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les Ecoles 60 !
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REVUE DES SCIENCES
ET DE LEURS APPLICATIONS AUX ARTS ET A L’INDUSTRIE
JOURNAL HEBDOMADAIRE ILLUSTRÉ
HONORÉ PAR M. LE MINISTRE DE L’iNSTRUCTION FUBLIQCE
D’üNE SOUSCRIPTION POUR LES BIBLIOTHÈQUES POPULAIRES ET SCOLAIRES
Rédacteur en chef : GASTON TISSANDIER
La Nature paraît le Samedi de chaque semaine. Chaque numéro est formé de 16 pages
à 2 colonnes, avec de nombreuses gravures dans le texte.
Le journal parait depuis juin fi 82 3; il forme chaque année
2 beaux volumes «le bibliothèque
Chaque volume de LA NATURE contient environ 500 gravures sur bois
CARTES ET DIAGRAMMES
Le journal la Nature a pour but de vulgariser la science dans la bonne acception du
mot, c’est-à-dire sans l’amoindrir et sans la dénaturer. Il retrace le tableau complet de
l’histoire de la science, dont l'actualité lui fournit les sujets. Il constitue un annuaire, édité
avec grand luxe, et illustré de magnifiques gravures, de cartes., de diagrammes, qui accom-
pagnent le texte en l’éclaircissant sans cesse. Le domaine dont il fait l’exploration est si
vaste qu’il ne peut être parcouru avec fruit que par un grand nombre de spécialistes. Aussi
la rédaction de la Nature est-elle formée d’un groupe d’astronomes, de physiciens, de
chimistes, de médecins, d’ingénieurs, de naturalistes, qui ne parlent que des sujets avec
lesquels ils sont familiers. On a bien caractérisé le journal la Nature en disant qu’il est à
la fois le Magasin ^'Moresque de la science et le Tour du Monde savant et industriel. Il pé-
nètre partout où se font les grandes recherches et les importants travaux; il ouvre à ses
lecteurs les établissements scientifiques, les laboratoires, les musées, les collections, les
usines; il suit l’explorateur dans ses voyages, il prend part aux congrès scientifiques, aux
réunions des sociétés savantes; il se fait l’écho de toutes les manifestations du progrès.
PRIX DE L’ABONNEMENT:
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LA
PRESSION BAROMÉTRIQUE
PARIS. — TYPOGRAPHIE LAHURE
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RECHERCHES
DE PHYSIOLOGIE EXPÉRIMENTALE
PAR
PAUL BJRT
PROFESSEUR A LA FACULTÉ DES SCIENCES DE PARIS
LAURÉAT DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES
(Prix de physiologie expérimentale, 186a)
lauréat DE l’institut (Grand Prix biennal, 1875)
AVEC 89 FIGURES DANS LE TEXTE
PARIS
G. MASSON, ÉDITEUR
LIBRAIRE DE L’ACADÉMIE DE MÉDECINE
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A H. LE DOCTEUR JOURDANET
Mon cher Confrère,
C’est à vous que je dois , avec l'idée première de ce travail ,
les moyens matériels de l'exécuter , moyens matériels si difficiles
à rassembler. J'ai été bien heureux de voir V expérimentation
physiologique , sur un des points les plus importants de ces
études, confirmer entièrement la théorie que votre sagacité avait
déduite de nombreuses observations pathologiques recueillies sur
les hauts plateaux mexicains. A tous ces titres , je devais vous
dédier ce livre, et je le fais avec d'autant plus de plaisir que vous
êtes de ceux qui rendraient aux natures les plus ingrates la
reconnaissance légère à porter.
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I
PRÉFACE
L’influence considérable que peuvent exercer sur les êtres
vivants les modifications dans la pression barométrique, n’est
mise en doute par personne; on est même disposé à en exa-
gérer l’importance. Que la colonne du baromètre monte ou
baisse de quelques millimètres, les gens nerveux, les asthma-
tiques éprouvent des phénomènes favorables ou fâcheux
qu’ils ne manquent pas d’attribuer à la lourdeur ou à la lé-
gèreté de l’air. Si c’était cette cause qu’il fallût incriminer,
une promenade des bords de la Seine au sommet de la butte
Montmartre, ou réciproquement, devrait, chez les mêmes
personnes, produire de semblables résultats.
Mais en dehors de cet ordre de fai ts, sur lesquels je revien-
drai dans un instant, il en reste, et de nombreux, qui présen-
tent un intérêt bien plus considérable, et qui méritent qu’on
s’attache à leur étude avec persévérance.
S’agit-il de l’augmentation de pression? Lorsque, dans les
puits de mine ou dans les tubes destinés à devenir des piles
de pont, des ouvriers travaillent, protégés contre l’enva-
a
ii PRÉFACE.
hissement des eaux par l’air comprimé à plusieurs atmo-
sphères que lancent de puissantes machines, ils éprouvent,
pendant ou après leur séjour dans l’air comprimé, des acci-
dents singuliers et parfois redoutables. De même, les plon-
geurs qui s’en vont, munis de scaphandres et respirant un
air dont la pression est mesurée par la profondeur à laquelle
ils s’enfoncent, recueillir les perles, les éponges, le corail,
ou tenter le sauvetage de navires submergés, sont fréquem-
ment frappés de paralysie ou de mort. D’un autre côté, la
*j thérapeutique, s’emparant d’observations déjà anciennes, a,
depuis Junod, Pravaz et Tabarié, tenté d’utiliser, non sans
d’importants succès, l’influence de l’air assez faiblement com-
primé.
S’agit-il de la diminution de pression? Nous pouvons citer
tout d’abord les accidents qui menacent les aéronautes lors-
que leur course verticale les entraîne à des hauteurs qui dé-
passent 4000 mètres : nausées, vertiges, hémorrhagies, syn-
copes; puis, les phénomènes connus depuis bien plus longtemps
de tous ceux qui ont tenté au-dessus de 5 à 4000 mètres les
ascensions de montagnes, ce mal des montagnes , sur la cause
duquel ont été émises tant et de si étranges hypothèses. En-
fin, nous rencontrons ici des faits d’une importance bien au-
trement grande. Il ne s’agit plus, en effet, de quelques ou-
vriers, de quelques malades, de quelques touristes, mais bien
de populations entières qui, normalement et régulièrement,
vivent, construisent des villes, se groupent en peuples, sur
ces hauts lieux où des sensations pénibles et parfois insup-
portables attendent le voyageur.
On sent qu’ici, le problème qui nous occupe touche non-
seulement à l’hygiène des peuples, mais jusqu’à un certain
point à l’histoire et à la politique. Dans l’Himalaya, dans la
PRÉFACE.
m
Cordillère des Andes, des cités populeuses sont bâties à des
hauteurs qui dépassent celle de notre Mont-Blanc, où per-
sonne n’échappe complètement au mal des montagnes; au
Mexique, des milliers d’hommes habitent, à une altitude
moyenne de deux mille mètres, les plateaux de l’Ànahuac;
les grandes civilisations des Mayas et des Nahuas ont eu leur
maximum de développement entre 2 et 4000 mètres au-des •
sus du niveau de la mer.
Le lecteur peut voir, par ce rapide coup d’œil, à quels in-
térêts de premier ordre touche la question à l’étude expéri-
mentale de laquelle je me suis consciencieusement appliqué.
Il trouvera par suite tout naturel que de pareils phénomènes
aient été l’occasion de publications nombreuses, de la part des
médecins ou des voyageurs ; mais il s’étonnera sans doute qu’on
ait si peu tenté, pour en éclairer la cause, dans le domaine de
l’expérience en laboratoire. L’idée la plus simple aurait dû
être, ce semble, de construire des appareils permettant de
reproduire les modifications dans la pression barométrique,
en les isolant des conditions secondaires, annexes, qui les
accompagnent fatalement dans l’état de nature, et d’examiner
sur l’homme, sur les animaux, les résultats immédiats de ces
modifications. Or, on a très-peu fait dans cette direction. En
revanche, nous rencontrerons en grand nombre les observa-
tions incomplètes, les dissertations prétentieuses, les explica-
tions vraisemblables ou absurdes.
Je me suis proposé pour but de combler cette considérable
lacune, et de résoudre par voie purement expérimentale ces
importants problèmes.
En prenant ainsi position sur ce terrain solide, j’ai dû lais-
ser systématiquement de côté trois ordres de questions qui ne
pouvaient être attaquées dans le laboratoire, et pour les-
IV
PREFACE.
quelles, par suite, les conditions certaines de la preuve ne
pouvaient être rassemblées; c’est à savoir : les oscillations
quotidiennes du baromètre, les applications thérapeutiques,
racclimatement sur les hauts lieux.
Je regrette peu la première question, qui ne me paraît
même pas appartenir à notre sujet d’études. Les légères mo-
difications dans la pression de l’air que révèle, en un lieu
donné, la colonne barométrique, sont accompagnées de trop
d’autres phénomènes météorologiques (hygrométriques, élec-
triques, etc.), pour qu’on puisse déterminer la part, à coup
sûr bien minime, qui leur revient dans la manière d’être de
certains malades.
Quant aux deux autres questions, je me suis beaucoup servi
des laits observés par les auteurs qui s’en sont occupés, et je
pense que mes propres études ne seront pas inutiles pour
guider les médecins et les hygiénistes au milieu des innom-
brables difficultés qu’elles soulèvent, Mais je ne les ai pas
abordées directement, non-seulement à cause de mon incom-
pétence médicale, non-seulement parce que les expériences de
laboratoire sur les oiseaux, les chiens, voire même les hom-
mes, ne pouvaient guère permettre de les résoudre, mais en-
core pour une raison spéciale et en quelque sorte personnelle.
Lorsque, il y a de cela huit ans, M. le docteur Jourdanet,
très-connu pour ses remarquables études sur la climatologie
du Mexique et pour sa théorie de Yanoxyhémie des altitudes,
vint m’offrir — avec une générosité dont je voudrais que les
résultats de mes travaux fussent une digne récompense — de
mettre à ma disposition tous les moyens matériels qu’exige-
raient des recherches dont j’avais publiquement1, en 1868,
1 Voir mes Leçons sur la Physiologie comparée de la respiration; Paris, 1870,
pages 121-150.
PRÉFACE. v
indiqué l’importance et la difficulté, il s’établit entre nous
une sorte de convention tacite. Je devais me borner à étu-
dier, expérimentalement, dans le laboratoire, à l’aide de mes
instruments, les modifications que des changements de la
pression barométrique apporteraient dans les manifestations
vitales des animaux ou des végétaux. Quelle que fût l’ampleur
de mon outillage expérimental, ces changements 11e pou-
vaient bien évidemment être de longue durée, en telle sorte
que, pour qu’ils produisissent des effets évidents, il fallait de
toute nécessité qu’ils fussent considérables. C’est là, du reste,
le propre des expériences de laboratoire.
M. Jourdanet se réservait légitimement l’étude des effets
que peuvent produire des variations barométriques légères,
mais s’exerçant soit pendant un temps encore assez bref sur
des malades — réactif dont l’exquise délicatesse fera toujours
un peu peur aux expérimentateurs, — soit pendant des an-
nées sur les mêmes individus, ou des siècles sur les géné-
rations successives, mêlant ainsi son action à celles de tant
de causes connues ou inconnues : périlleux problèmes, mais
bien propres à séduire un esprit ardent et sagace, servi par
une plume éloquente.
Nous avons tous les deux accompli notre tâche : depuis
deux ans déjà, M. Jourdanet a publié son beau livre de Y In-
fluence de la pression de l'air sur la vie de l'homme : climats
d'altitude et climats de montagne1.
Quant à moi, retardé par des luttes extra-scientifiques, ar-
raché trop souvent à mon laboratoire par la sévérité des de-
voirs civiques, j’apporte seulement aujourd’hui les résultats
mis en ordre de mes longues recherches.
1 Paris, G. Masson, 1875. — 2e édition, 1876.
VI
PREFACE.
Le présent livre qui, si je ne me fais illusion, a de quoi in-
téresser non-seulement les physiologistes, mais les médecins,
les ingénieurs, les voyageurs même, se divise en trois par-
ties: historique, expériences, conclusions.
J’ai apporté à la rédaction de l’historique les soins les plus
minutieux. Je me suis efforcé de réunir tout ce qui a été écrit
sur le sujet de mes études. Il m’a semblé qu’il y aurait grand
intérêt pour le lecteur à avoir ainsi sous les yeux toutes les
pièces du procès, avec l’infinie variété des récits, leurs con-
tradictions fréquentes, et souvent aussi leurs répétitions in-
structives. J’ai cru devoir prendre le parti de rapporter tex-
tuellement les paroles des auteurs cités: je me suis défié des
analyses même les plus consciencieuses; il m’est arrivé de
voir plusieurs fois, dans mes recherches bibliographiques, les
affirmations d’un auteur transformées en négations par une
série de traductions et d’analyses. Du reste, des chapitres
de résumé et de critique reposent l’esprit du lecteur; mais
du moins chacun des faits qui y sont affirmés trouve sa preuve
dans les extraits qui précèdent.
Dans la deuxième partie se trouvent rapportées mes expé-
riences personnelles. Les titres des chapitres indiquent suf-
fisamment l’ordre dans lequel j’ai conçu leur exposition. Un
coup d’œil jeté sur la table des matières montre qu’après
avoir étudié directement l’influence des changements dans
la pression barométrique, j’ai consacré quelques chapitres à
des recherches nouvelles sur l’action physiologique de l’acide
carbonique, sur l’asphyxie, sur les gaz du sang. Le lecteur
verra, en les parcourant, que je ne me suis pas autant écarté
de mon sujet que pourrait le faire supposer ce simple énoncé;
les nombreux renvois que je fais, dans mes conclusions, à cette
partie de mon livre, en donnent une preuve évidente.
PRÉFACE.
VII
J’ai, dans la rédaction des expériences, qui sont au nom-
bre de six cent soixante-dix environ, employé la méthode
énumérative; toutes celles qui m’ont paru présenter de l’in-
térêt ont été exposées tout au long. Cette méthode a pour
avantages d’abord de fournir la preuve de toutes les affirma-
tions, ensuite de permettre parfois au lecteur de trouver dans
le récit des expériences ce que l’auteur n’y a pas vu lui-
même. Des résumés annexés à chaque chapitre facilitent
d’ailleurs la connaissance rapide des résultats obtenus. Je
dirai, enfin, que sur chaque point, les expériences sont
énumérées suivant leur date d’exécùtion ; on peut ainsi
tenir compte des observations qui ont échappé au début des
recherches, des perfectionnements réalisés par l’expérimen-
tateur, et, par suite, de la valeur sans cesse décroissante
des causes d’erreurs.
Enfin, la troisième partie est intitulée : Faits récents , ré-
sumé et conclusions . J’y reprends d’abord l’historique que j’a-
vais, dans la première partie, amené seulement jusqu’à mes pro-
pres travaux. Puis, je tire les conclusions de toutes mes séries
de recherches. On verra qu’ici, ma convention avec M. Jour-
danet n’a pu être exécutée dans toute sa rigueur, et que je
n’ai pu m’empêcher de faire quelques incursions sur le do-
uuaine qui lui était réservé.
Le chapitre III et dernier, qui a pour titre : Conclusions gé-
nérales, ne contient que trois pages. Puisse cette sobriété
dans le résumé me faire pardonner les onze cent cinquante
pages qui m’ont paru nécessaires pour y conduire le lecteur !
Je laisse à d’autres le soin délicat de décider si cette antithèse
prête à la critique ou à l’éloge. Je me bornerai, plaidant du
moins les circonstances atténuantes, à rappeler que l’Institut
m’ayant fait l’honneur, en 1875, sur le rapport de l’Àca-
VIII
PREFACE.
demie des sciences, de décerner à mes travaux le grand prix
biennal1, il m’a semblé qu’il était de mon devoir de n’épargner
ni temps ni peine pour rendre leur publication plus digne de
cette haute récompense.
Je dois, avant de terminer cette préface, remercier
MM. Gréhant et Dastre, mes suppléants dans la chaire de
physiologie de la Faculté des sciences, M. le Dr Jolyet, sous-
directeur du laboratoire, et M. Paul Piegnard, préparateur du
cours, qui m’ont aidé dans mes recherches avec un dévoue-
ment affectueux.
P. B.
Octobre 1877.
1 Celte récompense de premier ordre est accorcTée, tous les deux ans, suivant
les termes du décret constitutif, « à l’œuvre ou à la découverte qui aura le plus
contribué à honorer ou à servir le pays » dans les dix dernières années, à tour
de rôle, pour chacune des branches des connaissances humaines représentées
parles cinq classes de l’Institut.
Le prix triennal, par le décret du 14 avril 1855, a été décerné à M. Fizeau, en
1856; il n’a été triennal qu’une seule fois, et par décret du 22 décembre 1860,
sur la demande de l’Institut, il est devenu biennal et a été depuis ainsi accordé :
A MM. Thiers (Académie française), 1861.
— Jules Oppert (Académie des inscriptions et belles-lettres), 1865.
— Würtz (Académie des sciences), 1865.
— Félicien David (Académie des beaux-arts), 1867.
— Henri Martin (Académie des sciences morales et politiques), 1869.
— Guizot (Académie française), 1871.
— Mariette-Bêy (Académie des inscriptions et belles-lettres), 1875.
— PaulBert (Académie des sciences), 1875.
— Chapu (Académie des beaux-arts), 187 7-.
(Noie de V éditeur.)
PREMIÈRE PARTIE
HISTORIQUE
TITRE PREMIER
DIMINUTION DE PRESSION
CHAPITRE PRÉLIMINAIRE
LES RÉGIONS ÉLEVÉES DU GLOBE.
Les effets que produit sur l’organisme une grande et soudaine
diminution dans la pression barométrique peuvent être observés
dans trois cas différents : voyages sur les montagnes, ascensions
en ballon, expériences sous les cloches pneumatiques.
Ces deux dernières circonstances étaient absolument inconnues
aux anciens. Galilée, comme chacun le sait, eut, le premier, une
idée nette de la pression de l’air ; c’est en 1640 seulement que To-
ricelli inventa le baromètre, et, en 1650, Otto de Guéricke, la ma-
chine pneumatique. En 1648, à l’instigation de notre grand Pascal,
Périer ht, au Puy-de-Dôme, l’expérience mémorable dans laquelle il
vit la hauteur de la colonne barométrique diminuer à mesure
qu’augmentait l’altitude du lieu où elle était observée.
Pour les ballons, la découverte est plus récente encore. La pre-
mière montgolfière qui emporta dans les airs Pilàtre du Rozier et
le marquis d'Arlandes, s’éleva de Paris le 22 novembre 1785; peu
de jours après, le 1er décembre, Charles faisait une ascension avec
le ballon à hydrogène qu’il venait d’inventer. Seul, ce ballon pou-
ètre capable d’emporter des observateurs assez haut pour que la
HISTORIQUE.
4
diminution de pression fit sentir sur eux son action. En effet, l’ex-
périence a prouvé que celle-ci ne se manifeste pas nettement,
en aérostat, avant 5 ou 6,000 mètres d’élévation. Il en résulte que,
parmi les milliers d’ascensions qui ont suivi celle de Charles et
Robert, un très-petit nombre peuvent nous présenter quelque in-
térêt au point de vue où nous sommes placés, et devront être
rapportées dans cette revue historique.
Quant à la troisième condition, l’ascension des hautes monta-
gnes, il paraît au premier abord étonnant d’avoir à constater que
les auteurs anciens ne nous ont laissé aucune indication précise
permettant de croire qu’ils aient observé, pendant l’ascension des
lieux élevés, quelques troubles physiologiques dignes d’attirer l’at-
tention1 2.
En effet, sur l’étendue du monde connu des anciens se dressent
des montagnes d’une hauteur considérable. À ses extrêmes limites
orientales \ le mont Ararat et les pics culminants du Caucase élèvent
leurs tètes éternellement glacées à plus de 5000m au-dessus du ni-
veau de la mer ; les chaînes du Liban et du Taurus contiennent beau-
coup de sommets dépassant 2500m et meme 5000'" ; le fameux mont
Argée atteint 3840“ ; parmi les collines de l’Hémus et du Rhodope,
quelques-unes s’élèvent à 5000'“; le mont Athos a 1975'“, le Par-
nasse, 2470'", le Taygète, 2400m, et c’est à 2975'", sur le front
sourcilleux de l’Olympe, que les poètes plaçaient le séjour des
Dieux. Le mont Etna (554 0m) menace depuis deux mille cinq cents
ans les villes grecques établies à ses pieds. Les Phéniciens et les
Carthaginois, dont l’audace avait été établir des colonies jus-
qu’aux lies fortunées, connaissaient le sommet fumant du pic de
Ténériffe (3715m). Enfin les Pyrénées et les Alpes n’ont servi que
d’insuffisantes barrières contre les armées de Carthage et de
Rome.
La raison du silence des auteurs est facile à trouver. Comme l’a
très-justement remarqué de Humboldt, les anciens redoutaient la
1 Voir cependant, au chapitre III, la citation de Bacon.
2 Les hauteurs que je rapporte dans celte revue générale ont été pour la plupart
empruntées à la dernière édition du Stieler’s Hand- Atlas. Celles que je n’ai pas trou-
vées dans cet atlas ont été prises pour l’Europe, dans l'Orographie de Bruguière; pour
la France, dans la Géographie de M. Levasseur; pour l’Amérique du Sud, dans les tra-
vaux de Pentland et de M. Pissiz. J’ai utilisé aussi les renseignements fournis par le
récent travail de Berghaus (. Hôhenlafel von 100 Gebirgsgruppcn aus aïlen Erdtheilcn.
Geogr. Jahrbuch. 1874). Le but (pie je me propose d’atteindre n’exige évidemment pas
une précision absolue; aussi n’ai-je pas hésité à me servir de quelques documents un
peu anciens; pour la même raison, j’ai supprimé les unités dans les cotes de hauteur.
LES RÉGIONS ÉLEVÉES DU GLOBE.
5
montagne bien plus qu’ils ne l’admiraient. Ils n’en parlent qu’avec
crainte, avec une secrète horreur; les magnifiques spectacles qu’elle
offre au regard ne les touchaient nullement; les émotions qu’elle
suscite, les nobles idées qu’elle inspire, leur étaient inconnues.
L’amour du pittoresque est un sentiment tout moderne; les anciens,
et même nos aïeux jusqu’au siècle dernier, eussent considéré avec
un étonnement mêlé de dédain nos intrépides grimpeurs des Alpes.
Polybe, le premier, parcourut les vallées alpestres ; les masses
montagneuses les plus énormes, le mont Blanc, le mont Rose, la
Yungfrau, n’ont pas de noms dans les langues classiques.
La seule montagne dont les anciens aient fait l’ascension sans y
être forcés est l’Etna. Sénèque engage son ami Lucilius Junior à
monter en son honneur au sommet du volcan (Lettre 79) ; ces ex-
cursions étaient fréquentes au temps de Strabon1, et d’après un
poème attribué aujourd’hui a ce même Lucilius, des prêtres s’occu-
paient à brûler l'encens sur les bords du cratère pour apaiser les
immortels ; l’empereur Adrien , grand voyageur, eut la fantaisie de
monter au sommet de l’Etna , pour voir lever le soleil. Aucun de
ces récits ne parle d’accidents physiologiques ; mais nous verrons
qu’à la hauteur de ce volcan ils sont faibles, ne frappent qu’une
partie des voyageurs et ont pu être confondus avec les effets ordi-
naires de la fatigue. 11 en est de même peur les traversées des Pyré-
nées et des Alpes. Les cols pyrénéens par lesquels s’établissaient les
communications régulières entre la Gaule et l’Hispanie, atteignent à
peine 1,500“. Quelque opinion qu’on adopte pour le lieu du passage
d’Annibal, qu’on le place au petit Saint-Bernard, (2160 m) au col
du mont Yiso (2700 “), au mont Cenis, (2080 “), à la vallée de Beau-
fort entre Albert-Ville et Chamounix, on voit que les hauteurs at-
teintes n’étaient pas extrêmement considérables. Auguste fit établir
deux routes, parles cols du grand Saint-Bernard (2490 “) et du pe-
tit Saint-Bernard2, et le roi Cottus, son contemporain, perça celle
du mont Cenis. Au moyen âge, le Simplon (2020m) et le grand
Saint-Bernard furent très-fréquentés ; les chroniqueurs nous ont
gardé de ces voyages ou de ces expéditions des descriptions où les
difficultés terribles des chemins, les fatigues excessives, le froid,
expliquent suffisamment le lamentable état des voyageurs, dont
beaucoup, comme Elfrige, archevêque de Cantorbéry, périssaient
dans les neiges.
1 Strabon, Géographie , liv. VI, chap. m, § ix.
2 Ibid., liv. IV, chap. vi, § iv.
G
HISTORIQUE.
Il fallait, pour forcer l’attention, que les voyageurs fussent amenés
à faire des ascensions plus élevées, et que des malaises évidemment
inexplicables parles causes ordinaires fussent venus les frapper. Les
hauts sommets des Alpes présentaient, comme nous le verrons, les
conditions nécessaires; seulement, leurs ascensions n’offrent au-
cun intérêt pratique, n’eurent lieu qu’à la fin du siècle dernier.
Mais, vingt ans après la découverte de l’Amérique, la conquête du
Mexique et du Pérou, les expéditions militaires à travers les Cordillè-
res, amenèrent les Espagnols dans les conditions où se manifes-
tent nettement les accidents de la décompression. Aussi l’atten-
tion fut-elle bientôt éveillée sur eux, et l’on arriva à les constater
dans des ascensions où ils ne sont ni considérables ni constants,
comme celles de l’Etna et du Pic de Ténériffe. Cependant nos Alpes
restèrent longtemps encore inexplorées; si les villes importantes,
les riches vallées de Suisse attiraient d’assez nombreux voyageurs,
il ne venait à la pensée d’aucun d’eux de gravir ces sommets re-
doutables, couverts de neiges, peuplés d’êtres étranges1, et sur
lesquels on se répétait les plus sombres légendes. C’est dans la se-
conde moitié du dix-huitième siècle seulement que l’on se résolut
à les admirer, et que l’idée d’en atteindre la cime germa dans
quelques esprits. Encore est-ce le point de vue scientifique qui di-
rigea les premières ascensions. Celles de de Saussure signalèrent avec
une vivacité saisissante les accidents amenés par le séjour dans un
air raréfié. Depuis, de semblables observations se sont multipliées.
Enfin, plus récemment encore, les officiers, les savants, les voya-
geurs anglais ont poussé leurs explorations jusque dans les plus
hautes régions de l’Ilimalaya. Leurs récits, joints à ceux des ascen-
sionnistes des Alpes, à ceux des voyageurs en Amérique devenus
plus nombreux, ont familiarisé les médecins avec les symptômes
du mal des montagnes .
Je vais, dans les pages suivantes, rapporter la plupart des faits
intéressants recueillis ainsi par les témoins oculaires, et souvent
dans leur observation personnelle. Mais je voudrais, dans ce cha-
pitre préliminaire, rappeler à la mémoire du lecteur les diverses
régions montagneuses sur lesquelles le voyageur est exposé à souf-
frir par suite de la diminution de pression. Cette simple énuméra-
tion lui montrera l’importance pratique de la question dont nous
nous occuperons ici, c’est-à-dire de l’influence de la diminution
1 Voir Scheuclizer, ou/je^oir/js Ilelveticus. Lugd. Bat., 1725.
LES RÉGIONS ÉLEVÉES DU GLOBE. T
de pression se manifestant par des accidents aigus et violents.
Le mal des montagnes n’apparaît que rarement avec une certaine
intensité dans nos régions tempérées, au-dessous de 3500m d’alli-
tude. Entre les tropiques, il faut, pour l’éprouver nettement dans
les conditions ordinaires, s’élever jusqu’à plus de 4000m. Nous au-
rons à revenir sur ces limites et à tenir compte des circonstances
diverses qui accélèrent ou retardent les accidents, je veux dire les
font survenir ou plus bas ou plus haut. Pour le moment, ces hau-
teurs approximatives suffisent pour servir de base à la revue que
nous nous proposons de faire.
Europe. — Prenons l’Europe, d’abord; la chaîne des Alpes, celle
des Pyrénées, celle du Caucase, nous offrent presque seules des
pics suffisamment élevés pour que leur ascension occasionne d’au-
tres inconvénients que la fatigue et les dangers habituels des mon-
tagnes.
Examinons en premier lieu les Alpes. Cet énorme massif monta-
gneux, qui présente sur une ligne courbe de deux cents lieues de
longueur d’innombrables sommets chargés de neiges éternelles,
descend rapidement, du côté du sud, vers les basses plaines de la
Lombardie, tandis qu’au nord, il s’incline plus lentement vers les
plateaux élevés du Wurtemberg, de la Bavière, de la Bohême, entre-
coupés de montagnes secondaires.
Le nœud du système est formé par Te massif du Saint-Gothard,
dont les eaux s’écoulent à la fois par le Bhin dans la mer du Nord,
par le Rhône dans la Méditerranée, par le Tessin dans l’Adriatique;
et cependant cette région est une des moins élevées des Alpes cen-
trales. Elle est immédiatement dominée au nord par le Galensfock
(5800m) et le Todi (3600m) ; à l’Est, par le groupe qui entoui e le petit
Saint-Bernard, entre autres le Rheinwaldhorn (3400m); à l’Ouest,
par la masse énorme des glaciers des Alpes bernoises, au milieu
desquels se dressent la Yungfrau (4170m), rAletschhorn (4200m), le
Schreckhorn (4080m) , le Bietsch (3950m), le Mônch(4100m), le
Finsteraarhorn (4270m).En s’avançant vers l’orient, on voit le mont
Bernin (4050m) et le mont délia Disgrazia (5680ai) séparer la vallée
de la Valteline, où coule l’Adda, de celle de l’Engadine, où l’fnn
conduit par le Danube à la mer Noire les eaux que lui amènent de
nombreux sommets dépassant 5000m, comme ceux du Piz d’Err
(3590m), du Piz Linard (3410m), du Piz Languard (3270m), etc. Sur
l’autre rive de l’Adda, les Alpes Tiroliennes montrent des cimes plus
élevées encore ; c’est l’Adamello (3560m), la Wildspitze (3770m), le
s
HISTORIQUE.
Venediger (3675ni), le Gros-Glockner (3890m) et surtout l’Orteler
(5920“).
Mais c’est du côté de l’ouest et sur la rive gauche du Rhône que
s’élèvent les géanls des Alpes. C’est d’abord, autour du Simplon
(3200“), leMonfe-Leoric (5560m) , le Fletschhorn (4020“), le Weïsmies
(4050m) ; puis le massif du mont Rose, avec ses Irois points culmi-
nants : le dôme du Mischabel (4550“), le Malterhorn ou mont Cervin
(4480“), et le mont Rose proprement dit, dont le pic le plus élevé,
la pointe de Dufour, monte à 4640“. Viennent ensuite la Derit-
Blanche (4560“), le Weisshorn (4510m), le grand Combin (4520“),
et, plus à l’ouest le mont Blanc (4810'"), qui, entouré de nombreu-
ses aiguilles presque inaccessibles, domine toutes les autres mon-
tagnes d’Europe.
Au delà, la chaîne s’abaisse rapidement, bien qu’elle présente
encore quelques sommets élevés, comme le mont Iseran (4045“),
le mont Cenis (3620™), la Yanoise (5860“), dans les Alpes Graïes ;
le mont Viso (3840“), le mont Olan (421 5“ ), dans les Alpes Cot-
tiennes; le montPelvoux (3955m), la pointe des Écrins (4100“), les
grandes Rousses (3475“), dans les Alpes du Dauphiné. Les Alpes
maritimes sont moins élevées encore ; viennent enfin les Apennins,
dont la plus haute cime, le Monte-Corvo, dans les Abruzzes, n’at-
teint que 2910“. Mais quelle figure fait, à côté de ces géants, le
Capitole, avec ses 47“ au-dessus du niveau de la mer!
A l’extrémité de la chaîne, une montagne assez élevée, le mont
Alio (1080“) fait face à la Sicile, dont le sol monlueux, pas plus
que celui de la Sardaigne, ne présente de sommets atteignant
2ü00m. Au-dessus de toutes ces montagnes secondaires se dresse à
5310“ le cratère de l’Etna.
Entre ces hauts sommets, ces aiguilles abruptes, qu’escaladent
ceux-là seuls qu’entraîne l’amour de la science, le goût des grands
spectacles, ou simplement la vanité, des dépressions, des cols ,
permettent à des voyageurs très-nombreux sur certains points de
franchir la chaîne principale pour aller de Suisse ou de France en
Italie. Ces cols sont pour la plupart très-élevés. Les plus connus et
les plus hauts sont : dans les Alpes maritimes, les cols de Tende
(1870“), de Longet (5150“) , de l’Argentière (1905“), de Maurin
(2980'“) ; dans les Alpes cottienncs, les cols de Traversette (2995“),
dell Agnello (2700m), de Sayse (3360“), du mont Genèvre ( 1 850“) ;
dans les Alpes Graïes, le passage du mont Cenis (2080“), celui du
petit Saint-Bernard (216ü“); dans les Alpes Penninnes, le col du
LES RÉGIONS ÉLEVÉES DU GLOBE.
9
grand Saint-Bernard (2490“), celui du Géant (5560“), celui de la
Seigne (2550“), le col de Balme (2200“), le col de Saint-Théodule
(53w20in) ; dans les Alpes helvétiques, le passage du Simplon
( 2020'11), le col de Gemmi (2500“), le passage du Grimsel (2160“),
celui de la Fourra (2460“), du Saint-Gothard (2110“), du Bernardin
(2060“), etc. La roule de la Valteline, la plus haule route carrossa-
ble d’Europe, franchit le col de Stelvio à 2810“, pour passer du
bassin du Pô dans celui du Danube.
Le long de l’Adriatique, les Alpes se continuent par les montagnes
de la Croatie, du Monténégro et de la Serbie, avec les Balkans au
nord, au sud les monts Rhodope et la chaîne du Pinde qui donne
naissance aux collines de Grèce. Nous n’avons guère à citer dans
ces régions très-montueuses, mais dont les sommets sont peu éle-
vés, que le Dormitor (2260“) en Herzégovine, le Kom (2290“) au
Monténégro, le Kriwosta (2440“) en Roumélie; puis le géant des
monts Rhodope, le Rilo Dagh (2815“), et enfin les montagnes de
Grèce dont nous avons déjà parlé.
Le Danube, qui reçoit les eaux du versant nord des Alpes, prend
naissance dans le massif montagneux de la Forêt-Noire, où se
voient quelques sommets moyennement élevés; après avoir couru
vers 1 est, il se heurte à la chaîne des Karpathes, dans laquelle se
trouvent des cimes comme le Tatra (2655“), le Gailuripi (2925“),
le Ruska-Poyana (5020“), et qui le rejette au sud.
Les montagnes de l’intérieur de la France n’ont pas de quoi nous
arrêter, au point de vue où nous sommes placés, puisque la plus
élevée, le mont Dore, ne va qu’à 1890m ; la petite chaîne qui tra-
verse la Corse est plus intéressante : son point culminant, le monte
Cinto, s’élève à 2710“.
Mais les Pyrénées, sur une longueur de 150kil et une largeur maxi-
mum de 1 20kl1, présentent un grand nombre de sommets qui, pour
ne pas atteindre à la masse imposante ni à la hauteur des massifs
alpins, sont cependant importants à considérer pour notre sujet.
Ce sont d abord, dans les Pyrénées orientales, le Canigou (2785“),
puis le Puigmal (2910“) et le pic Corlitte (292Q“), dominant de
chaque côté le col de la Perche (1620m); enfin de ce col au val
d Aran, sur une crête fort élevée, une série de pics atteignent 2800“,
dont le plus élevé est le Montcalm (5090“).
Au delà du val, les Pyrénées occidentales commencent par le
massif de la Maladetta, qui contient leur point culminant : le pic
de Nethou (5405“). C’est ici le centre du massif pyrénéen, qui sur
10
HISTORIQUE.
une longueur d’une centaine de kilomètres présente un grand nombre
de sommets dépassant 3000m : le pic Perdighera (3220m), le cylindre
du Marboré (o530m), le mont Perdu (5550m), le Vignemale (5300m),
le Marmuré (2950m),le pic du midi d’Ossau (2885m); et, au nord de
la chaîne principale, le pic Campvieil (31 75m) et le pic du midi de
Bigorre (2880m) sur lequel vient d’être établi un observatoire mé-
téorologique. Les passages ou ports de cette région présentent éga-
lement une altitude considérable : port de Yiella (2455ra), port de
Yénasque (2420m); le plus bas est le port de Gavarnie (2280m), le
plus élevé, de Portillon (3045m).
En se dirigeant vers l’ouest, la chaîne s’abaisse rapidement ; puis,
aux Pyrénées proprement dites font suite les monts Cantabriques,
qui s’étendent jusqu’à la pointe de Galice. Sur toute cette étendue,
à peine voit-on quelques sommets dépasser 2000,n. Dans le reste de
l’Espagne, la sierra Guadarrama et la sierra de Gredos, qui dominent
Madrid, et déversent sur elle le vent si redouté de la montagne,
s’élèvent sur certains points à plus de 5000m; enfin le long de la
mer, au point culminant de la sierra Nevada, les deux sommets ju-
meaux du pic de Yeleta (547 0m) et du Cerro de Mulhacen (5555m),
dépassent les plus hautes montagnes pyrénéennes.
Il n’y a plus, dans le reste de l’Europe, de montagnes qui puis-
sent attirer notre attention. Le Ben-nevis, le plus haut sommet des
îles britanniques, ne va qu’à 1330m; en Islande, l’Oràfa Jokull a
1950m; dans les Alpes Scandinaves, les montagnes les plus élevées
sont le Sneehàtten (2300m), le Skagstôlstinder (2450m), et le Ymes-
Feldj (2600m); dans l’Oural, on ne voit pas de sommets atteignant
2000m : le plus élevé, le Toll-pos-Is, n’a que 1680m.
Asie. — Mais, sur les limites de l’Europe et de l’Asie, une chaîne
considérable, s’étendant de la Caspienne à la mer Noire, confinant
au nord à des plaines, au sud aux régions montagneuses de l’Ar-
ménie dont nous suivrons tout à l’heure les ramifications, le Cau-
case, se couronne de sommets qui laissent bien au-dessous d’eux les
Pyrénées et les Alpes elles-mêmes. Les pics de 5 à 4000in y sont
nombreux et ils sont dominés de haut par le Kasbek (5030m), le
Kaschtantan (5220m) et l’Elbruz, auquel la légende attache Promé-
thée (5620m). Une seule route carrossable traverse la chaîne au pied
du Kasbeck, par les portes Caucasiennes des anciens, à une hauteur
de plus de 3000“.
Au sud de la chaîne Caucasique, le territoire montueux de
l’Arménie voit s’élever une série de pics dont quelques-uns at-
LES RÉGIONS É LEVEES DL GLOBE.
11
teignent 4000m : l’Alagôs (4090m), le Kapudschich (5920m); au-
dessus d’eux se dresse le Grand Ara rat (51 55m) . De ce mas-
sif part vers le S. 0. la chaîne du Taurus, qui contient plusieurs
sommets dépassent 5000“, dont les plus élevés sont le Metdesis
(5570“) et le mont Argée (5840“); dans le Liban, bifurcation du
Taurus, le plus haut sommet, le Dor-el-Chodib, n’a que 5065“. Au
sud, les monts du Kurdistan, avec le Dschehil (4550“) ; au sud-est,
les monts Elburs, avec le Sawalan (4810“) et le Démavend (5620“),
dominent les vastes plaines de l’Iran.
Le centre de l’Asie nous présente un système orographique
bien plus complexe et des masses montagneuses bien autrement
imposantes. Le voyageur qui remonte le Gange voit se dresser sur
sa droite, du Boutan au Cachemire, sur une étendue de plus de
600 lieues, la formidable rangée des monts Himalaya ; entre leurs
contre-forts parallèles descendent d’innombrables affluents au
grand fleuve indien. C’est dans cette masse, que se trouvent les
montagnes les plus élevées du globe ; la ligne de faite se maintient
à une hauteur moyenne de 5 à 6000“ ; on compte par centaines les
sommets dépassant 6000“; les pics de moins de 7000“ sont la plu-
part du temps dédaigneusement marqués sur les cartes anglaises
par de simples numéros, et il semble que les montagnes ne méri-
tent d'avoir un nom qu’à la condition d’atteindre 8000“.
Nous citerons : dans le Boutan, le Dalla (7050“), les monts Oodoo
(7540“), le Chamalari (7500“) ; dans le Sikkim, le Doukia (7070“) et
le Kantschin-Janja (8580“) ; celui-ci ne le cède qu’au Gaurisankar ou
mont Everest dans le Népaul, la plus haute des montagnes du globe,
qui dresse sa cime à la prodigieuse hauteur de 8840“ : c’est ce
qu’on obtiendrait en entassant la Yung-frau (4170“) sur le mont
Bose (4640“); c’est plus de sept fois la hauteur du Vésuve (1190“).
Encore dans le Népaul, le Jangmar (7950“), le Djibjibia (8020“), le
Jassa (8155“), le Marschiadi (8080“), le Barathor (7950“) et enfin le
Dawalaghiri (8 185“), longtemps considéré comme le plus élevé de
tous et que le Gaurisankar a détrôné.
Puis, la chaîne Himalayenne s’ouvre pour laisser passer la Set-
ledj, qui va porter à l’Indus les eaux du versant nord et ceux du
lac sacré de Manasarovar (’4650“). Au delà, elle se termine par
l’extraordinaire intrication des montagnes du Cachemire, au milieu
desquelles s’ouvre la délicieuse vallée de Srinagar, le « paradis
terrestre » des Hindous.
A son extrémité orientale, l’Himalaya se relie aux monts Lang-
1 2
HISTORIQUE.
fan, le nœud des chaînes d’iine hauteur relativement médiocre qui
déterminent le relief de la Chine et de l’Indo-Chine.
L’Himalaya forme ainsi, sur son versant sud, comme le gigantes-
que talus d’un haut plateau montueux. C’est le Thibet, qui, sur une
élendue immense, dépasse la hauteur de 5000m, et dont les eaux,
recueillies par le Brahmapoutra, courent d’abord vers l’Orient, puis,
se heurtant aux montagnes de Chine, retournent au S. 0. pour se
mêler à celles du Gange. Au nord, ce plateau est borné par la
chaîne du Ivuen-Loun ; son extrémité occidentale est parcourue par
celle du Karakorum, dont les sommets rivalisent avec ceux de l’IIi-
malaya : tels le Dapsang (8620m), le Diamer (8150ni), le Guslier-
brum (8040m).
Des cols, dont l’élévation grandit naturellement au fur et à me-
sure qu’on s’approche des lignes de faîte, permettent de franchir
les contre-forts de ces chaînes principales, et enfin ces chaînes elles-
mêmes. Beaucoup de ces passes , et des plus fréquentées, sont si-
tuées à plus de 5000m; la passe fameuse de Karakorum est par
5650m; la Yangi-Diwan Pass, une des routes du Cachemire à Kho-
tan à travers le Ivuen-Loun, a 5820m; la plus élevée1 de toutes celles
de l’empire britannique, la passe de Parang, atteint 5855m.
Le voyageur qui gravit les degrés de cette sorte d’escalier gi-
gantesque, redescend entre chacun d’eux beaucoup moins qu’il
n’a monté; il arrive ainsi sur un vaste plateau désolé; c’est le
Pamir, que visita au treizième siècle Marco-Polo, le Bam-i-Dunya,
c’est-à-dire le toit du monde , dont la hauteur moyenne dépasse
4500"1. Du côté de l’orient, ce toit s’incline pour former les plai-
nes élevées de la haute Tartarie, et ses eaux, par le fleuve Tarim,
vont se perdre au désert de Gobi. Vers l’occident, elles se ras-
semblent dans POxus qui les conduit au lac d’Aral.
D’autres chaînes, d’une élévation absolue considérable, surgis-
sent au-dessus de ces hauts plateaux. Au nord-est le Thian-Schan,
dont le point culminant est le Bogda-Oola, borne le grand dé-
sert, et va rejoindre l’Altaï et l’arête montagneuse qui sépare le
bassin de l’océan Glacial d’avec celui du Pacifique. Au sud-ouest,
l’Hind ou-Kouch, qui prolonge le Karakorum et ne lui cède pas en
hauteur au début, va, par les monts du Korassan, se relier à la
chaîne de l’Elburs. Au sud, le Soliman-Kouch longe le fleuve Indus.
1 Harcourt, On the Himalayan vallcys : Kooloo , Lahoul and Spili. Journal of the
royal géogr. soc., t. XLI, p. 245-257; 1871.
15
LES RÉGIONS ÉLEVÉES DU GLOBE.
Amérique. — Le système orographique de l’Amérique forme avec
celui de l’Asie un contraste frappant. Il ne s’agit plus ici d’un massif
central duquel s’étendent, comme autant de bras gigantesques, des
chaînes divergentes. Tout au contraire, une arête, dont certains som-
mets ne sont dominés que par ceux de l’Himalaya, longe, de la Pata-
gonie à l’Alaska, les rives de l’océan Pacitique. Dans sa parlie la plus
méridionale, la Cordillère est simple et d’une médiocre hauteur;
mais en se dirigeant vers le nord, on voit graduellement grandir
son élévation moyenne qui atteint deux rnaxima : en Bolivie et
sous l'équateur. En même temps, pendant que son versant occi-
dental reste toujours abrupte, à ce point que des montagnes de
6000m sont parfois à moins de 20 lieues de la mer, apparaissent
sur son flanc oriental des contre-forts dont l’importance va toujours
grandissant, jusqu’à constituer en Bolivie un véritable massif de
100 à 150 lieues de largeur sur une hauteur moyenne de 4000m, où
se distinguent surtout deux chaînes parallèles déterminant la haute
vallée du lac de Titicaca (59I5m). Ces deux chaînes, avec leur vallée
intermédiaire entrecoupée de nœuds , où prennent naissance le
Maranon et l’Ucayali, où sont bâties la Paz, Puno, Cuzco, Quito et
d’autres villes, s’abaissent d’abord en s’étalant jusqu’au nœud de
Pasco, puis se relèvent et atteignent leur point culminant juste sous
l’équateur. Ici, l’arête orientale se bifurque à son tour et se termine
à la mer, par la chaîne de Venezuela et la Nevada de Sanla-Marta,
dont le principal sommet, la Horqueta (5500m), se dresse presque
sur le bord de la mer des Antilles.
La Cordillère occidentale, singulièrement réduite en hauteur,
forme ensuite l’isthme de Panama, longe le Pacifique dans l’Amé-
rique centrale, se relève et s’étale au Mexique. De là partent,
comme dans l’Amérique du Sud, deux grandes chaînes parallèles,
mais cette fois beaucoup plus éloignées l’une de l’autre, et du reste
beaucoup moins élevées. A l’est, la ligne de faite des monts du Nou-
veau-Mexique, des montagnes Rocheuses, des monts des Chipways,
sépare les eaux de l’Atlantique de ceux du Pacifique. La chaîne
occidentale demeure voisine de l’Océan, et est interrompue dans
son parcours pour le libre passage du Colorado et de la Columbia.
Sur l'immense étendue de cette arête montagneuse se dressent des
montagnes, pour la plupart volcaniques, d’une prodigieuse hau-
teur. L’impertinence du chanoine Bourrit nous parait grande d’a-
voir prétendu que « comparées aux Alpes suisses, ces montagnes
de l’Amérique méridionale ne sont que des nains montés sur de
14
HISTORIQUE.
grands piédestaux 1 » ; il y a cependant un fonds de vérité dans son
dire, et il n’est pas sans intérêt pour notre sujet.
Précisément sous l’équateur, des terrasses de la ville de Quito,
Pœil étonné contemple onze montagnes volcaniques couvertes de
neiges éternelles. Les unes, comme le Cayambe (5950m), l’Iliniza
(5250"'), le Chimborazo (6420m), sont aujourd’hui éteintes; d’au-
tres, comme le Pichincha (4860111), l’Antisana (5880"'), le Cotopaxi
(5945m), lancent encore des fumées ou des flammes. On a pendant
longtemps considéré le Chimborazo comme la cime la plus haute
des Andes; c’est une erreur. Plus élevé encore est l’Aconcagua
(6855m), dans les Andes du Chili, et surtout l’Illimani (7510"') et le
Sorate (7560"') qui bordent le lac de Titicaca.
Une foule de montagnes, comme le Tolima (5525"'), le Puracé
(51 85m) en Colombie; le Cotocachi (4950m), le Sangay (5044m), le
Sinchalagua (5200m), le Tunguragua (5020m), le Llanganati (5595"'),
l’Altar (5240"'), le Sara-urcu (5140m), dans la République de l’Equa-
teur; le Misli (6100m), le Chipicani (6180m), le Jachura (5180m), le
Tacora (5700'"), le Parinacota (6550'"), le Nevado Vilcanota (5560'"),
le Lirima (7470'"), au Pérou ; le Sahama (701 5m) , le pic Farinacobo
(6714m), le Gualatiéri (6690m), le Cerro de Potosi (6620'"), l’Ata-
cama (5300'"), le Coolo (6870m), le Soololo (6795m), le Quenuta
(687üm), le Pomarape (6580'"), en Bolivie; la Nevada de Famatina
(5820'") dans la République Argentine ; le Cerro del Plomo (5455'“),
la Cima del Mercedario (6800'"), le Juncal (5960'"), le Tupungato
(61 80m) , le Maypu (5585'"), le San-José (6100"'), au Chili, dépassent
de beaucoup les Alpes et meme le Caucase 2.
Les passages qu’ont à franchir les voyageurs qui se rendent des
côtes du Pacifique aux grandes villes de la Cordillère ou directe-
ment aux bassins de l’Orénoque, de l’Amazone ou de la Plata, attei-
gnent toujours à leurs points culminants des hauteurs capables
d’impressionner l’organisme. La grande route que les Incas avaient
construite, de Cuzco à Quito, traverse le passage du nœud de l’As-
suay à 4735m ; de Potosi à la Paz, le voyageur reste sans cesse à des
hauteurs de 4000"' et plus : le poste de Talapolco est à 4190'". Dans
la République de l’Equateur, les passages par lesquels on peut al-
ler de Quito à la mer sont par-delà 4000'"; la route de Lima à Pasco
1 Nouvelle description des glacières et des glaciers des Alpes , 2e éd., t. II, p. 87. —
Genève, 1785.
2 Outre les sources indiquées plus haut en note (page 4), j’ai fait pour ces hauteurs
de nombreux emprunts à Klôden, Handbuch der Erdkunde , Berlin, 1869, et à Stein.
édition de VV'appens : Hctndbuch der Géographie, Leipzig, 1865-70.
15
LES RÉGIONS ÉLEVÉES DU GLOBE.
passe à l’Alto de Lachagual, par 4710“; celle de Lima à Tarina, à
4800“. Au Pérou, le col de Vilcanota, entre Cuzco et la mer, est à
4425m ; la route d’Arequipa à Puno passe à 4750m; la maison de
poste d’Ancomarca, entre Arica et la Paz, est à 4330“; la passe
de Qualillas à 4420“, celle de Tacora à 4390“, et celle de Chullun-
quiani à 4620“. Enfin, des deux chemins de fer qui traversent la
Cordillère, celui qui va de Puerta Mejia au lac de Titicaca a son
point culminant à Crucero (4460m) : de là il se dirige sur Cuzco, se
maintenant entre 3500 et 4300“ ; le dernier construit, entre le Callao
et la Oroya, passe à 4760“, dans un tunnel qu’il a fallu creuser ainsi
presque à la hauteur du Mont-Blanc.
Mais la route la plus habituellement fréquentée jusqu’ici parles
voyageurs, pour passer d’un océan à l’autre, était celle qui traverse
les Andes de Mendoza à Santiago. Elle conduit en effet de Buenos-
Av res à Valparaiso (417 lieues), et de l’un ou de l’autre de ces
points permet d’atteindre facilement par voie de mer, aux autres
ports de l’Atlantique ou du Pacifique. Quatre passages se présen-
tent, qui sont, du nord au sud : celui de « los Patos », de Cordova à
San-Juan, longtemps abandonné; celui du Cumbre d’Uspallata, plus
fréquenté (3920“) ; et celui du Portillo, qui force à traverser deux
cols dont l’un n’a pas moins de 4360“. Enfin, le dernier, qui est le
moins élevé des Andes chiliennes, celui de Planchon, qui va droit
au port de Conception, arrive encore à 2500“ de hauteur.
Sur le long parcours de l’Amérique' centrale, la Cordillère se
maintient à un niveau moyen; seul, parmi les innombrables vol-
cans dont elle est hérissée, celui d’Acatenango (4150“), dans le
Guatemala, dépasse 4000“.
La ville de Mexico est, comme la ville de Quito, entourée de
montagnes : le Toluca (4580“), l’Ixtaccihualt (4790“), le Chicle,
au-dessus de laquelle passa en ballon Robertson le jeune, et le
Popocatepetl (5420“). Le Citlaltepetl ou pic d’Orizaba, (5400“) en
est éloigné d’environ 60 lieues.
Bans les montagnes Rocheuses, il faut noter surtout l’Uncom-
pahgre Peak (4450“); le Pike’s Peak, au sommet duquel (4540“) les
Etats-Unis viennent d’installer un observatoire météorologique ; le
mont Lincoln (4500“); le Long’s Peak (4510“) et le pic Frémont
(4130“) entre lesquels passe à 2500“ de hauteur le grand chemin
de fer de New-York à San-Francisco; à côté l’un de l’autre, le mont
Brown (4850“) et le mont Hooker (5 100“). Les montagnes qui lon-
gent le Pacifique laissent passer l’Orégon entre la sierra Nevada de
16
HISTORIQUE.
Californie dont les sommets les plus élevés sont le mont Whitnev
(4500m), le mont Tyndall (4380“) et le mont Shasta (4400,n), et la
chaîne des Cascades, avec le mont Baker (3390,n), le mont llood
(5420“) et le mont Rainier (4400111) comme points culminants.
A l’extrémité septentrionale se dressent, sur les bords même de
l’Océan, les plus hauts sommets de l’Amérique du Nord, le mont
Fairweather (4620m) et le mont Saint-Elias (5440'"). Enfin, dans l’A-
laska, le volcan Gorjaloja termine l’immense chaîne américaine,
qui s’est ainsi allongée sur plus de 4500 lieues.
Afrique. — L’Afrique est loin de posséder des chaînes de monta-
gnes qui se puissent comparer à l’IIimalaya, aux Andes ou même
aux Alpes. Cependant la ceinture montagneuse qui, à peu de distance
de la mer, entoure les vastes plateaux de l’intérieur, se relève en
divers points à des hauteurs notables. L’Atlas, qui, dans les posses-
sions tunisiennes et françaises, n’atteint jamais 5000m, les dépasse
quelquefois au Maroc, où le mont Miltsin mesure 5470,u. En Abyssi-
nie, le cercle montagneux qui entoure Gondar et le lac Zana s’élève
sur certains points jusqu’à 4425'" (Abba-Jarct), même 4620"1 (Raz-
Daschan); la passe de Buhait est à 4520m. Sur les bords de l’Atlan-
tique, le pic de Fernando-Po monte à 5260m, et, en face de lui, les
monts Camerons, peut-être le Octov o/r^m de Hannon, atteignent
4000m. Dans la colonie de Natal, la chaîne du Drakenberg présente
des sommets de plus de 5000m : Cathkin Peak (3150m). Enfin, pres-
que sous l’Équateur, près des bords de l’océan Indien, les monts
Renia ont 5000m, et le Kilimandjaro dresse sa cime éternellement
neigeuse à 6110“. Ajoutons que, dans l’intérieur, une montagne
élevée a été signalée, dont les sommets dépassent 5000m; c’est
l’Alantika, qui se relie aux monts Camerons.
Iles. — Les îles, dont il nous reste à parler, ne contiennent qu’un
petit nombre de montagnes dont la hauteur soit assez grande pour
que leur ascension amène des troubles physiologiques. Le point cul-
minant des Alpes australiennes, le mont Kosciusko, n’atteint que
2190“. Mais, à la Nouvelle-Zélande, plusieurs dépassent 5000'", et
le géant de l’île du sud, le mont Cook, va jusqu’à 3770m. La Nou-
velle-Guinée contient plusieurs montagnes volcaniques qui ne le
cèdent pas à celles de la Nouvelle-Zélande : l’Owen Stanley, la plus
élevée, mesure 4020“; mais je suis loin de compter parmi elles
ce mont Hercule, haut de 10 929“, dont un capitaine anglais,
M. Lawson a annoncé tout récemment la découverte, et sur les lianes
duquel il prétend avoir grimpé jusqu’à 8455“. Dans file d’Hawaï,
LES RÉGIONS ÉLEVÉES DU GLOBE.
17
parmi plusieurs volcans encore en action, le Mauna Loa s’élève à
4250“, et le Mauna Kea à 4195“ ; dans l’ile voisine de Maui, le Mau-
na Haleakala atteint 5110“. Les innombrables volcans qui forment
File de Java ont aussi de hauts sommets : le Gounong-Simeron me-
sure 5500“, le Semerœ 5750“. A Sumatra, je signalerai FIndrapura
(5870“) et le Dempo (5500“); à Bornéo, le Kini Ballu (4175“).
L’arête montagneuse de File Formose présente des sommets de
5 à 4000“. Dans le Nipon, parmi d’autres montagnes élevées, le
volcan Fusiyama, la « montagne sans pareille » domine à 4520“ de
hauteur la rade de Yeddo. Enfin, au pôle Sud, les volcans élevés de
la terre de Victoria, l’Érebus (5800“), le Melbourne (4500“), et, sur
le cercle polaire du Nord, ceux du Kamtchatka, dont le plus haut est
le Klioutchef (4805“), terminent cette ceinture volcanique qui borde
sur tout son pourtour américain ou asiatique l’océan Pacifique.
Dans File de Ceylan, le pic sur lequel les pèlerins vont adorer le
Cri-Pada, la trace du pied de Boudba ou d’Adam, ne monte qu’à
2420“. Les montagnes de Madagascar atteignent, dans leur point
culminant, FAnkaratra, 5550“. Le Piton de Neige, à la Réunion,
mesure 5070“. Enfin, l’indication des volcans de Ténôriffe (5715“)
et de l’Etna (5510“) termine cette longue énumération de tous les
lieux du globe dont l’élévation est assez grande pour que leur as-
cension puisse amener des troubles physiologiques dont la gravilé
attire forcément l’attention des voyageurs.
Résumé. — Tout ceci peut se résumer rapidement sous une forme
saisissante. Supposons que la masse des eaux sur le globe augmente
assez pour que le niveau des mers s’élève de 5000“. Que resterait-
il, émergeant au-dessus d’un océan presque sans limite?
La plus vaste terre serait formée par les hauts plateaux du Thibet,
du Vokan, du Pamir, sur lesquels s’élèveraient de nombreuses mon-
tagnes de 4 à 5000“ ; son étendue serait deux ou trois fois plus
grande que celle de la France. On en verrait partir en divergeant
des séries d’îles qui marqueraient la trace des chaînes du Thian-
Shang, de Flndou-kouch, du Soleiman, des montagnes du Yunam et
de la Chine.
A l’autre extrémité d’un diamètre terrestre, une longue bande s’é-
tendant de l’équateur au tropique du Capricorne, s’élargissant à
ses deux extrémités et surtout au midi, dans la région correspon-
dante à la Bolivie, se prolo ngerait vers le sud et vers le nord par des
chapelets d’il es élevées et pressées les unes contre les autres : c’est
tout ce qui resterait des Andes.
18
HISTORIQUE.
Le plateau d’Arménie, séparé des crêtes émergeantes du Caucase,
constituerait une dernière terre beaucoup plus petite que les deux
autres, que flanqueraient quelques sommets du Taurus et des
monts Elburs.
Puis la région des Alpes serait devenue un archipel compliqué,
avec îles et îlots innombrables, Oberland, Grisons, massif du mont
Rose, massif du mont Blanc. Des Pyrénées il ne resterait que quel-
ques sommets voisins de la Maladetta. Le Mulahacen et l’Etna émer-
geraient seuls encore en Europe.
De l’Afrique, on ne verrait que le croissant abyssinien et des
points isolés : quelques îles dans l’Atlas marocain, le pic de Téné-
riffe, celui de Fernando-Po, les monts Camerons, le Kilimandjaro
et le Kénia, quelques cimes du Drakenberg, l’Ankaratra de Mada-
gascar.
L’Amérique du Nord laisserait encore au-dessus des eaux un cer-
tain nombre de sommets appartenant aux volcans du Guatemala et
du Mexique, aux montagnes Rocheuses, à celles des Cascades, à la
sierra Nevada; plus au nord, le mont Saint-Elias, et les volcans de
l’Alaska, faisant face à ceux du Kamtschalka. Enfin, de l’Océanie
disparue il ne resterait plus que les volcans des terres australes, de
la Nouvelle-Zélande, d’Haïti, de la Nouvelle-Guinée, des îles de la
Sonde, de Formose et du Japon.
Ce sont ces régions, si réduites en surface, dont l’étude nous in-
téresse ici. La revue que nous en avons passée montre que toutes
ces montagnes diffèrent singulièrement les unes des autres non-
seulement par leur hauteur, mais par leur disposition générale.
Les unes s’élèvent rapidement, d’un seul jet, pour ainsi dire, à leur
hauteur totale; c’est le fait, par exemple, des montagnes insulaires
et de celles du versant occidental de la Cordillère des Andes. Chez
d’autres, les assises s’entassent progressivement les unes sur les au-
tres, et des sommets d’une hauteur prodigieuse ne semblent pas,
sur leurs bases élevées, égaler des pics isolés qu’ils dépassent en
réalité. Nous montrerons, dans la troisième partie de cet ouvrage,
que ces dispositions orographiques différentes ont une grande
importance au point de vue de notre étude.
Neiges éternelles. — La latitude de ces montagnes n’en présente
pas moins. Elle est en effet intimement liée à la question de
température. Or, la limite à laquelle commencent les neiges éter-
nelles traduit assez fidèlement celle-ci.
Dans nos Alpes et nos Pyrénées, vers 45-47° de latitude nord,
19-
LES RÉGIONS ÉLEVÉES DU GLOBE.
cette limite est un peu au-dessus de 2 7 00m ; sur l’Etna (38° lat. N.)
elle remonte à 2900m. Dans les massifs montagneux du centre de
l’Asie, du Pamir (40° lat. N.) aux monts du Boutan (27° lat. N.),
elle oscille entre les hauteurs énormes de 4000 à 6000m, plus éle-
vée, tout naturellement, dans les régions les plus voisines de l’équa-
teur, et aussi, fait très-curieux, sur le versant des montagnes qui
regardent le nord ; sur le Gaurisankar, les neiges n’apparaissent
qu’à 5500m au nord, tandis qu’on les voit déjà à 4900m au sud; la
chaîne du Karakorum est, sur certains points, dépouillée de neige
jusqu’à 6500m (Schlagintweit). En Abyssinie (13° lat. N.) la limite
est par 4300m environ, et au Kilimandjâro (3° lat. S.) on estime sa
situation à un peu plus de 5000m. La Cordillère, dans sa longue ex-
tension du Sud au Nord, ne saurait se prêter à une appréciation
moyenne. Sous l’équateur, les volcans qui entourent Quito ne se
laissent recouvrir par les neiges éternelles qu’à partir de 4800m.
D’une manière générale, ce niveau glacé s’abaisse à mesure qu’on
s’éloigne de l’équateur; ainsi au Popocatepetl (19° lat. N ), il n’est
plus qu’à 4300m. Mais dans les Andes de Bolivie, et particulièrement
dans les montagnes qui bordent à l’ouest le lac Titicaca (16° lat. S.),
il s’élève d’une manière singulière, jusqu’à atteindre 6000m : bien
supérieur à ce qu’on observe dans les montagnes de l’Est où il se
maintient vers 4800m. Dans les Andes du littoral Chilien, sur le
volcan Corcobado (2290m), par 43° lat. JS., c’est-à-dire à la même
distance de l’Équateur que la Maladetta, il n’est qu’à 1800m. Sur le
montHooker (52° lat. N.) il est à 2600m, sur le mont Élias (60° lat.
N.) à 1500m, et sur le Bàren-Berg (2096m) de l’île de Jan Mayen (71°
lat. N.), à 400m seulement. Sur la Terre de Feu, au mont Sarmiento
(2075m), par 54° lat. S.; la limite n’est qu’à 1100m, bien plus bas
qu’au mont Élias, qui cependant est beaucoup plus près du pôle.
Êtres vivants. — L’extension de la végétation en hauteur varie
comme la limite des neiges qui l’arrêtent perpétuellement. Tandis
que dans nos Alpes la région des forêts se termine vers 1800m,nous
voyons, dans les Andes tropicales, la vigne, les quinquinas, les chê-
nes, s’élever jusqu’à 3000m. Dans l’Himalaya, la limite est bien plus
reculée encore, puisqu’on cultive l’abricotier par plus de 3000m,
et que les bouleaux et les peupliers montent à 4200m.
Les animaux suivent naturellement la végétation; les oiseaux
n’échappent pas à cette règle, et si, sur les flancs du Chimborazo,
on a vu quelquefois les Condors planer à la prodigieuse hauteur
de 7000111, cela tient à ce que 2 à 3000 mètres plus bas, les pâtu-
20
HISTORIQUE.
rages peuplés de Lamas, d’ Au truelles, etc., leur assurent une nour
riture abondante.
Les habitations humaines obéissent à la môme loi. Dans l’Europe
centrale, on ne voit que peu de villages dépassant 1500m; le plus
élevé des Pyrénées, Porté, est par 16*25™ ; Saint-Véran, dans les
Hautes-Alpes, et Soglio, dans les Alpes Rhétiennes, sont par 2050™.
Au-dessus, on ne trouve que quelques chalets inhabités en hiver.
L’hospice du Sainf-Gothard est à 2090™, celui du Bernina à 2500™;
le plus haut des pâturages d’été que fréquentent les pâtres alpestres
est celui de Fluhalpe, à 2550™, et l’on sait que la population mona-
cale de l’hospice du grand Saint-Bernard (2470™) ne peut être en-
tretenue que grâce au double attrait des récompenses célestes
et des grasses prébendes italiennes promises aux moines après
quelques années d’un pénible séjour sur la montagne.
Dans les montagnes Rocheuses, Central City est à 5460™ sur les
flancs de Long’s Peak (40° lat. N.).
Dans les Andes, ce ne sont pas seulement des villages, mais des
villes populeuses qu’on trouve bâties, en grand nombre, sur les
hauts lieux. Mexico esta 2290™, Santa-Fé de Bogota à 2560™, Quito,
avec ses 60 000 habitants, à 2910™, Cuzco à 5470™, Micuipampa à
5620™, la Paz à 5720™, Puno à 5920™, Tacora à 4170™; Potosi, qui a
compté jadis plus de 100 000 habitants, est par 4165™, Oruro par
4090™, Torata par 4175™, Portugalete par 4290™, Cerro de Pasco par
4550“; au Pérou et en Bolivie, la plus grande partie de la popula-
tion habite au-dessus de 5000™ E Des villages, des métairies s’élè-
vent à des niveaux supérieurs encore. Les mines de Chouta sont
exploitées à 4480™, celles de Iluancavelica, à 4655™, celles de Villa-
cota à 5042™ (Pissiz). La maison de poste de Rumihuani, dans l’illi-
mani, est à 4740™. Le chemin de fer d’Aréquipa à Puno traverse,
comme nous l’avons vu, la Cordillère à 4460™ de hauteur, et celui
du Callao à la Orova présente à son point culminant un tunnel situé
à 4760™; or ces travaux gigantesques ont nécessité le séjour pro-
longé d’un grand nombre d’ouvriers.
Dans l’Himalaya, l’homme a fixé sa demeure à des hauteurs tout
aussi étonnantes. Selon les frères Schlagintweit, la capitale du pe-
tit Thibet, Leh, est bâtie à 5505™; dans la meme contrée, Mu-
glab, Kibar, villes construites en pierre, sont à 4150™ et 4220™; le
village de Chushul, le plus élevé de l’Himalaya parmi ceux qui
1 Jourdanet, Influence de la pression de l'air sur la vie de i homme, l. I, p. 108. —
Paris, 1875.
LES RÉGIONS ÉLEVÉES DU GLOBE.
21
sont habités toute l’année, està 4590ra; le monastère Bouddhique
de Hante, dans le Ladak, est à 4610“ : une vingtaine de lamas y
résident. Quant aux villages habités l’été seulement, ils sont fré-
quemment situés entre 4500“ et 4900“; ainsi Norbu est à 4860“.
En été, les troupeaux vont paître dans des pâturages qui atteignent
5000“, tels que celui de Larsa, à 4980“\ Sur les hauts plateaux du
Yokhan et du Pamir, les Kirghises conduisent à 4700“ leurs yaks et
moulons. Le Mirza envoyé par M. Monfgomerie au Thibet signale
môme un village, Thok-Djalank, à la hauteur extraordinaire de
4980“.
Les Andes etl’Himalaya comprennent les deux seules régions du
globe où des populations qui se comptent par millions d’âmes vi-
vent régulièrement au-dessus de 5000“. Déjà, sur les hauts plateaux
du Mexique, les régions habitées par un grand nombre d’hommes
descendent à 2000“ environ; en Abyssinie, elles sont plus basses
encore; Gondar est à 2220“ et le village d’Endschetkab, qui parait
être le plus élevé de l'Abyssinie, à 2960“.
Il en est de même à peu près pour les habitants des montagnes
arméniennes : Hispahan est bâti à 1540u\ Erzeroum à 1860“ et
Kars à 1960“. En Europe, comme nous l’avons vu, le niveau
s’abaisse encore.
Les hommes qui vivent à ces hauteurs sont assurément dans des
conditions fort différentes de celles qui se rencontrent sur le bord
de la mer. A 5500“, un litre d’air pèse juste moitié moins qu’au
niveau de la mer: à 5500“, un tiers moins, à 2500“, un quart.
Ces conditions parliculières sont-elles avantageuses ou défavorables
pour le développement matériel ou intellectuel de l’homme? C’est
ce que j’essaierai de discuter dans la troisième partie de ce livre.
Je dois rappeler, du reste, à mes lecteurs, que les influences lentes,
progressives, que peuvent exercer sur les générations successives
le séjour dans les hautes montagnes ne m’arrêteront que peu. Je
renvoie, pour ces questions si importantes en hygiène et en politi-
que, au livre remarquable de M. Jourdanet. Ici, et tout particulière-
ment dans cette partie consacrée à l’exposition des documents his-
toriques, il ne sera question que des accidents soudains, manifestes,
qu’amène chez les hommes et les animaux le changement brusque
et considérable de niveau et par suite de pression barométrique.
Aussi est-ce aux récits des voyageurs, racontant le plus souvent
Schlagintweit, Resulls of a scientific mission to India and Hiyh Asia. in 1854-1858
5 vol. 1861-1865; t. II, p. 477.
22
HISTORIQUE.
leurs propres impressions, que je ferai appel dans les pages qui
vont suivre.
J’ai divisé cet historique en trois chapitres distincts. Le pre-
mier contient les témoignages dont je viens de parler; je les ai
classés par régions orographiques, et énumérés chronologiquement.
Je n’ai certes pas la prétention d’être dans cette énumération abso-
lument complet ; mais je pense n’avoir rien laissé échapper de vrai-
ment intéressant.
Dans le second sont rapportés les récits des aéronautes. Enfin,
dans le troisième j’ai groupé les expériences de laboratoire, exécu-
tées dans le but d’étudier l’influence de la pression diminuée, les
interprétations théoriques qu’ont données à priori divers physiolo-
gistes des troubles observés pendant les ascensions de montagnes, et
enfin les explications tentées par les voyageurs eux-mêmes, avec les
opinions populaires su: ces étranges malaises. Je m’arrête, bien en-
tendu, dans ce chapitre, aux discussions qu’ont soulevées mes pro-
pres recherches; mon but est de montrer quel était l’état de la
science au moment où j’ai commencé mes expériences. Enfin, un
dernier chapitre résume à la fois tous les faits observés et toutes
les théories émises.
CHAPITRE PREMIER
LES VOYAGES EN MONTAGNES
§ 1er. — Amérique méridionale
C’est aux récits des voyageurs qui suivirent les premiers con-
quérants américains que nous devons la notion des accidents qui at-
teignent l’homme lorsqu’il s’élève à une certaine hauteur sur le
flanc des montagnes. Il fallut, pour avoir cette connaissance élé-
mentaire, queCortez ait en 1519 attaqué le Mexique et que Pizarre,
vingt-cinq ans plus tard, ait pris Quito et soumis le Chili et le Pé-
rou. Cependant les conquérants eux-mêmes se préoccupèrent peu
du surcroît de souffrances que leur apportait un mal inconnu ; du
moins, leurs historiens n’en parlent pas. Dans le récit des deux
expéditions qui par l’ordre de Cortez montèrent, en 1519 et 1522,
au cratère du Popocatepetl (5420m), expéditions dont la dernière a
été racontée en détails par Herrera 4, on ne voit pas que le mal des
montagnes soit bien nettement indiqué.
Les compagnons (62 cavaliers et 102 fantassins) de François Pi-
zarre, dans la marche téméraire qui, de la côte du Pacifique, les
amena en octobre 1552 à Cuzco, au coeur de l’empire des Incas, du-
rent franchir, à travers mille périls, les défilés élevés de la Cordil-
lère des Andes. L’historien Xérès1 2 qui raconte cette merveilleuse
1 Yoy. Jourdanet, Influence de la pression de l'air sur la vie de l’homme. — Paris,
1875, T. I, p. 212.
2 Relation véridique de la conquête du Pérou : in Collection de voyages pour servir à
l'histoire de la découverte de V Amérique, par Ternaux-Compans, t. IV, Paris, 1857.
HISTORIQUE.
24
expédition, 11e parle que « du grand froid que l’on éprouvait sur
ces hauteurs ». Cependant, ils étaient au-dessous de la région des
neiges perpétuelles; le sol était couvert d’une plante semblable à
T « esparlo corto » (p. 65). Ferdinand Pizarre, envoyé par son
frère de Caxamalca à Parcama et à Xauxa, traversa, le 5' mars
1555, « une grande montagne de neige, très-escarpée, où les che-
vaux entraient jusqu’au ventre » (p. 157); mais pas de plainte
spéciale.
En 1554, Pedro de Àlvarado entreprit avec 500 hommes et 225
chevaux la conquête du Pérou; débarqué au cap San-Francisco, il
atteignit la route de Cuzco à Quito en un point situé au sud d’Am-
balo; il est donc évident qu’il effectua le passage des Andes aux
environs du Chimborazo. Il dut s’y élever à une hauteur dépassant
4800m, puisqu’il se trouva au milieu des neiges ; les souffrances de
son armée furent terribles :
Il mourut , d’après Herrera, quinze Castillans et six femmes, plusieurs
nègres et deux mille Indiens. Quand ils sortirent des neiges, ils avaient tous des
figures cadavériques. Plusieurs Indiens qui en échappèrent perdirent les doigts
et même les pieds ; quelques-uns restèrent aveugles.
La grande expédition de don Diego d’Almagro, à la conquête du
Chili, amena des résultats plus effroyables encore. Sorti de Cuzco,
en 1555, il voulut passer par la montagne, malgré ses capitai-
nes. L’Inca Garcilasso de la Vega1 a fait de^ souffrances de l’armée
un récit saisissant :
Comme il se fut engagé dans un si rude pais, il en porta la peine bien-tost
après : car, à quelques journées de là, ils trouvèrent d’étranges obstacles dans
la route qu’ils prirent. Le premier fut qu’ils ne pouvoient marcher à cause des
neiges — le second, que les vivres commencèrent à leur manquer — et le troi-
sième, que, suivant la supputation des cosmographes et des astrologues, les
Montagnes portant leur sommet jusques dans la moyenne Région de l’air, le
rendoient si froid, pource que tout y est couvert de neige, principalement en
un temps tel que celuy que nos Advanturiers avoient pris, qui estoil en llyver,
à le prendre selon l’ordre de leurs saisons, aux jours les plus courts, et les plus
froids de l’année ; qu’il y eut quantité d’Espagnols, de Nègres, d lndiens et de
chevaux, qui furent gelez et transis de froid. Mais les Indiens entr’autres, pour
èslre vestus à la légère en eurent la meilleure part. De 15000 qu’ils estoie.nt, il
y en eut plus de 10000 de morts et plus de 150 du costé des Espagnols,...
C’est probablement par les régions élevées de Tacora, sur la route
1 Histoire des guerres civiles des Espagnols dans les Indes. Trad. de Baudoin, p. 200.
— Paris, 1050. (L’ouvrage original a été publié à Cordoue en 1015.) Liv, II, chap. xx,
1 .1.
25
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — AMÉRIQUE DU SUD.
entre la Paz et Arica, que se fit cette campagne, si malencontreuse-
ment entreprise en plein hiver austral.
En 1541 \ peu de temps après la mort de Pizarre, quatre espa-
gnols qui faisaient partie d’une expédition sortie de l’Assomption,
sous les ordres de Irala, se rendirent à Lima, en passant par Po-
tosi et Cuzco. Un envoyé du gouverneur du Pérou avait fait le
même chemin, « Miguel Ruedo et Ahaic étaient tellement épuisés
par les fatigues de la route, dit Ulrich Sclimidel, qui faisait
partie de l’expédition, qu’ils furent obligés de rester à Potosi
(p. 222). «
Ces récits, comme on le voit, ne mettent en avant pour expli-
quer les souffrances et les désastres, que la fatigue, le manque de
vivres et le froid. C’est au Père jésuite Acosta1 2, qui voyageait dans
l’Amérique du Sud, vers la fin du seizième siècle, que revient l’hon-
neur d’avoir signalé le premier des souffrances spéciales dues à
une cause spéciale, l’air des lieux élevés. Ajoutons qu’il en a donné
une description saisissante :
Je copie dans la traduction qu’imprima à Paris, en 1596, Robert
Régnault Cauxois, la partie la plus intéressante de son récit :
En certains endroits des Indes, l'air et le vent qui y court estourdit les
hommes, non pas moins, mais davantage qu’en la mer....
11 y a au Péru une montagne haute qu’ils appellent Pariacaca, et ayant ouï
dire et parler du changement qu’elle causoit, j’allois préparé le mieux que ie pou-
vois selon l’enseignement que donnent par delà ceux qu’ils appellent Vaquianos
ou experts : mais néantmoins toute ma préparation, quand ie vins à monter les
escalliers qu’ils appellent, qui est le plus haut de ceste montagne, ie fus subite-
ment atteint et surprins d’un mal si mortel et estrange, que ie fus presque sur
le point de me laisser choir de la monture en terre, et encor que nous fussions
plusieurs de compagnie, chacun hastoit le pas sans attendre son compagnon,
pour sortir vistement de ce mauvais passage. Me trouuant donc seul avec un
Indien, lequel ie priay de m’aider à me tenir sur la monture, ie fus épris de telle
douleur de sanglots et de vomissement, que ie pensay jetter et rendre l’àme.
D’autant qu’après auoir vorny la viande, les phlegmes et la colère, l’une jaune et
l’autre verde, ie vins iusque à jetter le sang, de la violence que ie sentois en
l’estomach, ie dis enfin, que si cela eust duré, i’eusse pensé certainement es Lre
arrivé à la mort. Cela ne dura que trois ou quatre heures, iusques à ce que nous
fussions descendus bien bas, et nous fussions arrivez en une température plus
conuenable au naturel, où tous nos compagnôs, quiestoyent quatorze ou quinze,
estoyent fort fatiguez, quelques uns cheminans demandoient confession pensans
réellement mourir, les autres mettoyent pied à terre, et estoyent perdus de vomis-
1 Histoire véritable d'un Voyage curieux dans l'Amérique de 1534 à 1554. In collec-
tion Ternaux-Compans, t. V.
2 Acosta (José de) Historia Natural y Moral de las Indias : en que se trata de cosas
notables del Cielo , de los elementos, metales, plantas, y animales, etc. (Sevilia, 1590),
2G
HISTORIQUE.
sement, et de force d’aller à la selle, et me fut dict qu’autrefois quelques uns
y auoyent perdu la vie de cest accident. Je veis un homme qui se despitoit contre
terre, s’escriant de rage et de douleur que luy auoit causé le passage de Paria -
caca. Mais ordinairement il ne fait point aucun dommage qui importe, autre que
cest ennuy et fascheux desgout qu’il donne pendant qu’il dure. Et ce n’est pas seu-
lement le pas de la montagne Pariacaca, qui a ceste propriété, mais aussi toute
ceste chaîne de montagnes qui court plus de cinq cens lieues de long; et en quel-
que endroit que l’on la passe, l’on sent ceste estrange intempérature, combien
que ce soit en quelques endroits plus qu’ès autres, et plus à ceux qui montent du
costé de la mer, qu’à ceux qui viennent du costé des plaines, ie l’ay passée mesme
outre de Pariacaca par Lucanas et Soras, et en autre endroit par Colleguas, et en
autre par Cauanas, finalement par quatre lieux différens en diuerses allées et
venues, et tousiours en cest endroit ay senty l’alteration et estourdissement que
i’ay dict, encor qu’en nul endroit ce n’a esté tellement que la première fois en
Pariacaca, ce qui a esté expérimenté par tous ceux qui y ont passé
Et non-seulement les hommes sentent ceste alteration, mais aussi les bestes,
qui quelques fois s’arrestent de sorte qu’il n’y a esperon qui les puisse faire
aduancer. De ma part, ie tiens que ce lieu est un des plus hauts endroits de la
terre qui soit au monde
Toute ceste chaine de montagnes est communément deserte, sans aucuns
villages ny habitations des hommes, de sorte qu’à peine l’on y trouve des petites
maisons ou retraittes pour y loger les passans de nuict. Il n’y a non plus d’ani-
maux, ou bons ou mauuais, si ce n’est quelques Vicunos qui sont des moutons du
pays, lesquels ont une propriété estrange et merueilleuse, comme ie diray en son
lieu. L’herbe y est souvenles fois bruslée, et toute noire de l’air que ie dis, et ce
desert dure comme vingt cinq à trente lieues detrauerse, et contient de longueur,
corne i’ai dict, plus de cinq cens lieues (p. 87).
Cette description faite, et l’on avouera qu’il n’était pas possible de
joindre avec plus d’art l’exactitude au pittoresque, Acosta cherche
la cause de ces malaises qu’il dit avoir ressentis encore en quatre
autres passages de la grande Cordillère. Nous rapporterons dans le
chapitre consacré au résumé des explications théoriques les idées
du Révérend, idées véritablement merveilleuses de prévoyance et
de lucidité.
Il est difficile de déterminer exactement le point où passa Acosta :
Pariacaca est un nom disparu au Pérou comme à l’Équateur. Il est
à peu près certain qu’il se trouvait au-dessous de la limite des
neiges, car son récit, si exact et si détaillé, n’en parle pas; sa hau-
teur au-dessus du niveau de la mer était donc probablement de
4500"1 au plus.
Il est très-curieux de voir qu’après avoir si admirablement dé-
crit et expliqué les sensations pénibles qu’il avait éprouvées en tra-
versant les hautes montagnes, Acosta ne songe pas à en tirer parti
pour rendre compte des désastres subis par les armées espagnoles.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — AMÉRIQUE DU SUD. ci7
Il les connaissait fort bien, cependant, il en parle; mais ici sa net-
teté d’esprit semble l’abandonner :
Il y a d’autres déserts ou lieux inhabités, qu’ils appellent au Péru Punas (pour
parler du second poinct que nous auons promis) où la qualité de l’air tranche les
corps et la vie des hommes, sans le sentir. Au temps passé les Espagnols chemi-
novent du Péru au Royaume de Chillé, par la montagne : aujourd’huy l’on va ordi-
nairement par mer, et quelques fois le long de la cosle : et combien que le
chemin y soit ennuyeux et fascheux, il n’y a pas toutes fois tant de danger, qu’en
l’autre chemin de la montagne, ou il y a des plaines, au passage desquelles plu-
sieurs hommes sont morts et péris, et d’autres en sont eschappez par grande
aduanture, dont les uns sont demeurez estropiez. Il court en cest endroit un petit
air qui n’est pas trop fort n’y violent. Mais il pénétré de telle façon, que les hom-
mes y tombent morts quasi sans se sentir, ou bien les doigts des pieds et des
mains y demeurent : ce qui pourra sembler chose fabuleuse, et toutes fois c’est
chose véritable. J’ai cogneu et longtemps fréquenté le general Hierosme Costilla
ancien peupleur deCusco, qui auoit perdu trois ou quatre doigts de pieds, qui lui
tombèrent en passant les deserts de Chillé, par ce qu’ils auoient esté atteints et
penetrez de ce petit air, et quand il les vint à regarder il estoient desia tous
morts et tombèrent d’eux mesmes sans luy faire aucune douleur, tout ainsi
que tombe de l’arbre une pome gastée. Ce capitaine racontoit que d’une bonne
armée qu’il auoit conduite et passée par ce lieu les années précédentes, de-
puis la descouverte de ce Royaume faicte par Almagro, une grande partie des hom-
mes y demeurèrent morts, et qu’il y vid les corps estendus parmy le desert, sans
aucune mauuaise odeur ni corruption.... Sans doute, c’est un genre de froid que
cestuy-la si pénétrant qu’il esteint la chaleur vitale en coupant son influence : et
d’autant qu’il est aussi très-froid il ne corrompt ny donne putréfaction aux corps
morts, parce que la putréfaction procède de chaleur et d’humidité (p. 89).
Un célèbre historien espagnol, qui écrivait peu de temps après
Acosta, Antonio d’Herrera, s’empara des idées du savant jésuite,
et, sans le citer, copia presque intégralement les passages que nous
venons de mettre sous les yeux de nos lecteurs1. Mais il est évident
qu’il ne put comprendre en son entier l’explication d’Acosta ; il
serait au moins inutile de reproduire ici son chapitre : Des causes
pour lesquelles est si périlleux le passage des « Puertos Nevados »
qui vont au Chili , et de ceux de la province de Quito que traversè-
rent Belalcazar et Alvarado avec leurs armées .
Un siècle et demi s’écoule sans que les historiens et les voya-
geurs parlent des troubles physiologiques qu’avait signalés Acosta.
Les Lettres édifiantes2, où se trouvent tant de détails, puérils le plus
souvent, intéressants parfois, n’y font aucune allusion, bien que
leurs écrivains se soient évidemment trouvés plusieurs fois dans les
1 Historia general delos Hechos de los Castellanos en las islas y tierra firme del mar
Océano. Madrid, 1615, Decada V, Libro X, Capitulo V, T. III, p. 29, I.
2 Nouvelle édition, t. VI, VII, VIII, IX. — Paris, 1781.
HISTORIQUE.
28
mêmes conditions que leur prédécesseur. Mes recherches dans les
auteurs du dix-septième siècle ne m’ont rien fait trouver se ratta-
chant à notre sujet.
Mais un document publié au commencement du dix-huitième
siècle nous montre que dans les Andes mêmes, on savait depuis
longtemps que, sur certains points, des accidents plus ou moins
graves atteignent les hommes et les animaux. Nous y trouvons
même une explication qui se reproduira jusqu’à l’époque actuelle.
Un français, Frezier1, visita de 1712 à 1714 les côtes du Chili
et du Pérou ; il parle longuement des mines si riches de l’inté-
rieur du pays, et après avoir discuté sur l’origine des métaux, il
ajoute :
11 est certain qu’il sort continuellement de fortes exhalaisons des mines : les
Espagnols qui vivent au-dessus sont obligés de boire très-fréquemment de l’herbe
du Paraguay ou Maté , pour s’humecter la poitrine, sans quoi ils subissent une
sorte de suffocation. Les mules mêmes qui passent dans ces endroits, quoique
beaucoup moins rudes et montueux que d’autres, où elles vont en courrant, sont
obligées de se reposer presque à tout moment pour reprendre haleine. Mais ces
exhalaisons sont bien plus sensibles en dedans; elles font un tel effet, sur les
corps qui n’y sont pas accoutumés, qu’un homme qui y entre pour un moment,
en sort comme perclus Les Espagnols appellent ce mal Quebranlahuessos ,
c’est-à-dire qui brise les os (p. 150).
Frezier n’eut point occasion de faire d’observations personnel-
les. Mais quelques années plus tard, en 1756, trois académiciens
français, Bouguer, La Condamine et Godin, s’en allèrent au Pérou
pour y mesurer un degré du méridien. C’est à partir de cette ex-
pédition célèbre que les accidents de la décompression commencent
à être étudiés et scientifiquement commentés. Les savants astro-
nomes séjournèrent pendant dix ans sur les régions élevées de l’é-
quateur. Dans une de leurs courses, Bouguer et La Condamine
demeurèrent trois semaines sur le Pichincha, à une hauteur de
4860m environ. Là, ils éprouvèrent des accidents que Bouguer 2 dé-
crit dans les termes suivants :
Nous nous sommes tous trouvés d’abord considérablement incommodés de la
subtilité de l’air; ceux d’entre nous qui avaient la poitrine plus délicate sentaient
davantage la différence et étaient sujets à de petites hémorrhagies, ce qui venait
1 Relation du voyage de la mer du Sud aux côtes du Chily et du Pérou, fait pendant
les annéés 1712, 1715 et 1714. Paris, 1710.
- Relation abrégée du voyage fait au Pérou, par MM. de l' Académie royale des scien-
ces, pour mesurer les degrés du méridien aux environs de i équateur , et en conclure la
figure de la terre. — Mémoires de l'Académie des sciences de Paris, 1744, p. 249-297.
29
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — AMÉRIQUE DU SUD.
sans doute de ce que l'atmosphère, ayant un moindre poids, n’aidait pas assez par
sa compression les vaisseaux à retenir le sang, qui de son côté était toujours ca-
pable de la même action. Je n’ai pas remarqué dans mon particulier que cette
incommodité augmentât beaucoup lorsqu’il nous est arrivé ensuite de monter
plus haut ; peut-être parce que je m’étais déjà fait au pays, ou peut-être aussi
parce que le froid empêche la dilatation de l'air d’être aussi considérable qu’elle
le serait sans cela. Plusieurs d’entre nous, lorsque nous montions, tombaient en
défaillance et étaient sujets au vomissement ; mais ces accidents étaient encore
plus l’effet de la lassitude que de la difficulté de respirer Nous éprouvions
parfois un froid très-rigoureux, tandis que le thermomètre n’en indiquait qu’un
médiocre (p. 261).
Bouguer développe alors une thèse dont nous parlerons dans le
troisième chapitre; pour lui, les accidents éprouvés sont dus en
partie à la fatigue, en partie à une sorte de scorbut.
Je n’ai pu trouver dans les deux volumes que La Condamine1 con-
sacre au récit de son voyage, et qui sont, du reste, à moitié remplis
par ses violentes contestations avec Bouguer, que le passage suivant
relatif à son séjour sur le Pichincha :
Don Antoine d’Ulloa, en montant avec nous, tomba en faiblesse et fut obligé de
se faire porter dans une grolte voisine.... Je ne ressentis en mon particulier
aucune difficulté dans la respiration. Quant aux affections dont M. Bouguer fait
mention et qui désignent apparemment la disposition prochaine à saigner des
gencives, dont je fus alors incommodé, je ne crois pas devoir l’attribuer au froid
du Pitchincha, n’ayant rien éprouvé de pareil en d’autres parties aussi élevées, et
le même accident m’ayant repris 5 ans après à Cotehesqui, dont le climat est
tempéré. (T. I, p. 55.)
Mais les renseignements les plus circonstanciés et les plus précis
nous sont fournis par don Ulloa, jeune officier de marine que le
gouvernement espagnol avait envoyé pour protéger la mission fran-
çaise, et qui joua plus tard un grand rôie dans sa nation. Dans ses
récits2 paraît à la fois l’histoire des accidents éprouvés d’une ma-
nière transitoire par les ascensionnistes, et ceux qui sont la suite du
séjour de plusieurs mois dans certaines régions de la Cordillère des
Andes. C’est aussi pour la première fois qu’on y trouve l’indica-
tion des services que peut rendre à la thérapeutique le séjour dans
les lieux élevés :
Ceux qui ne sont pas habitués à fréquenter ces endroits-là sont encore ex-
posés à une autre incommodité, outre le froid dont nous venons de parler ; c’est
1 Journal du voyage fait par ordre du Roi, à l'équateur . — 2 vol., Paris. 1751.
- Mémoires philosophiques , historiques, physiques, concernant la découverte de l’ Amé-
rique. Trad. française, T. l8r, 1787.
30
HISTORIQUE.
le Maréo de la Puna : et il est rare qu’ils n’en soient pas attaqués. C’est une ma-
ladie toute semblable à celle qu’on éprouve en se mettant en mer : elle en présente
tous les symptômes et suit le même ordre. La tête tourne ; on sent de très-grandes
chaleurs ; et il survient des nausées pénibles, suivies de vomissements bilieux.
Les forces tombent, le corps s’abat , la fièvre s’y joint ; et le seul soulagement
qu’on y trouve c’est de vomir. Certains sujets y sont même si abattus, qu'ils don-
neraient de l’inquiétude , si on n’était certain que ce n’est autre chose que ce
Maréo. Cela dure ordinairement un jour ou deux, après quoi la santé se rétablit.
Cette incommodité est plus ou moins considérable selon la disposition naturelle
des personnes ; mais peu y échappent. Lorsqu’on l’a une fois éprouvée , il est
extraordinaire qu’on en soit repris en passant par Puna ou en y venant des pays
bas, ou de toute contrée dont la température est chaude, (p. 116)
On observe encore dans ces climats un autre accident auquel les animaux sont
sujets. Dès qu’ils passent des plaines à ces éminences ou Punas, comme des pays
où il y a des habitations aux cimes qui les environnent, la respiration leur devient
si difficile, que malgré les différentes pauses qu’ils font pour reprendre haleine,
ils tombent et meurent là. (p. 118.)
Ulloa discute alors les diverses explications proposées de son
temps pour rendre compte de ces phénomènes, et repousse avec
force l’idée des émanations toxiques dues aux minéraux enfouis
dans la terre, idée qui domine encore aujourd’hui chez les popula-
tions et môme dans les classes éclairées de la Bolivie et du Chili.
Puis il ajoute :
Les hommes qui arrivent nouvellement dans ces climats éprouvent aussi quelque
chose d’analogue à ce que j’ai dit des animaux ; ils sentent en marchant une
fatigue comme suffocante et très-pénible, qui les oblige de se reposer longtemps ;
cela leur arrive même dans le plat pays ; or, il ne peut y avoir d’autre cause de
ce phénomène que la subtilité de Pair ; mais à mesure que les poumons se font
à cette atmosphère, la gêne devient moindre. Cependant on y éprouve toujours
quelque difficulté de respirer lorsqu’on veut monter quelque côte ; ce qui est
inévitable, mais ce qu’on ne sent point dans les autres contrées où l’atmosphère a
une densité régulière.
Cette légèreté de l’air devient favorable aux asthmatiques devenus tels dans un
air plus épais. Cet asthme y est connu sous le nom de ahogos ou suffocation ;
il y est même assez commun : c'est pourquoi ceux qui en sont attaqués dans les
basses contrées se rendent dans les hautes; quoiqu’ils n’y guérissent pas entière-
ment, ils y vivent cependant sans peine : ceux au contraire qui sont devenus tels
dans les hauts pays, se trouvent bien dans les bas ; ainsi, le changement d’air
devient un soulagement assuré dans celte espèce d’incommodité. La médecine
pourrait tirer parti de ces expériences , en envoyant les malades d’une contrée
dans une autre , quoiqu’il n’y eût pas ailleurs une aussi grande différence dans
l’élévation des terrains.
On remarque aussi à certain point la difficulté de respirer dans les hautes
contrées de la province de Quito, mais elle y est moins pénible : cela vient sans
doute de ce que l’une de ces contrées est sous l’équateur, ou très-près, tandis
que l’autre en est éloignée. On en a conclu que les Punas ou cimes du Pérou
sont moins froides et l’air moins âpre que dans les autres contrées. Mais il est
31
LES VOYAGES EN MONTAGNES. - AMÉRIQUE DU SUD.
bon d’observer que ce qui a été dit de Guancavelica est général pour tous les ter-
rains qui se prolongent vers le sud.
Pour mieux faire comprendre ces détails, j’observerai ici que ce qu’on appelle
Punas au Pérou, se nomme Paramo au royaume de Quito. (P. 120.)
C’est dans la dernière année du dix-huilième siècle que l’il-
lustre Alexandre de Humboldt entreprit ce grand voyage dans
l’Amérique méridionale, qui fut l’origine de tant de découvertes
importantes pour l’histoire de l’homme, la physique du globe et
l’histoire naturelle1. En 1802 il séjourna sur le plateau élevé de
Quito, que dominent les sommets gigantesques du Pichincha, du
Cotopaxi, du Chimborazo et de l’Antisana.
Il fit en mars et en juin 1802, sur ces deux derniers volcans, des
ascensions demeurées célèbres ; il en donna de suife un récit
succinct dans deux lettres, écrites le même jour, et dont je repro-
duis les passages intéressants à notre point de vue.
La première est adressée au citoyen Delambre; elle parle sur-
tout de l’ascension du Chimborazo :
On a cru jusqu’ici à Quito que 2470 toises étaient la plus grande hauteur à la-
quelle les hommes peuvent résister à la rareté de l’air. Au mois de mars 1802,
nous passâmes quelques jours dans les grandes plaines qui entourent le volcan d’Àn-
tisana, à 2107 toises, où les bœufs, quand on les chasse , vomissent souvent du
sang.... Le 16 mai, nous reconnûmes un chemin sur la neige, une pente douce
sur laquelle nous montâmes à 2775 toises. L’air y contenait 0,218 d’O.... le ther-
momètre de Réaumur n’était qu’à + 15 0 ; il ne fit'pas froid du tout, mais le sang
nous sortait des lèvres et des yeux. (P. 174.)
• • • • • • ••••••••••••••*••«•#
Dans l’expédition que je fis le 25 juin 1862 au Chimborazo, nous avons prouvé
qu’avec de la patience on peut soutenir une plus grande rareté de l’air. Nous pas-
sâmes 500 toises plus haut que la Condamine au Corazon , et nous portâmes au
Chimborazo des instruments à 5051 toises, voyant descendre le mercure dans le
baromètre à 15 pouces 11,2 lignes: le thermomètre était de 1 °,5 au-dessus de zéro.
Nous saignâmes encore des lèvres. Nos Indiens nous abandonnèrent comme de
coutume. Le citoyen Bompland et M. Montufar, fils du marqnis de Selvalègre, de
Quito, étaient les seuls qui résistaient. Nous sentîmes tous un malaise, une débi-
lité, une envie de vomir, qui certainement provient autant du manque d’oxigène
de ces régions que de la rareté de l’air. Je ne trouvai que 0,20 d’O. à cette
immense hauteur. (P. 175.)
L’autre lettre est adressée à son frère Guillaume de Humboldt ;
* Voyage aux régions équinoxiales clu nouveau continent, fait en 1799-1804.. — Paris.
1814.
* Lettre de M. Humboldt adressée au citoyen Delambre, datée de Lima le 25 novembre
1802. — Ann. du Muséum d'histoire naturelle, T. II, p. 170-180, an XI (1803)*
32
HISTORIQUE.
il y est, plus que dans la précédente, parlé de l’ascension au
volcan d’Antisana1 :
A notre voyage au volcan d’Antisana le temps nous favorisa si bien, que nous
montâmes jusqu’à la hauteur de 2775 toises. Le baromètre baissa dans cette région
élevée, jusqu’à 14 pouces 7 lignes, et le peu de densité de l’air nous fit jeter le
sang par les lèvres, les gencives et les yeux même ; nous sentions une faiblesse
extrême, et un de ceux qui nous accompagnaient dans cette course s'évanouit....
Nous avons réussi à nous approcher jusqu'à environ 250 toises près de la cime
de l’immense colonne du Chimborazo.... Nous montâmes jusqu’à une hauteur de
5051 toises, et nous nous sentîmes incommodés de la même manière que sur le
sommet de l’Antisana. Il nous restait même encore , 2 ou 5 jours après notre
retour dans la plaine, un malaise que nous ne pouvions attribuer qu’à l’effet de
l’air dans ces régions élevées, dont l’analyse nous donna 20 centièmes d’oxygène.
(P. 529.)
Trenle-cinq années plus tard2 * *, de Humboldt revint avec détails sur
le récit de ces ascensions. Il insiste tout spécialement sur les trou-
bles physiologiques et développe à ce propos quelques considéra-
tions théoriques fort intéressantes.
Le 22 juin 1802, il se trouvait dans la plaine de Tapia, à 2890111
de hauteur. La première partie de l’ascension ne présenta rien de
remarquable pour la question qui nous occupe :
Arrivés à 15,600 pieds tous les Indiens , à l’exception d’un seul, nous abandon-
nèrent.... Ils prétendaient souffrir beaucoup plus que nous. Nous ne restâmes
donc plus que quatre : M. Bonpland...., M. Carlos Montufar...., un métis de San-
Juan, village voisin, et moi. (P. 415.).
Nous commençâmes tous, par degrés, à nous trouver très-mal à notre aise (ils
étaient alors à environ 5,800 mètres). L’envie de vomir était accompagnée de
quelques vertiges et bien plus pénible que la difficulté de respirer. Le métis de San-
Juan , paysan pauvre et robuste, qui avait voulu nous suivre jusqu'au bout par
bonté d’âme et nullement par un motif d’intérêt, souffrait plus que nous. Nos
gencives et nos lèvres saignaient. La tunique conjonctive des yeux était chez nous
tous, sans exception, gorgée de sang. Ces symptômes d’extravasion dans les yeux
et d’éruption sanguine aux gencives et aux lèvres n'avaient rien d’inquiétant pour
nous, puisque nous les connaissions par un grand nombre d’exemples. En Europe,
M. Zumstein commença à rendre du sang à une hauteur beaucoup moins considé-
rable, sur le mont Rose5. (P. 417.)
1 Extrait de plusieurs lettres de M. de llumboldt , Ann. du Muséum, t. II, p. 322-
337 , an XI (1803).
2 Do llumboldt (Alexandre), ISolicc sur deux tentatives d’ascension au Chimborazo.
Ann. de chim; 2° série; t. LX1X, p. 401-454; 1858. Traduit par Eyriès du Jahrbuch de
Schumacher pour 1857.
Je n’ai pu trouver cette indication dans les récits de Zumstein.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — AMERIQUE DU SUD.
oo
Une fois, sur le volcan de Pichincha, je ressentis, sans aucun saignement, un si
violent mal d’estomac , accompagné de vertige , que mes compagnons me retrou-
vèrent étendu sans connaissance à terre. L'altitude n'était que de 13,800 pieds
(4480m), et par conséquent peu considérable. Mais sur l’Antisana, à la grande hau-
teur de 17,022 pieds (5527m), don Carlos Montufar saigna beaucoup des gencives.
Tous ces phénomènes sont très-dissemblables, suivant Page, la constitution, la
finesse de la peau , les efforts antérieurs musculaires qu’on a exercés ; cepen-
dant ils sont pour chaque individu une sorte de mesure de la raréfaction de l’air
et de l’altitude à laquelle on est parvenu. D’après mes observations ils se manifestent
dans les Andes chez l’homme blanc, quand le baromètre se tient entre 14 pouces
et 15 pouces 10 lignes. (P. 418.)
Nous verrons plus tard quelles opinions successives, et notable-
ment différentes, s’était faites l’illustre naturaliste sur l’explica-
tion de ces phénomènes divers.
Mais avant de passer à d’autres récits, je dois reproduire ici un
fragment d’un des ouvrages de Humboldt1, dans lequel il donne
sur l'habitat ordinaire du Condor et sur la hauteur maximum à la-
quelle on le voit s’élever, des renseignements pleins d’intérêt pour
le sujet de notre étude.
La région que l’on peut regarder comme le séjour habituel du condor commence
à une hauteur égale à celle de l’Etna, et comprend des couches d’air élevées de
1,800 à 5,000 toises au dessus du niveau de la mer. Les plus grands individus
que l’on trouve dans la chaîne des Andes de Quito , ont 14 pieds d’envergure , et
les plus petits 8 pieds seulement. D’après ces dimensions et d’après l’angle visuel
sous lequel cet oiseau paraissait quelquefois perpendiculairement au-dessus de
nos têtes, on peut juger à quelle hauteur prodigieuse il s’élève quand le ciel est
serein. Vu, par exemple, sous un angle visuel de quatre minutes, il devait être à
un éloignement perpendiculaire de 1,146 toises. La caverne (machay) d’Antisana,
située vis-à-vis la montagne deChuesulongo, et de laquelle nous mesurâmes l’oiseau
planant, est élevée de 2,495 toises au-dessus du niveau du Grand-Océan. Ainsi la
hauteur absolue que le condor atteignait, était de 5,659 toises; là le baromètre
se soutient à peine à douze pouces. C’est un phénomène physiologique assez remar-
quable, que ce même oiseau qui, pendant des heures entières , vole en tournant
dans des régions où l’air est si raréfié , s'abatte tout d'un coup jusqu’au bord
de la mer, comme le long de la pente occidentale du volcan de Pichincha,
et ainsi en peu d’instants parcoure en quelque sorte tous les climats. A une
hauteur de 5,600 toises, les sacs aériens et membraneux du condor qui se
sont remplis dans les régions plus basses , doivent s’enfler d’une manière ex-
traordinaire. Il y a soixante ans qu’Ülloa exprima son étonnement de ce que le
vautour des Andes pouvait voler à une hauteur où la pression de l’air n’était que
de 14 pouces. On croyait alors, d’après l’analogie des expériences faites avec la
machine pneumatique, qu’aucun animal ne pouvait vivre dans un milieu si rare.
J’ai vu, comme je l’ai dit, le baromètre descendre sur le Chimborazo à 15 pouces
M lignes 2 dixièmes. Mon ami M. Gay-Lussac a respiré pendant un quart
d'heure dans un air dont la pression n’était que de 0m ,3288 . A de si grandes
1 Tableaux de la nature, traduit par Eyriès. — Paris, 1828, t. II.
54
HISTORIQUE.
hauteurs l’homme se trouve en général dans un état asthénique trés-pénible. Au
contraire chez le condor , l’acte de la respiration paraît se faire avec une égale
aisance dans des milieux où la pression diffère de 12 à 28 pouces. De tous les
êtres vivants, c’est sans doute celui qui peut à son gré s’éloigner le plus de la '
superficie delà terre. Je dis à son gré, parce que de petits insectes sont empor-
tés encore plus haut par des courants ascendants. Probablement l’élévation que le
condor atteint est plus considérable que celle que nous avons trouvée par le calcul
cité. Je me souviens que sur le Cotopaxi, dans la plaine de Suniguaicu, couverte
de pierres ponces et élevée de 2,265 toises au-dessus du niveau delà mer, j’ai
aperçu ce volatile à une hauteur telle , qu’il ne paraissait que comme un point
noir. Quel est le plus petit angle sous lequel on distingue des objets éclairés
faiblement ? L’affaiblissement des rayons de la lumière , par leur passage à
travers les couches de l’air, a une grande influence sur le minimum de cet angle.
La transparence de l’air des montagnes est si considérable sous l’équateur,
que dans la province de Quito, comme je l’ai montré ailleurs, le poncho
ou manteau blanc d’une personne à cheval se distingue à l’œil nu à une
distance horizontale de 14,022 toises, et par conséquent sous un angle de 15 se-
condes. (P. 78.)
Les révolutions à la suite desquelles les colonies espagnoles de
l’Amérique secouèrent le joug de la métropole, eurent pour consé-
quence de faire traverser par des troupes de plusieurs milliers
d’hommes certains passages des Andes que fréquentent seulement,
en temps ordinaire, de rares voyageurs. Le séjour dans l’air dilaté
apporta certainement à ces petites armées un surcroit de souf-
frances; mais les historiens .paraissent s’en être assez peu préoc-
cupés, frappés qu’ils sont surtout de la légitime influence du froid,
du manque de vivres, des fatigues excessives.
Ainsi, au commencement de 1817, le général Saint-Martin, à la
tête de 5000 indépendants, envahit le Cfiili par le difficile passage
qui mène de Mendoza à Santa-Rosa, et dont le point culminant
dépasse 4500111.
L’expédition, dit M . Gustave Hubbarcl h présentait des difficultés tellement graves,
que les troupes de Santiago et le gouverneur du Chili se refusaient à croire à une
tentative aussi hasardeuse
Un grand nombre d’hommes périrent de froid dans cette atmosphère raré-
fiée et glaciale qu’il fallut traverser.... L’armée en partant de Mendoza comptait
9,281 mulets; elle n’en avait plus que 4,500 de l’autre côté des Andes , et sur
1,600 chevaux il n’en survivait que 500. (T. 1, p. 546.)
L’armée que Bolivar conduisit en juin 1819 contre Morillo, du
Venezuela à la Nouvelle-Grenade, à travers les Andes de Colombie,
rencontra les mêmes difficultés. Les Anglais, qui fournissaient
1 Histoire contemporaine de l’ Espar/ne. — 2 vol. — Paris, 1869
35
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — AMÉRIQUE DU SUD.
une notable partie de son corps expéditionnaire, périrent en grand
nombre. Le célèbre historien Gervinus dit à ce propos1 :
La route est infailliblement marquée par les ossements des nombreuses victimes
qui meurent toujours pendant ces passages.... En effet, ceux qui, vaincus par la fa-
tigue et par le froid, s’abandonnent à la somnolence particulière dont le voyageur
devient dans les altitudes la proie facile, tombent dans un engourdissement qui
leur enlève les forces ( emparamados de paramos , nom sous lequel on désigne les
plus hauts plateaux) et qui les conduit sans espoir de salut à la mort (p. 88).
Le haut et le bas Pérou virent également de semblables expédi-
tions. En 1821, le vice-roi espagnol La Serna, forcé d’abandonner
Lima, fit retraite à travers la Cordillère, et s’établit dans la haute
vallée de Jauja. Ses troupes en descendirent souvent pour attaquer
les indépendants, jusqu’à ce que Bolivar entreprît contre eux la
campagne qui se termina par la bataille d’Ayacucho (1824), et qui
tout entière se livra à plus de 5000“ d’altitude. C’est encore à une
hauteur plus grande, par 4500m, que le général Santa- Cruz battit
en 1822 les Espagnols sur les flancs du Pichincha.
L’écrivain espagnol Torrente2, dans son histoire de la révolution
américaine, attribue justement à l’altitude une part considérable
dans les souffrances des armées pendant ces marches à grande
hauteur :
Lorsqu’on traverse la cordillère des Andes du Pérou, on a l’habitude de sonffrir
de deux maux : le spasme et le mal de mer. Ce dernier mal est le plus commün,
surtout pour ceux qui viennent des terrains bas et chauds de la côte. La subtilité
de l’air dans cette atmosphère comprime la respiration et la rend trés-laborieuse,
redouble les palpitations, accélère la circulation, fait qu’on souffre d’intenses dou-
leurs de tête , que les vaisseaux se gonflent vite et que quelques malheureux
périssent en jetant le sang par la bouche, les yeux et les narines. C’est une véritable
suffocation, qui atteint aussi les animaux pour peu qu’on veuille accroître leurs
charges ou précipiter leur marche. Les pertes de la petite armée du vice-roi
la Serna furent plus grandes pendant la retraite de Lima à Jauja , parce qu’une
grande partie de ses soldats était encore en état de convalescence.
L’auteur ajoute, en reproduisant les croyances populaires :
U semble que les filons des métaux précieux et d’antimoine qui courent à tra-
vers le territoire du Pérou sont la cause de cette combinaison atmosphérique si
contraire à la santé. Ce qui tendrait à le prouver, c’est le fait que les effets en
sont bien moins sensibles sur des points d’une plus grande élévation, tels que cer-
taines parties de la cordillère du Chili , la Sierra de Pichincha , et d’autres mon-
tagnes du Quito.
1 Gervinus, Histoire du dix-neuvième siècle, traduction Minssen, t. VII. — Paris,1865.
2 Historia délia Revolucion hispano-americanai — Madrid, 1850.
56
HISTORIQUE.
Ce mal de mer est connu clans le pays sous le nom de Soroche , et on l’éprouve
môme dans certains villages bas , situés sur des terrains métallifères. (T. III,
p. 164 et 169, note.)
Nous avons vu Saint-Martin traversant la Cordillère de Mendoza à
Santiago, et exécutant ainsi une expédition que Manuel deÀlmagro1
considère ce comme bien autrement difficile et digne d’admiration
que celle de Bonaparte au grand Saint-Bernard, qui a été beaucoup
exagérée » (p. 54). Cette route est, comme nous l’avons dit, celle
que suivent habituellement les voyageurs qui veulent traverser
l'Amérique. Deux passages se présentent, l’un par le Cumbre
(592Üm), l’autre par le Portillo (4560111). Le premier est le plus fré-
quenté. La plupart des récits font mention des accidents de la dé-
compression; mais, par ce chemin, ils sont ordinairement assez
médiocres.
Cependant Samuel Haigh2 *, qui, pendant l’hiver austral de 1818,
se bazarda de Mendoza à Santiago dans les passes du Cumbre, les
ressentit, à un degré assez notable. Une tempête de neige qui l’as-
saillit le força à se réfugier avec ses compagnons sur une colline où
la « casucha » de las Vacas leur offrait un abri :
En grimpant la colline sur laquelle elle est construite, dit-il, je fus frappé pour
la première fois, de la puna ou soroche. C’est une maladie particulière, je crois,
aux hautes montagnes ; elle résulte de l’extrême raréfaction de l’air qui devient
ainsi difficile à respirer. Je fus obligé de me coucher trois fois à terre avant d’arri-
ver au sommet de la colline, et tje ressentis une brièveté de la respiration avec douleur
et oppression de poitrine et sensation de nausée. La puna frappe quelques indivi-
dus avec un tel degré, que le sang sort de leur bouche et de leurs narines. Cepen-
dant, il faut le dire, nos souffrances commencèrent pour tout de bon. (P. 104.)
Mais tous rie sont pas également affectés, surtout lorsque, comme
il arr ive d’ordinaire dans la bonne saison, le voyage s’effectue à
dos de mulet. C’est ce qu’explique très-bien Miers5, qui fit la tra-
versée en mai ! 819 :
Ceux qui voudront entreprendre ce voyage seront effrayés des récits des diffi-
cultés qu’ils auront à souffrir de la puna , nom donné à la sensation de respiration
courte et difficile, qui nous atteint souvent en montant dans l’air raréfié. C’est
l’appréhension et le sujet des conversations de tous ceux qui ont traversé la Cor-
dillère, qui vous disent qu’ils n’ont échappé à ces effets si effrayants qu’en man-
geant beaucoup d’oignons, qu’en ne goûtant pas de liqueurs alcooliques, excepté
1 Curta descricion de Los viages hechos en America por la Comision cientifica man-
dada por el Gobierno Espaiïol, durante los anos 1862, 1866. — Madrid, 1866.
2 Sketches of Buenos- Après , Chilc, and Peru. — London, 1831.
5 Travels in Chilc and la Plata. — 2 vol. — London, 1826.
37
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — AMÉRIQUE DU SUD.
le vin, qui est considéré comme l’antidote de la puna. Ces précautions, cependant,
ne sont pas nécessaires, car bien peu de personnes qui font l’ascension à dos de
cheval ressentent ce malaise, excepté celles dont les poumons sont malades ; mais
beaucoup de ceux qui ont monté le Cumbre à pied, en se surmenant pour diriger
les mules, l’ont éprouvée. Je doute qu'on puisse souffrir beaucoup de la puna ,
sans se livrer à un exercice épuisant. J’ai deux fois monté à pied et descendu le
Cumbre, sans en être affecté. De même ni ma femme, ni mon enfant, âgé de six
mois, avec le thermomètre à 55° F., la baromètre à 19 p. 1/8 , n’ont ressenti la
moindre difficulté à respirer, bien que nous devions penser que sur un enfant de cet
âge, aux poumons si délicats, on devrait observer d’abord les modifications de la
respiration, quand même elles seraient seulement dues à un air trop raréfié.
(T. I, p. 321.)
Le récit de l’écossais Caldcleugh1 est particulièrement intéressant,
parce que ce voyageur traversa deux fois les Andes, en sens inverse.
La première fois, le 17 mars 1820, par un très-mauvais temps, une
tempête de neige, il passa par le Portillo et le Piuquenes, en allant
de Mendoza à San- José. Il ne parle d'aucun trouble (t. I, p. 285-525).
Mais le 2 juin de l’année suivante, allant de la Punla de San-Luis
à Cordova (République argentine), il traversa par une hauteur bien
moindre, la sierra de Cordova. Il fit halte dans une casucha à 5200“
et y passa la nuit. Le lendemain, ascension du col :
La neige était fortement gelée... Deux des péons souffrirent beaucoup d’une
maladie nommée puna, qui les attaqua peu après notre départ de la Casucha. Elle
me parut consister en des soulèvements du diaphragme, accompagnés d'un grand
épuisement et perle des esprits. Ceux qu'elle frappe se couchent, se laissent aller,
et souvent meurent avant d’atteindre la descente. De grandes quantités d’ail et
d'oignon sont considérées comme spécifiques contre cet état. Mais le plus sûr
traitement est d’emmener aussi rapidement que possible les malades dans un lieu
moins élevé. On a généralement remarqué que ceux des peons qui sont vieux et
d’habitudes vicieuses souffrent plus de la puna que les autres , et cette observa-
tion s’appliquait parfaitement aux deux que j’ai dû renvoyer. L’un de ceux-ci était
extrêmement malade, et l’autre sous la garde duquel il s’en alla était légèrement
affecté. A cette heure je ne sais pas s’il put traverser la vallée.
Peu après ils atteignirent le sommet, à 5840m. Il ne se plaint de
rien, personnellement.
Schmidtmeyer2, dans le récit de sa traversée des Cordillères, de
l’est à l’ouest, par le volcan de Cumbre, ne parle d’aucun trouble
physiologique. Mais à la fin du livre, il comble cette lacune :
J’aurais dû parier plus tôt de cette lassitude avec difficulté de respirer qu’on
éprouve en traversant la chaîne ; j’en ai souvent entendu parler au Chili. Mais
1 Travels in south America , during the years 1819-20-21. — 2 vol. — London, 1825 .
- Travels into Chile over the Andes, in the years 1820 and 1821. — London, 1824.
HISTORIQUE.
38
nous sommes restés sur le dos de nos mules jusqu’au sommet de la passe, où
nous arrivâmes ainsi sans le moindre effort. Un des nôtres, cependant, en souf-
frit considérablement, mais je ne sais si c’est au degré le plus élevé. D’une ma-
nière générale, sur les points élevés des Andes, on éprouve une grande peine à
se mettre en mouvement; c’est le contraire de ce qui arrive sur d’autres monta-
gnes. (P. 549.)
Proctor1 (1824), Head2 3 (1825). qui suivirent la même roule, dans
le même sens, ne disent absolument rien de la puna. Lister Maw5
qui en novembre 1827 partit de Truxillo (Pérou), pour gagner le
bassin de l’Amazone, ne parle pas non plus de l’influence de la
pression, sinon à Gonlumasa (21 90m) , où il dit poétiquement :
La rareté de l’atmosphère tendait grandement à élever nos esprits.
Mais le lieutenant Brand4 est plus explicite; il mentionne de ces
troubles, tente même de les expliquer, mais sans les avoir éprou-
vés lui-même, et cependant il fit son premier voyage, de Men-
doza à Santiago, par le Cumbre, en plein hiver austral (22 août
1827). Il eut à souffrir des froids terribles, allant jusqu’à 15° au-
dessous de zéro.
Le 22 août, il fit l’ascension du Cumbre ; le thermomètre était
à 54° F :
Comme j’avais entendu souvent parler de la puna, ou difficulté de respirer, par
des voyageurs qui s’en plaignaient beaucoup, j’y lis particulièrement attention ; je
ne puis dire que j’aie senti plus d’inconvénients que cela ne me fût arrivé en fai-
sant un tel travail, aussi continu, alors même que je n’eusse pas été à cette élé-
vation. Je ne souffrais que d’une soif très-vive, que la neige excitait, au lieu de la
calmer Mais je n’ai pas l’intention de critiquer ce qui a été dit de ia puna, qui
a été éprouvée sérieusement par beaucoup de voyageurs. (P. 147.)
Dans mon retour à travers les Andes , en décembre 1827 , je vis que les mules
s’arrêtaient fréquemment pour respirer, spécialement en montant le Cumbre , où
elles s’arrêtaient à chaque zig-zag, comme si elles souffraient des poumons, et je
trouvai, comme Acosta, que ni les cris ni les coups ne pouvaient les faire avancer
jusqu’à ce que cela leur plaise. Mais il n’y a rien là de particulier au Cumbre ni
aux autres élévations de la Cordillère, car souvent les mules s’arrêtent ainsi, comme
si elles souffraient des poumons.
Il en advenait de même aux péons qui tout-à-coup, en marchant, s’arrêtaient,
criaient « puna , puna » et continuaient ensuite à monter, il semblait qu’ils con-
1 Narrative of a journey across the Cordillera of the Andes, in the years, 1825 a. 1824.
— London, 1824.
2 Rough notes taken during sortie rapid journeys across the Pampas and atnong the
Andes. — London, 1828.
3 Journal of a passage front the Pacific to the Atlantic. — London, 1829.
4 Journal of a voyage to Peru. — London, 1828.
39
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — AMÉRIQUE DU SUD.
missent les points où cela devait leur arriver , étant à pied , car ils remarquaient
fréquemment : « Aqui esta mucha puna ». Je ne puis attribuer cela qu’à la pré-
sence dans ces endroits de minerais qui altèrent plus ou moins l’air, d’où leur
influence sur les poumons. (P. 149.)
L’officier français de la Touanne1 qui fit partie de l’expédition de
Bougainville, et qui suivit le même chemin que Brand, fut assez vi-
vement frappé pour tombera terre; il exécuta sa traversée le 29
janvier 1826.
Je suppose que le point où nous nous trouvions est élevé de 2,000 toises au
moins.... L’air est très-raréfié à cette élévation ; j’avais quitté ma mule, lui lais-
sant prendre le devant avec la caravane, et je m’occupais à examiner quelques
pierres à droite et à gauche du sentier. Lorsque je voulus ensuite doubler le pas
pour rejoindre mes compagnons de voyage, la respiration me manqua tout-à-coup ;
je tombai, la poitrine oppressée et respirant avec difficulté. Il fallut qu’un péon
me ramenât ma monture ; et par ce léger accident, je pus juger de ce que doivent
avoir à souffrir, sous ce rapport, les arrieros et les voyageurs qui ont à fréquenter
ce passage dans un temps difficile. (P. 50.)
Après ces témoignages venant de voyageurs qui n’ont fait que
traverser la montagne, voici ce que dit un ingénieur anglais, Ed.
Temple2, qui a séjourné pendant un an, 1826-1827, àPotosi (4165m),
employé à Fexploitation des riches mines de cette contrée,
En marchant j’ai souvent éprouvé cette difficulté de respirer qui est occasionnée
par l’extrême rareté de l’air, et à laquelle même les natifs et les animaux sont sujets.
Le sport royal des courses de chevaux ne pourrait avoir lieu ici , car les chevaux
paraissent plus souffrir du zorochi que les hommes ; j’ai souvent entendu dire qu’ils
tombent et meurent, si l’on veut les presser quand ils montent une colline.
(T. I, p. 296.)
Je citerai encore les passages dans lequel le voyageur anglais
Bollaerl3 qui fit au mois de juin 1827 l’ascension de la montagne de
Tata Jachura (5180m), décrit les souffrances qu’il éprouva pen-
dant l’ascension.
Nous saignâmes un peu du nez, nous éprouvâmes des bourdonnements d’oreilles,
du mal de tête, affaiblissement des yeux, et le corps engourdi par le froid, le tout
causé par la puna ou soroche , c’est-à-dire par la dilatation et le froid de l’atmo-
sphère. (P. 121.)
1 Itinéraire de Valparaiso à Buenos- Ayres, publié dans le 2e volume du Journal de
la navigation autour du globe , de Bougainville. — Paris, 1837.
2 Travels in varions parts of Peru including a year’s résidence in Potosi. — 2 vol. —
London, 1830.
ù Observations on the geography of Southern Peru, including survey of the Province
of Tarapaca, and route of Chili by the coast of the Desert of Atacama. Journal
of the R. Geogr. soc. — London, t. XXI, p. 99-130; 1851.
40
HISTORIQUE.
J’arrive à l’important voyage de d’Orbigny 1 et à la description si
intéressante qu’il donne des malaises de la montagne.
Dans son premier voyage, il va d’Arica à la Paz :
Le 21 mai 1 850, j'arrivai au point de jonction du ravin de Palca avec un autre
ravin sans eau ... Là, j abandonnai la végétation avec l’humidité....
Bientôt je commençai à monter la côte de Cachun, et j’éprouvai à son sommet,
en même temps que les premières atteintes de la raréfaction de l’air, un lroid
très-piquant, dû à l’élévation. (T. II, p. 577.)
La pente devint encore plus rapide.... Je sentais de plus en plus les vives
atteintes de la raréfaction de l'air, un très-violent mal de tête, un grand embarras
dans la respiration ; mes arrieros, leurs bêtes, et jusqu’à mon chien , mon fidèle
Cachirulo, étaient obligés de s’arrêter tous les vingt ou trente mètres, tourmentés
qu’ils étaient comme moi du soroche
Chaque fois qu’on éprouve le malaise dû à la raréfaction de l’air, les
habitants disent qu’on a le soroche. Ils en méconnaissent la véritable cause,
la grande élévation au-dessus du niveau de la mer, pour l’attribuer à des
émanations minérales d’antimoine, appelées en espagnol soroche. C’est même
cette souffrance, cette difficulté de respirer dans les parties très-élevées des Cor-
dillères, qui leur a fait donner le nom de puna brava. Quelques voyageurs em-
ploient pour les Cordillères péruviennes le mot Paramo , inusité dans le pays, et
qui ne remplace nullement le mot Puna , désignant un plateau élevé , sec et dé-
pourvu d’arbres.
Après bien des fatigues nous atteignîmes le sommet de la dernière côte ; je me
trouvai enfin sur la crête de la Cordillère. (P. 578.)
Depuis mon arrivée au sommet de la Cordillère , je souffrais au dernier point
de la raréfaction de l’air. Je sentais des douleurs atroces aux tempes ; j’avais des
maux de cœur analogues à ceux que produit le mal de mer, je respirais avec peine.
Au moindre mouvement, j’éprouvais des palpitations des plus fortes et un mal-
aise général, joint à un découragement que tous mes efforts ne pouvaient me faire
surmonter. J’eus une preuve bien marquée de ce que produit l’habitude. Tandis
que je souffrais ainsi, je voyais deux indigènes, envoyés en courriers, gravir agile-
ment à pied avec facilité, pour abréger leur route, des points incomparablement
plus élevés que ceux où je me trouvais
Ils étaient pourtant à une élévation égale à celle du mont Blanc. Le soir
j’éprouvai une forte hémorrhagie nasale qui me soulagea un peu ; néanmoins je
passai une nuit d’autant plus affreuse, que j’étais sans abri, exposé à un froid vif
et piquant qui convertissait en glace toutes les eaux des environs. (P. 580.)
25 7tiai. J’éprouvais toujours les atteintes de la raréfaction de l’air ; les
maux de tête et les palpitations de cœur ne me laissaient pas un moment de
repos
Mes muletiers me dirent que, quelques mois avant, un Espagnol faisant la
même route avec eux , s’élait vu si fort affecté par la raréfaction de l’air, qu'il
éprouva, dès le premier jour, des symptômes très-alarmants, et qu’incapable de
poursuivre, il mourut la nuit suivante , sans qu’on pût lui procurer le moindre
soulagement. Ils me citèrent encore beaucoup de circonstances où les voyageurs
1 IVOrbigny, Voyage dans l'Amérique méridionale, exécuté pendant les années 1820-
1853, 7 vol. Paris, 1855-1847.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — AMERIQUE DU SUD.
41
qu'ils accompagnaient avaient sonffert on ne peut plus de ce qu’ils appellent le
soroche. (P. 587.)
24 mai. A mesure que je descendais, je respirais plus facilement, et j’espérais voir
cesser, avant la fin du jour, une partie du malaise que me causait la raréfaction de
l’air. (P. 590.)
Le 29 niai, d’Orbigny arrive à la Paz (5720m) :
Comme je m’étais trouvé beaucoup mieux en descendant du plateau occidental
sur le plateau bolivien, je croyais ne plus souffrir de la raréfaction de l’air ; mais
il en fut tout autrement dans la ville de la Paz. La nuit je suffoquais dans ma
chambre. Dans les rues, en pente très-roide, je ne pouvais monter sans être arrêté
de IG pas en 10 pas par des palpitations et par le manque de respiration. Si je
causais avec chaleur , la parole me manquait tout-à-coup ; enfin, invité dans
quelques maisons à prendre part à l’amusement général , il m’était impossible de
valser deux tours de suite sans suspendre cet exercice, suffoqué que j’étais par les
mêmes accidents ; et je faillis un jour succomber , pour avoir voulu me rendre à
pied à los Obragos, village distant d'une lieue, que j’avais dû faire en gravissant
line pente très-rapide,
Ce malaise dura tout le temps de mon premier séjour à la Paz. Les personnes
nées dans le pays ne s’en ressentent aucunement. Toutes m’assurèrent qu’on finit
par s’y habituer, et j’en acquis personnellement la preuve à mon retour , trois ans
plus lard. Pourtant je conseillerais peu aux personnes faibles de poitrine de se
soumettre à cette épreuve, celle qui, dans mes voyages, m’a fait le plus souffrir.
(P. 404.)
Cependant l'accoutumance dont se vante d’Orbigny ne fut pas
aussi considérable qu’on pourrait le croire. Il est vrai que, dans le
récit de son second séjour en 1852 à Potosi, Oruro et la Paz, il ne
parle plus de souffrances (t. lit, p. 285 et suivantes) ; mais il y re-
vient en racontant certaines ascensions :
Je dus m’arrêter (5 juillet 1852), en allant de Cochabamba au pays des
Moxos, près d’un lac glacé à près de 5000m au-dessus du niveau de la mer. L’ex-
cès du froid s’y faisait d'autant plus sentir que nous n’avions aucun abri, et la
raréfaction de l’air y était telle, qu’à peine pouvais-je respirer, (t. 111, p. 176)
Le lendemain, en descendant, avec la région des nuages commença la végé-
tation ; j'avais jusqu'alors senti ma poitrine oppressée, aussi ne saurais-je ex-
primer avec quel plaisir je commençai à respirer plus librement un air moins
raréfié (p. 177).
Un voyageur allemand, Ed. Pœppig1, s’étend plus longuement
encore sur ce sujet; il séjournait à Cerro de Pasco (4550m) :
Le nouveau venu à Cerro de Pasco est sujet à de sérieux inconvénients ; la
marche, même sur un terrain plat, le fatigue extraordinairement ; dans les rues
qui montent la respiration devient courte et pénible , il est pris de maux de
1 il eise in Chile, Fera, uncl auf dem A))iazonenstro?ne, vahrend der Jahrc 1827-
1852. — 2 vol. — Leipzig, 1856.
42
HISTORIQUE.
tête, d’afflux de sang aux poumons, signes certains qu’il ne pourra pas plus que
les autres étrangers échapper aux attaques de la puna. En vain essaie-t-il de se
raidir énergiquement contre le mal ; celui-ci l’emporte et triomphe des plus
fermes volontés. Comme pendant le violent mal de mer, l’esprit est abattu, les
sens émoussés, le dégoût et un découragement hypochondriaque transforment d’une
manière extraordinaire les plus robustes, les plus vivants, les plus courageux. Les
souffrances corporelles, quand débutent les accès de cette maladie , sont plus
pénibles et plus variées que dans les formes ordinaires du mal de mer. Quand la
puna (nommée encore Veta , Sorocho ou Mareo) ne se fait sentir qu’à un degré mé-
diocre, on se plaint d’une difficulté de respirer, qui force à s’arrêter au bout d’une
dizaine de pas, et l’on s’efforce en vain, par des inspirations plus profondes , une
extension plus grande de la poitrine, de remplir davantage ses poumons de l’élé-
ment vivifiant. Il semble qu’on soit enfermé dans une chambre sans air, et le sen-
timent d’angoisse s’augmente par l’échec de toutes les tentatives faites pour triompher
de la perte des forces. Les pieds ont de la peine à supporter le corps , les genoux
plient, et toutes les occasions de repos, si fréquentes qu’elles soient, même après
quelques pas , sont les bienvenues. C’est un tourment de remonter les rues en
pente, et quand on se hisse péniblement vers sa maison, c’est avec une vraie joie
qu’on trouve une porte , un coin pour s’arrêter, pour s’appuyer, tout alourdi-
L’angoisse ne diminue que pendant le repos absolu ; mais la conviction de l’inévi-
table nécessité du mal, l’incapacité pour tout effort intellectuel , le sentiment de
la perte d’un temps précieux, amènent la mauvaise humeur et l’abattement, si bien
qu’un homme vigoureux se conduit comme un petit enfant.
Ceux que la maladie frappe au plus haut degré sont pris fréquemment de syn-
copes, symptômes d’un afflux de sang à la tête et aux poumons , avec un malaise
indéfinissable; et, sans fièvre, même avec un sentiment de froid intérieur, les
mains et les pieds morts, leur pouls bat de 108 à 120 fois par minute. La fatigue
insurmontable, la tendance au sommeil sont bien loin d’amener un assoupissement
réparateur, si bien qu’ils ne peuvent trouver le repos. Précisément la nuit amène
les plus fortes suffocations, c’est un véritable martyre ; incapable de supporter
davantage la position couchée , le malheureux cherche un soulagement près du
maigre feu qui brûle avec peine dans la cheminée, au risque de respirer un air
chargé de vapeurs de charbon. Les yeux sont si sensibles qu’à peine peut-on lire ;
chez les uns surviennent en outre de légers maux de tête, tandis que chez d’autres
dominent les malaises et les affections des organes digestifs qui rappellent le mal
de mer, dont cependant se distingue bien la puna par son cours comme par ses
causes.
Quant cet état de souffrances tire à sa fin, on voit apparaître souvent des phéno-
mènes critiques très-pénibles. Après G à 7 jours, les malaises violents s’apaisent
d’ordinaire chez ceux qui ont une poitrine saine et une forte constitution ; autre-
ment, il peut s’écouler des semaines avant que n’arrive une amélioration. Une
éruption d’urticaire apparaît sur tout le corps , ou se limite aux lèvres, oû elle
occasionne des escharres, des saignements et des douleurs intolérables — Chez les
personnes à peau line et à teint clair le sang peut sortir de la peau sans blessure,
si bien que, pendant la durée de la puna , beaucoup n’osent pas se raser. Malgré
la gravité des malaises, il n’y a guère d’exemple qu’ils aient occasionné la mort, et
il n’y a de danger que pour les poitrines faibles et surtout pour les gens atteints
de maladie de cœur. (T. II, p. 84.)
Pœppig continue en indiquant la manière dont se comportent les
divers tempéraments, les diverses races, et en donnant des ren-
43
LES VOYAGES Eîs MONTAGNES. — AMÉRIQUE DU SUD.
seignements thérapeutiques; il admet un certain degré d’acclima-
tement pour les Européens.
11 expose ensuite que les habitants du pays, ceux mêmes qui y
sont nés, ne sont pas absolument exempts de malaise, surtout quand
les nuits sont froides. Les Indiens présentent une sorte d’immunité.
Les bêtes de somme ont des accidents analogues à ceux des hom-
mes; les chiens n’éprouvent rien; les chats sont rares à Cerro et
dans les hauts lieux, et leurs petits s’élèvent difficilement ; les pou-
les n’y pondent et n’y couvent que peu.
La narration1 que fit M.Boussingault de l’ascension duChimborazo,
exécutée le 16 décembre 1851, contraste singulièrement avec ce
que nous venons de rapporter. Nous avons vu d’Orbigny sérieuse-
ment atteint du mal des montagnes vers 3700m ; Pœppig nous a dé-
crit les souffrances des Européens arrivés à Cerro de Pasco (4350m) ;
or, M. Boussingault et le colonel Hall, son compagnon, montent à
peu de distance du sommet du Chimborazo (à 6004“), et ils n’ac-
cusent presque aucun malaise sérieux.
M. Boussingault partit de Rio-Bamba où il séjournait depuis quel-
que temps, le 14 décembre 1858. Il était accompagné du colonel
Hall, avec qui il avait déjà fait les ascensions de l’Antisana et du
Cotopaxi. Le 14, ils allèrent coucher à la métairie du Chimborazo
(3800“), d’où ils partirent le 15 à sept heures du matin, guidés par
un Indien de la métairie. Arrivés à la hauteur du mont Blanc, la
respiration des mulets était précipitée, haletante :
Il était midi. Nous marchions lentement, et, à mesure que nous nous engagions
sur la neige, la difficulté de respirer en marchant se faisait de plus en plus sentir;
nous rétablissions aisément nos forces en nous arrêtant, sans toutefois nous asseoir,
tous les huit ou dix pas. A hauteur égale, je crois avoir remarqué que l’on respire
plus difficilement sur la neige que lorsque l’on se trouve sur un rocher ; je cher-
cherai plus loin à en.donner l’explication. (P. 155.)
Cette première tentative échoua : la neige devenue trop épaisse
arrêta la marche des voyageurs, qui enfonçaient jusqu’à la ceinture;
ils redescendirent à la métairie.
Le lendemain, ils partirent à sept heures par une autre route,
celle qu’avait suivie de Humboldt, et s’élevèrent à 4945 mètres à dos
de mulet. Là, il fallut mettre pied à terre, les mulets ne pouvant
plus porter leur fardeau : il était dix heures trois quarts. Les deux
voyageurs continuent de monter à pied.
Ascension au Chimborazo , exécutée le 16 décembre 1831. — Ann. de chim., 2e sé-
rie, t. LVIII, p. 150-180; 1855.
44
HISTORIQUE.
Nous reprenions haleine tous les six ou huit pas , mais sans nous asseoir....
Mais aussitôt que nous atteignions une surface neigeuse, la chaleur du soleil deve-
nait suffocante, notre respiration pénible, et par conséquent nos repos plus fré-
quents, plus nécessaires.
Nous gardions un silence absolu pendant la marche, l’expérience m’ayant ensei-
gné que rien n’exténuait autant qu’une conversation soutenue à cette hauteur ; et
pendant nos haltes, si nous échangions quelques paroles, c’était presque à voix
basse. C’est en grande partie à cette précaution que j’attribue l’état de santé dont
j’ai constamment joui pendant mes ascensions sur les volcans. Cette précaution
salutaire, je l’imposais pour ainsi dire, d’une manière despotique, à ceux qui m’ac-
compagnaient, et, sur l’Antisana, un Indien, pour l’avoir négligée en appelant de
toute la force de ses poumons le colonel Hall qui s’était égaré pendant que nous
traversions un nuage , fut atteint de vertige et eut un commencement d’hémor-
ragie. (P. 159.)
Ils arrivent enfin an pied d’une cime de trachyte qui leur barre
le passage; il ôtait midi trois quarts, la hauteur atteinte était 5680"\
le thermomètre marquait 4 degrés, et l’air était fortement chargé
d’humidité, ce qui, selon M. Boussingault, est constant sur les gla-
ciers des Andes. Enfin, après un assez long repos, ayant étudié avec
soin le terrain, ils recommencent leur marche ascensionnelle :
Nous commencions déjà à ressentir plus que nous ne l’avions jamais éprouvé
l’effet de la raréfaction de l’air ; nous étions forcés de nous arrêter tous les deux
ou trois pas, et souvent même de nous coucher pendant quelques secondes. Une
fois assis, nous nous remettions à l’instant même; notre souffrance n’avait lieu que
pendant le mouvement (p. 250).
Enfin, ils arrivent à 6004111 de hauteur, élévation que personne
n’avait encore atteinte; ce n’était cependant pas tout à fait le som-
met du Chimborazo :
Après quelques instants de repos, nous nous trouvâmes entièrement remis de
nos fatigues; aucun de nous n’éprouva les accidents qu’ont ressenti la plupart des
personnes qui se sont élevées sur les hautes montagnes. Trois quarts d’heure après
notre arrivée, mon pouls, comme celui du colonel Hall, battait 106 pulsations dans
une minute ; nous avions soif, nous étions évidemment sous une légère influence
fébrile, mais cet état n’était nullement pénible (p. 251)
La raréfaction de l’air produit généralement chez les personnes qui gravissent
les hautes montagnes des effets très-marqués Quant à nous, nous avions, il est
vrai, éprouvé de la difficulté à respirer, une lassitude extrême pendant que nous
marchions, mais les inconvénients cessèrent avec le mouvement; une fois en repos,
nous croyions être dans un état normal. Peut-être faut-il attribuer le peu d’effet
que produisait sur nous la raréfaction de l’air à notre séjour prolongé dans les
villes élevées des Andes.
Quand on a vu le mouvement qui a lieu dans les villes comme Bogota, Micui-
pampa, Potosi et d’autres encore, qui atteignent 2600 et 4000 mètres de hauteur;
•45
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — AMÉRIQUE DU SUD.
quand on a été témoin à Quito, dont le sol est élevé de 5000 mètres, de la force et
de la prodigieuse activité des toréadors; quand on a vu des femmes jennes et
délicates se livrer à la danse, pendant des nuits entières, dans des localités presque
aussi hautes que le mont Blanc, où le célèbre de Saussure trouvait à peine assez de
force pour consulter ses instruments, et où ses vigoureux montagnards tombaient
en défaillance en creusant un trou dans laneige; quand on se rappelle enfin qu’un
combat célèbre, celui de Pichincha, s’est donné à une hauteur peu différente de
celle du mont Rose, il faut bien reconnaître que l’homme peut s’accoutumer à
respirer l'air raréfié des plus hautes montagnes (p. 245).
Mais un voyageur allemand, le docteur Meyen1, qui, dans son
voyage autour du monde, de 1850 à 1852, séjourna quelque temps
au Pérou et fit, en avril 1851, l’ascension du volcan d’Arequipa
(5640m) parle du mal des montagnes dans des termes qui rappel-
lent la description de Pœppig :
A deux heures après midi, nous arrivâmes au sommet de la montagne; mes
forces étaient épuisées, et nous souffrions de la pénible affection nommée s orocho.
Peu à peu avaient augmenté les symptômes d’un état nerveux ou fiévreux auquel
nous avions été en proie tout le temps de l'ascension. La respiration se faisait avec
une difficulté croissante, et graduellement étaient survenus les vertiges, les nau-
sées, les vomissements, puis les saignements de nez et les défaillances; dans cet
état nous étions obligés de nous coucher à terre, mais le repos nous rendait nos
forces et nous permettait de marcher de nouveau en avant.
La maladie dont nous souffrions mérite d’être étudiée ici ; tous les voyageurs en
ont entendu parler, aussitôt qu’ils ont mis le pied sur les côtes de ce pays en indi-
quant 1 intention de voyager dans la montagne. Au Pérou, on l’appelle sorocho, et
à Quito mareo de Puna ou encore Puna. Elle se manifeste sous diverses formes.
L’un de ses symptômes, qu'on rencontre à la fois 'dans les régions inférieures et
sur le sommet des Cordillères, est une sensation de difficulté à respirer, pour le
moindre effort. Si l’on est à cheval, on n’éprouve rien ; mais il survient, à des degrés
d’intensité divers, une sorte d’état demi-fiévreux, qui se manifeste par une chaleur
brûlante dans tout le corps, des maux de tête, la sécheresse de la langue, une soif
ardente, la perte de l’appétit. Les battements du pouls montent à 100 et 110, au
plus petit mouvement. Le visage rougit, la peau se fend sur différents points, de
telle sorte que le sang sort ; en même temps survient une fatigue générale. C’est
là l'état habituel, la première épreuve de ceux qui font des ascensions, qu’il s’agisse
de Quito, du Pérou, du Chili, des montagnes d’Asie ou même des plus élevées
parmi celles de notre Europe
Cet état fébrile augmente par les efforts, et aussi sous l’influence des vents vio-
lents, secs et froids, qui sont si communs dans la Cordillère; c’est à eux que les
habitants éclairés de ce pays attribuent cette maladie
Il faut encore ajouter, pour augmenter les malaises, l’action torride du soleil, sur
les hauts lieux ; elle entre pour quelque chose dans les maux de tête et l’état
demi-fiévreux. Il ne manque pas de personnes qui attribuent la maladie aux exha-
laisons des veines métalliques et des dépôts de soufre si communs sur le sommet
des Cordillères.
1 Heise um die Erde, in den Jahren 1830-51-52. — Berlin, 1855, t. II.
40
HISTORIQUE.
On a comparé le sorocho au mal de mer, et l’on a été jusqu’à dire que ceux qui
ne souffrent pas de celui-ci sont épargnés par celui-là. Cela nous paraît erroné.
L’état à demi fiévreux que nous avons décrit précédemment est la base de cette
maladie, et, quand il augmente, il amène les symptômes caractéristiques des affec-
tions du cerveau, des organes respiratoires, des organes digestifs. Un de ces trois
organes est toujours atteint d’une manière prédominante, d’où résultent les diverses
formes de la maladie. Quand la poitrine est surtout affectée, on voit les difficultés
de respirer s’ajouter à la fièvre générale; il survient une sensation de pesanteur
dans la poitrine, et la respiration comme les battements du cœur deviennent plus
rapides ; arrivent ensuite des déchirements dans les poumons, des accidents
d'étouffement, et même des hémorrhagies, phénomène très-rare
La mort qu’on a observée chez des animaux chargés arrivait selon nous par
étouffement ; nous avions éprouvé, en montant au volcan d’Aréquipa, de telles
difficultés respiratoires, qu’il fallait tous les dix pas nous arrêter complètement.
Les animaux chargés, à qui on ne permet pas de le faire, vont jusqu’à ce qu’ils
tombent. Dans d’autres cas, l’affection se porte surtout sur les organes digestifs,
et alors arrivent les nausées, les maux de cœur, un affaissement extrême, et enfin
des vomissements, qui soulagent un peu. Bien plus dangereuses sont les affec-
tions du cerveau ; elles se traduisent encore par les nausées, les syncopes, par un
état particulier ressemblant à l’ivresse, et même par de la fureur....
En général on admet que les battements du cœur à de grandes hauteurs sont
plus rapides; cela s’explique parce que la respiration est devenue elle-même beau-
coup plus rapide dans un air plus léger. Mais la respiration ni la circulation ne
sont pas accélérées si l’on se tient parfaitement tranquille ; plusieurs fois, sur le
plateau de Tacora, après avoir dormi, nous n’avons pas trouvé plus de 70 ou 72
pulsations à la minute, tandis que, quelques heures plus tard, le simple acte d'aller
à cheval les faisait monter à 100 et 110. (P. 54 et suiv.).
Ils arrivèrent absolument épuisés au somment de la montagne,
et redescendirent en proie à un état fébrile qui n’avait pas encore
complètement disparu le lendemain. (P. 58).
Le récit de l’illustre naturaliste Charles Darwin1 concorde tout à
fait avec ce que nous avons rapporté plus haut à propos de la Cor-
dillère chilienne. Il fit, le 20 mai 1855, la traversée des Andes en
allant de Santiago à Mendoza à travers le passage du Portillo
(4560m) :
Vers midi nous commençâmes l’ennuyeuse ascension du Peuquenes, et alors pour
la première fois nous éprouvâmes quelque petite difficulté dans notre respiration.
Les mules s’arrêtaient chaque cinquante pas, et les pauvres courageux animaux,
après peu de secondes, se remettaient en marche d’un commun accord. La brièveté
delà respiration dans l’air raréfié est nommée par les Chiliens puna ; et ils ont des
idées fort ridicules sur son origine. Les uns disent : toutes les eaux ici ont la puna,
d’autres : où est la neige est la puna, ce qui sans doute est vrai. Elle est considérée
comme une sorte de maladie, et l’on m’a montré des croix sur les tombeaux de
gens qui étaient morts « punado ». Excepté s'il s’agit de personnes malades des
Narrative ofthe voyages of Adventure and Beagie ; 1826-1850, 5e vol.; Journal and
remarks. — London, 1832-1856.
47
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — AMÉRIQUE DU SUD.
poumons ou du cœur, je pense que ces idées sont erronées. Un homme fort ma-
lade éprouvera sans doute à ces hauteurs une difficulté plus grande à respirer que
les autres, et s’il meurt, ceci peut en avoir été cause-
La seule sensation que je ressentis fut un léger resserrement de la tête et de la
poitrine ; cette sensation a du rapport avec ce qu’on éprouve quand on quitte
une chambre chaude pour s’exposer à l’air glacial. Il y avait beaucoup d’imagina-
tion dans ceci; car, ayant trouvé des coquilles fossiles sur le sommet le plus
élevé, j’oubliai entièrement la puna dans ma joie. Mais certainement l’épuisement
par la marche est extrême, et la respiration devient profonde et laborieuse. Il est
incompréhensible pour moi, comment de Humboldt et d’autres ont pu monter jus-
qu’à 19,000 pieds; sans aucun doute, une résidence de quelques mois dans la
haute région de Quito avait prémuni leur constitution contre un tel épuisement.
Cependant on m’a dit qu’à Potosi (environ 13,000 pieds), les étrangers ne sont pas
accoutumés à l’atmosphère avant un séjour d’une année entière. Les habitants
recommandent tous l’oignon contre la puna pour ma part, je n’ai rien trouvé
qui vaille ies coquilles fossiles! (T. III, p. 593.)
Les officiers anglais Smyth et Lowe1 qui entreprirent en 1854 un
voyage afin de trouver un passage navigable vers l’Atlantique par le
Pachitea, l’Ucayali et l’Amazone, traversèrent la Cordillère beau-
coup plus près de l’équateur. En effet, ils partirent de Lima, le 20
septembre 1854. Le 25 septembre, un peu au delà de Pucachaca, le
malaise les atteignit :
L’air devint très -froid nous commençâmes à éprouver ce qu’on appelle
vulgairement le vêla ou marea (mal de mer), qui consiste en une douleur aiguë
à travers les tempes, à la partie inférieure et postérieure de la tête, et qui abat com-
plètement ceux qui en sont frappés.... (P. 25).
Ils arrivèrent le 28 à Cerro de Pasco :
Nous avons éprouvé à raison de l’élévation du sol, et surtout en montant, une
difficulté à respirer qui serre péniblement la poitrine, surtout chez les nouveaux
venus; mais, au bout de quelque temps, les poumons s’habituent à l’état de l’at-
mosphère, et cette affection disparaît (P. 42).
Du reste, ces faits étaient si connus dans les régions monta-
gneuses de l’Amérique du Sud, qu’en 1842, un médecin écossais,
Archibald Smith2, résumait dans les termes suivants les notions
qu’il avait recueillies pendant un voyage au Pérou :
Veta , Soroche , la Puna , Mareo de la Cordillère. — Un mal de tête avec batte-
ments et forte sensation de plénitude aux tempes, joint à une grande oppression
et tension de la poitrine, et fréquemment à des maux d’estomac, sont les symptô-
1 Narrative of a journey from Lima to Para. — London, 1836.
2 Practical observation on the diseases of Peru, descrïbed as they occur in the Coast
and in the Sierra. — Edimb. med. and surg. journal, t. LIV> LVI, LVII, LVI1I, 1839,
1841, 1842, 1843.
48
HISTORIQUE.
mes qu'on éprouve d’ordinaire dans les premiers jours en traversant les Cordillères
ou en séjournant à Cerro de fiasco. Si l’on marche vite, si surtout l'on grimpe une
colline, on ressent une plénitude extrême de la poitrine, les artères temporales
battent violemment, et les maux de tête surviennent. Si l'on essaye de com ir,
ces symptômes se manifestent aussitôt, et l’on est heureux de s’arrêter pour
reprendre haleine. La respiration d’un air glacial, le 5 juillet à minuit, dans une
misérable hutte au passage de Tucto (4855m), m’amena une sensation déchirante,
le long de la trachée artère ; jusqu’à la descente, j’éprouvai sans cesse l'appré-
hension que quelque vaisseau sanguin se soit ouvert dans mes poumons Dans
une autre occasion, par une autre route.... ma respiration était haletante et labo-
rieuse.
Beaucoup de personnes jeunes s’accoutument aux effets de l’air raréfié, si
bien qu’elles n’ont de maux de tête et de dyspnée que pendant un exercice exagéré.
Quelques individus, au contraire, et surtout les pléthoriques, ne peuvent passer la
Cordillère où résider à Cerro de Pasco, sans maux de tête et difficultés respiratoires ;
quand ils traversent la Cordillère en voyageant dans ces plaines élevées et glacées
que les natifs nomment Puna, ils sont très-sujets à éprouver des épistaxis.
(T. LVII, p. 556; 1842).
Le témoignage du botaniste français Claude Gay 1 n’est pas moins
concluant. Or, l’autorité de ce savant est grande, puisque pendant
près de quinze ans, de 1828 à 1842, il explora la Cordillère des An-
des. 11 s’exprime ainsi :
Je sortis de Lima (1841) Après quatre jours de marche, nous franchîmes la-
première Cordillère par le col de Tingo, élevée de 481 5m au-dessus du niveau de
la mer. Nous y éprouvâmes ce singulier malaise, effet de la grande raréfaction de
l’air, et connu en Amérique sous le nom de soroche, d epouno, etc. On ne peut
mieux le comparer qu'à un véritable mal de mer; ce sont les mêmes symptômes,
les mêmes souffrances, douleurs de tête, vomissements, et un abattement tel, qu’il
rend la vie presque à charge, et m’empêchait d’aller consulter mes baromètres et
thermomètres qui n’étaient qu’à deux pas de moi
Ce malaise me dura quelque temps; mais, cfàns la suite, je finis par m’habituer
à cette rareté de l’air, et je pus faire osciller mes aiguilles d’intensité à une hau-
teur de 4685"‘. et exécuter plusieurs autres travaux de physique terrestre sans en
être sensiblement incommodé. (P. 28)
Les Indiens du Cusco..., quoique constamment à une hauteur de 10 à 14,000 pieds,
ne sont nullement incommodés de la grande rareté de l’air; ils marchent et cau-
sent avec autant de facilité que nous dans les plaines basses: aussi trouve-t-on
dans ces régions les villes et les villages les plus élevés de notre globe; Ocoruco
à 4252m, Condoromaà 4545. On voit quelques maisons de poste, celle par exemple
de Rumilmani, qui s'élèvent jusqu'à 4685m, et des maisons de bergers jusqu’à
4778m, c’est-à-dire presque à la hauteur du Mont-Blanc. (P. 55).
Le célèbre voyageur allemand J. J. von Tschudi2 nous donne à ce
sujet une monographie presque complète.
1 Fragment d'un voyage dans le Chili et au Cusco. — Bull, de la Soc. de géogr.
2° série, t. XIX, p. 15-57; 1845.
2 Peru, Reiseskizzen aus den Jahren 1858-1842. — 2 vol. — Saint-Galien, 1846.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — AMERIQUE DU SUD.
49
Sur les hauteurs considérables auxquelles s’élève la Cordillère , l’action de
l’air raréfié se fait sentir sur l'organisme d’une manière grave; elle se manifeste
surtout par un état de fatigue extraordinaire, et de grandes difficultés à respirer.
Les indigènes désignent cette action par les mots de Puna ou de Soroché, les
créoles espagnols par ceux de Mareo ou de Veta, et l’attribuent à des émanations
métalliques, à celles surtout de l’antimoine, qui joue un rôle de premier ordre
dans leur physique et leur métallurgie.
Les premiers symptômes de la Veta se montrent ordinairement à une hauteur
de 12,600 pieds, et consistent en vertiges, bourdonnements d'oreilles et troubles de
la vue auxquels se joignent de violents maux de tète et des nausées. Ces accidents
frappent les cavaliers, moins il est vrai que les piétons. Plus on monte, plus ces
phénomènes augmentent, et il s’y ajoute une fatigue des membres inférieurs qui va
jusqu’à l’impossibilité de se mouvoir, avec une respiration très-anxieuse et de
violents battements de cœur. Un repos complet fait disparaître pour un instant ces
symptômes, qui, aux moindres mouvements, reviennent aussitôt avec une intensité
nouvelle et sont accompagnés souvent alors de défaillances et de pénibles vomisse-
ments. Les vaisseaux capillaires de la conjonctive, des lèvres, du nez, se rompent, et
le sang sort par gouttes. Les muqueuses respiratoires et digestives sont le siège
de semblables accidents; des diarrhées, des crachats sanguinolents sont le signe de
la Veta à son plus haut degré d'intensité.
On peut approximativement comparer ce malaise au mal de mer (d’où son nom
de Mareo) ; mais chez lui seul surviennent les angoisses respiratoires. Il n’est pas
rare de voir ces accidents acquérir une intensité suffisante pour entraîner la mort
des voyageurs. Je rencontrai en 1859 à Pachachaca un officier qui portait les dépê-
ches de Lima à Cuzco, mais qui, une année, étant passé par la Piedra parada, périt
à la suite d’hémorrhagies pulmonaires et intestinales occasionnées par la Veta.
Tous les habitants des côtes et les Européens qui pour la première fois franchis-
sent les hautes Cordillères, éprouvent cette maladie qui généralement n’est pas
tenace chez les personnes saines, mais qui frappe ù un haut degré celles qui sont
faibles, nerveuses, malades de la poitrine ou du cœur, et aussi les pléthoriques et
les gens trop gras. Un négociant allemand de Lima, homme très-corpulent, qui
était allé au Cerro de Pasco pour ses affaires, dut au bout de quelques heures
quitter rapidement la ville, et descendre dans la vallée pour fuir la Puna.
Par un long séjour dans ces hautes régions , l'organisme s’accoutume à cette
action de l’air raréfié. Des Européens vigoureux peuvent même grimper avec légèreté
les plus hautes montagnes et s’y mouvoir aussi librement que sur les côtes. J’ai
eu deux fois seulement la Yeta, mais à un haut degré ; une fois sur un plateau
élevé, une autre fois sur la montagne d’Antaichahua. La première fois queje traversai
la Cordillère, je ne ressentis pas la moindre incommodité , et je pus , descendant
de mon cheval fatigué, marcher pendant une longue traite, sans éprouver de sym-
ptômes de la Veta, si bien que je m’en croyais à l’abri pour toujours
Les Indiens montagnards, qui vivent depuis leur enfance dans cet air raréfié, ne
souffrent pas de la Yeta Les médecins de Lima ont coutume d’envoyer dans
la montagne les personnes épuisées, afin que l’air pur leur rende de la force;
mais elles y sont atteintes de la Veta à un degré extraordinaire, et souvent laissent
leur vie dans la Cordillère
La Puna paraît agir plus énergiquement sur certains animaux domestiques que
sur l'homme lui-même. Cela se voit surtout chez les chats ; ces animaux ne peuvent
vivre au-dessus de 15,000 pieds d’altitude. On a souvent essayé d’en amener dans
4
HISTORIQUE.
ôü
les villages élevés, mais toujours en vain, car après quelques jours ils étaient pris
de convulsions épileptiformes terribles auxquelles ils succombaient Ces chats
malades ne cherchent pas à mordre, ni à fuir On les appelle dans le pays
azorochados , et on leur donne de l’antimoine. Les races délicates de chiens sont
attaquées de même, mais moins énergiquement.
Les voyageurs dans les Cordillères sont encore sujets à des accidents qu'on dé-
signe par le nom de Surumpe.. .. Ce sont des affections oculaires dues à l’action
du soleil réfléchi sur la neige. (T. II, p. 6G et suiv.)
Dans son ascension de la Cordillère, Tschudi vit pour la première
fois, à une hauteur d’environ 4000 mètres, les chevaux atteints
de la veta :
Ils commencent par marcher plus lentement, s’arrêtent fréquemment, tremblent
de tout leur corps et s’abattent. Plus ils montent haut, plus ils tremblent fort et
plus ils tombent souvent. Si on ne les desselle pas, si on ne les laisse pas se reposer
complètement, ils se couchent sur le sol. Les arrieros saignent en quatre places
un animal dans cet état : au bout de la queue, au palais, aux deux oreilles ; ils leur
coupent souvent les oreilles et la queue jusqu’à moitié et leur fendent les naseaux
sur une largeur de plusieurs pouces. Ce dernier moyen me paraît devoir être de
quelque utilité, parce que ces animaux peuvent alors aspirer une plus grande
quantité d'air. Comme préservatif on leur met de l’ail dans les naseaux. Les mu-
lets et les ânes souffrent moins de la Veta, probablement parce qu’ils savent mieux
se reposer. Les chevaux nés dans la Sierra sont presque exempts de ces accidents.
(T. II, p. 52.)
Un épisode très-saisissant des récits de Tschudi, c’est l’histoire de
son séjour de vingt-quatre heures dans la Puna glacée du Pérou, à
une hauteur moyenne de 4500 mètres :
Je commençais à gravir vigoureusement la montagne, quant je ressentis l’in-
fluence redoutable de l’air raréfié ; j’éprouvais en marchant un malaise inconnu.il
me fallait demeurer tranquille pour pouvoir aspirer l’air : encore y arrivais-je à
peine ; si j’essayais de marcher, une angoisse indescriptible s'emparait de moi.
J’entendais frapper mon cœur contre mes côtes ; la respiration était courte et
entrecoupée ; j’avais sur la poitrine un poids énorme. Mes lèvres étaient bleues,
enflées, crevassées ; les capillaires de la conjonctive se déchirèrent, et il en sortit
quelques gouttes de sang. Les sensations étaient singulièrement émoussées ; la vue,
l’ouïe, le toucher, étaient altérés; devant mes yeux flottait un nuage épais , gri-
sâtre, souvent rougeâtre , et je versais des larmes sanguinolentes. Je me sentais
entre la vie et la mort ; ma tête tourna, mes sens défaillirent, et je m’étendis trem-
blant sur le sol. En vérité , quand les richesses les plus précieuses , quand une
gloire immortelle m’eussent attendu quelques centaines de pieds plus haut, il m’eût
été physiquement et moralement impossible d’étendre seulement la main vers
elles.
Je restai quelque temps couché sur le sol dans cet étal de demi-évanouissement ;
puis je me remis un peu , je me hissai péniblement sur mon mulet, et pus avan-
cer. (T. II, p. 152.)
51
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — AMÉRIQUE DU SUD.
Les récits faits par de Castelnau1 ne sont pas moins explicites, et
contiennent maints détails curieux :
Notre séjour, en septembre 1845, à Chuquisaca, ville de 11 à 12,000 âmes,
(République bolivienne), lut assez triste La plupart de mes compagnons souf-
fraient aussi du soroché , incommodité causée par la raréfaction de l’air dans les
grandes altitudes (suivant les observations de M. Penlland , Chuquisaca esta
9,545 pieds anglais (2847m) au-dessus de la surface de la mer) : c’est surtout en gra-
vissant les inégalités des rues qu’on éprouve cette pénible sensation d 'étouffement ;
les chiens, les chevaux et les animaux de charge y sont également assujettis, et
j’ai vu de ces derniers dont le sang s’échappait par les narines. Les muleliers ont
l'habitude, dans ce cas, de leur faire avaler des gousses d’ail. On a souvent vu des
animaux périr d’accidents semblables ; les chevaux surtout sont dans ce cas. Pour
peu qu’on les excite, ils cherchent à surmonter le malaise qu’ils ressentent, et
tombent quelquefois morts dans les rues; les mules, au contraire, s'arrêtent
d’elles-mêmes et ne se remettent en marche que quand elles sont reposées, malgré
le mauvais traitement qu’un maître imprudent peut leur faire éprouver. (T. III,
p. 517.)
A la Paz (571 7m) , de Castelnau assiste à un combat de tau-
reaux :
Malheureusement, dit-il, les taureaux de la Paz, nourris dans les plaines gelées
de laPuna, et qui d’ailleurs avaient probablement le soroché , qui par parenthèse
est effroyable dans cette ville ; ces taureaux, dis-je, ne montrèrent d’énergie que
pour fuir devant d’ignobles toreadores à pied, qui cherchaient à les retenir en les
tirant par la queue. Le peuple indigné se précipita dans l’arène, et à force de tour-
menter ces malheureux animaux, il finit par obtenir le résultat désiré , c’est-à-
dire la mort de deux ou trois Indiens. (P. 576.)
L’un des compagnons de voyage de Castelna-u, Weddell, gravit en
octobre 1847 le volcan d’Aréquipa. 11 exprime ainsi les souffrances
que lui fit éprouver cette ascension :
La difficulté qu’éprouvaient nos animaux à respirer nous mit dans la néces-
sité de renoncer à leur concours Pour avancer il fallait louvoyer , et même
ainsi nous ne pouvions faire dix pas sans nous arrêter, afin de laisser passer l’op-
pression qui s’était emparée de nos poumons. A mesure que nous nous élevions
davantage, non-seulement cette oppression augmenta , en nous obligeant à faire
des arrêts plus prolongés , mais la fatigue des membres vint encore s’y ajouter :
accident plus fâcheux que le soroché , parce qu’un arrêt ne suffisait pas pour y
obvier
Les dernières forces de mon compagnon s’épuisèrent et il dut me quitter.
Seul je continuai mon voyage, haletant;... je ne pouvais guère avancer plus de
deux ou trois mètres sans m’arrêter pour prendre haleine. (P. 449.)
En mai 1846, de Castelnau quitta Lima pour se rendre à Cusco.
1 Expédition dans les parties centrales de l' Amérique du Sud. — Hist. du voyage,
t. 111 et t; IV; — Paris, 1851;
52 HISTORIQUE.
Il eut ainsi à franchir de hautes montagnes. xVu col de la Vinda
(4720m), le soroché le frappa assez vigoureusement :
La végétation, même celle des cierges rabougris, disparut. M. d’Osery se plaignit
beaucoup du soroché , et il était obligé de s’arrêter à chaque instant, ainsi que
Florentine. On donne ici à cette maladie le nom de re/a, et l'on est persuadé
qu’elle est due à la présence de filons d’antimoine
A peine étions-nous arrivés au petit établissement de Casacancha que, des-
cendant de cheval , je me sentis pris du soroché dont je n’avais pas éprouvé les
effets jusque-là ; j’eus d’abondants vomissements de bile, et j’éprouvai tous les
symptômes du mal de mer auquel je suis très-sujet
Lorsque, après une très-mauvaise nuit, je voulus au matin monter à cheval,
j’en sentis l’absolue impossibilité. M. d’Osery pouvait à peine se traîner; Flo-
rentino, ancien marin, était étendu à terre ; le petit Catama seul jouait comme
à l’ordinaire, et ne semblait nullement se ressentir du soroché. Enfin , compre-
nant combien il était indispensable d’atteindre des régions moins inhospitalières,
nous parvînmes à nous mettre en selle dans l’après-midi; mais après avoir fait
moins d’une lieue, nous nous laissâmes, au positif, tomber à la porte d’une ferme
où nous fûmes bien traités. (T. IV, p. 194.)
On assigne auCerro de Pasco une hauteur de 15,075 pieds anglais (4166™) Mal-
gré l’ardeur des rayons du soleil, on est gelé dès qu’on se trouve à l’ombre, et l’on
est constamment sous la pénible influence du soroché Le climat est tellement
funeste, que les ecclésiastiques ne cherchent à garder cette cure que pendant trois
ou quatre ans, malgré ses énormes bénéfices La population, en 1845, était de
18,000 âmes...., c’est aux mines d’argent seules qu’est due cette agglomération....
L’orge n’y donne pas de grains. (P. 196.)
De Castelnau fit, au bout de quelques jours, une excursion dans
une caverne voisine, située à une hauteur de 4400™, et dans laquelle
il trouva des ossements d’animaux disparus, entre antres une sorte
de tatou (probablement un glyptodon) :
Nous souffrions, dit-il, affreusement du soroché, dont les étouffements étaient,
tels qu’ils nous obligeaient à chaque instant à prendre du repos : les Indiens
mêmes en semblaient atteints.
Un touriste français aux récits pittoresques, M. de Saint-Cricq,
qui publia ses voyages sous le pseudonyme de Paul Marcov1, éprouva
de semblables accidents en se rendant d’Aréquipa à Puno. 11 avait
passé la nuit à la maison de poste d’Apo (pas de date) :
Au bout d’une heure de marche, qui nous avait élevés de quelques centaines
de mètres, je commençais à ressentir un malaise général que j’attribuai à l’insuf-
fisance de la pression atmosphérique. Ce phénomène, que les Quechuas des hau-
teurs appellent soroché , et dont ils n’ont pas à souffrir , doués qu’ils sont par la
nature de poumons d’un tiers plus volumineux que ceux de l’Européen, est attribué
1 Voyage à travers C Amérique du Sud, de l'occan Pacifique à l'océan Atlantique —
Paris, 2 vol., 1869.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — AMÉRIQUE DU SUD.
53
par eux à des gaz méphitiques produits par l’antimoine, en quechua soroche,
même aux endroits où ce métal n’existe pas. Une contraction du diaphragme, de
sourdes douleurs danslarégion dorsale, des élancements dans la tête, des nausées
et des vertiges sont les prodromes de ce mal singulier, quelquefois suivi de syncope.
Mais je n’allai pas jusque-là. Mon guide, averti de ce que j’éprouvais par ma
pâleur livide et par mes efforts pour rester en selle, me remit une gousse d’ail, en
m’engageant à la croquer J’obéis.... mais cet antidote.... n’ayant produit
aucun effet, mon Esculape me conseilla de m’appliquer sur le nez quelques coups
de poing qui, en déterminant une hémorrhagie, devaient amener un prompt sou-
lagement ; mais le moyen me sembla par trop héroïque, et j’aimai mieux grigno-
ter une seconde gousse d’ail
Vingt minutes environ s’écoulèrent, et soit que le remède commençât à opérer,
soit que mes poumons s’accoutumassent par degrés à cet air si subtil, je sentis
mon malaise se dissiper. (T. I, p. 76.)
Le lieutenant Gillis1, de la marine anglaise, donne des rensei-
gnements semblables, recueillis, il est vrai, de seconde main, mais
résumés d’une façon fort sensée.
Dans la première partie de son ouvrage, consacrée à la descrip-
tion géographique du Chili, l’auteur arrive à parler des routes de
Santiago à Mendoza, et spécialement de celle de Piuquenes :
Bien peu de voyageurs arrivent à son sommet (15,189 p. au-dessus de la mer)
sans éprouver des difficultés respiratoires ; et les pauvres mules en souffrent
presque autant que leurs maîtres. Au Chili, celte sensation est nommée piina, au
Pérou, veta, soroche ou mareo, indifféremment par les natifs et les créoles. Ceux-ci,
dans leur ignorance de la vraie cause , l’attribuent aux exhalaisons des veines
métalliques si fréquentes dans les Andes. Selon les cas, le malaise consiste en
lassitudes extraordinaires, faiblesses, vertiges, cécité' temporaire, nausées, accom-
pagnés assez fréquemment d'hémorrhagies par les narines et les yeux. Tout le
monde n’est pas soumis à cette influence, et il est évident que certaines dispositions
y rendent plus sensibles. Les arrieros recommandent l’ail et l’oignon comme des
spécifiques. (T. I, p. 6.)
L’anglais Lloyd2, qui traversa la grande sierra de l’Illimani, s’ex-
prime ainsi :
Excepté la maladie nommée soroche , qui est une oppression des poumons dou-
loureuse et souvent dangereuse, causée par l’extrême raréfaction de l’air à cette
grande hauteur, on ne connaît presque aucune maladie , excepté les catarrhes et
l’hvdropisie. (P. 260.)
Le botaniste français Weddell5, dont nous avons rapporté les
souffrances alors qu’il accompagnait de Castelnau, retourna plus
1 The U. S. naval astronomical Expédition to the Southern Hernisphere during the
years 1849-1842. — Cliile, Philadelphia, 1859.
" Beport of a jour ne y across the Andes , between Cochabamba and Chimoré. — J. of
the royal géograph. Society, l. XXIV, p. 259-265; 1851.
5 Voyage dans le nord de la Bolivie et les parties voisines du Pérou. — Paris, 1853.
54 HISTORIQUE.
tard on Bolivie. 11 avait traversé sans accidents notables la chaîne
de la Cordillère, en venant d’Arica, et arrivé à la Paz depuis près
de deux mois, il n’avait rien éprouvé de fâcheux, lorsque, le 22 juin
1851, dans une herborisation, il voulut grimper rapidement une
pente escarpée ; il fut pris tout à coup :
Je pourrais difficilement dire, raconte-t-il, ce que je souffris par suite du
soroché , dans celle ascension qui exigea de ma part des efforts gymnastiques aux-
quels j’étais bien loin de m’attendre. Toujours est-il que lorsque j’eus atteint avec
mes fleurs le sommet du précipice , et que je me fus étendu tout épuisé et hale-
tant sur le sol, je jurai, mais un peu tard , que l’on ne m’y prendrait plus. Dans
les premiers moments qui suivirent mon excursion , je ne pensai qu’à ressaisir
mon haleine qui semblait sur le point de m’abandonner , et, quelques minutes
après, quand j'eus l’idée d’examiner mon pouls , il battait encore cent soixante
coups à la minute. Je ne me souviens pas d’avoir jamais été plus oppressé que dans
celte herborisation improvisée.
A partir de ce jour, j’éprouvais dans le corps un dérangement dont je ne pou-
vais me rendre compte, et je pressentais que j’allais être malade. (P. 187.)
11 le fut, en effet, et fort gravement.
Weddell ne s’occupe, du reste, que très-peu du soroché , bien que
en maints endroits de son récit l’on en reconnaisse l’indication, soit
chez les hommes, soit chez les animaux domestiques. Je ne trouve
à relever que cette remarque intéressante sur les Indiens postil-
lons, qui vont toujours courant, sur la route de la Paz à Puno :
Ils ne paraissent, dit-il, jamais essoufflés, tandis que, dans ce même pays, un
Européen peut à peine courir dix pas sans être obligé de s’arrêter. (P. 547.)
Il y a là, comme on le verra, une très-grande différence avec ce
que signalent les voyageurs de l’Himalaya ; les coolies indiens, nous
disent ceux-ci, sont souvent plus malades que les Européens eux-
mèmes. Weddell n’est pas seul à faire cette remarque; les frères
Grandidier en ont aussi été frappés1.
Le 1er août 1858, ces voyageurs partaient d’Aréquipa pour Cuzco :
On éprouve ici, dit E. Grandidier dans sa relation, une souffrance inconnue
aux touristes du vieux monde, c’est le soroché ; le voyageur qui gravit la Cordil-
lère ressent des douleurs par tout le corps ; il a mal aux reins, à la tête, il a les
membres comme brisés, le sang lui jaillit même quelquefois par le nez, les yeux
ou les oreilles. Ce malaise général est dû, non à la présence de l’antimoine, ainsi
qu’on l’a répété sans raison, mais à la raréfaction de l'air et au manque de respi-
ration. Le soroché a même causé la mort de quelques personnes plus impression-
nables. Les mules sont aussi soumises à l’influence du soroché , et on cite beaucoup
d'exemples de ces animaux morts des suites de la raréfaction de l’air. (P. 50.)
Voyage dans l'Amérique du Sud, Pérou et Bolivie. — Paris, 1861.
1
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — AMÉRIQUE DU SUD. 55
Et, plus loin, en allant de Paucartambo à Puno, leur attention se
porte sur les piétons indigènes :
L’Indien suit le cavalier à pied , courant toujours sans jamais perdre haleine,
quelque rapide que soit le coursier, et quelle que soit la hauteur des montagnes. La
vitesse avec laquelle l’Indien parcourt de longues distances à la course étonne
d’autant plus l’Européen , qu’il ne peut , comme l’indigène, vaincre l’oppression
que lui cause la raréfaction de l’air et courir à cette altitude sans tomber aussitôt.
(P. 194.)
En décembre, les deux frères arrivent à la Paz :
La descente de la Paz est large et bien entretenue ; mais la pente est si rapide
qu’on ne peut aller qu’au pas. Cette descente est évaluée à une lieue environ, et
il faut une heure au moins pour arriver à la ville. Un espace de temps bien plus
considérable est nécessaire pour la gravir, en raison de la difficulté de respira-
tion que les mules éprouvent à la montée ; néanmoins, on m’a assuré que les
Indiens la gravissaient en courant et en jouant de la flûte ; ils ne sont pas sujets
au soroché , et à ce point de vue, ils tiennent du lama, dont l’appareil respira-
toire est conformé pour la Cordillère qu’il habite. (P. 225.)
L’Européen nouvellement arrivé à la Paz éprouve les effets d’un violent soroché;
quand ils parcourt la ville, il est obligé de s’arrêter souvent pour reprendre
haleine, tant est grande la difficulté de sa respiration et l'oppression de sa poi-
trine. La raréfaction de l’air provient de la grande élévation de la Paz au-dessus
du niveau de la mer ; cette élévation est de 5750“. (P. 227.)
Semblables récits du voyageur allemand Burmeisler1 2 qui, dans
les premiers jours de mars 1860, se trouvait dans la Cordillère,
vers le 28° lat. S., et le 72° long. 0. Cependant, il ne parle que par
ouï-dire de ces malaises; du reste, la hauteur maximum à laquelle
il se soit élevé fut de 14 000 pieds :
Je n’ai jamais souffert pendant mon voyage, dit-il, de ce qu’on appelle la Puna,
c’est-à-dire cette maladie qui survient habituellement sur les hautes montagnes
et qui consiste en difficultés à respirer, nausées, faiblesses, vertiges et autres
symptômes. Seulement, au début, quand j’entrai dans les gorges près d’Estanzuela,
je fus pris de pesanteurs de tête, comme si j’allais avoir des vertiges ; mais il ne
m’arriva rien d’autre Vraisemblablement j’ai été protégé par la faiblesse de
ma constitution; car les personnes fortes, replètes, sont plus facilement frappées
de la Puna que celles qui sont maigres, sèches ou faibles.
Les symptômes de la même affection apparaissent chez les animaux et particu-
lièrement chez les chevaux, dans les sentiers élevés des montagnes; ils se mani-
festent principalement par des tremblements des membres et des hémorrhagies
violentes, qui ne deviennent cependant pas mortelles. Beaucoup de chevaux, et
surtout des meilleurs, tombent sur le sol dans les voyages en montagne. Les indi-
gènes appellent cette maladie la Trembladera ; ils prétendent qu’il y a dans la
1 Reise dure h die La Plata-Staaten, ausgefiihrt in den Jahren 1857-1860. — Halle,
2 vol.; 1861.
50
HISTORIQUE.
montagne des endroits où elle frappe surtout les animaux qui passent, ils m’en
ont indiqué un dans la sierra Aconquija dont je ne pourrais cependant déterminer
la position.
L’Anglais Markham1 qui, en 1860, fit au Pérou un voyage dans le
Lut d’étudier les quinquinas, et de rechercher les moyens de les
introduire dans l’Inde, fournit des renseignements du meme ordre :
Sur les hauteurs de la Cordillère, les hommes et les animaux sont sujets à une
maladie des plus pénibles, causée par la raréfaction de l’air, et que les Péruviens
nomment sorochi. J'avais été malade à Arequipa, en telle sorte que j’étais proba-
blement prédisposé à l’atteinte du sorochi, que j’ai éprouvé au plus haut degré.
Avant d'arriver à Apo (mai 1860), un violent serrement de tête, accompagné d’une
souffrance aiguë et de douleurs dans la région postérieure du cou, me rendit fort
malade, et ces symptômes augmentèrent d’intensité pendant la nuit passée à la
maison de poste d’Apo, en telle sorte qu’à trois heures du matin, quand nous
recommençâmes notre voyage, je fus incapable de monter sur mon mulet sans
aide. (P. 89.)
Aussi voyons-nous, dans la description officielle de la Confédéra-
tion argentine, le D‘ Martin deMoussy2, qui avait séjourné pendant
dix ans dans le bassin de la Plata, donner une description détaillée
de la forme américaine du mal des montagnes :
On donne le nom d epuna à cette sensation pénible, à cette anxiété respiratoire
que quelques personnes éprouvent lorsqu’elles se trouvent à de grandes hauteurs.
Cette sensation est certainement due à la raréfaction de l’air, car, à 4200“, alti-
tude générale du plateau, la colonne barométrique est réduite en moyenne
à 0m,4ü et il est impossible qu’une si énorme différence dans la pression atmo-
sphérique ne produise pas une impression profonde sur l’économie animale. Cette
impression varie d’ailleurs selon les personnes ; les unes ont la respiration gênée,
les autres éprouvent de la céphalalgie, une sorte de migraine et une perte com-
plète de l’appétit. Beaucoup n’éprouvent rien ; mais, lorsque l’on veut marcher,
presque tout le monde sent une fatigue insolite.
Quant à la puna proprement dite, à la gène dans la respiration, elle n’est pas
seulement particulière aux grandes hauteurs de la Cordillère ; il est certaines
localités peu élevées où elle se fait sentir beaucoup plus que dans d’autres. Nous
l’avons éprouvée nous-même au bourg de Molinos, qui n’est pourtant qu’à une
altitude de 1970“, et dans une vallée entourée de montagnes granitiques qui
n’offrent rien de particulier. Il nous est impossible de découvrir une cause à cette
particularité, qui se retrouve d’ailleurs sur différents points des Andes de Bolivie.
Les animaux éprouvent également cette fatigue de la respiration dans leurs pre-
mières traversées des Cordillères; mais ils s’y habituent assez vite, et telle est leur
vigueur, que les mulets en bon état et chargés convenablement ne faiblissent jamais
dans les voyages ordinaires. (T. 1. p. 217.)
1 Travels in Peru and India. — I.ondon, 1862.
- Description géographique et statistique de la confédération argentine. — 5 vol. —
Paris, 1860-64.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — AMÉRIQUE DU SUD. 57
Mateo Paz Soldan en fait autant dans sa Géographie du Pérou 1 :
Cerro de Pasco est située sur une penle à 4552m au-dessus du niveau de la mer...
Le climat de cette ville est très-froid, le degré moyen du thermomètre est 44° F.
le jour et 54° la nuit, pendant les mois de juillet à octobre, saison durant laquelle
il tombe une grande quantité de grêle et de neiges. Quelquefois le thermomètre
descend à 50° el à 28° en août et en septembre; l’eau bout à 180°. Les tempêtes,
la grêle et les neiges, rendent ce pays inhabitable à partir du mois d'octobre. Les
étrangers y sont sujets à la soroché, oppression de la poitrine que l’on appelle dans
le pays veta, et qui provient du peu de densité de l’atmosphère, dans une région
si élevée.... Les anciens mineurs sont sujets à un grand nombre de maladies et
d'infirmités. .. Si ce pays ne possédait point des mines d’une richesse inépuisable,
il serait absolument impossible de l’habiter. (P. 172.)
Vers cette époque parut sous forme de thèse soutenue devant la
Faculté de médecine de Paris un travail remarquable, dû à un
jeune médecin, Ch. Guilbert2 qui, atteint de phthisie, alla demander
à un séjour à la Paz, et y obtint, la guérison ou du moins une amé-
lioration considérable de sa redoutable maladie. Je citerai tout au
long la description très-serrée qu’il fait du soroche :
Le soroche ou mal de la punci débute de deux manières différentes : les uns se
plaignent immédiatement de la respiration, et c’est ce qui a le plus attiré l’atten-
tion des observateurs ; chez les autres, et c’est suivant moi le plus grand nombre,
les phénomènes nerveux débutent d’abord. Il y a même quelques voyageurs qui ne
sont nullement gênés pour respirer.
La même différence se retrouve dans la durée de ces deux ordres de symptômes.
Tandis que les phénomènes nerveux ne durent que de 12 à 48 heures, la gêne de
la respiration et de la circulation persiste quelquefois pendant quelques mois.
Le système nerveux est donc souvent impressionné le premier, et il réagit sur l’ap-
pareil digestif et l’appareil locomoteur. On éprouve d’abord des nausées, accompa-
gnées de crachotements très-significatifs.... En même temps survient une douleur
de tête excessivement violente, comparée à un cercle de fer qui étreindrait forte-
ment les tempes.... Après les nausées, viennent des vomissements souvent très-
pénibles, et qui augmentent les douleurs de tête. On éprouve aussi quelques ver-
tiges, des bourdonnements d’oreille, quelquefois de la somnolence
Un autre phénomène est la fatigue musculaire.... Cette inaptitude à la contrac-
tion musculaire, on l’éprouve même à cheval, et à ce point qu’on est obligé de
descendre de leurs montures des personnes incapables de bouger. Mais, les pre-
miers jours passés, cette grande fatigue disparait complètement avec le moindre
repos. Dans les villes, on reconnaît facilement les nouveau-venus : tous les 40 ou
50 pas ils s’arrêtent quelques secondes.
La respiration et la circulation s’accélèrent d’autant plus que l’élévation est con-
sidérable. La dyspnée est intense, les inspirations très-fréquentes.... Les batte-
ments du cœur sont plus forts, plus nombreux ; au moindre effort on est saisi de
1 Trad. deMouqueron. — Paris, 1865.
~ De la phthisie pulmonaire dans ses rapports avec l'altitude et avec les races au
Pérou et en Bolivie. — Du soroche ou mal des montagnes. Thèse de Taris, I8G2.
HISTORIQUE.
58
palpitations violentes qu’on éprouve aussi bien à cheval qu’en marchant. La nuit
même, il arrive souvent qu’on est réveillé en sursaut par de fortes palpitations au
milieu du sommeil le plus tranquille
Le battement des artères est plus fort, celui des artères intra-crâniennes très-
douloureux, le pouls est vibrant, à peu près comme dans l'insuffisance aortique.
Un accident assez fréquent, dans ces circonstances est une hémorrhagie nasale,
buccale ou pulmonaire ; rarement on a observé des hémorrhagies par la surface
muqueuse gastro-intestinale.... Mais lorsqu’on s'est habitué à l’air raréfié, lorsque
l’équilibre s’est rétabli, et que les différents appareils se sont mis en harmonie
avec le milieu ambiant, les hémorrhagies ne sont pas plus fréquentes que partout
ailleurs Un phénomène important est la tendance à la syncope, aussi faut-il
être très-sobre de saignées
Les symptômes nerveux disparaissent les premiers : le mal de tête ne dure guère
que de 12 à 24 heures ; les nausées, les vomissements, pas davantage.... Le troi-
sième ou quatrième jour, l’appétit renaît un peu ; aussitôt qu’on a pu prendre un
peu de nourriture, la pesanteur de tète disparaît à son tour, et il ne reste plus
que la gêne de la respiration, la fréquence des battements du cœur, les palpita-
tions survenant au moindre effort, et augmentant encore l’essoufflement. Plus
tard, l’équilibre s’étant établi, peu à peu, tous ces symptômes disparaissent géné-
ralement au bout de quelques semaines, et l’on s’accoutume parfaitement à vivre
dans ces hautes régions.
Ainsi Guilbert considère qu’on peut parfaitement s’acclimater
sur les hautes régions. 11 rappelle les paroles de M. Boussingault,
que nous avons citées plus haut (page 44), et ajoute :
Le I'ichincha a 4996m ; le général bolivien Santa Cruz y battit les Espagnols
en 1822. Deux ans après, à Ayacucho, village situé à une hauteur peu différente,
le général colombien Sucre battit le vice-roi La Serna
J’ai vu à Corocoro (4450m) des combats de taureaux des plus meurtriers. Ces tau-
reaux, agiles et furieux, auraient pu servir à l’éditication du voyageur cité par
Lombard1,, qui vit à la Paz des taureaux doux et incapables du moindre effort sans
être atteints de vomissements ; c’étaient des taureaux nouvellement arrivés dans la
montagne et sous l’influence du soroche qui se fait sentir sur les animaux aussi
bien que sur les hommes.... Il est fort rare de traverser les Cordillères sans as-
sister aux angoisses de quelque bête de somme, atteinte du soroche; on se hâte
de la décharger, on la frictionne, et, après un moment de repos, on la laisse suivre
en liberté.
Je reproduis au chapitre spécial le mélange fort éclectique d’ex-
plications théoriques que Guilbert accepte.
Le professeur italien Pellegrino Strobel2, qui parcourut les di-
verses passes entre Santiago et Mendoza, fut assez heureux pour ne
1 C’est de Castelnau qu’il s’agit. (Voir page 51.)
- Relazione (lella <jtla da curico nel Chili a son Raphaël nella Pampa del sur (lebraio
1866). — Parma. 1869.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — AMERIQUE DU SUD.
50
pas souffrir du soroche; il est vrai qu’il ne paraît pas être monté
bien haut :
D’après ce qu’à écrit M. de Moussy et ce que m’avaient annoncé mes amis, je
m’attendais à éprouver sur le Planchon quelqu'une des sensations décrites sous le
nom de punci. Mais je ne sais si je dois dire heureusement ou malheureuse-
ment, ni ici à 5000“ au-dessus du Pacifique, ni sur le Cumbre d'Uspallata à environ
40ü0m, ni dans aucun autre lieu des chaînes secondaires des Andes, il ne m’a été
donné d’éprouver la plus légère différence dans la respiration et l’appétit, encore
moins de douleurs de tête et autres symptômes pathologiques ou phénomènes
physiologiques ; et cependant par la faiblesse de ma constitution et l'étroitesse de
ma poitrine, il semble que j’aurais dû en souffrir plus qu’un autre. Il convient
donc d’admettre que la puna ne dépend pas uniquement de la raréfaction de l'air,
mais aussi d’autres causes concomitantes, qui paraissent tout à fait inconnues
(P. 25.)
Cependant deux voyageurs allemands, Focke et Mossbach1, qui
parlent d’après leur propre expérience, déclarent que souvent
hommes et bêtes sont malades à des hauteurs plus faibles encore :
Déjà à partir de 10,000 pieds de hauteur, on éprouve le commencement du mal
des montagnes, c’est-à-dire un mal de tête stupéfiant; c’est le Sorocho, qui
frappe également les bêtes de somme. Celles-ci refusent d’avancer, et pour les
guérir on leur fait une saignée sous la langue. (P. 5lJl.)
Enfin, je liens d’un employé supérieur du gouvernement péru-
vien, homme fort éclairé,, qu’étant allé à la Perina-Cota (4800 mè-
tres) au voisinage du Guayaquiri, il a vu-, à partir de 5000 mètres,
ses mulets devenir malades; sur 40 mulets, 16 durent être déchar-
gés. Quelques-uns de ses compagnons eurent des saignements de
nez. Pendant un séjour de deux semaines à cette grande hauteur,
il éprouvait régulièrement, vers trois heures du matin, des étouffe-
ments qui le réveillaient ; le moindre mouvement les augmentait
alors considérablement; ces accidents diminuaient pendant la
journée. Les Indiens qui l’accompagnaient souffraient du même
mal. Encore aujourd’hui, l’explication généralement admise est
l'empoisonnement par émanations métalliques ; on en combat les
effets avec des sachets d’ail.
J’ai appris encore de cette personne que pendant le percement
du tunnel du chemin de fer de Lima, à près de 4800 mètres, tous
les ouvriers avaient été malades, même les plus énergiques. Je re-
grette de n’avoir pu me procurer de documents détaillés sur les
1 Reise iiber die Cord ilteren von Àrica bis Santa- Cnn. Extrait in Petermann s
Mittheilungen, t. XI ; 1865.
GO
HISTORIQUE.
phénomènes observés pendant l’cxécufion de cette œuvre extra-
ordinaire. Elle est terminée aujourd'hui, et déjà la locomotive en-
traîne les voyageurs vers des régions qu’ils ne pouvaient atteindre
jadis sans les plus violents efforts. Chose curieuse : un certain
nombre d’entre eux sont malades cependant. Je lis dans une lettre
adressée cette année même à un de mes amis, ce passage fort carac-
téristique :
Un train spécial est venu nous chercher au Callao, nous a fait remonter te
Reinar jusqu’à Lima, puis de là dans les Andes en grimpant par des rampes suc-
cessives jusqu'à 3450m de hauteur Nous fîmes ainsi 150 kil La température
s’était abaissée, la raréfaction de l’air était telle que plusieurs personnes n’ont pu
nous accompagner jusqu’au bout. Elles éprouvaient une oppression extrême et
avaient les paupières injectées de sang.
Il serait fort à désirer que des observations soignées fussent faites
dans ce chemin de fer et dans celui du Titicaca; cela serait la chose
la plus facile du monde aux professeurs de la Faculté de Médecine
de Lima.
Je terminerai ces citations des principales descriptions générales
données du mal des montagnes dans la Cordillère des Andes en
transcrivant une lettre fort intéressante écrite par M. Pissis à NI. le
Dr Poignard qui lui demandait de ma part des renseignements que
sa grande expérience de la montagne me rendait très-précieux.
Le savant géographe y décrit d’une manière très-vivante les symp-
tômes qu’il a éprouvés, mais il ne hasarde aucune explication :
Mon cher Docteur,
Paris, 17 mars 1874.
Voici les observations que vous m'aviez demandées sur les effets physiologiques
de la raréfaction de l'air dans les hautes montagnes. Les effets généraux sont les
maux de tête, les nausées, une grande gêne dans la respiration et une contraction
dans la région des fausses côtes, comme si l’on était fortement serré par une
ceinture. Ces effets varient d’ailleurs beaucoup, selon l’àge et la constitution des
individus ; lorsque je passai le col du Tacora (bar., 463mm), une négresse de dix-
huit à vingt ans, très-forte, fut excessivement malade, elle eut une forte hémor-
rhagie nasale, tandis que sa maîtresse, femme d’environ cinquante ans, d’une con-
stitution faible, fut à peine indisposée; la même différence s’observe sur les ani-
maux : les chevaux les plus forts sont les plus exposés à périr. Les hémorrhagies
nasales sont aussi fréquentes chez eux. Après un certain temps de séjour dans
les hautes régions, ces effets ne se font plus sentir; les habitants d’Üruro en Boli-
vie, à 3,796 mètres (hauteur barométrique moyenne 492 m“) vivent comme au
bord de la mer ; les Indiens courent des lieues entières sans se fatiguer, et après
une année de séjour, je gravissais facilement d’assez hautes montagnes, ce qu’il
m’aurait été impossible de faire à mon arrivée.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — AMÉRIQUE DU SUD. 61
Le point le plus haut où j’ai vu des habitations permanentes sont les mines de
Villacota dans la province de Chayauta, leur altitude est de 5,042 mètres et la
pression atmosphérique 421 mm. Les Indiens y travaillent comme ailleurs, ce-
pendant ils se fatiguent plus vite, lorsqu’il neige, car il ne pleut jamais dans ces
régions ; les ouvriers, même ceux qui sont au fond des mines, sont indisposés, et
cependant la diminution de pression est à peine de 4 à 5 millimètres. Les alpacas et
les vigognes vivent en troupes à ces hauteurs, les condors volent bien au-dessus,
et j’y ai rencontré quelques tourterelles. Bien qu’habitué à la pression d’Oruro,
lorsque j’allais à ces mines, j étais toujours indisposé, les nausées, les maux de
tète et la gêne de la respiration se faisaient sentir, je ne pouvais faire huit ou dix
pas sans être obligé de m'arrêter pour respirer. L’administrateur qui y vivait de-
puis deux ans pouvait aller un peu plus loin, mais la gêne de la respiration se
faisait toujours sentir. A une hauteur de 4,000 mètres, la raréfaction de l’air
n’a qu’un effet passager sur la santé , les habitants d’Oruro et de Potosi devien-
nent très-vieux , les maladies de poitrine y sont inconnues ; ils sont généralement
maigres, três-agiles, mais ont peu de force, ce qui tient peut-être aussi à leur ré-
gime alimentaire presque exclusivement végétal.
Dans le Chili, le point le plus haut où je suis arrivé est sur les flancs de
l’Aconcagua à 5,852 mètres, le sommet est à 6,834 mètres. Au point où je m’ar-
rêtai, le baromètre était à 382 mm., j’étais très-malade et il m’eût été impossible
de monter plus haut ; j’avais les yeux fortement injectés , tous les objets, même
la neige, me paraissaient rouges, et même avec mes lunettes d’un verre bleu très-
foncé j’eus beaucoup de peine à faire la lecture de mon baromètre. Redescendu,
à environ 5,000 mètres, tous ces effets disparurent.
Dans mes nombreuses stations dans la région des Andes , j’ai vu souvent les
condors tournoyer sur les flancs des plus hautes montagnes, mais jamais planer
au-dessus de leur sommet; il ne faudrait pas toutefois se hâter de rien conclure;
car les hauteurs où ils arrivent sont si grandes qu’on ne les voit plus que comme
de petits points noirs ; et s’il y en avait à la hauteur du sommet de l’Aconcagua, ils
seraient certainement invisibles lors même que l’on serait soi-même à 5,000 mè-
tres, c’est-à-dire plus haut que le Mont Blanc. A 4,000 mètres on trouve dans
les Andes du Chili des guanacos, des cygnes, des canards, des tourterelles et
même des oiseaux-mouches. A. Pissis.
Si les voyageurs qui se sont contentés de traverser les passes de
la Cordillère ou de séjourner sur les hauts plateaux habités de Ja
Bolivie et du Pérou ont éprouvé de pareils accidents, on doit sup-
poser que ceux qui ont, de propos délibéré, tenté l’ascension des
montagnes qui dominent le niveau moyen de la chaîne, ont été plus
éprouvés encore. Il n’en est pas cependant toujours ainsi. Nous
avons vu que de Humboldt, que Boussingault, avaient été beaucoup
moins malades sur le Chimborazo que les autres voyageurs à
Cerro de Pasco ou même à la Paz. D’autres exemples sont non moins
curieux.
Ainsi, le 14 janvier 1845, Wisse1 descend dans le cratère du Rucu-
1 Exploration du cratère du Rucu-Pichincha. Nouv. arm. des voyages, t. CYI1 p 106-
112 ; 1845.
HISTORIQUE.
62
Pichinclia à la profondeur de « quatre fois la plus haute pyramide
d’Égypte », et remonte; il 11e parle d’aucun trouble physiologique.
Nous aurons à nous expliquer plus tard sur ces différences. Elles
sont telles que certains voyageurs en arrivent à nier les malaises
des altitudes, pour ne pas les avoir éprouvés, et l'on voit reparaître
les explications sur l’air empoisonné, qu’ont acceptées à la fois les
Indiens des Andes et ceux de lTIimalaya.
Le récit le plus remarquable que je connaisse, sous ce rap-
port, est celui du voyageur français Jules Rémy1 2, qui, le 2 octo-
bre 1850, fit l’ascension du Pichincha (4800111). Le temps était
magnifique, il faisait chaud au sommet de la montagne, où les
oiseaux-mouches bourdonnaient nombreux. Rémy n’éprouva aucun
malaise. :
Ma respiration est libre, Tacite, heureuse , et je n’éprouve aucun symptôme de
malaise, Tait important à noter, car il confirme mes observations précédentes,
tout en combattant celles d’autres voyageurs qui avaient établi qu’à ces hauteurs
la diminution de la colonne atmosphérique cause des troubles graves dans divers
organes.
Nous 11e connaissons que le Cerro de Pasco, montagne du Pérou, célèbre par les
mines d’argent qu’on y exploite , où les phénomènes morbides qui se manifestent
dans l’organisme animal soient constants et universels. Là, on est pris infaillible-
ment d’une affection singulière, le soroche
Mais, si l’on observe que le Cerro de Pasco n'est qu’à 10,000 pieds environ au-
dessus de l’océan, et que, après avoir marché de sept à huit lieues, l’état normal
de santé renaît subitement, quoique l’on soit alors à une altitude beaucoup plus con-
sidérable , on est bien forcé d’admettre que la pression atmosphérique n’entre
pour rien dans les causes du soroche, qu’on doit peut-être attribuer aux émana-
tions du sol.
Cependant, en lisant avec attention le récit même de J. Rémy, on
y trouve des indications de l’influence fâcheuse des hauleurs ; mais
leur peu d’imporlance avait échappé à notre voyageur.
La môme immunité se manifeste chez lui dans l’ascension qui,
le 5 novembre 1850, l’amena jusqu’au sommet du Chimborazo 3 ;
naturellement ses conclusions négatives se trouvent ici singuliè-
rement renforcées. Le campement de la veille se fit à 4700m, un peu
au-dessous des neiges perpétuelles :
La montée continuait à être si rapide que bientôt, sous le poids de la fatigue,
nous étions obligés de nous arrêter fréquemment pour reprendre haleine. Dès lors,
la soif se ht violemment sentir.... Mais nous n’éprouvâmes aucun symptôme de
1 Ascension du Pichincha. — Châlons-sur-Marne, 1858.
2 Réiny (.Iules) et Brenchley, Ascension du Chitubora:o. — Noue. ann. des voyages.
t. CL III, p. 230-258; 1857.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — AMERIQUE DU SUD.
05
malaise ou d'affection morbide quelconque, dont parlent la plupart des voyageurs
qui ont fait l’ascension de hautes montagnes.
Dès que nous avions suspendu notre marche pendant quelques secondes , sans
même nous asseoir, nous la reprenions avec une nouvelle ardeur , avec une sorte
d'acharnement que nous inspirait la vue si rapprochée du sommet. Il nous parut
évident, par cette nouvelle expérience qui venait en confirmer tant d’autres précé-
dentes, qu’à ces hauteurs la colonne atmosphérique est encore suffisante pour ne
pas gêner la respiration, et que c’est à une autre cause qu’il faut attribuer la
courte haleine et lès accidents organiques dont on se plaint généralement en
gagnant des hauteurs notables.
Les deux voyageurs ayant continué leur route au milieu des
nuages pensent, d’après l’observation de l’ébullition de l’eau, avoir
atteint le sommet du Chimborazo, qu’ils estiment à 6545m.
Mais il s'en faut de beaucoup que tout le monde soit aussi
heureux. Dans un voyage récent, Sluebel1, tout en mettant en
garde le lecteur contre certaines exagérations, avoue qu’il a nota-
blement souffert dans l’ascension du Cotopaxi.
Le 8 février 1875, à sept heures du matin, les voyageurs parti-
rent de la hauteur de 5615“ ; à deux heures, ils étaient à 4498,n.
Ils arrivèrent sans grandes difficultés au sommet du volcan de
Tunguragua (492 7m), sans être fatigués et « sans éprouver de mal
de tête. » (P. 275.)
Le 8 mars, ascension du Cotopaxi (5945m, 6=5°, 5) en partant de
la ferme Saint-Élie :
Quelques-uns de mes gens avaient pris l’avance, d’autres étaient restés en arrière.
Ils étaient fatigués , devenus un peu craintifs , et se plaignaient de douleurs de
tête.... L ’cirenal a une inclinaison de 55 0 ; il brise les forces, de sorte qu’il faut
employer toute son énergie morale pour ne pas tomber au moment de toucher le
but.... Nous avons mis vingt-huit minutes pour chaque cent mètres. (P. 282.)
Nous commençâmes à descendre.... je retrouvai peu à peu chacun de mes
hommes ; l'un était resté à 50 mètres des bords du cratère , dans l’impossibilité
d'atteindre le but si rapproché ; les autres à 400, et la plupart des muletiers beau-
coup plus bas. Comme moi, tous souffraient d’un mal de tête très-violent. Un seul
lie sentait rien et n’était pas fatigué ; il portait mon baromètre, qui est encore
assez lourd. Un muletier ne dépassa pas la hauteur de 5,600 mètres. Je pus
constater que les vomissements sont les effets de l’air de ces grandes altitudes,
mais non d'une faiblesse passagère de l’estomac.
Cependant, ni dans cette ascension ni dans les précédentes, je n’ai vu le sang partir
par le nez* la bouche et les oreilles de mes gens. Ce sont des circonstances sur
lesquelles d’autres voyageurs insistent avec prédilection. Certainement il doit pa-
raître étrange que M. Reiss et moi , nous ne citions aucun cas de ce genre. Or,
1 Voyages aü Chimborazo, à l’Altar, et ascension au Tunguragua , lettre du 18 avril
1875. Bull, de la Soc. de géogr., 6e série, t. Vif p. 258-295; 1875.
HISTORIQUE.
Ci
nous avons atteint trois fois 6,000 mètres et plusieurs autres lois 5,000 mètres,
altitude à laquelle peu de voyageurs ont monté. Or, toujours nous avons emmené
avec nous un certain nombre d’hommes de races différentes.... Le résultat scien-
tifique de ces ascensions , dans lesquelles l’homme n’atteint les cimes qu'en em-
ployant toutes ses forces, sera toujours de peu d’importance. (P. 285.)
g 2. — Amérique centrale et septentrionale.
Amérique centrale. — Les républiques de l’Amérique centrale ne
contiennent pas de sommets dont l’élévation soit comparable à ceux
de la grande Cordillère. Aussi est-ce avec une vive surprise que j’ai
rencontré dans les récits d’un navigateur anglais du dix-septième
siècle, de Wafer1, une indication très-nette du mal des montagnes.
Wafer faisait partie de l’expédition de Dampier, et appartenait à
la troupequi essaya de traverser l’isthme de Darien, en 1681. Il se
blessa grièvement, et tomba avec quatre autres Anglais entre les
mains des Indiens qui, après diverses aventures, lui rendirent sa
liberté. Ils partirent alors du voisinage de la mer du Sud pour se
rendre à la mer du Nord :
Nous traversâmes, dit-il, plusieurs montagne; fort. hautes, mais la dernière les
surpassait toutes ; nous fûmes quatre jours à la monter, quoiqu’il y eût quelques
enfoncements par-ci par-là. Dès que nous eûmes atteint le sommet, je sentis que
la tête me tournait d’une étrange manière; je le dis à mes compagnons et aux
Indiens, qui me répondirent tous qu’ils se trouvaient dans le même état. Il y a
grande apparence que cela venait de la hauteur excessive de cette montagne et de
la subtilité de l’air.... Notre vertige nous quitta à mesure que nous descendîmes.
(P. 174.)
11 convient de noter que Wafer et ses compagnons, que les In-
diens eux-mêmes, ses guides, étaient dans un étal de fatigue voisin
de l’épuisement complet. Mais, malgré celle circonstance aggravante,
dont nous verrons plus tard l’importance, je ne puis me rendre
compte des circonstances dans lesquelles a pu se trouver Wafer
qu’en admettant qu’il ait assez dévié vers le N. 0. pour rencontrer
le Chiriqui (54oOm), ou plus loin encore, mais plus près de la mer
du Nord, le Pico Blanco (560Ü"1).
Les seuls explorateurs qui, dans les temps modernes, aient fait
l’ascension des volcans< les plus élevés de l’Amérique centrale,
1 Voyage de M. Wafer, où l’on trouve la description de l'isthme de rAmérique; inséré
dans le tome IV du Voyage aux terres australes, de G. Dampier. — Rouen, 1715.
LES VOYAGES EM MONTAGNES. — AMERIQUE CENTRALE.
65
MM. A. Dollfus et de Montserrat1, ne signalent jamais dans leurs
récits si détaillés et si intéressants le malaise spécial des grandes
hauteurs; or ils le connaissaient, Lavant éprouvé, comme nous le
verrons plus loin, dans leur voyage au Popocatepetl.
Les hauts plateaux habités du Mexique ont donné lieu à des ob-
servations analogues, et nous verrons; dans le chapitre consacré à
l’analyse des explications théoriques données par les auteurs, que
c’est précisément à leur propos que s’est élevée la discussion la
plus fructueuse pour le sujet de ce livre. Je crois devoir transcrire
ici deux citations intéressantes relatives aux phénomènes observés
chez les animaux :
Les chevaux et les mulets dans le Mexique sont, ditBurkbardt 2, souvent sujets
à une maladie qui est peu ou pas connue en Europe. Si on les force pendant la
chaleur du soleil à de grands efforts ou à un mouvement vite et continuel, ils sont
aisément pris d’un battement de cœur et d’une accélération du pouls et de la cir-
culation si grande que par tout le corps arrivent de fortes convulsions.
l)e larges saignées sont le meilleur remède contre cette maladie , que les Mexi-
cains nomment asoleado.... Aussi, avant d’acheter un cheval ou un mulet , a-t-on
soin de faire un peu galoper l’animal, et d’observer ensuite si des battements au
garrot manifestent la maladie. Souvent les animaux tombent, par suite de celte
affection, lorsqu’un les fait travailler sans interruption. (T. I, p. 05.)
J’emprunte l’autre citation à Heusinger*, qui lui-même l’a prise
dans Elliolson :
M. Lyell raconte que les Anglais qui possèdent des mines sur le plateau du
Mexique, dans une hauteur de 9,00Ü pieds au-dessus de la mer, y conduisaient
des chiens lévriers pour chasser les lièvres; mais ils ne pouvaient pas supporter la
chasse dans l’air raréfié, ils étaient hors d'haleine avant d'atteindre le gibier. Au
contraire, leurs petits nés dans cet air ne souffrent pas dans l’air raréfié, ils chas-
sent et atteignent le gibier aussi bien que les meilleurs lévriers de l’Angleterre.
(T. I, p. 260.)
Mais je ne dois pas oublier que je m’occupe ici tout particulière-
ment non des accidents quasi-chroniques et peu nets qui suivent le
séjour prolongé sur des hauteurs relativement médiocres, mais de
ceux qui frappent soudain les voyageurs qui font l’ascension des
montagnes très-élevées.
A ce point de vue, parmi les montagnes dont la hauteur se trouve
ainsi sur la limite à laquelle apparaissent les troubles physiologi-
1 Voyage géographique aux républiques de Guatemala et de San Salvador. — Paris,
1868.
- Aufenlhalt und Reiscn in Mexico in den Jahren 1825 bis 185 i. — Stuttgard, 1856.
5 Recherches de pathologie comparée. — Cassel, 1855.
66
HISTORIQUE.
ques dus à l’altitude, il convient de citer tout particulièrement le
Popocatcpell (5420,n).
Depuis les temps (LM 9) où l’intrépide Ordaz y monta sur l’ordre
de Fernand Cortez, et reçut, pour prix de son courage, l’autorisation
de porter un volcan sur son blason, et où une seconde expédition es-
pagnole fut envoyée par le même conquérant pour y chercher du
soufre (1522) l, aucun ascensionniste n’avait foulé le sommet du
géant des montagnes mexicaines. Le premier Européen qui en fit
l’ascension est le lieutenant anglais W. Glennie, le 20 avril 1827.
Les sensations éprouvées par M. Glennie, dit le secrétaire de la Société Géologique
dans l’extrait qu’il donne d’une lettre 2 * * de ce voyageur, sont celles qu’ont déjà
décrites les voyageurs à de grandes élévations, c’est-à-dire, abattement, difficultés
respiratoires et mal de tête, ce dernier accident s’étant manifesté d'abord à la hau-
teur de 16,895 pieds (5147m). On a trouvé que le tabac et les liqueurs spiritueuses
produisaient un effet extraordinairement rapide sur le sensorium.
Peu d’années après, le 27 avril 1854, le baron Gros5, attaché à la
légation française de Mexico, fit l’ascension à son tour.
Arrivé au delà delà limite de la végétation, il s’écrie :
L’on commence à sentir que l’on n’est plus dans la sphère où il est possible de
vivre. La respiration est gênée ; une sorte de tristesse qui n’est pas sans charmes
s’empare de vous. (P. 50.)
11 passa la nuit à cette hauteur. Avant de se coucher, les voya-
geurs montèrent un peu plus haut « pour accoutumer en quelque
sorte nos poumons à respirer par degrés un air si peu fait pour
eux. » (P. 51 .)
Le lendemain matin, Gros et ses six compagnons se mirent en
route :
Nous marchions l’un derrière l’autre, notre bâton ferré à la main.... Nous allions
très-lentement, et force était de nous arrêter de quinze en quinze pas, pour pouvoir
reprendre haleine. Le flacon d’eau sucrée m’était d’un grand secours ; car, obligé
de respirer la bouche béante, mon gosier se desséchait au point de devenir dou-
loureux. (P. 55.)
A 9 heures, nous avions atteint le Pico del Fraïle.... Nos guides refusèrent, par
crainte superstitieuse, de continuer le voyage.... L’oppression que j’éprouvais
était moins forte que je ne l’avais craint, et mon pouls ne battait que 120 pulsa-
tions par minute. (P. 54.)
1 Jourdanet, Pression de l'air, t. I, p. 212.
2 L. W. Glennie, The asccnt of Popocatapcll (sic). — Procecdi ngs of the geolog Soc.
of London , vol. I, p. 75; 1854.
5 Gros (baron), Ascension au sommet du Popocatcpell. Lettre du 45 niai 1854. oiiv,.
ann. des voyages, t. LXIV,‘p. 44-68, 1854.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — AMÉRIQUE CENTRALE. 67
Les voyageurs continuèrent seuls leur roule, trouvant « terrible-
ment lourds » les instruments dont ils avaient dû se charger. Pour
se reposer, ils déjeunèrent :
Mais légèrement; il serait imprudent à cette hauteur de manger un peu trop,
ou de boire quelque liqueur spiritueuse, car le système nerveux s’y trouve excité
d’une manière inconcevable. (P. 55.)
A midi, nous avions atteint le sommet des rochers perpendiculaires ; mais nos
forces commençaient à manquer, et de 10 pas en 10 pas nous étions obligés de
faire une longue pause pour respirer et permettre à la circulation du sang de se
calmer un peu.
Il fallait crier très-fort pour se faire entendre à vingt pas de distance. L’air est
si rare à cette hauteur , que j’ai essayé inutilement de siffler, et que M. Egerton
avait toutes les peines du monde à tirer quelques sons d’un cornet qu’il avait
pris avec lui.
A 2 heures 1/2, M. de Gérolt était sur le point le plus élevé du volcan. Il sau-
tait de joie. (P. 57.) .
Nous étions harassés, j’éprouvais un violent mal de tête et une pression assez
forte sur les tempes; mon pouls battait 145 pulsations par minute et 108 seule-
ment après avoir pris quelque repos ; mais je ne me trouvais guère plus oppressé
qu’au Pico del Fraïle. Nous étions tous les quatre d’une pâleur effrayante ; nos
lèvres étaient d’un bleu livide, et nos yeux enfoncés dans leur orbite ; aussi, lorsque
nous nous reposions sur les rochers, les bras jetés par-dessus la tête, ou que nous
nous étendions sur le sable, les yeux fermés, la bouche béante, et sous nos mas-
ques de crêpe, pour respirer plus aisément, ressemblions-nous à des cadavres....
Nous avons vu trois corbeaux voler à 200 pieds au-dessus de nous. (P. 67.). . . .
Un grand nombre de tentatives ont été faites pour monter au sommet du
volcan ; presque toutes ont échoué par des causes différentes. Arrivés à une cer-
taine hauteur, quelques voyageurs ont été pris de vomissements de sang, qui les
ont forcés à renoncer à leur entreprise. Cependant, en 1825 et en 1850, quelques
Anglais sont parvenus jusqu’au cratère. M. W. Glennie est le premier , je crois,
qui l’ait vu. (P. 68.)
Les voyageurs redescendirent et passèrent la nuit au même en-
droit que la veille :
Nous étions trop fatigués et surtout trop agités pour bien dormir. Eveillé , je
ne parlais que du cratère , et si je venais à m’endormir , je remontais là-haut,
l’oppression recommençait, et je me réveillais en sursaut. (P. 64.)
MM. Truqui et Graveri, dans leur ascension de septembre 1855,
furent plus heureux :
Je dois faire observer, dit l’un d’eux S que nous n’éprouvâmes presque aucune
gêne de la respiration pendant l’ascension ; il nous parut au moins que si nous
ressentions quelque oppression, il n’y avait lieu de l’attribuer qu’à la fatigue d’une
montée longue et difficile. (P. 316);
1 Ascension du volcan du Popocatepetl (montagne de la fumée) en septembre 1856.
Nouv. ann . des voyages, t. CLIII, p. 504-317; 1857.
68
HISTORIQUE.
Eli janvier 1857, lut exécutée, sous la conduite de M. Laverrièrc,
directeur de l’École d’agriculture de Mexico, une ascension scien-
lifique au Popocatepetl, expédition qui faisait partie d’une série de
recherches sur l’histoire naturelle du Mexique entreprise avec la
plus louable ardeur par le gouvernement du général Comonfort.
M. I .avcrriére a bien voulu rassembler dans ses noies et ses sou-
venirs les faits qui, dans cette ascension si fructueuse au point de
vue physique et géographique, présentèrent un intérêt physiologi-
que. Je reproduis en entier sa communication pour laquelle je lui
exprime mes remercîmcnts :
Parmi les travaux qui nous étaient dévolus se trouvait l’ascension du Popoca-
lepell, situé au sud-est de la ville de Mexico. C’est par cette ascension que je
pensais devoir commencer nos opérations, attendu que la saison où nous nous
trouvions alors m’y paraissait plus propice que toute autre.
En effet, tous ceux qui, avant nous, avaient tenté l’ascension du Popocatepetl,
avaient échoué ou n’a\aient qu’imparfaitement réussi. Oubliant la latitude et les
particularités du climat mexicain, ils avaient opéré à des époques où des explo-
rations analogues se font en Europe, c’est-à-dire au printemps ou en été. Je
crus, au contraire, devoir profiter pour notre expédition de la saison d’hiver,
époque à laquelle l’atmosphère au Mexique est d’une transparence parfaite favo-
rable aux observations, et où, par suite de la température relativement plus basse,
les neiges qui enveloppent la portion supérieure du cône occupent une surface
plus grande sur ses pentes, ce qui diminue la longueur du trajet dans les sables
sans consistance et profonds qui les garnissent, tout en offrant, par leur dur-
cissement, un point d’appui plus ferme aux pieds du voyageur.
En conséquence, notre petite caravane, composée du Dr Sonntag, ingénieur
astronome, d’un majordome, de deux élèves de l’Ecole d’agriculture et de trois
domestiques, quittait Mexico (2278m) le samedi 17 janvier 1857, par un temps
très-chaud, traversait le 18 Chalco situé sur le lac du même nom, Amecameca
(2495'") le 19, et s’engageait dans les vastes sapinières qui couvrent les pre-
miers contreforts du volcan, pour arriver au rancho deTlamacas (3S99m) le 20
au soir.
Le rancho de Tlamacas, situé au pied du versant nord du volcan, se compose
de quelques cabanes où l’on épure les soufres que, de temps à autre, on va
chercher au fond du cratère. 11 occupe une clairière près de la limite de la végé-
tation forestière, et dans son voisinage on rencontre plusieurs variétés de pins,
remarquables par leur rusticité, par l’excellence de leur bois et l’abondance de
leur résine, susceptibles d’être acclimatés en Europe.
C’est dans cet endroit qu’on passa la nuit. À six heures du soir, le thermo-
mètre à l’air libre marquait — 0°5C., et — 2° C. une heure plus tard. Malgré
un bon feu et nos couvertures, nous eûmes un sommeil agité, qui ne nous pro-
cura pas beaucoup de repos; les Indiens, au contraire, dormirent comme des
souches, et le lendemain, de bonne heure, ils étaient debout, dispos et gais, pen-
dant que nous étirions nos membres et que nous faisions des mines renfrognées.
Le mercredi 21 janvier, à cinq heures du matin, tout le monde était à cheval
et partait en silence ; les Indiens suivaient à pied. Le froid était si pénétrant,
que malgré nos vêtements assez épais, nous grelottions à qui mieux mieux. Un
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — AMÉRIQUE CENTRALE. 09
quart d’heure après, on quittait le bois pour aborder la région des sables en
se dirigeant droit vers la pente déjà rapide du volcan. Les chevaux enfonçaient
jusqu’au jarret, avançaient lentement, péniblement. Bientôt il fallut s’arrêter
fréquemment pour les laisser souffler, car l’air était si piquant, le sentier si
raide, qu’à peine ils pouvaient respirer.
A huit heures et demie on atteignait la Cruz (4290m). Les chevaux étaient ren-
dus, couverts de sueur, haletants. On mit pied à terre, et on les renvoya à Tla-
camas. Pour nous, engourdis par le froid, nous reposâmes un peu sur le sable
réchauffé par le soleil qui commençait à devenir brûlant.
A neuf heures, chacun se mettait en route, le bâton à la main, à la suite de
notre guide indien, Angel, qui, les pieds enveloppés dans quelques chiffons, ou-
vrait la marche d’un pas singulièrement dégagé comparé au nôtre.
Nous le suivions avec peine, malgré le soin que nous avions pris d’alléger au-
tant que possible nos vêtements et nos chaussures.
Bientôt on atteignit la bande de glace qui précède les neiges. Elle fut franchie
sans trop de difficultés, grâce à des entailles pratiquées à la hache par un Indien
dépêché à l’avance avec ordre de nous tracer une piste jusqu’au sommet du
volcan.
A la limite des neiges perpétuelles (4400m sur le versant à cette époque de
l’année) je commençais à ressentir une lassitude sérieuse. J’étais trpmpé de
sueur, ma respiration était courte, accélérée, et il me semblait que des poids
énormes étaient attachés à mes pieds. Tout près de moi, un Mexicain d’Ame-
cameca, nommé Saturnino Perez, qui avait voulu nous accompagner, mon-
tait d’une plus ferme allure ; mais sa figure pâle, ses lèvres bleuies, ses yeux
hagards, la contraction de sa bouche, la dilatation de ses narines, montraient
assez les effets de l’altitude sur sa constitution, toute sèche et robuste quelle fût.
La rampe était rapide il est vrai ; mais comme la neige était compacte, nous
éprouvions moins de difficultés à avancer que lorsque nous étions dans les sables
et sur la glace. Seulement l’air était si délié, si sec, si froid, que cet avantage était
plus que compensé.
Bientôt, n’en pouvant plus, il fallut faire halte, halte très-courte, car le froid
nous saisissait incontinent. Tous les quarante ou cinquante pas on était obligé de
s’arrêter pendant une minute ou deux. Les poumons semblaient vouloir refuser
le service; ils n’avaient presque pas la force de soulever la poitrine qui, après
chaque inspiration, retombait pesamment sur elle-même.
A o ou 400 mètres du sommet, il y eut un moment d’hésitation, d’affaissement.
Bien que si près, le but à atteindre semblait encore énormément loin. La pente
extrêmement rapide, l’éclat métallique delà neige, le manque d’air, me causaient
un abattement inexprimable. Aussi fallut-il rassembler toute mon énergie, faire
appel à toute ma raison, et penser surtout à ma responsabilité, pour trouver la
force de continuer.
Enfin, grâce à un effort suprême, nous arrivâmes au bord du cratère (5280“ ;
température — 2° C.) par une échancrure à laquelle j’ai donné le nom de Brèche
Silicco, en souvenir du ministre éclairé qui nous avait envoyés. Il était une heure
et demie de l’après-midi, et la partie à pied de notre ascension n’avait pas de-
mandé moins de quatre heures et demie.
En dedans du cratère, et dès qu’on a franchi son bord, se trouve une pente
intérieure exposée au sud, formée par du sable et desdébris déroché. Nous nous y
laissâmes choir comme des masses inertes, n’ayant presque plus conscience de
nous- mêmes. Ma première sensation fut celle d’un bien-être inexprimable. Mais
ce bien-être dura peu. Le sable que j’avais d’abord trouvé chaud me sembla bien-'
70
HISTORIQUE.
tôt d’un froid insupportable. Le soleil, d’ailleurs, commençait à baisser, un petit
vent dur et sec venait de se lever. Je ne tardai pas à être pris de frissons. Pour
me réconforter, je voulus manger, boire quelques gorgées d’un xérès excellent
que nos braves Indiens avaient apporté. Mais la gorge était serrée, les aliments ne
pouvaient passer, leur vue me répugnait. Levin, au lieu de l’effet fortifiant attendu,
produisait un effet tout différent ; par suite, sans doute, de la perversion du goût,
je croyais avaler une eau-de-vie carabinée, une véritable liqueur de feu qui me brû-
lait littéralement les entrailles. En même temps, et malgré la lassitude, une agi-
tation singulière s’emparait de moi; c’était un sentiment d’inquiétude anxieuse,
d’angoisse, qui ne me permettait pas de rester en place. Et, pourtant, quand je
voulais me mouvoir, mes forces me trahissaient et me refusaient presque tout
service. J’en trouvai cependant assez pour remonter vers le bord du cratère où je
pris de la neige avec avidité afin de calmer un peu la soif ardente qui me dévorait.
Cette agitation se calma néanmoins un peu et les forces revinrent pendant quel-
ques heures. Mais le soir, et surtout pendant la nuit que nous passâmes blottis les
uns contre les autres sous un pan de rocher, il se déclara chez moi un état véri-
tablement fébrile; tête en feu, froid perçant dans les membres, 1*20 à 150 pulsa-
tions à la minute, anxiété insupportable, augmentée encore par les sourds gron-
dements qui retentissaient dans l’abîme à côté de nous. Ce fut une nuit dont le
souvenir ne saurait s’effacer. Aussi l’aube fut-elle saluée avec bonheur, et après
avoir recueilli avec peine les observations dont nous étions chargés, le signal du
retour fut donné; nous quittions le volcan à dix heures et, trois heures après,
nous étions rendus au ranclio de Tlamacas que nous avions quitté trente heures
auparavant.
La Commission scientifique1 qui accompagna notre malheureuse
expédition du Mexique fit aussi cette ascension le 25 avril 1865;
les souffrances furent très-supportables :
La limite des neiges perpétuelles commence à une hauteur d’environ 4500m au-
dessus du niveau de la mer.
Ici tout le monde met pied à terre, et on monte sur la neige en serpentant
légèrement.... Quand on a monté environ 100m, on commence à ressentir une
grande difficulté à respirer, les poumons sont oppressés, et chaque pas, chaque
mouvement du corps vous rend presque haletant ; on est forcé de s’arrêter tous les
vingt pas pour reprendre haleine, et il est certaines constitutions qui ne peuvent
supporter le malaise, assez faible du reste, qu’on éprouve.
La réverbération du soleil sur la neige est intense ; il est prudent de se munir
de verres colorés et de voiles pour ne pas ajouter à la fatigue et à l’essoufflement
les vertiges que vous donnerait sans aucun doute cet immense linceul de neige qui
vous entoure.
Nous avons pu observer, d’ailleurs, qu’on a beaucoup exagéré les souffrances
physiques inhérentes à une pareille ascension ; il n’a pas été question pour nous
d’hémorrhagies d’aucune sorte
Les Indiens, habitués à cette ascension, peuvent porter un arrobe ( 1 lk. ) et ils
montent très-rapidement
Nous arrivâmes au sommet du volcan (le sommet atteint par les voyageurs est
1 Récit d'une ascension du PopocatepetI , par MM. A. Dollfus, de Montserrat et Pavie,
Archives de la Commission scientifique du Mexique, t. II, p. 187-201. — Paris, 18GG.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — AMÉRIQUE CENTRALE. 71
YEspinazo de l Diablo (5247 m), et non le vrai sommet, le Pico May or (5450“)
Les derniers pas sont assez difficiles ; la raréfaction de l’air, devenant de plus en
plus grande, ajoute encore à la difficulté de l’ascension
À peine étions-nous arrivés au sommet que la difficulté de respiration qui nous
accablait cessa de se faire sentir, et nos poumons n’étaient plus oppressés dès que
nous demeurions en repos. Cependant, nous avons pu tous observer une certaine
exaltation, qui augmenta chez quelques-uns d’entre nous, au point de leur donner
un violent mal de têle ; cette exaltation peut se comparer presque à un léger état
d’ivresse ; le sang circule avec rapidité, et on peut compter près de cent pulsa-
tions par minute. (P. 194.)
Avec le Popocatepetl, il n’existe au Mexique que le pic d’Orizaba
(5400m) dont l’ascension puisse entraîner des troubles ou même
des accidents. C’est ce qui est arrivé à van Muller1 et à ses compa-
gnons, le 2 septembre 1856.
Les voyageurs passèrent la nuit à 5000 pieds espagnols du som-
met :
Les conséquences du séjour dans un air aussi raréfié se faisaient fortement sen-
tir chez nous tous. Nos mouvements respiratoires étaient devenus beaucoup plus
profonds et plus fréquents, suite naturelle de la moindre quantité d’oxygène qui
arrivait à nos poumons à chaque inspiration de cet air léger. Tous nous avions un
mal de tête violent avec mouvement fébrile. Ces accidents ne pouvaient nous
étonner, puisque nous étions à une hauteur plus grande que celle du Mont-Blanc...
Quoique couchés les uns près des autres, avec des peaux et des couvertures, nous
tremblions tous de froid et de fièvre. La température était au-dessous du point de
congélation. (P. 278.)
Le lendemain, ils voulurent terminer l’ascension :
La montée était extrêmement rapide, tellement qu’en 25 pas, nous ne faisions
pas plus de 8 à 10 pieds : encore fallait-il nous arrêter après ces 25 pas. . . .
Aucun de nous n’eut pendant l’ascension de saignements de nez ou accidents
semblables ; seulement, nous avions une grande congestion sanguine à la tête,
tellement que le blanc de nos yeux était d’un rouge foncé Tous avaient de vio-
lents maux de tête, et tremblaient terriblement à cause de la fièvre. (P. 282.)
Une compagnie nombreuse de voyageurs américains, anglais et
mexicains, comprenant des artistes, des ingénieurs et de simples
touristes, voulut atteindre, en 1866, le sommet de ce pic.
Eux non plus n’y purent parvenir. Ils furent très-éprouvés par
des souffrances dont l’un d’eux a fait dans le Picayune de la Nou-
velle-Orléans un récit fort imagé, et fort bizarrement rédigé. Je n’hé-
site pas à déclarer, tout en le reproduisant, qu’il me parait empreint
d’une véritable exagération; j’ajouterai, avec le rédacteur de Yàl-
1 Reisen in den Vereinigten Staaten, Canada und Mexico. — Leipzig, 1864.
Il
HISTORIQUE.
pine journal, que je ne suis pas bien sûr d’avoir toujours compris ce
qu’a voulu dire bailleur1, dans son style obscur et ampoulé :
Ils montaient d’abord en chantant et en sifflant; mais ces bruyantes démonstra-
tions cessèrent bientôt. La respiration devint difficile Jusqu’à environ 200(3
pieds du sommet, les membres de la compagnie étaient éparpillés à une grande
distance les uns des autres. A ce moment, quelques-uns devinrent faibles et tom-
bèrent. Le sang commença à sortir par les oreilles et le nez; les figures étaient
tellement enflées que de vieux amis ne se reconnaissaient que par les habits. Lu
petit nombre continuèrent à monter un millier de pieds, se couchèrent, dormirent
sur la neige ou la poussière noire, et se réveillèrent haletants. Les artistes,
chargés de leurs instruments, se ressentirent fortement des effets douloureux de
l’atmosphère; d’un commun accord, ils tournèrent le dos et redescendirent au
point où s’étaient arrêtés nos compagnons sans ambition et mal’ partagés en
poumons
Les ingénieurs et les autres se couchèrent; ils marchaient en trébuchant, incapa-
bles de volonté ou d’action, et appelant ceux qui se trouvaient en avant. N’était
la lutte continuelle pour se rattraper à la vie, l’angoisse de la respiration, la
perte constante du sang, on se serait cru rêvant endormi dans un creux de neige
ou une gorge pleines de cendres. Nous étions alors à 10,000 pieds environ Le
général S continua vers le sommet. Nonobstant les prétentions des gens du
pays, il est douteux que personne soit allé aussi loin que nous. Pendant la guerre
avec le Mexique, il y a 20 ans au plus, un officier essaya d'atteindre le sommet;
mais il tomba paralysé, à la hauteur de 15,000 pieds. Ses camarades n’allèrent pas
plus loin et plantèrent sur ce point un élendard dont la hampe y est encore.
Les deux tiers des nôtres étaient hors de vue; trois seulement, en outre des
guides effrayés, continuèrent leur chemin. Le sang sortait par les oieilles, les na-
rines, la bouche, et les veines se dessinaient sur le front comme de grosses lignes
noires; notre marche était de plus en plus incertaine, la pente plus abrupte et
périlleuse Le colonel C..., complètement épuisé, fit un discours incohérent,
comme un ivrogne.
Une pierre qui vint briser l’épaule du général S.... les força à la
relraite, à environ 500 pieds du sommet.
Amérique septentrionale. — L’Amérique du Nord possède, comme
nous l’avons vu, sur beaucoup de points, des sommets assez élevés
pour que les voyageurs y puissent éprouver les accidents du mal
des montagnes. Mais les rudes explorateurs des rives du Colorado,
de l’Orégon et du liant Missouri, se soucient .peu des ascensions
scientifiques et pittoresques. D’autre part, les ingénieurs et les
officiers qu’à plusieurs reprises le gouvernement des Etats-Unis a
envoyés dans le Far- West se sont le plus souvent contentés de faire
des relevés trigonomélriques, et n’ont guère cheminé que sur les
cols, dont l’élévation atteint rarement 5000m,
1 Attempted ascent ofOrixaba, — Alpine journal , t, III, p. 210-214. — London, 1867.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — AMÉRIQUE DU NORD. 73
Cependant, le colonel Frémont, dans le récit de son expédition
aux monlagnes [Rocheuses de l’Orégon, nous fournit une observa-
tion intéressante1.
Le 15 août 1842, par 42ü lat. N., les voyageurs firent l’ascension
d’un pic élevé, et se trouvèrent tout à coup extrêmement fatigués.
Le baromètre marquait 20p,522, l’altitude fut estimée à 10000
pieds environ (5050m) ; la température n’était que de 50° F. ; iis
s’arrêtèrent pour camper :
Je fus pris peu de temps après, dit Frémont, de maux de tête violents et de
vomissements qui durèrent presque toute la nuit. Ces accidents étaient probable-
ment causés par la fatigue excessive, le manque d’aliments et aussi, dans une cer-
taine mesure, par la raréfaction de l’air
Le lendemain, deux de nos hommes furent malades et se couchèrent sur le ro-
cher; à ce moment je fus pris de maux de tête, de vertiges et de vomissements,
comme la veille, au point d’être incapable d’aller plus loin; M. Preuss n’en pou-
vait pas davantage, le baromètre était à 19p,401 et le thermomètre à 50° (p. 07).
15 août.... Le baromètre descendit à 18,295 et le thermomètre à 44°; nous étions
à 15,570 pieds (41 50m) ; à ce point extrême nous vîmes voler une abeille soli-
taire C’est probablement ici le plus haut pic des montagnes Rocheuses.
Notre méthode, pleine de précaution, d’avancer lentement, avait épargné mes
forces; et à l’exception d'une légère disposition au mal de tète, je ne ressentis rien
du malaise de la veille (p. 70).
La montagne dont il est ici question est désignée sur les cartes par
le nom de Fremonl’s Peak (4:150“), dans l’État de Wyoming.
Pans le voyage suivant, exécuté en J 845-44, l’expédition améri-
caine traversa la Sierra-Nevada de Californie à une hauteur de
950ÜP, Je 20 février (ibid. p. 255) ; le 18 juin 1 844, elle atteignit aux
sources de l’Arkansas, par 11 200p (5415m) (p. 285); dans l’un ni
l aulre cas le récit ne porte indication de troubles physiologiques.
J’ai trouvé à relever un récit analogue dans l’immense publica-
tion scientifique de l’expédition organisée pour l’établissement du
tracé du cliemin de fer trans-océanique.
Le 12 septembre 1855, le capitaine Gunnisson2, ingénieur topo-
graphe, fait l’ascension du Mont Creek, près du lac Fork dans le
Colorado :
L'effet agréable et réjouissant de l’air pur des montagnes à cette élévation, thème
favori de l’éloquence des trappeurs et des voyageurs, se manifesta chez nos hom-
1 Report of the exploration to the roçku mountains in the years 1842. — Washing-
ton, 1845.
Reports o f explorations ancl surveys to ascertain the most practicable and économie
eal route for a rail road from the- DUssis&ipi River to the Pacific océan. Vol, IL AYg-
shington, 1855,
74
HISTORIQUE.
mes par des éclats de joie bruyants. Mais les exercices physiques violents les ren-
daient bientôt hors d’haleine ; et nos animaux, en grimpant les collines, s’ils ne
s’arrêtaient souvent pour respirer, étaient bientôt tout à fait épuisés ; mais quel-
ques moments de repos leur rendaient leur force et leur vigueur. (P. 55.)
Ils n’étaient cependant qu’à 8559p (2610,m) ; baromètre 56imm,
température 17°, 5.
Le 2 septembre, ils avaient passé au point culminant de leur
voyage, par 1Ü0521' (5056m), à la passe de Coochetopa, dans le Co-
lorado; ils ne se plaignirent de rien. (P. 47.)
Le révérend Hines1 fit, le 24 juillet 1866, avec trois compagnons,
l’ascension du mont Hood dans l’Orégon. Ce ne fut pas sans peine,
comme il l’exprime énergiquement :
Il n’v avait plus que 700 pieds à faire environ, mais il fallut pendant deux
heures s’allonger les tendons, « sinewy tug », pour les grimper. Le soleil brillait
de nouveau, et la sueur ruisselait de nos fronts; mais en approchant du sommet,
l’abattement sembla disparaître, et c'est avec un sentiment de triomphe que nous
foulâmes le sommet delà plus haute montagne du Nord de l’Amérique. (P. 85.)
ïïines était sur ce dernier point dans l'erreur; Williamson2, qui est
remonté en 1867 sur le mont Hood, n’a trouvé, pour sa hauteur,
que 5420m ; il n’est donc pas le plus élevé de la chaîne des Cas-
cades, à plus forte raison de P Amérique du nord.
Plus récemment, un « mountaineer » anglais très-connu, M. Co-
leman, a fait l’ascension de montagnes aussi élevées et même plus
élevées que le mont Hood.
En août 1868, il monta sur le mont Baker (5590m)3 4. 11 ne parle
dans son récit que des exhalaisons sulfureuses dont souffrirent lui
et ses compagnons ; Pun de ceux-ci fut pris de vomissements (p. 565).
En août 1870, ascension du mont Bainier (4400m)\ sur le sommet
duquel il passa la nuit, se chauffant aux crevasses du volcan, mais
fort incommodé par leurs exhalaisons : ici encore, aucune indica-
tion physiologique. Mais cela ne prouve rien, car nous verrons, en
parlant des Alpes, que les ascensionnistes de profession semblent
aujourd’hui se faire un point d’honneur de ne jamais parler des
souffrances du mal des montagnes.
1 Asccnt of mount Hood. — Extract in Proceed. of the l\oy. Géogr . Soc., t. III, p. 81-
84; 1867.
2 Pelcrmann’ s Mittheil., t. XIV, p. 151 ; 1868.
5 Mountaineering on the Pacific. — Alpine journal , t. V, p. 557-567. — London, 1872.
4 Ibid., t. VI. 192-195 : 1874.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ETNA.
75
g 3. — Etna.
J’ai rappelé, dans le chapitre préliminaire, que les anciens avaient
fréquemment fait l’ascension de l’Etna (3313m); mais ils ne nous
ont rien laissé qui puisse faire croire qu’ils aient ressenti quelques
symptômes extraordinaires. Les auteurs du moyen âge, qui ont
suivi leurs traces, et ont raconté leurs propres voyages, ne sont
pas plus explicites qu’eux.
Pietro Bembo1, qui fit en 1494 l’ascension avec son ami Angelo
Chabriele, ne parle même pas de sa fatigue dans son célèbre dialo-
gue avec son fils. En 1540 et en 1545, Filoteo monte à l’Etna avec
plusieurs de ses amis : il ne dit rien de net2 3. Thomas Fazello 5 donne
un peu plus de détails dans le récit de son ascension du 6 « des ca-
lendes d’août » 1541 ; il ne voit cependant à signaler qu’une ex-
trême fatigue :
Nous dûmes monter à pied la cime de la montagne; l’ascension fut très-ardue :
ici les aspérités du terrain , là , des sables profonds nous retardant , nos pieds
glissant en arrière ; nous eûmes tant de difficultés enfin , que bien qu’il n’y ait
pas plus de 50 pas de hauteur , nous y perdîmes deux bonnes heures , et enfin
arrivés au sommet, haletants et ruisselants de sueur, nous nous couchâmes à terre,
(Decas I, liber II, caputIV ; t.I, p. 116.)
Mais un siècle plus tard, en 1671, l’illustre iatro-mathématicien
Borelli4, dont l'attention avait du reste été éveillée par les récits des
voyageurs dans l’Amérique du sud, constate des malaises qu’il si-
gnale nettement :
Parmi les observations remarquables que je pus faire au sommet de l’Etna dans
l'année 1671, se place un effet inattendu , dû à la raréfaction de l’air. Là, en
effet, des mouvements médiocres.... amenaient une telle lassitude, que des hommes
jeunes et robustes se voyaient obligés de se reposer , de s’asseoir , et de refaire
leurs forces en respirant fréquemment. (P. 242.)
Puis, il cherche à expliquer ces troubles; nous verrons qu’il en
donna successivement deux théories différentes. Mais les sensa-
tions qu’il avait signalées n’ont point été éprouvées par tous les
voyageurs, et nous voyons ici commencer une série d’apparentes
1 Opéré , vol. 4. Venet, 1729.
2 Ætnœ topographia; in Thésaurus antiq. sicül. — Lugd. Bat., 1723.
3 De Rebus siculis. — Gatane, 1749.
4 De motu animalium. Pars altéra , — Rome, 1681.
70 HISTORIQUE.
contradictions dont nous aurons, et de nos jours encore, à citer de
nombreux exemples.
En effet, Riedesel1, dans la relation de son voyage en Sicile, ra-
conte son ascension du 1er mai 1 767, et il ajoute :
Je n’ai pas trouvé, comme divers voyageurs l’assurent, l’air raréfié et subti-
lisé au point de couper ou pour le moins de gêner beaucoup la respiration; ce qui
peut dépendre, au reste, de la conformation et de*s dispositions de la poitrine et
des poumons de chaque sujet qui en fait l’épreuve. (P. 152.)
Demeunier2, IIoüel\ qui firent vers la meme époque la même
ascension, ne parlent d’aucun trouble observé. Delon4, arrivé au
sommet de l’Etna, s’écrie avec enthousiasme :
Un air éthéré qui presse, étonne l’existence, et en fait connaître une qui avertit
l’homme qu’il est hors de la région où ses organes l’enchaînent. On sent l’im-
pression de sa témérité....
Je laisse au lecteur le soin de décider si ce pathos exprime quel-
que phénomène physiologique, et négligeant là d’autres témoignages
aussi peu importants, j’arrive à ce que rapporte Dolomieu5, qui, le
22 juin 1781, fit l’ascension de l’Etna; le célèbre minéralogiste fut
très-sérieusement atteint, et son guide plus encore que lui :
Le .froid était très-vif...., souvent la respiration me manquait, et j’étais obligé
de m’arrêter tout court pour reprendre baleiné, et prévenir de fortes palpitations
que je ressentais dans les artères pulmonaires.... Mou guide me criait sans
cesse de marcher plus doucement, et lorsque j’arrivai sur la plaine, auprès de la
Tour du Philosophe0', il me déclara qu’il ne pouvait pas aller plus loin, qu’il se
sentait très-mal, et effectivement, un moment après, il tomba sans connaissance,
la pâleur de la mort sur la ligure, et dans l’état le 'plus fâcheux.... Quelques
gouttes de vin le firent un peu revenir ; mais il était sans force et semblable à un
homme qui va mourir. (P. 98.)
Dolomieu continua seul sa route et parvint au cratère sans que
son récit garde trace de souffrances véritables : il ne parle que de
sa fatigue.
1 Voyage dans la. Sicile et dans la grande Grèce , adressé par l’auteur à son ami,
M. "NVinckelmann ; traduit de l’allemand (sans nom d’auteur). — Lausanne, 1775.
2 Voyage en Sicile et à Mall/ie , t. I, p. 225. — Amsterdam, 1775.
5 Voyage pittoresque des is/es de Sicile, de Mdlthe et de fjpari, t. II, p. 105. — Paris,
1784.
4 Voyage en Sicile. — Paris, 1788.
5 Relation d'un voyage fait depuis peu sur ce volcan : in Voyage pittoresque ou des-
cription du royaume de Naples et de Sicile, par l’abbé Saint-Non. — 4e vol,, p. 91-104,
- Paris, 1785.
G Bâtie par Empédocle, suivant la légende, (Voir Fazello, loc. ciL , t. I, p. 115.)
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ETNA. 77
La narration que nous a laissée Spallanzani (le son ascension
du 5 septembre 1788 est intéressante, particulièrement à cause
de l’historique qu’il lait des appréciations des voyageurs qui l’ont
précédé : ,
La raréfaction de l’air au sommet de l’Etna ne produisit point sur moi les
mêmes effets qu’éprouvèrent quelques-uns des voyageurs qui m’avaient précédé. Le
chevalier Hamilton (26 septembre 1 7 G 9 ) sentit sa respiration gênée par la grande
subtilité de ce fluide ; le comte Borch (16 octobre 1776) en fut encore plus incom-
modé ; « la raréfaction de l’air sur celte montagne, dit-il , est très-sensible, et
telle que ce fluide n’y est presque plus propre à la respiration ». Biedesel (1767),
au contraire, n’en souffrit pas, ou n’en souffrit que très-peu, comme on le peut
voir par cette phrase : « Je ne me suis point aperçu que l’air fût aussi raréfié que
l’assurent plusieurs voyageurs, ni assez subtil pour empêcher de respirer , ou
même pour gêner beaucoup la respiration ». Brydone ('27 mai 1770) n’en parle
point, et je conclus de son silence que la subtilité de l’air ne le fatigua nullement.
Quant à moi, mon domestique et mes deux guides, l'air ne nous fit éprouver
aucune incommodité. La difficulté de grimper.... rendait, il est vrai , notre res-
piration pénible et précipitée; mais, parvenus au sommet, après un peu de repos,
nous retrouvions bientôt nos forces, et même en marchant nous ne sentions plus
de difficulté à respirer. (P. 272.) 1 2 *
L’illustre physiologiste ne fit pas là preuve de sa sagacité ordi-
naire; il n’a pas su distinguer, comme l’avait fait Borelli cent ans
auparavant, les effets de la marche d’avec l’état de repos, et quoi
qu’il en ait dit, on voit facilement que l’air lui fit éprouver de vérita-
bles, bien que légères, incommodités.
Ferrara*, dans sa description de l’Etna, va plus loin. Non-seule-
ment l’ascension n’occasionne, selon lui, aucun malaise, mais en-
core on respirerait avec plus de facilité dans un air si pur :
La densité diminuée de l’air, non moins que son extrême pureté, donnaient
une respiration grande, libre.... 11 ne s’est produit aucun des malaises que cer-
tains voyageurs disent avoir éprouvés h la cime de l’Etna ; ils étaient bien plutôt
un effet de leur mauvais état de santé. Tout le monde se portait bien. Dans son
ballon, à la hauteur de 21,482 pieds, Gay-Lussac allait bien. (P. 21.)
Le voyageur français de Gourbillon5, qui fit l’ascension le 10 oc-
tobre 1819, n’éprouva rien personnellement; mais il n’en fut pas
de même de ses compagnons de voyage :
M. Wilson avait étrangement souffert ; son visage, naturellement coloré, était
défait et pâle, sinon même entièrement livide. Moins âgé, plus ingambe, et n’ayant
point souffert autant des exhalaisons volcaniques qui avaient produit sur celui-ci
1 Voyages dans les deux Siciles, traduction de G. Toscan, t. ï. — Paris, an VIII
2 Descrizione dell’ Etna. — Palermo, 1818.
Voyage critique à l'Etna, en 1819,- 1. I. — Paris, 1820.
78
HISTORIQUE.
et sur le guide même un effet semblable à celui du mal de mer, mon autre com-
pagnon de voyage ne semblait ni plus frais ni moins empêché.... Lazare, en sor-
tant du tombeau, n’était pas plus pâle. (P. 456.)
De même, le comte de Forbin1, qui monta au cratère l’année
suivante, se trouva fort mal en point :
J’étais à peine à moitié chemin de la Tour du Philosophe au sommet, et déjà le
découragement s’emparait de moi. La raréfaction de l’air rendait la respiration
difficile : plus tard, l'oppression devint extrême, elle agit à un tel point sur un de
nos compagnons de voyage qu’il s’évanouit. On le secourut, et rappelant toutes nos
forces, nous atteignîmes, au bout d’une heure et demie, la plus haute sommité du
cratère.
Je n’avais ressenti de ma vie une telle fatigue;... ma première impression fut de
me trouver comme un malade, affaibli, troublé par les terreurs d’un cerveau fié-
vreux.. . La fatigue des sens, l’exaltation de l’imagination, jettent dans un état
voisin du délire. (P. 175.)
Vers la même époque, A. de Sayve fit cetfe ascension. Les résul-
tats en ont été racontés d’une manière fort intéressante par H. Clo-
quet, qui s’en servit utilement pour prouver l’influence des grandes
hauteurs sur l’organisme. Voici dans quels termes il en rendit
compte à la Société Philomathique2 :
Au mois de janvier 1820, M. H. Cloquet a publié quelques détails sur la topo-
graphie médicale de Mont S1 Bernard, et des réflexions touchant l’influence qu’a,
chez l’homme, le séjour sur les cimes sourcilleuses des hautes montagnes. . . .
Malgré ces faits, un célèbre auteur de nos jours, M. Ferrara, a pensé qu’il n’y
avait que les gens mal portants qui fussent incommodés en montant au sommet
de l'Etna, en Sicile. Un observateur judicieux, M. Auguste de Sayve, a visité ce
lieu fameux au mois de mai 1821, et se trouve en contradiction, sous ce
rapport, avec le savant M. Ferrara. Voici les principaux résultats des remar-
ques qu’on lui doit, résultats que M. Cloquet trouve propres à appuyer ce qu’il
a dit
C’est à la fin de la région des neiges que se trouve la petite plaine nommée
Piano del frumento , au commencement de laquelle sont les ruines.... connues
sous le nom de la Tour du Philosophe.... Avant même d’arriver à ce point,
M. de Sayve sentait qu’il respirait avec peine ; il était, malgré le froid, tourmenté
par une soif très-vive ; un peu de repos lui rendit ses forces, cependant.
Mais la scène devait changer.... On passe près d’une maison de refuge, qui est
au pied du cône, et qui est le bâtiment le plus élevé de toute l’Europe
(9,200 pieds) Il reste, pour arriver au sommet , un cône absolument nu, de
1,500 pieds d’élévation
A mesure que notre voyageur s’élevait sur ce cône du cratère , il sentait son
malaise augmenter, et était obligé de s’arrêter presque à chaque pas. Il éprouvait
dans tous les membres une faiblesse extraordinaire; il avait mal au cœur, et se
1 Souvenirs de la Sicile. — Paris, 1823.
2 Note sür les effets physiologiques de la raréfaction de l'air à de grandes hauteurs.
— Soc. philomathique* p. 120-122; 1822.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — PIC DE TÉNÉRIFFE.
79
croyant sorti dé l’élément convenable à sa nature, il cherchait, dit-il, à aspirer un
peu d’air, qu’il ne trouvait point dans ce moment critique ; et cependant il était
dans un parfait état de santé, lorsqu’il avait commencé son excursion ; son passage
à travers la région des neiges ne l’avait que peu fatigué ; on ne peut donc attribuer
les accidents qu’il a ressentis qu’à la raréfaction de l’air.
M. Aubert-du-Petit-Thouars.... a raconté à l’auteur qu’il avait éprouvé des sym-
ptômes analogues , et surtout une grande défaillance d’estomac, en gravissant la
montagne de l’ile de Bourbon, appelée le Bénard. M. Cloquet, d’ailleurs, a éprouvé
lui-même des accidents de ce genre, lorsque, dans les Alpes, il est parvenu à une
certaine hauteur.
M. de Sayve avait avec lui un compagnon quifut encore bien plus gravement incom-
modé ; et nous savons que l’infortuné Dolomieu, dans la même ascension, fut aussi
atteint de symptômes semblables à ceux que nous venons de signaler
Ces divers malaises sont assez variés et commencent à se manifester plus tôt
chez certaines personnes que chez d’autres ; mais on ne saurait les attribuer à la
fatigue; celle-ci n’a jamais de pareilles conséquences dans les montagnes qui ont
moins de 1,000 toises d'élévation.
Ils se montrent, du reste, également, et chez les animaux et chez l’homme.
Je ne pousserai pas plus loin ces citations. Les auteurs plus ré-
cents montrent les memes inégalités d’appréciation, et la plupart
ne disent rien des troubles physiologiques. Ce que j’ai rapporté suf-
fit pour montrer que l’Etna est, si l’on peut ainsi parler, une mon-
tagne limite , dans l’ascension de laquelle beaucoup de personnes
n’éprouvent aucun phénomène fâcheux, d’autres se trouvant, au
contraire, plus ou moins malades. Les premiers symptômes de
malaise étant précisément ceux d’une fatigue excessive, il en résulte
que les difficultés de l’ascension du cône suffisent pour tout expli-
quer aux yeux de la plupart des voyageurs ; quelques-uns mettent
le compte de l’oppression sur des exhalaisons nuisibles venant du
volcan par les fissures innombrables du sol. Il n’est donc pas éton-
nant qu’avant la constatation du malaise propre aux montagnes,
dans le massif des Andes, on n’ait rien signalé d’extraordinaire
dans les ascensions à l'Etna.
g 4. — Pic de Ténériffe.
Retrouvées au quatorzième siècle par des navigateurs français,
les îles Canaries furent conquises au quinzième siècle par les
Espagnols. Mais pendant longtemps personne n’osa tenter l’ascen-
sion du volcan, dont le sommet paraît d’autant plus élevé que son
pied plonge dans la mer.
Les appréciations les plus étranges et les plus exagérées étaient
80
HISTORIQUE.
mises eu avant sur reslimalion de sa hauteur. Selon TJi. Niçois1,
elle n’élait pas de moins de 15 lieues; Riccioli et Kircher l’eslimè-
rerit à dix milles italiens : en réalité, elle est de 571 6m.
Le premier récit d’ascension2 * que nous ayons rencontré est celui
d’un voyage exécuté en 1G52 par quelques « marchands considéra-
bles et hommes de grand crédit » : ils furent notablement frappés
par rintlucrice de l’air raréfié :
Nous commençâmes à six heures du matin à faire l’ascension du Pic
Quelques-uns de notre compagnie devinrent 1 rès— faib les et malades, et furent
atteints de diarrhées, vomissements et tremblements fiévreux Un de nous
se trouva mal, et ne put aller plus loin en avant. (P. 201 .)
