, mai.
Fœniculum. .... (échantillon trop jeune). — Kriz. Avril.
Bupleurum semicompositum, L. — Berrada. Mars.
-Helosciadium nodiflorum , Koch. — Seguias de toutes les oasis du Djerid.
Avril, mai.
Apium gruveolens , L. — Seguias des oasis du Djerid.
Scandia Pecten-Veneris, L. — Kriz, Tozeur, Nefta, oasis. Avril, mai.
Carum incrassatum, Boïss. — Kriz (Djerid).
Anethum graveolens, L. — Toutes les oasis du Djerid.
RUBIACÉES.
Rubia tinctorum ,L. — Kriz.
Galium tricorne, Wither. — Kriz.
Galium saccharatum, AU. — Kriz.
Sherardia arvensis, L. — Kriz, Tozeur, Nefta.
COMPOSEES.
Colletia chrysochomoïdes, Cass. — Nefta. Mai.
Phagnalon saxatile, D. G. — Aïn Kebirita. 1° avril.
Rantherium suaveolens, Desf. — Aïn Kebirita, 1° avril. Seftimi, 10 mai.
Inula viscosa, Aït. — Toutes les oasis du Djerid.
Asteriscus pygmæus, Coss. et D. R. — Berrada, Aïn Kebirita et toutes
les montagnes. Très commun.
— 08 —
Pallenis spinosa, Cass. — Tozeur. Avril.
Ambrosia maritima, L. — Nefta. Mai.
Anthemis pedunculata, Desf. ; var. — Nefta. Mai.
Pyrethrum fuscatum, Wild. — Aïn Kebirita. Fin mars.
Pyrethrum trifurcatum, Wild. — Aïn Kebirita.
Chrysanthemum coronarium, L. — Bir Knafès. Mars.
Chlamydophora pubescens, Coss. et D. R. — Bir Knafès. Mars.
Artemisia herba alba, Asso. — Au Nord d'Oudref et toute la plaine entre
le chott et les montagnes.
Filago spathulata, Presi. — Bir Knafès. 10 mars.
Senecio coronopifolius, Desf. — Tozeur et Nefta. Avril, mai.
Calendula stellata, Cav. ; var. Hymenocarpa. — Seuil de Gabès, Berrada ,
Aïn Kebirita, Kriz, etc.
Atraclylis cancellata, L. — Berrada. Mars.
Atractylis eitrina, Goss. et Kral. — Berrada, Kriz, Fozeur, Nefta. Mars,
avril, mai. :
Atractylis microcephala, Coss. et Dur. — Berrada. Mars.
Amberboa Lippu, D.C. — Bir Knafès, Berrada, Oglat Beni Zid, Aïn
Kebirita, etc.
Centaurea Dellei, Godr. — Bir Knafès. Mars.
Centaurea apula, Lmk.,— Aïn Kebirita. Fin mars.
Centaurea dimorpha, Viv. — Berrada, Aïn Kebirita, Kriz, etc.
Carduncellus eriocephalus, Boiss. — Aïn Kebirita.
Kriz. Avril.
Kalbfussia Salzmanni, Sch. Bip. — Bir Knalès. Mars.
Spitzelia Saharæ, Coss. et Kral. — Bir Knafès. 10 mars.
Ætheorrhiza bulbosa, Coss. — Kriz. Avril.
Picridium tingitanum , Desf. — Berrada. Mars.
Zollkoferia resedifolia, Coss. Sonchus chondrilloides , Desf. — Bir Knafes.
Mars.
Sonchus oleraceus, L. — Kriz et toutes les oasis.
Kalpinia linearis, Poll.
Sonchus maritimus, L. — ‘Toutes les oasis. Avril et mai.
Sonchus divaricatus, Desf. — Oudref, Bir Knafès, Kriz et les oasis du
Dijerid.
PRIMULACEÉES.
Coris Monspeliensis, L. — Ravins et montagnes. Très abondant,
— 09 —
Anagallis arvensis, L. — Nefta, Kriz, Berrada, etc. Mars, avril.
Samolus Valerandi , L. — Seguias de toutes les oasis. Avril, maï.
ASCLEPIADÉES.
Periploca angustfolia, Labill. — Djebel Kebiriti. Fin mars.
Dœmuia cordata, R. Br. — Djebel Kebiriti.
CONVOLVULACÉES.
Convolvulus althæoides, L. — Bords du chott Fejej. 14 mars.
Convolvulus arvensis, L. — Kriz, Tozeur, Nefta. Avril, mai.
BORRAGINÉES.
Echium hunule, Desf. — Bir Knafès, près des ruines d'un petit temple
romain. 10 Mars.
Echium maritimum, Wild. — Oglat Beni Zid. Mars.
Echiochilon fruticosum, Desf. — Oudref, seuil de Gabès, Berrada, etc,
Très commun.
Nonnea phaneranthera, Viv. — Berrada. Mars.
Anchusa hispida, Forsk. — Oglat Beni Zid. Mars.
Lithospermum. callosum, Vahi. — Tozeur, Nefta. Maï.
SOLANÉES.
Lycium mediterraneum, Dunal. — Gabès (seuil), Oudref, Bir Knafès, etc.
Février, mars.
Solanum villosum , Lmk. — Seftini. Mai.
Solanum nigrum, L.; var. Suffruticosum, Schousb. — Djebel Kebiriti.
Fin mars.
Hyoscyamus albus , L. — Oudref, et sur les murs des jardins de toutes
les oasis.
SCROFULARINEES.
Celsia laciniata, Poir. — Djebel Kebiriti.
Linaria laxiflora, Desf. — Bir Knafès.
Linara fruticosa, Desf. — Berrada.
Anarrhinum brevifolium, Coss. et Kral. — Bir Knafès, Berrada, Djebei
Kebiriti, montagnes de Kriz, etc.
Scrofularia deserti, Delile. — Tozeur.
— 10 —
OROBRANCHEES.
Phelipea violacea, Desf. — Bords du chott F ejej. Mars.
Phelipea lutea, Desf. — Bords du chott Fejej. Mars.
LABIÉES.
Lavandula mulufidu, L. — Oglat Beni Zid et tous les ravins au Nord du
chott.
Thymus hirtus, Willd. — El-Hamma, Aïn Kebirita et ravins au Nord du
chott.
Thymus capitatus, Link. et Hoffm. — Ravins au Nord d'Oudref.
Salvia lanigera, Desf. — Bir Knafes.
Salvia verbenaca, L. — Seuil de Gabès.
Marrubium . .... (échantillon trop jeune). — Bir Knafès. 10 mars.
Ballota hirsuta, Benth. — Bir Knafès, djebel Aïdoudi, djebel Diabit,
Aïn Kebirita, etc.
Teucrium Polium, L. — Aïn Kebirita.
Zapania nodiflora, Rich. — Nefta. Mai.
GLOBULARIÉES.
Globularia Alypum, L. — Tous les ravins au Nord. du chott.
PLUMBAGINEES.
Statice globulariæfolia , Desf. — Environs de Kriz et des oasis du Djerid.
Avril.
Statice pruinosa, L. — Seuil de Gabès, environs des oasis. Mars, avril.
PLANTAGINEES.
Plantago major, L. — Nefta. Mai.
Plantago lagopus, L. — Bir Knafès, Tozeur.
Plantago coronopus, L. — Berrada, Kriz.
Plantago Psyllium, L. — Kriz.
Plantago amplexicaulis, Cav. — Aïn Kebirita. Fin mars.
Plantago maritima, Link. — Aïn Kebirita. Fin mars.
Plantago albicans, L. — Seuil de Gabès, Aïn Kebirita. Mars.
SALSOLACÉES.
Chénopodium murale, L. — Djebel Kebiriti, Kriz.
— ll —
Atriplex Halimus, L. — Seuil de Gabès, Bir Knafès, Oglat Beni Zid, etc.
Atriplex dimorphostegia, Kar. et Kir. — Seuil de Gabès, Oglat Beni
Zid, etc.
Atripleæ hastata, L. — Djebel Kebiriti. Fin mars.
Echinopsilon muricatus, Moq.-Tand. — Kriz. Avril.
Arthrocnemium fruticosum , Moq.-Tand. ; var. D Mn LU Moq.-Tand.
— Seuil de Gabès, Kriz, Tozeur, etc.
Suæda vermiculata, Forsk. — Seuil de Gabès (très abondant), Ber-
rada, etc.
Traganum nudatum , Delile. = Seuil de Gabès, El-Hamma. Très commun
partout.
Salsola longifolia, Forsk. — Seuil de Gabès, etc. Très commun.
Anabasis articulata, Moq.-Tand. — Berrada, environs de Dbabcha, etc.
THYMÉLÉACEES.
Passerina hirsuta, L. — Seuil de Gabès. Très abondant, atteint parfois
2 mètres de hauteur.
POLYGONEES.
Calligonum comosum, l'Hérit. — Aïn Kébirita, Nefta, Mouïat Sultan,
dans toutes les dunes.
Rumex pulcher, L. — Nefta. Mai.
Rumex roseus, Campd. — Berrada. Mars.
Emex spinosa, Campd. — Tozeur. Fin avril.
Polygonum equisetiforme, Sibth. et Sm. — DADIes autour des oasis. Avril,
mai.
EUPHORBIACÉES.
Andrachne telephioides, L. — Berrada. Mars.
Mercurialis annua, Li. —— Aïin-Kebirita. 1° avril.
Euphorbia Paralias, L. — Embouchure de l'oued Melah. Février.
Euphorbia Guyoniana, Boiss. et Reut. — Kriz, Tozeur, Nefta, sables.
Euphorbia fulcata, L. — Berrada.
Euphorbia cornuta, Pers. — Bir Knafès, Berrada.
Euphorbia glebulosa, Coss. et D. R. — Djebel Kebiriti, Berrada. Fin
mars,
Euphorbia helioscopiu, L. — Kriz. Avril.
— 112 —
URTICÉES.
Forskohlea tenacissima, L. — Oglat Beni Zid, Ain Kebirita, Kriz.
Parietaria officinalis, L.; var. Diffusa. — Kriz, Tozeur, Nefta, etc.
BALANOPHORÉES.
Cynomorium coccineum, L. — Bords du chott Hameïmet et du chott Dije-
rid.
CONIFÈRES.
Ephedra fragilis, Desf. — Oglat Beni Zid. Mars.
LILIACEES.
Urginea undulata, Steinh.; Scilla undulata, Desf. — Bir Knafès. Mars.
Scilla villosa, Desf. — Près de l’oued Akarit. Février.
Allium roseum, L. — Kriz. Avril.
Uropetalum serotinum, Gawl. — Oued Berrada. 17 mars.
Asphodelus tenuifolius, Cav. — Environs d'Oudref, Berrada. Mars.
SMILACÉES.
Asparagus horridus, L. — Kriz. Avril.
IRIDÉES.
Gladiolus Ludovice, Jan. — Kriz. Avril.
JUNCÉES.
Juncus maritimus, Link. di Aïn Oudref, Aïn Kebirita.
CYPÉRACÉES.
Cyperus conglomeratus, var. Effusus, Rottb. — Sables de Nefta. Mai.
Cyperus læviqatus, L.; var. Distachyus. Cyperus junciformis, Desf. — Kriz.
Avril.
GRAMINÉES.
Lygeum Spartum, Lœfi. — Djebel Kebiriti.
Phalaris minor, Retz. — Oglat Beni Zid, Kriz, etc.
Pennisetum ciliare, Link. — Aïn Kebirita, Kriz. Avril.
Tmperata cylindrica, P. B. — Kriz et toutes les oasis du Djerid et du
Nifzaoua.
— 13 —
Andropogon laniger, Desf. — Djebel Kebiriti.
Agrostis verticillata , Vill. — Kriz, Tozeur, Nefta, Seftimi, toutes les oasis.
Polypogon Monspeliensis, Desf. — Toutes les oasis.
Stipa tortilis, Desf. — Berrada. Mars.
Arthratherum pungens, P. B. — Djebel Kebiriti. Fin mars. Seuil de Gabès
(très commun).
Arthratherum obtusum, Nees. — Nefta. Mai.
Cynodon Dactylon, Rich. — Tozeur. Fin avril.
Avena sterilis, L. — Berrada. Mars.
Avena barbata, Brot. — Oglat Beni Zid, Berrada,
Trisetum pumilum, Kunth. — Tozeur. Avril.
Koœleria phleoides, Pers. — Tozeur, Dhabcha. Avril, mai.
Phragmites communs, Trin. ; var. Îsiaca. Arundo Isiaca , Delile. — Oued
Akarit. 2 mars.
Sphenopus divaricatus, Rchb. — Kriz, Seftimi. Avril, mai.
Bromus Madritensis, L. — Nefta. Mai.
Bromus macrostachys , Delile. — Nefta.
Bromus rubens, L. — Oglat Beni Zid. Mars.
Lolium perenne, L.; var. Multiflorum. — Kriz, Tozeur et toutes les oasis.
Hordeum murinum , L. — Tozeur. Avril.
Hordeum vulqare, L. — Kriz, Seftimi. Avril, mai.
© Triticum durum, Desf. (forma mutica). — Kriz.
Æ luropus littoralis, Parlat. ; var. Repens. Dactylis repens, Desf. — Nefta,
Seftimi. Mai.
FOUGÈRES.
Cheilantes odora, Sw. — Oudref, djebel Aïdoudi. Mars.
Adianthum Capillus-Veneris, L. — Kriz.
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4 Dressée en 1880, par le Commandant ROUDAIRE.
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PROFIL SUIVANT ABBC GI ge nm eba. (PROFIL NU
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PROFIL SUIVANT ABBC GHJKLMO nml eba (PROFIL: N°21
RAPPORT
DIVERSES COMMUNICATIONS
FAITES PAR M. D. CHARNAY
RELATIVEMENT À SA MISSION AU MEXIQUE,
PAR
MM. MAUNOIR ET DE QUATREFAGES.
* Les pièces envoyées par M. Charnay qui nous ont été remises con-
sistent en six lettres (n° 32, 39, 36,40, 41et43) et cent seize pages
de notes, écrites au crayon, formant un paquet non numéroté.
Disons tout de suite que ces notes, commencées le 30 avril 1880
à la Vera Cruz, vont seulement jusqu'au 10 juillet, époque à la-
quelle M. Charnay était occupé à l’une des fouilles dont nous par-
lerons tout à l’heure. Elles renferment le Journal de voyage de
notre missionnaire et aussi les observations diverses qu'il a occa-
sion de faire, les réflexions de toute sorte que lui suggèrent les
hommes et les choses. La Commission comprend que nous ne sau-
rions en aborder ici l'examen, d'autant plus que l’auteur lui-même
a prévu que bien des assertions émises en passant, bien des opi-
nions exprimées à première vue pourraient être sujettes à revision.
. Nous ne parlerons donc que des lettres, qui sont autant de rap-
ports succincts, ayant réellement trait à la mission confiée à
M. Charnay et présentant un intérêt des plus sérieux.
La première {n° 32), datée du 11 juillet 1880 et du rancho de
Tlamacas, confirme la nouvelle déjà transmise par télégramme
de la découverte d’un cimetière datant des premières années du
xvr° siècle. Cette nécropole est située sur une montagne nommée
— 16 —
Teueuepanco et située à 4,000 mètres au - dessus du niveau de
la mer. Le travail des fouilles paraît avoir été des plus pénibles.
M. Charnay en a retiré, dit-:11, plus de trois cents pièces des plus
remarquables.
Encouragé par ce premier succès, notre missionnaire a continué
à explorer ces hauteurs; et, après diverses excursions, il a décou-
vert une nouvelle station, qu'il pense être plus ancienne, située
au pied du mamelon central de l’Iztaccihuatl, à 3,790 mètres au-
dessus du niveau de la mer, à 300 mètres de la limite inférieure
des neiges. À Apatlatépitonco (ainsi se nomme la petite vallée ex-
plorée par M. Charnaÿ), notre voyageur a trouvé une foule de vases,
plats, coupes, idoles de terre, etc. Le tout, quoique d’un travail
assez grossier, paraît avoir une grande importance au point de vue
historique. M. Charnay en a recueilli six cents échantillons. Dans la
lettre où 1l rend compte de cette nouvelle découverte (n° 35, datée
d'Apatlatépitonco le 29 juillet), il ajoute avoir déjà réuni un très
grand nombre d’autres pièces, parmi lesquelles figurent entre autres
quarante-cinq moules en plâtre ou en papier, trente-cinq clichés, etc.
Quelque intérêt qui puisse s'attacher aux deux explorations que
nous venons de mentionner, l'importance des découvertes faites à
Tula par M. Charnay serait bien autrement considérable, si les
prévisions de notre missionnaire étaient confirmées. Pour les appré-
cier à toute leur valeur, il faut d’abord se rappeler quelques faits.
La Tula moderne n'est qu’un village ou une petite ville placée
à peu près au Nord de Mexico et à une vingtaine de lieues de cette
capitale, Elle est bâlie auprès d’une sorte de colline d'environ
4o mètres de haut, longée par une rivière et portant un plateau
dont le front a 800 mètres de long. Ce plateau est couvert de
monticules, de pyramides entièrement ruinées et comme ensevelies
sous une épaisse végétation que reproduisent quelques-unes des
photographies envoyées par M. Charnay. Ces monticules sont les
ruines de l'ancienne Tula ou Tollan, comme la nomme l'abbé
Brasseur de Bourbourg, ville qui fut la capitale des Toltèques.
M. Charnay admet qu’elle date du commencement du vmf° siècle.
Elle peut être bien plus ancienne, si, comme semble le dire
l'abbé Brasseur, elle n’est que l'antique cité de Mamhéni qui aurait
changé de nom lorsque les Toltèques en chassèrent les Othomis.
Mais la date de la fondation de cette ville n’est ici que d’un intérêt
secondaire. Ce dont il importe de se souvenir, c’est qu'elle fut ab-
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. solument ruinée et abandonnée vers l'an 1064, à la suite de l'in-
vasion des Téo-Chichimèques et des guerres civiles dont l'abbé
Brasseur a résumé les principaux événements. M. Charnay rap-
pelle en outre que, selon Clavigéro, les monuments de Tula étaient
en ruine lors de l’arrivée des Chichimèques proprement dits, cent
vingt ans après l’émigration des Toltèques, c’est-à-dire vers l'an
1170. Nous ajouterons que l'abbé Brasseur, sur le témoignage de
Torquémada et de Veytia, représente ces ruines comme déjà en-
vahies par la végétation lorsque Xolotl le Grand entra dans l'Ana-
huac à la tête de ses sauvages compagnons. Ce chef, frappé de ce
que la situation de cette ville présentait d'avantageux, y laissa
bien quelques familles qui devaient former le noyau d'une popu-
lation nouvelle; mais nous ne voyons nulle part que celte petite
colonie ait vraiment prospéré. Tout au moins, Tula ne figure pas
dans la liste des villes données par les historiens comme s'étant
relevées en partie quelques années après. Quant à la ville ou village
espagnol, nous avons dit qu'il est dominé par la colline jadis oc-
cupée par l'ancienne cité.
Il résulte de cet ensemble de faits que les objets trouvés dans
les ruines de cette ancienne capitale pourraient remonter à l'époque
de sa splendeur. On comprend d’après cela l'intérêt que devaient
présenter des fouilles faites dans ces conditions, et on ne saurait
trop approuver M. Charnay d'avoir eu la pensée d'entreprendre
des recherches que, jusqu’à lui, personne ne paraît avoir eu la
_ pensée de tenter.
Notre missionnaire rend compte des résultats de son entreprise
dans quatre lettres (n° 36, Tula, 22 août ; n° 4o, Tula, 4 septembre;
n° 41, Mexico, 16 septembre; n° 43, Mexico, 28 septembre). La
dernière est accompagnée du plan général des ruines de Tula; du
plan d'une maison et du plan d’un palais, tous deux mis à äécou-
vert et fouillés par M. Charnay; d'une grande feuille portant
trente-irois dessins représentant surtout des vases et trois statuettes;
enfin de quatorze photographies.
Guidé par cette espèce d’inslinet que donne l'habitude des re-
cherches, M. Charnay, ayant à choisir au milieu de monticules
qui tous annonçaient l'existence de ruines plus ou moins considé-
rables, était tombé du premier coup sur une habitation complète.
C'était une suite de bâtisses reliées entre elles par des corridors,
des portiques, des escaliers et placées à des niveaux différents. Notre
MISS. SCIENT. —— VIl. 27
— IS —
voyageur croit trouver quelque ressemblance entre cette singulière
maison et les habitations en ruche dont ont parlé divers voyageurs.
Nous croirions plus exact de la comparer à certaines parties des
ruines de la Quémada, situées plus au Nord, dans l’État de Zaca-
técas, et que M. Guillemin Tareire a si bien étudiées; ou mieux
peut-être à quelqu'une de ces constructions que l'on pourrait ap
peler labyrinthiformes et dont Squiers a levé les plans au Pérou.
Quoi qu'il en soit, dès celte première trouvaille, M. Charnay
constatait que les architectes de Tula avaient employé dans la con-
struction de cette habitation les matériaux les plus divers, la pierre
et la véritable brique cuite, le mortier et la terre mélangée de
cailloux, le bois et le ciment. Mais, chose bien remarquable, jus-
qu'au moment où il écrivait, 1l n'avait pas rencontré une seule de
ces briques simplement séchées au soleil, de ces adobes dont les
Aztèques et les Chichimèques ont fait un sigrand usage et qui sont
encore employées chaque jour.
Les fouilles pratiquées dans cette première maison avaient déjà
donné des résultats du plus haut intérêt. L'examen d’une seconde
habitation, que M. Charnay qualifie de princière, les a confirmés et
complétés. Les faits découverts par notre voyageur ne tendraïent
à rien moins qu'à changer du tout au tout les idées universelle-
ment reçues non seulement relativement à l’ancien état social des
indigènes, mais même relativement à la distribution de certaines
espèces animales dans le iemps et dans l'espace.
En effet, de ces ruines toltèques, M. Charnay a retiré non seu-
lement des pierres taillées, des briques, des débris de vases de
toute sorte, depuis le plus grossier jusqu’au plus délicat, mais il
a trouvé de véritables colonnes avec chapiteau, colonnes dont il
donne la photographie; il a recueilli des émaux, de la faïence, de
la porcelaine, du verre, du cuivre, du fer! Notre voyageur exprime
en note la pensée que ce dernier métal peut avoir été perdu par
les Espagnols, Mais il ne fait aucune réserve au sujet des autres
produits industriels que nous venons de nommer après lui, et on
sait combien on est loin d'accorder aux anciens Américains la con-
naissance de la fabrication de la porcelaine et du verre.
Voici qui est peut-être plus étrange encore. On sait que les Eu-
ropéens en arrivant en Amérique n’y lrouvèrent aucun de nos
animaux domestiques, à l'exception du chien. Le bison, resté sau-
vage, représentait les bœufs de l’ancien continent dans les régions
— 19 —
tempérées de l'Amérique septentrionale; le big-horn (ou mouton
des montagnes) habitait aussi, à l’état sauvage, les montagnes
Rocheuses et la Californie. Dans l'Amérique méridionale, mais
bien loin du Mexique, vivaient les lamas sauvages et domestiques.
Tous les bœufs, moutons et chevaux qui existent aujourd’hui en
Amérique descendent d'animaux importés.
Eh bien, M. Charnay a trouvé et recueilli dans les deux habi-
tations qu'il a fouillées de très nombreux ossements qui, tous ou
presque tous, ont été cassés pour en extraire la moclle. Ces osse-
ments ont été soumis à l'examen de M. del Castillo, professeur à
l’École des mines de Mexico; et ce savant a déclaré qu'ils avaient
appartenu à des chevaux, à des bœufs, à des moutons et à des
lamas. |
Enfin, M. Charnay a rencontré dans les mêmes ruines de petits
chariots qu’il regarde comme ayant été des jouets d'enfants. Or les
. jouets sont la reproduction en petit des outils ou instruments de
l’homme. En conséquence, notre voyageur regarde comme dé-
montré que’les Toltèques avaient de nombreux animaux domes-
tiques dont ils savaient fort bien utiliser les forces. Faisons remar-
quer que l'existence d'animaux de trait chez les Tolièques serait
encore une chose entièrement inattendue, les Péruviens n'ayant
jamais employé le lama que comme bête de somme.
Les découvertes annoncées par M. Charnay paraissent avoir été
acceptées comme bien réelles par des hommes compétents et qui
ont vu les objets retirés des ruines de Tula. M. Orozco y Berra,
regardé à Mexico comme le meilleur juge en fait d’antiquités lo-
cales et qui va publier un grand ouvrage sur ce sujet, a suspendu
cette publication en présence des faits annoncés. Nous pourrons
bientôt, nous aussi, nous former à cel égard , au moins sur quelques
points, une opinion motivée, car notre missionnaire annonce l’en-
* voi de seize caisses. L'une d'elles renferme des ossements, la se-
conde des estampages; les quatorze autres sont remplies de moules
en plâtre.
Si cet envoi n'est pas plus complet et ne renferme aucun de ces
objets que M. Charnay a recueillis par centaines dans les mon-
tagnes de l'Anahuac et à Tula, c'est que notre voyageur est au
Mexique dans des conditions toutes spéciales. Il n'y représente pas
seulement la science française. La Commission sait déja que son
expédition se fait en grande partie aux frais d’un Américain d’ori-
277.
— 120 —
gine francaise, M. Lorillard, et qu'une part des trouvailles qui ont
pu être faites revient, à bien juste titre, à ce généreux étranger,
qui veut en enrichir les collections de son pays. En outre, pour
assurer la liberté et la sécurité de ses recherches, M. Charnay a dù
conclure avec le gouvernement mexicain un véritable traité, qui
est sur le point d'être ratifié par le Congrès. En vertu de cette con-
vention, les établissements publics de Mexico recevront, eux aussi,
une partie des objets trouvés par notre compatriote. On comprend
que le partage doit être fait, avant que ce qui revient à la France
puisse nous être adressé.
Ainsi, la mission confiée à M. Charnay a pris peu à peu les
proportions d'une œuvre internationale dont notre envoyé reste le
chef reconnu. On vient de voir qu'il a d'ores et déjà justifié la con-
fiance que trois gouvernements lui ont témoignée. La découverte
de deux nécropoles situées à quelques mètres des neiges éternelles,
l'exploration des ruines de Tula attestent une fois de plus l’activité
et l'intelligente initiative de notre voyageur. Quelles que soient les
conclusions définitives auxquelles conduira l'examen des pièces, et
surtout l'étude des ossements, M. Charnay aura rendu aux études
mexicaines, où mieux aux études américaines en général, un ser-
vice des plus signalés en démontrant tout ce que peuvent fournir
de renseignements précieux les ruines toltèques négligées jusqu’à
lui.
RAPPORT
SUR
LES TRAVAUX DE LA COMMISSION
GHARGÉE PAR M. LE MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
D'ÉTUDIER
LA FAUNE SOUS-MARINE
DANS LES GRANDES PROFONDEURS DU GOLFE DE GASCOGNE,
PAR
M. ALPH. MILNE EDWARDS,
/ MEMBRE DE L'INSTITUT,
PROFESSEUR ADMINISTRATEUR AU MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE.
= ———
Monsieur le Ministre,
Je m'empresse, à mon retour à Paris, de vous donner quelques
détails sur l'exploration zoologique qui vient d’être faite, à bord
du navire de l'État le Travailleur, dans le golfe de Gascogne, de-
puis la fosse de Cap-Breton jusqu’au cap Pénas, sur la côte d'Es-
pagne.
Il y a plusieurs années, l'intérêt des naturalistes a été vive-
ment excité par l'étude de la faune des grandes profondeurs de la
mer; mais, bien que dès 1861 un naturaliste français, dans un
_ mémoire lu à l’Académie, ait montré que le fond de la mer, à
2,000 ou 3,000 mètres et sous une pression de plus de 200 atmo-
sphères, est habité par des animaux appartenant à des groupes
relativement élevés, dont les uns étaient restés inconnus et dont
d’autres ne différaient en rien de certaines espèces fossiles, bien
1 Observations sur l'existence de divers Mollusques et Zoophytes à de très grandes
profondeurs dans la mer Méditerranée, par M. Alphonse Milne Edwards (Annales
des Sciences naturelles, 1861, t. XV, P: 159).
— 122 —
qu'il ait indiqué l'importance des explorations sous-marines, ces
recherches n'avaient pas élé encouragées en France. Au contraire,
en Scandinavie, en Angleterre et en Amérique, des expéditions
importantes étaient organisées. Les mers du Nord devenaient l'ob-
jet d’études suivies de la part des naturalistes norwégiens et sué-
dois. Les navires anglais le Lightning, le Porcupine et le Valorous,
exploraient une partie des mers de l’Europe. Le Challenger accom-
plissait son voyage de circumnavigation. Le Hassler, de la marine
des États-Unis, contournait l'Amérique, et le Blake fouillait la mer
des Antilles et la région du Gulf Siream.
