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Full text of "Athalie; tragédie... Éd. nouv. à l'usage des classes"

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University  of  Ottawa 


littp://www.arcliive.org/details/atlialietragdiOOraci 


ATHALIE 


DU   MK.MK  AUTEUR 


J.  llAi;i.>K.  Andromaque.   I  \o\.  in- 12,  cart «  fr. 

—  Les  Plaideurs.   1  vol.  iii-l*2,  cart 1  fr. 

—  Athalie.  l.  vol.  in- 12,  cart 1  fr. 

—  Mithridate.  1  vol.  in-Iî,  cart 1  fr. 

—  Iphigénie.  1  vol.  in-12,  cart I   fr, 

—  Phèdre.  1  vol.  in-12,  cart I  fr. 

—  Esther.  1  vol.  in-l2,  cart l  fr. 

—  Britannicus.  1  vol.  in-12,  cart 1  fr. 

—  Théâtre  complet,  i  vol.  in-12,  lir 12  fr. 


Recueil  de  morceaux  choisis  dos  aiitenrs  français,  prosa- 
teurs ft  pot'tcs,  ouvrage  conçu  dapn-s  les  nouvcau.x  pro^^ranimcs 
■  fficicls,  à  l'usage  de  tous  les  ctahlissenients  d'enseigncmcnl 
-1  c<jndairc. 

X\  11'   SlKf:LE,  précédé  d'un  tableau  do  la  liltératurc  au  wii"  siè- 
cle, in-12  de  xxxix-38()  pages,  cart 2  fr.  25 

.Wlll'  SIÈCLE,  procédé  d'un  tableau  do  la  littéralurc  an  xviu*  siè- 
cle, in-12  de  xLni-420  pages,  cnri 2  fr.  25 

MX""  Siftr.l.K,  précédé  d'nn  tableau  de  la  littérature  an  xix'  siècle. 
iu-»2  de  LXXXU-448  pages,  cart 2  fr.  2.i 


l  fni.l    f.M.IK   —    IMI'HIMKHIR  DP.    I.MÎNT 


J.    RACINE 


A  T  II  A  L  I  E 


T1U(;EDIE   TIUl'E  DE  l/ECRITURE  SAINTE 


KDITION    NOUVELLE 


A  L'USAGE  DES  CLASSES 


N.-M.    BERNARDIN 

Ancien   cicvc   ilf  rL!(  i)lc  iiorinale  siipéiieure,  Docteur  è»  lettre», 
Prorcsscur  ilc  ilif-loriqu;  au  lyeée  Charl-Mnagne. 


S  M  1»  r  1  L  M  E     i;  D  I  T  1  O  N 


^^■^^^e*^ 


,^y} 


U- 


PAHIS 
I.IDUA1RIE    CI!.    DELAGRAVE 

15,     RUE     SOfFFLOT,     15 


AVERTISSEMENT 


Nous  avons  presque  toujours  suivi  pour  celte  édition  la 
lexte  de  l'excellente  édition  de  M.  P.  Mcsnard.  Nous  avons 
seulement,  pour  faciliter  aux  élèves  l'intelligence  de  certains 
passages,  conservé  les  indications  de  jeux  de  scènes  introdui- 
tes parles  éditions  de  1708,  de  1808  et  de  M.  Aimé  Martin. 

Pour  la  partie  historique  et  critique,  nous  devons  beaucoup 
aux  remarquables  Notices  de  l'édition  de  M.  P.  Mesnard,  à  la 
thèse  érudite  et  élégante  de  M.  Deltour  sur  Les  ennemis  de 
Racine,  au  Port-Royal  de  Sainte-Beuve,  à  l'édition  de  Racine 
de  Saint-Marc  Girardin,  continuée  par  M.  Moland,  à  la  Notice 
êur  Racine  de  l'édition  de  M.  Geruzez,  à  quelques  articles  pu- 
bliés jadis  par  M.  Tuinc  dans  le  Journal  des  Débats. 

Nous  avons  essayé  de  donner  dans  nos  notes  presque  tous 
les  passages  des  auteurs  anciens  ou  modernes  que  Racine  a 
ou  semble  avoir  imités.  Enfin,  nous  n'avons  pas  craint  de  faire 
dans  ces  notes  une  place  aux  Mémoires  des  acteurs  célèbres, 
et  aux  souvenirs  qui  nous  ont  été  transmis  sur  leur  jeu. 
C'est  là,  nous  semble-t-il,  le  commentaire  le  plus  vivant  de 
l'œuvre  de  Racine  ;  un  geste  ou  un  cri  de  Talma  ou  de  Rachel 
suffit  pour  préciser  nettement  une  situation,  ou  pour  donner 
à  un  vers  tout  son  sens.  Par  malheur,  les  docunients  sont 
rares.  Puissent  ces  souvenirs  dramatiques  contribuer  à  donner 
aux  élèves  un  peu  de  goût  pour  l'art  de  la  lecture,  que  le 
charmant  volume  de  M.  Legouvé  parviendra,  nous  l'espérons, 
à  mettre  en  honneur  dans  nos  lycées;  mais  il  a  encore  bebu* 
coup  à  faire. 

a 


NOTICE 

UIOGRAPHIOUE    ET    MTTÉRURF. 
SUR  Jlan  IIAGINE 


La  vie  de  J.  Racine  est  étroitement  liée  à  l'iiistoire  de  Port-Royal, 
ei  nous  trouvons  le  Jansénisme  au  berceau  comme  au  lit  do  mon 
du  poète.  En  1638,  quelques  semaines  après  l'emprisonnement  de 
Sainî-Gyran  à  Vincennes,  Lancelot,  bientôt  suivi  de  MM.  Le  Maître  et 
doSéricourl,  était  venu  se  réfugier  à  laFerté-Milon,  chez  le  père  d'un 
de  ses  élèves,  le  sieur  Nicolas  Vitart,  dont  la  femme,  Claude  dos  Mou- 
lins, devait  ôlre  grand'tante  maternelle  de  Racine;  les  solitaires  res- 
tèrent un  an  dans  la  ville,  et,  quatre  mois  après  leur  départ,  le  îl  dé- 
cembre 1C39,  le  petit  Jean  Racine  vint  au  monde  dans  cette  maison 
tout  acquise  au  Jansénisme.  C'est  sous  les  mains  des  solitaires  qu'ont 
grandi  et  se  sont  formés  le  cœur  et  l'esprit  de  l'adolescent  ;  si  le 
jeune  homme  s'est  éloigné  d'eux  un  moment,  s'il  a  raillé  ceux  que 
dans  le  fond  de  sor!  âme  il  ne  cessait  pas  d'aimer,  «  semblable  à  ces 
enfants  drus  et  forts  d'un  bon  lait  qu'ils  ont  sucé,  qui  battent  leur 
nourrice  »,  c'est  à  eux  que,  désenchanté  et  triste,  l'homme  est  venu 
demander  de  guérir  son  cœur  brisé  et  saignant  ;  et  le  mourant  ^ 
voulu  que  son  corps  fût  porté  à  Port-Royal  des  Champs,  et  reposât 
aux  pieds  de  M.  liamon'.  Ainsi  Port-Royal  enveloppe  la  vie  tout  en- 
tière de  Racine  ;  et  c;  n'est  pas  seulement  sur  l'homme,  mais  aussi 
sur  l'homme  de  liaires  que  s'est  exercée  son  influence.  C'est  ce  que 
vont  montrer  les  faits  dont  nous  allons  commencer  le  récit,  et  ce 
que  nous  tâcherons  d'établir  en  étudiant  le  talent  de  Racine. 

Notre  poète  était  de  famille  noble.  Son  bisaïeul,  Jean  Rarine,  rece- 
veur pour  lii  Roi  et  la  Reine  du  domaine  et  du  duché  do  Valois,  et 
dos  greniers  h  sel  de  la  Ferlé-Milon  et  de  Crespy-on-Valoi«,  avait  été 

i.  Tcsl^imont  do  Ftacinc  :  «  Au  nom  du  Père  cl  du  Filf  cl  .lu  S;iint-E?iTii  i» 
d*sirc  qu'après  ma  mort  mon  corps  soit  porto  à  Porl-Royal  des  Champs,  »t  ^\k  il 
)  «oit  inliumé  dans  le  cimetière  aux  pieds  di<  lu  fosse  de  M.  Ilamon,  >  etc. 


n  NOTICE   SUR  JEAN    HACINE. 

anobli  pour  ses  fonctions,  et  c'est  pour  lui  que  furent  faites  les  ah« 
moiries  célèbres  représentant  un  rat  montant  sur  un  chevron,  et 
un  cygne,  ou  cyne,  suivant  la  prononciation  du  temps.  Ce  vilain  }'al 
désespérait  Racine,  et,  quand  ses  armoiries  furent  enregistrées  en 
1G97,  le  rat  avait  disparu.  Jean  Racine,  le  père  du  poète,  était, 
d'après  le  Mémoire  que  nous  a  laissé  Louis  Racine  sur  la  vie  de  l'au- 
teu'-  d'Aiidromague  et  de  Phèdre,  contrôleur  du  grenier  à  sel  à  la 
perté-Milon.  Le  13  septembre  1G38,  il  épousa  Jeanne  Sconin,  fille  de 
Pierre  Sconin,  président  au  grenier  à  sel  de  !a  même  ville.  Le  len- 
demain de  sa  naissance,  c'est-à-dire  le  22  décembre  1039,  le  jeune 
Racine  fut  tenu  sur  les  fonts  par  son  aïeule  paternelle,  Marie  des 
Moulins,  femme  do  Jean  Racine,  et  par  son  grand-père  maternel, 
Pierre  Sconin.  Au  mois  de  janvier  1G41,  Jeanne  Sconin  mourut  en 
mettant  au  jour  une  fille.  Deux  ans  plus  tard,  son  mari  mourait  à  son 
tour,  à  l'âge  de  vingt-huit  ans,  trois  mois  après  avoir  épousé  en  se- 
condes noces  Madeleine  Vol,  flile  d'un  notaire  de  la  Ferté-Milon.  Il 
ne  laissait  que  des  dettes.  La  jeune  veuve  semble  Être  devenue  une 
élrangèie  pour  les  enfants  de  son  mari.  L'orpheline  fut  recueillie  par 
l'aïeul  maternel,  Pierre  Sconin,  et  son  frère  par  leur  grand'mère, 
Marie  des  Moulins,  sœur  de  mademoiselle  Vitart '. 

Marie  des  Moulins,  devenue  vente  en  1649,  alla  rejoindre  à  Port- 
Royal  sa  fille  Agnès,  qui  y  était  religieuse,  et,  voulant  mettre  son 
petit-fils  au  collège,  elle  l'envoya  dans  la  ville  de  Beauvais,  dont 
l'évêque,  Choart  de  Buzanval,  était  un  ami  des  solitaires.  Le  jeune 
Racine  sortit  un  peu  avant  seize  ans  du  collège  do  Beauvais,  et,  mal- 
gré son  jeune  âge,  par  une  faveur  toute  particulière,  il  fut  admis  à 
l'École  des  Granges,  qui  était  sous  la  direction  de  deux  des  Messieurs 
de  Port-Royal,  Lancelot  et  Nicole. 

L'enfance  de  Racine  avait  été  entretenue  dans  une  dévotion  ardente 
et  attendri»)  :  Marie  des  Moulins,  sa  grand'mère,  avait  retrouvé  deux 
de  ses  sœurs  parmi  les  religieuses  de  Port-Royal  ;  sa  fille,  tante  du 
poète,  est  bien  coimue  sous  le  nom  de  Mère  Agnès  de  Sainto-Tliècle; 
trois  des  frères  do  Jeanne  Sconin,  la  mère  du  poêle,  étaient  religieux 
de  Sainte-Geneviève:  ainsi,  do  tous  côtés,  dans  sa  famille,  le  Jeune 
/laclne  était  appelé  à  Dieu.  Messieurs  de  Port-Royal  nourrirent  soi- 
gneusement cette  grande  piété,  qui  s'établit  si  profondément  dans 
le  cœur  du  poète  que  do  longues  années  d'une  vie  dissipée  et  mon» 
daine  no  purent  l'y  détruire. 

Le  jeune  homme  reçut  à  Port-Royal  une  instruction  solide.  Nicole, 

I.  L'oe    fcnimc  ilv    U    bourgcoinic,  mime  muriéc,    éltil    appclAe  Madtmëi- 


NOTICE   SUR   JEAN    RACINE.  T 

h  qui  l'on  doit  une  grande  partie  des  Méthodes  dites  de  Port-Royal, 
le  dirigea  dans  ses  humanités;  Lancclot,  qui  composa, avec  Lemaistre 
de  Saci,  le  fameux  Jardin  des  racines  grecques,  lui  inspira  un  vif 
amuur  pour  la  langue  d'Euripide.  Son  élève  lisait  courammnnt  le 
grec;  c'est  vers  cette  époque  qu'il  traduisait  Diogène  LaCrce,  Piii- 
lon  et  Eusèbe,  et  qu'il  apprenait  par  coeur  le  roman  d'Héliodore,  le» 
Amouisde  Théagène  et  Chariclée.  pour  n'en  ôtre  plus  séparé,  si  son 
professeur  le  lui  brûlait  encore  uno  fois.  Le  Maître  *,  qui  l'aimait  par- 
ticulièrement, et  se  nommait  familièrement  son  a  papa  »,  trouvait, 
comme  l'Aper  du  Dialogue  des  Oralctirs,  qu'il  n'y  avait  pas  de  gloire 
plus  grande  que  celle  de  l'orateur,  et  destinait  son  élève  au  barreau; 
il  avait  lui-même  obtenu  d'assez  grands  succès  dans  cette  carrière, 
où  M.  Hamon  aurait  vu  aussi  avec  plaisir  entrer  le  jeune  Racine. 
En  somme,  ce  que  Racine  apprit  surtout  à  Port-Royal,  c'est  l'art  de 
développer,  et  aussi  l'art  de  bien  parler.  Nous  retrouverons  dans 
ses  œuvres  ces  deux  arts,  et  leur  part  est  grande  dans  le  tah  nt  du 
poète. 

Eu  mars  1C5C,  les  écoliers  et  leurs  précepteurs  furent  dispersés, 
et  Racine  resta  aux  champs  avec  sa  famille.  C'est  à  cette  date  qu'il 
faut  placer,  selon  toute  vraisemblance,  son  élégie  latine  Ad  Chrislum 
sur  les  persécutions  d'Israël.  Quant  aux  Hymnes  du  Bréviaire  ro- 
main, elles  ont  été  incontestablement  retouchées  plus  tard  par  le 
poète.  Le  jeune  homme  ne  cultivait  pas  seulement  la  Muse  latine 
et  l'hymne  sacrée;  l'amour  de  Port-Royal,  et  ce  goût  extrême  pour 
•  les  jardins,  les  fleurs,  les  ombrages  »,  que  La  Fontaine  reconnaît 
à  Acante  (Racine)  dans  sa  Psyché,  lui  inspirèrent  sept  Odes  sur  le 
paysage  ou  promenade  de  Port  Royal  des  Champs.  Ce  ne  sont  guère 
que  des  œuvres  d'écolier,  où  se  pressent  tous  les  procédés  do  la 
rhétorique;  la  description  y  est  souvent  plus  miiniticuso  que  poéli 
que,  et  l'on  y  rencontre  trop  de  vers  comme  ceux-ci: 

La  nature  CRt  inimitable  ; 
Et,  quand  elle  est  en  libcrtA, 
Elle  brille  d'une  clarté 
Aussi  douce  que  véritable. 

C'est  tout  au  plus  si  deux  ou  trois  strophes  font  pressentir  un  ta- 
lent futur,  et  méritent  d'être  sauvées  de  l'oubli,  comme  le  début  an 
celle-ci  : 

Là,  l'Iiirondclle  voltigeante, 
Raaant  les  Ilots  cl;iirs  et  polis, 
Y  vient,  avec  cent  petits  cri». 
Baiser  son  image  naissante. 

I.  Frère  de  Lcmaiglro  de  S«ci.  Lo  nom  s'écrit  «vee  le»  dcut  orlhogrtphM, 
I  indiftirremracnt 


VI  NOTICH  SUH  JEAN   RAClNti:. 

Ces  amusements  d'écolier  ne  semblent  pas  avoir  effrayé  les  soli- 
taires, qui  ne  lii  sent  encore  rii  n.  Racine  sortit  de  Port-Hoyal  en  octo- 
Lre  I(ô8,  .^  dix-neuf  ans,  pour  faire  son  cours  de  logique  au  collège 
d'Ilarcourt,  qui  entre  tenait  de  bons  rapports  avec  les  Janstînistes 
(c'était  là  que,  en  IGiG,  avaient  été  secrètement  imprimées  plusieurs 
des  Provinciales,  par  les  soins  du  principal,  Thomas  Fortin).  Prit-il 
beaucoup  de  ^.^û  l  à  la  lopiquc  ?  Nous  ne  le  saurions  dire.  Ce  que 
nous  savons,  c'est  que,  |)0ur  la  naissance  du  fîls  de  Mademoiselle  Vi- 
tart,  sa  tante,  il  écrivit^  dans  le  goût  [iréteniieux  de  l'époque,  un  son- 
net dont  une  pointe  et  la  chute  le  ravissaient  : 

Et  toi,  Clic  du  jour,  qui  nais  devant  ton  pers. 
Belle  Aurore,  rougis 

et  s'adressant  à  l'enfant  : 

Sois  digne  de  Daphnis,  et  digne  d'Amaranthe, 
Pour  itrc  sans  égul,  il  les  faut  égaler. 

Peu  de  temps  après,  il  faisait  pour  le  cardinal  de  Mazarin  un  sonnet 
sur  la  paix  des  Pyrénées.  Cette  fois,  Port-Hoyal  s'inquiéta  pour  tout 
de  bon  :  l'oiseau  voulait  sortir  de  son  nid. 

Mais  le  jeune  homme,  qui  venait  de  quitter  le  collège  et  était  entré 
ch<  z  son  oncle  Viiart '.intendant  des  ducs  de  Chevreuseetde  Luynes, 
se  prédccupa  fort  peu  de  ces  remontrances,  et  composa  pour  le  ma- 
riage du  Roi  son  ode  intitulée  la  Nymphe  de  la  Sdîie.  Il  a  raconté  à 
son  ami  l'abbé  Le  Vasseur,  dans  une  lettre  du  13  septembre  IGCO, 
comment  son  oncle  Vitart  soumit  cette  pièce  à  Chapelain  et  à  Per- 
rault: «  M  (.ha|)elain  a  donc  revu  Todc  avec  la  plus  grande  bonté  du 
monde,  tout  malade  qu'il  était.  Il  l'a  retenue  trois  jours  durant,  et  en 
a  fait  des  remarques  par  écrit,  que  j'ai  furl  bien  suivies....  Au  sor 
tir  de  chez  M.  Chapelain,  il  alla  voir  M.  Perrault,  contre  notre  des- 
sein, comme  vous  savez.  Il  ne  s'en  put  empêcher,  et  je  n'en  suis  pas 
marri  à  présent.  M.  Pi  irault  lui  dit  au^si  Je  fort  bonnes  chose?,  ([ue 
M.  Vitart  mit  |)ar  écrit,  et  (|ue  j'ai  encore  toutes  suivies,  à  une  ou 

deux  |iiès Je  ne  vnus  dirui  rien  de  l(;ur  ai^probation,  ^inon  que 

M.  Perrault  a  dit  que  l'udu  valait  dix  fois  la  comédie',  i^t  voilà  ces 
parole»  de  M.  Clmpelain,  que  je  vous  rapporterai  comme  le  texte  do 
l'Évangile,  sans  rien  y  chaiigi'r.  Mais  aussi  c'est  M.  Chapelain, 
comme  disait  fi  chaque  mot  M.  Vitart.  «  L'ode  est  fort  belle,  fort  poé- 
•  li',ue,  et  il  y  a  beaucoup  do  stances  qui  no  lo  peuvent  mii'iix.  Si 

1.  McoUi  Vitart,  Bit  de  Claude  des  Moulins,  était  «ou*in  germain  dv  |icre  d« 
B><*inr,  et  oncle  k  lu  mode  de  Ilretiisne  du  poète. 
t.  Il  s'agit  iitii  diiula  do  la  tragédir  d'.l niait*. 


NOTICE    SUR    JEA>;    ftACINE.  Vil 

«  l'on  reptsse  ce  peu  d'endroits  marqués,  on  en  fnra  une  fort  b>:lle 

«  pièce Ce  qu'il  y  a  de  plus  considérable  à  changer,  c'a  été  une 

«  stance  entière,  qui  est  celle  des  Tritons.  Il  s'est  trouvé  qu.e  les  Tri- 
«  tons  "n'avaient  jamais  logé  dans  les  fleuves,  mais  seulement  dans  la 
«  mer.  »  Celle  ode  est  la  première  oeuvre  do  Racine  qui  fut  livrée 
RU  public,  it  elle  commença  sa  réputation  ;  il  est  piquant  qu'elle 
ait  été  patronnée  par  Cliapelain  et  par  Perrault. 

En  môme  temps  (1(60),  le  jeune  poète  composait  pour  les  comédiens 
du  Marais  une  tragédie  d'Amasie,  dont  le  sujet  ne  nous  est  pas  connu, 
et  qui  ne  fut  pas  représentée.  En  juin  ICGI,  il  écrit  h  l'abbé  Le  Vas- 
seur  qu'il  est  en  train  de  faire,  sur  les  conseils  d'une  comédienne, 
une  pièce  des  Amours  d'Ovide:  «J'ai  fait,  refait  et  mis  enfin  dans  sa 
dernière  perfection  tout  mon  dessein.  J'y  ai  fait  entrer  tout  ce  que 
m'avait  marqué  Madimoiselle  de  Beaucbâtcau,  que  j'appelle  la  se- 
conde Julie  d'Ovide.  »  Cette  pièce  ne  fut  sans  doute  pas  terminée. 

C'est  à  cette  époque  que  Racine  se  lia  étroitement  avec  La  Fontaine, 
et  qu'on  'e  rencontre  souvent  au  cabaret  en  sa  compagnie,  et  dans 
celle  d'un  ancien  capitaine  de  dragons,  Poignai.t,  avec  lequel  La 
Fontaine  devait  avoir  dans  la  suite  un  duel  bien  bizarre.  Port-Royal 
gémit,  et  la  mère  Agnès  lance  à  son  neveu  «  excommunications  sur 
excommunications  ».  Ces  larmes  étaient  sincères  et  brûlantes  ;  com- 
ment n'émurent-elles  pas  le  cœur,  si  facilement  attendri,  de  Racine? 
C'est  que  toute  la  vie  du  poMe  ne  fut  qu'une  longue  lutte  entre 
l'ironie  mordante  de  son  esprit  et  la  pieuse  douceur  de  son  cœur; 
pendant  toute  sa  vie  son  cœur,  qui  était  bon,  gémit  des  audaces  de 
son  esprit,  qui  n'avait  pas  d'indulgence;  un  bon  mot  est  souvent 
une  mauvaise  action;  il  y  a  mallu  ureusement  trop  de  bons  mois 
dans  la  vie  lionnôte  de  Racine.  Ces  deux  fac<  s  de  son  caractère  se 
montrent  bien  dans  ses  traits,  dans  ce  nés  effilé  et  moqueur,  et  dans 
ces  beaux  yeux  prompts  Ji  se  mouiller  de  larmes.  L'abeille  fait  un 
miel  d'une  doucenr  ex<iui8e  ;  mais  elle  a  un  dard,  qui  pique;  il  y 
avait  dans  le  doux  et  tendre  poète  un  satirique  plus  impitoyable 
que  Boileau.  Dans  les  circonstances  qui  nous  occupent,  la  voix  du 
cœur  ne  put  parvenir  ^  S'^  faire  entendre  à  Racine,  et  aux  cris  de 
douleur  do  Port-Royal  il  répondit  par  des  railleries,  qui  allèî'çnt 
impitoyablement  frapper  jusqu'à  sa  pauvre  grand'iante. 

Ce  fut  alors  que  son  oncle  Sconin,  vicaire  général  à  L'zès,  voyant 
que  le  jeune  Racine  faisait  des  dettes,  et  no  faisait  pas  son  salut, 
l'appela  auprès  de  lui  pour  l'initier  à  la  théologie,  et  tâcher  de  lui 
procure^  un  bénéfice.  Après  une  obscure  complication  d'intrigues 
ecclésiastiques.  Racine  revint  li  Paris,  en  IGC'2,  sans  tonsure  et  sain 
bénéflce,  du  moins  pour  le  moment.  Car  le  privilège  d'AndroDun^ue 


VIII  NOTICE   SUR  JEAN    RACINE. 

nous  apprend  qu'il  était  en  1667  prieur  de  l'Épinay;  ce  serait  même 
à  la  perte  de  re  prieuré,  et  au  procès  qui  la  précéda,  que  nous  de- 
vrions les  Plaideurs. 

D'Uzès,  comme  de  Paris,  Racine  écrivait  à  l'abbé  Le  Vasseur,  h 
La  Fontaine,  à  Vitart,  des  lettres  pleines  d'esprit  et  de  verve,  dont 
quelques-unes  sont  semées  devers  ;  c'est  tantôt  la  traduction  d'une 
petite  pièce  de  ranthologio  latine  ',  tantôt  une  description  du  mois 
de  janvier  dans  le  Languedoc  *  : 

Et  nous  avons  des  nuits  plua  belles  que  vos  jours 

Untôt  des  excuses  à  sa  tante  Vitart,  avec  cette  pointe  i 

Si  les  Grâces  jamais  se  mettaient  en  colère, 
Le  pourraicnt-cUcs  faire 
De  meilleure  grâce  que  vous  8  ? 

tantôt  tout  un  poème  badin  sur  les  Muses  ^.  C'est  à  Uzès  qu'il  com- 
pose son  poème  des  Bains  de  Vénus,  aujourd'hui  perdu,  qu'il  entre- 
prend de  tirer  une  tragédie  de  son  cher  roman  d'Héiiodorc,  et  qu'il 
commence  sa  Thébaïde.  On  voit  que  ses  inclinations  poétiques  n'é- 
taient pas  contrariées  par  son  oncle  Sconin  comme  par  Port-Royal, 
et  que  saint  Tiiomas  n'occupait  pas  tout  le  temps  du  jeune  poète. 
La  campagne  prenait  chaque  jour  plus  d'attrait  pour  lui:  il  la  voyait. 
Le  13  juin  1C62,  il  écrivait  à  son  oncle  Vitart  une  charmante  lettre,  à 
laquelle  nous  empruntons  le  passage  suivant:  «  La  moisson  est  déjà 
rt  avancée,  et  elle  se  fait  fort  plaisamment  ici  au  prÏK  de  la  cou- 
tume de  France  ;  car  on  lie  les  gerbes  h  mesure  qu'on  les  coupe;  on 
ne  laisse  point  sécher  le  blé  sur  la  terre,  car  il  n'est  déjà  que  trop 
Bcc,  et  dès  le  même  jour  on  le  porte  à  l'aire,  où  on  le  bat  aussitôt. 
Ainsi  le  blé  est  aussitôt  coupé,  lié  et  battu.  Vous  verriez  un  tas  de 
moissonneurs  rôtis  du  soleil,  qui  travaillent  comme  des  démons,  et 
quand  ils  sont  hors  d'haleine,  ils  se  jettent  à  terre  au  soleil  même, 
dorment  un  vîisercre  et  se  relèvent  aussitôt.  Pour  moi,  je  ne  vois 
cela  que  de  nos  fenêtres,  car  je  no  pourrais  pas  être  un  moment 
dt'hors  sans  mourir;  l'air  est  à  peu  près  aussi  chaud  qu'un  four 
allumé,  et  cette  chaleur  continue  autant  la  nuit  que  le  jour  ;  enfin, 
il  faudrait  se  résoudre  à  fondre  comme  du  beurre,  n'était  un  petit 
vent  frais,  qui  a  la  charité  de  souffler  de  temps  en  temps;  et  pour 
m'achovcr,  je  suis  tout  le  jour  étourdi  d'une  infinité  de  cigales  quj 
ne  font  que  chanter  de  tous  côtés,  mais  d'un  chant  le  plus  perçant 

I.  I.nirc  k  l'abbA  Le  Vni^cur,  du  2  Juin  IQ6t. 

ï.  I.ltrc  n  M.  Vlliirl,  fin  17  jnnviiT  1002. 

).  L(  Iti'c  :i  mnilcmniitcllc  Viliirl,  du  31  jiinvicr  1061. 

4.  Lettre  à  L*  Fontaine,  du  4  juillet  lOOi. 


NOTICE   SUR  JEAN    RACINE.  IX 

et  le  plus  importun  du  inonde.  Si  j'avais  autant  d'autorité  sur  elles 
qu'en  avait  le  bon  saint  François,  je  ne  leur  dirais  pas,  comme  il 
afaits  :  •  Chantpz,  ma  sœur  la  cigale  »  ;  mais  je  les  prierais  bien 
fort  de  s'en  aller  faire  un  tourjusqu'à  Paris  ou  à  La  Fertc,  si  vous  y 
êtes  encore,  pour  vous  faire  part  d'une  si  belle  harmonie.  » 

De  retour  à  Paris,  en  1G63,  Racine  écrivit  une  Ode  sur  /aco/wales- 
eence  du  Roi,  qui  lui  valut  l'année  suivante  une  gratification  de  six 
cents  livres;  et  il  célébra  la  munificence  de  Louis  XIV  dans  une 
seconde  ode  intitulée  la  Renommée  aux  Muses.  En  novembre,  il 
écrit  à  l'abbé  [.c  Vasseur:  «  La  Renommée  a  été  assez  heureuse. 
M.  le  comte  de  S;iint-Aignan  l'a  trouvée  fort  belle.  Il  a  demandé  mc- 
autres  ouvrages,  et  m'a  demandé  moi-niôme.  »  En  môme  temps,  h- 
poète  s'occupait  toujours  de  sa  Thébaïde,  qu'il  devait  dédier  à  ce 
même  comte  àc  Saint-Aignan.  Il  écrit,  dans  la  lettre  que  nous  ve- 
nons de  citer:  «  Pour  ce  qui  regarde  les  Frères,  ils  ne  sont  pas  si 
iavancés  qu'à  l'ordinaire.  Le  quatrième  était  fait  dès  samedi;  mas 
malheureusement  je  ne  goûtais  point,  ni  les  autres  non  plus,  toutes 
lesépées  tirées  :  ainsi  il  a  fallu  les  faire  rengainer,  et  pour  cela  ôler 
plus  de  deux  cents  vers,  ce  qui  est  malaisé.  •■•>  Quelques  jours  après, 
il  envoie  sous  le  sceau  du  secret  à  l'abbé  une  stance  d'Antigone; 
en  décembre,  il  lui  dit  :  «  Je  n'ai  fait  que  retoucher  continuellement 
au  cinquième  acte,  et  il  n'est  tout  achevé  que  d'hier.  »  Il  accepte  et 
sollicite  les  conseils.  C'est  à  cette  époque  que  commence  sa  liaison 
avec  Boileau  :  elle  naquit  des  conseils  que  donna  à^Racine  le  poète  qui 
a  dit: 

Aimez  qu'on  vous  conseille  et  non  pas  qu'on  vous  loue. 

Lo  20  juin  1664,  la  tragédie  intitulée  la  Thébaïde  ou  les  F)cre$ 
ennemis  parut  sur  le  théâtre  que  dirigeait  .Molière.  Le  rô\c..  de  Jo- 
caste  était  tenu  par  laUéjart,  la  soubrette  de  la  troupe.  Une  anec- 
dote peu  vraisemblable  veut  que  Molière  ait  donné  à  Racine  !e  plan 
de  sa  tragédie;  nous  avons  vu  au  contraire  que  le  poète  l'avait  com- 
mencée à  Uzès.  Racine  s'était  inspiré  des  Pliéniciennes  d'r.uripide, 
mais  aussi  de  la  ïhéb'iUte  de  Sénèque,  et  de  V Antigone  ûii  Rotrou  ; 
on  dit  même  qu'aux  premières  représentations  les  acteurs  avaient 
conservé  un  récit  de  la  pii  code  Rotrou.  La  Thébaïde o.st  une  tragédie 
médiocre  ;  les  caractères  sont  faiblement  tracés,  et  l'amour  fait  pi- 
teuse figure  dans  ce  terrible  drame  ;  mais  le  poète,  dit  Louis  Racine, 
«  a  si  bien  peint  la  haine  dans  cette  pièce  qu'elle  dut  annoncer  un 
grand  peintre  des  passions  ».  Lo  plus  grand  mérite  de  l'œuvre, 
c'est  déjà  cette  élégance  noble  et  brillante  du  langage,  sous  laquelle 
•8  voile  ce  que  la  vigueur  pourrait  avoir  de  brutal.  Le  21  décembre 

a. 


X  NOTICE   SUR   JEAN   RACINE. 

1864,  pour  fôter  l'aniiivprsaire  de  la  naissance  de  Racine,  le  Tlu^Atre- 
Français  a  donné  les  deux  derniers  ac'.es  de  la  Thébaïde,  pi  le  pu- 
blic les  a  fort  bien  accueillis. 

Tandis  que  l'on  jouait  la  Thcbaï'/e,  une  intimitti  charmante  se 
formait  entre  Rjcine,  La  l'oniain'',  Boileau  et  Molière.  Le  début  de 
la  Psi/ché  de  La  Fonlaine  nous  peint  cette  liaison  entre  Aviste  (lio'i- 
leau),  Gélaste  (Molière),  Acaiit';  (Rucine),  et  Polypkile  (La  Fontaine). 
«  Quatre  amis  dont  la  connaissance  avait  commencé  par  lo  Par- 
nasse, lièrent  une  espèce  do  société  quo  j'appellerais  académie,  si 
leur  nombre  eût  été  plus  grand,  et  qu'ils  eussent  autant  regardé  leî 
Muses  que  le  plaisir.  La  première  chose  qu'ils  firent,  ce  fut  de  bannir 
d'entre  eux  les  convorsaiions  réglées  et  tout  ce  qui  sent  sa  confé- 
rence académique.  Quand  ils  se  trouvaient  ensemble,  et  qu'ils 
avaient  bien  parlé  de  leurs  divcrtissemcnls,  si  le  hasard  les  faisîiit 
tomber  sur  (iuel(|ue  point  de  science  ou  de  belles-lettres,  ils  profi- 
laient de  l'occasion  :  c'était  toutefois  sans  s'arrêter  trop  longtemps 
à  une  même  matière,  voliigi-anl  de  propos  en  autre,  comme  des 
abeilles  (|ui  rencontreraient  en  leur  chemin  diverses  sortes  de  fleurs. 
L'envie,  la  malignité  ni  la  cabale  n'avaient  de  voix  parmi  eux.  Ils 
adoraient  les  ouvrag.^s  des  anciens,  ne  refusaient  pointa  ceux  des 
n.odernes  les  louanges  qui  leur  sont  dues,  parlaient  des  leurs  avec 
modustie,  et  se  donnaient  des  avis  sincères  lorsque  quelqu'un 
d'entre  eux  tombait  dans  la  maladie  du  siècle  et  faisait  un  livre,  ce 
qui  arrivait  rarement.  »  Les  quatre  amis  so  réunissaient  plusieurs 
fois  dans  la  semaine  chi^z  Despréaux,  rue  du  Colombier,  ou  dans 
des  cabarets,  comme  le  Moiilon  l'ianc,  la  Pomme  de  ;;m,la  Croix  dt 
Lorraine.  C'est  dans  des  séances  de  ce  genre  que  fut  trouvé  lo  plan 
dos  l'iaidcurs  ;  c'est  d'un  de  ces  cabarets  que  sortirent  les  parodies 
de  Cha/clain  dCcoiffiJ  el  delà  Métamorp/iose  de  ta  perruque  de  Cha- 
pelain en  comète  '.  Racine,  bien  que  Chapc'ain  eût  proté^jé  ses  dé- 
buts, eut  assez  peu  d'empire  sur  lui-même  pour  commettre  queU 
qui;s  bons  mots  dans  ci'.tte  plaisanterie  riniéo. 

MallnHireusiimcnt  celle  iulimilé  diîiici'use  cntro  les  quatre  poètes 
ne  devait  pas  durer  longtrmp.^,  et  Racine  et  Molière  allaient  su 
brouiller  à  propos  do  la  tragédie  û' Alexandre.  Le  \  décembre  1C65, 
la  troupe  du  Molière  donnait  l'œuvre  nouvelle,  et,  le    18  décembre, 

I.  Nouii  ne  luMxiK  M  rc!!  paroilut  furent  ri>pr^scntio8.  On  lit  daiiii  lo  Mi'moiic 
de  FI  ■'•lili.T  lurlet  Grands  jtiiiri  Iriiiis  à  Clrrmoiil.  (Kil.  Gonoil.p.  1 10  cl  Mi-US]  ; 
Lci  cijinjdicns  «  inlrcpiircnt  <lc  jouri-  uni'  m'clianle  puru'lic  quo  quclipirs  en- 
*icu«  ont  roinponi'r,  cl  dimt  iU  oui  fiiil  une  »  ilirc  rontri"  M.  C.li.ipilaiii.  »  M.  do 
raunarlin  en  réréra  ii  l'AKomblro,  qui  •>  lit  (léfcuAC  nui  comédii'nM  do  jouer  à 
t'atcnir  celle  lr«(Çoilie.  i>  S'iif(it-il  du  Chapelain  di'criiffc,  éciil  quilijufi  moi* 
a«ant  Ici  Graod»  Jouri  de  rlerniont? 


NOTICE    SUR   Jli;AN   RACINE.  XI 

Racine,  qui  sans  doute  avait  été  mécontent  de  rfntcrprùtation,  fai- 
sait jouer  également  sa  pièce  par  la  troupe  rivale  de  l'Ilôlel  do  Bour- 
gogne. La  sensibilité  si  facilement  irritable  de  Racine  venait  de  le 
séparer  d'un  ami  comme  Molière.  Il  rendit  bientôt  la  rupture  plus 
éclatante  en  enlevant  au  théâtre  de  Molière,  pour  la  faire  entrera 
IHôte)  de  Uoiirgogne,  sa  plus  séduisante  actrice,  mademoiselle  Du- 
larc,  L'AleX'indrc,  dans  lequel  Racine  semblait  abandonner  le 
genre  sévère  de  la  tragédie  grecque  pour  la  tragédie  langoureuse  et 
romanesiiuc,  fut  très  goûté  à  une  époque  où  le  langage  de  la  galanterie 
était  à  la  modo  ;  il  dut  son  succès  à  ses  défauts  autant  qu'à  ses  qua- 
lités, et  Saint-Évremond  écrivit:  «Depuis  que  j'ai  Iule  Giafid 
Alexaîîdre,  la  vieillesse  de  Corneille  me  donne  bien  moins  d'alar- 
mes. »  Il  est  vrai  que  cet  éloge  était  suivi  de  critiques  aussi  dures 
que  nombreuses. 

Le  grand  Corneille,  rendant  à  Racine  le  conseil  (ju'il  avait  niçu  de 
Hardy,  engagea  le  jeune  poète  h  ne  pas  perdre  son  beau  talent  à 
l'aire  du  tlu'âire.  Ce  jour-là,  Corneille  jugea  mal,  L'A'exaiicire,  outre 
de  grandes  qualités  de  style,  renferme  de  grandes  beautés  de  détail  ; 
le  rôle  de  l'oius  est  d'un  bout  à  l'autre  noble  et  fier,  le  héros  tout 
entier  est  dans  sa  réponse  à  Alexandre,  au  cinquième  acte  ;  le  vain- 
queur demande  : 

Comment  piétcndcz-vous  que  je  vous  traite  ?  —  En  Roi 

répond  le  vaincu.  «  Le  grand  défaut  qui  y  règne  (dans  la  tragédie),  a 
dit  Louis  Racine,  est  un  amour  qui  en  parait  faire  tout  le  nœud,  tandis 
qu'un  des  plus  glorieux  exploits  d'Alex^mdrc  n'en  paraît  que  l'épi- 
sode. »  La  vérité,  c'est  ([ue  le  héros  de  la  pièce  est  Porus,  qu'elle 
devait  sintituhr  Poj'mv,  et  que;  Racine  n'en  a  ch;ingé  le  litre  que 
doiir  la  dédier  au  Roi.  \'Alexani/re  est  très  supérieur  à  la  Thébaide. 
Ce|)Cndant  la  Mèr(î  Agnès,  voyant  avec  douleur  que  décidément 
Bon  neveu  fréquentait  f  dos  gens  dont  le  nom  est  abominable  à  toutes 
les  personnes  qui  ont  tant  soit  peu  de  piété,  et  avec  raison,  puisi|u'on 
leur  interdit  l'entrée  de  l'églihO  et  la  communion  des  fidèles,  mémo 
à  la  mort,  à  moitts  (ju'ils  ne  se  reconnuisscnt  »,  signiliait  à  Racine 
qu'elle  ne  le  reverrait  plus,  s'il  ne  te  reconnaissait.  C'est  alors  (|ue 
se  place  dans  la  vie  de  Racine  un  épisode  que  l'on  voudrait  pouvoir 
en  elTacer.  Desmarets  de  Saint-Sorlin,  qui  avait  été  un  des  cinq  au- 
teurs du  cardiuiil  de  Rirhelion,  et  avait  fuit  applaudir  au  tléàlre 
une  comédie  iiuituléo  les  Visionnaires,  venait  de  devenir  à  ptu  |)rè9 
fou,  et,  s'imaginant  que  Dieu  lui-même  lui  avait  dicté  son  poéino  do 
Chvitf  il  voulut  s'ériger  en  prophète,  et  attaqua  le  Janeénirtme  dan* 


XII  NOTlCb;    SUH   JEAN    HACINE. 

son  extravagant  Avis  du  Saint-Esprit  au  Roi.  Nicole  lui  répondit  par 
uno  série  de  lettres  finement  nommées  les  Visionnaires.  Dans  l'une 
d'elle?  se  trouvaient  ces  mots  :  «  Un  faiseur  de  romans  et  un  poète 
de  théâtre  est  un   empoisonneur   public,   non  des  corps,  mais  des 
âmes  des  fidèles,  qui  se  doit  regarder  comme  coupable  d'une  infinité 
d'homicides  spirituels.  »  Racine  prit  cette  phrase  pour  lui    °t,  avec 
une   incroyable  verve  de  raillerie,  avec  une  sûreté  impitoyable  de 
malignité,  il  écrivit  contre  ses  anciens  maîtres,  dont  son  esprit  mo- 
queur avait  saisi  tous  les  petits  défauts,  une  Lettre,   b.  la  façon  de 
celles  que  Pascal  avait  dirigées  contre   les  Jésuites.  Jamais  l'ironie 
n'a  été  maniée  d'une  façon  plus  fine  et  plus  cruelle.  La  Lettre,  dit 
une  note  de  Jean-Baptiste   Racine,    fut  publiée   d'abord  sans  nom 
d'auteur;  mais  l'abbé  Testu  se  l'étant  appropriée,  Racine  se  nomma 
hautement.  Ce  fut  un  jour  de  deuil  pour  Port-Royal.  Les  solitaires 
ne  répondirent  point  eux-mômes.  Ils   laissèrent  ce  soin  à   Barbier 
d'Aucour  et  à  Du  Bois,  qui  s'en  acquittèrent  assez  mal;  Nicole  cepen- 
dant ne   put  s'empêcher,  dans   un  Avertissement  qui  précédait  ces 
réponses,  de  parler  de  Racine,  et  de  dire  que  «  tout  était  faux  dans 
iA  Lettre  et  contre  le  bon  sens,  depuis  le  commencement  jusqu'à  la 
fin  ».  Racine  riposta  aussitôt  par  une  seconde  Lettre,  qu'il  allait  édi- 
ter, quand,  dit  Jean-Baptiste  Racine,  il   fut  arrêté  par  Boileau,  qui 
«  l'écouta  de  grand  sang-froid,  loua  extrêmement  le  tour  cl  l'esprit 
de  ^ouvrag^,  et  finit  en  lui  disant  :  «   Cela  est  fort  joliment  écrit, 
«  mais  vous  ne  song<'z  pas  que  vous  écrivez  contre  les  plus  honnêtes 
«  gens  du  monde.  »  Racine  ému  ne  publia  passa  Lettre,  qui  fut  re- 
trouvée plus  tard,  avec  la  piquante  préface  qui  la  précèdt",  dans  les 
papiers  du  docteur  F.llies  du  Pin,  cousin  du  poète.  Il  parait  môme 
que  Racine  détruisit  tous  les  exemplaires  qu'il  put  retrouver  do  sa 
première  Lettre,  et  son  fils  dit  que,  longtemps  après,  il  répondit  en 
pleine  Académie,  aux   reproches  do  l'abbé  Tallemant  :  «  Oui,  Mon- 
sicr,  vous  avez  raison  ;  c'est  l'endroit  le  plus  honteux  de  mu  vie,  et 
je  donnerais  tout  mon  sang  pour  l'effacer.  »  Ces  deux  L' tires  sont 
dignes,  par  leur  forme  vive,  piquante   et  délicate,  d'être  placées  à 
côté  des  immortelles  Lrttresdf.  Pascal  ;  maisn'oublions  pas  que  Pascal 
attaquait  un  corps  tout-puissant,  et  Racine  ses  maîtres  persécutés. 
Cette  polémifjiie  n'avait  point  cepondantabsorbé  Rarine;la  preuve 
n'en  trouve  dans  l'éclatant  succès  que  n-mporla  Andromaf/ue  t'i)  Ifi(i7. 
(l'était  l'avèncmr'nt  de  la  tiagédie  fondée  sur  l'amour,  et  ehe  fit  h  sa 
naissance  h  p<'U  près  autant  do  bruit  que  lo  Cid.  Le  IhéAtro  de  Mo- 
lière en  joua  une  critique,  qui  établit  la  vogue  do  l'œuvre  nouvi'lle. 
I)an«  la  maison  où  se  passe  l'action,  «cuisinier,  cocher,  palefrt'uier,  la- 
^uaii,  et  jusqu'il  la  porteuse  d'eau,  il  n'y  a  personne  q\ii  n"en  veuill* 


NOTICE   SLR  JEAN  RACINE.  XIII 

discourir.  Je  pense  môme  que  le  chat  et  le  chien  s'en  mêleront,  si 
cela  ne  finit  bientôt  '  ».  Dans  une  autre  scène,  on  dit  à  la  vicomtesse  : 
»  Ht.'  Madame,  vous  avez  une  femme  de  chambre  qui  s'amuse,  il 
y  a  une  heure,  à  faire  l'Hermione  contre  votre  cocher,  dont  ellii  est 
coiffée.  »  A  quoi  la  vicomtesse  répond  :  «  Tout  parle  d.'Andromnque'^.  • 
A  partir  de  ce  moment,  l'histoire  du  poète  est  intimement  liée  à 
celle  de  ses  œuvres,  et,  comme  entre  Alexandre  et  Phèdre  il  existe 
une  lacune  considérable  dans  'a  correspondance,  ce  que  nous  avons 
à  dire  de  sa  vie  trouvera  place  dans  les  Notices  qui  précéderont 
chacune  des  pièces  qui  composent  cette  série  de  chefs-d'œuvre  : 
!,es  Plaideurs  (1G6«),  Britatviicus  (16C9),  Bérénice  (1670),  Bajazet 
;IC72),  Mithridate  (1673),  Iphigéme\\<:>1h),  Phèdre  (1677). 

Vers  le  temps  où  parut  Mithridate,  Racine  fut  appelé  à  rAcadcmie 
française,  où  il  remplaça  La  Motte  Le  Vayer.  Sa  réception  eut  lieu 
le  12  juillet  1073,  le  môme  Jour  que  celles  de  l'abbé  Gallois  et  de 
Fléchier,  dont  la  harangue  fut  beaucoup  plus  goûtée  que  celle  de 
Racine.  Notre  poète  se  rattrapa  dans  le  discours  qu'il  composa  en  1678 
pour  la  réception  de  l'abbé  Colbert,  et  dans  l'admirable  éloge  du 
grand  Corneille,  qu'il  prononça  le  2  janvier  1685,  jour  où  l'Académia 
reçut  dans  son  sein  Thomas  Corneille  et  le  sieur  Bergerct,  «  secré- 
taire ordinaire  de  la  chambre;  et  du  cabinet  du  Roi,  premier  commis 
du  sieur  Colbert  de  Croissy,  ministre  et  secrétaire  d'État  ».  Racine 
n'a  pas  conservé  son  propre  discours  de  réception. 

Le  chagrin  que  causa  au  poète  la  scandaleuse  cabale  formée  par 
l'hôtel  de  Bouillon  contre  sa  Phèdre  au  profit  de  celle  de  Pradon,  et, 
solon  toute  vraisemblance,  les  tendres  avis  ôm  Mère  Agnès  portèrent 
Racine  à  renoncer  au  théâtre  et  à  renouor  avec  Port-Royal.  Phèdre. 
qui  avait  reçu  les  approbations  du  P.  Bouhours,  semblait  merveilleu- 
sement propre  à  préparer  cette  réconciliation  ;  jamais  inspiration  ne 
fut  plus  chrétienne,  plus  janséniste,  que  celle  de  cette  tragédie  : 
P/ièdre  est  une  femme  vertueuse,  à  qui  la  grâce  a  manqué.  Arnaud 
approuva  la  pièce  ;  Boileau  lui  amena  Racine,  qui  tomba  à  ses  pieds  ; 
Arnaud  se  jeta  lui-môme  à  genoux,  et,  dans  cette  position,  ils  s'em- 
brassèrent. Cette  scène  qui,  dans  Tartuffe^  soulève  les  rirrs  de  la 
salle,  émeut  ici  profondément  :  c'est  la  réconciliation  de  Racine  avec 
Port-Royal  et  avec  Dieu.  Dès  lors,  il  ne  s'inquiète  plus  de  sa  tragé- 
die d'iphiffènie  en  Tauride,  dont  le  plan  du  premier  acte  Lions  e«t 
parvenu;  il  laisse  inachevée  une  Alceste,  qu'il  brûlf'ra  môme  peu  da 
temps  avant  sa  mort  ;  il  ne  songe  plus  qu'à  se  faire  chartreux,  et  à 

1.  Subligny.  FnVe  Querelle.  I. 
I.  Id.,  iW.,I,  7. 


XIV  NOill-li    SLH   JliAN    RACINt:. 

sortir  du  iiiuiulc,  comme  tant  do  membres  de  sa  famille.  Port-Royal 
récolte  plus  «ni'ii  ne  croyait  avoir  semé,  et  le  confesseur  du  poêle 
ne  le  décide  i^uW  grand'peino  à  un  maiiagc,  môme  à  un  mariage 
«  bourgeois  et  cliréiien  », 

llacine  épousa,  le  1"  juin  IG77,  Caliierine  de  Romane',  âgce  de 
\;ngi-cinq  ans,  fille  de  Jean-André  de  Uomanet,  qui  avait  été,  eu 
iuôi  et  et)  lUôà,  maire  de  Montdidier,  où  sa  famille  était  établie.  La 
foi  tune  de  sa  femme  était  modeste,  et  son  esprit  peu  cultivé.  Son 
fils  même,  Louis  Hacine,  qui  la  vénérait,  nous  en  rend  témoignage, 
rile  a  porta  l'indilTéronce  pour  la  poésie  jusqu'îi  ignorer  toute  sa  vie 
ce  que  c'était  qu'un  vers.  Elle  ne  connut,  ni  par  les  représcnta- 
lions,  ni  par  la  lecture,  les  tragédies  auxquelles  elle  devait  s'inté- 
lesser;  elle  en  apprit  seulement  les  titres  par  la  conversation.  » 
Sept  enfants  naquirent  de  cette  union  :  Jean-Baptiste  Racine,  qui 
renonça  h  la  protection  de  M.  de  Torcy  et  à  sa  charge  de  gentil- 
homme ordinaire,  pour  s'enfermer  dans  son  cabinet  avec  ses  livres  : 
il  n'écrivit  rien,  et  mourut  h  soixante-neuf  ans  ;  Marie-Catherine, 
qui,  après  plusieurs  cssuis  de  vie  monastique,  se  maria,  du  vivant 
de  son  père,  îi  M.  de  Moranibert,  et  mourut  le  6  décembre  1761  ; 
Anne  Racine,  qui  mourut  assez  jeune,  dans  son  couvent  de  Melun  ; 
tlisabeth  hacine,  qui  prit  le  voile  en  1700  au  couvent  des  da- 
mes de  Viriville,  et  mourut  vers  I74C  ;  Jeanne  Racine,  qui,  après  la 
mort  de  sa  mère  (15  novembre  1732),  entra  à  l'abbaye  di'  Malnoue, 
et.  y  mourut  le  '22  septcuibrc  1739  ;  Madeleine  Racine,  qui  ne  se 
mari»  |>oint,  s'occupa  toute  sa  vie  d'œuvrcs  do  piété,  et  mourut  à 
cinquante  troi^  ans,  le  7  janvier  1741  ;  enfin  Louis  Racine,  poèlo  ai- 
mable et  délicat,  sur  le(|uel  se  répandit  un  rayon  de  la  gloire  pâ- 
te: nelle  ;  sa  vie  fut  pure  et  chrétienne,  imprégnée  de  Jansénisme. 
Ce  dernier  eut  nn  flis,  r|ui  donnait  les  plus  hautes  (ispérances,  et 
qui  périt  h  vingt  oi  un  ans  dans  le  tremblement  de  terre  de  Lis- 
bonne. Louis  Racine  mourut  le  20  juin  17G3. 

Ce  ne  fut  pas  seulement  la  cabale  dirigée  contre  Phèdre,  la  dé- 
votion du  poète  et  son  mariage  qui  le  détournèrent  du  tlu'&iro  :  à 
ces  causes  il  faut  en  joindre  une  autre.  Racine  vieilli  aimait  Dieu 
a  comme  il  avait  aimé  ses  mailrc&ses  »,  et  il  aimait  le  Roi  comme  il 
aimait  Dieu.  Très  a|)précié  du  prince,  qui  lui  avait  donné  un  bol 
appartcmenl  au  cliàleau  et  ses  nnlréis,  ot  qui  ho  faisait  faire  par  lui 
la  lecture,  le  poète  courtisan  avait  voué  la. plus  vivo  et  la  plus  ros- 
pectucuso  affliction  au  nu)narqui!,  pour  les  victoires  duquel  il  com- 
posait des  inscriptions.  Quand  il  fut  nommé,  avec  Despréanx,  bisto- 
rio;,'raphe  du  Roi,  il  accc|>ta  avec  dévotion  ses  nouvelles  fonctions  ; 
il  voulut  é'-rire  une  histoire  complèto  du  règne    de  Louis  XIV,  et  il 


NOTICli   SUR  JKAN    RACINE.  aT 

on  avait  rédip;é  il'assoz  longs  moici'aiix.  Tout  périt  dans  riiiC'iidie 
de  la  maison  de  M.  d(î  Valincour,  îi  Saint-Ciotid.  Uiio  cortaiiie  quan- 
tité d(î  notes  sans  grande  valeur  ([u'il  avait  prises  sur  l'iiistoi'e  ont 
été  publiées  sous  le  nom  de  Fragtnenls  historiquef.  Racine  fut  dé- 
rangé dans  ses  nouveaux  travaux  par  Mesdames  de  Monles[)an  et  de 
Tliiangi's,  pour  lesquelles  il  commença  un  opéra  de  Phaélan,  que 
le,s  réclauiations  deQuinauIt  lui  permirent  de  ne  pas  aclicvcr  ;  puis 
parleur  sœur,  l'abbesse  de  Fontevraull,  qui  eut  l'idée,  assez  étrange, 
de  lui  demander  une  traduction  du  Banquet  de  Platon;  nous  ne 
parlerons  pas  du  jeune  duc  du  Maine,  pour  lequel  il  dut  mettre  une 
petite  pièce  de  vers  en  tùie  des  Œuvres  diverses  d'un  auteur  de 
sept  ans.  C'est  le  moment  des  grands  triomphes  de  Racine  à  Ver- 
sailles, où  tout  le  monde  est  charmé  de  son  heureuse  et  noble  phy- 
sionomie que  le  Roi  avait  vantée  comme  étant  une  des  plus  belles  de 
sa  cour,  de  son  esprit  délicat  '  et  de  sa  parole  élégante.  Il  faisait 
moins  bonne  contenance  en  campagne,  quand  leur  charge  d'histo- 
riographes obligeait  ces  Messieurs  du  Snb/ime  d'accompagner  le  Roi 
au  voilage  de  Gand  ;  on  les  raillait  tous  deux,  mais  ils  savaient  ga- 
gner r»"stime  de  Vauban  et  de  Luxembourg*. 

Ces  occupations  ne  détournaient  pas  Racine  des  soins  de  sa  fa- 
mille. Il  est  dans  sa  maison  le  plus  simple,  lopins  affectueux  et  le 
plus  pieux  des  pères  ;  c'est  sous  ce  jour  que  nous  le  montre  sa 
correspondance.  Il  entre  dans  les  détails  les  plus  intimes,  s'occupe 
avec  soUiciludo  de  choisir  les  nourrices  de  ses  enfants,  secourt 
ses  parents  pauvres,  et  la  bonne  femme  qui  l'a  nourri  <•,  sur- 
veille les  ajustements  de  ses  fils,  les  invite  à  l'économie  *,  et  élève 
sans  cesse  vers  Dii'u  la  pensée  des  siens.  Il  écrit  à  son  fils  Jean- 
Uaptiste,  le  5  octobre  U>1)2  :  «  Je  les  exhorte  (vos  sœurs)  à  bien 
servir  Dieu,  et  vous  surtout,  afin  que,  pendant  cette  année  de  rhé- 
tor  que  (juc  vous  commencez,  il  vous  soutienne  et  vous  fasse  la  grâce 
de  vous  avancer  de  plus  en  plus  dans  sa  connaissance  et  dans  son 
amour.  Croyez-moi,  c'est  là  ce  qu'il  y  a  do  plus  solide  au  monde  ; 
tout  le  reslc!  est  bien  frivole.  »  Il  a  un  violent  chagrin  de  voir  son  fils 
prendre  goût  an  théâtre  ;  il  s'en   ouvre  à  (loileau  »,   gouruianlo  le 

t.  <  Dans  la  conversation,  dit  Louis  Racine,  il  n'était  jamais  distrait,  jamais 
poclc  cii  aiilour  ;  il  songeait  moins  à  faire  paraître  son  esprit  que  l'esprit  lirs 
personnes  ((u'il  entretenait 11  vécut  dans  la  société  îles  femme!*  avec  une  poli- 
tesse toujours  respectueuse.  » 

2.  Lettre  irAntoiiio  Arnaud  a  .1.  Racine,  du  ï  juin  liitij  :  u  On  ciiereliail  ilet 
recommandations  pour  lui  (un  écli('>in  de  Lii'g:e)  auprès  do  M.  le  maréclinl  do 
Luxcmhoui'g.  Mais  j'ai  assure  qu'il  n'y  en  avait  point  de  meilleure  que  It 
vôtre.  >■ 

3.  Lettre  à  mademoiselle  Rivière  du  10  janvier  1607. 

4.  Lettres  à  J.-U.  liacine  du  26  janvier  et  du  U  auil  1698. 

5.  Lettre  du  28  septembre  1094. 


XVI  NOTICE    SUR  JEAN  RACINE. 

jeune  homme  ',  et  lui  écrit  enfin,  le  9  juin  1695  :  «Je  vous  sais  un 
très  bon  gré  des  égards  que  vous  avez  pour  moi  au  sujet  des  opéras 
et  des  comédies  ;  mais  vous  voulez  bien  que  je  vous  dise  que  majoie 
serait  complète,  si  le  bon  Dieu  entrait  un  peu  dans  vos  considéra- 
tions. Je  sais  bien  que  vous  ne  seriez  pas  déshonoré  devant  les 
hommes  en  y  allant:  mais  ne  comptez-vous  pour  rien  de  vous  désho- 
norer devaut  Dieu?  »  La  mort  de  la  Champmeslé  ne  lui  donne  pas 
plus  d'émotion  que  s'il  ne  l'avait  jamais  connue  *.  Le  cœur  du  poète 
a  décidément  pris  le  dessus  sur  son  esprit  ;  il  ne  regarde  plus  qu'a- 
vec tristesse  son  ancienne  gloire;  il  pense  déjà  ce  qu'il  écrira  dans 
son  testament,  au  sujet  des  scajidales  de  sa  vie  passée. 

Ce  n'était  pas  cependant  sans  de  sourdes  luttes  que  Racine  avait 
rompu  avec  son  passé,  et  l'auteur  des  Petites  Lettres  reparaît  en 
1694  et  1695  dans  de  cruelles  épigrammes  dirigées  contre  le  Germa- 
nicus de  Pradon,  contre  \ASésoslris de  Longepierre,  contre  IdJudil/i 
de  Boyer  3.  Nous  ne  pouvons  pas  les  regretter,  car  elles  étaient  mé- 
ritées, et  jamais  on  n'en  a  fait  de  plus  fines,  ni  de  plus  piquantes. 

Pendant  ces  années,  Racine  visitait  souvent  les  .Messieurs  de  Port- 
Royal,  particulièrement  Arnaud  et  Nicole,  et  ne  cacha  jamais  ces  re 
lations;  c'est  dans  leur  amitié  qu'il  puisait  l'austérité  de  ses  senti- 
ments; les  solitaires  avaient  reconquis  toute  leur  inllaence  sur  leur 
élève,  et  usèrent  plusieurs  fois  desonciédit  pour  le  faire  intervenir 
en  faveur  de  Port-Royal  auprès  des  archevêques  de  Paris.  Itacine 
composa  même  pendant  ses  dernières  années  un  A/)ré(fé de  l'Iiisloirc 
de  Port-Royal. 

Madame  de  Maintenon  ne  le  tira  pas  de  ces  soins  pieu.x,  en  le 
priant  de  donner  quelque  chose  au  théâtre  de  Saint-Cyr.  Racine,  qui 
s'était  remis  à  la  poésie  en  1C85,  pour  louer  le  Roi  dans  une  Idylle  à 
la  paix,  qui  fut  chantée  dans  les  fêles  données  à  Sceaux  par  le  mar- 
quis de  Seignelay,  épancha  toute  la  piété  mystique  de  son  cœur  dans 
L'A/Aer,  un  chef-d'œuvre, et  dans /l//(«//f,  lalragéiiieiaplusadmirahle 
qui  ait  jamais  été  au  théâlr<\  On  connaît  l'éclatant  tri(uuplie  d'/i*///  /■ 

1.  Lcttro  du  30  octobre  IfilU. 

2.  I.nllrp  il  J.-l).  Uariiif  <lii  21  juillet  l(i08. 

.').  Kri  fiK^iie  tini|is  (piM  liiiici;  ces  6|iiKi'Hiniiies,  Racine  iléfeiiti  ii  xin  lils  Jeau- 
ltn|iti!ito  lion  ccnie  :  ..  Uiiiiiit  à  votre  ('iiigr.Tnime,  jo  voudrais  que  vous  nu  l'eus- 
•ici  point  fuite,  (luire  (|u'el|e  eut  as-e/  nioiliocre,  je  no  .nauruit  trop  recom- 
mander (le  ne  point  xm-  laii-ier  aller  à  la  li'iilation  do  (aire  des  vois  fraM(;ais 
i|ui  ne  derviraieiit  i\u'n  (Oui  di»«ipcr  l'esprit.  Surtout  il  n'eu  faut  (aire  i-oiitre 
personne,  >  ({.eltre  du  .'I  Juin  llil'.'t.)  Créliilloii  n'enroiirapeait  pas  non  plus  soti 
fils  /(  l.'t  poi'tiii-  :  a  Cn''l)i!l<in  le  liU,  à  l'ARe  de*  trei/e  nus,  lit  une  salire  eoiiti  e 
Lamotlii;  et  M"»  adli>M'<-nlH  ;  il  la  montra  s  sou  p^ie,  ipii  lui  dit  i|ti'elle  était  In^..- 
honni- :  mais  comme  il  vit  que  ce  jcuiir  lioinme  lir  it  vauit<>  d'un  pan-il  luceineul, 
il  aJoiHu  :  JuK<'z,  mon  lils,  coniliien  C'-  K<-ure  est  a'Si^  et  niépii-aliii-,  puisqu'un, 
y  réussit  i  votre  ttgt.  »  (Kavart,  Mémotrf^,  \»,  ifl.'J.) 


NOTICE    SUR   JEAN   RACINE.  XVII 

et  le  malheur  qui  poursuivit  Athalie.  (Voir  les  No/jc«jque  nous  avons 
consacrées  à  ces  tragédies.  )  Pien  qu'elle  eût  été  encore  plus  déchirée 
que  Phèdre,  Athalie  r.fe  Ait  pas  cependant  la  dernière  œuvre  du 
poète. 

Dans  des  lettres  du  28  septembre  et  du  3  octobre  lG9i,  Racine 
parleà  Boileau  de  Cantiques  spirituels  qu'il  vient  de  composer.  Ces 
Cantiques  au  nombre  de  quatre,  qui  faisaient  pleurer  madame  de  Main- 
tenon,  quand  mademoiselle  d'Aumale  les  chantait,  ont  mérité  d'être 
appelés  par  Geoffroy  le  chant  du  cygne.  C'est  la  strophe  lyrique  dans 
toute  son  harmonie  et  dans  tout  son  éclat;  et  si  nous  voulons  recueillir 
toute  l'âme  du  poète,  c'est  dans  ces  Cantiques  qu'il  la  faut  chercher, 
danscelui  Sur  le  bonheur  des  justes  et  sur  le  malheur  des  réprouvé^, 
que  Racine  avait  l'intention  de  ne  faire  suivre  d'aucun  autre,  dans 
cette  strophe,  qui  est  au  nombre  des  plus  belles  de  notre  langue  : 

Ainsi  d'une  voix  plaintive 

Exprimera  ses  remords 

La  pénitence  tardive 

Des  Inconsolables  morts. 

Ce  qui  faisait  leurs  délices. 

Seigneur,  fera  leurs  supplices  ; 

Et  par  une  égale  loi 

Tes  saints  trouveront  des  charmei 

Dans  le  souvenir  des  larmes 

Qu'ils  versent  ici  pour  toi. 

L'époque  approche  où  un  coup  cruel  va  être  porté  au  cœur  sen- 
sible du  poèto  ;  nous  voulons  parler  de  cette  fameuse  disgrâce,  dont 
la  légende  veut  qu'il  soit  mort.  Nous  avons  vu  que  le  Roi  avait  beau- 
coup do  bontés  pour  Racine  ;  Madame  de  Maintenon  l'honorait  d'une 
affection  toute  particulière.  Le  4  août  1G87,  il  écrivait  à  Boileau  : 
«  J'eus  l'honneur  de  voir  Madame  de  Maintenon,  avec  qui  je  fus  une 
bonne  partie  d'une  après-dlnée,  et  elle  me  témoigna  même  que  ce 
tomps-là  ne  lui  avait  point  duré.  Elle  est  toujours  la  même  que  vous 
l'avez  vue,  pleine  d'esprit,  déraison,  de  piété,  et  de  beaucoup  de 
bonté  pour  nous.  »  Et  voilà  qu'en  1698  Racine  écrit  à  Madame  de 
Maintenon  une  longue  lettre,  qui  établit  qu'il  est  en  défavonri 
Quels  sont  les  motifs  de  cette  disgrâce  'i  Les  commentateurs  ont 
beaucoup  écrit  sur  cette  question,  discutant  d'après  los  renseigne- 
ments que  nous  a  transmis  le  M>'moire  de  Louis  Racine.  Racine, 
d'après  sa  h^ttre,  attribuait  lui-même  son  infortune  à*un  mémoire 
au  sujet  de  la  taxe,  et  à  ses  relations  avec  les  Jansénistes;  louis 
Racine  parle  d'un  mémoire  sur  les  souffrances  du  peuple.  La  ques- 
tion semble  avoir  été  victorieusement  résolue  par  M.  Casimir 
Gaillardin,  dont  M.  Deltour  a  adopté  les  conclusions  dans  la  troi- 
•ièn»o  édition  de  fia  remarquable  thèse  sur  les  Ennemie  de  Hacins; 


XYIII  NOÏICK    SUR   JEAN    RACINE. 

foici  comment,  dans  cet  ouvrage  d'une  érudition  aussi  élégante  que 
sûre,  M.  Dullour  résume  la  dOnioiistration  de  M.  Gaillardin.  Le  sa- 
vant liisioricn  «  prouve  pércmiUoirement  que  Racine  n'a  pas  rédigé 
de  mémoire  sur  les  soulTrances  du  peuple,  et  qu'il  n'est  pas  vrai  que 
le  Roi,  mécontent  de  voir  un  poète  s'ériger  en  liomme  d'Étal,  l'ait 
pour  toujours  écarté  de  sa  présence.  Ce  prétendu  mémoire  était  une 
réclamation  personnelle.  Après  la  paix  de  Ryswick,  Racine,  à  titre 
de  tréiïOi  ier  de  France  à  Moulins,  fut  compris  dans  une  mesure  qui 
deniiindaiià  tous  les  officiers  do  finance  un  sacrifice  taxé  à  10.000  livres 
selon  les  uns,  à  4.000  selon  les  autres.  Rarim-,  «  dont  cette  taxe 
»  dérangeait  les  petites  affaires  »,  comme  il  l'éirivit  à  Madame  de 
Mainienon,  rédigea  un  mémoire  qu'il  confia  au  maréciial  de  Nouilles, 
et  que  celui-ci  fit  remettre  au  Roi  par  l'archevôque  do  Paris,  son 
frère.  Comme  la  réponse  tardait,  il  pria  la  comtesse  de  Grammont 
d'obtenir  de  Madame  de  Maintenon  son  intervention  auprès  du  Roi. 
Cette  insistance  indisposa  celui-ci,  et  il  exprima  sans  doute  son  mé- 
contentement par  quelqui's  paroles  vives,  bien  différentes  de  celles 
que  Louis  Racine,  trompé  par  un  récit  meiuunger,  rapporte  dans  ses 
Mémoires.  »  On  aimerait  à  voir  RaciiK!  disgracié  pour  avoir  plaidé  la 
cause  du  peuiile  ou  de  Port-Royal  ;  la  vérité  liislorii|un  a  beaucoup 
moins  de  grandeur  que  la  légende.  Du  moins  nous  a;^pn!nd-elle  que 
Racine  n'est  pas  mort  delà  froideur  du  Roi  ;  car  celte  disgrâce,  dont 
on  avait  exagéré  la  cause  et  la  longueur,  ne  dura  que  fort  peu  de 
temps;  ce  Tut  pent-ôlre  mftme  la  sensibilité  de  Racine  qui  vit  une 
défaveur  d;ins  ce  qui  n'était  qu'un  mouvement  de  mauvaise  humeur. 
{!ar,  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie,  le  poète  a  été  de  tous  les  Fontainebleau 
et  de  tous  les  Marly  ',  et  quelques  jours  après  sa  mort,  le  9  mai  1G99, 
Coileau  écrivait  à  Brossetto  :  «  Sa  Majesté  m'a  parlé  do  M.  Racine 
d'une  manière  h  donner  envie  aux  couriisansdemourir,  s'ils  croyaient 
qii'Elle  parlât  d'eux  de  la  sorte  après  leur  mort.  » 

lin  sej)tembre  1098,  Racine  ressentit  les  premiers  symptômes  d'une 
maladie  lu'paiique,  qui  l'emporta,  après  de  cruelles  souffrances,  le 
21  avril  1099,  eiilro  trois  et  quatre  heures  du  matin,  dans  samaison 
de  la  rue  des  Marais.  Il  avait  alors  cinquanteiuiuf  ans.  Il  vit  venir  la 
mort  avec  beaucoup  de  fermeté,  et,  dit  Louis  Racine,  lorsque  Roibîau 
u  lui  fit  son  dernier  adieu,  il  se  leva  sur  son  lit,  autant  que  pouvait 
lui  pernieilre  le  peu  de  forces  qu'il  avait,  cl  lui  dit  en  l'embrassant: 
0  Je  regarde  comme  un  bonheur  pour  moi  do  mourir  avant  voua.  • 
Il  avait  demandé  à  Être  Inhumé  à  Port- Royal,  malgré  les  scai.duht 
de  ta  vifi  paa.'.ée;  l'archevêque  de  Paris  donna  sans  difficulté  l'uuto» 

s' 

I.  Il  ne  T«  |iis  a  (/ini|ii<.'f{nc,  nltmiJu  i|ii'il  n'y  aurait  guère  «  le  Icnipi  di:  fair* 
•t  rour,  ptrcc  que  le  Rui  icrait  tniijnuri  a  clicvul,  et  que  lui  n'y  serait  Jornaii.» 


NOTICE   SUR   JEAN    RACINE.  XIX 

risation,  etdeux  épitaphes  latines  furrnt  gravées  sur  sa  tombe,  l'une  do 
M.  Tronchai,  l'autre  do  M.  Dodart,  qui  l'avait  traduite  du  français  de 
Poiloau.  Mais  quand  la  pers^-cution  détruisit  Port- Royal,  elle  n'é- 
pargna pas  môme  les  tombraux,  et,  le  2  décembre  1711,  les  restes  du 
grand  poète  durent  6tre  transportés  dans  les  cavraux  de  Saint-Éticnne 
du'  Mont,  fn  môme  temps  que  ceux  de  MM.  de  Saci  et  Antoine  Le 
Jlattre.  La  pierre  tombale,  retrcjvée  en  1808,  fut  placée  solennelle- 
ment dans  la  chapelle  de  la  Vierge,  le  21  avril  18l8,en  présence  d'une 
dépulation  de  l'Académie  française,  dernier  honneur  accordé  aux 
cendres  du  grand  homme,  à  qui  l'impiété  de  la  persécution  religieuse 
n'a   point  permis  de  reposer  en  j.aix  dans  la  tombe  ([u'il  s'éiait  choisie. 

Corneille  se  débattit  toute  sa  vie  centre  les  lègles  étroites  que  le 
dix-septième  siècle,  au  nom  d'Aristote,  avait  imposées  à  la  tragédie. 
Racine  ne  s'en  plaignit  jamais;  il  se  trouvait  à  son  aise  dans  les  trois 
unités;  leur  cadre  lui  semblait  commode,  et  il  sut  en  tirer  de  nou- 
velles beautés'.  Il  posséda  admirablement  l'art  de  dévehpper,  que 
.'ni  avait  enseigné  l'ort-Royal  ;  il  excella  dans  la  composition  de  ses 
œuvres,  et,  h  l'inverse  de  Shakespeare,  qui  jetait  les  scènes  un  peu 
h  l'aventure.  Racine  attachait  une  tulle  importance  au  plan  que,  ce 
plan  terminé,  V  disait  :  «  Ma  tragédie  est  faite;  il  ne  me  reste  plus 
que  les  vers  à  écrire.  » 

De  même  qu'il  pliait  les  événements  à  sa  guise,  pour  les  faire  en- 
trer dans  le  cadre  qu'il  leur  imposait,  le  poète  devait  aussi  choisir 
r-t  grouper  les  caractères  de  façon  qu'ils  ne  dérangeassent  pas  l'é- 
loiiomie  harmonieuse  de  son  plan.  Voilà  pourquoi  un  seul  person- 
nage sera  presque  toujours  le  foyer  du  drame;  les  autres  ac- 
leurs  seront  plus  ou  moins  en  lumière,  selon  qu'ils  seront  plus  ou 
moins  rapprochés  de  ce  foyer  central.  Cet  effacement  des  person- 
nages secondaires  do  la  tragédie  est  raisonné  et  voulu,  et  nous  ne 
sommes  pas  de  l'avis  d'un  de  nos  anciens  maîtres  de  confén  nces, 
M.  Paul  Albert,  qui,  dans  son  étude  originale  et  piquante  sur  Ra- 
fine,  a  vu  là  l'inflnence  de  Louis  XIV  et  une  question  d'étiquette. 
C.liacuri  des  principaux  personnages  de  Racine,  chacun  de  ses  prota- 
gnnistes,  reprise  nto  une  passion  ou  une  vertu,  et  les  autres  person- 
nages ne  servent  qu'à  montrer  sous  toutes  ses  faces  et  dans  toutes 
ses  conséqniMircs  cette  passion  ou  cntte  vertu.  C'est  le  triomphe  de 
l'art  de  la  composition.  Cet  art  se  retrouve  d'ailleurs,  poussé  jusqu'à 
l'extrôme,  dans  la  marche  des  scènes  el  du  dialogue.  Au  dix-septième 
siècle,  l'^.loquencc  a  envahi  le  théâtr'^  ;  dans  ce  siècle  amoureux  de 

i.  Voir  pour  toute  cette  dirniérc  partie  les  quatre  •rticloi  publiéi  cd  1I5S  pu 
M.  Ttinc  dans  le  Journal  des  Débats. 


XX  NOTICE  SUR  JEAN  RACINE. 

l'art  de  bien  dire,  Racine  a  composé  ses  drames  exclusivcmeni  d« 
discours,  et  dans  ces  discourstout  est  parfait,  raisonnementet  'ireuves, 
exordaa  et  péroraisons,  transitions  et  réticences.  Dans  la  composi- 
tion de  l'ensemble  comme  dans  celle  des  parties,  on  trouve  tout  le 
talent  d'un  avocat,  et  l'on  se  souvi«nt  que  Messieurs  de  Port  I:oyal 
avaient  voulu  faire  un  avocat  du  jeune  Racine.  C'est  par  fidiMiic  à 
leurs  '■.onseils  qu'il  ne  laisse  rien  au  hasard  de  rimprovis-atlon,  îi 
l'inspiration  du  moment.  Point  de  ces  défauts  de  composition,  de 
CCS  6o«se«,  que  nous  a  montrés  l'art  romantique;  Racine  en  aurait  ri, 
ou  peui-ôtre  pleuré.  Chez  lui  tout  est  harmonieux,  comme  le  style  ; 
l'art  y  est  d'autant  plus  accompli  qu'il  se  cache  ;  il  passe  par-dessus 
le  vulgaire,  et  fait  les  délices  des  lettrés. 

Il  est  à  remarquer  que,  dans  la  tragédie  de  Racine,  c'est  presque 
toujours  une  femme  qui  tient  le  premier  rôle,  et  l'explication  en  est 
facile  à  donner.  Le  dix-septième  siècle  était  encore  tout  imprégné  de 
VAstrée,  qui  avait  élevé  l'amour  à  la  hauteur  d'une  religion;  tout 
aimait  au  dix-septième  siècle  ;  comme  le  printemps  est  la  saiscn  des 
(leurs,  le  dix-septième  siècle  fut  le  siècle  des  madrigaux.  Ra(i::e,(|ui 
était  né  courtisan  et  voulait  flatter  les  goûts  de  la  cour  et  du  public, 
devait  faire  de  l'amour  le  ressort  de  ses  drames  *.  Or,  la  femme  n'est- 
elle  pas,  plus  encore  que  l'homme,  la  proie  de  la  passion  ?  l'amour 
remplit  sa  vie  sans  occupations;  elle  en  souffre,  elle  en  vit  et  elle 
en  meurt.  La  femme  sera  donc  le  principal  personnage  du  drame, 
et  ce  sera  elle  qui  aimera  :  à  Versailles,  toutes  les  dames  aiment  la 
Roi,  qui,  avec  un  orientalisme  superbe,  daigno  choisir. 

Les  héros  de  Racine,  bien  qu'ils  soient  de  tous  les  temps  pt.-  la 
vérité  avec  laquelle  sont  analysées  leurs  passions,  portent  peut-être 
encore  plus  (|ue  ceux  de  Corneille  et  de  Molière  l'empreinte  du  dix- 
septième  siècle.  Achille  et  Iphigénio  ra|)pellent  autant  le  priiice  do 
Condé  et  mademoiselle  du  Vigean  que  l'Achillo  d'Homère  et  1  Iplii- 
génie  d'Euripide;  Hippolyte  fait  songer  au  comte  do  (iuiche  mi  au 
marquis  du  Lauzun  plutôt  iju'au  héros  vierge  consacré  à  Diane.  Il 
s'est  opéré  dans  les  mœurs  dcH  personnages  tragiques  le  même  rliaii> 
gement  que  dans  leurs  costumes.  Il  était  impossible  à  notre  Phèdre, 
dans  sa  robe  bouffante,  de  se  rouler  sur  .son  lit  comme  la  l'Iièdro 
d'Euripide  ;  Achille  avec  son  chapeau  à  plumes  no  pouvait  pas  res- 
ter un  soldai  grossier.  Il  fallait  qu'ils  prissent  l'éléganc»  de  tenue 
et  de  langage,  sans  laquelle  ils  n'auraient  su  plaire  h  une  cour  ou 
l'on  soumettait  tout  à  l'étiquette,  jusqu'aux  arbres.  Les  courtisans 
assistaient  aux  scènes  les  |>lus  intimes  do  la  vie  do  Louis  XIV,  dont 

I.  Toir  Tiul  Albert,  La  littérature  française  au  dit-iepttém*  tièelê. 


NOTICE   SUR   JEAN    RACINE.  XXI 

la  journée  était  une  perpétuelle  parade  ;  il  devait  à  ces  regards  tou- 
jours attachés  sur  lui  une  dignité  extraordinaire,  dont  il  ne  se  dé- 
partit jamais.  Cette  dignité,  tous  les  héros  de  Racine  la  conservent, 
même  dans  les  circonstances  les  plus  tragiques;  et,  b.  la  représenta- 
tion, la  mélopée  monotone  des  acteurs  du  dix-septième  siècle  devait 
augmenter  encore  cette  majesté  un  peu  guindée,  àla(|uelle  les  con- 
fidents eux-mêmes  n'échappent  pas,  malgré  le  tutoiement  protec- 
teur dont  les  princes  les  avilissent.  Le  temps  est  dijà  loin  où,  en 
composant  son  Polyeucle,  Corneille  essayait  de  personnifier  dans  la 
confidente  Stratonice  la  violence  souvent  injuste  et  stupide  de  la 
populace.  Tous  les  confidents  de  Racine  '  n'ont  ni  caractère,  ni  sexe, 
ni  4ge  :  ils  n'ont  que  des  costumes.  Le  prince  a  dos  confidents  pour 
parler,  comme  des  fauteuils  pour  s'asseoir,  et  tout  rameublemeni 
est  d'un  seul  modèle.  Les  confidents  ne  sont  là  que  pour  éviter  un 
trop  grand  nombre  de  monologues;  ils  sont  de  l'avis  du  monarque, 
ou  s'ils  le  combattent  un  moment,  avec  tout  le  respect  possible,  c'est 
pour  le  distraire  en  lui  laissant  le  plaisir  de  croire  qu'il  sait  persua- 
der. C'est  le  type  des  chambellans  vêtus  de  velours  ou  de  soie  qui 
apportent  respectueusement  les  dépêches  à  Louis  XIV,  des  duchesses 
aux  rcbes  brochées  d'or  qui  présentent  respectueusement  la  chemise  à 
t«iarie-Tliérèse,  obséquieux  et  dignes,  méritant  le  mot  cruel  de  Na- 
poléon :  «  Il  n'y  a  que  ces  gens-là  qui  sachent  servir.  >•  Tout  le 
monde  connaît  les  bienséances  et  les  mœurs  oratoires  l'y.ns  le  théâ- 
tre de  Racine,  môme  ceux  qui  ne  connaissent  pas  d'autres  mœurs, 
comme  Agrippine,  Néron,  Roxane,  Pharnace.  A  un  certain  point 
de  vue,  M.  Tiùne  a  donc  raison  de  dire  qu'il  faudrait,  pour  qu'on 
pût  bien  comprendre  le  théâtre  de  Racine,  représenter  ses  tragédies 
avec  les  costumes  du  dix-septième  siècle.  Sous  des  noms  grecs,  si's 
personnages  vivent  et  parlent  en  contemporains  de  Louis  XIV.  Mais, 
répétons-le,  les  passions  qui  les  agitent,  et  qui  sont  peintes  avec 
une  si  merveilleuse  fidélité,  sont  communes  à  tons  les  hommoq,  et 
voilà  pourquoi,  malgré  les  conventions  nombreuses  qu'il  ofi'ro,  mal- 
gré les  décors  et  les  costumes  du  dix-septième  siècle,  ce  thi'âtr"  est 
vrai,  et  n'a  pas  de  date. 

Il  nous  reste  à  parler  du  style  de  Racine.  Voltaire  trouvait  ce 
style  «  beau  I  sublime I  harmonieux  1  »  Dans  son  Port-Royal,  Siinte- 
Beuve  dit,  d'une  façon  un  peu  recherchée  :  «  Racine  représente  la 
perfection  du  style  poétique,  môme  pour  ceux  qui  n'aiment  pas 
essentiellement  la  poésie  *.  »  Il  explique  mieux  autre  part  sa  pen- 

t.  Oa  p.nit  excepter  Hydaspo  dans  Eslher,  cl  iurtout  Nabdl  duoi  Athalit. 
S.  fort-Hayat,  YI,  117. 


XXU  NOTICE  SUR  JEAN  RACINE. 

sée,  eu  disant  que  le  style  de  Racine  «  rase  volontiers  la  prose  >  » 
Nous  avouons  ne  pas  nous  expliquer  cette  opinion  ;  peut-être  l'au- 
teur de  Port-Royal  rcproche-t-il  à  Racine  de  no  pas  avoir  ce  luxe 
d'images  éblouissantes  qui  a  donné  tant  de  prestige  à  la  poésie  ro^ 
niantique.  Cette  richesse,  Racine  l'avait,  mais  il  ne  jugeait  pas  à  pro- 
pos de  l'étaler  dans  la  poésie  dramatique,  où  l'acteur  doit  parler, 
non  le  poète,  et  il  la  réservait  pour  les  chœurs  d'Eithet-  et  d'Athalie, 
et  pour  les  Caritiques  spirituels.  Élevé  par  Port-Royal,  auquel  les 
Jésuites  reprochaient  sa  n  politesse  de  langage...  comme  une  affec- 
tation contraire  à  l'austérité  des  vérités  chrétiennes  »  *,  Racine  avait 
appris  de  ses  maîtres  l'art  du  développement  et  l'élégance  de  la 
[)arole.  Il  choisit  entre  les  idées  qui  se  présentent  à  son  esprit,  et 
forme  un  plan  de  ses  discours,  comme  il  composait  le  plan  de  ses  tra- 
gédies. Lorsque  la  chaîne  logique  des  idées  est  forgée,  alors  il  cher 
che  des  images,  et  en  trouve,  plus  qu'on  ne  voudrait  parfois  3,  dans 
son  ima<;ination  brillante  et  dans  son  exquise  sensibilité;  mais  il  en 
habille  ses  pensées  sous  la  direction  d'un  goût  parfait,  et  d'un  es- 
prit malicieux,  qui  a  promptement  vu  le  côté  ridicule  des  choses;  i' 
veut  qu'aucun  vers  ne  prétende  briller  aux  dépens  de  ceux  qu 
l'entourent,  et  que  tout  se  fonde  dans  un  ensemble  harmonieusement 
discret.  Rien  n'est  donc  abandonné  à  ces  hasards,  parfois  heureux, 
de  l'improvisation.  Racine  mit  deux  ans  à  rimer  Vhèdre,  et  une  let- 
tre, qu'il  écrit  le  3  octobre  1094,  à  propos  du  deuxième  de  ses  Can 
tiques  s/iirilicelSf  nousmentro  avec  quel  soin  scrupuleux  il  composaii 
ses  vers.  De  là  vient  la  perfection  absolue  de  sa  poésie,  perfectioi 
qui  naît  do  l'entière  conformité  do  l'expression  avec  la  pensée,  et  d> 
la  recherche  constante  de  l'harmoiiie,  sous  toutes  ses  faces.  Jamais, 
dans  l'enchaînement  des  idées,  des  périodes  ou  des  propositions, 
rien  qui  clioque  ou  qui  arrête.  Non  que  le  poète  ait  «  cette  justesse 
grammaticale  qui  va  jusqu'à  l'afl'ectation  *  »  qu'il  reproche  aux  écri- 
vains de  la  Compagnie  do  Jésus;  il  n'est  ni  puriste,  ni  pédant;  i! 
en  prend  fort  à  son  aise  avec  la  grammaire  ;  mais,  s'il  s'en  écarte,  c'est 
pour  demander  à  sa  profonde  connaissance  du  cœur  humain  de? 
tours  si  naturels  qu'ils  semblent  dictés  par  la  passion  elleaiûnic,  p' 
que  les  Vadius  seuls  élèvent  la  voix  pour  la  syntaxe;  à  la  grammair' 
doVaugelas  il  substitue  la  grammaire  de  lapa*  ion.  Nourri  d".  ""tt 
quité  grecque  et  latine,  vivant  dans  le  romnnr.'.e  d'une  cour  rlégi-itr 
et  raffinée,  versé  dans  les  lettres  eacréis,   Racine  a  su  prendre  une 

t.  Ibid.,  Ht. 

t.  lUcinc,  Abii'gi'  dp  Vhistnirr  de  Port  Tinyn. 

i.  Nbut  faikona  allusinn  a  la  tci'nc  ni  'lo  '  iiric  I  de  Phèér\ 

4.  Rtcint,  Àbrdgé  de  l'histoirt  cU  J'ortHeiial 


NOTICE   SUR   JEAN   RACINE.  XXIII 

éionnanle  variété  de  tons.  Qu'il  nous  initie,  dans  Britaunicu'<,  aux 
lecreU  de  la  Rome  impériale;  qu'il  nous  ouvre,  dans  Bajazet,  les 
détours  du  sérail  ;  qu'il  nous  reporte  aux  temps  mythologiques  dans 
Phèdre ;^ (\\.\'\\  nous  mette,  dans  Athalie,  en  face  du  sanctuaire,  il 
sait,  par  le  choix  de  ses  images,  merveilleusement  approprier  son 
discours  ujx  moeurs  qu'il  veut  peindre,  et  mettre  sa  langue  en  har- 
monie avec  ses  personnages.  Nul  n'a  connu  comme  Racine  tous  les 
secrets  de  l'alexandrin,  et  les  Plaideurs  en  sont  une  preuve  surpre- 
nante; dans  ses  tragédies  elles-mêmes  lu  grand  vers  a  perdu  sa  mo- 
notonie, tellement  le  poète  a  l'art  de  le  couper  et  de  le  briser  de  la 
façon  la  plus  natiirclleet  la  plus  conforme  au  sentiment  qu'il  exprime. 
Il  y  a  des  enjambements  dans  la  poésie  de  Racine,  et  les  classi- 
ques ne  s'en  aperçoivent  pas,  ou  du  moins  peuvent  laisser  croire 
qu'ils  ne  s'en  aperçoivent  pas.  Ce  qui  est  plus  étonnant  encore,  ce 
sont  les  alliances  hardies,  les  inots  presque  brutaux, 'que  le  poète 
ose  et  sait  introduire,  sanî  choquer,  dans  ses  vers  ;  nul  n'a  su  comme 
lui  encadrer  ses  images  ou  ses  termes  de  telle  sorte  que  ceux  qui 
pourraient  sembler  téméraires  se  dissimulent  enveloppés  dans  la 
trame  élégante  du  discours  et  dans  l'harmonie  soutenue  de  la  période. 
L'art  est  si  merveilleux  qu'on  ne  le  voit  pas.  Celte  poésie  est  une 
peinture  et  une  miisitiue,  et  l'on  :i  pu  comparer  Racine  à  Raphaël  et 
ï  Mozart.  Mais  cette  perfection  absolue  échappe  aux  étrangers,  qui 
r.e  connaissent  pas  toutes  les  délicatesses  de  notre  langue;  en 
Fiance  même,  où  le  sens  liitér:iire  est  en  train  de  se  corrompre,  il 
ebt  k  craindre  que  nous  ne  jugions  bientôt  Racine  en  étrangers. 


t:>r«ui,  jiiillai  lid^. 