Le célèbre Robert Bovlc 5 a recueilli un récit analogue, dans le-
quel l’action de l’air dilaté est, comme il arrive souvent pour les
ascensions des volcans, confondue avec celle des émanations ter-
restres :
Je demandai un jour à un homme intelligent qui avait vécu plusieurs années à
Ténériffe, s’il était monté au sommet du Pic, et ce qu’il avait éprouvé. 11 me répon-
dit qu’il y avait essayé, que plusieurs de ses compagnons avaient pu terminer
l’ascension, mais que, quant à lui et. quelques autres. Pair vit et les exhalations
sulfureuses les rendirent si malades qu’ils les arrêtèrent beaucoup moins haut.
L’effet de ces vapeurs était tel que sa peau devint jaune-pâle, et que ses cheveux
furent décolorés. (P. 2059.)
Tous les voyageurs rf éprouvèrent pas les mêmes effets, et, sui-
vant l’usage, ceux qui furent exempts de malaises se laissent
entraîner à nier ce qu’ont rapporté leurs prédécesseurs moins
heureux.
Edens4, qui monta sur le Pic en 1715, s’exprime ainsi :
Ce qu’on a dit sur la difficulté de respirer au sommet du Pic semble erroné;
nous y respirions aussi bien que dans le bas; nous y primes notre déjeuner.
(P. 180.)
1 « Au milieu d’icelle on voit une montagne grandement droite et. ronde qu’ils appel-
lent Pico de Teitlie, dont la situation est telle : sa pointe est fort droite et contient en
hauteur 15 grandes lieues, qui reviennent à plus de 45 milles anglais. » Description
des Canaries, par l'Anglais Niçois ou Midnnl ; in Traité de la navigation , par Pierre
Bergeron, préface des I oyages f ails en Asie dans les douzième, treizième, quatorzième
et quinzième siècles, t. I, p. 119. — fa Haye, 1755.
2 A Iieta/ion of llie Pico Ténériffe r'cceived from sonie considérable merchanls and
men worihg of crédit, who ment to the l'op of il. — Jlislorg of the Royal Society of
London , bg Th. Sprat, 5e éd. — London, 1722, p. 200-213.
5 Philos. Transac., 12 sept . 1070. Vol. XXIX, p. 517 525, 1717.
4 An Account of a journey front the port ofOralava in the 1 stand, of Tcncriff, to the
Top of the Die in August 1715. Mem. of the Dogal Soc. of London , 2° é<i., vol. VI,
p. 172-177. — London, 1745.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — PIC DE TÉNÉRIFFE.
Si
Le Père Feuilléc1, le 51 juillet 1724, fit l’ascension du Pic; il ne
dit rien qui puisse nous intéresser.
G. Glas 2 fut moins favorisé :
Nous arrivâmes, dit-il en effet, au pied du pain de sucre Bien que sa lon-
gueur ne soit guère que d’un demi -mille, nous fûmes obligés de nous arrêter pour
respirer, je crois, quarante fois, et quand nous fûmes arrivés au sommet, nous res-
tâmes bien un quart d’heure avant de nous remettre (p. 255).
Il en fut de même des savants que Labillardiôre 3 avait emmenés
dans son voyage à la recherche de la Pérouse :
Les citoyens Riche et Clavier, dit-il, avaient entrepris, un jour après nous,
(Labillardière, qui fit l’ascension le 17 octobre 1791 ne parle d’aucune sensation
fâcheuse), le voyage du Pic; mais ces deux naturalistes n’eurent pas le plaisir de
monter jusqu'au sommet; ils en étaient encore bien éloignés lorsque, leurs pou-
mons ne pouvant s’accoutumer d’un air trop raréfié, ils crachèrent le sang et
furent obligés de renoncer à leur entreprise (T. I, p. 27).
Il est vrai que, selon Bory Saint-Vincent \
Riche avait, une très-faible santé et une fort mauvaise poitrine.... Il est mort des
suites de son voyage, peu après son retour en France. (P. 182.)
De IJumboldt5 (ascension du 21 juin 1799) ne dit absolument
rien des troubles physiologiques.
Le célèbre géologue Cordier0, qui monta sur le Pic, le 16 avril
1805, s’occupe de ces troubles, mais pour les nier ou à peu près :
Ce qu'on a dit de la vivacité du froid, et de la difficulté de respirer sur le
Pic, n’est pas exact. Au reste, j’ai déjà éprouvé plusieurs fois que l’opinion généra-
lement reçue à cet égard est plus qu’exagérée; je vous assure que le froid était
très-supportable que la rareté de l’air ne nous incommodait nullement, quoi-
qu’elle nous eût forcé à faire des poses assez fréquentes en approchant du som-
met. (P. 61).
L’illustre Léopold de Buch, dans le récit de ses ascensions du
1 Mêm. acad. des sciences de Paris pour 1746, p. 140-142.
2 The History of liic Discovery and Conquest of the Canary Islands. — London, 1764.
3 Relation d’un voyage à la recherche de la Pérouse , fait par ordre de l’Assemblée
constituante, pendant les années 1791-1792 et pendant la première et la deuxième année
de la République française. — Paris, an VIII.
4 Essais sur les isles Fortunées et T antique Atlantide. — Paris, germinal an XI.
0 Voyage aux régions équinoxiales du nouveau continent , t. I, p. 123-145. — Paris,
1814.
6 Lettre au citoyen Devilliers fils. — Journal de phys ., de chim. et d'hist . nat.,
t. LYII, p. 55-65; 1803.
6
82
HISTORIQUE.
18 et du 27 mai 1815 1 , ne leur donne pas une place plus impor-
tante :
La montée devient plus difficile depuis VEstancia de los Ingleses . . . . Malgré cela,
les difficultés ne sont pas comparables à celles d’une ascension à la cime de l’un
des pics couverts de neige des Alpes Arrivés au cratère, nous vîmes tout à
coup paraître vis-à-vis de nous Mrae Hammond, écossaise, avec ses compagnons de
voyage. C’était la première femme qui fût jamais montée jusqu’à cette cime (P. 4).
Le 27 mai nous montâmes de nouveau au Pic (P. 5).
La narration de Dumont d’Urville2 est très-intéressante dans sa
brièveté. Il passa la nuit, en juin 1826, kVEstancia de los Imjleses :
L’air était très-pur, dit-il, je n’éprouvai aucun de ces violents malaises et de
ces suffocations ressenties par divers voyageurs. M. Quoy seul souffrit des maux
d’estomac, et M. Gaimard dormit toute la nuit sans rien éprouver Le lende-
main, en approchant du Pain-de-Sucre, nous étions fréquemment obligés de faire
halte pour reprendre haleine.... Nous déjeunâmes avec gaieté à la cime du Piton.
(P. 37).
Lors de son second voyage, en octobre 1857, les officiers de
Y Astrolabe et de la Zélée firent l’ascension du Pic. Dumont d’Ur-
ville3 rend compte onces termes de leurs sensations :
Conformément à mes observations en 1826, MM. Dumoulin et Coupvent ont remar-
qué l’engourdissement des extrémités du corps. Durant la nuit, le thermo-
mètre est descendu à — 0,5. MM. Dubouzet, Dumoulin et Coupvent ont ressenti des
maux de tète assez prononcés, surtout ce dernier (P. 52).
Le chirurgien le Guillou4, en rendant compte de la même ascen-
sion, dit :
Plusieurs de nos camarades se virent sujets à un singulier phénomène : ils sai-
gnèrent copieusement du nez, et nous fûmes forcés de faire halte quelques in-
stants. (P. 29.)
Le 18 septembre 1842, ascension de M. Charles Sainte-Claire De-
ville5 ; il ne dit pas un mot des troubles physiologiques.
Itier6, qui monta sur le Pic le 28 décembre 1845, attache plus
1 Description physique des îles Canaries. Trad. Boulanger. — Paris, 1836,
2 Voyage de V Astrolabe, exécuté pendant les années 1826-27-28-29. Histoire dit
Voyage, t. I; Paris, 1850.
5 Voyage au Dole Sud, t. I. — Paris, 1841.
4 Voyage autour du monde de P Astrolabe et de la Zélée, sous les ordres de Dumont
d’Urville. Paris, 1842.
5 Voyage géologique aux Antilles et aux iles de Ténériffe et de Fogo. — Paris, 1848 ;
t. I, p. 65-79.
0 Journal d'un voyage eu Chine en 1843, 1844, 1845, 1846. — Paris, 1848, 3 vol.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. - PIC DE TÉNÉRIFFE. 85
d’importance que ses prédécesseurs aux souffrances qu’il éprouva :
Nous quittions FEstancia d’Ariba (3104m), et nous gravissions à pied Fespèce de
sentier qui serpente entre deux coulées d’obsidienne; la marche est pénible dans
ces fragments de pierre ponce mêlés de cendres qui cèdent sous le pied; d’ailleurs
le soleil commence à devenir incommode, et l’effet de la raréfaction de l’air ne
tarde pas à s’ajouter à la fatigue de nos efforts. Mon cœur bat violemment dans
ma poitrine, et les artères de mon cerveau prennent part à ce mouvement désor-
donné; la douleur de tête qu’il occasionne m’oblige souvent à m’arrêter ; mon com-
pagnon, moins habitué que moi aux montagnes, subit bien plus fortement encore
l’influence de cette situation ; il s’arrête tous les dix pas suffoqué, anéanti.
(T. I, p. 28).
Je citerai, enfin, la narration que reproduit, d’après les notes
d’un voyageur, madame Elizabeth Murray, artiste anglais1, d’une
ascension du Pic, faite en août, par quatre Anglais et un Améri-
cain :
Nous établîmes notre bivouac, pour passer la nuit, à la Estancia de los Ingleses,
à 9955 pieds de hauteur. (T. II, p. 120.)
Un des nôtres fut pris de faiblesse extrême, de frissons et de violentes douleurs
de tête ; nous le couvrîmes avec des couvertures, nous allumâmes un bon feu, et
la chaleur, jointe à l’administration de quelques spiritueux, le remit en partie.
(P. 121.)
Il se faisait tard, et nous nous étendîmes sur le sol, enveloppés dans nos cou-
vertures. Peu de temps après, mon compagnon de droite se leva et se plaignit
vivement de froid extrême, de douleurs, de malaises d’estomac. Nous le mîmes,
près du feu, et lui donnâmes de l’eau et de l’eau-de-vie chaude.
11 commençait à nous permettre de nous reposer, quand mon voisin de gauche
fut attaqué, puis traité de la même manière. Tous deux éprouvèrent à un haut
degré les inconvénients connus des voyageurs en mer ; ces accidents ne sont pas
rares sur le Pic; on les attribue quelquefois aux exhalaisons sulfureuses, mais je
pense qu'ils sont plutôt causés par la rareté de l’air. En tous cas, nous ne sen-
tions aucune odeur de soufre.
De nous quatre, mon ami l’Américain et moi furent les seuls qui n’éprouvè-
rent rien. (P. 125.)
Avant d’arriver à la Rambleta (11680p), beaucoup d’entre nous souffrirent plus
ou moins de la difficulté de respirer. Un de mes compagnons, en particulier, ne
pouvait faire plus de huit à dix pas sans s’arrêter, nous forçant ainsi à l’attendre.
(P. 126.) ^
Après un grand nombre de haltes nécessaires pour reprendre notre respiration,
nous arrivâmes au sommet. (P. 128.)
Nous repassâmes par « le Mal Pais » , dont la descente fut aussi désagréable que
la montée, avec cette différence que notre respiration était beaucoup plus libre.
(P. 156.)
En résumé, le Pic de Ténériffe est, comme l’Etna, une montagne
limite, dans l’ascension de laquelle beaucoup de voyageurs n’éprou-
1 Sixteen years of an artist’s life in Marocco, Spain, and the Canary Islands
2 vol. London, 1859.
84
HISTORIQUE.
vent rien de notable, ceux qui sont malades ne l’étant qu’à un fai-
ble degré.
g 5. — Alpes.
Ce n’est qu’à la fin du siècle dernier que des ascensions furent
faites dans les Alpes, à des hauteurs suffisantes pour amener des
troubles physiologiques. Jusqu’au chanoine Bourrit et à l’illustre
de Saussure, à peine quelques chasseurs de chamois s’étaient-ils
aventurés au-delà des limites de la neige perpétuelle. Le massif du
mont Blanc, aujourd’hui sillonné en tous sens, chaque année, par
des centaines de touristes, portait le nom significatif de monts
Maudits; au dix-septième siècle, l’évêque d’Annecy, Jean d’Aran-
thon1, vinl en exorciser les glacières, qui se retirèrent docilement
après sa bénédiction. Des sommets rivaux du mont Bose, de la Jun-
gfrau, il n’était nulle question. Les cols principaux étaient fré-
quentés depuis l’antiquité romaine; bien des armées les avaient
traversés; l’hospice du grand* Saint-Bernard était fondé depuis la
fin du dixiéme siècle, mais personne n’avait songé à risquer sa vie
dans l’ascension d’un des innombrables sommets qui dominent les
belles vallées alpestres : en 1740, les premiers Anglais arrivent au
Montanvert !
Cependant, on n’ignorait pas que les voyageurs souffraient par-
fois, dans la traversée des Alpes, d’accidents pulmonaires. Haller
s’en occupe, comme nous le verrons au chapitre consacré à l’expo-
sition des explications théoriques; il parle même d’hémoptysies
observées par Scheuchzer : « ut in prirnis in J. Sch. triste cxemplum
exstat 2. » Je n’ai pu me procurer le travail de ce géographe alle-
mand3; mais d’après Meyer -Ahrens *, il n’aurait éprouvé que de
l’oppression et des menaces (Vorboten) d’hémorrhagie.
Le premier voyageur qui nous ait rendu compte d’impres-
sions personnelles fâcheuses, le second qui ait fait l’ascension, au-
jourd’hui si vulgaire, du Buet (51 1 0m) est le chanoine Bourrit5. A
cette hauteur médiocre, il éprouva de curieux accidents :
En 1 7 7 G , je partis de Genève dans le dessein de monter sur le Buet: c’était la
1 Vie de Jean d'Arantlion d'Alex , evêque de 1060 à 1G95; Lyon, 1767. — Citée dans
le Guide-itinéraire du Mont-Blanc, de Y. Payot. — Genève, 1800; p. 101.
2 Elementa physiologiœ, t. 111, p. 107. — Lauzanne, 1761 .
5 Disquisitiones physicœ de meteoris aqueis. Bars prima. Tiyuri. 1780.
4 Die Bergkrankheil. — Leipzig-, 1854, p. 71.
0 Nouvelle description des ylacicrcs cl glaciers des Alpes, 2eéd. — Genève, 5 vol.; 1785,
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ALPES.
85
deuxième fois que j’allais sur cette montagne;... j’avais le corps bien disposé....
Nous arrivâmes sur le sommet tous trois bien portants.... Après dix minutes d’une
station tranquille, je me sens un engourdissement aux bras, aux jambes, bientôt
je n’ai pas la force de me tirer moi-même de cet état; et j’étais déjà sans connais-
sance, lorsque mes compagnons m’en arrachèrent ; ils me descendirent jusqu’aux
premières roches du glacier....
L’année suivante,.... j’y arrive par le plus beau temps ;.... je me mets à des-
siner, et charge mon guide du soin de me couvrir de mon parasol. Au ! ont de
15 minutes, j’aperçus qu'il le tenait fort mal;.... qu’on juge de ma surprise en
voyant cet homme aussi blanc que la neige.... et les yeux presque sans mouve-
ment; je n’eus rien de plus pressé que de le tirer de ce sommet si funeste
Enfin, en 1777,... M. Saint-Ours.... fut témoin d’un semblable accident sur le
sommet du Buel.... (T. II, p. 94.)
Bourrit parait du reste avoir été fort sujet aux syncopes; il en rap-
porte deux autres, l’une sur le glacier même duBuet, en marchant
(t. 111, p. 198), l’autre dans sa tentative pour monter au mont Blanc,
le 11 septembre 1784 (t. III, p. 500 et 504).
A une hauteur moindre encore, au couvent du grand Saint-Ber-
nard (2450m), un voyageur du meme temps, Laborde, éprouvait des
accidents analogues, bien que notablement moins intenses :
Le ciel était pur lorsque nous arrivâmes tout-à-fait au couvent du grand Saint-
Bernard (50 juillet 1777).
11 serait difficile d’exprimer les diverses sensations qu’on éprouve à la fois ;
la première qui se fait démêler est un saisissement occasionné par une gène
dans la respiration; il semblait que les poumons' n’avaient pas leur élasticité
ordinaire et manquaient de capacité pour contenir l’air aspiré: la différence de
celui qu’on respire à une pareille hauteur doit être très-sensible pour ceux qui
ne sont accoutumés qu’à l’air des plaines, il y est plus raréfié et plus pur parce
qu’il est moins chargé de vapeurs, (Discours sur l’histoire naturelle de la Suisse,
p. VIH).
Ces quelques citations nous amènent aux célèbres récits de de
Saussure ; les souffrances éprouvées à des hauteurs bien faibles à
côté de ce mont Blanc, dont il osa tenter et opérer l’escalade,
font encore ressortir l’intrépidité qu’il dut déployer dans cette
hardie entreprise. Le chanoine Bourrit, en déclarant, comme nous
le verrons au chapitre 111, qu’il serait difficile, pour ne pas dire
impossible, de vivre longtemps au sommet du mont Blanc, n’avait
fait que traduire, sous une forme un peu adoucie, une opinion
universellement répandue parmi les montagnards.
Be Saussure, lorsqu’il exécuta l’ascension du mont Blanc, y était
préparé par de nombreuses courses failes, chaque année, dans les
1 Tableaux topographiques } etc de la Suisse , t. I. — Paris, 1780.
80
HISTORIQUE.
hautes montagnes. Or, à des hauteurs assez médiocres, il avait déjà
éprouvé des accidents cpii avaient attiré son attention. Dans le récit
de son ascension du Buet, faite le 15 juillet 1778 en compagnie de
Pictet, il en donne1 une indication très-nette :
La rareté de l’air, dès que l’on passe la hauteur de treize à quatorze cents
toises au-dessus de la mer, produit sur nos corps des effets très-remarquables.
L’un de ces elfets, c’est que les forces musculaires s’épuisent avec une extrême
promptitude (t. I, p. 482)
Un autre effet de cet air subtil, c’est l’assoupissement qu’il produit. Dès qu’on
s’est reposé pendant quelques instants à ces grandes hauteurs, on sent, comme
je l’ai dit, les forces entièrement réparées ; l’impression des fatigues précédentes
semble même totalement effacée ; cependant on voit, en peu d’instants, tous ceux
qui ne sont pas occupés s’endormir, malgré le vent, le froid, le soleil, et souvent
dans des attitudes très-incommodes. La fatigue sans doute, même dans les plai-
nes, provoque le sommeil ; mais non pas avec tant de promptitude, surtout lors-
qu’elle semble absolument dissipée, comme elle paraît l’être sur les montagnes,
dès que l’on a pris quelques moments de repos.
Ces effets de la subtilité de l’air m’ont paru très-universels ; quelques person-
nes y sont moins sujettes, les habitants des Alpes par exemple, habitués à vivre
et à agir dans cet air subtil, en paraissent moins affectés ; mais ils n’échappent
point entièrement à son action. On voit les guides, qui dans le bas des monta-
gnes peuvent monter des heures de suite sans s’arrêter, être forcés à reprendre
haleine à tous les cent ou deux cents pas, dès qu’ils sont à la hauteur de quatorze
ou quinze cents toises, et dès qu’ils s’arrêtent pendant quelques moments, on les
voit aussi tomber dans le sommeil avec une promptitude étonnante. Un de nos
guides, que nous faisions tenir debout au haut du Buet avec un parasol à la main,
pour que le magnétomètre fût à l’ombre pendant que M. Trembley l’observait,
s’endormait à chaque instant malgré les efforts que nous faisions et qu’il faisait
lui-même pour combattre cet assoupissement. Et dans mon premier voyage au
Buet, Pierre Simon, qui s’était fourré dans une crevasse de neige pour se mettre
à l’abri d’une bise froide qui nous incommodait beaucoup, s’y endormit profon-
dément.
Mais il y a des tempéraments que cette rareté de l’air affecte bien plus forte-
ment encore. On voit des hommes, d’ailleurs très- vigoureux, saisis constamment
à une certaine hauteur par des nausées, des vomissements et même des défail-
lances, suivis d’un sommeil presque léthargique. Et tous ces accidents cessent
malgré la continuation de la fatigue, dès qu’en descendant ils ont regagné un air
plus dense.
Heureusement pour le progrès de la physique, M- Pictet n’est pas affecté à ce
degré extrême par la subtilité de l’air, il l’est cependant plus que le commun des
hommes ; car, quoiqu’il soit très-fort, très-agile et bien exercé à grimper les
montagnes, il se trouve toujours saisi d’une espèce d’angoisse, d’un léger mal de
cœur et d’un dégoût absolu, dès qu’il arrive à la hauteur de 1400 toises au-des-
sus de la mer. Pour moi, je n’en ressens d’autre effet que d’être obligé de me repo-
ser très-fréquemment, quand je monte des pentes rapides à ces grandes élévations.
J’en faisais encore l’épreuve dans cette dernière course sur le Buet. Lorsque nous
gravissions la pente couverte de neige ramollie, qui couronnait la montagne, je
- Voyage dans les Alpes, 4 vol. Genève; 178(5-1796.
87
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ALPES.
ne pouvais absolument pas faire sans m’arrêter plus de cinquante pas de suite, et
M. Pictet, plus sensible que moi à cet effet de la rareté de l’air, comptait les pas
de son côté sans m’en rien dire, et trouvait qu’il ne pouvait pas en faire plus de
quarante sans reprendre haleine (P. 485-85).
Mais cela n’était rien à côté de ce qu’il allait observer dans son
voyage au mont Blanc. Déjà plusieurs tentatives avaient été faites
pour atteindre au sommet de cette colossale montagne. De Saus-
sure nous a conservé le récit de ces essais infructueux, et il est évi-
dent que les accidents physiologiques éprouvés par les auteurs de
ces tentatives furent pour beaucoup dans leur échec :
g 1105. En 1775, quatre guides de Chamounix tentèrent d’y parvenir par la
montagne de la Côte Tout paraissait leur promettre le plus heureux succès;....
mais la réverbération du soleil sur la neige et la stagnation de l’air dans une
grande vallée de neige qui semblait les conduire directement à la cime de la
montagne, leur fit éprouver, à ce qu’ils ont dit, une chaleur suffocante, et leur
donna en même temps un tel dégoût pour les provisions dont ils s’étaient munis,
qu’excédés d’inanition et de lassitude, ils revinrent sur leurs pas. (T. II, p. 550.)
§1104. En 1785, trois autres guides firent la même entreprise, par le même che-
min. Ils allèrent passer la nuit au haut de la montagne de la Côte, traversèrent le
glacier, et suivirent la même vallée de neige. Ils étaient déjà assez haut et marchaient
courageuseusement en avant, lorsque l’un d’entre eux, le plus hardi et le plus
robuste des -trois, fut saisi presque subitement par une envie de dormir absolu-
ment insurmontable : il voulait que les deux autres le laissassent et continuassent
sans lui; mais ils ne purent pas se résoudre à l’abandonner et à le laisser dormir
sur la neige, persuadés qu’il serait mort d’un coup de soleil ; ils renoncèrent à
leur entreprise et revinrent à Chamounix. Car ce besoin de sommeil, produit par
la rareté de l’air, cessa, dès qu’en descendant, on l’eut ramené dans une atmo-
sphère plus dense La chaleur les incommodait tous excessivement; ils étaient
sans appétit; le vin et les vivres qu’ils portaient n’avaient aucun attrait pour
eux.
Le 15 septembre 1785, de Saussure lui-même tenta l’ascension
avec M. Bourrit et son fils. Il alla coucher à la cabane (1422 toises) :
§ 1112. M. Bourrit et son fils, encore plus que lui, furent un peu incommodés
par la rareté de l’air; ils digérèrent mal leur dîner, et ne purent point souper,
four moi, que l’air rare n’incommode point quand je ne fais dans cet air aucun
exercice violent, je passai là une excellente nuit.
Le lendemain il s’éleva jusqu’à 1900* ; la neige l’arrêta.
Mais l’ascension du mont Blanc était devenue chez lui une idée
dominante. L’année suivante, il chargea Pierre Balmat d’aller con-
struire une cabane au pied de quelqu’une des crêtes de l’aiguille du
Bouté, afin de s’y reposer pour chercher ensuite à monter au som-
met du mont Blanc :
88
HISTORIQUE.
§ ] 965. Tour exécuter ce projet, Pierre Balmat, Marie Coutet et un autre guide,
le 9 juin 1 780 . . . . parvinrent, quoiqu’avec beaucoup de peine, au sommet de
l’aiguille du Goûté, après avoir été tous excessivement malades de fatigue et de
la rareté de l’air. (T. IV, p. 158).
C’est à la suite de celle course que Jacques Balmat, qui avait re-
joint ses compatriotes et qui passa la nuit dans la montagne, trouva
la route du mont Blanc par le Corridor :
§ 1965. Cette route avait déjà été tentée, mais on s’en était dégoûté par une singu-
lière prévention. Comme elle suit une espèce de vallée entre des hauteurs, on s’était
imaginé qu’elle était trop chaude et trop peu aérée La fatigue et la rareté de Pair
donnèrent à ceux qui firent les premières tentatives cet accablement dont j’ai
souvent parlé ; ils attribuèrent, ce malaise à la chaleur et à la stagnation de l’air et
ils ne cherchèrent plus à atteindre la cime que par des arêtes découvertes et
isolées.
Les gens de Chamounix croyaient aussi que le sommeil serait mortel dans ces
grandes hauteurs; mais l’épreuve qu’en fit Jacques Balmat, en y passant la nuit,
dissipa cette crainte. (T. IV, p. 140).
11 ne semble pas que le récit donné par de Saussure de la décou-
verte de Jacques Balmat soit exactement véridique. L’illustre physi-
cien genevois paraît avoir été induit en erreur par ses guides de
prédilection, qui, jaloux de Balmat, attribuèrent au hasard ce qui
était le fruit de longues et persévérantes recherches. Les intéres-
sants travaux de M. Ch. Durier ont jeté quelque lumière sur ce
point. Quoi qu’il en soit, le 10 juin 1786, Jacques Balmat, ayant
trouvé la vraie route, après plusieurs nuits passées dans la monta-
gne, redescendit presque mourant de fatigue et de froid à Cha-
mounix. Soigné par le docteur Paccard, il lui fit part de sa décou-
verte, et lui proposa d’en partager la gloire en faisant avec lui
l'ascension. Paccard accepta, et le 9 août 1786, un pied humain
foulait pour la première fois le sommet de la plus haute nfontagne
de l’Europe. Le docteur Paccard avait été épuisé par la fatigue et
sans doute aussi par la raréfaction de l’air, au point de rester
couché en route : Balmat monta seul, puis il retourna chercher
son compagnon, le porta à demi jusqu’à la cime, et le redescendit
aveuglé par les neiges.
Je n’ai malheureusement pu me procurer de récit authentique
de cette ascension mémorable. Celui d’Alexandre Dumas (Impres-
sions de voyage en Suisse , cliap. X), beaucoup moins inexact
qu’on ne le supposerait, ne peut cependant faire foi en matière
physiologique. Mais ce qu’on a dit et écrit sur ce voyage montre
LES VOYAGES EX MONTAGNES. — ALPES.
89
que les deux compagnons, le docteur Paccard surtout, soutinrent
vivement de la raréfaction de l’air.
A la nouvelle de la réussite, de Saussure, qui avait promis une
prime à qui trouverait le vrai chemin, tout en espérant bien s en
servir le premier, se hâta d’organiser une expédition nouvelle.
Mais jugeant la saison trop avancée, il dut remettre à Tannée sui-
vante la réalisation d’un désir qui le passionnait depuis tant d’an-
nées.
C’est le 1er août 1787 qu’il quitta Chamounix, accompagné d’un
domestique et de dix-huit guides. Il alla coucher sous la tente au
sommet de la montagne de la Côte.
Te soir du second jour de l’ascension, il est arrivé au petit pla-
teau : la hauteur barométrique est de 17 pouces 10 lignes. Ils s’in-
stallent pour passer la nuit (1995 toises) 1 :
§ 1962. Là, dit de Saussure, mes guides se mirent d’abord à examiner la place dans
laquelle nous devions passer la niwt ; mais ils. sentirent bien vite l’effet de la rareté
de l'air. Ces hommes robustes, pour qui sept ou huit heures de marche que nous
venions de faire ne sont absolument rien, n’avaient pas soulevé cinq ou six pelletées
de neige, qu’ils se~1rouvaient dans l'impossibilité de continuer; il fallait qu’ils se
relayassent d'un moment à l’autre
Moi-même, qui suis si accoutumé à l’air des montagnes, qui me porte mieux dans
eet air que dans celui de la plaine, j'étais épuisé de fatigue en observant mes instru-
ments de météorologie. (T. 1Y, p. 144.)
Le lendemain ils continuent à monter, et arrivent « au rocher
qui forme l’épaule gauche de la cime du mont Blanc » :
§ 1985. En commençant cette montée, j’étais déjà bien essouflé par la rareté de
l'air Le genre de fatigue qui résulte de la rareté de l’air est absolument insur-
montable; quand elle est à son comble, le péril le plus éminent ne vous ferait pas
faire un seul pas de plus. (P. 165.)
Bientôt, ils ne sont plus qu’à 150 toises, en hauteur, du sommet
du mont Blanc :
§ 1988. J'espérais donc atteindre la cime en moins de trois quarts d’heure ; mais la
rareté de l'air me préparait des difficultés plus grandes que je n’aurais pu le croire.
Sur la fin j'étais obligé de reprendre haleine à tous les quinze ou seize pas : je le
faisais le plus souvent debout, appuyé sur mon bâton, mais à peu près de trois lois
l’une il fallait m’asseoir. Ce besoin de repos était absolument invincible ; si j’essayais
de le surmonter, mes jambes me refusaient leur service, je sentais un commen-
cement de défaillance, et j’étais saisi par des éblouissements tout à fait indépen-
dants de l’action de la lumière, puisque le crêpe double qui me couvrait le visage,
1 La hauteur exacte est 5655 mètres.
90
HISTORIQUE.
me garantissait parfaitement les yeux. Comme c’était avec un vif regret que je
voyais ainsi passer le temps que j’espérais consacrer sur la cime à mes expériences,
je Us diverses épreuves pour abréger ce repos ; j’essayais par exemple de ne point
aller au terme de mes forces , et de m’arrêter un instant à tous les quatre ou cinq
pas, mais je n’y gagnais rien; j’étais obligé, au bout de quinze ou seize pas, de
prendre un repos aussi long que si je les avais fait de suite ; il y avait même ceci
de remarquable, c’est que le plus grand malaise ne se fait sentir que huit ou dix
secondes après qu'on a cessé de marcher. La seule chose qui me fit du bien et qui
augmentait mes forces, c’était l’air frais du vent du nord ; lorsqu'en montant
j’avais le visage tourné de ce côté là, et que j’avalais à grands traits l’air qui en
venait, je pouvais sans m’arrêter faire jusqu’à vingt-cinq ou vingt-six pas. (P. 171.)
Enfin, la cime la plus élevée est atteinte :
§ 1991. — Il fallait maintenant faire les observations et les expériences, qu
seules donnaient quelque prix à ce voyage; et je craignais infiniment de ne pou-
voir faire qu'une petite partie de ce que j’avais projeté. Car j'avais déjà éprouvé,
même sur le plateau où nous avions couché, que toute observation faite avec soin
fatigue dans cet air rare, et cela parce que, sans y penser, on retient son souffle;
et que comme il fallait là suppléer à la rareté dp l’air par la fréquence des inspi-
rations, cette suspension causait un malaise sensible; j’étais obligé de me reposer
et de souffler, après avoir observé un instrument quelconque comme après avoir
fait une montée rapide (p. 175).
Ce que de Saussure avait prévu arriva :
§ 1965. Quand il fallut me mettre à disposer les instruments et à les observer, je me
trouvai à chaque instant obligé d’interrompre mon travail, pour ne m’occuper que
du soin de respirer
Lorsque je demeurais parfaitement tranquille, je n’éprouvais qu’un peu de ma-
laise, une légère disposition au mal de cœur.
Mais lorsque je prenais de la peine, ou que je fixais mon attention pendant quel-
ques moments de suite, et surtout lorsqu’en me baissant je comprimais ma poitrine,
il fallait me reposer et haleter pendant deux ou trois minutes. Mes guides éprou-
vaient des sensations analogues. Ils n’avaient aucun appétit. (P. 147).
§ 2021. — Quelques-uns ne purent supporter tous ces genres de souffrances,
et descendirent les premiers pour regagner un air plus doux (P. 208).
Plus loin, de Saussure fait une remarque très-jusle, qui expli-
que bien des exagérations et bien des incrédulités :
§ 2021. — J’ai observé un fait assez curieux, c’est qu’il y a pour quelques indi-
vidus des limites parfaitement tranchées, où la rareté de l’air devient pour eux
absolument insupportable. J’ai souvent conduit avec moi des paysans, d’ailleurs
très-robustes, qui à une certaine hauteur se trouvaient tout d’un coup incom-
modés au point de ne pouvoir absolument pas monter plus haut ; et ni le repos,
ni les cordiaux, ni le désir le plus vif d’atteindre la cime de la montagne, ne pou-
vaient leur faire passer cette limite. Ils étaient saisis, les uns de palpitations, d’au-
tres de yomissements, d’autres de défaillance, d’autres d’une violente fièvre, et
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ALPES.
91
tous ces accidents disparaissaient au moment où ils respiraient un air plus dense.
J’en ai vu, quoique rarement, que ces indispositions obligeaient à s’arrêter, à huit
cents toises au-dessus de la mer; d’autres à douze cents, plusieurs à quinze ou
seize cents ; pour moi, de même que la plupart des habitants des Alpes, je ne com-
mence à être sensiblement affecté qu’à dix-neuf cents toises; mais au-dessus de
ce terme, les hommes les plus exercés commençent à souffrir lorsqu’ils se don-
nent un mouvement un peu accéléré (P. 209).
Enfin, il faut redescendre : de onze heures à trois heures et demie,
de Saussure est resté sur la cime, et il a regret de partir, parce que,
dit-il, et j’appelle toute l’attention du lecteur sur cette remarque
d’une haute importance :
§ 2021. — Quoique je n’aie pas perdu un seul moment, je ne pus pas faire,
dans ces quatre heures et demie, toutes les expériences que j’avais fréquemment
achevées en moins de trois heures au bord de la mer
Mais je conservais l’espérance bien fondée d’achever, sur le col du Géant, ce que
je n’avais pas fait, et que vraisemblablement Von ne fera jamais, sur le mont Blanc.
(P. 210).
La descente s’accomplit heureusement et sans grande fatigue :
Comme le mouvement que l’on fait en descendant ne comprime point le dia-
phragme, il ne gêne point la respiration, et l’on ne souffre point de la rareté de
l’air.
L’exemple de l’illustre physicien ne tarda pas à être suivi. Sept
jours après sa célèbre ascension, le colonel anglais Beaufoy 1 attei-
gnait à son tour le sommet du géant des Alpes. Ce ne fut pas sans
de vives souffrances, comme le prouvent les extraits suivants de
son récit.
Parti de Chamounix le 8 août 1787, il alla coucher, avec ses dix
guides, à la hutte bâtie en 1786 par les ordres et aux frais de M. de
Saussure. Le premier phénomène physiologique que signale le co-
lonel est la soif :
La soif, depuis que nous étions arrivés dans les régions supérieures de l’air,
était devenue insupportable. A peine avais-je bu que ma bouche était sèche....
Bien que buvant continuellement, la quantité de mon urine était minime ; sa cou-
leur était très-foncée. Les guides étaient également affectés ; ils ne voulaient pas
goûter de vin
La rareté de l’air commença bientôt à me donner un violent mal de tête; j’éprou-
vai aussi, à ma grande surprise, une sensation aiguë de douleur, juste au-dessus
des genoux
1 Narrative of ajourne y from the village of Chamouni, in Switzerland , to the summit
of mount Blanc, underlaken on Aug. 8, 1787. Thomson' s Annals of Philosophy, vol. IX,
p. 97-103; 1817.
92
HISTORIQUE.
Arrivés à 150 fathoms (270 mètres) du sommet, les pernicieux effets de la rareté
de l’air étaient évidents chez nous tous ; une envie de dormir, presque irrésisti-
ble, nous dominait. Mon énergie m'avait abandonné; indifférent à tout événe-
ment, je ne pensais qu’à me coucher à terre ; d'autres fois, je me blâmais de
cette expédition, et, arrivé presque au sommet, je songeais à redescendre, sans le
faire cependant. Beaucoup d’entre mes guides étaient dans la plus triste situa-
tion; épuisés par des vomissements excessifs, ils semblaient avoir perdu la
force du corps avec celle de l’esprit. Mais la honte vint à notre secours. Je bus la
dernière pinte d’eau, et me trouvai rafraîchi. Cependant la douleur de mes genoux
avait tellement augmenté , que tous les 20 ou 50 pas j’étais obligé de m’arrêter
jusqu’à ce que son acuité fût calmée. Mes poumons faisaient avec peine leur office,
et mon cœur battait dans de violentes palpitations. A la tin, cependant, mais avec
une sorte d’apathie qui excluait la joie, nous atteignîmes le sommet. Six de mes
guides et mes domestiques se jetèrent aussitôt la face contre terre et s’endormirent.
J’enviais leur repos.
Le colonel souffrit beaucoup de la réverbération du soleil sur la
neige; il n’avait ni crêpe ni lunettes.
Quelques semaines plus tard, de Saussure, dans son ascension
du mont Cenis, le c28 septembre 1787, fit encore, au point de vue
physiologique, des remarques fort intéressantes :
§ 1280. — A notre départ de la cime, où nous nous étions arrêtés pendant deux
heures, je comptai avec la montre à seconde le nombre des pulsations des artères
de tous ceux qui composaient notre petite caravane , et je le comptai de nouveau
à notre arrivée à la poste du mont Cenis :
J. -B. Borot,
guide, en haut
112,
en bas 100
B. Bocli,
id.
112
— 96
J. Tour,
id. —
80
88
Têtu, mon domestique —
104
— 100
Mon fds
—
108
— 108
Moi
—
112
— 100
Moyenne 104 2/5 98 2/5
On voit que Joseph Tour fut le seul qui eût le pouls plus fréquent au bas de la
montagne qu’en haut ; que, pour mon fils, le nombre fut le même, et que les quatre
autres l’eurent plus fréquent sur la cime, en sorte que la moyenne donne six pul-
sations par minute de plus en haut qu’en bas , pour une différence d’environ
4 pouces 2 lignes dans la hauteur du baromètre. Il y a même ceci à observer,
c’est que je comptai les pulsations sur la montagne, après un séjour qui équivalait
à un repos de deux heures au moins pour les guides; au lieu que dans la plaine,
comme ils voulaient se retirer, je fus obligé de les compter quelques minutes après
notre arrivée.
Ce qu’il y a encore plus remarquable, c’est qu’en séparant ceux qui avaient eu
mal au cœur (trois des quatre guides, dont de Saussure ne dit pas le nom, faillirent
se trouver mal au sommet) de ceux qui étaient demeurés bien portants, je trouve
que la différence moyenne fut de 9 1/5 pour les premiers , et seulement de 2 2/5
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ALPES.
95
pour les seconds. Cette observation confirme bien ce que j’ai toujonrs cru, c’est
que cette incommodité tient en partie à une espèce de fièvre, produite par la fré-
quence de la respiration, qui accélère la circulation du sang. Et quant à moi , si
mon pouls fut de douze pulsations plus fréquent en haut qu’en bas, quoique je
n’eusse éprouvé aucune incommodité, c’est que je ne me reposai pas un seul mo-
ment ; je fus pendant ces deux heures dans une action continuelle ; si je m'étais
reposé comme les malades, je ne doute pas que mon pouls n’eût baissé de plusieurs
pulsations. (T. 111, p. 85.)
L’année suivante, il s’en alla séjourner, en compagnie de son fils,
sur le col du Géant (5560m) du 5 juillet au 19 juillet 1788; ce
voyage, qui frappa les guides de terreur, fut entrepris dans le but
de tenter des expériences que, sur le mont Blanc, « la brièveté du
temps et le malaise produit par la rareté de l’air m’empêchèrent
d’exécuter. » (T. IV, p. 217.) Tout un chapitre fort curieux y est
consacré aux Observations relatives à la physiologie :
§ 2105. — Il était intéressant d’observer quel serait sur nos corps l’effet d’un
séjour prolongé dans un air aussi raréfié que celui que nous respirions sur le
Col du Géant. Il faut se rappeler que la hauteur moyenne du baromètre fut
pendant notre séjour, d’environ 19 pouces, c’est-à-dire de 9 pouces plus bas
qu’au bord de la mer, et qu’ainsi la densité de l’air était là de près d’un tier-
plus petite.
M. Odier, docteur en médecine, très-zélé pour les progrès de son art m’avait
donné quelques questions qui devaient servir de texte à mes observations
§2106. — Déterminer avec précision le degré de chaleur animale. Dans la ma-
tinée du 17, dans un moment où j’étais bien tranquille, et sans m’être donné
aucun mouvement violent, je plaçai sous ma langue un petit thermomètre de
mercure en tenant la bouche fermée, et j’observai en même temps ce thermo
mètre avec une loupe; je le trouvai à 29 1/2, et c’était aussi dans les mêmes
circonstances le même degré dans la plaine.
Compter le nombre d'inspirations et d'expirations qu'un homme bien tranquille et
non prévenu peut faire dans une minute , ainsi que le rapport de ce nombre à celui
des pulsations du pouls. Dans les mêmes circonstances que celles du paragraphe
précédent, je trouvai d’abord 75 pulsations pour chaque inspiration et autant pour
chaque expiration. Mais une autre fois, en prenant un plus grand nombre et
qui par cela même méritait une plus grande confiance, je trouvai que je faisais
10 inspirations et expirations en 35 secondes, ce qui revient à 17 par minute
et que mon pouls faisait 79 pulsations aussi dans une minute.
§ 2107. — Essayer de faire inspirer assez profondément pour arrêter le pouls
du poignet gauche , en supposant que le même individu puisse le faire dans la
plaine.
Le 19, en me levant, et assis sur mon matelas, j’ai réussi à arrêter le pouls du
poignet gauche, en prolongeant pendant dix secondes l’inspiration ; sur-le-
champ je répétai l’épreuve, et le pouls s’arrêta à la quinzième seconde ;’ la trei-
zième fois, à la trente-cinquième seconde , le pouls résistait encore, lorsque ie
fus forcé de reprendre haleine. En faisant la même épreuve debout ’ je ne pus
point arrêter le pouls; mais il est vrai que je ne pus prolonger l’inspiration que
94
HISTORIQUE.
pendant 52 secondes. Cette épreuve ne paraît donc pas, au moins pour moi,
susceptible d’une comparaison régulière.
§ 2108. — Compter le pouls dans une situation parfaitement verticale; si la dif-
férence est plus grande que dans la plaine, cest une preuve que l'air des hautes
montagnes augmente V irritabilité du cœur.
Le 18 juillet, dans l’après-midi, après avoir fait à terre sur mon matelas un
petit sommeil, dans une situation horizontale, je comptai dans cette même situa-
tion 85 pulsations par minute. Je me levai alors, et étant debout, j’en comptai
88 ; mais soupçonnant que l’effort que j’avais fait en me levant de terre pouvait
avoir contribué à cette accélération, je me reposai pendant quelques instants, et
alors je ne comptai plus que 82 pulsations.
§ 2109. — Déterminer par comparaison , si V inspiration peut être aussi longtemps
prolongée sur la montagne que dans la plaine.
J’ai rapporté dans le § 2104 les essais que j’avais faits sur la montagne. J’ou-
bliai ensuite de les répéter dans la plaine à mon retour , et dès lors mon tem-
pérament a été si fort altéré par les fatigues et les maladies, que les épreuves
comparatives que je pourrais faire ne donneraient aucune induction sur laquelle
on pût compter.
Déterminer , s'il est possible comparativement , la proportion des urines à la bois-
son. Nous manquions des facilités nécessaires pour faire des comparaisons.
§ 2110. — Vérifier surtout, si les effets de l'air raréfié se manifestent tout d'un
coup ou graduellement.
Il nous a paru que les effets généraux ont été à peu près les mêmes pendant
toute la durée de notre séjour. En arrivant, nous nous trouvâmes tous plus es-
soufflés que nous ne l’aurions été après avoir fait dans la dernière matinée une
montée égale à celle-là sur une montagne moins élevée. Les jours suivants, bien
loin que l’incommodité allât en croissant, nos compagnons, de même que mon
fils et moi, nous croyions nous être accoutumés à cet air : cependant , lorsque
nous y faisions attention, et surtout lorsque nous faisions des essais dans ce but,
nous trouvions que si l’on courait, si l’on se tenait dans une attitude gênée,
et principalement dans une situation où la poitrine fût comprimée, on était beau-
coup plus essoufflé que dans la plaine, et cela dans une progression croissante ;
en sorte que, de moment en moment , il devenait plus difficile , et même enfin
impossible de soutenir ces efforts.
§ 2111. — Comme nos observations nous obligeaient à nous tenir en plein air
pendant presque tout le jour, j’avais recommandé à mon fils et à mon domesti-
que d’avoir toujours, comme je le faisais moi-même, un crêpe sur le visage. Mon
domestique crut pouvoir s’en passer, mais il lui survint une enflure de toute la
face, et en particulier des lèvres, qui le rendait hideux, et qui fut même accom-
pagnée de gerçures très-douloureuses. Cela fit penser à mon fils, que peut-être
l’action du soleil produisait-elle un dégagement d’air qui occasionnait cette
enflure.
Pour voir si cet air se manifesterait au dehors, il fit tenir à ce même jeune
homme ses mains dans l’eau au soleil; elles se couvrirent aussitôt de petites
bulles ; on les essüya, puis, quand on les replongea dans l’eau, il reparut encore
des bulles ; on les fit essuyer une seconde fois, et on les plongea pour la troisième
fois ; mais alors on ne put plus apercevoir aucune bulle. Nous conclûmes de là,
que les bulles que nous avions vues d’abord n’étaient que de l’air adhérant à la
surface de la peau.
§ 2212. — Il nous parut qu’en général nous avions le genre nerveux plus irri-
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ALPES.
95
table, que nous étions plus sujets à l’impatience, et même à des mouvements de
colère; nous étions sensiblement plus altérés; la faim paraissait plus inquié-
tante et plus impérieuse ; mais aussi nous étions beaucoup plus faciles à rassa-
sier, et mes digestions paraissaient se faire plus promptement que dans la
plaine. D’ailleurs, il nous semblait, à mon fils et à moi, que dans nos travaux et
dans nos observations relatives à la physique, nous avions l’esprit sensiblement
plus libre, plus actif et moins facile à fatiguer, je dirai même plus inventif, que
dans la plaine, et je souhaiterais que nos lecteurs en trouvassent la preuve dans
l’exposé de nos occupations pendant ces dix-sept jours (t. IV; p. 515-518).
Dans son voyage autour du mont Rose, il décrit aussi le malaise
éprouvé par les animaux. Il était au 14 août 1789 sur le glacier
du mont Cervin (glacier Saint-Théodule) :
§ 2220. — Les mulets, qui enfonçaient dans la neige jusqu’aux sangles, furent
délivrés de leurs fardeaux ; cependant ils avaient beaucoup de peine à avancer,
ils étaient essoufflés, obligés de reprendre haleine, dès qu’ils avaient fait quel-
ques pas. La pente n’était pourtant pas très-rapide, et les trois ou quatre heures
de marche qu’ils avaient faites ne pouvaient pas les avoir fatigués.... mais c’était
la rareté de l’air qui les affectait; ils éprouvaient tout ce que nous avions éprouvé
en montant le mont Blanc.... La respiration de ces pauvres animaux était extrê-
mement pénible, et dans les moments mêmes où ils reprenaient haleine, on les
voyait haleter avec tant d’angoisse, qu’ils poussaient une espèce de cri plaintif
que je n’avais jamais entendu, même dans les plus grandes fatigues. Il est vrai
que je n’avais jamais voyagé avec des mulets à une aussi grande élévation....
nous étions alors à 1,756 toises au-dessus de la mer. (T. IV, p. 580.)
Le chanoine Bourrit, dont les tentatives infructueuses avaient pré-
cédé l’expédition de de Saussure, fit en 1788, en compagnie de
Woodley et de Camper, l’ascension du mont Blanc. Je n’ai pas
trouvé de description complète de ce voyage. Mais nous lui devons
quelques détails sur une expédition un peu postérieure, faite le 11
août 1802 par Forneret et Dortheren :
La rareté de l’air, dit-il 1 , ajoutait à la difficulté de la marche ; leur poitrine
était déchirée, et ils m’ont déclaré qu’aucun bien ne pourrait les engager à entre-
prendre de nouveau une semblable cause. (P. 451.)
Le 14 juillet 1809, première ascension du mont Blanc par une
femme, Marie Paradis, servante àChamounix. Elle fut tellement épui-
sée vers 4000'", que les guides qui l’accompagnaient furent obligés
de la soutenir et de la porter à la cime.
De 1809 à 1816, une seule ascension (Bodaz, 1812) sur laquelle
on n’a point de renseignements.
Lettre de M. Bourrit au rédacteur de la Bibliothèque britannique. — Bibliolh. brit.
de Genève, t. XX, p. 429-433; 1802.
HISTORIQUE.
9.6
Un officier allemand, le cornle de Lusy, partit de Chamounix le
i4 septembre 1816 pour monter au mont Blanc; il avait huit
guides avec lui. J’emprunte à la brochure allemande de Hamel, que
je vais citer tout à b heure, n’ayant pu me procurer le récit de
Lusy1, l’indication des graves symptômes qui les atteignent :
Près du sommet, quelques-uns des voyageurs éprouvaient de fortes envies
de dormir, et des nausées; trois saignaient du nez et un de la bouche; cela
n’arrêta pas le comte Lusy (p. 56).
Le 4 août 1818, le comte Malazesky, Polonais2, puis van Rens-
selaer, de New-York, le 11 juillet 1819, se lancèrent également
dans celte difficile entreprise. La relation de ce dernier, bien qu’as-
sez détaillée3, ne contient l’indication d’aucun fait physiologique in-
téressant; ses compagnons et lui n’éprouvèrent qu’une grande ac-
célération de la respiration et du pouls, avec perte de l’appétit.
Puis, en 1820, le docteur Hamel4, conseiller de cour de S. M. l’em-
pereur de toutes les Russies, exécute l’ascension en compagnie du
colonel Anderson. Son voyage fut interrompu près du sommet par
une catastrophe terrible, qui coûta la vie à trois guides, entraînés
dans une avalanche.
11 fît d’abord, le b août, une tentative infructueuse :
Nous partîmes de Saint-Gervais et passâmes la nuit à Pierre-Ronde, à l’abri de
quelques rochers.
Le lendemain, nous atteignîmes à 11 heures 1/2 au sommet du dôme du
Goûté
Ce fut dans cette marche de deux heures que j’éprouvai, pour la première fois,
l’effet de l’air raréfié sur mes forces. Il m’était absolument impossible de faire
plus de quarante pas sans m’arrêter environ deux minutes pour prendre haleine;
et arrivé au sommet du Dôme (2,200 toises), je me sentis tellement épuisé, qu’il
m’aurait fallu une demi-heure au moins de repos pour pouvoir continuer jusqu’à
la cime du mont Blanc. Je trouvai, calcul fait, qu’il serait tout-à-fait impossible
d’aller jusqu’au sommet et de redescendre les aiguilles du Goûté avant la nuit ;
je pris donc le parti de retourner sur mes pas. (I*. 506.)
Le 16 août, il recommença l’ascension en partant cetle fois de
Chamounix. Les voyageurs, accompagnés de douze guides, passè-
rent la nuit aux Grands-Mulets. Malgré ses guides, qu’effrayait le
1 Voyage au Mont-Blanc. — Wien, chez Gerold.
2 Bibliothèque universelle de Genève , t. IX, p. 84-89, 1818.
5 Notice sur un voyage au sommet du mont Blanc, ibid, t. XIV, p. 219-251, 1820.
4 Relation de deux tentatives récentes pour monter sur le mont Blanc. — Bibliothèque
universelle de Genève , t. XIV, p. 501-525; 1820. — Hamel a depuis publié un récit plus
détaillé de son voyage, avec des notes historiques, sous le titre Beschreibung zweicr
Beisen auf den Mont-Blanc. — Wien, 1821.
LES VOYAGES EN MONTAGNES
ALPES.
97
mauvais état de la neige fraîchement tombée, Hamel voulut conti-
nuer sa roule le lendemain ; à huit heures et demie du matin, ils
cheminaient sur le dernier grand plateau :
Personne n’était indisposé. Cependant nous éprouvions déjà depuis quelque
temps l’effet de la rareté de l’air ; mon pouls battait 128 pulsations par minute,
et j’avais soif à chaque instant. Nos guides nous invitèrent à déjeuner ici , car,
disaient-ils, plus haut on n’a plus d’appétit.... Chacun mangea avec plaisir son
demi-poulet
Nous étions arrivés à 2,500 toises 1 .... Personne ne parlait, car, à cette hau-
teur, la parole même fatigue, et l’air ne transporte que faiblement le son. J’étais
encore le dernier, et je faisais jusqu’à douze pas de suite ; puis, appuyé sur mon
bâton, je m’arrêtais pour faire quinze inspirations. Je trouvais que de cette ma-
nière je pouvais m’avancer sans m’épuiser. Muni de lunettes vertes et avec un
crêpe devant le visage, mes yeux était fixés sur mes pas, que je comptais, lorsque
tout-à-coup je sens la neige céder sous mes pieds
La nappe de neige tout entière se déroba sous les voyageurs, et
trois des guides disparurent à tout jamais dans une immense cre-
vasse.
Depuis cetle funeste aventure, personne n’avait hasardé cette
entreprise « périlleuse autant qu’inutile », quand F. Clissold la
terda de nouveau avec succès, le 18 août 1822. Il se contente, dans
son premier récit assez succinct2 3 *, de dire que tous les guides,
excepté un, étaient « plus ou moins incommodés par la rareté de
l’air ».
La relation détaillée qu’il publia plus tard5 est beaucoup plus
explicite; elle contient même des idées théoriques fort remarqua-
bles que nous reproduirons en leur lieu.
11 est curieux d’avoir à constater que cet étranger, qui en était à
son premier voyage dans les Alpes, supporta mieux la diminution
de pression que les guides, qui presque tous étaient déjà montés
au sommet du mont Blanc :
Nous n'étions pas loin des Grands-Mulets, dit-il, lorsque mon compagnon de
corde se détacha lui-même, n’en pouvant plus d’épuisement. Je me lis attacher
entre deux autres ; peu après, un second resta en arrière, et finalement tous,
excepté Favret (un des G guides) et moi, furent forcés de s’arrêter par lassitude et
par une difficulté de respirer qu’ils attribuaient à la rareté de l’air; un pou de
repos ne tarda pas à les remettre. Nous atteignîmes, à deux heures, le Grand-
1 Hamel commet ici une erreur; il était encore à 700 mètres environ du sommet
(Lepilcur).
2 Notice sur une nouvelle ascension au mont Blanc. Bibliolh. univ. de Genève ,
t. XXI, p. G8-75, 1822.
3 Bétails d'une ascension au sommet du mont Blanc , Ibid, t. XXI lf, p. 157-155 et
237-2 U, 1825.
1
HISTORIQUE.
US
Plateau. Marie Coulel, qui respirait à peine (il était déjà monté cinq fois au mont
Blanc), s’étonnait démon bien-être (p. 14G).
ils couchèrent dans une petite excavation du rocher Piouge
(4490m) et souffrirent beaucoup du froid. Le lendemain, à l’aube,
départ pour le sommet :
Favret et moi étions les seuls à notre aise, surtout pour la respiration. Quant
aux autres, les uns s’étendaient à plat sur la neige, les autres s’arrêtaient debout,
courbés en avant et la tête basse, trouvant plus de facilité à respirer dans cette
attitude. J’ai éprouvé, pour ma part, bien plus de fatigue dans d’autres excursions
et sur des montagnes bien moins élevées que je n’en ressentais en approchant du
mont Blanc; il est vrai que je marchais alors plus vile. Mon pouls s’élevait bien
ici de 100 à 150 pulsations par minute, mais ma circulation s’accélère à ce degré
toutes les fois que je gravis une pente rapide, en sorte qu’à tout prendre je
n’éprouvais rien de particulier ou de nouveau pour moi (p. 149).
Le récit du voyage du docteur Clark et du capitaine Sherwill1,
renferme des détails pleins d’intérêt. Ils montèrent au mont Blanc
le 25 août 1825; partis de Chamounix à sept heures du matin, ils
arrivèrent le lendemain au sommet à trois heures cinq minutes :
Arrivés au Grand-Plateau, M. Clark était accablé, le capitaine Sherwill éprouvait
beaucoup de nausées et de l’oppression.... Simon, l’un des guides, se plaignit de
mal de tête....
Au sommet du mont Blanc, M. Clark éprouvait de la gêne dans la respiration,
même lorsqu’il cessait tout mouvement, il éprouvait dans la poitrine une sensa-
tion semblable à celle qui précède l’hémoptysie, maladie à laquelle il a été assez
sujet dans sa jeunesse. 11 ne crachait cependant pas de sang au sommet du mont
Blanc. L’un de ses guides ayant accidentellement reçu un coup sur le nez perdit
un peu de sang, qui parut d’une couleur plus noire qu’à l’ordinaire. M. Clark
éprouvait, ainsique le capitaine Sherwill, un violent mal de tète ; leurs visages
étaient pâles et contractés. Le capitaine parla d’une singulière sensation qu’il
avait éprouvée près du sommet : il lui semblait que son corps avait une élasticité
et une légèreté extraordinaire, que ses pieds touchaient à peine terre. Les guides
étaient, en général, très-fatigués et se plaignaient de mal de tête.
En 1827, le 24 juillet, nouvelle ascension, de Ilawes et Fellowes2,
accompagnés de dix guides. Nuit passée aux Grands-Mulets ( — 5°).
Pendant l’ascension du dôme du Goûté, on commença à ressentir les effets de
la grande élévation, le mal de tête augmentait un peu et à mesure que l'on avan-
çait ; les veines se gontlaient, le pouls était fort et rapide ;
A mille pieds du sommet, les voyageurs rendirent du sang par le nez et pres-
que tout le monde en cracha; ces accidents firent extraordinairement soul-
1 D. Clark et Cu* Sîierwill, Quelques détails sur leur expédition au mont Blanc. Bi -
blioth. univ. de Genève, t. XXX, p. 245-246, 1825.
- Ascension du muni Blanc en 1827. iSouv. ann. des voyages , t. XL, p. 265-269, 1828.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ALPES.
99
frir M. Felowes, qui était très-délicat ; mais M. Hawes, de petite taille, fort et
robuste, résista mieux. Leur respiration était singulièrement affectée; ils ne
pouvaient pas faire plus de six à huit pas sans s’arrêter. Deux guides, épuisés de
fatigue, se trouvèrent indisposés et rendirent beaucoup de sang. D’ailleurs,
tout le monde eut le visage gercé et perdit intérieurement du sang. Le froid
était intense
A force de repos et de peu de durée, les voyageurs arrivèrent à 2 heures 20 m.
sur la cime du mont Blanc. (P. 267.)
La même année, un voyageur écossais, Auldjo, fit, le 9 août, la
même ascension. N’ayant pu me procurer le récit original qu’il en
publia, j’en emprunte le résumé au Iravail de M. Lepileur, dont il
sera bientôt question :
M. Auldjo dit n’avoir commencé à ressentir les effets de la raréfaction de l’air
que vers 4,200 mètres; il fut alors saisi d’oppression et de difficulté de respirer.
Son pouls devint fréquent ; il éprouvait de la soif et une plénitude des veines de la
tête , mais pas de mal de tête dans l’immobilité. La plupart de ses guides souffri-
rent de la même manière et au même degré. A mesure qu’il s’élevait, il était plus
épuisé, l’oppression augmentait, un violent mal de tête s'y joignit, ainsi que de
fortes palpitatious, une lassitude générale et une douleur dans le genou et les
muscles de la cuisse, qui rendait le mouvement des jambes difficile. Vers 4,570m,
il éprouvait une forte envie de dormir, et se trouvait complètement épuisé, abattu
et découragé; il fallut que ses guides le forçassent à quitter les rochers des
Petits-Mulets. Le reste de la montée fut extrêmement pénible pour lui; on fut
obligé de le hisser avec une corde le long de la dernière pente. Depuis le moment
où il avait commencé à souffrir, il ne faisait, ainsi que ses guides, que quinze à
vingt pas de suite. En gravissant les cent derniers mètres, le guide le plus robuste
et le plus courageux, dit-il, était épuisé au bout de trois ou quatre pas , et obligé
de s’arrêter pour reprendre haleine. 11 souffrait beaucoup du froid du côté que
ne frappait pas le soleil. Enfin, après avoir gravi avec un peu moins de malaise
les vingt derniers mètres, il arriva à la cime, où il s’endormit aussitôt d’un pro-
fond sommeil. On le réveilla au bout d’un quart d’heure; il était mieux, le mal
de tête et la douleur des jambes avaient cessé, mais il ressentait du frisson et souf-
frait de la soif; son pouls était fréquent, sa respiration difficile, quoique l'oppres-
sion eût diminué. 11 ne put manger ; la vue et l’odeur des aliments lui donnaient
des nausées... (P. 20).
Les excursions en montagne s’élaient multipliées; ce n’était plus
seulement au mont Blanc que s'adressaient les voyageurs, devenus
des « touristes ».
Un suisse allemand, Meyer1, qui publia le récit de ses excursions
en 1812, a fixé son attention sur les troubles physiologiques; il
trouve qu’on les a beaucoup exagérés :
Tout ce que rapporte de Saussure, des effets de l’atmosphère dans les régions
1 Rcise auf die Eisgcbirgc des hantons Bcrn and Ersteigung ihrèr hÔchstergipfel
in sommer 1812, Aarau, 1815.
100
HISTORIQUE.
supérieures sur l’organisation animale, n’est pas généralement fondé ; il reste
encore bien des choses qui sont hypothétiques. Ainsi, à une élévation absolue de
10 à 12,000 pieds et davantage, au-dessus delà mer, aucun de nous ne se trouva
assoupi, ni dans un état fébrile violent, et n’éprouva des vomissements non plus
que des défaillances, accidents sur lesquels ont beaucoup insisté quelques voya-
geurs qui sont parvenus sur de très-hautes sommités
Qui pourrait disconvenir qu’en gravissant, les battements du pouls ne devien-
nent presque aussitôt deux fois plus fréquents qu’ils n’étaient auparavant? Qu’on
marche ensuite d’un pas mesuré, assez longtemps pour se remettre, et le pouls
ne tardera pas à revenir au même degré de fréquence où il était dans la plaine
ou dans les vallées.... J’ai eu occasion de remarquer que l’évanouissement d’un
de nos guides près du sommet de la Jungfrau avait été provoqué en grande par-
tie par les grands efforts qu’il fit pour monter, et en partie aussi, par la
crainte que lui inspira le danger qu'il courait. Aucun de nous n’éprouva rien
de semblable en redescendant (p. 50).
No lob s l’évanouissement du guide, quelle qu’en soit l’explication
donnée. Ajoutons qu’à de plus faibles hauteurs que celles atteintes
par Meyer, un célèbre ascensionniste, le docteur Pairot, éprouva
un phénomène singulier qu’il rapporte, il est vrai, à la chaleur,
mais dans lequel la diminution de pression me parait jouer un rôle
considérable. 11 raconte dans les termes suivants cet accident qui
lui arriva le 18 septembre :
J’étais, dit-il, depuis deux heures sur le bord occidental du glacier de Lésa, à la
hauteur de 3456m; la chaleur était telle, que mes yeux commencèrent à rougir,
et que j’éprouvais une céphalalgie frontale avec un assoupissement et une fatigue
tels, que j’avais la plus grande peine à observer convenablement mon baromètre ;
je ne trouvai d’allégement à cet état qu’en me couchant à terre (P. 580).
C’est le 5 août 1819 qu’eut lieu la première ascension du mont
Rose; elle fut exécutée par deux habitants d voisinage, Vincent,
directeur des mines d’indren, et Delapierre, inspecteur des forets,
plus connu sous la traduction allemande de son nom, Zumstein.
Dans le premier voyage, il n’est question d’aucun trouble phy-
siologique. Mais le second, qui est rapporté avec détails dans les
Mémoires de l’Académie de Turin (1. XXV, p. 250-252; 1820), four-
nit quelques indications intéressantes. D’abord, dans la nuit que
les ascensionnistes passèrent au pied des dernières crêtes à la ca-
bane des Mineurs, habitée deux mois, « la plus élevée de l’Europe »
(1681 toises), Zumstein « éprouva une certaine oppression de poi-
trine qui l’empêcha de fermer l’œil de la nuit. Peut-être, ajoute-
Dr Parrot, Ueber die Schneegranze auf der miltaglichen seile des Bosagebürges und
barornetrischc Messungcn. — Schweiager's journal fur chemie und p/njsik, t. XIX,
p. 507-425, 1817.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ALPES.
101
t-il prudemment, cette agitation n’était-elle due qu’à la vive impa-
tience du lendemain » (p. 257). En arrivant près du sommet, au
moment où les intrépides voyageurs traversaient, dans des marches
taillées dans la glace, une arête redoutable, « le second en tête pâ-
lit et s’appuya en chancelant vers la pente de gauche (p. 241) ; »
quelques frictions à la neige le remirent sur pied. Sur le sommet,
après un certain temps de repos, le pouls de Vincent donna 80 pul-
sations, celui de Zumstein, 101, celui d’un des guides, 104, et celui
du chasseur qui s’était trouvé mal, 77, ce qui étonna à assez juste
titre Zumstein.
Enfin, ils arrivèrent au sommet de la pyramide Vincent (421 0m) :
Ils avaient peu d’appétit, mais une soif ardente. Vincent avait déjà éprouvé du
malaise en montant, et Zumstein, en se baissant pour ramasser quelques papillons
argentés qui gisaient à demi morts sur la neige, eut un tournoiement de tête,
qui heureusement se dissipa bientôt. (Anal, de Briquet, p. 16.)
Le 51 juillet 1820, ils renouvelèrent leur ascension, en compa-
gnie de l’ingénieur Molinatii, et passèrent la nuit presque au som-
met même de la montagne, par 15128 pieds :
Au milieu de la nuit, Zumstein fut réveillé par des palpitations qui le suffo-
quaient; il sortit pour se remettre et ne tarda pas à se trouver mieux.
Le lendemain matin, ils continuèrent à grimper :
M. Molinatti, épuisé par la rareté de l’air, était obligé de s’arrêter à chaque
instant, tandis que MM. Vincent semblaient avoir des ailes, désireux qu’ils étaient
d’arriver les premiers au sommet; Zumstein, en arrière d’une cinquantaine de
pas, les suivait haletant, mais ne larda pas à les rejoindre.
Ils arrivèrent ainsi au sommet de la pointe de Zumstein (4560m),
et redescendirent sans encombre.
Les autres ascensions de Zumstein, en 1821, 1822, ne contien-
nent rien qui puisse nous intéresser1.
On constate donc, dans cette ascension, des troubles physiologiques
évidents, bien que moindres que ceux dont les voyageurs au mont
Blanc nous avaient conservé le récit.
Bien moindres encore sont ceux qu’a observés Ilugi2, qui ne va
1 Elles sont racontées textuellement dans la Bibliothèque universelle, t. XXVlIf, p. 6G-
77, 1825. — Les noies de Zumstein ont été publiées à Vienne, en 1824, par le baron
de Welden. dans un livre intitulé : Dcr Monte liosa, que je n’ai pu me procurer. J’em-
prunte les détails qui précèdent à un article publié par M. Briquet sous le titre d’Ms-
censions aux pics du mont Rose. — (Bibl. unie., t. XII, p. 1 — 47; 1861.) "
2 Na tu rh istorisehe Alpenreisc — Solotliurn , 1850.
102
HISTORIQUE.
rien moins qu’à nier, chose bien étrange, l’accélération même du
pouls sur les lieux élevés.
La plus grande hauteur atteinte par ce voyageur et ses compa-
gnons fut le Finsteraarhorn (4275,n) :
A ces hauteurs je n’ai jamais manqué, dit-il, d’observer les battements du
pouls, la respiration, la température du corps. Les résultats furent constants;
c’est-à-dire que sous ces rapports, les hauteurs ou les plaines se comportent de
même, quand on n’éprouve ni effort, ni fatigue, ni crainte. J’omets d’énumérer
les observations. Seul, Wâhren, connu pour sa vigueur dans tout l’Oberland,
éprouva quelques nausées sur la pointe du Finsteraarhorn. Pendant qu’il travail-
lait à la Pyramide, il cessa deux fois d’y voir, au point d’être obligé de s’asseoir,
(P. 218.)
En sens inverse, Hipp. Cloquet1 affirme que les accidents de la
compression se font souvent sentir, môme à la faible hauteur du
grand Saint-Bernard :
La raréfaction de l’air.... produit sur les organes de la respiration une modifica-
tion assez singulière pour être remarquée. Les personnes douées d’une constitution
forte et dont les poumons sont dans un état parfait éprouvent un certain plaisir
à respirer un air aussi frais que pur et léger; celles, au contraire, qui sont privées
de ces avantages, mais plus particulièrement les asthmatiques, éprouvent un ma-
laise marqué, et une excessive difficulté de respirer, lorsqu'elles fréquentent
l’hospice et ses environs. On a vu au Saint-Bernard des voyageurs être pour ainsi
dire asphyxiés par défaut d’air, et tomber en syncope, sans autre cause connue,
ce qui arrive souvent aux individus faibles et délicats. Au début de la syncope,
le pouls est très-fréquent ; mais celte accélération dans les battements des artères
est d’autant moindre que la force des poumons est plus grande.
C’est encore à la rareté de l’air que l’on doit peut-être attribuer un phénomène
remarquable que présente en ce lieu 1 observation des plaies. Leur cicatrisation
demande le double ou même le triple du temps qu’elle exigerait dans la plaine
pour son entier achèvement On observe la même chose sur toutes les hautes
montagnes. (P. 55).
Les récits des voyageurs au mont Blanc sont toujours les plus ca-
ractéristiques, pour ce qui a trait au mal des montagnes. Depuis
Auldjo, un intervalle de sept ans s’était écoulé, pendant lequel une
seule ascension (Wilbraham, 5 août 1850) avait eu lieu. Mais le
17 septembre 1854, le docteur Martin Barry2 fit une ascension
• scientifique dont le récit est plein d’intérêt.
11 n’eut à constater de troubles physiologiques qu’au-dessus du
Grand-Plateau :
1 Aperçu sur la topographie médicale de V hospice du mont Saint-Bernard . — Nouveau
journal de Méd., Chim., Pharm. etc., t. VII, p. 29-57; 1820.
2 Ascent to the summit of mont Blanc, 10-18 septembre 1854. — Edimbourg new
philos, journal, t. XVIII, p. lOü-120; 1855.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. - ALPES.
105
Nous étions alors arrivés à une élévation où j’allais vérifier les récits des précé-
dents voyageurs sur l’épuisement qu’amène le moindre effort dans une atmo-
sphère très-raréfiée. Je n’ai point éprouvé de semblables inconvénients avant d’arri-
ver à ce point, et je n’en ai point vu chez mes guides. Je ne pouvais faire à la
fois qu’un petit nombre de pas, petits et lents. Deux ou trois inspirations pro-
fondes étaient à chaque pas suffisantes pour me remettre; mais, quand je repar-
tais, l’épuisement revenait comme auparavant. J'éprouvais une indifférence dont
ne triompha point la vue du sommet prêt à être atteint. J’eus même une légère
défaillance, et fus obligé de m’asseoir pendant quelques minutes; mais un peu de
vin me remit
Après quelques minutes de repos au sommet, la faiblesse, l’épuisement, l’indif-
férence disparurent.... (P. 112).
Le récit de l’ascension du comte de Tillv, qui eut lieu quinze
jours après celle de Barry, contient tant d’erreurs et de confusions
que nous ne saurions nous y arrêter. Mais l’année suivante, un
anglais, Atkins1, atteignit le sommet avec deux compagnons, He-
dringen et Pedwel, sans compter les guides, et observa des faits
intéressants.
Son ascension eut lieu le 25 août 1857. 11 commence par s’en ex-
cuser, comme d’une folie. Les premiers symptômes ne sont signalés
par lui qu’au Grand-Plateau :
•
J’étais forcé, dit-il, de m’arrêter tous les dix pas pour reprendre haleine et
reposer mes jambes. En proie à la soif, je l’étais encore à une langueur mor-
telle. J’avalais de temps en temps une gorgée de, vinaigre, pour tempérer cette
soif qui dévorait mes entrailles, et je saignais souvent du nez.
Coutet n était pas sans angoisses et Jolliquet ne pouvait tenir la tête droite.
Quelques-uns de ceux qui étaient en avant se traînaient çà et là, d’autres se rele-
vaient et retombaient encore. Au pied du mur de la Côte gisait un homme étendu
de son long et sans mouvements. Je ne puis dire que ce fût un des guides, mais
il nous rejoignit enfin
Enfin, après une ascension des plus accablantes, après nous être vus forcés de
nous arrêier toutes les deux minutes pour respirer, nous arrivons sur la cime...
U faisait 7° au-dessous de zéro (p. 3G)
t « • • • • •
Le petit chien qui nous accompagnait eut à lutter contre le sommeil sitôt que
nous eûmes passé le Grand-Plateau, et chaque fois que nous nous arrêtions, il
lâchait de se coucher à nos pieds, trouvant la neige froide. 11 laissa voir plus d’un
signe de surprise en jetant souvent autour de lui des yeux égar es. Tantôt il faisait
un effort pour courir bien vile, et tantôt il retombait épuisé. Quant à son appétit,
les os de poulet que nous lui donnions disparaissaient avec mie vitesse étonnante,
mais il ne paraissait pas souffrir de la soif
lledringer, voulant se faire gloire de mettre le premier le pied sur la cime, se
mit à courir, mais à peine eut-il fait quelques pas que, d’épuisement, .il s’éten-
1 Ascension au mont Blanc, traduit de l’anglais, par Jourdan. — Genève, Lon-
dres, 1838.
104
HISTORIQUE
dit raide sur la neige pendant deux ou trois minutes, essuyant des douleurs
cruelles. Il subit les conséquences de son ardeur déplacée pendant tout le temps
que nous restâmes au sommet (p. 56)
Nous respirions avec toujours plus de liberté à mesure que nous descendions, et
nous nous sentions si légers qu’il nous semblait à peine toucher à la terre (p. 59).
A partir de cette époque, les ascensions du mont Blanc deviennent
plus nombreuses. Depuis celle d’Atkins jusqu’à la célèbre expédi-
tion de Bravais, Lepileur et Mari ins, en 1844, on en compte 17 ;
mais je ne puis guère signaler comme intéressante que l’ascension
de Mlle d’Angeville (4 septembre 1858), qu’il fallut à peu près porter
Jusqu’au sommet.
Le docteur Rey1 raconte, dans les termes suivants, les symp-
tômes qu’éprouva cette femme intrépide :
J’ai appris de Mlle Dangeville que, dans son état habituel, son pouls bat de
58 à GO fois par minute, bien petit et bien régulier. Au départ de Chamouuix pour
l’ascension, il était déjà de 64 et élevé, l’émotion commençait : aux Grands-Midels,
il était de 70 et irrégulier, quoiqu’elle se sentit au mieux, moralement et physi-
quement. A la montée, qui est au-dessus du Grand-Plateau , où elle a commencé
à ressentir un peu de fatigue et de sommeil, elle a compté 150 pulsations à in-
tervalles inégaux, c’est-à-dire beaucoup plus du double de ce qu’elles sont pour elle'
dans son état ordinaire. Arrivée à un lieu nommé le Mur delà Côte, près de la der-
nière cime, elle éprouva une sorte d’agonie, occasionnée par un excessif besoin
de dormir, et elle ne peut dire jusqu’où une accélération aussi extraordinaire
s’éleva pendant cette grave indisposition; mais cinq minutes après son arrivée à
la cime, le pouls de la noble et généreuse Française était déjà revenu à 108
(p. 541).
Jeions donc un coup d’œil sur les autres montagnes.
Le célèbre naturaliste Desor2, dans le récit des excursions nom-
breuses avec séjour prolongé dons les bauls lieux, qu’il lit en
compagnie de l’illustre Agassiz, s’étonne de ne ressentir et de
n’observer aucun Rouble physiologique; il en est frappé surtout
lors de son ascension à la Jungfrau (41 70m) en 1841 :
Je dois avouer que pendant tout le temps que nous fûmes au sommet, de même
que pendant la montée, nous n’éprouvâmes aucun de ces accidents, tels que nau-
sées, saignement du nez, tintement des oreilles, accélération du pouls, et tant
d’autres malaises auxquels la plupart de ceux qui ont fait l’ascension du mont
Blanc nous disent avoir été en proie. Devons-nous l’attribuer à cette différence de
1 Influence sur le corps humain des ascensions sur les hautes montagnes, Bevue me-
dicale, 1842; t. IV, p. 521-544.
2 Excursions et séjours dans les glaciers et les hautes régions des Alpes, de M. Agassiz
et de scs compagnons de voyage. — Neufchàtel, Paris, 1844.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ALPES.
105
«500 mètres qu'il y a entre la hauteur du mont Blanc et celle de la Jungfrau? ou
bien faut-il en chercher la cause dans 1 habitude que nous avions contractée de-
puis plusieurs semaines de vivre à une hauteur de plus de 2,590 mètres; mais il
est à remarquer que M. Duchàtelier, qui n’était dans les montagnes que depuis
quelques jours, ne se trouva pas plus indisposé que nous. Sans prétendre décider
cette question, qui appartient plus particulièrement au domaine de la physiologie,
je penche cependant à croire qu’il y a un peu d’exagération dans tout ce qu’on
nous raconte à ce sujet. Peut-être aussi quelques voyageurs se sont-ils laissé
tromper par leur imagination, semblables à ces élèves en médecine qui se croient
tous les jours atteints de la maladie dont le professeur vient de leur exposer les
caractères. Des physiologistes allemands prétendent même, si je ne me trompe,
avoir observé les symptômes les plus extraordinaires sur des montagnes de quel-
ques mille pieds. (P. 409).
Il revient encore1 sur cette immunité à propos de son ascension
au Sclireckhorn, ou plutôt au Lauteraarhorn (4050m), le 8 août
1842 :
Je dois faire remarquer que personne de nous n'éprouva le moindre malaise ni au
sommet, ni à la montée, ni à la descente, en sorte qu’à cet égard je puis pleinement
confirmer ce que j’ai dit ailleurs sur tous les prétendus inconvénients des hautes
régions.
Et cependant, à cette conclusion si absolue, on peut opposer
meme dans les récits de Desor2, le fait ci-dessous :
Nous cheminions ainsi depuis un quart d’heure, lorsque tout à coup notre ami
Nicolet nous crie qu’il n’en peut plus. Il éprouve cette fatigue complète dont on
est quelquefois assailli dans les hautes Alpes, mais qui passe très-vite pourvu seule-
ment qu’on se repose un instant Je sens bien, dit-il, que je n’arriverai
pas vivant à Zermatt (P. 342).
Les voyageurs étaient seulement au pied du montCervin.
Gottlieb Studer3 fait, le 13 août 1842, l’ascension de la Jungfrau;
il n’éprouve rien non plus et en donne une étrange raison :
Nous ne nous aperçûmes d’aucun des troubles qu'à de si grandes hauteurs les
voyageurs ont souvent attribués à la raréfaction de l’air; cependant il faut faire
attention que, dans une aussi longue ascension, pendant trois longues heures, la
poitrine peut se reposer (P. 515).
En sens inverse, un autre touriste, Spitaler4, qui fit, avec plu-
1 Revue suisse. — Neufchâtel, juin 1845.
s Journal d'une course faite aux (//aciers du mont Rose et du mont Cervin. — Bi-
blioth. univ. de Genève. 2e série, t. XXVI I, 1840.
J Aus/lug nach dem Alelsch FÀsmeer und Ersteigung der Jungfrau (4167™). Rap-
porté in-extenso clans Matériaux pour l'élude des glaciers, par Dollfus-Ausset, t. IV,
1804.
4 Beobachlungen über den Ein/luss der verdiinnte Lu fl und des stârken Sonncnlichtcs
au f ho lier Gebirgen, etc..- — Osterreich. med, Jahrb. N. Folge, t. XXXII; 1843.
100
HISTORIQUE.
sieurs compagnons, des ascensions sans grande importance, a cer-
tainement exagéré les souffrances éprouvées. Ainsi, à propos du
Venediger dans le Pinzgau, montagne de 3675m, il fait le lamentable
tableau que voici :
Nous avions le besoin d’inspirer plus souvent et tous les muscles étaient mis
en action avec peine ; les battements du cœur et du pouls doublaient ou même
triplaient; les pulsations étaient petites et faibles, les difficultés respiratoires
allaient jusqu’à l’angoisse, et arrêtèrent l’un de nous à quelques centaines de pas
de la cime ; un autre, en revenant, eut une légère hémorrhagie pulmonaire ; la
sécrétion des reins était singulièrement diminuée.... personne n’était incommodé
parla sueur, mais la soif était fort grande. La température était de + 2 à
+ 6 0 R... — Dans la plaine nous n’aurions pas eu froid, mais à 9,000 pieds une
sensation pénible de froid nous prit ; tous avaient la peau flasque, le visage d’as-
pect vieillot; la force des muscles était singulièrement diminuée, et de quarante,
vingt-six seulement atteignirent la cime.
Le témoignage du célèbre physicien anglais, le principal Forbes,
est bien autrement précieux et bien autrement exact. Forbes1 parle
des accidents de montagnes à propos de son expédition au col du
Géant (5360m), le 23 avril 1842, dans laquelle il vit un de ses
guides légèrement atteint :
Nous étions à environ mille pieds du sommet, quand Couttet sentit sa respira-
tion un peu affectée, mais non d'une manière grave. C’est là un symptôme très-
commun, et qui dépend beaucoup de l'état de la santé. Je m’en ressentis à peine
ici jusqu’au sommet. Mais, en 1811, j’en ai été nettement incommodé à un ni-
veau inférieur, en montant à la Jungfrau. Les guides disent que ces variations
tiennent à l’état de l'air; et David Couttet m’affirma, que, à différents jours,
lui et son père avaient senti en même temps la difficulté à respirer à une hau-
teur très-médiocre. (U. 224.)
Après tous ces voyageurs, naturalistes ou simples touristes, qui
n’ont parlé qu’incidemment des accidents physiologiques, nous
arrivons à une expédition scientifique demeurée justement célè-
bre, la première qu’ait vu le mont Blanc depuis de Saussure, et dont
un des membres, le docteur Lepileur, était spécialement chargé de
s’observer lui-mème et d’observer ses compagnons au point de vue
physiologique. Aussi le récit2 qu’il a fait de cette ascension mérite-
t-il d’ètre ici analysé très-longuement.
Mais avant d’aborder ce récit lui-même, M. Lepileur, qui avait
l’habitude de la montagne, raconte que, dans ses excursions anté'
1 Travels through the Alps of Savoy. — Édimburgli, 1853.
2 Mém. sur les phénomènes physiologiques, que l’on observe en s’élevant à une cer -
taine hauteur dans les Alpes. Revue médicale ,, 1845, t. II.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ALPES.
107
rieures à l’ascension du mont Blanc, il a éprouvé ou observé un
certain nombre de phénomènes intéressants, surtout par les faibles
hauteurs auxquelles ils se sont présentés :
En allant de Marligny au grand Saint-Bernard, en septembre 1852, je vis mon frère
et deux de mes amis présenter Ja plupart des symptômes du mal des montagnes;
l’un, jeune homme de vingt-six ans, fut pris, une heure avant d’arriver à l’hos-
pice , de malaise général, de fatigue, d’essoufflement, de palpitations, et bien-
tôt ne put marcher sans être soutenu et sans faire des haltes fréquentes à inter-
valles égaux. Arrivé à l’hospice , il se coucha, sans pouvoir prendre autre chose
qu’un peu de thé ; il souffrit toute la nuit d’un malaise qu’il comparait à celui de
la fièvre ; le lendemain matin il sentait encore de l’oppression et se hâta de
redescendre à Marligny, Des deux autres, l'un avait trente ans, et mon frère
dix-sept: ils ne souffrirent que fort peu dans la dernière demi-heure démon-
tée ; mais quoique peu fatigués en arrivant, ils n’avaient pas le moindre appétit,
et même la vue et l’odeur des aliments leur inspirait du dégoût. La nuit les
remit tout-à— fait ; le lendemain ils purent monter à l’une des cimes au sud du
couvent, et redescendre à pied à Marligny. La fatigue de cette journée leur
ôta également le soir tout appétit, ainsi qu’à un autre de nos compagnons, qui
n’avait rien éprouvé au Saint-Bernard ; mais ce n’était alors que de la fatigue, il
ne restait rien du malaise qu’ils avaient ressenti la veille.
Au mois de juin 1835, en gravissant la pente de neige qui s’étend au-dessous
du château Pictet sur le Buet, à une hauteur d’environ 5,000 mètres, je sentis
mes forces défaillir, j’avais beaucoup de peine à avancer. Un de mes amis qui
m’accompagnait, souffrait déjà depuis près d’une demi-heure de fatigue dans les
jambes et les genoux. Il faisait des haltes fréquentes. Quant à moi, je ne pou-
vais faire plus de 1 00 pas de suite.
Un peu de chocolat que je mangeai me remit, presque complètement; cepen-
dant j’étais encore obligé de m’arrêter de temps à autre, quoique beaucoup moins
épuisé. Du château Pictet à la cime du Buet la pente est très-douce, et je n’éprou-
vais dans ce trajet aucune lassitude.
Au mois de juillet de la même année , je montais avec un guide sur la pointe
de rocher qui domine au nord le col Saint-Théodule ; environ soixante mètres
au-dessous de la cime, je m’aperçus que le guide s’arrêtait fréquemment ; bien-
tôt il lui devint impossible de faire plus de huit à dix pas sans reprendre haleine.
C’était un homme robuste et dans la force de l’âge, je ne pouvais penser que le
poids de mon sac qu’il portait suffit pour le fatiguer à ce point ; le voyant haleter,
pâlir et sur le point de tomber en défaillance, je lui dis de prendre un peu de
repos ; il ne voulut pas d’abord convenir de son malaise, mais enfin il fut obligé
de s’asseoir, une sueur froide coulait sur son visage, il était épuisé. Je lui lis
manger un peu de pain et de chocolat, ce qui , joinl à un repos de dix minutes,
le remit tout à l’ait . La hauteur à laquelle nous étions n’était guère que de cent
cinquante mèlres au-dessus du col Saint-Théodule, c’est-à-dire de 3,560 mètres,
mais j’avais remarqué en partant de Zermalt , vers minuit, que le guide était
ivre, et c’était là ce qui l’avait rendu si impressionnable à la raréfaction de l'air.
Deux jours après, en gravissant le Breithorn, à l’est-sud-est du col Saint-Théo-
dule, un de mes guides se trouva dans l’impossibilité de monter plus haut que
le dernier plateau (environ 5,000 mètres) ; cet homme avait soixante ans et était
affecté d’une double hernie inguinale. Un autre guide du même âge éprouva
beaucoup d’anhélation en gravissant le cône terminal du Breithorn (4,100 métrés),
108
HISTORIQUE.
dont la pente est très-raide. Les deux autres guides , hommes de trente à
trente-cinq ans , n'eurent aucun malaise non plus que moi. L’année suivante,
faisant la même excursion avec un de mes amis, je fus pris d’un sommeil invin-
cible en traversant le vaste plateau situé au sud du Breithorn , où l’année pré-
cédente un guide avait dû s’arrêter. Je dormais en marchant, quelqu’effort que
je tisse pour me tenir éveillé ; un des deux guides éprouvait le même effet, l’autre
et mon compagnon de voyage ne ressentaient rien de semblable. De retour au
col Saint-Théodule (5,410 mètres), après un léger repas fait de bon appétit, nous
dormîmes tous au soleil , pendant une heure environ. En se réveillant , mon
compagnon de voyage se sentit mal au cœur et vomit ce qu’il avait mangé une
heure avant. Il faut remarquer que l’avant-dernière nuit nous avions peu et mal
dormi, et qu’après une marche de huit heures , nous n’avions pris , la nuit qui
précéda notre excursion, que trois quarts d’heure de sommeil. Ii m’est arrivé
plusieurs fois, à Paris, de me trouver ainsi dominé par le sommeil au point de
dormir et même de rêver en marchant. Nous n’avions, du reste, éprouvé les uns
ni les autres aucun autre malaise pendant cette excursion.
Au mois de juillet 1844, en gravissant la pente du Couvercle, à une hauteur de
2,500 mètres environ, j’éprouvai un malaise et une difficulté à monter comme
celle que j’avais ressentie en 1855 au Buet. Cet état dura près de vingt minutes.
Je n’étais pas obligé de m’arrêter, mais je souffrais, et mes forces me paraissaient
diminuées de beaucoup : enfin, sans cause appréciable, car je continuais à mon-
ter, le malaise cessa tout-à-coup, je pus franchir sans peine la hauteur de
150 mètres environ, qui séparaient le point où je me trouvais du Jardin. Arrivé
en ce dernier endroit, je mangeai avec assez de plaisir ; mais je fus bientôt ras-
sasié. M. le Dr Noël de Mussy, l’un de mes compagnons dans cette promenade, et
qui se trouvait pour la première fois dans les montagnes, n’éprouva qu’un peu
d’essoufflement; au Jardin, il mangea avec beaucoup d’appétit. Cependant le soir,
en revenant, il était beaucoup plus fatigué que moi. Un autre voyageur qui nous
accompagnait, ne ressentit aucun malaise.
Enfin, au mois de septembre , M. Camille Bravais, qui montait avec moi à la
pierre de l’Echelle, parvenu à une hauteur d’environ 2,500 mètres, était obligé de
s’arrêter tous les vingt pas pour reprendre haleine.' 11 est vrai que Al. C. Bravais,
affecté sans doute d’un peu d’hypertrophie du cœur, n’a jamais pu gravir une
montée rapide, sans éprouver de fortes palpitations. (P. 55 et suiv. du tirage à
part.)
Arrivons maintenant aux ascensions du mont Blanc. Dans la
première tentative avec MM. Bravais et Martins, le 50 juillet 1844.
ils éprouvèrent quelques troubles sur le Grand-Plateau (591 lm),
où ils dressèrent leurs tentes pour la nuit, et qu’ils ne purent dépas-
ser : dégoût des aliments, diarrhée, abattement. M. Lepileur fut
pris de frissons violents revenant huit ou dix fois par heure;
M. Martins eut un accident analogue. Us avaient, pour planter
leur tente, prêté la main aux guides, et s’y étaient beaucoup fati-
gués.
Le 7 août, ils reparlent tous trois, et vont coucher au Grand-
Plateau : les frissons y reprennent M. Lepileur; M. Martins était
assez malade, Bravais n’eut qu’une invincible envie de dormir aux
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ALPES.
109
Grandes-Montées (5800m). L’un des guides avait le visage cyanosé,
ce que M. Lepileur aüribue au fioid. M. Martins, en descendant,
eut une hématurie légère.
Le 28 août, troisième voyage; départ de Chamounix à minuit :
La montée se fit très-bien jusque vers 5,100”. Là, Tournier se sentit malade,
perdit tout à fait courage et fut obligé de redescendre. 11 était pâle, la sueur inon-
dait son visage et il pouvait à peine faire quelques pas en montant, bien qu’on
lui eût fait déposer sa charge et que nous fussions sur une pente assez douce.
Il attribuait cette défaillance de ses forces à ce que, la veille, ne pensant pas
monter, il s’était fatigué beaucoup à un travail pénible. Son malaise cessa dès
qu’il fut à deux ou trois cents mètres plus bas.
A 5,000“, je ne ressentais rien en marchant d’un pas mesuré; mais quand je
voulais monter vite, comme par exemple pour rejoindre mes compagnons de
voyage, après m’être arrêté un instant, j’éprouvais du malaise. M. Bravais sout-
irait beaucoup du froid aux pieds depuis quelques heures. Plusieurs fois il avait
été obligé de s’arrêter, et nous avions rétabli la circulation en lui frappant for-
tement la face dorsale des orteils avec nos mains
Au Petit-Plateau, je mangeai d’abord avec répugnance, puis avec plaisir, lors-
qu’un peu d’aliments eut excité l’estomac. Nous prîmes tous un peu de vin :
c’était toujours la ce qui nous réussissait le mieux
M. Bravais fut encore, cette fois comme les deux autres, pris d’envie de dormir
vers la hauteur du Petit-Plateau (5,800”).
En arrivant au Grand-Plateau, il était, ainsi que moi, un peu fatigué. M. Mar-
tins ne l’était pas. Cachat et Ambroise Coultet étaient épuisés. Aussitôt qu’ils
furent arrêtés, ils se couchèrent au soleil sur la neige, et restèrent ainsi pendant
trois ou quatre heures, sans pouvoir nous être d’aucune utilité. Ambroise Couttet
eut de plus des nausées toute l’après-midi. Dès qu’il voulait se tenir debout, la
syncope devenait imminente. Les autres s’occupèrent avec nous à mettre les
instruments en observation et à déblayer notre tente que la neige Rivait aux trois
quarts ensevelie du côté du N.-E. Ce travail ne nous fatiguait ni les uns ni les
autres, et nous n’éprouvions pas plus d’essoufllement que la première fois et qu’à
Chamounix, quand nous avions dressé nous-même la tente pour nous y exercer et
montrer à nos guides comment il fallait r.’y prendre.
L’appétit était chez tous moins développé que dans la vallée. M. Bravais en avait
très-peu; chez M. Martins et chez moi il était nul. Cependant je n’éprouvais pas
de dégoût pour les vivres frais que nous avions apportés. Trois heures après
notre arrivée, ayant ôté mon masque de crêpe qui me gênait pour observer, je
sentis un commencement de mal à la tète qui cessa dès que j’eus remis mon
masque. Lorsque j’apportais une grande attention à l’observation de quelque
instrument, quand par exemple je lisais un thermomètre placé sur la neige, et en
général quand je me trouvais dans une position où la respiration était gênée,
j’éprouvais une légère sensation nauséeuse qui durait à peine une ou deux se-
condes ; l’instant d’avant et l’instant d’après je ne m’en ressentais nullement.
Messieurs Martins et Bravais remarquèrent chez eux le même phénomène. A
cela près, nous étions fort bien portants, gais et pleins de confiance. Nous
ne tenions note de ces minuties de malaise que pour être rigoureusement
exacts.
A. Simon fut pris de défaillance pendant que je lui tâtais le pouls. 11 était debout
et n’eut que le temps de se coucher sur la neige, pour éviter une syncope coin-
110
HISTORIQUE.
plète. Depuis notre arrivée, il avait travaillé à déblayer la tente et à ranger nos
effets de campement sans éprouver de malaise ; cependant il était un peu moins
dispos celle fois que les autres. Il se remit au bout de quelque temps et mangea
même avec appétit. Le soir, tout le monde était bien portant; nos deux malades
s’étaient remis de leur l'aligne; je dormis la nuit, quoique fort gêné par l’impos-
sibilité d’étendre les jambes. Je sentis aussi quelques douleurs rhumatismales
dans le genou droit, vers le bord interne de la rotule, et un peu de névralgie au
côté externe de la cuisse gauche. M. Bravais observa jusqu’à minuit. Le 29, à
quatre heures du matin, je Iis la première observation. J’étais bien reposé, je me
sentais toutes mes forces, mais je n’avais pas d’appétit; je mangeai seulement
avec plaisir quelques raisins secs, les vivres, gelés à fond depuis un mois, et sur-
tout la viande, m’inspiraient du dégoût. Vers six heures, M. Bravais et moi nous
prîmes un peu de pain et de vin. Les premières heures de la matinée se passèrent
à observer et à faire quelques expériences, pendant lesquelles nous restâmes
debout, allant et venant sur la neige molle. A dix heures dix minutes, on partit
pour la cime.
La traversée du Grand-Plateau fut pénible à cause de la neige dans laquelle on
enfonçait jusqu’au mollet. Je ne me sentais plus aussi fort que le matin, mais je
n'éprouvais aucun malaise. Je transpirai abondamment en traversant le Grand-
Plateau et pendant la première demi-heure de montée. Nous souffrions du froid
aux pieds et aux mains, M. Bravais surtout. M. Martins s’essoufflait un peu plug
et plus vite que nous. Jusqu’au bas des rochers Rouges supérieurs, 4,40Üm en-
viron, je n’avais de malaise d’aucune espèce ; nous faisions trois cent cinquante
à quatre cents pas de suite sans reprendre haleine ; mais arrivé à ce nombre, ou
sentait le besoin de quelques instants de repos. La pente sur laquelle nous nous
élevions, mesurée avec la boussole du géologue, était, vers 4,500'", de 42°, l’incli-
naison de notre marche était de 1G°.
Vers 4,400m, je commençai à sentir au bout de dix ou douze pas un peu de fa-
tigue avec douleur analogue à celles de la courbature, dans les jambes et les ge-
noux. Je comptai de nomeau mes pas, nous en faisions encore cent entre chaque
halte; mais les vingt derniers m’étaient très-pénibles, Cette douleur des jambes
cessait dès que je m’arrêtais, et les premiers pas que je faisais ensuite étaient
très-faciles. Je commençais à désirer vivement de voir la pente s’adoucir. Un
quart d’heure avant d’atteindre le haut des rochers Rouges supérieurs elle devint
en effet moins roide. Vers cette hauteur (4,500m) j’eus un peu de transpiration
(pii ne dura que quelques instants. Après une courte halle on continua de monter;
un peu avant le sommet des rochers Rouges supérieurs, j’avais commencé à
sentir quand je marchais un malaise indéfinissable; je n’avais ni mal de tête ni
palpitations, une fois ou deux je sentis quelques battements dans les carotides,
sans doute parce que j’avais fait quelques pas plus vite que les autres. Je n’avais
pas non plus de mal de cœur, mais un malaise général, une sorte d’épuisement.
J’étais faible et il me semblait que j’avais juste assez de force pour exéculer les
mouvements de locomotion pendant un certain temps et qu’ensuite ce serait
fini ; j’étais en un mot comme un homme qui, à la fin d’une longue journée de
marche, épuisé de fatigue, sent qu’il pourra bien arriver encore à tel point peu
éloigné, mais qu’il doit renoncer à aller plus loin. Je ne pouvais marcher que la
tête basse et le menton touchant presque le sternum. Cette altitude était celle de
tous, et lorsqu’on reprenait haleine, c’était aussi, pendant les premières secondes,
le cou tendu et le corps penché en avant. Ciissold avait observé la même chose.
Un peu d’envie de dormir se lit sentir chez moi à plusieurs reprises et j’eus quel-
ques bâillements. Enfin ce qui ajoutait beaucoup au malaise, c’était une soif
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ALPES.
111
assez vive ou plutôt une sécheresse et un état pâteux de la bouche ; un peu de
neige fondue sur la langue en mâchant du raisin sec, désaltérait pour quelques
instants. Cet état de malaise ne.se développa que graduellement, et il était très-
supportable quand, vers 4,5G0m, un vent violent du nord-ouest nous assaillit.
Aussitôt nous sentîmes se glacer nos mains, notre visage et la partie de la tète
que la coiffure ne couvrait pas. Le côté du corps que frappait le vent était aussi
très-refroidi, surtout chez MM. Bravais et Martins, dont les vêtements étaient assez
légers. Comme nous montions en zigzag, quand nous nous trouvions avoir le
vent en face pendant une raffale, j’éprouvais alors au plus haut degré la sensation
que j’ai décrite à propos de notre première ascension au Grand-Plateau. J’avais
beau me couvrir de la main le nez et la bouche, baisser, détourner la tête, je ne
respirais pas plus que si j’avais été sous l'eau. J’éprouvais l’anxiété de l’asphyxie,
la tète me tournait et un peu de mal de cœur se faisait sentir. Lors même que
je tournais le dos à la raffale, il me semblait que le vent faisait le vide autour de
moi, et je respirais difficilement. Je fus le seul à éprouver cet effet du vent, tant
au premier qu’au troisième voyage. Ce surcroît de malaise dura sans discontinuer
pendant un quart d'heure ou vingt minutes, je me demandais si je pourrais
arriver au sommet, je sentais bien que j’y parviendrais; mais il me fallait em-
ployer tout ce que j’avais de force morale pour faire agir les forces physiques.
Par moment aussi je m’avançais machinalement, sans penser, pour ainsi dire.
Personne ne parlait, chacun n’avait comme moi qu’une pensée, celle d’avancer
encore de quelques pas. Aussi l’espace que l'on parcourt entre les rochers
Rouges et la cime, bien que l’on mette près de deux heures à le franchir, ne m’a
pas laissé beaucoup de détails dans la mémoire, et se retrace cà moi comme un
souvenir informe assez pénible et très-court, sans doute à cause de son uniformité.
La même chose a eu lieu pour MM. Bravais et Martins, car nous avons été surpris
tous trois quand il fallu reconnaître par nos notes que nous avions mis près de
deux heures à al er des rochers Rouges à la cime. Nous ne nous rappelions que
deux ou trois incidents de cette montée, qui, bien que pénible, lut pourtant
laite sans interruption et sans l’excès de fatigue et d’épuisement éprouvé par
quelques voyageurs. C’est, je crois, au vide que laisse dans la mémoire celte
partie de l’ascension au mont Blanc qu’il faut attribuer les erreurs et les
confusions si fréquentes dans les récits des voyageurs lorsqu’ils parlent de ce
trajet.
Quand on faisait halle, je me trouvais au bout de deux ou trois secondes en
parfaite santé ; je ne souffrais plus que d'un peu de soif et du froid aux pieds et
aux mains. Nous ne trouvâmes pas, comme de Saussure l’a observé sur lui-même,
que le malaise causé par la marche arrivât à son plus haut point au bout de huit
ou dix secondes de halte.
Pendant le dernier quart d’heure de montée, la pente était plus douce et le
vent soufflait avec moins de violence. Ces deux causes, jointes au bonheur que
j’éprouvais en voyant la cime à peu de distance, diminuèrent beaucoup mon
malaise. M. Bravais ne souffrit que du froid. Nous avions déjà reconnu que de
nous trois c’était lui qui ressentait le moins les effets de l'air raréfié. M. Martins
était celui qui en souffrait le plus. Il était très-essoufllé, avait des palpitations,
des battements dans les carotides et un peu de mal de tête ; il se sentait
une fatigue générale, et faisait moins de pas que nous. En arrivant à la
cime, il s’en croyait encore éloigné d’une demi-heure, et ressentit en s’y trou-
vant un vif mouvement de joie. Aucun de nous n’éprouva, pendant la mar-
che, ni douleur ni fatigue, enfin rien d’extraordinaire dans l’articulation coxo-
fémorale; eu général, on ne ressentait pas de fatigue dans les muscles de la cuisse.
11 ‘2
HISTORIQUE.
MM. Bravais et Martins en avaient un peu dans le droit antérieur seulement.
Entre les rochers Rouges (4,50Gm) et les Petits-Mulets (4,G60m) nous faisions
d’abord, sans reprendre haleine, quatre-vingts pas, puis ce nombre se réduisit à
soixante-dix, et enfin à trente-cinq ou quarante pas entre les Petits-Mulets et la
cime. Cependant, au moment d’arriver sur le point culminant, la pente étant
très-douce, nous fîmes une ou deux traites plus longues que les autres. A qua-
rante mètres environ du sommet, M. Bravais voulut voir combien il pourrait faire
de pas en montant aussi vite que possible et dans le sens de la grande pente. 11
fut obligé de s’arrêter au bout de trente-deux pas; il sentait, dit-il, qu’au mo-
ment où il s’arrêta, il aurait pu en faire encore deux ou trois, peut-être quatre,
mais qu’il lui eût été tout à fait impossible d’aller au-delà.
Pendant la montée, aucun des guides et des porteurs ne parut souffrir ; deux
d’entre eux étaient un peu plus fatigués que les autres : c’étaient Frasserand, qui
déjà la veille était arrivé un peu fatigué au Grand-Plateau, et À. Couttet, qui y
avait été malade toute l’après-midi. Nos deux guides et le porteur Simon parais-
saient pouvoir faire un plus grand nombre de pas que nous. Plusieurs fois même
ils ne s’arrêtèrent que parce qu’on le leur demandait. Nous arrivâmes à la cime,
M. Bravais et moi, en même temps : M. Martins nous y rejoignit quelques mi-
nutes après
Pendant huit ou dix minutes je souffris aux pieds de vives douleurs, causées
par la réaction de chaleur qui succédait à un froid intense. J’éprouvai aussi, dans
les premiers moments de notre arrivée et quand les douleurs des pieds eurent
cessé, un peu de somnolence. Je me couchai sur la neige, où je restai cinq mi-
nutes, mais sans pouvoir dormir. Je me relevai alors, l’envie de dormir se dis-
sipa, et pendant tout le temps que nous passâmes au sommet je n’éprouvai
absolument aucune sensation pénible, sauf un peu de froid pendant la dernière
heure. Je n’avais pas d’appétit, quoique l’idée de manger ne me causât aucune
répugnance. M. Bravais était aussi fort bien portant; seulement il éprouvait de
temps à autre la petite sensation nauséeuse que M. Martins et moi nous avions
observée sur nous la veille au Grand-I'lateau. lise sentait de l’appétit et mangea
un peu de biscuit et quelques pruneaux. Peu de temps après notre arrivée à la
cime, il but, ainsique moi, environ un tiers de verre d’eau-de-vie. Cette liqueur
nous sembla délicieuse et fort douce, à notre grande surprise; elle nous fit beau-
coup de bien, et nous donna des forces sans nous causer l’excitation qu’amènent
ordinairement les spiritueux. Nous bûmes aussi, pendant les deux premières
heures de notre séjour au sommet, un peu de vin. M. Martins, un instant après
son arrivée à la cime, lut pris de nausées, et vomit quelques grains de raisins
secs qu’il avait mangés une heure auparavant. Le vomissement le soulagea. Il
comparait son malaise au mal de mer. Couché, il ne souffrait presque pas, mais
le mouvement et la station ramenaient les nausées. Une heure après, il était déjà
mieux; au bout de deux heures, le malaise cessa complètement. 11 but un peu de
vin, mais ne voulut pas manger. Les six hommes que nous avions avec nous
mangèrent à peine, mais ils burent environ deux bouteilles de vin et une demi-
bouteille d’eau-de-vie. Tous se trouvaient en parfaite santé; deux seulement
étaient évidemment fatigués, quoiqu’ils n’en voulussent pas convenir
On pouvait marcher sans aucune difficulté sur un plan à peu près horizon-
tal: mais, dès qu’il fallait monter, on éprouvait de l’anhélation et une lassitude
générale
Nous avions tous la langue blanche ; mais celle des guides l’était moins que la
nôtre, et leur appétit n’était pas non plus, comme le nôtre, complètement ou
presque complètement nul. (U. 44-54.)
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ALPES.
115
Après quelques heures d’observation, ils redescendirent au Grand-
Plateau ; M. Martins fut pris d’essoufflement, de palpitations et de
battements dans les carotides, en sorte qu’il fut forcé de s’asseoir.
Pendant la nuit,M. Lepileur ressentit une-violente névralgie sciatique
à gauche. L’appétit ne lui revint que le lendemain, quand, retour-
nant à Chamounix, il arriva par 3000m ; dans toute la journée, il
n’avait mangé qu’un petit morceau de pain trempé dans un peu de
vin. Il envoya des vivres frais à Martins et à Bravais, restés au Grand-
Plateau ; ceux-ci les reçurent avec grand plaisir et firent un bon
repas ; toutefois, ce qu’ils mangèrent entre cmq n’aurait guère fait
que la ration d’un homme dans la vallée.
Les urines étaient rares et foncées chez tout le monde.
Le travail de M. Lepileur est terminé par une série de tableaux
indiquant le nombre de pulsations observées sur lui-même, sur
Martins et sur trois guides, de Servoz ou de Chamounix au sommet
du mont Blanc. 11 le résume, en disant :
L’augmentation de fréquence est un résultat constant , quand on s’élève, à par-
tir d’un certain niveau,... qui peut varier suivant les individus.... Mon pouls s’est
trouvé moins fréquent à Chamounix (GO) qu’à Paris (67,25) ;.... ce fut le contraire
chez M. Martins.... Le rapport de fréquence entre Chamounix et la cime est, pour
M. Martins 0,82 ; pour moi, 0,G8 ; pour Muguier, 0,G7 ; pour Couttet, 0,60 ; pour
Simond, 0,61. (P. 77-80.)
M. Martins1 a raconté beaucoup plus tard le même voyage; ses
souvenirs concordent avec ceux de M. Lepileur :
Sur le Grand-Plateau les guides se mirent à déblayer la tente. Ce travail était
pénible: chacun d’eux avait à peine enlevé quelques pelletées qu’il s’arrêtait pour
respirer ; un secret malaise se traduisait sur toutes les physionomies, l’appétit
était nul. Auguste Simond, le plus grand, le plus fort, le plus vaillant des guides,
s’affaissa sur la neige, et faillit tomber en syncope pendant que le docteur Lepi-
leur lui tâtait le pouls ; c’était l’effet de la raréfaction de l’air jointe à la fatigue, à
l’insomnie, dont chacun de nous était plus ou moins affecté. Nous étions alors
à près de 4000 mètres au-dessus de la mer, et à 5000 mètres déjà il y a peu
d’hommes qui ne se sentent incommodés. Je ne m’étonne pas que nous ayons
ressenti dans cette ascension les effets de la raréfaction de l’air , qui avaient été
peu marqués dans les deux premières. Jamais nous ne nous étions élevés si vite
de Chamounix au Grand-Plateau: partant de 1040 mètres au-dessus de la mer,
nous étions, après dix heures et demie de marche, à 5930 mètres ; c’est une diffé-
rence de niveau de 2890 mètres , franchie en moins d’une demi-journée. Tout
malaise disparaissait quand nous cessions d’agir. (P. 25 du tirage à part.)
1 Deux ascensions scientifiques au mont Blanc. — Bévue des Deux-Mondes, livraison
du 15 mars 1865.
8
114
HISTORIQUE.
Le lendemain, ils terminèrent l’ascension :
La raréfaction de l’air.... nous forçait à marcher lentement ; tous les vingt pas,
nous nous arrêtions essoufflés
Nous touchions au but, mais nous marchions lentement, la tête baissée, la poi-
trine haletante, semblables à un convoi de malades. L’influence delà raréfaction
de l’air se faisait sentir d’une manière pénible : à chaque instant, la colonne s’ar-
rêtait. Bravais voulut savoir combien de temps il pourrait marcher en montant
le plus vite possible : il s’arrêta au trente-deuxième pas sans pouvoir en faire un
de plus. Enfin à une heure trois quarts nous atteignîmes ce sommet tant dé-
siré. (P. 27.)
Le récit de l’ascension du 19 juillet 1859, faite par MM. Chomel
et Crozel1, a également donné lieu à d’intéressantes observations ;
ils suivirent une route différente de la route ordinaire, de la roule
battue, pourrait-on dire, tant les voyages au mont Blanc sont deve-
nus fréquents :
Vient enfin la calotte du mont Blanc, qui, malgré son peu d’élévation au-dessus
de la merde glace, exige pourtant encore deux mortelles heures d’ascension. C'est
là que, pendant ce dernier trajet, le manque d’air rend pénible tout mouvement
du corps, et qu’il faut des efforts surhumains pour résister aux palpitations, au
sommeil et à l’évanouissement
Ce sommet tant désiré, quelques pieds à peine nous en séparent encore. Nous
nous piquons d’amour-propre, et nous relevant de la neige où nous étions éten-
dus, nous faisons à la course le reste du chemin
Nous voici au sommet du géant des Alpes. La première impression.... fut,
hélas ! un tournoiement de tête et des contractions d’estomac qui nous firent
chanceler.
Le célèbre physicien anglais Tyndall2 est un des plus ardents
ascensionnistes des Alpes. Chaque année le voit plantant son alpen-
stock sur quelque sommet nouveau. Et ce n’est pas seulement dans
un but scientifique qu’il brave ainsi de sérieux dangers; ce ne sont
pas seulement les grands spectacles de la nature qui l’attirent et
le passionnent; il semble, lui aussi, pris de celte manie de grimper
pour grimper, qui, née en Angleterre, fait aujourd’hui des progrès
dans notre propre pays. Mais son témoignage n’en a que plus de
valeur pour ces diverses raisons.
C’est le 12 août 1857 que Tyndall fit sa première ascension au
mont Blanc, en compagnie de MM. Hirst et Huxley. Celui-ci dut
s’arrêter aux Grands-Mulets.
1 Ascension du mont Blanc par la route de Saint-*Cermain-les-Banis . — Nouv. ann.
des voy., t. CLXill, p. 358-562, 1859.
2 Tyndall, The glaciers of the Alps. — London, 1860.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ALPES.
115
Arrivé aux Derniers Rochers, Tyndall se sentit épuisé. Le guide
Simond s’écriait à chaque pause : « Ah ! comme ça me fait mal aux
genoux ! »
Je me couchai sur un lit composé de granit et de neige , et m’endormis immé-
dialement.
Mais mon compagnon me réveilla bientôt : Vous m’avez fait peur, dit-il, j’ai
écouté pendant quelques minutes, et je ne vous ai pas entendu respirer une fois.
Nous nous levâmes alors, il était c2 heures et demie.... Au sentiment de fatigue
éprouvé jusque-là se joignit un nouveau phénomène, des battements de cœur.
Nous y étions incessamment soumis, et ils devenaient parfois assez intenses
pour faire craindre quelque danger. Je comptai le nombre de pas que je pou-
vais faire sans m’arrêter et le trouvai de quinze ou vingt. A chaque repos mon
cœur battait à être entendu, comme je m’appuyais sur mon bâton, et son
calme était le signal d’une nouve’le marche en avant. Ma respiration était courte,
mais facile et sans obstacles. Je m’efforçai de rechercher si l’articulation de la
cuisse, par suite de la diminution de pression, était relâchée, mais je ne pus m’en
assurer
Depuis que nous avions passé les derniers rochers, nous travaillions avec l’in-
différence stoïque d’hommes qui accomplissent un devoir sans s’inquiéter des
conséquences. Enfin un rayon d’espérance commença à éclairer nos esprits ; le
sommet était visible, Simond montra plus d’activité.... à 3 heures et demie je
joignis les mains sur le sommet. (P. 80.)
Le récit de la seconde ascension, faite le 12 septembre 1858, ne
contient qu’une allusion en quelques mots aux fatigues des monta-
gnes (p. 180).
En 1859, ascension plus sérieuse encore et des plus fructueuses
pour la science. Tyndall, Frankland et neuf guides passèrent une
nuit au sommet du mont Blanc ; leur séjour y fut d'environ vingt
heures1 :
Nous ne souffrîmes pas du froid, bien que nous n’ayions pas de feu et que la
neige fût à une température de — 15 0 C.. Mais nous fûmes tous indisposés.
J’étais mal portant en quittant Chamounix.... J’avais fréquemment triomphé de
mon malaise dans des occasions précédentes , et j'espérais qu’il m’en arriverait
autant. Mais je fus en ceci complètement déçu ; mon malaise était plus profon-
dément enraciné qu'à l’ordinaire, et il augmenta pendant toute l’ascension. Mais,
le lendemain matin, je me trouvai plus fort, tandis qu il en était tout autrement
pour plusieurs de mes compagnons. (P. 54.)
La môme année, un Allemand, le docteur Pitschner2, fit une
ascension remarquable de la même montagne; il fut très-sérieuse-
ment atteint :
1 Hours of exercise in lhe Alps. —c2e éd. — London, 1871.
2 Der mont Blanc. Darstellung (1er Besteigung desselben arn 51 juli, 1, u 2 Aügust
1859. — Berlin, 1860.
116
HISTORIQUE.
Nous étions à 6 heures du matin dans le Corridor (5,990 mètres) ; le thermo-
mètre marquait — 8° C. A peine y étions-nous depuis cinq minutes, qu’une forte
envie de dormir vint nous saisir, qui s’empara de moi au plus haut degré. Ma
respiration était très-pénible; mes yeux papillotaient, j’avais des bourdonnements
d’oreilles, des douleurs de tète, des nausées ; bientôt survinrent à plusieurs re-
prises des vomissements ; Balmat n’était pas plus épargné que moi, et l’envie de
dormir le domptant, il se coucha sur la neige, et je ne tardai pas à me laisser
tomber auprès de lui.
« Je ne puis aller plus avant, avant de dormir une demi-heure, » dis-je à Bal-
mat.... Je tombai dans un sommeil léthargique, entrecoupé de suffocations, qui
finit par paraître dangereux à Balmat ; aussi se mit-il à me remuer et à me se-
couer, sans pouvoir me réveiller. Quinze minutes s’écoulèrent. Ses cris m’éveil-
lèrent, et il me dit : « Vous ne pouvez pas rester ici plus longtemps, il faut aller
en avant. » La sueur m’était venue au visage; je me frottai la figure de neige, et
après une vingtaine de respirations profondes, je me sentis remis
D’après les sensations que j’éprouvai sur le glacier, il est évident que l’influence
de l’air des hauteurs s’est fait sentir chez moi d’une manière très-grave; il en-
gendre des congestions périlleuses
Au retour, à trois heures après midi , les mêmes symptômes se manifestèrent
dans le même lieu, mais avec une bien moindre intensité : maux de tête, dégoûts,
vomissements.
L’expédition du docteur Piacliaud 4, le 26 juillet 1864, donna des
résultats tout aussi intéressants. L’auteur a porté son attention sur
les phénomènes physiologiques éprouvés par ses compagnons et
lui, et « attribués à la rareté de l’air » :
Le principal, dit-il, est l’oppression, qui existe à peine lorsqu’on est en repos,
mais qui se manifeste dès qu’on se met en marche , pour cesser de nouveau,
quand on s’arrête. Il en résulte l’obligation d’augmenter le nombre des inspira-
tions, et de là une fatigue telle que tous les vingt ou vingt-cinq pas il faut né-
cessairement un temps d’arrêt. Cette fatigue, du reste, ne ressemble point à
celle qu’on éprouve à la suite d’une longue marche ; ce ne sont pas les jambes
qui en sont principalement atteintes, elle s’empare de l’économie tout entière,
il y a comme une dépression générale aussi bien morale que physique. Il est
essentiel d’ajouter que cet état particulier ne s’observe que pendant le mouve-
ment ascensionnel, car une fois arrivé au sommet et pendant la descente je ne
ressentis rien de pareil. Un autre effet remarquable de la rareté de l’air , c’est
la tendance au sommeil, à laquelle j’avais peine à résister ; je sentais que si je
m’étais étendu sur la neige, ou que j’eusse été seul, je me serais immédiatement
endormi. Je ne pense pas que cette somnolence puisse être attribuée au refroi-
dissement, car sur la cime, où le froid était des plus vifs, j’étais parfaitement
éveillé.
J’ai éprouvé aussi de très-légers vertiges, mais , si j’en parle, c’est pour être
complet. Quant aux nausées, vomissements, défaillances, hémorrhagies , il n’en
fut question pour aucun de nous; nos guides, auxquels je demandai des rensei-
gnements sur ces divers points, me répondirent qu’ils n’avaient jamais observé
1 Une ascension au mont Blanc en 186L Bibl. univ. de Genève } 5® série, t. XXIII,
p. 66-106, 1865.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ALPES.
117
d’hémorrhagies. Pour ce qui concerne l’oppression, qui est le symptôme le plus
ordinairement constaté, je dois dire qu’il est loin d’être absolu, car de nous six,
je suis le seul qui l’aie éprouvé d’une manière bien marquée ; les guides ne s’en
plaignaient pas et M. Loppé pouvait courir en arrivant près du sommet. (P. 86.)
L’examen du pouls a donné les résultats suivants :
Chamounix, 10001".
Grands-Mulets, oOOO1”.
Mont LU arc, 4800m
Carrier, guide
116
104
104
Couttet, id.
PG
108
104
Tournier, id.
96
108
104
Payot, id.
92
96
96
Loppé, voyageur
88
92
•
80
J’arrive à deux ascensions du mont Blanc qui furent remarqua-
bles au point de vue qui nous occupe parce que, pour la première
fois, l’ensemble des phénomènes physiologiques y fut étudié avec
l’aide des instruments de précision employés dans les laboratoires.
Les troubles de la"circulation et de la respiration furent ainsi déter-
minés dans les conditions qu’exige actuellement la rigueur des
recherches physiologiques. De plus, ces constatations servirent de
base à une théorie toute nouvelle du mal des montagnes , dont il
sera question en son lieu.
M. Lortet1 commence par un rapide historique des accidents éprou-
vés par les plus célèbres voyageurs. Puis, avant d’en arriver au ré-
cit de son voyage, il laisse échapper l’aveu précieux d’une incrédu-
lité dont j’ai bien souvent entendu se vanter des voyageurs alpins,
de ceux mêmes qui avaient exécuté les plus difficiles ascensions :
Cependant, malgré tant de faits et de preuves rapportés par ces hommes dis-
tingués et dignes de foi, j'étais resté un peu incrédule et je ne pouvais m’em-
pêcher de croire que l’imagination ne jouât un très-grand rôle dans la production
de ces phénomènes. J’avais escaladé souvent sur le massif du mont Rose, sans
aucune difticulté et sans le moindre malaise, des hauteurs dépassant 4500 mètres,
et je ne pouvais croire que 500 mètres de plus étaient suffisants pour abattre un
organisme qui avait bien supporté l'épreuve jusqu’à cette altitude. Maintenant
je suis forcé de l’avouer, j’ai été convaincu de visu , et même un peu à mes dé-
pens, de l’existence bien réelle des malaises qui, à partir de cette hauteur,
atteignent celui qui respire, et surtout celui qui se meut au milieu de cet air
raréfié. (P. 11.)
11 arrive alors au récil de sa première ascension avec le doc-
teur Marcet, le 16 août 1869. Je transcris dans ses points im-
1 Deux ascensions au mont Blanc en 1869; Recherches physiologigues sur le ma
des montagnes [Lyon médical, 1869).
118
HISTORIQUE,
portants sa description remarquable d’exactitude et de sobriété :
Jusqu’aux Grands-Mulets (3050 mètres) , où nous arrivons à 3 heures pour
passer Ja nuit, nous nous trouvons très bien ; personne ne ressent le moindre
malaise ; nous avons tous un appétit excellent ; mais déjà nos appareils annoncent
un trouble sérieux de la circulation , de la respiration, et surtout de la calorifi-
cation.
La nuit aux Grands-Mulets est horrible.... A deux heures et demie nous nous
mettons en route.
Au point du jour, ils arrivent au Grand-Plateau (5932m) :
Nous nous arrêtons un instant pour respirer.... Les guides prennent un peu
de nourriture ; mais il m’est complètement impossible d’a valer une seule bouchée,
quoique cependant je me sente encore parfailement bien.
Nous montons avec une lenteur extrême; nous éprouvons tous un sentiment
de sommeil très-pénible à combattre et une céphalalgie occipitale intense, de la
soif et de la sécheresse du gosier, peu de palpitations, mais un pouls misérable
qui varie entre 160 à 172 par minute.
Arrivés à l'arête, nous étions tous fatigués, et il me semblait qu’il me serait
complètement impossible d’aller plus loin. Personne d’entre nous n’eut de vo-
missement, mais nous avions presque tous le cœur sur les lèvres. Comme ceux
qui sont atteints par le mal de mer, j’étais d’une indifférence complète pour moi
et pour les autres, et je ne désirais qu’une chose, c’était de rester immobile. Les
Anglais qui nous suivaient parurent encore plus éprouvés que nous : l’un d’eux
fut obligé de s’arrêter et ne tarda pas à rebrousser chemin.
Enfin, ils atteignirent le sommet du mont Blanc :
Je ne ressentais plus aucune espèce de malaises , mais l'essoufflement était
extrême dès que je voulais faire quelques pas un peu vite. Le moindre mouve-
ment m’occasionnait des palpitations désagréables. Un de mes compagnons, qui
n’avait rien ressenti jusqu’alors, fut pris subitement, dès qu’il arriva au sommet,
de tournoiements de tête et de vomissements presque continuels qui ne cessèrent
qu’en redescendant sur le Grand-Plateau. Son estomac était vide, aussi ne ren-
dait-il que des matières glaireuses et bilieuses avec des efforts très-pénibles.
Rien ne parvint à arrêter ce trouble d’estomac; une seule chose paraissait amé-
liorer sa position, c’étaient de petits fragments de glace pure qu’il parvenait à
avaler de temps en temps. Son pouls était très-agité, très-misérable, et le thermo-
mètre placé sous sa langue dépassait à peine -f 32° !
Le soleil était chaud, l’atmosphère assez calme, aussi fut-ce avec surprise que
je constatai que la température de l’air était de — 9 °.
Nous restâmes près de deux heures au sommet pour faire les expériences dont
je parlerai plus loin. Au repos, je me sentais parfaitement bien, quoiqu’il me fût
impossible de prendre la moindre nourriture. (P. 16.)
La seconde ascension se passa beaucoup mieux. La nuit aux
Grands-Mulets fut bonne; un temps magnifique rendait la marche
facile :
Nous n’éprouvâmes presque pas de malaises, si ce n’est un sommeil de plomb
LES VOYAGES EN MONTAGNES, — ALPES.
119
en montant la pente qui conduit au Dôme. Jamais je n’ai rien éprouvé de pareil,
et je suis sûr d’avoir dormi en marchant. Mais arrivé sur l'arête, l’air frais et les
frictions de neige sur le front firent passer cette congestion.
Je me sentais beaucoup mieux qu’à la première ascension. J’avais même de
l’appétit et je pus manger quelques morceaux avec plaisir. Cependant l’essouffle-
ment au moindre mouvement était toujours intense. L’un de nos compagnons
éprouva de fortes nausées, une inappétence complète , mais n’eut pas de vomis-
sements. (P. 18.)
Après cette description générale, M. Lortet passe à l’analyse des
troubles que présentent les différentes fonctions. Et, au début, il a
soin de dire :
A peine appréciable en allant de Lyon à Chamounix, c’est-à-dire en passant
d’une hauteur de 200 mètres à une altitude de 1000 mètres, leur dérangement
est, au contraire, très-sensiblè de Chamounix aux Grands-Mulets (de 1050 mètres
à 3050 mètres), plus sensible encore des Grands-Mulets (3050 mètres) au
Grand-Plateau (3932 mètres) ; enfin ce désordre devient très-remarquable du
Grand-Plateau aux Bosses-du-Dromadaire (4,556 mètres), et au sommet de la
Calotte du mont Blanc (4810 mètres).
Nous allons donc passer en revue les variations que subissent la respiration,
la circulation et la température intérieure du corps , prise sous la langue aux
différentes altitudes, soit pendant la marche, soit après un temps de repos con-
venable. (P. 20.)
Respiration : Depuis Chamounix jusqu’au Grand-Plateau (de 1050 mètres à
3932 mètres), les troubles de la respiration sont peu marqués chez ceux qui
savent marcher dans les hautes montagnes , qui tiennent la tète baissée pour
diminuer l’orifice laryngien, qui respirent la bouche fermée, en ayant soin de
sucer un corps inerte , tel qu’une noisette ou un petit morceau de quartz , ce
qui augmente notablement la salivation et empêche le dessèchement des voies
aériennes. De Chamounix au Grand-Plateau, le nombre des mouvements respira-
toires est à peine modifié ; nous trouvons au repos vingt-quatre par minute,
comme à Lyon et à Chamounix ; mais du Grand- Plateau aux Bosses-du-Dromadaire
et au sommet, nous trouvons trente-six mouvements par minute. La respiration
est très-courte et très-gênée, même quand on reste immobile; il semble que les
muscles soient enraidis, et que les côtes soient serrées dans un étau. Au sommet,
le moindre mouvement amène de l’essoufflement ; mais après deux heures de
repos ces malaises disparaissent petit à pelit. La respiration redescend à vingt-
cinq par minute, mais elle reste toujours pénible. (P. 20.)
M. Lortet a étudié avec Fanapnographe de Bergeon et Kastus les
modifications de l’amplitude de sa respiration ; les deux tracés ci-
dessous en donnent une idée très-complète ; dans tous les deux,
Faire GFED représente l’inspiration, Faire DCBA, l’expiration.
En comparant le tracé delà figure 1, pris à Lyon, avec le sui-
vant, pris au sommet du mont Blanc, après une heure et demie
de repos, on voit que la quantité d’air inspiré et expiré au som-
met du mont Blanc est beaucoup moindre qu’à Lyon.
120 HISTORIQUE.
Circulation: Pendant l’ascension, quoique la marche soit excessivement lente,
la circulation est accélérée d’une façon extraordinaire. A Lyon , étant au repos
et à jeun, le nombre moyen de mes pulsations est de soixante-quatre par mi-
nute. En montant de Chamounix au mont Blanc , il s’élève progressivement.
Fig. 1. — Lortet. Tracé respiratoire pris à Lyon (200m).
suivant les altitudes, à 80, 108, 110, 128, 150 ; et enfin , en grimpant la der-
nière arête qui conduit des Bosses-du-Dromadaire au sommet, à 160 et quelque-
fois davantage. Ces arêtes, il est vrai, sont des plus raides, elles ont de qua-
rante-cinq à cinquante degrés d’inclinaison ; mais la lenteur de la marche est
très-grande. On fait en 'général trente-deux pas par minute et souvent bien
moins quand il faut tailler continuellement des marches. Le pouls est fébrile,
précipité et misérable. On sent que l’artère est presque vide. La moindre pres-
sion arrête le courant dans le vaisseau. Le sang doit passer très-rapidement
dans les poumons , rapidité qui augmente encore la mauvaise oxygénation qu’il
a subie déjà, à cause de la raréfaction de l’air. Il n’a pas le temps de recevoir
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ALPES.
121
convenablement l’action de l’oxygène, et il n’a pas le temps non plus d’expulser
entièrement son acide carbonique. A partir de 4500 mètres , les veines des
mains, des avant-bras et des tempes sont distendues. La face est pâle , avec
une légère teinte de cyanose , et tout le monde, même les guides acclimatés à
ces hautes régions, ressentent une lourdeur de tête et une somnolence souvent
très-pénibles, dues probablement à une stase veineuse dans le cerveau, ou à un
défaut d’oxygénation du sang.
Même après deux heures d’un repos complet au sommet et â jeun , le pouls
reste toujours entre 90 et 108 pulsations par minute. (P. 25.)
Nous reproduisons, à titre d’exemples fort curieux, les tracés
sphygmographiques suivants (fig. 5, 4, 5) qui, pris par M. Chau-
veau de Lyon, lors de son ascension de 1866, offrent toutes les ga-
ranties de sûreté désirables. Le guide Cupelain, qui les a fournis,
est un jeune homme des plus vigoureux, qui paraît n’éprouver
absolument rien du mal des montagnes.
Fig. 3. — Cupelain : Chamounix (1000m).
Fig. 1. — Grands Mulets (3C00m) à minuit, une demi-heure avant le dupait.
Fig. 5. — Sommet du mont Blanc (4810'").
Pour M. Lo' tct, qui souffrit, comme nous l’avons vu, les change-
ments furent bien plus considérables encore.
Température . — Nous arrivons au point sur lequel M. Lortet a
porté le plus d’attention, et qui sert de base à sa théorie du mal des
montagnes. Je continue à citer textuellement :
Le thermomètre était placé sous la langue, l’orifice buccal étant toujours her-
métiquement fermé, et la respiration ne s’effectuant que par le nez.... L’instru-
ment a toujours été laissé en place pendant quinze minutes au moins. (P. 51.)
A jeun , pendant la marche , la décroissance de la température est,
122
HISTORIQUE.
suivant M. Lortet, à peu près proportionnelle a l’altitude à laquelle
on se trouve. C’est ce que montre le tableau suivant :
LORTET ; Température.
W
Q
EP
PREMIÈRE
ASCENSION
DEUXIÈME
ASCENSION
TEMPÉRATURE
DE L’AIR
c/3 r
K
2
H H
•< 2
2 1
? 3
LIEUX
H
H
-3
H
J
=3
O
s
MARCHANT ^
}
Ed
bJ
S
O
s
s
MARCHANT ^
1
PREMIÈRE
ASCENSION
DEUXIÈME
ASCENSION
- CS
M ■<
a a
a *
g «
O
«
Chamonix
1050
36,5
36,3
37,0
35,3
+ 10,1
+ 12,4
64
Cascade du Dard. . .
1500
36,4
55,7
36,5
34,3
+ 11,2
+ le, 4
70
Chalet de la Para. .
1605
36,6
54,8
56,3
34,2
+ 11,8
-f- 15.6
80
Pierre-Poinlue. . .
2049
36,5
OO y t)
36.4
33,4
+ 13,2
+ 14,1
108
Grands-Mulets. . . .
3050
36,5
53,1
56,3
55,3
-0,3
-1,5
116
Grand-Plateau. . .
3932
36,3
52,8
56,7
52,5
— 8,2
— 6,4
128
Bosse du Dromadaire
Sommet du mont
4556
36,4
32,2
56,7
52,3
— 10,3
— 4,2
136
Blanc
4810
56,3
CJ
O
56,6
31,0
-0,1
-3,4
172
Ainsi, pendant les efforts musculaires de l’ascension, la température du corps
peut baisser, lorsqu'on s’élève de 1050 à 4810 mètres, de quatre à cinq degrés.
Dès que l’on s’arrête pendant quelques minutes, la température remonte brus-
quement tout près de son chiffre normal
Depuis mon retour à Lyon, j’ai constaté qu’en montant rapidement une des
nombreuses rampes à escalier qui conduisent à Fourvières ou à la Croix-Rousse,
on a régulièrement un abaissement qui varie presque toujours de trois à sept
dixièmes de degré. (P. 32.)
C’est à cet abaissement de la température du corps que M. Lortet
attribue tous les accidents du mal des montagnes. Nous reprodui-
rons au chapitre III cette théorie et les objections qu’elle a suscitées.
Le même jour où MM. Lortet et Marcet souffrirent si gravement
pendant l’ascension, M. Ch. Durier1 les suivait, marchant pour ainsi
dire dans leurs traces. Chose curieuse, ni ses compagnons ni lui
n’éprouvèrent de troubles :
Nous étions trois , trois compagnons de tempérament tout à fait différent :
l’un d’eux était un jeune garçon de quinze ans , le plus jeune voyageur — du
moins à ma connaissance — qui soit jamais monté au mont Blanc. Eh bien !
aucun de nous n’a ressenti le plus léger malaise, pas même d’essoufflement.
(P. 66.)
1 Histoire du mont Blanc, — Paris, 1873,
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ALPES.
123
A quoi tenait cette différence d’impression? se demande M. Du-
rier. Et il donne à cette question une réponse pleine de sagacité,
dont nous aurons plus lard à faire notre profit.
Je terminerai la revue des principales ascensions au mont Blanc
par celle de M, Albert Tissandier1; elle est surtout intéressante
parce que son auteur, élant un aéronaute, a pu comparer ses sensa-
tions avec celles qu’il éprouva en ballon ; il n’a rien ressenti de fâ-
cheux :
A la hauteur de 4400 mètres, la respiration commence à devenir quelque peu
haletante et pénible, mais je supporte sans trop de douleur l’effet de la raréfac-
tion de l’air. Mes deux guides m'observent à ce moment et me disent que souvent
les voyageurs, à cette altitude, prennent un teint particulier ; parfois leurs yeux
se troublent et les forces leur manquent ; il faut alors les hisser à grand’peine
jusqu'en haut, ou redescendre, suivant le degré d’énergie de l’explorateur.
C’eût été pour moi une grande douleur que d’être obligé de rétrograder. Il
m’est arrivé d’atteindre en ballon des hauteurs à peu près égales à celles du mont
Blanc sans être incommodé ; mais l’ascension en montagne , lente et pénible, ne
ressemble en rien à celle que l’on exécute si vite et sans fatigue dans la nacelle
aérienne.
L’ascension du mont Blanc, si redoutée avant l’intrépide tentative
de Jaques Balmat, et que les souffrances de de Saussure, puis la ca-
tastrophe du docteur Hamel, avaient entourée d’une effrayante re-
nommée, est devenue de nos jours fréquente, vulgaire presque. En
1873, soixante voyageurs sont montés au sommet du géant des
Alpes, parmi lesquels sept femmes et un garçon de quatorze ans,
le plus jeune qui ait encore fait l’ascension, nommé Horace de
Saussure. Depuis l’illustre ancêtre de ce courageux enfant, j’ai
compté sur la liste encore incomplète donnée par M. Besançon2,
liste qui va jusqu’à la fin de 1873, 828 ascensions, dont 27 faites
par des femmes. La dernière, exécutée par une Anglaise, Mrs Stra-
lon, prouve une étrange audace ; elle a eu lieu le 31 janvier 1876;
la voyageuse a trouvé sur la cime un froid de — 24 degrés. Mais l’im-
mense majorité de ces expéditions ne présente aucun intérêt scien-
tifique : ce sont de simples excursions de touristes, souvent fort
imprudemment conduites. Aussi le mont Blanc, dont les « moun-
taineers » de profession parlenl avec un cerîain dédain, semble-t-il
s’en venger; il y est arrivé plus d’accidents graves que dans tout
le reste des Alpes. Une de ces catastrophes, la plus terrible de
toutes, n’est peut-être pas sans quelques rapports avec notre sujet.
1 Ascension du mont Blanc. La Nature , 10 oct. 1874.
2 Le mont Blanc et Cliamounix. Genève; sans date.
124
HISTORIQUE.
Le 6 septembre 1870, neuf guides et trois voyageurs arrivèrent au
sommet du mont Blanc; ils n’en purent redescendre, et périrent le
lendemain dans la neige. On a retrouvé dans la poche de l’un deux,
M. Beau 4, un papier rendant compte de leurs souffrances :
Nous avons passé la nuit dans une grotte creusée dans la neige, abri bien peu
confortable; je fus malade toute la nuit.
La plupart des ascensionnistes récents du mont Blanc, dont les
Clubs alpins nous ont conservé les récits, ne disent rien du mal des
montagnes. Ils s’étendent fort longuement sur les préparatifs de
départ, les incidents minutieux de la route, les joies du retour,
mais gardent un silence complet sur les phénomènes physiologi-
ques. Et ce que je dis du mont Blanc est vrai de toutes les autres
ascensions, même des montagnes qui rivalisent avec lui de hauteur.
J ai parcouru, page à page, les journaux des Clubs alpins anglais,
suisse, italien, autrichien, français; j’ai lu paliemment des cen-
taines de monotones récits, et n’y ai pu trouver que bien peu de
faits se rapportant à notre étude; je vais les indiquer chronologi-
quement.
Le 15 août 1857, M. Hardy2 fait l’ascension du Finsleraar-horn
(4275m) :
Wellig (l’aubergiste de Œggischhorn), se considérant comme insulté par nos
plaisanteries, partit en avant pour arriver le premier au sommet. Mais à peine
avait-il fait une centaine de pas, qu’il tomba comme si on lui avait tiré un coup
de fusil. Ellis, qui venait après lui, pensa qu’il se reposait, et marcha tranquille-
ment jusqu’à lui; mais, quand je vins, je m’aperçus que c’était plus sérieux. Ses
yeux étaient tournés en haut, sa bouche ouverte, et il ressemblait singulièrement
à un poisson. Je ne savais que faire ; mais Croz adopta une bizarre mode de
traitement.... Il le mit assis et le secoua si vigoureusement en arrière et en avant,
qu’après quelques oscillations, il revint de son évanouissement, se releva et alla
rejoindre Fortunatus. (P. 299.)
Peut-être est-il permis d’hésiter à rapporter au mal des monta-
gnes celle subite syncope; mais dans le récit de Tuckett3, le doute
n’est pas possible.
Il s’agit d’une ascension à la Grivola (5960m), faite en juin 1859 ;
line avalanche a menacé d’emporter les voyageurs :
Chabot, un des guides, se plaignait de sensations pénibles dans la poitrine et
1 Alpine journal } t. V, p. 189. — London, 1872.
2 Ascent of the Finstevaar-horn. — Peaks, Passes and glaciers. — London 1859
p. 283-508.
5 A night bivouac on the Grivola. — Peaks, Passes and glaciers. — 2e série, t IL
— London, 1802.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ALPES.
125
l’estomac, de perte d’appétit, de vertiges, de nausées, de maux de tête, résultant
en partie de la peur et de la fatigue, et en partie aussi, peut-être, dus à la rareté
de l’air, car nous avions atteint la hauteur de 12 U28 pieds (5665 mètres).
(P. 297.)
A mes yeux, malgré la complication d’une absorption un peu
exagérée de boissons alcooliques, l’influence de l’air raréfié est in-
contestable encore dans l’observation suivante1 :
Un jeune Anglais d’environ vingt-quatre ans, la véritable image de la force et
de la santé, passa le Weissthor par Macugnagna. Il n’était pas très-accoutumé
aux ascensions difficiles..,, et pour se donner des forces but fréquemment de
l’eau et du cognac.... Le résultat s’en fit bientôt voir. Les guides durent le tirer
avec des cordes, dans un état d’épuisement complet.... En fait, comme il me l’a
dit, il n’a aucune notion de la manière dont il surmonta les difficultés pour arri-
ver au sommet; tout le temps, il était dans une stupeur inerte. (P. 549.)
M. Kennedy2, l’un des plus intrépides et des plus anciens ascen-
sionnistes des Alpes, fut lui-même pris dans une de ses courses, non
la première, tant s’en faut, ni la plus difficile, ni la plus élevée; il
montait à la Dent-Blanche (4365m) et se trouvait encore loin du
sommet :
Un poids extraordinaire semblait s’être appesanti sur moi , empêchant mes
mouvements. Mes jambes, bien que je ne me sentisse pas fatigué, refusaient de
travailler avec leur vigueur habituelle, et j’étais resté très en arrière ; mais l’air
pur et raréfié qui souillait sur nous et la vue du pic de la Dent-Blanche com-
mencèrent à me raviver. (P. 56.)
Dans certains récits, ce n’est qu’incidemment, et comme perdus
dans une phrase, qu’on voit apparaître les symptômes du mal des
montagnes :
Guides et voyageurs étaient comme épuisés, s’arrêtant souvent pour respirer....
(P. 107. )5.
La neige était dure, il fallait entailler des pas, et plus d’une fois les voyageurs
durent s’arrêter pour reprendre leur respiration perdue. (P. 166.)4.
Dans d’autres cas, ils sont plus clairement indiqués, décrits môme.
Ainsi, en 1864, Craufurd Grove5 monte au Studer-joch (5260m) ;
1 Schweitzer. The Breilhorn (5735), ascension en 1861. — Peaks, Passes and glaciers.
— 2e série, t. I. — London, 1862.
- Asccnt of lhe Dent Blanche (9 juin 1862). The Alpine journal, 1. 1. — London, 1864.
J Stephen (Leslie), The Jungfrau-joch and Viescher~joch. Alp. journ., t. I. — Lon-
don, 1864.
4 Rcg. Somerled Macdonald, Passage of' the Boththal Sattcl (août 1864). Alp. journ. ,
t. II. — London, 1866.
0 The Studer-Joch. Alp . journ., t. I. — London, 1864;
126
HISTORIQUE.
une marche trop accélérée rend malades voyageurs et guides :
Perru, qui craignait les avalanches, nous fit marcher d’un pas inusité dans les
Alpes, qui produisit rapidement des signes de détresse dans tout le groupe
mais le robuste enfant de Zermatt n’en tint compte, et ne ralentit son pas que
lorsque les lois outragées de la respiration réclamèrent leurs droits , et le for-
cèrent à s’arrêter complètement pour prendre haleine.... Nous arrivâmes au som-
met ; mais notre joie était singulièrement affaiblie par cette circonstance que
presque tous nous étions malades. Quelques-uns de nous qui s’étaient reposés du
rude métier de montagnards près des lacs Italiens, avaient absorbé en excès
figues et raisins. Le résultat de ce régime, en présence de notre marche sur la
glace, fut trop douloureux pour que j’en puisse parler. Les guides n’étaient guère
dans un moins piteux état ; il avaient bu la veille de l’eau-de-vie du Grimsel.
(P. 368.)
Le récit de l’ascension de Yiseonti1 2 au mont Rose, en août 1864,
est plus net encore et plus intéressant :
La raréfaction de l’air nous incommoda beaucoup, soit par la difficulté de res-
pirer, soit par la diminution de la pression atmosphérique sur les vaisseaux.
Pour ces raisons et à cause de la rapidité des pentes , les jambes et les poumons
se fatiguent vite ; mais quelques instants de repos leur rendent rapidement leurs
forces
Un peu avant d’atteindre la cime (4640 mètres), nous rencontrâmes les voya-
geurs anglais qui descendaient. L’un d’eux était pâle et bouleversé ; il me raconta
que la raréfaction de l’air lui avait occasionné de fréquents vomissements qui
l’avaient affaibli; ajoutez à cela que la tète lui tournait. Je me sentais simplement
de la faiblesse d'estomac, avec de fréquentes nausées. (P. 160.)
Enfin, je rapporterai une observation faite par M. Gamard\ pen-
dant son ascension à la Jungfrau (417 0m) , le 24 août 1874, obser-
vation dont nous aurons à tenir compte par la suite :
Nous nous enfonçons dans le flanc même de la montagne ; l’air manque , et
comme nous l’avons éprouvé au mont Rose et au mont Blanc, ce n’est pas au
sommet que nous souffrons de cette raréfaction , mais dans des endroits où le
vent arrive difficilement.
A 9 heures et demie , nous nous reposons de nouveau .; nous sommes â
5750 mètres environ. (P. 216.)
Mais, je le répète, les observations de cet ordre sont extrême-
ment rares. Bail ne dit pas un mot du mai des montagnes dans
son utile travail intitulé Suggestions for Alpine travellers 3, où
1 Ascension al monte Posa nell' agosto 1864. Bulletino del Club alpino italiano ,
t. VI; p. 157-163 ; 1873.
2 Ascension de la Jungfrau ; Annuaire du Club alpin français, Ire année, 1874, p.
211-219. — Paris, 1875.
5 Peaks, Passes and glaciers, p. 482-509. — London, 1859.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ALPES.
127
il énumère les dangers des ascensions et les principales observations
de physique et d’histoire naturelle qu’on y peut faire.
Est-ce à dire que tout soit changé depuis de Saussure et qu’au-
jourd’hui on puisse faire impunément des ascensions alors pénibles
et douloureuses? Il y a dans cette hypothèse, si étrange qu’elle pa-
raisse au premier abord, une part de vérité sur la valeur de laquelle
nous reviendrons plus tard. Mais il suffît, pour s’assurer que l’im-
munité n’est rien moins que générale et complète, d’interroger
avec soin les ascensionnistes, même ceux qui, dans leurs récits, ne
parlent pas de troubles physiologiques, même ceux qui les nient.
Au resle, M. Joanne, qui a tant lu, tant vu, tant entendu, résume
parfaitement, dans son excellent guide en Suisse1, ce qui est sur
ce point d’observation commune :
La légèreté et la grande rareté de l’air dans les Alpes, ainsi que l’énergie avec
laquelle il accélère l’évaporation , occasionnent à de certaines hauteurs des phé-
nomènes physiologiques très-remarquables, tels que la diminution notable ou la
perte de l’appétit, le dégoût pour les aliments, les nausées, la somnolence, l’anhé-
lation, la céphalalgie, la défaillance, etc. : quelques-uns de ces accidents obligent
même divers individus à rebrousser promptement chemin, dès qu’ils ont atteint
5U00 mètres; les mulets, à 3400 mètres environ, sont tellement essoufflés qu’ils
font entendre une sorte de cri plaintif. Du reste, les forces se réparent, en pareil
cas, aussi promptement et, en apparence , aussi complètement qu'elles ont été
épuisées. La seule cessation du mouvement semble, dans le court espacé de trois
ou quatre minutes, les restaurer si parfaitement , qu’en se remettant en marche,
on ne ressent plus aucune fatigue. (P. 95.)
Mais si ces accidents sont si fréquents, pourquoi n’en pas parler,
ou tout au moins ne pas les signaler dans des récits souvent prolixes
et surchargés de détails sans intérêt?
Tout d’abord, il faut l’avouer, on en a tellement exagéré l’im-
portance et la gravité, que les voyageurs pris seulement d’anhéla-
tion et de palpitations en arrivent volontiers à nier la réalité même
d’un mal qu’ils redoutaient tant à l’avance. J’ai trouvé, sous ce rap-
port, dans le récit des ascensions laites en août 1859 à la Grivola
(5960'“), par M. Ormsby *, une indication intéressante. Il montait la
cheminée, dans une situation fort périlleuse, lorsqu’il eut une sensa-
tion d’éblouissement fort singulière, et il ajoute :
J’avais lu tant d’histoires terribles des étranges effets de l’air raréfié sur
1 Paris, 5® éd.; 1874.
* Ascent of the Grivola. — Peaks, Passes and glacier «. — 2* série, t. II. — London,
1862.
128
HISTORIQUE.
l’homme dans les grandes altitudes que je commençai à me trouver très-ner-
veux.... C’était le moment d’être pris par l’apoplexie, la catalepsie, le saigne-
ment d’yeux ou tout autre des terribles symptômes. (P. 553.)
En second lieu, la plupart des touristes dont les narrations rem-
plissent les journaux Alpins n’ont guère, dans leurs ascensions,
de soucis scientifiques ; ils grimpent pour grimper, ou encore pour
voir, ou souvent pour dire qu’ils ont grimpé et vu. C’est généra-
lement ce dernier sentiment qui dicte leurs récits, et c’est pour
cela qu’on les voit chaque année à la recherche de quelque horn ,
spitze , ou joch , jusqu’alors inaccessible ou simplement oublié :
virginité souvent redoutable à saisir, dont ils vont se disputer la
stérile conquête.
Enfin, le point d’honneur est intervenu; on craint presque le ri-
dicule du mal des montagnes, comme celui du mal de mer. Autre-
fois, on en recherchait sur soi-même les symptômes, on se vantait
volontiers de les avoir éprouvés, comme d’un danger mystérieux
bravé; aujourd’hui on se refuse à les observer, à les avouer sur-
tout ; parfois on les nie.
Un des voyageurs de notre époque qui ont le plus pratiqué la mon-
tagne, M. le comte Henry Russell1, s’exprime sur ce point de la ma-
nière la plus nette et en même temps la plus autorisée :
J’ai le regret de constater que quelques-unes des autorités les plus sérieuses
de F Alpine Club ont été jusqu’à nier complètement une chose comme le phéno-
mène pénible connu dans tous les pays sous le nom de « mal des montagnes »,
ou encore le déclarent une exception, un effet de la fatigue, de l’épuisement.
Il est vrai que des poumons très-privilégiés peuvent s’élever très-haut et continuer
à respirer confortablement. De même, il est des voyageurs qui sont exempts du
mal de mer, et nous pourrions ainsi nier tout aussi bien ce mal que l’autre. Le
mal des montagnes est une souffrance qui a été éprouvée sur le globe entier
(môme entre les tropiques), dans les Andes, sur l’Altaï, sur l’Himalaya.... par-
tout. Aucun animal n’en est exempt, à une certaine hauteur; et quant à moi,
je confesse humblement que je puis à peine respirer au sommet du mont Diane ;
en fait, nous étions tous malades, plus ou moins, y compris les guides. Sur la
Calotte, où la pente est très-douce, pas un de nous ne put faire plus de trente-
quatre pas sans s’arrêter longtemps. Et ce n’était pas de fatigue, puisque nous
redescendîmes en deux heures aux Grands-Mulets , en très-bonne santé et pleins
de vigueur. (P. 243.)
Combien peu de « mountaineers », d’ « alpinistes », auront le cou-
rage d’un semblable aveu !
1 On Mountains, and on Mountainecring in general, Alyine journal , t. V, p. 241-248,
1872.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — PYRÉNÉES.
129
g 6. — Les Pyrénées.
Les montagnes les plus élevées des Pyrénées n’atteignant pas 5500n\
les malaises dus à la diminution de pression ne peuvent s’y faire
sentir que dans des conditions exceptionnelles. Aussi, les voyageurs
sont-ils le plus souvent muets sur ce sujet, et quand ils en par-
lent, c’est d’ordinaire pour déclarer qu’ils n’ont rien éprouvé.
Le premier auteur qui ait fait mention de phénomènes physiolo-
giques observés dans les Pyrénées est Robert Boyle1, mais il ne
donne que des renseignements de seconde main :
Un gentilhomme instruit avait fait l’ascension du pic du Midi au mois de sep-
tembre. Je lui demandai s’il avait trouvé l’air du sommet aussi fort pour la respi-
ration que celui d’en bas. Il me répondit que non, et qu’il était forcé de respirer
plus fréquemment et plus brièvement qu'à l’habitude. El comme je pensais que
peut-être cela venait du mouvement, je lui demandai si cette gêne avait cessé
après son arrivée au sommet; il me répondit : Oui, évidemment, car nous n’au-
rions pu rester plusieurs heures sur ce sommet avec une pareille difficulté de
respirer. (P. 2039.)
Pendant le dix-huitième siècle, un assez bon nombre d’ascensions
furent faites, pour des motifs scientifiques, sur diverses monta-
gnes pyrénéennes, et non des moins élevées. Le livre de Dralet 2 * *
donne un résumé intéressant des faits anciennement observés :
Les artistes qui furent employés, en 1700, à construire sur le Canigou une
pyramide pour déterminer la méridienne, n’éprouvèrent aucun accident.
MM. Vidal et Reboul ont passé trois jours et trois nuits au sommet du pic du
Midi de Bigorre, sans aucune incommodité ; j’en ai été toujours exempt, ainsi que
mes compagnons de voyage, non seulement au même pic, mais aussi sur les
crêtes les plus élevées qui séparent la France de l’Espagne.... Cependant quelques
voyageurs ont été incommodés dans les Pyrénées, même à des hauteurs médio-
cres. En 1741, M. Plantade, célèbre astronome du Languedoc, mourut à l’âge de
70 ans à côté de son quart de cercle, sur la Hourquette des Cinq-Ours (1244 toises).
Le comte Dolomieu, au mois d’août 1782, faillit y subir le même sort; il fut atteint
d’un violent accès de fièvre qui l’empêcha d’arriver au sommet du pic5; M. de Puy-
maurin et M. Lapeyrouse, ses compagnons de voyage, se trouvèrent un instant
presque sans pouls. M. Dusaulx, avant d'arriver au plateau du pic du Midi, sentit
des éblouissements, et une sorte de faiblesse, sans que ses compagnons éprouvas-
sent de tels accidents. Ces faits paraissent prouver, selon l’opinion de M. de Saus-
sure, que la nature a fixé, pour le tempérament de chaque individu, la hauteur
1 Philosophical transactions, 12 sept. 1070.
- Description clés Pyrénées, 2 vol. — Paris, 1813.
5 11 eut même, suivant Gondret (. Mém . concernant les effets de la jnession atm. sur
le corps humain ; Paris, 1819), un crachement de sang. (P. 44.)
9
130
HISTORIQUE.
à laquelle il peut s’élever sans inconvénient et sans danger. Mais il est à remar-
quer que certains voyageurs ont été incommodés à une hauteur médiocre, quoi-
qu’habitués à parcourir impunément des montagnes d’une très-forte élévation.
(T. 1, p. 58.)
Depuis ce temps, le voyageur naturaliste Ramond fit le premier
l’ascension du mont Perdu (5550m). Son récit1, fort intéressant,
donne la preuve d’une sagacité peu commune; lui, du moins, se
garde bien de nier ce qu’il eut le bonheur de ne pas ressentir :
Nous respirions sans peine cet air si léger et qui ne suffit plus à la respiration
de bien d’autres. J’ai vu des personnes vigoureuses être forcées de s’arrêter à des
hauteurs beaucoup moindres Ici nous n’avons rien éprouvé de semblable;
seulement l’état du pouls indiquait une altération indépendante de l’agitation du
voyage : le repos ne le calmait point. Pendant tout le temps que ïious restâmes
au sommet, il demeura petit, sec, tendu, et accéléré dans le rapport de 5 à 4 ;
cette fièvre, qui est nerveuse, annonçait assez le malaise que nous aurions res-
senti à une hauteur plus grande ; mais au point où nous en étions affectés, elle
produisait un effet tout opposé à celui qu’un degré de plus aurait produit. Bien
loin d’occasionner de l’abattement, il semblait qu’elle soutenait mes forces, et
quelle excitât mes esprits. Je suis persuadé que nous lui devons souvent cette
agilité de membres, cette finesse des sens, cet' élan de la pensée qui dissipent
tout à coup l’accablement de la fatigue et l’appréhension du danger; il ne faut
peut-être pas chercher ailleurs le secret de l’enthousiasme qui perce dans les
récits de tous ceux qu’on a vus s’élever au-dessus des hauteurs ordinaires. (P. 84.)
De même, Arbanère2 3 * déclare n’avoir, au sommet du mont Perdu,
en 1821 :
Éprouvé aucun effet de la raréfaction de l’air, ce trouble, cette anxiété, ces maux
de cœur qui fatiguent, accablent souvent à une pareille hauteur. (T. II, p. 85.)
Le 11 vendémiaire an XI, Cordier et Néergaard firent l’ascen-
sion de la Maladetta. L’un d’eux fut sérieusement atteint; voici
du reste comment le célèbre géologue raconte cet accident5 :
Peu après, l’arête devient tout à fait impraticable, et il faut entrer sur le gla-
cier. Nous étions alors à près de 5000”. M. Néergaard se trouva tellement incom-
modé de maux de cœur et d’étourdissements, occasionnés par la rareté de Pair,
qu’il lui fut absolument impossible d’aller plus loin. Je ferai remarquer, en pas-
sant, que lemal des montagnes attaque presque toujours le petit nombre des per-
sonnes qu’une disposition naturelle ou accidentelle y rend sujettes, à la hauteur
de 2600 à 5000ra, c’est-à-dire, immédiatement après les limites de la haute végé-
tation. (P. 266.)
1 Voyageait sommet du mont Perdu. — Ann. du Muséum d'histeire naturelle, t. III,
1804.
2 Tableau des Pyrénées françaises, 2 vol. — Paris, 1828.
3 Rapport fait au Conseil des mines sur un voyage à la Maladetta, par la vallée de
Bagnères-de-Luc/wn. — Journal des Mines, messidor an XII, t. XVI, p. 249-282; 1804.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — PYRENEES.
131
Cordier et son guide continuèrent leur route et arrivèrent au
sommet sans paraître avoir éprouvé de symptômes fâcheux ; du
moins le récit n’en porte pas de traces.
Un voyageur dont nous avons eu déjà à parler, qui fit de nom-
breuses ascensions, notamment dans les Pyrénées, Parrot1, a fixé
tout spécialement son attention sur les variations de son pouls, aux
diverses hauteurs. Je transcris ses importantes observations :
Mon pouls au sommet du mont Perdu battait 110 fois à la minute, et quelques
jours auparavant, dans ma première tentative pour atteindre cette montagne, il
battait 100 fois. Sur le haut de la Malade! ta, j’avais 105 pulsations, et quelques
jours avant, à Bagnères de Luchon (628”), je n’en comptais que 70. Ces variations
sont dans un rapport régulier avec celles de la hauteur ; elles concordent avec les
observations que j’ai déjà faites sur mon pouls dans diverses montagnes. Ainsi,
mes pulsations, qui sont de 70 à la minute au niveau de la mer, s’élèvent à 75
pour une hauteur de 1000m, à 82 pour 1500”, 90 pour 2000”, 95 pour 2500m,
100 pour 3000m, 105 pour 3500”, 110 pour 4000”. (P. 216.)
Après lui, je ne trouve guère à citer que le récit de M. de Fran-
queville2, qui le premier a atteint la plus haute cime des Pyrénées,
le pic de Néthou (3400m).
L’ascension eut lieu le 18 et le 19 juillet 1842. Les voyageurs
arrivèrent sur le glacier du Néthou, tout près du but de leur as-
cension :
Nous nous attendions tous à éprouver quelques-uns des phénomènes dus à la
raréfaction de l’air, et qui généralement viennent' encore ajouter aux difficultés
des grandes ascensions. Il n’en fut pourtant pas ainsi. Seul, après avoir fait quel-
ques pas sur le glacier, M. de Tchihatcheff fut atteint de nausées assez violentes
pour être obligé de s’arrêter de temps en temps et de se coucher sur la neige.
Quelques instants de repos suffisaient pour le remettre entièrement, et lui per-
mettre de continuer sa route. Quant aux autres, ni les guides ni moi ne ressen-
tîmes rien de particulier. Nous n’eûmes même pas à combattre cette lassitude, ce
malaise si pénibles, qui accompagnent, dit-on, si souvent la présence de l’homme
dans ces régions élevées qui n'ont pas été faites pour lui.
Ici sc termine ce que nous avons pu trouver, dans les récits des
ascensionnistes aux Pyrénées, d’intéressant pour notre sujet. Un
document curieux nous montre que rien d’important n’a jamais
attiré leur attention. Lecomte Russell-Killough, qui connaît si mer-
veilleusement les Pyrénées, a publié un recueil3 des ascensions eu
1 Ucber die Beschleunigung des mcnsclilichen Puises nack Maaszgabe den Erhôhung
des Standpunkles über der Meeresflache. — Frorieps Notizen , Bd X; 1825.
2 Voyage à la Maladetta. — Paris, 1845.
3 Recueil des ascensions au pic du Néthou, de 1842 (lre ascens on) jusqu’à 1868. —
Bull, de la Société Ramond, 1872, p. 15-24, 195-198; et 1873, p. 49-58.
132
HISTORIQUE.
pic du Néthou, depuis celle dont nous venons de parler, jusqu’en
1868. Dans cet intervalle, il y en a eu environ deux cents, com-
prenant à peu près mille personnes, dont vingt-deux dames.
Le livre qui reçoit les notes personnelles de chaque touriste
n’indique absolument rien, sinon la vanité générale des motifs qui
ont déterminé tant de personnes à cette pénible ascension. On n’v
parle même pas des troubles physiologiques. Seul, le comte Rus-
sell (24 août 1865) dit : « pas de crachement de sang». (P. 50.)
Enfin, je citerai dans ce paragraphe quelques observations1 faites
dans une ascension du Mulahacen, le pic culminant de la sierra
Nevada d’Espagne; elles contiennent l’ébauche d’une bizarre théo-
rie :
Les effets produits par la rareté de l’air sur les poumons et sur le corps ne
s’étaient pas fait sentir tant que nous étions restés sur les mules. Mais mainte-
nant qu’il fallait faire des efforts musculaires , un plus grand déplacement
d’énergie est nécessaire que dans une atmosphère dense. L’équilibration de l’air,
qui supporte les os comme l’eau fait pour les poissons, manque, et les muscles
sont obligés de soulever un poids plus considérable ; de là l’épuisement. (P. 157.)
g 7. — Le Caucase, l’Arménie, la Perse.
Caucase. — Les ascensions des sommets élevés du Caucase sont
tout à fait récentes. Klaproth2 *, dans le récit de son voyage au mont
Caucase et en Géorgie, exécuté de 1807 à 1808, disait :
Personne n’a monté l’Elbrouz; et les Caucasiens croient que l’on ne peut pas
parvenir à sa cime sans une permission particulière de Dieu. (T. 1, p. 151.)
Une tentative très-sérieuse pour monter au sommet du Kasbek
ou Mquinvari (5050m) fut faite le 17 septembre 1812, par Engel-
hard et Parrot 5.
Les deux voyageurs campèrent à la limite des neiges perpétuelles ;
Parrot entreprit seul l’ascension du sommet. Il eut à surmonter
les difficultés ordinaires de la montagne; mais, ajoute-t-il :
Le plus gênant pour moi fut une lassitude singulière qui me forçait à me repo-
ser tous les cinquante pas; elle provenait moins d’une oppression de la poitrine
que d'une faiblesse totale des muscles qui me prenait soudainement, et qui pas-
sait bientôt quand je m’étais arrêté seulement une demi-minute. Elle était géné-
1 Ford, A Iland-Book for travellers in Spain. — London, 1847.
- Voyage au mont Caucase et en Géorgie. — Paris, 1825.
5 Voyage à la vallée du Terek. — N. Ann. des Voyages , t. LI, p. 273-324, 1831.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ASIE OCCIDENTALE 133
râlement suivie d’une sensation agréable et étrange, comme si je me fusse trouvé
dans un nouvel élément, auquel mon corps, fait pour la pression plus forte des
régions inférieures, était supérieur en force. Une suite inévitable de l’air extrême-
ment raréfié qui nous entourait était l’accélération de la circulation du sang et
celle de la respiration ; mais le malaise et le vertige ne tourmentaient ni moi ni
mes compagnons. En revanche, j’observai chez eux et chez moi un affaiblissement
de plusieurs organes des sens; nous étions obligés de parler très-haut pour nous
entendre mutuellement; nous éprouvions de la peine à parler, non que la respira-
tion nous manquât, mais parce que la langue avait perdu de sa souplesse ;
l’œil même semblait avoir moins d’activité, etl’on aurait dit qu’une cause inté-
rieure l’empêchait de voir nettement et aune grande distance. (P. 502.)
Parrol fut obligé de s’arrêter à 2168 toises de hauteur; il y
passa la nuit avec ses gens, mais dut redescendre le lendemain
sans avoir pu atteindre la cime, qu’il estime à 2400 toises.
En 1829, une expédition militaire et scientifique s’approcha du
mont Elbrouz (5620™); Kupffer1 et les autres savants qui en fai-
saient partie résolurent de tenter l’ascension du géant du Caucase.
Le 22 juillet 1829, ils arrivèrent sur ses flancs, à la hauteur des
neiges perpétuelles :
Nous étions obligés de nous arrêter presque à chaque pas. La raréfaction de l’air
est telle que la respiration n’est plus capable de rétablir les forces qu’on a perdues;
le sang s’agite violemment et cause des inflammations dans les parties les plus
faibles.... Tous mes sens étaient offusqués, la tête me tournail, j’éprouvais de
temps en temps un abattement indéfinissable dont je ne pouvais devenir maître —
Nous étions ici à une hauteur de 14000 pieds au-dessus du niveau de la mer. (P. 33.)
Ils n’étaient cependant pas arrivés au niveau du mont Rose ;
ils ne purent atteindre plus haut, mais un de leurs guides s’éleva
jusqu’au sommet.
Sjogrun2 3, qui fit, le 26 mai 1836, l’ascension de « la montagne
la plus élevée du Caucase » (son récit n’est pas clair, mais je crois
que c’est du Kazbek qu’il veut parler), ne dit absolument rien des
troubles physiologiques.
Mais Radde5, bien que son ascension de l’Elbrouz le 10 août 1865
soit restée incomplète, à cause du mauvais temps, indique nette-
ment dans son récit l’influence de l’air raréfié :
Devant nous se dressait, toute blanche, la cime de la montagne. Un fort vent
d’ouest s’était élevé. Nous nous arrêtâmes un certain temps ; la fatigue, les tour-
1 Voyage dans les environs du mont Elbrous dans le Caucase , entrepris en 1829. —
Rapport fait à l’Ac. imp. des Sc. de St-Pétersb. — St-Pétersb., 1830.
2 Voyage dans les vallées centrales du Caucase , fait en 1856 et 1837. — N. Ann. des
Voyages, t. CXVIII, p. 276-328, 1848.
3 Jleiscn und Forschungen im Kauhasus, 1865. — Peterm. Mitth., t. XIII, 1867.
154
HISTORIQUE.
noiements de tête se faisaient sentir fortement chez mes deux compagnons et
chez moi-même ; nous éprouvâmes également une étrange faiblesse des genoux,
qui arrivait rapidement à nous interdire tout mouvement
Nous nous arrêtions de plus en plus souvent; les vertiges, la faiblesse des ge-
noux, augmentaient; une fatigue atroce « entsetzlich » m’écrasait
Nous étions arrivés à 14-925 pieds (4557'"). (P. 102.)
Dans leur voyage, en 1868, Douglas W. Freshfîeld, Moore et
Tucker1, accompagnés d’un guide de Chamounix, Fr. Devouassoud,
avec qui ils avaient parcouru les Alpes, exécutèrent les deux diffi-
ciles ascensions du Kasbek et de l’Elbrouz.
Le 1er juillet, ascension du Kasbek ; nuit passée à 5500m ; excepté
la fatigue excessive qui força l’un d’eux de se coucher et faillit en
empêcher un autre d’atteindre le sommet, nos voyageurs ne notent
rien qui nous intéresse.
Le 51 juillet, ascension de l’Elbrouz; ils ne se plaignent que du
froid.
Gardiner, Grove, Walker et Knubel 2 s’élévèrent, le 28 juillet
1874, au sommet de ceLle dernière montagne. Le 27, ils campèrent
à 11500 pieds, et le lendemain atteignirent la cime :
Toute la compagnie souffrit de la rareté de l’air. En 18G8, pas un ne s’en était
ressenti; le pic alors atteint était probablement celui de l’Est ; mais la différence
en hauteur, s’il y en a une, est trop légère pour expliquer l’immunité de la pre-
mière expédition.
C’est sans doute du voyage de Douglas Freshfîeld et autres qu’il
s’agit ici.
Dans la même publication se trouve un second récit, par Gardi-
ner3, de la même ascension :
Depuis le col, aucune difficulté sérieuse ne se présenta. Cependant Grove, Knu-
bel et moi, nous souffrîmes plus ou moins du côté de la respiration, ce qui nous
força à nous arrêter souvent ; nous avions aussi ce que j’ai entendu appeler par
un guide suisse « un coup aux genoux ». Walker saigna du nez, mais n’eut pas
d’autre accident. (P. 119.)
Arménie. — Le plateau de l’Arménie qui, sur une vaste étendue,
1 Journey in the Caucasus, and Ascent of Kasbek and Elbruz. — The journal of the
royal geoyr. Society , t. XXXIX, p. 50-76 ; London, 1869. — Itinerary of a Tour in the Cau-
casus; Alpine Journal, t IV, p. 160-166; London 1870. — The Caucasus, by C. Tucker
[Ibid, 424-25 ).
- Itinerary of a Tour in the Caucasus made by F. Gardiner, F.-C. Grove, A.-W. Moore
and A. Walker, with Peter Knubel of St-Niklaus. — Alp . Journal, t. Vit, p. 100-105;
London, 1874.
3 An ascent of Elbruz. — Alpine Journal, t. VU p. 115-124; London, 1875.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ASIE OCCIDENTALE. 155
dépasse la hauteur moyenne de 5000m, est dominé par le double
sommet de l’Ararat, qui était bien connu des anciens, el dont par-
lent meme, comme chacun sait, les livres bibliques.
Mais si Noé a pu facilement, selon la légende, descendre du som-
met où l’avaient porté les eaux — qui, si elles avaient couvert le
grand Ararat, n’auraient laissé au-dessus d’elles que ses voisins
l’Elbrouz et le Démavend avec les plus hautes cimes des Andes et
de l’Himalaya, — l’ascension de la montagne sainte présente des
difficultés autrement sérieuses. Cependant, Pierre Bergeron, Pari-
sien, dans son traité des Tartares1, nous donne le curieux rensei-
gnement suivant :
Elmacin, historien arabe, conte que l’empereur Héraclius faisant la guerre en
Perse, et passant par la ville de Thémanin bâtie, ce dit-on, par Noé au sortir de
l’arche, avait eu la curiosité de monter sur cette montagne (Ararat, qui est le
Taur, comme l’Écriture l’appelle, et les Grecs Périarde, aujourd’hui Chielder),
pour y chercher ce qui restait de ce vaisseau. liai ton dit aussi que de son temps
on en voyait aussi quelques pièces de reste. (P. GG.)
C’est encore à Robert Boyle2 que nous devons le premier récit
d’une ascension sur l’Ararat, avec indication des malaises que de-
vait entraîner le séjour sur un lieu si élevé :
M’étant rencontré avec un ecclésiastique qui avait visité les hautes montagnes
d’Arménie (sur l’une desquelles, à cause de sa grande élévation, les gens du pays
disent que l'Arche s’est arrêtée), je lui demandai si sur les sommets il avait
éprouvé quelque difficulté à respirer Il me répondit qu’il n’avait pu aller
jusqu’au faite de ces montagnes, à cause des neiges; que cependant, il avait
remarqué qu’il était obligé de respirer plus souvent.
Je lui demandai si cette difficulté lui paraissait purement accidentelle, ou par-
ticulière à lui; mais il m’affirma qu’elle était générale sur les hauts lieux et que
cela était de commune observation.
Ce même ecclésiastique éprouva de semblables accidents respiratoires en fai-
sant l’ascension d’une montagne des Cévennes. (P. 2038.)
Le célèbre botaniste Tournefort5, qui tenta l’ascension le 11 août
1701, ne put aller jusqu’à la limite des neiges :
L’un, dit-il, se plaignait qu’il ne pouvait respirer; pour moi, je n’avais jamais
tant appréhendé que quelque vaisseau lymphatique ne se cassât, dans mon
corps. (T. II, P. 51G.)
La première ascension complète dont nous possédions le récit
1 Voyages faits en Asie , dans les XII, XIII . XIV et XV siècles. — La Haye, 1755.
- Philosophical transactions. 12 sept 1G7C.
■’ Relation d’ un voyage du Levant, 2 vol. — Paris, 1717.
130
HISTORIQUE.
est celle qui a été exécutée en 1829 par Parrot, le savant voyageur
que nous avons déjà si souvent cité; il dut s’y reprendre à trois fois.
Le 12 septembre1, il ne monta que jusqu’à 5850m (p. 150) ; le 18,
il arriva à 5000m (p. 146). Enfin, le 26, il alla passer la nuit à
4500'11; il ne se plaint que d’un sentiment de fatigue et de tendance
au sommeil (p. 156). Le lendemain, départ pour le sommet :
Nous dûmes laisser un de nos paysans, malade, au campement. Deux autres,
harassés par l’ascension des glaciers, se couchèrent sur le sol, puis redescendi-
rent. Sans nous laisser abattre, nous poursuivîmes notre route. (P. 157.)
Le reste du récit montre que leurs fatigues furent extrêmes;
mais aucun autre symptôme n’est signalé. A trois heures un quart,
ils arrivent au sommet : « Mon premier désir et ma première jouis-
sance, dit Parrot, fut le repos » (p. 159).
Les difficultés dont l’opinion populaire entourait une ascension
qui paraissait un peu sacrilège, firent que le récit si circonstancié
et si véridique de Parrot fut révoqué en doute. Mais, quelques
années plus tard, d’autres explorateurs, Àvtonomoff, le 5 août
1854 2, Behrens, le 20 juillet et le 9 août 1855 3, Abich, le 29 juil-
let 1845 4 5, vinrent en démontrer toute l’exactitude. Je n’ai pu me
procurer le récit complet de ces ascensions, et les comptes rendus
qu’en donnent les journaux de géographie ne parlent d’aucun trou-
ble physiologique.
Mais cela ne prouve rien, car ils gardent le même silence en ana-
lysant3 la célèbre ascension du colonel russe Chodzko, et cepen-
dant il résulte d’une communication que m’a fait l’honneur de
m'adresser le savant géodésien qu’ils ne furent rien moins que
négligeables.
Voici ce récit, tel que me l’apporte une lettre écrite en français
par M. le général Chodzko : je le reproduis intégralement, en remer-
ciant vivement de son obligeance mon éminent correspondant.
L’expédition comprenait cinq officiers et soixante soldats :
L’ascensiona commencé le 51 juillet (11 août) 1850. Du 4 (IG) au 6 (18) août,
nous sommes restés sous les tentes au pied du sommet du mont Ararat. Le 5 (17)
août, pendant la nuit, abrités sous les rochers à pic, nous restâmes de huit
1 Reize zum Ararat. — Berlin, 1834.
2 Magazin fur die Litleratur des Auslandes; 1835, n° 34.
5 Gazette russe de l'Académie; 1858, nos21,23.
4 Journal le Caucase; 1846, nos 1, 5, 7.
5 Journal le Caucase ; 1850, n° 50. — Traduit in Nouv. Ann. clcs Voyages , t. CXXX,
p. 334-349; 1851.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ASIE OCCIDENTALE.
137
à onze heures du soir au milieu de nuages électriques. Les éclairs qu’on voit d’en
bas traverser les nuages comme de simples rubans minces avaient des dimen-
sions énormes ; la foudre grondait au moment même où apparaissait la lumière
électrique : c’était comme le feu des coups de plusieurs canons tirés en même
temps. Après trois heures d’orage, un coup de tonnerre très-fort détacha une
partie des rochers, qui tombèrent avec fracas.
L’orage une fois terminé, survinrent des ouragans de neige. C’est avec beau-
coup de peine que nous pûmes dérouler et étendre un peu plus haut deux peti-
tes tentes en toile, sous lesquelles nous restâmes du 16 au 19 août. Le 18 août,
après avoir atteint le sommet, nous y fixâmes une croix peinte en noir. Deux
tentes furent dressés dans des trous pratiqués dans la neige. Le 19, les obser-
vations des distances zénithales furent commencées (l’Ararat fut observé de 122
points trigonométriques) ; elles furent finies tant bien que mal le 24 août au ma-
tin. Nous partîmes à midi, et descendîmes rapidement.
Quant aux symptômes physiologiques, je me sentais la tête très-lourde; il me'
semblait qu’un cercle de fer me serrait le crâne au-dessus des oreilles. Il fallait
marcher très-lentement pour pouvoir respirer à l’aise. La nuit, quand nous dor-
mions enveloppés de pelisses, si le froid pénétrant au travers nous réveillait, les
mouvements que nous faisions pour les serrer autour de nous nous coupaient la
respiration. Le troisième jour la tête est devenue plus libre; mais il était tou-
jours impossible de marcher avec vitesse.
Dans leur voyage en Arménie, Raddc et Sievers firent quelques
ascensions assez élevées, l’une entre autres (le 28 juillet 1871), sur
une montagne voisine du lac de Chara-Gol :
Vers 12,500 pieds, dit Radde1, je dus m’arrêter. Ma respiration était difficile,
mes genoux étaient absolument brisés. La fièvre commençait à me prendre
Sievers rampa courageusement en avant. Je restai couché complètement apathique,
pendant deux heures, attendant son retour. Au bout de deux heures environ, il
revint, aussi malade que moi, tout à fait épuisé et brisé. (P. 177.)
Parmi les nombreux voyageurs qui ont sillonné en tous sens l’A-
sie Mineure, je n’en ai Irouvé qu’un, Ilamilton2, ayant fait l’ascen-
sion du mont Àrgée (5840m), le 50 juillet 1837. Il ne dit absolu-
ment rien des troubles physiologiques.
Perse. — Mais j’ai rencontré deux récits d’ascensions au volcan
éteint de Déinavend (5620m), prés de Téhéran.
Le 8 septembre 1857, Taylor Thomson3 alla camper sur les flancs
de la montagne, à 2000,n. Le lendemain matin, départ :
Je ne montais pas depuis plus d’une heure, quand deux de mes hommes refu-
1 Reisen im Armcnischen ilochland in Sommer 1871. — 2e partie : Ouest. — Peler-
man s Mitthcilungen, 1875.
2 Notice d'un voijage dans V Asie-Mineur e, fait en 1857. — N. Ann. des Voyages,
t. LXXXI, p 155-196; 1859.
5 An Account of the Ascent of Mount Demavend, near Tehran, in sept. 1857. — Journ.
of (lie R. geograpk. Soc., t. VIII, p. 109; 1838.
138
HISTORIQUE.
sèrent d’aller plus loin Je continuai avec les deux autres, mais l’un d’eux se
plaignit tellement de maux de tête, de palpitations de cœur, que je dus lui per-
mettre de redescendre. Je retins l’autre jusqu’au cratère, par prières et menaces;
le froid était excessif La température était 56° F., le baromètre mesurant
15 P, 05.... ce qui correspond à 14 700 pieds (4480m).
L’aulre ascension fut exécutée le 24 et le 25 juillet 1858, par des
membres des diverses missions européennes à Téhéran. L’atlaché
anglais, R. F. Thomson, en a donné un récit détaillé1 *.
Le campement de nuit eut lieu le 24 juillet au village de Rina
(5920m) ; le thermomètre marquait 0° centigrade. Départ, le matin
du 25 juillet, de bonne heure :
L’ascension de celte portion de la montagne amena une grande fatigue, spécia-
lement à cause de la raréfaction de l’air qui commença à se faire sentir à nos
poumons . . .
La dernière partie de l’ascension du Bamshi Bend fut extrêmement pénible
à cause de la raréfaction de l’air. Nous éprouvions des nausées et de violents maux
de tête, et une grande difficulté à respirer, même au repos. M. de Saint-Quentin,
de la mission française, et M. Castelli, Sarde, qui nous accompagnaient, étaient
attaqués comme nous. Nous étant reposés un peu, et nous trouvant moins fatigués,
et nous commençâmes nos observations. Elles nous indiquèrent l'énorme hauteur
de 21,520 pieds (G560m)5!.
Nous restâmes au sommet environ une heure et demie. (P. 15.)
g 8. — Asie centrale.
Dans la dernière moitié du treizième siècle, un voyageur illustre,
Marco Polo3, fut le premier Européen qui pénétra jusque dans les
régions élevées des plateaux de l’Asie centrale. Le célèbre Vénitien
dut, sans nul doute, comme le prouvèrent les témoignages de ceux
qui cinq cent cinquante ans après ont suivi ses traces, éprouver
sur lui-même, observer sur ses compagnons et ses bêtes de somme,
les phénomènes dont nous donnerons bientôt de multiples descrip-
tions; mais son récit n’en porte point l’indication :
Si chevauche l’en toutefois par montaignes, et monte Fen tant que on dit
que c’est le plus haut lieu du monde. (P. 150.)
Nul oisiau volant n’y a, pour le haut lieu et froit qui y est. E si vous di que
1 R. F. Thomson and lord Schomberg II. Kerr, Journcy Irongh lhe mountainous
Districts North of the Elbruz , and Ascent of Demavend, in Persia. — Proceedings of lhe
royal geograph. Soc., t. III, p.2-18; 1859.
- Erreur considérable : la hauteur du Démavend est 5C20m.
3 Le livre de Marco Polo, citoyen de Venise, rédigé en français sous sa dictée, en
1298, par Rusticien de Pise. — Publié par Pauthicr. Paris, 1805.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ASIE CENTRALE. 139
le feu, pour cel grant froid, n'y est pas si cler, ne de tel chaleur comme en autre
lieu, ne ne si pueent pas si bien cuire les viandes. (P. 133.)
Ce lieu, le plus élevé du monde, est, comme l’a montré plus lard
le voyageur anglais, Wood, le plateau de Pamir, par 4700,n.
Des voyageurs chinois, bien plus anciens encore, avaient visité
ces hauts lieux. Tel le pèlerin Fa-ïïian1, qui, en l'année 399? tra-
versa la passe de Karakorum (5690m). Tel le célèbre Hiouen-Thsang2 * *
qui, venant de Chine, rencontra « une suite de montagnes et de val-
lées et des pics d’une hauteur prodigieuse. Il franchit les monta-
gnes noires » (p. 55). M. Stanislas Julien déclare qu’il s’agit des
passes de l’Hindou-Koucli et du plateau de Pamir. Mais dans les récits
très-succincts qui nous ont été conservés, il n’est nulle question
d’observations physiologiques.
La description « des provinces Wei et Zzang » de la Chine occi-
dentale, qui, publiée en chinois dans l’année 1792, a été tra-
duite en français par Klaproth5, contient quelques indications qui,
d’après ce que nous verrons plus loin, se rapportent évidemment
aux accidents de la décompression.
C’est ainsi qu’en parlant des affections qui atteignent les voya-
geurs dans ces pays de hautes montagnes, l’auteur chinois parle
de :
La chaleur du corps, les maux de tête , et autres maladies propres au climat.
(I\ 23.)
Plus loin, dans un itinéraire remarquable par la précision des
mesures et l’abondance des détails, il indique l’influence des plan-
tes empoisonnées, auxquelles nous verrons jouer bientôt un grand
rôle dans les récits des voyageurs; ici, c’est la rhubarbe qu’on
accuse :
Eu partant de Djédo on voyage de montagnes en montagnes, elles s’étendent
au loin, mais elles ne sont pas très-hautes. La rhubarbe y abonde, elle exhale une
odeur très-forte qui incommode beaucoup le voyageur. (P. 188.)
Enfin, après les plantes, viennent les exhalaisons du sol :
Plus loin à l’ouest de Djaya , on traverse une grande montagne neigeuse; le
chemin est très-raide. Les neiges accumulées ressemblent aune vapeur argentée.
1 I’urdon, On the Trigonométrie al Survey and Physical Configuration ofthe valley of
Kashmir. — ,/. of R. Geogr. S., t. XXXI, p. 14-50 ; 1861.
2 Mémoires sur les contrées occidentales, traduites du sanscrit en chinois, en l’an G4S,
par Hiouen-Thsang, et du chinois en français par Stanislas Julien, t. I. — Paris, 1857.
J Klaproth, Description du Thibet, traduite du chinois. — Paris, 1831.
140 HISTORIQUE.
Le brouillard que la montagne exhale pénètre dans le corps et rend les Chinois
malades. (P. 210.)
De Lang Thang Keou, on suit la vallée, on monte — La neige gelée rend la
route glissante et très-dangereuse. Il y a là aussi des exhalaisons pestilentielles.
(P. 217.)
Pendant le dix-septième el le dix-huitième siècle, quelques voya-
geurs européens, missionnaires, marchands, militaires ou aventu-
riers, visitèrent, soit dans l’Empire chinois, soit dans celui du grand
Mogol, les régions élevées de l’Asie centrale.
Je n’ai trouvé que dans le récit d’un seul, le jésuite portugais
Antonio d’Andrada1, l’indication nette d’accidenls qu’on puisse at-
tribuer à l’effet de l’air des hauts lieux. Ce missionnaire eut le
* courage de traverser presque seul l’Ilimalaya pour se rendre du
Cachemire au Thibet :
Là commencent d’énormes montagnes que l’on ne peut franchir en moins de 20
jours. On n’y trouve rien que des rochers presque toujours couverts de neige
Tant par le malaise que par une certaine exhalaison pestilentielle qui sort de la
terre, tout à coup on éprouve une révolution violente et intérieure qui vous tait
périr en un quart d’heure. J’attribue ces morts subites à la cessation de la chaleur
naturelle interceptée par legrandfroid, et surtout à la mauvaise nourriture. (P. 13.)
Mais quant à lui et à scs deux compagnons, il ne se plaint que du
froid extrême, de congélations partielles, d’insensibilité aux mains
et aux pieds, et de « perte d’appétit » (p. 16), seul trouble qu’on
puisse rapporter à la diminution de pression. Ils avaient cependant
passé par les régions les plus élevées, puisqu’ils « arrivèrent au som-
met de toutes ces montagnes où se voit le lac d’où sortent la rivière
du Gange et une autre qui arrose les terres du Thibet » (p. 16).
C’est évidemment du lac Manasarowar que veut ici parler d’Andrada.
Le docteur Bernier2, qui suivit en mars 1665 le grand Mogol
Aureng-Zeb, de Lahore à Cachemire, eut à traverser une montagne
élevée, encore couverte de neige; mais il ne parle que du froid,
et de même, en relatant les voyages des marchands qui vont au
Kasligar et au Thibet à travers les hautes chaînes, il ne fait allu-
sion qu’aux difficultés de la marche.
Les récitsdu père Verbiest3 qui, en 1685, accompagna l’empereur
de Chine dans la Tartarie orientale, ceux du père Gerbillon4, de
1688 à 1698, ne mentionnent aucune souffrance.
1 Voyages au Thibet; trad. par Tarraud et Billecoq. — Paris, l’an IV.
- Voyages de Fr. Bernier, t. II, lettre ix. — Amsterdam, 1G99.
5-4 Description de la Chine du P. du Halde, t. IV. — Paris, 17Ô5.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ASIE CENTRALE.
141
En octobre 1714, le père H. Desideri partit de Lahore pour aller
à Cachemire, « à travers le Caucase , » comme on a longtemps appelé
l’Himalaya. Le 1 7 mai 1715, il entreprit le terrible voyage du Thibet,
et arriva le 25 juin à Ladak. Il n’accuse de ses souffrances que la
fatigue, le froid , les vents furieux, la réverbération du soleil sur la
neige l.
Dans la seconde moitié du dix-huitième siècle commencent les
relations politiques des Anglais avec le Boutan et le Thibet. En
1774, Bogie fut envoyé auprès du grand Lama par le gouverneur
des Indes; J. Stewart2, qui a raconté son voyage, n’y fait aucune
allusion à l’influence des montagnes.
En 1785, Samuel Turner3 fut chargé de la même mission. Il tra-
versa les hauts défilés du Boutan, et séjourna plusieurs mois au
Thibet. Il insiste fréquemment sur la hauteur extraordinaire de ces
régions, sur les vents froids et desséchants qui y régnent. La seule
observation qu’on puisse rapporter à l’influence fâcheuse de l’alti-
tude est la suivante ; Turner se trouvait alors au pied du Chumalari :
Lorsque noos eûmes mis pied à terre à Terma, je ressentis un violent mal de tête,
ce qui m’engagea à me jeter sur un tapis;... je souffrais et n’avais nulle envie de
parler. (T. I, p. 512.)
J'attribuai ce mal de tête, qui m’avait fait beaucoup souffrir, au changement de
climat. (IL 514.)
Le capitaine Thomas Ilardwicke4 fit,, en 1796, un voyage à
Srinagar dans le petit Thibet, pendant lequel il paraît s’être élevé
à d’assez grandes hauteurs; mais il ne rapporte aucun accident
qu’on puisse attribuer au mal des montagnes.
Mais avec le célèbre voyage de Moorcroft5 qui, en 1812, traversa
FHimalaya pour atteindre le lac de Manasarowar, commence, pour
ainsi dire, une ère nouvelle. Désormais, tous les récits des vova-
geurs garderont d’une manière nette, et souvent avec détails, la
trace des souffrances que f altitude ajoutait à la fatigue et au froid.
Il partit le 26 mai, mais ce n’est que le 4 juin qu’on trouve, dans
son journal, l’indication d’un malaise spécial :
1 LcLlrc du 16 avril 1710. Lettres édifiantes. Nouvelle édition, t. VII, p. 450-455. —
Paris, 1781.
- An account of llie Kingdomof Thibet, par J. Stewart. — P h il. transactions, t. LVII,
p. 4G5-492 ; 1777.
5 Ambassade au Thibet et au Boutan , trad.de Castéra, 2 vol. — Paris, 1800.
4 A journey to Sirinagur. — Asiatic researches, t. VI, p. 509-581 ; 1801.
5 A journey to Laite Manasarovara in Un-dés, a Province of Utile Tibet. — Asiatic
researches , t. XII, p. 375-551. — Calcutta, 1810.
142
HISTORIQUE.
Dans la dernière partie de ce jour, dit-il, je trouvai que ma respiration s’accélé-
rait en proportion des difficultés de l’ascension, et j’étais souvent obligé de m’ar-
rêter pour attendre que les battements de mon cœur se calmassent. Mon compa-
gnon souffrait de cette oppression depuis trois jours, mais je n’avais jusque-là
rien ressenti. (P. 511 7.)
Moorcroft n’indique pas la hauteur à laquelle il était alors par-
venu ; il parle seulement d’un village nommé Niti où il établit alors
son campement. Il voulut de là, au bout de quelques jours, faire
l’ascension des montagnes voisines :
Le 26 juin, au matin, je partis. La montée fut très-pénible à cause de la grande
difficulté de respirer; de cinq personnes, une seule fut capable de m’accompa-
gner.... Je ne pouvais faire plus de cinq à six pas sans m’arrêter pour respirer....
Ayant tourné tout à coup le dos auvent, je ressentis un sentiment de plénitude à
la tète, avec vertiges, et des menaces d’apoplexie; aussi je me couchai rapide-
ment à terre. Peu de temps après, ma respiration haletante se ralentit, l’action du
cœur devint moins violente, et je pus me relever. Mais malgré les précautions de
ma marche, je fus attaqué deux fois des mêmes symptômes, si bien qu’il me sem-
bla prudent de renoncer à monter plus haut.
La nécessité impérieuse de s’arrêter pour respirer tous les quatre on cinq pas
ne se fil sentir que pendant l’ascension. Quand l’action impétueuse du cœur était
ralentie par le repos, la difficulté de respirer disparaissait . Elle n’apparaissait pas
à la descente, même lorsque je courais; mais plusieurs fois, à notre campement,
au moment de m’endormir, j’ai été interrompu par cette sensation Bien que
je n’éprouvasse ni chaud ni froid excessifs, mes mains, mon cou et ma figure
étaient rouges, la peau était sensible, et le sang sortit de mes lèvres, ce qui ne
m’était jamais arrivé. (P. 408.)
11 revient à plusieurs reprises sur l’oppression qui précède le
sommeil :
Le 50 juin, au lever du soleil, le thermomètre était à 46° F Je me réveillai
de très-bonne heure, et fus aussitôt pris de difficultés de respirer avec grande
oppression au cœur, phénomènes qui disparurent après quelques inspirations
profondes. Comme je me rendormais, la suffocation reparut, et la respiration de-
vint fort anxieuœ ; cependant, quand l’air se réchauffa un peu, cette affection
diminua. (P. 412.)
Le soir, bien que pressé du besoin de sommeil, il me fut impossible de m’en-
dormir à cause des étouffements qui survenaient aussitôt, et que pouvaient seules
calmer quelques respirations profondes. (P. 415.)
Le 5 juillet, Moorcroft atteignit Daba. Le reste du voyage ne l’ex-
posa plus au mal des montagnes, sur la cause et la nature duquel
il ne hasarda aucune hypothèse.
En 1819, Moorcroft, en compagnie de Trebeck, commença une
longue expédition qui devait, en 18*25, se terminer par la mort des
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ASIE CENTRALE.
143
deux voyageurs. Je n’ai, dans ïa publication faite par Wilson1 des
résultats de ce voyage, rien trouvé qui ait rapport au mal des mon-
lagnes. En racontant sa traversée de la passe de Chang-La, la plus
haute qu’il ait encore franchie, Moorcroft ne se plaint que d’un froid
terrible (t. I, p. 428). A la passe de Parang-La, qu’il estime être à
près de 19 000 pieds, il dit seulement :
Mon cheval était tellement incapable de marcher, bien avant d’atteindre le som-
met, que je dus en descendre et l’abandonner à son sort. (T. II, p. 54.)
Trois ans après le premier voyage de Moorcroft, Fraser2, qui ac-
compagnait l’agent politique envoyé à l’armée du général Martin-
dale, remontait en 1815 les bords de la Jumna. Il traversa les mon-
tagnes, de Jumnotree à Gangotree, par des passes très-élevées, mais
dont il ne donne pas la hauteur.
C’est le 16 juillet que, pour la première fois, apparaissent dans
son récit des accidents qu’on peut rapporter au mal des mon-
tagnes :
Nous éprouvâmes beaucoup d’ennuis, dit-il, de la part des coolies On avait
grand’peine à les mettre en mouvement, et ils s’asseyaient après quelques pas,
bien qu’on eût beaucoup allégé leur charge en prévision des difficultés de la mar-
che. Ils nous dirent qu’ils étaient frappés par le Serân , ou poison de l’air venant
des fleurs qui couvraient le sol (primevères, polyanthus, bruyères); et quoique
leur position fût peut-être en partie due à la boisson et aux excès, et qu’il fallût
aussi accorder quelque chose à la paresse, leur apparence générale indiquait encore
autre chose. En arrivant, ils jetaient à terre leurs paquets, et s’étendaient malades ;
le plus souvent ils dormaient aussitôt, et bien peu pensaient à manger auparavant.
On nous dit que la course du lendemain serait plus rude encore. (P. 440.)
En effet, le lendemain les souffrances redoublèrent :
Il faisait excessivement froid.... Beaucoup des Mewatee et les Goorkha étaient
presque incapables d’avancer, chacun se plaignant du bîs, ou vent empoisonné.
Je pensai alors que ce poison supposé n’était autre que l’effet de la raréfaction
de l’air due à notre grande élévation, qui le rend incapable de suffire à notre
respiration ; il ne peut distendre les poumons; j’ai été amené à cette supposition
d’après mes propres sensations. Je fus obligé de faire des efforts extraordinaires
pour continuer ma course, et pouvais;» peine trouver la force de marcher. J’éprou-
vai une grande oppression respiratoire, comme si je manquais d’air. Nous n’au-
rions certainement pas pu supporter cela longtemps
1 Travels in lhe Himalayan provinces of H indus tan and the Penjab ; in Ladakh and
Kashmir ; in Pcshaivar, Iiabul, Kunduz and Bohhara ; 2 vol. — London, 1 851 .
2 Journal of a Tour ihrough Part of tlic snowy Range of the Himalaya mountains,
and lo lhe sources of lhe Hivers Jumna and Ganges. — London, 1820. Ce voyage fut
publié en abrégé dans les Asialic researchcs , t. XIII, p. 170-249. — Calcutta, 1820.
144
HISTORIQUE.
Enfin nous arrivâmes au sommet du Bumsooroo-ke-Ghàt, où il n’y avait plus
que de la mousse et des lichens.... Aussitôt que l’un de ceux qui se plaignaient
d’oppression se couchait, il s’endormait, mais il ne paraissait pas prudent de le
laisser s’abandonner ainsi. Manger quelques bouchées taisait un peu de bien, mais
rien ne soulageait sérieusement, et personne n’était à l’abri de cette débilité géné-
rale. C’était le point le plus haut de noire voyage. (P. 442.)
De là nous eûmes à exécuter une série de montées et de descentes le long
d’un sentier très-difficile et pénible à cause de la neige et des pierres roulantes;
nous lûmes cruellement tourmentés par la difficulté de respirer, jusqu’à ce que
nous arrivâmes à Chaiah-ke-Kanta. (P. 444.)
Ils n’étaient pas au bout de leurs souffrances. Dès le lendemain,
il fallut exécuter de nouvelles ascensions :
Nous avions à nous plaindre de la difficulté du pays, du mauvais état de la
route,’ et par-dessus tout de la fatigue artificielle due à l’oppression dont nous
nous ressentions tous au plus haut point. (P. 449.)
En atteignant la gorge élevée de Bamsooroo, personne n’évita l’influence perni-
cieuse. H était curieux de voir que ceux qui avaient ri de leurs compagnons se
laissaient aller les uns de fatigue, les autres de malaise, malgré leurs efforts pour
le cacher aux autres. Je crois que j’y échappai plus longtemps qu’aucun autre ; et
cependant, après avoir passé cette gorge, quelques pas en montant me paraissaient
un insupportable labeur, et même en passant sur les endroits à plat, mes genoux
tremblaient sous moi, et j'éprouvais de temps en temps des nausées stomacales.
Les symptômes produits sont très-variés; quelques personnes souffrent de violents
maux de tète ; d’autres ont des douleurs dans la poitrine, avec de l’oppression ;
d'autres des nausées et des vomissements ; beaucoup sont accablés de somnolence
et s’endorment même en marchant.
Mais ce qui prouvait que tout cela était l’effet de notre grande élévation, c’est
que lorsque nous descendîmes, et atteignîmes les régions de la végétation, tous ces
symptômes violents, toutes ces souffrances diminuèrent et disparurent. (P. 459.)
En 1816, 1817 el 1818, le capitaine Webb fit des efforts infruc-
tueux pour traverser l’IIimalaya, et revoir le lac sacré de Manasa-
rowar; les Tartares l’arrêtèrent en route. Ses observations ont été
publiées dans un intéressant article de la Quarterly Review 1 ; il en
est qui nous touchent spécialement :
Sans élever le moindre doute, dit le rédacteur qui analyse les lettres de Webb,
sur la difficulté de respirer éprouvée par M. Moorcroft dans son ascension du
Gliaut, nous ferons observer qu’on est souvent monté plus haut sans rien éprouver
de semblable, ce qui semble indiquer que ces effets dépendent beaucoup de l’état
de la santé. Le capitaine Webb, cependant, confirme ces allégations, non-seule-
ment par le témoignage de ses propres sensations, mais par celui des montagnards
eux-mêmes, qui les éprouvent autant que les étrangers, et il nous assure que
ni les chevaux ni les yacks n’en sont exempts. Les natifs nomment ce mal Bis -
* Vol. XXIL p. 415-450. — Londres, 1820.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ASIE CENTRALE.
145
kee-huwa , c’est-à-dire air empoisonné, et l’attribuent aux émanations de cer-
taines fleurs ; il survient quand on marche ou quand on se fatigue.
« Tout le monde, dit notre voyageur, se plaignit de perte d’appétit pendant plu-
sieurs jours après notre arrivée à Nitee. Pour moi, j’éprouvai exactement les sensa-
tions qui précèdent une attaque de fièvre, avec grande oppression, action exagérée
du cœur et des viscères. Mais un de ceux qui m’accompagnaient souffrit une de
ces attaques auxquelles sont sujets les habitants du Boutan, au commencement
de la saison, et qu’ils considèrent comme directement produits par la Bis-kee -
huwa. Il était descendu sur le bord de la rivière à la chute du jour, et quand il
voulut remonter, il perdit l’usage de ses jambes et même sa connaissance ; ce-
pendant, il conservait encore quelque sentiment, mais il ressemblait pour moi à
un homme frappé d’apoplexie. Les extrémités étaient froides, et après avoir vai-
nement essayé de le ranimer par des frictions, par l’application de pierres chaudes
dans les mains et à la plante des pieds pendant plusieurs heures, je m'avisai de
lui donner un émétique; une grande quantité de « foam » fut chassée, et en deux
ou trois jours il revint à la santé. Je crois que cette sécrétion de « foam » est un
effet particulier de l’inhalation des vapeurs toxiques. (P. 420.) »
C’est à peu près vers la même époque que les frères Gérard com-
mencèrent la célèbre série de leurs voyages à travers l’Himalaya.
En 1817 (27 août-14 octobre) premier voyage du capitaine
Alexandre Gérard, de Soobathoo à Rarung, avec retour. 11 futaccom-
pognô pendant une partie de la roule par le docteur Govan, dont
nous aurons à parler plus loin. Son récit fut publié pour la pre-
mière fois, d’après ses notes de voyage, par Lloyd en 1841 1 (p. 191-
267). Il n’y est nulle part question du mal des montagnes.
L’année suivante il se remit en route, en*compagnie cette fois du
docteur J. G. Gérard, son frère. Ils allèrent de Soobathoo à Shipke,
avec retour à Soobathoo (22 septembre-22 novembre 1818). J’em-
prunte aux simples notes qu’ils ont publiées2 ce qui touche à notre
sujet :
2 octobre. Notre tente est placée à 15,095 pieds ; ail col qui sépare Choara du
Koonawur, il n’y a plus que quelques rares herbes avec un peu de mousse..,.
Pendant la nuit que nous y passons nous ressentons tous de violents maux de tête,
dus probablement à la raréfaction de l’air, mais que les natifs attribuent à une
plante toxique qui pousse en abondance aux grandes hauteurs. (P. 566.)
Le 7 octobre, traversée de la passe de Toongrung(15 729 pieds),
aucun effet noté; le 12 octobre, de môme, à 15 518 pieds, à la passe
qui sépare Koonawur des possessions chinoises. Le 16 octobre,
1 Account o f Koonawur, in the Himalaya. — London, 1841.
2 lre partie : aller. Account of ; part of a journey through the Himalaya mountains. —
The Edinb. Philos, journal , t. X, p. 295 505 ; 1824. — 2e partie : retour. Journal of
an Excursion through the Himalaya mountains, from Shipke to tho Frontiers of
Chinca, Tartary. — The Edinb., Journal of Science, vol. I, p. 41—51 et p. 215-224; 1824.
Ces deux articles sont reproduits dans le Journal of the Asiatic Society of Bengal ,
t. XI, p. 565-591; 1842. C’est d’après celle publication que je cite.
10
145
HISTORIQUE.
campement à 14900 pieds, et le 18, ascension d’un pic montant à
19411 pieds (591 5ni) :
Violents maux de tête, nous laissant à peine la possibilité de faire des efforts....
Les natifs refusent d’avancer.... Pour dire la vérité, nous ne pouvions plus mar-
cher nous-mêmes, tant nous souffrions de la tète, avec une faiblesse générale,
et de vives douleurs dans les oreilles et la poitrine.... Le thermomètre n’était
pas au-dessous de 22° F.... et cependant à cause du vent, mes mains furent
tellement engourdies que je dus les frotter pendant un quart d’heure avant de
pouvoir m’en servir
Les voyageurs qui traversent le passage de Gangtung le représentent comme
extrêmement difficile : ils se couvrent de vêtements pour se défendre contre un
froid excessif, et ils se plaignent de terribles maux de tète et d’oreilles; il y
périt souvent des chèvres, des moutons et des hommes. (P. 377.)
Le 24 octobre, passage du llungrung (14857 pieds); le 25, pas-
sage du Roonung (14508 pieds); aucune indication. Le 22 novem-
bre, retour à Soobatlioo.
Alexandre Gérard ne tarda pas à repartir pour un nouveau voyage.
Cette fois, il s’agissait de remonter, si possible, jusqu’aux sources du
Setlej, un des affluents de l’Indus, qui vient du lac Manasarowar.
Le récit de ce voyage forme le deuxième volume d’une publica-
tion faite à Londres en 1 840 1 . 11 avait déjà été publié sous une
forme plus succincte dans un journal scientifique d’Édinbourg,
en 1820 et 1827 2 . L’une et l’autre narration sont extrêmement so-
bres en descriptions et particulièrement d’ordre physiologique. Je
cite d’après le volume publié à Londres.
Le voyage commença le 6 juin 1821 ; Al. Gérard partit du pays
de Roi, par 9 à 10000 pieds de hauteur. Il se borne à dire, au som-
met de la passe de Shatool, par 15555 pieds (4758,n), où nous ver-
rons que son frère devait tant souffrir:
9 juin. — Nous ne dormions que Irès-peu, à cause des maux de tête et de la
difficulté de respirer. (P. 15.)
À la passe de Roorendo :
16 juin. — Comme il arrive d’habitude à ces hauteurs, nous dormîmes à peine,
fatigués par des maux de tête et une extrême difficulté à respirer. (P. 57.)
1 Lloyd : Narrative of a journey from Caunpoor lo the Boorendo pass, with Captains
Alex. Gérard' s account of an atternpt to penetratc by Behken to Garoo and the Lake of
Manasarowar a. — London, 2 vol., 1840.
2 Al. Gérard, Account of a Survey of the valley of the Setlej River, in tlic Himalaya
mountains. — The Edinb. Journal of Science , t. Y, p. 270-288, 1820, et t. VI, p. 28-50,
1827.
147
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ASIE CENTRALE.
A la passe de Keoobrung, 18515 pieds, il est un peu plus ex-
plicite :
24 juin. — J'éprouvai une grande difficulté à respirer, une grande faiblesse,
mais sans mal de tête, bien que mes suivants souffrissent de cette impétuosité
de la circulation signalée par M. Moorcroft : la température était de 46°.
Le 50 août, il fait l’ascension de la passe de Manerung à la hau-
teur énorme de 18612 pieds (567 Im) .
Nous montions très-lentement la montagne; la respiration était laborieuse, et
nous étions épuisés presque à chaque pas. La crête de la passe n’était pas visible,
et nous ne savions quand finiraient nos maux : la route s’élevait suivant un
angle de 50°
Notre situation était différente de toutes celles que nous avions éprouvées; elle
ne peut être décrite. Bien avant d’arriver au sommet, notre respiration devint
haletante et oppressée, et nous étions forcés de nous asseoir au bout de quelques
pas; encore pouvions-nous alors à peine inspirer une quantité d’air suffisante. Le
moindre mouvement était accompagné de faiblesse et d’abattement intellectuel.
Nous souffrîmes ainsi pendant 2 milles ; le dernier demi-mille était dans la neige
perpétuelle. Au sommet, le baromètre marquait 15,o00p, le thermomètre 36a F.
Plusieurs de mes gens ne purent franchir la passe, à cause des maux de tête.
La longueur et la difficulté de l’ascension, la rareté de l’atmosphère, la rigueur
du climat, bien qu’en été, rendent ce passage formidable aux plus robustes indi-
vidus. (P. 240.)
Le 29 septembre, il était arrivé à Kotgurh, fin du voyage.
Dans le premier volume de l’ouvrage publié par Lloyd, se trouve
une lettre du docteur Gérard, relatant son voyage aux passes de
Shatool et de Boorendo, dans le but de déterminer la limite des
neiges perpétuelles. Elle est datée du lac Charamace, à 15800 pieds,
le 18 août 1822.
A la hauteur de 15000 pieds, les mêmes accidents l’atteignirent,
lui et ses compagnons de route :
On ne saurait décrire la fatigue extrême que nous occasionnèrent les 500 der-
niers pieds. Anxieux, malades, nous ne pouvions nous servir de nos bras pour
briser un morceau de pierre d’un coup de marteau. La respiration était libre,
mais insuffisante, nos jambes pouvaient à peine nous supporter, et nos visages
étaient tirés comme si nous allions avoir la fièvre
Tout mon monde était dans une misérable condition, je souffrais du mal de
tête, et chacun se plaignait. (P. 508.)
C’était le 9 août, ils arrivèrent au sommet de la passe de Boo-
Pendo, à plus de 15500 pieds, le thermomètre étant à 57° :
En descendant, je ressentis les symptômes du mal de tête, et ils ne me quittè-
rent pàs jusqu’après midi ; je sortis pour chercher des fleurs, mais je fus obligé de
148
HISTORIQUE.
rentrer au campement (12800p). Je me réveillai au point du jour non reposé
par le sommeil. J’éprouvais le même sentiment de débilité et de langueur qu’en
montant, mais moins fort (p. 515)
Ma visite m’a enlevé les doutes que j’avais sur les phénomènes de la neige
nouvelle dans les passes en juillet et août, et je n’ai plus guère de raison pour
refuser de croire aux récits singuliers que font les habitants du pied de la mon-
tagne sur les accidents qui quelquefois saisissent les voyageurs qui la traver-
sent. Ils assurent que les phénomènes de somnolence et de débilité sont beau*
coup plus à craindre dans la saison des pluies
Les gens qui vivent au pied de la montagne et qui respirent dans un air très-
raréfié, ou qui sont accoutumés à monter leurs côtes escarpées, souffrent beau-
coup moins que ceux qui habitent une zone inférieure dans une atmosphère plus
dense ; mais ils connaissent très-bien ces effets, et décrivent leurs sensations avec
une simplicité ingénieuse et très-intéressante
Entre Koonawur (où le peuple semble né pour vivre et mourir dans des régions
inaccessibles) et le versant indien des montagnes, nous voyageâmes longtemps
sur les crêtes des montagnes, à une élévation positive de 16000p : je rencontrais
chaque jour une foule de gens chargés de grains ; ils marchaient lentement, s’ar-
rêtant souvent pour respirer, et ils semblaient souffrir d’une oppression uniforme.
Je n’ai pas appris s’ils sont sujets à une indisposition semblable à celle que j’ai
éprouvée, cependant cela doit être, et il est indiscutable que, à partir d’une cer-
taine hauteur, les effets de l’air raréfié sur les fonctions de la vie animale sont
permanents et que ni l’habitude ni la constitution ne peuvent triompher d’eux.
(P. 520*) ’.
Sandyet moi, dans notre excursion au pic de 1 9500p, quoique incapables de faire
une douzaine de pas sans être épuisés, et enfin pouvant à peine nous mouvoir du
tout, néanmoins nous allions mieux que les villageois qui nous accompagnaient,
et résident à la hauteur de 12000 p. Dans l’intérieur du pays, Là où le sol est re-
marquablement élevé, les symptômes les plus redoutables arrivent en traversant
les montagnes. Entre Ladak et Yarkand, il m’a été parlé par un intelligent ser-
viteur de M. Moorcroft des conséquences fatales du manque de précaution. Il dit
que le passage de la rangée la plus élevée doit être fait à jeun, et recommande
de fréquentes doses d’émétique pendant le voyage. Il m’a rapporté Ehistoire d’un
marchand russe bien portant, qui allait de Ladak à Lee pour voir M. Moorcroft,
et qui a péri en traversant une des passes parce qu’il a fait un bon repas avant
le départ. La mort, dans un tel cas, doit être proprement attribuée à la somno-
lence amenée par le froid et l’extrême rareté de l’air qui prédispose à l’inactivité
et conduit le voyageur au dernier sommeil. (P. 525.)
Je fis une petite course sur les rochers, mais la sensation de plénitude à la tête
me força de retourner. Depuis mon arrivée en ce lieu, j’étais plus ou moins af-
fecté de maux de tête, surtout violents la nuit ; la douleur ne ressemblait pas à
celle des maux de tête ordinaires, mais c’était comme si un poids acca-
blant « adead weight » était attaché de tous les côtés de la tête, la poussant
dans diverses directions. Le thé me faisait du bien, mais pour peu de temps. (P. 525.)
Je souffrais beaucoup la nuit du mal de tête, et d’une sorte de somnolence,
comme il arrive dans l'ivresse. Je n’ai jamais éprouvé une preuve aussi évi-
dente de l’existence d’un agent redoutable pour les principes de la vie animale,
et quoique j’aie souffert beaucoup plus dans la passe de Boorendo, en 1818, le
mal n’a pas duré jour après jour, comme ici. Tout mon monde était aussi affecté,
les uns de maux de cœur, d’autres de maux de tête ; tous n’étaient pas également
atteints, mais nous ne pourrions en conclure que ce fût une affaire de chance; il
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ASIE CENTRALE.
149
faut dire seulement que les conditions naturelles d’énergie et d’action ne sont
pas toujours les mêmes
Les extrêmes du baromètre étaient ici de 17055p à 17160p; ceux du thermo-
mètre de 41°F.5 à 53°; ce qui donne pour la passe de Shatool une hauteur de
15500 pieds. (P. 326.)
Le capitaine Al. Gérard nous a du reste laissé, dans un chapitre
spécial d’un ouvrage posthume1, un résumé des faits qu’il avait ob-
servés dans ses nombreuses campagnes :
Dans les montagnes élevées, une dépression des esprits et une débilité de corps,
accompagnées de cruels maux de tête, plénitude au cerveau, oppression de poi-
trine, difficulté de la respiration, avec, de temps en temps, douleur d'oreilles, af-
fectent tout le monde, plus ou moins. Tout cela tient à la raréfaction de l’air, ce
dont j’ai eu des preuves nombreuses, ayant visité trente-sept lieux à différentes
époques, entre 14 et 19400 pieds, et treize fois mon camp fut placé au-dessus
de 15000 pieds. Il est digne de remarque que les gens de Koonawur et les
Tartares estiment l’altitude des passes par la difficulté de respirer qu’ils éprouvent
en en faisant l’ascension.
Il faut, cependant, bien noter que la difficulté à respirer n’affecte pas tout le
monde également ni en même temps ; elle dépend, certes, dans une grande me-
sure, de l’état de la santé. Quand je ne me portais pas bien, j’ai souffert de maux
de tête à 13000 pieds, tandis que, en bonne santé, je n’ai rien ressenti à
16000 pieds. A Boorendo (15000p), j’ai eu très-froid, et j’ai éprouvé, même au
repos, une suffocation plus forte que cela ne m’est jamais arrivé à 19000 pieds,
même en marchant.
Une fatigue quelconque, mais surtout l’ascension de monticules, augmente ces
symptômes: de 17000 à 19000 pieds, les maux de tête sont constants, et per-
sonne ne peut faire plus d’une demi-douzaine de pas sans se reposer.
Quand on campe au-dessus de 16000 pieds (4875m), la difficulté à respirer est
vraiment terrible, et souvent, pendant des heures entières, j’ai cru que j’allais
être suffoqué.
Les personnes qui n’ont pas fait des voyages semblables peuvent à peine se
faire une idée du temps qu’exige sur des lieux élevés un parcours de douze ou
quatorze milles. J’ai fait trente-quatre milles à pied dans les pays qu’appelle-
raient montagneux ceux qui ne connaissent pas les parties difficiles du Koonawur,
avec plus de facilité et en moins de temps que, dans ces hautes régions, je ne
pouvais marcher douze milles. Une ascension de 5 ou 6000 pieds n’est pas rare, et
quand l’élévation dépasse 14000 pieds, chaque mille, même quand la route est
bonne, demande au moins deux fois plus de temps qu’à la hauteur de 7 à 8000
pieds. La dépression des esprits et du corps qu’on éprouve sur les montagnes éle-
vées affecte tout le monde à un plus ou moins fort degré, et un de mes amis fut
plus fatigué par une ascension et une descente de 5 000 pieds, sur une marche
totale de neuf milles, en terrain élevé, qu’en allant de Nahun à Soobathoo, ce
qui fait 45 milles. (P. 57-59.)
Les observations du capitaine Hodgson qui, en 1817, remonta
1 Account of Koonawur in the Himalaya. — Publié après sa mort par G. Lloyd. London,
1841.
150
HISTORIQUE.
jusqu’aux sources du Gange et d’un de ses principaux affluents,
la Jumna, méritent au meme titre d’être citées1 :
Nous éprouvions une grande difficulté à respirer, avec cette sensation particu-
lière, constante dans les grandes élévations, là où il n’y a pas de verdure, et
que je n’ai jamais éprouvée comme sur les champs de neige, même en montant
plus haut
La hauteur du mercure était 18 pouces 854, à la température de 55° F. ; d’où
une altitude de 12914 pieds (5955m). (P. 111.)
On était au 50 mai; les voyageurs avaient atleint la source du
Gange.
Ces contrées furent visitées dix ans après par le capilaine John-
son, dont le récit2 donne des renseignements identiques à ceux de
ses prédécesseurs. Au reste, l’influence redoutable des hauts lieux
est bien connue des gens du pays.
En effet, le 1er et le 2 juillet 18*27, Johnson exécute l’ascension
du pic de Tazigand ou Pendjeoul :
Les naturels apprenant le projet de M. Johnson tentèrent en vain de le lui faire
abandonner, par des récits exagérés des difficultés sans nombre qu’il présentait,
et des dangers du bis ou vent empoisonné qui souffle sur la neige. (P. 160),
Du reste, fait bien digne de remarque et dont nous trouverons
ultérieurement maints exemples, les gens du pays souffrirent beau-
coup plus que les Européens :
Le capitaine Johnson occupa le 2 juillet le même terrain que celui où le Dr Gérard
avait fait ses calculs barométriques à 19 411 pieds (591 5m) au-dessus du niveau
de la mer
Les habitants qui l’avaient conduit là avaient la respiration très-oppressée ;
ils s’étendaient sur la neige, se tenant le cou à deux mains, et le nassir cépaye,
qui seul était parvenu à la plus grande hauteur, se plaignait aussi beaucoup, Il
est étonnant que nos compatriotes n’aient ressenti aucune souffrance. Ils éprou-
vèrent seulement parfois de la peine à respirer ; mais il leur survint des ampoules
et de la cécité momentanée par l’éclat de la neige. (P. 162.)
Le voyageur français Jacquemont semble être en conlradiction
avec les assertions de tous ses prédécesseurs. Du moins, il déclare
n’avoir rien éprouvé à des hauteurs souvent égales ou supérieures
à celles qui avaient tant fait souffrir les voyageurs anglais. Celle
1 Journal of a Survey to tlie Heacls of the Rivers Ganges and Jumna. — Asiafic re-
searches, t. XIV, p. 60-152. — Calcutta, 1822.
2 Voyaye par les monts Himalaya aux sources du Djemna et de là aux frontières de
l'empire chinois ; d' Avril en Oct. 1827. — N. Ann. des Voyages, t. LXVIÏ, p. 127-188,
1855.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ASIE CENTRALE.
151
différence le frappe tellement qu’il la signale1 aux professeurs du
Muséum d’histoire naturelle, et tente de l’expliquer :
Kurnaul, lar février 1831.
Plusieurs voyageurs anglais ont passé le col de Bouroune (15000 pieds environ),
et tous se plaignent de céphalalgies et 'de nausées qu’il y ont éprouvées. J’ai
passé dans des lieux bien plus élevés, puisque trois lois j’ai campé au-dessus de
16000 pieds, et, pour aller à Beckhur, j’ai eu à traverser des cols élevés de plus
de 18000 pieds. Je n’ai jamais ressenti aucun des effets fâcheux dont se plai-
gnent tous les voyageurs sur les hautes montagnes, et je n’en ai jamais observé
les symptômes dans un seul des nombreux compagnons de mes courses. J’ai vécu
sept mois dans l’Himalaya; je me suis élevé de sa base à ses sommets; lorsque
pour aller àBechkur je montai quatre fois jusqu’à 6000”, il y avait deux mois que
je n’étais presque jamais descendu au-dessous de 5000” ; de là j’étais allé camper
à 4000” après quelque séjour à 5000. Quand l’ascension est si graduelle, les pou-
mons s’accoutument aisément à jouer avec liberté dans une atmosphère graduel-
lement plus raréfiée. C’est un changement très-considérable de niveau dans un
court espace de temps qui les affecte et qui produit l’oppression dont Saussure
et tous ceux qui ont monté après lui sur le mont Blanc se plaignent, bien avant
que d’arriver à la cime. (P. 55.)
Les notes si intéressantes qu’il avait laissées, et qui furent pu-
bliées après sa mort2, contiennent à ce sujet, sur lequel il avait tout
spécialement fixé son attention, des observations fort remar-
quables :
Le 16 mai 1830, j’arrivai à 5927” de hauteur.... C’était la première fois que
je m’élevais à une hauteur si considérable; elle excède celle où l’on commence
dans les Alpes à ressentir péniblement les effets de la raréfaction de l’air. Je ne les
éprouvais nullement, je n’étais pas essoufflé plus que je ne l’eusse été au niveau
le plus bas, en gravissant avec la même vitesse des pentes pareillement inclinées.
Je n'en aperçus les symptômes véritables chez aucun des gens qui me suivaient;
ni anhélation, ni somnolence, ni nausées.
Il me semble que dans les climats tempérés, par les parallèles moyens des
Alpes et des Pyrénées, on les éprouve plus tôt que sur les montagnes plus voi-
sinas de l’équateur. Si ce fait résulte uniformément du témoignage des voyageurs,
il est peu explicable. L’effet, s’d dépend uniquement de la raréfaction atmosphé-
rique, devrait être le même à la même hauteur dans toutes les régions du globe,
et plutôt plus dans les contrées intertropicales, où la température raréfie davan-
tage l’air à la même élévation. (P. 101.)
Jacquemont insiste à plusieurs reprises sur cetle innocuité des
hauteurs de l’IIimalaya comparée à l’influence mauvaise des Alpes;
1 Correspondance inédile, t. II, 1867. — Lettre à MM. les Professeurs administra-
teurs du Muséum, à Paris.
2 Voyage dans l'Inde, pendant les années 1828 à 1852. — Paris, t. II, 1811.
152
HISTORIQUE.
il en essaie même une explication non sans fondement, dans le pas-
sage suivant :
Je montai trois fois à cheval au co! de Rounang, élevé de plus de 4267“.
Cette hauteur excède celle où les voyageurs prétendent avoir commencé à res-
sentir les effets de la raréfaction de l'air dans les Alpes et les Pyrénées. Je ne les
éprouvais aucunement. Peut-être l’anhélation dont Saussure et ses guides, et tous
ceux qui depuis ont suivi ses pas, souffraient au mont Blanc, n’était-elle que le
résultat d’une marche laborieuse et prolongée sur des pentes d’une roideur exces-
sive. Peut-être si l’on pouvait se faire porter de Chamounix au sommet du mont
Blanc, éviterait-on le malaise que l’on attribue généralement à la raréfaction de
l’air à sa cime. Les frères Gérard qui sont incontestablement les premiers voya-
geurs des régions Alpines se plaignent constamment de fatigue excessive et de
maux de tête violents, à tous les cols qu’ils ont traversés, entre 4572“ et 579 1 m ;
et cet état de souffrance s’est prolongé chez eux tant qu’ils sont restés «à ces
hauteurs, où plusieurs fois ils campèrent. Il semblerait résulter de là que ce
malaise n’était pas seulement l’effet passager de la fatigue occasionnée par une
ascension considérable, mais réellement un effet de la constitution atmosphé-
rique
Le mont Blanc est élevé de 5 7 8 0 m au-dessus de Chamounix, qui ne l’est que de
1056“ environ au-dessus delà mer. On y monte en trente heures. Voilà en un
bien court espace de temps, un énorme changement dans la pression de l'atmo-
sphère où l’on se trouve plongé. Un si brusque passage, indépendamment de la
fatigue nécessaire pour l’effectuer, peut affecter sensiblement l’organe respira-
toire. Ici, au contraire, depuis plus de trois mois, je vis moyennement à 1829“
déjà au-dessus de la mer, et depuis le dernier mois, à 2745“, hauteur où certes
je ne ressens aucun des effets de la raréfaction de l’air. En montant à 4572™
d’élévation absolue, je ne franchis qu’une différence verticale de 1829™, la moitié
de celle qui existe entre le mont-Blanc et Chamounix, et je n’éprouve rien que je
puisse rapporter à un trouble de la respiration. Enfin la preuve que les symptô-
mes fâcheux dont se plaignent les voyageurs au sommet des Alpes, ou sur les
cols de l’IIimalaya, se dissiperaient avec le temps, et que leurs poumons trouve-
raient assez d’oxygène dans un air raréfié de la moitié de sa densité, c’est
l'existence de la métairie d’Antisana dans les Andes, que M. de llumboldt a fait
connaître, élevée de 4114“ environ, et où une famille vit à demeure, et laboure
et travaille. Nul doute que le lac de Mansarower n’excède de 505™ à 457“ ce
niveau *, et cependant il y a des habitations sur ses bords, et les pèlerins en
font le tour, dans un voyage de sept jours. M. Gérard établit lui-même et d’une
manière très-satisfaisante, qu’une portion considérable du haut pays, où voya-
gent les marchands Kanaweris qui se rendent soit de Shipki, soit de Skialkur à
Garou (Gorlope), excède 4877“, et ils ne s’y plaignent pas des symptômes dont
nous les voyons eux-mêmes atteints en passant des cols souvent moins élevés;
d’où je conclus que dans ce dernier cas, c’est la fatigue de la marche qu’ils
souffrent, chargés surtout comme ils le sont, tandis que dans les hautes plaines
de la Tarlarie chinoise, ils marchent à vide sur une route presque unie.
Ce n’est pas que je n’aie moi-même ressenti à 4000“ d’élévation quelques-uns
des symptômes en question, savoir : la fatigue et les maux de tête. Mais je ne me
suis guère élevé à cette hauteur sans être exposé à un vent furieux, et quelque
précaution que je prisse contre sa froidure, je fus toujours atteint de refroidisse-
Le lac est par 4650“ de bailleur.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ASIE CENTRALE.
15 5
ment qui agissant d’abord chez moi sur les entrailles produisit un dérangement
dans la digestion, dont les maux de tête étaient évidemment la suite. » (P. 259.)
Les observations suivantes corroborent la première explication
donnée par Jacquemont :
Le 11 août 1830, j’atteignis sur le col de Gantong, à 5486m ; je n’éprouvai, au
sommet, absolument aucune difficulté dans la respiration, tant que je restai im-
mobile, porté sur mon cheval ; mais essayant de marcher sur un chemin presque
uni, la fatigue, l’anhélation, se firent sentir promptement. Cependant je vis mes
gens, pour atteindre au sommet même du passage, marcher plusieurs centaines de
pas sur des pentes de neige très-faiblement inclinées, sans s’arrêter pour prendre
haleine; un seul se frouva malade. (P. 288.) *. . .
Le 16 août, au col de Kioubrong (558 lm), même immunité ; j’y montai d’un
pas rapide par une pente très-douce et y marchai plus d'une heure avec vitesse,
sans ressentir aucune lassitude particulière causée par l’élévation, aucuns maux
de tête ni d’oreilles, aucune tendance au sommeil, rien enfin de particulier, peut-
être, qu’une légère anhélation ; et, en effet, après quelques minutes de repos,
mon pouls battait 82 pulsations. (P. 297.)
La limite des neiges perpétuelles dans cette région de l’Himalaya
n’est, d’après Jacquemont, guère au-dessous de 6000,u.
Enfin, Jacquemont voulut établir nettement les conditions du
problème par une expérience personnelle :
J’étais monté à cheval au Kioubrongghauti, et l’expérience que j’y avais faite,
y étant parvenu sans aucune fatigue, de marcher rapidement pendant une heure
en un lieu élevé de 5600m, ne me laissant pas de doute sur la cause des symptô-
mes singuliers éprouvés parles voyageurs qui montent à la cime du mont Blanc,
je voulus gravir à pied le col de Gantong, pour connaître si la marche prolongée,
mais prolongée modérément pendant cinq heures seulement, et très-lente,
avec de nombreux intervalles de repos, sur des pentes à la vérité fort rapides,
mais dont la hauteur verticale n’excédait pas 1000m, me réduirait à l’état d’épui-
sement décrit par M. Gérard comme la suite immédiate du moindre mouvement,
dès que l'on atteint l’élévation absolue de 457 2m. C’était justement le niveau de
mon point de départ.
Excité dans les commencements de ma marche par le froid du matin, soutenu
ensuite parla vivacité du vent, préoccupé par l’intérêt des objets que je voyais à
chaque pas, souvent arrêté par eux, et soigneux de faire après trois heures de
marche un léger repas pour prévenir tout sentiment de faim, que j’ai éprouvé
constamment produire en moi dans les lieux élevés un affaiblissement extrême
et des maux de tête, je me trouvai sans fatigue et presque sans m’en douter au
sommet du col de Gantong, élevé de 5576”. (1*. 302.)
Mais si A^iclor Jacquemont fut à peu près indemne de tout acci-
dent aigu, et n’en vit pas se produire chez ses compagnons de route
ni chez ses bêtes de somme, il s’en faut que tous les voyageurs aient
joui de la meme immunité.
Nous trouvons en effet dans les annales de Berghaus, pour mars
154
HISTORIQUE.
1852, la citation suivante, relative à une traversée de l’IIimalaya
sur les bords de la Sutlej; le nom du voyageur n’y est pas indiqué :
Lorsqu’on arrive à 1 5,000 pieds, la respiration devient difficile ; le voyageur
éprouve une grande lassitude, des vertiges, des maux de tête et une soif inextin-
guible. Il est impossible de décrire les sensations que produit l’extrême raréfac-
tion de Pair ; on croit étouffer à tout moment ; la respiration s’accélère d’une
manière très-pénible, l’élasticité de la peau diminue. Le point culminant du
passage est de 16,500 pieds. (P. 547.) 1
Du reste, le lieutenant J. Wood2, qui fit en 1856, 1857 et 1858, un
voyage aux sources de fOxus, donne à ce sujet de nombreux et in-
téressants détails.
Le 20 février, l’expédition arriva sur les plateaux de Pamir,
dont la hauteur est de 15600 pieds, les montagnes environnantes
s’élevant encore de 5 ou 4000 pieds ; elle était aux sources de
l’Oxus, sur les bords d’un lac gelé :
On commença à briser la glace pour sonder la profondeur du lac. L’eau était
glacée sur une épaisseur de 2 pieds et demi, et, à cause de la grande rareté
de l’air, quelques coups de pics nous épuisaient tellement que nous étions obligés
de nous coucher sur la neige pour reprendre baleine (p. 560)
Une course d’une cinquantaine de pas à toute vitesse forçait à haleter.
L’exercice amenait en effet une douleur dans les poumons et une prostration
générale des forces qui ne se relevaient pas avant plusieurs heures. Quelques-uns
d’entre nous se plaignaient de vertiges et de maux de tête, mais, excepté ces di-
vers phénomènes, je n’ai rien éprouvé, ni rien vu chez les autres, qui ressemble
aux souffrances éprouvées par les voyageurs dans l’ascension du mont-Blanc.
C’est que, dans ce dernier cas, la transition d’un air dense à un air rare est si
soudaine, que la circulation n’a pas le temps de s’accommoder à la différence
de pression, aussi sa violence s’accroît dans quelques-uns des organes les plus
sensibles du corps. L’ascension de Pamir, au contraire, était si graduelle qu’il
fallait des circonstances « ex trinsic » pour nous rappeler l’altitude considérable
à laquelle nous étions parvenus.
Les effets de la grande élévation m’avaient été cependant prouvés quelques
temps auparavant d’une manière à laquelle je n’étais pas préparé. Un soir, dans le
Badakhshan, comme j’étais assis, lisant près du feu, j’eus l’idée de me tâter le
pouls, et ses battements rapides et turbulents appelèrent mon attention. Je me
figurai que j’étais atteint d’une fièvre violente, et je suivis les indications de pré-
caution que le Dr Lord m’avait laissées en partant. Le lendemain, mon pouls était
aussi rapide quela veille, et cependant je me sentais en excellente santé. Jepensai
alors à examiner le pouls de mes compagnons, et à ma grande surprise, je trouvai
qu’ils l’avaient encore plus rapide que moi. La cause de cette augmentation
d’activité circulatoire se présenta aussitôt à moi ; et quand ensuite nous nous di-
1 Berghaus Annalen, t. V. — Berlin, 1832.
2 A personal narrative of a jour neij to the source of the River drus, in the years 1835,
1837,1858 — Iondon, 1840,
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ASIE CENTRALE.
155
rigeâmes vers le Wakhan, je comptai le pouls de mes compagnons chaque fois
que j’enregistrai le point d’ébullition de l’eau.
Les modifications du pouls constituent ainsi une sorte de baromètre vivant, à
l'aide duquel un homme habitué à s’examiner lui-même peut, dans les grandes
altitudes, calculer grossièrement la hauteur à laquelle il se trouve,
Sur le Pamir, les pulsations présentaient les nombres suivants :
Moi,
110.
Écosse.
gras,
Gholam Hussein, Munshi
124,
Jasulmeere
gras.
Omer-AUah, muletier
112,
Afghanistan,
maigre,
Gaffer, domestique
114,
Peshawuree,
id.
Dowd, id.
124.
Kabul,
robuste.
La hauteur de la limite des neiges dans cette région est au-dessus de 17,000
pieds (5180m). (P. 552.)
Le lieutenant Wood fut accompagné, dans une partie de son
voyage, par Al. Bûmes, envoyé en mission à Caboul. Le 19 octobre
J857, deux autres de leurs compagnons, le lieutenant Leech et le
docteur Lord, allèrent reconnaître et traversèrent une passe de
rilindou-Koush, en allant à Caboul. La passe a environ 15000 pieds
de hauteur; les neiges allaient bientôt la rendre impraticable;
l’ascension fut facile. Cependant, dit Burnes1 ;
Les chevaux étaient en très-piteux état, et il fallut en descendre et aller à pied.
Personne ne souffrit, mais les natifs les informèrent qu’eux-mêmes étaient fré-
quemment, à cet endroit, attaqués de vertiges, de faiblesses et de vomissements,
(P. 152.)
Quelques années plus lard, un voyageur français, qui parcourait
non l’IIimalava, mais les régions bien moins élevées de la Haute-
Tartarie, fait de ses souffrances un récit lamentable. Il convient, il
est vrai, de se tenir en garde contre les assertions du père IIuc2,
dont la naïveté crédule élait à peu près sans bornes. Néanmoins, la
vive peinture qu’il nous a laissée des sensations éprouvées pendant
la traversée du Bourhan-Bota, montagne dont il ne donne pas la
hauteur, et qui paraît située vers le 95° longitude E. et le 40° lati-
tude N., mérite d’ètre rapportée ici. Le jour de l’ascension n’est pas
indiqué, non plus que la température ambiante :
Nous nous préparâmes à franchir le Bourhan-Bota, montagne fameuse par
les vapeurs pestilentielles dont elle est, dit-on, continuellement enveloppée. .
1 Cabool; in the years 183G, 3-8. — London, 1842.
2 Souvenirs d'un voyage dans la Tartarie, le Thihet et la Chine, en 1844-1846,
t. 11. Paris, 1850.
HISTORIQUE.
m
Bientôt les clievaux se refusent à porter leurs cavaliers et chacun avance à
pied et à petits pas. Insensiblement tous les visages blêmissent, on sentie cœur
s’affadir et les jambes ne peuvent plus fonctionner ; on se couche par terre,
puis on se relève pour faire encore quelques pas; on se couche de nouveau et
c’est de cette façon déplorable qu’on .gravit ce fameux Bourhan-Bota. Mon Dieu!
quelle misère ! On sent ses forces brisées, la tête tourne, tous les membres
semblent se disjoindre, on éprouve un malaise tout à fait semblable au mal de
mer, et malgré cela, il faut conserver assez d’énergie, non-seulement pour se
traîner soi-même, mais encore pour frapper à coups redoublés les animaux qui se
couchent à chaque pas et refusent d’avancer. Une partie de la troupe, par mesure
de prudence, s'arrêta à moitié chemin, dans un enfoncement où les vapeurs pes-
tillen tielles étaient, disait-on, moins épaisses ; le reste, par prudence aussi, épuisa
tous ses efforts pour arriver jusqu'au bout et ne pas mourir asphyxié, au milieu
de cet air chargé d'acide carbonique. (P. 256.)
Les voyageurs dont je vais maintenant mentionner les récits sont
beaucoup plus en concordance d’opinion avec ce qu’ont dit les frè-
res Gérard, qu’avec les assertions extrêmes de Jacquemonl et du père
lluc.
Le 14 juillet 1815, Hoffmeister1 atteignit le point culminant de
sa route, le passage de Lama-Kaga (Thibet) à la hauteur de 15555
pieds anglais; la température ôtait de — 50° lléaumur; la neige
tombait :
Il se passa environ une heure et demie avant que nos premiers coolies arri-
vassent avec nos bagages. Us étaient dans le plus triste état, et souffraient, ainsi
que notre interprète M. Brown, de maux de tète qu’ils dépeignaient comme in-
supportables. La perle des forces, les angoisses, les nausées sont les symptômes
de ce malaise qu’on appelle ici Bios (poison) ou Mundara. Il atteint ainsi les
voyageurs au niveau des neiges perpétuelles. Chez les coolies, il se manifesta à
moitié chemin en montant au passage. Us employaient contre lui une sorte de
pâte faite avec de petits abricots aigres et leurs noyaux. (F. 242.)
Dans le récit du docteur Th. Thomson2, ce ne sont pas seulement
les coolies, mais le voyageur européen lui-même, qui fut atteint
par l’influence des altitudes.
Le 6 septembre 1 847, Thomson et sa suite campèrent à 14800
pieds de hauteur, et le 7. ils s’élevèrent à 1 7000 pieds (51 80m) :
Pendant toute la journée je n’ai jamais été débarrassé d’un violent mal de tête,
évidemment causé par la grande élévation. Le repos le faisait diminuer, mais il
reparaissait au moindre mouvement. Il dura toute la soirée, tant que je fus ré-
veillé, et je l'avais encore le 8 au matin, quand je me levai au jour pour préparer
le voyage
1 Briefe ans Indien. — Braunschweig, 1847.
2 Western Himalaya and Tibet; a narrative of a journey throuçfh the mountains of
Northern India, during the years 1847-48. — London, 1852.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ASIE CENTRALE. 157
L’ascension, le lendemain, fut extrêmement raide et laborieuse. L’acte d’élever
son corps était très-fatigant, et les dernières centaines de yards ne furent accom-
plies qu’après plusieurs pauses j’atteignis le sommet de la passe de Parang à
sept heures trois quarts du malin; j’étais à 18500 pieds (5640 mètres) ; la tempé-
rature était 28° la neige était gelée le vent soufflait avec force.. .. Nous
descendîmes sans fatigue (P. 155.)
Après un séjour d’une année dans ces régions élevées, le docteur
Thomson poussa une reconnaissance vers le nord, jusqu’à la passe
célèbre de Karakorum, à 18604 pieds (5670m). Là encore, ses ma-
laises reparaissent, ou, pour parler plus exactement, ils prennent
une telle intensité que force lui est d’en faire une mention ex-
presse :
19 août 1848. — Durant ces trois jours d’ascension, je souffris très-violem-
ment des effets de la raréfaction de l’air, étant sans relâche tourmenté d’un dou-
loureux mal de tête que le plus léger exercice surexcitait La température de
l’air était 50°.
Le botaniste Dalton Ilooker1 est encore plus explicite.
A la hauteur de 16000 pieds, en montant, le 2 décembre 1848,
la passe de Kanglachem, dans le Népaul oriental, Ilooker éprouva
des difficultés à respirer, une grande lassitude, des vertiges, des
maux de tête. (T. I, p. 247.)
Quelques jours après, sur la montagne de Nango, à 15000 pieds :
Je trouvai tout à fait impossible de garder mon calme à cause de l’aggravation
des douleurs dans le front, de la lassitude, de l’oppression. (P. 252.)
Le 25 juillet 1849, traversée de la passe de Kongra-Lama
(15741 pieds) :
Après deux heures j’étais raide et glacé, et souffrant de maux de tête et de ver-
tiges dus à l’élévation. (T. II, p.82.)
Le 18 septembre, ascension de la passe de Sebolah (17517 pieds) :
Je tâtai le pouls à huit personnes après un repos de deux heures ; il variait de
80 à 112, le mien étant de 104. Comme il est ordinaire à ces hauteurs, tout le
monde souffrait de vertiges et maux de tète. (P. 142.)
Le 15 octobre, nuit passée à 17000 pieds :
Mes coolies étaient en bonne santé; mais ceux de Campbell étaient dans un
état désastreux de malaise et de fatigue; ils avaient la face enflée et le pouls
rapide, et quelques-uns étaient comme insensibles avec des symptômes de faible
1 Himalaijan journal ; or noies of a ISolaralisl, 2 vol. — London, 1854.
158
HISTORIQUE.
pression cérébrale; ceux-ci étaient surtout des Ghorkas (Népauliens). Je n’ai
jamais éprouvé de saignements du nez, des oreilles, des lèvres et des yeux, et
n’en ai pas vu à mes compagnons, dans de semblables occasions; je n’ai pas non
plus rencontré de voyageur récent qui les ait éprouvés. Le Dr Thomson a fait les
mêmes remarques, et ensemble en Suisse, nous avons appris de A. Balmat,Fr. Car-
tet et autres guides expérimentés du mont Blanc, qu’ils n’avaient jamais été té-
moinsdeces symptômes, non plus que de la noirceur de la peau, si fréquemment
indiquée par les voyageurs alpins. (P. 160.)
17 Octobre. — Il est assez remarquable de voir que Turner ne fait nulle part
allusion aux difficultés de respirer, et ne parle que dans un endroit du mal de
tête, même à cette grande élévation. Cela tient probablement à ce qu’il a été con-
stamment à cheval. Je n’ai jamais, étant à cheval, souffert de la tête de la respi-
ration ou de l’estomac, même à 18500 pieds (5580 mètres). (P. 167.)
C’est, on le voit, en traversant des liasses, que les voyageurs
éprouvent des accidents ; les ascensions proprement dites des mon-
tagnes isolées sont en effet extrêmement rares. En voici cepen-
dant une, dans laquelle le capitaine Roberston1 atteignit, en octobre
1851, le sommet du Sumeru-Parbut, à une hauteur qu’il estime à
20000 pieds environ (6100'“). La nuit précédente fut passée à peu
près à 400Ü111 :
Le lendemain matin, nous quittâmes notre tente à huit heures dix minutes, et
nous atteignîmes à une heure trente-cinq minutes un glacier en talus. A ce point,
la vue et la respiration devinrent très-pénibles pour le lieutenant Sandilands et
pour plusieurs de nos guides
Sandilands atteignit un endroit distant d’une demi-heure du sommet, où il se
ressentit tellement de la raréfaction de l’air, qu’il lui fut impossible physiquement
d’aller plus loin; il s’en retourna donc, avec le seul radjpoute qui l’eût suivi
jusque-là, les autres l’ayant depuis longlemps abandonné; mon brahmine, beau
jeune homme d’une forte constitution, et qui vint avec moi jusqu’au sommet, ne
souffrait en apparence rien, mais lorsque nous regagnâmes notre tente, il lui fut
impossible de rien manger. Quant à moi, mes yeux me faisaient souffrir, ma res-
piration et mes esprits vitaux étaient oppressés, mais il me resta cependant assez
d’énergie et de force physique pour monter plus haut encore. A mon retour dans
ma tente, mon appétit n’était nullement attaqué, et je fis un souper copieux.
Mais les récits les plus intéressants que j’aie rencontrés dans mes
lectures sont à coup sûr ceux qu’a publiés mistress Ilervey. Et cela
se comprend; simple touriste, ne s’occupant ni de politique, ni de
géographie, ni de science, elle accorde une attention spéciale à tout
ce qui touche à sa santé, aux petits incidents de sa route, qu’elle
narre avec complaisance et dans tous leurs détails. De plus, d’assez
faible complexion, elle parait être facilement atteinte, à des niveaux
assez bas.
1 Ascension du Sumeru-Parbut [Himalaya). — A. Ann. des Voyages , t. CLU, p. 503-
309; 1856.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ASIE CENTRALE.
159
Ainsi c’est bien au mal des montagnes qu’il faut rapporter une
partie des accidents suivants, bien que la hauteur soit fort mé-
diocre :
25 Juin. — Nous fîmes halte (après avoir traversé la passe de Rotung (11 000
pieds, 3 550 mètres) dans le Lahoul) Le capitaine H. vint me dire bonsoir
dans ma tente vers neuf heures, et observa que j’étais fort pâle, la figure et
les mains visqueuses et froides. Je me trouvais alors fort malade; ma tète
s’égarait ; j’avais mal au cœur, les pieds et les mains comme de la glace. Des con-
vulsions survinrent et de la mousse me vint aux lèvres. Je m’étendis à terre, et j’y
restai fort souffrante; on me donna deux doses d’eau de Luce, on me mit aux
pieds de l’eau qui, bien que bouillante, ne rappela que difficilement Ja circulation.
Toute la journée d’hier j’ai été malade et incapable de me lever ; mon pouls n’était
pas à moins de 108. Je suis mieux ce matin, mais mon pouls est encore très-élevé,
bien que moins irrégulier.
Le capitaine H. déclare que cette maladie soudaine est due à la rareté de l’air
de la passe Si j’en suis déjà ainsi affectée, que sera-ce à 16 ou 17 000 pieds?
(T. I, p. 117.)
Mais si le doute est possible dans ce cas, il n’en est plus de même
dans les citations qui vont suivre. Le 6 juillet, traversée de la passe
de Bara-Lacha ; mistress llervey était en mauvais état de santé:
Je ressentis de grandes souffrances dans les jambes, et une extrême lassitude,
bien avant d’arriver au sommet de la passe ; mais je fis un violent effort pour sur-
monter ces sensations, et j’arrivai à pouvoir chevaucher jusqu’au sommet. Du
moment où nous descendîmes, un mal de tête terrible, brisant, me frappa. Avant
d’atteindre Yùnnumscùtclioo, je souffris de nausées insurmontables et sentais
comme si ma tête allait se fendre en deux. Les principales sensations étaient un
bourdonnement très-douloureux et très-intense aux tempes, des maux de cœur
violents, des douleurs dans les jambes, et une lassitude allant jusqu’à la prostra-
tion. Personne d’autre n’était malade dans le camp, excepté Ghaussie, qui avait
un fort mal de tête.
Je ne pus m’endormir le soir avant une heure ou deux, et fus réveillée par les
battements démon cœur, si tumultueux qu’ils m’inspirèrent de sérieuses craintes.
Mon pouls galopait, ma tête était brûlante avec des battements aux tempes, et
les misérables maux de cœur. Nous ne nous sommes mis en marche que tard le
lendemain matin, et si je ne m’étais pas trouvée mieux, nous n’aurions pas pu
bouger. Le capitaine H. me dit qu’il avait eu un fort mal de tête pendant la nuit,
qu’il s’était senti fatigué et malade, mais que cependant il n’avait pas autant
souffert cette fois que la dernière fois qu’il avait traversé la passe, car il avait
alors eu les mêmes sensations que moi . . ,
La passe de Bara-Lacha est, je crois, entre 16 et 17 000 pieds au-dessus delà
mer, selon le capitaine Cunningham. (T. I, p. 153.)
Mistress llervey raconte alors que les gens du pays attribuent
tous ces phénomènes à l’action d’une plante empoisonnée ; mais,
1 The advenlûres of a I.ady in Tartan j, Thihet, China and Kashmir. • — London, 5 Vol.;
1853.
160
HISTORIQUE.
celle lois, il s’agit d’une espèce de mousse. Nous reproduirons ce
passage au chapitre III.
Le lendemain, la roule, qui se maintenait toujours à de grandes
hauteurs, força plusieurs fois les voyageurs à l’ascension de
petites collines :
En montant, dit Mrs. Hervey, j’observai un grand nombre démolisses empoison-
nées, dont deux ou trois espèces croissaient sur les rochers nus. Je souffrais terri-
blement delà tête, et tremblais d’un retour de l’affreuse « maladie de lapasse »
ou, comme disent les natifs, d’être « bôôttee lugcjeea », c’est-à-dire frappée par
les plantes.
Nous monterons demain le Lông-IUàchée Jôlli (ou passe), et nous le redescen-
drons, ce qui me promet une aimable journée de bôôttee. (T. I, p. 159.)
Et en effet, en arrivant le lendemain à Rokchin (Ladak), mis-
tress Hervey déclare qu’elle est si malade et si faible qu’il lui est
impossible d’écrire. Le 9, après le repos de la nuit, elle peut à peine
écrire, et dut rester couchée. Deux de ses domestiques sont très-
malades. Le capitaine 11. a souffert pendant la nuit de violents
maux de tête (p. 142).
Le 11 juillet, passage d'un lieu dont mistress Hervey estime la
hauteur à 17000 pieds environ :
Je souffris encore plus de la tète qu’à l’habitude, avec une oppression terrible
de la poitrine. Il est vrai que, depuis la traversée de la passe de Bara-Lâcha, j’ai
toujours beaucoup souffert de la rareté de l’air; un mal de tête perpétuel, et,
surtout pendant la nuit, une gêne pulmonaire douloureuse, et une accélération
très-pénible des mouvements du cœur. J’ai eu à peine une heure de sommeil con-
tinu ; il me fallait m’asseoir sur mon lit, ne pouvant respirer couchée. Ces régions
élevées ne vont pas à mes poumons. (P. 152.)
Dans la nuit suivante, campement 6 14800 pieds suc les bords du
lac de Chôômorêêree :
J’ai maintenant grand’peur de la nuit, parce que, loin de dormir, je souffre
terriblement. Hier, c’était vraiment très-pénible; en outre d’un cruel mal de
tête, j’ai souffert de violentes oppressions de poitrine, et mon cœur allait un train
de chemin de fer, « a railroad pace » , quand je remuais seulement d’un pouce dans
mon lit. (P. 155.)
Ces souffrances sont telles, qu’elles la déterminent à changer un
peu sa route, pour éviter les grandes hauteurs (p. 162). Et cepen-
dant, le 16 juillet, en arrivant au pied de la passe de Tunglund,
elle écrit :
Nous avons vu beaucoup de bootie empoisonnées aujourd’hui en route. J’ai été
misérablement malade pendant toute la nuit. Vers onze heures du soir, l’oppres-
sion respiratoire, la suffocation devinrent tellement insupportables, que je fus
obligée de me relever sur mon lit, pour pouvoir respirer un peu. (P. 169.)
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ASIE CENTRALE.
161
Le lendemain, ascension de la passe (entre 16 et 17000 pieds) :
L’odieuse mousse dont j’ai si souvent parlé couvrait la passe, et, bien avant
d’arriver au sommet, je souffrais de la tête de la plus violente manière. Mais je
n’ai pas eu de nausées, ce qui tient peut-être à ce que la passe est très-aisée.
(P. 171.)
Le 19 juillet de l’année suivante, malgré son séjour continu dans
les régions élevées du petit Thibet, mistress Hervey n’était pas ac-
climatée, car, en franchissant la passe de Brarmoorj dans le Wurd-
vvun (de 15 à 16000 pieds), elle dit :
J’ai souffert d’un mal de tête tout à fait insupportable, qiii allait en augmen-
tant sans cesse; mais je n’ai pas eu les nausées que j’ai invariablement éprou-
vées dans toutes les passes du Ladàk. (T. 11, p. 298.)
Et le 5 août 1851, à la traversée de la passe de Hànnoo (entre
15500 et 16000 pieds), dans le Ladak, passe d’accès assez facile,
elle souffrit horriblement; il est vrai qu elle était déjà indisposée.
Elle dit le lendemain :
J’ai traversé bien des passes, mais jusqu’à aujourd’hui je n’avais jamais éprouvé
les sensations terribles qui m’ont rendue presque folle bien avant que je sois ar-
rivée à moitié chemin et bien après que j’ai eu quitté les grandes hauteurs. Mes
souffrances ont pu être aggravées par mon indisposition, mais, quoi qu’il en soit,
elles ont été écrasantes. Je me couchai à terre à Dora, plus morte que vive, et
mes domestiques me firent une tente de couvertures. J’étais dans un tel état de
prostration, que non-seulement je ne pouvais me lever, mais que je n’aurais pu
supporter d’être portée en « dhoolie ».... Un violent mal de tête, des nausées in-
supportables, des palpitations pressées, Pimpossibilité de respirer amplement, tels
étaient les symptômes de la bôôtie bien connue qui m’assaillit plus durement
que jamais avant que je sois arrivée au sommet de la passe. Je suis sûre que si
j’avais voulu remuer un quart d’heure pendant ces horribles sensations, j’aurai
vu se briser quelque vaisseau sanguin, et serais morte sur place. Parler seule-
ment était un douloureux exercice, qui amenait de copieuses hémoptysies, et ac-
célérait les battements de mon cœur bien au-delà de cent pulsations par minute.
J’avais de terribles nausées, dont la force épuisante ne peut être comparée qu’à
celles du mal de mer. J’étais ainsi bien misérable et mes souffrances étaient in-
tenses hier. Même aujourd’hui je ne puis respirer sans peine, et mon cœur bat
violemment et irrégulièrement; je n’ai pas encore oublié l’atmosphère raréfiée de
la passe de Hànnoo.
