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University of Ottawa
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ATHALIE
DU MK.MK AUTEUR
J. llAi;i.>K. Andromaque. I \o\. in- 12, cart « fr.
— Les Plaideurs. 1 vol. iii-l*2, cart 1 fr.
— Athalie. l. vol. in- 12, cart 1 fr.
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— Britannicus. 1 vol. in-12, cart 1 fr.
— Théâtre complet, i vol. in-12, lir 12 fr.
Recueil de morceaux choisis dos aiitenrs français, prosa-
teurs ft pot'tcs, ouvrage conçu dapn-s les nouvcau.x pro^^ranimcs
■ fficicls, à l'usage de tous les ctahlissenients d'enseigncmcnl
-1 c<jndairc.
X\ 11' SlKf:LE, précédé d'un tableau do la liltératurc au wii" siè-
cle, in-12 de xxxix-38() pages, cart 2 fr. 25
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MX"" Siftr.l.K, précédé d'nn tableau de la littérature an xix' siècle.
iu-»2 de LXXXU-448 pages, cart 2 fr. 2.i
l fni.l f.M.IK — IMI'HIMKHIR DP. I.MÎNT
J. RACINE
A T II A L I E
T1U(;EDIE TIUl'E DE l/ECRITURE SAINTE
KDITION NOUVELLE
A L'USAGE DES CLASSES
N.-M. BERNARDIN
Ancien cicvc ilf rL!( i)lc iiorinale siipéiieure, Docteur è» lettre»,
Prorcsscur ilc ilif-loriqu; au lyeée Charl-Mnagne.
S M 1» r 1 L M E i; D I T 1 O N
^^■^^^e*^
,^y}
U-
PAHIS
I.IDUA1RIE CI!. DELAGRAVE
15, RUE SOfFFLOT, 15
AVERTISSEMENT
Nous avons presque toujours suivi pour celte édition la
lexte de l'excellente édition de M. P. Mcsnard. Nous avons
seulement, pour faciliter aux élèves l'intelligence de certains
passages, conservé les indications de jeux de scènes introdui-
tes parles éditions de 1708, de 1808 et de M. Aimé Martin.
Pour la partie historique et critique, nous devons beaucoup
aux remarquables Notices de l'édition de M. P. Mesnard, à la
thèse érudite et élégante de M. Deltour sur Les ennemis de
Racine, au Port-Royal de Sainte-Beuve, à l'édition de Racine
de Saint-Marc Girardin, continuée par M. Moland, à la Notice
êur Racine de l'édition de M. Geruzez, à quelques articles pu-
bliés jadis par M. Tuinc dans le Journal des Débats.
Nous avons essayé de donner dans nos notes presque tous
les passages des auteurs anciens ou modernes que Racine a
ou semble avoir imités. Enfin, nous n'avons pas craint de faire
dans ces notes une place aux Mémoires des acteurs célèbres,
et aux souvenirs qui nous ont été transmis sur leur jeu.
C'est là, nous semble-t-il, le commentaire le plus vivant de
l'œuvre de Racine ; un geste ou un cri de Talma ou de Rachel
suffit pour préciser nettement une situation, ou pour donner
à un vers tout son sens. Par malheur, les docunients sont
rares. Puissent ces souvenirs dramatiques contribuer à donner
aux élèves un peu de goût pour l'art de la lecture, que le
charmant volume de M. Legouvé parviendra, nous l'espérons,
à mettre en honneur dans nos lycées; mais il a encore bebu*
coup à faire.
a
NOTICE
UIOGRAPHIOUE ET MTTÉRURF.
SUR Jlan IIAGINE
La vie de J. Racine est étroitement liée à l'iiistoire de Port-Royal,
ei nous trouvons le Jansénisme au berceau comme au lit do mon
du poète. En 1638, quelques semaines après l'emprisonnement de
Sainî-Gyran à Vincennes, Lancelot, bientôt suivi de MM. Le Maître et
doSéricourl, était venu se réfugier à laFerté-Milon, chez le père d'un
de ses élèves, le sieur Nicolas Vitart, dont la femme, Claude dos Mou-
lins, devait ôlre grand'tante maternelle de Racine; les solitaires res-
tèrent un an dans la ville, et, quatre mois après leur départ, le îl dé-
cembre 1C39, le petit Jean Racine vint au monde dans cette maison
tout acquise au Jansénisme. C'est sous les mains des solitaires qu'ont
grandi et se sont formés le cœur et l'esprit de l'adolescent ; si le
jeune homme s'est éloigné d'eux un moment, s'il a raillé ceux que
dans le fond de sor! âme il ne cessait pas d'aimer, « semblable à ces
enfants drus et forts d'un bon lait qu'ils ont sucé, qui battent leur
nourrice », c'est à eux que, désenchanté et triste, l'homme est venu
demander de guérir son cœur brisé et saignant ; et le mourant ^
voulu que son corps fût porté à Port-Royal des Champs, et reposât
aux pieds de M. liamon'. Ainsi Port-Royal enveloppe la vie tout en-
tière de Racine ; et c; n'est pas seulement sur l'homme, mais aussi
sur l'homme de liaires que s'est exercée son influence. C'est ce que
vont montrer les faits dont nous allons commencer le récit, et ce
que nous tâcherons d'établir en étudiant le talent de Racine.
Notre poète était de famille noble. Son bisaïeul, Jean Rarine, rece-
veur pour lii Roi et la Reine du domaine et du duché do Valois, et
dos greniers h sel de la Ferlé-Milon et de Crespy-on-Valoi«, avait été
i. Tcsl^imont do Ftacinc : « Au nom du Père cl du Filf cl .lu S;iint-E?iTii i»
d*sirc qu'après ma mort mon corps soit porto à Porl-Royal des Champs, »t ^\k il
) «oit inliumé dans le cimetière aux pieds di< lu fosse de M. Ilamon, > etc.
n NOTICE SUR JEAN HACINE.
anobli pour ses fonctions, et c'est pour lui que furent faites les ah«
moiries célèbres représentant un rat montant sur un chevron, et
un cygne, ou cyne, suivant la prononciation du temps. Ce vilain }'al
désespérait Racine, et, quand ses armoiries furent enregistrées en
1G97, le rat avait disparu. Jean Racine, le père du poète, était,
d'après le Mémoire que nous a laissé Louis Racine sur la vie de l'au-
teu'- d'Aiidromague et de Phèdre, contrôleur du grenier à sel à la
perté-Milon. Le 13 septembre 1G38, il épousa Jeanne Sconin, fille de
Pierre Sconin, président au grenier à sel de !a même ville. Le len-
demain de sa naissance, c'est-à-dire le 22 décembre 1039, le jeune
Racine fut tenu sur les fonts par son aïeule paternelle, Marie des
Moulins, femme do Jean Racine, et par son grand-père maternel,
Pierre Sconin. Au mois de janvier 1G41, Jeanne Sconin mourut en
mettant au jour une fille. Deux ans plus tard, son mari mourait à son
tour, à l'âge de vingt-huit ans, trois mois après avoir épousé en se-
condes noces Madeleine Vol, flile d'un notaire de la Ferté-Milon. Il
ne laissait que des dettes. La jeune veuve semble Être devenue une
élrangèie pour les enfants de son mari. L'orpheline fut recueillie par
l'aïeul maternel, Pierre Sconin, et son frère par leur grand'mère,
Marie des Moulins, sœur de mademoiselle Vitart '.
Marie des Moulins, devenue vente en 1649, alla rejoindre à Port-
Royal sa fille Agnès, qui y était religieuse, et, voulant mettre son
petit-fils au collège, elle l'envoya dans la ville de Beauvais, dont
l'évêque, Choart de Buzanval, était un ami des solitaires. Le jeune
Racine sortit un peu avant seize ans du collège do Beauvais, et, mal-
gré son jeune âge, par une faveur toute particulière, il fut admis à
l'École des Granges, qui était sous la direction de deux des Messieurs
de Port-Royal, Lancelot et Nicole.
L'enfance de Racine avait été entretenue dans une dévotion ardente
et attendri») : Marie des Moulins, sa grand'mère, avait retrouvé deux
de ses sœurs parmi les religieuses de Port-Royal ; sa fille, tante du
poète, est bien coimue sous le nom de Mère Agnès de Sainto-Tliècle;
trois des frères do Jeanne Sconin, la mère du poêle, étaient religieux
de Sainte-Geneviève: ainsi, do tous côtés, dans sa famille, le Jeune
/laclne était appelé à Dieu. Messieurs de Port-Royal nourrirent soi-
gneusement cette grande piété, qui s'établit si profondément dans
le cœur du poète que do longues années d'une vie dissipée et mon»
daine no purent l'y détruire.
Le jeune homme reçut à Port-Royal une instruction solide. Nicole,
I. L'oe fcnimc ilv U bourgcoinic, mime muriéc, éltil appclAe Madtmëi-
NOTICE SUR JEAN RACINE. T
h qui l'on doit une grande partie des Méthodes dites de Port-Royal,
le dirigea dans ses humanités; Lancclot, qui composa, avec Lemaistre
de Saci, le fameux Jardin des racines grecques, lui inspira un vif
amuur pour la langue d'Euripide. Son élève lisait courammnnt le
grec; c'est vers cette époque qu'il traduisait Diogène LaCrce, Piii-
lon et Eusèbe, et qu'il apprenait par coeur le roman d'Héliodore, le»
Amouisde Théagène et Chariclée. pour n'en ôtre plus séparé, si son
professeur le lui brûlait encore uno fois. Le Maître *, qui l'aimait par-
ticulièrement, et se nommait familièrement son a papa », trouvait,
comme l'Aper du Dialogue des Oralctirs, qu'il n'y avait pas de gloire
plus grande que celle de l'orateur, et destinait son élève au barreau;
il avait lui-même obtenu d'assez grands succès dans cette carrière,
où M. Hamon aurait vu aussi avec plaisir entrer le jeune Racine.
En somme, ce que Racine apprit surtout à Port-Royal, c'est l'art de
développer, et aussi l'art de bien parler. Nous retrouverons dans
ses œuvres ces deux arts, et leur part est grande dans le tah nt du
poète.
Eu mars 1C5C, les écoliers et leurs précepteurs furent dispersés,
et Racine resta aux champs avec sa famille. C'est à cette date qu'il
faut placer, selon toute vraisemblance, son élégie latine Ad Chrislum
sur les persécutions d'Israël. Quant aux Hymnes du Bréviaire ro-
main, elles ont été incontestablement retouchées plus tard par le
poète. Le jeune homme ne cultivait pas seulement la Muse latine
et l'hymne sacrée; l'amour de Port-Royal, et ce goût extrême pour
• les jardins, les fleurs, les ombrages », que La Fontaine reconnaît
à Acante (Racine) dans sa Psyché, lui inspirèrent sept Odes sur le
paysage ou promenade de Port Royal des Champs. Ce ne sont guère
que des œuvres d'écolier, où se pressent tous les procédés do la
rhétorique; la description y est souvent plus miiniticuso que poéli
que, et l'on y rencontre trop de vers comme ceux-ci:
La nature CRt inimitable ;
Et, quand elle est en libcrtA,
Elle brille d'une clarté
Aussi douce que véritable.
C'est tout au plus si deux ou trois strophes font pressentir un ta-
lent futur, et méritent d'être sauvées de l'oubli, comme le début an
celle-ci :
Là, l'Iiirondclle voltigeante,
Raaant les Ilots cl;iirs et polis,
Y vient, avec cent petits cri».
Baiser son image naissante.
I. Frère de Lcmaiglro de S«ci. Lo nom s'écrit «vee le» dcut orlhogrtphM,
I indiftirremracnt
VI NOTICH SUH JEAN RAClNti:.
Ces amusements d'écolier ne semblent pas avoir effrayé les soli-
taires, qui ne lii sent encore rii n. Racine sortit de Port-Hoyal en octo-
Lre I(ô8, .^ dix-neuf ans, pour faire son cours de logique au collège
d'Ilarcourt, qui entre tenait de bons rapports avec les Janstînistes
(c'était là que, en IGiG, avaient été secrètement imprimées plusieurs
des Provinciales, par les soins du principal, Thomas Fortin). Prit-il
beaucoup de ^.^û l à la lopiquc ? Nous ne le saurions dire. Ce que
nous savons, c'est que, |)0ur la naissance du fîls de Mademoiselle Vi-
tart, sa tante, il écrivit^ dans le goût [iréteniieux de l'époque, un son-
net dont une pointe et la chute le ravissaient :
Et toi, Clic du jour, qui nais devant ton pers.
Belle Aurore, rougis
et s'adressant à l'enfant :
Sois digne de Daphnis, et digne d'Amaranthe,
Pour itrc sans égul, il les faut égaler.
Peu de temps après, il faisait pour le cardinal de Mazarin un sonnet
sur la paix des Pyrénées. Cette fois, Port-Hoyal s'inquiéta pour tout
de bon : l'oiseau voulait sortir de son nid.
Mais le jeune homme, qui venait de quitter le collège et était entré
ch< z son oncle Viiart '.intendant des ducs de Chevreuseetde Luynes,
se prédccupa fort peu de ces remontrances, et composa pour le ma-
riage du Roi son ode intitulée la Nymphe de la Sdîie. Il a raconté à
son ami l'abbé Le Vasseur, dans une lettre du 13 septembre IGCO,
comment son oncle Vitart soumit cette pièce à Chapelain et à Per-
rault: « M (.ha|)elain a donc revu Todc avec la plus grande bonté du
monde, tout malade qu'il était. Il l'a retenue trois jours durant, et en
a fait des remarques par écrit, que j'ai furl bien suivies.... Au sor
tir de chez M. Chapelain, il alla voir M. Perrault, contre notre des-
sein, comme vous savez. Il ne s'en put empêcher, et je n'en suis pas
marri à présent. M. Pi irault lui dit au^si Je fort bonnes chose?, ([ue
M. Vitart mit |)ar écrit, et (|ue j'ai encore toutes suivies, à une ou
deux |iiès Je ne vnus dirui rien de l(;ur ai^probation, ^inon que
M. Perrault a dit que l'udu valait dix fois la comédie', i^t voilà ces
parole» de M. Clmpelain, que je vous rapporterai comme le texte do
l'Évangile, sans rien y chaiigi'r. Mais aussi c'est M. Chapelain,
comme disait fi chaque mot M. Vitart. « L'ode est fort belle, fort poé-
• li',ue, et il y a beaucoup do stances qui no lo peuvent mii'iix. Si
1. McoUi Vitart, Bit de Claude des Moulins, était «ou*in germain dv |icre d«
B><*inr, et oncle k lu mode de Ilretiisne du poète.
t. Il s'agit iitii diiula do la tragédir d'.l niait*.
NOTICE SUR JEA>; ftACINE. Vil
« l'on reptsse ce peu d'endroits marqués, on en fnra une fort b>:lle
« pièce Ce qu'il y a de plus considérable à changer, c'a été une
« stance entière, qui est celle des Tritons. Il s'est trouvé qu.e les Tri-
« tons "n'avaient jamais logé dans les fleuves, mais seulement dans la
« mer. » Celle ode est la première oeuvre do Racine qui fut livrée
RU public, it elle commença sa réputation ; il est piquant qu'elle
ait été patronnée par Cliapelain et par Perrault.
En môme temps (1(60), le jeune poète composait pour les comédiens
du Marais une tragédie d'Amasie, dont le sujet ne nous est pas connu,
et qui ne fut pas représentée. En juin ICGI, il écrit h l'abbé Le Vas-
seur qu'il est en train de faire, sur les conseils d'une comédienne,
une pièce des Amours d'Ovide: «J'ai fait, refait et mis enfin dans sa
dernière perfection tout mon dessein. J'y ai fait entrer tout ce que
m'avait marqué Madimoiselle de Beaucbâtcau, que j'appelle la se-
conde Julie d'Ovide. » Cette pièce ne fut sans doute pas terminée.
C'est à cette époque que Racine se lia étroitement avec La Fontaine,
et qu'on 'e rencontre souvent au cabaret en sa compagnie, et dans
celle d'un ancien capitaine de dragons, Poignai.t, avec lequel La
Fontaine devait avoir dans la suite un duel bien bizarre. Port-Royal
gémit, et la mère Agnès lance à son neveu « excommunications sur
excommunications ». Ces larmes étaient sincères et brûlantes ; com-
ment n'émurent-elles pas le cœur, si facilement attendri, de Racine?
C'est que toute la vie du poMe ne fut qu'une longue lutte entre
l'ironie mordante de son esprit et la pieuse douceur de son cœur;
pendant toute sa vie son cœur, qui était bon, gémit des audaces de
son esprit, qui n'avait pas d'indulgence; un bon mot est souvent
une mauvaise action; il y a mallu ureusement trop de bons mois
dans la vie lionnôte de Racine. Ces deux fac< s de son caractère se
montrent bien dans ses traits, dans ce nés effilé et moqueur, et dans
ces beaux yeux prompts Ji se mouiller de larmes. L'abeille fait un
miel d'une doucenr ex<iui8e ; mais elle a un dard, qui pique; il y
avait dans le doux et tendre poète un satirique plus impitoyable
que Boileau. Dans les circonstances qui nous occupent, la voix du
cœur ne put parvenir ^ S'^ faire entendre à Racine, et aux cris de
douleur do Port-Royal il répondit par des railleries, qui allèî'çnt
impitoyablement frapper jusqu'à sa pauvre grand'iante.
Ce fut alors que son oncle Sconin, vicaire général à L'zès, voyant
que le jeune Racine faisait des dettes, et no faisait pas son salut,
l'appela auprès de lui pour l'initier à la théologie, et tâcher de lui
procure^ un bénéfice. Après une obscure complication d'intrigues
ecclésiastiques. Racine revint li Paris, en IGC'2, sans tonsure et sain
bénéflce, du moins pour le moment. Car le privilège d'AndroDun^ue
VIII NOTICE SUR JEAN RACINE.
nous apprend qu'il était en 1667 prieur de l'Épinay; ce serait même
à la perte de re prieuré, et au procès qui la précéda, que nous de-
vrions les Plaideurs.
D'Uzès, comme de Paris, Racine écrivait à l'abbé Le Vasseur, h
La Fontaine, à Vitart, des lettres pleines d'esprit et de verve, dont
quelques-unes sont semées devers ; c'est tantôt la traduction d'une
petite pièce de ranthologio latine ', tantôt une description du mois
de janvier dans le Languedoc * :
Et nous avons des nuits plua belles que vos jours
Untôt des excuses à sa tante Vitart, avec cette pointe i
Si les Grâces jamais se mettaient en colère,
Le pourraicnt-cUcs faire
De meilleure grâce que vous 8 ?
tantôt tout un poème badin sur les Muses ^. C'est à Uzès qu'il com-
pose son poème des Bains de Vénus, aujourd'hui perdu, qu'il entre-
prend de tirer une tragédie de son cher roman d'Héiiodorc, et qu'il
commence sa Thébaïde. On voit que ses inclinations poétiques n'é-
taient pas contrariées par son oncle Sconin comme par Port-Royal,
et que saint Tiiomas n'occupait pas tout le temps du jeune poète.
La campagne prenait chaque jour plus d'attrait pour lui: il la voyait.
Le 13 juin 1C62, il écrivait à son oncle Vitart une charmante lettre, à
laquelle nous empruntons le passage suivant: « La moisson est déjà
rt avancée, et elle se fait fort plaisamment ici au prÏK de la cou-
tume de France ; car on lie les gerbes h mesure qu'on les coupe; on
ne laisse point sécher le blé sur la terre, car il n'est déjà que trop
Bcc, et dès le même jour on le porte à l'aire, où on le bat aussitôt.
Ainsi le blé est aussitôt coupé, lié et battu. Vous verriez un tas de
moissonneurs rôtis du soleil, qui travaillent comme des démons, et
quand ils sont hors d'haleine, ils se jettent à terre au soleil même,
dorment un vîisercre et se relèvent aussitôt. Pour moi, je ne vois
cela que de nos fenêtres, car je no pourrais pas être un moment
dt'hors sans mourir; l'air est à peu près aussi chaud qu'un four
allumé, et cette chaleur continue autant la nuit que le jour ; enfin,
il faudrait se résoudre à fondre comme du beurre, n'était un petit
vent frais, qui a la charité de souffler de temps en temps; et pour
m'achovcr, je suis tout le jour étourdi d'une infinité de cigales quj
ne font que chanter de tous côtés, mais d'un chant le plus perçant
I. I.nirc k l'abbA Le Vni^cur, du 2 Juin IQ6t.
ï. I.ltrc n M. Vlliirl, fin 17 jnnviiT 1002.
). L( Iti'c :i mnilcmniitcllc Viliirl, du 31 jiinvicr 1061.
4. Lettre à L* Fontaine, du 4 juillet lOOi.
NOTICE SUR JEAN RACINE. IX
et le plus importun du inonde. Si j'avais autant d'autorité sur elles
qu'en avait le bon saint François, je ne leur dirais pas, comme il
afaits : • Chantpz, ma sœur la cigale » ; mais je les prierais bien
fort de s'en aller faire un tourjusqu'à Paris ou à La Fertc, si vous y
êtes encore, pour vous faire part d'une si belle harmonie. »
De retour à Paris, en 1G63, Racine écrivit une Ode sur /aco/wales-
eence du Roi, qui lui valut l'année suivante une gratification de six
cents livres; et il célébra la munificence de Louis XIV dans une
seconde ode intitulée la Renommée aux Muses. En novembre, il
écrit à l'abbé [.c Vasseur: « La Renommée a été assez heureuse.
M. le comte de S;iint-Aignan l'a trouvée fort belle. Il a demandé mc-
autres ouvrages, et m'a demandé moi-niôme. » En môme temps, h-
poète s'occupait toujours de sa Thébaïde, qu'il devait dédier à ce
même comte àc Saint-Aignan. Il écrit, dans la lettre que nous ve-
nons de citer: « Pour ce qui regarde les Frères, ils ne sont pas si
iavancés qu'à l'ordinaire. Le quatrième était fait dès samedi; mas
malheureusement je ne goûtais point, ni les autres non plus, toutes
lesépées tirées : ainsi il a fallu les faire rengainer, et pour cela ôler
plus de deux cents vers, ce qui est malaisé. •■•> Quelques jours après,
il envoie sous le sceau du secret à l'abbé une stance d'Antigone;
en décembre, il lui dit : « Je n'ai fait que retoucher continuellement
au cinquième acte, et il n'est tout achevé que d'hier. » Il accepte et
sollicite les conseils. C'est à cette époque que commence sa liaison
avec Boileau : elle naquit des conseils que donna à^Racine le poète qui
a dit:
Aimez qu'on vous conseille et non pas qu'on vous loue.
Lo 20 juin 1664, la tragédie intitulée la Thébaïde ou les F)cre$
ennemis parut sur le théâtre que dirigeait .Molière. Le rô\c.. de Jo-
caste était tenu par laUéjart, la soubrette de la troupe. Une anec-
dote peu vraisemblable veut que Molière ait donné à Racine !e plan
de sa tragédie; nous avons vu au contraire que le poète l'avait com-
mencée à Uzès. Racine s'était inspiré des Pliéniciennes d'r.uripide,
mais aussi de la ïhéb'iUte de Sénèque, et de V Antigone ûii Rotrou ;
on dit même qu'aux premières représentations les acteurs avaient
conservé un récit de la pii code Rotrou. La Thébaïde o.st une tragédie
médiocre ; les caractères sont faiblement tracés, et l'amour fait pi-
teuse figure dans ce terrible drame ; mais le poète, dit Louis Racine,
« a si bien peint la haine dans cette pièce qu'elle dut annoncer un
grand peintre des passions ». Lo plus grand mérite de l'œuvre,
c'est déjà cette élégance noble et brillante du langage, sous laquelle
•8 voile ce que la vigueur pourrait avoir de brutal. Le 21 décembre
a.
X NOTICE SUR JEAN RACINE.
1864, pour fôter l'aniiivprsaire de la naissance de Racine, le Tlu^Atre-
Français a donné les deux derniers ac'.es de la Thébaïde, pi le pu-
blic les a fort bien accueillis.
Tandis que l'on jouait la Thcbaï'/e, une intimitti charmante se
formait entre Rjcine, La l'oniain'', Boileau et Molière. Le début de
la Psi/ché de La Fonlaine nous peint cette liaison entre Aviste (lio'i-
leau), Gélaste (Molière), Acaiit'; (Rucine), et Polypkile (La Fontaine).
« Quatre amis dont la connaissance avait commencé par lo Par-
nasse, lièrent une espèce do société quo j'appellerais académie, si
leur nombre eût été plus grand, et qu'ils eussent autant regardé leî
Muses que le plaisir. La première chose qu'ils firent, ce fut de bannir
d'entre eux les convorsaiions réglées et tout ce qui sent sa confé-
rence académique. Quand ils se trouvaient ensemble, et qu'ils
avaient bien parlé de leurs divcrtissemcnls, si le hasard les faisîiit
tomber sur (iuel(|ue point de science ou de belles-lettres, ils profi-
laient de l'occasion : c'était toutefois sans s'arrêter trop longtemps
à une même matière, voliigi-anl de propos en autre, comme des
abeilles (|ui rencontreraient en leur chemin diverses sortes de fleurs.
L'envie, la malignité ni la cabale n'avaient de voix parmi eux. Ils
adoraient les ouvrag.^s des anciens, ne refusaient pointa ceux des
n.odernes les louanges qui leur sont dues, parlaient des leurs avec
modustie, et se donnaient des avis sincères lorsque quelqu'un
d'entre eux tombait dans la maladie du siècle et faisait un livre, ce
qui arrivait rarement. » Les quatre amis so réunissaient plusieurs
fois dans la semaine chi^z Despréaux, rue du Colombier, ou dans
des cabarets, comme le Moiilon l'ianc, la Pomme de ;;m,la Croix dt
Lorraine. C'est dans des séances de ce genre que fut trouvé lo plan
dos l'iaidcurs ; c'est d'un de ces cabarets que sortirent les parodies
de Cha/clain dCcoiffiJ el delà Métamorp/iose de ta perruque de Cha-
pelain en comète '. Racine, bien que Chapc'ain eût proté^jé ses dé-
buts, eut assez peu d'empire sur lui-même pour commettre queU
qui;s bons mots dans ci'.tte plaisanterie riniéo.
MallnHireusiimcnt celle iulimilé diîiici'use cntro les quatre poètes
ne devait pas durer longtrmp.^, et Racine et Molière allaient su
brouiller à propos do la tragédie û' Alexandre. Le \ décembre 1C65,
la troupe du Molière donnait l'œuvre nouvelle, et, le 18 décembre,
I. Nouii ne luMxiK M rc!! paroilut furent ri>pr^scntio8. On lit daiiii lo Mi'moiic
de FI ■'•lili.T lurlet Grands jtiiiri Iriiiis à Clrrmoiil. (Kil. Gonoil.p. 1 10 cl Mi-US] ;
Lci cijinjdicns « inlrcpiircnt <lc jouri- uni' m'clianle puru'lic quo quclipirs en-
*icu« ont roinponi'r, cl dimt iU oui fiiil une » ilirc rontri" M. C.li.ipilaiii. » M. do
raunarlin en réréra ii l'AKomblro, qui •> lit (léfcuAC nui comédii'nM do jouer à
t'atcnir celle lr«(Çoilie. i> S'iif(it-il du Chapelain di'criiffc, éciil quilijufi moi*
a«ant Ici Graod» Jouri de rlerniont?
NOTICE SUR Jli;AN RACINE. XI
Racine, qui sans doute avait été mécontent de rfntcrprùtation, fai-
sait jouer également sa pièce par la troupe rivale de l'Ilôlel do Bour-
gogne. La sensibilité si facilement irritable de Racine venait de le
séparer d'un ami comme Molière. Il rendit bientôt la rupture plus
éclatante en enlevant au théâtre de Molière, pour la faire entrera
IHôte) de Uoiirgogne, sa plus séduisante actrice, mademoiselle Du-
larc, L'AleX'indrc, dans lequel Racine semblait abandonner le
genre sévère de la tragédie grecque pour la tragédie langoureuse et
romanesiiuc, fut très goûté à une époque où le langage de la galanterie
était à la modo ; il dut son succès à ses défauts autant qu'à ses qua-
lités, et Saint-Évremond écrivit: «Depuis que j'ai Iule Giafid
Alexaîîdre, la vieillesse de Corneille me donne bien moins d'alar-
mes. » Il est vrai que cet éloge était suivi de critiques aussi dures
que nombreuses.
Le grand Corneille, rendant à Racine le conseil (ju'il avait niçu de
Hardy, engagea le jeune poète h ne pas perdre son beau talent à
l'aire du tlu'âire. Ce jour-là, Corneille jugea mal, L'A'exaiicire, outre
de grandes qualités de style, renferme de grandes beautés de détail ;
le rôle de l'oius est d'un bout à l'autre noble et fier, le héros tout
entier est dans sa réponse à Alexandre, au cinquième acte ; le vain-
queur demande :
Comment piétcndcz-vous que je vous traite ? — En Roi
répond le vaincu. « Le grand défaut qui y règne (dans la tragédie), a
dit Louis Racine, est un amour qui en parait faire tout le nœud, tandis
qu'un des plus glorieux exploits d'Alex^mdrc n'en paraît que l'épi-
sode. » La vérité, c'est ([ue le héros de la pièce est Porus, qu'elle
devait sintituhr Poj'mv, et que; Racine n'en a ch;ingé le litre que
doiir la dédier au Roi. \'Alexani/re est très supérieur à la Thébaide.
Ce|)Cndant la Mèr(î Agnès, voyant avec douleur que décidément
Bon neveu fréquentait f dos gens dont le nom est abominable à toutes
les personnes qui ont tant soit peu de piété, et avec raison, puisi|u'on
leur interdit l'entrée de l'églihO et la communion des fidèles, mémo
à la mort, à moitts (ju'ils ne se reconnuisscnt », signiliait à Racine
qu'elle ne le reverrait plus, s'il ne te reconnaissait. C'est alors (|ue
se place dans la vie de Racine un épisode que l'on voudrait pouvoir
en elTacer. Desmarets de Saint-Sorlin, qui avait été un des cinq au-
teurs du cardiuiil de Rirhelion, et avait fuit applaudir au tléàlre
une comédie iiuituléo les Visionnaires, venait de devenir à ptu |)rè9
fou, et, s'imaginant que Dieu lui-même lui avait dicté son poéino do
Chvitf il voulut s'ériger en prophète, et attaqua le Janeénirtme dan*
XII NOTlCb; SUH JEAN HACINE.
son extravagant Avis du Saint-Esprit au Roi. Nicole lui répondit par
uno série de lettres finement nommées les Visionnaires. Dans l'une
d'elle? se trouvaient ces mots : « Un faiseur de romans et un poète
de théâtre est un empoisonneur public, non des corps, mais des
âmes des fidèles, qui se doit regarder comme coupable d'une infinité
d'homicides spirituels. » Racine prit cette phrase pour lui °t, avec
une incroyable verve de raillerie, avec une sûreté impitoyable de
malignité, il écrivit contre ses anciens maîtres, dont son esprit mo-
queur avait saisi tous les petits défauts, une Lettre, b. la façon de
celles que Pascal avait dirigées contre les Jésuites. Jamais l'ironie
n'a été maniée d'une façon plus fine et plus cruelle. La Lettre, dit
une note de Jean-Baptiste Racine, fut publiée d'abord sans nom
d'auteur; mais l'abbé Testu se l'étant appropriée, Racine se nomma
hautement. Ce fut un jour de deuil pour Port-Royal. Les solitaires
ne répondirent point eux-mômes. Ils laissèrent ce soin à Barbier
d'Aucour et à Du Bois, qui s'en acquittèrent assez mal; Nicole cepen-
dant ne put s'empêcher, dans un Avertissement qui précédait ces
réponses, de parler de Racine, et de dire que « tout était faux dans
iA Lettre et contre le bon sens, depuis le commencement jusqu'à la
fin ». Racine riposta aussitôt par une seconde Lettre, qu'il allait édi-
ter, quand, dit Jean-Baptiste Racine, il fut arrêté par Boileau, qui
« l'écouta de grand sang-froid, loua extrêmement le tour cl l'esprit
de ^ouvrag^, et finit en lui disant : « Cela est fort joliment écrit,
« mais vous ne song<'z pas que vous écrivez contre les plus honnêtes
« gens du monde. » Racine ému ne publia passa Lettre, qui fut re-
trouvée plus tard, avec la piquante préface qui la précèdt", dans les
papiers du docteur F.llies du Pin, cousin du poète. Il parait môme
que Racine détruisit tous les exemplaires qu'il put retrouver do sa
première Lettre, et son fils dit que, longtemps après, il répondit en
pleine Académie, aux reproches do l'abbé Tallemant : « Oui, Mon-
sicr, vous avez raison ; c'est l'endroit le plus honteux de mu vie, et
je donnerais tout mon sang pour l'effacer. » Ces deux L' tires sont
dignes, par leur forme vive, piquante et délicate, d'être placées à
côté des immortelles Lrttresdf. Pascal ; maisn'oublions pas que Pascal
attaquait un corps tout-puissant, et Racine ses maîtres persécutés.
Cette polémifjiie n'avait point cepondantabsorbé Rarine;la preuve
n'en trouve dans l'éclatant succès que n-mporla Andromaf/ue t'i) Ifi(i7.
(l'était l'avèncmr'nt de la tiagédie fondée sur l'amour, et ehe fit h sa
naissance h p<'U près autant do bruit que lo Cid. Le IhéAtro de Mo-
lière en joua une critique, qui établit la vogue do l'œuvre nouvi'lle.
I)an« la maison où se passe l'action, «cuisinier, cocher, palefrt'uier, la-
^uaii, et jusqu'il la porteuse d'eau, il n'y a personne q\ii n"en veuill*
NOTICE SLR JEAN RACINE. XIII
discourir. Je pense môme que le chat et le chien s'en mêleront, si
cela ne finit bientôt ' ». Dans une autre scène, on dit à la vicomtesse :
» Ht.' Madame, vous avez une femme de chambre qui s'amuse, il
y a une heure, à faire l'Hermione contre votre cocher, dont ellii est
coiffée. » A quoi la vicomtesse répond : « Tout parle d.'Andromnque'^. •
A partir de ce moment, l'histoire du poète est intimement liée à
celle de ses œuvres, et, comme entre Alexandre et Phèdre il existe
une lacune considérable dans 'a correspondance, ce que nous avons
à dire de sa vie trouvera place dans les Notices qui précéderont
chacune des pièces qui composent cette série de chefs-d'œuvre :
!,es Plaideurs (1G6«), Britatviicus (16C9), Bérénice (1670), Bajazet
;IC72), Mithridate (1673), Iphigéme\\<:>1h), Phèdre (1677).
Vers le temps où parut Mithridate, Racine fut appelé à rAcadcmie
française, où il remplaça La Motte Le Vayer. Sa réception eut lieu
le 12 juillet 1073, le môme Jour que celles de l'abbé Gallois et de
Fléchier, dont la harangue fut beaucoup plus goûtée que celle de
Racine. Notre poète se rattrapa dans le discours qu'il composa en 1678
pour la réception de l'abbé Colbert, et dans l'admirable éloge du
grand Corneille, qu'il prononça le 2 janvier 1685, jour où l'Académia
reçut dans son sein Thomas Corneille et le sieur Bergerct, « secré-
taire ordinaire de la chambre; et du cabinet du Roi, premier commis
du sieur Colbert de Croissy, ministre et secrétaire d'État ». Racine
n'a pas conservé son propre discours de réception.
Le chagrin que causa au poète la scandaleuse cabale formée par
l'hôtel de Bouillon contre sa Phèdre au profit de celle de Pradon, et,
solon toute vraisemblance, les tendres avis ôm Mère Agnès portèrent
Racine à renoncer au théâtre et à renouor avec Port-Royal. Phèdre.
qui avait reçu les approbations du P. Bouhours, semblait merveilleu-
sement propre à préparer cette réconciliation ; jamais inspiration ne
fut plus chrétienne, plus janséniste, que celle de cette tragédie :
P/ièdre est une femme vertueuse, à qui la grâce a manqué. Arnaud
approuva la pièce ; Boileau lui amena Racine, qui tomba à ses pieds ;
Arnaud se jeta lui-môme à genoux, et, dans cette position, ils s'em-
brassèrent. Cette scène qui, dans Tartuffe^ soulève les rirrs de la
salle, émeut ici profondément : c'est la réconciliation de Racine avec
Port-Royal et avec Dieu. Dès lors, il ne s'inquiète plus de sa tragé-
die d'iphiffènie en Tauride, dont le plan du premier acte Lions e«t
parvenu; il laisse inachevée une Alceste, qu'il brûlf'ra môme peu da
temps avant sa mort ; il ne songe plus qu'à se faire chartreux, et à
1. Subligny. FnVe Querelle. I.
I. Id., iW.,I, 7.
XIV NOill-li SLH JliAN RACINt:.
sortir du iiiuiulc, comme tant do membres de sa famille. Port-Royal
récolte plus «ni'ii ne croyait avoir semé, et le confesseur du poêle
ne le décide i^uW grand'peino à un maiiagc, môme à un mariage
« bourgeois et cliréiien »,
llacine épousa, le 1" juin IG77, Caliierine de Romane', âgce de
\;ngi-cinq ans, fille de Jean-André de Uomanet, qui avait été, eu
iuôi et et) lUôà, maire de Montdidier, où sa famille était établie. La
foi tune de sa femme était modeste, et son esprit peu cultivé. Son
fils même, Louis Hacine, qui la vénérait, nous en rend témoignage,
rile a porta l'indilTéronce pour la poésie jusqu'îi ignorer toute sa vie
ce que c'était qu'un vers. Elle ne connut, ni par les représcnta-
lions, ni par la lecture, les tragédies auxquelles elle devait s'inté-
lesser; elle en apprit seulement les titres par la conversation. »
Sept enfants naquirent de cette union : Jean-Baptiste Racine, qui
renonça h la protection de M. de Torcy et à sa charge de gentil-
homme ordinaire, pour s'enfermer dans son cabinet avec ses livres :
il n'écrivit rien, et mourut h soixante-neuf ans ; Marie-Catherine,
qui, après plusieurs cssuis de vie monastique, se maria, du vivant
de son père, îi M. de Moranibert, et mourut le 6 décembre 1761 ;
Anne Racine, qui mourut assez jeune, dans son couvent de Melun ;
tlisabeth hacine, qui prit le voile en 1700 au couvent des da-
mes de Viriville, et mourut vers I74C ; Jeanne Racine, qui, après la
mort de sa mère (15 novembre 1732), entra à l'abbaye di' Malnoue,
et. y mourut le '22 septcuibrc 1739 ; Madeleine Racine, qui ne se
mari» |>oint, s'occupa toute sa vie d'œuvrcs do piété, et mourut à
cinquante troi^ ans, le 7 janvier 1741 ; enfin Louis Racine, poèlo ai-
mable et délicat, sur le(|uel se répandit un rayon de la gloire pâ-
te: nelle ; sa vie fut pure et chrétienne, imprégnée de Jansénisme.
Ce dernier eut nn flis, r|ui donnait les plus hautes (ispérances, et
qui périt h vingt oi un ans dans le tremblement de terre de Lis-
bonne. Louis Racine mourut le 20 juin 17G3.
Ce ne fut pas seulement la cabale dirigée contre Phèdre, la dé-
votion du poète et son mariage qui le détournèrent du tlu'&iro : à
ces causes il faut en joindre une autre. Racine vieilli aimait Dieu
a comme il avait aimé ses mailrc&ses », et il aimait le Roi comme il
aimait Dieu. Très a|)précié du prince, qui lui avait donné un bol
appartcmenl au cliàleau et ses nnlréis, ot qui ho faisait faire par lui
la lecture, le poète courtisan avait voué la. plus vivo et la plus ros-
pectucuso affliction au nu)narqui!, pour les victoires duquel il com-
posait des inscriptions. Quand il fut nommé, avec Despréanx, bisto-
rio;,'raphe du Roi, il accc|>ta avec dévotion ses nouvelles fonctions ;
il voulut é'-rire une histoire complèto du règne de Louis XIV, et il
NOTICli SUR JKAN RACINE. aT
on avait rédip;é il'assoz longs moici'aiix. Tout périt dans riiiC'iidie
de la maison de M. d(î Valincour, îi Saint-Ciotid. Uiio cortaiiie quan-
tité d(î notes sans grande valeur ([u'il avait prises sur l'iiistoi'e ont
été publiées sous le nom de Fragtnenls historiquef. Racine fut dé-
rangé dans ses nouveaux travaux par Mesdames de Monles[)an et de
Tliiangi's, pour lesquelles il commença un opéra de Phaélan, que
le,s réclauiations deQuinauIt lui permirent de ne pas aclicvcr ; puis
parleur sœur, l'abbesse de Fontevraull, qui eut l'idée, assez étrange,
de lui demander une traduction du Banquet de Platon; nous ne
parlerons pas du jeune duc du Maine, pour lequel il dut mettre une
petite pièce de vers en tùie des Œuvres diverses d'un auteur de
sept ans. C'est le moment des grands triomphes de Racine à Ver-
sailles, où tout le monde est charmé de son heureuse et noble phy-
sionomie que le Roi avait vantée comme étant une des plus belles de
sa cour, de son esprit délicat ' et de sa parole élégante. Il faisait
moins bonne contenance en campagne, quand leur charge d'histo-
riographes obligeait ces Messieurs du Snb/ime d'accompagner le Roi
au voilage de Gand ; on les raillait tous deux, mais ils savaient ga-
gner r»"stime de Vauban et de Luxembourg*.
Ces occupations ne détournaient pas Racine des soins de sa fa-
mille. Il est dans sa maison le plus simple, lopins affectueux et le
plus pieux des pères ; c'est sous ce jour que nous le montre sa
correspondance. Il entre dans les détails les plus intimes, s'occupe
avec soUiciludo de choisir les nourrices de ses enfants, secourt
ses parents pauvres, et la bonne femme qui l'a nourri <•, sur-
veille les ajustements de ses fils, les invite à l'économie *, et élève
sans cesse vers Dii'u la pensée des siens. Il écrit à son fils Jean-
Uaptiste, le 5 octobre U>1)2 : « Je les exhorte (vos sœurs) à bien
servir Dieu, et vous surtout, afin que, pendant cette année de rhé-
tor que (juc vous commencez, il vous soutienne et vous fasse la grâce
de vous avancer de plus en plus dans sa connaissance et dans son
amour. Croyez-moi, c'est là ce qu'il y a do plus solide au monde ;
tout le reslc! est bien frivole. » Il a un violent chagrin de voir son fils
prendre goût an théâtre ; il s'en ouvre à (loileau », gouruianlo le
t. < Dans la conversation, dit Louis Racine, il n'était jamais distrait, jamais
poclc cii aiilour ; il songeait moins à faire paraître son esprit que l'esprit lirs
personnes ((u'il entretenait 11 vécut dans la société îles femme!* avec une poli-
tesse toujours respectueuse. »
2. Lettre irAntoiiio Arnaud a .1. Racine, du ï juin liitij : u On ciiereliail ilet
recommandations pour lui (un écli('>in de Lii'g:e) auprès do M. le maréclinl do
Luxcmhoui'g. Mais j'ai assure qu'il n'y en avait point de meilleure que It
vôtre. >■
3. Lettre à mademoiselle Rivière du 10 janvier 1607.
4. Lettres à J.-U. liacine du 26 janvier et du U auil 1698.
5. Lettre du 28 septembre 1094.
XVI NOTICE SUR JEAN RACINE.
jeune homme ', et lui écrit enfin, le 9 juin 1695 : «Je vous sais un
très bon gré des égards que vous avez pour moi au sujet des opéras
et des comédies ; mais vous voulez bien que je vous dise que majoie
serait complète, si le bon Dieu entrait un peu dans vos considéra-
tions. Je sais bien que vous ne seriez pas déshonoré devant les
hommes en y allant: mais ne comptez-vous pour rien de vous désho-
norer devaut Dieu? » La mort de la Champmeslé ne lui donne pas
plus d'émotion que s'il ne l'avait jamais connue *. Le cœur du poète
a décidément pris le dessus sur son esprit ; il ne regarde plus qu'a-
vec tristesse son ancienne gloire; il pense déjà ce qu'il écrira dans
son testament, au sujet des scajidales de sa vie passée.
Ce n'était pas cependant sans de sourdes luttes que Racine avait
rompu avec son passé, et l'auteur des Petites Lettres reparaît en
1694 et 1695 dans de cruelles épigrammes dirigées contre le Germa-
nicus de Pradon, contre \ASésoslris de Longepierre, contre IdJudil/i
de Boyer 3. Nous ne pouvons pas les regretter, car elles étaient mé-
ritées, et jamais on n'en a fait de plus fines, ni de plus piquantes.
Pendant ces années, Racine visitait souvent les .Messieurs de Port-
Royal, particulièrement Arnaud et Nicole, et ne cacha jamais ces re
lations; c'est dans leur amitié qu'il puisait l'austérité de ses senti-
ments; les solitaires avaient reconquis toute leur inllaence sur leur
élève, et usèrent plusieurs fois desonciédit pour le faire intervenir
en faveur de Port-Royal auprès des archevêques de Paris. Itacine
composa même pendant ses dernières années un A/)ré(fé de l'Iiisloirc
de Port-Royal.
Madame de Maintenon ne le tira pas de ces soins pieu.x, en le
priant de donner quelque chose au théâtre de Saint-Cyr. Racine, qui
s'était remis à la poésie en 1C85, pour louer le Roi dans une Idylle à
la paix, qui fut chantée dans les fêles données à Sceaux par le mar-
quis de Seignelay, épancha toute la piété mystique de son cœur dans
L'A/Aer, un chef-d'œuvre, et dans /l//(«//f, lalragéiiieiaplusadmirahle
qui ait jamais été au théâlr<\ On connaît l'éclatant tri(uuplie d'/i*/// /■
1. Lcttro du 30 octobre IfilU.
2. I.nllrp il J.-l). Uariiif <lii 21 juillet l(i08.
.'). Kri fiK^iie tini|is (piM liiiici; ces 6|iiKi'Hiniiies, Racine iléfeiiti ii xin lils Jeau-
ltn|iti!ito lion ccnie : .. Uiiiiiit à votre ('iiigr.Tnime, jo voudrais que vous nu l'eus-
•ici point fuite, (luire (|u'el|e eut as-e/ nioiliocre, je no .nauruit trop recom-
mander (le ne point xm- laii-ier aller à la li'iilation do (aire des vois fraM(;ais
i|ui ne derviraieiit i\u'n (Oui di»«ipcr l'esprit. Surtout il n'eu faut (aire i-oiitre
personne, > ({.eltre du .'I Juin llil'.'t.) Créliilloii n'enroiirapeait pas non plus soti
fils /( l.'t poi'tiii- : a Cn''l)i!l<in le liU, à l'ARe de* trei/e nus, lit une salire eoiiti e
Lamotlii; et M"» adli>M'<-nlH ; il la montra s sou p^ie, ipii lui dit i|ti'elle était In^..-
honni- : mais comme il vit que ce jcuiir lioinme lir it vauit<> d'un pan-il luceineul,
il aJoiHu : JuK<'z, mon lils, coniliien C'- K<-ure est a'Si^ et niépii-aliii-, puisqu'un,
y réussit i votre ttgt. » (Kavart, Mémotrf^, \», ifl.'J.)
NOTICE SUR JEAN RACINE. XVII
et le malheur qui poursuivit Athalie. (Voir les No/jc«jque nous avons
consacrées à ces tragédies. ) Pien qu'elle eût été encore plus déchirée
que Phèdre, Athalie r.fe Ait pas cependant la dernière œuvre du
poète.
Dans des lettres du 28 septembre et du 3 octobre lG9i, Racine
parleà Boileau de Cantiques spirituels qu'il vient de composer. Ces
Cantiques au nombre de quatre, qui faisaient pleurer madame de Main-
tenon, quand mademoiselle d'Aumale les chantait, ont mérité d'être
appelés par Geoffroy le chant du cygne. C'est la strophe lyrique dans
toute son harmonie et dans tout son éclat; et si nous voulons recueillir
toute l'âme du poète, c'est dans ces Cantiques qu'il la faut chercher,
danscelui Sur le bonheur des justes et sur le malheur des réprouvé^,
que Racine avait l'intention de ne faire suivre d'aucun autre, dans
cette strophe, qui est au nombre des plus belles de notre langue :
Ainsi d'une voix plaintive
Exprimera ses remords
La pénitence tardive
Des Inconsolables morts.
Ce qui faisait leurs délices.
Seigneur, fera leurs supplices ;
Et par une égale loi
Tes saints trouveront des charmei
Dans le souvenir des larmes
Qu'ils versent ici pour toi.
L'époque approche où un coup cruel va être porté au cœur sen-
sible du poèto ; nous voulons parler de cette fameuse disgrâce, dont
la légende veut qu'il soit mort. Nous avons vu que le Roi avait beau-
coup do bontés pour Racine ; Madame de Maintenon l'honorait d'une
affection toute particulière. Le 4 août 1G87, il écrivait à Boileau :
« J'eus l'honneur de voir Madame de Maintenon, avec qui je fus une
bonne partie d'une après-dlnée, et elle me témoigna même que ce
tomps-là ne lui avait point duré. Elle est toujours la même que vous
l'avez vue, pleine d'esprit, déraison, de piété, et de beaucoup de
bonté pour nous. » Et voilà qu'en 1698 Racine écrit à Madame de
Maintenon une longue lettre, qui établit qu'il est en défavonri
Quels sont les motifs de cette disgrâce 'i Les commentateurs ont
beaucoup écrit sur cette question, discutant d'après los renseigne-
ments que nous a transmis le M>'moire de Louis Racine. Racine,
d'après sa h^ttre, attribuait lui-même son infortune à*un mémoire
au sujet de la taxe, et à ses relations avec les Jansénistes; louis
Racine parle d'un mémoire sur les souffrances du peuple. La ques-
tion semble avoir été victorieusement résolue par M. Casimir
Gaillardin, dont M. Deltour a adopté les conclusions dans la troi-
•ièn»o édition de fia remarquable thèse sur les Ennemie de Hacins;
XYIII NOÏICK SUR JEAN RACINE.
foici comment, dans cet ouvrage d'une érudition aussi élégante que
sûre, M. Dullour résume la dOnioiistration de M. Gaillardin. Le sa-
vant liisioricn « prouve pércmiUoirement que Racine n'a pas rédigé
de mémoire sur les soulTrances du peuple, et qu'il n'est pas vrai que
le Roi, mécontent de voir un poète s'ériger en liomme d'Étal, l'ait
pour toujours écarté de sa présence. Ce prétendu mémoire était une
réclamation personnelle. Après la paix de Ryswick, Racine, à titre
de tréiïOi ier de France à Moulins, fut compris dans une mesure qui
deniiindaiià tous les officiers do finance un sacrifice taxé à 10.000 livres
selon les uns, à 4.000 selon les autres. Rarim-, « dont cette taxe
» dérangeait les petites affaires », comme il l'éirivit à Madame de
Mainienon, rédigea un mémoire qu'il confia au maréciial de Nouilles,
et que celui-ci fit remettre au Roi par l'archevôque do Paris, son
frère. Comme la réponse tardait, il pria la comtesse de Grammont
d'obtenir de Madame de Maintenon son intervention auprès du Roi.
Cette insistance indisposa celui-ci, et il exprima sans doute son mé-
contentement par quelqui's paroles vives, bien différentes de celles
que Louis Racine, trompé par un récit meiuunger, rapporte dans ses
Mémoires. » On aimerait à voir RaciiK! disgracié pour avoir plaidé la
cause du peuiile ou de Port-Royal ; la vérité liislorii|un a beaucoup
moins de grandeur que la légende. Du moins nous a;^pn!nd-elle que
Racine n'est pas mort delà froideur du Roi ; car celte disgrâce, dont
on avait exagéré la cause et la longueur, ne dura que fort peu de
temps; ce Tut pent-ôlre mftme la sensibilité de Racine qui vit une
défaveur d;ins ce qui n'était qu'un mouvement de mauvaise humeur.
{!ar, jusqu'à la fin de sa vie, le poète a été de tous les Fontainebleau
et de tous les Marly ', et quelques jours après sa mort, le 9 mai 1G99,
Coileau écrivait à Brossetto : « Sa Majesté m'a parlé do M. Racine
d'une manière h donner envie aux couriisansdemourir, s'ils croyaient
qii'Elle parlât d'eux de la sorte après leur mort. »
lin sej)tembre 1098, Racine ressentit les premiers symptômes d'une
maladie lu'paiique, qui l'emporta, après de cruelles souffrances, le
21 avril 1099, eiilro trois et quatre heures du matin, dans samaison
de la rue des Marais. Il avait alors cinquanteiuiuf ans. Il vit venir la
mort avec beaucoup de fermeté, et, dit Louis Racine, lorsque Roibîau
u lui fit son dernier adieu, il se leva sur son lit, autant que pouvait
lui pernieilre le peu de forces qu'il avait, cl lui dit en l'embrassant:
0 Je regarde comme un bonheur pour moi do mourir avant voua. •
Il avait demandé à Être Inhumé à Port- Royal, malgré les scai.duht
de ta vifi paa.'.ée; l'archevêque de Paris donna sans difficulté l'uuto»
s'
I. Il ne T« |iis a (/ini|ii<.'f{nc, nltmiJu i|ii'il n'y aurait guère « le Icnipi di: fair*
•t rour, ptrcc que le Rui icrait tniijnuri a clicvul, et que lui n'y serait Jornaii.»
NOTICE SUR JEAN RACINE. XIX
risation, etdeux épitaphes latines furrnt gravées sur sa tombe, l'une do
M. Tronchai, l'autre do M. Dodart, qui l'avait traduite du français de
Poiloau. Mais quand la pers^-cution détruisit Port- Royal, elle n'é-
pargna pas môme les tombraux, et, le 2 décembre 1711, les restes du
grand poète durent 6tre transportés dans les cavraux de Saint-Éticnne
du' Mont, fn môme temps que ceux de MM. de Saci et Antoine Le
Jlattre. La pierre tombale, retrcjvée en 1808, fut placée solennelle-
ment dans la chapelle de la Vierge, le 21 avril 18l8,en présence d'une
dépulation de l'Académie française, dernier honneur accordé aux
cendres du grand homme, à qui l'impiété de la persécution religieuse
n'a point permis de reposer en j.aix dans la tombe ([u'il s'éiait choisie.
Corneille se débattit toute sa vie centre les lègles étroites que le
dix-septième siècle, au nom d'Aristote, avait imposées à la tragédie.
Racine ne s'en plaignit jamais; il se trouvait à son aise dans les trois
unités; leur cadre lui semblait commode, et il sut en tirer de nou-
velles beautés'. Il posséda admirablement l'art de dévehpper, que
.'ni avait enseigné l'ort-Royal ; il excella dans la composition de ses
œuvres, et, h l'inverse de Shakespeare, qui jetait les scènes un peu
h l'aventure. Racine attachait une tulle importance au plan que, ce
plan terminé, V disait : « Ma tragédie est faite; il ne me reste plus
que les vers à écrire. »
De même qu'il pliait les événements à sa guise, pour les faire en-
trer dans le cadre qu'il leur imposait, le poète devait aussi choisir
r-t grouper les caractères de façon qu'ils ne dérangeassent pas l'é-
loiiomie harmonieuse de son plan. Voilà pourquoi un seul person-
nage sera presque toujours le foyer du drame; les autres ac-
leurs seront plus ou moins en lumière, selon qu'ils seront plus ou
moins rapprochés de ce foyer central. Cet effacement des person-
nages secondaires do la tragédie est raisonné et voulu, et nous ne
sommes pas de l'avis d'un de nos anciens maîtres de confén nces,
M. Paul Albert, qui, dans son étude originale et piquante sur Ra-
fine, a vu là l'inflnence de Louis XIV et une question d'étiquette.
C.liacuri des principaux personnages de Racine, chacun de ses prota-
gnnistes, reprise nto une passion ou une vertu, et les autres person-
nages ne servent qu'à montrer sous toutes ses faces et dans toutes
ses conséqniMircs cette passion ou cntte vertu. C'est le triomphe de
l'art de la composition. Cet art se retrouve d'ailleurs, poussé jusqu'à
l'extrôme, dans la marche des scènes el du dialogue. Au dix-septième
siècle, l'^.loquencc a envahi le théâtr'^ ; dans ce siècle amoureux de
i. Voir pour toute cette dirniérc partie les quatre •rticloi publiéi cd 1I5S pu
M. Ttinc dans le Journal des Débats.
XX NOTICE SUR JEAN RACINE.
l'art de bien dire, Racine a composé ses drames exclusivcmeni d«
discours, et dans ces discourstout est parfait, raisonnementet 'ireuves,
exordaa et péroraisons, transitions et réticences. Dans la composi-
tion de l'ensemble comme dans celle des parties, on trouve tout le
talent d'un avocat, et l'on se souvi«nt que Messieurs de Port I:oyal
avaient voulu faire un avocat du jeune Racine. C'est par fidiMiic à
leurs '■.onseils qu'il ne laisse rien au hasard de rimprovis-atlon, îi
l'inspiration du moment. Point de ces défauts de composition, de
CCS 6o«se«, que nous a montrés l'art romantique; Racine en aurait ri,
ou peui-ôtre pleuré. Chez lui tout est harmonieux, comme le style ;
l'art y est d'autant plus accompli qu'il se cache ; il passe par-dessus
le vulgaire, et fait les délices des lettrés.
Il est à remarquer que, dans la tragédie de Racine, c'est presque
toujours une femme qui tient le premier rôle, et l'explication en est
facile à donner. Le dix-septième siècle était encore tout imprégné de
VAstrée, qui avait élevé l'amour à la hauteur d'une religion; tout
aimait au dix-septième siècle ; comme le printemps est la saiscn des
(leurs, le dix-septième siècle fut le siècle des madrigaux. Ra(i::e,(|ui
était né courtisan et voulait flatter les goûts de la cour et du public,
devait faire de l'amour le ressort de ses drames *. Or, la femme n'est-
elle pas, plus encore que l'homme, la proie de la passion ? l'amour
remplit sa vie sans occupations; elle en souffre, elle en vit et elle
en meurt. La femme sera donc le principal personnage du drame,
et ce sera elle qui aimera : à Versailles, toutes les dames aiment la
Roi, qui, avec un orientalisme superbe, daigno choisir.
Les héros de Racine, bien qu'ils soient de tous les temps pt.- la
vérité avec laquelle sont analysées leurs passions, portent peut-être
encore plus (|ue ceux de Corneille et de Molière l'empreinte du dix-
septième siècle. Achille et Iphigénio ra|)pellent autant le priiice do
Condé et mademoiselle du Vigean que l'Achillo d'Homère et 1 Iplii-
génie d'Euripide; Hippolyte fait songer au comte do (iuiche mi au
marquis du Lauzun plutôt iju'au héros vierge consacré à Diane. Il
s'est opéré dans les mœurs dcH personnages tragiques le même rliaii>
gement que dans leurs costumes. Il était impossible à notre Phèdre,
dans sa robe bouffante, de se rouler sur .son lit comme la l'Iièdro
d'Euripide ; Achille avec son chapeau à plumes no pouvait pas res-
ter un soldai grossier. Il fallait qu'ils prissent l'éléganc» de tenue
et de langage, sans laquelle ils n'auraient su plaire h une cour ou
l'on soumettait tout à l'étiquette, jusqu'aux arbres. Les courtisans
assistaient aux scènes les |>lus intimes do la vie do Louis XIV, dont
I. Toir Tiul Albert, La littérature française au dit-iepttém* tièelê.
NOTICE SUR JEAN RACINE. XXI
la journée était une perpétuelle parade ; il devait à ces regards tou-
jours attachés sur lui une dignité extraordinaire, dont il ne se dé-
partit jamais. Cette dignité, tous les héros de Racine la conservent,
même dans les circonstances les plus tragiques; et, b. la représenta-
tion, la mélopée monotone des acteurs du dix-septième siècle devait
augmenter encore cette majesté un peu guindée, àla(|uelle les con-
fidents eux-mêmes n'échappent pas, malgré le tutoiement protec-
teur dont les princes les avilissent. Le temps est dijà loin où, en
composant son Polyeucle, Corneille essayait de personnifier dans la
confidente Stratonice la violence souvent injuste et stupide de la
populace. Tous les confidents de Racine ' n'ont ni caractère, ni sexe,
ni 4ge : ils n'ont que des costumes. Le prince a dos confidents pour
parler, comme des fauteuils pour s'asseoir, et tout rameublemeni
est d'un seul modèle. Les confidents ne sont là que pour éviter un
trop grand nombre de monologues; ils sont de l'avis du monarque,
ou s'ils le combattent un moment, avec tout le respect possible, c'est
pour le distraire en lui laissant le plaisir de croire qu'il sait persua-
der. C'est le type des chambellans vêtus de velours ou de soie qui
apportent respectueusement les dépêches à Louis XIV, des duchesses
aux rcbes brochées d'or qui présentent respectueusement la chemise à
t«iarie-Tliérèse, obséquieux et dignes, méritant le mot cruel de Na-
poléon : « Il n'y a que ces gens-là qui sachent servir. >• Tout le
monde connaît les bienséances et les mœurs oratoires l'y.ns le théâ-
tre de Racine, môme ceux qui ne connaissent pas d'autres mœurs,
comme Agrippine, Néron, Roxane, Pharnace. A un certain point
de vue, M. Tiùne a donc raison de dire qu'il faudrait, pour qu'on
pût bien comprendre le théâtre de Racine, représenter ses tragédies
avec les costumes du dix-septième siècle. Sous des noms grecs, si's
personnages vivent et parlent en contemporains de Louis XIV. Mais,
répétons-le, les passions qui les agitent, et qui sont peintes avec
une si merveilleuse fidélité, sont communes à tons les hommoq, et
voilà pourquoi, malgré les conventions nombreuses qu'il ofi'ro, mal-
gré les décors et les costumes du dix-septième siècle, ce thi'âtr" est
vrai, et n'a pas de date.
Il nous reste à parler du style de Racine. Voltaire trouvait ce
style « beau I sublime I harmonieux 1 » Dans son Port-Royal, Siinte-
Beuve dit, d'une façon un peu recherchée : « Racine représente la
perfection du style poétique, môme pour ceux qui n'aiment pas
essentiellement la poésie *. » Il explique mieux autre part sa pen-
t. Oa p.nit excepter Hydaspo dans Eslher, cl iurtout Nabdl duoi Athalit.
S. fort-Hayat, YI, 117.
XXU NOTICE SUR JEAN RACINE.
sée, eu disant que le style de Racine « rase volontiers la prose > »
Nous avouons ne pas nous expliquer cette opinion ; peut-être l'au-
teur de Port-Royal rcproche-t-il à Racine de no pas avoir ce luxe
d'images éblouissantes qui a donné tant de prestige à la poésie ro^
niantique. Cette richesse, Racine l'avait, mais il ne jugeait pas à pro-
pos de l'étaler dans la poésie dramatique, où l'acteur doit parler,
non le poète, et il la réservait pour les chœurs d'Eithet- et d'Athalie,
et pour les Caritiques spirituels. Élevé par Port-Royal, auquel les
Jésuites reprochaient sa n politesse de langage... comme une affec-
tation contraire à l'austérité des vérités chrétiennes » *, Racine avait
appris de ses maîtres l'art du développement et l'élégance de la
[)arole. Il choisit entre les idées qui se présentent à son esprit, et
forme un plan de ses discours, comme il composait le plan de ses tra-
gédies. Lorsque la chaîne logique des idées est forgée, alors il cher
che des images, et en trouve, plus qu'on ne voudrait parfois 3, dans
son ima<;ination brillante et dans son exquise sensibilité; mais il en
habille ses pensées sous la direction d'un goût parfait, et d'un es-
prit malicieux, qui a promptement vu le côté ridicule des choses; i'
veut qu'aucun vers ne prétende briller aux dépens de ceux qu
l'entourent, et que tout se fonde dans un ensemble harmonieusement
discret. Rien n'est donc abandonné à ces hasards, parfois heureux,
de l'improvisation. Racine mit deux ans à rimer Vhèdre, et une let-
tre, qu'il écrit le 3 octobre 1094, à propos du deuxième de ses Can
tiques s/iirilicelSf nousmentro avec quel soin scrupuleux il composaii
ses vers. De là vient la perfection absolue de sa poésie, perfectioi
qui naît do l'entière conformité do l'expression avec la pensée, et d>
la recherche constante de l'harmoiiie, sous toutes ses faces. Jamais,
dans l'enchaînement des idées, des périodes ou des propositions,
rien qui clioque ou qui arrête. Non que le poète ait « cette justesse
grammaticale qui va jusqu'à l'afl'ectation * » qu'il reproche aux écri-
vains de la Compagnie do Jésus; il n'est ni puriste, ni pédant; i!
en prend fort à son aise avec la grammaire ; mais, s'il s'en écarte, c'est
pour demander à sa profonde connaissance du cœur humain de?
tours si naturels qu'ils semblent dictés par la passion elleaiûnic, p'
que les Vadius seuls élèvent la voix pour la syntaxe; à la grammair'
doVaugelas il substitue la grammaire de lapa* ion. Nourri d". ""tt
quité grecque et latine, vivant dans le romnnr.'.e d'une cour rlégi-itr
et raffinée, versé dans les lettres eacréis, Racine a su prendre une
t. Ibid., Ht.
t. lUcinc, Abii'gi' dp Vhistnirr de Port Tinyn.
i. Nbut faikona allusinn a la tci'nc ni 'lo ' iiric I de Phèér\
4. Rtcint, Àbrdgé de l'histoirt cU J'ortHeiial
NOTICE SUR JEAN RACINE. XXIII
éionnanle variété de tons. Qu'il nous initie, dans Britaunicu'<, aux
lecreU de la Rome impériale; qu'il nous ouvre, dans Bajazet, les
détours du sérail ; qu'il nous reporte aux temps mythologiques dans
Phèdre ;^ (\\.\'\\ nous mette, dans Athalie, en face du sanctuaire, il
sait, par le choix de ses images, merveilleusement approprier son
discours ujx moeurs qu'il veut peindre, et mettre sa langue en har-
monie avec ses personnages. Nul n'a connu comme Racine tous les
secrets de l'alexandrin, et les Plaideurs en sont une preuve surpre-
nante; dans ses tragédies elles-mêmes lu grand vers a perdu sa mo-
notonie, tellement le poète a l'art de le couper et de le briser de la
façon la plus natiirclleet la plus conforme au sentiment qu'il exprime.
Il y a des enjambements dans la poésie de Racine, et les classi-
ques ne s'en aperçoivent pas, ou du moins peuvent laisser croire
qu'ils ne s'en aperçoivent pas. Ce qui est plus étonnant encore, ce
sont les alliances hardies, les inots presque brutaux, 'que le poète
ose et sait introduire, sanî choquer, dans ses vers ; nul n'a su comme
lui encadrer ses images ou ses termes de telle sorte que ceux qui
pourraient sembler téméraires se dissimulent enveloppés dans la
trame élégante du discours et dans l'harmonie soutenue de la période.
L'art est si merveilleux qu'on ne le voit pas. Celte poésie est une
peinture et une miisitiue, et l'on :i pu comparer Racine à Raphaël et
ï Mozart. Mais cette perfection absolue échappe aux étrangers, qui
r.e connaissent pas toutes les délicatesses de notre langue; en
Fiance même, où le sens liitér:iire est en train de se corrompre, il
ebt k craindre que nous ne jugions bientôt Racine en étrangers.
t:>r«ui, jiiillai lid^.
NOTICE SUR ATHALIE.
Le succès retentissant à'Estfter avait mis Racine en goût, et c'est
de lui-même cette fois quil entreprit de donner une nouvelle tragé-
die à la maison de Saint-Cyr. Mais l'imagination du poète tragique
6'était excitée h ce « divertissement d'enfants» ; le triomphe de ses
jeunes interprètes lui persuada qu'elles étaient capables de rendre
une oeuvre tout autre que la suave élégie d'Esther; il osa entrepren-
dre pour elles un véritable poème dramatique, d'une majesté terrible
et surhumaine, et se mit résolument à composer son Athalie.