À ce point de vue, nos côtes occidentales restaient presque inex-
plorées. Cependant les recherches personnelles entreprises depuis
1869, mais avec des moyens d'action trop limités, dans la fosse
de Cap-Breton, par un naturaliste dévoué à la science, M. de Fo-
lin, avaient montré que le golfe de (Gascogne fournirait une ample
récolte aux zoologistes qui pourraient y faire des dragages pro-
fonds. IL y avait là une vaste région presque entièrement inex-
plorée, car, dans ses croisières de 12870, le Porc-Epic s'était tenu
fort éloigné des côtes de France, et, dans cette région, il n'avait
pas dépassé ie 12° desré de longitude Ouest. Cette année, grâce à
l’aide que nous ont donnée la marine de l'État et l'administration
supérieure de l'instruction publique, nous avons eu les moyens
de commencer une série de recherches dans le golfe de Gascogne,
et je puis dire que les résuliats obtenus ont dépassé nos espérances.
Par un arrêté en date du 23 juin dernier, M. le Ministre de l'in-
struction publique a formé, à cet effet, une commission spéciale.
M. H. Milne Edwards, comme président, a été chargé de l’ergani-
sation de l'expédition. Les autres membres qui devaient prendre
la mer étaient : M. de Folin; M. Vaillant, professeur au Muséum
d'histoire naturelle; M. Marion, professeur à la faculté des sciences
de Marseille; M. P. Fischer, aide-naturaliste au Muséum; M. Pé-
rier, professeur à l'école de médecine et de pharmacie de Bordeaux;
enfin, l’auteur de ce compte rendu. Deux naturalistes anglais,
M. Gwyn Jeffreys (de la Société royale de Londres) et M. Merle
Norman, avaient été invités à assister à nos opérations en mer.
M. le Ministre de la marine a bien voulu affecter à cette cam-
pagne un aviso de l'État, le Travailleur, stationnaire du port de
Rochefort, et M. le vice-amiral de Jonquières, préfet maritime, à
mis, avec la plus grande libéralité, toutes les ressources de lar-
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senal à la disposition de la Commission et du commandant du bati-
ment, M. E. Richard, lieutenant de vaisseau.
Le Travailleur est un navire à roues, pourvu d’une machine de
150 chevaux, très stable à la mer, et jaugeant près de 1,000 ton-
neaux. À raison du service exceptionnel que l'équipage avait à
faire, on l'avait composé de cent trente hommes, quarante de plus
que d'ordinaire; cette précaution n’a pas été inutile, car elle nous
a permis d'effectuer en un court espace de temps un travail qui,
dans des conditions ordinaires, aurait été impossible. La Commis-
mission pe saurait trop remercier M. Richard du zèle qu'il a mou-
tré pour nous aider dans nos recherches, et nous nous empressons
de déclarer que le succès de nos opérations a été dü, en grande
partie, à l'excellente organisation que nous avons trouvée à bord
du Travailleur et à l’ardeur scientifique qui animait tous les ofli-
ciers : MM. Mahieux, Jacquet, Villegente et Bourget.
Des dragues, de différentes grandeurs et de différents modèles,
avaient été construites en vue de la nature des fonds que l'on
pourrait rencontrer. Les unes étaient protégées contre le contact
possible des rochers par une enveloppe de toile à voile ou même
par une peau de bœuf; les autres étaient simplement formées de
filets. L’armature de quelques-uns de ces appareils était découpée
en dents de scie, en avant, de façon à labourer la vase ou le sable,
tandis que le cadre des autres était formé d'une lame aplalie et
devant glisser sur le sol sans l'entamer. 12,000 mètres de cordage
de chanvre étaient destinés à remonter les dragues; 25,000 mètres
de ligne de sonde avaient été préparés. Les appareils de sondage,
construits dans l'arsenal sur un modèle un peu différent de celui
dont avait fait usage le vaisseau anglais l'Hydra, étaient disposés
de manière à rapporter des échantillons du fond qu'ils avaient
touché et à se débarrasser en même temps du poids qui les avait
entraînés. Il est très important de pouvoir faire un sondage avec
rapidité et précision, car cette opération doit toujours précéder
celle du dragage, et elle doit aussi être répétée pendant que la
drague est immergée, car on ne pourrait, sans cela, se rendre
compte des différences de niveau qui peuvent se présenter, même
sur un espace restreint.
Ces sondages ont été beaucoup aidés par l'emploi d'un appareil
construit spécialement à cet effet dans le port de Rochefort et
d’après les procédés indiqués par sir William Thomson. H consiste
— 24 —
en un tambour sur lequel sont enroulés plusieurs milliers de
mètres d’un fil d'acier de faible diamètre, mais très solide et em-
ployé d'ordinaire comme corde de piano. Ce fil, ne présentant que
peu de résistance à l’eau, se déroule verticalement et avec rapidité
quand il est suffisamment chargé; il n'est pas entrainé par les
courants : aussi donne-t-il avec une précision extrême les indica-
tions bathymétriques. Un frein réglait la vitesse de rotation du
tambour, et un compteur enregistrait chacun de ses tours, per-
mettant à tout instant de connaître la longueur du fil immergé.
En quelques minutes, la sonde atteignait ainsi des fonds de près
de 3,000 mètres. Cet appareil nous a rendu les plus grands ser-
vices , et il a facilité un travail qui, sans lui, aurait présenté des
difficultés sérieuses. Une machine auxiliaire de la force de 16 che-
vaux, faisant mouvoir plusieurs tambours, avait été installée sur
le pont pour relever les dragues et les lignes de sonde. Je n’insis-
terai d’ailleurs pas davantage sur la disposition de ces appareils,
car M. le commandant Richard, qui en a combiné l’arrangement,
les fera probablement connaître plus en détail.
Les dragues étaient mouillées à l'arrière ; leur corde passait dans
une poulie, maintenue elle-même à l'aide de fortes bandes de
caoutchouc, afin d’adoucir les secousses et les chocs qu’amenaient
à chaque instant les mouvements de tangage du navire.
Les grands fonds du golfe de Gascogne sont couverts d’une
épaisse couche d’un limon vaseux gris-verdâtre, rappelant, quand
il est desséché, les assises jurassiques des Vaches-Noires. Ce limon,
très plastique, remplissait rapidement nos dragues sans s’y tami-
ser, et, si nous nous étions bornés à l’usage de ces engins, nos
résultats auraient été peu fructueux; mais nous avons eu soin
d'employer aussi de grandes vergues alourdies par des poids et
auxquelles on suspendait des houppes de chanvre, des fauberts,
des filets et même des paquets de brindilles. Ces différents objets
balayaient le fond, les animaux y restaient accrochés, et souvent
nous avons ainsi ramené des espèces d’assez grande taille et d’une
grande fragilité. C’est par ce procédé que, le 28 juillet, nous avons
capturé, à une profondeur de 1,160 mètres, des poissons, de beaux
Oursins et de nombreuses Astéries du genre Brisinga. Les grands
filets connus des pêcheurs sous le nom de chaluts nous ont été fort
utiles, et, sans leur emploi, nous n’aurions pu nous procurer plu-
sieurs espèces remarquables.
— 125 —
Un soir, le chalut avait été trainé à une profondeur de près de
600 mètres, et on le relirait vers minuit: il ramenait de grands
Gorgoniens du genre Isis, appartenant probablement à une espèce
nouvelle. Ces Isis nous ont offert un spectacle merveilleux : toute
la partie du sarcosome située entre les zooïdes émettait une lumière
phosphorescente verte d’une telle intensité, que, lorsque l’on agi-
tait ces animaux, ils semblaient produire une pluie de feu, et,
au milieu d’une nuit des plus obscures, il nous a été possible de
lire ainsi des caractères très fins. Dans les dragues du Porc-Épic,
des Astéries et des Pavonaria ont parfois donné lieu à des remarques
analogues. |
Pendant toule notre campagne, le temps a été assez beau pour
nous permettre d'utiliser tous nos instants, et, dans le cours de la
seconde quinzaine de juillet, nous avons dragué à vingt-quatre
reprises différentes; souvent nous descendions deux dragues à la
fois, l’une à l'arrière et l’autre par le côté du navire. La plus grande
profondeur atteinte a été de plus de 2,700 mètres, et la moindre
a dépassé 360 mètres. Nous avons pu réunir ainsi une collection
très importante, comprenant non seulement la plupart des espèces
décrites par les naturalistes anglais et scandinaves, et que nos mu-
sées ne possédaient pas, mais aussi beaucoup d'animaux qui
n'étaient pas connus.
…. Pour l'utilisation de ces richesses, les différents membres de la
Commission se sont partagé le travail : M. L. Vaillant s'est chargé
de l'étude des poissons, des Némertiens et des Spongiaires; M. Fi-
scher, de celle des Mollusques; M. Marion a porté spécialement
son attention sur les Annélides, les Échinodermes et les autres
Zoophytes; M. de Folin doit examiner les Foraminifères; je me
suis chargé des recherches relatives aux Crustacés; M. Périer a fait
les observations thermométriques, et il doit analyser les échantil-
lons des fonds qui ont élé rapportés soit par les sondes, soit par
les dragues. Les détails préliminaires que je puis donner sur les
résultats obtenus sont donc l’œuvre de chacun des naturalistes
dont je viens de citer les noms. Chacun va maintenant étudier en
détail les animaux qui lui ont été confés, et, quand le travail
sera terminé, je m'empresserai de vous en faire connaitre les ré-
sultats.
Ainsi, que l'on pouvait s’y attendre, les. poissons des grands
fonds sont mal représentés dans nos collections, soit à cause de la
— 126 —
rareté de ces animaux, soit parce qu'ils échappent facilement aux
engins que nous employons; cependant nous avons obtenu deux
espèces appartenant à des formes méditerranéennes : un Stomias
et un Marcourus.
Les Crustacés sont très intéressants; pas un de ceux qui ont été
ramenés par nos dragues ne se trouve sur nos rivages; il y a là
deux faunes en quelque sorte superposées et ne se mélangeant pas.
Le Dorynchus Thomsoni représente dans les grands fonds les Ina-
chus des côtes; l'Amathia Carpenteri représente les Pises. Cette
dernière espèce se rapproche beaucoup d'un Oxyrhinque trouvé
par Stüimpson sur les côtes de la Floride, à 300 mètres de pro-
fondeur, et décrit par lui sous le nom de Scyra umbonata. Je ferai
remarquer que l’'Amathia Carpenteri n'appartient pas au genre
Amathia, et que la prétendue Scyra umbonata n’est certainement
pas une Scyra, mais que ces deux Crustacés doivent prendre place
dans une division générique nouvelle à laquelle je donnerai le
nom de Scyramathia. À une profondeur variant entre 700 et
1,300 inètres, nos fauberts ont souvent ramené un beau crabe à
yeux phosphorescents, découvert d'abord dans les mers de Norwège
et nommé, en 1837, par Kroyer, Geryon tridens. Ce Crustacé n'avait
jamais été trouvé sur nos côtes. Une espèce très remarquable du
groupe des Dromiens, mais très différente des Dromies ordinaires,
a été pêchée à 1,190 mètres; elle ressemble beaucoup à un crabe
des grands fonds de la mer des Antilles!
L'Ethusa granulaita (Norman), dont les yeux sont transformés
en pédoncules épineux et aveugles, est communé à une profondeur
d'environ 800 à 2.000 mètres. La Munida tenuimana, dont les
yeux sont gros et phosphorescentis, est loin d'y être rare. Un autre
Galathéien très intéressant a été trouvé à 1,920 mètres; 1l est
aveugle, ses yeux sont devenus de simples épines : il ressemble
beaucoup à des espèces des grandes profondeurs de la mer des
Florides, dont j'ai formé le genre Galathodes. Un Pentacheles
aveugle, un Palémonien inconnu, un Mysis aveugle, de nombreux
Thysanopodes ont été rencontrés à des profondeurs variables. Je
signalerai aussi le Gnathophausia Zoea, remarquable par sa belle
! Ce Dromien provient de l'expédition de M. Agassiz à bord du Blake; il a été
trouvé à 300 mètres de profondeur; je l'ai désigné sous le nom de Dicranodro-
mia ovala. La seconde espèce draguée par le Travailleur porte le nom de Drcra-
nodromia Mahieuxix.
PVR 0e PSE TE
énathoens à mi
— 927 —
couleur d'un rouge carminé, semblable à celle de la gelée de gro-
seille.. Gette espèce n'avait encore été trouvée que par l'expédition
du Challenger, à 2,000 ou 3,000 mètres de profondeur, près des
Açores et dans le voisinage du Brésil. Des Cumacés, de nombreux
Amphipodes et d’autres Crustacés inférieurs de très petite taille
devront être l'objet d’un travail de détermination très minutieux.
Il est difficile de fixer le nombre des espèces de Mollusques ra-
menées par la drague; beaucoup d’entre elles sont mêlées avec les
Foraminifères, dont le triage n’est pas encore terminé; mais, parmi
celles de taille moyenne, un examen préliminaire a déjà permis
de reconnaitre plus d’une centaine d'espèces. La plupart appar-
tiennent à la faune de l'Atlantique et des mers arctiques; quelques
formes méditerranéennes s'y rencontrent aussi, ainsi que d’autres
qui sont connues à l’état fossile en Sicile et dans le terrain plio-
cène du Nord de l'Italie; enfin, d’autres sont nouvelles pour la
science. Il paraît résulter de nos dragages que l’uniformité de la
faune des grandes profondeurs est réelle pour les Mollusques, car
les espèces du golfe de Gascogne que nous avons recueillies ont été
aussi draguées au Nord de la Norwège, aux iles Shetland et sur les
côtes du Groënland. Les différences des faunes conchyliologiques se
dessinent dès que le fond se relève et qu'on se rapproche de la
zone littorale. Les animaux retirés vivants, parmi les Gastéropodes,
avaient leurs yeux fortement pigmentés. Dans tous les fonds de
drague, on a trouvé des Ptéropodes. Il est donc certain que le
golfe de Gascogne est sillonné par plusieurs espèces de Mollusques
pélagiens. Une coquille en bon état de Carinaria et un fragment
d'Atlanta annoncent la présence des Hétéropodes, qu'on n'y avait
pas encore signalés. Les Brachiopodes ne sont représeniés que par
quatre espèces, dont trois proviennent d’un dragage dans la fosse
du Cap-Breton ; mais il faut faire remarquer que, presque toujours,
nous avons eu à examiner des fonds vaseux où ces animaux ne se
plaisaient pas!.
! Nous ajoutons ici une liste très sommaire des espèces les plus importantes de
Mollusques qui ont été trouvées :
LAMELLIBRANCHES : Spondylus Gussoni, Amusium lucidum, Pecten vitreus, Pec-
ten Groenlandicus, P. pes-lutræ, Lima subauriculata, L. Jeffreysu, L. ellipüca,
Nucula ægeensis, N. reticulata, Leda messaniensis, L. pusio, L. æquilatera, Malle-
tia obtusa, M. excisa, Limopsis minuta, Modiola Martorellt, Modiolaria cuneata
(nov. sp.), Dacrydium vitreum, Pecchiola insculpta, Axinus Croulinensis, A. Eu-
— 198 —
Les vers chétopodes se sont montrés abondants à toutes les sta-
tions de dragage, el ils appartiennent à des genres représentés sur
nos côtes. Les Maldaniens, les Clyméniens et les Euniciens dominent
Une grande espèce d'Hyalinæcia est praticulièrement remarquable.
À l'entrée de la fosse du Cap-Breton, par 300 et {oo mètres, les
Sternaspis et les Pectinaria sont très communs.
Une espèce de Balanoglossus a été recueillie, mais à l’état de
fragments, qui suffisaient cependant pour indiquer une espèce
voisine du Balanoglossus Talaboti des grands fonds de la Méditer-
ranée.
Parmi les types de vers les plus intéressants, il faut signaler
l'être ambigu connu sous le nom de Chetoderma; les quelques
exemplaires recueillis dans le golfe de Gascogne semblent différer
du Ch. nitidulum, et ils rappellent, dans une certaine mesure, les
Neomenia gorgonophila (Kow.) trouvés dernièrement au large de
Marseille, et dont la morphologie se rapproche bien plus de celle
des Neomenia carinala, du type des Chétodermes vrais. Les Géphy-
riens sont nombreux et fort curieux; ils comprennent, outre deux
ou trois espèces nouvelles dont l’une est très proche des Sipunculus,
des Phascolion, des Phascolosoma et des Aspidosiphon. Plusieurs de
ces types rappellent des formes déjà signalées dans les mers arc-
tiques. Les Cælenterés occupent une place importante dans la faune
profonde du golfe de Gascogne; l'exploration du Travailleur à
myartus, À. ferruginosus, À. granulosus , Kellia tumüida , Neœæra elegans , N. striata ,
N. rostrata, Montacula tumida , Thracia (nov. sp.), Lyonsia (?) (nov. sp.) Pholado-
mya Lovent (?) (fragments), etc.
SOLÉNOGONQUES : Cadulus cylindratus, C. tumidosus, Cadulus subfusifornus ,
C. Jeffreysu, G. Olwu , Siphonodentalium lofotense , S. tetragonum , Dentalium filum ,
- D. nov. sp. très grand et voisin du Dentalium candidum , etc,
GASTÉROPODES : Actæon exilis, À nov. sp., Scaphander puncto-striatus, Bulla
subrotunda, Bulla nov. sp., Ringicula pulchella, R. leptochila, Philine quadrata ,
Eulima stenotosma , Coriocella (très grande espèce obtenue vivante), Rimula astu-
riana (nov. sp.), Ghion alveolus, Turbo glabratus, Sequenzia formosa, Buccinum
humphresianum , Fusus berniciencis , F. attenuatus , Columbella Haliæti, Hela tenella ,
Taranis Morchu, Pleurotoma puinquis, Pleurotoma galerita , Defrancia Jormosa ,
Nassa senustriata, Chenopus serrasianus , etc.
Héréropones : Jyalea inflexa , Cleodora cuspidata, etc.
Bracx1oPoDEs : Platidia anomioides, Terebratulina caput-serpentis, Crania ano-
mala, Mergelia truncata.
— HO —
montré que, de 4oo à 2,700 mètres, les Zoanthaires et les Alcyo-
naires sont nombreux et très variés.
On doit citer, parmi les Zoanthaires malacodermés, une belle
espèce nouvelle d'Edwardsia ou d’Hyanthus dont la colonne est bien
moins rugueuse que celle des espèces de la côte, une Adamsia d'un
beau rouge, fixée sur les branches des Isidiens, et enfin un Punodes
de très grande taille; ce Bunode correspond au genre Chitonactis
(Fischer), qui joue, à côté des Bunodes vrais, le rôle des Phelia
vis-à-vis des Sagartia. Il faut aussi mentionner une espèce nou-
velle de Zoanthus trouvée sur les radioles du Dorocidaris papillata.
Les Zoanthaires sclérodermés sont représentés par le Carophyl-
lia clavus, par une belle espèce de Paracyathus, par de beaux Fla-
bellum , dont l’un doit constituer une espèce nouvelle, et enfin par
le Lophelia prolifera, dont les colonies ont été fréquemment rame-
nées par la drague, mais toujours en fragments dont les zooïdes
paraissaient morts depuis longtemps.
Les Alcyonaires des grands fonds du golfe de Gascogne forment
une collection des plus remarquables. Les Gorgonides sont repré-
sentés par des Isis de deux sortes, atteignant une taille extraordi-
naire. Outre ces deux espèces d’Isis, les engins-du Travailleur ont
capturé des fragments d’une Mopsea rappelant une espèce décrite-
_ par Sars, divers exemplaires de deux espèces de Fuliculina, des Ko-
phobelemnon et enfin un bel exemplaire du type si rare connu sous
‘le nom générique d'Umbellularia. Ces divers Pennatulidiens étaient
considérés comme appartenant aux mers arctiques : il est probable
qu'ils font partie de la faune profonde de toutes les mers de l'Eu-
rope. À côté d'eux s'est trouvée une belle espèce méditerranéenne :
l'Alcyenium palmatum (var. Pedunculatum).
Les Échinodermes offrent tous un intérêt considérable. La fa-
mille des Échinothurides, à laquelle se rapportent les beaux Our-
sins mous signalés pour la première fois par M. Wyville Thomson,
est représentée par une belle espèce nouvelle de Phormosoma, dis-
tincte du P. placenta par les ornements des plaques et par les
radioles de grande taille et spatuliformes insérés sur la face orale.
Les Dyastérides, longtemps considérés comme éteints, ont donné
le Pourtalesia Jeffreysu. I faut signaler encore trois types nou-
veaux et fort remarquables de Spatangoiïdes, l'Echinus microstoma
(W, Thomson), le Dorocidaris papillata et le Bryssopsis lyrifera.
Les Astérides sont tous intéressants et rares; ils appartiennent
— 430 —
aux espèces appelées Archasler tenuissima, À. bifrons, Astropecten
Andromeda, A. irreqularis. Une belle espèce de Brisinga (B. coro-
nata ?), aussi fragile que ses congénères des mers du Nord, a été
recueillie sur divers points.
Les Ophiurides sont beaucoup plus abondants que les Astéridés;
les espèces déjà connues sont : Amphiura Chiajei, À. fihformis,
À. tenuissima, Ophiotriæ fragilis, Ophiocnida Danielseni. Plusieurs
autres formes, probablement nouvelles, appartiennent aux genres
Asteronyæ, Ophioglypha, Ophiomusium , Ophiacantha , Opiomyæxa. Une
très grande et très belle espèce, constituant, suivant toutes proba-
bilités, un type absolument nouveau, mérite une mention spé-
ciale.
Les Holothuries comprennent plusieurs espèces nouvelles et fort
belles, ainsi que l’Echinocucumis typica des mers septentrionales el
le Stichopus regalis de la Méditerranée.
Le groupe des Crinoïdes ne nous a fourni que deux exemplaires
d'un petit Antedon, voisin de l’Aniedon Sarsü des mers du Nord.
Les Éponges siliceuses les plus remarquables parmi celles que
nous avons recueillies appartiennent au groupe des Hexactüinellides,
dont les spicules blancs et allongés ressemblent à du verre filé. Les
Hyalonema, les Holtenia, l'Askonema, le Wyville-Thomsonia, le Far-
lea ont été ramenés par la drague de profondeurs variant entre
800 et 2,000 mètres.
Nous avons trouvé dans les grands fonds une quantité de Fora-
minifères: outre les formes communes, dont le test est calcaire,
poreux ou porcellané (Cristellaria, Monionina, Cornuspira, Orbu-
rina, Quinqueloculina, Biloculina, et le remarquable Orbitolites
tenuissima, dont nous avons obtenu des exemplaires de grande
taille), nous possédons une magnifique série de Foraminifères
arénacés (Lituola subglobosa, Psammosphæra fusca, Astrorhiza arena-
ria, Rhabdammina Sp.), dont l'étude a pris depuis plusieurs an-
nées une grande importance.
Cet exposé peut donner une idée des travaux zoologiques accom-
plis pendant la croisière du Travailleur. D'autres résultats impor-
tants ont en même temps été obtenus, et les cent trois sondages
faits depuis la fosse de Cap-Breton jusqu’au cap Pénas rendent un
compile exact de la configuration du fond de la mer dans cette
région, qui semble continuer sous l'eau notre massif des Pyrénées.
À peu de distance des côtes, des profondeurs de 3,000 mètres
— AS —
ont été trouvées : on a pu constater l'existence de pentes abruptes,
de fentes presque verticales, surtout au Nord de Santander et du
cap Machichaco, et ces brusques différences de niveau sont venues
bien souvent contrarier nos dragages. Au contraire, à l'Ouest, entre
Tina-Mayor et le cap Pénas, il existe un plateau que nous avons
désigné sous le nom de plateau du Travailleur, qui n'est couvert
que d'environ 170 mètres d’eau; il contraste par son horizontalité
_avec la région accidentée située plus à l'Est; celle-ci se relie à la
fosse de Cap-Breton par une série d’ondulations. Ce travail hydro-
graphique sera très intéressant pour les géologues; tous les élé-
ments en ont été réunis avec un soin extrême par M. Richard,
qui doit les grouper en un rapport adressé à M. le Ministre de la
marine.
En terminant, qu'il me soit permis d'exprimer le vœu que cette
expédition si féconde ne soit pas la dernière de ce genre et que,
l'année prochaine, il nous soit possible d'explorer de la même ma-
nière les côtes méditerranéennes. Les découvertes que M. Marion
a faites au large de Marseille nous permettent d'espérer encore là
une nouvelle et riche récolte.
Alph. Me Enwarps.
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RAPPORT
SUR
UNE MISSION EN ANGLETERRE,
PAR M. CH. FLAHAULT.
Monsieur le Ministre,
Vous avez bien voulu, par un arrêté en date du 23 janvier
1880, me confier une mission en Angleterre, dans le but de faci-
liter ma préparation à un voyage que j'espère, avec votre bienveil-
lant appui , accomplir pendant l'été de 1881 à la Nouvelle-Zemble.
Il s'agissait pour moi de connaître les documents rapportés par
les nombreuses expéditions anglaises, principalement du Nord de
l'Amérique, et d'étudier les travaux à la publication desquels ces
documents ont donné lieu. Le British Museum, le musée de South
Kensington, à Londres, les musées botaniques et l’herbier de Kew
devaient tout spécialement appeler mon attention.
C’est là, en effet, qu'ont été réunies les importantes collections
rapportées par les premiers explorateurs à la recherche du passage
du Nord-Ouest, principalement par Parry, par Ross et par Fran-
klin à la suite de ses premiers voyages. C’est après avoir étudié
ces collections que Sir William Hooker publia le Flora boreali ame-
ricana, ouvrage qui fut pendant longtemps le seul guide de tous
ceux qui se livrèrent à des recherches botaniques dans les régions
arctiques. Les types décrits par ce savant se trouvent encore au-
jourd'hui dans l’herbier de Kew, avec les observations critiques de
Robert Brow et de notre compatriote J. Gay, dont l’herbier, si
précieux à beaucoup de points de vue, est aujourd'hui entre les
mains des Anglais. Depuis la publication de ce grand cuvrage, Sir
Joseph Hooker, directeur du jardin de Kew et président de la So-
ciété royale de Londres, a fixé son attention d’une facon toute par-
MISS, SGIENT. — VII, 28
— 3h —
ticulière sur la distribution des flores arctiques, et publié sur cette
question des mémoires fort importants.
En raison même de la haute compétence et de l'autorité de Sir
Joseph Hooker, tous les explorateurs polaires, tant anglais qu'amé-
ricains, ont tenu à honneur de voir leurs collections botaniques
prendre place dans l’herbier de Kew. Parmi les plus récentes et
les plus importantes en même temps, je citerai celles qui furent
recueillies jusque par 83° Ao de latitude au Nord de la terre de
Grant, par les officiers qui prirent part à l'expédition du capitaine
G. Nares, et celles que rapporta M. Markham des côtes de la Nou-
velle-Zemble en 1879. Ces derniers n'ont pas encore
été publiés.
C'est donc dans les musées de Londres et de Kew que j'ai passé
deux mois, comparant les matériaux considérables qui y sont ras-
semblés avec les collections et les notes que j'ai rapportées moi-
même de mes précédents voyages en Suède et en Laponie.
Je me livrai d'abord à un travail assez aride de vérification; les
auteurs américains, manquant le plus souvent d'éléments de com-
paraison, ont en effet donné à beaucoup d'espèces des noms dif-
férents de ceux qui désignent les mêmes espèces en Angleterre ou
en Scandinavie; sans cette vérification, toute comparaison appro-
fondie des flores de ces diverses régions était impossible.
Étudiant ensuite da cab phsrie de la flore des différentes
contrées explorées jusqu'ici aux environs du pôle Nord, en nr'atta-
chant surtout aux documents inédits, j'arrivai bientôt à me con-
vaincre que les études sur la distribution et l'origine de ces flores
n'ont pas été poursuivies jusquà présent avec la méthode qu'il est
désirable de voir appérter à ce genre de recherches.
Je crois, en effet, que les hypothèses émises jusqu’à présent
‘sur ce point, notamment par l'illustre président de la Société
royale, ne sont pas appuyées sur des données suffisamment pré-
cises. En effet, Sir J. Hooker comprend sous le nom de régions
arctiques toutes les terres situées au Nord du Cercle polaire; mais
quand il s'agit de recherches biologiques, je ne crois pas qu'on
puisse prendre pour base cette limite purement géographique. I
est incontestable que les plantes, comme les animaux, sont dans
une dépendance constante à l'égard du climat, de la température
surtout. 11 faut d'ailleurs reconnaître qu’à l’époque où furent pu-
bhés les travaux dontje parle, la météorologie des régions arctiques
Re re
— 135 —
était tout entière à faire. Elle a fait peu de progrès depuis, assez
cependant pour qu'on puisse tracer la marche approximative des
isothermes autour du pôle. :
Un seul exemple suffit: pour montrer pourquoi la méthode qui
consiste à appliquer aux études biologiques l'usage de la limite
géographique, sans tenir compte des caractères climatériques, ne
peut plus être suivie.