NOTICE  SUR  ATHALIE. 


Le  succès  retentissant  à'Estfter  avait  mis  Racine  en  goût,  et  c'est 
de  lui-même  cette  fois  quil  entreprit  de  donner  une  nouvelle  tragé- 
die à  la  maison  de  Saint-Cyr.  Mais  l'imagination  du  poète  tragique 
6'était  excitée  h  ce  «  divertissement  d'enfants»  ;  le  triomphe  de  ses 
jeunes  interprètes  lui  persuada  qu'elles  étaient  capables  de  rendre 
une  oeuvre  tout  autre  que  la  suave  élégie  d'Esther;  il  osa  entrepren- 
dre pour  elles  un  véritable  poème  dramatique,  d'une  majesté  terrible 
et  surhumaine,  et  se  mit  résolument  à  composer  son  Athalie. 

Ce  n'était  point  la  première  fois  d'ailleurs  que  ce  sujet  était,  nous 
ne  dirons  pas  mis  sur  le  thCàtre,  mais  arrangé  en  pièce  pour  une 
maison  d'éducatioi\|  Loret,  dans  su  Muse  historique,  rendait  compte, 
le  24  août  1G58,  d'une  tragédie  latine,  intitulée  Athalia,  qu'il  était 
allé  voir  a  pour  quinze  sols  »,  au  collège  de  Clermonti.  Cependant, 
bien  que  cette  tragédie  n'ait  pas  été  imprimée,  et  qu'on  ne  puisse, 
par  conséquent,  s'y  reporter,  nous  nous  croyons  en  droit  d'affirmer 
que  Racine,  malgré  le  charme  qu'avait  éprouve  Loret  à  écouter  Joas, 
Josaba,  la  jeune  Mariane  (?),  et  à  voir  les 

Quatre  ballets. 
Moitié  graves,  moitié  follets, 

dont  était  ornée  la  pièce,  n'était  point  allé  chercher  là  l'idée  de  son 
Athalie. 

C'est  dans  le  chapitre  xi  du  livre  IV  des  Rois  que  notre  poète, 
lecteur  assidu  et  attendri  des  saintes  Écritures,  a  puisé  l'inspiration 
de  sa  tragédie  :  «  Athalie,  mère  d'Ocliosias,  voyant  son  fils  mort,  s'é- 
leva contre  les  princes  de  la  race  royale,  et  les  fit  tous  tuer.  —  Mais 
Josaba,  fille  duiloi  Joram,  sœur  d'Ocliosias,  prit  Joas,  fils  d'Ochosias, 
avec  sa  nourrice,  qu'elle  fit  sortir  de  sa  chambre,  et  le  déroba  du 
milieu  des  enfants  du  Roi  lorsqu'on  les  tuait,  et  lui  sauva  la  vie,  le 
tenant  caché  sans  qu'Atlialie  le  pùl  savoir.  —  Il  fut  six  ans  avec  sa 
nourrice  en  secret  dans  la  maison  du  Seigneur;  et  Athalie  cependant 
régnait  sur  la  terre  (de  Juda).  —  La  septième  année,  Joiada  envoya 
quérir  les  centcniers  et  les  soldats.  Il  les  fit  entrer  dans  le  temple 
du  Seigneur,  fit  un  traité  avec  eux,  et  leur  fit  prêter  lo  serment 
dans  la  maison  du  Seigneur,  en  leur  montrant  le  fils  du  Roi  ;  —  lit 
il  leur  donna  cet  ordre  :  Voici  ce  que  vous  devez  faire  :  —  Vous  vous 
diviserez  en  trois  bandes.  La  première  qui  entrera  en  semaine  fera 

t.  On  sib'n-tle  auJsi  une  tragéilio  de  Staucari  Doniiuicu*,  iotiluiée  Joat,  Judx» 
rex. 


2  ATDALIE. 

garde  à  la  maison  du  Roi,  la  seconde  sera  à  la  porte  de  Sur,  et  la 
troisième  à  la  porte  qui  est  derrière  la  maison  do  ceux  qui  poilnt 
les  boucliers,  et  vous  ferez  garde  h  la  maison  de  Mcssa.  —  Que  li-; 
deux  bandes  de  notre  corps  qui  sortiront  de  semaine  fassent  gard  ■ 
à  la  maison  du  Seigneur  auprès  du  Roi.  —  Vous  vous  tiendrez  n - 
près  de  sa  personne,  ayant  les  armes  h  la  main.  Si  quelqu'un  en 
dans  le  temple,  qu'il  soit  tué  (aussiiôl),  et  vous  vous  tiendrez  a\ 
le  Roi,  lorsqu'il  entrera  ou  qu'il  sortira. 

«  Les  centeniers  exécutèrent  tout  ce  que  le  pontife  Joîada  leur  av 
ordonné  ;  et  tous  prenant  leurs  gens  qui  entraient  en  semaine,  avec 
ceux  qui  en  sortaient,  ils  vinrent  trouver  le  pontife  Joiada.  —  F.t  il 
leur  donna  les  lances  et  les  armes  du  Roi  David  qui  étaient  dans  I. 
temple.  —  Ils  se  tinrent  donc  tous  ranges  auprès  du  Roi,  ayant  It  s 
armes  à  la  main,  depuis  le  côté  droit  du  temple  jusqu'au  côté  gauclu 
de  l'autel  et  du  temple.  —  Il  leur  présenta  ensuite  le  fils  du  Tuii,  1 1 
mit  sur  sa  tète  le  diadème,  et  (entre  ses  mains)  le  livre  de  la  Li  i 
Ils  l'établirent  Roi,  ils  le  sacrèrent,  et,  frappant  dos  mains,  ils  cru 
rent  :  Vive  le  Roi  I  —  Atlialic  entendit  le  bruit  du  pcuph  qui  ac- 
courait, et,  entrant  parmi  la  foule  dans  le  temple  du  Seigneur,  — 
Elle  vit  le  Roi  assis  sur  son  trône  selon  la  coutume,  et  les  cliantres 
et  les  trompettes  auprès  de  lui,  et  tout  le  peuple  dans  la  réjouis- 
sance et  S'innant  de  la  trompette.  Alors  elle  déchira  ses  vêtements, 
et  elle  s'écria  :  Trahison  1  trahison  I  —  Alors  Joiada  fit  ce  comman- 
dement aux  centeniers  qui  commandaient  les  troupes,  et  leur  dit  : 
Emmenez-la  hors  du  temple,  et  si  quoiqu'un  la  suit,  qu'il  soit  tut 
par  l'épée.  Car  le  pontife  avait  dit  :  Qu'on  ne  la  tue  pas  dans  le  tem- 
ple du  Seigneur.  -  (Les  officiers)  se  saisirent  donc  de  sa  personne, 
et  ils  la  nifnèrent  par  force  dans  le  chemin  par  où  passaient  les  cIp 
vaux  auprès  du  palais;  et  elle  fut  tuée  en  ce  lieu-lh.  —  Joiada 
mémo  temps  fit  une  alliance  entre  le  Seigneur,  le  Roi  et  le  peui 
afin  qu'il  fût  (désonnais)  le  peuple  du  Seigneur,  et  entre  le  peuple 
et  le  Roi.  —  Et  tout  le  peuple  étant  entré  dans  le  temjile  do  Baal. 
ils  renversèrent  ses  autels,  brisèrent  ses  images  en  cent  pièces,  et 
tuèrent  IMathan,  prôlrc  de  Raal,  devant  l'autel    Le  pontife  mit  des 
gardes  dans  la  maison  du  Seigneur.  —  Il  prit  (avec  lui)  les  cente- 
niers cl  les  légions  (de  Cércth  et  de  Pliéleili)  avec  tout  le  peuple; 
et  ils  conduisirent  le  Roi  hors  do  la  maison  du   Seigneur,  et  passè- 
rent par  l'entrée  où  logeaient  ceux  qui  portaient  les  boucliers,  qui 
menait  au  palais  (royal).  El  le  Roi  fut  assis  sur  le  trône  des   Rois 
(de  Juda).  —  Tout  le  peuple  fit  une  grande  réjouissance;  et  la  ville 
demeura  on  paix,  Athaliu  ayant  été  tuée  par  l'épéo  dans  la  maison 
du  Roi  <.  M 

C'est  du  chapitre  dos /?ot v  que  nous  venons  do  citer,  et  des  chapi- 
tres XXIII  et  XXIV  du  livre  II  daa  Pai'alijjomènes  *  que  Racine  a  tiré  le 

I.  Triid,  Le  Maislre  de  Sary, 

S.  1.0  rtch  dci  Paralipnméiies  u'uITrc   que  de  légères  difTéreocci  avec  celui 
d  >  Huit. 


NOTICE    SUR    ATRALIE.  S 

sujet  de  son  dramo.  L'intrigue,  le  plan,  la  façon  dont  cliaquo  scène 
est  ciinduitc,  tout  lui  appartient  donc  en  propre,  excepté  une  scène 
du  second  acte,  dans  laquelle  il  semble  avoir  imité  VIon  d'Euripide. 

Cette  pièce  cliarmante,  que  M.  Patin  considérait  avec  raison  comme 
le  chef-d'œuvre  des  tragédies  romanesques  d'Euripide  ',  renferme 
une  situation  avec  laquelle  celle  de  Joas  en  face  d'Allialie  présente 
quelque -analogie.  Creuse  a  eu  d'Apollon  un  fils,  et  ce  fils,  elle  a  dû 
l'exposer  ;  depuis,  elle  a  épousé  le  roi  Xullius,  et  voici  que  tous  deu^ 
viennent  demander  au  dieu  de  Delplics  de  ne  plus  laisser  leur  hymen 
stérile.  Ils  trouvent  au  temple  un  adolescent,  aimable  et  beau,  élevé 
par  les  prêtres  qui  l'ont  recueilli,  et  chargé  de  veiller  à  l'entretien 
du  sanctuaire  :  c'est  le  fils  de  Creuse.  Créiwe,  en  l'absence  du  roi, 
interroge  ce  jeune  homme  inconnu,  et,  si  elle  est  mue  par  un  autre 
sentiment  qu'Athalie  en  présence  de  Joas,  les  questions  que  posent 
les  deux  reines  sont  identiques,  comme  les  réponses  qui  leur  sont 
faites  :  môme  curiosité  intéressée  d'une  part,  môme  candeur  de  l'autre 
Bientôt  parait  Xutlius,  auquel  un  oracle  ambigu  a  persuadé  que  le 
jeune  Ion  était  son  fils  ;  il  veut  l'emmener  h  Aliiènes,  et,  bien  qu'Ion 
n'uit  pas,  pour  s'y  refuser,  les  raisons  qu'aura  Joas  pour  repousser  les 
offres  d'Allialie,  Ion  et  Joas  expriment  d'une  façon  à  peu  près  sem- 
blable leur  attachement  pour  le  temple  qu'on  leur  veut  faire  quitter 
Ici  s'arrêtent  les  ressemblances  entre  les  deux  tragédies  ;  nous  aurons 
soin  d'ailleurs  de  signaler  dans  nos  notes  les  imitations  de  Racine  i 
mesure  qu'elles  se  présenteront;  mais,  dit  M.  Patin,  «  n'est-il  pa;^ 
bien  remarquable  que  Racine  ait  su  ainsi  mêler,  h  l'austère  inspira- 
tion àes  Livres  saints,  les  gracieux  et  riants  souvenirs  de  la  muse 
païenne,  et,  sous  la  double  influence  de  modèles  si  divers,  produire, 
sans  trace  d'effort,  le  plus  original  de  ses  chcfsd'œuvro  ?  » 

Un  peu  plus  d'un  an  après  avoir  commencé  sa  tragédie.  Racine  la 
portait,  terminée,  à  Saint-Cyr.  Une  déception  cruelle  y  attendait  l'in- 
fortuné poète.  Cédant  aux  remontrances  sévères  de  quelques  ecclé- 
siastiques et  aux  scrupules  de  sa  conscience  *,  Madame  do  Main- 
tenon  venait  de  se  résoudre  à  bannir  de  Saint-Cyr  ces  représentations 
h  grandes  pompes,  dans  lesquelles  on  lui  montrait  les  pièg  s  de 
Satan.  Il  est  certain  qu' IHsther  avait  eu  sur  la  modestie  et  sur  la  dou- 
ceur des  filles  de  madame  de  Mainlcnon  une  influence  désas- 
treuse :  «  Les  applaudissements  publics,  1/is  visites  du  Roi,  les  ro 
lalions  avec  do  grands  poètes,  les  voyages  à  Versailles  dans  les 
carrosses  de  la  cour,  avaient  tourné  la  tète  aux  demoiselles,  leur 
avaient  inspiré  des  idées  do  vanité  et  de  hauteur,  et  un  goût  du 

I.   TVaoïçKffî  ^r«*;  Euripide,  Ion. 

!.  Un  des  plus  fouïucux  arlrersaii-cs  des  rcpréscnt.tlions  dramatiques  à  Saint- 
Cyr  lil.iil  Godet  (les  Mirais,  évoque  de  Chn.-tics.  rendant  la  seconde  reprôscnla. 
lion  A'Atkalic,  il  fera  une  con^r.'ncc  aux  dames  de  Saint-Louis  sur  l'élat  déplo- 
ralile'dcs  ctiiélions  qui  se  livrent  avant  l<!  car^Hk?  à  <tcs  plaisirs  scandaleux.  Kn 
mémo  temps  qu'cllo  lisait  ses  pieuses  ciliortatious,  Madame  de  Maintcaon  pou- 
vait voir  dans  les  GaziHlef  de  Hollande  que  <■  Saint-Cjr  était  ua  sérail  que  la 
vieille  6ullauc  avait  pn'paré  au  moderne  Asbuérus  ». 


*  ATDALIE. 

monde  et  du  bel  esprit  qui  causèrent  un  vrai  désordre  dans  la  mai- 
son. Elles  devinrent  indépendantes,  fières,  dégoûtées  de  la  simpli- 
cité, en  un  mot,  insupportables  ...  Elles  en  vinrent  à  ne  plus  vou  loir 
chanter  à  TtgUse,  pour  ne  pas  gâter  leur  voix  avec  des  psaumes  et  du 
latin*.  Madame  de  Maintenon  écrivait  à  ce  sujet  à  lu  classe  blcu' 
«  On  prétend  que  vous  ne  voulez  point  chanter  les  chants  d'cgli- 
et  que  vous  désespérez  M.  Nivers  (le  mallre  de  chant).  Vous  chanii  : 
si  bien  les  cliants  d'Est  lier,  pourquoi  ne  voulez-vous  pas  chanter  1  ^ 
psaumes?  Serait-ce  le  théâtre  que  vous  aimeriez,  et  n'ôles-vous  pa>. 
trop  heureuses  de  faire  le  métier  des  anges  2  ?  » 

Madame  de  Maintenon  était  désespérée.  Ce  système  d'éducation, 
dans  lequel  elle  avait  une  si  grande  confiance,  devait  donc  donnor 
4e  pareils  résultats!  Dans  son  chagrin,  elle  voulut  tout  rôfoinicr  ii 
Saint-Cyr:  «  Il  faut  reprendre  notre  établissement  par  ses  fondements, 
écrivait-elle,  et  le  bâtir  sur  l'humilité  et  la  simplicité  ;  il  faut  renoncer 
à  nos  airs  de  grandeur,  de  liauteur,  de  fierté,  de  suffisance;  il  faut 
renoncera  ce  goût  de  l'esprit,  à  cette  délicatesse,  à  cette  liberté  do 
parler,  à  ces  murmures,  à  ces  manières  do  railleries  toutes  moa- 

daincB,  enfin,  à  la  plupart  des  clioses  que  nous  faisions Xus 

filles  ont  été  trop  considérées,  trop  caressées,  trop  ménagées;  il  faut 
les  oublier  dans  leurs  classes,  leur  faire  garder  les  règlements  do  la 
journée  et  ne  pas  leur  parler  d'autre  chose.  »  —  «Elle  en  vint,  dit 
M.  ïh.  Lavalloo,  dans  son  Histoire  de  la  Maison  Royale  dt  Sain- 
C'jr  ',  à  réprouver  ce  qu'elle  aimait  le  plus,  la  conversation,  les  let- 
tres, les  belles  lectures  :  «  On  écrit  trop  à  Saint-Cyr,  disait-elle,  on 
no  peut  trop  en  désaccoutumer  nos  demoiselles.  11  vaut  mieux 
qu'elles  n'écrivent  pas  si  bien  que  de  leur  donner  le  goût  de  récri- 
ture, qui  est  si  dangeureuse  pour  des  filles N'en  faites  pas  des 

rhétoricicnncs;  ne  leur  inspirez  pas  le  goût  de  la  conversation.  Elles 
s'ennuieront  à  mourir  dans  leurs  familles  ;  qu'elles  aiment  le  silence: 

il  convient  à   notre  sexe Ne  leur  montrez  plus  de  vers  :  tout 

cela  élève  l'esprit,  excite  lorgueil,  leur  fait  goûter  l'éloquence  et  les 
dégoûte  de  la  simplicité;  je  parle  môme  de  vers  sur  de  bons  sujets  : 
il  vaut  mieux  qu'elles  n'en  voient  point.  »  Enfin  elle  résume  tout' 
sa  pensée  dans  ces  paroles,  qui  devinrent  la  base  de  l'éducation  de 
Saint-Cyr;  «  Apprenez-leur  à  Être  extrêmement  sobres  sur  la  lec- 
ture, h  lui  préférer  toujours  l'ouvrage  des  mains,  les  soins  du  ménasc, 
les  devoirs  de  leur  état.  Elles  ont  infiniment  plus  de  besoin  d'appren- 
dre à  se  conduire  chrétiennement  dans  le  monde,  et  h  gouverner  les 
familles  avec  sagesse,  que  du  faire  les  savantes  et  los  héroinos.  Los 

t.  t)uc  de  Noaille»,  Madame  de  Maintenon,  III,  107-103.  C'est  à  ce  momeni. 
eroyont-oous,  que  trois  dcinoisellcl  essayèrent  plusir-urs  loirs  cunséoulifs  d'ein- 
ooisonrirr  unn  de  leurs  maitresscs.  Le  li.isard  spuI  sauva  celle  dame.  I.c  crim<' 
IIP  fut  di'coiiverl  que  plusieurs  années  après;  une  des  c<)iipal>les  était  eni;ura  a 
5i<iiit-rjrr.  Le  Aléinariat,  taiu  plus  de  dOlails  dil  qiiuii  ût  un  cieiuple  terrible } 
après  quoi,  un  la  cliaita. 

t.  I.citrodu  10  déccr/ira  U,h>.i. 

i.  V.  101. 


NOTICE   SUR  ATUALIE.  0 

femmes  ne  savent  jamais  qu'à  demi,  et  le  peu  qu'elles  savent  les  rend 
communément  fi^ro3,  dédaigneuses,  causouscs  et  dégoûtées  des  cho- 
ses solides.  » 

C'est  au  milieu  de  cctie  réTormalion  générale  que  Raciiic  vint 
frapper  à  la  porte  do  SaintCyr,  son  AUialie  en  main.  On  croit  que, 
malgré  la  bienveillance  alTectucuse  témoignée  en  tout  temps  au  poèlo 
par  Madame  de  Mainfcnon,  l'intervention  de  Louis  XIV  fui  néces- 
saire pour  la  décider  \  faire  représenter  par  les  demoiselles  la  nou- 
velle tragédie.  C'est  Moreau  qui  fut  chargé,  comme  pour  Est/ier, 
d'écrire  la  musique  des  chœurs.  Mais  au  lieu  de  la  pompe  et  de  la 
solennité  qui  avaient  entouré  à  Saint-Cyr  la  naissance  d'Esther, 
Alhalie  ne  devait  trouver  presque  personne  autour  de  son  ber- 
ceau. 

La  première  représentation  A' Alhalie,  qui  eut  lieu  à  Saint-Cyr,  en 
présence  du  Roi  et  de  Monseigneur,  le  5  janvier  1G91,  est  qualifiée 
par  Dangeau  de  répétition.  Elle  devait  être  suivie  de  doux  autres;  à 
la  dernière,  le  22  février,  assistèrent  Leurs  Majestés  Britanniques,  le 
l'ère  de  La  Chaise,  I-'énelon  et  plusieurs  ecclésiastiques.  Apiès  cette 
représentation,  Louis  XIV  accorda  aux  scrupules  de  Madame  de 
Slaintcnou  qu'Athalie  ne  fût  plus  jouée  désormais  qu'eu  présence 
de  la  communauté.  Néanmoins  il  obtint  de  la  fondatrice  de  Saint- 
Cyr  que  les  demoiselles  vinssent  quelquefois  à  Versailles  pour  réci- 
ter, sous  leurs  costumes  ordinaires  et  dans  sa  propre  chambre,  leur 
répertoire  sacré,  en  présence  des  principaux  personnages  de  sa  cour. 
Madame  de  Caylus  dit  qu'il  ne  fut  donné  dans  ces  conditions  qu'une 
ou  deux  représentations  à'AihalieK  Le  huis  clos  fut  strictement 
observé,  et  la  malignité  en  conclut  que  si  Athalie  se  tenait  cachée, 
c'était  parce  qu'elle  n'osait  affronter  le  public.  Les  ennemis  de  Racine, 
joyeux  et  triomphants,  ne  perdirent  pas  cette  occasion  de  le  cribler 
de  traits  moqueurs  et  d'épigrammes  acérées.  Le  Roi  ayant  fait  le  poète 
gentilhomme  ordinaire,  on  répandit  aussitôt  le  quatrain  suivant  ; 

Raoine,  de  ttin  Athalie 
Le  piililic  fait  bien  peu  de  cas. 
Ta  famille  en  est  aiinblic, 
Mais  tun  iiuin  ce  le  sera  pas. 

L'impression  de  la  pièce  donna  un  nouvel  essor  aux  railleries  ja- 
louses des  coteries  littéraires.  On  prétend  même  que,  so  vengeant 
du  temps  où,  dans  leur  société  mo(iueuse,  Roileau,  Hacino  et  Cha- 
pelle imposaient  comme  punition  aux  coupables  la  lecture  do  quel- 
ques vers  de  Chapelain,  certains  salons  infligeaient  comme  peine  la 
lecture  do  quelques  vers  à'Athali'-.  Celte  anecdote,  qui  n'a  rieu  do 
bien  authentique,  montre  cependant  le  peu  de  cas  que  l'on  préten- 
dait faire  de  l'oeuvre  nouvelle  do  Racine.  En  dépit  do  Madame  de 
Maintenon,  qui  répétait  que  «  c'était  la  plus  belle  pièce  qu'on  ait  ja- 

<.  Rn  1844,  M.  Aimé  Mnititi  a  duniié  dans  son  édition  de  Racine  une  lelti-f  de 
Doilcau  à  R:icine  au  sujet  de  l«  seconde  de  ces  représciitalionsi  mais  celte  lettre 
temble  apucryplic. 


0  ATUALIB. 

mais  vue  '  »,  les  spectateurs  privilégiés,  qui  .ivaîent  assisté  aux  rcprô- 
sentations  i'Alhalie,  trouvaient  cette  tragédie  froide  2,  et  il  est  cer- 
tain que  de  pauvres  petites  pensionnaires  ne  pouvaient  représenter 
que  froidement  un  Joad  et  une  Atlialio.  Boileau  avait  beau  promeltro 
à  son  ami  que  le  public  reviendrait  à  son  œuvre,  Racine  était  pro- 
fondément affligé,  et  no  lira  qu'une  médiocre  consolation  des  deux 
représentations  ù'At/uilic  données  a  fort  en  particulier»  en  1G97  cl 
ICOi)  pour  la  petite  duchesse  de  Bourgogne.  Il  était  mort  depuis 
trois  ans,  lorsquVl/.'<rt/ie  reparut  avec  un  certain  éclat  à  la  cour,  le 
14  février  1702  ;  cotte  résurrection  était  due  à  la  duchesse  do  Dour- 
gognc,  qui  avait  désiré  jouer  le  rôle  de  Josabet'.  Le  public  cepen- 
dant n'était  pas  encore  fort  nombreux.  Saint-Simon  nous  dii  qu'il 
0  n'y  avaii  place  que  pour  quarante  spectateurs.  Monseigneur  et  les 
doux  princes,  ses  fils,  Madame  la  princesse  do  Conli,  .M.  du  Maine, 
les  dames  du  palais,  Madame  de  Noailles  et  ses  filles,  y  furent 
seuls  admis.  Il  n'y  eut  que  deux  ou  trois  courtisans  en  charge  et  en 
familiarité,  et  pas  toujours.  Madame  y  fut  admise  avec  son  grand 
babil  de  deuil  :  le  Uoi  l'y  convia,  parce  qu'elle  aimait  fort  la  comédie  ». 
Le  rôle  d'Abner,  à  ces  représentations  de  17(13,  était  tenu  pnr  le  duc 
d'Orléans,  qui  devait  gouverner  pendant  la  minorité  de  Louis  XV,  et 
qui  est  bien  connu  d;ins  l'hisloirc  sous  le  nom  du  Hcgent.  Le  duc, 
qui  aimait  Athalic,  d  nna  aux  comédiens,  pendant  sa  régence,  l'au- 
torisation de  mettre  celte  tragédie  sur  leur  scène.  Athalic  parut  au 
théâtre  pour  la  première  fois  le  mardi  3  mars  171G;  pour  la  pre- 
mière fois  aussi,  Atlialie  fut  représentée  sans  les  chœurs.  Dancourt 
se  chargea  de  cette  mutilation  impie,  qui  a  trop  souvent  été  depuis 
imitée  à  la  Comédie  française  V  Le  succès  fut  grand,  et  la  pièce  se 

1.  Arant  d'être  portée  à  Sainl-Cyr,  Athalin,  au  t(5iuoigna.;c  do  Dugiiot,  un 
ami  lie  l'ori-llDyal,  aï.iit  oMiiiu  un  succès  de  lecture  cher  le  mai-ijuis  lic 
Chaudcnicr,  le  15  iiovcnilire  1070  :  «  llicii  u'cst  plus  ),'raad  ni  plus  parrait.  Dos 
pcr.'.oniii'S  lie  bun  ^uùt  me  l'avaient  fort  vuuléc,  mais  on  ne  peut  mettre  de  lu 
propoitioii  entre  le  nic'iite  de  cette  picc:;  et  les  louantes;  le  coura(;e  de  l'auteur  ' 
est  ciii'orc  plus  di;;nc  d'adiinralion  (|ue  sa  luniicrc,  sa  dcMic  itcssc  et  son  inind- 
tablc  tule 't  pour  lus  vers.  L'Hcrilure  y  brille  partout  cl  d'une  niaidcre  à  i^e  faire 
rcf|v  rler  par  ceui  qui  ne  rcspeotenl  rien.  C'est  partout  la  Vérité  qui  touelic  cl 
qui  plail  ;  c'c^t  elle  <|ui  atlciulrit  ut  qui  arraclic  les  larmes  de  ceux  mé:ncs  qui 
t'appli'incnt  à  les  r' tenir.  Ou  est  cnt-ure  plus  instruit  que  remué,  mais  un  est 
remué  jusqu'à  ne  pouvoir  dissiundcr  les  mouvemcnis  de  son  coeur.  • 

2.  Uaus  une  lettre  du  10  avril  1691,  Antoine  Arnauld  déclarait  préférer  Ht- 
iher  à  Atlialie;  •  Je  vous  dirai  franclicin  nt  que  les  chuincs  de  la  cadette 
n'ont  pu  m'empi^lior  de  don:ier  la  piéfi'rencc  à  l'aijiéc.  J'en  ai  beaucoup  de 
roi»oiii>,  dont  la  prineipulc  est  que  j'y  trouve  beaucoup  plus  de  choses  trci  édi- 
Gaiite-i  cl  Ires  cHpali'es  d'Inspirer  la   piété.   » 

3.  l'our  plus  de  détails  sur  les  trois  représentations  de  1702,  voir  les  Nom$  des 
peraoïinnyet. 

A.  Viur  ilans  n'itrc  i\'otic«  sur  Eithcr  l'extrait  ano  nous  avons  fait  do  la  dis- 
sertât un  de  Scli  lier  Sur  l'cmiAni  du  chœur  dm»  la  tragédie  llniliau,  parUut 
dans  ton  Art  jtorti'iH-  (m,  0^)  d  :  la  di>parition  du  chœur  dans  la  lrii);édic,  i 

\m  tiuloa  linl  lieu  di;  rlioeur  cl  de  niu>iqii«,  j 

écrivait  rn  note  :  «  li\thfr  cl  Athalin  ont  montré  condiicn  l'on  a  perdu  en  tnp|irl- 
niant  les  cli«iira  et   la  mnsi|ne.  ■   Nous  pouvons  applitpii'r  celte  pliruso,  m  en  ! 
«Kluuinsol   lé|;i:rcmcut  le  sens,  aux  rcpréseututious  uctucllus  de  ces  tragédies.  | 


NOTICE  SUR   ATDALIE.  7 

Joua  quatorze  fois  du  3  au  28  mars.'  Le  30,  une  représentation  en 
fut  donnée  aux  Tuileries  devant  le  petit  roi,  alors  âge  de  six  ans. 
Au  théâtre,  comme  aux  Tuileries,  le  public  saisit  des  ressemblances 
frappantes  entre  ces  deux  enfants  de  race  royale,  Joas  et  Louis  XV, 
qui  avaient  échappé  l'un  et  l'autre  à  la  mort  sous  les  coups  de  la- 
quelle étaient  tombés  tous  ceux  de  leur  snng;  et  ces  allusions  con- 
tribuèrent à  assurer  le  succès  do  la  tragédie.  Saint-Cyi,  qui  avait 
obtenu  de  Louis  XIV  le  privilège  exclusif  de  jouer  Athalie,  hasarda 
quelques  protestations  contre  ces  représentations  sacrilèges,  et  Ma- 
dame de  Caylus,  tout  à  fait  suspecte  de  partialité,  déclara  (\uAlItalic, 
jouée  par  les  comédiens,  avait  produit  beaucoup  moins  d'effet  que 
déclamée  par  les  demoiselles  de  Saint-Cyr.  Ces  timides  revendica- 
tions ne  trouvi  rent  pas  d'écho,  et  Madame  de  Dangeau  put  écrire  ^ 
Madame  de  Maintenon:  «Je  suis  obligée  de  vous  dire,  Madame,  que 

tout  Paris  est  touché  à' Athalie,  et  qu'on  en  sort  très  édifié Si 

vos  dames  le  savaient,  elles  seraient  peut-être  moins  choquées  de  ce 
que  les  acteurs  font  une  profanation  de  ce  spectacle  édifiant.  »  Atha- 
lie venait  de  prendre  vicLoricuscmcnt  et  pour  toujours  possession  du 
théâtre,  en  dépit  de  Saint-Cyr  et  du  testament  de  Racine,  qui  intcr. 
disait  de  la  jouer  en  public. 

L'erreur  de  ses  contemporains  avait  induit  le  poète  lui-môme  en 
erreur.  Autant  les  grâces  pudiques  A'EsUur  et  la  naïveté  biblique 
de  ce  récit  semblaient  avec  raison  devoir  mal  s'accommoder  de  la 
lumière  vive  de  la  ramiic,  autant  la  majesté  à'Athalic  était  faite 
pour  le  déploiement  de  toutes  les  pompes  théâtrales,  une  superbo 
mise  en  scène  et  une  figuration  nombreuse.  Une  intrigue  simple  et 
terrible,  comme  celle  de  VŒdipe  roi  de  Sophocle,  des  caractères  ad- 
mirablement étudiés,  et  des  figures  d'une  grandeur  surhumaine, 
tout  cela  était  fait  pour  frapper  l'imagination  et  Tintelligence  d'un  pu- 
blic éclairéj  plutôt  que  pour  servir  d'amusement  pieux  à  des  fillettes. 

On  a  répété  souvent  que  jamais  ihéàire  n'avait  rien  montré  de  plus 
terrible  que  l'Œdipe  grec  abîmé  sous  les  coups  répétés  de  l'impla- 
cable fatalité,  et  l'on  a  épuisé  toutes  les  formules  de  l'admiration 
pour  célébrer  le  poète  qui  a  su  produire  des  eflfcts  si  puissants  par 
des  moyens  si  simples.  L'art  n'est  pas  moins  merveilleux  dans 
notre  Alhalie,  et  des  efi'ets  aussi  puissants  ne  sont  pas  produits  par 
des  moyens  moins  simples,  puisque  c'est  un  songe  qui  mène  toute 
l'action.  Car  le  songe  d' Al  Italie  n'est  pas  un  hors-d'œuvre  plus  ou 
moins  brillant  comme  celui  de  Camille  dans  ilorctce,  ou  celui  de 
Pauline  dans  Poli/cwtp;  c'est  le  pivot  môme  autour  duquel  tourne  le 
drame  :  c'est  lui  qui  amène  la  vieille  reine  dans  le  temple,  c'est 
lui  qui  la  pousse  à  demander  Joas,  c'est  lui  qui  l'entraîne  dans  le 
piège  où  elle  va  tomber,  c'est  lui  qui  l'amène  sous  le  glaive  de  Dieu. 
Au  premier  acte,  le  grand  prêtre  a  appelé  sur  lithalic  et  sur  Mathan 
l'esprit  d'i'iipruderice  et  d'cireur,  et  aussitôt  Dieu  a  mis  dans  la 
reine  les  terreurs  d'une  folio  vision.  Car  «  le  grand  personnage,  ou 
plutôt  l'unique  d'Atlialic,  depuis  le  premier  vers  jusqu'au  dernier, 


8  ATUALIE. 

c'est  Dieu.  Dieu  est  là,  au-dessus  du  grand  prôtre  et  de  l'enfant,  et 
à  chaque  point  do  cette  simple  et  forte  liistoire  îi  laquelle  sa  volonté 
sert  do  loi ,  il  y  est  invisible,  immuable,  partout  senti,  caché  par 
le  voile  du  Saint  des  Saints,  où  Joad  pénètre  une  fois  l'an,  et  d'où 
il  ressort  le  plus  grand  après  Celui  qu'on  ne  mesure  pas. 

«  Cette  unité,  cette  omnipotence  du  personnage  éternel,  bien  loin 
d'ancaniir  le  drame,  de  le  réduire  à  l'hymne  continu,  devient  l'action 
dramatique  elle-même,  et  en  planant  sur  tous  elle  se  manifeste  par 
tous,  se  distribue  et  se  réfléchit  en  eux  selon  les  caractères  propres 
à  chacun  :  elle  reluit  en  rayons  pleins  et  directs  dans  la  face  du 
grand  prûtre,  en  aube  rougissante  au  front  du  royal  enfant,  en 
rayons  affaiblis  et  souvent  noyés  de  larmes  dans  les  yeux  de  Josa- 
bet  ;  elle  se  brise  en  éclairs  effarés  au  front  d'Athalie,  en  lueurs  bas- 
sement haineuses  et  lividement  féroces  au  sourcil  de  Mathan  ;  elle 
tombe  en  lumière  droite,  pure,  mais  sans  rayon,  au  cimier  sans  ai- 
grette d'Abner  '.  Tous  ces  personnages  agissent,  se  meuvent  selon 
leur  personnalité  humaine  à  la  fois,  et  selon  lo  souffle  éternel  ;  le 
grand  prêtre  seul  est  comme  la  voix  calme,  haute,  immuable  de  Dieu, 
redonnant  le  ton  suprême,  si  les  autres  voix  le  font  par  instants 

baisser On  est  jusqu'au  bout  dans  une  transe  religieuse;  on  est 

comme  lo  fidèle  Abner,  dont  l'esprit  n'ose  devancer  l'issue  ;  on  est 
muet  et  sans  haleine  comme  ces  Lévites  immobiles  sous  les  armes  et 
cachés  ;  on  sent  dresser  ses  cheveux  à  cet  instant  où,  tout  étant 
prêt,  et  Athalie  donnant  dans  le  piège,  le  grand  prêtre  éclate  : 

Grand  Dieu  1  voici  ton  heure,  on  t'amène  ta  proie 

Cl  bientôt,  s'adressant  à  Athalie  ello-même  : 

Tes  yeux  cherchent  en  vaiu,  lu  ne  peux  échapper, 
El  Dieu  de  toutes  paris  a  su  t'cnvelopper. 

Consommation  digne  du  drame  lent  et  sûr  conduit  par  Dieu  seul.  >» 
Ce  drame  grandiose  dépassait  lo  jeune  talent  des  demoiscllos 
de  Saint-Cyr  ;  sans  doute  elles  pouvaient,  mieux  que  des  actrices, 
soupirer  les  cantiques  des  filles  de  Sion  ;  mais  elles  étaient  inca- 
pables de  rendre  l'enthousiasme  inspiré  des  prophètes  '. 

Tous  les  critiques  se  sont  occupés  d'Athnlir,  et  il  semble  qu'il  ne 
reste  plus  rien  à  glaner  là  où  ils  ont  si  richement  moissonné.  Il  est 
cependant  trois  points  sur  lesquels  nous  croyons  devoir  encore  rap- 
peler ou  attirer  l'attention. 
On  a  souvcnf  dit,  et  nous  avons  répété  nous-mêmo  dans  notre 

1.  Nou»  empruntdns  ce»  lipnc»  nu  Pcrl-Hoyal  de  Saiiito-Bouvc  (VI,  147).  L'idio 
eut  fort  juste,  ni  elle  e.st  cxiirinief  d'uiu?  façon  rccherchi^e  et  l)ixarrc.  > 

2.  IlepL-ndnnt,  tamlis  cpie  la  Couiedii-  française  rontinnait  à  donner  <l>>  Irinps  à 
autre  des  représentations  d'>4<A(i/ir,  Saint-tjyr  n'oubliait  pas  la  tra);edic  conipo- 
Be>-  en  «on  honneur,  et  la  jonnit  tant  bien  que  mal  devant  la  reine  le  ït  murs,  1 7S6  ; 
les  dcinoliellci  clianlaicnt  Irg  cti(rnrs  d'yif/ia/i'e  devant  lliirace  Walpolc  en  I70y. 
Ilcaucoup  de  pensionnats  de  jcniiis  lilli-s  s'cniparèieiit  aussi  A'Alhalifi,  cl  l'ur- 
ricrc  pi'tlle-lillc  de  inail.inie  de  (ir  ih'nan,  J'aupuime,  obtint  un  triomphe  dani  lua 
couvent  en  jouant  le  rOIe  de  la  vieille  reine. 


NOTICE    SUR   ATDALIE.  9 

Notice  sur  Racine,  que  les  confidents  de  Racine  n'avaient  pas  de  figure 
propre,  et  qu'ils  somblaient  tous  taillés  sur  le  môme  modèle.  On 
peut  en  excepter  Œnone  dans  Phèdre  et  H3daspe  dans  E  si  lier  ;  on 
doit  en  excepter  Nabal  dans  Ath'ilie.  Dans  le  tableau  que  nous  a 
tracé  le  poète  de  Jérusalem  sous  la  domination  do  la  piiiiccsse  tyrienne, 
cette  figure  est  au  second  plan,  mais  elle  y  tient  sa  place,  et  elle 
complète  l'ensemble.  Respect  obséquieux  pour  le  fort  et  pour  le  riche, 
avidité  gloutonne,  impiété  intéressée  et  adroite,  Nabal  a  toutes  les 
souplesses  d'écliine,  toutes  les  ténacités  cupides,  et  celte  absence  de 
scrupules,  qui,  selon  une  opinion  qui  tend  à  s'accréditer,  caracté- 
risent la  race  judaïque,  ci  lui  promettent  son  heure,  riicurc  où  le 
monde  sera  sa  proie.  Marche-t-il  derrière  Mathan,  c'est  par  intérêt  : 

El  jVspérais  ma  pari  d'une  si  riclie  proie. 
Il  nous  dit  : 

Je  ne  sert  ni  Baal  iii  le  Dieu  d'Israël  ; 

mais  que  son  intérêt  le  commande,  il  servira  Baal  ou  le  Dieu  d'Is- 
raël, au  choix  ;  au  besoin,  tous  les  deux  en  même  temps.  Son  nez 
crociiu  a  les  courbes  classiques  du  bec  de  l'oiseau  de  proie  et  du 
nez  d'usurier,  et  sous  son  vêtement  sordide  se  dissimulent  des  mains 
qui  ont  frissonné  de  volupté  au  contact  de  l'or,  (^e  n'est  qu'un 
crayon,  mais  on  reconnaît  la  main  d'un  maître. 

Quel  que  soit  le  talent  d'un  écrivain,  jamais  il  ne  peut  se  dégager 
entièrement  des  préoccupations  de  son  temps,  et  sortir  de  son  siècle. 
Toute  œuvre  littéraire  porte  en  soi  sa  date,  ce  qui,  outre  son  mérite 
propre,  lui  donne  souvent  un  nouveau  prix  aux  yeux  de  la  posté- 
rité. Athalie  n'échappe  pas  à  celte  loi.  Joad,  Abncr  et  Mathan  nous 
ramènent  forcément  aux  querelles  religieuses  qui  ont  partagé  et  pas- 
hionné  le  xvu'  siècle  ;  ils  nous  les  rappellent  et  nous  les  expliquent. 
Racine  plaignait  Port-Royal,  et  gémissait  de  ses  malheurs  ;  il  trouvait 
dans  les  solitaires  la  vraie  foi,  et  ne  la  voyait  point  dans  cette  cour  qui 
priait  et  péchait  : 

La  Toi  qui  n'agit  point,  est-ce  une  fui  sincère  1? 

11  est  curieux  pour  nous  do  retrouver  la  trace  des  opinions  de  Racine 
dans  l'opposition  qu'il  établit  entre  la  foi  do  Joad  (Port-Royal)  et 
celle  d'Abner  (la  cour).  Laissons  d'ailleurs  la  parole  à  M.  Alhanase 
r.oquercl,  qui  a  très  hourcnsement  apprécié  ces  deux  rôles  : 

"  Il  y  a  une  foi  aimable,  douce,  généreuse,  affligée  du  triomphe 
(li-s  impies,  no  le  coniprenant  point  et  ne  rompant  point  avec  eux, 
fulèle  à  la  piété,  surtout  les  jours  de  fêle  *,  s'unissant,  en  pareille 
occasion,  à  la  foulo  empressée  (v.  IC3),  protectrice  des  faibles  (v.  GI9), 
Indignée  contre  les  méchants  (v.  57.i),  acceptant  néanmoins  leur 

i.  I,  I. 

ï.  Sailli  Simon  allait  furliyomciit  f.iiio  des  ictr:iil<'S  à  11  Trappe;  le  iinréclial 
de  Bellefonda  les  faisait  plus  ouYirli  nunt.  Cm»   qui   nslaicnt  a  la  cour  deinno» 

'i.iiout  des  lettics  de  direction et  uc  leuaioot  gucrc  cumplc  des  pieux  avi« 

qu'ils  recevaii'iii. 

1. 


I  I'  ATOALIE. 

éloge  et  hourcuso  de  les  forcer  à  l'estime  (v.  457),  trop  facilement 
prCtc  à  leur  céder  et  sacrifiant  l'innocence  dans  une  vue  de  prudence 
mondaine,  s'il  est  impossible  de  se  sacrifier  pour  ello;  arderrto  ce- 
pendant il  se  ranger  du  côlc  du  bon  droit  et  à  mourir  pour  sa  défense 
(V.  439  et  1(145)  :  tel  est  Abncr  '.  Il  y  a  une  autre  foi,  supcrieure, 
complète,  inflexible,  s'abandonnant  à  la  Providence  et  certaine  que 
la  Providence  réussira,  ne  codant  rien  aux  mécliants  ni  rien  au  lia- 
aard,  liabile  en  ses  mesures  de  prudence  (v.  101)3),  parce  qu'elle  se 
croit  sûre  de  seconder  les  vues  mômes  de  Dieu,  sans  ménagement 
en  présence  de  l'impiéio  (v.  404),  sans  impatience  dans  le  choix  des 
moments  (v.  1C28),  prête  à  périr  (v.  742  et  14C0),  mais  sûre  que  le 
Ciel  aura  raison  en  son  temps  :  tel  est  Joad.  Celte  opposition  se  pour- 
Buit  à  travers  tout  le  poème,  jusque  dans  la  grande  scène  qui  met 
en  présence  les  deux  genres  de  foi  et  prépare  le  dénouement  (V,  n). 
Racine  avait  eu  sous  les  yeux  les  deux  sortes  de  mérite  ;  il  avait  vécu 
d'une  façon  intime  avec  l'un  et  avec  l'autre,  Versailles  et  Port-Royal, 
la  vie  facile  de  la  cour  et  son  indulgent  honneur,  la  vie  rigide  de  la 
solitude  et  sa  piété  dominante,  les  chevaleresques  et  brillantes  qua- 
lités dune  noblesse  trop  dissipée  et  le  stoïcisme  chrétien  d'un  Arnauld 
et  de  ses  amis.  Ce  double  tableau  s'est  reflété  pour  lui  dans  les  carac- 
tères de  Joad  Pt  d'Abner  ;  il  fallait  sa  foi  pour  le  concevoir  et  son 
génie  pour  l'exécuter.  » 

Mais,  de  tous  les  personnages  que  Racine  a  introduits  dans  son 
Atiialie,  le  plus  intéressant  peut-être  au  point  de  vue  moral  et  lit- 
téraire, celui  qui  porte  le  plus  la  marque  de  son  siècle,  c'est  le  prêtre 
de  Baal,  Matlian.  Les  textes  saints  ne  donnaient  qu'un  nom  ;  le  poète 
a  crée  un  type,  dont  il  a  conçu  l'idée  pou  de  temps  après  que  La 
Druyère  avait  écrit  sa  fameuse  maxime  :  «  Un  dévot  est  celui  qui 
sous  un  roi  alliée  serait  athée.  »  Frère  de  ïartufl'o,  Matlian  occupe 
la  dcrnièit:  place  dans  la  galerie  des  portraits  dessinés  au  xvii*  siè- 
cle par  la  satire  de  rhy|)Ocrisie,  et  celte  figure  colossale  s'ajtorçoii 
de  loin  et  attire  le  regard.  Il  n'est  pas  inutile,  pour  bien  comprendro 
la  grandeur  et  la  hardiesse  de  ce  tableau,  de  jeter  un  coup  d'œil  ra- 
pide sur  les  toiles  qui  le  précèdent. 

1.  M.  fîarccy,  le  18  août  1873,  se  montrait,  dans  la  Chronique  Ihcàti  ateAw  Temps, 
fdit  8(!»cic  pour  Al)ner  :  «  Alwicr  ost  un  soldat  très  bravo,  tics  liunnclo,  luut 
p'ciii  de  |jon9  seul  nu-nis  1 1  d  cinpuricincntj  clivvaicre»quus,  mais  il  n'est  que  cela. 
L'^piit  pulitiqiic  lui  niau(|ue  ubsulnnienl,  et  luutcs  les  antres  sortes  d'esprit..... 
Aimer  n'ist  qu'un  instrununl  dans  la  main  de  politi<|ues  plus  prufonds  que  lui, 
qui  se  juuerunt  de  sa  liunne  foi,  qui  le  feront  servir,  do  la  façon  qu'ils  voudront 
et  S'iMs  qu'il  t'en  doute,  à  Icuis  di'sseiiis  secrets,  qui  sauront,  s'il  le  faut,  rn  lu 
pirlaot  s.iiis  ce^sc  d>'  son  liunneur,  de  >u  luvautt',  de  son  C(iurn)(e,  l'uniencr  à  cuiii- 
mcitie  une  action  telle  que  le  pouvoir  tumbti  lui  ciicia  eu  face,  et  non  saiu 
q  iclquc  raiaun  : 

Ucbe  Abner  !  ddiit  qiisl  plègu  i<-lu  conduit  uiai  |it>? 

Il  est  vr.ii  qui!  se  iri-r  c  avec  liorrcur  :  «  Heine,  Unu   m'est  t('inoin...,  »    Heu* 
rcutemcnt  (pi  un  lui  coiipe  lu  pamle,    car   que  puurrailil  dire  :  J'ai  éià  Iruinptf 
coiiiine  un  sol,  j'ui  donne  le  picniier  dans  le  paiiiiuau  où  jo  vous  ai  allirfe  à  ma  ' 
suite  ;  ce  n'est  nat  ma  faute,  je  suis  un  naïf.  >>  M.  ('.l'iuerel  ju);e  Abner  en  te  pla- 
(«iil  au  i)oint  ii''  vue  reli(;ieus,  et  M.  Sarccy,  au  point  de  vue  pureiuuul  liuuiaïu. 


NOTICli   suit    ATIIALIE.  11 

Disons  tout  d  abord,  par  esprit  de  justice,  que  ce  ne  fut  point  lo 
XVII»  siècle  qui  cnlrpprit  do  flageller  les  liypocrilos.  Le  Roman 
(le  la  Rose  avait  donné  le  signal  en  nous  montrant  le  personnage  allc- 
goriquG  de  Faux  Semblant  ;  Boccacc,  dans  la  /mitième  nouvelle  de 
la  troisième  journée  de  son  Décomérnn,  avait  introduit  un  moine, 
grand  oncle  de  TartulTtî;  au  commencement  du  xvi"  siècle,  Macliiavel, 
à  la  cour  du  pape  Léon  X,  avait  placé  dans  son  obscène  Mambagore 
un  certain  frate  Timotco,  qui  ne  valait  pas  mieux  que  le  moine  de 
Boccace,  et  qucUiucs  années  plus  tard  Arctin  avait  dessiné  dans 
son  Ipocrito  une  figure  îi  laquelle  Molière  empruntera  beaucoup 
de  traits  pour  sa  fameuse  peinture  :  o  Ipocrito  corromprait  le  Prin- 
temps! 1)  dit  la  Uuffiana,  un  des  personnages  d'Arèlin.  En  même 
tenjps,  chez  nous,  Régnier  créait  son  admirable  type  de  Macette,  et, 
dans  son  Aslrée,  Honoré  d'Urfé  marquait  de  traits  énergiques  lo 
caractère  abominable  de  Lériane,  la  sainte  vieille.  De  l'autre  côté 
de  la  Manclie,  en  lGO;i,  Sliakspeare  entreprenait  la  môme  guerre 
dans  sa  belle  comédie  de  Mesure  pour  ynesure.  Mais  c'est  en  France 
surtout,  etauxvii'  siècle,  que  la  satire  de  l'iiypocrisic  devait  prendre, 
comme  l'hypocrisie,  une  extension  considérable. 

C'est  qu'un  grand  mouvement  religieux  s'opère  en  France  au 
xvn»  siècle.  Richelieu,  en  1G29.  a  bâillonné  et  étouffé  les  guerres  de 
religion  dans  La  Rochelle,  et  le  parti  de  la  Réforme  ne  doit  la  vie 
qu'à  la  clémence  du  vainqueur.  ALiis  si  le  sang  ne  coule  plus,  les 
esprits  n'en  restent  pas  moins  agités.  Le  catholicisme,  qui  n'a  plus 
d'ennemi  à  combattre,  se  désunit,  et  c'est  entre  ses  enfants  que  la 
guerre  s'engage  :  nous  voyons  d'abord  aux  prises  la  morale  austère 
des  Jansénistes  avec  la  doctrine  toute  douce  de  la  Compagnie  de 
Jésus,  si  bien  dépeinte  en  1064  dans  la  jolie  Uallade  de  La  Fontaine 
à  E'icobar.  La  France  se  passionne  pour  leur  querelle.  Les  Lettres 
p)Ouinciales  ont  un  retentissement  immense.  Les  ripostes  se  pres- 
sent et  se  croisent;  les  Pères  réclament  avec  onction  un  auto-da-fé  ; 
l'encre  et  les  larmes  coulent  à  flots,  et  il  faut  la  paix  solennelle 
de  ItiCO  pour  mettre  fin  h  cette  lutte  ardente.  Aussitôt  commence  la 
querelle  des  Gallicans  et  des  Lltramontains  ;  à  peine  la  proclamation 
des  quatre  articles  établissant  les  libertés  de  l'Église  Gallicane  a-t-elle 
été  faite  en  168*2,  que  le  Roi  révoque  l'édit  de  Nantes  :  Madame  de 
Maintenon  est  convaincue  qu'elle  s'est  tressé  la  couronne  des  élus  '  ; 
Dossuct  se  console  de  la  mort  de  Le  Tcllier,  en  chantant  sur  son 
cercueil  l'hymne  do  la  victoire  sur  la  Religion  réformée;  Louis  XIV 
8'enfonce  dans  les  scrupules  d'une  étroite  piété;  les  dragons,  trans- 
formés en  missionnaires,  sont  chargés  de  convertir  les  hérétiques, 

1.  Oa  a  voulu  mettre  en  doute  que  Madame  de  Mainlcnoa  ait  pris  une  part  à  la 
révocation  de  l'édit  de  Nantes,  et  l'un  a  cité  ce  passage  des  .VoiioiVm  dr  Sniiit- 
l'yr  :  «  Je  crains,  Madame,  que  lo  ménagement  que  vous  voudiic»  que  l'on  cùl 
pour  les  huguenots  ne  vienne  de  quelque  reste  de  préventions  pour  votre  on- 
cieiino  rcli);ion.  •  Ces  préventions  et  cette  douceur  ne  duiurent  pas  Ioii);tcmps 
(outeruis,  car  Ma  lame  d''  Maintenon  éci  it  elle  inomc  fruiili  nient  a  peu  de  temps  da 
la  :  «  Oa  lue  beaucoup  de  Tanatiqucs,  on  espère  eu  purger  le  LanjjuoJoc.  » 


1  â  ATBALIE. 

et  s'acquittent  consciencieusement  de  leur  tâche;  une  nouvelle  que- 
relle éclate  entre  Bossuet  et  Fénelon  au  sujet  de  la  doctrine  du 
Quiétisnie,  et  c'est  encore  Madame  de  Maintenon  qui  a  soutenu 
Madame  Guyon,  l'apôtre  de  cotte  nouvelle  doctrine.  Le  règne  de 
Louis  XIV  s'abîme  dans  la  misère  et  dans  les  désastres  ;  le  xvii'  siècle 
s'endort  dans  la  dévotion,  vraie  ou  feinte;  le  xyiii"  s'éveillera  dans 
les  orgies  de  la  Régence. 

Pendant  toute  cette  dernière  moitié  du  xvii*  siècle,  trois  sortes 
d'hommes  se  trouvent  en  présence  :  les  vrais  dévols  ;  les  libertins, 
qui  pratiquent  ce  que  Sainte-Beuve  a  appelé  la  morale  des  honnêtes 
gens,  c'est-à-dire  une  morale  composée  de  bonnes  habitudes,  do 
bonnes  manières  et  d'honnêtes  procédés,  et  qui,  humainement  par- 
lant, sont  aux  dévots  ce  que,  dans  le  Misant/trope,  Phihntc  est  à 
Alceste  ;  enfin  une  troisième  classe  de  gens,  sans  autre  Dieu  que 
leur  intérêt,  courtisans  de  la  richesse,  qui  font  servir  à  leur  fortune 
leurs  prétendues  convictions  religieuses,  comme,  à  d'autres  époques, 
ils  y  feront  servir  leurs  prétendues  convictions  politiques  :  ce  sont  les 
faux  dévots,  fort  nombreux  à  la  fin  du  siècle. 

C'est  à  ceux-là  que  s'était  attaqué  un  ami  de  Rotrou  et  de  Régnier, 
du  Lorens,  dans  une  âpre  et  mordante  satire;  c'est  contre  ceux-là 
que  Scarron,  en  1G45,  dirigeait  sa  Nouvelle  intitulée  les  llj/pocrites, 
à  laquelle  Molière  fera  plus  d'un  emprunt;  c'est  contre  ceux-là  que 
Molière  lance  Tartuffe  et  Doyi  Juan. 

Une  lutte  acharnée,  dont  les  derniers  éclats  retentissent  encore, 
s'engagea  autour  de  ces  deux  pièces  :  était-ce  Molière  qui  l'avait 
voulu?  Non,  c'était  la  coalition  des  précieuses  et  des  prudes.  Irritées 
d'avoir  été  jouées  dans  les  premières  comédies  du  poète,  elles  avaient 
voulu  se  mettre  à  l'abri  sous  le  manteau  de  la  religion,  et  s'étaient  si- 
gnées devant  lui  comme  devant  le  démon.  La  Critique  de  l'École  tirs 
femmes  et  le  personnage  d'Arsinoé,  dans  le  Misanthrojje,  furent  leur 
punition  ;  mais  elles  avaient  su  engager  le  clergé  dans  leur  cause  ; 
ce  qui  leur  avait  été  d'autant  plus  facile  que,  dans  le  monde  mémo, 
on  regardait  alors  comme  de  bon  ton  de  lancer  l'anallièmc  sur  lo 
théâtre'.  L'abbé  Fléchier  était  seul  deson  parti,  en  ICCi,  à  témoigner 
quelque  indulgence  aux  comédiens  '.  Bossuet  nous  apprend,  dans  ses 
Maximes  sur  lu  Comédie,  qu'on  no  leur  accordait  pas  les  sacrements  3, 

1.  En  1658,  Nicole  avait  publié  son  Traité  sur  la  Comédie  et  ses  Aluximcs  sur 
les  sprctacles;  de  t6A4  i  1666,  il  nttaque  sans  rrijrhe,  dans  trs  Lettres  sur  l'Hé- 
résie imnf/iiiaire  et  dans  ses  Visionriancs,  le  théâtre,  que  (léfond  aroc  Tiolenca 
le  jeune  Hacinc.  La  duuce  Madame  de  Salilé  bl&niuit  la  cunié<llc  dans  ses  jy/axi- 
mes.  Un  njiiue  temps,  Armand  de  Dnurlion,  prince  de  Cuuti,  ancien  prulocteur 
de  MuliiTc,  qui  se  parla);euil  entre  les  nmitiét  les  plus  dévutes  et  los  conipa- 
i;iiirs  les  plus  libertines,  r6Ji|;eait  de  la  ni^inc  inuiii  qui  érrivail,  de  ci>nccr( 
»vcc  Dussy-llabiitin,  I»  JUviie  du  pcys  de  la  llroqucrie,  un  Traité  de  lu  comédie 
et  des  spectacles  empreint  de  l'iiukiérilé  d'un  duclt-ur  de  TK^Iise.  I.c  l'ère  (^af- 
faro,  Ibeatin,  ayant  ok<!  soutenir  lu  comidie,  fut  fuudruye  par  Huiisuet  Cl  coulraiut 
4»  »'  rCtr.'ictiT. 

ï.  MéiiKjire  sur  les  (Siaiids  Jours  tenus  ci  Clermont. 

%.  En  avril  18tl,  4<>ut  I»  rtuuivu  des  Suciëti'»  kavantet  <!<■  départetneuts  à  \% 


NOTICE   SUR   ATUALIE.  13 

et  l'abbô  do  La  Tour  affirme  que,  depuis  1G92  que  le  cardinal  de 
Noailles  devint  archevêque  de  Paris,  le  clergé  leur  refusait  le  ma- 
riage. 

On  comprend  la  fureur  soulevée  par  l'audacieux  comédien,  auteur 
de  Tartuffe,  dans  le  parti  si  paissant  des  faux  dévots.  Cette  colèro 
devait  être  d'autant  plus  redoutable  que  les  vrais  dévots  s'unirent 
aux  faux  contre  Molière  :  Bossuet  se  joignit  contre  le  téméraire  co- 
médien au  curé  RouUé,  qui  l'appelait  «  un  démon  v6tu  do  cliair  et 
habillé  en  homme  ».  On  disait,  non  sans  motif,  que  le  théâtre  ne  de- 
vait pas  se  mêler  de  religion,  et  s'érigor  en  rival  do  la  chaire.  Knlln, 
l'on  demandait  comment  il  était  possible  à  la  scène  de  distinguer  le 
faux  dévot  du  vrai,  l'hypocrisie  n'étant  que  la  momerie  de  la  vraie 
piété,  et  des  pensées,  souvent  louables  en  soi,  devenant  odieuses  dans 
la  bouche  de  Tartuffe.  Ces  raisons  étaient  sérieuses,  et  excusent  la 
violence  de  certaines  personnes  d'une  piété  sincère.  Mais  ce  qui 
prouve  bien  que  c'était  surtout  Molière  et  la  comédie  que  l'on  atta- 
(,uait  en  attaquant  Tartuffe,  c'est  que  nul  ne  protesta  contre  ceux 
qui,  après  lui,  tentèrent  ailleurs  que  sur  la  scène  comique  do  dé- 
masquer l'hypocrisie.  On  sourit,  lorsque  Madame  Deshoilièrc,  dans 
une  tragédie  féline,  intitulée  la  Mort  de  Cochon,  qui  présente,  comme 
la  Mcrt  de  Pompée  de  Corneille,  cette  particularité  que  le  héros 
n'y  parait  point,  donna  le  nom  do  Cafard  au  chat  des  Minimes  de 
Chaillot;  on  ne  protesta  point,  lursqu'elle  montra  qu'elle  avait  plus 
de  dents  que  ses  moutons  allogM-iques,  en  adressant,  au  mois  de 
mars  1C92,  VÉ/iitre  chagrine  ou  très  révérend  Père  de  la  Chaise: 

Le  mélier  de  ilOvot,  ou  plutôt  d'hypocrite, 
Revient  presque  toujours  la  rcssouico  des  gens 
Qu'une  longue  dt'liauoho  a  rendus  indigents... 
Des  que  du  cagolisnie  ou  fait  profession, 
D«  tout  ce  qu'on  a  l'ait  la  niéinoirc  s'clTacc. 

(',  est  sur  la  ri'pnlation 

L'n  excellcut  \t'riiis  qu'oD  passe. 

Nous  ne  voyons  point  que  La  Druyèro  ait  soulevé  la  cabale  avec 
ses  maximes  contre  les  dévols,  el  parmi  les  critiques  que  provoqua 
dans  les  premiers  jours  la  tragédie  dont  nous  nous  occupons,  nous 
n'en  trouvons  aucune  qui  porte  sur  le  personnage  do  l'hypocrite  Ma- 
llian. 

Lt  pourtant,  Mathan  no  le  cède  en  rien  à  Tartuffe,  ni  en  vérité,  ni 
en  scélératesse;  même  hypocrisie,  n:ème  ambition,  môme  audace 
dans  le  crime.  Comme  Tartuffe  s'humilie  devant  Damis,  qui  l'a  dé- 

Sorboniic,  M.  Jules  Fiuot,  de  Ycsoul,  a  iiiprialé  à  ce  sujet  uae  anecdote  curieuse, 
IruUïéc  par  lui  dans  la  curresnondamu^,  rncoro  inédite,  adressée  par  Gilles  Asse- 
lin, docteur  rn  Sorlionne,  à  1  auuiôiiicr  du  roi  Stanislas.  Il  l'ar.iil  ((n'en  {'ai  un 
comédien  étant  mort  au  lla\re,  et  rnuloritO  ccolésiastique  ayant  refusé  la  séuul- 
ture  à  cet  excommunié,  ses  ram.irades  imaginèrent  de  saler  le  corps,  attendant 
peut-ilrc  dans  l'avenir  une  décision  plus  favorable.  Mallieurcusemcnt,  ils  employè- 
rent du  sel  de  cnnlrebando,  et  la  gabelle,  qui  s'eu  aperçut,  leur  intenta  un  procès, 
dont  ou  rit  longtemps  en  Normandie. 


I  4  ATUALIE. 

nonce,  Matlian  aiïcclo  devant  Âtlialie  une  Tausse  douceur  pour  Joad; 
pour  arriver  à  leur  but  criminel,  TarlufTo  ne  recule  pas  devant  les  plus 
lionicux  moyens,  et  Matlian  prodig;ue  le  «  sang  des  misérables»  ;  abu- 
sant vllemei.t  de  la  crodulilc  stiipide  dOigon,  Tartuffe  ne  peut  Ctre 
puni  que  par  l'intervention  suprùme  de  Louis  XIV;  abusant  odieuse- 
ment de  la  confiance  cupide  d'Atlialie,  Matlian  ne  peut  être  puni  que 
par  le  Dieu  qu'il  a  déserté,  et  contre  lequel  il  a  môme  osé  lever  le 
bras.  Il  s'est  flattô  de  renverser  Jéhovah  pour  étouffer  ses  remords  ; 
Dieu  était  le  seul  obstacle  contie  lequel  piit  se  briser  la  cruauté  as- 
tucieuse de  ce  Tartuffe  tragique.  Gigantesque  ligure  que  le  poète 
n'a  point  tirée  tout  entière  de  son  imagination,  comme  Minerve  est 
sortie  armée  de  pied  en  cap  du  cerveau  de  Jupiter  :  avec  l'art  propro 
aux  poètes  dramatiques,  qui  groupent  sur  la  scène  dans  un  seul  por- 
trait tous  les  traits  qu'ils  ont  vus  et  pris  autour  d'eux,  Racine  a  per- 
sonnifié dans  Matlian  cette  race  odieuse  d'ambitieux  qui  faisaient  de  la 
dévotion  leur  carrière,  n'affectant  les  scrupules  de  la  piété  que  pour 
se  dispenser  d'en  avoir  d'autres,  et  qu'un  jésuite  éloquent,  Bourda- 
louo,  a  souvent  foudroyés  du  luiut  de  la  chaire  '.  Louis  XIV  avait-il 
promis  de  savoir  bon  gré  aux  courtisans  qui  feraient  leurs  Pâques, 
Bourdaloue  était  effrayé  de  l'affluoncc  des  communions,  voyant  que 
l'on  communiait  pour  Louis  XIV,  et  non  pour  Dieu.  Il  montrait  que 
c'était  riiypocrisio  des  uns  qui  enfantait  le  libertinage  des  autres. 
Mais  ce  qui  l'irritait  le  plus  douloureusement,  c'était  de  voir  des  con- 
venances et  des  intérêts  de  famille  déterminer  seuls  la  vocation  de 
certains  ccclésia<-tiques  ;  de  là  naissaient  mille  troubles  et  mille  dé- 
sordres dans  rÉ;;lise;  ici  l'avarice  et  la  cupiditi",  là  d'autres  vices; 
c'était  le  temps  où  l'on  voyait,  au  grand  scandale  du  clergé,  l'abbé  de 
la  Cliâlre,  anmOnier  du  Uni,  dire  un  mercredi  saint  la  messe  au  sor- 
tir d'un  bal  masqué  :  «  Être  prôtre  de  la  sorte,  ah  !  mes  frères, 
s'écriait  saint  Jcrômc,  est-il  rien  dii  plus  opposé  à  la  sainteté  du  sa- 
cerdoce, rien  de  plus  injurieux  à  Jésus-Clirist?  i<  Et,  après  ces  élo- 
quentes paroles,  lîourdaloue  ne  craignait  pas  de  rappeler  en  gémis- 
sant que  deux  prêtres  avaient  été  mêlés  à  l'affaire  des  poisons.  On 
le  voit.  Racine  a  incarné  dans  Matlian  celle  monstrueuse  hypocrisie 
des  dernières  années  du  .\vii«  siècle,  qui  s'était  atta(iuéo  jusqu'à 
des  niinisircs  de  l'Èglisi.',  et  ce  personnage  suffirait  seul  à  dater 
Alhalie. 

Autant  le  xvn'  siècle  avait  été  véritablomeul  ou  hypocrite- 
mont  dévot,  autant  le  wiii"  dînait  Être  peu  religieux;  de  sorte 
que  pendant  cinquante  ans  Athulie  a  été  jugée  de  la  façon  la  plus 

1.  Tout  le  inonde,  piMiilant  ie  scniiun,  était  loiiriiii  vers  le  Roi,  et  non  vers  l« 
prédicKlcur.  Bourdalune  8'lii'li|;iinil  do  yuir  les  romiiics  se  montrer  à  l'église  duiis 
de»  Inilcltcs  de  bal.  I.'Autorilé  «éciilière  fui  olilipéo  d'édiclcr  des  pciiici  coiilrn 
eellci '|ui  paraîtraient  trop  di'rollr-téi's  i  la  clinpello,  cl  l'orgneilIiMibC  Madame  de 
Gripnun  fut  un  jour  mrnnc^c  do  l'amende  par  le  commissaire.  Le  duc  de  I.n  Ro- 
ch(r«iirju'd  iina|;iiia  d'annoncer  une  foia  que  le  Roi  ne  virtidrnil  pas  au  ^alul; 
la  cli.ipclli-,  qui  élaii  pleiur,  »e  «ida  en  un  mêlant,  et  Louis  XlV,  a  kiu  arrivée, 
rit  tcaucoup  de  la  (luuTcr  déicric. 


NOTICE  SUR   ATIIALIE.  15 

bizarre,  et  lo  r61c  de  Joad  critiqué  le  plus  étiangrment  du  luondc. 
A  peine  le  succès  des  représentations  de  1716  *  s'cst-il  apaisr,  que 
Ton  commence  à  relever,  avec  beaucoup  de  vivacité,  des  défauts 
dans  la  pièce.  Celte  guerre  contre  la  tr.igcdio  de  I5acine  fut  dirigée 
surtout  par  Votialri;  N'en  que  l'autour  de  Zaïre  n'ait  pas  compris  les 
beautés  d'AlKatie ,  lorsque  toute  préoccupation  de  rivalité  et  de  parti 
disparaît,  lorsque  Voltaire  juge  en  littérateur,  il  n'a  pas  assez  d'élo- 
ges pour  Alhalie,  'l  écrit  au  poète  italien  Scipion  de  Maffei  2  ;  «  La 
France  se  glorifie  d"<<<Aû/ie: c'est  le  clief-d'œuvre  de  notre  théâtre  », 
et  il  dit  dans  le  Disrours  hialorique  et  crilir/ue  3,  etc.  :  a  Alhalie 
est  peut-être  le  chefd  'jeuvre  do  l'esprit  liumain.  Trouver  le  secret 
de  faire  en  France  une  iraj^édie  intéressante  sans  amour,  oser  faire 
parler  un  enfant  sur  le  ihéâlro,  et  lui  prêter  des  réponses  dont  la 
candeur  et  la  simplicité  nous  r.irent  des  larmes,  n'avoir  presque  pour 
acteurs  principaux  qu'une  vieille  femme  et  un  prêtre,  remuer  le 
cœur  pendant  cinq  actes  avec  ces  faibles  moyens;  se  soutenir  sur- 
tout (et  c'est  là  le  grand  art)  pat  une  diction  toujours  pure,  toujours 
naturelle,  et  auguste,  souvent  sublime  ;  c'est  là  co  qui  n'a  été  donné 
qu'à  Racine,  et  qu'on  ne  reverra  probablement  jamais.  »  Mais  Vol- 
taiicades  préoccupations  philosophiques  et  des  jalousies  qui  ne  lui 
permettent  pas  de  continuer  à  parler  avec  cette  franchise.  Con)mo 
encyclopédiste,  les  tragédies  sacrées  do  Racine  ne  pouvaient  plaire 
à  Voltaire  plus  que  les  tragédies  chrétiennes  de  Corneille.  Comme 
poète  dramatique,  la  jalousie  inhérente  au  métier  d'auteur  devait  lo 
porter  à  écrire  un  Comuicntaire  très  sévère  sur  le  théâtre  de  Cor- 
neille, et  à  déclarer  le  sujet  à' Alhalie  fort  au-dessous  de  celui  do 
Mérope.  Aussi  entreprit-il  contre  cette  traf^éJio  une  croisade  impi- 
toyable. Usant  d'un  procédé  qui  lui  était  familier,  Voltaire  attaqua  d'a- 
bord Racine  en  se  cachant  sous  lo  nom  d'un  riche  Anglais  qu'il  fait  par- 
ler ainsi  dans  X^Discours  historique  et  critique  :  «  Si  on  ne  joue  point 
Alhalie  à  Londres,  c'est  qu'il  n'y  a  point  assez  d'action  pour  nous  ;  c'est 
que  tout  s'y  passe  en  longs  discours  ;  c'est  que  les  quatre  premiers  actes 
entiers  sont  des  préparatifs;  c'c^st  quo  Josabeth  cl  Mathan  sont  des 
personnages  peu  agissants;  c'est  que  lo  grand  mérite  de  cet  ouvrage 
consiste  dans  l'extrême  simplicité  et  dans  l'élégance  noble  du  s^tyle. 
La  simplicité  n'est  point  du  tout  un  mérite  sur  notre  théâtre  ;  nous 
voulons  bien  plus  de  fracas,  d'intrigues,  d'action  et  d'événements  va- 
riés :  les  autres  nations  nous  blùmont,  mais  sont-elles  en  droit  de 
vouloir  nous  empêcher  d'avoir  du  plaisir  à  notre  manière?  En  fait  do 
goût,  comme  de  gouvernement,  chacun  doit  être  lo  maître  chez  soi. 

1.  Lorsque  Vuliairc  scia  de  mauvaise  humeur,  il  dira  dans  le  Discours  histo- 
rique et  ciitiquc  :  «  Ce  ne  fut  point  parce  que  cet  ouvrage  est  uu  chef-d'œuvre 
d'éli  queiice  qu'un  le  lit  rrpnîscnter  fii  1717,  ce  fut  uiiiipi 'mi-iil  parce  que  1  ajjo 
du  pvlit  Joas  et  celui  du  rui  de  Iwaiice  rt}(;nai)t  étant  pareils,  ua  crut  que  ccl>e 
ruururMiité  pourrait  faire  une  grande  impression  sur  les  e^prilj,  Alurs  le  publio 
passa  (le  Ircnic  aunt'es  d'iiubirercuce  au  plus  graud  entbousiBsmc,  ■ 

2.  Ed.  Iloucliot,  IX,  19. 

3.  JJ.,  V,  loi. 


10  ATOALIE. 

Pour  la  boauté  de  la  versification  elle  he  ss  peut  jamais  tradaiic. 
Enfin  le  jeune  Éliucin  en  long  habit  de  lin,  et  le  petit  Zachario,  tous 
deux  présentant  le  sel  au  grand  prêtre,  ne  feraient  aucun  effet  sur 
les  têtes  do  mes  compatriotes,  qui  veulent  ôtre  profondément  oc- 
cupées, et  fortement  remuées.  »  En  prêtant  ces  paroles  à  Milord 
Conisburi,  Voltaire  a  soin  d'ajouter  que  c'est  «  l'un  des  meilleurs 
esprits  qu'ait  produits  la  Grande-Bretagne  ». 

C'est  principalement  sur  Joad  que  se  porto  toute  la  colère  du  cri- 
tique poète  et  philosophe.  Au  moment  où  il  entreprend  de  composer 
des  tragédies  dirigies  contre  l'intolérance,  où  il  introduit  dans  son 
Objmyiie  un  grand  prêtre  d'un  esprit  conciliant  et  doux,  qui  forme  un 
contraste  complet  avec  le  fanatique  Joad,  il  s'applaudit  chaudement 
dans  une  note  de  sa  tragédie  d'avoir  créé  son  personnage,  à  seule  fin 
de  l'opposer  à  l'assassin  d'Athalic  :  o  Cet  exemple  d'un  prêtre  qui  se 
renferme  dans  les  bornes  do  son  ministère  de  paix  nous  a  paru  d'une 
très  grande  utilité,  et  il  serait  à  souhaiter  qu'on  ne  les  représentât 
jamais  autrement  sur  un  théâtre  public,  qui  doit  être  l'école  des 
mœurs.  11  est  vrai  qu'un  personnage  qui  se  borne  à  prier  le  ciel,  et 
à  enseigner  la  vertu,  n'est  pas  assez  agissant  pour  la  scène  ;  mais 
aussi  il  ne  doit  pas  être  au  nombre  des  personnages  dont  les  passions 
font  mouvoir  la  pièce.  Les  héros  emportés  par  leurs  passions  agis- 
sent, et  un  grand  prêtre  instruit.  Ce  mélange,  heureusement  employé 
par  des  mains  plus  habiles,  pourra  faire  un  jour  un  grand  effet  sur 
le  théâtre.  »  Se  représentant  ainsi  le  grand  prêtre,  le  poète  devait 
nécessairement  blâmer  de  tous  points  la  conception  que  Racina  s'en 
était  faite.  Il  reproche  à  Joad,  toujours  dans  ce  même  Discours  hislo- 
rique  et  crili'/ue,  son  ambition  et  son  imprudence:  «  Car  pourquoi 
ce  grand  prêtre  conspire-t-il  très  imprudemment  contre  la  reine? 
pourquoi  la  trahit-il?  pourquoi  l'égorge-t-il?  C'est  apparemment 
pour  régner  lui-même  '  sous  le  nom  du  petit  Joas  ;  car  quel  autre  que 
lui  pourrait  avoir  la  régence  sous  un  roi  enfant,  dont  il  est  le  maître? 

11  faut  avouer  que  le  grand  prêtre,  par  ses  manœuvres  et  par  sa  fé- 
rocité, fait  tout  ce  qu'il  peut  pour  perdre  cet  enfant  qu'il  veut  con- 
server; car  en  attirant  la  reine  dans  le  temple  sous  prétexte  do  lui 
donner  de  r.irgcnt,  en  préparant  cet  assassinat,  puuvait-il  s'assurer 
que  le  petit  Joas  ne  serait  i)as  égorgé  dans  le  tumulte  *?  » 

Mais  c'est  surtout  dans  une  note  de  son  Oiympie  que  Voltaire 
a  déchargé  toute  sa  colère  contre  la  tragédie  de  Hacine  :  o  On  ne 
voit  pas...  pour  quelle  rai.^on  Jond  ou  Johitla  s'obstine  à  ne  vouloir 
pas  que  la  reine  Alhalie  adupto  le  petit  Joas.  Elle  dit  en  propres 
termes  à  cet  enfant  :  Je  7i'ai  point  d'hcriiier,  je  prétends  vous 
traita'  couiiwj  mon  propre  fils.  —  Alhalie  n'avait  certainement 
alors  aucun  intérût  ^  faire  tuer  Joas.  Elle  pouvait  lui  servir  de  mère, 
et   lui  laisser  son  potit  rojaume.  Il  est  très  naturel  qu'une  vioillo 

1.  M.  Pair,  y   (le  Temps,  23  noùl  lft73),  qui,  comme  Voltaire,  no  »oil  daoi 
luad  qu'un  poliliquc,  a  lun^ueiiiciit  iiiiinlé  »ur  relie  idée. 
S.  tl.  Surccjf  (le  Tcnjii,    0  oclolirc  1873)  «  r<|'rii  <»i;ulcnicpl  celte  critique. 


NOTICE  SUR   ATUALIE.  17 

femme  s'intéresse  au  seul  rejeton  de  sa  famille.  Athalie  en  cfTet  était 
dans  la  décrépitude  de  l'âge.  Les  Pavalipomènes  disent  que  son  fils 
Ochosias  ou  Acliazia  avait  quarante-deux  ans  quand  i\  fut  déclaré 
mclk  ou  roitelet.  Il  régna  environ  un  an.  Sa  mère  Alhalie  lui  sur- 
vécut six  ans.  Supposons  qu'elle  fût  mariée  à  quinze  ans,  il  est  clair 
qu'elle  avait  au  moins  soixante-quatre  ans.  Il  y  a  bien  plus  :  il  est  dit 
dans  le  quatrième  livre  des  Rois  que  Jéliu  égorgea  quarante-deux 
frères  d'Ocliosias,  nt  cet  Ocliosias  était  le  cadet  de  tous  ses  frères  '  ; 

à  ce  compte ,  Alhalie  devait  être  âgée  de  cent  six  ans  quand  le 

prêtre  Joad  la  fît  assassiner.  —  le  n'examine  point  ici  comment  le 
père  d'Ochosias  pouvait  avoir  quarante  ans,  et  son  fils  quarante-deux 
quand  il  lui  succéda  ;  je  n'examine  que  la  tragédie^  je  demande  seu- 
lement de  quel  droit  le  prôtre  Joad  arme  les  lévites  contre  la  reino 
à  laquelle  il  a  fait  serment  de  fidélité?  De  quel  droit  trorapc-t-il 
Alhalie  en  lui  promettant  un  trésor  ?  de  quel  droit  fait-il  massacrer  la 
reine  dans  la  plus  extrême  vieillesse?  —  Athalie  n'était  certainement 
pas  si  coupable  que  Jéhu  qui  avait  fait  mourir  soixante  et  dix  fils  du 
roi  Achab,  et  mis  leurs  tôles  dans  des  coibeilles,  à  ce  que  dit  le  qua- 
trième livre  des  Rois.  Le  môme  livre  rapporte  qu'il  fit  exterminer 
tous  les  amis  d'AcIiab,  tous  ses  courtisans  et  tous  ses  prêtres.  —  Cette 
reine  avait,  à  la  vérité,  usé  do  représailles  ;  mais  apparlonait-il  à  Joad 
de  conspirer  contre  elle  et  de  la  tuer  P  II  était  son  sujet;  et  certai- 
nement dans  nos  mœurs  et  dans  nos  lois  il  n'est  pas  plus  permis  à 
Joad  de  faire  assassiner  sa  reine,  qu'il  n'eût  été  permis  à  l'arche- 
vêque do  Cantorbéry  d'assassiner  Elisabeth,  parce  qu'elle  avait  fait 
condamner  Marie  Stuart.  —  Il  eût  fallu,  pour  qu'un  tel  assassinat  ne 
révoltât  pas  tous  les  esprits,  que  Dieu,  qui  est  le  maître  de  notre  vie 
et  des  moyens  de  nous  l'ôtcr,  fût  descendu  lui-même  sur  la  terre, 
d'une  manière  visible  et  sensible,  et  qu'il  eût  ordonné  ce  meurtre  ; 
or,  c'est  certainement  ce  qu'il  n'a  pas  fait.  11  n'est  pas  dit  même  que 
Joad  ait  consulte  le  Seigneur,  ni  qu'il  lui  ait  fait  la  moindre  prière 
avant  de  mettre  la  reine  à  mort.  L'Écriture  dit  seulement  qu'il  cons- 
pira avec  les  lévites,  qu'il  leur  donna  des  lances,  et  qu'il  fit  assassi- 
ner Alhalie  à  la  porte  aux  chevaux,  sans  dire  que  le  Seigneur  ap- 
prouvât cette  conduite.  N'est-il  donc  pas  clair,  après  cette  exposition, 
que  le  rôle  et  le  caractère  de  Joad  dans  Atlialic  peuvent  être  du 
plus  mauvais  exemple,  s'ils  n'excitent  pas  la  plus  violente  indigna- 
tion? car  pourquoi  l'action  de  Joad  serait-elle  consacrée?  Dieu  n'ap- 
prouve certainement  pas  tout  ce  (lue  l'histoire  des  Juifs  rapporte... 
Si  donc  tant  de  crimes  et  tant  de  meurtres  ne  sont  point  excusés 
dans  l'Écriture,  pourquoi  le  meurtrier  d'Allialio  serait-il  consacré 
sur  le  théâtre  ?  » 

Pour  flatter  Voltaire,  qui  avait  encore  exprimé  ces  mêmes  idées 
dans   la  Préface  des  Guôbres,  le  cardinal   de  Demis  lui   écrivait 

1.  Il  n'est  dit  nulle  part,  crnvoiis-nous,  que  ces  quarantc-dcui  friHà  ^  ,>".t«,- 
tias  fussent  nés  de  la  même  luèro  que  lui. 


18  ATllALIR. 

de  Rome  le  28  ff^vricr  1770  :  «  Alftolie  ne  m'a  jamais  paru  un 
ouvrage  supérieur  que  par  le  style.  Je  n'"'.Jais  pas  le  dire,  mais 
j'ai  toujours  (^tc  révoilé  qu'on  eût  permis  de  mettre  un  sembla- 
ble sujet  sur  notre  lliéàlre.  »  —  D'Alembcrt  était  encore  plus  flat- 
teur, dans  la  l(!ttre  qu'il  écrivait  à  Voltaire  le  11  décembre  1709  :  »  Jo 
suis  depuis  longtemps  entièrement  de  votre  avis  sur  Athalic.  J'ai 
toujours  regardé  cette  pièce  comme  un  chef-d'œuvre  de  versification, 
et  comme  une  très  belle  tragédie  de  collège.  Je  n'y  trouve  ni  actio:i 
ni  intérêt;  on  no  s'y  soucie  do  personne,  ni  d'Atlialic,  qui  est  uni", 
méchante  carogne,  ni  de  Joad,  qui  est  un  prêtre  insoler)t,  séditieux  et 
fanatique,  ni  de  Joas  môme,  que  Racine  a  eu  la  maladresse  de  faire 
entrevoir  en  deux  endroits  comme  un  méchant  garnement  futur.  Jo 
suis  persuadé  que  les  idées  de  religion  dont  nous  sommes  imbus 
dès  l'enfance  contribuent,  sans  que  nous  nous  en  apercevions,  au 
peu  d'intérêt  qui  soutient  cette  pièce,  et  que  si  on  changeait  les 
noms,  et  que  Joad  fût  un  prêtre  de  Jupiter  ou  d'Isis,  et  Atlialie  une 
reine  do  Perse  ou  d'figypte,  cette  pièce  serait  bien  froide  au  théûlrc  '. 
D'ailleurs  à  quoi  sert  toute  cette  prophétie  do  Joad,  qu'à  faire  lan- 
guir l'action,  qui  n'est  pas  déj^  trop  animée?  Je  crois  en  général  (et 
je  vais  peut-être  dire  un  blasphème)  que  c'est  plutôt  l'art  de  la  ver- 
sification que  celui  du  théâtre  qu'il  faut  apprendre  chez  Racine.  J'en 
connais  à  qui  je  donnerais  un  plus  grand  éloge,  mais  ils  n'ont  pas 
l'honneur  d'être  morts,  u  On  voit  (pie,  après  avoir  dit  une  ou  deux 
niai.series,  d'Alcmbcrt,  dans  le  trait  final,  nous  fait  découvrir  le  mo- 
tif socret  qui  portait  Voltaire  ii  rabaisser  Racine. 

Ce  n'est  qu'au  début  de  notre  siècle  qn'Alhalie  put  être  jugée 
sainement  et  froidement, au  point  de  vue  littéraire,  s'entend,  caria 
Critique  qu'en  avait  faite  l'Acadjuiie  vers  1730,  et  que  Laharpo 
publia  en  1807  dans  son  édition  de  Racine,  portait  presque  exclu- 
sivement sur  des  questions  do  grammaire  et  de  style.  Ce  n'est  que 
lorsqu'on  se  fut  dégagé  du  toute  préoccupation  politique,  philoso- 
phique et  religieuse  que  l'on  p\it  examiner  ce  poème  sans  parti 
pris,  et  l'apprécier  à  sa  juste  valeur.  Ce  n'est  que  le  31  mai  1800 
que  Geofrroy  put  écrire  :  «  Athalie  est  la  meilleure  poétique  du 
théâtre,  et  l'on  n'a  plus  besoin  de  celle  d'Aristote.  Si  les  règles  de 
l'art  dramatique  pouvaient  se  perdre,  on  les  retrouverait  dans 
cette  tragédie,  de  l'aveu  de  tout  ce  qu'il  y  a  de  bons  esprits  et  de 
gens  de  goût  en  Euro|)e  ;  c'est  le  seul  ouvrage  où  les  unités,  la 
raison,  la  vraisemblance,  le  mécanismc.de  l'action  théâtrale  soient 
exactement  et  strictement  observés  ;  il  est  pour  les  poètes  tragi- 
ques 00  que  rApullun    et  la  Vénus  sont    pour  les  sculpteurs,  lo 

1.  H.  Sarccy,  dans  Tempt  du  6  octobre  1873,  »  corami*  la  nifiinc  iii.iilvcr- 
lancc  que  d'Alciiil)crt  :  en  jugeant  JuaJ  bu  puiiil  do  vue  purement  huiiiuin,  eu 
l'étudiuiil  couiinc  publique,  il  u  éludii!  et  appi)<i-I(3  un  aulri:  drnmc  que  c;<  lui  do 
nacinr.  O  pi'o:'édé  de  critique  Cht  cuiicui  ;  inni:'  il  ne  peut  s'upiiliqncr  a  d.  s  per- 
«iinua|fi:»  cletéii,  C'Hiinie  Joad,  nu-disiiUii  de  l'IiuinanilO,  et  qui  n'unt,  quui  qu'oa 
■'ti^,  o'n'jtre  lutèrét  que  celui  du  ciel. 


NOTICE  SUR  ATnALIB.  19 

modèle  le  plus  accompli.  Jamais  la  poésie  et  l'éloquence  n'ont  été 
portées  à  un  Ici  degré  '.  » 

En  effet,  si  la  poésie  de  Racine  a  toujours  des  charmes  inexpri- 
mables, jamais  elle  ne  s'était  élevée  à  des  hauteurs  si  voisines  de  la 
perfection.  Toutes  les  beautés  qu'avait  acquises  successivement  la 
langue  du  poôie  se  trouvent  réunies  dans  cette  seule  pièce,  et  s'y 
montrent  dans  leur  complet  épanouissement.  Nous  avions  apprécié 
la  simplicité  touchante  avec  laquelle  Andromaque  exprimait  les 
tendresses  de  son  cœur  maternel  ;  cette  grâce  simple  et  toute  grec- 
que, nous  la  retrouvons  dans  les  rôles  de  Josabct  et  de  Jo^g;  nous 
avions  admiré  la  mâle  énergie  des  accents  de  Milhridate,  et  nous  la 
reconnaissons  dans  la  bouche  de  Joad  ;  nous  avions  été  frappés 
dans  Esther  de  la  splendeur  tout  orientale  de  certaines  métaphores, 
des  couleurs  bibliques  dont  Racine  avait  su  parer  son  élégie;  et 
Athalic  n'est  pas  moins  riche  qn' Esther  en  méta|)horc3  et  en  images 
empruntées  aux  saintes  Écritures;  de  sorte  que  la  dernière  tragé- 
die de  Racine  joint  h  la  simplicité  de  la  poésie  de  Sophocle,  et  à  la 
vigueur  romaine  de  celle  de  Corneille,  l'éclat  incomparable  des 
cantiques  sacrés.  Et  cela,  sans  nul  effort,  sans  que  nulle  part  on 
puisse  surprendre  le  travail  de  l'imitation.  Si  jamais  poésie  sembla 
inspirée,  c'est  bien  celte  poésie  aux  périodes  amples  et  soutenues, 
majestueuse  et  sereine  comme  Joad. 