Ce n'était point la première fois d'ailleurs que ce sujet était, nous
ne dirons pas mis sur le thCàtre, mais arrangé en pièce pour une
maison d'éducatioi\| Loret, dans su Muse historique, rendait compte,
le 24 août 1G58, d'une tragédie latine, intitulée Athalia, qu'il était
allé voir a pour quinze sols », au collège de Clermonti. Cependant,
bien que cette tragédie n'ait pas été imprimée, et qu'on ne puisse,
par conséquent, s'y reporter, nous nous croyons en droit d'affirmer
que Racine, malgré le charme qu'avait éprouve Loret à écouter Joas,
Josaba, la jeune Mariane (?), et à voir les
Quatre ballets.
Moitié graves, moitié follets,
dont était ornée la pièce, n'était point allé chercher là l'idée de son
Athalie.
C'est dans le chapitre xi du livre IV des Rois que notre poète,
lecteur assidu et attendri des saintes Écritures, a puisé l'inspiration
de sa tragédie : « Athalie, mère d'Ocliosias, voyant son fils mort, s'é-
leva contre les princes de la race royale, et les fit tous tuer. — Mais
Josaba, fille duiloi Joram, sœur d'Ocliosias, prit Joas, fils d'Ochosias,
avec sa nourrice, qu'elle fit sortir de sa chambre, et le déroba du
milieu des enfants du Roi lorsqu'on les tuait, et lui sauva la vie, le
tenant caché sans qu'Atlialie le pùl savoir. — Il fut six ans avec sa
nourrice en secret dans la maison du Seigneur; et Athalie cependant
régnait sur la terre (de Juda). — La septième année, Joiada envoya
quérir les centcniers et les soldats. Il les fit entrer dans le temple
du Seigneur, fit un traité avec eux, et leur fit prêter lo serment
dans la maison du Seigneur, en leur montrant le fils du Roi ; — lit
il leur donna cet ordre : Voici ce que vous devez faire : — Vous vous
diviserez en trois bandes. La première qui entrera en semaine fera
t. On sib'n-tle auJsi une tragéilio de Staucari Doniiuicu*, iotiluiée Joat, Judx»
rex.
2 ATDALIE.
garde à la maison du Roi, la seconde sera à la porte de Sur, et la
troisième à la porte qui est derrière la maison do ceux qui poilnt
les boucliers, et vous ferez garde h la maison de Mcssa. — Que li-;
deux bandes de notre corps qui sortiront de semaine fassent gard ■
à la maison du Seigneur auprès du Roi. — Vous vous tiendrez n -
près de sa personne, ayant les armes h la main. Si quelqu'un en
dans le temple, qu'il soit tué (aussiiôl), et vous vous tiendrez a\
le Roi, lorsqu'il entrera ou qu'il sortira.
« Les centeniers exécutèrent tout ce que le pontife Joîada leur av
ordonné ; et tous prenant leurs gens qui entraient en semaine, avec
ceux qui en sortaient, ils vinrent trouver le pontife Joiada. — F.t il
leur donna les lances et les armes du Roi David qui étaient dans I.
temple. — Ils se tinrent donc tous ranges auprès du Roi, ayant It s
armes à la main, depuis le côté droit du temple jusqu'au côté gauclu
de l'autel et du temple. — Il leur présenta ensuite le fils du Tuii, 1 1
mit sur sa tète le diadème, et (entre ses mains) le livre de la Li i
Ils l'établirent Roi, ils le sacrèrent, et, frappant dos mains, ils cru
rent : Vive le Roi I — Atlialic entendit le bruit du pcuph qui ac-
courait, et, entrant parmi la foule dans le temple du Seigneur, —
Elle vit le Roi assis sur son trône selon la coutume, et les cliantres
et les trompettes auprès de lui, et tout le peuple dans la réjouis-
sance et S'innant de la trompette. Alors elle déchira ses vêtements,
et elle s'écria : Trahison 1 trahison I — Alors Joiada fit ce comman-
dement aux centeniers qui commandaient les troupes, et leur dit :
Emmenez-la hors du temple, et si quoiqu'un la suit, qu'il soit tut
par l'épée. Car le pontife avait dit : Qu'on ne la tue pas dans le tem-
ple du Seigneur. - (Les officiers) se saisirent donc de sa personne,
et ils la nifnèrent par force dans le chemin par où passaient les cIp
vaux auprès du palais; et elle fut tuée en ce lieu-lh. — Joiada
mémo temps fit une alliance entre le Seigneur, le Roi et le peui
afin qu'il fût (désonnais) le peuple du Seigneur, et entre le peuple
et le Roi. — Et tout le peuple étant entré dans le temjile do Baal.
ils renversèrent ses autels, brisèrent ses images en cent pièces, et
tuèrent IMathan, prôlrc de Raal, devant l'autel Le pontife mit des
gardes dans la maison du Seigneur. — Il prit (avec lui) les cente-
niers cl les légions (de Cércth et de Pliéleili) avec tout le peuple;
et ils conduisirent le Roi hors do la maison du Seigneur, et passè-
rent par l'entrée où logeaient ceux qui portaient les boucliers, qui
menait au palais (royal). El le Roi fut assis sur le trône des Rois
(de Juda). — Tout le peuple fit une grande réjouissance; et la ville
demeura on paix, Athaliu ayant été tuée par l'épéo dans la maison
du Roi <. M
C'est du chapitre dos /?ot v que nous venons do citer, et des chapi-
tres XXIII et XXIV du livre II daa Pai'alijjomènes * que Racine a tiré le
I. Triid, Le Maislre de Sary,
S. 1.0 rtch dci Paralipnméiies u'uITrc que de légères difTéreocci avec celui
d > Huit.
NOTICE SUR ATRALIE. S
sujet de son dramo. L'intrigue, le plan, la façon dont cliaquo scène
est ciinduitc, tout lui appartient donc en propre, excepté une scène
du second acte, dans laquelle il semble avoir imité VIon d'Euripide.
Cette pièce cliarmante, que M. Patin considérait avec raison comme
le chef-d'œuvre des tragédies romanesques d'Euripide ', renferme
une situation avec laquelle celle de Joas en face d'Allialie présente
quelque -analogie. Creuse a eu d'Apollon un fils, et ce fils, elle a dû
l'exposer ; depuis, elle a épousé le roi Xullius, et voici que tous deu^
viennent demander au dieu de Delplics de ne plus laisser leur hymen
stérile. Ils trouvent au temple un adolescent, aimable et beau, élevé
par les prêtres qui l'ont recueilli, et chargé de veiller à l'entretien
du sanctuaire : c'est le fils de Creuse. Créiwe, en l'absence du roi,
interroge ce jeune homme inconnu, et, si elle est mue par un autre
sentiment qu'Athalie en présence de Joas, les questions que posent
les deux reines sont identiques, comme les réponses qui leur sont
faites : môme curiosité intéressée d'une part, môme candeur de l'autre
Bientôt parait Xutlius, auquel un oracle ambigu a persuadé que le
jeune Ion était son fils ; il veut l'emmener h Aliiènes, et, bien qu'Ion
n'uit pas, pour s'y refuser, les raisons qu'aura Joas pour repousser les
offres d'Allialie, Ion et Joas expriment d'une façon à peu près sem-
blable leur attachement pour le temple qu'on leur veut faire quitter
Ici s'arrêtent les ressemblances entre les deux tragédies ; nous aurons
soin d'ailleurs de signaler dans nos notes les imitations de Racine i
mesure qu'elles se présenteront; mais, dit M. Patin, « n'est-il pa;^
bien remarquable que Racine ait su ainsi mêler, h l'austère inspira-
tion àes Livres saints, les gracieux et riants souvenirs de la muse
païenne, et, sous la double influence de modèles si divers, produire,
sans trace d'effort, le plus original de ses chcfsd'œuvro ? »
Un peu plus d'un an après avoir commencé sa tragédie. Racine la
portait, terminée, à Saint-Cyr. Une déception cruelle y attendait l'in-
fortuné poète. Cédant aux remontrances sévères de quelques ecclé-
siastiques et aux scrupules de sa conscience *, Madame do Main-
tenon venait de se résoudre à bannir de Saint-Cyr ces représentations
h grandes pompes, dans lesquelles on lui montrait les pièg s de
Satan. Il est certain qu' IHsther avait eu sur la modestie et sur la dou-
ceur des filles de madame de Mainlcnon une influence désas-
treuse : « Les applaudissements publics, 1/is visites du Roi, les ro
lalions avec do grands poètes, les voyages à Versailles dans les
carrosses de la cour, avaient tourné la tète aux demoiselles, leur
avaient inspiré des idées do vanité et de hauteur, et un goût du
I. TVaoïçKffî ^r«*; Euripide, Ion.
!. Un des plus fouïucux arlrersaii-cs des rcpréscnt.tlions dramatiques à Saint-
Cyr lil.iil Godet (les Mirais, évoque de Chn.-tics. rendant la seconde reprôscnla.
lion A'Atkalic, il fera une con^r.'ncc aux dames de Saint-Louis sur l'élat déplo-
ralile'dcs ctiiélions qui se livrent avant l<! car^Hk? à <tcs plaisirs scandaleux. Kn
mémo temps qu'cllo lisait ses pieuses ciliortatious, Madame de Maintcaon pou-
vait voir dans les GaziHlef de Hollande que <■ Saint-Cjr était ua sérail que la
vieille 6ullauc avait pn'paré au moderne Asbuérus ».
* ATDALIE.
monde et du bel esprit qui causèrent un vrai désordre dans la mai-
son. Elles devinrent indépendantes, fières, dégoûtées de la simpli-
cité, en un mot, insupportables ... Elles en vinrent à ne plus vou loir
chanter à TtgUse, pour ne pas gâter leur voix avec des psaumes et du
latin*. Madame de Maintenon écrivait à ce sujet à lu classe blcu'
« On prétend que vous ne voulez point chanter les chants d'cgli-
et que vous désespérez M. Nivers (le mallre de chant). Vous chanii :
si bien les cliants d'Est lier, pourquoi ne voulez-vous pas chanter 1 ^
psaumes? Serait-ce le théâtre que vous aimeriez, et n'ôles-vous pa>.
trop heureuses de faire le métier des anges 2 ? »
Madame de Maintenon était désespérée. Ce système d'éducation,
dans lequel elle avait une si grande confiance, devait donc donnor
4e pareils résultats! Dans son chagrin, elle voulut tout rôfoinicr ii
Saint-Cyr: « Il faut reprendre notre établissement par ses fondements,
écrivait-elle, et le bâtir sur l'humilité et la simplicité ; il faut renoncer
à nos airs de grandeur, de liauteur, de fierté, de suffisance; il faut
renoncera ce goût de l'esprit, à cette délicatesse, à cette liberté do
parler, à ces murmures, à ces manières do railleries toutes moa-
daincB, enfin, à la plupart des clioses que nous faisions Xus
filles ont été trop considérées, trop caressées, trop ménagées; il faut
les oublier dans leurs classes, leur faire garder les règlements do la
journée et ne pas leur parler d'autre chose. » — «Elle en vint, dit
M. ïh. Lavalloo, dans son Histoire de la Maison Royale dt Sain-
C'jr ', à réprouver ce qu'elle aimait le plus, la conversation, les let-
tres, les belles lectures : « On écrit trop à Saint-Cyr, disait-elle, on
no peut trop en désaccoutumer nos demoiselles. 11 vaut mieux
qu'elles n'écrivent pas si bien que de leur donner le goût de récri-
ture, qui est si dangeureuse pour des filles N'en faites pas des
rhétoricicnncs; ne leur inspirez pas le goût de la conversation. Elles
s'ennuieront à mourir dans leurs familles ; qu'elles aiment le silence:
il convient à notre sexe Ne leur montrez plus de vers : tout
cela élève l'esprit, excite lorgueil, leur fait goûter l'éloquence et les
dégoûte de la simplicité; je parle môme de vers sur de bons sujets :
il vaut mieux qu'elles n'en voient point. » Enfin elle résume tout'
sa pensée dans ces paroles, qui devinrent la base de l'éducation de
Saint-Cyr; « Apprenez-leur à Être extrêmement sobres sur la lec-
ture, h lui préférer toujours l'ouvrage des mains, les soins du ménasc,
les devoirs de leur état. Elles ont infiniment plus de besoin d'appren-
dre à se conduire chrétiennement dans le monde, et h gouverner les
familles avec sagesse, que du faire les savantes et los héroinos. Los
t. t)uc de Noaille», Madame de Maintenon, III, 107-103. C'est à ce momeni.
eroyont-oous, que trois dcinoisellcl essayèrent plusir-urs loirs cunséoulifs d'ein-
ooisonrirr unn de leurs maitresscs. Le li.isard spuI sauva celle dame. I.c crim<'
IIP fut di'coiiverl que plusieurs années après; une des c<)iipal>les était eni;ura a
5i<iiit-rjrr. Le Aléinariat, taiu plus de dOlails dil qiiuii ût un cieiuple terrible }
après quoi, un la cliaita.
t. I.citrodu 10 déccr/ira U,h>.i.
i. V. 101.
NOTICE SUR ATUALIE. 0
femmes ne savent jamais qu'à demi, et le peu qu'elles savent les rend
communément fi^ro3, dédaigneuses, causouscs et dégoûtées des cho-
ses solides. »
C'est au milieu de cctie réTormalion générale que Raciiic vint
frapper à la porte do SaintCyr, son AUialie en main. On croit que,
malgré la bienveillance alTectucuse témoignée en tout temps au poèlo
par Madame de Mainfcnon, l'intervention de Louis XIV fui néces-
saire pour la décider \ faire représenter par les demoiselles la nou-
velle tragédie. C'est Moreau qui fut chargé, comme pour Est/ier,
d'écrire la musique des chœurs. Mais au lieu de la pompe et de la
solennité qui avaient entouré à Saint-Cyr la naissance d'Esther,
Alhalie ne devait trouver presque personne autour de son ber-
ceau.
La première représentation A' Alhalie, qui eut lieu à Saint-Cyr, en
présence du Roi et de Monseigneur, le 5 janvier 1G91, est qualifiée
par Dangeau de répétition. Elle devait être suivie de doux autres; à
la dernière, le 22 février, assistèrent Leurs Majestés Britanniques, le
l'ère de La Chaise, I-'énelon et plusieurs ecclésiastiques. Apiès cette
représentation, Louis XIV accorda aux scrupules de Madame de
Slaintcnou qu'Athalie ne fût plus jouée désormais qu'eu présence
de la communauté. Néanmoins il obtint de la fondatrice de Saint-
Cyr que les demoiselles vinssent quelquefois à Versailles pour réci-
ter, sous leurs costumes ordinaires et dans sa propre chambre, leur
répertoire sacré, en présence des principaux personnages de sa cour.
Madame de Caylus dit qu'il ne fut donné dans ces conditions qu'une
ou deux représentations à'AihalieK Le huis clos fut strictement
observé, et la malignité en conclut que si Athalie se tenait cachée,
c'était parce qu'elle n'osait affronter le public. Les ennemis de Racine,
joyeux et triomphants, ne perdirent pas cette occasion de le cribler
de traits moqueurs et d'épigrammes acérées. Le Roi ayant fait le poète
gentilhomme ordinaire, on répandit aussitôt le quatrain suivant ;
Raoine, de ttin Athalie
Le piililic fait bien peu de cas.
Ta famille en est aiinblic,
Mais tun iiuin ce le sera pas.
L'impression de la pièce donna un nouvel essor aux railleries ja-
louses des coteries littéraires. On prétend même que, so vengeant
du temps où, dans leur société mo(iueuse, Roileau, Hacino et Cha-
pelle imposaient comme punition aux coupables la lecture do quel-
ques vers de Chapelain, certains salons infligeaient comme peine la
lecture do quelques vers à'Athali'-. Celte anecdote, qui n'a rieu do
bien authentique, montre cependant le peu de cas que l'on préten-
dait faire de l'oeuvre nouvelle do Racine. En dépit do Madame de
Maintenon, qui répétait que « c'était la plus belle pièce qu'on ait ja-
<. Rn 1844, M. Aimé Mnititi a duniié dans son édition de Racine une lelti-f de
Doilcau à R:icine au sujet de l« seconde de ces représciitalionsi mais celte lettre
temble apucryplic.
0 ATUALIB.
mais vue ' », les spectateurs privilégiés, qui .ivaîent assisté aux rcprô-
sentations i'Alhalie, trouvaient cette tragédie froide 2, et il est cer-
tain que de pauvres petites pensionnaires ne pouvaient représenter
que froidement un Joad et une Atlialio. Boileau avait beau promeltro
à son ami que le public reviendrait à son œuvre, Racine était pro-
fondément affligé, et no lira qu'une médiocre consolation des deux
représentations ù'At/uilic données a fort en particulier» en 1G97 cl
ICOi) pour la petite duchesse de Bourgogne. Il était mort depuis
trois ans, lorsquVl/.'<rt/ie reparut avec un certain éclat à la cour, le
14 février 1702 ; cotte résurrection était due à la duchesse do Dour-
gognc, qui avait désiré jouer le rôle de Josabet'. Le public cepen-
dant n'était pas encore fort nombreux. Saint-Simon nous dii qu'il
0 n'y avaii place que pour quarante spectateurs. Monseigneur et les
doux princes, ses fils, Madame la princesse do Conli, .M. du Maine,
les dames du palais, Madame de Noailles et ses filles, y furent
seuls admis. Il n'y eut que deux ou trois courtisans en charge et en
familiarité, et pas toujours. Madame y fut admise avec son grand
babil de deuil : le Uoi l'y convia, parce qu'elle aimait fort la comédie ».
Le rôle d'Abner, à ces représentations de 17(13, était tenu pnr le duc
d'Orléans, qui devait gouverner pendant la minorité de Louis XV, et
qui est bien connu d;ins l'hisloirc sous le nom du Hcgent. Le duc,
qui aimait Athalic, d nna aux comédiens, pendant sa régence, l'au-
torisation de mettre celte tragédie sur leur scène. Athalic parut au
théâtre pour la première fois le mardi 3 mars 171G; pour la pre-
mière fois aussi, Atlialie fut représentée sans les chœurs. Dancourt
se chargea de cette mutilation impie, qui a trop souvent été depuis
imitée à la Comédie française V Le succès fut grand, et la pièce se
1. Arant d'être portée à Sainl-Cyr, Athalin, au t(5iuoigna.;c do Dugiiot, un
ami lie l'ori-llDyal, aï.iit oMiiiu un succès de lecture cher le mai-ijuis lic
Chaudcnicr, le 15 iiovcnilire 1070 : « llicii u'cst plus ),'raad ni plus parrait. Dos
pcr.'.oniii'S lie bun ^uùt me l'avaient fort vuuléc, mais on ne peut mettre de lu
propoitioii entre le nic'iite de cette picc:; et les louantes; le coura(;e de l'auteur '
est ciii'orc plus di;;nc d'adiinralion (|ue sa luniicrc, sa dcMic itcssc et son inind-
tablc tule 't pour lus vers. L'Hcrilure y brille partout cl d'une niaidcre à i^e faire
rcf|v rler par ceui qui ne rcspeotenl rien. C'est partout la Vérité qui touelic cl
qui plail ; c'c^t elle <|ui atlciulrit ut qui arraclic les larmes de ceux mé:ncs qui
t'appli'incnt à les r' tenir. Ou est cnt-ure plus instruit que remué, mais un est
remué jusqu'à ne pouvoir dissiundcr les mouvemcnis de son coeur. •
2. Uaus une lettre du 10 avril 1691, Antoine Arnauld déclarait préférer Ht-
iher à Atlialie; • Je vous dirai franclicin nt que les chuincs de la cadette
n'ont pu m'empi^lior de don:ier la piéfi'rencc à l'aijiéc. J'en ai beaucoup de
roi»oiii>, dont la prineipulc est que j'y trouve beaucoup plus de choses trci édi-
Gaiite-i cl Ires cHpali'es d'Inspirer la piété. »
3. l'our plus de détails sur les trois représentations de 1702, voir les Nom$ des
peraoïinnyet.
A. Viur ilans n'itrc i\'otic« sur Eithcr l'extrait ano nous avons fait do la dis-
sertât un de Scli lier Sur l'cmiAni du chœur dm» la tragédie llniliau, parUut
dans ton Art jtorti'iH- (m, 0^) d : la di>parition du chœur dans la lrii);édic, i
\m tiuloa linl lieu di; rlioeur cl de niu>iqii«, j
écrivait rn note : « li\thfr cl Athalin ont montré condiicn l'on a perdu en tnp|irl-
niant les cli«iira et la mnsi|ne. ■ Nous pouvons applitpii'r celte pliruso, m en !
«Kluuinsol lé|;i:rcmcut le sens, aux rcpréseututious uctucllus de ces tragédies. |
NOTICE SUR ATDALIE. 7
Joua quatorze fois du 3 au 28 mars.' Le 30, une représentation en
fut donnée aux Tuileries devant le petit roi, alors âge de six ans.
Au théâtre, comme aux Tuileries, le public saisit des ressemblances
frappantes entre ces deux enfants de race royale, Joas et Louis XV,
qui avaient échappé l'un et l'autre à la mort sous les coups de la-
quelle étaient tombés tous ceux de leur snng; et ces allusions con-
tribuèrent à assurer le succès do la tragédie. Saint-Cyi, qui avait
obtenu de Louis XIV le privilège exclusif de jouer Athalie, hasarda
quelques protestations contre ces représentations sacrilèges, et Ma-
dame de Caylus, tout à fait suspecte de partialité, déclara (\uAlItalic,
jouée par les comédiens, avait produit beaucoup moins d'effet que
déclamée par les demoiselles de Saint-Cyr. Ces timides revendica-
tions ne trouvi rent pas d'écho, et Madame de Dangeau put écrire ^
Madame de Maintenon: «Je suis obligée de vous dire, Madame, que
tout Paris est touché à' Athalie, et qu'on en sort très édifié Si
vos dames le savaient, elles seraient peut-être moins choquées de ce
que les acteurs font une profanation de ce spectacle édifiant. » Atha-
lie venait de prendre vicLoricuscmcnt et pour toujours possession du
théâtre, en dépit de Saint-Cyr et du testament de Racine, qui intcr.
disait de la jouer en public.
L'erreur de ses contemporains avait induit le poète lui-môme en
erreur. Autant les grâces pudiques A'EsUur et la naïveté biblique
de ce récit semblaient avec raison devoir mal s'accommoder de la
lumière vive de la ramiic, autant la majesté à'Athalic était faite
pour le déploiement de toutes les pompes théâtrales, une superbo
mise en scène et une figuration nombreuse. Une intrigue simple et
terrible, comme celle de VŒdipe roi de Sophocle, des caractères ad-
mirablement étudiés, et des figures d'une grandeur surhumaine,
tout cela était fait pour frapper l'imagination et Tintelligence d'un pu-
blic éclairéj plutôt que pour servir d'amusement pieux à des fillettes.
On a répété souvent que jamais ihéàire n'avait rien montré de plus
terrible que l'Œdipe grec abîmé sous les coups répétés de l'impla-
cable fatalité, et l'on a épuisé toutes les formules de l'admiration
pour célébrer le poète qui a su produire des eflfcts si puissants par
des moyens si simples. L'art n'est pas moins merveilleux dans
notre Alhalie, et des efi'ets aussi puissants ne sont pas produits par
des moyens moins simples, puisque c'est un songe qui mène toute
l'action. Car le songe d' Al Italie n'est pas un hors-d'œuvre plus ou
moins brillant comme celui de Camille dans ilorctce, ou celui de
Pauline dans Poli/cwtp; c'est le pivot môme autour duquel tourne le
drame : c'est lui qui amène la vieille reine dans le temple, c'est
lui qui la pousse à demander Joas, c'est lui qui l'entraîne dans le
piège où elle va tomber, c'est lui qui l'amène sous le glaive de Dieu.
Au premier acte, le grand prêtre a appelé sur lithalic et sur Mathan
l'esprit d'i'iipruderice et d'cireur, et aussitôt Dieu a mis dans la
reine les terreurs d'une folio vision. Car « le grand personnage, ou
plutôt l'unique d'Atlialic, depuis le premier vers jusqu'au dernier,
8 ATUALIE.
c'est Dieu. Dieu est là, au-dessus du grand prôtre et de l'enfant, et
à chaque point do cette simple et forte liistoire îi laquelle sa volonté
sert do loi , il y est invisible, immuable, partout senti, caché par
le voile du Saint des Saints, où Joad pénètre une fois l'an, et d'où
il ressort le plus grand après Celui qu'on ne mesure pas.
« Cette unité, cette omnipotence du personnage éternel, bien loin
d'ancaniir le drame, de le réduire à l'hymne continu, devient l'action
dramatique elle-même, et en planant sur tous elle se manifeste par
tous, se distribue et se réfléchit en eux selon les caractères propres
à chacun : elle reluit en rayons pleins et directs dans la face du
grand prûtre, en aube rougissante au front du royal enfant, en
rayons affaiblis et souvent noyés de larmes dans les yeux de Josa-
bet ; elle se brise en éclairs effarés au front d'Athalie, en lueurs bas-
sement haineuses et lividement féroces au sourcil de Mathan ; elle
tombe en lumière droite, pure, mais sans rayon, au cimier sans ai-
grette d'Abner '. Tous ces personnages agissent, se meuvent selon
leur personnalité humaine à la fois, et selon lo souffle éternel ; le
grand prêtre seul est comme la voix calme, haute, immuable de Dieu,
redonnant le ton suprême, si les autres voix le font par instants
baisser On est jusqu'au bout dans une transe religieuse; on est
comme lo fidèle Abner, dont l'esprit n'ose devancer l'issue ; on est
muet et sans haleine comme ces Lévites immobiles sous les armes et
cachés ; on sent dresser ses cheveux à cet instant où, tout étant
prêt, et Athalie donnant dans le piège, le grand prêtre éclate :
Grand Dieu 1 voici ton heure, on t'amène ta proie
Cl bientôt, s'adressant à Athalie ello-même :
Tes yeux cherchent en vaiu, lu ne peux échapper,
El Dieu de toutes paris a su t'cnvelopper.
Consommation digne du drame lent et sûr conduit par Dieu seul. >»
Ce drame grandiose dépassait lo jeune talent des demoiscllos
de Saint-Cyr ; sans doute elles pouvaient, mieux que des actrices,
soupirer les cantiques des filles de Sion ; mais elles étaient inca-
pables de rendre l'enthousiasme inspiré des prophètes '.
Tous les critiques se sont occupés d'Athnlir, et il semble qu'il ne
reste plus rien à glaner là où ils ont si richement moissonné. Il est
cependant trois points sur lesquels nous croyons devoir encore rap-
peler ou attirer l'attention.
On a souvcnf dit, et nous avons répété nous-mêmo dans notre
1. Nou» empruntdns ce» lipnc» nu Pcrl-Hoyal de Saiiito-Bouvc (VI, 147). L'idio
eut fort juste, ni elle e.st cxiirinief d'uiu? façon rccherchi^e et l)ixarrc. >
2. IlepL-ndnnt, tamlis cpie la Couiedii- française rontinnait à donner <l>> Irinps à
autre des représentations d'>4<A(i/ir, Saint-tjyr n'oubliait pas la tra);edic conipo-
Be>- en «on honneur, et la jonnit tant bien que mal devant la reine le ït murs, 1 7S6 ;
les dcinoliellci clianlaicnt Irg cti(rnrs d'yif/ia/i'e devant lliirace Walpolc en I70y.
Ilcaucoup de pensionnats de jcniiis lilli-s s'cniparèieiit aussi A'Alhalifi, cl l'ur-
ricrc pi'tlle-lillc de inail.inie de (ir ih'nan, J'aupuime, obtint un triomphe dani lua
couvent en jouant le rOIe de la vieille reine.
NOTICE SUR ATDALIE. 9
Notice sur Racine, que les confidents de Racine n'avaient pas de figure
propre, et qu'ils somblaient tous taillés sur le môme modèle. On
peut en excepter Œnone dans Phèdre et H3daspe dans E si lier ; on
doit en excepter Nabal dans Ath'ilie. Dans le tableau que nous a
tracé le poète de Jérusalem sous la domination do la piiiiccsse tyrienne,
cette figure est au second plan, mais elle y tient sa place, et elle
complète l'ensemble. Respect obséquieux pour le fort et pour le riche,
avidité gloutonne, impiété intéressée et adroite, Nabal a toutes les
souplesses d'écliine, toutes les ténacités cupides, et celte absence de
scrupules, qui, selon une opinion qui tend à s'accréditer, caracté-
risent la race judaïque, ci lui promettent son heure, riicurc où le
monde sera sa proie. Marche-t-il derrière Mathan, c'est par intérêt :
El jVspérais ma pari d'une si riclie proie.
Il nous dit :
Je ne sert ni Baal iii le Dieu d'Israël ;
mais que son intérêt le commande, il servira Baal ou le Dieu d'Is-
raël, au choix ; au besoin, tous les deux en même temps. Son nez
crociiu a les courbes classiques du bec de l'oiseau de proie et du
nez d'usurier, et sous son vêtement sordide se dissimulent des mains
qui ont frissonné de volupté au contact de l'or, (^e n'est qu'un
crayon, mais on reconnaît la main d'un maître.
Quel que soit le talent d'un écrivain, jamais il ne peut se dégager
entièrement des préoccupations de son temps, et sortir de son siècle.
Toute œuvre littéraire porte en soi sa date, ce qui, outre son mérite
propre, lui donne souvent un nouveau prix aux yeux de la posté-
rité. Athalie n'échappe pas à celte loi. Joad, Abncr et Mathan nous
ramènent forcément aux querelles religieuses qui ont partagé et pas-
hionné le xvu' siècle ; ils nous les rappellent et nous les expliquent.
Racine plaignait Port-Royal, et gémissait de ses malheurs ; il trouvait
dans les solitaires la vraie foi, et ne la voyait point dans cette cour qui
priait et péchait :
La Toi qui n'agit point, est-ce une fui sincère 1?
11 est curieux pour nous do retrouver la trace des opinions de Racine
dans l'opposition qu'il établit entre la foi do Joad (Port-Royal) et
celle d'Abner (la cour). Laissons d'ailleurs la parole à M. Alhanase
r.oquercl, qui a très hourcnsement apprécié ces deux rôles :
" Il y a une foi aimable, douce, généreuse, affligée du triomphe
(li-s impies, no le coniprenant point et ne rompant point avec eux,
fulèle à la piété, surtout les jours de fêle *, s'unissant, en pareille
occasion, à la foulo empressée (v. IC3), protectrice des faibles (v. GI9),
Indignée contre les méchants (v. 57.i), acceptant néanmoins leur
i. I, I.
ï. Sailli Simon allait furliyomciit f.iiio des ictr:iil<'S à 11 Trappe; le iinréclial
de Bellefonda les faisait plus ouYirli nunt. Cm» qui nslaicnt a la cour deinno»
'i.iiout des lettics de direction et uc leuaioot gucrc cumplc des pieux avi«
qu'ils recevaii'iii.
1.
I I' ATOALIE.
éloge et hourcuso de les forcer à l'estime (v. 457), trop facilement
prCtc à leur céder et sacrifiant l'innocence dans une vue de prudence
mondaine, s'il est impossible de se sacrifier pour ello; arderrto ce-
pendant il se ranger du côlc du bon droit et à mourir pour sa défense
(V. 439 et 1(145) : tel est Abncr '. Il y a une autre foi, supcrieure,
complète, inflexible, s'abandonnant à la Providence et certaine que
la Providence réussira, ne codant rien aux mécliants ni rien au lia-
aard, liabile en ses mesures de prudence (v. 101)3), parce qu'elle se
croit sûre de seconder les vues mômes de Dieu, sans ménagement
en présence de l'impiéio (v. 404), sans impatience dans le choix des
moments (v. 1C28), prête à périr (v. 742 et 14C0), mais sûre que le
Ciel aura raison en son temps : tel est Joad. Celte opposition se pour-
Buit à travers tout le poème, jusque dans la grande scène qui met
en présence les deux genres de foi et prépare le dénouement (V, n).
Racine avait eu sous les yeux les deux sortes de mérite ; il avait vécu
d'une façon intime avec l'un et avec l'autre, Versailles et Port-Royal,
la vie facile de la cour et son indulgent honneur, la vie rigide de la
solitude et sa piété dominante, les chevaleresques et brillantes qua-
lités dune noblesse trop dissipée et le stoïcisme chrétien d'un Arnauld
et de ses amis. Ce double tableau s'est reflété pour lui dans les carac-
tères de Joad Pt d'Abner ; il fallait sa foi pour le concevoir et son
génie pour l'exécuter. »
Mais, de tous les personnages que Racine a introduits dans son
Atiialie, le plus intéressant peut-être au point de vue moral et lit-
téraire, celui qui porte le plus la marque de son siècle, c'est le prêtre
de Baal, Matlian. Les textes saints ne donnaient qu'un nom ; le poète
a crée un type, dont il a conçu l'idée pou de temps après que La
Druyère avait écrit sa fameuse maxime : « Un dévot est celui qui
sous un roi alliée serait athée. » Frère de ïartufl'o, Matlian occupe
la dcrnièit: place dans la galerie des portraits dessinés au xvii* siè-
cle par la satire de rhy|)Ocrisie, et celte figure colossale s'ajtorçoii
de loin et attire le regard. Il n'est pas inutile, pour bien comprendro
la grandeur et la hardiesse de ce tableau, de jeter un coup d'œil ra-
pide sur les toiles qui le précèdent.
1. M. fîarccy, le 18 août 1873, se montrait, dans la Chronique Ihcàti ateAw Temps,
fdit 8(!»cic pour Al)ner : « Alwicr ost un soldat très bravo, tics liunnclo, luut
p'ciii de |jon9 seul nu-nis 1 1 d cinpuricincntj clivvaicre»quus, mais il n'est que cela.
L'^piit pulitiqiic lui niau(|ue ubsulnnienl, et luutcs les antres sortes d'esprit.....
Aimer n'ist qu'un instrununl dans la main de politi<|ues plus prufonds que lui,
qui se juuerunt de sa liunne foi, qui le feront servir, do la façon qu'ils voudront
et S'iMs qu'il t'en doute, à Icuis di'sseiiis secrets, qui sauront, s'il le faut, rn lu
pirlaot s.iiis ce^sc d>' son liunneur, de >u luvautt', de son C(iurn)(e, l'uniencr à cuiii-
mcitie une action telle que le pouvoir tumbti lui ciicia eu face, et non saiu
q iclquc raiaun :
Ucbe Abner ! ddiit qiisl plègu i<-lu conduit uiai |it>?
Il est vr.ii qui! se iri-r c avec liorrcur : « Heine, Unu m'est t('inoin..., » Heu*
rcutemcnt (pi un lui coiipe lu pamle, car que puurrailil dire : J'ai éià Iruinptf
coiiiine un sol, j'ui donne le picniier dans le paiiiiuau où jo vous ai allirfe à ma '
suite ; ce n'est nat ma faute, je suis un naïf. >> M. ('.l'iuerel ju);e Abner en te pla-
(«iil au i)oint ii'' vue reli(;ieus, et M. Sarccy, au point de vue pureiuuul liuuiaïu.
NOTICli suit ATIIALIE. 11
Disons tout d abord, par esprit de justice, que ce ne fut point lo
XVII» siècle qui cnlrpprit do flageller les liypocrilos. Le Roman
(le la Rose avait donné le signal en nous montrant le personnage allc-
goriquG de Faux Semblant ; Boccacc, dans la /mitième nouvelle de
la troisième journée de son Décomérnn, avait introduit un moine,
grand oncle de TartulTtî; au commencement du xvi" siècle, Macliiavel,
à la cour du pape Léon X, avait placé dans son obscène Mambagore
un certain frate Timotco, qui ne valait pas mieux que le moine de
Boccace, et qucUiucs années plus tard Arctin avait dessiné dans
son Ipocrito une figure îi laquelle Molière empruntera beaucoup
de traits pour sa fameuse peinture : o Ipocrito corromprait le Prin-
temps! 1) dit la Uuffiana, un des personnages d'Arèlin. En même
tenjps, chez nous, Régnier créait son admirable type de Macette, et,
dans son Aslrée, Honoré d'Urfé marquait de traits énergiques lo
caractère abominable de Lériane, la sainte vieille. De l'autre côté
de la Manclie, en lGO;i, Sliakspeare entreprenait la môme guerre
dans sa belle comédie de Mesure pour ynesure. Mais c'est en France
surtout, etauxvii' siècle, que la satire de l'iiypocrisic devait prendre,
comme l'hypocrisie, une extension considérable.
C'est qu'un grand mouvement religieux s'opère en France au
xvn» siècle. Richelieu, en 1G29. a bâillonné et étouffé les guerres de
religion dans La Rochelle, et le parti de la Réforme ne doit la vie
qu'à la clémence du vainqueur. ALiis si le sang ne coule plus, les
esprits n'en restent pas moins agités. Le catholicisme, qui n'a plus
d'ennemi à combattre, se désunit, et c'est entre ses enfants que la
guerre s'engage : nous voyons d'abord aux prises la morale austère
des Jansénistes avec la doctrine toute douce de la Compagnie de
Jésus, si bien dépeinte en 1064 dans la jolie Uallade de La Fontaine
à E'icobar. La France se passionne pour leur querelle. Les Lettres
p)Ouinciales ont un retentissement immense. Les ripostes se pres-
sent et se croisent; les Pères réclament avec onction un auto-da-fé ;
l'encre et les larmes coulent à flots, et il faut la paix solennelle
de ItiCO pour mettre fin h cette lutte ardente. Aussitôt commence la
querelle des Gallicans et des Lltramontains ; à peine la proclamation
des quatre articles établissant les libertés de l'Église Gallicane a-t-elle
été faite en 168*2, que le Roi révoque l'édit de Nantes : Madame de
Maintenon est convaincue qu'elle s'est tressé la couronne des élus ' ;
Dossuct se console de la mort de Le Tcllier, en chantant sur son
cercueil l'hymne do la victoire sur la Religion réformée; Louis XIV
8'enfonce dans les scrupules d'une étroite piété; les dragons, trans-
formés en missionnaires, sont chargés de convertir les hérétiques,
1. Oa a voulu mettre en doute que Madame de Mainlcnoa ait pris une part à la
révocation de l'édit de Nantes, et l'un a cité ce passage des .VoiioiVm dr Sniiit-
l'yr : « Je crains, Madame, que lo ménagement que vous voudiic» que l'on cùl
pour les huguenots ne vienne de quelque reste de préventions pour votre on-
cieiino rcli);ion. • Ces préventions et cette douceur ne duiurent pas Ioii);tcmps
(outeruis, car Ma lame d'' Maintenon éci it elle inomc fruiili nient a peu de temps da
la : « Oa lue beaucoup de Tanatiqucs, on espère eu purger le LanjjuoJoc. »
1 â ATBALIE.
et s'acquittent consciencieusement de leur tâche; une nouvelle que-
relle éclate entre Bossuet et Fénelon au sujet de la doctrine du
Quiétisnie, et c'est encore Madame de Maintenon qui a soutenu
Madame Guyon, l'apôtre de cotte nouvelle doctrine. Le règne de
Louis XIV s'abîme dans la misère et dans les désastres ; le xvii' siècle
s'endort dans la dévotion, vraie ou feinte; le xyiii" s'éveillera dans
les orgies de la Régence.
Pendant toute cette dernière moitié du xvii* siècle, trois sortes
d'hommes se trouvent en présence : les vrais dévols ; les libertins,
qui pratiquent ce que Sainte-Beuve a appelé la morale des honnêtes
gens, c'est-à-dire une morale composée de bonnes habitudes, do
bonnes manières et d'honnêtes procédés, et qui, humainement par-
lant, sont aux dévots ce que, dans le Misant/trope, Phihntc est à
Alceste ; enfin une troisième classe de gens, sans autre Dieu que
leur intérêt, courtisans de la richesse, qui font servir à leur fortune
leurs prétendues convictions religieuses, comme, à d'autres époques,
ils y feront servir leurs prétendues convictions politiques : ce sont les
faux dévots, fort nombreux à la fin du siècle.
C'est à ceux-là que s'était attaqué un ami de Rotrou et de Régnier,
du Lorens, dans une âpre et mordante satire; c'est contre ceux-là
que Scarron, en 1G45, dirigeait sa Nouvelle intitulée les llj/pocrites,
à laquelle Molière fera plus d'un emprunt; c'est contre ceux-là que
Molière lance Tartuffe et Doyi Juan.
Une lutte acharnée, dont les derniers éclats retentissent encore,
s'engagea autour de ces deux pièces : était-ce Molière qui l'avait
voulu? Non, c'était la coalition des précieuses et des prudes. Irritées
d'avoir été jouées dans les premières comédies du poète, elles avaient
voulu se mettre à l'abri sous le manteau de la religion, et s'étaient si-
gnées devant lui comme devant le démon. La Critique de l'École tirs
femmes et le personnage d'Arsinoé, dans le Misanthrojje, furent leur
punition ; mais elles avaient su engager le clergé dans leur cause ;
ce qui leur avait été d'autant plus facile que, dans le monde mémo,
on regardait alors comme de bon ton de lancer l'anallièmc sur lo
théâtre'. L'abbé Fléchier était seul deson parti, en ICCi, à témoigner
quelque indulgence aux comédiens '. Bossuet nous apprend, dans ses
Maximes sur lu Comédie, qu'on no leur accordait pas les sacrements 3,
1. En 1658, Nicole avait publié son Traité sur la Comédie et ses Aluximcs sur
les sprctacles; de t6A4 i 1666, il nttaque sans rrijrhe, dans trs Lettres sur l'Hé-
résie imnf/iiiaire et dans ses Visionriancs, le théâtre, que (léfond aroc Tiolenca
le jeune Hacinc. La duuce Madame de Salilé bl&niuit la cunié<llc dans ses jy/axi-
mes. Un njiiue temps, Armand de Dnurlion, prince de Cuuti, ancien prulocteur
de MuliiTc, qui se parla);euil entre les nmitiét les plus dévutes et los conipa-
i;iiirs les plus libertines, r6Ji|;eait de la ni^inc inuiii qui érrivail, de ci>nccr(
»vcc Dussy-llabiitin, I» JUviie du pcys de la llroqucrie, un Traité de lu comédie
et des spectacles empreint de l'iiukiérilé d'un duclt-ur de TK^Iise. I.c l'ère (^af-
faro, Ibeatin, ayant ok<! soutenir lu comidie, fut fuudruye par Huiisuet Cl coulraiut
4» »' rCtr.'ictiT.
ï. MéiiKjire sur les (Siaiids Jours tenus ci Clermont.
%. En avril 18tl, 4<>ut I» rtuuivu des Suciëti'» kavantet <!<■ départetneuts à \%
NOTICE SUR ATUALIE. 13
et l'abbô do La Tour affirme que, depuis 1G92 que le cardinal de
Noailles devint archevêque de Paris, le clergé leur refusait le ma-
riage.
On comprend la fureur soulevée par l'audacieux comédien, auteur
de Tartuffe, dans le parti si paissant des faux dévots. Cette colèro
devait être d'autant plus redoutable que les vrais dévots s'unirent
aux faux contre Molière : Bossuet se joignit contre le téméraire co-
médien au curé RouUé, qui l'appelait « un démon v6tu do cliair et
habillé en homme ». On disait, non sans motif, que le théâtre ne de-
vait pas se mêler de religion, et s'érigor en rival do la chaire. Knlln,
l'on demandait comment il était possible à la scène de distinguer le
faux dévot du vrai, l'hypocrisie n'étant que la momerie de la vraie
piété, et des pensées, souvent louables en soi, devenant odieuses dans
la bouche de Tartuffe. Ces raisons étaient sérieuses, et excusent la
violence de certaines personnes d'une piété sincère. Mais ce qui
prouve bien que c'était surtout Molière et la comédie que l'on atta-
(,uait en attaquant Tartuffe, c'est que nul ne protesta contre ceux
qui, après lui, tentèrent ailleurs que sur la scène comique do dé-
masquer l'hypocrisie. On sourit, lorsque Madame Deshoilièrc, dans
une tragédie féline, intitulée la Mort de Cochon, qui présente, comme
la Mcrt de Pompée de Corneille, cette particularité que le héros
n'y parait point, donna le nom do Cafard au chat des Minimes de
Chaillot; on ne protesta point, lursqu'elle montra qu'elle avait plus
de dents que ses moutons allogM-iques, en adressant, au mois de
mars 1C92, VÉ/iitre chagrine ou très révérend Père de la Chaise:
Le mélier de ilOvot, ou plutôt d'hypocrite,
Revient presque toujours la rcssouico des gens
Qu'une longue dt'liauoho a rendus indigents...
Des que du cagolisnie ou fait profession,
D« tout ce qu'on a l'ait la niéinoirc s'clTacc.
(', est sur la ri'pnlation
L'n excellcut \t'riiis qu'oD passe.
Nous ne voyons point que La Druyèro ait soulevé la cabale avec
ses maximes contre les dévols, el parmi les critiques que provoqua
dans les premiers jours la tragédie dont nous nous occupons, nous
n'en trouvons aucune qui porte sur le personnage do l'hypocrite Ma-
llian.
Lt pourtant, Mathan no le cède en rien à Tartuffe, ni en vérité, ni
en scélératesse; même hypocrisie, n:ème ambition, môme audace
dans le crime. Comme Tartuffe s'humilie devant Damis, qui l'a dé-
Sorboniic, M. Jules Fiuot, de Ycsoul, a iiiprialé à ce sujet uae anecdote curieuse,
IruUïéc par lui dans la curresnondamu^, rncoro inédite, adressée par Gilles Asse-
lin, docteur rn Sorlionne, à 1 auuiôiiicr du roi Stanislas. Il l'ar.iil ((n'en {'ai un
comédien étant mort au lla\re, et rnuloritO ccolésiastique ayant refusé la séuul-
ture à cet excommunié, ses ram.irades imaginèrent de saler le corps, attendant
peut-ilrc dans l'avenir une décision plus favorable. Mallieurcusemcnt, ils employè-
rent du sel de cnnlrebando, et la gabelle, qui s'eu aperçut, leur intenta un procès,
dont ou rit longtemps en Normandie.
I 4 ATUALIE.
nonce, Matlian aiïcclo devant Âtlialie une Tausse douceur pour Joad;
pour arriver à leur but criminel, TarlufTo ne recule pas devant les plus
lionicux moyens, et Matlian prodig;ue le « sang des misérables» ; abu-
sant vllemei.t de la crodulilc stiipide dOigon, Tartuffe ne peut Ctre
puni que par l'intervention suprùme de Louis XIV; abusant odieuse-
ment de la confiance cupide d'Atlialie, Matlian ne peut être puni que
par le Dieu qu'il a déserté, et contre lequel il a môme osé lever le
bras. Il s'est flattô de renverser Jéhovah pour étouffer ses remords ;
Dieu était le seul obstacle contie lequel piit se briser la cruauté as-
tucieuse de ce Tartuffe tragique. Gigantesque ligure que le poète
n'a point tirée tout entière de son imagination, comme Minerve est
sortie armée de pied en cap du cerveau de Jupiter : avec l'art propro
aux poètes dramatiques, qui groupent sur la scène dans un seul por-
trait tous les traits qu'ils ont vus et pris autour d'eux, Racine a per-
sonnifié dans Matlian cette race odieuse d'ambitieux qui faisaient de la
dévotion leur carrière, n'affectant les scrupules de la piété que pour
se dispenser d'en avoir d'autres, et qu'un jésuite éloquent, Bourda-
louo, a souvent foudroyés du luiut de la chaire '. Louis XIV avait-il
promis de savoir bon gré aux courtisans qui feraient leurs Pâques,
Bourdaloue était effrayé de l'affluoncc des communions, voyant que
l'on communiait pour Louis XIV, et non pour Dieu. Il montrait que
c'était riiypocrisio des uns qui enfantait le libertinage des autres.
Mais ce qui l'irritait le plus douloureusement, c'était de voir des con-
venances et des intérêts de famille déterminer seuls la vocation de
certains ccclésia<-tiques ; de là naissaient mille troubles et mille dé-
sordres dans rÉ;;lise; ici l'avarice et la cupiditi", là d'autres vices;
c'était le temps où l'on voyait, au grand scandale du clergé, l'abbé de
la Cliâlre, anmOnier du Uni, dire un mercredi saint la messe au sor-
tir d'un bal masqué : « Être prôtre de la sorte, ah ! mes frères,
s'écriait saint Jcrômc, est-il rien dii plus opposé à la sainteté du sa-
cerdoce, rien de plus injurieux à Jésus-Clirist? i< Et, après ces élo-
quentes paroles, lîourdaloue ne craignait pas de rappeler en gémis-
sant que deux prêtres avaient été mêlés à l'affaire des poisons. On
le voit. Racine a incarné dans Matlian celle monstrueuse hypocrisie
des dernières années du .\vii« siècle, qui s'était atta(iuéo jusqu'à
des niinisircs de l'Èglisi.', et ce personnage suffirait seul à dater
Alhalie.
Autant le xvn' siècle avait été véritablomeul ou hypocrite-
mont dévot, autant le wiii" dînait Être peu religieux; de sorte
que pendant cinquante ans Athulie a été jugée de la façon la plus
1. Tout le inonde, piMiilant ie scniiun, était loiiriiii vers le Roi, et non vers l«
prédicKlcur. Bourdalune 8'lii'li|;iinil do yuir les romiiics se montrer à l'église duiis
de» Inilcltcs de bal. I.'Autorilé «éciilière fui olilipéo d'édiclcr des pciiici coiilrn
eellci '|ui paraîtraient trop di'rollr-téi's i la clinpello, cl l'orgneilIiMibC Madame de
Gripnun fut un jour mrnnc^c do l'amende par le commissaire. Le duc de I.n Ro-
ch(r«iirju'd iina|;iiia d'annoncer une foia que le Roi ne virtidrnil pas au ^alul;
la cli.ipclli-, qui élaii pleiur, »e «ida en un mêlant, et Louis XlV, a kiu arrivée,
rit tcaucoup de la (luuTcr déicric.
NOTICE SUR ATIIALIE. 15
bizarre, et lo r61c de Joad critiqué le plus étiangrment du luondc.
A peine le succès des représentations de 1716 * s'cst-il apaisr, que
Ton commence à relever, avec beaucoup de vivacité, des défauts
dans la pièce. Celte guerre contre la tr.igcdio de I5acine fut dirigée
surtout par Votialri; N'en que l'autour de Zaïre n'ait pas compris les
beautés d'AlKatie , lorsque toute préoccupation de rivalité et de parti
disparaît, lorsque Voltaire juge en littérateur, il n'a pas assez d'élo-
ges pour Alhalie, 'l écrit au poète italien Scipion de Maffei 2 ; « La
France se glorifie d"<<<Aû/ie: c'est le clief-d'œuvre de notre théâtre »,
et il dit dans le Disrours hialorique et crilir/ue 3, etc. : a Alhalie
est peut-être le chefd 'jeuvre do l'esprit liumain. Trouver le secret
de faire en France une iraj^édie intéressante sans amour, oser faire
parler un enfant sur le ihéâlro, et lui prêter des réponses dont la
candeur et la simplicité nous r.irent des larmes, n'avoir presque pour
acteurs principaux qu'une vieille femme et un prêtre, remuer le
cœur pendant cinq actes avec ces faibles moyens; se soutenir sur-
tout (et c'est là le grand art) pat une diction toujours pure, toujours
naturelle, et auguste, souvent sublime ; c'est là co qui n'a été donné
qu'à Racine, et qu'on ne reverra probablement jamais. » Mais Vol-
taiicades préoccupations philosophiques et des jalousies qui ne lui
permettent pas de continuer à parler avec cette franchise. Con)mo
encyclopédiste, les tragédies sacrées do Racine ne pouvaient plaire
à Voltaire plus que les tragédies chrétiennes de Corneille. Comme
poète dramatique, la jalousie inhérente au métier d'auteur devait lo
porter à écrire un Comuicntaire très sévère sur le théâtre de Cor-
neille, et à déclarer le sujet à' Alhalie fort au-dessous de celui do
Mérope. Aussi entreprit-il contre cette traf^éJio une croisade impi-
toyable. Usant d'un procédé qui lui était familier, Voltaire attaqua d'a-
bord Racine en se cachant sous lo nom d'un riche Anglais qu'il fait par-
ler ainsi dans X^Discours historique et critique : « Si on ne joue point
Alhalie à Londres, c'est qu'il n'y a point assez d'action pour nous ; c'est
que tout s'y passe en longs discours ; c'est que les quatre premiers actes
entiers sont des préparatifs; c'c^st quo Josabeth cl Mathan sont des
personnages peu agissants; c'est que lo grand mérite de cet ouvrage
consiste dans l'extrême simplicité et dans l'élégance noble du s^tyle.
La simplicité n'est point du tout un mérite sur notre théâtre ; nous
voulons bien plus de fracas, d'intrigues, d'action et d'événements va-
riés : les autres nations nous blùmont, mais sont-elles en droit de
vouloir nous empêcher d'avoir du plaisir à notre manière? En fait do
goût, comme de gouvernement, chacun doit être lo maître chez soi.
1. Lorsque Vuliairc scia de mauvaise humeur, il dira dans le Discours histo-
rique et ciitiquc : « Ce ne fut point parce que cet ouvrage est uu chef-d'œuvre
d'éli queiice qu'un le lit rrpnîscnter fii 1717, ce fut uiiiipi 'mi-iil parce que 1 ajjo
du pvlit Joas et celui du rui de Iwaiice rt}(;nai)t étant pareils, ua crut que ccl>e
ruururMiité pourrait faire une grande impression sur les e^prilj, Alurs le publio
passa (le Ircnic aunt'es d'iiubirercuce au plus graud entbousiBsmc, ■
2. Ed. Iloucliot, IX, 19.
3. JJ., V, loi.
10 ATOALIE.
Pour la boauté de la versification elle he ss peut jamais tradaiic.
Enfin le jeune Éliucin en long habit de lin, et le petit Zachario, tous
deux présentant le sel au grand prêtre, ne feraient aucun effet sur
les têtes do mes compatriotes, qui veulent ôtre profondément oc-
cupées, et fortement remuées. » En prêtant ces paroles à Milord
Conisburi, Voltaire a soin d'ajouter que c'est « l'un des meilleurs
esprits qu'ait produits la Grande-Bretagne ».
C'est principalement sur Joad que se porto toute la colère du cri-
tique poète et philosophe. Au moment où il entreprend de composer
des tragédies dirigies contre l'intolérance, où il introduit dans son
Objmyiie un grand prêtre d'un esprit conciliant et doux, qui forme un
contraste complet avec le fanatique Joad, il s'applaudit chaudement
dans une note de sa tragédie d'avoir créé son personnage, à seule fin
de l'opposer à l'assassin d'Athalic : o Cet exemple d'un prêtre qui se
renferme dans les bornes do son ministère de paix nous a paru d'une
très grande utilité, et il serait à souhaiter qu'on ne les représentât
jamais autrement sur un théâtre public, qui doit être l'école des
mœurs. 11 est vrai qu'un personnage qui se borne à prier le ciel, et
à enseigner la vertu, n'est pas assez agissant pour la scène ; mais
aussi il ne doit pas être au nombre des personnages dont les passions
font mouvoir la pièce. Les héros emportés par leurs passions agis-
sent, et un grand prêtre instruit. Ce mélange, heureusement employé
par des mains plus habiles, pourra faire un jour un grand effet sur
le théâtre. » Se représentant ainsi le grand prêtre, le poète devait
nécessairement blâmer de tous points la conception que Racina s'en
était faite. Il reproche à Joad, toujours dans ce même Discours hislo-
rique et crili'/ue, son ambition et son imprudence: « Car pourquoi
ce grand prêtre conspire-t-il très imprudemment contre la reine?
pourquoi la trahit-il? pourquoi l'égorge-t-il? C'est apparemment
pour régner lui-même ' sous le nom du petit Joas ; car quel autre que
lui pourrait avoir la régence sous un roi enfant, dont il est le maître?
11 faut avouer que le grand prêtre, par ses manœuvres et par sa fé-
rocité, fait tout ce qu'il peut pour perdre cet enfant qu'il veut con-
server; car en attirant la reine dans le temple sous prétexte do lui
donner de r.irgcnt, en préparant cet assassinat, puuvait-il s'assurer
que le petit Joas ne serait i)as égorgé dans le tumulte *? »
Mais c'est surtout dans une note de son Oiympie que Voltaire
a déchargé toute sa colère contre la tragédie de Hacine : o On ne
voit pas... pour quelle rai.^on Jond ou Johitla s'obstine à ne vouloir
pas que la reine Alhalie adupto le petit Joas. Elle dit en propres
termes à cet enfant : Je 7i'ai point d'hcriiier, je prétends vous
traita' couiiwj mon propre fils. — Alhalie n'avait certainement
alors aucun intérût ^ faire tuer Joas. Elle pouvait lui servir de mère,
et lui laisser son potit rojaume. Il est très naturel qu'une vioillo
1. M. Pair, y (le Temps, 23 noùl lft73), qui, comme Voltaire, no »oil daoi
luad qu'un poliliquc, a lun^ueiiiciit iiiiinlé »ur relie idée.
S. tl. Surccjf (le Tcnjii, 0 oclolirc 1873) « r<|'rii <»i;ulcnicpl celte critique.
NOTICE SUR ATUALIE. 17
femme s'intéresse au seul rejeton de sa famille. Athalie en cfTet était
dans la décrépitude de l'âge. Les Pavalipomènes disent que son fils
Ochosias ou Acliazia avait quarante-deux ans quand i\ fut déclaré
mclk ou roitelet. Il régna environ un an. Sa mère Alhalie lui sur-
vécut six ans. Supposons qu'elle fût mariée à quinze ans, il est clair
qu'elle avait au moins soixante-quatre ans. Il y a bien plus : il est dit
dans le quatrième livre des Rois que Jéliu égorgea quarante-deux
frères d'Ocliosias, nt cet Ocliosias était le cadet de tous ses frères ' ;
à ce compte , Alhalie devait être âgée de cent six ans quand le
prêtre Joad la fît assassiner. — le n'examine point ici comment le
père d'Ochosias pouvait avoir quarante ans, et son fils quarante-deux
quand il lui succéda ; je n'examine que la tragédie^ je demande seu-
lement de quel droit le prôtre Joad arme les lévites contre la reino
à laquelle il a fait serment de fidélité? De quel droit trorapc-t-il
Alhalie en lui promettant un trésor ? de quel droit fait-il massacrer la
reine dans la plus extrême vieillesse? — Athalie n'était certainement
pas si coupable que Jéhu qui avait fait mourir soixante et dix fils du
roi Achab, et mis leurs tôles dans des coibeilles, à ce que dit le qua-
trième livre des Rois. Le môme livre rapporte qu'il fit exterminer
tous les amis d'AcIiab, tous ses courtisans et tous ses prêtres. — Cette
reine avait, à la vérité, usé do représailles ; mais apparlonait-il à Joad
de conspirer contre elle et de la tuer P II était son sujet; et certai-
nement dans nos mœurs et dans nos lois il n'est pas plus permis à
Joad de faire assassiner sa reine, qu'il n'eût été permis à l'arche-
vêque do Cantorbéry d'assassiner Elisabeth, parce qu'elle avait fait
condamner Marie Stuart. — Il eût fallu, pour qu'un tel assassinat ne
révoltât pas tous les esprits, que Dieu, qui est le maître de notre vie
et des moyens de nous l'ôtcr, fût descendu lui-même sur la terre,
d'une manière visible et sensible, et qu'il eût ordonné ce meurtre ;
or, c'est certainement ce qu'il n'a pas fait. 11 n'est pas dit même que
Joad ait consulte le Seigneur, ni qu'il lui ait fait la moindre prière
avant de mettre la reine à mort. L'Écriture dit seulement qu'il cons-
pira avec les lévites, qu'il leur donna des lances, et qu'il fit assassi-
ner Alhalie à la porte aux chevaux, sans dire que le Seigneur ap-
prouvât cette conduite. N'est-il donc pas clair, après cette exposition,
que le rôle et le caractère de Joad dans Atlialic peuvent être du
plus mauvais exemple, s'ils n'excitent pas la plus violente indigna-
tion? car pourquoi l'action de Joad serait-elle consacrée? Dieu n'ap-
prouve certainement pas tout ce (lue l'histoire des Juifs rapporte...
Si donc tant de crimes et tant de meurtres ne sont point excusés
dans l'Écriture, pourquoi le meurtrier d'Allialio serait-il consacré
sur le théâtre ? »
Pour flatter Voltaire, qui avait encore exprimé ces mêmes idées
dans la Préface des Guôbres, le cardinal de Demis lui écrivait
1. Il n'est dit nulle part, crnvoiis-nous, que ces quarantc-dcui friHà ^ ,>".t«,-
tias fussent nés de la même luèro que lui.
18 ATllALIR.
de Rome le 28 ff^vricr 1770 : « Alftolie ne m'a jamais paru un
ouvrage supérieur que par le style. Je n'"'.Jais pas le dire, mais
j'ai toujours (^tc révoilé qu'on eût permis de mettre un sembla-
ble sujet sur notre lliéàlre. » — D'Alembcrt était encore plus flat-
teur, dans la l(!ttre qu'il écrivait à Voltaire le 11 décembre 1709 : » Jo
suis depuis longtemps entièrement de votre avis sur Athalic. J'ai
toujours regardé cette pièce comme un chef-d'œuvre de versification,
et comme une très belle tragédie de collège. Je n'y trouve ni actio:i
ni intérêt; on no s'y soucie do personne, ni d'Atlialic, qui est uni",
méchante carogne, ni de Joad, qui est un prêtre insoler)t, séditieux et
fanatique, ni de Joas môme, que Racine a eu la maladresse de faire
entrevoir en deux endroits comme un méchant garnement futur. Jo
suis persuadé que les idées de religion dont nous sommes imbus
dès l'enfance contribuent, sans que nous nous en apercevions, au
peu d'intérêt qui soutient cette pièce, et que si on changeait les
noms, et que Joad fût un prêtre de Jupiter ou d'Isis, et Atlialie une
reine do Perse ou d'figypte, cette pièce serait bien froide au théûlrc '.
D'ailleurs à quoi sert toute cette prophétie do Joad, qu'à faire lan-
guir l'action, qui n'est pas déj^ trop animée? Je crois en général (et
je vais peut-être dire un blasphème) que c'est plutôt l'art de la ver-
sification que celui du théâtre qu'il faut apprendre chez Racine. J'en
connais à qui je donnerais un plus grand éloge, mais ils n'ont pas
l'honneur d'être morts, u On voit (pie, après avoir dit une ou deux
niai.series, d'Alcmbcrt, dans le trait final, nous fait découvrir le mo-
tif socret qui portait Voltaire ii rabaisser Racine.
Ce n'est qu'au début de notre siècle qn'Alhalie put être jugée
sainement et froidement, au point de vue littéraire, s'entend, caria
Critique qu'en avait faite l'Acadjuiie vers 1730, et que Laharpo
publia en 1807 dans son édition de Racine, portait presque exclu-
sivement sur des questions do grammaire et de style. Ce n'est que
lorsqu'on se fut dégagé du toute préoccupation politique, philoso-
phique et religieuse que l'on p\it examiner ce poème sans parti
pris, et l'apprécier à sa juste valeur. Ce n'est que le 31 mai 1800
que Geofrroy put écrire : « Athalie est la meilleure poétique du
théâtre, et l'on n'a plus besoin de celle d'Aristote. Si les règles de
l'art dramatique pouvaient se perdre, on les retrouverait dans
cette tragédie, de l'aveu de tout ce qu'il y a de bons esprits et de
gens de goût en Euro|)e ; c'est le seul ouvrage où les unités, la
raison, la vraisemblance, le mécanismc.de l'action théâtrale soient
exactement et strictement observés ; il est pour les poètes tragi-
ques 00 que rApullun et la Vénus sont pour les sculpteurs, lo
1. H. Sarccy, dans Tempt du 6 octobre 1873, » corami* la nifiinc iii.iilvcr-
lancc que d'Alciiil)crt : en jugeant JuaJ bu puiiil do vue purement huiiiuin, eu
l'étudiuiil couiinc publique, il u éludii! et appi)<i-I(3 un aulri: drnmc que c;< lui do
nacinr. O pi'o:'édé de critique Cht cuiicui ; inni:' il ne peut s'upiiliqncr a d. s per-
«iinua|fi:» cletéii, C'Hiinie Joad, nu-disiiUii de l'IiuinanilO, et qui n'unt, quui qu'oa
■'ti^, o'n'jtre lutèrét que celui du ciel.
NOTICE SUR ATnALIB. 19
modèle le plus accompli. Jamais la poésie et l'éloquence n'ont été
portées à un Ici degré '. »
En effet, si la poésie de Racine a toujours des charmes inexpri-
mables, jamais elle ne s'était élevée à des hauteurs si voisines de la
perfection. Toutes les beautés qu'avait acquises successivement la
langue du poôie se trouvent réunies dans cette seule pièce, et s'y
montrent dans leur complet épanouissement. Nous avions apprécié
la simplicité touchante avec laquelle Andromaque exprimait les
tendresses de son cœur maternel ; cette grâce simple et toute grec-
que, nous la retrouvons dans les rôles de Josabct et de Jo^g; nous
avions admiré la mâle énergie des accents de Milhridate, et nous la
reconnaissons dans la bouche de Joad ; nous avions été frappés
dans Esther de la splendeur tout orientale de certaines métaphores,
des couleurs bibliques dont Racine avait su parer son élégie; et
Athalic n'est pas moins riche qn' Esther en méta|)horc3 et en images
empruntées aux saintes Écritures; de sorte que la dernière tragé-
die de Racine joint h la simplicité de la poésie de Sophocle, et à la
vigueur romaine de celle de Corneille, l'éclat incomparable des
cantiques sacrés. Et cela, sans nul effort, sans que nulle part on
puisse surprendre le travail de l'imitation. Si jamais poésie sembla
inspirée, c'est bien celte poésie aux périodes amples et soutenues,
majestueuse et sereine comme Joad.
Les représentations à'Alhalic ne furentpas interrompues 2 durant
tout le xvm* siècle ; mais elles ne furent pas toujours écoutées avec
le respect dû à un chef-d'œuvre, et le public, docile aux inspira-
tions du prince de la critique, se permit quelquefois do rire à cer-
1. Cet élopc a plus de prix, parce qu'il est plus raisonné, mais il n'est pas
|)lus eiilliousiablc que celui de liiccohoni : « Il est juste que je donne à Athalie
le pas sur toutes les trogiidies modernes : de quelque côté qu'on rcxamine, ou
ne trouve dans cette tragédie que des beautés ailniiralilcs. Tout y est édinaut,
tout y est ÏDStruclir : les caractères mêmes d'Atlialie et de Matlian, tnul im-
pies qu'ils sont, uc peuvent inspin'r que de l'Iiorrcur pour l'impiété. Entîa,
ir'cil un ouvrage parfait qui mérite d'ètie à la tête de tous les poèmes dr.inia-
li<|uc9 que l on peut conserver pour le tbéâtre. » {De la réformation du thcdlre,
p. 123.)
2. Une de ces représentations, en 1730, fut signalée par un fait curieux : « M. Ra-
c ine, écrit un journaliste, est allé voir la salle Je la cûinédie, il y a quelques jours.
Sa grande dévotion l'enipèclie depuis longtemps de fréquenter le théâtre. Ce fils
d'un illu^tl■e père a été accueilli avec tous les égards que les comédiens lui
doivent. Il a tout loué, tout admiré. Sa visite faite : • Messieurs, a-t-il ajouté,
je viens régler une petite dette. Vous savez que mon iicro avait défendu, par
son testament, qu'on jouât Athalic. M. le Régent a depuis ordonné que, sans
é;;ard aux volontés du testateur, le drame serait donné au public. Cet ordre de
M. le duc d'OilOaiis ne me fait déroger en rien à mes droits. Je revendique en
conséquence lu part qui me doit revenir des représentations multipliées de ce
chef-d'œuvre do mon piîie. » T.etle deninnile a fort étourdi l'ariopage comique.