D’après Sir J. Hooker, la flore arctique comprend 760 espèces
phanérogames; de ces 760 espèces, plus de 600 habitent la Scan-
dinavie boréale, tandis que 200 à peine se trouvent au Groënland;
mais on sait aujourd'hui que, si l’on envisage les régions arctiques
sous le rapport climatérique, et par conséquent au point de vue
botanique, on peut considérer comme arctiques toutes les régions
qui se trouvent au Nord d'un même isotherme; nous pouvons ad-
mettre d'une façon générale que cette région climatériquement
arctique se trouve au Nord de l’isotherme moyen annuel +o°.Or,
dans ces conditions, toute la Scandinavie est exclue du territoire
arctique; au contraire, le Groënland en fait partie tout entier; il
n'est pas étonnant que le Nord scandinave, relativement très chaud,
possède une flore riche, composée de types méridionaux, en même
temps que de types arctiques, qui peuvent y trouver des condi-
tions favorables à leur développement, des montagnes par exemple.
Je ne puis voir, dans ce seul fait du grand développement de la
végétation dans la Scandinavie septentrionale, une raison d'ad-
mettre que cette flore soit l'origine de celle du Groënland. Au lieu
de la considérer comme une flore originelle qui s’est répandue de
proche en proche jusqu'au Groënland et de trouver dans celte
hypothèse une preuve des relations géologiques anciennes entre
le Groënland et l'Europe, il me semble plus rationnel de ne voir
dans l'extrême pauvreté de la flore actuelle du Groënland que
le résultat naturel de son régime climatérique actuel.
À cet exemple, je pourrais en ajouter bien d’autres pour légi-
timer le peu de crédit que j’accorde à des idées que je crois souvent
mal fondées, et pour expliquer le désir que j'ai de poursuivre la
solution de ce difficile problème.
La flore cryptogamique, trop négligée jusqu'ici dans ce genre
de recherches, fournit aussi des données importantes dont J'espère
tenir compte dans la suite de mes études.
Enfin, j'ai complété mon travail en établissant, d’après tous les
æ 28.
— 136 —
documents actuellement connus, les bases d’une flore de la Nou-
velle-Zemble. Ces documents sont bien limités; la côte seule des
deux îles a été explorée et seulement en quelques points. Tou-
tefois, ce travail me sera fort utile comine point de départ d'une
étude personnelle, si, comme je l'espère, je puis pénétrer dans
l'intérieur de ce pays et en rapporter des collections plus impor-
tantes.
Je suis heureux de reconnaître, en terminant, que les savants
directeurs des établissements scientifiques où j'ai travaillé m'ont
accueilli avec une grande bienveillance et qu’ils ont mis à ma dis-
position toutes les richesses scientifiques qu'ils possèdent.
Voilà, Monsieur le Ministre, ce que j'ai fait. Je crois pouvoir
dire que je puis maintenant entreprendre un voyage dans les ré-
gions polaires sans craindre de rencontrer, au point de vue bota;
nique, une difficulté imprévue.
J'espère, Monsieur le Ministre, que vous voudrez bien me four-
nir l'occasion d'appliquer les connaissances que j'ai acquises, en
me permettant de partir pour la Nouvelle-Zemble.
C'est dans cette espérance, Monsieur le Ministre, que je vous
prie d'agréer l'assurance de la vive reconnaissance et du respec-
tueux dévouement de votre subordonné.
Cu. FLanauLr,
Répétiteur de botanique à la Faculté des sciences
de Paris. |
RAPPORT
LES LETTRES DE LOUIS XI
SUR LES DOCUMENTS CONCERNANT CE PRINCE
CONSERVÉS DANS LES ARCHIVES DE L'ITALIE,
ADRESSÉ À M. LE MINISTRE DE L’'INSTRUCTION PUBLIQUE
PAR
M. ÉTIENNE CHARAVAY.
ARCHIVISTE PALÉOGRAPHE.
——
Paris, 10 juillet 1880.
Monsieur le Ministre,
Par votre arrêté du 6 février 1880, vous avez bien voulu me
charger d’une mission en Italie, à l'effet de rechercher, dans les
archives de ce pays, les lettres du roi Louis XI. Cette recherche
étail nécessitée par une publication que la Société de l'histoire de
France a dès longtemps projetée, et dont elle a confié l'exécution
à mon collègue, M. Joseph Vaesen, archiviste de la ville de Lyon,
et à moi. Cette publication est celle de la correspondance de
Louis XI. M" Dupont, l'éditeur de Commynes, et mon collègue
et ami regretté Léopold Pannier ont commencé à réunir les
éléments de ce grand ouvrage; mais l’un et l’autre n'ont exploré
que les archives francaises, et encore seulement en partie. Les
éditeurs désignés après la mort de Pannier n’ont pas cru qu’il
fût possible de négliger les dépôts étrangers, surtout les archives
italiennes qui, ainsi que j'avais pu le reconnaître en 1874 dans un
premier voyage en ltalie, sont riches en lettres originales de nos
rois. Or Louis XI, alors qu'il n’était que dauphin, obtint du pape
le itre de gonfalonier de l'Église; du Dauphiné, où il exercait
— 138 —
une véritable souveraineté, il négocia et intrigua avec les princes
italiens, se ménageant des alliances, choisissant même sa seconde
femme dans la maison de Savoie. Pendant son règne, il continua
d'entretenir d'étroites relations avec l'Italie, réclamant la seigneu-
rie de Gênes, s’enlremetlant dans les affaires des Républiques de
Florence et de Venise, restant l’allié et l'ami de Francesco Sforza
et de Laurent de Médicis. Il était donc naturel de supposer que
les archives des principales villes de l'Italie renfermaient des docu-
ments constatant les rapports de leurs princes ou de leurs gouver-
nements avec Louis XI. Aussi, Monsieur le Ministre, avez-vous jugé
utile, pour encourager la publication d’un ouvrage si important
pour l'histoire de France, de confier à un des futurs éditeurs la
mission de recueillir les lettres missives de Louis XI conservées
dans les archives italiennes.
J'ai exploré, Monsieur le Ministre, les archives de Gênes, de
Rome, de Naples, de Florence, de Venise, de Milan et de Turin.
Mon collègue et collaborateur, M. Joseph Vaesen, a bien voulu, à
titre gracieux, m'accompagner dans ce voyage et m'aider dans
mes recherches. Son concours m'a été précieux, et vous me per-
mettrez, Monsieur le Ministre, de parler, dans la suite de ce rap-
port, en notre nom collectif.
La publication de la correspondance de Louis XI comprenant
les lettres écrites par Louis XI comme dauphin et comme roi, nous
avons dû examiner les documents se rapportant à la période qui
s'étend de 1440, époque où Louis XI entra, comme dauphin, dans
la vie politique, à 1483, date de la mort de ce souverain. Nous ne
nous sommes pas bornés aux seules lettres missives, mais nous
avons recueilli les lettres patentes de Louis XI, si importantes pour
le recueil des actes et pour l'itinéraire royal, les lettres adressées
à Louis XI par les princes italiens, pièces indispensables pour l'an-
uotalion de la correspondance, les dépêches des ambassadeurs 1ta-
hens à la cour de France, ét, en général, tous les documents pou-
vant servir à l'histoire de la seconde partie du règne de Charles VII
et à celle du règne de Louis XI. J'ai cru que cette méthode ren-
drait plus profitable la mission que vous m'avez confiée, et j'espère,
Monsieur le Ministre, qu'elle recevra votre approbation.
Voici maintenant une indication sommaire des lettres et des
documents que nous avons recueillis dans les archives ci-dessus
désignées.
— 139 —
ARCHIVES DE GËNES.
Les archives d'État, dont un des conservateurs, M. le chevalier
de Simone, nous a fait les honneurs avec une parfaite courtoisie,
comprennent, comme fonds principaux, les Diversorum, les Materie
D les Instructiones et relationes et les Litterarum cancellarie.
Nous n'avons rien trouvé dans les Diversorum qui mérität d’être
signalé. Quoique les autres fonds ne conunssent pas de lettres
missives de Louis XI, ils nous ont fourni des documents intéres-
sants, dont voici l'indication :
Materie politiche, mazzo 12. 1° Vidimus par-devant Thierri le
Conte, gouverneur de Montpellier, des lettres de Charles VIT don-
nées à Nancy le 26 janvier 1445 (n. st.). Le Roi y rappelle qu'il a
ordonné à Jacques Cœur, son argentier, de faire construire une
galée, nommée Notre-Dame-Saint-Denis, sur laquelle il fit mettre
ses bannières, et que cette galée fut, il y a un an, dérobée par les
Génois, pendant qu'elle était dans le port d’Aigues-Mortes. Les
Génois lui ayant envoyé des ambassadeurs pour conclure un arran-
gement touchant cette affaire, Charles VIT nomma commissaires à
cet effet : Jean d’Estampes, trésorier de Saint-Hilaire, général des
finances; Jacques Cœur, son argentier; Thierri le Conte, gouver-
_neur de Montpellier ; Jean Dacy, conseiller en la cour du parle-
ment de Toulouse, et Étienne de C ambray, clerc de ses comptes. —
2° Accord intervenu, le 22 novembre 1445, entre les commissaires
de Charles VIT et Napoleone Lomellini, député des Génois, relati-
vement au vol de la galée susdite. — 3° Traité de ligue offensive et
défensive conclu pour cinq ans, le 4 novembre 1451, entre les
communes de Gênes et de Florence et le duc de Milan, pour main-
tenir la paix en Italie et s'opposer aux entreprises du roi de France,
du dauphin, du duc de Savoie et des Vénitiens.
Materie politiche, mazzo 13. 1° Ratification par Charles VII, à
Beaugency, le 25 juin 1458, des articles conclus le 7 février entre
Jean, duc de Calabre, lieutenant du roi à Gênes, et Borcello Gri-
maldo, plénipotentiaire du doge Pietro di Campo Fregoso, relative-
ment à la soumission de Gênes à la couronne de France. — 2° Ac-
cord intervenu à Gênes, le 21 août 1466 , entre les plénipotentiaires
de la République de Gênes et ceux de René d'Anjou, roi .de Sicile
— 0 —
et comte de Provence, portant que de part et d'autre cesseront les
représailles, et qu'on fixera ultérieurement le chiffre des indem-
uilés respectives. — 3° Lettres de sauvegarde données par Louis XI
aux Génois; Lyon, 16 juin 1476. |
Ins'ructiones et relationes, fiisa 2, n° 119. Instructions envoyées
à Rome, le 28 janvier 1462, par les Génois, relativement au des-
sein du roi de France d'occuper Gênes el aux mauvaises consé-
quences qui pourraient en arriver. |
Instructiones et relationes, filsa 2, n° 271. Instructions données,
le 1* avril 1476, à Francesco Marchese, ambassadeur des Génois
auprès du roi de France, afin qu'il se plaigne de ce que, nonob-
slant la bonne amitié qui règne entre les Génois et les Français,
ceux-ci se sont emparés de deux galéaces génoises, et qu'il en
réclame la restitution.
Liber litterarum Gotardi. Ce recueil de lettres de chancellerie
nous a fourni un grand nombre de renseignements. Nous en avons
dépouillé treize volumes (17-1793 à 29-1805), où nous avons
trouvé les documents suivants :
17-1793 : Trois lettres du doge de Gênes à Tanneguy du Chà-
tel, prévôt de Paris, sur la prise de bâtiments génois par les Fran-
çais (4 octobre 1449, 24 mars et 13 avril 1450).
18-1794 : Leltre du doge de Gênes au dauphin, écrite, le
11 septembre 1453, pour le dissuader de venir en Italie, ainsi
qu'il en avait manifesté l'intention. — Lettres du même à Bene-
detto de Auria et à Gian-Galeazzo, des 12 et 13 septembre 1453,
sur le même sujet que la précédente. — Lettre du même à Charles
d'Armagnac, lieutenant du roi à Verceil, par laquelle il lui refuse,
sous le prétexte de la guerre, le sauf-conduit qu'il avait demandé
pour visiter Gênes et ses monuments, et le prie de remettre sa
visite à des temps meilleurs {15 octobre 1453).— Lettre du même
à Charles VII sur la destruction de la flotte génoise par les Turcs
(23 mars 1454). — Lettre du méme au même sur la guerre avec
le roi d'Aragon (20 janvier 1454). — Lettre du même à Jean,
duc-de Calabre, sur son désir de faire la paix (24 avril 1454). —
Lettre du même à Charles VIT sur la guerre avec le roi d'Aragon
(17 juillet 1456). ë
— Al —
21-1797 : Ce volume comprend ia correspondance de Jean,
duc de Calabre, gouverneur de Gênes pour Charles VII, et de Louis
de Laval, successeur de celui-ci. Il est très important pour l'his-
loire de la domination française à Gênes. La première lettre du
duc de Calabre est du 11 mai 1458 et la dernière du 20 septembre
1459. La première lettre de Louis de Laval est du 25 septembre
1459 et la dernière du 9 mars 1461. Ces lettres sont adressées à
Charles VII (10 mars 1458, octobre 1459, 7 octobre 1460 et deux
sans date), au roi René, au roi d'Aragon, au pape, au roi d'Angle-
terre et aux princes italiens.
. 22-1798 : Ce volume contient la correspondance de Louis de
Laval du 13 janvier 1460 au 9 mars 1461. Nous y avons remar-
qué quatre lettres à Charles VIT (21 et 30 septembre et 9 octobre
1460, 23 février 1461), une lettre à Charles, comte du Maine,
frère du roi René (8 octobre 1460), une lettre à Pierre de Brézé,
grand sénéchal de Normandie {8 octobre 1460) et une lettre à
Jean, comte de Dunois (10 octobre 1460).
_. 24-1800 :/Ce volume comprend la correspondance de Sagra-
morus, gouverneur de Gênes pour le duc de Milan. Nous y avons
noté trois lettres à Louis XI sur des actes de piraterie commis par
des marins français contre des bâtiments génois (8 janvier 1467
et 24 avril.et 24 mai 1472), une lettre au duc de Bourgogne
‘(8 mai 1461) et trois lettres au duc de Bretagne (27 novembre et
10 décembre 1470 et 24 février 1471).
25-1801 : Lettre de la République de Gênes à Louis XI pour
Jui annoncer une victoire remportée par les Génois sur les troupes
du duc de Milan (12 août 1478).
28-1804 : Lettre de la République de Gênes à Louis XI relati-
vement à un vol de bijoux commis par des marchands génois au
détriment de marchands d’Asti, pour lesquels le duc et la duchesse
d'Orléans avaient pris parti (5 janvier 1481).— Lettre de la même
à Louis XI (6 juin 1481).
29-1805 : Lettre de la République de Gênes à Louis XI pour
lui demander la restitution de navires génois qui avaient été pris
par des marins français et conduits à Marseille (10 janvier 1483).
— Lettre au même pour le remercier de Îa restitution desdits
navires (3 avril 1483). — Lettre au mêine pour lui annoncer
qu'ils ont, selon son désir, donné des ordres pour assurer, dans la
>.
rivière de Gênes, une réception bienveillante à ceux de ses en-
Mae
voyés qui la traverseront pour se rendre à Rome (20 novembre
1482).
BIBLIOTHÈQUE DE GÈNES.
Ce dépôt renferme un très curieux manuscrit du xv° siècle in-
ütulé : Jac. Bracelli et aliorum clarissimorum virorum epistolæ, ora-
tiones et opuscula. Il a 465 pages in-4° et porte le numéro 351. Il
contient des fragments d'auteurs anciens, de Salluste notamment,
les lettres adressées par Giacomo Bracelli, chancelier de la Répu-
blique de Gênes, à divers princes et à ses amis, et d’autres œuvres
de ce personnage important. Nous avons trouvé dans ces manus-
crits deux pièces très intéressantes : une lettre du duc de Milan
au dauphin par laquelle il lui raconte la récente défaite du roi
René par les Génois (20 juillet 1461), et une lettre de Louis XI
aux Génois (30 décembre 1461). Je signalerai aussi une lettre de
Louis de Laval, gouverneur de Gênes, écrite, le 8 juillet 1460, à
Borso, marquis d'Este, pour le remercier de l'envoi de bouteilles
«cristalinas laganculas mirabili arte celatas, dona verè regalia ».
Louis de Laval s'excuse de n'avoir pu trouver dans ses écuries des
chevaux ou des mules dignes d'être envoyés au marquis (page 34
du manuscrit).
ROME.
À Rome, après avoir rendu visite à M. A. Geffroy, directeur de
l'École archéologique française, et à nos collègues, MM. Elie Berger
et Thomas!, nous avons adressé une supplique au saint-père et à
S. Ém. le cardinal Hergenrôther, préfet des archives du Vatican,
pour obtenir la communication des lettres de Louis XI et des
documents concernant ce prince. En attendant l'autorisation de-
mandée, nous sommes allés aux archives d'État, où le directeur, le
chevalier Costantino Corvisieri, nous a déclaré, avec la meilleure
grâce du monde, que son dépôt ne contenait pas de lettres de
Louis XI. Nous nous sommes rendus ensuite à la bibhothèque
Barberina, où l'abbé Pieralisi nous a communiqué le catalogue des
1 Nous avons rencontré auprès de nos confrères, membres de l'École archéo-
logique française de Rome, notamment auprès du doyen d'entre eux, M. Élie
Berger, qui prépare activement sa grande publication des bulles d'Innocent IV,
l'accueil le plus cordial. On peut dire que maintenant les érudits français ont à
Rome un protecteur naturel dans M. Geffroy et une véritable famulle dans les
membres de l'Ecole archéologique.
Rd à
— h45 —
manuscrits. Nous n'avons rien trouvé qui püt servir à notre tra-
vail. Ensuite, nous obtinmes de la haute bienveillance de S. Ém. le
cardinal Pitra, toujours prêt à favoriser les érudits français, de
consulter les manuscrits de la bibliothèque du Vatican. Voici le
résultat de nos recherches.
BIBLIOTHÈQUE DU VATICAN.
Munis de la permission deS. Ém. le cardinal Pitra, nous avons
été reçus avec la plus grande courtoisie par M5 Cieccolini, qui
s'est empressé de nous communiquer trois manuscrits du xv° siècle
appartenant au fonds de la reine Christine de Suède.
Manuscrit n° 1323. Les deux cent soixante premiers folios con-
tiennent des poésies d'Alain Chartier, qui sont interrompues, aux
folios 139-141, par un «Arrest de Loys de Luxembourg, jadis
connélable de France», et au folio 141 verso, par la copie de lettres
patentes de Louis XI, données à Amboise le 31 octobre 1472, la
douzième année de son règne (la copie porte seulement 60, et le
reste de la date est en blanc; mais, par l’année du règne, il est
facile de réparer cette omission). Ces lettres constatent que le roi
a envoyé vers le pape Sixte IV le patriarche d'Antioche, évêque
de Valence, le sire de Chasteauneuf, maréchal du Dauphiné, maître
Jean Luislier, doyen de Paris, Bernard Loret, avocat en la cour
du Parlement de Toulouse, el autres « pour faire et rendre l’obéis-
sance deue et telle que nous et noz prédécesseurs avons acous-
tumé de faire à nostre saint père et au saint siège apostolique à
la nouvelle assumpcion de chascun pape», et à cause de la prag-
matique sanction, des procès qui s’ensuivent et du danger de ruine
où se trouvent plusieurs prélatures. En conséquence, un accord
est intervenu entre les envoyés du roi et les commissaires nom-
més par le pape. Le roi expose dans ses leltres patentes les termes
de cet accord et il les approuve « désirans aussy de tout nostre
pouvoir libéralement complaire à nostredit saint père et estre
envers lui en l'amour et faveur comme son vray et dévot filz et
du saint siège apostolique ».—Au folio 260, se trouvent le passage
de la Chronique scandaleuse relatif à la bataille de Nancy et à la
mort de Charles le Téméraire, et les épigrammes inspirées par cet
événement. Ces épigrammes ont été, pour la plupart, publiées par
Keller dans l'ouvrage intitulé : Romuwart.
— hhh —
Manuscrit n° 753. Ce manuscrit a 110 feuillets. Les folios 1 à
65 comprennent la Chronique de Jean Maupoint, récemment publiée
pour la Société de l'Histoire de Paris par notre collègue M. Gustave
Fagniez. — Au folio 66 commence le récit des événements dont
la cour de Savoie fut le théâtre en 1464, entre autres du meurtre
juridique du chancelier de Savoie par Philippe, seigneur de Bresse,
qui fut, pour ce fait, mis en arréstation par ordre de Louis XI.
Cette chronique, dont l’auteur est un Français, puisqu'il parle du
roi son maître, a été publiée à Turin, en 1877, dans les Miscel-
lanea di storia rialiana, mais d’après un autre manuscrit conservé
à Turin. — Enfin, au folio 190 se trouve une chronique relative
aux débuts du règne de Louis XI, que nous croyons inédite. Après
avoir raconté la mort de Charles VII, l’auteur décrit l'entrée du
nouveau roi à Reims et à Paris et il énumère les personnages qui
l'accompagnèrent dans ces circonstances, avec une précision et des
détails de costume qui dénoncent un témoin oculaire. Il était fort
jeune lors de la fuite du dauphin à la cour de Bourgogne, car il
s'excuse de n’avoir pas mis cet événement en écrit, « pour ce que,
dit-il, je n'estoys pas cronicqueur adoncques ne n'avoie l’âge de
l'estre ». Après le récit des solennités de l'avènement, le chroni-
queur passe à celui des conséquences du changement de règne;
il raconte le remplacement des serviteurs de Charles VII par des
créatures du nouveau roi, la destitution temporaire des élus et des
secrétaires du roi, et les essais de renouvellement du personnel
judiciaire. À ce propos, l'auteur reproduit tout au long les coura-
geuses remontrances adressées au roi par Hélie de Torettes, le
nouveau premier président, qui, quoique nommé par Louis XI,
n'hésita pas à exposer à son souverain quelles fâcheuses consé-
quences pouvait avoir le renvei si brusque ets si général de magis-
trats expérimentés.
Il est désirable que cette chronique, si curieuse pour les débuts
du règne de Louis XI, soit bientôt publiée.
Enfin, le dernier folio du manuscrit n° 753 contient la copie
d'une lettre missive de Louis XI au pape touchant l’'abrogation de
la pragmatique sanction. Cette lettre fut écrite à Tours en 1470.
Manuscrit n° 889. Ce manuscrit, de 111 feuillets, porte le titre
suivant, qui en indique le sujet : « Sur la question qui est entre
le duc d'Autriche et madame la duchesse sa femme, d'une part, et
— 45 —
le roy de France très chrétien, nostre souverain seigneur, Loys
neufième (sic) de ce nom, touchant les terres et seigneuries que
le duc Charles de Bourgoigne derrenier trespassé, père de ladicte
madame la duchesse, tenoit, possidoit, occupoit, usurpoït ou pré-
tendoit y avoir droit à divers tiltres et par divers moyens et en
divers lieux, contrées et parties de ce royaulme et mesmement en
tant que touche la duché et conté de Bourgoigne et les contés de
Mascon et d’Ausserre.» C’est un mémoire rédigé par ordre de
Louis XI pour réfuter les prétentions que la fille et le gendre de
Charles le Téméraire élevaient sur la possession du duché de Bour-
gogne et des comtés de Mâcon et d'Auxerre, dont Louis XI s'était
saisi après la mort dudit duc. L'auteur expose tous les arguments
juridiques et historiques qui justifient, selon lui, le retour du duché
de Bourgozne à la couronne de France.
ARCHIVES DU VATICAN.
Les archives du Vatican ne contiennent ni lettres missives de
Louis XI, ni relations de nonces ou de légats en France au quinzième
siècle. C’est ce que nous a affirmé l’archiviste dom Gregorio Pal-
mieri, qui à fait, sur notre demande, toutes les recherches dési-
rables avec une parfaite bonne grâce. Il n’a pu trouver qu'un seul
document signé par Louis XI, daté d’'Amboise, le 26 septembre
1470, et par lequel le roi s'engage à rendre au saint-père, à
première réquisilion, la ville d'Avignon, dont le gouvernement
est provisoirement remis à Charles de Bourbon, archevêque de
Lyon. |
Mais, à défaut de lettres de Louis XI, les archives du Vatican
ont conservé les registres des bulles et des lettres des papes au
xv° siècle. Dans la période qui correspond à Louis XI dauphin et
roi, Six papes ont régné, à savoir : Eugène IV (1431-1447), Ni-
colas V (1447-1455), Calixte IIL (1455-1458),PielT (1458-1464),
Paul IL (1464-1471), et Sixte IV (1471-1484). Les registres de
1431 à 1484 sont au nombre de 250 environ et leur dépouille-
lement exigeant un temps plus considérable que celui dont nous
pouvions disposer, nous avons dû nous borner à nous rendre
compte, par l'examen de, quelques registres, de l'importance que
cette collection présente pour l'histoire du règne de Louis XI.
Nous avons donc examiné d’abord quelques registres d'Eugène IV
et de Nicolas V, en commencant à l'année 1439. Nous y avons noté
— 46 —
les documents suivants qui intéressent plus particulièrement la
France :
Registre n° 375. Levée d’interdit sur le domaine du comte d’Ar-
magnac; Florence, 3 des nones de mai 1439 (fol. 75). — Bulle
de légat a latere auprès du roi de France concédée à Barthélemy,
archevêque de Florence : Florence, 10 des calendes de juin 1440
(fol. 149 v°). — Licence donnée à Rosello de Rosellis, clerc de la
chambre apostolique, de forcer le prévôt de Paris, Tanneguy du
Châtel, à mettre en liberté Guillaume, évêque de Laon : Florence,
11 des calendes de juin 1441 (fol. 245).
Registre n° 376. Concession faite à Antoine David touchant un
canonicat de l’église de Viviers : Rone, 3 des ides de janvier 1443
(fol. 1). — Permission accordée à Guillaume, évêque de Poitiers,
de visiter, par procureur, son évêché : Rome, 6 des ides de janvier
1443 (fol. 3).— Pierre de Ranchicourt, clerc du diocèse d'Arras,
obtient la chancellerie de l'église d'Amiens : Rome, 14 des calendes
de décembre 1444 (fol. 57 v°).
Registre n° 377. Permission donnée à Marie d'Anjou, reine de
France, de fonder un ordre de frères mineurs dans le monastère
de Montmartre : Rome, 9 des calendes de mai 1445 (fol. 50 v°).
Registre n° 379. Absolution donnée à Pierre, évêque d'Évreux,
de l’excommunication encourue par lui pour n'avoir pas payé des
marchands ses créanciers : Rome, 4 des calendes d'octobre 1416
(fol. 85 v°). — Permission accordée à Jean Tronson, évêque de
Nevers, d'obtenir trois bénéfices en commende : Rome, A des ides
de janvier 1446 (fol. 130).
Registres n° 380, 381 et 382. Nombreuses lettres d'Eugène IV
écrites, en 1446, à des évêques français, parmi lesquels ceux
d'Angers, de Saint-Malo, de Rennes, de Luçon, de Paris, etc.
Registre n° 383. Lettres d'Eugène IV écrites, en 1446, à Guiïl-
laume Adeline, prieur du prieuré de Saint-Germain-en-Laye (fol.
15), aux évêques de Chartres et d'Orléans (fol. 15 v°), à Farche-
vêque de Lyon et à l'évêque de Tulle (fol. 24), à l'archevêque de
Lyon (fol. 25). — Nomination de notaire apostolique en faveur
— 47 —
d'Aubert de Saint-Simon, recommandé par le roi de France et
par le dauphin : 12 des calendes de novembre 1446 (fol. 58 v°).
- Registre n° 385. Lettres de Nicolas V écrites, en 1447, à l’ar-
chevêque d'Aix (fol. 3 v° et 12), à Charles VII (fol. 12 et 13), à
Philippe, duc de Bourgogne (fol. 20), à l'archevêque de Reims
(fol. 27), à l'archevêque de Vienne (fol. 44 v°), à Louis, élu de
Valence et de Die (fol. 45), à l'archevêque de Tours (fol. 51), au
prévôt de l'église de Valence (fol. 83 et 84), au dauphin (9 des
calendes d'octobre 1447, fol. 107 v°), à Charles de Bourbon, élu
de Lyon (fol. 119), à Pierre, élu d'Arles (fol. 122), à Raoul,
évêque de Dôle (fol. 123 v°), au roi René (fol. 162 v°), à l'abbé
du monastère de Saint-Antoine-de-Viennois (fol. 165 v°), à An-
toine, élu de Paris (fol. 199), aux évêques d'Angers et de Meaux
(fol. 210 v°), à l'évêque de Strasbourg (fol. 248 v°). — I] convient
de signaler tout particulièrement une permission accordée à Agnès
Sorel, du diocèse de Clermont, d’avoir un autel portatif; 3 des
nones d'avril 1448 (fol. 275). Le scribe a écrit en marge : « Altare
portatile pro madama de Beute. »
Registre n° 387. Lettres de Nicolas V écrites, en 1448, à Bar-
thélemy Bercheur, chanoine de Vienne, touchant Jacques Cœur
(fol. 120), à Charles VIT et à l'archevêque de Lyon touchant la
nomination de Jean Bureau à l'évêché d'Orléans (fol. 145 v° et
312). — Les feuillets 157 et 158 contiennent des concessions
d’autel portatif à des serviteurs du dauphin.