Les  représentations  à'Alhalic  ne  furentpas  interrompues  2  durant 
tout  le  xvm*  siècle  ;  mais  elles  ne  furent  pas  toujours  écoutées  avec 
le  respect  dû  à  un  chef-d'œuvre,  et  le  public,  docile  aux  inspira- 
tions du  prince  de  la  critique,  se  permit  quelquefois  do  rire  à  cer- 

1.  Cet  élopc  a  plus  de  prix,  parce  qu'il  est  plus  raisonné,  mais  il  n'est  pas 
|)lus  eiilliousiablc  que  celui  de  liiccohoni  :  «  Il  est  juste  que  je  donne  à  Athalie 
le  pas  sur  toutes  les  trogiidies  modernes  :  de  quelque  côté  qu'on  rcxamine,  ou 
ne  trouve  dans  cette  tragédie  que  des  beautés  ailniiralilcs.  Tout  y  est  édinaut, 
tout  y  est  ÏDStruclir  :  les  caractères  mêmes  d'Atlialie  et  de  Matlian,  tnul  im- 
pies qu'ils  sont,  uc  peuvent  inspin'r  que  de  l'Iiorrcur  pour  l'impiété.  Entîa, 
ir'cil  un  ouvrage  parfait  qui  mérite  d'ètie  à  la  tête  de  tous  les  poèmes  dr.inia- 
li<|uc9  que  l  on  peut  conserver  pour  le  tbéâtre.  »  {De  la  réformation  du  thcdlre, 
p.  123.) 

2.  Une  de  ces  représentations,  en  1730,  fut  signalée  par  un  fait  curieux  :  «  M.  Ra- 
c  ine,  écrit  un  journaliste,  est  allé  voir  la  salle  Je  la  cûinédie,  il  y  a  quelques  jours. 
Sa  grande  dévotion  l'enipèclie  depuis  longtemps  de  fréquenter  le  théâtre.  Ce  fils 
d'un  illu^tl■e  père  a  été  accueilli  avec  tous  les  égards  que  les  comédiens  lui 
doivent.  Il  a  tout  loué,  tout  admiré.  Sa  visite  faite  :  •  Messieurs,  a-t-il  ajouté, 
je  viens  régler  une  petite  dette.  Vous  savez  que  mon  iicro  avait  défendu,  par 
son  testament,  qu'on  jouât  Athalic.  M.  le  Régent  a  depuis  ordonné  que,  sans 
é;;ard  aux  volontés  du  testateur,  le  drame  serait  donné  au  public.  Cet  ordre  de 
M.  le  duc  d'OilOaiis  ne  me  fait  déroger  en  rien  à  mes  droits.  Je  revendique  en 
conséquence  lu  part  qui  me  doit  revenir  des  représentations  multipliées  de  ce 
chef-d'œuvre  do  mon  piîie.  »  T.etle  deninnile  a  fort  étourdi  l'ariopage  comique. 
Il  est  question  de  trouver  un  mezzo  termine  à  celte  contestation  naissante.  • 
Le  même  journal,  dans  un  numéro  suivant,  confirme  ce  récit,  et  reprend  : 
«  Cela  n'ira  pas  plus  loin,  à  ce  qu'i>n  m'Hssure.  Il  (Louis  Racine)  colorait  sa  de- 
mande du  prétexte  de  charité  :  il  voulait  faire  des  aumùnes  de  cet  ai  (.-rnl.  On 
prétend  que  les  cumédiens  se  sont  ninqués  de  lui,  et  que  cette  restitution  irait  de 
trente  à  <|iiarante  mille  livres.  »  De  nos  jours,  la  réclamation  de  Louis  Racine 
eût  semblé  toute  naturelle. 


5  n  ATHALIE, 

taines  scènes.  Voltiiire  nous  apprend,  non  sans  quelque  plaisir,  quo 
les  comédiens  durent  couper  les  reproclies  véhéments  dont  Joad 
accable  Josabet,  lorsqu'il  la  trouve  auprès  de  Mathan  '. 

Athalib  d'ailleurs,  et  ce  fut  un  des  motifs  qui  l'ont  maintenue  au 
tlicâtre  au  xviii*  siècle,  a  toujours  eu  le  privilège  de  prêter  aux 
allusions  maiijincs  ou  bienveillantes,  et  a  souvent  reçu  des  applau- 
dissements politiques.  C'est  ainsi  qu'un  rapport  de  police  nous  ap- 
prend qu'à  la  représentation  du  IG  août  1787  la  tirade  de  Joad  au 
jeune  roi  : 

Luin  du  trôoe  Dourri,  de  ce  fatal  honneur,  etc. 

futcouverte  d'applaudissements,  comme  cet  autre  vers  de  la  pièce: 

Coiironds  dans  ses  conseils  une  reine  cruelle. 

Un  autre  attrait  appelait  aussi  le  public  à  ces  représentations. 
En  1770,  on  avait  intercalé  différents  morceaux  d'opéra  dans  I.i 
piicc,  et  notamment,  au  quatrième  acte,  ic  ciiœur  viu  serment  dj 
ÏEmelinde  de  Philidor  : 

JuroiH  sur  nos  glaives  sanglants. 

Peu  de  temps  après,  la  Comédie  fit  entendre  au  troisième  &^tc  un(« 
symphonie  de  Baiidron,  premier  violon  do  son  orchestre.  En  178G, 
les  chœurs  de  Sloreau,  jugés  décidément  insuffisants,  furent  rem- 
placés par  des  chœurs  de  Gossec  et  do  Haydn,  et  l'on  admira  beau 
coup  le  chœur  écrit  au  quatrième  acte  pour  le  serment  d'Azarias, 
que  Racine  n'avait  pas  destiné  cependant  à  élre  chante.  Ajoutons, 
pour  compléter  la  liste  dos  musiciens  qui  ont  travaillé  sur  ce  thème, 
que,  de  1803  à  1811,  Doitldicu  a  composé  à  Saint-Pétersbourg  de 
nouveaux  chœurs  à'Atludie,  que  Mcndelssohn-DarlholJy  a  écrit  une 
ouverture  et  des  chœurs  pour  une  traduction  allemande  du  chef- 
d'œuvre  do  Racine,  enfin,  qu'en  avril  1850,  Athalie  a  été  reprise  h 
la  Comédie  Française  avec  des  chœurs  de  M.  Jules  Cohen. 

La  perfection  mémo  de  V Athalie  de  Racine  est  cause  qu'un  seul 
poète,  l'Italien  Mûiastase,  que  l'on  a  souvent  rapprociiô  do  Racim; 
pour  la  pureté  de  la  langue,  l'iiarnionio  des  vers  ot  la  délicatesse 
des  sentiments,  Métastase,  qui  créa  le  drame  lyriijue,  et  qui  fut 
loué  sans  relâche  par  Voltaire,  icqnrl  n'avait  jamais  fait  de  livret 
d'opéra,  osa  entrer  en  rivalité  avec  Racine,  et  meliro  à  la  scène  un 
Gioaiy  re  di  (Imda,  tragédie  sacrée  on  deux  parties.  Ce  jour-là  le 
divin  Métastase  no  fut  pas  heureusement  inspiré.  Tout  ce  qu'il  y  a 
de  ri.'mar(|uablc  dans  son  drame  est  emprunté  à  Vlon  d'Euripide  et  h 
\' Athalie  de  Racine;  tout  ce  que  le  poôlc  a  ajouté  est  déplacé,  cl 
gâte  la  simplicité  de  ce  dramatique  sujet.  Nous  no  trouvons  plus  dans 
ta   |)ièco  cette  intéressante  opposition  entre  h  foi  timide  d'Abncr 

I.  Ed.  Dcucbut,  l.  \,  ff.  18-20. 


NOTICE    SUR   ATOALIE.  21 

et  la  pieuse  inlrépidité  de  Joad  ;  Josabet  a  disparu,  comme  Abner. 
Dieu  est  toujours  là,  qui  mène  les  événements,  et  Giojada 'prend 
assez  souvent  soin  do  nous  le  rappeler;  mais  il  a  grand  raison  do 
lo  faire,  car  on  courrait  risque  de  ne  plus  sentir  cotte  action  divine, 
tant  le  poèto  l'a  afTaiblio  :  ce  songe,  envoyé  par  Dieu,  qui  amène 
Atliaiie  dans  le  temple,  cette  lutte  entre  Jcliova  et  la  vieille  reine, 
qui  se  termine  par  le  cri  d'Ailialio  vaincue  : 

Dieu  des  Juifs,  tu  l'emportes  t 

tout  cela  n'a  pas  été  conservé  dans  le  drame  italien ,  dont  voici 
d'ailleurs  l'exposé  rapide  :  Giojada  raconte  h  IsmaCle,  un  des  cliefs 
des  Lévites,  comment  Gioas  a  été  sauvé  et  élevé  dans  le  temple  par 
son  épouse  Giosaba  :  il  veut  le  remettre  au  trône  de  son  père;  et 
il  a  prolilé  des  solennités  de  la  Pentecôte  pour  réunir  dans  le  temple, 
sans  attirer  de  soupçons,  tout  le  qui  reste  encore  d'Hébreux  fidèles 
^  la  race  de  David.  Bientôt  paraissent  et  se  rencontrent  Gioas  et 
Sebia,  sa  mère,  qu'Atalia  a  fait  appeler  h  Jérusalem,  et  là  s'engage 
une  scène  imitée  de  Vlo7i  d'Euripide  ;  Gioas  a  perdu  sa  mère;  Scbia 
a  perdu  son  fils;  ils  se  sentent  attirés  l'un  vers  l'autre,  et  le  jeune 
Gioas  trouve  pour  l'étrangère  des  caresses  cliarmantes  ;  Giojada, 
qui  en  est  témoin,  n'ose  cependant  leur  révéler  le  lien  qui  les  unit. 
Cependant  l'imprudente  Atnlia  vient  dans  le  temple,  accompagnt'e  do 
Matan.  Craignant  que  Giojada  ne  veuille  supposer  un  fils  d'Ocosia 
pour  le  mettre  sur  le  trône,  elle  se  résout  à  le  prévenir  et  à  faire  elle- 
niônie  ce  qu'il  veut  faire  ;  elle  choisira  un  faux  Gioas,  sous  le  nom 
duquel  elle  régnera  en  siîreté.  Elle  ordonne  à  Sebia  de  r^jcennaître 
cet  enfant,  quel  qu'il  soit,  pour  son  fils,  et  lui  persuade  que  Giojada 
est  d'accord  avec  elle. 

Nous  apprenons  dans  la  seconde  partie  que  le  grand  prêtre  a  écouté 
sans  daigner  y  répondre  >es  révélations  mensongères  et  les  offres  per- 
fides que  Matan  venait  lui  faire  au  nom  de  la  reine  ;  l'usurpatrice  reste 
atterrée.  Giojada,  dans  une  scène  empruntée  à  Racine,  reconnaît 
Gioas  pour  roi,  lui  donne  des  conseils  sages  et  pieux,  et,  voyant 
entrer  Sobia,  dit  à  la  mère  :  «  Voilà  ton  fils  »,  et  sort.  Trop  con- 
fiante dans  les  paroles  d'Atalia,  Scbia,  malgré  les  larmes  de  l'enfant, 
ne  voit  en  lui  qu'un  impo'^teur  accepté  par  Giojada,  et  le  repousse 
avec  horreur.  Il  faut  que  Giojada  revienne  pour  mettre  fin  à  cette 
scène  longue,  pénible  et  inutile.  La  dernière  partie  de  la  pièce 
de  Métastase  est  calquée  exactement  sur  VAthili'^  de  Racine,  si 
ce  n'est  qu'au  lieu  d'imprécations  terribles,  lo  poèto  italien,  au  dé- 
nouement, a  mis  dans  la  bouche  de  la  reine  vaincue  quelques 
paroles  troublées  et  confuses,  qui  rappellent  la  sortie  de  Mathan  au 
troisième  acte  de  notre  Athnli/;.  On  lo  voit,  le  drame  italien  n'est 
qu'un  pàlo  rcfiel  de  la  tragédie  de  Racine,  et  d'ailleurs  le  malen- 
contreux personnage  de  Sebia  suffirait  à  gâter  une  pièce  meilleure 
que  le  Gioas  Ao.  Métastase. 

Si  un  seul  poèto  a  osé  traiter  de  nouveau  le  sujet  déjà  traité  pir 


2  2  ATUALIE. 

Itacine,  nous  trouvons  en  revanche  une  quantité  considérable  do 
traductions  d'Athalie.  On  signalo  liuit  traductions  allemandes 
de  1790  à  1853,  doux  traductions  hollandaises,  en  vers,  en  I71C 
et  1771,  six  traductions  anglaises,  en  vers  rimes  ou  non  rimes, 
de  1722  Ji  1841,  quatre  traductions  italiennes,  dont  la  dernière  de 
l'abbé  Conti,  de  1743  à  1789,  une  traduction  espagnole  en  1754, 
une  traduction  portugaise  en  17C2,  deux  traductions  hébraïques 
en  1770  et  en  1835,  et  enfin  une  traduction  arménienne,  par 
M.  Sarkis  Dikranian  de  Xakliitchivan.  publiée  h  Moscou  en  1834. 
Celte  abondance  de  trachutions  s'explique  par  l'opinion  générale- 
mont  acceptée  aujourd'hui  qu'Athalie  est  le  chef-d'œuvre  de  notre 


Tuurs    jauviur  1831.. 


ATllALlE 

TRAGÉDIE 

TIRÉE    DE    L'ÉCRITURE   SAINTE, 

1091    '. 


1.  Il  y  eut,  CD  rdalilé,  (rois  pr<^mières  représentations  à'Athalie :  la  première 
»  Saiiil-r.yr,  le  vendredi  3  janvier  J69I,  est  qualifiée  par  Dingcau  de  rénélilion  ; 
Alhiilie  p:irul  pour  la  première  fois  avec  éclat,  à  Versailles,  le  niariii  tt  fé- 
vrier 1702;  euliu  elle  fut  jouée  pour  la  preiuicre  fois  sur  le  Ibéillre,  le  mardi 
3  mars  1716. 


PREFACE. 


Tout  le  monde  sait  que  le  royaume  de  Juda  était  composé 
des  deux  tribus  de  Juda  et  de  Benjamin,  et  que  les  dix  autres 
tribus  qui  se  révoltèrent  contre  Roboam  composaient  le 
royaume  d'Israël.  Comme  les  rois  de  Juda  étaient  de  la  mai- 
son de  David,  et  qu'ils  avaient  dans  leur  partage  '  la  ville  et 
le  temple  de  Jérusalem,  tout  ce  qu'il  y  avait*  do.  prêtres  et  de 
lévites  se  retirèrent  auprès  d'eux,  et  leur  demeurèrent  tou- 
jours attachés.  Car  depuis  que  le  temple  de  Salomon  fut  bâti, 
il  n'était  plus  permis  de  sacritier  ailleurs;  et  tous  ces  autres 
autels  qu'on  élevait  à  Dieu  sur  des  montagnes,  appelés  par 
cette  raison  dans  l'Écriture  les  hauts  lieux',  ne  lui  étaient 
point  agréables.  Ainsi  le  culte  légitime  ne  subsistait  plus 
que  dans  Juda.  Les  dix  tribus,  excepté  un  très  petit  nombre 
de  personnes,  étaient  ou  idolâtres  ou  schismatiques 

Au  reste,  ces  prêtres  et  ces  lévites  faisaient  eux- mômes  une 
tribu  fort  nombreuse.  Ils  furent  partagés  en  diverses  classes 
pour  servir  tour  à  tour  dans  le  temple,  d'un  jour  de  sabbath  à 
l'autre  *.  Les  prêtres  étaient  de  la  iamille  d'Aaron  ;  et  il  n'y 
avait  que  ceux  de  cette  famille,  lesquels*  pussent  exercer  la 

1.  Ce  mot  de  partage  a  paru  impropre  à  l'Acailéniie,  parce  que  a  le  royaume  do 
SaloinoD  n'avait  point  été  partage;  il  avait  été  divisé  pat-  la  révolte  Je  Jirobuam  •. 

2.  L'Académie  a  ti«uvé  qiit-  y  Taisait  ici  équivoque,  pouvant  *'.re  pris  pour 
un  adverbe  de  lieu  relatif  à  Jérusalem. 

3.  U  était  interdit  forracllcmeiit  de  sai-riGer  sur  les  hauts  llcux;  cependant 
la  désobéissance  y  éleva  taiitùt  des  autels  sans  toiture  et  sans  enclos,  tantôt  des 
temples  de  toute  pclilc  dimension,  chargés  d'eulourcr  et  de  cacher  l'autel  et  un 
culte  souvent  iiiunoral . 

4.  I.a  tribu  de  Lévi.  attachée  au  service  du  tcrr.ple,  comprenait  les  lévites  et  les 
lacrilicateurs.  Les  leviles,  qui  ne  |>ort;iiont  point  de  costumi-  ordinairement,  et 
ne  revêtaient  la  robe  blanche  que  pour  l'eieicice  do  leuis  fonctions,  remplissaient 
les  fonctions  iiifériiiures  dans  le  temple.  David  les  divisa  en  quatre  classes  :  vin|;t- 
quatre  raille  d'cutre  eux  furent  chargés  d'aider  les  prêtres  dans  l'accomplissc- 
mrnt  des  rites;  les  quatorio  mille  autres  gardèrent  les  lieux  saints, ou  servirent 
de  juges,  de  généalogistes,  de  musiciens.  Ils  remplissaient  à  tour  do  r6lc  leurs 
fonctions.  Les  saciin<'aleurs  se  parta;:er:nt  sous  David  en  vingt-quatre  classes, 
seixe  descen<lants  d'Éltazar,  lils  aine  d'Anron,  et  huit  d'itiiimir,  son  quatrième 
lils.  Au  retour  de  Babylone,  on  ne  trouve  plus  que  quatre  familles  do  sacrilica- 
leurs.  N'iitons  en  passant  que  le  mol  de  prélrei  sous  lequel  llacine  les  désigne 
ici  n'i'Pt  pris  un  mot  juif. 

5.  On  dirait  aujourd'hui  -.qui.  Au  siècle  dernier  l'Académio  censurait  déjà  U 
tournure  de  phrate  eniploNée  ici  par  Uaciue. 


sacrificature  *.  Les  lévites  leur  étaient  subordonnés,  et  avaient 
soin,  entre  autres  choses,  du  chant,  do  la  préparation  des  vic- 
times et  de  la  garde  du  temple.  Ce  nom  de  lévite  ne  laisse 
pas  d'ôlre  donné  quelquefois  indilTéremment  à  tous  ceux  de 
la  tril)U  f^(^u\  qui  étaient  en  semaine  avaient,  ainsi  que  le 
grand  preire,  leur  logement  dans  les  portiques  ou  galeries 
dont  le  temple  était  environné,  et  qui  faisaient  partie  du  tem- 
ple même  *.  Tout  l'édifice  s'appelait  en  général  le  lieu  saint. 
Mais  on  appelait  plus  particulièrement  de  ce  nom  celte  partie 
du  temple  intérieur  où  était  le  chandelier  d'or,  l'autel  des 
parfums',  elles  tables  des  pains  de  proposition.  Et  cette  par- 

1.  La  fonction  de  sacrificateur. 

î.  On  avait  mis  sept  années  et  demie  à  éloyer  le  temple  de  Salomon.  Il  était 
bâti  sur  la  colline  de  Morija,  qu'on  avait  élargie  et  fortifije  pour  le  recevoir. 
Construit  sur  le  modèle  du  tabernacle  de  Moïse,  le  temple  était  tourné  ver» 
l'Orient;  on  y  accédait  par  quatre  portes.  «  Deux  murs,  l'un  plus  élevé  que 
l'autre,  régnaient  à  l'entour  ;  de  l'intérieur,  en  s'apprnchant,  on  pouvait  voir 
les  arrivants,  leur  parler  et  les  entendre  (V.  1419  et  1749).  Des  galeries,  sou- 
tenues par  des  colonnes,  formaient  les  deux  parvis  extérieurs;  de  ces  esplanades 
on  entrait,  toujours  en  montant,  dans  le  parvis  des  femmes,  et  de  celui-ci  dans 
le  parvis  des  Israélites.  Ces  séparations  étaient  alors  les  seules  qui  précédaient 
remplacement  réservé  au  service  des  sacrificateurs.  Au  delà  de  ces  esplanades 
fermées  se  trouvait  la  cour  mcnic  du  temple,  réservée  aux  sacrifices  (V.  4001;  là 
les  sacrificateurs  seuls  et  leurs  aides,  ou  lévites,  avaient  droit  d'entrée  (V.  852)  ; 
là  s'élevaient  l'autel  des  holocaustes  (V.  171),  et  la  me:- d'airain,  posée  sur  douze 
figures  de  bœufs;  là  se  trouvaient  aussi  les  dix  cuves  plus  petites  qui  servaient 
aux  ablutions...  Au  delà  de  l'autel  des  holocaustes  s  élevait  le  temple  propre- 
ment dit,  couvert  d'une  toiture  plane  et  précédé  d'un  large  portique;  l'entrée 
était  décorée  de  deux  obélisques  recouverts  d'airain  ciselé,  derrière  lesquels 
s'ouvrait  le  sanctuaire,  divisé  en  trois  comparlimcnls,  le  vestibule,  le  lieu  saint, 
et  le  lieu  très  saint  ou  Saint  des  Saints.  Dans  le  lieu  saint  était  placé 
l'autel  des  parfums  entre  le  candélabre  d'or  aux  sept  branrhes  et  la  table 
où  se  déposaient  les  douze  pains  offerts  en  reconnaissance  de  ce  que  Dieu 
nourrissait  son  peuple.  Enfin,  derrière  le  lieu  saint,  se  trouvait  le  lieu  très 
saint,  de  forme  pentagone,  et  probablement  construit  on  dôme  (V.  160)  ;  là,  sous 
les  ailes  d'or  des  figures  de  clijrubins  V.  1594),  derrière  un  voile,  était  déposée 
l'Arche  fV.  1595),  contenant  ies  tables  de  la  Loi  et  les  livres  do  la  main  de 
Moïse.  Le  lieu  saint  et  le  lieu  très  saint  étaient  séparés  par  des  cloisons  en 
bois  de  cèdre,  dont  les  larges  portes  se  fermaient  par  des  rideaux.  Les  barres 
du  support  de  l'Arche  touchaient  le  voile,  qui  s'est  déchiré  à  la  mort  du  Christ, 
et  en  écartaient  les  plis.  —  A  l'cnlour  du  temple  même,  excepté  sur  le  côté' de 
l'entrée  vers  r^rient,  régnaient  des  rangées  de  galeries  où  conduisait  un  esca- 
lier tournant  situé  sur  le  coté  méridional...  :  c'étaient  des  postes  d'observation 
du  haut  desquels  on  dominait  la  ville  et  les  environs;  c'élaieiit  de»  apparte- 
ments occupes  par  les  sacrificateurs,  et  des  resserres  d'approvisionnements,  des 
dépôts  pour  les  instruments  de  musique  ;  là  aussi  avait  lieu  le  sacre  du  roi 
et  probablement  celui  des  grands  prêtres.  Dans  les  premiers  parvis  étaient  dis- 
posés des  appartements,  non  seulcm -nt  pour  le  grand  prêtre,  sa  famille,  ses 
serviteurs,  mais  pour  les  sacrificateurs  et  les  servants  du  temple...  Ce  fut  dans 
CCS  dépendance»  de  la  demeure  du  souverain  sacrificateur  que  Joas  trouva 
d'abord  un  asile.  ■>  ;M.  Atiiinisk  CoQCEnKL.) 

3.  u  L'autel  de  l'ofTraudc  hebdomadaire  était  placé  dans  le  premier  compartiment 
du  tabernacle  ou  du  temple,  du  c6lé  septentrional,  fait  de  bois  il'acacia,  de  deux 
coudées  de  longueur,  d'une  de  largeur,  d'une  et  demie  de  hauteur  et  recouvert 
de  lames  d'or,  lia  feuille  supérieure  de  la  table  était  etilouiée  d'une  bordure  d'or; 
plus  bas,  au-dessous  de  cette  feuille,  un  rebord  de  bois  d'environ  quatre  pourei 


Î6  ATUALIE. 

lie  était  encore  distinguée  du  Saint  des  Saints,  où  était 
l'arche,  et  où  le  grand  prôtre  seul  avait  droit  jd'entrer  une 
fois  l'année  '.  C'était  une  tradition  assez  constante,  que  la 
montagne  sur  laquelle  le  temple  fut  l)àli  était  la  môme  mon- 
tagne où  Abraham  avait  autrefois  ofl'ert  en  sacrifice  son  fils 
Isaac  *. 

J'ai  cru  devoi"  expliquer  ici  ces  particularités,  afin  que  ceux 
h  qui  l'histoire  de  l'Ancien  Testament  ne  sera  pas  assez  pré- 
sente n'en  soient  point  arrêtés  en  lisant  celte  tragédie.  Elle  a 
pour  sujet  Joas  reconnu  et  mis  sur  le  trône;  et  j'aurais  dû 
dans  les  règles  l'intituler  Joas  '.  Mais  la  plupart  du  monde 
n'en  ayant  entendu  parler  que  sous  le  nom  d'Athalie,  je  n'ai 
pas  jugé  à  propos  de  la  leur  présenter  sous  un  autre  titre, 
puisque  d'ailleurs  Alhalieyjoue  un  personnage  si  considé- 
rable, et  que  c'est  sa  mort  qui  termine  la  pièce.  Voici  une 
partie  des  principaux  événements  qui  devancèrent*  colle 
grande  action. 

Joram,  roi  de  Juda,  fils  de  Josaphat  "*,  et  le  septième  roi  de 

de  largeur  encadrait  les  quatre  c6u-s.  Des  anneaui  d'or  fi^és  aux  quatre  pieds 
tervaicnt  à  soulever  et  à  transporter  cette  sorte  d'autel  durant  le  pèlerinage  du 
désert;  les  anneaux,  devenus  inutiles,  furent  supprimés  lorsque  le  culte  eut  lieu 
diuis  le  tem|i!c.  Sur  cette  table,  tous  les  jours  de  sabbat,  douze  pains  sans  le- 
\aiu,  en  nombre  égal  aux  tribus  d'Israël,  éiaient  disposés  par  les  sacriTicateurs 
de  service  ;  ruCTrande  recevait  divers  noms,  dont  le  plus  usité  était  celui  de  pains 
de  pro|.osition  ou  posés  devant  Jéliova,  en  reconnaissance  de  ce  qu'il  nourrissait 

$OUJ)euple.  «(M.  ATntlflSB  C.OQrtiitL.) 

1.  u  L'Arche,  déposée  dans  le  Saint  des  Sainis,....  é'.aitun  simple  cofTrct  de  boia 
d'acacia,  d'une  coudée  et  demie  en  hauteur  et  en  largeur,  long  de  deux  coudées 
et  revêtu  de  tous  c6tés  de  l'or  le  plus  pur.  Un  bord,  également  en  or,  entourait 
le  couvercle  supérieur;  sur  les  deux  cA^é»  longs,  <lcu\  anneaux  d'or  recevaient 
les  doux  supports  de  bois  d'acacia,  aussi  revêtus  d'or,  qui  avaient  servi  aux 
-'oyagcs  dins  le  désert;  les  deux  poteaux  touchaient  au  voile  dont  le  lieu  très 
faim  élail  fi  ruié,  et  l'écartaieut  quelque  peu  ;  ainsi,  du  lieu  saint,  on  apercevait 
l'Arche,  ou  du  moins  l'extrémité  de  ses  linteaux.  Le  couvercle  d'or  pur,  de  pa- 
reille forme  et  de  pareille  dimension,  se  terminait  par  deux  figures  de  chérubins, 
lètcs  *ilcc»,  se  regardant  l'une  l'aulrc,  inclinées  vers  le  dessus  de  l'Arche  ;  les 
ades  des  deux  images  forniaient  le  haut  et  le  rebord  du  couvercle,  et  représen- 
taient le  tiôac  de  Dieu,  ilont  l'Arclic  même  élait  censée  le  marchepied.  Celte  par- 
tie supérieure  de  l'Arche  se  nommait  le  Propitiatoire....  Il  élait  défendu,  sous 
peine  de  mort,  de  regarder  dans  l'Arehc.  n  (M.  ArB^Nist  Coquibsl.)  Voir  la 
note  du  vers  tS94,  cl,  pour  lo  trône  do  Dieu,  h'sthrr,  v.  356 

2.  Voiries  vers  1438-14-14.  Ilacine  a>ait  lu  et  annoté  les  œuvres  du  théologien 
anglican  Lightfuot,  dans  lesquelles  on  trouve  (I,  74):  «  Fundamenta  tcmpli  jacti 
Im  monte  Moria,  ubi  Isaac  fuerat  oblatus.  « 

3.  Uétdstasc,  Iroiiaiit  au  xtiii*  siècle  le  m(inc  sujet,  intitulera  soo  drame 
Ijriquc  Gi'ins,  re  di  Guida. 

4.  l'rér'édcrent  dans  l'ordre  des  temps.  Racine  avait  déjà  écrit  dans  la  Thi' 
baide  (IV,  iiij: 

Votre  \ihe  tt  l«  Hoit  qnl  leui  ont  dctanc4<. 

5.  Josaphat,  fils  d'Aza,  Hit  le  quatrième  roi  de  Juda.  Ce  princ*  éclairé  et 
lago  administra  habilement  lajustice,  combattit  l'iduUtrie,  protégea  le  commuée; 
sa  mémoire  protôgea  le  règne  de  sop  Ils  Juram. 


rnÉFACB,  "^ 

la  race  de  David,  épousa  Alhalie,  fille  d'Achab  *  et  de  Jézabcl  *, 
qui  régnaient  en  Israël,  fameux  l'un  ciraiilre,  mais  principale- 
ment Jézabol.  par  leurs  saiigUmlcs  persécutions  contre  les  pro- 
phètes. Athalie",  non  moin  s  impie  que  sa  mère,  en  traîna  Ijicnlôt 
le  Hoi  son  mari  dans  l'idoliltric,  et  fit  même  construire  dans  Jé- 
rusalem un  temple  à  Baal*,  qui  était  le  dieu  du  pays  de  Tyr  et  de 
Sidon,  où  Jézabcl  avait  pris  naissance.  Joram,  après  avoir  vu 
périr  par  les  mains  des  Arabes  et  des  Philistins  tous  les  prin- 
ces ses  enfants,  à  la  réserve  d'Okozias,  mourut  lui-même  mi- 
sérablement d'une  longue  maladie  qui  lui  consuma  les  en- 
trailles *.  Sa  mort  funeste  n'enipécha  pas  Okuzias  d'imiter 
son  impiété  et  colle  d'Athalie  sa  mère.  Mais  ce  prince,  après 
avoir  régné  seulement  un  an,  étant  allé  rendre  visite  au  roi 
d'Israiil,  frère  d'Athalie,  fut  enveloppé  dans  la  ruine  de  la 
maison  d'Achab,  et  tué  par  l'ordre  de  Jéhu",  que  Dieu  avait 
fait  sacrer  pur  ses  prophètes  pour  régner  sur  Israël,  et  pour 
Ctre  le  ministre  de  ses  vengeances.  Jéhu  extermina  toute  la 
pustérilé  d'Achab,  et  fit  jeter  par  les  fenêtres''  Jczabel,  qui, 
selon  la  prédiction  d'Élie,  fut  mangée  des  chiens  dans  la  vigne 

i.  Acliab,  soplicme  roi  d'Israël,  fils  de  Ilomii,  et  époi:x  de  Jézabcl,  faturisa  le 
eulledc  Bial,  i6ii.-la  am  miracles  U'Élic,  s'empara  dii  vignoble  de  Jizrcliel,  que 
refus  lit  do  \>.uclre,  selon  la  lui,  N.iboth,  qui  lu  possédait  par  hérita^jc,  permit  à 
Jézabel  de  Taire  périr  Naboth,  et  vint  mourir,  déshonoré  par  la  fuite  et  mortelle- 
ment blessé  par  les  Syriens,  dans  le  ch:inip  qu'il  avait  volé. 

2.  Jézabel,  fille  d'Etlibabd,  roi  de  Tyr  et  de  Sidon,  cl  femme  d'Achab,  roi 
d'Israël,  est  une  des  plus  odiiuses  figures  de  femme  que  l'iiisloirc  ait  conservées. 
Cyniquement  féroce,  froidement  cruelle,  elle  joij,'iiail  rhypuerlsic  à  l'esprit  de 
peiséciilion  ;  elle  assassinait  juridiquemeut,  afin  de  pouvoir  plus  à  sou  aise  satis- 
faire son  goût  pour  la  parure. 

3.  Atliaiie,  après  avoir  encouragé  les  attentais  et  les  idolâtries  de  Joram,  son 
mnri,  fut,  selon  l'Écriture,  «  la  conseillère  d'iniquité  »  de  son  fils  Okozias.  Elle 
lui  surcéda  en  l'an  8S4  av.  J.-C. 

•i.  Le  culte  de  Daal  ou  du  soleil  est  une  des  formes  du  sibéisme.  Ce  culte  piô- 
valiit  dans  les  deux  rnya'imcs  liebicux  sous  le  re;;uc  de  la  dynastie  sidonienne, 
et  tenait  en  échec  a  Jérusalem  le  culte  du  vrai  Uicu.  On  a  con^ervé  lo  nom  de 
Mettanualcc,  gardien  des  chars  et  des  chevaux  du  soleil,  dont  l'écuiic  sacrée  Se 
trouvait  près  du  temple. 

5.  Joram,  cinquième  roi  de  Juda,  par  complaisance  pour  sa  femme  Alhalie, 
Oalilii  l'idolâtrie  dans  ses  États;  il  Gt  périr  ses  frères  qu'il  craignait,  et  dont  ii 
voulait  hériter.  Il  mouiut  d'une  loo|;ue  et  horrible  dysenterie,  u  sic  longa  cou- 
sumplus  tabc,  ita  ut  rgercrct  viscera  sua»,  et  le  peuple  ne  le  brûla  pas  soicoucN 
lemeiit,  comme  il  avait  fait  pour  ses  ancêtres. 

6.  Oliozias,  sixième  roi  de  Juda,  était  le  plus  jrune  des  fils  de  Joram  et  d'A- 
thalie; il  fut  viiiicu  et  tué  par  Jéhu,  dixième  roi  d'Uricl,  qui,  appelé  au  trône  piu 
Dieu,  extermina  la  maison  d'Achab,  dont  sortait  Athalie,  et  renversa  la  saciifi* 
catiin-  de  BaaI.  .Mais  il  dcviut  bientôt  lui-même  idolâtre,  sacrifia  au  veau  d'or, 
•ttiiu  sur  sa  tète  les  mêmes  menaces  que  Dieu  l'avait  chargé  d'exécuter  sur  11 
maison  d'Achab,  et  vit  la  Syrie  s'emparer  d'une  partie  de  ses  Étais.  Sa  dynastm 
fut  ri^pudiée. 

7.  L'Acad'';mic  'rouva  celte  loculiou  «  du  discours  familier  «t  presque  prover- 
bi.  1  », 


2  s  ATDALIE. 

de  ce  mônic  ISadoth  qu'elle  avait  fait  mourir  autrefois  pouf 
s'emparer  de  son  liérilage.  Athalie,  ayant  appris  à  Jérusalem 
tous  ces  massacres,  entreprit  de  son  côté  d'éteindre  entière- 
ment la  race  royale  de  David,  en  faisant  mourir  tous  les  en- 
fants d'Okozias,  ses  pclits-fils.  Mais  heureusement  Josubet, 
sœur  d'Okozias,  et  fille  de  Joram,  mais  d'une  autre  mère 
qu'Alhalie,  étant  arrivée  lorsqu'on  égorgeait  les  Princes  ses 
neveux,  elle  trouva  moyen  de  dérober  du  milieu  des  morts  le 
petit  Joas  encore  à  la  mamelle,  et  le  confia  avec  sa  nourrice  au 
grand  prêtre,  son  mari',  qui  les  cacha  tous  deux  dans  le  tem- 
ple, où  l'enfant  fut  élevé  secrètement  jusqu'au  jour  qu'il  fut 
proclamé  roi  de  Juda.  L'histoire  des  Rois  dit  que  ce  fut  la 
septième  année  d'après.  Mais  le  texte  grec  des  Paralipomènes, 
que  Sévère  Sulpice  a  suivi,  dit  que  ce  fut  la  huitième*.  C'est  ce 
qui  m'a  autorisé  à  donner  à  ce  prince  neuf  à  dix  ans,  pour  le 
mettre  déjèi  en  état  de  répondre  aux  questions  qu'on  lui  fait. 
Je  crois  ne  lui  avoir  rien  fait  dire  qui  soit  au-dessus  de  la 
portée  d'un  enfant  de  cet  ;lge  qui  a  de  l'esprit  et  de  la  mémoire. 
Mais  quand  j'aurais  été  un  peu  au  delà,  il  faut  considérer 
que  c'est  ici  un  enfant  tout  extraordinaire,  élevé  dans  le  tem- 
ple par  un  grand  prêtre  qui,  le  regardant  comme  l'unique 
espérance  de  sa  nation,  l'avait  instruit  de  bonne  heure  dans 
tous  les  devoirs  de  la  religion  et  de  la  royauté.  Il  n'en  était 
pas  de  même  des  enfants  des  Juifs  que  de  la  plupart  des 
nôtres.  On  leur  apprenait  les  saintes  lettres,  non  seulement 
dès  qu'ils  avaient  atteint  l'usage  de  la  raisons,  mais,  pour  me 
servir  de  l'expression  de  saint  Paul,  dès  la  mamelle*.  Chaque 

1.  Chei  les  Juifs,  plus  que  partout  ailleur  '«le  pontificat  fut  étroitement  sou- 
mis au  pouvoir  civil.  Aussi  Jéhojailah,  ou  Joad,  est-il  un  des  rare:)  pontiTcs  qui 
aient  laissé  un  nom  dans  l'Iiistuire.  Après  avoir  diricé  les  di'buts  du  ic);ne  de 
Joas,  il  mourut  à  l'àgc  de  (30  unt,  et  fut  enseveli  Jung  les  tombes  royales  de 
Jérusalem,  par  le  plus  insigne  (1rs  honneurs.  Cette  longévité  ntraordinairc  pro- 
mise dans  les  dix  coniniandcmoiils  a  relui  qui  acrumplit  ses  devoirs  de  faniillc, 
était  bien  due  au  restaurateur  de  la  dynastie  de  David  sur  le  trône  de  Juda. 

2.  Sulpice  Sévcrc  dit  diins  Sun //i.î(oir«  lacr^f,  (I.  I):  «  Gotholia  (les  Septante 
et  Joseplic  appellent  ainsi  Athalie)  inipcrium  pust  occupavit,  adcmplo  nepoli  im- 
mperio,  etia  tuni  parvo  puero,  cui  Joai  nomen  fuit.  Scil  liuic  ab  avia  praireptum 
imperium,  post  oclo  fere  annos,  per  sacerdotem  et  populuni,  depuis»  avin,  red- 
dilum.  •  La  transposition  que  fait  ici  llarine  des  noms  du  l'éciivain  ecclusius- 
tique  a  étonné  \a  ciitiquos.  On  iruuve  en  tétc  du  teite  de  cet  auteur  que  possé- 
dait Karine  et  qu'il  a  .innolé,  uni;  lettre  de  Scaligcr,  qui  justifie  l'ordre  de  nom* 
adopté  par  le  puèl'.  Dans  cette  phrase  et  dans  la  précédente,  llueine  a  en  vue  le 
lerart  2t  du  chapitre  ii  du  livre  IV  des  Unis,  et  le  premier  verset  du  chapitre  xxiv 
ilu  livre  U  des  l'araUpumfues. 

3.  L'Académie  ariiniie  qu'on  ne  dit  pas  •  atteindre  l'usage  du  la  raisun  •, 
•  l'inme  on  dit  :   •  atteindre  l'igc  de  raison.  ■ 

4.  •  Ka)  «Ti  k%lt  P(<fOu(  -îi.  Iifà  7fd|i,t»a  «Ua;.  »  (//•  lîpUrt  à  Timothée,  III,  1^.) 


PREFACE.  29 

Juif  était  obligé  d'écrire  une  fois  en  sa  vie,  de  sa  propre  main, 
le  volume  de  la  loi  tout  entier.  Les  rois  étaient  même  obligés 
de  l'écrire  deux  fois,  et  il  leur  était  enjoint  de  l'avoir  conti- 
nuellement devant  les  yeux  '.  Je  puis  dire  ici  que  la  France 
voit  en  la  personne  d'un  prince  de  huit  ans  et  demi*,  qui 
fait  aujourd'hui  ses  plus  chères  délices',  un  exemple  illustre  * 
de  ce  que  peut  dans  un  enfant  un  heureux  naturel  aide  d'une 
excellente  éducation  ';  et  que  si  j'avais  donné  au  petit  Joas 
la  môme  vivacité  et  le  môme  discernement'  qui  brillent 
dans  les  reparties  ''  de  ce  jeune  prince,  on  m'aurait  accusé 
avec  raison  d'avoir  péché  contre  les  règles  de  la  vraisem- 
blance. 

L'ùgc  de  Zucharie,  fils  du  grand  prêtre*,  n'étant  point 
marcjuc  ^,  on  peut  lui  supp;;ser,  si  l'on  veut,deux  ou  trois  ans 
de  plus  qu'à  Joas. 

J'ai  suivi  l'explication  de  plusieurs  commentateurs  fort 
habiles,  qui  prouvent,  par  le  texte  môme  de  l'Écriture,  que 
tous  ce?  soldats  à  qui  Joïada,  ou  Joad,  comme  il  est  appelé 
dans  Joscphe'",  fit  prendre  les  armes  consacrées  à  Dieu  par 
David,  étaient  autant  de  prêtres  et  de  Lévites,  aussi  bien  que 
les  cinq  ccnlcniers  qui  les  commandaient".  En  effet,  disent 
ces  interprètes,  tout  devait  être  saint  dans  une  si  sainte  action, 

t.  Dans  le  Synups^s  crilicorum,  que  Racioe  a  cité  dans  ses  Noies  maniu- 
crites  sur  At/uilie,  i  propos  des  versets  18  et  19  du  chapitre  ixtu  du  Deuté- 
nonome:  «  Puslfiuam  auleiu  sederit  in  soiio  rcgiii  sui,  acsi-ribet  sibi  Deulerono- 

miuni    lc|;is  hujus    in    voluniinc et  habebit   secum,  legetque   illud    omnibus 

dicbus  \il8e  sus  •,  on  lit  le  cnmmcutïirc  suivant  (t.  I,  p.  81U)  :  «  Totum  cnim 
Pentateuchum  descrit)erc  tenebatiir  [m),  prinuim  ut  Israclita  quivis,  doinde 
itcriim  ut  rci.  »  El  plus  luin  :  u  UupUim  li'i^is  eicinptar,  ununi  quud  secuiu  fcrret 
quocumque  irct,  allcruni  qnod  iii  areliivis  liaberet.  »  L'Acadt^mie,  dans  ses  Senti- 
ments sur  Alhalie,  a  comlialtu  cette  assertion. 

2.  Le  duc  de  Boiirgot;iic,  pelit-fils  de  Louis  ÏIV,  était  né  le  «  août  1682;  il 
mourut  en  1712;  il  fut  i  cie  de  L(]iiis  XV. 

3.  Cette  phrase  rappelle  un  >rers  de  l'eiposition  de  Britanntcus  : 

De  Rome,  pour  un  temps,  Caiui  fut  les  délices. 

4.  Ce  mot  très  pompeux  était  for*  employé  au  irii*  siècle;  on  dit  plutôt  au- 
jourd'hui :  éclatant. 

5.  Depuis  le  mois  d'noùt  1660,  l'éducation  du  jeune  prince  était  confiée  à  Fé- 
nelon,  au  duc  de  Bciuvilliers  et  aux  abbés  Fleury  et  de  Deauraont. 

6.  I,a  Fontaine  a  fanté  aussi  en  1G04  la  précoce  intelligence  du  jeune  prince 
dans  la  fable  ir.tituléc  le  Loup  ri  le  Rrnard. 

7.  Répliques,  réponses.   La  rcparliu  est  une  saillie  qui  repart. 

8.  Zachnrie  n'était  que  le  pclit-fils  de  Joad  et  de  Josabct.  Les  Chroniques  et 
\'/Cvangilc  de  saint  Matthieu  disent  que  son  père  se  nommait  Barachie. 

9.  Voila  un  véritable  ablatif  absolu. 

10.  Jobcplie  l'appelle  'lùiao,-. 

11.  M.  Atlinnnso  f.oquercl  n'est  pas  de  cet  avis,  et  voit  dans  les  cinq  per- 
sonnages nommés  par  les  Paraliponv-nes  (II,  xiiii,  1)  des  commundanlt 
Il  jlitaires,  et  ooa  de»  membres  de  la  tribu  de  Lévi, 


3  0  ATUALIE. 

et  aucun  profane  n'y  devait  (ître  emijloyé.  Il  s'y  agissait  non 
seulonienl  de  conserver  le  sceptre  dans  la  maison  de  D.i\id, 
mais  encore  de  conserver  à  ce  grand  roi  celte  suite  dedescen- 
daiils  dont  devait  naître  le  Messie*.  «  Car  ce  Messie,  tant  de 
fois  promis  comme  lils  d'Abraham,  devait  aussi  6lrc  le  fils  de 
David  et  de  tous  les  rois  deJuda  *  ».  De  là  vient  que  l'illustre 
et  savant  prélat  s  de  qui  j'ai  emprunté  ces  paroles,  appelle 
Joas  le  précieux  reste  de  la  n^aiï;on  de  David.  Josèphe  en 
parle  dans  les  mémos  termes*.  El  l'Écriture  dit  expressément 
que  Dieu  n'extermina  pas  toute  la  famille  de  Joram,  voulant 
conserver  à  David  la  lampe  qu  il  lui  avait  promise  ".  Or  celle 
lampe,  qu'était  ce  autre  chose  que  la  lumière  qui  devait  être 
un  jour  révélée  aux  nations? 

L'histoire  ne  spécifie  point  le  jour  où  Joas  fut  proclamé. 
Quelques  inierprètes  veulent  que  ce  fùl  un  jour  de  fôte.  J'ai 
choisi  celle''  de  la  Pentecôte,  qui  élait  l'une  des  trois  grandes 
félcs  des  Juifs.  On  y  célébrait  la  mémoire  de  la  publication 
de  la  loi''  sur  le  mont  de  Sina'i*,  et  on  y  offrait  aussi  à 
Dieu  les  premiers  pains  de  la  nouvelle  moisson,  ce  qui 
faisait  qu'on  la  nommait  encore  la  fête  des  prémices.  J'ai 
songé  que  ces  circonstances  me  fourniraient  quoique  variété 
pour  les  chants  du  chœur. 

Ce  chœur  est  composé  de  jeunes  filles  de  la  iribu  de  Lévi, 

1.  Le  mot  Messie  n  pour  racine  première  l'Iiibrcu  mesita,  oinlre.  C'est  donc 
le  môme  mot  que  Christ,  qui  vient  du  grec  /pktto;. 

2.  Dossiict,  Jlist.uniu.,  XXI»  partie,  scct.'lV. 

3.  «  M.  de  Moaux.  »  (Noie  de  liacine). 

4.  Il    napava-^ùv     ov     Ivi  toj    Aa'ji''$o'j     fi'vou;    txptfiy.    »    {AntiÇUHéS   JudaiqueS, 

:x,7.) 

Vt.  a  Noiuit  aulctu  Uoicinus  disperdcre  Judam.  propler  David,  servum  suum, 
sicut  promiscrnt  ei,  ut  daret  ci  lucrrnam  et  filiis  rjus  cunrtis  dielnis.  »  (IV 
liois,  VIII,  19.)  Kacinn  s'est  souvenu  de  ce  texte  dans  la  seconde  scène  do  sa 
tragédie,  v   ïïS2. 

6.  «  Féie  étant  pris  iMuùniiiment  cl  sans  article,  l'emploi  du  pronom  celle 
n'est  pas  grammaticalement  exact.  Il  eut  été  mieux  de  dire  :  y  ai  chnisi  la 
fttede,  etc.  »  [Sentiments  de  l'Académie  sur  Al  Italie.)  \  propos  du  vers  iOS2de 
Afit'iridtile.  niiipicl  on  adressait  la  même  critique,  Louis  liacine  a  cité  un  pas- 
sage de  la  XIV"  Procinciale,  où  il  est  dit  que  l'Kglise  défend  &  ses  enfants  «  de 
te  faire  justice  k  eux-mêmes  ;  et  c'est  par  son  esprit  que  les  rois  chrétiens  >i« 
se  la  font  pas,  dans  les  crimes  wémes  de  Icsem.ajeslô  au  premier  chef  ".  Mal 
hcrhc,  fx)rneille  et  Madame  de  Sévi^rné  manquent  souvent  aussi  à  celte  ré(;le. 

7.  La  cunmii''n)oration  de  la  promulgation  de  la  loi  n'était  pas  une  fête  d'or- 
donnance divine  ;  l'usopc  seul  l'avait  établie,  et  elle  coiiiciduit  avec  la  l'ente- 
côte.  Les  deux  autres  félcs  étaient  celle  des  Tabernacles  et  celle  des  Azymei 

(la  l'Jquf). 

».  OuSina,  forme  grcccpic.  Celte  montagne, de  10,000  pieds  environ,  est  située 
dans  l'Aiabie  l'élrée;  une  eau  abondante  descend  de  ses  lianes,  (/est  dans  CO 
désert  muntueux  que  la  Loi  fut  donnée  a  Moïse.  Dans  les  livres  narrés,  on  en» 
tend  par  ce  mot:  i  la  Loi  >>,  I  onscinblc  des  institution»  de  Uoisc.  Ils  dcsigneal 
ici  slnifileincnt  le  Décologuc. 


ruLFACK.  ;ti 

et  je  mcls  à  leur  lùle  une  fille  que  je  donne  pour  sœur 
à  Zacliarie.  C'est  elle  qui  inlroiluit  le  chœuf  chrz  sa  mcrc. 
Klle  clumle  avec  lui,  porte  la  parole  pour  lui,  et  fuit  enfin  les 
fonctions  de  ce  personnage  des  anciens  cliœurs  qu'on  appe- 
lait le  coryphée.  J'ai  aussi  essayé  d'imiter  dos  anciens  celle 
continuité  d  action  qui  fait  que  leur  Ihéàlre  ne  demeure  ja- 
mais vide',  les  intervalles  des  actes  n'étant  marqués  que  par 
des  hymnes  et  par  des  moralités  du  chœur  qui  ont  rapport 
à  ce  qui  se  passe. 

On  me  trouvera  peul-ôtrc  un  peu  hardi  d'avoir  osé  mettre 
sur  la  scène  un  prophète  inspiré  de  Dieu,  cl  qui  prédit  l'ave- 
nir. Mais  j'ai  eu  la  précaution  de  ne  meltre  dans  sa  bouche 
que  des  expressions  tirées  des  prophètes  mûmes.  Quoique 
riicriture  ne  dise  pas  en  termes  exprès  que  Jo'iada  ail  eu 
l'esprit  de  prophétie,  comme  elle  le  dit  de  son  lils^  elle  le 
représente  comme  un  homme  tout  plein  de  l'esprit  de  Dieu. 
Et  d'ailleurs  ne  paraît-il  pas  par  l'Evangile  qu'il  a  pu  prophé- 
tiser en  qualité  de  souverain  pontife  ^?  Je  suppose  donc  qu'il 
voit  en  esprit  le  funeste  changement  de  Joas,  qui,  après  trente 
années  d'un  règne  fort  pieux,  s'abandonna  aux  mauvais  con- 
seils des  flatteurs,  et  se  souilla  du  meurtre  de  Zacharie,  fils 
el  successeur  de  ce  grand  prêtre*.  Ce  meurtre,  commis  dans 

1.  Nous  Terrons  même  le  promiop  vers  du  V*  acte  d'Athalie  riraer  avec  un 
des  vers  du  chœur  qui  termino  le  1V«  acte. 

2.  a  Spiritus  itaquc  Dei  induit  Zachariam,  niium  Joiadae,  sucerdolcm.  »(II,  Pa- 
ralipomén''s,  xxix,  20.) 

3.  Dans  VÉrannile  de  saint  Jean  (xi,  51),  il  est  dit  au  sujet  des  paroles  pro- 
phétiques de  r.aiphe  :  «  Hoc  autem  a  scmotipso  non  dixit  ;  scd  cum  essct  pon- 
tifox  anni  illius,  pi-ophetavil....  »  On  en  a  conclu  que  le  don  de  prophétie  était 
attaché  il  sa  qualité  de  souverain  pontife.  Lisjhll'oot  it.  II,  p.  CciO)  repousse 
cette  inlerprét:iiion  :  «  Lonf^issimè  pelila  est  liujus  rci  ratio,  dum  adscrihitur 
oflicio  ejus  poiilill  ^ili,  (pcrindei  ac  si  is  ox  ijiso  puiilificatu  ficret  vatcs.  Scoten- 
tia  non  digna  conriitalionc.  «  {Nota  de  M .  }}■: ,nard.) 

4.  On  a  beaucoup  reproché  a  Ilacinc  de  nous  avoir  ainsi  retiré  l'intérêt  que 
nous  portions  &  Joas.  Sainlr-ncuvc  a  écrit  à  ce  propos  dans  son  Port-flhynl 
(VI,  148)  :  a  C'est  tclli'mi'nt  cet  invisible  (Dieu)  qui  domine  dans  At/ialic,  l'inlèict 
y  vient  tellement  il':iiilie  part  que  des  hommes,  bien  que  ces  hommes  y  rem- 
plissent si  admirabkniont  le  rôle  qui  leur  est  à  chacun  assigné,  que  le  person- 
nage intéressant  du  drame,  l'enfant  miraculeux  et  saint,  Joas,  est,  à  un  moment 
capit:tl.  brisé  lui-mime,  ut  brisé  comme  exprès  en  sa  (leur  d'espérance.  D.ins 
celto  iccnc  de  la  fin  du  troi^'icrae  acte,  dans  cMc  prnplitilio  da  grand  prclre, 
qui  est  comme  le  Sinai  du  drame,  c'est  Joas  de  qui  il  est  dit  : 

Cominenl  en  un  plu.ub  fil  l'ur  pur  s'ett  il  ebingi  7 

«Car  qu'est-ce  que  Joas?  De  quel  poids  est-il,  après  tout,  dans  les  divins  con- 
leils  ?  Joas  tombe  ;  un  autre  sucecHi!  ;  ro?eau  pour  roseau.  Joas,  dans  celte  scèno 
prophétique,  c'est  la  race  de  I)a\id,  mais  ciie-méme  rcjoléo  des  qu'elle  a  pro- 
duit la  tige  unique,  nécessaire  et  iiii;i  JrissSblo....  I.a  prujdiélic  close,  cet  éclair 
deux  fuis  surnaturel  évanoui,  le  surnaturel  ordinaire  de  la  pièce  continue  :  le 
dianie  reprend  avec  son  intérêt  un  peu  plus  pirtioulicr  ;  Joas  redevient  le  ro 
ictun  intéressant  à  sauver  et  pour  qui  ion  Irem'jle.  Joad  lui-mcmc,  eo  lui  [Kir- 


32  ATUALIE. 

le  temple  ',  fut  une  des  principales  causes  de  la  colère  de 
Dieu  contre  les  Juifs,  et  de  tous  les  malheurs  qui  leur  arri- 
vèrent dans  la  suite  '.  On  prétend  môme  que  depuis  ce  jour- 
là  les  réponses  de  Dieu  cessèrent  entièrement  dans  le  sanc- 
tuaire. C'est  ce  qui  m'a  donné  lieu  de  faire  prédire  tout  de 
suite  à'  Joad  et  la  destruction  du  temple  et  la  ruine  de  Jérusa- 
lem ♦.  Mais,  comme  les  prophètes  joignent  d'ordinaire  les  con- 
solations aux  menaces,  et  que  d'ailleurs  il  s'agit  de  mettre  sur 
le  trône  un  des  ancêtres  du  Messie,  j'ai  pris  occasion  de  faire 
entrevoir  la  venue  de  ce  consolateur,  après  lequel  tous  les 
anciens  justes  soupiraient.  Cette  scène,  qui  est  une  espèce 
d'épisode,  amène  très  naturellement  la  musique,  par  la  cou- 
tume qu'avaient  plusieurs  prophètes  d'entrer  dans  leurs 
saints  transports  au  son  des  instruments.  Témoin  cette  troupe 
de  prophètes  qui  vinrent  au-devant  de  Saiil  avec  des  harpes 
et  des  lyres  qu'on  portait  devant  eux  ',  et  témoin  Elisée  lui- 
même,  qui  étant  consulté  sur  l'avenir  par  le  Roi  d'Israël,  dit, 
comme  fait  ici  Joad  :  Adducite  mihi  psaltcm  '.  Ajoutez  à  cela 
que  cette  prophétie  sert  beaucoup  à  augmenter  le  trouble 
dans  la  pièce,  par  la  consternation  et  parles  diiïérents  mou- 
vements où  elle  jette  le  chœur  et  les  principaux  acteurs'. 

lanl,  semble  avoir  oublié  celte  chose  future,  entrevue  par  lui-même  dans  la  pro- 
phétie. Pourtant  une  sorte  de  crainte  à  ce  sujet  ne  cosse  plus  et  fait  ombre  sur 
l'avenir  cl  sur  la  prrsévéranee  de  cet  enfant  mervcilloux  ;  Joas  y  perd  :  la  véri- 
table unité  de  la  pièce,  Dieu,  à  qui  tout  remonte,  y  gagne.» 

1.  11  Zarliariae,  filii  Barachise,  quem  occidistis  inter  templura  et  altarc.  » 
lÉvant/ile  de  saint  Mallhieu,  xxiii,  35.) —  Devenu  grand  prêtre,  Zacharie,  dans 
une  fctc  solennelle,  avait  reproché  aux  Hébreux  leurs  inridélités.  Joa»  ne  le  dé- 
fendit point  contre  les  colères  du  peuple,  qui  le  lapida. 

2.  On  lit  dans  les  Notes  manuscrites  sur  Athatie  :  «  Depuis  le  meurtre  de 
Zacliaric,  sanguis  attirjit  languinem,  l'étal  des  Juifs  a  toujours  été  en  dépéris- 
tan  t.  » 

3.  «  Il  faut  par  »,  dit  l'Académie. 

4.  On  voit  aveu  quel  soin  Kacinc  pesait  chaque  détail  de  son  drame. 

.S.  Samuel  dit  à  Saiji,  au  cliapilrc  x,  verset  5,  du  livre  I  des  Rois:  «  Obviura 
habebis  prcgcm  prophetnrum  descendentium  de  cxcelso,  et  ante  eos  psaKcrium 
et  tvmpaiium,  et  til)iam,  et  citharam,  ipsusque  prophetantes.  »  Quoi  qu'en  dise 
llaclne,  on  ne  trouve  duns  les  Livres  saints  qu'un  seul  exemple  de  prophète 
demandant  à  la  musique  de  venir  en  aide  h  l'inspiration;  ce  prophète,  c'est 
Kliséc,  que  cite  Flacinr,  Il  se  trouva  un  jour  en  présence  de  Josaphat  et  de 
Joram  ;  la  vue  de  l'impie  Joram  causa  au  prophète  une  telle  indignation  que, 
interrogé  par  Jo<i.'iphat,  il  dut  demander  à  une  musii|ue  religieuse  et  doure  de 
rendre  le  calme  a  son  esprit.  On  voit  que  c'est  U  un  cas  tout  exceptionnel. 

6.  IV  Huis 15. 

7.  Louis  Ilni-inc  ronsiatc  que  »  le  silence  aue  l'auteur  garde  sur  la  comluite 
de  sa  pièec,  dans  la  l'rffare,  est  rrmarqualite.  Dsns  lei  autres  Priifad'Sy  11  a 
''Oiiturni:  de  parler  de  l'économie  de  sa  tragédie,  du  succès  qu'elle  a  eu,  ou  des 
''riiiques  qu  elle  a  essuyées  ;  il  se  contente,  dans  cclIc-ci,  d'instruire  le  Iccleut 
Ju  sujet.  ■ 


NOMS  DES  PERSONNAGES  '. 


JOAS,  roi  de  Juda,  fils  d'Okosias.     Le  comte  de  l'Esi-ahre  '. 
ATHALIE,  veuve  de  Joram,  aïeule 

do  JoaS M"   LA   PRÉSIDENTE  DE    CaAILLY  '. 

JOAD,   autrement  Joïada,  grand 

ptôtre Baiion  *. 

JOSABET,  tante  de  Joas,  femme 

du  grand  prôtro M»»  la  duchesse  de  BouncoGNB  s. 

•..  On  ne  sait  pas  les  noms  des  jeunes  filles  qui  jouèrent  Athalie  aux  représen- 
tations modestes  de  1C91,  1C92  et  1693.  Nous  donnons  la  liste  des  nobles  per- 
sonnages qui  interprétèrent  la  tragédie  devant  Louis  XIV,  à  Versailles,  1« 
(4  février  1702. 

2.  Le  comte  de  l'Esparre  était  le  second  fils  du  duc  de  Guiclie,  Antoine  IV  de 
Cramont,  petit-fils  du  duc  Antoine  III.  Le  duc  de  Cuiche  avait  été  aide  de  camp 
du  Dauphin  dans  celte  campagne  de  1G88  que  célèbre  le  prologue  à'Esther,  et 
allait  être  fait  maréchal  cette  même  année  1702.  II  sera  envoyé  en  1705  comme 
conseiller  auprès  de  Philippe  V,  roi  d'Espagne,  et,  devenu  duc  de  Gramont  en 
1720,  sera  élevé  à  la  dignité  de  maréchal  de  France  en  1724.  Ce  seigneur  de 
t.  fort  peu  de  sens,  et  d'une  parfaite  ignorance  »,  dit  Saint-Simon,  avait  épousé 
la  fille  aînée  du  duc  de  Noaillcs,  et  se  trouvait  ainsi  beau-frèie  de  la  nièce  de 
Madame  de  Maintcnon.  La  duchesse  de  Guiche  «  avait  infiniment  d'esprit,  du 
souple,  du  complaisant,  de  l'amusant,  du  plaisant,  du  boulTon  même  ■,  dit 
Saint-Simon,  et,  «  dévote  comme  un  ange  »,  elle  avait  su  s'attirer  les  bienveil- 
lances de  Madame  de  Maintcnon  ;  c'est  ce  qui  explique  pourquoi  le  rôle  de  Joas 
fut  donné  à  son  fils,  alors  âgé  de  7  à  8  ans,  dit  le  Mercure.  D'après  le  Diction- 
naire de  la  noblesse  de  La  Chenayc-Desbois  et  Dadier,  le  comte  de  Lcsparre 
aurait  eu  alors  près  de  13  ans,  étant  né  le  29  mai  1G89.  (11  est  vrai  que  le  Die- 
tionnaire,  par  une  inadvertance  étrange,  place  huit  ans  après  sa  naissance  le  ma- 
riage de  ses  pai  ents,  et  omet  de  donner  la  date  de  naissance  de  son  frère  »iné  ; 
on  ne  peut  donc  guère  tirer  parti  de  son  assertion  pour  réfuter  le  Mercure.) 
Louis  de  Gramont,  comte  de  Lcsparre,  prit  la  carrière  des  armes;  il  fut  fait 
lieutenant  général  le  21  février  1738;  et  la  mort  de  son  frère  aine,  arrivée  le 
16  mai  1741,  lui  donna  avec  le  régiment  des  gardes  françaises  le  gouvernement 
du  royaume  de  Navarre,  de  la  principauté  de  Béarn,  et  des  ville  et  citadelle 
de  Bayonnc.  Il  fut  reçu  duc  et  pair  de  France  au  parlement  de  Paris  le  15  mars 
1742,  et  tué  d'un  coup  de  canon  dans  la  cuisse,  étant  à  la  tète  du  régiment  des 
gardes  françaises,  à  la  bataille  de  Fonicnoy  en  Flandre,  le  H  mai  1745.  Il 
avait  épousé,  le  U  mars  1720,  Geneviève  de  Gontaut,  fille  du  duc  de  Biron, 
puir  de  France,  dont  il  eut  deux  fils,  et  une  fille  qui  épousa  le  comte  de  Rupel- 
iconde. 

3.  U  nous  a  été  impossible  de  trouver  d'autres  renseignements  sur  la  prési- 
dente de  Chailly  que  cette  phrase  d'une  lettre  de  Madame  de  Maintcnon  :  «  sans 
compter  l'honnctclé  qu'on  doit  à  Madame  de  Chailly,  qu'on  a  fait  venir  cxprci 
pour  jouer  Allialic,  ><  etc. 

4.  Voir  les  Acteurs  d'Iphiçénie. 

5.  Marie-Adélaïde  de  Savoie,  fille  aînée  de  Victor-Amédée  II,  duc  de  Savoie,  qui 
était  femme  du  duc  de  Bourgogne,  petit-fils  de  Louis  XIV,  et  qui  devait  être  plus 
tard  mère  de  Louis  XV,  avait  alors  seize  ans.  Elle  était  venue  à  la  Cour  de  France 
àon7.e  ans;  son  mariage  fut  célébré  à  Vers:>illcs  avec  une  pompe  inouïe,  le  7  dé- 
cembre 1697  ;  mais  aussitôt  après  la  jeune  princesse  alla  terminer  son  éducation 

Saiot-Cyr  sous  la  haute  direction  de  Madame  de  Maintcnon,  qu'elle   appelai! 


3  4  ATnALlE. 

ZACIIÂRIE,    nis   de   Jon^  et  de 

Josabct..: M.  de  CiiAMPEnoN  *. 

SALOMMII,  sœur  deZacliario...  M«"  la  comtesse  d'Aye.n  '. 


ta  tante.  Elle  y  prit  beaucoup  de  goût  pour  Racine,  fit  le  personnage  d'une  des 
ictito»  Israélites  dans  une  des  rcpr'^senfations  d'Esthfr,  se  fit  jouer  plusieurs 
}is  Athalie,  et,  voulant  y  prendre  clle-mcme  un  r6le,  décida  les  représonlalions 


petites  Israélites  dans  une  des  rcpr'^senfations  d'Esthrr,  se  fit  jouer  plusieurs 
fois  Athalie,  et,  voulant  y  prendre  clle-mcme  un  r6le,  décida  les  représenlalions 
solennelles  de  170i.  Enfant  râlé  du  Roi  et  de  Madame  de  Maintcnon,  elle  ne  si> 


Toyait  jamais  refuser  rien.  Voici  le  portrait  qu'en  a  tracé  Saint-Simon  :  «yuan\ 
à  la  figure,  elle  était  régulièrement  laide.  Les  joues  pendantes,  le  front  avancé, 
le  nez  qui  ne  disait  rien,  de  grosses  lèvres  tombantes,  des  cheveux  et  des  sour- 
cils châtains  bruns,  fort  bien  plantés,  des  \c»x  les  plus  parlants  et  les  plus 
beaux  du  monde,  le  plus  beau  teint  et  la  plus  belle  peau,  le  cou  long  avec  un 
soupçon  de  goitre  qui  ne  lui  seyait  point  mal,  un  port  de  tète  galant,  gracieux, 
majestueux,  et  le  regard  de  nicnic  ;  le  sourire  le  plus  expressif;  une  taille 
longue, ronde  même,  aisée,  parfaitement  coupée;  une  marche  de  déesse  sur  les 
nues  ;  elle  plaisait  au  dernier  point...  En  public,  sérieuse,  mesurée;  respec- 
tueuse avec  le  Rui,  et  en  timide  bienséance  avec  Madame  de  Maintcnon.  En 
particulier,  causant,  voltigeant  nutour  d'eux  ;  tantôt  perchée  sur  le  bras  du  fau- 
teuil de  l'un  ou  de  l'autre,  tantôt  se  jouant  sur  leurs  genoux,  elle  leur  sautait 
au  cou,  les  embrassait,  les  baisait,  les  caressait,  les  chiironnait.  Admise  à  tout, 
à  la  réception  des  courriers  qui  apportaient  les  nouvelles  les  plus  intéressantes, 
entrant  cliez  le  Roi  à  toute  heure,  même  pendant  le  Conseil.  >>  Elle  en  profitait 
pour  tenir  son  père  au  courant  de  tout  ce  qui  pouvait  politiquement  l'intéresser. 
Louis  XIY,  qui  l'apprit  après  sa  mort,  en  fut  profondément  alTecté^^ La  petite 
duchesse  fut  enlevée  à  vingt-six  ans,  six  jours  avant  son  mari,  par  la  rougeole 
pourprée.  Le  Met  cure  galant  de  février  170i,  rendant  compte  de  la  représen- 
tation d'A<Aa?ic;- disait  d'elle:  «  Madame  la  duchesse  do  Bourgogne  a  joué 
Josabet  avec  toute  la  grâce  et  tout  le  bon  sens  imaginable,  et,  quoique  son 
rang  pût  lui  permettre  de  faire  voir  plus  de  hardiesse  qu'une  autre,  celle  qu'elle 
a  fuit  paraître  seulement  pour  marquer  qu'elle  était  maîtresse  de  son  rôle,  a 
toujours  été  mêlée  d'une  certaine  timidité,  que  l'on  doit  nommer  plutôt  modestie 
que  crainte.  Les  habits  de  cette  princesse  étaient  d'une  grande  magnificence.  » 

1.  La  terre  de  Chamrond,  dans  le  Maçonnais  en  Bourgogne,  avait  et.!  érigée 
en  comté,  en  1044,  en  faveur  et  en  récompense  des  services  do  Gaspard  de  vi- 
chi,  gouverneur  du  Pont  Saint-Esprit,  arrière-grand-pcre  du  Gaspard  de  Vichi, 
comte  de  Champeron,  qui  nous  occupe  ici.  Ce  dernier,  qui  dut  naître  vers  1001, 
épousa  Maric-Camille-Ùiane  d'Albon  de  Saint-Marcel  en  1739,  fut  fait  maréchal 
de  camp,  quitta  le  service  en  1743,  et  mourut  en  1781  dans  sa  terre  do  Chamrond 
Une  de  ses  jeunes  sœurs  devait  être  la  célèbre  marquise  Du  DcITand. 

2.  La  comtesse  d'Aven  était  la  nièce  de  .Madame  de  Maintcnon.  Son  père,  le 
comtcd'Aubignè,  était  un  ancien  capitaine  d'infanterie  :  >'  C'était,  dit  Saint-Simon, 
un  panier  percé,  fou  à  enfermer,  mais  plaisant  avec  de  l'esprit  de  saillies  et  dos 
reparties  auxquelles  on  ne  sr-  pouvait  attendre...  11  ne  se  contraignait  pas  de 
dire  très  ordinairement  le  brau-frrre,  lorsqu'il  voulait  parler  du  Uoi.  "  La  mère, 
la  comtesse  d'Aubigné,  «  était  la  fille  d'un  nommé  Picère,  petit  médecin,  qui 
s'était  fait  procureur  du  Uoi  de  la  ville  de  Taris,  que  d'.Aubigné  avait  épous;C 
en  (078...  C'était  une  créature  obscure,  plus,  s'il  se  pouvait,  que  sa  naissance, 
modeste.  Tortueuse...  sotte  à  merveille,  de  même  tout  à  fait  basse,  d'aucune 
sorte  de  mise,  et  qui  embarrassait  également  Madame  de  Maintcnon  à  l'avoir 
avec  elle  et  ù  ne  ra\oirpas.  »  Le  Roi  avait  eu  d'abord  l'intention  de  marier  Made- 
moiselle d'Aubigné  au  prince  de  MarsiUac,  petit-fils  du  duc  do  La  Rochefoucaul.l. 
Madame  de  Maintoimn  préféra  le  comte  d'Aycn,  fils  du  duc  de  Noailles  :  a  Ma- 
dame de  Maintcnon,  dit  Saint-Simon,  assura  fiOO.OOO  livres  sur  son  bien  après 
clic  ;  elle  en  avait  bi-auconp  plus,  et  point  d'aulre  héritière.  Le  Roi  donna 
300,<'00  livres  comptant,  iiliO.OOO  livres  sur  l'ilôlel  de  Ville,  pour  100,000  livres 
do  pierreries,  avec  les  survivances  du  gouvernement  île  Roussillon,  l'crpignan, 
etc.,  de  M.  de  Koailles,  de  38,000  livres  de  rente  nu  soleil,  cl  de  celui  de  Iteriy 
de  M.  d'Aubigné  il<'  30,000  livres  de  rente,  et  sur  le  tout  une  pince  dt,  <lame  du 

Salais.  La  dui  laration  s'en  fit  lo  mardi  11  ni:irs(IG08).  Le  len<lcni:tin  Madame  l'e 
•inlenon   se  mil  sur  son  lit  au  sortir   de  table,  et  les  portes  furent  ouvert  < 


NOMS  DES   PERSONNAGES.  S5 

ABNER,  l'un  des  principaux  offl- 

ciors  des  rois  do  Juda ...  MoNsiEun  le  duo  d'Orléans  '. 

AZAC.IAS,  ISMAl.L,  et  les  tiiois  autres  chefs  des  PriiîtREs  rt  des 

LliVITES. 

aux  compliments  de  toute  la  cour.  Madame  la  duchesse  de  Bourgogne,  tout 
habillée,  y  passa  la  journée  tenant  Mailomoisclle  d'Aubigné  auprès  d'elle,  cl 
faisant  les  honneurs  comme  une  particulicre  clic?,  une  autrr....  Le  mardi  der- 
nier mars,  ils  furent  Gancés  le  soir  à  In  chapelle,  Madame  la  duchesse  de  Bour- 
gogne et  toute  la  cour  aux  tribunes,  et  la  noce  en  bas...  Le  lendemain  tard  dans 
la  matinée,  Madame  de  Maintrnon  vint  avec  toute  la  noce  à  la  paroisse,  où 
M.  de  Paris  dit  la  messe  et  les  maria,  d'où  ils  allèrent  tous  dîner  chez  M.  de 
Noailles,  dans  rap[)artement  de  M.  le  comte  de  Toulouse,  qu'il  lui  avait  prêté. 
L'après-dinéc,  Madame  de  Maintcnon,  sur  son  lit,  et  la  comtesse  d'Ayen,  sur 
un  autre  dans  une  autre  pièce  joignante,  reçurent  encore  toute  la  cour...  Le 
soir  on  soupa  chez  Madame  de  Maintcnon  avec  clic  et  Madame  la  duchesse  de 
Bourgogne  et  les  hommes  dans  une  autre  chambre.  Le  Roi  donna  la  chemise  au 
comte  aAyen,  et  Madame  la  duchesse  de  Bourgogne  à  la  mariée.  Le  Roi...  leur 
dit  pour  bonsoir  qu'il  leur  donnait  à  chacun  8,000  livres  de  pension...  »  Saint- 
Simon  appelle  la  comtesse  d'Ayen  «  une  folle  »  :  c'est  sans  doute  par  suite  d'une 
tendresse  presque  maternelle  que  Madame  de  Maintcnon  accordait  à  la  com- 
tesse d'Ayen  une  sensibilité  douce  et  spirituelle,  lorsqu'elle  écrivait  à  son  mari  : 
Madame  la  duchesse  de  Bourgogne  «  veut  joucr  Josabet,  qu'elle  ne  jouera  pas 
comme  la  comtesse  d'Ayen.  Mais  après  avoir  reconnu  ses  honnêtetés  là-dessus, 
je  lui  ai  dit  que  ce  n'était  point  à  elle  à  se  contraindre  dans  une  chose  qui  ne 
se  fait  que  pour  son  plaisir...  Il  faut  donc  que  la  comtesse  d'Aven  fasse  Salo- 
mith  ;  car  sans  compter  l'honnêteté  qu'on  doit  à  M,' dame  de  Cliailly,  qu'on  a  fait 
venir  exprès  pour  jouer  Alhalie,  je  ne  puis  me  résoudre  à  voir  la  comtesse 
d'Ayen  joucr  la  furieuse.  »  « 

-i.  Fils  de  Philippe  d'Orléans,  frère  de  Louis  XIV,  îe  duc  Philippe  d'Orléans 
avait  alors  fl  ans;  depuis  dix  ans,  il  était  devenu  le  gendre  du  roi,  ayant 
épousé  Mademoiselle  de  Blois,  que  Louis  XIV  avait  eue  de  Madtmc  de  Monlfi- 
pan.  Sa  mère,  Charlotte  de  Bavière,  avait  été  si  irritée  de  ce  mariage  que,  dit 
Saint-Simon,  lorsque  son  fils  vint  lui  baiser  la  main,  «  elle  lui  appliqua  un 
so'ifllct  si  sonore  qu'il  fut  entendu  de  quelques  pas,  et  qui,  en  présence  de 
toute  la  cour,  rouvrit  de  confusion  ce  pauvre  prince  ».  Il  dbuta  assez  heureu- 
sement dans  la  carrière  des  armes  ;  mais  il  intrigua  sous  main  avec  l'Angle- 
terre pour  enlever  le  trône  d'Espagne  à  son  nouveau  roi,  Philippe  V.  Louis  XIV, 
averti,  le  rappela,  et  la  froideur  du  la  famille  royale  pour  lui  contribua  à  plon- 
ger le  duc  d'Ui  léans  dans  une  vie  de  débauches.  La  mort  du  duc  et  de  la  du- 
chesse de  Bourgogne  fut  le  signal  d'atroces  calomnies  dirigées  conire  lui,  et  ce» 
soupçons  éclatèrent  de  nouveau  deux  ans  après,  à  la  mort  du  duc  de  Berri, 
frère  du  duc  de  Bourgogne,  et  gendre  du  duc  d'Orléans.  Louis  XIV  laissa 
cependant  la  régence  à  so-i  neveu.  Nous  n'avons  pas  à  examiner  la  politique  du 
Régent,  ni  à  parler  de  la  dépravation  qui  s'intioduisit  à  la  cour  pendant  ces 
années.  Lorsque,  en  1723,  Louis  XV  eut  pris  nominalement  la  direction  des  af- 
faires, le  duc  d'Orléans  resta  quelques  mois  son  ministre  ;  mais  il  mourut,  frappé 
d'une  apoplexie  fouilroynnto,  le  2  décembre  de  la  même  année  :  «  Rien  ne  lui 
manquait,  dit  Saint-Simon,  pour  le  plus  excellent  gouvernement  :  connaissances 
de  toutes  sortes,  connaissance  des  iionimes,  expérience  personnelle  et  longue, 
tandis  qu'il  no  fut  que  pnrliculicr;  réflexions  sur  le  gouvernement  dos  différents 

fiays,  et  surtout  sur  le  nrMre  ;  mémoire  qui  n'oubliait  et  ne  confondait  jamais  ; 
umièrcs  infinies;  discernement  exquis;  facilité  surprenante  de  travail;  com- 
préhension «ivc;  une  éloquence  naturelle  et  noble,  avec  une  justesse  el  Mne  fa- 
cilité incompara'dcs  de  parler  en  tous  genres;  inlinimcnt  d'esprit,  et  un  sens  si 
droit  et  si  justtf-  lu'il  ne  se  ferait  jam.iis  trompé,  si  en  chaque  affaire  il  avait 
suivi  son  premier  mouvement...  »  Voltaire,  qui  ne  l'aimait  point,  reconnais- 
sait cependant  que  «  de  toute  la  rare  <le  Henri  IV,  Philippe  aOrléans  fut  celui 
(pli  lui  ressembla  le  plus  ».  Il  est  curieux  que  ce  prinro  d'une  impiété  cynique 
ait  joué  le  r61e  d'Abner,  et  que  ce  soit  sous  ses  auspicc*  qyx' Athalif  ait  paru  sur 
lii  scène  françaiit  le  mardi  i  mars  1710. 


36  ATDALIE. 

MATHAN,  prôtre  apostat,  sacrifi- 
cateur de  Baal M.  le  comtb  d'Ayen  •, 

NABAL,  confident  de  Matlian. 

AGAR,  femme  de  la  suite  d'Atiialie. 

Troupe   de  prêtres  et  de   lévites.   —   Suite    d'Atiialie.    —   La 

NOURRICE  DE  JoAS.    —  ChOEUR  DK  JEUNES  FILLES  DE  LA  TRIBU  DE  LliviS. 

La  scène  est  dans  le  temple  de  Jérusalem,  dans  un  vestibule  de 
r appartement  du  grand  prêtre. 


\.  Adrien  Mtiurice,  comte  d'Ayen,  plus  tard  duc  de  Noailles,  était  né  on  1678. 
Il  entra  à  quatorze  ans  dans  la  carrière  militaire,  et,  en  1704,  six  ans  après  son 
mariage  avec  Mademoiselle  d'Aubigné,  il  fut  nomini  maréchal  de  camp.  Après 
avoir  remporté  quelques  succès  en  Espagne,  et  comprimé  l'insurrection  d  Ara- 
gon en  1710,  il  reçut  les  titres  de  grand  d'Espagne,  de  duc  et  pair.  Tombé  en 
disgrâce,  par  sa  faute,  auprès  de  Philippe  V,  il  fut  rappelé  à  Paris.  Thilippe 
d'Orléans  le  nomma  membre  du  conseil  de  régence,  et  lui  donna  en  1715  la 
nrésidence  du  conseil  des  finances.  Nous  le  trouvons  maréchal  de  France  en  1733. 
1 1  remporta  de  nombreux  succès  en  Italie,  et,  dans  la  guerre  suivante,  prit  une 
part  active  à  la  bataille  de  Fontcnoy.  11  fut  ensuite  ambassadeur  extraordinaire 
en  Espagne,  ministre  d'État,  et  mourut  en  17G6,  laissant  la  réputation  d'avoir 
été  un  des  hommes  les  plus  remarquables  du  siècle.  L'abbé  Millet  a  publié  ses 
Mémoires.  Saint-Simon  a  écrit  deux  longs  portraits  du  comte  d'.Aycn  (Ed.  de 
1857,  II,  33-39  et  XII,  154-156)  qui  prouvent  qu'il  lo  détestait,  mais  qui  sont 
deux  chefs-d'œuvre.  Nous  ne  citerons  que  quelques  passages  du  second  :  «  Le 
serpent  qui  tenta  Eve,  qui  renversa  Adam  par  elle,  et  qui  perdit  le  genre 
humain,  est  l'original  dont  le  duc  do  Noailles  est  la  copie  la  plus  exacte,  la  plus 
fidèle,  la  plus  parfaite,  autant  qu'un  homme  peut  approcher  des  qualités  d'un 
esprit  de  premier  ordre,  et  du  chef  de  tous  les  anges  précipités  du  ciel....  On 
tait  comme  il  est  fait  pour  le  corps  :  des  pieds,  des  mains,  une  corpulemo  de 
paysan  et  la  pesanteur  de  sa  marolio  promettaient  la  taille  où  il  est  parvenu. 
Le  visage  tout  dissemblable  ;  toute  sa  physionomie  est  esprit,  afilucnce  do  pensées, 
finesse  et  fausseté,  et  n'est  pas  sans  grâces.  »  Racine  était  on  bons  termes  avec 
le  comte  d'Ayen,  car,  peu  de  temps  avant  sa  mort,  il  écrivait,  le  30  janvier 
1699,  à  son  fils  Jean-Baptiste:  oJc  serais  bien  plus  curieux  do  savoir  si  M.  le 
comte  d'Ayen  songe  en  effet  à  m'envoyer  les  deux  juments  qu'il  a  promis  de 
m'cnvoyer.  » 

2.  Ces  chœurs  étaient  exécutés,dil  le  ^TCMre  ya/aiit  de  février  1702  «  par  icf 
demoiselles  de  la  musique  du  Roi  •. 


ATHALIE 


ACTE  PREMIER 

SCÈNE  1. 

JOAD,    ABNER. 

àbner. 
Oui',  je  viens  dans  son  Icniplc  adorer  l'Iîlteriicl'. 
Je  viens,  selon  l'usage  antique  et  solennel^, 
Célébrer  avec  vous  la  fameuse  journée* 
Où  sur  le  mont  Sina  la  loi  nous  l'ut  donnée  *. 
Que  les  temps  sont  changés  !  Sitôt  que  de  ce  jour  5 

I.a  trompette  sacrée  annonçait  le  retour^, 
Uu  temple,  orné  partout  de  festons  magnifiques 

1.  Voir  la  noie  du  vcis  1  d'Andromaque. 

2.  Jamais  Racine  n'a  donné  à  Dieu  le  nom  hébreu  Jéhova  (Je  suis  Celui  qui 
CSl).  Il  désigne  ici  Dieu  par  un  de  ses  attributs. 

a.  Une  fête  solennelle  est  une  fètc  que  l'on  célèbre  une  fois  l'an. 
4.  u  Voulez-vous  enlever  à  ces  vers  toute  leur  beauté,  toute  Icurnoblcsse,  pro* 
Doncez  : 

Célébré  avec  Tou«  la  faiiieus'  joiirnce.  • 

(M.  Legouvb,  Art  de  la  lecture,  p.  180.) 

9.  Voir  la  Préface. 

G.  u  I''ilii  autem  Aaron  sacerdotes  clangcnt  lubis  ;  eritque  hoc  Icgitiinum  sempi- 
Iciiuiuiin  generationibus  vcslris...  Si  quando  habebitis  (^lura.et  dics  feslos,  et 
calcndas,  canetis  tubis  super  bolocaustis  et  pacificis  viclimis,  ut  sint  vobis 
in  recordalionera  Dei  vestri,  •  etc.  {Nombres,  X,  8  et  10.)  La  trompette  fut 
d'abord  formée  de  cornes  de  bœuf  ouvertes  à  la  petite  extrémité;  on  se  servit 
plus  tard  de  cornes  de  bélier  perforées.  M.  Alhanasc  CoquercI,  à  qui  nous  eni- 

firunlons  tous  ces  détails,  suppose  que  la  trompette  d'airain,  qui  était  droite, 
onguo  d'une  coudée  et  évasée  i\  son  ouverture,  fut  apportée  d'Egypte  par 
Uoisi-'.  la  trompette  sonnait  doucement  pour  appeler  les  fidèles  aux  assemblées 
et  aux  fêtes  régulières.  A  l'acte  V  (scène  vi),  ses  accents  retentiront  éclatants, 
annonçant  un  événement  extraordinaire.  L'arc  de  triomphe  de  Titus  porte  Uiio 
trompette  sculptée,  au  milieu  des  dépouilles  des  Juifs. 

S 


S8  ATOAUE. 

Le  peuple  saint'  en  foule  inondait  les  portiques'; 
Et  tous,  devant  l'aulel  avec  ordre  introduits, 
De  leurs  champs  dans  leurs  mains  portant  les  nouveaux  fruits  JC 
Au  Dieu  de  l'univers  consacraient  ces  prémices*. 
,  Les  prôtre_s*  ne  pouvaient  suffire  aux  sacrifices. 
L'audace  d'une  femme,  arrc^fant  ce  concours', 
En  des  jours  tôuébreux  a  changé  ces  beaux  jours'. 
D'adorateurs  zélés  à -peine  un  petit  nombre  15 

Ose  des  premiers  temps  nous  retracer  quelque  ombre. 
Le  reste-pour  son  Dieu  montre  un  oul)li  fatal; 
Ou  môme,  s'empressant  aux  autels  de  I^aal', 
Se  fait  initier  à  ses  honteux  mysj^ères*, 
Et  blasphème  le  nom  qu'ont  invoqué  leurs  pères*.  20 

Je  tremble  qu'Alhalie,  à  ne  vous  rien  cacher, 
Vous-môme  de  l'autel  vous  faisant  aiTacher, 
N'achève  enfin  sur'vous  ses  vengeances  funestes, 
Et  d'un  respect  forcé  ne  dii£o^ilie  les  restes.      K  ^  ^^ 

JOAU  '°. 
D'où  vous  vient  aujourd'hui  ce  noir  pressentiment?  25 

1.  C'est  Dieu  lui-même  qui  a  donné  ce  nom  à  Israël  :  «  Et  vos  erilis  milii  in 
regnum  sacerdotale,  et  gens  sancla.  »  {Exode,  XIX,  0.) 

2.  Cette  métapliore  rappelle  un  vers  pittoresque  de  Virgile  (Giorgiques,  II,  461- 
462): 

IngCDlem  foribus  d>'MU<  alla  superbit 

Manc  (alulanlum  lolii  vomit  Silibus  uiidam. 

3.  Primitivement  la  Pentecôte  s'appela  la  fête  de  la  moisson  OU  dos  premiers  Truits. 

4.  Voir  sur  ce  mot  la  J'réface. 

5.  Du  latin  coitrursus:  cet  empressement  des  fidèles. 

6.  Toujours  les  livres  saints  ont  appdé  jours  do  ténèbres  ceux  où  triom|i!iait 
le  nid'chant.  En  voici  un  exemple  tire  de  saint  Puul  (/lom,  XMI,  12)  :  «  Nox  pro- 
C'ssit,  dies  aulem  approninquavit.  Abjiciamus  crgo  opéra  teoebrarura,  et  indua- 
mur  arma  lucis.  »  Voir  ISsther  {Ul,  Vil.) 

7.  Voir  la  Préface. 

8.  Une  grande  partie  des  cérémonies  des  cultes  antiques  était  cachéi"  aux  pro- 
fanes ;  de  lii  ce  nom  de  mystiret,  du  verbe  (lOu,  qui  exprime  l'idée  de  fermer  les 
Ictres  on  les  yeux. 

9.  Leurt  est  au  pluriel,  parce  que  le  sujet  est  un  nom  collectif;  les  vciIhs 
cependant  sont  n  siés  au  singulier. —  Ae  nom,  c'est-àdire  ici  l^'ou  :  dans  la  llibtr, 
les  expressions  Jéhova  et  le  nom  de  Jéliova  ont  exactement  la  même  valeur. 

10.  Lomnrurier  a  écrit  dans  sa  Galrrie  des  arleurs  du  Théâtre- Francaii  (1, 
p.  89)  :  «  A  la  première  ropr/'senlation  à'AthaUecn  1716,1e  rôle  du  grand  piètre 
fut  rempli  par  Ilcnuhourg,  qui,  suivant  l'ciprossion  triviale,  mais  picininli-, 
de  Lrfèvrc,  alors  rédacteur  du  Mercure  de  France,  le  joua  fort  bien  el  liicn  ini-t. 
Si  l'on  s'en  ra[ipoilc  h  Racine  le  fils,  que  la  piété  filiale  nou\ait  à  la  véi  ilo  ren- 
dre un  peu  trop  sévère,  Beaubourg  était  plus  capable  d  imiter  les  capucinadcs 
du  petit  Père  Honoré  que  In  majesté  d'un  prophète  divin.  »  Sanwon  a  dit  de  cet 
acteur  dans  son  Art  tli('àlral  :ll,  70)  : 

DcitiliiiurK,  odeur  outré,  uni  |irinrip«i,  uni  tri, 
Au  tiicc6<  qiit'lutii'roii  conduit  |<ar  le  hnii.ird, 
Sur  la  «einu  éijUit  lii  ip^clnrlo  i  ([injnlili' 
D'Ub  prMrc  du  S'igncur  iniipiré  pir  (s  dralile. 
Saui  CI  jnu  lani  DgbleH«  ibaiiiant  la  hanlcur. 