Il est question de trouver un mezzo termine à celte contestation naissante. •
Le même journal, dans un numéro suivant, confirme ce récit, et reprend :
« Cela n'ira pas plus loin, à ce qu'i>n m'Hssure. Il (Louis Racine) colorait sa de-
mande du prétexte de charité : il voulait faire des aumùnes de cet ai (.-rnl. On
prétend que les cumédiens se sont ninqués de lui, et que cette restitution irait de
trente à <|iiarante mille livres. » De nos jours, la réclamation de Louis Racine
eût semblé toute naturelle.
5 n ATHALIE,
taines scènes. Voltiiire nous apprend, non sans quelque plaisir, quo
les comédiens durent couper les reproclies véhéments dont Joad
accable Josabet, lorsqu'il la trouve auprès de Mathan '.
Athalib d'ailleurs, et ce fut un des motifs qui l'ont maintenue au
tlicâtre au xviii* siècle, a toujours eu le privilège de prêter aux
allusions maiijincs ou bienveillantes, et a souvent reçu des applau-
dissements politiques. C'est ainsi qu'un rapport de police nous ap-
prend qu'à la représentation du IG août 1787 la tirade de Joad au
jeune roi :
Luin du trôoe Dourri, de ce fatal honneur, etc.
futcouverte d'applaudissements, comme cet autre vers de la pièce:
Coiironds dans ses conseils une reine cruelle.
Un autre attrait appelait aussi le public à ces représentations.
En 1770, on avait intercalé différents morceaux d'opéra dans I.i
piicc, et notamment, au quatrième acte, ic ciiœur viu serment dj
ÏEmelinde de Philidor :
JuroiH sur nos glaives sanglants.
Peu de temps après, la Comédie fit entendre au troisième &^tc un(«
symphonie de Baiidron, premier violon do son orchestre. En 178G,
les chœurs de Sloreau, jugés décidément insuffisants, furent rem-
placés par des chœurs de Gossec et do Haydn, et l'on admira beau
coup le chœur écrit au quatrième acte pour le serment d'Azarias,
que Racine n'avait pas destiné cependant à élre chante. Ajoutons,
pour compléter la liste dos musiciens qui ont travaillé sur ce thème,
que, de 1803 à 1811, Doitldicu a composé à Saint-Pétersbourg de
nouveaux chœurs à'Atludie, que Mcndelssohn-DarlholJy a écrit une
ouverture et des chœurs pour une traduction allemande du chef-
d'œuvre do Racine, enfin, qu'en avril 1850, Athalie a été reprise h
la Comédie Française avec des chœurs de M. Jules Cohen.
La perfection mémo de V Athalie de Racine est cause qu'un seul
poète, l'Italien Mûiastase, que l'on a souvent rapprociiô do Racim;
pour la pureté de la langue, l'iiarnionio des vers ot la délicatesse
des sentiments, Métastase, qui créa le drame lyriijue, et qui fut
loué sans relâche par Voltaire, icqnrl n'avait jamais fait de livret
d'opéra, osa entrer en rivalité avec Racine, et meliro à la scène un
Gioaiy re di (Imda, tragédie sacrée on deux parties. Ce jour-là le
divin Métastase no fut pas heureusement inspiré. Tout ce qu'il y a
de ri.'mar(|uablc dans son drame est emprunté à Vlon d'Euripide et h
\' Athalie de Racine; tout ce que le poôlc a ajouté est déplacé, cl
gâte la simplicité de ce dramatique sujet. Nous no trouvons plus dans
ta |)ièco cette intéressante opposition entre h foi timide d'Abncr
I. Ed. Dcucbut, l. \, ff. 18-20.
NOTICE SUR ATOALIE. 21
et la pieuse inlrépidité de Joad ; Josabet a disparu, comme Abner.
Dieu est toujours là, qui mène les événements, et Giojada 'prend
assez souvent soin do nous le rappeler; mais il a grand raison do
lo faire, car on courrait risque de ne plus sentir cotte action divine,
tant le poèto l'a afTaiblio : ce songe, envoyé par Dieu, qui amène
Atliaiie dans le temple, cette lutte entre Jcliova et la vieille reine,
qui se termine par le cri d'Ailialio vaincue :
Dieu des Juifs, tu l'emportes t
tout cela n'a pas été conservé dans le drame italien , dont voici
d'ailleurs l'exposé rapide : Giojada raconte h IsmaCle, un des cliefs
des Lévites, comment Gioas a été sauvé et élevé dans le temple par
son épouse Giosaba : il veut le remettre au trône de son père; et
il a prolilé des solennités de la Pentecôte pour réunir dans le temple,
sans attirer de soupçons, tout le qui reste encore d'Hébreux fidèles
^ la race de David. Bientôt paraissent et se rencontrent Gioas et
Sebia, sa mère, qu'Atalia a fait appeler h Jérusalem, et là s'engage
une scène imitée de Vlo7i d'Euripide ; Gioas a perdu sa mère; Scbia
a perdu son fils; ils se sentent attirés l'un vers l'autre, et le jeune
Gioas trouve pour l'étrangère des caresses cliarmantes ; Giojada,
qui en est témoin, n'ose cependant leur révéler le lien qui les unit.
Cependant l'imprudente Atnlia vient dans le temple, accompagnt'e do
Matan. Craignant que Giojada ne veuille supposer un fils d'Ocosia
pour le mettre sur le trône, elle se résout à le prévenir et à faire elle-
niônie ce qu'il veut faire ; elle choisira un faux Gioas, sous le nom
duquel elle régnera en siîreté. Elle ordonne à Sebia de r^jcennaître
cet enfant, quel qu'il soit, pour son fils, et lui persuade que Giojada
est d'accord avec elle.
Nous apprenons dans la seconde partie que le grand prêtre a écouté
sans daigner y répondre >es révélations mensongères et les offres per-
fides que Matan venait lui faire au nom de la reine ; l'usurpatrice reste
atterrée. Giojada, dans une scène empruntée à Racine, reconnaît
Gioas pour roi, lui donne des conseils sages et pieux, et, voyant
entrer Sobia, dit à la mère : « Voilà ton fils », et sort. Trop con-
fiante dans les paroles d'Atalia, Scbia, malgré les larmes de l'enfant,
ne voit en lui qu'un impo'^teur accepté par Giojada, et le repousse
avec horreur. Il faut que Giojada revienne pour mettre fin à cette
scène longue, pénible et inutile. La dernière partie de la pièce
de Métastase est calquée exactement sur VAthili'^ de Racine, si
ce n'est qu'au lieu d'imprécations terribles, lo poèto italien, au dé-
nouement, a mis dans la bouche de la reine vaincue quelques
paroles troublées et confuses, qui rappellent la sortie de Mathan au
troisième acte de notre Athnli/;. On lo voit, le drame italien n'est
qu'un pàlo rcfiel de la tragédie de Racine, et d'ailleurs le malen-
contreux personnage de Sebia suffirait à gâter une pièce meilleure
que le Gioas Ao. Métastase.
Si un seul poèto a osé traiter de nouveau le sujet déjà traité pir
2 2 ATUALIE.
Itacine, nous trouvons en revanche une quantité considérable do
traductions d'Athalie. On signalo liuit traductions allemandes
de 1790 à 1853, doux traductions hollandaises, en vers, en I71C
et 1771, six traductions anglaises, en vers rimes ou non rimes,
de 1722 Ji 1841, quatre traductions italiennes, dont la dernière de
l'abbé Conti, de 1743 à 1789, une traduction espagnole en 1754,
une traduction portugaise en 17C2, deux traductions hébraïques
en 1770 et en 1835, et enfin une traduction arménienne, par
M. Sarkis Dikranian de Xakliitchivan. publiée h Moscou en 1834.
Celte abondance de trachutions s'explique par l'opinion générale-
mont acceptée aujourd'hui qu'Athalie est le chef-d'œuvre de notre
Tuurs jauviur 1831..
ATllALlE
TRAGÉDIE
TIRÉE DE L'ÉCRITURE SAINTE,
1091 '.
1. Il y eut, CD rdalilé, (rois pr<^mières représentations à'Athalie : la première
» Saiiil-r.yr, le vendredi 3 janvier J69I, est qualifiée par Dingcau de rénélilion ;
Alhiilie p:irul pour la première fois avec éclat, à Versailles, le niariii tt fé-
vrier 1702; euliu elle fut jouée pour la preiuicre fois sur le Ibéillre, le mardi
3 mars 1716.
PREFACE.
Tout le monde sait que le royaume de Juda était composé
des deux tribus de Juda et de Benjamin, et que les dix autres
tribus qui se révoltèrent contre Roboam composaient le
royaume d'Israël. Comme les rois de Juda étaient de la mai-
son de David, et qu'ils avaient dans leur partage ' la ville et
le temple de Jérusalem, tout ce qu'il y avait* do. prêtres et de
lévites se retirèrent auprès d'eux, et leur demeurèrent tou-
jours attachés. Car depuis que le temple de Salomon fut bâti,
il n'était plus permis de sacritier ailleurs; et tous ces autres
autels qu'on élevait à Dieu sur des montagnes, appelés par
cette raison dans l'Écriture les hauts lieux', ne lui étaient
point agréables. Ainsi le culte légitime ne subsistait plus
que dans Juda. Les dix tribus, excepté un très petit nombre
de personnes, étaient ou idolâtres ou schismatiques
Au reste, ces prêtres et ces lévites faisaient eux- mômes une
tribu fort nombreuse. Ils furent partagés en diverses classes
pour servir tour à tour dans le temple, d'un jour de sabbath à
l'autre *. Les prêtres étaient de la iamille d'Aaron ; et il n'y
avait que ceux de cette famille, lesquels* pussent exercer la
1. Ce mot de partage a paru impropre à l'Acailéniie, parce que a le royaume do
SaloinoD n'avait point été partage; il avait été divisé pat- la révolte Je Jirobuam •.
2. L'Académie a ti«uvé qiit- y Taisait ici équivoque, pouvant *'.re pris pour
un adverbe de lieu relatif à Jérusalem.
3. U était interdit forracllcmeiit de sai-riGer sur les hauts llcux; cependant
la désobéissance y éleva taiitùt des autels sans toiture et sans enclos, tantôt des
temples de toute pclilc dimension, chargés d'eulourcr et de cacher l'autel et un
culte souvent iiiunoral .
4. I.a tribu de Lévi. attachée au service du tcrr.ple, comprenait les lévites et les
lacrilicateurs. Les leviles, qui ne |>ort;iiont point de costumi- ordinairement, et
ne revêtaient la robe blanche que pour l'eieicice do leuis fonctions, remplissaient
les fonctions iiifériiiures dans le temple. David les divisa en quatre classes : vin|;t-
quatre raille d'cutre eux furent chargés d'aider les prêtres dans l'accomplissc-
mrnt des rites; les quatorio mille autres gardèrent les lieux saints, ou servirent
de juges, de généalogistes, de musiciens. Ils remplissaient à tour do r6lc leurs
fonctions. Les saciin<'aleurs se parta;:er:nt sous David en vingt-quatre classes,
seixe descen<lants d'Éltazar, lils aine d'Anron, et huit d'itiiimir, son quatrième
lils. Au retour de Babylone, on ne trouve plus que quatre familles do sacrilica-
leurs. N'iitons en passant que le mol de prélrei sous lequel llacine les désigne
ici n'i'Pt pris un mot juif.
5. On dirait aujourd'hui -.qui. Au siècle dernier l'Académio censurait déjà U
tournure de phrate eniploNée ici par Uaciue.
sacrificature *. Les lévites leur étaient subordonnés, et avaient
soin, entre autres choses, du chant, do la préparation des vic-
times et de la garde du temple. Ce nom de lévite ne laisse
pas d'ôlre donné quelquefois indilTéremment à tous ceux de
la tril)U f^(^u\ qui étaient en semaine avaient, ainsi que le
grand preire, leur logement dans les portiques ou galeries
dont le temple était environné, et qui faisaient partie du tem-
ple même *. Tout l'édifice s'appelait en général le lieu saint.
Mais on appelait plus particulièrement de ce nom celte partie
du temple intérieur où était le chandelier d'or, l'autel des
parfums', elles tables des pains de proposition. Et cette par-
1. La fonction de sacrificateur.
î. On avait mis sept années et demie à éloyer le temple de Salomon. Il était
bâti sur la colline de Morija, qu'on avait élargie et fortifije pour le recevoir.
Construit sur le modèle du tabernacle de Moïse, le temple était tourné ver»
l'Orient; on y accédait par quatre portes. « Deux murs, l'un plus élevé que
l'autre, régnaient à l'entour ; de l'intérieur, en s'apprnchant, on pouvait voir
les arrivants, leur parler et les entendre (V. 1419 et 1749). Des galeries, sou-
tenues par des colonnes, formaient les deux parvis extérieurs; de ces esplanades
on entrait, toujours en montant, dans le parvis des femmes, et de celui-ci dans
le parvis des Israélites. Ces séparations étaient alors les seules qui précédaient
remplacement réservé au service des sacrificateurs. Au delà de ces esplanades
fermées se trouvait la cour mcnic du temple, réservée aux sacrifices (V. 4001; là
les sacrificateurs seuls et leurs aides, ou lévites, avaient droit d'entrée (V. 852) ;
là s'élevaient l'autel des holocaustes (V. 171), et la me:- d'airain, posée sur douze
figures de bœufs; là se trouvaient aussi les dix cuves plus petites qui servaient
aux ablutions... Au delà de l'autel des holocaustes s élevait le temple propre-
ment dit, couvert d'une toiture plane et précédé d'un large portique; l'entrée
était décorée de deux obélisques recouverts d'airain ciselé, derrière lesquels
s'ouvrait le sanctuaire, divisé en trois comparlimcnls, le vestibule, le lieu saint,
et le lieu très saint ou Saint des Saints. Dans le lieu saint était placé
l'autel des parfums entre le candélabre d'or aux sept branrhes et la table
où se déposaient les douze pains offerts en reconnaissance de ce que Dieu
nourrissait son peuple. Enfin, derrière le lieu saint, se trouvait le lieu très
saint, de forme pentagone, et probablement construit on dôme (V. 160) ; là, sous
les ailes d'or des figures de clijrubins V. 1594), derrière un voile, était déposée
l'Arche fV. 1595), contenant ies tables de la Loi et les livres do la main de
Moïse. Le lieu saint et le lieu très saint étaient séparés par des cloisons en
bois de cèdre, dont les larges portes se fermaient par des rideaux. Les barres
du support de l'Arche touchaient le voile, qui s'est déchiré à la mort du Christ,
et en écartaient les plis. — A l'cnlour du temple même, excepté sur le côté' de
l'entrée vers r^rient, régnaient des rangées de galeries où conduisait un esca-
lier tournant situé sur le coté méridional... : c'étaient des postes d'observation
du haut desquels on dominait la ville et les environs; c'élaieiit de» apparte-
ments occupes par les sacrificateurs, et des resserres d'approvisionnements, des
dépôts pour les instruments de musique ; là aussi avait lieu le sacre du roi
et probablement celui des grands prêtres. Dans les premiers parvis étaient dis-
posés des appartements, non seulcm -nt pour le grand prêtre, sa famille, ses
serviteurs, mais pour les sacrificateurs et les servants du temple... Ce fut dans
CCS dépendance» de la demeure du souverain sacrificateur que Joas trouva
d'abord un asile. ■> ;M. Atiiinisk CoQCEnKL.)
3. u L'autel de l'ofTraudc hebdomadaire était placé dans le premier compartiment
du tabernacle ou du temple, du c6lé septentrional, fait de bois il'acacia, de deux
coudées de longueur, d'une de largeur, d'une et demie de hauteur et recouvert
de lames d'or, lia feuille supérieure de la table était etilouiée d'une bordure d'or;
plus bas, au-dessous de cette feuille, un rebord de bois d'environ quatre pourei
Î6 ATUALIE.
lie était encore distinguée du Saint des Saints, où était
l'arche, et où le grand prôtre seul avait droit jd'entrer une
fois l'année '. C'était une tradition assez constante, que la
montagne sur laquelle le temple fut l)àli était la môme mon-
tagne où Abraham avait autrefois ofl'ert en sacrifice son fils
Isaac *.
J'ai cru devoi" expliquer ici ces particularités, afin que ceux
h qui l'histoire de l'Ancien Testament ne sera pas assez pré-
sente n'en soient point arrêtés en lisant celte tragédie. Elle a
pour sujet Joas reconnu et mis sur le trône; et j'aurais dû
dans les règles l'intituler Joas '. Mais la plupart du monde
n'en ayant entendu parler que sous le nom d'Athalie, je n'ai
pas jugé à propos de la leur présenter sous un autre titre,
puisque d'ailleurs Alhalieyjoue un personnage si considé-
rable, et que c'est sa mort qui termine la pièce. Voici une
partie des principaux événements qui devancèrent* colle
grande action.
Joram, roi de Juda, fils de Josaphat "*, et le septième roi de
de largeur encadrait les quatre c6u-s. Des anneaui d'or fi^és aux quatre pieds
tervaicnt à soulever et à transporter cette sorte d'autel durant le pèlerinage du
désert; les anneaux, devenus inutiles, furent supprimés lorsque le culte eut lieu
diuis le tem|i!c. Sur cette table, tous les jours de sabbat, douze pains sans le-
\aiu, en nombre égal aux tribus d'Israël, éiaient disposés par les sacriTicateurs
de service ; ruCTrande recevait divers noms, dont le plus usité était celui de pains
de pro|.osition ou posés devant Jéliova, en reconnaissance de ce qu'il nourrissait
$OUJ)euple. «(M. ATntlflSB C.OQrtiitL.)
1. u L'Arche, déposée dans le Saint des Sainis,.... é'.aitun simple cofTrct de boia
d'acacia, d'une coudée et demie en hauteur et en largeur, long de deux coudées
et revêtu de tous c6tés de l'or le plus pur. Un bord, également en or, entourait
le couvercle supérieur; sur les deux cA^é» longs, <lcu\ anneaux d'or recevaient
les doux supports de bois d'acacia, aussi revêtus d'or, qui avaient servi aux
-'oyagcs dins le désert; les deux poteaux touchaient au voile dont le lieu très
faim élail fi ruié, et l'écartaieut quelque peu ; ainsi, du lieu saint, on apercevait
l'Arche, ou du moins l'extrémité de ses linteaux. Le couvercle d'or pur, de pa-
reille forme et de pareille dimension, se terminait par deux figures de chérubins,
lètcs *ilcc», se regardant l'une l'aulrc, inclinées vers le dessus de l'Arche ; les
ades des deux images forniaient le haut et le rebord du couvercle, et représen-
taient le tiôac de Dieu, ilont l'Arclic même élait censée le marchepied. Celte par-
tie supérieure de l'Arche se nommait le Propitiatoire.... Il élait défendu, sous
peine de mort, de regarder dans l'Arehc. n (M. ArB^Nist Coquibsl.) Voir la
note du vers tS94, cl, pour lo trône do Dieu, h'sthrr, v. 356
2. Voiries vers 1438-14-14. Ilacine a>ait lu et annoté les œuvres du théologien
anglican Lightfuot, dans lesquelles on trouve (I, 74): « Fundamenta tcmpli jacti
Im monte Moria, ubi Isaac fuerat oblatus. «
3. Uétdstasc, Iroiiaiit au xtiii* siècle le m(inc sujet, intitulera soo drame
Ijriquc Gi'ins, re di Guida.
4. l'rér'édcrent dans l'ordre des temps. Racine avait déjà écrit dans la Thi'
baide (IV, iiij:
Votre \ihe tt l« Hoit qnl leui ont dctanc4<.
5. Josaphat, fils d'Aza, Hit le quatrième roi de Juda. Ce princ* éclairé et
lago administra habilement lajustice, combattit l'iduUtrie, protégea le commuée;
sa mémoire protôgea le règne de sop Ils Juram.
rnÉFACB, "^
la race de David, épousa Alhalie, fille d'Achab * et de Jézabcl *,
qui régnaient en Israël, fameux l'un ciraiilre, mais principale-
ment Jézabol. par leurs saiigUmlcs persécutions contre les pro-
phètes. Athalie", non moin s impie que sa mère, en traîna Ijicnlôt
le Hoi son mari dans l'idoliltric, et fit même construire dans Jé-
rusalem un temple à Baal*, qui était le dieu du pays de Tyr et de
Sidon, où Jézabcl avait pris naissance. Joram, après avoir vu
périr par les mains des Arabes et des Philistins tous les prin-
ces ses enfants, à la réserve d'Okozias, mourut lui-même mi-
sérablement d'une longue maladie qui lui consuma les en-
trailles *. Sa mort funeste n'enipécha pas Okuzias d'imiter
son impiété et colle d'Athalie sa mère. Mais ce prince, après
avoir régné seulement un an, étant allé rendre visite au roi
d'Israiil, frère d'Athalie, fut enveloppé dans la ruine de la
maison d'Achab, et tué par l'ordre de Jéhu", que Dieu avait
fait sacrer pur ses prophètes pour régner sur Israël, et pour
Ctre le ministre de ses vengeances. Jéhu extermina toute la
pustérilé d'Achab, et fit jeter par les fenêtres'' Jczabel, qui,
selon la prédiction d'Élie, fut mangée des chiens dans la vigne
i. Acliab, soplicme roi d'Israël, fils de Ilomii, et époi:x de Jézabcl, faturisa le
eulledc Bial, i6ii.-la am miracles U'Élic, s'empara dii vignoble de Jizrcliel, que
refus lit do \>.uclre, selon la lui, N.iboth, qui lu possédait par hérita^jc, permit à
Jézabel de Taire périr Naboth, et vint mourir, déshonoré par la fuite et mortelle-
ment blessé par les Syriens, dans le ch:inip qu'il avait volé.
2. Jézabel, fille d'Etlibabd, roi de Tyr et de Sidon, cl femme d'Achab, roi
d'Israël, est une des plus odiiuses figures de femme que l'iiisloirc ait conservées.
Cyniquement féroce, froidement cruelle, elle joij,'iiail rhypuerlsic à l'esprit de
peiséciilion ; elle assassinait juridiquemeut, afin de pouvoir plus à sou aise satis-
faire son goût pour la parure.
3. Atliaiie, après avoir encouragé les attentais et les idolâtries de Joram, son
mnri, fut, selon l'Écriture, « la conseillère d'iniquité » de son fils Okozias. Elle
lui surcéda en l'an 8S4 av. J.-C.
•i. Le culte de Daal ou du soleil est une des formes du sibéisme. Ce culte piô-
valiit dans les deux rnya'imcs liebicux sous le re;;uc de la dynastie sidonienne,
et tenait en échec a Jérusalem le culte du vrai Uicu. On a con^ervé lo nom de
Mettanualcc, gardien des chars et des chevaux du soleil, dont l'écuiic sacrée Se
trouvait près du temple.
5. Joram, cinquième roi de Juda, par complaisance pour sa femme Alhalie,
Oalilii l'idolâtrie dans ses États; il Gt périr ses frères qu'il craignait, et dont ii
voulait hériter. Il mouiut d'une loo|;ue et horrible dysenterie, u sic longa cou-
sumplus tabc, ita ut rgercrct viscera sua», et le peuple ne le brûla pas soicoucN
lemeiit, comme il avait fait pour ses ancêtres.
6. Oliozias, sixième roi de Juda, était le plus jrune des fils de Joram et d'A-
thalie; il fut viiiicu et tué par Jéhu, dixième roi d'Uricl, qui, appelé au trône piu
Dieu, extermina la maison d'Achab, dont sortait Athalie, et renversa la saciifi*
catiin- de BaaI. .Mais il dcviut bientôt lui-même idolâtre, sacrifia au veau d'or,
•ttiiu sur sa tète les mêmes menaces que Dieu l'avait chargé d'exécuter sur 11
maison d'Achab, et vit la Syrie s'emparer d'une partie de ses Étais. Sa dynastm
fut ri^pudiée.
7. L'Acad'';mic 'rouva celte loculiou « du discours familier «t presque prover-
bi. 1 »,
2 s ATDALIE.
de ce mônic ISadoth qu'elle avait fait mourir autrefois pouf
s'emparer de son liérilage. Athalie, ayant appris à Jérusalem
tous ces massacres, entreprit de son côté d'éteindre entière-
ment la race royale de David, en faisant mourir tous les en-
fants d'Okozias, ses pclits-fils. Mais heureusement Josubet,
sœur d'Okozias, et fille de Joram, mais d'une autre mère
qu'Alhalie, étant arrivée lorsqu'on égorgeait les Princes ses
neveux, elle trouva moyen de dérober du milieu des morts le
petit Joas encore à la mamelle, et le confia avec sa nourrice au
grand prêtre, son mari', qui les cacha tous deux dans le tem-
ple, où l'enfant fut élevé secrètement jusqu'au jour qu'il fut
proclamé roi de Juda. L'histoire des Rois dit que ce fut la
septième année d'après. Mais le texte grec des Paralipomènes,
que Sévère Sulpice a suivi, dit que ce fut la huitième*. C'est ce
qui m'a autorisé à donner à ce prince neuf à dix ans, pour le
mettre déjèi en état de répondre aux questions qu'on lui fait.
Je crois ne lui avoir rien fait dire qui soit au-dessus de la
portée d'un enfant de cet ;lge qui a de l'esprit et de la mémoire.
Mais quand j'aurais été un peu au delà, il faut considérer
que c'est ici un enfant tout extraordinaire, élevé dans le tem-
ple par un grand prêtre qui, le regardant comme l'unique
espérance de sa nation, l'avait instruit de bonne heure dans
tous les devoirs de la religion et de la royauté. Il n'en était
pas de même des enfants des Juifs que de la plupart des
nôtres. On leur apprenait les saintes lettres, non seulement
dès qu'ils avaient atteint l'usage de la raisons, mais, pour me
servir de l'expression de saint Paul, dès la mamelle*. Chaque
1. Chei les Juifs, plus que partout ailleur '«le pontificat fut étroitement sou-
mis au pouvoir civil. Aussi Jéhojailah, ou Joad, est-il un des rare:) pontiTcs qui
aient laissé un nom dans l'Iiistuire. Après avoir diricé les di'buts du ic);ne de
Joas, il mourut à l'àgc de (30 unt, et fut enseveli Jung les tombes royales de
Jérusalem, par le plus insigne (1rs honneurs. Cette longévité ntraordinairc pro-
mise dans les dix coniniandcmoiils a relui qui acrumplit ses devoirs de faniillc,
était bien due au restaurateur de la dynastie de David sur le trône de Juda.
2. Sulpice Sévcrc dit diins Sun //i.î(oir« lacr^f, (I. I): « Gotholia (les Septante
et Joseplic appellent ainsi Athalie) inipcrium pust occupavit, adcmplo nepoli im-
mperio, etia tuni parvo puero, cui Joai nomen fuit. Scil liuic ab avia praireptum
imperium, post oclo fere annos, per sacerdotem et populuni, depuis» avin, red-
dilum. • La transposition que fait ici llarine des noms du l'éciivain ecclusius-
tique a étonné \a ciitiquos. On iruuve en tétc du teite de cet auteur que possé-
dait Karine et qu'il a .innolé, uni; lettre de Scaligcr, qui justifie l'ordre de nom*
adopté par le puèl'. Dans cette phrase et dans la précédente, llueine a en vue le
lerart 2t du chapitre ii du livre IV des Unis, et le premier verset du chapitre xxiv
ilu livre U des l'araUpumfues.
3. L'Académie ariiniie qu'on ne dit pas • atteindre l'usage du la raisun •,
• l'inme on dit : • atteindre l'igc de raison. ■
4. • Ka) «Ti k%lt P(<fOu( -îi. Iifà 7fd|i,t»a «Ua;. » (//• lîpUrt à Timothée, III, 1^.)
PREFACE. 29
Juif était obligé d'écrire une fois en sa vie, de sa propre main,
le volume de la loi tout entier. Les rois étaient même obligés
de l'écrire deux fois, et il leur était enjoint de l'avoir conti-
nuellement devant les yeux '. Je puis dire ici que la France
voit en la personne d'un prince de huit ans et demi*, qui
fait aujourd'hui ses plus chères délices', un exemple illustre *
de ce que peut dans un enfant un heureux naturel aide d'une
excellente éducation '; et que si j'avais donné au petit Joas
la môme vivacité et le môme discernement' qui brillent
dans les reparties '' de ce jeune prince, on m'aurait accusé
avec raison d'avoir péché contre les règles de la vraisem-
blance.
L'ùgc de Zucharie, fils du grand prêtre*, n'étant point
marcjuc ^, on peut lui supp;;ser, si l'on veut,deux ou trois ans
de plus qu'à Joas.
J'ai suivi l'explication de plusieurs commentateurs fort
habiles, qui prouvent, par le texte môme de l'Écriture, que
tous ce? soldats à qui Joïada, ou Joad, comme il est appelé
dans Joscphe'", fit prendre les armes consacrées à Dieu par
David, étaient autant de prêtres et de Lévites, aussi bien que
les cinq ccnlcniers qui les commandaient". En effet, disent
ces interprètes, tout devait être saint dans une si sainte action,
t. Dans le Synups^s crilicorum, que Racioe a cité dans ses Noies maniu-
crites sur At/uilie, i propos des versets 18 et 19 du chapitre ixtu du Deuté-
nonome: « Puslfiuam auleiu sederit in soiio rcgiii sui, acsi-ribet sibi Deulerono-
miuni lc|;is hujus in voluniinc et habebit secum, legetque illud omnibus
dicbus \il8e sus •, on lit le cnmmcutïirc suivant (t. I, p. 81U) : « Totum cnim
Pentateuchum descrit)erc tenebatiir [m), prinuim ut Israclita quivis, doinde
itcriim ut rci. » El plus luin : u UupUim li'i^is eicinptar, ununi quud secuiu fcrret
quocumque irct, allcruni qnod iii areliivis liaberet. » L'Acadt^mie, dans ses Senti-
ments sur Alhalie, a comlialtu cette assertion.
2. Le duc de Boiirgot;iic, pelit-fils de Louis ÏIV, était né le « août 1682; il
mourut en 1712; il fut i cie de L(]iiis XV.
3. Cette phrase rappelle un >rers de l'eiposition de Britanntcus :
De Rome, pour un temps, Caiui fut les délices.
4. Ce mot très pompeux était for* employé au irii* siècle; on dit plutôt au-
jourd'hui : éclatant.
5. Depuis le mois d'noùt 1660, l'éducation du jeune prince était confiée à Fé-
nelon, au duc de Bciuvilliers et aux abbés Fleury et de Deauraont.
6. I,a Fontaine a fanté aussi en 1G04 la précoce intelligence du jeune prince
dans la fable ir.tituléc le Loup ri le Rrnard.
7. Répliques, réponses. La rcparliu est une saillie qui repart.
8. Zachnrie n'était que le pclit-fils de Joad et de Josabct. Les Chroniques et
\'/Cvangilc de saint Matthieu disent que son père se nommait Barachie.
9. Voila un véritable ablatif absolu.
10. Jobcplie l'appelle 'lùiao,-.
11. M. Atlinnnso f.oquercl n'est pas de cet avis, et voit dans les cinq per-
sonnages nommés par les Paraliponv-nes (II, xiiii, 1) des commundanlt
Il jlitaires, et ooa de» membres de la tribu de Lévi,
3 0 ATUALIE.
et aucun profane n'y devait (ître emijloyé. Il s'y agissait non
seulonienl de conserver le sceptre dans la maison de D.i\id,
mais encore de conserver à ce grand roi celte suite dedescen-
daiils dont devait naître le Messie*. « Car ce Messie, tant de
fois promis comme lils d'Abraham, devait aussi 6lrc le fils de
David et de tous les rois deJuda * ». De là vient que l'illustre
et savant prélat s de qui j'ai emprunté ces paroles, appelle
Joas le précieux reste de la n^aiï;on de David. Josèphe en
parle dans les mémos termes*. El l'Écriture dit expressément
que Dieu n'extermina pas toute la famille de Joram, voulant
conserver à David la lampe qu il lui avait promise ". Or celle
lampe, qu'était ce autre chose que la lumière qui devait être
un jour révélée aux nations?
L'histoire ne spécifie point le jour où Joas fut proclamé.
Quelques inierprètes veulent que ce fùl un jour de fôte. J'ai
choisi celle'' de la Pentecôte, qui élait l'une des trois grandes
félcs des Juifs. On y célébrait la mémoire de la publication
de la loi'' sur le mont de Sina'i*, et on y offrait aussi à
Dieu les premiers pains de la nouvelle moisson, ce qui
faisait qu'on la nommait encore la fête des prémices. J'ai
songé que ces circonstances me fourniraient quoique variété
pour les chants du chœur.
Ce chœur est composé de jeunes filles de la iribu de Lévi,
1. Le mot Messie n pour racine première l'Iiibrcu mesita, oinlre. C'est donc
le môme mot que Christ, qui vient du grec /pktto;.
2. Dossiict, Jlist.uniu., XXI» partie, scct.'lV.
3. « M. de Moaux. » (Noie de liacine).
4. Il napava-^ùv ov Ivi toj Aa'ji''$o'j fi'vou; txptfiy. » {AntiÇUHéS JudaiqueS,
:x,7.)
Vt. a Noiuit aulctu Uoicinus disperdcre Judam. propler David, servum suum,
sicut promiscrnt ei, ut daret ci lucrrnam et filiis rjus cunrtis dielnis. » (IV
liois, VIII, 19.) Kacinn s'est souvenu de ce texte dans la seconde scène do sa
tragédie, v ïïS2.
6. « Féie étant pris iMuùniiiment cl sans article, l'emploi du pronom celle
n'est pas grammaticalement exact. Il eut été mieux de dire : y ai chnisi la
fttede, etc. » [Sentiments de l'Académie sur Al Italie.) \ propos du vers iOS2de
Afit'iridtile. niiipicl on adressait la même critique, Louis liacine a cité un pas-
sage de la XIV" Procinciale, où il est dit que l'Kglise défend & ses enfants « de
te faire justice k eux-mêmes ; et c'est par son esprit que les rois chrétiens >i«
se la font pas, dans les crimes wémes de Icsem.ajeslô au premier chef ". Mal
hcrhc, fx)rneille et Madame de Sévi^rné manquent souvent aussi à celte ré(;le.
7. La cunmii''n)oration de la promulgation de la loi n'était pas une fête d'or-
donnance divine ; l'usopc seul l'avait établie, et elle coiiiciduit avec la l'ente-
côte. Les deux autres félcs étaient celle des Tabernacles et celle des Azymei
(la l'Jquf).
». OuSina, forme grcccpic. Celte montagne, de 10,000 pieds environ, est située
dans l'Aiabie l'élrée; une eau abondante descend de ses lianes, (/est dans CO
désert muntueux que la Loi fut donnée a Moïse. Dans les livres narrés, on en»
tend par ce mot: i la Loi >>, I onscinblc des institution» de Uoisc. Ils dcsigneal
ici slnifileincnt le Décologuc.
ruLFACK. ;ti
et je mcls à leur lùle une fille que je donne pour sœur
à Zacliarie. C'est elle qui inlroiluit le chœuf chrz sa mcrc.
Klle clumle avec lui, porte la parole pour lui, et fuit enfin les
fonctions de ce personnage des anciens cliœurs qu'on appe-
lait le coryphée. J'ai aussi essayé d'imiter dos anciens celle
continuité d action qui fait que leur Ihéàlre ne demeure ja-
mais vide', les intervalles des actes n'étant marqués que par
des hymnes et par des moralités du chœur qui ont rapport
à ce qui se passe.
On me trouvera peul-ôtrc un peu hardi d'avoir osé mettre
sur la scène un prophète inspiré de Dieu, cl qui prédit l'ave-
nir. Mais j'ai eu la précaution de ne meltre dans sa bouche
que des expressions tirées des prophètes mûmes. Quoique
riicriture ne dise pas en termes exprès que Jo'iada ail eu
l'esprit de prophétie, comme elle le dit de son lils^ elle le
représente comme un homme tout plein de l'esprit de Dieu.
Et d'ailleurs ne paraît-il pas par l'Evangile qu'il a pu prophé-
tiser en qualité de souverain pontife ^? Je suppose donc qu'il
voit en esprit le funeste changement de Joas, qui, après trente
années d'un règne fort pieux, s'abandonna aux mauvais con-
seils des flatteurs, et se souilla du meurtre de Zacharie, fils
el successeur de ce grand prêtre*. Ce meurtre, commis dans
1. Nous Terrons même le promiop vers du V* acte d'Athalie riraer avec un
des vers du chœur qui termino le 1V« acte.
2. a Spiritus itaquc Dei induit Zachariam, niium Joiadae, sucerdolcm. »(II, Pa-
ralipomén''s, xxix, 20.)
3. Dans VÉrannile de saint Jean (xi, 51), il est dit au sujet des paroles pro-
phétiques de r.aiphe : « Hoc autem a scmotipso non dixit ; scd cum essct pon-
tifox anni illius, pi-ophetavil.... » On en a conclu que le don de prophétie était
attaché il sa qualité de souverain pontife. Lisjhll'oot it. II, p. CciO) repousse
cette inlerprét:iiion : « Lonf^issimè pelila est liujus rci ratio, dum adscrihitur
oflicio ejus poiilill ^ili, (pcrindei ac si is ox ijiso puiilificatu ficret vatcs. Scoten-
tia non digna conriitalionc. « {Nota de M . }}■: ,nard.)
4. On a beaucoup reproché a Ilacinc de nous avoir ainsi retiré l'intérêt que
nous portions & Joas. Sainlr-ncuvc a écrit à ce propos dans son Port-flhynl
(VI, 148) : a C'est tclli'mi'nt cet invisible (Dieu) qui domine dans At/ialic, l'inlèict
y vient tellement il':iiilie part que des hommes, bien que ces hommes y rem-
plissent si admirabkniont le rôle qui leur est à chacun assigné, que le person-
nage intéressant du drame, l'enfant miraculeux et saint, Joas, est, à un moment
capit:tl. brisé lui-mime, ut brisé comme exprès en sa (leur d'espérance. D.ins
celto iccnc de la fin du troi^'icrae acte, dans cMc prnplitilio da grand prclre,
qui est comme le Sinai du drame, c'est Joas de qui il est dit :
Cominenl en un plu.ub fil l'ur pur s'ett il ebingi 7
«Car qu'est-ce que Joas? De quel poids est-il, après tout, dans les divins con-
leils ? Joas tombe ; un autre sucecHi! ; ro?eau pour roseau. Joas, dans celte scèno
prophétique, c'est la race de I)a\id, mais ciie-méme rcjoléo des qu'elle a pro-
duit la tige unique, nécessaire et iiii;i JrissSblo.... I.a prujdiélic close, cet éclair
deux fuis surnaturel évanoui, le surnaturel ordinaire de la pièce continue : le
dianie reprend avec son intérêt un peu plus pirtioulicr ; Joas redevient le ro
ictun intéressant à sauver et pour qui ion Irem'jle. Joad lui-mcmc, eo lui [Kir-
32 ATUALIE.
le temple ', fut une des principales causes de la colère de
Dieu contre les Juifs, et de tous les malheurs qui leur arri-
vèrent dans la suite '. On prétend môme que depuis ce jour-
là les réponses de Dieu cessèrent entièrement dans le sanc-
tuaire. C'est ce qui m'a donné lieu de faire prédire tout de
suite à' Joad et la destruction du temple et la ruine de Jérusa-
lem ♦. Mais, comme les prophètes joignent d'ordinaire les con-
solations aux menaces, et que d'ailleurs il s'agit de mettre sur
le trône un des ancêtres du Messie, j'ai pris occasion de faire
entrevoir la venue de ce consolateur, après lequel tous les
anciens justes soupiraient. Cette scène, qui est une espèce
d'épisode, amène très naturellement la musique, par la cou-
tume qu'avaient plusieurs prophètes d'entrer dans leurs
saints transports au son des instruments. Témoin cette troupe
de prophètes qui vinrent au-devant de Saiil avec des harpes
et des lyres qu'on portait devant eux ', et témoin Elisée lui-
même, qui étant consulté sur l'avenir par le Roi d'Israël, dit,
comme fait ici Joad : Adducite mihi psaltcm '. Ajoutez à cela
que cette prophétie sert beaucoup à augmenter le trouble
dans la pièce, par la consternation et parles diiïérents mou-
vements où elle jette le chœur et les principaux acteurs'.
lanl, semble avoir oublié celte chose future, entrevue par lui-même dans la pro-
phétie. Pourtant une sorte de crainte à ce sujet ne cosse plus et fait ombre sur
l'avenir cl sur la prrsévéranee de cet enfant mervcilloux ; Joas y perd : la véri-
table unité de la pièce, Dieu, à qui tout remonte, y gagne.»
1. 11 Zarliariae, filii Barachise, quem occidistis inter templura et altarc. »
lÉvant/ile de saint Mallhieu, xxiii, 35.) — Devenu grand prêtre, Zacharie, dans
une fctc solennelle, avait reproché aux Hébreux leurs inridélités. Joa» ne le dé-
fendit point contre les colères du peuple, qui le lapida.
2. On lit dans les Notes manuscrites sur Athatie : « Depuis le meurtre de
Zacliaric, sanguis attirjit languinem, l'étal des Juifs a toujours été en dépéris-
tan t. »
3. « Il faut par », dit l'Académie.
4. On voit aveu quel soin Kacinc pesait chaque détail de son drame.
.S. Samuel dit à Saiji, au cliapilrc x, verset 5, du livre I des Rois: « Obviura
habebis prcgcm prophetnrum descendentium de cxcelso, et ante eos psaKcrium
et tvmpaiium, et til)iam, et citharam, ipsusque prophetantes. » Quoi qu'en dise
llaclne, on ne trouve duns les Livres saints qu'un seul exemple de prophète
demandant à la musique de venir en aide h l'inspiration; ce prophète, c'est
Kliséc, que cite Flacinr, Il se trouva un jour en présence de Josaphat et de
Joram ; la vue de l'impie Joram causa au prophète une telle indignation que,
interrogé par Jo<i.'iphat, il dut demander à une musii|ue religieuse et doure de
rendre le calme a son esprit. On voit que c'est U un cas tout exceptionnel.
6. IV Huis 15.
7. Louis Ilni-inc ronsiatc que » le silence aue l'auteur garde sur la comluite
de sa pièec, dans la l'rffare, est rrmarqualite. Dsns lei autres Priifad'Sy 11 a
''Oiiturni: de parler de l'économie de sa tragédie, du succès qu'elle a eu, ou des
''riiiques qu elle a essuyées ; il se contente, dans cclIc-ci, d'instruire le Iccleut
Ju sujet. ■
NOMS DES PERSONNAGES '.
JOAS, roi de Juda, fils d'Okosias. Le comte de l'Esi-ahre '.
ATHALIE, veuve de Joram, aïeule
do JoaS M" LA PRÉSIDENTE DE CaAILLY '.
JOAD, autrement Joïada, grand
ptôtre Baiion *.
JOSABET, tante de Joas, femme
du grand prôtro M»» la duchesse de BouncoGNB s.
•.. On ne sait pas les noms des jeunes filles qui jouèrent Athalie aux représen-
tations modestes de 1C91, 1C92 et 1693. Nous donnons la liste des nobles per-
sonnages qui interprétèrent la tragédie devant Louis XIV, à Versailles, 1«
(4 février 1702.
2. Le comte de l'Esparre était le second fils du duc de Guiclie, Antoine IV de
Cramont, petit-fils du duc Antoine III. Le duc de Cuiche avait été aide de camp
du Dauphin dans celte campagne de 1G88 que célèbre le prologue à'Esther, et
allait être fait maréchal cette même année 1702. II sera envoyé en 1705 comme
conseiller auprès de Philippe V, roi d'Espagne, et, devenu duc de Gramont en
1720, sera élevé à la dignité de maréchal de France en 1724. Ce seigneur de
t. fort peu de sens, et d'une parfaite ignorance », dit Saint-Simon, avait épousé
la fille aînée du duc de Noaillcs, et se trouvait ainsi beau-frèie de la nièce de
Madame de Maintcnon. La duchesse de Guiche « avait infiniment d'esprit, du
souple, du complaisant, de l'amusant, du plaisant, du boulTon même ■, dit
Saint-Simon, et, « dévote comme un ange », elle avait su s'attirer les bienveil-
lances de Madame de Maintcnon ; c'est ce qui explique pourquoi le rôle de Joas
fut donné à son fils, alors âgé de 7 à 8 ans, dit le Mercure. D'après le Diction-
naire de la noblesse de La Chenayc-Desbois et Dadier, le comte de Lcsparre
aurait eu alors près de 13 ans, étant né le 29 mai 1G89. (11 est vrai que le Die-
tionnaire, par une inadvertance étrange, place huit ans après sa naissance le ma-
riage de ses pai ents, et omet de donner la date de naissance de son frère »iné ;
on ne peut donc guère tirer parti de son assertion pour réfuter le Mercure.)
Louis de Gramont, comte de Lcsparre, prit la carrière des armes; il fut fait
lieutenant général le 21 février 1738; et la mort de son frère aine, arrivée le
16 mai 1741, lui donna avec le régiment des gardes françaises le gouvernement
du royaume de Navarre, de la principauté de Béarn, et des ville et citadelle
de Bayonnc. Il fut reçu duc et pair de France au parlement de Paris le 15 mars
1742, et tué d'un coup de canon dans la cuisse, étant à la tète du régiment des
gardes françaises, à la bataille de Fonicnoy en Flandre, le H mai 1745. Il
avait épousé, le U mars 1720, Geneviève de Gontaut, fille du duc de Biron,
puir de France, dont il eut deux fils, et une fille qui épousa le comte de Rupel-
iconde.
3. U nous a été impossible de trouver d'autres renseignements sur la prési-
dente de Chailly que cette phrase d'une lettre de Madame de Maintcnon : « sans
compter l'honnctclé qu'on doit à Madame de Chailly, qu'on a fait venir cxprci
pour jouer Allialic, >< etc.
4. Voir les Acteurs d'Iphiçénie.
5. Marie-Adélaïde de Savoie, fille aînée de Victor-Amédée II, duc de Savoie, qui
était femme du duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV, et qui devait être plus
tard mère de Louis XV, avait alors seize ans. Elle était venue à la Cour de France
àon7.e ans; son mariage fut célébré à Vers:>illcs avec une pompe inouïe, le 7 dé-
cembre 1697 ; mais aussitôt après la jeune princesse alla terminer son éducation
Saiot-Cyr sous la haute direction de Madame de Maintcnon, qu'elle appelai!
3 4 ATnALlE.
ZACIIÂRIE, nis de Jon^ et de
Josabct..: M. de CiiAMPEnoN *.
SALOMMII, sœur deZacliario... M«" la comtesse d'Aye.n '.
ta tante. Elle y prit beaucoup de goût pour Racine, fit le personnage d'une des
ictito» Israélites dans une des rcpr'^senfations d'Esthfr, se fit jouer plusieurs
}is Athalie, et, voulant y prendre clle-mcme un r6le, décida les représonlalions
petites Israélites dans une des rcpr'^senfations d'Esthrr, se fit jouer plusieurs
fois Athalie, et, voulant y prendre clle-mcme un r6le, décida les représenlalions
solennelles de 170i. Enfant râlé du Roi et de Madame de Maintcnon, elle ne si>
Toyait jamais refuser rien. Voici le portrait qu'en a tracé Saint-Simon : «yuan\
à la figure, elle était régulièrement laide. Les joues pendantes, le front avancé,
le nez qui ne disait rien, de grosses lèvres tombantes, des cheveux et des sour-
cils châtains bruns, fort bien plantés, des \c»x les plus parlants et les plus
beaux du monde, le plus beau teint et la plus belle peau, le cou long avec un
soupçon de goitre qui ne lui seyait point mal, un port de tète galant, gracieux,
majestueux, et le regard de nicnic ; le sourire le plus expressif; une taille
longue, ronde même, aisée, parfaitement coupée; une marche de déesse sur les
nues ; elle plaisait au dernier point... En public, sérieuse, mesurée; respec-
tueuse avec le Rui, et en timide bienséance avec Madame de Maintcnon. En
particulier, causant, voltigeant nutour d'eux ; tantôt perchée sur le bras du fau-
teuil de l'un ou de l'autre, tantôt se jouant sur leurs genoux, elle leur sautait
au cou, les embrassait, les baisait, les caressait, les chiironnait. Admise à tout,
à la réception des courriers qui apportaient les nouvelles les plus intéressantes,
entrant cliez le Roi à toute heure, même pendant le Conseil. >> Elle en profitait
pour tenir son père au courant de tout ce qui pouvait politiquement l'intéresser.
Louis XIY, qui l'apprit après sa mort, en fut profondément alTecté^^ La petite
duchesse fut enlevée à vingt-six ans, six jours avant son mari, par la rougeole
pourprée. Le Met cure galant de février 170i, rendant compte de la représen-
tation d'A<Aa?ic;- disait d'elle: « Madame la duchesse do Bourgogne a joué
Josabet avec toute la grâce et tout le bon sens imaginable, et, quoique son
rang pût lui permettre de faire voir plus de hardiesse qu'une autre, celle qu'elle
a fuit paraître seulement pour marquer qu'elle était maîtresse de son rôle, a
toujours été mêlée d'une certaine timidité, que l'on doit nommer plutôt modestie
que crainte. Les habits de cette princesse étaient d'une grande magnificence. »
1. La terre de Chamrond, dans le Maçonnais en Bourgogne, avait et.! érigée
en comté, en 1044, en faveur et en récompense des services do Gaspard de vi-
chi, gouverneur du Pont Saint-Esprit, arrière-grand-pcre du Gaspard de Vichi,
comte de Champeron, qui nous occupe ici. Ce dernier, qui dut naître vers 1001,
épousa Maric-Camille-Ùiane d'Albon de Saint-Marcel en 1739, fut fait maréchal
de camp, quitta le service en 1743, et mourut en 1781 dans sa terre do Chamrond
Une de ses jeunes sœurs devait être la célèbre marquise Du DcITand.
2. La comtesse d'Aven était la nièce de .Madame de Maintcnon. Son père, le
comtcd'Aubignè, était un ancien capitaine d'infanterie : >' C'était, dit Saint-Simon,
un panier percé, fou à enfermer, mais plaisant avec de l'esprit de saillies et dos
reparties auxquelles on ne sr- pouvait attendre... 11 ne se contraignait pas de
dire très ordinairement le brau-frrre, lorsqu'il voulait parler du Uoi. " La mère,
la comtesse d'Aubigné, « était la fille d'un nommé Picère, petit médecin, qui
s'était fait procureur du Uoi de la ville de Taris, que d'.Aubigné avait épous;C
en (078... C'était une créature obscure, plus, s'il se pouvait, que sa naissance,
modeste. Tortueuse... sotte à merveille, de même tout à fait basse, d'aucune
sorte de mise, et qui embarrassait également Madame de Maintcnon à l'avoir
avec elle et ù ne ra\oirpas. » Le Roi avait eu d'abord l'intention de marier Made-
moiselle d'Aubigné au prince de MarsiUac, petit-fils du duc do La Rochefoucaul.l.
Madame de Maintoimn préféra le comte d'Aycn, fils du duc de Noailles : a Ma-
dame de Maintcnon, dit Saint-Simon, assura fiOO.OOO livres sur son bien après
clic ; elle en avait bi-auconp plus, et point d'aulre héritière. Le Roi donna
300,<'00 livres comptant, iiliO.OOO livres sur l'ilôlel de Ville, pour 100,000 livres
do pierreries, avec les survivances du gouvernement île Roussillon, l'crpignan,
etc., de M. de Koailles, de 38,000 livres de rente nu soleil, cl de celui de Iteriy
de M. d'Aubigné il<' 30,000 livres de rente, et sur le tout une pince dt, <lame du
Salais. La dui laration s'en fit lo mardi 11 ni:irs(IG08). Le len<lcni:tin Madame l'e
•inlenon se mil sur son lit au sortir de table, et les portes furent ouvert <
NOMS DES PERSONNAGES. S5
ABNER, l'un des principaux offl-
ciors des rois do Juda ... MoNsiEun le duo d'Orléans '.
AZAC.IAS, ISMAl.L, et les tiiois autres chefs des PriiîtREs rt des
LliVITES.
aux compliments de toute la cour. Madame la duchesse de Bourgogne, tout
habillée, y passa la journée tenant Mailomoisclle d'Aubigné auprès d'elle, cl
faisant les honneurs comme une particulicre clic?, une autrr.... Le mardi der-
nier mars, ils furent Gancés le soir à In chapelle, Madame la duchesse de Bour-
gogne et toute la cour aux tribunes, et la noce en bas... Le lendemain tard dans
la matinée, Madame de Maintrnon vint avec toute la noce à la paroisse, où
M. de Paris dit la messe et les maria, d'où ils allèrent tous dîner chez M. de
Noailles, dans rap[)artement de M. le comte de Toulouse, qu'il lui avait prêté.
L'après-dinéc, Madame de Maintcnon, sur son lit, et la comtesse d'Ayen, sur
un autre dans une autre pièce joignante, reçurent encore toute la cour... Le
soir on soupa chez Madame de Maintcnon avec clic et Madame la duchesse de
Bourgogne et les hommes dans une autre chambre. Le Roi donna la chemise au
comte aAyen, et Madame la duchesse de Bourgogne à la mariée. Le Roi... leur
dit pour bonsoir qu'il leur donnait à chacun 8,000 livres de pension... » Saint-
Simon appelle la comtesse d'Ayen « une folle » : c'est sans doute par suite d'une
tendresse presque maternelle que Madame de Maintcnon accordait à la com-
tesse d'Ayen une sensibilité douce et spirituelle, lorsqu'elle écrivait à son mari :
Madame la duchesse de Bourgogne « veut joucr Josabet, qu'elle ne jouera pas
comme la comtesse d'Ayen. Mais après avoir reconnu ses honnêtetés là-dessus,
je lui ai dit que ce n'était point à elle à se contraindre dans une chose qui ne
se fait que pour son plaisir... Il faut donc que la comtesse d'Aven fasse Salo-
mith ; car sans compter l'honnêteté qu'on doit à M,' dame de Cliailly, qu'on a fait
venir exprès pour jouer Alhalie, je ne puis me résoudre à voir la comtesse
d'Ayen joucr la furieuse. » «
-i. Fils de Philippe d'Orléans, frère de Louis XIV, îe duc Philippe d'Orléans
avait alors fl ans; depuis dix ans, il était devenu le gendre du roi, ayant
épousé Mademoiselle de Blois, que Louis XIV avait eue de Madtmc de Monlfi-
pan. Sa mère, Charlotte de Bavière, avait été si irritée de ce mariage que, dit
Saint-Simon, lorsque son fils vint lui baiser la main, « elle lui appliqua un
so'ifllct si sonore qu'il fut entendu de quelques pas, et qui, en présence de
toute la cour, rouvrit de confusion ce pauvre prince ». Il dbuta assez heureu-
sement dans la carrière des armes ; mais il intrigua sous main avec l'Angle-
terre pour enlever le trône d'Espagne à son nouveau roi, Philippe V. Louis XIV,
averti, le rappela, et la froideur du la famille royale pour lui contribua à plon-
ger le duc d'Ui léans dans une vie de débauches. La mort du duc et de la du-
chesse de Bourgogne fut le signal d'atroces calomnies dirigées conire lui, et ce»
soupçons éclatèrent de nouveau deux ans après, à la mort du duc de Berri,
frère du duc de Bourgogne, et gendre du duc d'Orléans. Louis XIV laissa
cependant la régence à so-i neveu. Nous n'avons pas à examiner la politique du
Régent, ni à parler de la dépravation qui s'intioduisit à la cour pendant ces
années. Lorsque, en 1723, Louis XV eut pris nominalement la direction des af-
faires, le duc d'Orléans resta quelques mois son ministre ; mais il mourut, frappé
d'une apoplexie fouilroynnto, le 2 décembre de la même année : « Rien ne lui
manquait, dit Saint-Simon, pour le plus excellent gouvernement : connaissances
de toutes sortes, connaissance des iionimes, expérience personnelle et longue,
tandis qu'il no fut que pnrliculicr; réflexions sur le gouvernement dos différents
fiays, et surtout sur le nrMre ; mémoire qui n'oubliait et ne confondait jamais ;
umièrcs infinies; discernement exquis; facilité surprenante de travail; com-
préhension «ivc; une éloquence naturelle et noble, avec une justesse el Mne fa-
cilité incompara'dcs de parler en tous genres; inlinimcnt d'esprit, et un sens si
droit et si justtf- lu'il ne se ferait jam.iis trompé, si en chaque affaire il avait
suivi son premier mouvement... » Voltaire, qui ne l'aimait point, reconnais-
sait cependant que « de toute la rare <le Henri IV, Philippe aOrléans fut celui
(pli lui ressembla le plus ». Il est curieux que ce prinro d'une impiété cynique
ait joué le r61e d'Abner, et que ce soit sous ses auspicc* qyx' Athalif ait paru sur
lii scène françaiit le mardi i mars 1710.
36 ATDALIE.
MATHAN, prôtre apostat, sacrifi-
cateur de Baal M. le comtb d'Ayen •,
NABAL, confident de Matlian.
AGAR, femme de la suite d'Atiialie.
Troupe de prêtres et de lévites. — Suite d'Atiialie. — La
NOURRICE DE JoAS. — ChOEUR DK JEUNES FILLES DE LA TRIBU DE LliviS.
La scène est dans le temple de Jérusalem, dans un vestibule de
r appartement du grand prêtre.
\. Adrien Mtiurice, comte d'Ayen, plus tard duc de Noailles, était né on 1678.
Il entra à quatorze ans dans la carrière militaire, et, en 1704, six ans après son
mariage avec Mademoiselle d'Aubigné, il fut nomini maréchal de camp. Après
avoir remporté quelques succès en Espagne, et comprimé l'insurrection d Ara-
gon en 1710, il reçut les titres de grand d'Espagne, de duc et pair. Tombé en
disgrâce, par sa faute, auprès de Philippe V, il fut rappelé à Paris. Thilippe
d'Orléans le nomma membre du conseil de régence, et lui donna en 1715 la
nrésidence du conseil des finances. Nous le trouvons maréchal de France en 1733.
1 1 remporta de nombreux succès en Italie, et, dans la guerre suivante, prit une
part active à la bataille de Fontcnoy. 11 fut ensuite ambassadeur extraordinaire
en Espagne, ministre d'État, et mourut en 17G6, laissant la réputation d'avoir
été un des hommes les plus remarquables du siècle. L'abbé Millet a publié ses
Mémoires. Saint-Simon a écrit deux longs portraits du comte d'.Aycn (Ed. de
1857, II, 33-39 et XII, 154-156) qui prouvent qu'il lo détestait, mais qui sont
deux chefs-d'œuvre. Nous ne citerons que quelques passages du second : « Le
serpent qui tenta Eve, qui renversa Adam par elle, et qui perdit le genre
humain, est l'original dont le duc do Noailles est la copie la plus exacte, la plus
fidèle, la plus parfaite, autant qu'un homme peut approcher des qualités d'un
esprit de premier ordre, et du chef de tous les anges précipités du ciel.... On
tait comme il est fait pour le corps : des pieds, des mains, une corpulemo de
paysan et la pesanteur de sa marolio promettaient la taille où il est parvenu.
Le visage tout dissemblable ; toute sa physionomie est esprit, afilucnce do pensées,
finesse et fausseté, et n'est pas sans grâces. » Racine était on bons termes avec
le comte d'Ayen, car, peu de temps avant sa mort, il écrivait, le 30 janvier
1699, à son fils Jean-Baptiste: oJc serais bien plus curieux do savoir si M. le
comte d'Ayen songe en effet à m'envoyer les deux juments qu'il a promis de
m'cnvoyer. »
2. Ces chœurs étaient exécutés,dil le ^TCMre ya/aiit de février 1702 « par icf
demoiselles de la musique du Roi •.
ATHALIE
ACTE PREMIER
SCÈNE 1.
JOAD, ABNER.
àbner.
Oui', je viens dans son Icniplc adorer l'Iîlteriicl'.
Je viens, selon l'usage antique et solennel^,
Célébrer avec vous la fameuse journée*
Où sur le mont Sina la loi nous l'ut donnée *.
Que les temps sont changés ! Sitôt que de ce jour 5
I.a trompette sacrée annonçait le retour^,
Uu temple, orné partout de festons magnifiques
1. Voir la noie du vcis 1 d'Andromaque.
2. Jamais Racine n'a donné à Dieu le nom hébreu Jéhova (Je suis Celui qui
CSl). Il désigne ici Dieu par un de ses attributs.
a. Une fête solennelle est une fètc que l'on célèbre une fois l'an.
4. u Voulez-vous enlever à ces vers toute leur beauté, toute Icurnoblcsse, pro*
Doncez :
Célébré avec Tou« la faiiieus' joiirnce. •
(M. Legouvb, Art de la lecture, p. 180.)
9. Voir la Préface.
G. u I''ilii autem Aaron sacerdotes clangcnt lubis ; eritque hoc Icgitiinum sempi-
Iciiuiuiin generationibus vcslris... Si quando habebitis (^lura.et dics feslos, et
calcndas, canetis tubis super bolocaustis et pacificis viclimis, ut sint vobis
in recordalionera Dei vestri, • etc. {Nombres, X, 8 et 10.) La trompette fut
d'abord formée de cornes de bœuf ouvertes à la petite extrémité; on se servit
plus tard de cornes de bélier perforées. M. Alhanasc CoquercI, à qui nous eni-
firunlons tous ces détails, suppose que la trompette d'airain, qui était droite,
onguo d'une coudée et évasée i\ son ouverture, fut apportée d'Egypte par
Uoisi-'. la trompette sonnait doucement pour appeler les fidèles aux assemblées
et aux fêtes régulières. A l'acte V (scène vi), ses accents retentiront éclatants,
annonçant un événement extraordinaire. L'arc de triomphe de Titus porte Uiio
trompette sculptée, au milieu des dépouilles des Juifs.
S
S8 ATOAUE.
Le peuple saint' en foule inondait les portiques';
Et tous, devant l'aulel avec ordre introduits,
De leurs champs dans leurs mains portant les nouveaux fruits JC
Au Dieu de l'univers consacraient ces prémices*.
, Les prôtre_s* ne pouvaient suffire aux sacrifices.
L'audace d'une femme, arrc^fant ce concours',
En des jours tôuébreux a changé ces beaux jours'.
D'adorateurs zélés à -peine un petit nombre 15
Ose des premiers temps nous retracer quelque ombre.
Le reste-pour son Dieu montre un oul)li fatal;
Ou môme, s'empressant aux autels de I^aal',
Se fait initier à ses honteux mysj^ères*,
Et blasphème le nom qu'ont invoqué leurs pères*. 20
Je tremble qu'Alhalie, à ne vous rien cacher,
Vous-môme de l'autel vous faisant aiTacher,
N'achève enfin sur'vous ses vengeances funestes,
Et d'un respect forcé ne dii£o^ilie les restes. K ^ ^^
JOAU '°.
D'où vous vient aujourd'hui ce noir pressentiment? 25
1. C'est Dieu lui-même qui a donné ce nom à Israël : « Et vos erilis milii in
regnum sacerdotale, et gens sancla. » {Exode, XIX, 0.)
2. Cette métapliore rappelle un vers pittoresque de Virgile (Giorgiques, II, 461-
462):
IngCDlem foribus d>'MU< alla superbit
Manc (alulanlum lolii vomit Silibus uiidam.
3. Primitivement la Pentecôte s'appela la fête de la moisson OU dos premiers Truits.
4. Voir sur ce mot la J'réface.
5. Du latin coitrursus: cet empressement des fidèles.
6. Toujours les livres saints ont appdé jours do ténèbres ceux où triom|i!iait
le nid'chant. En voici un exemple tire de saint Puul (/lom, XMI, 12) : « Nox pro-
C'ssit, dies aulem approninquavit. Abjiciamus crgo opéra teoebrarura, et indua-
mur arma lucis. » Voir ISsther {Ul, Vil.)
7. Voir la Préface.
8. Une grande partie des cérémonies des cultes antiques était cachéi" aux pro-
fanes ; de lii ce nom de mystiret, du verbe (lOu, qui exprime l'idée de fermer les
Ictres on les yeux.
9. Leurt est au pluriel, parce que le sujet est un nom collectif; les vciIhs
cependant sont n siés au singulier. — Ae nom, c'est-àdire ici l^'ou : dans la llibtr,
les expressions Jéhova et le nom de Jéliova ont exactement la même valeur.
10. Lomnrurier a écrit dans sa Galrrie des arleurs du Théâtre- Francaii (1,
p. 89) : « A la première ropr/'senlation à'AthaUecn 1716,1e rôle du grand piètre
fut rempli par Ilcnuhourg, qui, suivant l'ciprossion triviale, mais picininli-,
de Lrfèvrc, alors rédacteur du Mercure de France, le joua fort bien el liicn ini-t.
Si l'on s'en ra[ipoilc h Racine le fils, que la piété filiale nou\ait à la véi ilo ren-
dre un peu trop sévère, Beaubourg était plus capable d imiter les capucinadcs
du petit Père Honoré que In majesté d'un prophète divin. » Sanwon a dit de cet
acteur dans son Art tli('àlral :ll, 70) :
DcitiliiiurK, odeur outré, uni |irinrip«i, uni tri,
Au tiicc6< qiit'lutii'roii conduit |<ar le hnii.ird,
Sur la «einu éijUit lii ip^clnrlo i ([injnlili'
D'Ub prMrc du S'igncur iniipiré pir (s dralile.
Saui CI jnu lani DgbleH« ibaiiiant la hanlcur.
ACTE I, SCKNE I. :{9
ABNEH.
Pensez-vous ôtre saint et juste impuiif-ment'? .
Dès longtemps elle hait celle fcrinetc rare ^t*a-b\V\ V u
j^ui rehausse en Joad l'cclat de la tiare*.
Uos loiifftei
'temps voire amour pour la religion
Est traité de révolle et de sédition'. 3,,
Du, mérite éclatant^ celte reine jalouse
Hait surtout Josabet, voire fidèle épouse.
Si du grand prôlre Aaron Joad est successeur^,
De notre dernier roi Josabcl estla sœur.
Malhan d'ailleurs, Malhan, ce prûlre sacrilège', 33
Plus méchant qu'Atlialie^ à toute heure Tassiége',
Malhan, de nos autels infâme déserteur, "'
Et de toute vertu zélé persécuteur.
C'est peu que, le rrot^t ceint d'une milre étrangère*,
Celévile à Baal prèle son ministère : 40
Ce temple l'imporUîne, et son impiété .
Voudrait anéanlir'lc Dieu qu'il a quille". O "CS f V» 0 ^
Pour vous perdre il n'est point de ressorts qu'il n'invente '°;
Quelquefois il vous plaint, souvent même il vous vante" ;
Il aflecte pour vous une fausse douceur, 43
L'ouTnfre était «ulgaire aussi bien que l'acteur.
«Bai on joua ce rôlobien clifTércmment ; il fut aussi vrai, aussi sublime dans son
jou, que li.Tcinc l'était dans ses vers. » (Lcniazui-ier, Galerie des acteurs du
ThéAtre-Français, I, p. 80.)
1. Sans que l'on vous en punisse.
2. « Le bonnet du grand piètre csl appelé di>ns la Vulgate tantôt mitre cl tan-
tôt tiare. » {Note de Louis liacinc.)
3. Sainte-Beuve {Port-Iioyal, Vl, 143) a vu dans ces dcui vers une allusion à
Port-Royal.
4. Eclatant, et, trois vers plus haut, éclat; c'est une légère tache. Voir les ver<
125 et 127.
5. Joad est bien le successeur d'.\aron, frère ain* de iMoîse ; mais il est bon de
rappeler que la tiare ne s'est pas transmise réçulicrement dans la ilcsccndnnce
d'Lléaiar, fils aîné d'.\aron; la souveraine saerific:ilurc fut pendant quelque
temps exercée par la famille d'Iihamar, quatrième fils d'Aaron ; et ce n'est que
«0U3 Salomon que la tiare revint h la race d'Lléazar.