Nous avons aussi examiné treize registres du pontificat de Pie Il
(XI à XXIV), comprenant les années 1460 à 1463, et nous y
avons trouvé plusieurs bulles concernant la France, dont une fort
curieuse sur les poursuites exercées par le Parlement de Paris
contre l’évêque d'Évreux, Pierre de Comborn, accusé de conspi-
ration.
Ces quelques renseignements vous montreront, Monsieur le
Ministre, quelle importance ces registres pontificaux présentent
pour l’histoire ecclésiastique de la France au xv° siècle et pour
l'étude des rapports des rois Charles VII et Louis XI avec le saint-
siège. Je crois qu'il serait vraiment utile de continuer le dépouil-
lement que nous n'avons pu que commencer et de dresser un
— 48 —
catalogue analytique de tous les actes concernant la France. La
libéralité avec laquelle le saint-père permet actuellement de con-
sulter les archives du Vatican, la création projetée d’une salle
d'études, l’abrogation prochaine des formalités exigées jusqu'ici
des travailleurs, favoriseraient cette entreprise, qui pourrait s’é-
tendre plus tard à d’autres règnes. Si vous jugez que ce travail,
en ce qui concerne la période des règnes de Charles VII et de
Louis XI, mérile votre encouragement, vous trouverez en nous,
Monsieur le Ministre, des auxiliaires dévoués et préparés à exécuter
la mission que vous daigneriez leur confier.
ARCHIVES DE NAPLES.
Les prétentions de la maison d'Anjou à la couronne de Naples
et les relations de Louis XI avec la maison d'Aragon, qui sup-
planta la dynastie angevine, nous conduisaient naturellement à
Naples. Là nous avons trouvé dans notre collègue M. Paul Durrieu
un guide sûr et dévoué. Les archives de Naples comprennent ou
plutôt comprenaient deux grandes collections de registres de la
chancellerie royale, les registres angevins (registri angioim) et des
registres aragonais (registri aragonesi), correspondants aux deux
dynasties qui ont successivement occupé le trône de Naples. Les
registres angevins, quoique moins nombreux aujourd'hui qu'ils ne
l'étaient, d'après l'historien Toppi, au xvu° siècle, comprennent
encore 378 volumes, que M. Paul Durrieu étudie avec le plus
grand soin. Mais les registres aragonais n’ont pas eu la même for-
tune; la plus grande partie a péri dans l'incendie du palais du duc
de Caivano, secrétaire du royaume, pendant l'insurrection de
Masaniello en 1647 !. Des registres dits exterorum on ne put sauver
que trois volumes, qui existent encore. L’un va de janvier 1467 à
juin 1468; les deux autres de 1491 à 1494. Le premier deces
registres nous intéressait seul. Nous l'avons dépouïllé et nous y
avons noté les lettres suivantes du roi de Sicile, qui concernent;
pour la plupart, un traité d'alliance conclu entre lui, le duc de
Milan et la République de Florence :
À ses ambassadeurs à Rome, 23 janvier 1467 (fol. 6); — au
cardinal de Rouen, 28 février 1467 (fol. 37); — à Marmo Torna-
. 1 Cf. Degli archiwu napolitant , relazione a S. E. 1l muustre della pubblica istru-
zione per Francesco Trinchera, direttore generale degli archivu nelle provincie napo-
litane; Naples, 1872, in-8 de 656 pages.
— 9 —
cello sur la conduite du duc d'Urbin et sur l'attitude à prendre
dans la négociation du traité d'alliance avec la France, 12 mai
1467 (fol. 75); — au protonotaire Rocca, 21 février 1467 et
28 mars 1468 (fol. 28 et 213); — à Antonio Cicinello et à Marino
Tornacello, 26 février 1467 (fol. 30); — à Lancelotto Macedono,
17 janvier 1467 et 27 mars 1468 (fol. 2 et 214).
Nous devons adresser tous nos remerciements à don Raffaele
Batti, conservateur des ärchives de Naples, qui a facilité de son
mieux l'exécution de notre tâche.
Nous avons aussi dépouillé le catalogue des manuscrits de la
Biblioteca Brancacciana, mais nous n’y avons rien irouvé d’intéres-
sant pour notre sujel. ;
ARCHIVES DE FLORENCE.
Les archives de Florence, dont le directeur est M. Cesare Guasti,
nous oùt fourni vingt-deux lettres missives de Louis XI, adressées
à Laurent de Médicis, un deses plus fidèles amis, et aux Florentuins.
En voici la liste :
Archivio Mediceo, filz a 61. À Laurent de Médicis : SaeNieRél-
sur-Loire, 20 août(1471); —Notre-Dame-deSelles, 17avril(1473);
— Plessis-du-Parc, 13 mars (1473); — Amboise, 19 juin
(1473).
Archivio Mediceo, filza 45. Au doge de Venise : Lorrys-en-Gâti-
nais, 14 août (14792), et à la duchesse de Milan, même date et
même texte; — à Laurent de Médicis : Plessis-du-Parc, 14 no-
vembre (1482), 3 février (1482); Mehun-sur-Loire, 7 septembre
(1482); Plessis-du-Parc, 17 février (1483), 31 janvier (1482);
Notre-Dame-de-Cléry, 9 juillet (1482), et Belleville, 5 mai
1482 ; — à l'évêque de Mâcon : Plessis-du-Parc, 27 mai.
a
Registri di lettere esterne, classe X, req. n° 9. Aux Florentins :
Châtellerault, 4 mai 1462 (fol. 108); — Abbeville, 24 décembre
1463 (fol. 97); — Toulouse, 30 mai 1463 (fol. 100 v°); —
Orléans, 19 avril 1466 (fol. 143 v°); — Bourges, 14 janvier 1467
(fol. 154). |
Id., reg. n° 4. Aux Florentins : 30 juin 1472 (fol. 48 v°); —
Paris, 23 avril 1475 (fol. 83 v°).
MISS. SCIENT. — VIT. | 29
— 150 —
Atti pubblici, XLVI (3° supp°), n° 3. À Laurent de Médicis : les
Chastelliers, 25 avril.
Ces vingt-deux lettres missives figureront dans notre publication.
Douze d’entre elles avaient déjà été publiées par M. Abel Desjardins
dans ses Négociations de la France avec la Toscane; mais nous
avons pu nous convaincre, en collationnant le texte imprimé
avec l'original, combien de fautes de lecture et d’emissions avaient
été commises par l'éditeur ou par son copiste. En voici quelques
exemples : =
Lettre à Laurent de Médicis, datée de Saint-Michel-sur-Loire, le
20 août (1471), où Louis XI demande l'appui de Laurent pour
que le pape n'accorde pas au duc de Guyenne les dispenses qu'il a
sollicitées « de nous tenir le serment qu'il nous à fait». Voici un
passage de cette lettre :
Imprimé dans l'ouvrage de M. Desjardins : « Vous nous ferez
ung singulier et agréable plaisir, lequel recognoiïstrons ainsi que
tous ceux que nous avez faiz par cy-devant, quant d’aucunes choses
vous requismes. »
Texte véritable : « Vous nous ferez ung très singulier et agréable
plaisir, lequel recongnoistrons avecques autres que nous avez faiz
par cy-devant, quant d'aucune chose nous requerrez. »
Lettre au même, d’'Amboise, le 19 juin 1473. — Tout un
membre de phrase a été oublié. M. Desjardins ou son copiste a lu
sentiamus au lieu de sciamus, abinde au lieu de habunde.
Lettre à la République de Florence, de Châtellerault, le
4 mai 1462. — Outre des fautes de lecture, M. Desjardins a omis
environ dix lignes qui terminent la lettre.
Lettre à la même, d'Orléans, le 19 avril 1466. — M. Desjar-
dins la date, par erreur, du 18 avril.
Lettre à la même, de Toulouse, le 30 mai 1463. — rs une
erreur du copiste, cetle lettre est datée de 1461; aussi M. Desjar-
dins l’attribua-til au dauphin. Mais la faute du copiste était facile
à reconnaître. 1° Le 30 mai 1461, le dauphin n'était pas à Tou-
louse, mais à Genappe en Brabant. — 2° La pièce porte en tête
cette mention significative : Ludovicus, Dei gratia Francorum rex.
Aussi l’avons-nous, sans hésiter, restituée à sa véritable date, qui
est 1463.
— 151 —
Ces quelques exemples montrent combien il était utile de con-
trôler le texte des lettres publiées par M. Abel Desjardins.
Un érudit allemand, M. Buser, a publié, l’année dernière, un
important ouvrage sur les relations des Médicis avec la France de
1434 à 1494 !. Nous avons lu ce volume, où plusieurs des lettres
de Louis XI conservées à Florence sont indiquées sommairement.
Nous avons pu relever une erreur capitale qu'il importe de signaler.
M. Buser a publié (p. 445) sous le nom de Louis XI une lettre à
Laurent de Médicis datée du bois de Vincennes, le 8 juin. Or, nous
avons recherché l'original de cette lettre et constaté, ce qui était
chose facile, qu'elle était signée par le roi Louis XII.
Outre les lettres missives de Louis XI que nous venons de signa-
ler, nous avons trouvé des documentstrès intéressants, dont voici
l'indication sommaire :
Classe X, distinzione 1, n° 52, stanza S, armad. 11. Procès-
verbal de la réception faite, le 24 janvier 1461 (n. st.), aux am-
bassadeurs envoyés par le dauphin à la seigneurie de Florence
pour justifier sa mésintelligence avec le duc de Savoie, son beau-
père, et réclamer au moins la neutralité de la République dans
cette querelle.
Classe X, dist. 1, n° 51. Lettres de la République de Florence
au duc de Calabre : 14 juillet 1458 (fol. 26); — 15 et 23 sep-
tembre 1458 (fol. 49 v° et 53); — 30 octobre, 22 novembre et
18 décembre 1458 (fol. 63 v°, 71 et 77 v°); — 22 janvier 1459
(fol. 84 v°); — à Charles VIT : 26 juillet 1458 et 9 janvier 1459
(fol. 30 et 81 v°) ; — au roi René : 12 octobre 1458 et 22 jan-
vier 1459 (fol. 55 v° et85). |
Classe X, dist. 2, n° 22. Lettres de Angiolo Acciajoli, ambassa-
deur florentin à la cour de France, de 1451 à 1453 (n°5, 6, 18,
20, 69, 70,71, 82, 91 et 92),et d’autres diplomates florentins,
relatives au dauphin. Je signalerai notamment une lettre d’Accia-
joli, datée de Saint-Maixent, le 18 novembre 1451 (n° 82), où
1 Die Beziehungen der Mediceer zu Frankreich während der Jahre 1485-1494 in
threm Zusammenhang mit den allgemeinen Verhältnissen Italiens, von B. Buser;
Leipzig, Duncker et Humblot, 1879, in-8°.
29.
— 152 —
cet ambassadeur rend compte de son entrevue avec Charles VIT, —
une lettre de Benedictus de Auria au doge de Gênes, du 5 avril
1452, relative aux projets du dauphin sur Fftalie (n° 128); —
et une lettre de Charles VII au roi René, du 22 juillet 1453,
annonçant la victoire de Castillon (n° 309).
Classe X, dist. 2, n° 23. Lettre de Jean, duc de Calabre, écrite
de Nancy, le 22 juin 1465, aux Florentins, pour justifier la ligue
du Bien public.
Ati pubblici, n°° XIV et XV. Lettre de Charles VII aux prieur des
arts et gonfalonier de Florence, pour les prier de secourir son cousin
le comte Francesco Sforza dans sa guerre contre le duc de Savoie :
17 juillet 1452. — Lettre du même, annonçant qu'il a pris sous sa
protection la seigneurie de Florence et Francesco Sforza , en récom-
pense des services qu'ils ont rendus aux princes du sang royal et
nommément à la maison d'Anjou : 21 février 1452 (n. st.).
ARCHIVES DE VENISE.
!
Les archives d’État de Venise, dont le directeur, M. Cecchetli,
nous a parfaitement accueillis, comprennent, pour le sujet qui
nous occupe, deux fonds importants, les Commemoriali et les
Secreta, délibérations du sénat. Voici la note des documents que
nous ont fournis ces deux fonds :
Commemoriali, tome XVI. Ce registre contient cinq lettres mis-
sives de Louis XI, daiées des 11 janvier, 15 et 26 mars, 12 mai
et 6 août 1478, et les pièces suivantes sur les relations entre Venise
et la France au xv° siècle :
Deux lettres patentes de Louis XI, datées du Plessis-du-Parc, le:
8 janvier 1478, sur son alliance avec les Vénitiens (fol. 123-
127). — Alliance de la République de Venise avec le duc de Bour-
gogne à ÂArras, le 4 juin 1472 (fol. 64-66), et lettres du ducet
de Guillaume Hugonet, des 20, 22 et 23 juin, 18 septembre et
19 décembre 1472 (fol. 128). — Lettre du doge Andrea Vendra-
mini des 8 janvier, 1*et 7 avril et 17 juin 1478, touchant l’al-
lance entre la République de Venise et le roi de France.
Secreta. Nous avons dépouillé les tomes XII à XXX, qui em-
brassent les années 1431 à 1481,et nous y avons relevé les docu-
— 153 —
ments suivants, qui concernent Louis XI comme dauphin et comme
roi :
Tome XVII. 11 mars 1446 : Réponse aux orateurs du dau-
phin qui étaient venus pour annoncer aux Vénitiens que leur
maître avait été nommé par le pape gonfalonier de l'Eglise
(fol. 4 v°).
Tome XIX. 31 août 1453 : Le dauphin offre de venir en Italie
combattre Francesco Sforza, dont l’ambition et l'esprit de con-
quête inquiétaient les Vénitiens (fol. 211). — 11 décembre 1453 :
Instructions à Francesco Veniero, leur envoyé en Savoie, sur les
propositions à faire au dauphin relativement à son offre de venir
en Italie (fol. 232).
Tome XX. 14 janvier 1453 (1454, n. st.) : Leltre à Francesco
Veniero sur le même sujet que les deux pièces précédentes
(fol. 2 v°). — 14 janvier 1454 : Propositions de paix faites par
Francesco Sforza (fol. 3). — A février 1454 : Négociations avec.
Francesco Sforza (fol. 7 v°). — 18 mars 1454 : Suite des négo-
ciations (fol. 13).— 26 avril 1454 : Ordre à Francesco Veniero de
prévenir le dauphin, avec tous les ménagements possibles, qu'ils ont
fait la paix avec Francesco Sforza et qu'ils n’ont plus besoin de ses
services (fol. 17). — Les documents ci-dessus font connaître dans.
tous ses détails un épisode fort curieux et jusqu'ici peu connu de
la vie du dauphin et de l’histoire de la diplomatie italienne.
Tome XXI. 12 octobre 1461: Instructions du sénat de Venise
aux ambassadeurs Bernardo Giustiniano et Paolo Barbo, char-
gés d’aller féficiter Louis XI de son avènement à la couronne et de
solliciter son concours pour la croisade projetée contre les Turcs
(fol. 61-62). — 13 novembre 1461: Instructions aux mêmes am-
bassadeurs sur les projets de croisade contre les Turcs (fol. 67).
—22 janvier 1462 : Instructions aux mêmes ambassadeurs, relatives
à la réponse à faire à Louis XI, qui déclarait ne pas pouvoir par-
ticiper à la croisade avant d’avoir recouvré Gênes, dont la posses-
sion était nécessaire à ses communications; la République invoque
la neutralité qu’elle a toujours entendu garder dans les affaires de
Gênes (fol. 75 v°). — 8 février 1462 : Instructions aux mêmes
ambassadeurs sur les lenteurs de Louis XI, qui a déclaré ne rien
— 54 —
vouloir entreprendre contre les Turcs que d’un commun accord
avec les autres princes chrétiens (fol. 77 v°).
Tome XXII. 31 juillet 1466 : Réponse à l'ambassadeur du roi
de France au sujet des letires dont il était porteur de la part de
Louis XI, des projets d'alliance entre les princes italiens et de la
croisade contre les Turcs, pour laquelle la République de Venise
sollicitait de nouveau le concours de Louis XI (fol. 176).
Tome XAIIT. 23 février 1467: Réponse du sénat de Venise à
‘évêque d'Angoulême et aux autres envoyés du roi de France
l'assurant de leurs bonnes dispositions à l'égard de Galeazzo-Maria,
duc de Milan, fils de Francesco Sforza (fol. 26).— 1 2 août 1467:
Réponse à l'évêque de Tournay, envoyé du duc de Bouryogne, sur
l'avènement de Charles le Téméraire, sur le projet de mariage de
ce prince avec la sœur du roi d'Angleterre et sur son alliance avec
quatre électeurs de l’Empire (fol. 60 v°).— 17 décembre 1467:
Le sénat charge Autonio Dandolo de féliciter le duc de Bourgogne :
de sa victoire sur les Liégeois (fol. 89 v°). — 21 octobre 1468 :
Lettre du sénat de Venise au roi de France, protestant contre
l'intention prêtée faussement à la République d’avoir voulu exclure
Louis XI du traité d'alliance conclu entre les princes italiens
(fol. 140).
Tome XXIV. 1469 : Envoi d'un ambassadeur au roi de France,
touchant un navire vénitien pris par des pirates (fol. 64). — Dé-
libérations sur le même sujet (fol. 71, 88 et 104).
Tome XXV. 1471: Délibérations touchant la question de sa-
voir si on gardera des navires français qui ont été capturés (fol. 67).
— Projets de traité avec le duc de Bourgogne (fol. 67 et 80). !
Tome XXVII. 1475 : Instructions à Mauroceno, envoyé auprès
du duc de Bourgogne, touchant le traité conclu avec le duc de
Milan et les Florentins (fol. 10, 11, 13 et 58).— Envoi de Fran-
cesco Donato au roi de France pour assurer la sécurilé des navires
et des marchands vénitiens (fol. 89, 90 et 131).
Tome XXVIIT. 1477: Envoi du même Francesco Donato à
Louis X[ (fol. 1, 5, 6 et 11). — Instructions à Donato sur la con-
clusion d'un traité avec Louis XI (fol. 49 et 68).:
css
— 155 —
Tome XXIX. 1479 : Instructions à l’envoyé des Vénitiens en
France sur le pape, sur l'état de la République, sur la conclusion
de la paix et sur une croisade générale contre les Turcs (fol. 18,
55, 58 et 145). — Réponse aux envoyés de Charles d'Anjou, lou-
chant sa succession au royaume paternel (fol. 164).
Tome XXX. 1481 : Négociations pour faire accéder Louis XI à
la croisade contre les Turcs (fol. 18).— Envoi d’un ambassadeur
au roi de France (fol. 151). — Offre de navires et de subsides au
duc de Lorraine (fol. 138,159 et 168).
Notons, en terminant, que des rubricarit ou répertoires, où les
documents sont classés par nation, facilitent beaucoup les re-
cherches dans la collection si importante des Secreta.
ARCHIVES DE MILAN.
Parmi les princes italiens, les ducs de Milan furent ceux avec
lesquels Louis XI eut les plus constants rapports. Comme on la
vu, le dauphin Louis avait offert aux Vénitiens, en 1453, son
concours pour combattre Francesco Sforza, qui s'était emparé du
duché de Milan; mais quand ce même Sforza se fut fait recon-
naître, par la force et par la ruse, comme duc, le dauphin, qui
estimait les gens habiles, fut l'ami et l’allié du nouveau prince.
Devenu roi, il entretint les mêmes rapports avec Francesco Sforza,
mort en 1466,et avec son fils Galeazzo Maria, qui périt assassiné
en 1476. Les archives de Milan ont conservé les lettres que nos
rois écrivirent aux ducs. Le Dominio Sforzesco renferme un car-
leggio de Louis XI où nous avons trouvé cent cinquante lettres
originales de ce souverain et quatre-vingts copies de lettres de lui
transmises au duc de Milan par les ambassadeurs de ce dernier.
Ce dépôt nous a donc fourni deux cent trente lettres missives de
Louis XT, dont cent quarante-quatre adressées aux ducs Francesco
et Galeazzo Maria, quinze à la duchesse Bianca Maria, six à sa sœur
Yolande, et les autres au pape, aux Véniliens, aux Florentins, aux
Génois, etc. Dix-neuf de ces lettres ont été écrites par Louis dau-
phin, et les autres par Louis devenu roi. Il serait trop long de
donner la liste de ces deux cent trente lettres ,qui , d'ailleurs, seront
toutes publiées dans la Correspondance de Louis XI. Je me bor-
nerai, Monsieur le Ministre, à en analyser quelques-unes, pour
LÉ
vous donner une idée de l'intérêt historique de ce précieux re-
cueil .
Valence, 20 février 1456 : Lettre de créance en faveur de son
conseiller Ginotinus de Nores, chargé de suivre les négociations du
mariage de la fille du duc de Savoie avec le fils du duc de Milan.
— Genappe en Brabant, 6 octobre 1460 : Accord entire le dauphin
ct le duc de Milan. — 2 juin 1461 : Reconnaissance de 18,000 flo-
rins, prêtés au Dauphin par le duc de Milan. — Loches, 13 fé-
vrier 1468 : Il lui mande que des seigneurs génois ont prêté des
navires au rot Ferdinand pour aller combattre en Catalogne contre
le roi de Sicile et le duc de Calabre et ont prétendu l'avoir fait de
l'assentiment du duc de Milan; demande d'explications à ce sujet,
— Plessis-du-Parc, 9 octobre (1476) : Traduction italienne d'une
lettre à sa sœur Yolande où il lui exprime le plaisir qu'il aura à la
voir. « Venez-vous-en avec la plus grande diligence que faire
pourrez pour me voir, Car je vous promets, par ma foi, que Jja-
mais je n’eus tant envie de voir belles filles comme j'ai de vous:
voir.» — Plessis-du-Parc, 9 octobre (1476) : I annonce au duc
de Milan que sa sœur Yolande s'est échappée des mains du duc de
Bourgogne et est arrivée à Langres. — Chartres, 10 août (1478):
Il mande à la duchesse de Milan qu’il est décidé à défendre les
Florentins contre le pape et contre le roi Ferdinand, dont il ne
veut pas tolérer les erreurs. — Plessis-du-Parc, 13 octobre : Lettre
à la duchesse de Milan pour lui proposer ie mariage de Îa fille de
la duchesse avec le fils du roi d'Angleterre. — Montreuil-Bellay,
25 janvier : Il prie le duc de Milan de ne pas laisser passer par ses
États te comte de Campobasso, que le duc de Bourgogne envoie
en Italie pour y recruter des gens d'armes destinés à combattre la
France. — Senlis, 4 mai: Envoi au duc de Milan d’un beau le-
vrier. — Amboise, 1° octobre: Il sollicite l'appui du duc en fa-
veur de frère Aymedieu, de l'ordre de Saint-François, qui veut
construire un couvent de son ordre près de Milan, ce à quoi s'op-
posent les frères du couvent qui existe déja au même lieu. — Or-
- Téans, 6 mars: Il prie te duc de lui procurer cinq ou six petits
chiens, de poil blanc ou roux, de la race de ceux qui sont dans
l'île de Scio.
Ces courtes analyses suffiront, j'espère, pour montrer l'intérêt
du dossier des lettres de Louis XI. Mais les archives de Milan nous
PER CON Ne
— 57 —
ont fourni beaucoup d’autres documents intéressants, dont voici
une note sommaire : 1
Minutes des lettres du duc de Milan au dauphin et à Louis XI;
pièces indispensables pour lannotation de la correspondance de
ce souverain.
Dépêches de Prospero de Camulis, envoyé du duc de Milan à
la cour de Bourgogne, de 1456 à 1461. Ces dépèches contiennent
les renseignements les plus curieux sur le séjour du dauphin à
Genappe et sur les intrigues de la cour de Bourgogne.
Dépêches des ambassadeurs milanais à la cour de France sous
Louis XI. C'est là un fonds d’une importance capitale. Les rela-
tions qui concernent les campagnes de Charles le Téméraire ont
été publiées par M. Gingins la Sarra et dans les Notizenblatt de
l’Académie de Vienne.
Lettres patentes de Louis XI, de 1461 à 1465, toutes relatives
à l'hommage du par les ducs de Milan aux rois de France, à raison
de la seigneurie de Gênes.
Nous avons aussi dépouillé les Registri delle lettere nussive ducali
et nous y avons noté un certain nombre de pièces qui intéressent
la. France. Quoique celte nomenclature soit un peu longue, je
crois quil est utile de la reproduire ici pour faciliter les recherches
des érudits :
Tome II : Leitres du duc de Milan au lieutenant du roi de
France à Asti : 18 août 1450 (fol. 101 v°); — au dauphin : 3 dé-
cembre 1450 (fol. 284); — à Charles VII : 1* janvier 1451 (fol.
312 v°).
Tome XIII : Lettres du duc de Mitan à Charles VII : 9 sep-
tembre 1452 (fol. 228); — 8 septembre 1452 (fol. 228 v°); —
5 octobre 1452 (fol. 277); — 31 octobre 1452 (fol. 326); —
30 décembre 1452 (fol. 417 v°); — 13 février 1453 (fol. 432).
— À l’abbé de Saint-Antoine de Viennois : 4 avril 1452 (fol. 109).
Tome XXV : Lettre du duc de Milan à Charles VIT : 11 août
1456 (fol. 383 v°).
— 158 —
Tome XXXIV : Lettres du duc de Milan à Charles VIT : 25 jan-
vier 1496 (fol. 8); — 4 juin 1456 (fol. 65); — 29 août 1456
(fol. 123); — 10 novembre 1456 (fol. 161 v°); — 28 avril 1457
(fol. 246 v°); — 15 juillet 1457 (fol. 287 v° à 290); — 30 oc-
tobre 1457 (fol. 324 v° et 326). — A l'abbé de Saint-Antoine de
Viennois : 18 septembre 1456 (fol. 132). |
Tome LIT : Lettre de Louis XI au duc de Milan : 7 septembre
1461 (fol. 110 v°). — Lettres du duc de Milan au dauphin,
23 avril et 13 juillet 1461 (fol. 35 et 66). — À Louis XI : 30 sep-
tembre et 17 décembre 1461 (fol. 111 et 147 v°). — Au cha-
pitre de Saint-Antoine de Viennois : 12 mai 1462 (fol. 190).
Tome LIIT : Lettre du duc de Milan à Tommaso di Reate,
Pietro di Pusterla et Lorenzo di Pisauro, ses envoyés auprès du
roi de France : 12 février 1462 (fol. 103).
Tome LXIII : Lettres du duc de Milan à Louis XI : 17 juin,
17 et 25 août 1463 (fol. 20, 48 v° et 54); — 3 et 28 janvier
1464 (fol. 124 v° et 138); — 20 et 22 mars 1464 (fol. 154 et
156); — 6 et 22 juin 1464 (fol. 183 et 189 v°); — 13 juillet
1464 (fol. 195 v°); — 3 et 6 août 1464 (fol. 202 et 203 °);
— 14 et 16 novembre 1464 (fol. 242 et 246). — Au roi René,
25 mai 1463 (fol. 6). — A l'abbé de Saint-Antoine de Viennois,
11 juillet 1463 (fol. 30). — A Pierre de Morvillier, 25 août
1463 (fol. 54). — A Albrico Mallete, son envoyé auprès de
Louis XI: 3 janvier, 13 juillet et 3 août 1464 et 7 fevrier 1465
Liol:,129L uph soxtet,26,2)t
Tome LXXIV : Lettres du duc de Milan à Louis X[ : 13 mars
1466 (fol. A9); — 17 et 27 mai 1466 (fol. 80 et 81); — 30 août
1466 (fol. 105); — 21 et 24 octobre 1466 (fol. 113 v° et 120);
— 14 février 1467 (fol. 138 v°). — À G. Cousinot et à J. Picart,
envoyés du roi de France : 24 janvier 1467 (fol. 133).