ACTE  I,  SCKNE  I.  :{9 

ABNEH. 

Pensez-vous  ôtre  saint  et  juste  impuiif-ment'?  . 

Dès  longtemps  elle  hait  celle  fcrinetc  rare    ^t*a-b\V\  V  u 


j^ui  rehausse  en  Joad  l'cclat  de  la  tiare*. 
Uos  loiifftei 


'temps  voire  amour  pour  la  religion 
Est  traité  de  révolle  et  de  sédition'.  3,, 

Du, mérite  éclatant^  celte  reine  jalouse 
Hait  surtout  Josabet,  voire  fidèle  épouse. 
Si  du  grand  prôlre  Aaron  Joad  est  successeur^, 
De  notre  dernier  roi  Josabcl  estla  sœur. 
Malhan  d'ailleurs,  Malhan,  ce  prûlre  sacrilège',  33 

Plus  méchant  qu'Atlialie^ à  toute  heure  Tassiége', 
Malhan,  de  nos  autels  infâme  déserteur,      "' 
Et  de  toute  vertu  zélé  persécuteur. 
C'est  peu  que,  le  rrot^t  ceint  d'une  milre  étrangère*, 
Celévile  à  Baal  prèle  son  ministère  :  40 

Ce  temple  l'imporUîne,  et  son  impiété  . 

Voudrait  anéanlir'lc  Dieu  qu'il  a  quille".      O  "CS  f  V»  0  ^ 
Pour  vous  perdre  il  n'est  point  de  ressorts  qu'il  n'invente  '°; 
Quelquefois  il  vous  plaint,  souvent  même  il  vous  vante"  ; 
Il  aflecte  pour  vous  une  fausse  douceur,  43 

L'ouTnfre  était  «ulgaire  aussi  bien  que  l'acteur. 

«Bai  on  joua  ce  rôlobien  clifTércmment  ;  il  fut  aussi  vrai,  aussi  sublime  dans  son 
jou,  que  li.Tcinc  l'était  dans  ses  vers.  »  (Lcniazui-ier,  Galerie  des  acteurs  du 
ThéAtre-Français,  I,  p.  80.) 

1.  Sans  que  l'on  vous  en  punisse. 

2.  «  Le  bonnet  du  grand  piètre  csl  appelé  di>ns  la  Vulgate  tantôt  mitre  cl  tan- 
tôt tiare.  »  {Note  de  Louis  liacinc.) 

3.  Sainte-Beuve  {Port-Iioyal,  Vl,  143)  a  vu  dans  ces  dcui  vers  une  allusion  à 
Port-Royal. 

4.  Eclatant,  et,  trois  vers  plus  haut,  éclat;  c'est  une  légère  tache.  Voir  les  ver< 
125  et  127. 

5.  Joad  est  bien  le  successeur  d'.\aron,  frère  ain*  de  iMoîse  ;  mais  il  est  bon  de 
rappeler  que  la  tiare  ne  s'est  pas  transmise  réçulicrement  dans  la  ilcsccndnnce 
d'Lléaiar,  fils  aîné  d'.\aron;  la  souveraine  saerific:ilurc  fut  pendant  quelque 
temps  exercée  par  la  famille  d'Iihamar,  quatrième  fils  d'Aaron  ;  et  ce  n'est  que 
«0U3  Salomon  que  la  tiare  revint  h  la  race  d'Lléazar. 

6.  Les  textes  saints  ne  fournissaient  à  tlacine  que  l'idolAlrie  de  Lathan  et  la 
mort;   celle  admirable  création  appartient  donc  tout  entière  à  nacinc. 

7.  C'est  tout  réeemmcnl  seuleiiunt  que  l'Académio  s'est  décidée  à  écrire  avec 
un  accent  grave  les  mots  comme  siège,  collège,  sacrilège,  etc. 

8.  Vérit.ilile  ablatil  absolu. 

9.  Ce  ser.iit  le  seul  moyen  pour  lui  de  retrouver  le  repos  cl   la  tranquillité. 
10.  Var.  Tour  vous  perdre  il  n'est  point  de  ressorts  qu'il  ne  joue; 

Ouelquefois  il  vous  plaint,  souvent  mcnic  il  vous  loue  (ICOI). 

Les  amis  de  Racine,  dit  son  fils,  lui  représentèrent  qu'on  ne  dit  point  _;'okw, 
nuis  /n ire  jouer  des  ressorts.  »  Cependant  on  a  dit  autrefuis  you^r /e< eaux  pour 
faire  jmcr  les  eaux. 

tl.  Tacite  l'a  dit  :  «  pcssimum  iaimic  runi  genu*,  lauJaiilci», 


40  I  ATUAtlE. 

b  ^rlr^cf^lx/^Ç^^- 
Et  par  là  de  son  fiel  colorant  la  noirceur*. 
Tantôt  à  celle  reTïïè  il  vous  peint  redoutable. 
Tantôt,  voyant  pour  l'or  sa  soif  insatiable, 
Il  lui  feint  qu'en  un  lieu  que  vous  seul  connaissca-, 
Vous  chchcz  des  trésors  par  David  amassés'.  ;;(i 

Enfin  depuis  deux  jours  la  superbe  *  Athalie 
Dans  un  sombre  chagrin  paraît  ensevelie.  «*>  s  «^  ''^ 
Je  l'observais  hier,  et  je  voyais  ses  yeux 
Lancer  sur  le  lieu  saint  des  regards  furieux*, 
Comme  si  dans  le  fond  de  ce  vaste  édifice  53 

Dieu  cachait  un  vengeur  armé  pour  son  supplice". 
Croyez-moi,  plus  j'y  pense,  et  moins  je  puis  douler  ' 
Que  sur  vous  son  courroux  ne  soit  prêt  d'éclater, 
El  que  de  Jézabella  fille  sanguinaire  ' 
Ne  vienne  attaquer  Dieu  jusqu'en  son  sanctuaire.  tin 

JOAD. 

Celui  qui  met  un  frein  à  la  fureur  des  flots  ' 

Sait  aussi  des  méchants  arrêter  les  complots. 

Soumis  avec  respect  à  sa  volonté  sainte, 

Je  crains  Dieu,  cher.\bner,  et  n'ai  point  d'autre  crainte*. 

{.Colorer,  c'est  donner  une  apparence  favorable.  Racine  avait  écrit  déjà  dini 
l'exposition  de  Brilannicus  : 

L'ingrat,  d'un  Taiii  respect  colorant  iOD  injure,  etc. 

2.  «  La  plupart  ont  prétcnilu  que  feindre  à  quelqu'un  n'est  pas  français.  ■ 
(Sentiments  de  l'Académie  sur  Alnalie.) 

3.  Les  anciens  peuples  confiaient  aux  prêtres,  comme  le  font  encore  cer- 
taines tribus  arabes,  la  garde  de  leur  trésor;  le  vol  devenait  ainsi  un  sacrilège. 
\joulons  que  le  temple  des  Juifs  était  une  véritable  forteresse.  —  David  de 
lirtlilécm,  nis  d'Isai,  était  un  simple  berger,  que  Dieu  choisit  pour  devenir  roi 
d'Israël,  et  qui  fonda  la  monareliic  israélilc.  Poète  in.spiré,  habile  administra- 
teur, guerrier  intrépide,  il  fut  un  grand  roi;  mais  il  |)iouv.i  mallicurcuscment 
par  ses  mœurs  que,  comme  dit  Paseal,  u  dans  une  grande  âmo  tout  est  grand  •. 
—  Remarquez  le  soin  avec  lequel  le  poète  préparc  son  dénouement. 

4.  L'orgueilleuse. 

5.  Le  sanctuaire,  ou  saint  des  saints,  ou  lieu  trêssaint,  était  le  troisième  et 
dernier  compartiment  du  temple  ;  jamais  la  lumière  n'y  pénétrait;  nu  dernier 
«oupir  du  Christ,  le  voile  qui  le  fermait  au  jour  se  déchira.  Voir  la  Préface. 

6.  Ces  vers  nous  prépaient  à  l'arrivée  d'Athalio  dans  le  temple. 

7.  «  On  a  observé  que,  dans  la  régularité,  il  no  faut  point  île  conjonction.  On  doit 
JircM  Plusj'ypinse,  moins  je  puis  douter.  "{Sentiments  de  l'Acadcmie  sur  Alhalie.) 

8.  Ce  vers  est  imité  du  J'saume  LXXXVIII,  (v.  10)  :  «  Tu  dominaris  potcslali 
maris  :  motum  autem  fluctuum  ejus  tu  niitijiras.  n 

!l.  Voir  Virgile  {Enéide,  XII,  8'J5).  —  Scudéry  avait  dit  de  la  reine  Christiao 
dans  son  Alaric  (X): 

ICMo  criindra  le  ciel,  et  oe  cninilra  plut  rien. 
I  Riillcau  a  écrit  {Réflexions  crilinues,  XII)  à  |)ropos  de  co  passage  A' Athalie  : 
■  Tnut  ce  qu'il  peut  y  avoir  de  sublime  parait  rassemblé  dans  ces  <pialre  vers  : 
\  la  grandeur  de  fa  pensée.  In  noblesse  du  scnlinicnt,  la  magniQcunce  des  parûtes, 
I  «t  l'harmonie  de  l'cipressioD,  si  heureusement  tcrroisée  par  ce  dernier  Tcra  : 
'  Je  eralni  Uicu,  cher  AIhiit,  etc. 

b'oii  je  conclus  que  c'est  avec  Iri-*  peu  de  fondcmeiils  que  lei  adiniralourii  ou- 


ACTE    I,    8CÊNE  I,  41 

Cependant  je  rends  grâce  au  zèle  officieux  63 

Qui  sur  tous  mes  périls  vous  fait  ouvrir  les  ymix. 

Je  vois, que  l'injustice  en  secret  vous  irrite, 

Que  vous  avez  encor  le  cœur  israélile. 

Le  ciel  en  soit  béni'.  Mais  ce  secret  courroux, 

Cette  oisive  vertu,  vous  en  contentez-vous?  70 

La  foi  qui  n'agit  point,  est-ce  une  foi  sincère'? 

Huit  ans  déjà  passés,  une  impie  étrangère^ 

Du  sceptre  de  David  usurpe  tous  les  droits, 

Se  baigne  impunément  dans  le  sang  de  nos  rois, 

Des  enfants  de  son  fils  détestable  homicide,  71» 

Et  niûme  contre  Dieu  lève  son  bras  perfide*. 

<rés  de  Corneille  veulent  insinuer  que  M.  Racine  lui  est  beaucoup  infi5ricur  pour 
le  sublime,  puisque,  snns  apporter  ici  quantité  d'autres  preuves  que  je  pourrais 
donner  du  contraire,  il  ne  me  parait  pas  que  toute  cette  grandeur  de  vertu  ro- 
maine tant  vantée,  que  ce  premier  a  si  bien  exprimée  dans  plusieurs  de  se» 
pièces,  et  qui  a  fait  son  excessive  réputation,  soit  au-dessus  de  l'intrépidité  plus 
qu'héroïque,  et  de  la  parfaite  coniianco  en  Dieu  de  ce  vérilabloracnt  pieux, 
grand,  sage  et  courageux  Israélite.  <>  —  On  lit,  au  sujet  de  ce  mcnie  passage,  dans 
le  Dictionnaire  phUosophir/uc  do  Voltaire,  à  l'article  Art  dramatique  .•  «  On  a 
imprimé  avec  quelque  fondement  que  Itacinc  avait  imité  dans  cotte  pièce  plu- 
lieurs  endroits  de  la  tragédie  de  la  Lif/uf,  faite  par  le  conseiller  d'état  Ma- 
sbieu,  historiographe  de  France  sous  Henri  lY,  écrivain  qui  ne  fesail  pas  mal 
tes  Ters  pour  son  temps.  Constance  dit,  dans  la  tragédie  de  Mathieu  : 
Je  redoute  mon  Dieu,  c'est  lut  loiil  que  je  crains 

Le  plagiat  parait  sensible,  et  cependant  ce  n'en  est  point  un  ;  rien  n'est  plus  na- 
turel que  d'avoir  les  mêmes  idées  sur  le  même  sujet.  »  Au  tome  II  de  son  Cours 
de  lilt.  dram.  (p.  167-170),  Geoffroy  déclare  un  peu  sévèrement  (Voir  ù  propos  de 
Pierre  Mathieu  notre  Notice  sur  Èslher)  que  Mathieu  était  un  détestalde  poète, 
qui  n'a  jamais  fait  la  Ligue,  mais  bien  la  Guisiade.  La  pièce  dont  parle  Voltaire  est 
ae  Nerée,  et  s'appelle  le  Triomphe  de  la  Ligue  ;  Voltaire  a  refait  les  vers  qu'il 
a  cités,  pour  rendre  plus  frappante  l'accusation  de  plagiat.  Nerée  avait  mis  : 
Je  06  craint  que  mon  Dieu  ;  lui  tout  seul  je  redoute. 

(Voir  la  note  du  vers  647).  C'est  pourtant  le  même  Voltaire  qui,  en  1737,  écri- 
rait dans  les  Conseils  à  un  journaliste  (Kd.  Beuchot,  XXX^  II,  383)  :  u  Les  ennemis 
de  notre  illustre  Ilacine  firent  réimprimer  quelques  vieilles  pièces  oubliées,  dans 
lesquelles  ils  insérèrent  plus  de  cent  vers  de  ce  poète  admirable,  pour  faire  ac- 
croire qu'il  les  avait  volés.  J'en  ai  vu  une  intitulée  Saint  Jean-Baptiste ,  dans  laquelle 
on  retrouvait  une  scène  presque  entière  «le  Dcnnice.  Ces  malheureux,  aveuglés 
par  leur  passion,  ne  sentaient  pas  même  la  difTérence  des  styles,  et  croyaient 
qu'on  s'y  méprendrait,  tant  la  fureur  de  la  jalousie  est  souvent  absurde.  » 

1.  Racine  a  eu  tort  de  placer  ce  mot  ciel  dans  la  bouche  de  Joad  ;  les  Juifs  ae 
matérialisaient  pas  l'idée  de  Dieu. 

2.  Saint  Jacques  démontre  (II,  17)  que  la  sincérité  n'est  pas  moins  exigé» 
dans  la  foi  que  la  charité,  et  que  morte  est  la  foi  qui  n'agit  point.  —  Au  sujet  de 
caractères  de  Joad  et  d'.\bner,  consulter  notre  Aotice  sur  Athalie. 

8.  Les  livres  saints  (II  /lois,  XII,  ))  disent  que  Jons  avait  sept  ans  lors  de  soi 

avènement.  — «  Cette  expression  pour  dire huit  ans  sont  déjà  passés  depui. 

que n'est  pas  exacte.  Cependant  le  sens  est  clair,  le  tour  est  vi(\  et  peut-être 

préférable  li  la  construction  régulière.  D'ailleurs  Malherbe,  qui  l'avait  déjà  em- 
ployée dans  la  Prosopo/h'-c  d'Oslrndc  :  «  Trois  ans  déjà  passés...  "  a  paru  f.iirc 
Autorité.  1  {Sentiments  de  l'Académie  sur  Athalii'.)  —  La  loi  excluait  formellement 
du  trône  hébreu  les  étrangers  :  <■  Non  poteris  allerius  gcntis  hominem  Itegcm 
farere.  n    {Peulérnnome,  XVII,    15.)  ' 

4.  C'est  donc  bien  entre  Athalie  et  Dieu  que  la  lutte  est  engagée. 


4  2  ATOALIE. 

lit  VOUS,  l'un  des  soulicns  de  ce  tremblant  F^lat, 

Vous,  nourri  dans  les  camps  du  saint  Roi  Josaphat, 

Qui  sous  son  \il3J0ran1  commandiez  nos  armées, 

Qui  rassurâtes  seul  nos  villes  alarmées,  ^ 

Lorsque  d'Okosias  le  trépas  imprévu 

Dispersa  tout  son  camp  à  l'aspect  de  Jéhu  *  : 

«  Jû  crains  Dieu,  dites-vous,  sa  vérité  me  touche.  » 

Voici  comme  ce  Dieu  vous  répond  par  ma  bouche: 

«  Du  zèle  de  ma  loi*  que  sert  de  vous  parer?  85 

Par  de  stériles  vœux  pensez-vous  m'honorer? 

Quoi  fruit  me  revient- il  de  tous  vos  sacrifices? 

Ai-je  besoin  du  sang  des  boucs  et  des  génisses  ^7 

Le  sang  de  vos  Rois  crie  ^,  et  n'est  point  écouté. 

Rompez,  rompez  tout  pacte  avec  l'impiété.  90 

Du  milieu  de  mon  peuple  exterminez  *  les  crimes, 

Et  vous  viendrez  alors  m'immolcr  vos  victimes.  » 

ABNER. 

Hé!  que  puis-je  au  milieu  de  ce  peuple  abattu  ? 

licnjamin  est  sans  force,  et  Juda  sans  vertu'. 

Le  jour  qui  de  leurs  rois  vit  éteindre  la  race  05 

Éteignit  tout  le  feu  de  leur  antique  audace. 

«  Dieu  même,  discnt-ils,  s'est  retiré  de  nous  '  : 

De  l'honneur  des  Hébreux  autrefois  si  jaloux*, 

il  voit  sans  intérêt  '•'  leur  grandeur  terrassée. 

Et  sa  miséricorde  à  lu  fin  s'est  lassée.  100 

1.  Pour  les  détails  historiques,  voir  la  Préface  et  les  notes  de  la  Préface. 

ï.  De  votre  zclo  pour  ma  loi. 

1.  «  NuinquiJ  manilucabo  carnes  taurorum,  aut  sanguinom  liircoruni  pulalfoT 
Immola  Dcosacriflciura  lauilis...  »  {Psaumes,  \t\\,  13  et  l-i).  On  lit  aussi  dans  le 
rhapitrc  I  de  la  Prophilie  d'isaïc  (v.  11,  17  et  IS)  :  n  yuo  niilii  inultiludincm 
virlicnaruni  vestrarum,  duit  Duminiis?  Ploiius  suni.  Ilulocausta  aiictum,  et 
«dipem  pinguiuu,  et  saiiguinem  vilnlorum  et  ngnoru^n  et  liircorum  noliii...  Iiis- 
citc  bencfacere;  quxrite  judiciuiii,  subveniteoppresso,  judicate  pupillo,  dcfenditc 
viduam.  Et  vcnite...  »J.-U.  Ilousseau  a  dit  enfin  (Liv.  I,  ode  ii),  imitant  Racine  : 

9 lie  ni'.iii|>iirlonl  «os  ««rrinces, 
IM   0l[l.lll>l(",   l'I   VUi  ll'IMI|IC.ini  ? 

rici  Ik.U  il  [:•  laii;;  ilos  |.-âiiii4ci7 
Maiigo-l-il  la  chair  doi  laurcaiixT 

4.  ■  Vox  i^angiiiiiis  fratris  lui  claraat  ad  mo  de  terra.  »  {(Jencse,  IV,  10.)  Voir 
le  vers  1701. 

5.  Ejcierminer  est  nris  ici  dans  son  sens  latin  :  rejeter  hors  des  rronticres. 
0.  Au  moment  de  la  séparation,  le  royaume  de  Juda  se  forma  des  Iriliiis  de 

Juda  et  de  Urnjnmin.  des  ramilles  sai'crJulales  de  la  tribu  de  Lévi  ijiii  se  rallié- 
renl  au  temple  de  .l/tiiisalein,  et  d'une  partie  des  biinéoiiitcs  et  des  Uanilcs  établis 
sur  Icï  bord»  de  la  Mclilcrranée. 

7.  ■■    Nrseicns  ipiod  recessissci  nb  co  Dominiis.  »  (Jinjcs,  XVI,  20.) 

8.  Jaluux,  qui  tient  beaucoup  à;  du  mèmu  dans  Iphif/ànie  (Hl,  vu)  I 

El  mon  |>(re  eil  jiloui  da  ion  «utvrll<). 

9.  San  y  prendre  inlérùt. 


ACTE   I,    SCENR   I,  4  5 

On  ne  voit  plus  pour  nous  ses  redoutables  mains 
De  merveilles  sans  nombre  eiïrayer  les  bumuins  '; 
I/arcbc  sainte  est  muette,  cl  ne  rend  plus  d'oracles  '.» 

JOAD. 

Et  quel  temps  fut  jamais  si  fertile  en  miracles? 

Quand  Dieu  par  plus  d'effets  montra-t-il  son  pouvoir?       103 

Auras-tu  donc  toujours  des  yeux  pour  ne  point  voir, 

Peuple  ingrat  ?  Quoi  ?  toujours  les  plus  grandes  merveilles 

Sans  ébranler  ton  cœur  frapperont  tes  oreilles''? 

Faut-il,  Abner,  faut-il  vous  rappelc  le  cours 

Des  prodiges  fumçux  accomplis  en  nos  jours?  110 

Des  tyrans  d'Israël  les  célèbres  disgrâces, 

El  Dieu  trouvé  fidèle  en  toutes  ses  menaces  *; 

l/impic  Achab  détruit,  et  de  son  sang  trempé 

F.e  champ  que  par  le  meurtre  il  avait  usurpé  *; 

Près  de  ce  champ  fatal  Jézabel  immolé(L  115 

Sous  les  pieds  des  chevaux  colle  rein^ Touléc  *, 

Dans  son  sang  inhumain  les  chiens  désaltères, 

El  de  son  corps  hideu\les  menlbres  d'échiros'; 

Des.prophcles  n:yjy||urs  la  troupe  confondue  ', 

lit  la  flainnie  du  nefsur  l'aulel  descêndîie  *;  I2C 

1.  «  Si^na  nostra  non  vidiraus;  jam  noa  est  propheta;  et  nos  non  cognosce' 
ainplius.  »  {Psaume,  i.xiin,  9.) 

2.  «  Cumqiie  ingrcdcretur  Moyses  tabcrnaculiim  f<cderis,  ut  consulcrel  oracu- 
lura,  audicb'it  voccm  loqucntis  ad  se  de  propiliatorio,  quod  erat  super  arcaî 
tcslimonii  inicr  duos  Chcrubim.  »  (A'ombrfs,  \U,  89.) 

3.  <i  Qui  npcrtas  habes  aurcs,  nonne  audics?  «  (I^J^îb,  XLII,  20.)  Racine  s'c^. 
peut-être  souvenu  surtout  des  paroles  du  Nouveau  Testament  :  «  Auditu  audictis, 
et  non  intclliirotis;  et  vidcntes  vidcbilis,  et  non  videbilis.  »  {Evangile  de  saint 
Mathieu,  \\n,  li.) 

4.  Remarquez  la  hardiesse  énergique  de  eette  expression. 

5.  Voir  la  Préface. 

6.  (I  Jézabel  fut  prôcipitéo  d'une  tour  par  ordre  de  Jéhu.  Il  ne  lui  servit  fc 
rien  de  s'être  parée.  Jéliu  la  fit  fouler  aux  |iicds  des  chevaux.  »  (Bcssuït,  Disc, 
tur  l'hist.  univ.,  l"  partie.) 

7.  «   Prxcipitale  cam  dcorsum.    Et   prajcipitaverunt  eam et  equorum  un- 

gulœ  conculcavcrunt  eain.  »  {IV  Jiois,  IX,  33.)  Les  autres  traits  du  lal)Icau 
que  Racine  a  peint  dans  ces  vers  sont  empruntés  aux  versets  35  et  30  du  même 
chapitre.  «  Cumque  isscnt  ut  sepclirent  cam,  non  invcnerunt  nisi  catvariani,  et 
pedcs  et  sumnias  manus...  Etait  Jehu:  Sernio  Doniini  est,  qucin  lucutus  est  per 
servum  suum  lîliara  Tlicsbitcm  diccns  :  In  agro  Jezrael  coroedect  canes  carnes 
Jcsabel.  » 

8.  C'est  un  souvenir  du  roiraclo  du  Carmel.  Elie  avait  convoquô  les  prophè- 
tes de  Daal  h  sacrifier  avec  lui,  devant  Achab,  sur  la  montairno.  En  piiSsoncc 
do  fout  le  peuple,  depuis  la  pointe  du  jour,  les  prophètes  idolâtres  se  font  des 
incisions,  n|ipcllent  leur  dieu,  entrent  en  frénésie.  Baal  reste  sourd.  K  midi,  Elic 
élève  rapidement  douze  pierres  en  nicnioire  des  douze  tribus,  entoure  do  rigoles 
cet  autel  improvisé,  et,  après  l'avoir  arrosé,  invoque  Jéhova.  Aussitôt  la  Hanime 
du  ciel  consume  la  viciinti^  Les  faux  proiihctes,  selon  la  loi,  furent  punis  do  mort. 

9.  En  disant  ce  vers,  il  vaut  mieux  joindre  les  mots  du  ciel  aux  mots  qui  sui- 
vent qu'aux  mots  qui  précèdent;  la  phrase  présente  ainsi  plus  de  sens. 


4  ',  ATDALIE. 

Élie  aux  éléments  parlant  ea  souverain  *, 

Les  cieux  par  lui  fernrfés  et  devenus  d'airain, 

Et  la  terre  trois  ans  sans  pluie  et  sans  rosée; 

Les  morts" se  ranimant  à  la  voix  d'Elisée  *  : 

Reconnaissez,  Abner,  à  ces  traits  éclatants  •,  125 

Un  Dieu  tel  aujourd'hui  qu'il  fut  dans  tous  les  temps  : 

Il  sait,  quand  il  lui  plaît,  faire  éclater  sa  gloire  *, 

Et  son  peuple  est  toujours  présent  à  sa  mémoire  •'. 

ABNCH. 

Mais  où  sont  ces  honneurs  à  David  tant  promis', 

Et  prédits  môme  encore  à  Salomon  son  111s?  130 

Hélas  !  nous  espérions  que  de  leur  race  heureuse 

Devait  sortir  de  Rois  une  suite  nombreuse''; 

Que  sur  toute  tribu,  sur  toute  nation. 

L'un  d'eux  établirait  sa  domination, 

Ferait  cesser  partout  la  discorde  et  la  guerre,  <35 

i.  t  F.t  dixit  Eliai :  Vivit  nonùnas  D'ïus  I>rael,  in  cujus  ron'iiPCiu  sto,  «i 

erit  aniiiS  his  rus  et  plutia.  nisi  juila  oris  moi  »erLa.  ■  (///  Iloit,  XVII,  1. 
Ce  miracle  d'Elie  est  rappelé  dans  \  Hpllre  de  taint  Jacquet  (V,  17-18)  :  «  tlias.) 
oratiou'  oravit  ut  iiuu  plu>-ret  super  terrani,  et  nuu  pluit  annos  très  et  mcDse. 
set.  Et  rursum  orm*it,  et  cœlum  dédit  pluvinm,  et  terra  dedil  fructum  suuin  ■ 
Ce  prodige  est  encore  rapporté  daos  VEvangxU  de  saint  Luc  IV,  25;  :  •  la  die- 
t)us  Eli2e  \a  Israël,  quamJo  clausuni  est  cœlum  aonis  tribus  et  mrnsibus  sei....  • 
Moisc  e»t  le  iégisUteur,  Elle  le  rérurmateur  du  peuple  de  Dieu.  Ce  fut  un  des 
pluf  (.'raiids  honimej  d'Israël. 

2.  Klisée,  d'Ahel-SléhoIa,  sur  la  rive  droite  du  Jourdain,  fut  le  disci|.1c  d'Élie 
Lep(>ete  ne  mentionne  qu'un  de  ii-s  miracle»,  la  réhurre-.tion  du  CI'!  de  la  Suiianntic. 
Dans  cette  éuiim^ratioii  de  prodiges,  Ilacine  n'a  puiot  suiTi  l'ordre  chronologique. 

3.  V'jir  la  note  du  vert  31. 

4.  Voir  la  note  du  vers  3t. 

5.  t  Athalie  a un  avantage  que  rien  ne  peut  compeoser,  celui  d'èlre  fondée 

ii<r  une  religion  qui  était  alors  la  »eule  Térilalile,  et  qui  n'a  été,  romme  on  fait, 
remp  acée  que  par  la  iiôire.  L.ei>  noms  seuls  d'Israël,  de  David,  de  Salomon,  de 
Jul'i.  de  Benjamio,  impriment  sur  celte  tragédie  je  ne  sai)  quelle  horreur 
rcli;;i''u»e  oui  saibii  un  gran'l  nombre  de  tpettateurs.  On  rappelle  dans  la 
piere  tous  les  prodiges  sacrés  dont  Dieu  lionora  wn  peuple  juif  i>ous  les  des- 
cendants de  David  :  Achab  puni,  l<'i  ctiii-ns  qui  léclièreiit  non  suiil',  «uivant  la 
prédiction  d'Élie  et  suivant  le  psaume-  I.XVIII  :  t  Les  cliiins  lecli'Tont  leur  saiig...i 
Elie  annonce  qu'il  ne  pleuvra  d'-  trois  ani>  ;  il  prouve  à  quatre  cent  cinquante 
prophètes  du  roi  Achah  qu'ils  sont  de  faux  prophètes,  en  fesant  contuincr 
son  holocauste  d'un  boeuf  par  le  feu  du  ciel  ;  et  il  fait  égorger  les  quatre  o  nt 
cinquante  prophètes  qui  n'ont  pu  opérer  un  pareil  miracle  :  tous  r<-K  grands 
signes  de  la  puissance  divine  sont  ntrarét  poinpeusiment  dans  la  tragédie 
i  Alhnlii;,  des  !<  première  scène.  Le  iiontife  Jiiud  lui  niémc  prophétise  et  déclare 
nue  l'or  sfra  changé  en  plomb.  Tout  le  sublime  de  l'Iiistoire  juive  est  ri^pandu 
d*n<  la  pièce  /Irpms  le  preinier  vers  jusqu'au  dernier.  »  (VoLTAïaa,  JJiicour» 
kuluriquc  et  ciitu/iie,  rlr.j 

t.  •  (;bi  sunt  iiii<iericord<«e  antique,  Donaioe.  iicut  jurasti  David  io  veritate 
tuar>  {Ptaumei.  LXXZVIII,  &0.I 

7.  Ou  lit  a  la  pa^e  'le  Lighlfoot  indiquée  par  Hacine  lui-m(me  (t.  Il, 
p  ZO)  :  *  .Niminem  Israelitarum  Hricem  fulurnm  qui  non  e  domo  Duvidis  et  Salo- 
monis  protapia  fueril.  (Talmud  in  Sanhédrin,  cap.  s.)  Ideoque  Regem  Mesiiam 
ts  sa  prosapla  eispeclabanl.  • 


ACTE   I,   SCENC  I.  4  3 

El  verrait  à  ses  pieds  tous  les  rois  de  la  Icrrc  '. 

JOAD. 

Aux  promesses  du  ciel  pourquoi  renoncez-Tous'? 

ABNER. 

Ce  Roi  fils  de  David,  où  le  chercherons-nous? 

Le  ciel  m»îme  peut-il  réparer  les  ruines 

De  cet  arbre  séché  jusque  dans  ses  racines  '"?  liO 

Athilie  étouffa  l'enfant  même  au  berceau. 

Les  morts,  après  huit  ans,  sortent-ils  du  tombeau? 

Ah  !  si  dans  sa  fureur  elle  s'était  trompée  ; 

Si  du  sang  de  nos  Rois  quelque  goutte  échappée. .. 

JOAD, 

Hé  bien  1  que  feriez-vous  *? 

ABNER. 

0  jour  heureux  pour  moi!        145 
De  quelle  ardeur  j'irais  reconnaître  nun  Rui  *: 


I.  «  Dabo  tibi  gentes  bxrediUtem  tuara,  et  posse<sion-;m  tnàtn  termî^os 
Icrrc.»  (Psixwnes',  II,  8.)  «Et  adorabunt  eum  omnes  Re;es  terrse;  omncs 
jrenfcs  sertient  ei.  •  [Psiwnfs,  LXXI,  It.)  Poor  Aboer,  l&p«rpétuité  de  1a  r»ce 
de  Da\id  se  coafond  arec  l'attente  du  Me55ie. 

i.  Joad,  instruit  qn'J  est  de  l'existence  de  Jois.  a  le  droit  de  parler  ai:isi  ; 
mais  Abner.  <^ui  partage  l'igTJorance  générale,  a  le  droit  de  trouTer  qu'e^>értr 
encore  serait  insensé. 

3.  Badne  a  pu  emprunter  cette  image  aux  Choéjy-Kores  d'Eschyle  : 

O-Jt'  ifjim;  »«i  TÎ^  Sj"  R«>)i\;  c-jlji^-» 

SopbocTe  a  comparé  aussi  Antigone,  dans  la  tragédie  da  aèae  ■«■.  an  der- 
nier raiBCM  de  la  famille  des  Labdacides  (t.  599}  : 

Ti'»;  S  T4-:rt»  ç«»i  l«  0"5;r»3  ie:x»ti. 

Chose  bizarre,  on  lit  dans  les  Sfnn-ienis  de  rAeade'mie  pêt  Athahe  :  •  OcH- 
qi)?<-'jns  ont  doute  qu'on  put  dire,  même  poetiquera-^nt,  let  rviMes  d'à 
Cela  n'a  pas  empêché  Voltaire  d'écrire  au  chant  VU  de  s»  Bemiiaée: 

Ua  t^bl<?  rqfti»  sort  C3'x.'  \t»  ru  r.c( 

De  c«t  Arbre  ferrOB-J  eoof  «  du»  <e«  raciaet. 


4.  J  •  ■  !  a'îenJ  ivcc  ;rr   ■.::-:  li  r-r  -s;  à  A':  - 


e    Tairai  :  «  Talioa 
.ni,  plein  de  «èle  rt 

-       ■■    -1  --îi  Je  o^>e 
Jms   1« 

-j-ément 
tir  qu'il 


S. 


46  ATUALIE. 

Doutez-vous  qu'à  ses  pieds  nos  tribus  empressées...  ■> 

Mais  pourquoi  me  flaller  de  ces  vaincs  pensées? 

Déplorable  héritier  de  ces  Rois  triomphunls, 

Okosias  rcslait  seul  avec  ses  enfants  loO 

Par  les  Irails  de  Johu  je  vis  percer  le  pore  ; 

Vous  avez  vu  les  tils  massacrés  par  la  mcve, 

JOAD. 

Je  ne  m'explique  point*.  Mais  quand  l'astre  du  jour 

Aura  sur  l'horizon  faille  tiers  de  son  tour, 

Lorsque  la  troisième  heure  aux  prières  rappelle  ^  Ibo 

Retrouvez  vous  au  temple  avec  ce  mûmc  zèle. 

Dieu  pourra  vous  montrer  par  d'importants  bienfaits 

Que  sa  parole  est  stable  et  ne  trompe  jamais*. 

Allez  :  pour  ce  grand  jour  il  faut  que  je  m'apprête  *, 

Et  du  temple  déjà  l'aube  blanchit  le  faite  ".  IGO 

ADNER. 

Quel  sera  ce  bienfait  que  je  ne  comprends  pas' 
L'illustre  Josabet  porte  vers  vous  ses  pas': 

1.  «  Voilk  qui  est  assez  clair.  Aussi  JoaJ  n'insistel-il  pas.  Il  .1  appris  ce  qu'il 
lui  importait  de  savoir.  Il  n'y  a  pas  grand  concours  à  attendre  de  ce  chevalier 
ingénu  avant  l'événomcnt  ;  mais  une  fois  l'aiïairc  en  train,  on  ne  l'aura  pas 
contie  soi.  Que  faut-il  davanlatre  à  un  conspirateur  7  »  (M.  SincKY,  Le  Temps, 
Chronique  théâtrale  du  6  octobre  IS73.) 

2.  Joad  en  a  dit  et  en  va  dire  assez  pour  troubler  profondément  Abncr. 

3.  Au  lenips  de  Moise,  les  divisions  du  jour  étaient  au  nombre  de  six  :  {"l'aube; 
î«  le  lc\cr  du  soleil;  3"  la  chaleur  du  jour,  qui  coinmciiçail  vers  neuf  heures  ; 
4«  le  milieu  du  jour;  5"  la  fiaicbeur,  ou  le  vent  du  soir,  (lui  s'élevait  au  mo- 
ment du  coucher  du  soleil;  B»  le  soir.  Au  temps  de  Daniel  les  heures  viennent 
d'apparaitre  ;  la  première  commençait  à  six  heures  du  matin,  cl  la  troisième, 
par  consé(|nent,  à  huit  heures,  selon  notre  façon  moderne  do  parler.  Le  sacrilice 
se  «célébrait  à  la  troisième  heure. 

4.  «  Fidelia  omnia  mandata  ejus.  »  {Pmiirnes,  CX,  8.) 

5-  Dans  tout  ce  pr<  mier  acte,  le  grand  prctro  porlo  le  costume  des  simples  sa- 
criflcatcurs  (réglcm<'ntairemenl,  il  devrait  avoir  les  pieds  nus).  Les  jours  des 
fcles  solennelles,  à  l'aubo,  le  grand  prêtre  devait  s'assujettir  à  des  ablutions 
fixées  par  la  loi.  —  Il  est  curieux  do  rappeler  (|we,  lorsque  TarlniTc  veut  so  déli- 
vrer de  Cléante  (IV,  1),  il  lui  parle  à  peu  pics  comme  parle  ici  Jo:id  : 

...Il  cl,  Mon'iiMir,  trui<  liniir.'i  et  dfinio 
Cciliiu  dcTtir  pifiii  ino  r.iiiollo  l'i-lidiil, 
El  «uu>  luciciJicrci  do  vous  quitter  «i  161. 

d.  Souvenir  de  V/jihigénie  enAuliJe  d'Euripide  (v.  l'jG): 

Aiuxatvci 
Tdti  fûî{  ^S>|  ).«|iirouff'   'IIù;. 

On  appelle  aube  le  premier  blancliissemcnt  de  l'horizon  au  lever  du  jour.  Te» 
[loetis  prr)veneanx  ont  appelù  aubades  les  elianis  du  malin,  sérénades  les  ehunts 
du  soir,  et  ù  lu  fin  de  chaipiu  strophe  devait  revenir  dans  les  unes  le  mot 
alha,  d.ins  les  autres  le  niol  sera. 

7.  On  n'a  pas  vu  (ort  de  reprocher  à  ce  vers  son  allure  beaucoup  trop  mojcs- 
(ucuse. 


ACTE   I,   SCÈNE  II. 

Je  sors,  et  vais  me  joindre  à  la  troupe  fidèle 
Qu'attire  de  ce  jour  lu  pompe  solennelle  '. 


scène:  II. 

JOAD,  JOSABET. 

JOAD. 

I.cs  temps  sont  accomplis,  Princesse  :  il  faut  parler,  iCS 

Et  voire  heureux  larcin  ne  se  peut  plus  cèlera 

Des  ennemis  de  Dieu  la  coupable  insolence, 

Abusant  conlre  lui  de  ce  profond  silence, 

Accuse  trop  longtemps  ses  promesses  d'erreur'. 

Que  dis-je?  Le  succès  animant  leur  fureur,  170 

Jusque  sur  notre  autel  votre  injuste  mariilre  * 

Veut  offrir  à  Baal  un  encens  idolâtre. 

Montrons  ce  jeune  roi  que  vos  mains  ont  sauvé. 

Sous  l'aile  du  Seigneur  dans  le  temple  élevé  ^ 

De  nos  princes  hébreux  il  aura  le  courage,  175 

Et  déjà  son  esprit  a  devancé  son  âge^. 

Avant  que  son  destin  s'explique  par  ma  voix', 

Je  vais  l'offrir  au  Dieu  par  qui  régnent  les  Rois*. 

Aussitôt  assemblant  nos  lévites,  nos  prêtres,  TSO 

Je  leur  déclarerai  'l'héiitier  de  leurs  maîtres. 


1.  La  pompe,  c'est,  au  propre,  un  corlcire  brillant  ;  du  grec  ito^i:^,,  convoî.  — 
Cl  Si  j'avais  à  Héciiler  entre  les  trois  expositions  fameuses  de  Dajazct,  tVIphigénif 
cl  aAllialii',  je  donnerais  la  prùférencc  à  celte  dernière.  An  mérite  de  hicn  ins- 
truire le  spectateur  de  tout  ce  «|u'il  doit  savoir,  elle  joint  l'avanlafro  d'être  une 
scène  d'action,  dans  laquelle  le  souverain  pontife,  en  homme  qui  médite  un  prand 
dessein,  cherche  à  s'assurer  des  dispositions  du  général  de  I  armée  d'Alhalie.  Il 
n'existe  point  d'aulre  exemple  d'une  aussi  grande  perfection,  n  (GEoFFnoT.)  Cha- 
teaubriand disait  qu'il  n'avait  jamais  pu  lire  sans  pleurer  cette  première  scène 
A'Alhalie. 

2.  Joad  n'aurait  point  besoin  d'en  dire  davantage  :  ces  deux  vers  suffisent  à 
faire  comprendre  au  spectateur  que  le  poignard  d'Athalie  a  b'ssé  échapper  une 
victime. 

3.  •  Plusieurs  ont  cru  qw'crreur  n'est  pas  le  terme  propre  pour  signifier  des 
promesses  trompeuses.  »  [Sentiments  de  l'Académie  sur  Athalie.) 

A.  Josabel  était  fille  de  Joram,  qu'avait  épouj-é  Athalie. 

f5.  \ air  Estlœr  (III,  IV).  —  «  Plcnani  mcrcedcm  recipias  a  Domino  Deo  Israël, 
■d  quera  venisli,  et  sub  cnjus  ooufugi.sli  alas.  »  (iiuth,  U,  12.)  Voir  dans  le» 
notes  de  la  Pnface  une  description  du  Icniplc 

6.  Ce  vers  prépare  les  réponses  de  Joas  dans  la  scène  de  l'interrop  ilolrc. 

7.  C'est-à-dire  ;  avant  que  ma  voix  explique  quel  est  son  dcstio,  soo  rang. 
.''.  M  Per  me  Reges  régnant.  »  {Proverbes,  VII,  IS.) 

0.  Révélerai.  Voir  le  ver»  1266. 


4»  Ain  A  LIE. 

JOSABET 

Sait-il  déjà  son  nom  et  son  noble  deslin'7 

JOAD, 

Il  ne  répond  cncor  qu'au  nom  d'Kliacin  *, 
Et  se  croit  quelque  enfant  rejeté  par  sa  mère, 
A  qui  j'ai  par  pitié  daigné  servir  de  père  '. 

JOSABET. 

Hélas!  de  quel  péril  je  l'avais  su  tirer  !  18.S 

Dans  quel  péril  encore  est-il  prêt  de  rentrcrl 

JOAD. 

Quoi?  déjà  votre  foi  s'alTaiblit  et  s'étonne  *? 

JOSABET. 

A  vos  sages  conseils,  Seigneur,  je  m'abandoinie. 

Du  jour  que  j'arrachai  cet  enfant  à  la  mort, 

Je  remis  en  vos  mains  tout  le  soin  de  son  sort.  190 

Même,  de  mon  amour  craignant  la  violence, 

Autant  que  je  le  puis,  j'évite  sa  présence, 

De  peur  qu'en  le  voyant,  quelque  trouble  indiscret 

Ne  fasse  avec  mes  pleurs  échopper  mon  secret'. 

Surtout  j'ai  cru  devoir  aux  larmes,  aux  prières',  103 

Consacrer  ces  trois  jours  et  ces  trois  nuits  entières. 

Cependant  aujourd'hui  puis-je  vous  demander 

Quels  amis  vous  avez  prêts  à  vous  seconder? 

Abner,  le  brave  Abner  vicndra-t-il  nous  défendre? 

A-t-il  près  de  son  Roi  fait  serment  de  se  rendre?  200 

JOAD. 

Abner,  quoiqu'on  se  pût  assurer  ''  sur  sa  foi, 

i.  La  noble  condition  que  le  destin  lui  o  assignée. 

2.  La  Bible  ne  donne  point  à  Joas  le  surnom  d'Eliacin. 

3.  Josabct  sait  parfaiicmcnt  tout  ce  f|ue  lui  répond  ici  Jond;  mais  le  porte, 
voulant  préparer  le  spectateur  aux  réponses  que  fera  Joas  à  la  vieille  reine,  use 
d'un  subterfuge.  Josabct  demande  à  son  époux  s'il  a  révélé  &  Joas,  ce  jour  niciue, 
son  véritable  nom,  et  Joad  en  profite  pour  nous  apprendre  dans  sa  réponse  le 
pieux  mensonge  qu'il  a  fait  au  jeune  roi. 

4.  Joad  sent  h  ses  côtés  l'ange  exterminateur  (t.  1698);  Toilk  pourquoi  toute 
crainte  lui  est  ioconnuc.  Josabct,  au  contraire,  a  toutes  les  terreurs  d'une  femme 
et  d'une  mère. 

5.  Ces  deux  vers  sont  admirables  par  l'élégance  et  par  la  pureté  île  î  expression, 
fl.  C'était  une  coutume  à  l'oil-Itoyal  de  se  préparer  aux  giandes  actions  par 

des  veilles  cl  des  prière-.  C'était  ainsi  que  l'on  demandait  à  Dieu  la  grâce.  Sainte- 
Beuve  nous  rapporte,  dans  son  J'orl-Jioi/al{\,  107),  que  la  Mère  Angolii)ue,  s'ap- 
prctant,  après  avoir  clfduré  le  couvent,  \  défendre  la  porte  du  moMa^lère  à 
M.  Arnauld,  son  père,  à  sa  mère,  et  à  ses  frères  et  sieurs,  «  avait  veillé;  elle 
•'était  préparée  par  la  prière;  quelques  religieuses,  dépositaires  de  son  secret, 
avaient  fuit  de  même.  » 

7.  S'insurt^  Kur,  c'est  :  établir  sa  conflanco  dans,  llaciue  avait  déjà  dit  diins 
Alexandre  (I,  m)  : 

El  vnlfo  tma  l'imnro 
■ur  II  foi  d'un  imtnl  mOiièli:  al  imrjiirt. 


ACTE   I,  SCÈNE  II.  4Î> 

Ne  sait  pas  môme  encor  si  nous  avons  un  roi. 

JOSABET. 

Mais  à  qui  de  Joas  confiez-vous  la  garde? 

list-ce  Obed,  est-ce  Amnon  que  cet  honneur  regarde/ 

Démon  père  surtux  les  bienfaits  répandus...  203 

JOAD. 

A  l'injuste  Athalic  ils  se  sont  tous  vendus  ', 

JOSABET. 

Qui  donc  opposez-vous  contre  ses  satellites'? 

JOAD. 

Ne  vous  l'ai-je  pas  dit?  Nos  prôlres,  nos  lévites. 

JOSABET. 

Je  sais  que  près  de  vous  en  secret  assemblé  *, 

Par  vos  soins  prévoyants  leur  nombre  est  redoublé;  210 

Que  pleins  d'amour  pour  vous,  d'hori  ciir  pour  Alholie, 

Un  serment  solennel  par  avance  les  lie  * 

A  ce  fils  de  David  qu'on  leur  doit  révéler. 

Mais  quelque  noble  ardeur  dont  ils  puissent  brûler  5, 

Peuvent-ils  de  leur  Roi  venger  seuls  la  querelle''?  213 

Pour  un  si  grand  ouvrage  est-ce  assez  de  leur  zc!e? 

Doutez-vous  qu'Athalie,  au  premier  bruit  semé 

Qu'un  fils  d'Okosias  est  ici  renfermé, 

De  ses  fiers  étrangers  assemblant  les  cohortes  % 

N'environne  le  temple,  et  n'en  brise  les  portes?  220 

t.  La  confiance  qu'a  Joad  en  Dieu  le  dispense  de  s'appuyer  sur  les  liommes. 
Il  s'élève  à  des  hauteurs  où  l'esprit  timide  de  Josabet  ne  le  peut  suivre. 

î.  L'Académie,  dans  ses  Sentiments  sur  Athalie,  blâme  opposer  contre.  Dans 
la  langue  latine,  cependant,  on  trouve  contra  a.\cc  opponere  et  n\cc  objicere : 
u  Non  Alpium  vallum  contra  adsccnsum  transgrossioivonique  Gallorum...  objicio 
et  oppono.  »  (Cicbnox,  Discours  contre  L.  Calpurnius  Pison,  XXXIII.)  Mathuria 
Pegnier  a  commencé  sa  cinquième  Elégie  par  ce  vers  : 
L'Iiomme  s'oppose  en  tain  ccmlre  la  destioéc. 

,3.  Racine  avait  d'abord  écrit  :  «  en  secret  rassemblé  »,  ce  qui  était  dur  à  l'o- 
reille. 

4.  Le  fait  rapporté  par  Josabet  est  historique.  Voir  Josèphc  {Antiquités  judai  ■ 
qiirs,  IX,  7),  le  livre  IV  des  Jlois  (XI,  4),  enfin  le  livre  II  des  Paralipomènes 
(XXII,  1)  :  n  Pcpigilque  cum  cis  fœJus.  —  Iniit  cum  eis  fœdus.  » 

."i.  L'.\cailémie  u  blâmé  celte  tournure  :  quelque don<,  avec  le  subjonctif. 

On  peut  la  justifier  par  l'exemple  de  La  Fontaine  (Fables,  Vlll,  iiy,  54)  : 

Qu>;lqiie  loiligiialiori  dont  leur  cœur  soit  rempli, 
et  de  Corneille  {Othon,  v.  1342)  : 

Quelipie  trouble  où  tu  sois  montre  une  âme  tranquille. 
8.  La  cause.  Corneille  a  dit  de  même  {Don  Sanche  d'Aragon,  II,  iv)  : 
Il  falUit  anjotiril'liiii  v.n^cr  Totre  querelle. 

7.  La  Bible  ne  parle  point  de  ces  Tyricos  que  la  princesse  issue  d'une  famille 
tyricnne  aurait  gardés  auprès  d'elle. 


50  ATBALIE. 

Suffirat-il  contre  eux  de  vos  ministres  saints, 

Qui,  levant  au  Seigneur  leurs  innocentes  mains  ', 

Ne  savent,  que  gémir  et  prier  pour  nos  crimes  2, 

Et  n'ont  jamais  versé  que  le  sang  des  victimes? 

Peut-fiire  dans  leurs  bras  Jous  percé  de  coups...  --"• 

JOAD. 

Et  comptez-vous  pour  rien  Dieu  qui  combat  pour  nous  '? 

Dieu*,  qui  de  l'orphelin  protège  l'innocence^, 

VA  fait  dans  la  faiblesse  éclater  sa  puissance*; 

Dieu,  qui  hait  les  tyrans,  et  qui  dans  Jezraël '' 

Jura  d'exlennincr  Achab  et  Jézabel  *  ;  230 

Dieu,  qui  frappant  Joram,  le  mari  de  leur  fille, 

A  jusque  sur  son  fils  poursuivi  leur  famille; 

Dieu,  dont  le  bras  vengeur,  pour  un  temps  suspendu', 

Sur  cette  race  impie  est  toujours  étendu  "? 

JOSABET. 

Et  c'est  sur  tous  ces  lois  sa  justice  sévère  235 

Que  je  crains  pour  le  fils  de  mon  malheureux  frère. 
Qui  sait  si  cet  enfant,  par  leur  crime  entraîné, 
Avec  eux  en  naissant  ne  fut  pas  condamné  '•? 
Si  Dieu,  le  séparant  d'une  odieuse  race, 

1.  Les  Juifs  avaient  cmlumc,  dans  leurs  prières,  d'élever  les  mains  vers  Dieu. 

2.  Le  mépris  du  sold;it,  qui  se  l).it,  pour  le  prctrc,  qui  prie,  a  inspiré  à  Casi- 
mir Del.i>if.'no  le  prcniiiT  acte  d'une  de  si'S  dernières  tragédies  :  La  plie  du  Cid. 

3.  «  Doniinus  pugu-iliil  pro  vobis.  »  {Exode,  XIV,  1-4.) 

4.  <i  Le  mot  Dieu,  iô(/éte  quatre  fois,  à  la  tclc  de  quatre  distiques  de  suite, 
donne  à  cette  plirasc  une  singulière  dignité.  »  (Li  IUrpu.)  On  trouvait  un  mou- 
vement semblublo  dans  la  dernières  scènes  de  La  mort  d'Alexandre,  de 
Hardy  : 

E(iriMitc  trop  rriielli'.  iprcoje  trop  ccrlaini'.. 
Oui  iiout  prue  d'un  lio;  !.ins  pareil  diisurniais, 
D'un  ll>'}  que  l'iniivert  riiioiiiiiu'  i  tout  jaiiiaii. 
D'un  Iti>;  qui  (Iams  la  loiiilie  iiiiportc  nul  courtg* 
D'un   Iti'j  qui  Ile  Notiur  ii^nila  loj  linii  ifct. 
D'un  Itov   qu'on  ne  fcaiirail  digni'munt  rc,;rtllcri 
Qui  (il  liailic   niilfii  heur,  et  lu  (Il  ivorlur. 

8.  «  Faoit  jtidicium  pupillo  et  viduœ.  m  {Deut.X,  18.)  —  «  Palris  orphanorum  rt 
Judiris  viduarum  (Dei).  »  {Psaumes,  LXVll,  G.)  L'Orient  exposait  assez  fréquem- 
ment le<  enfants. 

0.  Saint  Paul  a  dit  :  «  Suffioit  libi  gratia  mca  :  oam  virlus  in  infiriiiitate  pcrfici- 
tur.  »  {//  Coiinlh.,  XII,  9.) 

7.  On  se  rappelle  que  c'est  pour  obtenir  le  champ  de  Jczracl  que  Jézabcl  (It 
périr  Nabotli. 

8.  Le  serment  de  Dieu  est  exprimé  ainsi  dans  la  Gendse  (XXII,  16)  :  «  Pcr 
mcmel  ipMiin  jnravi. 

0.  Momi-ntanémrnt  arrêté.  Vultuiro  dira  dcmémc  dans  A/ana)in«  (II,  m' : 

l.a  «cugcjncc  il'UéruJc,  un  inuiuenl  iu«pcnduc. 
to.  ••  Eitcndisti  mnniim  tunni,  et  devoravit  eos  terra.  »  (Exnde,  XV,  \i.) 
II.  Les  Juifs  disaient,  ace  que  rapporte  K/.éiliicI  (XVIII,  1)  :  «  Patres  curaa* 
deruni  iivam  acrliam,  rt  dentcn  niiorum  obiliipeseuut.  ■ 


ACTE   I,    SCK.Mi;    H,  (t 

Fn  faveur  de  David  voudra  lui  faire  grAcc  ?  240 

Holas  !  l'état  horrible  où  le  ciel  mel'oiïrit  '  ^ 

Hcvieiit  à  tout  tuoincnt  ell'rayor  mon  esprit. 

De  princes  égorges  la  chambre  était  ren)plie. 

Un  poignard  à  la  main  *,  l'implacable  Alhalio 

Au  carnage  animait  ses  barbares  soldats,  213 

Et  poursuivait  le  cours  de  ses  assassinats  '. 

Joas,  laissé  pour  mort,  Trappa  soudain  ma  vue. 

Je  me  figure  encor  sa  nouirice  éperdue, 

Qui  devant  les  bourreaux  s'était  jetée  en  vain, 

\ii  faible  le  tenait  renversé  sur  son  sein  *.  2bO 

Je  le  pris  tout  sanglant.  En  baignant  son  visage, 

Mes  pleurs  du  sentiment  lui  rendirent  l'usage  ;    ) 

Kt  soit  frayeur  encore,  ou  pour  me  caresser, 

De  ses  bras  innocents  je^me  senlis  presser''. 

(irand  Dieu,  que  mon  ainoiir  ne  lui  soit  point  funeste!   "-^Siia 

Du  fidèle  David  c'est  le  précieuv  reste  *  : 

1.  Tout  ce  récit  est  de  l'invention  de  Racine. 

8.  Dans  la  première  scène  du  V  acte,  Racine  nous  montrera  encore 
Athalie,  uo  poif^nard  à  la  iiiiiin. 

.1.  Le  mot  assassin  vient,  dit  I.ittré  «  de  l'arabe  haschisch,  nom  de  la  pou- 
dre de  feuilles  de  chanvre,  avec  lai|uclle  on  prépare  le  haschiscfié.  Le  prince 
des  assassins  ou  Sciicils  ou  Vieux  do  la  montagne  faisait  prendre  du  haschisch  à 
certains  hommes  qu'on  nommait  fciduwi  ,  ces  liommes  avaient  des  visions  qui 
les  transportaient,  et  qu'on  leur  représentait  comme  un  avant-goût  du  Paradis. 
A  ce  point,  ils  se  trouvaient  déleiminés  à  tout  faire  et  le  pi  inee  les  employait  à 
tuer  des  personnages  ennemis.  C'est  ainsi  qu'une  plante  enivrante  a  fini  par 
donner  son  nom  à  l'assassinat.  » 

4.  Ces  vers  sont  une  peinture;  tout  l'effet  pioduit  tient  à  laplacede-  mots.  Le 
premier  de  ces  deux  vers  rappelle  par  sa  construction  un  vers  de  Virgile  [lin., 
II,   44)  ;  il  s'agit  de  l'riam  : 

Sic  Titus  senior,  telumqua  iiiibiille  iiaa  ictu 

CuDJCCII. 

5.  Ce  joli  vers  est  probablement  un  souvenir  du  vers  001  de  l'/un  d'Euripide  : 

E!  roTitt  Y*  «^^«;  Z'^f»;  IxTtl/ovTà  |iot. 

6.  0  Atlialie  voulut  qu'il  ne  restât  pas  un  seul  do  la  maison  de  David,,  et  elle 
crut  avoir  exécuté  son  dessein.  Il  ne  resta  fpi'un  seul,  qui  était  fils  d'Okosias. 
(JosÈruB.  IX,  VII.)  —  Voilà  le  ^ul  qui  vous  reste  de  la  maison  de  David. 
(M.  d'A>»illy,  tfaducteur  de  Jo.trphe).  —  <•  Joram...  oceidit  omnes  fratres  suos 
gladio.  iNoluit  autcin  IJoininus  dispenlere  domum  David,  proptcr  pactmn,  ilc.,  et 
quia  |iiomiserat  ut  darct  ei  lucernam  et  filiis  ejus  omni  tcmpore.  »  (//  Paralip., 
\x,  i  et  7).  —  Si  ces  pioinnssos  n'avaient  été  laites  à  la  race  de  Saloinon,  Dieu 
n'avait  qu'à  moltre  sur  le  trône  les  enfants  de  .\athan.  Le  I'.  R.  :  ■<  .losabef  con- 
serva Joas,  ut  Dieu  le  permit  pour  cmpcclii'r  que  la  race  de  David  ne  fi'it  éteinte.  • 
{Remarque  de  J.Itac.iue);  par  le  P.  II.  {l'urt-lhyal),  Racine  entend  la  Z?i6/e  dite 
rfe  Saci.  Racine  a  encore  écrit  aulre  part  :  «  Monsieur  de  Meaux  {Bossuet]  apprllc 
Joas:  u  précieux  reste  do  la  maison  Je  David.  »  Racine,  d'ailleurs,  avait  déjà  dit 
lui-même  dans  Andromaque,  (lY,  i)  : 

Il  est  du  i,\af^  d'H  dur,  mais  il  en  est  lo  relie; 
et  dttns  Dajatet,  H,  viii  : 

L«  .'ing  dci  Cllomtn!,  dont  «oui  fillei  la  rcit*. 


51  ATDALIE, 

Nourri  dans  fa  maison,  en  l'amour  de  la  loi  \ 

Il  ne  connaît  encor  d'autre  père  que  toi. 

Sur  le  point  d'attaquer  une  reine  homicide, 

A  l'aspect  du  péril  si  ma  foi  s'intimide,  260 

Si  la  chair  et  le  sang  •,  se  troublant  aujourd'hui, 

Ont  trop  de  part  aux  pleurs  que  je  répands  pour  lui, 

Conserve  l'héritier  '  de  tes  saintes  promesses, 

Et  ne  punis  que  moi  de  toutes  mes  faiblesses  ♦. 

JOAD. 

Vos  larmes,  Josabet,  n'ont  rien  de  criminel;  265 

Mais  Dieu  veut  qu'on  espère  en  son  soin 'paternel. 

Il  ne  recherche  point,  aveugle  en  sa  colère. 

Sur  le  fils  qui  le  craint  l'impiété  du  père'. 

Tout  ce  qui  reste  encor  de  fidèles  Hébreux 

Lui  viendront  aujourd'hui  renouveler  leurs  vœux*.  .  270 

Autant  que  de  David  la  race  est  respectée, 

Autant  de  Jézubel  la  fille  est  détestée. 

Joas  les  touchera  pas  sa  noble  pudeur. 

Où  *  semble  de  son  sang  reluire  la  splendeur; 

Et  Dieu,  par  sa  voix  môme  appuyant  notre  exemple,  27  ii 

1.  L'Académie  aurait  voulu  que  Racine  écrivit  dans  l'amour  de  ta  loi. 

2.  Le  mol  chair  et  le  mot  sang,  dans  lo  langage  des  Juifs,  désignent,  chacun 
séparément,  l'homme. 

3.  Celui  qui  doit  bénéûcier  de  ce  que  tu  as  promis.  C'est  là  une  expression 
des  plus  hardies. 

4.  Ce  dévouement  de  Josabet  rappelle  la  prière  d'Atalidc,  à  la  fin  du  pie- 
mier  acte  de  Bajazet  : 

0  ciel  !  li  DOlre  amour  est  cooJamné  de  loi, 
Je  fuis  II  plus  cuiipable  :  éptii^o  loul  sur  moi. 

B.  Soin  a  ici  le  sons  de  cura',  protoction,  souci,  etc. 

6.  On  lit  l'aiis  VExhdc  (XX,  5)  :  i  F.-'o  sum  Doininus  Dcus  luug  forlis,  idoles, 
risilaiis  iiiiquilatcm  p;ilrum  in  filios,  in  tcrlinm  et  quartam  ^cncratii>nem  eotum 
quiuduru/  me  .  •  Ézirliicl  (XVllI,  )!'  cl 'Jii|  a  dit  aussi  :  «  Kl  ilicilis  :  Quare  non 
purlavit  filius  iniquilal<  mpaliis?  Vidciicel,  quia  fillus  judicium  et  jiistitiatn  opae- 
raiu«  i-st.  umnia  prœcc|>la  inca  cusiodivit,  cl  focil  illa,  vive!  \ita.  Aiiimaquc 
pedcaicrit  ipaa  niorielur  :  fîlius  nun  portiidit  iiii(piilalcni  palris...  »  L'ac^idé- 
luiciru  Suarcl  (îcriv.iil  à  fx)ncorccl  à  propos  de  ce  pa>sag(}  :  «  Vous  penseï  qu'il 
J  •  contrniliclion  lorsque  Joui  dil  ; 

Dieu  ne  reclierche  point,  aTeiiRle  en  it  folirl. 
Sur  le  Sll  qui  lo  crjiiit,  l'iuipiiiè  du  pcre, 

parce  que  Joad  a  dit  préccdi'mment  : 

Hn»  qui,  frippiut  Jurarn,  le  mari  dt-  leur  tk'.'.%, 
A  jui'juc  lur  fun  nii  puuriuivi  la  raiiiille  ; 

mail  lisci  sur  le  fils  qui  le  crnint  :  voih'i  la  dilTérr>nce.  Joad  pense  que  Dieu 
ne  punit  le  fils  de*  crimes  de  son  pcrc  que  lorsque  le  (Ils  est  impie  aussi,  c'est- 
à-dire  lorsqu'il  partage  d'intonllun  les  crimes  que  le  pcrc  u  commis  de  fait. 
r>ctle  explication  toui  prouve  uue  ce  oassacc  n'est  pas  d'une  «i  grande  intolé- 
ranrr.  » 

7.  Lui  *■   rnppnrli.'  k  Juad  diisigné  dans  l'ctprcuiuQ  le  fils  yut  le  craint. 
1.  Daiit  laquelle. 


ACTE   I,   SCENE   II.  63 

De  plus  près  h  leur  cœur  parlera  dans  son  temple. 

Deux  infidèles  Rois  tour  à  tour  l'ont  bravé  •  : 

11  faut  que  sur  le  trône  un  Hoi  soit  élevé, 

Qui  se  souvienne  un  jour  qu'au  rang  de  ses  ancôlros 

Dieu  l'a  fait  remonter  par  la  main  de  ses  prôlres  -,  280 

L'a  tiré  par  leur  main  de  l'oubli  du  tombeau  ', 

Et  de  David  éteint  rallumé  le  flambeau  *. 

Grand  Dieu,  si  tu  prévois  qu'indigne  de  sa  race, 

11, doive  de  David  abandonner  la  Jrace, 

Qu'il  soit  comme  le  fruit  en  naissant  arraché,  285 

Ou  qu'un  souffle  ennemi  dans  sa  fleur  a  séché  •. 

Mais  si  ce  môme  enfant,  à  tes  ordres  docile, 

Doit  être  à  tes  desseins  un  instrument  utile, 

1.  «  Tour  à  tour  ne  se  dit  que  des  choses  qui  rcvicnncnl  plusieurs  fois  l'un» 
a^rès  l'autre.  »  (Sentiments  de  l'Académie  sur  Alhalie.) 

2.  On  le  voit,  si  la  foi  mène  Joad,  la  politique  se  joint  à  la  foi  pour  le  guider.  C'r^t 
ce  qui  a  permise  M.  Sarcey  de  dire  :  «  Son  premier  souci  a  été  de  former  en  Tue 
de  ses  desseins  futurs  l'enfant  qu'il  doit  mettre  un  jour  sur  le  trône.  Il  ne  peut 
régner  que  sous  le  nom  de  Joàs  ;  il  a  donc  pris  soin  de  lui  donner  une  éduca- 
tion qui  le  lui  asservisse...  Tandis  que  Jos.iljct  Toit  en  lui  l'enfant  qu'elle  a  élevé, 
qu'elle  aime,  pour  qui  elle  tremble,  il  n'est  pour  ce  dur  et  inOexible  Joad  que 
l'instrument  de  sa  erandeur  future.  »  (Le  Temps  du  6  octobre  1873,  Chronique 
théâtrale.)  Ces  paroles  renferment  une  part  d'injustice,  mais  aussi  une  part  d« 
Térité. 

3.  «  Oblivioni  dntus  sum,  tanqiiam  mortuus  a  corde.  (Psaumes,  XXX,  13.) 

4.  Davidest  souvent  désigné  dans  les  livres  saints  comme  le  flambeau  d'Israël. 
Voir,  par  exemple,  J  Bois,  XI,  30.  —  Massillon,  dans  son  Petit  Carême,  a  hardi- 
ment appliqué  cette  figure  biblique  au  jeune  roi  Louis  XV  :  u  Vous  qu'il  a  ral- 
lumé comme  une  étincelle  précieuse  dans  le  sein  même  des  ombres  de  la  mort 
où  il  vonait  d'éteindre  toute  votre  auguste  race,  et  où  vous  étiez  sur  le  point  de 
vous  éteindre  vous-même,  »  etc.  (Sermon  pourla  fête  de  la  Purification.)  Long- 
temps avant  Racine,  Jo.icbim  du  Bellay  avait  écrit  dans  une  ode  à  Salomon  Maria  : 

Cuidei-la  par  ta  plainte 
Soulever  un  loniheau, 
Et  d'une  vie  élcinte, 
Rallumer  le  flambeau  ' 

C'est  par  cette  image  également  que  s'ouvrira  le  Gioas  de  Métastase  : 
Eterno  DinI  Ounnue  scintilla  «neora 
La  farc  He  Da>iade. 

5.  Agrippa  d'Aubigné  avait  écrit  déjà  dans  ses  Tragiques  (La  chambre  doré'): 

Bru'le  'l'{in  vent  mauvais  jusque  dans  leun  racines 
Les  boulons  de»  premiTS  de  ces  tendre»  épine?. 
Los  imngps  employées  par  Hacinc  sont  bibliques.  On  lit  dans  Isaïo  (.XL,   24)  : 
"  Repente;  llavit  in  ros,  et  aruerunt,   et   lurbo  quasi  slipulam  aufcret  eos  •>,  ci 
dans   les  Psaumes  (C.II,  16)  :  «  Homo  sicut  fœnum  dios  ejiis,  tanqnam  dos  agri 
sic  eflloiabit.  »  —  A  propos. de  ces  vers.  Suard  écrivait  à  Condoroot  :  n  Vous  dites 
que  Joad  demande  la  mort  de  Joas,  s'il  se  conduit  avec  peu  de  piété.  Remarquai 
que  Joail  ne  dit  point  s'il  se  conduit  avec  peu  do  piété,  mais  si  Dieu  prévoit 
Qii'indijnc  de  «a  race 
*  Il  doiie  de  David  abandonner  la  trace. 

Or  combien  de  fois  n'avons-nous  pas  dit,  vous  et  moi,  de  quelque  homme  dés- 
honoré, qu'il  cijl  été  bien  heureux  pour  sa  famille  qu'il  fût  mort  au  berceau? 
c'est  un  des  vœux  les  plus  ordinaires  quand  on  parle  des  criminels  et  des  tyrans. 
On  l'a  dit  des  Ravaillacs  et  des  Nérons,  et  puisque  Joas  devait  devenir  roi,  Joad 


54  ATUALIE 

Fais  qu'au  juste  hérilierle  sceptre  soit  remis  ; 

Livre  en  mes  faibles  mains  ses  puissants  ennemis  ;  290 

Confonds  dans  ses  conseils  une  roine  cruelle  '. 

Daigne,  daigne,  mon  Dieu,  sur  Mathan  et  sur  elle* 

Répandre  cet  esprit  d'imprudence  et  d'erreur, 

De  la  chute  des  Rois  funeste  avant-coureur*. 

L'heure  me  presse  :  adieu.  Des  plus  saintes  familles  295 

Votre  (ils  et  sa  sœur  vous  amènent  les  filles. 

o'avait-il  p.is  raison  do  désirer  qu'il  mourût  plutôt  que  de  devenir  un  de  ces 
scélérats  puissants  qui  font  lo  luallieur  dos  peuples?  Ce  passage  mémo  est  d'au- 
tant pins  convenable  dans  la  liouclio  de  ce  grand  prèlie,  que  Joas  devenu  roi 
fut  rèclli'nicnt  cruel  cl  impie,  et  fil  même  périr  le  fils  de  Joad.  » 

1.  «  InTatua,  «luxso,  Domino,  consilium  Acliitopliel.  »  (//  Rois,  XV,  31.)  «  El 
dii-umpatur  spiritus  .rgypti  in  viscorilius  cjus,  et  consiiium  ejiis  praecipilabo.  » 
(IsAÎB,  XIX,  3.)  Une  des  j'Minos  filles  du  chœur  dira  de  mcnie  (III,  i) 

Uillun  !  0  Dieu  du  ciol,  puiiscs-tu  le  conroiidre  ! 

2.  On  dit  dans  les  Traijiqucs  d'Agrippa  d'Aubigné  [Jugement)'. 

Quand  lo  ternie  est  escheu  dos  diTJnes  jusUces, 

Les  rœurt  abast.irdis  lODl  infoclés  de  iices  : 

Dieu  fr.ippo  le  dedans,  oste  eutièrcmcnl 

Ii)l  relire  le  don  de  leur  enlendeiuent  : 

Puis  iiir  le  coup  qu'il  teul  nous  livrer  en  servage, 

Il  fait  fondre  le  cœur  elsiicii^r  le  courjge. 

Au  sujcl  de  ce  passage,  Suard  écrivait  encore  h  Condorcet  :  »  Vous  penseï  qu'il 
est  horrible  de  présenter  à  l'hommage  des  peuples  un  Dieu  qui  ferait  e.-.près 
lies  coupables  pour  les  uunir  ;  mais  Allialie  et  Mathan  ne  sont-ils  pas  déji 
des  coupables?  Cette  Àlhalic  qui 

Se  bji;;ne  impunéuient  d.ios  le  sao;:  de  oos  Hoii, 

Des  curants  de  ion  bli  détestable  humicide, 

•t  ce  Mathan, 

Plus  niéchanl  qu'AlhMie, 
El  de  loule  veitu  léli  pcriéculeur  t 

Joad  admet  donc  ici  le  principe,  non  pas  que  Dieu  inspire  des  crimes  pour  lei 
punir,  mais  qu'il  inspire  aux  criminels  assez  d'imprudence  et  de  mauvaise  con- 
duite mémo,  si  l'on  veut  l'entondre  ainsi,  pour  <iu'ils  se  découvrent  cux-iuciucs. 
et  quo  l'état  social  puisse  les  connaître,  les  frapper,  et  être  plus  en  sijreté.  »  Le 
meilleur  commentaire  de  ces  vers  csl  le  chapitre  ixii  du  premier  livre  des 
liais. 

3.  On  lit  dans  les  Mémoires  deComincs,  I.  V,  chap.  xviii,  p.  !80,  une  fort  belle 
page,  qui  peut  servir  de  commentaire  à  toute  la  tr.tgédic  de  Dncine  :  «  Les 
niai-advcnturc;  snni,  quand  Dieu  est  tant  olfensé,  qu'il  ne  le  veut  plus  enilurer  , 
mais  veut  mon^trcr  sa  force  et  sa  divine  justice  ;  cl  alors  prenucreiiienl  leur 
diminue  le  sons,  qui  est  grande  plaio  pour  ceux  à  qui  il  louche;  il  trouble  leur 
maison,  et  la  permet  hiiuber  en  division  et  en  murmure;  le  prince  tombe 
en  telle  indignation  envers  nustrc  Seigneur,  qu'il  fuit  les  oinscils  et  compagnies 
des  sages,  et  en  eslevo  do  tous  neufs  mal  saKcs,  mal  raisonnables,  violons, 
flatteurs  cl  qui  luy  complaisent  ii  ce  qu'il  dit.  S'il  veut  imposer  un  denier,  ils 
disent  deux  ;  s'il  menace  un  houiiuo,  ils  disent  qu'il  lo  faut  pondre  ;  et  du  toutes 
autres  choses  le  8eud)liible,  et  que  Murlout  il  se  fasse  craindre  :  et  se  monstrenl 
fiers  et  orgueilleux  eux  mêmes,  cspérans  qu'ils  seront  craints  par  es  moyen, 
comme  si  auclorilé  eslait  leur  héritage,  j 

C'eut  ici  que  la  Comédie  française  lurniinc  lo  premier  acte,  sans  doute 
parce  que  les  fiUet  de  Lévi  i|u'elle  nous  moniro  sembleraient  plutôt  les  tantri 
que  les  enfants  de  Josabet  ;  nous  y  perdons  un  fort  j<di  couplcl  ;  ensuite,  lori- 
quc  '/acharie  fera  i"on  entrée  au  second  acte,  il  nous  sera  inionnu,  et  la  précau- 
tion qu'a  prise  llacine  d''  nous  inslruii'c,  &  la  On  du  premier  «cte,  qu'il  itctuiu- 
piiro4  son  père,  sera  perdue. 


ACTE   I,    SCENE    IV.  35 

scI':ne  III. 

JOSAHF.T,  ZACIIARIE,  SALOMITIl  >,  i.e  cl.  :ua. 

JOSABET. 

r.hcr  Zacharic,  allez,  ne  vous  arrûtez  pas, 

De  voire  aiigusic  père  accompagnez  les  pas. 

C)  filles  de  Lovi  ^,  Iroupc  Jeune  et  fidclc, 

(Jue  déjà  le  Seigneur  embrase  de  son  zèle,  300 

Uui  venez  si  souvent  parlagor  mes  soupir.-, 

Ilnf.mls,  ma  seule  joie  en  mes  longs  déplaisirs', 

(>es  festons  dans  vos  mains,  et  ces  fleurs  sur  vos  tôles* 

Autrefois  convenaient  à  nos  pompeuses  fêtes. 

Mais,  hélas  !  en  ce  temps  d'opprobre  et  de  douleurs,         30"i 

(Juelle  oll'rande  sied  mieux  que  celle  de  nos  pleurs  '' 

J'cnlends  déjà,  j'entends  la  trompette  sacrée*, 

l.'l  du  temple  bientôt  on  permellra  l'cnlrée. 

Tandis  que  je  me  vais  préparer  à  marcher'^, 

Chantez, louez  le  Dieu  que  vous  venez  chercher',  :H0 

SCÈNE  IV. 

LE  CHOEUR. 

TOL'T     LE     CUŒLR    chante. 

Tout  l'univers  est  plein  de  sa  magnificence '. 
Qu'on  l'adore  ce  Dieu,  qu'on  l'invoque  à  jamais*. 
Son  emjiire  a  des  temps  précédé  la  naissance. 
Chantons,  publions  ses  bienfaits. 

I.  S..lomilli  l'sl  un  nom  d'invi  nlion. 

î  La  présence  de  ces  jeunes  filles  dans  le  (cmple  n'a  rien  do  surprenant. 
I  intitulé  de  quelques  psaumes  indique  qu'ils  devaient  ctre  chantés  par  de» 
f-mmcs  ou  par  des  iouncs  filles. 

3.  Allusion   à  llailamc  de  Maintenon  et  à  la  maison  de  Saint-C.yr. 

4.  Dover  dans  sa  Judith  (I,  iv)  et  André  Cliénicr  ont  tous  deux  imité  ce  ver», 
c!:acuo  comme  il  pouvait  l'imiter  : 

Lci  lampes  duni  leurt  maiiii,  el  Ici  Qliiii  !ur  leiiri  lètci. 

(BOYBR.) 

El  d'.'S  ncuri  djni  tes  mtini  cl  des  fleurs  sur  si  tjle. 

(André  CusNiBR.) 

5.  Voir  la  note  du  vers  6. 

6.  Marcher,  c'est  aller  en  procession  solennelle  au  lieu  saint 

Da  la  inoi'soii  notircllo  nlTrir  les  preiiiicrt  fruits. 

7.  Chercher  Diru,  c'est  pénétrer  dans  le  taheinaclc. 

8.  Le  fhinur  li'Mhalic  s'intéresse  'oujours  à  l'action.  Il  cliinic  ici  la  grandtur 
d.i  liioudans  lequel  Joad  a   mis  toute  sa   confiance. 

9.  A  jamais,  c'est  :  in  avum,  dans  tout  lo  temps  n  venir. 


•  «  ATHALIE. 

PNE     VOIX     s.rulf. 

En  vain  l'injuste  violence  315 

Au  peuple  qui  le  loue  imposerait  silence*  : 

Son  nom  ne  périra  jamais. 
Le  jour  annonce  au  jour  sa  gloire  et  sa  puissance*. 
Tout  l'univers  est  plein  de  sa  magnificence. 

Chantons,  publions  ses  bienfaits.  320 

TOUT    LE    CHŒL'R    répète. 

Tout  l'univers  est  plein  de  sa  magnificence: 
Chantons,  publions  ses  bienfaits. 

DNE     VOIX    seule. 

Il  donne  aux  fleurs  leur  aimable  peinture'. 
Il  fait  naître  et  mûrir  les  fruits  ; 
11  leur  dispense  avec  mesure  *  325 

Kl  la  chaleur  des  jours  et  la  fraîcheur  des  nuits  ; 
Le  champ  qui  les  re(;ut  les  rend  ave  usure  '. 

l'NE     AUTRE. 

Il  commande  au  soleil  d'animer  la  nature, 
Et  la  lumière  est  un  don  de  ses  mains'; 

Mais  sa  loi  sainte,  sa  loi  pure  330 

Est  le  plus  riche  don  qu'il  ait  fait  aux  humains. 

UNE      AUTRE. 

0  mont  de  Sinaï,  conserve  la  mémoire' 
De  ce  jour  à  jamais  auguste  et  renommé, 

1.  11  y  a  dans  ce  vers  une  rencontre  de  voyelles  plus  désngréablc  qu'un  hiatus. 

2.  Il  Cœli  enarrant  ploriam  Dci,  et  opéra  nianuum  ejus  annuntint  firmamcnlnm. 
Dies  dici  éructât  veibura,  et  nox  nocli  indioat  scientiam.  »  {Psaumes,  XVllI,  1, 
2).  —  J.-B.  Rousseau  (Liv.  I,  ode  ii)  a  imité  Racine: 

I,e  jour  au  junr  la  ré»cle, 
La  iiiiil  l'ïiiiijiice  à  U   nuit. 

3.  Racine  s'est  souvenu  sans  doute  de  ces  vers  de  Régnier  dans  la  belle  Sa- 
tire II,  à  Monsieur  Jtapin. 

Sçirhei  qui  donne  tuT  Beiiri  celle  limahle  |<eintur«, 
QurlU-  main  iiir  la  lerre  an  broyé  la  couleur 

tLiirct  •vait  dit  aussi  dans  sa  Sylvaitire  : 

Je  m*  plairait  A  Toir  l'aiirrable  peinture 

Qui  temble  dam  iioi  chiii>|ii  rajeunir  la  nttur*. 

4.  Dispenser,  c'est  distribuer,  répartir. 

5.  Avec  intérêts,  en  plus  grande  abondance. 

6.  •  Tuus  est  dies,  et  tua  est  noi  :    tu  fabricatus  es   aur.ir.im    et    solcin.   i 

il'snumrs.  LXXIII,  10.)  —  «  L'expression  un  don  de  ses  mains,  eu  parlant   d-- 
a  lumière,   a   paru  à  f|ueli|ues-uns  une  expression  impropre.  »  {Sentiments   de 
l'Académie  iur  Athalie.)  J.-O.  Rousseau  dira  (Liv.  I,  Ode  ii)  : 
I)jna  une  ériilanle  «iiAla 
Il  a  placé  di!  tet  mairii 
Ce  Kilcil,  qui,  dam  r.t  rnuU, 
Eclaiie  loui  l«i  liuaiaiDt. 

'/.  L'admirable  mnrrc.iu  qui  VA  Ruivre  est  un  éloquent  et  poétique  réiuroé  dM 
etiauitri'i  iix  et  ii  de  \'/Cinde- 


ACTE   I,    SCENE   IV.  57 

Quand,  sur  ton  sommet  enflammé, 
Dans  un  nuage  épais  le  Seigneur  enfermé  *  335 

rit  luire  aux  yeux  mortels  un  rayon  de  sa  gloire. 

Dis-nous  pourquoi  ces  feux  et  ces  éclairs. 
Ces  torrents  de  fumée,  et  ce  bruit  dans  les  airs. 

Ces  trompettes  et  ce  tonnerre  : 
Venail-il  renverser  l'ordre  des  éléments  *  ?  340 

Sur  ses  antiques  fondements  ' 

Venait-il  ébranler  la  terre? 

ONE    AUTRE. 

Il  venait  révéler  aux  enfants  des  Hébreux 

De  ses  préceptes  saints  la  lumière  immortelle. 

11  venait  à  ce  peuple  heureux  34o 

Ordonner  de  l'aimer  d'une  amour  éternelle  *. 

TODT    LE    CHŒUR. 

0  divine,  ô  charmante  loi!  * 
0  justice,  ô  bonté  suprême! 
Que  de  raisons,  quelle  douceur  extrême  • 
D'engager  à  ce  Dieu  son  amour  et  sa  foi  !  350 

UNE   VOIX    seule. 

D'un  joug  cruel  il  sauva  nos  aïeux  '', 
Les  nourrit  au  désert  d'un  pain  délicieux  ^, 


1 .  «  Plusieurs  ont  cru  qu'enfermé  ne  peut  se  dire  pour  enveloppé.  »  (Senti- 
ments de  l'Académie  sur  At/talte.)  Cette  critique  racsquine  était  tout  ce  qu* 
I  .Vcadémie  trouvait  à  dire  sur  ce  passage  sublime. 

i.  Le  moi  étémenll,  dans  le  sens  où  il  est  pris  ici,  n'est  point  biblique. 

3.  Un  grand  nombre  de  passages  des  Écritures  portent  le  mot  fondementt  dans 
celte  acception. 

4.  N'oublions  pas  que  Moïse,  avant  Jésus,  avait  donné  pour  base  à  ses  pré- 
ceptes l'nraour  de  Dieu. 

5.  «  Charmante  a  paru  faible,  surtout  après  divine.  »  {Sentiments  de  l'Aca- 
démie sw  Athalie.)  —  J.-B.  Kousseau  a  enrore  imité  ces  vers  (Liv.  I,  Ode  ii)  : 

I.oi  stinto,  loi  dé-ira1i!<'. 
Ta  riche'5(>  est  pnlirable 
A  la  rirluasc  du  l'or  ; 
m  ta  do'icutir  est  ptreill« 
Au  miel  dont  la  jeune  abeille. 
Compose  son  cher  IrcJor. 

6  L'Académie  s'est  partagée  sur  cette  grave  queslinn  de  savoir  si  Racine 
kt  ait  le  droit  de  dire  extrcnie  après  quelle. 

7.  Allusion  &  la  sortie  d'Egypte. 

8.  Allusion  à  la  manne  dont  Dieu  nourrit  les  Hébreux  pendant  leur  séjour  en 
Arabie.  La  botanique  appelle  maniii!  une  sorte  de  gonimo  qui  découle  des 
feuilles  du  tamaris  ouvertes  par  la  piqûre  d'un  insecte;  celte  gomme,  congelée 
et  mêlée  à  de  la  farine,  forme  une  sorte  de  pain.  Mais  on  a  remarqué  que  le  ta- 
maris ne  se  rencontre  pas  dans  le  pays  de  CJianaan,  où  Dieu  continua  a  donner 
sa  manne  à  son  peuple.  On  attribue  à  ce  mot  de  manne  uneélymologie  bizarre  : 
les  Hébreux,  à  la  vue  de  cette  chose  étrange  répandue  sur  le  (ol,  se  seraient 
dumandé  les  uns  aux  autres  :  «  Mao  ?  Qu-est-ce  que  c'est  ?» 


58  AIUALIE, 

11  nous  donne  ses  lois,  il  se  donne  lui-ni6nie  '. 
Pour  tant  de  biens,  il  commande  qu'on  l'aime. 

LE     CEŒUa. 

0  justice!  ô  honte  suprême!  3;i:i 

LA    MÊME     VOIX.  . 

Des  mers  pour  eux  il  enir'ouvrit  les  eaux'; 
D'un  aride  rocher  fit  sortir  les  ruisseaux  *. 
11  nous  donne  ses  lois,  il  se  donne  Ini-nn^me. 

Pour  tant  de  biens,  il  commande  qu'on  l'aime. 

LE    CHŒUR. 

0  divine,  ô  charmante  loi!  3C0 

Que  de  raisons,  quelle  douceur  exlrèmc 
D'engager  à  ce  Dieu  son  amour  et  sa  foi  ! 

UNE     AUTRE    VOIX    seule. 

Vous  qui  ne  connaissez  qu'une  crainte  servile*, 
Ingrats,  un  Dieu  si  bon  ne  peut-il  vous  charmer*. 
Est-il  donc  à  vos  cœurs,  est-il  si  dinicile  3C3 

Et  si  pénil)le  de  l'aimer? 
L'esclave  craint  le  tyran  qui  l'outrage'; 
Mais  des  enfants  l'amour  est  le  partage. 
Vous  voulez  que  ce  Dieu  vous  comble  de  bienfaits, 

Et  ne  l'aimer  jamais  '  ?  370 

I.  Od  lit  dans  les  Sentiments  Je  l'Académie  française  sur  Alhalie  :  •  //  se 
donne  lui-mi'mc  ne  se  peut  dire  que  soiis  la  loi  nouvelle  ;  cette  proposition 
est  trop  étrangère  à  l'ancienne  loi.  »  L'Académie  n'était  pas  dans  le  vrai,  plus 
que  Racine  :  cotte  expression  ne  se  rencontre  que  dans  les  Epitres  de  saint 
Paul  ;  on  ne  la  trouve  jamais  dans  la  loi  nouvelle,  c'est-h-dire  dans  l'Evangile. 

î.  Allusion  au  passage  de  la  mer  Rouge,  à  la  sortie  d'KgypIe.  C'est  le  golfe 
Uéi'Opolitain,  sablonneux  et  peu  profond,  qu'ont  franchi  les  liébreux.  .Nous  lais- 
sons à  U.  Athanase  rx)quercl  toute  responsabilité  dans  l'explication  suivante  de 
ce  miracle  :  «  Le  prodige  n'a  rion  que  de  naturel,  pour  ainsi  dire,  et  /'/  est 
étrange  qu'on  s'y  soit  trompé.  Le  vent  d'Arabio  ou  d'Orient  a  soufflé  toute  la 
nuit.  Au  lever  du  jour,  les  eaux  amoncelées  au  delà  de  qiicl(|uc  pli  du  terrain 
laissaient  un  passngr  libre;  le  changement  du  vent  les  a  fait  rclluer.  (Exode, 
XIV,  21.)  L'intervention  divine  est  ici,  comme  en  une  foule  d'autres  exemples, 
dans  l'opportunité  du  moment  et  la  présence,  In  nnrolc  du  prophète.  » 

3.  Nous  reproduisons  ici  encore  tcxliirllcmcnt  les  paroles  de  M.  Atlianase  Co- 
qucrcl  :  u  Souvenir  du  séjour  de  Déphidmi,  h  peu  de  distance  du  Sinaï,  et 
quarante  ans  après,  de  Kndés  en  Parnn.  La  m^mo  remarque  qu'on  vient  de  lire 
s'applique  i  ces  deux  récits.  Toutes  les  montagnes,  tous  les  sols  même  ont  des 
sources  cachées  duns  leurs  flancs,  dans  leurs  profondeurs,  et  ces  sources  jail- 
lissent des  qu'une  ouverture  leur  est  livrée.  C'est  en  ce  sens  que  le  Psalmisto 
rappelle  et  célèbre  ce  bienfait.  >,  {Psaumcs,\.\\\\\,  Iftet  CXIII,  8.) 

■\.  Digne  d'un  esclave,  basse,  rampante;  Roilciiu  a  écrit,  au  chapitre  tu  du 
Traité  au  SuLlime  «  des  inclinations  basses  et  serviles  », 

5.  «  Plusieurs  ont  trouvé  le  mot  charmrr  faible  et  impropre.  »  {Sentiments  dé 
l'Académie  sur  Athalie.) 

0.  Certains  académiciens  ont  trouvé  faible  le  mot  outrage,  CD  parlant  d'un 
Ijian  vifc-.'ivis  de  son  esclave. 

7.  Ce  sont  là  des  vers  jaoséoistoi,  qu*  Racine  a  ajoutés  à  ion  drame  eo  1(>07. 


ACTE   I,    SCÈNE  IV.  89 

TOUT    LE    CHŒDR. 