6. Les textes saints ne fournissaient à tlacine que l'idolAlrie de Lathan et la
mort; celle admirable création appartient donc tout entière à nacinc.
7. C'est tout réeemmcnl seuleiiunt que l'Académio s'est décidée à écrire avec
un accent grave les mots comme siège, collège, sacrilège, etc.
8. Vérit.ilile ablatil absolu.
9. Ce ser.iit le seul moyen pour lui de retrouver le repos cl la tranquillité.
10. Var. Tour vous perdre il n'est point de ressorts qu'il ne joue;
Ouelquefois il vous plaint, souvent mcnic il vous loue (ICOI).
Les amis de Racine, dit son fils, lui représentèrent qu'on ne dit point _;'okw,
nuis /n ire jouer des ressorts. » Cependant on a dit autrefuis you^r /e< eaux pour
faire jmcr les eaux.
tl. Tacite l'a dit : « pcssimum iaimic runi genu*, lauJaiilci»,
40 I ATUAtlE.
b ^rlr^cf^lx/^Ç^^-
Et par là de son fiel colorant la noirceur*.
Tantôt à celle reTïïè il vous peint redoutable.
Tantôt, voyant pour l'or sa soif insatiable,
Il lui feint qu'en un lieu que vous seul connaissca-,
Vous chchcz des trésors par David amassés'. ;;(i
Enfin depuis deux jours la superbe * Athalie
Dans un sombre chagrin paraît ensevelie. «*> s «^ ''^
Je l'observais hier, et je voyais ses yeux
Lancer sur le lieu saint des regards furieux*,
Comme si dans le fond de ce vaste édifice 53
Dieu cachait un vengeur armé pour son supplice".
Croyez-moi, plus j'y pense, et moins je puis douler '
Que sur vous son courroux ne soit prêt d'éclater,
El que de Jézabella fille sanguinaire '
Ne vienne attaquer Dieu jusqu'en son sanctuaire. tin
JOAD.
Celui qui met un frein à la fureur des flots '
Sait aussi des méchants arrêter les complots.
Soumis avec respect à sa volonté sainte,
Je crains Dieu, cher.\bner, et n'ai point d'autre crainte*.
{.Colorer, c'est donner une apparence favorable. Racine avait écrit déjà dini
l'exposition de Brilannicus :
L'ingrat, d'un Taiii respect colorant iOD injure, etc.
2. « La plupart ont prétcnilu que feindre à quelqu'un n'est pas français. ■
(Sentiments de l'Académie sur Alnalie.)
3. Les anciens peuples confiaient aux prêtres, comme le font encore cer-
taines tribus arabes, la garde de leur trésor; le vol devenait ainsi un sacrilège.
\joulons que le temple des Juifs était une véritable forteresse. — David de
lirtlilécm, nis d'Isai, était un simple berger, que Dieu choisit pour devenir roi
d'Israël, et qui fonda la monareliic israélilc. Poète in.spiré, habile administra-
teur, guerrier intrépide, il fut un grand roi; mais il |)iouv.i mallicurcuscment
par ses mœurs que, comme dit Paseal, u dans une grande âmo tout est grand •.
— Remarquez le soin avec lequel le poète préparc son dénouement.
4. L'orgueilleuse.
5. Le sanctuaire, ou saint des saints, ou lieu trêssaint, était le troisième et
dernier compartiment du temple ; jamais la lumière n'y pénétrait; nu dernier
«oupir du Christ, le voile qui le fermait au jour se déchira. Voir la Préface.
6. Ces vers nous prépaient à l'arrivée d'Athalio dans le temple.
7. « On a observé que, dans la régularité, il no faut point île conjonction. On doit
JircM Plusj'ypinse, moins je puis douter. "{Sentiments de l'Acadcmie sur Alhalie.)
8. Ce vers est imité du J'saume LXXXVIII, (v. 10) : « Tu dominaris potcslali
maris : motum autem fluctuum ejus tu niitijiras. n
!l. Voir Virgile {Enéide, XII, 8'J5). — Scudéry avait dit de la reine Christiao
dans son Alaric (X):
ICMo criindra le ciel, et oe cninilra plut rien.
I Riillcau a écrit {Réflexions crilinues, XII) à |)ropos de co passage A' Athalie :
■ Tnut ce qu'il peut y avoir de sublime parait rassemblé dans ces <pialre vers :
\ la grandeur de fa pensée. In noblesse du scnlinicnt, la magniQcunce des parûtes,
I «t l'harmonie de l'cipressioD, si heureusement tcrroisée par ce dernier Tcra :
' Je eralni Uicu, cher AIhiit, etc.
b'oii je conclus que c'est avec Iri-* peu de fondcmeiils que lei adiniralourii ou-
ACTE I, 8CÊNE I, 41
Cependant je rends grâce au zèle officieux 63
Qui sur tous mes périls vous fait ouvrir les ymix.
Je vois, que l'injustice en secret vous irrite,
Que vous avez encor le cœur israélile.
Le ciel en soit béni'. Mais ce secret courroux,
Cette oisive vertu, vous en contentez-vous? 70
La foi qui n'agit point, est-ce une foi sincère'?
Huit ans déjà passés, une impie étrangère^
Du sceptre de David usurpe tous les droits,
Se baigne impunément dans le sang de nos rois,
Des enfants de son fils détestable homicide, 71»
Et niûme contre Dieu lève son bras perfide*.
<rés de Corneille veulent insinuer que M. Racine lui est beaucoup infi5ricur pour
le sublime, puisque, snns apporter ici quantité d'autres preuves que je pourrais
donner du contraire, il ne me parait pas que toute cette grandeur de vertu ro-
maine tant vantée, que ce premier a si bien exprimée dans plusieurs de se»
pièces, et qui a fait son excessive réputation, soit au-dessus de l'intrépidité plus
qu'héroïque, et de la parfaite coniianco en Dieu de ce vérilabloracnt pieux,
grand, sage et courageux Israélite. <> — On lit, au sujet de ce mcnie passage, dans
le Dictionnaire phUosophir/uc do Voltaire, à l'article Art dramatique .• « On a
imprimé avec quelque fondement que Itacinc avait imité dans cotte pièce plu-
lieurs endroits de la tragédie de la Lif/uf, faite par le conseiller d'état Ma-
sbieu, historiographe de France sous Henri lY, écrivain qui ne fesail pas mal
tes Ters pour son temps. Constance dit, dans la tragédie de Mathieu :
Je redoute mon Dieu, c'est lut loiil que je crains
Le plagiat parait sensible, et cependant ce n'en est point un ; rien n'est plus na-
turel que d'avoir les mêmes idées sur le même sujet. » Au tome II de son Cours
de lilt. dram. (p. 167-170), Geoffroy déclare un peu sévèrement (Voir ù propos de
Pierre Mathieu notre Notice sur Èslher) que Mathieu était un détestalde poète,
qui n'a jamais fait la Ligue, mais bien la Guisiade. La pièce dont parle Voltaire est
ae Nerée, et s'appelle le Triomphe de la Ligue ; Voltaire a refait les vers qu'il
a cités, pour rendre plus frappante l'accusation de plagiat. Nerée avait mis :
Je 06 craint que mon Dieu ; lui tout seul je redoute.
(Voir la note du vers 647). C'est pourtant le même Voltaire qui, en 1737, écri-
rait dans les Conseils à un journaliste (Kd. Beuchot, XXX^ II, 383) : u Les ennemis
de notre illustre Ilacine firent réimprimer quelques vieilles pièces oubliées, dans
lesquelles ils insérèrent plus de cent vers de ce poète admirable, pour faire ac-
croire qu'il les avait volés. J'en ai vu une intitulée Saint Jean-Baptiste , dans laquelle
on retrouvait une scène presque entière «le Dcnnice. Ces malheureux, aveuglés
par leur passion, ne sentaient pas même la difTérence des styles, et croyaient
qu'on s'y méprendrait, tant la fureur de la jalousie est souvent absurde. »
1. Racine a eu tort de placer ce mot ciel dans la bouche de Joad ; les Juifs ae
matérialisaient pas l'idée de Dieu.
2. Saint Jacques démontre (II, 17) que la sincérité n'est pas moins exigé»
dans la foi que la charité, et que morte est la foi qui n'agit point. — Au sujet de
caractères de Joad et d'.\bner, consulter notre Aotice sur Athalie.
8. Les livres saints (II /lois, XII, )) disent que Jons avait sept ans lors de soi
avènement. — « Cette expression pour dire huit ans sont déjà passés depui.
que n'est pas exacte. Cependant le sens est clair, le tour est vi(\ et peut-être
préférable li la construction régulière. D'ailleurs Malherbe, qui l'avait déjà em-
ployée dans la Prosopo/h'-c d'Oslrndc : « Trois ans déjà passés... " a paru f.iirc
Autorité. 1 {Sentiments de l'Académie sur Athalii'.) — La loi excluait formellement
du trône hébreu les étrangers : <■ Non poteris allerius gcntis hominem Itegcm
farere. n {Peulérnnome, XVII, 15.) '
4. C'est donc bien entre Athalie et Dieu que la lutte est engagée.
4 2 ATOALIE.
lit VOUS, l'un des soulicns de ce tremblant F^lat,
Vous, nourri dans les camps du saint Roi Josaphat,
Qui sous son \il3J0ran1 commandiez nos armées,
Qui rassurâtes seul nos villes alarmées, ^
Lorsque d'Okosias le trépas imprévu
Dispersa tout son camp à l'aspect de Jéhu * :
« Jû crains Dieu, dites-vous, sa vérité me touche. »
Voici comme ce Dieu vous répond par ma bouche:
« Du zèle de ma loi* que sert de vous parer? 85
Par de stériles vœux pensez-vous m'honorer?
Quoi fruit me revient- il de tous vos sacrifices?
Ai-je besoin du sang des boucs et des génisses ^7
Le sang de vos Rois crie ^, et n'est point écouté.
Rompez, rompez tout pacte avec l'impiété. 90
Du milieu de mon peuple exterminez * les crimes,
Et vous viendrez alors m'immolcr vos victimes. »
ABNER.
Hé! que puis-je au milieu de ce peuple abattu ?
licnjamin est sans force, et Juda sans vertu'.
Le jour qui de leurs rois vit éteindre la race 05
Éteignit tout le feu de leur antique audace.
« Dieu même, discnt-ils, s'est retiré de nous ' :
De l'honneur des Hébreux autrefois si jaloux*,
il voit sans intérêt '•' leur grandeur terrassée.
Et sa miséricorde à lu fin s'est lassée. 100
1. Pour les détails historiques, voir la Préface et les notes de la Préface.
ï. De votre zclo pour ma loi.
1. « NuinquiJ manilucabo carnes taurorum, aut sanguinom liircoruni pulalfoT
Immola Dcosacriflciura lauilis... » {Psaumes, \t\\, 13 et l-i). On lit aussi dans le
rhapitrc I de la Prophilie d'isaïc (v. 11, 17 et IS) : n yuo niilii inultiludincm
virlicnaruni vestrarum, duit Duminiis? Ploiius suni. Ilulocausta aiictum, et
«dipem pinguiuu, et saiiguinem vilnlorum et ngnoru^n et liircorum noliii... Iiis-
citc bencfacere; quxrite judiciuiii, subveniteoppresso, judicate pupillo, dcfenditc
viduam. Et vcnite... »J.-U. Ilousseau a dit enfin (Liv. I, ode ii), imitant Racine :
9 lie ni'.iii|>iirlonl «os ««rrinces,
IM 0l[l.lll>l(", l'I VUi ll'IMI|IC.ini ?
rici Ik.U il [:• laii;; ilos |.-âiiii4ci7
Maiigo-l-il la chair doi laurcaiixT
4. ■ Vox i^angiiiiiis fratris lui claraat ad mo de terra. » {(Jencse, IV, 10.) Voir
le vers 1701.
5. Ejcierminer est nris ici dans son sens latin : rejeter hors des rronticres.
0. Au moment de la séparation, le royaume de Juda se forma des Iriliiis de
Juda et de Urnjnmin. des ramilles sai'crJulales de la tribu de Lévi ijiii se rallié-
renl au temple de .l/tiiisalein, et d'une partie des biinéoiiitcs et des Uanilcs établis
sur Icï bord» de la Mclilcrranée.
7. ■■ Nrseicns ipiod recessissci nb co Dominiis. » (Jinjcs, XVI, 20.)
8. Jaluux, qui tient beaucoup à; du mèmu dans Iphif/ànie (Hl, vu) I
El mon |>(re eil jiloui da ion «utvrll<).
9. San y prendre inlérùt.
ACTE I, SCENR I, 4 5
On ne voit plus pour nous ses redoutables mains
De merveilles sans nombre eiïrayer les bumuins ';
I/arcbc sainte est muette, cl ne rend plus d'oracles '.»
JOAD.
Et quel temps fut jamais si fertile en miracles?
Quand Dieu par plus d'effets montra-t-il son pouvoir? 103
Auras-tu donc toujours des yeux pour ne point voir,
Peuple ingrat ? Quoi ? toujours les plus grandes merveilles
Sans ébranler ton cœur frapperont tes oreilles''?
Faut-il, Abner, faut-il vous rappelc le cours
Des prodiges fumçux accomplis en nos jours? 110
Des tyrans d'Israël les célèbres disgrâces,
El Dieu trouvé fidèle en toutes ses menaces *;
l/impic Achab détruit, et de son sang trempé
F.e champ que par le meurtre il avait usurpé *;
Près de ce champ fatal Jézabel immolé(L 115
Sous les pieds des chevaux colle rein^ Touléc *,
Dans son sang inhumain les chiens désaltères,
El de son corps hideu\les menlbres d'échiros';
Des.prophcles n:yjy||urs la troupe confondue ',
lit la flainnie du nefsur l'aulel descêndîie *; I2C
1. « Si^na nostra non vidiraus; jam noa est propheta; et nos non cognosce'
ainplius. » {Psaume, i.xiin, 9.)
2. « Cumqiie ingrcdcretur Moyses tabcrnaculiim f<cderis, ut consulcrel oracu-
lura, audicb'it voccm loqucntis ad se de propiliatorio, quod erat super arcaî
tcslimonii inicr duos Chcrubim. » (A'ombrfs, \U, 89.)
3. <i Qui npcrtas habes aurcs, nonne audics? « (I^J^îb, XLII, 20.) Racine s'c^.
peut-être souvenu surtout des paroles du Nouveau Testament : « Auditu audictis,
et non intclliirotis; et vidcntes vidcbilis, et non videbilis. » {Evangile de saint
Mathieu, \\n, li.)
4. Remarquez la hardiesse énergique de eette expression.
5. Voir la Préface.
6. (I Jézabel fut prôcipitéo d'une tour par ordre de Jéhu. Il ne lui servit fc
rien de s'être parée. Jéliu la fit fouler aux |iicds des chevaux. » (Bcssuït, Disc,
tur l'hist. univ., l" partie.)
7. « Prxcipitale cam dcorsum. Et prajcipitaverunt eam et equorum un-
gulœ conculcavcrunt eain. » {IV Jiois, IX, 33.) Les autres traits du lal)Icau
que Racine a peint dans ces vers sont empruntés aux versets 35 et 30 du même
chapitre. « Cumque isscnt ut sepclirent cam, non invcnerunt nisi catvariani, et
pedcs et sumnias manus... Etait Jehu: Sernio Doniini est, qucin lucutus est per
servum suum lîliara Tlicsbitcm diccns : In agro Jezrael coroedect canes carnes
Jcsabel. »
8. C'est un souvenir du roiraclo du Carmel. Elie avait convoquô les prophè-
tes de Daal h sacrifier avec lui, devant Achab, sur la montairno. En piiSsoncc
do fout le peuple, depuis la pointe du jour, les prophètes idolâtres se font des
incisions, n|ipcllent leur dieu, entrent en frénésie. Baal reste sourd. K midi, Elic
élève rapidement douze pierres en nicnioire des douze tribus, entoure do rigoles
cet autel improvisé, et, après l'avoir arrosé, invoque Jéhova. Aussitôt la Hanime
du ciel consume la viciinti^ Les faux proiihctes, selon la loi, furent punis do mort.
9. En disant ce vers, il vaut mieux joindre les mots du ciel aux mots qui sui-
vent qu'aux mots qui précèdent; la phrase présente ainsi plus de sens.
4 ', ATDALIE.
Élie aux éléments parlant ea souverain *,
Les cieux par lui fernrfés et devenus d'airain,
Et la terre trois ans sans pluie et sans rosée;
Les morts" se ranimant à la voix d'Elisée * :
Reconnaissez, Abner, à ces traits éclatants •, 125
Un Dieu tel aujourd'hui qu'il fut dans tous les temps :
Il sait, quand il lui plaît, faire éclater sa gloire *,
Et son peuple est toujours présent à sa mémoire •'.
ABNCH.
Mais où sont ces honneurs à David tant promis',
Et prédits môme encore à Salomon son 111s? 130
Hélas ! nous espérions que de leur race heureuse
Devait sortir de Rois une suite nombreuse'';
Que sur toute tribu, sur toute nation.
L'un d'eux établirait sa domination,
Ferait cesser partout la discorde et la guerre, <35
i. t F.t dixit Eliai : Vivit nonùnas D'ïus I>rael, in cujus ron'iiPCiu sto, «i
erit aniiiS his rus et plutia. nisi juila oris moi »erLa. ■ (/// Iloit, XVII, 1.
Ce miracle d'Elie est rappelé dans \ Hpllre de taint Jacquet (V, 17-18) : « tlias.)
oratiou' oravit ut iiuu plu>-ret super terrani, et nuu pluit annos très et mcDse.
set. Et rursum orm*it, et cœlum dédit pluvinm, et terra dedil fructum suuin ■
Ce prodige est encore rapporté daos VEvangxU de saint Luc IV, 25; : • la die-
t)us Eli2e \a Israël, quamJo clausuni est cœlum aonis tribus et mrnsibus sei.... •
Moisc e»t le iégisUteur, Elle le rérurmateur du peuple de Dieu. Ce fut un des
pluf (.'raiids honimej d'Israël.
2. Klisée, d'Ahel-SléhoIa, sur la rive droite du Jourdain, fut le disci|.1c d'Élie
Lep(>ete ne mentionne qu'un de ii-s miracle», la réhurre-.tion du CI'! de la Suiianntic.
Dans cette éuiim^ratioii de prodiges, Ilacine n'a puiot suiTi l'ordre chronologique.
3. V'jir la note du vert 31.
4. Voir la note du vers 3t.
5. t Athalie a un avantage que rien ne peut compeoser, celui d'èlre fondée
ii<r une religion qui était alors la »eule Térilalile, et qui n'a été, romme on fait,
remp acée que par la iiôire. L.ei> noms seuls d'Israël, de David, de Salomon, de
Jul'i. de Benjamio, impriment sur celte tragédie je ne sai) quelle horreur
rcli;;i''u»e oui saibii un gran'l nombre de tpettateurs. On rappelle dans la
piere tous les prodiges sacrés dont Dieu lionora wn peuple juif i>ous les des-
cendants de David : Achab puni, l<'i ctiii-ns qui léclièreiit non suiil', «uivant la
prédiction d'Élie et suivant le psaume- I.XVIII : t Les cliiins lecli'Tont leur saiig...i
Elie annonce qu'il ne pleuvra d'- trois ani> ; il prouve à quatre cent cinquante
prophètes du roi Achah qu'ils sont de faux prophètes, en fesant contuincr
son holocauste d'un boeuf par le feu du ciel ; et il fait égorger les quatre o nt
cinquante prophètes qui n'ont pu opérer un pareil miracle : tous r<-K grands
signes de la puissance divine sont ntrarét poinpeusiment dans la tragédie
i Alhnlii;, des !< première scène. Le iiontife Jiiud lui niémc prophétise et déclare
nue l'or sfra changé en plomb. Tout le sublime de l'Iiistoire juive est ri^pandu
d*n< la pièce /Irpms le preinier vers jusqu'au dernier. » (VoLTAïaa, JJiicour»
kuluriquc et ciitu/iie, rlr.j
t. • (;bi sunt iiii<iericord<«e antique, Donaioe. iicut jurasti David io veritate
tuar> {Ptaumei. LXXZVIII, &0.I
7. Ou lit a la pa^e 'le Lighlfoot indiquée par Hacine lui-m(me (t. Il,
p ZO) : * .Niminem Israelitarum Hricem fulurnm qui non e domo Duvidis et Salo-
monis protapia fueril. (Talmud in Sanhédrin, cap. s.) Ideoque Regem Mesiiam
ts sa prosapla eispeclabanl. •
ACTE I, SCENC I. 4 3
El verrait à ses pieds tous les rois de la Icrrc '.
JOAD.
Aux promesses du ciel pourquoi renoncez-Tous'?
ABNER.
Ce Roi fils de David, où le chercherons-nous?
Le ciel m»îme peut-il réparer les ruines
De cet arbre séché jusque dans ses racines '"? liO
Athilie étouffa l'enfant même au berceau.
Les morts, après huit ans, sortent-ils du tombeau?
Ah ! si dans sa fureur elle s'était trompée ;
Si du sang de nos Rois quelque goutte échappée. ..
JOAD,
Hé bien 1 que feriez-vous *?
ABNER.
0 jour heureux pour moi! 145
De quelle ardeur j'irais reconnaître nun Rui *:
I. « Dabo tibi gentes bxrediUtem tuara, et posse<sion-;m tnàtn termî^os
Icrrc.» (Psixwnes', II, 8.) «Et adorabunt eum omnes Re;es terrse; omncs
jrenfcs sertient ei. • [Psiwnfs, LXXI, It.) Poor Aboer, l&p«rpétuité de 1a r»ce
de Da\id se coafond arec l'attente du Me55ie.
i. Joad, instruit qn'J est de l'existence de Jois. a le droit de parler ai:isi ;
mais Abner. <^ui partage l'igTJorance générale, a le droit de trouTer qu'e^>értr
encore serait insensé.
3. Badne a pu emprunter cette image aux Choéjy-Kores d'Eschyle :
O-Jt' ifjim; »«i TÎ^ Sj" R«>)i\; c-jlji^-»
SopbocTe a comparé aussi Antigone, dans la tragédie da aèae ■«■. an der-
nier raiBCM de la famille des Labdacides (t. 599} :
Ti'»; S T4-:rt» ç«»i l« 0"5;r»3 ie:x»ti.
Chose bizarre, on lit dans les Sfnn-ienis de rAeade'mie pêt Athahe : • OcH-
qi)?<-'jns ont doute qu'on put dire, même poetiquera-^nt, let rviMes d'à
Cela n'a pas empêché Voltaire d'écrire au chant VU de s» Bemiiaée:
Ua t^bl<? rqfti» sort C3'x.' \t» ru r.c(
De c«t Arbre ferrOB-J eoof « du» <e« raciaet.
4. J • ■ ! a'îenJ ivcc ;rr ■.::-: li r-r -s; à A': -
e Tairai : « Talioa
.ni, plein de «èle rt
- ■■ -1 --îi Je o^>e
Jms 1«
-j-ément
tir qu'il
S.
46 ATUALIE.
Doutez-vous qu'à ses pieds nos tribus empressées... ■>
Mais pourquoi me flaller de ces vaincs pensées?
Déplorable héritier de ces Rois triomphunls,
Okosias rcslait seul avec ses enfants loO
Par les Irails de Johu je vis percer le pore ;
Vous avez vu les tils massacrés par la mcve,
JOAD.
Je ne m'explique point*. Mais quand l'astre du jour
Aura sur l'horizon faille tiers de son tour,
Lorsque la troisième heure aux prières rappelle ^ Ibo
Retrouvez vous au temple avec ce mûmc zèle.
Dieu pourra vous montrer par d'importants bienfaits
Que sa parole est stable et ne trompe jamais*.
Allez : pour ce grand jour il faut que je m'apprête *,
Et du temple déjà l'aube blanchit le faite ". IGO
ADNER.
Quel sera ce bienfait que je ne comprends pas'
L'illustre Josabet porte vers vous ses pas':
1. « Voilk qui est assez clair. Aussi JoaJ n'insistel-il pas. Il .1 appris ce qu'il
lui importait de savoir. Il n'y a pas grand concours à attendre de ce chevalier
ingénu avant l'événomcnt ; mais une fois l'aiïairc en train, on ne l'aura pas
contie soi. Que faut-il davanlatre à un conspirateur 7 » (M. SincKY, Le Temps,
Chronique théâtrale du 6 octobre IS73.)
2. Joad en a dit et en va dire assez pour troubler profondément Abncr.
3. Au lenips de Moise, les divisions du jour étaient au nombre de six : {"l'aube;
î« le lc\cr du soleil; 3" la chaleur du jour, qui coinmciiçail vers neuf heures ;
4« le milieu du jour; 5" la fiaicbeur, ou le vent du soir, (lui s'élevait au mo-
ment du coucher du soleil; B» le soir. Au temps de Daniel les heures viennent
d'apparaitre ; la première commençait à six heures du matin, cl la troisième,
par consé(|nent, à huit heures, selon notre façon moderne do parler. Le sacrilice
se «célébrait à la troisième heure.
4. « Fidelia omnia mandata ejus. » {Pmiirnes, CX, 8.)
5- Dans tout ce pr< mier acte, le grand prctro porlo le costume des simples sa-
criflcatcurs (réglcm<'ntairemenl, il devrait avoir les pieds nus). Les jours des
fcles solennelles, à l'aubo, le grand prêtre devait s'assujettir à des ablutions
fixées par la loi. — Il est curieux do rappeler (|we, lorsque TarlniTc veut so déli-
vrer de Cléante (IV, 1), il lui parle à peu pics comme parle ici Jo:id :
...Il cl, Mon'iiMir, trui< liniir.'i et dfinio
Cciliiu dcTtir pifiii ino r.iiiollo l'i-lidiil,
El «uu> luciciJicrci do vous quitter «i 161.
d. Souvenir de V/jihigénie enAuliJe d'Euripide (v. l'jG):
Aiuxatvci
Tdti fûî{ ^S>| ).«|iirouff' 'IIù;.
On appelle aube le premier blancliissemcnt de l'horizon au lever du jour. Te»
[loetis prr)veneanx ont appelù aubades les elianis du malin, sérénades les ehunts
du soir, et ù lu fin de chaipiu strophe devait revenir dans les unes le mot
alha, d.ins les autres le niol sera.
7. On n'a pas vu (ort de reprocher à ce vers son allure beaucoup trop mojcs-
(ucuse.
ACTE I, SCÈNE II.
Je sors, et vais me joindre à la troupe fidèle
Qu'attire de ce jour lu pompe solennelle '.
scène: II.
JOAD, JOSABET.
JOAD.
I.cs temps sont accomplis, Princesse : il faut parler, iCS
Et voire heureux larcin ne se peut plus cèlera
Des ennemis de Dieu la coupable insolence,
Abusant conlre lui de ce profond silence,
Accuse trop longtemps ses promesses d'erreur'.
Que dis-je? Le succès animant leur fureur, 170
Jusque sur notre autel votre injuste mariilre *
Veut offrir à Baal un encens idolâtre.
Montrons ce jeune roi que vos mains ont sauvé.
Sous l'aile du Seigneur dans le temple élevé ^
De nos princes hébreux il aura le courage, 175
Et déjà son esprit a devancé son âge^.
Avant que son destin s'explique par ma voix',
Je vais l'offrir au Dieu par qui régnent les Rois*.
Aussitôt assemblant nos lévites, nos prêtres, TSO
Je leur déclarerai 'l'héiitier de leurs maîtres.
1. La pompe, c'est, au propre, un corlcire brillant ; du grec ito^i:^,, convoî. —
Cl Si j'avais à Héciiler entre les trois expositions fameuses de Dajazct, tVIphigénif
cl aAllialii', je donnerais la prùférencc à celte dernière. An mérite de hicn ins-
truire le spectateur de tout ce «|u'il doit savoir, elle joint l'avanlafro d'être une
scène d'action, dans laquelle le souverain pontife, en homme qui médite un prand
dessein, cherche à s'assurer des dispositions du général de I armée d'Alhalie. Il
n'existe point d'aulre exemple d'une aussi grande perfection, n (GEoFFnoT.) Cha-
teaubriand disait qu'il n'avait jamais pu lire sans pleurer cette première scène
A'Alhalie.
2. Joad n'aurait point besoin d'en dire davantage : ces deux vers suffisent à
faire comprendre au spectateur que le poignard d'Athalie a b'ssé échapper une
victime.
3. • Plusieurs ont cru qw'crreur n'est pas le terme propre pour signifier des
promesses trompeuses. » [Sentiments de l'Académie sur Athalie.)
A. Josabel était fille de Joram, qu'avait épouj-é Athalie.
f5. \ air Estlœr (III, IV). — « Plcnani mcrcedcm recipias a Domino Deo Israël,
■d quera venisli, et sub cnjus ooufugi.sli alas. » (iiuth, U, 12.) Voir dans le»
notes de la Pnface une description du Icniplc
6. Ce vers prépare les réponses de Joas dans la scène de l'interrop ilolrc.
7. C'est-à-dire ; avant que ma voix explique quel est son dcstio, soo rang.
.''. M Per me Reges régnant. » {Proverbes, VII, IS.)
0. Révélerai. Voir le ver» 1266.
4» Ain A LIE.
JOSABET
Sait-il déjà son nom et son noble deslin'7
JOAD,
Il ne répond cncor qu'au nom d'Kliacin *,
Et se croit quelque enfant rejeté par sa mère,
A qui j'ai par pitié daigné servir de père '.
JOSABET.
Hélas! de quel péril je l'avais su tirer ! 18.S
Dans quel péril encore est-il prêt de rentrcrl
JOAD.
Quoi? déjà votre foi s'alTaiblit et s'étonne *?
JOSABET.
A vos sages conseils, Seigneur, je m'abandoinie.
Du jour que j'arrachai cet enfant à la mort,
Je remis en vos mains tout le soin de son sort. 190
Même, de mon amour craignant la violence,
Autant que je le puis, j'évite sa présence,
De peur qu'en le voyant, quelque trouble indiscret
Ne fasse avec mes pleurs échopper mon secret'.
Surtout j'ai cru devoir aux larmes, aux prières', 103
Consacrer ces trois jours et ces trois nuits entières.
Cependant aujourd'hui puis-je vous demander
Quels amis vous avez prêts à vous seconder?
Abner, le brave Abner vicndra-t-il nous défendre?
A-t-il près de son Roi fait serment de se rendre? 200
JOAD.
Abner, quoiqu'on se pût assurer '' sur sa foi,
i. La noble condition que le destin lui o assignée.
2. La Bible ne donne point à Joas le surnom d'Eliacin.
3. Josabct sait parfaiicmcnt tout ce f|ue lui répond ici Jond; mais le porte,
voulant préparer le spectateur aux réponses que fera Joas à la vieille reine, use
d'un subterfuge. Josabct demande à son époux s'il a révélé & Joas, ce jour niciue,
son véritable nom, et Joad en profite pour nous apprendre dans sa réponse le
pieux mensonge qu'il a fait au jeune roi.
4. Joad sent h ses côtés l'ange exterminateur (t. 1698); Toilk pourquoi toute
crainte lui est ioconnuc. Josabct, au contraire, a toutes les terreurs d'une femme
et d'une mère.
5. Ces deux vers sont admirables par l'élégance et par la pureté île î expression,
fl. C'était une coutume à l'oil-Itoyal de se préparer aux giandes actions par
des veilles cl des prière-. C'était ainsi que l'on demandait à Dieu la grâce. Sainte-
Beuve nous rapporte, dans son J'orl-Jioi/al{\, 107), que la Mère Angolii)ue, s'ap-
prctant, après avoir clfduré le couvent, \ défendre la porte du moMa^lère à
M. Arnauld, son père, à sa mère, et à ses frères et sieurs, « avait veillé; elle
•'était préparée par la prière; quelques religieuses, dépositaires de son secret,
avaient fuit de même. »
7. S'insurt^ Kur, c'est : établir sa conflanco dans, llaciue avait déjà dit diins
Alexandre (I, m) :
El vnlfo tma l'imnro
■ur II foi d'un imtnl mOiièli: al imrjiirt.
ACTE I, SCÈNE II. 4Î>
Ne sait pas môme encor si nous avons un roi.
JOSABET.
Mais à qui de Joas confiez-vous la garde?
list-ce Obed, est-ce Amnon que cet honneur regarde/
Démon père surtux les bienfaits répandus... 203
JOAD.
A l'injuste Athalic ils se sont tous vendus ',
JOSABET.
Qui donc opposez-vous contre ses satellites'?
JOAD.
Ne vous l'ai-je pas dit? Nos prôlres, nos lévites.
JOSABET.
Je sais que près de vous en secret assemblé *,
Par vos soins prévoyants leur nombre est redoublé; 210
Que pleins d'amour pour vous, d'hori ciir pour Alholie,
Un serment solennel par avance les lie *
A ce fils de David qu'on leur doit révéler.
Mais quelque noble ardeur dont ils puissent brûler 5,
Peuvent-ils de leur Roi venger seuls la querelle''? 213
Pour un si grand ouvrage est-ce assez de leur zc!e?
Doutez-vous qu'Athalie, au premier bruit semé
Qu'un fils d'Okosias est ici renfermé,
De ses fiers étrangers assemblant les cohortes %
N'environne le temple, et n'en brise les portes? 220
t. La confiance qu'a Joad en Dieu le dispense de s'appuyer sur les liommes.
Il s'élève à des hauteurs où l'esprit timide de Josabet ne le peut suivre.
î. L'Académie, dans ses Sentiments sur Athalie, blâme opposer contre. Dans
la langue latine, cependant, on trouve contra a.\cc opponere et n\cc objicere :
u Non Alpium vallum contra adsccnsum transgrossioivonique Gallorum... objicio
et oppono. » (Cicbnox, Discours contre L. Calpurnius Pison, XXXIII.) Mathuria
Pegnier a commencé sa cinquième Elégie par ce vers :
L'Iiomme s'oppose en tain ccmlre la destioéc.
,3. Racine avait d'abord écrit : « en secret rassemblé », ce qui était dur à l'o-
reille.
4. Le fait rapporté par Josabet est historique. Voir Josèphc {Antiquités judai ■
qiirs, IX, 7), le livre IV des Jlois (XI, 4), enfin le livre II des Paralipomènes
(XXII, 1) : n Pcpigilque cum cis fœJus. — Iniit cum eis fœdus. »
."i. L'.\cailémie u blâmé celte tournure : quelque don<, avec le subjonctif.
On peut la justifier par l'exemple de La Fontaine (Fables, Vlll, iiy, 54) :
Qu>;lqiie loiligiialiori dont leur cœur soit rempli,
et de Corneille {Othon, v. 1342) :
Quelipie trouble où tu sois montre une âme tranquille.
8. La cause. Corneille a dit de même {Don Sanche d'Aragon, II, iv) :
Il falUit anjotiril'liiii v.n^cr Totre querelle.
7. La Bible ne parle point de ces Tyricos que la princesse issue d'une famille
tyricnne aurait gardés auprès d'elle.
50 ATBALIE.
Suffirat-il contre eux de vos ministres saints,
Qui, levant au Seigneur leurs innocentes mains ',
Ne savent, que gémir et prier pour nos crimes 2,
Et n'ont jamais versé que le sang des victimes?
Peut-fiire dans leurs bras Jous percé de coups... --"•
JOAD.
Et comptez-vous pour rien Dieu qui combat pour nous '?
Dieu*, qui de l'orphelin protège l'innocence^,
VA fait dans la faiblesse éclater sa puissance*;
Dieu, qui hait les tyrans, et qui dans Jezraël ''
Jura d'exlennincr Achab et Jézabel * ; 230
Dieu, qui frappant Joram, le mari de leur fille,
A jusque sur son fils poursuivi leur famille;
Dieu, dont le bras vengeur, pour un temps suspendu',
Sur cette race impie est toujours étendu "?
JOSABET.
Et c'est sur tous ces lois sa justice sévère 235
Que je crains pour le fils de mon malheureux frère.
Qui sait si cet enfant, par leur crime entraîné,
Avec eux en naissant ne fut pas condamné '•?
Si Dieu, le séparant d'une odieuse race,
1. Les Juifs avaient cmlumc, dans leurs prières, d'élever les mains vers Dieu.
2. Le mépris du sold;it, qui se l).it, pour le prctrc, qui prie, a inspiré à Casi-
mir Del.i>if.'no le prcniiiT acte d'une de si'S dernières tragédies : La plie du Cid.
3. « Doniinus pugu-iliil pro vobis. » {Exode, XIV, 1-4.)
4. <i Le mot Dieu, iô(/éte quatre fois, à la tclc de quatre distiques de suite,
donne à cette plirasc une singulière dignité. » (Li IUrpu.) On trouvait un mou-
vement semblublo dans la dernières scènes de La mort d'Alexandre, de
Hardy :
E(iriMitc trop rriielli'. iprcoje trop ccrlaini'..
Oui iiout prue d'un lio; !.ins pareil diisurniais,
D'un ll>'} que l'iniivert riiioiiiiiu' i tout jaiiiaii.
D'un Iti>; qui (Iams la loiiilie iiiiportc nul courtg*
D'un Iti'j qui Ile Notiur ii^nila loj linii ifct.
D'un Itov qu'on ne fcaiirail digni'munt rc,;rtllcri
Qui (il liailic niilfii heur, et lu (Il ivorlur.
8. « Faoit jtidicium pupillo et viduœ. m {Deut.X, 18.) — « Palris orphanorum rt
Judiris viduarum (Dei). » {Psaumes, LXVll, G.) L'Orient exposait assez fréquem-
ment le< enfants.
0. Saint Paul a dit : « Suffioit libi gratia mca : oam virlus in infiriiiitate pcrfici-
tur. » {// Coiinlh., XII, 9.)
7. On se rappelle que c'est pour obtenir le champ de Jczracl que Jézabcl (It
périr Nabotli.
8. Le serment de Dieu est exprimé ainsi dans la Gendse (XXII, 16) : « Pcr
mcmel ipMiin jnravi.
0. Momi-ntanémrnt arrêté. Vultuiro dira dcmémc dans A/ana)in« (II, m' :
l.a «cugcjncc il'UéruJc, un inuiuenl iu«pcnduc.
to. •• Eitcndisti mnniim tunni, et devoravit eos terra. » (Exnde, XV, \i.)
II. Les Juifs disaient, ace que rapporte K/.éiliicI (XVIII, 1) : « Patres curaa*
deruni iivam acrliam, rt dentcn niiorum obiliipeseuut. ■
ACTE I, SCK.Mi; H, (t
Fn faveur de David voudra lui faire grAcc ? 240
Holas ! l'état horrible où le ciel mel'oiïrit ' ^
Hcvieiit à tout tuoincnt ell'rayor mon esprit.
De princes égorges la chambre était ren)plie.
Un poignard à la main *, l'implacable Alhalio
Au carnage animait ses barbares soldats, 213
Et poursuivait le cours de ses assassinats '.
Joas, laissé pour mort, Trappa soudain ma vue.
Je me figure encor sa nouirice éperdue,
Qui devant les bourreaux s'était jetée en vain,
\ii faible le tenait renversé sur son sein *. 2bO
Je le pris tout sanglant. En baignant son visage,
Mes pleurs du sentiment lui rendirent l'usage ; )
Kt soit frayeur encore, ou pour me caresser,
De ses bras innocents je^me senlis presser''.
(irand Dieu, que mon ainoiir ne lui soit point funeste! "-^Siia
Du fidèle David c'est le précieuv reste * :
1. Tout ce récit est de l'invention de Racine.
8. Dans la première scène du V acte, Racine nous montrera encore
Athalie, uo poif^nard à la iiiiiin.
.1. Le mot assassin vient, dit I.ittré « de l'arabe haschisch, nom de la pou-
dre de feuilles de chanvre, avec lai|uclle on prépare le haschiscfié. Le prince
des assassins ou Sciicils ou Vieux do la montagne faisait prendre du haschisch à
certains hommes qu'on nommait fciduwi , ces liommes avaient des visions qui
les transportaient, et qu'on leur représentait comme un avant-goût du Paradis.
A ce point, ils se trouvaient déleiminés à tout faire et le pi inee les employait à
tuer des personnages ennemis. C'est ainsi qu'une plante enivrante a fini par
donner son nom à l'assassinat. »
4. Ces vers sont une peinture; tout l'effet pioduit tient à laplacede- mots. Le
premier de ces deux vers rappelle par sa construction un vers de Virgile [lin.,
II, 44) ; il s'agit de l'riam :
Sic Titus senior, telumqua iiiibiille iiaa ictu
CuDJCCII.
5. Ce joli vers est probablement un souvenir du vers 001 de l'/un d'Euripide :
E! roTitt Y* «^^«; Z'^f»; IxTtl/ovTà |iot.
6. 0 Atlialie voulut qu'il ne restât pas un seul do la maison de David,, et elle
crut avoir exécuté son dessein. Il ne resta fpi'un seul, qui était fils d'Okosias.
(JosÈruB. IX, VII.) — Voilà le ^ul qui vous reste de la maison de David.
(M. d'A>»illy, tfaducteur de Jo.trphe). — <• Joram... oceidit omnes fratres suos
gladio. iNoluit autcin IJoininus dispenlere domum David, proptcr pactmn, ilc., et
quia |iiomiserat ut darct ei lucernam et filiis ejus omni tcmpore. » (// Paralip.,
\x, i et 7). — Si ces pioinnssos n'avaient été laites à la race de Saloinon, Dieu
n'avait qu'à moltre sur le trône les enfants de .\athan. Le I'. R. : ■< .losabef con-
serva Joas, ut Dieu le permit pour cmpcclii'r que la race de David ne fi'it éteinte. •
{Remarque de J.Itac.iue); par le P. II. {l'urt-lhyal), Racine entend la Z?i6/e dite
rfe Saci. Racine a encore écrit aulre part : « Monsieur de Meaux {Bossuet] apprllc
Joas: u précieux reste do la maison Je David. » Racine, d'ailleurs, avait déjà dit
lui-même dans Andromaque, (lY, i) :
Il est du i,\af^ d'H dur, mais il en est lo relie;
et dttns Dajatet, H, viii :
L« .'ing dci Cllomtn!, dont «oui fillei la rcit*.
51 ATDALIE,
Nourri dans fa maison, en l'amour de la loi \
Il ne connaît encor d'autre père que toi.
Sur le point d'attaquer une reine homicide,
A l'aspect du péril si ma foi s'intimide, 260
Si la chair et le sang •, se troublant aujourd'hui,
Ont trop de part aux pleurs que je répands pour lui,
Conserve l'héritier ' de tes saintes promesses,
Et ne punis que moi de toutes mes faiblesses ♦.
JOAD.
Vos larmes, Josabet, n'ont rien de criminel; 265
Mais Dieu veut qu'on espère en son soin 'paternel.
Il ne recherche point, aveugle en sa colère.
Sur le fils qui le craint l'impiété du père'.
Tout ce qui reste encor de fidèles Hébreux
Lui viendront aujourd'hui renouveler leurs vœux*. . 270
Autant que de David la race est respectée,
Autant de Jézubel la fille est détestée.
Joas les touchera pas sa noble pudeur.
Où * semble de son sang reluire la splendeur;
Et Dieu, par sa voix môme appuyant notre exemple, 27 ii
1. L'Académie aurait voulu que Racine écrivit dans l'amour de ta loi.
2. Le mol chair et le mot sang, dans lo langage des Juifs, désignent, chacun
séparément, l'homme.
3. Celui qui doit bénéûcier de ce que tu as promis. C'est là une expression
des plus hardies.
4. Ce dévouement de Josabet rappelle la prière d'Atalidc, à la fin du pie-
mier acte de Bajazet :
0 ciel ! li DOlre amour est cooJamné de loi,
Je fuis II plus cuiipable : éptii^o loul sur moi.
B. Soin a ici le sons de cura', protoction, souci, etc.
6. On lit l'aiis VExhdc (XX, 5) : i F.-'o sum Doininus Dcus luug forlis, idoles,
risilaiis iiiiquilatcm p;ilrum in filios, in tcrlinm et quartam ^cncratii>nem eotum
quiuduru/ me . • Ézirliicl (XVllI, )!' cl 'Jii| a dit aussi : « Kl ilicilis : Quare non
purlavit filius iniquilal< mpaliis? Vidciicel, quia fillus judicium et jiistitiatn opae-
raiu« i-st. umnia prœcc|>la inca cusiodivit, cl focil illa, vive! \ita. Aiiimaquc
pedcaicrit ipaa niorielur : fîlius nun portiidit iiii(piilalcni palris... » L'ac^idé-
luiciru Suarcl (îcriv.iil à fx)ncorccl à propos de ce pa>sag(} : « Vous penseï qu'il
J • contrniliclion lorsque Joui dil ;
Dieu ne reclierche point, aTeiiRle en it folirl.
Sur le Sll qui lo crjiiit, l'iuipiiiè du pcre,
parce que Joad a dit préccdi'mment :
Hn» qui, frippiut Jurarn, le mari dt- leur tk'.'.%,
A jui'juc lur fun nii puuriuivi la raiiiille ;
mail lisci sur le fils qui le crnint : voih'i la dilTérr>nce. Joad pense que Dieu
ne punit le fils de* crimes de son pcrc que lorsque le (Ils est impie aussi, c'est-
à-dire lorsqu'il partage d'intonllun les crimes que le pcrc u commis de fait.
r>ctle explication toui prouve uue ce oassacc n'est pas d'une «i grande intolé-
ranrr. »
7. Lui *■ rnppnrli.' k Juad diisigné dans l'ctprcuiuQ le fils yut le craint.
1. Daiit laquelle.
ACTE I, SCENE II. 63
De plus près h leur cœur parlera dans son temple.
Deux infidèles Rois tour à tour l'ont bravé • :
11 faut que sur le trône un Hoi soit élevé,
Qui se souvienne un jour qu'au rang de ses ancôlros
Dieu l'a fait remonter par la main de ses prôlres -, 280
L'a tiré par leur main de l'oubli du tombeau ',
Et de David éteint rallumé le flambeau *.
Grand Dieu, si tu prévois qu'indigne de sa race,
11, doive de David abandonner la Jrace,
Qu'il soit comme le fruit en naissant arraché, 285
Ou qu'un souffle ennemi dans sa fleur a séché •.
Mais si ce môme enfant, à tes ordres docile,
Doit être à tes desseins un instrument utile,
1. « Tour à tour ne se dit que des choses qui rcvicnncnl plusieurs fois l'un»
a^rès l'autre. » (Sentiments de l'Académie sur Alhalie.)
2. On le voit, si la foi mène Joad, la politique se joint à la foi pour le guider. C'r^t
ce qui a permise M. Sarcey de dire : « Son premier souci a été de former en Tue
de ses desseins futurs l'enfant qu'il doit mettre un jour sur le trône. Il ne peut
régner que sous le nom de Joàs ; il a donc pris soin de lui donner une éduca-
tion qui le lui asservisse... Tandis que Jos.iljct Toit en lui l'enfant qu'elle a élevé,
qu'elle aime, pour qui elle tremble, il n'est pour ce dur et inOexible Joad que
l'instrument de sa erandeur future. » (Le Temps du 6 octobre 1873, Chronique
théâtrale.) Ces paroles renferment une part d'injustice, mais aussi une part d«
Térité.
3. « Oblivioni dntus sum, tanqiiam mortuus a corde. (Psaumes, XXX, 13.)
4. Davidest souvent désigné dans les livres saints comme le flambeau d'Israël.
Voir, par exemple, J Bois, XI, 30. — Massillon, dans son Petit Carême, a hardi-
ment appliqué cette figure biblique au jeune roi Louis XV : u Vous qu'il a ral-
lumé comme une étincelle précieuse dans le sein même des ombres de la mort
où il vonait d'éteindre toute votre auguste race, et où vous étiez sur le point de
vous éteindre vous-même, » etc. (Sermon pourla fête de la Purification.) Long-
temps avant Racine, Jo.icbim du Bellay avait écrit dans une ode à Salomon Maria :
Cuidei-la par ta plainte
Soulever un loniheau,
Et d'une vie élcinte,
Rallumer le flambeau '
C'est par cette image également que s'ouvrira le Gioas de Métastase :
Eterno DinI Ounnue scintilla «neora
La farc He Da>iade.
5. Agrippa d'Aubigné avait écrit déjà dans ses Tragiques (La chambre doré'):
Bru'le 'l'{in vent mauvais jusque dans leun racines
Les boulons de» premiTS de ces tendre» épine?.
Los imngps employées par Hacinc sont bibliques. On lit dans Isaïo (.XL, 24) :
" Repente; llavit in ros, et aruerunt, et lurbo quasi slipulam aufcret eos •>, ci
dans les Psaumes (C.II, 16) : « Homo sicut fœnum dios ejiis, tanqnam dos agri
sic eflloiabit. » — A propos. de ces vers. Suard écrivait à Condoroot : n Vous dites
que Joad demande la mort de Joas, s'il se conduit avec peu de piété. Remarquai
que Joail ne dit point s'il se conduit avec peu do piété, mais si Dieu prévoit
Qii'indijnc de «a race
* Il doiie de David abandonner la trace.
Or combien de fois n'avons-nous pas dit, vous et moi, de quelque homme dés-
honoré, qu'il cijl été bien heureux pour sa famille qu'il fût mort au berceau?
c'est un des vœux les plus ordinaires quand on parle des criminels et des tyrans.
On l'a dit des Ravaillacs et des Nérons, et puisque Joas devait devenir roi, Joad
54 ATUALIE
Fais qu'au juste hérilierle sceptre soit remis ;
Livre en mes faibles mains ses puissants ennemis ; 290
Confonds dans ses conseils une roine cruelle '.
Daigne, daigne, mon Dieu, sur Mathan et sur elle*
Répandre cet esprit d'imprudence et d'erreur,
De la chute des Rois funeste avant-coureur*.
L'heure me presse : adieu. Des plus saintes familles 295
Votre (ils et sa sœur vous amènent les filles.
o'avait-il p.is raison do désirer qu'il mourût plutôt que de devenir un de ces
scélérats puissants qui font lo luallieur dos peuples? Ce passage mémo est d'au-
tant pins convenable dans la liouclio de ce grand prèlie, que Joas devenu roi
fut rèclli'nicnt cruel cl impie, et fil même périr le fils de Joad. »
1. « InTatua, «luxso, Domino, consilium Acliitopliel. » (// Rois, XV, 31.) « El
dii-umpatur spiritus .rgypti in viscorilius cjus, et consiiium ejiis praecipilabo. »
(IsAÎB, XIX, 3.) Une des j'Minos filles du chœur dira de mcnie (III, i)
Uillun ! 0 Dieu du ciol, puiiscs-tu le conroiidre !
2. On dit dans les Traijiqucs d'Agrippa d'Aubigné [Jugement)'.
Quand lo ternie est escheu dos diTJnes jusUces,
Les rœurt abast.irdis lODl infoclés de iices :
Dieu fr.ippo le dedans, oste eutièrcmcnl
Ii)l relire le don de leur enlendeiuent :
Puis iiir le coup qu'il teul nous livrer en servage,
Il fait fondre le cœur elsiicii^r le courjge.
Au sujcl de ce passage, Suard écrivait encore h Condorcet : » Vous penseï qu'il
est horrible de présenter à l'hommage des peuples un Dieu qui ferait e.-.près
lies coupables pour les uunir ; mais Allialie et Mathan ne sont-ils pas déji
des coupables? Cette Àlhalic qui
Se bji;;ne impunéuient d.ios le sao;: de oos Hoii,
Des curants de ion bli détestable humicide,
•t ce Mathan,
Plus niéchanl qu'AlhMie,
El de loule veitu léli pcriéculeur t
Joad admet donc ici le principe, non pas que Dieu inspire des crimes pour lei
punir, mais qu'il inspire aux criminels assez d'imprudence et de mauvaise con-
duite mémo, si l'on veut l'entondre ainsi, pour <iu'ils se découvrent cux-iuciucs.
et quo l'état social puisse les connaître, les frapper, et être plus en sijreté. » Le
meilleur commentaire de ces vers csl le chapitre ixii du premier livre des
liais.
3. On lit dans les Mémoires deComincs, I. V, chap. xviii, p. !80, une fort belle
page, qui peut servir de commentaire à toute la tr.tgédic de Dncine : « Les
niai-advcnturc; snni, quand Dieu est tant olfensé, qu'il ne le veut plus enilurer ,
mais veut mon^trcr sa force et sa divine justice ; cl alors prenucreiiienl leur
diminue le sons, qui est grande plaio pour ceux à qui il louche; il trouble leur
maison, et la permet hiiuber en division et en murmure; le prince tombe
en telle indignation envers nustrc Seigneur, qu'il fuit les oinscils et compagnies
des sages, et en eslevo do tous neufs mal saKcs, mal raisonnables, violons,
flatteurs cl qui luy complaisent ii ce qu'il dit. S'il veut imposer un denier, ils
disent deux ; s'il menace un houiiuo, ils disent qu'il lo faut pondre ; et du toutes
autres choses le 8eud)liible, et que Murlout il se fasse craindre : et se monstrenl
fiers et orgueilleux eux mêmes, cspérans qu'ils seront craints par es moyen,
comme si auclorilé eslait leur héritage, j
C'eut ici que la Comédie française lurniinc lo premier acte, sans doute
parce que les fiUet de Lévi i|u'elle nous moniro sembleraient plutôt les tantri
que les enfants de Josabet ; nous y perdons un fort j<di couplcl ; ensuite, lori-
quc '/acharie fera i"on entrée au second acte, il nous sera inionnu, et la précau-
tion qu'a prise llacine d'' nous inslruii'c, & la On du premier «cte, qu'il itctuiu-
piiro4 son père, sera perdue.
ACTE I, SCENE IV. 35
scI':ne III.
JOSAHF.T, ZACIIARIE, SALOMITIl >, i.e cl. :ua.
JOSABET.
r.hcr Zacharic, allez, ne vous arrûtez pas,
De voire aiigusic père accompagnez les pas.
C) filles de Lovi ^, Iroupc Jeune et fidclc,
(Jue déjà le Seigneur embrase de son zèle, 300
Uui venez si souvent parlagor mes soupir.-,
Ilnf.mls, ma seule joie en mes longs déplaisirs',
(>es festons dans vos mains, et ces fleurs sur vos tôles*
Autrefois convenaient à nos pompeuses fêtes.
Mais, hélas ! en ce temps d'opprobre et de douleurs, 30"i
(Juelle oll'rande sied mieux que celle de nos pleurs ''
J'cnlends déjà, j'entends la trompette sacrée*,
l.'l du temple bientôt on permellra l'cnlrée.
Tandis que je me vais préparer à marcher'^,
Chantez, louez le Dieu que vous venez chercher', :H0
SCÈNE IV.
LE CHOEUR.
TOL'T LE CUŒLR chante.
Tout l'univers est plein de sa magnificence '.
Qu'on l'adore ce Dieu, qu'on l'invoque à jamais*.
Son emjiire a des temps précédé la naissance.
Chantons, publions ses bienfaits.
I. S..lomilli l'sl un nom d'invi nlion.
î La présence de ces jeunes filles dans le (cmple n'a rien do surprenant.
I intitulé de quelques psaumes indique qu'ils devaient ctre chantés par de»
f-mmcs ou par des iouncs filles.
3. Allusion à llailamc de Maintenon et à la maison de Saint-C.yr.
4. Dover dans sa Judith (I, iv) et André Cliénicr ont tous deux imité ce ver»,
c!:acuo comme il pouvait l'imiter :
Lci lampes duni leurt maiiii, el Ici Qliiii !ur leiiri lètci.
(BOYBR.)
El d'.'S ncuri djni tes mtini cl des fleurs sur si tjle.
(André CusNiBR.)
5. Voir la note du vers 6.
6. Marcher, c'est aller en procession solennelle au lieu saint
Da la inoi'soii notircllo nlTrir les preiiiicrt fruits.
7. Chercher Diru, c'est pénétrer dans le taheinaclc.
8. Le fhinur li'Mhalic s'intéresse 'oujours à l'action. Il cliinic ici la grandtur
d.i liioudans lequel Joad a mis toute sa confiance.
9. A jamais, c'est : in avum, dans tout lo temps n venir.
• « ATHALIE.
PNE VOIX s.rulf.
En vain l'injuste violence 315
Au peuple qui le loue imposerait silence* :
Son nom ne périra jamais.
Le jour annonce au jour sa gloire et sa puissance*.
Tout l'univers est plein de sa magnificence.
Chantons, publions ses bienfaits. 320
TOUT LE CHŒL'R répète.
Tout l'univers est plein de sa magnificence:
Chantons, publions ses bienfaits.
DNE VOIX seule.
Il donne aux fleurs leur aimable peinture'.
Il fait naître et mûrir les fruits ;
11 leur dispense avec mesure * 325
Kl la chaleur des jours et la fraîcheur des nuits ;
Le champ qui les re(;ut les rend ave usure '.
l'NE AUTRE.
Il commande au soleil d'animer la nature,
Et la lumière est un don de ses mains';
Mais sa loi sainte, sa loi pure 330
Est le plus riche don qu'il ait fait aux humains.
UNE AUTRE.
0 mont de Sinaï, conserve la mémoire'
De ce jour à jamais auguste et renommé,
1. 11 y a dans ce vers une rencontre de voyelles plus désngréablc qu'un hiatus.
2. Il Cœli enarrant ploriam Dci, et opéra nianuum ejus annuntint firmamcnlnm.
Dies dici éructât veibura, et nox nocli indioat scientiam. » {Psaumes, XVllI, 1,
2). — J.-B. Rousseau (Liv. I, ode ii) a imité Racine:
I,e jour au junr la ré»cle,
La iiiiil l'ïiiiijiice à U nuit.
3. Racine s'est souvenu sans doute de ces vers de Régnier dans la belle Sa-
tire II, à Monsieur Jtapin.
Sçirhei qui donne tuT Beiiri celle limahle |<eintur«,
QurlU- main iiir la lerre an broyé la couleur
tLiirct •vait dit aussi dans sa Sylvaitire :
Je m* plairait A Toir l'aiirrable peinture
Qui temble dam iioi chiii>|ii rajeunir la nttur*.
4. Dispenser, c'est distribuer, répartir.
5. Avec intérêts, en plus grande abondance.
6. • Tuus est dies, et tua est noi : tu fabricatus es aur.ir.im et solcin. i
il'snumrs. LXXIII, 10.) — « L'expression un don de ses mains, eu parlant d--
a lumière, a paru à f|ueli|ues-uns une expression impropre. » {Sentiments de
l'Académie iur Athalie.) J.-O. Rousseau dira (Liv. I, Ode ii) :
I)jna une ériilanle «iiAla
Il a placé di! tet mairii
Ce Kilcil, qui, dam r.t rnuU,
Eclaiie loui l«i liuaiaiDt.
'/. L'admirable mnrrc.iu qui VA Ruivre est un éloquent et poétique réiuroé dM
etiauitri'i iix et ii de \'/Cinde-
ACTE I, SCENE IV. 57
Quand, sur ton sommet enflammé,
Dans un nuage épais le Seigneur enfermé * 335
rit luire aux yeux mortels un rayon de sa gloire.
Dis-nous pourquoi ces feux et ces éclairs.
Ces torrents de fumée, et ce bruit dans les airs.
Ces trompettes et ce tonnerre :
Venail-il renverser l'ordre des éléments * ? 340
Sur ses antiques fondements '
Venait-il ébranler la terre?
ONE AUTRE.
Il venait révéler aux enfants des Hébreux
De ses préceptes saints la lumière immortelle.
11 venait à ce peuple heureux 34o
Ordonner de l'aimer d'une amour éternelle *.
TODT LE CHŒUR.
0 divine, ô charmante loi! *
0 justice, ô bonté suprême!
Que de raisons, quelle douceur extrême •
D'engager à ce Dieu son amour et sa foi ! 350
UNE VOIX seule.
D'un joug cruel il sauva nos aïeux '',
Les nourrit au désert d'un pain délicieux ^,
1 . « Plusieurs ont cru qu'enfermé ne peut se dire pour enveloppé. » (Senti-
ments de l'Académie sur At/talte.) Cette critique racsquine était tout ce qu*
I .Vcadémie trouvait à dire sur ce passage sublime.
i. Le moi étémenll, dans le sens où il est pris ici, n'est point biblique.
3. Un grand nombre de passages des Écritures portent le mot fondementt dans
celte acception.
4. N'oublions pas que Moïse, avant Jésus, avait donné pour base à ses pré-
ceptes l'nraour de Dieu.
5. « Charmante a paru faible, surtout après divine. » {Sentiments de l'Aca-
démie sw Athalie.) — J.-B. Kousseau a enrore imité ces vers (Liv. I, Ode ii) :
I.oi stinto, loi dé-ira1i!<'.
Ta riche'5(> est pnlirable
A la rirluasc du l'or ;
m ta do'icutir est ptreill«
Au miel dont la jeune abeille.
Compose son cher IrcJor.
6 L'Académie s'est partagée sur cette grave queslinn de savoir si Racine
kt ait le droit de dire extrcnie après quelle.
7. Allusion & la sortie d'Egypte.
8. Allusion à la manne dont Dieu nourrit les Hébreux pendant leur séjour en
Arabie. La botanique appelle maniii! une sorte de gonimo qui découle des
feuilles du tamaris ouvertes par la piqûre d'un insecte; celte gomme, congelée
et mêlée à de la farine, forme une sorte de pain. Mais on a remarqué que le ta-
maris ne se rencontre pas dans le pays de CJianaan, où Dieu continua a donner
sa manne à son peuple. On attribue à ce mot de manne uneélymologie bizarre :
les Hébreux, à la vue de cette chose étrange répandue sur le (ol, se seraient
dumandé les uns aux autres : « Mao ? Qu-est-ce que c'est ?»
58 AIUALIE,
11 nous donne ses lois, il se donne lui-ni6nie '.
Pour tant de biens, il commande qu'on l'aime.
LE CEŒUa.
0 justice! ô honte suprême! 3;i:i
LA MÊME VOIX. .
Des mers pour eux il enir'ouvrit les eaux';
D'un aride rocher fit sortir les ruisseaux *.
11 nous donne ses lois, il se donne Ini-nn^me.
Pour tant de biens, il commande qu'on l'aime.
LE CHŒUR.
0 divine, ô charmante loi! 3C0
Que de raisons, quelle douceur exlrèmc
D'engager à ce Dieu son amour et sa foi !
UNE AUTRE VOIX seule.
Vous qui ne connaissez qu'une crainte servile*,
Ingrats, un Dieu si bon ne peut-il vous charmer*.
Est-il donc à vos cœurs, est-il si dinicile 3C3
Et si pénil)le de l'aimer?
L'esclave craint le tyran qui l'outrage';
Mais des enfants l'amour est le partage.
Vous voulez que ce Dieu vous comble de bienfaits,
Et ne l'aimer jamais ' ? 370
I. Od lit dans les Sentiments Je l'Académie française sur Alhalie : • // se
donne lui-mi'mc ne se peut dire que soiis la loi nouvelle ; cette proposition
est trop étrangère à l'ancienne loi. » L'Académie n'était pas dans le vrai, plus
que Racine : cotte expression ne se rencontre que dans les Epitres de saint
Paul ; on ne la trouve jamais dans la loi nouvelle, c'est-h-dire dans l'Evangile.
î. Allusion au passage de la mer Rouge, à la sortie d'KgypIe. C'est le golfe
Uéi'Opolitain, sablonneux et peu profond, qu'ont franchi les liébreux. .Nous lais-
sons à U. Athanase rx)quercl toute responsabilité dans l'explication suivante de
ce miracle : « Le prodige n'a rion que de naturel, pour ainsi dire, et /'/ est
étrange qu'on s'y soit trompé. Le vent d'Arabio ou d'Orient a soufflé toute la
nuit. Au lever du jour, les eaux amoncelées au delà de qiicl(|uc pli du terrain
laissaient un passngr libre; le changement du vent les a fait rclluer. (Exode,
XIV, 21.) L'intervention divine est ici, comme en une foule d'autres exemples,
dans l'opportunité du moment et la présence, In nnrolc du prophète. »
3. Nous reproduisons ici encore tcxliirllcmcnt les paroles de M. Atlianase Co-
qucrcl : u Souvenir du séjour de Déphidmi, h peu de distance du Sinaï, et
quarante ans après, de Kndés en Parnn. La m^mo remarque qu'on vient de lire
s'applique i ces deux récits. Toutes les montagnes, tous les sols même ont des
sources cachées duns leurs flancs, dans leurs profondeurs, et ces sources jail-
lissent des qu'une ouverture leur est livrée. C'est en ce sens que le Psalmisto
rappelle et célèbre ce bienfait. >, {Psaumcs,\.\\\\\, Iftet CXIII, 8.)
■\. Digne d'un esclave, basse, rampante; Roilciiu a écrit, au chapitre tu du
Traité au SuLlime « des inclinations basses et serviles »,
5. « Plusieurs ont trouvé le mot charmrr faible et impropre. » {Sentiments dé
l'Académie sur Athalie.)
0. Certains académiciens ont trouvé faible le mot outrage, CD parlant d'un
Ijian vifc-.'ivis de son esclave.
7. Ce sont là des vers jaoséoistoi, qu* Racine a ajoutés à ion drame eo 1(>07.
ACTE I, SCÈNE IV. 89
TOUT LE CHŒDR.
0 divine, 6 charmante loi!
0 justice! ô bonté suprême!
Que de raisons, quelle douceur extrême
D'engager à ce Dieu son amour et sa foi ! ^
Uo canonistc de la Compagnie de Jésus s'était attiré, pour certaines théories
sur l'amour que l'on doit à Dieu, la foudroyante réplique qui termine la X° Pro-
vinciale Ac Pascal. Madame de Sévigné, écrivant à Madame deGrig-nan, le 15 jan-
vier 1690, lui raconte une querelle qui s'est engagée à ce sujet chez M. de La-
moignon entre Boileau et un Jésuite : « Dospréiux s'échaufTc, et criant comme
un fou : i< Quoi, mon Père, direz-vous qu'un des vôtres n'ait pas fait imprimer
dans on de ses livres qu'un chrétien n'est jias forcé d'aimer Dieu? Osez-vous
dire que cela est faux? — Monsieur, dit le Père en fureur, il faut distinguf^r.
— Distinguer, dit Dcspréam, distinguer, morbleu ! distinguer, distinguerai
nous sommes obligés d'aimer Dieu! » et, prenant CorbinoUi par le bras, s'cnlUlt
au bout delà chambre; puis, revenant et courant comme un forcené, il ne vou-
lait jamais se rapprocher du Père. » C'est & la suite de cette querelle que, par une
prosopopâe plaisante, Dospréaux, dans une satire intitulée V Amour de Pieu, fera
dire à Dieu ouvrant ses bras à ceux qui ne l'aiment point :
Entrez auci«l, fonei, comblée di mes louanges.
Du besoin d'aiinerDieu désabuser Ici angci.
EnajoutiiTt ces deux vers à Alhalia. notre poète preuail le parti de Boileau
contre la compagnie de Jésus. Les .lansénistes furent ravis des vers de Racine,
parce qu'ils venaient de Racine, et l'évéqec de Marra les oita dans son Apologie
dei Lettres Provinciale».
ACTE DEUXIÈME
SCÈNE I.
JOSABET, SALOMITH, le chœub.
JOSÂBET.
Mes filles, c'est assez; suspendez vos cantiques. 375
11 est temps de nous joindre aux prières publiques.
^ oici notre heure. Allons célébrer ce grand jour,
El devant le Seigneur' paraître à notre tour.
SCÈNE IL
ZACHARIE, JOSABET, SALOMITH, le chœdr.
JOSABET.
Mais que vois-je? Mon fils, quel sujet vous ramène *?
Où courez-vous ainsi tout pâle' et hors d'haleine? 380
ZACHARIE.
0 ma mère 1
JOSABET.
Hé bien, quoi?
ZACUARIE.
Le temple est profané,
JOSABET.