Comme on me portait, hier, à peu près à un demi-mille du sommet, Ghaussie
appela mon attention sur un de mes domestiques qui gisait sans connaissance,
sur la neige, ün le réveilla facilement, mais il refusa de se mouvoir, disant que
sa tête « allait se fendre en deux. » Après un léger combat entre l’humanité et
des préjugés fortement enracinés, car le malade était un sweeper , la dernière
classe des domestiques, je lui envoyai mon propre ‘poney pour le porter ; si on
l’avait laissé là, il aurait péri certainement pendant la nuit.
Pendant que je parle de la maladie de cette passe comme d’un cas de bôôtie, je
11
162
HISTORIQUE.
dois avouer que je n’ai pas observé une seule plante de l’espèce particulière de
mousse qui, dans les passes de Ladàket du Lahoul, sont considérées comme em-
poisonnant le vent et occasionnant le désastreux malaise que j’ai décrit.
Un de mes domestiques kashmiriens fut la seule autre personne de mon entou-
rage qui fût atteinte ; ce n’est donc pas une règle sine quâ non que la souffrance
dans les grandes altitudes. (T. II, p. 567-570.)
Et le lendemain, au moment de partir de Scheerebookhchun, elle
écrit :
Je vais voyager au clair de la lune, car j’ai été si malade pendant toute la jour-
née, que j’ai été très-peu disposée à me remuer. Si je me laissais dominer par
les sensations pénibles qui m’ont tant éprouvée, je ne me mettrais pas en che-
min maintenant, mais cela pourrait être impolitique. Dans mon opinion, rien ne
vaut l’exercice pour dompter nos petites misères corporelles et mentales.
Je dois pratiquer ce que je prêche, et monter à cheval ce matin, envoyant en
avant mon dboolie. (P. 578.)
Elle se met en marche, au lever du soleil, et va, à cheval, jusqu’à
Kulâtsey.
J’étais alors si malade et si épuisée, que, ne trouvant pas là mon dhoolie, je
me couchai dans mon châle, sur le sol même, pendant plusieurs heures. Enfin,
vers le soir, un autre dhoolie fut prêt, et j’y pus monter... Je n’ai pu me remet-
tre des effets de l’air raréfié sur la passe de Hànnoo. Mon cœur bat avec violence
et irrégularité, et j’éprouve en respirant de grandes douleurs de poitrine. Le dé-
goût de la nourriture est tel que je puis à peine arriver à toucher quelques ali-
ments pendant les vingt-quatre heures. (P. 578.)
Le 14 août, traversée d’une sorte de passe, au voisinage de Ghia :
J’ai souffert d’un bien pénible mal de tête, mais pas de nausées, bien que j’aie
pu reconnaître ma vieille ennemie, la bôôtie, la mousse fatale du Ladâk-Oôjar. En
marchant cinquante pas pour atteindre une fleur, les pulsations de mon cœur
augmentèrent horriblement, et des doses répétées de digitale n’ont pu en calmer
les battements précipités et violents. Je ne sache pas de sensation plus alarmante
et plus douloureuse que cette action exagérée du cœur. Aucun de mes domesti-
ques n’a souffert
Je suis arrivée à Zurra au lever du soleil. Je suis tout à fait anéantie par mes
douleurs stupéfiantes de tête, bien que j’aie échappé à la nausée, et c’est là la seule
consolation que j’aie dans mes souffrances. (P. 597.)
Le 18 août, campement à Chôômorêêree, à une hauteur de 14794
pieds (4510“') :
J’ai passé une nuit misérable, et suis ce matin malade et épuisée. J’ai dû res-
ter ainsi la moitié de la nuit, absolument incapable de respirer dans la position
horizontale; mon cœur battait violemment avec des palpitations effrayantes. J’ai
eu vraiment peur de mourir dans les ténèbres
Le soir, nous campons à peu près 15000 pieds de haut. J’ai la plus grande
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ASIE CENTRALE.
163
difficulté à respirer, ma poitrine me paraît surchargée d’un poids énorme qui
m’oppresse douloureusement. Ces sensations pénibles augmentent à la chute du
jour. (T. III, p. 13.)
Le 20 août, campement au pied de la passe de Pârung, à environ
17000 pieds (5180m) :
Terrible hauteur pour passer la nuit sous une tente, lorsqu’on souffre comme
moi de la rareté de l’air. Oppression dans la poitrine, extrême difficulté de la res-
piration, crachements de sang fréquents, ne m’ont pas laissé de repos pendant
ces seize dernières heures... Le froid est intense
Au jour, je me trouve mieux, bien que je ne puisse respirer librement, et que
le moindre mouvement me mette comme en détresse... Ma tête esta peu près
remise et, mon courage m’étant revenu, je me décide à traverser la passe... Y aller
à cheval est impossible, à pied non moins; je monte sur un yack. (P. 19.)
Chose remarquable, bien que cette passe soit la plus élevée
qu’ait traversée notre voyageuse, elle n’y souffrit que peu : pas de
nausées, un léger mal de tête seulement (p. 26). Moorcroft
l’estime à 19000 pieds (5790m), et mistress Harvey va jusqu’à
20000 (6095m). Elle s’étonne, non sans raison, de ce résultat :
Il est curieux, dit-elle, d’observer les effets différents des différentes passes.
Bien que les sensations douloureuses observées dépendent incontestablement de la
rareté de l’air, il est certain que le malaise n’est pas proportionnel à la hauteur. Sur
les passes de Bara Lâcha et de Hànnoo, j’ai été misérablement malade, au-delà
de toute expression, et sur celle de Pârung, plus élevée de 3 ou 4000 pieds, je
n’ai pas eu de nausées, à peine de mal de tête. Je respirais difficilement, mais
cela me paraît secondaire.
Je suis loin de pouvoir donner une raison satisfaisante de cette inégalité. J’ai
traversé tant de passes que j’ai eu bien des occasions de remarquer combien peu
la maladie des passes est en rapport avec la hauteur, au-delà, bien entendu, de 13
ou 14000 pieds. La « Bischk-ke-Bôôltie », ou plante empoisonnée, couvrait le sol
bien des milles autour de Tàlung. (P. 33.)
Les voyages du capitaine Oliver1 dans l’IIimaflaya offrent aussi
le récit d’impressions intéressantes pour notre sujet. En juillet
1859, il traversait la passe de Roopung, par 15500 pieds envi-
ron (4720ra) :
Nous campâmes à la limite inférieure de la neige perpétuelle, à 14000 pieds
au-dessus du niveau de la mer. Il faisait très-froid
Le lendemain matin nous partîmes sur la neige Le sommet de la passe se
montrait dans une scène sauvage et désolée. Mais je ne m’en inquiétais guère,
ayant assez à m’occuper de moi-même, car la raréfaction de l’air agissait sur
moi. Je souffrais d’une pénible brièveté de la respiration, et bientôt il me fallut
1 Trips in the Himalaya. — Alpine Journal, t. IV, p. 75-93; London, 1870.
1 64
HISTORIQUE.
m’arrêter tous les deux ou trois pas. La neige était molle, ce qui rendait la mar-
che plus difficile encore J’atteignis enfin la dernière pente, une bande de
neige de 50 pieds de haut, et très-rapide Mais à ce moment j’étais si com-
plètement épuisé que je me trouvais tout-à-fait incapable de la franchir sans
assistance. Cependant, après une courte halte, je fis un effort désespéré, et je ne
sais comment j’arrivai au sommet, où je m’étendis sur le sol, absolument
abattu. (P. 84)
Cette passe est très-fréquentée par les Tartares qui apportent du borax et de
la laine sur les marchés indiens. Ils souffrent beaucoup, cependant, de la raré-
faction de l’air, mais attribuent ses symptômes à une plante empoisonnée, plante
fabuleuse qui, selon eux, croît sur les grandes hauteurs.
Ils sont aussi sujets à de violentes attaques de coliques dans les passes.... Un
de mes Sickhs en fut pris ; il se coucha sur le sommet, gémissant, et déclarant
qu’il allait mourir : trente gouttes de laudanum le remirent. (P. 85.)
La même année, un autre voyageur, Cheetam l *, suivait la route
de Simla à Srinagar; le 17 août 1859 il traversait la passe de
Lunga-Lacha par 16750 pieds (51 00m) :
Je fis alors ma première expérience des effets funestes que l’air très-raréfié,
le mauvais temps et la fatigue produisent sur les grandes hauteurs.
Vertiges, maux de tête violents, nausées, telles étaient les sensations carac-
téristiques, auxquelles s’ajoutait agréablement un sentiment d’épuisement in-
tense, une profonde dépression physique et mentale. Heureusement, chez moi,
cette aimable complication ne dura que quelques heures, dans le milieu du
jour, et encore, par intermittences. J’ai noté que, invariablement, je me trou-
vais mieux en descendant les collines qu’en les montant; et qu’il y avait une
sorte de correspondance entre les apparitions du soleil et mes intervalles
lucides.
Les souffrances de mon Kashmirien et des marchands de Caubul étaient évi-
demment beaucoup plus continuelles et aiguës que les miennes, surtout à cause
d’un dérangement général dont ils se plaignaient depuis la veille, au passage du
Bara Lacha.
Il était impossible de combattre leur croyance absolue que tous ces accidents
étaient dus aux exhalaisons empoisonnées d’une plante mystérieuse, le « dewaï-
glias » ou « herbe médicale », qu’ils assurent pousser dans ces régions, bien
qu’on n’ait jamais pu en rencontrer... Le Kashmirien fut malade deux jours.
(F. 157.)
Quelques jours après, passage d’un col plus élevé encore, celui
de Tunglung, qui a 17750 pieds (54 1 0111) - Le campement de nuit se
fit à Larsa, à 16400 pieds :
L’ascension des 1550 pieds que nous avions à monter fut très-rude ; le moin-
dre effort dans cet air si raréfié nous rendait la respiration très-pénible.
(F. 141.)
1 The Tibeian Boule from Simla to Srinagar. — Alpine Journal, t. III, p. 118-155; Lon-
don, 1807.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ASIE CENTRALE. 165
Le récit de Semenof 1 a ceci d’intéressant qu’il se rapporte aux
premiers voyages faits dans les hautes régions des monts Célestes.
Le 25 juin 1857, après avoir campé à une hauteur de 7500 pieds,
il traversait la passe de Zaùkù. On y voit par milliers des carcas-
ses de chameaux, de chevaux, de bœufs, de chiens :
Le cheval de M. Kosharof s’abattit.... le mien glissa, se coupa profondément
et mourut sur place ; deux des chevaux des Cosaques furent tellement épuisés
qu’ils ne purent aller plus avant.... Le guide nous assura que la difficuîté de
respirer au sommet du Zaùkù Pass était telle qu’il serait impossible d’y vivre
plus d’une heure et demie. (P. 364.)
On voit, dans celte affirmation du guide, un exemple des exagé-
rations habituelles dans tous les pays où les lieux très-élevés ne
sont qu’une exception. Malheureusement, Semenof ne donne pas
la hauteur de la passe de Zaùkù.
Mais personne n’a pu traiter cette question avec plus d’autorilé
que les frères Schlagintweit, dont les expéditions dans les hautes
régions de l’Asie marquent parmi les voyages les plus importants
de ce siècle, les plus féconds au point de vue de la géographie, de
l’histoire et des sciences naturelles.
Ils ont consacré un paragraphe, dans le récit officiel de leur
voyage2, à l’histoire des accidents de la décompression. On y voit
qu’ils se sont élevés à la plus grande hauteur qu’ait encore atteinte
l’homme dans les ascensions de montagnes, à 6882m, sur les flancs
ribi-Gamin, le 19 août 1855.
Voici le résumé de leurs plus hautes ascensions :
Sur quelques plateaux très-élevés qui servent de pâturages, l’habitation tem-
poraire pour quelques mois s’établit dans les environs de 16500 pieds (5030m) ;
c’est à cette hauteur, probablement la plus élevée de ce genre sur le globe, que
des pasteurs thibétains dressent leurs tentes et bâtissent même des habitations
permanentes.
Par expérience personnelle, nous pouvons dire que, pour dix ou douze jours,
l’homme peut dépasser considérablement cette altitude, nous ne dirons pas
sans souffrance, mais positivement sans inconvénient bien sérieux. Dans nos
explorations du glacier de Elbi-Gamin, du 13 au 23 août 1855, nous campâmes
pendant dix jours pleins, en compagnie de huit hommes qui nous servaient, à
des élévations véritablement extraordinaires. Pendant ce temps, notre camp fut
placé à 16642 pieds (507 0m) pour sa station la plus basse. Notre point le plus
1 First ascent of the Tian-Shan or Celestial mountciins, and Visit to the Upper Course
of the Jaxartes or Syr-Daria, in 1857. — The Journal of the roy. géogr. Soc.; t. XXXI,
p 356-365; 1861.
2 Schlagintweit (Hermann, Adolph and Robert de), Results of a scientific mission to
India and Iligh Asia, 1854-1858 ; 4 vol. — Leipzig and London, 1861-1866.
160
HISTORIQUE.
élevé fut 19326 pieds (5890ra) ; c’est l’élévation la plus grande où nous ayons
passé la nuit. Une autre fois, nous campâmes à 19094 pieds, plus tard à
18300, et le reste du temps, entre 18000 et 17000 pieds
Un jour nous avons traversé un passage à 20459 pieds (G250m), et trois jours
avant, le 19 août 1855, nous étions montés sur les flancs de l’Ibi-Gamin, à la
hauteur de 22259 pieds (6882m). A notre connaissance c’est la plus grande
altitude à laquelle on se soit élevé sur les montagnes
Au pic de Sassar, le 3 août 1856, nous atteignîmes une hauteur de 20120
pieds. Avant nous, les frères Alexandre et James Gérard montèrent à 19411 pieds
sur un pic du Spiti, le 18 octobre 1818
Pour ce qui regarde les effets à considérer pour une acclimatation, nous en
pouvons parler par notre expérience personnelle. En traversant pour les premières
lois des passages de 17500 à 18000 pieds, nous sentîmes tout d’abord des trou-
bles considérables. Peu de jours ensuite, après avoir parcouru les points les plus
élevés et passé plusieurs nuits à ces hauteurs, nous nous trouvâmes à peu près
complètement libres de ces désagréables symptômes, même à l’élévation de
19000 pieds. Quelle aurait été la conséquence d’un séjour plus prolongé sur ces
hautes régions, c’est ce que nous ne pourrons dire. Mais nous considérons
comme très-probable qu’une résidence plus longue aurait eu des effets funestes
sur la santé
L’influence de l’altitude varie avec les individus. L’homme bien portant a des
chances pour souffrir moins. La différence des races n’est pas d’une importance
appréciable. Nos domestiques indous, qui nous accompagnèrent jusqu’aux points
les plus élevés, souffrirent du froid plus que les Tliibétains, leurs camarades,
mais ils ne se ressentirent pas davantage des effets de la diminution dans la
pression atmosphérique.
Pour la plupart des gens, l’influence de la hauteur commence à se manifester
à 16500 pieds, la hauteur des pâturages extrêmes. Nos chameaux et nos chevaux
souffrirent d’une manière très-évidente vers 17500 pieds.
Les symptômes produits par la raréfaction sont : la céphalalgie, la difficulté de
respirer; l’oppression de poitrine, celle-ci pouvant aller jusqu’à amener des cra-
chements de sang, et très-rarement de légères hémorrhagies nasales; nous ne
vîmes jamais de sang sortir par les lèvres et les oreilles; le manque d’appétit et
souvent des nausées ; la faiblesse musculaire, avec une dépression générale et un
abattement d’esprit. Tous ces symptômes disparaissent à peu près simultanément,
chez l’homme bien portant, par le retour à des localités plus basses. Les effets
mentionnés ne sont pas sensiblement augmentés par le froid, mais le vent a
l’influence la plus fâcheuse sur les symptômes éprouvés. Comme ceci était un
phénomène nouveau pour nous, et qu’il n’avait, pas été mentionné par nos devan-
ciers, nous l’observâmes avec attention, et remarquâmes des circonstances où la
fatigue n’y était pour rien. Sur les plateaux du Karakorum, il arrivait fréquem-
ment, même pour ceux qui étaient endormis sous la tente dans des endroits un
peu protégés, d’être réveillés pendant la nuit par un sentiment d’oppression qui
devait être attribué à une brise, même assez faible, qui s’était élevée pendant les
heures du repos. Quand nous étions occupés aux observations, nous prenions peu
ou point d’exercice du corps, quelquefois pendant trente-six heures, et nos domes-
tiques encore moins que nous. Et cependant il arriva souvent, vers les hau-
teurs qui n’excédaient pas 17000 pieds, que le vent de l’après-midi ou du soir nous
rendait assez malades pour nous faire perdre tout goût à la nourriture; on ne pen-
sait même pas à préparer le dîner. Dans la matinée, quand le vent ne soufflait
plus, l’appétit revenait généralement, nous étions moins malades le matin que
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ASIE CENTRALE. 167
le soir; ce qui doit évidemment tenir en partie à ce que les fortes brises s’élèvent
plus généralement dans la seconde moitié du jour.
Les effets de la diminution de pression sont considérablement aggravés par la
fatigue. Il est surprenant à quel degré d’épuisement on arrive : l’action même de
parler est un travail, on ne s’occupe ni du confort ni du danger. Souvent nos
gens, même ceux qui nous avaient servi de guides, se laissaient tomber sur la
neige, déclarant qu’ils aimaient mieux mourir sur-le-champ que de faire un pas
de plus. Par de simples motifs d’humanité, nous nous vîmes souvent obligés
d’intervenir en leur faveur et de les arracher par la force à la stupeur où ils
étaient tombés, tandis que nous n’étions guère nous-mêmes dans un meilleur
état d’animation. (T. II, p. 481-485.)
Les observations des voyageurs plus récents s’accordent tout à
lait avec ce que nous venons de rapporter. Il faut même noter que,
l’existence de malaises sur les passages élevés étant aujourd’hui
bien connue de tout le monde, souvent les voyageurs n’en parlent
pas, ou se contentent d’y faire allusion en quelques mots.
Ainsi, le capitaine Godwin-Austen â, qui explora les glaciers
du Karakorum, fait, en 1860, l’ascension du Bianchu (16000
pieds), du Gommathaumigo (17500 pieds), sans parler d’aucun
trouble.
Dans son voyage de 1861, il grimpe d’abord sur le Boorje-La
(15878 pieds) ; son pouls battait 158, celui d’un de ses hommes
104, et il ne signale aucun autre phénomène (p. 25). Mais en
montant le 10 août sur un pic de 18542 pieds (5590™) — c’est la
plus haute ascension qu’il ait faite, — il rapporte que « beaucoup
des hommes devinrent malades, éprouvèrent de violents maux de
tête et se couchèrent à terre. (P. 54.)
11 y a plus : dans le récit1 2 des longs et importants voyages exécu-
tés par deux jeunes brahmanes, deux frères, que l’administration
anglaise envoya visiter des régions où les Européens ne peuvent
guère mettre le pied sans risque de la vie, il n’est nullement ques-
tion d’accidents de la décompression. Et cependant les deux « Pun-
dits » ont certes visité bien des hauts lieux, puisqu’ils ont traversé
l’iïimalaya dans le Népaul, au pied du Dhawalaghiri, remonté le
eours du Brahmapoutra, de Lhasa au lac de Manasarowar, et poussé
jusqu’à Gartokh. Mais, exclusivement préoccupés de géographie et
aussi de politique, ils ne portent pas leur attention sur des phéno-
1 On the Glaciers of the Mustakh Range. — The Journal of ihe royal qeoqr Socieiu
t. XXXIV, p. 19-55; London, 1864. J *
* Reisen und Aufnahmen zweier Punditen [gebildeler Indier) in Tibet; 1865 bis 1866.
— Petermann’s Mittheilungen ; t. XIV, p. 233-245; 276-290. 1868.
1G8
HISTORIQUE.
mènes universellement connus, ou du moins ne croient pas devoir
leur donner place dans leur narration.
Cette expédition indigène ayant amené d’excellents résultats, le
Trigonometrical Survey envoya, quelques années après, à travers
l’Hindu-Kush et le Pamir jusqu’au Turkestan, un employé, le Mirza,
dont M. Montgomerie1 a raconté le voyage. On y trouve quelques
détails intéressants pour notre sujet.
Le Mirza arriva, en janvier 1869, à Lunghar, dans les steppes de
Pamir :
Toute la troupe, eu arrivant à Lungliar (12200 p), souffrit beaucoup du Dum ,
comme l’appelle le Mirza, c’est-à-dire brièveté delà respiration, etc., effet habi-
tuel des grandes altitudes. Les natifs le considèrent généralement comme pro-
duit par un mauvais vent; quelques-uns des hommes devenaient presque insen-
sibles, mais se relevaient bientôt quand le Mirza leur avait fait manger quelques
fruits secs et du sucre. (P. 158.)
Au passage de Chichik-Dawan (15000 pieds) ils souffrirent beau-
coup ; lous éprouvaient de grandes difficultés à respirer, que le
Mirza essaya en vain de combattre avec son sucre candi et ses fruits
secs. (P. 165.)
Dans le même temps, un voyageur anglais, Ilayward2, se diri-
geait également versKashgar, mais par le petit Thibet, à travers l’é-
norme chaîne du Karakorum. Il est, lui-même, extrêmement so-
bre en observations relatives à la raréfaction de Pair.
Le voyage fut exécuté d’octobre 1868 à juin 1869. Traversée de
la passe de Masimik, par 18500 pieds (5640m) :
Elle ne présente pas de difficultés, est très-facile, mais les chevaux chargés y
souffrent un peu de la raréfaction de l’air. (P. 56.)
Traversée de la passe de Chang-Lnng par 18859 pieds (5740m)
(p. 58); ascension d’un pic de 19500 pieds (p. 45), d’un autre de
19000 pieds (p. 55-58), sans aucune observation physiologique;
il dit seulement :
La difficulté principale au passage de Chang Lang est la détresse des animaux
chargés, par suite de l’élévation et de la raréfaction de l’air. (P. 126.)
L’année suivante, en 1870, le « Munschi » Faiz Buksh, parti de
Peshawar, dans le haut Pendjab, se dirigeait vers Kashgar, s’effor-
1 Report of a the Mirza s » Exploration from Canbul io Kashgar. — The Jour n. ofthc
roy. geoyr. Soc., t. XL1, p 132-192 ; 1871.
■- Journey from Leli to Yarkand and Kashgar, and Exploration of the sources of the
Yarkand River. — The Journal of the roy. geogr. Soc., t . XL, p. 35-166 ; 1870.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ASIE CENTRALE.
109
çant, comme tant d’autres envoyés plus ou moins nettement offi-
ciels, à ouvrir ces voies nouvelles par lesquelles le commerce, l’in-
fluence diplomatique et peut-être les armes de l’Angleterre cher-
chent à pénétrer dans le Turkestan occidental.
Son récit1 est très-riche en faits capables de nous intéresser. 11
insiste particulièrement sur le Pamir :
Pamir est désigné sous le nom de Bam-i-Dunya (toit du monde), à cause de
son altitude. Sa grande élévation est prouvée par l’absence d’arbres et la ra-
reté des oiseaux; l’herbe n’y pousse qu’en été. L’air y est extrêmement raréfié,
en telle sorte que la respiration y est difficile pour les hommes et les bêtes.
Cette difficulté est nommé tunk par les populations du Badakhshan, et du Wak-
han, et ais par les Mogols. Le foie et l’estomac sont iirités. Les voyageurs souf-
frent du mal de tête et le sang coule de leur nez. Quand il s’agit de gens de faible
constitution, la figure, les mains et les pieds gonflent. Plus il fait froid, plus ces
accidents sont marqués. Les natifs se servent d’acides, d'abricots secs, de pru-
nes, pour les combattre. La nuit, si on n’a pas la tête deux pieds plus haut que
les jambes, la respiration est arrêtée pendant le sommeil. On souffre de ces
malaises à cheval et à pied.
J’ai trente-quatre ans. Sur un des pics de Pamir, mon pouls battait 89 fois à la
minute; j’avais mal à la tête, avec irritation du foie et de l’estomac; une fois le
sang me coula du nez. Un de mes suivants, nomme Kadir, natif de Peshawur,
âgé de vingt- sept ans, eut une attaque de lièvre, avec difficultés à respirer, irri-
tation du foie, gonflement de la face et des extrémités; son pouls battait 99 fois.
Un autre, nommé Mehra, natif de Ghizni, âgé de vingt ans, ne ressentit qu’un
peu de difficulté à respirer; son pouls était à 75. Une nourriture abondante aug-
mente la difficulté à respirer. (P. 470.)
Entre Ak Tash et Sarkol est un pic élevé, nommé Shindi Kotal, dont le som-
met est constamment couvert de neige ; nous y éprouvâmes plus de difficultés à
respirer que dans le Pamir A la troisième marche après Sarkol est un pic élevé,
nommé Yam Bolak, dont le sommet est constamment couvert de neige; nous y
éprouvâmes aussi de grandes difficultés à respirer. (P. 472.)
L’expédition que dirigeait la même année Forsyth, de Lahore à
Yarkand, par le Ladak, eut à traverser successivement l’Himalaya
et le Karakorum. Le récit qu’en a fait Henderson 2 indique fréquem-
ment la constatation d’accidenls dus à la raréfaction de l’air.
Le 27 juin 1870, passage de la Namyika Pass, au Ladak :
Bien que le sommet de cette passe ne soit qu’à 12000 pieds de haut, plusieurs
de nos hommes souffrirent beaucoup de la difficulté de respirer, qui continua
pendant plusieurs heures après que nous eûmes atteint notre camp de Karbu,
600 pieds plus bas; quelques-uns des nôtres ne purent même dormir pendant la
nuit pour cette raison. (P. 46.)
1 Journet / from Pcshawar io Kashgar and Yarkand in Eastern Turkestan. — The
Journ. of the roy. geogr. Soc., t. XLIf, p. 448-173 ; 1872.
2 Henderson et Hume, Lahore to Yarkand. Incidents of the route and natural history
ofthe countries traversed hy the Expédition of 1 870, under T. D. Forsyth. — London, 1873.
170
HISTORIQUE.
Le 10 juillet, traversée de la passe de Chang-La, du bassin de
l’indus à celui du Shyok, un de ses affluents, à 18000 pieds (5485m) ;
peu de neige :
Ce fut la première fois que presque tout le monde dans le camp souffrit de la
rareté de l’air. Les observations suivantes, faites après une demi-heure de repos
au sommet , peuvent sembler intéressantes :
Baromètre à mercure 15,75. Thermomètre 61° F. Eau bouillant à 181° F.
Pouls.
Respiration.
Je marchai jusqu’au sommet
80
26
M. Forsyth, qui était à cheval
100
22
M. Shaw id.
94
Mullik Kutub Deen, du Pendjab, à cheval
92
Un Hindou du Pendjab, à pied
95
Un Thibétain, à pied
78
Plusieurs voyageurs m’ont dit qu’eux et leurs compagnons avaient plus souf-
fert en traversant cette passe que sur d’autres plus élevées. Nous campâmes pour
la nuit près d'un petit Jac d’eau douce, à 300 pieds au-dessous du sommet de la
passe. Les symptômes fâcheux causés par la rareté de l’air ne disparurent que le
lendemain, quand nous fûmes à une altitude beaucoup moindre. Quant à moi,
même à 19600 pieds, je n’ai jamais ressenti de grands malaises; tout se rédui-
sait à une certaine brièveté de la respiration à la suite de tout exercice, et des
réveils pendant la nuit avec un sentiment de suffocation qui disparaissait ordi-
nairement après quelques inspirations profondes. Mais chez plusieurs des nôtres
les symptômes étaient très-graves, et même quelquefois alarmants. Ils consis-
taient en intenses maux de tête, avec grande prostration du corps et de l’esprit,
nausées constantes, et une telle irritabilité de l’estomac qu’une simple cuillerée
d’eau n’était même pas supportée. Une grande excitabilité de caractère était un
autre symptôme marqué ; dans quelques cas les lèvres devenaient bleues ; chez
M. Shaw, un thermomètre de clinique montra une température moindre de 1 ou
2 degrés par rapport à celle des jours précédents. Ayant sur moi une certaine
quantité de chlorate de potasse, j’en donnai une forte solution aux malades, plu-
tôt pour leur faire plaisir que dans l’espérance de les soulager. Cependant, il
sembla avoir un bon effet, mais en vertu de quoi? je ne me hasarderai pas à le
conjecturer. Je ne doute pas que ces accidents des hautes montagnes ne soient
simplement temporaires et que l’habitude ne les fasse disparaître, comme le mal
de mer. Ils deviennent du reste beaucoup plus intenses lorsqu’on fait quelque
ascension étant déjà à une grande hauteur.
Le 11 juillet, nous campâmes à 500 pieds au-dessous de la passe. Là les maux
de tête et les nausées cessèrent rapidement. (P. 56 et suiv.)
Le 20 juillet, traversée de la passe de Cayley, passe nouvellement
découverte, facile d’accès et qui doit avoir environ 5900,n; par elle
on va du bassin de l’indus aux plateaux d’Yarkand; il n’y avait pas
de neige. Les voyageurs y trouvèrent plusieurs papillons. Ils ne par-
lent d’aucun trouble physiologique.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — ASIE CENTRALE.
171
Le 21 juillet, campement dans de hautes plaines désertes, à
5000m d’altitude; ils souffrirent beaucoup du vent :
Les voyageurs sont fréquemment tués par ce vent, qui est quelquefois si froid
qu’il arrête la vitalité en un temps très-court. Hommes et chevaux souffrirent
ici beaucoup de la rareté de l’air. Plusieurs des nôtres se couchèrent en plaine,
complètement épuisés, et ne purent regagner notre camp que le lendemain ; quel-
ques chevaux qui tombèrent furent abandonnés à leur malheureux sort. (P. 77.)
Ils restèrent plusieurs jours sur ces plateaux élevés, et à ce pro-
pos le narrateur ajoute :
II y a nombre d’observations que je regrette beaucoup de n’avoir pas faites pen-
dant que nous nous trouvions à ces hauteurs, et parmi elles les changements pro-
duits dans le pouls, la respiration et la température du corps. Mes compagnons
de voyage m’ont bien offert de se soumettre à l’ennui de laisser prendre leur tem-
pérature et compter leur pouls à des moments déterminés, mais je trouvai que
j’avais déjà trop de fers au feu (too many irons in the tire). Les quelques
observations détachées que je fis n’eurent pas grande valeur, mais elles prouvent
clairement que, chez moi du moins, l’altitude n’a que peu d’effets, comme le
montrent les chiffres suivants. Je dois mentionner que de nombreuses observa-
tions faites sur mes compagnons ont donné de semblables résultats :
Pouls.
Respir.
Température
sous la langue.
Ordinairement
80
24
98,2
A Sakte (assis depuis plusieurs heures),
12900 pieds, 9 juillet
90
25
98,3
Sommet de Chang-La; 18000 pieds (5485
mètres), 10 juillet, après avoir marché •
jusqu’au sommet
80
26
Lak Zung, plus de 17500 pieds; 24 juillet. .
/n i7o \
75
24
97,8
La deuxième partie du livre est consacrée à l’histoire naturelle.
L’ornithologie est rédigée par A. 0. Hume. J’y relève des observa-
tions curieuses sur l’habitat des oiseaux aux grandes hauteurs :
Un des points qui m’ont le plus vivement frappé dans les observations du doc-
teur Ilenderson, c’est la facilité avec laquelle paraissent vivre les oiseaux à de
grandes hauteurs. Notre ami le Coucou se balance sur les branches pendantes
des bouleaux, lançant son chant joyeux à une hauteur de 11000 pieds, pendant
que la neige couvre le sol. La Huppe semble chez elle à 18000 pieds (5485 mè-
tres), le « Kashmir Dipper, ;> qui réside au-dessus de 13000 pieds, y cherche des
insectes dans les torrents à demi glacés; le « Guldenstadt’s Redstart » sautille
insoucieux dans la neige à 17800 pieds; la Montifringilla hæmatopygia semble vi-
vre d’une manière permanente entre 14000 et 17000 pieds, et le « Adams’s
Finch » est commun à 15000 pieds. L’Alouette huppée à long bec se trouve dans
des lieux de 12000 à 15000 pieds, tandis que le « Dottrel » mongolien et le
« Reddy Shieldrake » vivent à 16000 pieds, et le « Gull » à tête brune à 15000.
(P. 163.)
m
HISTORIQUE.
Je terminerai cette longue série de citations par un extrait de l’ou-
vrage que Fr. Drew1 a récemment consacré à la géographie du Jum-
noo et du Cachemire.
Dans la description des hautes vallées du Ladâk, Drew commence
par celle de Rupshu, dont l’élévation moyenne est de 14 à 15000
pieds (4270 à 4570m); la limite des neiges perpéluelles y est à
20000 pieds environ. Une pauvre tribu, de cent tentes, y vit, les
Rupshu Châmpâs. L’auteur a étudié dans un paragraphe spécial
l’influence de l’airr aréfié :
Aux grandes hauteurs, en outre de l’oppression et de la brièveté de la respi-
ration, se font sentir des maux de tète et des nausées, comme il arrive au début
de la fièvre ou du mal de mer, mais sans modification dans la température du
corps. Chez quelques-uns, aux niveaux élevés, surviennent des vomissements,
mais cela n’a pas de suites graves, et tout revient dans l’ordre quand on redes-
cend dans de plus basses régions, à la condition cependant que les organes
soient parfaitement sains ; la rareté de l’air est très-propre à découvrir les imper-
fections des poumons ou du cœur.
La hauteur à laquelle ces eflets sont observés varie singulièrement, et il n’est pas
facile de trouver la cause de ces irrégularités. L’état du corps y est pour beau-
coup; un homme dans de bonnes conditions peut se soutenir bien plus haut
qu’un homme qui n’est pas habitué à l’exercice. On s’en aperçoit d’abord quand
on fait un peu plus d’efforts qu’à l’ordinaire, comme de courir ou de grimper
quelque colline ; dans ces conditions, pour les gens qui vivent au-dessus de
GO00 pieds, les effets se font ordinairement sentir dès 11000 ou 12000 pieds.
A 14 et 15000 pieds, survient quelquefois ce qu’on peut appeler une attaque de
respiration courte, même au repos. La première fois que j’ai visité Rupshu,
cela m’arrivait pendant la nuit, quand j’étais couché depuis une demi-heure;
mais, après une semaine, je surmontai cette susceptibilité, et je n’ai plus
éprouvé, au repos, de difficultés à respirer, lors même que je campais à 2 ou 3000
pieds plus haut. De même, j’ai connu un natif du Panjâb, peu habitué, il est vrai,
au travail musculaire, qui eut une attaque à 11000 pieds.
Mais, quoiqu’on puisse ainsi s’habituer jusqu’à un certain point à la rareté de
l’air et n’en rien ressentir, le moindre effort suffit pour en manifester les effets.
A 15000 pieds, la plus faible pente à monter essouffle autant qu’à une altitude
inférieure, de gravir une côte très-raide. Parler ou marcher, même à plat,
amène bientôt le manque de respiration. Quand quelqu’un vient sur les grandes
hauteurs, — et ici chaque millier de pieds fait un grand changement, — monter
une pente est un labeur pénible. J’ai traversé une passe de 19500 pieds qui,
plus bas, n’aurait présenté aucune difficulté; et cependant, à chaque 50 ou 60
pas, j’étais absolument obligé de m’arrêter, pantelant, pour reprendre haleine ;
mais cependant je n'ai là ressenti ni maux de tête ni autre effet fâcheux; l’habi-
tude de la montagne depuis un mois ou deux m’a permis de m’endormir dans
ces circonstances. (P. 291.)
’ The Jummoo and Kashmir territoires : a geographical accounl. — London, 1875.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — AFRIQUE.
173
§9. — Afrique.
Atlas. — Plusieurs sommets de l’Atlas marocain, hauts de 11 à
12000 pieds, ont été visités par le docteur Hookes1, en 1871; il
ne parle nullement de malaises.
Monts Cameron. — La première ascension fut faite le 22 décem-
bre 1861 , par Burton. Dans le récit qu’il en publia immédiatement 2,
il signale quelques troubles singuliers qui doivent très-probable-
ment être expliqués par l’influence de l’altitude :
En montant au volcan, j’étais si fatigué que je ne pouvais plus ouvrir les yeux;
j’éprouvai un malaise qui me semblail dû à la fièvre. Je fus obligé de prendre
du repos, je dormis une heure, et à quatre heures je me trouvai en état de faire
cette ascension. (P. 79.)
La publication générale3 qu’il fit plus tard de ses voyages aux
monts Cameron et à Fernando-Po, n’est pas plus explicite :
M. Saker se plaignit alors de complète surdité. La chaleur brûlante nous enle-
vait le sentiment. Peut-être était-elle aidée par la raréfaction de l’air. Nous n’é-
tions cependant pas étonnés de si peu souffrir, dans le cours de notre ascen-
sion, des inconvénients dont se plaignent tant de voyageurs au mont Blanc et
dans les montagnes Rocheuses. (T. II, p. 121.)
Il faut noter qu’ils n’étaient alors qu’à 7000 pieds; mais le len-
demain ils terminèrent l’ascension du grand Pic :
Comme nous approchions du sommet, les difficultés de l’ascension augmentè-
rent. Kharah se laissa tomber à terre, presque évanoui sous les rayons d’un
soleil ardent, et fut forcé de rester là. A 1 heure 30, j’arrivai sur le sommet du
pic. (P. 155.)
Le 13 janvier 1862, nouvelle ascension par MM. Calvo, Saker et
Mann (p. 162-181). Aucun accident signalé.
Mais, dans la relation qu’en publia Mann4, il déclare « avoir été
malade sur le pic Albert et obligé de redescendre (p. 23). »
Enfin, le 29 janvier 1862, ascension de Burton. Il campe à 10187
pieds, et arrive au cône de cendres du mont Albert :
1 Letters to [S. Roderick Murchison giving an account of his Asccnt of the Atlas. —
Proccd. of (lie roy. gcogr. Society, vol. XV, p. 212 ; 1871.
2 Relation d'une ascension aux monts Cameron ( Afrique occidentale). — Traduit,
in N. Ann. des voyages; t. III, p. 71-107 ; 1863.
3 Abeokula. — London, 2 vol., 1863.
4 Forschunqen an der Westküste von Africa. — Petermann's Mittheilunqcn, t. XI:
1865; p. 22-26.
174
HISTORIQUE.
Je remarquai de nouveau l’absence complète de toute souffrance due à la subtilité
de l’air. La hauteur est considérable, mais insuffisante, paraît-il, pour occasionner
les hémorrhagies des oreilles et des lèvres éprouvées par de Humboldt dans
les Andes, et les souffrances de M. Gay-Lussac dans son ballon. (Abeokuta, t. Il,
p. 198.)
Kilimandjaro. — Le 11 mai 1844, Rebmann1 voit le Kilimandjâro
couvert de neige. La montagne est « inaccessible, disent les natu-
rels, à cause des mauvais esprits qui avaient tué un grand nombre
de ceux qui avaient essayé de la gravir. » (P. 276).
Aussi ne peut-il tenter aucune ascension.
En 1861, le baron de Decken atteignit une certaine hauteur sur
les lianes de l’immense montagne, dont Thornton2, son compa-
gnon, estima l’élévation à 22814 pieds (6952m).
Le 27 novembre 1862, il put monter assez haut pour éprouver
quelques malaises. Le docteur Kersten3, qui l’accompagnait, rap-
porte qu’ils s’arrêtèrent à 4223“, à cause du froid, avant d’atteindre
la limite des neiges :
La montée, dit-il, ne laissait pas que d’être assez pénible, et l’on était sou-
vent obligé de s’arrêter tout court. Anainouri, l’un des individus que nous avions
loués, se trouva aussi indisposé. (P. 36.)
Le baron de Decken3 s’exprime lui-même plus clairement sur
l’action de l’altitude :
Parvenu vers 11 heures et un quart à une hauteur de 4225 mètres, je m’ar-
rêtai, car il y avait nécessité, mes gens n’ayant pu aller plus loin sans craindre
des douleurs de poitrine. Le docteur Kersten éprouvait également les influences
d’un air trop vif. (P. 49.)
Enfin, le 50 août 1871, New4 est arrivé sur le Kilimandjaro jus-
qu’à la limite de la neige perpétuelle :
Mes hommes m’abandonnèrent, se plaignant du froid. Je continuai, seul avec
Tofiki. Cela alla bien pendant une heure et demie; mais alors Tofiki s’affaissa, à
peine capable de parler. Il me pria de continuer, me disant qu’il m’attendrait,
mais qu’il mourrait si je ne revenais pas. J’arrivai à la glace, en brisai quelques
morceaux et descendis ensuite.
Oui, de la neige en Afrique, s’écrie-l-il avec enthousiasme! Qu’a
1 Journal d'une excursion au Djagg a, le pags des neiges de l'Afrique orientale. — N.
Ann. des Voij.; t. CXXI1, p. 257-307, 1849.
2 Notes on a journey to Kilimandjaro, made in company of the Baron von der Dec-
ken. — The Journal of the R. géog. Soc. ; t. XXXV, p. 15-21 ; 1865.
3 Ascension du Kilimandjaro, dans l'intérieur de l'Afrique orientale. — N. Ann. des
Voyages ; 1864, 1. 1, p. 28.
4 Alpine Journal; t. VI, p. 51-52. — London, 1874, cahier d’avril 1872.
LES VOYAGES EN MONTAGNES. — VOLCANS DU PACIFIQUE. 175
dû penser de ce témoignage sans réplique le savant rédacteur des
Nouvelles annales des Voyages qui, en 1849, niait que Rebmann
ait pu voir de la neige sur le Kilimandjaro?
g 10. — Volcans du Pacifique.
Bornéo. — Le sommet le plus élevé de cette vaste île paraît être
le Kini-Ballu, dont la hauteur (41 75m) est à peu près celle de la
Jungfrau.
Une première tentative d’ascension fut faite le 11 mars 1851 par
Low1. Il n’est pas arrivé à plus de 2850m, et considère que le som-
met, qu’il estime à 13 ou 14000 pieds, est « inaccessible pour qui n’a
pas des ailes ».
Et cependant, en avril 1858, il atteignit le sommet, en compagnie
de M. Spencer Saint-John. Celui-ci ressentit très-légèrement,
comme le montre son récit, les effets de l’air raréfié :
Pendant l’ascension, dit Spencer2, je souffris légèrement de la brièveté de la
respiration et éprouvai quelque paresse à me mouvoir. Mais, à peine arrivé au
sommet, ces symptômes m’abandonnèrent, et il me sembla que j’étais plus léger,
que je pouvais flotter dans les airs.
Le thermomètre, au sommet, marquait 62° F. (T. I, p. 271.)
En juin 1858, seconde ascension dù même voyageur. Cette fois,
il ne dit pas un mot des symptômes physiologiques.
Dans une autre partie de l’île, un autre explorateur anglais,
Brooke3, montait en mars 1858 sur le Tabalau Indu. Il est difficile
de ne pas faire une part à l'altitude dans les causes de cet ikak
dont parlent les naturels et qu’éprouva un de ses compagnons :
U fallut grimper durement; la chaleur était excessive; chaque pas semblait le
dernier qu’on pût faire.... Nous atteignîmes le sommet et nous y reposâmes avec
satisfaction. Le pauvre X... souffrait beaucoup et se coucha sur le dos, tandis que
quelques-uns de ses serviteurs allèrent à la recherche de « l’ami du voyageur »,
une racine très-abondante dont on tire une eau fraîche avec un léger goût de bois.
C’est une grande erreur de boire, car on en a sans cesse envie, et on est pris de
ce que les natifs appellent « ikak », un resserrement désagréable dans la poitrine,
avec difficulté de respirer. (P. 305.)
* Notes of an ascenl of t/ie mountain Kina-Balow. ( The Journal of the indian Archi-
pelago. Vol. VI, p. 1-17). — Singapore, 1852.
2 Life in the forests of the far East, 2 vol. — London, 1862.
3 Ten ijears in Sarawak. — London, 1866.
HISTORIQUE.
176
Malacca. — Dans son ascension au mont Ophir, Braddel1 éprouva
quelques troubles :
J’eus, dit-il, en arrivant près du sommet, un violent mal de tête et de forts
battements dans les tempes; je me lavai le front avec de l’eau-de-vie, ce qui me
remit.... Mais j’éprouvais une fatigue particulière et m’étendis sur le sol. (P. 87.)
Jai>on. — La première ascension du Fusi-yama dont j’ai trouvé
le récit fut exécutée en 1860 par Rutherford Alcock 2. 11 estime
à 141 7 7 pieds (4520™) la hauteur de ce volcan éteint, depuis 1707.
Il lui fallut huit heures pour arriver au sommet; et ce ne fut pas
sans ressentir l’influence de la raréfaction de Fair :
La dernière moitié de l’ascension fut de beaucoup la plus rude.... L’air se
raréfiait beaucoup et affectait évidemment la respiration.... Il nous fallut plus
d’une heure d’efforts, en nous arrêtant fréquemment pour respirer, et reposer
nos jambes et nos dos qui nous faisaient mal; nous étions, en arrivant, tout à fait
au bout de nos forces. La température était 54° F. (P. 344.)
Gubbins3, qui monta sur le volcan le 10 août 1872, ne se plaint
que de la fatigue. Mais Jeffreys \ dont l’ascension est du 4 mai
1874, indique nettement de véritables accidents de décompression,
atteignant même les indigènes :
Comme nous grimpions avec peine, une forte envie de dormir nous saisit, et les
coolies n’y pouvaient résister lorsque nous nous arrêtions. L’un d’eux fut même
hors d’état de continuer et il fallut le laisser en route.... Nous terminâmes à
grand’peine l'ascension et arrivâmes au sommet à midi précis. (P. 172.)
Kamschatka. — La seule ascension que je connaisse du plus haut
volcan du Kamschatka, le Klioutchef (4805m), a été faite par Er-
man5, le 10 septembre 1829. Il ne parle d’aucun trouble physio-
logique.
Hawaï. — Le 15 juin 1825, des Européens montaient pour la
première fois sur le Mauna Keah, la « Montagne Blanche n
(41 95m) ; c’étaient un missionnaire et quelques officiers du vaisseau
1 Notes of a Trip totke interior from Malacca. — The Journal of theindian Archipelago,
t. VI, p. 73-104. — Singapore, 1853.
2 Narrative of a journey in the interior of Jap an , in 1860. — The Journ. of the R.
Geograph. Soc., t. XXXI, p. 321-356, 1861.
5 Ascent of Fuji-Yama. Proceedings of the R. Geogr. Soc., vol. XVII, 1873; p. 78-79.
4 Ascent of Fuji-Yama in theSnow. Proceedings ofthe Royal Geogr , Soc., mars 1875;
p. 169-173.
3 Reise um die Erde, in die Jahrcn 1828, 29 und 30. — Historique , 3e vol., p. 363 et suiv.
LES JOYAGES EN MONTAGNES. — VOLCANS DU PACIFIQUE. 177
anglais la Blonde. Le commandant Byron1 dit, en racontant cette
expédition :
Le lieutenant et le trésorier furent tellement accablés par le sommeil, qu’ils se
couchèrent sur le roc nu, pour se reposer.
Lord Byron y monta à son tour le 27 juin ; mais il ne parie
d’aucun malaise.
Le 12 janvier 1834, ascension du Mauna Kea par David Douglas2,
et le 29 janvier, du Mauna Loa, « la Grande Montagne » (4250ül) :
aucune indication de troubles physiologiques. Même silence de la
port de Lœvenstern3, qui monta, en janvier 1859, sur le Mauna Loa.
Du reste, son récit ne contient que quelques lignes.
La grande expédition que le gouvernement des États-Unis envoya
autour du monde, sous le commandement de Wilkes4, fit un long
séjour à Ilawoï. Du 21 décembre 1840 au 13 janvier 1841, Wilkes
et plusieurs de ses officiers campèrent sur les flancs du Mauna Loa ;
à plusieurs reprises, ils en atteignirent le point culminant. Ce ne
fut pas impunément qu’ils vécurent ainsi pendant trois semaines à
de telles hauteurs; déjà, en montant, ils souffrirent sérieusement :
Le thermomètre s’était abaissé à 18°, et beaucoup de nos hommes furent for-
tement affectés du mal des montagnes, avec maux de tête et fièvre, jusqu’à devenir
incapables de rien faire. Je fus moi-même très-souffrant par cette cause, ayant de
forls battements dans les tempes, avec la respiration courte, douloureuse et an-
goissée. (P. 149.)
Officiers, matelots et natifs arrivèrent avec mille difficultés au
pied du cralère terminal, à 15440 pieds (4095m). Le lendemain
matin, leur malaise se dissipa un peu. Le campement fut main-
tenu pendant trois semaines à ces grandes hauteurs, et le récit
détaillé des opérations géodésiques et physiques auxquelles ils se
livrèrent montre qu’ils souffrirent fréquemment du mal des mon-
tagnes :
Tout le monde l’éprouva plus ou moins. Le Dr Judd remarqua que chez les
natifs les symptômes étaient ordinairement des coliques, des vomissements, de la
1 Voyage of H. M. S. Blonde to the Sandwich Islands, in the years 1824-1825.
London, 1826.
Extract from a private Letter addressed to Captain Sabine. — Journal of the B.
Geoyraph. Soc., t. IV, p. 353-344. — London, 1834.
Aperçu d'un voyage autour du monde. Bull, de la Soc. de Géogr., 2e série, t. XVI,
p. 166-177, 1841.
Narrative of the United States exploring Expédition during the years 1838, 39,40,
41, 42, t. IV. — Philadelphie, 1844.
12
178
HISTORIQUE.
diarrhée; un ou deux furent affectés de crachements de sang, quelques-uns eurent
de la fièvre et du frisson. Nous eûmes presque tous une teinte jaune de la peau,
des maux de tête et des vertiges, quelques-uns de l’asthme et du rhumatisme....
Le Dr Judd trouva également qu’on avait grand’faim, mais sans être capable de
manger. Pendant le jour, le moindre exercice augmentait chez nous tous la ra-
pidité du pouls de 30 à 40 pulsations. (P. 177.)
Depuis ce temps, je n’ai trouvé dans les récits des voyageurs1 qui
sont montés sur les volcan d’Hawaï ou de Mauï aucune indication
de malaises physiologiques.
1 Sawkins, On the Yolcanic Mountain of Havaii. Journ. of the Roy. Geogr. Soc.,
t. XXV, p. 191-194; 1855. — Robert Ilaskell, On a Visitto the Recent Eruption of Mann a
Loa, Hawaii. The American journal of science and arts. 2e sér., t. XXVIII; 1859,
p. 66-71. — Wilmot, Our journal in the Pacific. London, 1873.
CHAPITRE II
ASCENSIONS EN BALLON.
A la fin du dix-huitième siècle, l’admirable découverte des frères
Montgolfier introduisit dans la question de la décompression un
élément nouveau. Ici, le voyageur ne s’élève plus, avec grands ef-
forts, et non sans une certaine lenteur, jusqu’aux régions où l’air
raréfié peut agir sur son organisme ; il y est emporté sans fatigue
<et avec une grande rapidité.
Les montgolfières, ou ballons à air chaud, ne pouvant monter
régulièrement qu’à une faible hauteur, nous n’avons point à nous
en occuper. Nous rappellerons seulement pour mémoire que les
premiers aéronautes, Pilâtre du Rozier et le marquis d’Arlandes,
quittèrent le sol le 21 novembre 1783, et traversèrent Paris dans
une montgolfière.
Mais l’histoire des ballons à gaz est riche en faits intéressants pour
notre sujet.
Le 1er décembre de cette même année 1783, le physicien Charles,
qui venait d’inventer le ballon à hydrogène, faisait l’épreuve de
sa machine dans des conditions bien plus émouvantes et périlleu-
ses encore que les deux intrépides aéronautes dont je viens de
citer les noms. Cette ascension, comme l’on sait, s’opéra en deux
temps : Charles, parti des Tuileries à une heure trois quarts, atter-
rit à trois heures et demie dans la plaine de Nesles ; il laissa des-
cendre de la nacelle son compagnon Robert ; puis, délesté, son
ballon s’élança de nouveau dans les airs avec une rapidité extra-
180
HISTORIQUE.
ordinaire. Il dépassa ainsi, en moins de dix minutes, quinze cenls
toises; le baromètre s’arrêta à dix-huit pouces dix lignes.
Le récit1 de l’habile physicien, plein d’un enthousiasme bien jus-
tifié, nous le montre « interrogeant ses sensations, s'écoutant vivre ,
et n’éprouvant rien de désagréable dans le premier moment ». Mais
bientôt :
Au milieu du ravissement inexprimable de cette extase contemplative, je fus
rappelé à moi-même par une douleur très-extraordinaire que je ressentis dans
l’intérieur de l’oreille droite et dans les glandes maxillaires ; je l’attribuai à la
dilatation de l’air contenu dans le tissu cellulaire de l’organisme, autant qu’au
froid de l’air environnant.... Je me couvris d’un bonnet de laine qui était à mes
pieds; mais la douleur ne se dissipa qu’à mesure que j’arrivai à terre.
Cette merveilleuse invention mit le monde entier en émoi ; on se
berça, sur futilité pratique des ballons, des plus ardentes illusions.
Parmi les idées étranges que tirent naître ces expériences par les-
quelles l’homme prenait pour la première fois possession des airs,
l’une des plus curieuses est celle qui inspira, moins d’un an après
la première ascension, une thèse soutenue en 1784 devant la Fa-
culté de médecine de Montpellier. Louis Leullier-Duché 2, sort
auteur, eut la pensée d’appliquer au traitement des maladies l’élé-
vation en ballon.
« L’effet, dit-il, sera triple : mouvement, froid, changement de
l’air. »
Il insiste surtout sur ce dernier point :
La partie essentielle de l’air, dit-il, est pour l’homme l’air déplilogistiqué (oxy-
gène). Or, dans quelle proportion est-il uni avec le phlogistique aux diverses ré-
gions de l’atmosphère? Les chimistes ne l’ont pas déterminé. Mais comme le
phlogistique est plus léger, il doit y en avoir davantage à une très-grande hau-
teur.... Le voisinage de la terre est la propre région de l’air déphlogistiqué. Mais
on ne peut douter qu'il n’y soit vicié par diverses émanations de corps volatils
Ainsi donc, dans cette partie de l'atmosphère qui est la région de l’air déphlo-
gistiqué, celui-ci est d’autant, plus pur qu'on s’éloigne davantage de la surface de
la terre. De plus, comme il y fait plus froid, l’air déphlogistiqué y est accumulé
et condensé.
Or, Leullier-Duché attribue les vertus curatives les plus énergi-
1 Manuscrit conservé à la Bibliothèque de l’Institut, sous le titre de Second Mémoire
de M Charles sur V Aérostatique, 1784. Voir aussi Y Art de voyager dans les airs ou
les ballons, contenant les moyens de faire les globes aérostatiques, suivant la méthode
de MM. de Montgoltier, et suivant les procédés de MM. Charles et Robert. — Paris, 1784,
sans nom d’auteur (par Piroux, selon le Dictionnaire des Anonymes de Barbier).
2 De aerostatum usu medicinœ applicando. — Thèses de Montpellier, 1784.
ASCENSIONS EN BALLON.
181
ques à l’oxygène, et le considère comme agissant même sur la
génération et la mort :
Les naissances à Montpellier se rapportent aux mois de printemps et les morts
aux mois d’automne : pendant le printemps, l’atmosphère est plus chargée d’air
déphlogistiqué que fournit la végétation des plantes, et pendant l’automne leur
putréfaction dégage une plus grande quantité d’air inflammable ou phlogistique
(c’est l’azote qu’il désigne sous cetle double dénomination).
Leullier-Duché propose donc d’employer les aérostats contre les
fièvres intermittentes, pestilentielles, nerveuses, contre le rachi-
tisme, le scorbut, l’hystérie, la chlorose, les mélancolies, les plaies
indolentes, etc.
Nous avons vu que l’inventeur du ballon à hydrogène, dans le
premier, dans l’unique voyage qu’il fit, éprouva quelques sensations
pénibles pour s’être élevé rapidement à une hauteur d’environ
5000m. Il s’agissait simplement d’une dilatation des gaz contenus
dans l’oreille moyenne, gaz qui, vu la rapidité de l’ascension,
n’avaient pas eu le temps de s’échapper par l’orifice de la trompe
d’Eustache. De plus sérieux accidents ne devaient pas tarder à être
constatés.
Le 12 brumaire an VII (Voir le Moniteur , p. 175), Testu-Brissy
s’éleva, monté sur un cheval, à une assez grande hauteur.
Dans un petit livre1 « dédié à l’enfance », une curieuse gravure
le représente à cheval sur une plate-forme que soutient un ballon
cylindrique. Après quelques détails sur l’ascension de l’aventureux
aéronaute, l’auteur, qui dit l’avoir connu, déclare que :
Le but du savant fut atteint ; il acquit la certitude qu’à un degré d’élévation
dont il n’était nullement incommodé, le sang des grands quadrupèdes, apparem-
ment moins fluide que celui de l’homme, s’extravasait dans les artères et coulait par
le nez et par les oreilles. Content d’avoir pris la nature sur le fait, il redescendit
de la hauteur considérable à laquelle il s’était élevé, et rendit compte de son expé-
dition à l’Institut, avec une modeste simplicité. (P. 95).
Il est difficille d’attacher beaucoup d’importance à ce récit.
Deux années après Charles, un aéronaute qui, après avoir joui
d’une popularité prodigieuse, devait mourir pauvre et obscur, Blan-
chard, dont, il est vrai, la parole ne peut avoir une grande autorité,
prétendit s’être élevé, le 20 novembre 1785, de Gand, jusqu’à la
hauteur de 52000 pieds (10400ra):
1 Mme B*** , née de V*** , le Cirque olympique , etc. , suivi du Cheval aéronaute de
M. Testu-Brissy. — Paris, 1817.
482
HISTORIQUE.
Je m’élevai, dit-il1, avec une rupture d’équilibre de 35 livres En moins de
deux minutes, je me vis éloigné de la terre de plus 4500 pieds La dilatation de
l’air inflammable fut telle que je montai à une hauteur incroyable, qui, selon
le rapport de mon instrument, était à 52000 pieds de terre
Je voguais dans l’immensité des airs à la merci des vents, éprouvant un froid
que jamais mortel n’a ressenti dans les climats les plus rigoureux. La nature
languissait, j’éprouvais un engourdissement, prélude d’un sommeil dangereux,
lorsque, me levant malgré le peu de force qui me restait, je m’armai de courage,
j’entrai dans mon ballon et à l’aide du manche de mon drapeau je mis le pôle
inférieur en pièces. (P. 7.)
»
Le résultat de cette manœuvre fut une chute rapide, qui se ter-
mina heureusement, après une série d’incidents curieux.
Blanchard annonça brièvement son voyage dans une lettre2 adres-
sée au Journal de Paris. Il est évident qu’il était monté très-haut;
mais son observation ou son calcul étaient certainement erronés.
L’astronome de Lalande, qui se piquait aussi d’aérostation, se
montra fort peu crédule. Il écrivit5 aux éditeurs de ce singulier
recueil pour réfuter les assertions du vaniteux aôronaute :
Paris, 7 décembre 1785.
Messieurs,
Il s’est glissé probablement une faute dans l’article que vous avez rapporté le
5 de ce mois au sujet du voyage aérien de M. Blanchard, fait le 24 novembre du
côté de Gand; on y lit qu’il s’est élevé à 52000 pieds, ce qui ferait 5335 toises;
la plus grande hauteur où l’on ait été jusqu’ici est de 2434 toises, et la grande
dilatation de l’air fait qu’il serait probablement impossible de s’élever ni de
respirer à une hauteur qui serait plus que double A. 2430 toises de hauteur
le baromètre n’est plus qu’à 16 pouces. M. de la Condamine l’a observé à 45 pouces
4 4 lignes, mais aucun homme ne l’a vu plus bas. Si l’on pouvait s’élever à 5444 toises,
le baromètre ne serait plus qu’à 8 pouces, et il est vraisemblable que l’hémorrhagie
et la mort en seraient bientôt l’effet.
De Lalande.
Suit une table donnée par de Lalande, indiquant les rapports
entre la pression barométrique et la hauteur :
27 pouces 458 toises 12 pouces 3679 toises
*
:
41
4057
46
2430
10
4472
15
2710
9
4929
44
3040
8
5441
43
3332
7
6024
1 Relation du seizième voyage aérien de M. Blanchard, dédiée à S. A S. Mgr le prince
de Ligne ; br. in-4° de 47 p. — Gand, 4786.
2 Journal de Paris, 5 décembre 4785.
3 Ibid., 20 décembre 4785; p. 4466.
ASCENSIONS EN BALLON.
183
Pour le dire en passant, Lalande reproduit cette table dans Y An-
nuaire du bureau de longitudes pour l’année 1805, puis il ajoute :
Ces derniers nombres seront probablement éternellement inutiles; l’espèce
humaine ne verra jamais le baromètre à 11 pouces, à moins que, par des moyens
artificiels, on ne parvienne à donner de l’air aux poumons et à diminuer l’effort
de l’air intérieur. (P. 94.)
Dans Y Annuaire de 1806,1a réflexion sur l’impossibilité d’attein-
dre 11 pouces est supprimée. Il est dit seulement :
Les derniers nombres seront probablement inutiles : M. Gay-Lussac n’a pu aller
qu’à 3584 toises. (P. 99.)
Rectification prudente, car 11 pouces correspondent d’après La-
lande à 4057 toises (7907 métrés), hauteur de beaucoup dépassée
depuis, comme on le verra, par Glaisher et Coxwell et par Gaston
Tissandier.
Mais revenons à Blanchard ; il ne se tint pas pour battu, et ré-
pondit assez fièrement dans le Journal de Paris 1 :
Messieurs,
Si je n’ai point répondu plus tôt à la lettre que vous a adressée M. de Lalande
sur une prétendue erreur au sujet de mon voyage à Gand, dans lequel je dis
m’être élevé à la hauteur de 32000 pieds, ce n’est point faute de moyens; je ne
le ferai pas même aujourd’hui, me réservant de discuter son opinion d’une manière
plus étendue dans la collection des journaux de mes voyages que je me propose
de donner au public. La nature de votre journal, Messieurs, ne me permettrait
point une aussi longue discussion.
M. de la Condamine, dit mon illustre antagoniste, est le seul homme qui ait
observé le baromètre au degré le plus bas, et il l’a observé, ajoute-t-il, à 15 pouces
11 lignes. Il ne servirait de rien de lui rappeler que j’ai dit l’avoir vu à 14 pouces
dans mon voyage de Lille avec le chevalier de l’Epinard, et plus bas encore en
Angleterre, parce que, des paroles n’étant pas des preuves, il conserverait à cet égard
la même incrédulité. Connaissant toute la supériorité de M. de Lalande, je n’ai
garde de lutter avec lui qu’avec des armes victorieuses ; et comme des faits dé-
mentent quelquefois les calculs les plus sûrs, je me borne dans ce moment-ci à
l’inviter, ainsi que je viens de le faire par une lettre particulière, à me faire
l’honneur de m’accompagner dans ma prochaine ascension ; il sera pour lors con-
vaincu que les raisonnements les mieux fondés ne sont rien contre la certitude
d’un fait.
J’ai l’honneur d’être, etc.
Blanchard.
Citoyen de Calais, pensionnaire du roi.
On sait que de Lalande répondit au défi.
1 5 janvier 1786, p. 18.
184
HISTORIQUE.
Il faut lire dans le Journal de Paris1 sa curieuse correspondance
avec Blanchard à ce propos. Le 8 thermidor an VII, ils s’élevèrent
tous deux avec la fameuse flottille de cinq ballons inventée par le
célèbre aéronaute. Ils espéraient, en se servant des courants, s’en
aller jusqu’à Gotha « voir, avec délices, disait Lalande, un prince et
une princesse qui, par leurs connaissances et leur zèle pour les
sciences, donnent l’exemple à tous les autres » ; mais, hélas! l’un
des ballons creva, l’astronome et le citoyen de Calais retombèrent
sans gloire au bois de Boulogne.
Mais laissons là des récits manquant de précision et peut-être de
véracité. Nous rentrons dans le domaine des tentatives scientifi-
ques avec les remarquables ascensions de Bobertson et, bientôt
après, de Gay-Lussac.
La plus importante ascension du physicien français Bobertson2
eut lieu à Hambourg, le 18 juillet 1805. 11 partit à neuf heures du
matin, accompagné de M. Lhoëst, son condisciple et compatriote; le
baromètre marquait 28 pouces, le thermomètre de Réaumur 16° :
Pendant les différents essais dont nous nous occupions, nous éprouvions une
anxiété, un malaise général ; le bourdonnement d’oreilles dont nous souffrions
depuis longtemps augmentait d’autant plus que le baromètre dépassait les
treize pouces. La douleur que nous éprouvions avait quelque chose de semblable
à celle que l’on ressent lorsque l’on plonge la tête dans l’eau. Nos poitrines pa-
raissaient dilatées et manquaient de ressort, mon pouls était précipité; celui de
M. Lhoëst l’était moins : il avait, ainsi que moi, les lèvres grosses, les yeux sai-
gnants ; toutes les veines étaient arrondies et se dessinaient en relief sur mes
mains. Le sang se portait tellement à la tête, qu’il me fit remarquer que son
chapeau lui paraissait trop étroit. Le froid augmenta d’une manière sensible; le
thermomètre descendit alors assez brusquement jusqu’à 2° et vint se fixer à
5* 1/2 au-dessous de glace, tandis que le baromètre était à 12 pouces 4/100. A
peine me trouvais-je dans cette atmosphère, que le malaise augmenta ; j’étais
dans une apathie morale et physique ; nous pouvions à peine nous défendre du
sommeil que nous redoutions comme la mort. Me défiant de mes forces, et crai-
gnant que mon compagnon de voyage ne succombât au sommeil, j’avais attaché
une corde à ma cuisse, ainsi qu’à la sienne ; l’extrémité de cette corde passait
dans nos mains. C’est dans cet état, peu propre à des expériences délicates, qu’il
fallut commencer les observations que je me proposais. (T. I, p. 70.)
A ce point élevé, l’état où nous nous trouvions était celui de l’indifférence :
là, le physicien n’est plus sensible à la gloire et à la passion des découvertes; le
danger même qui résulte dans ce voyage de la plus légère négligence ne l’occupe
guère ; ce n’est qu’à l’aide d’un peu de vin fortifiant qu'il parvient à retrouver
des intervalles de lumière et de volonté.
1 16 et 20 messidor et 10 thermidor an VU.
2 Robertson, Relation adressée au président de V Acad. imp. de Sainl-Pétersb., dans
ses Mémoires récréatifs , scientifiques et anecdotiques, 2 vol. — Paris, 1840.
ASCENSIONS EN BALLON.
485
Comme je ne veux rien omettre de ce qui peut jeter quelque jour sur les fonc-
tions de l’économie animale et les opérations de la nature à cette élévation, je
dois faire remarquer que, lorsque le baromètre était encore à 12 pouces, mon
compagnon m’offrit du pain : je fis de vains efforts pour l’avaler, et je ne pus ja-
mais y parvenir. Si l’on considère attentivement l’état de l’atmosphère où j’étais, et
dont la grande rareté n’offrait qu’une légère résistance à ma poitrine qui se dilatait; si
l’on considère la petite quantité d’oxygène que doit contenir le fluide dans lequel
je nageais, on pourra croire que mon estomac, déjà plein d’un air plus dense et
appauvri parla perte de l’oxygène, n’était point propre à recevoir des aliments so-
lides et encore moins à les digérer. Je dois ajouter que les sécrétions naturelles ont
été suspendues chez mon ami et chez moi pendant les cinq heures de voyage, et
qu’elles n'ont eu lieu que trois heures après notre retour sur la terre
Septième expérience. J’avais emporté deux oiseaux : au moment de l’expérience
j’en trouvai un mort, sans doute par la raréfaction de l’air ; l’autre paraissait as-
soupi. Après l’avoir placé sur le bord de la gondole, je cherchai à l’effrayer pour
lui faire prendre la fuite : il agita ses ailes, mais ne changea pas de place; alors
je l’abandonnai à lui-même, et il tomba perpendiculairement avec une extrême
vitesse. 11 n’y a point de doute que les oiseaux ne pourraient se maintenir à cette
élévation. (P. 76.)
On peut évaluer l’élévation de l’aérostat, en tenant compte de toutes les correc-
tions, à 3679 toises (7170 mètres)1. (P. 83.)
Le numéro du 16 mars 1876 du journal Les Mondes dit à ce
propos :
Si, à un certain passage de sa relation, Robertson dit être monté à 7170 mètres,
dans un autre il ne dit plus que 7075; en calculant à l’aide des tables actuelles
de Y Annuaire du Bureau des longitudes sur les données de température et de pres-
sion enregistrées par Robertson, on trouve seulement 6881“ pour la hauteur
maxima (Ch. Boissay).
Robertson envoya le récit de son ascension et des expériences
de physique qu’il y avait exécutées, à la Société galvanique; un
rapport fut fait2, duquel nous extrayons le passage suivant :
»
Nous savons depuis longtemps qu’un animal ne peut passer impunément d’un
air auquel il est habitué dans un air beaucoup plus dense ou beauconp plus rare.
Dans le premier cas, il a à souffrir de l’effort de l’air extérieur, qui le presse outre
mesure ; dans le second cas, ce sont les liquides ou fluides élastiques faisant partie
de son système, qui, moins pressés qu’ils ne doivent l’être, se dilatent et agissent
contre leur enveloppe. Dans l’un et l’autre cas, ce sont à peu près les mêmes effets,
anxiété, malaise général, bourdonnement d’oreilles et souvent des hémorrhagies ;
l’expérience de la cloche du plongeur nous avait depuis longtemps indiqué ce qui
arriverait aux aéronautes. Notre collègue et son compagnon de voyage ont éprouvé
ces effets dans une grande intensité ; ils avaient les lèvres gonflées, les yeux
saignants ; les veines arrondies se dessinaient en relief sur leurs mains, et, ce
1 C’est donc par erreur que tous les auteurs, sans exception, ont attribué à l’ascension
de Robertson une élévation de 7470m.
2 Par Izarn (Voir le Moniteur universel, 25 janvier 1804).
186
HISTORIQUE.
qui est très-remarquable, ils conservèrent l’un et l’autre un teint brun rougeâtre
qui étonnait ceux qui les avaient vus avant leur ascension.
Cette distension des vaisseaux, dans leurs ramifications extrêmes, doit néces-
sairement produire un embarras, une gêne dans tous les mouvements muscu-
laires ; et c’est principalement à cette cause que je crois qu’il faut attribuer les
vains efforts que fit notre collègue pour avaler le pain que son compagnon de
voyage lui présenta lorsqu’ils étaient encore à une hauteur marquée par 12 pou-
ces du baromètre. (Mém., t. I,p. 106.)
Un aéronaute qui se rendit célèbre en descendant le premier
(29 octobre 1797) de ballon en parachute, Jacques Garnerin, voulut
enlever à son rival Robertson le mérite de l’ascension la plus élevée.
Il prétendit, comme le prouve l’extrait suivant du Journal de Pa-
risl, être monté jusqu’à 4200 toises (81 86m) :
M. Garnerin écrit de Saint-Pétersbourg, pour l'intérêt des sciences et des arts ,
que des barbares ont mutilé, à Paris, la relation du voyage aérien qu’il a entrepris
à Moscou le 3 octobre dernier, et dans lequel il s’éleva tout juste à la hauteur de
4200 toises, sans avoir éprouvé d’autre accident qu’une hémorrhagie par les narines,
et un peu de malaise par le froid. Heureuse occasion d’entretenir le public de ses
querelles avec M. Robertson, qu'il appelle Yaéronaule de Hambourg , et dont il con-
teste l’esprit d'observation et la véracité! « Je me suis élevé, dit M. Garnerin,
521 toises plus haut que l’aéronaute de Hambourg, et je ne me suis pas aperçu
que la matière fût diminuée de pesanteur, je n’ai pas vu le soleil sans éclat, ni le
ciel sans azur. Je n’ai senti ni apathie extraordinaire, ni difficulté d’avaler, ni envie
de dormir, etc »
Rien ne semble moins authentique que l’assertion de Garnerin ;
les faits que nous rapporterons tout à l’heure montrent qu’à la
hauteur où il dit être parvenu il aurait éprouvé des troubles phy-
siologiques très-graves.
Dans celte même année, une ascension des plus émouvantes avait
lieu à Rologne.
Le comte Fr. Zambeccari, de Bologne, le docteur Grassetti, de
Rome, et Pascal Andreoli, d’Ancône, partirent dans la nuit du 7 au
8 octobre 1803. Ils avaient passé la journée à gonfler leur ballon
qui mesurait 14000 pieds cubes, et voulaient ne partir que le
lendemain ; mais ils durent se hâter, devant le désordre et les cris
de la populace de Bologne. Le ballon s’éleva avec une rapidité
extrême, et ils arrivèrent bientôt à une telle hauteur, que Zambec-
cari et Grassetti, saisis par le froid et épuisés par une série de
vomissements, tombèrent dans une espèce de défaillance accompa-
gnée d’un profond sommeil. Le récit sommaire, inséré dans les
1 20 janvier 1804; an XII, t. I, p. 75
ASCENSIONS EN BALLON.
187
Annales de Gilbert l, raconte comme suit leurs souffrances et leur
malheur :
Andreoli, qui avait conservé l’usage de ses sens, ne put pas lire le baromètre,
parce que la bougie qu’ils avaient emportée dans une lanterne s’était éteinte. Vers
2 heures 1/2 du matin, le ballon commença à descendre, et Andreoli entendit
distinctement le bruit des vagues qui se brisaient sur les côtes de la Romagne. Il
réveilla ses compagnons La nacelle et le ballon tombèrent dans la mer Adria-
tique, et cela avec une telle violence, que l’eau jaillit autour d’eux à la hauteur
d’un homme. Les aéronautes, couverts d’eau, jetèrent en grande hâte un sac de
sable, leurs instruments, et tout ce que contenait leur nacelle.
Alors le ballon s’élança une seconde fois rapidement dans les airs. Ils traversèrent
trois couches de nuages, et leurs vêtements se couvrirent d’une couche épaisse de
glace ; l’air était si raréfié, qu’ils pouvaient à peine s’entendre l’un l’autre. Vers
3 heures le ballon descendit de nouveau.
Le triste pamphlétaire allemand Kotzebue2, pendant son voyage
en Italie, rendit visite à Zambeccari, cet homme « dont les yeux sont
des pensées». L’intrépide aéronaute lui fit un récit détaillé de cette
terrible ascension du 7-8 octobre, dans laquelle il faillit périr :
Je m’enlevai à minuit, dit-il Soudain nous montâmes avec une rapidité in-
concevable
Nous ne pouvions observer l’état du baromètre qu’à la lueur d’une lanterne, et
très-imparfaitement. Le froid insupportable qui régnait dans la région où nous
nous trouvions, l’épuisement où m’avait mis le défaut de nourriture depuis
24 heures, le chagrin qui accablait mon âme, tout cela réuni m’occasionna une
défaillance totale, et je tombai sur le bas de la galerie dans une espèce de som-
meil semblable à la mort. Il en arriva autant à mon compagnon Grassetti. Andreoli
fut le seul qui resta éveillé et bien portant, sans doute parce qu’il avait l’estomac
bien garni et qu’il avait bu du rhum en abondance. A la vérité, il souffrait aussi
beaucoup du lroid, qui était excessif, et fit pendant longtemps de vains efforts
pour me réveiller. Enfin, il réussit à me remettre sur les pieds, mais mes idées
étaient confuses; je lui demandai, comme si je fusse sorti d’un rêve : Qu’y a-t-il
de nouveau? où allons-nous? quelle heure est-il? d’où vient le vent?
11 était deux heures. La boussole était à bas, par conséquent elle nous devenait
inutile ; la bougie qui était dans notre lanterne ne pouvait brûler dans un air aussi
raréfié, sa lumière s’affaiblissait de plus en plus, et finit par s’éteindre. (T. IV,
p. 301-305.)
Ils tombèrent alors dans la mer; puis, ayant jeté tout ce que con-
tenait leur nacelle, ils s’élevèrent de nouveau :
Avec une telle rapidité, à une si prodigieuse élévation, que nous avions de la
peine à nous entendre même en criant; je me trouvai mal, et il me prit un vo-
1 Abeutener des Grafen Z... bei einer nachtlichen Luftfahrt. — Gilbert' s Annal en der
Physik, vol. XVI, p. 205- ‘209 ; 1804.
2 Souvenirs d'un voyage en JÂvonie, à Rome et à Naples, faisant suite aux Souve-
nirs de Paris. Traduit de l’allemand. — Paris, 4 vol., 1806.
188
HISTORIQUE.
missement considérable. Grassetti saigna du nez ; nous avions tous deux la respi-
ration courte et la poitrine oppressée. Comme nous étions trempés jusqu’aux os au
moment où la machine nous avait transportés dans ces hautes régions, le froid
nous saisit rapidement, et nous fûmes couverts en un instant d’une couche de
glace. Je n’ai pu me rendre compte de la raison pour laquelle la lune, qui était
dans son dernier quartier, se trouva en ligne parallèle avec nous, et nous parut
rouge comme du sang. Après avoir parcouru pendant une demi-heure ces régions
immenses, et avoir été portée à une hauteur incommensurable, la machine recom-
mença à descendre lentement, et nous retombâmes encore une fois dans la mer ;
il était environ quatre heures du matin. (T. IV, p. 505.)
Les malheureux aéronautes tomés dans l’Adriatique y restèrent,
jouets des vents et des flots, jusqu’à huit heures, où une barque les
sauva, non sans grandes difficultés. Ils avaient les pieds et les
mains gelés, et Zambeccari dut se faire amputer trois doigts.
L’année suivante, Robertson1 fit, le 50 juin, une nouvelle ascen-
sion, accompagné du physicien russe Sacharoff; mais ils ne virent
s’abaisser le baromètre qu’à 22 pouces, et n’éprouvèrent rien de
notable.
Cette même année 1804, deux jeunes physiciens, Biot et Gay-
Lussac2, furent chargés par l’Institut de France d'une mission scien-
tifique dans les airs. Ils devaient tout particulièrement s’occuper
des variations dans la puissance magnétique, que de Saussure
croyait avoir constatées sur le col du Géant.
Les deux savants partirent le 6 fructidor, à dix heures du ma-
tin, du jardin du Conservatoire des Arts. Comme ils ne s’élevèrent
pas au-dessus de 4000m par une température de -+- 10°, ils ne de-
vaient éprouver aucun trouble physiologique sérieux. Aussi ne di-
sent-ils que quelques mots de cet ordre de faits :
Nous observâmes les animaux que nous avions emportés ; ils ne paraissaient pas
souffrir de la rareté de l’air ; cependant le baromètre était à 20 pouces 8 lignes,
ce qui donne une hauteur de 2622 mètres. Une abeille violette, à qui nous avions
donné la liberté, s’envola très-vite et nous quitta en bourdonnant
Notre pouls était fort accéléré ; celui de M. Gay-Lussac, qui bat ordinairement
62 pulsations par minute, en battait 80 ; le mien, qui donne ordinairement
89 pulsations, en donnait 111. Cette accélération se faisait donc sentir pour’ nous
deux à peu près dans la même proportion. Cependant notre respiration n’était
nullement gênée ; nous n’éprouvions aucun malaise, et notre situation nous sem-
blait extrêmement agréable
Nous avons observé nos animaux à toutes les hauteurs; ils ne paraissaient souf-
frir en aucune manière. Pour nous, nous n’èprouvions aucun effet, si ce n’est cette
accélération du pouls dont j’ai déjà parlé.
1 Ascension de Robertson et Sacharoff, le 30 juin 1804. — Annales de Chimie, 1804,
vol. LU, p. 121 (Récit de Robertson). — Philosophical Magazine, 1805; t. XXI, p. 193
(Récit de Sacharoff) .
i Relation d’un voyage aérostatique fait par MM. Gay-Lussac et Riot ; lue à la classe
ASCENSIONS EN BALLON.
189
Suit le récit de ce qui arriva à un verdier et à un pigeon, lâchés
à 5400 mètres; le pigeon ouvrit les ailes et se laissa tomber en dé-
crivant des cercles, comme les grands oiseaux de proie.
Gay-Lussac1 repartit seul, quelques jours après, et s’éleva beau-
coup plus haut que la première fois. Les accidents d’ordre physio-
logiques furent très-supportables; il s’en exprime ainsi :
Parvenu au point le plus haut de mon ascension, à 7016 mètres au-dessus
du niveau de la mer, ma respiration était sensiblement gênée ; mais j’étais en-
core bien loin d’éprouver un malaise assez désagréable pour m’engager à des-
cendre. Mon pouls et ma respiration étaient très-accélérés : ainsi, respirant trés-
fréquemment dans un air très-sec, je ne dois pas être surpris d’avoir eu le gosier
si sec, qu’il m’était pénible d’avaler du pain
Ce sont là toutes les incommodités que j’ai éprouvées. (P. 89.)
Robertson fait à propos de ce récit une observation intéressante,
parce qu’elle montre quelle cause il assigne aux phénomènes qu’il
a éprouvés lui-même :
Je ne pense pas qu'il y ait professeur de physique qui n'ait parlé à ses auditeurs
du poids de la colonne d’air qui correspond à la surface du corps d’un homme,
et qui n’ait démontré que ce poids énorme est rendu insensible à ce corps par l’é-
quilibre établi entre la pression de l’air extérieur et la réaction des fluides élas-
tiques qui font partie de son système intérieur. 11 n’en est pas qui n’ait démontré
quels doivent être les effets de la rupture de cet équilibre. (. Mém ., t. I, p. 107.)
Mais rien n’autorisait Roberlson à tirer de ces réflexions l’étrange
conclusion qui suit :
Je ne pense pas que M. Biot ait changé tout cela. On ne peut donc se refuser à
conclure que les effets éprouvés par M. Lhoëst et par moi, puis parM. Sacharoff,
n’ont rien que de très-rationnel ; tandis que ceux éprouvés par MM. Biot et Gay-
Lussac y dérogent au point qu’ils ont besoin d’être expliqués. Or, la seule expli-
cation possible, c‘est que ces aéronautes ne sont pas montés assez haut, ou bien
qu’ils sont montés si lentement, qu’il n’y a pas eu pour eux rupture d’équilibre,
sans quoi l’on ne voit pas ce qui aurait pu les préserver d’éprouver les effets qui
en sont la suite inévitable. (Ibid., p. 108.)
Ce doute jeté si gratuitement sur la véracité des observations de
savants comme Biot et Gay-Lussac, a dû appeler de justes repré-
sailles, et il n’est pas pour peu de chose dans le discrédit immérité
qui depuis a frappé les assertions de Robertson.
des sciences mathématiques et physiques de l'Institut national , le 9 fructidor an XII.
— Moniteur universel du 1*2 fructidor an XII (30 août 1804).
1 Relation d’un voyage aérostatique fait par M. Gay-Lussac le 29 fructidor an XII. —
Ann. de Chimie , t. LII, p. 75-94, an XIII.
190
HISTORIQUE.
L’ascension de Gay-Lussac eut un retentissement mérité. Mais on
alla trop loin en passant complètement sous silence celles qui
l’avaient précédée. Robertson se plaignit, non sans raison, qu’on
eût méconnu le rôle qu’il avait antérieurement joué :
M. Biot, dit-il, a imprimé dans son traité de physique, et ne manque pas de ré-
péter dans ses cours au Collège de France, que M. Gay-Lussac s’est élevé à la plus
grande hauteur où l’homme soit parvenu jusqu’à ce jour. Cette assertion, toute
fausse qu’elle est, s’accrédite parmi la jeunesse, parce que je n'ai personne qui
puisse dire chaque année à quelques centaines d’auditeurs que, plus d’un an avant
l’ascension de M. Gay-Lussac, je m’étais élevé à 5650 toises ; et viendra bientôt le
temps où personne ne saura ou ne se souviendra qu’avant l’ascension de MM. Biot
et Gay-Lussac, j’en avais fait une semblable, et, comme la leur, dans l’intérêt de
la science, mais pendant laquelle l’air de ces hautes régions s’était montré pour
moi moins hospitalier que pour ces messieurs. (Mém., t. I, p. 117.)
Peu d’années après, en août 1808, un des compagnons de l’infor-
tuné Zambcccari, Andreoli, s’éleva de Padoue, et atteignit, s’il faut
l’en croire, une hauteur bien supérieure à celle où étaient parve-
nus ses prédécesseurs. Le correspondant du Journal de Paris1, qui
raconte le fait, paraît attacher peu de foi au récit de l’aéronaute
italien, récit bien extraordinaire en effet, et dans lequel on ne sait
ce dont il faut le plus s'étonner, ou de la montée ou de la descente
des imprudents et heureux aéronautes :
Italie. Padoue, 23 avril 1808.
M. Andreoli entreprit hier dans cette ville un voyage aérostatique, qui n’a pas
été très-heureux, et sur la relation duquel tous les gens instruits élèvent des
doutes injurieux à la véracité du physicien. Suivant cette relation vraiment cu-
rieuse, et dont on se moquera peut-être à Paris, M. Andreoli, accompagné de
M. Brioschi, s’éleva à 5 heures 1/2 de l’après-midi, en présence d’un grand nom-
bre de spectateurs. Le baromètre étant descendu à 15 pouces (à 15 pouces ! est-
on bien sûr de ce qu’on dit, et sait-on qu’à ce degré l’air doit être et est en
effet prodigieusement raréfié? Et dans ce cas, comment les deux voyageurs eus-
sent-ils respiré ?) à cette élévation, Brioschi commença à sentir des battements
de cœur extraordinaires, sans cependant s’apercevoir d’aucune altération pénible
dans la respiration : le baromètre s’abaissant ensuite à 12°, il se sentit accablé
d’un doux sommeil, qui devint bientôt une véritable léthargie (on ne dit pas ce
qu’éprouva M. Andreoli, et comment il résista au puissant narcotique qui acca-
blait son compagnon). La machine montait toujours et quand le baromètre fut
environ à 9 pouces (c’est-à-dire à une hauteur beaucoup plus grande que celle
de la plus élevée des Cordillères), Andreoli s’aperçut qu’elle était totalement gon-
flée et qu’il ne pouvait faire aucun mouvement de sa main gauche. Le mercure,
continuant à descendre, marqua 8 pouces 1/2. Alors le globe fit entendre une
forte détonation ; fendant l’air avec un grand bruit, il commença à descendre ra-
! 9 septembre 1808.
ASCENSIONS EN BALLON.
191
pidement (je le crois), et alors M. Brioschi s’éveilla (non sans frayeur). La chute
eut lieu sur le château d’Engança, non loin du tombeau de Pétrarque et de la
ville d’Acqua, à 12 milles de Padoue; et ce qu’il y a de plus merveilleux dans ce
récit si merveilleux d’un bout à l’autre, c’est que les voyageurs, protégés sans
doute par un génie échappé des Mille et une nuits , n’ont pas éprouvé le plus petit
mal, la plus petite égratignure. Voilà certes un miracle qui doit déconcerter tous
les calculs des physiciens ordinaires. Quoi qu’il en soit les voyageurs prirent des
chevaux de poste, et vinrent à 8 heures 1/2 recevoir à Padoue des félicitations
que méritait, de toutes manières, un si prodigieux succès.
Je dois noter ici que le célèbre aéronaute anglais M. Glaisher1 pa-
raît disposé à ajouter foi à ces faits extraordinaires; il fait remar-
quer qu’Andreoli, habitué aux ascensions, a beaucoup moins souf-
fert que son compagnon. Et, quant à la possibilité de survivre à
une aussi effroyable chute, il la discute avec autorité et l’admet
sans grande hésitation. (P. 161.)
Le 29 août 1811, deux Anglais, Beaufoy et Sadler 2 3, exécutèrent
une ascension, dans laquelle ils ne dépassèrent pas six mille pieds,
et qui ne présente d’intéressant pour nous que la sensation éprou-
vée par Beaufoy « d’une légère pression dans les oreilles et d’un
peu de surdité », et surtout l’explication bizarre qu’en donna le voya-
geur : il attribua cet effet à « l’humidité reçue sans chapeau pen-
dant le voyage.» (P. 296.)
Le 26 avril 1812, la veuve de Blanchard, qui devait si miséra-
blement périr, le 6 juillet 1819, sur un toit de la rue de Provence,
fit à Turin une ascension dans laquelle elle prétendit s’être élevée
à une très-grande hauteur. Le Journal de Paris 5 en rendit compte
dans les termes suivants :
Elle avait emporté avec elle un baromètre A 15 pouces 0 lignes, le froid
était glacial ; à 14 pouces 1 ligne, Mme Blanchard dit avoir éprouvé une diminu-
tion de froid ; à 12 pouces 11 lignes, elle ressentit un battement de l’artère près
de l’angle extérieur de l’œil gauche et une espèce de tremblement de la paupière
inférieure du même œil. A 12 pouces 3 lignes, elle eut une forte hémorrhagie au
nez.
Peu de minutes après, le baromètre marqua 10 pouces 3 lignes, qui est son
plus grand abaissement.... Celte indication porte la plus grande élévation de
Mme Blanchard à 3900 toises (7600m) ; à cette hauteur le froid était insupporta-
ble, le thermomètre de Réaumur était à 17° au-dessous de la glace
La couleur du ciel paraissait presque noire Le soleil n’avait pas ses rayons
ordinaires et présentait un diamètre beaucoup plus petit que celui qu’il offre
1 Travels in the Air, by Glaisher, Flamarion, W. de Fonvielle and G. Tissandier,
2e éd. — London, 1871.
2 Biblioth. britann , t. LYII, p. 286-500; 1814.
3 8 mai 1812.
192
HISTORIQUE.
lorsqu’on le regarde de la surface de la terre. Un moment après ces observations,
le thermomètre baissa encore d’un degré, et Mme Blanchard, presque engourdie,
se décida à descendre.
Robertson éleva quelques doutes sur l’exactitude des observations
barométriques de Mme Blanchard. La note qu’il envoya au Journal
de Parus1 contient, sur les souffrances que Llioëst et lui avaient éprou-
vées dans leur ascension de juillet 1803, des faits qui ne sont point
insérés dans le récit détaillé que nous avons reproduit plus haut :
L’élévation à laquelle vous annoncez que Mme Blanchard s’est élevée dernière-
ment à Turin doit d’autant plus étonner vos lecteurs qu’elle doit être regardée
comme le dernier degré de la témérité de l’homme D’abord je dois avouer
que je crois impossible à l’homme, avec un aérostat de 20 pieds de diamètre, dont
se sert ordinairement Mme Blanchard, de s’élever assez haut pour faire descendre
le mercure à 10 pouces
Lorsqu’on arrive à 1 élévation de 5600 toises, l’homme succombe par degré et
d’une manière insensible à un sommeil léthargique : ses facultés morales s’é-
teignent longtemps avant ses facultés physiques. D’abord on n’a ni mémoire, ni
soucis pour le présent et pour l’avenir ; on oublie la surveillance qu’exige l’aé-
rostat ; bientôt un sommeil lent et doux, auquel on sent l’impossibilité de résis-
ter, assoupit tous les membres et tient l’aéronaute dans une asphyxie complète,
et sans doute mortelle si elle est prolongée
En juillet 1803 je me suis élevé à Hambourg avec M. Llioëst.... Le baromètre
descendit à 12 pouces et quelques lignes (lorsque nous jouissions encore de nos fa-
cultés). Le ciel nous parut brun; le soleil était sans éclat; on pouvait le fixersans
être ébloui; nous eûmes une légère hémorrhagie, et enfin nous éprouvâmes tout ce
que Mme Blanchard vient de nous annoncer. Nous succombâmes dans cette ascen-
sion au sommeil ; mais la partie inférieure du ballon.... donna la liberté au gaz
chassé par la dilatation. Nous sortîmes de cet assoupissement tous les deux à la
fois et subitement, sans pouvoir dire ce qui s’était passé, sinon qu’il y avait eu
une solution de continuité dans nos idées.
Eugène Robertson2, l’un des fils du célèbre aéronaute, s’éleva le
16 octobre 1826, de Castle-Garden à New-York, jusqu’à 21000 pieds
(6400m)3, dans un ballon de 16000 pieds cubes, gonflé à l’hydro-
gène :
La respiration était laborieuse et pénible, les facultés étaient émoussées, le
froid insupportable, surtout aux mains. (Therm. à 21° F.)
Le 12 février 1835, ce même aéronaute 4 partit de Mexico et alla
1 16 mai 1812.
2 Silliman’s American journal, vol. XII, p. 161-168; 1827.
5 L’ouvrage de Roch ( Essai sur les Voyages aériens d’Eug. Robertson; Paris, 1831),
dit 5533 toises (6886m).
4 Relation du premier voyage aérostatique exécuté dans la République mexicaine. —
Paris, 1835.
ASCENSIONS EN BALLON.
193
jusqu’à 5928m. Il examina de près le cratère de l’ancien volcan la
Cliicle , et s’éleva « au-dessus d’une pépinière de monts. »
Le fameux aéronaute anglais Green, qui a fait, au témoignage
de Glaisher1, plus de quatorze cents ascensions, est très-certaine-
ment monté plusieurs fois à de grandes hauteurs; mais il paraît
s’être très-peu préoccupé de mesures exactes, et ses chiffres portent
l’empreinte d’une grande exagération.
L’une de ses ascensions, qui eut lieu en 1821, est curieuse par la
nature du gaz avec lequel il gonfla son ballon ; il employa l’oxyde
de carbone, qui le porta à 11000 pieds2. Mais ceci ne touche pas
à notre sujet.
Le 20 avril 1851, le docteur Forster3 exécuta avec Green un voyage
aérostatique qui ne dépassa pas 6000 pieds, hauteur à laquelle ils
demeurèrent pendant quatre heures. Leurs observations physiologi-
ques n’ont guère porté que sur les phénomènes de surdité qui attei-
gnent les voyageurs en montagne et les aéronautes. Forster les con-
sidère comme ayant dans les deux cas des causes très-différentes
et dus, dans le premier, à un sentiment de plénitude dans les
oreilles, dans le second à un véritable affaiblissement de l’ouïe.
L’exagération extravagante des affirmations de Green commence
à se manifester dans une note du rédacteur du Frorieps Notizen 4
qui rapporte naïvement que Green avait fait deux cent vingt-six as-
censions, dans lesquelles plusieurs fois il avait, assurait-il, dé-
passé 6000 toises , sans éprouver de difficultés à respirer.
Le récit que Green 5 donna lui-même de la catastrophe par la-
quelle, le 27 septembre 1856, son compagnon déroute Gocking per-
dit la vie, indique une hauteur qu’il ne faudrait peut-être pas accep-
ter de confiance. On sait que Green joua dans cette folle aventure
un fort triste rôle. Cocking avait fabriqué un parachute à V envers
sur l’absurdité duquel personne ne pouvait concevoir de doute-
Green consentit cependant à l’emmener. Le malheureux Cocking
détacha son parachute au moment où le ballon dépassait 5000
pieds; il tomba comme une pierre. En même temps, le ballon dé-
lesté, bondit à de grandes hauteurs :
1 Les Voyages aériens. — Paris, 1870, p. 27.
2 Einiges über die Luftreize des H. Green in London am Krônungstage des Kônias
Frorieps Notizen, vol. I, p. 71 ; 1822. — Voy. encore : Ibid, vol. V, p. 202; 1823. J '
5 Bericht über eine Luftschiffarht. Ibid , vol. XXXII, p. 49; 1831.
4 Neue Froriep's Notizen, t. I, p. 8; 1837.
:i Lettre au Standard, juillet 1837.
13
194
HISTORIQUE.
Nous nous élevâmes alors avec une telle rapidité que nous fûmes presque suffo-
qués; j’avais beaucoup de peine à reprendre mes sens et à examiner le baromètre:
mais M. Spencer observa que le mercure s’arrêta à 13,20 ce qui donne une élé-
vation de 24384 pieds (7450ra), ou environ 4 milles 1/4.
Mais cela n’est rien à côté de ce qu’il raconta d’une ascension
faite avec Rusch ; le pathologiste Renie1 rapporte cette asserlion
prodigieuse comme une chose toute simple, et sans faire d’observa-
tion :
Dans ses ascensions en ballon, Green dit n’avoir éprouvé aucune accélération
du pouls, ni de la respiration, excepté lorsqu’il s’élevait rapidement en jetant
du lest.
En 1858 il s’éleva avec Rusch à la hauteur de 27,156 pieds (8268 mètres), où
il vit le baromètre s’abaisser à 10 pouces 52; les premiers 11000 pieds (5350 mè-
tres) furent franchis en 7 minutes, sans autres incommodités que celles qui ont
été signalées plus haut. (P. 586.)
A beau mentir qui vient de haut! Un aéronaute italien prétendit
avoir encore dépassé la fabuleuse hauteur que disait avoir atteinte
l’aéronaute anglais. On lit en effet, dans les comptes-rendus de
l’Académie des sciences de Paris2 :
M. Bonafoux écrit qu’à l’occasion des fêtes de mariage du prince héréditaire de
Savoie, M. Gomaschi a fait à Turin une ascension aérostatique, dans laquelle, s’il
n’y a pas eu erreur dans l’observation du baromètre, M. Gomaschi se serait élevé à
9474 mètres au-dessus du niveau de la mer; mais la différence de température
semblerait indiquer une moindre hauteur.
Le récit de Ilobard, s’il ne donne pas de renseignements d’une
grande précision, paraît du moins véridique; il est inséré dans le
Courrier français du 9 octobre 1855 :
Le 17 août 1855, un aéronaute, M. Ilobard, avait couru les plus grands dangers
dans une ascension qu’il avait faite à Lynchburg, enVirginie ; il s’était enlevé à
sept heures du soir, et, en moins d'une heure, il avait pris terre à environ treize
lieues de la ville. M. Hobard, dans sa relation, dit que peu de minutes après son
départ il perdit entièrement la terre de vue. A sept heures et demie, il fit sa
dernière observation et s’estima à plus d'une lieue de hauteur. Il aperçut alors
deux météores, l’un dans le nord et l’autre dans l’ouest ; ce dernier semblait s’ap-
procher rapidement, mais il disparut tout d’un coup, à la grande satisfaction de
M. Ilobard, qui craignait qu'il n’embrasât son aérostat. Peu de temps après, une
bourrasque emporta le ballon et l’enleva en tourbillonnant à une hauteur que
l’aéronaule ne jugea pas moindre de 26000 pieds (7925m), d’après la difficulté
qu’il éprouvait à respirer et la perte entière de l’ouïe. Il voulut laisser échapper du
gaz et manœuvrer la soupape ; mais, n’entendant plus, il ne put juger, comme à
l’ordinaire, de la fuite du gaz par le bruit qu’il fait en s’échappant. Il voyait néan-
1 Handbuch der rationnellen Pathologie. Bd. Il, 2e abtli ; 1851.
2 T. N IV, p. 921 ; 1842.
ASCENSIONS EN BALLON.
195
moins que le ballon ne se dégonflait pas sensiblement, et il appréhendait de le
voir crever ; il craignait aussi que quelqu’une de ses veines ne vînt à se rompre,
tant la raréfaction de l’air les avait fait se dilater. La première de ses craintes ne
tarda pas à se réaliser. Sans crever entièrement, le ballon s’était fendu par le haut,
et se dégonflant rapidement descendit avec une très-grande vitesse. Fort heureu-
sement pour M.Hobard, la chute de l’aérostat fut amortie par un jeune sapin dont
la tige flexible le protégea du choc terrible qu'il aurait éprouvé. Il fut néanmoins
jeté hors de la nacelle et considérablement froissé, mais qu’était-ce que quelques
contusions auprès de la mort cruelle à laquelle il s’attendait! En évaluant sa plus
grande élévation à 26000 pieds, M. Hobard s’est basé sur ce que l’air raréfié
avait affecté ses organes d’une manière plus pénible que ne l’avaient éprouvé des
aéronautes qui s’étaient élevés à 25000 pieds, maximum de la hauteur à laquelle
on était parvenu jusqu’alors dans les ascensions aérostatiques.
Il faut arriver à la mémorable ascension accomplie le 27 juil-
let 1850, par MM. Barrai et Bixio, pour retrouver la certitude et la
précision scientifiques. Mais, à notre point de vue, ce voyage, si utile
à la météorologie, n’offre qu’un médiocre intérêt. En effet, sous
l’influence d’une pression barométrique de 315mm, correspondant
à une hauteur de 7016“, et malgré un froid de 59° au-dessous de
zéro, les deux intrépides voyageurs n’éprouvèrent aucun accident
physiologique qui ait attiré leur attention : « Notre respiration,
disent-ils seulement, n’était nullement gênée 1. »
Deux ans plus tard, des ascensions non moins importantes au
point de vue scientifique étaient faites en Angleterre par M. Welsh2 :
En juillet 1852, le Comité de l’observatoire de Kew résolut d’instituer une série
d’ascensions en ballon pour l’étude des phénomènes météorologiques et physiques
qui exigent la présence d’un observateur dans les hautes régions de l’atmosphère.
(P. 311.)
J. Welsh, qui s’adjoignit Nicklin, fut chargé de la partie scientifi-
que; la direction du ballon fut confiée au célèbre aéronaule Green. La
première ascension eut lieu le 17 août, les aéronautes allèrent jus-
qu’à 19510 pieds (5945m); dans la seconde (26 août), ils n’allè-
rent qu’à 19100 pieds (5820m); et, dans la troisième, à 12640
pieds (5850m) seulement. Mais le 10 novembre ils atteignirent en
une heure 22950 pieds (698 7m) et demeurèrent plus de 10 minutes
1 Journal d’un voyage aéronautique fait le 27 juillet 1850. — Cpt. R. Acad, des sc.,
t. XXXI, p. 126; 1850.
2 An Account of Meteorological Observations in four Balloon Ascents, made under the
direction of the Kew Observatory Committee of the British Association for the gdvan-
cement of science , by John Welsh. — Philosophical Transactions, t. CXLIIL p. 511-a47 ;
1853.
HISTORIQUE.
190
au-dessus de 20000 pieds; la descente s’opéra avec une rapidité
extraordinaire :
À cette hauteur, bien plus grande que toutes celles que nous avions précédem-
ment atteintes, les effets de la diminution de pression se firent davantage sentir.
M. Green et moi nous éprouvâmes à un très-haut degré la difficulté de respirer,
avec plus d’essoufflement et de fatigue après le moindre exercice. (P. 520.)
A de bien moindres élévations encore, un célèbre météorologiste
anglais, M. Glaisher, observa des modifications importantes de la
respiration et de la circulation.
Les ascensions de M. Glaisher constituent la plus belle série de
voyages aériens qui aient été entrepris dans un but scientifique. Un
certain nombre d’entre elles l’entraînèrent à de très-grandes hau-
teurs, et il en est une qui demeurera éternellement célèbre, dans
laquelle il faillit périr par suite de la décompression. J’extrais de
la publication des Voyages aériens 1 les faits suivants, qui intéres-
sent notre thèse.
La première ascension eut lieu le 50 juin 1862; Glaisher et son
conducteur de ballon Coxwell atteignirent 8000 mètres :
Entre les hauteurs de 4700“ et 5900m, le thermomètre marque 6° au-dessus de
zéro Les palpitations de mon cœur commencent à devenir sensibles, et ma
respiration n’est pas moins perturbée, mes mains bleuissent, et mon pouls, devenant
fébrile, bat 100 pulsations à la minute.
A 6168m, nous nous trouvons dans une couche à zéro degré.... ; mon pouls s’ac-
célère encore, et c'est avec une difficulté croissante que je parviens à lire les
instruments; j’éprouve un malaise général, analogue au mal de mer, quoiqu’il n’y
ait ni roulis ni tangage dans le ballon.... Le bleu du ciel est devenu plus pur.
(P. 47.1
L’édition anglaise que publia en 1871 M. Glaisher de l’ouvrage
précité1 2 donne un récit assez différent des symptômes éprouvés
parle savant aéronaute. Tout d’abord, la date de cette ascension
est indiquée au 17 juillet et non au 50 juin :
A la hauteur de 1 8 s 4 4 pieds (5740m), mon pouls battait 100 fois par minute;
à 19455 pieds (5920m), je percevais les battements de mon cœur; le tic-lac du
chronomètre semblait très-bruyant et ma respiration commença à être affectée;
mon pouls était encore plus accéléré, et c’est avec une difficulté croissante que
je lisais mes instruments; les palpitations du cœur se faisaient violemment sen-
tir. Mes mains et mes lèvres prenaient une teinte bleuâtre foncée, mais non la
face A 21792 pieds (66 i0m), j’éprouvais une sorte de mal de mer, bien qu’il
n’y ait ni roulis ni tangage à bord du ballon; j’étais si malade que j’étais incapa-
ble de surveiller les instruments..,.. Le ciel paraissait bleu très-foncé. (P. 44.)
1 Glaisher, Flammarion, de Fonvielle, G. Tissandier, Voyages aériens. — Paris, 1870.
- Travels in Ike Air , 2e éd. — London, 1871.
ASCENSIONS EN BALLON.
197
2e Ascension , le 18 août 1862. Les voyageurs ont atteint 7100
mètres, point culminant de l’ascension :
Je lâtai le pouls de M. Coxwell1, qui ne donnait que 90 pulsations à la minute,
tandis que le mien s’éleva rapidement. De 100 il passa à 107 et de là à 110, sans
que celui de mon compagnon fût sensiblement modifié En descendant, nous
entendons un nouveau coup de tonnerre gronder dans les nuages dont nous nous
rapprochons rapidement. Est-ce la vitesse croissante de notre mouvement descen-
dant qui m’oppresse? Est-ce la tension électrique qui en grandissant porte le
trouble dans les sources cachées de la vie? Je l’ignore, mais j’éprouve un
malaise soudain, une espèce de tremblement nerveux. Heureusement, après une
minute d’angoisses, un admirable spectacle vient m’aider à triompher de cette
défaillance passagère. ( Voyages aériens , p. 57.)
Vient enfin la célèbre ascension du 5 septembre 1862; c’est la
troisième. Le départ de Wolverhampton eut lieu à une heure trois
minutes par une température de 4- 15°. A une heure trente-quatre
minutes, les aéronautes sont arrivés à 5200 mètres environ ; la
température est de — 9°; il n’y a plus de vapeur d’eau dans l’air.
Les premiers troubles physiologiques se manifestent alors :
A 1 h54 , je m’aperçus que M. Coxwell commençait à être essoufflé, ce qui n’est
pas étonnant, puisqu’il était sans relâche occupé aux manœuvres du ballon. .
A lh39, nous atteignîmes la hauteur de 6457m [c'est celle du Chimborazo]
Nous jetons le sable...., dix minutes nous suffisent pour bondir à la hauteur du
Dawalagiri : la température était tombée à — 18°, 9
Jusqu'à ce moment, j'avais pris mes observations sans difficultés, tandis que
M. Coxwell, qui était obligé de se donner des mouvements pour la manœuvre,
semblait fatigué. A 1 heure 51 minutes, le baromètre marquait 11,05 pouces. On
s’aperçut plus tard, par une comparaison avec le baromètre étalon de lord Wrot-
tesley, qu’il fallait diminuer ce chiffre de un quart de pouce. J'aiJu ensuite sur le
thermomètre à boule sèche — 5 degrés, vers 1 heure 52 minutes environ. Bientôt
il me fut impossible d’apercevoir la colonne de mercure dans le thermomètre à
boule humide, ni les aiguilles d’une montre, ni les divisions fixes d’aucun de mes
instruments. Je demandai à M. Coxwell de m’aider à prendre les chiffres qui
m’échappaient, mais, par suite du mouvement de rotation du ballon, qui n’avait
point cessé depuis que nous avions quitté la terre, la corde de la soupape s’était
entortillée. M. Coxwell dut donc sortir de la nacelle et monter sur le cercle pour
l’arranger. Je tournai mon attention vers le baromètre; je vis qu’il marquait
10 pouces, et qu’il descendait rapidement. Sa vraie hauteur, en tenant compte
de la correction soustractive d’un quart de pouce, était 9 pouces trois quarts, ce
qui indiquait une hauteur de 29000 pieds (8838m). Peu après, je m’appuyai sur
la table avec le bras droit, qui jouissait de toute sa vigueur un instant auparavant;
mais, quand je voulus m’en servir, je m’aperçus qu’il n’était plus en état de me
rendre aucun service. Il doit avoir perdu sa puissance instantanément. J’essayai
de me servir du bras gauche, et je vis qu’il était également paralysé. Alors je
1 M. Coxwell était un aéronaute de profession ; l’ascension du 50 juin était la première
de M. Glaisher.
198
HISTORIQUE.
cherchai à remuer le corps, et je réussis jusqu’à un certain point; mais il me
semblait que je n’avais plus de membres; j’essayai encore une fois de lire le ba-
romètre, et pendant que je me livrais à cette tentative, ma tête tomba sur mon
épaule gauche. Je remuai, et j’agilai de nouveau mon corps; mais je ne pus
parvenir à soulever mes bras. Je relevai la tête, mais ce fut seulement pour un
instant ; elle retomba de nouveau.
Mon dos était appuyé sur le bordage de la nacelle et ma tête sur un des angles,
bans cette position, j’avais les yeux fixés sur M. Coxvvell qui se trouvait dans le
cercle. Quand je parvins à me soulever sur mon siège, j’étais tout à fait maître
des mouvements de l’épine dorsale, et je possédais incontestablement encore un
grand pouvoir sur ceux du cou, quoique j’eusse perdu le contrôle de mes bras et
de mes jambes; mais la paralysie avait fait de nouveaux progrès. Tout à coup, je
me sentis incapable de faire aucun mouvement. Je voyais vaguement M. Coxwell
dans le cercle, et j’essayais de lui parler, mais sans parvenir à remuer ma langue
impuissante. En un instant, des ténèbres épaisses m’envahirent; le nerf optique
avait subitement perdu sa puissance. J’avais encore toute ma connaissance et mon
cerveau était aussi actif qu’en écrivant ces lignes. Je pensai que j’étais asphyxié,
que je ne ferais plus d’expériences et que la mort allait me saisir, à moins que
nous ne descendions rapidement. D’autres pensées se précipitaient dans mon
esprit, quand je perdis soudainement toute connaissance, comme lorsque l’on
s’endort.
Ma dernière observation eut lieu à 1 heure 54 minutes, à 29000 pieds. Je
suppose que 1 ou 2 minutes s’écoulèrent avant que mes yeux cessassent de voir
les petites divisions des thermomètres, et qu’un même laps de temps se passa
encore avant mon évanouissement. Tout porte à croire que je m’endormis à 1 heure
57 minutes d’un sommeil qui pouvait être éternel. Je ne pouvais pas bouger,
quand j’entendis les mots température et observation. Je sentis que M. Coxwell me
parlait et qu’il essayait de me réveiller; l’ouïe et la conscience m’étaient donc
revenues. Je l’entendis alors parler plus fort, mais je ne pouvais le voir; il m’était
bien plus impossible de lui répondre ou de me mouvoir. Il me disait : « Essayez
maintenant, essayez. » Alors je vis vaguement les instruments, et bientôt après les
objets environnants. Je me levai et regardai autour de moi, dans l’étal où je serais
en sortant d’un sommeil fiévreux, qui épuise au lieu de reposer. « Je me suis
évanoui, » dis-je à M. Coxwell. « Certainement, me répondit-il, et il s’en est peu
fallu que je m’évanouisse aussi. » Je ramenai alors mes jambes, qui étaient
étendues droites, et je repris un crayon pour continuer les observations. M. Coxwell
me raconta qu’il avait perdu l’usage de ses mains, qui étaient devenues noires
et sur lesquelles je versai de l’eau-de-vie.
Il ajouta que, pendant qu’il avait été dans le cercle, il avait été saisi par un
froid extrême et que des glaçons étaient suspendus autour de l’orifice du ballon,
comme une effrayante girandole, digne des mers polaires. En essayant de descendre
du cercle, il ne pouvait plus se servir de ses mains, et il fut obligé de se laisser
glisser sur ses coudes pour revenir dans la nacelle, où j’étais étendu. Il pensa,
en me voyant sur le dos, que je me reposais, et il me parla sans obtenir de
réponse. Ma contenance était sereine et tranquille, sans cette anxiété qu’il avait
remarquée avant de monter dans le cercle.
Voyant que mes bras et ma tête pendaient, M. Coxwell comprit que j’étais
évanoui. Il chercha à m’approcher, mais ne put y parvenir, sentant que l’insen-
sibilité le gagnait lui-même. Alors il voulut ouvrir la soupape, mais, ayant perdu
l’usage de la main, il ne put y réussir. Il ne serait point parvenu à tempérer notre
ASCENSIONS EN BALLON.
109
course, s’il n’avait eu l’idée de saisir la corde entre ses dents1 et de lui imprimer
deux ou trois mouvements en secouant violemment la tête.
Je repris mes observations à 2 heures 7 minutes, et les premiers chiffres que
j’enregistrai furent 292 millimètres pour le baromètre et 18 degrés pour le ther-
momètre. Je suppose que 3 ou 4 minutes s’écoulèrent depuis le moment où
j’entendis les premiers mots de M. Coxwell jusqu'au moment où je recommençai
à lire mon chronomètre et mes autres instruments. S’il en est ainsi, je revins à la
vie à deux heures 4 minutes et je suis resté tout à fait évanoui pendant 7 mi-
nutes. (P. 59-64.)
Je n’éprouvai aucune suite fâcheuse de mon évanouissement Je fis à terre
huit ou neuf milles aussi aisément que si rien ne m’était arrivé
Je fis ma dernière observation à 8858 mètres2. [C’est à 2 mètres près la hauteur
du pic le plus élevé de la surface de la terre, le Gaourichnaka du Népaul, au pied
duquel viennent mourir les pèlerins brahminiques qui cherchent le Nirvana; on
peut dire que jamais être humain ne pourrait se tramer à cette hauteur en suivant
les aspérités de l’enveloppe terrestre, et malgré leur courage les frères Schlagintweit
n’ont pas eu la prétenlion de s’y élever. Cependant j’aurais pu y continuer mes
observations, si le mouvement ascendant du ballon ne m’eût entraîné plus haut,
là où la vie est encore plus difficile3.] Quand je m’évanouis, nous faisions notre
ascension avec une vitesse énorme de 305 mètres par minute, et quand je repris
mes observations, nous étions en descente avec une vitesse de 610 mètres, double
de notre vitesse d’ascension ; cette circonstance me permit de calculer avec une
certaine exactitude la hauteur à laquelle nous avions réellement pénétré. (Voya-
ges aériens , p. 65.)
Des calculs basés à la fois sur la vitesse ascensionnelle du ballon
et sur la température marquée par un thermomètre à minima , ont
conduit M. Glaisher à estimer que le ballon avait atteint la hauteur
de 11000 mètres environ. Les résultats de ce calcul sont, il faut le
dire, évidemment erronés. On est étonné de voir un savant de cette
valeur supposer que le ballon avait en montant et en descendant
une vitesse uniforme, et résoudre ainsi par des équations du pre-
mier degré un problème qui dépend évidemment du second.
Tout porte à croire que le ballon s’est bientôt arrêté et a plané
quelques minutes avant que de descendre.
1 La possibilité d’ouvrir ainsi une soupape de ballon, même pour un homme en pleine
possession de ses forces, a été absolument niée par un aéronaute de profession, M. Duté-
l’oitevin (V Aéronaute d’avril 1876, p. 105). Il est bon de faire remarquer que M. Glaisher
n a jamais considéré M. Coxwell comme un collaborateur scientifique.
2 Dans le diagramme qui accompagne ce récit, diagramme dont j’ai eu en main l’original
dessiné par M. Glaisher lui-même, la dernière observation certaine de hauteur est à 8100ra
environ ; la température était de — 20°, 6.
’ Les passages entre crochets [] n’existent pas dans le texte anglais. Auraient -ils
été ajoutés par un traducteur fantaisiste? Tradutlore, traditore.
200
HISTORIQUE.
Il me reste à mentionner une petite expérience qui n’est pas
sans intérêt :
Nous avions emporté avec nous six pigeons pour les lancer successivement
dans l’air quand nous nous serions élevés à des hauteurs assez grandes. Nous
jetâmes le premier à 4807 mètres : il étendit ses ailes, mais ne put se soutenir et
tomba comme une feuille de papier.
Le second, qui fut jeté à 6457 mètres, ne se laissa point entraîner si facile-
ment; il tourbillonna en volant avec vigueur. Probablement il tournait sur lui-
même chaque fois qu’il plongeait malgré lui. Peut-être en se livrant à cette valse
étrange trouvait-il le moyen de résister à l’effrayante aspiration.
Le troisième fut jeté avant d’arriver au niveau de 8048 mètres. Il tomba comme
une pierre et disparut rapidement. Nous gardâmes les trois pigeons qui nous
restaient pour la descente, mais nous trouvâmes qu’un d’eux était mort dans sa
cage, et qu’un autre ne valait guère mieux. Quand je le tirai de sa cage, il refusa
de s'envoler. Ce n’est qu’après un quart d’heure de repos qu’il commença à
donner des coups de bec sur un morceau de ruban rose qu’il portait autour du
cou. C’était un pigeon voyageur qui, une fois remis, vola avec grande rapidité
dans la direction de Wolverhampton. (P. 67.)
De tous les pigeons lancés pendant le voyage, un seul revint à Wolverhampton
dans le courant de la journée du dimanche (le 5 septembre était un vendredi).
M. Glaislier fit encore plusieurs ascensions dans lesquelles il dé-
passa 70ÜÜ111 (10 avril 1863, à 7 500m 1 ; 26 juin 1863, 7100,n); dans
ses récits il ne parle nullement des troubles physiologiques.
Mais il résume, dans un paragraphe spécial, les observations
de cet ordre qu’il a pu faire dans ces diverses courses; je le prends
dans l’édition anglaise où il est beaucoup plus complet et plus
intéressant que dans les Voyages aériens :
Le nombre des pulsations par minute augmente avec l’altitude, ainsi que le
nombre des inspirations: le nombre de mes pulsations était généralement de 76
avant de partir, à peu près de 90 à 10000 pieds, de 100 à 20000 pieds, et de 110
à de plus grandes hauteurs ; mais l’augmentation de la hauteur n’est, pas le seul
élément duquel dépend le nombre des pulsations; l’état de santé y est pour beau-
coup, ainsi que le tempérament des diverses personnes.
Il en est de même pour la coloration de la lace ; à 10,000 pieds, certaines per-
sonnes sont d’un rouge violacé flamboyant, tandis que d’autres sont à peine affec-
tées. A 17000 pieds, mes lèvres étaient bleues; à 19000 pieds, mes mains et mes
lèvres étaient d’un bleu foncé; à 4 milles de hauteur, on entendait les battements
de mon cœur, ma respiration était très-affectée ; à 29000 pieds je devins insen-
sible. De toutes les observations on peut conclure que les effets des grandes hau-
teurs se font sentir sur tout le monde, mais diffèrent chez le même individu sui-
vant les circonstances. (P. 92.)
M. Glaislier affirme qu’on s’accoutume assez vite à l’influence de
l'air raréfié, et il invoque à ce propos son expérience personnelle.
1 C’est le chiffre de l’édition et du diagramme anglais. Les Voyaqes aériens donnent
7800 1 10 .
ASCENSIONS EN BALLON.
201
Il témoigne à ce propos d’espérances qui indiquent à la fois une
vive imagination et un grand sens scientifique :
La diminution de la pression doit agir d’une façon toute particulière sur les
personnes qui voyagent dans l’air pour la première lois. Je peux affirmer ce fait
par suite de mon expérience personnelle, qui a certainement quelque valeur, car
je n’ai pas toujours été capable de m’élever sans inconvénient à une hauteur qui
produit ordinairement un grand malaise, qui amène le plus souvent la décolora-
tion des mains et de la face. Je me rappelle avoir plongé dans la plus vive sur-
prise une assemblée de savants en affirmant que je m’étais habitué à pénétrer
dans des régions très-élevées sans tourner au bleu. Je suis réellement persuadé
que je me suis acclimaté aux effets de l’air rarélîé qui se trouve à six kilomètres
de la surface de la terre, et je me flatte de pouvoir respirer librement dans ces
couches éloignées des rivages océaniques. Je n’ai même aucun doute que cette
acclimatation ne puisse se développer assez pour exercer une influence notable sur
l'usage scientifique des ballons. A huit ou dix kilomètres j’ai expérimenté sur moi
et sur M. Coxwell les limites de notre faculté de vivre dans un air raréfié. Des
expériences fréquentes augmenteraient cette hauteur, et je suis certain qu’on
pourrait la prolonger encore si l'on venait en aide à la respiration par des moyens
artificiels. Certainerùent les poitrines humaines doivent trouver là-haut leurs
colonnes d’Ilercule, mais je n’hésite pas à déclarer que ces frontières infranchis-
sables sont encore très-éloignées de celles que j’ai atteintes. ( Voyages aériens ,p. 9.)
Le savant météorologiste de Greenwich revient encore, dans un
autre passage de son travail, sur l’avenir qu’il prédit aux ascensions
à grande hauteur; il exprime avec une singulière force sa con-
fiance illimitée dans les efforts fructueux de la science. Nous mon-
trerons dans la suite de cet ouvrage que ces espérances n’ont point
été déçues :
Comme je l’ai déjà expliqué dans l’introduction, je ne doute pas qu’on ne par-
vienne à faire des observations dans ces régions où je n’ai pu arriver sans m’éva-
nouir. Je suis persuadé qu’un jour viendra où des aéronautes me dépasseront, de
la même manière qhe j’ai excédé la hauteur de Barrai et Bixio, qui avaient à leur
tour atteint des altitudes plus élevées que Sakaroff et Gay-Lussac. Ce n’est pas moi
qui me chargerai de déterminer les limites de l’activité humaine, et d’indiquer
le point, s’il existe, où la nature dit aux aéronautes : « Vous n'irez pas plus loin. »
(Ibid., p. 67.)
Pendant une dizaine d’années, il ne se fit plus d’ascension à
grande hauteur, et, dans les ascensions scientifiques à médiocre
hauteur, les aéronautes, préoccupés d’importants problèmes de mé-
téorologie et de physique, négligèrent tout à fait les phénomènes
physiologiques dont les modifications, fort légères, n’auraient pu
être constatées qu’en fixant sur elles une observation très-attentive.
11 faut arriver aux ascensions organisées par la Société de navi-
gation aérienne pour trouver des faits qui puissent nous intéresser.
La première d’entre elles, bien qu’elle n’ait pas dépassé 4600m, a
‘20-2
HISTORIQUE.
fourni à M. le docleur Pétard, l’un des voyageurs, des constatations
physiologiques fort intéressantes. Il commence par indiquer som-
mairement le tempérament de ses compagnons de route :
M. Crocé-Spinelli est blond, d’un tempérament lymphatique, nerveux, il est or-
dinairement disposé aux bronchites.
M. Pénaud est châtain, d’un tempérament lymphatique, et il est disposé au
rhumatisme.
M. Jobert est très-brun, d’une constitution athlétique à disposition bilioso-san-
guine.
M. Sivel est brun, d'un tempérament sanguin; il est très-vigoureux et, de
plus, peu sensible aux influences aéronautiques, par suite du grand nombre d’as-
censions qu’il a faites.
Enfin, je suis brun et d’un tempérament sanguin. (P. 118.)
Le ballon s’éleva à une hauteur de 4600,n (429 millim.), où les
aéronaut es trouvèrent une température de — 7° après avoir passé
pur une couche à — 20° :
J'ai pu, dit M. Pétard, observer la sensation optique de cuvette, et cette illusion,
qui fait que les collines paraissent fort peu saillantes, et les ravins peu pro-
fonds.
Le second phénomène que j’ai eu à observer est l’oppression qui s’est manifes-
tée chez M. Crocé-Spinelli, à environ 3500 mètres. Je rappellerai que M. Crocé-
Spinelli est prédisposé aux bronchites . M. Pénaud a éprouvé aussi de l’oppression,
mais à un degré bien moindre que M. Crocé-Spinelli. Les autres passagers n’en
ont pas ressenti.
Nous observâmes ensuite des bourdonnements dans les oreilles qu’accusa le
premier M. Pénaud à une altitude d’environ 2700 mètres.
Nous avons tous été, à peu près en même temps, affectés de la même manière,
mais avec des différences très-marquées dans l’intensité de l'impression. Elle a
passé, pourM. Crocé-Spinelli, à l’état d’une douleur vive, et tellement persistante
que dans le chemin de fer, pendant notre retour, il se plaignait encore de dou-
leurs dans les oreilles.
M. Crocé-Spinelli dit que, chez lui, les bourdonnements et plus tard l’exacerba-
tion de la douleur, ne se sont produits que dans les descentes rapides, c’est-à-
dire quand la pression extérieure surpassait celle de l’oreille. Chez moi, ces bour-
donnements se sont fait sentir chaque fois que nous avons eu une ascension ou
une descente rapides de quelque étendue, c’est-à-dire chaque fois que l’équilibre,
entre la pression interne et la pression externe dans l’oreille, a été rompu
Les sons semblaient non-seulement affaiblis, mais paraissaient venir de loin.
(P. 119.)
Les observations suivantes ont été faites au-dessus de 4000,n :
J’ai, à l’aide du thermomètre buccal de M. Sainte-Claire Deville et de celui de
Celsius, constaté un léger abaissement dans la température animale, laquelle a
Observations j)hysiologiques faites à bord de V aérostat l’Étoile polaire, le 20 avril
1873. — L ' Aéronaute, n° de juin 1873.
ASCENSIONS EN BALLON.
203
varié, dans les expériences faites, de 55° 02 à 35° 07. L’accélération du rhythme
respiratoire et celle de la circulation artérielle, très-sensible chez tous, étaient
dans des rapports très-variés chez les différents sujets. M. Jobert, qui n’a norma-
lement que 10 inspirations par minute, en a eu jusqu’à 20; son pouls, normal à
100, n’a atteint qu’un maximum de 130. — Celui de M. Pénaud a monté de 68 à
104, la respiration de 25 à 45. — M. Crocé-Spinelli : pouls normal, 72 ; pouls maxi-
mum, 116, à une altitude de 3500 mètres. À 500 mètres il n’était plus que 86.
Le nombre d’inspirations a passé de 40 à 64. — M. Sivel : pouls normal. 80 ; maxi-
mum, 108 ; la respiration a passé de 25 à 40. — Docteur Pétard : pouls normal,
87 ; maximum, 110; respiration normale, 26 ; maximum 35.
Il résulte de ces faits que l’augmentation dans les inspirations a atteint en moyenne
les 8/5 de la valeur normale, mais que l’augmentation dans le nombre des pulsa-
tions a varié suivant les tempéraments. Pendant que cette augmentation était de
7 à 11 pour les tempéraments lymphatiques, elle était de 10 à 13 pour les tem-
péraments sanguins.
Je n’ai pu constater, par le pneumo-dvnamomètre, de différence bien appréciable
dans l’ampliation des poumons.
Le pouls était généralement plein et régulier ; mais il n’a pas été possible d’en
prendre de dessins graphiques, ne pouvant faire usage des sphygmographes à cause
de l’abaissement de la température qui rendait douloureuse l’exposition de la peau
à l’air. (P. 120.)
Nous éprouvions un sentiment de bien-être particulier impossible à décrire,
quoique accusé par les paroles et les allures.
Les deux célèbres ascensions à grande hauteur (7500m et 8600“)
exécutées par mes collègues tant regrettés Crocé-Spinelli et Sivel,
ayant été entreprises après la publication première des résullats
de mes recherches, leur récit trouvera naturellement place dans la
troisième partie de ce livre.
Je ne trouve plus à citer, en terminant, qu’un récit dû à unaéro-
naute anglais, Simons, qui, le 9 juillet 1874, partit de Cremorne-
Garden, à Londres, emportant, suspendu sous sa nacelle, Groof,
Y Homme volant , avec son appareil compliqué.
Le ballon contenait* 27000 pieds cubes; à 1000 pieds, Groof se
détacha, et, tombant la tête la première, se brisa sur le sol. Groof
et sa machine pesaient 150 kil. :
Je regardai par-dessus la nacelle, dit Simons, mais je m’élevais avec tant de
rapidité que je perdis connaissance jusqu’à mon arrivée au-dessus de Victoria-Park1.
Mais je me hâte d ajouter qu’il ne faut pas avoir une trop grande
confiance dans les ascensions de Simons, qui s’est très-certaine-
ment écarté de la vérité dans ses réponses pendant l’enquête faite
sur ce pénible événement.
1 Journal Y Aéroncnile, n° d’août 1874.
CHAPITRE III
EXPLICATIONS THÉORIQUES ET EXPÉRIENCES.
Nous allons, dans le présent chapitre, passer en revue les expli-
cations multiples qu’ont données les divers auteurs, voyageurs, mé-
decins, physiologistes, des accidents dont nous avons, dans les
chapitres précédents, reproduit les descriptions si variées. Nous y
joindrons le récit des expériences peu nombreuses qui furent faites
dans les laboratoires pour éclairer ces problèmes obscurs. Il ne
s’agit que d’une exposition de doctrines : les critiques viendront
dans le chapitre suivant.
Nous suivrons ici l’ordre purement chronologique, les explications
proposées devant tout naturellement se ressentir des théories phy-
siologiques courantes.
Le premier voyageur qui ait décrit le mal des montagnes est,
comme nous l’avons vu, le jésuite Acosta 4; il n’a pas manqué d’en
donner une explication que nous reproduisons intégralement, et
qui est des plus remarquables par la sagacité, la sûreté des vues et
la netteté de l’expression. D’une part, en effet, il indique la vérita-
ble cause, de l’autre il repousse par avance une hypothèse erronée :
Il n’y a point de doute, dit-il, que la cause de cette intempérature et si étrange
altération est le vent, ou l’air qui y règne, parce que tout le remède et le meilleur
qu'ils y trouvent est de se boucher tant qu’on peut le nez, les oreilles et la bouche
et de se couvrir d’habits, spécialement l’estomac, d’autant que l’air est si subtil et
pénétrant, qu’il va donner jusqu’aux entrailles
1 Loc. cit.} cliap. ix, — Sevilla, 1590.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
205
Par quoi je me persuade que l’élément de l’air est en ce lieu-là si subtil et si
délicat, qu’il ne se proportionne point à la respiration humaine, laquelle le re-
quiert plus gros et plus tempéré
Les passages des montagnes Nevadeset autres de l'Europe que i’ai veuës, combien
*que l’air y soit froid, néantmoins ce froid n’oste pas l’appétit de manger, au con-
traire il le provoque, ny ne cause point de vomissements en l’estomach Cil
des Indes advient au même endroit que le soleil y est chaud, qui me fait croire
que le mal qu’on en reçoit vient de la qualité de l’air que l’on y respire. (P. 87.)
Quand on songe que ces lignes ont été écrites à la fin du seizième
siècle, trois cents ans avant Lavoisier et Priestley, par un homme dont
l’étude des sciences chimiques et naturelles n’était point la spécia-
lité, on est frappé d’admiration pour la haute sagacité du savant
jésuite et la merveilleuse propriété des expressions qu’il emploie.
Notons encore que la machine pneumatique n’était point inventée,
que Torricelli n’était pas encore au monde, quand Acosta disait que
«l’élément de l’air est en ce lieu-là si subtil et si délicat qu’il ne
se proportionne pointa la respiration humaine».
Il est intéressant de rapprocher des explications d’Acosta ce que
trente ans plus tard écrivait, sur le même sujet, dans son Novum
organum (paru en 1620), le célèbre François Bacon1. Si je ne me
fais illusion, la comparaison n’est pas à l’avantage du savant chan-
celier de Verulam :
Les rayons de soleil ne produisent pas de chaleur dans ce que l’on nomme la
région moyenne de l’air ; ce que l’on explique assez bien dans les écoles, en disant
que cette région n’est pas assez proche, ni du soleil dont les rayons émanent, ni
de la terre qui les réfléchit. A l’appui de cette explication, on peut citer les som-
mets des montagnes (à moins que l’élévation n’en soit extrême) où séjournent les
neiges perpétuelles. Quelques voyageurs, en effet, ont remarqué qu’il n’existe
point de neige au sommet du pic de Ténériffe, ni sur les Andes du Pérou, tandis
que les flancs de ces montagnes en sont couverts jusqu'à une certaine hauteur. On
assure en outre qu’à ces hauteurs extrêmes l’air n’est nullement froid, mais seu-
lement rare et âcre; c’est par là que sur les Andes il attaque et blesse les yeux
et l’estomac qui ne peut garder la nourriture. Les anciens avaient remarqué déjà
qu’au sommet de l’Olympe l’air était si rare qu’il fallait, pour y monter, emporter
avec soi des éponges imbibées de vinaigre et d’eau, et les approcher souvent des
narines et de la bouche, l’air, à cause de sa rareté, ne suffisant plus à la respira-
tion. On ajoute que sur ce même sommet où ne tombait ni la pluie ni la neige,
où le vent ne soufflait jamais, il régnait un tel calme que, les sacrificateurs traçant
de leur doigt des caractères avec la cendre des victimes sur l’autel de Jupiter, ces
empreintes demeuraient parfaitement intactes jusqu’à l’année suivante. Aujour-
d’hui encore les voyageurs qui montent au sommet du pic de Ténériffe font leur
ascension de nuit et non de jour; aussitôt après le lever du soleil, leurs guides
les engagent à descendre sans délai, à cause apparemment du danger qu’il y au-
rait à respirer un air si rare et si suffocant.
• Novum organum , liv. Il, § 11. Traduction de Lorquet, p. 85.
206
HISTORIQUE.
Ce n’est en effet qu’un demi siècle après Acosta, que Torri-
celli inventait le baromètre, et Otto de Guéricke la machine
pneumatique. Désormais, les expériences de laboratoire pou-
vaient marcher simultanément avec les observations faites par
les voyageurs. Mais, chose curieuse, pendant longtemps les phy-
siciens cherchèrent exclusivement à étudier l’influence du vide,
c’est-à-dire de la soustraction totale de l’air. Ils ne se deman-
dèrent pas ce qui arriverait du séjour dans l’air simplement ra-
réfié; pour eux, semble-t-il, il n’existe que deux circonstances :
avoir de l’air ou en être privé. Et cependant, par une contradiction
étrange, beaucoup d’entre eux, cherchant pourquoi meurent les
animaux maintenus en vases clos, restent persuadés que c’est à
cause de la « diminution du ressort de l’air ». Chose curieuse! ils
ne s’enquièrent pas expérimentalement de ce qu’il adviendrait
d’animaux soumis d’emblée à une semblable diminution; après
les fameuses expériences de Pascal sur le Puy-de-Dôme (22 septem-
bre 1648), ils ne s’étonnent pas de voir continuer à vivre des
animaux qui, sur les montagnes, sont soumis 5 une diminution de
l’élasticité de l’air énormément supérieure à celle qui coïncide avec
l’axphyxie en vases clos.
Quoi qu’il en soit, les membres de la fameuse Académie del Ci-
mento 1 nous apprennent que :
Dès le temps que Torricelli le premier a inventé l’expérience avec le mercure, il
commença aussi à penser comment il enfermerait divers animaux dans le vuide,
afin d’observer en eux le mouvement, le vol, la respiration et tous les autres
phénomènes qui pourraient être observés. Mais, étant destitué pour cette sorte
d’expérience des instruments nécessaires, il fit tout ce qu’il put. Car les petits et
tendres animaux étaient opprimés par le mercure, à travers lequel ils étaient obli-
gés de monter vers le haut, lorsqu’on renversait ensuite le vaisseau, et qu’on le
plongeait dans d’autre mercure. De là il y arrivaient, ou morts, ou à l’agonie,
de sorte qu’on ne pouvait bien discerner s’ils recevaient plus de dommage, ou du
mercure qui les suffoquait, ou de la privation de l’air. (P. 46.)
Quant à eux, ils racontent, dans leurs mémoires pour l’année
1667, les nombreuses expériences qu’ils firent sur des animaux
en employant des tubes barométriques dont la vaste chambre était
fermée par une vessie.
Ces animaux étaient des sangsues, des limaçons, des insectes de
divers ordres, des reptiles, des oiseaux. Les expériences mention-
1 Relation de divers phénomènes arrivés dans le vuide , à des animaux qu’on y avoit
enfermés. — Collect. acad , partie élrang., t. I, p. 46-61.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
207
nent avec une remarquable exactitude les divers symptômes que
présentent ces animaux soumis instantanément à un vide presque
parfait. Les physiciens de Florence remarquèrent en outre que chez
les poissons placés dans le vide, la « vessie d’air» se désenfle et que
les poissons restent ensuite au fond de l’eau : de là, de curieuses
expériences, grâce auxquelles ils découvrirent le «petit soupirail»
par où sort l’air quand il est dilaté par l’effet de la diminution de
pression.
On ne trouve dans ce récit aucune indication théorique, bien
nette, sur l’action du vide. Il en ressort cependant que, pour les aca-
démiciens del Cimento, le vide agit simplement par la soustraction
de l’air. Au reste, leur traducteur et commentateur van Musschen-
broeck s’en explique d’une manière fort claire lorsqu’il dit ‘
Si nous voulons sçavoir exactement combien de temps un petit oiseau peut seu-
lement manquer d’air, qu’on le plonge sous l’eau ; car alors il ne peut point res-
pirer l’air, et il est aussitôt comme dans le vuide.
Ces notes de van Musschenbroeck 1 contiennent encore une très-
curieuse description des phénomènes présentés par un animal sou-
mis à l’action du vide, avec une interprétation des causes de la
mort, interprétation extrêmement remarquable, bien qu’elle se res-
sente des idées fausses de l’époque sur la circulation pulmonaire :
On renferma dans un récipient de verre un lapin, et par le moyen de la ma-
chine pneumatique on tira tout l’air; l’animal commença d’abord par être inquiet,
à chercher l’air, à s’enfler de toutes parts : ses yeux lui sortaient hors de la tête,
son ventre se lâcha, il chercha une issue par tout le vaisseau, se dressa en res-
pirant à peine, s’affaiblit et tomba en convulsions, se coucha sur le côté, et enfin,
il mourut; toutes ces choses arrivèrent dans une demi-minute, dès que l’on eut
agité la pompe, qui tira promptement tout l’air du vaisseau : ayant rendu l’air,
tout le corps de l'animal se désenfla ; ayant ouvert ensuite la poitrine, on trouva
les poumons petits, flasques, solides, spécifiquement plus pesans que l'eau. Mais
tout le corps de l’animal s’enfle dans, le vuide, parce que le ventricule et les intes-
tins renferment beaucoup d’air qui, n’étant plus comprimé par le poids extérieur
de l’atmosphère, se dilate de toutes parts par son élasticité et enfle l’abdomen.
Mais le sang et les autres humeurs ont entre leurs parties de l’air élastique entre-
mêlé qui alors, n’étant point comprimé, se dilate, recouvre son élasticité et dilate
tous les vaisseaux, d’où tout le corps de l’animal doit s’enfler de toutes parts, sur-
tout les yeux, dont les humeurs renferment beaucoup de cet air; c’est ce que
l’expérience m’a appris, comme j’ai tâché de le prouver dans ma dissertation, De
aeris existentiâ in omnibus animalium humoribus.
Outre cela, l’animal renfermé dans le vuide ne peut inspirer l’air 4&ns ses pou-
1 Je ne sais de quelle époque exacte elle sont. Musschenbroeck vécut de 1692 à 1761 ; le.
volume de la Collection académique où elles sont insérées parut en 1755.
‘208
HISTORIQUE.
nions, et quoiqu’il tâche de dilater sa poitrine, et qu’il répète souvent cette dila-
tation, néanmoins il n’y a rien qui entre de la partie extérieure des poumons
dans les vaisseaux aériens ou les vésicules. C’est pourquoi la force contractile
naturelle à toutes les fibres resserre les vésicules, les poumons décroissent, de-
viennent plus denses, et spécifiquement plus pesans que l’eau : mais tandis que
les vésicules attachées aux extrémités de la trachée artère se resserrent, la cir-
culation du sang est empêchée dans les artères et les veines qui environnent en
abondance toute la surface vésiculaire, et dans celles qui sont placées dans les
interstices laissés entre chaque vésicule. Mais dans cet animal adulte, le sang de
tout le corps, chassé par le ventricule droit du cœur, doit passer par les vaisseaux
des poumons dans l’oreillette et le ventricule gauches, afin qu’il puisse de là être
chassé et envoyé dans les parties du corps. Les vésicules des poumons étant tom-
bées et resserrées dans le vuide, les vaisseaux sanguins sont aussi comprimés, il
ne passe rien du ventricule droit du cœur dans le gauche, le sang n’est pas envoyé
au cerveau, au cervelet ou aux autres parties du corps, et c’en est fait de la
circulation du sang en quoi consistoit la vie. Mais avant que la circulation du sang
cessât entièrement dans les poumons, l’air qui est mêlé dans le sang se dégageoit
des interstices, se rassembloit, se raréfioit, étoit poussé au cerveau, causoit çà et
là des obstructions ; de là la sécrétion mal ordonnée des esprits animaux dans le
cerveau, et de là leur inégale influence dans les muscles du corps, qui étoit la
cause des convulsions et retardoit la mort. le ne doute point que tous les ani-
maux dont le cœur a deux ventricules et n’est point percé d’un trou ovale ne
mourussent dans le vuide avec les phénomènes que j’ai rapportés
Les animaux qui ont un trou ovale ouvert dans le cœur vivent longtemps dans
le vuide, et ne meurent point pour d’autres causes que pour la soif, la faim, etc
(P. 55.)
Ainsi, pour le célèbre professeur de Leyde, la mort des animaux
soumis au vide arrivait par suite d’un arrêt dans la circulation du
sang, arrêt dû à l’affaissement des poumons dont le vide a enlevé
tout l’air; de plus, les gaz se séparant du sang obstruaient les vais-
seaux, surtout dans le cerveau :
On dit, ajoute Mussenbroeck, que les oiseaux supportent plus facilement et sans
incommodité un air rare, que les animaux terrestres, car ils ont coutume lors-
qu’ils volent en haut de respirer un air plus rare : ils ne supportent cependant
pas un air raréfié aux trois quarts; c’est pourquoi ils ne peuvent monter qu’à une
certaine hauteur dans l’atmosphère, et non point à toutes sortes de hauteurs : ces
animaux sont inquiets dans un air plus rare’, parce que cet air peut à peine, par
son élasticité, étendre les vésicules des poumons si la poitrine ne se dilate par une
très-grande force ; d’où vient cette inquiétude qu’ont ressentie les hommes qui
sont montés sur le sommet des hautes montagnes d’Arménie, de Savoie, des Py-
rénées, de Ténériffe, où l’air- est beaucoup plus rare que celui qui est proche de la
surface de la terre. (IL 57.)
En France, l’Académie des sciences pensa tout d’abord à faire
des expériences avec « la machine de M. Guéricke de Magdebourg » ;
mais la seule dont ses Mémoires 1 nous aient apporté le récit a trait à
1 Expérience du Vuide. — Histoire de V Acad, des sciences de Paris, 1668; t. I, p. 45.
— Collect. acad., partie française, t. I, p. ‘23.
209
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
un goujon qui, après l’action du vide, tomba au fond de l’eau, « sa
vessie s’étant vidée ».
Cependant, en Angleterre, un des physiciens expérimentateurs
les plus remarquables du dix-septième siècle, Robert Boyle, avait
entrepris sur la vie des animaux soumis au vide des recherches du
plus haut intérêt. 11 se servait de la machine pneumatique. Ses ex-
périences, publiées en 1670 parles Philosopliical Transactions , sont
à coup sûr notablement antérieures à cette époque, puisque quel-
ques-unes d’entre elles sont citées dans le mémoire plus haut cité
des Physiciens de Florence, imprimé en 1667.
Ce travail considérable est divisé en plusieurs litres :
Dans le 1er, Boyle se demande si les oiseaux aquatiques, qui peuvent
rester quelque temps plongés dans l’eau « par la structure parti-
culière de quelques vaisseaux qu’ils ont autour du cœur » , pourraient
soutenir mieux que d’autres animaux la privation de l’air dans la
machine pneumatique. Et, après expérience faite sur un canard, il
répond négativement.
Dans le 2e et le 5e, Boyle rapporte les résultats d’expériences fai-
tes sur les serpents et les grenouilles, qui supportèrent longtemps
le vide.
Dans le 4e titre, il dit qu’il expérimenta sur des chats nouveau-
nés, et qu’il vit avec étonnement ces animaux résister trois fois plus
longtemps que probablement n’auraient pu résister des animaux
plus âgés et de même grosseur.
Titre V. — Expérience pour reconnaître le volume d’air contenu dans les pores
de l’eau.
Titres YI et Vil. — De l’action du vide sur des huîtres, des écrevisses et un gou-
jon.
Titre VIII. — Expérience sur un oiseau et une grenouille renfermés dans la ma-
chine pneumatique, ayant tous deux l’abdomen ouvert.
Titre IX. — Expérience sur le cœur de l’anguille.
Titre X. — Comparaison du temps qu’il faut pour faire mourir les animaux dans
l’eau et dans la machine pneumatique.
Dans le titre XI, Boyle rapporte les souffrances dont s’est plaint
Acosta dans son passage du Pariacaca, et il déclare avoir entendu de
semblables rapports de voyageurs ayant fait l’ascension du mont
Ararat, du pic du Midi, du pic de Ténériffe et même des Cévennes.
1 Boyle, R., New Pneumalical experiments about Respiration. Philos. Transact.,
t. V, p. 2011-2058, 1670. — Extrait et traduit : Collect. acad., partie étrangère, t. VI,
p. 23-50; 1761.
14
210
HISTORIQUE.
Nous avons reproduit au chapitre Ier ces diverses observations. Il se
demande à ce propos :
Si la difficulté de respirer qu’ont éprouvée quelques personnes sur les hauteurs
du Pariacaca, et peut-être sur quelques autres montagnes fort élevées, vient uni-
quement du défaut de ressort de l’air dans ces endroits élevés ; si on ne doit pas
l’attribuer, au moins en partie, à quelques vapeurs pénétrantes dont l’air peut se
trouver chargé en certains endroits. (P. 42.)
Titre XII. — Effets produits sur un animal par la raréfaction et la condensation
alternatives du même air.
Le titre XIII contient le récit d’une bien remarquable expérience,
que devra reprendre Magnus, plus d’un siècle et demi après :
Le sang d’un agneau ou d’un mouton m’ayant été apporté tout chaud de la bou-
cherie, où l’on avait eu soin de briser les fibres pour empêcher la coagulation, je
mis ce sang dans un vaisseau de verre à large orifice, et le vaisseau fut placé
dans un récipient ; on pompa Pair aussitôt et avec grand soin ; mais l’effet de cette
opération ne fut pas si prompt ni si apparent, surtout au commencement, que j’au-
rais cru qu’il devait l’être sur une liqueur aussi spiritueuse; cependant, après une
longue attente, nous vîmes que les parties les plus subtiles du sang se faisaient
jour à travers les plus visqueuses, et formaient des bouillons dont quelques-uns
étaient aussi larges que de grosses lèves ou des noix muscades ; quelquefois
l’expansion était si forte, que le sang s’élevait en bouillonnant au-dessus du vais-
seau de verre, dont cependant il n’occupait guère que le quart au commencement
de l’expérience. (P. 46.)
Robert Boyle fit ainsi sortir de l’air d’autres liquides organiques
et de toutes les parties molles. Et il explique avec une sagacité su-
périeure le but de ces expériences ; il voulait reconnaître
Ce qui, joint au défaut de respiration, pouvait contribuer à faire mourir les ani-
maux dans le vuide de la machine pneumatique ; en effet, il paraît que les bulles
qui, lorsque l’air ambiant est supprimé, se forment dans le sang, dans les
autres liqueurs et dans les parties molles du corps, peuvent par leur multitude
et leur distension gonfler en quelques endroits et en d’autres resserrer les vais-
seaux qui portent dans tout le corps le sang et la nourriture, surtout les plus
petits de ces vaisseaux, boucher les passages ou changer leur figure, enfin ar-
rêter ou troubler la circulation en mille manières. Ajoutez à cela l’irritation cau-
sée dans les nerfs et les parties membraneuses par ces distensions forcées ;
irritation qui produit les convulsions et occasionne une mort plus prompte que
n’aurait fait la simple privation de l’air. Cette formation des bulles a lieu même
dans les plus petites parties du corps, car j’ai vu une bulle très apparente se
mouvoir de côté et d’autre dans l’humeur aqueuse de l’œil d’une vipère à l’in-
stant où cet animal paraissait violemment tourmenté dans le récipient d’air
épuisé. (P. 47.)
Dans le titre XIV est rapportée une très-belle expérience, par
laquelle Boyle montre que les animaux s’habituent à l'action de la
THÉORIES ET EXPÉRIENCES. 211
raréfaction de l’air, et en souffrent moins dans les expériences suc-
cessives.
Titre XY. — Expérience qui prouve que l’air peut conserver son ressort en
cessant d’être propre à la respiration.
Titre XVI. — De l’usage de l’air pour faire sortir les exhalaisons du corps.
Titre XVII. — Force de la limace et de la sangsue pour supporter la privation
de l’air.
Titre XVIII. — Essai du vuide sur quelques insectes rampants.
Titre XIX. — Des insectes ailés renfermés dans le vuide.
Titre XX. — Du besoin que les fourmis et les mites ont de l’air pour se mou-
voir.
Dans un autre travail1, le célèbre physicien insiste à nouveau
sur l’expérience relative aux bulles d’air qui s’échappent des li-
quides organiques placés dans le vide, et il est amené à faire
jouer au dégagement de ces bulles un rôle important dans les acci-
dents dus à la diminution de pression :
Lorsque je me rappelle, dit-il, combien notre machine (la machine pneumatique)
fait paraître d’air invisiblement retenu dans les pores non-seulement de l’eau,
mais du sang, du sérum, de Furine, de la bile et des autres liquides du corps
humain ; quand je réfléchis que (comme je l’ai démontré expérimentalement
ailleurs) la pression de l’atmosphère et l’élasticité de l’air agissent sur les liqui-
des et sur les corps immergés dans ces liquides, et aussi sur les corps solides
immédiatement exposés à l’air, je penche à croire que les simples altérations de
l’atmosphère au point de vue du poids peuvent, dans quelques cas, avoir une
influence sensible même sur l’état de santé ou de maladie de l’homme. Lorsque
l’air ambiant, par exemple, devient subitement plus léger qu’auparavant ou qu’ha-
bituellement, les particules spiritueuses ou aériennes, qui sont retenues en abon-
dance dans la masse du sang, gonfleront naturellement ce liquide, pouvant ainsi
distendre les gros vaisseaux, et changer notablement la rapidité de la circulation
du sang dans les artères capillaires et les veines. Que par cette altération plu-
sieurs changements puissent survenir dans le corps, cela ne semblera point im-
probable à ceux qui savent, en général, combien est important le rhythme de la
circulation du sang, quoique, quant à ses effets particuliers, je les laisse à la spé-
culation des médecins.
Ces expériences furent répétées et variées de différentes maniè-
res par tous les physiciens de ce temps : Slairs,Derham, Huyghens,
Papin, du Hamel, etc.
Je cilerai un extrait du travail fait en commun par Huyghens et
Papin; ce passage est remarquable par l’explication toute méca-
nique qu’on y trouve de la cause de la mort des animaux placés
dans le vide de la machine pneumatique.
1 A new Experiment concerning an Effect of lhe varying Weight ofthe Atmosphère
upon some Bodies in the Water. — Philosopli. Transact., VII, 1(372; p. 5156.
212
HISTORIQUE.
Selon Huyghens et Papin1, les animaux à sang chaud ne revien-
nent jamais quand il ont été mis dans un vide parfait, ils ajoutent
alors :
M. Guide, qui a souvent disséqué de ces animaux que nous faisions mourir dans
le vuide, a observé entre autres choses que leurs poumons vont au fond de l’eau,
et il prétend que la solidité ou la densité des poumons des animaux qui sont
morts ainsi dans le vuide vient de ce que le sang, poussé dans les poumons par
la veine artérielle, presse avec tant de violence les bronches de la trachée artère,
qu’il en exprime l’air et qu’il fait joindre les parois de ces conduits affaissés,
comme si elles étaient collées ensemble ; mais, pour moi, je ne crois pas que le sang
de la veine artérielle puisse comprimer ainsi les bronches, parce que le sang a ses
vaisseaux propres qui le contiennent et l’empêchent d’en comprimer d’autres. .
11 est donc plus probable que si les poumons sont comprimés ils le sont par
la plèvre qui peut se gonfler au dedans de la poitrine comme la peau se gonfle à
l’extérieur ; mais il n’est pas nécessaire que les poumons soient comprimés dans
le vuide pour qu’ils puissent aller au fond de l’eau ; car j’ai plusieurs fois mis
dans le vuide des morceaux de poumons et des poumons entiers, et ils y restaient
extrêmement gonflés ; mais dès qu’on faisait entrer de l’air dans le récipient
ils devenaient plats et rouges et ils allaient au fond lorsqu’on les mettait dans
l’eau. (P. 150.)
Enfin, avant de quitter cette époque féconde, je crois devoir re-
produire un fort curieux plan d’expériences suggéré au physicien
anglais Beale2, par son célèbre compatriote Boyle :
Il serait, je pense, très-important de voir les effets produits sur les plantes pla-
cées dans la machine à raréfier l’air de M. Boyle, et ainsi que sur les fleurs des
cerisiers, etc.
L’illustre M. Boyle me suggère, pour la saison qui approche, d’essayer :
1° Si les graines germent dans le récipient privé d’air ;
2° Si l’enlèvement de l’air sera nuisible aux sensitives;
3° Si la gretfe de poirier sur la spina cervina (le seul végétal purgatif connu en,
Angleterre) communiquera aux poires des qualités purgatives.
4° Si les œufs de ver-à-soie écloront dans le récipient quand la saison sera
venue.
Il faudrait rechercher en outre si les plantes aquatiques vivent dans l’eau dont
on aura enlevé l’air par la pompe
Une de ces expériences a été faite sur des graines de laitue. Celles qui avaient
été semées à l’air libre mesurèrent 1 pouce 1/2 de haut après huit jours, les au-
tres n’avaient pas poussé ; mais elles germèrent quand on laissa rentrer l’air.
Nous n’insisterons pas davantage sur ces tentatives qui, ainsi que
nous l’avons fait observer, ont rapport presque exclusivement à
1 Huyghens et Papin, Sonie experiments touching Animais, made in Air-Pump. —
Philosoph. transacl., X, p. 542-543. — Extrait et trad. Collect. acad partie étrangère-,
’t. VI, p. 143-155.
2 To try the Effects of the Pneumatick Engine exhausted in Plants, Seeds, Eggs of
Silkworms. — Philosoph. Transact., vol. II, p. 424-425; 1667.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
213
l’influence du vide à peu près complet. Sauf quelques expériences
de Boyle et de Muschenbroek, il n’y est pas question, en effet, de
l’air simplement raréfié.
Cependant, on l’a vu, ces physiciens se sont efforcés de trouver
dans ces expériences des explications pour les troubles physiologi-
ques éprouvés par les voyageurs qui font l'ascension de hautes
montagnes. Cette préoccupation se manifeste encore dans un cu-
rieux passage de Y Histoire de V Académie des sciences pour 1 705 1 ;
il montre en même temps combien d’incertitudes assiégeaient alors
l’esprit des physiciens eux-mêmes, sur la question de la mesure
des hauteurs par le baromètre :
il y a quelque apparence que l’air dilaté dans un tuyau n’est pas tout à fait de
la même nature que l’air du haut d’une montagne. Si l’on met de l’eau tiède dans
la machine du vuide, elle bout très-fort dès qu’on a pompé la moitié de l’air, parce
que celui qui étoit naturellement mêlé dans cette eau, et qu’on avoit déjà un peu
échauffé, étant soulagé de la moitié du poids qui le pressoit, tend à se dégager en-
tièrement. De là M. Mariette avait conjecturé que si l’on étoit à une hauteur où le
poids de l’atmosphère fût diminué de moitié, le sang, beaucoup plus chaud que
l'eau tiède et toujours plein d’air, bouillonneroit, de manière qu’il ne pourroit plus
circuler, et il faut convenir que la conjecture étoit assez bien fondée. Cependant
MM. Cassini et Maraldi, qui ont monté à des hauteurs où, selon leur calcul, le poids
de l’atmosphère étoit à peu près de la moitié moindre, n’ont senti aucune incom-
modité causée par la raréfaction de l’air. Beaucoup de gens qui ont été encore
plus haut ne s’en sont pas aperçus davantage.
Je n’ai pas besoin d’insister pour faire remarquer l’erreur dans la-
quelle se trouve l’écrivain relativement à la hauteur des montagnes
où sont montés Cassini et Maraldi. Quelques lignes plus haut, il disait
lui même que « le baromètre baisse à peine de 5 ou 6 pouces sur
les plus hautes montagnes où l’on ait observé ».
Plus tard, les physiciens italiens reprirent l’étude de ces impor-
tants problèmes. Veratti, académicien de Bologne, fit à ce sujet de
nombreuses expériences2. Il commence par rappeler que deux ex-
plications fort différentes ont été données de la mort des animaux
dans le vide :
Selon l’ingénieux Borelli, cette mort arrive parce que, l’air extérieur étant enle-
vé, l’air contenu dans le sang et dans les humeurs se raréfie excessivement et
distend les vaisseaux au-delà de ce que l’animal peut supporter. D’après cette idée
1 Sur la raréfaction et la condensation de l'air. — Hist. de V Acad, des sc. de Paris ,
année 1705, p. 15; et Collecl. acad., partie française, t. II, p. 181.
- Sur la mort des animaux dans le vuide, Acad, des sc. de Bologne. — Coll, acad.,
partie étrangère, t. X, p. 55; 1773.
214
HISTORIQUE.
il faut conclure qu’il s’excite dans le sang et les autres liqueurs une espèce d’ef-
fervescence qui les raréfie et retarde leur mouvement, que les nerfs en sont com-
primés et le cours des esprits animaux intercepté, ce qui entraîne nécessairement
la mort de l’animal
M. Muschenbroek...., place la cause de ce phénomène dans le poumon. Il pense
que les vésicules pulmonaires, ne recevant plus d’air extérieur, se contractent plus
que de raison... ce qui fait que les vaisseaux sont rétrécis, que le sang s’y arrête...
(Voir du reste plus haut l’opinion de Muschenbroek et celle de Guideus.)
Veratti, ayant mis dans le vide des cailles, vit que leur pou-
mon surnageait après la mort. Le poumon de rats et de lapins sur-
nagea aussi, mais non celui de jeunes chats âgés de huit jours. Il
en conclut :
Que Muschenbroek et Guideus ou bien avaient mis en expérience des animaux
nouveau-nés, dans lesquels le trou ovale n’était point encore fermé, et dont les
poumons n’avaient pu se dilater suffisamment pour devenir spécifiquement plus
légers que l’eau;.... ou bien qu’ils ont laissé les animaux trop longtemps dans le
vuide après leur mort;.... ou encore que l’air du récipient était peut-être plus
raréfié dans les expériences de ces physiciens qui n’ont pas eu soin d’avertir
jusqu’à quel point ils ont pompé l’air Quant à lui, il s’est contenté de le raré-
fier autant qu’il était nécessaire pour donner la mort aux animaux. ....
Les poumons, dit-il 'en terminant, ne sont plus pesants que l’eau que dans le
cas où ils ont étégardés quelque temps dans le vuide après la mort de l’animal. Gela
prouve bien que cette mort ne doit point être attribuée au resserrement du pou-
mon Peut-être même que les poumons ne deviennent pas plus denses dans le
vuide, et qu’ils ne paraissent tels, lorsqu’on les en retire, que par la pression de l’air
extérieur qu’ils recommencent d’éprouver alors. D’ailleurs, toutes les autres par-
ties du corps se gonflant dans le vuide, on ne voit pas pourquoi le poumon serait
excepté lui seul.
On voit que Yeratti n’est rien moins qu’édifié sur le résultat des
expériences des physiciens hollandais. Du reste, il ne prend point
un parti décidé, Lien qu’il soit amené à pencher vers l’opinion de
Borelli.
Dans un autre mémoire 1 qu’il consacre à l’étude de l’asphyxie
en vases clos, il fait une observation, erronée du reste, qui montre
combien ces questions lui paraissaient complexes :
Aucuns des animaux qui meurent dans les récipients (air confiné) n’ont de
convulsions, comme il arrive toujours à ceux qui meurent sous le récipient de la
machine pneumatique ; ce qui prouve que la cause qui tue les animaux dans un
air renfermé est fort différente de celle qui les fait mourir dans le vuide.
On est vraiment bien étonné de voir, après cela, que dans l’expli-
1 Sur la mort de quelques espèces d'oiseaux et de grenouilles dans un air renfermé,
Acad, des sc. de Bologne. — Collect. acad., partie étrangère, t. X, p. 513-521.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
215
cation de la mort des animaux renfermés il fasse jouer un rôle
important à « la destruction du ressort de l’air, prouvée par ses ex-
périences », c’est-à-dire à une diminution de pression de quelques
millimètres de mercure.
Un autre Italien, J. Fr. Cigna1, poursuivait peu après des recher-
ches du même ordre sur la mort en vases clos. Mais, le premier, il
eut l’idée d’étudier ce qui adviendrait à des animaux maintenus
jusqu’à la mort dans des récipients fermés, en présence d’un air
diversement raréfié.
Il se servait d’une bouteille contenant « environ 50 livres d’eau ».
Il y mit un moineau, puis il pompa l’air en deux minutes jusqu’à
une dépression de 16 pouces et 10 lignes :
L’animal vomit dès le commencement, il essuya quelques convulsions, ensuite
il parut se trouver assez bien pendant quelques instants. Sa respiration était d’a-
bord petite et fréquente ; elle le devint encore plus dans la suite ; bientôt elle fut
fréquente et profonde, et enfin profonde et rare; il survint alors des convulsions
qui terminèrent sa vie. Le mercure s’était peu à peu élevé dans le siphon, de
sorte qu’à la mort de l’animal sa hauteur était augmentée d’environ 4 1/2 lignes.
A compter du moment que la communication du tube avec la pompe pneumatique
avait été interrompue, le moineau avait vécu 55 minutes
Après avoir lavé la bouteille, j’introduisis un autre moineau ; je pompai l’air,
de façon cependant que le mercure ne s’élevait dans le syphon que de 13 pouces
5 lignes, et j’ôtai la communication de la bouteille avec la pompe. Toutes ces
opérations furent faites, comme la première fois, dans l’espace de deux minutes
depuis l’intromission du moineau. Cet animal essuya les mêmes symptômes que le
premier. Il vécut 70 minutes ; à sa mort, le mercure était élevé de sept lignes
au-dessus du point où il était au commencement.
Enfin j’introduisis un troisième moineau dans la bouteille, sans en avoir raréfié
l’air (la hauteur du mercure étoit alors de 27 pouces 6 lignes). Les symptômes
furent les mêmes à l’exception des convulsions. L’animal vécut trois heures et
demie. A sa mort, le mercure était monté dans le siphon d’environ 1 pouce et
11/2 ligne.
Dans ces expériences, les quantités d’air enfermé étaient entre elles comme les
nombres 128, 1G9, 330 et, par conséquent, à peu près comme 5, 4, 8. La durée
de la vie des moineaux fut comme les nombres 55, 70, 210, et à peu près comme
1,2,6; d’où il suit premièrement que, dans des airs de différente densité, elle
ne répond pas à la quantité d’air, mais qu’elle augmente en plus grande propor-
tion que la quantité d’air, lorsque sa densité est plus grande, et, par conséquent,
que la même quantité d’air soutient plus longtemps la vie des animaux lorsqu’elle
est condensée que lorsqu’elle est raréfiée. (P. 165.)
Cigna tire de ces expériences la conclusion suivante :
Un air raréfié n’est pas nuisible à la vie des animaux par sa rareté même, mais
1 Sur la cause de l’extinction de la flamme et de la mort des animaux dans un air
fermé. Soc. roy. des sc. de Turin, t. II, années 1 700—1 7G1 ; p. 168. — Collect. acad.y
partie étrangère, t. XIII, p. 158-184; 1779.
21 G
HISTORIQUE.
parce qu’il est plus tôt altéré que lorsqu’il est plus dense ; car dans un tel air,
les animaux respirent d’abord sans peine ; leur respiration ne devient laborieuse
que par degrés, et d’autant plus tard que le récipient a plus de capacité ; tout s’y
passe, en un mot, comme dans un air qui a sa densité naturelle. Au lieu que si
l'air était pernicieux par sa rareté même, il le serait également, quelle que fût la
capacité du récipient. (P. 166.)
Et, pour le prouver, il fit une double expérience, dans laquelle
deux moineaux étaient soumis à la même pression très-faible (de
9 et demi à 7 et demi pouces), l’un dans une bouteille fermée, l’au-
tre dans un récipient où il renouvelait fréquemment l’air. Le pre-
mier mourut, tandis que le second était « plein de santé » après
plus d’une demi heure :
11 résulte de celte expérience, dit-il, qu’un air, extrêmement raréfié sous le
récipient pneumatique, est propre à entretenir la respiration et la vie, pourvu
qu'il soit renouvelé, et voilà pourquoi les animaux supportent beaucoup mieux
la condensation d'un air renfermé qu’une raréfaction égale ; voilà encore pourquoi
la flamme brûle et les animaux vivent sur les plus hautes montagnes, quoique
l’air y soit extrêmement raréfié, tandis qu’ils meurent bientôt sous un récipient
dont on a raréfié l'air au même degré (p. 167).
Mais j’appelle tout particulièrement l’attention sur la remarquable
explication que donne Cigna de l’innocuité (certes bien exagérée par
lui), de l’air raréfié et renouvelé :
Il est sensible qu’il suffit que l’air soit assez dense pour pouvoir dilater le
poulmon par sa pression; or, pour dilater le poulmon, il suffit que cette pression
puisse soumettre la résistance qu’oppose la force contractile de ce viscère, car il
n’y a aucun air thoracique qui augmente cette résistance, et cette pression excède
à peine celle de deux pouces de mercure; d’où il suit qu’un air, même extrême-
ment raréfié, exerce encore une pression suffisante pour le méchanisme de la res-
piration (p. 166).
Aussi arrive-t-il à celte opinion que « la suffocation des animaux
maintenus dans des vaisseaux fermés est l’ouvrage des vapeurs ».
Mais le suivre dans cette voie nous écarterait de notre sujet.
Nous allons revenir aux voyageurs qui ont fait l’ascension de
montagnes élevées ; mais il convient de rapporter auparavant les
expériences intéressantes du poëte-naturaliste Darwin1 et les cu-
rieuses conséquences théoriques qu’il en tire : nous aurons à revenir
plus tard sur ces explications.
L’auteur se demande s’il existe vraiment dans le sang des va-
1 Darwin, Experimenls on Animal Flnids in the exhausted Receivcr. — Philos. Trans.,
t. LXIV, p. 544-549, 1774.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
217
peurs élastiques d’une nature quelconque, qui ont pu faire attri-
buer « les maladies lunaires et équinoxiales » aux variations de la
pression atmosphérique :
Cette opinion, dit— il, semble démontrée par l’expérience suivante : Quatre onces
de sang sont tirées de la veine du bras et introduites immédiatement dans le réser-
voir d’une pompe à air : l’air étant enlevé, le sang se met à mousser, à s’élever
en bulles, jusqu’à occuper dix fois plus de volume.
Mais il y a là, dit Darwin, un raisonnement erroné. Si on isole
entre deux ligatures, chez un animal qu’on vient de tuer, une
certaine longueur d’un vaisseau plein de sang, et qu’on mette ce
fragment dans un vase plein d’eau, sous le récipient de la pompe,
il reste au fond de l’eau, lorsqu’on fait le vide, sans s’élever ni se
gonfler, comme cela devrait avoir lieu s’il contenait réellement de
l’air :
Ainsi, il se produit un grand changement dans le sang tiré de la veine, par
l’introduction qui s’y fait de l’air atmosphérique Ainsi, ne voyons-nous pas
que la ventouse appliquée sur le vivant amène de la mousse, comme il arrive
dans le vide.
Il est donc probable que les animaux peuvent subir sans inconvénients de fortes
variations de pression Quelques-unes des personnes qui ont fait l’ascension de
hautes montagnes rapportent quelles ont craché du sang ; mais cela n’a jamais
été remarqué chez les animaux placés dans la machine pneumatique, où la dimi-
nution de pression était supérieure à ce qui arrive dans les plus hautes montagnes.
Ces crachements étaient donc des maladies accidentelles, ou étaient la conséquence
du violent exercice de l’ascension.
Nous avons vu, citée plus haut par Veratti, l’explication qu’avait
tout d’abord donnée Borelli des accidents de la dépression, accidents
qu’il avait lui-même éprouvés en monlant sur l’Etna; ils seraient
le résultat d’une sorte « d’effervescence qui arriverait dans le sang
et les autres liqueurs. » Mais Borelli ne persista pas longtemps dans
cette opinion, et, préoccupé exclusivement de sa théorie de l’effort,
il rétrécit singulièrement la question1 :
Je m’aperçus ensuite que cette gêne n’était pas produite par la trop grande sub-
tibilité de l’air, ni par quelque viciation de ses qualités, puisque, assis ou à cheval,
respirant naturellement le même air, nous n’avions pas plus d’oppression que
sur le bord de la mer. J’ai donné une solution de ce problème dans ma Météoro-
logie des incendies de l'Etna 2; mais, en y réfléchissant, je ne puis persévérer dans
ce sentiment, et j’en viens à une opinion plus vraisemblable. (P. 242.)
1 De Molu Animalium, Pars altéra. — Rome, 1681.
2 J® n’ai pu me procurer ce travail. Mais probablement celte solution est celle qu’a
rappelée Veratti et dont nous venons de parler.
218
HISTORIQUE.
Borelli rappelle alors qu’il a montré pourquoi un travail fatigant
amène nécessairement l’anhélation. Il va montrer maintenant com-
ment la locomotion dans un air raréfié ne peut se faire sans grande
fatigue, d’où la difficulté dé respirer : (C’est sa proposition CXX1II.)
Un travail peut devenir fatigant pour deux raisons : d’abord, si la résistance
augmente, ensuite si la puissance diminue
L’air contenu dans la poitrine aide, comme je l’ai dit, l’effort des muscles, en
comprimant par son élasticité les vaisseaux aériens et sanguins. Donc, quand l’air
sera très-raréfié, bien qu’il soit comprimé par le thorax comme l’était l'air
dense, il agit moins sur les vaisseaux, et par suite vient moins au secours des
muscles Donc, dans un air rare, un même travail demandera plus d’efforts, la
puissance étant diminuée, d’où vient la lassitude, ce qu’il fallait démontrer.
(P. 243.)
Bouguer1 ne montre pas plus de sagacité; le fait bien reconnu
que, dans certaines circonstances, les malaises frappent seulement
les piétons et non les cavaliers, lui fait tout attribuer à la fatigue:
pour les cas plus embarrassants, il a recours au froid :
Ce qui le prouve d’une manière incontestable, c’est qu’on n’y était jamais exposé
lorsqu’on allait à cheval ou lorsqu’on était une fois parvenu au sommet, où l’air
cependant était encore plus subtil. Je ne nie pas que cette grande subtilité ne
hâtât la lassitude et ne contribuât à faire augmenter l’épuisement, car la respiration
y devient extrêmement pénible; pour peu qu’on agisse, on se trouve tout hors
d’haleine par le moindre mouvement ; mais ce n’est plus la même chose aussitôt
qu’on reste dans l’inaction
Nous passâmes trois semaines (août 1737) sur le sommet du Pichincha ; le
froid y était si vif que quelqu’un d’entre nous commença à sentir quelques affec-
tions scorbutiques, et que les Indiens et les autres domestiques que nous avions
pris dans le pays eurent des tranchées violentes : ils rendirent du sang, et il y en
eut qui furent obligés de descendre ; mais leur indisposition ne venait toujours,
lorsque nous fumes une fois logés sur la pointe du rocher, que de la seule rigueur
du froid auquel ils n’étaient pas accoutumés, sans que la dilatation de Pair parût
en être la cause, au moins immédiate ou prochaine : c’est ce que j’examinai
avec d’autant plus de soin que je savais que la plupart des voyageurs y avaient été
trompés, faute de démêler assez les différents effets. (P. 262.)
Cependant, Bouguer accorde quelque importance à la diminution
du poids même de l’air :
Les petites hémorrhagies venaient sans doute de ce que l’atmosphère, ayant un
moindre poids, n’aidait pas assez par sa compression les vaisseaux à retenir le
sang qui, de son côté, était toujours capable de la même action. (P. 261.)
Ulloa2, qui avait vu dans d’autres régions de la Cordillère « les
1 Loc o cit. : Relation abrégée, etc., 1744.
2 Loc. cit. : Mémoires philosophiques, 1787.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
219
gens de cheval aussi malades que ceux de pied,» ne pouvait sup-
poser, comme l’avait fait Bouguer, que la fatigue était la cause
principale des malaises. Aussi ne mentionne-t-il même pas cette
hypothèse. Mais il discute victorieusement celle du froid.
L’idée de la rareté de l’air se présente à son esprit, mais une
circonstance l’embarrasse, qui en a embarrassé bien d’autres, c’est
qu’on n’éprouve pas ces accidents sur les hautes contrées voisines
de Quito :
On ne peut sans doute attribuer cet accident au froid, car s’il en était la seule
cause, cette maladie serait commune dans tous les pays froids. Il faut donc que
cela vienne de la qualité de l’air, soit en conséquence de sa légèreté, soit de toute
autre qualité que nous n’y connaissons pas. On n’éprouve point ce mal dans les
hautes contrées de Quito, contrées aussi élevées que celles du Pérou, car il est
différent de l’affection que nous appelons paramarse : au moins ne l’a-t-on pas
éprouvé quand on a fait les observations, c’est pourquoi l’on n’en a pas parlé, au
lieu qu’il est très-ordinaire dans les pays qui conduisent à ces autres contrées. Il
faut encore observer que ceux qui sont disposés à vomir en mer le sont aussi aux
Punas, tandis que ceux sur qui la mer ne fait pas d’impression n’éprouvent non
plus cette incommodité sur ces cimes. On sent quelque chose d’analogue sur les
hautes montagnes d'Europe et sur d’autres chaînes de montagnes; ceci est parti-
culier aux personnes délicates, mais ces effets n’y sont pas si sensibles et si
graves, ni même si généraux que dans les contrées de l’Amérique. Ce qu’on
éprouve en Europe ne vient que de la rareté de l’air et du froid qu’il fait sur ces
hauteurs, deux circonstances qui doivent produire quelque altération. (P. 117.)
Puis, à propos des accidents constatés chez les bêtes de somme,
Ulloa rapporte, mais pour la combattre, l’opinion répandue de son
temps, et encore aujourd’hui presque universellement admise dans
les contrées de la Sud-Amérique, qu’il s’agit d’un empoisonnement
par des émanations métalliques sortant du sol. Cependant, il ne
peut s’empêcher de croire à quelque substance étrangère répandue
dans l’air :
Les habitants de ces contrées disent que c’est parce que les animaux passent
alors sur des mines, car ils prétendent que les montagnes sont pleines de mine-
rais, d’où il s’exhale, par les pores de la terre, des molécules d’antimoine, de
soufre, d’arsenic et autres, auxquelles ils attribuent ces accidents.
Mais on peut objecter que, si cette opinion était fondée, ceux qui montent ces ani-
maux l’éprouveraient aussi lorsqu’ils sont arrêtés, ce qui n’arrive pas. Il faut donc
croire que cela n’est dû qu’à l’extrême rareté de l’air, imprégné d’ailleurs de quelque
corps étranger qui s’y trouve disséminé, et sans que cette matière étrangère sorte
des pores de la terre. On peut encore dire qu’il n’est pas probable qu’il y ait des
minéraux renfermés dans le sein de toutes les cimes où ces accidents arrivent,
puisqu’on ne voit aucun signe externe qui les décèle : si cela était, il n’y aurait ni
mont ni coteau dans ces chaînes, qui ont plusieurs centaines de lieues, où l’on ne
trouvât quelque minéral. (P. 116.)
220
HISTORIQUE.
Ulloa dit aussi quelques mots d’accidents bien moins graves, mais
que ses successeurs n’ont pas toujours eu, comme lui, la sagacité de
distinguer d’avec le mal des montagnes :
L’air sec et subtil occasionne une telle sécheresse, que l’épiderme, et surtout la
pellicule qui recouvre les lèvres, se gerce et se fend ; on y sent de la douleur, et
bientôt le sang y paraît ; les mains deviennent rudes et squameuses : cette aspé-
rité est surtout remarquable aux articulations des doigts et à leur partie supérieure,
les écailles y sont plus épaisses qu’ailleurs, et elles prennent une couleur noi-
râtre qui ne se dissipe aucunement par les lotions. On appelle ces affections
chuqno , terme par lequel les naturels désignent une chose ridée et durcie par le
froid. (P. 111.)
Tous ces faits étaient connus de l’illustre Haller, qui les rappelle
brièvement dans le IIIe volume1 de son immense ouvrage, et tente
de les expliquer avec les données de la physique, de la chimie, de
la physiologie de son temps. L’influence mécanique de la pression
de l'air lui paraît tout à fait prédominante. Chemin faisant, il émet
celte idée bien singulière, déjà indiquée par Cigna (voy. p. 216),
que l’air des altitudes agirait sur l’organisme d’une manière moins
fâcheuse que celui qui a été raréfié au meme degré sous les cloches
pneumatiques :
L’air, dit-il, pèse de toutes parts sur le corps de l’homme et les divers au-
teurs estiment ce poids à des valeurs variables de 51144 livres à 42340. Les
enfants sont plus comprimés proportionnellement que les adultes, leur surface du
corps diminuant moins que la masse.
Tout cela varie en un même lieu, puisque le mercure du baromètre monte ou
descend de trois pouces environ, d’où des différences qu’on a estimées de 3002 à
3982 livres. La variation est bien plus grande si l’on compare l’air des plus hautes
montagnes à celui des plus profondes mines de charbon Dans ce cas, elle
peut aller de 50292 livres à 19281 (elle ne serait, suivant La Condamine, que de
17000 livres sur le haut du Chimborazo, sommet inaccessible du reste). Et cette
différence apparaît bien autrement grande, si au lieu d’un homme on considère
un poisson vivant dans des profondeurs sous-marines jusqu’à 400 toises On
arriverait ainsi à une pression de 2272000 livres.
Les académiciens anglais n’ont pas mis en doute qu’un homme puisse vivre à
200 toises de profondeur. (P. 191.) . . .
Les effets de cette pression ne peuvent pas ne pas être considérables sur le
corps humain : nous le voyons en plaçant des animaux sous la cloche pneuma-
tique.
Le corps est soustrait à la pression qui serrait contre les os les vaisseaux, les
muscles et les parties molles. Et comme il y a dans les humeurs du corps, dans
les voies aériennes, partout, de l’air qui s’y trouve maintenu par la pression, sous
un petit volume, lorsque cette pression est soustraite l’animal se gonfle de tous
1 Elementa Physiologiœ corporis humani. Lausanne, 1761.
221
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
côtés, par l’expansion du poumon, de l’intestin et de l’air contenu dans les vais-
seaux et même les mailles cellulaires. (P. 192.)
Mais il y a une grande différence entre l’air raréfié par des vapeurs ou par la
soustraction d’une partie de lui-même, et celui qui est plus léger à cause de la
hauteur et de son éloignement du centre de la terre. Dans celui-ci, en effet, bien
qu’il soit diminué de moitié de son poids, la respiration se fait sans difficulté ; c’est
ce que j’ai éprouvé sur les monts Jugo et Furca. (Haller cite Cassini, Bouguer, etc.)
Et l’on peut même vivre longtemps à ces hauteurs J’ajoute foi à l’opinion
d’Arbuthnot qui enseigne que la migration rapide dans un air raréfié se supporte
difficilement d’abord, mais qu'on le tolère par habitude. De là vient peut-être que
les oiseaux supportent plus facilement l’air raréfié que les autres animaux (Der-
ham). On comprend facilement, en effet, que les pressions dans nos humeurs et
nos vaisseaux seront d’autant plus grandes que l’air extérieur sera plus dense, et
d’autant moindre qu’il le sera moins. (P. 193.)
Nous comprenons facilement les inconvénients de l’air raréfié; nous verrons
qu’il ne peut dilater complètement les poumons. Comme la pression ne soutient
plus les vaisseaux du corps, ils résistent moins au cœur et se rompent plus facile-
ment. Dans un air très-raréfié, le péril est augmenté par l’expansion de l’air con-
tenu dans nos humeurs. L’air léger, qui dilate mal les poumons, rend plus dif-
ficile le passage du sang dans ces organes, et, laissant moins arriver de sang au
cœur gauche dans un temps donné, lui enlève le stimulant qui le sollicitait à se
contracter. (P. 196.)
Dans l’air raréfié, les forces sont brisées. Dans nos Alpes, ceux qui sont faibles
de poitrine meurent quand ils sont dans les endroits élevés, surtout s’il y fait
chaud, car le froid tempère les mauvais effets de l’air rare. Les robustes monta-
gnards des Alpes portent parmi les hauts lieux des fardeaux énormes.
Si en passant des montagnes certains voyageurs ont éprouvé de la fièvre, des
faiblesses, de petites hémorrhagies, des hémoptysies, comme on en voit un fâcheux
exemple dans Scheuchzer *, je les rapporte plutôt à la fatigue de l’ascension et aux
forces respiratoires tendues à l’excès. En effet, les voyageurs au repos ou à cheval
n’éprouvent rien de semblable. (P. 197.)
Ainsi, suivant le célèbre physiologiste suisse, l’action de l’air
raréfié a pour causes principales la diminution du poids qui pesait
sur la surface du corps, la dilatation des vaisseaux sanguins super-
ficiels et la circulation du sang rendue plus difficile à travers les
poumons. Nous aurons à revenir, dans le prochain chapitre, sur
la valeur de ces théories qu’il serait prématuré de discuter actuel-
lement.
D’après le récit de Haller, on voit que les voyageurs dans les Alpes
avaient déjà éprouvé quelques effets fâcheux de la diminution de
pression barométrique. Cependant, aucun des géants des Alpes, ni
le mont Blanc, ni le mont Rose, ni la Jungfrau, n’avait encore vu
d’explorateurs fouler leurs sommets qui s’élèvent à plus de 4000m.
Or, au-dessous de ce niveau, les accidents, même légers, sont assez
1 De meteoris aqueis, p. 40. Je n’ai pu me procurer cet ouvrage.
222
HISTORIQUE.
rares. Le physicien genevois de Luc1 s’en étonne, en considérant la
grande diminution du poids d’air supporté par le corps ; il en tire
une conséquence fort raisonnable sur l’influence que certains mé-
decins attribuent aux changements barométriques sur la santé :
Nous étions fort à notre aise auprès des petits rochers où nous étions descendus
(glacier du Buet, baromètre 19 pouces 6 lignes; 9355 pieds au-dessus du niveau
de la mer) Nous nous émerveillions de n’apercevoir la différence de densité
de l’air que par nos instruments; de ce qu'aucune incommodité ou sensation
désagréable ne nous avertissoit que cet air que nous respirions étoit près d’un
tiers moins dense que celui de la plaine ; de ce que le poids de l’atmosphère avoit
diminué de cent quintaux sur notre corps sans que l’équilibre fût troublé dans
son intérieur. Quelle merveilleuse machine, que celle qui se prête à de si grandes
variations dans les causes mêmes de ses principaux mouvements, sans qu’ils
cessent d’être réguliers !
Je ne puis m’empêcher de faire remarquer, à ce sujet, combien se sont trompés
quelques médecins qui ont attribué à la différence du poids ou de la densité de
l’air les changements qu’éprouvent certaines personnes lorsque le baromètre
baisse, et qui ont entrepris d’en rendre raison par le manque d’équilibre entre
l’air intérieur et l’air extérieur, ou par l’effet que peut produire sur les mouve-
ments du cœur et des poulinons un air plus ou moins dense.
Si ces vicissitudes influoient sensiblement sur nos organes, que deviendroient
ces chasseurs au chamois, qui passent chaque jour du fond des vallées au sommet
d’aussi hautes montagnes fces asthmatiques mêmes n’en sont pas affectés;
j’ai été du moins sur la montagne du Salève avec un de mes amis qui craignoit
cet effet et qui ne l’éprouva point. (P. 328.)
Nous avons vu que le chanoine Bourrit fut, dans l’ascension du
Buet, moins heureux que de Luc; les récits de de Saussure et de
Pictet montrent, du reste, que cette montagne, malgré sa médiocre
hauteur, est une de celles où les ascensionnistes sont le plus facile-
ment atteints. Bourrit2 fait à ce propos une réflexion singulière
sur la différence de densité, à hauteur égale, entre l’air des Alpes,
qui rend malade, et celui des Cordillères, « où l’on n’éprouve rien » :
J’ai remarqué qu’on évite ces accidents en se promenant moyens qui re-
nouvellent l’air dans les poumons et en entretiennent l’activité
Je sais qu’il serait difficile, pour ne pas dire impossible, de vivre longtemps
sur le mont Blanc.
De toutes ces circonstances il faut conclure que l’air qu’on respire sur les
hautes Alpes est bien plus rare que celui des Cordillères à la même hauteur,
parce que ces dernières sont sous l’équateur, et que par là même elles sont plus
imprégnées de vapeurs grossières et épaisses. (T. Il, p. 98.)
Si cette idée nous paraît aujourd’hui très-singulière, que dire de
1 Recherches sur les modifications de l'atmosphère, t. II. — Genève, 1772.
2 Loc. cit. : Nouvelle description, etc., 1785.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
223
celle de d’Arcet1 qui nie d’abord les malaises des montagnes (il n’était
monté qu’au pic du Midi) et en arrive à se demander si réellement
l’air des régions élevées est plus dilaté que celui des plaines !
Quant à la difficulté de respirer qu’on a cru sentir quelquefois sur les hautes
montagnes, et que nous n’avons jamais éprouvée, je crois qu’elle peut venir du
resserrement qu’on sent lorsque, tout échauffé et fatigué de monter, on arrive
sur un sommet très-découvert et fort élevé. Là, on est saisi tout à coup par un
air froid et vif *
Quelque fatigué qu’on soit, lorsqu’on parvient sur une haute montagne, on s’y
trouve promptement délassé; on s’y sent plus leste, plus léger; le visage est pâle
et la chair moins colorée. En un mot, ce qu’on sent alors n’a rien de commun
ou plutôt c’est le contraire des effets que produit sur les êtres vivants un air
trop dilaté et trop rare. (P. 123.)
Il discute ensuite les observations de Bouguer et de La Condamine,
et dit en terminant :
J’engage les physiciens qui seront à portée. de tenter de nouvelles expériences,
s’il est possible, pour s’assurer si en effet, à de certaines hauteurs, l’air y devient
rare et s’y dilate au point que des animaux ne pourroient plus s’y élever sans
y étouffer comme dans le vuide; si cette densité plus ou moins grande est ici-bas
la seule cause de l’ascension et des variations du mercure dans le baromètre.
De Saussure2, dès le premier volume de son grand ouvrage, après
avoir raconté qu’il a souffert du mal des montagnes en faisant
l’ascension du Buet, s’efforce d’en trouver la raison. Chose bien
curieuse, il indique en passant, mais pour la combattre, l’explication
véritable, que les découvertes récentes de Priestley et de Lavoisier
lui permettaient déjà d’entrevoir :
§ 559. — On ne peut attribuer l’épuisement des forces musculaires à la seule
fatigue, comme l’a cru M. Bouguer. Un homme fatigué, dans la plaine ou sur
des montagnes peu élevées, l’est rarement assez pour ne pouvoir absolument
plus aller en avant; au lieu que, sur une haute montagne, on l’est quelquefois
à un tel point, que, fût-ce pour éviter le danger le plus imminent, on ne ferait
pas à la lettre quatre pas de plus, et peut-être même pas un seul. Car si l’on
persiste à faire des efforts, on est saisi par des palpitations et par des batte-
ments si rapides et si forts dans toutes les artères, que l’on tomberait en défail-
lance si on l’augmentait encore en continuant de monter.
Cependant, et ceci forme le second caractère de ce singulier genre de fatigue,
les forces se réparent aussi promptement, et en apparence aussi complettement
qu’elles ont été épuisées. La seule cessation de mouvement, même sans que l’on
s’asseye, et dans le court espace de trois ou quatre minutes, semble restaurer si
parfaitement les forces, qu’en se remettant en marche on est persuadé qu’on
1 Discours en forme de dissertation sur l'état actuel des montagnes des Pyrénées.
— Paris, 1776.
2 Voyage dans les Alpes. — Genève, 4 vol. in-4°; 1786 à 1796.
524
HISTORIQUE.
montera tout d’une haleine jusques à la cime de la montagne. Or, dans la plaine,
une fatigue aussi grande que celle dont nous venons de parler ne se dissipe point
avec tant de facilité
§ 560. — On serait tenté d’attribuer ces effets à la difficulté de respirer; il
semble naturel de croire que cet air rare et léger ne dilate pas assez les poumons,
et que les organes de la respiration se fatiguent par les efforts qu’ils font pour y
suppléer, ou que le ministère de cette fonction vitale n’étant pas complètement
rempli, le sang, suivant la doctrine de M. Priestley, n’étant pas suffisamment
muni de son phlogistique, toute l’économie animale en est dérangée.
Mais ce qui me persuade que ce n’est point là la véritable raison de ces effets,
c’est qu’on se sent fatigué, mais non point oppressé; et si l’action pénible de
gravir une pente rapide rend la respiration plus courte et plus difficile, cette
incommodité se fait sentir sur les basses montagnes comme sur les hautes, et
ne produit pourtant point sur nous, quand nous gravissons ces basses montagnes,
l’effet que nous éprouvons sur celles qui sont très-élevées; d’ailleurs sur celles-
ci, quand on est tranquille, on respire avec la plus grande facilité. Enfin, et cette
réflexion me paraît décisive, si c’était une respiration imparfaite qui produisait
cet épuisement, comment quelques instants d’un repos pris en respirant ce
même air paraitraient-ils réparer si complètement les forces?
§ 561. — Je croirais plutôt que ces effets doivent être attribués au relâche-
ment des vaisseaux produit par la diminution de la force comprimante de l’air.
L’habitude de vivre comprimés par le poids de l’atmosphère fait que nous ne
pensons guère à l’action de ce poids et à son influence sur l’économie animale.
Cependant si l’on réfléchit qu’au bord de la mer tous les points de la surface de
notre corps sont chargés du poids d’une colonne de mercure de 28 pouces de
hauteur; qu’un seul pouce de ce fluide exerce, sur une surface d’un pied quarré,
une pression équivalente à 78 livres, 11 onces, 40 grains, poids de marc; que par
conséquent 28 pouces exercent sur celte même surface la pression de 2205 livres,
6 onces; et qu’ainsi en attribuant, comme on le fait communément, 10 pieds
quarrés de surface à un homme de moyenne taille, la masse totale du poids qui
comprime le corps de cet homme, équivaut à 22033 livres, 12 onces; si, dis-je,
on réfléchit à ce qui doit résulter de l’action de ce poids, on verra qu’il doit re-
fouler toutes les parties de notre corps, qu’il les contrebande pour ainsi dire,
qu’il comprime les vaisseaux, qu’il contribue à la force élastique des artères, qu’il
condense les parois de ces mêmes vaisseaux, et s’oppose à la transsudation des
parties les plus subtiles, du fluide nerveux par exemple; et que par toutes ces
raisons il doit contribuer à la force musculaire.
Si donc du bord de la mer on se trouvait tout à coup transporté, seulement à
la hauteur de 1250 toises, où le poids de l’air ne soulève qu’environ 21 pouces
de mercure, l’action de l’atmosphère sur notre corps se trouverait diminuée d’un
quart, ou de 5508 livres, 7 onces ; par conséquent tous les effets de cette action
seraient sensiblement diminués, et les forces musculaires devraient nécessairement
en souffrir. Les vaisseaux, en particulier, exerceraient une pression beaucoup
moins considérable sur les fluides qu’ils renferment; et par cela même ils op-
poseraient moins d’obstacles à l’accélération que le mouvement musculaire tend
à donner à toute la masse de nos liquides.
Donc, dans les régions élevées, où les vaisseaux ne sont que faiblement contre-
bandés par la pression de l’atmosphère, les efforts que l’on fait en gravissant une
pente rapide doivent accélérer le mouvement du sang, beaucoup plus que dans
des régions basses, où la compression des vaisseaux résiste à cette accélération. De
là, sans doute, ces battements rapides de toutes les artères, et ces palpitations qui
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
225
saisissent sur les hautes montagnes, et qui feraient tomber en défaillance si l’on
persistait à se mouvoir avec trop de vitesse.
Mais aussi, par un effet de ce même relâchement des vaisseaux, comme ils
réagissent faiblement sur le sang, dès que Ton discontinue le mouvement, l’ac-
célération qui avait été produite par ce mouvement cesse d'elle-mème en peu de
temps, au lieu que si les vaisseaux étaient fortement tendus, leur élasticité aurait
perpétué cette accélération, longtemps après que sa cause aurait cessé d’agir. C’est
le propre des êtres faibles, ils s’émeuvent facilement et s’apaisent de même; au
lieu que les êtres forts, difficiles à ébranler, se calment plus difficilement encore.
Lors donc que les vaisseaux sont relâchés par la diminution de la pression de l’air,
quelques instants de repos suffisent pour rétablir l’ordre et la tranquillité dans la
circulation, pour donner par le ralentissement de celte même circulation, un
sentiment de fraîcheur intérieure qui, aidé par la fraîcheur de l’air qu’on respire
dans ces régions élevées, calme complètement, et persuade que la fatigue est
entièrement dissipée. Quant à l’assoupissement, je crois qu’il est l’effet du re-
lâchement vasculaire et surtout de celui du cerveau. Telle est du moins la raison
de ces faits qui me paraît la plus probable : j'en laisse le jugement aux physio-
logistes de profession. (T. I, p. 482-488.)
Ainsi c’est, pour de Saussure, la diminution de la pression exercée
par l’air sur les vaisseaux cutanés qui, diminuant leur résislance
aux impulsions du cœur, détermine l’accélération circulatoire et
amène à la suite tous les troubles qu’il a observés et soufferts. Mais*
après sa célèbre ascension du mont Blanc, il ajoute à cette explica-
tion des réflexions d’une valeur bien plus en rapport avec la sagacité
de son esprit élevé :
§ 19G5. — Si l’on considère, dit-il, en effet, que le baromètre n’était là qu’à
seize pouces et une ligne, et qu’ainsi l'air n’avait guère plus de la moitié de sa
densité ordinaire, on comprendra qu’il fallait suppléer à la densité par la fré-
quence des inspirations. Or, celle fréquence accélérait le mouvement du sang,
d’autant plus que les artères n’étaient plus contrebandées au dehors par une
pression égale à celle qu’elles éprouvent à l’ordinaire ; aussi avions-nous tous la
fièvre. (T. IV, p. 147.)
Il revient un peu plus loin sur cette explication, et en poursuit
les conséquences. Il réfute également la théorie de Bouguer :
§ 2021. — De tous nos organes, celui qui est le plus affecté par la rareté del air,
c’est celui de la respiration. On sait que pour entretenir la vie, surtout celle des ani-
maux à sang chaud, il faut qu’une quantité d’air déterminée traverse leurs poumons
dans un temps donné. Si donc l’air qu’ils respirent est le double plus rare, il
faudra que leurs inspirations soient le double plus fréquentes, afin que la rareté
soit compensée par le volume. C’est cette accélération forcée de la respiration qui
est cause de la fatigue et des angoisses que l’on éprouve à ces grandes hauteurs-
Car, en même temps que la respiration s’accélère, la circulation s accélère aussi.
Je m’en étais souvent aperçu sur de hautes cimes, mais je voulais en faire une
épreuve exacte sur le mont Blanc ; et pour que l’action du mouvement du voyage
ne pût pas se confondre avec celle de la rareté de l’air, je ne fis mon épreuve
15
226
HISTORIQUE.
qu’après que nous fûmes restés tranquilles ou à peu près tranquilles pendant
quatre heures sur la cime de la montagne. Alors le pouls de Pierre Balmat se
trouva battre 98 pulsations par minute : celui de Têtu, mon domestique, 112, et
le mien 100. À Chamounix, également après le repos, les mêmes, dans le môme
ordre, battirent 49, 60, 72.
Nous étions donc tous là dans un état de fièvre qui explique et la soif qui nous
tourmentait, et notre aversion pour le vin, pour les liqueurs fortes, et même pour
toute espèce d’aliment
Cependant lorsqu’on demeurait dans une tranquillité parfaite, on ne souffrait
pas d’une manière sensible. Et c’est ce qui a fait penser à Bouguer que les sym-
ptômes qu’on éprouve dans cet air ne viennent que de la fatigue, car il est d’ac-
cord avec moi sur tous les faits
11 me paraît évident que, dans l’explication de ces faits, ce savant académicien a
commis une erreur, en confondant les effets de la rareté de l’air avec ceux de la
lassitude. Celle-ci ne produit point les effets de la rareté de Pair. Souvent, dans
ma jeunesse, en revenant de quelque grande course de montagne, je me suis
trouvé fatigué au point de ne pouvoir plus me soutenir sur mes jambes ; dans cet
état qu’Homère a si énergiquement exprimé en disant que les membres sont dis-
sous par la fatigue, et cependant je n’éprouvais ni nausées ni défaillance, et je
désirais des restaurants bien loin de les avoir en aversion. D’ailleurs, quoique
ces académiciens aient souvent éprouvé de grandes fatigues dans le cours
de leurs longs et pénibles travaux, cependant, pour monter au Pichincha,
dont il est surtout ici question, ils partaient de Quito, déjà élevé de 14 ou
1 500 toises, et ils montaient encore fort haut à cheval. Il ne leur restait
donc guères que 5 ou 4 cents toises à faire à pied, ce qui ne pouvait guères
produire une fatigue capable de donner lieu aux accidents que décrit Bouguer.
Donc le même mouvement musculaire qui n’aurait produit qu’une lassitude mé-
diocre sans aucun accident dans un air dense, produit dans un air très-rare une
accélération dans la respiration et dans la circulation, d’où résultent des incom-
modités insupportables pour certains tempéraments. (T. I, p. 207-209.)
Mais la première interprétation acceptée par de Saussure, la di-
minution du poids supporté, eut une fortune bien supérieure à son
mérite, tandis que la seconde, qui contient, comme nous le ver-
rons, une part de la vérité, resta beaucoup plus ignorée.
Quelques années après lui, le physiologiste Fodéré1 soulignait
pour ainsi dire, son erreur, en assimilant les hémorrhagies de la
diminution de pression à celles qui suivent l’application des ven-
touses :
La pression atmosphérique fait que les vaisseaux ne sont pas trop fortement dis-
tendus par les liquides qu’ils renferment et par la force élastique de l’air qui y
abonde... Si on supprime cette pression, ou seulement si l’on en diminue l’inten-
sité, les parties subissent des tuméfactions sensibles et des hémorrhagies ; on en
a des exemples familiers dans la succion, dans l’opération des ventouses, dans
les hémorrhagies des voyageurs qui montent sur le sommet des hautes monta-
1 Essai de Physiologie positive appliquée spécialement à la médecine pratique, t. I.
— Avignon, 1806.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES. 227
gnes ; dans la pesanteur, le gonflement et le malaise que nous éprouvons, toutes
les fois que l’air est plus léger. (P. 220.)
Hallé et Nysten1 partagent cette opinion, et l’expriment avec une
très-grande netteté. Pour eux; tout d’abord, l’action prédominante
est due à la soustraction du poids de l’atmosphère :
Lorsqu’on place un animal sous le récipient de la maehine pneumatique, ou
lorsque l’homme s’élève rapidement à des hauteurs considérables, alors, non-seu-
lement la dilatation subite des fluides élastiques libres, proportionnelle à la di-
minution rapide de la pression atmosphérique, mais encore la tendance à la dila-
tation qui existe dans les liquides animaux eux-mêmes, surtout dans les fluides
élastiques qu’ils tiennent dissous, peuvent être cause de plusieurs effets remar-
quables : tels sont un sentiment de malaise général, etc.
Cependant, après avoir décrit les phénomènes présentés par les
voyageurs et les aéronautes, les auteurs semblent reléguer au
second plan leur explication toute mécanique, car ils ajoutent :
On se rend facilement compte de ces effets. La diminution de la densité de l’air
fait que sous un même volume il y en a une moindre quantité. Cet air est donc
moins suffisant aux combinaisons qu’il doit éprouver dans l’acte de la respiration:
en conséquence, pour que dans un air raréfié ces combinaisons se fassent confor-
mément au but de la nature, il faut respirer proportionnellement plus vite. Telle
est la cause de cette respiration haletante et pressée et par conséquent de l’accé-
lération du pouls qui en est la suite. On conçoit même qu’à des hauteurs beau-
coup plus considérables la raréfaction de l’air serait telle que l’accélération de
la respiration ne suffirait pas pour faire arriver aux poumons la quantité d’air
nécessaire à l’entretien de la vie, et que celle-ci finirait par s’éteindre, comme
dans les asphyxies, par défaut du principal agent delà respiration. La mort, dans
ce cas, pourrait être précédée par divers phénomènes étrangers à la respiration,
tels que l’emphysème et diverses hémorrhagies dues exclusivement à l’expansion
extrême de toutes les parties du corps.
Nous retrouvons ici, appliquée à la respiration, l’explication
déjà donnée par de Saussure; quant aux hémorrhagies, Hallé et
Nysten persistent à les attribuer à la diminution du poids supporté
par le corps.
Le même cumul d’explications est exprimé avec plus de netteté
encore et de sobriété dans la thèse de Courtois2 :
La plupart de ces phénomènes dépendent tout à la fois des changements qui
surviennent dans le poids de l’air et de la quantité plus ou moins considérable
d’oxygène que ce fluide contient sous un même volume, selon qu’il est condensé
ou rarétié : ainsi des phénomènes chimiques viennent se compliquer avec ceux qui
dépendent delà pesanteur de l’air. (P. 17.)
1 Art. Air, Dict. des Sc. méd., t. I, p. 248; Paris, 1812.
2 Des effets de la pesanteur de l'air sur l'homme considéré dans l'état de santé. —
Thèses de Paris ; 1813.
228
HISTORIQUE.
A la même époque paraissait un travail remarquable, qui mé-
ritait d’attirer davantage l’attention des 'physiologistes, et qui
cependant demeura, au moins dans la partie qui nous intéresse, à
peu près complètement ignoré. Je dois meme avouer, non sans
quelque confusion, que je n’ai connu son existence qu’en faisant,
toutes mes expériences terminées, les recherches bibliographiques
nécessaires pour la rédaction de la première partie de cet ouvrage.
Legallois 1 fut amené, dans ses recherches sur la chaleur ani-
male, à comparer les variations de la température des animaux à
sang chaud avec la quantité d’oxygène qu’ils absorbent dans un
temps donné. Parmi les causes qui pourraient agir sur cette absorp-
tion, il pense à la raréfaction de Pair, comme un moyen « de faire
diminuer la quantité d’oxygène que contient l’air où l’on enferme
l’animal ». Legallois maintenait les animaux en vases clos (le ma-
nomètre, comme il l’appelle, mesurait 41 litres) pendant tout le
temps de l’expérience; il n’a nulle part indiqué le degré de dépres-
sion auquel il les avait soumis, mais il est facile de conclure de ses
récits qu’il n’a jamais atteint une demi-atmosphère. Je résume
dans le tableau suivant les résultats de ses expériences; l’épreuve
comparative, faite pour chaque animal sous la pression normale, a,
bien entendu, duré le même temps :
Oxygène
Acide cari).
Chang. dans
consommé.
formé.
la temp.ducor
1° Lapin, pression normale . . . .
7,05
6,16
+ 0°,2
— air raréfié
6,45
5,02
2°
2° Lapin, pression normale ....
6,55
6,56
+ 0°,5
— air raréfié
5,97
4,56
— 2°, 2
5° Lapin, pression normale ....
12,08
8,55
— 1°,5
— air raréfié
9,96
7,60
— 1°,5
4° Chai, pression normale . . . .
9,50
— 0°,5
— air raréfié
6,95
— 4°, 2
5° Chat, pression normale . . . .
8,52
6,20
— 0°,5
— air raréfié
7,66
6,12
— 7°
6° Chien, pression normale ....
15,26
9,12
— 1°,7
— air raréfié
10,91
9,11
— 4°, 2
7° Chien, pression normale ....
15,19
7,65
— 4°
— air raréfié
10,59
6,65
— 6°, 2
8° Cochon d’Inde, pression normale .
8,19
6,27
— 0°,4
— air raréfié. . . .
7,57
6,56
— 2°, 6
9° Cochon d’Inde, pression normale.
11,41
9,10
— 1°,5
— air raréfié ....
9,58
8,42
— 4°, 8
Legallois tire de ces expériences, par rapport au sujet qui nous
1 Deuxième Mémoire sur la chaleur animale ; 1815. — Œuvres de Legallois , avec des
notes de M. Pariset, t. II. — Paris, 1850.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES. 229
occupe ici, la conclusion suivante qui montre une admirable saga-
cité :
Puisque la simple raréfaction de l’air , portée au degré de faire baisser le
baromètre de moins de 50 centimètres, suffit pour faire refroidir l’animal qui
le respire, il en résulte que le froid qu’on éprouve sur les hautes montagnes ne
dépend pas uniquement de celui de l’atmosphère , et qu’il reconnaît de plu
une cause intérieure, laquelle agit par la respiration. (P. 59.)
Quel contraste entre ces expériences si nettes, ces conclusions si
précises, et l’entassement confus de prétendues explications que,
dans cette même année, Dralel1 donnait tout à la fois des malaises
et du mieux-être qu’on éprouve sur les hauts lieux !
L’air des montagnes de moyenne élévation est plus salubre quecelui des plaines...
Si l’on considère d’ailleurs que la pression de l’atmosphère est moindre à mesure que
nous nous élevons, on ne s’étonnera pas si les habitants de la plaine se trouvent
plus dispos dans les Pyrénées, mangent avec plus d’appélit, et si le ressort de leur
poumon y acquiert de nouvelles forces.
Mais l'homme qui s'approche de la région des glaces ne trouve plus un air aussi
favorable à l’économie animale ; la végétation, suivant l’observation deM. Ramond,
étant presque nulle dans ces lieux sauvages, l’azote n’est plus absorbé par les or-
ganes des plantes, et nuit par son abondance à la salubrité de l’air. MM. Vidal et
Reboul ont vérifié que la quantité d’air vital que contenait l’atmosphère au sommet
du pic du Midi de Bigorre, était moindre d’environ un quart que dans la vallée.
D’ailleurs, comme il y a diminution dans le poids de l’atmosphère, à mesure que
ses couches sont plus élevées, lorsqu'un homme est parvenu sur le sommet d’une
haute montagne, toutes les parties de son cor'ps, ne recevant plus de l’air envi-
ronnant une pression suffisante, doivent céder au calorique qui les dilate en cher-
chant son équilibre dans les corps environnants. De là, relâchement dans la fibre,
amollissement dans les parties solides, et excès de fluidité dans les liquides.
Ainsi les personnes qui voyagent dans les hautes montagnes sont sujettes aux
hémorrhagies, aux vomissements et aux défaillances ; mais ces incommodités ar-
rivent rarement, à moins qu’on ne s’élève à 2000 toises au-dessus du niveau de
la mer. (T. I, p. 50.)
Gondret 2 ne fut pas plus heureux en voulant donner « une
explication, sinon complète, du moins satisfaisante, » des acci-
dents observés pendant les ascensions en montagne. Yoici ce qu’il
dit :
La diminution du poids de la colonne d’air et l’élasticité de nos organes expli-
quent la turgescence du corps, la dilatation des vaisseaux, des fluides, et par con-
séquent les hémorrhagies.
Les poumons, habitués à 18 ou 20 inspirations et expirations régulières
1 Description des Pyrénées, 2 vol. — Paris, 1813.
2 Mémoire concernant les effets de la pression atmosphérique sur le corps humain ,
et V application de la ventouse dans différents ordres de maladie. — Paris, 1819.
230
HISTORIQUE.
dans l’espace d’une minute, obligés tout à coup, pour absorber une même quan-
tité d’air, à des mouvements multipliés, sont extraordinairement pressés dans
leur exercice.
Le cœur se ressent immédiatement de la précipitation des actes du poumon ;
de là naissent les pulsations accélérées, les lipothymies.
Les deux mouvements que le cœur et le poumon impriment au cerveau étant
ainsi accélérés, on conçoit les changements qui se passent dans cet organe, et par
conséquent dans ses fonctions : c’est à ces altérations que l’on peut rapporter
les vertiges, les étourdissements, les syncopes, tous les désordres qui en sont la
suite.
Les différences qui se remarquent chez les divers individus, dans l’intensité des
symptômes, dépendent de l’idiosyncrasie. (P. 40.)
Cependant il faut reconnaître qu’il eut le premier l’idée d’appli-
quer l’air raréfié à la thérapeutique. De l’influence très-manifeste
qu’exercent sur nous les changements dans la pression baromé-
trique, il tire cette indication :
Peut-être parviendrait-on à construire des chambres de telle manière que l’on
pût , à l’aide de la pompe pneumatique , y introduire à volonté un air plus ou
moins dense, suivant l’exigence du cas. (P. 45.)
•
Le reste du volume est exclusivement consacré à l’étude de l’in-
fluence des ventouses simples et scarifiées.
Les voyageurs anglais qui, au commencement de ce siècle, par-
coururent les régions élevées de l’Inde, ont introduit dans l’explica-
tion du mal des montagnes un élément nouveau. D’après leurs
récits, les natifs de ces contrées attribuent les malaises qui frappent
les étrangers et les indigènes eux-mêmes, à l’action d’un vent
empoisonné; pour la plupart, ce sont les émanations de certaines
plantes qui donneraient à l’air ces qualités toxiques.
C’est à Fraser 1 le premier que nous devons ce curieux rensei-
gnement; il faut dire qu’il se hâte de repousser cette explication
et cela par un excellent motif :
Je ne me doutais pas que l’altitude pouvait si durement affecter les forces et la
poitrine, et cependant c’était bien elle uniquement, quelque diificile que fût 1 as-
cension; car nous avions eu sous ce rapport d’au moins aussi mauvaises journées
auparavant ; et quoiqu’on nous assurât que l’air était empoisonné par 1 odeur
des fleurs, et bien qu’il y en eût en effet une profusion pendant la première par-
tie de notre route, la plupart n’avaient pas d’odeur, et nous ne pouvions rien
percevoir dans l’air. Bien plus, nous souffrîmes surtout en atteignant la gorge éle-
vée de Bamsooroo, où il n’y avait pas de végétation, et par conséquent pas de par-
fums de fleurs., (P. 449.)
1 Loc. cit. : Journal of a Tour, etc.; 1820.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
231
Le docteur Govan1, qui accompagna le capitaine Al. Gérard dans
son premier voyage en 1817, rapporte la même tradition, sans y
croire davantage. Mais, très-étonné du manque de proportion si-
gnalé déjà par les voyageurs entre l’altitude et l’intensité des acci-
dents, il en arrive à l’idée singulière de faire jouer dans ces phéno-
mènes un rôle actif à l’électricité :
Sur les sommets extrêmes des montagnes du Choor apparaissent d’abord le ge-
névrier, le rhododendron alpin et le grand aconit, dont les effets toxiques bien
connus, quand on en fait un usage interne, semblent avoir donné naissance à cette
croyance répandue chez les indigènes, qu’il empoisonne l’air aux alentours : opi-
nion à laquelle je ne puis découvrir nui fondement, sinon que dans les endroits
élevés habités par cette belle plante, les voyageurs éprouvent souvent, mais non
toujours, les phénomènes désagréables, attribués ordinairement à la dilatation de
l’air. *
Si les symptômes regardés par d’éminents naturalistes comme dépendant de
cette dilatation doivent lui être réellement imputés, comment se fait-il qu’ils ne
soient pas proportionnels à l’élévation et à la raréfaction, et qu’ils n’arrivent pas
invariablement quand elles atteignent un certain degré?
J ai passé la nuit, en deux circonstances, à des hauteurs de plus de 14000 pieds
au-dessus de la limite des neiges perpétuelles, j’ai traversé le Rol-Pass (beaucoup
au-dessus de 15 000 pieds), accompagné de 40 soldats indigènes, sans que per-
sonne d’entre nous ait éprouvé ces symptômes fâcheux. Or, dans les mêmes en-
droits, et même à des hauteurs moins grandes, ils ont été observés dans d’autres
ascensions et annoncés à l’avance par les indigènes.
Tout ceci semble indiquer que ces phénomènes dépendent de circonstances
atmosphériques moins générales, comme l’agent électrique qui, en présence de
conducteurs si élevés, doit être dans un état de constante fluctuation. (P. 282).
Le capilaine Al. Gérard2, dans le récit de son voyage de 1818,
parle également des plantes empoisonnées :
Il est bon de faire remarquer que les habitants du Koonawur estiment la hau-
teur des montagnes par la difficulté de respirer pendant leur ascension, difficulté
qu’ils attribuent à une plante toxique ; mais, malgré nos recherches faites à chaque
village, nous n’avons trouvé personne qui ait jamais connu cette plante, et, d’après
notre expérience, nous inclinons à attribuer ces effets à la raréfaction de l'atmo-
sphère, car nous les avons éprouvés à des hauteurs où il n’y avait plus de végéta-
tion. (P. 49).
[1 revient encore sur cette hypothèse dans son livre sur le
pays de Koonawur 3, mais toujours pour la repousser :
1 Additionnai Observations on the Natural History and Physical Geography of lhe
Himalayah Mountains , between the River- Beds of the Jumna and, lhe Sutlej. ■ — The
Bdinburgh Journal of science , conducted btj D. Brcwstcr , vol. II. p. 277-287, 1825. Lu
devant la Soc. royale d’Edimb., le 19 décembre 1824.
2 Loc. cit. : The Edinb. Journal of science, vol. I; 1824.
5 Loc. cit. : Account of Koonawur, etc. — London, 1841.
23 1
HISTORIQUE.
Ceux qui traversent ces chaînes attribuent ces effets fâcheux à l'influence de
plantes empoisonnées; mais ceux qui, mieux informés, ont l’habitude de traverser
ces hauteurs où il n’y a pas de végétation, savent bien qu’ils sont produits par la
hauteur seule. (P. 57.)
Mais en racontant son expédition et son séjour à la passe de
Shatool (4 850m), le docteur Gérard 1 ne daigne plus s’occuper de
l’explication des indigènes. Il souffre beaucoup, comme le prouve
le récit que nous avons rapporté plus haut, et cherche naturel-
lement, mais sans y réussir, la cause de son mal; chemin faisant,
il combat le scepticisme de ceux qui ont été épargnés pour des
raisons quelconques :
J’aireçu là une leçon que .je n’oublierai jamqis, et je ne doute pas qu’un homme
d’une constitution plus pléthorique n’eût succombé sous les effets de suffo-
cations apoplectiques. Le sang abandonna les extrémités, et la pression était telle-
ment diminuée à la surface du corps dans cet air raréfié, que le sang se précipitait
à la tête et produisait des vertiges. (P. 308.)
La cause des accidents n’est pas très-facile à voir, et ces symptômes extraor-
dinaires de prostration des forces, d’anxiété et de faiblesse intellectuelle ne sont
pas expliqués d’une manière satisfaisante, et bien que nous ne puissions hésiter à en
rapporter la cause principale et immédiate à la légèreté de l’air, ou plus exacte-
ment à la pression diminuée, par laquelle la balance de la circulation est détruite,
néanmoins, les effets sont si capricieux et si irréguliers, qu’ils peuvent à peine
concorder avec l’idée d’une cause constante. Ce qui amène même à nier l’éxis-
tence des symptômes, et ceux qui ont, par hasard, résisté à cette impression en
traversant les montagnes, restent inébranlables dans leur conviction ; mais je
sais que vous me croirez dans mes récits, quoique vous n’ayez ressenti que du mal
de tête sur le Boorendo. J’ai aussi passé la nuit ici sans aucun symptôme, excepté
de la faiblesse. (P. 520.)
Comme la respiration ne peut avoir lieu dans le vide, nous devons considérer
que, à la hauteur de 18 480 pieds (5 650m), l’épuisement de l’air est à peu près à
moitié, et comme le tout ne peut avoir que la somme des effets de ses composants,
l’action progressive devient ici une série arithmétique, réductible à une expérience
de physique, dans laquelle les coups de piston d’une pompe pneumatique parais-
sent attirer de plus en plus la main placée sur l’ouverture, jusqu’à ce que la
pression supérieure dépasse assez l’inférieure pour être insupportant à l’expéri-
mentateur. À 18 480 pieds, le baromètre, dans l’état moyen de l’air, se tient à
15 pouces, de sorte que nous respirions alors dans un air moitié dense que celui
du bord de la mer ; qui pourrait être surpris des effets observés? (P. 523.)
Le capitaine Hodgson 2, qui rapporte à son tour les dires des in-
digènes, ne paraît pas éloigné d’y croire lui-même :
Les montagnards, qui ne savent rien de la raréfaction de l’air, attribuent leur
1 Loc. cit. : Narrative of a journey , etc.; t. I — London, 1840.
Loc. cit. y Asiatic Research., I. XIV; 1822.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
235
faiblesse aux exhalaisons de plantes nuisibles, et je crois qu’ils ont raison, car
une sorte d’effluve malsain était exhalée par elles aussi bien ici que sur les
hauteurs inférieures aux pics neigeux que j’ai franchis l’année dernière sur le
Setlej ; quoique sur la neige la plus élevée, on ne se plaignait pas de la faiblesse,
mais de l’impossibilité de marcher quelque temps sans s’arrêter pour respirer.
(P. 111.)
Nous verrons plus tard, par le témoignage des voyageurs mo-
dernes, que cette idée du vent empoisonné par les plantes est en-
core aujourd’hui tout à fait populaire dans la Haute-Asie.
Si nous revenons maintenant dans nos Alpes, nous trouvons,
vers la même époque, Hipp. Cloquet1 reproduisant l’explication
mécanique :
La pression de l’air, qui pèse continuellement sur nous et en tous sens,.... paraît
nécessaire au maintien de l’équilibre entre les solides vivants et les humeurs qui
circulent ou qui flottent dans leur sein ; elle contrebalance la force élastique des
fluides de notre corps; et puisqu’ici cette pression est considérablement diminuée,
il n’y arien d’étonnant que l’équilibre soit rompu. (P. 56.)
Le docteur Hamel2, lorsqu’il entreprit en 1820, au mont Blanc,
l’expédition qui devait avoir des suites si funestes, s’était proposé
d’y faire des expériences; l’un de ses projets témoigne d’une remar-
quable sagacité et indique des vues hypothétiques très-nettes et
très- scientifiques sur la cause et les effets de l’air raréfié :
J’avais préparé un flacon d’eau de chaux pour voir si, en haut, l’air expiré était
chargé de carbone dans la même proportion que dans les régions où à chaque
inspiration il entre environ un tiers de plus d’oxygène avec le même volume d’air
atmosphérique. Je comptais aussi extraire, en haut, le sang de quelque animal,
pour voir à sa couleur s’il avait été suffisamment décarbonisé dans les poumons.
Le récit de l’ascension au mont Blanc, exécutée par Clissold3 en
1822, nous apporte une explication que, jusqu’ici, nous n’avons
pas vue apparaître et qui pourrait servir de type à cette physiologie
des vraisemblances qui a tant fait de mal à la science,
Clissold attribue en premier lieu les accidents observés à la
moindre quantité d’oxygène contenue dans un même volume d’air,
ce qui nécessite que la respiration soit accélérée et approfondie.
D’autre part, l’énergie musculaire étant en général diminuée, le
poumon se dilate moins, et il faut y suppléer par la plus grande
1 I.oc. cit., Nouveau Journal de médecine, t. VII; 1820.
2 Loc. cit. : Bibl. univ., t. XIV; 1820.
3 Loc. cit. : Bibl univ., t. XXIII; 1823.
254
HISTORIQUE.
fréquence des inspirations. Alors le rédacteur de la Bibliothèque
universelle ajoute :
Clissold touche ici, sans la développer, à l’une des causes à laquelle nous serions
tentés d’attribuer la plus grande influence sur l’un des effets observés; nous
voulons parler de la dilatation qu'éprouve l’air renfermé dans la cavité abdominale,
à mesure qu’on s’élève dans l’atmosphère; dilatation qui, soulevant le diaphragme,
diminue d’autant la capacité de la boîte thoracique, et ne permet pas au poumon
de se développer autant qu’à l’ordinaire, jusqu’à ce que, par quelques communi-
cations lentes avec l’extérieur, l’équilibre entre les cavités abdominale et thora-
cique se rétablisse, et que celle-ci reprenne sa capacité ordinaire.
Le naturaliste français Roulin1, qui séjourna pendant plusieurs
années en Bolivie, envoya en 1826 à Magendie une lettre contenant
des observations sur le nombre des battements du pouls, faites
chez les mêmes personnes à Guaduas (pression moyenne 7 1 8mm) et à
Santa-Fé-de-Bogota (560mm; 2 645m au-dessus du niveau de la mer).
Elle montrent une légère augmentation du nombre des pulsations
dans ce dernier séjour. La différence est assez faible, et M. Roulin
en conclut :
D’après cela, il est permis de supposer que les effets qu’on ressent quand on
gravit sur de hautes montagnes et qu’on rapporte entièrement à la diminution de
pression, quand ils ne sont pas dus au froid ou à la fatigue de l’ascension, doivent
être considérés en grande partie comme des phénomènes nerveux.
Et cependant, quelques pages plus loin, Fauteur ajoute :
La gêne que je sentais dans la respiration, sur le plateau de Bogota, fut d’abord
attribuée à l’état de ma santé; mais je reconnus que plusieurs personnes, récem-
ment arrivées sur le plateau, se plaignaient également de cette gêne.
C’est évidemment plutôt à cause du nom de leur auteur, qu’à
cause de leur importance propre, que j’ai cité ces observations;
elles ne sont rien moins que concluantes.
C’est également à titre de curiosité que je rapporte ici les conclu-
sions d’un travail de John Davy 2 sur les gaz des liquides et des so-
lides du corps; c’est un véritable recul en arrière de ce que nous
avaient appris Robert Boyle et Darwin. Mais le lecteur peut ainsi
juger des hésitations entre lesquelles flottait l’esprit des physio-
logistes.
1 Observations sur la vitesse du pouls à différents degrés de pression atmosph. —
Journ. de Physiol. de Magendie, t. VI, p. 1-15; 1826.
2 On tlie Effecls of removin g Atmospheric Pressure frorn the fluids and solids of the
human Bodg — Transactions of the Médico-Chirurgical Society of Edinburgh, vol. III,
p. 448-158; 1829.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
235
J. Davy exécuta de nombreuses expériences en vue de rechercher
si les liquides ou les solides contiennent des gaz que la pompe
pneumatique puisse extraire. Les résultats obtenus ont toujours
été négatifs, et il en conclut qu’il n’y a pas de gaz libres dans le
sang, ce qui serait, du reste « unchemical » et incompatible avec
la vie, car à la moindre augmentation de température, ou diminu-
tion de pression, rien ne pourrait prévenir le dégagement de ces
gaz-
Or, il est curieux de voir, peu d’années après, un célèbre médecin
français, Rostan1, invoquer justement, d’une manière vague, il est
vrai, l’influence de ces gaz, pour expliquer les accidents de la dé-
compression. 11 y mêle les idées erronées que nous avons déjà ren-
contrées et que nous retrouverons souvent encore, sur la part qui
reviendrait à la diminution du poids supporté par le corps :
Si l’on place un animal vivant dans le vide, l’air intérieur, n’ayant plus rien
qui lui résiste, se dilate, l’animal se gonfle et périt C’est la pression de l’air
qui retient les fluides dans les vaisseaux des animaux et les empêche de s’échapper.
Lorsque le baromètre descend de quelques degrés, les fluides tendent donc à la
périphérie; il y a difficulté de respirer, embarras de la circulation, congestion
vers la tête. (P. 340.)
Vers la même époque parut un mémoire anglais qui a du moins
le mérite de l’originalité, dans le sens de bizarrerie. Cunningham2
fait jouer, comme l’avait déjà fait Govan, un rôle de premier ordre
à l’électricité, expliquant ainsi l’inconnu par l’inconnu; mais il y
ajoute une idée étrange : il y aurait une différence radicale entre les
effets de l’ascension des montagnes dans l’un et l’autre hémisphère :
Les symptômes apoplectiques caractérisent le malaise des voyageurs au mont
Blanc, tandis que dans l'hémisphère sud on est menacé par tous ceux qui ac-
compagnent la syncope
Les premiers ont été attribués à la grande raréfaction de l’air qui permet aux
parties molles du corps humain de se dilater par suite de la réduction de la pres-
sion qui s’exerçait sur elles; donc, comme une élévation semblable dans les Andes
produit des effets d’une nature opposée, nous devons chercher à expliquer ces
derniers par d’autres causes que la raréfaction de l’air.
Cette cause, l’auteur la trouve dans l’électricité,
Qui occupe, dans l’hémisphère nord, la partie supérieure du corps, et, dans l’hé-
misphère sud, la partie inférieure, et tend ainsi à attirer le sang vers la tête dans
* Diclimmaire de Médceine, article Atmosphère , t. IV; 1833.
2 Effects o f Mountain Elévation vpon the hum an Body . — London, Med. Gaz., t. Xl\,
p. 207, 520; 1834.
230
HISTORIQUE.
le premier, et vers les pieds dans le second,.... ce qui explique encore pourquoi
le malaise est guéri par la position horizontale.
Nous croyons inutile d’insister davantage, et nous rapporterons de
même sans réflexion aucune les quelques lignes que Burdach l, dans
son immense encyclopédie, consacre aux effets de la diminution de
pression sur l’organisme; on y voit clairement qu’il les atlribue
au défaut du support de l’air sur les vaisseaux sanguins :
La pression de l'atmosphère, dit-il, égale sur le corps humain un poids de 50
à 5G 000 livres ; elle maintient les dispositions mécaniques de l’organisme dans leur
état normal, et concourt notamment à favoriser la circulation, en restreignant
l’afflux du sang vers la surface On a quelquefois remarqué sur les hautes mon-
tagnes, où l'air est très-raréfié, des accidents causés par des congestions vers divers
organes, (i*. 325.)
Une des grandes difficultés contre lesquelles se sont heurtés de
tout temps les auteurs, c’est la non-proportionnalité de la gravité
des accidenls avec la hauteur à laquelle parviennent les voyageurs,
et cela non-seulement d’un hémisphère à l’autre, mais dans la
même (trée, sur la même chaîne de montagnes.
C’est pour cette raison que l’Allemand Pœppig2, qui a donné du
mal des montagnes des Andes une description si complète, ne peut
se résoudre à en trouver la cause dans la diminution de la pression
atmosphérique :
L’idée que la Puna, la Veta, ne dépend point de la raréfaction de l’air, mais
d’une altération dans sa composition, trouve un appui dans cette observation que
la maladie n’est pas toujours en rapport avec la hauteur d’un lieu au-dessus du
niveau de la mer. La cabane de Casacaucha est à peu près au même niveau que le
Cerro de Pasco, le pas de Viuda est un millier de pieds plus haut, et je n’y ai jamais
éprouvé la moindre sensation de malaise. (T. II, p. 84.)
M. Boussingault3 fut, lui aussi, frappé de ces inégalités ; mais, plus
hardi que Pœppig, il en cherche l’explication :
Dans toutes les excursions que j’ai entreprises dans les Cordillères, j’ai toujours
éprouvé, à hauteur égale, une sensation infiniment plus pénible en gravissant une
pente couverte de neige qu’en m’élevant sur une roche nue; nous avons beaucoup
plus souffert en escaladant le Cotopaxi, qu’en montant le Chimborazo. C’est que
sur le Cotopaxi nous sommes constamment restés sur la neige.
Les Indiens d’Antisana nous assuraient aussi qu’ils éprouvaient un étouffement
(ahogo) lorsqu’ils marchaient pendant longtemps sur une plaine neigeuse ; et j’avoue
qu’en considérant bien les incommodités auxquelles de Saussure et ses guides fu-
1 Traite de Physiologie, trad. Jourdan, t. VI; 1837.
~ Loc. cit. : Reise in Chile, etc.; 1856.
5 Loc. cit. : Ann. de Chimie, 2e série, t. LVIII; 1835.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
237
rent exposés en bivouaquant sur le mont Blanc, à la simple hauteur de 3888 mètres,
je suis disposé à les attribuer au moins en partie à Faction encore inconnue de la
neige. En effet, leur bivouac n’atteignait même pas la hauteur des villes de Cala-
marca et de Potosi.
Sur les hautes montagnes du Pérou, dans les Andes de Quito, les voyageurs
et les mulets qui les portent éprouvent quelquefois et presque subitement une
très-grande difficulté à respirer ; on assure avoir vu des animaux tomber dans
un état voisin de l’asphyxie. Ce phénomène n’est pas constant, et, dans beaucoup
de circonstances, il paraît indépendant des effets causés par la raréfaction de l’air.
On l’observe surtout lorsque des neiges abondantes couvrent les montagnes et
que le temps est calme.
C’est peut-être ici le lieu de remarquer que de Saussure se trouvait soulagé des
incommodités qu’il ressentait sur le mont Blanc, lorsqu’une bise légère se faisait
sentir. En Amérique, on désigne sous le nom de soroche cft état météorologique
de l’air, qui affecte si fortement les organes de la respiration. Soroche, dans la
langue des mineurs américains, signifie de la pyrite; ce nom indique assez que
l’on a cherché la cause de ce phénomène dans les exhalaisons souterraines. La
chose n’est pas impossible, mais il est plus naturel de voir encore, dans le soroche,
un effet de la neige.
La suffocation que j’ai éprouvée plusieurs fois moi-même en gravissant sur la
neige, quand elle était frappée par les rayons du soleil, m’a fait supposer qu’il
pouvait s’en dégager, par l’action de la chaleur, de l’air visiblement vicié. Ce qui
me soutenait dans cette idée singulière, c’était une ancienne expérience de
de Saussure, par laquelle il crut reconnaître que l’air dégagé des pores de la neige
contenait beaucoup moins d’oxygène que celui de l'atmosphère. L’air soumis à
l’examen avait été recueilli dans les interstices de la neige du col du Géant.
L’analyse en fut faite par Sennebier, au moyen du gaz nitreux, et en opérant
comparativement avec de l’air de Genève. (P. 167.)
M. Boussingault répète alors l’expérience de Sennebier avec la
neige qu’il avait prise sur le Chimborazo. L’analyse ordinaire lui
donne seulemenl 16 p. 100 d’oxygène. Mais le célèbre chimiste dé-
clare lui-môme qu’une objection peut « à la rigueur » être faite à
sa mélhode : c’est que la neige ayant fondu dans la bouteille, l’air,
s’étant trouvé en présence d’eau peu aérée, a pu lui céder une partie
de son oxygène. Cela dépend, évidemment, de la quantité d’air
relativement à la quantité d’eau, proportion non indiquée dans le
travail que nous citons.
Mais plus tard, du reste, M. Boussingault, ayant repris cette ques-
tion1, a montré que la pauvreté apparente en oxygène de l’air
contenu dans les pores de la neige tient à ce que l'oxygène se dis-
sout en plus forte proportion que l’azote dans l’eau de fusion. 11
ne reste donc rien de sa première hypothèse.
Ces résultats contradictoires, dus au perfectionnement des mé-
1 Sur la composition de l’air qui se trouve dans les pores de la neige. — Ann. de
Chim. et de Phys., 3e série, t. I, p. 351-300; 1841.
253
HISTORIQUE.
thodes d’analyse chimique, rappellent de très-près les opinions dif-
férentes qu’en 1804 et en 1857 émit sur le même sujet l’illustre
de Humboldt.
Dans les lettres qu’il écrivit à son frère et à Delambre, immédiate-
ment après ses ascensions de l’Antisana et du Chimborazo, de
Humboldt déclarait qu’à ses yeux
Le malaise, la débilité, l’envie de vomir, provenaient certainement autant du
manque d’oxygène de ces régions que de la rareté de l’air. Il n’avait trouvé que
0,20 d’oxygène à 5 051 toises, sur le Chimborazo. (P. 175 h)
El cependant, il résulte de sa lettre à son frère1 2 3 que les mêmes ac-
cidents les atteignirent au sommet de l’Antisana, où cependant l’a-
nalyse leur montrait dans l’air la proportion normale de 0,218
d’oxvgène.
Mais lorsque, en 1857 r>, il revient sur les détails de son récit, il ne
parle plus de la composition chimique de l’air, mais seulement de
la moindre quantité d’oxygène dans un même volume ; de plus, il
introduit dans la science une explication nouvelle de la fatigue
des montagnes, explication malheureuse et qui cependant fut pen-
dant bien longtemps acceptée sans conteste :
D’après l’état actuel de l’eudiométrie, l’air paraît aussi riche en oxygène dans
ces hautes régions que dans les régions inférieures ; mais, dans cet air raréfié, la
pression du baromèlre étant moindre de moitié que celle à laquelle nous sommes
ordinairement exposés dans les plaines, une moindre quantité d’oxygène est reçue
par le sang à chaque aspiration, et on conçoit parfaitement comment il en résulte
un sentiment général de faiblesse. Ce n’est pas ici le lieu de rechercher pourquoi
cette asthénie excite sur les montagnes, comme dans le vertige, de préférence le
malaise et l’envie de vomir, non plus que de démontrer que l’éruption du sang ou
le saignement des lèvres, des gencives et des yeux, que n’éprouvent pas tous les
individus à des hauteurs si grandes, ne peut nullement être expliqué d’une ma-
nière satisfaisante par l’enlèvement progressif d’un contre-poids mécanique qui
comprime le système vasculaire. Il conviendrait plutôt d’examiner la vraisemblance
de l'inlluence d’une moindre pression de l’air sur la lassitude lorsque les jambes
se meuvent dans les régions où l’atmosphère est très-raréfiée ; puisque, d’après
la découverte mémorable4 de deux savants ingénieux, MM. Guillaume et Édouard
1 Loc. cit. : Lettre à Delambre. — Ann. du Muséum ; t. II, 1805.
2 Loc. cit. : Ibid.
3 Loc. cit. :Ann. de Chimie , 2e série; t. LXIX, 1858.
4 Le fait que la pression atmosphérique est la véritable cause du maintien des ad-
hérences articulaires a été, ce qu’on ignore généralement, découvert par le physiolo-
giste français Bérard. Guérard, qui en a porté témoignage, s’exprime dans les termes
suivants :
« Longtemps avant que les travaux de ces physiologistes fussent connus en France,
M. Bérard, dans un concours pour le bureau central (vers 1828 ou 1829), avait, suivant
l’usage alors établi, fait imprimer une série de propositions sur lesquelles l’argumenta-
THEORIES ET EXPÉRIENCES.
259
Weber, la jambe, attachée au corps, n’est supportée, quand elle se meut, que
parla pression de l’air atmosphérique. (P. 419.). .
Si M. Gay-Lussac qui, le 16 septembre 1804, atteignit à la hauteur prodi-
gieuse de 21 600 pieds, par conséquent entre celle du Chimborazo et de l’Illimani,
ne rendit pas de sang, il faut peut-être l’attribuer à l’absence de tout mouvement
musculaire. (P. 418.)
Vers celte époque un médecin français, le docteur Junod1, con-
çut et exécuta le premier Vidée, déjà entrevue par Gondret, de dimi-
nuer artificiellement la pression dans des appareils suffisamment
vastes pour qu’un homme y puisse séjourner.
M. Junod avait été amené à faire ses expériences par les effets
qu’il ressentit de l’air dilaté dans les Alpes, dans les Pyrénées, au
mont Etna. Son appareil consistait en une sphère de cuivre de
lm,30 de diamètre, dans laquelle un homme pouvait s’asseoir :
Lorsqu’une personne est placée dans l’intérieur du récipient, et qu’on diminue
d'un quart la pression naturelle de l’air, voici ce que l’on observe :
1° La membrane du tympan se trouve distendue, ce qui produit une sensation
assez incommode, qui se dissipe à mesure que l’équilibre se rétablit;
2° La respiration est gênée : les inspirations sont courtes et fréquentes au bout
de 15 ou 20 minutes. À cette gêne de la respiration succède une véritable dyspnée;
3° Le pouls est plein, dépressible, fréquent; tous les ordres de vaisseaux super-
ficiels sont dans un état de turgescence manifeste. Les paupières et les lèvres
sont distendues par la surabondance des fluides. Assez fréquemment il survient
des hémorrhagies, avec tendance à la syncope. La peau est le siège d’une chaleur
incommode et ses fonctions sont activées;
4° Le peu d’activité de l’hématose, l’expansion plus ou moins grande des gaz qui
circulent avec le sang, la surabondance de ce liquide dans les différents ordres
de vaisseaux superficiels, expliquent assez le défaut d’innervation qui se caractérise
par le manque d’énergie et par une apathie complète ;
5° Les glandes salivaires et rénales sécrètent avec une moindre abondance leurs
fluides, et cet effet paraît s’étendre sur tout le système glandulaire;
6° Le poids du corps paraît diminuer d’une manière sensible.
Le mémoire est terminé par la description des grandes ven-
tion eut lieu. L’une de ces propositions était conçue en ces termes : La pression atmo-
sphérique peut, suivant les cas, favoriser ou rendre plus difficiles les désarticulations. A
l’appui de cette proposition, M. Bérard citait une expérience qu’il avait imaginée, et qui
consistait à enlever tous les muscles qui fixent la cuisse au bassin et à couper le liga-
ment capsulaire lui-même. En tirant sur la jambe, l’adhérence de la tête du fémur à la
cavité cotyloïde sous l’influence de la pesanteur suffisait pour que l’on pût traîner le
cadavre sur le sol sans que les deux parties de l’articulation vinssent à se séparer ».
[Ann. d'hy g. publique et de méd. lég., 2e série, t. I, 1854, p. 304.)
Ce qui appartient bien en propre aux physiologistes allemands, c’est l’application
erronée qu’ils ont faite de cette vérité à la théorie de la marche.
1 Recherche s sur les effets physiologiques et thérapeutiques de la compression et de la
raréfaction de l’air, tant sur le corps que sur les membres isolés. — Ann. gén. de Méd.,
2e série, t. IX, p. 157-172; 1835.
240
HISTORIQUE.
touses et de quelques cas pathologiques traités par elles. C’est à
l’application de cètte méthode de traitement, à laquelle il a donné
le nom d ’hémospasie, que M. Junod a consacré depuis tous ses
efforts l. Elle n’a vraiment aucun rapport avec notre sujet, puis-
qu’il s’agit ici de rompre l’équilibre de pression entre divers points
du corps, grâce à l’application d’un vide partiel sur un ou plusieurs
membres. C’est ce qu’a mis d’abord en évidence Magendie2 dans le
rapport qu’il fut chargé de présenter à l’Académie des sciences sur
les travaux de M. Junod.
Le célèbre physiologiste commence par rappeler l’histoire des
ventouses, qui datent des Egyptiens, et il en arrive aux chambres
barométriques de M. Junod par une transilion qui indique que,
malgré lui, il les rapproche encore de ces ventouses :
Ces appareils, dit-il en effet, ont été construits dans la vue de varier, soit en
plus, soit en moins, la pression que le corps de l’homme supporte en raison de
l’étendue de ses surfaces cutanées et pulmonaires
C'est en agissant à la fois sur les deux surfaces que cet appareil diffère de ceux
qui ont été imaginés en Angleterre par MM. Murray et Clanny ; ces derniers por-
tent exclusivement leur action sur la peau, le poumon restant en libre commu-
nication avec l’air extérieur, par un tuyau séparé 3.
Puis, arrivant à la partie du travail de M. Junod qui a de quoi
nous intéresser, Magendie reproduit le récit, des phénomènes pré-
sentés par l’homme soumis à l’action de l’air comprimé ou dilaté;
nous venons d’emprunter au mémoire original ce qui a trait à ce
dernier point.
Nous avons le regret d’ajouter que Magendie n’a pas fait preuve
d’un sentiment bien exact de l’avenir en disant :
Sous le point de vue médical, ces appareils ne paraissent jusqu’ici susceptibles
1 T)c V lîcmospasie. — Recueil de Mémoires sur les effets thérapeutiques de cette
méthode de traitement. — Paris, 1850.
2 Rapport sur un Mémoire ayant pour titre : De la Condensation et de la Raréfac-
tion de l'Air, opérées sur toute l'habitude du corps ou sur les membres seulement, consi-
dérées sous leurs rapports thérapeutiques, par M. Th. Junod, M. D. — Cpt. R. Acad,
des Sc., t. I, p. 60-65; 1855-
3 C’est en effet ce que déclare Clanny lui-même : « Il est curieux de voir qu’au même
moment sir James Murray de Dublin, Th. Junod de Strasbourg, et moi, nous ayons
inventé un appareil semblable, dans le but de diminuer la pression de l’atmosphère à
la surface du corps, sans que rien ait été publié antérieurement dans quelque journal ».
( Researches of M. Junod into the physiological and therap. effects of the compression
and rare faction. — The Lancet, 1835-36; t. Il, p. u59.)
danny et Murray n’avaient inventé que la grande ventouse. — Apparatus forremoving
the Pressure of the Atmosphère frorn the Bodg or Limbs. — The Lancet, 1854-55 ; t. I.
p. 804-805.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
241
d'aucune application Il n’en est pas de même de ceux que M. Junod propose
pour opérer le vide autour des membres ou pour y condenser l’air.
Il n’est pas étonnant de constater qu’après ces réflexions peu en-
courageantes, M. Junod renonça à l’emploi de l’air dilaté comme
milieu général, et se borna à perfectionner 1 les grandes ventouses
qui portent son nom, agent thérapeutique des plus puissants, et
fort injustement négligé par les médecins. Mais il arriva que, par
une confusion singulière, on continua à appliquer à l’action géné-
rale de la diminution de pression des explications très-justes quand
il s’agit du vide local par les grandes ventouses. Je citerai comme
exemple de cette erreur les réflexions du dr 11. Favre2 :
Les principes sur lesquels repose la méthode-J unod sont des plus simples :
M. Junod, né dans les Alpes, avait par lui-même ressenti la différence de pression
suivant qu’on s’élève ou qu’on descend dans les montagnes. Les expériences de
de Saussure, de Gay-Lussac, furent par lui reprises avec le plus louable discer-
nement.
Qu’on gravisse jusqu’au sommet du mont Blanc, qu’on s'élance en ballon k
7000 mètres du sol, on éprouve des effets remarquables, tenant uniquement au
défaut de pression exercée à ces hauteurs par l’atmosphère de plus en plus ra-
réfiée.
Artificiellement on sait, en pratiquant le vide, raréfier l’air, c’est-à-dire diminuer
la pression dans un espace circonscrit. S’il s’agit d’un corps vivant, certains effets
produits par l’ascension dans les régions de l’atmosphère vont alors apparaître :
tel est le but de l’hémospasie ; le docteur Junad l’atteignit par la création de sa
grande ventouse. (P. 7.)
En revenant maintenant aux voyageurs en montagne, nous re-
trouvons la série des idées erronées préconçues et des contradic-
tions apparentes que nous avons signalées déjà. La difficulté d’expli-
quer les faits entraîne beaucoup d’entre eux à la négation. Un exem-
ples de ces protestations théoriques nous est fourni par le rédac-
teur de la Bibliothèque universelle de Genève3, qui analysait le
récit de l’ascension du Dr Barry au mont Blanc :
Les circonstances observées par M. Barry sont si peu importantes qu’elles nous
confirment dans l’opinion que la fatigue joue un plus grand rôle que la rareté de
l’air ou l’influence présumée de la neige Nous pouvons affirmer que ce sont
les mêmes sensations éprouvées par les voyageurs ordinaires quand ils approchent
de la cime d’une montagne quelconque.
1 Junod, Traité théorique et pratique de l'hémospasie. — Paris, 1875.
2 Considérations sur les effets thérapeutiques de l'hémospasie, d'après les observa-
tions recueillies en Algérie par T. Junod. — Paris, 1858.
3 Bibl. univ. de Genève, 2° série, t. V, p. 151 ; 1836.
16
‘242
HISTORIQUE.
Je prie le lecteur de se reporter aux paroles mêmes de Barry
(voy. p. 105) ; il trouvera là, je l’espère, une preuve de la nécessité
des citations textuelles.
11 est curieux de constater que M. Martins1, qui devait être plus
tard, comme par une sorte de punition de son scepticisme, si malade
au mont Blanc, partageait alors ces sentiments. Les récits sur le
mal des montagnes le laissaient fort incrédule :
Quant à nous, dit-il, occupés nuit et jour de nos observations, nous cherchions
aussi à interroger nos sensations pour découvrir si cette habitation élevée (2680m)
exerçait quelque influence physiologique sur nos organes. Mais c’était en vain
J’ai relu, depuis mon séjour, tout les récits des ascensions au mont Blanc, depuis
de Saussure jusqu’à Mlle d’Angeville, et les sensations éprouvées par ces voyageurs
s’expliquent très-bien par la fatigue
Sans doute l’air des montagnes est plus raréfié, mais il est aussi plus vif....
La vivacité de l'air, jointe à sa ténuité, ranime le voyageur et double ses forces :
car la composition chimique est la même. (P. 215.)
J’avoue que je suis étonné qu’un homme d’un esprit aussi clair
et aussi perspicace ait pu employer de semblables expressions. Que
signifient ces mots « air plus vif? » Les paysans suisses voyant
le célèbre professeur de Montpellier recueillir de l’air dans des bal-
lons et l’envoyer à Paris, et s’imaginant qu’il voulait le faire respi-
rer à quelque illustre malade, hochaient la tête et disaient : « notre
air arrivera mort ». On voit qu’au fond ils pensaient comme
M. Martins.
Le Dr Rey2, dont le travail est souvent cité, et qui, sans paraître
avoir jamais fait d’ascension, écrivit un article dogmatique sur le
mal des montagnes, arrive, après l’énumération descriptive, à l’ex-
plication théorique. Il voit bien, et en cela il ri’a pas le mérite de
l’invention, que l’air raréfié est cause de tous ces troubles :
Ce n’est ni la fatigue ciui ôte la faculté de respirer, ni la difficulté de respirer
ou une respiration incomplète qui causent l’épuisement, comme on l’a dit quelque-
fois, c’est la diminution de la densité de l’air
Ces effets sont dus au relâchement de la libre occasionné par la diminution db
la force comprimante de l’air, et voici comment. (P. 534.)
Suit le calcul habituel sur la différence du poids supporté par
le corps aux différentes hauteurs. Au Saint-Bernard, « faction de
l’atmosphère est diminuée d’un quart ou de 5500 livres, ce qui di-
late les vaisseaux dans une proportion semblable. » Puis, aux expli-
1 Ascension au Faulhorn. — Revue médicale , 1841, t. IV.
2 Loc. cit. : Influence, etc. — Revue médicale, 1842, t. IV.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
243
cations « fournies par la science » Rey en ajoute une, que je ne
puis m’empêcher de trouver assez bizarre :
Nous ne montons guère au sommet d’une tour très-élevée sans faire de fré-
quentes pauses en chemin, et nous n’y parvenons, le plus souvent, qu’avec une
peine extrême. Ce n’est certainement point par la raréfaction de l’air, ce n’est
même point par lassitude. N’est-ce pas parce que nous avons eu à lever les jambe?
un grand nombre de fois de suite, par une loi toute différente de celle de la
marche et bien autrement pénible à accomplir? En effet, tous les muscles de nos
organes de locomotion, mis en action à la fois par un mouvement ascensionnel à la
continuité duquel ils ne sont pas habituellement exercés, en éprouvent une fatigue
qui nous contraint à de fréquents repos, qui s’accroît tant que nous avons à monter
encore, mais qui cesse dès que nous sommes arrivés et qui ne revient pas pendant
que nous faisons le même chemin pour redescendre. Eh bien, ce qui se passe dans
l’homme montant un escalier, il l’éprouve à plus forte raison sur les flancs d’une
montagne escarpée, parce qu’ici il y a combinaison d’une marche longue dans
les voies tracées souvent à pic d’un exercice violent et inaccoutumé des forces
musculaires et d’une grande raréfaction de l’air atmosphérique. Si l’on pouvait
tourner le mont Blanc et atteindre sa cime par une pente insensible, comme on
tourne le Saint Gothard ou le Simplon, il n’y aurait plus à faire le mouvement
forcé des jambes, membres qui deviennent plus lourds à lever en proportion du
raccourcissement de la colonne d’air, et l’on n’éprouverait plus, par conséquent,
ce sentiment de malaise que l’on prend pour de la fatigue. (P. 335.)
Le célèbre voyageur allemand dont nous avons reproduit pré-
cédemment (voy. p. 49) la description complète du mal des mon-
tagnes dans la Cordillère des Andes, Tschudi1, explique, comme
de Humboldt et les frères Weber, la lassitude extrême des membres
inférieurs qu’on éprouve en montant :
Comme la tête du fémur, d’après les recherches de Weber, est retenue dans sa
cavité par la pression atmosphérique, il faut, lorsque celle-ci diminue, qu’une
contraction musculaire continue vienne la remplacer. (T. II, p. 66.)
Il rapporte ensuite, mais sans avoir l’air d’y croire, l’explication
adoptée par les Indiens sur les émanations métalliques :
Il y a des endroits où l’on sait que la Yeta sévit plus fort qu’ailleurs, et ils sont
parfois plus bas que d’autres où elle est beaucoup moins sensible, en telle sorte
qu’elle ne paraît pas occasionnée seulement par l’air raréfié, mais encore.'par quelque
influence climatérique inconnue. Ordinairement ces endroits son riches en mé-
taux, d’où vient la croyance générale des Péruviens que ces effets sont dus à des
émanations métalliques. •
Le Dr Archibald Smith2 ne se préoccupe pas, lui, de ces différen-
1 Loc. cit. : Peru, Reiseskizzen, etc.; 1846.
2 Loc. cit. : Practical observations , etc.; t. LVII, 1842.
HISTORIQUE.
24 1
ces; mais il donne sur les phénomènes de la Yéta et sur leurs causes
possibles de fort curieux renseignements :
Les habitants de la côte, lorsqu’ils gravissent la chaîne des Andes, sentent leur
respiration oppressée là où les Indiens n’éprouvent pas cet inconvénient, en raison
du développement beaucoup plus grand de leurs organes respiratoires. . . .
Le pouls s’accélère et les poumons agissent beaucoup plus vite qu’à l’état normal.
Leur libre jeu est entravé cependant par l’accumulation du sang, et un considérable
degré de congestion, provenant, à mon avis, d’un côté de la moindre pression
atmosphérique, qui amène une expansion des fluides en circulation, et d’autre
part de la résistance des capillaires cutanés et pulmonaires augmentés par le froid.
De là vient que les étrangers à ces climats sont très-sujets à des malaises
d’estomac, de la dyspnée, de l’apoplexie ou d’autres hémorrhagies, quand ils
traversent les passes des Cordillères Les chats qu’on élève à la limite des
neiges, et qu’on nourrit bien, sont très-sujets à la mort subite J’ai appris qu’à
Cerro de Pasco, un chien terrier tomba mort tout à coup, probablement par
opoplexie, tandis qu’il sautait de joie en caressant son maître. (P. 550.)
Un voyageur anglais, Hill1, qui fut assez malade en traversant
les Andes, et qui y vit deux enfants frappés du soroche avec une
telle intensité qu’ils « étaient comme sans vie dans les bras de leur
père, » insiste sur l’influence des divers tempéraments, relative-
ment à la gravité de leur maladie :
L’affection, [sous sa forme la plus redoutable, est accompagnée de symptômes
très-inquiétants et devient généralement mortelle ; sur le voyageur d’une consti-
tution pléthorique, elle est ordinairement très -grave ; elle se caractérise alors par
des vertiges, une faiblesse de la vue, de l’ouïe, et bien souvent par un écoulement
de sang des yeux, du nez, des lèvres, de violentes douleurs de tète et des vomis-
sements. Mais chez les voyageurs maigres, d’une complexion peu forte, elle occa-
sionne plutôt des accès de faiblesse, accompagnés d’un crachement de sang. Chez
les personnes qui jouissent d’une bonne santé, les vomissements constituent un
des symptômes les plus Iréquents, et ces derniers consistent, la plupart du temps,
dans une lassitude, la difficulté de respirer, tels qu’ils se sont manifestés chez mes
compagnons et chez moi. (P. 68.)
Arrivant aux causes des accidents, il reproduit, sans paraître lui
attacher une véritable importance, l’opinion des habitants sur les
émanations métalliques :
Cette affection a été observée comme étant plus fréquente dans les provinces où
les métaux abondent ; aussi l’impression générale , parmi les habitants , est-elle
qu’elle doit son apparition ou son exacerbation aux exhalaisons métalliques que l’on
suppose saturer l’atmosphère de ces contrées. Cette opinion est basée incontesta-
blement sur ce fait que l’affection attaque surtout les chercheurs de métaux, gens
pour la plupart peu habitués à l’air des montagnes, et endurant le plus de fa-
tigues.
1 Voyages au Pérou et à Mexico, t. I. J’emprunte cette citation à Flemeing, traduc-
tion Ringuet; loc. cit., De Vinflueuce , etc. — Périgueux, 1809.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
245
On ne peut guère douter que, quelle que soit la forme sous laquelle elle se pré-
sente, son apparition ne soit due à une diminution de la pesanteur de l’air, dont
tout le monde éprouve l’influence dans les localités très-élevées. (P. 69.)
Hill n’hésite pas à déclarer que les animaux peuvent s’acclima-
ter, à peu près complètement, sur les hauts lieux :
Les effets de l’air raréfié ne se bornent pas à l’homme ; ils exercent une action
égale, sinon plus forte, sur les autres animaux de la création. Les chevaux et les
mulets des plaines ne peuvent pas parcourir la même distance sur les montagnes,
et dans un temps donné, que dans la plaine; ils ne sont pas susceptibles de por-
ter sur la Sierra des fardeaux aussi lourds que dans les climats où ils ont l’habi-
tude de vivre.
Toutefois, ces animaux transportés à des hauteurs considérables, et bien soi-
gnés, s’y acclimatent, dans la majorité des circonstances, au bout de quelques
mois, et ils deviennent aptes à faire presque le même travail que les animaux nés
dans ces régions élevées. (P. 69.)