0  divine,  6  charmante  loi! 
0  justice!  ô  bonté  suprême! 
Que  de  raisons,  quelle  douceur  extrême 
D'engager  à  ce  Dieu  son  amour  et  sa  foi  !  ^ 

Uo  canonistc  de  la  Compagnie  de  Jésus  s'était  attiré,  pour  certaines  théories 
sur  l'amour  que  l'on  doit  à  Dieu,  la  foudroyante  réplique  qui  termine  la  X°  Pro- 
vinciale Ac  Pascal.  Madame  de  Sévigné,  écrivant  à  Madame  deGrig-nan,  le  15  jan- 
vier 1690,  lui  raconte  une  querelle  qui  s'est  engagée  à  ce  sujet  chez  M.  de  La- 
moignon  entre  Boileau  et  un  Jésuite  :  «  Dospréiux  s'échaufTc,  et  criant  comme 
un  fou  :  i<  Quoi,  mon  Père,  direz-vous  qu'un  des  vôtres  n'ait  pas  fait  imprimer 
dans  on  de  ses  livres  qu'un  chrétien  n'est  jias  forcé  d'aimer  Dieu?  Osez-vous 
dire  que  cela  est  faux?  —  Monsieur,  dit  le  Père  en  fureur,  il  faut  distinguf^r. 
—  Distinguer,  dit  Dcspréam,  distinguer,  morbleu  !  distinguer,  distinguerai 
nous  sommes  obligés  d'aimer  Dieu!  »  et,  prenant  CorbinoUi  par  le  bras,  s'cnlUlt 
au  bout  delà  chambre;  puis,  revenant  et  courant  comme  un  forcené,  il  ne  vou- 
lait jamais  se  rapprocher  du  Père.  »  C'est  &  la  suite  de  cette  querelle  que,  par  une 
prosopopâe  plaisante,  Dospréaux,  dans  une  satire  intitulée  V Amour  de  Pieu,  fera 
dire  à  Dieu  ouvrant  ses  bras  à  ceux  qui  ne  l'aiment  point  : 

Entrez  auci«l,  fonei,  comblée  di  mes  louanges. 
Du  besoin  d'aiinerDieu  désabuser  Ici  angci. 

EnajoutiiTt  ces  deux  vers  à  Alhalia.  notre  poète  preuail  le  parti  de  Boileau 
contre  la  compagnie  de  Jésus.  Les  .lansénistes  furent  ravis  des  vers  de  Racine, 
parce  qu'ils  venaient  de  Racine,  et  l'évéqec  de  Marra  les  oita  dans  son  Apologie 
dei  Lettres  Provinciale». 


ACTE   DEUXIÈME 

SCÈNE  I. 
JOSABET,  SALOMITH,  le  chœub. 

JOSÂBET. 

Mes  filles,  c'est  assez;  suspendez  vos  cantiques.  375 

11  est  temps  de  nous  joindre  aux  prières  publiques. 
^  oici  notre  heure.  Allons  célébrer  ce  grand  jour, 
El  devant  le  Seigneur'  paraître  à  notre  tour. 

SCÈNE  IL 

ZACHARIE,  JOSABET,  SALOMITH,  le  chœdr. 

JOSABET. 

Mais  que  vois-je?  Mon  fils,  quel  sujet  vous  ramène  *? 

Où  courez-vous  ainsi  tout  pâle'  et  hors  d'haleine?  380 

ZACHARIE. 

0  ma  mère  1 

JOSABET. 

Hé  bien,  quoi? 

ZACUARIE. 

Le  temple  est  profané, 

JOSABET. 

Comment? 

ZACHARIE. 

Et  du  Seigneur  l'autel  abandonné. 

JOSABET 

Je  tremble.  Hùtez-vous  d'éclaircir*  votre  mère. 

t.  •  Devant  le  Seigneur  »,  c'est-à-dire  devant  le  saocluaire  où  Dieu  était  censé 
résider. 

*.  C'cit  ici  que  la  Comédie  Française  commence  le  lecond  acte.  Le  raccord  se 
(uit  tant  bien  que  mal. 

3.  Ces  deux  mot»,  placés  nu  commoncoraenl  du  second  hômisliciie,  produisent 
ic°  moins  d'elTct  que  dans  lîst/ier  (U,  i)  : 

'  '  Keitttu  de  binbéaiit,  tout  pftie... 

4.  Éclairer,  instruire,  comme  dans  Drilannicus  (IV,  ii)  g 

rignnre  it  quel  criino  on  t  pu  ii>«  onircir. 

Ou  loui  c<<ix  qua  j'tl  faili  J«  «tli  >«ui  écUlrcIf» 


ACTE  11,  SCliNE  II.  01 

ZACQARIE  '. 

Déjà,  selon  la  loi,  le  grand  prôtre  mon  père, 

Après  avoir  au  Dieu  qui  nourrit  les  humains  383 

Delà  moisson  nouvelle  oiïert  les  premiers  pains  ^ 

Lui  présentait  encore  entre  ses  mains  sanglantes 

Des  victimes  de  paix  les  entrailles  fumantes  '. 

Debout  à  ses  côtés  le  jeune  Eliacin 

Comme  moi  le  servait  en  long  habit  de  lin  *;  390 

Et  cependant^  du  sang  de  la  chair  immolée 

Les  prêtres  arrosaient  l'autel  et  l'assemblée  •'. 

Un  bruit  confus  s'élève,  et  du  peuple  surpris'' 

Détourne  tout  à  coup  les  yeux  et  les  esprits , 

Une  femme...  Peut-on  la  nommer  sans  blasphème?  395 

Une  femme...  C'était  Athalie  elle-même  •• 

josâbet 
Ciell 

ZACOAUIE. 

Dans  un  des  parvis  aux  hommes  réservé 
Cette  femme  superbe  entre,  le  front  levé, 
Et  se  préparait  môme  à  passer  les  limites 
De  l'enceinte  sacrée  ouverte  aux  seuls  lévites  '.  400 

1.  Zacliarie  doit  montrer  la  foi  ardente  et  l'impûtuosité  intrépide  d'un  tout 
jeune  homme.  Il  faut  en  outre  qu'on  sente  en  lui  le  fils  de  Joad.  Ce  rôle  était  re- 
marquablement tenu  lors  de  la  dernière  reprise  d' Athalie  à  la  Comédie  Française. 

2.  Le  jour  de  la  Pentecôte,  on  offrait  à  Dieu  deux  pains  du  nouveau  blé,  et  la 
dixième  partie  d'un  cplia  de  grain. 

3.  H  On  présentait  au  temple  sept  agneaux  de  l'année,  un  veau  et  deux  bé- 
liers, pour  être  offerts  en  holocauste,  deux  agneaux  en  hosties  pacifiques,  et  un 
bouc  pour  le  péché.  »  (Don  Cilmkt,  Dictionnaire  de  la  Bible,  Pentecôte.) 

4.  C'est  sous  un  habit  de  lé^ite  que  l'on  a  caché  le  jeune  Joas.  Zacharia 
signale  la  présence  d'Lliacia  à  cause  de  l'impression  qu'il  a  produite  sur  Athalie; 
voir  le  vers  414. 

5.  Pendant  ce  lonips-là. 

6.  Moïse  arrosa  une  fois  le  peuple  de  sang,  pour  indiquer  qu'ainsi  serait  ré- 
pandu le  sang  de  quiconque  enfieiiidiait  la  lui  ;  ni:iis  cela  n'était  point  une 
cérémonie  ordinaire.  Voici  le  texte  de  l'L'xode  (XXIV)  sur  lequel  s'est  appuyé 
Racine  :  «  llle  (Moyses)  vcro  sumptum  sanguinera  rcspersit  in  populum...  ■■,  ft 
dans  VEpitre  de  saint  Paul  aux  Hébreux  (IX,  19  et  21)  :  «  Lecto  enim  onini 
mandato  Icgis  a  Moyse  univcrso  populo,  actipiens  sanguineni  vilulorum  et  liir- 
corum,  cum  aqua  et  lana  corcinea  et  hys.sopo,  ipsuin  quuque  librum  et  onineni 
populum  aspei-sit...  Etiam  tabcrnaculum  et  umnia  vasa  mlui:>terii  sanguine  situi- 
liter  aspersit.  » 

7.  Ud  bri'it  coiifiit  s'clève,  et  chacun  dil  pour  soi. 

(l'L'nBTiiinu,  Le  jeu,  de  boules  des  Procureurs.) 

8.  Voltuiie,  qui  a  souvent  admiré  Racine  au  point  d'adopter  quelques-uns  ds 
ces  vers,  a  placé  dans  sa  IJenriade  cette  suspension  et  cette  répétition: 

Uni-  feriiiiii'  ..  Grand  Dieu!  Tiul-il  à  la  mémoire 
Coiiscrtei  K:  lecit  de  cette  buritile  biitvirc  7 
Une  femme.... 

9'  Il  s'affit  ici  de  la  cour  intérieure,  où  était  dressé  l'autel  des  bolocaustei. 


et  ATUAL(E. 

Le  peuple  s'épouvante,  et  fuit  de  toutes  parts. 

Mon  père. . .  ah!  quel  courroux  animait  ses  regards  *! 

Moïse  à  Pharaon  parut  moins  formidable  *  : 

«  Reine,  sors,  a-t-il  dit,  de  ce  lieu  redoutable, 

D'où  te  bannit  ton  sexe  et  ton  impiété.  403 

Vienslu  du  Dieu  vivant  braver  la  majesté  ''?  » 

La  Reine  alors,  sur  lui  jetant  un  œil  farouche. 

Pour  blasphémer  sans  doute  ouvrait  déjà  la  bouche. 

J'ignore  si  de  Dieu  l'ange  se  dévoilant 

Kst  venu  lui  montrer  un  glaive  étincelant*  ;  410 

Mais  sa  langue  en  sa  bouche  à  l'instant  s'est  glacée  ', 

Et  toute  son  audace  a  paru  terrassée. 

Ses  yeux,  comme  effrayés,  n'osaient  se  détourner»  ; 

Surtout  Éliacin  paraissait  l'étonner  '. 

JOSABET. 

Quoi  donc?  Éliacin  a  paru  devant  elle  '?  415 

ZACBAUIE. 

Nous  regardions  tous  deux  cette  reine  cruelle, 
Kt  d'une  égale  horreur  nos  cœurs  étaient  frappés. 
Mais  les  prêtres  bientôt  nous  ont  enveloppés. 

1.  Toutes  ces  suspensions  prouvent  l'émotion  violente  de  Zacliarie.  —  Voltairs 
a  écrit  dans  sa  Mérope  (V,  w)  :  ^ 

"  Sa  more...  tb  !  que  l'tinour  inspire  de  courage  ! 

i.  On  sait  que  l'haraon  nVsl  pas  un  nom  d'homme,  mais  le  titre  commun  à 
loiis  les  souverains  d'Kpyptc.  .Moïse,  selon  toute  probabilité,  eut  à  lutter  contre 
Il  )!•  on  Horus,  le  neuvième  roi  do  la  dix-huiticme  dynastie. 

5.  C.etlo  expression  est  très  usitée  dans  les  livres  sacrés  :  «  Seietis  quod  Do- 
niious  Deus  vivens  in  medio  vestri  est.  »  (Josué,  111,  10.) 

4.  «  Prolinus  npcruit  Dominus  oculos  Balaam,  et  vidit    angelum   st.intem  in 
\iaevaginatu  pl.idio.  »  (Nombres,  XXII,  31.)  «  l.cvansque  David  oculos  suos,  vidit 
anpelum  doniini    st.inlcm    inter    cœlum   et    terrnni,  et  cvoginatum  gladium   iu 
Djuiiu  ejus.  »  (I,  ParaUp'imrncs ,  xxi,  IG.)  —  Joad  dira  de  même  (IV,  it): 
"  '  Sonjot  qii'aiilKiir  de  toui 

I  *tn;e  extL'rmiiiateur  ett  dcbuut  arec  toui. 

ft.  S  .nonir    't  Virgile  [Enéide,  111,  48  ): 

Ol'itupui,  sit'tcriintqiie  coiiix,  et  toi  Taueibui  lic'il. 

L'élouiiciiieiil  d  .^.tlialic  est  si  profond,  elle  est  si  troublée  de  la  ressemblance 
(le  rel  enfant  avec  celui  qu'elle  a  vu  rn  songe,  qu'elle  oublie  l'insolence  du 
(.-rand  prêtre.  —  Josèpbe,  que  Rarine  avait  lu,  nous  raronle  au  livre  XI,  chapitre 
\iii,  de  ses  Autiqtiités jiidaïquis ,  qu'en  .Tirivant  à  Jérusalem,  Alexandre  reconnut 
le  grand  pièire   <'>nd(liis  qu  il  av;iil  vu  en  songe. 

6.  Il  >  a  là  comme  une  r:>seinalirin  ;  Alliiilie  ne  peut  distraire  ses  veut  de  ce 
visage,  dont  la  vue  la  glace  d'elTioi. 

7.  Etonner  a  ici  toute  la  forre  du  sens  étymologique  :  étourdir  comme  d'un  coup 
de  fiiudrc  :  •  0  nuit  d/KasIreiifc  !  ô  nuit  cITioyablc  !  où  retentit  tout  à  coup 
eiiMinie  ut  éclat  de  tonnerre  celle  étonnante  nouvelle;  Mndame  se  meurt' 
Madame  est  morte!  »  (Uonhi  kt.  Oraison  funrirc  d'JJniridie  d'Angleterre.^ 

K.  /aeliaria  oc  peut  comprendre  l'angoiase  contenue  dans  cette  ioterrogation  de 
Ju>4bet. 


ACTE  II.    SCENE  III.  «| 

On  nou3  a  fait  sortir  '.  J'ignore  tout  le  rosle, 

Et  venais  vous  conter  ce  désordre  funeste  '.  420 

JOSABET. 

Ah  !  de  nos  bras  sans  doute  elle  vient  l'arracher'  ; 
Et  c'est  lui  qu'à  l'autel  sa  fureur  vient  chercher*. 
Peut-ôtre  en  ce  moment  l'ohjot  de  tant  de  larmes... 
Souviens-toi  de  David,  Dieu,  qui  vois  mes  alarmes  \ 

SALOMITH. 

Quel  est-il,  cet  ol)jet  des  pleurs  que  vous  versez?  425 

ZACUARIE. 

[.es  jours  d'iiliacin  seraient-ils  menacés? 

SALOMITH. 

Aurait-il  de  la  Reine  attiré  la  colère  ? 

ZACHARIE. 

Que  craint-on  d'un  enfant  sans  support  et  sans  père  '  ? 

JOSABET. 

.Vh  !  la  voici.  Sortons   II  la  faut  éviter. 


sci:nr  III. 

ATIlÂLIE,  AGAR,  ABNER,  suite  d'athalik. 

AGÂR.  ■ 

.Madame,  dans  ces  lieux  pourquoi  vous  arrêter?  430 

Iri  tous  les  ol)jets  vous  blessent,  vous  irritent. 
Abandoimez  ce  temple  aux  prêtres  qui  rh.ibilent  ; 
Fuyez  tout  ce  tumulte,  et  dans  votre  palais 
.\  vos  sens  agités  venez  rendre  la  paix  ''. 

1.  Kxiilemnient  sur  l'ordre  de  Joad. 

î.  Funeste  a  ici  le  sens  étymologique,  et  éveille  dos  idées  de  morl. 

3.  Oe  mes  bras  tout  san^-lants  il  raiidrn  rarracher, 

disait  Clytemncstre  dans  Ifihiqt'inie  (IV,  \y). 

4.  On  U:  voit,  la  tendre  Josal^ct  est  prompte  à  s'inquiéter. 

5.  r.c  mouvement  vers  Dieu,  cotte  incpiloluda  qui  se  termine  en  prière,  sont 
d'im  l)ol  cil'ut.  —  «  Mcmonto,  domine,  David.  »  (Piaii/ne*,  GXXXI,  1.) 

6.  lin  support  e.'it,  au  moral,  ce  qui  soutient,  comme  fait  le  support  pour  ce 
qu'il  a  sur  lui.  C'est  ainsi  que  Malherbe  a  dit  (VI,  18  )  : 

Priain,  qui  lit  «cl  (Ils  aballu)  par  Achille, 
Dénué  (le  'uppori,  etc. 

7.  Le  mot  sens  désigne  ici  :  la  Faculté  de  sentir,  l'intelligence  ;  on  f:ii«ait  de  ce 
mot  un  usage  froijucnt  au  dix-septième  siècle.  C'est  ainsi  que,  dans  les  Plaideurs 
(11,  II),  lsal>cllc  dira  à  l'Intimé  : 

Ah!  l'Intima,  parJonne  à  mes  !ens  étonnés. 

Nous  avons  vu  à  la  Comédie  Française  couper  le  rôle  d'Ag:ir;  nous  ne   sdvuus 


6  4  ATOALIE.' 

ATII  ALIE. 

Non,  je  ne  puis  :  tu  vois  mon  trouble  et  ma  faiblesse  *.    435 
Va,  fais  dire  à  Mathan  qu'il  vienne,  qu'il  se  presse-; 
Heureuse  si  je  puis  trouver  par  son  secours 
Celte  paix  que  je  cherche  et  qui  me  fuit  toujours'. 

(Elle  s'assied). 

si  c'est  une  habitude.  11  est  ennuyeux,  nous  en  convenons,  de  faire  venir  une 
actrice  au  théâtre  pour  un  rôle  de  cinq  vers  ;  mais,  outre  que  par  suite  do  cotte 
coupure,  le  dernier  vers  de  la  scone  n  n'a  plus  de  rime,  c'est  se  moquor  du 
public- et  de  Rncinc,  ce  qui  n'est  pas  moins  grave,  que  de  montrer  une  Atlialie 
qui  arrive  sur  le  tliiâtre  en  parlant  à  la  oantonade. 

1.  Dans  \cMauuel  du  Théâtre  Français,  le  marquis  de  La  Rochcfoucault-Lian- 
court  a  dit  de  mademoiselle  Dumcsnil  dans  lo  rôle  d'Athalio  :  «  Son  entrée  sur  le 
théâtre  était  cITrayante.  Elle  jetait  autour  d'elle  des  regards  furieux  et  remplis  à  la 
l'ois  de  menace  et  de  terreur.  Klle  p  iraissait  poursuivie  par  la  colère  céleste,  et 
fuyant,  pour  ainsi  dire,  devant  un  IJieu  vengeur.  Elle  se  remetloit  ensuite,  rappe- 
loit  sa  fierté,  et  commençoit  d'un  ton  noble  et  tranquille  le  récit  de  ce  songe,  1  un 
des  plus  beaux  morceaux  de  poésie  qu'on  ait  jamais  entendus  sur  la  scène  tragi- 
que. Mais  bientôt,  se  pénétrant  des  images  que  lui  rofraçoit  le  souvenir  de  ce 
Bongc  funeste,  elle  les  rendait  présentes  aux  yeux  des  spectateurs.  On  croyoit 
la  voir  successivement  tendio  les  bras  vers  l'ombre  de  sa  mère,  se  détourner  avec 
horreur,  en  trouvant,  au  liou  d'elle,  un  horrible  attias  de  membres  déchirés  et 
sanglants,  se  rassurer  ensuite  à  la  vue  d'un  jeune  enfant  vêtu  d'un  long  habit 
lie  lin,  et  porter  enfin  sa  main  sur  la  blessure  qu'elle  scmbloit  recevoir  encore. 
Ce  n'étoit  plus  un  récif,  ce  n'étoit  plus  un  songe,  c'éfoit  un  fait,  une  aolion 
véritable.  »  Théophile  Gautier  a  dit  de  Raehel  dans  le  même  rôle  :  u  Son  en- 
trée, au  second  acte,  est  admirable.  Mademoiselle  Raehel  possède  ce  don  suprême 
qui  fait  les  grandes  tragédiennes  :  l'autorité.  A  sa  vue  seule,  on  comprend  sa 
puissance;  dans  son  maintien,  dans  son  geste,  dans  son  regard,  on  reronnaît 
la  reine...  Madomoiselle  Raohol  se  fait  franchement  vieille  dans  Athalie;  elle 
porte  de  loups  cheveux  gris,  et  affecte  la  démarche  à  la  fois  assurée  et  eli;in- 
celante  des  femmes  respectables.  » 

2.  Qu'il  se  presse.  Treize  vers  seulement  seront  récités  avant  que  l'entrée  de 
Mathan  soit  annoncée.  C'est  pour  atténuer  cette  invraisemblance  que  Racine  a 
placé  ces  trois  mots  dans  la  bouche  d  Atlialie. 

3.  !■  Il  arrive  nécessairement  un  jour  où  le  principe  en  vertu  duquel  s'est  formé 
!e  nouveau  règne,  a  épuisé  sa  force  d'aotion.  Ee  souverain  a  vieilli;  ses  meil- 
leurs conseillers  sont  morts  ;  les  opposants,  longtemps  muets,  ont  repris  courage 
et  leurs  langues  se  sont  déliées.  Le  gouvernement  n'aurait  pour  les  faire  taire 
qu'à  retrouver  un  peu  de  sa  premiëro  vigueur;  mais  il  n'ose  plus  ;  il  commence, 
soit  défaillance  du  ressort,  soit  trouble  d'esprit,  h  sentir  le  besoin  des  transac- 
tions; sur  ce  terrain  mourant,  il  va  plus  loin  qu'il  no  veut,  il  a  des  retours  ins- 
tantanés de  rigueurs  qui  lui  font  plus  de  mal  encore  que  ses  complaisances;  il 
marche  au  hasard,  sans  système  arrêté,  poussant  dans  tous  les  sens  et  toujours 
a  l'extrême,  clfaré,  ahuri," en  proie  aux  ambitieux  de  tous  les  partis,  et  sentant 
déjà  gronder  en  soi  la  fatalité  du  dénoùmenl,  qui  est  proche.  —  C'est  lo  moment 
psychologique  des  conspirateurs.  C'est  eolui  qu'a  choisi  Racine,  et  Athalie,  il  ce 
point  de  vue  où  je  fais  exprès  de  m'enfiTmer,  est  une  des  meilleures  peintures 
qui  jiimais  aient  été  faites  dn  l'espiit  <io  vertige  (|ui  saisit  un  pouvoriioniont  aux 
iiliiiis  et  le  |iroriiiite  k  sa  ruine.  »  (M.  SARcmr,  Le  Temps  du  11  août  1873,  Chro- 
nique  théâtrale.) 


ACTE    II,    SCÈNE    IV.  CI 

SCÈNE  IV. 

ATIIALIE.ABNIiR,  etc. 

ABNER. 

Madame,  pardonnez  si  j'ose  le  défendre. 

I.c  zèle  de  Joad  n'a  point  dû  vous  surprendre  '.  4i0 

Du  Dieu  que  nous  servons  tel  est  l'ordre  éternel  ', 

Lui-mùme  il  nous  tjiaja  son  temple  et  son  autel  ', 

Aux  seuls  enfants  d'Aaron  commit  ses  sacrifices  ♦, 

Aux  lévites  marqua  leur  place  et  leurs  offices  ^, 

Et  surtout  défendit  à  leur  postérité    ,  443 

Avec  tout  autre  dieu  toute  société.'.    ' 

Hé  quoi?  vous  de  nos  rois  et  la  femme  et  la  mère, 

Ktcs-vous  à  ce  point  parmi  nous  étrangère? 

Ignorez- vous  nos  lois?  Et  faut-il  qu'aujourd'hui... 

Voici  votre  Mallian,  je  vous  laisse  avec  lui  '.  450 

A  T  U  A  L  I  E . 

Votre  présence,  Abncr,  est  ici  nécessaire. 

Laissons  là  de  Joad  l'audace  téméraire, 

Et  tout  ce  vain  amas  de  superstitions 

Qui  ferment  votre  temple  aux  autres  nations'  : 

Un  sujet  plus  pressant  excite  mes  alarmes.  4d5 

t.  Aimer  a  suivi  Atlirilie  poiu-  la  calmer  et  pour  dé!'undrc  Joad;  mais  il  le  dé- 
fend en  courtisan  ;  il  excuse  le  fait  ;  il  ne  dit  pas  un  mot  de  la  forme,  à  dessein. 
".  Qui  nous  enchiiînc  pour  l'éfcrnité. 

3.  Construction  clliptiquo  pour  :  traça  le  plan  de  son  temple. 

4.  Racine  fait  Aaron  de  deux  syllabes.  Voir  encore  le  vers  1463.  — Commettre 
rst  ici  employé  dans  son  sens  latin  :  confier.  Bossuct  a  dit  dans  son  Oraison 
fwhbre  d'Henriette  de  France  :  «  Elle  ose  se  commettre  à  la  fureur  de  l'Océan 
et   à   la  rigueur  des  hivers.  » 

5.  Leurs  fonctions. 

6.  L'idolâtrie  était  menacée  fort  sévèrement.  Dieu  dit  dans  le  Lévitique  (XXVI, 
30)  :  Il  Cadotis  inter  ruinas  idolorum  veslrorum,  et  abominnbitur  vos  anima 
mea.  »  On  interdisait  même  d'accepter  de  l'étranger  des  victimes  pour  les  sa- 
crifices, {f.évil.,  XXII,  '25.) 

7.  Abner  veut  s'éloigner,  par  discrétion  et  aussi  par  dégoût  pour  Mallian.  Il  a 
un  air  de  dédain  «  quo  l'acteur  ne  devait  jamais  adoucir,  car  il  sort  du  fond 
même  de  l'àmo  honnête  du  brave  soldat.  »  (M.  Sàhckt,  Le  Temps  du  18  août 
1873,  Chronique  théâtrale.)  L'.^cadémii;  a  trouvé  que  le  mot  votre  manquait  de 
respect  dans  la  bouche  d'un  sujet  parlant  à  sa  reine,  et  elle  a  eu  raison.  Alccste 
dit  i  Célimène  dans  le  Misanthrope  (II,  m): 

Mail,  on  moins,  ditf*  moi,  Midji'ii*.  par  quel  tort. 
Votre  Clilanilic  a  l'iitur  de  vous  plaire  si  forl; 

Et  en  lui  parlant  ainsi,  il  n'a  pas  l'intention  d'être  poli. 

8.  «  Hœc  (iici{  Dominiis  Deus  :  «  Oniriis  alienigcna  incircumcifiis  corde,  et 
incircumcisus  carne,  non  ingredii;tur  sanrtuarium  mouni,  omnis  filius  tlienu» 
gui  est  in  medio   filiorum  Israël.  »  (Kzécliiel,  xliv.  9.) 


i^P  ATOALIE. 

Je  sais  que, dès  l'enfance  élevé  dans  les  armes, 
Abner  a  le  cœur  noble,  et  qu'il  rend  à  la  fois 
Ce  qu'il  doit  à  son  Dieu,  ce  qu'il  doit  à  ses  Rois  '. 
Demeurez. 

SCENE  V. 

MATHAN,  ATHAIJE,  ABNER,  etc. 

UATHAN. 

Grande  Reine,  est-ce  ici  votre  place? 
Quel  trouble  vous  agite,  et  quel  effroi  vous  glace?  400 

Parmi  vos  ennemis  que  venez-vous  clierclier? 
De  ce  temple  profane  osez-vous  approcher  *? 
Avpc-vous  dépouillé'  cette  haine  si  vive... 

ATHALIE. 

Prôtez-moi  l'un  et  l'ùutre  une  oreille  attentive. 

Je  ne  veux  point  ici  rappeler  le  passé,  465 

Ni  vous  rendre  raison  du  sang  que  j'ai  versé. 

Ce  que  j'ai  fait,  Abner,  j'ai  cru  le  devoir  faire  *. 

Je  ne  prends  point  pour  juge  un  peuple  téméraire.  j 

Quoi  quCr  son  insolence  ait  osé  publier,  | 

Le  ciel  môme  a  pris  soin  de  me  justifior  *.  470 

1.  C'est  la  parole  de  l'Evangile  :  u  Rendez  à  Dieu  c*  qui  appartient  à  Diou, 
cl  i  César  ce  qui  appartient  à  César.  »  Sévère  dit  dans  Polyeucle  (V,  vi)  ; 

Scrtoz  bien  tolre  Dieu,  scttcz  lulre  monarqua 

2.  L'apostat  médit  de  son  ancienne  demeure: 

Il  icul  anéantir  le  Dieu  qu'il  a  quitté. 

a.  Latinisme.  Virgile  a  dit  [^Enéide,  IV,  31-8310)  : 

Islam, 

Oro,  li  quis  adhuc  precibiia  locui,  exiic  iiiciiloin, 

4.  Racine  avait  écrit  déjà  dans  Bérénice  (II,  ii)  : 

Je  ne  prcnJi  point  pour  juge  une  cour  idulâlre. 

5.  En  1G74,  Pradon,  dans  sa  tragédie  de  Piramf  cl  Thhbé  (I,  iv)  avait  monluï 
la  reine  Amcsiris  glorifiant,  comme  lo  fait  Atiialic,  sa  souveraine  grandeur,  de 
tourmentée  en  mémo  temps  par  un  chagrin  secret  : 

Dmi  l<'  eonible  où  je  ^uiide  Rlolre  et  de  grandeur, 
flu*  d'un  ennui  prct'.inl  me  dévuru  le  cœur, 
■lien  que  depuii  longleinpi  ma  gloire  taiia  lecoude 
Me  rt'iiile  Ij  iiiallrcise  ou  l'urlillre  du  iiiomle, 
Que  lanl  de  naliunt  Hi'ihii'e'il  (uus  mii^<  Ion  ; 

l.e  tc.'plre  t  leschasnni.oi  j'en  nm  Inut  lo  p<iidi 

J'd)  comme  elle  (Scm/raini'j)  éleiidu  l'iniiiire  d'Aii|rit, 

J'a;  ^Ml>jll|;ué  le  l'ont,  la  'l'IiMce,  et  l'Aichiuiie, 

Kl  ju  (|u'au  Food  di'  l'Inde  alluni  purNi  det  fera, 

J>n  ajr  «aincu  lc(  Koia  au  bout  do  rUniirera. 

Ajaiii  donc  cntai'i  «icloiie  aur  «icloiie, 

Je  me  auii  mite.  Al  «ace,  i  r.ibi)  de  ma  gloire, 

El  l'eelal  de  mon  noui  me  rc^pniidanl  de  nioj, 

J'airiruiii  une  reine  eu  la  pLir'  d'un  ru*. 

Babylone  (il  cil  vray)  dai<a  ae«  plar<'«  publique! 

Llata  ma  tlatui',  cl  dci  «rca  niagulHquai, 


ACTE   II,   SCENE   V.  ii7 

Sur  d'cclalnnls  succès  ma  puissance  clablic 

A  fait  jusi|u"uu\  d(iu\  mers  respecter  Athalic.  ', 

Par  moi^  Jérusalem  goûte  uu  calme  proloiid. 

Le  Jourdain  *  ne  voit  plus  l'Arabe  vagabond, 

Ni  l'allier  Philistin,  par  d'éternels  ravages*,  PS 

Connue  au  temps  do  vos  llois%  désoler  ses  rivages; 

Le  Syrien  me  traite  et  de  reine  et  de  sœur*. 

Enfin  de  ma  maison  lo  perfidé^pprcssour, 

Qui  devait  jusqu'à  moi  pousser  sa  barbarie, 

Jéhu,  le  (icr  John,  tremble  dans  Samarie  ''.  4f<0 

Oe  toutes  parts  pressé  par  un  puissant  voisin  *, 

Que  j'ai  su  soulever  contre  cet  assassin, 

Il  me  laisse  en  ces  lieux  souveraine  maîtresse'. 

Je  jouissais  en  paix  du  fruit  de  ma  sagesse  ; 

Mais  un  (rouble  importun  vient,  depuis  quelques  jours,     485 

De  mes  prospéiihs  interrompre  le  cours. 

Un  songe  (medevrais-jc  iiiquictcr  d'un  songe  ?) 

Entretient  dans  mon  cœur  un  chagrin  qui  le  ronge. 

Je  l'évite  partout,  partout  il  nie  poursuit'". 

Poar  marquer  aiie  mon  cœur  ennem;  du  repos, 
Dans  un  <eiL-  A  faiblo  eut  l'ime  d'un  héros. 
D.piii"  j'ai  ri!COi)nu  son  ardeur  et  «on  icle, 
J'.i)  rendu  la  rnonioiie  el  la  miinne  iininorteWet 
J'ay  relrfé  ses  iiuir»,  se»  mpi'i  hcs  jjrdins, 
J'ay  de  Sé>nJr.irnii  a'-h.'vé  les  ilc"<iiiu  ; 
Efilin  pir  iiiei  tiavaui  en  luiraclt;:  féconde, 
BaliTlone  le  >"it  la  merveille  du  monde. 
Voila  ce  que  j'ai  fait. 

f.  «  Ponam  aulcm  tcrruinos  tuos  a  mari  Rubro  usquc  ail  marc  Talseslinoruni.  » 
{Exode,  XXn,  31.) 

t.  Remarquez  l'orgueil  de  ces  deux  mots  placés  en  tète  du  développement. 

3.  Voir  Esther,  note  du  vers  141. 

/».  Les  Philisliiis,  qui  desecnd.iient  de  Mitzraïm,  fils  de  Cham.ont  été  perpétuel- 
lement en  guerre  avec  les  Hébreux;  ils  étaient  établis  le  long  de  la  Méditer- 
ranée, au  sud-ouest  do  Clianaan. 

5.  ,\bner  a  dit  à  Atlialie  :  votre  Matlian  ;  elle  lui  répond  par  :  vos  rois. 

6.  La  Syrie,  éternelle  ennemie  des  Hébreux,  était  divisée  en  cinq  royaumes, 
dont  le  principal  était  celui  de  Damas. 

7.  Samarie,  à  treize  lieues  de  Sion,  dans  la  tribu  de  Uanassé,  capitale  du 
royaume  d'Israiil,  rivalisait  avec  Jérusalem  en  magnificence. 

8.  Ce  voisin  est  Aiacl,  roi  de  Syrie,  niiquol  on  rendit  après  sa  mort  les  hon- 
Dcurs  divins  (Josbphb,  Ant.  IX,  ii),  à  cause  de  l'éclat  de  son  règne. 

9.  «  Rien  ne  remuait  en  Judée  contre  .Vllialie  ;  elle  se  croyait  aiïermie  p.ir  un 
règne  de  six  ans.  Mais  Dieu  lui  nourrissait  un  Tengeur  dans  l'asile  sacré  de 
son  temple.  »  (Dossunr,  Disc,  sur  i/iist.  univ.) 

10.  Dans  les  Livres  saints,  les  songes  sont  toujours  considérés  comme  des  aver- 
tissements divins.  On  lit  dans  les  H'-marqurs  sur  l'olijeiicte  de  Voltaire  (IM.  Bcu- 
cliof,  XXXV,  2nn)  :  Il  Le  songe  d'.Mlialic  est  envoyé  exprès  par  le  Oieu  des  .luif.i  ; 
il  fait  entrer  .\tlialie  dans  le  temple,  pour  lui  faire  rencontrer  ce  même  enTant 
qiri  lui  est  apparu  pendant  la  nuit,  et  pour  amener  l'enfant  même,  le  niriid  et 
le  dénouement  de  la  pièce.  L'n  pareil  .«ongc  est  à  la  fuis  sublime,  vraisemblable, 
intéressant  et  -nécessaire.  »  M.  Dellour  termine  une  comparaison  du  fonge  d» 
Pauline  dans  Polijcucte  avec  le  songe  d'Allialie  par  cette  phrase  :  «  Le  songe 


68  ATDALIE. 

C'était  pendant  l'horreur  d'une  profonde  miît 

Ma  mère  Jézubel  devant  moi  s'est  montrée  •, 

Comme  au  jour  de  sa  mort  pompeusement  paréj. 

Ses  malheurs  n'avaient  point  abattu  sa  fierté  ; 

Môme  elle  avait  encor  cet  éclat  emprunté* 

Dont  elle  eut  soin  de  peindre  et  d'orner  son  visage,  495 

Pour  réparer  des  ans  l'irréparable  outrage  *. 

'<  Tremble,  m'a-t-elle  dit,  fille  digne  de  moi. 

Le  cruel  Dieu  des  Juifs  l'emporte  aussi  sur  toi. 

Je  te  plains  de  tomber  dans  ses  mains  redoutables, 

Ma  fille*.  »  En  achevant  ces  mots  épouvantables  ',  50<' 

Son  ombre  vers  mon  lit  a  paru  se  baisser  ; 

VA  moi,  je  lui  tendais  les  mains  pour  l'embrasser. 

Mais  je  n'ai  plus  trouvé  qu'un  borrible  mélange' 

de  Pauline  est  admiiable,  mais  il  n'est  qu'un  incident  dans  la  pièce  ;  lo  sr.ncje 
dAllialic  est  la  pièce  tout  eiilière.  »  (Principes  de  composition  et  de  sl'/lc, 
p.  30G.  309.) 

1.  L'origine  de  celte  vision  est  peut-cire  dans  le  passage  du  récit  que  prèle  à 
Armide  le  Tasse,  au  chant  IX  de  la  Jérusalem  délivrée.  "  Dés  lors,  dos  songes, 
des  spectres  aflVeux  troublèrent  le  repos  de  mes  nuits  ;  la  fatale  horreur  qui 
accablait  mon  âme  était  le  présage  de  mes  inforltincs.  Souvent  l'ombro  do  ma 
mère,  fantôme  pâle  et  gémissant,  s'oirrait  à  mon  imagination.  Qu'elle  rcssi'ui- 
blait  pou  à  ces  portraits  qui  m'avaient  si  bien  rendu  son  image  !  «Fuis, ma  fille, 
»  fuis,  me  disait-elle,  la  cruelle  mort  qui  te  menace  ;  pars  à  l'instant  ;  déjà 
«je  vois  un  perflde  s'armer  du  fer  et  du  poison.  »  (Trad.  Thilipon  de  la  Ma- 
delaine.) 

2.  Du  Ilarlas  avait  dit  {Second  jour  de  la  seconde  semaine)  : 

El  11'  leiiit  empniiili 
DonI  une  conili«ane  embellit  sa  beauté. 

On  lisait  au  livre  IV  des  Rois  {IX,  30)  :  «  Vonitque  Johu  in  Jezrael.  Porro  Jeza- 
bel,  introitu  ejus  audito,  depinxit  oculos  suos  stibio,  et  ornavit  caput  suum,  et 
r"spexit  pcr  fencstram.  »  L'usage  dos  cosmétiques  est  poussé  en  Orient  jusqu'à 
l'exagération.  Celui  dont  se  sert  Jézabel  est  ce  fard  célèbre  composé  d'iino 
poudre  de  plomb,  que  les  latins  appelaient  stibium.  et  qui  a  donné  son  nom  à 
l'ornuslibium,  la  troisième  des  filles  de  Job.  (-/ob,  XI. II,  14.) 

3.  Athalie  a  tort  de  faire  du  sli/te;  c'est  une  lacbe  dans  cet  admirable  mor- 
ceau; bon  pour  Vndius,  lorsqu'il  s  amuse  à  faire  aux  femmes  savantes  le  por- 
trait des  versificateurs  tels  que  lui, 

De  leurs  lers  (,ilif;ants  lecteurs  inf.tligablea. 

MoLiiini,  Les  Femmes  savantes  (111,  v.) 

4.  nomarquri  l'olTol  de  ce  rejet,  et  coraparex-le  avec  celui-ci,  omprunté  aui 
Génryiquei  (I,  470)  : 

Vol  qiioque  per  lucoi  «ulgc  eiaiidiU  iilentei 
liiKent. 

5.  Ces  doux  adjectifs  ii  la  fin  du  vers  produisent  ici  encore  plus  d'etlel  que 
dani  Esther  (III,  iv): 

De*  plut  frniiei  Ellli  la  rhnie  i^poiirantahle, 

N'ctl  qu'un  jeu,  qiiaud  il  veut,  dd  ij  main    redoutable, 

fl.  «  Et  crunt  carne»  Jezabel  «icul  sieroug  super  faciem  ferrie  in  ngro  Je/ia- 
liel ,  ila  ut  prictorcuntci  diount  :  IIu:C(  ioe  est  illa  Jeiabcl  7  »  (il,  Hots, 
1^.  27.} 


ACTE  n,   SCÈNE  V,  rtO 

D'os  et  de  chairs  meurtris  ',  et  traînés  dans  la  fange, 

Des  lambeaux  pleins  de  sang,  et  des  membres  allVeux        SOS 

Que  des  chiens  dévorants  se  disputaient  entre  eux*. 

ABNER. 

Grand  Dieu  ! 

ATHALIE. 

Dans  ce  désordre  à  mes  yeux  se  présente 
Un  jeune  enfant  couvert  d'une  robe  éclatante, 
Tels  qu'on  voit  des  Hébreux  les  prêtres  revêtus'. 
Sa  vue  a  ranimé  mes  esprits  abattus*.  510 

Mais  lorsque  revenant  de  mon  trouble  funeste, 
J'admirais  sa  douceur,  son  air  noble  et  modeste, 
J'ai  senti  tout  à  coup  un  homicide  acier, 
Que  le  traître  en  mon  sein  a  plongé  tout  entier. 
De  tant  d'objets  divers  le  bizarre^  assemblage  615 

Peut-être  du  hasard  vous  paraît  un  ouvrage. 
Moi-même  quelque  temps,  honteuse  de  ma  peur, 
Je  l'ai  pris  pour  l'cfTot  d'une  sombre  vapeur*. 

1.  Il  Quelques-uns  ont  cru  qu'on  ne  pouvait  pas  dire  des  os  meurtris.  »  {Sen- 
timents de  l'Académie  sur  Athalie.) 

2.  Nous  avons  entendu  dernièrement  à  la  Comédie  Française  chercher  dans  ce 
morceau,  aux  dépens  de  Racine,  des  effets  de  réalisme.  L'actrice  se  levait,  les 
bras  tendus  vers  l'ombre  de  Jézabcl,  scml)lant  jouer  son  rêve,  et  non  pas  le 
raconter.  Tout  à  coup,  elle  reculait,  tressaillait,  comme  si  elle  avait  toucné  un 
objet  répugnant,  et  remplaçait  le  Mais,  qui  est  en  tète  de  cette  dernière  phrase, 
par  une  sorte  de  hoquet  d'horreur.  Ce  hoquet  eut  dégoûté  Racine.  M"'  Dumesnil 
(voir  la  note  du  vers  435)  ne  poussait  assurément  pas  si  loin  la  vérité  de  son  jeu. 

3.  L'orthographe  du  mot  tels  se  comprend  et  s'explique,  si  l'on  rapproche  de 
ce  vers  la  septième  strophe  du  premier  des  Cantiques  spiritu(  Is  ; 

Tel  que  l'asfre  du  jour  érarle  les  téiiibres, 
De  la  nuit  compa;noj  funèbres, 
Telle  lu  cha-»ij  d'un  Coup  d'œil 
L'envie  aux  humains  si  Talale,  ele. 

4.  Racine  avait  déjà  employé  dans  Britanuicus  [\,  m)  ce  pluriel  poétique: 

IIi  bs  :  de  quelle  horreur  ses  lirnides  ei>|irl(9 
A  re  nouveau  spcclaclc  auroiil  ùlé  surpris  ! 

5.  Qui  sort  de  l'ordinaire,  étrange.  Ce  mol,  qui  vient  de  l'espagnol,  a  d'abord 
Bi;;nili>;  :  vaillant,  comme  le  prouve  cette  phrase  de  Lanoue  •  «  Le  soldat  fran- 
çais l'st  beaucoup  plus  bizarre  :  et  ne  peut  quasi  vivre  sans  se  battre,  ne  mon- 
trant que  trop  sa  valeur  contre  ses  compagnons.  »  On  tst,  dit  M.  Littré,  en  pré- 
sence (le  deux  étymologies  :  «  le  basque  ôicarra,  barbe,  décomposé  par  Larramendi 
eu  /;i;  arra  (qu'il  soit  un  homme)  ;  et  l'arabe  basharet,  beauté,  élégance,  d'où 
A.iillant,  chevaleresque,  puis  les  sens  de  colère,  emporté,  extravagant.  » 

fi.  Furetière  définissait  les  vapeurs  «  une  humeur  subtile  qui  s'élève  des  par- 
lies  basses  et  qui  occupe  cl  blesse  le  cerveau  ».  On  était  très  sujet  aux  vapeurs 
au  dix-septième  siècle;  on  croyait  dégager  le  cerveau  en  dégageant  le  ventre, 
et  voilà  pourquoi  on  appelait  si  souvent  M.  Fleurant.  C'était  une  indisposition  de 
bon  ton,  et  l'on  ne  riait  donc  point  du  remède.  Toute  maladie  était  ramenée  aux 
vapeur».  Les  gens  sensés  se  moquaient  des  petites  maîtresses,  qui  se  croyaient 
rendre  intéressantes  par  la  fréquence  de  leurs  vapeurs,  et  Madame  do  Main- 
tenon  écrivait  à  Madame  de  Dangeau.  le  10  novemb.-e  1715  :  «  Avci-vous  dc( 
vapeurs  7  Vous  savci  que  je  ne  les  soull're  point  aux  personnes  raisonnables.  » 


"1  ATDALIE. 

Mais  de  ce  souvenir  mon  âme  possédée' 

A  deux  fois  en  dormant  revu  la  môme  idée':  52C 

Deux  fois  mes  tristes  yeux  se  sont  vu  retracer 

Ce  même  enfant  toujours  tout  prêt  à  me  percer. 

Lasse  enfin  des  horreurs  dont  ^  j'étais  poursuivie, 

J'allais  prier  Baal  de  veiUi^r  sur  ma  vie, 

Et  chercher  du  repos  au  pied  de  ses  autels.  î)23 

Que  ne  peut  la  frayeur  sur  l'esprit  des  mortels*? 

Dans  le  temple  des  Juifs'  un  instinct  m'a  poussée, 

Et  d'apaiser  leur  Dieu  j'ai  conçu  la  pensée  : 

J'ai  cru  que  des  présents  calmeraient  son  courroux, 

Que  ce  Dieu,  quel  qu'il  soit,  en  deviendrait  plus  doux.       f)30 

Pontife  de  Haal,  excusez  ma  faiblesse. 

J'entre  :  le  peuple  fuit,  le  sacrifice  cesse, 

I.e  grand  prêtre  vers  moi  s'élance  avec  fureur*. 

Pendant  qu'il  me  parlait,  ô  surprise  !  ô  terreur  ! 

J'ai  vu  ce  même  enfant  dont  je  suis  menacée,  1)35 

Tel  qu'un  songe  effrayant  l'a  peint  à  ma  pensée. 

Je  l'ai  vu':  son  même  air,  son  même  habit  de  lin, 

Sa  démarche,  ses  yeux,  et  tous  ses  traits  enfin. 

C'est  lui-môme.  11  marchait  à  côté  du  grand  prêtre; 

\.  Occupée  par  ce  souvenir.  —  «  Il  est  cl^ir  qu'Atlialic  a  dû  sn  dire  bien  sou- 
vent aux  jours  de  sa  prospérité  :  SI  pourl.inf  un  héritier  des  rois  légiliines  avait 
échappé!..  Elle  a  bien  vite  chassé  cotte  idée  importune  ;  mais  la  vague  ap|>rclicn- 
sion  dont  elle  est  envahie  a  ramené  phis  vive,  plus  instante,  plus  chargée  de 
menaces,  cette  image  funeste.  L'idée  fixe  est  devenue  de  l'hallucination,  et  co 
songe  d'Atlialie  est  et  restera  l'ctcrnelle  traduction  des  craintes  et  des  remords 
qui  assaillent  sur  le  trône  un  usurpateur  sur  le  point  de  rendre  ses  comptes,  soit 
à  son  peuple,  soit  à  l'histoire.  »  (.M.  Sincsy,  Le  Temps  du  11  aoilt  1873,  Chroni- 
que théâtrale.) 

i.  Ce  mot  est  pris  dans  le  sens  étymologique;  il  vient  du  grec  iTio<,  image. 
Corneille  l'a  employé  dans  le  même  sens  {Le  Menteur,  IV,  i)  : 

De  la  elière  iil^e 
Mon  idie  à  cet  aipcct  sera  mieui  |<us9C(li!a. 

3.  Par  lesquelles. 

4.  Kxcniplc  d'épiphoncme.  On  en  cite  souvent  un  autre  empi  iinté  h  l'Enéidt 
(III.  Sn-57j  : 

Qiiid  non  mortalia  pectort  cogii, 
Auri  sacra  fainet  ! 

5.  L'expression  de  Jivfs  pour  désigner  le  peuple  d'Abrah.im  ne  se  rencontre 
que  dans  les  textes  postérieurs  nu  règne  d'Atlialie.  —  «  Un  instinct,  c'est  bien 
cela.  Co  n'est  pas  une  pensée  ferme  et  «rrèlée,  une  résolution  longuement 
milric.  C'est  le  coup  de  tôlo  d'un  vieillard  fi  qui  tout  échappe,  sans  qu'il  sache 
pourquoi.* —  El  que  vn-tello  faire  dans  ce  temple?  Klle  n'en  sait  rien  ;  elle  va, 
obéissant  &  la  voix  secreto  qui  la  pousse,  la  voix  d'un  songe.  ■>  (M.  Sahcky,  l.ê 
Trmps  du  il  aoiU  187.1,  Chronique  thoi'itiale.) 

A.  Alhalie  glisse  rapidement  sur  ces  détails  (|ui,  un  autre  jour,  nuraient  excité 
i*  fureur,  mai»  qui,  aujourd'hui,  n'ont  pour  (Ile  qu'une  importance  secondaire. 

7.  I.e  pléona^me  est  excusable  ici  :  Athalie  tient  à  niarijucr  le  plus  fortement 
posiible  sa  pensée. 


ACTE  II,    8CÈNE   V.  71 

Mais  bientôt  à  ma  vue  on  l'a  fait  disparallre.  iiiO 

Voilà  quel  trouble  ici  m'oblige  à  m'arrûler'. 
Et  sur  quoi  j'ai  voulu  tous  deux  vous  consuKcr. 
Que  présage,  Mathan,  ce  prodige  incroyable-? 

MATUAN. 

Ce  songe  et  ce  rapport,  tout  me  semble  efTroyalde'. 

ATHALIE. 

Mais  cet  enfant  fatal*,  Abncr,  vous  l'avez  vu:  ^\[, 

Quel  est-il?  De  quel  sang?  Et  de  quelle  tribu? 

ABNER. 

Deux  enfants  à  l'aiilcl  prêtaient  leur  ministère. 
L'un  est  fils  de  Joad,  Josabet  est  sa  mère  '. 
L'autre  m'est  inconnu. 

MATHAN 

Pourquoi  délibérer? 
De  tous  les  deux.  Madame,  il  se  faut  assurer  '.  aaû 

Vous  savez  pour  Joad  mes  égards,  mes  mesures''  ; 
Que  je  ne  chercbe  point  à  venger  mes  injures. 
Que  la  seule  équité  règne  en  tous  mes  avis; 
Mais  lui-même  après  tout,  fût-ce  son  propre  lils', 
Voudrait-il  un  moment  laisser  vivre  un  coupable  '?  355 

ABNER. 

De  quel  crime  un  enfant  peut-il  être  capable? 

1.  Pourquoi  Athalie  n'est-elle  pas  rclournée  dans  son  palais,  comme  Agar  I« 
lui  conseillait?  Est-ce  à  cause  de  sa  faiblesse?  Non;  les  longs  morceaux  qu'elle 
débite  le  prouvent  bien.  Elle  veut  revoir  l'enfant;  comme  elle  est  onirée  au 
temple  en  suppliante,  avec  une  faible  escorte,  elle  ne  peut  commander;  elle  a 
besoin  de  la  complaisance  du  grand  prêtre;  pour  le  décider  à  so  rendre  à  son 
désir,  elle  compte  sur  Abncr,  et  voilà  pourquoi  elle  l'a  retenu. 

2.  Comme  pontife  de  Baal,  Mallian  se  flattait  de  savoir  découvrir  les  TOlonîôs 
du  ciel. 

3.  Ce  rapport  est  une  cxpicssion  trop  vague  ;  Mathan  veut  parler  de  la  ressem- 
blance qui  a  glacé  d'cffioi  la  reine. — il  faudrait  se  garder  de  croire  que  Malliau 
éprouvât  en  réalité  le  moindre  effroi.  Il  feindra  d'avoir  peur  afin  de  perdre  Joad. 

4.  Marqué  par  les  destins. 

5.  Joad  n'a  rien  révélé  à  Abncr  ;  autrement,  Abner  eût  été  ici  obligé  de  muutir, 
et  le  mensonge  nous  eût  déplu  dans  la  bouche  de  ce  personnage 

6.  Se  rendre  maître;  de  même  dans  Corneille  (Ci'nno,  I,  m): 
""  Maiirae  et  la  inoilié  s'assurent  de  la  pcTlc. 

7.  Ma  modération. 

8.  c'est  ici  que  Mathan  commence  à    montrer  sa  ressemblance    avec  TarlufTe. 

9.  Notez  bien  que  lorsque  Mathan  sera  tout  à  l'heure  seul  avec  Athalie,  il  lui 
dir.i  fort  bien  et  par  le  menu  de  quel  crime  cet  enfant  peut  et  doit  être  capable. 
M:iis  à  ce  sot  d'Abner  il  ne  daigne  parler  que  le  langage  qui  est  entendu  de  lui. 
Ah  !  tuas  la  bnuhonnc  de  croire,  toi;  tu  croisa  l'intervention  du  ciel  dans  les 
atl'airet  de  ce  monde,  eh  bien!  on  va  t'en  donner  : 

le  ciel  nout  le  fait  voir  un  poignard  à  la  iriDiu,  etc. 
(M   Sarcbt,  Le  Tempi  du  18  août  1873,  Chronique  théâtral.] 


7J  ATUAL11Ϋ 

M  A  T  n  A  N . 

Le  ciel  nous  le  fait  voir  uii  poignarda  la  main  : 
Le  ciel  est  juste  et  sage,  et  ne  fait  rien  en  vain'. 
Que  cherchez-vous  de  plus  ? 

ABNER. 

Mais,  sur  la  foi  d'un  songe. 
Dans  le  sang  d'un  enfant  voulez-vous  qu'on  se  plonge?    SCO 
Vous  ne  savez  encor  de  quel  père  il  est  né, 
Quel  il  est. 

MATHAN. 

On  le  craint,  tout  est  examiné. 
A  d'illustres  parents  s'il  doit  son  origine, 
La  splendeur  de  son  sort  doit  hâter  sa  ruine. 
Dans  le  vulgaire  obscur  si  le  sort^  l'a  placé,  5G5 

Qu'importe  qu'au  hasard  un  sang  vil  soit  versé'  ? 
list-ce  aux  Rois  à  garder  celle  lente  justice? 
Leur  sûreté  souvent  dépend  d'un  prompt  supplice*. 
N'allons  point  les  gêner  d'un  soin  embarrassant. 
Dès  qu'on  leur  est  suspect,  on  n'est  plus  innocent  ^.  570 

1.  Voir  la  note  du  vers  1012.  Celle  réponse  est  horrible  dans  sa  concision.  Le 
développement  de  la  pensée  ne  sera  pas  moins  liiilcux.  Louis  Racine,  à  propos  de 
es  passage,  renvoie  aux  chapilres  clxxiii-clxxvi  du  Prince  de  Balzac. 

2.  B  Son  sort  et  le  sort  ont  paru  trop  près  l'un  de  laulre,  le  premier  étant 
pris  pour  l'état  et  le  second  pour  la  destinée.  »  {Senlimcn(s  de  l'Académie  sur 
Athalic.) 

3.  C'est  là  ce  qu'on  appelle  un  dilemme;  on  laisse  l'Rlternative  de  deux  pro- 
positions contraires  et  conditionnelles  à  l'adversaire,  assuré  que  l'on  est  que 
l'une  le  convaincra  comme  l'autre. 

4.  Qu'ils  ordonnent.  —  Corneille  (Pompée,  I,  i)  amis  dans  la  bouche  de  Pho- 
tin  do  semblables  maximes  d'État  : 

La  justice  ii'cit  pas  une  leilu  d'Etal. 

Le  choii  dci  actioiu  ou  iimiivaises  ou  bnnnei, 

Ne  fait  qu'aneanlir  la  force  des  couronnes  ; 

Le  droil  île?  mis  cnn-islu  à  ne  rii-n  épugnor. 

La  liiiiidc  équilé  dcliuil  l'arl  do  régner  ; 

Quand  on  crainl  d'iMre  injn^lo  un  a  lo«junr<  à  craindre, 

Et  qui  veut  tout  pouToir  duil  uicr  tout  cnireindre, 

Fuir  coaune  un  oiiihonDcur  la  «crtu  qui  le  |>erd, 

Ei  Tolcr  am  icrupulc  au  crime  qui  le  sert. 

5.  Racine  avait  pu  lire  dans  le  Prince  de  Balzac  (1C31,  in-4*,  p.  200)  :  «  Sur 
un  simple  soupçon,  sur  une  légère  défiance,  sur  un  songe  qu'aura  fait  le 
Prince,  pourquoi  ne  lui  sera-t-il  pas  permis  do  s'assurer  de  ses  sujets  faclicux, 
et  de  80  soulager  l'esprit  en  leur  donnant  pour  peine  leur  propre  repos  ?  » 
Môtaslnsc  {Gioas,  re  di  Giuda,  parle  seconda)  a  conservé  à  Mallian  celle  fé- 
rocité sanguinaire  :  «  C'est  le  fer,  c'est  le  feu  qu'il  convient  d'employer.  Bns- 
Rcmble  les  liens,  écrase  les  roupablos,  dit-il  h  la  Hi'ine.  Sur  l'autel  de  Itanl  jo 
dcconileral  par  mc-î  vn-ux  tes  fureurs.  N'écoute  (loint  la  \oii  qui  parle  de  pilio. 
Les  impies,  les  infidèles,  deiruis-lcs,  abals-les,  réduis-le»  en  cendres,  égoi-ge- 
Ics.  Qu'avec  son  temjde  même  bri'ile  lu  peuple  profane.  Que  l'on  voio  la  colline 
et  ih  plaine  rouges  de  sang.  N'épargne  personne  dans  ce  peuple  impie  ;  qu'il 
n'en  reste  pas  un  pour  pleurer  sur  sou  compagnon  mort,  • 


ACTli    II,    SCÈNE   V.  7  3 

ABNKU. 

Hé  qnn\,  Mathan  ?  D'un  prôtre  est-ce  là  le  langage  *  ? 

Moi,  nourri  dans  la  guerre  aux  horreurs  du  carnage, 

Ues  vengeances  des  rois  ministre  rigoureux, 

C'est  moi  qui  prête  ici  ma  voix  au  malheureux; 

El  vous,  qui  lui  devez  des  entrailles  de  père,  575 

Vous,  ministre  de  paix  dans  les  temps  de  colère, 

Couvrant  d'un  zèle  faux  votre  ressentiment, 

Le  sang  à  votre  gré  coule  trop  lentement  *  ? 

Vous  m'avez  commandé  de  vous  parler  sans  feinte', 

Madame:  quel  est  donc  ce  grand  sujet  de  crainte?      .      580 

Un  songe,  un  faible  enfant  que  votre  œil  prévenu* 

Peut-être  sans  raison  croit  avoir  reconnu'. 

ATHALIE. 

Je  le  veux  croire,  Abner  ;  je  puis  m'être  trompée* 

Peut  être  un  songe  vain''  m'a  trop  préoccupée. 

Hé  bien  !  il  faut  revoir  cet  enfant  de  plus  près  ;  685 

Il  en  faut  à  loisir  examiner  les  traits. 

Qu'on  les  fasse  tous  deux  paraître  en  ma  présence 

ÂDNER. 

Je  crains... 

ATHALIE. 

Manquerait-on  pour  moi  de  complaisance? 
De  ce  refus  bizarre  où  seraient  les  raisons'? 
Il  pourrait  me  jeter  en  d'étranges  soupçons.  500 

Une  Josabet,  vous  dis  je,  ou  Joadles  amène. 
Je  puis,  quand  je  voudrai,  parler  en  souveraine. 

I.  Métastase  {Gioas,  re  di  Giwia.  2*  partie)  fait  dii-e  à  Giojada  par  Sebia  : 
•  Toi,  ministre  de  Dieu,  toi,  prêtre,  pasteur,  muitre  et  père  des  fidèles,  toi, 
tromper  .linsi  !  » 

î.  L'art  de  Racine  est  si  paifait,  qu'il  se  pourrait  que  le  poète  eût  voulu  re- 
produire par  le  désordre  de  la  construction  l'émotion  qu'éprouve  Abner. 

3.  Abner  parle  franchement,  loyalement,  comme  parlait  Burrhus  iana  Brita il' 
fi'>Uî(I,ii): 

Je  parlerai,  Maitime,  avec  la  lihertA 
D'un  luldat,  qui  lait  uial  rarder  la  férili. 

-l.  Il  y  a  une  certaine  hardiesse  de  style  à  appliquer  à  l'œil  le  mol  prévenu 
qui  exprime  une  idée  morale. 

.'i.  Ucmarquez  toutes  les  atténuations  renfermées  dans  ce  vers:  peut-être,  tans 
ration,  croit. 

6.  Athaiic  veut  obtenir  qu'on  lui  amène  Joae;  voili  pourquoi  elle  feint  do  se 
t(  ndre  aux  raisons  d'Abndr. 

7.  Sans  importance. 

S.  Alhalic  craint  qu'on  ne  lui  amène  celui  des  deux   enfants  qu'elle  ne   tient 
p  s  à  examiner.  Pour  enlever  lou»  moyen  de  fraude  elle  les  demande  tous  deux 
9.  Voir  la  note  du  vert  TilP. 


•H  ATHALIB. 

Vos  prêtres,  je  veux  bien,  Abner,  vous  l'avouer', 

Des  bontés  d'Atbalie  ont  lieu  de  se  louer. 

Je  sais  sur  ma  conduite  et  contre  ma  puissance  BOU 

Jusqu'où  de  leurs  discours  ils  portent  la  licence. 

Ils  vivent  cependant,  et  leur  temple  est  debout. 

Mais  je  sens  que  bientôt  ma  douceur  est  à  bout  *. 

Que  Joad  mette  un  frein  à  son  zèle  sauvage, 

Et  ne  m'irrite  point  par  un  second  outrage.  600 

Allez». 

SCI'NE  VI. 

ATIIALIE,   MATH  AN,  ktc. 

UATBâN. 

Enfin  je  puis  pailer  en  liberté  ; 
Je  puis  dans  tout  son  jour  mettre  la  vérité. 
Quelque  monstre  naissant  dans  ce  temple  s'élève^, 
Heine  :  n'attendez  pas  que  le  nuage  crève. 
Abner  chez  le  giand  prêtre  a  devancé  le  jour.  605 

Pour  le  sang  de  ses  Rois  vous  savez  son  amour. 
Et  qui  sait  si  Joad  ne  veut  point  en  leur  place 
Substituer  l'enfant  dont  le  ciel  vous  menace. 
Soit  son  fils,  soit  quelque  autre  *... 

1.  Je  veux  bien,    et,  au  ver»  précédant,  je  voudrai;  c'est  une  légère  tache. 

S.  Ma  douceur,  d-an^  la  bouche  d'Alh.ilic!  Cc|)rnilant  il  est  &  remarquer  qu  au- 
cune persécution  religieuse  n'est  signalée  sous  son  régne. 

3.  Le  23  octobre  1796,  pour  amener  du  monde  à  la  Comédie  Française,  la 
foubretlc  de  la  troupe,  MaclenioiscUe  Joly,  joua  le  rôle  d'Alliulic.  On  s'en  étonna 
bc.iucoup.  Elle  ne  faisait  cppeudant  que  rrvpnir  aux  anciens  usages.  Jadis  la 
même  actrice  représentait  les  soulireltes  et  les  reines;  c'est  ainsi  que  Madeleine 
Béj.irt,  1,1  Doridc  du  Tartu/fc, ioua  d'original  le  rôle  de  Jocaslc  duns  la  TUùbaidt 
de  Racine. 

A.  L'Ac.ndémlc  a  trouvé  dans  ces  deux  vers  des  métaphores  incohérentes.  Est- 
ce  que  l'Acailémic  aurait  vu  dans  cette  cxi)rcssion  Vu  monstre  naissant  s'élève, 
le  jeune  Jons  nourri  par  les  prêtres  7  N'esl-il  pas  plus  simple  de  comprendre  : 
ime  eonspiratioD  menaçante,  terrible,  se  forme  dans  ce  temple,  et  t'éicui 
sur  notre  létc  : 

N'alli'ndei  pa>  qaaU  nuage  crère. 

Alori  il  n'y  a  phi»  dincoliércnrc  dans  led  niélnpliorca. 

5.  «  Mallinn  est  le  type  du  politiinie  sans  seiii|iuIo.  Le«  lymas  pcuvpiit  \icillir; 
ils  li'ouvcnt  toujours,  tout  le  long  de  leur  rèf;nc,  des  hnmmcs  Jeunei,  aiiiliilii'iix, 
ardents,  qui  veulent  le  pou\nir  et  saur.'ilcnl  l'i'xcrccr  k  l'ombre  du  piinec.  Ma- 
Ih.iu  est  un  de  ce«  ministres  do  la  déradcncc  qui  n'ont  qu'un  tort,  celui  île  n'être 
pas  écoulés;  qui  doiiiienl  d'cxi'ellenls  conseils  qu'ils  ont  lo  cliAgrin  do  ni"  voir 
pas  suivre  ;  qui  «ifinalent  l'éiiieil  m'i  l'on  l()ud)era,  où  ils  conrcnl  malgré  eux. 
K  rcui-li  ne  pailci  iioinl  de'  proMlo  pidilirpie  ni  de  fidélité  anv  pilnei|ieK  : 
ils  ne  (averit  ce  que  c  est.  Ils  ne  voient  i|u'iiiie  chose:  faire  leur  clii  min.  Ils  ne 
eroieut  à  rien: !!•  auraient  tout  aussi  bien   suivi  le  parti   contraire,  a'ils  f 


« 


ACTE  11,   SLcnE   vil.  7» 

ATUALIE. 

Oui,  VOUS  m'ouvrez  les  yeux. 
Je  commence  à  voir  clair  dans  cet  avis  des  cieux.  610 

Mais  je  veux  de  mon  doute  ôtre  débairassce. 
Un  enfant  est  peu  propre  à  tiuliir  sa  pensée*. 
Souvent  d'un  grand  dessein  un  mot  nous  fait  juger. 
I-aissez-moi,  cher  Mathan*,  le  voir,  l'interroger. 
Vous  cependant,  allez  '  ;  et  sans  jeter  d'alarmes,  015 

A  tous  mes  Tyriens  faites  prendre  les  armes. 


SCEiNK  VII. 

JOAS,  JOSABliT,  ATUALIE,  ZAGHARIE,  AliNER,  SALOMITII, 

DEUX    LÉVITES,    LE   CHŒUR,     ETC. 
JOSADET,    aux  deux  lévites. 

0  VOUS,  sur  ces  enfants  si  chers,  si  précieux  *, 
Ministres  du  Seigneur,  ayez  toujours  les  yeux. 

ADN  EU,    à   Josabet. 

Princesse,  assurez-vous,  je  1p>  prends  sous  ma  garde'. 

avaient  cru  le  chemin  aussi   rapide  et  aussi  Tacite  à  leur  ambition Ils  sont 

résolus,  pour  parvenir,  à  toutes  les  bassesses,  à  toutes  les  cruautés;  ils   vont, 

comme  disait  encrgiqucment  le  latin:  pcr  fas  et  ncfas Ils  ont  le  couji  clœil 

justu  et  la  déeision  prompte.  Ce  dont  ne  s'est  pas  douté  ce  pauvre  Abner,  f|iii 
vit  pourtant  avec  Joad  ;  ce  que  n'a  pas  deviné  Atlialic,  en  proie  à  l'espiit  du 
»ertigo  et  d'erreur,  il  l'a  vu  lui,  clairomcnt,  par  une  intuition  de  génie  politi- 
que. »  (51.  SiBCBT,  le  Temps  du  18  août  1873,  Chronique  Ihvàtrale.) 

1.  Voilà  un  vers  dans  lo  |ticl,  à  la  lecture,  il  importe  parlicullen^ment  de  ue 
point  s'arrêter,  comme  nous  l'avons  vu  faire,  après  le  premier  hémistiche. 

2.  Athalie  aime  Matlian,  (lui  ilatic  ses  ir]stants  sanguinaires. 

3.  La  dernière  Athalie  de  la  Comédie  Française  se  ménageait  un  jeu  de  scène 
à  ce  vers  :  elle  attendait  que  Mallian  l'ùt  arrivé  &  la  porte  pour  le  rappeler,  et 
lui  dire  : 

et,  !aiis  joliT  d'alarmes,  elc. 

4.  C'est  la  piemicre  fois  qu'un  poète  dram.atique,  en  France,  a  osé  nous  in- 
téresser à  un  enfant  ;  car  la  petite  Louison  n'avait,  dans  le  Malade  imaginaire, 
qu'un  rôle  épisoJiquc.  Racine  n'eût  sans  doute  pas  eu  tant  de  hardiesse,  s'il  avait 
écrit  pour  le  Ihéàtrc,  et  non  pour  les  jeunes  filles  de  Saint-Cyr. 

5.  «  On  ne  dit  point  assure:-vous  pour  :  rassurez-vous.  »  (Sentiment$  de  l'Aca- 
démie sur  Athalie.) —  «  Athalie  demande  il  voir  les  deux  enfants;  on  les  lui 
tmène.  et  Josabet  soupire  en  songeant  aux  dangers  qui  lus  menacent;  et  Abner, 
aussitôt  '. 

Prineesie,  ti'urot-Tous,  je  lej  prcnJi  «oui  iria  garde. 

•  II  les  prend  sous  sa  ^rdc  !  Voil.\ qui  va  bien.  Mais a-t-il  rien  pr^udccequi 
pouvait  arriver?  Supposez  qu'Athalie  fasse  sur-le-cliamp  arrêter  Joas,  a-til  un 
plan  de  conduite'.' A-t-il  en  main  une  force  pour  résister?  Joad,  qui  est  tout  prêt, 
Qc  dit  rien,  lui!  Tour  Aimer,  il  étend  sa  loyale  épéc,  qui,  le  cas  échéant,  o< 
tervinit  de  rien,  et  il  s'écrie  : 

Vnuttitt,  a«iurci-f ou*  :  je  Im  ^reiidi  nui  in«  i^trda  | 


76  ATUALIE. 

ATHALIE. 

0  ciel!  plus  j'examine,  et  plus  je  le  regarde, 

C'est  lui  !  D'horreur  encor  tous  mes  sens  sont  saisi». 

(Montrant  Joas.) 

Épouse  de  Joad,  est-ce  là  votre  filsî 

JOSABET. 

Qui?  Lui,  Madame  '? 

ATUALIE. 

Lui*. 

JOSADET. 

Je  ne  suis  point  sa  uière. 

(Montrant  Zacliarie.) 

Voilà  mon  fils. 

ATHALIE,   à  Joas. 

Et  vous,  quel  est  donc  votre  père? 
Jeune  enfant,  répondez  '. 

JOSABET. 

Le  ciel  jusqu'aujourd'hui...  62j 

ATUALIE,  à  Josabet. 

Pourquoi  vous  pressez-vous  de  répondre  pour  lui  *? 
C'est  à  lui  de  parler. 

JOSABET. 

Dans  un  âge  si  tendre 
Quel  éclaircissement  on  pouvez  vous  attendra  ? 

ATUALIE. 

Cet  âge  est  innocent.  Son  ingénuité* 

bl  quanti  l'entretien  est  Dni,  lorsque  Athalie  s'est  .  ^tirée  sans  rien  décider,  il 
fait  blanc  de  son  épée,  de  son  épéc  loyale  : 

Jo  «OUI  l'avaii  promis, 

Je  vuui  rendi  le  dép6t  que  vous  iii'atiei  commis. 

Il  s'imagine  bonnement  que  c'est  lui  qui  a  suspendu  le  bras  d'Athalie.  (iiic 
c'est  lui  qui  a  tout  lait,  et  Joad,  qui  sait  comme  on  prend  le  pauvre  homme,  lui 
fait  ses  compliments  bien  sincères  : 

Jo  rccooDai*,  Abiier,  ce  lervice  important.  • 

(M.  SiaciT,  le  Temps  du  18  août  1873,  Chronique  théâtrale.) 

1.  Josabet  montre  Zacliarie,  se  flattant  encore  qu'elle  pourra  détourner  Je 
Juas  l'attention  de  la  reine. 

2.  Athalie  dèsi;?ne  Joas. 

3.  Ces  vers  rappellent  ce  passage  de  Vlon  d'LuripiJc  (308«  3U!),  311): 

K.—  Eu  «'.'iTlt... 

I.    —  Toû  lioOr  HXoJiiai  ioOXo<  (l|x(  t',  3t  YÛvai..." 
'   Oji  otia,  it\r,v  ïv,  Ac^iou  i<ix^r,|xiOs. 

4.  Athalij  doit,  pour  parler  à  Joas,  essayer  de  donner  à  sa  voix  toute*  I  t 
téJuctiuna  d'une  caresse;  p^irlant  &  Josabet,  sa  parole  est  hautaine  et  brève. 

5.  h'ini/énuilé  eut  i-tyraologii|uemcnt  ta  franchise  propre  à  un  honaïuo  libie.  C« 
mol  est  devenu  tyuonyme  de  candeur. 


ACTK    II,    SCÈNE   VII.  77 

N'altère  point  encor  la  simple  vérité.  630 

l.aissez-le  s'expliquer  sur  tout  ce  qui  le  touche. 

JOSADET,  tout  bas. 

Daigne  meltre,  grand  Dieu,  ta  sagesse  en  sa  bouche  •. 

ATDALIE. 

Comment  vous  nommez-vous  ? 

JOAS. 

J'ai  nom  Éliacin  *. 

ATHALIE. 

Votre  père  î 

JOAS. 

Je  suis,  dit-on,  un  orphelin 
Entre  les  bras  de  Dieu  jeté  dès  ma  naissance,  fi35 

Et  qui  de  mes  parents  n'eus  jamais  connaissance*. 

A  T  H  A  L  I  E . 

Vous  êtes  sans  parents? 

JOAS. 

Il  m'ont  abandonné. 

ATHALIE. 

Comment?  et  depuis  quand? 

JOAS. 

Depuis  que  je  suis  né. 

ATHALIE. 

Ne  sait-on  pas  au  moins  quel  pays  est  le  vôtre? 

JOAS. 

Ce  temple  est  mon  pays;  je  n'en  connais  point  d'autre  *.  640 

A  T  H  A  L  I  E . 

Où  dit-on  que  le  sort  vous  a  fait  rencontrer? 

JOAS. 

Parmi  des  loups  cruels  prêts  à  me  dévorer. 

1.  Cette  prière  de  Josabet  a  pour  but,  comme  le  vers  176,  de  préparer  les  speclt- 
leurs  aui  réponses  que  va  faire  le  petit  Joas. 

2.  Athalie  n'obtiendra  de  Joas  aucun  éclaircissement  :   l'enfant  ne  sait  rien. 
Colle  scène  fait  involontairement  songer  à  la  fable  bien  connue  :  le  Loup  et  l'Agneau. 

3.  Hermès  dit  du  jeune  Ion  dans  la  tragédie  d'Euripide  (v.  51)  : 

0'  rat?  Ti  Toùç  Tnôvia;  ojx  li:(»TaToi. 
!■  K.  —  NaoTTi  S'  o'xtTç  Toiffiî',  t1  xaTi  otefaç  ; 

I.   —     Aitav  OioOf  |ioi  4ù)ji',  ïv'  Sv  Xàôti  («.'  ii'zvo;. 

(EunirioR,  Ion,  v.  314-3(5.) 
Aposlolo  Zeno  a  traduit  ce  dialogue  dans  son  Mitridate  (IV,  iii)i 

MITRIDATB. 

lu  qinU 
Trrra  naicetti? 

iniSTIA. 
Il  mnndo 
ni  ^  p^ttrit.  Allro  non  <o. 


78  ATDALIE. 

ATHALIE. 

Qui  VOUS  mil  dans  ce  temple? 

JOAS. 

Une  femme  inconnue, 
Qui  ne  dit  point  son  nom,  et  qu'on  n'a  point  revue*. 

ATUALIE. 

Mais  de  vos  premiers  ans  quelles  mains  ont  pris  soin  '  ?    6i5 

JOAS. 

Dieu  laissa-t-il  jamais  ses  enfants  au  besoin  '? 

Aux  petits  des  oiseaux  il  donne  leur  pûture*, 

Et  sa  bonté  s'étend  sur  toute  la  nature  ". 

Tous  les  jours  je  l'invoque;  et  d'un  soin  paternel 

11  me  nourrit  des  dons  offerts  sur  son  autel",  CliO 

1.  Joas  ré,  èle  conscicncieusemcntua  leçon. 

t.  K.  —  Ka(  Ti;   làyax-.l  a'  lU'fife  iAîlîu»  ;...^ 

I.     —  «J'oiôou  i;po:9;Ti;,  nijttf  w;  vcnit|ontv. 
K.  —    E;  $'  fivSj'  itzlnou  TÎva  Tpo^îjv  xiynr/^ho;  ; 
I.    "—  Cu|iot  |i'  f^ifSov. 

(EcniHDB,  Ion,  y.  318  et  321-323.) 

3.  A  propos  de  ce  vers,  M.  le  marquis  de  La  Roclicfoncaull-Liancourl  donna 
dans  SCS  Eludes  lilléraires  et  morales  sur  Jean  Jîacine  (1 855)  une  noie  du  poêle  : 
«  Qui  croira  que  Ju|ntcrn'ait  pas  soin  de  ses  enfants!  »  (Sophoclii,  Trachiiiiennrs), 
et  ajoute  :  «  ...  Itacine  cite  cette  phrase  pour  qu'on  ne  l'nucuse  pas  de  lavoir 
prise  à  La  Fontaine  dans  son  poème  de  Saint  Malc,  quia  été  imprimé  prés  da 
vingt  ans  avant  Al/ialie,  et  où  l'on  trouve  ce  vers  : 

Dieu  ne  quittera  puint  te)  •iifjDli  au  besoin.  ■ 

Racine  s'est  rencontré  ici  avec  Ronsard  {Remontrance  au  peuple  de  France)  : 
Car  Dli'U  ne  lai;>e  point  se»  amis  au  dangiT. 

4.  On  lit  dans  les  Psaumes  (CXLtV,  15-16  et  CXLVI,  0)  :  «  Tu  das  cscam  illo- 
rum...  Apcris  tu  maniim  tuam  et  impies  omne  animal  benedictione.  —  Qui  dat 
jumentis  escam  ipsoruni  et  pullis  corvorum  invocantilius  cum.  »  —  Cette  phrase 
éliit  entrée,  parait-il,  dans  le  domaine  de  la  conversation,  car  on  lit  dans 
VAslréc  (t.  111,  liv.  V,  p.  422)  :  «  Hylas,  qui  n'avait  p.is  ai'coulumé  de  se  con- 
traindre :  «  Ma  maîtresse,  dit-il  aussitôt  qu'ils  furent  hors  du  logis,  pcrmcltei 
nue  Calydon  entretienne  Asirée.  —  Et  qui  sera  celui,  dit  Asirée  en  souriant,  qui 
Irendra  compagnie  à  Alexis?  —  Ne  vous  en  mcllei  point  en  peine,  bergère,  dit 
froidement  llyias;  celui  qui  pourvoit  l'Iiyvcr  de  grains  aux  oiseaui,  ne  le  lais- 
sera pas  sans  secours.  »  —  Vdlt.iire  accusa  Racine  d'avoir  pillé  ce»  vers,  et, 
Selon  lui.  ConMince  disait  dans  la  /.tr/iiede  Matliieu: 

On  n'i-il  iioinl  di-laiiti  qfund  on  a  llitu  pnur  pir*. 
Il  ouTre  a  liili  lu  main,  il  ih'iirnl  Ici  curbeaui; 
Il  doiinc  II  piinre  iiiii  jtuiira  patieieaux, 
Alix  ht'i-i  dit  iurélj,  des  préi  6t  dei  inDoIlKnoi. 
Tuul  «il  de  sa  buDia. 

Ccoiïroy  <léelare  que  ces  vers  sont  tirés  du  Triomphe  de  la  lAgnc  de  Nerée,  et 
que  le  iin-niier  et  le  troisième  étaient  écrits  ainsi  : 

Celui  n'oal  d>'lii«ié,  qui  a  Dieu  pour  ion  pire... 
Il  donna  la  «ijudc  aui  pellla  paaisrraui. 

Voir  d'ailleurs  la  note  du  vers  ni. 

6,  «  Miscrii'ordia  tua,  Domine,  iilcna  est  terra.  »  (Pjniimic.t.r.X  VIII,  64.) 

5.  t'ne  partie  des  victimct  était  congiiuiée;  une  autre  était  abandonnée  aux 


à 


ACTE    II,    SCÈNE   VII.  ^ç 

A  T  n  A  L  I  E . 

Quel  prodige  nouveau  me  trouble  et  m'cmharrussi;? 
La  douceur  de  sa  voix,  son  cnfaDce,  sa  grâce, 
Font  insensihleineiil  à  mon  inimilié 
Succéder...  Je  serais  sensiijle  à  la  pitié? 

ADNEU. 

Madame,  voilà  donc  cet  ciinenù  terrible.  fiS  ' 

De  vos  songes  menteurs  l'imposture  est  visible, 
A  moins  que  la  pitié  qui  semble  vous  troubler 
Ne  soit  ce  coup  fatal  qui  vous  faisait  trembler  •. 

A  T  n  A  L  1  E ,  à  Joas  et  à  Jos;il)Pt . 

Vous  sortez  -? 

JOSABET. 

Vous  avez  entendu  sa  fortune  '. 
Sa  présence  à  la  fin  pourrait  être  importune.  680 

ATHALIE. 
(a  Joas.) 

Non  :  revenez.  Quel  est  tous  les  jours  votre  emploi  ? 

JOAS. 

J'adore  le  Seigneur.  On  m'explique  sa  loi. 
Dans  son  livre  divin  on  m'apprend  à  la  lire  *, 

sacrificateurs  cl  aux  fidèles;  les  premiers-nés  des  animaux  appartenaient  aui 
sacrificateurs  seuls.  L'Iiuilc,  l'orge,  le  miel,  lo  blé,  servaient  à  l'entretien  des 
ministres  du  culte. 

1.  Abncr  se  permet  ici  une  raillerie  peu  convenable;  Atlialic  lui  lance  un  re- 
gard furieux;  Josabct  profile  de  ce  court  dialogue  pour  tenter  de  s'en  aller. — 
te  mar'iuis  do  La  nocliefiJUcnult-Liancourt  a  dit  de  Mademoisclls  Dumesnil, 
dans  lo  Manuel  du  Théâtre- Français  :  «  Eliacin,  amené  devant  elle,  rappelait 
d'abord  toutes  ses  terreurs  : 

C'esl  lui,  d'horr«ur  encor  tous  mes  sens  tout  saisi?. 

«  Savante  dans  l'art  de  se  contraindre,  clic  caressait  eut  enfant  ;  mais  c'étaient 
les  caresses  d'un  tigre  prêt  à  dévorer  sa  proie.  Son  sourire  avait  quelque  chose 
de  cruel  ;  ses  youx,  presque  à  chaque  réponse,  se  fiiaiont  allornativcmcnt,  et 
avec  une  expression  dillérentc,  sur  Matli.in,  sur  Abncr  et  sur  Josabct.  Ils  reve- 
naient tomber  sur  Joas  :  et  lorsque  sa  voii,  sa  gràro  et  la  sagesse  prématurée  de 
ce  jeune  prince  lui  causaionl  une  émotion  involi)ntaire,  rien  ne  peut  retracer 
la  manicie  dont  elle  exprimait  sa  surprise  d'un  mouvement  de  pitié  étranger  à 
son  raraclére.  ..  Mais  quand,  après  un  nouvel  iiilerrogatoiro,  aigrie  par  la 
naïveté  piquante  des  réponses  d'Eliacin,  elle  se  laissait  aller  enfin  à  toute  sa  fu- 
reur, qu'elle  faisait  gloire  de  ses  premiers  crimes  et  de  sa  haine  implacabi'' 
pour  le  sang  de  David,  on  tremblait  des  crimes  nouveaux  qu'elle  semblait  mé- 
diter, et  l'on  ne  pouvait  sans  frémir  cntenilrc  ses  derniers  mots  :  «  J'ai  voulu 
>oir,  j'ai  vu  »,  ni  voir  le  regard  farouche  dont  elle  les  accom|iagnait,  et  qui  pa 
raissait  annoncer  la  ruine  (lu  temple  et  le  mass.iere  de  ses  prêtres.  » 

î.  ('ctte  interrogation  ranièni.'  la  terreur  sur  la  srcnc. 

3.  Ce  mot  n'a  point  de  mot  correspondant  ilans  la  Dible.  Geoffroy  constate 
qu'il  il  est  impossible  de  dire  avec  plus  de  piécision,  et  en  mémo  temps  plus 
poétiquement:  Vous  avez  entendu  le  récit  de  tout  ce  qui  lui  est  arrivé.  * 

A.  C'est  l'étude  des  livres  de  Moïse. 


80  ATDALIE. 

Et  dojfi  do  ma  main  je  commence  à  l'écrire  '. 

ATHALIE. 

Que  vous  dit  celle  loi? 

J  0  A  s . 
Que  Dieu  veut  Cire  aimé,  665 

Qu'il  venge  tôt  ou  tard  son  saint  nom  l)liisphémé  *, 
Qu'il  est  le  défenseur  de  l'orphelin  timide', 
Qu'il  rosislc  au  superbe  et  punit  l'homicide*. 

ATHALIE. 

J'entends.  Mais  tout  ce  peuple  enlermé  dans  ce  nen, 
V  quoi  s'occupe-t-il  ? 

JOAS. 

Il  loue,  il  bénit  Dieu.  670 

ATOALIE. 

î)ieu  veut-il  qu'à  toute  heure  on  prie,  on  le  contemple? 

JOAS. 

Tout  profane  exercice  est  banni  de  son  temple. 

ATOALIE. 

Quels  sont  donc  vos  plaisirs  ''? 

JOAS. 

Quelquefois  à  l'autel 
Je  présente  au  grand  prôtre  ou  l'encens  ou  le  sel  •. 

1.  Voir  la  Préface. 

5.  Le  blasphémateur  était  puni  de  mort  par  la  loi. 

3.  Voir  la  note  du  vers  227. 

4.  «  Non  occides  »,  dit  le  Décalogtie.  {Erode,  XX,  13.)  Toutes  ces  repooseï 
sont  empruntées  aui  livres  s.iinls,  mais  elles  sont  g^rosses  d'allusions  nicnaçantci 
|)our  Atlialic.  Aussi  la  reine  dit-elle  d'une  %'oix  dure,  en  regardant  Josabct  : 
1    J'entends.  » 

."5.  Tliéopliile  Gautier  écrivait  au  sujet  de  llachel  :  «  La  scène  do  l'interropa- 
loirc  est  comprise  avec  une  rare  iiilolligonre.  Quel  calme!  quelle  simplicité  ! 
mais  que  ce  calme  est  mi'n:içant,  que  celte;  simplicité  est  effrayante!  » 

6.  «  L'encens  et  le  sel,  dit  .M.  Atli.-inase  Coqucrcl,  étniont  prescrits  en  diverses 
ofTrandos  réffulicres  du  culte  léviliqun.  »  —  Ion  racmte  de  même,  dans  la  tra- 
g-édle  d'Euripide  (v.  <02-U.'5),  les  fonctions  qu'il  remplit  dans  le  temple  t 

'H|iiT(  Si  itôveu;,  ou;  Ix  itai$&( 
Mo/Ooiîniï  ài^,  ittofOoiffi  iàfviK 
!CTtçi9(v  0*  tipoT{  Itô^ou;  4*o(6ou 
KaQapd:;  Or^TOiAiv,  û^paTç  ti  ici^ov 
Poviffiv  voTip6«,  itTirivûv  t'  &Y/Xai(, 
Af  p)ditTouoiv  o/nv'  àvaO;^nat«, 
Toîoiffiv  l|ioT(  çuyàîa;  8/,ioniv 

Tout  t^i'^avia; 
4'»(6ou  vaoù;  Oi^ariûw, 

'Ay',  &  vir,Oa'/ii(,  S 
KaXXiTta;  iiponoXi'j|ta  t&fvct, 
•a  T4y  Poitou  eu|»i>,av 

Ealfii(  ûii6  vaoT(.,.  «.  T.  X. 


ACTE   II,  SCKNE  Vil.  SI 

J'entends  chanter  de  Dieu  les  grandeurs  infinies  '  ;  C"5 

Je  vois  l'ordre  pompeux  de  ses  cérémonies. 

A  TUA  LIE. 

Hé  quoi?  vous  n'avez  point  de  passe-temps  plus  doux 
Je  plains  le  triste  sort  d'un  enfant  tel  que  vous. 
Venez  dans  mon  palais,  vous  y  verrez  ma  gloire. 

JOAS. 

Moi,  des  bienfaits  de  Dieu  je  perdrais  la  mémoire?  ôR*^» 

ATHALIE. 

Non,  je  ne  vous  veux  pas  contraindre  à  l'oublier 

JOAS. 

Vous  ne  le  priez  point. 

ATHALIE. 

Vous  pourrez  le  prier. 

JOAS. 

Je  verrais  cependant  en  invoquer  un  autre? 

ATHALIE. 

J'ai  mon  Dieu  que  je  sers;  vous  servirez  le  vôtre 
Ce  sont  deux  puissants  Dieux. 

JOAS. 

Il  faut  craindre  le  mien  :    685 
Lui  seul  est  Dieu,  Madume,  et  le  vôtre  n'est  rien  '-. 

ATH  ALIK. 

Los  plaisirs  prés  de  moi  vous  chercheront  en  foule. 

JOAS. 

Le  bonheur  des  méchants  comme  un  torrent  s'écoule*. 

I.  Co  mot  s'emploie  avec  tous  les  allributs  de  Dieu.  Bossuet,  dans  YOrarson  Cu- 
nrbve  d'Anne  de  Gunza'ine,  parle  de  5a  justice  infinie. 
î.  Sédécie  disait  dans  les  Juives  1,1V),  de  Robert  Garnier  : 

Le  Dieu  que  nous  icrTons  e-t  le  •Cul  Dien  <tii  nionde... 
Jl  n'j  a  Dieii  que  lui  ;  tous  les  aulrii  ^ont  faux. 

.léliova  parle  ainsi  dans  Ifale  :  «  Absquc  me  non  est  Dcus.  •>  (XLIV,  8.) 
Voltaire  {Discours  historique  et  critique,  etc.)  fait  dire  à  Miiord  Cornsburi  : 
I'  On  a  voulu  me  faire  admirer  la  réponse  que  Joas  fuit  à  la  reioe  quand  elle 
lui  dit  : 

J'ai  mon  Du  u  que  je  «ts,  iqus  servirez  le  voire. 
Ce  loul  dt'Ui  puiiians  Dieux. 

Le  petit  Juif  lui  répond  : 

Il  faut  craiiidri!  le  mien. 
Lui  reul  eil  Dieu,  M.idame,  et  le  lAlre  n'eil  rien. 