Comment?
ZACHARIE.
Et du Seigneur l'autel abandonné.
JOSABET
Je tremble. Hùtez-vous d'éclaircir* votre mère.
t. • Devant le Seigneur », c'est-à-dire devant le saocluaire où Dieu était censé
résider.
*. C'cit ici que la Comédie Française commence le lecond acte. Le raccord se
(uit tant bien que mal.
3. Ces deux mot», placés nu commoncoraenl du second hômisliciie, produisent
ic° moins d'elTct que dans lîst/ier (U, i) :
' ' Keitttu de binbéaiit, tout pftie...
4. Éclairer, instruire, comme dans Drilannicus (IV, ii) g
rignnre it quel criino on t pu ii>« onircir.
Ou loui c<<ix qua j'tl faili J« «tli >«ui écUlrcIf»
ACTE 11, SCliNE II. 01
ZACQARIE '.
Déjà, selon la loi, le grand prôtre mon père,
Après avoir au Dieu qui nourrit les humains 383
Delà moisson nouvelle oiïert les premiers pains ^
Lui présentait encore entre ses mains sanglantes
Des victimes de paix les entrailles fumantes '.
Debout à ses côtés le jeune Eliacin
Comme moi le servait en long habit de lin *; 390
Et cependant^ du sang de la chair immolée
Les prêtres arrosaient l'autel et l'assemblée •'.
Un bruit confus s'élève, et du peuple surpris''
Détourne tout à coup les yeux et les esprits ,
Une femme... Peut-on la nommer sans blasphème? 395
Une femme... C'était Athalie elle-même ••
josâbet
Ciell
ZACOAUIE.
Dans un des parvis aux hommes réservé
Cette femme superbe entre, le front levé,
Et se préparait môme à passer les limites
De l'enceinte sacrée ouverte aux seuls lévites '. 400
1. Zacliarie doit montrer la foi ardente et l'impûtuosité intrépide d'un tout
jeune homme. Il faut en outre qu'on sente en lui le fils de Joad. Ce rôle était re-
marquablement tenu lors de la dernière reprise d' Athalie à la Comédie Française.
2. Le jour de la Pentecôte, on offrait à Dieu deux pains du nouveau blé, et la
dixième partie d'un cplia de grain.
3. H On présentait au temple sept agneaux de l'année, un veau et deux bé-
liers, pour être offerts en holocauste, deux agneaux en hosties pacifiques, et un
bouc pour le péché. » (Don Cilmkt, Dictionnaire de la Bible, Pentecôte.)
4. C'est sous un habit de lé^ite que l'on a caché le jeune Joas. Zacharia
signale la présence d'Lliacia à cause de l'impression qu'il a produite sur Athalie;
voir le vers 414.
5. Pendant ce lonips-là.
6. Moïse arrosa une fois le peuple de sang, pour indiquer qu'ainsi serait ré-
pandu le sang de quiconque enfieiiidiait la lui ; ni:iis cela n'était point une
cérémonie ordinaire. Voici le texte de l'L'xode (XXIV) sur lequel s'est appuyé
Racine : « llle (Moyses) vcro sumptum sanguinera rcspersit in populum... ■■, ft
dans VEpitre de saint Paul aux Hébreux (IX, 19 et 21) : « Lecto enim onini
mandato Icgis a Moyse univcrso populo, actipiens sanguineni vilulorum et liir-
corum, cum aqua et lana corcinea et hys.sopo, ipsuin quuque librum et onineni
populum aspei-sit... Etiam tabcrnaculum et umnia vasa mlui:>terii sanguine situi-
liter aspersit. »
7. Ud bri'it coiifiit s'clève, et chacun dil pour soi.
(l'L'nBTiiinu, Le jeu, de boules des Procureurs.)
8. Voltuiie, qui a souvent admiré Racine au point d'adopter quelques-uns ds
ces vers, a placé dans sa IJenriade cette suspension et cette répétition:
Uni- feriiiiii' .. Grand Dieu! Tiul-il à la mémoire
Coiiscrtei K: lecit de cette buritile biitvirc 7
Une femme....
9' Il s'affit ici de la cour intérieure, où était dressé l'autel des bolocaustei.
et ATUAL(E.
Le peuple s'épouvante, et fuit de toutes parts.
Mon père. . . ah! quel courroux animait ses regards *!
Moïse à Pharaon parut moins formidable * :
« Reine, sors, a-t-il dit, de ce lieu redoutable,
D'où te bannit ton sexe et ton impiété. 403
Vienslu du Dieu vivant braver la majesté ''? »
La Reine alors, sur lui jetant un œil farouche.
Pour blasphémer sans doute ouvrait déjà la bouche.
J'ignore si de Dieu l'ange se dévoilant
Kst venu lui montrer un glaive étincelant* ; 410
Mais sa langue en sa bouche à l'instant s'est glacée ',
Et toute son audace a paru terrassée.
Ses yeux, comme effrayés, n'osaient se détourner» ;
Surtout Éliacin paraissait l'étonner '.
JOSABET.
Quoi donc? Éliacin a paru devant elle '? 415
ZACBAUIE.
Nous regardions tous deux cette reine cruelle,
Kt d'une égale horreur nos cœurs étaient frappés.
Mais les prêtres bientôt nous ont enveloppés.
1. Toutes ces suspensions prouvent l'émotion violente de Zacliarie. — Voltairs
a écrit dans sa Mérope (V, w) : ^
" Sa more... tb ! que l'tinour inspire de courage !
i. On sait que l'haraon nVsl pas un nom d'homme, mais le titre commun à
loiis les souverains d'Kpyptc. .Moïse, selon toute probabilité, eut à lutter contre
Il )!• on Horus, le neuvième roi do la dix-huiticme dynastie.
5. C.etlo expression est très usitée dans les livres sacrés : « Seietis quod Do-
niious Deus vivens in medio vestri est. » (Josué, 111, 10.)
4. « Prolinus npcruit Dominus oculos Balaam, et vidit angelum st.intem in
\iaevaginatu pl.idio. » (Nombres, XXII, 31.) « l.cvansque David oculos suos, vidit
anpelum doniini st.inlcm inter cœlum et terrnni, et cvoginatum gladium iu
Djuiiu ejus. » (I, ParaUp'imrncs , xxi, IG.) — Joad dira de même (IV, it):
" ' Sonjot qii'aiilKiir de toui
I *tn;e extL'rmiiiateur ett dcbuut arec toui.
ft. S .nonir 't Virgile [Enéide, 111, 48 ):
Ol'itupui, sit'tcriintqiie coiiix, et toi Taueibui lic'il.
L'élouiiciiieiil d .^.tlialic est si profond, elle est si troublée de la ressemblance
(le rel enfant avec celui qu'elle a vu rn songe, qu'elle oublie l'insolence du
(.-rand prêtre. — Josèpbe, que Rarine avait lu, nous raronle au livre XI, chapitre
\iii, de ses Autiqtiités jiidaïquis , qu'en .Tirivant à Jérusalem, Alexandre reconnut
le grand pièire <'>nd(liis qu il av;iil vu en songe.
6. Il > a là comme une r:>seinalirin ; Alliiilie ne peut distraire ses veut de ce
visage, dont la vue la glace d'elTioi.
7. Etonner a ici toute la forre du sens étymologique : étourdir comme d'un coup
de fiiudrc : • 0 nuit d/KasIreiifc ! ô nuit cITioyablc ! où retentit tout à coup
eiiMinie ut éclat de tonnerre celle étonnante nouvelle; Mndame se meurt'
Madame est morte! » (Uonhi kt. Oraison funrirc d'JJniridie d'Angleterre.^
K. /aeliaria oc peut comprendre l'angoiase contenue dans cette ioterrogation de
Ju>4bet.
ACTE II. SCENE III. «|
On nou3 a fait sortir '. J'ignore tout le rosle,
Et venais vous conter ce désordre funeste '. 420
JOSABET.
Ah ! de nos bras sans doute elle vient l'arracher' ;
Et c'est lui qu'à l'autel sa fureur vient chercher*.
Peut-ôtre en ce moment l'ohjot de tant de larmes...
Souviens-toi de David, Dieu, qui vois mes alarmes \
SALOMITH.
Quel est-il, cet ol)jet des pleurs que vous versez? 425
ZACUARIE.
[.es jours d'iiliacin seraient-ils menacés?
SALOMITH.
Aurait-il de la Reine attiré la colère ?
ZACHARIE.
Que craint-on d'un enfant sans support et sans père ' ?
JOSABET.
.Vh ! la voici. Sortons II la faut éviter.
sci:nr III.
ATIlÂLIE, AGAR, ABNER, suite d'athalik.
AGÂR. ■
.Madame, dans ces lieux pourquoi vous arrêter? 430
Iri tous les ol)jets vous blessent, vous irritent.
Abandoimez ce temple aux prêtres qui rh.ibilent ;
Fuyez tout ce tumulte, et dans votre palais
.\ vos sens agités venez rendre la paix ''.
1. Kxiilemnient sur l'ordre de Joad.
î. Funeste a ici le sens étymologique, et éveille dos idées de morl.
3. Oe mes bras tout san^-lants il raiidrn rarracher,
disait Clytemncstre dans Ifihiqt'inie (IV, \y).
4. On U: voit, la tendre Josal^ct est prompte à s'inquiéter.
5. r.c mouvement vers Dieu, cotte incpiloluda qui se termine en prière, sont
d'im l)ol cil'ut. — « Mcmonto, domine, David. » (Piaii/ne*, GXXXI, 1.)
6. lin support e.'it, au moral, ce qui soutient, comme fait le support pour ce
qu'il a sur lui. C'est ainsi que Malherbe a dit (VI, 18 ) :
Priain, qui lit «cl (Ils aballu) par Achille,
Dénué (le 'uppori, etc.
7. Le mot sens désigne ici : la Faculté de sentir, l'intelligence ; on f:ii«ait de ce
mot un usage froijucnt au dix-septième siècle. C'est ainsi que, dans les Plaideurs
(11, II), lsal>cllc dira à l'Intimé :
Ah! l'Intima, parJonne à mes !ens étonnés.
Nous avons vu à la Comédie Française couper le rôle d'Ag:ir; nous ne sdvuus
6 4 ATOALIE.'
ATII ALIE.
Non, je ne puis : tu vois mon trouble et ma faiblesse *. 435
Va, fais dire à Mathan qu'il vienne, qu'il se presse-;
Heureuse si je puis trouver par son secours
Celte paix que je cherche et qui me fuit toujours'.
(Elle s'assied).
si c'est une habitude. 11 est ennuyeux, nous en convenons, de faire venir une
actrice au théâtre pour un rôle de cinq vers ; mais, outre que par suite do cotte
coupure, le dernier vers de la scone n n'a plus de rime, c'est se moquor du
public- et de Rncinc, ce qui n'est pas moins grave, que de montrer une Atlialie
qui arrive sur le tliiâtre en parlant à la oantonade.
1. Dans \cMauuel du Théâtre Français, le marquis de La Rochcfoucault-Lian-
court a dit de mademoiselle Dumcsnil dans lo rôle d'Athalio : « Son entrée sur le
théâtre était cITrayante. Elle jetait autour d'elle des regards furieux et remplis à la
l'ois de menace et de terreur. Klle p iraissait poursuivie par la colère céleste, et
fuyant, pour ainsi dire, devant un IJieu vengeur. Elle se remetloit ensuite, rappe-
loit sa fierté, et commençoit d'un ton noble et tranquille le récit de ce songe, 1 un
des plus beaux morceaux de poésie qu'on ait jamais entendus sur la scène tragi-
que. Mais bientôt, se pénétrant des images que lui rofraçoit le souvenir de ce
Bongc funeste, elle les rendait présentes aux yeux des spectateurs. On croyoit
la voir successivement tendio les bras vers l'ombre de sa mère, se détourner avec
horreur, en trouvant, au liou d'elle, un horrible attias de membres déchirés et
sanglants, se rassurer ensuite à la vue d'un jeune enfant vêtu d'un long habit
lie lin, et porter enfin sa main sur la blessure qu'elle scmbloit recevoir encore.
Ce n'étoit plus un récif, ce n'étoit plus un songe, c'éfoit un fait, une aolion
véritable. » Théophile Gautier a dit de Raehel dans le même rôle : u Son en-
trée, au second acte, est admirable. Mademoiselle Raehel possède ce don suprême
qui fait les grandes tragédiennes : l'autorité. A sa vue seule, on comprend sa
puissance; dans son maintien, dans son geste, dans son regard, on reronnaît
la reine... Madomoiselle Raohol se fait franchement vieille dans Athalie; elle
porte de loups cheveux gris, et affecte la démarche à la fois assurée et eli;in-
celante des femmes respectables. »
2. Qu'il se presse. Treize vers seulement seront récités avant que l'entrée de
Mathan soit annoncée. C'est pour atténuer cette invraisemblance que Racine a
placé ces trois mots dans la bouche d Atlialie.
3. !■ Il arrive nécessairement un jour où le principe en vertu duquel s'est formé
!e nouveau règne, a épuisé sa force d'aotion. Ee souverain a vieilli; ses meil-
leurs conseillers sont morts ; les opposants, longtemps muets, ont repris courage
et leurs langues se sont déliées. Le gouvernement n'aurait pour les faire taire
qu'à retrouver un peu de sa premiëro vigueur; mais il n'ose plus ; il commence,
soit défaillance du ressort, soit trouble d'esprit, h sentir le besoin des transac-
tions; sur ce terrain mourant, il va plus loin qu'il no veut, il a des retours ins-
tantanés de rigueurs qui lui font plus de mal encore que ses complaisances; il
marche au hasard, sans système arrêté, poussant dans tous les sens et toujours
a l'extrême, clfaré, ahuri," en proie aux ambitieux de tous les partis, et sentant
déjà gronder en soi la fatalité du dénoùmenl, qui est proche. — C'est lo moment
psychologique des conspirateurs. C'est eolui qu'a choisi Racine, et Athalie, il ce
point de vue où je fais exprès de m'enfiTmer, est une des meilleures peintures
qui jiimais aient été faites dn l'espiit <io vertige (|ui saisit un pouvoriioniont aux
iiliiiis et le |iroriiiite k sa ruine. » (M. SARcmr, Le Temps du 11 août 1873, Chro-
nique théâtrale.)
ACTE II, SCÈNE IV. CI
SCÈNE IV.
ATIIALIE.ABNIiR, etc.
ABNER.
Madame, pardonnez si j'ose le défendre.
I.c zèle de Joad n'a point dû vous surprendre '. 4i0
Du Dieu que nous servons tel est l'ordre éternel ',
Lui-mùme il nous tjiaja son temple et son autel ',
Aux seuls enfants d'Aaron commit ses sacrifices ♦,
Aux lévites marqua leur place et leurs offices ^,
Et surtout défendit à leur postérité , 443
Avec tout autre dieu toute société.'. '
Hé quoi? vous de nos rois et la femme et la mère,
Ktcs-vous à ce point parmi nous étrangère?
Ignorez- vous nos lois? Et faut-il qu'aujourd'hui...
Voici votre Mallian, je vous laisse avec lui '. 450
A T U A L I E .
Votre présence, Abncr, est ici nécessaire.
Laissons là de Joad l'audace téméraire,
Et tout ce vain amas de superstitions
Qui ferment votre temple aux autres nations' :
Un sujet plus pressant excite mes alarmes. 4d5
t. Aimer a suivi Atlirilie poiu- la calmer et pour dé!'undrc Joad; mais il le dé-
fend en courtisan ; il excuse le fait ; il ne dit pas un mot de la forme, à dessein.
". Qui nous enchiiînc pour l'éfcrnité.
3. Construction clliptiquo pour : traça le plan de son temple.
4. Racine fait Aaron de deux syllabes. Voir encore le vers 1463. — Commettre
rst ici employé dans son sens latin : confier. Bossuct a dit dans son Oraison
fwhbre d'Henriette de France : « Elle ose se commettre à la fureur de l'Océan
et à la rigueur des hivers. »
5. Leurs fonctions.
6. L'idolâtrie était menacée fort sévèrement. Dieu dit dans le Lévitique (XXVI,
30) : Il Cadotis inter ruinas idolorum veslrorum, et abominnbitur vos anima
mea. » On interdisait même d'accepter de l'étranger des victimes pour les sa-
crifices, {f.évil., XXII, '25.)
7. Abner veut s'éloigner, par discrétion et aussi par dégoût pour Mallian. Il a
un air de dédain « quo l'acteur ne devait jamais adoucir, car il sort du fond
même de l'àmo honnête du brave soldat. » (M. Sàhckt, Le Temps du 18 août
1873, Chronique théâtrale.) L'.^cadémii; a trouvé que le mot votre manquait de
respect dans la bouche d'un sujet parlant à sa reine, et elle a eu raison. Alccste
dit i Célimène dans le Misanthrope (II, m):
Mail, on moins, ditf* moi, Midji'ii*. par quel tort.
Votre Clilanilic a l'iitur de vous plaire si forl;
Et en lui parlant ainsi, il n'a pas l'intention d'être poli.
8. « Hœc (iici{ Dominiis Deus : « Oniriis alienigcna incircumcifiis corde, et
incircumcisus carne, non ingredii;tur sanrtuarium mouni, omnis filius tlienu»
gui est in medio filiorum Israël. » (Kzécliiel, xliv. 9.)
i^P ATOALIE.
Je sais que, dès l'enfance élevé dans les armes,
Abner a le cœur noble, et qu'il rend à la fois
Ce qu'il doit à son Dieu, ce qu'il doit à ses Rois '.
Demeurez.
SCENE V.
MATHAN, ATHAIJE, ABNER, etc.
UATHAN.
Grande Reine, est-ce ici votre place?
Quel trouble vous agite, et quel effroi vous glace? 400
Parmi vos ennemis que venez-vous clierclier?
De ce temple profane osez-vous approcher *?
Avpc-vous dépouillé' cette haine si vive...
ATHALIE.
Prôtez-moi l'un et l'ùutre une oreille attentive.
Je ne veux point ici rappeler le passé, 465
Ni vous rendre raison du sang que j'ai versé.
Ce que j'ai fait, Abner, j'ai cru le devoir faire *.
Je ne prends point pour juge un peuple téméraire. j
Quoi quCr son insolence ait osé publier, |
Le ciel môme a pris soin de me justifior *. 470
1. C'est la parole de l'Evangile : u Rendez à Dieu c* qui appartient à Diou,
cl i César ce qui appartient à César. » Sévère dit dans Polyeucle (V, vi) ;
Scrtoz bien tolre Dieu, scttcz lulre monarqua
2. L'apostat médit de son ancienne demeure:
Il icul anéantir le Dieu qu'il a quitté.
a. Latinisme. Virgile a dit [^Enéide, IV, 31-8310) :
Islam,
Oro, li quis adhuc precibiia locui, exiic iiiciiloin,
4. Racine avait écrit déjà dans Bérénice (II, ii) :
Je ne prcnJi point pour juge une cour idulâlre.
5. En 1G74, Pradon, dans sa tragédie de Piramf cl Thhbé (I, iv) avait monluï
la reine Amcsiris glorifiant, comme lo fait Atiialic, sa souveraine grandeur, de
tourmentée en mémo temps par un chagrin secret :
Dmi l<' eonible où je ^uiide Rlolre et de grandeur,
flu* d'un ennui prct'.inl me dévuru le cœur,
■lien que depuii longleinpi ma gloire taiia lecoude
Me rt'iiile Ij iiiallrcise ou l'urlillre du iiiomle,
Que lanl de naliunt Hi'ihii'e'il (uus mii^< Ion ;
l.e tc.'plre t leschasnni.oi j'en nm Inut lo p<iidi
J'd) comme elle (Scm/raini'j) éleiidu l'iniiiire d'Aii|rit,
J'a; ^Ml>jll|;ué le l'ont, la 'l'IiMce, et l'Aichiuiie,
Kl ju (|u'au Food di' l'Inde alluni purNi det fera,
J>n ajr «aincu lc( Koia au bout do rUniirera.
Ajaiii donc cntai'i «icloiie aur «icloiie,
Je me auii mite. Al «ace, i r.ibi) de ma gloire,
El l'eelal de mon noui me rc^pniidanl de nioj,
J'airiruiii une reine eu la pLir' d'un ru*.
Babylone (il cil vray) dai<a ae« plar<'« publique!
Llata ma tlatui', cl dci «rca niagulHquai,
ACTE II, SCENE V. ii7
Sur d'cclalnnls succès ma puissance clablic
A fait jusi|u"uu\ d(iu\ mers respecter Athalic. ',
Par moi^ Jérusalem goûte uu calme proloiid.
Le Jourdain * ne voit plus l'Arabe vagabond,
Ni l'allier Philistin, par d'éternels ravages*, PS
Connue au temps do vos llois% désoler ses rivages;
Le Syrien me traite et de reine et de sœur*.
Enfin de ma maison lo perfidé^pprcssour,
Qui devait jusqu'à moi pousser sa barbarie,
Jéhu, le (icr John, tremble dans Samarie ''. 4f<0
Oe toutes parts pressé par un puissant voisin *,
Que j'ai su soulever contre cet assassin,
Il me laisse en ces lieux souveraine maîtresse'.
Je jouissais en paix du fruit de ma sagesse ;
Mais un (rouble importun vient, depuis quelques jours, 485
De mes prospéiihs interrompre le cours.
Un songe (medevrais-jc iiiquictcr d'un songe ?)
Entretient dans mon cœur un chagrin qui le ronge.
Je l'évite partout, partout il nie poursuit'".
Poar marquer aiie mon cœur ennem; du repos,
Dans un <eiL- A faiblo eut l'ime d'un héros.
D.piii" j'ai ri!COi)nu son ardeur et «on icle,
J'.i) rendu la rnonioiie el la miinne iininorteWet
J'ay relrfé ses iiuir», se» mpi'i hcs jjrdins,
J'ay de Sé>nJr.irnii a'-h.'vé les ilc"<iiiu ;
Efilin pir iiiei tiavaui en luiraclt;: féconde,
BaliTlone le >"it la merveille du monde.
Voila ce que j'ai fait.
f. « Ponam aulcm tcrruinos tuos a mari Rubro usquc ail marc Talseslinoruni. »
{Exode, XXn, 31.)
t. Remarquez l'orgueil de ces deux mots placés en tète du développement.
3. Voir Esther, note du vers 141.
/». Les Philisliiis, qui desecnd.iient de Mitzraïm, fils de Cham.ont été perpétuel-
lement en guerre avec les Hébreux; ils étaient établis le long de la Méditer-
ranée, au sud-ouest do Clianaan.
5. ,\bner a dit à Atlialie : votre Matlian ; elle lui répond par : vos rois.
6. La Syrie, éternelle ennemie des Hébreux, était divisée en cinq royaumes,
dont le principal était celui de Damas.
7. Samarie, à treize lieues de Sion, dans la tribu de Uanassé, capitale du
royaume d'Israiil, rivalisait avec Jérusalem en magnificence.
8. Ce voisin est Aiacl, roi de Syrie, niiquol on rendit après sa mort les hon-
Dcurs divins (Josbphb, Ant. IX, ii), à cause de l'éclat de son règne.
9. « Rien ne remuait en Judée contre .Vllialie ; elle se croyait aiïermie p.ir un
règne de six ans. Mais Dieu lui nourrissait un Tengeur dans l'asile sacré de
son temple. » (Dossunr, Disc, sur i/iist. univ.)
10. Dans les Livres saints, les songes sont toujours considérés comme des aver-
tissements divins. On lit dans les H'-marqurs sur l'olijeiicte de Voltaire (IM. Bcu-
cliof, XXXV, 2nn) : Il Le songe d'.Mlialic est envoyé exprès par le Oieu des .luif.i ;
il fait entrer .\tlialie dans le temple, pour lui faire rencontrer ce même enTant
qiri lui est apparu pendant la nuit, et pour amener l'enfant même, le niriid et
le dénouement de la pièce. L'n pareil .«ongc est à la fuis sublime, vraisemblable,
intéressant et -nécessaire. » M. Dellour termine une comparaison du fonge d»
Pauline dans Polijcucte avec le songe d'Allialie par cette phrase : « Le songe
68 ATDALIE.
C'était pendant l'horreur d'une profonde miît
Ma mère Jézubel devant moi s'est montrée •,
Comme au jour de sa mort pompeusement paréj.
Ses malheurs n'avaient point abattu sa fierté ;
Môme elle avait encor cet éclat emprunté*
Dont elle eut soin de peindre et d'orner son visage, 495
Pour réparer des ans l'irréparable outrage *.
'< Tremble, m'a-t-elle dit, fille digne de moi.
Le cruel Dieu des Juifs l'emporte aussi sur toi.
Je te plains de tomber dans ses mains redoutables,
Ma fille*. » En achevant ces mots épouvantables ', 50<'
Son ombre vers mon lit a paru se baisser ;
VA moi, je lui tendais les mains pour l'embrasser.
Mais je n'ai plus trouvé qu'un borrible mélange'
de Pauline est admiiable, mais il n'est qu'un incident dans la pièce ; lo sr.ncje
dAllialic est la pièce tout eiilière. » (Principes de composition et de sl'/lc,
p. 30G. 309.)
1. L'origine de celte vision est peut-cire dans le passage du récit que prèle à
Armide le Tasse, au chant IX de la Jérusalem délivrée. " Dés lors, dos songes,
des spectres aflVeux troublèrent le repos de mes nuits ; la fatale horreur qui
accablait mon âme était le présage de mes inforltincs. Souvent l'ombro do ma
mère, fantôme pâle et gémissant, s'oirrait à mon imagination. Qu'elle rcssi'ui-
blait pou à ces portraits qui m'avaient si bien rendu son image ! «Fuis, ma fille,
» fuis, me disait-elle, la cruelle mort qui te menace ; pars à l'instant ; déjà
«je vois un perflde s'armer du fer et du poison. » (Trad. Thilipon de la Ma-
delaine.)
2. Du Ilarlas avait dit {Second jour de la seconde semaine) :
El 11' leiiit empniiili
DonI une conili«ane embellit sa beauté.
On lisait au livre IV des Rois {IX, 30) : « Vonitque Johu in Jezrael. Porro Jeza-
bel, introitu ejus audito, depinxit oculos suos stibio, et ornavit caput suum, et
r"spexit pcr fencstram. » L'usage dos cosmétiques est poussé en Orient jusqu'à
l'exagération. Celui dont se sert Jézabel est ce fard célèbre composé d'iino
poudre de plomb, que les latins appelaient stibium. et qui a donné son nom à
l'ornuslibium, la troisième des filles de Job. (-/ob, XI. II, 14.)
3. Athalie a tort de faire du sli/te; c'est une lacbe dans cet admirable mor-
ceau; bon pour Vndius, lorsqu'il s amuse à faire aux femmes savantes le por-
trait des versificateurs tels que lui,
De leurs lers (,ilif;ants lecteurs inf.tligablea.
MoLiiini, Les Femmes savantes (111, v.)
4. nomarquri l'olTol de ce rejet, et coraparex-le avec celui-ci, omprunté aui
Génryiquei (I, 470) :
Vol qiioque per lucoi «ulgc eiaiidiU iilentei
liiKent.
5. Ces doux adjectifs ii la fin du vers produisent ici encore plus d'etlel que
dani Esther (III, iv):
De* plut frniiei Ellli la rhnie i^poiirantahle,
N'ctl qu'un jeu, qiiaud il veut, dd ij main redoutable,
fl. « Et crunt carne» Jezabel «icul sieroug super faciem ferrie in ngro Je/ia-
liel , ila ut prictorcuntci diount : IIu:C( ioe est illa Jeiabcl 7 » (il, Hots,
1^. 27.}
ACTE n, SCÈNE V, rtO
D'os et de chairs meurtris ', et traînés dans la fange,
Des lambeaux pleins de sang, et des membres allVeux SOS
Que des chiens dévorants se disputaient entre eux*.
ABNER.
Grand Dieu !
ATHALIE.
Dans ce désordre à mes yeux se présente
Un jeune enfant couvert d'une robe éclatante,
Tels qu'on voit des Hébreux les prêtres revêtus'.
Sa vue a ranimé mes esprits abattus*. 510
Mais lorsque revenant de mon trouble funeste,
J'admirais sa douceur, son air noble et modeste,
J'ai senti tout à coup un homicide acier,
Que le traître en mon sein a plongé tout entier.
De tant d'objets divers le bizarre^ assemblage 615
Peut-être du hasard vous paraît un ouvrage.
Moi-même quelque temps, honteuse de ma peur,
Je l'ai pris pour l'cfTot d'une sombre vapeur*.
1. Il Quelques-uns ont cru qu'on ne pouvait pas dire des os meurtris. » {Sen-
timents de l'Académie sur Athalie.)
2. Nous avons entendu dernièrement à la Comédie Française chercher dans ce
morceau, aux dépens de Racine, des effets de réalisme. L'actrice se levait, les
bras tendus vers l'ombre de Jézabcl, scml)lant jouer son rêve, et non pas le
raconter. Tout à coup, elle reculait, tressaillait, comme si elle avait toucné un
objet répugnant, et remplaçait le Mais, qui est en tète de cette dernière phrase,
par une sorte de hoquet d'horreur. Ce hoquet eut dégoûté Racine. M"' Dumesnil
(voir la note du vers 435) ne poussait assurément pas si loin la vérité de son jeu.
3. L'orthographe du mot tels se comprend et s'explique, si l'on rapproche de
ce vers la septième strophe du premier des Cantiques spiritu( Is ;
Tel que l'asfre du jour érarle les téiiibres,
De la nuit compa;noj funèbres,
Telle lu cha-»ij d'un Coup d'œil
L'envie aux humains si Talale, ele.
4. Racine avait déjà employé dans Britanuicus [\, m) ce pluriel poétique:
IIi bs : de quelle horreur ses lirnides ei>|irl(9
A re nouveau spcclaclc auroiil ùlé surpris !
5. Qui sort de l'ordinaire, étrange. Ce mol, qui vient de l'espagnol, a d'abord
Bi;;nili>; : vaillant, comme le prouve cette phrase de Lanoue • « Le soldat fran-
çais l'st beaucoup plus bizarre : et ne peut quasi vivre sans se battre, ne mon-
trant que trop sa valeur contre ses compagnons. » On tst, dit M. Littré, en pré-
sence (le deux étymologies : « le basque ôicarra, barbe, décomposé par Larramendi
eu /;i; arra (qu'il soit un homme) ; et l'arabe basharet, beauté, élégance, d'où
A.iillant, chevaleresque, puis les sens de colère, emporté, extravagant. »
fi. Furetière définissait les vapeurs « une humeur subtile qui s'élève des par-
lies basses et qui occupe cl blesse le cerveau ». On était très sujet aux vapeurs
au dix-septième siècle; on croyait dégager le cerveau en dégageant le ventre,
et voilà pourquoi on appelait si souvent M. Fleurant. C'était une indisposition de
bon ton, et l'on ne riait donc point du remède. Toute maladie était ramenée aux
vapeur». Les gens sensés se moquaient des petites maîtresses, qui se croyaient
rendre intéressantes par la fréquence de leurs vapeurs, et Madame do Main-
tenon écrivait à Madame de Dangeau. le 10 novemb.-e 1715 : « Avci-vous dc(
vapeurs 7 Vous savci que je ne les soull're point aux personnes raisonnables. »
"1 ATDALIE.
Mais de ce souvenir mon âme possédée'
A deux fois en dormant revu la môme idée': 52C
Deux fois mes tristes yeux se sont vu retracer
Ce même enfant toujours tout prêt à me percer.
Lasse enfin des horreurs dont ^ j'étais poursuivie,
J'allais prier Baal de veiUi^r sur ma vie,
Et chercher du repos au pied de ses autels. î)23
Que ne peut la frayeur sur l'esprit des mortels*?
Dans le temple des Juifs' un instinct m'a poussée,
Et d'apaiser leur Dieu j'ai conçu la pensée :
J'ai cru que des présents calmeraient son courroux,
Que ce Dieu, quel qu'il soit, en deviendrait plus doux. f)30
Pontife de Haal, excusez ma faiblesse.
J'entre : le peuple fuit, le sacrifice cesse,
I.e grand prêtre vers moi s'élance avec fureur*.
Pendant qu'il me parlait, ô surprise ! ô terreur !
J'ai vu ce même enfant dont je suis menacée, 1)35
Tel qu'un songe effrayant l'a peint à ma pensée.
Je l'ai vu': son même air, son même habit de lin,
Sa démarche, ses yeux, et tous ses traits enfin.
C'est lui-môme. 11 marchait à côté du grand prêtre;
\. Occupée par ce souvenir. — « Il est cl^ir qu'Atlialic a dû sn dire bien sou-
vent aux jours de sa prospérité : SI pourl.inf un héritier des rois légiliines avait
échappé!.. Elle a bien vite chassé cotte idée importune ; mais la vague ap|>rclicn-
sion dont elle est envahie a ramené phis vive, plus instante, plus chargée de
menaces, cette image funeste. L'idée fixe est devenue de l'hallucination, et co
songe d'Atlialie est et restera l'ctcrnelle traduction des craintes et des remords
qui assaillent sur le trône un usurpateur sur le point de rendre ses comptes, soit
à son peuple, soit à l'histoire. » (.M. Sincsy, Le Temps du 11 aoilt 1873, Chroni-
que théâtrale.)
i. Ce mot est pris dans le sens étymologique; il vient du grec iTio<, image.
Corneille l'a employé dans le même sens {Le Menteur, IV, i) :
De la elière iil^e
Mon idie à cet aipcct sera mieui |<us9C(li!a.
3. Par lesquelles.
4. Kxcniplc d'épiphoncme. On en cite souvent un autre empi iinté h l'Enéidt
(III. Sn-57j :
Qiiid non mortalia pectort cogii,
Auri sacra fainet !
5. L'expression de Jivfs pour désigner le peuple d'Abrah.im ne se rencontre
que dans les textes postérieurs nu règne d'Atlialie. — « Un instinct, c'est bien
cela. Co n'est pas une pensée ferme et «rrèlée, une résolution longuement
milric. C'est le coup de tôlo d'un vieillard fi qui tout échappe, sans qu'il sache
pourquoi.* — El que vn-tello faire dans ce temple? Klle n'en sait rien ; elle va,
obéissant & la voix secreto qui la pousse, la voix d'un songe. ■> (M. Sahcky, l.ê
Trmps du il aoiU 187.1, Chronique thoi'itiale.)
A. Alhalie glisse rapidement sur ces détails (|ui, un autre jour, nuraient excité
i* fureur, mai» qui, aujourd'hui, n'ont pour (Ile qu'une importance secondaire.
7. I.e pléona^me est excusable ici : Athalie tient à niarijucr le plus fortement
posiible sa pensée.
ACTE II, 8CÈNE V. 71
Mais bientôt à ma vue on l'a fait disparallre. iiiO
Voilà quel trouble ici m'oblige à m'arrûler'.
Et sur quoi j'ai voulu tous deux vous consuKcr.
Que présage, Mathan, ce prodige incroyable-?
MATUAN.
Ce songe et ce rapport, tout me semble efTroyalde'.
ATHALIE.
Mais cet enfant fatal*, Abncr, vous l'avez vu: ^\[,
Quel est-il? De quel sang? Et de quelle tribu?
ABNER.
Deux enfants à l'aiilcl prêtaient leur ministère.
L'un est fils de Joad, Josabet est sa mère '.
L'autre m'est inconnu.
MATHAN
Pourquoi délibérer?
De tous les deux. Madame, il se faut assurer '. aaû
Vous savez pour Joad mes égards, mes mesures'' ;
Que je ne chercbe point à venger mes injures.
Que la seule équité règne en tous mes avis;
Mais lui-même après tout, fût-ce son propre lils',
Voudrait-il un moment laisser vivre un coupable '? 355
ABNER.
De quel crime un enfant peut-il être capable?
1. Pourquoi Athalie n'est-elle pas rclournée dans son palais, comme Agar I«
lui conseillait? Est-ce à cause de sa faiblesse? Non; les longs morceaux qu'elle
débite le prouvent bien. Elle veut revoir l'enfant; comme elle est onirée au
temple en suppliante, avec une faible escorte, elle ne peut commander; elle a
besoin de la complaisance du grand prêtre; pour le décider à so rendre à son
désir, elle compte sur Abncr, et voilà pourquoi elle l'a retenu.
2. Comme pontife de Baal, Mallian se flattait de savoir découvrir les TOlonîôs
du ciel.
3. Ce rapport est une cxpicssion trop vague ; Mathan veut parler de la ressem-
blance qui a glacé d'cffioi la reine. — il faudrait se garder de croire que Malliau
éprouvât en réalité le moindre effroi. Il feindra d'avoir peur afin de perdre Joad.
4. Marqué par les destins.
5. Joad n'a rien révélé à Abncr ; autrement, Abner eût été ici obligé de muutir,
et le mensonge nous eût déplu dans la bouche de ce personnage
6. Se rendre maître; de même dans Corneille (Ci'nno, I, m):
"" Maiirae et la inoilié s'assurent de la pcTlc.
7. Ma modération.
8. c'est ici que Mathan commence à montrer sa ressemblance avec TarlufTe.
9. Notez bien que lorsque Mathan sera tout à l'heure seul avec Athalie, il lui
dir.i fort bien et par le menu de quel crime cet enfant peut et doit être capable.
M:iis à ce sot d'Abner il ne daigne parler que le langage qui est entendu de lui.
Ah ! tuas la bnuhonnc de croire, toi; tu croisa l'intervention du ciel dans les
atl'airet de ce monde, eh bien! on va t'en donner :
le ciel nout le fait voir un poignard à la iriDiu, etc.
(M Sarcbt, Le Tempi du 18 août 1873, Chronique théâtral.]
7J ATUAL11Ϋ
M A T n A N .
Le ciel nous le fait voir uii poignarda la main :
Le ciel est juste et sage, et ne fait rien en vain'.
Que cherchez-vous de plus ?
ABNER.
Mais, sur la foi d'un songe.
Dans le sang d'un enfant voulez-vous qu'on se plonge? SCO
Vous ne savez encor de quel père il est né,
Quel il est.
MATHAN.
On le craint, tout est examiné.
A d'illustres parents s'il doit son origine,
La splendeur de son sort doit hâter sa ruine.
Dans le vulgaire obscur si le sort^ l'a placé, 5G5
Qu'importe qu'au hasard un sang vil soit versé' ?
list-ce aux Rois à garder celle lente justice?
Leur sûreté souvent dépend d'un prompt supplice*.
N'allons point les gêner d'un soin embarrassant.
Dès qu'on leur est suspect, on n'est plus innocent ^. 570
1. Voir la note du vers 1012. Celle réponse est horrible dans sa concision. Le
développement de la pensée ne sera pas moins liiilcux. Louis Racine, à propos de
es passage, renvoie aux chapilres clxxiii-clxxvi du Prince de Balzac.
2. B Son sort et le sort ont paru trop près l'un de laulre, le premier étant
pris pour l'état et le second pour la destinée. » {Senlimcn(s de l'Académie sur
Athalic.)
3. C'est là ce qu'on appelle un dilemme; on laisse l'Rlternative de deux pro-
positions contraires et conditionnelles à l'adversaire, assuré que l'on est que
l'une le convaincra comme l'autre.
4. Qu'ils ordonnent. — Corneille (Pompée, I, i) amis dans la bouche de Pho-
tin do semblables maximes d'État :
La justice ii'cit pas une leilu d'Etal.
Le choii dci actioiu ou iimiivaises ou bnnnei,
Ne fait qu'aneanlir la force des couronnes ;
Le droil île? mis cnn-islu à ne rii-n épugnor.
La liiiiidc équilé dcliuil l'arl do régner ;
Quand on crainl d'iMre injn^lo un a lo«junr< à craindre,
Et qui veut tout pouToir duil uicr tout cnireindre,
Fuir coaune un oiiihonDcur la «crtu qui le |>erd,
Ei Tolcr am icrupulc au crime qui le sert.
5. Racine avait pu lire dans le Prince de Balzac (1C31, in-4*, p. 200) : « Sur
un simple soupçon, sur une légère défiance, sur un songe qu'aura fait le
Prince, pourquoi ne lui sera-t-il pas permis do s'assurer de ses sujets faclicux,
et de 80 soulager l'esprit en leur donnant pour peine leur propre repos ? »
Môtaslnsc {Gioas, re di Giuda, parle seconda) a conservé à Mallian celle fé-
rocité sanguinaire : « C'est le fer, c'est le feu qu'il convient d'employer. Bns-
Rcmble les liens, écrase les roupablos, dit-il h la Hi'ine. Sur l'autel de Itanl jo
dcconileral par mc-î vn-ux tes fureurs. N'écoute (loint la \oii qui parle de pilio.
Les impies, les infidèles, deiruis-lcs, abals-les, réduis-le» en cendres, égoi-ge-
Ics. Qu'avec son temjde même bri'ile lu peuple profane. Que l'on voio la colline
et ih plaine rouges de sang. N'épargne personne dans ce peuple impie ; qu'il
n'en reste pas un pour pleurer sur sou compagnon mort, •
ACTli II, SCÈNE V. 7 3
ABNKU.
Hé qnn\, Mathan ? D'un prôtre est-ce là le langage * ?
Moi, nourri dans la guerre aux horreurs du carnage,
Ues vengeances des rois ministre rigoureux,
C'est moi qui prête ici ma voix au malheureux;
El vous, qui lui devez des entrailles de père, 575
Vous, ministre de paix dans les temps de colère,
Couvrant d'un zèle faux votre ressentiment,
Le sang à votre gré coule trop lentement * ?
Vous m'avez commandé de vous parler sans feinte',
Madame: quel est donc ce grand sujet de crainte? . 580
Un songe, un faible enfant que votre œil prévenu*
Peut-être sans raison croit avoir reconnu'.
ATHALIE.
Je le veux croire, Abner ; je puis m'être trompée*
Peut être un songe vain'' m'a trop préoccupée.
Hé bien ! il faut revoir cet enfant de plus près ; 685
Il en faut à loisir examiner les traits.
Qu'on les fasse tous deux paraître en ma présence
ÂDNER.
Je crains...
ATHALIE.
Manquerait-on pour moi de complaisance?
De ce refus bizarre où seraient les raisons'?
Il pourrait me jeter en d'étranges soupçons. 500
Une Josabet, vous dis je, ou Joadles amène.
Je puis, quand je voudrai, parler en souveraine.
I. Métastase {Gioas, re di Giwia. 2* partie) fait dii-e à Giojada par Sebia :
• Toi, ministre de Dieu, toi, prêtre, pasteur, muitre et père des fidèles, toi,
tromper .linsi ! »
î. L'art de Racine est si paifait, qu'il se pourrait que le poète eût voulu re-
produire par le désordre de la construction l'émotion qu'éprouve Abner.
3. Abner parle franchement, loyalement, comme parlait Burrhus iana Brita il'
fi'>Uî(I,ii):
Je parlerai, Maitime, avec la lihertA
D'un luldat, qui lait uial rarder la férili.
-l. Il y a une certaine hardiesse de style à appliquer à l'œil le mol prévenu
qui exprime une idée morale.
.'i. Ucmarquez toutes les atténuations renfermées dans ce vers: peut-être, tans
ration, croit.
6. Athaiic veut obtenir qu'on lui amène Joae; voili pourquoi elle feint do se
t( ndre aux raisons d'Abndr.
7. Sans importance.
S. Alhalic craint qu'on ne lui amène celui des deux enfants qu'elle ne tient
p s à examiner. Pour enlever lou» moyen de fraude elle les demande tous deux
9. Voir la note du vert TilP.
•H ATHALIB.
Vos prêtres, je veux bien, Abner, vous l'avouer',
Des bontés d'Atbalie ont lieu de se louer.
Je sais sur ma conduite et contre ma puissance BOU
Jusqu'où de leurs discours ils portent la licence.
Ils vivent cependant, et leur temple est debout.
Mais je sens que bientôt ma douceur est à bout *.
Que Joad mette un frein à son zèle sauvage,
Et ne m'irrite point par un second outrage. 600
Allez».
SCI'NE VI.
ATIIALIE, MATH AN, ktc.
UATBâN.
Enfin je puis pailer en liberté ;
Je puis dans tout son jour mettre la vérité.
Quelque monstre naissant dans ce temple s'élève^,
Heine : n'attendez pas que le nuage crève.
Abner chez le giand prêtre a devancé le jour. 605
Pour le sang de ses Rois vous savez son amour.
Et qui sait si Joad ne veut point en leur place
Substituer l'enfant dont le ciel vous menace.
Soit son fils, soit quelque autre *...
1. Je veux bien, et, au ver» précédant, je voudrai; c'est une légère tache.
S. Ma douceur, d-an^ la bouche d'Alh.ilic! Cc|)rnilant il est & remarquer qu au-
cune persécution religieuse n'est signalée sous son régne.
3. Le 23 octobre 1796, pour amener du monde à la Comédie Française, la
foubretlc de la troupe, MaclenioiscUe Joly, joua le rôle d'Alliulic. On s'en étonna
bc.iucoup. Elle ne faisait cppeudant que rrvpnir aux anciens usages. Jadis la
même actrice représentait les soulireltes et les reines; c'est ainsi que Madeleine
Béj.irt, 1,1 Doridc du Tartu/fc, ioua d'original le rôle de Jocaslc duns la TUùbaidt
de Racine.
A. L'Ac.ndémlc a trouvé dans ces deux vers des métaphores incohérentes. Est-
ce que l'Acailémic aurait vu dans cette cxi)rcssion Vu monstre naissant s'élève,
le jeune Jons nourri par les prêtres 7 N'esl-il pas plus simple de comprendre :
ime eonspiratioD menaçante, terrible, se forme dans ce temple, et t'éicui
sur notre létc :
N'alli'ndei pa> qaaU nuage crère.
Alori il n'y a phi» dincoliércnrc dans led niélnpliorca.
5. « Mallinn est le type du politiinie sans seiii|iuIo. Le« lymas pcuvpiit \icillir;
ils li'ouvcnt toujours, tout le long de leur rèf;nc, des hnmmcs Jeunei, aiiiliilii'iix,
ardents, qui veulent le pou\nir et saur.'ilcnl l'i'xcrccr k l'ombre du piinec. Ma-
Ih.iu est un de ce« ministres do la déradcncc qui n'ont qu'un tort, celui île n'être
pas écoulés; qui doiiiienl d'cxi'ellenls conseils qu'ils ont lo cliAgrin do ni" voir
pas suivre ; qui «ifinalent l'éiiieil m'i l'on l()ud)era, où ils conrcnl malgré eux.
K rcui-li ne pailci iioinl de' proMlo pidilirpie ni de fidélité anv pilnei|ieK :
ils ne (averit ce que c est. Ils ne voient i|u'iiiie chose: faire leur clii min. Ils ne
eroieut à rien: !!• auraient tout aussi bien suivi le parti contraire, a'ils f
«
ACTE 11, SLcnE vil. 7»
ATUALIE.
Oui, VOUS m'ouvrez les yeux.
Je commence à voir clair dans cet avis des cieux. 610
Mais je veux de mon doute ôtre débairassce.
Un enfant est peu propre à tiuliir sa pensée*.
Souvent d'un grand dessein un mot nous fait juger.
I-aissez-moi, cher Mathan*, le voir, l'interroger.
Vous cependant, allez ' ; et sans jeter d'alarmes, 015
A tous mes Tyriens faites prendre les armes.
SCEiNK VII.
JOAS, JOSABliT, ATUALIE, ZAGHARIE, AliNER, SALOMITII,
DEUX LÉVITES, LE CHŒUR, ETC.
JOSADET, aux deux lévites.
0 VOUS, sur ces enfants si chers, si précieux *,
Ministres du Seigneur, ayez toujours les yeux.
ADN EU, à Josabet.
Princesse, assurez-vous, je 1p> prends sous ma garde'.
avaient cru le chemin aussi rapide et aussi Tacite à leur ambition Ils sont
résolus, pour parvenir, à toutes les bassesses, à toutes les cruautés; ils vont,
comme disait encrgiqucment le latin: pcr fas et ncfas Ils ont le couji clœil
justu et la déeision prompte. Ce dont ne s'est pas douté ce pauvre Abner, f|iii
vit pourtant avec Joad ; ce que n'a pas deviné Atlialic, en proie à l'espiit du
»ertigo et d'erreur, il l'a vu lui, clairomcnt, par une intuition de génie politi-
que. » (51. SiBCBT, le Temps du 18 août 1873, Chronique Ihvàtrale.)
1. Voilà un vers dans lo |ticl, à la lecture, il importe parlicullen^ment de ue
point s'arrêter, comme nous l'avons vu faire, après le premier hémistiche.
2. Athalie aime Matlian, (lui ilatic ses ir]stants sanguinaires.
3. La dernière Athalie de la Comédie Française se ménageait un jeu de scène
à ce vers : elle attendait que Mallian l'ùt arrivé & la porte pour le rappeler, et
lui dire :
et, !aiis joliT d'alarmes, elc.
4. C'est la piemicre fois qu'un poète dram.atique, en France, a osé nous in-
téresser à un enfant ; car la petite Louison n'avait, dans le Malade imaginaire,
qu'un rôle épisoJiquc. Racine n'eût sans doute pas eu tant de hardiesse, s'il avait
écrit pour le Ihéàtrc, et non pour les jeunes filles de Saint-Cyr.
5. « On ne dit point assure:-vous pour : rassurez-vous. » (Sentiment$ de l'Aca-
démie sur Athalie.) — « Athalie demande il voir les deux enfants; on les lui
tmène. et Josabet soupire en songeant aux dangers qui lus menacent; et Abner,
aussitôt '.
Prineesie, ti'urot-Tous, je lej prcnJi «oui iria garde.
• II les prend sous sa ^rdc ! Voil.\ qui va bien. Mais a-t-il rien pr^udccequi
pouvait arriver? Supposez qu'Athalie fasse sur-le-cliamp arrêter Joas, a-til un
plan de conduite'.' A-t-il en main une force pour résister? Joad, qui est tout prêt,
Qc dit rien, lui! Tour Aimer, il étend sa loyale épéc, qui, le cas échéant, o<
tervinit de rien, et il s'écrie :
Vnuttitt, a«iurci-f ou* : je Im ^reiidi nui in« i^trda |
76 ATUALIE.
ATHALIE.
0 ciel! plus j'examine, et plus je le regarde,
C'est lui ! D'horreur encor tous mes sens sont saisi».
(Montrant Joas.)
Épouse de Joad, est-ce là votre filsî
JOSABET.
Qui? Lui, Madame '?
ATUALIE.
Lui*.
JOSADET.
Je ne suis point sa uière.
(Montrant Zacliarie.)
Voilà mon fils.
ATHALIE, à Joas.
Et vous, quel est donc votre père?
Jeune enfant, répondez '.
JOSABET.
Le ciel jusqu'aujourd'hui... 62j
ATUALIE, à Josabet.
Pourquoi vous pressez-vous de répondre pour lui *?
C'est à lui de parler.
JOSABET.
Dans un âge si tendre
Quel éclaircissement on pouvez vous attendra ?
ATUALIE.
Cet âge est innocent. Son ingénuité*
bl quanti l'entretien est Dni, lorsque Athalie s'est . ^tirée sans rien décider, il
fait blanc de son épée, de son épéc loyale :
Jo «OUI l'avaii promis,
Je vuui rendi le dép6t que vous iii'atiei commis.
Il s'imagine bonnement que c'est lui qui a suspendu le bras d'Athalie. (iiic
c'est lui qui a tout lait, et Joad, qui sait comme on prend le pauvre homme, lui
fait ses compliments bien sincères :
Jo rccooDai*, Abiier, ce lervice important. •
(M. SiaciT, le Temps du 18 août 1873, Chronique théâtrale.)
1. Josabet montre Zacliarie, se flattant encore qu'elle pourra détourner Je
Juas l'attention de la reine.
2. Athalie dèsi;?ne Joas.
3. Ces vers rappellent ce passage de Vlon d'LuripiJc (308« 3U!), 311):
K.— Eu «'.'iTlt...
I. — Toû lioOr HXoJiiai ioOXo< (l|x( t', 3t YÛvai..."
' Oji otia, it\r,v ïv, Ac^iou i<ix^r,|xiOs.
4. Athalij doit, pour parler à Joas, essayer de donner à sa voix toute* I t
téJuctiuna d'une caresse; p^irlant & Josabet, sa parole est hautaine et brève.
5. h'ini/énuilé eut i-tyraologii|uemcnt ta franchise propre à un honaïuo libie. C«
mol est devenu tyuonyme de candeur.
ACTK II, SCÈNE VII. 77
N'altère point encor la simple vérité. 630
l.aissez-le s'expliquer sur tout ce qui le touche.
JOSADET, tout bas.
Daigne meltre, grand Dieu, ta sagesse en sa bouche •.
ATDALIE.
Comment vous nommez-vous ?
JOAS.
J'ai nom Éliacin *.
ATHALIE.
Votre père î
JOAS.
Je suis, dit-on, un orphelin
Entre les bras de Dieu jeté dès ma naissance, fi35
Et qui de mes parents n'eus jamais connaissance*.
A T H A L I E .
Vous êtes sans parents?
JOAS.
Il m'ont abandonné.
ATHALIE.
Comment? et depuis quand?
JOAS.
Depuis que je suis né.
ATHALIE.
Ne sait-on pas au moins quel pays est le vôtre?
JOAS.
Ce temple est mon pays; je n'en connais point d'autre *. 640
A T H A L I E .
Où dit-on que le sort vous a fait rencontrer?
JOAS.
Parmi des loups cruels prêts à me dévorer.
1. Cette prière de Josabet a pour but, comme le vers 176, de préparer les speclt-
leurs aui réponses que va faire le petit Joas.
2. Athalie n'obtiendra de Joas aucun éclaircissement : l'enfant ne sait rien.
Colle scène fait involontairement songer à la fable bien connue : le Loup et l'Agneau.
3. Hermès dit du jeune Ion dans la tragédie d'Euripide (v. 51) :
0' rat? Ti Toùç Tnôvia; ojx li:(»TaToi.
!■ K. — NaoTTi S' o'xtTç Toiffiî', t1 xaTi otefaç ;
I. — Aitav OioOf |ioi 4ù)ji', ïv' Sv Xàôti («.' ii'zvo;.
(EunirioR, Ion, v. 314-3(5.)
Aposlolo Zeno a traduit ce dialogue dans son Mitridate (IV, iii)i
MITRIDATB.
lu qinU
Trrra naicetti?
iniSTIA.
Il mnndo
ni ^ p^ttrit. Allro non <o.
78 ATDALIE.
ATHALIE.
Qui VOUS mil dans ce temple?
JOAS.
Une femme inconnue,
Qui ne dit point son nom, et qu'on n'a point revue*.
ATUALIE.
Mais de vos premiers ans quelles mains ont pris soin ' ? 6i5
JOAS.
Dieu laissa-t-il jamais ses enfants au besoin '?
Aux petits des oiseaux il donne leur pûture*,
Et sa bonté s'étend sur toute la nature ".
Tous les jours je l'invoque; et d'un soin paternel
11 me nourrit des dons offerts sur son autel", CliO
1. Joas ré, èle conscicncieusemcntua leçon.
t. K. — Ka( Ti; làyax-.l a' lU'fife iAîlîu» ;...^
I. — «J'oiôou i;po:9;Ti;, nijttf w; vcnit|ontv.
K. — E; $' fivSj' itzlnou TÎva Tpo^îjv xiynr/^ho; ;
I. "— Cu|iot |i' f^ifSov.
(EcniHDB, Ion, y. 318 et 321-323.)
3. A propos de ce vers, M. le marquis de La Roclicfoncaull-Liancourl donna
dans SCS Eludes lilléraires et morales sur Jean Jîacine (1 855) une noie du poêle :
« Qui croira que Ju|ntcrn'ait pas soin de ses enfants! » (Sophoclii, Trachiiiiennrs),
et ajoute : « ... Itacine cite cette phrase pour qu'on ne l'nucuse pas de lavoir
prise à La Fontaine dans son poème de Saint Malc, quia été imprimé prés da
vingt ans avant Al/ialie, et où l'on trouve ce vers :
Dieu ne quittera puint te) •iifjDli au besoin. ■
Racine s'est rencontré ici avec Ronsard {Remontrance au peuple de France) :
Car Dli'U ne lai;>e point se» amis au dangiT.
4. On lit dans les Psaumes (CXLtV, 15-16 et CXLVI, 0) : « Tu das cscam illo-
rum... Apcris tu maniim tuam et impies omne animal benedictione. — Qui dat
jumentis escam ipsoruni et pullis corvorum invocantilius cum. » — Cette phrase
éliit entrée, parait-il, dans le domaine de la conversation, car on lit dans
VAslréc (t. 111, liv. V, p. 422) : « Hylas, qui n'avait p.is ai'coulumé de se con-
traindre : « Ma maîtresse, dit-il aussitôt qu'ils furent hors du logis, pcrmcltei
nue Calydon entretienne Asirée. — Et qui sera celui, dit Asirée en souriant, qui
Irendra compagnie à Alexis? — Ne vous en mcllei point en peine, bergère, dit
froidement llyias; celui qui pourvoit l'Iiyvcr de grains aux oiseaui, ne le lais-
sera pas sans secours. » — Vdlt.iire accusa Racine d'avoir pillé ce» vers, et,
Selon lui. ConMince disait dans la /.tr/iiede Matliieu:
On n'i-il iioinl di-laiiti qfund on a llitu pnur pir*.
Il ouTre a liili lu main, il ih'iirnl Ici curbeaui;
Il doiinc II piinre iiiii jtuiira patieieaux,
Alix ht'i-i dit iurélj, des préi 6t dei inDoIlKnoi.
Tuul «il de sa buDia.
Ccoiïroy <léelare que ces vers sont tirés du Triomphe de la lAgnc de Nerée, et
que le iin-niier et le troisième étaient écrits ainsi :
Celui n'oal d>'lii«ié, qui a Dieu pour ion pire...
Il donna la «ijudc aui pellla paaisrraui.
Voir d'ailleurs la note du vers ni.
6, « Miscrii'ordia tua, Domine, iilcna est terra. » (Pjniimic.t.r.X VIII, 64.)
5. t'ne partie des victimct était congiiuiée; une autre était abandonnée aux
à
ACTE II, SCÈNE VII. ^ç
A T n A L I E .
Quel prodige nouveau me trouble et m'cmharrussi;?
La douceur de sa voix, son cnfaDce, sa grâce,
Font insensihleineiil à mon inimilié
Succéder... Je serais sensiijle à la pitié?
ADNEU.
Madame, voilà donc cet ciinenù terrible. fiS '
De vos songes menteurs l'imposture est visible,
A moins que la pitié qui semble vous troubler
Ne soit ce coup fatal qui vous faisait trembler •.
A T n A L 1 E , à Joas et à Jos;il)Pt .
Vous sortez -?
JOSABET.
Vous avez entendu sa fortune '.
Sa présence à la fin pourrait être importune. 680
ATHALIE.
(a Joas.)
Non : revenez. Quel est tous les jours votre emploi ?
JOAS.
J'adore le Seigneur. On m'explique sa loi.
Dans son livre divin on m'apprend à la lire *,
sacrificateurs cl aux fidèles; les premiers-nés des animaux appartenaient aui
sacrificateurs seuls. L'Iiuilc, l'orge, le miel, lo blé, servaient à l'entretien des
ministres du culte.
1. Abncr se permet ici une raillerie peu convenable; Atlialic lui lance un re-
gard furieux; Josabct profile de ce court dialogue pour tenter de s'en aller. —
te mar'iuis do La nocliefiJUcnult-Liancourt a dit de Mademoisclls Dumesnil,
dans lo Manuel du Théâtre- Français : « Eliacin, amené devant elle, rappelait
d'abord toutes ses terreurs :
C'esl lui, d'horr«ur encor tous mes sens tout saisi?.
« Savante dans l'art de se contraindre, clic caressait eut enfant ; mais c'étaient
les caresses d'un tigre prêt à dévorer sa proie. Son sourire avait quelque chose
de cruel ; ses youx, presque à chaque réponse, se fiiaiont allornativcmcnt, et
avec une expression dillérentc, sur Matli.in, sur Abncr et sur Josabct. Ils reve-
naient tomber sur Joas : et lorsque sa voii, sa gràro et la sagesse prématurée de
ce jeune prince lui causaionl une émotion involi)ntaire, rien ne peut retracer
la manicie dont elle exprimait sa surprise d'un mouvement de pitié étranger à
son raraclére. .. Mais quand, après un nouvel iiilerrogatoiro, aigrie par la
naïveté piquante des réponses d'Eliacin, elle se laissait aller enfin à toute sa fu-
reur, qu'elle faisait gloire de ses premiers crimes et de sa haine implacabi''
pour le sang de David, on tremblait des crimes nouveaux qu'elle semblait mé-
diter, et l'on ne pouvait sans frémir cntenilrc ses derniers mots : « J'ai voulu
>oir, j'ai vu », ni voir le regard farouche dont elle les accom|iagnait, et qui pa
raissait annoncer la ruine (lu temple et le mass.iere de ses prêtres. »
î. ('ctte interrogation ranièni.' la terreur sur la srcnc.
3. Ce mot n'a point de mot correspondant ilans la Dible. Geoffroy constate
qu'il il est impossible de dire avec plus de piécision, et en mémo temps plus
poétiquement: Vous avez entendu le récit de tout ce qui lui est arrivé. *
A. C'est l'étude des livres de Moïse.
80 ATDALIE.
Et dojfi do ma main je commence à l'écrire '.
ATHALIE.
Que vous dit celle loi?
J 0 A s .
Que Dieu veut Cire aimé, 665
Qu'il venge tôt ou tard son saint nom l)liisphémé *,
Qu'il est le défenseur de l'orphelin timide',
Qu'il rosislc au superbe et punit l'homicide*.
ATHALIE.
J'entends. Mais tout ce peuple enlermé dans ce nen,
V quoi s'occupe-t-il ?
JOAS.
Il loue, il bénit Dieu. 670
ATOALIE.
î)ieu veut-il qu'à toute heure on prie, on le contemple?
JOAS.
Tout profane exercice est banni de son temple.
ATOALIE.
Quels sont donc vos plaisirs ''?
JOAS.
Quelquefois à l'autel
Je présente au grand prôtre ou l'encens ou le sel •.
1. Voir la Préface.
5. Le blasphémateur était puni de mort par la loi.
3. Voir la note du vers 227.
4. « Non occides », dit le Décalogtie. {Erode, XX, 13.) Toutes ces repooseï
sont empruntées aui livres s.iinls, mais elles sont g^rosses d'allusions nicnaçantci
|)our Atlialic. Aussi la reine dit-elle d'une %'oix dure, en regardant Josabct :
1 J'entends. »
."5. Tliéopliile Gautier écrivait au sujet de llachel : « La scène do l'interropa-
loirc est comprise avec une rare iiilolligonre. Quel calme! quelle simplicité !
mais que ce calme est mi'n:içant, que celte; simplicité est effrayante! »
6. « L'encens et le sel, dit .M. Atli.-inase Coqucrcl, étniont prescrits en diverses
ofTrandos réffulicres du culte léviliqun. » — Ion racmte de même, dans la tra-
g-édle d'Euripide (v. <02-U.'5), les fonctions qu'il remplit dans le temple t
'H|iiT( Si itôveu;, ou; Ix itai$&(
Mo/Ooiîniï ài^, ittofOoiffi iàfviK
!CTtçi9(v 0* tipoT{ Itô^ou; 4*o(6ou
KaQapd:; Or^TOiAiv, û^paTç ti ici^ov
Poviffiv voTip6«, itTirivûv t' &Y/Xai(,
Af p)ditTouoiv o/nv' àvaO;^nat«,
Toîoiffiv l|ioT( çuyàîa; 8/,ioniv
Tout t^i'^avia;
4'»(6ou vaoù; Oi^ariûw,
'Ay', & vir,Oa'/ii(, S
KaXXiTta; iiponoXi'j|ta t&fvct,
•a T4y Poitou eu|»i>,av
Ealfii( ûii6 vaoT(.,. «. T. X.
ACTE II, SCKNE Vil. SI
J'entends chanter de Dieu les grandeurs infinies ' ; C"5
Je vois l'ordre pompeux de ses cérémonies.
A TUA LIE.
Hé quoi? vous n'avez point de passe-temps plus doux
Je plains le triste sort d'un enfant tel que vous.
Venez dans mon palais, vous y verrez ma gloire.
JOAS.
Moi, des bienfaits de Dieu je perdrais la mémoire? ôR*^»
ATHALIE.
Non, je ne vous veux pas contraindre à l'oublier
JOAS.
Vous ne le priez point.
ATHALIE.
Vous pourrez le prier.
JOAS.
Je verrais cependant en invoquer un autre?
ATHALIE.
J'ai mon Dieu que je sers; vous servirez le vôtre
Ce sont deux puissants Dieux.
JOAS.
Il faut craindre le mien : 685
Lui seul est Dieu, Madume, et le vôtre n'est rien '-.
ATH ALIK.
Los plaisirs prés de moi vous chercheront en foule.
JOAS.
Le bonheur des méchants comme un torrent s'écoule*.
I. Co mot s'emploie avec tous les allributs de Dieu. Bossuet, dans YOrarson Cu-
nrbve d'Anne de Gunza'ine, parle de 5a justice infinie.
î. Sédécie disait dans les Juives 1,1V), de Robert Garnier :
Le Dieu que nous icrTons e-t le •Cul Dien <tii nionde...
Jl n'j a Dieii que lui ; tous les aulrii ^ont faux.
.léliova parle ainsi dans Ifale : « Absquc me non est Dcus. •> (XLIV, 8.)
Voltaire {Discours historique et critique, etc.) fait dire à Miiord Cornsburi :
I' On a voulu me faire admirer la réponse que Joas fuit à la reioe quand elle
lui dit :
J'ai mon Du u que je «ts, iqus servirez le voire.
Ce loul dt'Ui puiiians Dieux.
Le petit Juif lui répond :
Il faut craiiidri! le mien.
Lui reul eil Dieu, M.idame, et le lAlre n'eil rien.
Qui ne voit que l'cnfint aurait répondu de même, s il avait été élevé dans le
culte de liaal par Matlian ? Cette réponse ne signifie autre rliose, sinon : j'ai rai-
son, et vous avez toit, car ma nourrice me l'a dit. » La critique oc Voltaire n»
sij;nifie pas grand'cliose non plus.
3. David a dit des impies : « Ad nihilura devenient tanquam aqna decurrens. >
[Puaumes, LVII, 8.) Agrippa d'Aubigné avait écrit dans ses Trafiques (les Princet''-
Les délices des ^rindt s'enrôlent es Tumée.
One vieille n)a«>me laiine disait que le méchant est malheureux mime dao« son
SI ATIIALIK.
ATHALIE.
Ces méchants, qui sont-ils?
JOSABET.
Hé, Madame I excuses
Un enfant...
ATHALIE, k Josabel.
J'aime à voir comme vous l'instruise:. «i'.in
kilnfln, Éliacin, vous avez su me plaire' ;
Vous n'ôles point sans doute un enfant ordinaire.
Vous voyez, je suis reine, et n'ai point d'héritier.
I.aissez-là cet habit, quittez ce vil métier.
Je veux vous faire part de toutes mes richesses * ; 005
Essayez dès ce jour l'effet de mes promesses.
A ma table, partout, à mes côtés assis,
bonliciir. J.-J. Rousseau, reprenant ce vieux thème, a écrit: « Il n'y a point de
roule plus sûre pour aller au bonheur que crllc de la vertu. Si l'on y parvient,
il est plus pur, plus solide et plus doux par elle; si on le manque, elle seule peut
en dédommager... S'il est un seul exemple de bonheur sur la terre, il se trouve
dans un lion)me de bien. » J.-J. Rousseau n'a pas dû toujours èlro heureux. —
Dans la tragédie d'Euripide (v. C25-C2S), Ion répondait aiasi aux olTrcs de Xullius
A>i|j.oTiri; î' Rv iijTuyiiç
Zijv &v OiXoifit iiàV.Xov ^ TÛçavvoç &v,
'0 Toft; rovTifoù; *,iovii eO,0U5 È'/'tv,
'Eff6).où; Si |*i(jiT xoiTOavcTv çoSoûjxtvo;,
t. Athalie espère détourner le malheur qui la menace en flattact l'enfant qu»
lui ont désigné ses fonces.