Les physiologistes continuaient cependant, mais sans grand suc-
cès, à rechercher les causes de ces malaises signalés, expliqués
ou niés par les voyageurs. L’un d’eux, que ses profondes con-
naissances en physique ont souvent mieux inspiré, M. Maissiat1,
reprenant une explication que nous avons déjà vu indiquer par
Clissold, en 1822, fait iouer un rôle considérable aux gaz abdomi-
naux, distendus par la pression diminuée :
Leur pression est provocatrice du diaphragme et régulatrice de la fréquence de
ses contractions; partant, la circulation se trouve liée à la production des gaz
intestinaux. (P. 255.)
Il y aura accélération de la circulation et de la respiration, sang à la peau, si la
pression extérieure à l’animal, enveloppante, vient à diminuer, et jusqu’à l’ivresse
et à la mort, si elle diminue toujours; la pression dans l’atmosphère abdominale
croissant d’autant, relativement à ses effets, que celle extérieure diminue, et les
gaz intestinaux prenant du volume, distendent tout, jusqu’à rupture, si la pression
extérieure est très-rapidement supprimée
La circulation et la respiration accélérées tendent à dépenser plus rapidement
l’action abdominale, et ainsi à ramener l’équilibre, le calme régulier. (P. 254.)
Le D' allemand Flechner2 nous fait connaître une opinion tout
à fait contraire à celle de Boussingault et de ïïumboldt sur la compo-
sition de l’air des hauts lieux ; il la combat, il est vrai, et se ratta-
che 5 la dernière idée émise par de Saussure. Je cite d’après l’ana-
lyse du Schmidt" s Jalirbuch :
1 Études de Physique animale. — Paris, 1843.
Betrachtung der Gebirgsluft und der Lebensweise der Gebirgsbewohner in Bezug
ihres Einflusses auf Blutbereitung und auf das Vorkommen gewisser Iirankheitsfor-
mCoàr OEsterr. Med. Jahrb., t. XXIII. — Analyse in Schmidt's Jahrb., t. XXXIII»
p. 298, 1812.
246
HISTORIQUE.
D’après l’opinion générale, l’air des montagnes est plus riche en oxygène, d’où
résultent des maladies inflammatoires. . . Flechner a trouvé que cela n’estpas exact. . .
Mais si, dans les lieux élevés, l’air est plus rare, la composition restant la même,
l’oxygène pèsera moins : il procurera moins d’oxygène au sang. L’influence de la
lumière solaire est nulle.
Tout le reste du travail est consacré à des considérations sur les
maladies qui régnent dans les montagnes.
Le professeur lyonnais Brachet1, dans le travail spécial qu’il con-
sacra à notre sujet, commence par reproduire l’idée vulgaire de la
diminution du poids supportée par le corps lorsque l’air se dilate :
Une colonne d’air qui ne fait plus monter le baromètre qu’à 13 pouces et demi
doit exercer sur le corps et sur toutes les surfaces avec lesquelles il est en con-
tact une pression infiniment moins grande, dont on peut comparer les effets à
ceux de l’immense ventouse Junod, et qu’on pourrait, en conséquence, regarder
comme une sorte de succion. Les capillaires, moins pressés, doivent donc réagir
moins énergiquement sur le sang et sur les autres liquides qui les parcourent;
ils doivent donc s’en laisser distendre et s’engorger par une sorte de stase.
La raréfaction de l’air explique bien la difficulté et la gêne de la respiration ,
mais elle n’explique pas l’anhélation et la lassitude extraordinaire qu’occasionne
le moindre mouvement.
Pour expliquer cet élément nouveau, Brachet, qui vient de tom-
ber dans une si étrange erreur physique, émet les idées les plus
justes :
L’anhélation, dit-il, dépend du sang plus noir qui arrive aux poumons et
qui ne trouve pas, dans l’air raréfié qui y pénètre, une quantité d’oxygène suffi-
sante pour se revivifier assez promptement. La lassitude dépend de ce que le
sang, ainsi moins bien hématosé, ne porte plus aux muscles l’incitation normale
dont ils ont besoin pour se contracter.
Cette vue si simple, si nette, et ajoutons par avance, si vraie, ne
termina cependant pas les controverses.
En effet, quelques mois après, un membre de l’Académie de mé-
decine, Castel2, s’occupant théoriquement de la question, s’explique
à son propos dans les termes les plus obscurs; sans doute, pour
lui, les phénomènes physiologiques observés sur les hautes monta-
gnes sont dus à la diminution de la pression atmosphérique, mais,
ajoute-t-il :
Non que cette pression soit, comme certains auteurs l'ont avancé, l’agent
1 Note sur les Causes de la lassitude et de V anhélation dans les ascensions sur les
montagnes les plus élevées. — Rev. Méd., 1844, t. III, p. 556-568.
2 Sur la Cause des phénomènes physiologiques que l’on trouve quand on s’élève à une
certaine hauteur dans les montagnes. — Cpt. R. Ac. des Sc., t. XX, p. 1501 ; 1845.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
247
immédiat du mouvement du sang dans les dernières ramifications artérielles et
dans les veines, mais elle exerce une influence directe et incessante sur la con-
tractilité, de laquelle le cours des liqueurs animales n’est jamais indépendant. La
contractilité est d’autant plus en échec que la pression atmosphérique a subi un
abaissement plus considérable.
Enfin, la même année, le célèbre physiologiste allemand Vierordt 1
fit un certain nombre d’expériences sur l’influence d’un air légère-
ment dilaté sur la respiration. Il ne donne aucun renseignement
sur la manière dont il conduisait ses expériences, qui n’ont porté
que sur les pressions comprises entre 340 et 330 lignes de Paris
(767 et 744mm).
Elles avaient pour but principal de rechercher si les variations
dans la pression influent sur l’exhalation de l’acide carbonique ;
leurs, résultats sont fort peu clairs, malgré le luxe des tabelles
dans lesquelles ils sont exprimés et la richesse de décimales à origine
douteuse qui accompagnent chaque nombre. Toutes conclusions
basées sur ces expériences me paraîtraient singulièrement aventu-
rées. Du reste, les faibles oscillations barométriques dans les limites
desquelles elles sont contenues leur enlèvent pour nous tout inté-
rêt.
C’est encore à la même époque que parut le mémoire de M. Lepi-
leur2, dont nous avons reproduit en son lieu, et avec maints détails
(voy. p. 106-113), l’intéressant récit. Ce travail n’est pas seule-
ment riche en observations exactes et sagaces, il contient encore des
vues théoriques dont l’importance mérite toute notre attention.
M. Lepileur fait d’abord une certaine part aux explications de de
Saussure, et à celles de Brachet ; mais elles ne lui suffisent pas :
Les phénomènes relatifs à l’hématose ne nous semblent pas seuls à détermi-
ner l’anhélation et la lassitude sur les hautes montagnes
On se fait graduellement à l’air raréfié, au point de n’en plus ressentir l’in-
fluence. Si elle tenait seulement à l’excitation plus ou moins complète des muscles
par un sang plus ou moins artériel, cette fatigue serait-elle accompagnée des dou-
leurs de la courbature, et tendrait-elle à s’effacer ainsi par l’habitude en si peu
de temps ?
Nous serions tentés de considérer cette fatigue douloureuse comme résultant
principalement de la congestion sanguine qui a lieu dans les muscles pendant
leur action, en proportion de leurs efforts, et l’ensemble des phénomènes dus à la
raréfaction de l’air nous semble s’accorder assez avec celte idée. Plus la circulation
est active, plus les organes sont facilement congestionnés. Or, le pouls, sans per-
dre de force, augmente notablement de vitesse quand on s’élève dans les monta-
1 Physiologie des Athmens. — Karlsruhe, 1845, p 84-89
2 Loc. cit., Mém. sur les phén. pliysiol. ; 1845.
248
HISTORIQUE.
gnes, et la disposition aux congestions est surabondamment démontrée par les
faits que nous avons cités.... Quand on reste immobile, l’équilibre se maintient....
mais dès qu’on veut agir, les membres contractés deviennent le siège d’une
congestion d’autant plus rapide que la vitesse de la circulation augmente en-
core. (P. 02-64 du tirage à part.)
A côté de la congestion sanguine dans les muscles, qui explique
selon lui la lassitude, M. Lepileur place l’effort, qui expliquerait les
maux de cœur, les défaillances imminentes, la céphalalgie :
Dans l’effort, il y a stase du sang dans les capillaires et congestion dans le cer-
veau, les poumons et les muscles. Lorsqu’on fait une suite d’efforts presque non
interrompus,... lorsqu’on monte un escalier en courant,... la vue se trouble, le
vertige survient, une fatigue douloureuse se fait sentir dans les membres, et les
forces musculaires font défaut. Mais, si l’on s’arrête pour reprendre haleine, avant
que les effets de la congestion cérébrale et pulmonaire soient arrivés à ce point,
le sang reflue alors vers le cœur, le visage pâlit , et une sensation bien marquée
de défaillance se manifeste; quelquefois même la syncope survient quand on n’a
pas la précaution de se mettre immédiatement dans la position horizontale
Si maintenant on considère les phénomènes observés sur l’organisme à de
grandes hauteurs, on retrouve exactement la même marche et les mêmes signes.
Seulement la raréfaction de l'air, en rendant la respiration plus fréquente et l’an-
hélation plus rapide, hâte nécessairement le reste des effets ordinaires de l’ef-
fort
Les petites hémorrhagies des gencives, l’imminence de l’hémoptysie, l’épistaxis,
s’expliquent par la congestion, suite de l’effort
Quant au malaise de l’estomac , ne faut-il pas considérer comme contri-
buant beaucoup à ce phénomène et à ceux qui lui font cortège la dilatation gra-
duelle des gaz intestinaux sous une pression toujours moindre de l’atmosphère?...
Cependant nous n’avons pas remarqué d’augmentation dans le volume de l’ab-
domen. (P. 05-68.)
On voit que pour M. Lepileur tout s’explique par des congestions
des muscles et des centres nerveux, dues aux efforts et augmen-
tées par l’anhélation*, sur la cause de laquelle il ne dit absolument
rien.
Il paraissait bien difficile, après une observation si complète et si
détaillée, de nier encore l’influence fâcheuse des hauteurs dans cer-
taines circonstances. Aussi, à la suite du récit de son ascension au
Wetterhorn (3707m), le 31 août 1845, A. Vogt1 proteste-t-il contre
des négations au moins imprudentes ; il cherche, du reste, à les
expliquer, mais ne se montre pas très-heureux dans cette tenta-
tive :
On voit, dit-il, dans les récits des voyageurs qui ont grimpé de hautes monta-
1 Allgemcine Zeitung Miszellcn : Ersteigung des Wetterhorns, reproduit in extenso
dans Dolfus-Ausset, loc. cit.t Matériaux , etc., t. IV, p. 417-429.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
249
gnes, des contradictions singulières ; les uns accusent des malaises fréquents et
plus ou moins graves, les autres les nient complètement. Trois facteurs me pa-
raissent agir sur l’organisme humain dans les grandes hauteurs :
1° La diminution de poids de l’atmosphère et la dilatation consécutive de l’air ;
2° la sécheresse de l’air, et 3° la lumière réfléchie sur les champs de neige.
Martins, Barry, Agassiz, Desor, Escher von der Linth, etc., qui n’ont éprouvé
aucun phénomène, accusent l’imaginâtion de leurs prédécesseurs. Je puis les
contredire sur un point. Dans la nuit que nous avons passée à l’Aaresattel, je fus
étonné de la rapidité avec laquelle je respirais ; je faisais deux fois plus de respi-
rations que dans la plaine, sans éprouver le moindre malaise.
Il est naturel que dans une atmosphère raréfiée on respire plus d’air, afin d’a-
mener dans le sang la même quantité d’oxygène, puisque dans un volume donné
d’air il y en a moins en poids que dans la plaine. Si beaucoup d’ascensionnistes
n’ont pas remarqué ce phénomène, cela tient à ce que la pression atmosphérique
diminuée aide beaucoup l’ampliation de la cavité thoracique, et par là facilite la
respiration.
Le Père Hue1, lui, n’est pas un sceptique, tant s’en faut. Sa cré-
dulité même, bien connue, enlève beaucoup d’aulorité à ses récits.
Rien de curieux comme cette naïveté qui emprunte fort légèrement
le langage et les secours de la science. Nous le voyons, en effet,
adopter absolument l’idée d’émanations ou de vapeurs pestilen-
tielles; mais, plus hardi que ses prédécesseurs, il en précise même
la nature, et les considère comme étant formées d’acide carbo-
nique :
La montagne Bourhan-Bota présente cette particularité assez remarquable, c’est
que le gaz délétère ne se trouve que vers la partie qui regarde l’est et le nord;
de l’autre côté, l’air est pur et facilement respirable ; il paraît que ces vapeurs
pestilentielles ne sont autre chose que du gaz acide carbonique. Les gens atta-
chés à l’ambassade nous dirent que, lorsqu’il faisait du vent, les vapeurs se fai-
saient à peine sentir, mais qu’elles étaient très-dangereuses lorsque le temps
était calme et serein. Le gaz acide carbonique étant, comme on sait, plus pesant
que l’air atmosphérique, doit se condensera la surface du sol et y demeurer fixé
jusqu'à ce qu’une grande agitation de l’air vienne le mettre en mouvement, le
disséminer dans l’atmosphère et neutraliser ses effets. Quand nous franchîmes le
Bourhan-Bota, le temps était assez calme. Nous remarquâmes que lorsque nous
nous couchions par terre, nous respirions avec beaucoup plus de difficulté ; si, au
contraire, nous montions à cheval, l'influence du gaz se faisait à peine sentir.
La présence de l’acide carbonique était cause qu’il était très-difficile d’allumer le
feu, les argals brûlaient sans flamme et en répandant beaucoup de fumée. Main-
tenant, dire de quelle manière se formait ce gaz, d’où il venait, c’est ce qui nous
est impossible
Il tomba dans la nuit une épouvantable quantité de neige ; ceux qui , la veille,
n’avaient pas osé continuer leur route, vinrent nous rejoindre dans la matinée;
ils nous annoncèrent qu’ils avaient achevé l’ascension de la montagne avec assez
de facilité, parce que la neige avait fait disparaître les vapeurs. (P. 265.)
1 Loc. cit. : Souvr nirs , etc., t. Il, 1850
250
HISTORIQUE.
Ces régions, si rarement explorées, furent traversées, en 1873,
par le capitaine Przevalski1. Il repousse complètement l’explication
que nous venons de rapporter :
La grande élévation du Thibet septentrional produit une singulière difficulté de
respirer, surtout si l’on marche vite; puis viennent des vertiges, des tremblements
de jambes et jusqu’à des vomissements. Le combustible du pays (argal) brûle
avec peine, à cause de la raréfaction de l’air et de la rareté de l’oxygène.
Le missionnaire Hue explique les mêmes phénomènes, qu’il a observés sur la
montagne de Burchan-buda, par des émanations de gaz carbonique ; mais c’est une
erreur, car il y demeure pendant l’été beaucoup de Mongols du Tsaidam avec leurs
bestiaux, ce qui ne serait point possible s’il s’y dégageait des gaz asphyxiants
Le Père IIuc est peu digne de foi quand il parle des gaz délétères de Burchan-
buda. (P. 174.)
Un médecin lyonnais, le Dr Pravaz2, avait fondé,, depuis plusieurs
années, un établissement où il employait pour le traitement de di-
verses maladies le séjour dans l’air comprimé. Le livre qu’il con-
sacra en 1850 à l’exposition des faits qu’il avait observés contient,
dans sa première partie, de remarquables réflexions sur les causes
diverses du mal des montagnes :
1° La respiration est mécaniquement restreinte dans son étendue par le défaut
d’élasticité de l’atmosphère, qui presse l’intérieur des poumons et produit seule
leur développement quand le thorax se dilate par l’effort des muscles inspi-
rateurs.
2° Cette fonction est insuffisante pour l’hématose, parce que l’oxygène, ou le
principe vivifiant du sang, est en trop faible quantité absolue dans le volume d’air
qu'introduit chaque mouvement d’inspiration, outre que le défaut de pression
rend la dissolution de ce gaz dans le sang moins abondante.
5° La circulation artérielle est accélérée par suite de la précipitation des mou-
vements respiratoires que détermine l’instinct de la conservation , tandis que la
circulation capillaire se ralentit, parce que l’appel du sang veineux dans les cavi-
tés droites du cœur est devenu moins énergique par la diminution de la constric-
tion exercée sur la périphérie des organes. (P. 57.)
Plus loin, insistant sur ces congestions des muqueuses qui ont
tant frappé les observateurs, il les explique en disant :
L’un des moteurs de la circulation veineuse, et par suite de la circulation ca-
pillaire, savoir, la pression atmosphérique, décroît à mesure que l’on s’élève au-
dessus du niveau des mers. Plus l’altitude sera grande , moins l’appel du sang
dans les cavités droites du cœur aura d’activité, et plus ce liquide aura de ten-
dance à engorger les parties où l’aspiration se fait ordinairement sentir avec le
plus d’efficacité. On peut comparer alors l’action du viscère à celle d’une pompe
1 Esplorazioni di N.-M. Przevalski nella Mongolia orientale e sulle falde N.-E. del
Tibet (1871-1873). — Cosmos di Guido Cora, t. II, p. 14-19, 164-175 et 261-277. —
Torino, 1874.
- Essai sur l'Emploi de l'air comprimé, — Paris-Lyon, 1850.
251
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
fonctionnant dans un milieu où l’air serait très-raréfié, et qui ne pourrait aller
puiser l’eau qu’à une profondeur beaucoup moindre que sous la pression ordi-
naire de l’atmosphère
De là la tendance aux hémorrhagies et à l’apoplexie sur les hautes montagnes.
Le mal des montagnes présente un autre symptôme, que personne n’a cher-
ché à expliquer physiologiquement. Il est produit manifestement par un em-
barras delà circulation dans le système de la veine porte; il est caractérisé, en
effet, comme les engorgements du foie et des viscères abdominaux , par des vo-
missements, des crampes d’estomac et des douleurs intestinales. (P. 82.)
Quant aux différences présentées par les divers individus relati-
vement à la hauteur où les frappe le mal des montagnes, Pravas en
trouve la raison dans l’inégalité de « la résistance de leurs tissus et
dans la contractilité vitale de leurs poumons. » La soudaineté des
accidents, soudaineté que notre auteur exagère, est due à ce que,
« dans un moment presque indivisible, la pression atmosphérique
devient inférieure à la réaction du poumon, et cesse de pouvoir
lutter avec avantage contre elle.... La diminution de la quantité
d’oxygène contenue dans Pair respiré ne suffirait pas à expliquer
ce fait, car cette diminution.... ne pourrait amener que graduelle-
ment la dyspnée ». (P. 76.)
Quoi qu’il en soit de cette dernière restriction, nous avons vu ac-
cepter jusqu’ici sans conteste l’explication avancée en dernier lieu
par de Saussure et tendant à attribuer, au moins pour une forte part,
les malaises de la dépression à l’insuffisante quantité d’oxygène
que les actes respiratoires introduisent dans les poumons. Mais en
1851, un ingénieur qui s’occupait beaucoup des cloches à plon-
geur, Payerne \ éleva contre cette hypothèse une objection dont
nous aurons plus tard à rechercher la valeur :
Sur les cimes les plus élevées auxquelles on soit parvenu, la pression égale au
moins 32 e de mercure. L’air y renferme encore 125gr d’oxygène par mètre cube,
soit 100gr par 800 1 qu’un homme respire par heure. Or, des expériences, dont
on ne saurait suspecter l’exactitude, ont récemment démontré qu’un homme au
repos convertit seulement 50gr d’oxyg. en CO2. En supposant qu’au travail il en
convertisse 5 et même 10 gr. de plus, il sera loin d’en manquer dans un lieu où
le baromètre accuse 52 cent
La lassitude et l’anhélation dans les lieux élevés ne me paraissent donc pas
provenir d’une insuffisance d’oxygène, mais bien de la rupture de l’équilibre entre
la tension des fluides contenus dans nos organes et celle de l’air ambiant, n’importe
en quel sens la rupture s’opère.
1 Observations tendant à démontrer que, dans les ascensions sur les hautes mon-
tagnes, la lassitude et V anhélation éprouvées par la plupart des explorateurs n'ont
pas pour cause une insuffisance d'oxijgène dans V air respiré, — Cpt. R. Acad, des Sc.}
t. XXXIII, p. 198; 1851.
252
HISTORIQUE.
Les auteurs qui suivirent Payerne ne parurent pas avoir connais-
sance de ses objections. Marchai de Calvi1, entre autres, reproduit
purement et simplement l’ancienne explication; c’est ce que
montre l’extrait de son travail, publié par les Comptes rendus,
extrait que nous reproduisons en entier :
L’auteur croit pouvoir conclure des expériences rapportées dans cette Note
que les variations de pression atmosphérique sont loin d’exercer l’influence qu’on
leur suppose. Suivant lui, l’erreur vient de ce que dans la plupart des cas que
l’on a considérés, en même temps qu'il y a diminution de pression à la surface
des corps, il y a raréfaction de l’air qui pénètre dans nos poumons, et par suite
diminution de la quantité d’oxygène nécessaire pour l’accomplissement normal
de l’hématose.
En 1 855, un médecin anglais, Speer2, publia un travail spécial sur
la nature et les causes du mal des montagnes. Il commence par
raconter que lui-même, dans le massif du mont Blanc, arrivé à
9000 pieds, commença à éprouver les symptômes suivants :
Plénitude de la tête, battements des carotides, palpitations de cœur, dégoût de
la nourriture. A 10 000 pieds, il ressentit une constriction de la poitrine, et peu
après le goût du sang dans la bouche, ce qui était causé par une légère exsudation
des gencives.
Il passe alors en revue les diverses explications proposées, en insi-
stant sur celle de Brachet, qu’il trouve « trop exclusive. » Pour lui,
la grande fatigue des muscles a pour cause « la congestion sanguine
qui suit leurs contractions répétées, » et quant aux autres phéno-
mènes du mal des montagnes, ils sont dus pour une forte part à
« l’irrégularité de la circulation, avec congestion dans le crâne et
les viscères abdominaux. »
Les conclusions suivantes indiquent clairement la manière de
penser de l’auteur :
Le mal des montagnes est caractérisé par les symptômes suivants, dont la réu-
nion du reste ne s’observe que rarement, sinon jamais, chez la même personne :
vertige, mal de tête, somnolence, dyspnée, constriction de la poitrine, palpitations,
tendances à la syncope, suintement du sang par les surfaces muqueuses, augmen-
tation de rapidité du pouls, anorexie, nausées et vomissements, soif, langue
fébrile, douleurs musculaires, sensation de faiblesse extrême dans les membres
inférieurs, prostration générale des forces.
Ces symptômes doivent être rapportés à trois causes : congestion graduellement
1 Note sur les Effets de la diminution de la pression atmosphérique sur les animaux.
— Cpt. R. Acad, des Sc., t. XXXVII, p. 863; 1855.
2 On the Nature and Causes of t/ie physiological phenomena comprised in the terni
« Mountain Sichness » more especially as experienced among the Higher Alps. — Assoc.
Med. Journ., 1853, p. 49 et 80.
253
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
croissante des portions profondes de l’appareil circulatoire; augmentation de la
vénosité du sang; perte d’équilibre entre la pression de l’air extérieur et celle
des gaz existant dans l’intestin.
Ces causes déterminantes du mal des montagnes sont elles-mêmes le résultat
du changement considérable et rapide dans la pression et la température de
l’atmosphère.
L’année suivante, le Dr Conrad Meyer-Ahrens1, médecin à Zurich,
consacra à l’étude des accidents de la décompression un long travail
bien autrement important que celui de Speer.
Ce mémoire se compose de deux parties; dans la lre (p. 1-99)
sont rapportés avec détails les récits d’un grand nombre de voya-
geurs; la seconde résume la symptomatologie (p. 99-123) et indique
l’étiologie (p. 123-136), la prophylaxie et le traitement (p. 136-139)
du mal des montagnes .
Nous avons, dans les chapitres précédents, reproduit tous les faits
cités par Meyer-Ahrens et bien d’autres encore ; cette partie de son
travail ne contenant, du reste, aucune observation personnelle, je
n’en dirai rien. Mais j’extrais de celle qui est consacrée à la symp-
tomatologie un tableau résumé et fort bien fait des troubles dont
ont souffert, à des degrés divers, les voyageurs en montagnes :
Les principaux symptômes ou du moins ceux qui surviennent le plus souvent
sont chez l’homme : malaise, dégoût de la nourriture, surtout dégoût du vin (on
a cependant parfois remarqué le contraire), soif intense (surtout pour l’eau, qui
désaltère le mieux), nausées, vomissements ; [respiration accélérée, haletante;
dyspnée, accélération du pouls, battements dans les grosses artères, dans les
tempes; palpitations violentes, oppression, anxiété, asphyxie ; vertiges, céphalalgie,
tendance à la syncope; besoin invincible de sommeil, sommeil non réparateur,
mais troublé par l’angoisse; enfin fatigue musculaire étonnante et tout à fait
étrange. Ces symptômes ne se manifestent pas toujours dans leur ensemble
On en observe encore d’autres, bien que plus rarement, comme les hémorrhagies
pulmonaires, rénales, intestinales (aussi chez les animaux); les vomissements
sanguinolents; la sortie du sang par les muqueuses des lèvres et la peau (due
simplement à la dessiccation de ces membranes), l’émoussement des sensations et
de l’intelligence, l’impatience, l’irascibilité, .... enfin des bourdonnements d’oreilles .
(Pages 100-101.)
Mais le chapitre le plus intéressant pour nous est celui de l’étio-
logie. J’en traduis ci-après les principaux passages :
Tout ce que nous venons de dire sur l’étiologie du mal des montagnes, montre :
1° qu’il apparaît à des altitudes plus ou moins grandes; 2° que les conditions mé-
téorologiques, les dispositions personnelles momentanées ou générales, la rapidité
1 Die Bergkrankheit, oder der Einfluss des Ersteigens grosser Ilôhen auf den thie-
rischen Organismus. — Leipzig, 1854; in-8°, 140 p.
254 HISTORIQUE.
de la locomotion, font varier la hauteur à laquelle on est saisi, la gravité et la
multiplicité des symptômes.
En voyant l’apparition du mal des montagnes correspondre à des élévations
plus ou moins importantes, on se demande quelles circonstances dépendantes de
l’altitude sont capables de déterminer les phénomènes qui le constituent. Dans
mon opinion, le rôle capital appartient à la diminution de la quantité absolue
d’oxygène dans l’air raréfié, à la rapidité de l’évaporation, à l'action intense de la
lumière directe ou réfléchie par la neige, tandis que l’action directe de la dimi-
nution de pression doit être placée au second rang. Je trouve les causes prochaines
du mal des montagnes dans les modifications qu’apportent à la composition et à
la formation du sang la diminution de l’oxygène et l’évaporation exagérée, altéra-
tions auxquelles s’en ajoutent d’autres dues à l’action de la lumière sur les fonctions
cérébrales, action qui retentit sur la préparation du liquide sanguin.
C es suppositions permettent — si l’on tient compte en outre des dispositions indi-
viduelles— de comprendre tous les phénomènes du mal des montagnes, sans avoir
besoin d’invoquerl’action directe de la diminution de pesanteur de l’air. Ainsi s’ex-
pliquent l’accélération des mouvements respiratoires et delà circulation, les con-
gestions, les hémorrhagies, les troubles fonctionnels du cerveau et la fatigue extra-
ordinaire dont se plaignent presque tous les voyageurs. On voit aussi pourquoi le
mal des montagnes n’atteint pas seulement les voyageurs à pied, mais aussi les
cavaliers; pourquoi les premiers en sont bien plus énergiquement frappés (deux fois
plus, selon Tschudi); pourquoi les efforts l’exagèrent; pourquoi il se calme quand le
voyageur suspend pendant un instant sa marche, pour reparaître aussitôt qu’il
se remet en mouvement; pourquoi, cependant, de même que les cavaliers eux-
mêmes en éprouvent les symptômes fâcheux, de même, aux très-grandes hauteurs,
le repos n’en exempte pas complètement les voyageurs (de Saussure, A. Yogt);
pourquoi souvent aussi la marche à plat, sur les grandes hauteurs, est accom-
pagnée de malaises qui augmentent quand on marche plus vite ou quand on
commence à grimper; pourquoi les aéronautes ne sont pas exempts des troubles
de la respiration et de la circulation; pourquoi on conseille aux malades atteints
du mal de la Pana de se tenir assis et tranquilles dans des chambres chaudes et
bien closes, etc., etc. (Pages 131-155)
D’autres phénomènes peuvent être en partie rapportés à l’action immédiate de
la pression diminuée, comme, par exemple, la singulière sensation de légèreté
dont parlent beaucoup de voyageurs, les battements violents du cœur, les dégoûts,
les nausées, les vomissements, les oppressions. En effet, la moindre pression de
l’air, en diminuant les résistances, facilite la marche rapide, les mouvements
respiratoires et l’action du cœur, en même temps qu’elle.tend à augmenter le
volume des gaz contenus dans le canal intestinal ; en sorte que la distension de
l’estomac, le refoulement en haut du diaphragme, peuvent amener les nausées et
les oppressions. Mais ces phénomènes d’action directe doivent être, comme je l’ai
déjà dit, relégués au second rang. (P. 134.)
On sait, d’après les expériences des Weber, que la lassitude remarquable des
voyageurs en montagne est due à une action directe de la pression atmosphé-
rique diminuée ; mais il faut comprendre que non-seulement les gros muscles,
ceux qui font mouvoir les gros os et les retiennent dans leurs articulations, se
fatiguent, mais qu'il en est de même des petits muscles, comme ceux de la langue
et du larynx (Parrot et Ilamel); phénomène qui doit être général et aller en
augmentant, comme le fait remarquer A. Vogt, s’il est la conséquence de la
diminution de pression, et c’est ce qui arrive en effet. Il faut ici encore faire la
part des individualités. (P. 135.)
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
255
Ainsi, pour Meyer-Ahrens, les causes prochaines du mal des mon-
tagnes sont en premier lieu la diminution dans la quantité absolue
d’oxygène de l’air raréfié; puis viennent la rapidité de l’évaporation,
l’action intense de la lumière, l’augmentation de volume des gaz
intestinaux, la moindre solidité dans l’articulation coxo-fémorale.
Le Dr Lombard1, qui écrivait presque en même temps, dans la Bi-
bliothèque de Genève, des articles remarquables qu’il publia bien-
tôt après réunis en brochure, revient purement et simplement aux
deux anciennes explications de de Saussure : diminution du poids
supporté, diminution de la quantité d’oxygène contenue dans un
même volume d’air ; puis apparaît encore la théorie des Weber :
Il y a dans les climats de montagne un élément très- important; c’est une
pression atmosphérique moindre et par conséquent un air moins dense, ainsi
qu’une diminution dans la quantité d’oxygène qui est nécessaire pour entretenir
la vie par le moyen de la respiration. C’est à ces deux dernières circonstances
que sont dus en grande partie les phénomènes observés sur les hautes montagnes,
et sur lesquels je désire fixer pour quelques instants l’attention de mes lecteurs.
Si nous interrogeons la physique, nous verrons que le poids total de l’at-
mosphère représente autant de fois cent trois kilogrammes qu’il y a de décimètres
carrés sur la surface de notre corps, en sorte que, suivant la taille des diverses
personnes, le poids total supporté par nos organes variera entre quinze et vingt
mille kilogrammes. Que l’on quitte, dès lors, un pays plus ou moins rapproché
du niveau des mers, pour atteindre une localité plus élevée, notre corps sup-
portera une pression d’autant moins forte que la hauteur sera plus grande. L’on
peut comprendre quelle perturbation doit survenir dans nos organes, lorsque le
poids énorme auquel ils sont habituellement soumis sera diminué d'un sixième ,
d'un quart et même d'un tiers , comme on l’observe sur le Righi, le Saint-Bernard
ou le sommet du mont Blanc. Et si l’on ajoute à cette diminution de pression le
changement non moins important qui survient dans la densité de l’air, et par
conséquent dans la quantité d’oxygène, l’on ne sera pas embarrassé pour ex-
pliquer les divers troubles qui surviennent dans la respiration, la circulation, la
locomotion et les fonctions digestives chez ceux qui gravissent les hautes cimes
de nos Alpes ou qui en font, pour un temps, leur habitation.
Quelle est, dans l’apparition des symptômes dont nous parlons, la part d’une
faible pression, et celle d’une quantité insuffisante d’oxygène? C’est ce qu’il est
difficile de dire; la respiration et la circulation devant être également modifiées
sous ces deux influences et devant réagir sur les forces musculaires ; d’un autre
côté, des recherches récentes ayant établi que c’est grâce à la pression atmo-
sphérique que la tête du fémur se maintient dans la cavité cotyloïde, il est
évident qu’une diminution dans le poids de l’air doit rendre les mouvements plus
difficiles; en sorte que nous arrivons à la conclusion que les phénomènes produits
sur les corps vivants, transportés à de grandes hauteurs, sont le résultat des
deux faits météorologiques dont nous venons de parler : une moindre pression
et une plus faible quantité d’oxygène. (P. 273.)
1 Des Climats de montagne considérés au point de vue médical. — Arch. des Sc,
phys. et nat. de Genève, t. XXXII, p. 265-505 ; 1856.
256
HISTORIQUE.
Mais peu après un médecin français très-compétent dans les ques-
tions de physique, M. Giraud-Teulon, réduisait à néant l’erreur fon-
damentale sur laquelle M. Lombard venait après tant d’autres de
s’appuyer.
Il y avait déjà longtemps que Valentin1, calculant la valeur des
changements que présente sur la surface du corps humain le poids
de l’atmosphère à diverses hauteurs au-dessus du niveau de la mer,
et admettant que les matières organiques sont compressibles au
même degré que l’eau, avait montré que :
Pour une atmosphère de pression surajoutée, la diminution de volume serait
d’environ 0,2 pouce cubique, c’est-à-dire 1/22522 du volume total du corps.
On voit donc que le volume d’un homme qui se trouverait au sommet du mont
Blanc et qui se laisserait glisser jusqu’en bas se contracterait seulement de
sept cent millièmes. (T. I, p. 84.)
Cependant, cette démonstration nette du peu d’importance des
changements de pression considérés au point de vue mécanique
n’avait pas empêché un auteur très-recommandable, Ileusinger2, de
reproduire, avec maints détails, l’explication admise sans grande
réflexion par tant de voyageurs :
La pression de l’atmosphère sur le corps diminue Au niveau de la mer, on
calcule qu'un homme adulte supporte une pression qui équivaut à 33 895 liv. ; s’il
s’élève à la hauteur du mont Blanc, la pression ne sera plus que de 19 334 liv
Les os ne seront plus retenus dans les articulations avec la même force, les
muscles doivent exercer une plus grande force, la fatigue doit donc être plus
grande;.... le sang est retenu avec moins de force dans les vaisseaux, il aura la
tendance à transsuder, et à former des hémorrhagies, où les parois sont assez
faibles, et le sang s’accumulera dans les organes moins contractibles, où les
vaisseaux capillaires se laissent plus aisément dilater, par exemple dans les
membranes muqueuses, dans les poumons, le cerveau, il y aura congestion dans
ces organes ; le cœur, qui a moins d’obstacles à surmonter, se contractera plus
souvent et le pouls deviendra plus fréquent. (T. I, p. 252.)
Il faut faire remarquer qu’à cette cause erronée il en ajoute
nombre d’autres, plus ou moins justifiées, suivant les errements de
la méthode éclectique. C’est d’abord l’évaporation due à la diminu-
tion de pression et à la siccité, la température plus basse, l’action
des rayons du soleil, plus forte, qui « pénètre plus profondément le
corps, et irrite les yeux, le cerveau et la moelle épinière,» puis l’é-
lectricité v< probablement plus forte et moins souvent négative, »
et enfin la moindre quantité d’oxygène que contient l’air raréfié, ce
1 Lehrbuch der Physiologie des Mcnschen. — Braunschweig, 1844.
2 Recherches de Pathologie comparée. — Cassel, 1853.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
257
qui « contre-balance la fréquence de la respiration et de la circula-
tion. »
Pour en revenir à l’explication mécanique, elle fut absolument
réduite à néant par le travail de M. Giraud-Teulon, et il est permis
de s’étonner qu’après une aussi rigoureuse exécution, on l’ait en-
core vue reparaître dans les livres et jusque dans les académies.
M. Giraud-Teulon1 commence par poser deux principes trop ou-
bliés par les médecins et les physiologistes, avant et depuis lui :
1° Toutes les pressions exercées par l’atmosphère ambiante sur le corps hu-
main se combattent naturellement et se détruisent d’une manière parfaite.
2° L’effort exercé par le poids de l’atmosphère est du reste contre-balancé par
l’incompressibilité des liquides dont tous nos organes sont imbibés, et par la ten-
sion des gaz et des vapeurs dans les cavités et les interstices splanchniques. La
peau se trouve ainsi placée entre deux forces qui luttent en sens contraire et se
font équilibre.
Puis il se demande :
D’où vient la différence (différence sur la nature de laquelle il ne s’explique
malheureusement pas) qu’on observe entre le cadavre et le vivant dans la réac
tion de l’un et de l’autre contre la pression extérieure? Faut-il l’attribuer seule-
ment à celle qui existe dans les températures? Mais la température du corps hu-
main n’est pas assez élevée pour donner aux vapeurs des liquides qu’il renferme
une tension supérieure à 3 ou 4 centimètres de mercure. Est-ce aux gaz dissous
dans ces liquides ? Mais il résulte des expériences de Magnus que si leur quantité
atteint, pour quelques-uns d’entre eux seulement, des proportions qui suffisent
à porter la tension des liquides qui les contiennent à un chiffre qui égalerait ou
surpasserait la pression atmosphérique, il faudrait que leur action et leur réac-
tion, vis-à-vis de ce liquide, fussent purement physiques. Or Magnus a fait voir,
au contraire, que les gaz dissous dans le sang y sont retenus par de tout autres
forces que la simple pression. Car il ne suffit ni d’élever la température, ni d’a-
baisser la tension extérieure, même jusqu’à quelques centimètres seulement, pour
chasser les gaz dissous dans les liquides de l’économie; il faut la présence d’au-
tres gaz dont le sang est plus avide que des gaz normaux qu’il renferme. Où donc
trouver la force intérieure qui fait équilibre à la pression ambiante? Dans l’étude
des lois de la circulation et de la pression dans les grands systèmes vasculaires.
L’auteur montre alors que, chez l’animal vivant, les tissus sont
toujours, à cause de la circulation sanguine, à un élat de tension
qu’il estime valoir de 8 à 15 millimètres de mercure. Cette tension
étant constante, il en résulte, dit-il :
Que le système organique de l’être animé n’est jamais en péril par une varia-
tion même considérable, mais graduelle, de la pression extérieure, et que la cir-
culation doit continuer à s’opérer comme avant la variation. Ce qui donne l’expli-
1 Mémoire sur la pression atmosphérique dans ses rapports avec V organisme vivant „
— Cpt. R. Acad, des Sc., t. XLIV, p 255; 1857.
17
258
HISTORIQUE.
cation des faits reconnus par M. Poiseuille et par M. Tingu, sur la continuation
des fonctions vitales , malgré une augmentation considérable de la pression am-
biante.
L’influence redoutable des gaz du sang, rendus libres par la di-
minution de pression, hypothèse qu’avait émise le premier Robert
Boyle, et que M. Giraud-Teulon a, comme nous venons de le voir,
énergiquement combattue, trouva un défenseur autorisé dans Félix
Hoppe1. Le travail de ce chimiste est d’ordre purement expérimental ;
il a été entrepris dans le but d’expliquer les accidents qui frappent
les ouvriers dans les travaux sous l’air comprimé ; et, comme tout
le monde a remarqué que ces accidents surviennent au moment de
la décompression, Hoppe espérait en trouver la cause par l’étude
de la mort dans l’air raréfié. Voici d’abord le résumé de ses expé-
riences :
Une ratte fut soumise à une rapide diminution de pression. Vers 50mm de mer-
cure, survinrent les convulsions,... et la mort entre 40 et 50mm. A l’ouverture
du thorax,... on voyait à travers les parois de la veine cave, de l’oreillette et du
ventricule droits, une notable quantité de gaz qu’on put faire sortir par une
ponction
Chez un chat.... qui mourut vers 40mm,... je trouvai environ 0,3 centimètres
cubes d’air dans la veine cave et les cavités droites du cœur ; il y avait quelques
bulles d’air dans l’oreillette gauche. Les veines et le cœur droit étaient pleins de
sang, le cœur gauche presque vide ; le sang était complètement liquide, les ar-
tères se contractaient spontanément, les ventricules seulement sous l’excitation ;
les poumons étaient vides d’air et sains; il n’y avait pas de rupture de vaisseaux ;
le cerveau était normal
Deux hirondelles.... sont mortes entre 125 et 120mm de pression; j’ai trouvé
dans leur sang quelques petites bulles d'air . . .
Chez les oiseaux comme chez les mammifères, le sang du cœur gauche était
rouge clair et par suite contenait encore de l’oxygène
Deux grenouilles amenées jusqu’à complet affaissement, furent ouvertes ; on n’y
trouva pas de gaz au cœur.... Un orvet amené à 22mm de pression, se gonfla et
demeura sans mouvement; puis, quelques minutes après être revenu à la pression
normale, il parut aussi bien qu’auparavant.
En résumé :
1° Les oiseaux meurent bien avant le point d'effervescence de leur sang; les
mammifères meurent à une pression à peine supérieure à ce point ; les amphi-
bies ne meurent pas même au-dessous de ce point ;
2° Chez les animaux à sang chaud, il se dégage du gaz dans l’intérieur des vais-
seaux par une rapide diminution de pression. Il n’en est pas de même chez les
amphibies.
1 Ueber den Einfluss , welchen der Wechsel des Luftdruckes auf das Blut ausübt.
Muller' s Archiv.; 1857, p. 63-73.
259
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
F. Hoppe se demande alors s’il faut attribuer la mort à ce dégage-
ment des gaz du sang, ou bien à la pauvreté du sang en oxygène.
Il est très-difficile, dit-il, de répondre à cette question : « Car, on
trouve à l’autopsie le sang artériel encore rouge-clair, et très-diffé-
rent du sang des asphyxiés » (p. 67); observation juste, mais due
à une erreur expérimentale que nous démontrerons plus tard. En
tout cas, la mort subite lui paraît certainement due à l’obstruction
du vaisseau par les gaz devenus libres :
Le cœur exerce sur son contenu une pression de 100mm; si l’air dans les gros
troncs veineux n’a qu’une pression de 50mm, il devra être comprimé un tiers de
son volume pour entrer dans les artères ; de là un grand ralentissement dans la
circulation. Si ce ralentissement, joint à la faible quantité d’oxygène contenu dans
le sang, et à l’inégale puissance du cœur droit et du cœur gauche, peut amener
la mort, ce ne peut être qu’une mort instantanée. Celle-ci ne peut être causée
que par l’obstruction des capillaires des poumons par les bulles d’air, d’où l’ar-
rêt de la circulation.
Il ne s’en tient pas à cette démonstration théorique, et essaye de
prouver, par voie expérimentale, que ce n’est pas la privation
d’oxygène, mais la diminution même de la pression, qui lue les
animaux placés sous la cloche de la machine pneumatique. Pour y
arriver, il emploie une méthode que, de mon côté, bien avant de
connaître le travail de Hoppe, l’uu des derniers que j’aie rencontrés
dans ces recherches bibliographiques, j’ai fréquemment mis en
usage, et dont, comme on le verra, j’ai tiré des conclusions diamé-
tralement opposées aux siennes. Il sera intéressant d’examiner la
raison de ces divergences : mais ce n’est point encore ici le lieu.
Quoi qu’il en soit, Hoppe se dit : si c’est la diminution de pres-
sion qui tue, et non la privation d’oxygène, la mort devra arriver
à la même pression, quand même on emploierait de l’oxygène pur :
Un cochon d’Inde tomba .[en convulsion à 77mm; on fit rentrer de l’oxygène pur
dans la cloche, et il se releva aussitôt. Le vide étant fait de nouveau, il éprouva
les mêmes symptômes à 75“m; seconde rentrée d’oxygène, troisième diminution
de pression : accidents à 75mm ; nouvelle rentrée d’oxygène, affaissement à 75mm.
Retour à la pression normale; l’animal survit. (P. 69)
Ainsi les symptômes d’asphyxie soudaine sont arrivés à la même pression
barométrique, que l’animal soit dans l’air et dans l’oxygène.
Il en conclut définitivement que la cause de la mort se trouve
dans l’apparition des gaz libres ; le moment de leur dégagement
varie avec « la pression, la température de l’animal, la puissance
d’absorption et l’affinité du sang pour les gaz, la richesse en glo-
bules du sang. » .
260
HISTORIQUE.
Les remarquables recherches de M. Fernet 1 vinrent, la même
année, apporter dans la question un élément nouveau qui, lors des
discussionspostérieures sur la cause du mal des montagnes, pa-
rurent servir de point d’appui pour soutenir des théories erronées.
On savait, depuis les anciennes expériences de Robert Boyle, qu’il
se trouve dans le sang des gaz en quantité considérable. Des chi-
mistes plus récents, et notamment Magnus 2 en 1857, avaient montré
que l’oxygène y entre pour une très-forte proportion. Les physio-
logistes avaient été amenés à conclure de ces expériences que la
respiration ne consiste qu’en un simple échange de gaz entre l’acide
carbonique du sang et l’oxygène de l’air, échange réglé par les lois
de la physique3.
Le travail de M. Fernet les fit changer d’opinion. Ce physicien, par
une série d’expériences conduites avec une rare sagacité, montra
que l’acide carbonique et l’oxygène sont en grande partie maintenus
dans le sang par une affinité chimique. Le procédé de démonstra-
tion qu’il employa louche directement à notre sujet, puisqu’il met-
tait en jeu l’influence des changements dans la pression baromé-
trique.
Enlever au sang les gaz qu’il contenait , l’agiter en vases clos,
avec de l’oxygène ou de l’acide carbonique sous des pressions va-
riées, mesurer la quantité qu’il en absorbait dans ces conditions di-
verses, telle fut la méthode employée par M. Fernet.
Il montra ainsi que :
Les volumes d’oxygène chimiquement absorbés et indépendants de la pression
ont une valeur relative si considérable que ces expériences se distinguent par là
immédiatement de celles qui sont relatives aux solutions salines et même au sé-
rum. Non-seulement la marche du phénomène n’est plus assujettie à la loi de la
dissolution simple d’une manière presque complète, mais les volumes absorbés
semblent, au premier abord, indépendants de la pression, le volume, chimique-
ment combiné, étant presque cinq fois égal au volume proprement dissous sous
la pression atmosphérique. (P. 209.)
Or, dans la respiration, l’oxygène de l’air exerce une pression qui n'entre que
pour un cinquième dans la pression de l’atmosphère, d’où il suit que le volume
proprement dissous dans le sang de l’appareil respiratoire doit être réduit dans
la même proportion. Le volume d’oxygène absorbé à l’état de combinaison par
1 Du rôle des principaux éléments du sang dans l'absorption ou le dégagement des gaz
de la respiration. — Ann. des Sc. natur., 4e série; Zool., t. VIII, p. 125; 1857.
2 Ueber die im Blute enthallenen Gaze : Sauerstoff, Siickstoff und Kohlensaiire .
— Poggendorffs Annalen, 1837; trad. in Ann. des Sc. nat Zool.; 2e série, t. VIII,
p. 79; 1837.
3 Voir pour le développement de cette manière de voir : Vierordt, Physiologie des
Athmens. — Karlsruhe, 1845.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
261
les globules deviendra alors environ vingt-cinq fois égal au volume qui entre effec-
tivement dans le sérum à l’état de dissolution proprement dite. (P. 211.)
De ce fait bien établi, dans les conditions expérimentales où il se
plaçait, M. Fernet crut pouvoir tirer la conclusion suivante :
On explique ainsi ce résultat déjà constaté par un grand nombre d’observations,
que l’absorption de l’oxygène est à très-peu près la même, quelle que soit la pres-
sion atmosphérique sur le sommet des montagnes et dans les plaines ; cependant
l’observation, d’accord ici avec la théorie, a constaté déjà de petites différences
correspondant aux différences de pression; mais elles ne sont accessibles qu’aux
méthodes de mesures susceptibles d’une grande exactitude. (P. 211.)
Nous devons faire toutes nos réserves sur cette conclusion , qui
ne nous paraît pas comprise dans les prémisses expérimentales.
Mais nous verrons que certains physiologistes se sont laissé en-
traîner encore bien au delà. De ce nombre est Longet.
Longet1 analyse rapidement les observations des voyageurs en
montagne et des aéronautes; il passe en revue les diverses explica-
tions qu’ils ont données des accidents éprouvés. Il accepte que des
modifications brusques dans la pression puissent diminuer l’oxy-
génation du sang, parce que :
Un certain laps de temps est toujours nécessaire pour que l’équilibre entre les
gaz du sang et les gaz extérieurs puisse complètement s’établir, pour qu’aussi les
mouvements plus actifs de la respiration se mettent en harmonie avec les condi-
tions nouvelles, de manière que le poumon absorbe , dans un temps donné, à
peu près la même quantité d’oxygène qu’exige l’état normal. ( lra éd., p. 474;
3e éd., p. 566. ) v
Mais si l’on séjourne longtemps, tout doit s’équilibrer. En effet,
dit-il :
Si, à chaque inspiration, l’individu qui habite la montagne introduit nécessai-
rement moins d’oxygène dans ses poumons que ne le fait l’habitant de la plaine,
il y supplée à l’aide d’inspirations plus fréquentes, de manière qu’en définitive,
chez l’un et l’autre, la même quantité d’oxygène peut se trouver absorbée dans le
même temps. (lre éd., p. 475 ; 3e éd., p. 561.)
Et plus loin, en parlant de l’oxygène du sang, il écrit ce passage
tout à fait explicite :
On sait que la quantité en poids d’un gaz dissous dans l’eau est toujours pro-
portionnelle à la pression extérieure ; or, en appliquant cette loi au cas dont il
s’agit, on arriverait à cette conséquence que le sang des habitants des régions où
la pression atmosphérique n’est guère que de 0m,580, renfermerait moitié moins
1 Traité de Physiologie . — Paris, lre édit., t. I, 1857; 3® édit., t. I, 1868.
262
HISTORIQUE.
d’oxygène que le sang des habitants des bords de la mer où cette pression
est de 0n\760 ; mais sans doute la précédente loi ne trouve pas ici d’application,
parce qu’il y a intervention de quelque affinité chimique. (5e éd., p. 592; lre éd.,
p. 493.)
C’était également là l’avis de M. Gavarret1 qui, dès 1855, s’expri-
mait ainsi :
Il serait faux de dire que l’absorption de l’oxygène par le sang veineux est un
fait purement physique ; tout démontre, au contraire, que les forces chimiques
jouent un rôle important dans cette fixation de l’oxygène. Si, en effet, son ab-
sorption était une simple dissolution physique, la pression extérieure restant la
même, la quantité d’oxygène absorbé devrait croître en raison directe de la pro-
portion de ce gaz dans l’air respiré par l’animal; or, les expériences de Lavoisier
l’avaient déjà démontré et celles de M. Régnault ont mis ce fait hors de toute con-
testation , quelque forte que soit sa proportion dans les atmosphères artifi-
cielles créées autour des animaux, la consommation d’oxygène reste la même.
En second lieu , la composition de l’air restant la même , la quantité pon-
dérale d’oxygène dissous physiquement par un liquide varie proportionnelle-
ment à la pression extérieure. Dans l’hypothèse où le phénomène s’accompli-
rait uniquement en vertu de forces physiques, la masse d’oxygène absorbé par
les habitants des villes situées sur les hauts plateaux du Nouveau-Monde se
réduirait nécessairement à des proportions très-minimes ; les animaux qui ha-
bitent d’une manière permanente la métairie d'Antisana , où le baromètre ne
marque que 47 centimètres, n’absorberaient plus qu’un poids d’oxygène inférieur
aux deux tiers de celui qu’ils consomment au niveau de la mer. Une pareille varia-
tion dans une fonction aussi importante entraînerait certainement, dans leur mode
d’existence, des modifications profondes qui n’auraient pas échappé aux observa-
teurs. Si l’oxygénation du sang dans les capillaires pulmonaires était un fait pu-
rement physique, chez les oiseaux de haut vol qui passent instantanément de la
surface de la terre aux régions les plus élevées de l’atmosphère, la consommation
d’oxygène éprouverait des variations trop subites et trop étendues pour ne pas
compromettre sérieusement la vie de ces animaux. (P. 262.)
Du reste, en 1868, dans sa troisième édition, Longet emprun-
tait à M. Gavarret cette dernière objection, et ajoutait au passage
que j’ai cité plus haut la réflexion suivante *-
Comment admettre que les observateurs n’auraient point été frappés des pro-
fondes modifications que des variations pareilles ne manqueraient pas de produire
dans le mode d’existence de ces populations?
N’esl-il pas curieux de voir après cela que, lorsque M. Jourdanet
vient, en « observateur », signaler « ces variations dans le mode
d’existence des populations des hauts lieux » on le repousse par
une fin de non-recevoir, tirée de ce que l’oxygène ne peut être, en
vertu des lois chimiques, soustrait au sang par la diminution de
pression?
1 De la chaleur produite par les êtres vivants. — Paris, 1855.
263
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
En 1858 parut la 2e édition du livre de M. Lombard1, dont nous
avons déjà parlé ; en l’annonçant, le rédacteur de la Bibliothèque
universelle, le Dr Duval 2, s’exprime en ces termes caractéristi-
ques :
Les recherches sur le mal des montagnes ont été complétées et mieux coordon-
nées; peut-être l’auteur a-t-il un peu trop généralisé les accidents qui peuvent
survenir du côté des fonctions digestives à une hauteur de 1300 à 2000 mètres.
Bien des touristes affirmeront qu’ils n’éprouvent à cette hauteur ni inappétence,
ni dégoût, ni vomissement, mais au contraire un excellent et vif appétit ; quel-
ques-uns nieront aussi cette aversion pour le vin et les liqueurs alcooliques que
l’on éprouverait dans les mêmes circonstances; mais ce n’est qu’une question de
quelques mètres de plus ou de moins, et la réalité des phénomènes décrits n’en
est pas moins constante à une élévation qui varie suivant les individus. De Saus-
sure, qui ne commençait à être sensiblement affecté qu’à 5800m, peut passer pour
une exception.
Quant à M. Lombard, il revient beaucoup sur le compte de l’ac-
tion directe du poids de l’air diminué ; il fait également entrer en
ligne l’objection de Payerne, mais il n’en accorde pas moins une
importance capitale à la moindre quantité d’oxygène contenu dans
l’air dilaté, à volume égal :
MM. Barrai etBixio,... malgré que plus de 9000k fussent soustraits à la pression
à laquelle leur corps était habitué, n’éprouvèrent aucune sensation bien pronon-
cée.... D’autre part, les ouvriers qui travaillent dans les cloches à plongeur sup-
portent une pression double, triple et même quadruple sans modification grave
dans le jeu des organes ; d’où l’on est amené naturellement à considérer les dif-
férences de pression atmosphérique comme moins importantes, que l'on y serait
disposé en partant du point de vue purement scientifique.
D’un autre côté, nous avons reconnu qu’à mesure que l’on s’élève sur les hau*
leurs, l’air devient moins dense et contient par conséquent moins d’oxygène, en
sorte qu il faut une respiration plus fréquente et plus complète pour introduire
dans le poumon la quantité nécessaire à l’oxygénation du sang. Or il doit résul-
ter de celte nécessité physiologique une gêne considérable dans la respiration et
par conséquent aussi dans la circulation ; c’est ce que l’on voit chez ceux qui ha-
bitent les hautes régions de notre globe.
Cependant il ne faut pas croire que l’air raréfié de nos montagnes ne contienne
pas une proportion suffisante d’oxygène pour entretenir la vie ; il résulte, en elfet,
des expériences faites sur la quantité d’oxygène nécessaire à la respiration, qu’un
homme en repos convertit, dans l’espace d’une heure, 50 grammes en acide car-
bonique, et si l’on ajoute cinq et même dix grammes pour l’augmentation que
peut produire le mouvement ou le travail, l’on verra qu’en supposant le séjour
dans un lieu où le baromètre n’est plus qu’à 315mm (7000m), l’air contient encore
100gr d’oxygène sur 8001 qu’un homme respire par heure. En sorte qu’en défini-
tive l’on voit que, même à des hauteurs considérables, l’atmosphère pourra four-
nir à l’homme une quantité suffisante d’oxygène pour entretenir la respiration.
1 Climats de montagne, etc., 2e édit., 1858.
2 Bibl. univ. de Genève . 5e série, t. II, p, 647, 1858.
264
HISTORIQUE.
S’ensuit-il néanmoins que cette forte diminution dans un élément aussi essen-
tiel à la vie soit sans action sur nos principales fonctions ? Nous ne le pensons
pas, bien au contraire; il est de toute évidence à nos yeux que la soustraction
d’une portion notable d’oxygène doit rendre la respiration incomplète et réagir
sur les autres fonctions vitales qui, comme la circulation, sont dans un rapport
très-intime avec la respiration.
Mais ce n’est pas tout encore: lorsqu’un sang incomplètement oxygéné parvient
aux divers organes, tels que le cerveau et le système musculaire, il est évident
que leurs fonctions éprouveront une perturbation proportionnée à l'insuffisance
de l’oxygénation ; en sorte que l’on devra rapporter à la diminution de l’oxygène
une portion notable des troubles qui surviennent dans l’innervation et la moti-
lité. (P. 47.)
M. Lombard admet ensuite pour partie l’explication qu’avaient
donnée les frères Weber et qu’avait acceptée de llumboldt touchant
le rôle de la pression sur les cavités cotyloïdes.
Parmi les phénomènes qu’éprouvent les voyageurs atteints du mal
des montagnes, la sensation d’un froid extrême n’est ni la moins
singulière, ni la moins pénible. M. Ch. Martins1, qui l’avait res-
sentie dans son ascension au mont Blanc, en compagnie de Bravais
et de M. Lepileur, a fait une étude spéciale de ce froid physiologi-
que, expression qui désigne, dans la pensée du savant professeur
de Montpellier, non l’abaissement de la température du corps, mais
la sensation de froid que peuvent produire des causes diverses.
Après avoir étudié ces causes chez l’homme placé au niveau de la
mer, M. Martins constate qu’il en existe d’autres sur les montagnes.
Les unes agissent indirectement en modifiant la température de
l’air que le soleil échauffe moins par suite de sa densité moindre, et
qui n’emprunte que peu de chaleur aux surfaces de contact, si ré-
duites, que lui présente le sol. Ajoutons que son renouvellement in-
cessant ne lui donne pas le temps de s’échauffer, et que la dilatation
des courants ascendants tend à le refroidir. D’autres causes agissent
directement sur le corps vivant.
C’est d’abord la puissance du rayonnement qui est deux fois plus
forte sur le grand plateau du mont Blanc qu’à Chamounix; puis,
l’évaporation pulmonaire et cutanée, activée par la faible pression,
par le vent qui règne presque sans cesse sur les hautes régions, par
la sécheresse de l’air ; enfin, sur les sommets élevés, le contact
d’un sol gelé. Telles sont les causes physiques qui tendent à refroi-
dir le corps. Après les avoir exposées avec détails, M. Martins arrive
1 Du Froid thermométrique et de ses relations avec le froid physiologique dans
les plaines et sur les montagnes. — Mém. de V Acad, des Sc. de Montpellier , t. IV, 1859.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES
265
ensuite aux causes physiologiques de froid, spéciales aux hautes
montagnes: Ici nous citons textuellement :
Tout le monde sait qu’à des élévations qui varient suivant les individus, de
2000 à 4000m, on commence à éprouver des sensations pénibles, savoir : une an-
hélation extrême accompagnée de céphalalgie, d’envie de dormir, de nausées et
d’une grande lassitude. C’est le phénomène appelé mal de montagne , résultat com-
plexe de la fatigue, de la diminulion brusque dépréssion, mais surtout de la ra-
réfaction de l’air. En effet, les physiologistes admettent que l’homme introduit
moyennement un demi-litre d’air dans ses poumons dans une inspiration ordi-
naire ; l’oxygène de ce demi-litre d’air se combine avec le sang. Au bord de la
mer, sous la pression de 760mm de mercure, un demi-litre d’air pèse 0gr,65 et
contient en poids 0gyl6 d’oxygène; sous une pression moindre, celle de 475mm,
par exemple , à laquelle nous avons été soumis pendant trois jours au Grand-
Plateau, le volume d’air inspiré est toujours le même ; mais son poids ne l’est
plus, car il se réduit à 0gr,40, et celui que contient ce demi-litre d’air n’est plus
que 0gr,10, et au sommet du mont Blanc, sous la pression de 420mtn, de 0er,09....
L’oxygène du sang et par suite la calorification, sont donc moindres qu’au bord
de la mer par le seul fait que la quantité d’oxygène introduite dans le poumon
est beaucoup plus petite. La respiration est moins parfaite, exactement comme
dans un air Ticié où la proportion d’oxygène serait plus faible que dans l’air nor-
mal. Cette cause toute physique avait déjà été indiquée par Hallé, Lombard et
Pravaz fils. Je lui attribue, comme eux, les symptômes d’anhélation qu’on ob-
serve dans les ascensions brusques sur de hautes montagnes.
Vainement objecterait-on que sur les hautes montagnes le nombre des inspi-
rations supplée à la moindre proportion d’oxygène du volume d’air inspiré. Qui-
conque a par lui-même éprouvé les inspirations courtes, précipitées, sans am-
pliation convenable du thorax qui accompagnent l’essouftlement pendant et
immédiatement après une ascension, a conservé le sentiment que ces inspirations
hâtives ne sauraient avoir l’effet calorifique |des inspirations régulières. Aussi
l’anhélation cesse-t-elle du moment qu’on s’arrête , et une respiration régulière,
mais plus fréquente que dans la plaine, supplée en partie la moindre quantité
d’oxygène; je dis en partie, car pour y suppléer totalement , il faudrait qu’au
Grand-Plateau, par exemple, le nombre des inspirations fût à celui de la plaine
:: 8 : 5, c’est-à-dire proportionnel aux quantités d’oxygène inspirées. Or, cela
n’est pas : l’anhélation, dans l’état de repos, n’atteint certainement pas un tiers
en sus. La moindre oxygénation du sang n’est donc pas compensée par la fré-
quence des inspirations, et devient une cause physiologique de froid spéciale aux
hautes régions , et probablement la principale de toutes celles qui amènent les
symptômes connus sous le nom de mal des montagnes.
Cette explication, on le voit, n’est autre que celle qu’avait déjà en-
trevue de Saussure ; on voit également que M. Martins est beaucoup
moins optimiste que Longet, qui déclarait que sur les montagnes
on pouvait suppléer à la richesse des inspirations par leur nombre.
Les mêmes idées se présentent également à l’esprit de Guilbert1,
rendant compte du soroché des Cordillères :
1 Loc. cil. De la 'phthisie, etc., 1862.
266
HISTORIQUE.
Lorsqu’on est parvenu sur le plateau des Cordillères, l’air ne contient plus que
les 5/5 delà quantité d’oxygène qu’il contient à 0,76. Or, en s’élevant, on arrive
dans des régions de plus en plus froides où, pour maintenir sa température pro-
pre, l’homme doit produire plus de chaleur. Pour activer sa combustion, il a be-
soin d’une plus grande quantité d’oxygène, et l’air en contient moins. Yoilà deux
causes agissant dans le même sens, et suffisantes pour expliquer le trouble de la
respiration et de la circulation.
Les expériences de Magnus ont montré la présence de gaz libres à l’état de dis-
solution dans le sang. La tension de ces gaz augmente comme la pression
diminue. Alors ces gaz exercent une pression contre les parois des vaisseaux dans
lesquels ils circulent avec le sang, et les distendent : de là compression du cer-
veau, de là les violentes douleurs de tête, etc.... Peut-être aussi l’hématose est-
elle incomplète ; elle pourrait, dans ce cas, revendiquer une part d’intluence sur
le système nerveux : le sang, ayant perdu une partie de ses qualités excit.atives,
pourrait n’être plus un excitant suffisant; de là la tendance à la syncope, etc....
La diminution de la pression atmosphérique explique encore les hémorrha-
gies. Les gaz libres du sang font effort contre les parois des vaisseaux ; il peut ar-
river un moment où ceux-ci, incapables de résister davantage, se rompent et lais-
sent écouler le sang
L’action du cœur n’étant plus contre-balancée par la pression atmosphérique,
il en résulte une stase sanguine dans les capillaires qui se laissent distendre. Ce
phénomène est manifeste au visage, aux mains, et surtout dans les conjonctives.
Il doit en être de même dans les capillaires du poumon, et cette prédominance
de la contraction du cœur a aussi une part dans la gêne de la respiration.
Notons, en outre, que Guilbert adopte l’explication des frères We-
ber sur les rapports de la dépression avec la solidité de la tête du
fémur.
Je rapporterai enfin les conclusions de Guilbert relative à la phthi-
sie pulmonaire. Cette maladie est très-commune sur la côte du Pa-
cifique, excepté chez les Indiens. Mais, dans la Cordillère, on con-
state, suivant ce médecin :
1° L’absence de la phthisie sur les indigènes, sans distinction de race;
2° La curabilité par un séjour prolongé, et dans une proportion telle que cette
curabilité ne doit plus être considérée comme l’exception ;
5° L’influence constamment retardataire du climat sur la marche de la maladie
de ceux qui ne doivent pas guérir définitivement, et souvent des guérisons tem-
poraires.
C’est à l’année 1861 que remonte le premier livre de M. Jour-
danet1. Ce travail avait un double mérite : d’abord, au point de vue
de l’observation, il arrivait à reconnaître certains signes de l’in-
fluence fâcheuse du séjour prolongé sur les hauts lieux, là où per-
sonne ne l’avait soupçonnée avant lui ; puis, au point de vue de
1 Les Altitudes de l’Amérique tropicale comparées au niveau des mers , au point de vue
delà constitution médicale . — Paris, 1861.
THEORIES ET EXPERIENCES.
267
l’explication, il ramenait dans la science l’idée entrevue par Pra-
vaz, mais qu’avaient fait rejeter bien loin les travaux de M. Fernet,
d’une moindre solubilité de l’oxygène dans le sang, conséquence
d’une pression barométrique diminuée. La véritable doctrine se
trouvait tout entière exprimée dans ce volume. Au début, M. Jour-
danet reprend, en les développant, les calculs de M. Martins :
La pression barométrique de Mexico est de 585mm. Il s’ensuit qu’un litre d’air
pesant, au niveau des mers, 13 décigrammes, ne pèse plus dans cette capitale que
1 gramme à peu près. L’oxygène figure dans l’un et dans l’autre cas pour la pro-
portion de 23,01 p. 100. Ce qui nous donne pour le poids d’un litre d’oxygène au
niveau des mers 299 milligrammes , tandis que ce chiffre se trouve réduit à
230 milligrammes pour la hauteur de Mexico.
Constatons donc une différence de 69 milligrammes par litre, au préjudice de
cette localité.
En admettant maintenant comme exact le calcul qui a évalué à 16 le nombre
des inspirations que fait un homme dans une minute , nous remarquons
que la consommation d’air est de 8 litres dans cet intervalle de temps, et, par
conséquent, de 480 litres dans une heure. Mais nous avons déjà constaté pour
Mexico une perte d’oxygène de 69 milligrammes par litre. Il est donc incontesta-
ble que, dans cette capitale, on perd le bénéfice de 33 grammes d’oxygène par
heure ou de 794 grammes par jour. (P. 65.)
Après avoir ainsi exposé la condition principale du problème phy-
sico-physiologique, M. Jourdanet fait observer que l’ardeur du soleil
sur les hauteurs de l’Anahuac doit encore agir pour diminuer con-
sidérablement la densité des couches d’air voisines du sol, et, par
suite, l’endosmose gazeuse intra-pulmonaire.
Ceci posé, il rapproche avec sagacité la respiration dans un air
pur, mais sous faible pression, de la respiration dans un air pauvre
en oxygène, mais à la pression normale. Et répondant alors à l’ob-
jection tirée par M. Gavarret des travaux de MM. Régnault et
Reiset, objection qui venait de trouver une force nouvelle dans
les expériences de M. Fernet, il fait observer avec raison que si la
combinaison chimique de l’oxygène et du sang était absolument
indépendante de la pression, on devrait vivre aisément non-seule-
ment aux plus faibles pressions barométriques, mais dans l’air le
plus pauvre en oxygène, ce que personne n’admettra :
D’après l’avis de M. Gavarret lui-même, la solubilité de l’oxygène dans le sang se
trouve diminuée lorsque la quantité d’oxygène inspiré est amoindrie. Il est donc
incontestable que, quelque efficace et nécessaire que soit d’ailleurs l’affinité des
globules pour l’oxygène dans l’acte de l’endosmose respiratoire, le fait seul de la
raréfaction de ce gaz en diminue l’absorption sur les altitudes et apporte ainsi un
trouble réel aux phénomènes de la respiration. (P. 69.)
268
HISTORIQUE.
M. Jourdanet ajoute alors la curieuse observation suivante :
Pour que les convictions que nous venons de manifester fussent dénuées
d’exactitude dans les résultats, il faudrait que la raréfaction et la légèreté de
l’atmosphère fussent compensées à Mexico par des inspirations profondes et par
une respiration en général plus active qu’au niveau des mers. On croit vulgaire-
ment qu’il en est ainsi, et cette opinion se fonde sur l’observation à laquelle don-
nent lieu les personnes qui s’élèvent rapidement dans l’atmosphère, ou qui ne
font sur les altitudes qu’un séjour passager. Elle est complètement erronée. La
vérité est que ceux qui habitent à de grandes élévations respirent moins vite que
les hommes dont le séjour est fixé près du niveau des mers. La rareté de l’air,
comme nous le verrons plus loin, produit l’apathie du système musculaire. La
poitrine s’en ressent pour sa part. J’ai souvent surpris les fonctions sur le fait en
comptant le mouvement respiratoire sur des personnes qui n’y prenaient pas
garde, et qui se trouvaient en état de repos parfait. Presque toujours je consta-
tais une diminution dans le nombre d’ampliations de la poitrine. Quelquefois, assez
souvent même, on oublie de respirer et l'on est obligé de remplacer le temps perdu
en faisant des inspirations profondes. (P. 76.)
Mais cette respiration, si calme dans le repos absolu, prend facilement de l’am-
pleur sous rinlluence du mouvement. (P. 87.)
Les conséquences de cette moindre absorption d’oxygène sont
faciles à prévoir. C’est d’abord une moindre activité dans la produc-
tion de la chaleur animale, alors que, en raison de l’altitude, il
faudrait que celte production fût augmentée.
En effet, dit excellemment notre auteur :
La nature prévoyante, au niveau de la mer, a établi des lois qui favorisent, de
la part de l’atmosphère , ces variations dans la production de chaleur humaine.
Car, en hiver, l’air refroidi est plus dense, et contient, sous un certain volume,
une plus grande part du principe vivifiant. La chaleur des étés , au contraire ,
produisant la dilatation de l’atmosphère, ne donne au poumon qu’une proportion
d’oxygène en rapport avec le peu de calorique que le corps doit produire. C’est
ainsi que la source où nous puisons les éléments de notre respiration varie elle-
même dans une certaine mesure qui, pour le niveau des mers, est un bienfait
de la Providence.
Il en est autrement sur les altitudes, où la densité de l’air, amoindrie par la
diminution de la pression barométrique, n’est plus en rapport avec la tempéra-
ture qui nous entoure, mais bien avec la hauteur où nous sommes parvenus. Et re-
marquez tout d’abord ce fait d’une importance extrême : tandis qu’au niveau de
l’Océan les causes extérieures qui nous refroidissent prennent soin de nous don-
ner les moyens de combattre cet abaissement de température, à Mexico, au con-
traire, la diminution de pression qui produit du froid dans l’air altère pour nous
la source de chaleur en nous forçant à respirer une atmosphère raréfiée. De sorte
que, d’un côté, la dilatabilité de l’air augmentée et l’évaporation rendue plus fa-
cile, nous refroidissent sans cesse, pendant que, d’autre part, l’oxygène devenu
plus rare nous refuse les moyens normaux de calorification.
C’est sur ces données si claires et si précises que repose tout entière l’origina-
lité physiologique des altitudes. (P. 85.)
THEORIES ET EXPERIENCES.
269
Il n’est donc pas étonnant de voir que :
Les personnes en état de repos se refroidissent avec la plus grande facilité.
Leurs membres inférieurs ne sont presque jamais chauds. L’exercice musculaire
activerait la circulation et les mouvements respiratoires; mais le sang, appauvri
d'oxygène, produit l’apathie des muscles et fait aimer le repos. Ici se réalise donc
le résultat de l’expérience faite par M. Becquerel sur la fibre musculaire qui perd
sa contractilité et s’engourdit quand le contact du sang artériel lui fait défaut.
( P. 86. )
Ici, M. Jourdanet rencontre le phénomène décrit par tous les voya-
geurs en montagne, de la fatigue exagérée, de la douleur des cuisses,
de la pesanteur des membres inférieurs ; il proleste énergique-
ment contre l’explication des frères Weber, acceptée par de Humboldt
et presque tous les auteurs consécutifs, explication qui, selon sa
juste expression, « ne supporte pas un examen sérieux » :
Si nous évaluons, en effet, en centimètres carrés, la surface au plan d’ouver-
ture de la cavité cotyloïde dont le diamètre est de 54 millimètres, nous trouvons
22,89 centimètres carrés qui, multipliés par 1005 grammes, poids équivalent à
un centimètre carré de surface, nous donnent 25 645 grammes, pour représenter
le poids réel dans la cavité articulaire. Si nous voulons bien nous rappeler que
beaucoup de voyageurs ont senti la fatigue musculaire qui nous occupe , lors-
qu’ils avaient à peine franchi un quart de pression atmosphérique, nous remar-
querons que ce phénomène s’est présenté lorsque la cuisse était encore soutenue
par un poids de 17 kil. 751 gr. Nous ne comprenons pas pourquoi un membre,
qui peut bien peser au plus 15 livres, aurait si peu de respect pour les 21 livres
d’excédant qu’il entraînerait dans sa chute. (P. 89.)
La véritable raison, scion M. Jourdanet, se formule ainsi :
Ce phénomène se présente lorsque le sang , peu oxygéné , fait diminuer nota-
blement la faculté contractile de la libre musculaire. Le membre abdominal se
refuse alors à remplir ses fonctions normales et avertit par la douleur que le tra-
vail est au-dessus de ses forces. La même chose arriverait aux autres muscles du
corps, si on exigeait d’eux les efforts exagérés que l’ascension attend des muscles
de la cuisse. (P. 89.)
En résumé :
Les symptômes du fameux mal des montagnes : vertiges, lipothymies, vomis-
sements, — qu’est-ce autre chose, sinon : anémie cérébrale par défaut du stimu-
lant de l’oxygène artériel ; engorgement du système veineux, et surtout de la
veine-porte et du foie ; m;tis, par-dessus tout, engourdissement de la fibre mus-
culaire pour la môme cause.
Toujours et partout : défaut de la quantité normale d’oxygène dans la circula-
tion du sang artériel. (P. 90.)
La plus grande partie du livre est consacrée, comme son titre
l’indique, à l’étude des maladies du Mexique. Partout M. Jourdanet y
270
HISTORIQUE.
trouve prédominante l’influence de cette anémie d’un ordre spécial
« conséquence d’une endosmose respiratoire imparfaite. » C’est
même, comme il le dit clairement dans ses ouvrages subséquents,
c’est cette constitution médicale , étrange qui, mettant en éveil sa
sagacité de praticien, Fa amené à réfléchir sur les conditions fâ-
cheuses pour la respiration et la nutrition que présenté le séjour
prolongé sur les hauts plateaux de FAnahuac.
Je citerai seulement le passage suivant, parce qu’il offre une sorte
de résumé de ce remarquable ouvrage, et qu’on y trouve une part
donnée à la pression en tant qu’agent mécanique, part simplement
adjuvante de son action chimique :
Nous avons déjà vu le sang, mollement accueilli et paresseusement chassé par
les centres nerveux , congestionner le cerveau et la moelle épinière d’individus
faibles, déjà maltraités par le climat. Nous dirons les troubles de plus d’un genre
du tube digestif dont plusieurs devront leur origine au ralentissement circula-
toire et aux engorgements capillaires du système veineux intestinal. L’utérus a
réveillé notre attention par des phénomènes de même nature. Nous prendrons
occasion de dire ici que les congestions pulmonaires sont fréquentes à Mexico et
trop souvent mortelles. Enfin, plus fréquemment que tous les autres organes, le
foie s’imbibe de sang et puise à cette source mille accidents dont les conséquen-
ces déplorables comptent fréquemment parmi les causes de mort.
Ainsi donc, plus de doute, l’altitude favorise les stases veineuses. Quand elles
sont superficielles, on ne saurait nier que la diminution de la pression de l’air n’a-
gisse, pour le résultat, dans un sens purement mécanique. Les réseaux capillaires
superficiels, privés de leur soutien extérieur naturel, se laissent dilater avec une
facilité d’autant plus grande que le poids est plus amoindri. Si, à cette première
cause, vous rattachez un sang trop peu stimulant du côté des artères, trop abon-
dant en général du côté des veines, vous arrivez à la trinité étiologique : adjuvant
extérieur amoindri, paresse organique, engorgement général du système vei-
neux; trinité dont les effets se porteront tour à tour sur différents points de l’or-
ganisme, selon que les troubles de l’innervation les auront préalablement dispo-
sés. (P. 254.)
Deux années plus tard, parut un long mémoire du même au-
teur1.
Le titre seul de ce second travail, V Anémie des altitudes, indi-
que la pensée de M. Jourdanet : pour lui « les habitants des grandes
élévations, au delà de 2000m, sont généralement anémiques », et
cet état se manifeste tout particulièrement aux yeux du praticien
par la constitution médicale. Et cependant, l’analyse chimique du
sang vient apporter une contradiction singulière à ce que révélait
l’observation clinique :
1 De l'Anémie des Altitudes et de l'Anémie en général, dans ses rapports avec la
pression de l'atmosphère. — Paris, 1863.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
271
En 1849, étant à Puebla, j’ai voulu m’assurer par l’examen analytique du sang
si la proportion des globules s’y trouverait diminuée. Je fis une première recherche
à propos d’un jeune homme de vingt-cinq ans que je savais souffrant de gastralgies
et de vertiges. Il tomba de cheval, et les suites de cette chute rendirent une saignée
nécessaire. Ce fut sur le sang obtenu dans ces circonstances qu’eurent lieu mes
essais analytiques. Ils me démontrèrent que les globules y figuraient pour 151/1000.
Je renouvelai mes expériences sur quatre jeunes femmes qui furent saignées à
l’occasion d’accidents. Leur pâleur, leur abattement général, leur état nerveux, les
présentaient comme des personnes atteintes de chloro-anémie, quoique l’auscul-
tation ne fît reconnaître aucun souffle artériel. Leur sang fournit les proportions
normales de globules. (P. 8.)
Quelle est l’explication de cette contradiction apparente? C’est
que :
Le principal rôle des globules sanguins est de servir de support au véritable
agent qui nous fait vivre. Lors donc que leur proportion diminue dans le sang, il
est sans doute exact de dire qu’il y a maladie à la suite de l’amoindrissement des
globules; mais on déterminerait la cause immédiate des symptômes de l’affection,
d’une manière plus essentielle, si l’on attribuait son existence à la soustraction de
l’oxygène. Je crois être d’autant plus fondé à m’exprimer de la sorte, que si, dans
le fait de l’anémie, nous ramenons l’attention, comme il est naturel de le faire,
sur la proportion diminuée de ce gaz en circulation, nous voyons plusieurs causes
qui peuvent produire cette anomalie circulatoire, sans qu’il soit nécessaire de
l’expliquer par une diminution globulaire. C’est là, précisément, le fait de l’anémie
des altitudes. (P. 10.)
M. Jourdanet résume son opinion dans les propositions suivantes :
1° Les globules et la pression barométrique s,ont les régulateurs de la densité
de l’oxygène dans le sang;
2° Les troubles qui s’établissent dans l’une ou l’autre de ces deux forces doivent
nécessairement affecter l’hématose ;
5° L’oxygène étant l’agent vital par excellence, sa diminution par défaut de
globules fait la faiblesse des anémiques ; sa diminution dans le sang par défaut
de pression doit produire le même résultat ;
4° C’est pour cela que les sujets qui respirent les atmosphères des grandes
élévations, doivent avoir leur santé altérée au même titre que les anémiques des
niveaux inférieurs ;
5° L’anoxyhémie des altitudes a donc son analogue dans P anémie hypo-globulaire
du niveau de la mer. (P. 21.)
Or, comme les individus pléthoriques ont dans le sang une pro-
portion considérable de globules, il n’est pas étonnant, comme le
dit M. Jourdanet, qu’on les voie souvent :
Gravir les escarpements du Popocatepetl et puiser à 17 700 pieds des éléments
complets de vie, tandis que leurs compagnons de voyage, moins bien constitués,
succombaient au mal des montagnes. (P. 22.)
S’attachant alors à une étude plus détaillée du phénomène domi
272
HISTORIQUE.
nateur dont il a indiqué précédemment le sens général ; tenant
compte des expériences de Magnus et de M. Fernet, et des siennes
propres, M. Jourdanet arrive aux remarquables conclusions que
nous reproduisons textuellement :
1° De 76 à 65 centim., le vide partiel n’a d'action que sur la partie des gaz du
sang qui s’y trouve retenue par solubilité pure;
2° Sous l’influence de cette première dépression barométrique, le dégagement
d’acide carbonique est bien supérieur à la perte d’oxygène, d’où résulte pour celui-
ci une plus grande liberté d’action;
5° Il se peut donc, qu’une élévation modérée ne diminuant pas d’une manière
sensible la densité de l’oxvgène du sang, tandis qu’elle en soustrait une partie
notable d’acide carbonique, agisse sur l’homme dans le sens d’une action tonique
et fortifiante ;
4° Quant à la partie d’oxygène qu’une affinité faible permet de considérer comme
étant retenue par une action chimique, son dégagement du sang n’obéit à la dé-
pression barométrique que lorsqu’elle approche de 60 centimètres;
5° C’est donc à compler.du voisinage de cette limite que la densité de l’oxygène
du sang se trouve sérieusement diminuée, et c'est alors que l’anémie des altitudes
commence ;
6° On peut donc comprendre qu’une altitude modérée soit un moyen puissant
de guérir l’anémie, tandis que cette même affection est une conséquence naturelle
du séjour sur une altitude considérable. (P. 57.)
Enfin, en 1864, un troisième ouvrage1 reproduit avec des déve-
loppements nouveaux les idées émises dans les travaux auxquels
je viens d’emprunter de nombreuses citations. Je ne puis cepen-
dant m’empêcher d’extraire d’un de ses chapitres sur le mal des
montagnes, l’explication si nette donnée de cet ensemble d’acci-
dents, explication à laquelle nous n’avons rien d’important à chan-
ger dans les conclusions du présent livre :
L’homme qui se transporte rapidement sur un point très-élevé se trouve privé
d’une certaine quantité de l’oxygène dont il recevait habituellement une action
stimulante nécessaire au plein exercice de ses forces. Certes, ce qui lui eu reste,
après son ascension, est encore susceptible d’entretenir la vie et même le jeu
régulier des fonctions. Mais l’homme ne saurait supporter sans accidents passagers
une soustraction subite qui diminue les ressources auxquelles le système nerveux
est dans l’habitude de puiser son influence. La fibre musculaire se refuse aussi
à remplir sa tâche au contact d’un oxygène affaibli. On voit alors apparaître ces
phénomènes que les hémorrhagies nous ont rendus familiers. Sous l’impression
causée par une perte de sang, l’organisme, nous le savons, perd tout à coup une
partie importante de son stimulant normal ; on a le vertige, les muscles s’affaissent,
les nausées surviennent, et le malade est pris de syncope d’autant plus vite que
sa position le rapproche davantage de la station verticale
La faiblesse produite par la saignée est évidemment la conséquence d’une pri-
vation subite d’oxygène par la perte d’une certaine quantité de globules, de même
1 Le Mexique et l’ Amérique tropicale: climat, hygiène et maladies. — Paris, 1864.
273
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
que le mal des montagnes provient d’une soustraction plus directe du même gaz.
De sorte que, n’en doutons pas, une ascension au delà de 3000 mètres équivaut
à une désoxygénation barométrique du sang, comme une saignée en est une désoxygé-
nation globulaire. (P. 92.)
Ces travaux suscitèrent bientôt une polémique qui ne laissa pas
d’être assez vive. Un corps expéditionnaire français venait d’être
envoyé au Mexique, et les conclusions de M. Jourdanet n’étaient
rien moins qu’encourageantes pour ceux qui rêvaient l’établisse-
ment d’un empire latin qu’appuierait une colonie française établie
sur les hauts plateaux de UAnahuac.
Michel Lévy, alors directeur de l’école de médecine et de chirur-
gie militaires, s’en émut et crut devoir ouvrir sur l’exactitude des
faits signalés par M. Jourdanet une sorte d’enquête, dont le docteur
L. Coindet, chef du service médical de la 2e division de l’armée
française, consentit à se charger.
La première lettre envoyée par cet observateur à son chef hiérar-
chique, s’occupait à contrôler l’assertion de M. Jourdanet, sur le
ralentissement du mouvement respiratoire :
Assertion, disait Michel Lévy, qui heurte l’opinion admise jusqu’à présent, que,
sous l’influence d’une diminution de pression atmosphérique, la respiration s’ac-
célère pour compenser par le nombre des inspirations la proportion moindre
d’oxygène dans un même volume d’air1.
Dans ce document2, L. Coindet rapporte les résultats de 1500
observations faites sur des Mexicains et des Français arrivés sur les
hauts plateaux, observations dans lesquelles il a compté le nombre
des mouvements respiratoires. Je reproduis ici le résumé de ses ta-
bleaux :
Français. Mexicains.
Au-dessous de 16 inspir. à la minute 54 25
A 16 inspir 70 54
Au-dessus de 16 inspir „ 626 671
"750 75Ô
Moyenne générale des inspir. à la minute 19,56 20,297
D après cette masse de faits, ajoute notre auteur, le doute n’est plus permis,
et il est bien positif que ceux qui habitent ici ne respirent pas moins vite que les
hommes dont le séjour est fixé à 2277 mètres plus bas.
Plus loin, Coindet déclare :
Qu indépendamment de l’activité plus grande de la respiration, les inspirations
1 Gazette hebd. de niéd. et de chir., 1863, p. 777.
2 Gaz. hebd. de méd. et de chir., 1863, p. 778-781.
18
274 HISTORIQUE.
sont généralement amples, larges, profondes, et d’autant plus qu’elles sont moins
nombreuses.
Il affirme alors, sans avoir pris cependant aucune mesure exacte
sur ce point :
Que, de la sorte, l’équilibre s’établit toujours, et que la fonction tend con-
tinuellement à se mettre en rapport avec la raréfaction et la légèreté de l’at-
mosphère.
Puis, conclusion singulièrement rapide et qui semble indiquer
de la part de notre auteur un bien grand désir d’être aisément con-
vaincu, de ces observations sur le rhythme respiratoire Coindet
n’hésite pas à tirer aussitôt la conséquence grave :
Que ce qui a été écrit relativement à l’insuffisance de l’oxygénation du sang
sur les altitudes, comme conséquence d’un prétendu ralentissement de la respira-
tion, semble devoir être considéré comme non avenu.... Il se pourrait très-bien
que l’anémie, soi-disant mexicaine, ne repose que sur le teint jaunâtre propre
aux indigènes !
Viennent ensuite des observations sur le nombre des pulsations
et les mesures comparatives de l’amplitude de la poitrine chez les
Français et chez les Mexicains. Nous reviendrons plus loin sur ces
derniers. Relativement au pouls :
Je l’ai, dit Coindet, tâté à plusieurs reprises, sans aucune prétention, et j’ai
même compté les battements du cœur qui concordaient avec ceux des artères.
En définitive, il trouve, comme nombre moyen de pulsations,
76,216 chez les Français et 80,24 chez les Mexicains.
La seconde lettre1 traite « de Facclimatement sur les altitudes
du Mexique » ; elle ne contient qu’une description sommaire des
races du Mexique, et quelques indications météorologiques. J’y re-
lève cependant le passage suivant, qui ne manque pas d’intérêt :
Après notre passage du Cumbre, quand nous arrivâmes au-dessus de 2000 mè-
tres d’élévation, alors la respiration, la circulation, et consécutivement l’absorp-
tion, l’exhalation et la nutrition éprouvèrent des modifications sensibles. Nous
remarquâmes une tendance des fluides du corps à se porter à la périphérie, d’où
embarras de la circulation, congestions diverses, hémorrhagies cérébrales, pulmo-
naires, nasales, ainsi que j’en ai cité plusieurs exemples ; la difficulté de respirer,
qui nous rendait haletants, anhéleux ; malaise général , nous faisant trouver le
temps lourd, bien qu’il fut réellement plus léger; gêne des mouvements, fatigue
plus facile, et ces phénomènes furent surtout marqués chez les hommes du 95e de
ligne, qui comme nous n’avaient pas séjourné longtemps à Orizaba, et qui étaient
* Gaz. hebcl., 1863, p. 817-821.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
275
passés assez brusquement du niveau des mers à une élévation assez considérable.
Peu à peu l’organisme de tous, en conflit d’abord avec un milieu pour lequel il
n’avait pas été créé, s’est adapté progressivement à ce milieu, et aujourd’hui, après
dix mois de séjour sur l’Anahuac, il s’est transformé en telle sorte qu’il se rap-
proche de celui de l’Indien. (P. 817.)
La troisième lettre1 est pour nous beaucoup plus importante. On
y trouve le récit des analyses pratiquées au laboratoire de l’école des
mines de Mexico, sous la direction du professeur Murfî, dans le but
de mesurer la quantité d’acide carbonique formée dans un temps
donné par des habitants des hauts plateaux. 25 individus, dont 10
Français, 10 Indiens ou métis, et 5 Mexicains d’origine européenne,
ont été mis en expérience. Les résultats moyens, pour les Français,
par exemple, sont renfermés dans le tableau suivant :
Nombre des inspirations à la minute 19,6
— pulsations 78,2
Quantité d’air expiré en une minute 5m,90
Moyenne d’acide carbonique pour 100 à la minute 4,24
Si nous laissons de côté la discussion à laquelle se livre Coindet
sur les petites différences de détails constatés entre les représen-
tants des diverses races sur lesquels il a expérimenté, nous trou-
vons que ces constatations lui inspirent les réflexions suivantes :
La moyenne d’air expiré à la minute admise par M. Dumas étant de 5litres,5 au
niveau des mers, nous avons ici d’une manière générale, toujours une fois l’ac-
climatation produite, 6 lit. environ. Ceci devait être, car l’air des altitudes renfer-
mant sous un volume donné moins d’oxygène à 0m,58 ou 0m,59 de pression baromé-
trique qu’à Uia,76, il était nécessaire d’absorber une plus grande quantité de cet
air pour compenser la différence : c’est ce à quoi on arrive par une activité plus
grande de la respiration ; de sorte que l’air qui est introduit dans les poumons,
et qui en est exhalé, est toujours d’un tiers de litre environ pour chaque inspira-
tion et chaque expiration.
L’air expiré par riioinme au niveau des mers renfermant de 5 à 5 parties
d’acide carbonique pour 100, il résulte de nos expériences que sur l’Anahuac la
moyenne n’est pas moins élevée, puisque, pour 25 sujets, elle est de 4,56.
Or, il résulte de 105 observations faites au niveau des mers par MM. Brunner
et Valentin, que la quantité d’acide carbonique contenne dans l’air expiré est de
4,267 pour 100. M. Vierordt2, qui a tenté, à cet égard, près de 600 expériences,
est arrivé à peu de chose près aux mêmes résultats. L’air expiré contient en
moyenne 4,556 pour 100.
Notre moyenne ne diffère pas de cette dernière, si l’on tient compte de la
diminution de pression atmosphérique qui, comme on ne l’ignore pas (?), aug-
mente un peu la proportion d’acide carbonique exhalé.
1 Gaz. hebd., 1864, p. 35-57.
2 La moyenne de la circulation aérienne intra-pulmonaire était précisément pour
Vierordt de 6 litres, c’est-à-dire égale à celle constatée par Coindet.
276
HISTORIQUE.
On n’est pas peu surpris, après cette longue énumération défaits,
de voir Coindet s’écrier avec un accent de triomphe :
Absorption d’oxygène, exhalation d'acide carbonique constituent, au point de
vue chimique de la respiration, deux termes liés l'un à l’autre. D’autre part, la
modification dans les qualités de l’air expiré et les changements correspondants
dans la constitution du sang, sont les deux termes du problème physico-chimique
de la respiration.
Il ne peut donc rester de doute sur ce que l’on doit penser de la prétendue
insuffisance d’oxygénation du fluide sanguin sur les altitudes.
La Gazette hebdomadaire contient encore une autre série de let-
tres adressées par Coindet à Michel Lévy1, sous le titre général :
« Études statistiques sur le Mexique », consacrées à la patho-
logie, à la météorologie, etc. Elles ne touchent que rarement aux
questions purement physiologiques. On voit que, pour ce médecin,
tout est résolu par ses recherches précédentes, et qu’il est bien
prouvé, comme il le dit en maintes circonstances, que sur les hauts
lieux l’homme compense exactement, par le nombre et l’amplitude
des mouvements respiratoires, ce que tendrait à lui faire perdre en
oxygène la moindre densité de l’air; en telle sorte que l’équilibre
est régulièrement maintenu. Je ne trouve à reproduire textuelle-
ment que le passage suivant, dans lequel se montre l’opinion que
se fait notre auteur de la cause du mal des montagnes.
Le 5 juin 1865, dit-il, en compagnie du Dr Laval, je montai presque au sommet
de l’Iztaccihuatl (^dSô"4).... Notre bouche et notre gorge étaient sèches; nous
avions les jarrets brisés; notre respiration était haletante, précipitée, profonde,
souvent entrecoupée; notre pouls, petit, donnait 128 pulsations. Mais nous ne
ressentions pas encore de malaise, de céphalalgie, de disposition nauséuse, ce
qui constitue, en un mot, le mal des montagnes, dans lequel, entre parenthèse,
l’accélération de la circulation n’est sans doute pas sans avoir une grande part
par son influence congestive.
M. Jourdanet ne laissa pas sans réponse des lettres qui contredi-
saient sur presque tous les points ses assertions physiologiques et
médicales, et laissaient croire qu’il ne pouvait y avoir quelque
chose d’exact « dans un livre », ce sont les expressions mêmes de
Coindet, « si opposé, je m’en félicite, à tout ce que j’ai écrit. » Sans
relever ce qui regarde la pathologie, nous irons droit à la réponse
péremptoire qu’oppose M. Jourdanet2, non aux faits rapportés par
Coindet, mais aux conclusions qu’en tire ce médecin :
1 Gaz. hebd., 1864, p. 254, 265, 571, 450, 545, 579, 674.
2 Gaz. hebd., 1865, p. 145-151.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
277
M. Coindet affirme que la respiration n’est pas seulement accélérée, mais
qu’elle est ample , large , profonde. Or, quelles sont cette ampleur, cette largeur
et cette profondeur? Nous en trouvons la mesure non équivoque dans le passage
de sa correspondance où nous voyons que 25 sujets ont donné une moyenne
de 6 litres d’air respiré par minute, pour 20 inspirations. C’est donc une moyenne
de 50 centilitres d’air pour chaque mouvement respiratoire. Or, il est évident
que ce volume d’air ne représente qu’une ampleur thoracique fort médiocre....
Notre confrère n’est pas plus heureux lorsqu’il affirme que, sur les grandes
hauteurs de l’Anahuac, en un temps donné, il passe plus d’air dans la poitrine
qu’au niveau de la mer ; car les 6 litres qu’il a recueillis chez les sujets de ses
observations ne dépassent pas la moyenne fort ordinaire fournie par les hommes
de 20 à 30 ans sous la pression de 76 centimètres. Et encore est-il juste de faire
observer que, vu la raréfaction de l’air de Mexico, ces 6 litres ne pèsent que
6 grammes, au lieu de 7ïr,8, poids du même volume d’air au niveau de la mer....
Donc, d’après M. Coindet lui-même, à 2277“ d’altitude, la respiration n’est ni
plus ample, ni plus large, ni plus énergique qu’au niveau de la mer. (P. 150.)
La réponse paraît péremptoire suc ce point de la question. Res-
tent. les considérations d’ordre chimique.
Ici, M. Jourdanet relève, dans la rédaction de Coindet, une
obscurité qui aura sans doute frappé déjà nos lecteurs, mais qui
rend tout à fait incompréhensible la lecture des diverses observa-
tions contenues dans le mémoire lui-même. Nous avons, dans
le tableau reproduit plus haut (p. 275), copié textuellement ces
mots : moyenne d'acide carbonique pour 100 à la minute : 4,24.
Que signifie celte indication? A-t-elle rapport à une proportion
cenlésimale estimée en volume, ou à un poids? Cette question se
pose à propos de chacune des observations. Or,
On est tout surpris, dit avec raison M. Jourdanet, de l’obscurité qui règne dans
le compte rendu de M. Coindet. Prenons, par exemple, la première expérience :
« H. Staines.... Nombre d’inspirations à la minute 22; nombre de litres d’air
en une minute 6,4; acide carbonique pour cent 4,64. »
En présence de ces 6,4 litres d’air respiré par le sujet des expériences, on ne
saurait s’empêcher de croire que les 4,64 pour 100 d’acide carbonique désignent
en volume aussi la quantité proportionnelle de ce gaz. Mais plus loin (Gaz., 1864,
p. 56, lro col.), ces chiffres se trouvent reproduits sous le titre de : Poids pour
100 d'acide carbonique expiré dans une minute, évidemment la rédaction n’est
pas claire.
Nous répéterons avec M. Jourdanet : évidemment la rédaction n’est
pas claire ; mais une circonstance importante jette sur elle un jour
complet. C’est le rapprochement que fait Coindet du chiffre qu’il a
obtenu avec ceux de Vierordt, de Brünner et de Valentin. Or, ces
physiologistes ont très-certainement désigné la proportion centési-
male en volume, et Coindet n’a pu faire là-dessus de confusion,
278
HISTORIQUE.
puisque le passage que nous avons copié plus haut est la reproduc-
tion textuelle d’un alinéa du livre si justement populaire de M. Bé-
clard1, duquel ont été seulement retranchés les mots « pour 100 en
volume ». Il s’agit donc bien, aux yeux de Coindet, d’une proportion
en volume, et ses expériences mômes montreraient, s’il en était
ainsi, une considérable diminution dans les combustions intra-
organiques sur le plateau mexicain, puisque la quantité (en vo-
lume) d’acide carbonique exhalé y étant la même qu’au niveau des
mers, la quantité en poids serait évidemment bien inférieure, infé-
rieure dans un rapport mesuré par la diminution même de la pres-
sion atmosphérique.
Mais voici bien autre chose. M. Jourdanet, qui se trouvait alors à
Mexico, tenant à s’éclairer sur cette question douteuse, interroge
M. Murfi, « véritable auteur de ces analyses », et il en obtient une
réponse montrant clairement que:
Les expériences du Collège des mines ont donné en moyenne 4 grammes et
51 centigrammes d’acide carbonique pour 100 litres d’air expiré, mesuré à 14 de-
grés de température et à 58 centimètres.
La contradiction est flagrante : Coindet indiquait des volumes,
M. Murfi affirme qu’il s’agit de poids, et M. Jourdanet, attribuant
avec raison plus d’importance aux dires du chimiste mexicain, en
tire une conséquence vraiment écrasante pour son adversaire :
Il est donc indubitable, dit-il, que les sujets des expériences du Collège des
mines ont produit 4gr,51 d’acide carbonique, pour 100 litres d’air expiré. D’autre
part, le compte rendu de M. Coindet, d’accord en cela avec le dire de M. Murti,
affirme que la quantité d’air expiré a été en moyenne de 6 litres par minute. Qui
peut douter dès lors que si 4gr,51 d’acide carbonique correspondent à 100 litres
d’air, les 6 litres expirés par les sujets des expériences en contenaient 27 cen-
tigrammes. Il est donc certain que le résultat tout à fait irrécusable du dosage
respiratoire du Collège des mines a été que les sujets de vingt à trente ans ont
produit 27 centigrammes d’acide carbonique par minute, c’est-à-dire 10 grammes
et 20 centigrammes par heure.
Les conclusions de M. Coindet ne sont pas d’accord avec ces chiffres; car, non-
seulement ces chiffres alarmants ne l’autorisaient pas à dire que la respiration à
Mexico est identique avec celle du niveau des mers, mais indiquent un danger
qui ferait justement redouter le séjour du haut Anahuac; puisque, d’après ces
expériences, les combustions respiratoires carbonées n'y arriveraient pas à la
moitié de ce qu’elles sont au niveau de la mer. Les analyses du Collège des mines
nous laissent donc dans un souci des plus graves. Je l’ai fait pressentir à mes
collègues de la Société de médecine de Mexico, qui en ont été assez émus pour
voter de nouvelles expertises. (P. 151.)
1 Traité élémentaire de Physiologie, chap. iv, § 138
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
279
A cette indiscutable conclusion, Coindet1 essaye de répondre à
son tour. Laissons de côté les simples affirmations, laissons de
côté, bien qu’ils abondent, les écarts d’une polémique acrimonieuse
et arrivons au fait lui-même, à la contradiction que nous avons plus
haut mise en lumière :
M. Michel Lévy, dit-il, les membres de la Société de médecine de Mexico, savent
la réponse que j’ai faite aux assertions de M. Jourdanet. J’ai prouvé que le volume
3,90 pour 100 d’air à 14 degrés température et à 58 pression que me donnait
le poids 4,51 pour 100 d’air aussi à 14 degrés température et à 58 pression,
fournissait, en raison de la plus grande quantité d’air expiré (6 litres au lieu
de 5,3 Dumas), 295gr,l3 de carbone brûlé en 24 heures, ou 12sr,30 en une heure,
et l’on sait les moyennes admises au niveau des mers par MM. Dumas, Andral,
Gavarret, Valentin, Brunner, Vierordt, etc. Il est bien positif, je l’affirme, que
mes sujets n’auraient pas expiré plus de 3m,3 d’air au niveau des mers.
J’avoue, quant à moi, ne pas bien comprendre, et il eût été à
désirer que Coindet reproduisît dans sa lettre les preuves qu’il
avait envoyées à M. Michel Lévy. D’abord, constatons que cette fois,
pour lui, les 4,51 2 ne sont plus une mesure de volume, comme
cela résultait évidemment de l’alinéa que nous avons cité, mais
une mesure de poids; c’est bien, comme l’a dit M. Murfi, le poids
d’acide carbonique contenu dans 100 litres d’air expiré à 14° et 58e.
• Mais dès lors, le raisonnement et le calcul de M. Jourdanet sont
inattaquables. S’il passe 6 litres d’air par minute dans les pou-
mons, cela fait en une heure 560 litres, contenant 560 x 4S,51
= 16gr,25 d’acide carbonique. Or, les recherches d’Andral et Ga-
varret3 * donnent une moyenne, entre 20 et 40 ans, de 12g,2 de car-
bone brûlé, ce qui correspond à 44g,07 d’acide carbonique. L’écart
est énorme, tellement énorme que, pour ma part, je crois à une
erreur fondamentale dans les analyses mêmes qui lui servent de
point de départ.
Voyons maintenant le raisonnement de Coindet. Et d’abord,
constatons qu’il prend un singulier chemin de traverse : « J’ai
prouvé, dit-il, que le volume 5,90p. 100 d’air à 14° et à 58 pression
que me donnait le poids 4,51 pour 100 d’air aussi à 14 degrés tem-
pérature et à 58 pression.... »
Voilà des calculs pénibles et bien inutiles, car pourquoi transfor-
mer un poids en volume pour chercher à nouveau une quantité en
1 Gaz. hebd.f 1865, p. 467-470.
2 Ce chiffre est relatif aux expériences faites sur les Indiens. [Gaz. hebd., 1864, p. 56.)
5 Recherches sur la quant, d'ac. carb. exhalé par le poumon dans l'espèce humaine .
— Cpt. R. Acad, des Sc., t. XVI, p. 113, 1843.
280
HISTORIQUE.
poids? Refaisons-les cependant, parce que, si leur résultat apparent
est favorable, nous allons y trouver de notables erreurs.
Un litre d’acide carbonique à 0° et 76e de pression pèse lg,966.
Donc, 4S,51 de ce gaz représentent dans ces conditions de tem-
pérature et de pression
4lil,51
1,966’
soit à 58e
4m,51 x 76
1,966x58’
et à 14°
4'“, 51 x76 (275 + 14) _ lit
1,966 x 58 x 275
Ainsi l’air expiré renfermait en volume 5,16 pour 100 d’acide
carbonique, et non pas 5,90 comme le dit Coindet, dont tous les ré-
sultats subséquents se trouvent singulièrement faussés.
Il y a mieux : en acceptant même le chiffre de 5,90 pour 100
(rapport qui, par parenthèse, ne varie pas, comme paraît le croire
Coindet, avec la pression et la température) on trouve des résultats
définitifs bien différents de ceux qu’il enregistre. En effet, les
hommes qu’il observait faisaient passer dans leur poitrine, par
heure, 560 litres d’air, qui contenaient par suite, selon lui,
560 x 5Ht,9 = 14l!t,04 d’acide carbonique, à 14° et 58e, représen-
tant, à 76e et 0°,
14ut,04x 58x 275
76 (275 + 14)
10lit,19.
Or, 1 litre pesant lgr,966, on n’aurait pour la production par
heure que lgr,966 x 10, 19 = 20gr,05 ; et comme il y a en poids
27,68 pour 100 de carbone dans l’acide carbonique, le poids du
carbone brûlé par heure serait
lgr,966 x 10,19x27,68
ïôô = 5 ’54 ;
%
ce qui est bien loin des 12gr,50 annoncés par Coindet.
Au contraire, le calcul de M. Jourdanet trouve ici une vérification
complète par contre-épreuve. En effet, il résulte de ce que nous
venons de dire immédiatement que, en réalité, d’après les expé-
riences de Coindet, ses hommes exhalaient par heure
560 litres x 5,16 = llht,576
d’acide carbonique, représentant à 76e et 0°, 8ht,258, lesquels pèsent
16gr,25, nombre exactement semblable à celui que nous avons pré-
cédemment trouvé après M. Jourdanet.
C’est au lecteur à décider s’il convient, après une si étonnante
281
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
argumentation, de railler, comme l’a fait Coindet, « la compé-
tence » de celui qui relevait fort courtoisement son erreur. Quoi
qu’il en soit, on peut maintenant facilement apprécier ce que valent
les conclusions suivantes, qu’il a hardiment formulées1 :
4° La moyenne d’acide carbonique expirée sur l’Aiiahuac, à alimentation et à
conditions égales, n'est pas moins élevée qu’au niveau des mers.
6° La quantité d’oxygène qui circule dans le sang, est la même sur les hau-
teurs qu’au niveau des mers ; et, à conditions hygiéniques égales et également sa-
tisfaisantes, le degré d’énergie de l’hématose est aussi le même.
17° Dans les conditions ordinaires, l’habitation de l’Anahuac ne paraît pas di-
minuer d’une manière permanente et préjudiciable la somme des gaz qui cir-
culent dans le corps de l’homme.
Quant à moi, je n’hésite pas à le dire, dans le travail de Coin-
det, rien ne motive cette dernière conclusion, et tout y contredit
les deux premières. Pour aller jusqu’au fond de ma pensée, j’avou-
rai que je ne saurais admettre comme exactes les analyses mêmes
qui en sont le fondement; il doit y avoir là quelque erreur dans la
méthode expérimentale ou dans son application. Je dirai seulement
que la quantité d’air sur laquelle portait l’analyse était beau-
coup trop faible : M. Murfi faisait exécuter dans son appareil les
mouvements respiratoires pendant une demi-minute ; Andral et Ga-
varret les faisaient continuer de 8 à 13 minutes. De plus, on n’a pas
pris de précaution pour recueillir l’air qui passe par les narines. Si
disposé que je sois à penser que sur l’Anahuac l’intensité des com-
bustions organiques soit réellement diminuée, je me refuse à
croire qu’elle ait baissé de plus de moitié, ainsi que cela serait
démontré, si l’on considérait comme exacts les chiffres fournis par
le travail de Coindet lui-même. En résumé, au point de vue des
phénomènes chimiques de la respiration, il ne reste de ce travail
absolument rien.
Un des chirurgiens de l’expédition du Mexique, M. Cavaroz2, pu-
blia peu de temps après un mémoire dont les observations et les
conclusions se rapprochent tout à fait de ce qu’avait déjà dit
M. Jourdanel.
Il a d’abord pris sur des soldats français un grand nombre de
mesures desquelles il résulte que, à une altitude de 1712in, la
1 Gazette hebdomadaire, 1865, p. 468.
2 De la Respiration sur les hauts plateaux de l' Analiuac. — • Rec. de Mém. de méd.
milit., 3e série, t. XIV, p. 512-516, 1866.
282
HISTORIQUE.
moyenne générale des respirations était 19 2/5, et celle des pulsa-
tions 65 1/4 :
Il en tire d’abord cette conséquence que : sur les hauts plateaux de l’Ànahuac,
il s’établit chez l’Européen une respiration supplémentaire, destinée à compenser
parle nombre des mouvements respiratoires la déperdition d’oxygène qui résulte
pour l’hématose de la raréfaction de l’atmosphère
Mais, ajoute-t-il bientôt, c’est une question de savoir si cette compensation est
complète , et si, en fin de compte, il n’y a pas de déperdition d’oxygène, et si
l’hématose est aussi normale, aussi parfaite qu’au niveau des mers. Je ne le pense
pas, car d’après le rapport moyen de 18 respirations pour 67 pulsations, le nom-
bre des pulsations pour 19 2/3 respirations devrait être 67 1/2. Il n’est que de
65 1/4 ; il y a donc 2 1/4 pulsations en moins : donc la circulation est languis-
sante jusqu’à un certain degré, et l’état physiologique troublé.
Le reste du travail de M. Cavaroz contient des observations ten-
dant à prouver que, sur les hauts plateaux, l’Européen perd sa vi-
vacité et ses forces, et que, s’il devient malade, il tombe rapidement
dans un état adynanique. Aussi, à ses yeux, l'acclimatement par-
fait n’est-il rien moins que démontré. Le rapport entre ces idées et
celles de M. Jourdanet est tout à fait frappant.
Cependant on n’en a tenu aucun compte, et désormais les au-
teurs ne parleront que de Coindet auquel, il faut bien l’avouer,
ils seront unanimes à donner raison contre M. Jourdanet, ce qui
prouve, entre autres choses, qu’il est bien plus facile de lire des
conclusions que de discuter un mémoire.
Ainsi, dans l’article Air que M. A. Tardieu1 a rédigé pour le
Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques, le savant hygié-
niste consacre une page à l’étude des effets physiologiques de
l’air déprimé. Elle est remplie par une analyse rapide des idées de
M. Jourdanet et des travaux de Coindet; j’en extrais ces lignes ca-
ractéristiques :
On voit, d'après ce qui vient d’être dit, ce qu’il faut penser de la prélendue
insuffisance d’oxygénation du liquide sanguin sur les hauteurs.
Du reste, M. Tardieu ne présente aucune explication.
L’article Altitudes que, dans le Dictionnaire encyclopédique, fit
paraître deux ans après M. Leroy de Méricourt, mérite le même
reproche. Mais avant d’en rendre compte, je dois dire un mot d’un
livre fort curieux, publié en 1865 par le Dr Folëy2.
Lorsque nous en arriverons à l’étude de l’air comprimé, nous
1 Art. Air du Diction, de Méd. et de Chir. pratiques. — Paris, 1864.
2 Du Travail dans l'air comprimé. — Paris, 1863.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
283
aurons à en donner une analyse étendue. Nous verrons que, pour ce
médecin, la compression exercée par l’air joue le rôle principal :
« Quand on entre dans les tubes, dit-il, on est aplati. » Il apporte
naturellement la même préoccupation d’ordre mécanique dans
l’étude du mal des montagnes :
Un voyageur gravit une montagne. Plus il monte, plus il se sent faible, plus ses
veines sous-cutanées gonflent. Il finit par se trouver mal. Pourquoi ?
La périphérie de son corps a cessé d’être comprimée. Un vide relatif s’y est
fait. Le sang s’y est accumulé. L’encéphale en a manqué. L’aéronaute s’est
évanoui. (P. 63.)
Ajoutons que, plus loin, M. Folëy déclare que les maux de cœur,
les crampes, etc., sont le signe d’une « aimalose insuffisante. »
Enfin, pour notre auteur, c’est la présence des sacs aériens qui
sauve l’oiseau des accidents de la décompression ; les chocs en re-
tour dont il serait menacé comme les ouvriers qui sortent des
tubes (voir plus loin, titre 11, ch. m) lui sont évités grâce à la ten-
sion élastique des gaz qui sont contenus dans les sacs. Pour cela, il
suffit à l’oiseau qui s’élève de fermer le bec et les arrière-narines;
mais peut-être est-il permis de se demander comment alors il
pourra respirer.
Un vétérinaire distingué , qui commandait le service pendant
l’expédition du Mexique, M. Liguistin1, s’est trouvé placé en présence
des mêmes problèmes que les médecins militaires. 11 ne paraît pas
avoir eu connaissance de la vive discussion dont nous venons de
résumer les traits principaux :
« Pour lui, du reste, l’effet de la diminution de la densité de
l’air est parfaitement connu. » (T. III, p. 583.)
Quant aux accidents observés sur les animaux, il déclare que les
troubles de la respiration signalés par les médecins ne paraissent
pas avoir atteint les bêtes de somme :
Les grands solipèdes supporteraient-ils plus facilement que l’homme l’action
d’un air peu oxygéné ? Le tempérament lymphatique dont ils sont dotés explique-
rait-il suffisamment le besoin moins urgent d’un air plus condensé? Nous savons
bien cependant, et nous l’avons dit déjà, que la pression atmosphérique la plus
favorable aux animaux est aussi celle qui a lieu au niveau des mers et dans les
lieux peu élevés, alors que la colonne de mercure marque sur le baromètre envi-
ron 76 centimètres; que, si l’on place un animal vivant dans le vide, l’air inté-
1 Considérations générales sur les maladies principales qui ont régné sur les chevaux
et mulets du corps expéditionnaire du Mexique pendant la période de 1862 à 1863. —
Journal de médecine vétérinaire militaire, t. III, mars, avril, mai 1865 ; t. IV, juin,
juillet, août 1865
284
HISTORIQUE.
rieur n’ayant plus rien qui lui résiste se dilate, l’animal se gonfle et périt ; que
c’est la pression de l’air qui maintient les fluides dans les vaisseaux des animaux
et les empêche de s’échapper. Donc, lorsque le baromètre descend de quelques
degrés, le sang doit évidemment se porter vers la périphérie : on observe alors la
difficulté et l’accélération de la respiration, l’embarras de la circulation, des fati-
gues, de l’accablement, de la nonchalance. Si dans cette situation nos animaux
étaient doués de la faculté de traduire leur impression, ils nous diraient proba-
blement , comme l’homme, que le temps est lourd , prenant ainsi l’effet pour la
cause, car on sait : que plus l’air est rare et plus il est léger. Il est. inutile
d’expliquer pourquoi la respiration est plus accélérée. On sent assez que l’air
nécessaire à la vie étant extrêmement rare, il laut que les actes respiratoires soient
multipliés pour que le même résultat soit produit. Il est encore plus inutile
d’ajouter que l’air devenant plus rare, on pourrait périr d’asphyxie. Dans un air
raréfié, doivent nécessairement dominer les inflammations thoraciques et les
hémorrhagies. C’est cependant ce que nous n’avons pas observé, et c’est pourquoi
aussi nous nous croyons autorisé à avancer que le peu de pression de l’atmo-
sphère des plateaux élevés du Mexique n’a pas sur nos animaux l’influence particu-
lière que l’on a observée sur les hommes vivant dans le même milieu. Nous ne
faisons intervenir la raréfaction de l’air que pour expliquer les ballonnements exa-
gérés qui ont accompagné les indigestions nombreuses observées sur nos chevaux
et nos mulets pendant la période du siège. (T. III, p. 658.)
Dans un travail spécial, le même vétérinaire rend compte d’une
série d’accidents très-curieux, observés sur les animaux du corps
expéditionnaire, au passage du Rio-Frio (35Ü0m).
L’animal passe de la santé à la maladie sans symptômes précurseurs. L’orga-
nisme est dans un état de tension général, le système musculaire tout particuliè-
rement. L’œil est fixe, hagard, brillant, inquiet, le faciès crispé et la pupille dila-
tée. Les membres postérieurs et toute l’arrière-main sont le siège de mouvements
spasmodiques très-accusés et facilement saisissables. Les muscles du grasset et de
la cuisse présentent des tremblements partiels.
La bouche est remplie d’une salive blanche, écumeuse, très-abondante. Les
mâchoires sont dans une contractilité permanente. Il y a certainement surexci-
tation sensible des glandes salivaires. L’envie de vomir est manifeste. Les efforts
fréquents avec éructation sont faciles à constater. Le ventre n’est pas ballonné.
Il y a quelques légères coliques traduites par un peu d’inquiétude, mais les ani-
maux ne se campent pas, sollicités instinctivement par le besoin d’uriner ou
d’expulser des matières fécales. L’appareil génito-urinaire est surexcité : il y a
érection opiniâtre et douloureuse de la verge. Les conjonctives sont dans leur état
naturel ou ne présentent aucuns changements bien sensibles : elles sont rosées
et très-légèrement injectées. Le système sanguin capillaire n’est pas visiblement
modifié. Les battements du cœur sont forts et tumultueux. On perçoit à distance,
sans avoir recours à l’auscultation, les mouvements précipités de diastole et de
systole, et on peut compter les percussions de cet organe en portant l’attention
en arrière du coude ; et cependant, chose bien singulière, l’état du pouls n’est
pas modifié dans son rhythme normal, d’une façon appréciable.
Les naseaux sont dilatés. L’air expiré est chaud ; la respiration est accélérée.
L’inspiration est petite et l’expiration profonde. Les muscles respiratoires sont con-
tractés, tendus, et les flancs, tirés en contre-haut, sont séparés dans leur milieu
285
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
par des saillies extrêmement prononcées. Ils s'abaissent et s’élèvent jusqu’à
vingt et vingt-cinq fois dans une minute.
11 y a plutôt affaissement général du système nerveux que surexcitation appa-
rente du cerveau.
Les désordres que nous venons de signaler persistent sans aggravation pendant
plusieurs heures et disparaissent ensuite sensiblement sous l’influence de quel-
ques soins appropriés. (T. IV, p. 258.)
Cette curieuse série de symptômes d’une apparence si redoutable
et qui cependant n’ont jamais amené d’accident grave, éveillèrent
dans l’esprit de M. Liguistin l’idée d’un empoisonnement. Tous ses
collègues ne partageaient pas son avis : « quelques-uns expliquaient
les accidents dont il s’agit en faisant jouer à la raréfaction de l’air
un rôle considérable, asphyxie lente »
M. Liguistin lui-même reconnaît que cet élément doit posséder
un rôle étiologique important :
Certes, il n’est pas douteux, dit-il en effet, qu’à l’époque où nous sommes pas-
sés au Rio-Frio, époque des grandes chaleurs, il n’est pas douteux, dis-je, qu’une
élévation considérable de la température amenant une raréfaction évidente de
l’air, jointe à une élévation du soi de 5502 mètres au-dessus du niveau de
l’Océan et produisant, par ce fait même d’altitude, une diminution de 5 kilomètres
et demi dans la hauteur de la colonne atmosphérique, n’ait eu pour conséquence
immédiate de diminuer d’une manière sensible la quantité d’air respirable et de
produire des accidents inhérents à ce genre de causes. Nous aurions voulu pou-
voir constater ce fait physique sur le baromètre, pendant les différents états de
l’atmosphère ; car seul il eût fourni l’explication réelle des tympanites qui se sont
manifestées aussi sur les animaux du corps expéditionnaire lors de notre passage
au Rio-Frio. Cependant, bien que celte raréfaction n’ait pas été démontrée expé-
rimentalement, son existence n’en est pas moins indéniable.
A Mexico, il a été constaté que la pression atmosphérique ne s’élevait qu’à
58 degrés. On peut donc l’évaluer approximativement pour le Rio-Frio à 55 ou 56,
ce qui produirait encore une diminution de 20 degrés sur la pression normale de
l’atmosphère. Est-il irrationnel de supposer, après cela, que les animaux ne peuvent
être placés, ne fût-ce qu'un instant, dans un pareil milieu, sans que leur orga-
nisme en ressente quelques effets ? Évidemment non ; et nous avons tous été les
témoins affligés, mais non surpris, de Faction pernicieuse qu’une atmosphère,
ainsi raréfiée , peut produire sur la santé des grands solipèdes , je veux parler de
cette deuxième scène pathologique dont l’apparition s’est plus particulièrement
manifestée encore au Rio-Frio et qui a amené un instant de trouble et de confu-
sion (indigestion avec ballonnement.) (T. IV, p. 262.)
En définitive, M. Liguistin persiste dans l’idée d’un empoisonne-
ment, dont il explique l’innocuité par la neutralisation partielle
produite par d’autres plantes simultanément ingérées. A force de
recherches sur le terrain, on finit par trouver une sorte de scille, à
laquelle on attribua les accidents. Des expériences faites avec les
286
HISTORIQUE.
feuilles suspectes ne donnèrent cependant qu’un résultat intéres-
sant : le ferme refus des chevaux d’y goûter, même après 48 heures
de jeûne. Quant aux empoisonnements obtenus par l’extrait aqueux,
ingéré de force aux animaux, ils ne ressemblent en rien aux symp-
tômes observés pendant le passage du Rio-Frio. D’où nous con-
cluons, à l’inverse de notre auteur, que ces accidents étaient dus
exclusivement à l’air raréfié.
J’arrive maintenant à l’article de M. Leroy de Méricourt1, article
auquel le nom et la compétence spéciale de son auteur donnèrent
beaucoup de crédit, et que l’on cite encore incessamment.
11 ne contient cependant aucune observation personnelle, et la
seule idée vraiment originale qu’on y rencontre est due au profes-
seur Gavarret; mais il reproduit, dans un style élégant, un résumé
des faits antérieurement observés, des doctrines émises. La partie
la plus intéressante consiste en une critique très-vive des travaux
et des opinions de M. Jourdanet, qu’il considère comme complète-
ment vaincu par Coindet. Selon lui :
Le dosage de l’acide carbonique de l’air expiré , comme indicateur du
degré d’énergie de l’hématose sur les hauteurs de plus de 200üm, a montré que
la moyenne d’exhalation de ce gaz n’est pas moindre de ce qu’elle est au niveau
des mers.
Nous avons montré plus haut ce qu’il faut penser de cette asser-
tion, à laquelle les chiffres mêmes de Coindet donneraient un dé-
menti beaucoup trop complet selon nous.
Puis, rencontrant la comparaison établie par M. Jourdanet entre
le mal des montagnes et la saignée, et exprimée en ces termes si
saisissants et si exacts : « Une ascension au delà de 5000,u équivaut
« à une désoxygénation barométrique du sang, comme une saignée
<( est une désoxygénation globulaire, » M. Leroy de Méricourt ne
trouve rien de mieux à faire que de la qualifier éé étrange :
« D’ailleurs, dit-il, a priori , on peut objecter à M. Jourdanet que l’absorption de
l’oxygène par le sang veineux n’est pas un l'ait purement physique, le résultat
d’une simple dissolution, mais que les forces chimiques jouent un rôle impor-
tant dans cette fixation de l’oxygène. »
J’ai tenu à rapporter cette opinion parce qu’elle indique bien
quel était, en 1866, le sentiment des hommes les plus instruits et
les plus autorisés. Il faut s’attendre, en effet, à ce que la théorie
1 Article Altitudes du Dictionnaire encyclopédique des Sciences médicales. — Pa-
ris, 1866.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
287
qu’a émise M. Jourdanet, et dont j’ai démontré expérimentalement
l’exactitude, sera bientôt considérée comme une chose tellement
simple et évidente que chacun en réclamera la paternité ou tout au
moins lui refusera tout mérite d’originalité.
J’arrive au passage dû à la plume de M. Gavarret.
Après avoir rappelé quelques principes de physique élémentaire,
le savant professeur de la Faculté de Paris continue en ces termes :
Lorsqu’il monte, à pied , sur une haute montagne, l’homme accomplit une quan -
tité de travail mécanique qui varie avec le poids de son corps, la hauteur d’as-
cension, la nature et la disposition du terrain sur lequel il marche. A la force
mécanique qu’il dépense ainsi correspond une consommation d’une quantité dé-
terminée des matériaux organiques de son sang, dont la combustion ne produit
aucun effet thermique. Indépendamment de la quantité de chaleur nécessaire au
maintien de sa température propre, les combustions respiratoires doivent donc
fournir l 'équivalent calorifique de la force mécanique dépensée pend ant l’ascen-
sion. Pour bien saisir les conséquences de cet accroissement forcé de l’activité
respiratoire, fixons notre attention sur un exemple déterminé.
Un homme adulte, bien constitué, du poids de 75 kilogrammes , s’est élevé, à
pied , à 2000 mètres de hauteur sur les flancs d’une montagne. Il a effectué ainsi
un travail utile de 150 000 kilogrammes, représentant 355 unités de chaleur, dont
l’effet thermique est nul , transformées tout entières en force mécanique, et four-
nies par les combustions respiratoires. Les huit dixièmes de cette chaleur transfor-
mée provenant de la combustion du carbone, la création de la force mécanique
correspondant au travail utile accompli pendant l’ascension , nécessite la produc-
tion de 65 litres d’acide carbonique, en sus de 22 litres de ce gaz que l’homme
forme, par heure, dans ses capillaires généraux pour maintenir sa température
propre. Les conséquences de la production d’une aussi grande quantité d’acide
carbonique dans l’économie se présentent d’elles-mêmes. La consommation des
matériaux organiques du sang est excessive, et les forces s’épuisent très-rapide-
ment. Les mouvements respiratoires et circulatoires s’accélèrent considérablement,
d’une part, pour rendre possible l’absorption de tout l’oxygène nécessaire à des
combustions si actives; d’autre part, pour débarrasser le sang d’une telle pro-
portion d’acide carbonique dissous. Lorsque la marche est lente, la force dépen-
sée, dans un temps donné, est faible, et les troubles fonctionnels ne sont pas con-
sidérables.
Mais si l’ascension s’opère rapidement, l’exhalation gazeuse, bien que très-
activée, n’est plus suffisante pour maintenir la composition normale du sang qui
reste saturé d’acide carbonique ; alors la respiration devient anxieuse ; la dyspnée
devient extrême, et s’accompagne de céphalalgie, de vertiges et de somnolence.
On comprend encore facilement pourquoi une halte de quelques instants suffit
pour faire disparaître tous ces accidents.
Du moment où l’homme est au repos, la dépense de force cesse, l’activité des
combustions respiratoires s’abaisse rapidement au degré strictement nécessaire
au maintien de sa température propre, la production de l’oxygène n’est plus que
de 22 litres par heure , le sang se débarrasse très-vite de l’excès d’acide carbo-
nique qu’il contient, et tous les troubles des fonctions respiratoires et circulatoi-
res disparassent en même temps
Comme conséquence de ces considérations , nous nous croyons autorisé à dire
288
HISTORIQUE.
que la majeure partie des troubles fonctionnels caractéristiques du mal des mon-
tagnes doit être rapportée à une véritable intoxication par l’acide carbonique dis-
sous en trop forte proportion dans le sang. Pour dire ici toute notre pensée, nous
ajouterons qu’une intoxication de même nature , résultat nécessaire d’une dé-
pense de force excessive, est une des principales causes des accidents graves ob-
servés chez les animaux surmenés.
Cetle théorie curieuse et originale, étayée de calculs indiscuta-
bles et de la grande autorité du savant professeur de physique mé-
dicale, devait obtenir un grand succès et faire époque dans la
science. Dorénavant, chacun la répétera à l’envi; c’est ce que fait
tout d'abord, dans sa thèse inaugurale, le Dr Aug. Dumas1.
Mais la théorie de M. Gavarret ne lui suffit pas ; il accepte et
appuie de calculs fort bien conduits, du reste, les théories des
frères Weber sur la tendance de la tête du fémur à se séparer de la
cavité colyloïde dans l’air dilaté. Les objections de M. Jourdanet ne
le touchent pas, comme on voit. C’est qu’il n’attache pas grande im-
portance aux travaux de ce savant médecin ; à ses yeux, Coindet a
fait bonne et complète justice d’assertions erronées :
Que devient donc maintenant, s’écrie-t-il, la prétendue insuffisance d’oxygéna-
tion du fluide sanguin sur les altitudes ? et que dire de toutes les théories que
M. Jourdanet a basées sur ce fait ?
Quant aux maux de tète, vertiges, pertes de connaissance, éprou-
vés par de Humboldt et autres voyageurs, Dumas les explique
« d’une manière toute mécanique » ; à vrai dire, il ne fait que
reproduire une explication déjà donnée par Pravaz (p. 251) :
Barry a démontré qu’à chaque expiration, le cours du sang est ralenti dans
les veines jugulaires. Cela étant, il est facile de comprendre comment, chez un
individu parvenu au sommet d’une haute montagne, où sa respiration gênée
oblige son thorax à des mouvements précipités, son sang veineux éprouve une
stase dans les jugulaires et même un reflux pouvant déterminer une congestion
des centres nerveux et tous les accidents qui en dépendent.
M. Scoutetten2, qui écrivait l’année suivante, se contente de re-
produire les parties principales de l’article Altitudes , et notamment
la citation de M. Gavarret, dont il adopte entièrement l’opinion.
Comme il paraît en outre attacher beaucoup d’importance aux
variations du poids supporté par le corps humain sous les diverses
1 Etude de quelques-unes des variations que l'altitude fait sentir à l'air ambiant et d
l'influence de ces variations sur l'homme. — Thèse de Paris, 1866.
* Influence de l'altitude des lieux sur les fonctions physiologiques. — Paris, 1867
THÉORIES ET EXPÉRIENCES. 289
pressions barométriques, il a pris la peine de dresser un long
tableau où se trouvent enregistrées les valeurs de ce poids, dans
toutes les stations d’eaux minérales.
On apprend ainsi qu’un homme qui supporte, au niveau de la
mer, 15345 kilogrammes, est soulagé de 406 kil. à Vichy, de 1015 à
Saint-Gervais, de 1905 au Mont-Dore, de 2744 à Cauterets, la plus
élevée des eaux thermales.
Est-ce dans cet ordre d’idées que se place un auteur dont les
Comptes rendus pour 1867 publient une note qui ne brille pas par
la clarté? Je l’ignore et laisse au lecteur le soin d’en décider1 :
M. Kaufmann soumet au jugement de l’Académie un mémoire sur l’influence
mécanique de l’air dans quelques fonctions physiologiques où on ne la fait pas
d'ordinaire intervenir.
Pour reconnaître, dit l’auteur, l’influence mécanique exercée sur diverses par-
ties de l’organisme parla pression de l’air, j’ai institué des expériences aérométri-
ques ; les unes, dans lesquelles je mesurais les oscillations produites dans divers
états physiologiques ou pathologiques par la variation de pesanteur de l’atmo-
sphère ; les autres dans lesquelles j’ai produit artificiellement ces variations.
Celles dont je soumets aujourd’hui les résultats à l’Académie se rapportent aux
diverses périodes de la génération chez les mammifères , depuis le moment de
conception jusqu’à l’accomplissement du part.
Dans le livre qu’il publia lors de son retour en France, Coin-
det2 revint sur la question de la quantité d’acide carbonique formée
parles hommes qui vivent sur les hauts plateaux. Evidemment il se
sentait mal à l’aise sur ce terrain, car dans un ouvrage en deux
volumes, contenant plus de 650 pages, il n’en consacre que 5 à
cet important sujet. Et cependant, qu’y aurait-il eu de plus probant
en faveur de sa thèse, que d’insister sur cette démonstration que les
combustions intra-organiques sont aussi énergiques sur les hau-
teurs qu’au niveau de la mer? L’anoxyhémie, qu’il a voulu combat-
tre, s’en trouverait réduite à néant. J’avoue que je pensais trouver
d’abord dans ce livre des expériences nouvelles; il n’en est rien, et
l’exposé des faits y est infiniment moins complet et moins détaillé
que dans les lettres adressées à Michel Lévy.
Ceci s’explique bientôt, car nous enregistrons d’abord un aveu
précieux ; « c’est par erreur, dit Coindet (t. Il, p. 90), que j’ai écrit
ailleurs poids au lieu de volume. » Voilà donc un fait acquis, et,
comme je l’avais montré en rappelant le passage copié dans Béclard,
1 Kaufmann, Cpt. R. de V Acad, des Sciences, t. LXV, p. 317, 1867.
2 Le Mexique considéré au point de vue médico-chirurgical. — Paris, t. I, 1867 ; t. II,
1868.
19
290
HISTORIQUE.
les fameux 4,51 p. 100, représentaient pour Coindet en 1864 une
proportion en volume, bien qu’il ait dit le contraire dans sa lettre de
1865. Mais alors, s’il y a dans l’air 4,51 pour 100 d’acide carboni-
que en volume, puisque les hommes en expérience respiraient à
raison de 6 litres par minute, soient 360 litres à l’heure, cela fait,
en une heure, 560 lit. >< 4,51 — 16llt,23 d’acide carbonique expiré.
Or, comme on opère à 14° et à 58e, ce volume correspond, à 0° et
à 76e, à llm,77 ; et comme un litre pèse lg,966, la production d’a-
cide carbonique par heure serait 25g14, donnant en définitive 6g40
de carbone brûlé. Nous voici, encore une fois, bien loin des 12ê50
qu’annonçait triomphalement Coindet.
Mais celui-ci se ravise :
Il ne faut pas perdre de vue, dit-il, que 4,52 pour 100 en volume, moyenne
d’acide carbonique exhalé en une minute, ont été extraits d’un air h 14°temp., 58e
pression, ramené à0°temp., 70e pression.... de sorte que 6 ‘,125, moyenne d’air
expiré en une minute, en laissant de côté les Français nouvellement arrivés, non
acclimatés, nous donnent 567 *,55 en une heure
La moyenne de 4,52 pour 100 d’acide carbonique exhalé en une minute étant
admise, nous pouvons établir la proportion suivante :
100 : 4,52 :: 567,55 : x = 161,62 d’acide carbonique à l’heure.
Or, au niveau de la mer, 1\85 d’acide carbonique renferme Ie de carbone, ce
qui nous donne 9e, très-approximativement brûlé en une heure
Ce chiffre est encore fort différent des 12g,50 du premier tra-
vail. Et cependant comment est-il obtenu? D’abord en portant de
6 litres à 6V125 la quantité d’air expiré; puis en déclarant que,
dans les calculs, l’air a été ramené à 0° et à 76e; mais Coindet ou-
blie qu’il a dit autrefois absolument le contraire :
j’ai prouvé que le volume 5,90 pour 100 d’air à 14° et à 58e que me donnait le
poids (n’oublions pas que maintenant c’est le volume) 4,51 d’air aussi à 14° et à
58e....
Dans un autre passage, il n’est pas moins explicite :
La quantité d’air expiré à la minute admise par M. Dumas étant de 5‘,3 au ni-
veau des mers, nous avons à Mexico.... 6 litres environ. Ceci devait être, car
l’air des altitudes renfermant sous un volume donné moins d’oxygène, il était
nécessaire d’absorber une plus grande quantité de cet air pour compenser la
différence.
Ce n’est donc pas/ dans notre opinion, 9 grammes, mais bien
6g,40 de carbone brûlé en une heure, que donnent les chiffres
mêmes de Coindet. Mais enfin, même avec 9 grammes, il faut pour-
tant bien reconnaître qu’on est fort au-dessous du nombre moyen
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
291
12g,2 trouvé par Andral et Gavarret. Coindet ne peut le dissimuler,
mais il n’en paraît pas le moins du monde ébranlé :
Notre moyenne 9*, dit-il imperturbablement, inférieure à celle trouvée par les
auteurs, ne fait pas, par les motifs cités plus haut , que nous considérions les com-
bustions respiratoires carbonées, comme sensiblement moindres sur les hauts
plateaux qu’elles ne le sont à des niveaux plus bas.
Quels sont donc ces motifs? C’est, voyons-nous, que
Nos créoles étaient des élèves de l’École des mines, à la veille de leurs examens
de fin d’année, assis et absorbés toute la journée par l’étude, circonstances dans
lesquelles l’air expiré est peu altéré ;
C’est que
Les Indiens recevaient une alimentation insuffisante et qu’ils faisaient un
usage habituel des alcooliques ;
C’est que
Il y avait des pertes par les narines !
Je pense qu’il serait oiseux d’insister davantage. Je ne puis que
répéter ce que je disais plus haut : il ne reste rien, absolument rien,
au point de vue chimique, du travail de Coindet ; et comme les ex-
périences dont nous venons de montrer le peu de solidité sont la
base de toute son argumentation physiologique, on voit que celle-ci
ne supporte pas l’examen.
Je n’aurais certes pas si longuement parlé d’un travail autour du-
quel on a fait beaucoup trop de bruit, s’il n’était encore cité comme
une autorité par des personnes qui ont préféré s’en rapporter à des
conclusions tranchantes, plutôt que de se livrer à l’analyse pénible
à travers les méandres de laquelle nous avons conduit nos lecteurs.
Ceux-ci auront pu voir que si les assertions à priori et les affirma-
tions des conclusions sont claires, tout est obscurité, confusion ou
erreur dans les expériences elles-mêmes et dans les calculs auxquels
elles servent de base.
M. Gavarret 1 ne s’en est pas tenu à la théorie que nous avons
rapportée plus haut, et qu’il avait donnée comme une sorte de con-
sultation à M. Leroy de Méricourt. En rédigeant l’article Atmo-
sphère, du Dictionnaire encyclopédique , il a été conduit à examiner
les effets de la diminution de pression , indépendamment des sur-
croîts de fatigue, d’efforts, de production d’acide carbonique, qu’im-
1 Article Atmosphère. — Dictionn. encyclopédique des Sciences médicales. — Paris,
1867; p. 111-164.
292
HISTORIQUE.
posent les ascensions de montagne. Arrivant à l’étude des causes,
il commence par combattre , en physicien expérimenté, l’opinion
que le poids moindre supporté par le corps puisse avoir une in-
iluence quelconque; il invoque justement contre cette erreur le
principe de l’incompressibilité des liquides et, par suite, du corps.
Mais, fixant son attention sur ce point, il revient, chose bien cu-
rieuse, aux idées de Robert Boyle :
La perturba lion dont s’accompagne l’abaissement de la colonne barométrique
est en réalité un effet des pressions de dedans en dehors exercées par les vapeurs
et les gaz emprisonnés dans l’économie.... Nous devons fixer notre attention sur
les gaz du sang qui, sous l’influence d’un abaissement considérable et très-rapide
de la colonne barométrique , peuvent déterminer des accidents graves. Le sang,
en effet, renferme à l’état de simple dissolution de l’oxygène, de l’azote, de l’acide car-
bonique. Au moment où la pression extérieure diminue, ces gaz tendent à se dé-
gager du liquide sanguin, refoulent les parois des vaisseaux de dedans en dehors
et distendent les capillaires pulmonaires et généraux dont les parois minces et
peu résistantes, peuvent se rompre. Tel est Je mécanisme de production d’hé-
morrhagies tantôt légères et passagères comme leur cause déterminante quand
elles apparaissent sur les surfaces extérieures , tantôt graves et même mortelles
quand elles ont pour siège la profondeur de quelque viscère important. (P. 153.)
Mais M. Gavarret se hâte d’apporter à ceci une juste restriction :
Des accidents de cette nature peuvent sans doute se produire chez les indivi-
dus qui sont très-rapidement transportés à de grandes altitudes ; mais il n’en est
pas de même des voyageurs qui, graduellement , s’élèvent des bords de la mer
jusque sur les plus hauts plateaux du globe. Chez ces derniers, les lois physiques
des gaz et de leur solubilité.... rétablissent l’harmonie.... (P. 154.)
En d’autres termes, l’explication donnée par le savant professeur
ne peut, selon lui, s’appliquer qu’aux expériences de laboratoire
exécutées sur des animaux; les ascensionnistes, les aéronautes
eux-mêmes n’en sauraient être justiciables.
L’argumentation dirigée par M. Gavarret contre le rôle que tant
d’auteurs avaient fait jouer à la diminution du poids supporté par
le corps, semblait avoir fait justice de cette erreur; les expériences
importantes de Rudolph von Vivenot1 ont semblé au contraire lui
redonner une autorité nouvelle. En effet, le médecin viennois établit
avec la plus grande netteté que, dans l’air raréfié, l’amplitude des
inspirations, la capacité respiratoire, diminuent considérablement.
Ces expériences furent faites à l’établissement de Johannis-
berg, dans les appareils établis par le Dr Lange ; les unes ont eu
2 De l'Influence de la compression et de la raréfaction de l'air sur les actes mécaniques
de la respiration. Traduction de Thierry- Mieg. — Gaz. méd. de Paris, T8G8.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
293
pour but l’étude de l’air comprimé, nous nous 'en occuperons plus
tard; les autres, celles dont nous parlerons ici étaient relatives à
l’air raréfié.
En tenant compte de l’altitude de Johannisberg, où la hauteur
moyenne du baromètre est de 742mm, on voit que, la dépression ob-
tenue dans l’appareil étant 51 8mm, la pression réelle ôtait 434mm, ce
qui correspond à une hauteur de 4470m au-dessus du niveau de la
mer.
Dans ces conditions, comme je le rappelais il y a un moment,
l’amplitude des respirations a beaucoup diminué :
Les Drs Lange et Mittermaier, dont la capacité pulmonaire avait été peu avant sous
la pression normale de 3942cc et de 4237cc ne pouvaient qu’avec les plus grands
efforts expirer 3448 et 5845cc d’air qui était reçu dans les récipients du spiro-
mètre. Leur capacité respiratoire était donc diminuée respectivement de 494 et
de 594cc. En moyenne, nous pouvons déduire des chiffres ci-dessus, comme ca-
pacité respiratoire moyenne normale 4090°% comme respiration sous l’air raréfié
3646cc, par conséquent comme diminution moyenne de la capacité pulmonaire
444ec, à quoi il faut ajouter que ces 5646co d’air raréfié ne représentent que 2084e'
d’air normal. (P. 7 du tirage à part.)
La fréquence des respirations a, en sens inverse, notablement
augmenté :
Le nombre des inspirations a monté chez moi de 14-15 à 18 ; chez M. de G...,
de 17 à 21, une autre fois de 17-18 à 19; chez le Dr Lange de 15 à 21 ; chez le
Dr Mittermaier de 7, 5 à 9, 5 par minute. Quant à la durée consécutive de cet
effet, elle n’a pu être constatée , les expériences dans l’air raréfié n’ayant pas été
faites avec suite. (P. 11.)
Quant à la profondeur et au rhythme de la respiration dans Y air raréfié, on y
remarque une augmentation dans la profondeur des inspirations. Ceci est donc le
premier cas où l’effet de l’air raréfié semble concorder avec celui de l’air com-
primé, bien que les causes soient opposées. Tandis que dans l’air comprimé il y
a spontanément, comme effet mécanique de l’augmentation de pression, une
inspiration plus profonde; c’est au contraire le besoin d’avoir de l’air qui, ne
pouvant être satisfait dans l’air raréfié par des inspirations normales, y produit
nécessairement des inspirations profondes et forcées. On y éprouve en même
temps un sentiment de malaise, d’oppression, pendant lequel c’est surtout l’inspi-
ration qui est rendue difficile, parce que, même dans l’air atmosphérique, elle
exige plus de force que l’expiration, tandis que celle-ci, dans l’air raréfié, se fait
plus facilement et plus vite. (P. 16.)
Vivenot a fait également des observations sur les pulsations. Leur nombre a passé
de 78 à 80 chez le Dr M., de 75 à 82 chez le Dr L., de 61 à 76 chez M. de G., de
80 à 105 chez Yivenot lui-même.
Un vétérinaire du corps royal du génie anglais, Flemeing1, publia
1 De l’Influence de la pression atmosph . et de l'altitude sur la santé et les maladies
de l homme et des animaux . Trad. par Ringuet. — Périgueux, 1869.
294
HISTORIQUE.
en 1867, un travail où se trouvent relatées un assez grand nombre
d’observations de voyageurs, et en tête duquel il exprime son opi-
nion théorique sur l’action de la décompression :
Si la pression est réduite artificiellement , comme lorsqu’on gravit une mon-
tagne ou que l’on s’élève en ballon, on constate les mêmes phénomènes que chez
les poissons arrachés de l’eau .
Le corps se gonfle, les fluides intérieurs distendent les tissus en dehors, exer-
cent sur eux une pression énergique, font éclater les vaisseaux et souvent des hé-
morrhagies se produisent.
Un air raréfié contient, sous un volume donné, moins d’oxygène, de telle sorte
que la respiration, se faisant incomplètement, s’accélère pour suppléer cà cette
imperfection; les inspirations sont proportionnellement plus nombreuses; le
cœur se contracte avec force et plus fréquemment, le sang circule avec difficulté,
les poumons s’engorgent, les vaisseaux sanguins se distendent et des anévrys-
mes se forment. (P. 9.)
En résumé, suivant Flemeing, l’influence de l’altitude peut se
produire de plusieurs manières :
1° Par la diminution de la pression atmosphérique : les muscles et les articu-
lations tendent à se relâcher, le sang s’arrête ou transsude à travers les parois
des vaisseaux, surtout de la muqueuse aérienne, du poumon, des enveloppes du
cerveau.
2° Par l’évaporation cutanée et pulmonaire
3° La fréquence de la circulation et de la respiration est contrebalancée, ou
mieux déterminée par les petites quantités d’oxygène que l’air inspiré contient.
4° La température abaissée
5° Les rayons solaires plus énergiques.... qui provoquent l’irritation des yeux,
du cerveau, de la moelle épinière. (P. 12.)
M. Bouchard, dans sa remarquable thèse sur la 'pathogénie des
hémorrhagies \ est amené à s’expliquer sur la cause de ces acci-
dents, signalés à la fois chez les personnes soumises à une forte
diminution de pression, et chez les ouvriers qui se décompriment
au sortir des piles de pont. Pour lui, comme nous le verrons en
temps utile, les hémorrhagies sont dues pour partie au dégagement
dans les vaisseaux de l’acide carbonique du sang, qui s’y est em-
magasiné en proportion exagérée pendant la compression.
La décompression par ascension produirait le meme effet; et si
les hémorrhagies ont été signalées surtout chez les voyageurs en
montagne, la théorie qu’il propose peut expliquer la différence de
ces effets :
L’homme qui se laisse emporter par un aérostat, ne fait guère que le travail
1 Thèses du Concours d' agrégation — Paris, 1809.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
295
nécessaire aux mouvements respiratoires. Celui qui gravit une montagne élevée
fait, au contraire, une dépense musculaire considérable et doit surcharger son
sang d’acide carbonique. N’est-ce pas d’ailleurs à cette accumulation d’acide
carbonique dans le sang que quelques auteurs attribuent cet état vertigineux sin-
gulier qu’on appelle le mal des montagnes? (P. 102.)
Les erreurs ont la vie dure. Il est curieux d’avoir à constater que
malgré la péremptoire r éponse faite par M. Jourdanet à la théorie
des Weber, celle-ci a continué d’être professée presque universelle-
ment. M. Béclard1, dans la dernière édition d’un livre qui doit être
entre les mains de tous les étudiants, dit en effet :
Lorsque l’homme s’élève dans l’air, en gravissant à pied de très-hautes mon-
tagnes, il éprouve, à mesure que la raréfaction de l’air augmente, un sentiment
tout particulier. Il lui semble que ses membres sont plus lourds ; les membres
inférieurs, en particulier, deviennent bientôt le siège d’une fatigue qui invite au
repos. À peine s’est-il arrêté un instant, que cette fatigue disparait pour reparaî-
tre au bout de peu de temps ; et ainsi de suite. Yoici, en effet, ce qui arrive: la
pression atmosphérique n’est plus suffisante, à elle seule, pour maintenir appli-
quée la tête du fémur contre la cavité cotyloïde, et faire ainsi équilibre au poids
du membre inférieur, l’action musculaire intervient pour maintenir le mem-
bre dans ses rapports articulaires. Cette action musculaire inusitée est prompte-
ment suivie du besoin de repos des muscles
Cette influence se fait sentir, même pour des différences de pression peu con-
sidérables de la colonne barométrique. Dans les abaissements du baromètre, les
muscles ayant à mouvoir des organes plus pesants, on dit alors que le temps est
lourd, quoique en réalité la pression exercée sur la surface du corps par la colonne
atmosphérique soit moindre. De même, lorsque le baromètre monte, les mouve-
ments s’exécutent avec une plus grande facilité. (P. 697).
Quant aux accidents de la décompression autres que la lourdeur
des membres, M. Béclard ne leur attribue aucune importance quand
les transitions sont un peu ménagées :
A Potosi (4000m), à Déba (5000m)... les fonctions de nutrition, de respiration,
de circulation des habitants de la montagne s’accomplissent comme chez les habi-
tants de la plaine, et ils ne sont pas moins bien portants
L’homme et les animaux peuvent donc supporter des variations de pression
très-étendues, sans que les fonctions de la vie en souffrent. Il est vrai que la den-
sité de l’air étant diminuée, Pair introduit dans le poumon contient, à chaque
inspiration, moins d’oxygène sous le même volume que dans la plaine; mais les
mouvements de la respiration s’harmonisent avec ces conditions nouvelles. D’ail-
leurs la pression s’exerce encore dans tous les sens , l’air pénètre, dans toutes les
cavités ouvertes (voies digestives, voies respiratoires), les gaz du sang se mettent
en équilibre de tension avec l’air atmosphérique, et les conditions normales de
1 échange gazeux ne se trouvent pas changées dans les poumons.
Les variations de pression du milieu atmosphérique dans les ascensions sur les
montagnes, ou dans les ascensions aérostatiques, ne sont généralement pas de na-
1 Traité élémentaire de physiologie, liv. II, ch. i, §244, 6e édit.; Paris, 1870.
296 HISTORIQUE.
f
ture, non plus, à produire d’accidents fâcheux du côté des fonctions de nutrition.
Mais il en est autrement lorsque la décompression s’opère rapi-
dement comme il arrive dans les ascensions aérostatiques :
Il faut alors un certain temps pour que l’équilibre entre les gaz intérieurs et
les gaz extérieurs s’établisse. Lorsque l’ascension a été très-considérable, il se
manifeste quelquefois une certaine difficulté de respirer, des étouffements (par
dilatation des gaz intestinaux qui pressent sur les poumons, en refoulant en haut
le diaphragme) et des hémorrhagies locales sur les membranes muqueuses (pro-
bablement par distension brusque des gaz contenus dans les vaisseaux, et par rup-
ture des capillaires). (P. G96.)
A côté des idées des médecins théoriciens, il convient de placer
l’opinion exprimée par les ascensionnistes en montagne. Après les
théories et les discussions dont nous venons de rendre compte, ce
n’est pas sans quelque étonnement que nous voyons certains voya-
geurs nier presque l’influence de la décompression.
Ainsi, Iludson1 qui, dédaignant « la route battue et facile qui con-
duit d’ordinaire au mont Blanc, » fit l’ascension de la montagne
par une route nouvelle, en partant de Saint-Gcrvais, affirme que :
Si l’on a soin de ménager ses forces, on peut parcourir les plus hautes sommi-
tés sans éprouver d’incommodité grave. Plusieurs personnes se sont plaintes du
malaise éprouvé à ces grandes hauteurs, nausées, assoupissement, saignement
de nez, des yeux et des oreilles, et je ne doute pas que de tels accidents ne soient
possibles; mais ma longue habitude des courses de montagne m’a prouvé qu’ils
ne devaient être attribués qu’à la fatigue, à laquelle sans doute peuvent se join-
dre le froid et la rareté de l’air, ou plutôt les précautions inusitées qu’exigent
ces deux circonstances. En effet, nous nous trouvions là réunis cinq personnes,
et, uniquement grâce au soin de ne pas nous fatiguer, aucun de nous n’eut un in-
stant de malaise; il en avait été de même lors de mon ascension au mont Rose.
(P. 85.)
Le Dr Piachaud2, dont nous avons résumé précédemment les inté-
ressantes observations, faites pendant son ascension au mont Blanc
en 1864, n’attrihue aussi qu’à la fatigue les troubles de la circula-
tion et de la respiration; selon lui, la somnolence est due au froid,
la fatigue musculaire à la cause indiquée par Brachet, et la pesan-
teur des muscles inférieurs à celle qu’ont invoquée Weber et de
Humboldt.
Mais ces appréciations, peu originales, n’ont guère d’importance
à côté de la théorie toute nouvelle et fort ingénieuse qu’émit le
1 Une. Ascension au mont Blanc. — Bill, univ., 4° série, t. XXXI, p. 79-95, 1856.
2 Loc. cil. : Bibl. univ.; 1865.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
297
Dr Lortet1. Nous avons longuement rapporté (voy. p. 117) les ob-
servations faites avec toute la précision qu’exigent les recherches
physiologiques modernes par ce savant médecin, péndant son as-
cension du mont Blanc. Celle de ses constatations à laquelle il
attache le plus d’importance, c’est la diminution de la tempéra-
ture du corps pendant l’acte de l’ascension. Là se trouve, selon lui,
la cause véritable des malaises éprouvés, et pour l’expliquer elle*
même, M. Lortet s’appuie sur les notions élémentaires de la théorie
mécanique de la chaleur :
À l’état de repos et à jeun l’homme brûle les matériaux de son sang, et la cha-
leur développée est employée tout entière à maintenir sa température constante
au milieu des variations de l’atmosphère. — En plaine et par des efforts mécani-
ques modérés, l’intensité des combustions respiratoires, comme l’a montré
M. Gavarret, augmente proportionnellement à la dépense des forces. Il y a trans-
formation de la chaleur en force mécanique , mais à cause de la densité de l’air el
de la quantité d’oxvgène inspiré il y a assez de chaleur formée pour subvenir à
cette dépense.
Dans la montagne, surtout à de grandes altitudes et sur des pentes neigeuses
très-raides, où le travail mécanique de l’ascension est considérable, il faut une
quantité de chaleur énorme pour être transformée en force musculaire. Cette dé-
pense de force use plus de chaleur que V organisme ne peut en fournir, de là le re-
froidissement sensible du corps, et ces haltes fréquentes qu’il faut faire pour se
réchauffer. Quoique le corps soit brûlant, quoiqu’il soit souvent tout en transpi-
ration, il se refroidit en montant, parce qu’il use trop de chaleur et que la combus-
tion respiratoire ne peut en fournir une quantité suffisante à cause du peu de
densité de l’air ; cette raréfaction de l’air fait qu’à chaque inspiration il entre dans
les poumons moins d’oxygène à une grande hauteur que dans la plaine. (P. 35).
M. Lortet montre alors, par un calcul simple, que pour s’éle-
ver de 1000m, un homme pesant 75 kil. verrait la température de
son corps s’abaisser de 2°, 5, s’il ne fournissait aucune chaleur
réparatrice. Il tire de là cette conséquence que l’abaissement de 4
à 5Ü, qu’il a constaté en montant à 3800ra, est tout naturel et dans
les limites indiquées par sa théorie :
Prenons pour exemple un corps humain pesant 75 kilogrammes, et supposons
que pendant l’ascension, aucune combustion ne vienne rétablir la perte de cha-
leur subie; supposons encore que tout le travail mécanique soit utilement em-
ployé, c’est-à-dire qu’il n’y en ait aucune partie de perdue en glissades, en faux
pas, etc.
Lorsque le corps se sera élevé de 1000 mètres, la quantité de travail accom-
pli sera représentée par 75 x 1000 ou 75,000 kilogrammètres.
Gomme l’équivalent mécanique de la chaleur est de 425 kilogrammètres pour
1 Loc. cil. : Deux ascensions, etc.; 1869.
298 HISTORIQUE.
chaque unité de chaleur, pour avoir la quantité de chaleur absorbée pendant ce
75 000
travail d’ascension de 1 000 mètres nous aurons - — 176 unités de chaleur.
425
Si nous admettons que la chaleur spécifique du corps humain soit égale à celle de
l’eau, c’est-à-dire égale à 1, et si nous représentons cette chaleur spécifique
par C ; si nous nommons X l’abaissement de température du corps, nous aurons :
quantité de chaleur perdue par le corps = 75 (G -f- X) ou 176 = 75 x X, d’où
176
X = — , ou X = 2,5.
Donc l’abaissement de température du corps résultant de la chaleur absorbée
par un travail de 75,000 kilogrammètres, effectué dans une ascension de 1000
mètres, serait de 2°, 5 centigrades, en supposant qu’aucune combustion ne vînt
réparer, au moins en partie, cette perte de chaleur. Mais il est évident qu’en réa-
lité celte combustion existe et qu’une partie de la chaleur dépensée est reconsti-
tuée au fur et à mesure de son absorption. Mais nous avons vu, par l’étude que
nous avons faite des troubles respiratoires et circulatoires, combien cette com-
bustion est gênée à une certaine altitude, et combien elle est incomplète.
De plus il est évident aussi que toute la force dépensée est loin d’être utile à
cause des faux pas et de la mollesse des neiges. La quantité de chaleur usée doit
donc être énorme, le refroidissement considérable et difficilement combattu par
la combustion respiratoire.
On voit donc, ces divers éléments du problème étant bien pesés, que ce re-
froidissement de quatre degrés centigrades et quelques dixièmes, pour l’ascension
du mont Blanc, n’est nullement extraordinaire puisque ce chiffre donne un degré
centigrade et quelques dixièmes par mille mètres d’élévation, quantité très-
rapprochée de 2°, 5 centigrades que nous donne la théorie physique, lorsqu’on ne
tient pas compte des combustions respiratoires. (P. 56)
Cependant quand on est en état de digestion, le refroidissement devient pres-
que nul, probablement à cause de l’accélération de la circulation soit générale,
soit capillaire, et peut-être aussi à cause d’une absorption extrêmement rapide
des matières alimentaires. C’est ce qui explique l’habitude pratique qu’ont les gui-
des de faire manger toutes les deux heures environ. Malheureusement à partir de
4500 mètres, l’inappétence devient telle qu’il est presque impossible d’avaler
quelques bouchés de nourriture. (P. 57).
À celte cause dominatrice s’en adjoignent d’autres sur lesquelles
insiste M. Lortet. D’abord :
La rapidité de la circulation est encore une cause de refroidissement, le sang
n’ayant pas le temps de s’oxygéner convenablement dans les vésicules pulmonai-
res. (P. 54).
En outre, comme l’a montré M. Gavarret :
La création de la force mécanique correspondant au travail utile, accompli pen-
dant l’ascension nécessite la production de 65 litres d’acide carbonique en sus de
22 litres de ce gaz que l’homme forme, par heure, dans ses capillaires pour main-
tenir sa température. Les conséquences de la production d'une aussi grande quan-
tité d’acide carbonique dans l’économie se présentent d’elles-mêmes.
A une grande hauteur, les mouvements respiratoires et circulatoires s’accélèrent
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
299
non-seulement pour rendre possible l’absorption d’une quantité convenable d’oxy-
gène, mais aussi pour débarrasser le sang de l’acide carbonique qu’il tient en dis-
solution. Mais cette exhalation gazeuse, bien que très-activée, n’est plus suffisante
pour maintenir la composition normale du sang qui reste sursaturé d’acide car-
bonique; de là, la céphalalgie occipitale, les nausées, une somnolence irrésistible
et un refroidissement encore plus considérable dont souffrent ordinairement
voyageurs et guides à partir de 4000 à 4500m d’altitude. (P. 35.)
Et il conclut en disant :
Les malaises connus sous le nom de mal des montagnes sont dus surtout au
refroidissement considérable du corps, et peut-être aussi à une viciation du sang
par l’acide carbonique. (P. 37.)
M. Lortet était accompagné dans son ascension par un médecin
anglais, le Dr W. Marcet1, qui fit les mêmes expériences, et en rendit
compte dans un travail spécial.
Les observations étaient faites avec un thermomètre placé dans
la bouche, sans arrêter le mouvement d’ascension, parce que :
Le ralentissement de la marche ascendante, quelque courte que fût sa durée,
suffisait cependant pour permettre au corps de reproduire momentanément de
la chaleur en remplacement de celle qui avait été dépensée pendant l’acte de
l’ascension.
Les résultats auxquels dit être arrivé M. W. Marcet sont iden-
tiques avec ceux de M. Lortet :
1° La température du corps humain à l’état de repos ne paraît pas être habi-
tuellement moins élevée à de grandes hauteurs qu'elle ne l’est au bord de la mer.
2° La température du corps tend invariablement à baisser' pendant l’acte de
l’ascension. Le degré de cet abaissement dépend presque exclusivement de l’épo-
que à laquelle a eu lieu le dernier repas. Ce refroidissement est dû aux mouve-
ments musculaires et non point à l’effet d’un air raréfié.... Une ascension ra-
pide de 328“ seulement a suffi pour amener un refroidissement de 1°,4.
3° Le malaise général, et en particulier le mal de cœur, dont on souffre sou-
vent à de grandes élévations, est accompagné d’un abaissement remarquable de
la température du corps. Il provient de ce que le corps est devenu incapable,
par suite des circonstances physiologiques dans lesquelles il se trouve, de re-
produire la chaleur qu’il a dépensée pendant l’acte de l’ascension.
Ainsi, suivant M. Lortet et M. Marcet, qui s’exprime même plus
nettement encore que son compagnon de voyage, il y a un refroi-
dissement considérable du corps, et ce refroidissement est dû
« non à un effet de l’air raréfié, » mais au mouvement musculaire,
à la transformation de la chaleur au travail.
1 Observations sur la température du corps humain tf différentes altitudes à l’état du
repos et pendant l'acte de l’ascension. — Bibl. unie, de Genève , Arch. des Sc. phys. et
nat ,, 5e série, t. XXXVI, p. 247-289, 1869.
300
HISTORIQUE.
Mais ccs physiologistes trouvèrent dans M. Forel un adversaire
digne d’eux.
L’excellent travail du professeur de Lausanne se divise en
trois parties publiées l’une en 1871, les deux dernières en 1874.
Il a été entrepris d’abord comme une critique des mémoires
de MM. Marcet et Lortet. M. Forel 1 commence par de très-justes
critiques sur l’emploi du thermomètre buccal, comme indicateur
de la température réelle du corps. Je transcris ici ses observa-
tions dont j’ai pu, en bien des circonstances, reconnaître toute
l’exactitude :
Il est d’abord fort difficile de tenir les lèvres hermétiquement fermées pen-
dant un temps suffisant, et ce n’est qu’après un nombre assez grand d’essais et
d’expériences que j’ai pu arriver à une habitude assez complète pour être assuré
de ne pas laisser entrer une seule bulle d’air pendant l’expérimentation. Ce qui
est déjà difficile à l’état de repos devient intolérable en marche ascendante, alors
que la respiration devient haletante, alors que nous n’avons pas assez de toutes
les ouvertures pour introduire dans nos poumons une masse suffisante d’air,
alors surtout que la raréfaction de l’air exige impérieusement, pour fournir à
l’organisme assez d’oxygène, un volume plus considérable que celui dont nous
avons besoin en plaine ; c’est alors un véritable supplice que de fermer, dix mi-
nutes durant, la bouche que nous voudrions pouvoir agrandir, et l’expérimenta-
tion devient atrocement pénible.
Une autre difficulté est de maintenir exactement le thermomètre sous la lan-
gue, et autant que possible toujours à la même place. La langue est fort souple
et assez docile ; elle sait au besoin entourer la boule du thermomètre assez étroi-
tement pour ne point permettre de contact avec l’air de la bouche ; mais la chose
est fort difficile, ainsi que l’on peut s’en convaincre devant un miroir, et ce qui
est difficile au repos devient presque impraticable dans les conditions pénibles
de l’expérimentation.
Or, si une portion quelconque de la surface du réservoir est au contact de l’air
de la bouche, les résultats sont grandement modifiés. En elfet, la cavité buccale
n’est point fermée par derrière, l’orifice palatin permet un mélange constant de
l’air contenu dans la bouche et de l’air qui circule avec une impétuosité violente
dans le canal pharyngien ; alors même qu’il n’y a pas de courant d’air dans la
cavité buccale proprement dite, ce mélange se fait nécessairement, et cela dans
des proportions d’autant plus grandes que le courant d’air pharyngien est plus
violent et que les différences de température et d’humidité entre l’air pharyn-
gien et l’air buccal sont plus considérables. Dans nos conditions d’expérimenta-
tion sur de hautes montagnes , nous sommes aussi défavorablement placés que
possible à ce point de vue. La respiration est haletante, dans un air très-sec et
très-froid. Le mélange d’air doit nécessairement augmenter d’importance avec
l’altitude et avec les mouvements musculaires qui accélèrent la respiration.
L’air froid introduit dans la bouche pourrait peut-être se réchauffer assez vite
pour n’être pas la cause de modifications très-considérables de température; mais,
1 Expériences sur la température du corps humain dans l'acte de V ascension des mon-
tagnes. — Extrait du Bulletin de la Société médicale de la Suisse Romande , lre série,
Genève et Râle, 1871 ; 2e et 5e séries, 1874.
301
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
comme cet air est très-sec, il y a évaporation d’une certaine quantité de salive,
d’où refroidissement et abaissement du thermomètre. (P. 12.)
En outre de cette critique tout à fait générale, M. Foret trouve,
avec raison, étrange, inexplicable, si l’on n’admet une erreur con-
sidérable dans l’observation, une des assertions de MM. Lortet et
Mar cet :
L’un et l’autre disent, en effet, avoir dû observer la température en marche,
pendant l’acte même de l’ascension, car aussitôt qu’ils s’arrêtaient, qu’ils ralen-
tissaient seulement la rapidité de la marche, le thermomètre, relativement très-
bas pendant l’ascension, se relevait presque subitement pour prendre la tempé-
rature normale du corps
Or, le corps humain ne peut pas se réchauffer ainsi instantanément. Étant
donnée la température à 55°, il faudra, s’il pèse 60 kilogr., 60 calories produites
pour qu’elle s’élève à 56°.... Helmholtz estime à 1,5 calories par minute la pro-
duction de chaleur d’un homme de 60kil ; il faudrait donc, pour produire les
60 calories 40 minutes.... ce qui est bien loin de l’instantanéité décrite par Lor-
tet et Marcet. (P. 15.)
La première partie du travail de M. Forel se termine par des con-
clusions dont j’extrais les deux suivantes, comme étant les plus im-
portantes :
1° L’acte de l’ascension amène normalement une élévation de la température
du corps de quelques dixièmes de degré;
Je réserve mon opinion au sujet de l’effet sur la calorification du corps de l’as-
cension dans l’état connu sous le nom de mal des montagnes. (P. 23.) 1
Ces conclusions se retrouvent encore à la fin de la 2e partie, dans
laquelle les médecins et les physiologistes liront avec le plus grand
intérêt des expériences de critique expérimentale fort précise sur la
détermination de la température en divers points du corps (main,
aisselle, aine, bouche, conduit auditif, urine, rectum).
La 3e partie est postérieure à la publication dans les Annales des
sciences naturelles de mon Mémoire, dont M. Forci adopte les ré-
sultats. J’y trouve une anecdote, fort intéressante au point de
vue de la théorie que j’ai formulée et dont le présent travail démon-
trera, je l’espère, l’exactitude aux plus difficiles à convaincre: je la
rapporterai dans la troisième partie de cet ouvrage.
Enfin, M. Forel termine par un récit détaillé d’une ascension au
mont Rose dans laquelle il a ressenti, bien qu’à un faible degré, le
mal des montagnes. Il fait à cette occasion cette remarque, — qui
explique à la fois certaines exagérations et certains scepticismes —
1 Dans ses ascensions M. Forel n’avait pas encore dépassé la Cima di Jazzi (5818m).
302
HISTORIQUE.
c’est à savoir que l’attention portée à l’observation des symptômes
qu’on éprouve, fait disparaître la dépression morale et diminuer la
fatigue. Il en est de l’intérêt scientifique comme du danger ; per-
sonne ne souffre du mal des montagnes dans les passages périlleux.
Dans cette ascension, M. Forel a vu sa température s’élever tou-
jours par la marche, même au-dessus de 4000m ; il s’en étonne lui-
même, eu égard à l’état anoxyhémique très-prononcé dans lequel
il devait se trouver. Mais, comme il n’a pas été sérieusement
éprouvé, il se contente d’énoncer le fait et, fidèle à sa méthode pru-
dente, il réserve encore le cas de l’ascension pendant un état avéré
de mal des montagnes.
Ces conclusions furent corroborées par les recherches d’un phy-
siologiste anglais qui s’était beaucoup occupé de recherches sur les
variations de la température du corps en santé et en maladie.
Clifford-Allbutt1 fit une série d’ascensions, dont l’une au mont
Blanc, par un fort mauvais temps, pour étudier les effets de la mar-
che et de l’ascension sur la température du corps. Celle-ci était me-
surée sous la langue, pendant la marche même, le thermomètre à
maxima restant en place 15 ou 20 minutes.
Il tire de ses observations la conclusion que l’exercice musculaire
tend à élever la température.
Je cite un de ses tableaux, le plus intéressant, puisqu’il a rapport
au trajet des Grands-Mulets au mont Blanc :
18 août 1870,
1 h 50 matin. Aux Grands -Mulets. Avant de me lever. .
5 h 50 — Ascension commencée à 5h
5 h » — Au Grand-Plateau (temps affreux). . . .
7 h 50 — J’ai commencé à descendre à 7h
8 h 50 — Arrivant aux Grands - Mulets
9 h 15 — A l’hôtel, à Chamounix, me mettant au lit. .
97°, 5 F.
97°, 7
98°, 0
98°, 5
98°, 5
97°, 6
Je dois cependant noter que, la veille, tout à coup, en arrivant aux
Grands-Mulets, la température s’est abaissée à 95,5, pour se relever
à 98,5 après 10 minutes de repos. Le 20, à Chamounix, dans son
lit, Allbutt trouva 95,4.
Un autre physiologiste anglais, C. Handfield Jones2, attribua
même à l’épuisement par la fatigue, les tracés sphygmographiques
de M. Lortet.
1 The effeet of exercise on the boclily température. — Journal of Anat. and Phy-
siol., 2e série, vol. VII, p. 106-119, novembre 1872.
2 Observations on the Effects of Exercise on the Temperatur and Circulation.
Proceed. of the Roy. Soc., XXI, p. 574, 1872-75.
THÉORIES ET, EXPÉRIENCES.
303
Les discussions entre MM. Lortet et Foret ont attiré de nouveau,
surtout en Suisse, l’attention des médecins et des physiologistes sur
le mal des montages. C’est ainsi que nous voyons M. Dufour1 émettre
à son tour, sur ce difficile sujet, une théorie des plus remarquables
et qui indique une connaissance profonde des progrès récents de la
science.
Dans la séance du 27 janvier de la section Diablerets du club
alpin Suisse, il a exprimé l’idée
Que l’élat maladif assez peu déterminé que l’on appelle mal de montagne pro-
vient de l’absence dans le sang des éléments ternaires qui servent à la combus-
tion. (P. 72.)
M. Dufour est particuliérement frappé du contraste que présen-
tent les voyageurs et les aéronautes, ceux-ci étant bien portants à
des hauteurs où les autres ne peuvent atteindre sans de graves ma-
laises :
Si la raréfaction simple de l’air eût été nuisible à la santé, combien plus Glais-
her et Coxwell auraient-ils dû en éprouver les inconvénients, eux qui, en 25 mi-
nutes, s’élevèrent du niveau de la mer ou à peu près, jusqu’au niveau du sommet
du mont Blanc ?
En outre, lorsque les aéronautes éprouvent enfin les symptômes pathologiques ,
ces symptômes ne ressemblent point à ceux du mal de montagne. M. Glaisher
donne une description qui rappelle une paralysie de sensibilité et de mouvement
s’étendant régulièrement des extrémités au centre. Cette paralysie est-elle pro-
duite par un arrêt ou un ralentissement de la circulation, ou bien est-ce un effet
direct sur l’innervation? Nous ne saurions le dire. Le fait que M. Coxwell a eu
un instant les mains bleues semble appuyer la première hypothèse, tandis que le
fait que M. Glaisher a perdu l’usage de la rétine, tandis que les fonctions psychi-
ques étaient encore intactes, appuierait plutôt la seconde.
En tous cas, et c’est le point important pour nous, les symptômes pathologi-
ques arrivent fort tard, et quand ils arrivent , ce ne sont pas ceux du mal de
montagne.
Nous sommes donc amenés à considérer le travail musculaire comme étant le
facteur principal dans la production du mal de montagne, et si la raréfaction de
l’air y contribue un peu , c’est par l’intermédiaire de la combustion que le tra-
vail exige. (R. 76.)
M. Dufour pense que l’inanition produite par le travail est la
principale cause du mal des montagnes. Il raconte en avoir éprouvé
dans la plaine les symptômes après de grands efforts musculaires :
M. Dufour a éprouvé plusieurs symptômes du mal de montagne, y compris la
nausée, en remontant du fond des mines de Freiberg dans un puits et par des
1 Sur le Mal des montagnes. — Bullct. de la Soc. méd. de la Suisse Romande ,
1874; p. 72-79.
HISTORIQUE.
30 i
échelles verticales.il avait cheminé dans la mine pendant trois heures environ,
n’avait rien mangé et le malaise le prit en remontant, à 50 ou 60 mètres au-des-
sous de la surface du sol. Il fallait deux ou trois repos pour franchir celte courte
distance verticale.
Il lui arriva également cjue dans une ascension au Pilate, après une marche
trop rapide depuis Hergisvvyl, il fut pris d’une prostration excessive, battements
dans le cou, céphalalgie et dyspnée. A ce moment, cherchant machinalement
dans la poche de son habit, il y trouva un morceau de pain qu’il porta à sa bou-
che. Après avoir passé cinq minutes à avoir la salive nécessaire pour mouiller
son pain, il l’avala. Quelques minutes après, les symptômes du malaise disparurent
comme par enchantement, et il fut possible de monter très-aisément les 100 ou
200 mètres qui restaient à gravir. (P. 76.)
Alors, se basant sur les données récentes de la physiologie, il
considère que le travail de l’ascension use la réserve de malériaux
ternaires contenus dans le sang et les tissus, d’où résulte l’épuise-
ment musculaire.
Je veux citer intégralement ce passage remarquable :
Il est probable que pendant les premières heures de l’ascension, le travail
musculaire brûle les substances non azotées immédiatement disponibles soit dans
la substance musculaire, soit dans le sang.
Quelle est la restitution qui doit compenser l’effet d’une dépense si grande ?
Elle ne peut avoir lieu que de deux manières : ou les vaisseaux chylifères amènent
dans le torrent circulatoire des éléments nouveaux élaborés par la digestion, ou bien
l’organisme résorbe et entraîne à nouveau dans la circulation les éléments du
pannicule graisseux. Ce dernier point est tellement sûr, que travailler beaucoup
et manger peu est un moyen parfaitement connu de tout le monde pour se faire
maigrir. La première de ces restitutions peut se faire assez rapidement; la seconde,
si nous en jugeons par les phénomènes de résorption auxquels nous assistons
souvent, ne peut se faire que beaucoup plus lentement.
11 est probable que la résorption du tissu graisseux pour être employé, comme
combustible, dans le travail ascensionnel, est un phénomène trop lent pour suffire
à compenser au fur et à mesure la dépense occasionnée par le travail de quelqu’un
qui monte sans s’arrêter.
11 doit donc arriver un moment où le grimpeur, ne mangeant pas, le combusti-
ble disponible va en diminuant et ne peut être réparé qu’en partie par la résorp-
tion. Cet effet se produira le plus facilement, lorsqu’après un travail de quelques
heures le grimpeur attaque une pente raide qu’il veut gravir trop vite, de sorte
quil y a une disproportion plus grande encore entre le travail fourni et l’espace
de temps employé à le fournir. (P. 77.)
Il devient ainsi, selon M. Dufour, très-facile d’expliquer :
ci. L’importance du repos, parce que pendant le repos la dépense est nulle,
tandis que la réparation continue.
b. Le fait qu’après le repos, la quantité de travail facilement produite est sen-
siblement proportionnelle à la durée du repos ; pour la même raison que ci-des-
sus.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
305
c. Le fait que, pour celui qui a le mal de montagne, tout nouvel effort devient
pénible comme de se baisser, de travailler avec les bras. (Voir H.-B. de Saussure.)
d. Le fait que le mal de montagne semble atteindre davantage les sujets gras
que les sujets maigres, parce que les premiers livrent, à ascension égale, un bien
plus grand nombre de kilogrammètres de travail. Le fait qu’ils ont dans le pan—
nicule graisseux un dépôt de combustible est ici sans importance, car les gens
très-maigres ont toujours un pannicule suffisant pour fournir au travail ascen-
sionnel tel qu’il se présente en général.
f. Le fait, enfin, qu’un moyen d’éviter le mal de montagne est de manger
souvent, c’est-à-dire de fournir des matériaux non plus par voie de résorption,
mais par voie de digestion et absorption. (P. 78.)
Puis, il tire de sa théorie cette conséquence logique :
Nous sommes, en conséquence, amenés à chercher, pour éviter le malaise des
montagnes, un aliment combustible facile à digérer et à absorber.
M. Dufour pense que le sirop de sucre ou mieux le sirop de glycose remplirai
ces conditions. En effet, les graisses, qui sont le meilleur combustible, deman-
dent un certain temps de digestion et peuvent ne pas arriver à temps pour satis-
faire à un besoin immédiat; les fécules doivent être transformées en sucre, le
sirop de glycose serait donc l’aliment qui arriverait le plus facilement dans la cir-
culation. (P. 78.)
La discussion que souleva l’imporlante théorie présentée par
M. Dufour amena une communication fort intéressante de M. Ja-
velle1, président de la section Diablerets du Club Alpin suisse.
Les récits qu’elle contient montrent, comme nous l’avons déjà
fait remarquer, que les personnes atteintes du mal des montagnes ,
même à un assez haut degré, voient souvent disparaître immédiate-
ment leur malaise lorsque apparaissent des dangers ou que devient
nécessaire une forte contention d’esprit.
Ils prouvent en outre que ces malaises sont beaucoup plus fré-
quents qu’on ne se l’imagine d’ordinaire, et répondent suffisamment
à certains sceptiques qui n’ont pas craint de railler ce qu’ils appel-
lent les exagérations de M. de Saussure.
Notons que M. Javelle possède une longue expérience des hautes
cimes, et qu’il a fait près de 200 ascensions de 5 à 15000 pieds,
très-souvent en compagnie de 10 à 20 jeunes gens :
Le mal des montagnes se manifeste très-fréquemment dans la région moyenne
des Alpes, entre 5 et 100Ü0 pieds, c’est-à-dire à une hauteur où l’air suffit aux
besoins de la respiration et où l’on ne peut guère tenir compte, pour l’expliquer,
de l’intoxication par excès d’acide carbonique. A 14 ou 15 000 pieds, le malaise
1 Sur le Mal des montagnes. — Bull, de la Soc. méd. de la Suisse Romande. 1874,
p. 130-140.
20
506 HISTORIQUE.
qu’éprouvent même les plus robustes montagnards diffère par plusieurs carac-
tères .
Le mal de montagne affecte tout particulièrement les personnes qui ont peu
l’habitude de la montagne, et surtout celles qui mènent une vie sédentaire. Les
anémiques y échappent rarement. Les novices qui débutent par une forte course
ont grande chance de payer le tribut. (P. 136.)
Ce malaise se produit surtout sur la neige molle, le gazon, les pentes d’éboulis
où la marche est pénible, dans les vallons et sur les longues pentes, en général
parlout où la marche est à la fois fatigante et monotone.
Il se produit bien rarement durant la grimpée des rochers ou sur les arêtes,
très-rarement aussi dans les expéditions difficiles ou dangereuses.
Une conversation intéressante, ou simplement l’observation attentive du
paysage en préservent souvent.
M. Javelle a remarqué que les jeunes gens qui faisaient les courses sans intérêt
ni émulation et seulement pour suivre leurs camarades en étaient le plus souvent
atteints. (P. 15.)
Le rédacteur du Bulletin résume les discussions qui se sont éle-
vées sur l’étiologie du mal des montagnes dans le sein du club al-
pin Suisse par cette phrase curieuse :
Les principaux facteurs sont l’inanition, l’intensité et la rapidité du travail, et
les dispositions psychiques. On ne peut écarter complètement du cadre étiologique
la raréfaction de l’air et l'intoxication par l’acide carbonique. La question qui
présente un certain intérêt offre donc encore des inconnues à chercher. (P. 140).
Du reste, le passage suivant, emprunté au célèbre physicien et in-
trépide ascensionniste Tyndall donne également sur ce sujet
d’intéressants renseignements :
Il n’est pas bon de s'engager, sans avoir mangé, dans ces ascensions, et il n’est
pas bon de manger copieusement. Il faut manger un peu ici et un peu là, comme
le besoin s’en fait sentir. Mais, laissé à lui-même, l’estomac devient infailliblement
malade, et les forces du système s’épuisent rapidement. Si le malaise arrive à
amener le dégoût de la nourriture, les vomissements peuvent survenir et l’esto-
mac être vaincu. Un peu de nourriture suffit pour le remettre. Les guides les plus
forts et les porteurs les plus robustes en sont quelquefois réduits à cette extré-
mité. « Sie mussen sich zvvingen ». Les guides rapportent ces caprices de l’esto-
mac à la grande élévation de l’air. Ce peut être là une des causes , mais j’incline
à penser que quelque chose est dû également au mouvement, — l’action
continue des muscles sur le diaphragme. Les conditions dans lesquelles se
fait le voyage et celles qui l’ont précédé doivent aussi être prises en grande con-
sidération. On dort peu ou point ; le repas du matin est pris à une heure inac-
coutumée; et si le départ doit avoir lieu d’une caverne ou d’une cabane, au lieu
d’un lit d’hôtel, il y a là une aggravation sérieuse des conditions mauvaises. Ce ne
peut pas être la faible différence de hauteur du mont Blanc et du mont Rose qui
rend si différents les effets de leurs ascensions. C’est que , pour le premier, on a
pour faire son café la neige fondue des Grands-Mulets , et pour lit une planche
2 Tyndall, Ilours of Exercise in the Alps, 2e édit. — London, 1871.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
307
nue ; tandis que pour l’autre, on jouit de l’auberge, en comparaison bien confor-
table, du Riffel. Du lait et une croûte de pain sont tout ce dont j’ai besoin pour
soutenir mes forces et éviter le mal des montagnes .(P. 504.)
Ces remarques très-sages ont été faites par beaucoup de voya-
geurs, La fatigue plus ou moins grande qui a précédé l’ascension est
un élément dont l’importance est bien connue aujourd’hui. 11 en est
de même pour l’habitude de la marche et du séjour en montagne.
Les observations suivantes de M. Durier l, à ce propos, sont tout à fait
dignes d’approbation. Nous avons dit plus haut (p. 122) comment,
par une coïncidence singulière, M. Durier et ses compagnons, qui
ne souffrirent nullement de la décompression, montaient au mont
Blanc juste derrière MM. Lortet et Marcet, dont nous avons raconté
les malaises. M. Durier explique cette différence dans les termes
suivants :
En général, les physiologistes qui ont étudié sur eux-mêmes les impressions du
mal des montagnes s’arrachent aux travaux de leur laboratoire pour accourir à
Chamounix ; au premier jour favorable, ils tentent l’ascension. Eh bien ! je crois
qu’ils font leur expérience dans des conditions peu scientifiques. L’ascension du
mont Blanc est, après tout, fort pénible. Elle exige un exercice, un entraînement
préalable. Ces savants s’exposent à confondre les effets d’une fatigue inusitée, qui
prend leurs muscles sans préparation, avec ceux d’une atmosphère raréfiée.
(P. 63.)
C’est dans ces conditions que MM. Marcet de Genève et Lortet de Lyon ont effec-
tué leur ascension.... Nous, nous étions à la quatrième semaine d’un voyage, d’un
voyage à pied , pendant lequel , sans nous reposer un jour, nous avions franchi
quelques-uns des cols les plus élevés des Alpes. (P. 66.)
Enfin M. Russel Killough2, dont j’ai signalé les très-sagaces ré-
ponses aux sceptiques qui nient le mal des montagnes , est moins
heureux quand il s’agit d’explications théoriques. Il fait renaître,
sans la moindre preuve à l’appui, d’expérience ni de raisonnement,
l’hypothèse de l’action funeste de la neige :
Je suis prêt à accorder que la hauteur n’est pas exclusivement la cause de
ces souffrances. Je crois, et d’autres ont cru avant moi, que la neige est un
élément important de la question, parce qu’au moment où l’on touche la terre
ferme, on se trouve soulagé. Chacun de nous n’a-t-il pas remarqué que sur les
glaciers l’air a un goût métallique, analogue à l’eau de la fonte des neiges, qu’il
semble vicié, comme si la glace et la neige l’empoisonnaient de leurs émanations?
Pourquoi sous les tropiques, où l’on marche sur l’herbe à 18000 pieds, les nau-
sées et l’envie de dormir, cette espèce de somnambulisme, ne sont-ils ressentis
qu’à de bien plus grandes hauteurs qu’en Europe?
1 Histoire du mont Blanc. — Paris, 1873.
2 Loc. cit. : On mountains, etc., 1872.
08
HISTORIQUE.
En tout cas, quelle qu’en soit la cause , cette souffrance particulière est tout à
fait hors de doute, et Uhomme ne peut pas plus vivre à de certaines altitudes que
dans les profondeurs de l’Océan. (P. 244.)
Si des Alpes nous passons à l’Himalaya, nous voyons les voya-
geurs modernes nous donner, par leurs récits, ce témoignage que,
encore de nos jours, les malaises des grandes hauteurs sont attri-
bués, par les indigènes, à l’influence de plantes qui empoisonneraient
l’air au loin.
Ainsi mistress Hervey 1 y revient à plusieurs reprises :
Ces attaques extraordinaires, sur les passes d’une grande élévation, sont attri-
buées par les natifs à ce qu’ils appellent Bisclik-Ke-Hâwa (Bischk, poison ; Hàwa,
vent) ou vent empoisonné. Ils croient que le vent devient empoisonné parce qu’il
souffle sur certaines plantes du groupe des mousses, qui poussent abondamment
sur les hautes montagnes de Tartarie, et se rencontrent là où cesse la végétation.
Depuis le sommet du Bara Lâcha jusqu’à Yûnnumscûtchoo, j’en observai des mil-
liers. Elles ont de très-petites fleurs jaunes, et sont de différentes espèces. Une
explication plus scientifique de cette maladie particulière consiste à l’attribuer à
la grande rareté de l’air à ces hauteurs extrêmes. (T. I, p. 153.)
On voit même, en plusieurs endroits de son récit, et nous en
avons cité de fort curieux sous ce rapport, qu’elle n’est pas toujours
très-sûre de la supériorité de « l’explication plus scientifique ».
Henderson2 parle aussi des plantes ; seulement, il ne s’agit plus
d’une espèce de mousse, mais d’artémise :
Avant d’atteindre le camp , beaucoup de nos suivants se plaignaient de mal de
tète, et je trouvai plusieurs des pasteurs thibétains couchés le long de la route,
dans un état de prostration complète. Quand je leur demandais ce qu’ils avaient,
ls plaçaient une main devant leur front, et avec l’autre, arrachaient un morceau
d’une artémise à forte odeur, faisant signe que cette plante était cause de leurs
souffrances. Sur plusieurs des passes, cette artémise a une odeur extrêmement
puissante, et tous les bagages, les chevaux et les hommes venant d’Yarkand en
ont empestés. La viande de mouton même a cette odeur.
Drew3 ne se borne pas à signaler ce préjugé et à le réfuter pé-
remptoirement, il envisage théoriquement la question elle-même et
recherche non point pourquoi on est malade, ce qui lui paraît fort
simple, mais comment on peut résister à l’influence redoutable de
l’air dilaté :
Dans les vallées du Rupsku, l’eau bout à environ 187° F., ce qui corres-
ond à une hauteur barométrique de 17p.8 ; il résulte de là que la quantité d’air
1 Loc. cit. : The adventures, etc., 1853.
2 Loc. cit. : Lahore to Yarkand , etc., 1875.
3 î.oc. cit. : The Jumnoo , etc., 1875.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
309
— et d’oxygène — attirée dans nos poumons par une inspiration ordinaire est
seulement les 7/12 de ce qui y entre au niveau de la mer. Comment les Cham-
pas (tribus qui habitent les hautes plaines du Rupsku, au sud-est) arrivent-ils à
compenser cette perte? Je ne puis le dire avec précision ; je pense, d’abord, qu’il
y a une moindre usure des tissus dans leurs corps que dans ceux qui vivent dans
des régions plus basses et plus chaudes ; ils se donnent moins d’exercice muscu-
laire que les peuples des contrées environnantes ; il est vrai qu’ils sont bons mar-
cheurs, mais ils ne se soucient pas beaucoup de cette qualité et ne veulent pas
porter de fardeaux. Surveiller des troupeaux n’est pas une occupation qui amène
les muscles à agir puissamment. Mais cela ne peut pas tout expliquer ; il doit y
avoir quelque habitude compensatrice qui les rend capables d’absorber un large
volume de cet air raréfié; probablement, et sans en avoir conscience, ils respi-
rent plus profondément.
Chez nous, cette compensation d’oxygène tend à se faire par un moyen simple
et direct. La respiration devient plus rapide et plus ample ; il y a un effort pour
augmenter à la fois le nombre des inspirations et la capacité de chacune d’elles.
L’intensité de cet effet augmente chaque fois qu’on s’élève un peu lorsqu’on est
déjà au-dessus du niveau où la respiration ordinaire suffit. (P. 290.)
Les natifs attribuent communément ces effets fâcheux de l’air raréfié à des
plantes qui, dans leur opinion, ont le pouvoir d’empoisonner l’air. Quelques-unes
des herbes qui poussent sur les grandes hauteurs exhalent une odeur quand on
les froisse, et c’est à elles qu'on attribue les malaises. L'oignon, dont on abuse tant,
qui pousse sauvage à de grandes hauteurs, est souvent accusé. Mais une réponse
aisée à cette erreur, c’est que les effets sont les plus marqués sur les hauteurs où
ces plantes, et aussi toute végétation ont disparu. (P. 292.)
Ces idées sont bien autrement nettes et sûres que celles du capi-
taine Burton 1 sur l’origine du mal des montagnes :
Quelques-uns essayaient d’expliquer notre immunité pour le mal des monta-
gnes ou la puna sur le Grand-Pic, par l'existence d’un vent soufflant violemment
et constamment de l’est, qui apportait à nos poumons la quantité d’oxygène né-
cessaire à leur consommation. Je crois, cependant, que cette maladie doit être,
comme le mal de mer, un désordre du foie ou de l'estomac, souvent aggravé par
les stimulants et par un violent et soudain exercice. (T. II, p. 121.)
Le célèbre voyageur africain cite sérieusement à ce propos un
passage d’un ouvrage que je n’ai pu me procurer, qui contient, je
crois, l’une des idées les plus bouffonnes qui aient été émises en
cette difficile matière :
Selon le Dr J. llunt ( Acclimatisation of Man ) les Européens ne peuvent pas vivre
à une grande élévation longtemps dans l’hémisphère nord; les natifs du sud le
peuvent.... « Cette différence entre l’hémisphère nord et le sud est, dit-il, cau-
sée par la différence de l’attraction au pôle Nord. Dans l’hémisphère nord l’ascen-
sion d’une haute montagne cause un appel de sang à la tête ; dans le Sud, c’est
une attraction aux pieds : de là la cause des malaises éprouvés dans l’ascension
d'une montagne dans le premier hémisphère. »
1 Abeokuta. — London ; 2 vol., 1863.
310
HISTORIQUE.
Je terminerai cette longue série de citations en rapportant presque
au complet deux notes très-intéressantes, dues à la plume de méde-
cins fort distingués, et dans lesquelles sont étudiés les effets d’altitu-
des insuffisantes pour produire le mal des montagnes, mais suffisan-
tes pour amener des modifications physiologiques dont la thérapeu-
tique a pu tirer parti.
La première est de M. le Dr Jaccoud1, et est consacrée à l'étude, au
point de vue médical, de la station de Saint-Moritz, dans la haute
Engadine.
Les oscillations extrêmes du baromètre à rétablissement des bains
sont comprises entre 599 et 627mm. La hauteur du village de Saint-
Moritz est de 1855m au-dessus du niveau de la mer. Sur le vaste
plateau de l’Engadine, le climat se montre beaucoup plus clément
que sur les hauteurs correspondantes du reste de la Suisse :
Chez l’adulte en bonne santé, les premiers effets de l’altitude se révèlent par
une augmentation de l’appétit qui se fait sentir dès le premier jour, et qui mar-
che de pair avec un accroissement proportionnel de la puissance digestive et as-
similative
La suractivité parallèle des fonctions digestives et de l’échange nutritif est
démontrée, d’une part, par la facilité et la rapidité des digestions, malgré l’aug-
mentation des ingesta; d’autre part, par les changements de proportion entre
le tissu graisseux et le tissu musculaire. Le premier diminue notablement par
suite d’un séjour prolongé sur la haute Engadine , tandis que les muscles pren-
nent un développement prépondérant qui se traduit par l’accroissement des for-
ces et de la capacité motrice
L’abaissement de la pression atmosphérique détermine l’accélération des batte-
ments du cœur ; j’ai constaté sur moi une augmentation variant de douze à dix-
huit dans le nombre des pulsations radiales ; en outre , la circulation dans son
ensemble est notablement modifiée, en ce sens qu’il se fait à la périphérie un
puissant afflux sanguin ; les capillaires cutanés sont turgescents, et les téguments
prennent une couleur d’un rouge violet que l’on retrouve sur les muqueuses su-
périeures, notamment sur celles de la bouche et de la langue; si le séjour est
prolongé durant quelques semaines, la prédominance de la circulation périphé-
rique produit une pigmentation plus forte de la peau : comme ce phénomène est
plus marqué sur les régions habituellement exposées à l’action du soleil, on pour-
rait croire qu’il ne s’agit ici que d’une pigmentation par irradiation solaire;
mais la même modification a lieu sur les parties protégées par les vêtements, et
sa cause véritable est par là nettement démontrée. Dans quelques cas, plus rares
qu’on ne le supposerait à priori , de légères épistaxis témoignent aussi du change-
ment survenu dans la répartition du sang.
L’appel incessant du sang à la périphérie maintient les viscères dans un état
d’anémie relative, lequel, en raison de son degré, 11e se révèle que par des phé-
nomènes favorables ; les fonctions cérébro-spinales sont plus actives et plus fa-
ciles, la tête est libre et légère, la puissance locomotrice est accrue, la respiration
1 I.ci Station médicale de Saint-Moritz [Engadine) . — Paris, 1813.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
311
est remarquablement aisée, encore bien que le mode en soit grandement modi-
fié, comme nous le verrons dans un instant. Ces changements organiques éveil-
lent chez l’individu qui les subit le sentiment d’une force nouvelle, qu’il juge par
comparaison avec son état ordinaire ; il se sent dispos et gaillard, il a un entrain
que justifie l’accroissement réel de sa capacité pour le travail physique. (P. 31.)
La raréfaction de l’air à l’altitude de Saint-Moritz produit dans la fonction res-
piratoire deux changements qui sont le point de départ d’importantes modifica-
tions. La fréquence de la respiration est augmentée , le nombre moyen de mes
inspirations à Paris, au repos, est de 15 par minute ; il est de 19 à 20 dans l’Eïî-
gadine ; en même temps qu’elle est plus fréquente, la respiration est plus pro-
fonde ou, pour mieux dire, plus ample ; la raison, c’est que dans ce milieu raré-
fié, il faut une capacité, une absorption inspiratoire plus grande , pour mainte-
nir dans l’appareil pulmonaire la quantité d’air nécessaire à l’accomplissement
régulier des opérations de l’hématose et de la nutrition en état de suractivité.
Or, l’augmentation légère du nombre des inspirations ne saurait amener ce ré-
sultat; il ne peut être dû qu’à une ampliation pulmonaire plus considérable, qui
met en jeu certaines régions du poumon que j’appelle paresseuses, parce que,
dans les conditions ordinaires, elles ne prennent qu’une très-faible part à l’ex-
pansion inspiratoire ; ces régions sont les parties supérieures des organes. Mais
comme la pression atmosphérique est abaissée, cette participation plus complète
du poumon à l’acte inspiratoire implique nécessairement une augmentation d’ac-
tion des forces musculaires qui président à l’ampliation du thorax ; et cet ensem-
ble de conditions subordonnées, toutes issues du changement de pression dans
le milieu respirable, a pour résultat, en fin de compte, une gymnastique métho-
dique régulière et constante de l’appareil respiratoire, qui est maintenu sans fa-
tigue au maximum de l’activité fonctionnelle.
Ainsi sont produits, par une intervention active des organes de respiration, des
effets analogues à ceux qu’ils subissent passivement sous l’influence de l’air com-
primé; dans l’air raréfié, l’absorption inspiratoire devient complète par le fait
d’un travail actif des puissances musculaires; dans l’air comprimé , l’absorption
inspiratoire accrue est la conséquence d’une pression augmentée , sous laquelle
les poumons, et les poumons seuls, cèdent passivement. Ce rapprochement, qui me
paraît digne d’intérêt, suffit pour établir la supériorité de la première condition,
au point de vue du développement et de l’exercice réguliers des fonctions pul-
monaires. (P. 34.) • «
Ainsi, augmentation du nombre et de l’amplitude des mouve-
ments respiratoires, dans le but de compenser le déficit en oxygène
dû au moindre poids de l’air, accélération des battements du
cœur, appel du sang à la périphérie du corps, tels sont, aux yeux
de M. Jaccoud, les effets sur l’organisme d’une dépression de 15 à
16 centimètres.
M. le Dr Armieux1, dont il me reste à parler, a examiné avec soin
les militaires confiés à sa direction médicale à la station thermale
de Baréges (1270m).
Effets physiologiques du climat et des eaux de Baréges . — Mém. de V Acad, des Sc.
Inscr et Belles-Lettres de Toulouse , 7e série, t. IV, p. 214-231, 1873.
312
HISTORIQUE.
Il commence par calculer la diminution du poids d’air supporté
par le corps de l’homme à la hauteur de Baréges; elle serait d’en-
viron 220 kil. ; « cette diminution, dit-il, est très-appréciable ; on a
plus d’agilité, de vigueur (p. 7). »
Enfin, à Baréges, eu égard à la densité de l’air, on est en déficit,
au point de vue de la quantité d’oxygène introduite dans les pou-
mons, par heure de 22 g. 56 et par jour de 541 g. 44.
Mais voici la partie vraiment originale du travail de M. Armieux :
Le 4 mai 1867, je mesurai, à Toulouse, la poitrine de quatre-vingt-dix infir-
miers, désignés pour Baréges. La circonférence pectorale, prise horizontalement,
au niveau des mamelons, m’a donné une moyenne de 871 millimètres, au repos,
et 905 millimètres dans la plus grande amplitude obtenue par une forte in-
spiration.
Ces hommes sont arrivés à Baréges le 15 mai, ils n’ont pas fait de cure thermale,
et les observations ultérieures ont démontré l’influence seule du milieu hygié-
nique.
Le 27 juin, c’est-à-dire après quarante-trois jours de résidence, leur poitrine
mesurée de nouveau a donné les moyennes de 888 millimètres de circonférence
au repos et 917 millimètres dans la plus grande expansion; l’augmentation de
circonférence a donc été en moyenne, dans le premier cas, de 17 millimètres,
dans le second de 12 millimètres.
Le 17 septembre, après un séjour de quatre mois à Baréges, les mêmes sujets,
soumis à une nouvelle mensuration, ont fourni les résultats moyens suivants :
900 millimètres au repos et 950 millimètres dans l’amplitude forcée; il y avait
une acquisition moyenne nouvelle de 12 ou 15 millimètres sur les mesures du
mois de juin, et une augmentation progressive totale, après quatre mois, de
25 millimètres dans l’amplitude, et de 52,9 millimètres au repos.
Il est donc incontestable que la poitrine de ces militaires a augmenté de
capacité, en quatre mois, dans une assez forte proportion, par suite de leur
transport dans une station dont l’altitude est de 1100 mètres plus élevée que
celle qu’ils habitaient auparavant
• •• • •• • •••••••••••■••• ••••
Pour arriver à une preuve plus directe, nous avons fait, en 1868, une ex-
périence confirmative de la précédente, en ayant soin de prendre le poids exact
des sujets, afin de comparer leur acquisition matérielle totale avec l’augmen-
tation de volume de la poitrine.
Nous avons voulu également, cette fois, tenir compte des modifications que
pouvaient éprouver le pouls, les mouvements respiratoires, par le transport sur
les altitudes.
Nous avons soumis quatorze infirmiers à une observation rigoureuse, avant
leur départ pour Baréges et après trente-cinq jours de résidence dans cette
localité.
Le tableau suivant donne les détails et les moyennes de nos observations :
THEORIES ET EXPERIENCES
313
314
HISTORIQUE.
Nous y voyons que l’acquisition en poids est de 1 kil. 286 grammes, en
moyenne, variant de 1 à 4 kilogrammes chez douze de ces militaires, et éprou-
vant une légère diminution chez deux d’entre eux, tandis que l’augmentation de
volume de la poitrine est en moyenne de près de 2 centimètres, ce qui est
relativement plus considérable ; cet accroissement a pu aller jusqu’à 7 centimètres
chez le premier sujet; enfin, il est général et existe même sur ceux qui ont
diminué de poids, ce qui est péremptoire.
Pour êlre complet, je transcris ici un passngequi vise la compo-
sition des gaz du sang, bien qu’il renferme d’inexplicables erreurs,
et que je n’en comprenne ni le but ni les résultats; mais il est in-
téressant de montrer par un exemple tout récent combien ces ques-
tions renferment encore d’inconnues, d’obscurités, aux yeux mêmes
des médecins les plus instruits :
Outre les phénomènes que nous venons d’exposer, il se produit, par suite de
la diminution de pression atmosphérique, une dilatation et une tension plus
grande des gaz contenus dans les vaisseaux sanguins. Le sang veineux contient
par litre :
Oxygène .....
Azote
Acide carbonique .
Total 81 centimètres cubes.
Le sang artériel renferme par litre :
Oxygène . . 24 centimètres cubes.
Azote . 13 —
Acide carbonique . 64 —
Total 101 centimètres cubes.
Pour M. Schœuffèle qui a étudié la question à Baréges même, ces chiffres
deviennent à la pression de 65 centimètres : 94780 pour le sang veineux et
119640 pour le sang artériel; l’augmentation du volume du gaz intra-vasculaire
rait donc en moyenne, de 11,25 pour 100 à l’altitude de Baréges.
M. Armieux termine son travail par les conclusions suivantes :
Les expériences que je viens de relater démontrent que, par les effets de l’alti-
tude, les personnes qui arrivent à Baréges, éprouvent :
1° Une augmentation notable de la capacité thoracique pour faire une compen-
sation au déficit d’oxygène;
2° Une augmentation de poids, qui indique une plus grande activité de la
nutrition ;
5° Une accélération des mouvements respiratoires;
4° Une diminution dans la fréquence du pouls;
5° Un défaut de corrélation entre les deux relations de la respiration et de la
circulation ;
11 centimètres cubes.
15 —
55 —
THÉORIES ET EXPÉRIENCES. 515
6° Une dilatation des gaz contenus physiologiquement dans les vaisseaux san-
guins, par suite de la diminution de la pression atmosphérique;
7° Une disposition plus grande à la diaphorèse par la même cause.
Cette augmentation notable de la capacité thoracique, observée
par M. Armieux chez les militaires soumis d’une manière continue
à rinfluence d’une faible pression barométrique, rappelle ce que
disait bien longtemps auparavant d’Orbigny1, en parlant d’une tribu
péruvienne, les Quichuas, qui vivent dans les hautes régions de la
Cordillère :
Les formes sont plus massives chez les Quichuas que chez les autres nations
des montagnes ; nous pouvons les présenter comme caractéristiques. Les Qui-
chuas ont les épaules très-larges, carrées, la poitrine excessivement volumineuse,
très-bombée et plus longue qu’à l’ordinaire, ce qui augmente le tronc ; aussi le
rapport normal de longueur respective de celui-ci avec les extrémités ne parait-il
pas être le même chez les Quichuas que dans nos races européennes, et diffère-t-il
également de celui des autres rameaux américains. (T. I, p. 226.)
Et le célèbre voyageur frappé tout à la fois de cette amplitude
thoracique, de l’habitat de cette tribu, de son immunité pour le
soroche , essaye de préciser le fait anatomique et de le relier
théoriquement aux conditions de vie de ces Indiens.
Revenons aux causes qui déterminent, dans les Quichuas, le grand volume que
nous y avons observé : beaucoup de recherches ont dû nous le faire attribuer à
l’influence des régions élevées sur lesquelles ils vivent et aux modifications ap-
portées par l’extrême dilatation de l’air. Les plateaux qu’ils habitent sont toujours
compris entre les limites de 7500 à 15000 pieds, ou de 2500 à 5000 mètres d’élé-
vation au-dessus du niveau de la mer; aussi l’air y est-il si raréfié, qu’il en faut
une plus grande quantité qu’au niveau de l’Océan, pour que l’homme y trouve
les éléments de la vie. Les poumons ayant besoin, par suite de leur grand volume
nécessaire, et de leur plus grande dilatation dans l’inspiration, d’une cavité plus
large qu’aux régions basses, cette cavité reçoit, dès l’enfance et pendant toute la
durée de l’accroissement, un grand développement, tout à fait indépendant de
celui des autres parties.
Nous avons voulu nous assurer si, comme nous devions le supposer a priori,
les poumons eux-mêmes, par suite de leur plus grande extension, n’avaient pas
subi de modifications notables. Habitant la ville de Paz, élevée de 5717 mètres
au-dessus du niveau de l’Océan, et informé qu’à l’hôpital il y avait constamment
des Indiens des plateaux très-populeux plus élevés encore (5900 à 4400 mètres),
nous avons eu recours à la complaisance de notre compatriote M. Burnier, mé-
decin de cet hôpital; nous l’avons prié de vouloir bien nous permettre de faire
l’autopsie du cadavre de quelques-uns des Indiens des plus hautes régions, et
nous avons, comme nous nous y attendions, reconnu avec lui aux poumons des
dimensions extraordinaires, ce qu’indiquait la forme extérieure de la poitrine.
(M. Burnier nous fit remarquer, en outre, que les poumons paraissaient divisés en
cellules beaucoupplus nombreuses qu'à l’ordinaire. Ce fait nous paraissant étrange
1 L'homme américain, 2 vol. — Paris, 1859.
318
HISTORIQUE.
et difficile à admettre, nous avons prié M. Burnier de répéter ces observations
sur un plus grand nombre de sujets; et lorsqu’après quelques années nous
avons revu ce médecin instruit, il nous l’a de nouveau complètement confirmé.)
Nous avons remarqué que les cellules sont plus grandes que celles des poumons
que nous avions disséqués en France; condition aussi nécessaire pour augmenter
la surface en contact avec le fluide ambiant. En résumé, lions avons cru recon-
naître : 1° que les cellules sont plus dilatées; 2° que leur dilatation augmente
notablement le volume des poumons: 3° que par suite il faut à ceux-ci pour les
contenir, une cavité plus vaste ; 4° que, dès lors, la poitrine a une capacité plus
grande que dans l’état normal ; 5° enfin, que ce grand développement de la poi-
trine allonge le tronc un peu au delà des proportions ordinaires, et le met presque
en désharmonie avec la longueur des extrémités, restées ce qu’elles auraient dû
être, si la poitrine avait conservé ses dimensions naturelles. (T. I, p. 267.)
Ces observations anatomiques sont tellement intéressantes que la
Société d’ Anthropologie crut devoir en introduire la vérification
parmi les Questions ethnologiques et médicales relatives au Pérou ,
dont elle proposa en 1861 la solution aux voyageurs.
Le savant rapporteur, M. Gosse père1, fait remarquer que, « jus-
qu’à ce jour, les assertions de d’Orbigny n’ont été vérifiées par
aucun voyageur » (p. 107). Il indique même un fait qui semble-
rait prouver qu’il s’agit là d’un caractère de race indépendant
du milieu, puisque :
Les descendants des montagnards colonisés par les Incas, sur les bords de la
mer, près de Cobija, auraient conservé jusqu’à nos jours, sous l’influence de
l’hérédité, la constitution physique spéciale, censée acquise dans l’atmosphère
des plateaux élevés. (P. 108.)
La même année, M. Jourdanet2, parlant des Indiens du Mexique,
disait :
L’Indien, qu’on peut considérer comme définitivement acclimaté, possède une
poitrine dont l’ampleur dépasse les proportions qu’on devrait attendre de sa taille
peu élevée. Aussi se livre-t-il sans gêne à des exercices qui auraient lieu de
surprendre en tous pays Sa vaste poitrine le met à l’aise au milieu de cet air
délié. (P. 98.)
Sur ce point également, il fut contredit par Coindct3. Selon cet
observateur, pour une série de Français dont la taille moyenne était
lm678, la circonférence thoracique au niveau des mamelons était
92e, 450, tandis que chez les Mexicains, dans une taille moyenne
de lm620, elle tombait à 89e, 048.
1 Instruction pour le Pérou. — Bull, de la Soc. d’Anthrop. de Paris, t. II, p. 86-137.
— Paris, 1861.
2 Les altitudes de V Am. trop ; Paris, 1861.
1 Gaz. hebd.; 1863, p. 779.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
317
Mais le voyageur anglais Forbes confirma les observations de
d’Orbigny et de M. Jourdanet :
M. D. Forbes, dit M. Darwin *, quia mesuré avec grand soin un grand nombre
d’Aymaras, vivant à une altitude comprise entre 10 et 15000 pieds, m’informa
qu’ils diffèrent très-notablement des hommes de toutes les autres races qu’il a
vues, par la circonférence et par la longueur de leur corps.
Enfin, dans son dernier livre, M. Jourdanet1 2 précise les faits en
disant :
Je possède le relevé d’un grand nombre d’observations qui ne permettent pas de
conserver le moindre doute. Elles m’autorisent à affirmer que, pour une moyenne
de taille de 160 à 163 centimètres, les Indiens de l’Anahuac ont un sternum d’une
longueur de 227mm, sur 895mm de circonférence thoracique, mesurée immédiate-
ment au-dessus des mamelles.
D’autre part, mes recherches m’avaient amené à constater d’une manière gé-
nérale que, pour trouver les mêmes dimensions de poitrine chez les créoles, il
fallait s’élever à la taille de 168 à 173 centimètres, (T. I, p. 317.)
Ainsi, il s’agit bien moins, en réalité, d’une capacité thoracique
extraordinairement vaste, que d’une taille moins élevée, ou pour
parler plus exactement, que de membres inférieurs moins longs par
rapport à la hauteur du tronc.
Mais revenons aux instructions du Dr Gosse.
M. Gosse fait suivre ses observations, pleines de sagacité, sur ce
point intéressant, par un questionnaire sur le mal des montagnes ,
que je crois devoir reproduire intégralement ici :
L’étude de l’influence qu’exerce l’air raréfié des hauteurs dans les Andes péru-
viennes, sur la constitution physiologique de leurs habitants, nous conduit naturel-
lement à celle des accidents produits par cette cause sur les personnes étrangères
aux plateaux, qui s’y exposent imprudemment ou trop brusquement, et sur les
moyens auxquels on a recours pour les combattre ou du moins pour en mitiger les
effets.
Si les accidents observés dans nos Alpes européennes, et auxquels on donne le
nom de mal des montagnes , se bornent en général à une anhélation extrême,
accompagnée de céphalagie, de battements dans les carotides, de palpitations,
de nausées, d'un trouble des fonctions digestives, d’une grande lassitude et
parfois de syncopes, ceux qui se déclarent dans les Andes du Pérou, et qu’on
désigne par les noms de soroché, de mareo ou de veta , acquièrent, dit-on, une
violence telle qu’ils méritent de fixer l’attention des médecins explorateurs, et
d’autant mieux que l’on n’a pas toujours analysé suffisamment, dans ce cas, le
mécanisme de l’action, ordinairement combinée, de la diminution de l’oxygène
dans l’air et de la pression atmosphérique, de l’abaissement éventuel de la tem-
1 Descendance de l'homme , t. I, p. 330.
2 Influence de la pression de l'air; Paris, 1875.
518
HISTORIQUE.
pérature, sous un rayonnement plus facile du calorique, de l’absence d’humidité,
et surtout de l’exercice forcé des muscles, et que même, pour en expliquer les
anomalies, on a été disposé à soupçonner l’existence, au Pérou, de causes spéciales
inconnues, qui ne se rencontreraient pas ailleurs.
Des observations bien faites, de nouveaux documents bien constatés, serviraient
à dissiper les doutes et à concilier les opinions. C’est dans ce but que nous croyons
devoir poser les questions suivantes :
1° Quels sont les symptômes caractéristiques du soroché des Andes péruviennes,
propres aux systèmes nerveux, sanguin, pulmonaire ou musculaire?
2° Quelle est la succession normale de ces symptômes, dans les cas les plus
ordinaires, et quels sont ceux qui prédominent?
5° Existe-il des symptômes précurseurs de l’attaque aiguë, et quels sont-ils?
4° Remarque-t-on fréquemment, à de très-grandes hauteurs, une tendance aux
hémorrhagies nasales, labiales, pulmonaires, oculaires, cutanées, etc., etc.?
5° L’injection de la cornée et l’érythème de la face s’observent-ils, indépen-
damment de la réverbération de la lumière par la neige?
6° Observe-t-on que la peau prenne une teinte livide ou comme cyanosée à une
hauteur qui ne peut être moindre de 5800 mètres, mais qui, sous la latitude du
Pérou, doit s’élever jusqu’au niveau des neiges étemelles? Et si ce phénomène se
produit, n’est-il que passager à la montée, ou persiste-t-il à l’arrivée au som-
met?
7° Lorsque les habitants des hauteurs descendent dans les plaines et vers le
bord de la mer, éprouvent-ils un trouble dans leurs fonctions, et en quoi consiste
ce trouble?
8° Observe-t-on souvent un trouble moral correspondant au trouble physique,
du découragement, ou une irritabilité de caractère?
99 Les accidents du soroché sont-ils les mêmes sur les versants orientaux ou
occidentaux des Andes, quelle que soit l’exposition des lieux où on les observe?
10° Ne surviennent-ils qu’à la limite des neiges éternelles, comme le soutien-
nent certains auteurs, ou bien les Andes péruviennes et boliviennes fournissent-
elles des exceptions bien constatées cà celte règle?
11° Des étrangers aux plateaux des Andes éprouvent -ils le soroché lorsqu’ils
arrivent à cheval sur les hauteurs de la Cordillère? Et lorsqu’ils en ressentent
les atteintes, des efforts musculaires ont-ils ordinairement précédé le trouble des
organes de la circulation de la respiration ?
12° Les effets du soroché diffèrent-ils suivant l’âge et le sexe?
15° Varient-ils suivant les idiosyncrasies, et quelles sont celles qui y pré-
disposent ou l’éloignent ?
14° Quelle est l’influence qu’exercent, sur sa production, et sur ses symptômes,
les saisons, les vents régnants, ou les orages?
15° Quelle est l’influence du froid dans les lieux où le soroché se manifeste?
Indiquer la température moyenne de ces lieux et la température absolue, au
moment des accidents.
16° Quelle est l’influence de la sécheresse ou de l’humidité?
17° Est-il prouvé que la hauteur absolue dans l’atmosphère ne suffit pas pour
expliquer certaines anomalies locales? Et si le fait est réel, rechercher les causes
probables de ces anomalies, soit dans les conditions atmosphériques du moment
ou de la localité, soit dans les conditions telluriques, en particulier dans la nature
des émanations qui peuvent s’y dégager. Étudier, sous ce rapport, la conformation
de ces localités qui pourrait favoriser le séjour des eaux et l’humidité atmosphé-
rique, leur voisinage de terrains miniers, qui pourraient exhaler des vapeurs
519
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
minérales, nuisibles, arsénicales ou autres. Ne pas négliger non plus les con-
ditions accidentelles dans lesquelles se trouvent placés les individus ?
18° L’acclimatation des étrangers, relativement au soroché, a-t-elle lieu plus
ou moins promptement, et quelles sont les conditions qui la favorisent ou la
retardent? Cette acclimatation a-t-elle un résultat durable ou seulement tem-
poraire? Les nègres éprouvent-ils plus de di'fîcultés à s’acclimater que les blancs?
Et à cette occasion il serait intéressant d’instituer une série d’expériences, pour
s’assurer du ryhthme normal du pouls chez les habitants des plateaux, Indiens,
nègres et blancs; en ayant soin de les répéter sur un grand nombre d’individus
sains des deux sexes, adultes et d’un âge bien constaté, de faire ces expériences
au repos, dans la station et le décubitus, à une certaine distance du repas, et de
noter la température extérieure, chaude ou froide, de la saison ?
19° Si les accidents du soroché se font sentir chez les animaux, quels sont leurs
caractères chez les divers animaux et les conditions qui les [font naître? Quelles
sont, en particulier, les causes qui donnent lieu à la maladie des mulets, connue
sous le nom de trembladeraï Les lamas domestiques et porteurs sont-ils également
sujets à cette maladie?
20° La morlalité de certains animaux (des chats, par exemple), déterminée par
leur séjour dans les lieux très-élevés, est-elle ou non un fait constaté? Et si le
fait est avéré, quels sont les symptômes qui précèdent la mort et quelles sont les
causes probables de cette mortalité?
21° Existe-t-il des moyens de se préserver du soroché, et s’il en existe, quels
sont-ils? A-t-on essayé, par exemple, au Pérou, comme en Styrieet dans le Tyrol,
l’ingestion de petites doses d’arsenic pour prévenir la fatigue des ascensions des
montagnes? Étudier spécialement sous ce rapport les effets de la plante connue
sous le nom du cuca ou de coca , soit mâchée (chiquée), soit prise en infusion,
qu’on assure douée d’une propriété prophylactique remarquable ?
22° Quels sont les moyens employés avec le plus de succès pour arrêter ou
amoindrir les accidents produits par le soroché , soit chez l’homme, soit chez les
animaux? (P. 113-117.)
Ainsi que j’ai dit au début de cette première partie de mon tra-
yait, je ne parlerai pas dans cet historique des recherches qui s’ap-
puient sur les résultats de mes propres travaux ou qui en combattent
les conclusions. Leur analyse prendra naturellement place dans la
troisième partie.
C’est pour cette raison que je ne dirai rien du livre récemment
publié par M. Jourdanet1, et dans lequel il a reproduit en les dévelop-
pant, en les appuyant de preuves nouvelles empruntées à l’élude
des altitudes sur la terre entière, les opinions que lui avait suggér ées
l’observation des maladies du haut Mexique. Je ne veux emprun-
ter à cet immense travail que le récit d’une expérience importante
où se montre la première tentative faite pour étudier chimiquement
la valeur de l’anoxyhémie :
Je résolus de me livrer moi-même à ce travail d’analyse, vers la fin de 1864. Je
1 Influence de la pression de l'air sur la vie de l'homme, 2 vol. — Paris, 1875.
320
HISTORIQUE.
trouvai un auxiliaire — très-digne d’une mention distinguée dans ce livre — dans
le laboratoire et le concours de M. Romuald Zamora, Espagnol recommandable,
qui s’occupait de sciences dans ses heures de loisir. J’analysai le sang de trois
lapins au moyen de l’oxyde de carbone, en suivant les indications données par
M. Claude Bernard. Je trouvai une moyenne d’oxygène fort basse, mais pas assez
pour qu’on pût s’en croire autorisé à des conclusions générales bien légitimes.
Je me voyais d’ailleurs hésitant en présence d’une considération que j’estimais de
grand poids : c’est que l’on pourrait toujours se demander si ce ne serait pas
cette même quantité d’oxygène que ces mêmes animaux eussent donné à des
niveaux plus inférieurs. Mes différences de dosage, en effet, trouvées dans les
analyses de sang faites jusqu’alors, prouvent que la proportion de ce gaz est un
fait individuel du moins dans de certaines limites. Il me parût, dès lors, que ce
point intéressant ne pourrait être incontestablement jugé que par une double
analyse portant sur le sang du même animal, puisé à la pression normale d’abord,
et à une dépression plus ou moins prononcée, en second lieu. Je renvoyai donc
encore à de meilleurs temps la réalisation de mes désirs. (T. I. , p. 181.)
Ces désirs, j’ai eu la bonne fortune, grâce à la généreuse inter-
vention de mon savant confrère, de pouvoir les réaliser. Et l’on
verra que j’ai pu constater combien ses prévisions étaient en rap-
port avec la vérité. Mais je renvoie pour cette démonstration les
lecteurs à la seconde partie de mon livre.
C’est dans la troisième partie qu’il trouvera l’histoire détaillée
des dernières ascensions aéronautiques à grande hauteur, et no-
tamment de celle qui a eu une terminaison si funeste. Nous aurons
à déterminer nettement alors les causes de cette catastrophe et
à en tirer les enseignements qu’elle comporte. En nous restrei-
gnant à ce qui fait le sujet du présent chapitre, nous dirons que
les interprétations données par les divers journaux scientifiques et
autres, des causes de la mort de Sivel et de Crocé-Spinelli ne sont
autres que celles dont le développement occupe les pages qui pré-
cèdent. Rien de nouveau ne s’y trouve qui mérite d’être relevé ici,
et toutes ces idées avaient été présentées déjà par des autorités
plus considérables.
Nous ne ferons d’exception que pour la courte discussion qui
s’est élevée, à ce propos, dans le sein de l’Académie de médecine.
On voit que, pour MM. Woillez, Mialhe, Colin, c’est encore la dimi-
nution du poids supporté par le corps qui joue le rôle principal ;
malgré la physique dont nous avons déjà vu M. Giraud-Teulon,
M. Gavarret et bien d’autres leur rappeler les principes élémentaires ;
ils en sont encore à la théorie de la ventouse universelle. Mais
M. Colin y ajoute une hypothèse qui mériterait à elle seule les
honneurs d’une reproduction, car elle n’avait été que très-briève-
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
321
ment indiquée par quelques auteurs anciens, et M. Maissiat lui-
même n’allait pas jusqu’à lui donner une telle importance. A ses
yeux, le dégagement des gaz dans l’intestin, le gonflement de ces
gaz par la diminution de pression, a joué dans la terminaison
fatale un rôle dominateur. Voici, du reste, le passage tout entier :
M. Larrey : Les ingénieuses expériences de M. Woillez et les recherches nouvel-
les qu’il pourrait faire sur le spiroscope le conduiraient sans doute à des applica-
tions désirables pour les 'observations aérostatiques. Je veux parler d’abord de
l’étude physiologique des phénomènes respiratoires à différentes altitudes, et en-
suite de la prophylaxie hygiénique des troubles violents de cette importante fonc-
tion, suivant d’autres influences. Il aurait à déterminer aussi l’intervention thé-
rapeutique, lorsque l’asphyxie , par exemple, est imminente et provoque des
accidents complexes rapidement mortels, par une subite raréfaction de l’air
ou par la diminution progressive de la pression atmosphérique. Il s’agirait enfin
d’examiner et de contrôler les moyens à l’aide desquels on parviendrait à établir
la respiration artificielle, comme dans la cloche du plongeur, comparable, sous
ce rapport, à la nacelle des aéronautes.
La fatale catastrophe qui vient de consterner le monde savant et dont les deux
victimes ont été inhumées aujourd’hui même, m’engage à soumettre cette remar-
que à l’Académie, ne fùt-ce que comme une digression utile peut-être à l’intéres-
sante communication de M. Woillez.
M. Woillez : Je ne puis ici me prononcer sur un sujet aussi grave; mais il me
semble qu’il n’y a pas là qu’une question de respiration , il faut surtout tenir
compte de la diminution de la pression atmosphérique contre laquelle l’oxygène
qu’on avait emporté ne pouvait absolument rien.
M. Coliin : Puisque la question du ballon est soulevée, je demande à dire ce que
je pense des causes de la mort des aéronautes. Certainement ces causes sont mul-
tiples, surtout celles qui se lient à la diminution de pression ; quelques-unes sont
déjà indiquées par les conditions dans lesquelles se trouvaient les explorateurs.
Deux avaient déjeuné et ils sont morts; l’autre était à jeun et il a résisté. Le
dégagement des gaz dans l’appareil digestif des premiers a pu jouer un grand
rôle dans le développement de l’asphyxie. On sait que ce dégagement est très-
considérable chez les ruminants à la suite de l’usage des aliments verts, et qu’il
peut, à la pression ordinaire , produire subitement la mort par asphyxie en im-
mobilisant le diaphragme. Sans doute ce dégagement est plus restreint chez
l’homme; mais il augmente par le fait du malaise et de l’indigestion, et alors, l’ex-
pansion des gaz croissant à mesure que la pression diminue, le diaphragme est
bientôt fortement refoulé en haut; ses oscillations deviennent très-restreintes et
finissent par devenir impossibles. On sait qu’à un certain moment, en gravissant
de hautes montagnes, le voyageur est pris de lassitude, il a bras et jambes cassés;
les muscles, irrigués par un sang imparfaitement oxygéné, perdent leur énergie.
Or, le diaphragme participe à cette fatigue et ïï peut finir par tomber dans l’iner-
tie, surtout s’il est refoulé par l’expansion des gaz de l’estomac.
Je sais bien que les aéronautes ont besoin de se prémunir contre le refroidis-
sement, et que le jeûne n’échauffe pas ; mais ils peuvent régler leurs repas de
1 Bulletin de V Académie de médecine. — Séance du 20 avril 1875, 2' série, t. IV,
p. 400-401.
21
522
HISTORIQUE.
manière à achever la digestion avant le départ, et remplacer les aliments fermen-
tescibles par des aliments respiratoires, par des liquides qui excitent et dévelop-
pent de la chaleur.
Ce qui a été observé sur les victimes et sur le survivant indique bien la cause
capitale des accidents. Cette cause n’est pas, quoi qu’en dise M. Bert , l’insuffi-
sance d’oxygène, car, dans les expériences, les animaux ne meurent pas avec la
dose de ce gaz, telle qu’elle peut être à 7 ou 8000 mètres. C’est bien la diminu-
tion de pression, comme M. Woillez vient de le dire, qui produit les troubles gra-
ves , les hémorrhagies dans les voies respiratoires , les troubles de la cireu-
tion, etc.
M. Blot : Les derniers mots de M. Colin me paraissent en contradiction avec ce
qu’il disait au début. Ainsi il explique d’abord la mort par le refoulement du dia-
phragme et du poumon sous l’action de la dilatation des gaz intestinaux, et en
finissant il la rapporte â la diminution de pression.
Quant au rapprochement entre les herbivores et l’homme, il me paraît fort dis-
cutable.
M. Colin : Je m’étonne de ce que M. Blot voie la moindre contradiction dans
mes paroles. J’ai dit que les accidents et la mort, dans les ascensions tenaient à
plusieurs causes, entre autres le refoulement du diaphragme par les gaz de l’ap-
pareil digestif et la diminution de pression sur les tissus et les vaisseaux dans les
hémorrhagies pulmonaires, nasales, etc. Chacune de ces causes a une part d’ac-
tion ; loin de s’exclure, elles se lient. ,
M. Mialhe : Je pense comme M. Woillez que la diminution de la pression atmo-
sphérique a été la principale cause de la mort , mais je ne puis admettre l’idée
de M. Colin, qu’il ne faille pas manger avant de monter en ballon. L’hormne n’est
pas un ruminant, et les choses ne se passent pas tout à fait chez lui comme
chez les herbivores.
M. Colin : Comment ! l’homme a donc des privilèges au point de vue de la diges-
tion ? Est-ce que l’estomac fonctionne autrement dans l’abdomen de l’homme
que dans l’abdomen d’un animal? Le chien qui a mangé de la viande, du pain, a
dans l’estomac beaucoup de gaz qu’on peut mesurer en liant l’œsophage et le py-
lore. Pourquoi ces mêmes aliments ne produiraient-ils pas également des gaz dans
l’estomac de l’homme? Le travail digestif et les fermentations n’ont-ils pas des
caractères uniformes dans des espèces si voisines ?
J’aurai à m’expliquer plus tard sur cette question des gaz intes-
tinaux; mais maintenant, en voyant Fimportance que M. Colin
semble lui attribuer, je ne puis me défendre d’une réflexion : c’est
que le désir de contredire doit être chez certaines personnes une
passion bien forte, puisqu’il a pu conduire un physiologiste de
cette valeur à commettre de telles étrangetés.
Le dernier document que je mettrai sous les yeux de mes lecteurs
est plus curieux encore peut-être. S’il en est, comme je le crains,
quelques-uns parmi eux qui ont trouvé qu’en faisant l’histoire du
mal des montagnes, j’ai étalé un luxe excessif de citations et de
descriptions, ils me pardonneront sans doute cet abus en voyant
qu’en 1875, devant la Société de géographie, devant l’Académie des
THEORIES ET EXPERIENCES.
323
sciences elle-même, l’existence même du mal des montagnes a été
niée, négation qui s’appuie sur la plus étrange des méthodes, ou
plutôt qui est l’absence même de méthode scientifique, puisqu’elle
ne tient compte que des circonstances dans lesquelles les voyageurs
n’ont rien éprouvé pendant leurs ascensions. .
La première communication de M. Yirlet d’Aoust à ce sujet date
du 19 mai 1875. Le compterendu officiel delà Société de géographie
la relate dans les termes suivants :
M. Yirlet d’Aoust , à l’occasion de la récente catastrophe du Zénith , fait une
communication sur les effets de la raréfaction de l’air dans la région des hautes
montagnes. Dans une ascension au Popocatepelt, par une altitude de 4500 mètres,
il n’a éprouvé aucun autre malaise qu’une fatigue plus accentuée que dans les
plaines. Il existe de nombreux exemples dans les Andes de lieux habités à 2000
et 5000 mètres. Mexico est situé à 2300 mètres.
Une discussion s’engage relativement à l’influence de la pression atmosphéri-
que sur la vie humaine.
MM. Antoine d’Abbadie, Maunoir, de Charencey, de Puydt y prennent part. Ce
dernier membre a parcouru pendant deux ans les vallées des Andes, dans l’Équa-
teur et la Bolivie, vivant à des hauteurs de 4800 mètres, conservant toujours la
santé et la vigueur. M. l’abbé Durand confirme cette disposition, d’après M. Stue-
bel, qui a fait, il y a deux ans, une ascension du Chimbarazo. (P. 552.)
On a pu voir, par le récit que nous avons reproduit de l’ascen-
sion de Stuebel (voy. p. 63) dans quelle exagération est tombé
M. l’abbé Durand. Mais, sans discuter tout ceci pour le moment, il
n’est pas sans intérêt de reproduire plus au long, d’après un
journal autorisé, V Explorateur % les arguments présentés par
M. Yirlet d’Aoust et ses savants collègues :
M. Virlet d’Aoust, à l’occasion du déplorable événement du Zénith , qui a coûté
la vie à deux jeunes savants, MM. Crocé-Spinelli et Sivel, rappelle les circonstan-
ces de son ascension au Popocatepetl, en avril 1853, dans le but de faire res-
sortir les différences considérables qui existent entre les ascensions en monta-
gnes et les ascensions verticales en ballon dans l’atmosphère.
Lorsqu’on s’élève dans l’air à l’aide d’un ballon, dit M. Virlet d’Aoust, on se
trouve successivement plongé dans des couches d’air, sinon de compositions dif-
férentes, du moins de densités moindres, et où cependant l’acide carbonique, en
raison de sa plus grande pesanteur spécifique, doit diminuer de proportion. Ces
sortes d’ascensions se font d’ailleurs avec trop de rapidité pour que les organes
de la vie humaine aient le temps de se modifier suffisamment pour rendre sup-
portables les différences successives de pressions atmosphériques.
Quand on escalade, les couches d’air ont exactement la même composition que
1 Bull, de la Soc. de Gèo<jr ., 6e série, t. IX, 1875.
2 \,c Xtmée, 1* vol. — Paris, 1875.
324
HISTORIQUE.
dans la plaine, car ces couches viennent d’en bas parcourants, en s’amincissant,
jusqu’aux sommets les plus élevés. Il résulte de là que toute expérience ayant
seulement pour but de déterminer les différences de composition de l’air à di-
verses hauteurs doit s’effectuer verticalement en ballon et non en faisant l’ascen-
sion d’une montagne.
L’ascension de M. Virlet .d’Aoust au Popocatepetl (montagne qui fume) se fit en
nombreuse compagnie et fut pour ainsi dire une expédition internationale. Les
États-Unis, l’Angleterre, le Mexique, l’Allemagne, la Belgique, la Suisse, l’Italie et
la France étaient représentées
Bien que la plaine et la ville de Mexico soient élevées environ de 2500 mètres
au-dessus du niveau de la mer, on y vit très-bien ; la santé publique y est parfaite
et exempte de toute maladie endémique. La station des voyageurs, au pied du
cône, était à plus de 4000 mètres de hauteur; ils y étaient arrivés à cheval sans le
moindre inconvénient et sans éprouver le plus petit effet de la raréfaction de
l’air. Le difficile était l’ascension du cône, véritable pain de sucre qu’il fallait gra-
vir à pied. Cela demande quatre heures d’une marche très-pénible, bien que la
descente s’opère en moins d’une demi-heure. Ni M. Virlet d’Aoust ni ses compa-
gnons n’éprouvèrent d’autres inconvénients que ceux résultant d’une respiration
un peu plus rapide, avec un peu plus de lourdeur dans les membres
De ces expériences, M. Virlet d’Aoust a tiré la conséquence que le prétendu
mal des montagnes se borne à une grande fatigue résultant principalement de
l’alourdissement par la diminution de la couche d’air qui entoure l’explorateur
et qui le soutient dans les régions inférieures
M. d’Abbadie demande à l’auteur si dans ces ascensions sur des pics élevés il
ne se présente pas un malaise qui se manifeste par des étourdissements et des
vomissements. M. Virlet d’Aoust assure qu’il n’a rien ressenti de semblable, pas
plus que ses compagnons de route. M. de Puydt dit qu’il a parcouru les pics les
plus élevés des Andes , depuis l’Equateur jusqu’au 6e degré de latitude nord ;
qu’il a franchi des hauteurs de 4800 mètres et qu’il n’a jamais éprouvé aucune
de ces fatigues; et pourtant il a fait plus de 450 lieues dans les Andes. M. l’abbé
Durand appuie cette opinion en rappelant l’ascension officielle des grands volcans
ordonnée par le gouvernement de l’Équateur. Enfin, M. Maunoir dit que l’in-
fluence des ascensions, même dans les montagnes, doit varier suivant les condi-
tions de santé et le tempérament du voyageur. (P. 401.)
M. Virlet dWoust1 est revenu sur ce sujet dans la séance du
7 juillet : il suit toujours la môme singulière méthode :
M. Virlet d’Aoust, reprenant le sujet étudié dans une précédente séance, sur
rinfluence de la raréfaction de l’air dans les hautes régions de l’atmosphère, si-
gnale une ascension du volcan d’Arequipa ou Misti, dont l’altitude est de 5650m,
pendant laquelle les voyageurs n ont point été incommodés (Renvoi au Bulleti?i).
(P. 107.)
V Explorateur du 15 juillet 1875 2 est beaucoup plus explicite :
Le mal des montagnes. A l’appui de ce qu’il a précédemment dit à l’occasion
de ses ascensions au Popocatepetl et à l’Ixtaccihuatl, sur le prétendu mal des monta-
1 Bull, de la Soc. de Géog., 6e série, t, X.
2 lre Année, 2e vol. — Paris, 1875.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
525
gnes, M. Virlet d’Aoust signale une autre ascension, celle du volcan Misti, plus
souvent désigné sous le nom de volcan d’Arequipa, au Pérou, qui a donné lieu
aux mêmes conclusions. Le Dr J. T. Coates, des États - Unis, qui l’a exécutée, est
parti le 22 septembre d’Arequipa pour aller coucher au pied du mont, situé à
50 milles au N. E. de cette ville. Le lendemain de très-bonne heure, accompagné
de trois guides et muni de deux anéroïdes, il a entrepris l’ascension. La petite ca-
ravane put d’abord voyager à cheval; mais, au bout d’une heure, la pente deve-
nant trop rapide et les difficultés augmentant au fur et à mesure qu’elle avançait,
elle dut continuer à pied.
Après dix heures d’une marche pénible, elle atteignit enfin, à six heures et de-
mie du soir, le sommet du volcan, mais sans avoir éprouvé ni hémorrhagies, ni
difficultés de respirer, ni nausées, ni maux de tête, ni aucune autre de ces sensa-
tions pénibles que l’on prétend devoir être ressenties par les personnes qui s’a-
venturent dans les montagnes à des altitudes de plus de 5000 mètres
Enfin, M. Yirlet d’Aoust croit devoir signaler une autre ascension bien plus élevée
encore qui aurait eu lieu dans la Nouvelle-Guinée. Plusieurs journaux ont annoncé
récemment que M. le capitaine anglais Lawson aurait découvert dans cette grande
île océanique une montagne qu’il a appelée le mont d’Hercule, laquelle aurait
10 929 mètres de hauteur au-dessus du niveau de la mer, soit 1262 mètres déplus
que le pic Everest, delà chaîne de l’Himalaya, considéré jusqu’ici comme le point le
plus élevé du monde entier. L 'Explorateur a dit quelles réserves il fallait appor-
ter dans l’accueil à faire à cette prétendue découverte. Quoi qu’il en soit, d’après
son récit, le capitaine Lawson ayant tenté l’ascension du mont d’Hercule, n’au-
rait pu s’y élever que jusqu’à la hauteur de 8455 mètres, c’est-à-dire à une alti-
tude presque égale à celle qu’aurait atteint le ballon le Zénith dans sa dernière
et fatale ascension; mais, à cette hauteur, le sang lui serait sorti par les
yeux et par les oreilles, et il aurait failli périr par suite de la raréfaction de l’air.
Cette affirmation, de même que la découverte d’une montagne qui serait la plus
haute du globe , et aurait été si tardivement reconnue , mérite confirmation.
(P. 65.)
Rien n’est venu confirmer ce dernier récit, auquel on ne pouvait
ajouter foi sans une forte dose de crédulité. Mais je n’insiste pas :
dans le chapitre suivant viendront les discussions critiques.
CHAPITRE IV
RÉSUMÉ ET CRITIQUE S.
Le moment est venu de résumer la longue série d’observations,
d’expériences et de théories dont nous venons d’énumérer les dé-
tails. Après avoir, par la méthode laborieuse, mais sûre, des cita-
tions textuelles, mis sous les yeux du lecteur à peu près tout ce
qui a été écrit sur l’influence de la diminution dans la pression
atmosphérique, nous devons maintenant simplifier sa tâche en
condensant tant d’assertions variées, souvent redondantes, parfois
contradictoires.
Il faut, de plus, soumettre à un examen sérieux les explications
émises, combattues, ou éclectiquement cumulées par les voyageurs,
les médecins, les physiologistes, les physiciens, qui ont envisagé
sous ses aspects divers cette question si complexe en apparence,
si simple en réalité, comme nous le démontrerons. Dans cette par-
tie de ma tâche, je devrai, bien entendu, laisser de côté les argu-
ments tirés de mes propres expériences. C’est à l’aide des notions
antérieurement connues que j’espère prouver qu’au moment où
j’ai commencé mes recherches, il n’existait dans la science aucune
théorie — je ne dis pas démontrée, cela est évident — mais pou-
vant supporter une critique approfondie. La vérité même, lors-
qu’elle a été rencontrée, était mêlée à tant d’erreurs ou si peu
armée de preuves, qu’elle ne pouvait imposer aux esprits, rebelles
sa lumineuse évidence. Or, l’on n’a raison que lorsqu’on peut prou-
327
RÉSUMÉ ET CRITIQUES.
ver à tous qu’on a raison : Toujours répondre, a dit Voltaire, c’est
prouver qu’on n’a pas répondu.
Le présent chapitre se divise tout naturellement en trois parties :
les conditions dans lesquelles se manifeste le mal des montagnes,
le résumé des symptômes qui le constituent, l’examen critique des
théories émises pour l’expliquer.
V V
g 1er. — Conditions d’apparition du mal des montagnes.
t
Le fait le plus général qui ressort de notre étude, c’est qu’en
s’élevant à de grandes hauteurs au-dessus du niveau de la mer, les
hommes et les animaux finissent toujours par éprouver une série
d’accidents plus ou moins graves, dont l’ensemble constitue le mal
des montagnes .
L’existence même de ces accidents a cependant été niée, comme
nous l’avons vu; mais ces négations, généralisations imprudentes
et antiscientifiques de quelques cas isolés, ne méritent pas de
nous arrêter ici.
Le premier fait qui frappe, lorsqu’on examine la série de ceux
que nous avons recueillis, c’est la différence de hauteur à laquelle
apparaissent les symptômes fâcheux, suivant qu’il s’agit de voyages
en montagnes ou d’ascensions en ballon. Tandis que dans le pre-
mier cas, en effet, les voyageurs deviennent parfois malades aux
environs de 3000m, et ne dépassent presque jamais, sans souffran-
ces sérieuses, une hauteur de 5000“, Gay-Lussac, Barrai et Bixio,
M. Glaisher, à 7000'11, ont à peine ressenti quelques troubles lé-
gers. Nous trouverons facilement, dans un instant, la raison de cette
énorme différence.
Sur terre comme dans les airs, la gravité des accidents va crois-
sant avec la hauteur; mais elle suit, dans sa marche ascendante,
une loi de progression, non de proportion. Jusqu’à 5000“, un
voyageur parti du niveau de la vallée, à 1000m, par exemple, ne
sera averti de la diminution de pression que par une légère accélé-
ration du pouls et de la respiration ; de 5000“ à 4000m, les acci-
dents augmentent considérablement d’intensité; au-dessus, chaque
dénivellation de quelques centaines de mètres est marquée par
leur aggravation progressivement croissante, et il arrive un mo-
ment où il est plus difficile de gravir 50“, qu’il ne l’était de monter
500“ au début du voyage. 11 n’est donc pas étonnant de voir,
528
HISTORIQUE.
comme l’a rapporté le capitaine Gérard, les montagnards du Koo-
nawur, habitués à observer les sensations de cet ordre, estimer
l’altitude du point où ils sont parvenus, par la difficulté de respirer
qu’ils y éprouvent.
* La hauteur à laquelle apparaissent les symptômes du mal des mon-
tagnes varie d’une manière remarquable dans les diverses régions
du globe. Nous avons vu que, dans les Pyrénées, il n’arrive d’ac-
cidents notables, et encore sont-ils très-rares, qu’en approchant
des plus hautes cimes, c’est-à-dire au-dessus de 3000“. C’est à ce
môme niveau, dans les Alpes, que les récits des voyageurs commen-
cent à signaler quelques troubles ; ils sont assez habituels entre
5500 et 4000m ; au-dessus, leur existence constitue une règle à la-
quelle échappent beaucoup moins de personnes que ne voudraient
le faire croire les rédacteurs des Clubs alpins. L’Etna, avec
ses 5515m, est, sous ce rapport, comme nous l’avons dit, une
montagne limite , ainsi que le pic de Ténériffe (5716m), Dans le
Caucase et les montagnes arméniennes, le niveau auquel presque
tout le monde est gravement frappé paraît un peu plus élevé que
dans les Alpes ; sur les volcans du Pacifique, qui dépassent 4000m,
on ne paraît guère plus malade que sur le pic de Ténériffe ; il en
est de même des monts Cameron, et, sur le Kilimandjaro, New attei-
gnit 5000m environ, sans souffrances sérieuses ; dans l’Amérique
du Nord, Frémont et ses compagnons se trouvèrent malades vers
3500ra; mais au Mexique, il faut, pour éprouver des accidents ma-
nifestes, dépasser la hauteur de 4500“; encore ne sont-ils pas tou-
jours très-graves au sommet même du Popocatepetl (5420m). La
longue chaîne montagneuse de la Sud-Amérique ne se laisse traver-
ser sur aucun de ses points, du Chili à la Colombie, sans frapper
la plupart des voyageurs de la terrible puna. Mais il ne semble pas
qu’il y ait, pour ces souffrances, uniformité complète de hauteur ;
tandis qu’aux passes de Santiago de Chili, beaucoup sont malades
par moins de 4000m, que presque tous les étrangers sont rudement
atteints à la Paz (5720”), et même à Chuquisaca (2845“), et tous
à Cerro de Pasco (4350m), l’ascension des montagnes voisines de
Quito est à peu près inoffensive jusqu’à 5000m, et mille mètres de
plus ne présentent pas d’insurmontables difficultés au point de vue
physiologique.
Les immenses montagnes de l’Asie centrale peuvent être compa-
rées aux Andes du haut Pérou, au point de vue de la limite où se
manifeste le mal des montagnes. Les passes de moins de 4500“ sont
329
RÉSUMÉ ET CRITIQUES.
franchies sans souffrances sérieuses ; il en est d’assez fréquentées
qui ont plus de 5500m; plusieurs voyageurs ont atteint 6000m, et
nous avons vu les frères Schlagintweit s’élever à la hauteur prodi-
gieuse de 6882m, sur les flancs de l’Ibi-Gamin.
Ces inégalités, au point de vue de notre étude, entre les diverses
régions montagneuses du globe, se dégagent de la multitude des
faits que nous avons cités ; mais on y trouvera aisément des excep-
tions nombreuses à ces règles générales. En effet, et ce n’est pas le
fait le moins intéressant que nous révèlent ces observations multi-
ples, on voit, dans une même région du globe, dans une même
masse montagneuse, que certains lieux déterminés sont particuliè-
rement redoutés des voyageurs et des indigènes ; et ces lieux ne sont
pas toujours les plus élevés, tant s’en faut. Cette singularité s’ob-
serve même dans l’ascension d’une montagne donnée : tel le Couloir
du Mont-Blanc, où apparaissent souvent des troubles qui se dissi-
pent au sommet. En un mot, et ces faits ont été particulièrement
signalés dans les Andes et dans l’Himalaya, l’intensité des accidents
n’est pas toujours en proportion de la hauteur atteinte. Là s’est
trouvée l’origine d’étranges hypothèses imaginées par les indigènes,
et auxquelles les voyageurs ont trop souvent accordé foi ; de là, en
effet, la croyance aux émanations métalliques, aux gaz méphitiques
sortant de terre, aux exhalaisons funestes de diverses plantes.
Mais, sauf ces exceptions fort intéressantes, que nous essaierons
d’expliquer dans une autre partie de cet ouvrage, les différences de
hauteur moyenner auxquelles apparaissent les troubles graves sui-
vant les parties du monde où on les observe, sont, lorsqu’on les
considère d’ensemble, dans un rapport remarquable avec celles des
hauteurs où se maintiennent les neiges perpétuelles. Le résumé que
nous avons inséré plus haut (voir page 18), sur ce dernier sujet,
facilite pour le lecteur cette comparaison. Mais il ne faudrait pas
aller jusqu’à croire, comme l’ont fait quelques voyageurs, qu’il
existe une relation directe, et presque de cause à effet, entre ces
deux ordres de phénomènes si distincts. Tout d’abord, bien évi-
demment, on ne s’est jamais plaint du mal des montagnes dans les
régions polaires, où les moindres collines restent éternellement
recouvertes de neige. Mais, sans recourir à cette démonstration par
l’absurde, nous voyons que, dans nos Alpes, c’est presque toujours
à 500m au moins au-dessus de la limite de fusion que se mani-
festent les troubles physiologiques avec une intensité suffisante pour
appeler l’attention. 11 en est de même sur les volcans de l’Équateur
330 HISTORIQUE.
et du Mexique, les Montagnes Rocheuses et bien d’autres points. Au
contraire, sur les Andes boliviennes, et encore plus dans l’Hima-
laya, les récits précédemment publiés nous montrent les voyageurs
fort malades, alors qu’ils foulent le sol ferme, et sont encore assez
éloignés de la zone éternellement glacée. Mais il n’en est pas moins
vrai de dire que, d’une manière générale, plus élevée sera, la limite
des neiges perpétuelles, plus tard, dans les ascensions, les voya-
geurs seront menacés des accidents que nous avons tant de fois
décrits.
A côté de ces inégalités dues aux circonstances extérieures,
il en est qui dépendent des personnes elles-mêmes qui se soumet-
tent à l’influence de la décompression.
Tout d’abord, en effet, dans la même région, sur la même mon-
tagne, on voit les voyageurs tantôt se plaindre de souffrances sé-
rieuses, tantôt se réjouir ou s’étonner de n’avoir presque rien res-
senti. Au passage du Cumbre d’Uspallata, la plupart de ceux qui
font la traversée des Andes sont frappés de la puna; Samuel Haigh,
Schmidtmeyer et bien d’autres en ont porté témoignage : or,
nous avons vu Miers, Brand, Strobel, etc., y échapper complète-
ment. Tandis que de Humboldt et Bonpland furent très-malades
dans leurs ascensions du Chimborazo, M. Boussingault et le colonel
Hall, qui les dépassèrent en hauteur, n’éprouvèrent que de faibles
symptômes, et M. Jules Rémy, qui dit avoir atteint le sommet, af-
firme n’avoir ressenti aucun symptôme de malaise. Au Popocatc-
pell, le baron Gros et ses six compagnons, puis M. Laverrière, se
plaignent de véritables souffrances; MM. Turqui et Craveri, M. Vir-
let d’Aoust, déclarent avoir été complètement épargnés, tandis que
la Commission scientifique du Mexique fut un peu moins favorisée.
Ces différences sont encore plus frappantes sur les montagnes
moins élevées. Nous avons vu Riche et Blavier, atteints d’hémoptysie,
renoncer à gravir le sommet du pic de Ténériffe, auquel par-
vinrent sans encombre de Humboldt, Léopold de Buch, Elie de
Beaumont1, et tant d’autres. Sur l’Etna, le comte de Forbin, A. de
Sayvc, souffrirent beaucoup, tandis que Spallanzani demeura in-
demne, et que Ferraro prétendit s’y porter mieux que dans la
plaine.
De même pour les Alpes. Dans les centaines d’ascensions dont
son sommet a été le but, le Mont-Blanc nous a présenté les plus
1 Comptes rendus de V Académie des sciences , t. XX, p. 1502 ; 1845.
531
RÉSUMÉ ET CRITIQUES.
contradictoires résultats. De Saussure, Beaufoy, Clark et Sherwill,
Hawes et Fellowes, Bravais, Martins et Lepileur, accusent de vio-
lents malaises, dont ils ne purent triompher que par des prodiges
d’énergie; au contraire, Clissold, Piachaud, Albert Tissandier, furent
à peine malades. J’ai entendu des « alpinistes » réputés affirmer
qu’ils n’avaient absolument rien éprouvé d’extraordinaire dans
cette ascension jadis si redoutée. Or, par un contraste saisissant,
Laborde, le frère de M. Lepileur, etc., furent malades en montant
simplement au Grand-Saint -Bernard (2490m) ; Spitaler et ses compa-
gnons racontent, sur leur ascension au Venediger (3675m), les plus
pénibles détails, alors que Desor, que Gottlieb Studer affirment
n’avoir absolument rien ressenti en montant à la Jungfrau (4170m).
En Arménie, nous voyons Radde se coucher épuisé à 3700m, tandis
que les montagnes voisines et bien autrement élevées, de l’Elbrouz
(5620m), du Kasbek (5030m), et de l’Ararat (5155m), ont vu d’intré-
pides voyageurs fouler presque impunément leurs cimes. Bien plus,
en 1868, Freshfield, Moore et Tucker font sans souffrances l’ascen-
sion du Kasbek; en 1874, des montagnards non moins expéri-
mentés, Gardiner, Grove, Walker et Knubel souffrirent notablement
dans la même ascension. Je ne citerai pas d’autres exemples. Il
suffit de se reporter à ce que nous avons dit dans les chapitres pré-
cédents, pour trouver, parmi tant d’observations, des exemples
d’inégalités non moins considérables constatés dans les Pyrénées,
l’Himalaya et les autres régions montagneuses.
Ces différences sont surtout saisissantes lorsqu’elles se manifes-
tent sur des voyageurs qui, dans des conditions semblables en ap-
parence de santé, d’hygiène, d’exercice antérieur, exécutent si-
multanément une même ascension. Sur le Pichincha, Ulloa tombe
en défaillance ; La Condamine ne ressent aucune difficulté dans la
respiration. En montant au Cotopaxi (5945U1), un des muletiers de
Stuebel fut tellement malade qu’il ne put dépasser 5600m; un
autre ne sentit absolument rien. Sur le mont Etna, de Gourbillon
n’éprouva rien, tandis que son compagnon Wilson souffrit étrange
ment. Dans l’ascension du Finsteraarhorn (4275m), Ilugi se trouvait
fort bien, de même que ses compagnons, sauf l’un des plus vigou-
reux guides de l’Oberland, qui eut des vertiges et des nausées. Sur
le glacier de la Maladetta, Néergaard s’arrête, incapable de conti-
nuer une ascension que termine sans accident le célèbre géologue
Cordier. MM. Lortet et Durier montent le même jour au Mont-
Blanc : les récits de leurs sensations sont aussi dissemblables que
532
HISTORIQUE.
possible. A 550üm, Crocé-Spinelli est pris clans son ballon d’une
oppression manifeste; ses compagnons de voyage déclarent ne
rien éprouver.
Mais ce n’est pas tout : la môme personne exécutant, dans des
conditions qui lui semblent identiques, la même ascension à deux
reprises différentes, ne se comporte pas toujours de même. A sa
première ascension du Buet, le chanoine Bourrit tombe sans con-
naissance ; l’année suivante, il n’éprouve rien de particulier. Sur
le Breithorn (41 00m) , M. Lepileur, en 1875, ne ressentit aucun ma-
laise, tandis que l’année suivante il y fut pris d’un sommeil invin-
cible. Semblable inégalité entre les trois ascensions du Mont-Blanc
parM. Tyndall, et les deux par M. Lortct. Les observations faites
sur les guides sont encore plus concluantes.