Tome XCIV : Lettres du duc de Milan à Louis XI : 3 juillet et
17 novembre 1469 (fol. 46 v° et 104 v°); — 11 février et 4 avril
1470 (fol. 124 v° et 144 v°); — 8 juillet 1470 (fol. 178 v°)]; —
16, 24 et 27 août 1470 (fol. 203, 208 et 211 v°); —m2n0
vembre 1470 (fol. 243); — 2, 24 et 26 janvier 1471 (fol. 262,
276 el 277 V°); — 23 mars et 2 avril 1471 (fol. 307 v®et 320}:
— 159 —
— À l'archevêque de Rouen : 26 juin 1469 (fol. 44). — Au
gouverneur du Dauphiné : 7 mars 1470 (fol. 136). — À Louis,
évêque de Saintes , envoyé de Louis XI : 11 avril 1470 (fol. 148).
— À l'évêque de Novare et à ses autres envoyés auprès de
Louis XI : 30 août 1470 et 25 janvier 1471 (fol. 213 v° et
277 V°). — Aux envoyés du roi de France : 6 septembre 1470
(fol. 216). — À Français, duc de Bretagne : 7 septembre 1470
(fol. 217). — À René d'Anjou : 18 avril 1471 (fol. 315 v°).
Tome CVIII : Lettres du duc de Milan à Louis XI : 28 juin 1471
(fol. 8 v°); — 19 et 22 septembre 1471 (fol. 64 v° et 7o v°); —
26 décembre 1471 (fol. 135);— 17 et 20 mars 1472 (fol. 206 v°
et 210); — 3 avril et 18 mai 1472 (fol. 222 v° et 257 v°).
— À Charles, duc de Guyenne, frère de Louis XI: 29 juillet
1471 (fol. 30 vw). — À Philippe de Trechate, président de la
chambre des comptes de Grenoble : 29 juillet et 1% août 1471
(fol. 31 et 50 v°). — Au roi René: 8 septembre et 15 novembre
_247x (fol. 56;et 106); — 1°, 18 et 22 février 1472 (fol. 165 v°,
170 ct 181); — 11 et 17 avril 1472 (fol. 230 v° et 234). — A
_ Jean, duc de Bourbon : 22 septembre et 26 décembre 1471 (fol.71
et 134 v°). — Au doge de Venise, sur les affaires de France :
3 octobre 1471 (fol. 81 v°). — À l'archevêque de Lyon : 26 dé-
cembre 1471 (fol. 135). — Au conseil de Grenoble : 18 mai
1472 (fol. 259). — A Jean de Chasteauneuf : 15 juin 1472
(fol. 284).
Tome CAT : Lettres du duc de Milan à Louis XI: 23 juillet et
17 octobre 1472 (fol. 14 et 77); — 3 avril, 13 mai, 31 juillet
et 22 octobre 1473 (fol. 195 v°, 233, 291 v° et 350). — Au roi
ue #onmuiiel et 6 sépiemble 1472 (fol: 14V° et AO V°); —
5 décembre 1473 (fol. 378 v°). — Aux baïlli, consuls et conseil-
lers de Lyon : 9 novembre 1472 (fol. 93).
Tome CXVIT: Lettres du duc de Milan à Louis XI: 28 décembre
1473, 1* juillet 1474 et 11 janvier 1475 (fol. 14 v°, 170 v° et
309 v°).— Sur les deux premiers feuillets de ce registre, non nu-
mérotés, sont transcrites une lettre de Robert, évêque de Stras-
bourg, datée de Constance, le jeudi avant les Rameaux 1474, et
une lettre de Charles le Téméraire au duc d'Autriche, datée de
Constance, le 22 avril 1474.
— 160 —
Tome CXXV : Lettres du duc de Milan à Louis XI: 31 octobre,
6 novembre et 11 décembre 1476 (fol. 302 w°, 305 et 324). —
À la duchesse d'Orléans : 12 janvier 1476 (fol. 172).
Tome CXLII : Lettres du duc de Milan à Louis XI : 29 sep-
tembre et 10 décembre 1478 (fol. 276 v° et 306); — 29 avril et
18 mai 1479 (fol. 362 v° et 372 v°); — 5 juin et 2 août 1479
(fol. 380 et 4o9 v°). — À Philippe de Commynes : 29 septembre
1478 et 2 mai 1479 (fol. 277 et 367). — À André Cagnole, en-
voyé auprès de Louis XI : 10 décembre 1478 (fol. 306 v°). — A
Marguerite de Bourbon : 22 mars 1479 (fol. 347 v°).— Au con-
seil de Lyon : 18 mai 1479 (fol. 373).— Au bailli de Lyon:5,
15 et 25 juin et 2 août 1479 (fol. 380 v°, 385, 389 et Aog v°).
— Au comte de Dunois : 8 et 7 août 1479 (fol. 413 et 414 w°).
Tome CXLVII : Lettres du due de Milan à Louis XI: 9 oc-
tobre et 19 décembre 1479 et 29 janvier 1480 (fol. 17, 64 et
84 v°). — À Philippe de Commynes : 9 octobre et 6 novembre
1479 (fol. 17 v° et 39 v°). — À Galeotto, capitaine général du
roi de France : 7 décembre 1480 (fol. 254).— Au duc de Lor-
raine : 21 mai 1481 (fol. 316 v°).
Tels sont les principaux documents que renferment les archives
de Milan pour le règne de Louis XI. Je crois devoir aussi signaler
le carteggio des lettres de Charles VIII, qui comprend cent trente-
six lettres de ce prince, dont cent huit originales, et quioze lettres
de ses envoyés en Italie. C'est là un recueil important pour l’his-
toire du fils de Louis XI. |
Je ne puis terminer ce chapitre sans adresser tous nos remer-
ciements au directeur des archives d'État de Milan, le comman-
deur Cesare Cantü, si célèbre par ses importants travaux histo-
riques, et à son second, le chevalier Damiano Muoni, qui s’est
particulièrement occupé de l’histoire de la Lombardie, et qui a
publié un intéressant travail sur les archives de Milan. Je tiens
aussi à dire que nous avons trouvé dans deux archivistes, le che-
valier Pietro Ghinzoni et M. Porro, des auxiliaires sûrs et dévoués,
qui ont rendu notre tâche plus facile. M. Ghinzoni, surtout, à
mis à notre disposition son érudition et son zèle, avec une bonne
grâce qui lui donne droit à toute notre gratitude.
= H61 =
ARCHIVES DE TURIN.
Si l'on considère les liens de famille et les relations politiques
qui unirent si intimement Louis XI à la maison de Savoie, de
toutes les archives d'Italie celles de Turin devraient être les plus
riches en lettres missives de ce souverain. Louis XI, en effet, en-
trelint une correspondance des plus actives avec son beau-père,
le duc Louis, et ensuite avec sa sœur Yolande, femme du duc
Amédée IX. Cependant nous n'avons trouvé à Turin que deux
lettres missives de Louis XI au duc de Savoie, l'une datée de
Muret, le 24 mai (1463), et l’autre du 8 janvier, sans indication
d'année. Le bel ouvrage du commandeur Nicomede Bianchi! nous
avait déjà avertis de cette pénurie extraordinaire. M. Pietro Vayra,
archiviste el professeur de paléographie, auteur de travaux es-
timés, et dont l'extrême obligeance nous a été précieuse, a bien
voulu nous douner l'explication de ce vide si regrettable dans les
archives de Turin. On ne conservait autrefois, dans les archives
de la maison’ de Savoie, que les actes publics ; toutes les corres-
pondances étaient, après avoir été gardées pendant un certain
nombre d'années, détruites comme papiers inutiles. Et, pour
preuve de cette coutume, M. Vayra nous raconta que, lors du
transfert des archives de la Cour des comptes dans celles de l'État.
on trouva plusieurs sacs pleins de papiers et portant la mention :
carte inutili. Or, ces sacs renfermaient un grand nombre de lettres
du duc Emmanuel-Philibert, du roi François [* et d’autres sou-
verains ou grands personnages, loutes présentant un sérieux in-
térêt pour l’histoire du xvr° siècle. Il n’est que trop certain que la
correspondance de Louis XI avec son beau-père et avec sa sœur,
qui aurait pour nous tant de valeur, a été détruite ?. Dans les actes
publics nous avons heureusement rencontré des documents fort
intéressants, dont voici la note :
Traités anciens avec la France, paquet 9 : Traité d'alliance défen-
sive entre le dauphin Louis et Louis, duc de Savoie : 27 novembre
! Le materie politiche relative all estero degli archivi di stato Piemontesi indicate
da Nicomede Bianchi, sovrintendente ai medesemi; Turin, Bocca, 1876, in-8°.
? Comme on l'a vu plus hant, nous avons trouvé dans les archives de Milan
quelques copies ou traductions italiennes de lettres de Louis XI à sa sœur
Yolande.
— 162 —
1444 (n° 2). — Lettres patentes du dauphin, portant qu'il a
conclu avec le duc de Savoie un traité par lequel ce dernier re-
nonce à ses prétendus droits sur les comtés de Diois et de Valen-
tinois, tandis que le dauphin, de son côté, renonce à l'hommage
de la baronnie de Faucigny : 3 avril 1446 (n° 3j. — Lettres pa-
tentes de Charles VII ratifiant le traité précédent : Chinon, avril
1446 (n° 4). — Projet de traité d'alliance entre le dauphin et le
duc de Savoie pour la conquête de la République de Gênes : fe-
vrier 1445 (n° 5).— Lettres patentes du dauphin par lesquelles
il ordonne à ses olliciers de la Chambre des comptes de Dauphiné
de remettre aux envoyés du duc de Savoie toutes les chartes con-
cernant la baronnie de Faucigny, et d’en recevoir celles qui concer-
naient les comtés de Diois etde Valentinois : Romans, 8 février 1447,
n. st. (n° 6). — Lettres patentes du dauphin ordonnani aux gou-
verneurs, gens du conseil et des comptes et trésorier du Dauphiné
de prendre possession des comtés de Diois et de Valentinois, sur
lesquels le duc de Savoie lui a cédé ses droits : Chinon, 5 avril
1446 (n° 7).— Le numéro 8 comprend dix-huit pièces originales,
toutes relatives au traité conclu entre le dauphin et le duc de Sa-
voie pour le rachat de l’hommage de Faucigny. Ce dossier, qui
est très important, n'a pas été décrit par M. Bianchi. Aussi je
crois devoir en donner une analyse exacte: |
25 mai 1446 : Acte public passé par François Favre de Yenne,
notaire public impérial du diocèse de Belley et secrétaire du duc
de Savoie, à Gevenne, et constatant le iraité conclu entre le dau-
phin et le duc de Savoie, et l'obligation contractée par ce dernier
de payer, en trois termes, 54,000 écus d'or au dauphin pour le
rachat de l'hommage de la baronnie de Faucigny. Cet acte repro-
duit le texte des lettres patentes du dauphin du 3 avril 1446,
promulguant le traité; de celles du 5 avril 1446, déléguant Ga-
briel de Bernes pour recevoir la somme de 54,000 écus d'or, et
enfin celui de la quittance de 25,000 écus d'or donnée, pour pre-
mier payement, par Gabriel de Bernes le 7 mai 1446.— Double
de cet acte et autre pièce sur le même sujel. — 25 mai 1446 :
Obligation de 29,000 écus d’or souscrite à Gabriel de Bernes par
le duc de Savoie. — 25 mai 1446 : Acte public constatant l'obli-
gation de 5,500 florins souscrite à Gabriel de Bernes. — Chinon,
15 juillet 1446 : Lettres patentes du dauphin donnant quittance
au duc de Savoie de la somme de 54,000 écus d'or. — 31 août
— 63 —
1446 : Quittance autographe de Gabriel de Bernes de la somme
de 2,000 écus. — 9 octobre 1446 : Quitlance de 5,500 écus d'or
délivrée par Barthélemy Marquix, au nom de Gabriel de Bernes,
son oncle. — Tours, 26 octobre 1446 : Lettres patentes du dau-
phin constituant Gabriel de Bernes et Barthélemy de Marquix, son
neveu, ses procureurs, pour toucher la somme de 29,000 écus
d'or à lui due par le duc de Savoie. — 17 nevembre 1446 : Quit-
tance signée par le dauphin, de la somme de 500 écus d’or en-
voyée par son ordre à son écuyer Pierre de la Thonière. — 8 dé-
cembre 1446 : Quittance donnée par Barthélemy Marquix,
procureur. du dauphin, de la somme de 2,558 écus neufs et de
5,500 écus neufs. — 10 décembre 1446 : Quittance donnée par
le même Marquix de 1,942 écus d'or et de 5,500 écus neufs, et
aussi de 2,558 écus neufs. — 1* février 1447: Obligation par le
duc de Savoie de payer à Gabriel de Bernes 4,000 écus d'or, savoir
2,000 à la prochaine foire de Pâques et 2,000 à la prochaine
foire d'août. — Romans, 8 février 1447 : Quittance donnée par
le dauphin à Jean Maréchal de goo écus d’or. — Valence,
22 avril 1447 : : Quittance signée du dauphin, de la somme de
Goo écus d’or envoyée à Geoffroy Chausson, maître de son hôtel,
et à Pierre de la Thonière, son écuyer. — 22 juin 1447 : Obli-
gation de 5,948 florins d’or d'Allemagne et de 4,000 écus d'or
neufs, souscrite par le duc de Savoie à Gabriel de Bernes. — Va-
lence, 18 juillet 1447 : Quittance signée du dauphin de Ja somme
de 1,000 écus d'or envoyée par son ordre à son cousin Charles
d’Armagnac. — 11 septembre 1450 : Ordre donné par le duc de
Savoie à sa Chambre des comptes de rembourser aux héritiers
Maréchal la somme de 22,900 écus d’or que le feu trésorier Jean
Maréchal avait payée pour lui.
Lettres patentes du dauphin portant qu'il a conclu avec le duc
de Savoie un traité d'alliance où ils ont convenu de se prêter
mutuellement secours et de pratiquer l’extradition des malfai-
teurs : Briançon, 2 août 1449 (n° 9). — Lettres patentes du dau-
phin par lesquelles il restitue aux sujets du duc de Savoie les
châteaux et les biens qu’ils possédaient en Dauphiné et qui avaient
été confisqués pour manque de services féodaux : Alixan, 28 jan:
vier 14b1, n. st. (n° 10). — Traité d'alliance entre le dauphin
et le duc de Savoie, signé des deux princes : Chambéry, 13 mars
UE,
— 64 —
1451 (n° 11). — Promesse de perpétuelle assistance au dauphin
envers el contre tous, même contre le roi de France, signée par
Amédée de Savoie, «considérant l'onneur qu’il a pleu à mon très
redoubté seigneur monseigneur le daulphin de Viennoïs de faire
à mon très redoubté seigneur et père, dame et mère, duc et du-
chesse, et à tout Tostel de Savoye, d’avoir pris à femme ma très
redoubtée dame et seur dame Charlotte de Savoye »; Chambéry,
13 mars 1451 (n° 12). — Promesse signée par Anne de Chypre,
duchesse de Savoie, d'assister le dauphin, mari de sa fille Char-
lotte : Pont-d’Ain, 15 décembre 1451 (n° 13). — Lettres patentes
du dauphin ordonnant de nouveau à la Chambre des comptes de
Dauphiné de livrer au duc de Savoie les titres de la baronnie de
Faucigny : Saint-Genis-d’Aoste, 24 mai 1452 (n° 14). — Lettres
patentes du dauphin ratifant le traité de paix intervenu entre lui
et le duc de Savoie, le 11 septembre 1454, par l'intermédiaire
du duc de Bourgogne et des Bernois : Néron, 20 seplembre 1454
(n° 16). — Lettres patentes du même jour sur le même sujet
(A° 6p5) |
Cort estere. Confirmation de la ligue et confédération conclue
jadis entre Louisdauphin et Francesco Sforza : 22 décembre 1/63.
— Instructions données par le duc de Milan Galeazzo Sforza à
Cristoforo Bollate, chargé d'aller à la cour de France prévenir
qu'il était prêt à célébrer son mariage avec Bonne de Savoie,
belle-sœur de Louis XI, au mois de mars prochain, selon le désir
de ce dernier: 28 octobre 1466. — Ratification par Philippe,
duc de Bourgogne, et par son fils Charles, comte de Charolais,
du traité conclu à Chälons, le 20 mars 1467, entre leurs envoyés
et ceux du duc de Savoie : 29 mars 1467..— Traité de ligue dé-
fensive entre le duc de Bourgogne et Amédée, duc de Savoie :
4 avril 1467. — Instructions données par Louis XI à son envoyé
près les seigneurs des antiques ligues de la haute Germanie rela-
tivement aux intérêts de son neveu Philibert, duc de Savoie :
1480.
Negoziazioni. Instructions de Galeazzo Maria Sforza, duc de
Milan, à son ambassadeur auprès du roi de France, pour l'in-
former de la ligue conclue avec le roi Ferdinand et les Florentins,
par suite de la médiation du pape : 1467. — Traités de ligue
défensive entre Charles, duc de Normandie, et Yolande de France,
— 65 —
sa sœur; entre Charles, duc de Bourgogne, et Philippe de Savoie;
entre Yolande de France et Francois, duc de Bretagne; entre
Charles, duc de Normandie, et Amédée, duc de Savoie : 15 juin,
20 juillet et 3 novembre 1467. — Pleins pouvoirs donnés par
Louis XI au sieur de Chantemerle pour conclure un traité avec
le comte de Genève : 4 août 1468. — Instructions données par
le duc de Milan Galeazzo Maria Sforza au docteur Alessandro
Spinola, son ambassadeur en France, pour s'informer si, dans
le traité de paix conclu à Rome en 1464, était compris le duc de
Savoie : 10 février 1470. — Traité conclu à Chambéry en exécu-
tion du traité de Pérouse conclu, le 8 août 1471, entre les ambas-
sadeurs de Louis XI et ceux des cantons de Berne et de Fribourg,
pour terminer les différends et la guerre suscités entre la duchesse
Violante et l’évêque de Genève, d’une part, et les comtes de Bresse
et de Romont, d'autre part, relativement au gouvernement des
États d'Amédée, duc de Savoie : 5 et 9 septembre 1471. — Do-
nation faite par Louis XI à Philippe de Savoie des terres de Lau-
raguais et de Villelongue, sises dans le comté de Toulouse, en
place du comté d’Asti, qu'il lui avait promis : février 1471. —
Confirmation par Charles le Téméraire, en faveur de Yolande de
France et du duc de Savoie, des traités d'alliance conclus avec le
duc Amédée : 8 juin 1473. — Envoi de Paolo Alciati au duc de
Milan pour le remercier de la part qu'il a prise à la délivrance
de Yolande de France, retenue prisonnière par Louis XI, et pour
lui parler de la restitution au duc Philibert de ses États : 8 juillet
1476.
Tel a été, Monsieur le Ministre, le résultat de la mission que
vous avez daigné me confier. En somme, nous avons recueilli deux
cent soixante-sept lettres missives de Louis XT, plusieurs lettres
patentes de ce prince et un nombre considérable de lettres à lui
adressées et de documents importants pour l’histoire de son règne.
Grâce à nos recherches, l’histoire des rapports de Louis XI avec
l'Italie est définitivement établie. Une des lacunes les plus consi-
dérables de notre publication se trouve ainsi comblée. Quand nous
aurons pu accomplir dans les archives de l'Espagne le travail que
nous venons de faire dans celles de l'Italie, nous pourrons pu-
blier enfin la correspondance de Louis XI, qui sera, j'ose l’affirmer,
une véritable révélation et permettra d'écrire pour la première
MISS. SCIENT. — VII. 30
— 66 —
lois d’après des documents authentiques la vie d’un de nos plus
grands rois et l’histoire de son règne, d'où date l'unité française.
J'ai transcrit, à la suite de ce rapport, quelques pièces curieuses
qui vous feront apprécier plus facilement, Monsieur le Ministre,
la valeur des documents que j'ai découverts. Puissent mes efforts
ne pas vous paraître indignes de votre haute approbation !
Je vous prie d’agréer l'hommage du profond respect avec
lequel j'ai l'honneur d’être, Monsieur le Ministre, votre très
humble et très obéissant serviteur.
Etienne CHARAvAY.
SAN =
DOCUMENTS
PROVENANT DES ARCHIVES D'ITALIE.
Il
1448. — 3 des nones d'avril.
Concession d'un autel portatif à Agnès Sorel par le pape Nicolas V.
Nicolaus, eic., dilecte in Christo filie nobili mtlieri Agneti Sorelle,
Claromontensis diocesis , salutem , etc. Eximie devotionis sinceritas quam
ad nos et Romanam geris Ecclesiam promeretur ut petitionibus tuis, illis
presertim, per quas conscientie pacem et anime salutem Deo propitio
consequi possis , favorabiliter annuamus. Hinc est quod nos, tuis devotis
supplicationibus inclinati, tibi ut confessor ydoneus, secularis vel regu-
laris, quem duxeris eligendum , confessionibus tuisdiligenter auditis, Gi
pro commissis per te criminibus, peccatis et excessibus in singulis Sedi
apostolice reservatis, necnon ab omnibus et singulis excommunicationis,
suspensionis et interdicti aliisque sententiis, censuris et penis ecclesias-
ticis etiam a jure vel ab homine in te forsan latis semel dumtaxat, in ais
vero, quotiens fuerit oportunum , casibus debitam tibi absolutionem im-
pendere et penitenciam salutarem injungere, necnon omnium pecca-
torum tuorum, de quibus corde contrita et ore confessa semel in vita et
semel in mortis articulo pienam remissionem tibi in sinceritate fidei,
unitate sancte Romane Ecclesie ac obedientia et devotione nostra vel suc-
cessorum nostrorum Romanorum Pontificum canonice intranlium per-
sistenti auctoritate apostolica concedere valeat, sic tamen etc. ,ut in forma
usque quodque liceat tibi habere altare portatile cum debita reverentia’
et honore super quo in locis congruentibus et honestis, etiam in tuis
propriis habitationibus vel alibi etiam, antequam illucescat dies citra
tamen diurnam lucem, dum qualitas negotiorum pro tempore ingruen-
tium id exegerit, necnon, si forsan ad loca ecclesiastico interdicto sup-
posita le declinare contigerit, in illis, clausis januis, excommunicalis ct
interdictis exclusis, non pulsatis campanis et submissa voce, in tua cet
familiarium tuorum domesticorum presentia, per proprium vel alium
sacerdotem ydoneum, dummodo tu vel ïlli causam non dederitis inter-
dicto, nec id tibi contigerit specialiter interdici, missas et alia divina
officia celebrari facere libere et licite valeas, proviso quod indulto
a
20.
— 68 —
quo ad celebrationem ante diem hujusmodi parce utaris, quia cum
in altaris, etc. quodque etiam quilibet sacerdos secularis vel regularis,
quem ad id duxeris eligendum, tibi quotiens expedire videbitur Eu-
charistie et alia sacramenta ecclesiastica ministrare libere et licite
valeat, jure tamen parrochialis ecclesie et alterius cujuslibet alias in om-
nibus semper salvo, auctoritaie apostolica tenore presentium indulgemus.
Nulli, etc. nostre voluntatis et concessionis, etc. Si quis autem hoc actemp-
are presumpserit, etc. Datum Rome apud Sanctum Petrum, anno etc.
millesimo quadringentesimo quadragesimo octavo, tertio nonas aprilis,
ponüficatus noslri anno secundo.
D. pe Luca.
(Archives du Vatican : Reg. de Nicolas V, n° 385, fol. ccLxxv.)
IT
1498.13 MArS.
Promesse de fidélité au dauphin par Amédée de Savoie, son beau-frère.
Je Amé, ainsné filz de Savoye, prince de Pyémont, considérant l'on-
neur qu'il a pleu à mon très redoubté seigneur monseigneur le daulphin
de Viennois, de faire à mon très redoubté seigneur et père, dame et
mère, duc et duchesse, et à tout l’ostel de Savoye, d’avoir pris à femme
ma très redoubtée dame et seur dame Charlotte de Savoye et consenti
de faire les espousailles en sa présence de ma très chière et très amée
compagne dame Yolant de France, sa sœur, et de moy; aussi la grant
affinité cordialle, amour et aliances qui sont entre lui et mondit très
redoubté seigneur et père, désirant tousjours acroistre ladicte amour et
aliances et recognoiïstre envers mondit seigneur le daulphin, comme
raison est, l'honneur qu'il lui a pleu de faire en ce que dit est dès main-
tenant par le bon plaisir et consentement de mondit très redoubté sei-
‘gneur et père, ay esleu et retien par ces présentes mondit seigneur le
daulphin pour mon bon et espécial seigneur et maistre, et lui promet
par la foy et serrement de mon corps et sur mon honneur que dores-
enavant je le serviray de corps, de biens et de toute ma puissance, avant
tous et contre tous ceulx qui mal ou dommaige lui vouldroient porter
en quelque manière que ce soit. Et ne serviray au Roy ne à autre contre
mondit seigneur le daulphin et ne le abandonneray pour aller devers
le Roy, en quelque manière que ce soit, sans son bon congié et licence,
ainçois si le Roy estoit mal content desdictes espousailles et qu'il voulsist
faire aucun dommage à mondit seigneur le daulphin, lui aideray à
tonte ma puissance comme dessus, ainsi qu'il lui plaira moy commander.
— 169 —
Et en oultre suis contant de tenir et observer lesdictes amitiez et aliances
faictes entre lui et mondit seigneur et père’ à tousjours mais, durant ma
vie, loïaument et de bonne foy, sans aucunement venir au contraire, et
de faire pour mondit seigneur le daulphin en tout et partout, sans riens
y épargner, comme pour ma personne et affaires propres. Et pour plus
grant seurté de toutes et chascunes les choses dessusdictes, j'ay signé
les présentes de ma main et fait sceller de mon seing, à Chambéry, le
x jour de mars l'an mil cccc cinquante et ung.
AMÉ.
(Orig. sig. sur vélin. — Archives de Turin : Traités anciens avec la France, paquet 9,
D En)
III
1492. — 17 juillet.
Lettre de Charles VIT aux Florentins pour les prier de secourir Francesco Sforza.
Charles, par la grâce de Dieu roy de France. Très chiers et grans
amis, nous avons sceu que les Vénissiens et autres des marches de par
delà ont puis certain temps mené guerre à l'encontre de nostre très chier
et amé cousin le conte Francisque et luy portent et font plusieurs nuy-
sances en faisant tous exploiz de guerre à l'encontre de luy et des siens.
Et aussi avons sceu par ce qu’il nous a escript que le duc de Savoye et
autres du costé de par deçà, saichans les affaires de nostredit cousin, lui
veulent courir sus et entreprendre sur lui et tendent du tout à sa des-
truction. Et pour ce que comme savez nous avons, à la requeste et en
faveur de vous et de la seigneurie de Florence, puis naguères eues et
prinses intelligences avec ladicte seigneurie de Florence et nostredit
cousin et sur ce baillées noz lectres et scellez, et que voulons vcelles in-
telligences garder el entretenir et aussi aidier et secourir à nostredit
cousin, nous avons délibéré et conclud envoyer présentement aucuns de
noz chiefz, noz parens et autres, bien acompaignez de gens de guerre en
bon nombre, és marches et lieux où nostredit cousin nous a fait savoir,
pour eulx emploier au bien et honneur de luy, ainsi qu'il nous a re-
quis, et telement que à l'aide de Dieu lui et ses bienveïllans s’en apper-
cevront bien brief. Et de ces choses escripvons présentement à ceulx de
Milan en leur faisant savoir nostre vouloir et entencion, afin quilz
facent leur devoir de leur part. Et pareïllement escripvons à nostre amé
et féal conseïllier et chambellan Regnault du Dresnay, bailli de Sens,
estant de par nous en la conté d'Astz, qu’il donne et face à nostredit
“cousin et aux siens tout aide et secours à Ini possibles. Parquoy vous
prions et requérons bien acertes que, ainsi que à vostre requeste avons
— 170 —
prinses lesdictes intelligences, que de vostre part vueillez nostredit
cousin servir, aidier et secourir par toutes manières à vous possibles, et
en ce vous monstrer vertueux et tant y faire que l’onneur de vous et
de ladicte seigneurie y soït gardé. Et nous vous certiffions que de nostre
part le ferons secourir ainsi qu’il nous a requis et mieulx, ainsi que brief
serez plus applain informez. Donné à Mehun sur Yèvre le dix-septiesme
jour de juillet.
CHARLES.
DELALOERE.
À nos très chiers et grans amis les prieur et gofanoniers de la justice
de la cité et commune de Florence.
(Orig. sig. sur vélin. — Archives de Florence : Rif., Ath pubblicr, VI, n° x.)
IV
1453. — 15 octobre.
Lettre de Pietro di Campo Fregoso, doge de Gênes, à Charles d'Armagnac, lieutenant à
Verceil, pour lui refuser, sous le prétexte de la guerre, le sauf-conduit qu'il avait
demandé pour visiter Gênes et ses monuments.