2. « Certes, quand Alhalie dit à l'enfant : Je prétends vouf traiter comme mon
propre fils, Josabct pouvait lui répondre: « Eh bien, Madame, traile?.-le donc
comme voire propre fils, rar il l'est: vous êtes sa grand'mère; vous n'aver que lui
d'héritier ; je suis sa tante; vous êtes vieille, vous n'avez que peu de temps à vi-
vre : cet enfant doit faire votre consolation. Si un étranger, un scélérat comme
Jéhu, melk de Samarie, assassina voire père et votre mère, s'il fit éporgcrsoixanle
el dix fils de vos frères, et quarant(!-ooux de vos enfants, il n'est pas possible
que pour vous venger de cet abominable étranger, vous prétendiez massacrer le
seul petit-fils qui vous reste : vous n'êtes pas capable d'une démence si exécrable
el si absurde; ni mon mari ni moi ne pouvons avoir la fureur insensée do vous
en soupçonner; ni un tel crime, ni un tel soupr^on no Sunt dans la nature. Au
rontrairc, on élève ses petils-fils pour avoir un jour en eux des vengeurs. M
moi ni personne ne pouvons croire que vous ayez été h la fois dénaturée et in-
sensée. Elevé?, donc le petit Joas : j'en aurai soin, moi qui suis sa tante, sous les
veux de sa grand'mère. >. — Voilà qui est naturel, voilà qui est raisonnable;
mais ce qui ne l'est peut-être pas, c'r>l qu'un prêtre dise : « J'aime mieux exposer
le pelit enfant à périr (pie do le confier à sa granil'mèrc, j'aime mieux tromper
ma reine, cl lui promrtire indignement de l'argent pour Tassas sincr, el risquer
la vie de tous les lévites pour celte conspiration, que de rendre à la reine son
(>elil fils; je veux garder cet enfant, el égorger sa grand'mère. ..mur conserver
plus longlemps mon anlorilé. » — ("esl là nu fond la conduite de co préire. J'ad-
mire, ;omme je le dois, la difficulté surmontée dans la tragédie d'Al/inlie, la
force, la pompe, l'élc'g.iiice ilc la vcrsjilir.ilion, le l)cnii ronlra»le du guerre
Abncr el du prêtre Idnihan. J'etcuse la faiblesse du nMc de Jn^abel, l'exuco
quelques longueurs; mais je crois que si un roi avait dans ses Etals un homme
tel que Joad, il ferait fort bien de l'enfermer. • (VoLTiiai, Notes swdmli
pie.)
ACTE II, SCÈNE VII. 83
Je prétends vous trailer connue mon propre fils',
JOAS.
Lomme votre fils?
ATUALIE.
Oui . .. Vous vous taisez ?
JOAS.
Quel père*
Je quitterais ! Et pour..
ATHALIE.
lié bien ?
JOAS.
Pour quelle mère! 700
ATUALIE, à Josaljct.
Sa mémoire est fidèle; et dans tout ce qu'il d.it
De vous et de Joad je reconnais l'esprit.
Voilà comme, inleclant ^ cette simple jeunesse,
Vous employez tous deux le calme où je vous laisse/
Vous cultivez dé ji leur haine et leur fureur*; 705
Vous ne leur prononcez mon nom qu'avec horreur.
JOSABET.
'fcut-on de nos malheurs leur dérober l'histoire?
Tout l'univers les sait; vous-même en faites Éjloirc.
A T II A L I p: .
Oui, ma juste fureur, et j'en fais vanité*,
A vengé mes parents sur ma postérité ". 710
J'aurais vu massacrer et mon père et mon frère,
I.Xutlius disnitau jeune Ion dans Euripide (v. 570-581 et 654-655) :
'Eç T7-Ç 'AD/.vaç ffrtT/i
Ou a' ô>.ôiov jijv vyf-tfov i.va\Lhti vatfbi,
Ilo^ù; ^l ::/.ojto;, oû^J Oà-rcçov votùîv
'AW tijvevir.ç Ti xa\ ToXu)rrr,[iiiiv piou....
Ktt\ v7v jjLÎv li; iri tivov tt^uv a' If/Tiiov
Ae(rvo!.T, tlfj/oi.
!. Crst Dion que désigne ici R.ipine, plutôt cnrore (|ue Joad : « Les Juifs ap-
pcIaii'Ml aussi Dieu leur pcrc. Moisc dit {lient., XXXII, 18) : « Vous avez alian-
di)rini; !(• Dieu qui vous a cnjjcndrés. • El Slul.'iclito (II, 10) : o II n'y a qu'un
Dieu et un pcrc de vous tous. » Mais en priant ils no disnient point : <■ Pcrc ».
Si quclipics-uns l'ont fait, c'a été par un instinct particulier (Saint Clirysostome
sur Abba pater.) » {Noie manuscril/" di: Jtaciiie.)
3. Ce mot, <lans le sens moral, était d'un usa^'o très fréquent nu zyii' siècle:
« Infecter les oreilles du prince est quelque clio!.c de (.lus criminel que d'em-
poisonner les fontaines puMiqucs. b (ij'bSfKT, Sei'vions, Justice, 2.)
4. Itcmarquoz la hardiesse de celte alliance de mots.
5. Je m'en vante. De même dans le Misaiithi'ope (I ii) :
Ce •tjle ngiirA, dont on tiit vaiiili...
6. « Atlialia vero, mater Oc)io:^iie, vidcns nioriuuui 6 ia n suoni, surreiii et
Intorfecit <^ranc semen refciuin. » (/V flot*. XI, 1.)
s 4 ATHALIE.
bu haut de son palais précipiter ma mère ',
Et dans un mc^nie jour égorger à la fois,
Quel spectacle d'horreur ! quatre-vingts fils de Rois ' ;
VA pourquoi ? pour venger je ne sais quels prophètes, 715
Dont elle avait puni les fureurs indiscrètes ' ;
Et moi, reine sans cœur, fille sans amitié *,
Esclave d'une lùihe et frivole pitié *,
Je n'aurais pas du moins à celte aveugle rage
Rendu meurtre pour meurtre, outrage pour outrage, 72<i
Et de votre David traité tous les neveux
Comme on traitait d'Achab les restes n>alheureux •?
Où serais-je aujourd'hui, si, domptant ma faiblesse,
Je n'eusse d'une mère étouiïé la tendresse'' ;
Si de mon propre sang ma main versant des flots 725
N'eût par ce coup hardi réprimé vos complots?
Enfin de votre Dieu l'implacable vengeance
Entre nos deux maisons rompit toute alliance.
David m'est en horreur ; et les fils de ce roi,
Quoique nés de mon sang, sont étrangers pour moi. 7?(i
JOSABET.
Tout voiis^a réussi. Que Dieu voie, et nous juge.
A T H A L I E
Ce Dieu, depuis longtemps votre unique refuge,
Que deviendra l'eiret de ses prédictions '?
Qu'il vous donne ce roi promis aux nations,
Cet enfant de David, votre espoir, votre attente ... 73K
I. Voir In Préface.
î. Pour faire le vrrs, le pofele renchérit un peu sur l'histoire: « Eranl auteni
Achab sinluavrliila (ilii in Samaria : scripsit eigo Jehu lilloras, et misil in Sii-
mariam aa opiinialus (livllalis... Pnrro lilii Ucgis, sepluaginta viri, apml oplinii-
Ics civitatis nutricliantiir. Cuinquo vcnisscnt iiltcrte aii eos, tulerunt filios Uc-
gis, et oocidcrunl scpliiaginla viros. » (/ V Roix. X. I, C ol 7.)
3. Ahdias, pour sauver des furours de Jé/al)cl les élèves des prophètes, dut
les cacher dans les grollcî'dos montagnes d'K|iliraim.
4. Sans tendi'cssc. De nièino dans Anilromnque (V, m) :
Je «oiie à votre Dli une amitié de pure.
5. Ce qui est Trivotc a une mince valeur ; ce qui est futile n'en a aucune.
0. Voir la note du vers iSfi.
7. K Atlialic voulut qu'il ne restât pas un seul de la maison do David, et (^llo
crut avoir ex/foulô son dess<'in. Il n en resta qu'un seul, qui était fils d'Oko-
aias. » {Heniiirt/iin de J. /tueur )
1. Selon I Arad^kniio, il fallnif çufl tara, et .ion pas //>ie Aevirmlni. -
M. r.idel a heureuBemrnl rapproelié de ce cri de Iriomplm d'AOïalie une stioplie
det Premtvrei Aléditatùmii /métii/uni de Lamartine :
Poar met flrrii «ninniii ce douil eut une fi'te;
lli t» niontroiil. SoJKni-ur, Ion Chritt liiiinilié^
Et Mulucli en |in»nnt ■ «ccoué I* I4(é
Kl tourl A' pille.
ACTE II, SCKNE VIII. «5
Mais nous nous reverrons. Adieu. Je sors conlente :
J'ai voulu voir; j'ai vu '.
ABNER, à Josabet.
Je vous l'avais promis >
Je vous rends le dépôt que vous m'avez commis ',
SCKiNE VIII.
JOAD ', JOSABET, JOAS, ZACIIARIE, ABNER, SALOMI TH,
LÉVITES, LE CHŒUB.
JOSABET, à Joad.
Avez-vous entendu cette superbe reine*,
Seigneur?
JOAD.
J'entendais tout et plaignais votre peine '. 740
1. Athalie, malgré son arrogance, se trompe ; elle n'a pas vu ce qu'il lui aurait
fallu voir ; le Seigneur a déjà répandu sur ellu l'esprit d'imprudence et d'erreur.
« Nous nous reverrons ! C'est le mot du poltron qui ne veut pas se battre, et lo
fait est qu'elle ne sait plus à quel piojel s'airètur. Klle pailc de raser le temple,
elle envoie Mallian en ambassade, puis Abiier; elle dcmamle Eliaci»,- puis un
trésor. Elle ne sait ni ce qu'elle veut, ni ce qu'elle fait. » (M. SAncBï, Le Temps
du 11 août 18T3, Chronique Ihéàtrale.) — <■ L'arlrire inimitable (M"» Dumes-
nil) qui joue ordinairement le l'ole d'Alhalic, donne à rc peu de paroles la plus
grande expression, par l'art et la forée avec lesquels elle les exprime ; son air,
ses regards, son sileiire, disent tout re qu'elle semble vouloir r.irhcr. » (Lunbau ob
BoisjKiiiuiN.) — Jules Janin a dit de liacliel dans le rôle d'Allialie : «Son jeu avait
la fièvre, elle ne se posséihiit plus elle-incme; persécutée par le songe qui
pousse Alhalie, elle ariive lialetante. et la voilà qui manque de sang-froid d;ins
la scène tenibic du petit Joas interrogé par la leine impie. Avec plus de caimo
elle eût été plus terrible. Alhalie furieuse peut se tromper, .\llialic sérieuse
ne se ti'ompe pas; elle voit clair, elle voit jusie, elle peut ilire enfin : J'ai voulu
voir, j'ai vu ! IS'on, celle femme accablée d'une épouvante secrète, cette âme in-
quiète et qui ne sait à quoi s'c,l tenir, celte pile mégère entourée à ce point de
la secrète horreur que contient ce lieu formidaii'e, ne devait pas s'abandonner à
cette fureur croissante. Aussi bien Ilacine avait fait une Allialie active et calme.
Il voulait que chaque parole et chaque signe, au moiniire regard de cetic question
préalable, retentit dans l'âme de l'auditoire, et que la traséilienne, à forr£ de se
dominer elle-même, arrivât à l'irrési-itible domination de toutes les âmes d'alen-
tour. » ( Mademohrlle Rachel et la Tragédie, p. 280-^81.)
2. Voir la note du vers Clfl.
3. Joad Joit apparaître ici revêtu de ses insignes, et porter, dit M. Atlia-
nase Coquorel : « le rochet ou robe de dessus, couleur de pourpre, tissu d'une
seule pièce et ouvert seulement pour le passage du rorps et des bras; l'éphod
tissu de lin brodé d'or, enrichi de perles, qui s'attachait sur les épaules ; le pec-
toral, de pareille élolfe, d'une palme en tous sens, et portant sur quatre rangs
des pierres précieuses où les noms des tribus d'Israël étaient gravés; la cein-
ture large de quatre doicts, qui faisait doux fois le tour du corps et tombait
jusqu'aux pieds ; enfin la tiare, sorte de turban do On lin, dont le bai était
entouré d'une bande brodée, sur laquelle s'attachait uns plaque d'or avec l'ins-
Tiption : Consacré à Jéhovn. »
4. Cette orgueilleuse reine.
5. Racine a eu soin do ne pas nous nv,Mlir do ce détail ; s'il nous l'.ivail appris
se ATUALIB.
Ces lévites et moi, prôts à vous secourir,
Kous étions avec vous résolus de périr.
(a Joas, en l'embrassant.)
Que Dieu veille sur vous, enfant dont le courage
Vient de rendre à son nom ce noble témoignage '.
Je reconnais, Abner, ce service important. 745
Souvenez-vous de l'heure où Joad vous attend *.
El nous, dont celte femme impie et meurtrière
A souillé les regards et troublé la prière,
Rentrons ; et qu'un sang pur, par mes maitis épanché,
Lave jusques au marbre où ses pas ont touché*. 750
SCÈNE IX.
LE CHOEUR ».
UNE DES FILLES DU CHŒUR.
Quel astre à nos yeux vient de luire?
Quel sera quelque jour cet enfant merveilleux*?
plus tôt, nous aurions moins tremblé pour Jo.is. a Jamais tous ne prendrer. Joad
en déraut de négli^'cnc-c. Atlmlie vcul voir et interroger Joas. On craint un pé-
ril, et ce brave Abuer le prend sous sa protection :
Priiicooe aisurci-Touj : je le proiidi (oik uu garde.
Vous rroyfz peut-cire que Joad dort sur celte assurance. Il l'estime ce qu'elle
Taut, il est donc rcstô à la porte, écoulant et l'arme au bras:
J'écoulait toal el p'aigiiais loUn peins •
(M. S««CET, Le Tcvipsda G octobre 1878, Chronique théâtrale.)
1. Jlendre léinoiiiiiiigc ù une cboso, c'est la reconnaître et y rendre hommas'e.
• Itrndez ici témoigna i,'o à la xérità. » (rtnuiun, Oruùoii fuiitbn? de Marie- Thé-
rcse.) Les murlyrs n'elaicnl pas aiilre rliosc que des gens qui rendaient téinoi-
gnaije ; et c'est de la que \ient leur nnm.
2. Il y a ici une inadvcrlanco ; Joad aiait donné rcndpz-vous à Abncr pour le
sacrifice de la troisième heure ; or, ce saci'iûce a été interrompu par l'airivéc
d'Atlinlic, nt la troisième heure est passée.
3. Les déinilf de celle cérémonie se trouvent dans le» A'oniérct (XIX, 4 et stj.).
Le grand iirclre, nprcs avoir imnuilé une génisse rougo, ticnipait le doigt dans
le satig cil- la viclime, fais.'iil sept fois 1 aspersion à Icnlrée du tabernacle el
dans la suite du temple, et laissait pn:iuilc la victime se consumer sur raiilcl.
Dans la religion grecque, les ministres du '«mpic ne pouvaient pénétrer dans le
MDCluaire qu'après s'eire puriTiés par des ablutions. Voir Euiipiao, /on, t. 04-97:
'AXV, Cl 4>oIîou &i").to\ Oi^aKit,
Bal'/iTi jiva;, xatu^aT; it Soiaeif
'Afu9^av&|iivoi TTil;(iti vaou;.
4. L« rbmur eliante la sagesse de reofant merveilleux, et développe cette prn.
Ȏe que
l.r bonheur de« iiitchanti coniiiia un lorranl l'écouie.
5. • O'ii*. putas, puer iste erit? » (Luc, i, GO.)
ACTE II, SCÈNE IX. 8 7
!1 brave le fasle orgueilleux,
Et ne se laisse point séduire
A tous ses attraits périlleuv*. 755
UNE AUTRE.
Pendant que du dieu d'Alhalie
Chacun court encenser l'autel,
Un enfant courageux publie *
Que Dieu lui seul est éternel.
Et parle comme un autre Élie* 700
Devant celte autre Jézabel.
UNE AUTRE.
Qui nous révélera (a naissance secrète*.
Cher enfant? Es-tu fils de quelque saint prophète?
UNE AUTRE.
Ainsi l'on vit l'aimable Samuel
Croître à l'ombre du tabernacle *. 763
Il devint des Hébreux l'espérance et l'oraclo.
l'uisses-tu, comme lui, consoler Israël !
ONE AUTRE chante.
0 bienheureux mille fois
L'enfant que le Seigneur aime,
Qui de bonne heure entend sa voix, 770
Et que ce Dieu daigne instruire lui-môme •!
Loin du monde élevé, de tous les dons des cieu
Il est orné dès sa naissance;
Et du méchant l'abord contagieux
N'altère point son innocence. 775
1. « Périlleux DO so dit que du dani^er physique, et non pas du dant'er mo-
ral. » [Scnlimenls de l'Académie sur Àthaliê.) J.-I). Rousseau (Liv. I, Ode 1), a
éciil après llarinc: Ci'luL
Qui, braiant du m^rliaiit le Ui\c rouronoé,
Uoiiore la tel lu du ju^te io'orluiié.
i. Déclare haiilcnient.
3. n n'est dit nulle part qu'Elie ait pnru devant Jézal)cl.
4. >> (icncralioncm cjus quis enarrabit? » (Isiin, LUI, 8.) Voir Œdipe roi
Y. 1007:
Tl{ 91, Tivxov, t(ç a' fiixx
Tûv gioixpiiûvuy ; £^a
Ilavb; dpi<T(fi8«-:a tt;
nç<)inti>.o»(l«T<i', j) gi 1»
Ti; <uy4tt,j Ao;(ou ;
8. « Puer aulcm Samuel proficiebat alque crescebat, et placebal tara Domino
qunm boininibus. » (/ Jiois, Il et Ul.) On se rappelle que c'est Samuel qui a fait
passer le peuple du régime d'une magistrature ai-istocratique et sacerdotale à la
royauté de Saiil.
6. >( Bcalus homo. qui-m tu erudieris, Domine, et de lege tua docueris eum. »
{Psaume$, XCUÏ, 12.)
s s ATllAI.lE.
TOUT LE CHŒOB.
Heureuse, heureuse l'enfance
Ouo le Seigneur instruit et prend sous sa défense!
LA Ml^ME VOIX seule.
Tel en un secret vallon *,
Sur le bord d'une onde pure *,
Croît à l'abri de l'aquilon, 780
Un jeune lis, l'amour de la nature ",
Loin du monde élevé, de tous les dons des cieux*
11 est orné dès sa naissance;
Et du méchant l'abord contagieux
N'altère point son innocence. . 'i^'i
TOUT LE CUŒUR.
Heureux, heureux mille fois
L'enfant que le Seigneur rend docile à ses loisl
UNE VOIX seule.
Mon Dieu, qu'une vertu naissante
Parmi (aiil de périls marche à pas incertains!
Qu'une àiiie qui te cherche et veut être innocenlc 790
Trouve d'obstacles à ses desseins !
Que d'ennemis lui font la guerre!
Où se peuvent cacher tes saints"?
Les pécheur? couvrent la terre.
UNE AUTRE.
0 palais de David, et sa chère cité ', 'W.'i
Mont fameux, que Dieu môme a longtemps habile^
Comment as-tu du ciel attiré la colère?
1. Secret a ici le sens étymolojrique : tecretus, reculé, écarté.
2. On a rapproché de colle strophe quelques vers d'Momère (fliade, XVII,
53-56) :
Olov Si TflïH fpvoç ivJjp lpiOr)>.J; lXa(T|;
Xùpui Iv o!ot:<>X<;>, ôO' iiXi; 4vaôi'6fu/iv xiSaf,
Kaîbv, TTjXtOi/.ov TO Si Ti i:voia\ 5oviou7iv
nav-oldjv àvifiuv, xal ti Pfùii uvOiï uuxif,
I. Souvenir de Catulle {Carmen nuptiale, LXII, v. 39-41] :
\]\ (loi m li'ptii «ecrclus iia'riliir liorli*,
lu'ncitiii pciori, niilln rniilii^ni aralri),
OiH'iii iiiiilei.'iil dure, fli mil lul, eJnrat imbrr, etc.
I.e lis ftcquirrt en Judée iino n'.iDiid.ini'e do lleurg cxir.iordinaire.
4. Tous ces vers, de 782 A 793, ont été ajoutés par Haeine dans l'édition d»
(f.Oi.
.5. ÇnintoHeuvc (Porlliotjnl, 143) a cnrore vu dins ces deux vir« une .il-
usion fi l'oit Ilovnl.
«. " Haliilavit nuiom Ilnvid in aree (Sion) et vocavit cnm Civilnlem David »
// /ïfiij, V, 0 ) Sion c<il, des trois rnilines sur lesquelles est fi8«ise JéruoHiem,
celle dcitit la déronsn offre le moins de diflieultés.
7. «. Mou» iu quobtncplaLlIum est Dco liabitare in eo. »(Psaumfl$. LXVfl, (7.)
ACTE II, SCÈNE IX. P9
Sion, chère Sion, que dis-lu quand tu vois
Une impie étrangère
Assise, hélas I au trône de les Rois? «00
TOUT LE CUŒUR.
Sion, chère Sion, que dis-lu quand lu vois
Une impie étrangère
Assise, hélas! au trône de tes Rois?
LA MI^UE VOIX continue.
Au lieu des cantiques charmants'
Où David l'exprimait SCS saints ravissements ', 80o
Et bénissait son Dieu, son Seigneur et son père,
Sion, chère Sion, que dis-tu quand tu vois
Louer le dieu de l'impie étrangère,
Et blasphémer le nom qu'ont adoré tes Rois?
UNE VOIX seule.
Combien de temps, Seigneur, combien de temps encore 810
Verrons-nous contre toi les méchants s'élever' ?
Jusque dans ton saint temple ils viennent le braver.
Ils traitent d'insensé le peuple qui t'adore.
Combien de temps, Seigneur, ombien de temps encore
Verrons-nous contre loi les méchants s'élever *? 815
UNE AUTRE.
Que vous serf, disent-ils, celte vertu sauvage?
De tant de plaisirs si doux
Pourquoi fuyez-vous l'usage?
Votre Dieu ne fait rien pour vous».
1. Cette strophe a été ajoutée par Rarine en 1G07.
2. Lorsque nous éprouvons une vive joie, nous sommes comme saisis, trans-
portés, ravis hors de nous-mêmes.
3. Il Usquequo pcccatorcs, Domine, usqucquo peccatores gloriabunlur : cffa-
buntur, et loquentur iniquilatem ; loqucntur omncs qui operantur injusiitiam ?
Topulum fuum, Domine, humiliavenint, et liorcdilalom tuara veiaverunt. •
{/'saumes, XCIII, 3-5.) J.-B. Rousseau (Liv. I, Ode XII) dira :
Ju-qiici A quand, Si'iîncur, sonirriroi-vouJ riTrcis»
Dt ci« 'iipprhc» criiuiiifli,
De qui la aiHlice lrans!;reB-e
Vos ordres j.? plus auleiiiiL'l*,
F.l dont l'iiiipielc barbare el lyriiniiiiiue
Au crimi* ajoute eiicor le iiicpri» ironique
De vus preci-plsi éliruiil»?
4. Se soulever; de même Pascal, dans la première Provinciale : « Il est teraps
de s'élever contre de tels désordres. »
t. né quoi T dir.iit l'iinpi^lé,
Où donc e^l-il, ce Dieu (i redouté,
Dont Jtraël noua vantait la piiis<anra 7
(Eslher, I, T.)
Raeine s est souvenu de plusieurs pn-ssaïes de rKrrilutc : « >e forte dicant in
frentibus : « Ubi est Deus eorum ? » [P.inume.i, LXXVIII. in). — « Uicitur inilil
quotidie: « Ubi est Deus tuus. » {Psaumes, XLl, i.)
00 ATllALli;.
ONE AOTRB.
Rions, chantons, dit celle troupe impie; 820
De (leurs en fleurs, de plaisirs en plaisirs,
Promenons nos désirs.
Sur l'avenir insensé qui se fie'.
De nos ans passagers le nombre est incertain,
llàtons-nous aujourd'hui de jouir de la vie; 825
Qui sait si nous serons demain*?
TODT LE CUŒUR.
Qu'ils pleurent, ô mon Dieu, qu'ils frémissent de crainte,
Ces malheureux, qui de la cité sainte
Ne verront point réternclie splendeur*.
C'est à nous de chanter, nous à qui lu révèles 830
Tes clartés iminortolles* ;
C'est h nou^ de chanter les dons et ta grandeur.
UNE VOIX seule.
De tous ces vains plaisirs où leur ûme se plonge,
Que leur rcslera-t-il? Ce qui reste d'un songe
Dont on a reconnu l'erreur. 835
A leur réveil, ô réveil jdoin d'horreur 'I
1. Le premier Ters île Plaidfurs ciprime la même i'Jée :
Mt foi I lur i'aTL'iilr bian Ton qtii le fli'ra I
2. « Venite erg:o, et fruamur bonis quae sunf, cl utamur croatura fanqinm in
juvenlutc celerilcr. Vino prelioso et unguenlis nos impicamus; et non priiRtcreat
DOS llos tcmporis.Coroncmus nos rosis, antC()uani niarccscant: nulliim pratum sil
quod non pcrtranscal luxnria nostra. » {Sar/rsse, II, 6, 8.) — <i Comcilamus et
bibamiis ; cras cnim moriemur. » (Isiia,XXlI, 13.) — Tous les poètes ont exprimé
celte i'iée :
Carpe diem, minimum crodiila poslrro,
(lIoniCK.)
Vi»oi, «i m'en crojc». n',ill«ndeii demain :
Cueitiui ddi aujuuid'bui les roies de la tio.
(noNsino.)
Cueillei, euetllef votre Jcuncise,
(Id., à Cntsnndr».)
Chciiut Jour est un bli>ii que rin eiel je r«çnt;
Ju Juiiii anjuiird'hiii ili; Ciliil iiii'M me iloiini> ;
Il ii'appartirnl pa< plut atii j'iiixi gi'n< i|ii'li mol,
Et la jour de demain n'npiiailiijnl k periminn.
(Fatabt, A/émoirei. Pensées, t. III, p. 328.)
3. « Broliis cro xi fucrint roliquitc leminis moi ad vidcndam clarilalcm Jeni-
»al.m n (Tobic, XIII, ÏO.)
4. Quelques acndùniiclcns ont trouva belles les expressions h révéler U lu-
mière, révéler les clartés » ; d'niitre<i Irs ont trouvées irrégulicroi.
5. J.-D. nousscau a écrit :
Cummi-iil tint da i;raiiririir l'eil-dla Aranniiia T
hini un louimifil priifoml ili nnl pai<4 l«ur «l«,
El la iiiorl a lall Isur ri>eil.
Il a. rnmme nncine, imité les livres snints : • Dormirrunt somnum suuni, et nihil
ii«en<>runl omm'i virl diviliarura in minibus suis. » (Ptaumci, LXXV, 8.) —
ACTE II, SCÈNE IX. 91
Pendant (|ue le pauvre à ta table
Goûtera de la paix la douceur iiieiïable',
Ils boiront dans la coupe affreuse, inépuisable,
Que tu présenteras au jour de ta fureur 840
A toute la race coupable *.
TOUT LE CDŒDR.
0 réveil plein d'horreur 1
0 songe peu durable 1
0 dangereuse erreur!
• Velut somiiiura a\oIans non invcnietur, transit sictit visio noclnroa. » {Job,
XK,8.)
I. Bappelons-nous que dans la parabole du mauvais riche et de Lazare, le
pauTre est porté par les anges dans le sein d'Abraham, c'est-à-dire à uue
plac» d'Iionncur dans les festins éternels.
i. « Cilix in manu Domini vini meri plenus misto... F.-ei ejus non est eiina-
nita : bibent omnes pectatores terrte. » {Psaumes, LWIV, 9.) Comparez aussi
Isaïe (LI, 17): • Consurge, Jérusalem, qnir liil.i<(i d«m<<n(i Pomini calicem irae
•jus. •
ACTE TROISIÈME.
SCÈNE I.
MATllAN, NARAL, le cnŒon.
MATHAN.
Jeunes filles, allez : qu'on dise à Josabet 8ia
Que Malhan veut ici lui parler en secret.
DNE DES FILLES DD CHŒDR.
Malhan I 0 Dieu du ciel, puisses-lu le confondre'!
NADAL.
lié quoi ? tout se disperse, et fuit sans vous répondre?
UATHAN.
Approchons *.
SCÈ.NE H.
ZACHARIE, MATHAN, NABAL.
zâcharie.
Téméraire, où voulez-vous passer'?
Au delà de ce lieu gardez-vous d'avancer. ^-"iO
C'est des ministres saints la demeure sacrée;
Les lois à tout profane* en défendent l'entré"'.
Qui cherchez-vous ? Mon père, en ce jour solennel,
Del'idolàlre impur fuit l'aspect criminel ;
Kt devant le Seigneur maintenant prosternée, 855
Ma mère en ce devoir craint d'élre détournée.
1 . De même Esther(\ll, iv) :
O Dieu, conroiiJ» fandict et l'impoiturc I
2. A la Comédie Française, on supprime a la rcpréscntnfion le rlunir précédenf.
tinsi que la première scène de cet iictc. M;itlian cntro, suivi de Nnbal ; ne vu\.int
personne, il «'apprête à lever le rideau qui est au fond de la sccne ; Zacliaiie
sort de derrière ce rideau, comme s'il s'y étuil caché tout exprès, et cric :
Témrraire, où foulci-tous pis'cr?
Cet àrranf^cmciit produit Vvïïit le plus piteux du monde.
3. Zacharic nous a raconté au dél)ut de liietc précMent comment JoaJ avait
»eeu Athalie ; il imite son pcre en recevunt Matlian.
4. Ce qui est prulano, c'est ce qui ost eo dvbors du temple, pro fano.
ACTE III, SCENE III. 9i
MATUAN.
Mon fils •, nous attendrons: cessez de vous troubler.
(.'est votre illustre mère à qui je veux parler.
Je viens ici chargé d'un ordre de la Reine*.
SCENE III.
MATHAN, NABAL».
NABAL.
Leurs enfants ont déjà leur audace hautaine. 860
Mais que veut Athalie en cette occasion*?
iJ'où naîl dans ses conseils* cette confusion ?
Par l'insolent Joadcejijaiii) offensée, ■^*-^
VA d'un enfant fatal* en songe menacée,
Klle allait immoler Joad à son courroux, 8C5
VA dans ce temple enQn placer Baal et vous.
Vous m'en aviez déjà confié votre joie,
i-^t j'espérais ma part d'une si riche proie'.
Oui fait changer ainsi ses vœux irrésolus?
MATUAN.
Ami, depuis deux jours je ne la connais plus, 870
Ce n'est plus celte Heine éclairée, intrépide.
lUevée au-dessus de son sexe timide,
(Jui d'abord" accablait ses ennemis surpris®,
Lt d'un instant perdu connaissait tout le prix'".
^. L'âge et le rang de J!alli;ii) l'autûriscnt i se servir de celte affectueuse
déuoniination.
2. Matlian sait bien que, sans cela, Josabet ne consentirait point à le voir.
3. Au sujet de ce rôle, voir notre Notice sur Athalie. Le dernier Nabal de la
C.oniédio française faisait rire par son extérieur dénué de toute élégance et
par sa mise sordide. Nous croyons qu'il avait raison de s'accoutrer ain«i.
4. <■ Le ternie occasion est inipiopre et faible. » [Sentiments de l Académie sur
Athalie.)
5. Les conseils, ce sont les vues, les principes qui dirigent la coaJuile. Racice,
t l'acte 1, scène ii, avait déjà employé ce mot :
Confond] Jani lei coDseili ane roint' cruelle.
6. Marqué par les destins.
7. Tout le caractère de Nabal se peint dans ce vers,
g. Aussitôt, 8ur-le-cliamp.
9. San» leur laisser le temps de se reconnaître.
10. Voilai re a imité ce vers dans la IJeiiriade(l\):
bel loaiiieiitt, diiK U guerre, il coDDalt tout l« )iiii.
9 4 ATIIALIB.
La peur d'un vam remords trouble celle grande Ame' : 875
Kllc floUc, elle hésite; eu un mot, elle est Temme'.
J'avais laiilôl rempli d'amerUime ol de fiel '
Son cœur déjà saisi* des menaces du ciel ;
inie-môme, âmes soins confiant sa vengeance,
M'avait dit d'assembler sa garde en diligence; 880
Mais soil que cet enfant devant elle amené,
De ses parents, dit-on, rebut infortuné *,
Eût d'un songe efirayant diminué l'alarme.
Soit qu'elle eût môme en lui vu je ne sais quel charme,
J';ii trouvé son courroux chancelant, incertain, 8S5
El déjà remettant sa vengeance à demain.
Tous ses projets semblaient l'un l'autre se détruire'.
« Du sort de cet enfant je me suis fait instruire',
Ai-je dit. On commence à vanter ses aïeux;
Joad de temps en temps le montre aux factieux, 8'JO
Le fait attendre aux Juifs, comme un autre Moïse,
Et d'oracles menteurs s'appuie et s'autorise. »
Ces mots ont fait monter la rougeur sur son front.
Jamais mensonge heureux n'eut un elTet si prompt*.
« Est-ce à moi de languir dans celte incertitude? 895
Sortons, a-t-elle dit, sortons d'inquiétude.
Vous-même à Josabet prononcez cet arrêt:
t. Joc.'iste ilaiis X'Œdipc roi de Sophn^le (914-917) peignait Ja tr&i(s ftualo-
gucs les irrésolutions douloureuses d'OKJipc :
'X^tt\i Y^-f af^ii Ou(&iv 0*^(7cou£ Syav
iVûrKifft ravToiaiiTiv' eù$' onoT &vi]f
Ewou; Ti xaivà -ot( icâ).ai TiKfiatpiTai,
'KW Tirti TOÛ /h'yovto;, il ^oôo'jj Xt^oi.
2. baus U Sémiramis de Voltaire (II, iv), Cédar dira de la Iloiua t
Kle devii'nl lembUble tu reile do mortels:
Clla 1 coiiuu l( eraiule
3. Fiel sigiiifiL' ici : aniniosité. Voltaire a écrit dans son Essai sur le» m<riirt :
m LiillicT, Zwiiiglc, Calvin, avaient dos iixciirs Taroucbos ; Uurs discours rcspi-
ruiuiit le fiel. »
4. Saiti A souvi'iil le sens de : caplivé, domina par:
StItI il'b'irrcur, de joie «t do nTlMcoiciil.
(fphifjénie, V, VI.)
5. I.'é|>illièle relève ce ()ue le substantif seul aurait eu de trop Irliial.
C. Itaciue avait déjà dit de Phi'dre{\, m):
CuiniDc OD «oit tout iri lam l'un l'iiilra m détruir*
7« Do sa naissance, do son rang. Du mime (II, v] :
Lj iploodrur d* ion tuct duii liller >t ruina.
(, C'c'kl un riant ijut Mulhao proiionuo eu vcm.
ACTE III, SCI!;NB III. »h
Tes feux vont s'allumer, et le fer est tout prôt';
(lien ne peut de leur temple empocher le ravage,
Si je n'ai de leur foi cet enfant pour otage *. » 000
NABAL.
lié bien? pour un enfant qu'ils ne connaissent pas,
Que le hasard peut-être a jeté dans leurs bras,
Voudront-ils que leur temple enseveli sous l'herbe.,.
MATQAN.
Ah I de tous les mortels connais le plus superbe*.
Plutôt que dans mes mains par Joad soit livré 903
\Jn enfunt qu'à son Dieu Joad a consacré ',
Tu lui verras subir la mort la plus terrible*.
D'ailleurs pour cet enfant leur attache* est visible.
Si j'ai bien de la Reine entendu le récit,
Joad sur sa naissance en sait plus qu'il ne dit. 910
Ouel qu'il soit, je prévois qu'il leur sera funosle.
Ils le refuseront. Je prends sur moi le reste';
|]t j'espère qu'enfin de ce temple odieux
Kt la flamme elle fer vont délivrer mes yeux.
NABAL.
Qui peut vous inspirer une haine si forte? 915
Est-ce que de.Daal le zélé vous transporte*?
Pour moi, vous le savez, descendu d'IsMiaél"
Je ne sers ni Baal, ni le Dieu d'Israël.
MATHAN.
Ami, peux-lu penser que d'un zèle frivole'"
!. Le mouvement de ce veis rappelle un vers à' Iphiyéiue (III, v);
Mai) le fer, le bandeau, la Qainiuo est taule prèle.
2. Unolago est une personne que l'on remet comme gage entre les mains de ce-
lui avec lequel on a conclu un traité.
3. Le plus fier, le plus intraitable.
4. Ces consécrations, déjà en usage avant SIoïso, étaient ou temporaires ou
perpétuelles.
5. Matlian pousse Atlialic à demander Joas; au besoin, il saurait, par sc»
paroles perfides, dissuader Joad de le livrer ; ce quil veut, c'est la guerre,
persuadé que lui seul en tirera profit.
0. l'orme, qui a vieilli, du mot atlachcmcnt. Bossuet a écrit dans une de ses
Lettres : ■< Plus elle mettra en Dieu seul son attache et sa confianes, etc. »
7. On n'a pas assez remarqué tout ce qu'il y a dans cet hémistiche de haine et
d'énergie.
8. Nabal semble un peu naïf ; mais ce qu'il veut, c'est donner à Mathan l'occa-
sion de nous faire son propre purlrait.
9. u Les Ismaélites él.iicnt iJol.ities et fort attachés & leurs faux dieux. »(AV
tes manuscrilcs sur Athalic.) Isnia'-I était fils d'Agar et d'Abraliaïu. Dieu avait
dit h son père: « Augel-o cl niulliplicul)o cuin vaKIe, duodceim duces gcncrabit,
«t faciam iîluni in genlem magnaïu. » (Oenâae, XVll, iO). Les Ismaélites étaient
restés fidèles à la vie nomade.
10. On • trouvé, di^t l'Académie, dans ses Sentiments sur Athalic, que Matliao
»6 ATUALIB.
Je me laisse aveugler pour une vaine idole, 020
Pour un fragile bois, que malgré mon secours
Les^vers sur son autel consument tous les jours' î
Né ministre du Dieu qu'en ce temple on adore,
Peut-être que Malhanle servirait encore,
Si l'amour des grandeurs, la soif de commander, 925
Avec son joug étroit pouvait s'accommoder*.
Qu'est-il besoin, Nabal, qu'à tes yeux je rappelle'
Ue Joad et de moi la fameuse querelle,
Quand j'osai contre lui disputer l'encensoir *,
Mes brigues, mes combats, mes pleurs, mon désespoir ' ? 930
V'aincu par lui, j'entrai dans une autre carrière,
l£t mon âme à la cour s'attacha tout entière.
J'approchai par degrés de l'oreille des Rois,
Et bientôt en oracle on érigea ma voix.
J'étudiai leur cœur, je flattai leurs caprices*, 933
se déclare ici très-mal à propos le plus scélérat de tous les hommes; et il le (uit
<i:ins aucune nécessité et sans utilité. • Pontenelle, dans ses Réflexions sur la
Poétique, §LXI1I {Œuvres, édition de 1742, tome 111, p. 193), f:iit la même cri-
tique : « Il n'y a guère d'apparence que des scélérats tels que la Cléopâtre de
liodognne et le Matlian d'Athalie, aient des conlidcnts à qui ils découvrent sans
aucun déguisement et sans une nécessité absolue le détestable fond de luurarae. »
lloudar de la Motte dit aussi d.ins son Second discours sur la tragédie, à l'oc-
casion de la tragédie de Romulus {Œuvres, édition de 1754, tome IV, p. 167) :
u Ce caractère {de Mathan), tout odieux, tout excessif qu'il est, ne laisse pas
d'être naturel; et il n'y a que trop d'ambitieux qui lui ressemblent ; mais en qui
n'est plus dans la nature, c'est qu'il se peigne lui-mcmo à son confident sous
d'aussi noires couleurs. On ne croira jamais qu'un homme si superbe s'avilisse
à ce point, et sans nécessité, aux yeux d'un autre homme, et quand l'Iiistoire
fournirait quelque exemple d'une pareille conduite, il ne suffirait pas pour la
justifier au tiiéâtre,oii Ion veut voir des hommes, non pas des monstres. » On a
rappelé aussi que Tartull'c n'a pas do confident. Sans compter que Tartulfe a dans
son valet Laurent un élève fidèle, on peut répondre que Mathan éprouve un cor-
tain orgueil à étaler aux yeux de Nabal toute la supériorité de ses vices sur b^a
siens.
i. « knt'.' Iruncura ligni proculam 7 » (Is*m, XI.IV, 1».) Polyeucte avait dit
énergiqucninnt dans la tragédie de Corneille (III. vi):
Allons rouler aiii pii'd* ce foudre ridicule
Dunl arme un Ijois pourri ce pLupli: trop rréduls
2. Au vers 40 de l'acte I, Joad ne nous a présenté Mathan que comme un
iimpic lévite ; il n'aurait donc eu aucun droit au pontificat.
3. Il faudrait plutôt : à ta mémoire.
i. On appelle ainsi une cassolette, suspendue à do longues cliaines, dans la-
quelle on brûle de l'encens. Celait le souverain pontife qui tenait l'encensoir.
5. Voilà un heureux exum|)le de gradation, d'autant plus heureux que oi
Ter» est en nicnio temps tout un récit.
6. Dans la Princesse Aniillie (I, i) de Casimir Dclavigno, lo docteur Policastro
explique d'une façon iiiquante par quel système do flatterie il s'est acquis une
grande influence sur l'e.tprit do la princesse ; c'est en quelque sorte le pendaul
(«njiquc du récit de Mathan :
J'ii prii Dur 11 jeunctic un iiCKiidonl «linqui'ur;
Mail e'cll •in> la llaller: luul le uiond,! l'iJniitl
(Juind U «éril* ll«Ui), il but pouruiit U >lii«.
ACTE III, SCt:NE ni. 97
Je leur semai de fleurs le bord des précipices*.
Près de * leurs passions rien ne me fut sacré ;
Ue mesure et de poids je changeais à leur gré.
Autant que de Joad l'inflexible rudesse
De leur superbe oreille offensait' la mollesse, 040
Autant je les charmais par ma dextérité *,
Dérobant à leurs yeux la triste vérité,
Prêtant à leurs fureurs des couleurs favorables ',
Kt prodigue surtout du sang des misérables *.
Kntin au Dieu nouveau qu'elle avait introduit, 043
SauTcnt i son ttis je me rends taos effort ;
Hais quand elle a raison, pui^-je lui d^maer tort ?
Le malin au palais, où oiun devoir m'appelle,
Grafe ou gai lour 1 tour, je cause et j'apprendi d'ulk,
Je lit dans ses regards où penche ton désir.
Et, donnant un conseil, je prépare un plaisir.
Maii c'est pour sa sauté; d'après notre maxime,
Le plaisir sans excès est le meilleur régime.
Sun goût change parrois, et je >ais l'ob^erTer.
C'ctl un arl innocent; un jour, à son lever.
L'ardeur de gouverner dans -a tête fermente ;
Je dis: c'e<t un beau feu qu'il faut qu'on alimenle,
Kt ce lerail pitié, quand no* jo ir^ sunt comptés.
D'abaisser à >ies nena ces hautes Tacultes ;
Une alTaire l'ennuie, et j'ose lui défendre
Ii'accabler son esprit du soin qu'elle va prendre ;
L'école de Salerne a dit eo bon latin :
Qui veut marcher longtemps te repose en chemin.
Celte candeur lui plaît : ton ennui se dissipe,
Jusqu'à parkr affaire alors je m'émancipe,
Klle en rit, moi de inéine, et je suis écouté.
Jugez de mon pouvoir à sa majorité !
t. n.ip|ieloDS ici les admirables imprécations de Pbcdrc u OL'aoae (tV, vi) i
...Puisse ton supplice i jamais ellrjjer
Tous ceux qui, comme toi, par de lîehes adresses,
Del princes uialbeureux nourrissent les faiblesses.
Les poussent au penchant où leur cœur est enclin.
Et leur o-ent du crime aplanir le rbeuiin !
Détcsiables flatteurs, présent le plus funeste
Que puisse faire aux Kois la veogcance céleste I
S. Auprès de, en comparaison de.
3. SIessait; on dit qu'une fausse note ble-sse, offense une oi-'-ille délicate.
4. Mon adresse d'esprit. Ce mot ne doit pas être pris en mauvaise part. Bos»
suct a écrit dans l'Oraison fum'bre d Henriette d' Angleterre : « On ne pourrait
assii louer son incroyable dextérité à traiter Iw affaires les plus délicates, à ter-
miner tous les différends d'une manière qui conciliait les intérêts les plus oppo-
sés. » — Voltaire a encore imité ces deux vers dans la Uenriadc (Vit) :
C'S Oatleiirs mercenaires
D> qui la cuiiipl i.s.iiice, avec deilénlé,
A leurs jeux éblouis cachait la vérité.
On a voulu voir dans Matban une allusion aux Jésuites, et dans Joad un por-
trait de M. Arnauld.
5. On lisait dans les Tragiques d'Agrippa d'Aubigné (Les Princes):
A-l-il pas tant clierehé fl-urs et couleurs nniifelles,
Qu'il babille en nnnvr le bourreau des GdèlesT
Il noiniiie bel exemple une trafique horreur,
Le massacre justice, un léle la fureur.
I. Mjttbaa a les mêmes tbéories que Narcisse dans Britaiïnirus (II, \ii)'.
Et. pour Dous rendre heureux, peidons les misérables.
9 8 ATOALIB.
Par les mains d'Alhalie un temple fut construit '.
Jérusalem jiknira de se voir profanée ;
Des enfants de Lévila troupe consternée
En poussa vers le ciel des hurlements alTreux *.
Moi seuî, flonnant l'exemple aux timides Hcbrcu\, 053
Déserteur de leur loi, j'approuvai l'enlroprise,
1:11 par là de Baal mérilai la préirise.
Par là je me rendis terrilde à mon rival,
Je ceignis la tiare, et marchai son égal '.
Toutefois, je l'avoue, en ce comble de gloire *, 955
Du Dieu que j'ai quitté l'importune mémoire
Jolte encere en mon âme un reste de terreur * ;
Kt c'est ce qui redouble et nourrit ma fureur.
Heureux si sur son temple achevant ma vengeance,
Je puis convaincre enfin sa haine d'impuissance, DOO
El parmi le débris, le ravage et les morts,
A force d'attentats perdre tous mes remords" I
Mais voici Josabet.
1. Plusieurs fois des temples furent dans Jérusalem édifié!! à Baal, le Soleil,
et à Asiarté, la Lune ; mais aucun texte D'autorisé le poète à placer la cons-
truction d'un de ces temples sous le règne d'Atlialie.
2. u Ce mot hurlement vst du stvie de l'iicrilure sainte. Les propliètes, pour
dire gémisses, disent souvent ululate; et les Listoricns profanes expriment par
le même mot le deuil des Orienlaux : lugubris clamor, barbare uhilatu. » (Louis
lUciNB.) O^n lit aussi dans l'Enéide (IX, 470), à propos de la mère d'Luryale :
EtoUI inTelix, et feniijico ululatii, elr.
t. Souvenir de Virgile {Enéide, I, 46.)
Asl, ego, quiD divum jnccndo Regiiia .
4. Le vomblc, c'est le plus haut degré; on & f.iil de ce mol à notre époque
lin abus déploralde.
3. u 11 est bien probable que Rarine n'aura donné ce sentiment à son amiii-
lieux que pour juslificr rctic .idniir.nljle fin do scène, où Mathnn étourdi, aveu-
i.'M- sous le coup des nialéJntions lancées contre lui par le grand prcire, se
trompe de porte, et ne balbutie que des mots sans suite. » (M. SinciiT, Le Temps
du tSaoût \^1Z, Chronique théâtrale.)
6. Corneille fait dire a Cléopiilre [Rodogune, IV, vu):
Alliini cliercluT le li iii|i< d'iiiiiiioler nie! Ticliinrt,
Kl de iiiu ri'iidre beurouie ï lurce de grdiiUs ciiiiie.
Racine, frii|ipé de ce.«(loiix vers de Corneille, avait déjà développé celte pon-
-ét dans la 'J hébaide {\\\, vi) :
... Le ri'inordi n'c^l pas re qui me loiirlie,
Et Je ii'hI |)Iiii iim ciriir que le crinit' efTnnu' ho t
Toiu lei liTCniier! loiimls coûtent queliiur!" cITorI" ;
liait, Atlale, on coiiiDiel lei iccondi uni reinordi.
ACTEIII, SCENE IV. «9
SCRNE IV.
JOSABET, MATIIAN, NAHAL.
MATHAN.
Envoyé par la Reine
Pour rétablir le calme et dissiper la haine ',
Princesse, en qui le ciel mit un esprit si doux, 9 60
Ne vous étonnez pas si je m'adresse à vous *.
Un bruit, que j'ai pourtant soupçonné de mensonge ,
Appuyant les avis qu'elle a reçus en songe,
Sur Joad, accuse de dangereux complots,
Allait de sa colère attirer tous les flots'. 970
Je ne veux point ici vous vanter mes services.
De Joad contre moi je sais les injustices * ;
Mais il faut à l'offense opposer les bienfaits *.^" 1
Enfih'je viens chargé de paroles de paix.
Vivez, solennisez ' vos fêtes sans ombrage ''. 975
De votre obéissance elle ne veut qu'un gage :
C'est, pour l'en détourner j'ai fait ce que j ai pu,
Cet enfant sans parents, qu'elle dit qu'elle a vu '.
JOSABET.
Éliacin !
M A T H A N .
i'cn ai pour elle quelque honte.
D'un vain songe peut-être elle fait trop de compte *. 980
1. Ces deux rers forment un contraste frappant ayec les paroles furieuses que
fient (le prononcer Matlinn.
2. Matlian, après ce compliment, s'arrête un moment pour en voir l'effet; Josa-
bel restant impassible et muette, il se décide h poursuivre. M. Atlianase Cuque-
rcl eilo, .'i propos de cet cxorde de Malhan, un vers duPsaume LIV: . Molliti siint
scrmnncs ejus super oleum : et ipsi sunt j.icnla. »
3. .Nous venons d'entendre que c'est lui qui excite Athalie.
4. Tartuiïe ne parle pas .lutrement : l'intolérance se pose en persécutée.
5. C'est la loi de l'Evangile.
6. Célébrez tous les ans.
7. n Racine veut aire : Solennisez vos fctfs en assurance; et tans ombrage le
dit mal. » {Sentiments de l'Académie sur Alhalie.) Ombraije est iei synonyme
d'inquiétude ; l'origine de ce mot i st la défiance inquiète que l'ombre cause aux
«tievaux. — RappKlons-nous, pour comprendre tout ce que ces offres ont de
cédiiisant, la scène d'exposition :
JVadorati'iir? zélé» à peine un petit nombre, etc.
Je trciiibU qu'Alhahe, à ne Tout rien cacher, etc.
8. Vers prosaïque et lourd, comme on en rencontre rarement Jans notre poète.
9. (1 On a trouvé que faire rnmple serait familier aujourd'hui. » (ScHtimentt de
VAcadêmie sur Athalie.)
100 ATDALIE.
Mais VOUS vous déclarez ses mortels ennemis,
Si cet enfant sur l'heure en mes mains n'est remis *.
La Reine impatiente attend votre réponse.
JOSADET.
Et voilà de sa part la paix qu'on nous annonce !
MATOAN.
Pourriez-vous un moment douter de l'accepter*? 985
D'un peu de complaisance est-ce trop l'acheter ^ ?
JOSABET.
J'admirais * si Mathan, dépouillant l'artifice,
Avait pu de son cœur surmonter l'injustice,
Et si de tant de maux le funeste inventeur
De quelque ombre de bien pouvait être l'auteur '. 990
MATHAN.
De quoi vous plaignez- vous? Vient-on avec furie
Arracher de vos bras votre fils Zacharie ?
Quel est cet autre enfant si cher à votre amour?
Ce grand attachement me surprend à mon tour.
Est-ce un trésor pour vous si précieux, si rare? 09o
Est-ce un libérateur' que le ciel vous prépare?
Songez-y: vos refus pourraient me confirmer
Un bruit sourd que déjà l'on commence à semer.
JOSABET.
Quel bruit?
MATHAN.
Que cet enfant vient d'illustre origine ;
Qu'à quelque grand projet votre époux le destine ''. tono
JOSABET.
El Mathan par ce bruit qui flatte sa fureur...
UATHAN.
Princesse, c'est à vous à me tirer d'erreur. j
J. Matliaii est encore plus pressé qu'Atlialie.
î. On a critiqué cette construction qui fait suivre douter signiRani : hésiter, de
la préposition de. Voltaire écrira cependant encore dinsV Orphelin -Je la Chine
V. I):
El TOUS doiitei eiicor d'asservir tci fureur*.
.1. Un peu de cotnplai<>nnce, le sang de Joas!
4. Lutinisme, c'est-à-dire : j'aurais élô surprise, si.
.■». Maux et birn, voilà, dans ces deux vers, les mots sur lesquels il faut appuyer
• la lecture. M. Gidol a rapproché de ce passage lei rers 13S9 et 1300 liu Phi-
loetHe de Sophocle :
OTç Y*P 1 p"«l*1 ««««ï»
6. (> mot doit élre prononcé avec quelque ironie.
7. Cette exprcgnion aettiner à un projet n'est pas très nelle.
ACTE III, SCÈNE IV. 101
Je sais que, du mensonge implacable ennemie,
Josabet livrerait môme sa propre vie.
S'il fallait que sa vie à sa sincérité 1005
Coûtât le moindre mot contre la vérité '.
Du sor» Je cet enfant on n'a donc nulle trace 'V
Une profonde nuit enveloppe sa race?
Et vous-même ignorez de quels parents issu,
De quelles mains Joad en ses bras l'a reçu? 1010
Parlez; je vous écoute, et suis prOt de vous croire.
Au Dieu que vous servez, Princesse, rendez gloire '.
JOSABET.
Méchant *, c'est bien à vous d'oser ainsi nommer
Un Dieu que votre bouche enseigne à blasphémer.
Sa vérité par vous peut-elle être attestée, 1015
Vous, malheureux, assis dans la chaire empestée *
1. Celle ruse est abominable.— Il y a quelque embarras de construction dani
c:s deux derniers vers.
2. Voir la noie du vers 888.
3 On dirait plutôt en langage biblique : « Glorifie/! Dieu. » L'hypocrite Mnthan
a, comme Don Juan (V, m) toujours le ciel à la bouche. Don Juan refuse de re-
oonnailre Donc Elvirc pour sa femme: « Le Ciel s'y oppose directement; il a
inspiré à mon âme le dessoin de changer de vie; et je n'ai point d'autres
pensées maintenant que de quitter entièrement tous les attachements du monde,
de me dépouiller au plus tôt de toutes sortes de vanités, et de corriger désor-
mais par une austère conduite tous les dérèglements criminels où m a porté le
feu d'une aveugle jeunesse. — Don Carlos. Ce dessein, Don Juan, ne choque point
ce que je dis; cl la compagnie d'une femme légitime peut bien s'accommoder avec
les louables pensées que le Ciel vous inspire. — Don Ju*!». Hélas ! point du
tout. C'est un dessein que votre sccur elle-même a pris ; elle a résolu sa retraite,
et nous avons été touchés tous doux on même temps. — Don Ctntos. Sa retraite
ne peut nous satisfaire, pouvant être imputée au mépris que vous feriez d'elle et
de notre famille; et notre honneur demande qu'elle vive avec vous. — Don Juin.
Je vous assure que cela ne se peut. J'en avais pour moi toutes les envies du
monde, cl je me suis même encore aujourd'hui conseillé au Ciel pour cela ;
mais lorsque je l'ai consulté, j'ai entendu une voix qui m'a dit que je ne devais
point songer à votre sœur, et qu'avec elle assurément je ne ferais point mon
salut. — DonCàiilos. Croyez-vous, Don Juan, nous éblouii-[iar ces belles excuses?
— Don JOAN. J'obéis à la voix du Ciel. — Don CAnLos. Quoi ! vous voulez que je me
paye d'un semblable discours? — Don Juan. C'est le Ci*?/ qui le veut ainsi. — Don
Carlos. Vous aurez fait sortir ma sœur d'un couvent pour la laisser ensuite ? —
Don Juan. Le Ciel l'ordonne de la sorte. — Don Carlos. iNous soulfrirons cette tache
en notre famille? — Don Juan. Prenez-vous-en au Cie/. — Don Carlos. Eh quoi ! tou-
jours/t'Cie/.' — Don JuAN.ie Ciel le souhaite comme cela. — Don Carlos, llsuffit.
Don Jiian, je vous entends. Ce n'est pas ici que je veux vous prendre, cl le
lieu ne le soulTre pas; mais avant qu'il soit peu, je saurai vous trouver. — Don
Juan. Vous ferez ce que vous voudrez. Vous savez que je ne manque point de
cœur, cl que je sais me servir de mon épée quand il le faut. Je m'en vais passer
tout à l'heure dans cette petite rue écartée qui mène au grand couvent ; mais
je vous déclare, pour moi, que ce n'est point moi qui me veux battre : le Ciel.
m'en d?l'i'nd la pensée ; et, si vous m'attaquez, nous verrons ce qui en arrivera. »
4. « l/Ecriture appelle ainsi d'ordinaire tous ceux qui sont rebelles à la loi do
Dieu, quelle que soit la mesure do leurs crimes, mesure dont il est juge. •
(La Harpr). i^
5. " Iteatas vir, qui... in cathedra pcstilentia non scdit. » {Psaumes, T. 1.)
6.
toi ATllALIB.
Où le nionsonge régne et répand son poison ;
Vous, nourri dans la fourbe ' et dans la trahison ?
sci':ne V.
JOAD, JOSABET, MATHAN, NABAL.
JOAD.
Où suis-je? De Baal ne vois-je pas le prûlrc * ?
Quoi? fille de David ', vous parlez à ce traître ? 1020
Vous souffrez qu'il vous parle? U vous ne craignez pas
Que du fond de l'abîme entr'ouvert sous ses pas
Il ne sorte à l'instant dos feux qui vous embrasent *,
Ou qu'en tombant sur lui ces murs ne vous écrasent '?
Que veut-il ? De quel front cet ennemi de Dieu 1025
Vient-il infecter l'air qu'on respire en ce lieu •?
1. L& fourberie est l'action de fourber, \a fourbe, le caractère du fourbe.
Boileau a dit (Sut. m) :
Et la fourbe passa poar exquise prudence.
i. « Quand Josibet est pressée de trop près par Matlinn et qu'elle va évidcm-
mont lâcher queliiuc aveu corn promel tant, Joatl apparaît tout à coup, et comme
il lui serait fort dilïlcilc de discuter avec Mallian dont les propositions sont des
plus acceptables, il rompt violemment les chiens, s'emporte et le chasse avec
UNO evplosion de fureur ma;,'nifiiiuo. Que la colère soit réelle, je ne le conteste
f^as ; tout ce que je veux faire remarquer, c'est que cet opportun accès de colère
c délivre d'explications, ou il aurait nu trahir aux yeux d'un diplomate aussi Pin
une partie de son secret. Les ambitieux poliliqucs, tels qu'est Joad, ne sont
malades que lorsipi'ils ont un intérêt quelconque ù avoir la fièvre. » (M. SAncsY,
/-e Temps du 6 octobre 1873, Chronique Ihéàlrale.) En jugeant ainsi au point do
vue purement humain une œuvre essenliellemeni religieuse, M. Sarcey ne vena
tout u riicure dans rinsfiiration pruphélique de .!.>.((! qu'une gigantesque super-
cherie; il n'osera pas le dire, mais il le laissera entendre.
3. Joad rappelle à Jos.ibet qu'elle descend de David, pour lui mieux faire
sentir à quel point elle s'abaisse en parlant a Matlinn.
4. Dans le Giuas de Métastase i2* partie), c'est au grand prêtre lui-même que
Scbia dit: « Ginjada, oscstu te montrer avec ce fionl serein? Comment oe crains-
tn pas que la terre ne t'cngloiiti.>ise ? »
5. Voir I'fi''drn, note du vers 85G.
6. Otlc expression infecter l'air se trouve dans les Phénicienne» de Sénèquc,
». Î20. OEdipc dit :
... tiat ego aurai ore pi'ttirero tralio 7
Voltaire prèle {nisrours historique et critique à l'occasion de ta traijédie
des Gu'':bres\ & inilord Cornsburi cette appréciation sur .load : « Je l'apiielle
hardiment fanaliiiuc, puisqu'il parle ainsi à sa femme (ii cette femme assci
inutile dans U pièce), lorsqu'il la trouve avec un prôtro qui n'est jins do sa com-
rnunioa :
Quoi? Olle d« D.ivi(l, ToiM pirlui à co Irnltrc ?
Je fus trcs-cont'nl du parterre mii riait de ces vers, et non moins cuotciit d«
l'acteur qui les luppriran ditns la rcprésuntalioo suivante. Jo me Hciilais unn
ACTE III, SCÈNE V. 1 m
UATUAN.
On reconnaît Joad à celle violence.
ïoulefois il devrait montrer plus de prudence,
Respecter nne Reine, et ne pas onlragcr
Celui que de son ordre elle a daigné charger. 1030
JOAD.
Hé i)icn, que nous fait-elle annoncer de siiiislre?
Quel sera l'ordre affreux qu'apporte un tel ministre ?
M A T u A .N .
J'ai fait à Josabet savoir sa volonté.
JOAD.
Sors donc de devant moi, monstre * d'inipioié.
De toutes tes horreurs, va, comble la mesure *. I OIH
Dieu s'apprête à te joindre à la race parjure.
Abiron et Dathan, Doëg, Acliitophel *,
Les chiens, à qui son bras a livré Jézabel,
Attendant que sur toisa fureur se déploie *,
Déj;i çont à ta porte, et demandent leur proie ■'. 1040
M AT DAN, (Il se trouble ".)
Avant la fin du jour... on verra qui de nous...
Doit... Mais sortons, Nabal.
NADAL.
Où vous égarez-vous?
liorreur inexprimable pour ce Joad; je m'intéressais vivement à A (halle, jo hi
tais d'après vous-même :
Je plciirt, liélas! sur la pauvre Alhalie,
Si iiiccliaiiirueiit miie à moil par Joad.
1. Un monstre est un être en dehors des luis de la nature. Voltaire, dans ses tra-
gédies, fera une telle consommation de ce mot qu'il lui enlèvera toiito énergie.
2. « Et vos impiété mcnsuram palri;:;i vc?iroruni. » {Matth., XXIIl, Si.)
3. Dathan et Abiion, de la tribu de Riibcn. préférant l'abondanre de la servi-
tude égyptienne aux psivalions do la liberté dans le désert, cons()irèrent contre
Moïse. Ils furent cnf^ioutis à l'entrée de leur tente dans une crevasse qui s'ou-
\rit subitement, et descendirent vivants dans le Schéol.(A'om6rc«, XTI.) — Docg
dénonça nu tyran le pontife Abimélcc qui avait reçu David dans sa fuite. Les ar-
chers reçurent l'ordre de mettre à mort les membres de la famille sacerdotale ; sur
leur refus, Doëg commit le crime, et passa au fil de l'épée les habitants de Nob.
(J Sam., XXII). — Acliitophel poussa Absalonàla révolte contre David, son père, et
lui conseilla un crime aIVrcux et public; ayant échoué dans ses projets, il mil ordre
'» ses alfaires, et, se faisant justice à lui-même, s'étrangla (// 5(im., XVI, XVII.)
4. Se déchaîne.
5. Joad commence. à être animé de l'csprll prophétique. De là s'expliquent sci
violences. •
6. Sainte-Beuve, (jui cherche partout des allusions jansénistes dans Alhalie,
n ,-)it que Racine s'est rappelé ici la scène qui se passa lors de l'expulsion, pié-
-■ lée par l'archcvcquc de r.iris, do dnuie des religieuses de Port-Royal. «Comme
il ns son agitation larchevèque passait et repassait sans la voir devant la porte
,1 ' sortie, et en prenait une autre, la mère Angélique de Saint-Jeftn lui indiqua
1» chemin.» (IV.ÎOO.) Cette allusion eût été bien hardie de la part di- Rieine.
k
104 ATBALIE.
Pc vos sons étonnés quel désordre s'empare •?
Voilà votre chemin.
SCENE VI.
JOAD, JOSABtiT.
JOSABET.
L'orage se déclare '.
Athalie en fureur demande Éliacin. {043
Oéjà de sa naissance et de votre dessein
On commence, Seigneur, à percer le mystère :
Peu s'en faut que Malhan ne m'ait nommé son pore
JOAD.
Au perfide Mathan qui l'aurait révélé?
Votre trouble à Mathan n'a-t-il point trop parlé '? 1050
JOSABET.
J'ai fait ce que j'ai pu pour m'en rendre maîtresse.
Opeiidant, croyez-moi, Seigneur, le péril presse.
Roservons cet enfant pour un temps plus heureux.
Tandis que les méchants délibèrent entre eux.
Avant qu'on l'environne, avant qu'on nous l'arrache, 10o3
Une seconde fois snuiïr.'z que je le cache.
Les portes, les chemins lui sont encore ouverts.
Taut-il le transporter aux plus affreux * déserts?
.le suis prête. Je sais une secrète issue
Par où, sans qu'on le voie, et sans Cire aperçue,
l^e Cédron avec lui traversant le torrent *, lOCO
J irai dans le désert, où jadis en pleurant *,
1. Vo\iTétfim)i's,vo\r la note du vers 414. Dé^iordre est ici synonyme d'égaicnicnt,
2. La terreur iiKinc sur la scène et ne la quitter,-» plus.
;). DiMix fois le nom de Mallim ti-rniinc le premier liémistirlic. C'est une
tache. l'eul-itre lacleur ferait-il bien de réiléehir quelrpie temps en silence
après le premier vers. Quelques seconde? de réllexion rendraient tout naturel
l'emploi du mot de Mallian dans le second vers; c'est tout naturellement que
Joad r.ijipellerait à Josnbct ce nom odieux. ,)
■J. A/fiiux, c'esl-fl-dire, ipii excite une terrfur physique ou morale. Cet adjec-
tif vient du n\o\ n ffio . qui n'est puèrecmployt^ que dans cette locution : les alfrcs
d<i la mort: <• M.'idiimo de Mdtitesnan était tellement touirnentée des affres de
la mort, qu'elle payait plusieurs remmes dont l'emploi unique était de la veil-
ler. » (SAINT-SmoN.)
a. Le Kédron. torrent qui se jette dan» I« mer Morte, et se de«''èehc en été,
► •■pare, il l'est, Jérusalem ilu mont des Oliviers. Son nom lui vient de ce que la
piofondeur et reiicnissenicnt de la vallée font, à l'ombre, paraître ses eam
noires. Tel est le erns ilu nmt Kédron.
'i. Il t'airit de en di'sert RÏtué entre Jérusalem «t Jéricho, ou Jésus • placé la
•CCD* de U parabulo du bon Suniaritain. {Luc, X, 3.)
ACTR ni, SCENE VI, 105
Et chercKiant comme nous son salut dans la fuifc.
David d'un fils rebelle évita la pntirsuile '.
Je craitulrai. moins pour lui les lions et les ours '... 1063
Mais pourquoi de Jéhu refuser le secours?
Je vous ouvre peut-titre un avis salutaire.
Faisons de ce trésor Jéhu dépositaire.
On peut dans ses lîlats le conduire aujourd'hui,
El le chemin est court qui mène jusqu'à lui'. 1070
Jéhu n'a point un cœur farouche, inexorable;
De David à ses yeux le nom est favorable *.