Il faut enfin noter que, tandis que certaines personnes semblent
extrêmement sensibles aux effets des ascensions, d’autres dépassent
sans se plaindre le niveau où la grande majorité des voyageurs est
frappée des malaises habituels. Nous avons vu que le Dr Martin de
Moussy avait ressenti la piinct à 1970m, tandis que Jules Rémy a pu
monter à peu près impunément au sommet du Chimborazo (6420m).
Victor Jacquemont semblait particulièrement indemne sous ce rap-
port, comme on peut le voir dans les extraits de ses lettres. Ce sont
là, du reste, des faits bien connus de tous les « mountainers; » on
sait que certains guides sont incapables de suivre « leurs messieurs »
à partir d’un certain niveau, et des voyageurs, intrépides et infati-
gables dans les montagnes de second ordre, ont dû renoncer à at-
teindre les plus hauts sommets des Alpes.
Les nombreuses ascensions dont nous avons énuméré les récits dif-
fèrent donc en définitive les unes des autres, par rapport au mal des
montagnes, d’abord par des raisons qui paraissent dépendre de la
montagne elle-même, puis par des raisons qui dépendent des voya-
geurs, ces dernières pouvant être constantes et pouvant aussi n’être
que transitoires. Les extrêmes de ces différences peuvent osciller
entre 1500IU (M. Javelle) et 6000m ; c’est là ce qui explique, sans les
justifier, les dénégations inconsidérées que nous avons tant de fois
enregistrées.
Nous devons maintenant nous attacher spécialement à l’étude des
influences d’ordre transitoire, et chercher, en analysant d’une
manière plus détaillée les relations citées, s’il est possible d’expli-
quer ces différences par certaines conditions de milieu, par les cir-
constances dans lesquelles se sont trouvés accidentellement les
333
RÉSUMÉ ET CRITIQUES.
voyageurs ou par cet ensemble de conditions intrinsèques propres
à chacun de nous, dont les unes sont susceptibles de mesure, les
autres plus ou moins inconnues et qu’on désigne parles expressions
générales de tempérament et d’idiosyncrasie. C’est ici le lieu de re-
chercher l’influence de l’habitude, de l’acclimatement, de tenir
compte de la race humaine à laquelle appartient le voyageur.
Sous ce dernier rapport, les résultats observés semblent bien con-
tradictoires : tandis que d’Orbigny, Pœppig, Tschudi, de Saint-Cricq,
Weddell, les frères Grandidicr, etc., remarquent avec étonnement
l’immunité des Indiens qui courent à côté de leurs mules sans laisser
paraître le moindre malaise, nous voyons, dans l’ascension de de
Humboldt au Chimborazo, un métis né sur les hauts lieux souffrir
plus que les Européens ; de même , Caldcleugh , Brand , Stuebcl
voient leurs péons malades alors qu’eux-mêmes n’éprouvent pres-
que rien ; cependant, d’une manière générale, il est évident que,
dans les Andes, les Indiens résistent beaucoup plus que les Euro-
péens aux effets du mal des montagnes.
Je ne puis m’empêcher de citer à ce propos un passage d’une
lettre pleine d’intérêt qu’a bien voulu m’écrire un ingénieur fran-
çais, M. E. Roy, ancien sous-directeur de l’école des arts et métiers
de Lima, qui a beaucoup fréquenté les hautes régions des Andes :
La race indigène indienne est forte et vigoureuse, la nature ou l’effet d’une
espèce d’atavisme l’a douée d’un puissant appareil respiratoire qui lui permet,
probablement par la respiration d’une plus grande quantité d’air, de retrouver
l’équivalent d’oxygène nécessaire à son existence et au maintien d’une bonne
constitution. L’Indien de ces hauts plateaux est trapu, a le torse et le bassin
énormes et les jambes relativement courtes ; c’est un marcheur de premier ordre.
Chaussé de ses doubles bas de laine et de ses mocassins, il fera 50 kilomètres,
sans sourciller, dans ses montagnes, et, pourvu qu’il ait des feuilles de coca à mâ-
cher, il fera ce trajet d’un trait. C’est bien pour lui et ses lamas que le plus
court chemin d’un point à un autre est la ligne droite : il ne cherche pas à con-
tourner les vallées pour aller de l’une dans l’autre, il pique droit devant lui, si
la déclivité de la montagne n’est pas infranchissable : c’est vous dire combien il
laut qu’il respire librement.
En retour, quand ces montagnards descendent sur le bord de la mer, ils ne
peuvent se livrer à un travail pénible, comme dans leurs montagnes; beaucoup
deviennent poitrinaires. Ainsi, à l’école dont j’étais sous-directeur, beaucoup de
jeunes gens venant de ces hautes contrées ont dù, pour cette cause, retourner à
l’air natal avant d’avoir fini leurs études, à cause du travail de l’atelier trop pé-
nible pour eux.
Le contraire parait résulter des récits faits par les voyageuts de
l’Asie centrale. Déjà Fraser se plaint vivement de ses coolies. D’après
354
HISTORIQUE.
le Dr Gérard (p. 148), les habitants duKoonawur, nés sur les hauts
plateaux, sont aussi malades que les voyageurs. Johnston raconte que
tandis que les indigènes qui raccompagnaient sur le pic de Tazigand
respiraient avec la plus grande peine, lui et ses compagnons anglais
ne ressentaient aucune souffrance (p. 150). Oliver Cheetam, Godwin
Austen, Hcnderson, racontent des faits semblables. Pour les frères
Schlagintweit , la différence des races est de peu d’importance.
Drew a vu un natif du Pendjab malade à 11 000 pieds (5500m). Ainsi,
les Indiens, même ceux qui sont nés dans les régions montagneuses,
semblent au moins aussi sensibles que les Européens aux effets des
ascensions.
De même, en Afrique, dans les ascensions des monts Cameron et
du Kilimandjaro ; de même à Hawaï, sur le Mauna-Loa, les indi-
gènes ont été frappés du mal des montagnes avant les voyageurs
européens, et plus gravement qu’eux.
Mais il convient de dire, dès maintenant, qu’indigènes et Euro-
péens n’étaient pas, pendant ces voyages, dans des conditions identi-
ques, au point de vue des vêtements, de la nourriture et du travail.
Si des indigènes appartenant à des races qui semblent , suivant
l’expression du Dr Gérard, « nées pour vivre et mourir dans des ré-
gions inaccessibles, » sont atteints par l’influence de la montagne,
il doit en être de même, à plus forte raison, des populations de races
européennes , qui habitent les hauts lieux. Tous les récits du cha-
pitre 1er montrent, en effet, les porteurs et les guides malades aussi
vite et aussi gravement que les voyageurs, lorsque ceux-ci ont déjà
l’habitude de l’exercice en montagnes. Quelquefois même, ce sont
eux qui en sont pris les premiers; le récit de Holoinieu (p. 76) est
tout à fait caractéristique. Le léger avantage qu’ils présentent, en
moyenne, est assez rapidement acquis par les gens des plaines que
l’humeur vagabonde pousse dans la montagne.
Une autre preuve, et non la moins saisissante, du peu d’impor-
tance de l’accoutumance au séjour des hauts lieux, se tire de l’in-
tensité avec laquelle le mal atteint les animaux domestiques. Tous
les récits des voyageurs dans les Andes et l’Himalaya sont riches en
détails attristants sur le piteux état des mules ou des chevaux qui
portent les fardeaux ; ces derniers périssent fréquemment ; les cha-
meaux ne se comportent pas mieux; les mules de de Saussure pous-
saient des cris plaintifs sur le glacier de Saint-Théodule; les bœufs
sauvages eux-mêmes, quand on les chasse, vomissent souvent le sang,
dit de Humboldt, et l’on a vu quelle triste figure ils faisaient par-
335
RÉSUMÉ ET CRITIQUES.
fois, selon de Castelnau, dans les combats de taureaux. Les chiens
sont également très-durement frappés, et ont de la peine à courir.
Les chats surtout paraissent présenter une susceptibilité excessive,
puisque, selon Pœppig et Tschudi , ils ne peuvent pas vivre au-
dessus de 4000m. (P. 43, 49.) Il convient cependant de faire remar-
quer que, d’après Tschudi et Eiliotson, les animaux nés dans la
montagne sont moins malades que les autres.
Mais il faut avouer que tout ceci se rapporte aux animaux domes-
tiques importés. Les espèces indigènes paraissent fort à l’aise aux
plus grandes hauteurs ; seul, le capitaine Webb a vu des yacks atteints
de la maladie (p. 144); les lamas en semblent tout à fait exempts,
eux qui, du reste, à l’état libre, paissent à des hauteurs de plus de
4000 mètres Enfin, depuis Ulloa, tout le monde a été frappé d’éton-
nement en voyant les condors planer habituellement à 4 ou 5000m,
et dépasser quelquefois 7000 mètres; dans l’Himalaya, les huppes
et d’autres passereaux habitent par plus de 5000 mètres.
Nous touchons ici à l’un des points les plus intéressants de cette
revue d’ensemble. L’influence de l’habitude, l’accoutumance au
mal des montagnes, est indéniable; mais on en a tout à la fois exa-
géré et mal déterminé les conditions.
Au témoignage de d’Orbigny, de Pœppig, de Gay, de Tschudi, de
Guilhert, on s’habitue parfaitement à vivre dans les hautes régions
des Andes, et les malaises souvent insupportables qui frappent l’Eu-
ropéen dans les premiers jours disparaissent graduellement. «Dans
les rues, dit Guilbert, on reconnaît facilement les nouveaux venus ;
tous les quarante ou cinquante pas ils s’arrêtent quelques secondes. »
(P. 57.) Des effets analogues ont été remarqués dans nos montagnes
d’Europe ; tel novice qui , arrivant des plaines, est malade à une
faible hauteur, pourra, plus tard, faire impunément des ascensions
beaucoup plus élevées. Mais il ne faudrait pas croire que cette im-
munité soit absolue ; un changement de niveau un peu considérable,
des circonstances particulières, font soudain reparaître le malaise
disparu; nous en trouverons la preuve dans les récits de M. Wed-
dell, de M. Pissis, de d’Orbigny lui-même. En un mot, il en est de
l’arrivée en montagne comme de tous les changements brusques
auxquels nous pouvons nous soumettre ; un certain temps écoulé
laisse rétablir l’équilibre un instant ébranlé, et que des transi-
tions plus ménagées auraient permis de conserver.
Nous essaierons de préciser plus tard la nature et Pimportancc
des conditions changées par le fait de l’ascension ; mais, dès main-
336
HISTORIQUE.
tenant , nous pouvons constater la réalité de raccoutumance , ou ,
comme on dit d’ordinaire, de l’acclimatation sur les hauts lieux.
Mais nous ne parlons ici, nous ne saurions trop le redire, que des
accidents violents et soudains du mal des montagnes, en un mot;
nous n’avons nullement l’intention de nous jeter dans l’étude déli-
cate, complexe, où les moyens de démonstration sont d’autant plus
nombreux qu’ils sont moins probants, de l’acclimatation véritable,
sur les hautes régions, des générations successives tendant à la
constitution d’une race.
Tout en faisant quelques réserves, car il paraît prouvé que cer-
taines personnes ne peuvent s’habituer au séjour des hauts lieux,
nous constatons simplement qu’un voyageur arrivé depuis quelque
temps dans la montagne n’éprouvera rien d’extraordinaire là où il
était, à ses débuis, malade; que ses descendants, s’il y fait souche,
conserveront son immunité relative ; que la race qui se sera ainsi
formée jouira des mêmes avantages, jusqu’à frapper d’étonnement
le voyageur nouveau venu. Mais sous la réserve déjà faite qu’il n’y
a là rien d’absolu.
Encore faudrait-il bien s’entendre sur la question d’habitude. En
effet, ainsi que nous allons le dire dans un moment, la fatigue est
un élément considérable , dans l’intensité du mal des montagnes.
Or, l’une des conséquences de l’exercice prolongé en montagnes,
c’est la moindre disposition à la fatigue. 11 en est de cette gymnas-
tique spéciale comme de toutes les autres ; on arrive à ne faire con-
tracter que les muscles, que les faisceaux musculaires indispensa-
bles pour le mouvement qu’on cherche à obtenir; on ne les amène
qu’au degré de contraction précisément nécessaire; en un mot, on
réduit à son minimum la dépense des forces. De plus, les muscles,
et sans doute aussi les nerfs, sollicités plus fréquemment à l’action,
dont une circulation locale plus active enlève sans cesse les dé-
chets, peuvent fournir à un emmagasinement et à une décharge
dynamiques plus considérables, deviennent, comme on dit, plus
forts, et, pour un même travail, donnent à un bien moindre degré
la sensation de fatigue.
De là suit qu’on se dispose à raccoutumance sur les hauteurs par
le simple exercice gymnastique des ascensions médiocres dont les
« alpinistes » de profession ont toujours soin de faire précéder leurs
prouesses à grande hauteur. Faute de s’astreindre à cette règle, les
plus énergiques payent souvent leur tribut. Un des membres du
Club alpin autrichien, des plus familiers avec les sommets élevés des
RESUME ET CRITIQUES.
537
Alpes, qui se vantait à moi de n’avoir jamais rien ressenti au mont
Rose ni au mont Blanc, m’avoua avoir été fort malade un jour pour
avoir fait, en sortant d’une vie sédentaire, et sans nulle transition,
une ascension de 2500“. C’est là une des raisons pour lesquelles les
médiocres montagnes de la vallée de Chamounix, le Buet, parfois
même le Brévent (2525m), rendent malades les voyageurs qui arri-
vent par Genève ; c’est aussi cette absence d’entraînement qui
explique la fréquence des accidents du mal des montagnes dans
l’ascension du mont Blanc, alors que celle du mont Rose est beau-
coup moins redoutée sous ce rapport; c’est que la première est
souvent faite par des novices ou même par des « mountainers »
expérimentés, mais qui, quelques jours avant, vivaient dans l’at-
mosphère de Londres ou de Paris, tandis qu’on n’atteint générale-
ment au mont Rose qu’après une série d’exercices préalables qui ont
discipliné l’appareil locomoteur.
Les exemples de l’influence de la fatigue sont nombreux dans les
récits mêmes que nous avons cités.
En faisant l’énumération des symptômes du mal des montagnes,
nous aurons à insister sur le fait de son exagération par l’exercice,
même le plus modéré. Ici, nous devons simplement signaler les cas
où il n’apparaît que sous l’influence de la fatigue, et nous pouvons
même dire, d’une fatigue passagère, due à un exercice violent. J’ai
moi-même ressenti des accidents assez sérieux, pour avoir fait au
pas gymnastique une course ascendante de près d’un kilomètre, sur
la route du grand Saint-Bernard, à une hauteur qui ne devait pas
dépasser 1500m. C’est à l’influence de la fatigue, des charges portées
à dos d’homme, qu’il faut rapporter, pour une grande part, les
malaises violents qui frappent parfois les péons des Andes et
surtout les coolies de l’Himalaya, avant les voyageurs européens.
Ceux-ci, du reste, se laissent d’ordinaire transporter tranquille-
ment sur le dos des chevaux, des mulets ou des yaks. Nous avons
énuméré bien des cas dans lesquels la maladie les frappait sou-
dain, aussitôt qu’ils descendaient pour cheminer à côté de leurs
montures. S’ils marchent sur un terrain difficile, dans la neige nou-
velle où enfonce le corps, la fatigue s’en augmente, et avec elle
l’intensité des accidents.
Si, comme l’ont fait d’ordinaire les [voyageurs,, nous appliquons
le mot fatigue non-seulement au résultat de contractions muscu-
laires exagérées, mais [à l’influence d’autres causes épuisantes, ce
facteur du mal des montagnes prend encore plus d’énergie. Ainsi
358 HISTORIQUE.
l’insommie, le manque de repos et de confort ne sohtf point à
négliger. A leur seconde ascension du Mont-Blanc, MM. Lortet et
Marcet furent beaucoup moins malades qu’à la première : ils
avaient passé une bonne nuit aux Grands-Mulets. La généralité des
malaises, en grimpant cette montagne, tient en partie à ce que le
lieu de repos, la cabane des Grands-Mulets, est fort mal installé ;
au contraire, sur le mont Rose, se trouve l’auberge du Riffelberg,
où l’on se repose à son gré, et où l’on peut demeurer plusieurs
jours à une élévation de 2570m.
A la fatigue, à l’insommie, il faut joindre l’alimentation insuffi-
sante ou mauvaise. Les guides sont unanimes pour recommander
de manger peu, mais souvent et substantiellement. Un mauvais
état de l’estomac ou de l’intestin amène infailliblement les trou-
bles bien avant le niveau habituel. On a vu fréquemment des
guides devenir malades assez bas, pour s’être enivrés la veille; les
péons qui ont des habitudes vicieuses souffrent plus de la puna que
les autres, dit Caldcleugh (page 57).
Telles sontles principales circonstances, variables et accidentelles,
qui peuvent modifier l’intensité du mal des montagnes : non-accli-
matement, non-entrainement, fatigue, insomnie, mauvaise alimen-
tation, dispositions momentanées mauvaises. Les tempéraments
divers paraissent inégalement atteints. Suivant la plupart des voya-
geurs, suivant A. Smith (p. 47), Tschudi (p. 49), Burmeister (p. 55);
Pissis (p. 61), les pléthoriques et aussi les personnes âgées ou
très-faibles sont particulièrement frappées. Il n’est pas rare de
voir des gens d’apparence assez frôle, mais bilieux ou nerveux, faire
impunément des ascensions où échouent des personnes corpulentes*
On peut dire qu’ils ont moins lourd à soulever, ce qui a son impor-
tance, surtout quand ils cheminent sur la neige, où ils enfoncent
moins; en outre, leur surface pulmonaire est, comme celle des en-
fants, plus grande, proportionnellement à leur poids ; mais, quoi
qu’il en soit de l’explication, le fait est d’observation courante.
L’-état de mauvaise santé, pour une cause quelconque, prédispose
également à être plus tôt malade. « Quand je ne me portais pas bien,
dit Al. Gérard, j’ai souffert à 15 000 pieds, tandis qu’en bonne
santé, je n’ai rien ressenti à 16000 pieds » (p. 149).
Une influence d’une nature générale est celle du froid, qui pré-
dispose au mal des montagnes. C’est, nous l’avons vu, à la région
des neiges perpétuelles qu’il apparaît d’ordinaire, et dans les con-
trées intertropicales, il recule avec elles jusqu’à d’énormes hau-
339
RÉSUMÉ ET CRITIQUES.
leurs. Tous les voyageurs sont d’accord pour déclarer que le vent
glacé des hauts lieux, lorsqu’il s’élève, rend insupportables les
malaises, et peut amener la mort ; le fait a été remarqué d’abord
dans les Andes par Acosta (p. 27).
Si donc à la fatigue de la marche et des fardeaux portés on joint
l’alimentation insuffisante, les privations de la misère, les vêtements
impuissants à préserver du froid, on trouve réunies toutes les
causes qui peuvent augmenter l’intensité du mal des montagnes.
Ces causes, sans parler des habitudes vicieuses, se donnent rendez-
vous pour frapper les malheureux coolies indiens et aussi, bien
qu’à un moindre degré, les péons des Andes ; cela suffit bien pour
expliquer la violence avec laquelle ils souffrent ordinairement de
la puna ou du bies, suivant leurs expressions.
Que si maintenant nous nous reportons aux différences signa-
lées dès le début de ce paragraphe entre les diverses montagnes,
relativement à la hauteur à laquelle surviennent d’ordinaire les
malaises, nous pouvons les expliquer en partie par les observations
qui viennent d’être relevées.
Si, sous les tropiques, le mal des montagnes n’arrive guère avant
4500m, tandis que dans nos Alpes il n’est pas rare mille mètres
plus bas, la température est certes pour beaucoup dans cette iné-
galité considérable ; ainsi que je le faisais remarquer il n’y a qu’un
instant, la zone des neiges éternelles est à peu près celle à laquelle
apparaissent les malaises. Si la ville de Cerro de Pasco est si redou-
tée de tous les voyageurs, c’est que son climat glacé vient augmen-
ter l’intensité des accidents occasionnés par la hauteur. Evidem-
ment, c’est à leur position sous l’Équateur même que les montagnes
gigantesques qui environnent Quito doivent en partie l’immunité
relative dont ont joui ceux qui en ont fait l’ascension. A Quito, dit
Jameson1, la température moyenne est d’à peu près 14°; le ther-
momètre oscille entre 18° et 8°.
Mais cet élément n’est pas le seul. 11 y a une grande différence*
d’après ce que nous avons dit précédemment, entre une montagne
située sur le bord de l’Océan, comme le pic de Ténériffe (371bm),
par exemple, et une autre de même hauteur dans le massif de nos
Alpes, comme le Galenstock (3800m). Pour faire l’ascension du pre-
mier, en effet, le voyageur part du niveau de la mer, et franchit
d’un coup une hauteur verticale considérable ; pour le second, la
1 Joürney frorn Quito lo Cayambe. — Journal roy. geogi'. Sob.t t. XXXI, p. 184-190;
1861.
340
HISTORIQUE.
distance à parcourir est diminuée de 1000“ au moins. La transi-
tion est donc, dans ce dernier cas, infiniment plus ménagée. De
plus, on ne peut accéder au pied même des montagnes alpestres
qu’après avoir fait une sorte d’acclimatement avec entraînement
musculaire, au lieu qu’on débarque simplement au pied du Pic ou de
l’Etna. 11 en résulte que sur ces montagnes médiocres, malgré la
température élevée de leur région, les accidents sont encore plus
fréquents que sur les montagnes équivalentes des Alpes.
C’est pour la même raison, en outre de leur situation dans la zone
torride, que le Chimborazo, l’Antisana, le Cotopaxi, etc., n’occa-
sionnent que de médiocres accidents; la ville de Quito, qui est à
leurs pieds, et d’où l’on part après un séjour plus ou moins long,
est située par 291 0,n, en telle sorte qu’il ne reste que 1950ni à
monter en verticale, pour arriver au sommet du Pichincha ; c’est
le cas de se souvenir de l’irrévérencieuse comparaison du cha-
noine Bourrit (p. 15).
Le lecteur peut s’assurer, en passant en revue les voyages à tra-
vers les Andes (p. 25-64), que les accidents frappent bien plus
généralement et bien plus durement les voyageurs qui vont du Paci-
fique à l’Atlantique, que ceux qui suivent la route inverse. Pour
moi, l’explication de cette singularité apparente se trouve en grande
partie dans ce fait, que du côté chilien, l’ascension est extrême-
ment brusque, tandis qu’elle est lente et progressive pour le voya-
geur qui va de l’est à l’ouest.
Enfin, la hauteur considérable à laquelle il faut s’élever dans
l’Himalaya pour être atteint par le mal des montagnes peut être
due à la même cause. Dans l’énorme massif d’où sortent l’indus,
le Bramapoutra et le Gange, on n’atteint les passages redoutables
qu’après avoir longtemps marché sur un terrain montueux, dont
les assises de plus en plus élevées préparent lentement à l’influence
des grandes hauteurs. C’est là que les transitions sont le plus mé-
nagées : c’est là que les accidents à craindre doivent se faire sentir
le plus tardivement, ce qui arrive en effet.
Mais, bien entendu, cette influence considérable doit être rappro-
chée des conditions climatériques et des autres causes de variations
que nous avons déjà signalées. 11 nous semble que, sauf quelques
cas encore difficiles à interpréter, et sur lesquels la discussion des
théories émises jettera quelque lumière, les inégalités si singulières
que nous indiquions au commencement de ce paragraphe se lais-
sent à peu près looks expliquer d’une manière satisfaisante.
RÉSUMÉ ET CRITIQUES.
341
§ 2. — Symptômes du mal des montagnes.
Le mal des montagnes, la veta , la puna, le mareo , le soroche des
Sud-Américains, le bis , le tunk, le dum , le mundara, le serein, Y aïs
des montagnards de l’Asie centrale, Yikak des naturels de Bornéo,
est constitué, à son maximum d’intensité, par un ensemble de
symptômes redoutables, qui portent à la fois sur toutes les grandes
fonctions physiologiqnes : l’innervation, la locomotion, la circula-
tion, la respiration, la digestion. Nous allons d’abord les résumer,
d’après les récits qui précèdent, en les rapportant à chacune de ces
divisions des phénomènes naturels.
Digestion. — La soif exagérée, le dégoût non-seulement pour l’in-
gestion, mais pour la vue et l’odeur des aliments, le manque de sa-
pidité des liquides, les nausées, les vomissements ont été signalés
par presque tous les voyageurs. On mange très-peu sur les hautes mon-
tagnes ; Martins et Bravais, avec trois guides, firent un bon repas de
la ration d’un homme seul. Quant aux accidents violents, rien de
plus saisissant que la description faite par Acosta : « Après avoir
vomy la viande, les phlegmes et la colère, l’une jaune et l’autre
verde, ie vins iusque à jetter le sang » (p. 25). Les pudiques péri-
phrases des voyageurs anglais sur les « soulèvements du dia-
phragme », « les malaises d’estomac, » laissent entrevoir le tableau
énergiquement retracé par le vieux jésuite. On n’aura, dans les
récils du premier chapitre, que l’embarras du choix entre les des-
criptions. Quelquefois l’estomac devient d’une susceptibilité telle,
qu’il ne peut supporter une cuillerée d’eau (P. 170).
La diarrhée a été signalée, vraisemblablement comme consé-
quence des jets de bile lancés dans l’inlestin pendant les efforts
de vomissement. « Mes compagnons étaient perdus de vomissement
et de force d’aller à la selle, » raconte encore Acosta (P. 26). Il
faut dire cependant que, dans quelques cas, elle paraît être due
simplement au froid, aux pieds humides, etc.
L’ensemble de ces phénomènes est, en tous lieux, ce qui a le
plus frappé et le plus effrayé les voyageurs ; c’est à eux qu’est duc
la vieille comparaison qui a fait donner au mal des montagnes, au
mareo, son nom significatif.
décrétions. — Les troubles sécrétoires sont peu importants; leur
relation d’effet à cause avec l’acte même de l’ascension n’est rien
moins que démontrée. Que la sueur s’exagère, l’exercice violent,
342
HISTORIQUE.
l’action directe des rayons solaires, l’expliquent suffisamment. La
diminution dans la sécrétion urinaire peut en être la suite, mais
plusieurs voyageurs n’hésitent pas à y voir l’influence directe des
hautes régions. Du reste, aucune mesure exacte n’a été prise, au-
cune analyse chimique n’a été faite.
Respiration. — La respiration plus fréquente, plus courte, puis
difficile, entrecoupée et anxieuse, a été éprouvée et signalée par
tout le monde. L’oppression s’accompagne souvent de douleurs
de poitrine. C’est, avec la fatigue exagérée, la première mani-
festation du mal des montagnes. Les animaux n’en sont pas exempts.
Nous avons vu quelle importance ont attachée au nombre aug-
menté des respirations les théoriciens qui se sont occupés de la
question : nous y reviendrons dans un moment.
Les observations de M. Lortet (P. 120) ont précisé les modifica-
tions apportées par l’altitude dans le rhythmc respiratoire : l’am-
plitude diminue, si le nombre augmente. C’est aussi ce qu’a
constaté Yivenot dans ses appareils (p. 295).
Quant aux conséquences, relativement à la respiration, d’un sé-
jour habituel dans les hauts lieux, les faits rapportés semblent en
contradiction avec ces résultats. Pour ne citer que les plus récents
auteurs, nous voyons M. Jaccoud affirmer que le nombre et l’am-
plitude des respirations augmentent sur l’Engadine (p. 511). Drew
trouve aussi « la respiration plus rapide et plus ample » (p. 509).
M. Armieux arrive au même résultat pour le nombre; de plus il
constate une capacité respiratoire augmentée chez les infirmiers de
Baréges. Tout le monde paraît être d’accord sur la question de la
fréquence ; mais celle de l’amplitude appelle de nouvelles recher-
ches. Il en est ainsi, à plus forte raison, si l’on fait intervenir la
question des races (p. 515).
Circulation. — L’accélération du pouls, si elle n’a pas été notée
par tous les voyageurs, comme les troubles digestifs et res-
piratoires, n’est pas moins constante. On peut la constater, alors
même qu’aucun sentiment de malaise n’appelle l’observation. En
faisant la très-modeste ascension du Nivolet (1558m) près Cham-
béry (269m), j’ai vu mon pouls et celui de toutes les autres person-
nes qui composaient notre petite caravane monter de 4 à 8 batte-
ments ; il était compté, bien entendu, après un long repos. Le
lieutenant Wood ne s’est aperçu que par hasard de la rapidité
extraordinaire de son pouls, si bien qu’il se crut alors pris de
fièvre (p. 154).
543
RÉSUMÉ ET CRITIQUES.
Quand la différence de niveau est très-grande, l’accélération
devient considérable. Elle est, du reste, comme l’a dit de Saus-
sure (p. 92), en rapport avec l’intensité du malaise éprouvé. Les
nombres exlraordinaires de 150, 140 pulsations ne sont pas très-
rares dans les hautes montagnes : « Mon cœur, dit mistress Hen-
derson, allait un train de chemin de fer » (P, 160). Nous avons
vu Parrot chercher à établir une sorte de rapport, qui aurait pu
servir de mesure pour la hauteur, entre le nombre de ses pulsa-
tions et l’altitude atteinte (P. 151). Le tableau publié par Lortet
(P. 122) est très-curieux sous ce rapport; mais il s’en faut de
beaucoup qu’une pareille régularité soit générale. A de grandes
hauteurs, l’accélération du pouls devient insupportable ; elle s’ac-
compagne de bourdonnements d’oreilles, de battements dans les
carotides, dans les tempes, de palpitations plus ou moins violentes,
et qui deviennent effrayantes. Cette accélération ne paraît pas im-
pressionnable par l’emploi de la digitale (P. 162).
Cette modification n’est pas transitoire ; elle persiste pendant le
séjour dans les lieux élevés. Sur ce point, il est à regretter que les
observations précises soient extrêmement rares. Aussi, je crois
devoir reproduire ici celles qu’a récemment publiées M. Mermod.
M, Mermod1 a compté sur lui-même, à maintes reprises, le nom-
bre des pulsations, aux trois stations d’Erlangen (525m), de Lau-
sanne (61 4“), et Sainte-Croix (1090ra) ; ïe séjour dans chacun de
ces pays durait plusieurs mois. Ces observations ont été faites avec
un soin rigoureux, et toutes les précautions nécessaires ont été
prises pour que les causes d’erreur fussent inférieures aux varia-
tions, évidemment bien légères, que pouvait présenter la circulation
sous d’aussi faibles différences d’altitude. Or, la moyenne de 900
observations faites à Erlangen a donné 62,76 pulsations, celle de
577 observations faites à Lausanne, a donné 66,68 pulsations, et
celle de 555 observations faites à Sainte-Croix, 68,87. L’augmenta-
tion du nombre avec l’altitude a été constatée à toutes les heures
u jour.
M. Jaccoud (voy. p. 510) a observé aussi sur l’Engadine une accé-
lération permanente de son propre pouls.
Je dois cependant citer dans un sens inverse les observations du
Dr Armieux (p. 515), trouvant une diminution moyenne de 5,85
pulsations de Toulouse (200m), à Baréges (1 270m) .
Elude de l'influence de l’altitude sur la fréquence des battèments du cœur. — Bul-
letin delà Société vaudoisc des sciences naturelles, t. XIII, p. 501-599, 1875.
344
HISTORIQUE.
La fréquence n’est pas seule modifiée dans le pouls. Sa force di-
minue beaucoup, il devient irrégulier, très-nettement dicrote, de
plus en plus petit et dépressible. Les tracés pris par M. Lortet pen-
dant l’ascension du mont Blanc (voy. p. 121) sont des plus nets
sous ce rapport. La tension artérielle diminue notablement.
D’autres observateurs ont trouvé au contraire le pouls plein, fort,
« vibrant, dit Guilbert, comme dans l’insuffisance aortique. »
(Voy. p. 58.) Selon Junod, qui expérimentait en vases clos, il est
plein, dépressible, fréquent (p. 259). Sans perdre de force, dit
M. Lepileur, le pouls augmente notablement de vitesse (p. 248).
Le système veineux présente des phénomènes non moins frap-
pants; plénitude des vaisseaux, congestion de la peau, des lèvres,
des conjonctives; apparence violacée, vultueuse, enflée de la face ;
lèvres bleues et gonflées.
Puis, parfois, tout à coup, la scène change du tout au tout : la
face devient pâle : c’est la syncope qui menace. Elle arrive souvent
môme, allant jusqu’à la perte complète de connaissance. La station
debout la favorise singulièrement. (Voy. p. 85, 109.)
Le plus effrayant, sinon le plus grave des troubles circulatoires,
ce sont les hémorrhagies ; elles sont plus rares qu’on ne le dit gé-
néralement ; par ordre de fréquence, on signale d’abord les hémor-
rhagies nasales et pulmonaires, celles des yeux, des lèvres, des
oreilles, les hémorrhagies intestinales ; enfin, M. Martins a éprouvé
une hématurie légère. Mlle Dangeville vit son époque de menstrua-
tion notablement avancée ; mais l’exercice violent peut suffire pour
expliquer ce fait.
Ces pertes de sang ont été observées chez les animaux, notam-
ment chez les chevaux et les bœufs. Je signale en passant l’impor-
tante observation du Dr Clark, qui remarqua que le sang venu du
nez était « d’une couleur plus noire qu’à l’ordinaire » (p. 98).
Locomotion . — La pesanteur des membres inférieurs, le « coup
aux genoux », une fatigue que n’expliquent pas les efforts accomplis,
sont l’un des premiers signes du mal des montagnes. Nous avons
vu, par des citations nombreuses, qu’à une certaine hauteur, il de-
vient impossible aux plus robustes marcheurs de faire plus de quel-
ques pas sans s’arrêter. Et il s’agit bien là de la hauteur, non des
difficultés ordinaires de la route en montagnes. « J’ai fait, dit le
capitaine Gérard, 54 milles à pied dans des pays qu’appelleraient
montagneux ceux qui ne connaissent pas les parties difficiles du
Koonawur, avec plus de facilité et en moins de temps que, dans ces
345
RÉSUME ET CRITIQUES.
hautes régions, je ne pouvais marcher 12 milles. Quand l’élévation
dépasse 14 000 pieds, chaque mille, meme quand la route est bonne,
demande au moins deux fois plus de temps qu’à la hauteur de 7 à
8000 pieds. » (Voy. p. 149.)
Ce n’est pas seulement la marche- qui devient pénible. Le moin-
dre poids fatigue les épaules; un travail, médiocre dans les régions
ordinaires, ne peut s’exécuter dans la montagne qu’au prix de véri-
tables souffrances, parfois de dangers. « Nous ne pouvions nous
servir de nos bras, dit le Dr Gérard (p. 147), pour briser un mor-
ceau de pierre d’un coup de marteau. » Hamel affirme que « la
parole même fatigue ». (P. 97.) Et les frères Schlagintweit, qui font
la même observation, ajoutent qu’ « on ne s’occupe ni du confort
ni du danger. (P. 167.)
Je n’ai trouvé de convulsions citées que dans les récits de mis-
tress Hervey (p. 159) et, nonobstant l’irrévérence de ce rapproche-
ment, chez les chevaux dont Liguistin a rapporté l’histoire. (P. 284.)
Mais dans l’un et l’autre cas il y a peut-être autre chose encore
que l’influence des hauts lieux.
Innervation. — En tête de cette catégorie se placent les maux de
tête, si violents, si insupportables, comparés à « un cercle de fer
serrant les tempes » (Guilbert), comme si « la tête allait se fendre
en deux » (Mrs. Hervey.), dont se plaignent particulièrement les
voyageurs dans l’Himalaya.
Les altérations sensorielles, et surtout la dépression intellectuelle,
ont été beaucoup moins notées que les symptômes précédents.
Cependant, on parle encore assez volontiers des bourdonnements
d’oreilles, de la diminution du goût et de l’odorat. L’affaiblissement
de l’ouïe est expliqué par la moindre intensité des bruits transmis
par un air peu dense. De la vue, il est plus rarement question, bien
que nous ayons cité des exemples de voyageurs cessant d’y voir,
ou se plaignant d’éblouissements, d’obscurcissements, etc. (Voy.
p. 102, 158.) On accuse encore la perte de connaissance, la dé-
faillance totale, suite, dit-on, de la syncope. Mais ce qu’on n’a-
voue pas volontiers, c’est ce que le capitaine Gérard appelait avec
franchise la « dépression des esprits » (p. 149), et Henderson, une
« grande prostration du corps et de l’esprit » (p. 170).
Et cependant, quand on lit avec soin les récits des voyageurs, on
en trouve presque toujours la trace manifeste. Beaucoup la déguisent
sous le nom de somnolence ; on ne fait pas difficulté de parler ou-
vertement d’une envie de dormir qui devient parfois invincible :
546
HISTORIQUE.
mais on ne reconnaît pas aussi aisément que les sens sont émous-
sés, l’intelligence affaiblie, l’énergie affaissée, que l’esprit est
comme le corps envahi par une suprême paresse, ou bien, par une
réaction singulière, jeté dans des exagérations malsaines.
Le comte deForbin déclare cependant (p. 78) qu’il était « affaibli,
troublé par les terreurs d’un cerveau fiévreux. La fatigue des sens,
l’exaltation de l’imagination, jettent dans un état voisin du délire »,
Henderson parle aussi, et de Saussure l’avait fait bien avant lui,
d’une grande excitabilité de caractère. D’un autre côté, de Saussure
avoue qu’il n’a pas travaillé avec un grand entrain au sommet du
mont Blanc. M. Lepileur va plus loin et raconte (p. 111) que ses
compagnons et lui cheminaient machinalement, sans penser, pour
ainsi dire. Il attribue à cet affaissement intellectuel les contradic-
tions qu’il signale dans les récits des ascensionnistes qui l’ont pré-
cédé. Pour moi, qui ai lu des centaines de récits d’ascensions, dans
les recueils des clubs alpins de toutes les nations, je ne puis m’em-
pêcher de penser que leur monotonie, leur peu d’intérêt sérieux,
le défaut de préoccupations d’ordre élevé qui les caractérise pres-
que tous, tiennent en grande partie à l’inconscient état de dépres-
sion mentale dans lequel le séjour des hauts lieux a. placé leurs
auteurs. La moyenne des narrations d’ascensions faites à de moin-
dres niveaux est infiniment plus intéressante, plus riche en obser-
vations extérieures, en manifestations intellectuelles ; les tours de
force de gymnastique, les préoccupations culinaires, y tiennent en
tous cas une bien moindre place.
Les aéronautes ont signalé des faits analogues, c’est-à-dire une
lente dépression, conduisant à l’indifférence et au sommeil : « Les
facultés morales s’éteignent avant les facultés physiques. D’abord
on n’a ni mémoire ni souci. On oublie la surveillance de l’aérostat
bientôt un sommeil lent et doux assoupit tous les membres » (Ro-
bertson, p. 192). Dans d’autres cas, il s’agit d’excitation singulière.
Enfin, à de grandes hauteurs, l’aéronaute, même dans le calme
physique le plus complet, est tout à coup frappé d’insensibilité
complète. C’est ce qui est arrivé à Zaïnbeccari et à M. Glaisher.
Tels sont les fâcheux phénomènes que produit l’infïuenee des
hauts lieux. Au début, sensation de fatigue inexplicable, respira-
tion courte, anhélation rapide, battements de cœur violents et pré-
cipités ; dégoût pour la nourrituft; ; puis, bourdonnements d’oreilles,
angoisse respiratoire, éblouissements, vertiges, faiblesse sans cesse
croissante, nausées, vomissements, somnolence ; enfin, affaisse-
547
RÉSUMÉ ET CRITIQUES.
ment, obscurcissement de la vue, hémorrhagies diverses, diarrhées,
perte de connaissance. Telle est la série ascendante des symptômes,
en rapport avec l’altitude atteinte. Parmi tous les récits que nous
avons recueillis, qui peignent avec énergie toutes ces angoisses, il
n’en est pas, à mon sens, de plus énergique et de plus complet que
celui de Tschudi, tombant inanimé sur le sol, dans la Puna glacée
du Pérou. (Yoy. p. 50.)
La mort même, une mort immédiate, peut être la conséquence
de ces graves accidents. Nous en avons cité quelques cas, dans les
Andes (voy. p. 35, 40, 46, 49), et dans l’Himalaya (p. 148). Et ce ne
sont pas seulement les hommes qui peuvent succomber ; les animaux,
chats, chiens, chameaux, mulets et chevaux surtout, périssent plus
souvent encore.
L’intensité de ces symptômes est singulièrement exagérée par la
•marche, la course, une dépense de forces quelconque. Nous en avons
eu maints exemples. Ici (p. 102), c’est un des meilleurs guides de
l’Oberland qu’un travail un peu énergique rend par deux fois aveu-
gle ; là, c’est le voyageur Weddell, jusqu’alors indemne du soroche,
qui est frappé, à la suite d’une course rapide (p. 54); c’est de la
Taranne, tombant à terre presque sans connaissance, pour avoir
voulu doubler le pas tout à coup (p. 39),; c’est d’Orbigny, qui, se
croyant acclimaté, était forcé de s’arrêter chaque fois qu’il valsait
(p. 41); c’est Hedringer tombant sur la neige, parce qu’il a voulu
courir au sommet du mont Blanc (p. 103); c’est un habitant des
montagnes alpines, qui, s’efforçant de dépasser ses compagnons,
roule « comme si on lui avait tiré un coup de fusil » (p. 124). Les
voyageurs racontent que c’est à l’ardeur des chevaux, qui s’élan-
cent sous l’éperon, qu’est due leur mort si fréquente, tandis que
les mules, patientes et têtues, survivent, refusant de hâter le pas.
C’est surtout la marche ascendante qui fatigue et épuise.
Cette influence funeste de l’activité musculaire se fait sentir
à toutes les hauteurs. Mais dans les régions moyennement élevées
le repos suffit pour en faire disparaître les effets, pour ramener
même un calme complet. Et c’est là le caractère le plus remarqua-
ble peut-être du mal des montagnes. A l’anxiété du voyageur, à sa
fatigue extrême, à son trouble mortel, succède aussitôt qu’il s’ar-
rête, assis ou surtout couché, un bien-être inespéré : le cœur re-
prend son rhythme, la respiration se régularise, le sentiment de la
force revient, le tout comme par enchantement ; si bien qu’au bout
548 HISTORIQUE.
de quelques minutes, étonné tout à la fois de ces malaises incon-
nus et de cette guérison subite, le voyageur inexpérimenté reprend
avec confiance sa marche ascensionnelle. Mais bientôt le voici de
nouveau assailli et vaincu.
Sur les montagnes plus élevées, le repos, même le repos hori-
zontal, s’il fait disparaître les symptômes les plus violents, ne ra-
mène cependant pas le calme. Les palpitations, les étouffements,
troublent ou éloignent le sommeil. Parfois, un accident étrange se
présente : pendant la nuit, au point du jour surtout, des angoisses
respiratoires soudaines réveillent en sursaut. (Y. p. 42, 58, 59,
145, 160, 166, 169, 170.) Quelques grandes inspirations ramènent
le calme ; il faut probablement voir là une conséquence de cet ou-
bli de respirer dont avait parlé de Saussure (p. 90) : l’asphyxie
qui menace réveille tout à coup le dormeur.
Telle est la série des accidents qui, à des degrés divers, à des
hauteurs diverses, frappent les ascensionnistes et les aéronautes.
11 ne semble pas qu’il y ait grande différence, sauf l’intensité, en-
tre les accidents observés dans les diverses régions montagneuses.
Si les troubles que nous avons décrits arrivent plus tôt dans nos
Alpes que dans les Andes et l’Himalaya, ils n’y atteignent jamais
la redoutable gravité qui met en danger dans ces régions la vie des
voyageurs et de leurs guides, même indigènes. C’est que la hau-
teur du mont Blanc (481 0m) est le maximum qu’on puisse atteindre
dans notre Europe, et qu’on n’y séjourne] au plus que quelques
heures. Bien différentes sont les conditions dans l’Himalaya, où
l’on reste pendant longtemps sur des plateaux dépassant 4000,n, en
traversant presque chaque jour des passes qui atteignent de 5000
à 5500m.
Une influence fâcheuse dont bien des voyageurs ont signalé les
effets redoutables, est celle du vent. « Il court en cet endroit, dit
Acosta, qu’il faut toujours citer, un petit air qui n’est pas trop fort
ni violent. Mais il pénètre de telle façon, que les hommes y tombent
morts quasi sans se sentir. » (P. 27.) M. Lepileur, à un degré bien
moins redoutable, a également souffert du vent. (P. 111.) Les
frères Schlagintweit s’en plaignent aussi très-vivement (P. 166),
etllenderson l’accuse de tuer souvent les voyageurs. (P. 171.)
Beaucoup de récits s’accordent pour déclarer que les accidents
sont particulièrement intenses dans les points de la montagne où
l’air se renouvelle plus difficilement. Est-ce à réchauffement de
cet air, dilaté par le soleil, qu’il faut attribuer cette inégalité? Est-
RÉSUMÉ ET CRITIQUES. 549
ce à l’ennui de la marche dans ces couloirs monotones ? Les obser-
vations de M. Javelle et de M. Forel tendent à appuyer cette der-
nière hypothèse. Ils déclarent, en effet, que le ma} des montagnes
disparaît dans les endroits périlleux (p. 302) et aussi par l’obser-
vation attentive du paysage ou de soi-même. (P. 306.)
11 serait peu intéressant d’insister sur les médications opposées
par les indigènes aux accidents de la montagne. Ils s’accordent
généralement pour proscrire les boissons alcooliques ; en Amérique,
ils vantent la saignée, surtout chez les animaux. Dans les Andes
on attribue des vertus protectrices à l’ail ou à l’oignon introduit
dans les naseaux des animaux; dans l’Himalaya, on emploie des
fruits acides et secs. Enfin, à peu près partout on recommande de
manger peu et souvent. M. Dufour déclare avoir fait disparaître,
en mangeant un seul morceau de pain, un mal des montagnes déjà
violent. (P. 304.)
§ 3. — Explications théoriques.
On peut diviser en deux grandes catégories les hypothèses et les
théories mises en avant pour l’explication du mal des montagnes :
les unes, de beaucoup les plus intéressantes, s’efforcent de déter-
miner le rôle mécanique, physique ou chimique de la pression
atmosphérique diminuée; les autres, les' plus bizarres, cherchent
ailleurs que dans l’abaissement du baromètre la cause des acci-
dents. Nous commencerons par celles-ci.
Exhalaisons pestilentielles. — Les explications qui mettent en
avant des exhalaisons pestilentielles, venant soit du sol, soit de
plantes toxiques, doivent nous arrêter un moment.
Elles tirent leur origine de l’ignorance absolue où se trouvaient
les populations indigènes de l’existence même d’une atmosphère.
Aussi, les Indiens et les Tartares de l’Himalaya, les Peaux-Rouges des
Andes et leurs successeurs presque aussi grossiers qu’eux, n’hési-
tèrent-ils pas à attribuer les accidents qui les frappaient, eux et
leurs animaux domestiques, à quelque empoisonnement mysté-
rieux. Dans les Andes, la présence si fréquente des minerais métal-
liques, l’action si manifeste du mal des montagnes sur les malheu-
reux mineurs, ont fait penser qu’il sortait des métaux enfouis, et
particulièrement de l’antimoine, « qui joue, dit Tschudi, un rôle
de premier ordre dans leur physique et leur métallurgie, » des
émanations funestes pour tous ceux qui passaient sur leurs gisc-
550 HISTORIQUE.
ments. De là le nom de soroche , qui désigne à la fois l’antimoine
et le mal des montagnes.
Dans l’Asie centrale, l’idée des exhalaisons telluriques s’est aussi
présentée à l’esprit des populations, surtout du côté de la Chine ;
nous avons vu que le père IIuc n’avait pas hésité, avec sa crédulité
habituelle, à déclarer que les accidents du Bourhan-Bota étaient
dus à de l’acide carbonique sorti du sol. (P. 249.)
Les montagnes volcaniques, comme l’Etna, le Pic de Ténériffe,
les monts de l’Amérique du Nord, ont, à cause des vapeurs délé-
tères qui s’élèvent de certaines crevasses, donné lieu, de la part
des voyageurs, à une confusion bien plus excusable entre l’action de
la hauteur et celle des gaz méphitiques; nous en avons vu des
exemples.
Dans tout l’Himalaya, les montagnards n’hésitent pas à rapporter
aux poisons volatils émanant de fleurs ou de plantes les malaises
dont ils souffrent. Le plus souvent, les récits des voyageurs s’en
tiennent à ces vagues expressions ; mais lorsqu’ils prennent plus
de précision, on voit apparaître les plus curieuses divergences.
L’auteur chinois que nous avons cité (p. 159) met en cause la
rhubarbe. Au moment où Fraser voit scs coolies se plaindre du
seran et accuser les fleurs qui couvrent le sol, il regarde autour
de lui et trouve des primevères, des bruyères, des polyanthus.
(P. 145.) Pour mistress Hervey, dont nous avons raconté les mi-
sères, c’est une sorte de mousse, la bôôltee , que les natifs lui
montrent comme cause de tous ses maux. (P. 160.) On ne put faire
voir à Cheetam le dèwctïghas , la plante mystérieuse et toxique.
(P. 164.) Ilenderson rapporte qu’on accusait l’artômise (p. 508),
et Drew, l’oignon. (P. 509.)
Ces hypothèses, produit naturel de l’ignorance des indigènes, ont
été parfois acceptées par les voyageurs européens. Elles leur ser-
vaient à expliquer aisément ce fait curieux, que l’intensité des ma-
laises n’est pas régulièrement proportionnelle à l’altitude, et que
dans certains points, quelquefois médiocrement élevés, presque
tout le monde est malade. Ce sont surtout les voyageurs des Andes
qui croient aux émanations telluriques. Certains diraient volontiers,
comme les péons de Brand : « Ici il y a beaucoup de puna » (p. 59).
Cependant, bien peu avouent d’une manière nette leur crédulité;
ils se contentent de dire qu’il y a des « causes concomitantes, in-
connues, agissant avec la raréfaction de l’air » (p. 59); que « la
pression atmosphérique n’entre pour rien dans les causes du soro-
351
RÉSUMÉ ET CRITIQUES.
cji©, qu’on doit peut-être attribuer aux émanations du sol ». (P. 62.)
Les voyageurs asiatiques ont été plus prudents. Seul, Hodgson
laisse entrevoir une certaine crédulité (p. 255) ; mais tous les
autres se refusent à admettre ^intoxication par les plantes ; ceux
qui ont daigné s’en occuper déclarent formellement que les
malaises arrivent fréquemment là où il n’y a nulle végétation, pas
même de mousse : de Fraser à mistress Hervey et à Drew, ils sont
tous d’accord sur ce point.
Ces hypothèses n’ont point, à vrai dire, besoin d’autre réfutation.
Du reste, l’identité des symptômes morbides attribués ici à l’anti-
moine, là aux vapeurs telluriques, ailleurs aux émanations de
plantes indéterminées, suffit pour montrer qu’ils ont une cause
unique, laquelle est en rapport intime avec l’élévation au-dessus du
niveau de la mer.
Électricité. — • Quand les gens ne savent plus que dire, il y a
grande chance pour les voir mettre en cause et invoquer l’électricité.
C’est ce qu’a fait le Dr Govan (p. 251) : « Ces phénomènes, dit-il,
dépendent de circonstances atmosphériques, moins générales que
la diminution de pression, comme l’agent électrique qui doit être
en présence de conducteurs si élevés dans un état de constante
fluctuation. » Pour Heusinger (p. 256) l’électricité doit agir, car
elle est plus forte et moins souvent négative. Mais ces auteurs
furent dépassés par le Dr Cunniughanr, qui déclara que « dans
l’hémisphère nord, l’électricité attire le sang à la tête, et dans
l’hémisphère sud, aux pieds... . d’où résulte le mal des montagnes,
ce qui explique pourquoi le malade est guéri par la position hori-
zontale » (p. 255). Le plus curieux, c’est que cette bizarre doctrine
a rencontré des sectateurs (p. 509).
Pauvreté de Vair en oxygène. — C’est l’inégalité d’effet de la
hauteur, suivant les régions, qui a mis en tête toutes ces explica-
tions singulières. Des hommes sérieux, éminents même, n’ont pas
échappé à ce besoin de chercher ailleurs que dans l’influence de la
pression diminuée, la cause des malaises éprouvés.
Certains ont cru la trouver dans une altération particulière de
l’air ou, pour parler plus exactement, dans sa moindre richesse en
oxygène. C’était déjà l’avis de Humboldt (p. 51), qui dit n’avoir
trouvé que 20 p. 100 d’oxygène sur le Chimborazo, et attribue
une grande influence à cette différence.
M. Boussingault, frappé de ce fait que le mal des montagnes ne
survient guère que quand on a atteint les neiges perpétuelles, reprit
552
HISTORIQUE.
une ancienne idée de de Saussure, qui avait prétendu que l’air
dégagé des pores de la neige contient moins d’oxygène que l’air
libre; il fit une analyse qui ne lui donna que 16 p. 100 d’oxygène,
et alors il attribua à cet air vicié, dégagé par l’action des rayons
solaires, la suffocation qu’il avait éprouvée (p. 257). A ce compte,
on devrait éprouver le mal des montagnes dans les plaines couvertes
de neige, par un beau soleil de janvier. D’autres voyageurs (p. 507)
ont, sans autre objection, accepté cette hypothèse, que le célèbre
chimiste a lini par reconnaître lui-même comme erronée.
Fatigue , froid. — Ce sont deux causes fréquemment invoquées,
non à titre adjuvant, ce qui serait exact, mais comme cause prin-
cipale ou même unique. C’est meme là le cheval de bataille de ceux
qui nient le mal des montagnes : « Nous pouvons affirmer, dit l’un
d’eux, que ce sont les mêmes sensations éprouvées par les voya-
geurs ordinaires quand ils s’approchent de la cime d’une monta-
gne quelconque » (p. 241). « Ce qui prouve d’une manière incon-
testable que ces malaises sont dus à la fatigue, dit Bouguer, c’est
qu’on n’y était jamais exposé lorsqu’on allait à cheval, ou lorsqu’on
était une fois parvenu au sommet, où l’air cependant était encore
plus subtil » (p. 218).
Il faut bien avouer qu’à première vue, et pour des accidents
légers, la confusion est possible. La rapidité de la respiration, la
dyspnée, l’accélération circulatoire, les palpitations, les vertiges
même, la pesanteur des membres, sont la conséquence de tout
exercice un peu fatigant et prolongé. Mais il suffit de jeter un coup
d’œil sur les faits si nombreux rapportés ci-dessus pour y trouver
la preuve qu’il s’agit bien là d’une influence spéciale aux lieux
élevés : les malaises, nous l’avons vu, arrivent pendant le repos
même et le sommeil. Acosta avait, du reste, dès le premier jour,
réfuté ces erreurs (p. 207) et aussi de Saussure (p. 225, 226).
C’est cependant la fatigue, mais d’une espèce particulière, qu’in-
voque encore Rey (p. 245). Les idées de M. Lepileur (p. 247) sont
évidemment du même ordre ; ce savant médecin donne en effet une
importance prépondérante dans l’explication de la lassitude à « la
congestion sanguine qui a lieu dans les muscles pendant leur ac-
tion. » Quant aux autres phénomènes, ils sont le résultat de con-
gestions du poumon et du cerveau, lesquelles dépendent de la répé-
tition incessante des efforts effectués dans l’acte de grimper. De
plus, « la raréfaction de l’air, en rendant la respiration plus fré-
quente et l’anhélation plus rapide, hâte nécessairement le reste des
RÉSUMÉ ET CRITIQUES. 555
effets ordinaires de l’effort. » Mais comment la raréfaction de l’air
rend-elle l’anhélation plus rapide? C’est ce que ne dit pas M. Le-
pileur.
Théories de M. Lortet et de M. Dufour. — Voici maintenant deux
théories fort sérieuses, qui prouvent une connaissance approfon-
die des questions les plus difficiles de la physiologie. Leur place
est ici marquée, parce qu’elles ne sont, en définitive, qu’une forme
scientifique des accusations banales dirigées contre la fatigue et le
froid.
Pour M. Lortet, la température propre de l’homme diminue quand
il déploie l’énorme quantité de travail nécessaire pour élever à une
grande hauteur le poids de son corps. Nous avons rapporté dans
toute leur extension les faits observés par Lortet (p. 121) et les con-
clusions théoriques qu’il en tire (p. 297). Malheureusement,
comme l’ont montré MM. Forel (p. 300) et Clifford-Allbutt (p. 302),
les observations mêmes du physiologiste français étaient erronées :
la température du corps s’élève toujours par l’acte de l’ascension,
comme par toutes les gymnastiques violentes.
En s’en rapportant même aux chiffres de M. Lortet, qui prétend
que de Chamounix aux Grands-Mulets la température aurait baissé
de 2°, et qu’à Chamounix, l’acte de marcher refroidirait le corps
de 1°,7, des malaises importants devraient suivre le moindre
exercice à ces hauteurs, où jamais cependant on n’a constaté le mal
des montagnes. D’ailleurs, selon lui, le repos ramènerait presque
instantanément la température normale : or, il s’en faut qu’il fasse
disparaître aussi tous les troubles.
Il faut dire cependant que M. Forel, n’ayant pas eu le mal des
montagnes, n’a pu mesurer sa température dans cette condition
spéciale; on pourrait toujours dire, jusqu’à preuve contraire,
qu’il la trouverait dans ce cas abaissée. Mais, quand même il
en serait ainsi, il faudrait encore admettre qu’un autre élément que
le travail doit entrer en jeu, et que la hauteur est cet élément.
Nous parlerons dans un moment des théories sur l’oxygénation
insuffisante due à la diminution de pression. En introduisant ce
facteur nouveau dans la théorie de Lortet, on pourrait être amené
à penser que le travail de l’ascension demandant un surcroît de
combustion, et la dose d’oxygène étant trop faible, la chaleur
•devrait se transformer en mouvement, d’où abaissement de tempé-
rature et, partant, troubles généraux. Mais il faudrait démontrer
cet abaissement, et les observations de Lortet sont évidemment en-
23
554
HISTORIQUE.
tachées de causes d’erreur qui ne leur permettent plus de faire
preuve : les expériences môme de Legallois (p. 228), si remarqua-
bles qu’elles soient, ne pourraient être invoquées en sa faveur,
puisqu’il s’agit d’air confiné.
La théorie de M. Dufour (p. 503) est, elle aussi, indépendante de
l’idée d’altitude. Pour lui, le mal des montagnes est la conséquence
pure et simple de la fatigue, laquelle résulte de l’épuisement des
matériaux ternaires emmagasinés dans les muscles ; aussi, il
affirme en avoir éprouvé les symptômes même en plaine, après
une grande fatigue. Ce ne peut être la simple raréfaction de l’air,
dit-il, qui rende malade au sommet du mont Blanc, puisqu’il a
fallu que les aéronautes atteignissent 7 et 8000m pour éprouver des
troubles sérieux ; du reste, ceux-ci ne ressemblent point à ceux
que produit la montagne.
Nous laissons au lecteur le soin d’apprécier la valeur de cette
dernière assertion, et quant à l’assimilation du mal des montagnes
à la fatigue simple, nous nous contenterons de demander pourquoi
elle n’a jamais été faite par des touristes, qui, non sans fatigues
sérieuses, marchent toute la journée dans des montagnes de moins
de 2000m. Au moins jamais n’ont-ils confondu la lassitude durable
qu’ils éprouvent le soir avec le soudain « coup aux genoux » qui
brise les membres, et disparaît après quelques instants de repos ;
l’essoufflement et l’accélération du pouls dus à une marche péni-
ble ou rapide avec la dyspnée, les palpitations, l’épuisement total
qui, à 4000U1 de hauteur, arrête souvent le voyageur au bout de
quelques pas. Il y a donc autre chose que l’usure des matériaux
ternaires, et ce quelque chose est la hauteur atteinte ou, pour
parler plus nettement, la pression diminuée. Cette objection
s’adresse évidemment aux idées de Bouguer, de Lepilcur et de Lor-
tet, aussi bien qu’à la théorie de Dufour.
Nous en arrivons maintenant aux théories qui font intervenir cette
diminution dans la pression atmosphérique. Les expériences de la-
boratoire avaient fait voir que les animaux placés sous la cloche
de la machine pneumatique y devenaient malades, y périssaient
même, quand la pression est suffisamment diminuée,, et l’on en
avait conclu que la pression de l’air diminuée sur les hautes mon-
tagnes devait être la cause prédominante des accidents. Mais com-
ment agit-elle? Ici les théories deviennent nombreuses.
Diminution du poids supporté par le corps. — L’une des pre-
mières qui se soit présentée à l’esprit des voyageurs peut se résu-
355
RÉSUMÉ ET CRITIQUES.
mer ainsi : A la pression normale, chaque centimètre carré de notre
corps supporte un poids de 1 kil. 03, soit, pour la surface entière, un
nombre qui doit être, pour un homme de taille moyenne, de
18000 kil. Nous ne sentons pas, disent les auteurs, ce poids énorme
qui nous écraserait, grâce à la tension intérieure des fluides du corps
qui le contrebalancent ; mais, qu’il vienne à diminuer, aussitôt
cette tension, que rien ne maintient plus, poussera les fluides à la
périphérie, remplira la peau de sang, la gonflera, la congestion-
nera et, faisant rompre les vaisseaux, déterminera des hémor-
rhagies : le corps sera comme plongé dans une immense ventouse.
Or, c’est ce qui arrive quand on s’élève dans l’air : à 5500m de hau-
teur, 5000 kil. auront été enlevés ; à 5500m, la moitié du poids
total, soient 9000 kil. Comment s’étonner des troubles graves qui
surviennent alors ?
Telle est la théorie à laquelle ont adhéré la grande majorité de
ceux qui se sont occupés de la question, particulièrement, il faut
le dire, des voyageurs et des médecins. Nous la trouvons émise,
pour la première fois, en quelques mots, par Bouguer (p. 218).
Haller la développe tout au long (p. 220) ; il est vrai que, reprenant
une idée singulière de Cigna (p. 216), il déclare qu’il y a une grande
différence entre « l’air raréfié par la soustraction d’une partie de
lui-même et celui qui est plus léger à cause de la hauteur... Dans
celui-ci, bien que diminué de moitié de son poids, la respiration
se fait sans difficulté ». Cela n’est pas plus curieux, du reste, que
de voir Bourrit prétendre qu’à hauteur égale, « l’air des Alpes est
plus rare que celui des Cordillères » (p. 222). De Saussure accepta
complètement la théorie du « relâchement des vaisseaux produit
par la diminution de la force comprimante de l’air » (p. 224). C’est
même cet illustre physicien qui l’a exprimée avec le plus de netteté.
Elle fut également acceptée par Fodéré (p. 226); Hallé et Nysten
(p. 227) ; Gondret (p. 229) ; le Dr Gérard (p. 252) ; Hipp. Cloquet
(p. 233) ; Burdach (p. 256) ; Rey (p. 242) ; Brachet (p. 246) ; Lombard
(p. 255); Heusingcr(p. 256); Foleÿ (p. 285); Scoutetten (p. 288) :
nous ne citons que les principaux.
On voit que cette doctrine se présente avec l’appui des noms les
plus respectables. Il est vraiment pénible d’avoir à la repousser par
une sorte de question préalable, comme absolument contraire aux
lois de la physique élémentaire. Mais, bien avant moi, MM. Giraud-
Teulon (p. 257) et Gavarret (p. 292) avaient invoqué pour com-
battre cette erreur le principe de l’incompressibilité des liquides.
356
HISTORIQUE.
Valentin (p. 25(5) avait même calculé que la suppression d’une
demi-atmosphère n’augmenterait le volume du corps que de trois
cent-millièmes environ. Il est bien évident que toutes les pressions
ou dépressions exercées sur le corps humain s’équilibrent, se con-
trebalancent immédiatement, en se communiquant à tout le corps,
puisqu’il est tout entier composé de liquides et de solides. S’il y
a pression diminuée à la surface de la peau, sur la paroi extérieure
des vaisseaux sanguins, la diminution est absolument égale sur
leur paroi intérieure, et il n’y a rien de changé dans l’état d’équi-
libre.
Il est vraiment étrange qu’on ait pu sérieusement penser1 qu’en
allant à Cautcrets on soit soulagé de 2744 k. (p. 289), et que Gay-
Lussac se soit senti en quelques minutes enlever 10 000 k. de dessus
les épaules. Si les liquides de l’organisme étaient ainsi réellement
maintenus par la pression extérieure, il suffirait de quelques centi-
mètres de diminution de pression pour produire les plus terribles
désordres. C’est la comparaison avec la ventouse qui a amené l’er-
reur : on a oublié que, dans la ventouse, c’est l’effet de la pression
sur le reste du corps qui amène le gonflement, la congestion, les
hémorrhagies locales.
Sortie des gciz du sang. — Les physiciens, qui ont pour la plupart
échappé à l’hypothèse erronée que nous venons de discuter, ont été
mieux inspirés en faisant jouer un rôle important à la sortie des
gaz du sang, sous l’influence de la pression diminuée. Robert Bovle,
le premier (p. 210), avait vu que tous les liquides du corps, sang,
urine, bile, humeurs de l’œil, laissent échapper des bulbes de gaz,
lorsqu’on les place dans le vide. Il en tira cette conséquence, que
chez les animaux qui périssent dans ces conditions, la mort peut
être, « en outre du défaut de respiration, » la conséquence de la
formation de ces bulles, qui viennent « arrêter ou troubler la circu-
lation en mille manières. » Il pensa même que, lors des variations
légères du baromètre, ce sont « les particules spiri tueuses ou aérien-
nes qui, retenues en abondance dans la masse du sang, gonflent
naturellement le liquide, pouvant ainsi distendre les gros vaisseaux
et changer notablement la rapidité de la circulation du sang dans
les artères capillaires et dans les veines ».
Borelli eut la même idée et attribua à une sorte d’effervescence
du sang les accidents qu’il avait éprouvés sur le mont Etna (p. 213);
mais il abandonna bientôt cette idée (p. 217), à laquelle cependant
se rallièrent Musschenbroeck (p. 207), auteur d’une dissertation Z)e
357
RÉSUMÉ ET CRITIQUES.
aeris existentiâ in omnibus animalium humoribus , Veratti (p. 215),
Rostan (p. 235), F. Hoppe, qui fit pour les vérifier des expériences
sur les animaux (p. 258), Guilbert (p. 266), et enfin Gavarret
(p. 292).
On a surtout expliqué par le dégagement ou la tendance au déga-
gement des gaz du sang, l’accélération circulatoire et les hémorrha-
gies. « Au moment où la pression extérieure diminue, dit M. Gavar-
ret, ces go z tendent à se dégager du liquide sanguin, refoulent les
parois des vaisseaux de dedans en dehors et distendent les capillaires
pulmonaires et généraux, dont les parois, minces et peu résistantes,
peuvent se rompre. Tel est le mécanisme de production des hé-
morrhagies. »
Il paraît, en effet, bien établi, malgré les objections de Ch. Darwin
(p. 217), de John Davy (p. 235), de M. Giraud-Teulon (p. 257), qu*à
une pression suffisamment basse, il se dégage des gaz dans le sang
des animaux vivants placés sous la cloche pneumatique : F. Hoppe
n’a même pas hésité à conclure que c’est à ce dégagement gazeux
qu’est due, dans ces conditions, la mort des animaux. Mais rien
dans les expériences connues jusqu’ici ne prouve que le dégage-
ment ait lieu aux pressions qui coïncident avec le mal des monta-
gnes, ni que la tendance au dégagement puisse amener les troubles
dont on l’accuse. Il n’y a nulle comparaison à établir entre un ani-
mal amené en quelques minutes à une dépression mortelle et un
voyageur qui met six heures à monter de 2000m en verticale. Si les
gaz étaient pour quelque chose dans les accidents, les aôronautes,
qui subissent avec une extraordinaire rapidité d’énormes change-
ments de pression, devraient être les premiers frappés, et l’on sait
qu’il n’en est rien.
Dilatation des gaz intestinaux. — L’idée que la diminution de
pression doit dilater les gaz intestinaux n’a évidemment rien d’er-
roné physiquement; mais de là à conclure que cette augmentation
de volume est la cause ou l’une des causes du mal des montagnes,
il y a loin. Cependant, Clissold (p. 254) a considéré qu’elle devait
singulièrement gêner la respiration et la circulation. M. Lepileur
(p. 248) et Speer (p. 253) tendent aussi à lui attribuer quelque
rôle; M. Maissiat est plus affirmatif : « Les gaz intestinaux, prenant
du volume, distendent tout, jusqu’à rupture. » (P. 245.) Le savant
physicien a raisonné comme si l’intestin était une vessie natatoire
close, et il a oublié la double communication avec l’extérieur qui,
dans la pratique, ne permet aucune distension. Il en est de même
358
HISTORIQUE.
de M. Colin, qui voit une cause de mort dans « le refoulement du
diaphragme par l’expansion du gaz » (p. 321).
Relâchement de V articulation coxo- fémorale. — -C’est sous le patro-
nage de l’illustre de Humboldt (p. 258) que s’est présentée cette
bizarre explication de la fatigue extrême, de la pesanteur des mem-
bres inférieurs, qui accompagnent les hautes ascensions. Elle a été
acceptée depuis par beaucoup d’écrivains : Tschudi (p. 245), Meyer-
Ahrens (p. 254), Lombard (p. 264), Guilbert (p. 266).
Il est incontestable, comme l’a montré Bérard (p. 258), que la
surface de la cavité cotyloïde est suffisante pour permettre à la
pression atmosphérique de soutenir le poids de la jambe, alors que
toutes les parties molles ont été sectionnées. D’après M. Jourdanet,
la pression ainsi exercée équivaudrait à 23 kil. environ. Nous avons
vu comment cet auteur a montré, d’après des calculs basés sur la
surface de la cavité cotyloïde, qu’au moment où la fatigue du mem-
bre inférieur arrive, la pression atmosphérique est encore capa-
ble de soutenir un poids double de celui de ce membre (p. 269).
M. le docteur Farabœuf a bien voulu, à ma demande, prendre
avec exactitude ces mesures sur un cadavre humain. Voici le résul-
tat qu’il m’a fourni :
Homme de quarante-huit ans, pesant 52k,5; taille lra,65, dont 0ra,85 pour le
membre inférieur; bien proportionné, amaigri, mais encore musclé en appa-
rence.
Diamètre de la cavité cotyloïde 51mm,5
Surface 20uq,8
Poids de l’atmosphère sur cette surface 21k,4
Poids du membre inférieur désarticulé dans le pli de la
fesse et de l’aine 6k,5
Poids du membre inférieur dépouillé des muscles qui s’in-
sèrent au bassin 5k
Ainsi la pression atmosphérique est capable, à elle seule, de sou-
tenir un poids quatre fois plus considérable que celui du membre
inférieur dépouillé des muscles qui se soutiennent eux-mêmes pat*
leur attache au bassin. Il faudrait donc aller jusqu’au quart d’at-
mosphère, soit 19e de pression, pour voir s’annuler le soutien
fourni par la pesanteur de l’air. Évidemment donc, la cause invo-
quée par de Humboldt n’a rien à voir dans la fatigue qui survient
au mont Blanc, sous la pression de 41e, où l’atmosphère représente
encore 11\5.
On a très-certainement exagéré l’inHuencc de la pression sur la
359
RÉSUMÉ ET CRITIQUES.
solidité des articulations ; cette exagération à part, de Humboldt
n’a pas tiré la conséquence vraiment logique du principe qu’il
croyait exact. Ce n’est pas une plus grande fatigue musculaire qui
devrait survenir, et elle ne devrait pas être limitée aux muscles de
la cuisse ; ce qu’il faudrait craindre pour le voyageur dans les ré-
gions où la pression atmosphérique est diminuée, ce sont les luxa-
tions, et cela dans toutes les articulations ; or, malgré les efforts
extraordinaires qu’entraînent les ascensions, pareil accident n’a
jamais été signalé.
Antres actions mécaniques de la diminution de pression. — Borelli
attribuait la fatigue à la présence dans le thorax d’un air dilaté qui
« n’aide plus, dit-il, l’effort des muscles, en comprimant par son
élasticité les vaisseaux aériens et sanguins ». Il n’est pas facile de
voir clairement ce que voulait dire le savant iatro-mathématicien.
Mais il y a quelque vérité dans ce que nous pouvons supposer avoir
été sa pensée. Si, dans le phénomène de l’effort, la cage thoracique
se trouve, comme l’a montré M. J. Cloquet1, immobilisée dans un
certain état de gonflement, grâce à l’équilibre établi entre la pres-
sion des muscles expirateurs et l’élasticité des gaz intra-pulmo-
naire que la glotte fermée empêche de s’échapper, la densité
primitive de ces gaz ne doit pas être indifférente. S’ils sont raré-
fiés, l’état d’équilibre n’arrivera qu’avec une contraction plus forte,
ou un gonflement moindre du thorax, et cette situation peut être
défavorable aux phénomènes d’effort maximum. Mais l’influence ne
doit pas être, en tous cas, de grande importance.
La mort des animaux dans le vide avait reçu de Musschenbroeck
une explication fort ingénieuse. Il leur avait trouvé les poumons
a petits, flasques, solides (p. 207), spécifiquement plus pesants que
l’eau », et il avait considéré que la mort est le résultat de l’arrêt
dans la circulation que doit amener cet affaissement ; le même fait
fut constaté par les physiologistes hollandais (p. 212), qui l’inter-
prétèrent un peu différemment. Mais ces explications ne peuvent, en
tous cas, s’appliquer aux troubles et à la mort dans un air très-
raréfié, mais encore loin du vide parfait. Cigna a depuis bien long-
temps fait remarquer que la respiration doit continuer à se faire
dans ces conditions, tant que « l’air sera assez dense pour dilater le
poumon par sa pression » ; or, pour cela, il suffit « que cette pres-
sion puisse soumettre la résistance qu’oppose la force contractile du
1 De l'influence de l'effort sur les organes renfermés dans la cavité thoracique. —
Paris, 1820.
560
HISTORIQUE.
poulmon, car il n’y a aucun air thoracique qui augmente cette ré-
sistance, et cette pression excède à peine celle de deux pouces de
mercure. » (P. 216.)
On ne saurait mieux dire, et Cigna répondait, sans le savoir, par
avance, à ceux qui feraient jouer plus tard un rôle dans le mal des
montagnes à la tendance des poumons à se rétracter en présence
d’une moindre densité de l’air intra-pulmonaire. Leur force, c’est-
à-dire leur élasticité, équivaut à quelques centimètres de mercure
seulement, comme l’avait dit Cigna. Ce ne peut donc être que pour
une pression moindre encore que le poumon pourrait quitter le
thorax en faisant le vide dans la plèvre. L’action imaginée est
donc absolument nulle.
Pravaz est tombé dans une erreur analogue lorsqu’il dit que « la
respiration est, dans l’air des montagnes, mécaniquement restreinte
dans son étendue par le défaut d’élasticité de l’atmosphère qui
presse l’intérieur des poumons » (p. 250). Son opinion est justi-
ciable des mêmes objections. Mais au moins a-t-elle quelque air de
vraisemblance, tandis que je ne puis comprendre ce qui a fait dire
à A. Vogt que « la pression atmosphérique diminuée aide beaucoup
l’ampliation de la cavité thoracique, et par là facilite la respira-
tion » (p. 249).
Le savant médecin lyonnais ne me paraît pas mieux inspiré quand
il met sur le compte de la pression moindre les congestions vei-
neuses, parce que « l’appel du sang dans les cavités droites du
cœur aura moins d’activité ». Sa comparaison du cœur avec « une
pompe fonctionnant dans un milieu où l’air serait très-raréfié, et
qui ne pourrait aller puiser l’eau qu’à une profondeur beaucoup
moindre » (p. 251) n’a aucune valeur; personne ne croit plus à la
dilatation active, aspirante du cœur.
Enfin, nous citerons du même auteur une idée plus juste, rela-
tive à l’appel du sang veineux par la dilatation pulmonaire. On
peut penser que la puissance de cet appel doit être diminuée par
la diminution de pression. Cependant, en y réfléchissant, on voit
qu’il n’y a là rien de démontré : la poussée du sang des gros
troncs veineux vers le cœur se fait en vertu de la différence
entre la tension de l’air extérieur et celle de l’air qui s’introduit
dans le poumon en se dilatant, puisque, ainsi que nous l’avons
il y a longtemps prouvé1, chez aucun animal l’orifice de la
1 P. Bert, Leçons sur la physiologie de la respiration . Paris, 1870, p. 381-389.
3 61
RÉSUMÉ ET CRITIQUES.
glotte ne peut suffire au débit de la pompe respiratoire. Il reste-
rait à démontrer que cette différence, la pression négative des
Allemands, est moindre dans l’air raréfié que dans l’air normal,
ce que nous ne savons nullement, ce qui même n’est pas vrai-
semblable.
Excès d'acide carbonique dans le sang. — Nous avons rapporté
avec tous les développements qu’elle mérite la curieuse théorie de
M. Gavarret (p. 287), expliquant le mal des montagnes par un vé-
ritable empoisonnement par l’acide carbonique. Selon le savant
professeur, l’acte de l’ascension nécessiterait un tel surcroît
de combustion organique , que l’acide carbonique qui en est
la conséquence ne pourrait plus être expulsé assez vite, malgré
l’augmentation du nombre des mouvements respiratoires et des
battements du cœur. De là un emmagasinement qui amène des
accidents toxiques; de là l’amélioration qui suit immédiate-
ment le repos, pendant lequel l’évacuation se fait pour le gaz en
excès.
Nous avons vu cette théorie acceptée par M. Leroy de Méricourt,
par M. Aug. Dumas, par M. Scoutetten, par M. Lortet (p. 299) et
beaucoup d’auteurs modernes.
Je n’insiste pas sur la différence qui existe entre les symptômes
du mal des montagnes et ceux de l’empoisonnement par l’acide car-
bonique. Mais il est bien évident que la théorie de M. Gavarret est
susceptible de la même objection que nous avons victorieusement
opposée aux théories invoquant la fatigue et à celle de M. Lortet. Il
est clair, en effet, que la quantité d’acide carbonique qui doit être
produite pour élever le corps de 1000m, par exemple, est indépen-
dante de l’altitude; d’où il résulte qu’il devrait y avoir excès de
gaz emmagasiné, et par suite malaises, aussi bien en montant de
Ghamounix (1050in) à la Pierre-Pointue (2040ni), que du Grand-Pla-
teau (3930m) au sommet du mont Blanc (481 0m) ; or, cela ne s’est
jamais vu. Bien plus, au niveau même de la mer, un travail suffi-
samment énergique et prolongé devrait amener le même résultat,
et il n’en est rien. L’élément nécessaire, l’altitude, n’est nullement
visé par cette explication.
Quant au fait allégué, en lui-même, il n’est rien moins que dé-
montré. Rien ne prouve que l’acide carbonique, dont la formation
est augmentée pendant le travail de l’ascension, puisse s’emmaga-
siner réellement dans le sang. D’après M. Gavarret lui-même, en
s’élevant de 2000 mètres en verticale, un homme forme 65 litres
562
HISTORIQUE.
d’acide carbonique, en sus des 22 litres qu’il produit par heure pour
ses besoins normaux. Or, ces 2000m, il faudra, pour les franchir, au
moins six heures. (MM. Lortet et Marcet ont mis 8 heures pour
aller de Chamounix (1050m) aux Grands-Mulets (3050ni). Il faut
donc ajouter 65 litres aux 152 litres formés pendant ce temps ; en
d’autres termes, la quanti lé d’acide carbonique produite aura été
augmentée d’un tiers. Or, il est très-vraisemblable que l’excrétion
pulmonaire aura été suffisante pour rejeter au dehors ce léger excès
gazeux; le sang artériel, le sang nourricier, celui dont l’altération
est si grave, n’est donc probablement pas surchargé du gaz toxique.
D’autre part on sait, d’après les expériences de M. Cl. Bernard, que
Ton peut impunément injecter dans le système veineux d'un ani-
mal des quantités énormes d’acide carbonique, sans produire d’acci-
dents, à cause de la rapidité et de l’énergie de l’exhalation pulmo-
naire. Ainsi, rien ne prouve qu’il y ait excès d’acide carbonique
dans le sang artériel ; rien ne prouve que cet excès, s’il existe, soit
capable, dans les proportions où il se trouve, d’amener des acci-
dents; en tous cas, ces accidents devraient survenir à n’importe
quelle altitude, et par conséquent n’ont rien à voir avec le mal des
montagnes.
Théorie de de Saussure et de Mar tins . — De Saussure fit remar-
quer, comme nous l’avons rapporté (p. 225), que, au sommet du
mont Blanc, « l’air n’ayant guère plus de la moitié de sa densité or-
dinaire, il fallait suppléer à la densité par la fréquence des inspi-
rations C’est là, dit-il plus tard, la cause de la fatigue que
l’on éprouve à ces grandes hauteurs. Car, en meme temps que la
respiration s’accélère, la circulation s'accélère aussi. » Cette vue
supérieure était cependant incomplète, ou plutôt incomplètement
exprimée. De Saussure laissait croire en effet que l’accélération
respiratoire pouvait compenser la densité diminuée de l’air. Or, il
savait certes qu’il n’en était rien, et qu'au sommet du mont Blanc,
le nombre ou l’amplitude des respirations ne doublait pas 1a. venti-
lation pulmonaire.
Cette explication fut acceptée par tous les auteurs qui suivircnl
de Saussure. Dallé et Nysten (p. 227) ; Courtois (p. 227) ; Gondrct
(p. 229); Clissold (p. 235); de Ilümboldt (p. 258); Brachet (p. 246);
Lepileur (p. 247); A. Yogi (p. 249) ; Pravaz (p. 250) ; Marchai de
Calvi (p. 252) ; Meyer-Ahrens (p. 254) ; Lombard (p. 255) ; Longel
(p. 261) , etc., la reproduisent sous des formes diverses. Les uns se
contentent, comme l’avait fait de Saussure, de parler d’une ma-
RÉSUMÉ ET CRITIQUES. 565
nière assez vague de la trop faible quantité d’air introduite dans
les poumons sur les grandes hauteurs; d’autres, précisant davantage
les faits, déclarent que, comme il arrive moins d’oxygène aux pou-
mons dans un temps donné, il doit y en avoir moins d’absorbé par
le sang, d’où les troubles; il en est, comme Longet, qui nient cette
conséquence, affirmant que « l’individu qui habite la montagne...
supplée à l’aide d’inspirations plus fréquentes, de manière que... la
même quantité d’oxygène peut se trouver absorbée dans le même
temps. » (P. 261 .)
M. Martins releva cette erreur manifeste; il déclara qu’il devait
y avoir une moindre oxygénation du sang provenant de cette cir-
culation pulmonaire insuffisante, d’où « une cause physiologique
de froid spéciale aux hautes régions, et probablement la princi-
pale de toutes celles qui amènent les symptômes connus sous le
nom de mal des montagnes. » (P. 265.)
Mais nous avons fait connaître l’objection fondamentale que
Payerne (p. 251) éleva contre la théorie de de Saussure. A ses
yeux, il y a bien assez d’oxygène dans l’air, même au sommet des
plus hautes montagnes atteintes, pour subvenir aux besoins de la
respiration, pour faire face aux combustions augmentées par le
travail de l’ascension.
Lombard seul (p. 263) paraît s’être ému des calculs de Payerne ;
il ne fait contre eux aucune objection, et avoue que, « même à des
hauteurs de 7 000m, l’atmosphère pourra fournir à l’homme une
quantité suffisante d’oxygène pour entretenir la respiration >>
(p. 263). 11 n’en conclut pas moins, cependant, « qu’un sang in-
complètement oxygéné parvient aux divers organes D’où ré-
sulte une portion notable des troubles qui surviennent dans l’in-
nervation et la motilité » (p. 264).
Dans une autre partie de cet ouvrage, je discuterai à fond l’ob-
jection de Payerne, et je montrerai quelle part de vérité elle con-
tient. Mais il me suffit ici de démontrer que personne n’y a répondu, et
que, par conséquent, la théorie de de Saussure, avec les commen-
taires chimico-physiologiques dont elle a été enrichie, reste actuelle-
ment fortement battue en brèche par elle. Si, même à 7000rt‘, et
sans tenir compte de l’accélération respiratoire, il passe dans les
poumons bien plus d’oxygène que n’eri exigent les consommations
organiques, pourquoi le sang n’y prendrait-il pas ce dont il a be-
soin et qu’il y peut trouver?
Et d’abord en fait, et non plus en théorie, le sang est-il réelle-
564
HISTORIQUE.
ment « moins bien hématose », comme disait Brachet? Il est curieux
d’avoir à constater que Hamel seul s’élait proposé de faire une ex-
périence pour « extraire, en haut du mont Blanc, le sang de quel-
que animal, et voir à sa couleur s’il avait été suffisamment décar-
bonisé dans les poumons » (p. 235). Cependant, il faut avouer que
la teinte violacée des lèvres, des conjonctives, donnait quelque soli-
dité aux affirmations de ceux qui soutenaient que l’hématose était
incomplète : un des guides de Clark ayant saigné du nez, « son
sang parut d’une couleur plus noire qu’à l’ordinaire. » (P. 98.)
Théorie de M. Jourdanet. — Quelques auteurs avaient entrevu,
pour expliquer cette insuffisance de l’hématose, une autre cause
que celle dont nous venons de parler. Ce n’était pas seulement la
trop faible quantité d’oxygène circulant dans les poumons en un
temps donné, qu’ils accusaient; mais, pour emprunter les paroles
même de Pravaz, « le défaut de pression qui rend la dissolution de
ce gaz dans le sang moins abondante. » (p. 250.) Cette idée ne fut
nettement formulée que par Pravaz, dans le passage que je viens de
citer : personne ne la releva depuis. M. Gavarret la combattit éner-
giquement ; le savant professeur de la Faculté de médecine de Pa-
ris déclara « que l’absorption de l’oxygène par le sang veineux n’est
pas un fait purement physique, mais que les forces chimiques
jouent un rôle important dans cette fixation » (p. 262). D’ailleurs,
s’il en était ainsi, qu’adviendrait-il des habitants de la métairie
d’Antisana, où le baromètre marque 47 centimètres, qui n’absor-
beraient plus « qu’un poids d’oxygène inférieur aux deux tiers de
celui qu’on consomme au bord de la mer »? Et Longet disait un
peu plus tard : « Si la loi des dissolutions s’appliquait, on arrive-
rait à cetle conséquence, que le sang des habitants des régions où
la pression atmosphérique n’est guère que de 0,u,580, renferme-
rait moitié moins d’oxygène que le sang des habitants des bords de
la mer... Mais, sans doute, la précédente loi ne trouve pas ici son
application. » (p. 261.)
Mais la question était précisément de savoir ce qui arrivait à ces
habitants de hauts lieux, et le raisonnement des savants professeurs
était un vrai cercle vicieux. Heureusement pour eux, les expériences
remarquables de M. Fernet (p. 260), exécutées sur ces entrefaites,
semblèrent leur donner entièrement raison, en paraissant montrer
que les volumes d’oxygène absorbés par le sang sont à peu près in-
dépendants de la pression barométrique.
Chacun s’inclina alors devant ces conclusions étayées par des ex-
365
RÉSUMÉ ET CRITIQUES.
périences qui ne laissent prise à aucune objection d’ordre purement
physico-chimique.
M. Jourdanet seul (p. 266) ne se déclara point convaincu. Il fit
remarquer avec sagacité que, quelle que soit l’affinité des glo-
bules pour l’oxygène dans l’acte respiratoire, on ne pouvait met-
tre en doute que, dans un air pauvre en oxygène , la solubilité de
ce gaz dans le sang ne soit moindre. 11 ne peut en être autrement
dans l’air raréfié, et le sang ne s’y doit charger que d’une quan-
tité plus faible, et qui peut être insuffisante, d’oxygène. Joignez
à cela la diminution due à la cause dont avait parlé de Saus-
sure, et à laquelle M. Jourdanet attribue une sérieuse impor
tance, et vous arriverez, pensait-il, à cette certitude que, sur les
montagnes, le sang est moins riche en oxygène qu’au niveau de la
mer ; et cette pauvreté en oxygène produit, bien que le nombre
des globules sanguins reste le même, les mêmes effets funestes
qu’une diminution dans le nombre de ces globules. L ’anoxy-
hémie est le pendant pathologique de l’anémie ; d’où cette parole
remarquable : « Une ascension au-delà de 3000ra équivaut à une
désoxygénation barométrique du sang, comme une saignée est une
désoxygénation globulaire. » (P. 273.) Quand les phénomènes sont
poussés à l’extrême, comme il arrive sur les hautes montagnes, les
accidents violents que nous avons décrits sont la conséquence de
l’irrigation des organes par un sang trop peu oxygéné, incapable de
les exciter et de les nourrir. A de moindres hauteurs, comme sur le
plateau mexicain, la différence dans la richesse oxygénée n’est pas
assez forte pour amener des troubles capables de frapper l’obser-
vateur, dans les conditions ordinaires de la vie. Mais si quelque
maladie survient, elle prendra aussitôt un caractère si particulier
qu’un médecin expérimenté n’hésitera pas à reconnaître dans son
malade un véritable anémique. Telle est la thèse générale qu’avec
une grande ardeur, a, depuis 1861 , soutenue M. Jourdanet; il l’a
étayée dans les ouvrages successifs que nous avons plus haut ana-
lysés, d’une étonnante quantité d’observations personnelles et de
citations en harmonie avec elles.
Certes on avait , comme nous l’avons vu , parlé plus ou moins
clairement avant lui, d’absorption insuffisante d’oxygène, et même
de sang incomplètement hématosé; mais personne n’avait rapproché
l’une de l’autre les deux causes qui peuvent produire la pauvreté du
sang en oxygène, mesuré leur importance, montré leur généralité;
personne ne semblait avoir supposé même qu’elles pussent agir aux
HISTORIQUE.
300
altitudes médiocres, là où aucun accident violent n’appelle l’atten-
tion du voyageur ou du médecin ; personne n’en avait poursuivi les
conséquences et montré l’influence redoutable dans les conditions
pathologiques; personne enfin n’avait tenté de rechercher quel rôle
elles jouent dans l’hygiène des populations qui habitent les hauts
lieux, quelle influence elles peuvent exercer sur leur caractère,
leurs coutumes, leur destinée.
S’il est vrai de dire que la découverte appartient non à celui qui
a rencontré, comme par hasard, la vérité, et qui l’a négligemment
énoncée, mais à celui qui, l’apercevant à son tour, en a senti toute
l’importance, a accumulé les preuves à l’appui, l’a défendue contre
les attaques passionnées, alors même qu’elles venaient d’autorités
considérables; qui, en un mot, d’une idée isolée a fait une théorie,
c’est à M. Jourdanet et non à de Saussure, à Martins, àBrachet ou à
Pravaz que nous attribuerons le mérite d’avoir trouvé la véritable
explication des malaises de la décompression, comme il a celui de
les avoir si nettement définis et décrits à la fois par le nom d’anoxy-
hémie.
Cependant, il faut ici encore faire remarquer que la base même
de la théorie n’était assise que sur des raisonnements et des déduc-
tions fort bien enchaînés, à coup sûr, mais qui ne suffisent pas à
établir la démonstration complète pour les esprits habitués à la
rigueur des méthodes scientifiques. 11 était nécessaire de faire la
preuve expérimentale de l’anoxyhémie, et de son influence sur la
production des troubles qui surviennent dans l’air raréfié. C’est ce
que je disais déjà en 1869 : « Je ne saurais trop le répéter, ce sont
là raisonnements, vraisemblances, probabilités tout au plus. A
quand l’expérience qui entraînera la conviction? Qui viendra faire,
pour l’étude de la respiration, sous diminution ou augmentation de
pression, ce qu’a fait le roi de Bavière, fournissant à Pettenkofer
tous les appareils nécessaires pour l’étude des produits de la res-
piration normale1? »
Cet appel a été entendu. C’est M. Jourdanet lui-même qui m’a
permis de soumettre à la critique expérimentale et sa propre théorie
et toutes celles qui méritaient d’être ainsi examinées. Le récit des
expériences que j’ai faites à l’aide des appareils que j’ai pu, grâce
à lui, faire construire, va constituer la deuxième partie de cet ou-
vrage.
3 Leçons , etc. p. 129.
367
RÉSUMÉ ET CRITIQUES.
Il me reste, en terminant cette analyse des opinions émises pour
expliquer le mal des montagnes, à rappeler en résumé au lecteur
que beaucoup d’entre elles n’ont pu supporter l’examen critique
auquel nous les avons soumises; que d’autres, dont l’exactitude est
peu vraisemblable, attendent, pour être jugées définitivement, le
contrôle expérimental; que d’autres, enfin, et celle-là même qui
nous semble la plus solidement établie, celle de l’anoxyhémie, ne
pourra entraîner la conviction qu’après l’intervention du juge sou-
verain : l'expérience.
> •
.
TITRE II
AUGMENTATION DE PRESSION
La nature n’offre point de conditions où l’homme et les ê(rcs
vivants aériens soient soumis à l’influence d’une pression plus forte
que celle qu’exerce l’atmosphère au niveau des mers1. Seuls les
animaux et les végétaux aquatiques supportent des pressions qui
peuvent, dans les profondeurs de l’Océan, se chiffrer en centaines
d’atmosphères.
La recherche des minerais, celle surtout de la houille, ont bien
forcé de nombreux ouvriers à vivre à des profondeurs où la pres-
sion normale de 760mm se voit augmentée de quelques centimètres
de mercure. Mais l’influence de cette modification légère n’a jamais
attiré l’altention des observateurs, perdue qu’elle est, en admettant
qu’elle soit de quelque importance, dans la foule des conditions
particulières et défavorables où vivent les mineurs (humidité, obscu-
rité, confinement, gaz délétères, poussières, etc.).
Mais depuis le XVIe siècle, les progrès de l’industrie ont amené
des hommes à travailler sous des pressions qui ont dépassé quatre
atmosphères. Les cloches à plongeurs, les scaphandres, les tubes à
air comprimé inventés par M. Triger, ont placé dans ce milieu mo-
difié des milliers d’ouvriers. Des accidents graves sont alors sur-
venus, dont le nombre a effrayé les ingénieurs et les médecins.
1 II faudrait à la rigueur faire exception pour les contrées peu étendues, peu peuplées,
où le sol est au-dessous du niveau de la mer; la plus importante, à coup sûr, est lu
vallée de la mer Morte.
24
370
HISTORIQUE.
Cependant ces derniers, frappés des modifications singulières et
souvent heureuses que le séjour dans l’air comprimé apporte dans
cerlains états morbides, ont eu l’idée de régulariser l’emploi de
cet agent thérapeutique nouveau. Des appareils ont été installés,
qui ont servi à d’intéressantes observations physiologiques et à
d’utiles applications médicales.
J’énumère, dans les chapitres qui suivent, les faits observés dans
les circonstances que je viens de rappeler. Entre celles-ci, on aper-
çoit, en les considérant d’ensemble, une différence notable. Les
plongeurs, les ouvriers des tubes, sont soumis à des pressions qui
sont parfois énormes ; l’attention n’a été attirée sur les accidents
qu’ils présentent que lorsque ces pressions étaient fort élevées ;
enfin, ces accidents sont, comme nous le verrons, le résultat, non
de la compression elle-même, mais de la décompression brusque.
Dans les appareils médicaux, au contraire, la pression employée a
toujours été faible, inférieure au double de l’état normal; les ob-
servations physiologiques ont porté sur les phénomènes produits
par l’air comprimé lui-même, et aucun accident n’a pu être mis à
la charge delà décompression, toujours très-prudemment graduée.
J’ai donc dû diviser en deux chapitres l’exposé de faits aussi dif-
férents. Un troisième est consacré à l’indication des tentatives faites
par les divers auteurs pour expliquer les modifications physiologi-
ques et les accidents plus ou moins redoutables qui frappent les ou-
vriers. Enfin, dans un dernier chapitre, se trouvent résumés et
critiqués les faits observés et les théories émises en vue de les
expliquer.
CHAPITRE PREMIER
FORTES PRESSIONS.
§ 1er. — Cloches à plongeurs.
C’est au commencement du XVIe siècle que Sturmius inventa la
cloche à plongeurs, qui devait rendre de si grands services. C’était
tout simplement une cloche lourdement lestée, qu’on laissait,
pleine d’air, descendre verticalement dans l’eau jusqu’à toucher
le fond. L’eau pénétrait dans l’appareil à une hauteur qui aug-
mentait avec la profondeur de l’immersion : à dix mètres, il y avait
sous la cloche, en volume, moitié d’air et moitié d’eau ; à vingt
mètres, deux tiers d’eau et un tiers d’air, etc. ; les ouvriers, réfu-
giés jusque-là sur des gradins, en descendaient pour travailler, dans
les plus mauvaises conditions.
L’inventeur se préoccupa de l’influence fâcheuse que pouvait exer-
cer sur eux l’air comprimé par la descente; pour y obvier, dit Pan-
thot1, il conseilla d’emporter de l’air dans des bouteilles que l’on
casserait ensuite sous la cloche.
Ce procédé, qui ne pouvait en aucune façon modifier la tension
de l’air, fut perfectionné par Halley, dans un but plus en rapport
avec les lois de la physique. Le médecin anglais se proposa de
mettre à sec l’ouvrier envahi par l’eau et de renouveler l’air altéré
par sa respiration ; il y parvenait en descendant sous la cloche des
1 Je cite cette dpinion deJPanthot, d'après Brizé-Fradin, p. 31.
372
HISTORIQUE.
barillets pleins d’air, que le plongeur recevait et ouvrait à son gré;
l’air chaud et impur s’échappait par le haut de la cloche, à l’aide
d’une soupape. Halley trouva même le moyen de permettre à un
plongeur de s’éloigner de la cloche, en continuant de communiquer
avec l’air comprimé qui y est contenu par un tuyau et un capuchon
recouvrant la tête. (Brizé-Fradin, 2e S., pl. I.) C’était la première
idée du scaphandre.
Spalding apporta à l’appareil de Halley des améliorations d’ordre
purement mécanique ; ces perfectionnements ne l’empêchèrent pas
de trouver la mort dans son appareil meme en 1785.
Brizé-Fradin, au travail duquel1 j’ai emprunté la plupart des
renseignements qui précèdent, résume dans les termes suivants les
inconvénients de la cloche à plongeurs :
1° Douleur vive et insupportable dans l’oreille, due à la compres-
sion de la cloison du tympan;
2° Altération de l’air par la respiration des ouvriers, d’où as-
phyxie ;
5° La plupart des physiciens ont trouvé un Iroisième inconvénient; ils croient
que le ressort de l’air, agissant dans tous les sens et à toutes les profondeurs,
comprime les vaisseaux sanguins, les artères et occasionne des hémorrhagies.
On peut opposer à cette assertion des faits constants et des expériences directes ;
écoutons M. Halley :
« J’ai été moi même l’une des cinq personnes qui ont plongé jusqu’à la profon-
deur de 18ra, sans en être incommodé; nous sommes restés pendant une heure
et demie; j’aurais pu même y rester plus longtemps, car rien ne s’y oppo-
sait. »
Ce témoignage de M. Halley pourrait être appuyé de celui de tous les plongeurs.
La pression de l’air sous l’eau, à une profondeur de 18m, n’occasionne pas de crache-
ment de sang; si on plongeait plus avant, sans doute, on trouverait le terme où
l’air condensé serait irrespirable. (P. 171.)
Et cependant, ajoute Brizé-Fradin :
En observant ces rapports d’identité avec la pression de l’eau et la puissance
élastique de l’air, il semble que le plongeur placé sous la cloche à une profon-
deur de 18m doit être dans un état d’affaissement universel. (P. 173.)
Le conseiller de Cour de l’empereur de .Russie, dont nous
avons rapporté plus haut la funeste ascension au mont Blanc, le
docteur Hamel2, descendit dans une cloche à plongeur installée par
Rennie dans le port de Howth, près de Dublin ; la profondeur de
1 La chimie pneumatique appliquée aux travaux sous l'eau. — Paris, 1808.
2 Lettre au professeur Piolet sur la cloche du plongeur. — Dibl. univ. de Genève ,
t. XIII. p. 230-234. 1820.
FOUTES PRESSIONS : CLOCHES A PLONGEURS.
375
l’eau élait d’environ 30 pieds. Il n’éprouva pas d’autre incommodité
que de violentes douleurs d’oreilles, « comme si on y introduisait
avec force une baguette, » qu’il faisait cesser en avalant sa salive.
De là vint à Hamel l’idée « que la cloche des plongeurs pourrait ser-
vir de remède dans les cas de surdité provenant de l’obstruction de
la trompe d’Eustache ».
Pour le reste il dit simplement :
Je m’attendais à éprouver quelque effet pénible pour la respiration, résultant
de la pression de l’air augmentée du poids d'une atmosphère presque entière;
cependant je n'ai pas ressenti la moindre incommodité sous ce rapport.
La même année, dans la même cloche et à la meme profondeur,
descendit le docteur Colladon l. Il est un peu plus explicite :
Nous descendions si silencieusemenl que nous ne nous apercevions point du mou-
vement de la cloche; mais aussitôt qu’elle fut plongée dans l’eau, nous ressen-
tîmes dans les oreilles et sur le front un sentiment de pression qui alla en aug-
mentant pendant quelques minutes. Je n’éprouvais cependant pas de douleurs
dans les oreilles; mais mon compagnon souffrait tellement, que nous fûmes
obligés de suspendre la descente pendant quelques minutes. Four remédier à cet
inconvénient, les ouvriers nous conseillèrent d’avaler notre salive après avoir
fermé fortement les narines et la bouche et de retenir pendant quelques instants
notre respiration, afin que, par cet exercice, l’air intérieur pût agir sur la
trompe d’Eustache. Mon compagnon se trouva peu soulagé par le procédé.
Lorsque nous nous remîmes en mouvement, il souffrait beaucoup, il était pâle,
ses lèvres étaient décolorées, on l’eût cru prêt à -se trouver mal. Son abattement
était dû, sans doute, à la violence de la douleur, jointe à un sentiment de crainte
qu’il n’était pas le maître de surmonter. Cette expérience produisit sur moi un
effet contraire : j'étais dans un état d’excitement, comme si j’eusse bu quelque
liqueur spiritucuse, je ne souffrais point, je n’éprouvais qu’une forte pression
autour de la tête, comme si un cercle de fer y eût été attaché fortement. En
parlant avec les ouvriers, j'avais quelque peine à les entendre; cette difficulté de
l’ouïe devint si forte, que pendant trois ou quatre minutes je ne les entendis plus
parler; je ne m’entendais pas moi-môme, quoique je parlasse aussi haut qu’il
m’était possible, et bientôt le bruit causé par la violence du courant contre les
parois de la cloche ne parvint plus à mon oreille. (F. 6.)
Enfin nous arrivâmes au fond de la mer, où toute sensation désagréable cessa
presque entièrement
Nous respirâmes avec beaucoup de facilité pendant tout le temps de notre
visite sous l’eau... Notre pouls n’éprouva aucune altération
En remontant, nos sensations furent très-dilférentes de celles que nous avions
éprouvées en descendant ; il nous semblait que nos tètes devenaient beau-
coup plus grosses ; que tous les os étaient sur le point de s’en séparer. Cet incon-
vénient ne fut pas de longue durée. (F. 8.)
s
A ces observations presque négatives, Colladon ajoute deux faits
1 Relation d'une descente en mer dans la cloche du plongeur . — Paris, 182G.
574
HISTORIQUE.
des plus jintéressants, et qui ont [été le point de départ d’impor-
tantes applications thérapeutiques :
Aucun des ouvriers ne devient sourd, il semblerait plutôt que, dans certains
cas, l’action de la cloche sur les oreilles pourrait servir de remède à la surdité.
Un des ouvriers, respirant habituellement av^c une grande difficulté, se trouva
complètement guéri peu de temps après avoir entrepris le travail de la cloche.
(P. 14.)
La cloche à plongeurs est aujourd’hui complètement abandonnée.
Elle a été remplacée par les caissons remplis d’air comprimé par la
méthode Triger.
Des tentatives, qui ne manquent point d’intérêt, ont été faites à
plusieurs reprises pour inventer des bateaux sous-marins dans les-
quels des hommes vivraient soit dans l’air comprimé soit dans l’air à
la pression normale. Ces essais ont commencé au dix-septième siè-
cle ; le P. Mersenne, l’ami de Descartes, n’a pas dédaigné de s’en
occuper; plus récemment, U. Fulton a fait dans le port de Brest des
tentatives qu’on aurait peut-être dû encourager ; puis vint Payerne,
dont Yhydrostat sous-marin fonctionna avec quelques succès. De
nos jours enfin, M. Yilleroi, puis le contre-amiral Bourgeois, ont in-
venté des bateaux-cigares qui pourraient être utilisés en cas de
guerre. Mais, comme aucune observation d’ordre physiologique n’a
été faite à l’aide de ces engins, et que je n’ai nullement le désir
d’écrire une histoire, si abrégée que ce soit, des applications indus- .
trielles de Pair comprimé, j’arrive sans autre transition aux faits
nombreux relatifs au creusement des puits de mine et au fonçage
des piles de pont par la méthode Triger,
§2. — Appareils construits d’après la méthode Triger.
C’est en effet à M. Triger, ingénieur français, qu’est due la pré-
cieuse invention de l’emploi de Pair comprimé à de hautes pressions
pour le forage des puits ou le fonçage de piles de pont. 11 s’agissait
d’aller exploiter dans la concession de la Haye-Longue (Maine-et-
Loire) des couches de terrain houiller recouvertes d’alluvions que
traversaient les eaux de la Loire. On ne pouvait penser à épuiser
Peau qui envahissait et empêchait de pousser en avant les gale-
ries : M. Triger conçut l’idée simple et lumineuse de la repousser,
de la contenir, en insufflant de Pair comprimé par la partie supé-
rieure du puits; à l’abri de l’assèchement ainsi produit, des ou-
FORTES PRESSIONS : APPAREILS TRIGER.
575
vriers purent aller oblitérer les voies d’eau par des voûtes de
maçonnerie.
M. Trouessart, dont nous citons plus loin le rapport sur cette ad-
mirable découverte, fait remarquer que l’idée en était déjà venue à
Denis Papin, en 1691, et il cite le passage suivant, qui est en effet
des plus remarquables :
On pourrait injecter continuellement de l’air frais dans la cloche à plonger, à
l’aide d’un fort soufflet de cuir garni de soupapes, par un tuyau passant sous la
cloche, et débouchant à sa partie supérieure. Ainsi, la cloche demeurant toujours
vide et la faisant appuyer tout à fait à terre, le fond de l’eau en cet endroit demeu-
rerait presque sec et on pourrait y travailler de même que hors de l’eau, et je ne
doute point que cela pût épargner beaucoup de dépense quand on veut bâtir sous
l’eau. Au reste, au cas que les soufflets de cuir ne fussent pas assez forts pour
presser l’air autant qu’il serait nécessaire dans de grandes profondeurs, on pour-
rait toujours remédier à cette difficulté, en se servant de pompes pour presser
l’air.
Mais il y a loin de cette idée à l’invention complète de M. Triger,
qui, en 1839, résolut pratiquement le problème, et annonça de
suite les applications nombreuses qu’on en devait faire après lui.
L’énoncé complet de cette invention se trouve dans un Mémoire1
présenté en 1841 à l’Académie des sciences.
Nous laissons naturellement de côté tout le détail de la construc-
tion des appareils, pour arriver à l’indication des phénomènes phy-
siologiques, fort peu étudiés, comme on va le voir, par le célèbre
ingénieur.
Un fait intéressant se rencontre tout d’abord : M. Triger voulut
essayer sur lui-même l’action de l’air comprimé. Or :
Au moment où le manomètre s’élevait à peine à la hauteur de 40 pouces (pres-
sion totale) une détonation se fit entendre, et nous nous trouvâmes saisis d’un
froid glacial et plongés dans l’obscurité la plus complète, par suite de la produc-
tion instantanée d’un épais brouillard : une vitre de l’appareil avait crevé.
Cette explosion n’eut d’autre résultat que de nous occasionner une grande
surprise.
M. Triger signale ensuite, en les rapportant bien exactement à
leur cause, les douleurs d’oreilles qui accompagnent la compression
et la décompression. Puis il ajoute, et c’est lout ce que contient son
Mémoire sur le sujet qui nous intéresse :
A la pression de trois atmosphères, il n’est plus possible à personne de siffler
1 Triger, Mémoire sur un appareil à air comprimé, pour le percement des puits de
mine et autres travaux , sous les eaux et dans les sables submergés. — Compt. rendus
Acad, des sciences, t. XIIT, p. 884-806, 1841.
5J6 - HISTORIQUE.
dans l’air comprimé: faculté qui, du reste, ne se perd que lorsque l’on arrive à
cette pression.
Dans l’air comprimé, tout le monde parle du nez, ce qui devient d’autant plus
sensible que la pression est plus grande.
Les ouvriers ont remarqué qu’en montant dans les échelles, ils se trouvaient
moins essoufflés dans l’air comprimé qu’à l’air libre.
Enfin, je terminerai par une observation assez curieuse, que j’ai été à même de
bien constater : c’est qu’un ouvrier mineur, le nommé Floc, sourd depuis le
siège d’Anvers, a constamment entendu plus distinctement dans l’air comprimé
que tous ses autres camarades. (P. 892.)
M. le professeur Trouessart1, chargé par la Société industrielle
d’Angers d’examiner les résultats pratiques de l’appareil de
M. Triger, rendit compte de ses recherches dans un intéressant
Mémoire.
Il y est peu question de physiologie ; on y trouve cependant quel-
ques observations qui méritent d’être rapportées ici, par cette rai-
son surtout qu’elles ont été les premières faites sur l’homme à des
pressions de 5 atmosphères en sus de l’atmosphère normale :
Ce n’est pas sans une certaine appréhension, nous l’avouons, que l’on descend
la première fois dans l’appareil pour y être soumis à une pression de trois atmos-
phères. Ces 52 000 kilogrammes en sus de la pression antérieure, qu’il va vous
falloir supporter, ont bien de quoi effrayer les épaules les plus robustes.
Vient d’abord la description des douleurs d’oreilles, qui sont par-
faitement étudiées et expliquées :
Un phénomène plus difficile à comprendre, c’est que^ les personnes sourdes
entendent non-seulement dans l’air comprimé mieux qu’à l'air libre, mais
qu’elles entendent mieux que les personnes dont l’organe est sain
Un des résultats les plus singuliers, c’est qu’on perde subitement la faculté de
siffler sous la pression de 2 atmosphères 3/4 à 5 atmosphères.
Les fonctions de nutrition, de respiration et de circulation ne paraissent pas
sensiblement modifiées dans l’air comprimé. Nous avions cru trouver, lors de
notre première visite, une accélération dans les battements du pouls de toutes les
personnes soumises à l’expérience; niais, à notre seconde visite, le résultat
d’une observation plus exacte, faite par un membre très-exercé à toucher le
pouls, fut complètement négatif
La respiration n’est ni plus lente ni plus rapide. 11 ne paraît pas non plus
qu’elle soit plus active et que la chaleur animale soit augmentée. Le sang jaillit
aussi dans les conditions normales. En un mot, et c’est ce qui surprend le plus,
il y a très peu de modifications dans les fonctions vitales. Les ouvriers assurent
monter plus facilement à l’échelle et être moins essoufflés en arrivant en haut.
Cela ne peut tenir à la perte assez faible qu'ils font de leur poids. Peut-être peu-
vent-ils retenir plus longtemps leur respiration, à cause de la densité plus
1 Rapport sur les puits à air comprimé de M. Triger. — Bull, cle la Soc. indust.
d'Angers et du départ, de Maine-et-Loire, — 1845.
FORTES PRESSIONS : APPAREILS TRIGER.
377
grande du gaz amené par chaque respiration? D’un autre côté, ils prétendent
fatiguer beaucoup plus en travaillant dans l’air comprimé que dans l’air libre,
Nous croyons que cela lient à l’humidité très-grande de l’atmosphère des puits,
humidité, qui gêne la transpiration insensible et provoque plus rapidement la sé-
crétion de la sueur chez ceux qui, dans un semblable milieu, ont à développer
leur puissance musculaire. C’est cette humidité qui expliquerait aussi peut-être
les douleurs assez vives dans les articulations qu’ont éprouvées quelques ouvriers,
peu d’heures après la sortie du puits
Nous pouvons conclure qu’il n’y a aucun danger sérieux à séjourner plusieurs
heures de suite, et pendant plusieurs jours, dans un air comprimé à 5 atmo-
sphères.
Notre auteur ne dit rien de la durée de la décompression ; il pa-
raît du reste, se préoccuper davantage du « passage d’une faible à une
forte pression » : il dit seulement qu’on ouvrait peu à peu le robinet.
Dans une seconde communication à l’Académie des sciences,
M. Triger1 reproduit ses anciennes observations. Il y ajoute les faits
suivants :
9
Tout le monde parle du nez et perd la faculté de siffler à 3 atmosphères. Afin
de m'assurer de l’effet de l’air comprimé sur un instrument à cordes, j’ai fait des-
cendre un violon dans le puits et l’on a trouvé qu’à la pression ci-dessus le son
perdait au moins la moitié de son intensité.
Puis vient la première indication des accidents assez graves de
la décompression :
Je dois déclarer ici que deux ouvriers, après avoir passé 7 heures de suite dans
l’air comprimé, ont éprouvé des douleurs assez vives dans les articulations, une
demi-heure après être sortis du puits. Le premier se plaignait d’une douleur
extrêmement vive dans le bras gauche, et le second éprouvait une douleur semblable
dans les genoux et dans l’épaule gauche; quelques frictions faites avec de
l’esprit-de-vin ont bientôt fait disparaître cette douleur chez les deux individus ;
ils n’en ont pas moins continué leur travaifles jours suivants.
En 1846, M. de laGournerie2, s’inspirant, dit-il, d’un appareil pro-
posé en 1778 et approuvé par l’Académie des sciences en 1779,
employa à l’extraction de rochers dans le chenal du port du Croisic
un bateau portant une chambre en métal ouverle par en bas, et de
laquelle on chassait l’eau par de l’air comprimé.
11 ne l’immergea que de 5 ou 4 mètres ; il ne faut donc pas
s’étonner de voir que
Lettre à M. Araqo. — Comptes rendus de l' Académie des sciences, t. XX, p. 445-
449; 1845.
- Mémoire sur V extraction des roches de la passe d'entrée du port du Croisic. —
Ann. des ponts el chaussées , 1848, 1er semestre, p. 261-515.
HISTORIQUE.
578
Les ouvriers n’ont jamais trouvé que la pression de l’air les incommodât. C’est
à peine si elle fait éprouver pendant quelques secondes une gêne légère aux
oreilles.
Le nombre des pulsations du pouls n’est pas sensiblement augmenté. (P. 508.)
C’est dans les mines de Douchy (Nord), que fut imitée d’abord la
méthode employée par M. Triger sur les bords de la Loire. Les dif-
ficultés étaient plus grandes, puisqu’il s’agissait non plus de tra-
verser des sables perméables avec un tube en tôle de 1 m50 de dia-
mètre, mais de creuser à travers des calcaires un puits de 5 mètres
de diamètre.
Nous citerons dans un moment le Mémoire important que les
docteurs Poi et Watelle ont consacré à l’étude des accidents qui ont,
dans cette exploitation, frappé de nombreux ouvriers. La première
connaissance en fut apportée par un rapport de l’ingénieur Blavier1,
envoyé pour examiner cette invention nouvelle.
I II indique d’abord les douleurs d’oreilles, l’impossibilité de siffler.
Pour parler il faut faire un certain effort :
II nous a semblé aussi que dans l’échelle diatonique la voix perdait un ton ou
un Ion et demi dans les notes aigües sans les regagner par le bas.
Il rfa trouvé aucune différence dans le nombre des pulsations ’
avant d’entrer et dans l’appareil :
Si les effets de l’air comprimé ne se manifestent pas sur l’économie animale tout
le temps qu’on y est plongé, du moins dans la durée d’une pose d’ouvriers, il n’en
est pas tou t— à-fait de même si l’on cherche à envisager ces effets, abstraction faite
du moment.... La plupart des ouvriers, quoique choisis parmi les plus robustes
et les plus sains, ont ressenti fréquemment, quelques heures après en être sortis,
soit des pesanteurs de tète, soit des douleurs dans les jambes. Un d’eux seulement
a éprouvé une perclusion absolue des bras et des jambes pendant 12 heures. Le
directeur de la mine nous a affirmé que les effets ressentis coïncidaient presque
toujours avec quelques excès commis dans l’intervalle des poses. (P. 561.)
Cependant lui-même, après avoir été soumis à la pression totale
de 2c 6 à 5 atmosphères, fut frappé d’un accident assez sérieux :
Le lendemain de notre visite du 5 décembre, des douleurs vives sont surve-
nues dans le côté gauche, et nous avons ressenti une gêne douloureuse assez
grande pendant plusieurs jours de suite. Comme un refroidissement ou quelque
autre cause étrangère à l’air comprimé pouvait avoir agi, lorsque nous avons été
1 Rapport sur Je procédé suivi, à Douchy , pour traverser des nappes d'eau considé-
rables, — Ann. des mines, 4° série, t. IX, p. 549-364; 1846.
FORTES PRESSIONS : APPAREILS T'RIGER.
579
complètement délivré de ces douleurs, le 28 décembre, nous avons tenu à recom-
mencer l’expérience, et nous avons pris à la sortie du puits les plus grandes pré-
cautions pour nous mettre à l’abri de tout refroidissement. Malgré ces précautions,
le lendemain, Irès-sensiblement à la même heure, à savoir 20 heures après notre
sortie du milieu d’air comprimé, nous avons ressenti dans le côté droit des dou-
leurs tout à fait semblables aux premières, et qui nous ont tenu engourdi pen-
dant quatre à cinq jours. (P. 362.)
Nous arrivons maintenant à l’important Mémoire, le premier qui
fut sur ces accidents écrit par des médecins, dans lequel MM. Pol et
Watelle 1 exposent les effets de la compression de l’air sur les mi-
neurs pendant le creusement de l’Avaleresse-la-Naville, à Lourches,
dans la concession de Douchy (Nord).
Les auteurs ont pris soin d’avertir que leurs notes ayant été pri-
ses sans intention de publicité, ils ont observé sans plan, sans
programme, et par conséquent sans ordre. Mais ils pensent, et avec
grande raison, que leur travail présentera cependant quelque intérêt
et quelque utilité.
Pendant l’exploitation, la pression totale s’est élevée à 4 atmos-
phères 1/4. La compression se faisait en un quart d’heure, la dé-
compression en une demi-heure ; 64 ouvriers ont pris part aux tra-
vaux ; ils restaient ordinairement quatre heures de suite dans
l’appareil, et cela deux fois par jour.
Les auteurs ont décrit à part les effets physiologiques qu’ils ont
observés sur eux-mêmes et les effets pathologiques éprouvés par les
ouvriers :
1° Effets physiologiques : Douleurs des membranes tympaniques ;
ralentissement de la respiration et surtout diminution d’amplitude
de l’expansion thoracique, devenue à peine perceptible ; ralentis-
sement du pouls, (tombé de 70 à 55 ; ) augmentation de la sécrétion
urinaire.
Les auteurs accusent encore un « sentiment musculaire d’une ré-
sistance à vaincre, la densité insolite de l’atmosphère ambiante
embarrassant la progression » ; l’impossibilité de siffler, éprouvée
au-dessus de 5 atmosphères, est également attribuée à une résis-
tance inattendue, éprouvée par les muscles de la langue en présence
d’un air condensé.
Au retour et pendant la décompression, ils éprouvèrent une vive
1 Mémoire sur les effets (le la compression de l'air appliquée au creusement des puits
à houille. — Ann. d'hygiène publique et de médecine légale. 2° série, t. I, p. 241-279;
1851. — Mémoire écrit à la fin de l’année 1847, et présenté, peu de temps après, à la
Société de Douchy.
380
HISTORIQUE.
sensation de froid, une certaine anhélation ; le pouls remonta à 85.
Effets pathologiques . —En prenant en bloc les observations, on
voit que, sur 64 hommes, 47 ont supporté plus ou moins bien les
travaux ; 25 ont dû être réformés ; 2 sont morts. En les relevant par
le détail, on voit que 14 ont éprouvé des accidents légers, 16 des
accidents plus ou moins graves, pouvant aller jusqu’à menacer la
vie ; 2 sont morts.
En revanche, 2 ont bénéficié d’une certaine amélioration. L’un
(lre catégorie, obs. I), était asthmatique, et respirait mieux dans le
puits; l’autre (5me catég., obs. o), chloro-anémique, ayant eu des hé-
moptysies fréquentes, vit son oppression disparaître, ses muqueu-
ses devenir plus rouges :
Nous voyons poindre, disent à ce propos MM. Pol et Watelle, sans nous dissi-
muler les difficultés d’application, une nouvelle ressource de thérapeutique pal-
liative contre la plupart des dyspnées.
Les accidents, règle universelle et sans exceptions, avaient lieu
au moment de la décompression :
Le danger n'est pas de pénétrer dans un puits comprimé ; il n’est pas davan-
tage d'y séjourner plus ou moins longtemps ; la décompression seule est à crain-
dre : on ne paie qu'en sortant.
Examinons maintenant en quoi consistent ces accidents plus ou
moins graves.
Ce sont d’abord les douleurs du tympan, plus ou moins vives et
durables, et M. Pol conslate qu’on les fait cesser beaucoup plus vite
en se mouchant qu’en faisant des efforts de déglutition.
Pour les autres symptômes, comme MM. Pol et Watelle ont eu le
bon esprit de donner les observations complètes, je crois ne pou-
voir mieux faire que de les résumer chacune en quelques mots,
suivant l’ordre dans lequel ils les ont présenlées :
Première catégorie. — Ouvriers ayant pris les travaux à V origine.
Observations. — I. Asthmatique, respire mieux dans le puits. A la décompres-
sion, violentes oppressions avec réaction circulatoire exagérée. Réformé.
II. A été jusqu'à quatre atmosphères et demie. Embarras de la respiration,
diminution d’appétit, digestions pénibles, douleurs dans les membres. Selles
noires. A beaucoup maigri.
III. Mêmes effets.
IV. Idem.
V. A fait bonne contenance jusqu'à trois atmosphères. Au-delà, éblouissements,
FORTES PRESSIONS : APPAREILS TR1GER. 581
douleurs musculaires, crampes ou engourdissement universel, vomissements de
matières noirâtres. Le tout au retour à l’air libre.
Un jour, une heure après sa sortie du puits, ayant pris son repas, il se plaint
de malaise; porté sur son lit, il y perd, connaissance. Pouls plein et fréquent, face
injectée, respiration courte et stertoreuse; son obscur partout, souffle bron-
chique, râle muqueux; résolution musculaire. Saigné, purgé, sinapisé. Après
quatre heures, retour à la connaissance. En trois jours, guérison. Réformé.
VI. Arrivé sans encombre jusqu’à quatre at mosphères un quart. Un soir, après
s’être couché bien portant en apparence, pris, à onze heures, de douleurs muscu-
laires accompagnées de contractions qui simulaient des accès tétaniques.
Peau glacée, pouls petit et lent, urines abondantes et limpides. Respiration
anxieuse ; mêmes résultats d’auscultation qu’à V.
Bains à 32° exaspèrent tellement les douleurs, que le malade n’y peut rester.
Frictions, sudation forte, calme. Rétabli le lendemain, reprend son travail.
Vil. A la pression de 3,3 : troubles cérébraux, analogues à l’ivresse comateuse,
hébétude, bredouillement. Respiration accélérée, pouls rapide. Pupilles dilatées.
Deux attaques semblables, guéries l’une en neuf jours, l’autre en quinze. Con-
serve de la diplopie et des tournoiements, avec surdité d’un côté. Réformé.
VIII. Présentait à l’excès deux phénomènes habituels : 1° suppression des fonc-
tions de la peau et augmentation de la sécrétion urinaire pendant la compression :
2° rapidité augmentée des battements de cœur après la décompression ; son pouls,
de 58 montait à 130.
IX à XVII. Rien d’important à noter.
XVIII. Sain et vigoureux. A éprouvé à plusieurs reprises de vives douleurs dans
les membres et la poitrine. Troubles respiratoires croissant avec la pression,
ainsi que les douleurs musculaires qui sont très-aiguës.
Est réformé. Dans les dernières journées, descend sans permission dans le puits.
V travaille sans se plaindre; sort avec ses compagnons, se lave comme eux,
tombe aussitôt privé de sentiment et meurt en un quart d’heure. L’autopsie si-
gnale seulement engouement des poumons, engorgement du foie, de la rate, des
reins; rien au cerveau, sinon sablé congestionne!.
XIX. Oppression violente avec matité et bronchophonie ; pouls rapide, peau
froide, toux continuelle ; contractions cloniques des membres ; mieux sensible
après cinq heures de soins.
Puis, une autre fois, à ces accidents se joignent : dilatation de la pupille, réso-
lution des membres, subdilerium , coma. Trois saignées coup sur coup; sang ruti-
lant au sortir de la veine; guéri. Réformé.
XX. Mêmes accidents que VII. Resté également sourd d’un côté, avec vue très-
affaiblie. Réformé.
XXI. Un jour, vue troublée et double, ouïe abolie; respiration gênée, toux
fréquente, pouls dur et galopant. Saignée rouge, guérit.
XXII et XXIII. Douleurs de tète, étourdissements, crampes. Réformés.
XXIV et XXV. Rien d’important.
XXVI. Accidents thoraciques et cérébraux ordinaires ; guérit après de fortes
transpirations. (P. 250 à 259.)
Catégorie spéciale ?i'ayant travaillé qiiun jour et sans préparation , à 2,8 atmos-
phères.
Neuf hommes sortirent sans se plaindre de rien. Mais peu après, huit éprou-
vèrent des douleurs musculaires très-intenses, qui disparurent dans la nuit,
excepté chez un, où elles persistèrent plusieurs jours.
582
HISTORIQUE.
Deuxième catégorie. — Ouvriers n' ayant pris part aux travaux qu'à partir de
2,9, atmosphères.
I. Aucun effet.
II. Seulement douleurs musculaires dans la cuisse gauche, qui cédaient à l’eau
froide.
III, IV. Rien.
V. Douleurs musculaires médiocres, mais persistantes d’une pose à l’autre; la
recompression les faisait disparaître aussitôt .
VI. Rien.
VIL 28 ans. Athlétique. Pression de 5,8 pour commencer. Après dix jours
perte de connaissance, trismus violent. Pouls rapide.
Saignée semi-rutilante huit heures après, purgation, vésicatoires.
Le surlendemain, tout à coup la connaissance revient : le malade ouvre les yeux,
semble sortir d’un rêve, prononce quelques mots étonnés.
Guérit, mais demeure profondément sourd.
Troisième catégorie. — Ouvriers qui ont commencé à 4,15-4 atmosphères.
I, II. Rien.
Itl. A eu des hémoptysies antérieures. Amélioration.
IV, V, VI. Rien, sinon douleurs musculaires assez vives.
VII. 40 ans. Très-robuste. N’est descendu qu’une fois dans le puits. A sa sortie
(décompression en vingt minutes), est mort presque immédiatement.
A l’autopsie, 56 heures après la mort : emphysème sous-cutané généralisé
(existait avant que la putréfaction commençât, notent les auteurs) ; rien aux
méninges, au cerveau, au cervelet ; congestion des poumons avec teinte noirâtre
généralisée (souligné par les auteurs); sang fluide et noir dans le cœur; foie, rate
et reins engorgés.
VIII. Rien.
IX. Douleurs musculaires modérées.
X. A sa première séance, douleurs musculaires très-vives, persistantes pendant
plusieurs jours. Réformé.
XI. Idem.
XII à XIX. Rien, sinon d’insignifiantes douleurs musculaires. Cependant ont sup-
porté la pression de quatre atmosphères un quart pendant trois mois.
XX. A sa première séance, décompression trop rapide. Quelques minutes après
sa sortie du sas, offrait l'aspect d'un cadavre : face livide, froideur glaciale, yeux
ternes, pupilles énormément dilatées, respiration anxieuse; en auscultant le
cœur, on n’entend qu’un vague frémissement ; pouls insensible ; intelligence
abolie; urines involontaires; vomissements noirâtres; impuissance musculaire
complète.
Bain chaud, couvertures, frictions. Après une demi-heure, le pouls commence
à devenir perceptible, la respiration est plus ample, un peu de chaleur reparaît
au tronc; le malade balbutie des mots sans suite. Pendant la nuit, à peine la cha-
leur est-elle rétablie, que des douleurs atroces éclatent dans les muscles; vives
douleurs de tête, cécité et surdité; pouls misérable, à 50.
Amélioration nette le surlendemain; le malade voit confusément. Mais conserve
une vue faible et des pupilles anormalement dilatées.
FORTES PRESSIONS : APPAREILS TRIGER.
383
XXL A sa première séance, décompression trop rapide. Vives douleurs muscu-
laires persistant six jours.
XXII. A sa première séance, décompression trop rapide. Perte de connais-
sance, résolution des membres; respiration gênée, pouls plein, dur, 130 pulsa-
tions.
Saignée rouge, sinapismes; après quatre heures, la connaissance revient. Dans
la nuit, crampes et douleurs musculaires d’une violence épouvantable.
Survit, mais avec un grand affaiblissement de la vue et une surdité profonde.
(P. 265 à 275.)
Je citerai enfin l’accident arrivé à M. Pol lui-même, parce qu’il
contient l’énoncé d’un phénomène des plus curieux, et sur l’impor-
tance duquel nous aurons à insister plus tard. La pression subie
avait été de 3,48 atmosphères :
A 11 heures, il regagna sa demeure ; il ressentait des douleurs vives dans le
bras et l’épaule gauches ; les parois du thorax étaient aussi douloureuses. Il lui
sembla qu’il existait de l’emphysème dans ces régions.... Vers minuit, il eut
quelques frissons que des vomissements suivirent. Il prit une tasse de thé et s’en-
dormit ; bientôt il survint une transpiration abondante. Le lendemain, il était dans
son état ordinaire. (P. 250.)
En résumé, les accidents constatés, lors de la décompression ,
sont les suivants :
Difficultés respiratoires, pouvant aller jusqu’à l’anxiété ;
Accélération et dureté du pouis ;
Douleurs musculaires souvent très-vives : « aucun des effets de
la décompression ne s’est montré aussi général ; unique dans beau-
coup de cas, . il est initial dans presque tous C’est le premier et
le. plus large anneau d’une chaîne qui comprend successivement,
par rang ascendant de gravité et descendant de fréquence, la con-
traction non permanente ou clonique, la résolution et enfin la si-
dération » (P. 277.) ;
Accidents cérébraux, hébétude, perte de la sensibilité et de la
conscience, coma. Surdité, cécité, très-souvent permanentes;
Enfin, mort subite.
La lecture des observations relevées ci-dessus montre quelle
variété de forme et d’intensité présentent les accidents, même pour
des pressions égales, chez les individus différents, et parfois chez
le meme individu.
MM. Pol et Walelle ont remarqué que les jeunes hommes de 18 à
26 ans ont beaucoup mieux résisté que les hommes faits : sur les
25 réformés, 19 avaient plus de 40 ans et 5 plus de 30; l’autre
avait 28 ans.
384
HISTORIQUE.
Ces accidents sont attribues exclusivement, par les médecins de
Douchy, à des congestions pulmonaires, hépatiques, rénales ou
cérébrales. Nous verrons au chapitre spécial consacré à l’énumé-
ration des explications théoriques, quelles sont celles qu’ont pré-
sentées de ces phénomènes pathologiques MM. Pol et Wa telle.
J’ai tenu à analyser longuement leur important Mémoire, le
premier en date pour l’étude des hautes pressions, non-seulement
à cause des nombreuses observations pleines d’intérêt qui s’y trou-
vent rapportées, mais parce que des vérités d’une haute importance
y sont mises pleinement en lumière :
1° « La compression, jusqu’à 4 atmosphères un quart, n’est pas
à craindre par elle-même; elle se supporte parfaitement et infini-
ment mieux qu’une raréfaction proportionnelle beaucoup moins
considérable. » Le retour à la pression naturelle seul est à crain-
dre; son danger est proportionnel à la fois à la valeur de la com-
pression et à la rapidité de la décompression : il faut donc ralen-
tir beaucoup celle-ci ;
2° Dans l’air comprimé, le sang veineux devient rutilant. Cet
effet persiste un peu après le retour à la pression normale ;
5° On est « autorisé à espérer » qu’un moyen de soulagement
certain et prompt serait de recomprimer immédiatement, pour dé-
comprimer ensuite avec précaution ;
4° Les chlorotiques ou anémiques, les personnes qui respirent
difficilement, pourront tirer un parti utile du séjour dans un air
variablement comprimé.
Pendant les travaux de Douchy, une èxplosion survint, au mo-
ment où la pression totale était de 5,20 atmosphères. Elle fut l’ob-
jet d’un rapport de M. Comte1, ingénieur en chef des mines. Huit
hommes se trouvaient en ce moment dans l’appareil; quatre furent
tués par écrasement ; deux autres, après avoir commencé à monter
l’échelle pour sortir du cylindre, la lâchèrent, sans qu’ori ait jamais
pu savoir pourquoi ni comment ; un septième ouvrier n’éprouva
aucun accident; le huitième, envahi par l’eau, put également s’é-
chapper. M. Comte fait à son propos une hypothèse curieuse et
étrange, intéressante parce qu’elle montre combien, en ces ques-
tions, les meilleurs esprits errent aisément :
Peut-être, dit-il, Irouva-t-il secours pour remonter sur l’eau dans la légèreté
1 Rapport sur /’ explosion d'un cylindre à air comprimé sur Vavalercsse n° 7, située
dans la concession de Douchy [Nord} — Ann. des mines, 4e série, t II, p. 121-148. 1847.
FORTES PRESSIONS : APPAREILS TRI G ER.
585
spécifique que lui communiquait l’air comprimé dont certaines parties de son
corps étaient encore plus ou moins remplies. (P. 130.)
La nouvelle méthode se généralisa rapidement. D’autres puits
furent creusés, et l’on observa des faits analogues à ceux qu’avaient
signalés MM. Pol et Wattelle.
C’est ce qui arriva, par exemple, au rapport de Bouhy1, dans ta
mine de Strépy-Bracquegnies (Belgique) :
A Strépy-Bracquegnies, tous les ouvriers, un seul excepté, qui ont travaillé
dans l’air comprimé à 5,70 atmosphères, et pendant quatre à cinq heures consé-
cutives, ont été atteints, après leur sortie de l’appareil, de douleurs plus ou
moins aiguës Ces douleurs, dont le siège était principalement dans les arti-
culations, telles que les genoux, lesépaules, les plis des bras, se présentaient chez
certains individus avec un degré d’acuité tel qu’ils restaient quelquefois plus de
quarante-huit heures sans pouvoir goûter le sommeil
On a remarqué que quelques ouvriers assez fortement attaqués, et qui étaient
descendus pour travailler, se trouvaient débarrassés de toute douieur dès qu’ils
étaient comprimés, mais qu’elles se faisaient sentir de nouveau quelque temps
après leur sortie de l’appareil.
Outre ces effets, l’auteur signale encore des picotements incommodes sur toule
la surface du corps et particulièrement aux extrémités.
Mais c’est surtout à la fondation des piles de pont que l’air com-
primé est employé, et c’est dans ces conditions que des centaines
d’ouvriers sont chaque année exposés à- son action. Il n’est donc
pas sans intérêt pour nous d’indiquer d’une manière rapide en
quoi consiste, dans ce cas particulier, la mise en application delà
méthode Triger.
La figure 6 nous permettra d’être très-bref dans nos explica-
tions; c’est une figure demi-schématique que nous empruntons au
mémoire plus loin analysé du Dr Foleÿ.
Un tube de fonte MM composé d’anneaux concentriques réunis par
des boulons m, et terminé à sa partie inférieure par une chambre
évasée ou « crinoline », est descendu dans le lit du fleuve à la place
que devra occuper la pile de pont. Ilest coiffé à son extrémité supé-
rieure par une pièce à 3 compartiments; celui du milieu, F, com-
munique constamment avec le tube de fonte; une machine souf-
flante y envoie continuellement, par un tube G, de l’air suffisamment
comprimé pour pouvoir chasser toute l’eau du cylindre de fonte, et
sortir incessamment en bouillonnant tout autour; le fond s’asséche
1 Creusement à travers les sables mouvants cl'un puits de la mine de Slrépy-Bracquc-
qnies. — Ann. des trav. pull, de Belgique , t. VII, 1848; cité par Barella, p. 521.
25
38G HISTORIQUE.
alors, comme il arrive au tube de verre dans lequel un enfant
souffle après l’avoir
plongé dans beau.
Dans ces conditions,
l’ouvrier qui vient à son
travail, ouvre la porte
d’une des chambres laté-
rales, E, la referme der-
rière lui , et, par un ro-
binet de communication
avec la chambre centrale
F, équilibre la pression
de l’air où il est plongé
avec celle de l’air du
cylindre. Ceci fait, il ou-,
vre aisément la porte
intérieure jusque là fer-
mée par la pression, et
descend par une échelle
jusqu’au fonds du puits.
Là , il travaille , rem-
plit, avec les matériaux
qu’il enlève, des seaux
qu’on remonte et qu'on
vide au dehors. Veut-il
sortir? il se présente
devant l'autre cham-
bre latérale C où l’air
est resté sous pression,
y entre, referme la porte,
et laisse, par un robinet
qui communique avec le
dehors, s’échapper l’ex-
cès d’air comprimé, il
peut alors aisément ou-
vrir la porte extérieure
et quitter F appareil.
Au fur et à mesure
que le travail avance, que Fexcavation augmente, le tube de fonte
s’enfonce par son propre poids et par celui de la maçonnerie nn
Fig. 6 (empruntée à la thèse de M. Foleÿ).
Schéma représentant le fonçage d’une pile de pont
par les tubes à air comprimé.
FORTES PRESSIONS. — APPAREILS TRIGER. 587
dont on le charge ; on superpose alors de nouvelles rondelles de
fonte, jusqu’à ce que la creusée soit finie ; il ne reste plus enfin
qu'à remplir de maçonnerie tout le cylindre, et la pile est terminée.
C’est par cette méthode si simple, beaucoup plus compliquée, ce-
pendant, en pratique, que ne semble l’indiquer la description qui
précède, qu’ont été construits, depuis 1851, un grand nombre de
ponts.
La conception de cette application à la fondation des piles de pont
de son système d’assèchement, appartient à M. Triger lui-même1.
Mais cette idée ne fut réalisée qu’en 1851 par l’ingénieur anglais
Hughes, pour la construction du pont de Rochester, sur la Medway,
dans le comté de Kent.
Un ingénieur d’origine française, Brunei, construisit par ce sys-
tème le pont de Chepstow, sur la Wye (1849-1851) et de Saltash
(1854-1859) ; pour ce dernier, la profondeur maximum atteinte fut
26m,68 au-dessous de la haute mer. A celui-ci seulement arriva un
accident mortel ; un homme mourut en quittant le cylindre où il
était resté fort peu de temps. Je n’ai pu, du reste, me procurer de
renseignements détaillés sur ces faits.
En 1856, M. Cézanne2 fut chargé d’établir un pont à Szegedin
(Hongrie), pour permettre au chemin de fer autrichien du S. E. de
traverser la Theiss, affluent du Danube. .
Il employa le système des tubes à air comprimé. Les travaux de
fouilles ont été « arrêtés à 20 mètres environ sous les hautes eaux,
pour ne pas s’exposer à la pression de 5 atmosphères, au delà de
laquelle le travail des hommes est très-pénible ». (P. 355.)
Un paragraphe spécial du mémoire de mon regretté collègue est
consacré à l’élude des effets physiologiques de l’air comprimé :
Il y a trois phasesà distinguer : l’entrée, le séjour, la sortie.
Lorsqu’on ouvre le robinet d’entrée de l’air, on est immédiatement saisi aux
oreilles par un bourdonnement violent accompagné de douleurs dont l’intensité
varie avec les individus
Le séjour au fond du tube, dans une pression de trois atmosphères, peut être
prolongé pendant plusieurs heures sans inconvénients ; le timbre de la voix est
un peu altéré, la respiration activée comme par une marche rapide ; une ciga-
rette qu’on agite se consume en flambant; les bougies brûlent rapidement, mais
avec une flamme fumeuse
Le moment de la sortie, quoique peu douloureux pour la grande majorité des
Lettre à Ai. Arago. — Comptes rendus de l'Academie des sciences, t. XX, p. 445,
1845.
2 Notice sur le pont de la Theiss et sur tes fondations tubulaires . — * Annales des ponts
et chaussées , 1859, lre semestre, p. 534-382.
588 HISTORIQUE.
individus, est le plus dangereux pour les ouvriers Le sang afflue quelquefois
dans le nez et dans la gorge; certaines personnes éprouvent des névralgies vio-
lentes, mais courtes; d’autres conservent pendant plusieurs jours des maux de
tête et des douleurs de dents •
Les ouvriers qui travaillent habituellement dans les tubes ont mauvaise mine ;
ils résistent cependant très-bien. (P. 569.)
Le 12 décembre 1859, il y eut une explosion de pile au pont de
Bordeaux, d’où décompression instantanée ; sept des ouvriers qui y
travaillaient n’ont éprouvé aucun accident. Deux furent tués , mais
par des causes purement mécaniques.
M. P. Regnauld1, qui rendit compte des travaux, ne dit pas sous
quelle pression eut lieu cet événement, mais il résulte de son Mé-
moire que l’enfoncement du tube était alors certainement inférieur
à 12,n,90. (P. 82.)
On a bâti, en 1859, un pont sur le Nil, le pont de Kaffre-Azzyat :
les piles furent creusées à 26 métrés au-dessous de Peau. Cinq
Arabes moururent des effets de la pression : un dans la cage meme,
en s’en allant, mais avant d’être sorti dehors; la pression était de
56 livres anglaises par pouce carré2. Les autres se sentirent ma-
lades dans le cylindre et moururent pendant la décompression ; la
pression était alors de plus de 50 livres. Le sang soldait par la
bouche, le nez et les oreilles.
Le Mémoire de Babington et Cuthbert3, auquel j’emprunte les faits
précédents, est spécialement consacré à l’étude médicale des acci-
dents observés pendant la fondation du pont de Londonderry , en
octobre 1861.
La profondeur atteinte a été de 75 pieds au-dessous du niveau de
l’eau :
La pression supportée par les ouvriers fut, au maximum, de 45 livres par pouce
carré, en tout. Ils souffraient de douleurs d’oreilles, de maux de tête, de douleurs
dans les jambes, de saignements de nez, de malaises généraux. Ces symptômes
augmentaient beaucoup quand les robinets étant ouverts tout grands, le chan-
gement de pression était trop rapide Ces symptômes apparaissaient d’abord
en entrant dans l’air compripié; mais ils étaient beaucoup plus forts quand on
passait des cylindres dans l’air libre : des accidents sérieux, mortels même, sont
alors arrivés.
Mémoire sur la construction du pont métallique sur la Garonne , à Bordeaux. —
Ann. des ponts et chaussées, 1867, 2e semestre, p. 27-115.
2 Une atmosphère correspond à 15 livres par pouce carré.
3 Paralysis caused by working under compressed air in sinking the Fondations of
Londonderry New Bridae. — - The Dublin quart, journal of medical science, f. XXXVJ,
p. 312-318, 1863.
FORTES PRESSIONS. — APPAREILS TR1GER.
389
Je reproduis, en les abrégeant, les six observations des auteurs :
I. 5 octobre 1861. Homme de 28 ans, ayant travaillé quatre heures sous une
pression de 23 livres; en sortant, tombe insensible. Froid et livide; insensibilité
totale, paralysie faciale à droite; strabisme de l’œil droit ; pupilles presque immo-
biles ; 150 pulsations, petites et irrégulières; bruits du cœur à peine percepti-
bles; respirations très-irrégulières, de 24 à 44 par minute; inspiration brusque,
expiration prolongée.
Saignée : sang noir, visqueux et poisseux Mort vingt-quatre heures après la
sortie du cylindre.
JI. Cas absolument semblable, survenu en même temps. Mort de même en vingt-
quatre heures.
III. 23 ans. Quand nous le visitâmes, il était tout à fait abattu, mais avait sa
connaissance, se plaignait de douleurs aux jambes et aux cuisses. Incapable de
marcher, jambes et pieds froids et insensibles. Était assis les pieds dans le feu , si
bien que plusieurs de ses orteils furent brûlés sans qu’il sentît la chaleur.
Il n’était pas devenu de suite malade, et comme il avait souffert des jambes les
jours précédents, il n'avait appelé le médecin que plusieurs heures après être
sorti du cylindre.
Deux jours après était guéri, sauf ses brûlures.
IV. Cas semblable. Hémoptysie. Guérison.
V. 18 ans, le 5 octobre. Quatre heures sous la pression; tombe sans connais-
sance pendant qu’on décomprime État demi-comateux, répond quand on
l’excite et retombe dans l’insensibilité. Les symptômes comateux passèrent en
dix-huit heures; il était alors paralysé totalement depuis la quatrième côte. Ré-
tention d’urine, perte de sensation et autres symptômes des maladies de la région
médullaire cervicale.
Mourut à l’hôpital 162 jours après ; n’a jamais retrouvé la sensibilité ni le mou-
vement.
VI. 30 ans. Symptômes identiques ; seulement la paralysie ne commence qu’à
la huitième vertèbre dorsale. Vécut trente jours.
Beaucoup d’autres cas de paralysies légères, de douleurs musculaires et autres
affections nerveuses furent également observés.
Aucune autopsie n’a malheureusement pu être faite.
Nous verrons plus loin l’explication que les deux médecins anglais
ont donnée de ces faits.
En 1859, un travail de la plus haute importance, la fondation des
piles du pont de Strasbourg à Kehl, fut exécuté à l’aide de l’air com-
primé. Deux Mémoires intéressants , l’un plus spécialement patho-
logique, l’autre plus physiologique, nous ont rendu compte et des
sensations éprouvées, et des phénomènes observés, et des accidents
survenus. Le premier, par ordre de date, est celui du Dr François1 2 ;
nous nous en occuperons d’abord.
1 Des effets de l'air comprimé sur les ouvriers travaillant dans les caissons servant
de base aux piles du pont du grand Rhin, — Ann. cVIma. pubt. et de méd. léq., 1860,
2e série, t. XIV, p. ‘289-319.
390
HISTORIQUE.
L’auteur commence par décrire rapidement les appareils em-
ployés dans les travaux du pont. La durée du travail était de quatre
heures, et les postes se succédaient après huit heures de repos.
La pression totale s’est élevée à 5 atmosphères et demie. La décom-
pression, d’après les règlements, devait durer de 6 à 8 minutes
jusqu’à 2 atmosphères; de 12 à 15 minutes jusqu’à 5 atmosphères;
mais l’imprudence des ouvriers a presque toujours empêché la
stricte exécution de ce règlement.
Effets physiologiques. — Respiration allégée, moins fréquente;
ampliation plus considérable de la poitrine , « ce qui s’explique de
soi-même; » circulation exagérée pendant la compression, se ralen-
tissant lors du retour à l’air libre; amaigrissement sensible, môme
chez les ouvriers qui n’ont pas souffert.
L’auteur insiste peu sur ces faits, et annonce qu’ils seront déve-
loppés dans le travail de M. Bucquoy dont nous rendrons compte
tout à l’heure,
Effets pathologiques. — Ce sont d’abord des otalgies et otites ,
après lesquelles souvent l’ouïe reste très-dure.
Puis des douleurs dans les muscles ou les articulations : il y en a
eu 155 cas. Elles se dissipent au bout de quelques jours. Quelque-
fois, on constate un gonflement local assez manifeste, mais sans
crépitation. Dans un des cas, le sein gauche d’un des ouvriers s’est
gonflé subitement , de manière « à ressembler au sein bien con-
formé d’une femme » ; ce gonflement douloureux a cédé rapide-
ment à l’application de quelques ventouses scarifiées. (P. 507.)
Dans un autre , le malade est resté incapable de se servir de sa
jambe gauche.
M. François signale encore, comme fréquentes, les démangeai-
sons à la peau, les puces , comme les appellent les ouvriers; elles
cédaient, dit-il, à des lotions d’eau fraîche.
Il explique, par des congestions vers le poumon, le cœur, le foie
et la rate, quelques accidents assez obscurs, où se mêlent des suffo-
cations, des palpitations, etc.; l’un des malades, sujet du reste à des
hémoptysies, a succombé quelques mois après.
Enfin, la céphalalgie violente, la perte de connaissance, sont attri-
buées à une congestion cérébrale ; ces congestions ne commençaient
qu’au bout d’un quart d’heure ou d’une demi-heure. Dans l’un des
cas, l’ouvrier, sorti des caissons (5 atmosphères) sans rien éprouver
qu’un picotement très-incommode par tout le corps, gagne d’un pas
leste la citadelle; arrivé là, il tombe comme foudroyé : saignées
391
FORTES PRESSIONS. - APPAREILS TRÏGER,
répétées, purgatifs, etc.; il se rétablit, sauf, pendant assez long’
temps, une faiblesse notable des membres inférieurs.
Ceci amène à la description de quelques lésions fonctionnelles de
la moelle épinière : rétention d’urine , violentes douleurs dans les
membres, et, pour un malade, paraplégie persistante à gauche ; la
pression était de 5 atmosphères.
Notons enfin que de légères hémorrhagies nasales et même pul-
monaires ont été quelquefois signalées.
Je ne cite que pour mémoire un travail de M. Willemin1, qui
n’est qu’un simple compte rendu de celui de M. François, dont
l’auteur semble accepter toutes les conclusions, car il ne s’occupe
nullement des explications théoriques.
La thèse de M. Bucquoy2 est au contraire un travail original et
d’une véritable importance. Ses observations, comme je l’ai dit, ont
été faites lors de la construction du pont de Kehl.
Nous trouvons, au début de son exposition, un renseignement
dont nous verrons peut-être plus tard à tirer quelque profit, c’est
que l’air des caissons où travaillaient les ouvriers, contenait en
moyenne (six analyses à des époques différentes) 2,57 d’acide car-
bonique pour 100.
Arrivant à l’étude des phénomènes physiologiques, M. Bucquoy
décrit d’abord les douleurs d’oreilles.
Relativement à la circulation, il donne le tableau suivant : ‘
NOMBRE
DES
OBSERVATIONS
POULS
A
l’air libre
POULS
TENDANT LES DIFFÉRENTS TEMPS
DE LA COMPRESSION
DIFFÉRENCE
EN PLUS
10
77,85
Pendant que l’air arrivait. . . 100,05
22,20
9
77,08
Après un quart d’heure de séjour 90,12
13,04
7
75,39
Après 25 minutes 86,80
11,41
28
76,05
Après une demi-heure. .... 81,57
5,32
11
76,59
Après 1 heure 83,58
6,99 \
3
76,50
Après 2 heures 85,50
7,00 ;i
Ainsi, dans l’air comprimé, le nombre des pulsations est plus
grand qu’à l’air libre, et cela est vrai pour tous les degrés de pres-
sion et surtout jusqu’à 2 atmosphères 1/2. M. Bucquoy, qui signale
1 Remarques sur l'emploi de l'air comprimé dans les travaux d'art. — Gaz. mèd. de
Strasbourg, 1860, p. 179.
a De V air comprimé. — Thèse de Strasbourg, 1861.
HISTORIQUE.
"92
ici sa contradiction avec les auteurs qui ont observé des malades,
ajoute :
.le possède néanmoins une observation qui semble confirmer ce que dit M. Pra-
vaz quant à faction sédative de l’air comprimé. Un de mes amis, M. Ritter, étant
descendu avec moi dans les caissons, malgré une fièvre très-intense, a vu son
pouls tomber de 95 à 75 au bout d’une heure de séjour. (P. 24.)
La capacité respiratoire augmente également, comme l’avait déjà
dit Pravaz (voy. le chapitre suivant) ; le tableau résumé suivant
donne la mesure moyenne de cette modification :
NOMBRE
DES
OBSERVATIONS
MOMENT
OÙ ELLES ONT ÉTÉ FAITES
CAPACITÉ
RESPIRATOIRE
EN CENTIMÈTRES
CUBES
103
10 minutes avant l’entrée dans le sas
2950
103
Après une demi-heure de séjour dans l’air comprime.
5224
103
Un quart d’heure après le retour à l’air libre. . . .
3075
10
j Après trois quarts d’heure
3004
10
| Après 2 heures
5000
10
I Après 10 heures
2980
10
Après 15 heures
2950
Ainsi l’augmentation, qui est constante, et qui, comme le mon-
trent d’autres tableaux, va en augmentant jusqu’à 2 atmosphères,
persiste encore assez longtemps après la décompression.
Aussi M. Bucquoy ajoute avec raison :
En montrant que cet efi'et n’est pas passager, qu’il ne cesse pas avec la com-
pression, mes expériences font pressentir l’efficacité des bains d’air comprimé
chez les sujets dont la capacité vitale est trop petite. (P. 29.)
A propos des phénomènes généraux de la nutrition, M. Buc-
quoy, après avoir analysé tous les travaux antérieurs aux siens et
Fait ressortir leurs contradictions, apparentes au moins, déclare
qu’il
Incline à croire que, dans l’air comprimé, les combustions respiratoires aug-
mentent; mais les bases sur lesquelles on a voulu appuyer cette idée manquent
de solidité, et c’est une question à revoir.
M. le docteur Folcÿ1 a écrit sur notre sujet une curieuse brochure,
très-souvent citée et avec éloges. Il avait observé les accidents des
* Du travail dans l'air comprimé. — • Paris, 1803.
FORTES PRESSIONS. — APPAREILS TRIGER.
593
tubisles, lors de la construclion, en 1861, du pont d’Argenleuil sur
la Seine; la pression maximum n’avait pas dépassé 3 atmosphères
et demie. Je commencerai par citer quelques passages des plus ca-
ractéristiques dans lesquels M. Foleÿ décrit et explique tout à la fois
les phénomènes qu’on éprouve dans l’air comprimé :
Tous les sons, dans les tubes, ont un timbre métallique qui vous ébranle le
cerveau; et quand on parle, on se fait vibrer la base du crâne comme une trom-
pette.
Expliquons ces phénomènes. En aplatissant notre muqueuse aérienne dans sa
totalité, l’air comprimé rend nos cavités pharyngo-laryngiennes et bucco-nasales
plus grandes et osseusement sonores.
De plus, pour entrer en vibration, il imprime, aux bords du larynx, de la lan-
gue, des lèvres, du voile du palais, et même des narines, des tensions d’autant
plus fortes qu’il est plus dense. Il ne faut donc pas s’étonner si tous ces organes
haussent les sons qu’ils produisent Vu la faiblesse de nos lèvres, nous y per-
dons tous le sifflet.
Quelques individus sentent diminuer et perdent même totalement le goût et
l’odorat dans l’air comprimé.
L’aplatissement de la muqueuse aérienne qui rend impossible toute hémorrhagie
des voies respiratoires et guérit subitement (sinon sans douleurl le coryza et
l’enrouement, explique parfaitement tous ces faits. Comment un organe flétri, ra-
tatiné, pourrait-il recueillir des saveurs quelconques.
Notre peau est plus solide que notre muqueuse; malgré cela les tubes l’in-
fluencent. Ses papilles, comme celles du nez et de la langue, y deviennent moins
sensibles, et beaucoup d’ouvriers, à mains pourtant fort calleuses, trouvent leur
toucher moins sûr dans l’air comprimé
En ce même milieu, notre pouls devient rapidement filiforme et même insen-
sible. La vis a tergo manque promptement dans nos veines, notre circulation
languit, mais nos tissus ne deviennent pas livides; le contraire aurait plutôt lieu.
C’est que la grande tension de l’air, en favorisant la combinaison de l’oxygène
avec notre sang, comme avec tous les autres combustibles, le rend si riche, qu'il
sort aussi rutilant de nos veines que de nos artères. Quelle décoloration serait
possible avec un pareil liquide?
Dans l’air comprimé, notre capacité pulmonaire augmente, et les mouvements
de nos côtes diminuent. L’excès de pression qui fait dissoudre l’oxygène dans
nos plus fines ramifications vasculo-sanguines rend superflu le jeu du thorax, et
notre centre nerveux coordinateur le réduit, pour ce motif, à son minimum d’am-
plitude.
Économie de force et de temps, telle est la loi que l’ame humaine suit dans les
nombreuses combinaisons qu’elle fait pour nous maintenir en harmonie avec le
monde, même quand il s’agit de notre vie végétative.
Les ouvriers, quand ils travaillent dans les tubes, sentent moins la fatigue qu’à
l’air libre, et ne s’essoufflent pas autant. La faim les prend vite; ils suent beau-
coup, et cependant n’ont jamais soif.
Voici le pourquoi de tous ces phénomènes, contradictoires en apparence seu-
lement.
L’absence de soif, malgré d’énormes déperditions sudorales, a pour cause la
grande quantité d’eau que l’air comprimé tient en dissolution et fait pénétrer
dans l’organisme.
394
HISTORIQUE,
Les sueurs sont dues au concours que notre tégument externe ne refuse jamais
aux poumons, surtout dans une atmosphère chaude, quand il s’agit de rejeter
beaucoup de matériaux musculaires désassimiiés par le travail.
La faim tient à l’énorme consommation que font de nos tissus divers l’excès
d’oxygène qui les pénètre et les contractions plus énergiques de certains d’entre
eux.
L’essoufflement moindre est produit par le ralentissement circulatoire qui ne
ramène (vers les poumons, le foie et la rate) que peu de sang veineux, puisqu’il
n’y en a plus, à vrai dire.
Enfin, l’absence de fatigue dépend précisément de la richesse de ce même
liquide nourricier qui, sans relâche, répare nos muscles à mesure que leurs pro-
pres contractions les détruisent.
Dans l’air comprimé, nos sécrétions se modifient; celles du poumon et de la
peau augmentent considérablement. Celles du tube digestif, des reins et du foie,
leurs inverses en maintes circonstances, ne varient pas, ou mieux, diminuent
généralement. (P. 12 et 13.)
Au sortir de l’air, quand aucune maladie ne doit s’ensuivre, on éprouve immé-
diatement du bien-être. Il semble qu’on respire comme malgré soi, qu’on ait la
poitrine pleine d’air, et qu’on soit plus léger. C’est que rien ne vous écrase plus,
(P. 17.)
Tels sont les effets produits par l’action passagère de l’air com-
primé. Selon M. Foleÿ, les ouvriers qui s’y soumettent fréquemment
éprouvent des phénomènes d’un autre ordre :
Toute durée trop longue de travail intratubaire se divise en deux périodes :
l’une de bénéfice, l’autre de déperdition organique
Tant que la première dure, le tubiste gagne de l’appétit, quitte son ouvrage
sans fatigue, rentre dans l’air libre plus alerte, plus vif et plus impatient que de
coutume. Il se sent plus fort et s’en vante, avec raison, car alors la richesse de
son sang lui profite.
Dès que la seconde commence, l’inverse a lieu. L’ouvrier perd l’appétit et, de
plus en plus, arrive à son ouvrage comme il le quitte, triste et fatigué. Sa peau
devient flasque, décolorée, quasi terreuse. Les conjonctives prennent une teinte
vineuse. Son regard s’éteint. Son visage et tout son être maigrissent. L’indécision,
l’immobilité, la stupeur presque, s’étalent sur tous ses mouvements, et peu à peu
l’heure sonne où, hors des tubes, il paraît sans vigueur; où l’atmosphère normale
ne suffit plus à son hématose.
Dans l’air comprimé, tous ces fâcheux symptômes s’effacent; malheureusement
ils reparaissent dès qu’il en sort, et cela de plus en plus vite. Bientôt même,
l’excès de pression cesse de le raviver. C’est alors qu’il est à la veille de ne pouvoir
plus recouvrer les forces qu’il perd, à chaque fois qu’il travaille, que par l’inter-
vention des phénomènes morbides. (P. 18.)
Voilà pour les phénomènes purement physiologiques. Quant aux
accidents, les puces, ou démangeaisons atroces à la peau, ne com-
mencent guère à apparaître avant la pression de 2,5 atmosphères;
au delà de 5 atmosphères, « elles ne manquent chez personne ; »
FORTES PRESSIONS. — APPAREILS TR1GER. 395
les tuméfactions musculaires ( moutons ) sont fréquentes vers o at-
mosphères, ainsi que les « gonflements synoviaux » ; mais les arti-
culations elles-mêmes ne sont prises que plus tard et plus rarement.
Les accidents des muscles atteignent particulièrement ceux qui ont
été fatigués par des contractions répétées.
Le nombre de jours pendant lesquels les ouvriers auront travaillé
dans les tubes paraît à M. Foleÿ une considération des plus impor-
tantes ; sous une pression à peu près égale, les accidents devien-
draient de plus en plus fréquents et graves, à mesure qu’on s’éloi-
gne du début du travail.
On n’a pas, du reste, observé à Argenteuil de terminaison fatale,
ni de paralysie. Les plus sérieux accidents sont des douleurs mus-
culaires qui, d’après les détails des observations, paraissent avoir
été d’une violence extrême.
M. Foleÿ est en contradiction avec tous les autres auteurs sur
deux points capitaux, et de la plus haute importance pratique. Se-
lon lui, d’abord, lorsque les ouvriers prolongent leur séjour dans
les tubes au delà de 12 heures, ils en sortent impunément : cela
tient, dit-il, à ce que « la réaction nervoso-sanguine est générale »
(p. 49) ; mais cette prétendue explication importe peu.
En second lieu, chose curieuse, il n’attache aucune importance à
la rapidité de la décompression. Une minute par atmosphère de
compression lui paraît une durée suffisante :
Pour des pressions supérieures à 3 1/2 atmosphères (décompression en deux
minutes trente secondes), faudrait-il suivre la même progression? Je ne le pense
pas; deux minutes et demie sont bien longues dans une écluse glaciale. (P. 56.)
Si l’on devait employer ces hautes pressions, M. Foleÿ conseille
de décomprimer les hommes en « trois minutes ». Il est, du reste,
si éloigné de l’idée qu’une décompression rapide puisse être dange-
reuse, et tellement persuadé qu’elle n’agit qu’en refroidissant, qu’il
résume sa pensée par ce précepte :
Si le brouillard épais et glacial qui ne manque pas de se produire vous pénètre
trop, hàtez-vous! (P. 53.)
La fondation par l’air comprimé a été employée en 1862 au via-
duc sur le Scorff, à Lorient, et, en 1864, au pont sur lequel le che-
min de fer de Napoléon-Vendée traverse la Loire à Nantes. M. l’in-
génieur en chef Croizette-Desnoyers1, qui donne sur la construction
' 1 Mémoire sur l'établissement des travaux dans les terrains vaseux de Bretagne. —
Ann. des Bonis el Chaussées, 1864, 1er semestre, p. 275-396
HISTORIQUE.
"96
et le fonctionnement des appareils établis par la maison Gouin les
plus minutieux détails, ne parle pas de l’état des ouvriers ; il se con-
tente de reconnaître que « aux grandes profondeurs, le système de
fondation à l’air comprimé peut nuire à la santé des ouvriers »
(p. 592).
Cependant des accidents graves étaient arrivés au pont du Scorff.
Le relevé des ouvriers malades, dressé par M. le docteur Nail,
porte 16 noms ; les accidents, tous dus à l’air comprimé, compren-
nent : 1 cas de surdité, 6 cas de douleurs articulaires, 1 de douleurs
musculaires, 6 congestions cérébrales, 2 morts.
Les deux morts ne furent pas simultanées. La première arriva
le 17 mars 1862; l’ouvrier mourut « d’asphyxie à la sortie du
caisson » ; la seconde, le 5 juin, dans une autre pile ; la note médi-
cale porte : « décédé après quatre heures de congestion cérébrale
et d'asphyxie. »
Je n’ai pu me procurer aucun détail ni sur les accidents qui ont
précédé la mort, ni sur les résultats des autopsies, si elles ont eu
lieu, ni meme sur la pression atteinte. Je sais seulement que la
décompression se faisait régulièrement en 10 secondes et que le
maximum d’enfoncement, pour la première pile, a été 18 mètres,
pour la deuxième, 12 mètres seulement.
11 se fit ainsi 8042 passages d’ouvriers, pour lesquels il veut seu-
lement 16 accidents assez graves pour qu’on en prît note. D’autres
ouvriers qui se trouvaient dans la chambre d’éclusement avec les
deux victimes n’éprouvèrent pas d’accidents.
Ce double malheur fut l’occasion d’une instance d’office contre
les employés de la compagnie, prévenus d’homicide par imprudence ;
ils furent acquittés par le tribunal de Lorient (50 septembre 1862)
et par la cour de Rennes (11 décembre 1862). Les considérants du
jugement et de l’arrêt sont fort intéressant, parce qu’ils révèlent
les incerlitudes d’opinion des hommes de l’art sur la vraie cause
des accidents, incerlitudes qui motivent les acquittements pro-
noncés.
Un autre accident, suivi d’une autre instance judiciaire, eut lieu
au pont du Scorff. Un M. Gallois, ingénieur civil, agent de la com-
pagnie, étant descendu le 12 mai 1862 dans les caissons, fut, à son
retour à l’air libre, pris d’accidents de paralysie, « suite de con-
gestions cérébro-spinales, des étourdissements et des secousses
nerveuses, » à la suite desquels il dut être envoyé aux eaux ; il
mourut deux ans après.
FORTES PRESSIONS. — APPAREILS TRIGER.
397
Sa demande de dommages-intérêts fut repoussée par le tribunal
de la Seine (le 18 août 1861) ; la compagnie d’Orléans produisit une
consultation de M. Dufaure, consultation qui met en pleine lumière,
comme les documents judiciaires que je citais tout à l’heure, les
hésitations de la science médicale. Le célèbre légiste oppose à l’opi-
nion de Pol et Watelle sur la nécessité de pratiquer la décompres-
sion avec une grande lenteur, celle de M. Foleÿ. Le tribunal ne se
prononça nullement sur la question scientifique, mais déclara que
Gallois n’avait reçu aucun ordre pour descendre dans le caisson, et
que par suite la compagnie ne pouvait être déclarée responsable.
Voici l’état dans lequel le docteur Hermel1, médecin homœo-
pathe habitant Paris, trouva le sieur Gallois, qui l’avait fait appeler
en consultation quelques jours après l’accident :
Le 21 mai 1862, nous fûmes appelé à Paris près deM. Gallois, ingénieur civil, âgé
de 24 ans. Nous trouvâmes le malade affecté de paralysie incomplète des mem-
bres inférieurs, ne permettant ni la station debout ni la marche sans appui ; ne
pouvant avancer que d’une manière très-défectueuse, s’appuyant des deux mains
à tous les objets environnants, les mouvements des membres étaient irréguliers,
saccadés, tremblants; il traînait les pieds; s’il voulait se tenir debout, aussitôt
un violent tremblement agitait les jambes et le forçait à s’asseoir. Après trois ou
quatre pas, le même tremblement convulsif l’arrêtait, parce qu’il augmentait de
plus en plus et qu’il l’aurait fait tomber. Par tout le corps la sensibilité cutanée
était exagérée, c’était de l’hypéresthésie, la peau était le siège d’un prurit in-
commode, sans qu’il y eût trace d’éruption. Les mouvements de la langue étaient
assez difficiles pour que le malade ne pût articuler nettement tous les mots. La
mémoire était confuse, ainsi que les idées. De la suffocation, une toux très-ré-
pélée le fatiguait lorsqu’il parlait et produisait une expectoration fréquente, abon-
dante de mucosités d’un aspect analogue à celui du blanc d’œuf. L’auscultation
de la poitrine et la percussion faisaient reconnaître que le poumon, quoique per-
méable à l’air dans toute son étendue pendant de profondes inspirations, ne
jouissait pas de toute son élasticité; on entendait, surtout du côté gauche, l’ex-
pansion des vésicules pulmonaires commencer et s’arrêter tout à coup avant que
le mouvement de l’inspiration fut terminé. Cette expansion des vésicules pulmo-
naires était donc incomplète, ce qui nuisait à la respiration normale. Les fonc-
tions abdominales étaient interrompues; la constipation ne pouvait être vaincue
que par des lavements purgatifs : il y avait paralysie du rectum. La vessie était
aussi paralysée; l’émission des urines ne pouvait avoir lieu que par l’usage de la
sonde. Il avait perdu l’appétit, et la toux provoquait souvent des vomissements.
Connaissant la vie parfaitement régulière de ce jeune homme, nous l’interro-
geâmes sur la date et le mode d’invasion de cette maladie.
Il nous apprit que, employé aux travaux du chemin de fer de Lorient, il était
. descendu dans un caisson sous la compression de trois atmosphères (y compris
la pression extérieure), où il était resté trois heures pour relever l’état des tra-
1 Des accidents produits par l’usage des caissons dans les travaux sous-terrains et souS-
marins. Art médical, t. XVI, p. 428-452, 1862; t. XVII, p. 27-48, 105-124 et 194-213.
1803.
598
HISTORIQUE.
vaux dans les fondations d’un pont. Il éprouva, trois ou quatre minutes après sa
sortie, par l’effet de l’énorme raréfaction de l’air extérieur relativement à la
pression intérieure, un froid glacial, subit et profond. En essayant de se laver
les mains, il s’aperçut que les mouvements des bras étaient impossibles, il ne
pouvait mettre ses mains dans le baquet, parce qu’il ne pouvait les élever plus
haut que la ceinture.
Emmené chez lui par deux hommes qui le soutenaient sous les bras, et pla-
çaient ses pieds sur les échelons qu'il avait à descendre, il se coucha; après
quatre ou cinq heures il voulut se lever, mais il était complètement paralysé. Un
traitement énergique lui fut appliqué et le mit en état de venir à Paris tant bien
que mal. Le dixième jour il était dans l’état que nous avons dit plus haut.
Pendant dix jours nous donnâmes la belladone 12e et bryonia, qui calmèrent
un peu la toux. Le 2 juin, nous avons commencé à appliquer, tous les deux jours,
les réophores d’une machine électro- galvanique sur l’hypogastre, pour combattre
la paralysie de la vessie. Après la troisième séance, il commença à uriner sans
sonde, mais le lendemain il fut obligé d’y avoir recours. Après la quatrième
séance, il n’urina seul que dans la journée. A la suite de la cinquième séance, les
urines reprirent leur cours naturel. La constipation persistait. Nous électrisâmes
les parois abdominales et l’anus. Le cours des selles, quoique parfois difficile,
s’est rétabli vers la huitième séance. Après la dixième séance, les membres ab-
dominaux avaient acquis de la force et de l’agilité, surtout à gauche. La jambe
droite traînait encore, et dans certaines positions elle était encore affectée de
tremblement convulsif; il n’aurait pu se tenir debout sur une seule jambe; il
s’aidait d’une canne pour marcher.
En juillet, il alla aux bains de Balaruc, d’où il revint le 1er août. Son état s’était
amélioré, mais il y avait encore de l’hésitation dans la jambe droite. La toux per-
sistait, quoique moins forte; la respiration était encore incomplète. L’intégrité
de la parole, des idées, de la mémoire, était rétablie. Il n’éprouvait plus de prurit
ni hypéresthésie de la peau. Six nouvelles applications d’électricité produisirent
une grande amélioration dans les mouvements; il put marcher sans appui.
Aujourd’hui, 12 janvier, c’est-à-dire après huit mois de traitement, il éprouve
par moments des quintes de toux fatigantes ; sa respiration est à peu près nor-
male, l’essoufflement arrive s’il fait une trop longue course ou trop vite. Il mar-
che sans soutien, mais il reste encore de la roideur dans la jambe droite, et nous
ne pouvons dire quand il sera complètement guéri. (T. XVII, p. 198-200.)
En 1862 aussi, on construisit sur l’Adour, à Bayonne, un pont
dans lequel on dut pousser la pression jusqu’à plus de 4 atmosphè-
res» L’ingénieur civil, qui dirigeait le travail, M. Counord, âgé de
vingt ans, qui jusque-là n’avait éprouvé aucun accident, fut, le
51 décembre, quelques minutes après être sorti du sas* où la dé-
compression s’était opérée en 4 ou 5 minutes, pris de vertiges,
tournoiement de tète, et perte complète de connaissance» La pres-
sion était de 4 atmosphères, la durée du séjour d’une heure; la
veille, il était resté dans les tubes pendant deux heures. Trois
heures après, lorsqu’il revint à lui, il était complètement paralysé
du sentiment et du mouvement dans les membres inférieurs, avec
insensibilité des bras.
FORTES PRESSIONS. — APPAREILS TRIGER. 399
L’observation détaillée des débuts de ce cas curieux a été donnée
par le docteur Limousin1, de Bergerac, qui n’hésite pas à attribuer
les accidents à une hémorrhagie de la moelle épinière :
Transporté de Bayonne à Bergerac, je vois M. C. le 12 janvier 1865 : paralysie
complète des membres intérieurs, excrétion involontaire des fèces et de l’urine,
sensibilité normale partout, un peu exagérée aux membres inférieurs ; si on les
frappe brusquement, si on les touche avec un corps froid, il se produit un
brusque mouvement d’extension. Intelligence saine. A l’épigastre et dans les
hypocondres, douleurs qui cessent par l’application de morphine sur le derme*
dénudé. Jusqu’au 20 deux purgatifs furent administrés ; il ne se produisit rien de
nouveau, si ce n’est des mouvements convulsifs très-douloureux dans les mem-
bres abdominaux.
28. Des douleurs atroces sont survenues hier dans le ventre; il est souple, la
pression ne le modifie pas. L’état du malade est effrayant : plaintes continuelles,
voix éteinte, sueurs froides, face cadavérique, pouls insensible, à 48. Des ven-
touses sèches, des lavements laudanisés ne produisent aucun résultat. Je prescris
alors 20 centigrammes d’extrait thébaïque en quatre pilules, d’heure en heure.
Le 29, dès la seconde pilule, les douleurs cessent; un sommeil profond s'em-
pare du malade ; ils se réveille parfaitement débarrassé. Dès les premiers jours,
il s’était formé une petite érosion au sacrum , il y a aujourd’hui une vaste es-
chare; les fesses, la région lombaire, sont rouge livide ; le patient ne se tient
qu’en supination.
20 février. La plaie du sacrum, saupoudrée de quinquina gris, est réduite aux
dimensions d’une pièce de 5 francs ; elle est rose et granulée ; des contractions
douloureuses ont cédé à l’application d’armatures métalliques. Les mouvements
sont possibles dans les membres paralysés; ils s’exécutent plus librement à
droite; la sensibilité, au contraire, très-obtuse à- droite, est plus vive à gauche
dans les mêmes parties ; il y a des fourmillements par tout le corps ; un jour, la
vue fut entièrement abolie pendant quelques instants ; des érections, rares dans
les premiers temps, sont devenues plus fréquentes. Enfin, les selles et les mic-
tions sont volontaires.
Il est difficile de trouver un exemple plus complet de l’apoplexie médullaire :
invasion subite, lésions de la contractilité, du sentiment, d’un sens spécial, de
l’œil; mouvements réflexes, provoqués par la plus légère excitation; profonde
dépression de la vitalité des tissus, se manifestant par la rapide mortification des
régions qui supportaient le poids du corps; enfin, érections qui ne s’accom-
pagnent d’aucune excitation du sens génital. Jamais il n’y a eu de sensibilité no-
table sur le trajet de l’épine.
L’amélioration ne suivit pas une marche ascendante bien rapide.
Ën mai 1870, M. Counord faisait quelques pas sans appui; il avait
ëncore, quand on pinçait les membres inférieurs, des mouvements
réflexes fort remarquables; la sensibilité de la jambe gauche était
fort diminuée. Je Lai revu en mai 1876 : il pouvait monter, très^
difficilement et avec l’appui d’un bras, un étage d’escalier; des
Action de l'air comprimé: apoplexie de la moelle épinière. [Union médicale de la
Gironde, 1863, p. 260-270.
400
HISTORIQUE.
fourmillements dans les membres antérieurs semblaient indiquer
un travail morbide dans les régions supérieures de la moelle ; les
fonctions d’expulsion urinaire et digestive étaient redevenues nor-
males.
Quelques jours plus tard, un accident terrible, dans lequel trois
hommes périrent, vint attrister le chantier de Bayonne : le cylin-
dre avait éclaté, comme à Douchy, comme plus tard à Chalonnes.
On a avancé l’opinion1 que la mort des ouvriers avait été occa-
sionnée par la décompression ; c’est probablement une erreur,
comme le montre l’extrait suivant d’une lettre qu’a bien voulu
m’écrire M. l’ingénieur Bayssellance, qui a eu la complaisance de
faire, à ma demande, une petite enquête sur ce sujet :
La pile étant profondément enfoncée dans le sable, comptait en tout plus de
50 mètres de hauteur jusqu’au niveau de l’eau. La pression intérieure était donc
de 4 1/4 atmosphères environ. Le plateau supérieur n’étant pas construit en vue
d’une pression aussi élevée, fléchissait sensiblement : cette flexion entraînait la
déformation du cylindre en fonte de la chambre d’équilibre. Un des boulons ayant
cédé à la tension devenue oblique, il se produisit un choc, qui fit voler en éclats
toute la portion supérieure de la chambre d’équilibre. La dépression fut donc
subite dans cette petite portion de l’appareil ; dans l’intérieur de la pile, dont la
capacité était de ‘200 à 500 mètres cubes, elle dut être plus graduelle, et en-
traîna un violent courant d’air de bas en haut, emportant avec lui les planches
et le sable des plateaux de repos.
D’après le contre-maître les résultats furent tout autres qu’on ne l’a dit. Aucun
homme ne fut tué par suite du changement cle pression. Le sable mouillé du fond
n’étant plus contenu s’éleva rapidement, atteignit et dépassa un des hommes qui
montait à l’échelle; on le retrouva dix-sept jours après en déblayant, cramponné
aux échelons dans la position de l’ascension. Un autre fut enlevé par le courant
d’air et se trouva porté jusqu’en haut, sans se rendre bien compte de ce qui lui
arrivait. Deux autres qui étaient sur les plateaux intermédiaires furent pressés en
remontant contre le plateau inférieur de la chambre d’équilibre, et restèrent
presque asphyxiés, la bouche pleine de sable; ils furent emportés à l’hôpital, et
moururent le lendemain, je crois. Enfin, cinq hommes qui se trouvaient dans la
chambre d’équilibre même furent couverts de sable, qui pénétra même dans la
peau, et restèrent quelques instants comme hébétés, mais aucun ne fut sérieuse-
ment malade.
Ce résultat n’est point conforme à ce qui m’avait été raconté; mais M. Wolff
était en tournée au moment de l’accident, M. Counord était malade; il semble plus
sûr de s’en rapporter à la version d'un témoin à peu près contraire. Cet homme
a assisté, du reste, à un accident analogue, lors de la construction du pont de
Bordeaux; là encore, il n'y eut aucune mort causée par la dépression subite; deux
hommes seulement furent tués par des éclats de fonte.
Mais si une brusque dépression de plus de trois atmosphères n’a pas été mor-
telle, ce changement, même tempéré par un séjour de 4 à 5 minutes dans la
1 Soc. des Sc. phys. et r.at. de Bordeaux, mince 487 4-1 875. Procès-verbaux des
séances, p. XX.
FORTES PRESSIONS. — APPAREILS TRIGER.
401
chambre d’équilibre, n’en était pas moins funeste à la longue. D’après M. Cou-
nord, 90 p. c. des ouvriers ont été malades, pris tous'par des douleurs articu-
laires violentes, oppression, trouble de la vue, etc. Le contre-maître que j’ai vu a
été pris trois fois, et a beaucoup souffert, mais jamais plus d’un jour. Un matin,
sur onze hommes qui sortaient , neuf furent pris de douleurs au bout de quelques
instants.
Certes il n’est pas impossible que la décompression ne soit pour
quelque chose clans la mort des deux ouvriers qui furent ensevelis
dans le sable mouillé; mais cela n’est pas prouvé. Le plus curieux
dans cette observation est de voir des hommes n’éprouver presque
aucun accident à la suite d’une décompression instantanée partant
de 4 atmosphères au moins.
En 1865, fondation semblable sur le fouet, à Chalonrtes (Maine-
et Loire), pour le passage de la ligne d’Angers à Niort. Une catastro-
phe jusqu’ici inexpliquée vint frapper de mort deux ouvriers :
Le 20 février 1865, au moment où la pile n° 2 reposait sur le rocher, à 14m de
profondeur au-dessous de l’étiage, alors que tout semblait terminé, que déjà la
chambre de travail était remplie de béton et que le tube, formant cheminée, était
également rempli à 5m de hauteur, tout à coup une violente explosion eut lieu, la
moitié du couvercle de la chambre d’équilibre 1 fut projetée à environ 30m de dis-
tance. Deux ouvriers, qui se trouvaient dans la chambre de travail, furent fou-
droyés. Personne n’a pu encore expliquer ce terrible accident (Cours des Ponts de
M. Morandière).
Il est probable qu’ici, pour une raison inconnue, la (ension de
l’air comprimé s’était élevée beaucoup au-dessus de ce qu’exigeait
la profondeur atteinte; la puissance de l’explosion en fait foi.
Je dois à l’obligeance de M. le docteur Gallard de pouvoir
donner à propos de ce grave accident quelques intéressants détails:
La mort des deux ouvriers, m’écrit ce savant confrère, fut presque subite, fou-
droyante, en quelque sorte, pour l’un d’eux, un peu plus lente pour le second,
<pii respira encore quelques instants, mais en ayant déjà perdu connaissance.
L’autopsie (faite par M. Gallard dans de mauvaises conditions, après exhu-
mation et autopsie préalable du médecin de Chalonnes) montra de nombreuses
plaques d’emphysème interlobaire et vésiculaire sur les poumons des deux victimes.
11 y avait, en outr e, sous la plèvre et sous le péricarde de nombreuses ecchymoses
ponctuées 11 me semble me rappeler que le sang contenait quelques bulles
de gaz Les notes de l’autopsie ont été perdues par le médecin d’Angers à qui
je les avais dictées.
Est-ce à la décompression qu’il faut attribuer la mort? Il est dif-
ficile de prendre un parti, en présence d’une autopsie insuffisante
1 Pesant près de 500 kil., dit le rapport de M. l’ingénieur Dubreil
26
402
HISTORIQUE.
et surtout du fait que nous avons plus haut rapporté en parlant
du pont de Bayonne.
M. Triger s’émut des accidents qu’avait entraînés l’application de
son procédé, et il adressa à ce sujet au ministre des travaux publics
un Mémoire qui fut soumis à l’examen de MM. Combes, de Hennezel
et Féline-Romany.
Le rapport1 de ces ingénieurs, après avoir passé rapidement en
revue les travaux exécutés par la compagnie du Midi sur le Tech,
à Bordeaux et à Bayonne; par la compagnie de l’Ouest à Argenteuil,
à Elbeuf et à Orival sur la Seine, àBriollay sur le Loir ; par la com-
pagnie d’Orléans sur le Scorff à Lorient, sur le Louet à Chalonnes,
et à Nantes sur la Loire, déclare que :
Les accidents auxquels sont exposés les ouvriers qui travaillent dans l’air com-
primé mettent rarement leur vie en danger, n’occasionnent que des interrup-
tions de travail assez courtes et sont surtout peu nombreuses, si on les compare
au nombre des passages par les sas sur chaque chantier.
Les maladies occasionnées par ces accidents peuvent être prévenues par l’em-
ploi des moyens indiqués dans le cours de ce rapport.
Ces moyens sont l’emploi de vêlements de laine dans le sas et
un déséclusement pour lequel on ne saurait poser de règle uni-
forme :
Il n’y en a pas à observer d’autre que celle que le bon sens indique, c’est-à-
dire de ne pas ouvrir le robinet trop vite, aussi bien pour l’éclusement que pour
le déséclusement, afin de donner à l’organisme le temps de se mettre en équilibre
avec le milieu dans lequel il se trouve plongé.
M. Triger demande que le déséclusement dure 7 minutes, et affirme que les acci-
dents disparaissent complètement alors. Il nous semble que ce temps doit varier
avec la constitution de l’ouvrier. (P. 125.)
Le foncement d’un puits houiller à Trazegnies, en Belgique, a été
vers la meme époque, l’objet d’un travail des plus intéressants
de M. Barella2.
La pression totale maximum a été de o 1,2 atmosphères. La dé-
compression se faisait en 20 minutes environ.
Selon M. Barella, on éprouve en outre, des douleurs d’oreilles :
La sécheresse de l’arrière-bouche, la diminution notable de la sécrétion urinaire,
une sensation de mieux-être respiratoire, car il me semblait que je n’avais
jamais respiré aussi librement, avec autant de facilité.
1 Ann. des Ponts et Chaussées, 1867, 2e semestre, p. 116-151.
2 Du travail dans l'air comprimé. — Observations recueillies à Trazegnies , lors de
t’ enfoncement cVun nouveau puits houiller . — • Bull. acad. de med. de Belgique , 5e série,
I. Il, p. 595-647, 1868.
403
FORTES PRESSIONS. — APPAREILS TRIGER.
Pour le pouls, nous ne sommes pas arrivé à un résultat bien net; cependant,
il nous a semblé diminué de quelques pulsations chez la plupart de nos
ouvriers. (P. 598.)
Les accidents observés ont été :
1° Chez sept ouvriers, épistaxis, sans gravité ;
2° Chez onze ouvriers, douleurs dans les membres thoraciques et abdominaux,
parfois concassantes, térébrantes , atroces.
o° Des démangeaisons très-vives aux jambes, mais sans douleurs, accident
très-fréquent. (P. 605.)
M. Barella fait remarquer qu’aucun de ces accidents n’est sur-
venu pendant le séjour dans l’air comprimé; on les a constatés à la
sortie seulement des appareils. De plus, ils n’ont commencé à se
produire qu’au-dessus de 2,8 atmosphères.
M. Barella raconte que les petites plaies que se faisaient les ou-
vriers en travaillant ne donnèrent pas de sang, « ce qui s’explique
par la pression que supportent les téguments cutanés. »
Un élève de l’école des mines de Liège étant descendu dans le
puits, le 15 avril, éprouva en sortant des symptômes fort graves,
qu’il décrivit lui-même dans les termes suivants :
Pendant la dilatation de l’air, je ressentis un malaise que j’attribuai au
froid.
Dès ma sortie, en voulant soulever le bras droit, je ne pouvais lui faire
atteindre un point déterminé, sans reprendre deux ou trois fois l’effort. La vue
était affectée, et je voyais mon bras se mouvoir de la façon dont on perçoit les
objets après avoir tourné quelquefois sur soi-même.
La paralysie s’accentua et il me devint impossible de remuer mon bras qui
pendait inerte, je ne pouvais même pas faire des mouvements avec la main. Le
phénomène était assez semblable à celui du bras endormi. Il se manifesta pro-
gressivement et de la même manière à la jambe droite.
L’on me coucha sur un lit, car je ne pouvais marcher, je m’affaissais. On me
frictionna. J’eus des éblouissements et mes yeux me refusèrent tout service. Je ne
voyais qu’à de longs intervalles, et pendant une seconde au plus, puis tout dispa-
raissait pour ne plus reparaître que quelques instants après de la même manière.
Mes yeux étaient ternes et vitreux, m’a-t-on dit, et ne percevaient qu’une lueur
blanche, vaporeuse.
Je recouvrai d’abord l’usage de la jambe, puis du bras; les instants pendant
lesquels je voyais se rapprochèrent, et je vis distinctement pendant des instants
plus longs.
Enfin il ne me resta de tout cela qu’un violent mal de tête et les signes ordi-
naires d’une indigestion. Je rendis mes aliments. Mon mal de tête se dissipa au
dehors, et je rentrai chez moi sans que rien, sinon la fatigue* me rappelât les
émotions précédentes.
L ami qui m’accompagnait et qui avait fait le même repas que moi ne ressentit
rien que d’ordinaire. (P. 612.)
HISTORIQUE.
401
Parmi les conclusions de M. Barella, nous en citerons deux :
1° Il convient de ne pas dépasser une pression de 5 atmosphères
et demie en sus de la pression ordinaire;
2° On peut prendre pour base de la durée de la décompression
10 minutes par atmosphère.
Les autres n’ont qu’un intérêt de pure médication : lymphatisme,
maladies de cœur, etc.
En Amérique, le premier pont construit par Pair comprimé le
fut sur la rivière Great Pee Dee, pour le chemin de fer de Wilming-
ton à Columbia et Augusta. Je n’ai trouvé dans mes lectures aucun
renseignement sur ce travail, au point de vue qui nous intéresse ici.
En 1869, un travail vraiment gigantesque fut entrepris à Saint-
Louis (États-Unis). Un pont à deux piles fut jeté sur le Mississipi.
A la pile de l’est, la profondeur atteinte fut de 55m, 70 encontre-bas
des eaux ordinaires; c'était une profondeur sans exemple dans les
applications antérieures de la méthode, et qui devait s’accroître en-
core par les crues accidentelles du fleuve. La pression totale s’y
éleva à 4 atmosphères, 45. Le nombre total des ouvriers qui y furent
employés fut de 552 ; environ 50 furent sérieusement affectés :
12 d’entre ces derniers moururent.
Voici, du reste, un extrait du rapport rédigé par l’ingénieur en
chef des travaux, M. Eads 1 :
Quand la profondeur de 60 pieds fut atteinte, quelques-uns des ouvriers furent
affectés de paralysie musculaire des membres inférieurs. Elle était rarement dou-
loureuse, et s’en allait en deux ou trois jours. Au fur et à mesure de l’enfonce-
ment du tube, la paralysie s’en alla plus difficilement. Dans quelques cas, les bras
furent pris, et plus rarement les sphincters et les intestins. Les malades souf-
fraient aussi beaucoup des articulations quand les symptômes étaient très-graves.
Les neuf dixièmes des malades n’éprouvaient pas de douleurs et guérissaient très-
vite.
La durée du séjour sous la chambre à air fut graduellement abaissée de 4 heures
îi 5, à 2 et enfin à 1 heure. L’usage de plaques ou anneaux galvaniques sembla,
dans l’opinion du directeur de la construction et des ouvriers, donner une remar-
quable immunité contre les attaques. A la fin, ils en avaient tous. Elles étaient
faites d’anneaux alternatifs de zinc et d’argent, et placées sur la poitrine, aux bras,
aux coudes, à la taille et sous la plante des pieds. L’acidité de la sueur suffisait
pour établir un courant galvanique, et l’opinion des plus expérimentés en ces ma-
tières était tout à fait favorable à ce remède. Le capitaine Eads incline beaucoup
à lui croire de la valeur
Les ingénieurs du port, qui ont très-souvent visité les travaux des caisses n’ont
jamais été malades.
ti
1 The effects of compressed air on the human bochj. — The Med. Times aiul Gazette
vol. II, p. 291-292,1871.
FORTES PRESSIONS. — APPAREILS TRIGER.
405
Les médecins ont beaucoup différé sur la cause des accidents. Les uns soute-
naient qu’un retour plus ménagé à la pression normale aurait été moins dange-
reux ; les autres accusaient de tout le mal la trop rapide compression. Le fait que
les ouvriers employés aux fermetures des portes n’ont jamais été affectés, bien
que, pendant les deux heures de leur travail ils aient été très-fréquemment dans
les conditions extrêmes et alternatives de pression — un moment à la pression
normale, et 5 minutes après supportant un poids de 50 livres par pouce
carré à la surface de leur corps — semblerait prouver que ces deux théories sont
erronées, et nous fait penser que la véritable cause de danger réside dans la longue
durée du séjour dans cet air où le corps supporte une pression si extraordinaire,
et non des alternatives rapides auxquelles il est exposé
Les transitions duraient de 3 à 4 minutes
En considérant que des milliers de personnes avaient visité impunément pen-
dant peu de temps les chambres à air, même des dames délicates, et après que le
caisson eut atteint le roc, et qu’aucun accident sérieux n’est arrivé aux ouvriers
après la réduction à 1 heure du temps de travail, M. Eads a conclu que la
vraie cause était dans le travail prolongé.... Un séjour trop long était' invariable-
ment suivi de paralysie. Le Dr Jaminet, médecin des Iravaux, étant un jour resté
2 heures 5/4 quand la profondeur était de 90 pieds, fut dangereusement attaqué
après être rentré chez lui.
Le Dr Bauer1, chirurgien du « City-hospital », auquel on apporta
25 ouvriers atteints pendant la fondation du pont de Saint-Louis,
et présentant ce qu’il appelle « Brigde-cases », a donné, sur les
phénomènes observés chez ces malades d’intéressants renseigne-
ments :
La respiration devient plus fatigante, le pouls plus rapide au début de la com-
pression, ce qui passe assez vite chez les gens bien portants. La voix prend un
timbre nasal qu’elle conserve même après la sortie de l’air comprimé.
En sortant^ tous les ouvriers sont très-pâles, extrêmement fatigués, jusqu’à s’é-
tendre sur le sol. Chez d’autres on voit des contractions musculaires involontaires,
choréiformes, avec saignements du nez et du poumon.
Dans les cas graves, on voit des paralysies à différents degrés, depuis une légère
parésie jusqu’à une perte complète du mouvement et de la sensibilité.
Très-souvent, l’urination est rendue difficile et tout à fait impossible, en telle
sorte qu’il faut les sonder : l’urine est souvent sanguinolente. La respiration n’est
pas troublée; la lièvre se montre rarement et elle amène une terminaison fatale.
La mort survient dans un état comateux, avec délire, hoquet, respiration stertoreuse
et crampes musculaires ; les pupilles sont vers la fin dilatées
Parmi les malades observés, quelques-uns seulement guérirent dans le cours de
la première semaine; d’autres restèrent un mois en traitement; quatre mouru-
rent. Chez les paralytiques, on trouve des hyperémies des méninges cérébrales
et médullaires, de l’œdème de l’arachnoïde, des ramollissements du cerveau et. de
la moelle sans localisation déterminée. Dans un cas, le ramollissement occupait les
1 Pathologie al effects upon the brain and spinal cord of men exposed to tke action
of a largely increased atmospheric pressure. — St Louis, Med. and Surg, journ., mai
18i'0. — Ext. in Canstalt's Jahr., 1. 1, p. 178, 1870.
406
HISTORIQUE.
cornes antérieures et le cordon latéral sur toute la longueur de la moelle. Baum-
garten trouva dans ce foyer d’abondantes cellules de la névroglie atteintes de dégé-
nérescence graisseuse.
Les mêmes faits ont été relatés par M. l’ingénieur en chef des
ponts et chaussées, Malézieux1, dans son beau rapport de mission sur
les travaux publics des États-Unis d’Amérique en 1870. Il re-
produit textuellement (p. 91-95) le passage du rapport de l’ingé-
nieur Eads, que nous avons cité plus haut.
M. Malézieux a également donné des détails sur la fondation du
pont qui devait relier New-York à Brooklyn. Lors de sa visite, on
en était seulement au début des travaux. Mais les projets ôtaient
gigantesques ; le caisson de fond avait 52ra,46 de longueur, sur
5 1 m , 1 1 de largeur, soit plus de 16 ares de superficie.
Dans un second Mémoire2, M. Malézieux nous donne la profon-
deur définitivement atteinte. La pile de Brooklyn fut fondée par 15™ ;
celle de New-York, par 24m.
Pour cette dernière, on avait installé un chauffage à la vapeur
dans chacune des écluses à air, afin de prévenir le refroidissement
que produit le brusque échappement de l’air comprimé (p. 585).
Quant aux effets physiologiques, M. Malézieux déclare :
Qu’il a peu de chose à ajouter à ce qu’il a rapporté ailleurs sur le pont de Saint-
Louis. M. Rœbling (c’est l’ingénieur-constructeur) signale pourtant ce fait, que le
jeu des poumons se modifie involontairement dans l’air comprimé; le nombre de
fois qu’on respire dans un temps donné se réduit de 50 à 50 p. 100 ; ce qui indi-
querait que l’organisme réagit contre l’introduction de f oxygène à dose deux ou
trois fois plus considérable que dans l’atmosphère normale.
La conséquence naturelle à tirer de cette observation, est bien celle que
M. Eads avait formulée à Saint-Louis : abréger la durée du travail dans l’air com-
primé à mesure que la pression augmente. (P. 595.)
Je citerai, en terminant, quelques renseignements que je dois à
l’obligeance des administrateurs d'une grande compagnie indus-
trielle, qui s’est beaucoup occupée de la fondation des ponts par
l’air comprimé. Ces documents ont rapport à des travaux tout ré-
cents, exécutés hors de France; une discrétion dont chacun com-
prendra les motifs m’empêche de donner avec plus de précision
les détails de date et de lieu.
Yoici d’abord des indications générales sur la manière dont étaient
1 Travaux 'publics des États-Unis d' Amérique en 1870. - — Paris, 1875.
2 Fondations à l'air comprimé. — Ann. des Ponts et Chaussées , 1874, 1er sem.,
p. 520-401.
FORTES PRESSIONS. — APPAREILS TRIGER.
407 •
conduits les travaux, et dont sont survenus les accidents; elles
émanent du directeur du chantier lui-même :
1° À une profondeur de 20 à 22m, on faisait encore des postes de 8 heures, et
nos hommes n’étaient pas trop fatigués, aucun ne souffrait de la pression, ils
étaient seulement incommodés par la mauvaise odeur des vases et par l’air chaud,
que cependant nous avons soin de renouveler assez fréquemment par la colonne
d’ascension; sous cette pression de deux atmosphères, les ouvriers se décompri-
maient en 4 ou 5 minutes.
2° De 22 à 25 mètres, on a fait des postes d’une durée de 4 heures; sous cette
pression, les hommes ont commencé d’être atteints assez fort; la décompression
s’opérait en 10 minutes, l’orifice du robinet de sortie n’était que de 25 millimè-
tres, puis ensuite de 18 millimètres.
5° De 25 à 28 mètres, les ouvriers se relevaient toutes les 3 heures, pour se décom-
primer, au moyen d’un robinet dont l’orifice était réduit à 10ffim; il fallait 16 à 17 mi-
nutes, et c’est en travaillant sous cette pression que nos hommes ont été le plus
fatigués; très-souvent il est arrivé que 4 sur 7 se sont trouvés pris par la pression
dans les jambes, dans la tête, dans l’estomac ; à d’autres, la décompression leur
causait une paralysie de la vessie ou de la vue; plusieurs de ces ouvriers ont
éprouvé des souffrances horribles pendant deux ou trois jours et ensuite trois ou
quatre jours de convalescence avant de pouvoir reprendre leur travail; ce sont
ceux-là qui sont le plus fortement atteints; quant à ceux qui sont moins atteints,
ils éprouvent aussi de fortes douleurs pendant vingt-quatre heures et ensuite 1 ou
2 jours d’incapacité de travail. (22 juillet 1875.)
— Gomme suite à ma lettre du 22, je vous informe que depuis quatre jours
nous n’avons eu que deux ouvriers atteints de la pression; mais légèrement, assez
cependant pour les empêcher de travailler, nous avons encore à l’hospice 2 ou-
vriers fortement atteints de pression depuis le 21 à la sortie du poste de 6 heures
du soir ; ils sont paralysés dans les parties inférieures du corps, on est obligé de
les sonder pour les faire uriner.
L’éclusage dure en moyenne 18 minutes, les postes sont de 5 heures. (28 juillet.)
— Comme suite à ma lettre du 28 courant, je viens vous informer que l’un des
deux ouvriers fonceurs à l’hôpital pour la pression, le nommé R. est mort aujour-
d’hui à midi et demi. Le deuxième ouvrier est, de l’avis des médecins, hors de
danger; il n’a plus en ce moment que les deux jambes paralysées, ce qui, on
l’espère, disparaîtra d’ici peu de temps.
Les médecins prétendent que la mort de R. est due à la pression, qui aurait
attaqué la moelle épinière; cet homme avait déjà travaillé aux fonçages à l’air
comprimé, mais sans jamais dépasser 2 atmosphères 1 ou 2/10. (50 juillet.)
Le premier des deux ouvriers gravement atteints dont il vient
d’être question est retourné dans son pays ; on n’a plus eu de ren-
seignements sur lui.
Quant au sieur R., son autopsie fut faite. Elle a donné un remar-
quable résultat que le Dr L. décrit dans une lettre adressée à la
compagnie, et dont voici la traduction :
Après l’ouverture du canal spinal, j’ai trouvé à la hauteur des vertèbres de la
poitrine, la moelle épinière tout à fait ramollie; elle était sur une étendue de quel
40S
HISTORIQUE.
ques pouces transformée en une masse molle et coulante, d’une couleur jaune
gris, qui en montant et descendant se perdait dans la partie saine.
La moelle était en général surchargée de sang, ainsi que le cerveau, mais du
reste je n’y ai rien observé d’anormal, pas plus que dans les autres organes.
3. — Plongeurs à scaphandre,,
Ainsi que nous l’avons dit en commençant ce chapitre, la cloche
à plongeur a été entièrement abandonnée pour le scaphandre, ap-
pareil infiniment plus simple, moins coûteux, et qui permet ci cha-
que ouvrier de travailler isolément avec une certaine liberté.
Je n’ai nullement l’intention de remonter aux origines, cepen-
dant fort récentes, de cetle invention ; le mot lui-même (axa<poç,
bateau, avBpoc homme) date de la fin du siècle dernier, et s’appli-
quait à une simple ceinture de sauvetage. Ce n’est guère que depuis
cinquante ans que Siebe, de Londres, puis M. Cabiroî, et enfin
MM. Rouquayrol et Denayrouze, en ont fait un appareil pratique et
facile à employer pour, les pêches des huîtres, du corail, des per-
les, des éponges, le sauvetage des objets submergés, le nettoyage et
l’inspection des carènes de navires, etc...
Je ne puis cependant m’empêcher de dire un mot d’une inven-
tion singulière de Borelli, qui n’était pas sans rapport avec le sca-
phandre, et qui est intéressante pour l’histoire des théories de la
respiration ; j’emprunte la description de cet appareil fort mal
conçu, puisqu’on n’y renouvelait pas la provision d’air du plongeur,
à Brizé-Fradin qui le cite, sans indiquer où le célèbre iatro-mathô-
malicien a décrit son appareil. 11 s’exprime en ces termes :
Borelly, inventeur de la machine appelée vessie du plongeur, la préfère, on ne
sait trop pourquoi, à la cloche de llalley. C’est un globe d’airain ou de cuivre d’en-
viron deux pieds de diamètre, placé au-dessus de la tète du plongeur ; il est joint
à un habit de peau de chèvre fait à la mesure du plongeur. Dans ce globe sont des
tuyaux par lesquels on y entretient la circulation de l’air, le plongeur porte à son
côté une pompe à air au moyen de laquelle il peut se rendre plus pesant ou plus
léger, comme font les poissons en pressant ou dilatant leur vessie à air : de cette
manière il croit prévenir toutes les objections faites à l’égard des autres machines,
et particulièrement à celle relative au manque d’air, l’air qu’il a respiré étant,
selon lui, dépourvu de ses qualités nuisibles par la circulation dans les tuyaux,
(P. 44.)
Rappelons que dans la cloche à plongeur de llalley un individu
pouvait faire quelques pas hors de la cloche et continuer à respirer
FORTES PRESSIONS. — SCAPHANDRES. 409
à l’aide d’une sorte de coiffe et d’un tuyau aboutissant dans l’air
de la cloche; il était à peu près ainsi dans les conditions du
scaphandre moderne. La partie principale des appareils actuels
(tig. 7) consiste en un lourd casque de métal, percé de hublots
Fig'. 7. — Scaphandrier pourvu du régulateur Denayrouze, costume complet.
de verre, dont le plongeur charge sa tête; un tuyau qui com-
munique avec une pompe foulante placée sur le ivage ou sur le
pont du bateau lui envoie de l’air comprimé qui s’échappe par des
orifices ménagés dans ce but. La pression à laquelle est soumis l’air
que le plongeur respire est donc sensiblement égale à celle que
410
HISTORIQUE.
l’eau exerce sur le reste de son corps. Cette condition est indispen-
sable à remplir, comme nous le verrons dans la suite de cet ou-
vrage, et des accidents très-graves ont dû être la conséquence de
l’oubli, dans certaines circonstances, de cette règle fondamentale.
Or elle est scrupuleusement respectée par l’appareil de MM. Rou-
quayrol et Denayrouze. Le plongeur revêtu de leur scaphandre ne
respire pas directement l’air que lui envoie la pompe; sur son dos
se trouve un réservoir métallique où l’air comprimé est incessam-
ment emmagasiné, pour n’en sortir, grâce à un très ingénieux mé-
canisme, que suivant les besoins du plongeur et à la pression ri-
goureusement nécessaire sous la profondeur atteinte. Quand le
réservoir est plein, le plongeur peut détacher le tuyau qui va à la
pompe, et se mouvoir librement pendant un certain temps. Enfin,
il peut même, pour les travaux de peu de durée, supprimer le cas-
que et prendre directement à la bouche le tuyau qui vient du ré-
gulateur (fig. 8).
Pour revenir à la surface , les plongeurs tantôt remontent une
échelle de corde, tantôt se font bisser à bord au moyen d’une corde
attachée à la ceinture. Dans l’un et l’autre cas, ils ne mettent
guère que une ou deux minutes pour retrouver la pression normale.
Les scaphandres sont actuellement employés très-fréquemment
dans tous nos ports de mer; mais les profondeurs atteintes sont
généralement assez faibles, et ne dépassent guère 20m. On s’en sert
également beaucoup dans les mers de l’Archipel, pour la pêche des
éponges. Ici, les fonds atteints vont jusqu’à 40m; je tiens même de
M. Denayrouze qu’on a été à 48m ; la pression totale était donc dans
ce cas de 5 atmosphères, 8.
Enfin, selon M. Leroy de Méricourt, les plongeurs à scaphandres
aux ordres des compagnies anglaises auraient affronté la profon-
deur de 54“\ la pression étant ainsi de 6 atmosphères, 4.
Ce n’est pas impunément que de pareilles pressions ont été sup-
portées , ou pour parler plus exactement, ce n’est pas impunément
que des plongeurs sont revenus de pareilles profondeurs, en quel-
ques minutes, à la surface de l’eau. Des accidents nombreux ont
été signalés, dont beaucoup se sont terminés par la mort. Leur
fréquence et leur gravité sont telles, que les récits qui nous en ont
donné connaissance semblent dédaigner et passer sous silence tout
ce qui n’est pas paralysie ou mort. Cependant, les bénéfices finan-
ciers sont si considérables, que l’emploi des scaphandres va en
augmentant chaque année. Ils sont introduits depuis une douzaine
FORTES PRESSIONS. — SCAPHANDRES.
411
d'années seulement dans l’Archipel, où leur apparition a occasionné
de véritables émeutes en 1866; or, en 1867 déjà, une vingtaine
de machines fonctionnaient pour la pêche des éponges. Il m’a été
I!
Fig. 8. — Scaphandrier pourvu du régulateur Denayrouze, ayant ôté son masque.
affirmé qu’il en existe aujourd’hui plus de trois cents, — et que les
cas de mort s’élèvent à une trentaine par an î »
Le premier document qui nous ait fait connaître ces accidents
redoutables et curieux est dû à M. Leroy de Méricourt1, et porte la
1 Considérations sur l'hygiène des pêcheurs d'éponges. — Ann. d' hygiène publique et
de médecine légale, 2e série, t. XXXI, p. 274-286, 1869.
412
HISTORIQUE.
date de 1869. Cet article est rédigé, dit l’auteur, sur les renseigne-
ments contenus dans un mémoire manuscrit de M. Aublé, agent de
la Société pour la pêche clés éponges au moyen des appareils plon-
geurs Rouquayrol et Denayrouze :
Pendant la campagne de 18G7, il n’est survenu aucun accident sérieux parmi
les hommes qui ont pêché munis de cet appareil. Mais à la même époque, sur
24 hommes qui se servaient de 12 scaphandres de fabrication anglaise, 10 succom-
bèrent.
L’absence de médecins sur les lieux de pêche et la difficulté d’obtenir des ren-
seignements de la part des pêcheurs de l’Archipel, qui sont d’un naturel fort dé-
fiant, n’ont pas permis d’être fixé, comme il eût été à désirer, sur la nature des
phénomènes qui ont précédé la mort, des 10 hommes dont nous venons de parler.
On a pu savoir seulement que trois d’entre eux étaient morts subitement en quit-
tant le travail sous-marin, et que les autres avaient langui de un à trois mois,
paralysés des membres inférieurs et de la vessie. En raison de l’existence de la para-
plégie chez les 7 plongeurs qui ont survécu quelque temps, il est permis de sup-
poser, jusqu’à un certain point, que ce phénomène devait également exister chez
les 5 qui ont succombé rapidement.
Quelles sont les lésions qui ont amené la mort de ces malheureux pêcheurs
pendant la campagne de 1807, et comment peut-on expliquer le mécanisme de
leur production ? L’absence d’observations médicales et surtout d’autopsies ne
nous permet d’émettre une opinion à ce sujet qu’avec beaucoup de réserve. La
paraplégie est, il est vrai, un phénomène tellement caractéristique et apparent,
qu’il n’est pas besoin d’être médecin pour Je constater. Chez une des victimes,
jeune Grec très-hardi plongeur, il survint une telle distension de la vessie que le
père, dans l'espoir de soulager ce malheureux, essaya de le sonder ; il détermina
des désordres qui furent suivis d’une péritonite rapidement mortelle.
Nous verrons, au chapitre lit, l’explication que M. Leroy de Méri-
court propose de ces accidents, qu’il attribue à des hémorrha-
gies médullaires.
Le reste de la note est consacré à de très-justes remarques sur
la supériorité de l’appareil Denayrouze et la nécessité d’une décom-
pression lente :
Tandis que le groupe de plongeurs parmi lesquels les accidents sont survenus
atteignaient les profondeurs considérables de 45 à 54 mètres et supportaient, par
conséquent, une des pressions variant de 5 atm. 1/2 à 0 atrn. 4/10, M. Denay-
rouze, avec une prudence qui lui fait honneur, avait donné l’ordre de ne pas dé-
passer 55 mètres, de ne pas séjourner plus de 2 heures 50 minutes, par plongeur
et par jour, et enfin de remonter très-lentement en mettant une minute par
mètre de profondeur. De plus, l’appareil employé offre de meilleures garanties
que le scaphandre : l’air est débité proportionnellement aux besoins de la res-
piration, et à une pression mathématiquement égale à celle du milieu am-
biant.
Mais il n’a pas été possible de faire observer par les Grecs ces
FORTES PRESSIONS.
SCAPHANDRES.
413
précautions rigoureuses. La décompression à laquelle M. Denay-
rouze avait assigné une durée de 15 minutes, a recommencé à se
faire en une ou deux minutes. Aussi les accidents ont-ils reparu.
Une lettre particulière de M. Denayrouzc, en date du 9 juillet 1872,
me donne sur ce point les renseignements suivants :
J'ai fait, pendant 6 mois, plonger une centaine d’hommes à des profondeurs va-
riant de 30 à 40 mètres. 200 autres plongeurs étrangers travaillaient sous mes
yeux dans les mêmes conditions. Tous ces gens-là respiraient de l’air à la pres-
sion du milieu ambiant, soit à 4 ou 5 atmosphères.
Cinq hommes sont morts à ces pressions, un grand nombre d’autres ont été
atteints de diverses affections, dont les plus fréquentes ont été des paralysies des
membres inférieurs et de la vessie, des surdités et enfin des anémies.
Les hommes soumis à des décompressions brusques étaient en effet plus expo-
sés aux accidents que les autres. Ceux qui sont morts n’ont jamais expiré au
fond de l’eau, ils remontaient se plaignant de douleurs internes, au cœur en par-
ticulier, se couchaient dans leur barque et s’éteignaient au bout de quelques
heures.
Le 19 juillet 1872, un jeune médecin qui avait fait en 1868 une
campagne à bord d’un bateau destiné à la pèche des éponges, sur
les côtes de la Turquie, Alphonse Gai l, soutenait devant la Faculté
.de Montpellier une thèse fort intéressante sur les faits qu’il avait
observés.
Dans la première partie de son travail, il étudie les modifications
qu’apporte le séjour dans l’air comprimé aux fonctions physiolo-
giques. Je ne rapporte naturellement que la part d’observations
qui lui est personnelle. •
En parlant d’abord de la respiration, il dit :
Il est impossible dans un scaphandre de se servir du spiromètre ; et il est assez
difficile d’apprécier des sensations de l’ordre de celles que nous étudions. Pour-
tant, à des pressions variables depuis 15 jusqu’à 25 mètres, je me suis étudié au
point de vue des mouvements respiratoires, et je crois à une dilatation moins
grande qu’à l’état normal. Sans doute la capacité pulmonaire, ce que M. Bucquoy
appelle la capacité vitale, augmente, dans les inspirations où l’on demande aux
poumons toute leur puissance ; sans doute, quand on fait l’expérience et qu’on
cherche à produire l’ampliation la plus étendue, les résultats sont plus avanta-
geux dans l’air comprimé ; sans doute aussi le malade soumis au bain d’air,
éprouvant rapidement une sensation de bien-être due à la perfection plus grande
de l’hématose, fait instinctivement de grandes inspirations ; mais le plongeur,
soumis à une pression de 2, 3 et 4 atmosphères, n’éprouve nullement la néces-
sité d’agrandir sa cavité pulmonaire, et comme Foleÿ, je crois à l’intervention
des centres nerveux pour modérer l’étendue de l’inspiration, étendue devenue inu-
1 Des dangers du travail dans l'air comprimé el des moyens de les prévenir: — Thèses
de Montpellier, 1872.
414
HISTORIQUE.
tile en raison de la quantité plus considérable d’oxygène mise en rapport avec
les capillaires du réseau pulmonaire sous un volume simplement égal au volume
normal.
Ainsi en résumé pour les inspirations forcées, le développement pulmonaire
croît avec la pression atmosphérique ; mais pour les inspirations ordinaires sur-
tout chez l’homme sain, cette loi n’est plus exacte, car on observe plutôt, tout au
moins j’ai cru le constater, surtout aux pressions de 2 à 5 atmosphères, on observe
plutôt, dis-je, une diminution dans l’ampliation pulmonaire. (P. 17.)
Relativement au nombre des mouvements respiratoires :
J’ai pu, pour mon compte, faire à ce sujet un nombre considérable
d’observations ; quand un plongeur se trouvait au fond de l’eau, à une petite dis-
tance du bâtiment et que la mer était calme, je voyais parfaitement arriver à la
surface les bulles d’air de chaque respiration. Comme on a pu le voir dans la des-
cription du sac à air régulateur, le plongeur avec scaphandre Denayrouze respire
par la bouche de l’air contenu dans un réservoir, et il expire encore par la bouche.
L’air ainsi expiré s’échappe par une soupape qui se referme aussitôt après l’expi-
ration. On peut donc ainsi mesurer l’espace qui sépare deux actes respiratoires,
et le plongeur pendant ce temps se trouve dans les conditions normales de tra-
vail et ne sait pas qu’il est observé. J’ai pu remarquer ainsi les différences indivi-
duelles, mais dans de très-faibles limites. Le minimum des respirations a été de
12 ; le maximum de 50 ; mais il ne faut pas croire que la moyenne soit le nombre
intermédiaire à ces deux chiffres. Sur toutes les observations que j’ai prises, elle
est de 18, mais elle est trop élevée et ne peut donner le chiffre normal des in-
spirations dans l’air comprimé. En effet, toutes les fois que j’ai constaté chez un
plongeur un nombre de respirations plus élevé que 20, je suis sûr que cette
accélération respiratoire tenait à une cause fortuite (émotion, effort musculaire,
marche rapide, etc. ) . Dans bien des cas, en suivant la respiration du plongeur
pendant quelques minutes, je l’ai vue peu à peu redescendre et arriver au-dessous
de 20.
En résumé, les modifications physiologiques de l’appareil respiratoire portent
sur l’étendue et le rhythme des mouvements. Ajoutons à ce que nous avons dit à
ce sujet que la respiration est toujours très-facile dans l’air comprimé. Nous
sommes en ceci d’accord avec tous ceux qui ont expérimenté dans de bonnes
conditions de ventilation. Sous l’eau, quelle que soit la profondeur, on. respire
facilement et librement. (P. 19.)
Nous avons vu chez les plongeurs les mouvements respiratoires augmenter de
nombre à mesure qu’ils montaient l’échelle et par suite se décomprimaient. Il
faut sans doute attribuer à l’acte même de la décompression une grande partie de
cette accélération, car la montée est excessivemens facile pour les plongeurs ; et
grâce à l’air contenu dans leur habit, et qui se dilate à mesure que l’ascension
avance, ils ont plutôt besoin de se retenir que de faire des efforts pour monter.
Mais quelle que soit l’intensité de pression subie, jamais cette accélération des
mouvements respiratoires ne va jusqu’à l’anhélation. (P. 21.)
Passons à la circulation :
Dans les scaphandres, on ne peut faire à ce sujet que des observations peu
exactes ; le pouls est très-difficile à percevoir et on n’a pas de moyen de mesurer
avec précision le temps employé à l’observation. J’ai pourtant essayé de me rendre
FORTES PRESSIONS. — SCAPHANDRES. 415
compte du rhythme de ma circulation et je ne crois pas que sa vitesse ait jamais
diminué.
Nous pouvons dire, sans chercher à l’expliquer, que dans l’air comprimé, aux
pressions employées par les pêcheurs d’éponges, le rhythme de la circulation ne
paraît pas modifié.
Il n’en est pas de même de l’amplitude des pulsations : pour ceci tous les expé-
rimentateurs, Junod seul excepté, sont d’accord. Ils admettent tous que dans l’air
comprimé le pouls devient filiforme et quelquelquefois insaisissable
Evidemment les capillaires artificiels et les artères les plus rapprochées de la
peau subissent davantage l’influence de la pression extérieure et leur calibre di-
minue. Si l’on entre dans l’air comprimé avec une partie de muqueuse ou de tégu-
ment externe congestionnée, l’injection ne tarde pas à disparaître. Dans le sca-
phandre, malgré les bracelets en caoutchouc qui serrent fortement le poignet, la
main est décolorée. Mais si la quantité du sang diminue à la périphérie, les orga-
nes qui par leur position sont moins directement soumis à l’action de l’air com-
primé ont une circulation plus abondante. Le poumon se trouvant dans les mêmes
conditions que la peau, doit recevoir moins de sang qu’à l’état normal. (P. 22-23.)
Si on revient d’une pression plus forte à la pression normale, les battements
s’accélèrent, le pouls qui était filiforme reprend de son ampleur, et si la diffé-
rence des pressions a été considérable, on observe quelquefois des hémorragies
légères.
L’unanimité des auteurs sur cette question est parfaite. Nous n’avons pas pu
suivre les modifications de la circulation pendant l’acte même de la décompres-
sion ; mais nous avons constaté par un grand nombre d’observations qu’au mo-
ment de l’arrivée sur le pont le pouls des plongeurs battait presque toujours plus
de 80 fois par minute. Sur 240 observations nous l’avons trouvé :
Au-dessous de 80 pulsations 11 fois.
80 à 90
—
105
90 à 100
—
124
100 à 109
—
2
Une demi-heure après, 203 fois, le pouls était revenu à peu près à la normale ;
3 fois, il était tombé manifestement au-dessous et 54 fois, il était encore entre
75 et 80 pulsations.
Ici, comme pour la respiration, nous ne pouvons attribuer l’accélération du
rhythme à l’acte même de la montée. Nous l’avons dit, la fatigue musculaire est
à peu près nulle à cause de la dilatation de l’air dans l’habit et de la lenteur avec
laquelle on s’élève. (P. 24.)
Les sécrétions lui fournissent les observations suivantes :
Tous les auteurs, sauf MM. Foleÿ et François, constatent une sécrétion plus con-=
sidérable d’urine ; je crois que cette opinion est la vraie. Les plongeurs que j’ai
observés ne pouvaient rester plus d’une heure et demie soumis à une pression de
20 mètres d’eau sans que le besoin de la miction se fit sentir ; quelquefois même,
il leur arrivait d’uriner dans leurs habits. L’augmentation de la sécrétion salivaire
n’est notée que par MM. Eugène Bertin et Junod ; pour moi, je ne. puis, à cet
égard, avoir une opinion : chez tous les plongeurs français et chez moi-même la
sécrétion salivaire était plus abondante qu’à l’état normal ; mais la présence dans
la bouche d’un appareil de caoutchouc destiné à l’arrivée de l’air rend parfaite-
ment compte de ce phénomène.
ilG
HISTORIQUE.
Après cette série d’observations d’ordre purement physiologique,
M. Gai arrive à l’étude des dangers des fortes pressions. îl divise les
maladies qu’on peut attribuer à l’effet de l’air comprimé en deux
catégories : les maladies à début brusque , qui ne surviennent ja-
mais, quand le plongeur est dans l’air comprimé, et sont le fait de
la décompression; les maladies à début insidieux , qui doivent être
directement rattachées à l’action de l’air comprimé.
Maladies à début brusque. — Au premier rang M. Gai place les
puces :
Cette maladie disparaît sans aucun traitement et se termine lorsque intervient
une hypersécrétion sodomie. (Foleÿ, p. 53.) Est-ce donc parce que nos plongeurs
étaient toujours couverts de sueur lorsqu’ils arrivaient sur le pont que je n’ai
jamais eu l’occasion de l’observer ? Cela me paraît infiniment probable. (P. 55.)
Viennent ensuite les douleurs musculaires, les arthrites :
Parmi toutes ces affections, j’ai vu seulement des douleurs excessivement
vives survenant brusquement, et bientôt après la sortie de l’air comprimé; affec-
tant plus spécialement les parties du corps où l’effort musculaire a été le plus
soutenu, le deltoïlde gauche en général chez les plongeurs; presque toujours un
peu de gonflement de la partie affectée, mais sans aucune rougeur. Jamais ces
douleurs n’ont duré plus de deux jours, et le plus souvent elles disparaissaient
au bout de quelques heures.
Tous les plongeurs, sauf les nommés Thépot et Paugarn, les ont éprouvées à
plusieurs reprises.
Je n'ai pas cité d’observations à ce sujet, parce que ces affections, toujours lé-
gères, ne m’ont jamais rien représenté d’anormal, soit dans leur marche, soit
dans leur terminaison. Des frictions avec le baume tranquille ou l’application d’un
cataplasme laudanisé les ont toujours fait disparaître.
Puis les otalgies et otites, dont M. Gai cite quelques exemples, des
troubles gastriques, dont la cause est peut-être dans les centres
nerveux. Un cas d’hémorragie a été observé, qui présente cette
circonstance rare d’avoir débuté pendant la compression meme :
Le 15 décembre, le nommé Féroc, 28 ans, plongeur exercé au scaphandre,
descend par une profondeur de 4 à 15 ra, reste trois quarts d’heure au fond et
remonte avec une hémorragie nasale qui a débuté, pendant qu’il était soumis
à la pression. La face est légèrement \uhueuse, le pouls à 70. C’est, me dit-il, la
troisième hémorragie nasale qu’il subit, et toujours elle a commencé au fond.
Comme les précédentes, elle cesse sans aucun remède.
Le 12 janvier, ce même plongeur redescend pour la première fois depuis le
15 décembre, par 20” de profondeur. Nouvelle hémorragie dans les mêmes con-
ditions ; seulement le pouls est à 90, un quart d'heure après la montée, et une
heure après il est faible, dépressible, et à 70. En même temps céphalalgie in-
tense.
Friction excitante; repos. Le lendemain, il va tout à fait bien 41.)
FORTES PRESSIONS : SCAPHANDRES.
417
En lait d’accidents graves, M. Gai n'a observé qu’une paraplégie,
qui, fait fort intéressant, a débuté seulement vingt-quatre heures
après la décompression. Voici l’observation complète :
Quidelleur, 28 ans, ivrogne. Le 18 janvier 18G9, descente par 28™ de profon-
deur.
Une heure de séjour au fond, il remonte sourd d'une oreille ; c’est son pre-
mier accident, il ne souffre pas et éprouve seulement du bourdonnement, accom-
pagné de surdité de l’oreille gauche.
Le 19 janvier, il plonge par 16m de profondeur, termine son quart de une
heure et demie, et médit en remontant que sa surdité s’est dissipée au fond.
Le 20 janvier, descente par 28m de profondeur. Ce jour-là, pendant que quatre
plongeurs se trouvaient à la mer, et parmi eux Quidelleur, le navire fait un tour
complet autour de son ancre, et cet accident a pour résultat d’enrouler autour
de la chaîne du navire les quatre tuyaux d'envoi d’air et les quatre cordes des
plongeurs.
11 s’ensuit un moment de confusion, pendant lequel les signaux ne peuvent
plus être perçus ; et, au moment où Quidelleur arrive sur le pont, il se plaint d’a-
voir été, à trois reprises différentes, soulevé du fond à une hauteur de 10m à
peu près, et, à chaque fois, il est retombé brusquement, au grand détriment de
ses oreilles. En somme, il est resté pendant une heure à une pression réelle de
5 atmosphères 8 dixièmes ; et il ne se plaint que de douleurs dans les oreilles et
surtout la gauche.
Je le fais frictionner avec de la flanelle sèche, comme cela se faisait toujours
après une descente de plus de 20m, et je ne remarque chez lui rien d’anormal.
Pendant la journée du 21 janvier, la pèche est interrompue, et Quidelleur tra-
vaille comme les autres matelots à divers travaux du bord. Le soir à cinq heures,
il vient me conduire à terre, et je remarque un peu d’altération sur sa figure ;
sur ma demande, il m’assure qu’il ne souffre pas, sauf un peu de l’oreille gau-
che. Une heure après, on vient me chercher; il se plaint de douleurs violentes,
sans siège précis, s’étendant à tout le corps. J'ai beaucoup de peine à le faire
parler, mais son attitude méfait comprendre que le maximum de la douleur se
trouve dans l'abdomen. Le malade est fortement replié sur lui-même, tous les
membres dans la flexion et appuyés sur le plan antérieur du corps. Les douleurs
sont assez fortes pour le faire pleurer; il finit par me dire qu’il souffre comme si
on lui arrachait le ventre et la poitrine. Je ne constate aucun gonflement, aucune
rougeur de la peau. Le pouls est à 70 pulsations; il est fortement déprimé. La
respiration un peu fréquente est saccadée
A onze heures du matin (22 janvier), on vient me dire que le malade se plaint
de nouveau de ne pouvoir uriner; je constate, en effet, la présence de liquide
dans la vessie et, mis en éveil par cet accident, je recherche s’il y a lésion de la
sensibilité et de la motilité. L’une et l’autre sont affaiblies dans les membres
inférieurs, sans pourtant qu’elles soient tout à fait abolies. La verge est dans
une demi-érection. L’introduction d’une sonde dans la vessie donne issue à un
demi-litre d’urine. Celle-ci coule lentement ; la contraction musculaire n’y est
pour rien ; il y a bien paralysie de la vessie. Le pouls est tout à fait normal, les
douleurs de la veille ont disparu, la respiration est bonne.
Friction sur la colonne vertébrale et sur les membres inférieurs, avec le
baume Opodeldoch. Tisane de sureau.
2ô janvier. Le malade, moins courbaturé, essaye de se lever, mais ses jambes
27
418 HISTORIQUE.
ne peuvent le supporter, quoique, lorsqu’il est dans le hamac, il puisse les re-
muer comme la veille; affaiblissement de la sensibilité.
Pouls à 70, plutôt dépressible que fort. Respiration normale, pas de douleurs ;
l’ouïe qui la veille était encore un peu faible à gauche, est revenue à son état
normal.
Je fais promener des sinapismes sur ses membres inférieurs et le long de la
colonne vertébrale. Tisane de sureau. Cathétérismes le matin. Potages.
Le soir, la paralysie a cessé ; le malade urine facilement. Rien de nouveau dans
son état; depuis le jour de l’accident, c’est-à-dire le 20 janvier, il n’a pas eu
de selles.
24 janvier. Même état des jambes ; pouls et respirations normaux. Pas de selles.
Le malade désire manger
27 janvier. Légère amélioration, mouvements des membres inférieurs un peu
plus faciles, sans qu’il y ait beaucoup de force
Depuis ce jour jusqu’au 50 janvier, l’amélioration a marché avec une grande
lenteur; puis brusquement, le 1er février, le malade monte sur le pont, et c’est
à peine si dans sa démarche on peut s’apercevoir qu’il a été paralysé des mem-
bres inférieurs.
Pendant les jours suivants, le mieux se maintient ; seul, le rectum est encore
paralysé. On ne peut obtenir que des lavements purgatifs.
Le malade a été très-indocile, tout le temps qu’à duré sa maladie; j’ai pu
constater qu’il est d’un caraclère extrêmement faible, et qu’il se laisse très-faci-
ment abattre par la souffrance.
J’aurais voulu le purger dès le premier jour ; mais malgré toutes mes repré-
sentations, il n’a pas voulu y consentir.
Jusqu'au 5 février, il n’est pas allé à la selle et il souffre beaucoup de sa con-
stipation. Je lui administre, sans qu’il s’en doute, quatre-vingts centigrammes de
calomel dans du lait ; cette purge amène une débâcle qui est le signal de son
complet rétablissement. A partir de ce jour, le rectum reprend ses fonctions nor-
males, et la santé de ce plongeur est très-florissante.
M. Gai donne encore trois observations du même ordre, dont il a
pu recueillir lui-même les éléments, quoiqu’il n’ait pas vu les ma-
lades au moment de l’accident. Dans le premier cas, la mort est
survenue par suite de l’ignorance du médecin :
Le 5 août 18G9, le nommé Nicolas Théodoros fut pris de paralysie des membres
inférieurs.
Ce plongeur pêchait sur les côtes de la Crète depuis le commencement de mai
c’est-à-dire depuis trois mois. C’était un homme de grande taille et en môme
temps d’une corpulence énorme, due surtout au développement très-considérable
du tissu adipeux*
Le 5 août, il pêchait aux environs de Sitia et, depuis huit jours, il affrontait des
profondeurs de vingt brasses et plus, c’est-à-dire de 50 à 55m. Aucun accident
fâcheux, aucune douleur n’était venue l’avertir, lorsque le 5 août, un quart
d’heure après être remonté d’une profondeur de 57m, il fut pris de paralysie com-
plète des membres inférieurs.
J'ai pu savoir par les Grecs qui montaient le même bateau, qu’il était resté au
fond plus d’une demi-heure, qu’il s’était, selon la mauvaise habitude des Grecs,
fait hisser, et que, par suite, la décompression avait été très-rapide.
FORTES PRESSIONS : SCAPHANDRES.
419
Il avait quitté ses vêtements de plongeur, et allait se reposer sous le pont de
son calque, lorsque la maladie débuta insidieusement par un malaise général, et
bientôt il s’aperçut qu’il ne pouvait plus remuer ses jambes, et qu’elles étaient
complètement insensibles.
Malheureusement, je me trouvais en ce moment à la Canée, c’est-à-dire à plus
de cent milles de l’endroit où se trouvait ce malheureux plongeur. Sa barque vint
au point le plus rapproché, où l’on espérait trouver du secours; ce fut à Sitia. Il
n’y avait là qu’un médecin italien complètement ignorant des accidents qui peu-
vent arriver aux plongeurs.
Ne trouvant pas de fièvre, pas de douleur, il ne sut à quoi attribuer la maladie
cl resta complètement inactif. Le certificat de décès qu’il délivra aux camarades
du plongeur porte seulement qu’il est mort : Da stranguria et costipazione ven-
trale.
Quoique ces mots indiquent qu’il avait reconnu l’impossibilité où se trouvait le
plongeur d'uriner et l’absence des selles, il ne s’occupa pas du tout de la pre-
mière indication, ne sonda pas le malade, et se contenta de lui donner une purge;
encore ne le fit-il que le huitième jour de la maladie, la veille de la mort.
La paralysie, qui avait été indolore au commencement, ne tarda pas à s’accom-
pagner des symptômes ordinaires à la paralysie de la vessie et du rectum, quand
on ne vide pas la première, et qu'on n’entretient pas la liberté du ventre.
Quand j’arrivais à Sitia, le 16 août, le malade était mort depuis deux jours
après des souffrances atroces, siégeant dans l'abdomen, et accompagnées d’aug-
mentation considérable du volume de cette partie du corps. Les renseignements
que m’ont fournis ses camarades étaient assez récents, et je suis convaincu que
Théodoros n’a succombé à la paraplégie que par défaut de soins. On verra par les
observations que je vais citer que, lorsque la paralysie n’atteint que les membres
inférieurs, la guérison est assez fréquente, ou tout au moins, si les individus at-
teints conservent la paralysie des membres, ils ne meurent pas, ou tout au moins
11e meurent qu’au bout de plusieurs mois. (P. 48.)
Dans les deux autres cas, la paraplégie s’est à moitié guérie :
J’ai vu à Symi deux plongeurs, FotiKazi Foti et Yanni, qui, pendant la campa-
gne de 1867, ont été tous deux paralysés complètement de toute la partie infé-
rieure du corps. Ils revinrent aussitôt l’un et l’autre à Symi, où ils furent soignés
par un docteur qui avait fait ses études médicales à Paris, M. Migliorati. J’ai eu
l’occasion de causer avec ce dernier; malheureusement il était fort malade, dans
la période ultime d’une tuberculisation pulmonaire, et il ne put me donner que peu
de renseignements.
Les deux plongeurs sont restés trois mois sans pouvoir se servir de leurs mem-
bres inférieurs ; peu à peu, pourtant, il leur a été possible de faire quelques mou-
vements ; la paralysie de la vessie et du rectum a disparu la première. M. Miglio-
rali a épuisé sur eux toutes les ressources de la thérapeutique : frictions,
vésicatoires, ventouses scarifiées, teinture de noix vomique, soit en frictions,
soit à l’intérieur, etc. Il n’a pourtant pas essayé la cautérisation et la faradisation.
Au moment où je les vois, je constate que la lésion paralytique des membres
inférieurs persiste toujours; il y a plus d’un an qu’ils ont été frappés. Pourtant
la marche est possible, à condition qu’ils s’aideront de deux bâtons, mais ils n’ont
pas besoin de béquilles. On voit qu’ils ne soulèvent les jambes qu’avec peine, et
ils ne le font qu’autant que c’est rigoureusement nécessaire.
420
HISTORIQUE.
J’interroge la sensibilité, et je trouve un affaiblissement marqué et, des deux
côtés, de la sensibilité tactile, de la sensibilité à la chaleur et au froid, de la
sensibilité à la douleur.
Tous les autres appareils, toutes les autres fonctions sont à l'état, normal. Je
constate pourtant un peu d’anémie chez Yanni, mais elle ne tient pas à la para-
lysie; il a eu, pendant l’année 1808, des fièvres intermittentes rebelles, guéries
depuis peu de temps, quand je le vis.
Les muscles des membres inférieurs 11e sont pas manifestement atrophiés. Ces
deux hommes continuent à se servir «lu scaphandre. Ils ont repris leurs travaux,
Lun au mois d’octobre 1808, l’autre au mois de mai 1861), et trouvent (pie la
marche est plus facile dans l’eau qu'à l’air libre.
Au mois de janvier 1870, ils étaient dans le même état. (P. 50.)
Vient ensuite une série de 9 observations, dans lesquelles
2 plongeurs sont rnoris très-rapidement, Tun après vingt-quatre
heures, l’aulre après trois mois, des suites de la paraplégie. Les
5 derniers ont guéri plus ou moins complètement. Je reproduis in-
tégralement ces observations, fort succincles, du reste :
ï. Le 23 juin 1808, à Navarin, Jorgieos Koulcliournki, descendu par une pro-
fondeur de 40 à 45ra, est resté un quart d’heure au fond. Selon la coutume des
plongeurs grecs, il s’est fait hisser après ce temps; il est arrivé sur le pont du
bateau en parfaite santé ; quelques minutes après, il s'est plaint de tournoiements
de tète, et il est tombé sur le pont. Perte de la parole et de l’intelligence; face
rouge : mort subite.
H. Le 10 juillet 1808, dans l’Archipel grec, Manolis Couloumaris, descendu par
une profondeur de vingt-cinq brasses, c'est-à-dire à peu près de 40m, est resté
environ trois quarts d’heure au fond. Au bout de ce temps, i! a fait le signal con-
venu, et il a élé hissé. Il était sur le pont depuis un quart d’heure à peu près, et,
au dire de ses camarades, il pressait les éponges qu’il avait remontées, lorsqu’il
fut brusquement saisi par de fortes douleurs, et presque aussitôt, perle de con-
naissance absolue. Il succomba rapidement.
HL Le 15 juin 1809, sur la côte de Bengasi, le nommé Joannis Xippas descendit
par vingt brasses de fond, c’est-à-dire de 50 à 55”. Le plongeur était descendu
pendant cinq jours de suite, et à plusieurs reprises chaque jour, par des pro-
fondeurs toujours supérieures a 50”, et jusqu’alors il n'avait rien éprouvé de fâ-
cheux, sauf un peu de douleur dans le br as gauche. Le 15 juin il on était à sa se-
conde descente, lorsque l’accident lui arriva. Uemonté après un séjour de plus
d’une demi-heure, il ne parut tout d’abord rien éprouver de fâcheux, et descen-
dit sous le pont de son caïque pour se reposer. Le ne fut qu’une heure aorès
qu’un de ses camarades, descendant auprès de lui, le trouva sans connaissance,
la figure rouge, les membres complètement inertes et couverts de sueur froide. On
essaya de le réchauffer, sans pouvoir y parvenir.
On mit à la voile pour se rendre à Alexandrie, où l’on espérait trouver du se-
cours; mais la mort arriva au bout de vingt-quatre heures. Le malade était resté
tout ce temps dans l’immobilité la plus absolue. Il n’y avait pas eu de selle ni
de mixtion. Ceux qui ont assisté à sa mort assurent qu’un peu avant de mourir,
il aurait donné quelques signes d’intelligence et de souffrance; mais la paralysie
des membres est restée complète.
IV. Le 1er juillet 1869, sur la côte de Rhodes, le nommé Nicolas Roditis, qui
FOUTES PREsSlOAS : bCArilANDRES.
421
plongeait à la machine depuis trois mois environ, remonta d’une profondeur de 55 à
40 mètres. Au bout d’une demi-heure, il est pris de fortes douleurs dans la région
épigastrique, et en même temps s’aperçoit qu’il ne peut plus se tenir sur ses
jambes. On le ramène à Rhodes, où il s’adresse d’abord à un charlatan, qui le fait
mettre dans un four. Il n’est pas soulagé, comme on le pense bien ; les douleurs
d’estomac persistent; la paralysie de la partie inférieure du corps était complète,
et portait sur les jambes, les cuisses, la vessie et le rectum. Aux douleurs de la
région épigastrique s’ajoutait la tension du ventre; il y avait trois jours qu’il
n’avait pas uriné et qu’il n’avait pas eu de selles, quand il fit appeler un méde-
cin italien, qui para au plus pressé en le sondant, et qui essaya ensuite de guérir
sa paraplégie. On lui donna divers remèdes et on lui fit des frictions; mais il a été
impossible de savoir au juste quel traitement on lui fit suivre.
Un mois après l'accident, il arrive à Calymnos, où le voit le docteur Pélicanos.
A ce moment, il est complètement paralysé de toute la moitié inférieure du corps,
aussi bien du côté de la motilité que de celui de la sensibilité. La vessie et le rec-
tum participent à la paralysie.
De plus, il porte à la partie postérieure et inférieure du tronc une large eschare
de 14 centimètres sur 15. Toutes les parties molles sont ulcérées et le sacrum
est à nu. A la hauteur des deux grands trochanters, on voit aussi deux plaies;
l’une a amené la destruction de la peau ; dans l’autre, l’os est à nu. Eschare au
calcanéum droit. Eschare à la partie inférieure et externe du cinquième métarta-
sien gauche et «à la plante du même pied. Douleurs atroces dans la région de
l’estomac; constipation constante. Le malade est très-anémié.
On lui donne d’abord du sirop de lactate de fer, du quinquina, du vin vieux de
Chypre et une alimentation aussi réparatrice que possible. On lave les plaies avec
une décoction de camomille et de quinquina ; on le panse avec du vin aromatique.
De temps en temps un purgatif avec l’huile de ricin ou la poudre de jalap.
Pas d’amélioration ; les eschares s’agrandissent; une fièvre à type intermit-
tent quotidien, à exacerbations revenant tous les soirs, se déclare. C’était évi-
demment de la fièvre hectique.
L’appétit est presque nul, l’état général s’aggrave encore; une eschare gan-
gréneuse envahit le prépuce, et enfin le malade succombe dans le marasme trois
mois après son accident.
Il y avait un mois que la paralysie de la vessie avait cessé ; mais il n’y avait eu
aucune amélioration du côté de la motilité et de la sensibilité des membres infé-
rieurs.
V. Au commencement de septembre 1808, le nommé Nicolas Kardachi est pris,
sur la côte de Dengazi, de paralysie des membres inférieurs, de la vessie et du
rectum. Il y avait chez lui paralysie complète des mouvements, hypéreslhésie de
la peau et vives douleurs depuis la hauteur des reins jusqu’à l’extrémité des doigts
des pieds.
L’affection s’était déclarée fort peu de temps après qu’il fut remonté sur le
pont de son calque.
On le ramène aussi vite que possible à Calymnos, où il arrive cinq jours après
le début de la maladie. Il n’avait pas uriné et n’avait pas eu de selles ; la vessie,
fort distendue, lui causait de vives souffrances. Le cathétérisme, l’emploi des pur-
gatifs et l’application d’un large vésicatoire sur le rachis, à la hauteur des lom-
bes, furent les premiers moyens employés par M. le docteur Pélicanos.
Le malade était tout à fait sans fièvre ; l’appétit était bon ; le régime fut tonique
dès le début.
Le vésicatoire de la région lombaire fut renouvelé, et les mouvements revinrent
HISTORIQUE.
422
peu à peu, en même temps que la sensibilité normale. La paralysie de la vessie
fut la première à céder, et au bout d’un mois et demi le malade put marcher un
peu en traînant les jambes. On lui fait d’abord des frictions le long de la colonne
vertébrale avec de la teinture de noix vomique, puis ensuite avec le liniment
suivant :
Huile d’olive 250 grammes.
Essence de térébenthine 50 —
Camphre 4 —
Teinture de cantharides 4 —
Ammoniaque liquide 20 —
Le docteur Pélicanos se loue beaucoup de l’emploi de ce dernier médicament ;
les mouvements revinrent peu à peu, et au bout de trois mois le malade était
parfaitement guéri.
VI. Septembre 1808. — L’histoire de ce malade, nommé Nomikas Sissoïs, est tou1
à fait la même que celle du précédent. Il fut pris comme lui en pêchant à Ben-
gaz, à la tin de la saison de pêche, par des fonds de 35 à 45 mètres; il mit plus
de temps pour se rendre à Calymnos, et l’affection a duré plus longtemps, quo;
qu’il ait pu marcher, en se traînant, au bout d’un mois.
Le traitement a été le même, la durée de la maladie six mois ; et en janvier
1870, c’est-à-dire quinze mois après le début, il ne lui reste qu’une légère liési
tation dans la démarche. On a essayé sur lui l’injection dans la vessie d’une faible
dose de su llate de strychnine; mais ce moyen n’a pas donné de résultats satisfai-
sants.
VII. Au mois d’août 1869, sur les côtes de Crète, le nommé Philippe Karah-
toni est paralysé des membres inférieurs après avoir plongé à 35 ou 40 mètres
de profondeur. La vessie et le rectum sont épargnés. On n’a employé comm&
traitement que le liniment excitant déjà indiqué, et la guérison a eu lieu en
quinze jours.
VIII. Au mois de septembre 1869, dans l’Archipel grec, le nommé Georges
Ervloïa est paralysé de toute la portion inférieure du corps; la vessie et le rectum
sont pris; le malade éprouve aussi de violentes douleurs dans tout le corps. 11
arrive à Calymnos le lendemain du début de son affection.
Le cathétérisme, un purgatif et l’emploi du liniment excitant amènent la gué-
rison radicale en vingt jours.
IX. Au mois de septembre 18611, le nomm Georgios Baboris plongeait à Can-
die: il fut atteint légèrement de paralysie. Traité à Mégalo-Castro, il fut très-
rapidement sur pied, et il ne lui resta qu’un peu de faiblesse des membres infé-
rieurs.
Après cette énumération intéressante, M. Gai ajoute :
Ce que nous venons de montrer par ces observations, la fréquence des lésions
fonctionnelles de la moelle s’est aussi rencontrée pour les dix plongeurs qui sont
morts en 1867. Trois seulement moururent subitement; les sept autres traînè-
rent plus ou moins longtemps. Ces derniers étaient tous paraplégiques. J’ai eu un
autre but en citant ces observations, c’est de faire constater qu’avec des précau-
tions, on peut arriver à diminuer sensiblement le nombre des accidents.
Ainsi, en 1867, il y avait en Grèce 12 scaphandres montés par 24 plongeurs ; il
y eut dix morts. Les Grecs descendaient par des profondeurs de plus de 4b mètres,
FOnTES PRESSIONS : SCAPHANDRES.
423
se faisaient hisser rapidement quand ils voulaient remonter, faisaient un nombre
considérable de plonges pendant la journée.
En 1868, il y avait au moins dix machines à Calymnos seulement. Elles em-
ployaient trente plongeurs; il y eut deux morts, et deux paraplégies suivies de
guérison.
En 1869, plus de quinze machines, occupant plus de quarante-cinq plongeurs.
Trois morts et trois paraplégies.
Je irai pu faire cette statistique que pour file de Calymnos; mais on voit com-
bien le nombre et la gravité des accidents ont diminué. La mesure de prendre
trois plongeurs par machine, pour diminuer le travail journalier de chacun d’eux,
et un peu plus de prudence pour ce qui regarde la profondeur, ont suffi pour
amener ce résultat. Un petit livre publié en grec par M. Denavrouse et répandu à
profusion parmi les pêcheurs, a contribué sans doute pour sa part à cette amé-
lioration. (P. 56.)
Nous arrivons ainsi à la seconde catégorie de maladies observées
chez les plongeurs. M. Gai les désigne sous le nom de Maladies à
début insidieux : elles sont, selon lui, les manifestations multiples
(amaigrissement, pertes de force) d’une anémie particulière :
Comme l’a fait Foleÿ, nous attribuons l’amaigrissement à l'action même
de l’air comprimé et ce que nous avons constaté maintes fois, qu’après plusieurs
jours de travail, tous les plongeurs sans exception offraient des symptômes évi-
dents d’anémie, et une prédisposition beaucoup plus marquée à être atteints par
les alfections à début brusque. C’était à ce moment-là que presque tous éprou-
vaient des douleurs musculaires plus ou moins vives, et que la prudence nous
faisait une loi de leur faire prendre un repos réparateur. (P. 57.)
Je dois à AL le Dr Sampadarios, d’Égine, une série d’observations
curieuses et inédites que je transcris, sans en rien retrancher ; je
suis heureux de pouvoir le remercier ici de ses intéressantes com-
munications :
Observation. I. — Pendant l’été de l’année 1866 on m’a appelé pour visiter
le sieur L. Cet homme plongeait en scaphandre depuis quelque temps pour pêcher
l’éponge, il avait quarante ans. La veille, étant retiré du fond de la mer, il était
tombé dans un état comateux; lorsque je l’ai vu, il était aux derniers moments,
la face bouffie, bleuâtre, comme mort d’asphyxie.
Observation. II. — En 1867, j’ai observé un autre malade; il était descendu,
dit-il, trois fois dans la même journée pour pêcher; à la troisième il avait
senti au fond de la mer une gêne de la poitrine, et à peine avait-il eu le
temps d’avertir en donnant le signe de le retirer. Ramené dans le bateau,
il était tombé dans un état comateux, tout à fait insensible, dont il s’était
remis après trois heures. Il avait alors dyspnée, paralysie complète des mem-
bres inférieurs et de la vessie, constipation, paralysie incomplète (parésie) des
membres supérieurs, d’un côté surtout. La dyspnée avait bientôt disparu, on a
été obligé de vider la vessie par la sonde. On a suivi le malade pendant un mois, il
y a eu une amélioration, puis on l’a perdu de vue.
Observation. III. — N. B., visité par un autre confrère; il a depuis quelques
4*24
HISTORIQUE.
mois une paralysie des membres inférieurs et de la vessie, avec constipation, les
urines sont vidées toujours au moyen de la sonde. On remarque seulement une
faible flexion dans F articulation coxofémoraie et dans celle du genou : paralysie de
la sensibilité plus ou moins avancée. Le malade retiré du fond de la mer était
resté pendant quelques heures dans un état comateux ; lorsqu'il s’étad, remis, il
avait de la dyspnée, et les membres étaient paralysés.
Observation . IY. — N. À. jeune homme robuste, de l’âge de vingt-cinq ans, bien
portant jusqu'à présent; depuis quelque temps il était attaché à une compagnie de
pécheurs d’éponge, et il plongeait à scaphandre. J’ai été appelé pour le visiter
le 20 juillet 1870, il m’a raconté que deux jours avant il avait trop travaillé,
parce qu’il était resté cinq heures, dit-il, au fond de la mer pour ramasser des
éponges, et par conséquent il avait senti une espèce de défaillance. Cependant il
avait plongé de nouveau pour travailler; mais après une demi-heure de travail,
il a senti qu’il se trouvait mal, il a donné le signe de le retirer, et on l’a
retiré, dit-il, bien vite, comme on a l’habitude, lorsqu’on voit qu’on se trouve en
danger; on lui a ôté bien vite aussi le scaphandre, après quoi il est tombé dans
un état d’insensibilité. Il avait senti un engourdissement des membres, du tour-
noiement de la tête, et de sa bouche, dit-il, sortait de l’écume. On n’avait pas
appelé un médecin, parce que de pareils symptômes s’étaient présentés plusieurs
fois aux plongeurs, et qu’au moyen de frictions et de révulsifs aux extrémités,
ils étaient remis après quelques heures. Lui aussi s’était remis de cet état coma-
teux après cinq heures, après qu’il eût vomi plusieurs fois; mais pendant vingt-
quatre heures il avait des tournoiements de tète, lorsqu’il ouvrait les yeux ; les
membres inférieurs et la vessie étaient paralysés. Il y avait encore au com-
mencement une espèce de parésie des membres supérieurs, qui disparut vite,
mais la rétention de l’urine complète persista, et c’est pour cela qu’on m’a appelé
le troisième jour.
J'ai trouvé la vessie montant jusqu’à l’ombilic: il y a de la constipation, les
membres inférieurs sont paralysés : à droite paralysie complète de la sensibilité
et du mouvement, à gauche la sensibilité se conserve en partie avec mouvement
de flexion faible à l’articulation coxo-fémorale; il n’y a aucun autre dérangement,
pas de douleur à la colonne vertébrale. Nous avons vidé la vessie par la sonde ; le
lendemain un purgatif d’huile de ricin a donné des évacuations. Nous avons con-
tinué à sonder le malade; enfin, après vingt et un jours, le malade a pu vider la
vessie tout seul. 11 faut noter qu’après le huitième cathétérisme est survenu un
accès très-fort de fièvre intermittente, contre lequel nous avons donné la qui-
nine, et qui ne s’est pas répété.
La paralysie des membres cède aussi aux frictions irritantes, et le quarantième
jour le malade a pu marcher avec des béquilles. Nous lui avons administré l’ex-
trait de noix vomique, des douleurs se sont présentées le long des membres,
mais sans aucune amélioration perçue. Ne connaissant pas la nature de la
maladie, nous avons fait un traitement symptomatique; nous lui avons donné
intérieurement l’iodare de potassium.
24 octobre. — Les membres inférieurs sont encore faillies, surtout à gauche,
où l’on remarque en même temps, à la jambe et au pied, manque de sensibilité
de la douleur et du contact, sensation modérée du froid. A droite, où il y avait
au commencement paralysie complète du sentiment et du mouvement, persiste
seulement de l’insensibilité à la partie externe du dos du pied. Les mouvements
actifs se font bien, excepté une faiblesse à gauche à l’articulation tibio-tarsienne,
surtout à la flexion. Les mouvements passifs sont naturels.
L’examen par l’électricité (appareil d’induction) rencontre à droite la conlrac-
FORTES PRESSIONS : SCAPHANDRES.
4-5
tilité électrique diminuée des muscles qui dépendent du nerf péronier. A gauche
non-seulement ceux-ci, mais encore les jambiersont la contractilité électrique di-
minuée. Les autres muscles réagissent bien, comme ceux du ventre.
Nous avons continué à faradiser la peau et les muscles des membres et du
ventre. Il y a eu une amélioration. Pendant deux heures après la faradisation le
malade sentait ses mouvements libres, comme s’il était tout à fait bien portant.
28 novembre. - Insensibilité de la douleur, du contact et du froid à gauche
jusqu’à la moitié de la cuisse, même la moitié du pénis, à droite seulement
insensibilité de la douleur et du contact au pied ; faiblesse des membres, pour-
tant l’extension du pied à droite est très-incomplète. Si le malade ferme les yeux,
il chancèle et il va tomber. Incoordination ou irrégularité des mouvements pen-
dant la marche, contractions involontaires, convulsives, par action réflexe des
membres inférieurs, par exemple de la morsure d’une puce aux fesses ou aux
lombes. Quelquefois rétention de l’urine, d’autrefois incontinence. Nous lui avons
appliqué deux cautères à la colonne vertébrale, et nous lui avons donné à l’in-
térieur l’iodure de potassium.
10 décembre. — Amélioration, il veut s’en aller.
Après mes publications que j’ai faites à propos de cette question, en 1871, au
mois de septembre, M. le docteur Cotsonopoulos, de Nauplie de la Morée, a publié
une observation suivie d’autopsie dans le journal grec Asclépios (Esculape), où
sont publiées aussi mes observations. Je vous en fais la traduction.