Magnifice ac potens vir, amice noster carissime. Accepimus litteras
vestras ex quibus Dominatio vestra petit a nobis salvum conductum huc
accedendi ad visendam hanc urbem et sanctuaria quedam, que in ea
sunt. Quibus respondentes, dicimus displicere nobis tempora talia non
esse ut Magnificentia vestra hic recipi nobis possit quemadmodum di-
gnitati vestre et nostro officio conveniret, propterea quod bellis civilibus
impliciti sumus, que nos distrahunt ab hüs curis quas tranquilla civitas
habere consuevit. Verum nec existimamus itinera ita tuta esse ut non
nisi sine magno discrimine adventus vester esse posset. His igitur ratio-
nibus moti, vestram Magnificentiam oramus ut hoc ejus desyderium in
aliud tempus diferre velit, ubi vestra Magnificentia tranquilliorem ac tu-
tiorem aditum habere poterit, et nos officio vestram Nobilitatem nostro
satisfacere rectius poterimus. Est enim de vestra Magnificentia suisque
virtutibus talis fama ut hoc desyderium nobis relinquatur presentiam
vestram aliquando cognoscendi quam sumus certi ea presenlia non modo
confirmari sed augeri posse. Parati ad omnia Magnificèntie vestre grata.
Data Janue, die xv° octobris 1453.
Petrus de Campofregoso, Dei gratia dux Januensium , etc.
Magnifico et potenti domino Karolo de Armaignaco, vicecomiti Fezen-
saci, et ducalem locum tenenti in Vercellis.
(Archives de Gênes : Liber litterarum Gotardi, 18.1794.)
et Je
V
1454. — 23 mars.
Lettre du doge de Gênes à Charles VII sur la destruction de la flotte génoise
par les Turcs.
Serenissime ac excellentissime rex et illustrissime domine. Non multis
diebus elapsis Majestati vestre scripsimus quanta esset nonnullorum
Christianorum perfidia, qui ex clade que a Turchis in Oriente nobis
illata est non contenti, ubi Peram, non ignobilem civitatem nostram,
viros, naves pretiosasque merces amisimus, etiam non erubescant obi-
cere nobis quod naves nostre post Constantinopolim captam secute sint
Turchorum stipendia, quod si ita ab omni vero et verisimili abhorreat,
ut nullo modo existimemus hujus modi suspictionem in animum Majes-
tatis vestre penetrare. Nam he naves nostre, que ex naufragio illius cladis
_superfuerunt, sociis destitute peneque confracte, in hanc usque diem ex
Chyo ad nos reverti non potuerant, placuit tamen nobis serenissime Ma-
jestati vestre innocentiam nostram declarare, quam et si omnis ratio
per se tueatur. Ubi tam late pateat ingens jactura facile est nos ea culpa
vacuos judicare. Ad priores enim litteras quas reverendissimus in
Christo pater dominus cardinalis Sancte Crucis firmamus Majestali vestre
scripsit de nostra innocentia, deque ingenti clade fidem facientes ac-
cedunt alie littere illius reverendissimi domini cardinalis Sabinensis,
natione Greci, qui tunc Constantinopoli pro fide apostolica legatus
preerat; quas ideo vestre serenissime Majestati mittimus, ut ea que nobis
‘objecta sunt non modo falsa esse intelligat, sed eos quos neque falsi
pudet neque cladis nostre miseret, sciat in aliquis etiam rebus esse men-
daces; multa quidem sunt civitatis et majorum nostrorum ad defensio-
nem Christiani nominis exempla, ita ut et nos etiam cum occasio dabitur,
nec animo nec viribus videri velimus inferiores. Parati semper in omne
decus vestre Majestatis. Data Janue, xxur martii 1454.
Petrus de Campofregoso, Dei gratia dux Januensium, elc., et consi-
um Antianorum.
(Archives de Gênes : Liber litterarum Gotardi , 18.1794.)
VI
1 476. — 9 octobre.
Traduction italienne d’une lettre de Louis XI à sa sœur Yolande, duchesse de Savoie.
Mia sorella, io me recomando ad voy tanto como posso. lo ve asse-
curo che sono cosi asio de vederve scapata, como se havete guadagniato
— 172 —
dece milioni d'oro. Ventevene con la piu grande diligentia che vuy po-
reli a vederme, perche io ve prometto per la fide mia che io non hebi
zamai cosi grande invidia de vedere belle figlie como io ho de vedere vuy.
Ve richièdo, amica mia, vetevene ben tosto. Jo ho dementicato de me-
tere che io sono più asio de haverve servito per scaparve, ad cio che vuy
cognoscati se io ve amo bene, che de tutto el resto tutti li vostri figlioli
stano ben queli che ho io, et sono al vostro comando et ve respondo de
Chiambere et Monmeliano, et de Susa monsignore de Rivarolo ne 1o
padrone, et ve assecuro che nuy non havereti ponclo grande pena ad
bavere el resto del paese. Mia sorella, ve mando monsignore de Mon-
soreo per receverve alla venuta vestra. Et adio, sorela mia. Scripta al
Plassisso del Barcho a Torse adi vani° oclobris.
Loys.
J. Tuipazno.
(Archives de Milan, Dominio Sforzesco.)
VIT
1476. — 9 octobre.
Lettre de Louis XI au duc de Milan pour lui annoncer la délivrance de sa sœur Yolande
de France.
Mon frère, à ceste heure ay receu lettres de ma seur, madame de Sa-
voye, qui est arrivée à Langres et s’est eschappée des mains du duc de
Bourgogne. Elle avoit envoyé devers le gouverneur de Champaigne lui
prier qu'il lui envoyast des gens, mais il y est allé en personne. L'on
m'a fait savoir que vous estiez entré en Pymont et que vous aviez mis le
camp devant une ville et que vous veuliez contraindre le pays de fere le
serment à Madame. Je vous prie que vous ne faciez point de foule ou
pays, puisque j'en ay prins le gouvernement, et aussi veu que Madame
est icy, et de brief vous auriez plus au long de mes nouvelles. Et adieu,
mon frère, auquel je prie qu'il vous ait en sa saincte garde. Escript au
Plesseis du Parc le 1x° jour d'octobre.
Loys.
J. MESME.
À nostre très cher et très amé frère le duc de Millan.
(Orig. sig. — Archives de Milan, Domunio Sforzesco.)
— 75 —
VIII
1478. — 10 août.
Lettre de Louis XI à la duchesse de Milan pour lui mander qu'il envoie des secours
aux Florentins contre le pape et le roi d'Aragon.
Madame ma seur, je me recommande à vous, tant comme je puis.
J'ay receu les lettres que par ce porteur m'avez escriptes, et suis bien
Joyeux de ce que l'allée de mes ambaxadeurs que j'ay envoyez de par
delà a donné bonne espérance et confort, non pas tant seulement aux
Fleurentins, mes bons amys , mais aussi à tous leurs aliez et bienveïllans.
J'escrips derechef à nostre Saint Père le Pape qu'il se veuille désister
de son entreprinse, et afin que luy et le roy domp Ferrande congnoissent
par effect que je ne suis pas d'oppinion de tollérer leurs erreurs, j'ay
délibéré d'envoyer quatre ou v° lances de mon ordonnance pour acom-
paigner Monsieur de Calabre de par delà en aïde et secours desdits Fleu-
rentins et de la ligue d'Ytalie. Si vous prie que délibérez de leur donner
passage et ordonner que pour leur argent ïilz aient des vivres et soient
bien traictez, comme en vous ay ma fiance. J’ay ordonné aussi de faire
convoquer les ‘prélatz de mon royaume pour ceste matière et en toutes
choses donray ayde et faveur à ladite ligue , tant que chacun congnoistra
que je y voys de bon pié. Vous feriez bien de pourveoir au fait de Gennes
et de Savonne. Quant vostre message que dictes envoyer sera par deça,
se pourra pourveoir à tout ce qui sera nécessaire. Et adieu, Madame ma
seur, qui vous ait en sa saincte garde. Escript à Chartres le x° jour
d'aoust.
Loys.
De CHaumonr.
À nostre très chère et très amée seur et cousine la duchesse de Milan.
(Orig. sig. — Archives de Milan, Donunio Sforzesco.)
IX
1482. — 14 novembre.
Lettre de Louis XI à Laurent de Médicis pour le prier de Ini envoyer l’anneau
de saint Zanobi.
Mon cousin, je vous ay naguères escript touchant l'anneau de saint
Zanobi. Je vous prie que vous me faites savoir que c’est, et s'il est pos-
sible que vous me le puissiez envoyer, vous me feriez le plus grant plaisir
de tout le monde. Et si vous asseure que ceulx qui l'ont ne doivent
— 174 —
point doubler que je le vueille avoir par don ne autrement que par prest
seulement, car je le rendray toutefloys qu'il vous plaira, et n’y aura
point de faulte. Et s'il vous plaist me faire ce service et plaisir, je le re-
congnoistray avecques les autres que m'avez faiz, si je puis.
Mon cousin, je vous renvoye la pièce de monnoyÿe et la chose qui est
en manière d'Agnus Dei que m'aviez envoyez par mes secrétaires. Je
vous en remercie tant que je puis. Et au regard de la croix, je l'ay en-
cores devers moy et ay chargé à maistre Pierre Parent envoyer ung de
ses gens devers vous tout expressément et vous escripre dudit anneau,
car je désire fort que je le puisse avoir, et je sçay bien que vous vous y
employiez voulentiers. Et adieu, mon cousin. Escript au Plessiz du Parc
le xu1° jour de novembre.
Loys.
PARENT.
À nostre très chier grant ami et cousin Laurens de Médicis.
(Oxig. sig. — Archives de Florence, Archivio Mediceo.)
X
4h mai.
Lettre de Louis XI au duc de Milan pour lui annoncer l'envoi d’un beau lévrier.
Mon frère, je me recommande à vous tant que je puis. J'envoye pré-
sentement devers vous maistre Jehan de Moulins, mon notaire et secré-
taire, par lequel vous envoye ung beau levrier, et ay bien espérance en
brief de vous en envoyer de plus beaux. Jay chargé mondit secrétaire
vous dire aucunes choses qui fort me touchent. Je vous prie, mon frère,
que le veïllez croire de*ce qu'il vous dira de ma part et y adjouster plaine
foy, tout ainsi que se moy mesmes le vous disoye. Et adieu, mon frère,
qui vous ait en sa saincte garde. Escript à Senlis le 1xr1° jour de may.
Loys.
DE CErisay.
À nostre très ch'er et très amé frère et cousin le duc de Milan.
(Orig. sig. — Archives de Milan, Dominio Sforzesco.)
DEUXIÈME RAPPORT
À M. LE MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
_
SUR
LES ABORIGÈNES DE L’AUSTRALIE,
PAR M. CH. CAUVIN.
Melbourne, 17 juin 1880.
Monsieur le Ministre, Ps
J'ai dû attendre la clôture de l'Exposition de Sydney pour me-
surer et décrire une série de crânes océaniens qui faisaient partie
d’une galerie ethnologique annexée à cette Exposition : aussi n’est-
ce que vers la fin de la première quinzaine de mai que j'ai ter-
miné ma récolte craniométrique des races australienne et méla-
nésienne. La coordination des résultats obtenus n’est pas encore
complète, et je pense employer à ce travail une partie des loisirs
de notre longue traversée de retour. Toutefois je désire vous com-
muniquer, d'ores et déjà, certaines observations que j'ai faites ou
certains renseignements peu connus que j'ai recueillis pendant
mon séjour à Sydney.
Lors de mon dernier rapport, le nombre des crànes étudiés s’é-
levait seulement à 68 : il est maintenant de 110, non compris
sept squelettes sur lesquels j'ai fait quelques observations ostéo-
métriques.
Les crânes étudiés récemment appartiennent aux diverses peu-
plades des îles de la Mélanésie : j'ai été assez heureux pour y
ajouter quatre Moriori, race primitive de la Nouvelle-Zélande, et
deux Tasmaniens. Le nombre des crânes australiens ou réputés
tels est de Ag.
J'ai le regret d’avoir à vous annoncer que mes tentatives d'an-
thropométrie n’ont pas été couronnées d’un plein succès. À di-
verses reprises , j'ai visité les campements d'aborigènes, et, pendant
— 476 —
plusieurs heures chaque fois, j'ai palabré avec eux pour les dé-
cider à venir à Sydney, afin que je pusse les mesurer et prendre
d'eux des photographies. Je n’ai épargné dans ce but ni mon temps,
ni mes peines, ni les dépenses. À longs intervalles, trois hommes
seulement avaient répondu à mes instances, et, bien qu'ils eus-
sent été suffisamment rétribués, cela n'avait pas décidé les autres
à venir se mettre à ma disposition. Or, il est bon de noter que,
presque tous les samedis, les indigènes des environs de Sydney
viennent en bande à la ville toucher les bons de vivres hebdo-
madaires que ie gouvernement local leur fait distribuer. Mais, ce
jour-là, 1l est assez difficile de les embaucher, pour plusieurs
raisons.
Après trois mois de vaine attente et de courses inutiles, j'avais
renoncé (avec quel sentiment de regret, et je dirais presque de
honte : vous le comprendrez) à joindre à mon Etude de l’Austra-
lien ce complément qu'il paraissait si facile au premier abord
d'obtenir, et j'arrêtais des dépenses qui n’amenaient aucun résul-
tat, lorsque, vers la fin de mai, j'eus la bonne fortune de faire la
connaissance d’un ministre de l'Évangile (non sectarien) qui s'é-
tait dévoué aux Missions pour les aborigènes. Je lui parlai de mes
désirs et de mes tentatives infructueuses : il voulut bien me venir
en aide, et, grâce à son influence, j'ai vu quelques naturels venir
au muséum où je les attendais. Le peu de temps dont je pouvais
disposer (quelques heures seulement, notre départ devant avoir
lieu le lendemain) ne me permettait pas des observations anthro-
pométriques complètes, et je dus me borner à prendre d'eux une
photographie de face et une de profil, dont vous trouverez ci-inclus
une épreuve. |
Neuf hommes et trois femmes avaient promis de venir : quatre
hommes seulement se sont présentés ; quant aux trois femmes,
apprenant du premier de ieurs compatriotes qui avait posé devant
mon objectif que je l'avais fait poser nu, leur pudeur à du s’effa-
roucher d'une aussi choquanie exposition, et elles sont parties à
mon insu. J'ai vivement regretté de n'avoir pas été informé à
temps de cette alarme de la pudeur d’une Australienne, car Jeles
aurais rassurées et j'aurais photographié au moins leur tête, qui
réellement, au point de vue des traits du visage, présente une
différence marquée avec la physionomie des hommes.
Dans l'étude que j'ai l'honneur de vous adresser, j'aurai surtout
— 77 —
en vue l’Australien de la Nouvelle-Galles du Sud, le seul dont j:
puisse parler de visu. Cependant je ne m’abstiendrai pas d'y joindre
les renseignements que j'ai pu recueillir sur les indigènes des di-
vers États du continent austral.
Quelle est l'origine de cette race? De quelles populations pri-
mitives descend-elle? À quelle époque ce peuple, au teint foncé
et aux longs cheveux soyeux, s’est-il répandu dans l’île immense
que, depuis un siècle bientôt, le courant européen envahit de
plus en plus? |
Vous n'altendez pas de moi, Monsieur le Ministre, que j'essaye
de résoudre le problème que posent ces questions, de soulever le
voile épais qui couvre encore les premières migrations de ces peu-
plades. Une telle tâche est au-dessus de ma compétence : je m’es-
timerais déjà fort heureux si les données consciencieuses que j'ai
réunies pouvaient fournir à nos anthropologistes quelques élé-
ments nouveaux, quelques jalons plus rapprochés qui les dirigent
dans cette recherche à travers les transformations du genre hu-
main, et je trouverais là une réelle récompense de mes peines.
Les aborigènes, comme on les appelle ici, paraissent n'avoir
gardé le souvenir d'aucune tradition qui mette sur la voie de leurs
origines présumées ; en sorte que, pour retrouver leur trace perdue
à travers les âges, on est réduit à des conjectures plus ou moins
plausibles basées sur leurs caractères physiques, leurs mœurs in-
dividuelles ou sociales, leur industrie, leurs coutumes ou leurs
croyances, enfin leurs langues.
La succession des siècles, le mélange avec d’autres races ou peu-
plades voisines, la mutabilité inhérente à toute chose humaine,
apportent peu à peu des modifications à chacun de ces caractères
et compliquent le diagnostic. En l'absence de monuments maté-
riels qui racontent l’histoire des générations passées, il faut se
hâter d'étudier ce qui reste des générations présentes, dont la dis-
parition n'est peut-être, à l'heure actuelle et à la facon dont les
choses marchent, qu'une question de temps. Les habitants de la
première période sont enfermés dans un réseau qui se resserre
pour ainsi dire chaque jour : comme ils l'ont fait peut-être eux-
mêmes à l'égard d’une population encore inférieure à eux, ils
sont chaque jour davantage refoulés vers les vastes solitudes
arides du centre, où la faim et la soif les attendent avec toutes
leurs horreurs, et achèveront l’œuvre d'inhumanité volontaire que
Le MUS
l’àpreté au gain d'une race qui se dit civilisée entre toutes poursuit
systématiquement per fas et nefas.
L'expression de race australienne est-elle juste dans son accep-
tion anthropologique, c’est-à-dire y a-t-il réellement une race
australienne à type bien défini, ou bien la Terra australis a-t-elle
donné l'asile de ses immenses forêts à divers flots de peuples, diffe-
rant les uns des autres en coutumes, en langage, comme aussi dans
ses caractères physiques ?
Les descriptions que nous ont laissées les premiers explora-
teurs donnent lieu de croire qu'ils ont manifestement vu des na-
turels de type essentiellement différent sur tel ou tel point de la
grande inconnue australe. Si beaucoup de ces descriptions man-
quent de la précision presque mathématique que l’anthropologiste
requiert maintenant, cependant les différences signalées sont si
considérables qu'on ne saurait, sans absurdité, les attribuer à la
variabilité des impressions individuelles ou à l’incompétence des
explorateurs, lorsque ceux-ci s'appellent Dampier, Cook, Frev-
cinet, Péron, Lesson, pour ne citer que les plus connus et les
plus anciens.
Il n’est pas moins absurde de supposer que la divergence entre
ceux qui ont dépeint le naturel qu'ils avaient en face d’eux
comme « l'être le plus hideux de la création, maigre, petit, chétif,
à gros ventre,» et ceux qui le décrivaient comme « remarqua-
blement bien fait et digne de fournir des modèles à la statuaire, »
ne provenait que de ce que les uns l'ont observé « dans son état
de dégradation physique et morale, iel qu'il se présente au sein
des populations blanches, » tandis que les autres l'ont vu « dans ja
forêt primitive, grimper, chasser, guerroyer, dans toute la force,
la facilité de mouvements, la grâce virile de l'enfant de la na-
ture, » à re
Il suffit, pour réduire cette phraséologie à sa juste valeur, de se
rappeler que les premiers peintres de ces populations en étaient
aussi les premiers découvreurs, si je puis ainsi dire ; que les pre-
miers indigènes qui ont été vus et dessinés l'ont été, soit sur la
plage où la curiosité plus sans doule que la pensée de défendre
leur territoire les avait amenés, soit à bord des navires mêmes où
les moins craintifs ont dû se hasarder. |
1 S. Morhange, Etude sur l'Australie. Bruxelles.
— 179 —
D'un autre côté, l'indigène au sein des populations blanches
ne se dégrade pas physiquement au point de changer presque l'é-
conomie de sa nature, et les photographies jointes à ce rapport
montreront que, du moins, elle n’a pas atteint les indigènes qui
vivent dans le voisinage de Sydney.
Qu'il existe une race inférieure au point de vue physique et
probablement négroïde, à côté d’une autre plus avantagée sous le
rapport de la structure, cela est incontestable, et mes propres
renseignements confirment les innombrables descriptions déjà
connues d'au moins deux types d’aborigènes australiens. Et si l’on
considère que c’est précisément celte race négroïide qui est le
moins en contact avec les populations blanches, on verra ce que
vaut l'explication à laquelle je fais allusion ci-dessus.
Mais alors on ne saurait faire une élude générale de l’Austra-
lien, sous peine de mélanger des caractères qui appartiennent
respectivement à deux types, et d'écrire, sous un même titre,
l'histoire naturelle de deux sociétés séparées et dissemblables.
Aussi tous les détails fournis sur ces populations doivent-ils être
très précis, et les noms mêmes des tribus auxquelles ils s'appliquent
doivent-ils être donnés aussi scrupuleusement que possible.
Dans l'étude anatomique du vivant, il est impossible de con-
fondre les deux types : plusieurs caractères nettement accentués
forment une séparation trop tranchée pour qu'on puisse s’ex-
poser à une telle confusion. Il n’en est plus ainsi de l'étude du
squelette sec, dont les différences anatomiques sont Moins accusées,
et qui nécessite, si je puis m'exprimer ainsi, des confrontations
minutieuses pour arriver à reconnaître que tel crâne qui vous est
donné sous le terme générique d'australien appartenait à un in-
dividu dû type négroïde ou du type qui a reçu d'Huxley le nom
d’australoide, ou enfin à un métissage.
Il est difficile aussi, dans l’état de la question, de dire laquelle
des deux races a la première occupé le sol de la Nouvelle-Hol-
lande. On peut cependant avancer, avec toute sorte de probabi-
lités, que cela a dû être la race inférieure. Nulle part, en effet,
on n'a vu une race inférieure envahir un territoire occupé par
une race plus élevée et s'y maintenir. Mais alors quelle n'est pas
l'antiquité de cette race négroïde! Car il n'est pas moins certain
que l’autre type australien est établi sur le territoire où nous le
trouvons, depuis une incommensurable période de siècles. C'est
— 180 —
du moins l'enseignement qui paraît ressortir de ses coutumes, de
son degré de civilisation, de ses langues. |
Les langages australiens sont aussi nombreux que ses tribus
elles-mêmes. Je dis langages et non dialectes, car plusieurs sont
si dissemblables entre eux qu'ils sont inintelligibles de tribu à tribu,
même voisines. Toutefois, l'identité de quelques vocables appli-
qués à des objets familiers, en particulier les noms de nombre et
de certaines parties du corps humain, et surtout une construction
grammalicale similaire, font supposer qu'à une époque très re-
culée il y a eu communauté de langue comme d'origine. Les
modifications survenues depuis prouveraient, en même temps
qu'une antiquité considérable, l'isolement profond dans lequel
les tribus vivaient à l'égard les unes des autres. Mais cette ques-
tion n’est pas de mon ressort, et je ne fais que l'indiquer.
Je mentionnerai plus loin quelques-unes de leurs coutumes, de
leurs croyances religieuses ; je dirai un mot de leurs ustensiles et
de leurs armes, et enfin de leurs qualités morales. Je vais exposer
maintenant les
CARACTÈRES PHYSIQUES DE L'AUSTRALIEN.
Les individus que je décris ici appartiennent aux tribus qui
vivent actuellement le long de la côte de l'État de la Nouvelle-Galles
du Sud, à la baie Twofold, à Moruya, à Ulladulla, à Shoalhaven.
J'ajouterai quelques détails sur celles qui habitent les rives du
Murrumbidgee, à la frontière méridionale du même État ou aux
environs : Corowa, Billabong, Deniliquin, Moulimein, et qui ap-
partiennent aux tribus connues sous les noms de Bouraba, Ouaddi,
Ouradgeri (Wiradhuri de quelques auteurs), Ouounou-ouol, Ou-
loupna, Yittaheda.
La taille des indigènes appartenant aux tribus de la côte.est
moyenne, plutôt même petite. Les mensurations qui me servent
de repère varient entre 1,692 et 1,580 millimètres. La moyenne
se rapproche plus du second que du premier de ces chiffres. Deux
individus m'ont donné 1,540 millimètres; mais l'un d'eux (pho-
tographie n° 3) est un jeune homme non encore parvenu, sans doute,
au terme de sa croissance !, et l’autre (photographie n° 4) est affligé
d’une déviation de la colonne vertébrale. Par contre, l’indigène re-
! Voir la note À, à la fin du rapport.
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N° 1. — Tony, de Dubbo. — 30 ans; taille : 1°,79.
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présenté sous le n° 1 a donné 1,750 millimètres ; mais il appar-
tient à une tribu de l'intérieur et est natif de Dubbo.
La même différence de stature s’observe chez les femmes. Ces
indigènes sont bien bâtis, bien musclés; ils ont la poitrine large, le
mollet bien formé. Je ne leur ai pas vu de gros ventres ballonnés,
mais ils sont tous enclins à un certain embonpoint de l'abdomen
qui ne peut être mis sur le Si; d'une nourriture féculente :
même chez les adolescents, je n'ai jamais, trouvé le ventre aplati,
à plus forte raison excavé.
La couleur de la peau présente généralement les teintes
n® 28, 42 et 43 du tableau chromatique du professeur P. Broca.
La peau des tribus du Nord de l'Australie serait plus foncée et
plus sèche que celle des tribus du Sud et de l'Ouest, au rapport
de Wiühemi. Livingstone avait remarqué que les peuplades des
forêts de l'Afrique sont moins foncées que celles qui vivent sur le
bord des rivières.
Elle est couverte partout, mais plus ou moins abondamment,
de poils parfaitement noirs (n° 48 du même tableau). Le jeune
homme cité plus haut, dont la: moustache et la barbe sont nais-
santes, avait lui-même le corps couvert d'un duvet chdtain clair
très visible.
Leur barbe est excessivement touffue et assez soyeuse, très
noire aussi. La moustache est bien fournie. ;
Parmi les femmes que j'ai vues, plusieurs devaient être’ très
velues, à en juger par la moustache qui ornait (?) leur lèvre su-
périeure.
Je n’oserais affirmer que leur tégument externe n’exhalàt au-
cune odeur particulière s’il était débarrassé quotidiennement de
sa malpropreté, à laquelle j'attribue, pour une grande part, le
parfum désagréable que ces naturels répandent autour d'eux ; mais
je n'ai pas senti chez eux ce fumet particulièrement répugnant
que-j’ai observé chez certains noirs et négresses du Sénégal, alors
même qu'ils n'étaient pas étrangers aux ablutions corporelles. Leur
sueur m'a paru exhaler une odeur urineuse.
Les cheveux sont abondants, noirs (n° 48), un peu rudes chez
quelques sujets quand ils sont courts, mais bouclants quand ils ont
atteint une certaine longueur; chez d’autres, ils sont assez fins et
bouclent ou plutôt ondulent à cinq ou six centimètres du point
de leur naissance. Parmi les enfants de sang mélé, il n’est pas
MISS. SCIENT. — VE. . 31
— 182 —
rare de rencontrer des cheveux châtain clair à reflets cuivrés. Üne
métisse de deuxième sang (A°B) les avait même tout à fait blonds.
Je n'ai pu avoir notion d'aucun mode particulier de coiffure ; ils
laissent communément leurs cheveux pousser en liberté, se cei-
onant seulement parfois la tête d'une corde en poil tressé, ou en-
core d'une sorte de frange de plumes blanches.
Le front est étroit, habituellement bas ; les cheveux s'y im-
plantent en rectangle.
Les sourcils sont bien fournis, proéminents : leur saillie se pro-
longe jusqu'au-dessus du nez, en sorte qu’on dirait qu'il n'y à
qu’une arcade sourcilière occupant le visage d'un bout à l’autre.
L'œil est petit, enfoncé sous l’orbite. L’iris a la teinte n° 2 (ta-
bleau Broca). La sclérotique est d'un blanc sale ou jaunâtre par
plaques; les cils sont bien fournis, mais de longueur moyenne.
Vu de près, le regard de ces naturels est plein de douceur et
rappelle celui de l'Indien de Calcutta ou de Pondichéry ; mais, à
une certaine distance, dans l'ombre que projette surlui le sour-
cil, il prend quelque chose de dur et de sauvage, et l’on dirait
presque que les deux yeux se touchent. :
Le nez est gros, large des narines : cette largeur est très va-
riable ; mais l'impression reste la même pour tous et l'œil ne res-
sent pas les différences que le compas accuse. Indice nasal du
vivant : 88.80.
Les narines sont élargies transversalement, mais non visibles
de face, c’est-à-dire que le nez n'est pas relroussé et son lobe ne
descend pas.non plus au-dessous de la cloison.
Les lèvres sont épaisses, mais ne se retroussent pas en mufle
comme celles du Nègre.
Le menton paraît rentrer en arrière : la LE en est peu
accusée.
L’oreille est ordinaire, avec un lobule rond et un pavillon ourlé.
Rien de particulier pour le conduit auditif.
Les dents sont belles, saines, moyennes. Pas d'anomalie pour
le nombre et l'arrangement, à part la mutilation ethnique dont je
parle plus loin.
Les membres supérieurs m'ont paru plus longs que dans la
race blanche : je n'ai pas toutefois d'assez nombreuses mensura-
lions pour appuyer cette impression par des chiffres. Chez ceux
que j'ai mesurés, la longueur du membre supérieur est à la taille
— 183 —
entière du sujet dans le rapport de 47.21 à 100. Le rapport de’
la grande envergure à la taille (— 100) est de 104.