Qui  ne  voit  que  l'cnfint  aurait  répondu  de  même,  s  il  avait  été  élevé  dans  le 
culte  de  liaal  par  Matlian  ?  Cette  réponse  ne  signifie  autre  rliose,  sinon  :  j'ai  rai- 
son, et  vous  avez  toit,  car  ma  nourrice  me  l'a  dit.  »  La  critique  oc  Voltaire  n» 
sij;nifie  pas  grand'cliose  non  plus. 

3.  David  a  dit  des  impies  :  «  Ad  nihilura  devenient  tanquam  aqna  decurrens.  > 
[Puaumes,  LVII,  8.)  Agrippa  d'Aubigné  avait  écrit  dans  ses  Trafiques  (les  Princet''- 
Les  délices  des  ^rindt  s'enrôlent  es  Tumée. 

One  vieille  n)a«>me  laiine  disait  que  le  méchant  est  malheureux  mime  dao«  son 


SI  ATIIALIK. 

ATHALIE. 

Ces  méchants,  qui  sont-ils? 

JOSABET. 

Hé,  Madame  I  excuses 
Un  enfant... 

ATHALIE,  k  Josabel. 

J'aime  à  voir  comme  vous  l'instruise:.        «i'.in 
kilnfln,  Éliacin,  vous  avez  su  me  plaire'  ; 
Vous  n'ôles  point  sans  doute  un  enfant  ordinaire. 
Vous  voyez,  je  suis  reine,  et  n'ai  point  d'héritier. 
I.aissez-là  cet  habit,  quittez  ce  vil  métier. 
Je  veux  vous  faire  part  de  toutes  mes  richesses  *  ;  005 

Essayez  dès  ce  jour  l'effet  de  mes  promesses. 
A  ma  table,  partout,  à  mes  côtés  assis, 

bonliciir.  J.-J.  Rousseau,  reprenant  ce  vieux  thème,  a  écrit:  «  Il  n'y  a  point  de 
roule  plus  sûre  pour  aller  au  bonheur  que  crllc  de  la  vertu.  Si  l'on  y  parvient, 
il  est  plus  pur,  plus  solide  et  plus  doux  par  elle;  si  on  le  manque,  elle  seule  peut 
en  dédommager...  S'il  est  un  seul  exemple  de  bonheur  sur  la  terre,  il  se  trouve 
dans  un  lion)me  de  bien.  »  J.-J.  Rousseau  n'a  pas  dû  toujours  èlro  heureux. — 
Dans  la  tragédie  d'Euripide  (v.  C25-C2S),  Ion  répondait  aiasi aux  olTrcs  de  Xullius 
A>i|j.oTiri;  î'  Rv  iijTuyiiç 

Zijv  &v  OiXoifit  iiàV.Xov  ^  TÛçavvoç  &v, 

'0  Toft;  rovTifoù;  *,iovii  eO,0U5  È'/'tv, 

'Eff6).où;  Si  |*i(jiT  xoiTOavcTv  çoSoûjxtvo;, 

t.  Athalie  espère  détourner  le  malheur  qui  la  menace  en  flattact  l'enfant  qu» 
lui  ont  désigné  ses  fonces. 

2.  «  Certes,  quand  Alhalie  dit  à  l'enfant  :  Je  prétends  vouf  traiter  comme  mon 
propre  fils,  Josabct  pouvait  lui  répondre:  «  Eh  bien,  Madame,  traile?.-le  donc 
comme  voire  propre  fils,  rar  il  l'est:  vous  êtes  sa  grand'mère;  vous  n'aver  que  lui 
d'héritier  ;  je  suis  sa  tante;  vous  êtes  vieille,  vous  n'avez  que  peu  de  temps  à  vi- 
vre :  cet  enfant  doit  faire  votre  consolation.  Si  un  étranger,  un  scélérat  comme 
Jéhu,  melk  de  Samarie,  assassina  voire  père  et  votre  mère,  s'il  fit  éporgcrsoixanle 
el  dix  fils  de  vos  frères,  et  quarant(!-ooux  de  vos  enfants,  il  n'est  pas  possible 
que  pour  vous  venger  de  cet  abominable  étranger,  vous  prétendiez  massacrer  le 
seul  petit-fils  qui  vous  reste  :  vous  n'êtes  pas  capable  d'une  démence  si  exécrable 
el  si  absurde;  ni  mon  mari  ni  moi  ne  pouvons  avoir  la  fureur  insensée  do  vous 
en  soupçonner;  ni  un  tel  crime,  ni  un  tel  soupr^on  no  Sunt  dans  la  nature.  Au 
rontrairc,  on  élève  ses  petils-fils  pour  avoir  un  jour  en  eux  des  vengeurs.  M 
moi  ni  personne  ne  pouvons  croire  que  vous  ayez  été  h  la  fois  dénaturée  et  in- 
sensée. Elevé?,  donc  le  petit  Joas  :  j'en  aurai  soin,  moi  qui  suis  sa  tante,  sous  les 
veux  de  sa  grand'mère.  >.  —  Voilà  qui  est  naturel,  voilà  qui  est  raisonnable; 
mais  ce  qui  ne  l'est  peut-être  pas,  c'r>l  qu'un  prêtre  dise  :  «  J'aime  mieux  exposer 
le  pelit  enfant  à  périr  (pie  do  le  confier  à  sa  granil'mèrc,  j'aime  mieux  tromper 
ma  reine,  cl  lui  promrtire  indignement  de  l'argent  pour  Tassas  sincr,  el  risquer 
la  vie  de  tous  les  lévites  pour  celte  conspiration,  que  de  rendre  à  la  reine  son 
(>elil  fils;  je  veux  garder  cet  enfant,  el  égorger  sa  grand'mère.  ..mur  conserver 
plus  longlemps  mon  anlorilé.  »  —  ("esl  là  nu  fond  la  conduite  de  co  préire.  J'ad- 
mire, ;omme  je  le  dois,  la  difficulté  surmontée  dans  la  tragédie  d'Al/inlie,  la 
force,  la  pompe,  l'élc'g.iiice  ilc  la  vcrsjilir.ilion,  le  l)cnii  ronlra»le  du  guerre 
Abncr  el  du  prêtre  Idnihan.  J'etcuse  la  faiblesse  du  nMc  de  Jn^abel,  l'exuco 
quelques  longueurs;  mais  je  crois  que  si  un  roi  avait  dans  ses  Etals  un  homme 
tel  que  Joad,  il  ferait  fort  bien  de  l'enfermer.  •  (VoLTiiai,  Notes  swdmli 
pie.) 


ACTE   II,    SCÈNE   VII.  83 

Je  prétends  vous  trailer  connue  mon  propre  fils', 

JOAS. 

Lomme  votre  fils? 

ATUALIE. 

Oui . ..  Vous  vous  taisez  ? 

JOAS. 

Quel  père* 
Je  quitterais  !  Et  pour.. 

ATHALIE. 

lié  bien  ? 

JOAS. 

Pour  quelle  mère!    700 

ATUALIE,  à   Josaljct. 

Sa  mémoire  est  fidèle;  et  dans  tout  ce  qu'il  d.it 

De  vous  et  de  Joad  je  reconnais  l'esprit. 

Voilà  comme,  inleclant  ^  cette  simple  jeunesse, 

Vous  employez  tous  deux  le  calme  où  je  vous  laisse/ 

Vous  cultivez  dé ji leur  haine  et  leur  fureur*;  705 

Vous  ne  leur  prononcez  mon  nom  qu'avec  horreur. 

JOSABET. 

'fcut-on  de  nos  malheurs  leur  dérober  l'histoire? 
Tout  l'univers  les  sait;  vous-même  en  faites  Éjloirc. 

A  T II A  L I  p:  . 
Oui,  ma  juste  fureur,  et  j'en  fais  vanité*, 
A  vengé  mes  parents  sur  ma  postérité  ".  710 

J'aurais  vu  massacrer  et  mon  père  et  mon  frère, 

I.Xutlius  disnitau  jeune  Ion  dans  Euripide  (v.  570-581  et  654-655)  : 

'Eç  T7-Ç   'AD/.vaç  ffrtT/i 

Ou  a'  ô>.ôiov  jijv  vyf-tfov  i.va\Lhti  vatfbi, 
Ilo^ù;  ^l  ::/.ojto;,  oû^J   Oà-rcçov  votùîv 

'AW  tijvevir.ç  Ti  xa\  ToXu)rrr,[iiiiv  piou.... 

Ktt\  v7v  jjLÎv  li;  iri  tivov  tt^uv  a'  If/Tiiov 

Ae(rvo!.T,  tlfj/oi. 
!.  Crst  Dion  que  désigne  ici  R.ipine,  plutôt  cnrore  (|ue  Joad  :  «  Les  Juifs  ap- 
pcIaii'Ml  aussi  Dieu  leur  pcrc.  Moisc  dit  {lient.,  XXXII,  18)  :  «  Vous  avez  alian- 
di)rini;  !(•  Dieu  qui  vous  a  cnjjcndrés.  •  El  Slul.'iclito  (II,  10)  :  o  II  n'y  a  qu'un 
Dieu  et  un  pcrc  de  vous  tous.  »  Mais  en  priant  ils  no  disnient  point  :  <■  Pcrc  ». 
Si  quclipics-uns  l'ont  fait,  c'a  été  par  un  instinct  particulier  (Saint  Clirysostome 
sur  Abba  pater.)  »  {Noie  manuscril/"  di:  Jtaciiie.) 

3.  Ce  mot,  <lans  le  sens  moral,  était  d'un  usa^'o  très  fréquent  nu  zyii'  siècle: 
«  Infecter  les  oreilles  du  prince  est  quelque  clio!.c  de  (.lus  criminel  que  d'em- 
poisonner les  fontaines  puMiqucs.  b  (ij'bSfKT,  Sei'vions,  Justice,  2.) 

4.  Itcmarquoz  la  hardiesse  de  celte  alliance  de  mots. 

5.  Je  m'en  vante.  De  même  dans  le  Misaiithi'ope  (I    ii)  : 

Ce  •tjle  ngiirA,  dont  on  tiit  vaiiili... 

6.  «  Atlialia  vero,  mater  Oc)io:^iie,  vidcns  nioriuuui  6  ia  n  suoni,  surreiii  et 
Intorfecit  <^ranc  semen  refciuin.  »  (/V  flot*.  XI,  1.) 


s  4  ATHALIE. 

bu  haut  de  son  palais  précipiter  ma  mère  ', 

Et  dans  un  mc^nie  jour  égorger  à  la  fois, 

Quel  spectacle  d'horreur  !  quatre-vingts  fils  de  Rois  '  ; 

VA  pourquoi  ?  pour  venger  je  ne  sais  quels  prophètes,        715 

Dont  elle  avait  puni  les  fureurs  indiscrètes  '  ; 

Et  moi,  reine  sans  cœur,  fille  sans  amitié  *, 

Esclave  d'une  lùihe  et  frivole  pitié  *, 

Je  n'aurais  pas  du  moins  à  celte  aveugle  rage 

Rendu  meurtre  pour  meurtre,  outrage  pour  outrage,         72<i 

Et  de  votre  David  traité  tous  les  neveux 

Comme  on  traitait  d'Achab  les  restes  n>alheureux  •? 

Où  serais-je  aujourd'hui,  si,  domptant  ma  faiblesse, 

Je  n'eusse  d'une  mère  étouiïé  la  tendresse''  ; 

Si  de  mon  propre  sang  ma  main  versant  des  flots  725 

N'eût  par  ce  coup  hardi  réprimé  vos  complots? 

Enfin  de  votre  Dieu  l'implacable  vengeance 

Entre  nos  deux  maisons  rompit  toute  alliance. 

David  m'est  en  horreur  ;  et  les  fils  de  ce  roi, 

Quoique  nés  de  mon  sang,  sont  étrangers  pour  moi.         7?(i 

JOSABET. 

Tout  voiis^a  réussi.  Que  Dieu  voie,  et  nous  juge. 

A  T  H  A  L  I  E 

Ce  Dieu,  depuis  longtemps  votre  unique  refuge, 

Que  deviendra  l'eiret  de  ses  prédictions  '? 

Qu'il  vous  donne  ce  roi  promis  aux  nations, 

Cet  enfant  de  David,  votre  espoir,  votre  attente  ...  73K 

I.  Voir  In  Préface. 

î.  Pour  faire  le  vrrs,  le  pofele  renchérit  un  peu  sur  l'histoire:  «  Eranl  auteni 
Achab  sinluavrliila  (ilii  in  Samaria  :  scripsit  eigo  Jehu  lilloras,  et  misil  in  Sii- 
mariam  aa  opiinialus  (livllalis...  Pnrro  lilii  Ucgis,  sepluaginta  viri,  apml  oplinii- 
Ics  civitatis  nutricliantiir.  Cuinquo  vcnisscnt  iiltcrte  aii  eos,  tulerunt  filios  Uc- 
gis, et  oocidcrunl  scpliiaginla  viros.  »  (/  V  Roix.  X.  I,  C  ol  7.) 

3.  Ahdias,  pour  sauver  des  furours  de  Jé/al)cl  les  élèves  des  prophètes,  dut 
les  cacher  dans  les  grollcî'dos  montagnes  d'K|iliraim. 

4.  Sans  tendi'cssc.  De  nièino  dans  Anilromnque  (V,  m)  : 

Je  «oiie  à  votre  Dli  une  amitié  de  pure. 

5.  Ce  qui  est  Trivotc  a  une  mince  valeur  ;  ce  qui  est  futile  n'en  a  aucune. 

0.  Voir  la  note  du  vers  iSfi. 

7.  K  Atlialic  voulut  qu'il  ne  restât  pas  un  seul  de  la  maison  do  David,  et  (^llo 
crut  avoir  ex/foulô  son  dess<'in.  Il  n  en  resta  qu'un  seul,  qui  était  fils  d'Oko- 
aias.  »  {Heniiirt/iin  de  J.  /tueur  ) 

1.  Selon  I  Arad^kniio,  il  fallnif  çufl  tara,  et  .ion  pas  //>ie  Aevirmlni.  - 
M.  r.idel  a  heureuBemrnl  rapproelié  de  ce  cri  de  Iriomplm  d'AOïalie  une  stioplie 
det  Premtvrei  Aléditatùmii  /métii/uni  de  Lamartine  : 

Poar  met  flrrii  «ninniii  ce  douil  eut  une  fi'te; 
lli  t»  niontroiil.  SoJKni-ur,  Ion  Chritt  liiiinilié^ 
Et  Mulucli  en  |in»nnt  ■  «ccoué  I*  I4(é 
Kl  tourl  A'  pille. 


ACTE   II,    SCKNE   VIII.  «5 

Mais  nous  nous  reverrons.  Adieu.  Je  sors  conlente  : 
J'ai  voulu  voir;  j'ai  vu  '. 

ABNER,   à  Josabet. 

Je  vous  l'avais  promis  > 
Je  vous  rends  le  dépôt  que  vous  m'avez  commis  ', 


SCKiNE  VIII. 

JOAD  ',  JOSABET,  JOAS,    ZACIIARIE,    ABNER,   SALOMI TH, 

LÉVITES,  LE  CHŒUB. 
JOSABET,  à  Joad. 

Avez-vous  entendu  cette  superbe  reine*, 
Seigneur? 

JOAD. 

J'entendais  tout  et  plaignais  votre  peine  '.        740 

1.  Athalie,  malgré  son  arrogance,  se  trompe  ;  elle  n'a  pas  vu  ce  qu'il  lui  aurait 
fallu  voir  ;  le  Seigneur  a  déjà  répandu  sur  ellu  l'esprit  d'imprudence  et  d'erreur. 
«  Nous  nous  reverrons  !  C'est  le  mot  du  poltron  qui  ne  veut  pas  se  battre,  et  lo 
fait  est  qu'elle  ne  sait  plus  à  quel  piojel  s'airètur.  Klle  pailc  de  raser  le  temple, 
elle  envoie  Mallian  en  ambassade,  puis  Abiier;  elle  dcmamle  Eliaci»,-  puis  un 
trésor.  Elle  ne  sait  ni  ce  qu'elle  veut,  ni  ce  qu'elle  fait.  »  (M.  SAncBï,  Le  Temps 
du  11  août  18T3,  Chronique  Ihéàtrale.)  —  <■  L'arlrire  inimitable  (M"»  Dumes- 
nil)  qui  joue  ordinairement  le  l'ole  d'Alhalic,  donne  à  rc  peu  de  paroles  la  plus 
grande  expression,  par  l'art  et  la  forée  avec  lesquels  elle  les  exprime  ;  son  air, 
ses  regards,  son  sileiire,  disent  tout  re  qu'elle  semble  vouloir  r.irhcr.  »  (Lunbau  ob 
BoisjKiiiuiN.) —  Jules  Janin  a  dit  de  liacliel  dans  le  rôle  d'Allialie  :  «Son  jeu  avait 
la  fièvre,  elle  ne  se  posséihiit  plus  elle-incme;  persécutée  par  le  songe  qui 
pousse  Alhalie,  elle  ariive  lialetante.  et  la  voilà  qui  manque  de  sang-froid  d;ins 
la  scène  tenibic  du  petit  Joas  interrogé  par  la  leine  impie.  Avec  plus  de  caimo 
elle  eût  été  plus  terrible.  Alhalie  furieuse  peut  se  tromper,  .\llialic  sérieuse 
ne  se  ti'ompe  pas;  elle  voit  clair,  elle  voit  jusie,  elle  peut  ilire  enfin  :  J'ai  voulu 
voir,  j'ai  vu  !  IS'on,  celle  femme  accablée  d'une  épouvante  secrète,  cette  âme  in- 
quiète et  qui  ne  sait  à  quoi  s'c,l  tenir,  celte  pile  mégère  entourée  à  ce  point  de 
la  secrète  horreur  que  contient  ce  lieu  formidaii'e,  ne  devait  pas  s'abandonner  à 
cette  fureur  croissante.  Aussi  bien  Ilacine  avait  fait  une  Allialie  active  et  calme. 
Il  voulait  que  chaque  parole  et  chaque  signe, au  moiniire  regard  de  cetic  question 
préalable,  retentit  dans  l'âme  de  l'auditoire,  et  que  la  traséilienne,  à  forr£  de  se 
dominer  elle-même,  arrivât  à  l'irrési-itible  domination  de  toutes  les  âmes  d'alen- 
tour. »  (  Mademohrlle  Rachel  et  la  Tragédie,  p.  280-^81.) 

2.  Voir  la  note  du  vers  Clfl. 

3.  Joad  Joit  apparaître  ici  revêtu  de  ses  insignes,  et  porter,  dit  M.  Atlia- 
nase  Coquorel  :  «  le  rochet  ou  robe  de  dessus,  couleur  de  pourpre,  tissu  d'une 
seule  pièce  et  ouvert  seulement  pour  le  passage  du  rorps  et  des  bras;  l'éphod 
tissu  de  lin  brodé  d'or,  enrichi  de  perles,  qui  s'attachait  sur  les  épaules  ;  le  pec- 
toral, de  pareille  élolfe,  d'une  palme  en  tous  sens,  et  portant  sur  quatre  rangs 
des  pierres  précieuses  où  les  noms  des  tribus  d'Israël  étaient  gravés;  la  cein- 
ture large  de  quatre  doicts,  qui  faisait  doux  fois  le  tour  du  corps  et  tombait 
jusqu'aux  pieds  ;  enfin  la  tiare,  sorte  de  turban  do  On  lin,  dont  le  bai  était 
entouré  d'une  bande  brodée,  sur  laquelle  s'attachait  uns  plaque  d'or  avec  l'ins- 
Tiption  :  Consacré  à  Jéhovn.  » 

4.  Cette  orgueilleuse  reine. 

5.  Racine  a  eu  soin  do  ne  pas  nous  nv,Mlir  do  ce  détail  ;  s'il  nous  l'.ivail  appris 


se  ATUALIB. 

Ces  lévites  et  moi,  prôts  à  vous  secourir, 
Kous  étions  avec  vous  résolus  de  périr. 

(a  Joas,  en  l'embrassant.) 

Que  Dieu  veille  sur  vous,  enfant  dont  le  courage 

Vient  de  rendre  à  son  nom  ce  noble  témoignage  '. 

Je  reconnais,  Abner,  ce  service  important.  745 

Souvenez-vous  de  l'heure  où  Joad  vous  attend  *. 

El  nous,  dont  celte  femme  impie  et  meurtrière 

A  souillé  les  regards  et  troublé  la  prière, 

Rentrons  ;  et  qu'un  sang  pur,  par  mes  maitis  épanché, 

Lave  jusques  au  marbre  où  ses  pas  ont  touché*.  750 


SCÈNE  IX. 

LE  CHOEUR  ». 

UNE    DES     FILLES    DU     CHŒUR. 

Quel  astre  à  nos  yeux  vient  de  luire? 
Quel  sera  quelque  jour  cet  enfant  merveilleux*? 

plus  tôt,  nous  aurions  moins  tremblé  pour  Jo.is.  a  Jamais  tous  ne  prendrer.  Joad 
en  déraut  de  négli^'cnc-c.  Atlmlie  vcul  voir  et  interroger  Joas.  On  craint  un  pé- 
ril, et  ce  brave  Abuer  le  prend  sous  sa  protection  : 

Priiicooe  aisurci-Touj  :  je  le  proiidi  (oik  uu  garde. 

Vous  rroyfz  peut-cire  que  Joad  dort  sur  celte  assurance.  Il  l'estime  ce  qu'elle 
Taut,  il  est  donc  rcstô  à  la  porte,  écoulant  et  l'arme  au  bras: 

J'écoulait  toal  el  p'aigiiais  loUn  peins • 

(M.  S««CET,  Le  Tcvipsda  G  octobre  1878,  Chronique  théâtrale.) 

1.  Jlendre  léinoiiiiiiigc  ù  une  cboso,  c'est  la  reconnaître  et  y  rendre  hommas'e. 
•  Itrndez  ici  témoigna i,'o  à  la  xérità.  »  (rtnuiun,  Oruùoii  fuiitbn?  de  Marie- Thé- 
rcse.)  Les  murlyrs  n'elaicnl  pas  aiilre  rliosc  que  des  gens  qui  rendaient  téinoi- 
gnaije  ;  et  c'est  de  la  que  \ient  leur  nnm. 

2.  Il  y  a  ici  une  inadvcrlanco  ;  Joad  aiait  donné  rcndpz-vous  à  Abncr  pour  le 
sacrifice  de  la  troisième  heure  ;  or,  ce  saci'iûce  a  été  interrompu  par  l'airivéc 
d'Atlinlic,  nt  la  troisième  heure  est  passée. 

3.  Les  déinilf  de  celle  cérémonie  se  trouvent  dans  le»  A'oniérct  (XIX,  4  et  stj.). 
Le  grand  iirclre,  nprcs  avoir  imnuilé  une  génisse  rougo,  ticnipait  le  doigt  dans 
le  satig  cil-  la  viclime,  fais.'iil  sept  fois  1  aspersion  à  Icnlrée  du  tabernacle  el 
dans  la  suite  du  temple,  et  laissait  pn:iuilc  la  victime  se  consumer  sur  raiilcl. 
Dans  la  religion  grecque,  les  ministres  du  '«mpic  ne  pouvaient  pénétrer  dans  le 
MDCluaire  qu'après  s'eire  puriTiés  par  des  ablutions.  Voir  Euiipiao,  /on, t.  04-97: 

'AXV,  Cl  4>oIîou   &i").to\  Oi^aKit, 

Bal'/iTi  jiva;,  xatu^aT;  it  Soiaeif 
'Afu9^av&|iivoi  TTil;(iti   vaou;. 

4.  L«  rbmur  eliante  la  sagesse  de  reofant  merveilleux,  et  développe  cette  prn. 
Ȏe  que 

l.r  bonheur  de«  iiitchanti  coniiiia  un  lorranl  l'écouie. 

5.  •  O'ii*.  putas,  puer  iste  erit?  »  (Luc,  i,  GO.) 


ACTE  II,    SCÈNE   IX.  8  7 

!1  brave  le  fasle  orgueilleux, 
Et  ne  se  laisse  point  séduire 
A  tous  ses  attraits  périlleuv*.  755 

UNE  AUTRE. 

Pendant  que  du  dieu  d'Alhalie 

Chacun  court  encenser  l'autel, 

Un  enfant  courageux  publie  * 

Que  Dieu  lui  seul  est  éternel. 

Et  parle  comme  un  autre  Élie*  700 

Devant  celte  autre  Jézabel. 

UNE    AUTRE. 

Qui  nous  révélera  (a  naissance  secrète*. 

Cher  enfant?  Es-tu  fils  de  quelque  saint  prophète? 

UNE     AUTRE. 

Ainsi  l'on  vit  l'aimable  Samuel 

Croître  à  l'ombre  du  tabernacle  *.  763 

Il  devint  des  Hébreux  l'espérance  et  l'oraclo. 
l'uisses-tu,  comme  lui,  consoler  Israël  ! 

ONE  AUTRE  chante. 

0  bienheureux  mille  fois 
L'enfant  que  le  Seigneur  aime, 
Qui  de  bonne  heure  entend  sa  voix,  770 

Et  que  ce  Dieu  daigne  instruire  lui-môme  •! 
Loin  du  monde  élevé,  de  tous  les  dons  des  cieu 
Il  est  orné  dès  sa  naissance; 
Et  du  méchant  l'abord  contagieux 

N'altère  point  son  innocence.  775 

1.  «  Périlleux  DO  so  dit  que  du  dani^er  physique,  et  non  pas  du  dant'er  mo- 
ral. »  [Scnlimenls  de  l'Académie  sur  Àthaliê.)  J.-I).  Rousseau  (Liv.  I,  Ode  1),  a 
éciil  après  llarinc:  Ci'luL 

Qui,  braiant  du  m^rliaiit  le  Ui\c  rouronoé, 
Uoiiore  la  tel  lu  du  ju^te  io'orluiié. 

i.  Déclare  haiilcnient. 

3.  n  n'est  dit  nulle  part  qu'Elie  ait  pnru  devant  Jézal)cl. 

4.  >>  (icncralioncm  cjus  quis  enarrabit?  »  (Isiin,  LUI,  8.)  Voir  Œdipe  roi 
Y.  1007: 

Tl{  91,  Tivxov,  t(ç  a'  fiixx 

Tûv  gioixpiiûvuy  ;  £^a 
Ilavb;  dpi<T(fi8«-:a  tt; 
nç<)inti>.o»(l«T<i',  j)  gi  1» 
Ti;  <uy4tt,j  Ao;(ou  ; 
8.  «  Puer  aulcm  Samuel  proficiebat  alque  crescebat,  et  placebal  tara  Domino 
qunm   boininibus.  »  (/  Jiois,  Il  et  Ul.)  On  se  rappelle  que  c'est  Samuel  qui  a  fait 
passer  le  peuple  du  régime  d'une  magistrature  ai-istocratique  et  sacerdotale  à  la 
royauté  de  Saiil. 

6.  >(  Bcalus  homo.  qui-m  tu  erudieris,  Domine,  et  de  lege  tua  docueris  eum.  » 
{Psaume$,  XCUÏ,  12.) 


s  s  ATllAI.lE. 

TOUT  LE   CHŒOB. 

Heureuse,  heureuse  l'enfance 
Ouo  le  Seigneur  instruit  et  prend  sous  sa  défense! 

LA    Ml^ME    VOIX  seule. 

Tel  en  un  secret  vallon  *, 
Sur  le  bord  d'une  onde  pure  *, 
Croît  à  l'abri  de  l'aquilon,  780 

Un  jeune  lis,  l'amour  de  la  nature  ", 
Loin  du  monde  élevé,  de  tous  les  dons  des  cieux* 
11  est  orné  dès  sa  naissance; 
Et  du  méchant  l'abord  contagieux 

N'altère  point  son  innocence.  .  'i^'i 

TOUT     LE     CUŒUR. 

Heureux,  heureux  mille  fois 
L'enfant  que  le  Seigneur  rend  docile  à  ses  loisl 

UNE    VOIX     seule. 

Mon  Dieu,  qu'une  vertu  naissante 
Parmi  (aiil  de  périls  marche  à  pas  incertains! 
Qu'une  àiiie  qui  te  cherche  et  veut  être  innocenlc  790 

Trouve  d'obstacles  à  ses  desseins  ! 

Que  d'ennemis  lui  font  la  guerre! 

Où  se  peuvent  cacher  tes  saints"? 
Les  pécheur?  couvrent  la  terre. 

UNE     AUTRE. 

0  palais  de  David,  et  sa  chère  cité  ',  'W.'i 

Mont  fameux,  que  Dieu  môme  a  longtemps  habile^ 
Comment  as-tu  du  ciel  attiré  la  colère? 

1.  Secret  a  ici  le  sens  étymolojrique  :  tecretus,  reculé,  écarté. 

2.  On  a  rapproché  de  colle  strophe  quelques  vers  d'Momère  (fliade,  XVII, 
53-56)  : 

Olov  Si  TflïH  fpvoç  ivJjp   lpiOr)>.J;  lXa(T|; 
Xùpui    Iv  o!ot:<>X<;>,  ôO'  iiXi;  4vaôi'6fu/iv  xiSaf, 
Kaîbv,  TTjXtOi/.ov   TO  Si  Ti  i:voia\  5oviou7iv 
nav-oldjv  àvifiuv,  xal  ti  Pfùii  uvOiï  uuxif, 

I.  Souvenir  de  Catulle  {Carmen  nuptiale,  LXII,  v.  39-41]  : 

\]\  (loi  m  li'ptii  «ecrclus  iia'riliir  liorli*, 

lu'ncitiii  pciori,  niilln  rniilii^ni  aralri), 

OiH'iii  iiiiilei.'iil  dure,  fli mil  lul,  eJnrat  imbrr,  etc. 

I.e  lis  ftcquirrt  en  Judée  iino  n'.iDiid.ini'e  do  lleurg  cxir.iordinaire. 

4.  Tous  ces  vers,  de  782  A  793,  ont  été  ajoutés  par  Haeine  dans  l'édition  d» 
(f.Oi. 

.5.  ÇnintoHeuvc  (Porlliotjnl,  143)  a  cnrore  vu  dins  ces  deux  vir«  une  .il- 
usion  fi  l'oit  Ilovnl. 

«.  "  Haliilavit  nuiom  Ilnvid  in  aree  (Sion)  et  vocavit  cnm  Civilnlem  David  » 
// /ïfiij,  V,  0  )  Sion  c<il,  des  trois  rnilines  sur  lesquelles  est  fi8«ise  JéruoHiem, 
celle  dcitit  la  déronsn  offre  le  moins  de  diflieultés. 

7.  «.  Mou»  iu  quobtncplaLlIum  est  Dco  liabitare  in  eo.  »(Psaumfl$.  LXVfl,  (7.) 


ACTE   II,    SCÈNE  IX.  P9 

Sion,  chère  Sion,  que  dis-lu  quand  tu  vois 
Une  impie  étrangère 
Assise,  hélas  I  au  trône  de  les  Rois?  «00 

TOUT     LE    CUŒUR. 

Sion,  chère  Sion,  que  dis-lu  quand  lu  vois 
Une  impie  étrangère 
Assise,  hélas!  au  trône  de  tes  Rois? 

LA     MI^UE    VOIX    continue. 

Au  lieu  des  cantiques  charmants' 
Où  David  l'exprimait  SCS  saints  ravissements ',  80o 

Et  bénissait  son  Dieu,  son  Seigneur  et  son  père, 
Sion,  chère  Sion,  que  dis-tu  quand  tu  vois 

Louer  le  dieu  de  l'impie  étrangère, 
Et  blasphémer  le  nom  qu'ont  adoré  tes  Rois? 

UNE    VOIX      seule. 

Combien  de  temps,  Seigneur,  combien  de  temps  encore    810 

Verrons-nous  contre  toi  les  méchants  s'élever'  ? 

Jusque  dans  ton  saint  temple  ils  viennent  le  braver. 

Ils  traitent  d'insensé  le  peuple  qui  t'adore. 

Combien  de  temps,  Seigneur,  ombien  de  temps  encore 

Verrons-nous  contre  loi  les  méchants  s'élever  *?  815 

UNE     AUTRE. 

Que  vous  serf,  disent-ils,  celte  vertu  sauvage? 
De  tant  de  plaisirs  si  doux 
Pourquoi  fuyez-vous  l'usage? 
Votre  Dieu  ne  fait  rien  pour  vous». 

1.  Cette  strophe  a  été  ajoutée  par  Rarine  en  1G07. 

2.  Lorsque  nous  éprouvons  une  vive  joie,  nous  sommes  comme  saisis,  trans- 
portés, ravis  hors  de  nous-mêmes. 

3.  Il  Usquequo  pcccatorcs,  Domine,  usqucquo  peccatores  gloriabunlur  :  cffa- 
buntur,  et  loquentur  iniquilatem  ;  loqucntur  omncs  qui  operantur  injusiitiam  ? 
Topulum  fuum,  Domine,  humiliavenint,  et  liorcdilalom  tuara  veiaverunt.  • 
{/'saumes,  XCIII,  3-5.)  J.-B.  Rousseau  (Liv.  I,  Ode   XII)  dira  : 

Ju-qiici  A  quand,  Si'iîncur,  sonirriroi-vouJ  riTrcis» 

Dt  ci«  'iipprhc»  criiuiiifli, 

De  qui  la  aiHlice  lrans!;reB-e 

Vos  ordres  j.?  plus  auleiiiiL'l*, 
F.l  dont  l'iiiipielc  barbare  el  lyriiniiiiiue 
Au  crimi*  ajoute  eiicor  le  iiicpri»  ironique 

De  vus  preci-plsi  éliruiil»? 

4.  Se  soulever;  de  même  Pascal,  dans  la  première  Provinciale  :  «  Il  est  teraps 
de  s'élever  contre  de  tels  désordres.  » 

t.  né  quoi  T  dir.iit  l'iinpi^lé, 

Où  donc  e^l-il,  ce  Dieu  (i  redouté, 
Dont  Jtraël  noua  vantait  la  piiis<anra  7 

(Eslher,  I,  T.) 
Raeine  s  est  souvenu  de  plusieurs  pn-ssaïes  de  rKrrilutc  :  «  >e  forte  dicant  in 
frentibus  :  «  Ubi  est  Deus  eorum  ?  »  [P.inume.i,  LXXVIII.  in).  —  «  Uicitur  inilil 
quotidie:  «  Ubi  est  Deus  tuus.  »  {Psaumes,  XLl,  i.) 


00  ATllALli;. 

ONE      AOTRB. 

Rions,  chantons,  dit  celle  troupe  impie;  820 

De  (leurs  en  fleurs,  de  plaisirs  en  plaisirs, 

Promenons  nos  désirs. 
Sur  l'avenir  insensé  qui  se  fie'. 
De  nos  ans  passagers  le  nombre  est  incertain, 
llàtons-nous  aujourd'hui  de  jouir  de  la  vie;  825 

Qui  sait  si  nous  serons  demain*? 

TODT      LE      CUŒUR. 

Qu'ils  pleurent,  ô  mon  Dieu,  qu'ils  frémissent  de  crainte, 

Ces  malheureux,  qui  de  la  cité  sainte 

Ne  verront  point  réternclie  splendeur*. 
C'est  à  nous  de  chanter,  nous  à  qui  lu  révèles  830 

Tes  clartés  iminortolles*  ; 
C'est  h  nou^  de  chanter  les  dons  et  ta  grandeur. 

UNE    VOIX     seule. 

De  tous  ces  vains  plaisirs  où  leur  ûme  se  plonge, 
Que  leur  rcslera-t-il?  Ce  qui  reste  d'un  songe 

Dont  on  a  reconnu  l'erreur.  835 

A  leur  réveil,  ô  réveil  jdoin  d'horreur 'I 

1.  Le  premier  Ters  île    Plaidfurs  ciprime  la  même  i'Jée  : 

Mt  foi  I  lur  i'aTL'iilr  bian  Ton  qtii  le  fli'ra  I 

2.  «  Venite  erg:o,  et  fruamur  bonis  quae  sunf,  cl  utamur  croatura  fanqinm  in 
juvenlutc  celerilcr.  Vino  prelioso  et  unguenlis  nos  impicamus;  et  non  priiRtcreat 
DOS  llos  tcmporis.Coroncmus  nos  rosis,  antC()uani  niarccscant:  nulliim  pratum  sil 
quod  non  pcrtranscal  luxnria  nostra.  »  {Sar/rsse,  II,  6,  8.)  —  <i  Comcilamus  et 
bibamiis  ;  cras  cnim  moriemur.  »  (Isiia,XXlI,  13.)  —  Tous  les  poètes  ont  exprimé 
celte  i'iée  : 

Carpe  diem,  minimum  crodiila  poslrro, 

(lIoniCK.) 
Vi»oi,  «i  m'en  crojc».  n',ill«ndeii  demain  : 
Cueitiui  ddi  aujuuid'bui  les  roies  de  la  tio. 

(noNsino.) 
Cueillei,  euetllef  votre  Jcuncise, 

(Id.,  à  Cntsnndr».) 

Chciiut  Jour  est  un  bli>ii  que  rin  eiel  je  r«çnt; 
Ju  Juiiii  anjuiird'hiii  ili;  Ciliil  iiii'M  me  iloiini>  ; 
Il  ii'appartirnl  pa<  plut  atii  j'iiixi  gi'n<  i|ii'li  mol, 
Et  la  jour  de  demain  n'npiiailiijnl  k  periminn. 

(Fatabt,  A/émoirei.  Pensées,  t.  III,  p.  328.) 

3.  «  Broliis  cro  xi  fucrint  roliquitc  leminis  moi  ad  vidcndam  clarilalcm  Jeni- 
»al.m  n  (Tobic,  XIII,  ÏO.) 

4.  Quelques  acndùniiclcns  ont  trouva  belles  les  expressions  h  révéler  U  lu- 
mière, révéler  les  clartés  »  ;  d'niitre<i  Irs  ont  trouvées  irrégulicroi. 

5.  J.-D.  nousscau  a  écrit  : 

Cummi-iil  tint  da  i;raiiririir  l'eil-dla  Aranniiia  T 

hini  un  louimifil  priifoml  ili  nnl  pai<4  l«ur  «l«, 

El  la  iiiorl  a  lall  Isur  ri>eil. 

Il  a.  rnmme  nncine,  imité  les  livres  snints  :  •  Dormirrunt  somnum  suuni,  et  nihil 
ii«en<>runl  omm'i  virl  diviliarura  in  minibus  suis.    »  (Ptaumci,   LXXV,  8.)  — 


ACTE   II,    SCÈNE    IX.  91 

Pendant  (|ue  le  pauvre  à  ta  table 
Goûtera  de  la  paix  la  douceur  iiieiïable', 
Ils  boiront  dans  la  coupe  affreuse,  inépuisable, 
Que  tu  présenteras  au  jour  de  ta  fureur  840 

A  toute  la  race  coupable  *. 

TOUT     LE      CDŒDR. 

0  réveil  plein  d'horreur  1 
0  songe  peu  durable  1 
0  dangereuse  erreur! 

•  Velut  somiiiura  a\oIans  non  invcnietur,  transit  sictit  visio  noclnroa.  »  {Job, 
XK,8.) 

I.  Bappelons-nous  que  dans  la  parabole  du  mauvais  riche  et  de  Lazare,  le 
pauTre  est  porté  par  les  anges  dans  le  sein  d'Abraham,  c'est-à-dire  à  uue 
plac»  d'Iionncur  dans  les  festins  éternels. 

i.  «  Cilix  in  manu  Domini  vini  meri  plenus  misto...  F.-ei  ejus  non  est  eiina- 
nita  :  bibent  omnes  pectatores  terrte.  »  {Psaumes,  LWIV,  9.)  Comparez  aussi 
Isaïe  (LI,  17):  •  Consurge,  Jérusalem,  qnir  liil.i<(i  d«m<<n(i  Pomini  calicem  irae 
•jus.  • 


ACTE  TROISIÈME. 

SCÈNE  I. 

MATllAN,    NARAL,    le  cnŒon. 

MATHAN. 

Jeunes  filles,  allez  :  qu'on  dise  à  Josabet  8ia 

Que  Malhan  veut  ici  lui  parler  en  secret. 

DNE      DES    FILLES    DD    CHŒDR. 

Malhan  I  0  Dieu  du  ciel,  puisses-lu  le  confondre'! 

NADAL. 

lié  quoi  ?  tout  se  disperse,  et  fuit  sans  vous  répondre? 

UATHAN. 

Approchons  *. 

SCÈ.NE  H. 

ZACHARIE,  MATHAN,  NABAL. 

zâcharie. 
Téméraire,  où  voulez-vous  passer'? 
Au  delà  de  ce  lieu  gardez-vous  d'avancer.  ^-"iO 

C'est  des  ministres  saints  la  demeure  sacrée; 
Les  lois  à  tout  profane*  en  défendent  l'entré"'. 
Qui  cherchez-vous  ?  Mon  père,  en  ce  jour  solennel, 
Del'idolàlre  impur  fuit  l'aspect  criminel  ; 
Kt  devant  le  Seigneur  maintenant  prosternée,  855 

Ma  mère  en  ce  devoir  craint  d'élre  détournée. 

1 .  De  même  Esther(\ll,  iv)  : 

O  Dieu,  conroiiJ»  fandict  et  l'impoiturc  I 

2.  A  la  Comédie  Française,  on  supprime  a  la  rcpréscntnfion  le  rlunir  précédenf. 
tinsi  que  la  première  scène  de  cet  iictc.  M;itlian  cntro,  suivi  de  Nnbal  ;  ne  vu\.int 
personne,  il  «'apprête  à  lever  le  rideau  qui  est  au  fond  de  la  sccne  ;  Zacliaiie 
sort  de  derrière  ce  rideau,  comme  s'il  s'y  étuil  caché  tout  exprès,  et  cric  : 

Témrraire,  où  foulci-tous  pis'cr? 

Cet  àrranf^cmciit  produit  Vvïïit  le  plus  piteux  du  monde. 

3.  Zacharic  nous  a  raconté  au  dél)ut  de  liietc  précMent  comment  JoaJ  avait 
»eeu  Athalie  ;  il  imite  son  pcre  en  recevunt  Matlian. 

4.  Ce  qui  est  prulano,  c'est  ce  qui  ost  eo  dvbors  du  temple,  pro  fano. 


ACTE  III,    SCENE  III.  9i 

MATUAN. 

Mon  fils  •,  nous  attendrons:  cessez  de  vous  troubler. 
(.'est  votre  illustre  mère  à  qui  je  veux  parler. 
Je  viens  ici  chargé  d'un  ordre  de  la  Reine*. 


SCENE  III. 

MATHAN,    NABAL». 

NABAL. 

Leurs  enfants  ont  déjà  leur  audace  hautaine.  860 

Mais  que  veut  Athalie  en  cette  occasion*? 
iJ'où  naîl  dans  ses  conseils*  cette  confusion  ? 

Par  l'insolent  Joadcejijaiii)  offensée, ■^*-^ 

VA  d'un  enfant  fatal*  en  songe  menacée, 

Klle  allait  immoler  Joad  à  son  courroux,  8C5 

VA  dans  ce  temple  enQn  placer  Baal  et  vous. 

Vous  m'en  aviez  déjà  confié  votre  joie, 

i-^t  j'espérais  ma  part  d'une  si  riche  proie'. 

Oui  fait  changer  ainsi  ses  vœux  irrésolus? 

MATUAN. 

Ami,  depuis  deux  jours  je  ne  la  connais  plus,  870 

Ce  n'est  plus  celte  Heine  éclairée,  intrépide. 

lUevée  au-dessus  de  son  sexe  timide, 

(Jui  d'abord"  accablait  ses  ennemis  surpris®, 

Lt  d'un  instant  perdu  connaissait  tout  le  prix'". 

^.  L'âge  et  le  rang  de  J!alli;ii)  l'autûriscnt  i  se  servir  de  celte  affectueuse 
déuoniination. 

2.  Matlian  sait  bien  que,  sans  cela,  Josabet  ne  consentirait  point  à  le  voir. 

3.  Au  sujet  de  ce  rôle,  voir  notre  Notice  sur  Athalie.  Le  dernier  Nabal  de  la 
C.oniédio  française  faisait  rire  par  son  extérieur  dénué  de  toute  élégance  et 
par  sa  mise  sordide.  Nous  croyons  qu'il  avait  raison  de  s'accoutrer  ain«i. 

4.  <■  Le  ternie  occasion  est  inipiopre  et  faible.  »  [Sentiments  de  l Académie  sur 
Athalie.) 

5.  Les  conseils,  ce  sont  les  vues,  les  principes  qui  dirigent  la  coaJuile.  Racice, 
t  l'acte  1,  scène  ii,  avait  déjà  employé  ce  mot  : 

Confond]  Jani  lei  coDseili  ane  roint'  cruelle. 

6.  Marqué  par  les  destins. 

7.  Tout  le  caractère  de  Nabal  se  peint  dans  ce  vers, 
g.  Aussitôt,  8ur-le-cliamp. 

9.  San»  leur  laisser  le  temps  de  se  reconnaître. 

10.  Voilai re  a  imité  ce  vers  dans  la  IJeiiriade(l\): 

bel  loaiiieiitt,  diiK  U  guerre,  il  coDDalt  tout  l«  )iiii. 


9  4  ATIIALIB. 

La  peur  d'un  vam  remords  trouble  celle  grande  Ame'  :     875 

Kllc  floUc,  elle  hésite;  eu  un  mot,  elle  est  Temme'. 

J'avais  laiilôl  rempli  d'amerUime  ol  de  fiel  ' 

Son  cœur  déjà  saisi*  des  menaces  du  ciel  ; 

inie-môme,  âmes  soins  confiant  sa  vengeance, 

M'avait  dit  d'assembler  sa  garde  en  diligence;  880 

Mais  soil  que  cet  enfant  devant  elle  amené, 

De  ses  parents,  dit-on,  rebut  infortuné  *, 

Eût  d'un  songe  efirayant  diminué  l'alarme. 

Soit  qu'elle  eût  môme  en  lui  vu  je  ne  sais  quel  charme, 

J';ii  trouvé  son  courroux  chancelant,  incertain,  8S5 

El  déjà  remettant  sa  vengeance  à  demain. 

Tous  ses  projets  semblaient  l'un  l'autre  se  détruire'. 

«  Du  sort  de  cet  enfant  je  me  suis  fait  instruire', 

Ai-je  dit.  On  commence  à  vanter  ses  aïeux; 

Joad  de  temps  en  temps  le  montre  aux  factieux,  8'JO 

Le  fait  attendre  aux  Juifs,  comme  un  autre  Moïse, 

Et  d'oracles  menteurs  s'appuie  et  s'autorise.  » 

Ces  mots  ont  fait  monter  la  rougeur  sur  son  front. 

Jamais  mensonge  heureux  n'eut  un  elTet  si  prompt*. 

«  Est-ce  à  moi  de  languir  dans  celte  incertitude?  895 

Sortons,  a-t-elle  dit,  sortons  d'inquiétude. 

Vous-même  à  Josabet  prononcez  cet  arrêt: 

t.  Joc.'iste  ilaiis  X'Œdipc  roi  de  Sophn^le  (914-917)  peignait  Ja  tr&i(s  ftualo- 
gucs  les  irrésolutions  douloureuses  d'OKJipc  : 

'X^tt\i  Y^-f  af^ii  Ou(&iv  0*^(7cou£  Syav 
iVûrKifft  ravToiaiiTiv'  eù$'  onoT    &vi]f 
Ewou;  Ti  xaivà  -ot(  icâ).ai  TiKfiatpiTai, 
'KW  Tirti  TOÛ  /h'yovto;,  il  ^oôo'jj  Xt^oi. 

2.  baus  U  Sémiramis  de  Voltaire  (II,  iv),  Cédar  dira  de  la  Iloiua  t 

Kle  devii'nl  lembUble  tu  reile  do  mortels: 
Clla  1  coiiuu  l(  eraiule 

3.  Fiel  sigiiifiL'  ici  :  aniniosité.  Voltaire  a  écrit  dans  son  Essai  sur  le»  m<riirt  : 
m  LiillicT,  Zwiiiglc,  Calvin,  avaient  dos  iixciirs  Taroucbos  ;  Uurs  discours  rcspi- 
ruiuiit  le  fiel.  » 

4.  Saiti  A  souvi'iil  le  sens  de  :  caplivé,  domina  par: 

StItI  il'b'irrcur,  de  joie  «t  do  nTlMcoiciil. 

(fphifjénie,  V,  VI.) 

5.  I.'é|>illièle  relève  ce  ()ue  le  substantif  seul  aurait  eu  de  trop  Irliial. 
C.  Itaciue  avait  déjà  dit  de  Phi'dre{\,  m): 

CuiniDc  OD  «oit  tout  iri  lam  l'un  l'iiilra  m  détruir* 
7«  Do  sa  naissance,  do  son  rang.  Du  mime  (II,  v]  : 

Lj  iploodrur  d*  ion  tuct  duii  liller  >t  ruina. 
(,  C'c'kl  un  riant  ijut  Mulhao  proiionuo  eu  vcm. 


ACTE  III,    SCI!;NB  III.  »h 

Tes  feux  vont  s'allumer,  et  le  fer  est  tout  prôt'; 

(lien  ne  peut  de  leur  temple  empocher  le  ravage, 

Si  je  n'ai  de  leur  foi  cet  enfant  pour  otage  *.  »  000 

NABAL. 

lié  bien?  pour  un  enfant  qu'ils  ne  connaissent  pas, 
Que  le  hasard  peut-être  a  jeté  dans  leurs  bras, 
Voudront-ils  que  leur  temple  enseveli  sous  l'herbe.,. 

MATQAN. 

Ah  I  de  tous  les  mortels  connais  le  plus  superbe*. 

Plutôt  que  dans  mes  mains  par  Joad  soit  livré  903 

\Jn  enfunt  qu'à  son  Dieu  Joad  a  consacré  ', 

Tu  lui  verras  subir  la  mort  la  plus  terrible*. 

D'ailleurs  pour  cet  enfant  leur  attache*  est  visible. 

Si  j'ai  bien  de  la  Reine  entendu  le  récit, 

Joad  sur  sa  naissance  en  sait  plus  qu'il  ne  dit.  910 

Ouel  qu'il  soit,  je  prévois  qu'il  leur  sera  funosle. 

Ils  le  refuseront.  Je  prends  sur  moi  le  reste'; 

|]t  j'espère  qu'enfin  de  ce  temple  odieux 

Kt  la  flamme  elle  fer  vont  délivrer  mes  yeux. 

NABAL. 

Qui  peut  vous  inspirer  une  haine  si  forte?  915 

Est-ce  que  de.Daal  le  zélé  vous  transporte*? 
Pour  moi,  vous  le  savez,  descendu  d'IsMiaél" 
Je  ne  sers  ni  Baal,  ni  le  Dieu  d'Israël. 

MATHAN. 

Ami,  peux-lu  penser  que  d'un  zèle  frivole'" 

!.  Le  mouvement  de  ce  veis  rappelle  un  vers  à' Iphiyéiue  (III,  v); 
Mai)  le  fer,  le  bandeau,  la  Qainiuo  est  taule  prèle. 

2.  Unolago  est  une  personne  que  l'on  remet  comme  gage  entre  les  mains  de  ce- 
lui avec  lequel  on  a  conclu  un  traité. 

3.  Le  plus  fier,  le  plus  intraitable. 

4.  Ces  consécrations,  déjà  en  usage  avant  SIoïso,  étaient  ou  temporaires  ou 
perpétuelles. 

5.  Matlian  pousse  Atlialic  à  demander  Joas;  au  besoin,  il  saurait,  par  sc» 
paroles  perfides,  dissuader  Joad  de  le  livrer  ;  ce  quil  veut,  c'est  la  guerre, 
persuadé  que  lui  seul  en  tirera  profit. 

0.  l'orme,  qui  a  vieilli,  du  mot  atlachcmcnt.  Bossuet  a  écrit  dans  une  de  ses 
Lettres  :  ■<  Plus  elle  mettra  en  Dieu  seul  son  attache  et  sa  confianes,  etc.  » 

7.  On  n'a  pas  assez  remarqué  tout  ce  qu'il  y  a  dans  cet  hémistiche  de  haine  et 
d'énergie. 

8.  Nabal  semble  un  peu  naïf  ;  mais  ce  qu'il  veut,  c'est  donner  à  Mathan  l'occa- 
sion de  nous  faire  son  propre  purlrait. 

9.  u  Les  Ismaélites  él.iicnt  iJol.ities  et  fort  attachés  &  leurs  faux  dieux.  »(AV 
tes  manuscrilcs  sur  Athalic.)  Isnia'-I  était  fils  d'Agar  et  d'Abraliaïu.  Dieu  avait 
dit  h  son  père:  «  Augel-o  cl  niulliplicul)o  cuin  vaKIe,  duodceim  duces  gcncrabit, 
«t  faciam  iîluni  in  genlem  magnaïu.  »  (Oenâae,  XVll,  iO).  Les  Ismaélites  étaient 
restés  fidèles  à  la  vie  nomade. 

10.  On  •  trouvé,  di^t  l'Académie,  dans  ses  Sentiments  sur  Athalic,  que  Matliao 


»6  ATUALIB. 

Je  me  laisse  aveugler  pour  une  vaine  idole,  020 

Pour  un  fragile  bois,  que  malgré  mon  secours 

Les^vers  sur  son  autel  consument  tous  les  jours'  î 

Né  ministre  du  Dieu  qu'en  ce  temple  on  adore, 

Peut-être  que  Malhanle  servirait  encore, 

Si  l'amour  des  grandeurs,  la  soif  de  commander,  925 

Avec  son  joug  étroit  pouvait  s'accommoder*. 

Qu'est-il  besoin,  Nabal,  qu'à  tes  yeux  je  rappelle' 

Ue  Joad  et  de  moi  la  fameuse  querelle, 

Quand  j'osai  contre  lui  disputer  l'encensoir  *, 

Mes  brigues,  mes  combats,  mes  pleurs,  mon  désespoir  '  ?  930 

V'aincu  par  lui,  j'entrai  dans  une  autre  carrière, 

l£t  mon  âme  à  la  cour  s'attacha  tout  entière. 

J'approchai  par  degrés  de  l'oreille  des  Rois, 

Et  bientôt  en  oracle  on  érigea  ma  voix. 

J'étudiai  leur  cœur,  je  flattai  leurs  caprices*,  933 

se  déclare  ici  très-mal  à  propos  le  plus  scélérat  de  tous  les  hommes;  et  il  le  (uit 
<i:ins  aucune  nécessité  et  sans  utilité.  •  Pontenelle,  dans  ses  Réflexions  sur  la 
Poétique,  §LXI1I  {Œuvres,  édition  de  1742,  tome  111,  p.  193),  f:iit  la  même  cri- 
tique :  «  Il  n'y  a  guère  d'apparence  que  des  scélérats  tels  que  la  Cléopâtre  de 
liodognne  et  le  Matlian  d'Athalie,  aient  des  conlidcnts  à  qui  ils  découvrent  sans 
aucun  déguisement  et  sans  une  nécessité  absolue  le  détestable  fond  de  luurarae.  » 
lloudar  de  la  Motte  dit  aussi  d.ins  son  Second  discours  sur  la  tragédie,  à  l'oc- 
casion de  la  tragédie  de  Romulus  {Œuvres,  édition  de  1754,  tome  IV,  p.  167)  : 
u  Ce  caractère  {de  Mathan),  tout  odieux,  tout  excessif  qu'il  est,  ne  laisse  pas 
d'être  naturel;  et  il  n'y  a  que  trop  d'ambitieux  qui  lui  ressemblent  ;  mais  en  qui 
n'est  plus  dans  la  nature,  c'est  qu'il  se  peigne  lui-mcmo  à  son  confident  sous 
d'aussi  noires  couleurs.  On  ne  croira  jamais  qu'un  homme  si  superbe  s'avilisse 
à  ce  point,  et  sans  nécessité,  aux  yeux  d'un  autre  homme,  et  quand  l'Iiistoire 
fournirait  quelque  exemple  d'une  pareille  conduite,  il  ne  suffirait  pas  pour  la 
justifier  au  tiiéâtre,oii  Ion  veut  voir  des  hommes,  non  pas  des  monstres.  »  On  a 
rappelé  aussi  que  Tartull'c  n'a  pas  do  confident.  Sans  compter  que  Tartulfe  a  dans 
son  valet  Laurent  un  élève  fidèle,  on  peut  répondre  que  Mathan  éprouve  un  cor- 
tain  orgueil  à  étaler  aux  yeux  de  Nabal  toute  la  supériorité  de  ses  vices  sur  b^a 
siens. 

i.  «  knt'.'  Iruncura  ligni  proculam  7  »  (Is*m,  XI.IV,  1».)  Polyeucte  avait  dit 
énergiqucninnt  dans  la  tragédie  de  Corneille  (III.  vi): 

Allons  rouler  aiii  pii'd*  ce  foudre  ridicule 

Dunl  arme  un  Ijois  pourri  ce  pLupli:  trop  rréduls 

2.  Au  vers  40  de  l'acte  I,  Joad  ne  nous  a  présenté  Mathan  que  comme  un 
iimpic  lévite  ;  il  n'aurait  donc  eu  aucun  droit  au  pontificat. 

3.  Il  faudrait  plutôt  :  à  ta  mémoire. 

i.  On  appelle  ainsi  une  cassolette,  suspendue  à  do  longues  cliaines,  dans  la- 
quelle on  brûle  de  l'encens.  Celait  le  souverain  pontife  qui  tenait  l'encensoir. 

5.  Voilà  un  heureux  exum|)le  de  gradation,  d'autant  plus  heureux  que  oi 
Ter»  est  en  nicnio  temps  tout  un  récit. 

6.  Dans  la  Princesse  Aniillie  (I,  i)  de  Casimir  Dclavigno,  lo  docteur  Policastro 
explique  d'une  façon  iiiquante  par  quel  système  do  flatterie  il  s'est  acquis  une 
grande  influence  sur  l'e.tprit  do  la  princesse  ;  c'est  en  quelque  sorte  le  pendaul 
(«njiquc  du  récit  de  Mathan  : 

J'ii  prii  Dur  11  jeunctic  un  iiCKiidonl  «linqui'ur; 
Mail  e'cll  •in>  la  llaller:  luul  le  uiond,!  l'iJniitl 
(Juind  U  «éril*  ll«Ui),  il  but  pouruiit  U  >lii«. 


ACTE   III,    SCt:NE   ni.  97 

Je  leur  semai  de  fleurs  le  bord  des  précipices*. 

Près  de  *  leurs  passions  rien  ne  me  fut  sacré  ; 

Ue  mesure  et  de  poids  je  changeais  à  leur  gré. 

Autant  que  de  Joad  l'inflexible  rudesse 

De  leur  superbe  oreille  offensait'  la  mollesse,  040 

Autant  je  les  charmais  par  ma  dextérité  *, 

Dérobant  à  leurs  yeux  la  triste  vérité, 

Prêtant  à  leurs  fureurs  des  couleurs  favorables  ', 

Kt  prodigue  surtout  du  sang  des  misérables  *. 

Kntin  au  Dieu  nouveau  qu'elle  avait  introduit,  043 

SauTcnt  i  son  ttis  je  me  rends  taos  effort  ; 

Hais  quand  elle  a  raison,  pui^-je  lui  d^maer  tort  ? 

Le  malin  au  palais,  où  oiun  devoir  m'appelle, 

Grafe  ou  gai  lour  1  tour,  je  cause  et  j'apprendi  d'ulk, 

Je  lit  dans  ses  regards  où  penche  ton  désir. 

Et,  donnant  un  conseil,  je  prépare  un  plaisir. 

Maii  c'est  pour  sa  sauté;  d'après  notre  maxime, 

Le  plaisir  sans  excès  est  le  meilleur  régime. 

Sun  goût  change  parrois,  et  je  >ais  l'ob^erTer. 

C'ctl  un  arl  innocent;  un  jour,  à  son  lever. 

L'ardeur  de  gouverner  dans  -a  tête  fermente  ; 

Je  dis:  c'e<t  un  beau  feu  qu'il  faut  qu'on  alimenle, 

Kt  ce  lerail  pitié,  quand  no*  jo  ir^  sunt  comptés. 

D'abaisser  à  >ies  nena  ces  hautes  Tacultes  ; 

Une  alTaire  l'ennuie,  et  j'ose  lui  défendre 

Ii'accabler  son  esprit  du  soin  qu'elle  va  prendre  ; 

L'école  de  Salerne  a  dit  eo  bon  latin  : 

Qui  veut  marcher  longtemps  te  repose  en  chemin. 

Celte  candeur  lui  plaît  :  ton  ennui  se  dissipe, 

Jusqu'à  parkr  affaire  alors  je  m'émancipe, 

Klle  en  rit,  moi  de  inéine,  et  je  suis  écouté. 

Jugez  de  mon  pouvoir  à  sa  majorité  ! 

t.  n.ip|ieloDS  ici  les  admirables  imprécations  de  Pbcdrc  u  OL'aoae  (tV,  vi)  i 

...Puisse  ton  supplice  i  jamais  ellrjjer 
Tous  ceux  qui,  comme  toi,  par  de   lîehes  adresses, 
Del  princes  uialbeureux  nourrissent  les  faiblesses. 
Les  poussent  au  penchant  où  leur  cœur  est  enclin. 
Et  leur  o-ent  du  crime  aplanir  le  rbeuiin  ! 
Détcsiables  flatteurs,  présent  le  plus  funeste 
Que  puisse  faire  aux  Kois  la  veogcance  céleste  I 

S.  Auprès  de,  en  comparaison  de. 

3.  SIessait;  on  dit  qu'une  fausse  note  ble-sse,  offense  une  oi-'-ille  délicate. 

4.  Mon  adresse  d'esprit.  Ce  mot  ne  doit  pas  être  pris  en  mauvaise  part.  Bos» 
suct  a  écrit  dans  l'Oraison  fum'bre  d Henriette  d' Angleterre  :  «  On  ne  pourrait 
assii  louer  son  incroyable  dextérité  à  traiter  Iw  affaires  les  plus  délicates,  à  ter- 
miner tous  les  différends  d'une  manière  qui  conciliait  les  intérêts  les  plus  oppo- 
sés. »  —  Voltaire  a  encore  imité  ces  deux  vers  dans  la  Uenriadc  (Vit)  : 

C'S  Oatleiirs  mercenaires 
D>  qui  la  cuiiipl  i.s.iiice,  avec  deilénlé, 
A  leurs  jeux  éblouis  cachait  la  vérité. 

On  a  voulu  voir  dans  Matban  une  allusion  aux  Jésuites,  et  dans  Joad  un  por- 
trait de  M.  Arnauld. 

5.  On  lisait  dans  les  Tragiques  d'Agrippa  d'Aubigné  (Les  Princes): 

A-l-il  pas  tant  clierehé  fl-urs  et  couleurs  nniifelles, 
Qu'il  babille  en  nnnvr  le  bourreau  des  GdèlesT 
Il  noiniiie  bel  exemple  une  trafique  horreur, 
Le  massacre  justice,  un  léle  la  fureur. 

I.  Mjttbaa  a  les  mêmes  tbéories  que  Narcisse  dans  Britaiïnirus  (II,  \ii)'. 

Et.  pour  Dous  rendre  heureux,  peidons  les  misérables. 


9  8  ATOALIB. 

Par  les  mains  d'Alhalie  un  temple  fut  construit  '. 

Jérusalem  jiknira  de  se  voir  profanée  ; 

Des  enfants  de  Lévila  troupe  consternée 

En  poussa  vers  le  ciel  des  hurlements  alTreux  *. 

Moi  seuî,  flonnant  l'exemple  aux  timides  Hcbrcu\,  053 

Déserteur  de  leur  loi,  j'approuvai  l'enlroprise, 

1:11  par  là  de  Baal  mérilai  la  préirise. 

Par  là  je  me  rendis  terrilde  à  mon  rival, 

Je  ceignis  la  tiare,  et  marchai  son  égal  '. 

Toutefois,  je  l'avoue,  en  ce  comble  de  gloire  *,  955 

Du  Dieu  que  j'ai  quitté  l'importune  mémoire 

Jolte  encere  en  mon  âme  un  reste  de  terreur  *  ; 

Kt  c'est  ce  qui  redouble  et  nourrit  ma  fureur. 

Heureux  si  sur  son  temple  achevant  ma  vengeance, 

Je  puis  convaincre  enfin  sa  haine  d'impuissance,  DOO 

El  parmi  le  débris,  le  ravage  et  les  morts, 

A  force  d'attentats  perdre  tous  mes  remords"  I 

Mais  voici  Josabet. 

1.  Plusieurs  fois  des  temples  furent  dans  Jérusalem  édifié!!  à  Baal,  le  Soleil, 
et  à  Asiarté,  la  Lune  ;  mais  aucun  texte  D'autorisé  le  poète  à  placer  la  cons- 
truction d'un  de  ces  temples  sous  le  règne  d'Atlialie. 

2.  u  Ce  mot  hurlement  vst  du  stvie  de  l'iicrilure  sainte.  Les  propliètes,  pour 
dire  gémisses,  disent  souvent  ululate;  et  les  Listoricns  profanes  expriment  par 
le  même  mot  le  deuil  des  Orienlaux  :  lugubris  clamor,  barbare  uhilatu.  »  (Louis 
lUciNB.)  O^n  lit  aussi  dans  l'Enéide  (IX,  470),  à  propos  de  la  mère  d'Luryale  : 

EtoUI  inTelix,  et  feniijico  ululatii,  elr. 
t.  Souvenir  de  Virgile  {Enéide,  I,  46.) 

Asl,  ego,  quiD  divum  jnccndo  Regiiia    . 

4.  Le  vomblc,  c'est  le  plus  haut  degré;  on  &  f.iil  de  ce  mol  à  notre  époque 
lin  abus  déploralde. 

3.  u  11  est  bien  probable  que  Rarine  n'aura  donné  ce  sentiment  à  son  amiii- 
lieux  que  pour  juslificr  rctic  .idniir.nljle  fin  do  scène,  où  Mathnn  étourdi,  aveu- 
i.'M-  sous  le  coup  des  nialéJntions  lancées  contre  lui  par  le  grand  prcire,  se 
trompe  de  porte,  et  ne  balbutie  que  des  mots  sans  suite.  »  (M.  SinciiT,  Le  Temps 
du  tSaoût  \^1Z,  Chronique  théâtrale.) 

6.  Corneille  fait  dire  a  Cléopiilre  [Rodogune,  IV,  vu): 
Alliini  cliercluT  le  li  iii|i<  d'iiiiiiioler  nie!  Ticliinrt, 
Kl  de  iiiu  ri'iidre  beurouie  ï  lurce  de  grdiiUs  ciiiiie. 

Racine,  frii|ipé  de  ce.«(loiix  vers  de  Corneille,  avait  déjà  développé  celte  pon- 
-ét  dans  la  'J hébaide  {\\\,  vi)  : 

...  Le  ri'inordi  n'c^l  pas  re  qui  me  loiirlie, 
Et  Je  ii'hI  |)Iiii  iim  ciriir  que  le  crinit'  efTnnu'  ho  t 
Toiu  lei  liTCniier!  loiimls  coûtent  queliiur!"  cITorI"  ; 
liait,  Atlale,  on  coiiiDiel  lei  iccondi  uni  reinordi. 


ACTEIII,    SCENE    IV.  «9 

SCRNE    IV. 

JOSABET,  MATIIAN,  NAHAL. 

MATHAN. 

Envoyé  par  la  Reine 
Pour  rétablir  le  calme  et  dissiper  la  haine  ', 
Princesse,  en  qui  le  ciel  mit  un  esprit  si  doux,  9 60 

Ne  vous  étonnez  pas  si  je  m'adresse  à  vous  *. 
Un  bruit,  que  j'ai  pourtant  soupçonné  de  mensonge  , 
Appuyant  les  avis  qu'elle  a  reçus  en  songe, 
Sur  Joad,  accuse  de  dangereux  complots, 
Allait  de  sa  colère  attirer  tous  les  flots'.  970 

Je  ne  veux  point  ici  vous  vanter  mes  services. 
De  Joad  contre  moi  je  sais  les  injustices  *  ; 
Mais  il  faut  à  l'offense  opposer  les  bienfaits  *.^"     1 
Enfih'je  viens  chargé  de  paroles  de  paix. 
Vivez,  solennisez  '  vos  fêtes  sans  ombrage  ''.  975 

De  votre  obéissance  elle  ne  veut  qu'un  gage  : 
C'est,  pour  l'en  détourner  j'ai  fait  ce  que  j  ai  pu, 
Cet  enfant  sans  parents,  qu'elle  dit  qu'elle  a  vu  '. 

JOSABET. 

Éliacin  ! 

M  A  T  H  A  N  . 

i'cn  ai  pour  elle  quelque  honte. 
D'un  vain  songe  peut-être  elle  fait  trop  de  compte  *.  980 

1.  Ces  deux  rers  forment  un  contraste  frappant  ayec  les  paroles  furieuses  que 
fient  (le  prononcer  Matlinn. 

2.  Matlian, après  ce  compliment,  s'arrête  un  moment  pour  en  voir  l'effet;  Josa- 
bel  restant  impassible  et  muette,  il  se  décide  h  poursuivre.  M.  Atlianase  Cuque- 
rcl  eilo,  .'i  propos  de  cet  cxorde  de  Malhan,  un  vers  duPsaume  LIV:  .  Molliti  siint 
scrmnncs  ejus  super  oleum  :  et  ipsi  sunt  j.icnla.  » 

3.  .Nous  venons  d'entendre  que  c'est  lui  qui  excite  Athalie. 

4.  Tartuiïe  ne  parle  pas  .lutrement  :  l'intolérance  se  pose  en  persécutée. 

5.  C'est  la  loi  de  l'Evangile. 

6.  Célébrez  tous  les  ans. 

7.  n  Racine  veut  aire  :  Solennisez  vos  fctfs  en  assurance;  et  tans  ombrage  le 
dit  mal.  »  {Sentiments  de  l'Académie  sur  Alhalie.)  Ombraije  est  iei  synonyme 
d'inquiétude  ;  l'origine  de  ce  mot  i  st  la  défiance  inquiète  que  l'ombre  cause  aux 
«tievaux.  —  RappKlons-nous,  pour  comprendre  tout  ce  que  ces  offres  ont  de 
cédiiisant,  la  scène  d'exposition  : 

JVadorati'iir?  zélé»  à  peine  un  petit  nombre,  etc. 
Je  trciiibU  qu'Alhahe,  à  ne  Tout  rien  cacher,  etc. 

8.  Vers  prosaïque  et  lourd,  comme  on  en  rencontre  rarement  Jans  notre  poète. 

9.  (1  On  a  trouvé  que  faire  rnmple  serait  familier  aujourd'hui.  »  (ScHtimentt  de 
VAcadêmie  sur  Athalie.) 


100  ATDALIE. 

Mais  VOUS  vous  déclarez  ses  mortels  ennemis, 

Si  cet  enfant  sur  l'heure  en  mes  mains  n'est  remis  *. 

La  Reine  impatiente  attend  votre  réponse. 

JOSADET. 

Et  voilà  de  sa  part  la  paix  qu'on  nous  annonce  ! 

MATOAN. 

Pourriez-vous  un  moment  douter  de  l'accepter*?  985 

D'un  peu  de  complaisance  est-ce  trop  l'acheter  ^  ? 

JOSABET. 

J'admirais  *  si  Mathan,  dépouillant  l'artifice, 

Avait  pu  de  son  cœur  surmonter  l'injustice, 

Et  si  de  tant  de  maux  le  funeste  inventeur 

De  quelque  ombre  de  bien  pouvait  être  l'auteur  '.  990 

MATHAN. 

De  quoi  vous  plaignez- vous?  Vient-on  avec  furie 

Arracher  de  vos  bras  votre  fils  Zacharie  ? 

Quel  est  cet  autre  enfant  si  cher  à  votre  amour? 

Ce  grand  attachement  me  surprend  à  mon  tour. 

Est-ce  un  trésor  pour  vous  si  précieux,  si  rare?  09o 

Est-ce  un  libérateur'  que  le  ciel  vous  prépare? 

Songez-y:  vos  refus  pourraient  me  confirmer 

Un  bruit  sourd  que  déjà  l'on  commence  à  semer. 

JOSABET. 

Quel  bruit? 

MATHAN. 

Que  cet  enfant  vient  d'illustre  origine  ; 
Qu'à  quelque  grand  projet  votre  époux  le  destine  ''.         tono 

JOSABET. 

El  Mathan  par  ce  bruit  qui  flatte  sa  fureur... 

UATHAN. 

Princesse,  c'est  à  vous  à  me  tirer  d'erreur.  j 

J.  Matliaii  est  encore  plus  pressé  qu'Atlialie. 

î.  On  a  critiqué  cette  construction  qui  fait  suivre  douter  signiRani  :  hésiter,  de 
la  préposition  de.  Voltaire  écrira  cependant  encore  dinsV Orphelin  -Je  la  Chine 
V.  I): 

El  TOUS  doiitei  eiicor  d'asservir  tci  fureur*. 

.1.  Un  peu  de  cotnplai<>nnce,  le  sang  de  Joas! 

4.  Lutinisme,  c'est-à-dire  :  j'aurais  élô  surprise,  si. 

.■».  Maux  et  birn,  voilà,  dans  ces  deux  vers,  les  mots  sur  lesquels  il  faut  appuyer 
•  la  lecture.  M.  Gidol  a  rapproché  de  ce  passage  lei  rers  13S9  et  1300  liu  Phi- 
loetHe  de  Sophocle  : 

OTç  Y*P  1  p"«l*1  ««««ï» 

6.  (>  mot  doit  élre  prononcé  avec  quelque  ironie. 

7.  Cette  exprcgnion  aettiner  à  un  projet  n'est  pas  très  nelle. 


ACTE   III,    SCÈNE   IV.  101 

Je  sais  que,  du  mensonge  implacable  ennemie, 

Josabet  livrerait  môme  sa  propre  vie. 

S'il  fallait  que  sa  vie  à  sa  sincérité  1005 

Coûtât  le  moindre  mot  contre  la  vérité  '. 

Du  sor»  Je  cet  enfant  on  n'a  donc  nulle  trace  'V 

Une  profonde  nuit  enveloppe  sa  race? 

Et  vous-même  ignorez  de  quels  parents  issu, 

De  quelles  mains  Joad  en  ses  bras  l'a  reçu?  1010 

Parlez;  je  vous  écoute,  et  suis  prOt  de  vous  croire. 

Au  Dieu  que  vous  servez,  Princesse,  rendez  gloire  '. 

JOSABET. 

Méchant  *,  c'est  bien  à  vous  d'oser  ainsi  nommer 

Un  Dieu  que  votre  bouche  enseigne  à  blasphémer. 

Sa  vérité  par  vous  peut-elle  être  attestée,  1015 

Vous,  malheureux,  assis  dans  la  chaire  empestée  * 

1.  Celle  ruse  est  abominable.—  Il  y  a  quelque  embarras  de  construction  dani 
c:s  deux  derniers  vers. 

2.  Voir  la  noie  du  vers  888. 

3  On  dirait  plutôt  en  langage  biblique  :  «  Glorifie/!  Dieu.  »  L'hypocrite  Mnthan 
a,  comme  Don  Juan  (V,  m)  toujours  le  ciel  à  la  bouche.  Don  Juan  refuse  de  re- 
oonnailre  Donc  Elvirc  pour  sa  femme:  «  Le  Ciel  s'y  oppose  directement;  il  a 
inspiré  à  mon  âme  le  dessoin  de  changer  de  vie;  et  je  n'ai  point  d'autres 
pensées  maintenant  que  de  quitter  entièrement  tous  les  attachements  du  monde, 
de  me  dépouiller  au  plus  tôt  de  toutes  sortes  de  vanités,  et  de  corriger  désor- 
mais par  une  austère  conduite  tous  les  dérèglements  criminels  où  m  a  porté  le 
feu  d'une  aveugle  jeunesse.  —  Don  Carlos.  Ce  dessein,  Don  Juan,  ne  choque  point 
ce  que  je  dis;  cl  la  compagnie  d'une  femme  légitime  peut  bien  s'accommoder  avec 
les  louables  pensées  que  le  Ciel  vous  inspire.  —  Don  Ju*!».  Hélas  !  point  du 
tout.  C'est  un  dessein  que  votre  sccur  elle-même  a  pris  ;  elle  a  résolu  sa  retraite, 
et  nous  avons  été  touchés  tous  doux  on  même  temps.  —  Don  Ctntos.  Sa  retraite 
ne  peut  nous  satisfaire,  pouvant  être  imputée  au  mépris  que  vous  feriez  d'elle  et 
de  notre  famille;  et  notre  honneur  demande  qu'elle  vive  avec  vous. — Don  Juin. 
Je  vous  assure  que  cela  ne  se  peut.  J'en  avais  pour  moi  toutes  les  envies  du 
monde,  cl  je  me  suis  même  encore  aujourd'hui  conseillé  au  Ciel  pour  cela  ; 
mais  lorsque  je  l'ai  consulté,  j'ai  entendu  une  voix  qui  m'a  dit  que  je  ne  devais 
point  songer  à  votre  sœur,  et  qu'avec  elle  assurément  je  ne  ferais  point  mon 
salut.  —  DonCàiilos.  Croyez-vous,  Don  Juan,  nous  éblouii-[iar ces  belles  excuses? 
—  Don  JOAN.  J'obéis  à  la  voix  du  Ciel.  —  Don  CAnLos.  Quoi  !  vous  voulez  que  je  me 
paye  d'un  semblable  discours? — Don  Juan.  C'est  le  Ci*?/ qui  le  veut  ainsi.  —  Don 
Carlos.  Vous  aurez  fait  sortir  ma  sœur  d'un  couvent  pour  la  laisser  ensuite  ?  — 
Don  Juan.  Le  Ciel  l'ordonne  de  la  sorte.  —  Don  Carlos.  iNous  soulfrirons  cette  tache 
en  notre  famille? —  Don  Juan.  Prenez-vous-en  au  Cie/. —  Don  Carlos.  Eh  quoi  !  tou- 
jours/t'Cie/.' —  Don  JuAN.ie  Ciel  le  souhaite  comme  cela.  —  Don  Carlos,  llsuffit. 
Don  Jiian,  je  vous  entends.  Ce  n'est  pas  ici  que  je  veux  vous  prendre,  cl  le 
lieu  ne  le  soulTre  pas;  mais  avant  qu'il  soit  peu,  je  saurai  vous  trouver. —  Don 
Juan.  Vous  ferez  ce  que  vous  voudrez.  Vous  savez  que  je  ne  manque  point  de 
cœur,  cl  que  je  sais  me  servir  de  mon  épée  quand  il  le  faut.  Je  m'en  vais  passer 
tout  à  l'heure  dans  cette  petite  rue  écartée  qui  mène  au  grand  couvent  ;  mais 
je  vous  déclare,  pour  moi,  que  ce  n'est  point  moi  qui  me  veux  battre  :  le  Ciel. 
m'en  d?l'i'nd  la  pensée  ;  et,  si  vous  m'attaquez,  nous  verrons  ce  qui  en  arrivera.  » 

4.  «  l/Ecriture  appelle  ainsi  d'ordinaire  tous  ceux  qui  sont  rebelles  à  la  loi  do 
Dieu,  quelle  que  soit  la  mesure  do  leurs  crimes,  mesure  dont  il  est  juge.  • 
(La  Harpr).  i^ 

5.  "  Iteatas  vir,  qui...  in  cathedra  pcstilentia  non  scdit.  »  {Psaumes,   T.  1.) 

6. 


toi  ATllALIB. 

Où  le  nionsonge  régne  et  répand  son  poison  ; 
Vous,  nourri  dans  la  fourbe  '  et  dans  la  trahison  ? 


sci':ne  V. 

JOAD,  JOSABET,  MATHAN,  NABAL. 

JOAD. 

Où  suis-je?  De  Baal  ne  vois-je  pas  le  prûlrc  *  ? 
Quoi?  fille  de  David  ',  vous  parlez  à  ce  traître  ?  1020 

Vous  souffrez  qu'il  vous  parle?  U  vous  ne  craignez  pas 
Que  du  fond  de  l'abîme  entr'ouvert  sous  ses  pas 
Il  ne  sorte  à  l'instant  dos  feux  qui  vous  embrasent  *, 
Ou  qu'en  tombant  sur  lui  ces  murs  ne  vous  écrasent  '? 
Que  veut-il  ?  De  quel  front  cet  ennemi  de  Dieu  1025 

Vient-il  infecter  l'air  qu'on  respire  en  ce  lieu  •? 

1.  L&  fourberie  est  l'action  de  fourber,  \a  fourbe,  le  caractère  du  fourbe. 
Boileau  a  dit  (Sut.  m)  : 

Et  la  fourbe  passa  poar  exquise  prudence. 

i.  «  Quand  Josibet  est  pressée  de  trop  près  par  Matlinn  et  qu'elle  va  évidcm- 
mont  lâcher  queliiuc  aveu  corn promel tant,  Joatl  apparaît  tout  à  coup,  et  comme 
il  lui  serait  fort  dilïlcilc  de  discuter  avec  Mallian  dont  les  propositions  sont  des 
plus  acceptables,  il  rompt  violemment  les  chiens,  s'emporte  et  le  chasse  avec 
UNO  evplosion  de  fureur  ma;,'nifiiiuo.  Que  la  colère  soit  réelle,  je  ne  le  conteste 

f^as  ;  tout  ce  que  je  veux  faire  remarquer,  c'est  que  cet  opportun  accès  de  colère 
c  délivre  d'explications,  ou  il  aurait  nu  trahir  aux  yeux  d'un  diplomate  aussi  Pin 
une  partie  de  son  secret.  Les  ambitieux  poliliqucs,  tels  qu'est  Joad,  ne  sont 
malades  que  lorsipi'ils  ont  un  intérêt  quelconque  ù  avoir  la  fièvre.  »  (M.  SAncsY, 
/-e  Temps  du  6  octobre  1873,  Chronique  Ihéàlrale.)  En  jugeant  ainsi  au  point  do 
vue  purement  humain  une  œuvre  essenliellemeni  religieuse,  M.  Sarcey  ne  vena 
tout  u  riicure  dans  rinsfiiration  pruphélique  de  .!.>.((!  qu'une  gigantesque  super- 
cherie; il  n'osera  pas  le  dire,  mais  il  le  laissera  entendre. 

3.  Joad  rappelle  à  Jos.ibet  qu'elle  descend  de  David,  pour  lui  mieux  faire 
sentir  à  quel  point  elle  s'abaisse  en  parlant  a  Matlinn. 

4.  Dans  le  Giuas  de  Métastase  i2*  partie),  c'est  au  grand  prêtre  lui-même  que 
Scbia  dit:  «  Ginjada,  oscstu  te  montrer  avec  ce  fionl  serein?  Comment  oe  crains- 
tn  pas  que  la  terre  ne  t'cngloiiti.>ise  ?  » 

5.  Voir  I'fi''drn,  note  du  vers  85G. 

6.  Otlc  expression  infecter  l'air  se  trouve  dans  les  Phénicienne»  de  Sénèquc, 
».  Î20.  OEdipc  dit  : 

...  tiat  ego  aurai  ore  pi'ttirero  tralio  7 

Voltaire  prèle  {nisrours  historique  et  critique  à  l'occasion  de  ta  traijédie 
des  Gu'':bres\  &  inilord  Cornsburi  cette  appréciation  sur  .load  :  «  Je  l'apiielle 
hardiment  fanaliiiuc,  puisqu'il  parle  ainsi  à  sa  femme  (ii  cette  femme  assci 
inutile  dans  U  pièce),  lorsqu'il  la  trouve  avec  un  prôtro  qui  n'est  jins  do  sa  com- 
rnunioa  : 

Quoi?  Olle  d«  D.ivi(l,  ToiM  pirlui  à  co  Irnltrc  ? 

Je  fus  trcs-cont'nl  du  parterre  mii  riait  de  ces  vers,  et  non  moins  cuotciit  d« 
l'acteur  qui  les  luppriran  ditns  la  rcprésuntalioo  suivante.  Jo  me  Hciilais   unn 


ACTE   III,    SCÈNE    V.  1  m 

UATUAN. 

On  reconnaît  Joad  à  celle  violence. 

ïoulefois  il  devrait  montrer  plus  de  prudence, 

Respecter  nne  Reine,  et  ne  pas  onlragcr 

Celui  que  de  son  ordre  elle  a  daigné  charger.  1030 

JOAD. 

Hé  i)icn,    que  nous  fait-elle  annoncer  de  siiiislre? 
Quel  sera  l'ordre  affreux  qu'apporte  un  tel  ministre  ? 

M  A  T  u  A  .N . 

J'ai  fait  à  Josabet  savoir  sa  volonté. 

JOAD. 

Sors  donc  de  devant  moi,  monstre  *  d'inipioié. 

De  toutes  tes  horreurs,  va,  comble  la  mesure  *.  I OIH 

Dieu  s'apprête  à  te  joindre  à  la  race  parjure. 

Abiron  et  Dathan,  Doëg,  Acliitophel  *, 

Les  chiens,  à  qui  son  bras  a  livré  Jézabel, 

Attendant  que  sur  toisa  fureur  se  déploie  *, 

Déj;i  çont  à  ta  porte,  et  demandent  leur  proie  ■'.  1040 

M  AT  DAN,   (Il  se  trouble  ".) 

Avant  la  fin  du  jour...  on  verra  qui  de  nous... 
Doit...  Mais  sortons,  Nabal. 

NADAL. 

Où  vous  égarez-vous? 

liorreur  inexprimable  pour  ce  Joad;  je  m'intéressais  vivement  à  A  (halle,  jo  hi 
tais  d'après  vous-même  : 

Je  plciirt,  liélas!  sur  la  pauvre  Alhalie, 

Si  iiiccliaiiirueiit  miie  à  moil  par  Joad. 

1.  Un  monstre  est  un  être  en  dehors  des  luis  de  la  nature.  Voltaire,  dans  ses  tra- 
gédies, fera  une  telle  consommation  de  ce  mot  qu'il  lui  enlèvera  toiito  énergie. 

2.  «  Et  vos  impiété  mcnsuram  palri;:;i  vc?iroruni.  »  {Matth.,  XXIIl,  Si.) 

3.  Dathan  et  Abiion,  de  la  tribu  de  Riibcn.  préférant  l'abondanre  de  la  servi- 
tude égyptienne  aux  psivalions  do  la  liberté  dans  le  désert,  cons()irèrent  contre 
Moïse.  Ils  furent  cnf^ioutis  à  l'entrée  de  leur  tente  dans  une  crevasse  qui  s'ou- 
\rit  subitement,  et  descendirent  vivants  dans  le  Schéol.(A'om6rc«,  XTI.)  — Docg 
dénonça  nu  tyran  le  pontife  Abimélcc  qui  avait  reçu  David  dans  sa  fuite.  Les  ar- 
chers reçurent  l'ordre  de  mettre  à  mort  les  membres  de  la  famille  sacerdotale  ;  sur 
leur  refus,  Doëg  commit  le  crime,  et  passa  au  fil  de  l'épée  les  habitants  de  Nob. 
(J  Sam.,  XXII). —  Acliitophel  poussa  Absalonàla  révolte  contre  David,  son  père,  et 
lui  conseilla  un  crime  aIVrcux  et  public;  ayant  échoué  dans  ses  projets, il  mil  ordre 
'»  ses  alfaires,  et,  se  faisant  justice  à  lui-même,  s'étrangla  (// 5(im.,  XVI,  XVII.) 

4.  Se  déchaîne. 

5.  Joad  commence. à  être  animé  de  l'csprll  prophétique.  De  là  s'expliquent  sci 
violences.      • 

6.  Sainte-Beuve,  (jui  cherche  partout  des  allusions  jansénistes  dans  Alhalie, 
n  ,-)it  que  Racine  s'est  rappelé  ici  la  scène  qui  se  passa  lors  de  l'expulsion,  pié- 
-■  lée  par  l'archcvcquc  de  r.iris,  do  dnuie  des  religieuses  de  Port-Royal.  «Comme 
il  ns  son  agitation  larchevèque  passait  et  repassait  sans  la  voir  devant  la  porte 
,1  '  sortie,  et  en  prenait  une  autre,  la  mère  Angélique  de  Saint-Jeftn  lui  indiqua 
1»  chemin.»  (IV.ÎOO.)  Cette  allusion  eût  été  bien  hardie  de  la  part  di-  Rieine. 


k 


104  ATBALIE. 

Pc  vos  sons  étonnés  quel  désordre  s'empare  •? 
Voilà  votre  chemin. 


SCENE  VI. 

JOAD,  JOSABtiT. 

JOSABET. 

L'orage  se  déclare  '. 
Athalie  en  fureur  demande  Éliacin.  {043 

Oéjà  de  sa  naissance  et  de  votre  dessein 
On  commence,  Seigneur,  à  percer  le  mystère  : 
Peu  s'en  faut  que  Malhan  ne  m'ait  nommé  son  pore 

JOAD. 

Au  perfide  Mathan  qui  l'aurait  révélé? 

Votre  trouble  à  Mathan  n'a-t-il  point  trop  parlé  '?  1050 

JOSABET. 

J'ai  fait  ce  que  j'ai  pu  pour  m'en  rendre  maîtresse. 

Opeiidant,  croyez-moi,  Seigneur,  le  péril  presse. 

Roservons  cet  enfant  pour  un  temps  plus  heureux. 

Tandis  que  les  méchants  délibèrent  entre  eux. 

Avant  qu'on  l'environne,  avant  qu'on  nous  l'arrache,       10o3 

Une  seconde  fois  snuiïr.'z  que  je  le  cache. 

Les  portes,  les  chemins  lui  sont  encore  ouverts. 

Taut-il  le  transporter  aux  plus  affreux  *  déserts? 

.le  suis  prête.  Je  sais  une  secrète  issue 

Par  où,  sans  qu'on  le  voie,  et  sans  Cire  aperçue, 

l^e  Cédron  avec  lui  traversant  le  torrent  *,  lOCO 

J  irai  dans  le  désert,  où  jadis  en  pleurant  *, 

1.  Vo\iTétfim)i's,vo\r  la  note  du  vers  414.  Dé^iordre  est  ici  synonyme  d'égaicnicnt, 

2.  La  terreur  iiKinc  sur  la  scène  et  ne  la  quitter,-»  plus. 

;).  DiMix  fois  le  nom  de  Mallim  ti-rniinc  le  premier  liémistirlic.  C'est  une 
tache.  l'eul-itre  lacleur  ferait-il  bien  de  réiléehir  quelrpie  temps  en  silence 
après  le  premier  vers.  Quelques  seconde?  de  réllexion  rendraient  tout  naturel 
l'emploi  du  mot  de  Mallian  dans  le  second  vers;  c'est  tout  naturellement  que 
Joad  r.ijipellerait  à  Josnbct  ce  nom  odieux.  ,) 

■J.  A/fiiux,  c'esl-fl-dire,  ipii  excite  une  terrfur  physique  ou  morale.  Cet  adjec- 
tif vient  du  n\o\  n ffio .  qui  n'est  puèrecmployt^  que  dans  cette  locution  :  les  alfrcs 
d<i  la  mort:  <•  M.'idiimo  de  Mdtitesnan  était  tellement  touirnentée  des  affres  de 
la  mort,  qu'elle  payait  plusieurs  remmes  dont  l'emploi  unique  était  de  la  veil- 
ler. »    (SAINT-SmoN.) 

a.  Le  Kédron.  torrent  qui  se  jette  dan»  I«  mer  Morte,  et  se  de«''èehc  en  été, 
►  •■pare,  il  l'est,  Jérusalem  ilu  mont  des  Oliviers.  Son  nom  lui  vient  de  ce  que  la 
piofondeur  et  reiicnissenicnt  de  la  vallée  font,  à  l'ombre,  paraître  ses  eam 
noires.  Tel  est  le  erns  ilu  nmt  Kédron. 