D. N. à l’àge de 50 ans, marin bien constitué, fort, travaillant depuis une année
avec le scaphandre anglais, a été transporté le 2 mai à l’hôpital de Nauplie. Avant
6 jours il travaillait au bord du golfe argolique, à la profondeur de 50 mètres sur
un sol boueux. Lorsqu’on l’a retiré, il a senti une douleur aux lombes et un fort
engourdissement des membres inférieurs, dont les mouvements après une heure
étaient tout à fait impossibles. Les camarades lui ont lait des frictions et ils lui
ont cautérisé le pénis. Un médecin l’a saigné -avant son entrée à l’hôpital et il
lui a appliqué sur les lombes plusieurs fois des ventouses, un vésicatoire qu’il a
saupoudré avec la strychnine, et des cautères avec le cautère actuel. A son en-
trée à l’hôpital la paraplégie était complète ; aucun mouvement des membres
inférieurs ; aucune contraction, même par l’électricité, dit-on ; perte de la sensi-
bilité et même de la sensibilité électrique. Le tiers supérieur de la cuisse un peu
sensible ; le malade avait quelquefois spontanément un sentiment de brûlure
aux jambes; paralysie de la vessie, paresse du tube digestif, le ventre gonflé : on
vidait la vessie deux fois par jour. La pression à la colonne vertébrale n’était pas
douloureuse. Un érythème douloureux existe à la région sacrée, c’est le commen-
cement de la gangrène du décubitus, qui se développe plus tard. Pas de fièvre.
En présence de pareilles symptômes survenus subitement avec douleur aux
lombes, on a admis une hémorrhagie dans la colonne vertébrale et on a
ordonné de nouveau des venlouses et des sangsues à l’anus, des purgatifs et des
lavements vinaigrés, les purgatifs n’ayant rien fait. Il y a eu une petite amé-
lioration : la sensibilité a augmenté un peu à la partie supérieure des cuisses,
mais bientôt le mal a fait des progrès ; une cystite se développe avec gangrène de
dubitus, lièvre, frissons, incontinence avec rétention, évacuations involontaires;
enfin, par suite des progrès de la gangrène, le sacrum est tout à fait dénudé.
Aux derniers jours de la maladie des eschares s’étaient présentées aux
talons.
La mort survient le quarantième jour du commencement de la maladie. Le
malade avait conservé ses facultés intellectuelles intactes jusqu’à la fin.
426
HISTORIQUE.
Autopsie. — C’est avec difficulté que les parents ont permis de faire l’autopsie.
Le docteur Jéanopoulos était présent. On a ouvert le canal dorsal, et on a trouvé
du sang en quantité demi-coagulé, rouge-noir, situé entre la dure-mère et le
canal osseux et s’étendant de la première vertèbre lombaire jusqu’à la tin du suc
méningien. La surface extérieure de la. dure-mère, qui était mouillée par le
sang, était d’une couleur rouge-noire et infiltrée de sang extravasé. Sa surface
interne après la section était trouvée blanchâtre et un peu injectée. A la
partie inférieure de la cavité sous-arachnoïdienne existait aussi un épanchement
de sang rouge foncé, demi-coagulé en quantité assez grande autour des nerfs
formant la queue du cheval. Ayant fait des incisions dans différents endroits
de la moelle épinière, nous avons trouvé que sa portion lombaire en grande par-
tie et le tiers supérieur de la portion thoracique avaient subi le ramollissement
blanc à un degré considérable, parce que à peine la pie-mère était coupée ou dé-
chirée, la substance de la moelle coulait, pour ainsi dire, dehors. Les autres por-
tions de la moelle, celles mêmes qui étaient situées entre les portions ramollies,
avaient la consistance naturelle ; pas de congestion ni dans la moelle ni dans la
pie-mère. Les parents du malade étant venus, on n’a pas fait l’examen des au-
tres cavités ; on a ouvert seulement l’hypogastre pour voir la vessie, dont les
parois étaient très-hypertrophiées.
Telles sont les observations qu’on a publiées chez nous jusqu’à présent concer-
nant cette question.
Si nous analysons ces divers faits, nous voyons que la mort est arrivée de deux
manières : ou tout de suite ou par lésion de la moelle épinière. Lorsqu’on pré-
cisera la nature de cette maladie, on pourra savoir si ce sont deux causes diffé-
rentes qui produisent ces deux sortes de manifestations morbides, où si ce sont
des différents degrés d’une affection.
Je dois remarquer seulement que si on voulait expliquer ces accidents seulement
par le changement de la pression atmosphérique, cela ne suffirait pas ; parce que
bien certainement le dérangement de la santé commence au fond de la mer.
Le pêcheur sent qu’il se trouve mal, et il donne le signe de le retirer. M. Cotso-
nopoulos cite un cas où l’on a retiré le plongeur presque mort, et il a été mort
après quelques mouvements. Le malade que j’ai soigné m’a raconté aussi un pareil
accident. Je ne suis pas sûr si la mort est arrivée de la même manière à mon
malade (observation I). Ces gens racontent qu'ils se trouvent mal lorsqu’ils
travaillent à une grande protondeur pendant quatre ou cinq heures, lorsqu’il y a du
vent et des vagues, et peut-être alors on ne peut pas régler la pression de la ma-
chine, enfin lorsqu’ils se fatiguent trop. Il faut noter que lorsque le plongeur
donne le signe qu’il se trouve mal, on s’empresse de le retirer bien vite, et au
premier dérangement s’ajoute peut-être celui de la décompression brusque. Lors-
qu’ils descendent à une profondeur plus grande que 50 mètres, ils ne peuvent
pas y travailler longtemps ; plus ils descendent profondément moins ils reste-
raient. Du reste quelquefois la pression de la machine n’est pas assez forte ou
régulière, el le plongeur sent la colonne de l'eau qui commence de lui presser
l’habit autour des mains et des pieds, alors il fait le signe convenu et on lui
envoie de l’air. Il paraît qu’on travaillait chez nous, au commencement au moins,
avec le scaphandre anglais.
Quant à la paraplégie qui persiste, on voit qu’elle se présente comme un reste
d’un dérangement qui a agi sur tout l'organisme (observations 2, 4), mais qui
n’ayant pas causé la mort, ne laisse de dérangement matériel que dans la moelle
épinière, parce qu'on ne peut pas accepter que cette affection de la moelle
FORTES PRESSIONS : SCAPHANDRES.
427
seulement a causé la mort ou cet état général qu’on observe au commencement.
Mais quelle est la nature de cette affection ? M. Le Roy de Méricourt pense qu’il
se fait des hémorrhagies capillaires dans la moelle pendant la décompression.
Chez notre malade (observ. 4), nous avons vu au commencement une paraplégie,
une abolition complète des fondions de la moelle ; une amélioration très-grande
est survenue après quelques jours, et plus tard nous avons eu le tableau d’une
myélite. Le siège de l’affection devait être dans la portion thoracique, pour que
nous ayons la vessie et le rectum plus ou moins paralysés, car, lorsque la région
lombaire souffre, il y a seulement paralysie des extrémités inférieures.
L’autopsie de l’autre malade nous a donné un ramollissement diffus de la moelle
et une hémorrhagie. Mais c’est le ramollissement de la moelle, qui occupait
même la portion thoracique, qui peut expliquer les symptômes de la paralysie
de la vessie et du rectum et non pas l’hémorrhagie qui occupait la portion
lombaire. Quant à nous, nous pensons que les ecchymoses des membranes sont
en relation avec la gangrène du sacrum. Disons de plus que noire malade n’avait
senti aucune douleur, et il s’en serait produit dans une hémorrhagie des mem-
branes de la moelle.
Mais comment se produisit cette inflammation de la moelle? Est ce par des
hémorrhagies capillaires? Est-ce par dilatation des capillaires par les gaz et de
suite par altération de nutrition (ramollissement) ?
Les examens microscopiques sur des hommes ou sur des animaux pourront élu
cider cette question.
Samsoun (Turquie d’Asie), G juin 1875.
CHAPITRE II
FAIBLES PRESSIONS.
Les pressions dont il s’agit dans ce chapitre n’ont jamais atüeint
une atmosphère surajoutée à l’atmosphère normale. Les ouvriers
employés à la fondatiorrdes piles de pont, les plongeurs à scaphandre
sont eux aussi évidemment soumis fréquemment à ces pressions
médiocres ; mais comme ils n’y éprouvent aucun malaise (sauf les
douleurs d’oreilles du début) comme ils en sortent sans encombre,
l’attention des ingénieurs ou des médecins n’a presque jamais été
appelée sur les phénomènes qu’on aurait pu observer dans ces
conditions.
Il en est tout autrement pour les pressions basses que, dans un
but thérapeutique, les médecins emploient fréquemment aujour-
d’hui. Ici, au contraire, les observations délicates, d’ordre pure-
ment physiologique, ont été accumulées, et l’on a étudié l’action de
l’air faiblement comprimé avec le meme soin et suivant la meme
méthode que celle d’une substance médicamenteuse quelconque : à
savoir sur l’homme sain d’abord, puis dans divers cas pathologiques.
C’est à trois médecins français, Junod de Paris, Tabariô de Mont-
pellier et Pravaz de Lyon, que revient l’honneur d'avoir introduit
dans la thérapeutique un agent dont la puissance est chaque jour
constatée par les praticiens et dont l’emploi deviendra, on peut l’af-
tirmer, de plus en plus fréquent. Je ne veux pas prendre un parti
dans la querelle qui s’est élevée entr e eux au sujet de la priorité de
l’invention; autant qu’il me semble, elle appartient à M. Junod;
c’est lui, du moins, qui fit à ce sujet les premières publications.
L'établissement aérothérapeutique du docteur Carlo Fornanini, à Milan.
Cylindre horizontal contenant deux chambres; la paroi antérieure de celle de droite
a été enlevée.
450
HISTORIQUE.
Aujourd’hui, ies appareils destinés au Iraitement par l’air com-
primé sont assez nombreux. On en trouve : en France, deux établis-
sements à Paris, d’autres à Lyon, Montpellier, Nice; en Allemagne,
à Hanovre, à Stuttgard, à Wiesbaden, à Jobannisberg, à Reichen-
hall, à Ems; en Danemark, à Altona ; en Suède, à Stockholm ; en
Écosse, à Peu Rhydding;, en Angleterre, à Londres; en Italie, à
Milan. La figure ci-contre représente l’appareil que le Dr Fornanini
a installé dans cette dernière ville.
Les divers directeurs de ces établissements diffèrent d’opinion
quant à la pression qu’il convient d’employer ou plutôt quant au
degré par lequel il faut débuter. Il en est qui tiennent pour les
pressions fortes, de 50 centimètres au moins; à Paris, M. Leval-
Piquechef se trouve bien de débuter avec une grande prudence,
par 10 cent, au plus. Il ne m’appartient pas de discuter ces divers
points de pratique; je ne m'occuperai pas non plus des applications
thérapeutiques de la méthode, me bornant à dire une fois pour
toutes que son efficacité a été reconnue très-puissante dans l’asthme
emphysémateux, dans les bronchites chroniques, dans les chloro-
anémies, et les hémorrhagies passives; elle paraît être à la fois
tonique et sédative, pour employer le langage de l’École1.
1 Voici la série des principaux travaux qui ont été publiés sur l’emploi thérapeutique
de l'air comprimé. Je n’y ai pas compris ceux que je cite et analyse dans le présent cha-
pitre et dans le chapitre suivant. Celte énumération montrera à quelle étonnante variété
de maladies on a essayé d’appliquer la médication nouvelle :
Pravaz, Mém. sur V emploi du bain d'air comprime dans le traitement des affections
tuberculeuses, des hémorrhagies capillaires et des surdités catarrhales. — Acad, de
Med. de Paris, G déc. 1857. — Cpt. R. Acad, des Sciences, t. VII, p. 285, 1838.
Id. De V influence de la respiration sur la santé et la vigueur de l'homme. — Lyon,
1842.’
Id- Mémoire sur l'emploi de la compression au moyen de l'air condensé dans les
hydarthrpses , et sur la possibilité de réduire certaines luxations spontanées de la hanche.
— Lyon, 1843.
Dubreuil, Bains d'air comprimé. — Marseille, 1848.
De la Prade, Rapport sur le mémoire relatif aux bains d’ air comprimé , in Essai sur
l'emploi médical de l'air comprimé, par Pravaz. — Lyon, 1850.
Povser, On the treatment of chronic and ollter diseases by baths of comprcssed air.
_ Association Med. Journal, sept. 9, 1855.
Devay, Du bain d'air comprimé dans les affections graves des organes respiratoires.
— Gazette hebd., 1855.
Schütz. Briefliche Mittheilungen aus Nizza. — Deutsche Ivlinik, février 1857.
Bottini, Dell aria compressa corne agente terapeutico . — Gazz. med. italiana, Stati
Sardi, 1857
A. Simpson, Compressed air as a therapeutic agent. — Edinburgh, 1857.
Hau°liton, On the use of the compressed air baths. — Dublin, IJosp. Gaz., 1858.
Pravaz fils, Des effets physiologiques et des applications thérapeutiques de l'air com-
primé. — Lyon, 1859.
Gindrod, The compressed air-bath, a therapeutical agent ni varions affections of the
respiratnmj organs and other diseuses. — London, 1860.
FAIBLES PRESSIONS : APPAREILS MÉDICAUX. 431
Avant d'arriver à l’énumération des témoignages recueillis
Lippert(in Nizza), Ueber Paris naeh Nizza, medicinishe Beiseskizze. — Deutsche Klinik,
octobre 1861.
Trier, Oni Bode i fortœttet luft. — Kjôbenhavn, 1865.
G. Lange. Der pneumatische apparat. — Wiener Med., Wochenschift, août 1863.
Levinstein, Beobaciilungen über die Einwirkung der verdicliteten Luft bei Krankheiten
der Respirations - und Circulations - Organe. — Berl. Wochenschrift, 1864.
Freud, Ber pneumatische apparat. Wirkung und Anwendung der comprimirten Luft
in verse hiedenen Kranhheiten. — Wien, 1864.
Fischer, Errichtung eines Luft compression Apparates zu Hannover. — 1864.
Joseplison, Die therapeutische Auwendung der comprimirten Luft. — Deutsche Kli-
nik, 1864.
Levinstein, Grundzüge zur practisclicn Otiartie mit Beriicksichtigung der neuesten
thcrapeutischen Technik , etc. — Berlin, 1865.
Smoler, Die Anwendung der comprimirten Luft in Krankheiten der Gehôrorganes,
Osterr. Zeists. f.pract. Heilkuiule. — Wien, 1865.
Storch, Jagttagelser over Virkningen af comprimiret Luft ved behandlingen afBryst-
ticlelser, meddelle fra Basmussens medico-pneumatiske Austalt. — lIospitals-TDlende
VIII. Aarg. — Kjôbenhavn, 1865.
Sandahl, Nyare undersôkningar och iakttagelser rôrande de fgsiologiska och terapeu-
tiska verkningarne af bad i fôrtâtad luft. Ilygiea. — Stockholm, 1865.
id., Beraltelse om den mediko-pneumatiska anstaltcns verksamhct i Stockholm under
aren 1863 och 1864. — Stockholm, 1865.
Freud, Vortrag über der pneumatisch Apparat, und seine Wirkung en im Wiener Doc-
toren colleg. — Zeitsch f. pract. Heilk., 1865.
Bertin (Emile). Analyse de trois brochures sur l'air comprimé. — Montpellier mé-
dical, 1866.
Kryszka, Der atmosphârisclie Druck. — Vocli. d. Zeitsch der K. K. Gcsellscb. der Aerzle
in Wien, 1866.
Pravaz fils, De V application de V air comprimé au traitement delà surdité catarrhale.
— Grenoble, 1866.
Brünniche, Berelning omA. Basmussens medico-pneumatiske Austalt i 1866. — Bi-
bliotek for Lager. Kjôbenhavn, 1867.
George v. Liebig, Der pneumatische Apparat zu Beichenhall und andere Forlschritte
des gen. Kurorts. — Bayer, arztl, Inlell. Blatt; 1867.
Id. Der pneumatisehc Apparat zu Beichenhall wàhrend der Saison von 1867. — Ibid.,
1868.
Sandahl, Des bains d'air comprimé. Court aperçu de leurs effets physiologiques et
thérapeutiques, — Stockholm, 1867.
Boussaux, De V aèrothérapie. — Thèse de Paris, 1868.
Levinstein, Zur Casuistik der Anwendung der verdicliteten Luft bel Lungenkrankcn.
— Kisch's Bain. Zeitung ; 1868, Bd. II.
Gent, Emploi thérapeutique de l'air comprimé. — Bull. Acad, de Méd. 20 nov.
1869.
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upon diseased organs of respiration. — New-York Med. Gaz., février 1871.
G. v. Liebig, Die Wirkung der erhôrten Luftdrucks der pneumatischen Kammen auf
der Menschen. — Deutsche Klinik, 1872, n° 21 et 22.
Id., Ueber Blutcirculation in den Lungen und ihre Beziehungen zum Luftdruck. -
Arch. f. klin. Med.., juin 1872.
Runge, Zur Théorie der Wirkung der comprimirten Luft auf den Organismus. — ■
Wien. allg. med. Zeit.; Wien, 1868, nos 12 et 13.
Pundschu, Ueber den pneumatisch. Apparat als Kurmittel fur Brustkranke. — Wien .
med. Press.; n09 48 et 49. Wien, 1868.
Franchet, Du bain d'air comprimé. — Thèses de Paris, 1873.
Féréol, Applications thérapeutiques de l'air comprimé . — Gaz. méd., 1875, p. 238.
432
HISTORIQUE.
par les physiologistes et les médecins, je crois devoir rapporter,
d’après Jæger1, le récit d’une catastrophe qui fit grand bruit en
son temps, et dons laquelle ouvriers et médecins prétendirent
que l’air comprimé avait contribué à augmenter les souffrances
des victimes, ce qui, à mes yeux, n’est, rien moins que dé-
montré.
Les 28 février 1812, à i l heures du matin, une fosse de la mine
à charbon de Beaujeu, près Leodium, fut envahie par les eaux ;
127 ouvriers se trouvaient à 270m de profondeur. 90 d’entre eux
furent bloqués au fond d’une galerie, dans de l’air comprimé « ca-
pable de soutenir l’eau à 64 pieds dans un tube métallique, et
dont la densité était par conséquent double de celle de l’atmo-
sphère ». Ils restèrent 7 jours dans celte position critique; 70 seu-
lement survécurent :
Comme il était impossible à ces malheureux de communiquer avec le reste de
la fosse, ils restèrent confinés dans un étroit espace, privés d’air et de toutes
choses. Mais leur chef Coftîn et son fils montrèrent un courage héroïque . . .
Un ne parvint à eux que le septième jour. Ainsi, pendant sept jours et autant
de nuits, ils furent privés de lumière et de nourriture, et épuisés par un
travail continuel. Il souf frirent incroyablement de la faim et de la soif ; la respi-
ration était difficile, et les chandelles, par le manque d’air, s’éteignaient. Ils res-
sentaient une ardeur suffocante, la peau était sèche et brûlante. Us assurèrent que
la pression énorme de l'air leur était fort pénible Quelques-uns devinrent fous,
et les autres devaient les secourir et se protéger contre eux
Dans mon opinion, la densité étonnante de l’air fut la cause de ces phénomènes.
Il n’est pas douteux que l’air n'ait produit plus de chaleur par sa condensation,
car, on le sait, celle-ci peut arriver à produire du feu Il arrive ainsi que les
processus de combustion se sont tellement accélérés dans les poumons, que la
sensation de chaleur peut s'expliquer (p. 98).
La première publication relative aux symptômes éprouvés parles
hommes placés dans l’air comprimé est due à M. Junod2. Il rend
compte de ses observations dans les termes suivants :
Lorsqu’on augmente de moitié la pression naturelle de l'atmosphère sur le
corps de l’homme placé dans le récipient, voici ce que l’on observe :
1° La membrane du tympan refoulée vers l’oreille interne devient le siège
d’une pression assez incommode. Toutefois, elle se dissipe à mesure que l’équi-
libre se rétablit.
2° Le jeu de la respiration se fait avec une facilité nouvelle, la capacité des
poumons pour l’air semble augmenter, les aspirations sont grandes et moins fré-
quentes ; au bout de 15 minutes, on éprouve à l’intérieur du thorax une chaleur
ayréable, on dirait que les aréoles pulmonaires, qui depuis longtemps étaient
1 Tractalus physico-mecUcus de almosphera et acre atmospherico . — Cologne, 1810.
2 Loc. cit. : Arch. *;én. de Méd.; 2e série, t. IX, p. 157-172, 1855.
455
FAIBLES PRESSIONS : APPAREILS MÉDICAUX.
devenues étrangères au contact de l’air, se dilatent de nouveau pour le 'rece-
voir, et toute l’économie puise dans chaque inspiration un surcroît de vie et de
force.
5° L’augmentation de la densité de l’air paraît modifier la circulation d’une
manière notable, le pouls a une tendance à la fréquence: il est plein et se dé-
prime difficilement; le calibre des vaisseaux veineux superficiels diminue et peut
même s’effacer complètement; de sorte que le sang, dans son retour vers le
cœur, suit la direction des veines profondes, Si le calibre des vaisseaux superfi-
ciels augmente ou diminue en raison de la tension du ressort atmosphérique,
il doit en être de même dans les organes pulmonaires qui sont placés à cet égard
dans les mêmes circonstances ; d’où il doit nécessairement résulter que, la pres-
sion de l’air étant augmentée, la quantité de sang veineux contenu dans les pou-
mons doit diminuer; c’est là sans doute ce qui permet d’introduire à chaque
inspiration une quantité d’air beaucoup plus considérable qu’à la pression nor-
male de l’atmosphère.
Si la densité croissante de l'air diminue le calibre des vaisseaux veineux, il
doit nécessairement en résulter que le sang se portera en plus grande quantité
dans le système artériel, ainsi que vers les principaux centres nerveux, notamment
dans le cerveau, lequel est soustrait à la pression directe de l’atmosphère par la
résistance de la boîte osseuse qui l’enveloppe. Ainsi les fonctions de l’encéphale
sont activées, l’imagination est vive, les pensées s’accompagnent d’un charme
particulier, et chez quelques personnes il se manifeste des symptômes d’ivresse.
Ce surcroît d’innervation agit également sur le système musculaire, les mouve-
ments sont plus faciles et plus assurés.
4° Les fonctions du tube digestif sont activées : la soif est nulle;
5° Les glandes salivaires et rénales sécrètent leurs fluides avec abondance
(p. 159).
Le rapport que fit Magendie sur le travail de M. Junod, rapport
dont nous avons cité plus haut (p. 240) ce qui a trait à l'influence
de la diminution atmosphérique, ne dit rien de nouveau sur le su-
jet, ni au point de vue symptomatique, ni au point de vue théori-
que.
C’est en 1858 seulement que Tabarié1 donna de la publicité à ses
recherches, qui, dit-il alors, remontaient cependant à une époque
déjà très-reculée.
Sa noie montre qu’il s’était proposé une série de problèmes très-
complexes, puisque les procédés qu’il avait mis en usage compre-
naient :
1° La condensation générale de l’air sur toute l’économie;
2° La condensation locale sur les membres ;
5* La raréfaction locale sur les membres ;
4° La condensation et la raréfaction alternatives et locales ou ondulation sur les
membres ;
5° La raréfaction sur toute l’habitude du corps sauf la tète;
1 Recherches sur les effets des variations dans la pression atmosphérique à la sur-
face du corps. — Cpt. R. Acad, des Sciences, t. VI, p. 89ü ; 1858.
28
HISTORIQUE.
434
(3° Le jeu des condensations et des raréfactions alternatives sur toute l’habi-
tude du corps sauf la bouche, d’où résulte une respiration artificielle et complète
contre l’asphyxie.
Le reste de sa note ne contient qu’un très-court résumé des
applications laites de ces diverses méthodes. On n’y trouve rien de
net, ni au point de vue des phénomènes physiologiques, ni sur les
idées théoriques qu’il se faisait du mode d’action de l’air com-
primé.
Mais dans un travail postérieur1 il se montre un peu plus explicite
quant à la description des phénomènes.
L’influence de l’air condensé, dit-il, est signalé par deux princi-
paux traits :
1° L’air condensé réagit sur la circulation en la ralentissant ; et en même temps
qu’il diminue le nombre des battements du cœur, il en régularise le rhythme.
Ces phénomènes, qui sont peu sensibles dans un état normal de santé et sous
l’action d’expériences brèves ou imparfaites, deviennent très-marqués dans le
cas de maladies inflammatoires ou fébriles, lorsque toutefois les conditions expé-
rimentales sont convenablement remplies et suffisamment soutenues ....
2» L’air condensé n’infiuence pas la calorification générale comme le ferait un
air plus riche en oxygène ; car bien loin d’exalter cette fonction, ainsi qu’on s’est
plu à l’imaginer par analogie, il la modère et, dans certains cas, il va même jus-
qu'à l’affaiblir.
Ce fait, que j’annonçais en 1858, avec quelque timidité, s’est manifesté depuis
lors avec une nouvelle évidence. Non-seulement l’usage du bain d’air comprimé
ne développe aucune chaleur insolite à l'intérieur du thorax, mais, au contraire,
il incline à produire une sensation générale de froid, alors même que la tempéra»
ture des appareils est supérieure à celle qui règne au dehors; et chez quelques
sujets où ce sentiment de réfrigération est plus marqué, on observe qu’il s’accroît
avec la durée et l’élévation du degré des bains.
On obtient de meilleurs résultats à des pressions médiocres (2/5 d’atm.) qu'à
des degrés plus élevés (2/5 d’atm.).
Du reste, la note de Tabarié ne contient aucune explication théo-
rique.
Les prëmières tenlatives de Pravaz pour appliquer les bains d’air
comprimé à la thérapeutique remontent à 185b. 11 commença à
publier en 1857 2 3 le résultat de ses observations. 11 a résumé dans
le travail que nous prenons pour guide5 ses notes et mémoires anté-^
rieurs.
Son appareil mesurait 9mc. La pression employée était générale-
1 Sur l'action thérapeutique de éair comprimé. — Cpt. R. Acad, des Se., t. XI, p. 26;
1840.
2 Voir la note de la page 450.
3 Essai sur l'emploi médical de l'air comprimé. — Lyon-Paris, 1850,
FAIBLES PRESSIONS : APPAREILS MÉDICAUX.
455
ment de 30 à 55e. Pravaz décrit ainsi les phénomènes présentés par
les sujets de ses expériences :
Chez la plupart des sujets d’une Lionne constitution et dans l’état de santé,
la circulation artérielle n’éprouve pas de modifications considérables, sans
doute parce que la respiration qui suffisait à l’hématose sous la pression ordi-
naire conserve à peu près le même rhythme dans l’air condensé; mais il n’en
est pas de même lorsqu’il y a accélération morbide du pouls ; on le voit alors
s’abaisser beaucoup, sauf dans quelques cas exceptionnels qui seront exposés plus
tard.
L’injection des capillaires de la peau et des membranes muqueuses est évidem-
ment diminuée par l’accroissement de pression exercée sur la périphérie du
corps. Cet effet devient très-apparent sur la surface des vésicatoires et de la con-
jonctive, lorsque celle-ci est rouge et enflammée.
L’excitation des organes digestifs, notée par M\I. Colladon et Junod, ne se borne
pas toujours à produire une simple augmentation de l’appétit; quelquefois cette
excitation arrive, après un certain temps, au point de déterminer une véritable
boulimie, qui oblige de suspendre ou de rendre moins fréquent l’usage du bain
d’air comprimé.
Parmi les sécrétions dont l’accroissement a été mentionné par les auteurs que
je viens de citer, celle de l’urine éprouve, pour la quantité et la nature, des chan-
gements qui m’ont paru les plus remarquables; et cela doit résulter rationnelle-
ment de la plus grande activité imprimée à la métamorphose des tissus par une
absorption plus grande d’oxygène.
Le sentiment d’une respiration plus facile, plus large, n’est pas éprouvé au
même degré par tous les sujets qui sont placés dans l’air comprimé. Ceux qui res-
pirent habituellement avec ampleur s’en aperçoivent à peine, mais il n’est pas de
même des malades ou des valétudinaires atteints'de dyspnée plus ou moins pro-
noncée, soit par une affection des organes thoraciques, soit par un état de plé-
thore veineuse; ils éprouvent en général une sensation de bien-être extraordinaire
qui leur persuaderait qu’ils sont guéris, si elle se prolongeait hors du bain.
(P. 112.)
Un autre médecin de Lyon, Milüet1, qui avait fondé l’établisse-
ment de Nice, a publié quelques années après des observations qui
concordent en partie avec celles de Pravaz :
Un des phénomènes les plus remarquables produits par l’augmentation de la
pression de l’air respiré, c’est le notable ralentissement imprimé à la circulation
chez la plupart des sujets. Le rhythme circulatoire s’abaisse de 10, 15 et
même de 45 pulsations.*... Chez une femme âgée de 74 ans, souffrante d’une
affection catarrhale subaiguë, le pouls qui s’était élevé à 120 pulsations, tomba
à 60 et s’y maintint. (P. 15*)
Dans l’air condensé, les mouvements d’inspiration se ralentissent; ils se répè-
tent avec moins de fréquence dans un même espace de tempsdonné pour effec-
tuer régulièrement F alimentation pulmonaire. (P. 15.)
Cependant la nouvelle méthode de (railcment avait fait des pro-
1 De l’air comprimé comme agent thérapeutique. — Lyon, 1851.
436
HISTORIQUE.
grès; des appareils avaient été installés à Stockholm, par le DrSan-
dahl 1 qui, dès 1862, signalait les phénomènes physiologiques
qu’il avait observés.
Après l’indication, Eétude détaillée et l’explication des douleurs
d’oreilles habituelles, Sandahl arrive aux phénomènes respiratoi-
res et circulatoires :
Dans 1454 observations, portant sur 75 personnes, les mouvements respiratoires
ont été ralentis dans 1562 cas, comprenant 64 personnes; chez 11 personnes seu-
lement, qui ont pris en tout 102 bains, la respiration a été plus rapide qu’au-
paravant. ............
En général, on trouve que la diminution du nombre des mouvements respira-
toires non-seulement arrive pendant le bain, mais dure après le bain ....
Les battements du cœur deviennent également plus lents Ainsi le pouls,
dans le bain où l’air était comprimé d’une demi-atmosphère, a diminué en
moyenne de 9,94 battements.
Des observations semblables étaient faites à Nice. Tutschek2 dé-
clare que l’effet de l’air comprimé se manifeste par:
1° Agrandissement des cellules pulmonaires; 2° diminution du nombre des res-
pirations ; 5° ralentissement de la circulation artérielle; 4° accélération de la
circulation veineuse et capillaire ; 5° excitation des dépenses organiques et de
l’assimilation, se manifestant par une excrétion plus considérable de l’acide car-
bonique et de l’urée, et par une faim allant jusqu’à la gloutonnerie; 6° excitation
plus grande du système nerveux par un sang plus riche en oxygène, se manifes-
tant par l’activité d’esprit et une sensation de légèreté des mouvements.
Il ne dit pas la pression employée. Tout fait penser, du reste,
que ce résumé symptomatique est simplement emprunté aux au-
teurs antérieurs; Tutschek n’a fait d’observation que sur 5 person-
nes saines ei 6 malades. Chez les premières, le nombre des respi-
rations diminuait de 5 à 5 et celui des pulsations de 0 à 10 ; les
changements étaient plus grands chez les malades.
En Allemagne, le Dr G. Lange, médecin des eaux de Johannis-
berg, avait installé dans cet établissement un appareil à air com-
primé. Il y fit, en commun avec Rudolph von Yivenot, de nombreu-
ses observations dont nous allons parler, et publia sur les résultats
de sa pratique un mémoire que traduisit en français M. Thierry-
1 Om verhningcirne af fortâtad luft pae den menskliga organismen , i fgsiologiskt och
terapcutiskt hânseende. — Medicinskt Archiv utgivet af Larare vid Carolinska Institut
et in Stockholm. Bdl. Hit I; p. 1-205; 1862. N'ayant pas pu me procurer le mémoire
original, je cite d’après l’analyse étendue qu’en donne Von der Busch dans le Schmidt' s
Jahrbucher der Gesammten Medicin , t. CXX, p. 172-180; 1865.
- Die comprimirte Luft als Heilmiltcl. — Acrztl. Intcll. Bl. 18,19.— Ext. in Canstatt’s
Jahr., 1863; t. Y, p. 135.
FAIBLES PRESSIONS : APPAREILS MEDICAUX.
457
Mieg. Les extraits intéressants de ce mémoire seront mieux à leur
place au chapitre consacré à l’étude des explications théoriques.
Je citerai seulement ici le résumé qu’il donne des phénomènes
observés sur les personnes soumises à l’action de l’air comprimé :
Ralentissement delà respiration et de la circulation; très-probablement, absorp-
tion plus considérable d’oxygène par la peau et les poumons ; augmentation de
l’exhalation d’acide carbonique : diminution de la transpiration cutanée et de
l’exhalation pulmonaire; augmentation de la sécrétion urinaire, qui élimine plus
d’acide urique et moins de phosphates ; amélioration de l’hématose et de la nutri-
tion ; augmentation de l’énergie de l’appareil musculaire et de la capacité vitale
des poumons. (P. 35.)
C’est en 1860 que von Vivenot commença la série de ses publica-
tions sur Faction physiologique et thérapeutique de l’air comprimé.
Ses notes et mémoires nombreux1 le conduisirent à la rédaction
d’un ouvrage considérable2, qui parut en 1868; c’est, de beaucoup,
le travail le plus important qui ait été publié sur ce sujet.
La plus grande partie de ses recherches furent faites à l’établis-
sement des bains de Johannisberg. L’altitude étant assez grande, la
pression barométrique moyenne n’était que de 741mm,l 7 ; la compres-
sion employée s’élevant à 518mm,07, on avait, pour la pression totale,
1060mm,24. On atteignait dans l’appareil cette pression en 20 minu-
1 Ueber den Einfluss der verànderten Luftdruckes 'auf dm menschlichen Organismus.
— Virchow' s Archiv fur pathol. Anat. and Physiol. und Klin. Med ic in, Bd xix. — Berlin,
1860, p. 492-521.
Ueber die therap. Anwendung der verdichteten Luft, und die Errichtung eines Lufl
Compressions Apparates in Wien. — Wochenblatt der Zeits. der K. K. Gesellschaft
der Aerzte zu Wien. N03 des 9, 16 et 25 juillet 1862.
Ueber die Aufstellung eines pneumatischen Apparates in Wien. — Allgemeine Wiener
Medic. Zeit. — N03 du 15 et 10 Février 1865.
Ueber der Einfluss der verstcirkten und verminderten Luftdruckes auf der Mecha-
nismus und Chemismus der Respiration. — Medic. Jahrb. der Zeitsch. der K. K. Gesell-
schaft der Aerzte zu Wien. — Mai 1865. Traduit en partie par Thierry-Mieg; Gaz. Med.
de Paris, 1868.
Ueber die Zunahme der Lungen capacitüt bei thercipeutischer Anwendung der verdi-
chteten Luft. — Virchow' s Archiv. Bd. XXXIII; Berlin, 1865, pag. 126-144.
Ueber die Veranderungen im arteriellen Stromgebiete untér den Einfluss des ver-
stàrkten Luftdruckes. — Virchovs Archiv. Bd. XXXIV; Berlin, 1865; p. 515-591. Tra-
duit par Lorain; Le Pouls, Paris, 1870.
Ueber die Veranderungen der Kôrperw arme unler den Einflussc der ver star kten Luft-
druckes. — Medicinische Jahrb. der Zeitsch .. der K. K. Gesellsch. der Aerzte zu Wien.
— Février, 1866.
Ueber Luftdruckcuren. — Der Cur salon. Wien; 1867, n03 6 et 7.
Beitràge zur pneumatischen Respirationstherapie ; Allqem. Wien. med. Zeitunq. —
Wien, 1868.
Zur Kenntniss der physiologischen Wirkungen und der therapeutischen Anwendung
der verdichteten Luft. — Erlangen, 1868 ;gd. in-8û de xn-626 pages.
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HISTORIQUE.
tes ; elle y restait permanente pendant 1 heure; 40 minutes étaient
employées pour revenir à la pression normale.
Respiration. — Le plus important des mémoires de Vivenot est
celui qu’il a consacré à l’étude des modifications des actes mécani-
ques et chimiques de la respiration. Comme il n’y a ajouté, dans son
grand ouvrage, que des détails d’observation d’un médiocre intérêt,
je ne puis mieux faire que de reproduire les principaux passages
du travail primitif, publié en 1865; c’est en quelque sorte une
analyse de Yivenot par Vivenot lui-même.
Nous nous bornerons cependant ici à rapporter les observations
relatives aux changements du rhythme respiratoire et de la capacité
pulmonaire ; la partie chimique, étant beaucoup plus intimement
liée aux questions de théorie, sera mieux à sa place dans le chapitre
suivant :
Si l’on examine un individu d’abord sous la pression normale, puis sous l’air
comprimé , on peut constater par la percussion , Y auscultation et la palpation des
changements de grandeur et de situation de divers organes , correspondant aux
nouvelles conditions dépréssion. A-t-on marqué, sous la pression normale, la po-
sition du diaphragme et la limite supérieure du foie correspondantes à une inspi-
ration et à une expiration aussi profondes que possible, ainsi que les limites de la
matité du cœur, on trouve que , dans les deux cas, sous l’air comprimé , le dia-
phragme et le foie sont situés plus bas ; l’abaissement est de 1 1/2 à 2 centimè-
tres sous une augmentation de pression de 5/7 d’atmosphère ; la matité du cœur
est devenue moins étendue et a pris une autre forme (celle d’une faucille dont la
convexité est tournée vers le sternum). En même temps l’impulsion cardiaque
semble au doigt qui palpe moins vigoureuse, et l’oreille qui ausculte perçoit les
bruits du cœur plus faibles, comme s’ils étaient plus éloignés. 11 se produit quel-
quefois dans l’air comprimé une dilatation mécanique des poumons, à la suite de
laquelle le dinphragme et le foie sont repoussés en bas, pendant que le lobe anté-
rieur du poumon gauche vient se placer par-dessus la moitié correspondante du
cœur. C’est pour cette raison que la matité du cœur diminue, que la forme en
est changée, et que l'impulsion et les bruits du même organe paraissent affaiblis.
L augmentation cle capacité (les poumons , démontrée par ces faits, se démontre
encore d’une autre manière. Ainsi, dans l’air comprimé, le spiromètre permet de
constater une augmentation assez notable de la capacité respiratoire. La moyenne
d’un grand nombre d’expériences, faites pendant un séjour d’une heure et demie
sous la pression de 1 3/7 d’atmosphère , a donné chez moi une augmentation de
108,07 centimètres cubes, chez le docteur G. Lange 155,3, chez le docteur Mit—
termaier (après une seule expérience) 121,0 et chez M. H.. ..y 99,2CC. Or, ma capa-
cité pulmonaire étant en moyenne 3425cc, celle du docteur Lange 3950cc, celle
du docteur Mittermaier 4159‘c et celle deM. H y 2910cc, il s’ensuit que l’aug-
mentation de la capacité des poumons a été, chez moi, de 1/51,7, chez le docteur
Lange de 1/29,7, chez le docteur Mittermaier de 1/55,4 et chez M. IL. ..y
de 1/29,5.
On voit que ces résultats ne diffèrent pas sensiblement les uns des autres et
ils indiquent une moyenne (V augmentation de la capacité pulmonaire égale à 1/51,5
du volume des poumons soit 5,5 pour cent. Comme maximum de cette augmenta-
FAIBLES PRESSIONS : APPAREILS MÉDICAUX. 430
tion, j’ai obtenu chez moi 254°% chez le docteur Lange 200", chez M. H. ...y
225'% chez M. R.270cc et même 500; 686 chez un emphysémateux, M. G., dont
la capacité respiratoire moyenne était de 2268°% c’est-à-dire environ 2/9 à 2/7 de
la capacité respiratoire totale.
L’effet obtenu est, comme on le voit, doublé : d’une part, nous avons sous
e même volume plus d’air atmosphérique, et d’autre part, nos poumons agrandis
sont capables de recevoir un plus grand volume de cet air condensé. Si donc
ma capacité respiratoire moyenne est de 5425cc sous la pression normale , le
même volume d’air comprimé à 1 atm, 57 représenterait à lui seul 4893"
d’air normal. Et comme, sous une pression augmentée, mes poumons inspirent en
moyenne 108C%1 de plus, ce qui équivaut à 154c%5 d’air normal, que j’inspire,
donc 5425-j-108",l = 5555", 1 d’air comprimé, il en résulte que le volume
d’air introduit par la plus forte inspiration sous l’influence de la compression
équivaut à 5047c%5 d’air à la pression normale
L’expérience a prouvé qu’après un séjour de 2 heures dans l’air comprimé , la
capacité pulmonaire, même sous la pression normale, ne revient pas à son voiume
primitif, mais conserve un agrandissement qui, chez moi, s’élevait en moyenne à
50", 53, au maximum, à 185°% chez M.H...y en moyenne à 57c%6, au maximum à
124cc. Elle a donné ensuite ce résultat intéressant, étonnant, que l'effet consé-
cutif n est pas un effet passager, mais qu'il est en partie permanent , de sorte qu’à
la faveur de l’emploi de l’air comprimé pendant 2 heures tous les jours, on entre
sous l’appareil pneumatique avec une capacité pulmonaire qui, en négligeant na-
turellement les variations physiologiques, dépasse tous les jours de 20 à 30" ce
qu’elle était la veille. C’est ainsi que du 50 avril jusqu’au 19 septembre inclusive-
ment, c’est-à-dire dans l’espace de 145 jours, après 122 bains d’air comprimé pris
pendant ce temps, ma capacité pulmonaire sous la pression normale était montée
successivement de 5051 à 5794" (sous l’air comprimé même jusqu’à 5981"),
hauteur qu’elle avait déjà atteinte le 12 août après 91 bains d’air, et à laquelle
elle s’est ensuite maintenue d’une façon presque constante. La capacité vitale des
poumons avait donc éprouvé chez moi dans l'espace de trois mois et demi une aug-
mentation progressive de 745", c'est-à-dire de près du quart de sa grandeur primi-
tive (de 24 pour cent). Un résultat semblable a été observé chez d’autres personnes.
Chez M. H.... y, la capacité respiratoire était montée après 11 jours d’emploi de
l’air comprimé de 2900" à 5085" ; chez M. de K., en 4 jours, de 3252" à 3664" ;
chez M. G., emphysémateux, en 17 jours, de 2202" à 2550"; la capacité respi-
ratoire de ce dernier avait même atteint dans l’air comprimé 2836".
Une suspension, même de plusieurs jours, ne laissait pas apercevoir d’effet
rétrograde, et, trois semaines après mon dernier séjour dan* ?n comprimé,
le spiromètre démontra que ma capacité respiratoire s’était maïnienue a 5800".
De même aussi, la percussion permit de constater après 5 semaines , ce qui
fut fait par le professeur IJuchek, que le refoulement de haut en bas du dia-
phragme et du foie, de 2 centimètres, et la diminution de la matité du cœur,,
caractères dont il a été question plus haut, se maintenaient.
Il est bien évident que de pareils changements dans la capacité
pulmonaire ne peuvent être sans influence sur l’ensemble des fonc-
tions respiratoires, et notamment sur le nombre, la profondeur et
le rhythme des respirations.
Le nombre d’abord :
4,0
HISTORIQUE.
Déjà , dans mes premières expériences publiées il y a plusieurs années , j’avais
trouvé le nombre des inspirations diminué ; ma longue série actuelle d’expériences
a confirmé ce résultat, comme étant, on peut presque dire, constant. La diminu-
tion du nombre des inspirations varie selon les individualités. Elle est, en moyenne,
d’autant plus grande que le nombre des respirations est lui-même plus considé-
rable ; elle est en général de'5, 2, 1 à 1/2 respirations par minute. Comme maxi-
mum, j’ai constaté chez 2 emphysémateux, dont les inspirations s’élevaient à 55
par minute, une diminution qui était respectivement de 16 et de 11 inspirations.
Au retour sous la pression normale , le nombre des inspirations augmente de nou-
veau un peu, mais sans atteindre son chiffre primitif. En cela également, l’effet, de
l’air comprimé n’est pas seulement passager, mais il a quelque chose de permanent.
Cela est d’autant plus évident que l’on considère la fréquence de la respiration
dans une plus longue série d’observation. On constate alors que la respiration est
toujours moins fréquente le lendemain que la veille. Comme elle éprouve une nou-
velle diminution par l’effet de chaque nouvelle séance sous l’air comprimé, il en
résulte ce fait certain et constant que l'usaqe continu de l'air comprimé fait diminua
journellement, jusqu à une certaine limite, la fréquence des mouvements respiratoires.
Ma propre respiration , après trois mois d’usage journalier de l’air comprimé
pendant 2 heures par jour, était tombée, de 20-1 6 par minute, à 4, 5 sous la
pression normale et même à 5, 4 dans l’air comprimé.
Arrivée à ce degré de ralentissement , elle resta stationnaire pendant les expé-
riences subséquentes (se ralentissant toujours un peu sous l’influence de la pres-
sion) et maintenant encore , au moment où j’écris ces lignes , bien que 5 mois se
soient écoulés depuis lors, ma respiration ne dépasse pas le chiffre remarquable
de 5,4 inspirations par minute. Le même résultat, moins éclatant, parce que la
série des expériences a été plus courte, fut constaté par les observations faites sur
d’autres personnes. Chez M. II. ...y, le nombre des inspirations était descendu en
12 jours de 21 successivement à 16 et dans l’air comprimé jusqu’à 15 par minute.
Chez le docteur Lange, après 4 séances prises en 11 jours (nonobstant des inter-
ruptions de plusieurs jours) de 19 à 16, et sous l’air comprimé de 14 à 6 ; chez
M. G., emphysémateux, après 14 séances prises en 19 jours, de 20,5 à 15,5 ; chez
le docteur D., également emphysémateux, de 55, le second jour déjà, à 18, en
5 jours à 10,4.
C’est pendant les premiers jours que la fréquence respiratoire diminue de la
façon la plus remarquable et la plus prompte ; plus tard, la diminution devient
plus lente et les différences moins considérables.
Si nous comparons le résultat obtenu, quant à la fréquence de la respiration
avec celui que nous donne la spirométrie, il sera difficde de ne pas remarquer
qu’il y a entre les deux une relation motivée, que la fréquence des inspirations est
en raison inverse de leur amplitude, de sorte qu’à mesure que cette amplitude, aug-
mente, la fréquence de la respiration diminue. L’augmentation de la capacité des
poumons, sous l’influence de l’air comprimé, est la cause du ralentissement de la
respiration ; ou, en d’autres termes , le ralentissement de la respiration est une
conséquence nécessaire de l’augmentation de la capacité pulmonaire, puisque l’ins-
piration et l’expiration d’un volume d’air plus considérable demandent nécessaire-
ment plus de temps.
Puis, la profondeur :
On pouvait concevoir trois modes différents comme possibles. Ainsi, il pouvait
s’établir entre la fréquence et la profondeur des inspirations une compensation,
FAIBLES PRESSIONS : APPAREILS MÉDICAUX.
441
par le fait que l’amplitude de la respiration pouvait être moindre que sous la
pression normale, puisqu’il entre une quantité plus considérable d’air sous le
même volume, et la fréquence de la respiration pouvait néanmoins être réduite
aussi; ou bien, en second lieu, la compensation pouvait s’établir, par les mêmes
causes, avec des inspirations moins nombreuses, mais conservant la même am-
plitude. Enfin, en troisième lieu, il pouvait y avoir, nonobstant l’apport d’une
quantité d’air plus considérable, comme conséquence de la compression, un ra-
lentissement et une augmentation de profondeur des inspirations. C’est cette der-
nière condition qui paraissait à priori la plus vraisemblable si l’on tenait compte
de l’augmentation d’amplitude de la respiration, telle que nous l’avions constatée,
et elle devait se réaliser surtout chez les personnes dont la capacité pulmonaire
avait été pathologiquement diminuée.
Pour éclaircir ces difficultés, j’employai un appareil construit tout exprès, qui
pouvait être fixé autour du thorax, et en suivait les mouvements d’inspiration et
d’expiration, l’augmentation de la circonférence du thorax étant indiquée en mil-
limètres par l’écartement de deux aiguilles mobiles. Cette augmentation plus ou
moins considérable de la circonférence thoracique servait à mesurer la profon-
deur plus ou moins grande des inspirations. Dans chacune des trente-neuf expé-
riences faites avec ce thoracomètre, la profondeur et le nombre des inspirations
furent notés pendant quinze minutes consécutives, temps suffisant pour que
l’influence de la volonté ou d’une petite erreur d’observation pût être négli-
gée. Les expériences étaient toujours faites comparativement dans l’air atmo-
sphérique et dans l’air comprimé ; et comme la fréquence de mes inspirations
était alors de 7,G7 à 4,40 par minute, il fallait de cent quinze à soixante-six ob-
servations dans chaque expérience, faisant un total d’environ trois mille nombres
concernant la mobilité du thorax.
La mensuration faite, comme il a été dit ci-dessus, permet de constater que
chez moi, le premier jour d’expérience, l’expansion thoracique, c’est-à-dire l’aug-
mentation de la circonférence thoracique produite par une inspiration ordinaire
était, sous la pression normale de 12°39mm, au commencement de la pression
maximum 15,68; après une heure de cette même pression 17,22; et au retour,
sous la pression normale 18,14, tandis que la fréquence des inspirations avait été
en diminuant de 7,67 à 6,07, 5,80, et jusqu’à 5,60; il s’était donc produit sous
l’influence de l’air comprimé une diminution progressive de la fréquence en même
temps qu’une augmentation progressive de la profondeur des inspirations, laquelle
continuait même au retour de la pression ordinaire. Le lendemain, l’expansion
thoracique sous la pression normale était de 14,92 ; Je troisième jour, de 17,84 ;
le cinquième jour, de 18,98; quinze jours plus tard elle était montée à 21,86,
pendant que le nombre des inspirations sous la pression atmosphérique était des-
cendue respectivement de 7,67 à 7,07 ; 6,40; 6,53; 5,00 par minute, et que la
capacité respiratoire s’était au contraire élevée de 5550cu à 3400, 3474, 3498,
5644.
Les expériences faites sur MM. de K... et le docteur M... donnèrent le même
résultat. Chez ce dernier, la fréquence des inspirations était tombée pendant
une seule expérience dans l’air comprimé de 7,6 à 6,5 par minute, tandis que son
expansion thoracique était montée de 19,28 à 25,02mm, et sa capacité respiratoire
était également montée de 4159 à 4280cc. Ce résultat prouve que sous l'influence
de l'air comprimé la profondeur des inspirations ainsi que la capacité des poumons
augmentent, tandis que, dans un rapport inverse , la fréquence des inspirations di-
minue.
L’ expansibilité du thorax, telle qu’elle a été examinée jusqu’ici, n’est que celle
442
HISTORIQUE.
qui correspond à line inspiration ordinaire, non modifiée par la volonté, et telle
qu’elle se produit comme effet de l'influence prolongée de l'air comprimé.
Toutefois, les modifications déjà signalées faisaient, prévoir aussi un changement
dans les conditions des inspirations volontaires, changement à constater par l’aug-
mentation de la circonférence totale et de l’expansion volontaire du thorax avant
et après faction prolongée de l’air comprimé. Si la capacité des poumons avait
réellement augmenté, les dernières mensurations devaient indiquer une augmen-
tation dans la circonférence du thorax, non-seulement lors des plus grandes expi-
rations, mais aussi lors des inspirations les plus profondes; et si par un séjour
prolongé dans l’air comprimé on avait acquis la facililé d’une respiration habi-
tuellement plus vigoureuse, l’expansibilité maximum du thorax devait aussi avoir
augmenté. Ce résultat aussi est constaté par des chiffres. Ma circonférence thora-
cique ayant été, le 50 avril, après la plus profonde inspiration, de 85 centimètres,
était le 1er septembre de 80,5 ; et après la plus forte expiration, elle était le
50 avril de 77e, et le 1er septembre, de 78e; de sorte que mon expansion pul-
monaire était, le 50 avril, de 8 eentimètres, le 1er septembre de 8°, 5.
L 'augmentation générale de la capacité des poumons , telle qu’elle a été constatée
par le spiromètre et l'augmentation du diamètre vertical des poumons, telle que la
percussion a permis de la déterminer, reçoivent un complément de démonstration
par V augmentation de la circonférence thoracique.
Enfin, les rapports des temps respiratoires :
L 'inspiration se fait plus facilement, étant favorisée par l’augmentation de pres-
sion, par l’extensibilité du tissu pulmonaire et par la compressibilité des intes-
tins, tandis qu’il faut plus de force pour l’expiration afin de contracter les pou-
mons plus distendus et de chasser la quantité plus considérable d’air expiré.
C’est pourquoi Y expiration se fait avec plus de peine et plus lentement que dans
l’état normal. Pendant que sous la pression atmosphérique, la durée de l’inspira-
tion est à celle de l’expiration à peu près comme 4:5, ce rapport devient dans
l’air comprimé à peu près comme 4:6 4:7, même 4:8 et 4 : 11.
Cependant la résistance à l’expiration se trouve en partie compensée par la con-
traction plus puissante des muscles abdominaux que la compression soutient dans
leur action. Par l’effet de cette contraction, la première moitié de l’expiration se
fait vite et avec énergie; mais la seconde moitié se fait si lentement et d’une ma-
nière si peu perceptible qu’il en résulte une espèce de pause entre l’inspiration
et l’expiration. Cette pause qui doit en tous cas être ajoutée à l’expirationet dont
la durée a été, selon mes observations, de deux à six secondes, est d'autant plus
longue que les inspirations sont plus rares.
Yivenot a essayé d’exprimer ces diverses modifications durhythme
respiratoire par le graphique schématique suivant (fig. 9), que
j’emprunte à son grand ouvrage (p. 251), et dans lequel la ligne
pleine indique les respirations normales, et la ligne pointillée la
respiration sous l’air comprimé, le tout pendant cinquante et quel-
ques secondes.
Circulation. — Le mémoire publié par Yivenot en 1805 dans les
archives de Yircliow contient des indications détaillées sur les mo-
difications qu’a présentées son pouls sous l’influence de la com-
FAIBLES PRESSIONS : APPAREILS MÉDICAUX. 443
pression. Ces explications sont accompagnées de nombreux gra-
phiques obtenus à l’aide du sphygmographe de M. Marey ; je repro-
duirailes plus caractéristiques :
Un regard rapide, jeté sur les courbes exposées ci-après, montre que celles-ci,
sous l’influence d’un air comprimé subissent de remarquables modifications dans
leurs figures primitives; une attention plus profonde montre que toutes les par-
O 10 20 3 0 40 50
Fig. 9.
Lies de la courbe sont si essentiellement changées que leur analyse demande une
dissection pénétrante des segments isolés de la courbe.
Nous voyons que dans toutes les ondulations sans exception, sous l’action de
l’air comprimé, la hauteur de la courbe décroît. La ligne d’ascension, plus ou
moins abrupte primitivement, devient plus oblique; le sommet paraît plus ar-
rondi, et, par suite de l’amoindrissement de l’amplitude, la ligne de descente,
encore moins abrupte, à la fin s'infléchit en forme d’onde qui se transforme en
une droite plus ou moins convexe. Par suite de la diminution de la hauteur de
l’ondulation, Langle figuré par la rencontre de la ligne ascendante et de la ligne
descendante de la pulsation écrite et qui sous la pression atmosphérique normale
mesure environ 45° est notablement émoussé; comme aussi, par suite de la direc-
tion plus^ oblique de la ligne d’ascension, la pointe au sommet de la courbe se
prolonge plus en arrière... de sorte que la courbe dans son entier affecte la
forme d’un segment de sphère.
Les changements que nous venons de décrire sont proportionnels à la force de la
pression de Pair et à la durée du séjour dans l’air comprimé et par conséquent
d’autant plus marqués et plus intenses que la pression de l’air a été portée plus
1 Dans ces quatre figures la lettre a désigne le tracé sphygmograpliique obtenu sous la
pression normale; b est le tracé pendant que la pression augmente dans l’appareil ; c,
pendant le stade de compression constante; d, apres le retour de la pression normale.
Fig. 11, ai, est pris pendant que la pression augmente; ci} pendant qu’elle diminue.
444
HISTORIQUE.
haut, et le séjour dans l’appareil plus prolongé. Nous trouvons donc que les
signes produits après vingt minutes de pression maximum, c’est-à-dire
l’obliquité visiblement apparente de la ligne d’ascension, le rapetissement de
l’ondulation, l’aplatissement arrondi du sommet, et la transformation de la ligne
onduleuse de descente en une ligne droite ou en une simple ligne convexe pren-
nent après une heure et demie, c’est-à-dire après une heure d’exposition à la
pression maximum constante, un caractère encore plus accusé, si bien que le
tracé du pouls finit par ne plus présenter pour ainsi dire qu’une ligne droite.
Par le retour à la pression atmosphérique normale, immédiatement après la
séance, la courbe reprend son intégrité, ou ne revient que partiellement à
l’état primitif, ou, ce qui n’est pas rare, le changement, une fois commencé dans
l’apparence de fondée sanguine, subit un mouvement de descente. La figure 6
exprime toutes ces diverses phases.
Dans aucun cas, il ne m’est arrivé de trouver durable ce changement de la
courbe, mais cette action, d’accord avec les résultats obtenus par nous pour la
Fig. 12.
fréquence du pouls, se prolonge dans les cas favorables pendant un petit nombre
d’heures. La courbe d , de la figure ci-dessus fournit un exemple d’une courbe se
relevant et regagnant sa forme primitive non pas immédiatement, mais vingt mi-
nutes après le retour à la pression normale.
Pour établir la vérité de l’assertion que nous avons acceptée déjà, que la trace
restante après la séance d'une action sur le tracé s’éteint déjà après une durée
de plusieurs heures, on peut se servir de courbes obtenues sur moi-même le
2ti mai, jour où j’avais accompli deux séances d’expériences dans l’air comprimé.
Si nous comparons la courbe obtenue ce jour-là avant la première séance, à huit
heures du matin (fig. 12, a), avec la courbe correspondante de la deuxième séance,
FAIBLES PRESSIONS : APPAREILS MEDICAUX.
445
c’est-à-dire prise à deux heures et demie de l’après-midi (Fig. 15, a), on ne peut
reconnaître aucune différence essentielle entre ces deux tracés du pouls. 11 ne
reste plus de trace sensible après cet espace de quatre heures et demie de l’in-
fluence encore remarquable à dix heures sur la courbe b de la figure 7 ; à plus
forte raison ne faut-il pas chercher la persistance de cette action d’un jour sur
l’autre.
Maintenant, pour pouvoir saisir la valeur des différences trouvées jusqu’ici
nous devons nous représenter les divers éléments des courbes comme l’expres-
sion de ces changements.
Le choc à ligne ascendante qui coïncide avec la systole du cœur est produit
par l’ondée sanguine chassée en avant par la contraction du cœur, ondée qui,
tendant à fuir dans toutes les directions, va presser en partie le sang du courant
et exerce en partie une pression excentrique sur les parois des vaisseaux qu’elle
élargit. La partie ascendante de la courbe (ligne d’ascension) correspond donc à
la diastole artérielle. Plus l’écoulement du sang se fait facilement dans les capil-
laires, plus celui-ci est transporté vite dans les artères, et plus le cœur revient
facilement sur lui-même, puisque la pression du sang représentant la résistance
opposée à la systole du cœur en devient plus faible, il est connu que tout mus-
cle se contracte d’autant plus facilement et plus vite que l’exécution de ce mou-
vement demandejnoins de dépense de force. Par conséquent, en pareil cas, l’ex-
pansion artérielle se fera en d’autant moins de temps ; et si le temps à partir du
moment de la montée de la pression du sang jusqu’à son maximum d’élé-
vation est très-petit, cela trouvera son expression dans l’escarpement de la ligne
ascendante de la courbe; et même si la durée du temps est si courte qu’elle ne
peut être mesurée, alors la ligne d’ascension paraîtra complètement verticale,
comme c’est presque toujours le cas dans l’état normal.
Lorsque, au contraire, sur les tracés obtenues dans l’air comprimé, nous ob-
servons que la ligne d’ascension devient oblique, il en résulte pour nous que la
résistance qui s’oppose au flot sanguin poussé par la systole du cœur, a augmenté
en même temps que l’écoulement du sang est arrêté dans les capillaires; que
par suite la systole du cœur est moins rapide, que le flot sanguin arrive lente-
ment aux artères, et que par suite aussi la dilatation des artères ne se fait pas
brusquemeut, mais progressivement.
Le sommet de la courbe que nous ne voulons pas considérer comme un point
mathématique, mais comme la convergence des lignes ascendante et descen-
dante, nous montre le moment où l’artère, parvenue au maximum de sa dilata-
tion par le sang qui la distend, résiste en vertu de sa contractilité propre à la
pression du sang qui agit sur elle, et par son retrait imprime au sang une nou-
velle impulsion.
Maintenant la résistance que le flot sanguin éprouve dans les troncs artériels
éloignés du cœur, vient-elle à décroître un peu, alors l’écoulement du sang dans
446
HISTORIQUE.
le sens du courant, du cœur à la périphérie, devient facile et rapide, la pression
du sang dans les artères s’abaisse rapidement ; et celles-ci peuvent se resserrer
rapidement. Plus cette disposition est marquée, et plus aigu se montre le som-
met du tracé comme on peut le voir par exemple sur le pouls normal.
Le contraire a lieu dans l’air comprimé, et l’angle aigu primitif se change,
comme nous avons vu, en un angle plus ou moins émoussé, et même en cintre,
lequel cas a lieu, si par la notable obliquité de la ligne d’ascension, le point cul-
minant suivant la verticale en arrive à couper juste au milieu de la courbe.
Par conséquent l’augmentation de résistance exprimée déjà dans la partie
ascendante de la courbe, par son obliquité sous l’influence de l’air comprimé,
s’est communiquée ou transmise aussi au sommet de la courbe (p. 557-560). .
Le flot descendant de la courbe du pouls, qui correspond à la diastole du cœur,
nous montre la décroissance delà pression du sang dans les artères, coïncidant
avec la clôture des valvules semi-lunaires, et avec l’écoulement simultané des
grosses artères dans les capillaires, c’est-à-dire les artères sortant victorieuses
de leur combat contre la pression du sang, et grâce à leur élasticité, par la
transformation de leur force d’expansion en force vive, pouvant se rétracter
jusqu’à la limite minimum de leur calibre. L’apparence si différente de la ligne
de descente, suivant qu’elle s’infléchit, qu’elle devient rectiligne, ou oblique, ou
convexe, ou qu’elle tombe à pic, nous donne la mesure du plus ou moins de faci-
lité avec laquelle le cours du sang s’effectue dans les capillaires. Les tracés de
pouls obtenus à la pression atmosphérique normale, avant l’entrée dans l’air
comprimé (tracés 1— XVII de Vivenot) montrent ce caractère d’oscillation plus ou
moins accentué que le doigt ne ressent que dans les cas les plus prononcés e
qu’on appelle dicrolisme et qui consiste en deux, et plus souvent trois oscilla-
tions de l’ondée. (P. 562.)
Tandis que nous avons trouvé le policrotisme comme particularité plus ou
moins marquée du pouls normal à la pressioji ordinaire, il ressort de nos courbes
comme effet de l’air comprimé que cette compression a pour effet de produire
une disparition du policrotisme et une transformation de la ligne de descente
ondulée en une ligne presque droite ou plus ou moins convexe.
Ainsi nous trouvons la preuve d’un tassement du sang dans les vaisseaux et
d’un embarras de la circulation capillaire, aussi bien dans la ligne descendante
de la courbe, que nous l’avions trouvée dans sa partie ascendante et son sommet.
Tandis que, comme Marey l’a montré et en a fourni un exemple par un tracé
recueilli dans un cas de maladie du cœur (fig. 86 de Marey), le dicrotisme est
d’autant plus grand que l’ondée envoyée par le ventricule est plus petite par
rapport au calibre de l’artère, nous confirmons, de notre côté, cette proposition
par rapport au dicrotisme, puisque, comme il appert de ce qui précède, les ar-
tères rapetissées par la pression extérieure, et par ainsi charriant très-peu de
sang, se montrent néanmoins fortement remplies de sang relativement à leur
calibre amoindri.
Avec le retour à la pression normale, reparaît aussitôt la figure primitive de la
ligne de descente et la ligne simplement convexe reprend son précédent policro-
tisme ou bien la forme qui s’est produite se maintient encore quelque temps,
pendant une oü deux heures, pour céder et reprendre peu à peu son apparence
originelle (Yoy. plus haut, fig. 6); .
Dans notre analyse êtes tracés du pouls nous avons laissé de côté jusqu’ici une
circonstance, nous voulons parler du changement qui n’est pas sans importance
que subit l’amplitude de 1 courbe sous l’influence de l’air comprimé.
FAIBLES PRESSIONS : APPAREILS MÉDICAUX.
447
Pour la clarté de la description, nous en avons reculé l’analyse jusqu’au cha-
pitre de la force du pouls, plus justement désignée sous le nom de grandeur du
pouls, qui se rapporte à la hauteur verticale de l’ondée sanguine, c’est-à-dire au
maximum de la hauteur, et qui, d’après Marey, est proportionnelle à l’énergie de
la pulsation. Comme nous l’avons conclu de l’accord du tracé des courbes que
nous avons réunies jusqu’ici, l’amplitude du pouls est rendue plus petite par le
séjour dans l’air comprimé, et perd souvent de 4/5 à 5/6 de sa hauteur primitive,
de sorte que toute la série de pulsations tracées est changée souvent en une ligne
où les ondes isolées sont à peine perceptibles.
Cet abaissement de l’amplitude est proportionnel à la compression de l’air et à
la longueur du séjour dans l’air comprimé, aussi observe-t-on surtout le minimum
d’amplitude à la fin du séjour dans l’air comprimé; il arrive exceptionnellement
quaprès le retour à la pression normale, l’amplitude reste stationnaire, pour re-
venir à l’état normal, après un long séjour sous la pression ordinaire. Il est éga-
lement exceptionnel de voir l’amplitude, après avoir atteint son minimum, com-
mencer à s’élever peu à peu pendant le stade de la pression maximum constante,
sans toutefois atteindre à sa hauteur primitive.
Les changements que le pouls subit ici s’expliquent du reste et sont sensibles
au tact, puisque dans la majorité des cas le pouls étant trouvé normal, avant
l’entrée dans l’appareil pneumatique, se montre dans l’air comprimé presque in-
sensible au toucher du doigt ; il est véritablement le pulsus debilis. Il est utile
de faire observer à propos de ce dernier point, que les transformations décrites
plus haut du pouls en un pulsus loncjus , comme nous en avons vu quelques-unes
se produire dans l’appareil pneumatique, et qui sont observées du reste à la pres-
sion normale de l’air dans certains procès susmorbides, tels que les anévrysmes,
les embolies, donnent une sensation trompeuse au doigt, de sorte que même
alors que la hauteur verticale du pouls reste identique, comme Marey l’a observé
(p. 245), le pouls paraîtra d’autant plus fort que Fondée sanguine sera plus gra-
duelle, ce qui est exprimé par la montée et la descente de la pression du sang
dans les vaisseaux; mais puisque dans notre cas, dans l’air comprimé, l’abaisse-
ment de la force du pouls perçu par le tact est confirmé encore par l’amoin-
drissement de la hauteur verticale du tracé, il faut tenir pour certain l’amoin-
drissement de la force du pouls en soi.
Nous aurions maintenant à montrer la cause de cet amoindrissement de la force
du pouls dans l’aîr comprimé, ainsi que cela résulte de nos recherches ; en pre-
mière ligne, on pouvait bien penser à l’affaiblissement de l’action du cœur lui-
même , comme à la circonstance occasionnelle de l’abaissement de la force du
pouls dans l’air comprimé, affaiblissement peut-être produit par l’élévation de la
résistance, que l’accroissement de la pression atmosphérique qui exerce une com-
pression sur l’ensemble des vaisseaux périphériques, amène dans le système ar-
tériel; à l’appui de cette supposition, on pourrait citer des faits qui ont été rap-
portés par mof dans une autre circonstance et dans un autre lieu ; en effet,
l’inspection et la palpation du cœur en montrent l’impulsion plus faible ; l’auscul-
tation du cœur donne un résultat identique, et le son paraît, pour ainsi dire,
plus lointain.
Cependant ces faits ne démontrent et ne prouvent eh aucune façon qu’un chan-
gement ait lieu dans la force d’impulsion du cœur, car, d’un côté, pour avoir une
preuve presque certaine et démontrée du changement d’intensité de la contraction
du cœur, nous éprouvons les plus grandes difficultés, et, d’un autre côté, l’affai-
blissement de l’impulsion du cœur et des bruits du cœur, constaté dans le séjour
dans l’air comprimé par la vue, la main et l’oreille, peut n’être qu’apparent; et
448
HISTORIQUE.
comme je Fai déjà montré dans la dissertation susdite, n’être qu’un simple effet
d’un déplacement du cœur, produit par la compression de l’air et lié à l’agran-
dissement de la capacité des poumons et au passage, au-devant du cœur , de la
lame antérieure du poumon gauche. (P. 564-567.)
Nous ne nous sommes occupés jusqu’ici que de la figure de Fondée isolée, sans
tenir compte de l’ensemble des ondées successives, et cependant ce phénomène
complexe demande quelques explications.
Tirons du commencement à la fin, à la base de Fondée ou à travers son sommet
une ligne, alors que nous avons ce que Marey a appelé ligne d'ensemble (geme-
insame linie), qui peut nous donner des éclaircissements sur certains change-
ments dans la pression du sang, et dans la distension des vaisseaux. Cette ligne
qui, ainsi que nous l’avons dit, se comporte différemment suivant certains chan-
gements d’attitude du corps, peut présenter un changement total ou partiel dans
sa figure et dans sa direction. Le premier cas se présente à la suite d’un change-
ment de longue durée dans la pression du sang et dans la distension du vaisseau,
et se reconnaît à une modification considérable de toute la ligne par rapport à la
figure primitive du pouls , tandis qu’un changement fréquent de la pression du
sang et de la distension vasculaire, comme cela a lieu par exemple sous l’influence
d’une respiration irrégulière, trouve une expression dans des incurvations plus ou
moins marquées et plus ou moins fréquentes, dans une série d’élévations et d’a-
baissements de la ligne du pouls. Maintenant, comme cette ligne, d’après Marey,
indique qu’un obstacle à l’écoulement du sang augmente la distension dans le
système artériel en un point quelconque, nous avions à rechercher si cela se pro-
duisait dans l’air comprimé par suite de la compression des vaisseaux superficiels,
et si l’obstacle ou la gêne reconnus par nous dans la circulation artérielle au
changement de la ligne d’ascension, produisait aussi un changement dans notre
ligne d’ensemble, et trouvait son expression dans son élévation (ascension oblique
de toute la ligne), dans l’air comprimé.
Après avoir dans ce but assujetti l’instrument, d’après les régies établies dans
nos précédentes expériences faites à l’aide du sphygmographe, et disposé les choses
de telle façon que le stylet enregistreur fût placé juste au milieu de la bande de pa-
pier, à une distance égale du bord supérieur et du bord inférieur, et je recueillis ainsi
à l’air libre, après avoir lâché le mouvement d’horlogerie, un tracé du pouls juste
au milieu du papier; mais je ne trouvai plus la même chose en opérant dans l’air
comprimé. Quoique l’instrument n’eût pas été enlevé, et qu’aucun changement ne
se fût produit ni dans l’attitude du bras, ni dans la position de l’instrument, le
stylet enregistreur, sous l’influence de l’air comprimé, subit un mouvement par
rapport à sa situation primitive, et monta ; il monta même si haut, qu’il passa
par-dessus le bord supérieur de la bande de papier, et qu’il fallut, par un léger
mouvement de la main , l’abaisser au niveau du papier, pour prendre un tracé.
D’après cette expérience, nous avons démontré : pour V artère radiale une élévation
générale de la tension du sang et de la distension vasculaire indépendante de celle
(pie Von peut observer sur une pulsation isolée.
Enfui quant à ce qui concerne V influence des mouvements respiratoires dénon-
cée par les incurvations en arcades de la ligne du pouls , elle est assez insensible et
assez peu apparente pour passer inaperçue aux yeux d’un observateur superficiel.
Elle n’est très-apparente que lorsqu’on fait de profondes inspirations, et qu’il y a
une gêne dans la respiration.
Par suite de changements survenus dans la grandeur du thorax par les inspi-
rations et les expirations d’une part , d’autre part, par suite des mouvements
FAIBLES PRESSIONS : APPAREILS MEDICAUX.
449
d’élévation et d’abaissement du diaphragme, qui rétrécit on agrandit alternati-
vement la cavité abdominale et la cavité thoracique , et par suite du changement
de distension qui en résulte pour l’abdomen , il se produit alternativement dans
l’aorte thoracique et dans l’aorte abdominale une pression plus forte ; il en résulte
pour ces vaisseaux une distension variable qui se communique consécutivement
aux artères éloignées.
Par là, ainsi que je l’ai montré ailleurs, sous l’influence de l’air comprimé, on
observe un ralentissement de la fréquence de la respiration qui, entretenu par la
continuation journalière de cette même influence de la pression de l’air, s’accroît
de jour en jour jusqu’à un certain chiffre ; du reste, la respiration est plus facile
dans l’air comprimé ; elle devient plus tranquille et plus complète ; et l’on calme
ainsi quelques troubles respiratoires. Ainsi, là où, à l’air libre, l’influence delà res-
piration se faisait sentir sur la courbe du pouls, cette influence devait s’affaiblir
dans l’air comprimé, c’est-à-dire que les courbures et les cintrages de la ligne du
pouls devaient, sous cette influence, diminuer de fréquence et d’intensité, comme
du reste on peut le voir à la figure 9, qui, prise le lpr mai sur un emphysé-
malique âgé de 44 ans, en a à la pression normale, montre de remarquables in-
flexions aux courbures dans lesquelles s’inscrivent les pulsations, et qui trahissent
a
b
Fig. 14.
une forte gêne de la respiration, tandis que sous l’influence de l’air comprimé en *
ù, l’intensité de l’ondulation a baissé si notablement, que la ligne du pouls se rap-
proche presque de l’horizontale, et que en même temps il y a un plus grand
nombre de pulsations, pour une respiration qu’en a, par quoi se marque l’apai-
sement de la précédente gêne respiratoire.
L’existence de ce changement dans la courbe respiratoire sous l’influence de
l’air comprimé peut être considéré comme étant la règle, et l’on trouve rarement
l’état contraire. (P. 578-580.)
Quant au nombre des pulsations, Vivenot résume dans les termes
suivants 423 observations faites sur lui-même :
Le matin, entre 6 et 7 heures, en me réveillant, j’avais 65,22 pulsations. Après
avoir déjeuné dans le lit, ce nombre s’élevait à son maximum, 81,20; au moment
d’entrer dans l’appareil pneumatique, il n’était plus que de 79,05. Sous l’influence
de l’air comprimé, il s’abaissait entre 75,45 et 71,66; au retour à la pression
normale, j’avais encore 72,41, et dans le cours de la journée mon pouls ne
remontait pas au chiffre antérieur à l’entrée dans les appareils.
Cet abaissement du pouls dans l’air comprimé a été constaté 575 fois dans mes
423 observations ; 18 fois il n’y a eu aucun changement ; 50 fois, un accélération
du pouls. (P. 532.)
Vivenot a vu rinjection des vaisseaux de la conjonctive disparai-
29
450
HISTORIQUE.
tre totalement ou partiellement par la compression. L’examen de la
rétine lui a aussi montré, chez un individu soumis à l’atropine,
que les vaisseaux de l’œil se vident de sang dans l’air comprimé.
Il a fait, en outre, sur un lapin blanc apprivoisé, cinq observa-
tions directes relativement aux modifications de la circulation dans
les oreilles et la conjonctive. Je reproduis les détails qu’il a donnés
à ce sujet, parce qu’ils ne me semblent pas justifier les conséquen-
ces qu’il en a tirées, et qu’on a acceptées d’après lui.
I. — (a). Pression normale :
Le lapin tranquille et libre. Les oreilles dressées, gonflées de sang. Les vais-
seaux de la conjonctive injectés. L’iris et particulièrement la pupille très-colorés
en rouge.
(b.) Pendant l'augmentation de pression :
Vaisseaux de la conjonctive plus minces et plus pâles. Décoloration de l’iris et
de la pupille.
(c). Pe?idant la pression constante maximum:
Par transparence, les vaisseaux des oreilles vides de sang ; les plus gros sont à
peine visibles ; peu après, l’oreille est toute pâle et flasque et les vaisseaux ont
complètement disparu.
(d.) Pendant la diminution de pression :
L’oreille et la conjonctive restent pâles.
( e .) Sous la pression normale , immédiatement après la séance :
Après la séance, et même une heure après, les oreilles sont vides de sang,
pâles et flasques.
II. — [a.) Les vaisseaux des oreilles sont modérément injectés.
(b.) Au commencement, une plus forte injection des artères et des veines de
l’oreille; plus tard l’iris pâlit d’abord et se décolore ensuite.
(c.) Les oreilles restent pâles ; l’iris est plus sombre ; la pupille plus rouge.
HL — (a.) Les vaisseaux des oreilles sont modérément injectés; l’iris et la pu-
pille sont d’un beau rouge.
(b.) Gonflement des vaisseaux et particulièrement des veines des oreilles, dont
les plus grosses sont dilatées.
(c.) Au commencement , aucun changement appréciable dans la couleur de
l’iris et de la pupille. Alternativement les vaisseaux de l’oreille pâlissent subite-
ment et se remplissent de nouveau ; pourtant quelque temps après, ils sont défi-
nitivement pâles et restent vides de sang.
(d.) Les oreilles sont toujours pâles et flasques.
(e.) Les oreilles sont encore, quelques heures après la séance, toutes vides de
sang, pâles et flasques.
IV. — (a.) Longtemps avant la séance, les oreilles sont assez vides de sang.
(b.) Les vaisseaux des oreilles sont alternativement injectés et pâles ; enfin ils
restent pâles.
(c.) A cause de la trop grande obscurité régnant dans l’appareil, la couleur de
la pupille ne peul être observée.
(d.) Les oreilles toujours pâles.
(e.) La pupille semble devenir rouge foncé. Les oreille se remplissent fortement
de sang.
FAIBLES PRESSIONS : APPAREILS MÉDICAUX. 451
y. — (a.) La conjonctive injectée à des endroits isolés. Les vaisseaux de l’oreille
modérément injectés.
(b.) L’injection de la conjonctive et des vaisseaux de l’oreille disparaît en partie.
(c.) Vaisseaux de l’oreille et de la conjonctive tout à fait disparus; les oreilles
pâles ; parfois injectées en un clin d’œil. A cause de l’obscurité croissante, la
couleur de la pupille et celle de l’iris ne peut pas être déterminée.
(d.) L’oreille et lav conjonctive restent pâles ; à la fin, on ne peut apercevoir
aucun vaisseau. (P. 587.)
Ainsi, conclut Vivenot, sous l’influence de l’air comprimé le sang
diminue dans les vaisseaux de la périphérie du corps.
Après les détails que je viens de rapporter sur les modifications
des deux grandes fonctions physiologiques de la respiration et delà
circulation, modifications qui sont à la fois les plus importantes et
les plus faciles à constater, je crois qu’il sera suffisant de repro-
duire le résumé que Vivenot donne lui-même de toutes ses observa-
tions. Malheureusement, l’indication des faits y est intimement
mêlée aux idées théoriques que fauteur s’était faites pour les expli-
quer, en telle sorte qu’il serait impossible de les en séparer; mais
les difficultés qui résultent de cette confusion s’éclairciront à la
lecture du chapitre suivant.
Résumé clés phénomènes physiologiques *
1. Impressions dans l’oreille
2. Le changement du son de la voix, les sons émis augmentent de hauteur; la
prononciation difficile, le sifflement impossible, parfois un léger bégayement.
5. L’odorat, le goût et le toucher perdent de leur acuité.
4. La pression négative à l’inspiration et la pression positive à l’expiration
augmentent.
5. La convexité de l’abdomen diminue par la compression des gaz intesti-
naux.
6. Pour la même raison, le diaphragme et la base du poumon s’abaissent.
7. Le poumon, pendant l’inspiration comme pendant l’expiration, vient se
placer devant le cœur.
8. D’où vient la diminution de l’impulsion cardiaque à la palpation et la fai-
blesse de ses bruits à l’auscultation.
9. La capacité vitale pulmonaire augmente. A 3/7 de compression, elle
s’est agrandie en 1/2 heure, de 73cc,40 en moyenne, et en 1 heure 1/2,
del05c#,27, c’est-à-dire 5,30 p. c. de leurs dimensions primitives.
10. Par le retour à la pression normale, l’augmentation de la capacité pulmo-
naire diminue, le poumon ne reprend pas exactement son volume primitif.
11. Des séjours répétés amènent chaque jour une augmentation de la capa-
cité pulmonaire; plus au début qu’à la fin. Après 3 mois 1/2 de bains d’air ma
capacité pulmonaire vitale était devenue 743co, c’est-à-dire augmentée d’un quart
sans aucune perte du pouvoir contractile du poumon.
452 HISTORIQUE.
12. L’habitude acquise par le diaphragme et le thorax persiste après la termi-
naison des expériences.
15. Ces augmentations n’ont pas seulement lieu pour les respirations ex-
trêmes; elles se constatent dans la respiration régulière, et le diaphragme est là
aussi plus bas qu’à l’état normal
14. La respiration devient moins fréquente. Le nombre des mouvements dimi-
nue de 1 à 4 par minute. Cet effet se prolonge un peu lors du retour à l’air
normal.
15, 16, 17, 18. Répètent pour la fréquence ce qui a été dit de 10 à 15 pour la
profondeur.
19. L’inspiration est plus rapide, l’expiration plus lente; la première partie de
cette dernière est assez brève, mais la seconde devient tellement lente qu'il
semble y avoir une pause.
20. La proportion d’acide carbonique contenue dans l’air expiré augmente;
une respiration avec 5/7 d’atmosphère en sus contient en moyenne 22,26 p. c.
plus d’acide carbonique qu’à la pression normale.
21. Cette augmentation n’est donc pas en rapport exact avec celle de la capa-
cité pulmonaire, qui est de 5,5 pour cent.
22. Elle a lieu non-seulement pour les mouvements respiratoires forcés, mais
dans la respiration tranquille.
25. En comparant cette augmentation d’acide carbonique avec la diminution
de la fréquence respiratoire, on voit qu’il y a, en définitive, une plus grande
quantité d’acide carbonique rendu et par suite d’oxygène absorbé.
24. De là vient qu’après une série de séjours dans l’air comprimé, le sang
veineux parait plus clair, la température du corps augmente (de 0°1 à 0°4), la
force musculaire est plus grande, la faim se fait sentir, et, malgré une nourri-
ture plus abondante, le poids du corps diminue par amaigrissement ; cependant,
si la pression n’est pas trop forte et si l’on mange beaucoup, on peut au con-
traire engraisser.
25. La fréquence du pouls diminue de 4 à 7 dans une minute; celte diminu-
tion est encore plus marquée quand il y avait une accélération anormale,
26. Au retour dans l’air, le pouls reprend son rhythme normal.
27. Cependant, lorsque la fréquence du pouls était due à quelque difficulté
respiratoire, un abaissement durable peut être la suite du traitement par l’air
comprimé.
28. La diminution de la fréquence du pouls paraît être la suite de l’action
purement mécanique de l’air comprimé ; la pression augmentée à la surface du
corps augmente les résistances que rencontrent les ondes sanguines passées par
la systole du cœur; celle-ci devient alors plus difficile, d’où résulte la diminu-
tion du nombre des pulsations.
29. La courbe du pouls radial subit des changements de formes; sa hauteur
diminue, la ligne d’ascension est moins raide, plus oblique, le sommet plus
arrondi, la ligne de descente perd sa forme ondulée et devient droite ou légère-
ment convexe. H y a donc diminution des vaisseaux, et par suite, de la quantité
de sang qu’ils contiennent, augmentation dans la résistance à la systole du cœur,
et difficulté plus grande dans la circulation capillaire.
50. Par le retour à l’air normal, le tracé reprend peu à peu sa forme primi-
tive.
51. Le pouls radial parait changé au toucher; il devient petit, filiforme,
presque insensible.
52-55. Relatives à une expérience qui sera rapportée dans le chapitre suivant.
FAIBLES PRESSIONS : APPAREILS MÉDICAUX. 455
54. L’action du cœur dans l’air comprimé n’est pas plus forte; maison ne
sait si elle diminue, bien que ce soit vraisemblable.
55. La courbe sphygmographique se tient, pendant que la pression augmente,
au-dessus de celle qu’on a obtenue^ l’air normal. 11 y a donc, dans cette phase,
une augmentation dans la pression totale du sang, du moins à l’artère ra-
diale.
56. Des expériences faites chez des animaux, sur la pression du sang dan s
l’artère carotide, au moyen de l’hémodynamomètre n’ont donné aucun résultat.
Il est vraisemblable que quand la pression de l’air est devenue constante, un nou-
veau degré d’équilibre est atteint, l’action du cœur devenue moins forte amène
une diminutiondans le système ao rtique.
57. La diminution du calibre des vaisseaux de la conjonctive, de la rétine, de
l’oreille des lapins, la décoloration de la pupille et de l’iris des lapins blancs, la
pâleur des ouvriers qui travaillent dans l’air comprimé, prouvent directement
le refoulement du sang de la périphérie vers le centre ;
58. De là viennent la diminution de la pression intra-oculaire, la contraction de
la pupille, la moindre sensation du pouls dans l’oreille et la mâchoire, la mem-
brane du tympan moins rouge, l’amélioration des érisypèdes, enfin l’affaisse-
ment des strumes scrofuleuses
59. Un manomètre placé dans la veine jugulaire a montré que la pression vei-
neuse diminue dans l’air comprimé. (Yivenot n’a pas fait là-dessus d’expérience.
Il s’appuie sur une expérience de Panum qu’il trouve lui-même insuffisante et
mal conduite. P. 414.)
On n’a pas fait d’expériences directes sur l’influence de l’air comprimé sur les
systèmes veineux et lymphatique. Mais il est certain qu’elle ne peut être qu’exci-
tante; de pins, la pression négative, qui est augmentée, agit encore sur le cœur
et les grands vaisseaux.
40. La température, dans l’aisselle, augmente pendant que l’on comprime
l’air, elle arrive à son maximum avec la compression. Pendant le stade de pres-
sion constante, il y a aussi une augmentation de la température dans le rec-
tum.
41 . Il résulte de nos expériences qu’une partie du sang est repoussé de la péri-
phérie du corps; l’organisme dispose donc d’une quantité de sang qui doit
alfluer dans les organes plus profondément situés, comme le cerveau , la moelle,
les muscles, le tube intestinal, le foie, la rate, les reins, l’utérus. De la *»l?nnent
pour le cerveau la pesanteur de tête, la surdité légère, les bâillements; pour l’ap-
pareil digestif, la faim, la température rectale augmentée ; pour les muscles,
l’augmentation de la force musculaire, de la chaleur axillaire; pour les reins,
la plus grande quantité d’urine. Ces symptômes complexes, dans lesquels inter-
vient encore le froid extérieur, ne s’exercent que dans les limites physiolo-
giques.
42. C’est pourquoi la compression de l’air n’apporte aucun trouble important
dans la circulation du sang, alors même qu’elle est poussée à 4 atmosphères 1/2.
15. On n’en peut pas dire autant du stade de décompression qui cause, quand
on va trop vite, des troubles gênants et même très-dangereux dans la distribu-
tiondu sang.
44. Le séjour dans l’air comprimé est donc moins dangereux que le retour à
1 air libre, qui cause des congestions, des hémorrhagies, des douleurs et surtout
des troubles d’équilibre de diverses sortes dans le système circulatoire, qui
même, par le développement de gaz dans le sang, peut amener un arrêt de la
circulation et par suite une mort subite.
454
HISTORIQUE.
45. Le moyen à employer en présence de ces accidents est le retour rapide
dans l’air comprimé. ( Zur Kenntniss , etc. P. 489-495.)
La série des travaux de Vivenot fixa, sur les phénomènes curieux
qu’il signalait le premier ou qu’il décrirait avec plus de précision
que les auteurs précédents, l’attention des physiologistes et des
médecins. Les publications se succédèrent rapidement.
C’est ainsi que Freud1 2 * * observa une augmentation considérable
dans sa capacité pulmonaire. Après 30 séances de bains, elle était
passée de 5100cc à 5600cc; cet agrandissement persistait 5 mois \ /2
plus tard. Il n’y avait plus que quatre respirations par minute.
Elsâsser*, qui fit ses recherches dans l’appareil de Gmelin, à
Stuttgard, crut pouvoir résumer les observations de ses prédéces-
seurs et les siennes, relativement au rhythme respiratoire^ dans les
propositions suivantes :
■
1° La valeur totale des mouvements respiratoires dans un temps donné est di-
minuée... ; 2° La diminution porte en partie sur la fréquence, en partie sur l’am-
plitude des mouvements ; plus la fréquence se rapproche de la normale, moins
profondes sont les respirations ; si celles-ci sont très-rares, elles deviennent plu s
profondes ; 5° Par des inspirations très-forfes, il entre dans les poumons une plus
grande quantité d’air qu’à la pression normale. (P. 26.)
Du reste, son mémoire paraît n’être qu’une sorte de résumé des
travaux antérieurs de Vivenot. Il est particulièrement consacré à
la thérapeutique.
Mais au premier rang des auteurs qui, après Vivenot, s’occupè-
rent de ces questions, il faut citer le professeur Panum. Le travail
du savant Danois est exclusivement d’ordre physiologique5. Nous
aurons à lui donner une place importante dans le chapitre suivant;
ici, nous ne parlerons que des observations relatives aux phéno-
mènes physico-mécaniques de la circulation et de la respiration.
Respiration. — Le premier phénomène dont il s’occupe est l’a-
grandissement de la cavité pulmonaire dans l’air comprimé :
La respiration est toujours plus profonde qu’à la pression normale. Cette action
dure souvent pendant 24 heures et plus et augmente par la répétition des bains
d’air. Chez une personne dont, à l’air normal, l’inspiration valait de 400 à 700oc
1 Erfahrungen über Anwendung der comprimirten Luft. — Wiener Med. Press, 1866.
2 Zur Théorie der Lebenserscheinungen in comprimirten Luft. — Stuttgard, 1866.
5 Le mémoire de Panum parut d’abord en danois, en 1866. Je cite d’après la traduc-
tion allemande publiée par l’auteur lui-même : Untersuchungen über die physiologischen
Wirkungen der comprimirten Luft. — Pflïugcr's Archiv f. Physiologie ; t. I, p. 125-165,
1868.
FAIBLES PRESSIONS : APPAREILS MÉDICAUX. 455
(en moyenne 480"), le premier bain de 35* de même l’avait fait passer de 650
à 800" (moyenne 750ec); le second l’avait amené en moyenne à 900".
La fréquence des mouvements était tombée de 13-14,5 à 11,5 par minute.
(P. 153.)
Voici, du reste, un tableau qui exprime les modifications pré-
sentées par la respiration dans l’air normal et dans l’air comprimé,
suivant différents rhythmes volontaires de la respiration :
AIR COMPRIMÉ
PRESSION
NORMALE
»
QUANTITÉ D’AIR
DANS CHAQUE
MOUVEMENT
RESPIRATOIRE.
EN CENTIMÈTRES
CUBES.
NOMBRE
DES
MOUVEMENTS
RESPIRATOIRES.
QUANTITÉ D’AIR
A CHAQUE
MOUVEMENT
RESPIRATOIRE.
EN CENTIMÈTRES
CUBES.
NOMBRE
DES f
MOUVEMENTS
RESPIRATOIRES.
Respiration tranquille. .
631,8
13,5
563,5
14,2
Idem
Respiration forte et pro-
745,6
10,8
679,5
11,9
fonde
Respirations aussi fortes
et aussi rapides que
1326,4
8,4
1314,6
9,9
possible.
Respirations aussi lentes
et faisant circuler aussi
2301,6
6,4
1846,7
12,7
peu d’air que possible.
1216,4
4,2
930,3
5,8
Quant au rhythme respiratoire proprement dit, Panum affirme
que « la durée relative de l’inspiration el de l’expiration est sem-
blable dans Pair comprimé et à la pression normale. » Et il donne
à l’appui de cette assertion, qui contredit ce que nous avons précé-
demment rapporté d’après Vivenot, un tracé des mouvements res-
piratoires enregistré directement.
Circulation. — Panum rapporte les observations de Vivenot et de
Sandhal, et admet le ralentissement du pouls. Il tenta de faire des
expériences sur deux chiens pour étudier les modifications de la
pression manométrique du cœur ; mais elles ne donnèrent aucun
résultat.
La diminution du cours du sang dans les capillaires est prouvée,
selon lui, par ce fait qu’un mal de dent a disparu dans l’air com-
primé. Cependant, les observations sur les conjonctives et les oreil-
les de lapins n’ont rien montré de net ; du reste, déclare-t-il, il y a
là trop de causes de complications. Mais quelle est la cause pro-
chaine de ces modifications dans les actes circulatoires?
456
HISTORIQUE.
La diminution du pouls et de la tension doit être due à une influence sur l’action
du cœur. Cette influence est-elle une suite des changements respiratoires ? Dé-
pend-elle de la pression qui s’exercerait sur les muscles et les ganglions du cœur?
Ou encore de quelque autre circonstance ? Je n’ose donner une opinion auto-
risée.
Le travail de G. von Liebig1 contient le récit d’expériences faites
à Reichenhall dans les appareils des frères Mack. La pression
moyenne à Reichenhall est de 72 à 73 centimètres; dans les appa-
reils elle variait de 100 à 130 centimètres.
G. Liebig a constaté d’abord, après tant d’autres, que la respira-
tion se ralentit dans l’air comprimé. Chez Kramer, l’une des per-
sonnes qu’il observait, elle est tombée de 10 à 7 par minute, et est
restée à ce chiffre sous la pression normale : mais chez l’autre,
Mack, l’un des propriétaires de l’établissement, qui avait l’habitude
de l’air comprimé, la différence n’a été que de 43 à 41.
L'amplitude respiratoire a également été modifiée chez le pre-
mier sujet ; elle a passé 0m,819 à 1\073, pour rester à ll,068. Mais
chez le second, le changement n’a été que de l',437 à l‘,489, et l’on
peut le considérer comme nul.
Mayer2 a fait des observations analogues sur une dame atteinte
d’ascite, et sur lui-même :
Il constata les phénomènes habituels. Mais (au contraire de Yivenot) il trouva
un ralentissement constant du pouls, qu’il explique par les résistances circula-
toires augmentées ( pression augmentée sur le cœur et les vaisseaux ) ; la respi-
ration fut aussi ralentie. La capacité vitale du poumon augmenta d’une façon
sensible, qui sembla être persistante. La combustion augmentée éleva la tempé-
rature, chez la patiente, de 37°3 à 37°7.
Le travail de Marc3 * 5 est plus intéressant, bien qu’il ne porte
que sur une observation que le Dr Stachelhausen, atteint d’hémop-
tysie et d’asthme emphysémateux depuis 4 ans, a faite sur lui-
même.
Après une cure d’un mois, une amélioration considérable s’était
produite ; mais je n’ai pas à insister sur les détails pathologiques.
Le fait le plus frappant de l’observation est la modification profonde
apportée dans le nombre des pulsations cardiaques et des mouve-
1 Ueber das Athmen unter erhorliten Luftdruck. — Zeitschrift f. Biologie ; Ve vol.,
p. 1-27, München, 1869.
- Bericht über eine Versuchs-Sitzung in comprimirten Luft. — Petersburgh mcd.
Zcitsch, xn. Ext. in Gurlt’s und Ilirsch’s Jalir. 1870, t. 1, p. 210.
5 Beitrage zur Erkenntniss der physiologischcn und therapeulischen Wirkungen der
Bàder in comprimirten Luft. — Berlinen Klinische Wochemchift, 1871, p. 249-251.
THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
457
ments respiratoires; j’ai résumé les chiffres de l’auteur dans le
tableau suivant :
Ainsi, deux choses sont à remarquer : d’abord la diminution
brusque du nombre des pulsations et des mouvements respiratoires
par l’action dans l’air comprimé ; la diminution du nombre de ces
derniers, même à l’air libre, pendant la durée de la cure, tandis que
les pulsations n’ont point changé.
La capacité pulmonaire mesurée au spiromètre a été augmentée
de 550 c. c.
22 juin, avant le commencement de la oure . . 1450 cent, cubes.
29 » pendant la cure 1600 id.
8 juillet, id. 1800 id.
15 » id. . 1900 id.
21 » id. 2000 id.
Il est à regretter que Marc n’ait indiqué ni le degré de la com-
pression de l’air, ni la durée du séjour de ’son malade dans les ap-
pareils.
CHAPITRE III
EXPLICATIONS THÉORIQUES ET EXPÉRIENCES.
Si les expériences et les théories que nous avons analysées en
parlant de l’influence de la diminution de pression étaient nom-
breuses, variées, contradictoires, parfois bizarres et peu compré-
hensibles, du moins elles avaient pour but de répondre à une ques-
tion unique: quelle est la cause des accidents de la décompression?
11 en est autrement pour celles que nous allons résumer dans le pré-
sent chapitre, et leur exposition se ressentira nécessairement de la
confusion dans laquelle sont tombés ceux qui les ont émises.
Les faits que nous avons rapportés jusqu’ici montrent qu’en effet
les phénomènes présentés par les personnes soumises à l’action de
l’air comprimé sont extrêmement divers et se présentent dans des
conditions peu comparables, peut-être même absolument différen-
tes. Il faut en effet, du moins lorsque la compression s’est élevée à
un certain degré, tenir compte non-seulement de la phase de com-
pression, mais de celle de dépression, dont les observations faites
par les ouvriers eux-mêmes ont bientôt montré les influences péril-
leuses. Ce sont même ces dernières qui ont d’abord frappé l’es-
prit par leur étrangeté et leur gravité. Les modifications que l’air
comprimé lui-même apporte dans les diverses fonctions physiolo-
giques sont, dans les' limites où l’on a observé jusqu’ici, fort peu
considérables, et il a fallu même pour les constater une observation
attentive, soutenue, aidée des ressources instrumentales qu’em-
ploient de nos jours la physiologie et la pathologie. Quelques méde-
459
AIR COMPRIMÉ : THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
cins ont bien distingué les deux ordres de phénomènes, et tenté de
les expliquer par des raisons différentes ; mais d’autres les ont
confondus dans des théories communes, si bien qu’il ne serait pas
possible de sous-diviser ce chapitre, comme, pour notre part, nous
voudrions pouvoir le faire.
Ajoutons que les expériences de laboratoire, sur les animaux, ont
été beaucoup plus rares que pour la diminution de pression. La rai-
son s’en trouve aisément ; d’une part, en effet, le problème semblait
beaucoup moins intéressant, puisqu’il ne touchait pas à des ques-
tions d’habitat transitoire ou permanent pour l’homme ; d’autre
part, l’appareil instrumental nécessaire est plus compliqué, plus
coûteux, et les expériences ne sont pas sans présenter quelques
dangers.
Le premier auteur dans lequel j’aie trouvé quelques indications
théoriques sur la manière dont doit agir l’air comprimé sur les
êtres vivants, est l’iatro-mathématicien Borelli, qui, dans son traité
célèbre de Motu Animalium 1 , inscrit la proposition suivante :
Prop. CXXV. — Causes vraisemblables de la suffocation qui se produit de
différentes manières dans l’air épais et trop condensé.
Borelli confond ici, suivant les connaissances de son temps, l’ac-
tion de l’air comprimé avec celui de l’air chargé de « particules éthé-
rées, terrestres, aqueuses, huileuses, ignées, salines, etc. comme il
arrive par la vapeur de charbon et dans la caverne du lac
Agnanus Puteolis » Cependant, il consacre un paragraphe spé-
cial à l’action de l’air « pur ramené au plus haut degré de com-
pression, ut in folle lusorio sit » :
Je ne nierai pas, dit-il, qu’il ne puisse être dangereux à respirer, parce que les
extrémités près des bronches et les délicates vésicules de Malpighi pourraient être
distendues et déchirées par la trop grande élasticité, d’où résulteraient des troubles
redoutables. De plus , le passage et la circulation du sang en seraient empêchés,
parce que l’expiration ne pourrait plus que difficilement s’exercer à cause de la
trop grande résistance de l’air ambiant. (P. 246.)
Borelli n’a pas fait d’expériences.
C’est dans les notes que van Musschenbroeck a ajoutées à la tra-
duction des Mémoires de l’Académie del Cimento 2 que nous trouvons
la première indication d’expériences faites sur des animaux soumis
à l’action de l’air comprimé :
1 Pars altéra. — Rome, 1681.
- Loc. cit. — Collect. acad., partie étrang., t. I, p. 46-61 ; 1755.
4G0
HISTORIQUE.
Je rapporterai, dit d’abord le physicien hollandais, ce qui est unnc cl animaux
mis dans un air beaucoup plus dense que celui qui est vers la surface de la mer.
M. Stairs enferma un rat dans un air deux fois plus dense; il y vécut pendant l’es-
pace de cinq heures; cependant, après cinq autres heures, il mourut. Mais lors-
qu’il eût mis un autre rat dans un air beaucoup plus dense, il observa qu’il était
mort tout-à-coup. Il rapporte qu’une mouche , dans un air condensé qui faisait
monter le mercure à soixante pouces au delà de son élévation ordinaire, se portait
bien le troisième jour, et même s’envola ; que cependant ses autres compagnes
moururent.
M. Derham mit un moineau dans un récipient, où il condensait l’air; parce
qu’il ne retint point l’air exactement, il répéta les condensations de temps en
temps ; le moineau vécut bien l’espace de trois heures ; ensuite, étant mis en li-
berté, il paraissait n’avoir rien souffert. Ensuite il renferma une mésange et un
moineau , il rendit l’air deux fois plus dense; après une heure ces oiseaux se
portèrent de même que lorsqu’on les avait enfermés ; ensuite ils commencèrent
à languir, en deux heures de plus ils devinrent malades, et trois heures après ils
expirèrent.
J’enfermai aussi un canard dans un récipient, où je rendis l’air trois fois plus
dense que celui de l’atmosphère ; il demeura cependant gai l’espace d’un heure,
et il parut n’avoir souffert aucune incommodité.
Ensuite j’enfermai trois perches et une truite avec une grande quantité d’eau
et en même temps avec quelques vers de terre vivants ; je rendis l’air (rois fois plus
dense dans le récipient; prolongeant l’expérience pendant six heures, j’observai les
choses suivantes : la première heure tous les petits poissons nageaient très-bien ,
prenaient souvent un nouvel air sur la surface de l’eau, et ne mangeaient cepen-
dant aucun ver; après une heure, la truite paraissait moins vive, et se tenait plus
en repos ; une demi-heure après elle secouait ses nageoires, elle était cependant
le dos tourné en haut comme dans l’état naturel ; les perches pendant ce temps-
là, nageaient gaiement ; cinq heures après, la truite ayant encore le dos tourné
en haut, et étant couchée librement dans l’eau, était expirée; une perche devint
plus tranquille ; après la sixième heure, elle était aussi proche de la mort, mais
elle était couchée sur le fond le dos tourné en haut ; ensuite ayant ouvert le
vaisseau et laissé sortir l’air, les deux perches étaient en vie et très-gaies: mais
les deux poissons morts surnageaient couchés sur le dos ; les vers pendant tout
ce temps avaient vécu sous l’eau, et, en étant tirés, ils n’étaient pas peu languis-
sans. Cette expérience a été faite le 10 novembre 1750.
J’appelle l’atlention sur les curieuses conséquences queMusschen-
broeck tire des expériences qu’il vient de rapporter :
Il suit de ces expériences que les animaux peuvent vivre plus longtemps dans
un air condensé que dans l’air naturel , sans être renouvelé ; car quoique les
animaux enfermés consument un peu d’air, on diminue une portion de son élas-
ticité; néanmoins dans un air condensé il reste assez d’air, et l’élasticité est assez
grande : en sorte que dans l’inspiration , les vésicules des poumons s’étendent
bien et facilement, et le sang circule très-librement dans les artères et les veines
du poumon. Cependant les animaux meurent enfin dans cet air condensé ; mais
quelle en est la cause? Ce n’est point le défaut de l’air, ce n’est point la perte de
son élasticité; car le mercure fait voir à l’index qu’il en reste encore assez. Mais
ou ils meurent, parce que les exhalations du corps de l’animal sont nuisibles à
AIR COMPRIMÉ : THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
461
ses poumons, ou à sa vie, ou parce qu’il y a dans l’air quelque chose de consumé
qui est nécessaire à l’entretien de la vie, et qui doit être continuellement mêlé
dans le sang. Cette dernière considération peut cependant à peine avoir lieu ,
puisque le célèbre M. Roerhave a prouvé par des arguments invincibles, qu’aucun
air inspiré dans les poumons ne peut passer des véscicules dans les vaisseaux
sanguins : c’est pourquoi il nous reste à conclure que les particules que nous
transpirons nous sont nuisibles , et que celles qui sortent des autres animaux
leur sont aussi nuisibles et agissent comme un poison ; et de là nous comprenons
pourquoi les plongeurs enfermés dans une cloche, un tonneau ou autre vaisseau,
doivent toujours être rafraîchis d’un nouvel air , afin qu’ils respirent commodé-
ment ; ensuite pourquoi les mineurs, qui travaillent dans des mines profondes,
sont pressés d’inquiétude, si on n’envoye continuellement un nouvel air dans les
mines, par les moyens des soufflets ou quelques autres ventilateurs. (P. 58.)
Haller1 a donné place dans sa physiologie aux faits expérimentaux
et à ceux qu'avait déjà révélés l’observation des cloches à plon-
geur; il les explique de la façon suivante :
Si l’air est rendu plus dense le sang qui coule dans les vaisseaux plus com-
primés et plus denses eux-mêmes, y éprouve plus de frottement ; cet air gonflera
mieux les poumons, et apportera au cœur gauche le stimulus qui le fera mieux
contracter
Un air dense est utile et augmente les forces du corps.... Des animaux ont pu
vivre sans inconvénient dans de l’air réduit au quart et au huitième de son vo-
lume Sous la cloche à plongeur, dans un air plus dense, on vit, et une respiration
plus rare suffit. Un rat a vécu plus longtemps dans un air comprimé que dans
l’air ordinaire
Il y a pourtant des limites , au delà desquelles Pair comprimé nuit. C’est ce
qui arrive dans la cloche à plongeurs; dans laquelle, quand la profondeur aug-
mente, l’eau entre et comprime l’air à nouveau. Alors la respiration est empêchée,
le ventre est comprimé, l’air entre non sans douleur dans le méat auditif, les
bras sont liés comme avec une corde, la membrane du tympan est parfois brisée
et le sang sort par l’oreille et les narines; enfin, le cœur éprouve de telles résis-
tances, que le cours du sang en est presque supprimé, et on en a vu qui ont
ainsi péri. Un rat mourut dans l’air réduit au vingtième de son volume.
(P. 194.)
Des expériences analogues à celles de Stairs, de Derham et de
Musschenbroeck furent refaites au commencement de ce siècle par
Achard2, qui les rapporte dans les termes suivants :
J’ai fait quelques expériences sur la germination des graines dans l’air com-
primé. Le résultat en est que les graines germent d’autant plus vite, que ce fluide
est plus comprimé ; la différence est considérable. J’ai fait en même temps des expé-
riences sur la durée de la vie des animaux dans de l’air condensé à différents
degrés, et j’ai trouvé que dans l’air trois fois plus dense que l’atmosphère, un
1 Elernenta physiologies corporis humanu — 5® vol.. 1761.
2 Extrait d'une lettre de M. A. au citoyen Van Mons. — Ann. de Chimie, t. XXXV11;
1801.
462
HISTORIQUE.
animal vit, sous circonstances d’ailleurs égales, et dans des volumes égaux d’air,
cinq fois plus longtemps que dans l’air atmosphérique. Il est remarquable que
lorsqu’on comprime subitement l’air jusqu’à une densité environ triple, l’animal
tombe dans un état d’inaction et de sommeil léthargique, ce qui apparemment
est une suite de la pression exercée sur le cerveau. Après que cet état a duré plus
ou moins longtemps, l’animal reprend son activité naturelle, après quoi il tombe
dans un état d’anxiété ordinaire qui augmente graduellement jusqu’à la mort.
Il est encore remarquable que l’économie animale ne souffre pas de cet état de
compression ; j’ai tenu dans l’air réduit au quart de son volume, des oiseaux
pendant une heure , et les ai remis ensuite à l’air libre ; ils se sont très-bien
trouvés, n’ont donné aucune marque d’incommodité. (P. 223.)
Brizé-Fradin, après avoir fait, comme nous l’avons vu,
F histoire des appareils à plongeurs, et rapporté les sensations
qu’on y éprouve, cherche à s’expliquer ces phénomènes, et à se
faire une idée nette de la situation dans laquelle se trouve, aux
points de vue physique et physiologique, l’homme qui respire dans
l’air comprimé. Le passage ci-dessous est véritablement très-curieux :
Le plongeur est placé dans un milieu qui comprime tout le système.
Comment se met-il en équilibre avec ces puissances combinées? Comment
parvient-il à les surmonter?
La solution raisonnée se trouve dans les caractères et les propriétés de la force
vitale. Il est nécessaire de considérer dans l’homme ce qui forme l’essence de la
vie, c’est-à-dire cette force qui, souvent, modifie les lois de la nature, et les
réduisent à ce qu’elles doivent être pour constituer la vie ; elle est la loi pri-
mordiale de l’action, de la conservation et de l’harmonie des êtres organisés.
L’analyse ne permet pas de résoudre en ses éléments la nature de cette force
vitale attribuée à un esprit substil, invisible; mais il suffit que son existence
soit prouvée par ses propriétés, ses rapports constants. (P. 176.)
Il faut rendre à Brizé-Fradin cette justice qu’il ne se satisfait
pas de cette vague déclaration, et que, non content de la métaphy-
sique, il cherche à préciser les effets de cette force vitale sur le
plongeur :
L’air plus dense, renfermé dans la cloche, applique aux poumons une quantité
plus grande de gaz oxygène; il s’y produit immédiatement une somme de cha-
leur plus considérable : cet air, doué de la force du ressort, se précipite dans les
poumons; l’organe respiratoire, dont les parois touchent de toutes parts à la
plèvre, acquiert une capacité plus grande ; le fluide ouvre les angles que les vais-
seaux y forment et rend le passage du sang à travers leur substance plus libre
et plus facile; il accélère la rapidité de la circulation, multiplie dans les fibres
des muscles ces frottements intimes, causes puissantes de chaleur. Les releveurs,
les intercostaux se contractent vivement; les côtes s’élèvent ; le diaphragme
s’abaisse; non-seulement l’équilibre est détruit, mais la puissance élastique de
l’air est repoussée par cette énergie intime qui élève la contractilité musculaire
au plus haut degré, et qui suit les effets de la caloricité.
AIR COMPRIMÉ . THÉORIES ET EXPÉRIENCES. 465
On sait que la pression de l’air sur une surface est égale à une colonne d’eau
de trente et un pieds ; on a calculé que l’effet de la pression, par rapport à un
homme de moyenne taille, équivaut à un poids de 36,000; mais cette pesanteur
est contrebalancée, par la force vitale, par la réaction des fluides élastiques qui
font partie de notre organisation. Comme les variations de l’atmosphère sont
successives, elles nous affectent d’une manière peu sensible; mais s’il arrive un
changement subit, la rupture d’équilibre influe d’une manière très-marquée sur
l'économie animale ; si l’homme s’élève à de grandes hauteurs il éprouve la gêne,
la fatigue, l’assoupissement : ainsi, quand on voudra se rendre compte de la dif-
férence entre les effets du poids de l’eau et ceux de la force élastique de l’air
condensé à une profondeur de soixante pieds, il faudra recourir encore à celte
force inconnue quant à son principe, mais qui change, modifie les lois géné-
rales, et met. dans la classe des vérités démontrées ce qui au premier aspect
paraissait difficile à expliquer. (P. 177.)
On voit que sa tentative physiologique a été infructueuse, et qu’il
lui faut revenir, pour expliquer, non les accidents, mais la résis-
tance du plongeur, à « cette force inconnue quant à son principe,
mais qui change les lois générales. » Il était vraiment inutile alors
de se donner tant de mal pour essayer d’appliquer celles-ci.
Plus loin, signalant les deux inconvénients principaux de la clo-
che à plongeur, les douleurs d’oreilles et le confinement de l’air,
Brizé-Fradin propose pour y remédier :
1° De mettre du coton dans le conduit auditif, pour imiter « le
créateur, toujours sage dans ses œuvres, qui a distribué dans l’or-
gane de l’ouïe ce cérumen qui... favorise l’harmonie des ondula-
tions sonores » (p. 181) ;
2° D’introduire dans la cloche de l’oxygène à l’aide d’une pompe
foulante « lorsque la mer a été mise à sec avec ces barillets à air »;
mais il recommande « de n’en introduire que des quantités exactes
et qui n’excèdent jamais le dixième de la masse d’air vital car
l’excès produirait une sensibilité vicieuse et du désordre » (p. 183).
Je n’indique que pour mémoire le passage dans lequel Hallé et
Nysten 1 parlent de l’action de l’air comprimé ; ils se contentent en
effet de dire :
Dans les mines profondes, les effets qui dépendent de la compression de l’air
seraient plus salutaires que nuisibles, à raison de l’augmentation de la quantité
d’air sous le même volume. Ils rendraient la respiration moins fréquente, parce
que chaque inspiration s’exercerait sur une plus grande masse de ce fluide.
La pesanteur atmosphérique augmentée semble devoir produire des effets
moins sensibles que sa diminution et la pression qui tend à condenser toutes ses
parties semble moins préjudiciable à notre organisation que leur expansion
excessive.
1 Art. Air, du Dicté des Sc. méd. — t* 1, p. 248 * 1812,
464
HISTORIQUE.
C’est au même titre que je rapporte l’opinion de Jœger1, qui ne
paraît la baser sur aucune observation directe :
L’air condensé à un très-haut degré peut causer une mort subite, parce qu’il
produit l’apoplexie sanguine avec hémorrhagie et empêche le retour du sang
dans les parties supérieures et le cœur. (P. 97.)
Les expériences de Poiseuille2 * * ont une tout autre valeur.
Au cours de ses recherches, si remarquables par l’esprit scien-
tifique et la précision qu’il y apporte, cet auteur se demande si les
variations dans la pression onl de l’influence sur la circulation du
sang. Pour résoudre cette importante question, il fait usage d’un
porte-objet pneumatique composé d’une boite résistante, garnie de
plaques de verre, et dans laquelle on peut augmenter ou diminuer
la pression :
L’animal préparé de manière à voir la circulation capillaire est placé dans l’in-
strument, et l’appareil lui-même sous l’objectif du microscope ; on peut alors
observer les modifications que peut introduire dans la circulation capillaire une
pression ambiante plus ou moins considérable. Chez les salamandres, les gre-
nouilles, leurs têtards, les très-jeunes rats et les jeunes souris, les circulations
artérielle, capillaire et veineuse n’ont offert aucun changement en portant la
pression, même brusquement, à 2, 3, 4, 6 et 8 atmosphères, et réciproquement.
En outre, la circulation a continué à se faire avec le même rhythme sous une
pression de quelques centimètres de mercure chez les salamandres, les grenouilles
et leurs têtards. En plaçant dans l’appareil de très-jeunes rats, de très-jeunes
souris (on sait que les mammifères, pendant les premiers jours de leur nais-
sance, peuvent rester quelques heures sans respirer), on a pu voir par l’inté-
grité parfaite de circulation chez ces animaux alors placés dans le vide, combien
était illusoire l’opinion des physiologistes qui pensent que, sans pression atmo-
sphérique, il n’y a point de circulation possible; mais la pression atmosphérique,
concurremment avec les mouvements respiratoires, sont des causes accessoires
du cours du sang, ainsi que M. Poiseuille l’a démontré dans l’un de ses précé-
dents mémoires.
Poiseuille, on le voit, s’occupe à la fois de l’inflence de l’augmen-
tation et de celle de la diminution de pression sur la rapidité de la
circulation; il affirme qu’elles sont nulles.
Les explications de M. Maissiat5 tendent aussi à viser simultané-
ment les deux questions. Nous avons vu, dans le titre Ier (p. 245),
qu’il fait jouer le principal rôle aux gaz intestinaux, dont le volume
1 Traclatus p hy s i c o-medi c u s de almosplierâ et acre almospherico. — Cologne, 1816.
2 Recherches sur les causes du mouvement du sang dans les vaisseaux capillaires. —
C. R. Acad, des Sc ., t. I, p 554-560, 1835. — Ces diverses expériences sont exposées,
avec détails, dans le mémoire du même auteur, inséré dans tome VII des Mémoires des
savants étrangers.
5 Études de physique animale. — Paris, 1843.
AIR COMPRIMÉ : THÉORIES ET EXPÉRIENCES. 465
doit changer avec la pression aérienne. Après avoir considéré leur
dilatation comme accélérant circulation et respiration, comme
chassant le sang à la peau, il ajoute:
11 v aura lieu à effets inverses et retour du sang vers les vaisseaux des milieux
profonds, si, au contraire, la pression extérieure à l’animal croît ; l’effet sera médi-
calement sédatif, calmant de tout, de la respiration et de la circulation. (P. 254.)
Quelques années plus tard, llervier etSt-Lager1 firent, à l’instiga-
tion de Pravaz, les premières expériences tentées dans le but de
rechercher si les ‘combustions organiques sont activées pendant le
séjour dans l’air comprimé.
Les auteurs arrivent au résultat curieux formulé dans la conclu-
sion suivante, résultat à l’appui duquel ils n'apportent du reste au-
cun chiffre; la méthode par laquelle il est obtenu et qui donne non
la quantité d’acide carbonique exhalé, mais seulement sa propor-
tion dans l’air expiré, est, je suis -obligé de le déclarer, des plus
défectueuses2 :
Les quantités d’acide carbonique exhalé dans le bain d’air comprimé s’élèvent
au-dessus des proportions de l’état normal jusqu’à la pression de 775 millièmes ;
au-dessus de ce chiffre, le poumon exhale moins d’acide carbonique qu’avant le
bain.
Et voici l’explication peu claire qu’ils donnent de celte contradic-
tion :
A une faible pression, l’effet chimique dominant l’influence mécanique, l’çn-
dosmose trouve dans les conditions de pression une circonstance favorable au
développement des fonctions respiratoires sans que l’exosmose soit entravée par
une pression trop forte d’où il suit une augmentation croissante dans l’exha-
lation de l’acide carbonique. A une pression plus forte l’effet mécanique neutra-
lise et anéantit l'influence chimique, au point d’empêcher l’exosmose gazeuse
dans le bain d’air, sans toutefois s’opposer à l’absorption des gaz.
C’est cet emmagasinement d’acide carbonique par le sang, sous
l’influence de l’air comprimé, qui expliquerait, selon nos auteurs,
comment :
Les bains d’air comprimé ont pour effet d'augmenter l’exhalation de l’acide
carbonique au dehors du bain ; cet effet, qui se prolonge plusieurs heures après
leur administration, est plus sensible deux ou trois heures après qu’immédiate-
ment après le bain.
1 Note sur la carbonométrie pulmonaire dans l'air comprimé. — Gaz. méd. de Lyon ,
1849, p. 168.
2 Cette méthode est exposée dans un travail antérieur des mêmes auteurs, intitulé :
Recherches sur les quantités d'acide carbonique exhalé par le poumon à l'étal de
sauté et de maladie. — Ibid., p. 59-50.
50
466
HISTORIQUE.
Cela tiendrait à ce que :
La dilatation anormale des vésicules pulmonaires, par l’effet d’une pression
suffisamment forte dans l’air comprimé, diminue le ressort et l’élasticité des
organes respiratoires tandis que, lorsqu’au sortir du bain l’influence méca-
nique suspend son action, le ressort du poumon revient bientôt à son état nor-
mal, et par le fait de l’exosmose gazeuse qui n’est plus entravée, rejette au
dehors, sous forme d’acide carbonique, tout l’oxygène qu’il avait absorbé dans le
bain sous l’influence de l’endosmose.
Pravaz1, dont nous avons déjà cité le livre (p! 455) après avoir
énuméré les modifications favorables que le séjour dans l’air com-
primé apporte à l’exercice de plusieurs grandes fonctions physio-
logiques, trouve à ces avantages notables trois causes d’ordre diffé-
rent:
A. — L’amplitude des inspirations est augmentée pour deux rai-
sons :
1° S’il est certain que, dans les conditions ordinaires de la vie, l’inspiration
est loin d’avoir l’étendue que comporterait la disposition anatomique des parois
thoraciques, on ne peut douter que chez un grand nombre de sujets, et particu-
lièrement chez ceux qui, menant une vie sédentaire, n’ont besoin pour l’héma-
tose que d’un conflit médiocre avec l’atmosphère, la rétractilité de tissu n’ait
réduit notablement le maximum de capacité que peuvent acquérir les poumons
sous la pression ordinaire, et par suite l'ampliation habituelle de la cavité pecto-
rale; dès lors, n’est-il pas manifeste qu’en augmentant cette pression et élevant
ainsi à une plus haute puissance la force qui lutte contre la réaction du poumon,
on doit étendre la limite supérieure de son développement propre, et consécu-
tivement celte de l’expansion de la cage thoracique sous l’effort des muscles inspi-
rateurs, effort qui devient promptement impuissant lorsque la tendance au vide,
qui a lieu entre les deux plèvres pendant l’inspiration, dépasse une certaine
mesure.
2° L’accroissement de la pression atmosphérique ayant pour effet de compri-
mer l’abdomen, d’augmenter l’élasticité des gaz intestinaux, et par suite leur réac-
tion contre l’effort du diaphragme, ce muscle rencontre un point d’appui plus
solide et change le mode de respiration le plus ordinaire, en obligeant les côtes
et le sternum à prendre une plus grande part au mécanisme de cette fonction.
A la vérité, la dilatation de la cavité thoracique, dans le sens vertical, se trouve
ainsi diminuée; mais cette réduction est plus que compensée par l’expansion de
la poitrine, suivant ses diamètres antéro-postérieur et latéral, et, loin d’être
moindre, le volume d’air introduit par chaque inspiration se trouve augmenté.
En effet, dans le mode de respiration qui a lieu principalement par l’abaissement
du diaphragme, la capacité de la poitrine ne s’accroît que suivant le rapport
simple des diamètres verticaux successifs, mesurés latéralement, car la partie
moyenne du diaphragme reste à peu près fixe; tandis que dans la respiration
costo-sternale, l’agrandissement de cette cavité a lieu dans le rapport composé
1 Loc. cil. — Essai , etc.; 1850.
AIR COMPRIMÉ : THÉORIES ET EXPÉRIENCES. 467
du produit des diamètres horizontaux primitifs au produit des mêmes diamètres
dilatés. (P. 11-12.)
B. — L’hématose est activée *
Est-ce, comme on le croit généralement, parce que l’air comprimé contient,
sous un volume donné, une plus grande quantité absolue d’oxygène qu’il active
et perfectionne la sanguification? (P. 21.)
Pravaz oppose alors aux anciennes assertions d’Allen et Pep-
pys les expériences récentes de MM. Régnault et Reiset, et il
ajoute :
Si, entre ces assertions contradictoires, on inclinait pour la dernière, comme
produite sous la garantie d’expérimentateurs réputés plus exacts, on ne serait pas
embarrassé toutefois d’expliquer comment l’air condensé peut donner d’autres
résultats que l’oxygène pur, ou présenté seulement en plus grande quantité à
l’absorption pulmonaire.
En effet, c’est à la pression ordinaire que Lavoisier, MM. Régnault et Reiset ont
recueilli leurs observations ; or, on sait, d’après M. Biot, que la quantité, en
poids, des gaz dissous dans un liquide croît proportionnellement à la pression
que ces gaz supportent.
Il y a donc dans l’action de l’air condensé sur l’organisme un autre élément
que la multiplication des molécules d’oxygène sous un volume donné; cet élé-
ment est une force mécanique supérieure à celle qui agit sur les gaz expérimen-
tés à la pression ordinaire de 0m,76 ; cette différence entre les conditions d’ab-
sorption fait pressentir une différence correspondante entre les résultats fournis
par l’inspiration de l’oxygène pur et celle de ^atmosphère simplement com-
primé; (P. 23,)
L’expérience, selon lui, confirme cet aperçu de la théorie. Cette
expérience est celle d’IIervier et St-Lager(p. 464) dont Pravaz accepte
les conclusions, et dont il explique comme il suit les contradictions
apparentes :
L’endosmose de l’oxygène, qui est l’office principal de la respiration, est favo-
risée par toutes les circonstances qui augmentent la solubilité de ce gaz dans le
sang; or, l’accroissement de la pression atmosphérique est évidemment au
nombre de.ces circonstances, d’après l'expérience déjà citée de M. Biot; ainsi,
dans l’air comprimé, il doit y avoir sursaturation du sang veineux par l’oxygène,
mais ce phénomène ne peut se manifester immédiatement par une exhalation
plus considérable d’acide carbonique, car l’exosmose de ce gaz est enrayée par
la même force mécanique qui augmente l’absorption de l’oxygène.
Lorsque la respiration vient à se faire de nouveau dans l’atmosphère normale,
la suroxydation des globules sanguins qui s’était produite pendant la durée du
bain d’air comprimé ne peut manquer de donner lieu à des symptômes d’exalta-
tion vitale, et à l’élimination en plus grande quantité du produit gazeux de la
combus'ion du carbone, devenue plus active, puisque ce gaz cesse d’être soumis
à la pression supérieure qui coerçail son expansibilité „
408 HISTORIQUE.
L’analogie conduit à penser qu’il en est de l’azote comme de l’oxygène. Son
absorption plus considérable est-elle de quelque utilité pour la nutrition? Je suis
disposé à le croire, d’après les observations de Régnault et Reise sur 1 absorp-
tion de l’azote de l’air par les animaux à l’état d’inanition en sorte que ce
gaz semblerait destiné à suppléer, dans une certaine mesure, à l’alimen-
tation par les organes digestifs. Si l’on admettait cette hypothèse très-plausible,
on aurait une nouvelle donnée pour l’explication des bons ellets obtenus par
l’usage du bain d’air comprimé dans les cas ou il y a langueur des fonctions
digestives par atonie. (P. 28.)
C. — L’air comprimé facilite le retour du sang veineux au
cœur.
Pravaz déclare d’abord que la compression diminue le nombre
de pulsations artérielles : il l’a vu même réduit des 2/5, « surtout
lorsqu’il existait un état fébrile antérieur. » Puis il insiste sur ce
fait que l’aspiration « exercée par l’oreiPette droite et la cavité
thoracique» est une des causes les plus actives de la circulation
veineuse, et il ajoute :
Le syslème capillaire, par suite de l’accroissment de la pression baromé-
trique, devra se vider plus facilement dans les veines, car non-seulement l’ac-
tion périphérique de la force qui comprime ce réseau, ainsi que les veines où il
se décharge, est devenue plus énergique, mais encore la tendance au vide pro-
duite dans le péricarde el le inédiaslin pendant l’inspiration, et destinée à con-
courir avec l’effort concentrique d’impulsion vers le cœur, doit être plus pro-
noncée. (P. 52.)
Le livre de Pravaz se termine par l’étude de l’influence favo-
rable de Pair comprimé dans le traitement de la phthisie, du
rachitisme, de la chlorose, de l’anémie, de la surdité, des conges-
tions chroniques des centres nerveux, de différentes névroses.
Dans l’explication des succès nombreux qu’il enregistre à ce pro-
pos, Pravaz fait surtout intervenir la raison chimique tirée de la
suroxygénation du sang, et de l’activité plus grande imprimée
ainsi aux phénomènes de la nutrition. Mais il invoque également
l’action mécanique, la pression de Pair condensé. Ainsi, en parlant
de la guérison de la coxalgiepar le bain d’air comprimé, il dit, dans
un ouvrage antérieur à celui que nous venons de citer1 :
Dans Pair comprimé, on peut remplir l’indication de comprimer la tumeur de
la hanche de la manière la plus uniforme et la plus inoffensive, puisque ce n’est
plus seulement la tête articulaire qui est repoussée de dehors en dedans, mais
Mémoire sur l’emploi de la compression au moyen de l'air condensé dans les h dar-
l/troscs. — Lyon, 1845.
AIR COMPRIMÉ : THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
469
encore la capsule, faisant, une saillie anormale au delà de ses inserlions. Cette
compression, dont l'effort sur l’aire correspondante à la cavité c'otyloïde peut
être évaluée à vingt kilogrammes par atmosphère, doit déterminer la résorption
au moins partielle des liquides épanchés, comme on le voit dans les cas d’ascite
et d’hydrocéphale lorsqu'on embrasse l’abdomen ou le crâne par un bandage
plus ou moins serré. (P. 8.)
Plus loin, citant le fait d’une jeune fille guérie, par l’air com-
primé, d’un torticolis « dû à une hyperhémie encéphalique», il dé-
clare que c’est à la pression mécanique qu’est dû le dégagement du
cerveau :
Le vide qui se fait sentir pendant l’inspiration dans les veines jugulaires, et
qui y appelle le sang de la tête et du rachis, tend à se remplir d’autant plus
rapidement que la pression extérieure est plus forte; et d’un autre côté, l’ac-
croissement de cette pression doit opposer un plus grand obstacle au mouve-
ment de reflux qiie l’expiration détermine dans les vaisseaux afférents; dès lors ,
on ne saurait s’étonner que le système capillaire de l’encéphale et de la moelle
épinière, en communication avec les veines soumises à une sorte de succion de-
venue plus énergique que dans l’état normal, puisse se débarrasser de l’excès de
fluide sanguin qui l’engorgeait. (P. 13.)
Pol et Watelle 1 sont les premiers auteurs qui aient tenté d’ex-
pliquer les accidents de la décompression, dont ils avaient aussi
les premiers nettement déterminé le moment. Ce sont eux qui
nous ont rapporté ce mot si caractéristique des ouvriers: « on ne
paye qu’en sortant. »
Notons, en passant, comme une sorte de curiosité, l’idée émise par
ces auteurs que « la densité insoliie de Pair comprimé embarrasserait
la progression », et que la difficulté à parler dans les cylindres, obser-
vée par eux, dépendrait également de « cette résistance inattendue à
des contractions musculaires instinctivement mesurées par l’habi-
tude ». (p. 250).
Arrivons maintenant à l’explication des accidents produits par la
décompression. Les médecins de Douchy cherchent, selon leur ex-
pression, « à établir la signification des symptômes observés, à dé-
terminer, en les interprétant, l’individualité nosologique qu’ils ca-
ractérisent ». Or, disent-ils:
Cette tâche est facile à remplir, ou plutôt elle est toute remplie.
En effet, si l’on excepte les douleurs musculaires, dans les cas du moins où,
isolées, ne coexistant avec nul indice d’une souffrance des centres nerveux, elles
étaient probablement produites par l’impression sur les capillaires de ce sys-
tème, d’un sang trop richement oxygéné;
1 Loc. cit. — Voir ci-dcssus, p. 578.
470
HISTORIQUE.
Si l’on excepte aussi les accidents gastriques, qui tantôt ont semblé purement
sympathiques, et tantôt, c’est notre sentiment, ont eu pour cause l’ingestion
très-copieuse des produits de la combustion ; il apparaît très-clairement que
toujours ils ont été par-dessus tout l’expression d’un état congestionnel du cer-
veau et des poumons.
Nous ne nous évertuerons pas à démontrer, phénomènes en main, cette pro-
position à l’égard de laquelle l’autopsie de Héraut ne permet d’ailleurs aucun
doute, et qui puisera une surabondante évidence dans les résultats d’un second
examen cadavérique.
La congestion pulmonaire et cérébrale est donc la principale conséquence de
la compression de l’air; c’est son aboutissant morbide le plus important, la
source d’où découlent les indications thérapeutiques fondamentales»
Nous passons à dessein sous silence les congestions du foie, de la rate et des
reins, constatées dans l’autopsie relatée plus haut, et qui se reproduiront dans la
suivante; si ce n’est celle des reins qui ont donné lieu à une supersécrétion,
elles ne se sont pas traduites symptomatiquement. (P. 259.)
Ainsi, les accidents graves éprouvés par les ouvriers sont la suite
de congestions viscérales. Mais quelle peut être la cause de ces con-
gestions mêmes? La compression, répondent-ils, en tant qu’agent
d’ordre mécanique; c’est du moins ce qui ressort clairement du
passage suivant :
Puisque, quand la pression atmosphérique diminue beaucoup, le sang se porte
à l’extérieur et s’échappe des capillaires, il devrait s’ensuivre delà condensation
de l’air des congestions viscérales, des hypérémies profondes. A influences con-
traires, effets opposés : contraria contrariis.
D’ou cette conséquence, toute théorique encore, que si une pression de plus en
plus considérable s’exerçait, on verrait à un degré actuellement indéterminable,
au lieu des hémorrhagies périphériques provoquées par la rareté de l’air, sur-
venir des épanchements intra-organiques, des apoplexies. (P. 272.)
Mais si c’est la compression même qui produit les congestions,
comment se fait-il donc qu’elles ne manifestent leur redoutable
effet qu’au moment de la décompression? Voici la curieuse réponse
que font les deux médecins à cette objection qui pourrait paraître
péremptoire:
Rasori pensait que les congestions sont constamment veineuses , et cela est
hors de doute quand c’est un obstacle au retour du sang qui les occasionne. Mais
en est-il de même lorsqu’elles sont sous la dépendance d’un afflux artériel ; alors
aussi l’arrêt circulatoire qui les constitue résiderait-il exclusivement dans les ca-
pillaires veineux ; le sang noir , en un mot , comme le veut le médecin italien,
serait-il en toute circonstance l’agent des congestions ?
Les observations de M. Andral ne contredisent point cette opinion ; elles l’au-
torisent, au contraire, puisqu’il en résulte que les tissus hypérémies rouges au
premier degré qui, selon M. Dubois d’Amiens , n’est autre chose qu’un mouve-
ment fluxionnaire précurseur de la congestion, sont bruns au deuxième degré et
noirs au troisième.
AIR COMPRIMÉ : THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
471
Or que, par hypothèse, on veuille bien admettre que c’est plutôt à l’action stu-
péfiante du sang noir qu’elles doivent d’être pernicieuses qu’à la compression
provenant d’un abord exagéré , et il s’ensuivra que si l’inspiration d’un excès
d’oxygène artérialisait le sang veineux , les congestions, selon le quantum, de-
vraient perdre tout ou partie de leur nocuité.
Eh bien, c’est précisément ce qui est arrivé chez nos mineurs; d’une part, con-
gestion sans accidents aucun ; d’autre part, sang veineux rutilant.
Et comme contre-épreuve, quand l’agent de la rutilance était soustrait et son
action éteinte ou amoindrie dans une certaine mesure, ce qui prenait un temps
variable, accidents graves pouvant s’élever jusqu’au foudroiement.
Ainsi, les congestions qui résultent de la compression de l’air ne révèlent pas
leur existence, tant que cette compression s’exerce.
La compression par conséquent porte en soi son correctif.
La décompression démasque, en quelque sorte les congestions ; elle leur laisse
sortir leur plein et entier effet ; on pourrait dire que de latentes , de virtuelles,
elle le rend effectives.
Partant de là, on conçoit qu’elle doit se montrer d’autant plus redoutable qu’elle
est plus rapide, et qu’il suffirait probablement pour qu’elle devint inoffensive de
la pratiquer avec une grande lenteur, beaucoup plus lentement qu’il n’a été fait,
à Louches, la plupart du temps. (P. 260.)
Ainsi, les médecins de Douchy font jouer à la suroxygénation du
sang un rôle singulier à coup sûr, mais fort important. Il est cu-
rieux de voir, cependant, combien peu ils se faisaient une idée
nette des conditions qui, dans l’air comprimé, déterminent cette
suroxygénation. Parlant, en effet, des inspirations d’oxygène qui
avaient été autrefois tentées, ils protestent contre toute assimilation
entre l’emploi de ce gaz, et celui de l’air comprimé ;
C’est autre chose, assurément, de respirer de l’oxygène pur, même de Pair
oxygéné, ou de respirer de l’air simplement condensé, sans modification quanti-
tative de ses éléments, de l’air où l’oxygène ne cesse pas d’être étendu d’azote
dans les proportions naturelles. (P. 269.)
La note étendue dont A. Guérard 1 fit suivre, dans les Annales
d'hygiène , l’important mémoire de Pol et Watelle, n’est qu’un tra-
vail de compilation. Elle ne contient rien de nouveau, ni au point
de vue des phénomènes observés, ni au point de vue des explica-
tions physiologiques. Seulement son auteur insiste, plus qu’on
n’avait fait jusque-là, sur les changements énormes que l’augmen-
tation de pression ferait subir au poids supporté par notre corps. Il
en a dressé un tableau détaillé, duquel, à titre de curiosité, nous
extrayons les chiffres suivants :
1 Note sur les effets physiologiques et pathologiques de Vair comprimé. — Ann.
d’hiyg. puhl. et de méd. lég., 1854, 2e série, I, p. 279-304.
472
HISTORIQUE.
A 1 atmosphère le poids supporté varie de
15 500
à 20 600 Kil.
11/2 — —
25 250
50 400
2 — —
31 000
41 200
3 — —
46 500
60 800
4 — —
62 000
82 400
5 — —
77 500
103 000
6 — —
95 000
125 600
Et. il en conclut à des surcharges effroyables, puisque à 6 atmo-
sphères elles varieraient de 77,500 kil. à 100,000 kil. î
Guérard admet en outre que, sous l’influence de la pression, l’oxy-
gène et l’azote se dissolvent en plus grande quantité dans le sang,
et que de là résulte un accroissement des combustions interstitiel-
les, d'où l’amaigrissement.
Quant aux douleurs musculaires, il les considère comme étant de
nature rhumatismale, et dues au refroidissement qui accompagne
la décompression.
Puis, admettant comme générale la plus grande facilité des
mouvements que Pol et Mathieu avaient cru remarquer chez quel-
ques ouvriers pendant le travail dans Pair comprimé, il dit :
Il se pourrait que l’influence exercée sur la marche par la pression atmosphé-
rique reçût un nouveau degré de puissance de l’augmentation de cette pression.
Pour le reste, il accepte les conclusions de Pol et Watelle et
celles de Pravaz.
Nous revenons, avec le Dr Milliet1, aux observations d’ordre pure-
ment médical. Pour ce médecin, l’action de l’air comprimé est
exclusivement physique ; il proteste contre l’idée d’une modifica-
tion chimique dans les actes respiratoires ; mais, hormis cette
protestation, il n’émet aucune idée nette :
En plongeant, pour ainsi dire, les organes de la respiration dans une atmo-
sphère plus condensée, le poumon trouvera sous un même volume une quantité
plus considérable d’air atmosphérique; dès lors il sera en contact, à chaque ins-
piration, avec une masse plus grande d’air atmosphérique... Que résultera-t-il de
cet apport? Ce seul effet, une facilité plus grande dans la fonction. (P. 15.)
Cette réduction du rhythme dans les actes des mouvements respiratoires est
purement physique, et malgré les idées générales reçues, ii est certain qu’aucune
modification chimique ni en plus ni en moins n’est apportée dans le fait de l’oxi-
dation du sang. L’air n’a point été modifié dans sa constitution chimique, et les
lois qui régissent notre organisme n’ont point cessé leur action naturelle.
Ainsi, que l’air atmosphérique soit raréfié ou condensé, il n’a modifié en rien
l'action chimique de la respiration; il n’a eu qu’une influence physique sur le jeu
1 Loc. cil. — De l'air comprimé, etc. Lyon, 1854.*
475
AIR COMPRIMÉ : THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
de celte Ponction. Mais les choses se passent bien différemment si vous changez
les proportions chimiques des gaz de Pair.
Un des effets de l’usage de l’air comprimé est l’augmentation des sécrétions et
de l’absorption. L’activité nerveuse dans les organes excréteurs et absorbants m’a
paru dériver de la circulation veineuse, qui est toujours plus large et plus com-
plète pendant que notre corps est soumis à une pression plus élevée. (P. 16.)
En 1855 parut la première édition du livre que Eugène Bertin1,
qui employait les appareils installés à Montpellier par Tabarié, con-
sacre à l’étude l’emploi thérapeutique de l’air comprimé. Ce travail,
comme son tilre l’indique, doit intéresser surtout les médecins.
Du reste, l’auteur déclare, dès le début de son livre, « qu’il n’abor-
dera pas les considérations physiologiques . » Aussi ne nous y arrê-
terons-nous pas longtemps.
11 résume cependant ses opinions dans les termes suivants :
L’air comprimé, quel que soit le degré auquel on l’élève, peut être supporté
sans danger, à cause de l’équilibre de pression qui s'établit sur toutes les parties
du corps, absolument comme cela a lieu dans l’atmosphère ordinaire.
L'expérience démontre qu’à une pression poussée bien au delà du degré qu’il
suffit d’atteindre pour déterminer tous les effets thérapeutiques, il ne survient
dans les phénomènes de la vie aucunes modifications qui puissent nuire à leur
régularité ,
11 est rationnel d’admettre que la diminution de pression atmosphérique suffi-
sant pour ralentir le retour du sang veineux vers le cœur, et pour favoriser ainsi
des stases dans le système capillaire, une augmentation de pression doive, au
contraire, faciliter ce retour et dissiper ces congestions
La respiration opérée dans un air comprimé, en mettant le sang en contact
avec une plus grande abondance des deux principes constituants de l’air sous un
même volume, doit nécessairement décarboniser une quantité de sang plus con-
sidérable que dans l’état ordinaire. Par la même raison, le rôle que l’azote peut
jouer dans l’économie doit aussi se trouver plus amplement rempli. Chaque ins-
piration doit donc avoir un effet plus étendu sous l’air comprimé que sous l’at-
mosphère ordinaire : de là la nécessité d’inspirations moins répétées, pour suffire
aux besoins de chaque moment; de là une diminution, souvent très-grande,
dans le jeu des organes pulmonaires, et la source d’un repos si utile et pourtant
si difficile à procurer par tout autre moyen à des organes dont l’action doit être
incessante.
Sous l’intluence des relations qui unissent la respiration avec les battements
du cœur, le relentissement de la première doit amener une modification sem-
blable dans la circulation ; bien des faits permettent, en outre, d’attribuer à l’air
comprimé une action sédative directe sur le système circulatoire ; sous cette double
action, la lenteur du pouls devient un état permanent, non-seulement pendant
l’emploi soutenu des bains d’air comprimé, mais même longtemps après leur
interruption
En même temps, l’appétit s’augmente, les fonctions digestives s’accomplissent
1 Etude clinique de V emploi et des effets du bain d’air comprime dans le traite-
ment des diverses maladies. — Paris, 1855.
474
HISTORIQUE.
avec régu’arité, et par là se trouve assurée une bonne nutrition, source indubitable
d’un accroissement des forces générales ;
Les sécrétions offrent peu de traces de l’action de l’air comprimé. J’ai signalé
une augmentation sensible de la salive pendant la durée du bain. (P. 60.)
Dans sa 2e édit., publiée en 1868, Eug. Bertin reproduit pure-
ment et simplement (p. 97), le résumé que nous venons de citer.
Du reste, si Bon fait abstraction des observations médicales, beau-
coup plus nombreuses que dans la première édition, on ne trouve
que peu de modifications apportées au texte primitif.
L’addition la plus importante est la critique de l’opinion de Vive-
not sur le ralenfissement des pulsations artérielles. Bertin fait
d’abord remarquer qu’il a rarement constaté cette diminution sous
l’appareil ; au contraire, il l’a notée à la fin du bain, presque tou-
jours quelques heures après, ou meme le lendemain avant le lever
du malade. Souvent elle n’existe jamais. Enfin, elle n’est pas pro-
portionnée à la pression, dit-il, car elle devrait être énorme chez
les ouvriers des tubes.
Nous avons vu plus haut (p. 258) que Iloppe1, dans un remarqua-
ble travail sur les causes de la mort des animaux tués soudain
par l’air raréfié, avait trouvé dans leurs vaisseaux sanguins des
bulles d’air libre, auxquelles, selon lui, la mort était due. 11 ne
manqua pas d’appliquer aux accidents delà décompression brusque
l’observation qu’il avait faite :
Si, après qu’un animal est resté quelque temps dans l’air comprimé, on diminue
soudain la pression, les poumons n’auront pas le temps de laisser échapper les
gaz devenus libres dans les grosses veines. C’est ainsi qu’on a vu, dans les mines
de houille de France, survenir des morts subites, sans lésions anatomiques. (P. 72.)
Il convient de faire remarquer que Iloppe n’a jamais fait d’expé-
riences directes sur ce point, et qu’il raisonne seulement par ana-
logie.
Quant à l’influence de la compression elle-même, il dit simple-
ment :
L’augmentation de la pression de l’air doit augmenter la force d’absorption du
sang pour les gaz ; le sang contiendra alors plus d’oxygène, d’où devra résulter
une production plus grande de chaleur et une diminution de la quantité d’air
respiré dans un temps donné. L’observation de Pravaz d’une moindre quantité
d’acide carbonique excrété dans l’air comprimé s’explique par le faible volume
d’air sur lequel il expérimentait. (P. 71.)
1 Loc. cil — JJeber der Einfluss, etc. — Müller’s Arcli., 1S57.
475
AIR COMPRIMÉ : THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
Le Dr François1, après la relation que nous avons reproduite des
accidents survenus aux ouvriers du pont de Kehl, en cherche la
cause. Il repousse d’abord l’opinion de Guérard sur le rhumatisme,
et l’une des raisons qu’il donne est que « les douleurs musculaires
disparaissent spontanément si les ouvriers se replongent dans Pair
comprimé ». Rien de plus curieux que l’explication qu’il donne de
ces douleurs :
Elles sont , dit-il, le résultat flagrant de l’insinuation dans les tissus de Pair
comprimé, envoyé par les machines soufflantes, air qui s’amalgame avec le tissu
cellulaire dans ses parties les plus intimes, comme, par exemple , le mercure
s’amalgame avec l’axonge après une trituration minutieuse, de façon qu’aucune
molécule de métal n’est plus perceptible à l’œil nu.
Cet air, ainsi amassé outre mesure dans nos tissus, doit nécessairement chercher
à s’équilibrer avec l’atmosphère ambiante, lors de la sortie du milieu comprimé,
et plus cette sortie de la chambre à air aura été effectuée avec précipitation, moins
elle aura été graduée et l’élimination prolongée, plus les effets pathologiques de-
vront être prononcés, par la raison que nous avons citée plus haut.
Il repousse explicitement, comme F avaient fait Pol et Watelle,
toute comparaison entre l’air suroxygéné et l’air comprimé :
Nous ne pouvons admettre que ces douleurs soient produites par la présence
d’un air plus richement oxygéné, comme l’opinion en avait été émise; en effet,
chaque atmosphère de l’air comprimé ne contient, avec tous ses autres éléments,
que la même proportion d’oxygène qu’il renferme à l’extérieur : ce n’est pas un
excès d’oxygène que l’on envoie dans les caissons, mais bien un excès d’air at-
mosphérique.
Pour nous donc, nous sommes disposé à admettre que les douleurs muscu-
laires sont le résultat d’une action constante, exercée dausles tissus par un excès
d’air atmosphérique , irritation poussée quelquefois jusqu’à la douleur la plus
aiguë, lorsque cet air cherche à se mettre trop brusquement en équilibre avec
un milieu moins dense. (P. 309.)
Voilà pour les douleurs musculaires. Quant aux accidents du
côté de la respiration, ce sont, dit M. François, des congestions
pulmonaires :
Leur mode de production est facile à établir ; en effet, nous savons que l’am-
pliation de la capacité pulmonaire est très-forte sous l’influence de l’air condensé;
que les cellules des organes respiratoires sont considérablement distendues; or,
lors de la sortie et surtout à la suite d’un éclusement rapide et trop peu gradué,
le vide se fait trop promptement dans la cavité thoracique, et ce vide doit néces-
sairement être remplacé par un afflux subit du sang et des autres liquides ; de là
ces congestions ; de là aussi ces hémoptysies, suite de rupture des vaisseaux dans
le parenchyme pulmonaire.
1 Loc. cit. — Des effets de V air comprimé, etc.; 1860.
470
HISTORIQUE.
D’après ceci, l’on doit concevoir que des personnes sanguines, pléthoriques,
sont plus sujettes à ces affections que des individus à tempérament lymphatique
ou nerveux.
Les accidents cérébraux dont nous avons cité les exemples, sont
également à ses yeux le résultat de phénomènes congestifs. Et ici,
M. François cherche à expliquer comment ils se manifestent préci-
sément au moment de la décompression :
Il est incontestable que ces congestions cérébrales, de même que celles du tissu
pulmonaire , ne procèdent pas des mêmes causes que les congestions frappant
des individus dans le cours de la vie ordinaire, où elles sont produites, la plupart
du temps, par une stase sanguine veineuse occasionnée par un obstacle au retour
du sang; d’autres fois, mais dans des circonstances moins fréquentes, ces con-
gestions sont le résultat d’une grande impulsion artérielle ; mais il arrive alors
constamment une stase consécutive, stase qui peut devenir pernicieuse, lorsque
la congestion, de rouge qu’elle était, devient noire et stupéfiante, c’est-à dire que
le sang se montre de moins en moins oxygéné.
En est-il de même dans les congestions produites par l'air condensé ? Evidem-
ment non, car ici point de congestion tant que dure la pression atmosphérique
exagérée; puis l’ouvrier, soustrait à la pression exagérée, l’excès de l’air contenu
dans son organisme cherche à s’équilibrer avec l’air extérieur ; cette tendance se
fait sans mesure , comme on doit le penser ; de là, refoulemeut du sang, mais
d'un sang rutilant, vers le centre nerveux, refoulement se manifestant quelque-
fois d’une manière foudroyante, surtout si l’éclusement n'a pas été fait progres-
sivement et avec prudence, mais n'ayant jusqu’à présent produit aucun cas mortel.
Dans tous les cas, lorsqu’on pratiquait la saignée, le sang sortait rutilant de la
veine ; aucune saignée noirâtre n’a été constatée. (P. 515.)
Enfin les paraplégies, les rétentions d’urine, etc., seraient dues à
des congestions médullaires produites par une cause semblable.
C’est également, comme nous l’avons dit, sur les ouvriers em-
ployés au pont de Kehl, que M. Bucquoy1 fit ses observations. Son
travail est extrêmement remarquable, au point de vue surtout des
explications physiologiques.
Il s’occupe tout d'abord de l’augmentation dans la quantité d’oxy-
gène que contient le sang. Mais l’hypothèse qui pouvait paraître très-
simple à Pravaz se complique singulièrement depuis le travail de
M. Fernet (Voy. p. 260). Aussi, dit M. Bucquoy, qui insiste lon-
guement sur la différence établie par ce physicien entre l’oxygène
combiné chimiquement aux globules et l’oxygène dissous dans le
sérum :
C’est à l'oxygène simplement dissous que sont dues les modifications de l’hé-
matose observées dans l’air comprimé :
1 Loc. cit. — l)c l’air comprimé ; 1801.
AIR COMPRIMÉ : THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
477
En effet, les globules sanguins n’absorbent pas dans l’air comprimé une pro
portion d’oxygène plus grande qu’à l’air libre, puisque cette proportion est dé-
montrée indépendante de la pression.
D’un autre côté, la dépense d’oxygène que le sang doit faire au profit des com-
bustions respiratoires est aussi grande dans l’air comprimé qu’à l’air libre ,
puisque ces combustions n’y sont pas moins actives que sous la pression atmo-
sphérique ordinaire.
Si donc, dans l’air comprimé, les globules du sang fournissaient seuls et sans
compensation tout l’oxygène nécessaire aux combustions, ils perdraient , comme
à la pression ordinaire, une quantité d’oxygène suffisante pour que leur couleur
artérielle disparût, et à leur sortie des capillaires généraux, on les trouverait
avec la teinte du sang veineux. Or, il n’en est pas ainsi : les globules du sang
veineux sont rutilants chez l’homme soumis à l’air comprimé.
Ce fait, considérable au point de vue physiologique, 11e peut s’expliquer que
de deux façons :
Ou les globules sanguins ne fournissent aux combustions respiratoires , sous
l'air comprimé, qu’une portion d’oxygène trop petite pour que leur couleur
rouge en soit sensiblement altérée; dans ce cas, le complément d’oxygène né-
cessaire aux combustions est pris directement à la portion de ce gaz qui est sim-
plement dissous dans le sérum, mais dont la quantité augmente avec la pression.
Ou bien les globules fournissent aux combustions tout l’oxygène nécessaire ;
dans ce deuxième cas, on est obligé d’admettre qu’ils en reprennent au sérum à
mesure qu'ils en perdent, puisque leur couleur est à peine modifiée ; cette hypo-
thèse est la plus vraisemblable.
Quoi qu’il en soit, la partie d’oxygène dissoute dans le sérum joue directement
ou indirectement un rôle important dans les phénomènes d’hématose qui se pas-
sent sous des pressions supérieures à l’atmosphère. C’est cette portion d’oxygène
qui peut seule expliquer la rutilance du sang veineux, toujours rencontrée par
MM. Pol et Vatelle, et toujours aussi par M. François. C’est donc à tort qu’on né-
glige maintenant cette portion d’oxygène absorbé et qu’on regarde les variations
de pression comme indifférentes eu égard à l’hématose. (P. 50.)
J’ai le regrel de rencontrer, après cette page remarquable, l’a-
doption, timide, il est vrai et pleine de restrictions, de la théorie
si erronnée de la compression physique des tissus extérieurs, et
du refoulement consécutif du sang dans les parties profondes.
Voici de quelle façon, fort originale, je l’avoue, la formule M. Buc-
quoy :
•
L’accroissement de pression du milieu ambiant produit son maximum d’effet
sur les tissus de la périphérie. Ces tissus se condensent, mais ils résistent dans
une certaine mesure à la pression extérieure, et en neutralisent une fraction. La
pression subsistante condense les couches placées au-dessous des premières, mais
elle éprouve de leur part une nouvelle résistance qui diminue encore son inten-
sité, et ainsi de suite. De sorte qu’à mesure qu’on s’avance de la surface vers les
parties centrales, les tissus sont de moins en moins condensés , et les pressions
de plus en plus affaiblies. Mais le sang contenu dans les tissus superficiels trans-
met à toute la masse sanguine, dans tous les sens, à toutes les profondeurs et
presque également, la pression extérieure. Par conséquent, dans tous les points *
de l’économie le liquide sanguin exerce contre les parois de ses vaisseaux de
478 HISTORIQUE.
dedans en dehors, et tendant à les dilater, une pression presqu’égale à la pression
qu’il supporte extérieurement.
Pour résister à cette dilatation de vaisseaux , chaque tissu a sa résistance
propre, et la fraction de pression extérieure qui a pu se propager jusqu’à lui à
travers les couches plus superficielles. Il en résulte que les différents tissus ré-
sistent très-inégalement à cette dilatation des vaisseaux, et que celle-ci est d’au-
tant plus grande que les tissus sont plus profonds, puisque la pression extérieure
transmise aux tissus par les tissus diminue avec la profondeur. Par conséquent:
dilatation des vaisseaux dans les tissus profonds, où la pression venant de l’exté-
rieur est faible ; diminution du calibre des vaisseaux dans les couches superfi-
cielles où la pression extérieure est forte ; tout cela dans une mesure convenable,
jusqu’à ce que l’équilibre soit partout rétabli. A chaque nouvel accroissement de
pression, il se produit un effet analogue; une nouvelle distribution du sang et un
nouvel équilibre s’établissent. L’effet total est une plus grande masse de sang, dans
les tissus et les organes profonds; on a, en un mot, les congestions viscérales et les
hypérémies, dont parlent tous les auteurs. (P. 52.)
Mais M. Bucquoy retrouve un terrain solide lorsqu’il parle des
eiïets fâcheux de la décompression. Il n’a pas grand’peine à venir
à bout des théories de Pol et Wat^lle sur les effets tardifs de
suroxygénation du sang, et de Guérard sur la nature rhuma-
tismale des douleurs. Envisageant la question en physicien, il dit :
Si l’on pénètre dans l’air comprimé, l’oxygène, l’acide carbonique et l’azote,
tenus en simple dissolution dans le sang, doivent augmenter avec la pression;
et si la compression a duré suffisamment longtemps, la loi de Dalton veut que Ja
quantité de chacun de ces gaz absorbée par le sang soit proportionnelle à sa
pression dans l’air condensé où l’on respire. Dans l’état ordinaire, l’acide carbo-
nique et l’azote du sang ne sont pas puisés dans l’air inspiré ; ils sont engendrés
par les phénomènes physiques de la vie. Par suite de leur origine, ces deux gaz
ne suivent sans doute pas rigoureusement la loi de Dalton, mais leur quantité
pondérale dans le sang varie nécessairement dans le sens indiqué par cette loi.
Cela posé, que doit-il advenir lorsqu’on sort des appareils à l’air comprimé?
Pendant et après la décompression, tous les gaz dissous en excès dans le sang,
par suite de la condensation de l’air, tendront à s’échapper de ce liquide avec
un effort d’autant plus grand, à séjour égal dans l’air comprimé, que la pression
qu’on aura subie était plus considérable. C’est là une conséquence forcée des lois
physiques sur la dissolution des gaz dans les liquides, et l’on en a un exemple
commun et fréquent dans la rapidité et dans la force avec lesquelles l’acide car-
bonique s’échappe d’une eau gazeuse, quand on enlève le bouchon de la bou-
teille qui ïa contient. (P. 58.)
Les particules de gaz qui ont repris l’état aériforme dans toute l’étendue du
système sanguin, restent mécaniquement mêlées aux molécules liquides, qui
auparavant les dissolvaient; il s’ensuit que le sang devient un mélange expan-
sible qui fait sans cesse effort pour distendre ces vaisseaux et pour augmenter
de volume. Le résultat définitif est une turgescence générale plus ou moins con-
sidérable des vaisseaux sanguins et une imminence hémorrhagique plus ou moins
menaçante. Et comme les gaz dissous en excès se séparent des humeurs comme
du sang, il en résultera une tendance générale à l’emphysème.
Attribuons maintenant à la force expansive des gaz devenus libres une inten-
AIR COMPRIMÉ : THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
479
sité suffisante, et il n’est pas nécessaire qu’elle soit considérable, si elle est
favorisée par des dispositions individuelles, alors l’imminence hémorrhagique et
la tendance à l’emphysème se traduiront en faits. Nous aurons tous les cas d’hé-
morrhagie et d’emphysème observés, soit dans les ascensions sur les hautes mon-
tagnes, soit dans les voyages aérostatiques, soit dans les ateliers à air comprimé.
(P. 59.)
Appuyé, sur cette base excellente de raisonnement, M. Bucquoy
explique facilement les emphysèmes observés à Douchy, les hé-
morrhagies, les douleurs musculaires et articulaires, à propos des-
quelles il cite la très-intéressante observation suivante :
Un jour que j’observais un ouvrier qui souffrait cruellement à un genou, j’ai
vu les ventouses sèches placées autour de l’articulation tomber les unes après les
autres, quoique bien appliquées par l’infirmier, homme très-adroit. Elles lurent
replacées plusieurs fois et ne tinrent qu’au bout d’un certain temps ; le malade
alors se trouva notablement soulagé. L’élimination des gaz libres explique à la
fois et la chute des premières ventouses et la prompte disparition du mal par
leur application répétée. (P. 62.)
M. Bucquoy termine en conseillant avec grande raison aux ingé-
nieurs de prendre toutes les précautions nécessaires pour obtenir
une décompression suffisamment lente.
Nous avons rapporté plus haut (p. 596) l’histoire du malade de
M. Hermel S qui fut frappé de paralysie en sortant des piles du pont
du Scorff, près Lorient. L’auteur, s’e&t efforcé, en résumant les
observations antérieures, d’expliquer les accidents constatés; nous
verrons qu’il n’est pas heureux dans ses tentatives.
Il insiste d’abord beaucoup sur le confinement auquel sont sou-
mis les ouvriers qui travaillent dans les caissons. L’acide carboni-
que qui s’y produit doit, selon lui, jouer un grand rôle, et, rappe-
lant les fourmillements et les ardeurs cutanées qu’a décrits
Herpin (de Metz) il pense :
Que ce phénomène pourrait bien être la cause du prurit ardent dont se plai-
gnent les ouvriers et que MM. l’ol, Mathieu et François ont signalé, ce que les
ouvriers appellent leurs puces.
De même, les effets du bain d’acide carbonique qui accélère la circulation peu-
vent nous donner la raison de la divergence d’opinions que nous avons présentée
entre MM. Pol, Mathieu et Blavier, d’une part (les premiers ayant constaté dans
l’air comprimé le ralentissement de la circulation, le troisième n’ayant remar-
qué aucune différence sur trois personnes) et d’autre part, M. François, qui a
noté l’accélération de la circulation comme constante. (T. XVI, p. 445.)
Quant à la rougeur du sang veineux, observé par Pol et Watelle,
1 Loc. cit. — Des accidents , etc.; 1802. 1805.
480
HISTORIQUE.
il sc refuse à admettre leur sagace explication. 11 répète avec Fran-
çois que « ce n’est pas un excès d’oxygène qu’on envoie dans les
caissons, mais bien un excès d’air atmosphérique ». Il va même
plus loin :
D'après ce que nous avons établi, l’oxygène des caissons était considérablement
diminué par l'absorption respiratoire et la combustion ; l’acide carbonique nui-
sant à l’hématose, comment le sang veineux serait-il oxygéné? Il faut chercher
ailleurs la raison de la rutilance du sang. Les conditions de milieu dont nous
nous occupons donnent lieu d’admettre la formation de gaz oxyde de carbone,
qui expliquerait ce phénomène. (P. 447.)
Cet oxyde de carbone serait produit, selon noire homoeopathe, par
la respiration dans un air pauvre en oxygène.
Telle est la cause des accidents qui atteignent les. ouvriers :
Les auteurs n’ayant vu ces accidents paraître qu’après la décompression, ils
ont tout attribué à celte transition.
Il arrive alors à l’étude de la décompression ; et il compare ce
qui se passe chez les ouvriers aux effets de l’ascension dans les
hautes régions de l’atmosphère. Il y a cependant, dit-il, une grande
différence, c’est que :
Comme c’est la pression normale de l'air qui retient les fluides dans les vais-
seaux, on voit rarement se produire à la sortie des caissons les hémorrhagies
qui sont fréquentes dans les ascensions. (T. XVII, p. 57.)
En outre, les effets sont plus graves que ceux de l’ascension parce
que,la compression est plus considérable, que la décompression est
plus rapide, qu’elle agit sur des hommes dans un état morbide
manifeste, et que cette sorte de raréfaction s’opère dans un air con-
finé et mêlé de gaz nuisibles.
Relativement aux douleurs musculaires, il repousse l’interpréta-
tion de Fol et Watelle :
Parce que nous n’avons pas trouvé que le sang ait absorbé une plus grande
proportion d’oxygène que normalement. (P. 112.)
Mais nous admettons avec François que la compression de l’air fasse pénétrer
une certaine quantité d’air dans les tissus. Ce fait est démontré par les cas d’ern-
physème sous-cutané. (P. 114.)
Quant aux accidents graves, ce sont, pour M. Hermel, des con-
gestions pulmonaires, médullaires, cérébrales, qu’il explique par
des chocs en retour ; du reste :
L’opération de la décompression, dit-il, ne produit pas à elle seule tous les
481
AIR COMPRIMÉ : THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
accidents observés; la compression de l’air dans les caissons et leur milieu délé-
tère y contribuent pour une grande part. (P. 205.)
Le travail de M. Foleÿ1 est certes le plus original au point de vue
théorique, entre tous ceux que nous avons renconlrés et résumés
déjà. La lecture en est des plus piquantes, sinon des plus faciles; on
y trouve, en effet, non-seulement l’histoire et l’explication des ac-
cidents qui frappent les ouvriers des tubes, mais la théorie de la
respiration des oiseaux dans les hautes régions de l’air, du fonc-
tionnement de la vessie natatoire chez les poissons, etc. En laissant
là ces questions, qui ne nous toucher + qu’indirectement, nous
voyons M. Foleÿ s’efforcer d’éclairer la cause intime des accidents
qu’il a constatés, par une étude peu facile à comprendre sur la nu-
trition, F c< aimatose » et la physiologie des trois systèmes nerveux
à l’aide desquels « l1 homme (plante, animal et âme) gouverne son
être multiple. »
Un exemple indiquera la nature de ces considérations et de leurs
conséquences. L’auteur fait la remarque que les ingénieurs sont
longtemps avant de souffrir de l’air comprimé :
Cela tient, dit-il, à ce que, d’habitude, les premiers alimentent leur moelle
épinière et, par suite, incitent tout leur être avec des souvenirs, des sensations
conservées, et que dès lors, écraser leurs sens, c’est favoriser (pour ainsi dire)
leur mode vital ordinaire.
Au lieu que les seconds, obligés de vivre et travailler au jour le jour, de
fabriquer et dépenser de l’incitation à l’heure l’heure (parce qu’ils n’ont jamais
eu le temps d’habituer la source première de notre activité organique à des im-
pressions gardées), ne peuvent alimenter leurs rachis qu’avec des matériaux de
contacts atmosphériques toujours réels, toujours positifs, toujours immédiats :
matériaux que précisément l’excès de pression les empêche de recueillir. (P. 24.)
J’avoue que je crois devoir renoncer à la tâche de résumer en une
formule nette et intelligible les doctrines de M. Foleÿ. Voici quel-
ques citations que j’essaye de coordonner de manière à jeter un peu
de lumière sur ces obscurités de pensée et de style :
Dès que les ouvriers sont dans l’air comprimé, leur sang s’hypcrartérialise
et leur circulation s’achemine vers son minimum. En même temps, leur réserve
nerveuse déjà si basse... tombe encore.
Ils travaillent cependant, autrement dit leurs muscles, leurs divers organes
mécaniques, tout en mangeant du liquide cruorique, demandent à la moelle épi-*
niève de l’incitation et à leurs ganglions directeurs de la force plastique ;
de ce triple composé de pulpes encéphalique, épinière et sympathique; de ce
triple mélange de substances cordinatrice, végétative et incitatrice, que le grand
• 1 Loc. cit. — Du travail , etc.; 1*805.
51
482
HISTORIQUE.
sympathique fait pour décider le cours du sang d’abord, le régulariser ensuite, e(
finalement le transformer en chair humaine.
Comment répondent à leurs administrés les directeurs mécaniques et nutri-
tifs interrogés?
Mais la moelle épinière qui ne fabrique plus assez d’incitation en refuse, peut-
être même en redemande aux ganglions ou plexus du grand sympathique ! A leur
tour donc, ceux-ci en refusent à leurs administrés, qui malgré cela continuent
leurs travaux, se vident de sang, puis se détériorent, et puis finissent par ne
plus pouvoir servir. (P. 27.)
Voilà pour les phénomènes causés par la compression ; arrivons
maintenant à la décompression :
Nous aurons l'inverse de ce que la compression a causé. (P. 44.). . . . .
Peu à peu, les sens affaissés du tubiste se relèvent; peu à peu ils dirigent vers
la moelle épinière des sensations plus complètes; peu à peu ce dernier appareil
récupère sa puissance. Peu à peu, il rend aux portions du grand sympathique si
énergiquement interrogées ce qu’il leur faut d’incitation pour se refaire elles-
mêmes; et peu à peu, mais en dernier ressort, ces régisseurs nerveux compo-
sent l’ordre qui dirigera, sur les muscles ou autres organes épuisés, l’afflux
réparateur.
Enfin ce commandement est fait. Il part comme la foudre. Mais trop conforme
en général au principe (la réaction doit égaler l’action), il détermine presque tou-
jours une congestion artérielle, d’autant plus abondante et d’autant plus subite
qu’elle a été plus tardive. (P. 28.)
En résumé, nous n’avons à craindre, pour le tubiste rentré dans l’air libre,
qu’une réaction nervoso-sanguine trop forte, un choc circulatoire en ce tour trop
violent. (P. 45.)
C’est là ce que M. Foleÿ désigne sous le nom de « congestion
posléro- tubaire. »
c( Ainsi, toujours selon M. Foleÿ, nous avons toutes les clefs
nécessaires à Fintelligencc des divers phénomènes morbides qui
peuvent naître quand on a quitté l’air comprimé. (P. 29.) »
Voici, par exemple, la clef du suintement sanguin qui se produit
assez fréquemment par le nez ou la bouche :
La muqueuse, quasi-exsangue tant qu’agit l’air comprimé, se remplit dès que
la tension cesse, se déchire si elle est trop mince puis, momentanément sur-
prise, elle recouvre son épaisseur normale après quelques oscillations pénibles.
(P. 50.)
Voici maintenant pour les sensations de chaleur à la peau, et
pour le « prurit pénible, brûlant, intolérable, qui oblige à se grat-
ter à deux mains avec impatience, anxiété, fureur ou délire, que
les ouvriers nomment puces » :
Dès qu’on entre dans les tubés,onest aplati; les artères diminuent de calibre,
et l’on sue facilement. Par tous ces effets notre peau se vide et se flétrit.
AIR COMPRIMÉ : THÉORIES ET EXPÉRIENCES. 483
Aussitôt qu’on en sort, au contraire, p.ir la seule force mécanique de ses fibres
élastiques, cette enveloppe s’épanouit. Malheureusement la rétractilité de leur
tunique jaune conserve, à nos vaisseaux nourriciers, leur diamètre minimum. Il
eu résulte qu’une sorte de vide se forme autour d’eux.
Les choses étant ainsi disposées, quand la réaction commence, autrement dit,
quand les ondées sanguines redeviennent vigoureuses , nos artères préalablement
isolées cèdent facilement, reprennent leur diamètre antérieur, et même l’exa-
gèrent. En même temps, nos innombrables papilles cutanées sont tuméfiées ou-
tre mesure par un sang suroxygéné. Alors dans l’épaisseur de la peau les lllets
nerveux qui enlacent nos vaisseaux nourriciers, tiraillés brusquement et outre
mesure, accusent des douleurs cruelles et dilacérantes, tandis qu’à sa surface
tous les contacts deviennent à la fois piquants et brûlants. Ce sont toutes ces dou-
leurs simultanées qui déterminent les puces. (P. 53.)
Enfin les accidents ,qui frappent « les muscles, puis leurs auxi-
liaires synoviaux, aponévrotiques ou articulaires », s’expliquent de
même; ce sont; comme on l’a vu (p. 594), des tuméfactions :
Ces gonflements sont-ils de nature gazeuse, hémorrhagique ou rhumatismale,
comme on l’a dit ? Non !
La recompression qui toujours les efface immédiatement, l’absence de crépita-
tion, de craquement, de coloration quelconque sous l’épiderme, et de pérégrina-
tion, enfin l’excessive richesse du sang, qui exclut toute idée de fibrine en excès,
autrement dit de maladie inflammatoire, ne permettent pas d’en douter. Ce sont
tout bonnement des congestions artérielles sans extravasation. (P. 55.)
M. Foleÿ n’hésite pas à prédire à la médicalion par l'air com-
primé le plus bel avenir :
Faites, dit-il, une chaise à porteurs fermant bien hermétiquement Adap-
tez-y une soupape de sûreté, une pompe foulante et un manomètre : en un mot,
disposez tout pour qu’en cette petite chambre la pression de l’air puisse atteindre
2,5 atm. au plus.
Et certainement vous posséderez un meuble qui vous permettra d’aller soula-
ger bien des Vieillards asthmatiques; d’aller sauver beaucoup d’enfants atteints
du croup, et d’aller aussi guérir quantité d’adultes frappés de maladies congestion-
nelles, toxico-hémiques. (P. 155.)
Sans discuter la valeur de ces espérances, il est nécessaire de
faire observer aux « réalisateurs »-, comme les appelle M. Foleÿ,
que la construction des appareils est notablement plus compliquée
et plus coûteuse qu’il ne semble le croire.
M. Caffe1 fut chargé par la Société médicale d’émulation d’exa-
miner le travail de M. Foleÿ. 11 en profita pour étudier à son tour
l’action de l’air comprimé.
1 Rapport sur le travail de M. Foleÿ, lu à la Soc. méd. d' émulation de Paris, séance
du ict août 18G3;
HISTORIQUE.
4S é
Il commence par accepler les idées du Dr François sur Faction
mécanique de l’air comprimé et sur « l’amalgame » de l’air cl
des tissus; il les résume dans les termes suivants :
M. François rapporte les douleurs musculaires et arthritiques à la pénétra-
tion dans les tissus de l’air comprimé qui devient une cause d’irritation, dési-
gnée sous le nom de souffrance des caissons; des abcès leur succèdent quelque-
lois. Une expérience semble confirmer l’opinion de M. François; lors du forage
des caissons, quand on a retiré de leur intérieur les sommiers en chêne, soumis
à la compression de l’air, ces poutres plongées dans l’eau dégageaient de notables
quantités de bulles d’air.
Le danger des congestions cérébrales se traduit également à la sortie de l’éclu-
sement ; le sang, soustrait à la pression par l’air condensé, tend à s’équilibrer avec
l’air extérieur; il est donc refoulé vers les centres nerveux, cerveau, moelle épi-
nière; la vessie urinaire perd elle-même de sa contractilité. (P. 2.)
Puis, après avoir exposé les observations et les doctrines de
M. Foleÿ, il se déclare un partisan des plus ardents de sa « chaise
à porteurs », et s’écrie avec enthousiasme :
Nous serons ainsi en possession d’un ingénieux instrument qui deviendra une
précieuse ressource thérapeutique pour le soulagement et la longévité de beau-
coup de vieillards eatarrheux et asthmatiques, et pour conjurer les douleurs si
pénibles à supporter et à voir des adultes affectés d’angines de poitrine, qui
bleuissent et s’asphyxient en cherchant l’air qui les fuit.
Sans aucun effort d’imagination, mais en procédant avec la logique des faits
et du raisonnement, on peut concevoir l’espérance de sauver d’une mort immi-
nente les "victimes de la dernière période du croup. L’air comprimé déprimera,
aplatira les fausses membranes, et rétablira la liberté et le passage de l’air dans
les voies respiratoires. Les congestions cérébrales, les prédispositions apoplecti-
formes seront conjurées tant que l’influx nerveux présidera à la circulation ;
peut-être encore est-il permis d’espérer que le typhus, la morve et toutes les
maladies de nature toxico-hémique seront guéris, ou du moins singulièrement
abrégés dans leur durée, et annihilés dans leur gravité par la respiration dans un
air comprimé, qui artérialise et hématose le sang sans aucun effort; l'expérience
est facile à tenter sur les animaux.
Le venin de la vipère, le virus de la rage, de la variole, etc., peut-être
seront-ils un jour neutralisés localement, ne rencontrant plus, sous l’air com-
primé, qu’un sang très-riche essentiellement vital et qui se refusera, par consé-
quent, à servir de véhicule au poison, comme anéanti sur place; quel est le méde-
cin qui ignore que les maladies contagieuses ou transmissibles ne le deviennent
que lorsqu’elles rencontrent des individus prédisposés, soit sur un terrain pro-
pice à leur évolution? (F. 7.)
Les auteurs anglais, Babington cl Cuthbert1, qui ont été témoins
des accidents du pont de Londonderry, ont cherché, comme tous
leurs prédécesseurs, à les expliquer. Eux aussi sont frappés de
* Loc, cit. — Paralysis causcd, etc.; 18(35.
AIR COMPRIMÉ : THÉORIES ET EXPÉRIENCES. 485
voir qu’ils surviennent exclusivement clans la phase de la décom-
pression :
L’idée a’un élément dangereux dans l'air comprimé doit êire abandonnée,
parce que les ouvriers ne souffraient pas pendant leur séjour, de 5 ou 4 heures,
dans le cylindre. Tous les cas de malaise sérieux arrivaient quand on enlevait, plus
ou moins rapidement, un excès de pression. Il semble raisonnable, dans l’absence
de toute autre cause, de supposer que la transition soudaine d’un air condensé à
l’air libre occasionne tous ces symptômes graves.
Mais pourquoi ce changement frappe-t-il le système nerveux? Le cerveau et la
moelle, enfermés qu’ils sont dans leurs cavités osseuses, et ayant leurs vaisseaux
protégés de même, ne peuvent pas céder à la pression atmosphérique aussi facile-
ment que les parties plus élastiques. Ainsi le cerveau, quand l’ouvrier est sous
une pression excessive, ne peut, si cette pression est enlevée de la surface, s’ac-
commoder à cette modification aussi rapidement que les autres organes ; l’excès de
pression sur le cerveau et la moelle doit s’en aller par les passages étroits par où
le sang sort de ces organes. Les canaux osseux dans lesquels les vaisseaux san-
guins sont creusés rend cette issue plus pénible, et l’excès de pression se porte
sur les délicates parties nerveuses, brisant les petits vaisseaux, et produisant la
série des redoutables accidents que nous avons rapportés. (P. 518.)
Le Dr Sandahl 1 est très-net dans ses explications. Pour lui,
les modifications physiologiques observées sont principalement
la conséquence d’une augmentation dans la quantité d’oxygène
contenue dans le sang. L’action mécanique de la compression
ne s’exerce que par l’intermédiaire, pour ainsi dire, des gaz dis-
sous :
La richesse plus grande en oxygène de l’air comprimé agit naturellement plus
énergiquement sur les poumons malades que sur les poumons sains. Supposons
qu’un homme sain fasse par minute 20 inspirations absorbant chacune 50 1>c
d’air ; si ses poumons deviennent malades, et n’inspirent plus que 20po, il devra
faire 50 respirations à la minute pour amener dans son organisme la même quan-
tité d’oxygène. Si alors on lui fait respirer de l’air ayant une demi-atmosphère
de compression, les poumons ne feront plus que 20 respirations, puisque 20pu de
cet air comprimé en vaudront 50 d’air ordinaire.
Si la masse totale du sang chez un homme sain passe en 4 minutes à travers
les poumons pour y absorber une certaine quantité d’oxygène, elle devra, dans
le cas où les poumons seront rétrécis par la maladie, passer plus vite, pour ab-
sorber la même quantité d’oxygène, d’où accélération nécessaire des battements
du cœur. Si la compression a rendu l’air plus riche en oxygène sous le même
volume, le sang y pourra prendre plus d’oxygène, et la circulation n’aura pas be-
soin d’être aussi rapide
Une action essentielle de l’air comprimé est son influence sur les gaz libres con-
tenus dans le sang. La présence de ces gaz permet à la masse du sang d’être com-
primée par l’air, en telle sorte que les vaisseaux se contractent. Cet effet doit se
produire surtout d’abord dans les vaisseaux de la superficie du corps. Les capil-
laires de la peau et du poumons se contracteront donc
J Loc. cil. — Ueber die Wirkwujai , etc.; 1802.
480
HISTORIQUE.
L’augmentation de la production d’acide carbonique dans l’air comprimé a
besoin d’être démontrée par des recherches nouvelles
La compression introduisant plus d’oxygène dans le sang, on pourrait s’attendre
à voir augmenter la température du corps. Mais cela n’a pas eu lieu dans des
observations faites avec le plus grand soin — Du reste , le ralentissement de la
respiration et de la circulation doivent compenser la plus grande quantité d’oxy-
gène contenus dans le sang.
Suivent des considérations sur la sueur, l’urine, la nutrition,
desquelles rien de clair ne se dégage.
Tutschek1 formule d’une manière plus condensée des opi-
nions analogues. Selon lui, l’action de l’air comprimé a deux fac-
teurs :
La pression mécanique augmentée, ce qui modifie le cours du sang; l’augmen-
tation de l’oxygène du sang, qui exerce une grande influence sur les échanges
de matières.
Nous arrivons maintenant aux travaux de Rudolph von Vivenot2.
La partie descriptive des changements du rhythme respiratoire par
le séjour dans l’air comprimé a été reproduite dans le chapitre pré-
cédent (Voy. p. 458). Quant à l’explication de l’augmentation dans
la capacité pulmonaire, Vivenot la trouve dans la considération sui-
vante :
Bien que l’augmentation de pression s’exerce également sur tous les points de la
surface du corps, l’effet produit par cette pression n’est nullement égal partout,
à cause des différences de texture , de consistance et de position des différents
organes.
Le tissu pulmonaire , qui est délicat, élastique, et cède facilement, résistera
moi]is à V augmentation de pression du côté de la base des poumons, où il ne repose
que sur les intestins, très-compressibles, que du côté des parois thoraciques, qui
sont formées par des tissus plus durs, plus compactes. C’est ce qui explique
l’augmentation du diamètre vertical des poumons et leur déplacement vers le bas.
Les modifications que l’action de l’air comprimé peut apporter
dans les échanges chimiques de la respiration ont ôté étudiées par
Vivenot avec un grand luxe de détails; l’importance capitale de ce
côté de la question nous force à reproduire ici une grande partie
de son mémoire de 1865 :
Il fallait, comme base des observations, déterminer la quantité d’acide carbo-
nique exhalé par la respiration, afin de voir si la quantité d’oxygène absorbé et
la quantité d’oxygène consommé sont, par l’effet de l’air comprimé, dans des
conditions différentes.
1 Loc. cit. — Die comprimirte Luft, etc.; 1865.
- Loc. cit. — Voir la liste des travaux de Vivenot, p. 457.
AIR COMPRIMÉ : THEORIES ET EXPÉRIENCES.
487
A priori , on pouvait s’attendre à une augmentation dans les quantités absolue
et relative d’oxygène absorbé ; dans la quantité absolue, à cause de l’augmenta-
tion de la pression exercée sur les poumons, comme aussi à cause de l’augmen-
tation précilée de la capacité pulmonaire; dans la quantité relative, puisque le
nombre des respirations est diminué, et que c’est un fait que l’acide carbonique
exhalé, quelquefois aussi l’oxygène absorbé, sont en raison inverse de la fré-
quence de la respiration. (Yierordt.)
Vivenot décrit alors le spiromètre dont il s’est servi, et dans
lequel « on exhalait l’air provenant d’une expiration aussi forte que
possible, faite sans grand effort » :
Si l’on veut en quelque façon pouvoir compter sur le résultat, il faut, comme
des essaisantérieursnous l’ont prouvé, faire en sorte que l’expiration soit toujours
faite dans des circonstances à peu près identiques. C’est pourquoi les précautions
les plus minutieuses ont été prises, et l'on faisait les expériences sur des inspira-
tions aussi profondes que possible , faites à des intervalles d'une heure et dans des
conditions tout à fait semblables.
Le volume d’air était chez moi en moyenne de 3 700e c. La durée de la respira-
tion de quinze à dix-huit secondes. Le premier essai était fait une heure avant
l’entrée dans l’air comprimé, c’est-à-dif'e à huit heures du matin ; les chiffres
obtenus à ce moment n’ont pas d’importance, ne devant servir que de point de
départ à l’expérience. Le second essai se faisait à neuf heures, aussitôt avant
l’entrée dans l’appareil pneumatique ; le troisième à dix heures, sous l’in-
fluence de l’air comprimé, après une heure de durée de la compression; le qua-
trième à onze heures, sous la pression normale, aussitôt après la sortie de l’ap-
pareil ; le cinquième et le sixième à midi et une heure, aussi sous une pression
ordinaire.
Les observations faites de cette manière, journellement, du 26 août au 13 sep-
tembre inclusivement, ont donné les chiffres suivants, comme quantités d'acide
carbonique exprimées en grammes , contenues dans chaque expiration , et quantité
correspondantes de carbone exhalé.
OBSERVATEUR, VIVENOT
SOUS LA PRESSION
NORMALE
SOUS UNE
PRESSION
AUGMENTÉE
SOUS LA PRESSION
NORMALE
8 HEURES
9 HEURES
10 HEURES
11 HEURES
MIDI
1 HEURE
Quantité d’acide carbonique
contenue dans une expi-
ration exprimée en gram-
mes
0,1983
0,2256
0,2670
0,2185
0,2177
0,2100
Quantité de carbone dans
une respiration exprimée
en grammes
0,05408
0,00098
0,07298
0,05954
0,05957
0,05744
488
HISTORIQUE.
Ce résultat prouve évidemment qu’une expiration dans l’air comprimé renferme
de 0,0440 à 0,0570 grammes , en moyenne 0,050 grammes , c’est-à-dire 1/4,552
d’acide carbonique de plus que sous la pression normale.
Les chiffres trouvés pour la pression normale (à l’exception de l’observation
faite à huit heures), et dont la moyenne est de 0,2176 grammes, se correspondent
d’une façon remarquable ; cependant on ne peut méconnaître une petite dimi-
nution progressive d’acide carbonique à partir de onze heures, c’est-à-dire à
partir du retour sous la pression normale jusqu’à midi à une heure. Le maximum
de la quantité d’acide carbonique trouvée chez moi sous la pression normale s’est
élevée à 0,2890, et dans l’air comprimé à 0,5215 grammes.
Les données prises sur d'autres personnes ont donné des résultats analogues.
Chez M. H...t,une expiration de 5,0Ü0UC, sous la pression ordinaire, renfermaiten
moyenne 0,1505 grammes d’acide carbonique, mais dans l’air comprimé 0,1755,
avec un excès de 0,0450 grammes, c’est-à-dire de 1/4,04 de la quantité totale et
normale d’acide carbonique. Chez Mlle B. , une seule expérience faite sous la
pression normale a donné pour 5,000 uc d’air expiré 0,158 grammes à la pression
normale, et dans l’air comprimé 0,170 d’acide carbonique, c’est-à-dire une aug-
mentation de 0,0520, ou 1/4,51.
Partant de l’idée qu’au commencement du séjour dans l’air comprimé il y avait
peut-être une plus grande quantité d’oxygène absorbé que vers la lin de ce séjour,
comme si le sang se saturait d’oxygène, le docteur Lange a fait des expériences
sur lui-même, et a modifié ma propre manière d’expérimenter. 11 déterminait le
contenu en acide carbonique de sa respiration immédiatement avant la séance, en-
suite il recommençait au bout d’une demi-heure de séjour dans l’air comprimé,
c’est-à-dire au moment où la pression atteignait son maximum , puis au bout
d’une heure, après l’influence continue d’une heure de celte pression maximum,
c’est-à-dire après un séjour d’une heure et demie dans l’air comprimé. Pour une
quantité de 5950 c d’air expiré, il obtint les résultats suivants :
. !
SOUS UNE PRESSION AUGMENTEE
OBSERVATEUR, LANGE
SOUS LA
IMIESSION NORMALE
A l’arrivée au
maximum de la
pression (au bout
d’une
demi-heure).
Après une heure de
durée du maximum
de la pression
(c’est-à-dire au bout
d’une heure
et demie).
Quantité d’acide carbonique
contenue dans une expira-
tion, exprimée en gram-
mes
0,2500*
0,2959
0,2211
Quantité de carbone dans une
expiration, exprimée en
grammes
0,00827
0,08070
IWBiOCTI'SI» •OfXtT
0,00500 j
il y a donc ici également, à l’arrivée au maximum de la pression, au bout d’une
demi-heure de séjour dans Pair comprimé, une augmentation de la quantité
AIR COMPRIMÉ : THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
480
d’acide carbonique exhalée, analogue à celle qui a été constatée chez moi. Cette
augmentation a été de 0,0455 grammes, c’est-à-dire 1/5,55. Le maximum absolu
a été, chez le docteur Lange, sous la pression normale, de 0,5770 grammes, dan^
l’air comprimé, de 0,4545 grammes. Mais nous trouvons ici, après une heure de
durée du maximum de pression , une diminution d’acide carbonique exhalé de
0,0295 grammes.
Cependant le chiffre obtenu en dernier lieu est douteux, ce qui résulte d’essais
faits plus tard, et cela s’explique par le fait qu’une partie de l’air expiré s’était
perdu, les tuyaux en caoutchouc n’ayant pas été hermétiquement fermés. Des
essais faits postérieurement par le docteur Lange ont donné, comme total de la
quantité d’acide carbonique exhalée en deux expirations ordinaires (d'environ 5
à 400 centimètres cubes) et respectivement comme quantité de carbone éliminé,
les chiffres suivants :
OBSERVATEUR, LANGE
SOUi LA
PIlEaSION NORMALE
A L’ARRIVÉ 3
AU MAXIMUM 13E LA
PRESSION (AU ROUT
d’une
demi-iieure)
APRÈS UNE HEURE DE
DURÉE DU MAXIMUM
DE LA PRESSION
(AU ÎIOUT
d’une demi-iieure)
Acide carbonique
0,2400 gr.
0,2910 gr.
0,2920 gr. !
Carbone
0,06709 gr.
0,07936 gr.
0,07904 gr.
Ce qui concorde avec les résultat s que j’avais obtenus moi-meme, comme aug-
mentation de la quantité d’acide carbonique exhalée dans l’air comprimé.
Si maintenant je compare les chiffres obtenus chez plusieurs personnes, je
trouve comme excès de la quantité d'acide carbonique exhalée dans l'air comprimé,
comparativement à la quantité totale :
Chez moi
Il
ilO
•
22; 99
p. 100
Chez M. IL... t . .
1
* 4,04
24,75
p. 100
Chez Mlle R
1
' 4,51
25,20
p. 100
Chez le docteur Lange .
1
5, ou
18,08
p. 100
En moyenne ....
1 *
* 4,50
22-, 26
p. 100
Il peut être bon de faire observer ici que l’excédant d’acide carbonique expiré
dans l’air comprimé ne peut pas être attribué à une augmentation dans la quan-
tité d’acide carbonique qui aurait été contenue dans l’appareil pneumatique. Un
essai de l’air de l’appareil fait par le docteur Lange, après que trois personnes y
avaient séjourné pendant deux heures, donna comme moyenne de 4 expériences
sur 5 500e 0 d’air 0,0 591 grammes d’acide carbonique. L’air de la salle d’attente,
490
HISTORIQUE.
où le spiromètre se trouvait placé et où l’on faisait les essais décrits ci-dessus de
l’acide carbonique expiré sous la pression normale , donna de même, comme
moyenne de 4 essais à 5 500e 0 d’air, 0,0592 grammes d’acide carbonique, c’est-
à-dire exactement la même quantité.
Ainsi, il est prouvé aux yeux de Yivenot que, dans une expira-
tion, il y a plus d’acide carbonique sous l’air comprimé qu’à la
pression normale. Mais, d’autre part, la capacité respiratoire est
plus grande dans le premier cas que dans le second. Y a-t-il pro-
portionnalité entre ces deux augmentations, et l’une peut-elle être
considérée comme la conséquence de l’autre? Yivenot répond
comme il suit à cette question :
*
Si nous rapprochons les rapports des quantités d’acide carbonique exhalées
dans la pression normale et dans l’air comprimé des rapports respectifs d’aug-
mentation de la capacité pulmonaire, nous trouvons :
CAPACITÉS RESPIRATOIRES
QUANTITÉS
d’acide carronique produit
DANS
DANS
DANS
DANS
l’aie normal
l’air CONDENSÉ
l’air NORMAL
l’air condensé
Chez moi
5425 CC
5555 CC
0,2170 gr.
0,2070 gr.
Chez le Dr Lange. .
5950 CC
4085 CC
0,2505 gr.
0.2959 gr.
i
En moyenne. . . .
5087,5 CC
5809,5 CC
0,-5410 gr.
0,28175 gr.
Soit une augmenta-
tion de
122,0 CC
0,01705 gr.
Ou, en représentant par i les valeurs correspondantes aux rapports normaux :
Chez moi
1:1 + 5X7-
1:1++.
n 4,55
Chez le Dr Lange. .
1:1+ 1 •
^ 29,7
•
1:1+4-,*
5,5o
Soit en moyenne . .
1:1+ 1 .
^ 50,80
1
1:1 +
' 4,91
Ainsi, pendant que l’augmentation de la capacité pulmonaire dans 1 air
comprimé s’élève à > ^ — , la quantité d’acide carbonique exhalé a augmenté
AIR COMPRIME : THEORIES ET EXPERIENCES
401
1
de g|‘ Le rapport des augmentations est donc environ :: 1:6. Si je calcule
quelle devrait être la quantité d’acide carbonique exhalé, si l’augmentation con-
statée dans l’air comprimé était proportionnelle à l’augmentation de la capacité
pulmonaire, je trouve la proportion 3687, 5CC : 5809, 500 = 02541,0 gr. : x;
d’où x — 0,24197 grammes. L’augmentation calculée pour ce cas est de 0,00787
au lieu de 0,04765 grammes que donne l’expérience.
Cette divergence considérable entre le calcul et l’expérience montre clairement
que l’augmentation de la quantité d’acide carbonique exhalé sous l’air comprimé
n’est pas proportionnelle à l’agrandissement de capacité pulmonaire, qui ne peut
avoir qu’une petite part comme cause de cette augmentation. II semblerait donc
permis d’admettre que l'excès de la quantité d'acide carbonique exhalé serait produit
parla compression même, agissant enpartie d'après la loi deDalton et produisant une
plus forte absorption d'oxygène , sous l’influence directe de la compression d’une
3
part, et du fait que l’air comprimé renferme lui-même ^ d’oxygène de plus sous
le même volume.
Il restait enfin à calculer la valeur de l’augmentation totale de
l’acide carbonique produit dans un temps donné. Pour y arriver,
Yivenot procède par voie de calcul, en tenant compte à la fois du
nombre des respirations qu’il fait dans une minute, et de la quan-
tité d’acide carbonique contenue dans une expiration. Voici, au
reste, comment il explique sa manière de procéder :
L’air exhalé par moi dans une expiration contenait, comme il a été dit ci-
dessus, sous la pression normale, 0,2176 grammes, et dans l’air comprimé
0,2676 grammes d’acide carbonique. Or, comme à l’époque où les analyses fu-
rent faites (du 26 août au 15 septembre) la moyenne de mes respirations dans
l’air normal était de 4,15 et dans l’air comprimé de 5,76 par minute, on peut
tirer de cette série d’expériences la conclusion suivante :
•
QUANTITÉ ;
d’acide carbonique
EXHALÉ, EXPRIMÉE EN GRAMMES
QUANTITÉ i
DE CARBONE CONSOMMÉE , EXPRIMÉE
EN GRAMMES
SOUS LA
PRESSION NORMALE
DANS
l’air COMPRIMÉ
SOUS LA PRESSION
NORMALE
DANS
l’air COMPRIMÉ
En une minute. . .
0,903040
1,006176
0,2462 i
0,27441
En une heure. . . .
54,18240
60,37086
14,7770
10,4647
En 24 heures. . . .
1500,57760
1449,49550
354,6480
595,1528 !
Si nous comparons les chiffres obtenus pour l’air normal avec ceux qu’ont
donnés les auteurs les plus dignes de confiance, nous trouvons que la quantité
492
HISTORIQUE.
d’acide carbonique exhalée dans line heure par des individus de 20 à 28 ans a
été estimée par Andral et Gavarret en moyenne à 44,55 grammes, et au maximum
à 51,7, et par Valentin, en moyenne à 59,140. Réduits en carbone, ces chiffres
correspondent pour Andral et Gavarret à une quantité moyenne par heure de
14,1 grammes, pour Valentin, à 10,665 grammes. Humas indique 10 grammes
comme devant être la moyenne probable de la consommation de carbone par
heure et 15 grammes pour des hommes d’une force exceptionnelle.
Nous voyons par là que les chiffres obtenus par moi pour la pression normale, et
bien que ma constitution ne soit pas très-robuste, correspondent aux chiffres
les plus élevés obtenus par les auteurs, mais que les résultats obtenus dans l'air
comprimé dépassent encore considérablement ces mêmes quantités. Le calcul fait pour
un séjour de vingt-quatre heures dans l’air comprimé ne donne qu’un résultat
idéal, puisque le séjour n’a duré en réalité que deux heures par jour, et qu’il
faudrait donc, pour ce cas, ne prendre que les résultats de l’air comprimé que
pour deux heures et y ajouter ceux de l’air normal pour les 22 heures restantes.
En faisant le calcul de celte manière, nous trouvons comme quantité véritable
d’acide carbonique exhalé en 24 heures, après une séance journalière de deux
heures dans l’air comprimé, 1512,7559 grammes, et comme quantité correspon-
dante de carbone consommé pendant ce même temps 558,0254 grammes. D’où
il suit que même après celle réduction la production d’acide carbonique trou-
vée par moi dépasse encore notablement celle que d’autres observateurs ont trou-
vée dans des conditions normales.
L’explication des chiffres considérables obtenus par moi-même sous la pression
normale réside dans ce fait que les analyses de l’air expiré n’ont pu être faites
dès les premières séances, faute d’appareils et de réactifs convenables, et ne l’ont
été que lorsque j’avais déjà fait plus d’une centaine de séances dans l’air com-
primé. D’où il suit que dans les chiffres obtenus chez moi sous la pression normale
figure déjà l'effet d'un usage prolongé de l'air comprimé, c’est-à-dire une aug-
mentation de la quantité d’acide carbonique ; et des analyses faites avant le com-
mencement de ma série de séances d’air comprimé auraient certainement donné
une production d’acide carbonique correspondant parfaitement à celle des auteurs,
c’est-à-dire moindre.
Le résultat établit donc indubitablement comme un fait que l'influence directe de
la compression de l'air aussi bien que l'effet consécutif d'une séance journalière de
deux heures dans V air comprimé, répétée pendant un certain temps , produit une
exhalation plus considérable d'acide carbonique , et par suite aussi une augmentation
dans la quantité de l'oxygène absorbé.
De cette augmentation dans la quantité d’oxygène absorbée, que
Vivenot considère comme démontrée, il tire des conséquences géné-
rales de la plus haute importance :
Deux faits, qui concordent parfaitement avec le précédent, sont:
\° Le besoin plus considérable d' alimentation qui se fait sentir comme effet de
l’air comprimé, par une augmentation remarquable de l'appétit , ce que j’ai con-
staté chez moi-même et chez d’autres, et ce qu'on observe tout particulièrement
et sans exception chez les ouvriers qui travaillent dans l’air comprimé ; 2° l'aug-
mentation très-notable de la sécrétion urinaire , constatée de nouveau chez moi
pendant cette série d’expériences et chez plusieurs autres personnes, et corres-
pondant particulièrement aux premières séances dans l’air comprimé.
VI R COMPRIME : TIICORIES ET EXPERIENCES.
405
II se produit donc dans l'économie un échange plus considérable de matériaux ,
et cela sert aussi à expliquer des résultats eu apparence contradictoires, siguaiés
par différents auteurs.
Il s’agit de V augmentation clupoids du corps, indiquée comme conséquence du
séjour dans l’air comprimé par quelques auteurs : témoin J. Lange (d’Utersen),
qui dit avoir observé une augmentation de poids de 5 kilogrammes en trente-
huit jours (de 58 à 63 kilogrammes) chez une personne, et de 5 kilogrammes en
C21 jours chez une autre. Je ne puis que confirmer cette observation par ce que j’ai
remarqué sur moi-même ; car mon poids avait augmenté en quatre mois (du 30
avril au 1er septembre) de 5 livres 1/2 (de 127,5 à 130 livres), ce qui est d’autant
plus concluant que c’était au milieu de la saison chaude où, comme on le sait, le
poids du corps diminue habituellement.
Mais, d’un autre côté, il y a un fait qui ne peut pas non plus être contesté,
c'est l'amaigrissement considérable des ouvriers travaillant sous une pression de
trois à quatre atmosphères (dans des mines de houille ou à la construction des
ponts). Sandahla constaté le même fait comme conséquence de l’emploi théra-
peutique de l’air comprimé, d’où il suit que ce traitement a déjà été conseillé
assez souvent, comme moyen à opposer à l'obésité.
La contradiction apparente de ces résultats, conséquences de l’augmentation de
la pression de l’air, s’explique par la considération du rapport entre le besoin, l'ap-
port de matériaux et la combustion. Le besoin d’une alimentation plus considérable
se fait sentir. Si donc l’augmentation de l’appétit et la possibilité de prendre plus
d’aliments peuvent non-seulement compenser, mais dépasser la combustion plus
considérable des matériaux du sang (ce qui sera le cas sous une augmentation de
pression peu considérable et avec des séances journalières relativement courtes),
une augmentation du poids du corps devra nécessairement se produire. Mais, si la
combustion du carbone étant aussi considérable que celle qui se produit chez
des ouvriers travaillant six à huit heures par jour sous une pression de trois à
quatre atmosphères, le remplacement des matériaux brûlés ne peut pas se faire
complètement, la combustion devra nécessairement se faire aux dépens de l'orga-
nisme, ce qui produira l'amaigrissement.
Nous avons reproduit plus haut (p. 442 et suiv.), dans ses par-
ties les plus intéressantes, la longue élude qu’a faite Yivenot des
modifications que l’air comprimé apporte dans la circulation et
spécialement dans les caractères du pouls.
Il s’est demandé si ces changements dans la forme du pouls peu-
vent être expliqués par l’action directe, locale, de la pression sur
le système artériel. Pour répondre à cette question, il institua Pcx-
périence suivante, dans laquelle il élimine, dit-il, tous les éléments
complexes du problème, pour ne se trouver qu’en présence de « la
contractilité des vaisseaux et la pression du sang » :
On prend un ballon de caoutchouc avec un tube d’environ 50 centimètres de
long ; on les remplit d’eau, sans les mettre sous tension, et on ferme l’extré-
mité avec un fil. Le cœur est représenté par le ballon, les artères par le tube, le
sang par l’eau.
Un sphygmographe est placé sur le tube. Un poids tombe régulièrement et tou-
m
HISTORIQUE
jours de la même hauteur sur le ballon, représentant ainsi l’impulsion du
cœur. On obtient de la sorte un tracé sphygmographique.
A la pression normale, ce tracé présente les apparences caractéristiques du
pouls normal dans ces conditions : ascension rapide, verticale, sommet aigu, des-
cente en forme de vagues, tous les signes d’une tension faible dans les vaisseaux.
Si on place l’appareil dans l'air comprimé, rien autre n’étant changé, la courbe
du sphygmographe est beaucoup modifiée. Elle ressemble alors, d’une manière
tout à fait remarquable, à celle que donne le pouls lui-même sous la compression.
La ligne d’ascension est devenue oblique, le sommet s’est changé en un plateau,
la hauteur de l’impulsion est moitié moindre, le polycrotisme de la ligne descen-
dante a disparu complètement.
En faisant tomber de plus haut le poids, de manière à avoir une pression plus
forte sur le cœur artificiel, la ligne d’ascension deviendra plus droite, l’amplitude
de l’oscillation augmentera, mais il n’y aura pas de polycrotisme. Si l’appareil
reste longtemps dans l’air comprimé, on voit sortir aux environs de la ligature
quelques gouttes de liquide, ce qui n’arrive jamais à la pression normale. A ce
moment, le sphygmographe donne un tracé qui se rapproche beaucoup de celui
qu’on obtenait avec l’impulsion première .
Au retour dans l’air normal, on retrouve la courbe primitive, seulement avec
une ascension plus raide encore et un polycrotisme plus accentué. ( Zur liennt-
iiiss, etc., p. 575-574.)
11 conclut de cette expérience et de la similitude des tracés ob-
tenus tant avec les artères qu’avec son appareil, dans l’air com-
primé, que :
Les changements présentés par les courbes dans les deux cas ont les mêmes
causes et dépendent d’une pure influence mécanique exercée par l’augmentation
de la pression sur des tuyaux élastiques et remplis de liquide.
L'obliquité de la ligne ascendante, devenue plus accentuée dans l’air comprimé,
indique une résistance plus grande des parois artérielles à l’impulsion du
cœur.
L’amplitude amoindrie de l’oscillation a deux causes:
La diminution de l’excursion des vaisseaux artériels, dont la diastole est moin-
dre à cause de la résistance augmentée des parois, et la systole moindre parce
que, grâce à la pression, les artères sont plus pleines de sang, relativement à leur
calibre, et ne peuvent se contracter autant;
La diminution du volume des artères qui, dans l’air comprimé, deviennent plus
petites et contiennent d’une manière absolue moins de sang ; c’est ceque démon-
tre nettement la sortie du liquide hors de notre appareil après un long séjour
dans l’air comprimé
Maintenant, il y a des gaz comprimés dans le sang, qui sont mis en liberté par
la diminution de la pression de l’air, et qui par conséquent y sout retenus par
une pression atmosphérique élevée : de là une raison pour que la masse du sang
restant constante arrive, sous un excès de pression de l’air, à être réduite au plus
petit volume possible. . .
11 résulte de ces faits que l’action de l’air comprimé s'exercera au plus haut
point sur les vaisseaux périphériques. (Ibid., p. 5*75.)
Nous verrons, au chapitre suivant * ce que vaut cette étrange
AIR COMPRIME : THEORIES ET EXPERIENCES.
495
expérience, la seule qu’ait faite Yivenot dans le cours de scs recher-
ches, et quelle importance peuvent avoir les conséquences qu’il en
lire.
Les idées de G. Lange1 sont, comme on devait s’y attendre, en
concordance parfaite avec celles de son collaborateur Yivenot. 11
y ajoute cependant quelques explications originales : celle-ci, par
exemple, qui a trait à la diminution du nombre des mouvements
respiratoires :
Le besoin de respirer ne résulte pas de rinfluence qu'exerce sur la moelle
allongée un sang devenu moins riche en oxygène ; mais c’est l’acide carbonique
du sang qui fait naître ce besoin, dont l’intensité croît proportionnellement à la
quantité de cet acide que le sang contient. C’est pourquoi toute augmentation de
la quantité d’acide carbonique exhalé fera diminuer le besoin de respirer, et par
suite le nombre des inspirations, à moins qu’une combustion plus active du sang
n’y ramène un excès d’acide carbonique égal ou supérieur à la quantité exhalée
en plus.
On expliquerait ainsi la diminution de fréquence des mouvements respira-
toires par une plus grande exhalation d’acide carbonique dans l’air comprimé,
au moins pendant le séjour sous la cloche, et le temps qui suit immédiatement
ce séjour. (P. 25.)
Mais G. Lange sait très-bien que celte hypothèse, alors en rapport
avec la théorie de Brown-Séquard, ne peut rendre compte du ra-
lentissement permanent des mouvements respiratoires. Aussi a-t-il
alors recours à un autre ordre d’explicalion :
Je ne puis, dit-il, expliquer ce fait que par l’incontestable augmentation de
force des muscles respirateurs, laquelle peut seule aussi rendre compte de l’aug-
mentation de la capacité vitale des poumons appréciable dès la première séance.
Il s’appuie ici sur les conclusions d’un mémoire de J. Lange2,
que je n’ai pu me procurer :
Le docteur J. L., dans son travail sur les effets physiologiques et thérapeu-
tiques de l’air comprimé, a conclu d’une série d’expériences, dont je peux attes-
ter l’exactitude, que l’on y voyait augmenter notablement la pression négative
dans l’inspiration et la pression positive dans l’expiration. Si donc les muscles
respirateurs augmentent de vigueur, on est autorisé à supposer que tout le reste
de l’appareil musculaire participe à cette augmentation de force. C’est ce que le
docteur J. L. a prouvé par une série d’expériences, et il établit comme un fait
que, si des malades se sont soumis à l’action de l’air comprimé pour une maladie
1 Mittheilungcn iiber die physiologischen Wirkungen und therapeutische Bedeutung
der comprimirten Luft. — Wiesbaden, 1865. — Trad. de l'allemand par le f)r Thierry-
Mieg — Pari Si 1867.
- U cher comprimirten Luft , ihre physiologischen Wirkungen und ihre therapeutische
Bedeutung . — GOttingen, 1864.
490
historique.
quelconque des poumons, ils sentent augmenter leurs lorces après quelques
bains, et l’exercice musculaire leur devient de jour en jour plus facile et moins
fatigant.
Le même auteur dit encore : Il est difficile, sinon impossible, de trouver la
mesure de cette augmentation des forces. Les expériences ne fournissent pas de
résultats d’une valeur absolue. Elles nous montrent cependant qu’une augmen-
tation de vigueur de tout le système musculaire se produit, et qu’elle est d’une
certaine importance
On peut regarder l’augmentation de la force musculaire dans l’air comprimé
comme une preuve de l’absorption d’une quantité plus considérable d’oxygène.
Cette absorption se but surtout par les poumons, et aussi en partie par la peau.
Sandalil fait remarquer avec raison que la peau a un pouvoir respiratoire et que,
sous l’infiuence d’une forte pression, laquelle favorise l’endosmose, elle doit
absorber plus d’oxygène. (U. 27.)
G. Lange arrive ensuite au ralentissement de la circulation, et il
reproduit l’explication de Yivcnot :
Ne pourrait-on pas, dit-il, expliquer en quelque manière le ralentissement des
pulsations par ce fait que la pression exercée sur une si grande partie du système
capillaire et des petites artères y rend le passage du sang plus difficile?
La présence de gaz libres dans le sang rend une compression possible, et les
vaisseaux, surtout ceux qui sont situés à la superficie, se contractent au point
que l’on voit même quelquefois de légères hyperémies disparaître rapidement.
Les observations relatives à l’influence de l’air comprimé sur les
fonctions du système nerveux sont intéressantes à rapporter dans
leur entier; on retrouve dans leur explication l’idée déjà émise par
divers auteurs, et notamment par M. Junod (p. 452), que les orga-
nes contenus dans la cavité crânienne échappent plus ou moins
complètement à l’influence de la compression qui s’exerce sur le
reste du corps :
Si l’on observe, sous la pression atmosphérique augmentée, plus d’activité et
de clarté dans l’esprit, on peut rapporter ce phénomène à une autre cause qu'à
l’élévation du baromètre d’un pouce ou d’un pouce et demi, et il n’est permis
d’en tirer aucune conclusion en faveur de l’augmentation de pression. Quand
Junod prétend que sous une certaine pression le cercle des idées s’étend, et que
l’on devient capable de faire des vers, sa prétention me semble bizarre. Mes obser-
vations sont, en outre, contradictoires de celles du docteur J. Lange. Il dit que
sous l’influence de l’air comprimé le système nerveux central est stimulé d’une
manière particulière, que, notamment, les fonctions dévolues aux hémisphères
cérébraux se font plus activement, que chez beaucoup d’individus on observe à un
degré plus ou moins grand une élasticité et une fraîcheur d’esprit qui n’existaient
pas auparavant. Le sujet soumis au bain éprouverait un bien-être intellectuel, et
son esprit serait plus clair et plus libre. J’ajoute qu’il croit pouvoir donner ces
phénomènes comme des effets constants de l’air comprimé.
Dans mes nombreuses observations, je n’ai rien remarqué de semblable. J’ai
AIR COMPRIME : THEORIES ET EXPERIENCES. 497
observé au contraire, sur moi-même et sur d’autres, un sentiment de calme au-
quel succédait généralement une tendance au sommeil.
L'air comprimé ne peut agir directement sur les organes contenus dans la boite
crânienne, tandis que toutes les autres parties du corps en subissent les effets :
aussi pourrait-on supposer que l’augmentation, même faible, de la pression atmo-
sphérique, porte plus de sang au cerveau. La tendance au sommeil ferait aussi
conclure dans ce sens. Le docteur Vivenot eut l’idée de constater cette augmenta-
tion de pression au moyen de la dilatation de la pupille.
Il plaça dans une monture de lunettes un fil divisé en millimètres, et mesura
au moyen d’un miroir concave la largeur de la pupille avant.et pendant la séance,
se servant dans les deux cas de bougies, afin d’avoir un éclairage bien égal.
Chose remarquable, il observa le plus souvent un resserrement de l’orifice pupil-
laire, ce qui doit être attribué à une excitation qui, je l’ai déjà dit, ne se mani-
festait chez moi par aucun autre signe. (P. 29.)
Citons encore une discussion curieuse sur les modifications dans
la circulation lymphatique :
On observe habituellement chez les personnes qui ont fait usage, pendant
quelque temps, de bains d’air comprimé, une augmentation d’appétit. Quelques-
unes maigrissent un peu au début, mais bientôt leur aspect devient meilleur et
elles augmentent de poids. Le docteur J. Lange fournit de ce fait l’explication sui-
vante : Le sang contenu dans la veine sous-clavière subissant une aspiration, la
lymphe qui vient du canal thoracique y coulerait avec plus d’abondance, et en
outre, le canal thoracique lui-même, qui est hermétiquement inclus dans la poi-
trine, serait aussi soumis à la pression négative, et par suite, la lymphe qui y e^t
contenue subirait une aspiration d’où résulteraient un courant plus fort et l’exis-
tence dans le canal d’une quantité de lymphe plus considérable. Quoi qu’il en
soit de cette explication, je pense que l’affaiblissement et l’amaigrissement, cau-
sés par une maladie des organes respiratoires, doivent diminuer à mesure que
la guérison s’opère, et que, la respiration se faisant mieux, l’appétit se trouve
augmenté. L’amaigrissement du début tient probablement à l’absorption plus
grande d’oxygène, et les effets de ce gaz ne sont plus déprimants quand l’ap-
pétit augmente. (P. 31.)
Les opinions d’Elsasser1 ne sont évidemment qu’un reflet de celles
de Vivenot :
L’action de l’air comprimé dépend de deux facteurs principaux : 1* la pression
mécanique augmentée a sur la surface extérieure du corps; b sur les cavités
respiratoires; 2° la plus grande quantité d’oxygène et d’azote respirée dans un
volume donné.
Le premier facteur manifeste son intervention d’abord sur les gaz contenus
dans le corps, puis sur les capillaires sanguins de la peau et des muqueuses,
dont les parois s’aplatissent. Le second agira sur les échanges et sur les mouve-
ments respiratoires. (P. 9.)
Et plus loin, développant ces principes :
La pression d’une atmosphère et demie a pour conséquence une condensation
1 Loc. cit. — Unlersuchungen, etc.; 18G8.
32
49$
HISTORIQUE.
des tissus, une contraction du calibre des vaisseaux sanguins; le sang est dimi-
nué dans la peau ; les conjonctivites légères se guérissent, les surfaces vési-
quées, les oreilles des lapins blancs pâlissent
De semblables modifications se remarquent sur les muqueuses respiratoires ;
elles deviennent plus denses, plus minces, moins riches en liquides et en sang.
De là viennent les guérisons des inflammations des poumons, etc
Quelle est la conséquence de ce refoulement du sang? Ps’amène-t-il pas de
congestions intérieures? L’expérience montre que le cœur n’en est pas troublé,
mais travaille avec plus de tranquillité ; il n’y a pas de congestion cérébrale ;
mais l'augmentation de l’appétit, de la sécrétion urinaire, de la force, semble en
rapport avec une plus grande quantité de sang
Le second facteur, la quantité plus grande d’oxygène, a été jusqu’ici trop
négligé... Si, à la pression normale, un homme sain respire 16 fois à la minute,
et absorbe à chaque lois 50 pouces cubiques d’air, il aura consommé 480 p. c. en
une minute. Mais sous la pression de 1 1/2 atmosphère, ces 480 p. c. dont il a
besoin deviennent 520; s’il respire encore 16 fois, chaque inspiration ne sera
que de 20 p. c.; avec 12 respirations, elle montera à 26 p. c. 6; avec 8, à
40 p. c.... Si donc la proportion ainsi calculée n’est pas observée, il y aura
plus d’oxygène introduit dans un temps donné dans les poumons, ce qui explique
les assertions des auteurs sur l’absorption d’oxygène plus forte, l’hématose aug-
mentée, la combustion organique activée, etc. (P. 15-17.)
Panum l, dans le travail que nous avons déjà cité (p. 452), cri-
tique, non sans raison, la méthode employée par Yivenot pour
mesurer la quantité d’acide carbonique produit dans un temps
donné :
La quantité énorme d’acide carbonique trouvée par Vivenot, dit-il, tient à ce
que ses expirations étaient trop fortes ; on arrive, en effet, en prenant ses chif-
fres, à trouver pour la ventilation pulmonaire de 24 h., à la pression normale,
21111,2 litres, et dans l’air comprimé 19745,5 (Panum trouve pour lui, dans
une expérience, 1152 litres à la pression normale). Par une respiration aussi
énormément forcée il arrive à trouver une production d’acide carbonique de
1500 grammes à l’air normal et de 1449 gr., 5 dans Pair comprimé (Panum a
sur lui-même 816 gr., 2).
Quant à lui, il faisait ses analyses sur 60 ou meme 120 litres
d’air expirés dans un spiromètre, à divers moments de l’expé-
rience. Il ne donne pas, du reste, d’indications très-claires sur la
manière dont il conduisait celle-ci; je vois seulement que la com-
pression était de 24 centimètres :
Je n’ai trouvé aucune trace, dans mes expériences, de cette augmentation de
la production d’acide carbonique après les bains d’air, dont parle Vivenot Je
considère comme une erreur l’opinion de Vivenot, parce que sa méthode n’avait
pas de base solide et ne pouvait servir à estimer la quantité d’air qui traverse
régulièrement le poumon dans un temps donné, avec une respiration naturelle
et tranquille ; son rhythme respiratoire étant forcé, non naturel
1 Loc. cil. — Zur Théorie, etc.; 1866.
AIR COMPRIMÉ : THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
499
Si Ton compare dans mes tableaux les cas dans lesquels ont été respirés des
volumes égaux d’air comprimé et d’air normal, on trouve que la quantité d’acide
carbonique exhalé a augmenté absolument et relativement dans l’air comprimé.
Mais si l’on compare les cas ou il y a eu un même volume d’air, rapporté à la
même pression, respiré à l’air libre ou dans la cloche, on voit qu’il y a eu dans
l’air comprimé un peu moins d'acide carbonique produit qu’à la pression nor-
male. En d’autres ternies, la quantité d’acide carbonique exhalé augmente pen-
dant la respiration dans l’air comprimé par l’augmentation de la masse d’air qui
traverse les poumons, en vertu de la pression, mais dans une proportion un peu
moindre que celle-ci. (P. 143-146.)
Or, c’est là précisément le résultat auquel était arrivé Vivenot,
malgré la méthode défectueuse qu’il avait employée. Panum s’étonne
de cetle concordance :
Les expériences de Régnault et Reiset, dans lesquelles la respiration d’un air
plus riche en oxygène n’avait pas amené une plus forte excrétion d’acide carbo-
nique, semblaient a priori prouver qu’on n’aurait rien non plus par l’air com-
primé. Cependant j’ai obtenu ce qu’avait vu Vivenot, et malgré mon attente, ce
qui est d’autant plus convaincant.
D’où peut dépendre une telle différence entre la respiration dans un air riche
en oxygène à la pression normale, ou dans un air normal sous une pression
plus élevée?
On peut se demander si c’est l’oxygène lié chimiquement aux corpuscules du
sang, ou celui qui est simplement absorbé, qui dans un cas oxyde plus éner-
giquement que dans l’autre? Si l’on respire de l’air très-oxygéné à la pression
normale, alors la pression partielle augmentée augmente aussi la proportion
d’oxygène simplement dissoute dans le sang, tandis que celle qui s’y trouve à
l’état de combinaison chimique ne varie très-probablement pas. Ceci montre que
ce n’est pas l’oxygène simplement dissous, mais l’oxygène combiné qui produit
l’acide carbonique, puisque, dans les expériences de Régnault, cette production
n’augmentait pas.
On peut voir de même que l’augmentation d’oxydation et d’acide carbonique
produit que nous avons constatée dans l’air comprimé dépend de l’oxygène com-
biné du sang. (P. 147.)
Passant à un autre ordre de phénomènes, le "physiologiste da-
nois étudie les modifications du rhythme respiratoire. Nous avons
reproduit au chapitre précédent les faits qu’il a observés. Pour
expliquer l’augmentation de la capacité pulmonaire, il fait l’expé-
rience suivante :
J’immerge sous l’eau, dans un flacon, une vessie à moitié pleine d’air; une
seconde vessie pourvue d’un tube est placée sur elle; le tube passe au travers
d’un bouchon qui ferme hermétiquement le flacon, qui est ainsi plein d’eau, sauf
l’espace occupé par les vessies. La vessie inférieure représente le tube intestinal
et ses gaz, la supérieure le poumon avec la trachée, le flacon et l’eau figurant
la cavité thoracique fermée. Si l’on porte cet appareil très-simple dans l’air
comprimé, on voit que la vessie inférieure diminue, la supérieure augmentant
de volume.
500
HISTORIQUE.
Ce résultat ne change pas absolument, si l’on emploie un Hacon dont le fond
soit remplacé par une membrane élastique. La vessie fermée se comporte de
même ; mais une partie seulement de l’espace qu’elle laisse libre est rempli par
la vessie supérieure; la membrane du fond se relève.
Ceci montre que c’est la compression de l’air renfermé dans l’intestin qui est
la cause de l’augmentation de capacité du poumon et de l’abaissement plus consi-
dérable du diaphragme.
Les changements dans le rhythme respiratoire ne pourraient,
dit Panum, s’expliquer par l’augmentation de l’oxygène du sang,
puisque cette augmentation conduit à l’apnée : or, dans l’apnée,
non-seulement le nombre, mais l’amplitude des mouvements res-
piratoires, diminuent. 11 repousse également l’hypothèse acceptée par
Yivenot et G. Lange d’une augmentation dans la force des muscles
inspiratoires; il trouve, avec raison, que ces auteurs n’ont donné
aucune preuve de leur assertion. Selon lui, c’est l’augmentation de
la capacité moyenne du poumon, sous l’influence directe et mé-
canique de Pair comprimé, qui amène les inspirations plus pro-
fondes .
Relativement aux changements du pouls, à l’augmentation
de la pression artérielle, Panum trouve tout à fait contraire
aux lois de -la physique « ganz unphysikalisch » l’explication
de Yivenot, G. Lange, Sandahl et Elsasser, invoquant une pré-
tendue diminution du volume du sang, par suite du volume
diminué sous l’influence de la pression des gaz qui y sont con-
tenus.
Enfin, pour ce qui est des accidents de la décompression, notre
auteur, sans avoir cependant fait d’expériences sur cet ordre de
faits, en arrive à cette opinion que :
Les phénomènes morbides dépendent en grande partie de ce que l’air devenu
soudain libre dans les vaisseaux sanguins est entraîné par le courant circula-
toire, et vient former des obstructions emboliques dans diverses régions vascu-
laires. (P. 149.)
Le but principal de G. von Liehig1 était d’examiner si la quan-
tité d’acide carbonique formé est la même à l’air libre et dans l’air
comprimé. 11 décrit minutieusement les appareils compliqués qu’il
employait; je dirai seulement que l’analyse de l’air était faite
d’après la quantité expirée en 15 minutes, à l’aide d’une solution
de baryte dosée par l’acide oxalique. Il va de soi que tous les
1 Loc. cil. — U cher clas Athmen, etc.; 1869.
AIR COMPRIMÉ : THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
501
chiffres sont accompagnés de décimales multiples; mais, en revan-
che, l’auteur se garde de dire si les personnes mises en expé-
rience étaient astreintes à un régime régulier, au double point de
vue de la nourriture et de l’exercice, ce qui est cependant de bien
autre conséquence que des critiques sur le temps pendant lequel il
faut agiter les vases pour avoir une absorption complète de l’acide
carbonique.
L’acide carbonique, dont le dosage a été fait dans huit expé-
riences dont Kramer était le sujet, semble bien avoir diminué par
le fait de la compression. A la pression normale, d’abord, le pa-
tient a produit en 15 minutes, le premier jour 8gr,442 de CO2, le
second 7gr,955; dans l’appareil, successivement 7gr,614, 7gr,784,
7gr,747, 7gr,156; enfin, de retour à l’air libre, 7gr,791 et 7gr,287,
c’est-à-dire en moyenne : avant la compression, 8gr,198; pendant,
7gr,570; après, 7gr,559. La différence en moins a donc été, pen-
dant la compression, pour 45 minutes, de 0gr,628, soit en 24 heu-
res, en admettant qu’elle serait restée la même, 60gr,5.
G. Liebig, qui mêle dans une moyenne commune les expériences
à l’air libre, avant et après la compression, n’arr ive qu’à une diffé-
rence de 28 grammes, qu’il déclare être de l’ordre des différences
physiologiques. Je le concède volontiers, et cela même pour les
60 grammes, pour cette raison qu’il ne fournit sur le régime de
son patient aucun des renseignements indispensables. Mais alors il
faut avouer que, de ses multiples analyses, malgré leur escorte de
critiques physiques sur l’influence de la vapeur d’eau, de l’acide
carbonique contenu en proportion un peu plus forte dans l’air com-
primé que dans l’air libre (0,197 pour 100 au lieu de 0,147, par
exemple), il ne reste rien qui puisse nous servir sur le terrain phy-
siologique.
G. Liebig s’occupe aussi à expliquer les modifications dans les
phénomènes rhylhmiques de la respiration.
Pour l’augmentation du volume pulmonaire, il s’exprime
ainsi :
La pression barométrique agit à la fois sur la surface du corps et sur celle des
poumons. En s’élevant, elle combat plus énergiquement l’élasticité du tissu pul-
monaire ; celle-ci, qui équivaut à 35mm de mercure, correspond à 1/24 de la pres-
sion 720ram (pression moyenne de Reichenhall), mais n’est plus que 1/54 de 1050m“
(pression de l’appareil) ; il en résulte que dans l’air comprimé la contraction des
muscles inspiratoires a moins de résistance à vaincre. Le diaphragme est aussi
aidé dans son action par la diminution du volume des gaz intestinaux. L’inspira-
tion est donc plus facile et plus forte ; par les mêmes motifs l’expiration est un
502
HISTORIQUE.
peu relardée, d'où il suit qu’on ne peut pas respirer aussi vite dans l’air comprimé
qu’à la pression ordinaire. Le poumon revient également moins sur lui-même, en
sorte que son volume augmente à l’état de repos. (P. 16.)
Quant à l’amplitude de la poitrine, qui persiste après la cure,
il y voit, comme G. Lange, le résultat de la gymnastique favorable
qu’ont subie les muscles inspiratoires par la disposition nouvelle
de la cage thoracique dans l’air comprimé.
Les auteurs dont il nous reste à parler ont été surtout frappés
par les accidents de la décompression.
M. Gavarret \ dans l’article que nous avons déjà cité (p. 291),
s’occupe aussi des accidents qui atteignent les ouvriers :
Le retour à l’air libre produit souvent des hémorrhagies buccales et nasales, qui
généralementne sont accompagnées d’aucune douleur. Pour nous, ces écoulements
sanguins sont le résultat de déchirures des capillaires déterminées par la tension
du gaz, dont le sang est sursaturé.
Les modifications déterminées dans la circulation cutanée au moment de la dé-
compression nous paraissent suffisantes pour expliquer ces accidents. Le sang,
sursaturé de gaz libres à forte tension, aiflue dans les capillaires, les distend, ti-
raille les innombrables filets nerveux qui les enlacent, et détermine, suivant la
rapidité et l’intensité de la congestion vasculaire, tantôt un simple sentiment de
chaleur, tantôt de véritables douleurs. (P. 156.)
M. Leroy de Méricourt1 2, après avoir décrit les paralysies dont
sont atteints les plongeurs qui se servent du scaphandre, les expli-
que en disant :
Nous croyons qu’il est possible d’admettre que dans ces cas il se produit une
lésion de la moelle, et que cette lésion a du être une, hémorrhagie. Suivant le
siège et l’intensité de cette hémorrhagie, la mort est survenue très-promptement,
comme cela a lieu pour trois sujets, ou n’est survenue qu’après un temps variable,
comme chez les sept autres.
Puis, cette hypothèse admise, il se demande quelle peut être la
cause de rhémorrhagie médullaire :
Après mûre réflexion, répond-il, nous sommes porté à croire qu’elle est le ré-
sultat de la tension exagérée des gaz libres, en dissolution dans le sang, par suite
de la pression considérable à laquelle les plongeurs peuvent être soumis. Dans le
scaphandre, comme on le sait, l’homme est complètement isolé de l’eau à l’aide
d’un habit en forte toile imperméable et d'un casque métallique fixé sur la colle-
rette de l’habit. L’air lui est envoyé dans cette enveloppe, à l’aide d’une pompe
qui communique avec elle par un tuyau flexible aboutissant à l’arrière du casque.
Rien ne règle ni le débit , ni la pression de l’air injecté dans l’enveloppe. Il en
1 Loc. cit. — Art. Atmosphère ; 1867.
* Loc. cit, — Considérations, etc.; 1809,
AIR COMPRIMÉ : THÉORIES ET EXPÉRIENCES. 505
résulte que l’ouvrier reçoit souvent ou trop ou trop peu d'air; il est obligé pour
remédier, en partie, à la gêne de respiration qu’il éprouve, d’être constamment
en rapport avec les pompeurs, au moyen de signaux consistant en un certain
nombre de coups donnés à une corde d'appel. Néanmoins, grâce à cette atmo-
sphère que l’homme conserve autour de lui, il peut entretenir sa respiration et
séjourner des heures entières au fond de l’eau. Mais plus la profondeur est con-
sidérable, plus la durée du séjour se prolonge, plus le sang doit se charger d’un
excès de gaz libres à l’état de solution. L’absence de régulateur de la pression
doit même souvent faire que l’atmosphère de l’enveloppe soit à une pression plus
grande qu’il n’est nécessaire. L’homme est réellement, au point de vue physique,
dans la situation d’une bouteille d’eau que l’on charge de gaz acide carbonique
pour obtenir de l’eau de seltz artificielle.
Lorsqu'il remonte à la surface, si la décompression est trop peu graduée, les
gaz dont le sang est sursaturé tendent à se dégager avec effervescence. Or les
expérimentateurs qui font des injections dans le système veineux des chevaux,
par exemple , savent que si on laisse à dessein pénétrer, avec le liquide injecté,
une fine bulle d’air, au moment où cette bulle d’air pénètre dans la circulation
cérébrale, l’animal en expérience tombe comme sidéré. Cette sidération, dans ce
cas, n’est que momentanée, mais si la quantité de bulles d’air introduites est con-
sidérable, la mort survient d’une manière très-rapide.
Nous axons tenu à reproduire en entier ce remarquable passage,
qui rappelle ce qu’avait déjà dit M. Bucquoy (voy. p. 477), et qui
contient, sous forme d’hypothèse, une véritable description de
ce qui se passe en effet, comme nous le démontrerons dans la se-
conde partie du présent livre. Mais, par une inconséquence singu-
lière, et qui montre à quel point les anciennes idées sur l’influence
mécanique de la dépression avaient pris autorité sur les meilleurs
esprits, M. Leroy de Méricourt, au lieu de s’attacher à l’idée des
oblitérations gazeuses intra-vasculaires, demeure imbu de l’hypo-
thèse des hémorrhagies, suites de refoulements sanguins. Il se de-
mande alors pourquoi « elles se produisent plutôt dans le centre
nerveux spécial que dans la masse cérébrale », et il répond :
La boîte crânienne et la colonne vertébrale forment deux enveloppes égale-
ment incompressibles ; par conséquent, le sang refoulé de la surface entière du
corps et des cavités splanchniques compressibles doit tendre à congestionnei
l’axe cérébro-spinal. Le système circulatoire de la moelle , comparé à celui du
cerveau, est infiniment plus riche , comme le démontrent les injections; enfin,
chez le pêcheur d’éponges, ce sont les jambes qui fatiguent le plus, attendu que
pendant le séjour sous l’eau il a constamment à marcher, à monter et à descendre
le long des roches. Telles sont peul-êlre les causes qui rendent compte du siège
de prédilection des accidents du côté de la moelle. Nous donnons cette explication ,
bien entendu, avec la plus grande réserve.
M. Bouchard1, dans son étude sur la Pathogônic des hémorrha-
1 De la Pathogénie des Hémorrhagies. — Paris, 1809.
504
HISTORIQUE.
gies, donne place aux accidents de la compression et de la décom-
pression, qu’il considère comme dus à des congestions et des hé-
morrhagies abdominales, médullaires et cérébrales. La manière dont
il conçoit leur mode de production est des plus intéressantes ; elle
est empruntée, dit-il, à M. Marey :
L’air comprimé pénétrant dans les poumons, le vide n’a plus aucune tendance
à se faire dans la poitrine, comme chez les pêcheurs à nu ; les congestions pul-
monaires ne sont plus à craindre. Toutefois l’abdomen est normalement distendu
par des gaz ; l’air extérieur ne pénétrant pas dans l’intestin, ces gaz se compri-
ment et occupent un volume qui est en raison inverse de l’intensité de la com-
pression. Le volume de l’abdomen deviendra quatre fois moindre, si la pression
est de quatre atmosphères. Alors la paroi est de toute part refoulée contre la
colonne vertébrale et forme ainsi une concavité antérieure. Mais cette paroi n’est
pas inerte ; elle tend à se redresser grâce à sa tonicité et même à sa contractilité
et, par suite, à diminuer dans l’abdomen la pression qui avait été équilibrée par
ce refoulement de la paroi ; elle agit à la façon d’une ventouse monstre, qui
chercherait à accumuler dans l’abdomen le sang des autres organes. Et en effet,
l’anémie générale se produit.
Cette réplétion des organes abdominaux par le sang n’est cependant pas l’oc-
casion d’hémorrhagies, excepté peut-être dans la rate.
Voilà pour l’explication des congestions viscérales pendant la
compression. Mais, lors de la décompression, un phénomène inverse
se produirait :
C’est au moment de la décompression qu’arrivent les hémorrhagies, au mo-
ment où les gaz intestinaux reprenant leur volume, et distendant la paroi ab-
dominale en sens inverse, vont faire subir aux organes du ventre une pression
positive qui expulsera le sang emmagasiné dans leur intérieur, et le lancera su-
bitement vers les autres organes, dont les vaisseaux, qui ont perdu leurs
tonus,.... ne s’accommodent pas subitement à cette irruption soudaine. C’est
alors que se produisent les épistaxis, les hémoptysies, quelquefois des apo-
plexies passagères ou mortelles, accompagnées, dans certains cas, d’hémiplégies
momentanées ou durables, et enfin ces paraplégies fugaces ou persistantes, que
M. Barella signale chez les ouvriers qui travaillent dans les puits tubulaires, et
qui, d’après M. Leroy de Méricourt, seraient l’une des causes de mort les plus
fréquentes chez les pêcheurs d’éponges.
Cette explication ne suffit pas, du reste, à M. Bouchard, qui repro-
duit alors les idées de MM. Rameaux et Bucquov sur les gaz du sang :
Mais cette congestion subite, et comme par contre-coup, au moment où le sang
reflue de l’abdomen vers les autres organes, n’est peut-être pas la seule, ni la
véritable cause de ces hémorrhagies, ou du moins d’un certain nombre d’entre
elles: de celles, par exemple, qui se font dans les cavités incompressibles, le crâne
et le rachis. Une autre interprétation a été donnée, qui ne manque pas de vrai-
semblance. Les gaz se dissolvent dans les liquides proportionnellement à leur
tension ; le sang d’un homme qui est resté pendant plusieurs heures sous une
AIR COMPRIMÉ : THÉORIES ET EXPÉRIENCES.
505
pression de quatre atmosphères doit donc renfermer une proportion d’acide
carbonique beaucoup plus forte qu’à l’état normal ; et cet acide carbonique dis-
sous reviendra à l’état gazeux, dès que la pression extérieure diminuera. Si la
décompression se fait lentement, le sang, en passant par les poumons , pourra
exhaler le trop-piein d’acide carbonique, et aucun accident ne se manifestera ;
mais si la décompression est brusque, l’acide carbonique tendra à faire irruption
sous forme gazeuse , même dans les vaisseaux, et par sa brusque expansion, ou
par l’oblitération de petits vaisseaux dans lesquels il ne peut pas circuler, amè-
nera des ruptures et des extravasations. (P. 99.)
M. Bouchard applique cette idée à la formation des tumeurs mus-
culaires douloureuses, dont ont parlé les auteurs que nous avons
précédemment cités :
Ces tumeurs ne sont pas inflammatoires, ce ne sont point des exsudats , ni des
extravasations. Elles disparaissent immédiatement par le seul fait de la rentrée
dans l’air comprimé, et ne sont jamais suivies de taches ecchymotiques. Au mo-
ment où la tumeur existe, elle ne s’accompagne ni de battements, ni de rougeur,
ce qui ne permet guère de l’attribuer à une dilatation artérielle exagérée, comme
l’a fait M. Foleÿ. S’il est vrai que le travail musculaire est une source importante
d’acide carbonique, ne pourrait-on pas supposer que les muscles qui ont le plus
fontionné sont chargés d’acide carbonique dissous dans le tissu même, et que,
au moment de la décompression, cet acide devient libre à l’état gazeux, pour se
redissoudre par une compression nouvelle? (P. 101.)
Il nous reste enfin à parler d’un auteur qui a écrit postérieure-
ment à nos premières recherches personnelles; mais nous le pla-
çons ici, parce qu’il ne paraît pas avoir tenu grand compte des
expériences que nous avions déjà publiées.
Après l’exposé des faits qu’il a observés, et dont nous avons
donné le résumé dans le chapitre premier (p. 415 et suiv.), M. Gai1
arrive aux explications théoriques, ou, comme il dit, à la pathogé-
nie des maladies causées par le travail dans l’air comprimé.
Il distingue avec sagacité la cause des maladies à début insidieux
de celle des accidents brusquement survenus. Pour les premières, il
accepte, dit-il, l’explication de M. Foleÿ; mais, du moins, il a l’in-
contestable mérite de l’exposer sous une forme compréhensible :
Nous avons vu que le sang du tubisteet du plongeur est richement hématosé,
et il semble difficile que l’anémie puisse survenir dans ces conditions. Mais d’un
autre côté, nous avons vu que les sensations perçues par les organes des sens
sont beaucoup moins nettes dans l’air comprimé ; il suit de là que la moelle et
l’encéphale recevant moins d’incitations, produiront moins de force nerveuse, et
l’influence du grand sympathique sur la nutrition des tissus sera plus faible qu’à
l’état normal.
Tant que l’ouvrier n’aura pas épuisé sa réserve d’influx nerveux, il ne souffrira
1 Loc. cit. — Des dangers , etc.; 1872.
506
HISTORIQUE.
pas ; l’augmentation de son appétit fournira au sang les matériaux dont il a besoin
pour brûler son oxygène ; mais le jour où il aura épuisé sa réserve, la produc-
tion restant en dessous de la dépense, les fonctions du grand sympathique ne
se feront plus que d’une façon imparfaite, et le sujet languira fatalement. C’est
alors qu’il sera le plus exposé aux autres maladies à début brusque et d’une
gravité immédiate.
Quant aux autres maladies, elles sont toutes « dues à la conges-
tion ». Là-dessus, dit M. Gai, tout le monde est d’accord ; mais il en
est autrement quand il s’agit d’expliquer leur mode de production.
Sur ce point, il se montre fort éclectique. Il considère comme
« possible », après mes expériences, l’opinion qui attribue des
accidents à un dégagement gazeux dans le sang. Mais il penche
davanlage pour l’explication de M. Foleÿ sur
La réaction trop vive , occasionnée, soit par une décompression trop brusque,
soit par un manque de réaction dans les points où elle se fait d'ordinaire, et
où elle est inoffensive, la peau surtout. (P. CO.)
On avouera que cela n’est rien moins que net. Un peu plus loin,
il ajoute :
Pour les plongeurs morts subilement , l’opinion de M. Bucquoy et de M. Le
Roy de Mericourt (c’est l’effervescence gazeuse dont il s’agit) a de grandes chances
d’être vraie.
Quant aux autres plongeurs, morts plus ou moins longtemps après l’accident,
ils avaient tous des paraplégies. Chez tous la lésion de la moelle était survenue
brusquement, ce qu'on ne peut rattacher qu’à une congestion, une hémorrhagie
dans la substance de la moelle ou une compression par hémorrhagie dans le
canal vertébral.
Les cas de guérison rapide observés et la constance de la paraplégie double
me font pencher pour la congestion dans la majorité des cas ; mais rien ne prouve
que la tension gazeuse n’ait pas amené quelquefois des hémorrhagies.
Enfin, dans le cas que nous avons observé, où la paralysie a débuté plus de 24
heures après la dernière descente, nous ne pouvons voir qu’un fait assez anormal
chez les plongeurs, une congestion passive dans laquelle l’influence des gaz du
sang ne saurait être admise.
Nous avons insisté sur les congestions graves ; tout ce que nous en avons dit
peut, avec des degrés de gravité différents, s’appliquer à toutes les maladies des
plongeurs. L’afflux du sang et peut-être l’influence des gaz qu’il contient se fait en
des points différents, et la gravité de l’affection dépend de l’importance de l’organe.
Les puces, les douleurs musculaires, arthritiques, les hémoptysies ou les hémor-
rhagies nasales, les otites, les congestions viscérales sont toujours le résultat
d’une même cause: réaction sanguine trop violente ou mal dirigée, soit que cette
réaction soit due, comme le veut Foleÿ, à l’influence nerveuse qui renaît pendant
la décompression, soit qu’il faille faire intervenir l’action des gaz dissous dans
le sang. (P. 60.)
Au point de vue pratique et prophylactique, M. Gai tire, avec
AIR COMPRIME : THEORIES ET EXPERIENCES.
507
tous les auteurs qui l'ont précédé (sauf M. Foleÿ), cette conclusion
qu’il faut décomprimer lentement; il recommande aussi de rester
d’autant moins longtemps sous l’eau qu’on a atteint de plus grandes
profondeurs. Voici, du reste, comment les choses se passaient sous
sa direction :
Jusqu’à 25 mètres, même par des fonds uniformes, la durée du travail sous
l’eau était d’une heure et demie. De 25 à 50 mètres, la durée était réduite à
une heure. De 50 à 55 mètres, une demi-heure seulement. Au dessus de 55 mè-
tres et au-dessous de 40, les plongeurs ne restaient plus qu’un quart d’heure
au fond.
Nos pêcheurs n’ont pas dépassé 55 mètres. Les Grecs , plus audacieux , sont
allés, en 1867, jusqu’à 54 mètres.
En même temps que la durée du travail diminuait , le temps employé à la
décompression augmentait. On avait d’abord posé comme règle une demi-minute
par mètre; mais jamais les pêcheurs n’ont voulu s’y soumettre. Ils montaient
environ 4 mètres par minute. (P. 72.)
CHAPITRE IV
RÉSUMÉ ET CRITIQUES.
Je vais maintenant résumer, comme je l’ai fait pour la diminu-
tion de pression, d’abord les symptômes physiologiques qu’amène
l’emploi de l’air comprimé et les accidents plus ou moins graves
qui l’ont souvent suivi, puis les théories que les auteurs ont mises
en avant pour expliquer tous ces phénomènes.
g 1er. — Action physiologique de l’air comprimé.
11 résulte de la manière la plus nette des faits exposés dans le
chapitre Ier que les phénomènes qui doivent être rapportés ici se di-
visent en deux catégories bien différentes par leur origine, et que
nous devons, sous peine de tout confondre, séparer dans l’exposi-
tion, bien que la distinction n’en ait pas toujours été faite par les
auteurs. Les uns, en effet, se manifestent pendant la compression
même, et sont la conséquence du séjour dans l’air condensé ; les
autres ne surviennent qu’au moment du retour à la pression nor-
male; ils sont le résultat de la décompression, et leur intensité est
d’autant plus grande que celle-ci a été plus rapide, et que la com-
pression était plus considérable. Cette distinction qui a été, pour la
première fois, indiquée d’une manière encore assez confuse par Pol
et Watelle, doit dominer notre résumé.
500
AIR COMPRIMÉ : RÉSUMÉ ET CRITIQUES.
A. — PHÉNOMÈNES DUS A LA COMPRESSION.
Douleurs d'oreilles. — Les douleurs d’oreilles ont été signalées,
pendant l’acte de la compression comme pendant celui delà décom-
pression, par tous les observateurs. Tous en ont aussi donné l’expli-
cation exacte; ils ont montré comment la trompe d’Eustache, obs-
truée par des causes diverses, ne laissant pas pénétrer l’air comprimé
dans la caisse, la membrane tvmpanique refoulée, distendue ,
cause des douleurs qui peuvent être intolérables. Elle se rompt
même parfois, comme il est arrivé à M. Cézanne, au pont de Sgede-
zin. Des .accidents semblables, mais moins intenses, signalent la dé-
compression. On les fait cesser en débouchant la trompe, soit par
desmouvemenls de déglutition, soit, ce qui est plus sûr, en expirant
fortement, la bouche et le nez fermés.
Ces manœuvres répétées ont pour conséquence de rétablir la
perméabilité de la trompe, dont l’oblitération est une cause fré-
quente de surdité ; de là, sans doute, l’amélioration souvent obser-
vée de cette infirmité, et l’efficacité du traitement institué par Pra-
vaz. Mais la question se complique de l’action directe de l’air com-
primé sur les muqueuses, dont je parlerai tout à l’heure.
Voix. — La voix est altérée dans l’àir comprimé : on parle du
nez, dit Triger ; elle hausse de ton, et Vivenot a fait sur ce point
l’observation précise d’une cantatrice qui gagnait un demi-ton dans
l'appareil. L’acte de siftler devient impossible à partir de 5 atmo-
sphères, comme l’avait déjà vu Triger; il faut même, selon Pot et
Wa telle-, un certain effort pour parler. Tout cela est bien évidem-
ment dû à la densité plus grande de l’air.
Respiration. — Il est établi de la manière la plus nette que, pen-
dant le séjour dans l’air comprimé, la capacité respiratoire maxi-
mum augmente notablement. Le diaphragme et la base du poumon
s’abaissent; la respiration s’opère ainsi dans un certain état constant
de gonflement du thorax. De là sans doute une des causes d’amélio-
ration pour les asthmatiques, chez qui l’expansion pulmonaire se
fait alors plus largement. Cette modification, qui s’accentue à cha-
cun des premiers bains, persiste pendant plus ou moins longtemps
après le retour à l’air libre.
La fréquence des mouvements respiratoires diminue notablement ;
tout le monde est d’accord là-dessus; leur amplitude augmente en
sens inverse. Mais, en définitive, il passe à travers le poumon, en
510
HISTORIQUE.
un temps donné, un moindre volume d’air sous pression que dans
l’air ordinaire. Cela, du moins, semble résulter des chiffres de Vi-
venot et de Panum ; mais il faut dire qu’aucune expérience directe
n’a été faite, et que ces conclusions ont été tirées de calculs où l’on
a dû tenir compte de l’amplitude d’une ou plusieurs respirations
et du nombre des mouvements respiratoires à la minute : calculs
complexes et semés de causes d’erreurs d’ordre physiologique.
Quant au rhythme lui-même, Vivenot et Panum sont en contra-
diction complète dans leurs assertions ; mais le point est du reste
de peu d’importance.
Circulation. — La diminution des battements du cœur est aussi
un fait d’observalion générale; seul, M. Bucquoy (p. 591) a avancé
une assertion contraire. Dans l’air fortement comprimé, Pol et
Watelle ont vu tomber les pulsations de 80 à 50; le changement
est surtout très-considérable lorsqu’il y avait une accélération anor-
male. Au retour à la pression ordinaire, la fréquence habituelle
reparaît.
Le pouls subit d’autres modifications encore, sur lesquelles les
tracés de Vivenot nous renseignent clairement (fig. 10-13, p. 442,
445) ; son amplitude est très-diminuée, et il porte tous les carac-
tères de la tension artérielle exagérée.
Aucune expérience directe n’a été faite pour mesurer sur des
animaux les changements dans la pression du cœur et dans la ra-
pidité du cours du sang.
La circulation capillaire est évidemment trés-modifiée. La peau
et les muqueuses pâlissent, surtout lorsqu’elles étaient le siège de
congestion ou d'inflammation ; les observations des médecins sont,
sur ce fait capital en thérapeutique, plus probantes que les expé-
riences faites par Vivenot sur les oreilles des lapins blancs.
La couleur du sang présente, et cela a surtout été observé chez
les ouvriers des tubes, une rutilance extraordinaire. Le sang vei-
neux de la saignée du bras, comme l’ont remarqué les premiers
Pol et Watelle (p. 584), a l’aspect artériel, indice certain de la plus
grande proportion d’oxygène qu’il contient : celle rougeur du sang
persiste, selon ces auteurs, pendant un temps assez long.
Sécrétions. — La seule remarque importante qui ait été faite porte
sur l’augmentalion de la sécrétion urinaire; mais aucune mesure
exacte n’a été prise, et on n’a fait aucune analyse de l’urine*
Quelques observateurs ont parlé de la sécheresse de la peau, mais
ce point est difficilement susceptible d’appréciations exactes*
AIR COMPRIMÉ : RÉSUMÉ ET CRITIQUES. 511
Nutrition. — Les variations du poids du corps ont été estimées
fort différemment par les divers (auteurs. Les médecins des ouvriers
tubistes et des plongeurs déclarent qu’il y a amaigrissement ; ceux
qui ont employé l’air comprimé dans un but thérapeutique con-
cluent à l’engraissement. Outre qu’il peut y avoir une grande diffé-
rence à ce point de vue entre l’action d’une pression de 5 atmo-
sphères et celle d’une pression de quelques centimètres de mer-
cure, on lie peut guère comparer les ouvriers tubistes, gens que
leur dur travail épuise, qui cherchent dans les alcooliques un se-
cours périlleux, et qui se nourrissent fort insuffisamment en géné-
ral, avec les expérimentateurs placés dans d’excellentes conditions
hygiéniques et pouvant satisfaire largement au surcroît d’appétit
que paraît amener le séjour dans les cloches. De ce chef donc, il
ne paraît guère possible d’arriver à une conclusion quelconque.
Les observations de Vivenot.sur une augmentation de la tempéra-
ture du corps, allant de 0°,1 à 0°,4, ne me paraissent en aucune fa-
çon convaincantes.
Quant à la production d’acide carbonique dans un temps donné,
nous en parlerons dans le prochain paragraphe.
Innervation. — 11 est très-difficile d’y voir clair parmi les récits
des auteurs, pour ce qui a rapport aux fonctions sensorielles. L’o-
dorat et le goût sont impressionnés désagréablement dans les tuhes
par les impuretés de l’air, et l’oreille est rendue malade par la dis-
tension de la membrane du tympan.
Ils ne sont pas* plus d’accord pour les fondions intellectuelles.
Colladon (p. 575) accuse une excitabilité qui ressemble à l’ivresse;
M. Junod (p. 452) affirme que « les fonctions de l’encéphale sont
activées » ; M. Foleÿ, en sortant des tubes, il est vrai, était atteint
d’une surexcitation cérébrale qui le faisait « se surprendre en
flagrant délit de bavardage, en dépit de tous ses efforts. » J. Lange
(p. 496) prétend que constamment, dans l’appareil même, « on
éprouve une élasticité et une fraîcheur d’esprit qui n’existait pas
auparavant ». En sens inverse, le Dr François dit qu’on ressent
surtout au début une certaine somnolence, et suivant G. Lange, le
seul phénomène qu’on puisse constater est « un sentiment de calme
auquel succède généralement une tendance au sommeil. »
512
HISTORIQUE.
B. — PHÉNOMÈNES DUS A I.A DÉCOMPRESSION.
Leur intensité dépend, comme nous l’avons dit, de deux facteurs
auquels elle est proportionnelle : le degré de la pression atteinte, la
rapidité de la décompression.
Jusqu’à 2 atmosphères, il ne parait se manifester aucun accident
chez les ouvriers. Au-dessus, apparaissent de plus en plus fré-
quemment des démangeaisons cutanées, des puces, qui finissent
par occasionner des douleurs extrêmement vives; elles sont beau-
coup plus communes chez les ouvriers tubistes que chez les plon-
geurs. Puis surviennent des gontlemenls douloureux des muscles,
particulièrement, selon la juste remarque de M. Foleÿ, de ceux qui
ont le plus travaillé pendant le séjour dans l’air comprimé; en
môme temps, des douleurs périarticulaires. Ce n’est qu’au-dessus
de 5 alm. qu’arrivent les accidents vraiment graves : troubles sen-
soriaux, cécité, surdité, troubles de la locomotion et de la sensi-
bilité générale, surtout paralysie des membres inférieurs, de la ves-
sie, du rectum, et bien plus rarement des membres thoraci-
ques; troubles cérébraux, perle de connaissance; enfin, mort
subite.
Ces accidents ne se manifestent que quelques minutes et parfois
quelques heures après la sortie des caissons ou des scaphandres;
dans un cas observé par M. Gai, la paraplégie n’a débuté que vingt-
quatre heures après la décompression opérée. La duree de celle-ci
est du reste très- variable; chez les plongeurs, elle se fait avec une
rapidité que les bons conseils de M. Denayrouze n’ont pu modérer ;
pour les tubistes, elle a été au maximum de trois ou quatre mi-
nutes par atmosphère.
Les troubles légers, douleurs cutanées, musculaires, articulaires,
disparaissent toujours dans un temps assez court. Il en est ainsi sou-
vent des accidents plus graves, et môme de la perte de connaissance.
Mais trop fréquemment les paralysies des membres inférieurs sont
persistantes, et nous avons rapporté des observations nombreuses
qui font un lamentable tableau de ces malheureux dont presque
toujours la mort vient, au bout d’un temps variable, terminer les
souffrances. Dans aucun des faits que nous avons rapportés une
paraplégie ayant duré plus de deux jours n’a été complètement
guérie.
L’inégalité entre les divers individus au point de vue des effets
513
AIR COMPRIMÉ : RÉSUMÉ ET CRITIQUES.
de la décompression est une des circonstances les plus singulières
que nous ait révélées cette étude. Nous avons vu, par maints
exemples, que, de plusieurs personnes soumises à la même pression
et décomprimées en même temps, les unes restaient absolument
indemnes, d’autres n’avaient que de légers accidents, tandis qu’une
d’entre elles pouvait être frappée d’une manière redoutable. Il en
arrive aulanl, dira-t-on, dans bien d’autres circonstances, et une
simple sortie de bal donne de semblables inégalités. Mais ce qui
fait la singularité du cas présent, c’est qu’on a invoqué, pour expli-
quer ces accidents, et avec raison, nous le démontrerons, une cause
purement physique, et que la physique devrait être égale pour tous.
Mais l’inégalité n’existe pas seulement entre divers individus ; elle
existe chez la même personne, suivant des circonstances mal dé-
terminées. Il n’est pas rare de voir un ouvrier, épargné jusque-là,
être frappé en quittant une pression identique, parfois même infé-
rieure à celles dont il avait déjà impunément supporté la suppres-
sion. On a souvent invoqué, pour expliquer ces faits, l’excuse banale
et facile d’excès alcooliques ou autres ; mais parfois cette explication,
qui n’en est pas une au point de vue physique, faisait complète-
ment défaut. La seule circonstance sur laquelle les observateurs
soient d’accord, c’est la durée du séjour dans l’air comprimé; plus
celui-ci est long, plus à craindre seront. les accidents, si bien que
certains auteurs en sont arrivés à conclure qu’il faudrait multiplier
les poses, c’est-à-dire les intervalles de travail dans les tubes, sans
faire attention qu’on multiplierait ainsi les décompressions, occa-
sions d’accidents.