Hélas ! est-il un Roi si dur o\ si cruel,
A moins qu'il n'eût pour mère une autre Jézal)cl,
Qui d'un tel suppliant ne plaignît l'infortune*? 1075
Sri cause à tous les Rois n'est-elle pas commune?
JOAD.
Quels timides conseils m'osez-vous suggérer *?
En l'appui de Jéhu pourriez-vous espérer?
JOSADET.
Dieu défend-il tout soin et toute prévoyance?
Ne roiTense-t-on point par trop de conûance ? 1080
A ses desseins sacrés employant les humains,
i\"a-t-il pas de Jéhu lui-même armé les mains '' 7
J 0 A D .
Jéhu, qu'avait choisi sa sagesse profonde,
Jéhu, sur qui je vois que votre espoir se fonde.
D'un oubli trop ingrat a payé ses bienfaits. 108S
Jéhu laisse d'Achab l'adVeuse fille en paix ',
Suit des rois d'Israël les profanes exemples,
1. On sait comment Absalon, révolté contre son père D.ivici, périt aans «a
suite, non point parce que sa chevelure s'accrûcha aux branches d'un chêne,
mais parce que sa tcle se prit entre les rameaux.
2. Dans les textes sacrés, l'ours, très connu en Pulestine, s«rt d'imajre à la
cruauté astucieuse et gloutonne.
3. Samarie, capitale du royaume d'Israi;!, n'était qu'à treize lieues environ au
nord-est tie JérusalcMn.
4. Ij' Académie a vu une négligence dans cet emploi du mot favorable- BÏgni-
fiant ; trouvant faveur. Racine cependant avait écrit déjà dans Bajnset (I, il) :
I.ei peunlej, préTcniis de ce nom (aiorable, etc.
5. Peut-être y a-t-il là un souvenir de Virgile [Enéide, II, 6-7):
Qiii< talia fando,
Temperfl a lacrinii<?
8. Nous avons déjà lu dans Iphujfnic (I, tl.)
Les limidoj confeil) qu'on om lOM donner.
7. Un élève des prophètes était venu trouver Jéhu dans '-m camp, vert
Calaad, à l'est du Jourdain, pour lui annoncer les destinées brillantes qui l'at-
tendaient.
i Affreux a cette fois le sens d'oHiout.
106 ATHALIB.
Du vil Dieu de l'I^gypte a conservé les temples *.
JchurSurles hauts lieux enfin osant oITrir
Un léniorairc encens que Dieu ne peut souiïrir •, 1000
N'a pour servir sa cause et venger ses injures
Ni le cœur assez droit ni les mains assez pures.
Non, non: tîest à Uiou seul qu'il faut nous attacher.
Montrons Éliacin ' ; et, loin de le cacher,
Que du bandeau royal sa lûte soit ornée. 1095
Je veux niôinc avancer l'heure déterminée,
Avant que de Mathan le com[ilot soit formé
SCENE VII.
JOAD, JOSABET, AZARIAS, suivi dd chœor tr db
PLDSIELRS LÉVITES.
JOàD.
!lé bien, Azarias, le temple est-il fermé ?
AZARIAS.
l'en ai fait devant moi fermer toutes les portas *.
JOAD.
N'y reste-t-il que vous et vos saintes cohortes? HOO
AZARIAS.
De ses parvis sacrés j'ai deux fois fait le tour.
Tout a fui, tous se sont séparés sans retour,
Misérable troupeau qu'a dispersé la crainte;
i;t Dieu n'est plus servi que dans la tribu sainte •.
Dopuis qu'à Pharaon ce peuple est échai)pé ', 1 103
Une égale terreur ne l'avait point frappé.
i. ■ DelcTil ilaque Jcliu Dnal de Isrnri. Vprumlnmcn a peocnlis Jpraboani
r.lii .Nabalh... non roccssil, npc dcrcliqiiit ^ilulos aiirros, qui erant in llollicl cl
m Dan. » (Il Hois. X, 28 el 20.) Jéroboam avail établi les licin siiiiclunir.-s dont
p.irlenl les Hois, à l'imilation dcsd'.ux idoles de ce genre qu'avaient les Lgypiiens,
Apis à .Mempliii. c.ipitalc de la Haute I':gyf>te, et Uaevig à Iliérapolts, capitale
de l'Egypte Inférieure.
2. Depuis 1» construction du temple, il était interdit de sarrincr sur les hauts
lieux.
3. A ce moment solennel, il nous semble que le grand prêtre devait donner à
l'enfant royal son nom de Joas.
4. On acctidait au temple par quatre portes, placées aux quatre points cardi-
ii.'iux. Atlialio dcr.tii entrer p:ir la porto du klidi ou porte dei Coureurs. Cci
iiorlcs étaient tellement maKKlvcs que, telnn Josèplie {Cont. App. Il, 0), Il
hijlait ringt hoinmci pour les fermer.
5. Que par de» hommes pris dans.
fl. La terreur qiréprou\erent les llt^breux pour8ul>is par Pharaon eM décrit»
dans V Exode (WS , 11): « Et dixuruni ad Uoysen ; Forsitao non errant sepuler*
ACTE 111, SCliNt Vil. 107
JOAD.
Peuple lâche, en effet, et né pour l'esclavage •,
Haidi contre Dieu seul! Poursuivons notre ouvrage*.
Mais qui relient encor ces enfunts parmi nous?
UNE DES FILLES DU CHŒUR.
Hé! pourrions-nous, Seigneur, nous séparer de vous? UIO
Dans le temple de Dieu sommes-nous étrangères'?
Vous avez près de vous nos pères et nos frères.
ONE autke.
Hélas! si pour venger l'opprobre* d'Israël,
Nos mains ne peuvent pas, comme autrefois Jahel *,
Des ennemis de Dieu percer la tôle impie.
Nous lui pouvons du moins immoler notre vie. 1115
Quand vos bras combattront pour son temple attaque,
Par nos larmes du moins il peut être invoqué.
JOAD.
Voilà donc quels vengeurs s'arment pour ta querelle*,
Des prêtres, des enfants, ô Sagesse éternelle!
.Mais si tu les soutiens, qui les peut ébranler? 1 ICO
Du tombeau, quand tu veux, tu sais nous rappeler.
Tu frappps et guéris ; lu per<ls et ressuscites '.
io jCgypto.ideo tulisti nos ut moreremor ia solitudine : qnid hoc facere Tolulsti,
ut educcres nos ci ;l!gjpto ?«
i. « 0 horaines ad scrvilutem paratos! » (Tacitb.)
S. « Ce dernier hémistiche est-il assez beau ! Ne vous semble-t-il pas entendre
un Mazarin ou un cardinal de Retz contemplant arec un déJain sceptique le
populaire, dont il a besoin et qui lui échappe, se disant : Bah ! nous l'auronj
avec nous quand nous sorons les maîtres. Poursuivons notre ouvrage. *
(il. SincKï, Chronique Vaàtiale du Temps, 6 octotire 1873.)
3. Dans les repiéscnlalions que donne la Comédie Fr.mçaisc, Salomith prend
la parole pour ces deux filles du chœur. Cela n'a rien de choquant pour le r61e
de la seconde. Mais faire dire à la propre fille du grand prêtre :
DaD4 le temple de Dieu soiiimei-nous élraoïjères?
cela est au moins bi/arrc. Il devrait être interdit d'altérer les chefs-d'œuvre de
la scène comme il est interdit de mutiler ceux de la sculpture.
4. La honte.
5. Juijes, ch. IV. iNote de Racine.) — Sisara, qui commandait les troupes de
Jabin, prince chananém, fuyait devant les Hébreux. Jahel, femme d'un Kéiiien
nommé Hébcr, lui offrit llioppilnlité. puis, dans son sommeil, le tua, en lui enfon-
çant à coups de marteau dans la tempe une de ces longues chevilles de fer
avec lesquelles on retenait les toiles dos tentes.
B. Pour la cause. « 11 est temps que d'autres mains s'.irmiînl pour sa qucr..'Ilc."
(Pascal, Provinciales, ii.) &!. Patio a rapproché ce passage des vers t4-id di
l'Œdipe roi de Sophocle :
'AW , S sfctTuvwv G! j(iceu( x^f'^ l|>'^Ci
"Ofâ; (ijv îjiâ;, ^lif»oi «fiiir.|j«(a
BwjioTffi toT; ooT;- oî uiv c^iii:u |iax()<
ntio6ai vdivo.Ti;, oi oi aùy Y^tf? ^A^i^î*
'Ii;>b( l^ù (liv Zr,và;'
T. Ego occidam.et ecroviTcre faciam, percutiam.etegosannbo. > {Deutironome,
W'\\\, 39.)— « Dominas mortillcat et viviûcat, dcducit ad infcros ctreducit. •
108 ATBALIB.
Ils ne s'assurent point en leurs propres mérites >,
Mais en ton nom sur eux invoqué tant de fois *, 1123
tn tes serments jurés uu plus saint de leurs Rois',
Knce temple où tu fais ta demeure sacrée*,
Et qui doit du soleil égaler la durée *.
Mais d'où vient que mon cœur frémit d'un saint effroi?
Est-ce l'esprit divin qui s'emjare de moi? H 30
C'est lui-même, il m'éolianlle. il parle. Mes yeux s'ouvrent,
El les siècles obscurs devant moi se découvrent *.
Lévites, de vos sons prétez-moi les accords,
Et de ses mouvemenls secondez les transports '',
LE CBŒL'R chante au son de toute la symphonie des instruments.
Que du Seigneur la voix se fasse entendre, 1135
Et qu'à nos cœurs son oracle divin
Soit ce qu'à l'herbe tendre
Est, au printemps, la fraîcheur du matin *.
{I Itoii, 11,8.) — D'Aubigné • traduit plus fidèlement le texte sacré [Les Tragi-
ques. — JUisâres) :
N'et-tii Seigneur du nionds,
Ta]f, Seigneur, qui tblia^, qui blesiei, qui guérit,
' Qui donnes fie el mori, qui luei et qui ouurrii T
1. Voilà la théorie de la grâce; voilà encore des vers jansénistes.
t. Invoguer, c'est proprement appeler à l'aide : • C'est ainsi qu'ils4nvoqueronl
mon nom sur leseafants d'Israël, et je les bénirai. » (Sici, Bible : Nombres,\\,îl.)
3. Da>id.
4. Temple. — «In domo hàc et in Jérusalem... ponam nomen nieum in scmpi-
tciuum. '1 {1/ Paralipom''nes,\WUl, 7.) (Noie manuscrite de Hacine sur Alhalie.)
5. « Et thronus cjus sicut sol in coQsjiectu mco, et sicut luna pcrfccta io letcr-
num. » (Psautnes, LXXXVIU, 38.)
6. Virgile a peint ainsi l'eutliousiasme de la Sibylle iuspiréc par le <li4u
Enéide, VI, 45-48) :
Pcclus aohelum,
El rabie fera corda lunicnl, niajorque «ideri,
Nec iiiorlale sonaiit, alQala eti iiuuiioe quaiido
Jaiij pro|iiure dci
Au V« acte (scène vi) de son Saùl, Soumet a montré le pontife Achimélec Ins-
piré de l'esprit pi'0|iliéli(iiie. Ce drame, donl le sons-tiire est le Sacerdoce el la
Hûyauté, a été inspiré par Athalic. L'auteur le dit lui-mèrae diins sa Préface.
— J.-B. Itousseau a encore imité co passage do Ilarino (Liv. 1., Odi' 111) :
Qii'aui acceiitf d« nu loix U terre le rén'ille.
Uui>, «O].-! uUcnlir»; |)CU|il<'i, uufrci l'urcille :
Que l'iiiiiTeri te laid-, el iii'icoule parler.
Mi^* rhaiili «ont lecoiider lei arconli de nia lyre ;
L'erpril aaiiit nie pini'lrc, il m crh.iiilT'-, il lu'ionpir*
Lci grandut <éritc4 que je fan rèiiler,
:.Voir la /'(•«'/'ace, p. UU, unie S.
8. Ces ver* sont une traduction do la Hihle : * l'Iiiat iitros eloquium mriiiu
qu.isi imlior super lierliam, et quasi slillir super graniina.>i(/)cu/('roMO)nff, XXXII, S.)
V/îytogue 1 de Segruis oITic une cunsirucllon analogue ù celle de co qiiatrAia
d« Uaciau :
Pe Votre b<'lle Lonrhe une irn'e parole
M'c«t ra qu'au «ujag.ur en l'Iirrbe dairhe ri molU)
Kt l'aiie <le tuui «uir ril i mon rœur li\.'t'i
Ce qu'une eau (Ijiro (I <i<e e>l au cerf relancé,
Lj Comidi* Française remplaça toute la tyoïphonie det injlrumeiilê •
ACTIÎ III, SCÈSRVIJ. 109
JOÂD.
Cieux, écoutez ma voix ; Terre, prôte l'oreille *.
Ne dis plus, ô Jacob, que ton Seigneur sommeille. f 140
Pécheurs, disparaissez: le Seigneur se réveille '.
(ici recommence la symphonie, et Joad aussitôt reprend la parole.)
Comment en un plomb vil l'or pur s'est-il changé '?
Quel est dans le lieu saint ce pontife égorgé * ?
Pleure, Jérusalem, pleure, cité perfide.
Des prophètes divins malheureuse homicide '. H 45
De son amour pour toi ton Dieu s'est dépouillé.
Ton encens à ses yeux est un encens souillé*.
Où menez- vous ces enfants et ces femmes ^?
chœur charmant i)ar quelques misérables mesures ^l'orguo. Cette économie le
rc'trouve d'aillcuis dans le décor; la scène représente un vcsiibulc mesquin, orné
d'un fauteuil bizarre, qu'on fait disparaître après lo second acte, pour le remplacer
au quatrième par une petite table dorée; on emporte i son tour la susdite table
entre le quatrième et le cinquième actes. En dépit de certains critiijues moder-
nes, nous ne pouvons nous empêcher de dire avec Théophile Gautier : « Une
belle décoration ne gâte pas les beaux vers, et les rimes ne perdent rien à être
récitées devant des colonnes d'un style convenable. » [Uisl. de Part dram. en
France depuis vinyt-cinq ans. A' série, p. 143.)
1. « Audilc, cœli, quae loquor, audiat ferra vcrba oris mei. » {Deuleronome,
XXXII.: i ) « Audite, cœli, et aurihus percipe, terra. » (Isaie, I, 2.)
2. « Deficiant peccatorcs a terra, et iniqui ita ut non sint. « {Psaumes, III, 35.)
• Eisurgat Deus, et dissipcntur inimici cjus Perçant peccatorcs a facie
Uei. «{Psaumes, LXVII, 2 et 3.) — " Et excita lus est tanquam dormiens Dominus. »
(Psaumes, LX.XV1I, 65.) Et le Psaume ajoute une image beaucoup moins noble :
• tanquam crapulatus potcns a vino. »
3. « Joas. » {îVole de Racine.) — « Quomodo obscuratum est aurum, mutatus ert
color optimus? » {Lamentations de Jércmie, IV, 1.)
4. ■ Zacharie. » {Note do liacine). C'est dans le parvis extérieur que fut frappe
Zacharic. » La plupart ont dit que l'auteur détruit ici l'intérêt pour Joas, en
prévenant sans nécessité les auditeurs que Joas doit un jour faire égorger le fils
de son bienfaiteur. Plusieurs ont voulu excuser cet endroit comme langage pro-
pliéli |uc, qui ne fait pas naître une idée distincte. Les critiques ont repondu
que, si le discours du grand piètre ne porte aucune idée, il est inutile; s'il pré-
sente quelque chose de réel, comme on n'en peut douter par les notes de l'auteur,
il détruit 1 intérêt . » {Sentiments de l'Académie sur Alhalie.) U'Alembert a écrit
i la marge de cette annotation : « Les autres ont répliqué que l'intérêt prin-
cipal delà pièce ne porte point sur Joas, mais sur l'aecomplissemcnt des promesses
de Dieu en faveur de la race de Davi.l. »
5.11 Jérusalem, Jcrusalem.quoîocciclis prophelas » {Euangile de saint .^falhieu,
XXIll, 37.) — " Ncc recipiam ullra odoicm suavissimum. » {/.éritique, XXVI, 31.)
6. > Ne oITcratis ultra sacrificium frustra : incensum •bominatio est milii. •
UiiR, I, 13.)— J.-B. Rousseau dira {Udes, I, xi) :
Voire roreiii n'eit qu'une fnoii*
Qui (Icrlioiiuro mc4 ïiitul).
7. « Captivité de Babylono. » {Noie de Hacine.) — « Ces vers sont en effet on
tableau rapide de la captivité de Uabylone. Cinq déportations successiies tians-
portèient à Uabylone, sur l'Eiiphrale, sur le ('Jiahoras, le peuple de Jiida, se*
princes, ses grands, ses prêtres; la première, dont le jiropliète Daniel lit partie,
eut lieu sous Jélioiakiiii, dii-luiitièmc roi do Juda; la deuiième, où le prophète
EzéchiiJ- fut envelofipé, sous Jéelioiiias, dix-neu\ième roi de Juda; les troij
dernières sous Sédécias, le vingtième roi de Juda, et a[)rès son règne. L'avant.
dernier roi périt dans un des sièges de sa capitale; ses deux successeurs fureal
no ATDALIE.
Lc,Seigneur a détruit la reine des cités *.
Scsr'prOtres sont captifs, ses rois sont rejelés. HuU
Dieu ne veut plus qu'on vienne h ses solennités.'.
Temple, renverse-toi. Cèdres, jetez des (lamnies '.
Jérusalem, objet de ma douleur,
Quelle main en un jour t'a ravi tous tes charmes?
Qui changera mes yeux en deux sources de larmes i Ui;;
Pour pleurer ton malheur *?
azâhias.
0 saint temple I
JOSABET.
0 David!
LE CHŒDR.
Dieu de Sion, rappelle,
Rappelle en sa faveur les antiques bontés *.
(La symphonie recomiiicnce encore, et Joad uo moment aprèf
l'interrompt . )
JOAD.
Quelle Jérusalem nouvelle "
Sort du fond du désert brillante de clarté ^ 1 160
Et porte sur le front une marque immortelle '?
Peuples de la terre, chantez.
Jérusalem renaît plus brillante et plus belle.
D'où lui vifcnnent de tous côtés
conduits, chargés de fer, à Babylone. Enfin, Jérusalem, prise après un sièg<
de trois années par les lieutenants de >'èbucadnctzar, fut détruite de foiul en
comble ; le temple consumé disparut ; il n'en resta debout qu'un porti<|uu vers
l'orient, qui, dans la suite fut nomma portique de Salomon [Jean, \, 23 ; Act.
m, 1 1 ; 12,) et la Terre sainte, devenue une province désolée du viislo oniplic de
Babylone, aisparut pour un temps de la face du monde. » {il. Atlianaso CoQuiiiiEL.)
I. •> Facta est quasi vidua domina genlium ; princeps proviociarura facta est
■ub tributo. » (Jùrkhib, I, 1.)
S. « Solemiiitatcs vcstras odivit anima raea. » (liiiB, I, 14.)
8. Le cliœur des Juifs disait dans VAjyian de Municresticn (II) :
J.ci bartisrii cntros d''<laiii !uii hirit<gc
Ont poilu Ion >.\M Icmpls tl |>illé lo.- tié'ori,
Jéru'ali'cn l'cit tue i xposèe mi ravai;e ;
En iloi nionceaiii do | icric on a lAdiiit sei forli...
ll< ont do ton l'tc |iri'ic|Mi! Ij ncc éteinte.
Kl jui(|u'aux («iideiHcnti ii:* sont vuiiii^ rater
De (a pauvre Sioa IVuuTicilItklo enceinte.
Que le fou n'avait pu de tout puinl embraser.
4. « Quis diibit capiti meoaquam, etoculis meis funtcm lacryrearum? El |iloiabo
dio ae noclc » (Jkrkmir, IX, 1.)
5. C'est ."i Zacliarie que la 0)môdic Fran(jaiso a confié ces deui ver»
0 « L'Eglise. Il {tVoti; de Hai::iw.) — o Yiili sancliiin civitutem Jerusakii iiovaro,
de»ocndi'Mtem de coîlo a Deo. » {.ipocah/pao, \X1, 2.)
7. « Qu.'C est i*'ta que ascendil pci- dcsierUim, sicut virgula fuiui ex aiuniatibul
œyrili.i; et tliuris...'/ » (Cantiqiu: drs CanliqucS, 111, 0.)
t JUurquer au front, porter au fruitt une marque est une ciprossiuu bililiquo.
ACTE m, SCENE Vit. 111
Ces enfants qu'en son sein clic n'a point portés'? 1105
I.iho, Jérusalem, lève la tôte allièrc*.
lîcyiirdc tous ces Uois de la gloire étonnés '.
Les Rois des nations, devant toi proslernés ^*.
De les pieds baisent la poussière ;
Les peuples àJleoïLjii^rchenl à la lumière *. < 170
Heureux qui pour Sion d'une sainte ferveur
Sentira son âme embrasée !
Cieux, répandez votre rosée,
Et que la terre enfante son Sauveur •.
JOSABET.
Hélas ! d'où nous viendra celle insigne faveur, M'i'ù
Si les Rois de qui doit descendre ce Sauveur...
JOAD.
Préparez, Josabet, le riche diadème
due sur son front sacré David porta lui-môme ''.
1. u Les Gentils. » {Note de liacine.) « Leva la cii-cuitu oculos tiios, et vido,
omncs isti congrcgati sunt, vencnint tihi... Quis gcnuit mihi islos? Ego slcrilis,
et non paricns » (Isaib, XXIX, 18 et 21.)
2. Il Surgi', illuminarc, Jérusalem, quia vcnit lumen tuum, et gloria Douioi
giipcr te orta est. » (Isaib, LX, I.)
3. Voir la note du vers 414.
4. •'tt erunt Hcgcs nutricii lui Vultu in li'i-.im dentisso adorabunt te, e
pulvercm pedum tuorum lingcnt. » (Isaib, XLIX, 23 )
5. 1' Et anabulabiint gcntcs in luminc tuo. » (Uaik, L\, 3.) Les mêmes paroles
•ont aussi dans \' Apocalypse (XXI, -^4.)
6. '< norate, cœli, dcsupcr, et nubcs pluaiit justum ; apcrialur terra, et ger-
niinct Salvatorcra. » (Isaïe, XLY, 8.) On lit dans la Chronioue théâtrale que
M. Sarcey a donnée au Temps, le 6 octobre 1873 : u On s'accorde à regarder cette
propbétic comme un superbe hors-d'reuvrc ; mais point du tout, c'est le moment
culminant de la pièce ; c'est le moment critique. Dans cette scène. Racine a
rainassô toutes les surexcitations légitinns ou factices à l'aide desquelles un
chef de conspiration ne manque jamais de fanatiser, au dernier moment, ccui
(|u'il envoie se faire tuer pour la cause qu'il a prise en main. i> Le critique
Geoffroy a dit, mieux encore que ce morceau « sert à riniplir les lévites d'un
enthousiasme divin ; il en fait des soldats invincibles, prcls à braver tous les
dangers pour la défense de Joas et du temple. » — Talnia joua Joad. « Lorsque
par la bouche du grand prêtre il annonçait sa volonté sainte, tout le corps de
liictcur tremblait, et & cette agitation universelle on voyait que ses forces ne
suffisaient pas pour recevoir, sans ôliranlcment, l'inspiration qui le remplis-
sait de courage et de reconnaissance. Discrétion et bonté pour Abncr, mépris et
réfirobation pour Matlian, résistance aux ordres d'.Vthalie, et ré«i>Iulion de la
combattre au besoin ; ses lévites, sa famille, sa vie à son roi, sa religion et son
Dieu : tout cela était dans le magnifique caractère de Joad, et tout Joad était
dans Talma, dans sa force, dans sa vérité. Ce rùle, par cela même que l'acteur
doit le rendre comme il plait nu Dieu qui l'inspire, n'avait pas été calculé
par Talnia; il avait renoncé, disait-il, à convenir de son exécution avec lui
niéiiie ; aussi, à chaque représentation, je l'atteste, car j'en ai vu trois, c'était
une autre œuvre, des rlTets inattendus, et des a|)plau(li«sements enlevés par des
é'Iairs do génie,' "frappant pour la première fois l'œil, l'oreille et le cœur;
c'était encore saisissant, mais nuireinent que la veille. » (Soixante ans du
TlMtre Françc^is, 184.', p. 19M93.)
7. Les rois d Orient portaient toujours au br.ib dos cordes d'or, tu cou de*
1 1 1 ATUALIE.
(Aux Lévites.)
Et VOUS, pour vous armer, suivez-moi dans ces lieux
Où se garde caché, loin des profanes yeux,
Ce formidable amas de lances et d'épces i\8ù
Qui du sang philistin jadis furent trempées,
Et que David vainqueur, d'ans et d'honneurs chargé,
Fit consacrer au Dieu qui l'avait protégé '.
Peut-on les employer pour un plus noble usage? 1183
Venez, je veux moi-môme en faire le partage.
SCENE VHP.
SALOMITH, LE CHŒUR.
SALOMITU.
Que de craintes, mes sœurs, que de troubles mortels!
Dieu tout-puissant, sont-ce là les prémices,
Les parfums et les sacrifices
Qu'on devait en ce jour offrir sur tes autels? 1 190
UNE DES FILLES DU CHŒUR.
Quel spectacle à nos yeux timides!
Qui l'eût cru, qu'on dût voir jamais
Les glaK^es meurtriers, les lances homicides
Briller dans la maison de paix?
UNE AUTRE.
D'où vient que, pour son Dieu pleine d'indifl'érence, 1195
Jéiusalem se tait en ce pressant danger?
D'où vient, mes sœurs, que pour nous protéger
Le brave Abner au moins ne rompt pas le silence?
SALOMITH.
Hélas! dans une cour où l'on n'a d'autres lois
Que la force et la violence, 1200
chaloM d'or, et sur la tète ua diadème, (|ui ne doit pns être confondu avrr I i
couronne. Celait ordinairement un ruban de pourpre inar(|uù de blanc, et orné i
perles et de pierres précieuses, qui cei);nnit le front et les tempes. Les Jlon
IX\, 12) parlent de ce bandeau dont Joas fut ceint, mais no disent point que ee
fut celui de David.
u t. « Dedit<|uc Joiada sai-crdos ccnturionibiis lancc.is, clyneosquo et pelt.is
Régis David, quas consec-ravorat in dumi» Doniini. » (Il J'araiipnm'hies, XXIII,
9.) ' Qui <li'ilil cl bastas, et arma lli-gib Du\ld, ipix erant in doiiio Duminj •
(// //t/i.i, XI, 10.)
t.l.i' l'Iiirur va commeoler Us deux parties de la prédiction de Juad, et s'affliger
tl se réjiiuir.
ACTE III, SCÈNE VIII. IIS
Oii les honneurs et les emplois
Sonlle prix d'une aveugle et basse obéissance,
Ma sœur, pour la triste innocence
Qui voudrait élever la voix ' ?
UNE A UTnE.
Dans ce péril, dans ce désordre extrême, 120j
Pour qui prépare-t-on le sacré diadème?
SALOMITH.
Le Seigneur a daigné parler.
Xlais ce qu'à son proplicle il vient de révéler,
Qui pourra nous le faire entondre »?
S'arme-t-il pour nous défendre? 1?I0
S'arme-t-il pour nous accabler?
TOUT LE CHŒUn chante.
0 promesse ! ô menace ! ô ténébreux mystère !
Que de maux, que de biens sont prédits tour à tourl
Comment peut-on avec tant de colère
Accorder tant d'amour? 1215
UNE VOIX seule.
Sion ne sera plus. Une flamme cruelle
Détruira tous ses ornements.
UNE AUTRE VOIX.
Dieu protège Sion. Elle a pour fondements
Sa parole éternelle.
LA PREMIÈRE.
Je vois tout son éclat disparaître à mes yeux. 1220
LA SECONDE.
Je vois de toutes parts sa clarté répandue.
LA PREMIKRE.
Dans un gojalTre profond Sion est descendue.
LA SECONDE.
Sion a son front dans les cieux *.
LA PREMIÈRE.
Quel triste abaissement!
LA SECONDE.
Quelle immortelle gloire!
1. Cette strophe et la précédente furent ajoutées par Racine dans l'édilion d«
1607 ; ce sont deux stropiios janséniste».
2. Les prophètes eux-mêmes ont confessé quelauefois que l'éténemepi seul
éclaircirait les oracles que Dieu avait rendus par leur bouche.
I, Suhlimi reriam lidtra ?erlic«.
(lion ICI, Od,'s I, I, 34.1
1 I 4 ATRALIE.
LA PREMIÈnE,
Que de cris de douleur I
LA SECONDE.
Que de chants de victoire M I22.'»
UNE TROISIÈME.
Cessons de nous troubler. Notre Dieu quelque jour
Dévoilera ce grand mystère.
TOUTES TIIOIS.
Révérons sa colère ;
Espérons en son amour.
UNE AUTRE.
D'un cœur qui t'aime, l'J:50
Mon Dieu, qui peut troubler la paix?
Il cherche en tout ta volonté suprême,
El ne se cherche jamai?.
Sur la terre, dans le ciel même,
Est-il d'autre bonheur que la tranquille paix
D'un cœur qui t'aime-? •-■!•"•
1. C (te série de belles antithèses rappelle cilles de Polyucte (IV, iii)$
rAri.i>B. — Iniogiiialion !
l'oi.war.TE. — r.éloslL'ï rérilcs !
i'Aii.iNE. — Etrange aTeuglemeiil I
PoLviiucTB.— Eteriiellei clutcv
I. Voir la note du vers 37#
ACTE QUATRIEME
,.» ' SCENE I.
JOAS; JOSABI'T, ZACHARIE, SAI.OMITH, un LÉvirE,
LE CUŒUR.
SALOMITH.
D'un pas majcàlueux, à côté de ma mère,
l,c jeune Eliaciu s'avance avec mon frère. .
I) ins ces voiles, mes sœurs, que porlcnl-ils tous deux?
Quel est ce glaive enfin qui marche devant cu\ ' ? I"2i0
JOSABI:t, à Zacharie.
Mon ois, avec respect posez sur cette fable
De notre sainte loi le livre redoutable -.
Et voi;^ aussi, posez, aimable Éliacin,
Cet auguste bandeau près du livre divin ».
Lévite, il faut placer, Joad ainsi l'ordonne, 1245
Le glaive de David auprès de sa couronne *,
JOAS.
Princesse, quel est donc ce spectacle nouveau?
Pourquoi ce livre saint, ce glaive, ce bandeau?
Depuis que le Seigneur m'a reçu dans son len)plc.
D'un semblable appareil je n'ai point vu d'exemple '. 12o0
1. a Comme le glaive était porté en cérémonie, cette eiprossinn est aussi juste
que poétique, n (Lodis RAcms.) Le chœur précédent et ces quatre beaux vers
descriptifs sont coupés h la scène : la jeune Salomilh n'oserait appeler mes
tœurs les respectables matrones du chœur.
2. Il est question dans la Itihlf de volumes; ils étaient ordinairement composés
de peau, de tissu de lin ou de colon, ou de ffcuillcs de parchemin bu de papyrus;
ils étaient écrits ordinairement d'un l'ouï eô'.ô, cl les caractères étaient disposés
en colonnes; on enroulait ces volumes autour d"un cylindre ou de doux, et on les
attachait avec un lien. Si le livre se composait de plaques de hois ou de métal,
ce qui était rare, on réunissait les ruillcts par des anneaux, et on les «ssuji-tlis-
sait par une baguette. Les commentat.'urs émettent des avis dllfércnts sur le sens
du passaj^e do la Dible (Il ftuis, XI, xii), d'où Racine a tiré l'idée de remettre
lu Loi h Joas au moment de son couronnement.
3. Voir la note du vers 1178.
\. Toute cette mise en scène emprunte aux circonstance» douloureuses, au mi-
lieu desquelles Jnas va être couronné, de l'émotion et de l'intérêt.
5. Zarès disait à Aman dans Esther (III, i), en lui rappelant le triomphe de
Manfochée :
Vou<-mî!me atci iHcté tout ce Irlilc appareil.
Littré distingue ainsi Vappareil des préparatifs et des apprêté : « Les prrf-
I 1 (^ ATHALIE*
J 0 S A B K T.
Tous VOS doutes, mon fils, bicnlôt s'écîairciront *,
JOAS.
Vous voulez essayer ce bandeau sur mon front?
Ah! Princesse, g;iri1C7, d'en profaner la gloire.
Du roi qui l'a poilè respectez la mémoire.
Du malheureux eufaiil aux ours al»andonn6... l'2ijj
JOSAIil'/r, lui cssayniil le diailcme.
Laissez, mon iils : je luis ce qui m'est ordonne.
JOAS.
Mais j'entends les sanglots sortir de votre bouihe*!
Princesse, vous pleurez! Quelle pitié vous touche?
Est-ce qu'en holocauste aujourd'hui présenté *,
Je dois, comme autrefois la fille de Jephté *, 12C0
Du Seigneur par ma mort apaiser la colère?
Ilélas! un fils n'a rien qui ne soit à son père •.
JOSABET.
Voici qui vous dira les volontés des cieux *.
Ne craignez rien. Et nous, sortons tous de ces lieux.
paratifs se font d'avance pour une opération, qui peut être fort éIoij,Tiée. Lr»
apprtts sont des préparatifs qui se font pour une opération immédiate : les pré-
paratifs de la guerre; les ap[<réts de la bataille. L'appareil se déploie et porte
i'attcnl lin sur la prandeur et la compiicalion des moyens. »
1. S'éclaircir, c'est-à-dire: cesser d'être obscur, se débrouiller:
Toolefoii ttlcndont que ton lort t'ècbirciMi>.
(Milhridate, II, n.)
%. .... 'EîenXr,Eàt |i' ô|i|ia ffuifxX>i»a(ia ffiw
Aaxpùoiç I' û^p&vaff' lùfivî; ra;ir,lS(i.
(EuaiPiDB, Ion, t, 241-242.)
3. I.e mot holocauste, qui vient du grec, et sipnifio : brijié tout entier, était dr»
deux genres au xvri« siècle : « Ces saintes holocaustes no sont plus des liolo-
caustes, s'il en reste quelque chose. « (Pathu, Plaidoyer, XV). Doileau, dans son
Dialor/ue des héros de roman, raille l'emploi qu'en a fait Chapelain dan» sa
Pucelle, où DuDois, épris de Jeanne, s'écrie:
Br&loni en liolociuitu eux jcni de U piiciille.
4. On ne saurait mettre en doute que Jophté ait sacriflé réellement sa (lllc ; il
est impossible de sujiposer que le récit fasse allusion simplement à une réclu-
sion monastique, qui n'<:tuit pas dans les usages Israélites.
Ik. «I'oTSo? (toi Y«viTup itaTi^f
Tbv fcidxovta Y*? «ùXofS-
T^ S' wfiXiiiov t|la^ Ta'.lfat âvo|ta Xi'yw
<t>ol6ou ToO ««t4 vaov.
(EunipiDH, fon, ». 1.1fll4n.)
A. Voiei est foruii!) d« l'impératif vois et de l'adverbe ci. — Qui est pour : celui
ACTE IV, SCK.NE II. 117
SCÈNE II.
JOAD, JOAS.
JOAS, courant flans les bras du grand prjlro.
Mon père !
JOAD.
Hé bien, mon fils?
JOAS.
Qu'est-ce donc qu'on prépare? f'îOo
JOAD.
Il est juste, mon fils, que je vous le déclare.
Il faut que vous soyez instruit, môme avant tous,
Des grands desseins de Dieu sur son peuple et sur voua.
Armez-vous d'un courage et d'une foi nouvelle '.
11 est temps de montrer celte ardeur et ce zèle 1270
Qu'au fond de votre cœur mes soins ont cultivés,
El de payer à Dieu ce que vous lui devez.
Scnlez-vous celle noble et généreuse envie?
JOAS.
Je me sens prôt, s'il veut, de lui donner ma vie.
JOAD.
On vous a lu souvent l'histoire de nos Rois. 1275
Vous souvient-il, mon fils, quelles étroites lois
Doit s'imposer un roi digne du diadème?
JOAS.
Un Roi sage, ainsi Dieu l'a prononcé lui-môme •,
Sur la richesse et l'or ne met point son appui,
Craint le Seigneur son Dieu, sans cesse a devant lui 1280
Ses préceptes, ses lois, ses jugements sévères,
El d'injustes fardeaux n'accable point ses frères ».
1. Nous no savons plus quel pranimairipn réclamait : « d'un courngc et d une
foi nouveaux ». Un gr^rrrr.'iijit'n n'est pas tenu d'ctre poctc.
2. « Dcnléronomi', cliap. xvii. » (A'o/f de liarinn.) — ISarinc a eu en vue les
versets 17-20 : » Non haliebit arpciiti cl aui-i immcnsa pondéra. Posiqiia'ii
autcm fcdcrit in snlio repiii sui. deserilut sihi Pculeroiiomiiim logis liujus in
volumine Et liabchit scctini lepetqiie illuil omnibus diebiis vilaî sujp, ut disc.il
timere Dominuni Deum suum, et cusioilire vcrba et ccremonias ejus, quœ lo
Icge prau:epta simt. Ncc clevelur cor ejus in superbiam super fratres suos. »
■3. Injustes, comme le lalin inrrqui, a li- sons no : trop lourds, disproportionnés.
i< Joas, (lit M. Sarccy, est un très penlil enlant, d'un cœur excclleni, de mœurs
douces, do langage aimable ; maison r( IrouNora on toute occasion sur ses lovros
dei formules de catéchisme dont on a farci son inldligcncc. Il ne lui manque de ce
7.
^
1 1 8 ATEIALIE.
J 0 A D .
Mais sur l'un de ces Rois s'il fallait vous régler,
A qui choisiriez-vous, mon fils, de ressembler
J 0 A s .
David, pour le Seigneur plein d'un amour fidèle, 1283
Me l'araîl des grands Rois le plus parfait modèle.
JOAD.
Ainsi dans leurs excès vous n'imiteriez pas
L'infidèle Jorain, l'impie Okosias ' ?
joâs.
0 mon père !
JOAD.
Achevez, dites, que vous en semble?
JOAS.
Puisse périr cojp me eux quiconque leur ressemble' I 1 29(
JOAD se prosterne à ses pieds '. >,^
Mon père, en quel état vous vois-je devant moi?^
Je vous rendis le respect que je dois à mon Roi.
De votre aïeul David, Joas, rendez-vous digne.
JOAS.
Joas? Moi?
JOAD, se relevant.
Vous saurez par quelle grâce insigne,
D'une mère en furcui' Dieu (rompant le dessein, 1205
Quand déjà son poignard était dans votre sein,
Vous choisit, vous sauva du milieu du carnage.
Vous n'ûles pas encore échappé de sa rage *.
qui conslilue un homme, et surtout un roi, qu'un seul point, qui est le vouloir per-
sonnel ; le ressort lui ninnquc : comment l'aurail-il ? on l'a, chez lui, de parti pris,
énervé, usé. On a toujours pensé, voulu, parlé pour lui. La réponse toute faite lui
xicnt natiirillemciJ au\ Icvros, aussitijt qu'on l'inlcrrupc, une réponse au-dessus
de son à-^r, ci la va sans dire. >'c vous on étonne?, pas. Est ce que les perroquets ne
répètent pas des plirasusau dessus do leur inlelli^'cncc? Joas n'est qu un perroquet
du sacristie, destiné plus lard à devenir un perroquet du cour Tout prétendant
patronné par un prêtre lininmc d'tlat n'est entre ses mains qu'un outil do domi
nation. » (Le Temps. CUmnique t/iéàlrale du 25 août 1873.) Ainsi, grâce au
point de vue auquel M. Sarcey s'est placé pour juger Athrtlie, le voilà qui
s'élunnc de ne pas trouver dans un enfant de nuit ans le n vouloir personnel »
Lo poitu n'a pas mis d.ins ce rolo tout ce qu'y cherche M. Sarcey.
t. Voir IV Itiiis, Vin, 18 et 27.
S. Il y a là un souvenir d'iloincre {Odijssée, i, i7) :
'Q( &1C0X0.T0 >a^ tt'^'/io(, OTt; ToioOtà ^1 pil^«i.
n'oublions pas que Juas est fils d'Okoz.ias.
.1. On s'agenouillait devant Louis \1V; on embrassait en Judée le nouveau rnl,
CD «i^-ne de rcbltcct filial.
4. Un • trouve une incorrection dans ce vers ; nous ne voyons point pourquoi
ACTE IV, SCÈNE HI. 11?
Avec la môme ardeur qu"olle voulut jadis
Perdre en vous le dernier dos enfanls de son fils, 1300
A vous faire péiir sa cruaulé s'allachc ',
Et vous poursuit encor sons le nom qui vous cache.
Mais sous vos étendards " j'ai déjà su ranger
Un peuple obéissant et prompt à vous venger.
Entrez, généreux chefs des familles sacrées, 1303
Du ministère saint lour à tour honorées ^
SCRNE III.
JOAS, JOAD, AZAIUAS, ISMAÈÏ, kt les troi« autres
CnEKS DES LÉVITES '.
JOAD continue.
Roi, voilà vos vengeurs contre vos ennemis.
Prêtres, voilà le Roi que je vous ai promis '.
AZARIAS,
Quoi ? c'est Éliacin ?
1 s M A E L .
Quoi? cet enfant aimable...
JOAD.
Est des Rois de Juda l'héritier véritable ', 1310
Dernier né des enfants du triste Okosias,
Nourri '', vous le savez, sous le nom do Joas.
De cette fleur si tendre et sitôt moissonnée '
l'on ne pourrait pas dire : échappé de sa rage, coraine on dit : échappé d'un
danger.
t. S'applique, s'acharne. Voltaire écrira dans Di'utus (III, v) :
Le sort Jonl la ligueur à in'accubler i'atUclii.'.
2. Les uns font venir ce mot du latin cxtendere, étendre, les antres du ger-
manique stand, cire debout.
3. Voir la noie du vers 1300.
4. Racine a voidu que la restauration de Joas filt uniquement l'rpuvre dos
prcties; il a translbrmé en chefs des lévites les cinq orficiers dont parle la Vul-
gate.
R. n Joiada... assumens eenturioncs et milites, introduxit ad se in tcmplum Do-
mini... ; et aijurans eo^ in donio Domini, ostcndit cis Tdium Ucçis. » (fV liois,
X.1, 4.) — On lit dans le Commentaire sur I/érarlius,di: Voltaire, cette rétli-xion
judieieusc- : <i Si Joas n'était reconnu qu'après la mort d'Athalie, la pièce finirait
1res froidement. »
C. < M. d'.Vndilly : Voilà le seul qui vous reste de la maison do David. » {lie-
marque de J. Racine.) Arnaud d'AndilIy avait traduit \' Histoire des Juifs écrite
par Flavion Joscuhe.
7. Elevé. »
I. « Quasi dos egreditur et conteritur. « (Jub, XIV, 2.)
120 ATDALIE.
Tout Juda, comme vous, plaignant la destinée,
Avec ses frères morts le crut enveloppé *. 1315
Du perfide couteau comme eux il fut frappé.
Mais î)ieu du coup mortel sut détourner l'atteinte,
Conserva dans son cœur la chaleur presque éteinte,
Permit que des bourreaux trompant l'œil vigilant,
Josabet dans son sein l'emportât tout sanglant, i320
Et n'ayant de son vol ^ que moi seul pour complice,
Dans le temple cachât l'enfant et la nourrice '.
JOÂS.
Hélas ! de tant d'amour et de tant de bienfaits,
Mon père, quel moyeu de m'acquitter jamais?
JOAD.
Gardez pour d'autres temps celte reconnaissance *. 1325
Voilà donc votre Iloi, votre unique espérance.
J'iii pris soin jusqu'ici de vous le conserver :
Miuisiresdu Soigneur, c'est à vous d'achever.
Bientôt (le Jczabel la fille meurtrière ",
Instruite que Jous voit encor la lumière, '330
Dans riiorreur du tombeau viendra le replonger.
Dr-J.i, sans le connaître, elle veut l'égorger.
Prêtres saints, c'est h vous de pro\cnir sa rage.
11 faut finir des Juifs le honlcu\ esclavage,
Venger vos princes morts, relever votre loi', 1335
Et faire aux deux tribus ' recouiiaîlre leur Moi.
L'entreprise, sans doute, est grande et périlleuse.
J'attaque sur son Irôue une reine orgueilleuse.
Qui voit sous ses drapeaux marcher un camp nombreux
De hardis étrangers, d'infidèles Hébreux. i340
1. Ulre enveloppé avec quelqu'un dans, c'est être nltcint du mèmn coup que
lui. Madame (If .Mainloiion, le i nonl 17 It, écrivait nu duc de Noaillos : « Vous
pourrie/, liii-n vous trouver enveloppé dans sa disgrâce. »
2. C'est l'expression de la llilile : « furata est ». (IV Bois, XI, 2.) rlusieurs
aendéiniciens ont donc A toit hlànié le mot vnl, trouvant qu'il ne qualifiait pas
bien, sans éfiillicte, l'actinn génen use de Josabet.
3. Josniiel les eaclia d'abord dans la sdlle des lils, c'est-à-diie dans l'nppar-
Icmï^nt de» rcmineg (Paralijwmèites, XXII, 11); plus tard, elle les mil dans le
ti-iniile même. «
4. Joas ne la g.irdera pas. • La reconnnis«nnec, a dit M. Jules Sandoau, est
pareille à celle liipirur d'Orient qui ne 80 ronservc que dans des vases d'or;
«lie pa.-fum» les pr indes àmos. et s'aitrril dans les petites. » (J/"* de la Sciqli'''re.)
5. L'Acuilémie reproeba au grand t'orneille d'a\oir, dans le Cid, fait meurtrier
de trois syllabes; la quantité adoptée par Corneille prévalut-
A. Ilélablir volro loi dans lo rang qui lui o«t dû.
7. Juda et llenjamin.
ACTE IV, SCÈNE 111. lîl
Mais ma force est au Dieu ' dont rintcrôt me guide.
Songez qu'en cet enfant tout Israël réside *.
Dojà ce Dieu vengeur commence à la troubler ^ ;
Déjà trompant ses soins *, j'ai su vous rassembler.
Elle nouy*croit ici sans armes, sans défense, i34S
Couronnons, proclamons Joas en diligence.
De là, du nouveau prince intrépides soldats,
Marchons, en invoquant l'Arbitre dos combats;
Et, réveillant la foi dans les coeurs endormie.
Jusque dans son palais cherchons notre ennemie. iZ'60
Et quels cœurs si plongés dans un lâche sommeil,
Nous voyant avancer dans ce saint appareil',
Ne s'empresseront pas à suivre notre exemple?
Un roi que Dieu lui-même a nourri dans son temple,
i.c successeur d'Aaron de ses prêtres suivi, 13b5
Conduisant au combat les nufanls de F.évi,
Et dans ces mômes mains des ppuples révérées,
Les armes au Seigneur par David consacrées?
Dieu sur ses ennemis répandra sa terreur *.
Dans l'infidèle sang baignez-vous sans horreur; 1360
Frappe''z et Tyricns, et même Israélites '.
Ne descendez-vous pas de ces fameux lévites
1. Dans le Dieu. De même dans Tphigcnie (V, ii) :
Aîii'i (uni Miun e<poir
N'est |i1ii5 qu'au coup morlel que je «jit recavoir.
f. Réside, existe dans :
Oui, peuple, c'ttl en tons que le pouvoir réside.
(M. J. CiiiMKn. Les Gracques, II, m.)
3. Il est certain qu'il y a là un peu do désordre dans les idées.
t. Ses précautions.
5. Voir la note du vers 1250.
6. On tioiive dans la Gcn'-xc {WW , fi) une cipression analogue : « Terror
Doi invnsit omnrs pcr ciri'uilum civilalcs. d
7. Milord Cornsl)uii di^ait, toujours d'après Voltaire {Discours historique et
critique, ttc): >< Il veut qu'on cxlcrmini' ses concitoyens, qu'on se haigne dans
leur sang sans borrcur, il a dit à ses prêtres :
Frappez et Tirions it mime I<raélilei.
Q.iel est le prétexte de cette boucherie ? c'est nue les uns adorent Dieu sous le
nnm pliénicicn d'Adonaï, les autres sous le nom cnaldéon de Baal ou Bol. En bonne
foi, est-ce là une raison pour massacrer ses concitoyens, ses parents, comme il
l'ordonne ? Quoi ! parce que Hacine est janséniste, il veut qu'on fasse une Saint-
Dartliclemi des liérétiqiios ! Il est d'autant plus permis d'avoir en exécration l'a«-
sas-iiiat et les fureurs de Joad, que les livres juifs, que toute la terre sait être
inspiiés de Dieu, ne lui donnent aucun éloge. J'ai vu plusieurs do mes compa-
triotes quj .egardent du même œil Joad et Cromwcll. Ils disent que l'uo et l'autre
se servirent de la reliïion pour faire mourir leurs monarques. J'ai vu même des
gens di.Ti'iles qui disaient que le prêtre Joad n'avait pas plus de droit d'assas-
siner Alhalie que votre jacobin Clément n'en avait d'assassiner Henri III. On n'a
jamais joué Alhalie cher, nous ; je m'Imagine que c'est parce qu on y déteste un
prêtre qui assastine la relue sans la sanction d'un acte passé en parlemeal. •
122 ATIIALIE.
Qui lorsqu'au dieu du Nil ' le volage Israël
Rendit dans le désert un culte criminel,
Oc leurs plus chers parents saintement homicides *, 136S
Consacrèrent leurs mains dans le sang des pcilides ',
El par ce noble exploit vous acquirent l'honneur
D'Olre seuls employés aux autels du Seigneur *?
Mais je vois que déjà vous brûlez de me suivre f.
Jinez donc, avant tout, sur cet auguste livre*, 1370
A ce Roi, que le ciel vous redonne " aujourd'hui,
De vivre, de combattre, et de mourir pour lui.
AZARIAS, au bout de la table, ayant la main sur le livre saiat.
Oui, nous jurons ici pour nous, pour tous nos frères,
De rétablir Joas au trône de ses pères.
De ne poser le fer entre nos mains remis, 1375
Qu'après l'avoir vengé de tous ses ennemis.
Si quelque transgresseur enfreint cette promesse,
Qu'il éprou\e, grand Dieu, ta fureur vengeresse :
Qu'avec lui ses enfants, de ton partage* exclus.
Soient aîi rang de ces morts que tu ne connais plus '. 1380
1 . Au veau d'or.
î. Voltaire dira dans sa îjMgédie de Mahomet (IV, m) :
Mes pleurs baignoiil Ici mains tuinlemcnt boiiiicides.
ô. « Et slans (Moyscs) in porta castrorum ait : Si quis est Doniini, jungutur
mihi. Con^rcgalique sunt ad cum oinncs filii Levi, quibus ait : Hxc dicit Uomi-
iius Dcus Isratl : l'oiiat \ir glaJium supir fcmur suum ; ito cl redite de porta
ii.squc ad porlaiii per médium castionini, ot occidat uiiusquisiiuo fratrcm, et
.nniicum, et proxiraura suum. l-\>ceninlqno lilii Lovi juxla scrniom.Mi Moysis, ccci-
dorunt<pic in die illà quasi vigiiili tria luillia hnniiiium. Et ait Moyses : Consc-
crnslis manus ve^tras iiodic Domino, uiiusquisquc in fllio, et in fratre suo, ut
dctur vobis bcnedictio. .. {Exode, XXXII, 20-29.)
♦ . Soii|;i'i qcic (le l.éii la fniiilli! Mcrée,
Du Miiiiisiùic saint par Dieu iiiliiu! huiiurée,
Méiila Ci'l lioiiNuur ua |H>rl.inl à l'autel
Des mains loiiilc» du .'au;; doj curants il'hrail.
(VoLTAiim, llcnriade, IV, 33G-339.)
5. Ilacine avait placé déj& un mouvement semblable dans la bouche de Durrlius
(IJritannicus, IV, m) ;
Mal< je loti que mes pleurs louchent uion cinrcroiir.
6. On ne trouve lias dans l'Ancien Testament un cxcin|)lc de serment prêté sur
le livre do la Loi. I-cs Ilùbr. ux prclaiont serment on élevant la main droite,
ponimc! pour prendra Dieu à lémoin de la vérité do leur assertion.
7. O mol était lout à l'ait du style noble au iviii* siècle. Itacinc avait déjà
dit dans Alcruiidrc (IV, II) :
l'A reilunnaiil le calme à <oi leni dé-uldi, etc.
8. De la pail que tu te réserveras; le mot pruinge se trouvait avec le mé(ne
sent dans Mitlnidutc (I, i) :
',t Puut cil «un psilage, rt Colchot cil lu niicu.
9. « Sicut vulnerali doriiiiLiili» in sepulcris, quorum non es monior ampliiis ; et
ipsi de manu tua n.'pubi ^ulll. n (Psaumes, LXXXVII, û.) Mélaslaso fera dire sim-
plement à «on cliitur de Lé\itc» : u Dieu nou» pi-ivo de jamais voir les rayoïii
'lu toleil, SI nom te manquons iIc foi. •
ACTE lY, SCÈNE III. 123
J 0 A D .
Et VOUS, à celle loi, voire règle clornelle S
Hoi, ne jurez- vous pas d'ûlrc loujours fidèle?
JOAS.
Pourrais-je à celte loi ne me pas conformer?
JOAD.
0 mon fils, de ce nom j'ose encor vous nommer',
SoullVcz ' celle tendresse, et pardonnez aux larnios I38.T
Que m'arrachent pour vous de trop justes alarmes *.
l.uin du trône nourri, de ce fatal honneur,
Ilélas! vous ignorez le charme empoisonneur.
De l'absolu pouvoir vous ignoçez l'ivresse,
I^t des lâches flallcurs la voix enchanteresse. 1390
i5ientôt ils vous diront que les plus sainles lois,
Miiîli-esses du vil peuple, obéissent auxjîois ^ ;
Qu'un Roi n'a d'autre frein que sa volonté même ';
Qu'il doit immoler tout à sa grandeur suprême ;
Qu'aux larmes, au travail, le peuple est condamné, l39o
Cl d'u'i sceptre de fer veut être gouverné " ;
Que s'i'i n'est opprimé, tôt ou lard il opprime.
Ainsi de piège en piège, et d'abîme en abîme %
Corrompant de vos mœurs l'giimable pureté,
1. « DeJcruntqtie in manu pjiis tencndurn Icgem, et constitucnint euœReg-em. »
{/i Paralipomùncs, XXUl, 11.)
2. Soumet et Uclmontct (Une fête de Néron, I, ix) ont assez maladiollemcul
1 lacé ro vers d:in< la bouche de Sénèquc parlant à .''Empereur:
Mon fils iU ! de ce nom suulTrcz que je louj nomme I
3. Tolérez. De même La Fontaine {Fables, ix, 1) :
On poiirrail .iiiciiiicinciit
Souiliir Ce liéLtiil aux hommes.
4. Alarme, vient de l'italien allarme, aux aimes.
I. Et leur voix fanalique,
Haitreite d'un vil peuple, e?t rtdiMMjblf aux ruis.
(VoLTiinE, llenriade, X, 409.)
6. D'Urfé avait écrit dans Wistrée {\\\ , p. ISl) : « Co qui portait ce jeune prince .\
(le scnil)liil)lcs désordres, c'était l'opinion que quelques llatteurs lui donnaient, que
toutes choses ôlai -ni permises au Roy ; que les llois f.iisaiont les lois pour leurs su-
jets et non i):\s pour eux, et que puisque la mort et la vie de ses vassaux étaient
en sa puissance, qu'il en pouvait faire de même do tout ce qu'ils possédaient. ■
i;t Slassillon écrnait dans le Petit Carême: « \.c% princes naissent d'ordi-
naire vertueux, et avec des inclinations dignes do leur sang; la naissance
nous lis donne tels qu'ils déviaient être; l'adulation toute seule les fait tels
Mu'ils sont. » Les princes ou les ministres qui n'ont pas écouté les flatteurs sont
r ircs. .\ussi faut-il se rappeler que François I" disait : « Les souverains commac
dont aux peuples, et les lois aux souverains, >i et que Michel Le Tellier a écrit :
« Jft Ncux que les lois gouvernent, et non pas les nommes. » (Cité par Bossckt,
Or. fun. do Michel Le TcUicr, I'" partie.)
7. Il Rcgcs cos virga fcrrca. « {Psaumes. II. 0.)
8. « Cette rime est vicieuse; on ne doit point faire rimer une longue avec ujs
brève. » {Sentiments de l'Académie sur Atlialie.)
124 ATHALIE.
Ils VOUS feront enfin haïr la vérité, 1400
Vous peindront la vertu sous une affreuse image.
Hélas .' ils ont des Rois égaré le plus sage *.
Promettez sur ce livre, et devant ces témoins,
Que Dieu fera ' toujours le premier de vos soins ;
Que sévère aux mcchanls, et des bons le refuge, 1403
Entre le pauvre et vous, vous prendrez Dieu pour juge,
Vous souvenant, mon fils, que caché sous ce lin,
Comme eux vous. fûtes pauvre, et comme eux orphelin '.
JOAS, au milieu de la table, ayant la main sur le livre saint.
Je promets d'observer ce que la loi m'ordonne.
Mon Dieu, punissez-moi si je vous abandonne * I 1410
JOAD.
Venez : de l'huile sainte il faut vous consacrer •.
Paraissez, Josabet : wus pouvez vous montrer.
1. Allusion à Salomon, dont la sagesse a été si vantée, et dont la gloire se perdit
au miliiu des mollesses d'un sérail.
2. On dirait plutôt aujourd'hui : sera.
3. On cite souvent ces vers roninie un exemple de syllepse ; on appelle ainsi
une fiffuii) <iù la consliuclion est dominée par l'idée plus que par les mots. Ici Ha-
(.ine dit •. .«^/x. en parlant du pauvre.— rénclon, dans son TéU'mnque (in.semlilc
avoir imilé ces vers de Ilacinc : " Quand lu seras le maitre des autres liommos,
souviens-loi que tu as été faihic, pauvre et sonfTrant comme eux. » Il csl vrai
que tous deux ont imité les Livres saints : « Jiidicate egcno et pupillo; huniilom
et paupercm jnstificale. » (J'saume.i. LXXX, 3.) « Si liabitavcrit advcna in lerra
vestra... dilij.'ctis cum quasi vosmcl ipsos : fuistis cnim et vos advenae in terra
•tgypti. •> (/.éyiV., XIX, 33-:i4.) — Voici les conseils que, au même ' moment,
mais sans témoins, le grand prêtre adresse au jeune roi dans la tragédie de
Métastase (11* partie) : « Aujourd'hui Dieu te fait présent d'un royaume; mais
de son présent un jour il te dcmand( ra compte. Tremble, et que ce jugement
sévère auquel tu es exposé soit toujours présent à ton esprit. Commence par
régner sur loi-même, yiic les désirs soient tes premiers vassaux; que tes sujets
trouvent dans celui qui commande l'exemple do l'obéissance. Aie toujours ce
que tu dois, cl non ce que lu peux, pour mesure de tes actions. Songe au bien
public plus qu'à ton propre bien. Fais qu'on aime on toi le père, et non pas
qu'on craigne le tyran. La frayeur du peuple csl mauvaise gardienne des lloys,
et ce n'est point "par la force qu'on s'empare du cœur do ses sujets. Dispense
avec équité les récompenses et les cliàlimenls. Sois lent à te résoudre, soigneux
à oxécutcr. Tic te fie pas à la langue du llatleur, intéressée i l'abuser par de
viles complaisances. Mais garde toujours la priideiice pour coiiseillcro, la valeur
pour guide, la justice devant les yeux, et Dieu d.ins Ion cœur. »
4. Le sermeul de Joas est bref et sec; peut-être llacine s est-il trop souvenu
qu'il devait un jour l'oublier. Tour punir Joas, Dieu permit que ses armées
fussent défaites par A/aol, Jérusalem assiégée, ses trésors [lillés, qu'il fut lui-
même alleint d'une maladie de langueur, et qu'il tombât enfin sous les coups
d'un conspirateur.
5.* L'onction était la plus importante cérémonie du couronnement; elle eut
lieu d'abord dans un endroit public, et plus lard dans le lem[il(;. Après l'onc-tion
on remettait le sceptre uu niiinarque, on posait sur sa tète le diadème, cl on
lui pri'-senlait le livre de la Loi, qu'il jur.iit d'observer: alors venait I entrée
Iriomplianic daoi la capltalu et la •'ice4>tioo solçqqellç q^s ofûciers et des sa
rrificateura.
ACTE IV, SCENE IV. It»
SCENE IV.
JOILS OAD, JOSABET, ZACIIARIE, AZARIAS,
SALOMITIl, KTC, LE CHŒUR.
JOSABET, embrassaDt Joas.
0 Roi, fils de David!
JOAS.
0 mon unique mère!
Venez, cher Zacharie, embrasser voire frère.
JOSADET, à Zacharie.
Aux pieds de votre Roi prosternez-vous, mon flls. 14i5
(Zacharie se jette aux pieds de Joas.)
JOAD, pendant qu'ils s'embrassent.
Enfants, ainsi toujours puissiez-vous Ctre unis ' I
JOSABET, à Joas.
Vous savez donc quel sang vous a donné la vie?
JOAS.
Et je sais quelle main sans vous me l'eût ravie.
JOSABET.
De votre nom, Joas, je puis donc vous nommer ?
JOAS.
Joas ne cessera jamais de vous aimer •. > 420
LE CHŒUR.
Quoi! c'est là...
JOSABET.
C'est Joas.
JOAD.
Écoutons ce lévite.
J. Nons aTons eu déjà l'occasion de dire que Joas, devenu roi, laissera m'«<<'«a<
fier Zacharie. C'est un souvenir que Racine eut peut-être mieux fait de no pn«
r.ippelcr. D'Alembcrt le lui a très briit;ilemcnt reproché : « On s'intéresse peu à
Joas, que Racine a eu la maladresse do faire entrevoir en deux endroits comme
un méchant garnement futur. »
2. A peine reconnu roi, Joas s'acquitte fort bien de son nouveau r61e ; Zachari*
aous le montrera tout à l'heure (V, i) :
Parmi cet transports. nlTilile et tint ori^npil,
A l'un (endnnf It main, flallnni l'autre de l'itil.
Jurant da le régler par leui» atii siixèrei,
Et lei tpp«lanl toui aei pirei ou lei Irèrsi.
lî» ATDALIE.
SCluNE V.
JOAS, JOAD, JOSAUl^T, etc., un lévite.
UN LÉVITE.
J'ignore contre Dieu quel projeton médite '.
Mais l'airain menaçant frémit de toutes parts ' ;
On voit luire des fcux parmi, des élemlards ;
Et sans doute Alhalie assemble son armée. 1425
Déjà mfime.au secours toute voie est formée;
Déjà le sacré mont, où le temple est bâti ',
D'iiisolonls Tyricns est partout investi.
l/un d'eux, en blasphémant, vient de nous faire entendre
Qu'Abner est dans les fers, et ne peut nous défendre*. 1430
JOSABET, à Joas.
Cher enfant, que le ciel en vnin m'avait rendu,
Hélas! pour vous sauver, j'ai fait ce que j'ai pu.
Dieu ne se souvient plus de David votre père.
JOAD, à Josabet.
Quoi? VOUS ne craignez pas d'attirer sa colère
Sur vous et sur ce Roi si cher à votre amour? i43b
Va quand Dieu, de vos bras l'arrachant sans retour*,
Voudrait que de David la maison fût éteinte ',
N'èles-vous pas ici sur la montagne sainte
Où le père des Juifs sur son fils innocent'
t. J'ignore le projet que la reine midile.
(Ph'}dre, V, T.)
Il est dit du peuple dans les Nombres : « Locutus conira Dcum cl Moyscn. »
;xxxi, 5.)
2. S'.igit-il des trompettes gneniércs, ou du bruit produit par les soMals ar-
més se rangeant autour ilu temple ?
3. C'est le mont de Morija, où avait eu lieu le sacrifice d'Abraham. — On avait
coulumo de placer au xvii* siècle railjcclirjacr(< avant le substantif qu'il qualifiait:
Sjcrél fflond, Terlilcs «allées.
(Esth., I, II.)
1. Le danpcr augmente de scène en scène. Fidèle h son caractère, Jusabct <8
trouble et pleure; Joad reste serein.
"). A jamais.
<i. I.a métaphore est ici moins heureusement suivie que dans la première
Il enc.
7. « I.c nom do père des Juifs est donné h Abraham dans les livres de» deux
Testaments, non seulement en qualité de chef du In raec, mais au point do vue
Hune suprématie religieuse cmnino fond;itenr île la lliéneratle. ■ (M. Athnnaso
COQUIRIL.) '^
ACTK IV, SCli.NE V. 127
leva sans murmurer un bras obéissant ', 1440
VA mit sur un bûcher ce fruit de sa vieillesse,
[glissant à Dieu le soin d'accomplir sa promesse,
El lui sacrifiant, avec ce fils aimé,
luut l'espoir de sa race, en lui seul renfermé ?
Amis, parlugeons-nous. Qu'Ismaël en sa garde li-'»n
Prenne tout le côlé que l'orient regarde *;
Vous, le côté de l'ourse ; et vous, de l'occident ;
Vous, le midi ^. Qu'aucun, par un zèle imprudcut,
Découvrant mes dc.-scins, soit prêtre, soit lévite.
No sorte avant le temps, et ne se précipite ; li'60
Va que chacun enfin, d'un nii^me esprit poussé *,
flarde en mourant le poste où je l'aurai placé ^.
L'ennemi nous regarde, en son aveugle rage,
('omme de vils troupeaux réservés au carnage,
II. croit ne rencontrer que désordre et qu'effroi. liao
Qu'Azarias partout accompagne le Roi.
•(a Joas.)
Venez, cher rejeton d'une vaillante race,
1. SI. Alhana?c Coquerel rapproche de ces beaux vers un tercet bien peu
biblique de Voltaire :
Ibrihim, dont le hns (IocïIl' âl'Elenicl
Tiairie son ÛU unique aux marche» de l'autel,
EluuOant pour son Dieu les cris de la nalnre.
{Mahomet, III, vi.)
On peut également mettre à côti5 des vers de Racine les paroles suivantes qu«
Lusignan, au second acte de Zaïre, adresse ii sa fille :
Ton Dieu que tu Irahi^, ton Dieu que lu blasphèmes.
Pour toi, pour l'unitcri:, est mort en ces lieux nicnies.....
Tourne les Jeux, «a loiube e-l prùs d^' ce palais ,
C'est ici la inoMla^iie où, lavai.l nos Torfaits,
Il voulut expintr suus les coups de riin|iie ;
C'est là que de la tombe il ra|>pela ta vie.
Tu ne faiir.iis jamais marcher Jans ctl auguste lieu,
Tu n'v peux Taire uji pas sans j trouver (un Dieu.
î. Les Iléhreiix s'occupaient assez d'astronomie pour que Racine n'ait point
cunmiis un anachronisme en Ici» attribuant la connaissance des points carili-
riiix.
.3. « Tcriia pars vcstrum introcal sabbato, et obscrvet cicubias domus Re-
cis. Tcrtia nutem pars sit ad portam Sur ; et tertia pars sit ad portam, quœ est
I ost habilarulum sciitariorum, (t oustodictis en ubias domus Messa. » (1/ /îois,
M, 0.) Il Tertia pars vestrum qui veniunt ad sabbatuni, sacordotum, et levitarum,
<l janitorum, rrit in portis ; tertia vero pars ad donmm Régis et tertia ad por-
'..iin qux appoUatur l'urulamenti ; omnc vero rcliquum vulgus sil in atriis domus
Di-iniini. >> [Il Paralipomcnes, XXIII, 5.)
4. I/.\cadémic a trouvé que cet liômistiolic manquait de noblesse. C'est une
rlicville, tout comme le fameux hémistiche de M. Victor Hugo dans les Durgra-
tes : V Je dois avouer,
la Térité m'y pousse.