'i.  Il  t'airit  de  en  di'sert  RÏtué  entre  Jérusalem  «t  Jéricho,  ou  Jésus  •  placé  la 
•CCD*  de  U  parabulo  du  bon  Suniaritain.  {Luc,  X,  3.) 


ACTR    ni,    SCENE    VI,  105 

Et  chercKiant  comme  nous  son  salut  dans  la  fuifc. 

David  d'un  fils  rebelle  évita  la  pntirsuile  '. 

Je  craitulrai. moins  pour  lui  les  lions  et  les  ours  '...        1063 

Mais  pourquoi  de  Jéhu  refuser  le  secours? 

Je  vous  ouvre  peut-titre  un  avis  salutaire. 

Faisons  de  ce  trésor  Jéhu  dépositaire. 

On  peut  dans  ses  lîlats  le  conduire  aujourd'hui, 

El  le  chemin  est  court  qui  mène  jusqu'à  lui'.  1070 

Jéhu  n'a  point  un  cœur  farouche,  inexorable; 

De  David  à  ses  yeux  le  nom  est  favorable  *. 

Hélas  !  est-il  un  Roi  si  dur  o\  si  cruel, 

A  moins  qu'il  n'eût  pour  mère  une  autre  Jézal)cl, 

Qui  d'un  tel  suppliant  ne  plaignît  l'infortune*?  1075 

Sri  cause  à  tous  les  Rois  n'est-elle  pas  commune? 

JOAD. 

Quels  timides  conseils  m'osez-vous  suggérer  *? 
En  l'appui  de  Jéhu  pourriez-vous  espérer? 

JOSADET. 

Dieu  défend-il  tout  soin  et  toute  prévoyance? 

Ne  roiTense-t-on  point  par  trop  de  conûance  ?  1080 

A  ses  desseins  sacrés  employant  les  humains, 

i\"a-t-il  pas  de  Jéhu  lui-même  armé  les  mains  ''  7 

J  0  A  D . 

Jéhu,  qu'avait  choisi  sa  sagesse  profonde, 

Jéhu,  sur  qui  je  vois  que  votre  espoir  se  fonde. 

D'un  oubli  trop  ingrat  a  payé  ses  bienfaits.  108S 

Jéhu  laisse  d'Achab  l'adVeuse  fille  en  paix  ', 

Suit  des  rois  d'Israël  les  profanes  exemples, 

1.  On  sait  comment  Absalon,  révolté  contre  son  père  D.ivici,  périt  aans  «a 
suite,  non  point  parce  que  sa  chevelure  s'accrûcha  aux  branches  d'un  chêne, 
mais  parce  que  sa  tcle  se    prit  entre  les  rameaux. 

2.  Dans  les  textes  sacrés,  l'ours,  très  connu  en  Pulestine,  s«rt  d'imajre  à  la 
cruauté  astucieuse  et  gloutonne. 

3.  Samarie,  capitale  du  royaume  d'Israi;!,  n'était  qu'à  treize  lieues  environ  au 
nord-est  tie  JérusalcMn. 

4.  Ij' Académie  a  vu  une  négligence  dans  cet  emploi  du  mot  favorable- BÏgni- 
fiant  ;  trouvant  faveur.  Racine  cependant  avait  écrit  déjà  dans  Bajnset  (I,  il)  : 

I.ei  peunlej,  préTcniis  de  ce  nom  (aiorable,  etc. 

5.  Peut-être  y  a-t-il  là  un  souvenir  de  Virgile  [Enéide,  II,  6-7): 

Qiii<  talia  fando, 
Temperfl  a  lacrinii<? 
8.  Nous  avons  déjà  lu  dans  Iphujfnic  (I,  tl.) 

Les  limidoj  confeil)  qu'on  om  lOM  donner. 
7.  Un   élève   des    prophètes   était   venu  trouver  Jéhu  dans  '-m   camp,  vert 
Calaad,  à  l'est   du  Jourdain,  pour  lui  annoncer  les  destinées  brillantes  qui  l'at- 
tendaient. 
i   Affreux  a  cette  fois  le  sens  d'oHiout. 


106  ATHALIB. 

Du  vil  Dieu  de  l'I^gypte  a  conservé  les  temples  *. 

JchurSurles  hauts  lieux  enfin  osant  oITrir 

Un  léniorairc  encens  que  Dieu  ne  peut  souiïrir  •,  1000 

N'a  pour  servir  sa  cause  et  venger  ses  injures 

Ni  le  cœur  assez  droit  ni  les  mains  assez  pures. 

Non,  non:  tîest  à  Uiou  seul  qu'il  faut  nous  attacher. 

Montrons  Éliacin  '  ;  et,  loin  de  le  cacher, 

Que  du  bandeau  royal  sa  lûte  soit  ornée.  1095 

Je  veux  niôinc  avancer  l'heure  déterminée, 

Avant  que  de  Mathan  le  com[ilot  soit  formé 


SCENE  VII. 

JOAD,  JOSABET,  AZARIAS,  suivi  dd  chœor  tr  db 

PLDSIELRS  LÉVITES. 
JOàD. 

!lé  bien,  Azarias,  le  temple  est-il  fermé  ? 

AZARIAS. 

l'en  ai  fait  devant  moi  fermer  toutes  les  portas  *. 

JOAD. 

N'y  reste-t-il  que  vous  et  vos  saintes  cohortes?  HOO 

AZARIAS. 

De  ses  parvis  sacrés  j'ai  deux  fois  fait  le  tour. 

Tout  a  fui,  tous  se  sont  séparés  sans  retour, 

Misérable  troupeau  qu'a  dispersé  la  crainte; 

i;t  Dieu  n'est  plus  servi  que  dans  la  tribu  sainte  •. 

Dopuis  qu'à  Pharaon  ce  peuple  est  échai)pé  ',  1 103 

Une  égale  terreur  ne  l'avait  point  frappé. 

i.  ■  DelcTil  ilaque  Jcliu  Dnal  de  Isrnri.  Vprumlnmcn  a  peocnlis  Jpraboani 
r.lii  .Nabalh...  non  roccssil,  npc  dcrcliqiiit  ^ilulos  aiirros,  qui  erant  in  llollicl  cl 
m  Dan.  »  (Il  Hois.  X,  28  el  20.)  Jéroboam  avail  établi  les  licin  siiiiclunir.-s  dont 
p.irlenl  les  Hois,  à  l'imilation  dcsd'.ux  idoles  de  ce  genre  qu'avaient  les  Lgypiiens, 
Apis  à  .Mempliii.  c.ipitalc  de  la  Haute  I':gyf>te,  et  Uaevig  à  Iliérapolts,  capitale 
de  l'Egypte  Inférieure. 

2.  Depuis  1»  construction  du  temple,  il  était  interdit  de  sarrincr  sur  les  hauts 
lieux. 

3.  A  ce  moment  solennel,  il  nous  semble  que  le  grand  prêtre  devait  donner  à 
l'enfant  royal  son  nom  de  Joas. 

4.  On  acctidait  au  temple  par  quatre  portes,  placées  aux  quatre  points  cardi- 
ii.'iux.  Atlialio  dcr.tii  entrer  p:ir  la  porto  du  klidi  ou  porte  dei  Coureurs.  Cci 
iiorlcs  étaient  tellement  maKKlvcs  que,  telnn  Josèplie  {Cont.  App.  Il,  0),  Il 
hijlait  ringt  hoinmci  pour  les  fermer. 

5.  Que  par  de»  hommes  pris  dans. 

fl.  La  terreur  qiréprou\erent  les  llt^breux  pour8ul>is  par  Pharaon  eM  décrit» 
dans  V Exode  (WS ,  11):  «  Et  dixuruni  ad  Uoysen  ;  Forsitao  non  errant  sepuler* 


ACTE    111,    SCliNt    Vil.  107 

JOAD. 

Peuple  lâche,  en  effet,  et  né  pour  l'esclavage  •, 
Haidi  contre  Dieu  seul!  Poursuivons  notre  ouvrage*. 
Mais  qui  relient  encor  ces  enfunts  parmi   nous? 

UNE  DES    FILLES    DU    CHŒUR. 

Hé!  pourrions-nous,  Seigneur,  nous  séparer  de  vous?     UIO 
Dans  le  temple  de  Dieu  sommes-nous  étrangères'? 
Vous  avez  près  de  vous  nos  pères  et  nos  frères. 

ONE  autke. 
Hélas!  si  pour  venger  l'opprobre*  d'Israël, 
Nos  mains  ne  peuvent  pas,  comme  autrefois  Jahel  *, 
Des  ennemis  de  Dieu  percer  la  tôle  impie. 
Nous  lui  pouvons  du  moins  immoler  notre  vie.  1115 

Quand  vos  bras  combattront  pour  son  temple  attaque, 
Par  nos  larmes  du  moins  il  peut  être  invoqué. 

JOAD. 

Voilà  donc  quels  vengeurs  s'arment  pour  ta  querelle*, 
Des  prêtres,  des  enfants,  ô  Sagesse  éternelle! 
.Mais  si  tu  les  soutiens,  qui  les  peut  ébranler?  1  ICO 

Du  tombeau,   quand  tu  veux,  tu  sais  nous  rappeler. 
Tu  frappps  et  guéris  ;  lu  per<ls  et  ressuscites  '. 

io  jCgypto.ideo  tulisti  nos  ut  moreremor  ia  solitudine  :  qnid  hoc  facere  Tolulsti, 
ut  educcres  nos  ci  ;l!gjpto  ?« 

i.  «  0  horaines  ad  scrvilutem  paratos!  »  (Tacitb.) 

S.  «  Ce  dernier  hémistiche  est-il  assez  beau  !  Ne  vous  semble-t-il  pas  entendre 
un  Mazarin  ou  un  cardinal  de  Retz  contemplant  arec  un  déJain  sceptique  le 
populaire,  dont  il  a  besoin  et  qui  lui  échappe,  se  disant  :  Bah  !  nous  l'auronj 
avec  nous  quand  nous  sorons  les  maîtres.  Poursuivons  notre  ouvrage.  * 
(il.  SincKï,  Chronique  Vaàtiale  du  Temps,  6  octotire  1873.) 

3.  Dans  les  repiéscnlalions  que  donne  la  Comédie  Fr.mçaisc,  Salomith  prend 
la  parole  pour  ces  deux  filles  du  chœur.  Cela  n'a  rien  de  choquant  pour  le  r61e 
de  la  seconde.  Mais  faire  dire  à  la  propre  fille  du  grand  prêtre  : 

DaD4  le  temple  de  Dieu  soiiimei-nous  élraoïjères? 
cela  est  au  moins  bi/arrc.  Il  devrait  être   interdit  d'altérer  les  chefs-d'œuvre  de 
la  scène  comme  il  est  interdit  de  mutiler  ceux  de  la  sculpture. 

4.  La  honte. 

5.  Juijes,  ch.  IV.  iNote  de  Racine.)  —  Sisara,  qui  commandait  les  troupes  de 
Jabin,  prince  chananém,  fuyait  devant  les  Hébreux.  Jahel,  femme  d'un  Kéiiien 
nommé  Hébcr,  lui  offrit  llioppilnlité.  puis,  dans  son  sommeil,  le  tua,  en  lui  enfon- 
çant à  coups  de  marteau  dans  la  tempe  une  de  ces  longues  chevilles  de  fer 
avec   lesquelles  on  retenait   les  toiles  dos  tentes. 

B.  Pour  la  cause.  «  11  est  temps  que  d'autres  mains  s'.irmiînl  pour  sa  qucr..'Ilc." 
(Pascal,  Provinciales,  ii.)  &!.  Patio  a  rapproché  ce  passage  des  vers  t4-id  di 
l'Œdipe  roi  de  Sophocle  : 

'AW  ,  S  sfctTuvwv  G! j(iceu(  x^f'^  l|>'^Ci 
"Ofâ;  (ijv  îjiâ;,    ^lif»oi  «fiiir.|j«(a 
BwjioTffi  toT;  ooT;-  oî  uiv  c^iii:u  |iax()< 
ntio6ai  vdivo.Ti;,  oi  oi  aùy  Y^tf?  ^A^i^î* 
'Ii;>b(  l^ù  (liv  Zr,và;' 
T.  Ego  occidam.et  ecroviTcre  faciam,  percutiam.etegosannbo.  >  {Deutironome, 
W'\\\,  39.)—  «  Dominas  mortillcat  et  viviûcat,  dcducit  ad  infcros  ctreducit.  • 


108  ATBALIB. 

Ils  ne  s'assurent  point  en  leurs  propres  mérites  >, 

Mais  en  ton  nom  sur  eux  invoqué  tant  de  fois  *,  1123 

tn  tes  serments  jurés  uu  plus  saint  de  leurs  Rois', 

Knce  temple  où  tu  fais  ta  demeure  sacrée*, 

Et  qui  doit  du  soleil  égaler  la  durée  *. 

Mais  d'où  vient  que  mon  cœur  frémit  d'un  saint  effroi? 

Est-ce  l'esprit  divin  qui  s'emjare  de  moi?  H 30 

C'est  lui-même,  il  m'éolianlle.  il  parle.  Mes  yeux    s'ouvrent, 

El  les  siècles  obscurs  devant  moi  se  découvrent  *. 

Lévites,  de  vos  sons  prétez-moi  les  accords, 

Et  de  ses  mouvemenls  secondez  les  transports  '', 

LE  CBŒL'R  chante  au  son  de  toute  la  symphonie  des  instruments. 

Que  du  Seigneur  la  voix  se  fasse  entendre,  1135 

Et  qu'à  nos  cœurs  son  oracle  divin 

Soit  ce  qu'à  l'herbe  tendre 
Est,  au  printemps,  la  fraîcheur  du  matin  *. 

{I  Itoii,  11,8.)  —  D'Aubigné  •  traduit  plus  fidèlement  le  texte  sacré  [Les  Tragi- 
ques. —  JUisâres)  : 

N'et-tii  Seigneur  du  nionds, 
Ta]f,  Seigneur,  qui  tblia^,  qui  blesiei,  qui  guérit, 
'  Qui  donnes  fie  el  mori,  qui  luei  et  qui  ouurrii  T 

1.  Voilà  la  théorie  de  la  grâce;  voilà  encore  des  vers  jansénistes. 
t.  Invoguer,  c'est  proprement  appeler  à  l'aide  :  •  C'est  ainsi  qu'ils4nvoqueronl 
mon  nom  sur  leseafants  d'Israël,  et  je  les  bénirai.  »  (Sici,  Bible  :  Nombres,\\,îl.) 

3.  Da>id. 

4.  Temple.  —  «In  domo  hàc  et  in  Jérusalem...  ponam  nomen  nieum  in  scmpi- 
tciuum.  '1  {1/ Paralipom''nes,\WUl,  7.)  (Noie manuscrite  de  Hacine  sur  Alhalie.) 

5.  «  Et  thronus  cjus  sicut  sol  in  coQsjiectu  mco,  et  sicut  luna  pcrfccta  io  letcr- 
num.  »  (Psautnes,  LXXXVIU,  38.) 

6.  Virgile    a   peint  ainsi   l'eutliousiasme  de  la  Sibylle  iuspiréc  par   le    <li4u 
Enéide,  VI,  45-48)  : 

Pcclus  aohelum, 
El  rabie  fera  corda  lunicnl,  niajorque  «ideri, 
Nec  iiiorlale  sonaiit,  alQala  eti  iiuuiioe  quaiido 

Jaiij  pro|iiure  dci 

Au  V«  acte  (scène  vi)  de  son  Saùl,  Soumet  a  montré  le  pontife  Achimélec  Ins- 
piré de  l'esprit  pi'0|iliéli(iiie.  Ce  drame,  donl  le  sons-tiire  est  le  Sacerdoce  el  la 
Hûyauté,  a  été  inspiré  par  Athalic.  L'auteur  le  dit  lui-mèrae  diins  sa  Préface. 
—  J.-B.  Itousseau  a  encore  imité  co  passage  do  Ilarino  (Liv.  1.,  Odi'  111)  : 
Qii'aui  acceiitf  d«  nu  loix  U  terre  le  rén'ille. 
Uui>,  «O].-!  uUcnlir»;  |)CU|il<'i,  uufrci  l'urcille  : 
Que  l'iiiiiTeri  te  laid-,  el  iii'icoule  parler. 
Mi^*  rhaiili  «ont  lecoiider  lei  arconli  de  nia  lyre  ; 
L'erpril  aaiiit  nie  pini'lrc,  il  m  crh.iiilT'-,  il  lu'ionpir* 
Lci  grandut  <éritc4  que  je  fan  rèiiler, 
:.Voir  la /'(•«'/'ace,  p.     UU,  unie  S. 

8.  Ces  ver*  sont  une  traduction  do  la  Hihle  :  *  l'Iiiat     iitros  eloquium  mriiiu 
qu.isi  imlior  super  lierliam,  et  quasi  slillir  super  graniina.>i(/)cu/('roMO)nff,  XXXII,  S.) 
V/îytogue  1  de  Segruis  oITic  une  cunsirucllon  analogue  ù  celle  de  co  qiiatrAia 
d«  Uaciau  : 

Pe  Votre  b<'lle  Lonrhe  une  irn'e  parole 

M'c«t  ra  qu'au  «ujag.ur  en  l'Iirrbe  dairhe  ri  molU) 

Kt  l'aiie  <le  tuui  «uir  ril  i  mon  rœur  li\.'t'i 

Ce  qu'une  eau  (Ijiro  (I  <i<e  e>l  au  cerf  relancé, 

Lj  Comidi*   Française  remplaça   toute  la  tyoïphonie  det  injlrumeiilê   • 


ACTIÎ  III,  SCÈSRVIJ.  109 

JOÂD. 

Cieux,  écoutez  ma  voix  ;  Terre,  prôte  l'oreille  *. 

Ne  dis  plus,  ô  Jacob,  que  ton  Seigneur  sommeille.  f  140 

Pécheurs,  disparaissez:  le  Seigneur  se  réveille  '. 

(ici  recommence  la  symphonie,   et  Joad  aussitôt  reprend  la   parole.) 

Comment  en  un  plomb  vil  l'or  pur  s'est-il  changé  '? 
Quel  est  dans  le  lieu  saint  ce  pontife  égorgé  *  ? 
Pleure,  Jérusalem,  pleure,  cité  perfide. 
Des  prophètes  divins  malheureuse  homicide  '.  H 45 

De  son  amour  pour  toi  ton  Dieu  s'est  dépouillé. 
Ton  encens  à  ses  yeux  est  un  encens  souillé*. 
Où  menez- vous  ces  enfants  et  ces  femmes  ^? 

chœur  charmant  i)ar  quelques  misérables  mesures ^l'orguo.  Cette  économie  le 
rc'trouve  d'aillcuis  dans  le  décor;  la  scène  représente  un  vcsiibulc  mesquin,  orné 
d'un  fauteuil  bizarre,  qu'on  fait  disparaître  après  lo  second  acte,  pour  le  remplacer 
au  quatrième  par  une  petite  table  dorée;  on  emporte  i  son  tour  la  susdite  table 
entre  le  quatrième  et  le  cinquième  actes.  En  dépit  de  certains  critiijues  moder- 
nes, nous  ne  pouvons  nous  empêcher  de  dire  avec  Théophile  Gautier  :  «  Une 
belle  décoration  ne  gâte  pas  les  beaux  vers,  et  les  rimes  ne  perdent  rien  à  être 
récitées  devant  des  colonnes  d'un  style  convenable.  »  [Uisl.  de  Part  dram.  en 
France  depuis  vinyt-cinq  ans.  A'  série,  p.  143.) 

1.  «  Audilc,  cœli,  quae  loquor,  audiat  ferra  vcrba  oris  mei.  »  {Deuleronome, 
XXXII.:  i  )  «  Audite,  cœli,  et  aurihus  percipe,  terra.  »  (Isaie,  I,  2.) 

2.  «  Deficiant  peccatorcs  a  terra,  et  iniqui  ita  ut  non  sint.  «  {Psaumes,  III,  35.) 

•  Eisurgat    Deus,  et   dissipcntur   inimici  cjus Perçant  peccatorcs   a  facie 

Uei.  «{Psaumes,  LXVII,  2  et  3.)  —  "  Et  excita  lus  est  tanquam  dormiens  Dominus.  » 
(Psaumes,  LX.XV1I,  65.)  Et  le  Psaume  ajoute  une  image  beaucoup  moins  noble  : 

•  tanquam  crapulatus  potcns  a  vino.  » 

3.  «  Joas.  »  {îVole  de  Racine.)  —  «  Quomodo  obscuratum  est  aurum,  mutatus  ert 
color  optimus?  »  {Lamentations  de  Jércmie,  IV,  1.) 

4.  ■  Zacharie.  »  {Note  do  liacine).  C'est  dans  le  parvis  extérieur  que  fut  frappe 
Zacharic.  »  La  plupart  ont  dit  que  l'auteur  détruit  ici  l'intérêt  pour  Joas,  en 
prévenant  sans  nécessité  les  auditeurs  que  Joas  doit  un  jour  faire  égorger  le  fils 
de  son  bienfaiteur.  Plusieurs  ont  voulu  excuser  cet  endroit  comme  langage  pro- 
pliéli  |uc,  qui  ne  fait  pas  naître  une  idée  distincte.  Les  critiques  ont  repondu 
que,  si  le  discours  du  grand  piètre  ne  porte  aucune  idée,  il  est  inutile;  s'il  pré- 
sente quelque  chose  de  réel,  comme  on  n'en  peut  douter  par  les  notes  de  l'auteur, 
il  détruit  1  intérêt  .  »  {Sentiments  de  l'Académie  sur  Alhalie.)  U'Alembert  a  écrit 
i  la  marge  de  cette  annotation  :  «  Les  autres  ont  répliqué  que  l'intérêt  prin- 
cipal delà  pièce  ne  porte  point  sur  Joas,  mais  sur  l'aecomplissemcnt  des  promesses 
de  Dieu  en  faveur  de  la  race  de  Davi.l.  » 

5.11  Jérusalem,  Jcrusalem.quoîocciclis  prophelas »  {Euangile  de  saint  .^falhieu, 

XXIll,  37.)  —  "  Ncc  recipiam  ullra  odoicm  suavissimum.  »  {/.éritique,  XXVI,  31.) 

6.  >  Ne  oITcratis  ultra  sacrificium  frustra  :  incensum  •bominatio  est  milii.  • 
UiiR,  I,  13.)— J.-B.  Rousseau  dira  {Udes,  I,  xi)  : 

Voire  roreiii  n'eit  qu'une  fnoii* 
Qui  (Icrlioiiuro  mc4  ïiitul). 

7.  «  Captivité  de  Babylono.  »  {Noie  de  Hacine.)  —  «  Ces  vers  sont  en  effet  on 
tableau  rapide  de  la  captivité  de  Uabylone.  Cinq  déportations  successiies  tians- 
portèient  à  Uabylone,  sur  l'Eiiphrale,  sur  le  ('Jiahoras,  le  peuple  de  Jiida,  se* 
princes,  ses  grands,  ses  prêtres;  la  première,  dont  le  jiropliète  Daniel  lit  partie, 
eut  lieu  sous  Jélioiakiiii,  dii-luiitièmc  roi  do  Juda;  la  deuiième,  où  le  prophète 
EzéchiiJ- fut  envelofipé,  sous  Jéelioiiias,  dix-neu\ième  roi  de  Juda;  les  troij 
dernières  sous  Sédécias,  le  vingtième  roi  de  Juda,  et  a[)rès  son  règne.  L'avant. 
dernier  roi  périt  dans  un  des  sièges  de  sa  capitale;  ses  deux  successeurs  fureal 


no  ATDALIE. 

Lc,Seigneur  a  détruit  la  reine  des  cités  *. 
Scsr'prOtres  sont  captifs,  ses  rois  sont  rejelés.  HuU 

Dieu  ne  veut  plus  qu'on  vienne  h  ses  solennités.'. 
Temple,  renverse-toi.  Cèdres,  jetez  des  (lamnies  '. 

Jérusalem,  objet  de  ma  douleur, 
Quelle  main  en  un  jour  t'a  ravi  tous  tes  charmes? 
Qui  changera  mes  yeux  en  deux  sources  de  larmes         i  Ui;; 
Pour  pleurer  ton  malheur  *? 
azâhias. 
0  saint  temple  I 

JOSABET. 

0  David! 

LE    CHŒDR. 

Dieu  de  Sion,  rappelle, 
Rappelle  en  sa  faveur  les  antiques  bontés  *. 

(La  symphonie  recomiiicnce  encore,  et  Joad  uo  moment  aprèf 
l'interrompt .  ) 
JOAD. 

Quelle  Jérusalem  nouvelle  " 
Sort  du  fond  du  désert  brillante  de  clarté  ^  1 160 

Et  porte  sur  le  front  une  marque  immortelle  '? 

Peuples  de  la  terre,  chantez. 
Jérusalem  renaît  plus  brillante  et  plus  belle. 

D'où  lui  vifcnnent  de  tous  côtés 

conduits,  chargés  de  fer,  à  Babylone.  Enfin,  Jérusalem,  prise  après  un  sièg< 
de  trois  années  par  les  lieutenants  de   >'èbucadnctzar,  fut  détruite  de  foiul  en 
comble  ;  le  temple  consumé  disparut  ;  il  n'en  resta  debout  qu'un  porti<|uu  vers 
l'orient,  qui,  dans  la  suite  fut  nomma  portique  de  Salomon  [Jean,  \,  23  ;  Act. 
m,  1 1  ;  12,)  et  la  Terre  sainte,  devenue  une  province  désolée  du  viislo  oniplic  de 
Babylone,  aisparut  pour  un  temps  de  la  face  du  monde.  »  {il.  Atlianaso  CoQuiiiiEL.) 
I.  •>  Facta  est  quasi  vidua  domina  genlium  ;  princeps  proviociarura  facta  est 
■ub  tributo.  »  (Jùrkhib,  I,  1.) 
S.  «  Solemiiitatcs  vcstras  odivit  anima  raea.  »  (liiiB,  I,  14.) 
8.  Le  cliœur  des  Juifs  disait  dans  VAjyian  de  Municresticn  (II)  : 

J.ci  bartisrii  cntros  d''<laiii  !uii  hirit<gc 

Ont  poilu  Ion  >.\M  Icmpls  tl  |>illé  lo.-  tié'ori, 

Jéru'ali'cn  l'cit  tue  i  xposèe  mi  ravai;e  ; 

En  iloi  nionceaiii  do  |  icric  on  a  lAdiiit  sei  forli... 

ll<  ont  do  ton  l'tc  |iri'ic|Mi!  Ij  ncc  éteinte. 

Kl  jui(|u'aux  («iideiHcnti  ii:*  sont  vuiiii^  rater 

De  (a  pauvre  Sioa  IVuuTicilItklo  enceinte. 

Que  le  fou  n'avait  pu  de  tout  puinl  embraser. 


4.  «  Quis  diibit  capiti  meoaquam,  etoculis  meis  funtcm  lacryrearum?  El  |iloiabo 
dio  ae  noclc »  (Jkrkmir,  IX,  1.) 

5.  C'est  ."i  Zacliarie  que  la  0)môdic  Fran(jaiso  a  confié  ces  deui  ver» 

0  «  L'Eglise.  Il  {tVoti;  de  Hai::iw.)  —  o  Yiili  sancliiin  civitutem  Jerusakii  iiovaro, 
de»ocndi'Mtem  de  coîlo  a  Deo.  »  {.ipocah/pao,  \X1,  2.) 

7.  «  Qu.'C  est  i*'ta  que  ascendil  pci-  dcsierUim,  sicut  virgula  fuiui  ex  aiuniatibul 
œyrili.i;  et  tliuris...'/  »  (Cantiqiu:  drs  CanliqucS,  111,  0.) 

t  JUurquer  au  front,  porter  au  fruitt  une  marque  est  une  ciprossiuu  bililiquo. 


ACTE   m,    SCENE   Vit.  111 

Ces  enfants  qu'en  son  sein  clic  n'a  point  portés'?  1105 

I.iho,  Jérusalem,  lève  la  tôte  allièrc*. 
lîcyiirdc  tous  ces  Uois  de  la  gloire  étonnés  '. 
Les  Rois  des  nations,  devant  toi  proslernés  ^*. 

De  les  pieds  baisent  la  poussière  ; 
Les  peuples  àJleoïLjii^rchenl  à  la  lumière  *.  <  170 

Heureux  qui  pour  Sion  d'une  sainte  ferveur 

Sentira  son  âme  embrasée  ! 

Cieux,  répandez  votre  rosée, 
Et  que  la  terre  enfante  son  Sauveur  •. 

JOSABET. 

Hélas  !  d'où  nous  viendra  celle  insigne  faveur,  M'i'ù 

Si  les  Rois  de  qui  doit  descendre  ce  Sauveur... 

JOAD. 

Préparez,  Josabet,  le  riche  diadème 

due  sur  son  front  sacré  David  porta  lui-môme  ''. 

1.  u  Les  Gentils.  »  {Note  de  liacine.)  «  Leva  la  cii-cuitu  oculos  tiios,  et  vido, 
omncs  isti  congrcgati  sunt,  vencnint  tihi...  Quis  gcnuit  mihi  islos?  Ego  slcrilis, 
et  non  paricns »  (Isaib,  XXIX,  18  et  21.) 

2.  Il  Surgi',  illuminarc,  Jérusalem,  quia  vcnit  lumen  tuum,  et  gloria  Douioi 
giipcr  te  orta  est.   »  (Isaib,  LX,  I.) 

3.  Voir  la  note  du  vers  414. 

4.  •'tt  erunt  Hcgcs  nutricii  lui Vultu  in  li'i-.im  dentisso  adorabunt  te,  e 

pulvercm   pedum  tuorum  lingcnt.  »  (Isaib,  XLIX,  23  ) 

5.  1'  Et  anabulabiint  gcntcs  in  luminc  tuo.  »  (Uaik,  L\,  3.)  Les  mêmes  paroles 
•ont  aussi  dans  \' Apocalypse  (XXI,  -^4.) 

6.  '<  norate,  cœli,  dcsupcr,  et  nubcs  pluaiit  justum  ;  apcrialur  terra,  et  ger- 
niinct  Salvatorcra.  »  (Isaïe,  XLY,  8.)  On  lit  dans  la  Chronioue  théâtrale  que 
M.  Sarcey  a  donnée  au  Temps,  le  6  octobre  1873  :  u  On  s'accorde  à  regarder  cette 
propbétic  comme  un  superbe  hors-d'reuvrc  ;  mais  point  du  tout,  c'est  le  moment 
culminant  de  la  pièce  ;  c'est  le  moment  critique.  Dans  cette  scène.  Racine  a 
rainassô  toutes  les  surexcitations  légitinns  ou  factices  à  l'aide  desquelles  un 
chef  de  conspiration  ne  manque  jamais  de  fanatiser,  au  dernier  moment,  ccui 
(|u'il  envoie  se  faire  tuer  pour  la  cause  qu'il  a  prise  en  main.  i>  Le  critique 
Geoffroy  a  dit,  mieux  encore  que  ce  morceau  «  sert  à  riniplir  les  lévites  d'un 
enthousiasme  divin  ;  il  en  fait  des  soldats  invincibles,  prcls  à  braver  tous  les 
dangers  pour  la  défense  de  Joas  et  du  temple.  »  —  Talnia  joua  Joad.  «  Lorsque 
par  la  bouche  du  grand  prêtre  il  annonçait  sa  volonté  sainte,  tout  le  corps  de 
liictcur  tremblait,  et  &  cette  agitation  universelle  on  voyait  que  ses  forces  ne 
suffisaient  pas  pour  recevoir,  sans  ôliranlcment,  l'inspiration  qui  le  remplis- 
sait de  courage  et  de  reconnaissance.  Discrétion  et  bonté  pour  Abncr,  mépris  et 
réfirobation  pour  Matlian,  résistance  aux  ordres  d'.Vthalie,  et  ré«i>Iulion  de  la 
combattre  au  besoin  ;  ses  lévites,  sa  famille,  sa  vie  à  son  roi,  sa  religion  et  son 
Dieu  :  tout  cela  était  dans  le  magnifique  caractère  de  Joad,  et  tout  Joad  était 
dans  Talma,  dans  sa  force,  dans  sa  vérité.  Ce  rùle,  par  cela  même  que  l'acteur 
doit  le  rendre  comme  il  plait  nu  Dieu  qui  l'inspire,  n'avait  pas  été  calculé 
par  Talnia;  il  avait  renoncé,  disait-il,  à  convenir  de  son  exécution  avec  lui 
niéiiie  ;  aussi,  à  chaque  représentation,  je  l'atteste,  car  j'en  ai  vu  trois,  c'était 
une  autre  œuvre,  des  rlTets  inattendus,  et  des  a|)plau(li«sements  enlevés  par  des 
é'Iairs  do  génie,'  "frappant  pour  la  première  fois  l'œil,  l'oreille  et  le  cœur; 
c'était  encore  saisissant,  mais  nuireinent  que  la  veille.  »  (Soixante  ans  du 
TlMtre  Françc^is,  184.',  p.  19M93.) 

7.  Les  rois  d  Orient  portaient  toujours  au  br.ib  dos   cordes  d'or,  tu  cou  de* 


1 1 1  ATUALIE. 

(Aux    Lévites.) 

Et  VOUS,  pour  vous  armer,  suivez-moi  dans  ces  lieux 

Où  se  garde  caché,  loin  des  profanes  yeux, 

Ce  formidable  amas  de  lances  et  d'épces  i\8ù 

Qui  du  sang  philistin  jadis  furent  trempées, 

Et  que  David  vainqueur,  d'ans  et  d'honneurs  chargé, 

Fit  consacrer  au  Dieu  qui  l'avait  protégé  '. 

Peut-on  les  employer  pour  un  plus  noble  usage?  1183 

Venez,  je  veux  moi-môme  en  faire  le  partage. 


SCENE  VHP. 

SALOMITH,   LE   CHŒUR. 
SALOMITU. 

Que  de  craintes,  mes  sœurs,  que  de  troubles  mortels! 
Dieu  tout-puissant,  sont-ce  là  les  prémices, 
Les  parfums  et  les  sacrifices 
Qu'on  devait  en  ce  jour  offrir  sur  tes  autels?  1 190 

UNE     DES    FILLES    DU    CHŒUR. 

Quel  spectacle  à  nos  yeux  timides! 
Qui  l'eût  cru,  qu'on  dût  voir  jamais 
Les  glaK^es  meurtriers,  les  lances  homicides 
Briller  dans  la  maison  de  paix? 

UNE    AUTRE. 

D'où  vient  que,  pour  son  Dieu  pleine  d'indifl'érence,        1195 
Jéiusalem  se  tait  en  ce  pressant  danger? 

D'où  vient,  mes  sœurs,  que  pour  nous  protéger 
Le  brave  Abner  au  moins  ne  rompt  pas  le  silence? 

SALOMITH. 

Hélas!  dans  une  cour  où  l'on  n'a  d'autres  lois 

Que  la  force  et  la  violence,  1200 

chaloM  d'or,  et  sur  la  tète  ua  diadème,  (|ui  ne  doit  pns  être  confondu  avrr  I  i 
couronne. Celait  ordinairement  un  ruban  de  pourpre  inar(|uù  de  blanc,  et  orné   i 
perles  et  de  pierres  précieuses,  qui  cei);nnit  le  front   et  les   tempes.  Les   Jlon 
IX\,  12)  parlent  de  ce  bandeau  dont  Joas  fut  ceint,  mais  no  disent  point  que  ee 
fut  celui  de  David. 

u  t.  «  Dedit<|uc  Joiada  sai-crdos  ccnturionibiis  lancc.is,  clyneosquo  et  pelt.is 
Régis  David,  quas  consec-ravorat  in  dumi»  Doniini.  »  (Il  J'araiipnm'hies,  XXIII, 
9.)  '  Qui  <li'ilil  cl  bastas,  et  arma  lli-gib  Du\ld,  ipix  erant  in  doiiio  Duminj  • 
(//  //t/i.i,  XI,    10.) 

t.l.i'  l'Iiirur  va  commeoler  Us  deux  parties  de  la  prédiction  de  Juad,  et  s'affliger 
tl  se  réjiiuir. 


ACTE  III,    SCÈNE   VIII.  IIS 

Oii  les  honneurs  et  les  emplois 
Sonlle  prix  d'une  aveugle  et  basse  obéissance, 
Ma  sœur,  pour  la  triste  innocence 
Qui  voudrait  élever  la  voix  '  ? 

UNE    A  UTnE. 

Dans  ce  péril,  dans  ce  désordre  extrême,  120j 

Pour  qui  prépare-t-on  le  sacré  diadème? 

SALOMITH. 

Le  Seigneur  a  daigné  parler. 
Xlais  ce  qu'à  son  proplicle  il  vient  de  révéler, 
Qui  pourra  nous  le  faire  entondre  »? 

S'arme-t-il  pour  nous  défendre?  1?I0 

S'arme-t-il  pour  nous  accabler? 

TOUT  LE     CHŒUn    chante. 

0  promesse  !  ô  menace  !  ô  ténébreux  mystère  ! 
Que  de  maux,  que  de  biens  sont  prédits  tour  à  tourl 
Comment  peut-on  avec  tant  de  colère 

Accorder  tant  d'amour?  1215 

UNE    VOIX  seule. 

Sion  ne  sera  plus.  Une  flamme  cruelle 
Détruira  tous  ses  ornements. 

UNE   AUTRE  VOIX. 

Dieu  protège  Sion.  Elle  a  pour  fondements 
Sa  parole  éternelle. 

LA   PREMIÈRE. 

Je  vois  tout  son  éclat  disparaître  à  mes  yeux.  1220 

LA    SECONDE. 

Je  vois  de  toutes  parts  sa  clarté  répandue. 

LA   PREMIKRE. 

Dans  un  gojalTre  profond  Sion  est  descendue. 

LA    SECONDE. 

Sion  a  son  front  dans  les  cieux  *. 

LA    PREMIÈRE. 

Quel  triste  abaissement! 

LA    SECONDE. 

Quelle  immortelle  gloire! 

1.  Cette  strophe  et  la  précédente  furent  ajoutées  par  Racine  dans  l'édilion  d« 
1607  ;  ce  sont  deux  stropiios  janséniste». 

2.  Les  prophètes  eux-mêmes  ont  confessé  quelauefois  que  l'éténemepi  seul 
éclaircirait  les  oracles  que  Dieu  avait  rendus  par  leur  bouche. 

I,  Suhlimi  reriam  lidtra  ?erlic«. 

(lion  ICI,  Od,'s  I,  I,  34.1 


1  I  4  ATRALIE. 

LA    PREMIÈnE, 

Que  de  cris  de  douleur  I 

LA    SECONDE. 

Que  de  chants  de  victoire  M         I22.'» 

UNE    TROISIÈME. 

Cessons  de  nous  troubler.  Notre  Dieu  quelque  jour 
Dévoilera  ce  grand  mystère. 

TOUTES    TIIOIS. 

Révérons  sa  colère  ; 
Espérons  en  son  amour. 

UNE    AUTRE. 

D'un  cœur  qui  t'aime,  l'J:50 

Mon  Dieu,  qui  peut  troubler  la  paix? 
Il  cherche  en  tout  ta  volonté  suprême, 
El  ne  se  cherche  jamai?. 
Sur  la  terre,  dans  le  ciel  même, 
Est-il  d'autre  bonheur  que  la  tranquille  paix 

D'un  cœur  qui  t'aime-?  •-■!•"• 

1.  C  (te  série  de  belles  antithèses  rappelle  cilles  de  Polyucte  (IV,  iii)$ 

rAri.i>B.       —  Iniogiiialion  ! 

l'oi.war.TE.  —  r.éloslL'ï  rérilcs  ! 

i'Aii.iNE.      —  Etrange  aTeuglemeiil  I 

PoLviiucTB.—  Eteriiellei  clutcv 

I.  Voir  la  note  du  vers  37# 


ACTE  QUATRIEME 


,.»  '        SCENE  I. 
JOAS;  JOSABI'T,  ZACHARIE,  SAI.OMITH,  un  LÉvirE, 

LE   CUŒUR. 
SALOMITH. 

D'un  pas  majcàlueux,  à  côté  de  ma  mère, 

l,c  jeune  Eliaciu  s'avance  avec  mon  frère.  . 

I)  ins  ces  voiles,  mes  sœurs,  que  porlcnl-ils  tous  deux? 

Quel  est  ce  glaive  enfin  qui  marche  devant  cu\  '  ?  I"2i0 

JOSABI:t,  à  Zacharie. 

Mon  ois,  avec  respect  posez  sur  cette  fable 

De  notre  sainte  loi  le  livre  redoutable  -. 

Et  voi;^  aussi,  posez,  aimable  Éliacin, 

Cet  auguste  bandeau  près  du  livre  divin  ». 

Lévite,  il  faut  placer,  Joad  ainsi  l'ordonne,  1245 

Le  glaive  de  David  auprès  de  sa  couronne  *, 

JOAS. 

Princesse,  quel  est  donc  ce  spectacle  nouveau? 

Pourquoi  ce  livre  saint,  ce  glaive,  ce  bandeau? 

Depuis  que  le  Seigneur  m'a  reçu  dans  son  len)plc. 

D'un  semblable  appareil  je  n'ai  point  vu  d'exemple  '.        12o0 

1.  a  Comme  le  glaive  était  porté  en  cérémonie,  cette  eiprossinn  est  aussi  juste 
que  poétique,  n  (Lodis  RAcms.)  Le  chœur  précédent  et  ces  quatre  beaux  vers 
descriptifs  sont  coupés  h  la  scène  :  la  jeune  Salomilh  n'oserait  appeler  mes 
tœurs  les  respectables  matrones  du  chœur. 

2.  Il  est  question  dans  la  Itihlf  de  volumes;  ils  étaient  ordinairement  composés 
de  peau,  de  tissu  de  lin  ou  de  colon,  ou  de  ffcuillcs  de  parchemin  bu  de  papyrus; 
ils  étaient  écrits  ordinairement  d'un  l'ouï  eô'.ô,  cl  les  caractères  étaient  disposés 
en  colonnes;  on  enroulait  ces  volumes  autour  d"un  cylindre  ou  de  doux,  et  on  les 
attachait  avec  un  lien.  Si  le  livre  se  composait  de  plaques  de  hois  ou  de  métal, 
ce  qui  était  rare,  on  réunissait  les  ruillcts  par  des  anneaux,  et  on  les  «ssuji-tlis- 
sait  par  une  baguette.  Les  commentat.'urs  émettent  des  avis  dllfércnts  sur  le  sens 
du  passaj^e  do  la  Dible  (Il  ftuis,  XI,  xii),  d'où  Racine  a  tiré  l'idée  de  remettre 
lu  Loi  h  Joas  au  moment  de  son  couronnement. 

3.  Voir  la  note  du  vers  1178. 

\.  Toute  cette  mise  en  scène  emprunte  aux  circonstance»  douloureuses,  au  mi- 
lieu desquelles  Jnas  va  être  couronné,  de  l'émotion  et  de  l'intérêt. 

5.  Zarès  disait  à  Aman  dans  Esther  (III,  i),  en  lui  rappelant  le  triomphe  de 
Manfochée  : 

Vou<-mî!me  atci  iHcté  tout  ce  Irlilc  appareil. 

Littré  distingue  ainsi  Vappareil  des  préparatifs  et  des  apprêté  :  «  Les  prrf- 


I  1  (^  ATHALIE* 

J  0  S  A  B  K  T. 

Tous  VOS  doutes,  mon  fils,  bicnlôt  s'écîairciront  *, 

JOAS. 

Vous  voulez  essayer  ce  bandeau  sur  mon  front? 

Ah!  Princesse,  g;iri1C7,  d'en  profaner  la  gloire. 

Du  roi  qui  l'a  poilè  respectez  la  mémoire. 

Du  malheureux  eufaiil  aux  ours  al»andonn6...  l'2ijj 

JOSAIil'/r,  lui  cssayniil  le  diailcme. 

Laissez,  mon  iils  :  je  luis  ce  qui  m'est  ordonne. 

JOAS. 

Mais  j'entends  les  sanglots  sortir  de  votre  bouihe*! 

Princesse,  vous  pleurez!  Quelle  pitié  vous  touche? 

Est-ce  qu'en  holocauste  aujourd'hui  présenté  *, 

Je  dois,  comme  autrefois  la  fille  de  Jephté  *,  12C0 

Du  Seigneur  par  ma  mort  apaiser  la  colère? 

Ilélas!  un  fils  n'a  rien  qui  ne  soit  à  son  père  •. 

JOSABET. 

Voici  qui  vous  dira  les  volontés  des  cieux  *. 

Ne  craignez  rien.  Et  nous,  sortons  tous  de  ces  lieux. 

paratifs  se  font  d'avance  pour  une  opération,  qui  peut  être  fort  éIoij,Tiée.  Lr» 
apprtts  sont  des  préparatifs  qui  se  font  pour  une  opération  immédiate  :  les  pré- 
paratifs de  la  guerre;  les  ap[<réts  de  la  bataille.  L'appareil  se  déploie  et  porte 
i'attcnl  lin  sur  la  prandeur  et  la  compiicalion  des  moyens.  » 
1.  S'éclaircir,  c'est-à-dire:  cesser  d'être  obscur,  se  débrouiller: 
Toolefoii  ttlcndont  que  ton  lort  t'ècbirciMi>. 

(Milhridate,  II,  n.) 

%.  ....   'EîenXr,Eàt  |i'  ô|i|ia  ffuifxX>i»a(ia  ffiw 

Aaxpùoiç  I'  û^p&vaff'  lùfivî;  ra;ir,lS(i. 

(EuaiPiDB,  Ion,  t,  241-242.) 

3.  I.e  mot  holocauste,  qui  vient  du  grec,  et  sipnifio  :  brijié  tout  entier,  était  dr» 
deux  genres  au  xvri«  siècle  :  «  Ces  saintes  holocaustes  no  sont  plus  des  liolo- 
caustes,  s'il  en  reste  quelque  chose.  «  (Pathu,  Plaidoyer,  XV).  Doileau,  dans  son 
Dialor/ue  des  héros  de  roman,  raille  l'emploi  qu'en  a  fait  Chapelain  dan»  sa 
Pucelle,  où  DuDois,  épris  de  Jeanne,  s'écrie: 

Br&loni  en  liolociuitu  eux  jcni  de  U  piiciille. 

4.  On  ne  saurait  mettre  en  doute  que  Jophté  ait  sacriflé  réellement  sa  (lllc  ;  il 
est  impossible  de  sujiposer  que  le  récit  fasse  allusion  simplement  à  une  réclu- 
sion monastique,  qui  n'<:tuit  pas  dans  les  usages  Israélites. 

Ik.  «I'oTSo?  (toi  Y«viTup  itaTi^f 

Tbv  fcidxovta  Y*?  «ùXofS- 
T^  S'  wfiXiiiov  t|la^  Ta'.lfat  âvo|ta  Xi'yw 
<t>ol6ou  ToO  ««t4  vaov. 

(EunipiDH,  fon,  ».  1.1fll4n.) 

A.  Voiei  est  foruii!)  d«  l'impératif  vois  et  de  l'adverbe  ci.  —  Qui  est  pour  :  celui 


ACTE   IV,    SCK.NE    II.  117 

SCÈNE  II. 

JOAD,  JOAS. 

JOAS,   courant  flans  les  bras  du  grand   prjlro. 

Mon  père  ! 

JOAD. 

Hé  bien,  mon  fils? 

JOAS. 

Qu'est-ce  donc  qu'on  prépare?  f'îOo 

JOAD. 

Il  est  juste,  mon  fils,  que  je  vous  le  déclare. 

Il  faut  que  vous  soyez  instruit,  môme  avant  tous, 

Des  grands  desseins  de  Dieu  sur  son  peuple  et  sur  voua. 

Armez-vous  d'un  courage  et  d'une  foi  nouvelle  '. 

11  est  temps  de  montrer  celte  ardeur  et  ce  zèle  1270 

Qu'au  fond  de  votre  cœur  mes  soins  ont  cultivés, 

El  de  payer  à  Dieu  ce  que  vous  lui  devez. 

Scnlez-vous  celle  noble  et  généreuse  envie? 

JOAS. 

Je  me  sens  prôt,  s'il  veut,  de  lui  donner  ma  vie. 

JOAD. 

On  vous  a  lu  souvent  l'histoire  de  nos  Rois.  1275 

Vous  souvient-il,  mon  fils,  quelles  étroites  lois 
Doit  s'imposer  un  roi  digne  du  diadème? 

JOAS. 

Un  Roi  sage,  ainsi  Dieu  l'a  prononcé  lui-môme  •, 

Sur  la  richesse  et  l'or  ne  met  point  son  appui, 

Craint  le  Seigneur  son  Dieu,  sans  cesse  a  devant  lui       1280 

Ses  préceptes,  ses  lois,  ses  jugements  sévères, 

El  d'injustes  fardeaux  n'accable  point  ses  frères  ». 

1.  Nous  no  savons  plus  quel  pranimairipn  réclamait  :  «  d'un  courngc  et  d  une 
foi  nouveaux  ».  Un  gr^rrrr.'iijit'n  n'est  pas  tenu  d'ctre  poctc. 

2.  «  Dcnléronomi',  cliap.  xvii.   »    (A'o/f  de  liarinn.) —  ISarinc  a  eu  en  vue  les 

versets  17-20  :  »  Non  haliebit arpciiti  cl  aui-i    immcnsa  pondéra.  Posiqiia'ii 

autcm  fcdcrit    in   snlio  repiii  sui.  deserilut  sihi  Pculeroiiomiiim  logis  liujus  in 

volumine Et  liabchit  scctini  lepetqiie  illuil  omnibus  diebiis  vilaî  sujp,  ut  disc.il 

timere   Dominuni  Deum  suum,  et   cusioilire   vcrba  et  ccremonias  ejus,  quœ  lo 
Icge  prau:epta  simt.  Ncc  clevelur  cor  ejus  in  superbiam  super  fratres  suos.  » 

■3.  Injustes,  comme  le  lalin  inrrqui,  a  li-  sons  no  :  trop  lourds,  disproportionnés. 
i<  Joas,  (lit  M.  Sarccy,  est  un  très  penlil  enlant,  d'un  cœur  excclleni,  de  mœurs 
douces,  do  langage  aimable  ;  maison  r(  IrouNora  on  toute  occasion  sur  ses  lovros 
dei  formules  de  catéchisme  dont  on  a  farci  son  inldligcncc.  Il  ne  lui  manque  de  ce 

7. 


^ 


1 1  8  ATEIALIE. 

J  0  A  D . 

Mais  sur  l'un  de  ces  Rois  s'il  fallait  vous  régler, 
A  qui  choisiriez-vous,  mon  fils,  de  ressembler 

J  0  A  s . 
David,  pour  le  Seigneur  plein  d'un  amour  fidèle,  1283 

Me  l'araîl  des  grands  Rois  le  plus  parfait  modèle. 

JOAD. 

Ainsi  dans  leurs  excès  vous  n'imiteriez  pas 
L'infidèle  Jorain,  l'impie  Okosias  '  ? 

joâs. 
0  mon  père  ! 

JOAD. 

Achevez,  dites,  que  vous  en  semble? 

JOAS. 

Puisse  périr  cojp me  eux  quiconque  leur  ressemble'  I       1 29( 

JOAD    se  prosterne  à  ses  pieds  '.       >,^ 

Mon  père,  en  quel  état  vous  vois-je  devant  moi?^ 
Je  vous  rendis  le  respect  que  je  dois  à  mon  Roi. 
De  votre  aïeul  David,  Joas,  rendez-vous  digne. 

JOAS. 

Joas?  Moi? 

JOAD,  se  relevant. 

Vous  saurez  par  quelle  grâce  insigne, 
D'une  mère  en  furcui'  Dieu  (rompant  le  dessein,  1205 

Quand  déjà  son  poignard  était  dans  votre  sein, 
Vous  choisit,  vous  sauva  du  milieu  du  carnage. 
Vous  n'ûles  pas  encore  échappé  de  sa  rage  *. 

qui  conslilue  un  homme,  et  surtout  un  roi,  qu'un  seul  point,  qui  est  le  vouloir  per- 
sonnel ;  le  ressort  lui  ninnquc  :  comment  l'aurail-il  ?  on  l'a,  chez  lui,  de  parti  pris, 
énervé,  usé.  On  a  toujours  pensé,  voulu,  parlé  pour  lui.  La  réponse  toute  faite  lui 
xicnt  natiirillemciJ  au\  Icvros,  aussitijt  qu'on  l'inlcrrupc,  une  réponse  au-dessus 
de  son  à-^r,  ci  la  va  sans  dire.  >'c  vous  on  étonne?,  pas.  Est  ce  que  les  perroquets  ne 
répètent  pas  des  plirasusau  dessus  do  leur  inlelli^'cncc?  Joas  n'est  qu  un  perroquet 

du  sacristie,  destiné  plus  lard  à  devenir  un  perroquet  du  cour Tout  prétendant 

patronné  par  un  prêtre  lininmc  d'tlat  n'est  entre  ses  mains  qu'un  outil  do  domi 
nation.  »  (Le   Temps.  CUmnique  t/iéàlrale  du   25  août  1873.)  Ainsi,    grâce  au 
point    de   vue    auquel  M.  Sarcey  s'est    placé   pour   juger  Athrtlie,  le  voilà  qui 
s'élunnc  de  ne  pas  trouver  dans  un  enfant  de  nuit  ans  le  n  vouloir  personnel  » 
Lo  poitu  n'a  pas  mis  d.ins  ce  rolo  tout  ce  qu'y  cherche  M.  Sarcey. 

t.  Voir  IV  Itiiis,  Vin,  18  et  27. 

S.  Il  y  a  là  un  souvenir  d'iloincre  {Odijssée,  i,  i7)  : 

'Q(  &1C0X0.T0  >a^  tt'^'/io(,  OTt;  ToioOtà  ^1  pil^«i. 

n'oublions  pas  que  Juas  est  fils  d'Okoz.ias. 

.1.  On  s'agenouillait  devant  Louis  \1V;  on  embrassait  en  Judée  le  nouveau  rnl, 
CD  «i^-ne  de  rcbltcct  filial. 

4.  Un  •  trouve  une  incorrection  dans  ce  vers  ;  nous  ne  voyons  point  pourquoi 


ACTE   IV,   SCÈNE   HI.  11? 

Avec  la  môme  ardeur  qu"olle  voulut  jadis 

Perdre  en  vous  le  dernier  dos  enfanls  de  son  fils,  1300 

A  vous  faire  péiir  sa  cruaulé  s'allachc  ', 

Et  vous  poursuit  encor  sons  le  nom  qui  vous  cache. 

Mais  sous  vos  étendards  "  j'ai  déjà  su  ranger 

Un  peuple  obéissant  et  prompt  à  vous  venger. 

Entrez,  généreux  chefs  des  familles  sacrées,  1303 

Du  ministère  saint  lour  à  tour  honorées  ^ 


SCRNE  III. 

JOAS,  JOAD,  AZAIUAS,  ISMAÈÏ,  kt  les  troi«  autres 

CnEKS   DES  LÉVITES  '. 
JOAD  continue. 

Roi,  voilà  vos  vengeurs  contre  vos  ennemis. 
Prêtres,  voilà  le  Roi  que  je  vous  ai  promis  '. 

AZARIAS, 

Quoi  ?  c'est  Éliacin  ? 

1  s  M  A  E  L . 

Quoi?  cet  enfant  aimable... 

JOAD. 

Est  des  Rois  de  Juda  l'héritier  véritable  ',  1310 

Dernier  né  des  enfants  du  triste  Okosias, 
Nourri  '',  vous  le  savez,  sous  le  nom  do  Joas. 
De  cette  fleur  si  tendre  et  sitôt  moissonnée  ' 

l'on  ne  pourrait  pas  dire  :  échappé  de  sa  rage,  coraine  on  dit  :  échappé  d'un 
danger. 

t.  S'applique,  s'acharne.  Voltaire  écrira  dans  Di'utus  (III,  v)  : 

Le  sort  Jonl  la  ligueur  à  in'accubler  i'atUclii.'. 

2.  Les  uns  font  venir  ce  mot  du  latin  cxtendere,  étendre,  les  antres  du  ger- 
manique stand,  cire  debout. 

3.  Voir  la  noie  du  vers  1300. 

4.  Racine  a  voidu  que  la  restauration  de  Joas  filt  uniquement  l'rpuvre  dos 
prcties;  il  a  translbrmé  en  chefs  des  lévites  les  cinq  orficiers  dont  parle  la  Vul- 
gate. 

R.  n  Joiada...  assumens  eenturioncs  et  milites,  introduxit  ad  se  in  tcmplum  Do- 
mini...  ;  et  aijurans  eo^  in  donio  Domini,  ostcndit  cis  Tdium  Ucçis.  »  (fV  liois, 
X.1,  4.)  —  On  lit  dans  le  Commentaire  sur  I/érarlius,di:  Voltaire,  cette  rétli-xion 
judieieusc-  :  <i  Si  Joas  n'était  reconnu  qu'après  la  mort  d'Athalie,  la  pièce  finirait 
1res  froidement.  » 

C.  <  M.  d'.Vndilly  :  Voilà  le  seul  qui  vous  reste  de  la  maison  do  David.  »  {lie- 
marque  de  J.  Racine.)  Arnaud  d'AndilIy  avait  traduit  \' Histoire  des  Juifs  écrite 
par  Flavion  Joscuhe. 

7.  Elevé.      » 

I.  «  Quasi  dos  egreditur  et  conteritur.  «  (Jub,  XIV,  2.) 


120  ATDALIE. 

Tout  Juda,  comme  vous,  plaignant  la  destinée, 

Avec  ses  frères  morts  le  crut  enveloppé  *.  1315 

Du  perfide  couteau  comme  eux  il  fut  frappé. 

Mais  î)ieu  du  coup  mortel  sut  détourner  l'atteinte, 

Conserva  dans  son  cœur  la  chaleur  presque  éteinte, 

Permit  que  des  bourreaux  trompant  l'œil  vigilant, 

Josabet  dans  son  sein  l'emportât  tout  sanglant,  i320 

Et  n'ayant  de  son  vol  ^  que  moi  seul  pour  complice, 

Dans  le  temple  cachât  l'enfant  et  la  nourrice  '. 

JOÂS. 

Hélas  !  de  tant  d'amour  et  de  tant  de  bienfaits, 
Mon  père,  quel  moyeu  de  m'acquitter  jamais? 

JOAD. 

Gardez  pour  d'autres  temps  celte  reconnaissance  *.  1325 

Voilà  donc  votre  Iloi,  votre  unique  espérance. 

J'iii  pris  soin  jusqu'ici  de  vous  le  conserver  : 

Miuisiresdu  Soigneur,  c'est  à  vous  d'achever. 

Bientôt  (le  Jczabel  la  fille  meurtrière  ", 

Instruite  que  Jous  voit  encor  la  lumière,  '330 

Dans  riiorreur  du  tombeau  viendra  le  replonger. 

Dr-J.i,  sans  le  connaître,  elle  veut  l'égorger. 

Prêtres  saints,  c'est  h  vous  de  pro\cnir  sa  rage. 

11  faut  finir  des  Juifs  le  honlcu\  esclavage, 

Venger  vos  princes  morts,  relever  votre  loi',  1335 

Et  faire  aux  deux  tribus  '  recouiiaîlre  leur  Moi. 

L'entreprise,  sans  doute,  est  grande  et  périlleuse. 

J'attaque  sur  son  Irôue  une  reine  orgueilleuse. 

Qui  voit  sous  ses  drapeaux  marcher  un  camp  nombreux 

De  hardis  étrangers,  d'infidèles  Hébreux.  i340 

1.  Ulre  enveloppé  avec  quelqu'un  dans,  c'est  être  nltcint  du  mèmn  coup  que 
lui.  Madame  (If  .Mainloiion,  le  i  nonl  17 It,  écrivait  nu  duc  de  Noaillos  :  «  Vous 
pourrie/,  liii-n  vous   trouver  enveloppé  dans  sa  disgrâce.  » 

2.  C'est  l'expression  de  la  llilile  :  «  furata  est  ».  (IV  Bois,  XI,  2.)  rlusieurs 
aendéiniciens  ont  donc  A  toit  hlànié  le  mot  vnl,  trouvant  qu'il  ne  qualifiait  pas 
bien,  sans  éfiillicte,  l'actinn  génen  use  de  Josabet. 

3.  Josniiel  les  eaclia  d'abord  dans  la  sdlle  des  lils,  c'est-à-diie  dans  l'nppar- 
Icmï^nt  de»  rcmineg  (Paralijwmèites,  XXII,  11);  plus  tard,  elle  les  mil  dans  le 
ti-iniile  même.  « 

4.  Joas  ne  la  g.irdera  pas.  •  La  reconnnis«nnec,  a  dit  M.  Jules  Sandoau,  est 
pareille  à  celle  liipirur  d'Orient  qui  ne  80  ronservc  que  dans  des  vases  d'or; 
«lie  pa.-fum»  les  pr  indes  àmos.  et  s'aitrril  dans  les  petites.  »  (J/"*  de  la  Sciqli'''re.) 

5.  L'Acuilémie  reproeba  au  grand  t'orneille  d'a\oir,  dans  le  Cid,  fait  meurtrier 
de  trois  syllabes;  la  quantité  adoptée  par  Corneille  prévalut- 

A.  Ilélablir  volro  loi  dans  lo  rang  qui  lui  o«t  dû. 
7.  Juda  et  llenjamin. 


ACTE    IV,    SCÈNE    111.  lîl 

Mais  ma  force  est  au  Dieu  '  dont  rintcrôt  me  guide. 

Songez  qu'en  cet  enfant  tout  Israël  réside  *. 

Dojà  ce  Dieu  vengeur  commence  à  la  troubler  ^  ; 

Déjà  trompant  ses  soins  *,  j'ai  su  vous  rassembler. 

Elle  nouy*croit  ici  sans  armes,  sans  défense,  i34S 

Couronnons,  proclamons  Joas  en  diligence. 

De  là,  du  nouveau  prince  intrépides  soldats, 

Marchons,  en  invoquant  l'Arbitre  dos  combats; 

Et,  réveillant  la  foi  dans  les  coeurs  endormie. 

Jusque  dans  son  palais  cherchons  notre  ennemie.  iZ'60 

Et  quels  cœurs  si  plongés  dans  un  lâche  sommeil, 

Nous  voyant  avancer  dans  ce  saint  appareil', 

Ne  s'empresseront  pas  à  suivre  notre  exemple? 

Un  roi  que  Dieu  lui-même  a  nourri  dans  son  temple, 

i.c  successeur  d'Aaron  de  ses  prêtres  suivi,  13b5 

Conduisant  au  combat  les  nufanls  de  F.évi, 

Et  dans  ces  mômes  mains  des  ppuples  révérées, 

Les  armes  au  Seigneur  par  David  consacrées? 

Dieu  sur  ses  ennemis  répandra  sa  terreur  *. 

Dans  l'infidèle  sang  baignez-vous  sans  horreur;  1360 

Frappe''z  et  Tyricns,  et  même  Israélites  '. 

Ne  descendez-vous  pas  de  ces  fameux  lévites 

1.  Dans  le  Dieu.  De  même  dans  Tphigcnie  (V,  ii)  : 

Aîii'i  (uni  Miun  e<poir 
N'est  |i1ii5  qu'au  coup  morlel  que  je   «jit  recavoir. 

f.  Réside,  existe  dans  : 

Oui,  peuple,  c'ttl  en  tons  que  le  pouvoir  réside. 

(M.  J.  CiiiMKn.  Les  Gracques,  II,  m.) 
3.  Il  est  certain  qu'il  y  a  là  un  peu  do  désordre  dans  les  idées. 
t.  Ses  précautions. 

5.  Voir  la  note  du  vers  1250. 

6.  On  tioiive  dans  la  Gcn'-xc  {WW ,  fi)  une  cipression  analogue  :  «  Terror 
Doi  invnsit  omnrs  pcr  ciri'uilum  civilalcs.  d 

7.  Milord  Cornsl)uii  di^ait,  toujours  d'après  Voltaire  {Discours  historique  et 
critique,  ttc):  ><  Il  veut  qu'on  cxlcrmini'  ses  concitoyens,  qu'on  se  haigne  dans 
leur  sang  sans  borrcur,  il  a  dit  à  ses  prêtres  : 

Frappez  et  Tirions  it  mime  I<raélilei. 
Q.iel  est  le  prétexte  de  cette  boucherie  ?  c'est  nue  les  uns  adorent  Dieu  sous  le 
nnm  pliénicicn  d'Adonaï,  les  autres  sous  le  nom  cnaldéon  de  Baal  ou  Bol.  En  bonne 
foi,  est-ce  là  une  raison  pour  massacrer  ses  concitoyens,  ses  parents,  comme  il 
l'ordonne  ?  Quoi  !  parce  que  Hacine  est  janséniste,  il  veut  qu'on  fasse  une  Saint- 
Dartliclemi  des  liérétiqiios  !  Il  est  d'autant  plus  permis  d'avoir  en  exécration  l'a«- 
sas-iiiat  et  les  fureurs  de  Joad,  que  les  livres  juifs,  que  toute  la  terre  sait  être 
inspiiés  de  Dieu,  ne  lui  donnent  aucun  éloge.  J'ai  vu  plusieurs  do  mes  compa- 
triotes quj  .egardent  du  même  œil  Joad  et  Cromwcll.  Ils  disent  que  l'uo  et  l'autre 
se  servirent  de  la  reliïion  pour  faire  mourir  leurs  monarques.  J'ai  vu  même  des 
gens  di.Ti'iles  qui  disaient  que  le  prêtre  Joad  n'avait  pas  plus  de  droit  d'assas- 
siner Alhalie  que  votre  jacobin  Clément  n'en  avait  d'assassiner  Henri  III.  On  n'a 
jamais  joué  Alhalie  cher,  nous  ;  je  m'Imagine  que  c'est  parce  qu  on  y  déteste  un 
prêtre  qui  assastine  la  relue  sans  la  sanction  d'un  acte  passé  en  parlemeal.  • 


122  ATIIALIE. 

Qui  lorsqu'au  dieu  du  Nil  '  le  volage  Israël 

Rendit  dans  le  désert  un  culte  criminel, 

Oc  leurs  plus  chers  parents  saintement  homicides  *,       136S 

Consacrèrent  leurs  mains  dans  le  sang  des  pcilides  ', 

El  par  ce  noble  exploit  vous  acquirent  l'honneur 

D'Olre  seuls  employés  aux  autels  du  Seigneur  *? 

Mais  je  vois  que  déjà  vous  brûlez  de  me  suivre  f. 

Jinez  donc,  avant  tout,  sur  cet  auguste  livre*,  1370 

A  ce  Roi,  que  le  ciel  vous  redonne  "  aujourd'hui, 

De  vivre,  de  combattre,  et  de  mourir  pour  lui. 

AZARIAS,   au  bout  de  la  table,  ayant  la  main  sur  le  livre  saiat. 

Oui,  nous  jurons  ici  pour  nous,  pour  tous  nos  frères, 

De  rétablir  Joas  au  trône  de  ses  pères. 

De  ne  poser  le  fer  entre  nos  mains  remis,  1375 

Qu'après  l'avoir  vengé  de  tous  ses  ennemis. 

Si  quelque  transgresseur  enfreint  cette  promesse, 

Qu'il  éprou\e,  grand  Dieu,  ta  fureur  vengeresse  : 

Qu'avec  lui  ses  enfants,  de  ton  partage*  exclus. 

Soient  aîi  rang  de  ces  morts  que  tu  ne  connais  plus  '.     1380 

1 .  Au  veau  d'or. 

î.  Voltaire  dira  dans  sa  îjMgédie  de  Mahomet  (IV,  m)  : 

Mes  pleurs  baignoiil  Ici  mains  tuinlemcnt  boiiiicides. 
ô.  «  Et  slans  (Moyscs)  in  porta  castrorum  ait  :  Si  quis  est  Doniini,  jungutur 
mihi.  Con^rcgalique  sunt  ad  cum  oinncs  filii  Levi,  quibus  ait  :  Hxc  dicit  Uomi- 
iius  Dcus  Isratl  :  l'oiiat  \ir  glaJium  supir  fcmur  suum  ;  ito  cl  redite  de  porta 
ii.squc  ad  porlaiii  per  médium  castionini,  ot  occidat  uiiusquisiiuo  fratrcm,  et 
.nniicum,  et  proxiraura  suum.  l-\>ceninlqno  lilii  Lovi  juxla  scrniom.Mi  Moysis,  ccci- 
dorunt<pic  in  die  illà  quasi  vigiiili  tria  luillia  hnniiiium.  Et  ait  Moyses  :  Consc- 
crnslis  manus  ve^tras  iiodic  Domino,  uiiusquisquc  in  fllio,  et  in  fratre  suo,  ut 
dctur  vobis  bcnedictio.  ..  {Exode,  XXXII,  20-29.) 
♦  .  Soii|;i'i  qcic  (le  l.éii  la  fniiilli!  Mcrée, 

Du  Miiiiisiùic  saint  par  Dieu  iiiliiu!  huiiurée, 

Méiila  Ci'l  lioiiNuur  ua  |H>rl.inl  à  l'autel 

Des  mains  loiiilc»  du  .'au;;  doj  curants  il'hrail. 

(VoLTAiim,  llcnriade,  IV,  33G-339.) 

5.  Ilacine  avait  placé  déj&  un  mouvement  semblable  dans  la  bouche  de  Durrlius 
(IJritannicus,  IV,  m)  ; 

Mal<  je  loti  que  mes  pleurs  louchent  uion  cinrcroiir. 

6.  On  ne  trouve  lias  dans  l'Ancien  Testament  un  cxcin|)lc  de  serment  prêté  sur 
le  livre  do  la  Loi.  I-cs  Ilùbr.  ux  prclaiont  serment  on  élevant  la  main  droite, 
ponimc!  pour  prendra  Dieu  à  lémoin  de  la  vérité  do  leur  assertion. 

7.  O  mol  était  lout  à  l'ait  du  style  noble  au  iviii*  siècle.  Itacinc  avait  déjà 
dit  dans  Alcruiidrc  (IV,  II)  : 

l'A  reilunnaiil  le  calme  à  <oi  leni  dé-uldi,  etc. 

8.  De  la  pail  que  tu  te  réserveras;  le  mot  pruinge  se  trouvait  avec  le  mé(ne 
sent  dans  Mitlnidutc  (I,  i)  : 

',t  Puut  cil  «un  psilage,  rt  Colchot  cil  lu  niicu. 

9.  «  Sicut  vulnerali  doriiiiLiili»  in  sepulcris,  quorum  non  es  monior  ampliiis  ;  et 
ipsi  de  manu  tua  n.'pubi  ^ulll.  n  (Psaumes,  LXXXVII,  û.)  Mélaslaso  fera  dire  sim- 
plement à  «on  cliitur  de  Lé\itc»  :  u  Dieu  nou»  pi-ivo  de  jamais  voir  les  rayoïii 
'lu  toleil,  SI  nom  te  manquons  iIc  foi.  • 


ACTE   lY,    SCÈNE   III.  123 

J  0  A  D  . 

Et  VOUS,  à  celle  loi,  voire  règle  clornelle  S 
Hoi,  ne  jurez- vous  pas  d'ûlrc  loujours  fidèle? 

JOAS. 

Pourrais-je  à  celte  loi  ne  me  pas  conformer? 

JOAD. 

0  mon  fils,  de  ce  nom  j'ose  encor  vous  nommer', 
SoullVcz  '  celle  tendresse,  et  pardonnez  aux  larnios        I38.T 
Que  m'arrachent  pour  vous  de  trop  justes  alarmes  *. 

l.uin  du  trône  nourri,  de  ce  fatal  honneur, 

Ilélas!  vous  ignorez  le  charme  empoisonneur. 

De  l'absolu  pouvoir  vous  ignoçez  l'ivresse, 

I^t  des  lâches  flallcurs  la  voix  enchanteresse.  1390 

i5ientôt  ils  vous  diront  que  les  plus  sainles  lois, 

Miiîli-esses  du  vil  peuple,  obéissent  auxjîois  ^  ; 

Qu'un  Roi  n'a  d'autre  frein  que  sa  volonté  même  '; 

Qu'il  doit  immoler  tout  à  sa  grandeur  suprême  ; 

Qu'aux  larmes,  au  travail,  le  peuple  est  condamné,  l39o 

Cl  d'u'i  sceptre  de  fer  veut  être  gouverné  "  ; 

Que  s'i'i  n'est  opprimé,  tôt  ou  lard  il  opprime. 

Ainsi  de  piège  en  piège,  et  d'abîme  en  abîme  % 

Corrompant  de  vos  mœurs  l'giimable  pureté, 

1.  «  DeJcruntqtie  in  manu  pjiis  tencndurn  Icgem,  et  constitucnint  euœReg-em.  » 
{/i Paralipomùncs,  XXUl,  11.) 

2.  Soumet  et  Uclmontct  (Une  fête  de  Néron,  I,  ix)  ont  assez   maladiollemcul 

1  lacé  ro  vers  d:in<  la  bouche  de  Sénèquc  parlant  à  .''Empereur: 

Mon  fils  iU  !  de  ce  nom  suulTrcz  que  je  louj  nomme  I 

3.  Tolérez.  De  même  La  Fontaine  {Fables,  ix,  1)  : 

On  poiirrail  .iiiciiiicinciit 
Souiliir  Ce  liéLtiil  aux  hommes. 

4.  Alarme,  vient  de  l'italien  allarme,  aux  aimes. 

I.  Et  leur  voix  fanalique, 

Haitreite  d'un  vil  peuple,  e?t  rtdiMMjblf  aux  ruis. 

(VoLTiinE,  llenriade,  X,  409.) 

6.  D'Urfé  avait  écrit  dans  Wistrée  {\\\ ,  p.  ISl)  :  «  Co  qui  portait  ce  jeune  prince  .\ 
(le  scnil)liil)lcs  désordres,  c'était  l'opinion  que  quelques  llatteurs  lui  donnaient,  que 
toutes  choses  ôlai -ni  permises  au  Roy  ;  que  les  llois  f.iisaiont  les  lois  pour  leurs  su- 
jets et  non  i):\s  pour  eux,  et  que  puisque  la  mort  et  la  vie  de  ses  vassaux  étaient 
en  sa  puissance,  qu'il  en  pouvait  faire  de  même  do  tout  ce  qu'ils  possédaient.  ■ 
i;t  Slassillon  écrnait  dans  le  Petit  Carême:  «  \.c%  princes  naissent  d'ordi- 
naire vertueux,  et  avec  des  inclinations  dignes  do  leur  sang;  la  naissance 
nous  lis  donne  tels  qu'ils  déviaient  être;  l'adulation  toute  seule  les  fait  tels 
Mu'ils  sont.  »  Les  princes  ou  les  ministres  qui  n'ont  pas  écouté  les  flatteurs  sont 
r  ircs.  .\ussi  faut-il  se  rappeler  que  François  I"  disait  :  «  Les  souverains  commac 
dont  aux  peuples,  et  les  lois  aux  souverains,  >i  et  que  Michel  Le  Tellier  a  écrit  : 
«  Jft  Ncux  que  les  lois  gouvernent,  et  non  pas  les  nommes.  »  (Cité  par  Bossckt, 
Or.  fun.  do  Michel  Le  TcUicr,  I'"  partie.) 

7.  Il  Rcgcs  cos  virga  fcrrca.  «  {Psaumes.  II.  0.) 

8.  «  Cette  rime  est  vicieuse;  on  ne  doit  point  faire  rimer  une  longue  avec  ujs 
brève.  »  {Sentiments  de  l'Académie  sur  Atlialie.) 


124  ATHALIE. 

Ils  VOUS  feront  enfin  haïr  la  vérité,  1400 

Vous  peindront  la  vertu  sous  une  affreuse  image. 

Hélas .'  ils  ont  des  Rois  égaré  le  plus  sage  *. 

Promettez  sur  ce  livre,  et  devant  ces  témoins, 

Que  Dieu  fera  '  toujours  le  premier  de  vos  soins  ; 

Que  sévère  aux  mcchanls,  et  des  bons  le  refuge,  1403 

Entre  le  pauvre  et  vous,  vous  prendrez  Dieu  pour  juge, 

Vous  souvenant,  mon  fils,  que  caché  sous  ce  lin, 

Comme  eux  vous. fûtes  pauvre,  et  comme  eux  orphelin  '. 

JOAS,  au  milieu    de  la  table,  ayant  la   main   sur  le   livre   saint. 

Je  promets  d'observer  ce  que  la  loi  m'ordonne. 

Mon  Dieu,  punissez-moi  si  je  vous  abandonne  *  I  1410 

JOAD. 

Venez  :  de  l'huile  sainte  il  faut  vous  consacrer  •. 
Paraissez,  Josabet  :  wus  pouvez  vous  montrer. 


1.  Allusion  à  Salomon,  dont  la  sagesse  a  été  si  vantée,  et  dont  la  gloire  se  perdit 
au  miliiu  des  mollesses  d'un  sérail. 

2.  On  dirait  plutôt  aujourd'hui  :  sera. 

3.  On  cite  souvent  ces  vers  roninie  un  exemple  de  syllepse  ;  on  appelle  ainsi 
une  fiffuii)  <iù  la  consliuclion  est  dominée  par  l'idée  plus  que  par  les  mots.  Ici  Ha- 
(.ine  dit  •.  .«^/x.  en  parlant  du  pauvre.—  rénclon,  dans  son  TéU'mnque  (in.semlilc 
avoir  imilé  ces  vers  de  Ilacinc  :  "  Quand  lu  seras  le  maitre  des  autres  liommos, 
souviens-loi  que  tu  as  été  faihic,  pauvre  et  sonfTrant  comme  eux.  »  Il  csl  vrai 
que  tous  deux  ont  imité  les  Livres  saints  :  «  Jiidicate  egcno  et  pupillo;  huniilom 
et  paupercm  jnstificale.  »  (J'saume.i.  LXXX,  3.)  «  Si  liabitavcrit  advcna  in  lerra 
vestra...  dilij.'ctis  cum  quasi  vosmcl  ipsos  :  fuistis  cnim  et  vos  advenae  in  terra 
•tgypti.  •>  (/.éyiV.,  XIX,  33-:i4.)  —  Voici  les  conseils  que,  au  même  '  moment, 
mais  sans  témoins,  le  grand  prêtre  adresse  au  jeune  roi  dans  la  tragédie  de 
Métastase  (11*  partie)  :  «  Aujourd'hui  Dieu  te  fait  présent  d'un  royaume;  mais 
de  son  présent  un  jour  il  te  dcmand(  ra  compte.  Tremble,  et  que  ce  jugement 
sévère  auquel  tu  es  exposé  soit  toujours  présent  à  ton  esprit.  Commence  par 
régner  sur  loi-même,  yiic  les  désirs  soient  tes  premiers  vassaux;  que  tes  sujets 
trouvent  dans  celui  qui  commande  l'exemple  do  l'obéissance.  Aie  toujours  ce 
que  tu  dois,  cl  non  ce  que  lu  peux,  pour  mesure  de  tes  actions.  Songe  au  bien 
public  plus  qu'à  ton  propre  bien.  Fais  qu'on  aime  on  toi  le  père,  et  non  pas 
qu'on  craigne  le  tyran.  La  frayeur  du  peuple  csl  mauvaise  gardienne  des  lloys, 
et  ce  n'est  point  "par  la  force  qu'on  s'empare  du  cœur  do  ses  sujets.  Dispense 
avec  équité  les  récompenses  et  les  cliàlimenls.  Sois  lent  à  te  résoudre,  soigneux 
à  oxécutcr.  Tic  te  fie  pas  à  la  langue  du  llatleur,  intéressée  i  l'abuser  par  de 
viles  complaisances.  Mais  garde  toujours  la  priideiice  pour  coiiseillcro,  la  valeur 
pour  guide,  la  justice   devant  les  yeux,  et  Dieu  d.ins  Ion  cœur.  » 

4.  Le  sermeul  de  Joas  est  bref  et  sec;  peut-être  llacine  s  est-il  trop  souvenu 
qu'il  devait  un  jour  l'oublier.  Tour  punir  Joas,  Dieu  permit  que  ses  armées 
fussent  défaites  par  A/aol,  Jérusalem  assiégée,  ses  trésors  [lillés,  qu'il  fut  lui- 
même  alleint  d'une  maladie  de  langueur,  et  qu'il  tombât  enfin  sous  les  coups 
d'un  conspirateur. 

5.* L'onction  était  la  plus  importante  cérémonie  du  couronnement;  elle  eut 
lieu  d'abord  dans  un  endroit  public,  et  plus  lard  dans  le  lem[il(;.  Après  l'onc-tion 
on  remettait  le  sceptre  uu  niiinarque,  on  posait  sur  sa  tète  le  diadème,  cl  on 
lui  pri'-senlait  le  livre  de  la  Loi,  qu'il  jur.iit  d'observer:  alors  venait  I  entrée 
Iriomplianic  daoi  la  capltalu  et  la  •'ice4>tioo  solçqqellç  q^s  ofûciers  et  des  sa 
rrificateura. 


ACTE   IV,    SCENE  IV.  It» 


SCENE  IV. 

JOILS      OAD,    JOSABET,    ZACIIARIE,    AZARIAS, 

SALOMITIl,     KTC,    LE    CHŒUR. 

JOSABET,  embrassaDt  Joas. 
0  Roi,  fils  de  David! 

JOAS. 

0  mon  unique  mère! 
Venez,  cher  Zacharie,  embrasser  voire  frère. 

JOSADET,  à  Zacharie. 

Aux  pieds  de  votre  Roi  prosternez-vous,  mon  flls.  14i5 

(Zacharie  se  jette  aux   pieds  de  Joas.) 
JOAD,   pendant    qu'ils   s'embrassent. 

Enfants,  ainsi  toujours  puissiez-vous  Ctre  unis  '  I 

JOSABET,  à   Joas. 

Vous  savez  donc  quel  sang  vous  a  donné  la  vie? 

JOAS. 

Et  je  sais  quelle  main  sans  vous  me  l'eût  ravie. 

JOSABET. 

De  votre  nom,  Joas,  je  puis  donc  vous  nommer  ? 

JOAS. 

Joas  ne  cessera  jamais  de  vous  aimer  •.  >  420 

LE   CHŒUR. 

Quoi!  c'est  là... 

JOSABET. 

C'est  Joas. 

JOAD. 

Écoutons  ce  lévite. 

J.  Nons  aTons  eu  déjà  l'occasion  de  dire  que  Joas,  devenu  roi,  laissera  m'«<<'«a< 
fier  Zacharie.  C'est  un  souvenir  que  Racine  eut  peut-être  mieux  fait  de  no  pn« 
r.ippelcr.  D'Alembcrt  le  lui  a  très  briit;ilemcnt  reproché  :  «  On  s'intéresse  peu  à 
Joas,  que  Racine  a  eu  la  maladresse  do  faire  entrevoir  en  deux  endroits  comme 
un  méchant  garnement  futur.  » 

2.  A  peine  reconnu  roi,  Joas  s'acquitte  fort  bien  de  son  nouveau  r61e  ;  Zachari* 
aous  le  montrera  tout  à  l'heure  (V,  i)  : 

Parmi  cet  transports.  nlTilile  et  tint  ori^npil, 

A  l'un  (endnnf  It  main,  flallnni  l'autre  de  l'itil. 

Jurant  da  le  régler  par  leui»  atii  siixèrei, 

Et  lei  tpp«lanl  toui  aei  pirei  ou  lei  Irèrsi. 


lî»  ATDALIE. 

SCluNE  V. 

JOAS,  JOAD,  JOSAUl^T,  etc.,  un  lévite. 

UN    LÉVITE. 

J'ignore  contre  Dieu  quel  projeton  médite  '. 

Mais  l'airain  menaçant  frémit  de  toutes  parts  '  ; 

On  voit  luire  des  fcux  parmi, des  élemlards  ; 

Et  sans  doute  Alhalie  assemble  son  armée.  1425 

Déjà  mfime.au  secours  toute  voie  est  formée; 

Déjà  le  sacré  mont,  où  le  temple  est  bâti  ', 

D'iiisolonls  Tyricns  est  partout  investi. 

l/un  d'eux,  en  blasphémant,  vient  de  nous  faire  entendre 

Qu'Abner  est  dans  les  fers,  et  ne  peut  nous  défendre*.    1430 

JOSABET,   à   Joas. 

Cher  enfant,  que  le  ciel  en  vnin  m'avait  rendu, 
Hélas!  pour  vous  sauver,  j'ai  fait  ce  que  j'ai  pu. 
Dieu  ne  se  souvient  plus  de  David  votre  père. 

JOAD,   à  Josabet. 

Quoi?  VOUS  ne  craignez  pas  d'attirer  sa  colère 

Sur  vous  et  sur  ce  Roi  si  cher  à  votre  amour?  i43b 

Va  quand  Dieu,  de  vos  bras  l'arrachant  sans  retour*, 

Voudrait  que  de  David  la  maison  fût  éteinte  ', 

N'èles-vous  pas  ici  sur  la  montagne  sainte 

Où  le  père  des  Juifs  sur  son  fils  innocent' 

t.  J'ignore  le  projet  que  la  reine  midile. 

(Ph'}dre,  V,  T.) 

Il  est  dit  du  peuple  dans  les  Nombres  :  «  Locutus  conira  Dcum  cl  Moyscn.  » 

;xxxi,  5.) 

2.  S'.igit-il  des  trompettes  gneniércs,  ou  du  bruit  produit  par  les  soMals  ar- 
més se  rangeant  autour  ilu  temple  ? 

3.  C'est  le  mont  de  Morija,  où  avait  eu  lieu  le  sacrifice  d'Abraham.  —  On  avait 
coulumo  de  placer  au  xvii*  siècle  railjcclirjacr(<  avant  le  substantif  qu'il  qualifiait: 

Sjcrél  fflond,  Terlilcs  «allées. 

(Esth.,  I,  II.) 

1.  Le  danpcr  augmente  de  scène  en  scène.  Fidèle  h  son  caractère,  Jusabct  <8 
trouble  et  pleure;  Joad  reste  serein. 

").  A  jamais. 

<i.  I.a  métaphore  est  ici  moins  heureusement  suivie  que  dans  la  première 
Il  enc. 

7.  «  I.c  nom  do  père  des  Juifs  est  donné  h  Abraham  dans  les  livres  de»  deux 
Testaments,  non  seulement  en  qualité  de  chef  du  In  raec,  mais  au  point  do  vue 
Hune  suprématie  religieuse  cmnino  fond;itenr  île  la  lliéneratle.  ■    (M.  Athnnaso 

COQUIRIL.)      '^ 


ACTK    IV,    SCli.NE   V.  127 

leva  sans  murmurer  un  bras  obéissant  ',  1440 

VA  mit  sur  un  bûcher  ce  fruit  de  sa  vieillesse, 

[glissant  à  Dieu  le  soin  d'accomplir  sa  promesse, 

El  lui  sacrifiant,  avec  ce  fils  aimé, 

luut  l'espoir  de  sa  race,  en  lui  seul  renfermé  ? 

Amis,  parlugeons-nous.  Qu'Ismaël  en  sa  garde  li-'»n 

Prenne  tout  le  côlé  que  l'orient  regarde  *; 
Vous,  le  côté  de  l'ourse  ;  et  vous,  de  l'occident  ; 
Vous,  le  midi  ^.  Qu'aucun,  par  un  zèle  imprudcut, 
Découvrant  mes  dc.-scins,  soit  prêtre,  soit  lévite. 
No  sorte  avant  le  temps,  et  ne  se  précipite  ;  li'60 

Va  que  chacun  enfin,  d'un  nii^me  esprit  poussé  *, 
flarde  en  mourant  le  poste  où  je  l'aurai  placé  ^. 
L'ennemi  nous  regarde,  en  son  aveugle  rage, 
('omme  de  vils  troupeaux  réservés  au  carnage, 
II.  croit  ne  rencontrer  que  désordre  et  qu'effroi.  liao 

Qu'Azarias  partout  accompagne  le  Roi. 

•(a  Joas.) 

Venez,  cher  rejeton  d'une  vaillante  race, 

1.  SI.  Alhana?c  Coquerel  rapproche  de  ces  beaux  vers  un  tercet  bien  peu 
biblique  de  Voltaire  : 

Ibrihim,  dont  le  hns  (IocïIl'  âl'Elenicl 
Tiairie  son  ÛU  unique  aux  marche»  de  l'autel, 
EluuOant  pour  son  Dieu  les  cris  de  la  nalnre. 

{Mahomet,  III,  vi.) 

On  peut  également   mettre  à  côti5  des  vers  de  Racine  les  paroles  suivantes  qu« 
Lusignan,  au  second  acte  de  Zaïre,  adresse  ii  sa  fille  : 

Ton  Dieu  que  tu  Irahi^,  ton  Dieu  que  lu  blasphèmes. 
Pour  toi,  pour  l'unitcri:,  est  mort  en  ces  lieux  nicnies..... 
Tourne  les  Jeux,  «a  loiube  e-l  prùs  d^'  ce  palais  , 
C'est  ici  la  inoMla^iie  où,  lavai.l  nos  Torfaits, 
Il  voulut  expintr  suus  les  coups  de  riin|iie  ; 
C'est  là  que  de  la  tombe  il  ra|>pela  ta  vie. 
Tu  ne  faiir.iis  jamais  marcher  Jans  ctl  auguste  lieu, 
Tu  n'v  peux  Taire  uji  pas  sans  j  trouver  (un  Dieu. 

î.  Les  Iléhreiix  s'occupaient  assez  d'astronomie  pour  que  Racine  n'ait  point 
cunmiis  un  anachronisme  en  Ici»  attribuant  la  connaissance  des  points  carili- 
riiix. 

.3.  «  Tcriia  pars  vcstrum  introcal  sabbato,  et  obscrvet  cicubias  domus  Re- 
cis.  Tcrtia  nutem  pars  sit  ad  portam  Sur  ;  et  tertia  pars  sit  ad  portam,  quœ  est 
I  ost  habilarulum  sciitariorum,  (t  oustodictis  en  ubias  domus  Messa.  »  (1/  /îois, 
M,  0.)  Il  Tertia  pars  vestrum  qui  veniunt  ad  sabbatuni,  sacordotum,  et  levitarum, 
<l  janitorum,  rrit  in  portis  ;  tertia  vero  pars  ad  donmm  Régis  et  tertia  ad  por- 
'..iin  qux  appoUatur  l'urulamenti  ;  omnc  vero  rcliquum  vulgus  sil  in  atriis  domus 
Di-iniini.  >>  [Il  Paralipomcnes,  XXIII,  5.) 