Les doigts et les ongles de la main sont allongés, le pied est
quelque peu large et plat.
Les photographies ci-jointes montreront ce qu'il faut penser de
l'absence de mollet dont on a gratifié ces indigènes. Qu'il ne soit
pas aussi développé que chez le Blanc, je l'accorde ; mais il me
paraît encore assez bien rempli pour ne pas être considéré comme
absent. Le jeune homme n° 3 en est dépourvu, et la gracilité de
ses membres, en général, pourrait faire penser qu’il appartient
à une autre race, si je ne préférais y voir la gracilité habituelle
de la jeunesse, car il n’a rien de négroïde ni dans le teint (n° 28-43)
ni dans les cheveux.
Les organes génitaux de l'homme ne présentent pas l’exubé-
rance de volume que l’on rencontre chez le Nègre. Le sein, chez
la jeune fille, a les formes arrondies que l’on voit chez la femme
blanche, mais il s’affaisse de bonne heure, et, après un premier
allaitement, il s’aplatit et s’allonge un peu en cône.
Sur les rives du Murrumbidgee, on trouve, à côté d’aborigènes
présentant les caractères que je viens de décrire, d’autres naturels
qui en diffèrent complètement. Geux-là sont chétifs, de petite
taille, peu musclés : leur peau est noire comme du jais (Jet black,
m écrit un correspondant qui vit parmi eux). Leurs cheveux sont
frisés (frizzly) et laineux; mais, comme les précédents, ils ont gé-
néralement la barbe assez fournie et le corps velu.
Il est important que ce type d'aborigène soit étudié sur place.
J'ai eu l'honneur de vous dire, Monsieur le Ministre, qu'en l’ab-
sence d'instructions formelles je n'avais pu être autorisé à m'é-
loigner de mon navire pendant un temps suffisant pour étudier
méthodiquement ce type, qui présente quelques caractères papous.
Je ne crois pas, malgré le témoignage de quelques auteurs,
qu'on ait rencontré, chez les aborigènes australiens, des cheve-
lures blondes, à moins que ces auteurs n'aient compris les métis
sous le nom d'indigènes.
Telle doit être aussi la cause de cette assertion que je lis dans
un opuscule sur l'Australie : «On retrouve même chez les Aus-
traliens le type sémitique et jusqu’au type caucasien !.» Je sais
! S. Morhange, op. cit.
de
— 8h —
qu'on a cité parmi eux des nez aquilins. 1 n’y a pas longtemps,
je lisais je ne sais plus quel ouvrage anglais dont l’auteur disait
avoir rencontré en Queensland des noirs au profil juif. Un tel
fait serait digne de remarque et mériterait des investigations ;
mais je crains bien que, dans ces cas, on ait eu affaire à des métis
australo-papouans ou à des mélanges de Canaques et de Polyné-
siens. On sait que le nez des Papous présente une incurvation
qui peut, jusqu'à un certain point, le faire appeler aquilin par
un observateur qui ne tient pas à la précision.
La présence en Queensland de cette sorte de forme du nez, due
à l'infusion du sang papou, n’a rien d’invraisemblable. Les tribus
noires de cet Élat paraissent animées d’un tempérament belli-
queux qui contraste étrangement avec la placidité des tribus qui
vivent dans la Nouvelle-Galles du Sud. Quelle est la cause de cette
agressivité? Je.crois bien le savoir, mais ce n'est pas ici le lieu d'en
parler. Ce sera pour moi un durable sujet de regrets de n'avoir
pu seulement voir quelques individus de ces tribus à la destruction
desquelles le feu, le fer, le poison même, dit-on, sont actuellement
employés, comme sl s'agissait de bêtes fauves. :
J'ai entendu plusieurs personnes parler comme d’une chose
merveilleuse de la puissance visuelle de l’Australien. Je n'ai pu
moi-même contrôler cette assertion, mais je ne saurais mettre en
doute la véracité des personnes de qui Je la tiens. Cette acuité vi-
suelle ne s'exerce pas seulement quant à la distance, mais encore
sur des objets minuscules qui échapperaient constamment aux
yeux d'un Européen des mieux doués. Toutefois ici, ce me semble,
ce n’est plus l’acuité de la vision qui est en jeu, mais bien le génie
de l'observation, à qui rien n'échappe, même des plus petites
choses : le flair, si je puis me servir de celte expression qui appar-
tient à un autre organe. Nous verrons plus loin que l’Australien
est doué d’une étonnante mémoire des lieux.
Telle est la description de l’aborigène qui vit dans la Nouvelle-
Galles du Sud. Les observations cranio et ostéo-métriques qui
vont suivre ont été déduites d'une série de crànes provenant de
points très divers du continent australien, mais où les tribus de
la côte orientale de Queensland sont en majorité.
La carte ci-annexée indique les lieux de provenance, soulignés
en rouge, et le nombre de crânes d'une même provenance.
De tels renseignements manquent pourtant encore de préci-
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sion, parce que, depuis la venue des Européens sur celte terre,
bien des tribus se sont mélées, bien des familles errantes sont
venues camper dans des terrains appartenant antérieurement à
une tribu actuellement disparue, et laisser de ses morts dans ce
sol où déjà d’autres avaient trouvé leur sépulture; et, par consé-
quent, deux crànes ayant la même provenance peuvent cepen-
dant présenter des caractères différents.
De plus, n'a-t-il pas pu arriver que, sous l'étiquette d’Austra-
liens, on ait inscrit des crânes récoltés sur ou même dans le sol aus-
tralien, mais n'appartenant pas à cette race ? Dans bien des cas,
il est impossible de se méprendre; mais j'ai encore présente à
l'esprit l'hésitation que j'éprouvai un jour en mesurant quelques
crânes de la collection de l'honorable M° W. Macleay, président
de la Société linnéenne de N. S. W. et membre du sénat colo-
mal. J'étais frappé de leur ressemblance avec le type classique
australien, et j'aurais hésité à ne pas les classer comme tels, sans
la haute autorité de leur propriétaire, qui les avait rapportés lui-
même de la Mélanésie.
C'est par suite de ces considérations que j'ai exclu de mes re-
levés les mensurations de quatre crânes, dont l'indice céphalique
est au-dessus de 78.
Une autre considération m'a encore engagé à les classer à part :
leur indice nasal. L'Australien est incontestablement dolichocé-
phale, et non moins incontestablement platyrhinien. Or, si je
puis, à la rigueur, admettre comme australiens les crânes n°® 12 et
28 du tableau À, je ne saurais le faire pour les n° 10 et 36.
J'avais déjà remarqué qu’à un indice céphalique moindre cor-
respond un indice nasal plus grand, sans pouvoir toutefois en
tirer la conclusion que tout dolichocéphale est platyrhinien, sa-
chant bien que les Esquimaux dolichocéphales sont leptorhi-
niens et que les Javanais (Malais), et surtout les Lapons, dont
l'indice nasal est de 50 à 51 degrés ont un indice céphalique de
80 à 85 degrés.
Ici, non seulement ces crânes sont des plus brachycéphales,
mais encore ils sont des plus lepthorhiniens, et la plus grande
lepthorhinie correspond à l'indice céphalique le plus élevé. A
quelle race appartenaient les individus dont les crânes m'occupent
en ce moment ? Plusieurs des mesures, et entre elles le progna-
thisme ophryo-spinal, font penser au Malais ; mais le Malais est
SEXE
et
PROVENANCE. ;
NUMERO
d'inscription,
N° 10.
N°42
Hommes.. N° 36.
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— 186 —
TaBLEaAu À. — MENSURATIONS DE QUATRE CRÂNES
RÉGION CRÂNIENNE
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RÉGION CRÂNIENNE.
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— 187 —
ATALOGUÉS AUSTRALIENS, MAIS D'ORIGINE DOUTEUSE.
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DE DEUX CRÂNES MALAIS.
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74° 12 64°66 6°1 h93.82 | 135.34 | 83.75
981 602 35 6429 1372.9 907
13 9 12 13 11 11
75° A6 66°g 2° 92 494.55 124.6 82.45
1117.7 | 979.7 72 7088 1848 1223
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INDICE
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— 186 —
Tasceau À. — MEnSURATIONS DE QUATRE crâNrs
se 187 —
CATALOGUÉS AUSTRALIENS, MAIS D'ORIGINE DOUTEUSE.
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PROVENANCE & rise HADIUES: ANGLES, FACE: ORBITE. NEZ.
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ANNEXE AU TABLEAU À. — Mesures DE DEUX CRÂNES MALAIS.
Timor-4se2:...- 0H a. 2 :
cs Eu se Si 168 133 136 98 223 | 79.17 | 80.95 | 102,26| G9.92 | 83.04 n°5 64° ST 480 135 85 62.96 37 ar 83.38 | 59 i6 5o
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TaBceau B. — RELEVÉ DES MENSURATIONS CRANIOMÉTRIQUES D'UNE SERIE D'AUSIRALIENS.
RÉGION CRÂNIENNE. RÉGION TACIALE.
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— 188 —
mésorhinien , et je doute qu'il ait jamais présenté un indice nasal
de 36.36. J'ai cru devoir ajouter en annexe au tableau À, comme
terme de comparaison, les mesures craniométriques prises sur un
Malais de Timor et sur un naturel de l'ile Moa, du groupe des
Serwatti. Les dents du premier présentent l'aspect caractéristique
dû à l'usage du bétel. Vous verrez que ces deux crânes ont un air
notable de parenté avec les mésalicéphales na > ÉU2E
Quant aux n° 10 et 36, je les ai dessinés au stéréographe (le
n° 10 était même annexé à mon rapport de mars dernier), et, à
mon retour en France, je les soumettrai à la Société DR |
logie, qui se prononcera.
Les moyennes du tableau B ont donc été prises sur une série
de 45 crânes : 17 masculins, 13 féminins et 15 incertains. Le
nombre aussi élevé de ces derniers provient (si je puis m’exprimer :
ainsi) d’un excès de prudence. En effet, à côté de certains carac-
tères réellement féminins, ils en présentaient de si franchement
masculins, que j'hésitais à affirmer leur sexe, bien que pouvant
cependant y reconnaitre une prépondérance d’un côté ou de
l'autre. C’est ainsi que deux seulement me paraissent absolument
incertains : dix seraient plutôt de femmes et trois d'hommes. D’ail-
leurs, la moyenne générale dont est déduit le type n'éprouve aucun
changement de cette abstention, cette moyenne étant le quotient
de la somme des mesures individuelles divisée par le nombre des
crânes mesurés. Si jai indiqué les moyennes partielles de la série
Incertains, comme je l'ai fait pour les deux autres, hommes et
femmes, c’est afin de montrer que, conformément à mes impres-
sions, les indices se rapprochent plus du type féminin que de
celui des hommes.
Il résulte de l'examen du tableau B que :
° Le crâne des femmes australiennes est relativement plus
. que celui des hommes, remarque signalée déjà dans mon
rapport de mars dernier ; ‘
2° Le crâne des hommes est plus élevé, bien que la voûte en
soit moins arrondie que chez la femme;
3° Chez cette dernière, le front est plus large, et elle a aussi le
visage plus allongé ;
4° Enfin l'indice orbitaire comme l'indice nasal sont moindres
chez elle que chez l'homme.
— 189 —
L'indice céphalique moyen général est un peu plus faible que
celui que j'avais signalé précédemment, ce qui tient à ce que, les
individus étant plus nombreux dans ma série actuelle, la moyenne
se ressent moins des différences individuelles.
Le prognathisme nasal n'est pas très prononcé; son angle
moyen chez les hommes est de 74°,12; chez les femmes, de
76°,16. Cinq crànes dépassaient de beaucoup cette mesure, et
m'ont donné les angles ci-après :
N° 47. Homme (Australie occidentale). ...... 82°,5
N° 5. Femme (Jervis Bay [Nouvelle-Galles])... 84
N° 51. Femme (tribu Ouest-Victoria)........ 81 ,
N° 13. Homme [?] (cap York [Queensland]). .. 81
N° A9. Femme [?] (Goulburn [Nouvelle-Galles]). 80
Par contre, un crâne de femme [?] de lile Melville n'avait que
C7.
Le prognathisme ophryo-alvéolaire ou angle facial de Cloquet
est d'environ 10 degrés plus aigu que l'angle ophryo-spinal. La dif-
férence est un peu moindre chez la femme; ce nouvel avantage
_ du beau sexe, dont l'angle ophryo-spinal est déjà un peu plus
grand que celui du sexe fort, est dû à la plus grande hauteur de
sa face. |
Malgré tous ces avantages, que j'avais déjà pour la plupart si-
gnalés, la femme australienne n’en est pas moins un type exquis
de laideur.
L’angle de Daubenton varie de — 6 à + 15; ces deux limites
ont été notées sur des hommes : sept fois il a été négatif, trois fois
égal à o et cinq fois égal à 1.
Tous les indices cräniens, sauf le premier vertical, sont méga-
sèmes : des indices de la région faciale, le facial est mésosème,
l'orbitaire microsème, le nasal mégasème.
La circonférence horizontale de la tête a donné un maximum
de 555 millimètres chez l’homme, et un minimum de 460 milli-
mètres sur le crâne (supposé de femme) de l'ile Melville. Sa
moyenne générale, déduite de 44 sujets, est de 498 millimètres.
Il est à remarquer que les indices moyens généraux sont ordi-
nairement à peu près une moyenne entre les indices respectifs
de chacun des sexes. Ici la moyenne générale dépasse de beau-
coup la moyenne partielle la plus élevée, celle des femmes; ce
— 90 —
qui provient de ce que les crânes supposés féminins dominent
dans la série des Incertains.
Sur la plupart des crânes, les dents étaient très usées : beau-
coup de maxillaires étaient anodontes, par suite du défaut de pré-
caution de consolider les dents qui vacillaient dans leurs alvéoles.
Sur l'un d’eux, j'ai noté une surdent incisive ; sur un autre, une
particularité plus rare, une incisive double et quatre molaires du
même côté. J'ai pris un moule de cette mâchoire exceptionnelle,
pour laquelle, vu sa largeur, j'ai dü faire faire une gouttière à
mouler spéciale.
Les irrégularités de volume normal des dents sont fort rares;
dans deux ou trois cas seulement, j'ai trouvé les deuxièmes et troi-
sièmes molaires, sinon plus grosses, du moins égales à la pre-
mière. Quelques rares cas d'absence totale de denis de sagesse au
maxillaire supérieur ont été notés. Il en a été de même de quelques
cas de carie dentaire.
Quinze mandibules seulement ont pu être mesurées, et encore
estil permis de douter, à l'égard de quelques-unes d’entre elles,
qu'elles appartenaient réellement au crâne auquel je les trouvais.
fixées : trois étaient isolées. Enfin, l'imperfection du goniomètre
que j'ai dû faire construire à Sydney pour mesurer leurs angles
pourrait bien avoir donné des indications un peu erronées : Quæ
potui, feci, faciant meliora potentes.
Deux fois l’angle symphysien était plus grand que l'angle droit ;
quatre mandibules ont donné de 83 à 86 degrés ; une, 63 degrés
seulement. Le reste variait entre 70 et 77 äegrés.
L’angle mandibulaire est, en moyenne, de 117°,07 {maximum,
129°,5; minimum, 98 degrés).
Les bassins et les membres sont encore moins nombreux que
les mandibules : aussi ne peut-on en déduire un type moyen ow
une caractéristique. Je me borne à les inscrire dans les tableaux
Cet D. ; |
Vu le mode de montage et l'attitude donnée à ces squelettes
par le préparateur, je n’ai pu prendre la taille des sujets. C'est
une lacune que je regrette, mais qu’il n’a pas dépendu de mor de
combler.
— 91 —
Tagceau C. — DiMENSIONS DE QUELQUES BASSINS AUSTRALIENS.
N°3.) N°4
DÉSIGNATION DES MENSURATIONS.
HOMME. HOMME. | FEMME. FEMME.
millim. | millim. | millim. | millim.
Distance entre les crêtes iliaques.......| 260 260 210
maximum } entre les épines iliaques anté-
rieures. et inférieures ET
antéro-postérieur du détroit sup'.| 108
| Diamètre transverse du détroit supérieur... | 111,5
oblique du détroit supérieur. . .
Longueur de la base de l'arcade sous-pubienne.| 64
Tagzeau D.
MENSURATIONS DE QUELQUES OS DE SQUELETTES AUSTRALIENS.
DÉSIGNATION
MEMBRE
DES MENSURATIONS, inferieur
HOMME.
isole.
de l'humérus, ..
du radius......
Longueur l
du fémur......
du tibias + cl. -
de torsion du fé-
DA; . 4 671510) «
Angle... dent.
d'obliquité.....
Flèche de courbure........
Sallie du calcanéum en arrière
3 Sue
— 192 —
Je joins ici dans le tableau E, à titre de comparaison, les me-
sures similaires prises sur le vivant, mais en faisant remarquer
qu'on ne saurait en tirer aucune déduction.
Tagceau E.
LONGUEUR DES SEGMENTS DES MEMBRES DE TROIS AUSTRALIENS VIVANTS.
POINTS DE REPÈRE.
millim.
De l'acromion à l’épicondyle 3 320
De l'épicondyle à l'apophyse styloïde du radius. 262
Du sommet du grand trochanter à l'interligne
articulaire du genou
De Tlinterligne articulaire au sommet de 1a
malléole interne......
Taille du sujet
Vous remarquerez sans doute, Monsieur le Ministre , que, dans
ce dernier tableau, le tibia du n° 1 est plus long que son fémur.
Une telle anomalie, dont je ne me suis aperçu que trop tard, doit
être le résultat d’une inadvertance de la personne qui inscrivait
ies mesures au fur et à mesure que je les prenais !.
Le tableau C donne lieu aux observalions suivantes :
Les dimensions du détroit supérieur du petit bassin, chez læ
femme n° 3, sont à peu près celles de la femme adulte de race
blanche, sauf le diamètre transversal, qui est ici de 10 à 12 mil-
limètres plus court: son ouverture est cordiforme. Le diamètre
biischiatique , que je n’ai mesuré que sur ce sujet, était de 109 mil-
limètres. La largeur de la symphyse pubienne entre les trous
obturateurs ou sous-pubiens y était de 56.5, et sa hauteur de
36 millimètres. Chez la ferime n° 4, les diamètres du bassin sont
1 Voir note C, à la fin du rapport.
— 193 —
très courts, en raison de sa jeunesse, attestée par la non-soudure
de plusieurs épiphyses.
Vous remarquerez le peu de largeur des hanches des hommes,
circonstance qui a dû vous frapper aussi à la vue des photogra-
phies ci-jointes.
Du tableau D, nous tirerons les rapports suivants entre les os
de chaque membre d'abord, entre le membre supérieur et l'infé-
rieur ensuite :
N°]. N°92, N°3. Nou.
Radius est à humérus (—100). 87,00 88,50 75,17 74,06
Tibia est à fémur (—100)..... 84,40 82,61 84,15 87,89
Ce qui nous montre que le radius est plus court chez la femme
(encore un caractère de supériorité sur l'homme), mais que son
tibia est proportionnellement plus long que chez le sexe fort. Les
moyennes générales seraient 81.18 pour les deux os du membre
thoracique, et 83.92 pour ceux du membre abdominal.
HR et àaF+T(-— 100)... 65.00 72.02 67.28 70.42.
En moyenne, comme 68.68.
Je mentionnerai parmi les délails remarqués dans l'examen de
ces squelettes : 1° une seule côte flottante; 2° la saillie considé-
rable, chez les hommes, de l'empreinte deltoïdienne; 3° le trou
sous-pubien triangulaire chez la femme, ovalaire chez l’homme;
4° la coulisse de glissement pour l’obturateur externe, qui est ex-
cessivement prononcée; 5° une platycnémie moyenne du tibia
(36 millimètres antéro-postérieur, 25 transverse).
Telles sont, Monsieur le Ministre, les observations que j'ai re-
cueïllies au cours de mes études anthropographiques de la race
australienne. Jai bien noté encore certains autres détails, soit gé-
néraux, soit isolés : ils prendront place dans le travail complet et
comparatif auquel je vais me livrer pendant notre traversée de
retour. Désireux toutefois d’être aussi complet que possible dans
cette esquisse dont le seul Australien est l'objet et pour compenser
ce qui manque à la partie anthropométrique de mon étude, j'in-
sère ici quelques mesures que je tire d'une brochure publiée ré-
cemment à Perth, par ordre de Sir H. Saint-George Ord, gouver-
neur de l'Australie occidentale.
— hgû —
{
MESURES PRISES SUR DES INDIGÈNES DE L'AUSTRALIE OCCIDENTALE.
CIRCONFÉRENCE
LOCALITÉS TAILLE. à la
poitrine.
NOMBRE
de sujets.
moyenne,
Moyenne.
DE PROVENANCE. ECTS
Min.
GIRCONFÉRENCE
à la poitrine.
Albany ( King Gcorges Sound), in- millim. ilim.| millim. | millim.
dipénem=....e.-#.-.-2-#2.- 1727 901,7 | 779
York/mndisenes ee ---c-e-rc--t 1670 926,7 | 743,4
Champion-Bay, indigènes. ...... 1688,7 845,4 | 762
Rivière Murchison , indigènes. ... 1793 914 768,4
Nicol-Bay, indigènes. .......... 1765,7 992 889
Gascoigne , indigènes 1688,7 870,4 | 832
Freemantle, convicts européens. . . 1815,7 | 19 990,6 | 762
MENSURATIONS COMPARATIVES DES MEMBRES DE CINQUANTE EUROPÉENS
ET CINQUANTE INDIGÈNES DE L'AUSTRALIE OCCIDENTALE.
AVANT-BRAS
ET MAIN.
JAMBE,
ES PR EEE
Européens. | Indigènes. | Europcens. | Indigènes. |Europcens. | Indigènes.
miliim. millim. millim. millim. miliim. millim.
Minimum. ....| 431 431 h3a 431 229 222
Maximum. ....{| 476 901 308 559 279 273
Moyenne. .....| 444 464,5 AG4 483,5 256 249
Les phénomènes physiologiques de l'évolution organique ne
présentent, chez les aborigènes, aucune différence avec ces mêmes
phénomènes dans la race blanche. La dentition, la menstruation
apparaissent à peu près aux mêmes époques de la vie que chez
l'Européen. L’Australienne devient mère vers l'âge de-seize ans.
Si la grossesse et la délivrance ne sont pas suivies chez elle des
mêmes peines physiques que chez sa sœur du vieux monde, c'est
que chez elle rien ne contrarie le cours de la nature. L’accouche-
ment est généralement facile, le travail dure peu et le passage de
l'enfant ne paraît pas être fort douloureux pour la mère. Un cor-
respondant m'écrit toutefois que le travail est parfois pénible
(hard) et dure huit heures. Ne s’agirait-il pas, dans ces cas} de
— 95 —
femmes métisses que la coquetterie ou limitation à poussées à
l'usage du corset? Toutes les personnes avec qui j'ai pu causer sur
ce sujet s'accordent à dire que, règle générale, peu de temps
après la délivrance, le lendemain, le surlendemain au plus tard,
la nouvelle accouchée peut voyager avec son enfant de campe-
ment en campement. Quant à obtenir des renseignements sur les
particularités physiologiques de la gestation, de l'accouchement,
sur la posture que prend la mère pendant l'expulsion du fœtus
et diverses autres questions semblables, mes tentatives ont été in-
fructueuses : un médecin seul aurait pu me répondre. Auprès
d’autres personnes, malgré leur but scientifique, ces investigations
étaient « somewhat shocking ».
Les femmes aborigènes ne paraissent ni plus ni moins fécondes
avec les hommes de la race blanche qu’avec leurs compatriotes,
bien qu'éprouvant plus d’attrait pour les premiers. Les tribus de
la côte de la Nouvelle-Galles et celles du Murrumbidgee ne sont
pas, comme celles du Darling, hostiles aux métis : aussi, de ce
côté, une population croisée s’élève-t-elle peu à peu qui appelle
l'attention de l’anthropologiste autant que celle du Gouvernement.
_ I est inutile d'ajouter que l'étrange assertion émise par le
comte Strzelecki et soutenue par plusieurs auteurs sérieux, savoir
qu'une aborigène qui avait conçu par les œuvres d’un blanc deve-
nait inapte à être ultérieurement fécondée par un de ses compa-
triotes, est absolument dénuée de fondement. J'ai vu moi-même
la fille foncée, aux traits australoïdes, d’une femme qui avait eu
antérieurement quatre enfants métis.
Le chiffre de la population indigène dans la Nouvelle-Galles
du Sud est évalué à 8,000 : mais, aucun recensement n'ayant ja-
mais été fait, je ne donne ce chiffre que comme une approxima-
tion : c'est le nombre de couvertures de laine que le Gouverne-
ment local vient d'envoyer récemment aux magistrats des districts
pour être distribués, à l'approche de l'hiver, aux aborigènes qui
vivent dans le voisinage des lieux soumis à leur juridiction. Quel-
ques personnes en état d’être bien informées m'ont assuré que le
nombre des aborigènes ne dépasse pas 5,000. Mais l'Européen
n’a pas encore étendu sa main sur toute la superficie de cet État
et nous pouvons supposer que ses régions les plus occidentales
recèlent encore de nombreuses familles à l'état purement sauvage.
On évalue de 800 à 900 les indigènes qui vivent dans l'État de Vic-
— 96 —
toria. Quant aux États de Queensland, Sud-Australie et Australie
occidentale, je n'ai pu obtenir aucun renseignement même ap-
proximatif.
La pathologie propre à ces peuplades est encore à faire. Je n’ai
pas assez vécu en contact avec elles pour avoir pu -pousser des
investigations de ce côté. Je dirai. toutefois qu’elles ne paraissent
pas être exemptes des affections mentales.
ETHNOLOGIE DE L’'AUSTRALIEN.
Caractère intellectuel et moral. — Mœurs. — Croyances religieuses.
— Coutumes ethniques.
De mes entrevues avec les indigènes de la Nouvelle-Galles et des
conversations que j'ai eues avec des personnes en relation avec
eux j'ai pu me convaincre que ces tribus ne sont sauvages que
comme le sont les enfants. Comme eux ils sont craintifs, comme
eux ils sont oublieux des peines passées, imprévoyants de l'avenir;
comme eux ce sont des jouisseurs du présent. Chez l’Australien
comme chez l'enfant, les impressions sont rapides et il les traduit
bruyamment; comme l'enfant il est imitateur et enclin à la «sin-
gerie ». Pardonnez-moi cette expression, qui mieux que toute autre
rend la ressemblance du trait. Comme l'enfant enfin, d'abord ré:-
servé avec un inconnu, il devient sans-facon et familier et s'attache
à celui qu'il a reconnu lui vouloir du bien.
Dans tout ce qui demande des aptitudes physiques, l’'Australien
n'est inférieur à aucun autre peuple. J'ai parlé plus haut de
l'acuité de sa vue : sa perspicacité est si exquise, qu’il découvre,
là où rien ne parle aux sens d’un Européen, les traces du passage
d'un animal ou d’un homme. La mémoire locale est, dit-on,
chez eux, d'un développement merveilleux et d'une remarquable
fidélité. L'aborigène reconnaïtra, après des mois et des années,
tel ou tel endroit où 1l n’a fait que passer; bien plus, il y remar-
quera tel ou tel changement, une branche cassée, un arbre abattu,
une roche déplacée, qui ont altéré dans son souvenir l’image
du paysage de jadis. Ces qualités font d'eux d'excellents guides,
de fins traqueurs, et en Queensland, en Victoria aussi, je crois,
la police les emploie comme limiers. Les « squatters» qui, dans
leurs « runs » se servent d'eux comme bergers à cheval, n'ont qu'à
se louer de leur intelligence.
v — 97 — |
Leur dextérité manuelle n’est pas inférieure à leur flair et l'on
peut faire d'eux de bons ouvriers. Les sculptures dont ils ornent
leurs boucliers, n'ayant d'autre outil qu’un silex taillé, en disent
plus que vingt pages.
Mais l’Australien, même civilisé, reste toujours nomade. Sé-
journer dans le même endroit lui est impossible, fût-ce même en
plein air. Aussi, qu'il soit détenu dans une prison ou confiné dans
un hôpital, il ne tarde pas à languir et la mort vient prompte-
ment mettre un terme à sa captivité.
Aux environs de Gundagai, dans la Nouvelle-Galles du Sud, et
d'Echuca, en Victoria, existent actuellement deux Missions spé-
cialement affectées aux aborigènes. Ces missions, dirigées par des
ministres de l'Évangile (non sectariens), sont sous la juridiction du
Ministre de l'instruction publique de la Nouvelle-Galles, Sir John
Robertson. C’est au Rév. J.-B. Gribble, surintendant de la Mis-
sion de Warandgera, près Gundagai, que je dois plusieurs infor-
mations ici consignées sur les tribus du Murrumbidgee.