Le précepte de décomprimer lentement a été, en dehors de toute
idée théorique, accepté par tous les auteurs et proclamé par les
ouvriers eux-mêmes, bien que, dans la pratique, le froid intense
qui accompagne la décompression pousse ceux-ci à se hâter. M. Foleÿ
seul n’y paraît attacher aucune importance, et encourage au con-
traire à la décompression rapide (p. 595).
g 2. — Explications théoriques.
Nous avons ici encore à séparer les symptômes observés pendant
le séjour dans l’air comprimé d’avec les accidents de la décompres-
sion.
514
HISTORIQUE.
À. — PHÉNOMÈNES DUS A LA COMPRESSION .
Il ne pouvait, bien entendu, être question ici de chercher ailleurs
que dans l’air comprimé la cause des symptômes présentés par les
expérimentateurs ou les ouvriers; les bizarres hypothèses dont
nous avons eu à nous occuper à propos du mal des montagnes ne
pouvaient être imaginées ici. Mais cette action de l’air comprimé
a été considérée par les uns au point de vue physico-mécanique,
par d’autres au point de vue purement chimique. Je ne rappelle
que pour mémoire la prétendue explication fournie par Brizé-Fra-
din (p. 462), qui met en avant « la force vitale » et ceci fait, s’en
rapporte à elle pour k changer les lois générales » et tout arranger
à souhait.
Explications physico-mécaniques . — Laissons de côté, comme ne
méritant vraiment pas d’être relevée, l’idée que l’air comprimé à
plusieurs atmosphères embarrasserait les mouvement de la loco-
motion, et, comme trop évidente, l’action de Pair comprimé sur la
membrane du tympan, dont nous avons déjà parlé. Nous nous trou-
vons d’abord en face de l’explication que nous avons eue à combat-
tre, en parlant de la dépression, je veux dire de la différence du
poids supporté par le corps.
Nous avons reproduit les calculs que Guérard a pris la peine d’é-
tablir pour montrer à quel écrasement serait exposé un homme
qui travaille sous plusieurs atmosphères de pression. Ainsi les
ouvriers du pont de Kehl auraient eu à supporter 54,000 kilogr.
de charge supplémentaire. En vérité, si, comme nous l’avons déjà
montré (p. 556), la physique élémentaire ne faisait justice de
ces idées, au nom de l’incompressibilité des liquides et des solides,
ces chiffres seuls auraient dû avertir les auteurs de l’énormité
qu’ils commettaient. Cependant, presque tous ont accepté cette ex-
plication; M. Foleÿ l’exprime d’une manière saisissante ; « Dès
qu’on entre dans les tubes, dit-il, on est aplati (p. 482). »
Presque tous les auteurs, je le répète, même les plus sagaces et
les plus autorisés, même Pravaz, Bucquoy, Yivenot, etc., croient à
l’action directe et mécanique de la pression. Qu’est-ce qui a pu
induire dans une telle erreur d’aussi bons esprits? Une observation
très-juste, et faite par tous les observateurs : la pâleur de la peau
et des muqueuses chez les ouvriers ou les expérimentateurs, et sur-
tout, chez les malades, lorsqu’il s’agissait d’une muqueuse enllam-
AIR COMPRIMÉ : RÉSUMÉ ET CRITIQUES. 515
mée. Dans l'air raréfié, nous l’avons vu, les veines et les capil-
laires superficiels se remplissent, comme si le sang était appelé à
la périphérie; dans l’air comprimé, ces vaisseaux se vident, comme
si le sang était refoulé vers les profondeurs. De là, dans le premier
cas, la théorie de la ventouse générale ; dans le second, celle de
l’écrasement : « l’air comprimé, dit encore M. Foleÿ, qui revient fré-
quemment sur cette idée avec une énergie singulière, aplatit notre
muqueuse aérienne dans sa totalité » (p. 595).
Les autres auteurs sont généralement plus prudents ; ils se sen-
tent embarrassés par la physique qui proteste contre leur doctrine.
Rien de plus curieux que les efforts de M. Bucquoy pour échapper à
cette contradiction ; mais sa théorie de la pression progressivement
décroissante, à mesure qu’on va de la peau aux tissus profonds,
n’est pas soulenable (p. 477). Je signale aussi les idées de M. Junod,
de G. Lange, de M. Leroy de Méricourt, sur le prétendu refoule-
ment du sang dans le cerveau, dû à ce que celui-ci, protégé par
la boîte crânienne, ne pourrait être comprimé directement comme
le reste du corps; ces auteurs ont oublié que la pression se trans-
met instantanément à la moelle épinière et au cerveau par d’autres
voies que les vaisseaux sanguins, en sorte qu’il y a dans cet organe
comme ailleurs égalité de pression, et que la circulation du sang
n’y peut être nullement modifiée.
Mais si l’on peut comprendre que la complexité des conditions
présentées par le corps humain, considéré dans son ensemble, ait
entraîné des esprits distingués à des erreurs physiques aussi éton-
nantes, on ne peut guère s’expliquer comment, lorsque la question
a été réduite à ses termes les plus simples, ils n’aient pas, du pre-
mier coup, reconnu quelle faute ils commettaient. Et cependant,
nous avons vu Yivenot, dans le but d’expliquer les modifications
que le séjour dans l’air comprimé apporte dans la forme du pouls,
instituer l’étrange expérience plus haut rapportée (p. 495), et pré-
tendre qu’une pression d’un tiers d’atmosphère suffit pour modifier
. le volume et la réaction élastique d’une poire de caoutchouc rem-
plie d’eau.
J’ai eu la curiosité de répéter cette expérience, non pour m’édi-
fier à son sujet, mais pour savoir ce qui avait pu faire obtenir à
Vivenot des tracés graphiques différents dans l’air normal et dans
l’air comprimé; il est résulté de mes tentatives que très-vraisem-
blablement Vivenot n’avait pas bien fermé son appareil, et que, en
outre, il y avait laissé de l’air. On comprend qu’il soit absolument
HISTORIQUE.
516
inutile d’insister sur des conclusions « ganz unphysikalisch »,
comme dit très-justement Panum. Le plus curieux de l’affaire,
c’est que cette expérience, si étrangement conçue et si malheureuse-
ment conduite, a été acceptée et prônée des deux côtés du Rhin.
Vivenot a fait une expérience ! dit-on. Et cela suffît à beaucoup de
gens; car il existe toute une école médicale dont les sectateurs
n’ont, bien entendu, jamais hanté les laboratoires, mais pour qui
le mot « expérience » lient lieu de tout, comme le « tarte à la
crème » de la comédie.
Pravaz n’a pas manqué d’appliquer à la compression la théorie
que nous avons déjà citée plus haut (p. 560), à propos de la décom-
pression. Selon lui, le sang est appelé avec plus d’énergie dans les
organes profonds lors de l’inspiration dans Pair comprimé, parce
que la pression extérieure agit plus énergiquement sur le système
veineux. Mais, comme nous l’avons dit déjà, il faudrait démontrer
que dans l’air comprimé la pression négative intra-thoracique
est plus forte qu’à une atmosphère. Les conclusions de Vivenot
l’affirment, il est vrai, mais j’en ai cherché vainement la preuve
dans son livre.
Je citerai enfin l’intéressante théorie développée par M. Bou-
chard (p. 505). Selon lui, la paroi abdominale, refoulée par la
pression à cause de la diminution de volume des gaz intestinaux,
tendrait à se redresser par son élasticité, et exercerait ainsi sur les
organes abdominaux une sorte de succion, qui aurait pour consé-
quence d’y emmagasiner le sang : d’où les congestions viscérales
et l’anémie générale. Je ne saurais, quant à moi, accepter cette
idée originale; il n’y a pas que la paroi abdominale qui soit portée
en dedans; le diaphragme est dans le même cas, et nous avons vu
que le diamètre vertical de la poitrine s’agrandit. Or il me semble
impossible d’admettre' que ces membranes musculaires présentent
une élasticité suffisante pour se roidir contre la compression et
opérer ainsi ventouse : elles doivent, au contraire, le diaphragme
surtout, lui céder fort docilement.
Il n’en est pas moins vrai que, pour des raisons quelconques, le
sang paraît refoulé de la périphérie vers les organes profondément
situés; de là des modifications importantes dans la circulation et la
nutrition des diverses parlies du corps, modifications dont on sent
que la thérapeutique a pu tirer grand profit, dont on comprend
que la santé peut, lorsqu’elles persistent trop longtemps, avoir à
souffrir.
AIR COMPRIMÉ : RÉSUMÉ ET CRITIQUES.
517
Les variations dans l’amplitude et le rhythme respiratoire ont
aussi été expliquées par l’action mécanique de l’air comprimé.
Les uns, comme Pravaz, ont considéré que l’air comprimé favo-
rise l’expansion pulmonaire, en combattant plus énergiquement la
réaction élastique des tissus. C’est la réciproque de la théorie expo-
sée à propos de la décompression, et dont nous avons montré
l’inexactitude, ou du moins l’extrême exagération.
D’autres, avec bien plus de raison, ont fait intervenir les gaz
intestinaux. C’est en effet la seule partie de l’organisme sur laquelle
puisse directement agir la pression de Pair. Si, dans la phase de
raréfaction, leur volume ne peut augmenter, comme nous l’avons
vu, à cause des deux orifices qui laissent avec tant de facilité
échapper un trop-plein, il peut et doit évidemment diminuer sui-
vant la loi de Mariotte, et de façon indéünie, lorsque Pair extérieur
devient plus dense. Ainsi fait-il, en réalité; des ouvriers tubistes,
que j’ai interrogés, m’ont avoué qu’ils étaient obligés, une fois
dans les tubes, de resserrer la boucle de leur pantalon, à cause de
la rétraction du ventre.
* Ce fait établi, je ne saurais admettre la conséquence qu’en tire
Pravaz (p. 466), à savoir que l’élasticité augmentée de ces gaz gêne
l’action du diaphragme, diminue la dilatation thoracique dans
le sens vertical, mais augmente l’expansion de la poitrine dans
les deux autres directions. Outre que cette hypothèse ne paraît
guère soutenable, les mesures obtenues directement par Yivenot
au moyen de la percussion et de l’auscultation montrent que,
dans Pair comprimé, le poumon descend plus bas qu’à l’état
normal.
Panum a fait, pour mettre en lumière le mécanisme de l’agran-
dissement de la cavité thoracique, une expérience que nous avons
rapportée plus haut (p. 499). Elle n’a qu’un défaut, c’est qu’il était
inutile de la faire ; bien certainement, ôtant donné un tube fermé à
ses extrémités par deux membranes d’inégale épaisseur, rempli
d’eau et contenant en outre une vessie pleine d’air, on verra, si
l’on porte cet appareil sous pression, la vessie se réduire en volume
et les deux membranes s’enfoncer dans le tube en proportion inverse
de leur épaisseur. Il doit bien évidemment se passer quelque chose
d’analogue dans l’abdomen, entre les gaz du tube intestinal d’une
part, le diaphragme et les parois ventrales de l’autre. Tout l’in-
térêt de la question est de savoir dans quelles proportions ces derniers
organes tendent à envahir de dehors en dedans l’espace qu’occu-
518
HISTORIQUE.
paient les gaz intestinaux diminués de volume. Or l’expérience de
Panum ne dit rien là-dessus.
Explications chimiques. — L’idée que, sous une plus grande
pression barométrique le sang se charge, en traversant les pou-
mons, d’une plus grande proportion d’oxygène, est une idée toute
naturelle, qui a été acceptée par tous les auteurs, depuis et y com-
pris Brizé-Fradin (p. 402). Elle a trouvé une confirmation évidente
dans la constatation faite par Pol et Watelle, François, Foleÿ et
tous les médecins qui ont soigné les ouvriers tubistes, que le sang
tiré des veines pendant la compression, ou même quelque temps
après la décompression, présente une couleur rouge, artérielle. Les
expériences contradictoires en apparence de M. Fernet (p. 260) n’ont
pas beaucoup impressionné les auteurs en présence de ce fait si évi-
dent. Je ne vois guère que M. Bucquoy (p. 477) qui se soit efforcé
de les discuter; à ses yeux, c’est l’oxygène dissous dont seule la
proportion augmente, puisque M. Fernet a prouvé que les globules
sanguins n’absorbent pas dans l’air comprimé une quantité d’oxy-
gène plus grande qu’à l’air libre. Les autres auteurs se bornent à
constater que le sang est plus riche en oxygène, et à tirer de là
toutes les conséquences qu’ils croient inspirées par la logique,
guide dont il faut toujours se défier en ces matières complexes.
Pour M. Foleÿ, par exemple, « l’hypérartérialisation » du sang
n’est pas à mettre en doute, et elle a pour suite « une énorme
consommation des tissus divers, à cause de l’excès d’oxygène qui
les pénètre ». Mais cette augmentation dans les combustions intra-
organiques, il faudrait en prouver l’existence.
Or les expériences de MM. Régnault et Reiset, montrant que les
animaux qui respirent dans un milieu très-riche en oxygène, n’y
absorbent pas plus de ce gaz et n’y forment pas plus d’acide car-
bonique que dans l’air ordinaire, rendaient peu vraisemblable
l’idée d’une activité chimique augmentée. Pravaz, le seul qui avec
Panum (p. 499) paraisse avoir compris la portée de l’objection, y
répond fort médiocrement (p. 467) et de manière à compromettre
un peu sa réputation de physicien. Mais il eut le mérite de faire
faire à deux de ses élèves, Hervier et Saint-Lager, des expériences
tendant à résoudre directement la difficulté.
On sait à quelles conclusions compliquées (p. 465) sont arrivés
ces expérimentateurs en cherchant à déterminer les modifications
que le séjour dans l’air comprimé apporte dans l’excrétion de
L'acide carbonique, et par suite dans la consommation de l’oxygène.
519
ATR COMPRIMÉ : RÉSUMÉ ET CRITIQUES.
Je n’essayerai pas de les discuter, parce que de pareilles recherches
n’ont de valeur que par la méthode employée; or cette méthode,
je l’ai déjà déclaré, était des plus défectueuses. En une matière si
délicate, et où l’on peut présumer que les différences seront de
très-faible importance, il est indispensable de respecter scrupuleu-
sement et la précision chimique et surtout l’exactitude physiolo-
gique.
Ce n’est pas la première de ces conditions qui manque, du moins
en apparence, au travail de Vivenot. A en croire ses chiffres, l’ana-
lyse qu’il aurait faite de l’acide carbonique, contenu dans une
expiration, serait exacte jusqu’à la 6e décimale, et ceci seul, je
l’avoue, suffirait pour me mettre en défiance. Ainsi la quantité
d’acide carbonique exhalé en 24 heures à la pression normale étant
de 1500gr, 57760, elle serait dans l’air comprimé de 1449gr, 49350.
Voilà qui paraît bien concluant. Mais comment ces chiffres ont-ils
été obtenus? En analysant le produit d 'une expiration « aussi forte
que possible, mais faite sans grands efforts » à la pression nor-
male, qui a donné 0gr,2176 d’acide carbonique, et d 'une expiration
sous compression, qui a donné 0gr,2676; en tenant compte du nom-
bre moyen des mouvements respiratoires par minute, qui était de
4,15 pour le premier cas et de 3,76 pour le second; enfin, en mul-
tipliant par 60 puis par 24 le nombre ainsi trouvé.
Pour moi, je me refuse à accorder aucune espèce de valeur à des
chiffres obtenus par une méthode aussi absolument contraire à ce
qu’exige la vraie précision, la précision physiologique. Se baser sur
une expiration, faite à raison de 3,76 mouvements respiratoires
par minute, c’est-à-dire sur des conditions extraordinaires, c’est
s’exposer à supporter, au nom de la méthode expérimentale, les
plus sévères critiques. Je n’hésite pas à dire, sans entrer dans le
détail des expériences, sans insister sur les « tuyaux de caoutchouc
non hermétiquement fermés » (p. 488), que toute cette partie du
travail de Vivenot, malgré ses innombrables tcibelles et scs colonnes
de chiffres où la table de logarithmes a « fait merveille », doit être
considérée comme nulle et non avenue.
C’est aussi l’avis de Panum, qui a étudié la même question en se
plaçant dans des conditions meilleures, sans doute, mais qui ne
sont encore pas à l’abri de tout reproche. Cependant, ses expé-
riences déposent dans le même sens, et tendent à montrer que,
dans Pair comprimé, il y a plus d’acide carbonique produit en un
temps donné qu’à la pression normale.
520
HISTORIQUE.
J’avoue qu’à mes yeux ce fait meme n’est pas prouvé ; un
coup d’œil jeté sur le tableau publié par Panum suffit pour
motiver mes doutes sur les résultats de ses expériences mêmes ;
car on voit qu’en définitive il n’y en a que quatre qui soient com-
parables et dans les conditions normales, et que sur ces quatre
une seule a été faite à la pression ordinaire. De plus, la respira-
tion n’a été prolongée que pendant 10 à 12 minutes; enfin, il n’est
rien dit du régime diététique auquel était soumis le sujet des
expériences.
L’augmenlation de la quantité d’acide carbonique exhalé, dans
l’air comprimé, admise sans conteste par Pravaz, par M. Foleÿ,
par les physiologistes allemands, les a entraînés à conclure à une
plus grande quantité d’oxygène absorbée pendant la compression
même. De là, toute une série de conséquences, déjà entrevues par
les anciens auteurs : excitation nerveuse, énergie musculaire, com-
bustion des tissus, s’en déduisent facilement. De la, l’augmentation
dans la quantité d’urine excrétée (?), l’élévation légère de la tem-
pérature (?), l’appétit insatiable, qui amène l’engraissement s’il
est possibl de le satisfaire, et l’amaigrissement dans le cas con-
traire. Tout cela s’enchaîne fort bien, il faut l’avouer; mais c’est
une bien périlleuse méthode que celle qui appuie la certitude des
prémisses sur leur harmonie avec les conséquences : elle ne fera
jamais preuve aux yeux d’un expérimentateur. Je n’insiste donc
pas sur ces fails dont j’ai donné plus haut tous les détails.
B. — Phénomènes dus a la décompression. •
Les médecins qui ont soigné les ouvriers tubistes et les plongeurs
à scaphandre ont été unanimes pour attribuer à des congestions
sanguines, allant parfois jusqu’à l’hémorrhagie, les accidents con-
sécutifs à la décompression : congestion des poumons, des viscères
abdominaux, et surtout des centres nerveux encéphaliques et spi-
naux. Mais le mode de production de ces congestions n’a pas été
par eux nettement déterminé, tant s’en faut.
Pol et Watelle croient que la congestion se produit pendant l’acte
même de la compression, par le refoulement centripète du sang;
si elle ne produit pas son effet alors, c’est que le sang suroxygéné
n’a pas d’action fâcheuse sur les organes. A la décompression, le
sang se désoxygènc et les conséquences habituelles de la congestion
521
AIR COMPRIMÉ : RÉSUMÉ ET CRITIQUES.
se manifestent (p. 470). J’avoue ne pas bien comprendre comment
les médecins de Douchy pourraient accommoder leur théorie avec
les cas par eux-mêmes constatés dans lesquels les accidents les
plus graves coexistaient avec la rutilance du sang veineux.
M. Foleÿ, dans son explication de la « congestion postéro-tu-
baire », est si peu clair que je préfère renvoyer le lecteur aux cita-
tions textuelles que j’ai faites de son mémoire (p. 480). Bubington
et Cuthbert (p. 484) ne s’expriment pas d’une manière beaucoup
plus intelligible : à leurs yeux, la protection du crâne et de la co-
lonne vertébrale empêcherait, lors de la décompression, « l’excès
de pression sur le cerveau et la moelle de s’en aller assez rapide-
ment par les passages étroits par où le sang sort de ces organes » :
de là les congestions, ou mieux les compressions nerveuses. Cette
erreur physique ne mérite vraiment pas une réfutation.
M. Bouchard a développé sur ce sujet une idée digne d’attirer
l’attention. Ce serait la soudaine dilatation des gaz intestinaux, pri-
mitivement comprimés, qui chasserait tout d’un coup le sang con-
tenu dans les viscères abdominaux, le refoulerait dans la circulation
générale, et amènerait les congestions et les hémorrhagies dans les
organes nerveux (p. 504). J’avoue que je ne puis admettre qu’une
expansion gazeuse, Jans un canal ouvert à ses deux extrémités,
puisse, en présence de parois aussi facilement extensibles que le
diaphragme et les muscles abdominaux, expulser le sang du foie,
de la rate, etc., avec assez de violence pour produire de pareils
désordres.
Une autre explication des accidents de la décompression a
été proposée par M. Bucquoy, et inspirée par les leçons du pro-
fesseur Rameaux, de Strasbourg (p. 478). Sous l’influence de la
pression, les gaz du sang augmenteraient en quantité, l’oxygène sui-
vant la loi de Dalton, l’azote et l’acide carbonique suivant une pro-
gression moindre, parce qu’ « ils ne sont pas puisés dans l’air
inspiré, mais engendrés par les phénomènes physiques de la vie ».
Il en résulte, qu’au moment de la décompression, ces gaz tendent à
redevenir libres, comme « l’acide carbonique s’échappe d’une eau
gazeuse, quand on enlève le bouchon de la bouteille qui la con-
tient ». Et M. Bucquoy cite, à l’appui de cette hypothèse si vraisem-
blable dans ses traits généraux, les emphysèmes observés à Dou-
chy, la guérison des tumeurs musculaires par la recompression,
et une observation fort curieuse que nous avons rapportée en en-
tier (p. 479).
522
HISTORIQUE.
F. Hoppe, nous l’avons vu, avait déjà eu la meme idée; mais il
ne l’appuyait que sur les expériences faites sur la décompression
par la machine pneumatique, et n’apportait à l’appui de son hypo-
thèse aucune observation personnelle (p. 474).
L’idée de M. Bucquoy fut acceptée par M. François, qui ne parait
cependant pas en avoir une compréhension bien nette, puisqu’il
parle « d’amalgame du tissu cellulaire avec l’air des machines
soufflantes, amalgame comparable à celui du mercure avec
l’axonge » (p. 475), et par tous les auteurs qui le suivirent, Yivenot
(p. 452), Panum (p. 500), M. Gavarret (p. 502), M. Leroy de Méri-
court (p. 505), etc.; M. Foleÿ seul n’y crut pas (p. 485). M. Bou-
chard (p. 504), M. Gai (p. 506) et d’autres admettent simultanément
les congestions viscérales et le dégagement des gaz libres du sang.
Mais ce dégagement, personne ne l’a vu, aucune expérience n’ayant
été faite. Et quels sont ces gaz libres? Les trois gaz du sang et sur-
tout l’oxygène, comme l’indique M. Bucquoy? Rien ne le prouve;
comment croire que l’oxygène, qui si facilement se combine aux
tissus, puisse redevenir gazeux, et présenter un obstacle sérieux,
invincible, à la circula lion de ce sang qui l’absorbe ordinairement
avec tant de rapidité, et dans lequel on peut en injecter sans danger
de grandes quantités? Puis, comment agit le gaz devenu libre? En
oblitérant les vaisseaux? En déterminant des hémorrhagies? Et com-
ment se fait-il que les accidents ne soient que l’exception, même
au-dessus de quatre atmosphères? Ne pourrait-on pas nier l’exacti-
tude de l’hypothèse elle-même, en soutenant que, s’il fallait l’admet-
tre, tous les ouvriers décomprimés simultanément devraient avoir
leur sang semblable à l’eau gazeuse qui s’échappe de la bouteille
débouchée dont parle M. Bucquoy, et devraient, par suite, être
simultanément frappés?
On le voit, bien que vraisemblable à priori, bien que vraie, pour
le dire à l’avance, la théorie des gaz libres n’est .rien moins que
démontrée aujourd’hui. Pour ceux-là même qui l’ont énoncée et
soutenue, elle se mêle à d’autres théories, et rien de bien net ne se
dégage de ce que nous venons de résumer.
SECONDE PARUE
EXPÉRIENCES
CHAPITRE PREMIER
DES CONDITIONS CHIMIQUES DE LA MORT, EN VASES CLOS, DES
ANIMAUX SOUMIS A DIVERSES PRESSIONS BAROMÉTRIQUES.
Les recherches nombreuses que j’ai faites autrefois sur la
composition finale de Pair contenu dans des vases clos où
des animaux sont maintenus jusqu’à la mort1, m’ont déter-
miné à commencer l’étude de l’influence qu’exercent sur les
organismes vivants les modifications dans la pression baro-
métrique, par l’analyse de l’air devenu mortel par suite du
confinement, lorsque cet air est soumis à des pressions diffé-
rentes de la pression normale.
Un certain nombre d’expériences préliminaires sur les-
quelles il serait oiseux de donner ici des détails, me fai-
saient déjà fortement incliner à penser que la cause prin-
cipale, sinon la cause unique de cette influence dont les
aéronautes d’une part, et les plongeurs à scaphandre de
l’autre, présentent les exemples les plus énergiques, tenait
à la composition différente, suivant les différentes pres-
sions, des gaz contenus dans le sang. Il semblait donc
que le plus court et le meilleur chemin pour résoudre
1 Voy. mes Leçons sur la physiologie comparée de la respiration. Leçons XXVII
et XXVIII, p. 498-520. — Paris, 1870.
52G
EXPERIENCES.
la question, dût être de commencer par installer et met-
tre en usage les appareils nécessaires pour étudier ces gaz
du sang. Je résistai cependant à cette idée, la plus simple
en apparence, et me décidai à attaquer le problème par la
voie indirecte de l’étude de l’air confiné, et ceci pour deux
raisons. Je pensais d’abord trouver ainsi quelques aperçus
nouveaux sur la question de l’asphyxie, qui me préoccupait
depuis si longtemps; en second lieu, le problème que j’entre-
prenais de résoudre se présentait à moi avec une telle com-
plexité apparente, qu’il me parut bon de ne pas aller tout
droit à ce qui me paraissait a priori devoir me fournir la so-
lution générale, de crainte d’être trop vite satisfait, et de
laisser échapper certains éléments peut-qtre fort importants.
J’espérais, si l’on me permet cette comparaison, en battant
ainsi les buissons au lieu de suivre la grande route, faire
quelque utile et curieuse rencontre. C’est au lecteur déjuger
si mon espérance a été trompée ; je veux ici seulement me dis-
culper par avance du reproche d’illogisme qui pourrait pa-
raître fondé, sans oser pour cela, malgré la grande envie que
j’en ai, déclarer que cette marche indirecte, et pour ainsi
dire oblique, doit être, dans bien des cas, érigée en méthode
générale de recherches.
Étant donnée maintenant cette question première, il
me fallait l’envisager à tous ses points de vue, et ils sont
nombreux. Je pouvais d’abord considérer des animaux de
même espèce mourant en vase clos, sous des pressions plus
faibles ou plus fortes que la pression barométrique normale.
Je pouvais ensuite comparer les uns aux autres, dans des con-
ditions barométriques semblables, des animaux d’espèces
différentes. Enfin il était nécessaire d’examiner l’action, sous
pressions diverses, de milieux respirabies dont la composi-
tion chimique fût différente de celle de l’air atmosphérique,
car cette dernière considération, appliquée à la théorie de
l’asphyxie, avait fourni à Claude Bernard des faits d’un in-
térêt capital.
Je me plaçai donc à ces points de vue divers, et je vais
rendre compte successivement des résultats que m’a fournis
MORT EN VASES CLOS : PRESSION DIMINUEE.
527
1? expérience. Je commencerai par l’élude de Fair ordinaire
pour finir par celle d’un air de composition différente, et dans
l’un et l’autre cas je m’occuperai d’abord de la diminution,
puis de l’augmentation de pression. Chacune de ces parties de
mes recherches fournira le texte de réflexions particulières;
mais on verra que les conclusions d’ensemble ne peuvent
être tirées que de leur étude simultanée, tant les divers faits
se compléteront les uns parles autres, s’engrèneront, pour
ainsi dire, de manière à conduire à un résultat général que
je puis, dès maintenant, énoncer sous cette forme un peu pa-
radoxale : la pression, dans ses variations les plus étendues,
par exemple, de 10 centimètres de mercure à 20 atmosphères,
n’agit pas, lorsque ces variations sont ménagées avec une
suffisante lenteur, n’agit pas, dis-je, sur les êtres vivants en
tant que pression, comme agent physique direct, mais
comme agent chimique faisant changer les proportions de
l’oxygène contenu dans le sang, et occasionnant soit l’asphyxie,
lorsqu’il n’y en a pas assez, soit des accidents toxiques lors-
qu’il y en a trop. C’est vers la démonstration de cette vérité
que convergent tous les faits expérimentaux dont je vais
maintenant exposer les détails.
SOUS-CHAPITRE PREMIER.
CESSIONS INFÉRIEURES A CELLE d’üNE ATMOSPHÈRE,
g 1er. — Dispositif expérimental.
L’appareil, à l’aide duquel ont été faites mes expériences
sur la composition de Fair confiné dans lequel meurent des
animaux sous des pressions moindres que celle d’une
atmosphère, est d’une construction des plus simples.
Sur une table sont fixées quatre plaques de verre mon-
tées sur des armatures de cuivre, semblables à celles des ma-
chines pneumatiques (fig. 15) A, en telle sorte que l’on peut
mener quatre expériences de front. Les quatre parties de
MORT EN VASES CLOS : PRESSION DIMINUÉE. 529
l’appareil étant absolument semblables, il doit suffire d’en
décrire une seule.
La plaque est percée en son centre d’un orifice par
lequel passe un tube de plomb coiffé d'un chapiteau mo-
bile B, lequel devra empêcher les animaux d’être attirés
par l’aspiration de l’air. Ce tube se rend dans un tuyau
transversal CC’ qui lui-même communique avec une pompe
aspirante mue par une machine à vapeur; un robinet D per-
met d’établir ou de fermer la communication. Entre le robi-
net et l’embouchure B se dresse un long tube de verre deux
fois recourbé sur lui-même EFGH, et dans lequel on a versé
du mercure. Il est bien évident que lorsque la cloche I
sera fixée sur la plaque A, et que la pompe aspirante entrera
en jeu, le mercure s’élèvera dans la branche fermée du
tube de verre, et que la différence entre les niveaux nn ’ me-
surée sur la règle divisée K indiquera exactement la valeur
de la dépression; on voit en e un renflement destiné à re-
cueillir le mercure qu’un coup de piston trop énergique pour-
rait aspirer violemment et faire passer dans les tubes de
plomb. La cloche I est terminée par une douille fermée d’un
bouchon de caoutchouc à travers lequel passent un thermomè-
tre L et un robinet M; l’extrémité inférieure de celui-ci porte
un tube de caoutchouc, en telle sorte que l’air extrait par le
procédé que je vais indiquer dans un moment, provient des
régions movennes de la cloche.
^ «J
Il est indispensable, pour que ces expériences puissent
donner un résultat, que l’appareil soit bien hermétiquement
fermé, et garde exactement le degré de vide auquel il a été
amené : la moindre ouverture, laissant rentrer une petite
quantité d’air, peut occasionner, comme je m’en suis aperçu
à mes dépens, des causes d’erreurs énormes. Pour obtenir la
fermeture hermétique nécessaire, j’ai fait en sorte de noyer
dans l’eau toutes les fissures par lesquelles pouvait pénétrer
l’air. Ainsi, la plaque de verre sur laquelle est ajustée la clo-
che à l’aide de suif, comme d’ordinaire, est entourée d’un
cercle saillant de zinc N, dans lequel on verse de l’eau ; de
même, des capsules en caoutchouc O et P forment une fer-
530
EXPERIENCES.
meture hydraulique pour l’ajustement du robinet M et du
tube manométrique E; enfin, les robinets D et Q plongent
dans l’eau du vase R et de la gouttière en zinc SS’. Par ce
moyen, si la clôture n’était pas parfaite, au lieu d’air il ren-
trerait de l’eau, dont la présence avertirait du danger et indi-
querait le lieu où l’appareil serait en défaut.
L’animal placé sous la cloche peut être, si cela paraît né-
cessaire, maintenu à une certaine hauteur à l’aide d’un pla-
teau grillé T.
Lorsque tout est disposé, on met en marche la pompe à
vapeur, et il est facile de concevoir comment on peut, en
faisant varier l’ouverture du robinet M, diminuer plus ou
moins rapidement la pression dans la cloche, tout en y con-
servant un courant d’air toujours pur. Cette précaution per-
met, comme on le verra plus loin, d’accoutumer jusqu’à un
certain point les animaux à des pressions assez basses et qu’ils
paraissaient d’abord ne pouvoir supporter. Lorsque j’avais
besoin de recourir à des diminutions de pression que la
pompe à vapeur ne pouvait me donner, je fermais, au mo-
ment où celle-ci refusait d’aspirer davantage, le robinet D
(le robinet M étant déjà fermé depuis quelque temps), et je
mettais ledit robinet M en communication par un tube épais
de caoutchouc avec une machine pneumatique ordinaire, ce
qui me permettait d’obtenir le vide à Ie près environ. Je
n’ai eu, du reste, que bien rarement besoin de recourir à ce
procédé.
Je dois enfin faire connaître de quelle manière je me pro-
curais, à un moment donné, et spécialement après la mort
de l’animal, une certaine quantité de l’air contenu dans la
cloche, afin d’en faire l’analvse.
Je mettais dans ce but en usage le petit modèle de la
pompe à mercure que construisent MM. Àlvergniat. Je crois
devoir donner ici une description de cet instrument dont il
sera souvent question dans la suite de ce travail.
La pompe à mercure (fig. 16) consiste en un tube baromé-
trique dont la chambre À forme un renflement considérable
et porte à sa partie supérieure un robinet R* dont je parlerai
.ej./.\/VAO !z Ti $
Fig-. 16. — Pompe à mercure disposée pour l’extraction des gaz du sang.
Chambre barométrique. — B. Boule mobile, en communication, avec A par caoutchouc et tube
de verre. — 0. Cuvette à mercure avec éprouvette graduée pour recueillir les gaz. R. Robi-
net à trois voies pouvant fermer complètement la chambre barométrique (position 1), en faisant
communiquer A avec C (position 2), A avec D (position 5)
532
EXPERIENCES.
dans un moment, robinet surmonté par une petite cuve à
mercure C. Le tube barométrique est, par sa partie infé-
rieure, relié à l’aide d’un tube de caoutchouc très-épais, avec
un réservoir B d’une capacité un peu supérieure à celle de la
chambre A. Ce réservoir est fixé sur une pièce de bois qui
peut monter et descendre en glissant, dans une double rai-
nure, à l’aide d’un système d’engrenages dont la figure
montre la disposition.
Tout le jeu de l’appareil dépend à vrai dire des diverses
positions du robinet R. Ce robinet est à trois voies ; l’anneau
de verre dans lequel il tourne communique par trois orifices
avec la chambre barométrique, la cuve à mercure et le tube
latéral allant à l’extérieur.
Quant au robinet en lui-même, il est percé de deux canaux
se rencontrant à angle droit. Il est aisé de comprendre la
conséquence de ses diverses positions, qui sont représentées
sus le côté de la figure 16. En 1, toute communication est
interrompue, et la chambre barométrique est hermétique-
ment fermée; en c2, il y a communication entre la chambre
et la cuve à mercure ; en 5, communication entre la chambre
et le tube latéral.
Ce robinet de verre, lorsqu’il est convenablement graissé,
tient parfaitement le vide. Cependant, de peur que quelques
bulles d’air, pénétrant entre le robinet et son anneau, ne
viennent fausser les résultats, j’ai fait envelopper le tout
d’une capsule de fer et de caoutchouc que l’on maintient
pleine d’eau.
Pour en finir avec les détails de construction, j’indiquerai
la règle divisée, qui permet de mesurer la hauteur de la
colonne mercurielle, ce qui est souvent utile; enfin, tout
l’appareil est fixé sur une caisse en bois munie de roulettes
et de vis calantes, et entouré de rebords destinés à recueillir
le mercure qui tombe fréquemment et se perdrait en nota-
ble quantité pendant les diverses manipulations.
Il est bien évident qu’en versant du mercure dans le ré-
servoir B préalablement amené au point le plus élevé de sa
course, on peut, le robinet R étant amené dans la posi-
MORT EN VASES CLOS : PRESSION DIMINUÉE. 553
tion 2, chasser l’air contenu dans le tube et la chambre baro-
métrique, et le remplacer par le mercure, qui monte même
alors dans la cuve G. Si alors on ferme le robinet R (posi-
tion 1), et que Ton descende le réservoir B jusqu’au bas de
la rainure, le mercure s’abaissera dans le tube, de manière
à se maintenir à 76e au-dessus du niveau du réservoir B : en
d’autres termes, on aura le vide barométrique dans la cham-
bre À. Si alors on tourne le robinet R de manière (position 3)
à mettre cette chambre en communication avec le tube laté-
ral qui, dans notre figure, communique à un système de
manchon et de ballon qui ne sert que pour l’extraction des
gaz du sang, une certaine quantité d’air extérieur s’intro-
duit, et le mercure descend dans le tube barométrique. Fer-
mant alors le robinet (position 1), on maintient ainsi empri-
sonnée une certaine quantité de cet air; et si l’on a besoin
d’en recueillir pour une analyse, il suffit de remonter le ré-
servoir B, de replacer le robinet R dans la position 2, et l’air
chassé par le mercure qui remonte, traverse la petite cuve G
et pénètre dans l’éprouvette renversée qui est prête à le re-
cevoir.
L’invention de la pompe à mercure est d’ordinaire attribuée
aux constructeurs allemands, et, avec cet amour de la ré-
clame étrangère qui nous est habituel, nous décorons assez
souvent cet instrument du nom de pompe de Geissler. La
vérité est que l’invention en appartient en principe à M. Ré-
gnault. Il y a longtemps que le célèbre professeur du Collège
de France avait inventé une pompe fort analogue, munie de
ce robinet à trois voies, qui est la maîtresse pièce de l’instru-
ment. .Seulement, comme à cette époque on n’employait
guère le caoutchouc dans la construction des appareils, il
avait, au lieu d’un réservoir mobile, mis son tube baromé-
trique en communication avec deux réservoirs placés l’un en
bas, l’autre en haut; ceci entraînait, on le comprend, un
système assez compliqué de tubes et de robinets. Mais le prin-
cipe était le même, et l’adjonction d’un tube de caoutchouc
n’a certes pas une importance suffisante pour nous faire
oublier le véritable inventeur.
554
EXPÉRIENCES.
Rien de plus simple maintenant que de comprendre com-
ment cet instrument peut être appliqué à r extraction de l’air
contenu dans les cloches de l’appareil représenté figure 15.
Î1 suffit d’ajouter au tube latéral, qui dans la figure 16 com-
munique avec le ballon 1), un tuyau de caoutchouc pouvant
supporter le vide, et, qui coiffe par son autre extrémité le
robinet M placé au sommet de la cloche où se trouve l’animal
en expérience. Ce robinet étant fermé, le vide étant fait
dans la chambre A, je mets le robinet R dans la position 5
de manière à aspirer Pair contenu dans le tuyau de caout-
chouc S ; je ferme alors le robinet R (position 1), j’amène le
réservoir R au sommet le plus élevé de sa course, je place
le robinet dans la position 2, et l’air s’échappe en traversant
le mercure de la cuve, sur laquelle on n’a pas encore ren-
versé l’éprouvette. En répétant deux ou trois fois de suite
cette manœuvre, on arrive à faire le vide complet dans tout
l’appareil, y compris le tuyau de caoutchouc, comme le
prouve le choc brusque du mercure (le marteau de mercure)
contre le robinet fermé R, choc dont il faut modérer la vio-
lence en relevant avec précaution le réservoir.
Ceci fait, le réservoir R étant alors abaissé au maximum,
et le robinet R mis dans la position 5, j’ouvre le robinet de
communication entre la cloche où je veux prendre l’air, et le
tuyau de caoutchouc. Évidemment, une certaine quantité de
l’air de la cloche se précipite et remplit la boule A. Par pré-
caution, je chasse encore cet air, de peur que le vide n’ait
pas été parfait dans le tube latéral et dans la chambre baro-
métrique, et je recommence la même manœuvre. Mais cette
fois, je renverse sur la cuve G un tube gradué plein de mer-
cure, et le gaz comprimé dans la chambre A, par suite du
relèvement du réservoir R, est amené dans le tube bulle à
bulle, par un passage très-prudemment ménagé de la posi-
tion 1 du robinet à la position 2. Le gaz ainsi recueilli peut
être aisément transporté pour l’analyse.
Celle-ci est faite sur la cuve- à mercure, an moven d’une
dissolution de potasse, pour absorber l’acide carbonique, puis
d’une autre dissolution d’acide pyrogallique, pour absorber
MORT EN VASES CLOS : PRESSION DIMINUÉE. 535
l’oxygène. Les différences de niveau, mesurées dans le tube
gradué, donnent par un calcul très-simple la composition
centésimale du gaz. Ce procédé d’analyse, extrêmement com-
mode et rapide lorsqu’on a soin d’agiter fortement le tube,
surtout après l’introduction de l'acide pyrogallique, m’a
paru préférable à tout autre.
Un physiologiste allemand qui visitait mon laboratoire
me reprocha gravement, un jour, de mesurer les diffé-
rences de niveau sSns l’usage d’un cathétomètre; de ne
pas employer la méthode Bunsen, par boules de potasse et
de phosphore, qui donne des résultats plus précis; de ne
pas déduire la valeur de la colonne de liquide qui diminue
de 2 ou 5 centimètres d’eau la tension de l’air contenu dans
le tube gradué; enfin, de ne pas tenir compte de la petite
quantité d’oxyde de carbone qui peut se former pendant l’ab-
sorption de l’oxygène par le pyrogallate de potasse. Je ne rap-
porterais pas ici ces critiques puériles, si elles ne fournis-
saient un exemple tout à fait caractéristique d’une erreur de
méthode très-commune de l’autre côté du Rhin, et que des
pédants prétentieux voudraient importer en France. J’ai sou-
vent eu déjà l’occasion de dire mon sentiment au sujet de
cette recherche oiseuse et dangereuse d’une fausse exacti-
tude. J’en parle à propos des analyses actuelles, pour dire que
es causes d’erreurs signalées ne touchent qu’à la troisième
décimale, laquelle j’ai eu soin de ne jamais mettre en ligne.
Le lecteur verra plus loin, quand je discuterai les résultats des
expériences, comment des circonstances qu’il est impossible
de prévoir et très-souvent d’expliquer peuvent faire varier les
nombres fournis par les analyses dans la première décimale
ou même dans le chiffre des unités. La préoccupation d’une
troisième décimale serait donc une naïveté.
Ces observations se rapportent, bien entendu, à toutes les •
analyses de gaz que l’on trouvera énumérées dans le présent
travail, qu’il s’agisse d’air comprimé ou dilaté, de gaz extraits
du sang, etc....
556
EXPÉRIENCES.
g 2. — Expériences.
A. — Expériences faites sur les Oiseaux.
Ce sont de beaucoup les plus nombreuses.
Les moineaux (moineau franc, Fringilla domestica, Lin. et
moineau friquet, Fringilla montana, Lin.) m’ont tout particu-
lièrementservi dans ces expériences et dans celles relatives
à l’augmentation de pression.
Je commence par indiquer quelques expériences dans les-
quelles la mort dans l’air confiné a eu lieu à la pression nor-
male. Elles nous serviront de termes de comparaison pour
les autres.
Expérience I. — 21 mars, lemp. 15°. Moineau franc, vigoureux, pe-
sant 51sr.
Placé sur la cuve à mercure dans une cloche mesurant 1 litre ; une
rondelle de liège le sépare du mercure.
Mis à l'1 40; mort à 2h 45 : durée de la vie, l1' 5m.
Composition de l’air mortel : 05,0; CO2 14,8.
Addition de l’oxygène restant et de l’acide carbonique formé :
CO2 4-0= 17,8;
Rapport de l’acide carbonique formé à l’oxygène disparu :
CO2 _ 14,8
O 17,9
0,82.
Expérience II. — 18 mars. Moineau franc.
Cloche de 11,9. Mis à l1' 10m, mort à 5h 5m. La dépression finale est
par suite de l’absorption, de 2e, 5. Il n’v a pas de tache sanguine au
crâne.
Air mortel : 0 4,2; CO2 14,6.
CO2 4-0 = 18, 8; = 0,87.
Expérience 111. — 20 juillet; temp. 24°. Moineau franc.
Cloche de 1*,5. Misa 3h 15, pression normale. N’était pas mort à 6h 15m,
meurt vers 7 heures.
Air mortel : O 5,5; CO9 16,0.
MORT EK VASES CLOS : PRESSION DIMINUÉE.
537
J’arrive maintenant aux expériences faites à l’aide de l’ap-
reil représenté figure 15, page 528.
Expérience IV. — 24 mars,' temp. 15°, pression 75e. Moineau franc.
Cloche de 5 litres.
Mis à 2h 4ra. Commencé courant d’air avec la pompe à vapeur, le robi-
net M étant ouvert. A 2h 10m, 10e de dépression; à 2h 12m, 15e; à 2h 14m,
20e; à 2h 17m, 25e; à 2h 20m, 50e.
On ferme le robinet et on continue à décomprimer. A 2h 23m, 32e ; à
2h 50m, 40e ; à 2h 57m, 52e : pression réelle 25e.
On ferme alors le robinet D. La pression se maintient parfaitement à
25e avec absorption d’environ 1 demi-centimètre. L’animal meurt à 3h55m,
et a ainsi vécu dans 5 litres d’air à 22e, 5, qui représentent environ 0,4
à la pression normale, pendant lh 35m.
Composition de l’air mortel : 0 10,3; CO2 7,5.
CO2
CO2 -+-0=17,8; -- =0,70.
Expérience V. — 25 mars; temp. 15e; press. 75e. Moineau franc. Cloche
de 3*,200.
Misa lh 50m : courant d’air. A lh 55m, 10e de diminution; à lh 59m, 21e;
à 2h 2m, 53e; à 2h 5m, 45e ; fermé les robinets : pression réelle 29e.
Air mortel : O 9,3; CO2 11,2.
CO2
CO2 -+-0=20, 5; ^- — 0,96.
Expériences VI à IX, simultanées. — 6 mai; temp. 16°; pression 76e, 4.
Moineaux friquets mâles, vigoureux.
VI. — Cloche de 2‘ 5.
Mis à 3h 42m. Laissé à la pression normale. A 6h, très-malade; 128 res-
pirations; à 6h 25m, 120 respirations. Meurt à 7h 5m. A vécu 3h 23m.
Air mortel : O 3,5; CO2 14,6.
CO2 -+-0= 18,1
CO2
U
= 0,84.
VII. — Cloche de 31, 2.
Mis à 5h 42,n. Courant d’air; à 3h 55m, 6e de diminution; à 4h, 16e; à
4h 4m. 21e, 4. Fermé les robinets. Pression réelle 55e.
A 41‘ 19m, assez tranquille, 120 respirations; à 5h 8m, 116 respirations;
à 6h, 112 respirations, ne paraît pas malade; à 6‘‘ 25m, 108 respirations,
encore assez bien. Meurt à 8h 55m.
A vécu 4h 51m, dans 3l,2 d’air à 55e, qui représentent 2l,5 à 76e.
Air mortel : O 4,5 ; CO2 14,4.
C02-f-0= 18,9;
CO2
= 0,84.
O
538
EXPÉRIENCES.
VIII. — Cloche de 5l.
Misa 51' 42 m : courant d’air. A 5h 55m, 8e de diminution; à 4h, 16e; à
4h 4m, 19e; à 4h 7,n, 40e. Pression réelle 56e, 4. Fermé les robinets.
A 4h 19,n, 150 respirations, tranquille; à 5h 8m, 126 respirations; à 6h,
très-malade, 128 respirations ; à 6h 25, 150 respirations ; meurt à 7h 10m.
A vécu 5h dans 51 d’air à 56*,4, qui représentent 2*,4 à 76e.
Analyse perdue.
IX. — Cloche de 111, 5.
Mis à 5h 42m : courant d’air. A 5h 55m, 14e de diminution ; à 4h, 29e; à
4h 4m, 58e ;à 4h 7,n, 52e ; à4h llm, 59e. Fermé les robinets. Pression réelle
17e, 4.
Très-malade de suite. A41' 19m, 140 respirations; à4h 22m, meurt avec
des convulsions. A vécu 11 minutes.
Air mortel ; O 19,6; CO2 0,6.
Expériences X à XII, simultanées. Il mai; temp. 16°; press. 75e, 5.
X. — Friquet mâle. Cloche de 21,2.
Pe 5h 20,u à 5h 22'" la pression est abaissée brusquement à 20e. Immé-
diatement, affaissement de l’oiseau, et mort à 5h 24m, après convulsions.
On ne croit pas devoir prendre d’air pour l’analyse.
Le cœur gauche contient du sang noir; pas de gaz dans le sang.
XI. — Moineau franc. Cloche de 5!,2.
Amené de 5h 15m à 5h 17m à 24e, 5 de pression. S’affaisse un moment,
puis revient très-bien à lui. Meurt à 5h 52"1. A vécu 58 minutes dans une
cloche dont la capacité, ramenée à 76e, représentait 1 1 ,05 d’air.
Air mortel : O 12,8 ; CO2 6, 2.
PO2
CO2 4- 0 = 19,0; -Ay = 0,76.
XII. — Moineau franc. Cloche de 4^6.
Amené en quelques minutes à 54e, 5 de pression : paraît à peine s’en
apercevoir. Piobinets fermés à 5h 9m.
A 4h 50m, bien malade, mais encore sur ses pattes. Mort à 5h 4om. A
vécu 2h 54m dans une quantité d’air représentant 1*,89 à 76e.
Air mortel : O 8,2 ; CO2 10,8.
PO2
CO2 H- O = 19,0; ~ = 0,85.
Expériences XIII à XV, simultanées. — 24 mai; temp. 17°; pression 76e, 5.
Moineaux francs.
XIII. — Cloche de 2!,5.
Mis à 5h 51 : courant d’air. A 5h 55m, 57e de pression réelle: fermé les
robinets. L’animal ne paraît pas mal à son aise.
Meurt à 5h 20m. A vécu lh 45m dans une quantité d’air qui représente
MORT EN VASES CLOS : PRESSION DIMINUÉE.
539
l‘,22 d’air à 76e. Légère absorption d’environ J /2e de mercure : la pres-
sion finale n’est donc plus que de 56e, 5.
Air mortel : O 7,2; CO2 11,5.
f O2
CO2 4-0=18,7; ~ = 0,84.
XIV. — Cloche de S‘,2.
Commencé à 5h 24m. A 5h 27m, pression réelle de 28e, 5 : l’oiseau ne
tombe pas ; on ferme les robinets.
Meurt à 4h 56m. A vécu lh 50 m dans une quantité d’air correspondant
à 1 1 , 1 9 : absorption d’environ 1 /2e ; la pression réelle est donc de 27%8.
Air mortel : O 7,9; CO2 10,5.
CO2
CO2 + O = 18,2 ; — 0,79.
XV. — Cloche de 4l,6.
Commencé à 5h 10m. A 5h 15m, 51e de diminution: l’oiseau tombe.
A 5h 17m, 55e de diminution; on ferme les robinets : pression réelle, 21e, 5.
A 5h 25n\ l’oiseau se relève et paraît beaucoup moins mal à l’aise. A
4h 42m, agitation convulsive assez violente. Dernier mouvement à 4h 55ni.
A vécu lh 40m dans une quantité d’air correspondant à i\T).
Air mortel : 011,8; CO2 7 .
f O2
CO2 + 0=18,8;— =0,77*.
U
Expériences XVI à XIX, simultanées. — 51 mai; temp. 19°. Pression
75e, 8. Moineaux jeunes, mais vigoureux. '
XVI. — Cloche de 51.
Commencé à 5h 45/n. A 5h 55m, la pression réelle n’est plus que de 19e, 7.
On ferme les robinets.
L’oiseau est resté tout le temps immobile; mais vers 45 â 50e de dimi-
nution, il devient inquiet, puis malade. Au moment où l’on ferme les ro-
binets, il semble qu’il doive bientôt mourir. Mais vers 4h il va notable-
ment mieux.
Mort à 51' 50ni. A vécu lh 45ni dans une quantité d’air correspondant
à 1 1 ,50.
A 5h 42m, la température rectale est de 25°, 6 : il n’y a pas de rigidité
cadavérique. A 5h 55m, la température est de 22°, 8 et il y a rigidité, qui
est ainsi survenue en moins de 25 minutes.
Air mortel : O \ 2,9 ; CO2 7,0.
CO2
CO2 +- O = 19,9; ~ =0,87.
X VIT. — Cloche de 4*,6.
Commencé à 5h,45m. Depuis qu’il est sous la cloche, l’oiseau s’agite d’une
manière continuelle; il en est de môme pendant le commencement de la
décompression; vers 40 cent, de diminution, il se calme et devient ha-
EXPÉRIENCES.
540
letant et de plus en plus malade. A 5h 53™, la pression n’est plus que de
20e, 8. On ferme les robinets. L’oiseau est fort malade, s’agite violem-
ment et convulsivement et périt à 5h55™, c’est-à-dire en 2 minutes, dans
une quantité d’air correspondant à 1 1 , 2 7 .
A 4h 15™, sa température prise dans le rectum est encore de 51°, 6, et
la rigidité cadavérique est très-prononcée.
Air mortel : 020,5; GO2 0,5.
XVIII. — Cloche de 5>,2.
Commencé à 5h 47™. L’oiseau s’est agité et s’agite comme le précédent,
puis il se calme vers 40e de diminution et devient aussitôt assez malade.
A 5h 51™, la pression n’est plus que de 27e, 8 : on ferme les robinets.
L’oiseau est alors très-malade, et pris de vomissements. Mais il ne tarde
pas à se remettre et va assez bien vers 41'. A 6h 50™, meurt sans convul-
sions. Il a ainsi vécu 2 heures dans une quantité d’air correspondant
à 0,1 5.
A 6h 42™, sa température rectale est de 21°, 4 ; pas de rigidité cadavé-
rique. A 6h45™, 21° : rigidité commençante. A 6h 47™, c’est-à-dire après
17 minutes, rigidité complète; tempér. 20°, 5.
Air mortel : O 8,5; CO2 10,9.
CO2
CO2 -f-0 = 19,4; = 0,88.
XIX. — Pour examiner la marche naturelle de la décroissance de
température et de l’établissement de la rigidité cadavérique, je coupe,
à 5h 7™, la tète à un moineau semblable aux précédents. La température
rectale est de 42°, 8. Les mouvements réflexes disparaissent aussitôt; l’œil
estinsensible, bien quelebec s’ouvre encore spontanément plusieurs fois.
Après 5 minutes, la température est de 41°, 7 ; après 15 minutes, de 55°. 5 ;
après 25 minutes, de 52°, 9; après 58 minutes, de 29°, 5. A ce moment, il
n’y a pas encore de rigidité cadavérique.
Expériences XX à XXIV, simultanées. — 5 juin; tempér. 20°; pression
76e, 5. Moineaux francs.
Ces expériences ont été faites dans le but d’examiner si la dimension
des cloches a une influence notable sur la composition de l’air mortel
lorsque la dépression est partout la même.
XX. — Cloche de 111, 5.
Commencé à 2h 51™. A 2h 57™, la dépression n’est plus que de 30e, 8.
Le moineau ne s’est pas agité, il est à peine malade. On ferme les robi-
nets.
A 5h 5™, il titube et vomit, mais se remet assez vite; à 5h40™, un peu
malade; à 9h 50™, très-malade : on extrait de l’air, avec la pompe à mer-
cure, ce qui diminue encore la pression d’environ 1e, 5; le malaise de
l’oiseau paraît aussitôt augmenté.
MORT EN VASES CLOS : PRESSION DIMINUÉE.
541
Meurt à 9h 50m; a vécu 6h 55m dans une cloche dont la capacité, rame-
née à la pression normale, représentait 4l,66, soit par litre lh 28m.
La température rectale, prise à 9h 55,n, est de 28°, 4; il n’y a pas de ri-
gidité cadavérique, mais celle-ci existe à 10h 5m, la température étant
de 26°, 7.
L’air pris à 9h 50m contenait O 8,8 ; GO* 9,4.
L’air mortel contenait O 8,5; CO* 9,8.
PO*
CO* -b O = 18,1 ; ~ — 0,78.
XXI. — Cloche de 7*.
Commencé à 2h 51,n. A 2h 55m, pression de 50e, 5. L'oiseau, qui s’est
beaucoup agité, est assez malade, et se tient difficilement sur ses pattes.
Les robinets sont fermés. A 5h 25m, très-malade.
Meurt à 7h 20m. Il a ainsi vécu 4h 25m dans une quantité d’air corres-
pondant à 2\79, soit pour un litre lh 34“.
A 7h 50m, sa température n’est que de 25°; pas de rigidité ; à 7h 40m,
trouvé raide.
Air mortel : O 8,2 ; CO2 10,1 .
PO8
CO* -b O =18,3; = 0,79.
XXII. — Cloche de ô1.
;
Commencé à 2h 47m. S’agite beaucoup. A 2h 51m, la pression n’est plus
que de 26e, 1. L’oiseau, est très-malade et crispé contre le rebord de la
cloche.
Meurt à 2h 55n\ A 5h 10m est très-raide. Sa température est de 54°, 7.
• A vécu 6 minutes. On ne prend pas d’air.
XXIII. — Cloche de 51.
Commencé à 5h 20m. S’agite beaucoup. A 3h 24m, la pression est de
50e, 3; l’oiseau ne parait pas malade; on ferme. A 5h 25m, très-malade.
L’heure de la mort n’a pas été marquée.
Air mortel : O 8,3 ; CO* 1 0,5.
PO2
CO* -b O ~ 18,6; — — 0,81 .
XXIV. — Cloche de 21,5.
Commencé à 21' 51m. A 2h 59“l, la pression est de 50e, 5. S’est agité
beaucoup, vomit, mais ne tombe pas. Fermé les robinets.
Vers 5h 5m, un peu d’agitation. Meurt à 4h 30m.
A 4h 50m, 27° de température; rigidité prononcée. A vécu lh 31m dans
la c oche, dont la capacité correspond à 1 litre.
Air mortel : 0 10 ; CO* 10,4.
PO 2
CO* -b O — 20,4; jy — 0,95.
EXPERIENCES.
542
La moyenne des quatre expériences suivies d’analyse d'air est pour la
pression de 30e, 5 : 0 8,7; GO2 10,1.
Expériences XXV à XXY11I, simultanées, faites dans le même but que les
précédentes. — 8 juin. Temp.20°,5; pression 76e. Moineaux francs.
X XV. — Cloche de 11 *,5.
Commencé à 3b 45,n. A 5h 53m, la pression est de 24e, 2. S’est agité; un
peu malade; couché, bâille fréquemment; fermé robinet.
A 4h 15in, se remet sur ses pattes; à 6b, va assez bien; à 7b 50m, un peu
malade; trouvé mort à 9h 50m.
A donc vécu environ 5 heures dans une cloche dont la capacité repré-
sente 3C66 ; soit, par litre, environ lh 22m.
Air mortel : O 13,7 ; CO2 5,4.
CO2 4-0 = 19,1; ~ = <J,75.
XXVI. — Cloche de 71.
Commencé à 4b. A 4h 10m, pression de 24e, 2. S’est beaucoup agité; a
des convulsions et paraît près de périr. Fermé les robinets.
A 4b 15m, se remet sur ses pattes; à 4b 30m, très vif, s’agite beaucoup
à 5h, devient malade; à 6h, comme assoupi; à 6b 2Ü‘U, meurt après agita-
tion convulsive violente.
A vécu 2b 10m, dans une quantité d’air correspondant à 2*,22 ; soit,
par litre, 58 minutes.
A 6h 32m, température rectale 50°, 3, n’est pas tout à fait raide; à 6h
45,u, raide, température 26°, 5.
Air mortel : O 12,6; CO2 7,0.
Cf)2
CO2 + 0=19,6; — - = 0,84.
XXVII. - Cloche de 51.
Commencé à 4b 15m. A41* 21m, arrivé à 24e, 2 de pression; s’est agité
d’abord, puis calmé aux environs de 42e de diminution, comme du reste,
ont fait les précédents; ne tombe pas. Fermé les robinets.
A 4b 22m, titube, vomit, s’accroupit; mais bientôt se relève et va assez
bien.
A 5h 30m, très-malade; à 6b ÎO1, meurt. A vécu lb 50m dans une cloche
dont la capacité correspond à 1 1 ,55 d’air; soit, par litre, lb 10.
A 6h 211U, raide; température 27°, 2.
Air mortel : 011,6; CO2 7,8.
fO2
CO2 H- O = 19,4; ~ ^0,84.
XXVIII. — Cloche de 2l ,5.
Commencé à 4h 16m; à 4h 26,n, la pression est de 24e, 2. S’est agité,
mais ne paraît pas en danger.
Meurt à 5b 30IU; a vécu lb 4,u dans une quantité d’air correspondant à
01, 79; soit, pour un litre, lb 21U1.
MORT EN VASES CLOS : PRESSION DIMINUEE.
545
A 5h 50ni, trouvé raide; température 27°, 5.
Air mortel : O 12,6; CO2 5,9.
ff>2
CO2 H- O 1=18,5; ~ = 0,71.
Moyenne des quatre expériences : O 12,6 ; CO2 6,5.
Expériences XXIX à XXXII, simultanées. — 10 juin. Température 21°;
pression 75e, 5. Moineaux francs.
XXIX. — Cloche de 111, 5.
Commencé à 2h. S’agite beaucoup; à 2h 8IU, 40e de diminution de pres-
sion; se calme un moment, puis s’agite à nouveau. A 2h 12ra, la diminu-
tion est de 47e; ne bouge plus ; un peu essoufflé. A 2h 16m, 55e de dimi-
nution, plus essoufflé, vomit. A 2h 1711*, la pression n’est plus que de
17e, 5. On ferme les robinets.
L’oiseau respire très- difficilement, et reste couché. Il meurt avec con-
vulsions à 2h 20m, c’est-à-dire après 5,n. L’air contient à peine des traces
d’acide carbonique.
XXX. — Cloche de 111, 5.
Commencé à 2h 45m; s’agite beaucoup. A 2h 50U1, la diminution est de
42e; l’oiseau se calme. A 2h 53m, 44e de diminution : titube, vomit, mais
recommence à s’agiter. A 2h 56m, 52e; souffre beaucoup. A 5h 5m, 56e de
diminution; tombe, et paraît près de mourir. On laisse rentrer un peu
d’air, jusqu’à ce que la dépression ne soit que de 49e. A 51' 8"*, l’oiseau
paraissant assez bien remis, on recommence; à 5h 11™, diminution
de 58e : agitation convulsive, mort imminente ; on revient à 49e. A 5h 16IU,
assez bien remis; à 5h 18m, dépression de 56e, 5; ne va pas trop mal.
Fermé les robinets.
A 31' 35"1, l’oiseau vomit; à oh 55m, comme il n’est pas trop malade, on
amène la dépression à 57e, 5, c’est-à-dire la pression à 18e; il devient
aussitôt anxieux, mais la mort n’arrive qu’à 4h 50m.
A ainsi vécu l1* 4ul dans une quantité d’air représentant 2l,70; soit,
par litre, 25 minutes.
Air mortel : O 17,7 ; CO2 2,8.
CO2
CO2 -1-0 = 20,5; ~J- = 0,87.
XXXI. — Cloche de l1, 9.
Commencé à 5b 55111. A 51' 45m, la pression est de 41e, 5. On ferme les
robinets.
Mort à 5h 23m ; à 5h 50m, tempér. rectale 28°.
A vécu lh 45m dans une cloche correspondant à 1 1 , 0 5 ; soit, par litre,
lh 40m.
Air mortel: O 6,5; CO2 12,9.
CO2 4-0= 19*4;
CO2
O
544
EXPERIENCES.
XXXII. — Cloche de 1*,5.
Commencé à 5h 35m. A 5h 45m, 48e, 5 de pression. Fermé.
Mort à 5h 10,n. A 5h20m, temp. 24°, 8. A vécu lh 25m ; la capacité cor-
respondait à O1, 92, soit par litre, l1' 52IU.
Air mortel: O 5,2; COM4, 1.
CO2
CO2 -H 0= 19,5 ; ^-=0,89.
Expériences XXXIII-XXX1Y, simultanées. — 14 juin. Temp. 22°; pression
70e, 5. — Moineaux francs.
XXXUÏ. — Cloche de 5', 2.
Commencé à 4h16m; agitation médiocre. A 4h 21 , diminution de 45e,
vomit, est fatigué; à 4h22, pression de 25e ; très-malade. Fermé robi-
nets.
A 4h26m, encore sur le flanc; se relève plus tard. Meuit à 5h20m. A
5h51m, tempér. 52°, non raide. A 5h 40'", 50°, 7.
Air mortel : O 11,2 ; CO2 7,0.
C02 + 0 = 18,8; ^ = 0,78.
XXXIV. — Cloche de 2', 8.
Commencé à 4h 19,n; agitation médiocre. A 4h 25"*, pression de 25e;
vomit. Fermé robinets.
Moins malade que le précédent. A 4h 27m, on descend à 24e, 5 de pres-
sion ; trés-haletant. A 5h27m, meurt avec convulsions. A 5h 40m, la tempé-
rature est de 51°, 0 ; 29°, 4 à 5 11 52m. A vécu lh 2m dans la valeur de 01, 9
d’air; soit, par litre, 4h 7m.
Air mortel : O 11,5 ; CO2 8,1 .
CD2
CO2 -h 0 = 19,4; ~ — 0,84.
Expériences XXXV-XXXVI simultanées. — 26 juillet. Temp. 22° ; pres-
sion 76e. — Moineaux francs.
XXXV. — Cloche de 21, 25.
Ramené en quelques minutes à 55e de pression. Fermé les robinets à
jh 45m #
Mort à 5h 25m. A ainsi vécu lh 401”, dans une cloche dont la capacité
représentait ll,6 à la pression normale; soit, par litre, lh 5m. A 5h 35,n,
tempér. rectale 28°.
Air mortel O i, 6; CO2 13,4.
CO2
CO2 + 0 = 18,0; — =0,81.
XXXVI. — Cloche de 5S2.
Ramené à 47e de pression. Fermé robinets à 2h. Mort à 5h 55. A vécu
lh 53m, dans une capacité équivalente à 2e; soit, par litre, 57m.
MORT EN VASES CLOS : PRESSION DIMINUÉE.
545
A 4h, tempér. rectate27°.
Air mortel : O 5,5 ; GO2 12,4.
ff)2
C02 + 0= 17,9; — 0,80.
Expérience XXXVII. — 18 mars. Pression 70e.
Moineau franc, mis à lh,45ni sous cloche de 5l,2. La pression est ame-
née à 58e. Mort à 5h15m. Quelques taches dans le diploë crânien, à la
région occipitale. A vécu lh50m dans la valeur de l‘,6 d’air, soit par
lilre, 56 minutes.
Air mortel O 8,2 ; CO2 11,6.
f O2
CO2 4-0= 19,8; -jj- =0,91.
J’ai rendu compte, à dessein, dans les pages qui précèdent,
d’un grand nombre d’expériences, afin de montrer ce qu’il
y a d’indéfiniment variable dans les phénomènes, et en même
temps ce qui se dégage de général de cette variété qui défie
à la fois les moyennes illusoires et la prétendue précision
des décimales. A coup sûr, lorsqu’un moineau meurt sous
une cloche à une certaine pression, l’air de cette cloche a
une composition que les méthodes les plus perfectionnées
de la chimie moderne pourraient peut-être permettre de
déterminer à un dix-millième près. Mais de quoi servirait
cette précision, alors que nos expériences nous montrent
qu’un autre moineau, en tout semblable au premier, placé
dans des conditions en apparence identiques, meurt avec
une composition de l’air ambiant qui peut différer de la pre-
mière de 4 ou 5 dixièmes d’oxygène ou d’acide carbonique,
ou même plus? Mieux vaut évidemment multiplier les expé-
riences pour tâcher de trouver l’explication de ces différen-
ces, et s’en tenir aux méthodes d’analyse commodes qui per-
mettent d’agir rapidement.
Mais le comble de l’absurde, et c’est malheureusement ce
qui se trouve assez souvent dans les travaux allemands, est
de prétendre donnera ces dernières méthodes une apparence
de précision qu’elles ne comportent pas, en poussant les cal-
culs jusqu’aux 2CS et 5CS décimales, en s’en rapportant même
à la table de logarithmes pour en obtenir davantage. Ce
55
846
EXPÉRIENCES.
charlatanisme des décimales, qui amène à donner comme
exacts les millièmes dans un nombre faux dès les unités, est
un des trompe-l’œil dont il faut le plus se méfier. Précisons
notre critique, en l’appliquant au cas présent.
Supposons, dans un tube gradué en dixièmes de centi-
mètres cubes, renversé sur la cuve à mercure, notre mélange
gazeux habituel d’azote, d’oxygène et d’acide carbonique.
Pour éviter d’avoir à tenir compte dans la première visée
d’un ménisque mercuriel convexe, et dans les deux autres d’un
ménisque aqueux concave, j’introduis d’abord dans le tube
quelques gouttes d’eau pure, et je cherche à déterminer le
niveau. Or, en admettant prises les plus grandes précautions,
il est impossible d’apprécier, avec une approximation plus
grande que un demi-dixième, la hauteur de la colonne li-
quide. Supposons que j’aie trouvé qu’elle affleure entre
25cc,5 et 25cc,4; mais je ne puis savoir s’il s’agit de 25cc, 52
ou de 25cc,57 par exemple. J’ajoute maintenant la potasse,
j’agite vigoureusement, à plusieurs reprises, et je plonge
à nouveau le tube dans le mercure pour le ramener à la
température primitive. Je suppose encore tout au mieux :
le niveau actuel sera, par exemple, entre 20cc,2 et 20cc,5,
et j’ai à choisir entre 20cc,25 et 20cc,28. Il aura donc dis-
paru, suivant que je prendrai plus ou moins haut mon
niveau de ménisque, — et l’on sait combien la visée est
difficile pour un liquide incolore, sans parler de ceci, que
le ménisque de l’eau pure, dans un tube nécessairement un
peu sale, n’est pas le même que le ménisque de l’eau po-
tassée qui mouille parfaitement le verre, — il aura donc
disparu, sur une quantité moyenne de 25cc,55, soit 5CC,04,
soit 5CC,14 d’acide carbonique, ce qui donne, pour la compo-
sition centésimale : dans le premier cas 25,55: 100= 5CC, 04:
x= 1 9CC, 88 ; dans le second, 25,55 : 100=5cyI4:æ= 20cc,27 .
C’est-à-dire, sans tenir compte de la cause d’erreur due à
l’opération elle-même, et qui, ici, agit sur la seconde déci-
male, que mon analyse, si bien faite qu’elle puisse être
par la méthode volumétrique, m’expose à une erreur qui
peut aller dans le cas particulier actuel jusqu’à 20,27 —
MORT EN VASES CLOS : PRESSION DIMINUÉE. 547
19-,88 = 0CC,59. En d’autres termes, la première décimale
peut et doit, dans la rapidité nécessaire des analyses, être
constamment faussée.
C’est avec cette préoccupation qu’il convient d’envisager
tous les résultats de nos analyses; et, ceci étant considéré,
personne ne me reprochera de m’être prudemment arrêté à
ce chiffre qui indique juste le degré de précision que l’on
peut attendre de cette méthode volumétrique d’analyse, pas
plus qu’on ne me reprochera de ne pas avoir employé d’au-
tres méthodes, alors que les différences expérimentales, dont
nous ne sommes pas maîtres, sont au moins du même
ordre, ainsi que je l’ai dit plus haut.
Ces réserves faites, examinons les résultats des expériences
que, pour abréger une lecture fastidieuse, j’ai groupées en
un tableau d’ensemble en les disposant suivant l’ordre des
pressions.
Si l’on examine la colonne 8, qui indique la proportion
d’oxygène restant dans l’air devenu irrespirable, on voit que
les chiffres qu’elle contient vont en augmentant au fur et à
mesure que la pression diminue. Cette règle souffre cepen-
dant d’apparentes exceptions que révèle le tableau. Mais si
l’on veut considérer les résultats que donnent les analyses
'd’air devenu morlel faites à la même pression, on voit que
les exceptions signalées sont du même ordre que les diffé-
rences qui séparaient les résultats de ces analyses. Ainsi, à
la pression normale, la proportion d’oxygène restant a oscillé
entre 5 et 4,2 pour 100; de même, à 24e, 2, nous ki voyons
osciller entre 11,6 et 13,7.
Le sens général du phénomène se montre avec bien plus
de netteté encore dans la courbe représentée en O, figure 17.
Ici les pressions sont mesurées sur l’axe des abscisses, en
ordre croissant, et les quantités d’oxygène sont portées sur
celui des ordonnées.. Nous verrons tout à l’heure que cette
courbe, si on fait abstraction des petites irrégularités dont
nous avons parlé, répond à une définition géométrique pré-
cise, et ri’est autre chose qu’une branche d’hyperbole.
La proportion de l’acide carbonique produit suit tout
548
EXPÉRIENCES.
TABLEAU I.
1
11
£
B-°
Z fi
2
i/) rn
Id w
S g
O s
Æ «
*u:
^ Cm
»3 H
S5 W
TE M PI1’ RATURE
Ol
EXTERIEURE
4
w
U3
^ 2
o c
c n H
C/3 'U
U ^
CS Q
CS
03
CAPACITÉ
V-
DE LA CLOCHE
! DURÉE DE LA VIE Cj
7
DURÉE DE
LA VIE PAR
LITRE D’AIR
RAPPORTÉ
A 76 C. DE
PRESSION
8
COMPO
DE L’AIR
0
9
SITÏON
MORTEL
CO*
10
H U
0 “
0 g
C/3 p*
0
w - .
H J
0 X P
7 1 »
11
CO2 H- 0
12
CO2
O
0
6
lit.
h ».
II. ni.
1
I
15
7G
1
1 5
1 5
3,0
14,8
3,0
17,8
0,82
2
II
15
7 G
1,9
1 55
0 57
4,2
14, G
4/2
18,8
0,87
5
VI
IG
75
2,5
5 25
1 20
5,5
14, G
3,5
18,1
0,84
4
III
24
75
1,5
5 45
*2 50
3,3
16,0
3,3
19,5
0,80
5
VII
IG
55
5/2
4 31
1 57
4,5
14,4
3,2
18,2
0,84
G
XXXV
22
55
2 2
1 40
1 03
4,6
15,4
r» rr
OfO
18,0
0,81
7
XXXII
21
48,5
1.5
1 25
1 32
5,2
14,1
f7 f 7
t).ü
19,5
0,89
8
XXXVI
22
47
5,2
1 55
0 57
5,5
12,4
3,4
17,9
0,80
9
XXXI
21
41,5
1,9
1 45
1 45
G, 5
12,9
3,5
19,4
0,89
10
XXXVII
))
58
5,2
1 30
0 56
8/2
11, G
4,1
19,8
0,91
11
XIII
17
57
2,5
1 45
1 27
7/2
11,5
3,5
18,7
0,84
12
VIII
IG
5‘',4
5
5 00
1 15
».
»
»
»
»
15
XII
16
O éj O
4, G
2 54
1 21
8,2
10,8
3,7
19,0
0,85
14
XX
20
50,8
11,5
G 55
1 28
8,5
9,8
3,4
18,1
0,78
15
XXIV
20
50,5
2,5
1 31
1 31
10,0
10,4
4,0
20,4
0,95
JO
XXI II
20
50,5
5
»
B
8,3
10,3
O j ô
18, G
0,81
17
XXI
20
o05O
7
4 25
1 34
8,2
10,1
3,2
18,3
0,79
18
V
15
29
5,2
»
»
9,3
11,2
5,5
20,5
0,96
19
XIV
17
28,5
0, 2
1 50
' 1 15
7,9
10,5
3.0
18,2
0,79
20
XVIII
19
27,8
5,2
2 00
1 44
8,5
10,9
5, 1
19,4
0,88
21
XXII
20
26,1
5
0 06
»
»
»
))
»
»
22
XXXIV
22
25
2,8
1 02
1 07
11,3
8,1
5, G
19,4
0,84
2ô
XI
IG
24,5
5/2
0 58
0 58
12,8
6,2
4,1
19,0
0,70
24
XXV
20
24,2
11,5
5 00
1 22
15,7
5,4
4,3
19,1
0,75
25
XXVI
20
24,2
7
2 10
0 58
12, G
7,0
4,0
19, G
0,84
2G
XXVII
20
24,2
5
1 50
1 10
11, G
7,8
3,6
19,4
0,84
27
XXVIII
20
94 9
2,5
1 04
1 21
12, G
5,9
4,0
18,5
0,71
28
IV
15
25
5
1 55
1 08
10,5
7,5
5,1
17,8
0,70
29
XXXIll
22
25
5/2
»
»
11,2
7. G
3,4
18,8
0,78
50
XV
17
21,5
4, G
1 40
1 17
11,8
7,0
3,3
18,8
0,77
51
XVII
19
20,8
4,0
0 02
»
«
»
»
»
» !
52
X
19
2 u
9 9
0 02
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);
»
»
)>
»
55
XVI
19
19,7
5
1 45
1 20
12,9
7,0
5,3
19,9
0,87
54
XXX
21
18
11,5
1 04
’O 23
17,7
2,8
4,2
20,5
0,87
55
XXIX
21
17,5
11,5
0 03
»
»
»
»
»
»
5G
IX
10
17,4
11,5
0 11
»
Moyenne,
saul les exjiér.
marquées d’un
astérisque ;
lh 10m
19,6
0,0
4.5
moyenne
3.5
20,2
»
/
MOUT EN VASES CLOS : PRESSION DIMINUÉE.
549
naturellement une marche inverse, comme le montre la
courbe CO2 qui représente ses modifications.
Ainsi, plus la pression est faible, moins Pair confiné a
besoin d’être altéré dans sa composition chimique pour de-
venir irrespirable. Aux très-basses pressions même, il devient
irrespirable tout en étant parfaitement pur, et cela pour une
raison que nous indiquerons tout à l’heure. Mais le fait géné-
ral que nous venons de signaler sulfit pour démontrer que
Fig. 17. — Composition de l’air confiné devenu mortel à des pressions inférieures
à une atmosphère.
0. Proportions de l’oxygène restant. — CO2. Proportions de l’acide carbonique. — CO2 -+ 0.
Somme de l’oxygène consommé et de l’acide carbonique formé.
l’acide carbonique rejeté dans le milieu confiné n’est ici pour
rien dans la mort, puisque sa proportion s’abaisse progressi-
vement à des valeurs minimes. Au reste, des expériences
directes, dans lesquelles cet acide était en grande partie ab-
sorbé par une dissolution de potasse au fur et à mesure de
sa formation, ont montré que la composition de l’air mortel,
au point de vue de la richesse en oxygène, n’en était nulle-
ment modifiée. C’est donc cette richesse, ou plutôt cette
550
EXPÉRIENCES.
pauvreté en oxygène, qui est cause de la mort, et qu’il con-
vient d’examiner de près.
Il semble vraiment bien difficile à première vue d’attribuer
la mort à la privation d’oxygène dans des expériences où il
en restait dans l’air 12, 15, 17 pour 100. Mais cette difficulté
disparait en réfléchissant suffisamment.
En effet, nous savons que lorsqu’un oiseau périt, à la pres-
sion normale, dans l’air confiné, cette mort est due (pour la
plus grande partie du moins, nous nous expliquerons plus
longuement là-dessus plus tard) à la privation d’oxygène, ou,
pour parler plus exactement, à la trop faible proportion, et
plus exactement encore, à la trop faible tension de ce gaz
dans le milieu ambiant. Cette tension peut être exprimée, à
la pression normale, précisément par le chiffre qui indique
la proportion centésimale. On peut dire, par exemple, que, à
une atmosphère, la tension de l’oxygène de l’air ordinaire
est de 20,9 ; et de même, que la tension de l’oxygène de l’air
confiné devenu mortel oscille à peu près entre 5 et 4.
Suivant cette convention, la tension de l’oxygène, à une
pression plus faible que celle d’une atmosphère, sera évidem-
ment représentée par un nombre obtenu en multipliant la
proportion centésimale par le rapport de cette pression à la
pression normale, exprimées toutes deux, pour plus de sim-
plicité, en centimètres de mercure. Ainsi, la pression de
l’oxygène de l’air ordinaire à 50e de pression sera repré-
50
sentée par le nombre 20,9Xyg = 8,2.
Appliquant maintenant ce simple calcul, dont la formule
G XI P
, à tous les nombres inscrits à notre tableau, nous
est
7fi
arrivons aux résultats consignés dans la colonne 10. Or, nous
voyons ainsi que, à quelque pression que nos oiseaux aient
été placés, leur mort est survenue lorsque la pression de
l’oxygène s’est abaissée à des valeurs oscillant entre 5 et 4, 5 :
valeurs qui sont précisément celles avec lesquelles l’air
devient irrespirable à la pression normale. Le tableau mon-
tre que, même à des pressions très-basses, on trouve des
MORT EN VASES CLOS : PRESSION DIMINUÉE.
551
chiffres (nos 28, 50, 55) qui indiquent l’épuisement le plus
complet, la tension la plus faible, lorsqu’on a pris des pré-
cautions suffisantes, sur lesquelles nous allons revenir dans
un moment.
Les différences entre les résultats des analyses aux diver-
ses pressions sont exactement du même ordre que celles qui
séparent les résultats obtenus à une même pression. C’est ce
qui ressort avec la dernière évidence du graphique de la
figure 18, lequel exprime les résultats de la colonne 10. Ainsi,
à la même pression de 24e, on a des écarts, comme le montrent
les petites croix, aussi grands que ceux du tracé tout entier.
Fig. 18. — Variations dans la tension de l’oxygène contenu dans l’air comprimé devenu
mortel à diverses pressions moindres qu’une atmosphère.
Ce sont là de ces différences que présentent toujours les ex-
périences faites dans des conditions en apparence identiques.
En résumé, nous arrivons à cette expression très-simple :
Dans l'air confiné , à des pressions inférieures à celle d'une
atmosphère , la mort des moineaux arrive lorsque la tension de
l'oxygène , mesurée comme il vient d'être dit , est représentée par
un chiffre qui oscille environ entre 5 et 4, et que nous pouvons
appeler k.
Si nous nous reportons maintenant au tracé O de la ligure 17,
552
EXPERIENCES.
nous voyons que chacun de ses points correspond à l’équa-
tion ~ = k, d’où xy= 76/»;. Or, h ayant une valeur qui varie
de 5 à 4,5, soit 5,6 en moyenne, il en résulte que, pour
le point qui correspond à 4ic de pression, par exemple,
.. 41x6,5 ^
1 équation sera — yg — = o,b. Oest, en d autres termes,
l’équation d’une hyperbole ayant pour asymptotes l’axe des x
et une parallèle à l’axe des y placée au zéro des pressions,
ou, pour employer l’expression exacte, d’une hyperbole équi-
I cttère.
Ces faits nous font envisager sous un nouvel aspect l’ac-
tion de la diminution de pression sur l’organisme. Ils ten-
dent à montrer qu’elle consiste principalement à diminuer
la tension extérieure de l’oxygène, et, par suite, à placer
l’animal dans des conditions semblables à celles que lui pré-
senterait la respiration a la pression normale dans un milieu
moins oxygéné que l’air. On pourrait même affirmer déjà
qu’il ne s’y mêle pas d’autre élément important, puisque, à
des pressions de 20 à 25e, nous retrouvons dans le tableau
les chiffres 5, 1 ou 5, 5 qui indiquent un épuisement aussi
considérable qu’à la pression normale.
En poursuivant ce raisonnement, nous pouvons arriver à
déterminer la limite inférieure de pression qu’il ne sera pas
possible de dépasser sans faire périr les animaux (nous par-
lons toujours ici des moineaux). Elle sera donnée par les for-
/y» nr*
mules 20,9 Xyy =5 et 20,9 Xjjj = 4,5, puisque 5 et 4,
5 sont les nombres extrêmes que nous ont donnés les ex-
périences ci-dessus rapportées.
4e 5x76
On arrive ainsi à x= — ^tfTj — = 15e, 6, pour le chiffre le
plus élevé, et, pour le plus bas, à x= 10e, 9.
Mais il est évident que, pour atteindreà d’aussi basses pres-
sions, il faut prendre les plus grandes précautions, et habi-
tuer lentement l’animal à cette asphyxie d’un nouveau
genre. Une modification brusque le surprenant avec des
MORT EN VASES CLOS : PRESSION DIMINUEE.
553
habitudes de consommation oxygénée trop forte, le tuerait,
et c’est ce qui nous est arrivé (nos 21, 31, 52 du tableau),
pour des pressions de 20 et même de 26 centimètres. Il ne
faut pas oublier que les oiseaux qui périssent dans les réci-
pients d’air confiné y périssent très-lentement, s’y refroidis-
sent et peuvent ainsi vivre pendant longtemps avec une très-
faible absorption d’oxygène. Claude Bernard 1 a fait voir avec
une admirable sagacité la différence qui existe à ce point
de vue entre un animal vigoureux et un animal affaibli.
C’est dans le but d’arriver, en allant lentement , aussi
bas que possible, qu’ont été faites les expériences suivantes :
Expérience XXXVlll. — 50 mars. Moineau franc. Cloche de5L
Mis à 2h. Entretenu courant d’air continu, tout en faisant marcher la
pompe pneumatique à vapeur. A 2h 4,u, 51e de pression; à 2h 5‘", 59e; à
2h Gm, 55e, gêné, respiration un peu haletantê. A 2h 7m, 25e: tombe le
bec en avant, haletant; ne se relèvera plus. La pression remonte à 28e,
l’oiseau ne bouge pas; elle s’abaisse soudain à 24e (2h 9m), et l’oiseau
saule. en titubant, pour retomber aussitôt. A 2h llm, 22e, même état; à
2h 15m, 16e : agitation assez violente; on ramène à 20e; à 2h 251U, tou-
jours 20e; on continue à diminuer; à 2h 27m, il n’y a plus que 17e,
et à 2h 50m, que 10e, 5. A 2h 52,u, le mercure monte tout à coup à 8e :
agitation convulsive et mort. La température rectale est de 52°.
Expérience XXXIX. — Même jour, même appareil.
Mis à 2h 401U. En lm, amené à 22e : tombe sur le flanc, d’où il ne se re-
lèvera pas. A 2h 45m, 20e; à 2h 45"1, 17e; à 2h 54m, 16e; à 5h 15m, 15e, 5.
Dans les intervalles, la pression s’est à deux ou trois reprises abaissée
soudain à 10e pour se relever aussitôt. L’animal est resté immobile, hé-
rissé, respirant difficilement. Retiré à5h 151'1; est très-froid.
Se remet très-bien après un quart d'heure et survit. A 4h 50,n il a
la température normale.
Expérience XL. 2 janvier. — Moineau franc, vigoureux. Pression barom.
755mm ; cloche de 41 ,5.
On commence la dépression, sous courant d’air, à 2h 55m.
A 2h 55,n, la pression sous la cloche n’est plus que de 58e, l’animal est
calme;
A 5h 05m, pression 48e; à 5h 15“, 40e; à 5h 25m, 50e; à 5h 55m, 25e :
l’animal est accroupi sur les tarses;
1 Leçons sur les effets des substances toxiques et médicamenteuses. Pans, 1857,
p. 125.
554
EXPERIENCES.
A 5h 45m, pression 17*'; l’oiseau est couché sur le flanc, mais ne paraît
pas trop malade;
De 3h 50m à 5h 55m la pression est abaissée à 15e; de 3h 55m à 4h, à
14e; de 4h à 4h 5m, à 11e; de 4h 5m à 4h 10m, à 10e : l’oiseau est sur le
flanc, mais assez tranquille.
On laisse rentrer brusquement l’air ; l’oiseau se remet aussitôt sur ses
pattes; sa température rectale est de 28°. On le réchauffe près du poêle,
et il remonte sur le bâton de sa cage. Mais il meurt dans la nuit.
Voici donc des moineaux pour lesquels on a procédé
assez lentement pour amener l’affaissement et le refroidis-
sement, et qui ont subi des abaissements de pression tout
à fait comparables à ceux qu’indiquaient les calculs précé-
dents. C’est ici une question de prudence et de patience.
Si maintenant nous examinons la colonne 11 du tableau I,
nous trouvons des nombres représentant le résultat de
l’addition de l’acide carbonique produit et de l’oxygène
restant au moment de la mort. Ils ont fourni le tracé CO2 H- O
de la figure 17. On voit que ces différents chiffres oscillent
entre 17,8 et 20,5 : la moyenne générale est 18,9. Ainsi se
retrouve à toutes les diminutions de pression le fait observé
par les anciens auteurs, et qui leur avait fait faire de si
étranges hypothèses sur la nature de l’asphyxie en vases clos,
c’est-à-dire la diminution de l’élasticité de l’air, ou en d’au-
tres termes la disparition d’une certaine quantité d’oxygène
qui ne se trouve pas dans l’acide carbonique rejeté au
dehors. De plus, — cela est bien évident sur le tracé —
cette somme va en augmentant quand la pression dimi-
nue : au-dessus de une demi -atmosphère, elle est, en
moyenne, de 18,7, et au-dessous elle est de 19,2. Ainsi, aux
très-basses pressions, il sort dans l’air extérieur une propor-
tion d’acide carbonique plus forte par rapport à celle de
l’oxygène consommé. En étudiant les gaz du sang sous dimi-
nution de pression, nous nous rendrons aisément compte de
ce phénomène.
Ce n’est pas tout : l’inspection attentive de cette colonne
Il nous montre encore un fait qui n’est pas sans intérêt. Si
nous groupons d’un côté tous les cas dans lesquels le chiffre
indiqué dans la colonne 10 est compris entre 5 et 5,5, et
MORT EN VASES CLOS : PRESSION DIMINUÉE. 555
de l’autretous ceux où ce chiffre est supérieur à 5,5, nous
trouverons que pour la première série la moyenne est de
18,6, tandis que pour la seconde elle s’élève à 19,5. Ceci
signifie que plus l’épuisement d’oxygène a été grand, plus
grande a été la quantité de ce gaz qu’on ne retrouve pas dans
l’acide carbonique exhalé. On peut tirer de là cette consé-
quence que, dans l’asphyxie en vases clos, quelle que soit
la pression, vers la fin de la vie de l’animal, l’oxygène, qu’il
continue à absorber en quantité très-faible, reste dans les
tissus sous une forme quelconque, sans aller jusqu’à donner
naissance à de l’acide carbonique.
Cette conclusion est encore corroborée par l’examen de la
colonne 12 du tableau, colonne qui contient pour chaque
expérience le rapport entre l’acide carbonique produit et
l’oxygène consommé. On voit en effet que ces nombres sont,
d’une manière générale, d’autant plus faibles que les pres-
sions sont plus basses. Ainsi, dans les onze premières expé-
riences (au-dessus d’une demi-atmosphère) la moyenne est
0,85, et pour les autres 0,80 seulement. Il en résulte donc
que, aux très-faibles pressions, la proportion d’oxygène qui
est absorbée sans produire d’acide carbonique est plus con-
sidérable qu’aux dépressions moyennes.
J’ai cherché à savoir s’il n’existerait pas quelque rapport
entre les chiffres contenus dans les colonnes 5, 7 et 10,
qui expriment divers éléments importants de nos expériences.
Pour permettre de saisir ces rapports, j’ai disposé un triple
graphique dans lequel les expériences sont rangées suivant
les numéros d’ordre de la colonne 1 du tableau I, sur l’axe
des abscisses, en telle sorte que les pressions vont en’dimi-
nuant de gauche à droite. A chacune de ces expériences cor-
respondent trois valeurs portées sur l’ordonnée verticale ; la
première , A, exprime la tension finale de l’air confiné
(colonne 10); la seconde B, la durée de la vie (colonne 7) :
cette durée est calculée en rapportant à 76 centimètres le
volume de l’air raréfié, et en cherchant combien de temps
ont vécu les oiseaux pour chaque litre d’air; la troisième C,
représente le volume de l’air raréfié rapporté à la pression de
55G
EXPERIENCES.
76 centimètres de mercure, et permet de comparer les quan-
tités réelles d’air qu’ont eues les oiseaux à leur disposition.
On ne voit pas de rapports bien nets entre le tracé A
qui exprime la tension de l’oxygène à la fin de l’expérience,
et le tracé B qui exprime la durée de la vie des oiseaux. Il
résulte de la comparaison des deux graphiques, que l’épui-
sement plus ou moins grand de l’air (A) n’est rien moins
qu’en rapport constant avec la durée de la vie (B), une
durée très-courte pouvant coïncider avec un épuisement
considérable (expérience 8) ou inversement (expérience 15).
Cependant, si l’on prend la moyenne de la durée de la
vie correspondant aux épuisements avancés (au-dessous de
5,5, colonne 10), on trouve le chiffre de 1 heure 11 minutes;
tandis qu’en faisant le même calcul pour les faibles épui-
sements, on trouve 1 heure 25 minutes (la moyenne géné-
rale étant, colonne 7, de 1 heure 16 minutes). Ainsi, d’une
manière générale, plus l’animal vit longtemps, plus il épuise
l’air, et cela n’a rien que de très-naturel.
Nous enquérant ensuite de la durée de la vie dans ses
rapports avec la capacité des cloches où mouraient les ani-
maux, et laissant de côté les cas tout à fait exceptionnels,
comme ceux des expériences 16, 21, 51, 52, et même 55 et 56,
nous voyons que, au premier coup d’œil, le graphique C, qui
exprime ces volumes variés n’a rien de commun avec le gra-
phique B. Une capacité très-considérable peut coïncider avec
une durée médiocre de la vie (expériences 15, 24), ou inver-
sement (expérience 9). Mais si, comme dans le cas précédent,
nous considérons les capacités correspondant aux durées de
vie plus longues que la moyenne (1 heure 16 minutes), nous
trouvons que leur valeur moyenne est de 2 litres, tandis
que , pour les morts plus rapides, la valeur n’est que de
lHt,5. Donc, d’une manière générale encore, la vie est plus
longue quand la capacité des vases est plus grande (le tout
rapporté, cela est évident, à l’unité de volume et à l’unité de
pression).
Nous retrouvons ainsi, non modifiée par l’influence de la
diminution de pression, une loi qu’avait autrefois formulée
Fig. Iü. — Rapports cnt.ro la tension de l'oxîgénc (tracé A), la durée de la vie (B) cita capa-
cité réelle des vases (G) dans la mort en vases clos sous diminution de pression.
558
EXPÉRIENCES
M. Claude Bernard, tout en en signalant les nombreuses ex-
ceptions : les principales sont dues au repos ou à l’agitation
de l’animal renfermé, qui use plus ou moins vite la quantité
d’air Baissée à sa disposition.
11 nous reste maintenant à comparer les graphiques A et C,
c’est-à-dire la capacité des vases avec l’épuisement d’oxygène.
Ici encore, les tracés concordent peu. Nous rencontrons
même des résultats forts opposés les uns aux autres, comme
celui de l’expérience 19, où, à un vase étroit, correspond un
épuisement maximum, et celui de l’expérience 24, où, dans un
très-grand vase, il y a eu peu d’épuisement, comparés aux
expériences 14 et 16 qui parlent en sens inverse. Mais si l’on
prend des moyennes , on voit que les chiffres inférieurs à
5,5 (graphique A) correspondent à une moyenne de 1||!,8,
tandis que ceux qui sont supérieurs correspondent à lut,6. Il
y a donc en somme quelque avantage pour les vases de
grande capacité, et c’est encore une conclusion en rapport
avec celles de M. Cl. Bernard. Mais les différences sont bien
faibles, et l’on comprend, en examinant ces résultats assez
nombreux, les apparentes contradictions des expérimenta-
teurs.
Ainsi, à quelque point de vue que nous nous placions ,
nous trouvons que les résultats des expériences sous dimi-
nution de pression concordent avec tout ce que nous savions
sur l’asphyxie en vases clos. Nous sommes donc de plus en
plus entraînés à ne voir dans la raréfaction de l’air qu’un
procédé d' ordre physique qui tend à la même fin que l’appau-
vrissement en oxygène , procédé d'ordre chimique. Les faits
suivants corroborent encore cette manière de voir.
On sait que, à de très-basses températures, et sous la
pression normale , les animaux épuisent notamment moins
l’oxygène de l’air où ils sont maintenus confinés, qu’ils ne le
font à une température moyenne. En est-il ainsi pour la
mort en vases clos à de basses pressions? Les expériences
suivantes permettent de répondre à cette question :
Expériences XLI-XLIII, simultanées. — - 12 décembre. Pression 77e. La tem-
pérature du laboratoire est de Les moineaux étant placés sous les
MORT EN VASES CLOS : PRESSION DIMINUÉE. $5 9
cloches, on entoure celles-ci de neige, et la température s’y abaisse en-
viron à +2°.
r
XLI. — Cloche de 2l,25.
Mis à 2h 40m. La pression est ramenée à 54e, et le froid l’abaisse à 52e.
L’oiseau est trouvé mort à 4h.
Air mortel : O 8,5 ; CO2 1 1 ,4.
f O2
CO2 4-0 = 19,7; ^ =0,90.
XLIL — Cloche de o1, 2.
Mis à 2b 50111. Pression amenée à 44e par le vide et le froid. A 4 h res-
pire très-mal ; à 4h 15'", mort. A vécu lh 20m dans une quantité d’air cor-
respondant à 21, sous la pression normale, c’est-à-dire 40m par litre. A
4h 55, température rectale 18°.
Air mortel : 0 7,6; CO2 12,0.
CO2 + 0= 19,0 ; ^ =0,90.
XL1I1. — Cloche de 5'.
Mis à 5h. Pression amenée à 27e, 5. Vivant à 4h 55m. Trouvé mort à 5h 5m.
Air mortel : O 10,4; CO2 8,8.
C0! + 0 = 19,2; (4' — 0,83.
Expérience XLIV. — 15 décembre. Tempér. extér. -{-6°. Pression 77e.
Moineau mis dans cloche de 5J,2, à 2h 45m. Pression amenée, y compris
l’action consécutive du froid, à 50e, 5. On entoure la cloche de glace et
de sel mélangés.
A 5h 55m, encore vivant; à 5h 45m, mort. A vécu environ 55 minutes
dans la valeur de 1*,28 d’air, soit 43m par litre
La température de la cloche est à cemomen/de — 5°. La température
de l’animal dans le rectum est de -4 16°.
Air mortel : O 11; CO2 8,8,0.
f O2
CO2 4-0 = 19, 8; -jj- =0,89.
Expériences XLV-XLVI simultanées. — 14 décembre. Tempér. 4-6°. Pres-
sion 76e, 5. — Moineaux francs.
XLV. — Cloche de 5l,2.
Mis sous cloche à 121' 50'"; pression amenée en tout à 29e, 5.
La cloche est entourée de glace et de sel. Le thermomètre intérieur
marque H-l° à lh; àlh 20m, il est à — 2°; à lh55m, à— -4°; à 2h5m,à — 4°.
A 2h 5'", l’oiseau est encore vivant; est mort à 21' 10"'. A ainsi vécu l1'
20"' dans la valeur de 1 1,24 d’air; soit par litre l1' 4"'. A 2h 17"', tem-
pérature rectale 15°.
560
EXPERIENCES.
Air mortel : O 10,3; CO2 7,4.
CO5 + 0 = 17,7; ~ =0,70.
XLVI. — Cloclio.de 5', 2.
Mis à 2h 42,u, Pression amenée à 29e, 5. Pas de mélange réfrigérant. La
température intérieure de la cloche est, à 5h 5m, de -f-8°, 5, et à la mort,
de H- 6°, 5. A 4'1 15m, très-malade ; à 4h 25,n, mort. A vécu lh 40m dans la
valeur de ll,24 d’air; soit par litre l1' 20m. A 4h 50"', la température rec-
tale est de 19°.
Air mortel : O 9,2 ; CO2 9,2.
COs+0 = 18,/i; ^ = 0,70.
TABLEAU II.
À
1
NI MK UOS DES
EXPÉRIENCES
2
U
U
H
Ci
e*
u
PRESSION
4
<
«J
o 2
G
H o
% o
CL
ô
5
DURÉE
DE LA VIE
6
DURÉE DE LA VIE
PAR LITRE D’AIR
RAPPORTÉE A
76« DE PRESSION
7
COMPO
D'
l’air >
O
8
SITION
ORTEL
CO2
9
O x P
70
AU
52e
2', 25
))
»
8,5
11,4
5,9
XLI.I
9o
44e
3',2
lh 20 m
40™
7.6
12,0
4,4
XLIV
— 5°
5i e,5
5', 2
55 m
45 m
11.0
8,8
4,4
XLV
— 4°
29*,5
5', 2
lh 20™
1 h 04™
10,3
7,4
5,8
XI.VI
-+- 6°, 5
29e, 5
5>,2
lh 40™
]h 20™
9,2
9,2
5,5
XL11I
_l_ 2°
27e, 5
5',0
»
»
10,4
8,8
3,7
moyenne
iiiovemie
57™
4,3
Pc tableau JJ, qui résume ces faits, montre bien nettement
qu’en effet, aux basses températures, l’épuisement de l’air
est moins complet. 11 suffit d’en comparer les chiffres avec •
ceux qui correspondent, pour les mêmes pressions, dans le
tableau I. Les moyennes, à elles seules, sont suffisamment
instructives; la tension de l’oxygène a monté de 5,5 à 4,5. Ce
n’est pas tout : la moyenne de la durée de la vie s’est abaissée
de lh,16 minutes à 57 minutes.
On voit que, sous ce double rapport, le parallèle que j’ai
établi se poursuit encore exactement. Nous pourrions trouver
bien d’autres concordances, en examinant les phénomènes
généraux fournis par les animaux : les changements dans la
MORT EN VASES CLOS : PRESSION DIMINUÉE. *561
respiration, la circulation, la température; l’existence ou
l’absence des convulsions, etc. Je préfère consacrer à cette
étude un chapitre spécial.
Pour le moment, il faut faire un pas de plus, et passer
du domaine des inductions dans celui des expériences cru-
ciales. Le problème se présente à nous dans les termes sui-
vants.
Nous avons vu que, dans une atmosphère confinée, à quel-
que pression que ce soit (au-dessous d’une atmosphère), la
mort des moineaux survient lorsque la tension de l’oxygène
dans l’air ambiant s’abaisse à 5,6 en moyenne. Quand la
pression est suffisamment élevée, le chiffre de la tension n’ar-
rive aussi bas qu’après un certain temps, qu’après un épui-
sement dû à la respiration de l’animal lui-même; mais l’al-
tération chimique de l’air qui en est la conséquence devient,
comme nous l’avons vu, de moins en moins importante au
fur et à mesure que la pression diminue; si bien que, vers
15 centimètres de pression, la mort arrive dans de l’air pur :
elle arrive même, comme je m’en suis maintes fois assuré,
sous courant d’air, et le confinement, l’altération chimique,
ne sont alors évidemment pour rien.
Si les troubles divers, dont le détail prendra place ailleurs,
qui commencent à se manifester lorsque la pression s’abaisse
à 50 centimètres; si les accidents graves qui surviennent vers
25 centimètres; si la mort qui arrive aux environs de 18 centi-
mètres ; si tous ces phénomènes sont réellement dus à la faible
tension de l’oxygène à ces divers moments, on devra les éviter
en augmentant convenablement cette tension, sans modifier
pour cela la pression barométrique.
Air suroxygéné : très-basses pressions . — 11 est facile d’y ar-
river en employant de l’air artificiel suffisamment riche en
OxP
oxygène. Si, dans l’expression — qui représente la ten-
sion de l’oxygène, la composition centésimale O augmente
dans le même rapport que la pression P diminue, la valeur
de la tension restera constante; et si cette valeur est suffi-
sante, il ne devra se produire aucun trouble chez l’animal
56
EXPÉRIENCES.
502
soumis à l’expérience. Par exemple, si on passe à une demi-
atmosphère, il faudra, pour conserver la tension de l’oxygène
dans l’air ordinaire à la pression normale, doubler la va-
leur 20,9 et employer un air artificiel contenant 41,8 pour
100 d’oxygène.
Nous aurons à revenir avec détails sur ce point important
dans une autre partie de ce travail. Mais ici, où il ne s’agit
que de la mort en vases clos, sous diverses basses pressions,
le résultat doit être exprimé d’une autre manière. Nous de-
vrons, si notre présomption se vérifie, arriver à la formule
suivante : Quelle que soit la pression employée, quelle que
soit la composition de Pair artificiel, la mort des moineaux
arrivera toujours lorsque la tension liliale de l’oxygène s’abais-
sera aux environs de la valeur moyenne précédemment éta-
blie, c’est-à-dire de 5,6.
Le procédé expérimental mis en usage était le suivant.
L’oiseau étant placé sous une des cloches de l’appareil repré-
senté figure 15, je diminuais la pression dans la cloche de
50 à 40°, ce qui, ainsi que nous l’avons vu plus haut, ne
paraît pas avoir sur les oiseaux d’effet immédiat fâcheux. Du
reste, je mettais aussitôt après le robinet M en communi-
cation avec un gazomètre rempli d’oxygène, et je laissais
rentrer ce gaz, de manière à revenir à la pression normale.
Je recommençais alors à diminuer la pression de ce mélange
déjà plus oxygéné que l’air ordinaire, et je remplissais à nou-
veau avec de l’oxygène. Après trois ou quatre manœuvres
analogues, la cloche était remplie d’un mélange suffisamment
oxygéné pour pouvoir faire l’expérience en laissant périr l’oi-
seau sous la diminution de pression que je croyais devoir
employer. Je prenais alors une certaine quantité du mélange
pour en faire l’analyse.
J’arrive maintenant au récit des expériences; je ne rappor-
terai ici que celles qui ont été fai tes à de très-basses pressions*
Nous verrons, dans le chapitre consacré à la mort par l’acide
carbonique, que cet élément vient compliquer la question
pour la pression normale et pour les dépressions médiocres
lorsqu’on emploie de l’air suroxygéné. Je veux ici l’éliminer;
MORT EN VASES CLOS : PRESSION DIMINUÉE.
565
la preuve que nous cherchons sera du reste d’autant plus
nette, que les pressions employées auront été plus basses.
Expérience XLYII. — 29 janvier. Cloche de 4 h 9.
Moineau friquet. Amené à 50e de diminution, malade, laissé rentrer
oxygène; amené à 60e, à peine malade, laissé rentrer oxygène; amené
66e, 5, assez malade, laissé rentrer oxygène jusqu’à 40e, puis fait vide
jusqu’à 52e.
Fermé robinets à 3h15“; en prenant de l’air, la dépression devient
de 54e; à 3h 45,n, bien portant; à 5h, haletant : la pression réelle est
19e. Meurt à 6h 30“, sans un mouvement.
Pression réelle, 18e. Mélange primitif, O 85,9.
Air mortel : CO2 68,1 ; O 15,4.
A Q ,10
Tension de C02 = 68,1 x=-= 15,2. Tension d’O — 15,4 — 5,6.
7b 7b
Expérience XLV1IL — 23 avril. Cloche de 1C5.
Amené successivement à 54e, 57e, 62e, 67e, de dépression, et à chaque
fois laissé rentrer de l’oxygène, puis laissé rentrer de l’air jusqu’à 61e, 5
de dépression.
Fermé les robinets à 4h 12“. Trouvé mort à 6h 15“. Suffusions san-
guines en nappe dans le diploë crânien. La pression est 14*.
Air mortel : CO- 48,0; O 23,8.
Tension de CO2 = 8,8. Tension d’O =4,3.
Expérience XL1X. — 6 février. Cloche de 159.
Amené à 30e, 50e, 50e de dépression avec rentrées d’oxygène; puis à 14e
de pression. Mis à 2h 20“ ; s'agite beaucoup; mort à 4h 45“. Suffusions
sanguines.
Pression réelle 12e, 5. Mélange primitif O 88,4.
Air mortel : CO2 66,0; 0 22,2.
Tension de CO2 = 10,8. Tension d’0=3,6.
Expérience L. — 29 janvier. Cloche de 21 ,50.
Amené à 48e, puis 52e, puis 64e, 5 de dépression avec rentrées d’oxy-
gène et fermé les robinets à 2h 40 “*
A 2h 50, pris air, ce qui abaisse la pression réelle à 10e. A 3h 30“, re-
mue encore ; à 4h 45“, mort.
Pression réelle 8e. Mélange primitif: 0 82,3.
Air mortel : C0257,2; 041,8.
Tension de C02=3,9. Tension d’O = 4,4*
Expérience LI. — 1er février. Cloche de ll,55.
Amené à 44e de diminution, s’agitait, laissé rentrer oxygène; amené
à 52e, même effet; amené à 65e, s’agitait et vomissait; même manœuvre
encore. Amené à 65e, puis pris air, ce qui porte la dépression à 68e, 7, et
564
EXPERIENCES.
la pression réelle à 6e, 6. L’oiseau s’agite à chaque coup de pompe; il est
de suite fort malade, et meurt en lh au plus. Suffusions crâniennes.
Mélange primitif : O 87,0.
Air mortel : GO2 17,5; 060,7.
Tension de CO2 — 1 ,5. Tension d’O = 5,8.
Les résultats de ces diverses expériences sont résumés dans
le tableau suivant :
TABLEAU III.
NUMÉROS DES
EXPÉRIENCES
2
PRESSION
BAROMÉTRIQUE
O
RICHESSE
EN OXYGÈNE
DU
MÉLANGE
PRIMITIF
4
TENSION
DE
CET OXYGÈNE
A 76 C.
5 6
COMPOSITION
DE L'AIR MORTEL
7
TENSION
DE L’OXYGÈNE
DANS
l’air MORTEL
O X P
76
O
GO'2
XL VII
18e, 0
85,9
20,5
15,4
68,1
5,6
XLVIII
14,0
»
»
25,8
48,0
4,5
XLIX
12,5
88,4
14,5
22,2
66,0
5,6
L
8,0
82,5
8,6
41,8
57,2
4,4
LI
6,6
87,0
7,5
66,7
17,5
5,8
Un coup d’œil jeté sur la colonne 7 montre que mes
prévisions se sont réalisées; les chiffres qui y sont compris
ne s’éloignent pas beaucoup de la moyenne trouvée précé-
demment. Le dernier cependant est notablement plus élevé.
Mais on trouve une explication facile de cette différence dans
le chiffre inscrit à la colonne 4. L’animal avait été mis,
dès le début, dans un air fort riche en oxygène, sans doute,
mais où la tension réelle de ce gaz était cependant extrême-
ment faible. C’était de l’air épuisé, en réalité, et l’oiseau
s*est trouvé, dès le commencement de l’expérience, dans des
conditions asphyxiques; aussi a-t-il été de suite fort ma-
lade.
La vérification de l’hypothèse qui nous avait dirigé se tire
également, et peut-être avec plus d’évidence encore, de la
considération des pressions auxquelles il a été possible d’a-
mener des oiseaux sans les faire périr immédiatement.
Tandis qu’avec l’air ordinaire je ne pouvais guère aller
au-dessous de 16% nous trouvons ici, dans la colonne 2,
MORT EN VASES CLOS : PRESSION DIMINUÉE.
565
les pressions de 14% 12% 8e et même 6%6 centimètres. Et ce
qui rend ce fait plus remarquable encore c’est que je n’ai pu
employer les précautions sur l’importance desquelles j’ai
insisté plus haut, et que la dépression a toujours été brutale.
En appliquan t à l’oxygène le raisonnement employé page 552
et en fixant comme limites delà tension minimum d’oxygène
compatible avec la vie, les chiffres 5 et 4,2, on en arrive à trou-
ver pour les plus faibles pressions barométriques auxquelles
il seraitthéoriquementpossible, dans l’oxygènepur, avec toutes
les précautions et les lenteurs nécessaires, d’amener les moi-
neaux, avant deles voir mourir, les nombres tirés des équations
T X
100 = 5 et 100 Xfj0 = 4,2. D’où x = 2%o etx= 5%2.
Il est évident que, clans la pratique on ne saurait atteindre
aussi bas.
Le phénomène ultime, c’est-à-dire la mort, n’est pas le seul
dont la limite barométrique varie suivant la richesse oxygénée
du milieu. Les autres troubles, |le malaise, la cessation des
mouvements, les vomissements, l’affaissement général sont
dans le môme cas. Il a toujours été facile de constater que
l’oiseau qui paraissait malade à la première diminution de
pression quand elle arrivait à 40 cent, par exemple, ne don-
nait aucun signe de malaise lorsque, après avoir fait rentrer de
l’oxygène, je diminuais à nouveau la pression et j’arrivais au
même niveau. Il fallait aller plus loin, à 50 cent, par exem-
ple, pour obtenir les mêmes phénomènes morbides.
Les expériences avec l’air suroxygéné ont donc complète-
ment prouvé ce que laissaient voir comme certain les expé-
riences avec l’air ordinaire. Il aurait été possible de tirer une
contre-épreuve d’expériences dans lesquelles on aurait em-
ployé de l’air pauvre en oxygène. Je pourrais donner avec dé-
tails quelques faits de cet ordre; mais la preuve doit être
surabondamment faite dans l’esprit du lecteur, et je me con-
tenterai de dire qu’avec de l’air contenant seulement 10,2
pour 100 d’oxygène, il ne m’a pas été possible de dépasser
la pression de 28 cent.., la tension de l’oxygène étant alors
de 3,7.
566
EXPÉRIENCES.
Il reste donc établi que, soit dans un vase clos, par alté-
ration respiratoire, soit sous un courant d’air, la mort arrive
dans l’air raréfié par suite de la diminution de tension de
l’oxygène ambiant. La diminution de pression barométrique
n’est qu’un des moyens d’obtenir cette tension insuffisante.
Mais il en est un second qui consiste à abaisser la proportion
centésimale ; c’est ce qui résulte évidemment de la simple con-
sidération de l’égalité tant de fois citée déjà
0 X P
76
5,6,
La conséquence générale de tout ceci, c’est que tous les
troubles, les accidents, la mort, qui surviennent par l’effet
de la diminution de pression, sont dus tout simplement à
l’asphyxie; c’est qu’un animal soumis à une diminution
croissante de pression est semblable à un animal qui s’as-
phyxie en vases clos, dans l’air ordinaire, sous la réserve
peu importante, comme nous le verrons plus tard, de faction
de l’acide carbonique produit. Lorsqu’on a amené rapide-
ment un animal en vases clos, à une certaine dépression, et
qu’on le laisse mourir, comme nous l’avons fait dans les ex-
périences précédentes, l’épuisement graduel de l’air où il est
confiné agit absolument comme si l’on continuait, dans
un air pur, à diminuer autour de lui la pression baromé-
trique.
La tension d’oxygène est tout ; la pression barométri-
que en elle-même ne fait rien ou presque rien.
J’insisterai sur ces faits et sur les conclusions à en tirer
dans un autre chapitre, et j’indiquerai également ailleurs
les conséquences pratiques qui peuvent s’en déduire.
Je ne veux pas m’appesantir maintenant sur les phéno-
mènes extérieurs que présentent les moineaux soumis à la
diminution de pression. Cette étude, généralisée et appuyée
d’observations précises faites sur des animaux de diverses
espèces, nous occupera dans un chapitre spécial. Je me con-
tente d’indiquer aujourd’hui trois faits principaux : 1° l’aug-
mentation du nombre des respirations; 2° l’abaissement de
la température; 5° les convulsions qui précèdent la mort, et
qui nous fourniront une occasion déjuger la théorie qui at-
MORT ETS VASES CLOS : PRESSION DIMINUÉE. 567
tribue les convulsions à l’action de l’acide carbonique en
excès dans le sang.
Je vais maintenant indiquer les résultats d’expériences
faites sur des oiseaux autres que les moineaux.
4 * ■ ‘ ï
Expériences LII-LV, simultanées. — 2 juillet. Tempér. 20° ; press. 76e.
Chouettes chevêches (Stria: psilodactyla , Lin.).
LIE — Jeune, pesant 125 gr. Cloche de 2l ,25.
Mise à 5h 7m ; laissée à la pression normale.
Paraît gênée vers 5U 50m, meurt à 5h, avec 5e, 8 de diminution par
absorption. Mort après lh20m de gêne. Après 1 5m, la température rectale
est 51°, 5; pas de rigidité.
Air mortel: O 5,5; CO2 15,4.
CO2 '
C024-0 = 16,7 ; ~ =0,76.
LIII. — Semblable à la précédente. Cloche de 71.
Commencé à 5h 15m. A 5h20m, 22e de diminution de pression; s’agite
un peu. A 5h22, 41e de diminution, s’est calmée; à 5h 25m, tibube; on
ferme les robinets. Pression réelle 27e, 7.
Ferme bientôt les yeux et semble dormir. Meurt à 4h 50, après lh de
gêne. Dix minutes après la mort, la température rectale est 55°, 0; après
25,u, elle est de 55°, 8 : pas de rigidité.
Air mortel: O 15,4; CO2 6,4.
C0s-i-0=19,8; =0,87. Tension d’0=4,8.
U
LÎV. — Semblable. Cloche de 71, 5.
Commencé à 5h 18m ; à 5h20m, dépression de 55e, pas d’agitation; à
5h27m, 51e de dépression, vomit ; à 5h 28m, pression réelle 22e. Fermé les
robinets.
A 5h 52m, tombe et menace de mourir ; je laisse rentrer un peu d’air et
la pression remonte à 52e; l’oiseau se relève. On recommence deux fois la
même manœuvre. A 5h58m, on est à 25e, 5 de pression, l’animal est à
demi relevé : fermé les robinets.
A 4h10m, je descends à 22e, 5. Mort à 4ll55,n, sans convulsions, après lh
1 0m environ de gêne respiratoire. Après 20m, la température rectale est
50°, 2; après 50,n, 29°, 7 : pas de rigidité.
Air mortel : O 17,1 ; CO2 5,5.
CO2
C02 + 0 = 20,4; ^- = 0,87. Tension d’O=5,0.
LV. — Chouette vieille de 5 ans, pesant 170 gr. Cloche de 111, 5.
Commencé à 5h 8m ; agitation considérable, qui dure jusqu’à 5h15m, où
la dépression est de 56e; l’oiseau se calme alors. A 5h 161", dépression de
508
EXPERIENCES.
44e ; vomit deux fois. A 3h21m, 48e; à 5h26ni, 57e, soient 19e dépréssion
réelle. Tombe et va périr ; on remonte à 28e ; i’oiseau se relève après quel-
ques minutes. Deux fois se répète la meme manœuvre, mais à chaque fois
l’oiseau est évidemment moins abattu. A 4h3m, on est à 20e, 2 : l’oiseau
retombe, on ferme les robinets.
A 4h 10, on descend à 19e ; l’oiseau est toujours tombé, le bec en avant.
Mort à 4h45m, sans convulsions, après lh20m environ de gêne respiratoire.
22m après la mort, la température rectale est 50J,2; après 50m, elle est
de 29°, 6; pas de rigidité.
Air mortel : O 17,6 ; GO2 2,6.
f O2
C02 + 0— 20,2 ; — = 0,79. Tension d’O = 4,4.
On voit que notre règle se vérifie, nonobstant line irrégu-
larité plus forte qu’à l’ordinaire, présentée par l’expérience
faite à la pression normale. La valeur de la tension de l’oxy-
gène dans l’air mortel a été, en effet : à 76e, de 5,5; à 27e, 7,
de 4,8; à 22e, 5, de 5; à 19e, de 4,4. Ces dernières pressions
barométriques sont très-basses, et bien évidemment les tran-
sitions n’avaient pas été suffiamment ménagées.
Expérience LY1. — 5 août, Cressello (Falco tinnunculus , Lin.). Pression
75e, 5. Cloche de 15l,5.
Commencé à 5h25m ; courant d’air. La dépression est, à S^SO111 de 8e ; à
o'1 35m, de 16e ; à 5ll45m de 50e, à 5h 50IU de 40e ; à 5h 53in de 50e ; soient
25e, 5 de pression réelle. L’oiseau vomit et tombe ; on remonte à 51e, 5
pour redescendre lentement à 25e, 5 ; l’oiseau, qui s’était un peu remis,
retombe, menace de mourir, et l’on doit revenir à 27e, 5.
A 4h 5ni, on est à 25e; à 4h 101U, à 24e, 5 ; à 4h15m, à 21e, 5; l’oiseau
vomit, titube et chancelle, mais paraît se remettre un peu, tout en res-
tant affaissé. A 4h17m, la pression n’est plus que de 20e; à 4h 20m, de
19e, 5. On ferme les robinets, et l’oiseau meurt à 4h32m. A ainsi vécu en-
viron 40m avec gêne respiratoire. 8"1 après la mort, la température était
de 57°, 4 dans le rectum.
L’air, comme on pouvait s’y attendre, est à peine altéré : O 20,0 ; CO2 0,8
Tension d’O = 5,1.
Le point intéressant de cette dernière l’expérience est
qu’un oiseau de proie, voisin zoologique de ces vautours,
de ces condors qui s’élèvent dans les airs à de prodigieuses
hauteurs, a été au moins aussi sensible à la diminution de
pression qu’unfsimple moineau.
MORT EN VASES CLOS : PRESSION DIMINUÉE.
509
B. Expériences faites sur des Mammifères .
Elles ont été en assez petit nombre, le principal intérêt de
la question ayant été résolu par les expériences faites sur les
moineaux. Elles m’ont montré, comme fait général, que les
mammifères peuvent être amenés à des pressions notable-
ment plus basses que les oiseaux. On pouvait s’en douter, du
reste, puisque les mammifères épuisent davantage l’air con-
finé que le font les oiseaux. (Yoy. mes Leçons sur la physiolo-
gie de la respiration , page 510.)
Ils sont, en outre, plus malléables, pour ainsi dire, c’est-
à-dire plus faciles à amener à l’état d’animaux à sang froid,
supportant alors, comme ces derniers (voy. plus bas), des
pressions extrêmement faibles; cela est surtout vrai pour
les rongeurs. Un exemple remarquable de ce fait (exp.
LV1I) m’a été présenté par un cochon d’Inde, qui, placé
pendant quatre heures dans un courant d’air (tempéra-
ture 15°), y a vécu sous une pression, constamment infé-
rieure à 20e, et qui s’est, à plusieurs reprises, abaissée jus-
qu’à 11e pendant quatre ou cinq minutes. Il est vrai qu’après
ce temps le malheureux animal est resté immobile, presque
insensible, avec une température rectale de 20°, et qu’il est
mort quelques heures après l’expérience.
Dans un autre cas (exp. L VIII), un cochon d’Inde put être,
par une diminution graduelle de pression qui dura une heure
etdemie, amenéet main tenu à une pression de 12 cent, pendant
environ un quart d’heure. L’animal était alors très-faible, et
sa température rectale n’était que de 25°; mais trois minutes
après elle remontait à 31°, et déjà l’animal pouvait se relever
sur ses pattes. Ce cochon d’Inde a survécu.
CHATS. — Expériences LIX-LX1I1, simultanées. — 1 1 juillet ; pression 75*.
Chats âgés d’un mois à un mois et demi.
LIX. — Chat pesant 280sr. Cloche de 3h2.
Mis à 31' 1 5m ; pression normale; mort à 4h 35m, sans convulsions.
280gr ont vécu lh 20m dans 2’,920 d’air, ce qui donne par litre et par
... 80 111 280
kilogramme,
570
EXPÉRIENCES.
Airmortel : O 4,4 ; CO2 15,4.
fO2
C02+ 0~=17,8 ; -^=0,81. Tension d’O = 4,4.
LX. — Pesant 380gr. Cloche de 71.
Commencé à 5h 20™ ; à 5h 25m? la pression est de 51e, 2 ; fermé robinets ,
mort à 4h 45m.
58Qsr ont, ainsi vécu lh 20™ dans 61 , 620 d’air à 51e, 2 de pression,
ce qui donne, en rapportant à 76e de pression et à 1000gr, la valeur
80™ 580 80™ X 380x76 _ .
6,62x51 ,2 ^ 1 000 ~ 6,62x5 1,2x10 00 ' 5
76
Air mortel: O 7,2; CO2 11,4.
f O2
C02-+- O = 18,6 ; — = 0,81. Tension d’O — 4,9.
LXI. — Pesant 460**. Cloche de 13C5.
Commencé à 5h 25™; à 3’1 44™, la pression est de 21e, 8. L’animal est
très-malade, a 250 respirations à la minute. A 4h, grands mouvements
convulsifs, retombe, et meurt à 4h 13™.
460«r ont ainsi vécu 29™ dans 1 5* ,04 d’air à 21e, 8, ce qui donne 5™
par litre à 76e et pour lOOOx
Air mortel : O 15,5 ; CO2 5, 1 .
Cf)2
CO2— t- 0=; 20,6 ; -Lj- = 0,94 . Tension d’O = 4,4.
LXIl. — Pesant 665°r. Cloche de 1 51 ,5 .
Commencé à 5h 22™; à 3h 40™ la pression est de 27e : vomit, déféqué.
A 5h 48™, elle n’est que de 16e : très-mal à l’aise. Fermé les robinets.
Meurt à 5h 55™, sans convulsions.
Durée de la vie, par kilogramme et par litre, 1 minute.
Air mortel O 19,0; CO2 1,0. OxP— 4.
LX1II. — Pesant 485§r. Cloche de 1 5!,5.
Amené en 15™ à 16e de pression. Couché, haletant; meurt en 20 minu-
tes.
Durée de la vie, par kilogramme et par litre, 3 minutes.
Expérience LXIV. i août. Chat pesant 2k 570; cloche de 21 1 , 5 .
Commencé à 4h 10™. A 4h 22™, la pression réelle est 29e, 5. On ferme les
robinets; l’animal ne parait pas beaucoup souffrir.
A 4h 57™, agitation violente avec cris. A 4h 45™, convulsions avec fré-
missements des peaussiers. Mort à 4h 47™.
Durée de la vie, par kilogramme et par litre, 8™, 7.
Air mortel : O 10,3; CO2 9,6.
f o2
C02-t-0 = 19,9; — 0,90. Tension d’O = 4.
MORT EN VASES CLOS : PRESSION DIMINUÉE.
571
La valeur de la tension de l’oxygène a été dans ces expé-
riences :
A 76e, de 4,4 ; à 51e, 2, de4,9 ; à 29e, 5, de 4; à 21e, 8, de 4,4 ;
à 1 6e, de 4.
Si maintenant nous cherchons la durée de la vie en pre-
nant comme base un litre d’air et en rapportant le calcul à
1 kilogramme d’animal, nous trouvons que : à 76e, la Jdurée
de la vie a été de 7m,7 ; à 51e, 2, de 7ra,l; à 29e, 5, de 8m,7 ;
à 27e, deo minutes; à 16e, de 3 minutes. Il ne faut pas oublier
que le chat de 29e, 5 était fort différent des autres et, devait,
étant beaucoup plus gros, consommer moins d’oxvgène dans
un temps donné, par suite vivre plus longtemps dans un es-
pace donné.
J’ai pensé qu’il serait intéressant de mettre en expérience
des animaux nouveau-nés, qui résistent, comme on le sait,
beaucoup plus longtemps à l’asphyxie que ne font les adultes.
Cependant je n’ai pas pu aller avec eux notablement plus loin
dans la dépression qu’avec les adultes. Ainsi, des chats nés
de l'avant-veille, portés rapidement à 8 et à 12 centimètres de
pression, sont morts en sept ou huit minutes.
Voici, du reste, les résultats d’expériences dans lesquelles
on a analysé l’air :
Expériences LXV-LXVIII, simultanées. — 4 juillet; pression 76e.
Chats nés le 1er juillet, pesant en moyenne 125gl\
LXV. — Cloche de 675cc, avec défalcation de l’animal, 550cc.
Mis à 2h 42m; amené rapidement à 58e de pression. A 5h40m paraît mort ,
mais ne l’est réellement qu’à 4h 351U.
Air mortel : O 3,0; CO2 17,1.
CO2
C02-|-0=20,l ; — =0,95. Tension d’0 = 2,2.
LXV1. — Cloche de 2^5.
Mis à 3h ; à3h 61", la pression est 25e, 5 ; fermé robinets ; meurt à 5h 40m.
Air mortel : O 7,1 ; CO2 13,5.
CO2
C02-f-0— 20,6; -jp =0,98. Tension d’0 = 2,4.
LXVIÏ. — Cloche de 5», 2.
Mis à 2h 54m. A 3h, pression 20e, 5; miaule. Fermé les robinets. Meurt
à 7h 15m.
572
EXPÉRIENCES.
Air mortel: 0 8,5; CO2 12,0.
fO2
CO2 4- 0—20,5 ; —=0,97. Tension d’O — 2,2.
LXVIII. — Cloche de 51.
Mis à 2h 58m; à 2h 48,n, la pression est de 22e; marche encore et miaule ;
à 2h 53m, la pression est de 16e, 2; l’animal est couché à plat. Fermé les
robinets. A 5h 8,n, je descends à 15e, 4.
Mort à 7h 55m.
Air mortel : O 15 ; CO2 7.
CO2
CO2 4-0=20,0; ^- — 0,98. Tension d’0 = 2,2.
Le rapport — s’est ici maintenu avec une remarquable
régularité à 2,2, chiffre environ moitié moindre de celui
qu’ont donné les chats adultes.
Déjà, dans mes Leçons (p. 510), j’avais trouvé que, tandis
que les chats adultes laissent en moyenne dans l’air con-
finé, où ils meurent à la pression normale, 5,5 d’oxygène,
les nouveau-nés ne laissaient que 5,0. Pour les rats adultes,
la moyenne avait été de 2,0 et un nouveau-né avait été jus-
qu’à 0,75.
Si maintenant nous faisons les calculs nécessaires pour
trouver la durée de la vie de ces chats nouveau-nés, rappor-
tée comme, nous l’avons fait pour les adultes, à un litre d’air
à 76e et à un kilogramme d’animal, nous trouvons que cette
durée est: à 58e, de55 minutes; à 25e, 5, de 24 minutes; à
20e, 5, de 57 minutes; à 15e, 4, de 52 minutes.
On voit que la durée de la vie a été sensiblement la même
aux très-fortes dépressions comme aux pressions moyennes.
De plus, en comparant ces chiffres avec ceux qu’on tire de
l’étude des chats adultes, on voit que la durée de la vie des
nouveau-nés a été d’environ quatre fois plus considérable. Ce
sont là deux faits qui concordent avec ce qu’on sait de la ré-
sistance vitale des animaux nouveau-nés.
Enfin, il est intéressant de constater que le rapport entre
l’oxygène consacré, et l’acide carbonique produit, a été chez
les nouveau-nés, notablement plus élevé que chez les adultes:
MORT EN VASES CLOS : PRESSION DIMINUÉE. 573
sa moyenne est en effet de 0,97, tandis que pour les adultes
elle est seulement de 0,86.
CHIENS. — Expérience LXIX. — 11 mars. — Chien pesant 4k,5. Cloche
de 31 h
Mis à lh 40m à 45e de pression. Anxieux; se couche à 2h ; est trouvé mort
à 2h 20ni.
Air à 2“ : O 5,5; CO2 16,1.
Air après la mort, O 5,4; CO2 16,7. Tension d’O — 5,0.
LAPINS. — Expérience LXX. — 15 mars. — Lapin, Cloche de 1 1 1 , 5 .
Mis à2h 28in. Laissé à la pression normale.
A 5h 50m, debout, anhélant; à 5h 55nl, s’agite; à 4h, tombe; à 4h 30ul ,
dernière respiration, sans convulsions. 15,u après, sa température rectale
est de 54°.
Air mortel : O 5,7 ; CO2 15,2.
CO2
CO2 + O = 18,9 ; -^- = 0,96. Tension d’O = 5,7.
Expérience LXXI. — 16mars. — Lapin pesant lk,900. Cloche de 201, 75.
Commencé à 2h 5m; à 2h 25,n, la pression n’est plus que de 41e. Fermé
les robinets. A 2h 55m, gêné ; à 3h 20m très-gêné; à 3h 35m, tombé; à 3h 50m
mort sans convulsions ; 5,n après, la température rectale est 55°, 3.
A vécu lh 25m dans 1 8 1 , 8 5 d’air à 41e, ce qui donne, par litre et par
kilogramme une durée de 16m.
Air mortel : O 5,9 ; GO2 13,3.
CO2
CO2 + 0 = 19, 2; ^-=0,81. Tension d’O = 3,2.
Expérience LXX11. — 14 mars. — Pression 76e, 6; température 13° — La-
pin pesant lk, 340. Cloche de 511.
A 2h 27m, commencé le courant d’air; le manomètre monte lentement;
à 2h58m la dépression, est de 41e; l’animal est resté jusque-là parfaitement
tranquille. A 3h 2m, 50e de diminution, le lapin devient inquiet : on ferme
le robinet d’appel, et on continue à pomper. A 3h 7,n, la pression n’est
que de 15e, 6; l’animal se couche. A 3h 12m, elle est de 16e. Mort à 5h 20m.
Air mortel : O 19; CO2 1,6.
fO2
CO2 + O = 20,6; ^- = 0,84. Tension d’O = 4,0.
Expérience LXXIII. — 15 mars. — Lapin pesant lh,650. Cloche de 20l75.
Commencé à 3U 48"1. A 4h 5m, la pression est de 29e. On ferme les ro-
binets. L’animal meurt à 6h 42ni ; 10m après, sa température est de 32°.
On ne peut rien dire sur la durée de la vie, parce qu’il est rentré un peu
d’air pendant l’expérience.
574
EXPERIENCES.
Air mortel ; O 1 J ,0 ; CO* 9,0.
CO2
CÛ2-f O — 20; -Q- = 0,90. Tension d’0 = 4,2,
La valeur du rapport ~ ^ - est dans ces quatre expérien-
ces : à la pression normale, 5,7; à 41e, 5,2; à 29e 4,2, à
16e, 4,0.
COCHONS D INDE. — Expériences LXXIV-LXXV, simultanées. —5 aoûl.
LXXIV. — Pesant 420gr. Cloche de 3R2.
Mis à 5h 45, à la pression normale. Mort à 5h 5111, après agitation, soubre -
sauts, etc.... N’est jamais resté tranquille. Un quart d’heure après, sa tem-
pérature rectale est 57°.
420gr ont vécu lh 20m dans 2 1 , 78 d’air; soient 121U par litre et pour
1000gr.
Air mortel : O 2,5 ; CO2 10,4.
CO2
CO2 4-0= 18,7; -—=0,88. Tension d’0 = 2,3.
LXXV. — Pesant 470gr. Cloche de 51.
Commencé à 5h 55m, et amené en 2 minutes à 46e, 5 de pression réelle.
Reste parfaitement tranquille. A'5h 17m, tressaillements convulsifs. Meurt
à 5h 20111 ; J 7m après, la température rectale est 54°.
470gr ont vécu pendant lh 24m dans 4',55 à 46e, 5 représentant à 76e
2l,10. Donc 1000gr auront vécu par litre 14 minutes.
Air mortel : O 5,5; CO2 16,0.
CO5
CO2 + 0 = 19,5; --= 0,92. Tension d’0 = 2,l.
Expériences LXXVl-LXXVII, simultanées. — 25 juin.
LXXVI. — Pesant 580gr. — Cloche de 13C
Commencé à lh 45m. Amené à 16e de pression avec courant d’air à 21' 45m.
Mort à 5h 10m ; 271U après, sa température rectale est de 51°, 5.
A vécu lh 12m dans un volume d’air correspondant à 2!,6 à 76e; soient
161U pour 1000grpar litre.
Air mortel : O 14,5; CO2 9,8.
CO2
CO2 + 0 = 24,5; ~ = 1,51. Tension d’0=8,0.
LXXVI [. — Pesant 490gr. Cloche de 101.
Commencé à lh 45m. Amené à 2h45m, à 12e de pression.
Meurt à 5h ; 17m après, la température est de 55°, 5. A vécu I5m dans
1 1 ,5 cl’air à 76e; soient 4m,9 pour 1 litre et 1000+
MORT EN VASES GEOS : PRESSION DIMINUEE.
575
Air mortel : O 19; GO2 5,1.
f O2
CO2 + 0=22,1; -jj- = 1,65. Tension d’O = 3,0.
Expérience LXXVI1I. — Pesant 4858'r. Cloche de 15*5, pression 76e.
Commencé à 5h 24m ; ne s’agite pas. A 5h50m, 50e de diminution : titube,
puis se remet; 100 respirations, marche un peu. A 5h 34,n, 56e de diminu-
tion; 155 respirations; à 5h 55n\ diminution de 58e, 5, se couche sur le
ventre. À 5h40m, pression réelle 15e, 6 : 80 respirations fortes, anxieuses.
Fermé les robinets.
5h 45m : toujours couché, pupilles dilatées ; 5h46m, petites secousses
convulsives; 3h 47ra tombe sur le flanc; mouvements convulsifs; raideurs;
ventre énormément ballonné. 5h49m, meurt ayant vécu 9,n.
Après 13m, sa température rectale est de 54°, 6 ; après 56m de 31°, 8;
après lh16m, de 28°, 4, et la rigidité commence; après 2h llm, de 25°, 4;
faible rigidité.
Air mortel : O 19,1 ; CO* 2,5.
CO2
CO2 + 0 = 21,4; = \ ,27. Tension d’O = 5,4.
Expériences LXX1X-LXXXI, simultanées. — 28 mai. Pression 76e, 5.
LXXIX. — Pèse 6208e. Cloche de 161.
Commencé à 2h52m ; amené à 21' 55m, à 41e, 3 de diminution, soit 55e
de pression réelle ; fermé les robinets.
A 4h50m, tombe sur le flanc; à 5ll30in, meurt; 50,u après, sa tem-
pérature rectale est 28°.
6208e ont vécu pendant 2ll55ül dans 41, 44 d’air à 76e. Ce qui donne,
par 1 000s»- et par litre d’air à 76e, 24“.
Air mortel : O 4,9 ; CO2 17,2.
CD2
CO2 -h O = 22,1 ; — = 1,07. Tension d’O = 2,2.
LXXX. — Pèse 5208e. Cloche de 15C5.
Commencé à 2h 57in. A 2h 44“, pression 27e, 8 ; fermé les robinets.
A 4h 10ra, tombé sur le ventre ; à 4h55m, sur le flanc ; mort à 5h 5in ;
15“ après, sa température rectale est 28°.
520gr ont vécu pendant 2h20ul dans 4 1 , 7 6 d’air à 76e ; ce qui fait, par
1 000gr et par litre d’air à 76e, 17m.
Air mortel: O 5,4; CO2 15,7.
CO2
CO2 + O = 21 ,1 ; ~ = 1 ,01 . Tension d’O = 2,2.
LXXXI. — Pesant 6208e. Cloche de 191.
Commencé à 2 11 40 ; à 2h 49,n la pression est de 19e, 5 ; l’animal titube.
Fermé les robinets.
A 21' 55m, tombe : à 5h 20,u va un peu mieux ; à 4h 15m fait encore de
57G
EXPÉRIENCES.
efforts pour se relever; à 5h 10m, soubresauts convulsifs; meurt à b18 50in;
20,n après, la température rectale est 25°.
A ainsi vécu 2h 40m dans 4', 71 d’air; ce qui donne, par 1000gr et par
litre à la pression normale, 21 111 .
Air mortel : O 8,1 ; CO2 15,6.
f ns
C02+ 0=25,7; ~ —1,21. Tension d’0== 2,0.
La valeur de la tension de l’oxygène a été, dans ces diver-
ses expériences :
À la pression normale, de 2,5; à 46e, 5, de 2,1; à 41e, 5,
de 2,2; à 27e, 8, de 2,0; à 19e, 5, de 2,0; à 16e, de 5,0; à
15e, 6, de 5,4; à 12e, de 5,0.
On remarquera que, aux très-fortes dépressions, la somme
C02-t-0 a été 21,1; 21,4; 22,1; 22,1; 25,7 et 24,5, c’est-
à-dire supérieure à la proportion primitive de l’oxygène.
L’excès est dû, sans aucun doute, à l’acide carbonique con-
tenu dans les intestins de ces rongeurs, dont on voyait le
ventre se ballonner au début des pressions très-basses, et
qui vraisemblablement laissaient échapper alors une partie
de leurs gaz dilatés.
Quant à la durée de la vie, en la rapportant à 1000 grammes
d’animal, elle a été, par litre : à la pression normale, de 12 mi-
nutes; à 46e, 5, de 14 minutes; à 41e, 5, de 24 minutes; à
27e, 8, de 17 minutes; à 19e, 5, de 21 minutes; à 16e, de
16 minutes; à 15e, 6 et à 12e, la mort est survenue beaucoup
plus rapidement. Nous rencontrons ici une régularité que ne
nous avaient pas fournie les oiseaux, extrêmement variables
dans leur manière de se comporter sous les cloches. Les
deux nombres extrêmes 12 et 24 s’expliquent par l’inces-
sante agitation ou la tranquillité parfaite des animaux en
expérience.
Si l’on rapproche ces chiffres de ceux qui nous ont été
fournis par les autres mammifères, on voit qu’ils sont en-
viron le double de ceux donnés par les chats adultes, à peu
près égaux à ceux des lapins, et encore notablement infé-
rieurs à ceux des chats nouveau-nés. Disons en terminant
que, pour les moineaux, dont le poids ordinaire est de
TABLEAU IV
. 1
NUMÉROS
DES
EXPÉRIENCES
, .2
ESPÈCE D’ANIMAL
5
POIDS
PRESSION BAROMÉTRIQUE *=»
CAPACITÉ DE LA CLOCHE Üî
DURÉE DE LA VIE Ci
DURÉE PAR LITRE D’AIR
RAPPORTÉ A 76 C.
DE PRESSION
ET PAR KILOGR. D'ANIMAL
8
■ COMPO
DE L’AIR
O ;
9
SITION
MORTEL
C02
10
TEN-
SION
DE
l’oxy-
gène
0 X P
76
OISEAU
X.
•
gr.
c.
lit.
h. m.
m.
lu]
Strix psiloclactyla.
125
76
2,25
1.55
6,2
5,5
13,4
3,3
liii
Id
125
27,5
7
1.10
5,4
13,4
6,4
4,8
L1V
Id. f
125
22,5
7,5
57
2,1
17,1
5,5
5,0
LV
Td
170
19
11,5
55
2;1
17,6
2,6
4.4
IM
Falco tinnunculus.
»
19,5
15,5
12
»
20
0,8
5,1
Moy.
5,4
Moy.
4,5
AMMIFÈ
RES.
L1X
Chat d’an mois. .
280
76
5,2
1.20
7,7
4,4
13,4
4,4
LX
Id
580
51
7
1.20
7,1
7,2
11,4
4,9
LXIV
Chat adulte. . . .
2570
29;5
21,5
25
8,7
10,5
9.6
4
LXIl
Chat d’un mois . .
460
21,8
15,5
29
5
15,5
5,1
4,4
LX1
Id
665
16
15,5
05
»
19
1
4
LX1II
Id
485
16
15,5
20
5
D
»
»
Moy.
5,9
Moy.
4,4
LXV
Chats de 5 jours. .
125
58
10,5
1.55
55
0,5
17,1
2,2
LXVI
Id
125
25,5
2,5
2.55
24
7,1
13,5
2,4
LXVII
Id
125
20,5
5,2
4.15
57
8,5
12
2,2
LXVIII
Id
125
15,5
5
4.50
52
13
7
2,2
Moy.
51
Moy.
2,2
LXIX
Chien
4k,3
45
51
»
»
5,4
»
3,0
LXX
Lapin
»
76
11,5
2
»
5,7
15,2
3,7
LXXI
Id
lk.9
41
20,7
1,25
16
5,9
13,3
5,2
LXX11I
Id. . .
1, 6
29
20,7
»
»
11
9
4,2
LXX1I
Id
1 ,5
16
51
15
»
19
1,6
4,0
Moy.
3,8
LXXIV
Cochon d’Inde. . .
420
76
5,2
1.20
12
2,5
16,4
2,3
LXXX
Id
470
46,5
5
1.20
14
5,5
16
2,1
LXXIX
Id
620
55
16
2.55
24
4,9
17.2
2,2
LXXX
Id
520
28
15,5
2.20
17
5,4
15,7
2,0
i LXXXÏ
Id
620
19,5
19
2.40
21
8,1
15,6
2,0
LXXVI
Id
580
16
15
1.12
16
14,5
9,8
5,0
LXXVIII
Id
485
15,5
15,5
9
»
19,1
2,5
5,4
! LXXVII
Id
490
12
10
15
»
19
3,1
3,0
1
Moy.
17,5
Moy.
2,5
57
EXPERIENCES.
578
50 grammes environ, on trouverait, en envisageant ainsi la
question, une moyenne d’environ 2 minutes par kilogramme
et par heure. Or, si Fou se reporte au célèbre et classique
travail de Régnault et Reiset sur la respiration, on y trouvera
des résultats analogues, c’est-à-dire la consommation plus
considérable d’oxygène faite dans un temps donné par les
carnivores que par les herbivores, par les oiseaux que par
les mammifères, par les petits animaux que par les gros, etc.
Tous les faits qui viennent d’être énumérés se trouvent
résumés dans le tableau IY, ci-contre.
J’ajoute, en terminant, le récit d’une expérience (Exper.
LXXXI1) faite sur un hérisson le G juillet, dans le but de
chercher à mettre l’animal dans l’état d’hibernation en le
maintenant un certain temps à très-basse pression. Mais on
ne put, sans un danger imminent, dépasser la pression de
18e; à 26e l’animal se déroula et vomit. Après 2 heures pen-
dant lesquelles on a oscillé entre 28 et 18e de pression,
on retire l’animal, qui se remet rapidement et survit. Ce
hérisson s’est, donc comporté comme l’eût fait un chat ou
tout autre animal non doué de la remarquable faculté d’hi-
berner.
C. — Expériences faites sur des animaux à sang froid.
Je n’ai fait que peu d’expériences sur les animaux à sang
froid. Les grenouilles, si utiles pour d’autres ordres de re-
cherches, présentent souvent, quand on les laisse périr en
vases clos, même à la pression normale, des inégalités sin-
gulières au point de vue de la durée de la vie, de la compo-
sition de l’air mortel, etc. Voici cependant une série d’expé-
riences simultanées dans lesquelles, en prenant de minutieu-
ses précautions et en choisissant soigneusement mes sujets,
j’ai pu obtenir un résultat intéressant :
Expériences LXXXIII-LXXXV1I, simultanées. — ■ 15 juin, à 5h ; 0 = 22°.
LXXXIIh — Pression normale, vase de 275cc; meurt le 17 juin à 51' du
soir.
Air mortel : O 2,7.
MORT EN VASES CLOS : PRESSION DIMINUÉE.
579
LXXX1V. — Pression de 20e; vase de i1 ,350, représentant 555cc à la
pression normale ; meurt le 16 à 2h.
Air mortel: O 8,4. Tension d’O =2,2.
LXXXY. — Pression de 14e ; vase de 1!,9, représentant 550ccà la pres-
sion normale, meurt le 16 à 2h50m.
Air mortel : O 15,5. Tension d’O =2,8.
LXXXVI. — Pression de 10e ; vase de 2*,2, représentant à la pression
normale 290cc ; a vécu 4h.
Air mortel : O 18,5. Tension d’O = 2,4.
LXXXVII. — Pression de 5e, 5; vase de 2J,8, représentant 200cc; a vécu,
2 heures.
Air mortel : O 18,6. Tension d’0= 1,5.
Je rapporte enfin les résultats d’une expérience faite sur
un insecte, la chrysomèle du peuplier :
Expérience LXXXVIII. — 5 août, 4h du soir ; 0= 24°. Je mets 10 grammes
de chrysomèles :
A. Dans une cloche de 60cc à la pression normale.
B. Dans une cloche de 800cc à 9e de pression.
G. Dans une cloche de 1^5, à 4e de pression.
Le 4, à midi, les insectes sont immobiles et semblent morls; l’air dus
cloches ne contient plus trace d’oxygène; il y a de 18 à 20 pour 100
de CO2
Les animaux reviennent à la vie après une heure environ.
§ 5. — Conclusions.
Les résultats auxquels nous ont conduit les faits énumérés
dans le présent sous-chapitre peuvent être résumés dans la
conclusion suivante :
En vase clos , aux pressions inférieures à une atmosphère, la
mort survient lorsque la tension OxP de l’oxygène de l’air est
réduite à une certaine valeur qui est constante pour chaque espèce,
ou qui du moins oscille dans de faibles limites autour d'une
moyenne (4,4 pour les chats adultes; 5,6 pour les moineaux;
2,5 pour les cochons d’Inde; 2,2 pour les chats nouveau-nés).
Cette moyenne reste la même, quelle que soit la composi-
tion initiale de l’air employé ; mais, pour l’air suroxygéné, il
faut absorber l’acide carbonique au fur et à mesure de sa
production.
580
EXPÉRIENCES.
SOUS-CHAPITRE II
PRESSIONS SUPÉRIEURES A CELLE D’UNE ATMOSPHÈRE.
g ]er# „ Dispositif expérimental.
Après avoir étudié la composition de l’air confiné devenu
irrespirable sous des pressions inférieures à une atmosphère,
il était tout naturel de chercher ce qu’il adviendrait en em-
ployant des pressions supérieures. Nous avons vu que, plus
la pression est faible, plus grande est la proportion d’oxygène
qui reste dans l’air mortel, ou, en d’autres termes, moins
celui-ci est épuisé. Cette loi se confirmerait-elle aux pressions
supérieures ? Arriverait-il un moment où un moineau épui-
serait, sous pression, l’oxygène de l’air, comme l’ont fait aux
plus faibles pressions les chrysomèles dont j’ai plus haut
raconté l’histoire? En poursuivant la loi et en prenant comme
moyenne de l’épuisement en oxygène à la pression normale
le chiffre 5,6, on ne devrait, a 5atm,6, trouver que 1 pour 100
d’oxygène dans l’air devenu mortel par le confinement, que
0,5 à 7atrn,2, et ainsi de suite. Nous allons voir combien cette
hypothèse s’est trouvée être éloignée de la vérité.
Dans les expériences dont je vais donner le récit, j’ai em-
ployé à peu près exclusivement les moineaux. Leur petite taille
m’a permis de me servir d’appareils en verre dont les avan-
tages sont évidents, mais dont les dangers, lorsqu’il s’agit d’air
fortement comprimé, ne sont pas moins évidents non plus. Le
verre présente, en effet, ce grave inconvénient, qu’on n’est
jamais sûr qu'un appareil qui a supporté à un certain moment
une certaine pression, pourra la supporter de nouveau. De
plus, sous l’influence des changements atmosphériques, les
pièces métalliques dans lesquelles il faut nécessairement le
fixer se dilatent ou se rétractent, dans les expériences de Ion*
gue durée, suivant une loi différente de celle du verre lui-
même, lequel se trouve ainsi soumis à des tiraillements en
sens inverses qui compromettent sa solidité et peuvent même,
MORT EN VASES CLOS : PRESSION AUGMENTÉE. 581
ces verres étant fort épais, le faire fendre sans l’emploi
d’aucune pression. Quoi qu’il en soit, grâce aux précautions
employées, les accidents qui sont arrivés n’ont jamais eu de
conséquences fâcheuses.
L’un des appareils dont je me suis le plus souvent servi, et
qui me permet de comprimer l’air jusqu’à 25 atmosphères,
consiste en un cylindre de verre, d’une capacité de 650cc et
d’une épaisseur de 18 millimètres, protégé par une chemise
grillée. Ce réservoir est coiffé d’une pièce mobile de bronze
qui s’adapte exactement à son orifice, ou plutôt à une autre
plaque de bronze fixe et reliée au socle sur lequel repose le
réservoir par quatre colonnes d’acier, qui traversent à la fois
la pièce fixe et la pièce mobile. Ces deux pièces sont solide-
ment assujetties par quatre écrous mobiles qui se vissent sur
les colonnes d’acier. Tout ceci se voit, du reste, très-nette-
ment sur la figure 20.
Un manomètre Bourdon, qui indique la pression de l’air
du réservoir, est fixé sur la plaque immobile. Un robinet à
vis et à fente très-mince qui apparaît à droite du cylindre
permet de prendre, quand on le veut, une petite quantité de
cet air. A cet effet, on ajuste à ce robinet un tube de caout-
chouc qu’on fait ensuite plonger dans une cuve à mercure
au-dessous d’un tube gradué ; il suffit alors d’ouvrir avec
prudence ledit robinet pour voir l’air comprimé s’échapper
de l’appareil et entrer dans le tube gradué ; j’avais toujours
soin, bien entendu, d’en rejeter au dehors une certaine quan-
tité avant de prendre celui que je destinais à l’analyse.
L’air est comprimé dans le réservoir au moyen d’une petite
pompe foulante; j’ai fait entourer] cette pompe d’une enve-
loppe métallique que traverse un courant d’eau continu; de
cette façon, la manœuvre en est beaucoup moins pénible, et,
ce qui est plus important, on n’envoie pas de l’air chaud à
l’animal. Je puis ainsi arriver en 20 minutes environ, à la
pression de 25 atmosphères. Enfin, un gros robinet fixé sur
la pièce mobile qui coiffe le cylindre sert à ouvrir ou à fermer
hermétiquement l’appareil. Il établit ou interrompt la com-
munication avec la pompe, et, lorsque le tube qui le surmonte
Appareil cylindrique en verre pour hautes pressions (25 atmosphères), en chaige dair sui oxygène.
MORT EN VASES CLOS : FRESSION AUGMENTÉE. 583
est enlevé, permet de décomprimer brusquement, si on en a
besoin, Pair du réservoir.
Dans les expériences où je comprimais simplement de Pair,
le sac représenté sur la figure n’existait pas, bien entendu,
et l’appel de la pompe se faisait directement au dehors.
J’ai fait usage plus souvent encore d’un appareil construit
d’une manière analogue, mais dont le réservoir était un
simple récipient de générateur d’eau de Seltz. Je ne pouvais
ainsi pousser que jusqu’à 10 atmosphères; mais la forme
arrondie de l’appareil laissait aux animaux plus de liberté.
Enfin, je me suis servi d’une bouteille à mercure, montée
comme le cvlindre en verre. La solidité extrême de cet in-
«j
strument m’aurait permis de pousser sans encombre jusqu’à
40 atmosphères. Sa capacité, qui est de 5 litres, présente
aussi de grands avantages; le sepl inconvénient est de ne
pouvoir voir ce qui se passe au dedans*
§2. — Expériences.
A. — Compression avec de. T air ordinaire.
J’arrive maintenant aux expériences. Je les énumérerai,
comme j’ai fait jusqu’ici, dans l’ordre même où elles ont
été exécutées. Ce que j’ai dit au début de ce sous-chapitre
indique suffisamment pourquoi j’ai commencé par la pres-
sion de 3atn’,75. L’appareil qui m’a servi dans cette première
série est un récipient à eau de Seltz, d’une capacité totale
de 1060cc.
Expérience LXXXIX. — 18 juillet; tempér. 26°. Moineau franc, jeune.
En 10 minutes, on amène le moineau à 5,75 atmosphères ; il ne paraît nul-
lement gêné; mais un accident faisant tomber subitement la pression, il
se hérisse et se cache la tête sous l’aile. L’augmentation de la pression an
niveau primitif lui redonne les apparences de la santé.
Robinets fermés à 2h. A 2h20m, malade; à 5h 10m, très-malade ; à5h20ra,
paraît mourant ; à 6h50111, de même. A 10h du soir, le croyant mort, je
retire de l’air en sorte que la pression tombe à 2 atmosphères; il respire
alors, et je le laisse jusqu’à 10h50,u. Retiré alors, est encore vivant,
avec une température rectale de 28° (c’est celle du récipient lui-même); il
meurt dans la nuit,
584
EXPÉRIENCES.
L’air que j’avais pris à 10h, et qui vraisemblablement n’aurait été que
peu altéré consécutivement, contenait GO2 7,2; O 11,1.
Expérience XG. — 19 juillet; tempér. 25°. Moineau franc, jeune. En
10 minutes porté à 7 atmosphères; fermé le robinet à 2h 10ra. A4h45m
fort malade, yeux fermés. A 10h du soir, trouvé mort.
Je décomprime rapidement et en examinant la veine jugulaire, j’y vois
le sang rouge et spumeux semblable à de la mousse.
L’air. mortel contient GO2 5,7 ; O 16,2.
Expérience XCI. — 20 juillet ; tempér. 21°, 5. Moineau franc, jeune.
Poussé rapidement à 2 1/2 atmosphères. Fermé robinets à 5h30m. Ma-
lade à5h55m; paraît mort à 91' 45,u. Je retire de Pair, et j’ouvre l’appareil.
En prenant l’oiseau dans la main, je vois qu’il respire encore un peu, et
est encore un peu sensible. La température rectale est 25°, 5, probable-
ment égale à celle du récipient. Je lui coupe la tête: il a de très-énergi-
ques mouvements réflexes. L’animal a ainsi vécu 4h 1/2 environ, dans
une quantité d’air correspondant à 2l,650 à la pression normale.
Le sang est très-rouge dans le cœur gauche ; moins noir que dans l’é-
tat ordinaire à la jugulaire droite : pas de gaz libres dans le sang.
Air mortel : CO2 11,2 ; O 8,5.
Expérience XCIL ■ — 21 juillet ; moineau franc, jeune. Mis à 5 atmosphè-
res à 10h au matin : trouvé mort à lh.
Air mortel : GO2 6,0 ; O 14,2.
Expérience XCI1I. — 24 juillet ; tempér. 21°. Moineau franc. Mis à
1 1/2 atmosphère à 5h10m. Meurt à 8h 45m. Température rectale 25°, 5 ;
sang veineux assez rouge ; pas de gaz libres. A vécu 3h 55,u dans 15580
d’air, à la pression normale.
Air mortel: CO2 15,2; O 2,6.
Expérience XGIV. — 25 juillet; tempér. 25°. Moineau franc assez vieux.
A 4h 55m poussé à 2 atmosphères. Trouvé mort à 7h 45,n.
Air mortel : CO2 15,7 ; O 5,0.
Expérience XGV. — 26 juillet; tempér. 25°. Moineau franc. A lh25m,
poussé à 5 atmosphères.
Meurt à 4h 15ni. Tempér. reclale 25°; sang et tissus rouges: le cœur
battait encore à l’air. A vécu 2h50m dans la valeur de 55500 d’air.
Air mortel: CO2 5,1 ; O 15,4.
Expérience XGV1. — 4 août. Moineau franc. A 4h 55m poussé à 6 atmosphè-
res. A 5h 50IU, très-malade ; trouvé mortà9h30m. Sang veineux rouge ; gaz
dans le cœur droit et les jugulaires, mais non dans le cœur gauche.
Air mortel : GO2 4,2; 6 16,0.
Expérience XCVII. — 11 août. Moineau franc. A 2 11 55nq mis à 1 atmo-
sphère 1/2. Très-malade à 5h 1/2. Trouvé mort à 9h ; sang veineux,
noir.
MORT EN VASES CLOS : PRESSION AUGMENTEE.
585
Air mortel : CO2 15,4 ; O 2,5.
Expérience XCVIII. —17 août. Bruant ( Emberiza citrinella , Lin.). A
4h45m, à 1 atmosphère 3/4. Malade à 6h; trouvé mort à 8U; sang veineux
noir, pas de gaz.
Air mortel: CO2 12,9 ; O 4,9.
Expérience XCIX. — 19 août; 22°. Linot ( Fringilla cannabina , Lin.).
Poussé à 8,8 atmosphères. Fermé le robinet à 2h50m ; à 5h 45, gêné,
fait des efforts de vomissement. A 4h45m, se renverse sur le côté, les res-
pirations se ralentissent et s’affaiblissent ; pas de convulsions. A 6h un
frémissement dans une patte, puis extension: c’est le dernier mouvement.
La température rectale est 25°, 5. Le sang veineux est très-rouge, sans
gaz; le cœur bat encore, oreillettes et ventricules. A vécu 5h10m dans 9*,530
d’air à la pression normale.
Air mortel : CO2 2,8 ; O 17,4.
Expérience G. — 19 août; tempér. 22°. Linot.
A 6h20m, est poussé à 95 centimètres dfj pression; à 9ll55m, trouvé
mort. Sang veineux noir, sans gaz.
Air mortel : CO2 15,5 ; O 5,7.
Expérience CL — 20 août ; moineau friquet.
Mis à 1 atmosphère 1/4.
Air mortel: GO2 14,5 ; O 3,4.
Les résultats de ces expériences sont groupés, suivant
l’ordre croissant des pressions, dans le tableau suivant :
TABLEAU V.
1
Kf)
w
is
w
ce
2
O
C/5
5
DURÉE
4
Ld ce
> <
u e «
w S o P
ca £ p,
5
W fcj
a ss
^ <w
l_g
G 7
COMPOSITION
DE L’AIR MORTEL
8
CO- X P
9
O x P
10
CO2 -+- 0
11
C02
ce
*
W
td
ce
DE LA VIE
| <
ce ce ^
Q C-
c/3
^ o
£ - -
H ^
C02
O
0
atm.
c
1 1/4
20,1
13,3
5,0
15,0
4,2
10,9
77
CI
1 1/4
20,1
14,3
3,4
17,9
4,2
17,7
81
XCIII
1,5
3h,35m
2h,15m
51,3
15,2
2,0
22,8
3.9
17,8
85
XCVII
1,5
51,5
15,4
2,5
25,1
5,7
17,9
83
XCVIII
1,75
de 2 à 3h
30,5
12,9
4,9
22,5
8,0
17,8
80
XCLV
2
moins de 3 h.
41,8
13,7
5,0
27,4
10
18,7
80
XCI
2,5
4h,50m
lh,42m
52,2
14,2
8,5
28,0
21,2
19,7
90
LXXXIX
5,75
pins de 8 h.
78,5
7,2
11,1
27,0
41,3
18,5
73
XCII
5.0
xcv
5,0
2h,55m
55m
104,5
5,5
15,8
27,5
09
»
77
XCVI
6
125,4
4,2
16,0
25,2
90,0
20,2
85
xc
7
140,5
3,7
10,2
25,9
113,4
19,9
78
XCIX
8,8
3\10m
a
o
CM
183,9
2,8
17,4
24,0
153,1
20,2
80
58G
EXPÉRIENCES.
Si nous considérons maintenant ces résultats, en nous atta-
chant tout d’abord à la composition de l’air devenu irrespi-
rable, et le tableau précédent nous rend facile cet examen
d’ensemble, nous voyons de suite que la conjecture énoncée en
tête de ce sous-chapitre, bien loin d’être vérifiée, s’est trouvée
être précisément le contraire de la vérité. Plus la pression a
été grande, moins l’oxygène de l’air a été épuisé, comme le
montre la colonne 7 du tableau V. A 8at,n,8, pression la plus
élevée que j’aie employée dans cette première série d’expé-
rience, il restait, après la mort, 17,4 d’oxygène.
Cette constatation, déjà fort curieuse, devient tout à fait de
nature à étonner, lorsque nous faisons entrer en ligne de
compte non-seulement le chiffre exprimant la composition
centésimale, mais ce nombre jusqu’ici constant dans nos
expériences qui indique la tension de l'oxygène dans l’air de-
venu mortel. Nous avons vu, dans le premier chapitre, que
ce nombre oscille entre 5 et 4. Or, dans les expériences
actuelles, la colonne 9 ne nous fournit des chiffres analogues
que pour les pressions intermédiaires entre 1 et 2 atmosphè-
res. Et même ici apparaissent déjà les nombres 8 et 10, qui
deviennent bientôt 20 et 40, pour arriver à 113 et 155 aux
pressions de 7 et de 8,8 atmosphères.
Ainsi donc, au-dessus de 2 atmosphères, la mort dans l’air
confiné ne pourrait être attribuée à la privation d’oxygène :
il faut chercher quelque autre cause.
Ma première pensée a dû naturellement se porter sur l’acide
carbonique.
Or, en considérant la colonne 8, dans laquelle se trou-
vent inscrits des nombres qui sont obtenus en multipliant la
proportion centésimale de l’acide carbonique par le nombre
des atmosphères, et qui, par conséquent, représentent la
tension de l’acide carbonique dans l’air mortel, nous voyons
que, à partir de 2 atmosphères, ces nombres oscillent entre
25 et 50.
Si maintenant nous nous reportons à ce qu’a dit autrefois
M. Claude Bernard1 sur les conditions de la mort d’oiseaux
1 Leçons sur les substances toxiques , p. 140.
MOUT EN VASES CLOS : PRESSION AUGMENTÉE. 587
renfermés à la pression normale dans un milieu très-oxygéné,
nous voyons qu’ils périssent lorsqu’ils y ont formé une pro-
portion d’acide carbonique qui correspond précisément à
celle que nous venons d’indiquer. Les nombreuses expériences
que j’ai moi-même1 faites à ce sujet m’ont conduit à des ré-
sultats analogues, et j’ai confirmé l’exactitude de l’explication
donnée par Cl. Bernard de cette bizarre asphyxie dans un
milieu beaucoup plus riche en oxygène que l’air ordinaire.
Il s’agit ici d’un véritable empoisonnement dû à l’acide car-
bonique du sang qui ne peut s’éliminer à cause de la pression
qu’exerce sur lui l’acide carbonique contenu dans l’atmo-
sphère ambiante.
C’est donc la pression exercée par ,cet acide carbonique,
pression mesurée précisément, à une atmosphère, par le
chiffre même de la composition centésimale, qui est cause
de la mort. Or, à des pressions supérieures à une atmosphère,
la pression réelle, la tension de l’acide carbonique, s’obtient
en multipliant le chiffre de la composition centésimale par
le nombre des atmosphères, et c’est ainsi que nous avons
obtenu les nombres de la colonne 8.
Nous pouvons donc donner, pour la mort en vases clos, à
des pressions plus fortes qu’une atmosphère, une formule
tout à fait analogue à celle que nous avons indiquée plus
haut (voir page 579) pour les pressions inférieures à une
atmosphère, et dire : La mort des moineaux arrive lorsque
la tension de l'acide carbonique , mesurée comme il vient d'être
dit , est représentée par un chiffre qui oscille environ entre 24
et 50; nous prendrons dorénavant 26 comme nombre moyen.
Il résulte de ceci que, si nous représentions nos résul-
tats par une courbe analogue à celle de la figure 17,
dans laquelle les abscisses représenteraient les pressions,
et les ordonnées les proportions d’acide carbonique, cette
courbe correspondrait à la formule xy = 25 à 50, et serait,
elle aussi, par conséquent, une branche d’hyperbole équi-
latère.
Mais il faut tout de suite faire remarquer que cette formule
1 Leçons sur la physiologie cle la respiration , p, 517.
588
EXPÉRIENCES.
ne commence à être vraie qu’à partir de une et demie et
surtout de deux atmosphères. Au-dessous, les chiffres de la
colonne 8 sont beaucoup plus faibles. C’est que, ici, la quan-
tité d’oxygène mise à la disposition de l’oiseau n’était pas
suffisante pour lui permettre la production d’une quantité
d’acide carbonique capable de le tuer à elle seule. Sans doute,
la tension de l’acide carbonique n’était pas négligeable, sur-
tout quand elle arrivait à valoir 22 ou 25 ; mais il faut dans ce
cas mettre en ligne de compte répuisement de l’oxygène,
dont la colonne 9 nous montre l’état très-avancé. Nous retrou-
vons, en effet, ici les chiffres variant de 5 et 4 que nous
connaissons comme exprimant la pression d’oxygène trop
faible pour entretenir la vie.
Influence de la température. — Les résultats qui précèdent
ont été obtenus à des températures supérieures à 20°. J’ai
voulu savoir si un froid considérable aurait une influence
notable sur les chiffres obtenus. Voici ce qui est advenu :
Expérience Clt. — 12 décembre; température du laboratoire H- 0°. Moi-
neau franc. Mis à 6 atmosphères ; fermé robinets à 2h. Entouré complète-
ment l’appareil dans une masse de neige à 0°.
A 4h 20m, on trouve l’oiseau mort. A41' 25m, sa température rectale était
de — f- 4°.
Air mortel : GO2 2,9 ; O 17,4.
C02xP=17,4.
Expérience GUI. — 15 décembre; température -H 6°. Moineau franc. A
2h, mis à 5 atmosphères. Entouré l’appareil d’un mélange de glace et de
sel dont la température s’abaisse à 12°. On ne peut lire la graduation du
thermomètre intérieur. A 3h35m, trouvé mort. Tempér. rectale, H- 8° ;
sang veineux rouge, sans bulles de gaz.
Air mortel : GO2 5,4; O 15,2.
C02xP = 17,0.
Expérience C1Y. — 14 décembre; tempér. extér. 5°. Moineau franc,
poussé à 2h50m, à 4 atmosphères. Entouré d’un mélange déglacé et de sel.
A41' 20"1, très-malade ; à 4h 50m, mort. Température intérieure de l’ap-
pareil, -f- 1° ; tempér. rectale, 17°, 5.
Air mortel : CO2 5,0 ; O 13,5.
CO2 x P = 20.
On voit que l’influence du froid a été très-importante, et
MORT EN VASES CLOS : PRESSION AUGMENTÉE. 589
que les oiseaux n’ont pu, dans ces conditions, former autant
d’acide carbonique qu’aux tempéra tures élevées. Cela se com-
prend assez bien, à cause du refroidissement propre de l’ani-
mal, qui n’était plus compatible avec l’exercice des fonctions,
et n’a plus permis les mouvements de la respiration.
Je pense même que c’est à la température qu’il faut
attribuer les résultats assez différents de ceux que j’ai rap-
portés plus haut, obtenus avec le même appareil, mais pendant
une saison moins chaude.
Expérience GV. — 51 janvier. Moineau franc. A 5h50iu, poussé à 4 at-
mosphères. Meurt à 5h 50m. Pas de suffusions crâniennes.
Air mortel : GO2 5,8 ; O 15, 2.
C02xP = 23,2.
Expérience GV1. — 18 mars. Moineau franc. A 2'1 10in poussé à 6 at-
mosphères. Très-malade ào'1 50m ; trouvé mort à 4h 50,n. Piqueté rouge au
crâne.
Air mortel : GO2 5, 9 ; O 14,9.
CQ2xP=25,4.
B. — Air suroxygéné : pressions inférieures à une atmosphère.
C’est ici que je crois devoir placer le récit des expériences
faites suivant la méthode dont il a été question à la page 561
(sous-chap. Ier), et dans lesquelles des moineaux étaient main-
tenus en vases clos, à des pressions inférieures à celles d’une
atmosphère, mais dans de l’air suroxygéné. Ici, jusqu’aux
basses limites qui ont été indiquées, la mort a lieu non par
trop faible tension d’oxygène, mais par trop forte tension
d’acide carbonique, c’est-à-dire par un mécanisme identique
à celui dont nous nous occupons en ce moment.
Voici le détail de ces expériences, faites toutes avec des
moineaux : les deux premières sont la répétition de l’expé-
rience classique de Claude Bernard :
Expérience GVII. — 16 janvier. Cloche de 1 litre.
L’oiseau est amené successivement trois fois à 40e de diminution de
pression, le vide étant à chaque fois rempli avec de l’oxygène. Le mélange
EXPERIENCES.
590
contient alors 91 pour 100 d’oxygène. Je laisse l’oiseau à la pression nor-
male, et ferme les robinets à 5h.
Mort à 6h 1 5m ; a vécu 5h 1 5m.
Air mortel : CO2, 24,8 ; O 64,5.
CO2 + 0= 89,5. Le rapport de l’acide carbonique formé à l’oxygène
CO2 24,8
consommé a été de — - = — 0,95.
O 20,5
Expérience CV1II. — 16 janvier. Cloche de l1.
Amené trois fois de suite à 40e de dépression; pression définitive, 56e.
Fermé robinets à 2h 50“' ; mort à 6h15m. Pression 54e. Mélange primi-
tif: O 82.
Air mortel : CO2 65,5; O 17,5.
CO*
CO2 -h O = 80,8; = 0,98. CO2 X P 28,5.
Expérience CIX. — 29 janvier. Cloche de 675ee ; moineau friquet.
Pression diminuée de 50e, l’oiseau devient malade; laissé rentrer l’oxy-
gène ; la seconde diminution est poussée à 60e, malade; laissé rentrer oxy-
gène. Fermé robinets à 5h55m.
Laissé à pression normale. A 5h, haletant ; à 6h, meurt sans convulsions ;
un peu de suffusion sanguine au crâne.
Air mortel : CO2 24,8 ; 0 65,5.
Expérience CX. — 50 janvier. Cloche de l1 5.
Amené à 44e, 58e, 56e, puis 48e de diminution. Fermé robinets à 5h50m ;
mort à 6h .
La pression intérieure est de 25e.
Mélange primitif: O 89,2.
Air mortel: CO2 72, 1 ; O 15,5.
CO2
CO2 4- 0 =87,4; -^- = 0,97.
Tension de C02 = 25,7.
90
Tension d’O = 15,5 x 3-^ = 5,0.
Expérience CXI. — 51 janvier. Cloche de 675ec.
Amené à 40e, 50e, 50e de dépression et rempli avec oxygène. La dernière
fois, la pression est de 55e. Fermé robinets à 51' 20'“. Meurt à 51' 15m ; pas de
suffusions sanguines au crâne.
Mélange avant : O 79,6.
Air mortel : CO2 55,5 ; O 42,5*
CO* + 0 = 77.6; —"=0,9-4. CO* xP = 25,5.
U
Expérience CX1I. — 31 janvier. Cloche de 1 1 5.
Amené à 40e, 50e, 50e ; la dernière fois, à 45e de pression.
A la mort, la pression n’est plus que de 56e.
591
MORT EN VASES CLOS : PRESSION AUGMENTÉE,
Mélange primitif: O 89,8.
Air mortel : CO- 57,6 : O 50,1.
PO2
CO2 -4-0 — 87,7; ^- = 0,96. C02xP=27,2.
O
Expérience CXII1. 2 février. Cloche de 0,550.
Amené à 50e, 50e, puis 50e, et rempli avec oxygène ; la dernière fois
amené à 58e de pression.
Fermé robinets à 5h45,n ; meurt à 6h45m ; la pression n est plus que
de 51e.
Mélange avant: O 91,5.
Air mortel: CO2 56,0 ; O 54,9.
CO2
CO2 + 0= 99,6 ; = 0,98. CO2 xP == 24,2.
Expérience CXIV. — 5 février. Cloche de 0,5.
Amené à 50e, 50e, 50e ; à la quatrième fois laissé à 45e de pression. ,
Mis à 4h. Mort à 8h 15m, la pression est de 58e.
Air mortel : CO2 49,5; O 56,6.
CO2 x P = 24,6.
Expérience CXV. — 6 février. Cloche de 675ec.
Amené successivement à 50e, à 50e et à 50e de dépression, et rempli à
chaque fois avec oxygène. Fermé robinets à 2U 55m ; la pression est de 57e.
Mort à 5h 45,u. Suffusion crâniennes par places. Pression réelle 55e.
Mélange avant l’expérience : O 87,8.
Air mortel : CO2 56,5 ; U 50,1.
CO2
CO2 H- O = 86,4; =0,97^ CO'2 X P — 26,2.
Expérience CXV1. — 19 février. Cloche de 675ee.
Amené une fois à 50e de diminution, et deux autres fois encore à 50e ; à
chaque fois, laissé rentrer oxygène. Amené la pression réelle à 64e. Fermé
les robinets à ! h 50ul.
Mort à 5h 55m ; petites marbrures sanguines au crâne. Sang de la ju-
gulaire rouge.
Air mortel : CO2 27,7 ; O 54,7.
La tension de CO2 est C02xP = 27,7 Xw^ =l 25* 5.
7b
Expérience CXVII. — 19 février. Cloche de l1, 55.
Amené à 50e, 50e, 50e ; la dernière fois laissé à 46e de pression.
Fermé robinets à2h ; à 4h 15m, très-malade. A la mort, la pression est
de 45e. Suffusions crâniennes faibles.
Air mortel : CO2 42,4 ; O 29,8.
C02x P = 24,5.
Expérience CXYIIl. — 19 février. Cloche de 21,2.
592
EXPÉRIENCES.
Amené à 50e, 50e, 50e. de dépression, puis à 54e de pression réelle.
Fermé à 2h i5m; meurt à 6h45m; suffusion crânienne énorme.
Pression réelle, 29e.
Air mortel: CO2 CG; O 13,1.
C02x P = 25,2.
La pression de l’oxygène restant n’est que de 15,1 X
29
76
5.
Expérience CX1X. — 22 février. Cloche de 2*,5.
Amené à 50e, 50e, 50e, puis à 58e de dépression. Fermé à lh 5m. Mortà7h.
Suffusion légère au crâne ; sang veineux rouge.
Pression réelle, 54e.
Air mortel : CO2 60 ; O 27,4.
CO2 xP = 26,8.
Tous ces résultats sont résumés et groupés, suivant l’ordre
décroissant des pressions barométriques, dans le tableau sui-
vant ; j’v ai joint les expériences rapportées à la page 5(35.
TABLEAU \I.
1
NUMÉROS
DES
EXPÉRIENCES
2
P
K S
2 S
c n H
c n »u
g O
RICHESSE
EN OXYGÈNE
DU MÉLANGÉ
PRIMITIF
TENSION
DE L’OXYGÈNE *=»
PRIMITIF
5 6
COMPOSITION
DE L’AIR MORTEL
7
CO2
8
TENSION
DE CO2
CO2 x P
9
TENSION
n’o
O X P
'
CO2
O
O
CVII
76e
91
91
24.8
64,5
0,95
24,8
64,5
C1X
76
»
»
24,8
65,5
»
24,8
65,5
CXVI
64
»
»
27,7
54,7
»
25,5
46,0
cxv
55
87,8
65,5
56,5
50,1
0,97
26,2
56,2
CXI
55
79,6
57,6
*)£) . ô
42,5
0,94
25,5
50 , ô
CXIII
51
91,5
61,4
55,7
54,9
0,98
24,2
56,8
CXVIl
45
»
»
42,4
29,8
»
24,5
16,8
CXIV
58
»
»
49,5
56,6
»
24,6
18,5
CXII
56
89,8
45,9
57,6
50,1
0,96
27,2
14,2
CVIIL
54
82
56,7
60 . (y
17,5
0,98
28,5
7,8
CXIX
54
»
»
60
27,4
»
26,8
12,2
CXVI1I
29
»
»
66
15,1
»
25,2
5,0
ex
25
89,2
29,5
72,1
15,5
0,97
25,7
5,0
XLVJ1
18
85,9
20,5
68,1
15,4
a, 96
15,2
5,6
XLYIII
14
»
»
48
25,8
»
8,8
4,5
XLIX
12,5
88,4
14,5
66
22,2
0.99
10,8
5,6
L
8
82,5
8,6
57,2
41,8
0,92
5,9
4,4
LI
6,6
87
7,5
17,5
66,7
0,85
1,5
5,8
bans ce tableau un coup d’œil jeté sur les colonnes 5 et 8
suffit pour prouver que nos prévisions se sont réalisées et
MORT EN VASES CLOS : PRESSION AUGMENTÉE. 593
que, à ces pressions inférieures à une atmosphère, l’empoi-
sonnement par l’acide carbonique arrive quand la tension de
ce gaz peut être exprimée par des nombres oscillant de 24
à 27. C’est le résultat obtenu plus haut pour les pressions
supérieures à une atmosphère et demie.
Ceci se tire, comme le montre la colonne 5, des proportions
d’acide carbonique qui peuvent s’élever jusqu’à 72 pour 100.
Aux pressions très-basses, au-dessous de 20 centimètres, par
exemple, la loi ci-dessous n’est plus vérifiée ; mais cela se
comprend aisément. Prenons comme exemple la pression de
14 centimètres, réalisée dans l’expér. XLVI11. Pour arriver au
chiffre moyen de 26, il faudrait que la proportion centésb
male de l’acide carbonique dans l’air mortel s’élevât à
76
26Xt4 = 141, ce qui est évidemment impossible. En d’au-
tres termes, avant de pouvoir atteindre la tension mortelle de
l’acide carbonique, l’oiseau arrive à épuiser l’oxygène du mi-
lieu, de manière à retomber sur le genre de mort habituel
dans les pressions diminuées, lorqu’on emploie l’air ordinaire.
C’est pourquoi, du reste, nous avons transporté au sous-
chapitre Ier les expériences faites dans ces conditions.
L’analogie entre ces deux ordres d’expériences, d’apparence
si différente, se fait encore remarquer dans un détail expé-
rimental assez intéressant, et qui, au premier aperçu, m’a-
vait semblé assez paradoxal. Lorsqu’un oiseau sous pression
commençant à devenir malade je lui ajoutais de l’air pur,
je ne le soulageais nullement; au contraire, une amélioration
évidente se manifestait lorsque je laissais échapper une par-
tie de son air. Ceci s’explique aisément; supposons que l’a-
nimal soit à 5 atmosphères et qu’il ait déjà formé 6 centiè-
mes de CO2 ; la pression de ce gaz, 6x5 = 18, est suffisante
pour rendre malade l’oiseau. Si j’injecte 5 atmosphères d’air
pur, la tension de CO2 devient 5x6 = 18, c’est-à-dire qu’elle
ne change pas, puisque si la pression augmente de moitié,
la proportion centésimale diminue de moitié; l’animal n’est
donc nullement soulagé. Si, au contraire, je lâche une demi-
atmosphère, la tension devient 6x1, 5=9, d’où résulte un
38
594
EXPÉRIENCES.
mieux-être immédiat. Cet apparent paradoxe confirme donc
encore, par voie indirecte, ce que j’ai déjà démontré.
Or, il en est de même pour les expériences à basses pres-
sions, en présence d’une atmosphère suroxygénée. Ici, l’ani-
mal devenu malade par l’acide carbonique qu’il a formé n’est
point soulagé, si on laisse rentrer de Fair ou de l’oxygène;
il l’est, au contraire, lorsqu’on diminue la pression baromé-
trique. Prenons le cas d’un oiseau à 58e, c’est-à-dire à demi-
atmosphère. Supposons qu’il ait déjà formé 50 pour 100 de
1
CO2; la tension de celui-ci est de 50 x^ — 15 et l’oiseau
commence à en souffrir. Laissons rentrer de l’air jusqu’à ce
que la pression soit 57e, c’est-à-dire trois quarts d’atmosphère.
La proportion centésimale ne sera plus que 50Xg = 20,
T7
mais la tension sera 20x^=15, et l’oiseau sera dans le
même cas qu’auparavant. Si, au contraire, on extrait de l’air
et qu’on abaisse, par exemple, la pression à 19, soit un quart
d’atmosphère, la proportion centésimale de l’action carbo-
nique n’aura pas changé, et sa tension ne sera plus que de
1
50 x^— 7,5, tension à peu près inoffensive pour l’oiseau
qui sera immédiatement soulagé.
C. — Air comprimé à très -haute pression : action funeste
de foxygène .
L’étude des altérations de l’air comprimé devenu mortel
par le confinement devait me fournir un résultat bien
autrement intéressant encore.
Déjà, lorsqu’on examine avec attention la colonne 8 du ta^
bleau Y (p. 585), on voit que, à partir de 6 atmosphères* le
chiffre de la tension de l’acide carbonique est un peu infé-
rieur à ce que l’on trouve de 2 à 5 atmosphères et semble
aller en diminuant à mesure que la pression augmente. Cette
légère différence ne m’avait pas tout d’abord frappé; mais
MORT EN VASES CLOS : PRESSION AUGMENTÉE.
595
lorsque je fis, dans le réservoir cylindrique en verre capable
de supporter une pression de 25 atmosphères, des expériences
à des pressions supérieures à celles du tableau III, j’obtins
des chiffres qui me démontrèrent l’intervention d’un nouvel
élément dans la question.
Voici le récit de ces expériences :
*
Expérience CXX. — 16 avril.
Linot; porté à 20 atmosphères, de 4h 55m à 5h10m.
Des convulsions légères apparaissent à 5h 15m ; les pattes, la tête, le
corps, s’agitent par crises. Meurt â 5U 55m. A vécu 25 minutes.
Air mortel : CO" 0,4.
CO2 xP — 8.
Expérience CXXI. — 25 avril.
Moineau ; à 9h 45m porté à 6 atmosphères. Meurt à llh 10m ; a vécu en-
viron lh 20m.
Air mortel : CO2 5,5 ; O 16.
C02xP=21,0.
Expérience CXXII. — 25 avril.
Moineau ; porté à 5h 10m à 5 atmosphères. A 4h 5m, très-malade ; à 4h 50m,
mourant. Mort à 5 heures ; a vécu lh 50m environ. Piqueté crânien ; sang
noir dans la jugulaire: pas de gaz.
Air mortel : CO2 7,8; 010,7.
C02xP~25,4.
Expérience CXXIII. — 24 avril.
Moineau friquet; porté à lh 40m à 5 5/4 atmosphères. A 5 heures vit en-
core ; trouvé mort à 5h 50m ; a vécu environ lh 50m. Suffusions crâniennes
considérables.
Air mortel : CO2 5,8; 015,5.
C02xP = 21,8.
Expérience CXXIV. — 26 avril.
Moineau franc; à la pression normale a 144 respirations. Porté à 5
atmosphères à 1 heure; 152 respirations. A lh 5m, à 6 atmosphères:
150 respirations ; à lh 6m, à 9 atmosphères : 120 respirations. Fermé les
robinets : à lh llm, 106 respirations ; à lh 20m, 80 ; à lh 50, 50, très-ma-
lade : trouvé mort à 2h 25ra. A vécu environ lh 10m.
Sang rouge dans la jugulaire ; suffusions sanguines au crâne.
Air mortel : CO2 2; O 17,5.
C02xP—18.
Expérience CXXV. — 26 avril.
Moineau franc; à 4h 25m, pression normale, 155 respirations. Commencé
la compression. A 4h 27m, 6 atmosphères, 96 respirations. A 4h 29m,
9 atmosphères, 90 respirations; à 4h 51m* 12 atmosphères, 90 respira^
596
EXPÉRIENCES.
tions. A 4h 53m, très-malade. Chaque inspiration, qui est très-forte, est
accompagnée d’un frémissement des ailes. A 5h 10m, encore quelques res-
pirations; à 5h 15m, meurt.
A vécu 45 minutes. Suffusions crâniennes en piqueté : sang rouge dans
la jugulaire.
Air mortel : CO2 1,2; 0 18,4.
C02xP — 14,4.
Expérience CXXVI. — 7 mai.
Moineau poussé à 15 atmosphères ; fermé l’appareil à 2h 15ra. A 3h 20m,
trouvé mort.
Air mortel : CO2 0,8; O 19,5.
C02x P = 11,2.
Expérience CXXV11. — 17 mai.
Moineau à 4 atmosphères ; fermé robinets à 4h 45m.
S’affaisse à 5h 34m ; meurt à 6h 20. A vécu lh 35m. Écume rouge au bec ;
suffusions crâniennes par plaques noirâtres; sang veineux de couleur
normale : pas de gaz.
Air mortel : CO2 5,6 ; O 13,2.
CO- X P— 22,4.
Expérience CXXVIII. — 18 mai.
Moineau à 8 atmosphères : 3h 17m.
Mort à 4h 55,n ;a vécu lh38ni. Écume rouge au bec; suffusions sanguines
par plaques rougeâtres; sang veineux rouge et contenant quelques bulles
de gaz.
Air mortel : CO2 2,4; O 16,8.
C02xP=19,2
Expérience CXX1X. — 21 mai.
Moineau à 14 atmosphères ; fermé le robinet à 4h 55m. Trouvé mort
à 6 heures : a vécu moins d’une heure.
Sang veineux très-rouge, avec du gaz. Suffusions crâniennes très-con-
sidérables.
Air mortel : CO2 0,9 ; O 18,5.
C02xP — 12,6.
Expérience CXXX. — 22 mai.
Moineau; à 12 atmosphères, à 2h 45m. Trouvé mort à 3h 40m ; a vécu
moins de 55 minutes.
Sang rouge dans la jugulaire, avec du gaz. Suffusions crâniennes.
Air mortel : CO2 1,3; O 19,1.
C02xP = 15,6.
Expérience CXXXI. — 18 juin.
Moineau ; porté à 14 atmosphères à 3h53m. Mort à 4h 12m. A vécu 39 mi-
nutes. Il y a eu de l’agitation, mais pas de convulsions.
MORT EN VASES CLOS : PRESSION AUGMENTÉE.
597
Sang veineux très-rouge, avec du gaz. Suffusions crâniennes très-éten-
dues, d’un rouge vif.
•Air mortel : GO2 0,93.
C02XP=15,2.
Expérience CXXXII. — 19 juin.
Moineau; porté à 3h 4m à 2 atmosphères. Mort à 6h 53m sans convul-
sions, sans écume au bec ; a vécu 3h 49ra. Le diploë crânien contient des
suffusions sanguines par plaques noirâtres peu étendues. La couleur du
sang veineux est normale : pas de gaz.
Air mortel : CO2 12,6; O 3,2.
C02xP = 25,2.
Expérience CXXXIII. — 19 juin.
Moineau; porté à 17 atmosphères de 2h 4m à 2h 15m. Meurt à 2h 54m. A
vécu 39 minutes : respiration très-lente, pas de convulsions, écume rouge
au bec.
Suffusions sanguines très-étendues ; sang veineux très-rouge, conte-
nant beaucoup de gaz.
Air mortel : GO2 0,6; O 18,6.
C08xP = 10,2.
Avant de passer à l’étude des résultats de ces expé-
riences, résultats qui sont groupés dans le tableau VII, sui-
vant l’ordre croissant des pressions, je crois devoir faire
TABLEAU VII.
1 1
NUMÉROS
DES
2 !
*3
O
c/5
(/)
W
3
H
>
<
J
U
Q
4
DURÉE
DE LA VIE
POUR
UN LITRE
5
TENSION
PRIMITIVE
DE
l’oxygène
6 7
COMPOSITION
DE L’AIR MORTEL
8
CO2 x P
9
OxP
10
CO* t
O
EXPÉRIENCES
ce
a*
W
%W
ce
Ï3
Q
D AIR
A 76e
CO*
O
%
CXXXII. . .
atm
2
h m
3 49
h m
3 4
41,8
12,6
3,2
25,2
6,4
0,72
CXXIf. . . .
3
1 50
1
62,7
7,8
10,7
23,4
32,1
0,75
CXXVII . . .
4
1 35
39
83,6
5,6
13,2
22,4
52,8
0,72
CXXIII. . . .
5 3/4
1 30
27
120,1
3,8
15,5
21,8
89,1
0,70
CXXI ....
6
1 20
22
125,4
3,5
16
21,0
96
0,71
CXXVIII . .
8
1 38
20
167,2
2,4
16,8
19,2
134,4
0,60
CXXIV. . . .
9
1 10
14
188,1
2
17,5
18,0
157,5
0,59
CXXV. . . .
12
45
G
250,8
1,2
18,5
14,4
222,8
0,50
cxxx. . . .
12
»
»
250,8
1,5
18,7
15,6
224,4
0,59
CXXIX . .
14
»
»
292,6
0,9
18,5
12,6
263,2
0,43
CXXXI. . . .
14
39
4
292,6
0,9
»
13,2
»
»
CX XVI. . . .
15
»
»
313,5
0,8
19,4
11,2
291
0,53
CXXXIII. . .
17
39
3
355,3
0,6
18,8
10,2
319,6
0,30
exx
20
25
2
418,0
0,4
»
8
»
»
598
EXPERIENCES.
observer que les analyses de gaz qui précèdent ont été faites
avec un soin minutieux, soin dont la nécessité toute spéciale
est ici facile à démontrer. On voit, en effet, que la moindre
erreur dans l'évaluation de la proportion de l’acide carbo-
nique donnerait sur le produit C02xP une erreur énorme
pour les pressions élevées. La concordance des résultats
énoncés et sur lesquels je vais insister maintenant n’en est
que plus remarquable.
Un coup d’œil jeté sur la colonne 8 du tableau, colonne
qui contient les nombres exprimant la tension de l’acide
carbonique dans l’air devenu irrespirable, confirme complè-
tement les soupçons que nous avait fait concevoir l’examen
du tableau delà page 585 pour ce qui a rapport aux hautes
pressions.
En effet, le nombre C02x P, n’est à vrai dire, et en y
regardant de très-près, jamais constant. On le voit diminuer
dès 5 atmosphères, et cette diminution est extrêmement ra-
pide à partir de 8 atmosphères.
La quantité de plus en plus faible de l’acide carbonique,
eu égard à la loi ci-dessus énoncée, se montre d’une manière
très-nette sur les graphiques de la figure 21, où la quantité
d’acide carbonique se mesure sur l’axe vertical, tandis que les
atmosphères sont comptées sur celui des x. La ligne pleine B
exprime les chiffres de la colonne 6, et, d’autre part, la ligne
pointillée A rejoint des points qui sont calculés en partant
de l’équation C02xP = 26, chiffre moyen tiré du tableau VI,
26
d’où CO2 = -p- . Cette ligne est, de même que celle des pro-
portions mortelles de l’oxygène dans les basses pressions,
une branche d’hvperbole équilatère, ayant pour asymptotes
les coordonnées.
Cet abaissement constant du tracé au-dessous de la courbe
qu’indiquait la théorie, devait me donnera penser à l’inter-
vention d’un agent autre que l’acide carbonique. Déjà des
expériences de tâtonnement m’avaient montré que l’oxygène,
sous une certaine pression, est une cause d’accidents et de
mort. Son rôle funeste me paraissait manifeste ici.
MORT EN YASES CLOS : PRESSION AUGMENTÉE. 599
Avant de chercher à mettre en évidence ce fait dominateur,
je veux encore appeler l'attention sur un point secondaire,
qui n’est cependant pas sans intérêt.
Les colonnes 5 des tableaux de la page 585 et de la page 597
montrent que, sauf quelques exceptions difficiles à expliquer,
la durée de la vie, de 1 à 9 atmosphères, n’a nullement aug-
menté avec la pression, ou en d’autres termes, avec la quan-
tité d’air que les oiseaux avaient à leur disposition. Et cela
Fig. 21. — Air confiné devenu mortel sous pression; richesse en acide carbonique; A, pro-
portions calculées; B, proportions trouvées expérimentalement; C, air suroxygéné.
se comprend aisément, puisqu’ils ne mourraient point pour
avoir épuisé cet air, mais simplement lorsqu’ils avaient
formé une certaine quantité d’acide carbonique, toujours le
même ou à peu près. L’intervention fâcheuse de l’oxygène
que je viens de signaler, a même pour effet de diminuer la
600
EXPÉRIENCES.
durée de la vie, comme on le voit nettement à partir de 10
atmosphères; la mort devient très-rapide aux pressions
fort élevées.
Cela est bien autrement manifeste lorsque l’on compare la
durée de la vie non plus au volume, mais à la quantité réelle
d’air contenue dans le récipient, ou, ce qui revient au même,
à un litre d’air rapporté à la pression normale; elle s’exprime
alors par des chiffres qui vont en décroissant avec une ra-
pidité vraiment extraordinaire. C’est ce que montrent les co-
lonnes 4 des tableaux V et VII; on voit que, déjà à 4 atmo-
sphères, la durée de la vie est réduite de moitié environ, et,
qu’à 20 atmosphères, elle n’est plus que de 2 minutes par
litre, au lieu de 70 minutes, comme nous l’avions trouvé à la
pression normale (Voir tableau I, p. 548, col. 7). On ne peut
accuser de cette différence énorme l’acide carbonique, dont
la tension diminue également; un autre agent intervient évi-
demment ici, et cet agent redoutable n’est autre que l’oxygène.
D. — Compression avec de l'air pauvre en oxygène .
Examinons maintenant cette hypothèse d’une action funeste
de l’oxygène comprimé ayant pour effet de faire mourir l’oi-
seau avant qu’il ait formé la proportion centésimale d’acide
carbonique exigé par la formule CO2 X P = 26 établie à la
page 587. Reportons-nous au tableau de la page 597. Si l’ex-
plication que je viens de donner de la faiblesse des nombres
de la colonne 8 (C02xP), mesurant la tension de l’acide car-
bonique est exact, c’est-à-dire si cette faiblesse est due à la
valeur élevée des nombres de la colonne 5 (O X P), mesurant
la tension de l’oxvgène, les premiers devront augmenter si je
fais diminuer les seconds, en diminuant le facteur O, sans
rien changer au facteur P.
Il suffisait donc de répéter les expériences en injectant
dans l’appareil à compression non plus de l’air ordinaire,
mais de Pair pauvre en oxygène. C’est ce qui a été fait dans
les expériences suivantes :
MORT EN VASES CLOS : PRESSION AUGMENTÉE. 601
Expérience CXXXIY. — 20 avril.
Verdier. ( Loxia chloris , Lin.) Mis dans l’appareil pendant 5 minutes, puis
poussé à 6 atmosphères d’air; robinet fermé à 2h 50m. A 3h, on commence
à injecter de l’air très-épuisé d’oxygène, et à 3h 1 lm, on arrive à 22 atmo-
sphères.
L’instant de la mort ne peut être déterminé nettement, mais l’oiseau
n’a eu de mouvements convulsifs à aucun moment.
Suffusions crâniennes considérables.
Air mortel : CO2 1,1 ; 0 9.
Tension initiale de l’oxygène : 226.
Tension finale de GO2 24,2.
Expérience CXXXV. — 27 juin.
On place un moineau dans l’appareil, et on injecte avec la pompe de
l’air où du phosphore a brûlé et qui est devenu très-pauvre en oxygène;
on arrive ainsi à 5 atmosphères.
Le robinet étant fermé à 3h 55m, l’oiseau meurt à 5h 50m. Il a ainsi vécu
lh55m; suffusions sanguines peu étendues; quelques bulles de gaz dans
le cœur droit.
Composition de l’air mortel CO2 4,5 ; O 5.
Tension initiale de l’oxygène 50.
Tension finale de l’air carbonique 22,5.
Expérience CXXXVI. — 29 juin.
Moineau à 12 atmosphères, dont 1 d’air et 11 d’air où du phosphore a
brûlé.
Mis à 2h 45m ; mort à 3h 15m; a vécu 30 minutes : suffusions crânien-
nes ; gaz dans le cœur droit.
Air mortel CO2, 2, 1 ; O 4, 8.
Tension initiale de l’oxygène : 84.
Tension finale de CO2 : 25,2.
Ces résultats justifient tout à fait notre explication, et mon-
trent bien que c’est à l’intervention de l’oxygène jouant un
rôle funeste que doit être attribuée la décroissance du pro-
duit CO2 xP, quand la pression augmente.
On voit du reste que les points a et (3, qui représentent,
sur la figure 21, les nombres fournis par les expériences
CXXXIY et CXXXVI, se plaçent, comme on le voit, très-exac-
tement sur la ligne A, tracée d’après la théorie.
E. — Compression avec de l'air suroxygéné.
Cette influence funeste de l’oxygène, sous une pression suf-
fisamment élevée, constituait un phénomène trop remar-
002
EXPÉRIENCES.
quable pour que je ne m’efforçasse point d’épuiser tous les
moyens de la mettre dans une évidence indiscutable.
Or, une nouvelle méthode se présentait à moi, inverse de
celle qui vient d’être employée. Je n’avais qu’à faire la
compression avec de l’air suroxygéné, toujours en vases clos.
L’influence de l’oxygène, si elle est aussi fâcheuse que je le
supposais, devrait avoir pour conséquence d’amener la mort
des animaux à un moment où ils seraient loin d’avoir fourni
la même proportion centésimale d’acide carbonique qu’aux
pressions correspondantes, dans le cas de l’air ordinaire.
C’est, en effet, ce qui est arrivé dans les expériences sui-
vantes :
Expérience CXXXVII. — 16 janvier.
Moineau à 5 atm. dont 4 d’oxygène.
Mis à 5h 25,u ; à 3h 40m, se renverse avec convulsions violentes ; à 5h48m,
sur le dos : le crâne, dénudé préalablement, montre d’abondantes suffu-
sions sanguines. A 4h 35m, respire encore lentement ; les convulsions ont
duré 15 minutes environ.
A 4h 50m est mort. La température rectale est 1 8°, celle de l’air du labo-
ratoire étant de 9°. Sang veineux rouge; pas de gaz ; le cœur bat à l’air.
Le mélange primitif contenait O : 83.
La tension de cet oxygène = 83 X 5 — 415, correspondant à celle de
415
50,9
= 19,7 atmosphères.
Air mortel : CO2 1,4; O 80,5.
Tension de CO2 = 1 ,4 X 5 = 7,0.
Expérience CXXXVIII. — 17 janvier.
A 3h 30,n porté à 3 atmosphères, dont 2 d’oxygène.
A 5h 50m respire très-difficilement ; agitation. A 4h 45n\ mort.
Air mortel : CO2 5, 6 ; O 78,9.
Tension de GO2 =5,6x3 — 16,8.
La tension de l’oxygène primitif devait être d’environ 86x3 — 258,
correspondant à 12,1 atmosphères.
Expérience GXXXIX. — 19 janvier.
Le moineau étant dans l’appareil, on retire un peu d'air avec la machine
pneumatique, et on le remplace par de l’oxygène qu’on pousse jusqu’à
2 atmosphères. En prenant de l’air pour l’analyse, la pression tombe à
1 3/4 atmosphères.
Fermé robinets à 2h 40m ; mourant à 4h 45m ; trouvé mort à 5h 30in.
Mélange primitif contient 83, 6 p. 100 d’oxygène.
603
MORT EN VASES CLOS : PRESSION AUGMENTÉE.
Tension de cet oxygène = 85, 6x1,75 = 146, 5, ce qui correspond à
7,5 atmosphères.
Air mortel : GO2 11,9 ; O 67,8.
Tension de GO2 = 1 1 ,9 X 1 ,75 = 20,8.
Expérience CXL. — 22 janvier.
Mis à 2 atm. dont 1 d’oxygène.
Mis à 5h 5m ; à 5h 50ra respire encore ; trouvé mort à 6h 50m.
Le mélange primitif contient O 58,8.
La tension de l’O était 117,6, correspondant à 5,6 atmosphères.
Air mortel : CO2 15,4 ; O 44, 4.
Tension de C02 = 15, 4x2 = 26,8.
Expérience CXLI. — 1er février.
Mis à 4 atm. dont 5 d’oxygène. Après environ une demi-heure, con-
vulsions assez faibles ; meurt en 1 heure environ.
Suffusions crâniennes et sang veineux très-rouge : pas de gaz dans le
sang.
Mélange primitif O 75,6.
Tension de cet 0= 75,6 x4 = 502,4 correspondant à 14,4 atmo-
sphères.
Air mortel : CO2 2,1 ; O 71,1 .
Tension de GO2 = 2,1 x4 = 8,4.
Expérience CXLÏI. — 17 février.
Mis à 5 atmosphères d’air, auxquelles on ajoute 5 1/2 atmosphères
d?oxygène. Après 5 minutes surviennent les convulsions; l’oiseau meurt en
20 minutes.
Sang rouge partout, même dans le foie; pas de gaz (on n’examine pas
le crâne).
Air mortel : CO2; 0, 8; O 47,8.
Tension de CO2 = 0, 8x8, 5 = 6, 8.
La tension de l’O dans le mélange primitif a du être environ de
51x8,5 = 455,5 correspondant à 20,7 atmosphères.
Expérience CXLÏII. — 19 février. Appareil à eau de Seltz.
Mis dans l’air et chargé d’un 1/4 d’atmosphère d’oxygène; fermé à
4h 25m; mort vers 6h.
Pas de suffusions sanguines au crâne; sang veineux noir.
Air mortel : GO2 22,1 ; O 5,5,
Tension de GO2 — 22,1 X 1,25 = 27,6,
Tension d’0 = 5,5 x 1,25 =4,5.
La tension primitive de l’oxygène devait être environ 26 X 1 , 25 = 52,5,
ce qui correspond à \ ,5 atmosphère.
Expérience GXLIY. — 20 février.
1 atmosphère d’air, plus une demie d’oxygène.
Quand on retire l’oiseau, le croyant mort, il présente encore quelques
604 EXPÉRIENCES.
petits mouvements respiratoires. Sang rouge dans la jugulaire. Pointillé
rouge dans le diploë crânien.
Air mortel CO2 16,7 ; O 28,6.
Tension de C02= 16,7x 1,5 =25,1 .
La tension primitive de l’oxygène devait être environ 46x1,5=69,
correspondant à 5,5 atm.
Expérience GXLV. — 20 février.
A 5 1/2 atmosphères, dont 4 d’oxygène.
Après 501, tremblote, la tête oscille. Après 10m, grandes convulsions,
les pattes sont repliées sous le ventre ; les convulsions durent 5 à 1 0,n, puis
les pattes s’étendent à plusieurs reprises. L’oiseau reste affaissé; après
20in, est mort.
Suffusion énorme du crâne. Température rectale 26°, 5.
Air mortel : CO2 1 ; O 82,5
Tension de C02 = 5,5.
La tension de 10, dans le mélange primitif devait êlre à peu près
85x5,5 = 467,5, correspondant à 22,5 atmosphères.
Expérience CXLYI. — 22 février.
Mis à 2 1|2 atm. dont 1/2 d’oxygène.
Fermé à 12h 55m; mort à 5h 55m. Suffusions sanguines dans l’épaisseur
du diploë crânien; sang rouge dans la veine jugulaire, devient rapidement
noir.
Air mortel CO2 11,1; O 55,5.
Tension de C02= 11,1x2,5=27,7.
La tension primitive de l’oxygène devait être d’environ 46x2,5 =
1 15,5, ce qui correspond à 5,5 atmosphères.
Les résultats de ces expériences sont groupés dans le ta-
bleau VIII, suivant l’ordre croissant des tensions de l’oxigène.
Si nous envisageons la colonne 9, nous voyons que l’acide
carbonique obéit à la loi posée, jusqu’à une pression corres-
pondant à 5 ou 6 atmosphères d’air; mais, à partir de là, le
produit C02xP va en diminuant rapidement. En comparant
d’une part les colonnes 7 et 9 avec les colonnes 6 et 8 du ta-
bleau VII (page 597), on rencontre des nombres tout à fait
analogues, qui indiquent une semblable intervention de l’ac-
tion funeste de l’oxygène. Elle devient très-évidente, quand
la tension de ce gaz peut être représentée par 150, c’est-à-
dire correspondre à une atmosphère et demie d’oxygène pur,
ou à 7 atmosphères d’air.
Dans la figure 21 (p. 599) la ligne inférieure G exprime les
/ ^
MORT EN VASES CLOS : PRESSION AUGMENTÉE 605
TABLEAU VIII.
1
NUMÉROS
DES
2
a
E3
©
S
H
*a
S
o
es
<
P
25
O
3
a
a
(fi
5 &
Q H
a 2
85 q-
©
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iS CORRESPONDANTES ^
MOSPHÈRES D’AIR
ÉE DE LA VIE
6 ;
25
P
g o
§ je
eu 1
a <
> £
a p
a a
7 8
COMPOSITION
DE
l’air MORTEL
9 ;
CO2 x P
10
PHÉNOMÈNES GÉNÉRAUX
PRÉSENTÉS
EXPÉRIENCES
(fi
(fi
H
«
eu
85 'H
© 3
c/5
25
a
H
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P
©
ÛZ
a
Q
© =e
H
a 3
*a
5
©
CO2
0
PAR LES ANIMAUX
CXLIII . .
atm.
1,25
52,5
atm.
1 ,5
h.m.
1 30
h. m.
1 36
22,1
5,5
27,6
Pas de suffusions crâ-
CXLIV. . .
1,5
69,0
3,5
»
»
16,7
28,6
25,1
niennes.
Pointillé rouge au crâne.
CXLVI. . .
2,5
115,5
5,5
3
55
11,1
53,3
27,7
Suffusions crâniennes.
CXL . . .
2,0
117,6
5,6
3
52
13,4
44,4
26,8
»
CXXX1X..
1,75
146,3
7,5
2 20
31
11,9
67,8
20,8
»
CX XXVII l.
3,0
258,0
12,1
1 15
10
5,6
78,9
16,8
»
CXLI. . .
4,0
501,6
14,4
1
7
2,1
71,1
8.4
Convulsions, suffusions.
CXXXVII .
5,0
415,0
19,7
1 20
6
1,4
80,5
7,0
Id.
id.
CXLII.. .
8,5
433,5
20,7
20
<2
0,8
47,8
6,8
Id.
id. j
CXLV. . .
5,5
467,5
22,5
20
1
1,0
82,5
5,5
Id.
id.
nombres de la colonne 9; on voit que, pour les mêmes pres-
sions barométriques, elle reste fort au-dessous de la ligne B
qui représente les résultats des expériences dans lesquelles
on employait l’air ordinaire.
Enfin, la colonne 6 montre, comme l’avait fait la colonne 4
du tableau VH, que la durée de la vie, rapportée à un litre
d’air ordinaire sous la pression normale, va en diminuant
avec une rapidité étonnante, quand augmente la pression,
ou pour mieux dire, la tension de l’oxygène.
11 est donc surabondamment démontré que l’oxygène, sous
une certaine tension, est un agent redoutable qui, dans l’air
comprimé en vases clos, vient d’abord mêler son action à
celle de l’acide carbonique produit, et qui, pour les hautes
tensions, est la cause principale, bientôt unique de la mort:
cette tension, mesurée par l’expression OxP, pouvant être
atteinte, suivant la remarque déjà si souvent faite, en aug-
mentant soit la pression barométrique P, soit la richesse cen-
tésimale 0.
006
EXPÉRIENCES.
Mais il reste établi, en même temps, que la formule énon-
cée page 587, touchant la mort par l’acide carbonique en trop
forte tension, demeure l’expression de la vérité. Il faut seu-
lement, pour la vérifier expérimentalement, se mettre à l’abri
de l’excès d’oxygène.
F . — Compression avec de l'air ordinaire : élimination
de l'acide carbonique.
La présence de l’acide carbonique m’avait empêché, comme
on vient de le voir, de trouver la véritable loi qui détermine
l’épuisement de l’oxygène de l’air comprimé, pour les ani-
maux qu’on y laisse périr en vases clos.
Mais l’action funeste de l’oxygène comprimé, que les études
dont je viens de rendre compte m’avaient révélée, ne me per-
mettait plus de penser que la loi si simple, établie pour les
pressions inférieures à celle d’une atmosphère, pourrait con-
tinuer à s’appliquer aux pressions supérieures.
Il était cependant nécessaire de préciser les faits. Rien de
plus simple, en apparence; il suffisait de disposer les expé-
riences de manière à ce que l’acide carbonique fût éliminé
au fur et à mesure de sa formation, en telle sorte qu’il n’in-
tervînt pas dans le phénomène. Mais la capacité fort res-
treinte des récipients que j’avais à ma disposition rendait la
manœuvre assez difficile, parce que l’oiseau, en se remuant,
finit presque toujours par se mettre au contact de la potasse,
d’où résultent des brûlures, un trouble considérable et sou-
vent une mort prématurée.
Je n’ai pu obtenir une série de résultats satisfaisants qu’en
faisant usage de l’appareil dont le récipient est une bouteille
à mercure; il m’a été facile alors de multiplier les expé-
riences, grâce à la capacité et à la largeur d’ouverture de
mon récipient* De plus, sa grande solidité m’a permis de
pousser la compression beaucoup plus haut que dans les ap-
pareils de verre. Le seul inconvénient était l’opacité, qui
empêchait de suivre les phases de l’expérience et de déter-
miner le moment précis de la mort des animaux.
/
MORT EN VASES CLOS : PRESSION AUGMENTÉE. 607
Je remplissais une partie du cylindre avec de l’eau conte-
nant de la potasse en dissolution. Le moineau enfermé dans
une petite boule en grillage, était suspendu au-dessus du li-
quide. Dans ces conditions, on ne trouvait pas trace d’acide
carbonique dans l'air où il avait séjourné et péri.
Je rapporte ici une série d’expériences tout à fait carac-
téristiques :
Expérience GXLVII. — 18 septembre. Moineau à 3 atmosphères 1/4.
Laisse dans l’air où il meurt 1 pour 100 d’oxygène.
Tension de l’oxygène : Ox P = 1 X 5,25 = 3,25.
Expérience CXLVIII. — 22 septembre. Moineau à 6 atmosphères 1/4.
Laisse 0,8 p. 100 d’oxygène.
OXP — 5.
Expérience GXLIX. — 5 octobre. Moineau à 9 atmosphères.
Laisse 2,2 p. 100 d’oxygène,
OxP — 20,8.
Expérience GL. — 7 octobre. Moineau à 12 atmosphères.
Laisse 5,6 p. 100 d’oxygène.
OxP = 67,2.
Expérience CLI. — 6 janvier. Moineau à 15 atmosphères.
Laisse 14,5 p. 100 d’oxygène.
OxP = 217,5.
Expérience GLII. — 50 septembre. Moineau à 20 atmosphères.
Laisse 18,5 p. 100 d’oxygène.
OxP = 566,0.
Expérience CLIIL — lér octobre. Moineau à 24 atmosphères;
Laisse 20,3 p; 100 d’oxygène*
OxP=487,2;
608
EXPÉRIENCES.
TABLEAU IX.
1
NUMÉROS
DES EXPÉRIENCES
2
PRESSIONS
3
TENSION
INITIALE
DE L’OXYGÈNE
4
AIR MORTEL
OXYGÈNE
POUR 100
5
TENSION
DE
CET OXYGÈNE
C XL VII
atin.
5 1/4
07,9
1
5,2
CXLVIII
Cl/4
150,6
0,8
5,0
CXLXIX
9
188,1
2,2
20,8
CL
12
250,8
5,6
07,2
CEI
15
513,5
14,5
217,5
CLII
20
418,0
18,3
506,0
CLIII
24
501,0
20,5
487,2
«
Le tracé A du graphique ci-dessous exprime les résultats
de ces dernières expériences; la richesse en oxygène de l’air
où sont morts les animaux est marquée sur l’axe des y : les
Fig. 22. — Air confiné devenu mortel sous des pressions de 20 cent, à 21 atm.; richesse eu
oxygène : A, sans acide carbonique; B, avec l’acide carbonique.
pressions manométriques le sont sur celui des x. J’y ai joint
les résultats déjà acquis pour les pressions inférieures à une
atmosphère.
J
MORT EN VASES CLOS : PRESSION AUGMENTÉE. 609
On voit que l’épuisement de l’air arrive à son maximum
aux environs de 6 atmosphères. A des pressions plus fortes,
il diminue rapidement, si bien qu’à 24 atmosphères, l’ani-
mal périt dans un air presque pur.
L’action redoutable de l’oxygène se manifeste de la ma-
nière la plus évidente, surtout en arrivant vers 15 at-
mosphères.
Le tracé B exprime les résultats des colonnes 7 des ta-
bleaux V et YII (p. 585 et p. 597), c’est-à-dire la proportion
d’oxygène qui reste dans l’air comprimé quand on a laissé
l’acide carbonique agir sur l’animal en expérience. On voit
que les deux courbes ne coïncident que jusqu’à une atmo-
sphère et demie; au-dessus, l’acide intervient énergiquement
et détermine la mort dans un air'à peine appauvri.
§ 5. — Conclusions.
Les conclusions à tirer des faits énoncés dans le présent
sous-chapitre sont plus complexes que celles du sous-chapitre
précédent f l’intervention de l’acide carbonique et celle de
l’oxygène, pour les très-hautes pressions, viennent les com-
pliquer. Nous distinguerons donc :
1® Dans l’air confiné, aux pressions supérieures à celle
d’une atmosphère, si l’on a soin d’éliminer l’acide carbonique
au fur et à mesure de sa production, la mort survient dans
les mêmes conditions que pour les pressions inférieures à
une atmosphère, c’est-à-dire lorsque la tension de l’oxygène
s’abaisse à une valeur déterminée (5, 6 en moyenne pour les
moineaux).
Ceci n’est vrai que jusqu’aux environs de six atmosphères;
au delà, l’oxygène comprimé agit de manière à empêcher
l’épuisement correspondant à la formule.
2° Quand l’acide carbonique n’est pas absorbé, il devient
cause de mort au moment où sa tension s’élève à une cer-
taine valeur (de 25 à 28 pour les moineaux).
Ceci n’est absolument exact qu’à la condition d’employer,
pour les pressions un peu élevées, de l’air fort peu riche en
39
CIO
EXPÉRIENCES.
oxygène, afin que la tension de ce dernier gaz ne s’élève
pas au point de le rendre redoutable à la vie même des ani-
maux.
SOUS-CHAPITRE III
RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
En résumé, l’étude de la mort dans l’air confiné sous des
pressions diverses, si nous en dégageons les résultats princi-
paux des questions incidentes que nous avons chemin faisant
soulevées et résolues, nous amène aux formules suivantes.
Dans l’air ordinaire :
A. — Aux pressions inférieures à celles d’une atmosphère,
la mort des animaux survient lorsque la tension de l’oxygène
de l’air est réduite à une certaine valeur constante (qui pour
les moineaux équivaut en moyenne à Oxf— 3,6).
B. — Pour les pressions comprises entre 2 et 9 atmosphè-
res environ, la mort arrive lorsque la tension de l’acide car-
bonique s’élève à une certaine valeur constante (qui pour les
moineaux équivaut en moyenne àC02xP=26).
C. — Pour les pressions très-élevées, la mort est due exclu-
sivement à la tension trop considérable de l’oxygène ambiant.
Elle arrive rapidement quand la tension de ce gaz atteint
5 ou 400.
D. — Pour les pressions de 1 à 2 atmosphères, la mort
semble être due surtout à rabaissement de la tension d’oxy-
gène, mais en partie également à l’augmentation delà tension
de GO2.
E. — A partir de 5 ou 4 atmosphères, l’intervention funeste
de l’oxygène commence à se faire sentir, et devient très-mani-
feste vers 9 ou 10 atmosphères.
Les expériences faites soit avec des mélanges gazeux plus
ou moins riches en oxygène, soit en présence d’alcalis capa-
bles d’absorber l’acide carbonique à mesure qu’il se forme,
nous amènent à donner à ces lois un caractère de généralité
bien plus grand encore, et nous pouvons les formuler de la
MORT EN VASES CLOS : RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS. Cil
manière suivante (en les appliquant, pour plus de clarté, aux
moineaux) :
La tension d’un gaz étant représentée par le produit de sa
proportion centésimale que multiplie la pression barométri-
que, on voit que la mort arrive :
A. — Quand la tension de l’oxygène s’abaisse au-dessous de
3,6, que la pression barométrique soit supérieure ou infé-
rieure à la pression normale : il faut, bien entendu, dans le
premier cas, se débarrasser de l’acide carbonique par un alcali.
B. — Quand la tension de l’acide carbonique s’élève au-
dessus de 26, que la pression soit supérieure ou inférieure à
la pression normale: il faut, bien entendu, dans ce dernier
cas, employer des mélanges suroxygénés.
Ce que nous disons de l’acide carbonique doit être généra-
lisé pour tous les poisons gazeux (CO, HS, etc.); la valeur nu-
mérique seule de la tension mortelle changera. Nous revien-
drons sur ce point en parlant de l’hygiène des ouvriers des
tubes à compression.
C. — Quand la tension de l’oxygène arrive aux environs
de 500, quelles que soient la composition centésimale et la
pression (celle-ci ne pouvant être évidemment inférieure à 5
atmosphères, avec l’oxygène pur).
D. — Ces genres de mort peuvent se combiner deux à deux,
A avec B et B avec C, suivant [les pressions et les composi-
tions gazeuses employées.
La mort A est une véritable asphyxie par privation d’oxy-
gène; la mort B est un empoisonnement par /’ acide carbonique ;
la mort C peut être appelée, pour la facilité du discours, et
malgré ce qu’il y a d’étrange dans une pareille expression,
un empoisonnement par V oxygène.
On voit, et c’est là le résultat le plus général auquel nous
arrivions, que dans tous les cas la pression barométrique,
dans ses variations, n’est jamais directement, par elle-même,
la cause des phénomènes. Elle n’est qu’une des conditions
qui font varier la tension des gaz, et l’autre facteur, la com-
position centésimale, peut parfaitement, s’il marche en sens
inverse, en contrebalancer les effets, de même qu’il les aug-*
612
EXPERIENCES.
mentera rapidement, s’il marche dans le même sens.
Si maintenant nous laissons de côté l’acide carbonique pro-
duit, pour nous placer dans des conditions plus voisines de
celles où se présente, dans la nature ou l’industrie, le pro-
blème qui nous occupe, nous en arrivons à conclure, en
laissant de côté certains phénomènes tout à fait secondaires
sur lesquels nous reviendrons en leur lieu :
1° Que trois animaux, dont l’un épuise par sa respiration
un espace clos plein d’air; dont le second est contraint de
respirer dans un courant d’air de moins en moins riche en
oxygène; dont le troisième est soumis à une diminution gra-
duelle de pression, sont tous les trois, par ces procédés si
divers, menacés des mêmes accidents et de la même mort, de
la mort par privation d'oxygène, par véritable asphyxie ;
2° Que deux animaux, dont l’un respire dans un courant
d’air de plus en plus riche en oxygène et dont l’autre est
soumis à une pression barométrique croissant de 1 à 5 atmo-
sphères, sont dans des conditions identiques. Que, au delà,
l’animal qui respire de l’oxygène pur à 2, 5, 4 atmosphè-
res, etc., est dans les mêmes conditions que celui qui respire
de l’air pur à JO, 15, 20 atmosphères : tous deux sont, par
ces procédés divers, menacés des mêmes accidents et de la
même mort, de la mort par excès d’oxvgène, d’un empoison-
nement d’une espèce jusqu’ici inconnue.
Pas assez d'oxygène, en tension , ou trop d'oxygène , toute ï in-
fluence que les modifications barométriques exercent sur les ani-
maux se résume en ces termes .
Telle est l’explication fort simple que nous donnent des
expériences dans lesquelles nous avons considéré le milieu
ambiant bien plus que l’animal. Mais cette tension trop faible
ou trop forte de l’oxygène doit être étudiée maintenant, non-
seulement dans sa mesure, mais dans ses conséquences pro-
chaines : il faut examiner également avec plus de soin l’ani-
mal lui-même.
La première question dont je vais m’occuper maintenant
est celle delà composition des gaz contenus dans le sang d’ani-
maux soumis à diverses pressions.
CHAPITRE II
DES GAZ CONTENUS DANS LE SANG AUX DIVERSES PRESSIONS
RAROMÉTRIQUES.
9
SOUS-CHAPITRE PREMIER
MÉTHODES OPÉRATOIRES ET CRITIQUE EXPÉRIMENTALE.
Je crois devoir, au début de ce chapitre, décrire les appa-
reils employés pour l’extraction du gaz du sang, et indiquer
avec quelques détails la manière dont je les mets en usage.
Je placerai ici également l’indication des expériences criti-
ques que j’ai faites, pour étudier le degré de précision que
peuvent atteindre de pareilles recherches.
Le premier des instruments indispensables est la seringue
à l’aide de laquelle on prend dans le vaisseau pour le porter
dans l’appareil à extraction une quantité mesurée de sang.
Le modèle auquel je me suis arrêté après bien des tâton-
nements est représenté dans la figure ci-contre.
Son corps est en verre épais, rodé et calibré, car sans cette
précaution le verre éclate spontanément au moindre chan-
gement de température. Ce corps est pris et solidement mas-
tiqué dans deux armatures de buffle ou d’acier, reliées l’une
à l’autre par 4 fortes tiges d’acier.
Le piston, disposé de manière à ne pas tourner sur lui-
même, est monté sur une tige munie d’un pas de vis parti-
culier, qui, dans toute l’étendue de la course, fait seule-
614
EXPERIENCES.
Fig. 25. — Seringue graduée, pour
l’extraction du sang.
ment un tour et demi. La pièce
supérieure, fermée à vis, peul
être enlevée et ouvrir la serin-
gue de manière à permettre d’en
extraire complètement le piston
pour les nettoyages. Cette pièce
est percée d’un petit orifice, par
lequel on introduit un peu d’eau
qui formera fermeture hydrau-
lique au-dessus du piston. En-
fin, sur l’un des côtés, une règle
divisée sert à connaître la quan-
tité de sang qui a été extraite.
A l’extrémité de la seringue,
s’adapte à vis une pièce à robi-
net sur laquelle se peuvent mon-
ter des ajutages de formes diver-
ses. La capacité totale est de 80
à 100 centimètres cubes.
Une semblable seringue, que
j’ai décrite avec détails, parce
que c’est le modèle auquel je
me suis arrêté après bien des
tâtonnements, comme étant le
plus simple, le plus commode,
le plus solide et le moins coû-
teux, tient parfaitement le vide.
Cependant, par excès peut-
être de précaution, je ne l’ai
jamais employée qu’en intro-
duisant de l’eau au-dessus du
piston, et en immergeant dans
l’eau jusqu’au-dessus de l’arma-
ture toute la partie inférieure :
pas une bulle d’air n’y peut ainsi
entrer.
Une canule étant placée dans
Fig. 24. — Pompe à mercure disposée pour l’extraction des gaz du sang.
A. Chambre barométrique. — B. Boule mobile, en communication avec A par caoutchouc et tube de
verre. — C. Cuvette à mercure pour recueillir les gaz. — D. Ballon plongé dans eau chaude, où, le vide
étant fait, on introduit le sang par le robinet r. Le gros tube de verre, qui part de D, est entouré
d’un courant d’eau qui refroidit les gaz et forme fermeture hydraulique. — R. Robinet à trois voies
pouvant fermer complètement la chambre barométrique (position 1), ou faisant communiquer
A avec C (position 2) A avec D (position 5).
616
EXPERIENCES.
l’artère de l’animal, on y ajuste la pièce F et, en ouvrant la
serre-fine qui ferme l’artère, le sang se précipite dans la
seringue dont sa pression suffit à soulever le piston; j’en
prends d’ordinaire, pour chaque analyse, 55 centimètres
cubes.
Le sang extrait et contenu dans la seringue est immédia-
tement porté dans l’appareil à extraction des gaz. Celui-ci
est constitué, dans son organe le plus important, par la pompe
à mercure dont la description a été donnée plus haut (Voy.
p. 550).
Au tube latéral que je recommande de faire disposer obli-
quement, comme le montre la figure 24, est attaché par l’inter-
médiaire d’un tube de caoutchouc à parois épaisses un large
tube de verre long d’environ 75 cent., dont l’extrémité infé-
rieure, rodée, pénètre à frottement dans le goulot d’un ballon
tubulé D, d’une capacité d’environ 1 litre. De la tubulure de
ce ballon part un tube ‘de verre de très-petit calibre, deux
fois recourbé sur lui-même, dont le bout est fermé par un
robinet r.
Pour obtenir dans tout cet appareil une fermeture parfaite,
tous les points d’union des différentes pièces sont plongés
dans l’eau, de fortes ligatures avec des bandes de caoutchouc
interceptent complètement Pair, mais en outre un manchon
de zinc plein d’eau forme à l’union du tube et du ballon une
fermeture hydraulique. Le robinet r et le tube de caoutchouc
qu’il porte à son extrémité sont également immergés.
Le manchon de zinc est parcouru par un courant d’eau
allant de bas en haut, et destiné à refroidir le tube de verre.
Cette disposition, due à M. Gréhant, a l’avantage considé-
rable d’arrêter ou du moins de diminuer considérablement
la mousse coagulable qui s’élève du sang, sous l’influence du
vide, mousse qui peut arriver jusqu’à la chambre de la
pompe, se mêler au gaz extrait, et dont le moindre inconvé-
nient est de salir tout l’appareil.
Pour faire le vide dans le système ci-dessus décrit, j’adapte
d’abord au caoutchouc ajusté sur le robinet r un autre tube
qui se rend à une machine pneumatique ordinaire. J’abrège
617
GAZ DU SANG : CRITIQUE EXPÉRIMENTALE.
ainsi considérablement la manœuvre; le vide est ensuite
amené à l’état parfait à l’aide de la pompe à mercure, sui-
vant les agissements précédemment décrits (page 552).
Cependant on n’arriverait pas au vide parfait, en laissant
le système à la température ordinaire du laboratoire; je me
suis assuré de cela par des expériences très-simples, mais sur
le détail desquelles il est inutile d’insister ici. Or, la pré-
sence d’une petite quantité d’air au début de l’expérience
peut avoir des inconvénients. Pour la chasser complètement,
je laisse entrer dans le ballon D, en ouvrant le robinet r,
quelques centimètres cubes d’eau; puis je chauffe le ballon
jusqu’à ce que le bain-marie entre en ébullition; en même
temps, j’interromps le courant d’eau froide qui circulait dans le
manchon de zinc. De cette façon, la vapeur d’eau très-chauf-
fée qui s’échappe du ballon chasse, lorsqu’on fait manœuvrer
la pompe, tout ce qui restait de gaz, et lorsque ensuite
on diminue le feu et qu’on laisse passer le courant d’eau
froide, on est arrivé au vide aussi parfait qu’il est néces-
saire.
C’est alors qu’adaptant la seringue chargée de sang au tube
de caoutchouc du robinet r, immergeant sa partie inférieure
dans l’eau, et ouvrant le robinet, l’aspiration due au vide
fait entrer le sang dans le ballon D; je ferme alors le ro-
binet et retire la seringue. Comme il reste une certaine
quantité de sang dans le siphon et qu’il serait difficile d’en
épuiser les gaz, je plonge le tube flexible dans un petit vase
plein de mercure, et laisse monter celui-ci jusqu’au point où
le tube se recourbe pour entrer dans le ballon.
Le sang arrivé dans le ballon D s’y trouve soumis à la tem-
pérature du bain-marie, que j’ai portée successivement de
75° à 100°. Actuellement, je fais toujours bouillir ce bain-
marie ; je me suis trouvé très-bien de l’emploi de cette tem-
pérature élevée, et l’extraction des gaz a toujours été beau-
coup plus rapide et plus complète que lorsque je me bornais,
à l'exemple de mes devanciers, à maintenir le sang à la tem-
pérature du corps vivant, ou à peu près. Le seul inconvé-
nient est d’augmenter ainsi la mousse; mais, grâce à la Ion-
618
EXPERIENCES.
gueur du tube de communication et au courant d’eau froide,
il n’en entre que très-rarement dans la pompe : au reste, on
évite aisément cette mousse par un jeu habile du robinet à
trois voies ; mais ce sont là des tours de main qui ne se peu-
vent décrire aisément.
En introduisant de la sorte, comme je le faisais d’ordi-
naire, 55cc de sang, l’extraction des gaz se fait en moyenne en
trois coups de pompe; j’ai vu quelquefois toutvenir du premier
coup, et, dans d’autres cas, après le troisième coup qui amène
à peine deux ou trois centimètres cubes, j’ai pu en obtenir
encore un ou deux en continuant la manœuvre : mais c’est
là l’exception.
J’ai assez souvent introduit à l’avance dans le ballon D, non
plus seulement quelques gouttes d’eau, comme il a été dit
plus haut, mais 50 ou 40 centimètres cubes d’eau, que, bien
entendu, je faisais bouillir et dont j’extrayais tous les gaz,
avant d’introduire le sang. Ce procédé a l’avantage, en dé-
layant le sang, de diminuer sa coagulabilité et d’empêcher la
mousse qui en sort d’être persistante et de faire bouchon,
comme cela arrive quelquefois, dans le tube DR; mais cette
mousse est alors plus facile à entraîner par le coup de pompe,
et s’élance jusqu’au haut du tube : c’est pour cela que j’ai
conseillé de donner à celui-ci une inclinaison très-prononcée,
à partir même du robinet, afin qu’elle retombe aisément au
lieu de rester à l’angle des tubes.
J’avais fait un certain nombre d’expériences par ce pro-
cédé, et je m’étais, du reste, assuré, par voie comparative,
qu’il ne présente, au point de vue de la qualité et de la quan-
tité des gaz extraits, aucun inconvénient, lorsque je lus avec
surprise, dans les comptes rendus de l’Académie des sciences \
une note de MM. Estor et Saint-Pierre où la présence de l’eau
est accusée d’apporter dans les extractions des différences
d’une importance énorme.
Suivant les expérimentateurs de Montpellier, le mélange
1 Note sur les analyses du gaz du sang ; influence de l'eau. — Comptes-rendus,
t. LXXIV, p. 550; 1872. Le mémoire est publié en entier dans le Journal de l'Ana-
tomie et de la Physiologie , t. VIII, p. 187-200 ; 1872.
619
GAZ DU SANG : CRITIQUE EXPÉRIMENTALE.
d’eau avec le sang aurait pour conséquence de faciliter l’ex-
traction de l’oxygène, au point que la quantité moyenne de
ce gaz serait augmentée de 4 à 6CC pour 100cc de sang. S’il en
était ainsi, il faudrait, d’abord, employer toujours ce mé-
lange, et ensuite ne jamais comparer entre eux les résultats
obtenus avec ou sans eau.
Malheureusement, MM. Estor et Saint-Pierre, au lieu de
faire eux-mêmes des analyses comparatives faites simulta-
nément avec un même sang, ont préféré, suivant une méthode
qui paraît leur être familière, comparer les unes aux autres
des analyses faites sur du sang d’animaux différents et dans
des conditions tout à fait différentes. Une seule des expé-
riences rapportées dans leur mémoire (expérience XYI) est
faite sur un même sang, divisé en deux parts : l’une, traitée
par l’oxyde de carbone, a donné 6,66 d’oxygène pour 100 vol.
de sang; l’autre, additionnée d’eau et portée à l’ébullition, a
laissé dégager 27,72 volumes. Il suffit presque d’énoncer ces
résultats pour prouver que l’une et l’autre analyse sont éga-
lement mauvaises.
J’aurais pu me borner à renvoyer le lecteur aux expériences
qui vont être citées et dans lesquelles souvent il a été ajouté
de l’eau au sang, ce qui n’a rien changé au résultat. Mais,
par excès de scrupule, je veux citer deux expériences qui ont
été faites avec un soin scrupuleux, et dans le but de con-
trôler spécialement l’étrange assertion des physiologistes de
Montpellier :
Expérience CL1V. — 15 janvier. Chien de moyenne taille, épuisé par des
suppurations à la suite d’opérations nombreuses.
Tiré à la carotide 55ccde sang qui sont immédiatement introduits dans
la pompe . A.
Aussitôt après, tiré encore 55cc de sang; mais dans la pompe avaient,
été introduits au préalable 50cc d’eau, dont on avait ensuite épuisé les
gaz par le vide et l'ébullition 1 B
Le sang A contenait, pour 100 vol., 7,1 d’O.
— B — — 6,2 —
Expérience CLV. — 18 janvier. Chien de grande taille, intact.
1 Les nombres qui expriment les volumes des gaz du sang ont toujours été
ramenés à la température 0° et à la pression 76c.
620
EXPÉRIENCES.
Deux pompes à extraction des gaz ont été préparées ; dans l'une d’elles
ont été introduits, puis épuisés, o5cc d’eau.
On tire à l’artère fémorale environ 70cc de sang ; 35cc sont introduits
dans la pompe (A), 53cc dans la seconde où est l’eau (B).
Le sang A contient, pour 100 vol., 19,7 d’O. et 45,0 de CO2.
— B — — 19,8 — et 44,2 —
On voit que, soit qu’il s’agisse d’un sang extrêmement
pauvre en oxygène, soit qu’il s’agisse d’un sang normal,
l’addition d’eau n’a modifié en rien la quantité d’oxygène
extraite du sang.
Au reste, la prétendue constatation de cette différence
avait pour but premier d’expliquer l’étrange persévérance
apportée par MM. Estor et Saint-Pierre1 à soutenir qu’il y a,
au point de vue de la composition en oxygène, une différence
considérable entre le sang de la carotide et celui de la fémo-
rale : différence énorme, selon eux, puisque le sang de la ca-
rotide contenant 21,06 vol. d’oxygène, celui de la fémorale
n’en contiendrait que 7,62 (p. 510). Cette différence leur sert
à appuyer une théorie à eux appartenant sur la combustion
presque instantanée des matériaux du sang au sortir du
poumon. Je ne serais certes pas revenu sur ce sujet que je
croyais avoir précédemment épuisé, sans les nouvelles com-
munications de MM. Estor et Saint-Pierre. Mais il faut bien
que j’en parle, puisqu’il m’est arrivé, dans quelques-unes des
expériences qu’on trouvera ci-dessous rapportées , de com-
parer des analyses du sang de la carotide à des analyses du
sang de la fémorale.
Je répéterai donc ici ce que j’ai déjà dit ailleurs2 : MM. Estor
et Saint-Pierre n’ont fait aucune expérience comparative di-
recte; s’ils en avaient fait une seule, ils auraient vu combien
leur assertion est erronée. Ils ont préféré chercher dans les
livres, et comparer des résultats obtenus par M. Claude Bernard
à différentes époques, sur des chiens placés dans les condi-
tions générales les plus variées, en employant l’oxyde de car-
1 Du siège des combustions respiratoires. — Journal de l'Anatomie et de la Phy-
siologie., t. Il, p. 302-522; 1865.
2 Leçons , etc., p. 119.
621
GAZ DU SANG : CRITIQUE EXPÉRIMENTALE.
bone comme moyen d’extraire l’oxygène, avec d’autres dus à
plusieurs physiologistes allemands qui se servaient de pompes
à mercure de divers modèles, et opéraient tantôt sur des
chiens, tantôt sur des moutons. J’ai montré avec détails, dans
l’ouvrage plus haut cité, ce qu’une pareille méthode a de pro-
fondément vicieux, si tant est qu’on puisse donner le nom de
méthode à cette façon de procéder. Je pourrais aujourd’hui
mettre en avant le résultat de mes propres expériences, faites
simultanément sur le même animal et avec le même appareil.
Mais je préfère invoquer l’appui de deux expérimentateurs qui
ont étudié ces questions avec une tendance à la précision que
je considère comme exagérée, mais qui est un sûr garant du
soin apporté dans les expériences. Or, MM. Mathieu et Ur-
bain1, cherchant s’il existe des différences entre le sang des
diverses artères, sont arrivés aux résultats suivants, relative-
ment à la carotide et à la fémorale (p. 192) :
Carotide. . 20,45 — 20,99 — 15,06 — 13,25 — 12,75 — 18,25 — 15,00 — 15,75 — 14,93
Fémorale . 18,03 — 17,69 — 13,81 — 13,25 — 13,50 — 18,00 — 15,75 — 15,75 — 14,48
On voit, comme les auteurs le disent avec raison, que s’il
y a une légère différence en faveur du sang de la carotide,
elle est infiniment moins forte que ne l’affirmaient MM. Estor
et Saint-Pierre. Ajoutons que, d’après les expériences de
MM. Mathieu et Urbain, la différence s’accentuerait beaucoup
lorsque, au lieu de prendre des artères qui ont à peu près le
même calibre, on examine comparativement le sang de la
carotide et celui d’une artère de petites dimensions, qu’elle
soit voisine ou éloignée du cœur. Mais nous ne pouvons insis-
ter sur ces faits ; il nous suffit, pour notre but actuel, de con-
clure que, s’il est préférable de tirer toujours le sang à la
meme artère, il n’y a pas d’inconvénient sérieux à prendre
successivement la carotide et la fémorale, chez le même
animal, lorsqu’on s’y trouve forcé.
Du reste, avant de nous prononcer sur l’importance des di-
verses causes d’erreurs qui peuvent provenir çles causes phy-
1 Des gaz du sang. Archives de Physiologie , t. IV, p. 5-26, 190-205, 304-318,
447-469, 573-587, 710-731 ; 1871.
622
EXPÉRIENCES.
siologiques, il serait bon de nous faire d’abord une juste idée
de l’exactitude à laquelle on peut espérer d’arriver en em-
ployant l’appareil que nous avons décrit. Voici le vide fait,
et nous apportons au robinet r la seringue contenant, par
exemple, 50cc de sang. Disons d’abord qu’il est impossible,
vu le calibre de la seringue, de déterminer très-exactement
cette quantité ; nous serons au-dessous de la vérité en prenant
comme erreurs possibles, soit 49cc,8, soit 50cc,2. De plus, il
restera dans le caoutchouc et le robinet r au moins Qcc,5 de
sang qui échappera à l’analyse : la vérité est donc que, lors-
que nous disons avoir opéré sur 50cc, nous avons réellement
introduit dans l’appareil 49cc,o ou 49cc,7. Faisons maintenant
■F extraction, et supposons-la parfaitement complète : au moins
nous n’avons aucun moyen de mesurer le résidu très-faible,
à coup sûr, qui peut rester dans l’appareil. Nous obtiendrons
en moyenne 50cc de gaz qui devront être recueillis dans deux
tubes différents, si nous voulons employer des
tubes étroits pour que la visée n’entraîne pas une
trop forte cause d’erreur. Dans la pompe, en
même temps que les gaz, il a pénétré de la va-
peur d’eau qui s’est condensée, et chacun de nos
tubes en contient toujours 1 ou 2 cent, cubes.
Combien cette eau a-t-elle absorbé d’acide carbo-
nique en dissolution? Nous ne le savons pas. Ce
n’est pas tout : le gaz étant à une température
élevée, il faut, avant de le mesurer, immerger
complètement les tubes dans de petites cuves à
mercure en verre, étroites et profondes, construi-
tes exprès (fig. 25) ; pendant ce temps, et sous
pression, il doit se dissoudre une nouvelle quan-
tité d’acide carbonique. Peut-être pouvons-nous,
pour chaque tube, estimer à 0CC,2 ou 0CC,5 la quantité totale de
ce gaz dont il ne pourra être tenu compte.
Maintenant nous avons deux tubes, dont l’un contient, je
suppose, 20dc, l’autre 10cc ; si nous nous reportons à ce qui a
été dit page 546 sur les erreurs possibles d’analyse par la
potasse et l’acide pyrogallique, nous verrons que nous ne
Fig. 2o. — Petite
cuve à mercure.
GAZ DU SANG : CRITIQUE EXPÉRIMENTALE. 623
pouvons affirmer l’exactitude de la composition qu’entre des
limites analogues à celles-ci :
PREMIER TUBE SECOND TUBE
Acide carbonique
Oxygène. . . .
Ce qui peut, suivant les combinaisons, nous donner les ré-
sultats totaux extrêmes que voici :
Acide carbonique 19 . ou 18, 8
Oxygène. . . . . • 9,6 ou 9,4
Ajoutons à ceci la quantité d’acide carbonique dissimulée
dans l’eau de condensation, et la mesure directe peut, pour ce
gaz, nous donner un résultat au-dessous de la vérité, de 0CC,4
à 0CC,6.
Il faut maintenant, pour avoir la quantité totale du gaz
contenu dans 100cc de sang, nombre dont on se sert usuelle-
ment, doubler tous ces chiffres ; en telle sorte que, malgré
les plus grandes précautions, et en supposant l’extraction
des gaz parfaite, il est impossible d’affirmer que le nombre
obtenu n’est pas trop fort ou trop faible pour l’oxygène et
l’azote de 2 ou 5 dixièmes, et pour l’acide carbonique de près
d’une unité.
On peut juger d’après cela de la valeur de ces deuxièmes
et troisièmes décimales, que les tableaux d’analyses étalent
presque toujours à la suite de leurs nombres entiers. Je me
porte fort de cette vérité que, si les décimales sont exactes au
point de vue arithmétique, le chiffre même des unités est
faux au point de vue chimique, car aux diverses causes d’er-
reur énumérées plus haut, il convient d’ajouter l’imperfec-
tion des appareils dont se sont servis la plupart des opéra-
teurs*
Ët que dire maintenant du point de vue physiologique1?
L’analyse dont nous venons de parler nous donne, pour un
cas déterminé, un résultat absolu, sauf erreur. Mais combien
les choses vont se compliquer, si nous voulons la comparer à
une autre analyse faite par le même expérimentateur, avec le
soit. . .
12
) soit. . .
7
soit. . *
11,9
| soit. . .
6,9
soit.
6,9 i
soit. . v
2,5
soit, . .
7 1
| soit. . ,
2,6
624
EXPÉRIENCES.
même instrument, sur un autre animal appartenant cepen-
dant à la même espèce! J’ai indiqué autrefois 1 les différences
que peut, au point de vue de la richesse en oxygène, présen-
ter le sang d’un animal placé dans des conditions différentes,
comme en digestion et à jeun, etc. Depuis, MM. Mathieu et
Urbain, reprenant avec la pompe à gaz des expériences que
j’avais faites simplement avec l’oxyde de carbone, et qui, par
conséquent, ne touchaient qu’à l’oxygène, ont multiplié et
varié les conditions dans lesquelles peuvent être placées les
animaux. Leur travail qui développe, confirme ou rectifie mes
anciens essais, a montré que la proportion absolue et rela-
tive des gaz du sang est sujette à de nombreuses variations.
Mais je veux me borner pour le moment à l’étude de celles
de ces variations qui peuvent être importantes à considérer
pour le sujet dont je m’occupe actuellement.
Or, il s’agit ici d’expériences se faisant dans le laps de
deux ou trois heures au plus. Les seules influences qui puis-
sent agir dans ce cas sont : 1° les saignées antérieures;
2° le nombre des respirations de l’animal; 5° son état de
repos ou d’agitation.
MM. Mathieu et Urbain (/oc. cit., p. 14 et suiv.) attachent
beaucoup d'importance aux saignées antérieures. Selon eux,
il suffirait d’extraire à un chien 20cc de sang artériel pour
trouver dans la nouvelle saignée de 20cc notablement moins
d’O et de GO2; les saignées successives augmenteraient ces
différences. En moyenne, pour les saignées de 20cc faites à
une heure et demie d’intervalle, on aurait des diminutions
totales de lcc,25; — 2CC,25; — 5CC,00; — 5CC,50; — - 5CC,75.
Après une saignée de 60cc, la différence serait en moyenne de
2CC,50, et de 5CC,91, après une saignée de 150cc.
Ces modifications seraient dues principalement, selon eux,
à la diminution dans la tension vasculaire; elles ne se re-
marqueraient pas, en effet, lorsqu’après la première saignée
on a injecté dans les vaisseaux une quantité d’eau égale à la
quantité de sang enlevée.
1 Leçons , etc., p. 150 et suiv.
\
GAZ DU SANG : CRITIQUE EXPÉRIMENTALE. 625
L’acide carbonique varierait, sous l’influence des saignées
successives, dans le même sens et suivant une proportion
plus considérable que l’oxygène.
Quant à moi, je n’ai jamais remarqué d’aussi importantes
différences entre la richesse gazeuse du sang tiré en plusieurs
fois des vaisseaux. Souvent même les nombres obtenus sont
restés absolument identiques, lorsque l’animal est demeuré
au repos. C’est ce qui est arrivé, par exemple, dans l’expé-
rience suivante :
Expérience CLVI. — 18 juillet. Grand chien de berger.
A 2h, tiré 44cc de sang à la fémorale; animal parfaitement franquille(A).
Tiré ensuite 43cc de sang à la même artère (B).
A 3h et demie, tiré 42cc,5 à la même artère. ........... (C).
Le sang A contient, pour 100 vol. : O 21,4; GO2 30,5.
— B — 21,2; — 40,1 .
— G - 21,5;— 38,6.
Les nombreuses expériences dont le récit sera fait dans le
présent chapitre montrent fréquemment que les saignées
successives ne donnent pas des résultats aussi dissembla-
bles qu’on pourrait le
croire d’après les con-
clusions deMM. Urbain
et Mathieu.
Pour étudier l’in-
fluence du nombre des
respirations en l’iso-
lant de celle des mou-
vements généraux du
corps, qui s’y mêle tou-
jours, j’ai empoisonné des animaux parle curare, et, lorsqu’ils
étaient complètement paralysés, j’ai pratiqué la respiration
artificielle, à l’aide d’un soufflet introduit dans la trachée.
Ce soufflet (fig. 26) porte une bonne soupape aspira trice A,
munie d’une douille permettant d’insuffler dans les pou-
mons un gaz quelconque; une crémaillère graduée, por-
tant un curseur contre lequel vient s’arrêter le mouvement
de la valve mobile. La position variable du curseur détermine
40
Fig. 26. — Soufflet pour la respiration artificièlle (A, douille
à soupape qui permet d’employer un gaz quelconque).
626
EXPÉRIENCES.
la quantité d’air que l’on injecte. Rien de plus facile, avec
cet instrument, que de mesurer exactement l’amplitude et le
nombre des respirations artificielles. La buse étant introduite
dans la trachée, qu’elle n’oblitère qu’imparfaitement, il suf-
fit du petit espace qu’elle laisse entre elle et les parois pour
que l’expiration se fasse aisément; au reste, sous ce rapport,
les conditions sont toujours semblables.
J’ai également employé l’appareil construit sur les indica-
tions de M. Gréhant, et que met en mouvement, dans mon la-
boratoire, une petite machine à eau.
Or, voici ce qu’a donné une expérience , prise comme
exemple :
Expérience GLVII. — 19 février. Chien pesant 18 kilog.
A 4h 5m, dose mortelle de curare sous la peau ; tombe à 4h 25m ; ouvert
la trachée et fait la respiration artificielle, le soufflet débitant 550cc.
A4h 40m, on régularise la respiration artificielle à 16 par minute; le
pouls est à 90. A4h 50m, on tire à l’artère fémorale 72cc de sang. . (A).
Aussitôt après, porté la respiration à 70 par minute; le pouls monte à
140; la température rectale est 58°, 5. Au bout de 10m, on prend 72cc de
sang à la même artère . (B).
On ajuste la douille du soufllet à un sac plein d’acide carbonique ;
après 15m de respiration artificielle, le cœur s’arrête. On prend aussitôt
55cc de sang dans le cœur gauche avec une sonde enfoncée par la caro-
tide gauche (C).
La température rectale est alors 56°.
Le sang A contient, pour 100 vol. : O 19,7 ; CO2 56,7.
— B — — 20,7; — 30,1.
— C — — 5,2; — 90,2.
On voit que la rapidité des mouvements respiratoires, ou
plus généralement, que le passage par les poumons, dans un
temps donné* d’une plus grande quantité d’air, a pour double
résultat : d’augmenter la proportion de l’oxygène du sang, de
diminuer la proportion d’acide carbonique, l’augmentation
de l’oxygène étant beaucoup moins considérable que la dimi-
nution de l’acide carbonique.
Afin d’étudier l’influence de l’état de repos ou des contrat
tions musculaires de l’animal, et de l’isoler de toutes les cir-
constances d’un autre ordre, je tuais un chien par section du
I
GAZ DU SANG : CRITIQUE EXPÉRIMENTALE. 627
bulbe, et pratiquais ensuite la respiration artificielle d’une
manière régulière. Au bout de quelque temps, l’animal étant
naturellement dans l’immobilité complète, je tirais du sang ;
puis, à l’aide d’un fort courant induit traversant le corps de
la bouche à l’anus, j’obtenais des mouvements généraux
énergiques plus ou- moins nombreux, après lesquels je tirais
à nouveau du sang.
Voici les résultats d’une expérience ainsi conduite :
Expérience CLYIII. — 12 novembre. Chien vigoureux pesant 15 kil.
Bulbe coupé; respiration artificielle réglée à 15 par minute, pendant
5 minutes. Tiré alors 25cc de sang à la carotide (A).
On excite alors la moelle épinière, du bulbe à l’anus, par de forts
courants induits, qui déterminent des convulsions générales, surtout dans
les membres postérieurs. La respiration artificielle est continuée avec le
même rhythme. Après 5 minutes d’excitation, on tire 25cc de sang caro-
tidien (B).
Le sang A contient, pour 100 vol. 0 26,6; CO2 51,2.
B - — 18,2;— 28,8.
Mais il faut bien reconnaître que, dans l’état ordinaire et
naturel des choses, les deux phénomènes que nous avons ar-
tificiellement séparés se combinent, se mêlent et surajoutent
leurs effets qui alors se contrebalancent. Dans l’immense
majorité des cas, en effet, un animal qui s’agite respire
avec plus de fréquence et d’ampleur, et, inversement, le
repos s’accompagne d’une respiration plus calme et plus
lente :
Expérience CL1X. — 24 janvier. Grand chien de chasse. Fémorale
gauche.
On prend 75cc de sang; l’analyse est perdue, par suite d’accident.
On reprend alors 74cc; l’animal, attaché depuis longtemps, est resté
parfaitement tranquille (A); au bout d’une heure, l’animal, excité, s’agite
violemment, en poussant de grands cris, et cela pendant quelques mi-
nutes, après lesquelles on reprend 76cc de sang (B).
Le sang A contient pour 100 vol.: O 18,6; CO2 57,0.
— B — — 19,4; — 35,2.
Expérience CLX. — 5 mars. Chien de petite taille, ayant les récur*
rents coupés depuis le 1er mars, mais allant bien. Artère fémorale.
628
EXPÉRIENCES.
L’animal étant très-calme, on tire 40cc de sang (A); puis on le fait agi-
ter en lui plaçant un peu d’ammoniaque sous le nez, et on tire même
quantité de sang (B).
Le sang A contient, pour 100 vol. : O 11,7; GO2 35,6.
— B — - 12,4; — 52,7.
On l’empoisonne alors par le curare ; l’excitation d’un sciatique fait mon-
ter la pression cardiaque de 2 à 4e, même après la section des deux
pneumogastriques. Le bout périphérique de ceux-ci n’agissant plus sur le
cœur, le bout central, excité, augmente la pression du sang. Après avoir
coupé transversalement la moitié droite delà moelle lombaire, on obtient
une augmentation de pression par l’excition du sciatique droit; le gauche
donne un résultat douteux.
Voilà deux expériences qui indiquent que, dans la plupart
des cas, il n’y a pas à se préoccuper beaucoup des modifica-
tions dans la manière d’ètre de l’animal aux divers moments
de l’expérience. Les analyses comparatives montrent que pour
l’oxygène les causes d’erreur arrivent à peine à l’unité, et
que pour l’acide carbonique elles ne dépassent guère deux
unités.
Mais dans certaines circonstances exceptionnelles, les dif-
férences peuvent atteindre des valeurs beaucoup plus élevées.
Cela arrive quelquefois, par exemple, lorsqu’on ouvre la tra-
chée d’un animal et qu’on y place une canule. Tous les phy-
siologistes ont remarqué que, dans ces conditions, les ani-
maux sont souvent pris d’une anhélation extraordinaire, qui
cesse habituellement au bout de quelques minutes. Or, si
pendant cette période on tire du sang, on trouve que sa com-
position gazeuse est fort différente de celle qu’il présentait
auparavant.