4.  I/.\cadémic  a  trouvé  que  cet  liômistiolic  manquait  de  noblesse.  C'est  une 
rlicville,  tout  comme  le  fameux  hémistiche  de  M.  Victor  Hugo  dans  les  Durgra- 
tes  :  V  Je  dois  avouer, 

la  Térité  m'y  pousse. 
Que  je  luis  l'empereur  Frédéric  Barberiiu::se. 

5.  <i  Qucm  quisque  pupnando  locum  ceperat,  êum,  amissa  anima,  corporo 
tegebat.  »  (Sillisto,  Catilina,'L\l.) 


128  ATUALIE. 

Remplir  VOS  défenseurs  d'une  nouvelle  audace; 
Venez  du  diadème  à  leurs  yeux  vous  couvrir  ', 
Et  périssez  du  moins  en  iloi,  s'il  faut  périr*.  14G0 

(a  un  lévite.) 

Suivez-le,  Josabet.  Vous,  donnez-moi  ces  armes. 

(Aii   chœur.) 

Enfants,  oO'rcz  à  Dieu  vos  innocentes  larme»  •• 


SCENE  VI. 

SALOMITH,   i.E  CHŒUR. 

TOUT    LE     CHŒUR    chante. 

Partez,  enfants  d'Aaron,  partez. 

Jamais  plus  illustre  querelle  * 

De  vos  aïeux  n'arma  le  zèle.  iiC.o 

Partez,  enfants  d'Aaron  ",  partez. 

1,  n  Le  diadème  ceint  et  ne  couvre  point;  plusieurs  cependant  ont  cir!i<:é 
$e  couvrir  d'un  diadème,  surtout  en  poésie.  »  {Sentiments  de  l'Académie  ««r 
Athalie.) 

2.  Chapelain  a  écrit  dans  sa  ridicule  Pucelle  des  vers  asseï  fermes  que  l'on  peut 
rapprocher  de  celui-ci  : 

neronnaiisani  pour  lui  la  murt  inCTJIabls. 
Il  dévoue  à  la  mort  too  coiirai;o  iDdaiii|ilaole  ; 
Il  j  »a  sans  faibl«'So,  îl  j  va  «ans  f  (Troi, 
Et,  deratit  la  soulTrir,  veut  la  soulTi  ii  en  Roi. 

La  coupe  du  vers  de  Racine  fut   blâmée  au  itii*  siècle.  Desmarcts  de  b-uu.t- 
Sorlin,  fjui  publia  en  1670,  sous  le  nom  de  sieur  de  Doisval,  la  Défense  du  po'me 
héroïque,  série  de  dialogues  en  vers  et  en  prose,  dirigés  contre  Boileau,  adress» 
au  satirique  beaucoup  de  critiques  de  ce  genre.  On  lit  dans  le  Dialogue  MI  : 
«  Page  t.  Voici  une  méchante  césure  : 

FniLBKS. 

Et  mile,  en  le  vanlanl  soi-inème  i   tout  propos 

Il  fallait  mettre  en  l'hémistiche,  en  se  vantant  soi-nu^me,  et  non  pas  le  couper 
par  la  césure.  Et  soi-même  à  tout  propos  fait  encore  un  très  méchant  hémiv 
tiche  ;  »  et  dans  le  Dialogue  \  : 

PaiLÈMB. 

Le  inafiisirat  des  lnix  emprunta  le  •creun. 

Uécbante  césure.  «  Le  magistrat  des  loix.  »  Qu'aurait  donc  dit  Desmarels,  s'il 
eût  entendu,  comme  nous,  les  vers  ('/)  suivants  à  la  Comédie  Française  : 

Attendu  que  Itdllo  dame  ctt  un  prodige,  etc. 
Un  bon  prorii  en  réparation  du  curpi,  etc. 

.1.  Ainsi,  Joad,  avec  une  étonnante  tranquillité  d'esprit,  songe  à  tout,  et  c!i<- 
tribuc  &  chacun  son  rôle.  La  crise  éclate,  cl  l'heure  ilu  combat  a  sonné,  le 
ehœur,  qui  reste  en  scène,  va  chanter  son  Chant  du  Itépart. 

4.  Voir  la  note  du  vers  1119. 

5.  Nous  avons  eu  déjà  l'occasion  de  signaler  qur  le  poêle  no  compte  Aaïun 
^ue  pour  dcui  syllabes. 


ACTE    IV,    SCÈNE  VI.  1«» 

C'est  votre  Roi,  c'est  Dieu  pour  qui  vous  combattez. 

j,  UNE   VOIX  seule. 

Où  sont  les  traits  que  tu  lances, 
Grand  Dieu,  dans  ton  juste  courroux  ? 

N'es-tu  plus  le  Dieu  jaloux  •  ?  1470 

N'es-lu  plus  le  Dieu  des  vengeances*? 

UNE  AUTRE. 

Où  sont.  Dieu  de  Jacob^,  tes  antiques  bontés? 

Dans  l'horreur  qui  nous  environne, 
N'entends-tu  que  la  voix  de  nos  iniquités? 

N'es-tu  plus  le  Dieu  qui  pardonne?  1475 

TOUT   LE   CHŒUR. 

Où  sont,  Dieu  de  Jacob,  tes  antiques  bontés? 

UNE    VOIX  seule. 

C'est  à  toi  que  dans  cette  guerre 
Les  flèches  des  méchants  prétendent  s'adresser. 
Vf!  Faisons,  disent-ils,  cesser 

Les  fôtcs  de  Dieu  sur  la  terre*.  •    1480 

De  son  joug  importun  délivrons  les  mortels. 
Massacrons  tous  ses  saints.  Renversons  ses  autels. 

Que  de  son  nom,  que  de  sa  gloire 

11  ne  reste  plus  de  mémoire  °  ; 
Que  ni  lui  ni  son  Christ  '  ne  régnent  plus  sur  nous.  »       1483 

TOUT   LE    CHŒUR. 

Où  sont  les  traits  que  tu  lances, 
Grand  Dieu,  dans  ton  juste  courroux? 

N'es-tu  plus  le  Dieu  jaloux? 
N'cs-tu  plus  le  Dieu  des  vengeances? 

UNE   voix  seule. 

Triste  reste  de  nos  Rois,  1490 

1.  Ce  terme  est  pris  dans  son  sens  ordinaire,  et  il  faut  so  garder  de  chercher 
è  l'ennoblir  on  l'exiiliiiiiant  :  c'est  l'expression  biblique. 

2.  «  Dcus  œmuiator,  et  ulcisccns  Ôominus.  n  (Nauum,  I,  2.)  h  Deus  ullionum 
Doniinus'.  Deus  ultionura  libère  cgit.  »  (Psaumes,  XCIII,  1.) 

3.  n  Ego  suin  Oeus  patris  tui,  Ùeus  Abraham,  Dcus  Isaac,  et  Deus  Jacob.  » 
(ICxode,  111,  vi). 

4.  »  Dixerunt  in  corde  suo...  Quiescere  faciamus  omoes  dics  fcstos  Dci  a 
Icrra.  »  {Psaumes,  LXXIII,  viii). 

5.  Faut-il  encore  voir  là  une  allusion  aux  persécutions  dirigées  contre  Port- 
Royal  ?  ^  Ces  vers  sont  russi  imités  de  la  Bible  :  «  Ilisperdamus  cos  de  gcnte  et 
non  niemorctur  nonicn  Isael  ultra.  «  {Psaumrs,  LXXXII,  iv.)  « 

6.  Qui  Racine  désigne-t-il  parce  mol?  Christ  signil'e  :  oint,  consacré.  On  trouve 
ce  mot  dans  l'Ancien  Testament  appliqué  aux  sa-  rificateurs,  aux  rois,  même 
païens,  comme  Cyrus.  Racine  fait-il  allusion  à  J  )as,  qui  va  recevoir  l'oactioo 
loyale,  ou  au  Sauveur  qui  est  •nnoocé  par  les  prophètes  ? 


130  ATDALIE. 

Chère  et  dernière  fleur  d"unc  lige  si  belloî, 

Hélas!  sous  le  couteau  d'une  mère  cruelle 

Te  verrons-nous  tomber  une  seconde  fois? 

Prince  aimable,  dis-nous  si  quelque  ange  an  berceau  ' 

Contre  tes  assassins  prit  soin  de  te  défondre;  lin 

Ou  si  dans  la  nuit  du  tombeau 
La  voix  du  Dieu  vivant  a  ranimé  ta  cendre. 

UNE  AUTRE. 

D'un  père  et  d'un  aïeul  contre  toi  révoltés, 

Grand  Dieu,  les  attentats  lui  sont-iU  imputés'? 

Kst-ce  que  sans  retour  ta  pitié  l'abandonne?  l'ôO) 

LE    CHŒCR. 

Où  sont,  Dieu  de  Jacob,  tes  antiques  bontés? 
N'es-tu  plus  le  Dieu  qui  ^jardonne? 

DNE  DES   FILLES   DU   CHŒDR,  s.tns  chanter. 

Chères  sœurs,  n'entendez-vous  pas 
Des  cruels  Tyriens  la  trompclle  qui  sonne*? 

SALOUITH. 

J'entends  môme  les  cris  des  barbares  soldats*,  1503 

Kl  d'horreur  j'en  frissonne. 
Conrons,  fuyons,  relirons-nous 

A.  l'ombre  salutaire* 
Du  redoutable  sanctuaire''. 

1.  Le  ciel  uiim<  p<ut-il  rcpirer  les  ruiiK'i 

De  cet  arbre  (ècbi  jusque  d^tif  tes  ra.-inft? 

(I.  1.) 

1.  Allusion  aux  anecs  gardiens.  En  1669,  Bossuet  avait  dit  dans  VOraison 
fuiuLre  de  Henriette-Marie  de  France,  en  parlant  de  la  naissance  de  Ilonrirlte- 
Aiinc  d'Angleterre  !  >■  0  Eternel!  Ttillez  sur  clic  ;  nn^cs  saints,  rançcz  à  l'onlour 
vos  escadrons  invisibles,  et  faitos  la  garde  autour  du  berceau  d'une  prliicssc 
«i  grande  et  si  délaissée.  »  Par  une  inadvertance  étrange,  Racine  a  enfreint  ici 
les  règles  de  la  poésie,  en  mettant  doux  rimes  masculines  ù  la  suite  l'une  do 
l'autre. 

3.  Portés  ,:a  compte.  Joad  s'est  chargé  de  répondre  \  cette  question  (I,  ii): 
Dieu 

...  ne  rechercha  point,  tti'ujle  eo  w  eolire, 
Sur  le  Oli  <]iii  le  eriinl,  l'impiéli  du  pire. 

4.  L'Académie,  que  le  plaisir  de  la  critique  a  souvent  empêchée  d'être  touchéa 
if  belles  choses,  a,  dans  ce  vers,  déclaré  superflu  le  mol  tonne. 

5.  fJarbaret  a  ici  le  double  sens  de  cruelt  et  d'étrangers. 

6.  rrotectrice. 

7.  Ce  choeur,  qui  lie  si  étroitement  les  deux  actes,  est  passée  la  repifson. 
tJliou.  Cv|iendant  les  deux  couplets  parlés  qui  le  termioeat  tcrriralent  i  entre* 
tenir  la  terreur,  et  produiraient  ud  grand  circt. 


ACTE  CINQUIEME 

SCÈNE   I. 

ZACHARIK,  SAF.OMITH,  le  chœdr. 

sâlomitu. 
Cher  Zacharie,  hé  bien  ?  que  nous  apprenez-vous'?         1510 

ZACOARIE. 

Redoublez  au  Seigneur  votre  ardente  prière ^ 
l'eut-ôlre  nous  touchons  à  noire  heure  dernière?, 
i'our  l'horrible  combat,  ma  sœur,  l'ordre  est  donné. 

SALOMITH. 

Qut  failJoas? 

ZACHARIE. 

Joas  vient  d'être  couronné. 
Le  grand  prôlre  a  sur  lui  répandu  l'huile  sainte*.  lottî 

0  ciel  !  dans  tous  les  yeux  quelle  joie  otait  peint 
A  l'aspect  de  ce  Roi  racheté  du  tombeau"  ! 
Ma  sœur,  on  voit  encor  la  marque  du  couteau. 
On  voit  paraître  aussi  sa  ûdcle  nourrice, 
Qui,  cachée  en  un  coin  de  ce  vaste  édifice". 
Gardait  ce  cher  dépôl^  et  n'avait  de  ses  soins  1320 

Que  les  yeux  de  ma  mère  et  que  Dieu  pour  témoins. 
Nos  lévites  pleuraient  de  joie  et  de  tendresse  *, 

1.  Ce  vers  rirae  avec  un  des  derniers  vers  de  l'acte  précédent.  Quand  lu  tra- 
gédie est  jouée  avec  ses  chœurs,  elle  doit  cire  représentée  sans  iiilr"artes.  C'est 
au  moment  où  le  chœur  s'enfuit  que  Zacharie  parait  au  fond  du  iliéàtre. 

2.  fiedoublr  une  prière  no  nous  parait  pas  une  expression  licureuso.  Dans 
les  prières,  la  quantité  doit  cire  moins  rciiicrchée  que  la  qualité. 

3.  Avec  un  ait  admirable,  le  poêle  a  soin  de  commencer  chaque  scène  par  uo 
vers  qui  augmente  la  terreur  ou  l'émotion. 

4.  "  Unxit  quoque  illum  Joiada  pontifex,  et  filii  ejus.  »  (//  Paralijiomànes, 
XXII1,2.)  £• 

5.  On  rachetait  de  l'esclavage;  la  Bible  a  dit  par  suite  :  racheter  du  tombeau. 

6.  Voir  la  Préface. 

7.  Racine  afTectionnc  ce  mot.  Il  avait  déjà  écrit  dans  Bérénice  (III,  ii)  : 

Ce  doi'ôt  I  récieiii  (fiic  je  ne  puis  gsrdcr. 
1.  Boileau  avait  dit  ironiquement  dans  son  Arl  poétique  {l,  1?S}  : 

Il  li^ijijne  il<'  jnie,  Il  pleure  de  ((.ndreiie. 


132  ATHALIE. 

Et  mêlaient  leurs  sanglots  à  leurs  cris  d'allégresse'. 

Lui,  parmi  ces  transports,  alTable*  et  sans  orgueil,  1523 

A  l'un  tendait  la  main,  dallait  l'autre  de  l'œiP, 

Jurait  de  se  régler  par  leurs  avis  sincères, 

Et  les  appelait  tous  ses  pères  ou  ses  frères. 

SALOMITU. 

Ce  secret  au  dehors  est-il  aussi  semé? 

zachàuie. 
Ce  secret  dans  le  temple  est  encor  renfermé.  4530 

Des  enfants  de  Lévi  la  troupe  partagée 
Dans  un  profond  silence  aux  portes  s'est  rangée. 
Tous  doivent  à  la  fois  précipiter  leurs  pas, 
Et  crier  pour  signal  :  «  Vive  le  roi  Joas*  !  » 
Mais  mon  père  défend  que  le  Roi  se  hasarde*,  '535 

Et  veut  qu'Azarias  demeure  pour  sa  garde. 
Cependant  Athalie,  un  poignard  à  la  main. 
Rit  des  faibles  remparts  de  nos  portes  d'airain*. 
Four  les  rompre,  elle  attend  les  fatales  machines^,. 
El  ne  respire  enfin  que  sang  et  que  ruines'.  1540 

1.  L'alligrette,  c'est  la  joie  qui  éclate  et  so  peint  sur  le  visage: 
Diini  «os  jeux  doit  briller  l'allii^reiie. 

(MuLiiiHB,  Doit  Garde,  11,  v.) 

S.  «  Il  (Racine)  s'est  servi  du  même  mot  dans  uo  de  ses  Cantiques  (c'est  daiit 
le  preioler,  au  vers  34)  : 

ATeetoi  niarcbe  U  Douceur, 
Que  luit  t<*c  uo  «ir  tUdlile 
La  Patience,  *tc. 

Ces  mots  affable  et  affabilité  sont  devenus  très  françuis,  malgré  Patru  qui  les 
condamnait.  »  (Note  de  Louis  Racine). 

?.  On  a  remarqué  une  ressemblance  entre  ces  vers  et  un  couplet  ironique  de 
Vlphigéide  en  Aulidc  de  Kotrou  (II,  ii)  ; 

Jamais  pour  s'éltver  on  ne  lo  mit  si  bas  ; 
Vou<  ollnet  i  l'un,  à  l'autre  oiisriet  lei  bras, 
Serriei  I*  main  ll'un,  jc'.ict  lai  jeui  sur  l'aatre,  «te. 

4.  0  Imprccatique  sunt  ci,  alque  diicrunl  :  Vivat  Ilex.  »  (II  ParalîpomMei, 
XXIII,  II).  Celait  en  Judée  l.i  furnic  do  l'acclamation  popul.iire,  et  la  consécra- 
tion dernière  du  couronnement. 

5.  H'expoter.  •  Les  pluies  ont  été  et  sont  encore  si  excessives,  qu'il  y  aurait 
eu  de  la  lolio  à  se  Imsiurder.  »  fMadame  di  Savionii.) 

0.  Vollaire,  dans  sa  Ilenriade  (VII,  391-392),  n  imité  ces  doui  vers  si  mallieu- 
rcus  ïHicnt  qu'il  scinbleiait  les  avoir  voulu  parodier  : 

Vauban  sur  uo  reiii|iarl,  un  coniiiai  h  la  main. 
Bit  du  bruit  impuittaiil  do  rcnt  iuuilros  d'airain. 

7.  Oa  oe  voit  trace  de  machine  de  guerre  en  Judée  que  70  ans  environ  npr6* 
Athalie,  sous  le  regno  d'Ilozias,  dixième  roi  de  Juda.  Ces  machines  étaient  de* 
Trondes  ou  balistcs.  qui  lançaient  des  pierres,  des  projectiles  en  plomb,  et  par- 
foii  des  torches  onllaroinées,  et  des  catapultes,  sorte  d'arcs  énormes,  qui  je- 
laii'Ot  toute  sorte  de  traits. 

1,  Heipirer,  c'est  ici  :  souliailer  avec  ardeur  :  •  Je  ne  respirais  que  le  aervica 


ACTE   V,    SCENE   I.  1S3 

Quelques  prtHrcs,  ma  sœur,  ont  d'abord  proposé 

Qu'en  un  lieu  souterrain,  par  nos  pères  creusé, 

On  renfernvlt  du  moins  noire  arclic  précieuse. 

«  G  crainte,  a  dit  mon  père,  indigne,  injurieuse  1 

L'arche,  qui  fit  tomber  tant  de  superbes  tours',  ItîiS 

El  força  le  Jourdain  de  rebrousser  son  cours  *, 

Des  dieux  des  nations  tant  de  fois  triomphante^, 

Fuirait  donc  à  l'aspect  d'une  femme  insolente  !  -> 

Ma  mère,  auprès  du  Roi,  dans  un  trouble  mortel, 

L'œil  tantôt  sur  ce  prince  et  tantôt  vers  l'autel,  1350 

Muette,  et  succombant  sous  le  poids  des  alarmes. 

Aux  yeux  les  plus  cruels  arracherait  des  larmes. 

Le  Roi  de  temps  en  temps  la  presse  entre  ses  bras, 

La  (latte...  Chères  sœurs,  suivez  toutes  mes  pas; 

Et  s'il  faut  aujourd'hui  que  notre  Roi  périsse, 

Allons,  qu'un  môme  sort  avec  lui  nous  unisse.  1555 

SALOMITH. 

Quelle  insolente  main  frappe  à  coups  redoublés*? 
Qui  fait  courir  ainsi  ces  lévites  troublés'? 
Quelle  précaution  leur  fait  cacher  leurs  armes? 
Le  temple  est-il  forcé*  ? 

ZACHAniE. 

Dissipez  vos  alarmes  : 
Dieu  nous  envoie  Abner.  1500 

du  Roi  et  la  grandeur  de  l'Etat.  »  (Bossubt,  Oraison  funèbre  du  prince  de 
Condé.)  —  Voir  les  Plaideurs  (v.  857). 

1.  On  se  souvient  que,  pour  s'emparer  de  Jéricho,  les  Hébreux  firent  sept 
jours  de  suite,  derrière  l'arche,  en  procession,  le  tour  de  la  ville  ;  le  sep- 
tième jour,  les  murailles  tombèrent. 

t.  Ce  vers  rappelle  comment  Josué  et  les  Israélites  passeront  lo  Jourdain  pour 
entrer  dans  la  Terre  promise.  «  .\  la  voix  du  Dieu  d'Isrnol,  les  fleuves  rebrous- 
sent leur  cours.  »  (Cuateaudriind,  Génie  du  Christianisme,  II.  v,  5.) 

3.  Allusion  à  la  déesse  des  Philistins,  l'idole  Dagon,  moitié  femme,  moitié 
poisson,  adorée  à  Azote,  Ascalon  et  G.iia.  L'arcln',  .après  la  défaite  des  doux  l]ls 
dlléli,  était  tombée  entre  les  mains  des  l'Iiilistins;  ils  la  placèrent  dans  le 
temple  de  Dagon,  et  deux  fois  ils  trouvèrent  lidole  renversée  ù  terre  et 
brisée. 

4.  La  terreur  augmente,  pour  ainsi  dire,  à  chaque  vers. 

5.  Agités,  effarés  :  «  M.iJnme  Du  Chàtclet  mourut  dans  le  palais  de  Stanislas 
•près  deux  jours  de  maladie;  on  était  si  troublé  que  personne  ne  songea  à  faire 
»cnir  ni  curé,  ni  jésiiito,  ni  sacrements.  »  (Voltiibb,  Cowm.  Œuv.  aul.  JJenr.) 

6.  Enlevé  de  vive  force.  Expression  de  l'art  militaire  :  «  Aja.-it  appris  que  lel 
lignes  aT4i6Qt  été  forcées.  *  (Uahiltom,  Gramm.,y.) 


I 


134  ÀiUALŒ. 


sgl:m:  k. 

ABNER,  JOAD,  JOS.VCET,  ZACIIAUIE,  SALOMITII,  ISMAËL, 

DEUX    LÉVITES,   ETC. 
JOAD. 

En  croirai- je  mes  yeux' 
Cher  Abner?  Quel  chemin  a  pu  jusqu'en  ces  lieux 
Vous  conduire  au  travers  d'un  camp  qui  nous  assiège? 
On  disait  que  d'Achab  la  fille  sacrilège 
Avait,  pour  assurer  ses  projets  inhumains*,  i'66'6 

Chargé  d'indignes  fers  vos  généreuses  mains. 

ABNER . 

Oui,  Seigneur,  elle  a  craint  mon  zèle  et  mon  courage. 
Mais  c'est  le  moindre  prix  que  me  gardait  sa  rage. 
Dans  l'horreur  d'un  cachot  par  son  ordre  enfermé, 
J'attendais  que,  le  temple  en  cendre  consumé',  1570 

De  tant  de  flots.de  sang  non  encore  assouvie*, 
Elle  vînt  m'alTranchir  d'une  importune  vie, 
Et  retrancher  des  jours  qu'aurait  dû  mille  ibis* 
Terminer  la  douleur  de  survivre  à  mes  Rois. 

JOAD. 

Par  quel  miracle*  a-ton  obtenu  votre  grâce?  <-^7;> 

A  D  N  i:  n  . 
Dieu  dans  ce  cœur  cruel  sait  seul  ce  qui  se  passe. 
Elle  m'a  fait  venir,  et  d'un  air  égaré  : 
'  Tu  vois  de  mes  soldats  tout  ce  temple  entouré  ', 

1.  Le  style  prétendu  tiublo  Tcra  do  cette  expression  uo  abus  déploiable. 

2.  Assurer  une  chose,  c'est  la  rendre  sûre;  Agrippinc  disait  dans  t'expusiliou 
de  Uriiannicus  : 

J<  m'jKura  un  porl  dam  U  lfliii|iilc. 

3.  véritable  ablatif  absolu. 

4.  Aon  encore  n'est  pas  ag-roiiblc  h  l'or.  illo. 

5.  Le  jour  où  l'usurpai  lier  a  niani|iio  (l'é;;ards  envers  Abnor,  11  s'aperçoit  (pi'il 
a  eu  tort  ilc  la  servir.  Abnor  est  un  linnnèlc  lioinmo  ;  mais  il  accepte  des  trans- 
a  -lions  ;  Joad  n'en  accoplcr.i  j.iniais.  —  Quint  nu  mot  n'Iriinclirr,  on  ou  trouve  do 
I  ombreux  exemples  au  xvii*  siècle-,  dans  le  sens  do  :  61er  enlicremont  ;  c'est 
a  rui  que  Molicro  a  écrit  dans  l.i  /'réfuce  de  Tartii/fe  :  «  Jo  no  sais  s'il  n'est 
pas  mieux  du  travailler  à  reclifior  et  niloucir  les  passions  des  hommes,  que  do 
vuuloirles  retrancher  ciitierenient.  » 

6.  Kmploi  m-illicurcux  de  ce  mol  dans  un  pareil  sujet  ;  c'est  là  un  terme  ilunl 
Juad  no  doit  point  abuser. 

7.  l.une.iu  do  Uuisjermain  est  itonné  qu'Athalio  ait  chois!  Abncr  pour  anioas- 
sadeur  ;  eo  rlioix  n'a  cependant  rien  de  surprenant  :  cllo sait  qu'il  est  and  de  Jotd. 
et  elle  ne  peut  croire  que  son  envoya  ose  la  tromper  ;  d'ailluuri  Dieu  a  envoya 
k  U  rcino  l'tyjtril  d'ini/iruJaicA  et  d'errnvr. 


ACTii  V,  bCi::;.:  ii.  135 

Dil-elle.  Un  feu  vengeur  va  le  réduire  en  cendre', 

VA  ton  Dieu  contre  moi  ne  le  saurait  défendre*.  l'o8) 

Ses  prêtres  loutefois,  mais  il  faut  se  hâter, 

A  (Jeux  conditions  peuvent  se  racheter  : 

Qu'avec  Éliacin  on  mette  cii  ma  puissance 

Un  trésor  dont  je  sais  qu'ils  ont  la  connaissance, 

Par  votre  roi  David  autrefois  amassé,  1585 

Sius  le  sceau  du  secret  au  grand  prêtre  laissé*. 

Va,  dis-leur  qu'à  ce  prix  je  leur  permets  de  vivre.  » 

JOAD. 

Quel  conseil,  cher  Abner,  croyez-vous  qu'on  doit  suivre*? 

ABNER. 

Et  tout  l'or  de  David,  s'il  est  vrai  qu'en  effet 

Vous  gardiez  de  David  quelque  trésor  secret,  1500 

Et  tout  ce  que  des  mains  de  cette  reine  avare  * 

V'oiis  avez  pu  sauver  et  de  riche  et  de  rare, 

Donnez-le  '.  Voulez-vous  que  d'impurs  '  assassins 

Viennent  briser  l'autel,  brûler  les  chérubins  ®, 

i.  Il  est  assez  li'lrange  que  plusieurs  éditions,  et  notamment  celle  de  )!.  fîeru- 
lez,  portent  ce  vers  : 

Oil-elli.-.  Un  for  Ten|;i.-ar  va  le  réduire  en  cendre. 
i.  La  luUc  est  donc  nettement  posée  entre  Athalie  et  Dieu  ;   c'est  pourquoi  la 
reine  s'écriera  tout  à  l'heure  : 

Oicu  dei  Juiri,  tu   l'emportes  I 

i.  Voici  un  nouvel  élément  introduit  dans  le  drame  :  la  cupidité  d'Alli:ilic. 
C'est  là  ik  qui  va  donner  l'i  Joad  l'idée  d'adirer  la  reine  dans  le  temple  ;  auUe- 
nient  il  se  disposait  'i  VaUct  cUerclicr  jusque  dans  sonpalais. 

i.  Là  grammaire  voudrait  plutôt  :  qu'on  doive  suivre  ? 

5.  Sens  latin  :  avide. 

6.  Ilemarquez  lu  vivacité  que  donne  à  la  pensée  cette  construction  :  '<  i:t  tout 
l'or...  et  tout  ce  que...  donnez-le.  » 

7.  Les  Juifs  considéraient  comme  impurs  tous  ceux  qui  n'étaient  pa:  cir- 
concis. 

8.  a  De  quel  autel  s'ugit-il  ?  De  celui  des  holocaustes  ?  Cet  autel  était  à  peu 
prés  au  centre  de  la  cour,  devant  le  leraple  proprement  dit  {Exode,  XL,  ,10),  et 
formait  une  sorte  de  colfre,  liaut  de  trois  coudées,  large  et  Ion?  de  cincj,  de 
bois  d'acacia,  montj  sur  quatre  courtes  colonnes  d'airain,  auxquelles  sr  r.itta- 
cliaient  les  grilles  par  lcsr|ucllfs  s'écoulait  le  sang  des  victimes.  L'intiricur, 
aussi  revêtu  d'airain,  était  rempli  de  terre,  et  là  le  feu  s'allumait  pour  consumer 
riiolocanste.  Les  quatre  coins  recourbés  .«o  relevaient  et  se  noinniaiont  les  cornes 
de  l'autel  ;  on  y  liait  les  victimes  (Psaumes,  CXII,  27).  Du  côté  du  midi,  une  lovée 
de  terre  servait  de  montée  {/-Jxoile,  XX,  21,elc).C'est  de  cet  autel  que  parle  sans 
doute  Abner  ;  mais  alors  on  comprend  difficilement  que  sa  pensée  à  l'instant  se 
porte  sur  les  Cliénibins.  o  {.M.  .Vtliinase  CoQUEnEL.)  Voir  pour  les.  C.liér.  blns 
la  Préface.  —  Ces  Cliérubius  do  r.Vrchc  ont  fourni  au  Père  Le  Moinn,  iljis  .son 
livre,  de  la  Dcootion  aisée  (II,  Jin  ,  une  comparaison  bien  étrange  :o  II  ne 
peut  y  avoir  de  péril  dans  les  amitiés  où  il  n'entre  rien  de  pesant  ni  d'obscur... 
dans  les  amitiés  qui  sont  aussi  pures  et  aussi  spirituelles  que  celle  des  Palmes, 
ijui  s'aiment  sans  se  toucher  ;   que   celle  des  .\str(  s,  qui  n'ont  rommiinlralioa 

;iic  lie  l'iispicl  cl  diÀ  la  lumière;  que  celle  des  Chérubins  do  l'Arche,  qui  étaient 
onjoints  par  le  Propitiatoire,  et  no  s'approchaient  que  du  bout  des  ailet.» 


1 3S  ATDALIE. 

El  portant  sur  notre  arche  une  main  téméraire  *,  1595 

De  votre  propre  sang  souiller  le  sanctuaire? 

JOAD. 

Mais  siérait-il  ',  Abner,  à  des  cœurs  généreux 

De  livrer  au  siipplire  un  enfant  malheureux, 

Mn  enfant  que  Dieu  môme  à  ma  garde  confie, 

Et  de  nous  racheter  aux  dépens  de  sa  vie?  1600 

A  1)  N  E  R . 

Ilolas!  Dieu  voit  mon  cœur.  Plût  à  ce  Dieu  puissant 

Qu'Alhalie  oubliât  un  enfant  innocent, 

Et  que  du  sang  d'Abner  sa  cruauté  contente 

Crût  calmer  par  ma  mort  le  ciel  qui  la  tourmente  • 

Mais  que  peuvent  pour  lui  vos  inutiles  soins?  1605 

Quand  vous  périrez  tous,  en  périra-t-il  moins*? 

Dieu  vous  ordonne-t-il  de  tenter  l'impossible»  ? 

Pour  obéir  aux  lois  d'un  tyran  inflexible, 

Moïse,  par  sa  mère  au  Nil  abandonné, 

Se  vit  presque  en  naissant  à  périr  condamné  ;  1610 

Mais  Dieu  le  conservant  contre  toute  espérance, 

Fit  par  le  tyran  môme  élever  son  enfance  '. 

Oui  sait  ce  qu'il  réserve  à  votre  Éliacin, 

Et  si,  lui  préparant  un  semblable  destin, 

11  n'a-point  de  pitié  déjà  rendu  capable 

De  nos  malheureux  Rois  l'homicide  implacable'?  1615 

Du  moins,  et  Josabet,  comme  moi,  l'a  pu  voir, 

Tantôt  à  son  aspect  je  l'ai  vu  s'émouvoir  *; 

J'ai  vu  de  son  courroux  tomber  la  violence  ». 

1.  C'est  l'épitliète  qu'au  début  du  troisième  acte  Zachai-ie  lance  à  Hathan,  qui 
Tcut  pénétrer  dans  l'intérieur  du  temple. 

2.  i)u  verbe  défectif  seoir,  inusité  à  l'infînitif. 

3.  Remarquez  la  conrision  énergique  de  cette  expression. 

4.  Abner,  acceptant  la  (rrinsaction,  essaye  de  la  justiHer. 

5.  Racine  avait  déjà  employé  subslantivenicnt  cet  adjectif  dans  Bérénice  (IV,  ?). 

Je  nVxaiiiiiiaïf  rien,  j'cipcraii  l'impossible. 

6.  L'exemple  allégué  est  ingénieusement  cboisi. 

7.  Homicide  est  à  la  fois  adjectif  et  substantif  : 

Pet  prophitet  diTint  mtllieurcuie  lioiiiicide. 

(III,  TII.) 

8.  Voir  vers  650-655.  On  ne  saurait  trop  remarquer  le  soin  minutirux  avec  le- 
quel Racine  construisait  son  plan  (III,  vu)  ;  un  examen  attentif  apprend  i|i:a 
mille  beautés  qui  ne  semblaient  que  des  beautés  d'ornement  ont  leur  utilité  dan-  le 
drame  ;  tout  sert,  et  sans  en  avoir  l'air. —  «  Il  faut  :  je  i  ni  vue,  en  pailant  il' Al  lia  lin; 
on  a  condamné  tout  d'une  voix  je  l'ai  vu.  «  [Sentimeiils  de  l'Académie  sur  Atlniiic.) 

0.  Tomber  a  ici  le  sens  de  se  calmer,  s'apaiser  ;  en  latin  poiiere.  On  dit  de 
m^mi!  que  le  vent  londie,  que  la  mer  tombe  :  »  La  mer,  comme  dirent  les  ma- 
rini,  était  tombée,  et  le  ejel  s'était  éclairci.  »  (CaATiiuaitUND,  Itinéraire  dt 
Parié  à  Jinualein,  part.  11.) 


ACTE   V,    SCENE    rr.  137 

(a  Josabet.) 

Princesse,  en  ce  péril  vous  gardez  le  silence?  <620 

Hé  quoi?  pour  un  enfant  qui  vous  est  étranger 

Souiïrez-vous  que  sans  fruit  Joad  laisse  égorge 

Vous,  son  fils,  tout  ce  peuple,  et  que  le  feu  dévore 

Le  seul  lieu  sur  la  terre  où  Dieu  veut  qu'on  l'adore  *  "' 

Que  feriez-vous  de  plus,  si  des  Rois  vos  aïeux  1625 

Ce  jeune  enfant  était  un  reste  précieux  ? 

JOSABET,   tout  bas  à  Joad. 

Pour  le  sang  de  ses  Rois  vous  voyez  sa  tendresse  : 
Que  ne  lui  parlez- vous? 

JOAD. 

U  n'est  pas  temps.  Princesse  '. 

ÂBNER. 

Le  temps  est  cher,  Seigneur,  plus  que  vous  ne  pensez  '. 

Tandis  qu'à  me  répondre  ici  vous  balancez  S  1630 

Mathan  près  d'Athalie,  étincelant  de  rjîge.S 

Demande  le  signal  et  presse  le  carnage  ^ 

Faut-il  que  je  me  jette  à  vos  sacrés  genoux? 

Au  nom  du  lieu  si  saint  qui  n'est  ouvert  qu'à  vous  ', 

Lieu  terrible  où  de  Dieu  la  m:ijesl6  repose  ",  163o 

1.  Dans  celte  couric  prière,  Abner  tafi  appel  à  tous  les  seotiments  qui  peurent 
•e  prcsscf  dans  le  cœiip  de  Josabet. 

2.  Si  Joad  révélait  à  Abner  son  secret,  Abner  serait  odieux  en  attirant  Athalie 
dans  le  piège. 

3.  Joad  a  répondu  tout  haut  à  Josabet  ;  voilà  pourquoi  Abner  parie  ainsi. 

4.  Vous  hésitez.  De  même, dans  Iphigénie  {IV,  i)  : 

A  ce  silence 
Ne  reconnais-tu  pas  un  pore  qui  bal.incc7 

5.  Cette  belle  eiprcssion  est  empruniéc  à  Corneille  {Pompée,  IV,  i): 

9e!  farouches  regmli  ctiiicclairnt  de  rije. 
Racine  lui-nicnie  avait  déjà  dit  dans  L'sHier  {\],  vu): 
Ain#i  liu  Die»  fiv.iiil  la  coliiie  lilincelle. 

6.  Le  sens  élymolop;if|ue  du  mot  carnage  est  :  temps,  époque  oii  l'on  mange  de 
la  chair.  Carnaval  vient  de  carnis  levamen;  c'est  le  temps  où  l'on  enlève  l'usage 
de  la  chair,  le  carnaval  étant  vraiment  la  nuit  qui  précède  le  mercredi  des  cendres. 

7.  «  Le  grand  prêtre  d'Israël  avait  seul  le  droit  de  pénétrer  dans  le  Saint  des 
Saints,  où  était  déposée  l'Arche,  et  mcnie  il  n'avait  le  droit  d'y  pénétrer  qu'une 
fois  l'an,  Il  le  j'iur  do  la  Propiliation,  consacrée  k  l'e.rpiation  des  péchés  des 
enfants  d'Isracl;  ce  jour-là,  portant  des  charhons  enllammés  dans  un  récliaud 
et  do  l'encens  dans  un  vase,  il  pénétrait  auprès  de  l'Archi-,  jetait  l'encens  sur 
les  charbons,  et  remplissait  ainsi  le  sanctuaire  d'une  vapeur  odoriférante,  qui 
était  censée  en  voiler  la  gloire  ;  puis  il  revenait  prendre  du  sang  des  deux  vic- 
times, un  bœuf  et  un  bouc,  et  le  répandait  sur  le  couvercle  de  l'.Vrche  et  les 
planches  du  sanctuaire.  D'autres  cérémonies,  des  jeunes,  des  ablutions  compté- 
taient  ce  lilc  solennel.  »  (.M.  Athannsc  CoQUKiiEn.)  ' 

8.  Cette  belle  expression  a  été  empruntée  par  Racine  à  Chapelain  lui-tnème, 
à  u  Pucelle: 

Loin  de>  murs  flambo]rants  qui  renferment  le  moade, 
Dans  le  centre  caohiid'nnc  clarlc  iTOlonde, 
Dieu  repose  >n  Ini-im^ine,  et,  i(lii  de   splendeur, 
Sjiii  borne  il  est  renioli  de  sa  propre  giindenr. 

8. 


138  atualie; 

Onelque  dure  que  soilla  loi  qu'on  vous  impose, 

Hc  ce  coup  imprévu  songeons  à  nous  parer  '. 

Donnez-moi  seulement  le  lemps  de  respirer*. 

Demain,  dès  celte  nuit,  je  prendrai  des  mesures 

Pour  assurer  le  temple  et  venger  ses  injures  '.  i6i0 

Mais  je  vois  que  mes  pleurs*, et  que  mes  vains  discours 

Pour  vous  persuader  sont  un  faible  secours  *  : 

Votre  austère  vertu  n'en  peut  ôtre  frappée  *. 

Hé  bien  !  trouvez-moi  donc  quelque  arme,  quelque  épée  ; 

Et  qu'aux  portes  du  temple,  où  l'ennemi  nfattend,  lOio 

Abner  puisse  du  moins  mourir  en  combattant  '. 

JOÂD. 

Je  me  rends.  Vous  m'ouvrez  un  avis  que  j'embrasse  •. 

De  tant  de  maux,  Abner,  détournons  la  menace. 

Il  est  vraij  do  David  un  Irosor  est  resté. 

La  garde  en  fut  commise  à  ma  Cdélité  *.  1C50 

C'était  des  tristes  Juils  l'espérance  dernière, 

Q;:c  mes  soins  vigilants  cachaient  à  li  lumière. 

Miiis  puisqu'à  voire  Reine  il  faut  le  découvrir, 

Je  vais  la  contenter,  nos  portes  vont  s'ouvrir. 

De  ses  plus  braves  chefs  qu'elle  entre  accompagnée;      1655 

I.  On  disait  communément  au  xvii<  siècle  te  parer  de  pour  :  se  garantir  de. 
iiosi  dans  Molière  {Tartuffe,  IV,  m)  : 

Quoi?  de  Tolr<  p?ur.:uile  on  ne  peut  se  parerT 

S.  Pe  me  rfiloumcr,  comme  on  dit  \u<f  airemcat  :  ■  Jusqu'à  quand  difTérercz- 
vou''  Je  m'épargner  et  de  me  donner  quelque  relâche,  aQn  que  je  puisse  un  p^u 
re.'l.  fir.  »  tSia,  Bible.  Job,  Vil,  19.) 

3.  Voir  la  note  du  vers  1565.  —  Injures  est  pris  passivement  :  les  injures  qui 
lai  font  faites. 

4.  Les  Lirmos  ne  conviennent  •  i  ne  nous  intéressons- 
nous  que  médiocrement  aux  t  v  même  au  fond  nous 
laissent- Is  incrc Jules  ?  CV-i  : 

5.  11  y  a  Cette  dilTcreiic^-  '«'adressa 
plutôt  0  l'inlelligcnce,  et                                                                             -  une  pcr- 

Mone  Je  l'cfellenee  d'u;.i  -  .     .  >^ ; ,,.ii  ,  ua  no  peut  l'co 

persuader,  <.ins  lui  donner  le  liesir  de  1  exocuter. 

fl.  Touchée;  de  mime  dans  BÊ-Uanniau  (V,  tiii): 

Ceur,  de  tant  d'ul'jcti  en  luéme  temps  frappé,  el«. 

7.  Abner  se  relèTc;  mais  il  est  un  peu  tarJ.  Dans  son  eosrmble,  cette  sci-n 
qui  est  un  peu  lon^e,  est  une  des  moins  bonnes,  peut-être  la  moins  bonne  de 
la  perc. 

^.  Ouvrir,  embraster,  deux  m'ïLiphorcs  qui  ne  se  suivent  pal  bien.  Embraiter 
(t  ncnrc  un  mot  dont  la  lan);ue  du  iix*  siècle  fer*  un  étrange  abus^  a  ici  le  s«nf 
(i  iJuptcr;  Corneille  avait  écrit  dans  l'crtkarite  (I,  ti)  : 

J'embtuM  un  bot  atii,  de  quelque  (til  qa'il  ticsat 

0.  Voir  la  note  du  Tcrs  Ul. 


ACTE   V,    SCÈNE   II.  139 

Mais  de  nos  sainls  autels  quelle  tienne  éloignée 

n'uh'rariias  '  d  oliangors  l'ituliscrèle  fureur. 

Du  pillage  du  temple  épargnez-moi  l'horreur  '. 

Des  prûtres,  des  enfants  lui  feraient-ils  quelque  ombre  '? 

De  sa  suite  avec  vous  qu'elle  règle  le  nombre.  lOGO 

Kt  quant  à  cet  enfant  si  craint,  si  redouté  *, 

De  votre  cœur,  Abner,  je  connais  l'équité. 

Je  \ous  veux  devant  elle  expliquer  sa  naissance  : 

Vous  \errez  s'il  le  faut  remettre  en  sa  puissance; 

Et  je  vous  ferai  juge  entre  Athalie  et  lui  '.  1603 


1.  D'un  assemblage,  d'une  trou|ie  ;  mais  ce  mol  esl  toujours  pris  en  mauvaise 
part  :  «  Les  ûibusticrs  eurent  toutes  les  aventures  heureuses  et  mallieurcuscs 
que  pouvait  attendre  un  ramns  d'hommes  sans  loi,  venus  de  Normandie  et 
d'Angleterre  dans  le  golfe  du  Meiique.  »  (Voltaibb,  Essai  sur  les  mœurs.) 

2.  Itacine,  prévoyant  que  Cette  ruse  de  JoaJ  soulèverait  .les  crili.^uc?,  avait 
prép:iré  ses  réponses:  «Equivoque  do  Joad.  !•  Sohito  teniplum  hoc.  »  (J.  C. 
parlait  de  sa  mort  et  de  sa  résurrection  dans  un  langage  figuré.  Les  Juifs  iac- 
cuscrent  de  s'ttre  vanté  de  pouvoir  détruire  le  temple  de  Dieu.  —  2'  Martyre  de 
Saint  Laurent,  à  qui  le  juge  demanda  les  tiésors  de  l'Église  :  «  A  quo  quum  quse- 
rerentur  thesauri  Ecclesiœ,  proraisil  dcmonsli-aturum  se.  Scqucnti  die  pauperes 
duiit;.  Intcrrogatus  ubi  essent  thesauri  quos  proniiscrat,  ostendi^  pauperes, 
diccns  :  Hi  sunt  thesauri  Ecclesix...  Laurcntius  pro  singulari  suse  interprcta- 
tionis  vivacitate  sacram  martyrii  accepit  coronamo»  (Sai:it  Ajinn  >isb.  De  officiis.) 
Iians  Prudence,  saint  Laurent  demande  du  temps  pour  calculer  toute  la  somme. 
Saint  .\ugustin  même,  si  ennemi  du  mensoni^e,  loue  co  mot  de  saint  Laurent: 
•  Hoe  sunt  divitiac  Ecclesiae.  »  {Sermon  CCCiIl)  —  Dieu  dit  à  Moïse:  •  Dites  à 
rharaon:  Dimitte  populum  meuro,  ut  sacrificet  mihi  in  deserto.  »  Et  chap.  vui. 
Pharaon  répond  :  "  Ego  dimitlam  vos  ut  sacriCeetis  Domino  Deo  vcstro  in  deserto. 
Verumtamen  longius  ne  abcatis.  »  Dieu  a  trompé  eiprès  Pharaon.  (.Si'nops.)  Une 
autre  fois  Pharaon  dit:  «  Sacrifiez  ici.  »  Moïse  répond:  «  Nos  victimes  sont  vos 
dieux  :  Abominalioncs  .Egvptiorum  imtnolabimus  Domino.  »  Donc  Dieu  voulait 
faire  sortir  le  peuple  tout  à  fait,  et  l'h.iraon  no  l'entendait  pas  ainsi.  »  — 
Slalgré  tous  ces  arguments,  il  faut  convenir  qu'il  v  a  l'i  un  manque  de  franchise 
qui  nous  déplaît   dans  l'austère  Joad,  et   nous  déconcerte. 

3.  •  Quelques-uns  ont  prétendu  que  fuire  ombre  signifie  éclipser,  effacer, 
obscurcir,  et  ne  pouvait  pas  se  dire  pour  faire  ombrage,  qui  sigr.iiic  donner  de 
la  jalousie,  du  soupçon.  »  (Sentiments  de  l'Acndi-mie  sur  Athalte.'\  Hi  l'.^cadémie 
avait  lu  l'édition  de  1604  de  son  propre  Dictionnaire,  elle  y  aurait  trouvé  ces 
mots  :  <•  On  dit  fig.  d'un  homme  qui  se  défie  de  tout,  que  tout  lui  fait  ombre.  * 

4.  Ici  Juad  D'équivoque  même  plus  ;  ces  mots  et  quant  à  semblent  iiidiiucr 
nettement  à  Abner  que  l'enfant  et  le  t:é^or  ne  sont  pas  une  seule  et  môme 
chose.  Il  y  a  l,"»  quelque  chose  qui  re.^si.niMc  ii  un  mensonge. 

5.  a  On  peut  condamner  le  earactère  et  l'action  du  grand  prêtre  Joad  ;  sm 
conspiration,  son  fanatisme  peuvent  être  d'un  très  mauvais  exemple  ;  aucun  sou- 
verain, depuis  le  Japon  jusqu'à  Naples.  ne  voudrait  d'un  tel  Pontife;  il  esl 
factieux,  insolent,  enthousiaste,  inilexilile,  sanguinaire,  il  trompe  indignement 
sa  reine,  il  .fait  égorger  par  des  prèlrrs  celle  femme  âgée  de  quatre-vingts 
ans,  qui  n'en  voulait  certainement  pas  ;'i  la  vie  du  jeune  Joa.«  qu'elle  voulait  élrver 
comrTU  ion  propre /t/i.  J'avoue  qu'en  rêlIéeMssant  sur  cet  é<énemcnt,  on  peut  dé- 
lester la  personne  du  pontife  ;  mais  on  admire  l'auteur,  on  s'assujettit  sans  peine 
4  toutes  les  idées  qu'il  présente,  on  ne  pense,  on  ne  sent  que  d'.ipres  lui.  ?on  su- 
jet, d'ailleurs  respectable,  ne  permet  pas  les  critiques  qu'on  pourrait  faire,  si  c'était 
un  sujet  d'invention.  Le  spectateur  suppose  avec  Racine  que  Jo.id  est  en  droit 
de  faire  tout  ce  qu'il  fait;  et,  ce  principe  une  fois  posé, on  con\:eit  que  la  pièce 
fit  ce  que  nous  avons  de  plus  parfailenicnl  conduit,  de  plus  simple  et  de  plus 


140  ATDALIEj 

A  B  N  E  n . 

Ah  !  je  le  prends  déjà,  Seigneur,  sous  mon  appui  *, 
iNe  craignez  rieu.  Je  cours  vers  celle  qui  m'envoie. 


SCENE  m. 

JOAD,  JOSABET,  ISMAËL,  ZACHARIE,  etc. 

JOAD. 

Grand  Dieu,  voici  ton  heure,  on  t'amène  ta  proie  ». 

Ismaël,  écoutez.  (n  lui  parle  à  l'oreille.) 

JOSABET. 

Puissant  maître  des  cieux, 
Remets-lui  le  bandeau  dont  tu  couvris  ses  yeux  •,  1670 

Lorsque,  lui  dérobant  tout  le  fruit  de  son  crime. 
Tu  cachas  dans  mon  sein  celle  tendre  viclime. 

JOAD. 

Allez,  sage  Ismaël,  ne  perdez  point  de  temps: 

Suivez  de  point  en  point  ces  ordres  importants. 

Surtout  qu'à  son  entrée  et  que  sur  son  passage  1675 

Tout  d'un  calme  profond  lui  présente  l'image. 


stiblinie.  «{yolfJitRB,  Diclio)i)taire  philosnphiqua.  Art  dramatique.)  —  Siiard,  ré- 
pondant iiux  critiques  de  C.ondorcet,  répoml  aux  critiques  do  Voltaire  :  «  Vous 
prétendez  que  Joad  attire  Alhnlic  dans  un  piépe  pour  l'assassiner.  IVrst  elle  qui 
le  dit.  Mais  il  est  facile  de  lui  répondre  qu'elle  y  est  venue  d'ello-mcme  pour  y 
chercher  un  trésor  qu'idle  convoitait,  et  aussi  pour  y  reconnaître  un  enfant 
qu'elle  craignait,  et  qu'elle  aurait  certainement  fait  mettre  à  mort  des  qu'un 
événement  (pieleiuique  lui  aurait  révélé  sa  naissance.  Pourquoi  voudriei-vous 
que  Joad  lui  livrât  cet  enfant  pour  qu'il  soit  é^orfré  par  elle  quelque  jour;  et  ne 
doit-il  pas  avoir  le  criuia!,'i!  de  le  défendre,  lorsqu'il  la  élevé,  adopté,  iiour 
ainsi  dire,  et  que  cet  enfant  est  son  roi,  de  sa  religion,  le  seul  héritier  de  la 
mai.<ion  de  David,  et  le  seul  espoir  d'Israël'/  ■>  Mais  Suard  a  beau  dire,  si  la  un 
est  louable,  le  moyen  est  elio'|uant. 

1.  «  On  ne  dit  point  premlre  sons  son  appui,  quoique  appui  signifie  protec- 
tion; cesdeui  termes  doivent  s'employer  avec  des  verbes  dilTurents.  »  (Sentiments 
de  r Académie  sur  Athnlie.) 

2.  Moisc  dit  h  Ismaél  :  <>  Devorabis  omnes  populos,  quos  Oominus  Deiis  tuui 
dalurus  est  libi.  »  (lJeutéronome,\\\,  10).  Il  dit  un  peu  plus  loin  (id.,  IXXXI,  17)  : 
■  Absi-ondam  scclam  nieam  nb  eo,  et  erit  in  devoralioiiein.  »  Itarine  a  soin  de 
rapprler  .'i  chaque  scène  que  la  lutte  est  enfragée  entre  Allialio  et  Dieu. 

3.  Au  moment  de  la  (irise  de  Troie,  Vénus  enlève  à  ICnée  les  nuajfe»  qui  obs- 
curcissaient sa  vue  mortelle  (lini'iJe,  II,  604-000);  peut-être  Racine  s'eit-il 
iouvcuu  de  ce  passage  : 

...  Omnrin,  qiia  nune  olxliiclj  luenH 
ll"rti«lf  •  hi-helal  «imii  tibl,  al  bumidt  circula 
Ciiifil,  oub«ia  «ripiiiu. 


l 


ACTE  V,  SCfiXE  ly.  ,  4  , 

Vous,  enfnnt?,  préparez  un  trône  pour  Joas', 

Qu'il  s'avance  suivi  de  nos  sacrés  soldais  *. 

l'ailes  venir  aussi  sa  fidèle  nourrice, 

Princesse,  et  de  vos  pleurs  que  la  source  tarisse.  1089 

;,         (a  un  lévite.) 

Vous,  dès  que  cette  Reine,  ivre  s  d'un  fol  orgueil, 

De  la  porte  du  temple  aura  passé  le  seuil  *, 

Qu'elle  ne  pourra  plus  retourner  en  arrière, 

Prenez  soin  qu'à  l'instant  la  trompette  guerrière* 

Dans  le  camp  ennemi  jette  un  subit  eiïroi. 

Appelez  tout  le  peuple  au  secours  de  son  I\oi;  1083 

Et  faites  retentir  jus([ues  à  son  oreille 

De  Joas  conservé  l'ctonnante  '  mer  veille  '. 

Il  vient. 


SCENE  IV. 

JOAD,  JOAS,  JOSABET,  trodpe  de  prêtres  et  de  lévites,  etc. 

JOAD   continue. 

Lévites  saints,  prêtres  de  notre  Dieu  ', 
Partout,  sans  vous  montrer,  environnez  ce  lieu;  16î*0 

Et  laissant  à  mes  soins  gouverner  votre  zèle  ', 
Pour  paraître  attendez  que  ma  voix  vous  appelle. 

(ils  se  cachent  tous.) 

Roi,  je  crois  qu'à  vos  vœux  cet  espoir  est  permis, 

1.  D'après  le  récit  sacré,  Joas,  pour   l'intronis.ition,  fut  placé  sur  UBê  tribunt 
qui  se  trouvait  adossée  à  l'un  des  côlés  du  temple. 

2.  VJoir  la  note  du  vers  1427. 

^.  Ég.Tréo  par;   dans  son  admirable  A'uit  de  Afai,   Alfred  de  Musset  dira  du 
pélican  qui  s'ouvre  la  poitrine  pour  nourrir  ses  petits,  qu'il  est 
Mrc  de  volupté,  de  tendresse  cl  d'Iiorreiir. 

4.  On  appelle  seuil,  en  latin  limen,  «  la  pièce  de  bois  ou  de  pierro  qui  est  au 
Ij.is  de  l'ouverture  d  une  porte  et  qui  la  traverse.  »  (Littri.) 

5.  Voir  la  note  du  vers  6. 

6.  \oir  1.1  note  du  vers  .414. 

7.  Merveille  a  ici  le  sens  de  prodige;  de  môme  (I,  i)  ; 

On  ne  foit  plui  pour  nout  ta  reduiilaMet  inaini 
De  mcrieillei  iiiii  n tire  elTr.ijer  Ici  bumiint, 

8.  <■  Levitœ  autcm  circumdent  Rcgcm,  habeotcs  singuli  «rm»  sua.  •  (//  Para- 
hpomines,\\lU,~). 

9.  A  prend  dans  cette  locution  le  sens  do  par,  comme  dans  Iphigénie  (II,  i)  : 

Je  me  laissai  conduire  i  ctl  aim.iblo  guide. 
Cette    locution    s'employait   même  en  prose  :  «  La   Grèce  n'a  point    reproché  i 
igamcmnon  de  s'être  laissé  gouvernera  Nestor.  •  (Bàli4c,  Aristippe,  dise,  i.) 


1 41  ATOALIB. 

Venez  voir  à  vos  pieds  toniltcr  vos  ennemis. 

Celle  dont  lu  fureur  poursuivit  votre  enfance  1C95 

Vers  CCS  lieux  à  grands  pas  pour  vous  perdre  s'avance. 

Mais  ne  la  craignez  point.  Songez  qu'autour  de  vous 

I/ange  exterminateur  est  debout  avec  nous  *. 

.Montez  sur  voire  trône,  et...  Mais  la  porte  s'ouvre: 

Permettez  un  moment  que  ce  voile  vous  couvre  •.  I7l<i 

(m  lire  un  riileau.) 

Vous  changez  de  couleur,  Princesse  ? 

JOSAHET. 

Ah  !  sans  pftlir, 
Puis-je  voir  d'assassins  le  leniijlo  se  remplir  ^? 
Quoi?  ne  voyez- vous  pas  quelle  nombreuse  escorte... 

JOAD. 

Je  vois  que  du  saint  temple  on  referme  la  porte. 
Tout  est  en  sûreté. 


SCENE  V. 

ATUALIE,  JOAS,    cnchô  dcnièie   le  riJeau  ;   JOAD,  JOS.^DET, 

ABNER,  SUITE  d'atuai.ie. 


ATHAME,  à  Joa(« 

Te  voll;t,  séducteur  1705 

Do  ligues,  de  complots  pernicieux  *  auteur, 
Oui  dans  le  troulile  seul  as  mis  tes  espérances, 
Llcrnel  ennemi  des  suprêmes  puissances. 
In  l'appui  de  ton  Dieu  tu  l'étais  reposé  •. 
De  ton  espoir  frivole*  es-tu  désabusé?  1710 

1.  Voir  la  note  du  vers  14'>4. 

2.  •  Li|;ior  est  Roiivent  .iiiplitiiti  dans  le  rôle  de  Juad  ;  peut  ftro  met  il  nu 
riiinuii'Mic  nrlo  un  peu  tmp  do  finesse  dnns  son  jeu  :  fans  doiilc  li"  pii'ije  <|u'il 
tcnj  lï  Atlialie  rsl  un  piôffo  malin  ;  m.nis,  (prunl  le  secret  est  lorrililo,  le  Miilc  <|ui 
le  cache  ne  doit  pas  *lre  si  liiger.  Le  spiiynx  est  injrstérleui  ;  il  n'est  pas  finul.  » 
(TuKoriiiLn  GtuTirn.t 

3.  Ce  sntit  les  derniers  mots  que  prononce  Josabct  ;  ils  expriment  une  tendra 
iii(|iii>Hude  ;  ce  pcrMinna^e,  depuis  son  entrée  en  scène  Jusque  la  (In  du  drame, 
est  constant  avec  lui-iiiimc. 

4.  Nuisilile,  Tuncslo  :  «  Un  roi  incnpalile  dt  Roiivcrnor  est  encore  plus  perni- 
cieux h  un  Liai  qu'un  priicc  malheureux  ou  qui  fait  des  fautca.  »  (Uucloi,  0:.'h- 
vrfi,  t.  11.  p.  18.) 

5.  llai-inc  ne  perd  pat  une  orrusion  do  nous  rappeler  que  c'est  &  Dieu  mime 
qui-  la  reine  s  nllaquc. 

6.  Voir  la  nuto  du  vert  718 


ACTE   V,    SCÈNE   V,  143 

Il  laisse  en  mon  pouvoir  el  Ion  temple  cl  la  vie. 

Je  devrais,  sur  l'iiutcl  où  la  iiiuiii  sacrifie, 

Te'...  Mais  du  prix  qu'on  m'ullVc  il  faul  me  conlcnlcr. 

Ce  que  tu  m'as  promis,  songe  à  l'exéculer. 

Cet  curant,  ce  trésor,  qu'il  faul  qu'on  nio  rcmelte,  171  :i 

Où  sont  ils? 

JOAD. 

Sur-le-chunip  tu  seras  satisfaite: 
Je  te  les  vais  montrer  l'un  el  l'autre  à  la  fois». 

(Le  riJoau  se  lire"'.  On  voit  Joas  sur  son  trône;  sa  nourrice  est  à  genoux  à  sa 
droite;  Aiarias,  l'épée  à  la  main,  est  debout  à  sa  gauche;  el  pris  de  lui 
Zacharie  et  Saloniilli  sont  à  genoux  sur  les  dcgiés  du  trône;  plusieurs  lé- 
•yites,  l'épée  à  la  main,  sont  raiigôs  sur  les  côtés.) 

Paraissez,  cher  curant,  digne  sang  de  nos  Rois. 
Connais-tu  l'iiérilier  du  plus  t-ainl  des  monarques*, 
Heine?  De  ton  poignard  coiuiais  du  moins  ces  marques'.  1"20 
Voilà  (on  Roi,  Ion  fils,  le  fils  d'Ochosias. 
Peuples,  et  vous,  Abncr,  icconuaissez  Joas, 

ABNER. 

Ciel  I 

ATII  ALIE,   à  Joad. 

Perfide  1 

1.  Bol  exemple  de  réticence  ;  on  l'a  rapproclié  do  l'aposfrophe  irritée  de  Nep- 
tune dans  r/wit'iVe  (I,  J39)  : 

Quoi  ego...  icj  motoj  ircital  coinpoacro  Oiictui. 

Itacinc  avait  déjà  placé  une  réticence  semblable  dans  la  boucbu  d'.\iici* 
(l'hèdre,  V,  m)  : 

Prtnoi  partie,  SciRnetir  :  »o«  iiiTinriblcj  malni 
Ont  d.'  iiioii«liiM  <an«  aninhre  niïianolii  le»  hiiiiiiin$; 
M.iis  tout  n'c'tl  pa<  ilétriiit,  et  vont  en  Iniiji  i  «ivre 
Un...  Vulro  III>,  Soigneur,  iiic  (JéCeiid  do  poili Juitie. 

8.  «  C'est  l"i  qtio  la  catastroplie  est  admirablement  en  action.  C'est  li  aue  se 
fait  la  reconnaissance  la  plus  inli'rcssaiitc  ;  chaque  acteur  y  joue  nu  gi'and  rôle. 
On  no  tuo  point  .\thalic  sur  le  lliéàtre;  le  fils  des  Rois  est  sauvé,  el  est  re- 
connu roi  ;  tout  eo  siicclaclc  traiisporlo  les  speelalcurs.  n  (VoLTiinn.  Diction- 
naire philosnnhinuc  Art  dramatique.)  Vollairo  disait  aussi,  dans  un  Discours 
sur  (a  trnnMie  (Ed.  Beuchnt,  ii,  3ns)  :  «  La  seule  pièce  où  M.  Itacine  ait  mis 
du  spcclaclc,  c'est  son  chef-d'œuvre  tVAt/tulic.  On  y  volt  un  oiifanl  sur  un  trône, 
sa  nourrice  et  des  prêtres  qui  l'envirunnent,  une  reine  qui  eoniniai.do  !k  ses  sol- 
dats di-  le  massacrer,  des  lôviles  ainu^s  qui  accourent  pour  le  défendre.  Toute 
cctio  aeticin  est  pathéliquc;  mais,  si  lo  stylo  ne  l'était  pas  aussi,  elle  ne  serait 
que  puérile.  » 

3.  Dans  cette  scène,  Métastase  a  placé  entre  les  mains  de  Ciuas  le  livre  do  la 
Loi  : 

Que!lo  !>>«lieoe 
Sicio  Toluiiie. 

i.  David. 

T).  Ces  cicatrices,  on  ne  les  voit  pas  du  tout  à  la  scène.  C'est  aux  Lévites  que 
Ciujada  les  moi\lrc  dans  le  drame  de  .Molaslase  :  n  Voyei  «c  sciu,  qui  coasarvi 
encore  les  marques  funestes  d'un  coup  criiul.  * 


t  i4  AiUALlË. 

JOAD. 

Vois-tu  celte  Juive  fidèle. 
Dont  tu  sais  bien  qu'alors  il  suçait  la  mamelle  ? 
11  fut  par  Josabel  à  ta  rage  enlevé.  1725 

Ce  temple  le  reçut,  et  Dieu  l'a  conservé. 
Des  trésors  de  David  voilà  ce  qui  me  reste. 

ATHALIE. 

Ta  fourbe*  à  cet  enfant,  traître,  sera  funeste. 
D'un  fantôme  odieux,  soldats,  délivrez-moi, 

JOAD. 

Soldais  du  Dieu  vivant,  défendez  votre  Roi'.  1730 

(ici  le    food  du  théâtre    s'ouvre.  On  voit  le  dedans  du  temple',  et  les  lévite» 

armés   sortent  de  tous  cotés  sur  la  scène.) 

ATHALIE. 

Où  suis-je?0  trahison!  ôHeine  infortunée*! 
D'armes  et  d'ennemis  je  suis  environnée. 

JOAD. 

Tes  yeux  cherchent  »  en  vain,  tu  ne  peux  échapper, 
Et  Dieu  de  toutes  parts  a  su  t'envelopper'. 

{.  Ce  mot,  qui  est  ici  synonyme  de  fourberie,  s'employait  dans  le  style  noble. 
On  le  trouve  dans  Bossuc't  (liist.,  I,  viu)  :  «  Sa  fourbe  fut  bientôt  découverte  «j 
et  dans  Corneille  (Pompée,  H,  ii)  : 

Ce  liirot  voit  I*  fourbe  et  ('un  moque  dins  Yime. 

t.  Toujourt  la  cause  de  Joad  est  identifiée  avec  celle  de  Dieu. 

3.  «  Le  dedans  du  temple  ne  peut  se  voir  que  sur  la  hauteur,  à  distance,  dans 
un  assez  grand  éloignenicnt,  et  encore  par  ces  mots  il  n'est  permis  d'entendre 
que  les  deux  premiers  compartiments,  le  vestibule  et  lo  lieu  saint,  où  brûlaient 
les  lampes  du  célèbre  candélabre  dont  l'arc  do  Titus  norte  rcffigip.  »  (Noie  de 
M.  Athanase  CoQiBRKL.)  —  On  lit  dans  le  .â/ercurerfe /«rance  d'octobre  1770  :  i.  La 
décoration  représentant  le  temple  de  Jérusalem  était  parfaitement  bien  peinte  cl 
de  la  plus  grande  ordonnance.  La  partie  intérieure  du  temple,  formée  par  une 
arcade  «sser  haute  et  asser  ouverte  pour  que  l'œil  ne  pi;rdit  rien  de  la  noblesse 
et  de  l'élévation  de  l'architecture,  était  terminée  au  fond  par  une  colonnade  cir- 
culaire, au-dessus  de  laquelle  on  avait  pratiqué  une  galerie  destinée  à  recevoir 
une  quantité  considérable  de  prêtres  et  de  peuple,  dans  l'instant  oii  Joas  parait 
iur  son  trône,  entouré  de  ses  défenseurs  victorieux.  Il  serait  difficile  do  donner 
une  véritable  idée  de  la  beauté  majestueuse  do  ce  spectacle,  rendu  encore  plus 
frappant  par  les  chœurs  nombreux...  »  Athalie  est  obligée  aujourd'hui  do  se 
passer  de  colonnade  circulaire  et  de  vastes  galeries. 

4.  «  Audivit  autem  Athalia  vocom  popidi  curri'nlis  ;  et  ingrcssa  ad  turbas  in 
tcmplura  Doniini,  vidit  Ilegcm  stnniom  super  tribunal  jutta  morem,  et  cantores 
et  tubas  prope  cum,  oninemque  pnpulum  terrœ  hetanteui,  et  canenlem  tuliis  ;  et 
tridil  vcstinienta  sua,  clamavitquo  :  Conjuratio,  conjuratio.  •  (IV  Jtois,  XI, 
13,  et  ll.\ 

5.  le  verlio  clfrcher  s'emplnie  souvent  sans  régime, 
t.  Motkttuic  a  heureusement  traduit  ec  vers  : 

l^  v«nilvtl<i  di  Diu  |[ii  U  clrcoiida. 


ACTE  V,    SOIGNE   VI.  143 

Ce  Dieu,  que  tu  bravais,  en  nos  mains  t'a  livrée  '.  1733 

Rends-lui  compte  du  sang  dont  lu  t'es  enivrée  •. 

ATBàLIE. 

Quoi? la  peur  a  glacô  mes  indignes  soldais'? 

Lilche  Abner,  dans  quel  piège  as-lu  conduit  mes  pas^l 

ABNER. 

Reine,  Dieu  m'est  témoin... 

ATHALIE. 

Laisse-là  ton  Dieu,  traîlrc, 
Et  venge-moi. 

ABNER,  se  jetant  aux  pieds  de  Joas. 

Sur  qui?  Sur  Joas!  sur  mon  maître l  <~40 

ATHALIE. 

Lui  Joas?  lui  ton  roi?  Songez,  méchants,  songez 
Que  mes  armes  encor  vous  tiennent  assiégés. 
J'entends  à  haute  voix  tout  mon  camp  qui  m'appelle  *. 
On  vient  à  mon  secours.  Tremblez,  troupe  rebelle*. 


SCKNK  VI. 

ISMAÉL,  JOAS,  JOAD,  ATHALIE,  etc. 

ISUAËL,  à  Joad. 

Seigneur,  le  temple  est  libre  et  n'a  plus  d'ennemis'.        1^^5 
L'étranger  est  en  fuite,  et  le  Juif  est  soumis. 

1.  Yûilà  ^o  véritnhlfi  giijet  du  drame. 

2.  u  Et  vidi  muliercm  ebriam  de  sanguine  sanctorum.  »  {Apocalypse,  XVU,  0.) 
Comparer  ICslher,  v.  1156-1159. 

3.  Racine  avait  écrit  déj&  dans  Britannicus  (I,  iv)  : 

Les  aiTiit  de  mon  pèr« 
Sont  autant  d'inconnus  que  glace  ma  inisorc  ; 

4.  Abner  jouerait  ici  un  piteux  pcrsouna<re,  s'il  n'était  excusé  |iai'  son  ignorance. 

5.  Ce  vers   est  jeté  dans  le  même  moule  qu'un  vers    de    l'/phigénie  d\x  petit 
Leclere   de  l'Académie,  comme  disait  le  duc  de  Ncvers  : 

L'irmé«  i  baut«  Toix  demande  Iphigér,>. 

(IV,  TI.) 

S.  Jusqu'au  dernier  moment,  le  poète  laisse  planer  la  terreur  sur  la  scène. 

7.  n  Le  dernier  cliàliment  même  n'a  pas  été  épargné  à  l'usurpatrice  :  elle  a  m 
la  merveilleuse  facilité  avec  laquelle  s'est  achevée   la   révolution  nui  la  piécipU 
tait  du  trône.  Elle  so  croyait  nécessaire  au  bonheur  «t  à  la  gloire  Je  t«  peuple  ; 
c'est  dev.iut  elle  que  se  fait  le  lameux  récit  : 
Sei;;nour,  le  tem^ile  eat  libre,  etc.  • 
V    SiiCkT    f.e  Temps  du  U  août  1873,  C/iioniaue  l/ié4trale.) 

y 


148  ATUALIB. 

Comme  le  vent  dans  l'air  dissipe  la  fumée  •, 

La  voix  du  Tout-Puissant  a  chassé  celle  armôô. 

Nos  lévites,  du  haut  de  nos  sacres  parvis*, 

D'Okosias  au  peuple  ont  annoncé  le  fils  s,  J7o0 

Ont  conté  son  enfance  au  glaive  dérobée, 

Et  la  fille  d'Achab  dans  le  piège  tombée*. 

Partout  en  même  temps  la  trompette  a  sonné*. 

Et  ses  sons  et  leurs  cris  dans  son  camp  étonné 

Ont  répandu  le  troiible  et  la  terreur  subite  "     ^"^-^         1755 

Dont  Gcdéon  frappa  le  fier  Madianile*. 

Les  Tyriens,  jetant  armes  et  boucliers, 

Ont,  par  divers  chemins,  disparu  les  premiers. 

Quelques  Juifs  éperdus  ont  aussi  pris  la  fuite'; 

Mais,  de  Dieu  sur  Joas  admirant  la  conduite',  1760 

Le  reste  à  haute  voix  s'est  pour  lui  déclaré. 

Enfin  d'un  même  esprit  tout  le  peuple  inspiré, 

Femmes,  vieillards,  enfants,  s'embrussant  avec  joie", 

Bénissent  le  Seigneur  et  celui  qu'il  envoie. 

Tous  chantent  de  David  le  fils  ressuscité.  *  '65 

1.  «  Sicut  dofiiit  fumus,  deficiant.  »  {Psaumes,  LXVM,  3.)   «  Tanquam  fumus 
qui  a  Tcnto  dilTusus  est,  »  etc.  {Sap.,  I,  15.)  On  lisait  aussi  ilans  un  sonnet,  sur  la 
rclr.-'ite  du  duc  de  Parme,  qui  faisait  partie  de  la  Satire  Ménippée  : 
Ct  iuperbt  appareil  t'en  retourne  en  ruméo. 
Ennn  on  trouvera  dans  la  traduction  du  Psaume  I  publiât  dana  1m  Mémoires 
de  Favart  (II,  28i> 

Que  deviendront  l'impie  et  le  Toluilueiit  k 
lu  leront  disper^As  ai(i*<  ;v:  Is  poii<ii(re 

Qu'un  lourbillun  iiiim'ii • 

Erilète  du  seio  de  Id  lerr*. 
t.*  Du  kaut  de  nos  sacres  parvis.  On  Ct  monter  saint  Jacques,  frère  du  Sei- 
froeur,  au  haut  du  temple,  pour  y  déclarer  à  tout  le  peuple  ses  sentiments  sur 
Jé:us-Clirist.  Et  aussitùt  tous  ses  ennemis  y  montèrent  en  foule  pour  l'en  préci- 
piter. «  {Itemarquc  de  J ■  Jlacine.) 

3.  nemar(|ucz  la  bni'diesse  de  cette  expression.  On  anooncfl  une  chose;  aanoo- 
cer  une  personne  a,  d'ordinaire,  un  tout  autre  sens. 

4.  On  ne  l'appelle  inèaie  plus  la  reine,  mais  la  nUo  d'Achab. 

5.  Voir  la  note  du  vers  6. 

6.  Gédëon,  n'ayant  avec  lui  que  trois  cents  soldats  éprouvés,  leur  Qt  cacher  des 
torches  ennammées  dans  de  grands  rases  do  terre,  dont  on  te  servait  pour 
abreuver  le  bùlail.  A  un  seul  sipnal,  les  vases  volent  en  éclats,  les  trompettes 
sonnent,  ct  les  soldats  poussent  dos  cris  ;  les  Madianites  prennent  la  fuite,  Israël 
•st  vainqueur,  ct  le  niodusle  Gédéon  refuse  la  couronne. 

7.  •  Dans  cette  belle  peinture  de  la  joie  publique,  le  poète  n'oublie  pas  d« 
faire  remarquer  que  quelques  Juifs  éperdus  ont  nris  la  fuite.  Il  a  été  dit  au  com- 
mencement de  la  pièce  que  plusieurs  étaient  au  parti  d'Athalio  et  adoraient 
UaaI.  Plus  on  eiamlnc  celte  pièce,  plut  00  remarque  l'ordre  dant  lequel  toi't  s« 
luit.  •  (Louis  IliciNi.) 

8.  Conduite  est  ici  un  terme  tliéoloffiqne,  et  sifrnino  :  It  voie  divine,  le  des- 
sein divin,  comme  dans  cet  riomplo  de  Pascal  (/-eC/.  i»)  :  :i  Voilà  lot  admirablet 
cuiiJultes  de  la  sagesse  de  Hiouiur  le  salut  dei  saints.  • 

V.  «  LKtatutqua  «il  omnit  populut  t«rra,  «t  civitts  cor.  |uievil.  ■  C/V  /'oit, 
SU.) 


ACTE  V,   SCÈNE  VI.  147 

Baal  est  en  horreur  dans  la  sainte  cité. 

De  son  temple  profane  on  a  brisé  les  perles, 

Mathan  est  égorgé  '. 

ATHALIE. 

Dieu  des  Juifs,  tu  l'emportes '1 
Oui,  c'est  Joas,  je  cherche  en  vain  à  me  tromper. 
Je  reconnais  l'endroit  où  je  le  fis  frapper  ';  1770 

Je  vois  d'Oliosias  et  le  port  et  le  geste*  ; 
Tout  me  retrace  enfin  un  sang  que  je  déteste. 
David,  David  triomphe;  Achab  seul  est  détruit*. 
Impitoyable  Dieu,  toi  seul  as  tout  conduit'. 
C'est  toi  qui,  me  flattant  d'une  vengeance  aisée,  1773 

M'as  vingt  fois  en  un  jour  à  moi-même  opposée, 
Tantôt  pour  un  enfant  excitant  mes  remords, 
Tantôt  m'éblouissant  de  tes  riches  trésors. 
Que  j'ai  craint  de  hvrer  aux  flammes,  au  pillage. 
Qu'il  règne  donc  ce  fils,  ton  soin"'  et  ton  ouvrage;  17C0 

El  que  pour  signaler  son  empire  nouveau, 

On  lui  fasse  en  mon  sein  enfoncer  le  couteau. 

* 

\.  «  Inçressusque  est  omnis  populus  terrée  tcmplum  Ba.il,  el  desiruicrunt  aras 
f  jus,  et  imagines  conlriverunt  vali'lo  ;  Malhaa  quoquc,  sacerdotem  BanI,  oci  iile- 
runt  coram  altari.  »  [II Rois,  XI,  18.) 

î.  Ca  cri  est  celui  do  Julien  :  «  Cbriste,  vicisti  !  »  En  1674,  Pradon  avait  Hiit 
dire  à  la  reine  Amcstris,  par  un  mouTeraent  analogue,  dans  sa  tragéJie  dt 
l'irame  «I  Thisbée  (V,  n)  : 

Tu  lrloinplie.<,  Belus,  e(  Isi  dieux  m'ont  trahie  ; 

Tu  m'arraches  le  sceptre,  el  me  laisie!  la  vie. 

AchcTe,  Ois  ingrat,  et,  devenant  mon  Roy, 

Viens  me  rafir  le  jour  que  tu  receu»  de  moj. 

3.  Athalie  a  bien  bonne  mémoire;  et  puis,  aToit-elle  donné  dei  ordres  bien 
précis  sur  l'endroit  où  l'on  devait  frapper  chacun  de  ses  polils-fils  T  Ca  >ers  est 
maiiiuureux. 

t.  Sic  oruloi,  lie  ille  manui,  lie  ora  Tercbat. 

(ViRciLi,  tinéide,  III,  4M.) 

8.  Racine  avait  déjà  dit  dans  Mithridate  (III,  i)  : 
Montrer  aux  Dations  Mithridate  délrulL.. 
liais  ici  Te  sens  est  diiïérent:  il  faut,  par  Achab,  entendre  la  race  d'Achab. 

fi.  Racine  essaie  do  jusiificr  Joad.  —  i<  La  voilà  prise  comme  dans  une  sou- 
ricière. Ah  !  comme  alors  elle  recouvre,  pour  voir  toutes  ses  fautes  et  les  jugrr. 
la  nellelé  d'esprit  première.  Y  a-t-il  un  souverain  tombé  qui,  repassant  toutes  les 
él.ipcs  de  sa  chute  dénnilivc,  n'ait  pu  réciter  les  admirables  vers  d'Atbalie,  s'en 
prenant  à  un  dieu  ennemi  : 

C'est  toi  qui  me  flattant  d'une  Tengeanc*  dsAc,  etc. 
M.  Sarcht,  Chronique  Ihédirale  du  Temps,  l(   août  1873.)  —   Dans  Vlfipiw 
lyte  (I,  m)  do  Bidar  (1675),  Plicdre  s'écriait,  par  un  mouvcm.  nt  semblable: 
Irnpilii;  ibic  Amour,  te  TOilà  sali'^rail. 
En  1824,  Soumet  fera  dire  ironiiiucmcnt  à  sa  Cléopâtra  (II,   6)  : 
ImpiloTalilei  Dieux,  de  ma  bonle  témoins, 
De  Tolre  amour  pour  moi  le  n'altcnilaii  pai  aolai  i 
7,  Latinisme  :  tua  cura. 


1  4  8  ATHALIE. 

Voici  ce  qu'en  mourant  lui  souhaite  sa  méro  ; 

Que  dis-je,  souhaiter?  je  me  flatte,  j'espère 

Ou'indocile  à  ton  joug,  fatigue  de  la  loi, 

l'idéle-au  sang  d'Achab,  qu'il  a  reçu  de  moi,  1783 

Conforme  à  son  aïeul,  à  son  père  semblable, 

On  verra  de  David  l'hcrilicr  détestable 

Abolir  tes  honneurs,  profaner  ton  autel, 

Ll  venger  Athalie,  Achab  et  Jozabel".  1700 

(Aflialie  sort,  les  lévites  la  suivent. ) 
JOAD. 

Qu'à  l'instant  hors  du  temple  elle  soit  emmenée, 

El  que  la  sainteté  n'en  soit  point  profanée''. 

Allez,  sacrés  vengeurs'  de  vos  princes  metirlris' 

\)c.  k'ur  sang  par  sa  mort  faire  cesser  les  cris't 

Si  (|iiclqiic  nndacicux  embrasse  sa  querelle*.  1795 

Qu'à  la  fureur  du  glaive  on  le  livre  avec  elle'. 


SCENE  VII. 

JOAS,  JOAD,  JOSABET,  ABNER,  etc. 

JOAS. 

Dieu,  qui  voyez  mon  trouble  et  mon  affliction, 

1.  Mét.istas<(,  au  lieu  de  prêter  à  Athalie  ces  énergiques  impréc.itions,  a  donné 
h  la  vieille  reine  une  sorte  de  délire  (11*  partie^  :  «  Je  tremble,  je  sens  tout  mon 
soin  inondé  d'une  sueur  froide.  Fuyons...  Ah  !  ouest  la  roufe?Qui  me  l'indiquera? 
DDieu!  Uue  de  soldats!  Où  suis-jc?  Ah  !  l'air  autour  do  moi  reluit  et  étincelle  ! 
l.a  terre  remue  et  vacille!  Quelle  nuit  profonde  et  horrible  m'entoure  !  (Juols 
f.ir.t'iraes  funestes  !  0  terreurs  !  Je  sons  dans  mon  sein  une  peur  cruelle.  »  Mé- 
l.istasc  se  souvenait  de  la  sortie  de  M  itlian,  à  l'acte  III  d'Athalie. 

î.  «  rrœcepit  nulcm  Joiada  ccnturionil)iis  qui  erant  super  exorcitum,  et  ait  eis  : 
Educile  eani  extra  septa  tumpli  ;  et  nuicumque  cam  secutus  fucrit,  feriatur  pla- 
dio.  liixerat  cnim  sacerdos  :  Non  occiaatur  in  temple  Domini.  »(IV  Hois,  XI,  15.) 

3.  Voir  la  noie  du  vers  1427. 

4.  1  Afmririr  pour  luer  a  vieilli.  >>  {Sentiments  de  l'Académie.)  Oa  lisait  dam 
le  Triomphe  de  la  J.igue,  de  Nérée  (V,  ii)  : 

Puii  dm  fr^rni  mcnrtril  !<•  bcaut  chafi  i.  fait  pend) 
Par  \i  III lia  <tu  bourreau 

leJans  l'Antiz/one  de  Garnior  (V)  : 

J'ai  inciirlri  mon  «ofanl,  qut  Je  lieni  «n  mn  lira* 
Ouiaaull  «tait  dit  encore  dans  Astrafi^  (IV,  xi)  : 

^Votr*  pùri-,  par  «lia,  (t  fut  rn^vi  maurlrii... 

5.  Comme  aucun  détail  n'est  inutile  dans  la  pièce,  .-c»  vers  «ont  la  cnniéquone  ' 
logique  'le*  «cntimcnts  exprimés  dans  In»  »er»  89-9J. 

ft.  Voir  la  note  du  vers  tll9. 

7.  M.  Tatin  croit  que  Itacino  a  emprunté  rcttg  oxprcssion  à  Sénôquo  qui  • 
\Tit  (Trond  ,  »»:<)  :  «  Gladii  libido.  • 


ACTE   V,   SCÈNE  VIII.  f(9 

Détournez  loin  de  moi  sa  malédiction, 

Et  ne  souffrez  jamais  qu'elle  soit  accomplie. 

Faites  que  Joas  meure  avant  qu'il  vous  oublie'.  iSOr" 

JOAD,  aux  lévites. 

Appelez  tout  le  peuple,  et  montrons-lui  son  Roi. 

Qu'il  lui  vienne  en  ses  mains  renouveler  sa  foi  '. 

Roi,  prêtres,  peuple,  allons,  pleins  de  reconnais-;ince, 

De  Jacob  avec  Dieu  confirmer  l'alliance*, 

El,  saintement  confus  de  nos  égarements,  1803 

Nous  rengager  <i  lui  par  de  nouveaux  serments. 

Abner,  auprès  du  Roi  reprenez  votre  place. 

Hé  bien?  de  celle  impie  a-t-on  puni  l'audace? 


SCÈNE  VIII. 
UN  LÉVITE,  JOAS,  JOAD,  etc. 

ON    LÉVITE. 

Le  fer  a  de  sa  vie  expié  les  horreurs  *. 

Jérusalem,  longtemps  en  proie*  à  ses  fureurs,  1810 

De  son  joug  odieux  à  la  fin  soulagée, 

Avec  joie  en  son  sang  la  regarde  plongée*. 

1.  Métastase  a  déTeloppé  ce  vers  dans  son  Gioa$  (H*  partie)  :  »  Si  je  dois  vivr* 
inndèle  à  ta  loi,  tue-moi  sur  l'heure,  grand  Roi  des  Rois  :  plutét  oue  f'.ff'înser, 
j'aimerais  mieux  mourir.  •> 

2.  Sa  foi,  c'cjt-à-dire  ici  :  son  serrafint  de  fidélité. 

.3.  •  Pcpigit  crgo  Joiada  fœdus  inler  Doniinum  et  inti  r  Regem,  at  in'.er  oo. 
pulum.'jt  csscl  populus  Domini.  n  (IV  Hois,  XI,  17.) 

4.  Eipier,  c'est  réparer  un  crime  par  le  châtiment  ;  c'est  aioti  que  cabine, 
dit  dans  VHorace  de  Corneil'e  (V,  m)  : 

De  mon  ud;  malhcurcui  tipiet  tout  iod  crime. 

PriraitiTement,  cher  les  Hébreux,  le  genre  de  supplice  en  usa;?o  était  la  .'éca- 
pitalion  ;  plus  tard,  on  frappe  du  glaive,  et,  à  cette  époque,  l'exécuteur  le  la 
sentence  a  le  droit  de  l'exécuter  comme  il  lui  plait.  Dans  la  suite  le  sacrilège, 
l'adultère  et  le  blasphème  seront  généralement  punis  par  la  lapidation  ;  ?  seront 
les  témoins  qui  jetteront  les  premières  pierres. 

Ti.  U  y  a  là  une  rencontre  cle  voyelles  fort  peu  harmonieuse. Voir  les  vers  1811 
et  1813. 

6.  Ce  tableau  a  peut-être  été  inspiré  à  Racine  par  une  scène  de  V  Enéide  (Vil, 
SC5-2C7),  où  Virgile  nous  peint  la  joie  des  paysans  délivrés  par  Hercule  de  l'op' 
pression  du  territ>le  Cacus  : 

Neqiirunt  eipleri  cordt  tuenJo 
Terribiln  tcjloi,  Tultiim,  fillusaqiie  letia 
'.    Pectort  lemifiTi,  ilqtie  ciitiaclui  faucibui  igD«ti 

i»  par  un  pa><-ige  do  Siare  [la  Thébaide,  l,  616)  : 

JuTit  ire,  et  tiiere  jaila 
LiTentei  in  morte  oeiiloe 


150  ATOALIE. 

JOAD. 

Par  celte  fin  terrible,  et  due  à  ses  forfaits*, 

Apprenez,  lloi  des  Juifs,  et  n'oubliez  jamais 

Que  les  Rois  dans  le  ciel  ont  un  juge  sévère,  1815 

L'innocence  un  vengeur,  et  l'orphelin  un  père* 

(.  Le  grand  préire  tient  &  signaler  qu'il   n«  vient  pas  d'arcomplir  nne  Tea- 
gcance,  mais  un  acte  do  justice. 

S.  'E;  tAo;  fif  o\  |iiv  lv(Xo^  TUf^''*"""'  i((***i 

01  «axoi  i*f  «î^rip  vifûxav',  ouitox'  lu  itçd^itav  uv. 

(EciiPiDi, /on,  T.  l6St-l6îî.) 

Voltaire  a  terminé  sa  tragédie  de   Simiramis  par  ces  Ters,  éTidcmoieot  irai» 
(es  de  Racine  : 

Par  ce  terrible  exempt*,  ippreaettoui  du  moins 
Que  lei  erimei  secrets  ont  l-^s  Dieux  pour  témoins; 
Plus  le  coupable  est  grand,  plus  f^rand  est  le  supplice 
Rois,  trembles  sur  le  trAne,  et  craignei  la  justice. 

Lnlln,  François  de  Paulc  dira  au  Dauphin,  en  terminant  le  Louis  X/de  t«sl> 
mir  Delavigne  : 

Considères  sa  Un,  médites  ses  ails; 

Et  n'oubliez  jamais  tous  fOlrc  diadime 

Qu'on  est  roi  pour  son  peuple  et  non  pas  pour  soi  irCme. 

Voir  Alexandre,  noie  du  »eri  1548. 


KIN    n  .iiTIlAIJK 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Notice  larRacino.... m 

Notice  sur  Athalie 1 

Athalie,  tragédie  tirée  de  l'Écriture  sainte  (IGOI) 23 

Préface 24 

Noms  des  personnages 33 

Acte  premier 37 

Acte  deuxième CC 

Acte  troisième 92 

Acte  quatrième 1  '  ^ 

Acte  ciuciuièmo '31 


iuILK  COLIN  —     IMIMIMLHIK   DE   l  AONT 


1 


PQ     Racine,  Jean  Baptiste 

ISQl      Athalie 

A3B^ 

18— 


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