Les efforts de ces missionnaires ont été couronnés de quelques
succès. Leurs pupilles ont appris à lire, à écrire; ils s’habillent à
l'européenne et s'occupent à divers travaux. Les femmes savent
coudre, broder même, faire de petits ouvrages de plumes ou de
coquillages qui ne manquent pas de goût; mais la nature ne perd
pas ses droits, et, de temps en temps, toute la famille, hommes
et femmes, part pour la chasse du kangourou et de l'opossum.
Tous les aborigènes que j'ai vus parlaient l'anglais d’une manière
très intelligible; ils paraissent en acquérir la connaissance avec
facilité.
En somme, cette race me semble avoir été mal jugée, et si elle
a vécu dans un état sauvage, ce n'est point que les qualités men-
tales lui manquent, mais bien l’occasion de les développer. Que
notre civilisation ne leur convienne pas, cela ne saurait faire,
l'ombre d’un doute; mais qu'il n'y ait rien à espérer de ces popu-
lations, c'est ce que ne pourrait admettre aucun esprit non
aveuglé. La conclusion à laquelle une grande partie des colons
me paraissent enclins, qu'il faut donc supprimer cette race au plus
vite, est une philanthropie qui rappelle la plaisanterie d'atelier sur
Ugolin.
Il est vrai que toules les tribus ne ressemblent pas à celles que
je décris dans ces pages. En Queensland, par exemple, se trouvent
MISS, SCIENT. — VII. 32
= 6
peut-être des peuplades de mœurs différentes. Les journaux de
ces derniers temps étaient pleins de récits d'attaques par les « Noirs »
contre les établissements (settlements) européens ou chinois. Il ne
serait pas impossible que des familles papoues ou australo-papoues
vivent dans les solitudes de Queensland. On sait que le Papou est
irascible, querelleur, cruel. Maïs, quoi qu’il en soit, qu'on ne se
hâte pas de condamner ce malheureux peuple. Que parfois,
éperdus de rage par la présence d’un étranger qui s’est emparé
de ses forêts, en a fait fuir le gibier au son des coups de sa co-
gnée éclaircissant le « bush »; que, affolés par la faim ou da ven-
geance en représailles d’un des siens tué par les Blancs, des partis
d’aborigènes se soient rués sur des propriétés, saccageant ou
même tuant, ce sont des faits incontestables : on peut ne pas les
excuser, mais on doit les comprendre. Et maintenant qui osera
dire que le Noir a été le premier assaillant? Qui ignore comment
ces malheureux ont été traités par le Blanc, depuis son premier
établissement sur leurs terres jusqu'à il y a à peine vingt-cinq
ans |
Vingt-cinq ans, dis-je? Hélas! ils sont encore traités aujour-
d’hui comme alors, et les gouvernements de l'Australie orientale,
sauf Victoria, ne font rien pour ces peuples qu'ils dépossèdent
et qui ont droit cependant, en retour des terres qu'on leur
prend, à recevoir le secours matériel et moral du fort pour le
faible.
Je ne fais pas ici du sentimentalisme, Monsieur le Ministre;
mais il n’est pas défendu au naturaliste de plaider les droits d’une
espèce décriée et de chercher à la venger de ses détracteurs.
Buffon faisant en quelque sorte le panégyrique de l’âne ne croyait
pas sortir du domaine zoologique. C'est un exemple que je cite
et non une comparaison que je fais.
L'étude que j'ai l’honneur de vous adresser doit, à défaut
d'autre qualité, être originale, au moins dans sa majeure partie.
Manquant de renseignements personnels sur les croyances reli-
gieuses des aborigènes, je ne pourrais guère que répéter ce que
l'on peut avoir déjà la dans les divers ouvrages publiés sur ces
populations. Aussi serai-je bref sur ce sujet. Pour arriver à des
connaissances certaines en pareille matière, il ne suffit pas de
faire causer un naturel. L'interroger est un moyen plus mau-
— 199 —
vais encore. S'il répond, ce qui n'arrive pas toujours, vous pou-
vez être assuré que sa réponse a besoin d’être sévèrement con-
trôlée. |
Ont-ils, comme quelques-uns le disent, une vague idée d’un
Être suprême? C'est possible; mais, dans tous les cas, ils n’ont
pas de culte. Il est probable que les phénomènes cosmiques ont
imprimé sur ces natures primitives une certaine religiosité qui se
traduit par la terreur. Telle n’a-t-elle pas toujours été l’origine
des dieux ou de la croyance de l’homme à l'existence d'êtres
supérieurs ?
L’Australien est superstitieux et craintif : il paraît n'avoir guère
dans sa théogonie que des dieux mauvais, des esprits malfaisants
qui parcourent la terre pendant la nuit. Aussi estil presque im-
possible de faire sortir un Australien de sa hutte quand l'ombre
du soir est venue: Telle est aussi sans doute une des raisons pour
lesquelles il ne couche généralement pas deux nuits de suite au
même endroit. |
Sa croyance à une vie future ressemble fort à une métempsy-
case. Après la mort, l'âme (la vie) d’un aborigène passerait dans
le corps d'un Blanc. « Il tombe Noir et rebondit Blanc, » disent:ls.
On peut supposer que celte croyance a pris naissance dans ce
fait d'observation que, après la mort, le corps du Noir pälit; mais
cette idée ne peut être que toute moderne et, par suite, sans
utilité pour l'ethnologie de cette race. Des esprits sérieux cepen-
dant et instruits penchent pour son existence antérieure à l’arrivée
des Européens. Quant à la croyance à la transmigration dans le
corps des animaux, je n'ai pu m'en assurer; mais si réellement
Australien a eu la conception de la migration des âmes, c’est-à-
dire , en somme, de l’immortalité de la matière et de l’incessabilité
du mouvement de la vie, cette seule conception doit le faire
ranger plus haut qu'on ne le place généralement dans l'échelle
des peuples, et il faut attribuer son incontestable infériorité en
fait à une influence des milieux !. |
La plupart des indigènes à l'état sauvage vont nus. Sous les la-
titudes de Victoria et de la Nouvelle-Galles la température plus ri-
goureuse, mais surtout le voisinage des Européens, leur font couvrir
: Voir note B, à la fin du rapport.
— 500 —
leurs membres des vêtements hors d'usage que leur abandonnent
les colons. En Queensland, on les voit, hors des villes, encore
dans l’état de nature, tant les femmes que les hommes; la peau
de kangourou qu'ils portent est un vêtement destiné non à ca-
cher leur nudité, mais à les garantir du froid : la preuve en est
dans la place qu'occupe cette peau, qu'ils mettent tantôt par
devant, tantôt par derrière, en un mot, du côté d’où vient le vent.
Quoique les deux sexes aïllent nus, ce n’est pas à dire quäls
manquent d'une certaine pudeur, et lon a remarqué que, très
portés cependant pour les plaisirs de la chair, ils se cachent pour
goûter les caresses de leurs femmes. La pudeur, telle que nous
l'entendons, n'est-elle pas un raffinement de la civilisation, ‘et
j'oserais presque dire, un aveu d’infériorité morale, de trouble
mental? Adam et Eve, dans l’Éden, ne s'apercevaient pas qu'ils
étaient nus. Et qui ne sait aussi que ce qui choque la pudeur dans
un pays n’est nullement immodeste dans un autre? L'Européenne
ne fait nulle difficulté de montrer son pied, mais elle cache son
sein, du moins au grand jour, car ce qui serait illicite le matin
est licite le soir, à la lueur des bougies ; la Chinoïse qui se res-
pecte ne montre jamais ses pieds, et la vue des «lis d'or » est une
des récompenses ultimes d’un amant heureux : la Négresse va les
seins découverts, sans que le mâle éprouve de cette vue aucune
tilation morale. Enfin, qui n’a lu l'anecdote des petits tabliers
dont un bon missionnaire, aussi bien intentionné que pudibond,
avait gratifié son noir troupeau, on devine avec quelles recom-
mandations? À la visite suivante, les naïfs naturels se présentèrent
avec le tablier couvtant... le bas des reins.
Chez l'Australien en contact avec les Européens, la pudeur
conventionnelle est parfois exagérée; mais l'embarras qu'il éprouve
à se dénuder vient moins, je crois, d’un sentiment de vraie pu-
deur que du respect pour l'être supérieur qu'il voit dans le Blanc.
On a parlé du dévergondage des femmes. Je ne puis infirmer
ni confirmer cette assertion. Deux faits restent acquis : l'Austra-
lien des deux sexes est très sensuel et la femme aborigène a plus
de penchant pour l’'Européen que pour son compatriote foncé.
Il n’y a rien d'étonnant, étant donnée la situation pénible qui est
faite à la femme au campement. Bien que les Blancs qui partagent
leur couche avec des aborigènes ne soient pas la fleur des pois,
encore estimé-je qu'ils doivent être des maïîtres moins durs pour
— 501 —
la malheureuse din. L'étude psychologique de ce sujet m'en-
trainerait au delà des limites que je me suis imposées; mais, sans
vouloir rompre des lances en faveur du beau sexe (?) aborigène,
je me bornerai à poser la question : Si ces unions entre Blancs et
Noires ne durent qu’un jour, à qui la faute? Est-ce le lapin qui a
commencé ? |
Le prétendu dévergondage des Australiennes m’amène à parler :
de l’infanticide. Encore une de ces questions qui demandent à être
élucidées par une enquête sérieuse. Les avis sont excessivement
différents sur ce sujet, et il faut croire que les renseignements af-
firmatifs des uns, négatifs des autres, ont été donnés par oui-dire
plutôt que d’après une véritable connaissance, ou bien que, vrais
pour une tribu particulière, un district, ils ont été, à tort, géné-
ralisés et rendus communs à tous. « Dans quelques districts (partie
méridionale de la Nouvelle-Galles), l’infanticide est communément
pratiqué, m'écrit de ces lieux un correspondant; les victimes sont
généralement des métis, et la cause en est dans le préjugé et la
haine contre le Blanc. » Un autre correspondant m'informe, au
contraire, que l'infanticide est rare dans le Murrumbidgee, et n’a
guère lieu que dans le cas de jumeaux. Ce sont les femmes de la
tribu qui, pendant que les hommes sont à la chasse, consomment
le crime, donnant pour excuse qu'ayant à porter tout le mobilier
de la maison, la mère ne peut se charger encore de deux enfants.
Quand un seul est immolé, c'est ordinairement le dernier venu :
quelquefois, pour éviter l'embarras du choix, les deux nouveau-
nés sont sacrifiés. Quant aux pères, ils se contentent de protester
de leur innocence en cette affaire, et ne s'en occupent pas davan-
tage.
On saisira, sans que j’y insiste, toute la différence qu'il y a entre
ces deux pratiques de l'infanticide. |
Le nombre des enfants dans les diverses familles varie beau-
coup : plusieurs en ont jusqu'à neuf et dix, mais la moyenne est de
quatre. Les filles sont aux garçons dans la proportion de 3 à 2.
Les enfants en bas âge s'élèvent facilement pendant la saison
chaude : pendant les froids, il en meurt beaucoup, faute de soins.
U m'a été impossible d’avoir quelques données numériques sur le
nombre des naissances pour une population déterminée, le nombre
des décès d'enfants et la proportion de cette mortalité aux nais-
sances.
— 502 —
Les enfants sont fiancés alors qu'ils sont encore très jeunes.
Lorsque les règles apparaissent pour la première fois chez la jeune
fille, elle et son futur mari passent parune fumigation qui va presque
jusqu'à la suffocation : après quoi, on leur jette libéralement sur
le corps une grande quantité d’eau froide. Cette pratique a pour
but de retarder l'écoulement menstruel et, par suite, le moment
de la fécondation. Une aménorrhée de deux ans en est parfois le
résultat, mais quelquefois aussi cette pratique amène la mort de
la jeune fille. Quel est le but de la fumigation à l'égard du jeune
fiancé? Pense--on retarder aussi chez lui l'élaboration du principe
fécondant? Une fumigation semblable est donnée à l'enfant huit
jours après sa naissance, conjointement avec sa mère.
À la puberté, les jeunes gens sont, pendant trois semaines, re-
légués dans un endroit éloigné du campement et ne doivent pas
voir leur père pendant ce temps. C'est alors que leur mère leur
enlève une ou deux dents incisives et leur fait sur la poitrine, au-
dessus de chaque mamelon, cinq scarifications commesuit: E Æ,
tandis qu’elles les scarifient sur le dos de la manière ci-dessous :
C'est après ces épreuves que les éphèbes revêtent (au figuré) la
robe virile et que, considérés comme des hommes, ils peuvent se
marier.
La circoncision ne parait pas en usage dans les tribus qui vivent
dans la Nouvelle-Galles du Sud. Elle existe dans le Nord de l'Austra-
lie, dans le Sud-Australie et l'Australie occidentale : mais sous l’ap-
pellation de circoncision on englobe deux opérations bien différentes.
Chez les uns (rivière Greenough, Australie occidentale), c'est bien
la circoncision judaïque, c'est-à-dire l’excision du prépuce. La partie
excisée est, dit-on, mangée par la mère; mais l'opération est prati-
quée par les hommes au moyen d’un silex taillé en tranchant. Vers
la même époque aussi est pratiquée l’avuision d'une incisive, géné-
ralement celle du côté droit, de la manière suivante : deux frag-
ments d'herbe sont insérés de chaque côté de la dent et laissés en
place pendant quelques jours durant lesquels il n'est pas permis
au patient de parler. La dent devient peu à peu branlante, et on la
fait sauter au moyen du douak, espèce de petit marteau ou massue.
Parmi les tribus de la rivière de Grey, cette prétendue circonei-
— 505 —
sion consiste dans l'opération suivante. Le jeune garçon est couché
par lerre, et l’un des chefs de la tribu lui fend complètement, au
moyen d'un silex tranchant, le canal de l’urèthre par la face infé-
rieure du pénis, depuis le méat urinaire jusqu'au milieu de la lon-
gueur de cet organe. Dans l'incision on introduit une pierre mousse
que l'on fait glisser de bout en bout afin de bien écarter les lèvres
de la plaie, et lorsque celle-ci est à moitié cicatrisée, on renouvelle
l'introduction de la pierre, afin d'empêcher les adhérences ou brides
et d'écarter au contraire les corps caverneux. Ceux-ci, à la suite de
l'opération, s'élargissent et s'aplatissent, tandis que le prépuce
forme comme un clapet flottant sur la face dorsale de la verge.
Dans le district au Nord de la rivière Murchison, l'incision s’é-
tend jusqu’au scrolum. La miction debout, dans de tels cas, n’est
pas commode, à moins de tenir les jambes largement écartées,
attendu que l'urine tombe sur les cuisses : aussi les naturels s’ac-
croupissent-ils pour opérer cette excrétion 1.
Une mutilation similaire a lieu aussi parmi les tribus de Port-
Lincoln (Sud-Australie), mais je n'ai pu er obtenir une descrip-
tion. Quelle peut-elle être? Wilhemi, quien parle, dit qu'il en con-
sidère l'existence comme providentielle, afin d'empêcher le trop
grand accroissement de la population. S'il voyait combien les abo-
_rigènes disparaissent rapidement aujourd'hui, il modifierait, sans
doute, sa proposition malthusienne.
* Des personnes en relation avec les indigènes assurent que les
femmes sont aussi soumises à une opération à laquelle les hommes
n’assistent pas : mais on ignore complètement en quoi elle consiste.
Parmi les autres mutilations ethniques, je citerai encore Île 1ta-
touage , auquel sont soumis les hommes et les femmes, et qui con-
siste en scarifications sur diverses parties du corps que l'on fait
cicatriser en saillie par l'exposition à un feu vif lorsque la plaie
est encore fraiche. Le percement de la cloison du nez ne se trouve
que chez les hommes, et les tribus en relation avec les Européens
ont renoncé à cette dernière coutume.
_… Je ne parlerai ici ni des cérémonies et lois du mariage, ni des
prohibitions de caste, dont les détails sont déjà bien connus. Quant
aux modes d’inhumation, je me bornerai à dire que les vues ex-
: J'emprunte ces détails à un rapport du docteur Milne-Robertson (Upon cer-
taun peculiar habits and customs of the aboriqines of W. À.; Perth, 1879).
— 904 —
posées par le docteur Paul Topinard sont confirmées par les faits. Le
corps du décédé est séché au soleil, peut-être après avoir été dé:
pouillé d’une partie de ses chairs, puis ployé à peu près dans la
position du fœtus dans l'utérus, les bras serrés au corps, les avant-
bras fléchis le long des bras et les mains sur les côtés du cou; les
jambes fortement fléchies sur les cuisses et celles-ci sur le tronc;
enfin la tête fléchie sur la poitrine. Le squelette est alors badi-
geonné d’ocre rouge et ficelé au moyen de lanières d’écorce, dont
une anse de même matière réunit deux des circonvolutions mé-
dianes, exactement comme les courroies qui serrent une couver-
ture de voyage et servent à la transporter. La famille garde le
corps avec elle et l'emporte avec le reste du mobilier quand elle
change de campement. J'ai vu, à l'Exposition de Sydney, une
momie de ce genre provenant de Queensland.
La seule arme défensive que possède l’Australien, c'est le bou-
clier. Il est en bois plus ou moins dur et alors plus ou moins épais,
en forme d'ellipse très allongée, mesurant environ 60 centimètres
sur 25. À sa partie postérieure, l'ouvrier ménage une poignéesculptée
à même dans le bois. Ce bouclier est manié avec une dextérité re-
marquable par l'indigène, qui jongle pour ainsi dire avec lui afin
de se garer de l'atteinte des traits lancés contre lui. Il n'est pas rare
de voir ces boucliers, nus en Queensland, sculptés en Nouvelle-
Gaïles d’une facon très simple mais très élégante, que je ne saurais
mieux comparer qu'au guillochis des boîtiers de montre. Ici ce
sont des seoments de cercle entrecroisés; là, des lignes ondulées
d’un exquis parallélisme, intersectées par des bandes ondulées en
sens contraire; ailleurs, les hachures imilent les ondes d'une
moire. Ces sculptures sont faites avec des couteaux de silex.
Les armes offensives sont :
1° Le nulla-nulla, sorte de massue en bois très dur, sculpté par-
fois en pointe de diamant {quadrillé est, je crois, l'expression tech-
nique), ou garni de clous à tête sur le pourtour de sa partie la
plus renflée. Une sorte de nulla-nulla présente une forme un peu
différente : le manche en est incurvé et la tête cordiforme;
2° Les javelots et lances, qui sont de plusieurs longueurs et n'of-
frent aucune particularité à décrire;
3° Le boumerang et le muttack. Ces deux armes sont fort ingé-
nieuses et font honneur à l'esprit inventif du premier qui les
— 505 —
trouva. Le boumerang est trop connu pour que j'en parle ici. Le
muttack l'est peut-être moins, et c’est ce qui me détermine à en
donner une description. C’est une espèce de fronde destinée à im-
primer une impulsion plus grande à un léger javelot de trait d’en-
viron 3 mètres de longueur. Elle est formée d’un bâton droit et
aplati dont une extrémité se recourbe en une sorte de douille où
_s’emboîte la partie inférieure de la lance, tandis que l’autre extré-
mité, élargie en spatule, est fermement saisie par la main. La
lance est tenue parallèlement au muttack entre Îles doigts et le
pouce de la même main. L’arme peut être ainsi lancée avec force,
rapidité et précision à une distance de 50 mètres.
Parmi les ustensiles, je citerai : les haches et herminettes desilex
ou de syénite, les couteaux ou racloirs de même matière, les alènes
d’os pour coudre les peaux, les filets de tendons de kangourou, de
fibres végétales ou de poil, les outres en peau pour conserver
l'eau, les seaux pour la puiser faits d’une feuille épaisse de lata-
nier (?) plissée et serrée d'un lien à chaque bout; les dards à
pêche, longues tiges de bois dur et flexible terminées en pointe et
portant parfois une épine implantée la pointe en bas; un autre
dard à pêche à son extrémité armée d’une dizaine de piquants
(dard caudal des raies) implantés dans une base de mastic. Les
silex sont encastrés dans une mortaise creusée à l'extrémité du
manche des outils et assujettis au moyen d’un ciment formé de
poussière de charbon de bois pétrie avec la résine, ramollie au feu,
d’un végétal très commun (xantorrhea) de la famille des xéro-
tidées. |
Vous remarquerez, Monsieur le Ministre, que je n'ai parlé ni
d'arcs ni de flèches. Ces armes sont, en effet, inconnues dans toute
l'étendue de l'Australie, et, quand on songe à la proximité de la
Nouvelle-Guinée, où elles sont en usage, on reste étonné qu'elles
n'aient pas été introduites sur le continent austral par l’intercourse
plus que probable de quelques peuplades papoues.
La poterie manque aussi absolument à l’aborigène australien,
et cette absence tient plus d’un esprit en échec lorsqu'il s’agit de
rattacher cette race à une des races préhistoriques déjà connues.
L'art du potier a-Lil toujours été ignoré de l'Australien ou bien
s'est-il perdu par suite d'un concours de circonstances ? Enfin,
l'absence de ces vases fragiles ne serait-elle pas tout simplement
volontaire dans l’origine et due au caractère essentiellement no-
— 506 —
made de ces populations, qui ont voulu réduire leur mobilier au
strict nécessaire ?
En fait d'instruments de musique, je ne leur connais que la flûte
de roseau. Leurs cérémonies se font au bruit d’une peau d’opossum
tendue sur les genoux et frappée avec des baguettes, ou bien elles
sont accompagnées de chants. La voix de l’indigène est douce,
flexible : son intonation est juste : j'ai entendu deux indigènes
chanter non sans harmonie une chanson locale pour ténor et basse.
On connait leur cri de rappel caractéristique : ce cou-ou-oui-ii
crescendo aigu a quelque chose de strident qui fait frissonner
quand on l'entend pour la première fois.
L'aborigène australien paraît peu enclin aux ornements de la
toilette. Je ne connais sous ce rapport que la frange de plumes dont
les chefs ceignent leur tête, des colliers de petits coquillages, de
dents d'opossum, ou de petits cylindres de roseau.
Ce qui ressort pour moi de l'étude de cette population, c'est
que si, au point de vue de son intellectualité en fait, elle se trouve
placée à un rang très inférieur dans l'espèce humaine, son intel-
lectualité en puissance l'élève bien au-dessus de beaucoup de races
noires. Ma conviction est que ce peuple est pérfectible, civilisable
à un degré très marqué. Est-ce à dire que nous devions lui im-
poser notre civilisation? Évidemment non : les peuples ont leurs
lois d'évolution comme les individus, et la nourriture qui convient,
qui est nécessaire à un homme fait, rend malade et tue l'enfant en
bas âge. |
Quant aux caractères physiques, vous avez pu voir, Monsieur le
Ministre, que, si par certains points l’Australien que j'ai décrit se
rapproche du Nègre, par d’autres il s'en éloigne considérablement
et répudie toule affinité avec lui. Il n’a aucune parenté avec le
Malais olivätre, aux cheveux raides, à crâne brachycéphale et oc-
ciput aplati : il ne tient pas davantage du Mahori (Polynésien des
auteurs), autre rameau de la race mongole, à barbe rare, aux
mêmes caractères cräniens que le Malais, mais qui, lui aussi, ne
connait ni l'arc, ni les flèches, ni l’art de fabriquer la poterie :
enfin, il est très éloigné du Papou au teint foncé, à la chevelure
laineuse, au nez incurvé. Je ne serais pas surpris toutefois que le
type négroïde signalé en Australie fût papouan, plutôt peut-être
— 507 —
tasmanien. Il importe avant de se prononcer, d'avoir des mesures
et des indications anthropométriques précises. On a rattaché, dans
ces derniers temps, l’Australien aux tribus négroïdes des montagnes
de l’Asie centrale. Pour moi, bien souvent, devant ceux que j'ai
mesurés ou photographiés, j'ai pensé aux Aïnos du Japon.
Cette étude étant purement descriptive, je n’ai fait aucune com-
paraison de l’Australien avec d’autres peuples : je ne discuterai
pas davantage l'hypothèse ci-dessus, surtout en l'absence des ma-
tériaux nécessaires pour l’un des termes de la comparaison, mais
je me souviens que la tradition des Aïnos rappelle leur migration
des îles du Sud. |
Quelle qu’en doive être la solution, puissent les notes qui pré-
cèdent, tout incomplètes qu’elles sont, apporter quelque élément
de plus pour résoudre la question de l’origine et de la filiation des
aborigènes de l'Australie.
Je suis avec un profond respect, Monsieur le Ministre, votre
très obéissant serviteur.
Cu. Gauvin,
Médecin de 1°° classe de la marine,
* médecin-major du Rhin.
—
NOTE A.
Les lignes soulignées sont erronées : l'intervertissement de mes feuilles
d'observations m'a fait prendre le n° 3 pour le n° 2. Raison de plus pour
dire que la taille de l'aborigène est plulôt petite que moyenne.
NOTE B.
Depuis la rédaction de cette étude, j'ai acquis une notion qui metpa-
rait jeter un certain jour sur ce point de la transformation du Noir juste
en Blanc, comme récompense après la mort. Le Noir qui meurt après
une belle vie, remplie de prouesses sans doute, devient Oueunda, c'est-
à-dire une sorte d'être supérieur. Les Blancs ont été appelés Oueunda,
comme par comparaison (comme nous dirions, par exemple : C’est un
puissant esprit, en parlant d’un homme remarquable par ses facultés in-
tellectuelles) ; et de là, je m'en doute, est venue la méprise qui flatiait
trop la vanité humaine pour ne pas êlre faite.
CN
24 juin 1880.
NOTE C.
Ce fait d'un tibia plus long que le fémur est réel, quelque étrange qu'il
puisse paraître. Les anthropologistes de la Novarra en citent un exemple
et jen ai noté deux dans les mensurations du Rév. G. Taplin.
Ce
Février 1881.
CORRECTIONS ET ADDITIONS.
Page 259, ligne 7. Lisez Munier-Chalmas au lieu de Mulnier-Chalmas.
Page 371, ligne 7. Lisez La vitesse au lieu de Elle.
Page 373, ligne 16. Après le mot Rharsa il faut une virgule au lieu d’un pornt-
virgule.
Page 388, ligne 22. Lisez 550 au lieu de 500.
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TABLE DES MATIÈRES
SUIVANT L’ORDRE DANS LEQUEL ELLES SONT PLACÉES PANS CE VOLUME.
—— D <——
Pages.
Rapport sur le passage de Mercure sur le Soleil, observé à Ogden (Utah)
le 6 mai 1878, par M. Charles ANDRÉ. ..... EE RREME CE LR X EEE 1
Rapports sur une mission dans l'ile de Java et en Australie, par M. CHarnay. 21
Rapport sur une mission à Sumatra, observations sur la province de Deli,
DAME Fe BERTHAULT.. - . ........ rssesssseeseesessessesee.. 39
Rapport sur une Le en Troade, par M. Émile BurNOUF. ......... 49
Rapport sur une mission à Ftios, par M. T. Houozze.... ; EEE 65
Rapport sur une seconde mission en Espagne, par M. Ch. Graux. . . .... 73
Rapport sur une mission en Allemagne pour étudier les collections d’ana-
Homtecomparce, par M POuCHET. .- .-..,....,................ 85
Étude sur quelques manuscrits de Servius et de Virgile, de Suisse, d’Alle-
magne et de Hollande, par M. E. THomas............ DL lee RE AR OR
Rapport sur le travail de M. Cauvin, médecin de la marine, intitulé : Rap-
P
port sur les mensurations et les caractères morphologiques d'une série de
crânes australiens , par M. DE QUATREFAGES............ a der s 185
Rapport sur les mensurations et les caractères morphologiques d’une série
de crànes australiens, par M. Cauvin......... Par ide RÉ LR 0
Rapport sur le papier au Japon, sa fabrication et ses usages, par M. A.
PABONSRE ------... DS NE ere D ET © HAT INTS
Rapport sur la dernière expédition des Chotts. Études relatives au projet de
mer intérieure, par M. le commandant ROGDAIRE................. 231
Rapport sur diverses communications faites par M. D. Charnay relative-
ment à sa mission au Mexique, par MM. Mauworr et DE QUATREFAGES,
AR er RO EE A RENE RE FU 415
#12
Rapport sur les travaux de la Commission chargée d'étudier la faune sous-
marine dans les grandes profondeurs du golfe de Gascogne, par M. Alph.
Mise DowABns.. REC PAR PER EUE TT Re :
Rapport sur une mission en Angleterre, par M. Ch. FLAHAULT. . .......
Rapport sur les letires de Louis XI et sur des documents concernant ce
prince conservés dans les archives de TItalie, par M. Et. Cuaravar....
Deuxième rapport sur les aborigènes de l'Australie, par M. Ch. Cauvin...
Corrections et additions. ...........
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