Que je luis l'empereur Frédéric Barberiiu::se.
5. <i Qucm quisque pupnando locum ceperat, êum, amissa anima, corporo
tegebat. » (Sillisto, Catilina,'L\l.)
128 ATUALIE.
Remplir VOS défenseurs d'une nouvelle audace;
Venez du diadème à leurs yeux vous couvrir ',
Et périssez du moins en iloi, s'il faut périr*. 14G0
(a un lévite.)
Suivez-le, Josabet. Vous, donnez-moi ces armes.
(Aii chœur.)
Enfants, oO'rcz à Dieu vos innocentes larme» ••
SCENE VI.
SALOMITH, i.E CHŒUR.
TOUT LE CHŒUR chante.
Partez, enfants d'Aaron, partez.
Jamais plus illustre querelle *
De vos aïeux n'arma le zèle. iiC.o
Partez, enfants d'Aaron ", partez.
1, n Le diadème ceint et ne couvre point; plusieurs cependant ont cir!i<:é
$e couvrir d'un diadème, surtout en poésie. » {Sentiments de l'Académie ««r
Athalie.)
2. Chapelain a écrit dans sa ridicule Pucelle des vers asseï fermes que l'on peut
rapprocher de celui-ci :
neronnaiisani pour lui la murt inCTJIabls.
Il dévoue à la mort too coiirai;o iDdaiii|ilaole ;
Il j »a sans faibl«'So, îl j va «ans f (Troi,
Et, deratit la soulTrir, veut la soulTi ii en Roi.
La coupe du vers de Racine fut blâmée au itii* siècle. Desmarcts de b-uu.t-
Sorlin, fjui publia en 1670, sous le nom de sieur de Doisval, la Défense du po'me
héroïque, série de dialogues en vers et en prose, dirigés contre Boileau, adress»
au satirique beaucoup de critiques de ce genre. On lit dans le Dialogue MI :
« Page t. Voici une méchante césure :
FniLBKS.
Et mile, en le vanlanl soi-inème i tout propos
Il fallait mettre en l'hémistiche, en se vantant soi-nu^me, et non pas le couper
par la césure. Et soi-même à tout propos fait encore un très méchant hémiv
tiche ; » et dans le Dialogue \ :
PaiLÈMB.
Le inafiisirat des lnix emprunta le •creun.
Uécbante césure. « Le magistrat des loix. » Qu'aurait donc dit Desmarels, s'il
eût entendu, comme nous, les vers ('/) suivants à la Comédie Française :
Attendu que Itdllo dame ctt un prodige, etc.
Un bon prorii en réparation du curpi, etc.
.1. Ainsi, Joad, avec une étonnante tranquillité d'esprit, songe à tout, et c!i<-
tribuc & chacun son rôle. La crise éclate, cl l'heure ilu combat a sonné, le
ehœur, qui reste en scène, va chanter son Chant du Itépart.
4. Voir la note du vers 1119.
5. Nous avons eu déjà l'occasion de signaler qur le poêle no compte Aaïun
^ue pour dcui syllabes.
ACTE IV, SCÈNE VI. 1«»
C'est votre Roi, c'est Dieu pour qui vous combattez.
j, UNE VOIX seule.
Où sont les traits que tu lances,
Grand Dieu, dans ton juste courroux ?
N'es-tu plus le Dieu jaloux • ? 1470
N'es-lu plus le Dieu des vengeances*?
UNE AUTRE.
Où sont. Dieu de Jacob^, tes antiques bontés?
Dans l'horreur qui nous environne,
N'entends-tu que la voix de nos iniquités?
N'es-tu plus le Dieu qui pardonne? 1475
TOUT LE CHŒUR.
Où sont, Dieu de Jacob, tes antiques bontés?
UNE VOIX seule.
C'est à toi que dans cette guerre
Les flèches des méchants prétendent s'adresser.
Vf! Faisons, disent-ils, cesser
Les fôtcs de Dieu sur la terre*. • 1480
De son joug importun délivrons les mortels.
Massacrons tous ses saints. Renversons ses autels.
Que de son nom, que de sa gloire
11 ne reste plus de mémoire ° ;
Que ni lui ni son Christ ' ne régnent plus sur nous. » 1483
TOUT LE CHŒUR.
Où sont les traits que tu lances,
Grand Dieu, dans ton juste courroux?
N'es-tu plus le Dieu jaloux?
N'cs-tu plus le Dieu des vengeances?
UNE voix seule.
Triste reste de nos Rois, 1490
1. Ce terme est pris dans son sens ordinaire, et il faut so garder de chercher
è l'ennoblir on l'exiiliiiiiant : c'est l'expression biblique.
2. « Dcus œmuiator, et ulcisccns Ôominus. n (Nauum, I, 2.) h Deus ullionum
Doniinus'. Deus ultionura libère cgit. » (Psaumes, XCIII, 1.)
3. n Ego suin Oeus patris tui, Ùeus Abraham, Dcus Isaac, et Deus Jacob. »
(ICxode, 111, vi).
4. » Dixerunt in corde suo... Quiescere faciamus omoes dics fcstos Dci a
Icrra. » {Psaumes, LXXIII, viii).
5. Faut-il encore voir là une allusion aux persécutions dirigées contre Port-
Royal ? ^ Ces vers sont russi imités de la Bible : « Ilisperdamus cos de gcnte et
non niemorctur nonicn Isael ultra. « {Psaumrs, LXXXII, iv.) «
6. Qui Racine désigne-t-il parce mol? Christ signil'e : oint, consacré. On trouve
ce mot dans l'Ancien Testament appliqué aux sa- rificateurs, aux rois, même
païens, comme Cyrus. Racine fait-il allusion à J )as, qui va recevoir l'oactioo
loyale, ou au Sauveur qui est •nnoocé par les prophètes ?
130 ATDALIE.
Chère et dernière fleur d"unc lige si belloî,
Hélas! sous le couteau d'une mère cruelle
Te verrons-nous tomber une seconde fois?
Prince aimable, dis-nous si quelque ange an berceau '
Contre tes assassins prit soin de te défondre; lin
Ou si dans la nuit du tombeau
La voix du Dieu vivant a ranimé ta cendre.
UNE AUTRE.
D'un père et d'un aïeul contre toi révoltés,
Grand Dieu, les attentats lui sont-iU imputés'?
Kst-ce que sans retour ta pitié l'abandonne? l'ôO)
LE CHŒCR.
Où sont, Dieu de Jacob, tes antiques bontés?
N'es-tu plus le Dieu qui ^jardonne?
DNE DES FILLES DU CHŒDR, s.tns chanter.
Chères sœurs, n'entendez-vous pas
Des cruels Tyriens la trompclle qui sonne*?
SALOUITH.
J'entends môme les cris des barbares soldats*, 1503
Kl d'horreur j'en frissonne.
Conrons, fuyons, relirons-nous
A. l'ombre salutaire*
Du redoutable sanctuaire''.
1. Le ciel uiim< p<ut-il rcpirer les ruiiK'i
De cet arbre (ècbi jusque d^tif tes ra.-inft?
(I. 1.)
1. Allusion aux anecs gardiens. En 1669, Bossuet avait dit dans VOraison
fuiuLre de Henriette-Marie de France, en parlant de la naissance de Ilonrirlte-
Aiinc d'Angleterre ! >■ 0 Eternel! Ttillez sur clic ; nn^cs saints, rançcz à l'onlour
vos escadrons invisibles, et faitos la garde autour du berceau d'une prliicssc
«i grande et si délaissée. » Par une inadvertance étrange, Racine a enfreint ici
les règles de la poésie, en mettant doux rimes masculines ù la suite l'une do
l'autre.
3. Portés ,:a compte. Joad s'est chargé de répondre \ cette question (I, ii):
Dieu
... ne rechercha point, tti'ujle eo w eolire,
Sur le Oli <]iii le eriinl, l'impiéli du pire.
4. L'Académie, que le plaisir de la critique a souvent empêchée d'être touchéa
if belles choses, a, dans ce vers, déclaré superflu le mol tonne.
5. fJarbaret a ici le double sens de cruelt et d'étrangers.
6. rrotectrice.
7. Ce choeur, qui lie si étroitement les deux actes, est passée la repifson.
tJliou. Cv|iendant les deux couplets parlés qui le termioeat tcrriralent i entre*
tenir la terreur, et produiraient ud grand circt.
ACTE CINQUIEME
SCÈNE I.
ZACHARIK, SAF.OMITH, le chœdr.
sâlomitu.
Cher Zacharie, hé bien ? que nous apprenez-vous'? 1510
ZACOARIE.
Redoublez au Seigneur votre ardente prière ^
l'eut-ôlre nous touchons à noire heure dernière?,
i'our l'horrible combat, ma sœur, l'ordre est donné.
SALOMITH.
Qut failJoas?
ZACHARIE.
Joas vient d'être couronné.
Le grand prôlre a sur lui répandu l'huile sainte*. lottî
0 ciel ! dans tous les yeux quelle joie otait peint
A l'aspect de ce Roi racheté du tombeau" !
Ma sœur, on voit encor la marque du couteau.
On voit paraître aussi sa ûdcle nourrice,
Qui, cachée en un coin de ce vaste édifice".
Gardait ce cher dépôl^ et n'avait de ses soins 1320
Que les yeux de ma mère et que Dieu pour témoins.
Nos lévites pleuraient de joie et de tendresse *,
1. Ce vers rirae avec un des derniers vers de l'acte précédent. Quand lu tra-
gédie est jouée avec ses chœurs, elle doit cire représentée sans iiilr"artes. C'est
au moment où le chœur s'enfuit que Zacharie parait au fond du iliéàtre.
2. fiedoublr une prière no nous parait pas une expression licureuso. Dans
les prières, la quantité doit cire moins rciiicrchée que la qualité.
3. Avec un ait admirable, le poêle a soin de commencer chaque scène par uo
vers qui augmente la terreur ou l'émotion.
4. " Unxit quoque illum Joiada pontifex, et filii ejus. » (// Paralijiomànes,
XXII1,2.) £•
5. On rachetait de l'esclavage; la Bible a dit par suite : racheter du tombeau.
6. Voir la Préface.
7. Racine afTectionnc ce mot. Il avait déjà écrit dans Bérénice (III, ii) :
Ce doi'ôt I récieiii (fiic je ne puis gsrdcr.
1. Boileau avait dit ironiquement dans son Arl poétique {l, 1?S} :
Il li^ijijne il<' jnie, Il pleure de ((.ndreiie.
132 ATHALIE.
Et mêlaient leurs sanglots à leurs cris d'allégresse'.
Lui, parmi ces transports, alTable* et sans orgueil, 1523
A l'un tendait la main, dallait l'autre de l'œiP,
Jurait de se régler par leurs avis sincères,
Et les appelait tous ses pères ou ses frères.
SALOMITU.
Ce secret au dehors est-il aussi semé?
zachàuie.
Ce secret dans le temple est encor renfermé. 4530
Des enfants de Lévi la troupe partagée
Dans un profond silence aux portes s'est rangée.
Tous doivent à la fois précipiter leurs pas,
Et crier pour signal : « Vive le roi Joas* ! »
Mais mon père défend que le Roi se hasarde*, '535
Et veut qu'Azarias demeure pour sa garde.
Cependant Athalie, un poignard à la main.
Rit des faibles remparts de nos portes d'airain*.
Four les rompre, elle attend les fatales machines^,.
El ne respire enfin que sang et que ruines'. 1540
1. L'alligrette, c'est la joie qui éclate et so peint sur le visage:
Diini «os jeux doit briller l'allii^reiie.
(MuLiiiHB, Doit Garde, 11, v.)
S. « Il (Racine) s'est servi du même mot dans uo de ses Cantiques (c'est daiit
le preioler, au vers 34) :
ATeetoi niarcbe U Douceur,
Que luit t<*c uo «ir tUdlile
La Patience, *tc.
Ces mots affable et affabilité sont devenus très françuis, malgré Patru qui les
condamnait. » (Note de Louis Racine).
?. On a remarqué une ressemblance entre ces vers et un couplet ironique de
Vlphigéide en Aulidc de Kotrou (II, ii) ;
Jamais pour s'éltver on ne lo mit si bas ;
Vou< ollnet i l'un, à l'autre oiisriet lei bras,
Serriei I* main ll'un, jc'.ict lai jeui sur l'aatre, «te.
4. 0 Imprccatique sunt ci, alque diicrunl : Vivat Ilex. » (II ParalîpomMei,
XXIII, II). Celait en Judée l.i furnic do l'acclamation popul.iire, et la consécra-
tion dernière du couronnement.
5. H'expoter. • Les pluies ont été et sont encore si excessives, qu'il y aurait
eu de la lolio à se Imsiurder. » fMadame di Savionii.)
0. Vollaire, dans sa Ilenriade (VII, 391-392), n imité ces doui vers si mallieu-
rcus ïHicnt qu'il scinbleiait les avoir voulu parodier :
Vauban sur uo reiii|iarl, un coniiiai h la main.
Bit du bruit impuittaiil do rcnt iuuilros d'airain.
7. Oa oe voit trace de machine de guerre en Judée que 70 ans environ npr6*
Athalie, sous le regno d'Ilozias, dixième roi de Juda. Ces machines étaient de*
Trondes ou balistcs. qui lançaient des pierres, des projectiles en plomb, et par-
foii des torches onllaroinées, et des catapultes, sorte d'arcs énormes, qui je-
laii'Ot toute sorte de traits.
1, Heipirer, c'est ici : souliailer avec ardeur : • Je ne respirais que le aervica
ACTE V, SCENE I. 1S3
Quelques prtHrcs, ma sœur, ont d'abord proposé
Qu'en un lieu souterrain, par nos pères creusé,
On renfernvlt du moins noire arclic précieuse.
« G crainte, a dit mon père, indigne, injurieuse 1
L'arche, qui fit tomber tant de superbes tours', ItîiS
El força le Jourdain de rebrousser son cours *,
Des dieux des nations tant de fois triomphante^,
Fuirait donc à l'aspect d'une femme insolente ! ->
Ma mère, auprès du Roi, dans un trouble mortel,
L'œil tantôt sur ce prince et tantôt vers l'autel, 1350
Muette, et succombant sous le poids des alarmes.
Aux yeux les plus cruels arracherait des larmes.
Le Roi de temps en temps la presse entre ses bras,
La (latte... Chères sœurs, suivez toutes mes pas;
Et s'il faut aujourd'hui que notre Roi périsse,
Allons, qu'un môme sort avec lui nous unisse. 1555
SALOMITH.
Quelle insolente main frappe à coups redoublés*?
Qui fait courir ainsi ces lévites troublés'?
Quelle précaution leur fait cacher leurs armes?
Le temple est-il forcé* ?
ZACHAniE.
Dissipez vos alarmes :
Dieu nous envoie Abner. 1500
du Roi et la grandeur de l'Etat. » (Bossubt, Oraison funèbre du prince de
Condé.) — Voir les Plaideurs (v. 857).
1. On se souvient que, pour s'emparer de Jéricho, les Hébreux firent sept
jours de suite, derrière l'arche, en procession, le tour de la ville ; le sep-
tième jour, les murailles tombèrent.
t. Ce vers rappelle comment Josué et les Israélites passeront lo Jourdain pour
entrer dans la Terre promise. « .\ la voix du Dieu d'Isrnol, les fleuves rebrous-
sent leur cours. » (Cuateaudriind, Génie du Christianisme, II. v, 5.)
3. Allusion à la déesse des Philistins, l'idole Dagon, moitié femme, moitié
poisson, adorée à Azote, Ascalon et G.iia. L'arcln', .après la défaite des doux l]ls
dlléli, était tombée entre les mains des l'Iiilistins; ils la placèrent dans le
temple de Dagon, et deux fois ils trouvèrent lidole renversée ù terre et
brisée.
4. La terreur augmente, pour ainsi dire, à chaque vers.
5. Agités, effarés : « M.iJnme Du Chàtclet mourut dans le palais de Stanislas
•près deux jours de maladie; on était si troublé que personne ne songea à faire
»cnir ni curé, ni jésiiito, ni sacrements. » (Voltiibb, Cowm. Œuv. aul. JJenr.)
6. Enlevé de vive force. Expression de l'art militaire : « Aja.-it appris que lel
lignes aT4i6Qt été forcées. * (Uahiltom, Gramm.,y.)
I
134 ÀiUALŒ.
sgl:m: k.
ABNER, JOAD, JOS.VCET, ZACIIAUIE, SALOMITII, ISMAËL,
DEUX LÉVITES, ETC.
JOAD.
En croirai- je mes yeux'
Cher Abner? Quel chemin a pu jusqu'en ces lieux
Vous conduire au travers d'un camp qui nous assiège?
On disait que d'Achab la fille sacrilège
Avait, pour assurer ses projets inhumains*, i'66'6
Chargé d'indignes fers vos généreuses mains.
ABNER .
Oui, Seigneur, elle a craint mon zèle et mon courage.
Mais c'est le moindre prix que me gardait sa rage.
Dans l'horreur d'un cachot par son ordre enfermé,
J'attendais que, le temple en cendre consumé', 1570
De tant de flots.de sang non encore assouvie*,
Elle vînt m'alTranchir d'une importune vie,
Et retrancher des jours qu'aurait dû mille ibis*
Terminer la douleur de survivre à mes Rois.
JOAD.
Par quel miracle* a-ton obtenu votre grâce? <-^7;>
A D N i: n .
Dieu dans ce cœur cruel sait seul ce qui se passe.
Elle m'a fait venir, et d'un air égaré :
' Tu vois de mes soldats tout ce temple entouré ',
1. Le style prétendu tiublo Tcra do cette expression uo abus déploiable.
2. Assurer une chose, c'est la rendre sûre; Agrippinc disait dans t'expusiliou
de Uriiannicus :
J< m'jKura un porl dam U lfliii|iilc.
3. véritable ablatif absolu.
4. Aon encore n'est pas ag-roiiblc h l'or. illo.
5. Le jour où l'usurpai lier a niani|iio (l'é;;ards envers Abnor, 11 s'aperçoit (pi'il
a eu tort ilc la servir. Abnor est un linnnèlc lioinmo ; mais il accepte des trans-
a -lions ; Joad n'en accoplcr.i j.iniais. — Quint nu mot n'Iriinclirr, on ou trouve do
I ombreux exemples au xvii* siècle-, dans le sens do : 61er enlicremont ; c'est
a rui que Molicro a écrit dans l.i /'réfuce de Tartii/fe : « Jo no sais s'il n'est
pas mieux du travailler à reclifior et niloucir les passions des hommes, que do
vuuloirles retrancher ciitierenient. »
6. Kmploi m-illicurcux de ce mol dans un pareil sujet ; c'est là un terme ilunl
Juad no doit point abuser.
7. l.une.iu do Uuisjermain est itonné qu'Athalio ait chois! Abncr pour anioas-
sadeur ; eo rlioix n'a cependant rien de surprenant : cllo sait qu'il est and de Jotd.
et elle ne peut croire que son envoya ose la tromper ; d'ailluuri Dieu a envoya
k U rcino l'tyjtril d'ini/iruJaicA et d'errnvr.
ACTii V, bCi::;.: ii. 135
Dil-elle. Un feu vengeur va le réduire en cendre',
VA ton Dieu contre moi ne le saurait défendre*. l'o8)
Ses prêtres loutefois, mais il faut se hâter,
A (Jeux conditions peuvent se racheter :
Qu'avec Éliacin on mette cii ma puissance
Un trésor dont je sais qu'ils ont la connaissance,
Par votre roi David autrefois amassé, 1585
Sius le sceau du secret au grand prêtre laissé*.
Va, dis-leur qu'à ce prix je leur permets de vivre. »
JOAD.
Quel conseil, cher Abner, croyez-vous qu'on doit suivre*?
ABNER.
Et tout l'or de David, s'il est vrai qu'en effet
Vous gardiez de David quelque trésor secret, 1500
Et tout ce que des mains de cette reine avare *
V'oiis avez pu sauver et de riche et de rare,
Donnez-le '. Voulez-vous que d'impurs ' assassins
Viennent briser l'autel, brûler les chérubins ®,
i. Il est assez li'lrange que plusieurs éditions, et notamment celle de )!. fîeru-
lez, portent ce vers :
Oil-elli.-. Un for Ten|;i.-ar va le réduire en cendre.
i. La luUc est donc nettement posée entre Athalie et Dieu ; c'est pourquoi la
reine s'écriera tout à l'heure :
Oicu dei Juiri, tu l'emportes I
i. Voici un nouvel élément introduit dans le drame : la cupidité d'Alli:ilic.
C'est là ik qui va donner l'i Joad l'idée d'adirer la reine dans le temple ; auUe-
nient il se disposait 'i VaUct cUerclicr jusque dans sonpalais.
i. Là grammaire voudrait plutôt : qu'on doive suivre ?
5. Sens latin : avide.
6. Ilemarquez lu vivacité que donne à la pensée cette construction : '< i:t tout
l'or... et tout ce que... donnez-le. »
7. Les Juifs considéraient comme impurs tous ceux qui n'étaient pa: cir-
concis.
8. a De quel autel s'ugit-il ? De celui des holocaustes ? Cet autel était à peu
prés au centre de la cour, devant le leraple proprement dit {Exode, XL, ,10), et
formait une sorte de colfre, liaut de trois coudées, large et Ion? de cincj, de
bois d'acacia, montj sur quatre courtes colonnes d'airain, auxquelles sr r.itta-
cliaient les grilles par lcsr|ucllfs s'écoulait le sang des victimes. L'intiricur,
aussi revêtu d'airain, était rempli de terre, et là le feu s'allumait pour consumer
riiolocanste. Les quatre coins recourbés .«o relevaient et se noinniaiont les cornes
de l'autel ; on y liait les victimes (Psaumes, CXII, 27). Du côté du midi, une lovée
de terre servait de montée {/-Jxoile, XX, 21,elc).C'est de cet autel que parle sans
doute Abner ; mais alors on comprend difficilement que sa pensée à l'instant se
porte sur les Cliénibins. o {.M. .Vtliinase CoQUEnEL.) Voir pour les. C.liér. blns
la Préface. — Ces Cliérubius do r.Vrchc ont fourni au Père Le Moinn, iljis .son
livre, de la Dcootion aisée (II, Jin , une comparaison bien étrange :o II ne
peut y avoir de péril dans les amitiés où il n'entre rien de pesant ni d'obscur...
dans les amitiés qui sont aussi pures et aussi spirituelles que celle des Palmes,
ijui s'aiment sans se toucher ; que celle des .\str( s, qui n'ont rommiinlralioa
;iic lie l'iispicl cl diÀ la lumière; que celle des Chérubins do l'Arche, qui étaient
onjoints par le Propitiatoire, et no s'approchaient que du bout des ailet.»
1 3S ATDALIE.
El portant sur notre arche une main téméraire *, 1595
De votre propre sang souiller le sanctuaire?
JOAD.
Mais siérait-il ', Abner, à des cœurs généreux
De livrer au siipplire un enfant malheureux,
Mn enfant que Dieu môme à ma garde confie,
Et de nous racheter aux dépens de sa vie? 1600
A 1) N E R .
Ilolas! Dieu voit mon cœur. Plût à ce Dieu puissant
Qu'Alhalie oubliât un enfant innocent,
Et que du sang d'Abner sa cruauté contente
Crût calmer par ma mort le ciel qui la tourmente •
Mais que peuvent pour lui vos inutiles soins? 1605
Quand vous périrez tous, en périra-t-il moins*?
Dieu vous ordonne-t-il de tenter l'impossible» ?
Pour obéir aux lois d'un tyran inflexible,
Moïse, par sa mère au Nil abandonné,
Se vit presque en naissant à périr condamné ; 1610
Mais Dieu le conservant contre toute espérance,
Fit par le tyran môme élever son enfance '.
Oui sait ce qu'il réserve à votre Éliacin,
Et si, lui préparant un semblable destin,
11 n'a-point de pitié déjà rendu capable
De nos malheureux Rois l'homicide implacable'? 1615
Du moins, et Josabet, comme moi, l'a pu voir,
Tantôt à son aspect je l'ai vu s'émouvoir *;
J'ai vu de son courroux tomber la violence ».
1. C'est l'épitliète qu'au début du troisième acte Zachai-ie lance à Hathan, qui
Tcut pénétrer dans l'intérieur du temple.
2. i)u verbe défectif seoir, inusité à l'infînitif.
3. Remarquez la conrision énergique de cette expression.
4. Abner, acceptant la (rrinsaction, essaye de la justiHer.
5. Racine avait déjà employé subslantivenicnt cet adjectif dans Bérénice (IV, ?).
Je nVxaiiiiiiaïf rien, j'cipcraii l'impossible.
6. L'exemple allégué est ingénieusement cboisi.
7. Homicide est à la fois adjectif et substantif :
Pet prophitet diTint mtllieurcuie lioiiiicide.
(III, TII.)
8. Voir vers 650-655. On ne saurait trop remarquer le soin minutirux avec le-
quel Racine construisait son plan (III, vu) ; un examen attentif apprend i|i:a
mille beautés qui ne semblaient que des beautés d'ornement ont leur utilité dan- le
drame ; tout sert, et sans en avoir l'air. — « Il faut : je i ni vue, en pailant il' Al lia lin;
on a condamné tout d'une voix je l'ai vu. « [Sentimeiils de l'Académie sur Atlniiic.)
0. Tomber a ici le sens de se calmer, s'apaiser ; en latin poiiere. On dit de
m^mi! que le vent londie, que la mer tombe : » La mer, comme dirent les ma-
rini, était tombée, et le ejel s'était éclairci. » (CaATiiuaitUND, Itinéraire dt
Parié à Jinualein, part. 11.)
ACTE V, SCENE rr. 137
(a Josabet.)
Princesse, en ce péril vous gardez le silence? <620
Hé quoi? pour un enfant qui vous est étranger
Souiïrez-vous que sans fruit Joad laisse égorge
Vous, son fils, tout ce peuple, et que le feu dévore
Le seul lieu sur la terre où Dieu veut qu'on l'adore * "'
Que feriez-vous de plus, si des Rois vos aïeux 1625
Ce jeune enfant était un reste précieux ?
JOSABET, tout bas à Joad.
Pour le sang de ses Rois vous voyez sa tendresse :
Que ne lui parlez- vous?
JOAD.
U n'est pas temps. Princesse '.
ÂBNER.
Le temps est cher, Seigneur, plus que vous ne pensez '.
Tandis qu'à me répondre ici vous balancez S 1630
Mathan près d'Athalie, étincelant de rjîge.S
Demande le signal et presse le carnage ^
Faut-il que je me jette à vos sacrés genoux?
Au nom du lieu si saint qui n'est ouvert qu'à vous ',
Lieu terrible où de Dieu la m:ijesl6 repose ", 163o
1. Dans celte couric prière, Abner tafi appel à tous les seotiments qui peurent
•e prcsscf dans le cœiip de Josabet.
2. Si Joad révélait à Abner son secret, Abner serait odieux en attirant Athalie
dans le piège.
3. Joad a répondu tout haut à Josabet ; voilà pourquoi Abner parie ainsi.
4. Vous hésitez. De même, dans Iphigénie {IV, i) :
A ce silence
Ne reconnais-tu pas un pore qui bal.incc7
5. Cette belle eiprcssion est empruniéc à Corneille {Pompée, IV, i):
9e! farouches regmli ctiiicclairnt de rije.
Racine lui-nicnie avait déjà dit dans L'sHier {\], vu):
Ain#i liu Die» fiv.iiil la coliiie lilincelle.
6. Le sens élymolop;if|ue du mot carnage est : temps, époque oii l'on mange de
la chair. Carnaval vient de carnis levamen; c'est le temps où l'on enlève l'usage
de la chair, le carnaval étant vraiment la nuit qui précède le mercredi des cendres.
7. « Le grand prêtre d'Israël avait seul le droit de pénétrer dans le Saint des
Saints, où était déposée l'Arche, et mcnie il n'avait le droit d'y pénétrer qu'une
fois l'an, Il le j'iur do la Propiliation, consacrée k l'e.rpiation des péchés des
enfants d'Isracl; ce jour-là, portant des charhons enllammés dans un récliaud
et do l'encens dans un vase, il pénétrait auprès de l'Archi-, jetait l'encens sur
les charbons, et remplissait ainsi le sanctuaire d'une vapeur odoriférante, qui
était censée en voiler la gloire ; puis il revenait prendre du sang des deux vic-
times, un bœuf et un bouc, et le répandait sur le couvercle de l'.Vrche et les
planches du sanctuaire. D'autres cérémonies, des jeunes, des ablutions compté-
taient ce lilc solennel. » (.M. Athannsc CoQUKiiEn.) '
8. Cette belle expression a été empruntée par Racine à Chapelain lui-tnème,
à u Pucelle:
Loin de> murs flambo]rants qui renferment le moade,
Dans le centre caohiid'nnc clarlc iTOlonde,
Dieu repose >n Ini-im^ine, et, i(lii de splendeur,
Sjiii borne il est renioli de sa propre giindenr.
8.
138 atualie;
Onelque dure que soilla loi qu'on vous impose,
Hc ce coup imprévu songeons à nous parer '.
Donnez-moi seulement le lemps de respirer*.
Demain, dès celte nuit, je prendrai des mesures
Pour assurer le temple et venger ses injures '. i6i0
Mais je vois que mes pleurs*, et que mes vains discours
Pour vous persuader sont un faible secours * :
Votre austère vertu n'en peut ôtre frappée *.
Hé bien ! trouvez-moi donc quelque arme, quelque épée ;
Et qu'aux portes du temple, où l'ennemi nfattend, lOio
Abner puisse du moins mourir en combattant '.
JOÂD.
Je me rends. Vous m'ouvrez un avis que j'embrasse •.
De tant de maux, Abner, détournons la menace.
Il est vraij do David un Irosor est resté.
La garde en fut commise à ma Cdélité *. 1C50
C'était des tristes Juils l'espérance dernière,
Q;:c mes soins vigilants cachaient à li lumière.
Miiis puisqu'à voire Reine il faut le découvrir,
Je vais la contenter, nos portes vont s'ouvrir.
De ses plus braves chefs qu'elle entre accompagnée; 1655
I. On disait communément au xvii< siècle te parer de pour : se garantir de.
iiosi dans Molière {Tartuffe, IV, m) :
Quoi? de Tolr< p?ur.:uile on ne peut se parerT
S. Pe me rfiloumcr, comme on dit \u<f airemcat : ■ Jusqu'à quand difTérercz-
vou'' Je m'épargner et de me donner quelque relâche, aQn que je puisse un p^u
re.'l. fir. » tSia, Bible. Job, Vil, 19.)
3. Voir la note du vers 1565. — Injures est pris passivement : les injures qui
lai font faites.
4. Les Lirmos ne conviennent • i ne nous intéressons-
nous que médiocrement aux t v même au fond nous
laissent- Is incrc Jules ? CV-i :
5. 11 y a Cette dilTcreiic^- '«'adressa
plutôt 0 l'inlelligcnce, et - une pcr-
Mone Je l'cfellenee d'u;.i - . . >^ ; ,,.ii , ua no peut l'co
persuader, <.ins lui donner le liesir de 1 exocuter.
fl. Touchée; de mime dans BÊ-Uanniau (V, tiii):
Ceur, de tant d'ul'jcti en luéme temps frappé, el«.
7. Abner se relèTc; mais il est un peu tarJ. Dans son eosrmble, cette sci-n
qui est un peu lon^e, est une des moins bonnes, peut-être la moins bonne de
la perc.
^. Ouvrir, embraster, deux m'ïLiphorcs qui ne se suivent pal bien. Embraiter
(t ncnrc un mot dont la lan);ue du iix* siècle fer* un étrange abus^ a ici le s«nf
(i iJuptcr; Corneille avait écrit dans l'crtkarite (I, ti) :
J'embtuM un bot atii, de quelque (til qa'il ticsat
0. Voir la note du Tcrs Ul.
ACTE V, SCÈNE II. 139
Mais de nos sainls autels quelle tienne éloignée
n'uh'rariias ' d oliangors l'ituliscrèle fureur.
Du pillage du temple épargnez-moi l'horreur '.
Des prûtres, des enfants lui feraient-ils quelque ombre '?
De sa suite avec vous qu'elle règle le nombre. lOGO
Kt quant à cet enfant si craint, si redouté *,
De votre cœur, Abner, je connais l'équité.
Je \ous veux devant elle expliquer sa naissance :
Vous \errez s'il le faut remettre en sa puissance;
Et je vous ferai juge entre Athalie et lui '. 1603
1. D'un assemblage, d'une trou|ie ; mais ce mol esl toujours pris en mauvaise
part : « Les ûibusticrs eurent toutes les aventures heureuses et mallieurcuscs
que pouvait attendre un ramns d'hommes sans loi, venus de Normandie et
d'Angleterre dans le golfe du Meiique. » (Voltaibb, Essai sur les mœurs.)
2. Itacine, prévoyant que Cette ruse de JoaJ soulèverait .les crili.^uc?, avait
prép:iré ses réponses: «Equivoque do Joad. !• Sohito teniplum hoc. » (J. C.
parlait de sa mort et de sa résurrection dans un langage figuré. Les Juifs iac-
cuscrent de s'ttre vanté de pouvoir détruire le temple de Dieu. — 2' Martyre de
Saint Laurent, à qui le juge demanda les tiésors de l'Église : « A quo quum quse-
rerentur thesauri Ecclesiœ, proraisil dcmonsli-aturum se. Scqucnti die pauperes
duiit;. Intcrrogatus ubi essent thesauri quos proniiscrat, ostendi^ pauperes,
diccns : Hi sunt thesauri Ecclesix... Laurcntius pro singulari suse interprcta-
tionis vivacitate sacram martyrii accepit coronamo» (Sai:it Ajinn >isb. De officiis.)
Iians Prudence, saint Laurent demande du temps pour calculer toute la somme.
Saint .\ugustin même, si ennemi du mensoni^e, loue co mot de saint Laurent:
• Hoe sunt divitiac Ecclesiae. » {Sermon CCCiIl) — Dieu dit à Moïse: • Dites à
rharaon: Dimitte populum meuro, ut sacrificet mihi in deserto. » Et chap. vui.
Pharaon répond : " Ego dimitlam vos ut sacriCeetis Domino Deo vcstro in deserto.
Verumtamen longius ne abcatis. » Dieu a trompé eiprès Pharaon. (.Si'nops.) Une
autre fois Pharaon dit: « Sacrifiez ici. » Moïse répond: « Nos victimes sont vos
dieux : Abominalioncs .Egvptiorum imtnolabimus Domino. » Donc Dieu voulait
faire sortir le peuple tout à fait, et l'h.iraon no l'entendait pas ainsi. » —
Slalgré tous ces arguments, il faut convenir qu'il v a l'i un manque de franchise
qui nous déplaît dans l'austère Joad, et nous déconcerte.
3. • Quelques-uns ont prétendu que fuire ombre signifie éclipser, effacer,
obscurcir, et ne pouvait pas se dire pour faire ombrage, qui sigr.iiic donner de
la jalousie, du soupçon. » (Sentiments de l'Acndi-mie sur Athalte.'\ Hi l'.^cadémie
avait lu l'édition de 1604 de son propre Dictionnaire, elle y aurait trouvé ces
mots : <• On dit fig. d'un homme qui se défie de tout, que tout lui fait ombre. *
4. Ici Juad D'équivoque même plus ; ces mots et quant à semblent iiidiiucr
nettement à Abner que l'enfant et le t:é^or ne sont pas une seule et môme
chose. Il y a l,"» quelque chose qui re.^si.niMc ii un mensonge.
5. a On peut condamner le earactère et l'action du grand prêtre Joad ; sm
conspiration, son fanatisme peuvent être d'un très mauvais exemple ; aucun sou-
verain, depuis le Japon jusqu'à Naples. ne voudrait d'un tel Pontife; il esl
factieux, insolent, enthousiaste, inilexilile, sanguinaire, il trompe indignement
sa reine, il .fait égorger par des prèlrrs celle femme âgée de quatre-vingts
ans, qui n'en voulait certainement pas ;'i la vie du jeune Joa.« qu'elle voulait élrver
comrTU ion propre /t/i. J'avoue qu'en rêlIéeMssant sur cet é<énemcnt, on peut dé-
lester la personne du pontife ; mais on admire l'auteur, on s'assujettit sans peine
4 toutes les idées qu'il présente, on ne pense, on ne sent que d'.ipres lui. ?on su-
jet, d'ailleurs respectable, ne permet pas les critiques qu'on pourrait faire, si c'était
un sujet d'invention. Le spectateur suppose avec Racine que Jo.id est en droit
de faire tout ce qu'il fait; et, ce principe une fois posé, on con\:eit que la pièce
fit ce que nous avons de plus parfailenicnl conduit, de plus simple et de plus
140 ATDALIEj
A B N E n .
Ah ! je le prends déjà, Seigneur, sous mon appui *,
iNe craignez rieu. Je cours vers celle qui m'envoie.
SCENE m.
JOAD, JOSABET, ISMAËL, ZACHARIE, etc.
JOAD.
Grand Dieu, voici ton heure, on t'amène ta proie ».
Ismaël, écoutez. (n lui parle à l'oreille.)
JOSABET.
Puissant maître des cieux,
Remets-lui le bandeau dont tu couvris ses yeux •, 1670
Lorsque, lui dérobant tout le fruit de son crime.
Tu cachas dans mon sein celle tendre viclime.
JOAD.
Allez, sage Ismaël, ne perdez point de temps:
Suivez de point en point ces ordres importants.
Surtout qu'à son entrée et que sur son passage 1675
Tout d'un calme profond lui présente l'image.
stiblinie. «{yolfJitRB, Diclio)i)taire philosnphiqua. Art dramatique.) — Siiard, ré-
pondant iiux critiques de C.ondorcet, répoml aux critiques do Voltaire : « Vous
prétendez que Joad attire Alhnlic dans un piépe pour l'assassiner. IVrst elle qui
le dit. Mais il est facile de lui répondre qu'elle y est venue d'ello-mcme pour y
chercher un trésor qu'idle convoitait, et aussi pour y reconnaître un enfant
qu'elle craignait, et qu'elle aurait certainement fait mettre à mort des qu'un
événement (pieleiuique lui aurait révélé sa naissance. Pourquoi voudriei-vous
que Joad lui livrât cet enfant pour qu'il soit é^orfré par elle quelque jour; et ne
doit-il pas avoir le criuia!,'i! de le défendre, lorsqu'il la élevé, adopté, iiour
ainsi dire, et que cet enfant est son roi, de sa religion, le seul héritier de la
mai.<ion de David, et le seul espoir d'Israël'/ ■> Mais Suard a beau dire, si la un
est louable, le moyen est elio'|uant.
1. « On ne dit point premlre sons son appui, quoique appui signifie protec-
tion; cesdeui termes doivent s'employer avec des verbes dilTurents. » (Sentiments
de r Académie sur Athnlie.)
2. Moisc dit h Ismaél : <> Devorabis omnes populos, quos Oominus Deiis tuui
dalurus est libi. » (lJeutéronome,\\\, 10). Il dit un peu plus loin (id., IXXXI, 17) :
■ Absi-ondam scclam nieam nb eo, et erit in devoralioiiein. » Itarine a soin de
rapprler .'i chaque scène que la lutte est enfragée entre Allialio et Dieu.
3. Au moment de la (irise de Troie, Vénus enlève à ICnée les nuajfe» qui obs-
curcissaient sa vue mortelle (lini'iJe, II, 604-000); peut-être Racine s'eit-il
iouvcuu de ce passage :
... Omnrin, qiia nune olxliiclj luenH
ll"rti«lf • hi-helal «imii tibl, al bumidt circula
Ciiifil, oub«ia «ripiiiu.
l
ACTE V, SCfiXE ly. , 4 ,
Vous, enfnnt?, préparez un trône pour Joas',
Qu'il s'avance suivi de nos sacrés soldais *.
l'ailes venir aussi sa fidèle nourrice,
Princesse, et de vos pleurs que la source tarisse. 1089
;, (a un lévite.)
Vous, dès que cette Reine, ivre s d'un fol orgueil,
De la porte du temple aura passé le seuil *,
Qu'elle ne pourra plus retourner en arrière,
Prenez soin qu'à l'instant la trompette guerrière*
Dans le camp ennemi jette un subit eiïroi.
Appelez tout le peuple au secours de son I\oi; 1083
Et faites retentir jus([ues à son oreille
De Joas conservé l'ctonnante ' mer veille '.
Il vient.
SCENE IV.
JOAD, JOAS, JOSABET, trodpe de prêtres et de lévites, etc.
JOAD continue.
Lévites saints, prêtres de notre Dieu ',
Partout, sans vous montrer, environnez ce lieu; 16î*0
Et laissant à mes soins gouverner votre zèle ',
Pour paraître attendez que ma voix vous appelle.
(ils se cachent tous.)
Roi, je crois qu'à vos vœux cet espoir est permis,
1. D'après le récit sacré, Joas, pour l'intronis.ition, fut placé sur UBê tribunt
qui se trouvait adossée à l'un des côlés du temple.
2. VJoir la note du vers 1427.
^. Ég.Tréo par; dans son admirable A'uit de Afai, Alfred de Musset dira du
pélican qui s'ouvre la poitrine pour nourrir ses petits, qu'il est
Mrc de volupté, de tendresse cl d'Iiorreiir.
4. On appelle seuil, en latin limen, « la pièce de bois ou de pierro qui est au
Ij.is de l'ouverture d une porte et qui la traverse. » (Littri.)
5. Voir la note du vers 6.
6. \oir 1.1 note du vers .414.
7. Merveille a ici le sens de prodige; de môme (I, i) ;
On ne foit plui pour nout ta reduiilaMet inaini
De mcrieillei iiiii n tire elTr.ijer Ici bumiint,
8. <■ Levitœ autcm circumdent Rcgcm, habeotcs singuli «rm» sua. • (// Para-
hpomines,\\lU,~).
9. A prend dans cette locution le sens do par, comme dans Iphigénie (II, i) :
Je me laissai conduire i ctl aim.iblo guide.
Cette locution s'employait même en prose : « La Grèce n'a point reproché i
igamcmnon de s'être laissé gouvernera Nestor. • (Bàli4c, Aristippe, dise, i.)
1 41 ATOALIB.
Venez voir à vos pieds toniltcr vos ennemis.
Celle dont lu fureur poursuivit votre enfance 1C95
Vers CCS lieux à grands pas pour vous perdre s'avance.
Mais ne la craignez point. Songez qu'autour de vous
I/ange exterminateur est debout avec nous *.
.Montez sur voire trône, et... Mais la porte s'ouvre:
Permettez un moment que ce voile vous couvre •. I7l<i
(m lire un riileau.)
Vous changez de couleur, Princesse ?
JOSAHET.
Ah ! sans pftlir,
Puis-je voir d'assassins le leniijlo se remplir ^?
Quoi? ne voyez- vous pas quelle nombreuse escorte...
JOAD.
Je vois que du saint temple on referme la porte.
Tout est en sûreté.
SCENE V.
ATUALIE, JOAS, cnchô dcnièie le riJeau ; JOAD, JOS.^DET,
ABNER, SUITE d'atuai.ie.
ATHAME, à Joa(«
Te voll;t, séducteur 1705
Do ligues, de complots pernicieux * auteur,
Oui dans le troulile seul as mis tes espérances,
Llcrnel ennemi des suprêmes puissances.
In l'appui de ton Dieu tu l'étais reposé •.
De ton espoir frivole* es-tu désabusé? 1710
1. Voir la note du vers 14'>4.
2. • Li|;ior est Roiivent .iiiplitiiti dans le rôle de Juad ; peut ftro met il nu
riiinuii'Mic nrlo un peu tmp do finesse dnns son jeu : fans doiilc li" pii'ije <|u'il
tcnj lï Atlialie rsl un piôffo malin ; m.nis, (prunl le secret est lorrililo, le Miilc <|ui
le cache ne doit pas *lre si liiger. Le spiiynx est injrstérleui ; il n'est pas finul. »
(TuKoriiiLn GtuTirn.t
3. Ce sntit les derniers mots que prononce Josabct ; ils expriment une tendra
iii(|iii>Hude ; ce pcrMinna^e, depuis son entrée en scène Jusque la (In du drame,
est constant avec lui-iiiimc.
4. Nuisilile, Tuncslo : « Un roi incnpalile dt Roiivcrnor est encore plus perni-
cieux h un Liai qu'un priicc malheureux ou qui fait des fautca. » (Uucloi, 0:.'h-
vrfi, t. 11. p. 18.)
5. llai-inc ne perd pat une orrusion do nous rappeler que c'est & Dieu mime
qui- la reine s nllaquc.
6. Voir la nuto du vert 718
ACTE V, SCÈNE V, 143
Il laisse en mon pouvoir el Ion temple cl la vie.
Je devrais, sur l'iiutcl où la iiiuiii sacrifie,
Te'... Mais du prix qu'on m'ullVc il faul me conlcnlcr.
Ce que tu m'as promis, songe à l'exéculer.
Cet curant, ce trésor, qu'il faul qu'on nio rcmelte, 171 :i
Où sont ils?
JOAD.
Sur-le-chunip tu seras satisfaite:
Je te les vais montrer l'un el l'autre à la fois».
(Le riJoau se lire"'. On voit Joas sur son trône; sa nourrice est à genoux à sa
droite; Aiarias, l'épée à la main, est debout à sa gauche; el pris de lui
Zacharie et Saloniilli sont à genoux sur les dcgiés du trône; plusieurs lé-
•yites, l'épée à la main, sont raiigôs sur les côtés.)
Paraissez, cher curant, digne sang de nos Rois.
Connais-tu l'iiérilier du plus t-ainl des monarques*,
Heine? De ton poignard coiuiais du moins ces marques'. 1"20
Voilà (on Roi, Ion fils, le fils d'Ochosias.
Peuples, et vous, Abncr, icconuaissez Joas,
ABNER.
Ciel I
ATII ALIE, à Joad.
Perfide 1
1. Bol exemple de réticence ; on l'a rapproclié do l'aposfrophe irritée de Nep-
tune dans r/wit'iVe (I, J39) :
Quoi ego... icj motoj ircital coinpoacro Oiictui.
Itacinc avait déjà placé une réticence semblable dans la boucbu d'.\iici*
(l'hèdre, V, m) :
Prtnoi partie, SciRnetir : »o« iiiTinriblcj malni
Ont d.' iiioii«liiM <an« aninhre niïianolii le» hiiiiiiin$;
M.iis tout n'c'tl pa< ilétriiit, et vont en Iniiji i «ivre
Un... Vulro III>, Soigneur, iiic (JéCeiid do poili Juitie.
8. « C'est l"i qtio la catastroplie est admirablement en action. C'est li aue se
fait la reconnaissance la plus inli'rcssaiitc ; chaque acteur y joue nu gi'and rôle.
On no tuo point .\thalic sur le lliéàtre; le fils des Rois est sauvé, el est re-
connu roi ; tout eo siicclaclc traiisporlo les speelalcurs. n (VoLTiinn. Diction-
naire philosnnhinuc Art dramatique.) Vollairo disait aussi, dans un Discours
sur (a trnnMie (Ed. Beuchnt, ii, 3ns) : « La seule pièce où M. Itacine ait mis
du spcclaclc, c'est son chef-d'œuvre tVAt/tulic. On y volt un oiifanl sur un trône,
sa nourrice et des prêtres qui l'envirunnent, une reine qui eoniniai.do !k ses sol-
dats di- le massacrer, des lôviles ainu^s qui accourent pour le défendre. Toute
cctio aeticin est pathéliquc; mais, si lo stylo ne l'était pas aussi, elle ne serait
que puérile. »
3. Dans cette scène, Métastase a placé entre les mains de Ciuas le livre do la
Loi :
Que!lo !>>«lieoe
Sicio Toluiiie.
i. David.
T). Ces cicatrices, on ne les voit pas du tout à la scène. C'est aux Lévites que
Ciujada les moi\lrc dans le drame de .Molaslase : n Voyei «c sciu, qui coasarvi
encore les marques funestes d'un coup criiul. *
t i4 AiUALlË.
JOAD.
Vois-tu celte Juive fidèle.
Dont tu sais bien qu'alors il suçait la mamelle ?
11 fut par Josabel à ta rage enlevé. 1725
Ce temple le reçut, et Dieu l'a conservé.
Des trésors de David voilà ce qui me reste.
ATHALIE.
Ta fourbe* à cet enfant, traître, sera funeste.
D'un fantôme odieux, soldats, délivrez-moi,
JOAD.
Soldais du Dieu vivant, défendez votre Roi'. 1730
(ici le food du théâtre s'ouvre. On voit le dedans du temple', et les lévite»
armés sortent de tous cotés sur la scène.)
ATHALIE.
Où suis-je?0 trahison! ôHeine infortunée*!
D'armes et d'ennemis je suis environnée.
JOAD.
Tes yeux cherchent » en vain, tu ne peux échapper,
Et Dieu de toutes parts a su t'envelopper'.
{. Ce mot, qui est ici synonyme de fourberie, s'employait dans le style noble.
On le trouve dans Bossuc't (liist., I, viu) : « Sa fourbe fut bientôt découverte «j
et dans Corneille (Pompée, H, ii) :
Ce liirot voit I* fourbe et ('un moque dins Yime.
t. Toujourt la cause de Joad est identifiée avec celle de Dieu.
3. « Le dedans du temple ne peut se voir que sur la hauteur, à distance, dans
un assez grand éloignenicnt, et encore par ces mots il n'est permis d'entendre
que les deux premiers compartiments, le vestibule et lo lieu saint, où brûlaient
les lampes du célèbre candélabre dont l'arc do Titus norte rcffigip. » (Noie de
M. Athanase CoQiBRKL.) — On lit dans le .â/ercurerfe /«rance d'octobre 1770 : i. La
décoration représentant le temple de Jérusalem était parfaitement bien peinte cl
de la plus grande ordonnance. La partie intérieure du temple, formée par une
arcade «sser haute et asser ouverte pour que l'œil ne pi;rdit rien de la noblesse
et de l'élévation de l'architecture, était terminée au fond par une colonnade cir-
culaire, au-dessus de laquelle on avait pratiqué une galerie destinée à recevoir
une quantité considérable de prêtres et de peuple, dans l'instant oii Joas parait
iur son trône, entouré de ses défenseurs victorieux. Il serait difficile do donner
une véritable idée de la beauté majestueuse do ce spectacle, rendu encore plus
frappant par les chœurs nombreux... » Athalie est obligée aujourd'hui do se
passer de colonnade circulaire et de vastes galeries.
4. « Audivit autem Athalia vocom popidi curri'nlis ; et ingrcssa ad turbas in
tcmplura Doniini, vidit Ilegcm stnniom super tribunal jutta morem, et cantores
et tubas prope cum, oninemque pnpulum terrœ hetanteui, et canenlem tuliis ; et
tridil vcstinienta sua, clamavitquo : Conjuratio, conjuratio. • (IV Jtois, XI,
13, et ll.\
5. le verlio clfrcher s'emplnie souvent sans régime,
t. Motkttuic a heureusement traduit ec vers :
l^ v«nilvtl<i di Diu |[ii U clrcoiida.
ACTE V, SOIGNE VI. 143
Ce Dieu, que tu bravais, en nos mains t'a livrée '. 1733
Rends-lui compte du sang dont lu t'es enivrée •.
ATBàLIE.
Quoi? la peur a glacô mes indignes soldais'?
Lilche Abner, dans quel piège as-lu conduit mes pas^l
ABNER.
Reine, Dieu m'est témoin...
ATHALIE.
Laisse-là ton Dieu, traîlrc,
Et venge-moi.
ABNER, se jetant aux pieds de Joas.
Sur qui? Sur Joas! sur mon maître l <~40
ATHALIE.
Lui Joas? lui ton roi? Songez, méchants, songez
Que mes armes encor vous tiennent assiégés.
J'entends à haute voix tout mon camp qui m'appelle *.
On vient à mon secours. Tremblez, troupe rebelle*.
SCKNK VI.
ISMAÉL, JOAS, JOAD, ATHALIE, etc.
ISUAËL, à Joad.
Seigneur, le temple est libre et n'a plus d'ennemis'. 1^^5
L'étranger est en fuite, et le Juif est soumis.
1. Yûilà ^o véritnhlfi giijet du drame.
2. u Et vidi muliercm ebriam de sanguine sanctorum. » {Apocalypse, XVU, 0.)
Comparer ICslher, v. 1156-1159.
3. Racine avait écrit déj& dans Britannicus (I, iv) :
Les aiTiit de mon pèr«
Sont autant d'inconnus que glace ma inisorc ;
4. Abner jouerait ici un piteux pcrsouna<re, s'il n'était excusé |iai' son ignorance.
5. Ce vers est jeté dans le même moule qu'un vers de l'/phigénie d\x petit
Leclere de l'Académie, comme disait le duc de Ncvers :
L'irmé« i baut« Toix demande Iphigér,>.
(IV, TI.)
S. Jusqu'au dernier moment, le poète laisse planer la terreur sur la scène.
7. n Le dernier cliàliment même n'a pas été épargné à l'usurpatrice : elle a m
la merveilleuse facilité avec laquelle s'est achevée la révolution nui la piécipU
tait du trône. Elle so croyait nécessaire au bonheur «t à la gloire Je t« peuple ;
c'est dev.iut elle que se fait le lameux récit :
Sei;;nour, le tem^ile eat libre, etc. •
V SiiCkT f.e Temps du U août 1873, C/iioniaue l/ié4trale.)
y
148 ATUALIB.
Comme le vent dans l'air dissipe la fumée •,
La voix du Tout-Puissant a chassé celle armôô.
Nos lévites, du haut de nos sacres parvis*,
D'Okosias au peuple ont annoncé le fils s, J7o0
Ont conté son enfance au glaive dérobée,
Et la fille d'Achab dans le piège tombée*.
Partout en même temps la trompette a sonné*.
Et ses sons et leurs cris dans son camp étonné
Ont répandu le troiible et la terreur subite " ^"^-^ 1755
Dont Gcdéon frappa le fier Madianile*.
Les Tyriens, jetant armes et boucliers,
Ont, par divers chemins, disparu les premiers.
Quelques Juifs éperdus ont aussi pris la fuite';
Mais, de Dieu sur Joas admirant la conduite', 1760
Le reste à haute voix s'est pour lui déclaré.
Enfin d'un même esprit tout le peuple inspiré,
Femmes, vieillards, enfants, s'embrussant avec joie",
Bénissent le Seigneur et celui qu'il envoie.
Tous chantent de David le fils ressuscité. * '65
1. « Sicut dofiiit fumus, deficiant. » {Psaumes, LXVM, 3.) « Tanquam fumus
qui a Tcnto dilTusus est, » etc. {Sap., I, 15.) On lisait aussi ilans un sonnet, sur la
rclr.-'ite du duc de Parme, qui faisait partie de la Satire Ménippée :
Ct iuperbt appareil t'en retourne en ruméo.
Ennn on trouvera dans la traduction du Psaume I publiât dana 1m Mémoires
de Favart (II, 28i>
Que deviendront l'impie et le Toluilueiit k
lu leront disper^As ai(i*< ;v: Is poii<ii(re
Qu'un lourbillun iiiim'ii •
Erilète du seio de Id lerr*.
t.* Du kaut de nos sacres parvis. On Ct monter saint Jacques, frère du Sei-
froeur, au haut du temple, pour y déclarer à tout le peuple ses sentiments sur
Jé:us-Clirist. Et aussitùt tous ses ennemis y montèrent en foule pour l'en préci-
piter. « {Itemarquc de J ■ Jlacine.)
3. nemar(|ucz la bni'diesse de cette expression. On anooncfl une chose; aanoo-
cer une personne a, d'ordinaire, un tout autre sens.
4. On ne l'appelle inèaie plus la reine, mais la nUo d'Achab.
5. Voir la note du vers 6.
6. Gédëon, n'ayant avec lui que trois cents soldats éprouvés, leur Qt cacher des
torches ennammées dans de grands rases do terre, dont on te servait pour
abreuver le bùlail. A un seul sipnal, les vases volent en éclats, les trompettes
sonnent, ct les soldats poussent dos cris ; les Madianites prennent la fuite, Israël
•st vainqueur, ct le niodusle Gédéon refuse la couronne.
7. • Dans cette belle peinture de la joie publique, le poète n'oublie pas d«
faire remarquer que quelques Juifs éperdus ont nris la fuite. Il a été dit au com-
mencement de la pièce que plusieurs étaient au parti d'Athalio et adoraient
UaaI. Plus on eiamlnc celte pièce, plut 00 remarque l'ordre dant lequel toi't s«
luit. • (Louis IliciNi.)
8. Conduite est ici un terme tliéoloffiqne, et sifrnino : It voie divine, le des-
sein divin, comme dans cet riomplo de Pascal (/-eC/. i») : :i Voilà lot admirablet
cuiiJultes de la sagesse de Hiouiur le salut dei saints. •
V. « LKtatutqua «il omnit populut t«rra, «t civitts cor. |uievil. ■ C/V /'oit,
SU.)
ACTE V, SCÈNE VI. 147
Baal est en horreur dans la sainte cité.
De son temple profane on a brisé les perles,
Mathan est égorgé '.
ATHALIE.
Dieu des Juifs, tu l'emportes '1
Oui, c'est Joas, je cherche en vain à me tromper.
Je reconnais l'endroit où je le fis frapper '; 1770
Je vois d'Oliosias et le port et le geste* ;
Tout me retrace enfin un sang que je déteste.
David, David triomphe; Achab seul est détruit*.
Impitoyable Dieu, toi seul as tout conduit'.
C'est toi qui, me flattant d'une vengeance aisée, 1773
M'as vingt fois en un jour à moi-même opposée,
Tantôt pour un enfant excitant mes remords,
Tantôt m'éblouissant de tes riches trésors.
Que j'ai craint de hvrer aux flammes, au pillage.
Qu'il règne donc ce fils, ton soin"' et ton ouvrage; 17C0
El que pour signaler son empire nouveau,
On lui fasse en mon sein enfoncer le couteau.
*
\. « Inçressusque est omnis populus terrée tcmplum Ba.il, el desiruicrunt aras
f jus, et imagines conlriverunt vali'lo ; Malhaa quoquc, sacerdotem BanI, oci iile-
runt coram altari. » [II Rois, XI, 18.)
î. Ca cri est celui do Julien : « Cbriste, vicisti ! » En 1674, Pradon avait Hiit
dire à la reine Amcstris, par un mouTeraent analogue, dans sa tragéJie dt
l'irame «I Thisbée (V, n) :
Tu lrloinplie.<, Belus, e( Isi dieux m'ont trahie ;
Tu m'arraches le sceptre, el me laisie! la vie.
AchcTe, Ois ingrat, et, devenant mon Roy,
Viens me rafir le jour que tu receu» de moj.
3. Athalie a bien bonne mémoire; et puis, aToit-elle donné dei ordres bien
précis sur l'endroit où l'on devait frapper chacun de ses polils-fils T Ca >ers est
maiiiuureux.
t. Sic oruloi, lie ille manui, lie ora Tercbat.
(ViRciLi, tinéide, III, 4M.)
8. Racine avait déjà dit dans Mithridate (III, i) :
Montrer aux Dations Mithridate délrulL..
liais ici Te sens est diiïérent: il faut, par Achab, entendre la race d'Achab.
fi. Racine essaie do jusiificr Joad. — i< La voilà prise comme dans une sou-
ricière. Ah ! comme alors elle recouvre, pour voir toutes ses fautes et les jugrr.
la nellelé d'esprit première. Y a-t-il un souverain tombé qui, repassant toutes les
él.ipcs de sa chute dénnilivc, n'ait pu réciter les admirables vers d'Atbalie, s'en
prenant à un dieu ennemi :
C'est toi qui me flattant d'une Tengeanc* dsAc, etc.
M. Sarcht, Chronique Ihédirale du Temps, l( août 1873.) — Dans Vlfipiw
lyte (I, m) do Bidar (1675), Plicdre s'écriait, par un mouvcm. nt semblable:
Irnpilii; ibic Amour, te TOilà sali'^rail.
En 1824, Soumet fera dire ironiiiucmcnt à sa Cléopâtra (II, 6) :
ImpiloTalilei Dieux, de ma bonle témoins,
De Tolre amour pour moi le n'altcnilaii pai aolai i
7, Latinisme : tua cura.
1 4 8 ATHALIE.
Voici ce qu'en mourant lui souhaite sa méro ;
Que dis-je, souhaiter? je me flatte, j'espère
Ou'indocile à ton joug, fatigue de la loi,
l'idéle-au sang d'Achab, qu'il a reçu de moi, 1783
Conforme à son aïeul, à son père semblable,
On verra de David l'hcrilicr détestable
Abolir tes honneurs, profaner ton autel,
Ll venger Athalie, Achab et Jozabel". 1700
(Aflialie sort, les lévites la suivent. )
JOAD.
Qu'à l'instant hors du temple elle soit emmenée,
El que la sainteté n'en soit point profanée''.
Allez, sacrés vengeurs' de vos princes metirlris'
\)c. k'ur sang par sa mort faire cesser les cris't
Si (|iiclqiic nndacicux embrasse sa querelle*. 1795
Qu'à la fureur du glaive on le livre avec elle'.
SCENE VII.
JOAS, JOAD, JOSABET, ABNER, etc.
JOAS.
Dieu, qui voyez mon trouble et mon affliction,
1. Mét.istas<(, au lieu de prêter à Athalie ces énergiques impréc.itions, a donné
h la vieille reine une sorte de délire (11* partie^ : « Je tremble, je sens tout mon
soin inondé d'une sueur froide. Fuyons... Ah ! ouest la roufe?Qui me l'indiquera?
DDieu! Uue de soldats! Où suis-jc? Ah ! l'air autour do moi reluit et étincelle !
l.a terre remue et vacille! Quelle nuit profonde et horrible m'entoure ! (Juols
f.ir.t'iraes funestes ! 0 terreurs ! Je sons dans mon sein une peur cruelle. » Mé-
l.istasc se souvenait de la sortie de M itlian, à l'acte III d'Athalie.
î. « rrœcepit nulcm Joiada ccnturionil)iis qui erant super exorcitum, et ait eis :
Educile eani extra septa tumpli ; et nuicumque cam secutus fucrit, feriatur pla-
dio. liixerat cnim sacerdos : Non occiaatur in temple Domini. »(IV Hois, XI, 15.)
3. Voir la noie du vers 1427.
4. 1 Afmririr pour luer a vieilli. >> {Sentiments de l'Académie.) Oa lisait dam
le Triomphe de la J.igue, de Nérée (V, ii) :
Puii dm fr^rni mcnrtril !<• bcaut chafi i. fait pend)
Par \i III lia <tu bourreau
leJans l'Antiz/one de Garnior (V) :
J'ai inciirlri mon «ofanl, qut Je lieni «n mn lira*
Ouiaaull «tait dit encore dans Astrafi^ (IV, xi) :
^Votr* pùri-, par «lia, (t fut rn^vi maurlrii...
5. Comme aucun détail n'est inutile dans la pièce, .-c» vers «ont la cnniéquone '
logique 'le* «cntimcnts exprimés dans In» »er» 89-9J.
ft. Voir la note du vers tll9.
7. M. Tatin croit que Itacino a emprunté rcttg oxprcssion à Sénôquo qui •
\Tit (Trond , »»:<) : « Gladii libido. •
ACTE V, SCÈNE VIII. f(9
Détournez loin de moi sa malédiction,
Et ne souffrez jamais qu'elle soit accomplie.
Faites que Joas meure avant qu'il vous oublie'. iSOr"
JOAD, aux lévites.
Appelez tout le peuple, et montrons-lui son Roi.
Qu'il lui vienne en ses mains renouveler sa foi '.
Roi, prêtres, peuple, allons, pleins de reconnais-;ince,
De Jacob avec Dieu confirmer l'alliance*,
El, saintement confus de nos égarements, 1803
Nous rengager <i lui par de nouveaux serments.
Abner, auprès du Roi reprenez votre place.
Hé bien? de celle impie a-t-on puni l'audace?
SCÈNE VIII.
UN LÉVITE, JOAS, JOAD, etc.
ON LÉVITE.
Le fer a de sa vie expié les horreurs *.
Jérusalem, longtemps en proie* à ses fureurs, 1810
De son joug odieux à la fin soulagée,
Avec joie en son sang la regarde plongée*.
1. Métastase a déTeloppé ce vers dans son Gioa$ (H* partie) : » Si je dois vivr*
inndèle à ta loi, tue-moi sur l'heure, grand Roi des Rois : plutét oue f'.ff'înser,
j'aimerais mieux mourir. •>
2. Sa foi, c'cjt-à-dire ici : son serrafint de fidélité.
.3. • Pcpigit crgo Joiada fœdus inler Doniinum et inti r Regem, at in'.er oo.
pulum.'jt csscl populus Domini. n (IV Hois, XI, 17.)
4. Eipier, c'est réparer un crime par le châtiment ; c'est aioti que cabine,
dit dans VHorace de Corneil'e (V, m) :
De mon ud; malhcurcui tipiet tout iod crime.
PriraitiTement, cher les Hébreux, le genre de supplice en usa;?o était la .'éca-
pitalion ; plus tard, on frappe du glaive, et, à cette époque, l'exécuteur le la
sentence a le droit de l'exécuter comme il lui plait. Dans la suite le sacrilège,
l'adultère et le blasphème seront généralement punis par la lapidation ; ? seront
les témoins qui jetteront les premières pierres.
Ti. U y a là une rencontre cle voyelles fort peu harmonieuse. Voir les vers 1811
et 1813.
6. Ce tableau a peut-être été inspiré à Racine par une scène de V Enéide (Vil,
SC5-2C7), où Virgile nous peint la joie des paysans délivrés par Hercule de l'op'
pression du territ>le Cacus :
Neqiirunt eipleri cordt tuenJo
Terribiln tcjloi, Tultiim, fillusaqiie letia
'. Pectort lemifiTi, ilqtie ciitiaclui faucibui igD«ti
i» par un pa><-ige do Siare [la Thébaide, l, 616) :
JuTit ire, et tiiere jaila
LiTentei in morte oeiiloe
150 ATOALIE.
JOAD.
Par celte fin terrible, et due à ses forfaits*,
Apprenez, lloi des Juifs, et n'oubliez jamais
Que les Rois dans le ciel ont un juge sévère, 1815
L'innocence un vengeur, et l'orphelin un père*
(. Le grand préire tient & signaler qu'il n« vient pas d'arcomplir nne Tea-
gcance, mais un acte do justice.
S. 'E; tAo; fif o\ |iiv lv(Xo^ TUf^''*"""' i((***i
01 «axoi i*f «î^rip vifûxav', ouitox' lu itçd^itav uv.
(EciiPiDi, /on, T. l6St-l6îî.)
Voltaire a terminé sa tragédie de Simiramis par ces Ters, éTidcmoieot irai»
(es de Racine :
Par ce terrible exempt*, ippreaettoui du moins
Que lei erimei secrets ont l-^s Dieux pour témoins;
Plus le coupable est grand, plus f^rand est le supplice
Rois, trembles sur le trAne, et craignei la justice.
Lnlln, François de Paulc dira au Dauphin, en terminant le Louis X/de t«sl>
mir Delavigne :
Considères sa Un, médites ses ails;
Et n'oubliez jamais tous fOlrc diadime
Qu'on est roi pour son peuple et non pas pour soi irCme.
Voir Alexandre, noie du »eri 1548.
KIN n .iiTIlAIJK
TABLE DES MATIÈRES
Notice larRacino.... m
Notice sur Athalie 1
Athalie, tragédie tirée de l'Écriture sainte (IGOI) 23
Préface 24
Noms des personnages 33
Acte premier 37
Acte deuxième CC
Acte troisième 92
Acte quatrième 1 ' ^
Acte ciuciuièmo '31
iuILK COLIN — IMIMIMLHIK DE l AONT
1
PQ Racine, Jean Baptiste
ISQl Athalie
A3B^
18—
PLEASE DO NOT REMOVE
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