Je citerai comme exemples les deux faits suivants, les plus
remarquables que j’aie rencontrés :
Expérience CLXI. — 20 décembre. Chien vigoureux, pesant 16k 5.
A 5 11 55m, je tire à la carotide 55cc de sang, qui est assez noir. . . (A).
A 4h, je place dans la trachée un tube; les respirations deviennent ex-
trêmement accélérées pendant 5 minutes ; puis le calme revient et peu après
accélération nouvelle, qui cesse à 4h 1 0m, au moment même où l’on tire de
nouveau 55cc de sang, qui est évidemment moins noir (B).
Le sang A contient, pour 100 vol. : O 15,1 ; CO2 40,8
— B — — 20.5; — 24,0
629
GAZ DU SANG : CRITIQUE EXPÉRIMENTALE.
Expérience CLXII. — 24 janvier. Chien boule-dogue.
A 2h 30m, j’extrais à la carotide 32cc de sang, l’animal respirant par les
voies naturelles (A).
J’ouvre la trachée, pour y placer un tube; les respirations deviennent
extraordinairement précipitées ; au bout de cinq à six minutes de ce
rhythme, je tire 33cc de sang, notablement plus rouge (B).
Le sang A contient, pour 100 vol. : O 16,0; CO2 41,5
— B — — 23,4; — 15,2
Mais, je le répète, ceci est un extrême; rien de comparable,
à beaucoup près, ne s’est présenté chez des animaux respirant
par les voies naturelles. Un grand nombre d’expériences me
permettent d’affirmer que les circonstances dépendantes de la
manière d’être de, l’animal, sans être négligeables, ne sont pas
telles qu’on ne puisse conclure. Sans doute, je n’ai pu tou-
jours me mettre à l’abri de leur intervention ; mais lorsque
celle-ci était très manifeste, j’ai abandonné l’expérience.
En dernier lieu, sans insister sur les différences que peut
présenter le sang d’un chien, suivant que l’animal est à jeun
ou en digestion de telle ou telle espèce d’aliments, je dirai
que tous mes chiens avaient mangé vers huit heures du ma-
tin de la pâtée peu riche en viande; les expériences étaient
faites généralement de deux à six heures.
On voit que, en définitive, les causes d’erreur que renfer-
ment nos analyses, et qui tiennent tant aux causes d’ordre
chimique qu’à celles d’ordre physiologique, sont, environ, de
une unité pour l’oxygène, de trois ou quatre unités pour
l’acide carbonique. Je maintiens qu’on ne peut aller, dans la
pratique, plus loin comme exactitude, à moins de prendre
un véritable leurre pour la réalité.
630
EXPERIENCES.
SOUS-CHAPITRE II
DES GAZ DU SANG SOUS DES PRESSIONS INFÉRIEURES A CELLE
d'une ATMOSPHÈRE.
§ 1er. — Dispositif dss expériences.
L’extraction du sang des vaisseaux d’un animal soumis à
l’influence de la diminution de pression n’était pas un pro-
blème sans difficultés.
L’appareil dont je disposais, et dont je me suis servi dans
mes recherches pour la diminution de pression, est composé
de deux vastes chambres cylindriques (fig. 21) qui peuvent
être isolées l’une de l’autre par une porte de communication.
Ces chambres mesurent 2 mètres de hauteur et 1 mètre de
diamètre, ce qui leur donne une capacité d’environ lmc,550 :
je dis environ à cause du dôme convexe qui les revêt. Elles
sont convenablement éclairées au moyen de hublots de verre
qu’on voit dans la figure. Les portes s’ouvrant en dehors et
reposant sur des bourrelets de caoutchouc déterminent une
fermeture assez exacte, la pression atmosphérique tendant à
les appliquer d’autant plus fortement sur ces bourrelets que
la diminution de pression est plus considérable en dedans.
Un manomètre extérieur, sorte de tube barométrique dont la
chambre communique avec l’un des deux grands réservoirs,
indique immédiatement la valeur de la dépression intérieure :
des thermomètres traversent la paroi.
La diminution de pression est obtenue au moyen d’une
pompe qui était mue, dans le principe, par une petite ma-
chine à vapeur, comme l’indique la figure. J’ai remplacé
celle-ci par un moteur à gaz du système Lenoir, machine
infiniment plus commode à manier dans un laboratoire, et
plus avantageuse pour les travaux qu’il faut entreprendre
)
GAZ DU SANG : PRESSION DIMINUÉE. 631
et quitter suivant des circonstances dont on n’est pas le
maître.
Je puis arriver ainsi à faire diminuer la pression de 20e en
5m, de 40e en 10m, J’atteins assez facilement, en 20m, la pres-
sion de 25 centimètres; mais j’ai eu la plus grande peine à
descendre au-dessous, et je n’ai pu dépasser celle de il cen-
timètres.
On voit sur la figure un cylindre indépendant B. Je m’en
G32
EXPERIENCES.
servais comme d’un réservoir de vide, si l’on peut ainsi par-
ler, dans certaines expériences. Enfin, le tube qui, dans la
figure, communique avec une cloche de verre C, est celui
que j’adaptai plus tard à la table à plaques pneumatiques
représentée figure 15.
L’extraction du sang d’un chien placé dans un semblable
appareil est une entreprise assez délicate.
L’animal est d’abord solidement attaché sur le dos, comme
le montre la figure 28, aux montants d’une sorte de cage en
bois solide, courbée de manière à pouvoir s’adapter exacte-
ment par son bord convexe à la concavité du cylindre, et
pouvant y être fixée au moyen de trous qui s’emmanchent
dans les crochets de forts pitons vissés aux flancs de ce cy-
lindre. La tête de l’animal est prise dans une sorte de muse-
lière mobile, qui permet de tendre son cou suivant les besoins
de l’expérience, et de le maintenir parfaitement immobile.
Les pattes antérieures sont attachées aux barreaux de la
cage, et pour les pattes postérieures, deux barreaux montés
sur des coulisses en arc de cercle peuvent être éloignés plus
ou moins suivant la taille de l’animal.
Dans cette situation, on peut tirer le sang soit à l’une des
artères carotides, soit à l’une des fémorales. Les carotides
sont plus commodes et par leur calibre et par leur proximité
de la paroi du cylindre, et c’est presque toujours d’elles que
je me suis servi.
Cette paroi, en face de l’endroit où se trouve amenée et
mise à découvert l’artère, est percée de plusieurs trous, à la
façon d’une pomme d’arrosoir; c’est par l’un de ces trous que
passera la sonde destinée à extraire du sang; les autres trous
seront fermés à l’aide d’une poignée de cire à modeler forte-
ment appliquée sur eux.
Et maintenant comment extraire le sang? 11 est, dans l’ar-
tère, soumis à une pression équivalente à environ 15 à
18 centimètres de mercure, qui en rend la sortie très-facile
quand on agit à la pression normale. Mais l’animal est placé
dans un appareil où la pression va être diminuée, et nous
allons faire communiquer son artère avec le dehors. Il est
635
GAZ DU SANG . PRESSION DIMINUÉE.
bien évident que, lorsque la pression sera abaissée de 15 à
18 centimètres, le sang n’aura plus aucune tendance à sortir
bO
C3
U2
3
33
a
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-5
2-h
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P
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P
Ph
P
O
• (— t
GO
bp
iZ
du vaisseau, et que lorsque la diminution sera plus forte
encore, l’air du dehors tendra à se précipiter dans l’artère
634
EXPÉRIENCES.
de Tanimal, et de là à se répandre dans tout l’appareil circu-
latoire.
C’est là qu’est le danger et là que gît la difficulté. Pour le
conjurer et le résoudre, je me servis (fig. 29) d’abord d’une
sonde A bifurquée à son extrémité libre, dans laquelle glis-
sait un mandrin terminé par une olive. Celle-ci était dis-
posée de manière à pouvoir oblitérer exactement l’orifice de
la sonde placée dans l’artère de l’animal. Lorsqu’on voulait
extraire le sang, on tirait le mandrin jusqu’à ce que l’olive
arrivât dans la région de la bifurcation. Pendant tout ce
temps, la cavité de la sonde était parfaitement fermée, le
mandrin glissant à frottement dur dans un bouchon percé
de caoutchouc qu’une tête a assujettissait fortement. Alors,
adaptant à l’orifice a\ à l’aide d’un tube de caoutchouc à
parois épaisses, la seringue de la figure 25, et ouvrant le ro-
binet, on pouvait sans danger aspirer le sang.
Mais, malgré toutes les précautions prises, il m’est arrivé
des accidents consécutifs à l’entrée d’une certaine quantité
d’air. Il suffit, en effet, d’un orifice microscopique pour lais-
ser entrer quelques bulles, et celles-ci, arrivant au cœur
gauche et lancées de là dans les artères, peuvent, comme on
le verra, occasionner des troubles très-graves. Quelquefois
meme, la quantité d’air ainsi introduite a été suffisante pour
entraîner une mort immédiate.
Je fis alors fabriquer une autre sonde, tout entière métal-
lique, formée de deux pièces réunies en à, et dont la figure B
donne une idée suffisante. J’eus encore des échecs, et j’en
arrivai à une disposition figurée en C qui m’a donné d’ex-
cellents résultats, et qui, comme cela arrive souvent, est la
plus simple de toutes.
L’expérience se fait de la manière suivante. La carotide de
l’animal ayant été mise à découvert et liée à son extrémité
supérieure, j’accroche aux parois de l’un des compartiments
de l’appareil le cadre qui supporte le chien. L’opérateur
entre en même temps dans le cylindre, fait passer par Lun
des trous dont la paroi est criblée à cet endroit à la façon
d’une pomme d’arrosoir la serre-fine D, dont le long manche d
')
du sang sous diminution de pression.
636
EXPERIENCES.
reste à P extérieur. Écartant alors les deux mors de la serre-
fine, de manière à faire sortir les petits tenons de leurs trous,
il fait passer la carotide dans l’espace d!\ d’où elle ne peut
plus sortir, grâce aux tenons; le levier mobile d , mû du de-
hors par le manche d , lui permet de serrer l’artère aussi bas
que possible. Il ouvre alors celle-ci, y place la sonde métal-
lique, dont il fait passer l’extrémité à travers l’un des trous
de la paroi. On y fixe ensuite le caoutchouc et le robinet.
Les cylindres fermés, la dépression obtenue, lorsqu’on veut
tirer du sang, on dispose les
choses comme le montre la
figure 50. On ouvre la serre-
fine, on applique la seringue
dont le piston a été surmonté
d’une couche d’eau, et on as-
pire. Tous les raccords étant
noyés dans l’eau, il ne peut
arriver d’accidents.
Mais après l’extraction il
reste dans la sonde un long
caillot qui, le plus souvent,
s’oppose à une extraction nou-
velle. C’est pour parer à cet
Fig. 30 - Extraction du sang d’un animal placé inconvénient QUe î avais ima-
sous diminution de pression : A artere; 1* pa- # ^ J
roi de l’appareil; S serre-fine; a sonde placée giné le mandrin de la sonde A,
dans l’artère ; s seringue aspirant le sang (son . p i • i
armature inférieure doit plonger tout entière qui reloulait le sang dans 1 a-
dans l’eau). • i i ,
nimal; seulement, ainsi que
je l’ai dit, je ne pouvais être sûr de l’oblitération. Je dois
ajouter que, lorsque les extractions n’étaient pas trop éloi-
gnées l’une de l’autre, il m’est arrivé de pouvoir aspirer
d’un coup de seringue le caillot encore diffluent. D’autres
fois, immédiatement après avoir tiré du sang, j’injectais dans
la sonde un peu de solution de carbonate de soude, pour em-
pêcher la coagulation.
Je tirais ainsi, comme je l’ai dit, à chaque fois, de 50 à 40cc
de sang. J’attendais que la dépression fût maintenue pendant
quelques minutes pour faire l'extraction. Le sang de la près-
GAZ DU SANG : PRESSION DIMINUEE.
657
sion normale était quelquefois pris à l’avance; mais la ten-
dance à la coagulation, qui résultait de cette pratique, a fait
que le plus souvent je l’ai pris au retour. J’avais soin alors
d’attendre un temps assez long. Le récit des expériences ainsi
conduites indiquera du reste ces détails.
§2. — Expériences.
Expérience CLXIII. — 22 juin. Pression 76e, 4 ; temp. 25°. Chien de grande
taille, auquel on a fait la veille diverses opérations : ne paraît pas malade.
Tiré à l’artère fémorale 46ee de sang, à la pression normale ; sang assez
rouge A.
Mis dans le grand appareil; amené en une demi-heure à 45e de diminu-
tion ; pression réelle 51e, 4 ; après 10m, tiré à la carotide 46ee,5 de sang ;
sang notablement moins rouge B.
Le sang A (76e, 4) contient, pour 100 vol. : O 18,8 ; CO2 59,7
— B (51e, 4) — — 12,0; — 51,0
lia ainsi disparu, à 51e, 4 de pression, 56,2 pour 100 de l’oxygène qui
existait à la pression normale, et 21,9 de l’acide carbonique.
Expérience CLX1V. — 24 juin. Pression 76e; temp. 21°. Chien de grande
taille.
Pression normale : Tiré à l’artère fémorale’46cc de sang, bien rouge. À.
Amené en trois quarts d’heure environ à 54e de diminution (22e de pres-
sion). Tiré à la même artère 40ce de sang, très-noir B.
Le sang A (76e) contient, pour 100 vol. : O 21,5; CO2 41,9
— B (22e) — — 10,7; — 22,0
11 a disparu 50 peur 100 de l’oxygène, et 47,5 de l’acide carbonique
primitif.
Expérience CLXV. — 28 juin. Pression 76e; temp. 21°, 8. Chien de l’ex-
périence précédente, bien remis, vigoureux.
En liant, par les préparatifs, la carotide gauche, la fémorale liée trois
jours avant s’ouvre, et le sang en sort : l’animal perd ainsi environ 50te
de sang.
Mis ensuite dans l’appareil, la pression est amenée en 5m à 19e de dimi-
nution (pression réelle 57e); elle y demeure pendant une demi-heure. On
tire alors à la carotide gauche 42ce,5 de sang, pas très-rouge A.
L’animal, ramené à la pression normale, y respire tranquillement pen-
dant une heure. On lai tire alors 42cc,5 de sang à la même carotide ; évi-
demment, plus rouge que le précédent B.
Le sang A (57e) contient, pour 100 vol. : O 18,6; CO2 55,4
— B (76e) — — 21,6; —36,5
658
EXPERIENCES.
Expérience CLXVI. — 4 juillet. Pression 76e; temp. 22°. Chienne de
moyenne taille.
A 5h, tiré par une fémorale 45ee,5 de sang peu rouge A.
Mis l’animal dans l’appareil ; crie et s’agite beaucoup ; on arrive à 52e de
diminution pour redescendre à 47e et remonter à 50e, le tout pendant envi-
ron un quart d’heure. La pression réelle est 26e. On tire alors 45ee,l de
sang très-noir, à la même artère B.
Le sang A (76e) contient, pour 100 vol. : O 18,5; CO2 52,8
— B (26e) — — 9,8 ; — 24,5
Expérience CLXVII. — 6 juillet. Pression 76e; temp. 24°, 5. Chienne de
l’expérience précédente, bien portante.
Mise dans le grand appareil; amenée en un quart d’heure à 44e de pres-
sion réelle ; s’agite beaucoup ; maintenue à cette pression pendant 20in, et
on tire alors à la carotide gauche 52ee,6 de sang assez noir A.
L’animal étant ramené à la pression normale, ce qui met environ 5 mi-
nutes, on prend aussitôt à la même artère 42ce,5 d’un sang évidemment
plus rouge . : B.
Le sang A (44e) contient, pour 100 vol. : O 16,5; CO2 25,5
— B (76e) — — 19,8; —29,1
Expérience CLXYI1I. — 8 juillet. Pression 75e, 9; temp. 25°. Chien de
très-grande taille.
Mis dans l’appareil ; a dans la carotide gauche une sonde neuve du mo-
dèle A (fig. 29). On l’amène en un quart d’heure à 20e de diminution, et on
l’y laisse un quart d’heure. On tire alors 59ee de sang, avec difficulté. A.
On pousse le chien à 50e de diminution, et on essaie d’extraire le sang;
mais cela est impossible, la sonde est tordue.
Ramené à la pression normale, le chien continue à crier et à respirer
très-vite et très-bruyamment, comme depuis qu’on a tiré le sang A. On
prend alors 48ce d’un sang très-rouge B.
L’animal, délié, est incapable démarcher; il n’est paralysé d’aucun
membre, et ne peut cependant se tenir sur ses quatre pattes.
Le lendemain, même état, sauf que la respiration est calme.
Il meurt au bout de quelques jours, ayant toujours été somnolent et in-
capable de marcher. On trouve à l’autopsie un ramollissement gris. Il est
évidemment entré dans l’appareil circulatoire des bulles dont quelques-
unes ont pénétré dans les centres nerveux et intercepté la circulation.
Le sang A (56e) contient, pour 100 vol. : O 20,9; CO2 55,5
— B (76e) — — 26,4; — 22,7
Je ne ferai pas entrer dans la discussion générale des expé-
riences le curieux résultat qui précède; mais j’ai cru ne pas
devoir l’omettre. J’appelle l’attention du lecteur sur le ramol-
lissement cérébral localisé dû à la pénétration de l’air*
GAZ DU SANG : PRESSION DIMINUEE.
639
Expérience GLXIX. — 50 avril. Pression 77e; température 16°. Chien pe-
sant llk, 5.
A 4h 25m, mis dans l’appareil, et amené en 10m à 56e de pression réelle.
A 4h 45m, tiré 46cc d’un sang très-noir, à la carotide droite A.
5h : Ramené à pression normale; à 5h 5m, tiré sang 46cc, très-rouge. B.
Le sang A (36e) contient, pour 100 vol. : O 11,9; CO2 25,2
— B (77e) — — 20,6;— 59,0
Expérience CLXX. — 1er mai. Pression 76e; temp. 16°. Chien de l’expé-
rience précédente, bien remis.
4h 15m. Tiré à la carotide gauche 41 cc ; respiration 60, par minute. A.
4h 30m. Mis dans le grand récipient; à 4h 45m, 55e de diminution ; laissé
rentrer air jusqu’à 30e (pression 46e). A 4h 45m, tiré 58ee de sang. . B.
Amené à 56e de pression réelle ; à 5h 15m, 100 respirations ; tiré 41 ee de
sang C.
Ramené lentement à la pression normale; à 6h 20, 60 respirations ; tiré
41ee de sang • D.
Le sang A (76e) contient, pour 100 vol. : O 21,9; CO2 54,7
B (46e) —
—
20,5;
— 30,5
C (56e) —
—
21 ,1 ;
- 34,7
D (76e)
—
21,1;
— 35,2
La moyenne entre A et D est O 21 ,5; CO2 34,9.
Expérience CLXXI. — 3 mai. Pression 76e. Chien jeune, très-vif, pe-
sant 4 kilog. Carotide droite.
4h 32m. Mis dans le récipient; à 4h 45,n, 45e de diminution; 24 respira
tions scindées en périodes de 3 ou 4 moyennes et 1 très-ample ; puis repos.
41' 58ra. La dépression a oscillé entre 44e et 47e ; elle est actuellement de
45e : 31e de pression réelle. Tiré 41 cc de sang, plus noir que du sang vei-
neux ordinaire A.
Ramené lentement à la pression normale.
A 5h 7h, est à 25e : 16 respirations avec même type. A 5h 13m, pression
normale; tiré 41ee de sang, perdu ; à 6h 20m, 16 respirations, même type ;
tiré 41ce de sang couleur ordinaire B.
Le sang A (51e) contient, pour 100 vol. : O 15,6; CO2 36,5
_ B (76e) — — 19,4; — 48,4
Expérience CLXXII. — 7 mai; pression 75e; temp. 18°. Chienne pesant
11 kilog.
3h 12,n. Mise dans récipient; à 5h 25m, 40e de diminution.
A 5h 45m, maintenue à 59e de diminution (36e de pression réelle) ; 21
à 24 respirations; tiré 41ee de sang très-noir. A.
5h 50m, amenée à 46e de pression, et maintenue. A 4h 5m* tiré 41ee de'
sang, moins noir : 18 à 21 respirations. ; . . ; , . , . B,
Ramenée à la pression normale, qui est obtenue à 4h 15“; à 4h 55m,
50 respirations ; à 5*% tiré 41ee de sang* pas très-rouge; C.
640
EXPÉRIENCES.
Cette chienne a présenté, avant qu’on tire le sang, et après qu’on l’a dé-
tachée, de singulières convulsions toniques et cloniques, avec insensibilité
cornéale et cris ; la deuxième crise a été très-forte, a duré au moins 15 mi-
nutes, et a été suivie d’un état de stupeur, avec petits cris plaintifs : hys-
térie? épilepsie?
Le sang A (56e) contient, pour 1 00 vol. : O 8,9 ; CO2 54,5
_ B (46e) — — 15,2; — 40,7
— C (76e) — — 20,1; — 41,1
Expérience CLXXIII. — 8 mai. Pression 75e, 5; temp. 17°. Petit chien,
pesant 5 kilog.
A 4h, tiré à la carotide droite 55ce de sang bien rouge A
A 4h 28m, mis dans récipient. A 4h 55,n, 54e de diminution : 15 respira-
tions, amples ; à 4h 50U1, 50e de diminution ; 20 respirations, plus petites. A
5h 5m, toujours 50e de diminution; 18 respirations ; tiré 55ec de sang, très-
noir B.
Le sang A (75e, 5) contient, pour 100 vol. : O 22,6; CO2 59,7
— B (25c,5) — — 9,8; — 25,1
Expérience CLXXIV. — 9 mai. Pression 75e, 5; temp. 16°, 5. Chien de
l’expérience CLXX1, encore un peu malade. Carotide gauche.
A 5h 50m, tiré 27ec,5 de sang A.
A 5h 50m, mis dans récipient; à 4h 5‘u, la pression est à 56e ; à 4h 18in
idem; 55 respirations, moyennes. Tiré 41ec de sang très-noir .... B.
Le sang A (75e, 5) contient, pour 100 vol. : O 15,5; CO2 54,9
— B (56e) — — 8,5; — 21,4
Expérience CLXXY. — 15 mai. Pression 76e; temp. 17°. Chienne grasse
et forte, ayant mangé à midi.
A 5h 10m, tiré 54ee,5 de sang à la carotide droite ; animal tranquille. A.
A 5h 20m, mise dans l’appareil, crie, s’agite; à 5h 25m, 56e de pression. A
5h 55m, pression entretenue; tiré 54e, 5 de sang, animal tranquille, 50 res-
pirations; mais s’est beaucoup agité B.
A 5h 40m, 50e de diminution; à 5h 55m, idem. ; tiré 54ec,5 de sang; ani-
mal tranquille, mais s’est agité C.
A 4\ dépression de 40e; même état de l’animal; tiré 54ee,5 de sang,
noir D,
Le sang A (76e) contient, pour 100 vol. : O 17,4 ; CO2 55,8
— B (56e) — — 15,5; — 28,0
— C (46e) — — 12,5; — 26,4
_ D (56e) — — 10,8 ; — 22,8
Expérience CLXXVL — 22 mai. 76e pression. Chien de moyenne taille,
ayant mangé à midi. Carotide droite.
A la pression normale, 15 respirations.
5h 55m. Mis dans appareil.
A 4h 5m, 40e de diminution, maintenue.
GAZ DU SANG : PRESSION DIMINUÉE.
641
A 4h 7m, 15 respirations, un peu irrégulières.
4h 25m, id. ; tiré 55e, 5 de sang, très-noir , . A.
Laissé rentrer air à 4h 55m; 20e de diminution.
A 4h 50m, tiré 55c5, de sang, plus rouge que A B.
A 4h 55m, pression normale.
A 5h 25m, tiré 55e, 5 de sang, assez rouge G.
Le sang A (56e) contient, pour 100 vol. : O 9,6 ; CO2 55,9
— B (56e) — — 12,4; — 55,0
— G (76e) — — 16,9; — 45,7
Expérience CLXXVIL — 21 juin. Chienne de taille moyenne, n’ayant
jamais servi. Sonde dans l’artère carotide droite.
A4h 15,u, commencé la diminution de pression.
A 4h 45m, 54e de diminution ; agitation vive, depuis le début.
A 5h 15m, 56e, 5; 120 respirations.
A 5h 50m, 57e, 5; je tire 50cc de sang, très-noir A.
On laisse rentrer l’air jusqu’à 56e seulement de diminution; puis, on re-
prend la décompression.
A 6h 8m, 50e de diminution; je tire 55ee de sang, très-noir B.
A 6h 20m, 56e; 40ec de sang, très-noir également C.
6h 20m. Laissé rentrer l’air ; la pression normale est rétablie à 6h 55m.
A 7h 10m, tiré 57ee de sang, assez rouge D.
Le sang A (19e) contient, pour 100 vol. : O 4,9
— B (26e) — — 6,5
— C (21e) — — * 4,5
— D (76e) — — 14,8; GO2 22,1
Expérience CLXXVIIL — 5 juillet. Chien n’ayant jamais servi, pesant
11 kilog ;
A 2h50in, je tire à la carotide droite 55ce d’un sang médiocrement rouge ;
l’animal criait et s’agitait A.
A 2h 40m, commencé la décompression.
A 5h, 55e de décompression.
A 5h llm, 57e de décompression; tiré 55ee de sang, très-noir. . . B.
Laissé rentrer air.
Le sang A (76e, 5) contient, pour 100 vol. : 19,2 d’oxygène.
— B (19e, 5) — — 4,2 —
Expérience CLXXIX. — 5 juillet; 76e, 5. Chien pesant 10 kilog.
Tiré à la carotide droite 55ee d'e sang bien rouge ; a 58 respirations, avec
petits cris A.
5h 25m. Mis dans l’appareil.
A 5h 45m, pression 50e, 5; s’agite, crie. A 5h 55m, pression 24e, 5 ; la ma-
chine à gaz s’arrête.
A 4h 5m, pression 58e; on relance la machine; 26 respirations, tran-
quille.
41
I
642 EXPÉRIENCES.
A 4h 12m, 2GC,5; 60 respirations, singultueuses; à 4h 26ra, 19e, 5 ; 74
respirations, singultueuses.
A 4h 50 m, pression 18e ; tiré 55cc d’un sang très-noir B.
A 4h 42m, pression 17e; 80 respirations; tiré 55ec d’un sang très-
noir G.
Ouvert le robinet ; à 4h 55m, la pression est remontée â 26e; on l’v main-
tient, et à 5h 1 0m on tire 35ccd’un sang noir D.
A 5h 15m, revenu à la pression normale.
A 6h pris 55cc de sang, très-rouge. E.
Le sang A
(76e) contient, pour 100 vol. :
0 20,8 ;
GO2 46,1
— B
(18e) —
7,0;
— 12,9
— G
(17e) — —
74;
— 11,9
— D
(26e) — —
9,2;
- 15,7
- E
(76e) — —
20,8;
— 40,5
Lorsque, après avoir suivi les expériences qui précèdent, on
jette les yeux sur le tableau X qui les résume et dans lequel
elles sont rangées suivant l’ordre des dépressions, Lun des
premiers faits qui appellent l’attention est la variation remar-
quable que présentent les chiffres des colonnes 5 et 4, qui
expriment les quantités des gaz oxygène et acide carbonique
contenus, à la pression normale, dans 1ÛQCC de sang. Les va-
riations pour l’oxygène ont été (en laissant de côté l’expé-
rience CLXXiV pour des motifs que j’indiquerai tout à l’heure)
de 16,9 à 22,6; celles de l’acide carbonique, de 29,1 à 48,4.
11 convient de faire remarquer qu’il n’y a aucune espèce de
rapport, ni direct, ni inverse, entre les augmentations ou les
diminutions de ces deux gaz, en telle sorte que les variations
du total (col. 5), qui ont été de 48,2 à 67,8, ne sont l’expres-
sion d’aucune loi distincte.
On chercherait vainement, dans les détails des expériences,
l’explication de ces variations. Tous mes chiens étaient en
bonne santé, nourris de la môme manière et ayant mangé
depuis le meme temps; j’avais soin, ainsi que je l’ai dit, de
leur tirer du sang pendant une période de tranquillité : ils
étaient, en un mot, aussi comparables que possible. Je suis
donc porté à croire que ces résultats concordent avec l’état
réel des choses et qu’ainsi, d’un individu à un autre, toutes
circonstances étant cependant égales, il y a des différences
importantes dans la richesse en oxygène du sang artériel. Ces
TABLEAU X.
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644
EXPERIENCES.
variations sont, du reste, tout aussi évidentes dans les ta-
bleaux d’analyses publiés par d’autres auteurs; ce serait un
véritable leurre que de s’en débarrasser en en tirant une
moyenne quelconque.
Dans mes expériences, une seule des différences constatées
s’explique par l’état de l’animal, c’est celle de l’expérience
CLXXIV. Il s’agit ici d’un chien de petite taille (4 kil .) , auquel
cinq jours avant j’avais tiré 1 10cc de sang artériel, c’est-à-dire
à peu près la moitié de ce qu’il aurait fallu enlever pour le tuer
de suite, qui était resté malade et mangeant peu depuis ce
temps. Dans la première expérience, son sang avait donné
19,4 d’oxygène et 48,4 d’acide carbonique; dans la seconde,
il n’y avait plus que 15,5 d’oxygène et 54,9 d’acide carbo-
nique : les deux gaz avaient ainsi considérablement di-
minué.
Les variations de l’acide carbonique sont, comme nous
l’avons dit tout à l’heure, considérablement plus étendues
que celles de l’oxygène, mais ne s’expliquent pas mieux : il
y a là un ensemble de problèmes analogues à ceux que nous
avons, MM. Mathieu' et Urbain et moi, déjà étudiés, et qui
nécessiterait des expériences extrêmement nombreuses.
En arrivant maintenant au point qui doit ici nous occuper
spécialement, un simple coup d’œil jeté sur les chiffres des
colonnes 8 et 9 du tableau X, comparés aux chiffres correspon-
dants des colonnes 5 et 4, nous montre que dans tous les
cas, sous pression diminuée, l’oxygène et l’acide carbonique
ont diminué dans le sang artériel. Il n’y a pas eu d’exception
à cet égard.
C’est ce qu’expriment d’une manière bien nette dans la fi-
gure 51 les tracés composés de traits réunissant de petits cer-
cles O’- — -o* — Dans ce graphique, les quantités de gaz sont
mesurées sur l’axe des y et les pressions sur celui des x; les
points en ont été déterminés par la convention suivante :
J’ai pris les chiffres qui expriment les moyennes et sont
placés au bas du tableauX. J’ai supposé que la valeur initiale,
à la pression normale, de l’oxygène (col. 5), était toujours 20,
et que celle de l’acide carbonique (col. 4) était toujours 40.
GAZ DU SANG : PRESSION DIMINUÉE.
645
Alors les valeurs aux diverses pressions (col. 8 et 9) ont été
modifiées en vertu d’opérations analogues à celles-ci :
„ . .. . ... { 0. . 19. 3 (col. 3) : 20 = 16,9 (col. 8) : x = 17,5
Moyenne des expériences de 1 a 4. j CQ2> 37'7 ^ 4j . 40 = 35)2 l(col. 9):Xs= 35>2
Fig. 51. — Diminution des quantités d’O. et de CO"2 contenues dans le sang artériel,
quand la pression barométrique diminue.
En même temps, à chaque pression, j’ai fait le même cal-
646
EXPÉRIENCES.
cul, non plus pour les moyennes, mais pour les valeurs extrê-
mes des modifications, et j’ai obtenu ainsi les points mar-
qués par des petits cercles isolés qui accompagnent les deux
courbes représentatives des moyennes.
Les mêmes faits sont exprimés sous une forme différente,
plus simple peut-être, par les colonnes 12, 15, 14 et 15. Les
colonnes 12 et 15 indiquent la quantité absolue des gaz qui
ont disparu. Les colonnes 14 et 15, plus instructives, expri-
ment la proportion disparue et non plus la quantité absolue.
Elles ont été obtenues par des opérations analogues à celles-ci :
„ , . ,10.... 21,6 (col. 5) : 3,0 (col. 12) = 100 : x = 13,8 (col. 14)
Expérience n° 1. j CQ2> . . 36>5 (col> 4j . 0,9 (col. 15) = 100 : x = 2,5 (col. 15)
Examinant d’abord la colonne 8, nous voyons que la quan-
tité d’oxygène contenue dans le sang artériel a pu, à des
pressions de 50 ou 40e, s’abaisser à 9CC pour 100cc de sang;
c’est-à-dire qu’à ce moment le sang artériel était notablement
moins riche en oxygène que du sang veineux ordinaire.
La diminution de l’acide carbonique a été également (col. 9)
très-considérable; les chiffres exprimant la proportion de ce
gaz se sont, en effet, abaissés presque jusqu’à 20cc pour 100cc
de sang. Nous reviendrons plus loin sur les conséquences de
ces faits.
En comparant les expériences faites à une même diminu-
tion de pression, nous trouvons que la désoxygénation et la
décarbonisation ont singulièrement varié. C’est ainsi que les
chiffres les plus faibles des colonnes 8 et 9 se trouvent non
point à la lin, mais vers le milieu du tableau. Les consé-
quences de ce fait sont encore plus évidentes dans les co-
lonnes 14 et 15; on y voit que, par exemple, à 56e de pres-
sion, c’est-à-dire à environ une demi-atmosphère, le sang
artériel a perdu, dans les diverses expériences, de 56,1 à
55,6 pour 100 de son oxygène, et de 16,8 à 58,6 de son acide
carbonique.
Il est difficile d’expliquer ces différences par les diverses
manières d’être des animaux observées pendant la diminution
de pression. Cet élément peut avoir de l’importance; mais
647
GAZ DU SANG : PRESSION DIMINUÉE.
il ne doit pas être le seul, et très-vraisemblablement des
animaux ayant la même manière d’être doivent différer quant
au résultat, pour une même dépression, et perdre plus ou
moins d’oxygène ou plus ou moins d’acide carbonique les uns
que les autres. Ceci a des conséquences pratiques intéres-
santes sur lesquelles nous insisterons en leur lieu.
En laissant de côté ces différences individuelles, encore
plus difficiles à étudier ici que dans le cas de la pression
normale, et en les faisant disparaître dans des moyennes,
nous voyons (col. 14) que, en moyenne, le sang artériel à la
pression de 56e contient 13,6 pour 100 d’oxygène de moins
qu’à la pression normale; qu’à 46e, il en contient 21,1 p. 100
de moins ; à 56e, 43 pour 100, et à 26e, 50,7 pour 100. Ainsi,
à 26e, en moyenne, la moitié de l’oxygène du sang a dis-
paru. Ces chiffres montrent que la diminution de ce gaz
est loin de suivre la loi de Dalton, qui donnerait, pour les
mêmes dépressions, des pertes de 26,3; 59,4; 52,6; 65,8
pour 100.
Les pertes de l’acide carbonique (col. 15) pour les mêmes
dépressions, en moyenne, sont de 10,9; 14,0; 29,2; 38,2
pour 100 du gaz existant à la pression normale; cela est en-
core plus loin, comme on le voit, de la loi de Dalton.
Ces chiffres montrent même que la perte moyenne en
acide carbonique est moindre que celle en oxygène. La plus
forte proportion de perte, pour le premier gaz (col. 15), a été
de 41,8 pour 100; pour le second, nous avons eu (col. 14) deux
fois 55,6. Dans uncas(exp. CLXXII), à 46e de pression, la quan-
tité d’acide carbonique était presque restée la même qu’à la
pression normale. Ces résultats se traduisent sous une autre
forme dans les colonnes 6 et 11, indiquant la proportion de
l’acide carbonique et de l’oxygène sous les diverses pressions.
On voit qu’à la pression normale, ce rapport a oscillé de 1,5
à 2,7, avec une moyenne de 1,9, tandis qu’aux faibles pres-
sions, il a oscillé de 1,5 à 3,8, avec une moyenne de 2,3.
Dans presque tous les cas, le chiffre de la colonne II est plus
fort que celui qui lui correspond dans la colonne 6, que
celui-ci soit faible ou fort : les exceptions (exp. CLXXV, CLXX,
648
EXPERIENCES.
CLXV11, CLXXIV) se rapportent à des cas où le sang à la pres-
sion normale contenait des quantités d’acide carbonique
assez faibles, allant de 29,1 à 55ec.
Ces faits peuvent être exprimés d’une manière plus précise
par la formule suivante:
La combinaison de l’oxygène avec l’hémoglobine est sus-
ceptible de se détruire partiellement, de se dissocier, à de fai-
bles diminutions de pression ; cette dissociation est évidente
dès 20e de diminution (pression de 56e). Elle va en augmentant
quand la dépression augmente. De 10 en 10e, nous trouvons
en moyenne : de 56 à 46e, une perte de 7,5 pour 100; de 46
à 56e, une perte de 21,9 pour 100 ; de 56 à 26e, une perte de
7,7 pour 100. La perte la plus considérable se fait donc aux
environs d’une demi-atmosphère.
Le tracé Ox de la figure 52 donne au premier coup d’œil la
marche de cet appauvrissement graduel en oxygène; sur l’axe
horizontal sont
comptées les pres-
sions, et sur l’axe
vertical les propor-
tions centésimales
des gaz disparus
(col. 14 et 15 du
tableau X).
Quant à l’acide
carbonique, il se
conduit à peu près
de même ; seule-
ment, sa diminu-
tion est toujours
moindre que celle
de l’oxygène : tout ceci se voit aisément sur le tracé CO2.
Le graphique montre encore que la diminution des gaz ne
se fait pas suivant la loi de Dalton (qui serait représentée par
la bissectrice de l’angle des coordonnées). C’est l’acide carbo-
nique qui s’en éloigne le plus. Cependant il faut dire que
l’écart n’est pas très considérable, pour l’un ni l’autre gaz.
Fig. 52. — Diminution centésimale de l’O. et du CO2 du san<
artériel quand la pression barométrique diminue.
GAZ DU SANG : PRESSION DIMINUEE.
649
Cela est fort remarquable si on se reporte aux opinions
qui ont cours sur l’état dans lequel se trouvent les gaz dans
le sang, d’après les recherches de M. Fernet, aujourd’hui
classiques (voir plus haut, p. 260). D’abord, l’oxygène, uni
chimiquement aux globules, ne serait pas modifiable, quant
à sa proportion, par la pression diminuée (ou augmentée) ;
or, il en va tout autrement, puisque l’appauvrissement en
oxygène est des plus manifestes, et se rapproche notable-
ment de ce que commanderait la loi qui régit les simples
dissolutions.
La difficulté se présente sous un aspect inverse lorsque l’on
considère l’acide carbonique. Les expériences de M. Fernet ont
fait prédominer cette manière de voir, que l’acide carbonique
du sang est pour la plus grande partie (0,964) à l’état de
simple dissolution dans le liquide, et qu’une proportion rela-
tivement faible (0,597) s’y trouve seule à l’état de combinai-
son. Or, ce que nous venons de dire rend peu probable cette
interprétation des expériences de M. Fernet. Si la plus grande
partie de l’acide carbonique était dissoute, la sortie de l’a-
cide carbonique s’exécuterait plus facilement et plus réguliè-
rement sous l’influence de la dépression, et le tracé CO2 se
rapprocherait davantage de la bissectrice. Nous trouverons,
du reste, dans une autre partie de ce travail, d’autres raisons
de penser que l’acide carbonique du sang artériel est, pour la
plus forte proportion, combiné aux carbonates et aux phos-
phates, et qu’il n’en existe qu’une très-faible partie à l’état
dissous. Seulement ces combinaisons se dissocient aisément
sous l’influence de la diminution de pression.
Ces contradictions avec les conclusions de M. Fernet n’im-
pliquent nullement une critique de son important travail. Car
il faut faire remarquer que les expériences de ce physicien
ont été faites in vitro , et à basse température, tandis que les
miennes ont eu pour appareil instrumental l’animal vivant
lui-même. La présence des tissus, la consommation inces-
sante de l’oxygène, la multiplicité des surfaces de contact du
sang et de l’air, les mouvements circulatoires, la formation
probable pendant l’absorption d’oxygène de substances capa-
650
EXPERIENCES.
blés d’agir sur l’élimination de l’acide carbonique, la tempé-
rature élevée du corps vivant, sont des conditions qui exi-
staient dans un cas et non dans l’autre. Sans parler des élé-
ments encore absolument inconnus du problème complexe
de la respiration, en voilà assez pour faire comprendre plutôt
que pour expliquer les différences de nos résultats.
J’ai voulu, du reste, faire moi-même des expériences in
vitro , dans lesquelles j’opérerais des changements de pres-
sion beaucoup plus considérables que ceux obtenus par
M. Fernet. Le récit de ces expériences formera le sous-cha-
pitre Y du présent chapitre.
Le lecteur a pu remarquer que je n’ai étudié la composition
des gaz du sang qu’à partir de 56e. Entre 56e et 76e, je n’ai
cru devoir rendre compte d’aucune de mes expériences. C’est
qu’ici la valeur des modifications que l’on rencontre est pré-
cisément de l’ordre des erreurs d’analyses. 11 faudrait donc,
pour pouvoir conclure quelque chose, faire un nombre con-
sidérable d’expériences, et en tirer une moyenne qui ex-
primerait le sens, sinon la valeur réelle de la modification.
Or ce sens me paraît suffisamment déterminé parce que nous
savons jusqu’ici. La diminution de l’oxygène et de l’acide
carbonique du sang, évidente et constante à 56e, bien que
très-variable quant à sa valeur, commence, à coup sûr, nota-
blement plus tôt, mais à des niveaux barométriques et avec
une intensité qui doivent varier d’un animal à l’autre, ou
chez le même animal suivant diverses circonstances. <
D’autre part, toutes les expériences montrent que l’oxygène
sort toujours en proportion plus grande que l’acide carboni-
que. Cela doit suffire pour nous faire penser que cette règle
s’étend à la période comprise dans les 20 premiers cen-
timètres de diminution de pression, période qui présente
cette importance toute spéciale d’être celle à l’influence de
laquelle sont soumis le plus grand nombre des habitants
des hauts lieux.
Si notre tableau d’expériences montre que nous n’avons
pas commencé dès le début des dépressions, il montre égale-
/
GAZ DU SANG : PRESSION DIMINUÉE. 651
ment que nous ne sommes pas allés jusqu’au bout, c’est-à-
dire jusqu’à la diminution de pression qui devient incom-
patible avec la vie des animaux. C’est que mes appareils ne
m’ont pas permis de le faire, les fuites impossibles à éviter
dans d’aussi vastes récipients arrêtant, comme je l’ai dit, à
17e la diminution de pression.
J’ai tâché de combler cette lacune par un moyen détourné.
Je mettais un chien sous une grande cloche de verre, et l’v
faisais périr par diminution de pression. Puis, le retirant aussi
rapidement que possible, je prenais du sang dans son cœur
gauche à l’aide d’une sonde.
Voici deux expériences ainsi conduites :
Expérience CLXXX. — 15 mai. Chien pesant 5 kilog. ; cloche de 51 li-
tres. Carotide gauche mise à découvert à l’avance.
Mis à 5h40,n sous la cloche, et commencé la diminution de pression en
entretenant un courant d’air.
A 5h47m, pression 45e; s’est agité, mais reste maintenant tranquille.
A 5h50m, 45e; 17 respirations, larges; reste immobile ; tremble.
A 5h55m, 35e; 17 respirations; immobile, la tête basse ; à 5h55m, 12 res-
pirations.
A 5h58m, pression 25e; à 6h, 22 respirations ; immobile.
A 6h 5m, 16 respirations ; amené la pression à 15e. 6h 7m : ne peut plus
se tenir comme il l’a fait jusqu’ici à demi-assis; se couche, le nez appuyé
pour soutenir la tête; fait par minute 28 énormes respirations. On main-
tient la pression à 15e.
A6h10m, 59 respirations moins amples.
A 6h15m, 55e; à 6h15m, 44 : sortie de matières fécales, sans effort appa-
rent ; à 6h 19m, 40 respirations.
A 6h 20m, je ferme le robinet d’appel ; la pression s’abaisse aussitôt à 7e.
Le chien se soulève sur les quatre pattes, se raidit violemment, bien qu’a-
vec une lenteur régulière, cesse de respirer, et s’affaisse, mort.
Je laisse rentrer l’air : l’animal se dégonfle beaucoup. Retiré, fait deux
ou trois petites inspirations pendant qu’on introduit la sonde dans le cœur
gauche. Le cœur bal encore un peu ; on tire avec beaucoup de peine 52ee
d’un sang très-noir.
Les poumons sont, par larges places, rouges, allant au fond de l’eau, mais
se déplissant parfaitement par l’insufflation. Il y a là une sorte d’état fœ-
tal. Pas de sang dans la trachée, ni dans les bronchioles.
Le sang extrait contient, pour 100 volumes : CO2 19,0; O 4,9.
Expérience CLXXXL — 25 mai. Chien pesant 4 kilog.
Pris à la carotide gauche 55ee,5 de sang
A.
652 EXPÉRIENCES.
6h. Mis sous cloche de 51 litres, et commencé à diminuer la pres-
sion.
A 6h 6m, pression 40e; à 6h 8m, 55e ; 14 respirations.
A 6h12m, ramené à 45e, 10 respirations.
A 6h15m, pression 51e; se lève, s’assied, se retourne.
A 6h 17m, pression 20e; assis, mais la tète basse, 15 respirations ; lève la
tète quand on frappe la cloche.
,A6h20m, pression 15e; tombe, urine, aboie faiblement et plaintive-
ment.
A 6h 21m, pression 15e ; se relève, aboie et retombe.
A 6h25m, pression 15e; couché, 9 respirations, moyennes.
Fermé le robinet : la pression descend doucement à 7e ; l’animal parait
mort, quand tout à coup (6ll27lu) il se redresse debout, se raidit lentement
et fortement, et retombe.
On revient à 15e ; il paraît mieux, se remue un peu ; on remonte à 7e ;
meurt sans mouvement.
Retiré de sriite. J’extrais sans difficultés, du cœur gauche, 50eed’un sang
très-noir B.
Au premier coup de pompe, il ne vient rien. Au deuxième, environ 5ee;
au troisième, une assez forte quantité de gaz, et au quatrième presque rien.
Le sang n’a pas moussé sensiblement. C’est au reste ce que nous avait donné
l’expérience précédente et ce qui s’explique par la faible quantité de gaz.
Le sang A contenait, pour 100 vol. : CO2 55,0; O 19,2
— B — — 16,2;— 8,1
Ces expériences ne permettent de rien conclure relative-
ment à l’oxygène, parce que, bien évidemment, lors du re-
tour à la pression normale, l'oxygène de l’air contenu dans les
vésicules pulmonaires s’est dissous en partie dans le sang
des poumons, qui a été ensuite chassé dans le cœur gauche.
Aussi le sang artériel était-il très-rouge, ce qui avait déjà,
comme nous l’avons vu dans l’historique (p. 259), singulière-
ment embarrassé F. Iloppe. Mais l’acide carbonique est dans
un autre cas, et nous pouvons voir qu’il a été réduit à 19e, 0
et 16cc,2. Quant à la proportion disparue, elle a été, dans
l’expérience CLXXXI, de 55,7 pour 100.
Or, en nous reportant au tableau X, p. 645, nous trouvons
à la pression de 17 centimètres (expér. CLXXIX) une perte bien
plus forte, de 74 pour 100. Mais d’abord, cette perte n’est pas
une moyenne, puisqu’elle ne résulte que de deux analyses
faites sur le même animal, dans la même expérience, l’une à
18 centimètres, l’autre à 17 centimètres, avec 12 minutes
f
GAZ DU SANG : PRESSION DIMINUÉE. 653
d’intervalle. De plus, pour arriver à cette dépression énorme,
que je n’ai pu atteindre depuis, j’avais dû maintenir pendant
une heure l’animal à une pression inférieure à 50 centimè-
tres (voy. à la page 641 le détail de l’expérience).
Je signalerai encore dans cette expérience CLXXIX la très-
faible proportion d’acide carbonique qu’a retenue le sang en
passant de 17 à 26 centimètres de pression (anal; D), malgré
un quart d’heure d’intervalle. J’ai cru ne pas devoir faire
entrer ce chiffre n° 17, tableau X, dans la moyenne de la
colonne 15 et dans le graphique de la figure 52 qui l’exprime.
Un autre point intéressant est, au contraire, le retour des
proportions normales d’oxygène et à peu près normales de CO2
lorsque l’animal a été ramené à la pression de 76 centimètres
(trois quarts d’heure après). J’ai eu de nombreux exemples
de cette réparation des gaz, exemples plus rapides encore.
Quant aux chiffres des analyses B, C, D (nos 20, 21, 17 du
tableau X), je pense qu’il faut les considérer comme des
minima pour l’acide carbonique, et j’ai préféré inscrire au
tracé CO2 de la figure 51 les résultats fournis par les expé-
riences à 7 centimètres, qui semblent être plus près de la
moyenne, et mieux rentrer dans la loi du graphique.
11 me serait facile de tirer maintenant des conséquences
pratiques de la considération des faits qui précèdent, et de
montrer ce qu’il advient du sang des voyageurs qui, soit en
ballon, soit sur le flanc des montagnes, se soumettent à des
diminutions importantes de pression. Mais je pense que ces
réflexions se trouveront mieux à leur place dans la troisième
partie de cet ouvrage, lorsque je déduirai de l’ensemble
des faits expérimentaux l’explication des troubles produits
par les modifications de la pression. Je me contente ici de
résumer les résultats ci-dessus rapportés en cette formule
simple :
Quand la pression diminue , la quantité des gaz contenus dans
le sang diminue également , mais en proportion un peu moindre
que celle qu’indiquerait la loi de Dalton ; le sang perd ainsi rela-
tivement plus d'oxygène que d'acide carbonique.
654
EXPERIENCES.
SOUS-CHAPITRE III
DES GAZ DU SANG AUX PRESSIONS SUPÉRIEURES A CELLE
D UNE ATMOSPHÈRE.
g 1. — Dispositif des expériences.
- \
I/appareil que j’emploie en vue de l’extraction du sang
d’animaux soumis à des pressions supérieures à celle de
l’atmosphère consiste (fig. 55) en un cylindre droit en tôle
d’acier de 4 mill. d’épaisseur. La partie moyenne du cylindre
est à base circulaire, tandis que les deux extrémités ont pour
directrice une ellipse. Le raccord est assujetti au moyen de
nombreux boulons très-petits. La forme elliptique a pour
objet de permettre d’introduire, en les présentant par leur
petit axe, les portes qui doivent fermer les extrémités ‘du
cvlindre.
«j
Ces portes consistent en un cadre de fonte au centre
duquel est fixé un hublot de verre de 18 mill. d’épaisseur,
sur un diamètre de 10 cent. On les met en place en les
présentant obliquement et en les entrant dans le cylindre;
ramenées alors en arrière, elles se juxtaposent au rebord et
ferment hermétiquement, grâce à une rondelle de caout-
chouc. Deux chevalets armés d’écrous les maintiennent en
place ; la pression de dedans en dehors fait le reste.
La longueur totale du cylindre est de lm, 50 ; son diamètre,
dans sa partie circulaire, est de 40 cent.; la capacité totale
est donc d’environ 155 litres.
On charge l’appareil au moyen d’une pompe à compres-
sion C du système Rouquavrolle et Denayrouze, mue par la
machine à gaz dont on voit en A l’embrayage qui actionne
les engrenages B ; l’air chargé de vapeur d’eau que lance
cette pompe, et dont la température s’élève notablement,
est forcé de traverser un serpentin baignant dans l’eau froide
D, muni d’un réservoir E pour l’eau de condensation.
uni/; vjuuuic uc 'Uic u kuci tant aiuiuapiicico
/T £
A. Counoie de transmission de la machine à vapeur. B. Système d’engrenages. — C. Pompe Denayrouze à compression. — D. Serpentin pour refroidir
t air comprime. — li. Récipient pour recevoir l’eau condensée en D. — a Robinet par lequel arrive l’air comprimé. — b Manomètre. — c Gros robinet pour
fission brusque.— .Rabiaaet pour recueillir l’eau, l’urine, contenues dans l’appareil. — f Ouverture de fortes dimensions pour manipulations diverses.
C56 EXPÉRIENCES.
Un robinet a établit ou ferme la communication avec la
pompe.
Un autre robinet c, dont l’ouverture peut être progressive-
ment augmentée, permet, soit d’extraire, pour l’analyser, de
l’air du récipient, soit d’y entretenir, sous pression, un cou-
rant d’air pur, soit, enfin d’obtenir une décompression très-
brusque. Enfin, le manomètre b indique la pression.
En d se trouve un robinet qui, situé dans la partie déclive
d’une garniture intérieure en zinc, permet d’extraire les
urines ou les eaux de condensation. Enfin, en f est un gros
orifice qui peut, tantôt être fermé par une tête à pas de vis,
comme le montre la figure , tantôt permettre d’introduire
un thermomètre, une serre-fine à tige, une sonde, etc. Pour
empêcher l’air de s’échapper autour de ces instruments, on
leur fait traverser une balle de caoutchouc (B, fig. 34), prise
dans une bague en cuivre dont le pas de vis la serre à volonté.
Cette disposition tout en oblitérant complètement l’air, laisse
aux instruments une mobilité qui peut être utile.
Lorsqu’on veut voir ce qui se passe dans l’appareil, on
place une bougie en face de l’un des hublots de verre, et on
regarde par l’autre : manœuvre périlleuse, car c’est dans ces
conditions que survint l’explosion dont je parlerai dans un
autre chapitre.
Le chien sur lequel devra être faite l’opération est solide-
ment attaché, le museau pris dans une muselière, sur un
cadre en fer et en bois, dont la forme s’adapte à la paroi
intérieure de l’appareil, en telle sorte que l’animal, une fois
introduit, ne peut se déplacer. Dans une de ses artères caro-
tides A, est introduite une sonde métallique S, qui peut, lors-
que l’animal est en place, se raccorder avec un tube de cuivre
qui traverse à vis la paroi de l’appareil, et est muni au dehors
d’un robinet R.
Les choses étant disposées, on ferme le robinet R, la
serre-fine SF fermant la carotide et empêchant le sang d’en-
trer dans la sonde. On fixe alors la porte du cylindre et on
commence la pression; celle-ci monte aisément à raison
d’environ 4 minutes par atmosphère, lorsque tous les robi-
r
GAZ DU SANG : PRESSION AUGMENTÉE.
657
nets sont bien fermés. Il faut ainsi à peu près 40 minutes
pour arriver à 10 atmosphères, pression maxima que j’aie
atteinte avec cet appareil.
Rien de plus simple maintenant que d’extraire le sang de
l’animal, lorsqu’on est
arrivé à la pression dé-
sirée. Il suffit d’ouvrir
le robinet R et d’enle-
ver la serre -fixe SF
pour voir le sang ca-
rotidine s’élancer avec
une force extraor-
dinaire au dehors.
Dans ces conditions,
en effet, l’animal est
comme une éponge
puissamment expri-
mée par une force cor-
respondante à lk,03
multiplié par le nom-
bre des atmosphères
et par la surface exté-
rieure de son corps.
Toute la manœuvre
consiste donc à adap-
ter au caoutchouc épais qui adhère au robinet la seringue
en verre de la fig. 23. En ouvrant avec précaution les robi-
nets, on voit le piston de la seringue soulevé énergiquement
par la pression du sang. Il ne faut pas manquer d’adapter
à la seringue son robinet propre, et de le fermer aussitôt
qu’on a pris la quantité désirée de sang, afin d’empêcher les
gaz qui se dégagent souvent de s’échapper. Quand ce dégage-
ment était considérable, je pesais la seringue pour avoir la
quantité de sang, les lectures de volume devenant alors fort
inexactes.
Fig. 34.
Extraction du sang d’un animal placé
dans l’air comprimé.
42
658
EXPÉRIENCES.
g 2. — Expériences.
Yoici maintenant le récit détaillé des expériences faites
dans les conditions ci-dessus indiquées.
Expérience CLXXXÏI. — 25 juillet. Chien pesant 12 kilog.
Tiré à la carotide gauche 56cc de sang . A .
4h50m. Mis dans l’appareil à compression, et foulé l’air avec courant;
à 5h 8m, on est arrivé à 10 atmosphères.
A5h15m, tiré 56sr,7 de sang, très-rouge; des gaz se dégagent dans la
seringue, et le sang commence très-vite à se coaguler B.
Ramené en 2 min. à 6 atmosphères, et entretenu à celte pression, sous cou-
rant; à 5h 45ra, tiré 59cc,7 de sang un peu moins rouge ; pas de gaz libre (C).
Ramené brusquement à 5 atmosphères, et entretenu sous-courant d’air.
A 6h55m, tiré 58cc,2 de sang; pas de gaz libres (D)
On décomprime lentement. A 7h, l’animal va bien; il survit sans accident.
/ .
Le sang A (1 atm.) contient, pour 100 vol. : O 19,4; CO2 55,5; Az. 2,2
— B (10 atm.) —
—
24,6 ;
56,4;
11,5
— C (6 atm.) —
—
25,7;
55,6;
8,1
— D (5 atm.) —
—
20,9;
55,1;
. 4,7
Expérience CLXXXlli. — 27 juillet. Chienne pesant 9 kilog.
Tiré 29cc,5 de sang à la carotide . (A)
Mise dans l’appareil à compression ; avant chaque extraction de sang, je
maintiens à la pression déterminée, sous courant d’air, pendant quelques
minutes.
A 5h21m, tiré 29cc,5 de sang à 2 atmosphères (B)
A5h48m, 54cc,5de sang à 5 atmosphères (C)
A4h55m, 58cc,2 de sang à 7 1/2 atmosphères (D)
Jusque-là, pas de dégagement de gaz dans la seringue.
A 5h15m, tiré 50cc,7 de sang à 10 atmosphères; ici, il vient des bulles
fines de gaz. . . . • (E)
Décomprimée en 50 minutes; meurt.
Le reste de son histoire sera rapporté au chapitre VIL
Le sang A (1 atm.) contient, pour 100 vol. : CO2 18,5; CO2 57,1 ; Az 2,2
— R (2 atm.) — — 19,1; 57,7 ; 5,0
— C (5 atm.) -- — 20,6 ; 40,5; 6,1
il — D(71/2atm.) — — 21,1; 56,8; perdu
— E (10 atm.) — — 21,4; 56,8; 11,4
Expérience CLXXXIY. — 5 août. Chienne pesant 11 kilog.
Tiré 29cc,5 de sang à la carotide (A)
GAZ DU SANG : PRESSION AUGMENTÉE.
659
Mise dans l’appareil à 5h55m. Même précaution qu’à l’expérience précé-
dente. , j \
A 5h55m, 5 atmosphères ; tiré 29cc,5 de- sang; il s’en jdégage quelques
bulles de gaz ^ ...... . (pj
A 6h28m, 6 atmosphères 5/4 ; tiré 29QQ,5 de sang ; le dégagement ga-
zeux est évident ,j. . . . . . (C)
L’animal crie et se plaint. j
A 7h10n\ 9 atmosphères 1/4; tiré 56cc de sang ; gaz en abondance
On ouvre fort grand le robinet de la sonde; il sort ainsi 25Ô^r de sang
très-rouge, qui se coagule aussitôt ; il s’y dégage beaucdup de gaz.
Décomprimé rapidement, l’animal meurt aussitôt. Le reste de son
histoire, au chapitre YII. !
Le sang A ( 1 atm. ) contient, par 100 vol. : O 18,4; CO2 47, T; Az. 2,5
— B (5 atm.) — — 20,0; I 42,2; 4,4
— C(63/4atm.) — — 21,0; ! 41,5; 7,1
— D (91/* atm.) — — 21,2; 39,8; 9,3
Expérience CLXXXV. — 7 août. Chienne pesant 8k,5.
Tiré à la pression normale 31 cc,9 de sang ; l’animal eniperd de plus, par
accident, environ 35cc. ... (A)
A 5h25m, 5 atmosphères ; tiré 30cc,7 de sang, dans lequel se dégagent
des bulles de gaz.
• • : • • ., '(B)
A 6h5m, 8 atmosphères ; tiré 51 cc,9 de sang; bulles nombreuses . (C)
A 6h33m, 10 atmosphères ; tiré 55^r,8 de sang ; les gaz s’y dégagent en
abondance, et la coagulation menace de se faire avec rapidité.
Décomprimé ; la fin de son histoire au chapitre VI I.
Le sang A (1 atm.) contient, pour 100 vol. : O 22,8; CO2 50,1 ; Az 2,3
— B (5 atm.) — — 23,9; 55,2; 6,0
— G (8 atm.) — — 25,4; 57,6; 9,5
— D (10 atm.) — — 25,2: 39,0; 10,0
Expérience CLXXXVI. — 8 août. Chien pesant 12k,5.
Tiré 55cc,8 de sang à la pression normale, par la carotide droite. . (A)
Mis dans l’appareil à 4h 45m... . .
A5h33m, 5 atmosphères 1/2; tiré 52cc,9 de sang; dégagement de
£az
• • • (B)
A 6h41m, 10 atmosphères ; tiré 56e r,l de sang; gaz en abondance dans
la seringue (G)
Décomprimé; la fin de son histoire au chapitre VII.
Le sang A (1 atm.) contient, pour 100 vol. : O 20,2 ; CO2 37,1 ; Az 1,8
— * B(5atm.1/2) — — 25,7; 35,5; 6,7
— C (10 atm.) — — 24,7; 57,9; 9,8
Ces divers résultats sont distribués dans le tableau XI,
suivant l’ordre croissant des pressions.
TABLEAU XI.
GAZ DU SANG : PRESSION AUGMENTÉE. 661
, r
Si maintenant nous passons à l’examen des chiffres qu’il
contient, examen que nous facilite l’inspection des colonnes
12, 15 et 14, dans lesquelles se trouvent indiquées les modi-
fications en proportions centésimales du volume des gaz
extraits du sang sous pression, nous y voyons au premier
coup-d’œil : 1° que l’oxygène et l’azote ont toujours aug-
menté; 2° que l’acide carbonique a tantôt augmenté, tantôt
diminué.
Ceci peut être mis en évidence sous une forme plus
nette, en faisant sur ces différents nombres le calcul sui-
vant.
Nous supposerons que, à la pression normale, le sang con-
tient toujours 20 vol. d’oxygène, 40 vol. d’acide carbonique
et 2,2 vol. d’azote; la quantité contenue aux autres pres-
sions se déduira aisément d’une proportion.
Ainsi, pour la première expérience inscrite au tableau, les
proportions seront, à 2 atmosphères :
0: 18, 3:20=19, 1:» = 2O,0
CO2 : 57,1 : 40 —57,7 : a; =40,7
Az : 2,2;2,2~ ofi'.x— 5,0
En faisant des moyennes pour les pressions identiques, on
arrive à dresser le tableau suivant :
TABLEAU XII.
1
ATMOSPHÈRES
2
OXYGÈNE
5
CO2
A
Az ;
1
20
40,0
2,2
! ‘2
20,9
40,7
5
5
21,6
57,2
3,9
5 (exp. 4, 5, 6) . . . .
22,7
55,7
•6
7 (exp. 7, 8, 9, 10). . .
23,1
55,5
7
10
25,4
56,6
9,4
Les résultats de ce tableau sont exprimés d’une manière *
Fig. 5o. — Variations des gaz du sang aux pressions supérieures à une atmosphère.
pressions sont portées sur V axe horizontal, et les quantités
de gaz sur l’échelle verticale.
Reprenons maintenant pour chacun des trois gaz du sang
602 EXPÉRIENGES.
très-frappante par les graphiques suivants (fig. 55), où les
GAZ DU SANG : PRESSION AUGMENTÉE.
G63
l’examen des faits, en nous servant de la figure et des deux
tableaux.
1 0 Oxygène. — Son augmentation, avons-nous dit, est
constante. Mais la comparaison des colonnes 5, 8 et 12 du
tableau XI, nous montre qu’elle est à la fois très-variable
pour une même pression, et très-faible même sous l’énorme
pression de 10 atmosphères.
La variété des résultats n’a pas de quoi nous étonner, après
ce que nous avons déjà vu en parlant des diminutions de
pression, et après les inégalités dont témoignent encore les
chiffres si divers de la colonne 5. Il nous est impossible de
la rattacher à quelque condition connue; mais elle est fort
intéressante à constater, parce qu’elle peut servir à rendre
compte de l’intensité, fort variable selon les sujets, avec
laquelle agit la compression de l’air.
Quant à la valeur de cette augmentation, il est vraiment
fort curieux de voir combien elle est faible. Son maximum,
sous une pression de 10 atmosphères, a été de 26,7 pour 100,
c’est-à-dire qu’en volume la quantité d’oxygène contenue dans
1 00cc de sang artériel a passé de 19cc,4 à 24cc,6. Les chiffres
relatifs aux pressions intermédiaires* déposent dans le même
sens. Le tracé üx et la colonne 2 du tableau XII montrent
avec une grande évidence cette lenteur d’augmentation.
Nous avions déjà vu, du reste, par les expériences faites
dans l’air dilaté, que l’influence delà pression barométrique,
relative à la quantité d’oxygène absorbable, est moindre pour
les pressions voisines de 76e que pour celles qui sont beau-
coup plus basses. Ainsi, les chiffres de la colonne 14 du
tableau X, page 645, montrent qu’en passant de 76 à 56e
l’oxygène diminue seulement de 15,6 pour 100, tandis qu’en
passant de 56 à 56e il diminue de 45 — 15,6= 29,4 pour 100.
Aussi le graphique Ox (fig„ 51), qui exprime la marche du
phénomène, va en se surbaissant aux environs de la pression,
normale.
; Nous pouvons transformer ceci d’une manière plus claire;
encore dans un autre graphique (p. 56). Prenons pour ori-
gine du zéro le vide barométrique, mesurons les pressions
Fig. 56. — Augmentation de loxygéne du sang artériel de 0 à 10 atmosphères (tracé et
ordonnées en pointillé), et de U à 26 atmosphères (tracé et ordonnées en trait plein).
12
GAZ DU SANG : PRESSION AUGMENTÉE. 605
en atmosphères sur l’axe des æ, et portons sur l’axe des y des
valeurs proportionnelles à la richesse en oxygène aux diver-
sespressions, et nous obtenons ainsi une courbe 0<*(3 (gra-
phique et lignes verticales ponctuées) qui, après avoir monté
très-rapidement dans la région de zéro à 1/2 atmosphère, un
peu moins dans la région de 1/2 à 1 atmosphère, se sur-
baisse considérablement au delà.
Les chiffres ne sont pas moins nets; en admettant que le
zéro de l’oxygène corresponde à la dépression mortelle de
7 à 8 centimètres, égale à 1 /10e d’atmosphère, nous voyons,
par la combinaison des tableaux X et XI, que :
De 1/10 à 1/4 d’atmosphère, la proportion de l’oxygène a
augmente de 7,5
De 1/4 à 1/2 5,7
1/2 à 3/4 . 4,5
5/4 à 1 2,5
De 0 à 1 atmosphère
1 à 2
2 à 5. . .
^ ^ g | divisant par 2 la différence de 5 à 5 = 1,1.
5 à 6
6à7
7 à 8
8 à 9
9 à 10
20
0,9
0,7
j 0,6
| 0,5
0,2
0,2
0,1
0,1
0,1
25,4
Lu d’autres termes, ces faits montrent que, dans l’orga-
nisme vivant, l’absorption de l’oxygène par le sang aug-
mente très-rapidement pour les pressions inférieures à une
atmosphère, mais très-lentement, au contraire, pour les
pressions de plusieurs atmosphères. Tout semble indiquer
qu’il existe, correspondant aux environs de la pression nor-
male, un point de saturation chimique de l’oxy-hémoglo-
bine, et qu’au delà il ne s’ajoute plus au sang que de l’oxy-
gène dissous dans le sérum, suivant la loi de Dalton. Ceci
sera vérifié lorsque je parlerai des expériences faites in vitro
sur le sang sorti des vaisseaux.
Nous reviendrons en leur lieu sur les réflexions que susci-
tent ces faits intéressants. Contentons-nous de constater,
pour le moment, qu’un ouvrier qui travaille à la pression
EXPÉRIENCES.
666
de 2 à 5 atmosphères n’a pas beaucoup plus d’oxygène dans
le sang qu’à la pression normale. 11 y a plus, et ceci n’est pas
à négliger pour l’explication de l’inégalité des phénomènes
manifestés par les divers ouvriers, j’ai vu des animaux qui
avaient normalement dans le sang, à la pression normale,
plus d’oxygène que d’autres à 10 atmosphères; c’est ainsi
que, dans les expériences sous pression diminuée, certains
de mes chiens avaient, à la pression normale (voy. tableau X,
p. 645, exp. 4 et 11), moins d’oxygène que d’autres à une
pression de 56 centimètres et même de 44 centimètres
(exp. 1, 2, 5, 8).
2° Acide carbonique . — Ainsi que le montre le tableau de
la page 660 (colonnes 4, 9, 15), tantôt il augmente, tantôt
il diminue. Son augmentation est toujours très-faible (au
plus 9,2 pour 100, c’est-à-dire, en quantité réelle, 5CC,4 pour
100ccde sang); sa diminution a été très-forte (jusqu’à 29,7
pour 100, c’est-à-dire 14cc,9 pour 1 1 0CC de sang). Tout ce que
permettent de dire les chiffres, c’est que l’acide carbonique
a toujours diminué lorsque sa proportion primitive dépassait
58cc pour 100cc de sang.
Les moyennes, représentées, suivant la convention ci-dessus
établie, par la colonne 5 du tableau Xll et par le tracé GO2 de
la figure 55, indiquent une diminution irrégulière, il est vrai,
mais constante. Cependant, on peut dire qu’il reste établi,
comme fait général, que raugmentation de la pression au-
dessus de la pression normale ne modifie pas d’une manière
très-considérable la richesse en acide carbonique du sang. Il
en était tout autrement, ainsi que nous l’avons vu, pour les
pressions inférieures à une atmosphère; mais déjà, aux en-
virons de 76e, nous avions vu que l’acide carbonique varie
peu, et dans les chiffres de la colonne 14, pour la pression
de 56e, nous trouvons ceux bien faibles de 2,5 et de 0,8 pour
100. Au contraire, à la pression de 56e, par exemple, le sang
contient en moyenne 29,2 pour 100 d’acide carbonique de
moins qu’à la pression normale, ce qui correspond à une perte
moyenne de llee,4 pour 100ee de sang.
La conséquence pratique importante de ce fait est que les
mi
GAZ DU SANG : PRESSION AUGMENTÉE.
accidents observés chez les hommes et les animaux soumis à
de hautes pressions ne peuvent en rien être attribués à l’in-
tervention de l’acide carbonique. Nous aurons à revenir sur
ce fait.
Que si maintenant nous nous demandons comment il se
fait que l’acide carbonique diminue pour les pressions très-
basses, sans augmenter pour cela au-dessus d’une atmo-
sphère, la réponse est assez difficile à faire. Je me suis ce-
pendant arrêté à l’explication suivante.
Les échanges respiratoires ne se font pas, comme on le dit
dans le langage courant, entre le sang des poumons et l’air
de l’atmosphère. S’il en était ainsi, cet air, ne contenant que
des traces minimes d’acide carbonique, jouerait à l’endroit
du sang, par rapport à ce gaz, le rôle du vide, et il n’en reste-
rait dans le sang qu’une quantité très-faible. Mais les échan-
ges se font entre le sang veineux et l’air des vésicules pulmo-
naires. Or, j’ai trouvé autrefois1 que cet air, même après
une inspiration, contient encore de 6 à 8 pour 100 d’acide
carbonique. M. Gréhant2, qui a fait plus tard la même recher-
che par un procédé tout différent du mien, est arrivé à un
résultat aussi voisin de celui-ci qu’oii peut le désirer en sem-
blable matière. C’est donc la présence normale de cette pro-
portion importante de l’acide carbonique dans 1 air des alvéo-
les qui en maintient dans le sangla quantité habituelle; ce
gaz se crée ainsi à lui-même son propre obstacle, et l’on
conçoit aisément comment une ventilation pulmonaire exa-
gérée, diminuant la proportion du GO2 dans l’air des alvéo-
les, la diminue en même temps dans le sang (voy. plus
haut, p. 626).
Cet acide carbonique qui demeure ainsi dans les pou-
mons représente l’excès régulier de l’acide carbonique formé
dans nos tissus sur celui qui est exhalé par la trachée. Cette
quantité ne devra donc pas varier, si rien n’est changé dans
les conditions de la nutrition et de la ventilation pulmonaire.
Or, ce parait être le cas lors de la respiration dans l’air com*
1 Leçons sur la physiologie de la respiration , p. 161.
' Comptes rendus de la Société de Biologie pour 1871, p; 01 i
668
EXPERIENCES.
primé, au moins pour ce qu’il y a de grossier et d’apparent
dans les phénomènes. Si donc il se produit pendant le même
temps la même quantité de CO2, la quantité qui en restera
dans l’air des poumons sera la même; mais comme cette
quantité est comprimée, son volume diminue en sens inverse
de la pression, et il est clair qu’alors sa proportion centési-
male dans l’air des poumons, dont le volume total ne change
pas, diminuera de même que le volume. Ainsi, un animal dont
l’air des poumons, à la pression normale, contenait 0 pour
100 de CO2, n’en contiendra que 5 pour 100 à 2 atmosphè-
res, que 2 pour 100 à 5 atmosphères, que 1 pour 100 à
6 atmosphères, etc.
Or, la pression exercée par cet acide carbonique sur l’acide
carbonique du sang ayant évidemment comme mesure le pro-
duit de la proportion centésimale par la pression barométri-
que, sera exprimée dans les divers cas plus haut cités : à la
pression normale, par 6x1 = 6; à 2 atmosphères, par
5x2 = 6; à 5 atmosphères, par 2x5 = 6, etc, c’est-à-
dire que sa valeur reste toujours la même. 11 n’est donc pas
étonnant que la richesse du sang en acide carbonique ne
varie pas non plus.
Mais pourquoi diminue-t-elle lors des pressions très-faibles?
Dans ce cas, même raisonnement, mêmes conséquences, ce
semble. Mais ici la question se complique. D’abord, si nous
supposons l’animal à demi-atmosphère, la proportion de
l’acide carbonique du poumon s’élèvera à 12 pour 100; la
richesse en oxygène de l’air des vésicules pulmonaires s’en
appauvrit ainsi, et l’animal est entraîné à opérer une ventila-
1
lion plus active qui, diminuant la tension 12 x ^ ~ 0, laisse
sortir plus d’acide du sang.
Mais la raison principale est ailleurs que dans la diminu-
tion de la pression barométrique; nous verrons, en effet,
p. 676, que la richesse en acide carbonique diminue dans le
sang par le fait seul de la respiration d’un air moins riche en
oxygène. C’est donc dans les conditions chimiques de la for-
mation de CO2, conditions troublées, qu’il faut chercher la
GAZ DU SANG : PRESSION AUGMENTÉE.
669
cause la plus importante de cette diminution. 11 en est sans
aucun doute de même pour la diminution qui coïncide avec
les pressions supérieures à 1 atmosphère.
5° Azote. — Pour ce dernier gaz, les choses doivent se pas-
ser et se passent, en effet, avec une grande simplicité. Comme
il n’entre dans aucune combinaison, sa proportion dans le
sang dépend uniquement de la pression; aussi les colonnes
5, 10, 14 du tableau XI, nous montrent qu’elle augmente
considérablement. Nous verrons, en parlant des effets de la
décomposition brusque, quelle importance présente cette
quantité considérable d’azote.
Cependant, chose curieuse, il s’en faut de beaucoup que
l’augmentation suive la loi de Dalton. En effet, à 5 atmosphè-
res, par exemple, nous trouvons dans la colonne 5 le nombre
moyen 6, au lieu de 11 qu’exigerait la loi de Dalton; à 10 at-
mosphères, celui de 10,4 au lieu de 22. Il y a ainsi environ
moitié moins d’azote que ne le voudrait la loi. Cela est très-
saisissant dans le tracé Az delà figure 55, où la ligne droite
indique ce qu’exigerait la loi.
Ce fait est très-instructif, parce qu’il montre à quel point
est incomplète l’agitation intra-pulmonaire, au moins aux
pressions élevées. Or, les résultats fournis par l’oxygène dé-
posent dans le même sens. En admettant que l’hémoglo-
bine soit saturée chimiquement d’oxygène aux environs de
la pression normale, la quantité d’oxygène dissous devrait
être beaucoup plus forte aux pressions élevées que l’expé-
rience ne l’indique. A 10 atmosphères, par exemple, ce
n’est pas 23,4 p. 100 qu’il faudrait trouver, mais 29 envi-
ron. L’insuffisance du brassement de l’air dans le poumon
doit être ici invoquée; du reste, elle est évidente à la pres-
sion normale, puisque du sang extrait de l’artère s’enrichit
toujours notablement en oxygène par l’agitation avec l’air.
Nous allons voir qu’il en est de même pour les hautes pres-
sions.
Tout ceci peut se résumer dans la phrase suivante : chez
ranimai vivant , lorsque la pression barométrique augmente ,
l'oxygène augmente dans le sang artériel mais avec une extrême
670
EXPÉRIENCES.
lenteur ; l1 azote augmente plus vite , mais pas autant , à beau-
coup près , /e voudrait la loi de Dalton ; quant à l'acide car-
bonique, diminue presque toujours.
SOUS-CHAPITRE IV
GAZ DU SANG DANS i/ASrHYXIE COMPARÉE A LA DIMINUTION
DE PRESSION.
Je crois avoir démontré, dans le premier chapitre, que les
accidents et la mort dans l’air dilaté sont la conséquence
de la faible pression de l’oxygène extérieur, et qu’il s’agit
là, en somme, d’une simple asphyxie par privation d’oxy-
gène.
S’il en est ainsi, on doit, dans le sang d’un chien soumis à
l’asphyxie, retrouver l’appauvrissement, en gaz, du sang des
chiens soumis à la décomposition.
Pour vérifier cette hypothèse, deux méthodes se présen-
Fig. 57. Chien respirant de l’air contenu dans un sac de caoutchouc. A, B, flacons
à eau potassée formant soupape, et servant à absorber l’acide carbonique.
taient : 1° placer un animal dans un courant d’air de plus
en plus pauvre en oxygène; 2° faire épuiser par l’animal
une certaine quantité d’air, en se débarrassant, bien en-
GAZ DU SANG : ASPHYXIE.
671
tendu, de l’acide carbonique au fur et à mesure de sa for-
mation.
La première méthode m’a paru impraticable. Pour mettre
en usage la seconde, j’ai adapté à des chiens une muselière
qui communiquait avec un sac contenant de 150 à 150 litres
d’air; à l’expiration comme à l’inspiration, l’air barbotait
dans une solution de potasse destinée à le dépouiller de son
acide carbonique, ce à quoi, pour le dire en passant, il me
fut impossible de parvenir complètement : l’air du sa*c con-
tenait toujours de 1 à 2 pour 100 de ce gaz.
La figure 57 représente la disposition de l’expérience. L’aip
inspiré et l’air expiré traversent des flacons A et B, où de l’eau
potassée fait soupape ; en A, le tube qui communique avec le
chien se termine dans le haut du flacon ; c’est par lui que se
fera l’inspiration ; en B, il descend et plonge un peu dans le
liquide ; c’est par celui-ci que se fera l’expiration.
L’expérience ainsi disposée, je prenais de temps en temps
des échantillons de l’air du sac et du sang carotidien, pour
en faire Tanalvse.
Voici les résultats de quelques expériences
Expérience CLXXXVII. — 1er avril : Chien mâtin, pesant 11 kil. Sac
contenant 157 litres d’air. Température 15°. Expérience commencée à
2h 35m.
2u56m: 16 respirations; 144 pulsations; pression artérielle variant de
12e, 5 à 17e; température rectale 59°. Pris 25ee de sang carotidien, rouge^
clair; contient pour 100cc : 19 d’oxygène et 48 d’acide carbonique.
L’animal est très-calme et reste très-calme pendant toute la durée de
l’expérience.
2h 55m : respirations, 16; pulsations, 96.
5 heures: Pris air du sac: contient O 18,1 ; CO2 0,8.
5h 5m : respirations, 15 ; pulsations, 78 ; 6 59°. Pris 25ee de sang, bien
rouge; contient 017,0 ; CO2 49,0.
5h 50m : respirations, 20, longues ; pulsations, 64; pression de 15e
à 20e; 6 58°, 8.
5h 55m: pris air du sac; contient O 15,9; CO2 1,0. Pris 25cc de sang,
rouge : contient : O 15,0; CO2 46,5.
4 heures : respirations, 12 ; pulsations, <52 ; Q 58°, 5.
4b 5m : air contient O 14,1 ; CO2 1,3. Pris 25cc de sang, moins rouge;
contient O 15,6 ; CO2 46,5. f <
4h 20m : pression cardiaque de 11 à 18 cent.
672
EXPÉRIENCES.
4h 30m : respirations, 12 ; pulsations, 40 ; 0 58°, 2. Air contient O 12,2 ;
CO2 1,7. Pris 25cc de sang; analyse perdue.
5 heures : respirations, 12; pulsations, 40; 0 58°, 0.
5h 10m : air contient O 9,6; CO2 2,0. Sang 25cc, encore assez rouge,
conlient O 12,0 ; GO* 46,5.
5h 20m : pression de 12 à 18e.
5h 56,n : respirations, 12 ; pulsations, 64, très-irrégulières; 0 57°, 5. Air
du sac contient O 7,1 ; GO2 2,2.
6 heures : respirations, 14; pulsations, 104; 0 57°, 5. Pris sang, 25ec,
assez noir ; contient O 7,1 ; CO2 42,8.
6h 10m : air du sac contient O 5,9 ; GO2 2,1 .
6h 25m : pression cardiaque, de 11e à 15e.
6h 50m : respirations, 20; pulsations, 92, très-irrégulières; 0 56°, 6; les
expirations deviennent plus brusques ; l’animal est encore sensible aux
pattes.
6h35m: air du sac contient O 4,6 ; GO2 2,2. Sang 25cc, noir; contient
O 5,0; CO2 56,7.
7 heures : respirations, 24 , avec expirations très-brusques ; pulsa-
tions, 84; 0 55°. Pattes encore sensibles.
7h 5m : air du sac contient O 2,7 ; GO2 1,9.
7h 15m : Les phénomènes se pressent rapidement ; le chien vient de
devenir soudain insensible à l’œil. Respirations, 4; pulsations, 56; 0 34,5;
pression cardiaque, 4e environ. Pris 25cc de sang, très-noir; contient
O 0;.CO2, 20,6.
Dernière respiration à 7h 17m.
Nous reviendrons sur les diverses circonstances de cette ob-
servation ; mais, nous bornant en ce moment à ce qui regarde
les gaz du sang, nous pouvons résumer comme il suit les ré-
sultats des analyses :
«j
l’air contient -100cu de sang contiennent
OXYGÈNE
OXYGÈNE
CO2
Au début
20,9
19
48
Après t/2 heure
18,1
17
49
— 1 —
15,9
15
46,5
— 1 h. 1/2
14,1
15,0
40,5
— 2 heures
12,2
»
»
- 2 h. 1/2
9,0
12
40,5
— 5 heures
7,4
7,6
»
— 5 h. 20 min
»
7,1
42,8
— 3 h. 1/2
5,9
»
»
— -• 4- heures
4,6
5
36,7
— 4 h. 40 min
2,7
»
20,0
Expérience CLXXXVIII. — 4 avril : Chien pesant 10 kil. 600. Sac conte-
nant 157 litres d’air. Température, 15°. Expérience commencée à 2h 5m.
2h 7m : respirations, 24 ; pulsations, 92 ; 0 58°, 5 ; pression cardiaque
GAZ DU SANG : ASPHYXIE.
67.3
*
de 12e, 5 à 18e, 5. Pris 25ee de sang, bien rouge; contient pour 100ee,
O '18,2; CO2 50,8.
Un peu d’agitation.
911 55m . respirations, 20; pulsations 100, irrégulières; 0 58°, 2. Pris
air qui contient: O 17,9; CO2 0,9.
5h 5,n : respirations, 18; pulsations, 90; pression cardiaque n’a pas
changé, 0 58°. Pris air : O 16,5; GO2 1,6; tiré 25ee de sang bien rouge;
contient : O 16,6; GO2 47,7.
5h 35ra : respirations, 18, expirations prolongées; pulsations, 72; 0 37°.
L’air contient O 14,8 : GO2 1,7.
4h 5,n: respirations, 16; pulsations, 90; pression de 12e, 5 à 17e, 5. Air,
O 15,4 ; CO2 1,9. Sang rouge, 25ee, contient O 15,9; GO2 45,1.
4'1 55m : respirations, 16; pulsations, 112; 0 57°. Air, O 10,4; CO2 1,7.
5h 5m : respirations, 24; pulsations, 94; 0 56°, 2. Air, O 8,5; CO2 2,5.
Pris sang, assez noir : O 9,8 ; CO2 40,2.
5h 55,u : air, 0 6,2 ; COM, 7.
511 50m : respirations, 28; pulsations, 148 ; 0 54°. Sang très-noir, 25ee,
contient O 6,7 ; GO2 57,9.
5h 58m : Agitation violente soudaine, après laquelle l’animal retombe,
comme vaincu, et reste désormais tranquille.
6“ 5 111 : air, O 4,0; CO2 1,6.
6h 20m : pulsations, 68; pression de 8e à 17e; sensible aux pattes.
6b 50"1 : respirations, 16; pulsations, 68; 0 54°.
6h 55ra : air, 0 5,0; CO2 0,8.
6h 40m : pris25ee de sang, très-noir, qui contient : O 0,7 ; CO2 25,0.
Les respirations se ralentissent au moment où l’on commence à tirer
du sang; elles cessent à 61' 45“ ; je lire aussitôt du sang, qui ne contient
pas trace d’oxygène.
En résumé :
l’aih CONTIENT
LE SANG CONTIENT
OXYGÈNE
OXYGÈNE
CO2
Au début
. . . 20,0
18,2
50,8
Après 1/2 heure. . .
. . . 17,9
»
»
— 1 —
. . . 10,3
16,6
47,7
— 1 h. 1/2. . .
. . . 14,8
»
»
— 2 heures. . .
. . . 13,4
15,9
45,1
— 2 h. 1/2. . .
. . . 10,4
»
II
— 3 h
... 8,3
9,8
40,2
5 h. 1/2. . .
... 0,2
»
»
5 h. 5/4. . .
... »
0,7
57,9
— 4 h
... 4
»
»
4 h. 1/2. . .
... 3
0,7
25
Les résultats de ces deux expériences sont traduits sur le
graphique ci-après (fig. 38), dont les tracés expriment les
variations simultanées de l’oxygène de l’air et des gaz du
43
074 EXPÉRIENCES.
sang. Le trait plein est relatif à l’expérience CLXXXVIII; le
trait pointillé, à l’expérience CLXXXVII.
Fig. 58. — Variations des gaz du sang et de l’oxygène de l’air dans l’asphyxie en vases elos,
l’acide carbonique étant absorbé : pour donner plus de clarté à la ligui’e, les ordonnées
correspondantes à la richesse en oxygène de l’air sont doubles en hauteur des autres.
Voici maintenant une expérience dans laquelle on a, d’em-
blée, fait respirer à un chien de l’air pauvre en oxygène :
Expérience CLXXXIX. 20 mai. A 5h 50m, l’animal respirant l’air ordi-
naire, à 28 respirations, 156 pulsations; une pression cardiaque de 18
à 20 cent.
Son sang contient : 0 21,5 ; CO2 47,5.
4h30m: On le met respirer, à travers les soupapes à potasse, dans un
sac contenant un air à 10 0/0 seulement d’oxygène ; il reste tranquille.
5 heures : respirations, 16; pulsations, 128; pression, 16 à 19e.
5h 50m: respirations, 16; pulsations, 116. Sang noir, contient : 0 5,5;
CO2 45,7.
6 heures: respirations, 16; pulsations, 80; pression de 8 à 15e.
GAZ DU SANG : ASPHYXIE.
675
6h 50m: respirations, 16; pulsations, 56.
6h 45m : respirations, 8 ; pulsations, 24.
Meurt à 6h 55m; je tire aussitôt avec une sonde 25cc de sang du cœur
gauche, qui contient : O 0 ; CO2 29.
L’air du sac contient 2,5 d’oxygène.
Reprenons maintenant, au point de vue spécial qui nous
occupe, les deux expériences CLXXXVII et CLXXXVIII. Le gra-
phique précédent nous montre qu’au fur et à mesure de la
diminution de la tension de l’oxygène aérien, l’oxygène du
sang diminuait; cela n’est pas bien étonnant, mais il est plus
curieux de voir que l’acide carbonique a diminué également,
bien qu’il en restât dans l’air du sac une quantité notable
qui aurait dû augmenter la proportion de ce gaz.
Que si nous voulons comparer, non plus le sens, qui est
bien évidemment le même, mais la valeur exacte de la varia-
tion des gaz du sang dans la diminution de pression d’une part,
dans l’asphyxie de l’autre, il suffira de reprendre le graphique
de la page 645 et de lui ajouter les résultats moyens des der-
nières expériences, en faisant sur les chiffres la même opé-
ration pour ramener à 20 la valeur d’origine de l’oxygène,
et à 40 celle de l’acide carbonique.
C’est ce qui a été réalisé dans la figure 59.
Sur les ordonnées, sont comptés, comme à l’habitude, les
nombres relatifs aux proportions centésimales des gaz ex-
traits du sang.
Les abscisses mesurent à la fois la proportion centésimale de
l’oxygène ambiant et la pression barométrique. Ainsi, 20,9 cor-
respond à 76 centimètres; la demi-atmosphère, 38 centimè-
tres, correspond à , etc....; c’est là ce qui va permettre
de voir s’il v a, oui ou non, concordance entre les résultats
des deux ordres d’expériences.
Les points relatifs aux diminutions de pression sont mar-
qués, ainsi que nous l’avons déjà dit, par de petits cercles
réunis par des traits et des points - .-.o.-.-.-o-.-. Les
lignes pointillées » expriment la moyenne des deux
expériences d’asphyxie simple que je viens de relater.
676
EXPÉRIENCES.
Or, pour l’oxygène, ce qui frappe tout d’abord, c’est la con-
cordance remarquable qui existe entre les deux courbes ;
Fig. 59. — Variations des gaz du sang dans l’asphyxie comparée à la diminution
de pression.
seulement, pour l’air raréfié, ainsi que je l’ai déjà indiqué,
je n’ai pu dépasser 17 centimètres de pression, correspond
GAZ DU SANG : ASPHYXIE.
677
dant à environ 4,7 pour 100 d’oxygène. Voilà un premier
point acquis.
Pour l’acide carbonique, la concordance est moins parfaite.
Mais il faut faire remarquer d’abord qu’il restait dans Pair
en voie d’épuisement une certaine quantité d’acide carboni-
que sans laquelle le graphique pointillé serait certainement
plus abaissé qu’il n’est. De plus, les irrégularités entre les-
quelles ont été prises les moyennes reliées par la ligne
_ o — o.-- sont très-fortes, pour l’acide carbonique, comme le
montrent les petits cercles isolés, qui correspondent à cha-
cune des expériences. Il est donc probable que d’une très-
grande quantité d’expériences on obtiendrait des moyennes
qui se rapprocheraient davantage; mais ceci m’a paru peu
important à poursuivre.
Le grand intérêt consistait à montrer que, même à la pres-
sion normale, mais la proportion de l’oxygène étant faible dans
l’air respirable, on retrouve dans les proportions de l’oxygène
et de l’acide carbonique du sang artériel les mêmes modifica-
tions que lors de la respiration sous pression diminuée. De
cet examen, comme de celui auquel nous nous étions livrés
dans le premier chapitre, il ressort encore une fois la preuve
que la dépression agit comme un simple agent asphyxiant.
Cette vérité établie, il me devenait possible de rechercher
comment varient, pendant la décompression, les gaz du sang
veineux. J’avais essayé, à plusieurs reprises, d’extraire le sang
veineux d’un chien placé dans mes grands cylindres; des dif-
ficultés que devineront tous les expérimentateurs m’avaient
empêché de réussir: des caillots se formaient dans les sondes,
des bulles d’air, que ne combattait plus la pression sanguine,
se précipitaient au cœur droit, etc.
Mais la respiration dans un air graduellement appauvri en
oxygène venait me permettre de tourner ces difficultés. C’est
ce que j’ai fait dans les expériences suivantes :
Expérience CXC. — 50 juillet. Chien pesant 12 kil. Muselière bien her-
métiquement fermée.
2h 5m : Mis à respirer avec les soupapes à potasse dans un sac contenant
90 litres d’air.
678
EXPÉRIENCES.
2h 10™ : respirations, 26; pulsations, 100. Tiré à la carotide 25cc de
sang, pas extrêmement rouge A
2h 20m : Tiré à la jugulaire gauche, bout périphérique, 25cc de sang,
assez noir A'
L’animal, dont les yeux sont couverts, reste parfaitement tranquille.
5h 7™: 22 respirations; 100 pulsations.
5h 10™ : Tiré 25cc de sang carotidien, à peu près aussi rouge que A. . B
3h 15™ : Pris échantillon de Pair du sac . . . /3
5h 20™ : Tiré 25cc de sang veineux B'
4h 10™ : Tiré 25cc de sang artériel, noir. . . • G
4h 15™ : Pris air du sac 7
L’animal fait tout à coup un effort violent et détache un instant le
caoutchouc du sac (fait une inspiration dehors) ; continuation des efforts
et anhélation considérable.
4h 22™ : 25cc sang veineux très-noir G'
4h 50™ : 60 pulsations; 18 grandes respirations.
4h 58™ : se meurt ; quelques battements de cœur très-faibles. Tiré sang
artériel tout noir D
Pris air du sac 5
RÉSUMÉ DE L’EXPÉRIENCE.
AIRS
H
g *
O O
sang artériel
SANG VEINEUX
U w
O Z
Z «H
a o
S w
S «
§
U
SANGS.
OXYGÈNE
CO2
OXYGÈNE
CO2
‘W g
Ut o
Q W
Normal
c
76
AA'
21,6
45,0
12,4
46,8
9,2
£ (11,5 d’O.; 2,0 de CO2). .
41,8
BB'
19,6
42,7
10,2
49,1
9,4
y (4,7 d’O.; 2,1 de CO2).. .
17,1
CC'
8,8
54,4
2,2
36,5
6,6
Mortel $ (2,7 d’O.; 1,9 de CO2).
9,8
D
0,4
23,0
»
»
»
Expérience CXGI. — 15 octobre. Chienne pesant 15 kil. Bespirant à
l’air libre: 20 respirations; 148 pulsations ; température rectale, 39°, 8.
2h 50™ : Tiré 25cc de sang par le bout périphérique de la veine jugu-
laire A'
2h 55™ : 25cc de l’artère carotide A
5 heures : Mis à respirer dans un sac de caoutchouc contenant 150 li-
tres d’air, à travers les doubles soupapes à potasse; l’animal se tient très-
calme, tandis qu’il était fort agité au début de l’expérience.
4 heures : 25cc de sang artériel B
4h 12™: 16 respirations; 86 pulsations; température, 57°, 4.
4h 15™ : 25cc de sang veineux B'
Air du sac |3
Animal fort tranquille.
GAZ DU SANG : ASPHYXIE.
079
5h 15m : 25cc de sang veineux G7
Air du sac y
Respirations, 16; pulsations, 92; 0 56°.
6b 10m: 25cc de sang veineux. D'
Air du sac <î
Respirations, 16; pulsations, 96; 6 55°, 5.
7h 10m : 25cc de sang artériel E
25cc de sang veineux E'
Air du sac g
Respirations, 16; pulsations, 100; 0 55°, 1.
La mort arrive à 8h 45m; 0 35°.
Un accident empêche de faire l’analyse du sang.
L’air du sac contient pour 100 O 4,9 ; CO2 1,2.
RÉSUMÉ DE L’EXPÉRIENCE.
AIRS
H
H
Z
fl
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C/3 CL
c n
O
Z
SANG ARTÉRIEL
SANG VEINEUX *
• O
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a « „ g
“B ^ g
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H
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H
◄
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H X
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O
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<
c n
OXYGÈNE
CO2
OXYGÈNE
CO2
S *a g S >
U, O 5 W C3
Q X
O C/î
Z
W
eu
a
w
H
Normal
c
76
AA'
22,2
29,4
17,2
40,3
5,0
39°, 8
j3 (16,3 d’O.; 1,7 de CO2). .
59
RR'
16,9
39,0
12,8
39,2
4,1
37°, 4
y (13,6 d’O.; 2,4 de CO2). .
49
C'
»
»
11,3
43,0
»
36°, 0
S (10,6 d’O.; 3,1 de CO2). .
38
D'
»
»
8,8
45,8
»
35°, 5
£ (7,7 d’O.; 3,0 de CO2) . .
28
EE'
10,2
34,5
6,0
45,8
4,2
35», 1
Mortel (4, 9 d’O.; 1,2 de CO2).
17
»
»
»
»
»
33°, 0
Expérience CXCII. — 15 novembre. Chien pesant 16 kil. Respirant libre-
ment : température, 58°, 5.
2h 45m : On prend 30cc de sang carotidien A
2h 54m : De même 50cc de sang par le bout périphérique de la veine ju-
gulaire A'
2h 56m : On commence à le faire respirer dans le sac contenant
150 litres d’air à travers les soupapes à potasse.
5h 40m : Température rectale, 58°.
5h 55m : L’animal est fort gêné dans sa respiration et s’agite depuis
quelques minutes. Pris 50cc de sang veineux .B'
4h 5m : Pris 50cc de sang artériel B
Air du sac . . . p
4h 15m : Température rectale 56°.
5 heures : Pris 50cc de sang veineux G'
5h 7m : Id. de sang artériel . C
Air du sac y
680 EXPÉRIENCES.
5h 15m: Température reclale, 54°.
511 20iu : Sang artériel 50cc ; animal mourant I)
5h 50m : Sang veineux , l’animal étant mort D'
RÉSUMÉ DE L'EXPÉRIENCE.
AIRS
a
H
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O Q
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C/3
O
SANG ARTÉRIEL
i-ANG VEINEUX
DIFFÉRENCE
EN OXYGÈNE
DU
H
CC
U
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c : t/3
C, “
ce
0
CJ
v/J
OXYGÈNE
CO-
OXYGÈNE
0
0 '
1-
SANG ARTÉRIEL
ET DU
SANG VEINEUX.
a
S:
£d
H
Normal
c
76
AA'
18,0
49,0
14,7
54,0
3,5
38°
£ (10,3 d’O.; 0,5 de Co2).
58
RB'
6,0
42,5
4,7
49,0
1,5
36°
y (4,7 d’O.; 0,5 de Co2).
17
CC'
3,7
29,7
2,8
37,0
0,9
31°
A la mort
»
DD'
0,33
2 4,0
0,15
28,7
0,18
»
La figure 40 rend encore plus faciles à saisir les résultats
de ces trois expériences au point de vue de la variation des
gaz du sang; comme de coutume, les quantités de gaz sont
mesurées sur l’axe vertical, la richesse en oxygène et la pres-
sion barométrique, qui lui correspond, sur Y axe des x. Les
résultats de l’expérience CXG sont marqués par des lignes
pointillées ; ceux de l’expérience GXCI par des
traits ; ceux de l’expérience GXCI1 par des traits et des
points
On voit du premier coup d’œil que, dans le sang veineux
comme dans le sang artériel, l’oxygène et l’acide carbonique
diminuent quand diminue la tension de l’oxygène respiré.
On voit également que la différence dans la richesse ga-
zeuse du sang artériel et du sang veineux reste presque con-
stante jusqu’à ce que l’air soit à peu près à moitié épuisé
d’oxygène, c’est-à-dire jusqu’aux environs d’une demi-atmo-
sphère. Au delà, les tracés se rapprochent.
Ainsi, jusqu’à un certain degré, le sang veineux s’appau-
vrit en oxygène de la même quantité que le sang artériel :
ceci mérite quelque attention.
Prenons, par exemple, l’expérience CXG. Au début, le sang
artériel contient 21,0 d’O; le sang veineux, 12,4 : différence
Fig. 40. — Diminution des gaz du sang artériel et du sang veineux quand diminue la tension
de l’oxygéne respiré : le groupe inférieur correspond à l’oxygène du sang, le supérieur
à l’acide carbonique
682
EXPERIENCES.
9,2 ; ce qui veut dire que les tissus avaient besoin pour leur
entretien régulier et ont consommé au passage 9,2 volumes
d’oxygène par chaque 100 volumes de sang.
Nous nous abaissons à une pression de 41% 8, et, en vertu
de la moindre capacité du sang pour l’oxygène à cette pres-
sion (voy. plus bas, sous-chap. V), il n’y a plus que 1 9,6 de ce gaz
dans le sang artériel; nous n’en trouvons que 10,2 dans le
sang veineux : différence 9,4. La consommation d’oxygène
par les tissus est donc restée la même, malgré l’abaissement
de la proportion d’O du sang, et l’on comprend que l’animal
n’éprouve aucun trouble notable dans ses diverses fonctions :
respiration, circulation, etc., comme le montre le récit dé-
taillé de l’expérience.
Mais nous continuons à descendre; la pression n’estplus que
de 17% et dans le sang artériel il n’y a plus que 8,8 volumes
d’oxygène. Bien évidemment, la consommation d’oxygène
par les tissus n’a pu rester à la même valeur, valeur que nous
avons vue être supérieure à 9 ; or, l’analyse du sang veineux
montre qu’elle s’est abaissée à 6,6, c’est-à-dire qu’il reste en-
core dans le sang veineux 2,2 volumes d’oxygène, que ne
peuvent extraire facilement les tissus. De là résultent pour
l’animal des troubles nutritifs manifestes, un abaissement de
la température, une dépression générale des muscles, et
notamment du cœur, ce qui ajoute encore à l’effet funeste,
en diminuant la consommation de l’oxygène par la diminu-
tion de l’activité circulatoire.
La difficulté croissante de la dissociation de l’oxy-hémoglo-
bine du sang veineux quand la proportion d’oxygène y dimi-
nue beaucoup paraît être la cause des angoisses de l’animal,
qui ne peut plus extraire de son sang la quantité d’oxygène
nécessaire pour son équilibre nutritif dans une température
donnée. Or, la quantité proportionnelle d’oxygène que con-
somment les animaux est très-différente d’un individu à un
autre, comme le montre, par exemple, l’expérience CXG, où
elle est de 9,2, comparée à l’expérience CXCII, où elle est de
5,5. De plus, la quantité absolue d’oxygène contenue dans un
volume donné de sang varie singulièrement aussi, comme
GAZ DU SANG : EXPÉRIENCES IN VITRO.
685
nous l’ont appris les nombreuses analyses dont nous avons
déjà rendu compte. Enfin, la quantité du sang lui-même pa-
raît également fort variable. Il n’y a donc rien d’étonnant que
la manière d’être des divers individus d’une même espèce, et
à plus forte raison des représentants d’espèces différentes,
soit très-variable en présence d’une même dépression, l’un
étant très-impressionné, tandis que l’autre n’éprouvera pres-
que rien. On se rend compte aisément de ceci en supposant
deux animaux dans lesquels deux de ces trois conditions
seraient identiques, et la troisième fort différente, au con-
traire; il est inutile d’insister là-dessus, parce qu’on sent une
série de combinaisons dont le jeu rend fort complexe le pro-
blème et impossible la prédiction certaine de l’éventualité.
Nous aurons à revenir sur ces faits, quand nous en arrive-
rons, dans la troisième partie de l’ouvrage, à l’explication
des accidents connus sous les noms de mal des aérostats et
de mal des montagnes .
SOUS-CHAPITRE V
«
DE LA QUANTITÉ d’ûXYGÈNE QUE PEUT ABSORBER , AUX DIVERSES PRESSIONS
BAROMÉTRIQUES, LE SANG TIRÉ DES VAISSEAUX.
Les analyses des gaz contenus dans le sang des animaux
vivants soumis à des pressions plus basses qu’une atmosphère
m’avaient donné, pour l’oxygène, ainsi que je l’ai fait re-
marquer page 649, des résultats qui diffèrent beaucoup des
conclusions qu’on aurait pu tirer des travaux classiques, et
particulièrement de ceux de M. Fernet.
Déjà Magnus avait montré que, lorsqu’on place du sang
sous la cloche de la machine pneumatique, et qu’on diminue
graduellement la pression, les gaz ne commencent à se dé-
gager qu’à des pressions très-basses, et que le sang ne noircit
(c’est-à-dire ne perd une partie notable de son oxygène)
qu’aux environs de 10e de mercure.
M. Fernet s’était proposé, comme nous l’avons vu dans la
CS4
EXPERIENCES.
partie historique (page 260), de chercher si les gaz du sang
s’y trouvaient à l’état de dissolution simple, ou engagés dans
une combinaison chimique. Dans le premier cas, disait-il
avec raison, la capacité du sang pour ces gaz doit être pro-
portionnelle à la pression barométrique, suivant la loi bien
connue de Dalton. Dans le second, il n’y aura aucun rapport
entre cette loi et la proportion absorbée aux différentes pres-
sions. Que si, enfin, un gaz est en partie dissous et en partie
combiné dans le liquide, il sera possible, par un calcul assez
simple, de déterminer la valeur proportionnelle de ces deux
parties.
Or, pour ne parler que de l’oxygène, M. Fernet, en agitant
du sang au contact de ce gaz sous des pressions qui ont varié
de la pression normale à G47mm, est arrivé à cette double con-
séquence : 1° qu’il se dissout dans le plasma sanguin une
quantité d’oxygène (coefficient de solubilité à 16°, c’est-à-
dire volume de gaz dissous par unité de volume de liquide
sous la pression normale : 0,0288) à peu près égale à celle qui
se dissout dans l’eau pure (coefficient de solubilité à 16°, d’a-
près Bunsen : 0,0295); 2° que les globules sanguins lixent chi-
miquement une quantité d’oxygène indépendante de la pres-
sion, bien supérieure à la précédente, puisqu’elle est en
moyenne de 0,0958 par unité de volume de sang. Nous voyons
donc que, d’après ces expériences, la pression barométrique,
dans ces modifications diverses, peut à peine modifier la pro-
portion d’oxygène contenue dans le sang. Elle ne pourrait
agir, en effet, que sur le gaz simplement dissous, lequel est
au gaz combiné dans le rapport de 0,0288 à 0,0958, c’est-à-
dire de 1 à 5,5, lorsque les expériences d’absorption sont
faites avec de l’oxygène pur. Or, comme le fait remarquer
M. Fernet, l’air qui sert à la respiration ne contenant que un
cinquième d’oxygène, la proportion dissoute dans le sérum
devra être diminuée dans le même rapport; d’où il résulte
que, dans le sang, la proportion chimiquement unie, indépen-
dante de la pression, devra être 5,5 X 5 = 16,5 fois plus
forte que celle qui suit les modifications de la colonne baro-
métrique. C’est pour cela, conclut-il, « que l’absorption
685
GAZ DU SANG : EXPÉRIENCES IN VITRO.
de l’oxygène est à très-peu près la même, quelle que soit la
pression atmosphérique, sur le sommet des montagnes et
dans les plaines. »
A cette conclusion qui ne visait que la quantité d’oxygène ab-
sorbée par un animal dans un temps donné sous des pressions
différentes, et qui se trouvait d’accord avec les faits antérieu-
rement signalés par Régnault et Reiset, Yierordt et Lehmann,
les physiologistes en ont ajouté une seconde, — qui paraît
tout à fait justifiée, à priori, par les travaux mêmes de M. Fer-
net, — c’est à savoir que, dans le sang de l’animal vivant,
les quantités d’oxygène sont à peu près indépendantes de la
pression barométrique. « Sans cela, dit, par exemple, Lon-
« get1, on arriverait à cette conséquence que le sang des ha-
« bitants des régions où la pression atmosphérique est ré-
« duite à moitié renfermerait moitié moins d’oxygène que le
« sang des habitants des bords de la mer, où cette pression
« est de 0m, 760. Comment admettre que des observateurs
« n’auraient point été frappés des profondes modifications
« que des variations pareilles ne manqueraient pas de pro-
« du ire dans le mode d’existence de ces populations?»
Cette conclusion et le raisonnement qui lui sert de base
furent acceptés par tous les physiologistes. Or, il est fort cu-
rieux de remarquer que, lorsque M. Jourdanet vint affirmer,
appuyant ses assertions sur une longue pratique médicale,
que, dans les régions élevées de la république mexicaine, « le
« mode d’existence des populations est profondément modi-
« fié, » on retourna contre lui l’argumentation même de
bonget, et que l’on nia l'exactitude de ses observations comme
contraires aux données de la chimie physiologique.
L’explication donnée par M. Jourdanet de l’état patholo-
gique spécial qu’il avait constaté sur les plateaux de l’Ana-
lmac reposait précisément sur la moindre quantité absolue
d’oxygène que devait contenir le sang des hommes et des ani-
maux sous une aussi faible pression. Or, nous venons de voir,
dans le premier sous-chapitre, qu’il avait absolument raison,
Traité de physiologie, *5a édit., t. V, p. 592; 1868.
i
(3S6 EXPÉRIENCES.
et que, malgré le légitime étonnement de Longet, il est exact
de dire que, si l’on diminue de moitié la pression baromé-
trique, on voit se réduire presque à moitié l’oxygène contenu
dans le sang.
11 v avait donc, entre le résultat des observations deM. Jour-
danet et de nos expériences, d’une part, et, d’autre part, les
conséquences logiques des analyses de M. Fernet, une contra-
diction qui ne pouvait être qu’apparente, et qu’il s’agissait
d’expliquer.
Mais tout d’abord M. Fernet n’avait pu modifier la pression
que dans des limites fort étroites ; pour le sang considéré
dans son ensemble, les pressions avaient varié de 741 à
580 millim. (p. 208). Je dus me demander ce qu’il advien-
drait dans des expériences où la pression serait, d’une part,
diminuée jusqu’au voisinage du vide, et, d’autre part, aug-
mentée de plusieurs atmosphères.
Le problème était infiniment plus facile à résoudre que du
temps de M. Fernet; j’avais, en effet, à ma disposition des
moyens d’extraire tous les gaz du sang, que n’avait pu, mal-
gré tous ses efforts, obtenir ce physicien. Il en résulte qu’il
avait dù procéder par la mesure directe des gaz absorbés,
c’est-à-dire de la diminution de volume des gaz agités avec
du sang préalablement dépouillé de ceux qu’il contenait d’ar
bord; série d’opérations très-délicates, qui nécessitaient
un outillage très-compliqué, et l’emploi d’appareils de verre
ne permettant pas de hautes pressions. Grâce à la pompe à
mercure, au contraire, je pouvais, après avoir agité le sang
en présence d’une grande quantité d’air, sous des pressions
déterminées, en extraire complètement et facilement les gaz
dissous. J’ai pu, delà sorte, opérer un grand nombre d’analyses,
qui, sans prétendre à la rigueur des secondes décimales, sont
très-suffisamment exactes pour atteindre le but que je me
proposais.
Je vais en rapporter quelques-unes; mais je dois aupara-
vant remercierM. Gréhant, qui me suppléait alors à la Faculté
des sciences de Paris, et qui, à ma prière, a bien voulu exé-
cuter un grand nombre d’entre elles.
GAZ DU SANG : EXPÉRIENCES IN VITRO.
687
1er. — Pressions inférieures à une atmosphère.
Mes premières expériences furent simplement faites en in-
troduisant dans un flacon à large ouverture (fig. 41) une
certaine quantité de sang délibriné que j’agitais ensuite
vigoureusement, sans fermer complètement le flacon. Lors-
que le sang était ainsi saturé d’oxygène, j’attachais le flacon
au bout d’une longue ficelle, et le faisais tourner à la façon
d’une fronde, manœuvre qui fait sortir très-rapidement les
bulles d’air restées en suspension
dans le liquide visqueux. Je pre-
nais alors, avec la seringue gra-
duée, une certaine quantité de
sang, dont j’extrayais les gaz par
la pompe à mercure.
L’ouverture du flacon était
alors bouchée avec soin par un
bouchon de caoutchouc que tra-
versaient un thermomètre et deux
tubes de verre coudés. L’un de
ces tubes plongeait dans le sang,
dont il permettait de se pro-
curer ensuite des échantillons
par l’intermédiaire du robinet R.
Le robinet R’ du second portait
une pièce bifurquée par laquelle
s’établissait à la fois la communi-
cation en a avec la machine pneu-
matique, et en b avec un tube
plongeant dans une cuvette pleine
de mercure, tube destiné à for-
mer baromètre*
Les choses ainsi disposées, je diminuais la pression jus-
qu’au point voulu, je fermais le robinet R’, j’enlevais le tube
bifurqué, et j’agitais vigoureusement le flacon pendant un
quart d’heure; Dans ces conditions, l’oxygène qui aurait été
Fig. 41. — Flacon disposé pour la satu-
ration du sang par l’oxygène sous di-
verses dépressions.
C88 EXPÉRIENCES.
en excès, par rapport à la pression diminuée, pouvait sortir
du sang, qui n’était plus saturé qu’à cette pression nouvelle.
Le flacon était assez grand, par rapport à la masse du sang,
pour que l’oxygène ainsi dégagé fût absolument négligeable.
Du reste, je m’assurais, par une manœuvre simple, que la
pression n’avait pas varié sensiblement pendant l’agitation.
Ceci fait, je prenais un nouvel échantillon de sang, pour
l’analyse des gaz.
Comme j’introduisais dans le flacon environ 200cc de sang,
il m’était possible de faire plusieurs analyses, avec le même
sang, à des pressions diverses.
Plus tard, un perfectionnement utile fut apporté à cette
méthode, dont la cause d’erreur principale réside dans la
difficulté d’agiter
suffisamment bien
avec la main. Le
flacon fut solide-
ment fixé sur une
planche que met-
tait énergique-
ment en mouve-
ment une’ petite
machine à eau
(tig. 42). Dans ces
conditions, la sa-
turation du sang se fait avec une extrême rapidité, et il suffit
de quelques tours de fronde pour faire disparaître ensuite la
mousse et les bulles de gaz en suspension.
Arrivons maintenant aux expériences :
Expérience CXCIII. — 1er décembre. Flacon de 5 litres; 180ce de sang de
chien défibriné.
Après agitation à la pression normale, le sang contient pour 1Ü0CC de
liquide : oxygène 19,0 ; acide carbonique 35,2.
Après agitation à 56e de pression : O 17,2 ; GO2 28,4; Az2,4.
A 56e: O 16; CO2 27,6; Az 1,6.
A 6e: O 12,4; C0225,2 ; Az 1,0.
Expérience GXG1V. — 7 janvier. Sang de chien, agité à 76cc, contenant
Fig. 42. — Machine à eau agitant le flacon où se trouve
le sang à saturer d’oxygène.
GAZ DU SANG : EXPÉRIENCES IN VITRO. 689
pour 100ee de liquide: 25,3 d’oxygène ; 35,7 d’acide carbonique ; 2,3 d’a-
zote.
Agité à la pression de 38e, contenait encore O 23,4 ; CO2 27,5; Az 1,4.
Expérience GXGV. — 9 janvier. Sang de chien affaibli et malade.
GO2
Agité à 75e, contient: O 12,3; GO2 41,6; Az 2,4. -^7 =3,4.
CO2
Agité à 34e, contient O 11,3 ; GO2 41 ; Az 1,4. -q- =3,6.
fO2
A 18e : O 10,4 ; CO2 55,6 ; Az 0,9. ~ = 3,4.
ff)2
A 12e : O 10 ; CO2 28,7 ; Az 0,6. = 2,8.
i
Expérience CXGVI. — 15 janvier. Sang de chien.
CO2
Agité à 77e, contient O 20,2; GO2 28,4; Az 2,4. — = 1,40
CO2
A 54e: O 18,9 ; CO2 24,9; Az 1,3. =1,31.
fO2
A 6e : O 17,7; GO2 19,8; Az 0,4. ^- = 1,12.
Expérience CXCVII. — 21 janvier. Sang de bœuf.
Agité à 770mm, contient : O 19,3.
A 85mm, contient : O 18,5.
A 22œm, — 0 13,3.
Expérience GXCVIII. — 2 février. Sang d’un chien soumis depuis plusieurs
jours à des hémorrhagies répétées et portant à la cuisse une vaste plaie
suppurante.
L’agitation fut faite à deux reprises différentes ; dans l’une, la tempéra-
ture était celle du laboratoire, 11°, 4 ; dans l’autre, le flacon et la plan-
chette étaient restés immergés dans l’eau à 37°, assez lontemps pour que
l’équilibre de température fût établi.
1° Température 11°, 4.
A 760mra, le sang contient O 8,1 ; GO2 27,6 ; Az 2,0.
A 9mm : O 5,1; GO2 17,5 ; Az 0,1.
2° Température 57°.
A 760mm : O 7,9 ; CO2 23,9 ; Az 1,2.
A 407mm : O 7,1 ; CO2 22,4 ; Az 0,8.
Expérience CXC1X. — 6 mars. Ghien de chasse de forte taille, bien por-
tant; 500 gr. de sang sont tirés à la carotide, battus à l’air et filtrés sur un
linge. Flacon de 2 litres.
Agité pendant une demi-heure à la pressiQn de 775mm (762mm défalcation
44
690
EXPÉRIENCES.
faite de la tension de la vapeur d’eau) et à la température de 15°, 5, le sang
(Y)2
contenait : O 25,2 ; GO2 50,2 ; Az 2,4. -g- =1,50.
f f)2
A 549mm : O 22,6; GO2 27,4 ; Az 1,0. ~=1,21.
GO2
A 167mm : O 21,5 ; CO2 25,1 ; Az 0,6. ~= 1,12.
(Y2
A 88““ : O 20,0 ; CO2 21,0 ; Az 0,4. = 1,05.
Expérience GG. — 12 mars. Sang de chien ; température 12°. Flacon de
45550.
Agité à 749mm (défalcation faite de la tension de la vapeur d’eau à 12°),
contient :
GO2
Oxygène 25,1; GO2 27,5 ; Az 2,6. = 1,18.
A 361'”™ : O 23,0; CO2 22,0; Az 2,0. ^ = 0,95.
GO2
A 99““ : 0 22,5; GO2 18,9; Az 0,5. ~ =0,84.
A 55'”™ : O 20,8 ; CCI* 15,4 ; Az 0,2. Y- 0,74.
Expérience CCI. — 29 mai. Sang de chien; température 24°; flacon de
4‘,550.
A 758,mu (déduction de la tension de la vapeur d’eau), le sang contient:
Go2
O 25,6 ; CO2 25,0 ; Az 2,6. — = 0,89.
GO2
A 318™“ : 0 25,7; GO2 18,9; Az 1,8. ~ =0,79.
(Y)2
A 128““ : O 25,0 ; GO2 16,2; Az 0,5. =0,70
GO2
A 78““ : O 25,0; CO2 15,7; Az 0,5. —-==0,59.
G O2
A 58““: O 19,5; GO2 10,8; Az 0,5. ^- = 0,55.
Le graphique ci-contre (A, fig. 45) résume et exprime la
moyenne des résultats des expériences précédentes, pour ce
qui a trait à l’oxygène. Il a été obtenu en supposant que la
proportion initiale de l’oxygène, à la pression normale, était
toujours de 20 volumes pour 100 volumes de sang, et en dé-
terminant la valeur des autres nombres par des proportions
GAZ DU SANG EXPÉRIENCES IN VITRO.
091
semblables à celle-ci, qui s’applique à l’expérience CXCI1I :
19 (pression normale): 20= 17,2 (pression de 56e) : a? = 18,l.
Un simple coup d’œil fait voir que, de la pression normale
jusqu’à celle de 10 à 15 centimètres de mercure, le sang ab-
a
'A
"S,
c n
O
ri
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C/f
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O
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Éju
sorbe des quantités peu différentes d’oxygène : un ou deux
volumes en moins, et voilà tout. 11 est meme fort possible
que cette différence porte seulement sur l’oxygène dissous
dans le plasma, qui s’élève, suivant M. Fernet, à 2,88 pour
692
EXPÉRIENCES.
100 volumes de liquide. Ainsi, nos analyses, qui vont jus-
qu’à des pressions considérablement plus basses que celles
employées par M. Fernet, donnent des résultats qui déposent
dans le sens des conclusions de ce physicien.
Mais à partir de 15 centimètres de mercure et au delà,
l’oxygène sort en bien plus grande proportion du sang que ne
le voudrait la loi de Dalton. 11 se fait là une dissociation de
ia combinaison de l’oxygène avec l’hémoglobine, dissociation
dont l’intensité augmente avec rapidité.
Une sorte de contre-épreuve a été faite en employant une
méthode plus voisine de celle de M. Fernet, puisqu’au lieu
d’extraire progressivement l’oxygène par l’agitation à des pres-
sions de plus en plus faibles, on mesurait la quantité absorbée
par un sang absolument dépouillé de gaz au préalable.
Yoici les résultats de trois expériences ainsi exécutées.
On verra qu’ils concordent, dans leur sens général, avec
ceux qui ont été obtenus par la première méthode.
Expérience CCI1. — 30 décembre; pression 762mm.
On préparé deux pompes à mercure et deux appareils à extraction des
gaz du sang, dans lesquels on fait le vide absolu.
On prend dans la veine jugulaire d’un chien, à l’aide d’une seringue,
158cc de sang qui e^t injecté dans un llacon plein d’air ; agité longtemps
dans le flacon, le sang est ainsi défibriné et oxygéné. On fait passer dans
l’une des pompes 89cc,5 de sang mesuré dans une éprouvette graduée,
sang filtré sur un linge et débarrassé de la fibrine et des bulles d’air; on
extrait les gaz du sang chauffé de 55° à 59°, jusqu’à ce qu’on entende un
choc sourd : le sang est bien réduit. L’extraction faite, on refroidit le sang
dans l’eau froide à 10° environ.
L’analyse des gaz extraits montre que 100cc de sang agité dans l’air à
la pression d’une atmosphère ont absorbé 19cc,8 d’oxygène.
On fait rentrer dans l’appareil vide de l’air à la pression de 1/2 at-
mosphère; pour cela, on dispose un long tube vertical T (fig. 44) dans
lequel on verse du mercure; il est fermé par un bouchon à deux trous
traversé par deux tubes de verre. L’un, a , est enfoncé dans le mer-
cure, et la partie immergée a une longueur de 381 mm moitié de
762mm; il s’ouvre dans l’air et porte un robinet r. Le deuxième
tube à, qui pénètre seulement à la partie supérieure du tube plein de
mercure, se recourbe au dehors en un siphon qui vient se fixer par un
caoutchouc c sur le tube central faisant saillie au centre de la petite
cuve à mercure G qui surmonte le robinet R de la pompe à gaz;
en tournant ce robinet comme le montre la figure, et en ouvrant
GAZ DU SANG : EXPÉRIENCES IN VITRO.
693
avec précaution le robinet r, on fait pénétrer bulle à bulle l’air exté-
rieur â travers le mercure, et lorsque l’air qui est venu au contact
du sang possède une pression
égale à une 1/2 atmosphère, l’air
extérieur cesse de rentrer par le
tube a.
On agite alors le sang en éle-
vant et en abaissant le ballon de
l’appareil à extraclion, on agite
25 fois le sang avec l’air et avec
du mercure; le sang devient d’un
rouge très-vif.
En manœuvrant la pompe, et
en tenant élevé au-dessus de l’ho-
rizon le ballon contenant le sang,
on fait passer ce sang dans la
chambre barométrique, puis dans
une seringue. On en obtient ainsi
69cc, c|ue l’on fait pénétrer dans
la seconde pompe à mercure. L’ex-
traction des gaz donne 14cc,5 d’oxv-
gène d’air; soit, pour 100 vol., et
après corrections, 19,8, nombre
identique au précédent.
Ainsi le sang absorbe exactement la même quantité d’oxygène dans les
deux cas.
Expériekce CCIII. — 51 décembre.
100cc de sang de chien ont absorbé, sous la pression ordinaire de
7G0mnl, 3'2CC,4 d’oxygène. 100cc du même sang privé d’abord complète-
ment de gaz ont absorbé sous la pression de 24mm, c’est-à-dire à une
pression 52 fois moindre, 26cc,l d’oxygène.
Expérience CG1V. — 20 et 21 mars. Chez un chien terrier, bien por-
tant, on prend dans une branche de l’artère fémorale 500gr de sang qui
est défibriné par l’agitation dans un flacon.
Dans un grand flacon dont le volume intérieur est égala 41,335, onfait
le vide à l’aide de la machine pneumatique, et on extrait ensuite de l’air
avec une pompe à mercure, de manière à amener la pression de l’air qui
reste à 2 centimètres environ; on injecte dans le flacon, à l’aide d’une se-
ringue, 68cc de sang complètement privé de gaz par l’extraction des gaz à
l’aide d’une pompe à mercure à 40°, et l’on agite le sang avec l’air raréfié
pendant 1/2 heure, agitation obtenue à l’aide du moteur hydraulique.
Après l’agitation, on mesure la pression de l’atmosphère raréfiée et on
diminue la pression trouvée de la tension de la vapeur d’eau à la tempé-
rature de l’air du laboratoire, afin d’obtenir la pression de l’air supposé
sec; on trouve seulement 152mm. On extrait les gaz du sang agité avec
Fig. 44. — Appareil destiné à mettre le sang
au contact de l’air sons une certaine dimi-
nution de pression.
EXPÉRIENCES.
691
l’air possédant seulement cette faible pression, en faisant passer directe-
ment le sang du flacon dans une pompe à gaz vide absolument (pesée du
flacon avant et après).
2° On injecte dans le flacon, à l’aide de la seringue, 68cc de sang privé
de gaz et 68cc d’air; agitation pendant 1/2 heure, etc.... Dans les expé-
riences suivantes, on injecte de même chaque fois 68cc de sang et 68cc
d’air. Voici les résultats obtenus après les corrections nécessaires :
1 00&r de sang d’abord privé de gaz
A la pression de 15e ont absorbé 7CC,5 d’O.
—
29e
— 9CC,9 —
—
40e
— 12cc,5 —
—
51e
— 13cc,2 —
—
756e
— 1 8CC,5 —
Il résulte donc de ces faits que jusqu’à de basses pres-
sions la contradiction signalée entre les expériences laites
in vitro sur la capacité du sang pour l’oxygène et les ana-
lyses du sang des animaux vivants subsiste tout entière, telle
qu’elle nous était apparue d’abord. A toutes les pressions, le
sang, agité dans un flacon, contient une quantité à peu près
égale d’oxygène (tracé A de la fig. 45), tandis que chez l’ani-
mal vivant la proportion d’oxygène diminue avec rapidité,
comme le montrent le tracé G, qui reproduit le tracé Ox de la
fig. 51, et les analyses résumées au tableau X (p. 645).
En présence de cette difficulté, je dus me demander si la
température élevée du corps de l’animal n’apporterait pas
quelques modifications aux résultats que j’avais obtenus à
de basses températures. On savait déjà, en effet, que pour
extraire complètement l’oxygène du sang il faut joindre à
l’action du vide celle d’une température assez élevée. Qu’on
me permette de rapporter ici une expérience qui démontre
cette vérité :
Expérience GGV. — 24 juin. 65ce de sang de chien défibriné sont in-
troduits, à 4h, dans le récipient de la pompe à extraction des gaz, où le
vide absolu a été fait préalablement. La température n’est que de 19°.
On agite à plusieurs reprises le sang dans le ballon, et on en extrait
tout le gaz qui veut venir, mais sans chauffer. On obtient ainsi, pour 100cc
de liquide, l lcc, 2 d’oxygène, 20cc,0 d’acide carbonique, et 2CC,0 d’azote.
Cette manœuvre est répétée jusqu’à Gh ; depuis plusieurs coups de pompe
il ne vient plus de gaz, et le sang est resté nettement rouge. On chauffe
GAZ DU SANG : EXPERIENCES /ZV VITRO.
695
le bain-marie à l’ébullition, et alors, d’un seul coup de pompe, on
extrait le reste du gaz : le sang noircit aussitôt. La quantité nouvellement
extraite représente, pour 100cc de sang : Oxygène 13,2; CO2 13,0; Az 0,6.
Ainsi le sang contenait en tout : O 24cc,4 ; GO2 53,0 ; Az 2,6.
Si l’on eût soumis ce sang aux expériences faites par la
méthode précédemment décrite, et que, dans le flacon à agi-
tation, on eût fait le vide complet, à 19°, on aurait encore pu
en extraire par la chaleur locc,2 d’oxygène. La température a
donc une importance capitale.
Je disposai donc l’expérience d’une manière un peu diffé-
rente. Le flacon à agitation, au lieu d’être attaché sur la
planchette de la figure 42, fut solidement fixé au-dessous, à
une “certaine distance, de manière à plonger dans un bain
d’eau tiède dont on entretint la température à un degré sen-
siblement constant pendant toute la durée de l’agitation.
Or, voici les résultats d’expériences faites dans ces condi-
tions :
Expérience GGVI. — 5 juin. Sang de chien; agité pendant 1/2 heure,
le flacon de 41,530 étant immergé dans l’eau à 40°.
A 725mm (déduction de la tension de la vapeur d’eau), il contient :
Ox:15,4;
A 280mm : O 13,8 ;
A 100mm : O 8,5.
Expérience CCVII. — 10 juillet. Sang de chien; agité pendant 20m, le
flacon de 4!,530 étant immergé dans l’eau à 40°.
A 738mm (avec la déduction habituelle), le sang contient : O 20,1 ;
CO2 18,8; Az 1,5.
A 290mm : O 16,4; CO2 13,0; Az 0,6.
A 87mm : O 11,3; GO2 8,6; Az 0,4.
A 26*™: O 7,2; CO2 7,0; Az 0,2.
Expérience CCVIII. — 18 février. Sang de chien défibriné, à 38° temp.
intérieure. Agitation à la pression normale ; le sang contient O 20,2;
A 38e: O 17,7;
A 19e : O 16,4.
Expérience GC1X. — 26 février. Sang de chien défibriné. Agitation
à la pression normale; température intérieure du flacon 58°; le sang con-
tient O 18,2; CO2 10,1;
A 38e : O 14,8; CO2 6,8;
A 19e : O 10,6; GO2 7,0.
096
EXPÉRIENCES.
Ces quatre expériences, quand on prend les moyennes en
ramenant les origines des tracés à 20, nous donnent le tracé
B de la figure 45.
On voit que la courbe (B) s’incline beaucoup plus rapide-
ment que la précédente (À), et qu’elle se rapproche davan-
tage de celle qui, tirée de la colonne 8 du tableau X,
exprime les modifications de l’oxygène chez l’animal vivant,
et est ici représentée en C. En d’autres termes, la contradic-
tion signalée diminue beaucoup d’importance quand on se
place dans les conditions de température présentée par le
corps des animaux à sang chaud.
Cependant il résulte de nos analyses que le sang arté-
riel d’un animal vivant soumis, par exemple, à - une
demi -atmosphère , pourrait absorber une quantité d’oxy-
gène notablement supérieure à celle qu’il contient en réa-
lité.
C’est que l’agitation intrà-pulmonaire du sang avec l’air ne
se fait plus dans des conditions suffisantes. Déjà, nous l’avons
vu, même à la pression normale, le sang artériel n’est point
saturé de l’oxygène qu’il peut contenir ; il n’y arrive, ou à
peu près, qu’à la suite d’efforts exagérés de respiration, qui
entraînent une exagération de la rapidité circulatoire. A
une demi-atmosphère, il faudrait, pour obtenir le même
résultat qu’au niveau du sol, que l’activité du brassement
intrà-pulmonaire fût doublée : doubles les mouvements res-
piratoires en amplitude, en rapidité; doubles les mouve-
ments du cœur, en force et en nombre. Cela est évidemment
impossible.
En résumé, les conclusions du travail de M. Fernet ne sont
légitimes que dans les conditions de pression et de tempéra-
ture (16°) uù il s’était placé. A des pressions plus faibles, à
la température du corps, la partie de l’oxygène qu’il con-
sidère comme chimiquement combinée dans le sang parce
qu’elle est indépendante de la pression suit réellement les
modifications de celle-ci , bien que notablement moins vite
que ne le ferait un gaz simplement dissous. Mais ceci se com-
plique, dans l’organisme vivant, d’une agitation insuffisante
697
EXPÉRIENCES IN VITRO .
GAZ DU SANG :
du sang au contact de l’air,
d’où résulte une diminu-
tion beaucoup plus rapide
de l’oxygène du sang que
ne l’auraient fait penser
les expériences in vitro.
g 2. — Augmentation
de pression.
Pour étudier l’absorp-
tion de l’oxygène par le
sang à des pressions supé-
rieures à celle de l’atmos-
phère, j’ai fait fabriquer
un récipient de bronze,
d’une capacité de 175cc, ca-
pable de résister aisément
à 25 atmosphères (fîg. 45).
La manœuvre était des plus
simples. On introduisait
dans l’appareil, dont la
partie intérieure pouvait
se dévisser, le sang défi-
briné destiné à l’analyse;
j’en mettais ainsi environ
100cc. Puis, le cylindre re-
fermé, j’y comprimais l’air
en le vissant à la pompe
à compression, et fermais
le robinet Pi quand le ma-
nomètre m’indiquait que
j’étais arrivé à la pression
voulue. J’agitais ensuite
l’appareil en le fixant sur
la planchette de la fig. 42.
Enfin, pour extraire le sang
Fig. 45. — Appareil pour saturer d air le sang
à de hautes pressions.
698
EXPÉRIENCES.
dans la seringue graduée, il me suffisait d’en adapter l’extré-
mité au robinet capillaire r et d’entr’ouvrir celui-ci; la pres-
sion de l’air chassait aussitôt le sang; on maintenait avec
quelques coups de pompe une pression constante dans l’ap-
pareil pendant toute la prise de sang. Quand il s’agissait
de très-hautes pressions, où l’azote dissous en quantité se dé-
gageait dans la seringue, je substituais la pesée à la mesure
d’un volume que la mousse ne me permettait plus de déter-
miner exactement.
Lorsque je voulais faire une analyse à une certaine com-
pression, je commençais par sursaturer le sang en l’agitant
à une pression supérieure, afin d’être sûr, en le ramenant à
la pression voulue, qu’il contenait bien tout l’oxygène qu’il
pouvait absorber. Si plusieurs analyses, à diverses pressions,
devaient être faites avec le même sang, je procédais de même
en commençant par la plus élevée ; j’en avais parfaitement le
droit, puisque la quantité d’oxygène introduite dans l’ap-
pareil sous compression était toujours de beaucoup supé-
rieure à celle que le sang pouvait absorber. Il convient de
dire que la pression comptée dans l’expérience était celle qui
se lisait après l’agitation et l’absorption terminée.
Un premier point a d’abord été déterminé : c’est que l’aug-
mentation de l’oxygène contenu dans le sang était tout à fait
passagère, et disparaissait rapidement quand la compression
avait cessé. L’expérience suivante en fait foi :
Expérience CGX. — 20 juin. Sang de chien défibriné.
A la pression normale, après longue agitation, contient O 20,0.
On en introduit 100cc dans l’appareil, et l’on fait la compression à 12 at-
mosphères, avec du gaz suroxygéné, en telle sorte que la tension de l’oxy-
gène correspond à 44 atmosphères d’air. Après une agitation qui a été in-
suffisante pour une saturation complète, on trouve dans le sang, pour 1 00cc :
O 57,7.
On recueille alors dans un flacon le reste du sang comprimé, qui est
très-rouge et contient beaucoup de gaz en suspension ; le flacon reçoit un
tour de fronde, et 10m après la sortie de l’appareil, le sang ne contient
plus que 20 vol. d’oxygène, comme au début de l’expérience.
Arrivons maintenant aux expériences faites avec un soin
GAZ DU SANG : EXPÉRIENCES IN VITRO.
699
suffisant pour que la saturation ait été complète; la pression
a été faite avec de l’air ordinaire :
Expérience CGXI. — 20 juin. Sang de chien défibriné.
A la pression normale contenait O : 20,0
A 12 atmosphères en contenait 50,0
A 8 — — 25,7
A 4 - — 22,8
Expérience CCXIl. — 22 janvier. Sang de chien défibriné.
A la pression normale, contenait O 20,2
A 18 atmosphères — 28,2
A 9 — 25,9
J’appelle tout particulièrement l’attention sur l’expérience
suivante, qui a été faite avec les plus grandes précautions :
Expérience CCXII1. — 12 janvier. On tire à un chien de très-grande
taille 500cc de sang à l’artère fémorale. Ce sang est défibriné, filtré à tra-
vers un linge, puis agité pendant une demi-heure avec de l’air à la pres-
sion normale; il contient 14,9 vol. d’oxygène.
On l’introduit alors dans l’appareil ; à chaque expérience, l’agitation
dure une demi-heure. On a trouvé ainsi :
A 6 atmosphères, O 19,2
A 12 — 26,0
A 18 — 51,1
Discutons les résultats de cette dernière expérience.
Appelons x le volume d’oxygène supposé combiné avec
l’hémoglobine contenue dans 100cc de sang, volume qui se-
rait, par hypothèse, indépendant de la pression ; appelons y
le volume d’oxygène que 100cc de sang absorberaient, à l’état
de simple dissolution, à la suite d’agitation dans l’air à la
pression normale; nous aurons :
A 1 atmosphère x-\- ?/ = 14,9 (1)
6 — x-\- 6 î/ = 19,2 (2)
12 — ^-4-12?/= 26,0 (5)
18 — jp + 18y=51,l (4)
Retranchons (1) de (4), il vient 17 y= 16,2, d’où y= 0,95 ;
de l’équation (1) nous tirons alors æ= 14, 9 — 0,95 = 13,95.
En portant ces valeurs dans les équations (2) et (5), nous
700
EXPÉRIENCES.
trouvons les chiffres 19,6 et 25,4, au lieu de 19,2 et de 26,
différences qui sont tout à fait de l’ordre des erreurs d’expé-
rience.
Ainsi l’hypothèse est vérifiée, et, au-dessus de 1 atmos-
phère, la pression n’ajoute plus au sang que de l’oxygène
dissous, dont la proportion croissante suit la loi de Dal-
ton.
Si donc nous prenons 20 comme proportion moyenne d’oxy-
gène contenu dans le sang à la pression normale, et si nous
supposons, pour faciliter le calcul, qu’il y en ait 1 volume de
dissous, nous trouverons que, à 6 atmosphères, il devra y
avoir 25 volumes; à 12 atmosphères, 51 volumes; à 18 atmos-
phères, 57 volumes.
Ces derniers résultats sont marqués au graphique de la
figure 46 par les points dont la série forme naturellement
une ligne absolument droite. Or, si nous avions dessiné à
GAZ DU SANG : EXPÉRIENCES IN VITRO.
701
la même échelle le tracé de l’expér. CCXIII, et que nous en
eussions ensuite remonté l’ensemble jusqu’à amener son
point d’origine (14,9) sur la ligne marquée 20, les quatre
points de ce tracé se trouveraient représentés par les petites
croix du graphique. On voit combien ils approchent des
points théoriques.
On a ajouté entre 1 atmosphère et le vide une réduction
du tracé A de la figure 43, qui complète la vue d’ensemble
de la capacité du sang pour l’oxygène, depuis les plus basses
jusqu’aux plus hautes pressions.
J’ai dû me demander si pour les pressions élevées la tem-
pérature amènerait quelque différence importante dans la
capacité du sang pour l’oxygène. Les expériences que je
viens de rapporter ayant été exécutées à la température
du laboratoire, j’en ai fait une autre en agitant le sang
dans un bain maintenu à 40°. Comme les résultats ont con-
cordé avec ceux qui précèdent, je n’ai pas cru devoir mul-
tiplier les faits.
Voici l’expérience :
Expérience CGXIV. — 15 janvier. 300 grammes de sang artériel sont tirés
à un chien de grande taille, défibrinés et filtrés sur un linge.
J’en introduis 150 grammes dans l’appareil de la figure 45; je com-
prime l’air à 22 atm., et je fais agiter le sang et l’air pendant une demi-
heure, l’appareil baignant dans l’eau à 40°.
J’abaisse la pression à 18 atm., et cinq minutes après, je recueille
28 grammes de sang A
La pression étant abaissée aussitôt à 12 atm., j’agite encore et re-
cueille 33 grammes de sang B
Semblable manœuvre me donne, à 6 atm., 41 grammes de sang. . . C
Enfin, à la pression normale, il me reste encore 20 grammes de sang. D
L’analyse par la pompe montre que :
A (18 atm.) contient, pour 100 vol. : O 35,7; Az. 19,2
B (12 — ) --
—
30,9
15,1
C (6 - ) -
—
27,1
7,8
D (1 - ) -
—
23,0
1,3
En opérant sur ces chiffres les calculs qui viennent d’être
appliqués à l’expérience CCXIII, nous trouverions pour le
coefficient de dissolution de l’oxvgène 0,75 et pour les valeurs
702
EXPÉRIENCES.
de B et de G 51,2 et 26,7. L’écart entre le calcul et l’expé-
rience est donc de l’ordre des premières décimales, ce qui
ne saurait nous émouvoir.
Ainsi, à la température du corps, comme à celle du labo-
ratoire, lorsqu’on augmente la pression, l’augmentation dans
la proportion de l’oxygène suit la loi deDalton.
D’autre part, si nous nous reportons à ce qui a été constaté
directement chez l’animal vivant (fig. 56, ligne pleine,
p. 664), nous voyons que la quantité d’oxygène contenue dans
le sang est notablement inférieure à sa capacité maximum
in vitro.
Gela doit tenir en partie à ce que l’oxygène simplement
dissous dans le sérum tend à pénétrer aussi par simple dis-
solution dans tous les liquides organiques et les tissus que
baigne le sang, jusqu’à ce qu’il s’établisse entre eux et ce
sérum un équilibre de dissolution.
Le ralentissement des mouvements respiratoires et de la
circulation du sang, si facile à constater aux hautes pressions
chez les animaux à sang froid, vient certainement aussi con-
courir à diminuer la quantité d’oxvgène qui devrait s’intro-
duire dans le sang, en modifiant les conditions de l’agitation
aéro-sanguine qui se fait dans les poumons, il y aurait ià, de
la part de l’organisme, une lutte pour l’équilibre, s’opérant
en sens inverse de celle sur laquelle nous avons insisté plus
haut.
Si nous nous reportons maintenant à cette observation faite
plusieurs fois déjà que le sang, dans les conditions de la res-
piration normale, n’est jamais saturé de l’oxygène qu’il peut
absorber, on concevra que, l’augmentation de pression in-
troduisant un peu plus d’oxygène dans le sang, cet oxygène
devra être d’abord rapidement condensé par les globules
sanguins, en telle sorte que l’hémoglobine du sang arrive à
s’en saturer tout entière avant qu’il en reste une plus forte
proportion dans le sérum.
Mais au point de vue chimique pur, les faits que je viens de
rapporter présentent un intérêt nouveau quand on les rap-
proche de ceux qu’ont récemment signalés MM. Risler et
GAZ DU SANG : EXPÉRIENCES IN VITRO.
705
Schützenberger1. Selon ces chimistes, le sang, ou, pour mieux
dire, l’hémoglobine à laquelle on a enlevé tout l’oxygène pos-
sible par l’action du vide ou de l’oxvde de carbone, en con-
tiendrait encore une quantité à peu près égale à celle qu’elle
vient de perdre.
11 y aurait donc ici une sorte d e protoxy -hémoglobine, que le
vide même aidé de la chaleur, que l’oxyde de carbone, ne sau-
raient réduire, et une deutoxy-hémoglobine , à laquelle le vide
et l’oxyde de carbone pourraient enlever son second équivalent
d’oxygène. Au delà, l’hémoglobine, complètement saturée, ne
saurait plus prendre d’oxygène, dont la proportion augmen-
terait seulement par simple dissolution dans le sérum am-
biant. Gela rappelle singulièrement le mode d’union de l’a-
cide carbonique avec les bases alcalines , dont les proto-
carbonates sont indécomposables par le vide, tandis que les ,
deuto-carbonates perdent aux très-faibles pressions baromé-
triques leur second équivalent d’acide, comme on le sait de-
puis les travaux d’H. Rose. Le sang complet se comporterait
donc vis-à-vis de l’oxygène, comme le fait une solution de
bicarbonate de soude vis-à-vis de l’acide carbonique. Dans
l’un et l’autre cas, il se trouve 1° en dissolution dans l’eau et
sa proportion peut y être indéfiniment augmentée suivant la
loi de Dalton ; 2° en union facile à dissocier par le vide aidé
de la chaleur; 5° en union inattaquable par le vide et la
chaleur.
Ce rapprochement est très-saisissant lorsqu’on fixe son at-
tention sur la manière dont ce gaz sort du sang quand on
agite ce liquide avec l’air à diverses pressions barométriques.
L’agitation du sang avec l’air pur, à la pression normale,
ne lui enlève que très-lentement une partie de son acide car-
bonique, sans pouvoir l’en dépouiller complètement. Si l’air
est dilaté, la sortie de l’acide se fait un peu plus vite. Cepen-
dant les expériences qui viennent d’être ci-dessus rapportées
(p. 688 et suiv.) montrent que, même à d’assez basses pres-
sions, le sang ne perd pas rapidement son acide carbonique.
Comptes rendus de l'Aôcld. des sciences , t. LXXV1, p» 440 ; février 1875*
1
704
EXPÉRIENCES.
Cependant ce gaz sort du sang en proportions un peu plus
considérables que ne le fait l’oxygène; aussi voit-on le rap-
CO2
port -Q- diminuer de valeur au fur et à mesure que la dé-
compression augmente (expér. CXCIX, CC et CCI).
D'autre part, en faisant un vide progressif sur du sang placé
dans la pompe à mercure, je n’ai vu l’acide quitter le sang
en proportions notables qu’à de très-basses pressions, à peu
près en même temps que l’oxygène. En d’autres termes, les
bicarbonates et les phospho-carbonates alcalins se compor-
tent aux environs du vide comme la deutoxy-hémoglobine
dont je parlais tout à l’heure.
CHAPITRE III
PHÉNOMÈNES PRÉSENTÉS PAR LES ANIMAUX SOUMIS A DES PRESSIONS
INFÉRIEURES A CELLE DE l’aTMOSPHÈRE.
Les phénomènes présentés par les animaux soumis à la
diminution de pression sont précisément ceux qui ont été
signalés chez les voyageurs en montagne et les aéronautes;
j’ai cependant quelques détails intéressants à ajouter à ce
qui est connu déjà. Mais je ne fais nulle difficulté d’avouer
que, ces phénomènes étant d’ordre purement descriptif, leur
analyse exacte m’a paru ne devoir être faite qu’après une
étude suffisamment approfondie de leur cause ; l’intérêt était
évidemment d’ordre inférieur.
Cependant, je crois devoir rapporter ici les détails de quel-
ques expériences. Il sera plus facile ensuite d’en analyser les
phénomènes en les groupant autour des principales fonctions
physiologiques. Mais les conclusions que nous en tirerons
s’appuieront également sur les expériences nombreuses ex-
posées au 1er sous-chapitre du chapitre Ier, et au 2e sous-cha-
pitre du chapitre II, expériences qu’il m’a paru au moins
inutile de raconter à nouveau ici.
Après l’exposé de ces symptômes, j’en ferai la comparaison
avec ceux que présentent les animaux asphyxiés en vase clos
à la pression normale; je déduirai ensuite de tous ces faits la
45
706
EXPÉRIENCES.
méthode qu’il faut employer pour se mettre à l’abri des acci-
dents de la décompression, et je ferai le récit des expériences
exécutées suivant cette méthode sur les animaux et même
sur l’homme.
SOUS-CIIAPITRE PREMIER
ACCIDENTS DE LA DÉCOMPRESSION.
Expérience CCXY. — 2 mars. — Petit Chien, mis dans le grand cy-
lindre.
91. 5m. Pression normale : 16 respirations.
2h 15m. 40e de pression : 16 —
2h 20m. 26e — 24 —
2h 26"'. 22e — 40 — se concile ; les respirations
sont dicrotes; il respire d’abord parle thorax, puis l’abdomen se sou-
lève.
2h 56m. 20e dépréssion; 44 respirations.
2h 42 m. 19e — 56 —
2h 47m. 18e — 40 —
2h 55IU. On ouvre un peu le robinet de rentrée d’air; la pression re-
monte à 21e, les respirations tombent à 50. Puis on referme le robinet.
A 5h la pression n’est plus que de 19 ; les respirations sont restées à 50.
A 5h 5m, 18e de pression; les respirations tombent à 28.
5h 10m. Pression 22e; respirations J 8.
5“ 14m. — 25e; — 16.
5 11 T6m. — 25e; — 14.
511 18m. Retour à la pression normale.
5h 24m. Respirations 14.
L’animal se porte bien.
Expérience CCXV1. — 21 mars. Chien épagneul de grande faille, mis a
5h dans le grand cylindre à dépression. Sa température rectale est 58°, 5. A
4h 58111, la pression n’est plus que de 25e. On ramène rapidement la pres-
sion normale; la température de l’animal s’est abaissée à 56°, 5.
Expérience CCXV11. — 2 avril. Chienne bull-dog, ayant eu déjà quel^
ques opérations ; attachée dans le même appareil.
4h 40m, à la pression normale 24 respirations, J 25 pulsations, tempé*
rature rectale 59°;
4h45ul, pression 46e, 24 respirations, 110 pulsations;
4h 55m, pression 56e, 22 respirations, 100 pulsations;
ACCIDENTS DE LA DÉCOMPRESSION : LEUR DESCRIPTION.
707
ôh 5m, la pompe s’arrête et l’air revient à la pression normale : 20 res-
pirations, 120 pulsations.
On a mis à nu l’artère fémorale autour de laquelle a été placé un fil de
cuivre qui en indique les mouvements et permet ainsi d’en compter les
pulsations.
5h 35m, la pompe, remise en marche, a ramené la pression à 46e : res-
pirations, 18, pulsations 104.
5h45m, pression 36e, respirations 24, pulsations 100.
6h 15m, pression 41e, respirations 18, pulsations 100.
6h 20m, pression normale; la température rectale est 38°, 8.
Expérience CCXVI1I. — 23 avril. Chien, sous la peau duquel ont été in-
jectés 5 centigrammes de chlorhydrate de morphine.
Mis à 4h 30m dans le grand cylindre, avec un manomètre dans l’artère
fémorale gauche.
Il a alors 20 respirations et 126 pulsations.
A 4h 52ni, la pression est à 60e; il y a 24 respirations et 120 pulsations.
A 4h 55m, la pression est à 45e : 33 respirations; 184 pulsations.
A 4h 40ni , la pression est redevenue normale; les respirations sont tom-
bées à 24 et les pulsations sont restées à 160.
On ne peut apprécier exactement la tension artérielle à cause des cail-
lots.
Expérience CCXIX. — 27 mai. Chien, attaché dans le grand appareil,
avec fémorale mise à nu, et cardiomètre dans l’artère.
5h 40m. — Pression normale : 30 respirations; 134 pulsations; pression
cardiaque, de 16 à 18e.
A 5h 55m. — Pression 36e; 60 respirations; l’animal s’est agité par in-
stants.
A 6h 5m. — Pression 26e ; 70 respirations inégales. On ouvre la commu-
nication de l’artère avec le manomètre ; le mercure monte et oscille entre
16 et 18°. Les pulsations sont de 160 à 180 par minute.
Retour à la pression normale en 5m; 20 respirations. L’animal revien
rapidement à l’état normal.
Expérience CCXX. 22 avril. — Chat amené à 2h 30111 rapidement à 26e de
pression, sous courant d’air. Ne peut demeurer debout, se couche en
miaulant.
5h 20m, 33 respirations.
5h 30,n, ramené à 36e parce qu’il parait trop malade.
5h 30m, est toujours resté couché en rond.
Retiré à 6h ; n’a pas uriné.
Maintenu sous cloche ; mais à la pression normale, sous courant d’air
continu.
23 avril; 10h du matin, retiré. Il a uriné ; son urine ne contient pas
de sucre.
Se remet très-bien.
708
EXPÉRIENCES.
Expérience CCXXl. — - 14 mai. — Chat pesant 3k,500. Sous la peau
10 centig. de chlorhydrate de morphine. On le place sous une grande
cloche de verre, mesurant 311; son artère fémorale a été mise à nu, et
un fil de cuivre passé autour indique les battements. L’animal reste assez
tranquille tout le temps de l’expérience.
A 4h 50m, à la pression normale, a 25 respirations; 105 pulsations.
On commence alors la diminution de pression, en ménageant un cou-
rant d’air faible, mais suffisant pour maintenir la pureté chimique de
l’air de la cloche.
A 4h 50m, la pression est de 56e; il y a 40 respirations et 120 pulsa-
tions.
A 5h 10lu, pression 46e : R. 40 ; P. 120.
A 5h 20m, pression 56e : R, 48; P. 152.
A 5h 50,n, pression 26e; l’animal est fort gêné, affaissé avec des soubre-
sauts convulsifs fréquents; il bave : R. 56; P. 140.
La pression descend lentement à 20e ; l’animal est haletant, présente
des mouvements convulsifs généraux, et meurt à 5h 45m.
Les poumons sont revenus sur eux-mêmes, sans crépitation ; emphysème
superficiel; pas d’apoplexie pulmonaire.
Sang noir dans le cœur gauche.
Expérience CCXXII. — 28 février. Température 15°
Trois lapins de même portée sont placés à 2h sous de grandes cloches,
sur l’appareil de la figure 15 (p. 528). On entretient un courant d’air sous
diverses pressions.
A : le lapin pèse 770 gr. ; la pression est maintenue entre 70 et 76 cent.
R : pèse 770 gr. ; la pression oscille entre 45 et 50 cent.
G : pèse 840 gr. ; la pression oscille entre 58 et 40 cent.
A 2h 1/2, on compte, pour le lapin A, 70 respirations par minute;
80 pour R ; 120 pour G.
On les retire à 6h, sans qu’ils aient présenté aucun phénomène remar-
quable.
La température de A est 59°, 5; celle de R et de G, de 38° seulement.
Le 5 mars, on recommence l’expérience avec les mêmes résultats. Le
lapin R, qu’on pousse jusqu’à 56e, présente alors quelques mouvements
convulsifs, qui ne durent pas. Il urine sous la cloche : cette urine ne
contient pas de sucre.
Expérience CCXX1IL 18 mars. Lapin sous grande cloche de 31 b
3h 15m, est depuis un quart d’heure sous un courant d’air à pression
diminuée; il est resté parfaitement tranquille, avec 94 respirations, la
pression étant 56e.
3h 20m, pression 46e, respirations 86.
5h 25m, pression 42e, respirations 66.
5h 30m, même pression, respirations 64 ;
5h 38[n, pression 55e, respirations 70.
ACCIDENTS DE LA DÉCOMPRESSION : LEUR DESCRIPTION.
709
5Ü 50in, pression 15e, 90 respirations.
3h53'n, pression 16e, 45 respirations peu profondes.
Meurt à 4h. On laisse rentrer l’air; l’animal qui était gonflé, s’affaisse.
Sang noir dans le cœur gauche ; quelques ecchymoses pulmonaires.
Expérience CGXXIV. — 20 mars. Lapin de 2!,7, sous la grande cloche;
température 20°.
Mis à 2h 26,n sous courant d’air à pression diminuant.
2h 30m, pression 56e, 105 respirations.
2h 36m, pression 41e, 99 respirations.
Il se produit une fuite, l’air rentre, et la pression retombe à 0°;
81 respirations.
2h46m, la pression est revenue à 50e; 138 respirations.
2h 50m, pression 44e, 105 respirations.
2h 54m, pression 36e, 120 respirations.
3h 1 0,n, 27e, 102 respirations.
Reste entre 27 et 24e jusqu’à 4h 18m; respirations 84.
L’animal maintenu à la même pression s’agite violemment à 6h 20m,
tombe sur le dos, fait 3 ou 4 grands mouvements respiratoires, puis reste
immobile, meurt.
La température intérieure de la cloche est 20°; celle du lapin 32°.
Expérience CCXXV. — 22 mai. Lapin libre dans grande cloche de 311.
Au début 56 respirations.
L’animal est mis rapidement à 56e, et on l’y laisse 20 minutes ; ses res-
pirations passent à 60.
On descend à 36e; les respirations s’élèvent à 100. Mais l’animal reste
tranquille, sans gêne apparente.
On passe à 26e, à 22e, sans que le lapin semble sérieusement incom-
modé. A 16e, les troubles apparaissent. A 12e, il s’agite avec violence,
est pris de convulsions générales et meurt en une minute.
Les poumons sont le siège d’une forte congestion, avec points hémor-
rhagiques, et emphysème disséminé. Leur densité est très-augmentée, bien
qu’ils surnagent encore.
Expérience CGXXVI. — 23 mai. Lapin. Même cloche, mêmes dépressions,
mêmes résultats généraux.
Expérience CCXXVIL — 10 mars. — Température 15°. Cochon d’Inde
pesant 320 gr. ; placé dans cloche de 271. A 2h 50m, j’ouvre le robinet de
communication entre cette cloche et un grand cylindre où la pression a été
extrêmement diminuée; instantanément la pression delà cloche tombe à
16e. L’animal n’en paraît pas souffrir. 129 respirations.
La cloche ne fermant pas très-bien, la pression remonte lentement.
A 3h 13m., elle e^t à 21e; l’animal a 104resp. J’ouvre alors le robinet;
la pression s’abaisse à 17e; l’animal tombe sur le flanc, et se relève pres-
que aussitôt : respir. 1 12. „ > >:
710
EXPERIENCES.
i A 5h 52m, pression 19e, respir. 120; animal tranquille.
A 5h 35m, 3e ouverture du robinet; la pression descend à 16e,5,unpeu
de titubation.
A 5h 42ra, la pression est remontée à 18e. 4e ouvert, du robinet; elle
tombe à 15e, 5; le cochon d’Inde tombe sur le flanc, avec 108 respir.
A 5h45m, 14e; 78 respir. ; sur le flanc.
A 5h 51m, pression remontée à 17e. 5e ouverture du robinet; revient
à 11e, 5; l’animal, qui s’était un peu relevé, se couche lentement ; 56 res-
pirations.
A 5h 55m, pression 15e; 69 respir. ; sur le flanc.
4h lm, pression 14e, 5; 92 respir. ; assez bien revenu.
A 4U 5m, la pression, qui était remontée à 15e, 6, s’est abaissée subite-
ment à 13e, 5. L’animal, qui était sur ses pattes, ne paraît pas s’en aper-
cevoir ; 96 respirations.
A 4h 8m, pression 14e, 7. Respir. 90. Secousses fulgurantes dans les
pattes, le peaussier, la tête; à partir de ce moment jusqu’à la fin, elles
vont en augmentant.
4h 13m, 16e; 95 respir.
4h 15m, 6e ouverture du robinet ; la pression retombe à 13e,5; un peu
plus de secousses, mais l’animal reste sur ses pattes ; les respirations
montent à 108.
4h 21 m, pression 15e ; respir. 85.
4h 30m, pression 16e; respir. 90; 7e ouverture du robinet; pres-
sion 11e, 5; l’animal, qui était accroupi, relève deux fois la tête, puis se
couche lentement. Les secousses fulgurantes cessent pendant quelques
minutes.
4h 33m, pression 13e; respir. 52.
4h 39m, pression 15e; l’animal est resté couché. Ramené à 12e; ne
paraît pas s’en apercevoir..
4h 46m, pression J 4e, 5 ; respir. 66.
4h 55m, 9e ouverture du robinet; la pression tombe à 11e, 5; l’animal
relève la tête, mais reste couché.
4h 55m, pression 12e; respir. 84.
4h 58m, — 15 — 60.
4b 59m, 10e ouverture qui abaisse la pression à 10e, 7; l’animal s’agite
beaucoup, et se met sur le flanc.
5h, pression 11e; respir. 55.
5h 3m, — 12 — 60.
5h 12m, la pression est 15e ; je la ramène à 11e, 7 ; pas d’effet apparent.
5h 20m, pression 14e ; respir. 65.
5h 22m, 12e ouverture ; la pression tombe à 10e, 8.
L’animal tourne, et roule sur le flanc, avec des convulsions toniques et
cloniques.
5h 24m; pression 11e, 7. Les convulsions ont cessé; l’animal n’a plus
que de petites trépidations des pattes ; il reste couché, et, du reste, ne se
relèvera plus.
ACCIDENTS DE LA DÉCOMPRESSION : LEUR DESCRIPTION. 711
5h 57m ; pression 14e, 7 ; respirations 80.
5h 40m; pression 15e; ramené à 11e, 7; l’animal ne bouge pas, mais se
gonfle manifestement.
5h 55m; pression 15e, 5 ; même état. 14e ouverture de robinet ; ramené à
12e, 5. ... , , . , ,
6h45ra; pression 19e; meme état de l’animal. On ouvre largement la com-
munication avec l’air extérieur. L’animal se dégonfle, mais ne respire pas
mieux ; il est presque insensible; sa température rectale est tombée à 20°,
Il reste couché sur le flanc, et meurt dans la nuit.
Pas d’ecchvmoses au poumon. . • , ' ' .
Expérience CCXXVIII. — 11 juin; temp. 21°. Cochon d’Inde, pesant 485
grammes ; mis sous une cloche de 15’,5.
De 5h 24m à 5h 50m, la pression est abaissée à 26e ; l’animal ne s’est pas
agité; mais alors il titube, puis se remet assez bien, se gratte le nez, etc,
A o11 52m ; meme état; 100 respirations; marche un peu.
A 3h 34m; poussé à 20e ; les respirations montent à 155 ; l’animal reste
immobile.
A 3h 35m; pression 17e, 5; se couche sur le ventre.
5h 40m; pression 15e, 7; 80 respirations, fortes, anxieuses; les pupil-
les ne tardent pas à se dilater; surviennent de petites secouses convul-
sives.
,3h 4m. Même pression maintenue; l’animal tombe sur le flanc ; mouve-
ments convulsifs, avec roideurs. Ventre énormément ballonné.
Meurt à 3h 49 m.
A 4h 2m, la température rectale est 54°, 6.'
Expérience CCXXIX. — 17 juin; température 22°. Cochon d’indedans
grande cloche ; courant d’air.
De 2h 50m à 5h 45m, on l’amène à 36e de pression.
Puis, progressivement, de 3h 45m à 4h 20m, à 1 5 c ; il a alors 20 respi-
rations à la minute, et reste couché sur le flanc.
A 4h 25m, on descend un instant à 1 0e.
L’animal a des mouvements convulsifs des pattes et de la tête; les res-
pirations sont laborieuses et saccadées.
On le maintient à 12e jusqu’à 4h 40m, où on le ramène à la pression nor-
male.
Sa température rectale est alors de 25°. Très-rapidement, il se remet
sur ses pattes, reprend des forces, se réchauffe; à4h 50m, sa temp. rectale
est remontée à 51°.
Il meurt.
Examinons maintenant les résultats de ces expériences,
successivement au point de vue des diverses fonctions physio-
logiques.
712
EXPÉRIENCES.
|§ 1er. — Respiration.
« •
En thèse générale, la respiration s’accélère quand la pres-
sion diminue. Mais rien n’est plus irrégulier que ces modifi-
cations dans la rapidité respiratoire. Ici, l’intervention de la
brusquerie des phénomènes est de grande conséquence.
L’animal s’étonne, s’agite, fait des efforts; il est gêné par
les développements gazeux dont je parlerai à propos de la
digestion, et tout cela accélère sa respiration. Mais il arrive
assez souvent que la respiration se ralentit et devient plus
ample ; c’est presque la règle aux pressions très-basses. Cela
se remarque surtout quand l’animal reste tranquille : l’agi-
tation m’a paru toujours entraîner l’accélération.
En un mot, ici comme dans toutes les autres circonstances,
la diminution de pression agit de même que l’asphyxie. On
sait que, dans l’asphyxie en vase clos, il y a aussi une phase
d’accélération respiratoire, suivie d’une phase de ralenti's-
. sement dans laquelle les mouvements thoraciques se font
largement et avec efforts. Les expériences rapportées au
chapitre Ier montrent, elles aussi, des exemples fréquents de
cette accélération respiratoire chez des animaux maintenus
à des pressions plus ou moins basses.
Mais, pour montrer la difficulté qu’il y aurait à embrasser
tous ces faits dans une formule générale, il suffit d’étudier
de près les expériences , en prenant surtout la peine d’ex-
primer par des graphiques les chiffres dont la comparaison
est difficile.
Dans les figures 47 et 48, dont les graphiques n’ont trait
qu’aux mouvements respiratoires, et dans les figures 49, 50
et 51, où sont marquées en outre les pulsations cardiaques,
la direction des flèches indique la série des dépressions et
décompressions successives auxquelles ont été soumis les
animaux Quand la flèche se dirige vers la droite, la pression
diminue, vers la gauche elle augmente au contraire. Les pres-
sions sont en effet comptées sur l’axe des abscisses; sur l’axe
g. 47. — Modification du nombre des mouvements respiratoires sous l’influence de la
décompression : A, B, chiens^ C, D, lapins.
714
EXPERIENCES.
vertical sont inscrits les nombres correspondants aux mou-
vements respiratoires II et aux pulsations P.
Le tracé B (fîg. 47) donne les détails de l’expérience CCXV,
faite sur un chien. On voit qu’ici les choses se sont passées
d’une manière simple et régulière : le nombre des respira-
tions augmentant ou diminuant en sens inverse de la pres-
sion.
Le tracé A, au contraire (exp. CGXVII, autre chien), mon-
tre une complication singulière : d’une manière générale, le
nombre des mouvements respiratoires diminue quand la
pression diminue elle-même.
On constate des différences analogues avec les lapins,
tandis que P exp. CCXXY montre un rapport simple entre la
pression et le nombre des mouvements respiratoires, l’expé-
rience CCXXIY représentée par le tracé G, et l’exp. CCXXIII,
représentée en D, semblent défier toute expression générale.
Mais le maximum de complication imaginable nous est
fourni par le graphique de la figure 48, représentant l’expé-
rience CCXXYIf, faite sur un cochon d’Inde.
On y trouve, en effet, toutes les combinaisons possibles et
les différences les plus étonnantes dans le sens et dans la
valeur des modifications du nombre des respirations. Rappe-
lons que cette expérience avait eu une durée exceptionnelle,
et que l’animal s’était trouvé refroidi au point de périr après
être revenu à la pression normale.
Ces faits, que j’aurais pu multiplier, ont l’avantage de
montrer que, en dehors de ce qui est la règle générale, se
présentent des exceptions nombreuses, qui expliquent le
désaccord dans lequel se sont trouvés à ce sujet les observa-
teurs en montagne et les aéronautes. Nous reviendrons plus
tard sur ce dernier point.
Notons enfin qu’en outre du nombre, la respiration est
affectée sous le rapport du rhythme; elle devient irrégulière,
souvent dicrote, plus ample quelquefois, et je l’ai vue, chez
les chiens, à de très-basses pressions, comme séparée en
deux temps : inspiration thoracique, puis inspiration dia-
phragmatique. De plus, chaque mouvement général est
48. — Modification du nombre des mouvements respiratoires sous l’influence de la
décompression : Cochon d’Inde, expér. CCXXVII.
716
EXPÉRIENCES.
accompagné d’une sorte d’anhélation. Tout cela concorde avec
ce que Ton a observé chez l'homme.
La diminution de la capacité respiratoire maximum a été
mise en évidence par une expérience faite sur moi-même, et
dont les détails seront reproduits dans le sous-chapitre 111.
A la pression normale, elle était représentée par le chiffre
17,5, valeur arbitraire ; à 450 millimètres de pression, elle
était tombée à 11,8, et après une dëmi-heure de séjour sous
des pressions voisines de 420 millimètres, elle n’était plus
que de 9,9.
2. — Circulation.
En outre des expériences ci-dessus rapportées, je crois
devoir en relater une que j’ai faite sur moi-même.
Expérience CCXXX. — Le 29 juillet, la température étant 23ü,5, la pres-
sion 75e, 5, j’entre dans le grand cylindre, et m’y assieds, en restant fort
tranquille.
A 2h35m, j’avais 64 pulsations, à la pression normale.
A 2h45m, pression 72e ; je n’ai plus que 60 pulsations ; peut-être le
repos seul a-t-il suffi pour amener cette diminution.
A 2h55, pression 63e ; pulsations 63.
A 3h, pression 60e; pulsations 67. Je suis obligé à ce moment, par le
gonflement des gaz intestinaux, d’ouvrir largement mes vêtements.
A 3h8m, pression 55e ; pulsations 67. Je me lève à ce moment, et fais
deux ou trois pas dans le cylindre ; aussitôt mon pouls monte à 80.
Je laisse lentement remonter la pression.
A 5M5m; pression 62e; pulsations 63.
A 3h24m; pression 72e; pulsations 60.
A 5h28m ; retour à la pression normale; les pulsalions ne sont plus
que 59.
Je sors et marche assez rapidement dans le laboratoire; le pouls ne
monte qu’à 67.
Je n’ai rien éprouvé de désagréable, sauf la tension des gaz intestinaux,
et un besoin d’avaler souvent ma salive pour déboucher la trompe
d’Eustache.
Les expériences sur moi-même, dont le sous-chapitre III
du présent chapitre contiendra la narration, donnent les
mêmes résultats.
ACCIDENTS DE LA DÉCOMPRESSION : LEUR DESCRIPTION. 717
On voit que , dans la cloche à dépression , l’accélération
circulatoire se manifeste assez vite, comme l’avaient déjà
observé les aéronautes. Elle augmente considérablement aux
moindres mouvements.
Les expériences faites sur les animaux déposent dans le
même sens. Elles montrent le plus souvent une marche re-
Fig. 49. — Modifications simultanées du nombre des mouvements respiratoires R et des
pulsations P sous l'influence de la décompression : Chat, expér. CCXXI.
marqüablement concordante entre la variation du nombre
des mouvements respiratoires et celle des battements car-
diaques.
La figure 49 en fournit un exemple remarquable, emprunté
à l’exp. GGXXI qui a été faite sur un chat. Le tracé des pulsa-
tions est marqué F ; il correspond à la colonne P des ordon-
nées. Le tracé des respirations est indiqué par la lettre R,
ainsi que la valeur de ses ordonnées. Les pressions sont comp-
tées sur l’axe des abscisses.
718
EXPERIENCES.
La même concordance, bien que moins constante, se re-
marque dans la figure 50, qui exprime les observations faites
pendant l’expérience CCXVIII.
Enfin, dans la figure 51, qui reproduit les étranges résul-
tats de fexp. CCXV1I, nous voyons que si le nombre des
mouvements respiratoires diminue avec la pression, il en est
Fig. 50. — Chien, expér. CCXVIII. Fig. 51. — Chien, expêr. CCXVll,
iKoclificqdipng simultanées du nombre des mouvements respiratoires R et des pulsations P
soys l’influepce de la décompression.
à peu près de même des mouvements du cœur. Ceux-ci même
suivent beaucoup plus exactement que ces premiers cette
règle générale.
Il m’a été presque impossible, à cause des caillots qui se
formaient dans les artères et les appareils, de mesurer d’une
ACCIDENTS DE LA DÉCOMPRESSION : LEUR DESCRIPTION. 719
manière suivie les modifications de la pression cardiaque.
Les rares constatations que j’ai pu faire ne m’ont montré que
de faibles diminutions; il m’a semblé qu’il faudrait aller
très-loin pour obtenir de notables différences chez des ani-
maux qu’il est nécessaire de maintenir immobiles. Ainsi à
26e de pression, le cœur avait conservé la même puissance
qu’à la pression normale (exp. CGXIX). Il en serait sans nul
doute autrement, s’ils exécutaient un travail comparable à
celui des voyageurs qui gravissent une montagne.
J’ajoute que sous l’influence des pressions très-faibles et
très-rapidement obtenues, j’ai vu quelquefois des hémorrha-
gies nasales et pulmonaires. Mais c’est un accident fort rare
chez les animaux; il n’est, du reste, pas si commun qu’on le
dit d’ordinaire chez les hommes.
g 3. — Digestion.
Vers un certain degré de décompression, les voyageurs ont
éprouvé des nausées; j’ai vu également mes animaux tituber,
hocher de la tête avec un malaise manifeste, et vomir. Les
Oiseaux présentaient presque tous ce symptôme.
Les animaux soumis à de fortes dépressions, et surtout les
herbivores, se gonflaient d’une manière très-remarquable ,
par la dilatation de leurs gaz intestinaux. Il m’a paru, dans
quelques cas, que ce gonflement était assez fort pour agir
même sur la respiration et en gêner les mouvements.
J’ai constaté sur moi-même ce gonflement désagréable ,
dans l’expérience racontée page 716, et dans plusieurs
autres du même ordre rapportées au sous-chapitre III; mais
il n’a jamais entraîné une gêne sérieuse, lorsque les vête-
ments qui serrent la taille étaient détachés et ouverts; du
reste, les gaz trouvaient très-facilement issue par les deux
orifices intestinaux.
J’ai même voulu faire, pour constater de visu cette évacua*
tion gazeuse, des expériences directes :
Expérience CCXXXL — 10 décembre. Un chien, qui vient d’être tué
720
EXPÉRIENCES.
par électrisation du cœur, est attaché sur une gouttière et placé dans les
cylindres à décompression. Dans son rectum est introduit un tube de verre
coudé qui, grâce à des ampoules de caoutchouc, oblitère parfaitement
l’anus. L’autre extrémité du tube plonge de quelques centimètres dans un
verre plein d’eau.
On commence alors la décompression, et l’on voit, au fur et à mesure
que le baromètre baisse, des bulles de gaz éclater à la surface de l’eau et
se succéder d’autant plus rapidement que la marche de la pompe à dépres-
sion est-elle même plus rapide.
Cependant le ventre se gonflait visiblement.
Au retour à la pression normale il s’aplatit soudain, et de l’eau rentre
dans le rectum.,
Expérience CCXXXII. — 27 février. Chien tué par hémorrhagie et disposé
comme celui de l’expérience précédente. Il a de plus dans l’œsophage un
tube plongeant un peu dans l’eau.
Dès les premiers coups de pompe, l’air sort par l’anus d’une manière
continue ; à plusieurs reprises, on arrête la machine, l’évacuation gazeuse
s’arrête aussitôt. Mais il ne sort jamais de gaz par l’œsophage.
La pression est abaissée jusqu’à 50e en 2h 20,u.
Au retour à la pression normale, le ventre s’aplatit.
Ainsi les gaz dilatés sortent très-aisément par l’anus; mais
la dernière expérience montre, fait assez bizarre, qu’ils ne
peuvent, sur le cadavre, s’échapper parle cardia, ni probable-
ment par le pylore, en sorte que l’estomac se distend. Mais
sur le vivant il n’en est pas de même, et l’éructation se pro-
duit grâce au jeu d’actions musculaires.
Cette influence sur la dépression des gaz intestinaux est
fort peu importante, mais elle présente cet intérêt d’être la
seule ou à peu près qu’elle occasionne à titre d’agent pure-
ment physique.
J’ai ressenti également, en plusieurs occasions, dans mes
cylindres, les nausées, les dégoûts occasionnés par la décom-
pression.
§ 4. — Innervation et locomotion»
Quand la pression baisse notablement, nous avons vu
diminuer rapidement la force musculaire des animaux.
Les oiseaux refusent de faire des tentatives pour s’envoler.
Tous ne tardent pas à rester absolument immobiles , malgré
ACCIDENTS DE LA DÉCOMPRESSION : LEUR DESCRIPTION. 721
qu’on les excite et menace, et si farouches ou si effrayés qu’ils
eussent semblé au début ; plus bas, ils cessent de pouvoir se
tenir debout et s’accroupissent ; plus bas encore, ils tombent
sur le flanc.
Je raconterai, dans le sous-chapitre III, les détails d’expé-
riences où je suis descendu à d’assez basses pressions. J’en ^
extrais cette remarque intéressante que, lorsque je voulais
soulever ma jambe, depuis longtemps ployée, elle était prise
de secousses convulsives que je ne pouvais maîtriser, mais
qui cessaient aussitôt que je l’appuyais de nouveau à terre.
De semblables tremblements ont été signalés par les aéro-
nautes qui, pour la plupart, les ont attribués au refroidisse-
ment. M. Sivel, qui les a éprouvés, les comparait à la période
de froid des accès de fièvre intermittente.
Les animaux soumis à d’assez basses pressions deviennent
comme insensibles et indifférents à toutes choses; il me
paraît évident que la sensibilité, comme la force de réaction,
leur font défaut en même temps. Du reste, chez l’homme, les
impressions sensorielles diminuent singulièrement d’acuité;
nous en verrons la preuve dans le récit de l’ascension de
MM. Crocé-Spinelli et Sivel. Il en est de même de l’énergie
morale, de l’activité intellectuelle ; dans une de mes expé-
riences, je me suis surpris à ne pouvoir multiplier 28 ,
nombre de mes battements du cœur pendant un tiers de mi-
nute, par 5. J’ai dû me contenter d’écrire ces chiffres sur
mon cahier de notes ; cet affaissement me laissait d’ailleurs
assez indifférent.
Lorsque la dépression approche delà limite mortelle, lors-
qu’elle dure depuis longtemps, ou lorsqu’elle a été amenée
très-brusquement, on voit souvent survenir chez les animaux
des trépidations convulsives qui rappellent, en l’exagérant,
le tremblement que j’ai ressenti moi-même. Aux extrêmes
limites, quand la mort arrive, apparaissent des convulsions
véritables, dont la violence est en rapport avec la vigueur
que conserve alors l’animal.
Quand la dépression a été très-lentement amenée, quand
elle a duré longtemps, que l’animal est très-affaibli et très-
46
722
EXPÉRIENCES.
refroidi, on ne constate pas de convulsions, ou bien elles sont
très-médiocres. J’ai montré autrefois qu’il en est de même
dans l’asphyxie ordinaire, en vases clos. Yoici, par exemple,
une expérience :
Expérience CCXXXIïI. — 17 septembre. Deux sansonnets.
A. L’un est placé sous une cloche de 900cc, renversée sur une cuve
d’eau. Au bout de trois quarts d’heure surviennent de violentes convul-
sions, et l’oiseau périt.
D. Le second est mis sous une cloche de 141, également renversée sur
l’eau. Au bout de 6 heures environ, la respiration paraît notablement
gênée. La mort survient après 9h 25m, avec des phénomènes graduels,
sans aucune convulsion.
Les convulsions produites par la décompression, par l’as-
phyxie, et j’ajoute par l’hémorrhagie, ne sont autre chose
qu’une réponse violente de la moelle épinière surexcitée par
une modification brusque dans les conditions de sa nutrition.
Si les transitions sont soigneusement ménagées, s’il n’y a que
des changements lents et progressifs, on ne voit plus de phé-
nomènes violents, plus de convulsions.
Les expériences rapportées dans le chapitre II, sous-cha-
pitres I et IV, montrent que, par la décompression, l’acide
carbonique diminue considérablement dans le sang. Quand
on arrive à la mort, quand surviennent des convulsions,
l’animal en a perdu plus des deux tiers. Ce n’est donc pas,
bien évidemment, à ce gaz qu’il faut attribuer les phéno-
mènes convulsifs, comme le voulait la théorie émise, dès
1850, par M. Brown-Séquard, et acceptée aujourd’hui par un
grand nombre de physiologistes1. Nous verrons directement,
dans un autre chapitre, que l’acide carbonique est un stupé-
fiant des nerfs et des muscles, bien loin de tendre à les sur-
exciter.
Ici, je veux simplement faire remarquer que, dans toutes
les expériences que ce savant physiologiste a apportées à l’ap-
pui de son dire, l’oxygène diminuait rapidement jusqu’à dis-
Voir ses Recherches expérimentales sur les propriétés physiologiques et les
usages du sang rouge et du sang noir. Journal de la physiologie de l'homme et
des animaux; 1858, p. 99, 101, 105.
ACCIDENTS DE LA DÉCOMPRESSION : LEUR DESCRIPTION. 723
paraître, tandis que l’acide carbonique lui-même augmentait
à peine dans le sang et les tissus. Ce que nous venons de dire
suffit, sans qu’il soit utile d’insister davantage, pour prouver
que c’est à cette diminution brusque de l’oxygène que de-
vaient être attribuées les excitations médullaires et les con-
- tractions musculaires.
Je crois devoir ajouter ici que chez les animaux tués par
la décompression, comme chez les animaux rapidement asphy
xiés ou saignés, on voit, dans les instants qui précèdent la
mort, les intestins se tordre dans le ventre par de violents
mouvements péristaltiques.
» il-;
\ 5. — Nutrition.
Tous les phénomènes que nous venons de passer en revue
ne sont que les conséquences des troubles de la nutrition des
tissus, troubles dus à la moindre quantité d’oxygène qui existe
dans le sang. Nos expériences sur les atmosphères suroxygé-
nées ont montré, en effet, que la dépression, en tant qu’agent
physique, ne joue qu’un rôle à peu près négligeable, et que
la question est exclusivement d’ordre chimique.
Nous devons donc essayer de pénétrer dans l’étude de ces
troubles nutritifs, qui se manifestent si nettement à nous
par l’abaissement de la température. Nous le ferons en recher-
chant les modifications que subissent les phénomènes chi-
miques de la respiration, l’absorption d’oxygène, qui est le
fait initial, l’excrétion carbonique, qui mesure l’énergie des
combustions intra-organiques, et aussi l’excrétion rénale, qui
peut servir également à mesurer l’activité chimique du corps
vivant.
1 0 Phénomènes chimiques de la respiration. — Les nombreuses
expériences rapportées dans le chapitre Ier sur la mort en
vases clos d’animaux soumis à des pressions plus ou moins
faibles, permettraient d’établir, par un calcul simple, la
quantité d’oxygène consommé et la quantité d’acide carbo-
nique exhalé, par unité de temps, pour chaque espèce
animale, ou pour chaque kilogramme d’animal.
724
EXPÉRIENCES.
Je le ferai dans un moment, en ne tenant compte que des
expériences où l’attitude de l’animal a été notée, car il est
bien évident que les résultats peuvent être modifiés, renversés
même dans leur sens général, par le seul fait d’une agitation
considérable comparée à un repos absolu.
Mais il m’a semblé utile d’instituer, pour cette constatation
délicate, des expériences spéciales, où des précautions parti-
culières seraient prises. En outre, les expériences du cha-
pitre Ier se terminent par la mort, et, bien que comparables
entre elles sous ce rapport, elles ne peuvent entraîner aussi
sûrement la conviction que celles où les animaux survivent.
Yoici quelques-uns de ces faits nouveaux :
Expérience GCXXXIV. — 50 juin. Rats de même portée, pesant chacun
50 grammes.
A. Renfermé de 4h i6m à 4h58m (42m) sous une cloche bien close, conte-
nant o1, 2; pression normale.
R. Renfermé de 4h54m à 5h18m (42 m) sous une cloche de 71,J , dans
laquelle on amène rapidement la pression à 54e. Le volume de la cloche
correspond à 5', 17 à la pression normale.
G. Renfermé de 4h 50U1 à 5h12m (42,n) sous une cloche de 1 11, 5, dans
laquelle on amène rapidement la pression à 20e. Le volume de la cloche
correspond à 5l,05 à la pression normale.
Les trois animaux restent tranquilles, sauf R qui remue un peu. G se
couche sur le ventre, mais se relève quand on l’excite un peu; il va mieux
vers la fin de l’expérience; aucun d’eux ne paraît alors souffrir du confi-
nement.
L’expérience terminée, on trouve que la tempér. rectale de A est
58°, 1 ; celle de R 55°, 1 ; celle de G 52°, 0.
La composition de l’air est la suivante :
A. O 14,8; GO2 5,2.
B. — 16,0 ; — 5,9.
G. — 17,2; — 5,2.
Ainsi, l’oxygène consommé, dans des vases contenant à peu près la
même quantité d’air, a été pour A, de 6,1 pour 100; pour R, de 4,9 ;
pour G, de 5,7.
En établissant maintenant la valeur absolue de la consommation
d’oxygène et de la production d’acide carbonique pendant les 42m de l’ex-
périence, on trouve que :
OXYGÈNE CO2
A, qui avait à sa disposition 672cc, en a consommé 195 et a produit 16GCC
B — — 666 — 155 — 125
G — — 636 — 112 — 97
ACCIDENTS DE LA DÉCOMPRESSION : LEUR DESCRIPTION. 725
Expérience CCXXXY. 3 juin. Rats de même portée. Tempér. extér. 25°.
a. Mis de 2h 20m à 4h 50m (2h50m), à la pression normale, sous une
cloche de 71, 6.
(S. Mis de 2h40m à 5h15m (2h35ra), à la pression de 50e, sous une cloche
de 111, 5, dont la capacité à cette pression correspond, sous la pression
normale, à 7* ,57.
y. Mis de 2h55m à 5h50m (2h35m), à la pression de 57e, sous une cloche
de d 5!,5, dont la capacité à cette pression correspond, sous la pression
normale, à 71,53.
Les animaux restent fort calmes, et ne paraissent point gênés. A la fin
de l’expérience, la tempér. de a est 35°; celle de 1 3 , 34°; celle de y, 32°, 5
(Le thermomètre n’était pas exact, et ces valeurs doivent être considérées
non comme absolues, mais comme comparatives).
L’analyse chimique
a donné :
Pour «
0 11,3;
CO2 8,1.
- P
— 12,5;
— 7,8.
— 7
- 13,1 ;
— 5,9.
En faisant les mêmes calculs que pour l’expérience précédente, on
trouve qu’en 2h35m,
OXYGÈNE CO2
«, qui avait à sa disposition 1596e0, en a consommé 729 et a produit 615e0
j3 — — 1589 — 636 — 590
y — 1581 — 587 — 452
Si, pour comparer plus aisément les résultats de ces deux
expériences, on calcule pour une heure la consommation de
l’oxygène, on trouve que
OXYGÈNE
CO‘-
A, à la pression normale,
a consommé 278““,
et formé 257
« —
— 282
— 246
j3 à 50° de pression
— 246
— 237
y à 37e —
— 227
— 180
B à 34“ —
— 221
— 175
C à 20“ —
— 160
— 138
La concordance remarquable entre les expériences A et a
d’une part, y et B de l’autre, montre que, malgré les causes
d’erreurs inhérentes à notre procédé expérimental, — causes
d’erreur qui nous forcent à ne tenir aucun compte du troi-
sième chiffre des nombres ci-dessus rapportés, — nous pou-
vons affirmer hautement que la consommation d’oxygène
dans un temps donné diminue quand diminue la pression
elle-même; ce fait se manifeste de la manière la plus nette
dans le graphique A de la figure 52, qui traduit la moyenne
des résultats des deux expériences précédentes.
726
EXPÉRIENCES.
La production de l’acide carbonique donne lieu à des con-
clusions semblables. Le tracé À’ en exprime les phases di-
verses.
Reportons-nous maintenant aux expériences du chapitre I,
sous-chapitre I, et particulièrement au tableau I, page 548,
qui les résume. Nous trouvons ici tous les éléments néces-
Fig. 52. — Consommation d’O, et production de CO' aux différentes pressions.
saires pour notre calcul. Or, si, sans suivre tous les détails
des expériences, nous prenons quelques moyennes à diverses
dépressions, nous voyons que, en une heure, un moineau,
OXYGÈNE CO3
A la pression normale (exp. 1, 2, 3, 4), a consommé 147cc, et produit 122°°
Aux environs de 50e (exp. 5, 6, 7, 8) — 118 — 97
— 30e (exp. 13, 14, 17) — 80 — 65
— • 24e (exp. 24, 25, 26, 27) — 72 — 57
— 20e (exp. 33) — 60 — »
Ces résultats ont été marqués aux tracés B et B’ de la
figure 5ï2. On voit’ que, malgré la différence capitale des
ACCIDENTS DE LA DÉCOMPRESSION : LEUR DESCRIPTION. 727
méthodes (puisqu’ici les moineaux sont restés jusqu’à la
mort, d’où il résulte que dans les derniers temps de la vie
ils étaient tous soumis à la même tension d’oxygène, la ten-
sion qui entraîne la mort), ils concordent singulièrement
avec les précédents, non-seulement quant au sens général de
leur variation, mais même quant à la proportion de cette
variation.
Je suis donc tout à fait autorisé à tirer de tout cet ensemble
de faits la conséquence que, aux basses pressions baromé-
triques, un animal consomme, dans un temps donné, une
quantité notablement moindre d’oxygène , et produit une
quantité notablement moindre d’acide carbonique qu’à la
pression normale. Cette diminution, qui est d’autant plus
grande que la pression est moindre, se manifeste déjà d’une
manière très-nette pour une diminution d’un tiers d’atmo-
sphère, ce qui correspond à une hauteur de plus 5000 mètres
au-dessus du niveau de là mer..
Nous aurons à revenir fréquemment sur les conséquences
de ce fait dominateur, qui explique suffisamment, on le sent
déjà, tous les troubles occasionnés par la diminution de pres-
sion.
2° Excrétion urinaire. — Après avoir constaté que la con-
sommation d’oxygène et que les combustions intrà-organiques
d’où dépend la formation de l’acide carbonique sont con-
sidérablement diminuées par le séjour dans l’air déprimé, je
devais chercher à savoir si ces modifications de la nutri-
tion ne se manifesteraient pas aussi dans l’excrétion urinaire.
J’ai porté spécialement mon attention sur l’urée. Les ana-
lyses ont été faites tantôt par la méthode de M. Gréhant (em-
ploi du réactif de Milon et du vide) , tantôt par celle de M. Yvon
(par l’hypobromite de soude).
Les chiens ont fourni les sujets de mes expériences. L’ani-
mal, enfermé à l’avance dans les cylindres où devait être faite
la décompression, était soumis pendant deux ou trois jours à
un régime régulier de nourriture ; on estimait alors la quan-
titée d’urée excrétée dans les 24 heures, en pratiquant deux
matins de suite des sondages, parce que les chiens renfermés
728
EXPERIENCES.
ne rendent leur urine qu’à des intervalles fort irréguliers.
Bien entendu, tout était disposé pour recueillir l’urine rendue
spontanément par l’animal. La décompression étant entre-
tenue pendant quelques heures, on faisait une nouvelle ana-
lyse embrassant l’urine de la journée depuis le matin de
l’expérience jusqu’au lendemain matin. Quelquefois, on
recueillait encore de même l’urine des 24 heures suivantes.
Voici quelques-uns des résultats obtenus :
Expérience CCXXXVI. — 3 juillet. — Chien pesant 12k; mange chaque
jour, entre 7 et 8h du matin, 250gr de pain et 250gr de viande bouillis avec
500gr d’eau.
Le 4, à 10h du malin, on vide la vessie du chien.
Le 5, on le sonde de nouveau, à la même heure; il n’a pas'uriné spon-
tanément; on obtient ainsi 260cc d’urine, qui, traités suivant la méthode
d’Yvon, donnent 7248cc d’azote.
On en conclut qu’il a rendu 19gr, 4 d’urée.
Ce jour-là, de llh à 6\ l’animal est soumis à une pression de 38e.
Ensortantde l’appareil, le sondage amènel00cc d’urine, contenant 7gr,4
d’urée. Le lendemain à llh du matin, nouveau sondage, donnant 80cc d’u-
rine, avec 4gr,4 d’urée.
A donc rendu, dans ces 24 heures, llgr,8 d’urée seulement.
Le jour suivant (7 juillet), sondé à lh 15m ; l’urine, réunie à celle qu’il
a rendue dans la nuit, forme 240ec, contenant 15gt, 4 d’urée.
Expérience CCXXXVII. — Même chien, maintenu au même régime.
Sondé le 7 juillet à lh 15in, comme il vient d’être dit, puis le 8 à 1 0 h 50m,
(21 heures), donne, 246cc d’urine contenant 19gr,6 d’urée.
Le 8 juillet, de 10h 55m à 4h 45m, est maintenu à 38e de pression.
Le 9, à lh 15m, a rendu (en 27li) 385cc d’urine contenant 24g,7 d’urée.
Si on ramène ces sécrétions à ce qu’elles auraient valu par rapport à
24 heures, on trouve :
A la pression normale, 22gr,4.
A demi-atmosphère, 21gr,9.
Expérience CCXXXV1II. — 13 juillet. — Même chien, soumis au même
régime. Mais il s’ennuie de rester renfermé.
Du 13 juillet, à 7h 45,n du matin (à jeun) jusqu’au 14 à 8h du matin (à
jeun), a fourni 200cc d’urine, donnant 13gr d’urée.
Le 14, de 8h 30m du matin à 5h 45m du soir, est maintenu à la pression
variant de 50 à 55e. Ne paraît pas affaissé.
Le 15, à 8 h du matin (à jeun), on recueille toute l’urine, qui estde211cc
avec 7gr d’urée seulement.
Dans les 24 heures suivantes, il donne 130ec, avec 8gr,2 d’urée.
Expérience CCXXXIX. — 9 juin. — Chien pesant 19k,5. Soumis depuis
ACCIDENTS DE LA DÉCOMPRESSION : LEUR DESCRIPTION. 729
4 jours à une ration alimentaire de 575gr de pain, 575gr de viande et
500gr d’eau.
Du 9 juin, 10h du matin, au 10 juin, 10h 55m, adonné 276ce d’urine qui,
analysée par la méthode de Gréhant, contiennent 27gr,9 d’urée.
Le 10 juin, de 1 1 h50m du matin à 6h50m du soir, est maintenu entre 25
et 50e de pression. Au sortir de l’appareil, il est très-abattu, refusant
presque de se tenir sur ses pattes. On le sonde, sans pouvoir extraire plus
de quelques gouttes d’urine.
Le 11 juin, à 10h 30m du matin, la sonde amène 590cc d’urine claire, ne
contenant ni sucre ni albumine. Elle donne 20gr,7 d’urée.
Expérience CGXL. — 17 juin. — Même chien, maintenu à la même ra-
tion, mais laissé libre. Placé le 17 à 10h du matin dans l’appareil ; a fourni,
le 18 à la même heure, 57 0CC d’urine contenant 27gr,5 d’urée (méthode
Yvon).
Le 18, de llh à 5h 30m est maintenu entre 56 et 38e de pression. Ses
respirations montent de 16 à 24 et même 50. Sort de l’appareil un peu
abattu ; sa température rectale a baissé de 39°, 2 à 59°, 0.
On le sonde, et l’on obtient 100cc d’urine, sans sucre, contenant 7gr,5
d’urée; le lendemain, à midi, fournit 130cc d’urine contenant 6gr d’urée;
soit, dans les 24 heures, 13gr,5.
Expérience GCXLI. — 23 juin — Même chien; régime régulier, mais
ration un peu moindre.
A la pression normale, en 24 heures, fournit 250gr d’urine contenant
20gr d’urée (méthode Yvon).
Est soumis de lh à 6h 50ni à la pression de 38e. Produit dans les 24 heu-
res, 220cc d’urine qui contiennent 14gr,4 durée.
Le lendemain, à la pression normale, donne en 24 heures, 56gr,8 d’u-
rée dans 600cc d’urine.
Expérience CCXL1I. — 26 octobre. — Chien pesant 20\5 ; mais depuis
10 jours au régime quotidien suivant : 250gr viande, 250gr pain, 500gr eau.
Du 26 octobre à 9h du matin au 27, à9h 30m, fournit 356cc d’urine qui
contiennent 25gr,4 d’urée (méthode Yvon).
Le 27, de 9h 45[n à 5h est soumis à une pression variant de 50 à 40e. Le
lendemain, à 9h 45m, a produit 570ee d’urine, avec 25gr, 5 d’urée.
Dans les 24 heures suivantes, donne 530ee d’urine avec 17gr,5 d’eau.
Et le jour d’après, 390ce d’urine, avec21gr,8 durée.
Ces expériences montrent, avec la dernière évidence, qu’un
séjour de quelques heures dans un air dont la pression a été
diminuée de plus de moitié abaisse notablement la quantité
d’urée excrétée en vingt-quatre heures. Quelles que puissent
être les causes diverses inhérentes aux procédés expérimen-
750
EXPERIENCES.
taux, la concordance exacte quant au sens, sinon quant à la
valeur absolue, des variations dans toutes les expériences,
suffit pour constituer les éléments de la certitude.
Cet abaissement n’a point été proportionnel à la diminution
de pression ; il a varié avec des circonstances pour la plu-
part inconnues : son maximum a été, dans l’expérience CCXL,
de 50,8 pour 100.
On peut remarquer, en parcourant le récit de ces expé-
riences, que, dans celle qui porte le n° GGXL11, la diminution
d’urée ne s’est pas fait sentir le jour même de la dépression
(25gr,4 à 25gr,5), mais bien le lendemain (17gr,5); le jour
d’après, l’état normal était à peu près revenu (21gr,8). Dans un
autre cas, expérience GCXLI, le lendemain du séjour dans l’air
déprimé, la quantité d’urée rendue a beaucoup augmenté, et
s’est relevée notablement au delà du chiffre primitif, sous la
pression normale. Ce sont là des questions de détail pour
l’étude desquelles il serait indispensable de multiplier les
expériences, en prenant pour sujet l’homme, duquel l’égalité
de régime, l’égalité de mouvements, etc., peuvent être bien
plus exactement obtenues.
Quoi qu’il en soit de ces points secondaires, il reste avéré
qu’aux basses pressions la diminution d’activité des phéno-
mènes chimiques porte non-seulement sur ceux desquels ré-
sulte la production d’acide carbonique, mais sur ceux qui ont
pour conséquence l’excrétion de l’urée. Tout l’ensemble des
actes d’oxydation intra-organiques se trouve donc diminué
dans une proportion considérable, quand l’air est suffisam-
ment dilaté.
11 est à remarquer que l’acide urique n’a pas paru aug-
menter dans l’urine des chiens, où l’urée diminuait; au
moins n’a-t-on pas remarqué de précipité, ni spontané, ni
consécutif à l’acidification de l’urine. C’est un fait qui vient à
l’appui de tant d’autres pour montrer que l’urée n’est pas
un produit de l’oxydation de l’acide urique, mais que ces
deux substances procèdent de transformations chimiques
différentes.
5° Sucre du foie et du sang, glycosurie. — J’ai constaté à plu-
ACCIDENTS DE LA DÉCOMPRESSION : LEUR DESCRIPTION. 731
sieurs reprises la présence de sucre dans l’urine des animaux
maintenus pendant quelques heures à de faibles pressions.
Mais le phénomène s'est toujours présenté d’une manière ir-
régulière en apparence, si bien que je n’ai pu le reproduire
à volonté dans des expériences comparatives.
D’autre part, quand la dépression est forte et qu’elle agit
pendant longtemps, le sucre diminue plus ou moins dans le
foie ; il peut même en disparaître tout à fait. Exemple :
Expérience CCXLIII. — ier août. — Rat, maintenu dans une grande clo-
che, avec air renouvelé de temps en temps, à la pression oscillant entre
30 et 40 cent., depuis lh 10m jusqu’à 6h 45,n.
On abaisse alors la pression à 8e; l’animal meurt au bout de 5m.
Le foie est extrait immédiatement, jeté dans de l’eau bouillante, puis
écrasé avec du noir animal : pas trace de sucre.
* * \
Voici donc que le processus chimique qui transforme en
sucre le glycogène du foie est, lui aussi, entravé par la di-
minution de pression. Encore ici, nous retrouvons la simili-
tude absolue de la mort par dépression avec l’asphyxie lente
en vases clos. On sait que, de même encore, dans l’asphyxie,
la glycosurie est un phénomène qui.se constate parfois, mais
non toujours. On comprend que des conditions multiples
président à son apparition. 11 faut, en effet, qu’à un certain
moment le foie fournisse encore une grande quantité de sucre
au sang, et que l’oxydation intrà-sanguine se trouve en
même temps gravement entravée. Ce sont des conditions
assez complexes et difficiles à réaliser à volonté.
La richesse en sucre du sang artériel méritait aussi d’être
examinée de près. Voici quelques expériences exécutées dans
ce but : les analyses ont été faites par M. Dastre, très-habitué
à cet ordre de recherches :
Expérience GCXLIV. — 26 février. Chien havanais de petite taille.
Son sang artériel contient par kilogramme 0sr,95 de glycose.
Il est placé sous une grande cloche, à une pression d’environ 20 ou 25e;
au bout d’un quart d’heure, il meurt; la pression étant peut-être descendue
trop bas par un manque de surveillance.
Le sang du cœur droit contient 3«l',48 de glycose par kilogramme.
Beaucoup de matière glycogène dans le foie.
732
EXPERIENCES.
Expérience CCXLV. — 27 février. Chien de petite taille, malingre, souf-
freteux.
Son sang artériel contient lgr,80 de glycose.
Placé pendant 5 heures, sous courant d’air, à une pression variant
entre 15 et 25e. Puis tué par décompression soudaine allant jus-
qu’à 5e.
Sang du cœur droit contient lgr,84.
Beaucoup de sucre et de matière glycogène dans le foie.
Pas d’urine dans la vessie; les reins et la vessie, broyés dans de l’eau,
ne donnent pas de réduction à la matière bleue.
La température n’a pas été mesurée; mais l’animal ne semblait pas re-
froidi sensiblement.
Expérience CCXLVI. — 5 mars. Chien de petite taille.
Sang artériel contient igr,5 de glycose.
Amené en 20 minutes à la pression de 17e où il reste pendant 10 mi-
nutes. Puis tué soudain par décompression (9e).
Sang artériel, tiré du cœur pendant les derniers battements, contient
ogr,5 de glycose.
Température rectale 58°.
Beaucoup de sucre et de matière glycogène dans le foie.
Pas d’urine ; la vessie et les reins, broyés avec de l’eau, ne donnent pas
de sucre.
Ainsi, lorsque la décompression n’a pas duré longtemps,
mais a été forte, le sucre augmente dans le sang; il revient
à sa dose normale lorsque la dépression a été suffisamment
prolongée. Cette différence me parait pouvoir s’expliquer de
la manière suivante : le foie, irrité par l’action d’un sang
brusquement désoxygéné, verse dans le torrent circulatoire
une forte proportion de sucre qui, si l’on tue l’animal au
bout de peu de temps, se manifeste à l’analyse; si, au con-
traire, on attend longtemps, ce sucre se détruit dans
l’organisme, et le foie en produisant de moins en moins, il
revient à sa dose normale, pour diminuer encore et finale-
ment disparaître, même du foie, comme le montre l’expé-
rience CCXL1II faite sur le rat.
4° Température. — Il n’est pas étonnant, en présence de
cette diminution des phénomènes chimiques de l’organisme,
de voir s’abaisser la température du corps.
On avait signalé déjà ce phénomène dans les ascensions en
montagnes. Les uns l’ont attribué au froid ambiant, d’autres
ACCIDENTS DE LA DÉCOMPRESSION : LEUR DESCRIPTION. 733
au travail exécuté, et j'ai parlé à ce propos, dans la par-
tie historique, de la théorie de M. Lortet (voy. p. 297).
Mais les expériences ci-dessus rapportées montrent, par
maints exemples, que la température des animaux décompri-
més s’abaisse sans qu’ils produisent le moindre travail, sans
que l’air soit refroidi, et sans qu’on puisse attribuer le phé-
nomène au courant d’air qu’il faut établir autour d’eux pour
éviter l’accumulation d’acide carbonique. La perte est géné-
ralement de 2 ou 5 degrés pour une diminution d’une demi
ou de deux tiers d’atmosphère en une demi-heure, par exem-
ple. Mais cela dépend du degré de la décompression, de sa
durée et de l’espèce animale.
Ainsi, chez un chien de grande taille (exp. CCXVI, p. 706),
amené en 2 heures à 25 centimètres de pression, la tempé-
rature avait baissé de 2 degrés.
Toutes les expériences donnent des résultats analogues. Je
citerai particulièrement, parce qu’elle élimine l’influence du
courant d’air (exp. CCXXII), celle où trois lapins furent sou-
mis, l’un à un courant d’air à la pression normale, le
deuxième à un courant sous pression de 50 à 55 centimètres,
le troisième à un courant sous pression de 40 centimètres, le
tout pendant 4 heures. Au bout de ce temps, la température
était, pour le premier, de 59°, 5; pour les deux autres, de
58°. Les oiseaux cités au chapitre Ier, sous-chapitre Ier, présen-
tent des phénomènes du même ordre, sur le détail desquels
il serait inutile d’insister.
Mais c’est avec les cochons d’Inde que j’ai pu obtenir
les refroidissements les plus considérables. L’un d’eux
(exp. CGXXIX), maintenu pendant une heure à 55 centimè-
tres de pression, et pendant une heure encore à 25 et même
22 centimètres, n’avait plus, au sortir de la cloche, que 25° de
température rectale. Mais déjà après quelques minutes celle-
ci s’élevait à 51°, et l’animal survécut. Le cochon d’Inde de
l’expérience CCXXVII, dont les respirations ont fourni le gra-
phique de la page 715, qui resta près de 4 heures à osciller
entre 21 centimètres et 11 centimètres, n’avait plus que 20°;
il est vrai qu’il mourut dans la nuit après l’expérience.
17)1
EXPÉRIENCES.
La décompression est donc, par elle-même, une cause de
refroidissement. Dans les ascensions en ballon, cette cause
s’ajoute à l’action directe d’un air glacial. Dans les voyages
en montagnes, ces deux causes prennent une gravité plus
grande, à cause de la dépense de forces exigées par l’ascen-
sion. G'estdans ces limites que l’idée de Lortet peut à priori
être exacte ; mais il faut nécessairement que la dépression
empêche l’oxydation interne de s’activer comme elle le ferait
à la pression normale : on n’aura jamais le mal des montagnes
en grimpant une colline de 1000 mètres, fût-on même
chargé des plus lourds fardeaux.
5° Développement . — Je crois devoir rapporter ici une expé-
rience qui montre que le développement des chrysalides est
entravé d’une manière notable par la diminution de pression.
Expérience GGXLVII. — 25 juin. — Des cocons de ver à soie, du même
âge à un jour près, envoyés d’Alais par M. Raulin, sont placés :
A. 12 dans une cloche ouverte par en haut, à la pression normale par
conséquent ;
B. 18 dans une cloche de 5l,2, à la pression de 50 centimètres ;
G. 18 dans une cloche de 71; pression de 38e;
D. 18 dans une cloche de 151; pression de 25e;
E. 5 dans une cloche de 61; pression de 5e.
La cloche D casse le 25 juin ; l’eau de la fermeture hydraulique y rentre
avec l’air ; on la laisse sans renouvellement. Tous les deux jours on
change l’air des cloches B et G ; tous les jours celui de la cloche E.
Le 8 juillet, on arrête l’expérience, l’on ramène tout à l’air libre, et Ton
ouvre les cocons.
Les cocons de A et D sont éclos du matin : papillons sortis dehors.
Des chrysalides de B, 5 sont transformées, mais les papillons sont restés
dans le cocon.
Les autres sont très-vives, mais non transformées.
Gelles de G sont assez vives, mais non transformées.
On n’ouvre pas les cocons de E.
Le 15 juillet, on trouve qu’il s’est encore transformé 5 chrysalides à B;
tout est mort, du reste.
G : tout est mort également ; mais sous la peau de la chrysalide on
trouve la transformation déjà très-avancée.
D : tout mort, avec un degré de développement considérablement
moindre.
Il serait intéressant de faire des expériences avec des œufs
de grenouilles, des larves d’insectes, etc*
ACCIDENTS DE LA DÉCOMPRESSION : LEUR DESCRIPTION.
735
g 0. — Limite inférieure de pression.
La valeur de la dépression à laquelle surviennent les divers
accidents que je viens d’énumérer, celle de la limite infé-
rieure incompatible avec la vie , varient suivant les espèces.
Elles varient également suivant que les animaux sont restés
calmes ou qu’ils se sont agités pendant la durée de l’expé-
rience.
Chez les moineaux, le malaise commence généralement à
se manifester aux environs d’une demi-atmosphère. L’animal
commence à devenir inquiet; il cesse de sautiller, et ses res-
pirations s’accélèrent; c’est vers 25 centimètres qu’il com-
mence à vomir, à osciller sur ses pattes; bientôt il tombe,
et si la dépression approche de la limite mortelle, il tourne
sur lui-même et s’agite convulsivement. Nous avons vu plus
haut que cette limite était d’ordinaire de 17 à 18 centimè-
tres.
Elle peut varier, dans des limites assez étroites, pour la
même espèce, d’un animal à l’autre,* alors même que toutes
les conditions de la vie paraissent bien identiques. En voici
pour preuve une expérience :
Expérience CCXLVI1I. 18 juin. — 4 moineaux : A, vieux mâle, vigoureux;
B, C, D, femelles, bien portantes; tous réunis dans la même cage depuis
plusieurs jours. Mis ensemble dans une grande cloche de 50 litres, sous
courant d’air. Un linge qui recouvre la cloche les empêche de s’effrayer
et de s’agiter inégalement ; ils restent fort calmes pendant toute la pre-
mière partie de l’expérience , c’est-à-dire jusqu’à ce qu’ils souffrent de
l’air raréfié.
La dépression commence à 4h 45m.
A 4h 49ni, la pression n’est plus que de 58e, 8 : B et D vomissent à plu-
sieurs reprises.
A 4h 52m, pression 29e, 8 : A vomit à son tour.
4h 55 m, pression 27e, 8 : G vomit ; D est très-malade.
4h 54m, pression 26e, 8 : tous haletants et accroupis, sauf G qui se tient
sur ses pattes
4h 55m, pression 24e, 8 : tous marchent en se traînant deci delà; seul A
reste immobile, le bec à terre.
41' 56m, pression 25e, 8 : le plus malade est évidemment A; puis
736
EXPERIENCES.
viennent D, puis B, puis enfin G, notablement mieux que les autres.
4h 58m, pression 21e, 5: A et D semblent mourants ; ils sont renversés,
avec respiration haletante et convulsions.
4h 59m, je pousse jusqu’à 20e, 5, puis j’ouvre tous grands les robinets:
A et D restent quelque temps sur le dos, et ne se remettent qu’après les
autres.
A 5h 50m, tous vont bien.
Ils survivent.
J’ai montré qu’il est possible, avec des précautions con-
venables, d’arriver jusqu’à 10 centimètres (p. 555), limite
qui concorde avec celle qu’indique le calcul pour la pres-
sion minima de l’oxygène. Il faut pour cela opérer avec
une très-grande lenteur. En allant brusquement, au con-
traire, on peut voir les troubles survenir beaucoup plus tôt,
et, par exemple, la mort arriver tout à coup entre 25 et
50 centimètres. Il en est de même lorsque l’animal s’agite.
Inversement, il arrive souvent qu’un animal qui paraît fort
mal à son aise, près de périr, sous une très-faible pression,
se remet ensuite, se relève, et s’y accoutume fort bien.
Tous ces faits, qui compliquent la solution numérique du
problème, sont parfaitement en rapport avec ce qu’indiquent
les observations des voyageurs en montagne, et avec ce qu’on
sait des conditions de l’asphyxie.
Plus ménagées seront les transitions, plus facilement s’ob-
tiendra l’accoutumance; plus grandes seront les dépenses
d’oxygène, plus vite se fera sentir l’effet de sa privation. Les
voyageurs, comme les oiseaux décomprimés, comme les ani-
maux asphyxiés, d’une manière générale, souffrent d’autant
plus qu’ils agissent davantage; les voyageurs, nous en avons
eu maints exemples, sont forcés, à certaines hauteurs, de s’ar-
rêter pour s’accoutumer, de se coucher pour diminuer la
dépense d’oxygène. Les faits que j’indique sont parfaitement
en série avec ceci.
Ajoutez que, d’après un certain nombre d’expériences dont
le résumé forme le tableau II (p. 560), la résistance est no-
tablement moindre quand la température est très-basse.
C’est une considération importante, car les voyageurs comme
les aéronautes sont le plus souvent exposés à cette condition
ACCIDENTS DE LA DÉCOMPRESSION : LEUR DESCRIPTION. 737
déprimante. Or rien de plus naturel, la consommation d’oxy-
gène devant- être augmentée par le froid, sous peine d’un no-
table abaissement de la température du corps.
Espèces diverses. — Si maintenant nous considérons la
résistance moyenne présentée par les diverses espèces, nous
trouvons que, chez les oiseaux, les rapaces paraissent presque
aussi sensibles à la dépression que les moineaux. Le fait est
curieux, lorsqu’on pense aux hauteurs atmosphériques con-
sidérables qu’atteignent les grands oiseaux de proie.
L’expérience suivante, si on la rapproche de la précé-
dente, quia été faite le même jour, en donne une preuve
plus nette encore que celles qui se tirent du tableau de la
page 577.
Expérience CCXL1X. — 18 juin. — Mouette rieuse (Larus ridibundus
Lin.) et Cresserelle (Falco tinnunculus Lin.).
La dépression s’est faite dans les memes conditions de rapidité que
pour les moineaux de l’expérience CCXLVIII. Je résume dans le tableau
suivant les phénomènes présentés, sous la même pression, par ces trois
espèces
•
PRESSION
CRESSERELLE
MOUETTE
MOINEAUX
38e, 8
B, D vomissent.
34,8
, , ,
Vomit
Id.
31,8
Titube, vomit. . . .
Id.
29,8
Id
A vomit.
27,8
Vomit
Id
C vomit; D très-malade.
20,3
Couchée, très-malade,.
Couchée, plus malade
que la cresserelle.
A et D mourants.
18,8
17,8
Id
Va mourir; j’ouvre.
Va mourir ; j’ouvre. .
J’ouvre.
Ainsi, la cresserelle n’a guère qu’un centimètre d’avance
sur la mouette, et deux ou trois sur les moineaux. Il serait
bien intéressant de mettre en expérience, non plus seule-
ment un représentant zoologique des rapaces de haut vol,
mais un de ces oiseaux lui-même, un condor, par exemple ;
malheureusement, cette bonne fortune n’est pas près d’arri-
ver aux physiologistes.
Parmi les mammifères, les chats paraissent avoir une
susceptibilité presque aussi grande que les moineaux. Elle
l’est certes plus que celle des chiens, qu’il faut pour les
47
758
EXPÉRIENCES.
tuer pousser à 10 ou 8 centimètres. Nous avons vu, du reste,
dans l’historique, que les chats sont difficiles à élever et
même meurent rapidement sur les hauteurs (voy. p. 43, 49).
Les cochons d’Inde et les lapins sont très-faciles à ame-
ner à de basses pressions, et, leur température diminuant
très-vite, ils passent, pour ainsi dire, à l’état d’animaux à
sang froid.
C’est cet état dans lequel sont, par à peu près, les chats
nouveau-nés : aussi meurent-ils un peu plus tard que les
adultes.
J’avais espéré, en soumettant à la décompression un ani-
mal hibernant, l’amener à des pressions très-faibles aussi,
pensant qu’il hibernerait, pour ainsi dire; mais la seule expé-
rience que j’aie faite, avec un hérisson, a déçu mon attente
(voy. p. 578). Il ne m’a pas été possible de dépasser 18 centi-
mètres sans que la vie de l’animal semblât immédiatement
menacée.
J’ajoute enfin que, comme on devait s’y attendre, les ani-
maux à sang froid résistent à des pressions extrêmement
basses.
g 7. — Mort.
J’ai indiqué plus haut comment tantôt l’animal meurt sans
aucun mouvement, tantôt il se relève et se roidit violemment
avant d’expirer, tantôt enfin il a de véritables convulsions.
Tout cela, nous l’avons vu, dépend de l’état d’épuisement dans
lequel il est, du temps depuis lequel dure l’expérience, etc.
L’autopsie ne montre guère de résultats intéressants. Le
sang est noir partout, excepté dans les veine^ pulmonaires,
où il absorbe de l’oxygène pendant le retour à la pression
normale. Il ne contient jamais de gaz libres.
Chez les mammifères, les poumons sont parfois un peu
emphysémateux; presque toujours ils sont ecchymosés par
places, quelquefois, mais rarement, avec hémorrhagie véri-
table ; dans d’autres cas, à la suite de décompressions sou-
ACCIDENTS DE LA DÉCOMPRESSION : LEUR DESCRIPTION. 739
daines, je les ai vus comme carnifiés, revenus à l’état fœtal,
et allant par gros fragments au fond de l’eau. Je tâcherai
d’expliquer, en parlant des décompressions brusques, ce phé-
nomène étrange.
Un fait curieux, c’est la rapidité avec laquelle survient
la rigidité cadavérique. C’est un résultat que j’ai constaté
avec soin chez les moineaux. Tandis que, si l’on coupe la
tête à l’un de ces animaux, la rigidité cadavérique reste
environ trois quarts d’heure avant de se manifester, elle
survient entre 10 et 20 minutes après la mort dans l’air
raréfié.
Je prendrai comme exemples un certain nombre des expé-
riences rapportées au chapitre I (page 559 et suiv.). Elles
permettent de dresser le tableau suivant :
TABLEAU XIII.
C/j
i u
CJ
2
P
W
2
S5 S
O CS
c 7) ^
c/j
a SS
r ç
•À
TEMPÉRATURE j
RIGIDITÉ CADAVÉlîIQUE
SURVENUE APRÈS
£3 «
s 2 C '«
H 2 H H
w 2
w a ^
H -,
<
OBSERVATIONS
! XIX
76
19°
Plus de 58 min.
Tué par section du cou.
XVI
19e, 7
id.
Moins de 25 min.
24° env.
A vécu lh 45m; resté calme.
XVII
20e, 8
id.
Moins de 20 min.
31°, 6
Mort en 2m ; convulsions violentes.
XVIII
27e, 8
id.
17 minutes.
26°,7
A vécu 2h; pas de convulsions.
XX
50e, 8
20°
15 minutes.
20», 5
A vécu 6h 53m ; assez calme.
XXI
30e, 3
id.
Moins de 20 min.
24° env.
A vécu 4h 25m ; assez calme.
XXII
26e , 1
id.
Moins de 17 min.
34», 7
Mort en 6m; sans grandes convuls.
XXIV
50e, 3
id.
Moins de 20 min.
27»
A vécu lh 51 m; agitation.
XXVI
24e, 2
20», 5
Environ 15 min.
28» env.
A vécu 2h 10ra; grande agitation et
convulsions violentes.
XXVII
24e, 2
id.
11 minutes.
27», 2
A vécu lh 50m; assez calme. 1
XXVIII
24e, 2
id.
Moins de 20 min.
28“ env.
A vécu lh 4m; agitation. i
On voit qu’il s’agit d’un phénomène absolument constant
et indépendant à la fois de la rapidité de la mort, du calme
ou de l’agitation de l’animal, et du degré auquel s’est abais-
sée sa température*
Il n’existe pas dans l’asphyxie en vases clos, à la pression
normale (sauf dans les conditions de l’expér* CCL, p. 746),
740
EXPERIENCES
et je 11e crois pouvoir l’attribuer qu’à l’épuisement de l’acide
carbonique du sang et des tissus, par le fait de la respiration
dans l’air raréfié. Nous verrons dans le chapitre VIII que cet
épuisement est réel.
SOUS-CHAPITRE 11
COMPARAISON DES PHÉNOMÈNES DE LA DÉCOMPRESSION AVEC CEUX
DE L ASPHYXIE EN VASES CLOS.
J’ai déjà insisté à plusieurs reprises sur le parallèle entre
les phénomènes de la décompression et ceux de l’asphyxie en
vases clos, parallèle qui se poursuit jusque dans les moindres
détails. Je l’ai fait, dans le premier chapitre (p. 554 et suiv.),
en comparant la durée de vie des animaux dans l’un et l’au-
tre cas, sous l’influence de conditions diverses. Je l’ai fait
encore à propos des gaz contenus dans le sang artériel chez
les animaux décomprimés et chez ceux qu’on asphyxie en
vases clos, lorsqu’on soustrait l’acide carbonique au fur et à
mesure de sa formation (chap. 11, sous-chap. IV).
Les descriptions données par les innombrables auteurs qui
ont fait périr des animaux par asphyxie concordent de
tous points avec les phénomènes que nous venons d’énu-
mérer. On a montré les respirations devenant en général
plus rapides dans les premiers temps, pour se ralentir et
prendre le caractère d’angoisse quand l’animal souffre nota-
blement. Les pulsations, dans leur nombre, dans leur force,
ont été beaucoup moins étudiées. Mais on n’a pas manqué de
remarquer les nausées, les mouvements de trépidation, les
'convulsions terminales dans des circonstances que nous
avons ailleurs tâché de préciser. Si les phénomènes de la
nutrition n’ont pas été l’objet d’une attention suffisante, on
n’a pas oublié l’abaissement de la température du corps, et
M. Claude Bernard a signalé la disparition du sucre du foie
dans les asphyxies lentes.
Il faut faire observer cependant que dans les conditions
ACCIDENTS DE LA DÉCOMPRESSION : COMPARAISON AVEC L’ASPHYXIE. 741
d'asphyxie où ces expérimentateurs plaçaient leurs animaux,
l’acide carbonique s’emmagasinait dans l’air ambiant, sans
qu’on ait déterminé la part d’influence qui revenait à ce
gaz, les uns la niant complètement, les autres l’exagérant à
l’excès.
Les phénomènes relatifs à la diminution de l’oxygène
absorbé, de l’acide carbonique et de l’urée excrétés par des
animaux soumis à la respiration d’un air pauvre en oxygène,
n’ont pas été étudiés avec un soin suffisant jusqu’ici. Je ne
connais même rien qui soit relatif à l’excrétion urinaire, et
cela se comprend : il ne serait rien moins que facile de main-
tenir pendant un temps considérable, dans un air appauvri
et convenablement renouvelé, des animaux sur lesquels se
pourrait faire une semblable expérience.
Relativement à l’absorption d’oxygène, j’ai bien souvent,
en analysant à plusieurs reprises successives l’air d’une clo-
che où s’asphyxiait lentement un animal, constaté qu’au fur
et à mesure que l’expérience marchait vers son dénouement
fatal l’animal consommait de moins en moins d’oxygène pour
des laps de temps égaux.
L’expérience CLXXXYII (p. 671) en montre un exemple :
ici, l’acide carbonique était absorbé par de la potasse au fur
et à mesure de sa formation, en telle sorte que la comparai-
son avec l’air pur dilaté est très-légitime ; or, dans les deux
premières heures le chien avait consommé 41 pour 100 de
l’oxygène du sac clos où il respirait, tandis que dans les
2 heures suivantes il n’en a consommé que 56 pour 100, le
volume total du sac étant en outre fort réduit, par suite de
l’absorption de l’acide carbonique.
Les expériences qui seront rapportées au chapitre VIII
(sous-chap. 11) déposeront dans le même sens. Ainsi la pau-
vreté de l’air en oxygène donne le même résultat que sa
dilatation.
Quant à l’abaissement de température, les expériences du
chapitre II, sous-chapitre IV (p. 670 et suiv.), nous indiquent
des chiffres intéressants. Dans l’expérience CLXXXVII, où
l’asphyxie a duré 4h 45m, la température était tombée de 39°
742
EXPÉRIENCES.
à 54°, 5. Dans l’expérience GLXXXV1II : durée, 4h 50m; temp.,
de 58°, 5 à 34°. Il y a donc là encore identité entre les deux
ternies que nous cherchons à comparer actuellement.
Si nous envisageons les phénomènes respiratoires et circu-
latoires, au simple point de vue du nombre des mouvements,
nous trouvons, dans l’asphyxie comme dans la dépression, la
même tendance générale et les mêmes irrégularités.
La ligure 55 donne une idée de leur marche : le trait
plein représente les résultats de l’expérience CLXXXVII, le
trait pointillé ceux de l’expérience CLXXXYIII. La teneur de
l’air en oxygène est inscrite sur l’axe des abscisses. Le nom-
bre des respirations (R) et celui des pulsations (P) sur l’axe
des ordonnées, à des échelles différentes.
On voit que dans ces tracés se manifeste, après une phase
d’incertitude et d’irrégularité, une période d’accélération
dans les deux ordres de mouvements, suivie d’une période de
ralentissement soudain.
Dans quelques cas, à la fin de la vie, le cœur recommence
à battre avec vitesse, mais ses battements sont très-faibles.
C’est ce qui est arrivé dans une des expériences rapportées au
sous-chapitre II du chapitre VIII, où les pulsations, après être
tombées de 120 à 14 au moment où l’insensibilité de l’œil
apparaissait, se sont, quand cessa la respiration, relevées
soudain à 60 pendant quelques minutes.
Quant à la pression cardiaque, elle baisse avec lenteur
d’abord, puis rapidement. La figure 54, dont les tracés
sont relatifs à l’expérience CLXXXVII, montre la marche des
maxima et des minima, en rapport avec la richesse de l’air
en oxygène.
Tous ces phénomènes prouvent donc encore une fois l’i-
dentité des effets de la décompression avec ceux de l’asphyxie
lente, ou, pour mieux dire, de la respiration d’un air pauvre
en oxygène.
Cette identité se traduit encore par une coïncidence inté-
ressante. Les détails des expériences rapportées dans le pré-
sent livre montrent que non-seulement la mort, mais les
troubles divers apparaissent, dans l’asphyxie, à un degré de
Fig. 57*. — Asphyxie sans acide carbonique. Nombre des pulsations P, P’, et des respirations
R, R’, en rapport avec l’appauvrissement graduel de l’air.
744
EXPÉRIENCES.
pauvreté en oxygène, et dans l’air dilaté à un degré de dé-
pression ou la tension de l’oxygène est identique.
Ainsi, chez les chiens, les troubles respiratoires sont ma-
nifestes, dans l’air confiné, à peu près au moment où il n’y
a plus que 12 pour 100 d’oxygène ; dans l’air pur, ils appa-
raissent environ sous la pression de 45 centimètres, pression
que l’on rencontre à peu près à 5000 mètres d’altitude ; dans
les deux cas, la tension de l’oxygène est la même, car
12x70 = 20,9 x45,6. Quant aux accidents graves, aux
nausées, etc., il faut que la proportion de l’oxygène dans
l’air confiné s’abaisse au voisinage de 8 pour 100, ou que la
pression barométrique de l’air pur soit réduite à 50 centi-
Fig. 54. — Maxima et minima de la pression cardiaque dans l’asphyxie
sans acide carbonique.
mètres environ, ce qui correspond à une hauteur de 7500
mètres : la tension de l’oxygène est encore la même dans les
deux cas.
Or, confirmation nouvelle, c’est à ces altitudes, à peu près,
que surviennent chez les aéronautes, immobiles dans leur
nacelle, les troubles et les accidents qui constituent le mal
des ballons .
La coïncidence prend un caractère d’intérêt plus vif en-
core, lorsqu’elle se tire d’observations qui ont été prises
sur l’homme lui-même.
Les plus importantes sont dues à M. Félix Leblanc1, qui
1 Recherches sur la composition (le l'air de quelques mines (Annales de chimie et
de physique, 5e série, t. XV).
ACCIDENTS DE LA DÉCOMPRESSION : COMPARAISON AVEC L’ASPHYXIE. 745
a eu l’occasion d’analyser l’air des mines de Poullaouen et
d’Huelgoat, en Bretagne, et dont le mémoire contient de pré-
cieuses indications sur les sensations des ouvriers qui tra-
vaillent dans ces mines.
Les pyrites qui existent en abondance dans les filons ex-
ploités s’emparent d’une partie de l’oxygène de l’air qui se
trouve ainsi appauvri sans être, comme cela arrive dans les
lieux confinés, vicié en même temps par de l’acide carbonique
ou d’autres gaz.
Des faits rapportés par M. Leblanc, nous extrayons les sui-
vants :
A : Dans un endroit où il n’y a plus que 16,7 pour 100
d’oxygène, la respiration est peu gênée, mais l’air est trouvé
faible par les mineurs ;
B : Avec 15,5 d’oxygène, on peut respirer d’une manière
continue et sans trop de difficultés;
G : Avec 9,8 d’oxygène, l’air est asphyxiant, et au bout de
1 à 2 minutes on se sent pris de défaillance. M, Leblanc, qui
s’v soumit sans transition, faillit se trouver mal, et le maître
mineur qui l’accompagnait fut saisi de vertiges et de nausées.
Or, dans l’observation A, la tension de l’oxygène équivaut
à celle existant dans l’air pur à 60e, 4 de pression; ce qui
correspond à une altitude de 1800 mètres. Pour l’observa-
tion B, la pression équivalente est 55e, 5, et l’altitude
2500 mètres. Pour C, la pression est 55e, 4, et l’altitude
6000 mètres.
Il est hors de doute qu’un habitant de la plaine, transporté
subitement à des hauteurs de 1800 et surtout de 2500 mè-
tres, et forcé de s’y livrer aussitôt au dur travail des mineurs,
trouverait comme eux que l’air est faible et sentirait sa
respiration un peu oppressée. Il est hors de doute qu’un
aéronaute qui serait, aussi instantanément que dans l’ob-
servation de M. Leblanc, transporté à 6000 mètres de hau-
teur, et qui voudrait, comme ce chimiste, faire l’effort
nécessaire pour gravir un talus et vider un flacon plein de
mercure, serait, lui aussi, atteint aussitôt d’accidents assez
graves.
746
EXPÉRIENCES.
Enfin, dernière ressemblance sur laquelle nous appelons
l’attention, la rapidité singulière avec laquelle survient la
rigidité cadavérique des animaux morts dans l’air raréfié
(voy. p. 759) se retrouve dans la mort par asphyxie, lorsqu’on
a soin d’éliminer l’acide carbonique formé en l’absorbant par
la potasse. Exemple :
Expérience CCL. — 20 mars. A 5h, un verdier est placé dans une cloche de
51 sur un trépied qui l’isole d’un cristallisoir plein d’une solution de po-
tasse. Un tube coudé fait communiquer cette cloche avec une autre qui
repose sur la cuve à eau, et dans laquelle l’eau montera au fur età mesure
de l’absorption de GO2, en sorte que la pression restera toujours la même
A 4h, l'oiseau, qui s’est un peu agité au début, se couche et demeure
en repos : respiration haletante.
II meurt à 6h23m; temp. rectale 51°.
La rigidité commence aux ailes à 6h 3|m; elle est complète à 6h 45m.
Notre parallèle entre les accidents de la décompression et
ceux de l’asphyxie est donc complet, et se poursuit jusque
dans les moindres détails avec une remarquable précision.
Tout se résume, dans l’un et l’autre cas, en cette formule :
troubles nutritifs dus à l’introduction dans l’organisme,
dans un temps donné, d’une quantité insuffisante d’oxy-
gène.
SOUS-CHAPITRE 111
DES MOYENS DE CONJURER LES ACCIDENTS DE LA DÉCOMPRESSION.
Les faits si nombreux qui ont été énumérés jusqu’ici ont
montré de la manière la plus nette que les accidents de la dé-
compression sont dus non à la soustraction de la pression
atmosphérique, mais à la diminution de la tension de l’oxy-
gène, qui ne pénètre plus alors dans le sang et, par suite,
dans les tissus, en quantité suffisante pour entretenir les
combustions vitales à leur degré d’énergie normale. La pro-
phylaxie de ces accidents se déduit tout naturellement de
cette notion précise.
La tension d’un gaz, avons-nous déjà dit bien souvent,
est exprimée par le produit PxQ de la pression barométri-
ACCIDENTS DE LA DÉCOMPRESSION : MOYENS DE LES CONJURER. 747
que P que multiplie la proportion centésimale Q du gaz dans
le mélange ambiant. Si donc, en même temps qu’on fait, par
le j eu de la pompe pneumatique, diminuer le facteur P, on
augmente le facteur Q, rien ne sera changé à la tension, et
les accidents devront être conjurés. Du même coup, si l’évé-
nement justifie nos prévisions, la théorie qui leur sert de
base se trouvera une fois de plus vérifiée.
Mais l’expérience, sous la forme que je viens d’indiquer,
est très-difficile à réaliser. On arrive aux mêmes conclu-
sions en l’exécutant dans les conditions de celle dont je vais
ici exposer les détails :
Expérience GGLI. 25 avril. — Moineau, sous une cloche de 0,5, sur la
platine de la machine pneumatique. La pression extérieure est de 75 cent.
5h 20,u, amené en quelques minutes à ,25e de pression: 212 respira-
tions à la minute.
A 21e, tourbillonne, culbute, va mourir. Je rétablis la pression normale
en laissant rentrer de l’air très-riche en oxygène (par accident, il rentre
en meme temps de l’air extérieur) ; l’oiseau se remet immédiatement et
paraît vif et bien portant.
3h 30IU, l’air contient alors 55 p. 100 d’oxygène. J’amène l’oiseau à 18e
dépréssion; il est alors fort malade, avec 176 respirations; je laisse
rentrer de nouveau de l’oxygène, il revient aussitôt à lui.
5 11 40m, l’air contient 77,2 p. 100 d’oxygène. L’oiseau sous 15e déprés-
sion a 168 respirations, mais il ne culbute qu’à 10 centim. Se remet éga-
lement aussitôt après la rentrée d’air suroxygéné.
5h 50,u, l’air contient 87,2 p. 100 d’oxygène. Le moineau, à 10e, a 176
respirations, et ne parait pas menacé ; mais à 8e, il culbute sur le dos et
va mourir. Nouvelle rentrée d’oxygène, se remet encore.
4h 5m, l’air contient 91,8 p. 100 d’oxygène. On pousse jusqu’à la pres-
sion de 7e, 5 ; l’oiseau est fort malade, et l’on n’a que le temps d’ouvrir les
robinets.
Les tensions minima de l’oxygène ont été successivement 5,8 ; 6,5; 10;
9,2; 9,1.
Il survit.
Ainsi, les dépressions tout à l’heure redoutables sont de-
venues successivement inoffensives, parce que la richesse en
oxygène de l’air a été suffisamment et progressivement aug-
mentée. On a gagné 12,5 centimètres avant de voir reparaître
les symptômes qui annoncent une mort menaçante, et on
748
EXPÉRIENCES.
la pression prodigieusement faible de 7e, 5. Je ne doute pas
qu’on ne puisse aller plus loin encore en marchant avec une
suffisante lenteur.
J’ai très-souvent répété en public cette expérience très-
simple, qui peut être exécutée dans tous les laboratoires de
physique, et qui est à la fois extrêmement probante et
extrêmement saisissante. La figure 55 en montre le dispo-
sitif expérimental.
A elle seule, elle suffirait pour entraîner la conviction ; on
peut, pour en augmenter la puissance démonstrative, la com-
pléter par l’expérience cruciale suivante :
Expérience CGLII. — 24 avril. — Sous une cloche de 2!,5, placée sur
la platine de la machine pneumatique, et préalablement remplie d’un air
très-riche en oxygène, on introduit un moineau. Pression extérieure,
75 cent.
L’air contient alors 86,2 p. 100 d’oxygène; on fait la diminution de
Fig. 55. — Oiseau dans un air de plus en plus dilaté et de plus en plus oxygéné.
A. Cloche communiquant en B avec la machine pneumatique, en C avec un tube barométrique,
en D avec un sac plein d’oxygéne 0.
pression. A 5h 50m, la pression n’est plus que de 15e, 5; l’oiseau est agité
et volètedans la cloche. A 9e, 5 il est très-malade et va mourir. On laisse
rentrer de l’air un peu suroxygéné. L’oiseau se remet aussitôt.
ACCIDENTS DE LA DECOMPRESSION : MOYENS DE LES CONJURER. 749
5h 58m, l’air contient 55,7 d’oxygène; on recommence la diminution
de pression, sans pouvoir aller plus loin que 11e. Rentrée d’air un peu
suroxygéné; animal bien remis.
5h 45m, l’analyse de l’air a élé perdue. Par la dépression, on n’atteint
que 15e. Encore celte fois, l’oiseau est-il tellement malade, qu'il reste
quelques secondes immobile sur le dos après qu’on a rétabli la pression
normale avec de l’air ordinaire.
5h 55m, l’air ne contient plus que 22 p. 100 d’oxygène ; aussi ne peut-
on dépasser 18e.
6h 5m, cette fois on opère avec de l’air ordinaire ; à 20e, 5 l’oiseau est
fort malade ; mais il revient parfaitement à lui sous la pression normale.
Il a au ci âne un piqueté sanguin assez abondant.
La tension de l’oxygène au moment où il fallait rétablir la pression a
successivement été de 10,7 ; 8,0 ; 5,0 ; 5,6.
On peut mettre cette dernière expérience sous une forme
plus simple encore :
Expérience GCLIIl. — 5 juin. Gros-bec verdier (Fringilla chloris Lin.).
Mis sous la cloche de la machine pneumatique.
Pression lentement diminuée; malade à 30e de pression réelle, et,
comme il s’est un peu agité, est assez mal en point à 22e.
Je laisse alors rentrer dans la cloche, pour rétablir la pression normale,
de Yazote pur. L’animal, loin de se remettre, périt presque aussitôt.
Il a dans le diploé crânien un énorme épanchement noir.
Quel que soit le procédé opératoire employé, ces diverses
expériences montrent de la manière la plus nette, à la fois
la cause des accidents de la décompression et le moyen de les
conjurer.
Je ne pouvais évidemment me borner, au moment d’émet-
tre des préceptes pratiques destinés aux voyageurs en mon-
tagne et aux aéronautes, à des expériences faites sur des
animaux, si convaincantes qu’elles fussent.
Je résolus de commencer par expérimenter sur moi-même.
J’avais déjà, dans mes grands cylindres en tôle, subi l’iji-
fluence d’assez notables dépressions, jusqu’à éprouver certains
malaises. Je pensai alors à m’y soumettre de nouveau, pour
faire disparaître les accidents en respirant un air suroxy-
géné.
Je plaçais alors à côté de moi, dans l’appareil, un grand
sac de caoutchouc, contenant un air d’autant plus riche en
750
EXPERIENCES
oxygène, que la dépression devait être plus forte. La figure 56
indique suffisamment la disposition des expériences.
Je reproduis ici les détails de trois d’entre elles, et d’une
Fig. 56. — Respiration d’un air suroxygéné, dilaté par la diminution de pression,
quatrième qui fut faite par mes regrettés collègues et amis
MM. Crocé-Spinelli et Sivel :
Expérience CCLIY. — 20 février 1874. — Pression extérieure 758mni.
2h 50m, j’entre et m’installe assez à mon aise dans les cylindres, ayant
avec moi un sac rempli d’un air extrêmement riche en oxygène ; à côté de
moi, un moineau dans une cage.
Mon pouls donne 64; ma température sous la langue prise avec un très-
grand soin est de 56°, 5 ; une expiration dans un spiromètre de Hutchin-
son me donne une valeur désignée sur l’échelle arbitraire par 17,5.
2h 5/lu, la porte est fermée, la dépression commence.
2h 45m, pression 7 1 0mm ; pouls 68.
2h 58m, pression 590 111111 ; pouls 70; je suis à une dépression correspon-
dante à peu près à la hauteur de Mexico, 2150m.
751
ACCIDENTS DE LA DÉCOMPRESSION : MOYENS DE LES CONJURER.
5h 2m, 535mm ; 73 pulsations.
3b 6m, 500mm; il s’échappe des gaz intestinaux.
3h 8m, 465mm ; 78 pulsations.
3h 12m, 450 mm; pouls 84; c’est la dépression de Calamarca, par
41 50m ; j’ai quelques sentiments de nausées.
5h 14m, 450mm; le pouls s’abaisse à 80; les nausées disparaissent; j’ai
le ventre un peu gonflé; je me sens la face congestionnée avec quelques
légers éblouissements.
3h 17m, 450mm, pouls 84. Je respire trois fois de l’oxygène ; mon pouls
tombe à 78 ; j’ai quelques éblouissements.
A 5h 21m, la pression n’est plus que de 418nim ; ce qui correspond à la
hauteur du Mont-Blanc, 4800 mètres ; mon pouls a continué de descendre
après quelques respirations d’oxygène; il n’est plus qu’à 70; à chaque
respiration, un éblouissement.
3h 25m, 420mnj; je me lève en respirant de l’air; mon pouls monte im-
médiatement à 96, puis à 100 ; j’ai un vertige net; je me rassieds.
5h 25m, 445mm ; le pouls retombe à 90, puis, après une inspiration
d’oxvgène, à 70, à 3h 26m, sous la pression 460mm.
5h 28m, 450mm ; l'oiseau tombe dans sa cage.
3h 30m, 440mm; pouls 76; renvois gazeux par la bouche.
5h 32m, 435mm.
Ayant voulu, sans quitter ma chaise, élever la jambe droite, celle-ci est
prise de tremblements convulsifs dans les muscles du mollet et de la
cuisse, tremblements que je ne puis maîtriser avec la main ; ils cessaient
lorsque j’appuyais fortement le pied à terre; la température sous la langue
est de 36°8.
3h 54m, 443mm ; pouls 80. Une inspiration d’oxygène.
3h 35m, 445mm ; le pouls tombe aussitôt à 70; ayant essayé de siffler, à
ce moment, je remarque que cela m’est impossible.
3h 37m, 436mm ; pouls 80.
3h 59m, 430mm ; je souffle dans le spiromètre; éblouissement; je n’ai
plus que 11,8.
3h 43m, 435mm; pouls 80. •
3h 451U, 423mm ; pouls 90. Je fais plusieurs inspirations d’oxygène;
éblouissement*
3h47m, 423mm ; le pouls est retombé à 69.
5b 48m, 423mm; je m’agite sur ma chaise ; léger éblouissement.
3h 49m, 425mm ; pouls78.
3h 50m, 420mm; pouls 86.
3h 51m, 41 8mna ; pouls 87 ; je fais une inspiration d’oxygène.
3h 53nq 426nim; pouls 78.
3h 55m, 430mm ; pouls 80; quelques inspirations d’oxygène ; éblouis-
sement.
3h 57m, 430mm ; pouls 72.
2h 59m, 420mm; pouls 84. Je me sens assez mal à mon aise ; ayant trouvé
pour le nombre de mes pulsations pendant 20 secondes 28, j’ai la plus
752 EXPÉRIENCES.
grande peine à multiplier ce nombre par 5, et j’inscris sur mon carnet de
notes « difficile à calculer » .
4h lm, 413nim ; 88 pulsations.
4h 3m, 408mm; 92 pulsations ; sensations nauséeuses pénibles ; éblouis-
sements; congestion à la tête; tremblements convulsifs en levant la
jambe.
4h 4m, 415mm; 90 pulsations; je respire de l’oxygène; éblouisse-
ments.
4h 5m, 41 6nim ; 75 pulsations seulement.
4h 7m, 420mni ; je souffle dans le spiromètre , et ne vais qu’à 9,9 ;
éblouissements et vertiges après avoir soufflé.
4h 9m, 450mm; température sous la langue, 36°, 7.
4h 14m, 445mm ; pouls 78; je fais trois inspirations d’oxygène ; éblouis-
sements; le pouls tombe aussitôt à 63.
4h 18M, 452,nm; pouls 79; cinq fois je fais des inspirations d’oxygène,
séparées chacune par deux inspirations d’air.
4h 20m, 450mm ; le pouls est revenu à 63. L’oiseau, jeté en l’air, tombe
en tourbillonnant, et se laisse prendre à la main.
4h 24ni, 465m,n ; pouls 72; je fais un effort et me lève ; le {pouls monte
aussitôt à 84.
4h 26m, 490mm ; pouls 72; je fais quelques inspirations d’oxygène;
éblouissements.
4h 29ni, 495mm ; pouls 60.
4h 33m, 500mm ; pouls 25; plusieurs inspirations d’oxygène ; le pouls
tombe à 64 ; j’essaie en vain de siffler.
4h 37,a, 540mm; pouls 69 ; l’oiseau refuse de s’envoler de dessus laçage,
mais est bien réveillé.
4h 38m, 555mm ; je ne peux pas siffler.
4h 40,n, 590,nm; pouls 63 ; je commence à pouvoir siffler assez facilement.
4h 45m, 759mm; pouls 58 ; température sous la langue, 36°, 6.
La température intérieure de l’appareil n’a pas varié.
Dans cette première expérience, les respirations d’air oxy-
géné ont été intermittentes, et l’effet de chacune d’elles s’est
montré instantanément. Les nausées disparaissaient, le bien-
être renaissait aussitôt. Le nombre des pulsations, et c’est là
un signe des plus précis, diminuait immédiatement pour
revenir bientôt après à son chiffre primitif.
Les tracés de la figure 57 expriment d’une manière très-
nette ces curieuses modifications. Les heures sont marquées
sur l’axe horizontal. Le tracé supérieur représente la marche
décroissante de la pression barométrique, avec la hauteur
correspondante à quelques dépressions ; le tracé inférieur
ACCIDENTS DE LA DECOMPRESSION : MOYENS DE LES CONJURER. %ô
indique les oscillations du nombre des pulsations. On voit à
toutes les inspirations d’oxygène, marquées O, une chute
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instantanée de cette dernière ligne : la démonstration est des
plus nettes.
Des modifications aussi brusques dans le rhythme circula»
toire ne peuvent être sans inconvénients : aussi, c’est à elles
que j’attribue les éblouissements qui accompagnaient chaque
48
754
EXPERIENCES.
inspiration d’oxygène. J’ajoute que, le soir de cette expé-
rience, j’éprouvai pendant plusieurs heures des phénomènes
de congestion cérébrale qui n’ont pas laissé de m’inquiéter
quelque peu.
Je prie également le lecteur de remarquer les tremble-
ments musculaires et le singulier état d’affaissement intel-
lectuel dans lequel je me suis trouvé en arrivant à la pression
de 42Ü'lim, c’est-à-dire, à peu près à celle qu’on subit à la hau-
teur du mont Blanc : je me trouvai presque incapable de
multiplier, le crayon en main, 28 par 5.
Le 9 mars suivant, MM. Crocé-Spinelli et Sivel, qui proje-
taient d’exécuter des ascensions à grande hauteur, vinrent à
mon laboratoire dans le but d’étudier sur eux-mêmes les
effets déplaisants de la décompression et l’influence favo-
rable de l’air suroxygéné.
Je ne saurais mieux faire que de reproduire ici la narra-
tion que rédigea immédiatement pour moi M. Crocé-Spinelli,
d’après les notes que M. Sivel et lui prenaient assidûment
dans l’appareil, des phénomènes qu’ils avaient tous deux
éprouvés.
Expérience CCLV. — La diminution de pression s’opéra
régulièrement; en 55 minutes ils furent amenés à 504mm; le
retour à la pression normale se fit en 22 minutes. Ils sont
ainsi restés pendant 25 minutes au-dessous de 450mm de
pression.
Monsieur,
Paris, le 10 mars 1874.
Je vous transmets les faits que nous avons constatés et les impressions
que nous avons ressenties, M. Sivel et moi, dans vos cloches à dépression,
le 9 mars 1874.
L’émotion n’a pas sensiblement influencé ces observations, car elle a
été presque nulle, je crois, chez M. Sivel, et extrêmement faible chez moi
pendant toute la durée de l’expérience. La préoccupation continuelle de
constater des faits donne de cela une explication satisfaisante.
L’expérience commença à 10h 31 m.
Les premiers moments de la dépression ne donnèrent lieu à aucune
impression désagréable. A 101' 34m je constatai chez M. Sivel, à la pression
de 70,5 centimètres de mercure, 80 pulsations; et, très-peu après, à
68 cent., 92 chez moi. A lh 4U1", pression 56L', le pouls de M. Sivel donne
ACCIDENTS DE LA DÉCOMPRESSION : MOYENS DE LES CONJURER. 755
100 et le mien également 100. A lh 44m , pression 51e, mon pouls donne 1 16
et celui de M. Sivel 108.
C’est à partir de la pression de 48e environ que l’oppression commence à
se manifester sensiblement. Je deviens plus paresseux et me contente
d’examiner ce qui m’influence. Je sens de la chaleur cà la face, ce que
ressent également M. Sivel vers la pression de 44 centimètres. J’ai en outre
des picotements à la tête, des démangeaisons qui me font l’impression d’un
mal aux cheveux. L’énergie morale n’a d’ailleurs nullement été affaiblie,
car nous sommes gais et causeurs.
A lh 40m vers 41 centimètres, M. Sivel inspire l’oxygène du ballonnet,
non pas par besoin, mais pour diminuer la tension considérable du réci-
pient qui est prêt d’éclater. Sous la pression de 40 cent., je me sens mal
à mon aise, la tête est serrée comme dans un étau et je ressens l’impres-
sion d’une barre de faible diamètre sur laquelle j’appuierais fortement
mon front. Mon pouls donne 135 pulsations.
A lh 57m, sous la pression de 59 centimètres, j’aspire quelques gorgées
d’oxygène du sac que me tend M. Sivel. Je me sens soulagé et mon pouls
redescend à 128, bien que la dépression continue à se produire.
Nous nous passons le sac à oxygène. Mon compagnon en use jusqu’au
maximum de dépression, 5 ou 6 fois d’une manière souvent copieuse, et
moi 5 ou 4 fois d’une façon généralement plus modérée et même mala-
droite, car, éprouvant d’abord un certain dégoût à inspirer ce gaz qui
sent le caoutchouc, j’en laisse perdre une assez grande quantité. Cepen-
dant, à mesure que la pression diminue, je surmonte plus facilement cette
répugnance et je ressens instinctivement la nécessité d’absorber ce gaz.
Mon pouls donne à 58 et 57 centimètres Î28 pulsations après absorption
d’oxvgène ; à 35 cent, il est à 132. Il est certain que sans l’oxygène inspiré
il serait plus élevé.
Voici ce que produisit chez M. Sivel l’absorption du gaz comburant :
la cloche lui paraissait se mouvoir comme pendant l’ivresse, et cela pen-
dant quelques secondes ; il ressentait comme une légère atteinte de mal
de mer. Puis, ce malaise se dissipait et l’esprit devenait plus précis
qu’avant l’inspiration.
Chez moi, les mêmes impressions m’affectèrent, mais d’une manière
plus marquée. De plus, au-dessous de 35 centimètres, mes regards, qui
s’obscurcissaient, devenaient très-sensiblement plus nets après l’absorp-
tion d’oxygène. Je voyais clair après avoir vu noir; l’intérieur de la cloche
semblait tout à coup devenir plus lumineux.
A ces faibles pressions, l’esprit s’était beaucoup alourdi chez tous deux,
mais surtout chez moi. Pendant les quatre minutes qui précédèrent le
moment où nous arrivâmes à 30,4 centimètres, je ne prenais guère que
les notes des pressions que me dictait à très-haute voixM. Sivel, et les cal-
culs les plus simples me semblaient difficiles. J’étais très-sourd et me
faisais répéter plusieurs fois les indications de pression. L’air ne semblait
plus conduire le son*
A llh 8 “h sous la pression de 50c*4* ni M. Sivel ni moi ne disons plus
75G
EXPÉRIENCES.
rien. Nous avions été cependant très-gais, très-causeurs et remuants
jusque vers 57 centimètres. Nous n’avions plus, il est vrai, d’oxygène, et
cette constatation occasionna chez moi une sorte de regret instinctif.
M. Sivel avait alors l’esprit un peu vacillant, et moi j’étais dans un état de
prostration assez marquée. L’atonie n’était cependant pas arrivée à un tel
point que nous n’eussions pu encore supporter, assez difficilement, il est
vrai, deux ou trois centimètres de dépression, surtout M. Sivel, qui s'est
toujours montré moins influencé que moi.
Pendant toute l’expérience, nous n’avons constaté ni l’un ni l’autre de
ballonnement abdominal ni d’oppression pulmonaire, ce qui m’étonne pour
moi qui ai les bronches très-sensibles. La face avait fini par s’empour-
prer fortement. M. Sivel était devenu violet foncé, et moi, qui suis ordi-
nairement pâle, violet léger. Mon oreille droite était très-rouge.
M. Sivel, ayant constaté mon état de grand malaise, me demanda si je
croyais qu’on devait arrêter la dépression. Je répondis que oui, parce
qu’il n’y avait plus d’oxvgène. Le souvenir de ce fait ne m’est pas revenu
de suite après l’expérience, et ce n’est qu’au moment où j’écris qu’il
devient pour moi très-net.
On arrêta alors la machine et on ouvrit les robinets d’entrée d’air. Voici
le nombre de puisai ions constaté pendant la période de recompression :
chez moi, à 52e, 104 pulsations; à 59e, 100 pulsations; à 66e, 96 pulsa-
tions. CliezM. Sivel, à 62e, 98 pulsations.
En 7 minutes, nousrevimnes à 45 centimètres, et malgré la rapidité de
la montée de la pression, non-seulement nous ne ressentîmes aucun ma-
laise, mais bien au contraire, moi surtout, nous éprouvions une sensation
très-agréable. Ce n'est qu’après que les bourdonnements commencèrent à
se faire sentir chez tous les deux. M. Sivel but de l’eau et mangea un peu,
et par deux fois, son oreille se débouchant tout à coup, il se sentit sou-
lagé. Je fus plus sensible aux bourdonnements que lui ; mon oreille ne se
déboucha qu’une fois et je souffris assez violemment. Cette souffrance
s’accrut vers 70 centimètres, quand les opérateurs, ne voyant sur le ma-
nomètre extérieur que quelques centimètres de dépression, ouvrirent
beaucoup le robinet de rentrée d’air. 11 est probable que c’est cela qui
occasionna les maux d’oreilles qui survinrent chez moi après l’expé-
rience.
En sortant de la cloche à llb50m, après 59 minutes d’expérience,
j’avais une sensation de coton dans les oreilles, fortement tamponné, mais
je ne souffrais pas. La tête était libre, mais l’esprit un peu fébrile. Toute
la journée je sentis les oreilles, surtout la droite, très-lourdes. Le soir
celle-ci me fit souffrir. Couché à 1111, je ne pus m’endormir qu’à 4 heures
du matin. J’avais non-seulement des élancements et une névralgie tem-
porale, mais encore l’oreille intérieure semblait comme tuméfiée, et une
pression de la main produisait une impression douloureuse. Je calmai la
douleur en m’entortillant la tête de linges. Quant à M. Sivel, cette expé-
rience ne lui laissa aucun malaise.
le dois dire que mon compagnon de cloche est de tempérament san-
ACCIDENTS DE LA DÉCOMPRESSION : MOYENS DE LES CONJURER., 757
guin, qu’il jouit d’une excellente santé, et qu’il possède une apparence
très-vigoureuse. Il est habitué aux voyages de long cours, sur mer et sur
terre, et il a fait deux ascensions aérostatiques. Quoique d’une bonne
constitution, je suis évidemment moins fort que lui. Je possède un tem-
pérament lymphatico-nerveux.
Je crois qu’il est bon de comparer les sensations ressenties dans la
cloche avec celles que j’ai éprouvées dans l’ascension à 4600 mètres, sous
une pression barométrique de 429mm, exécutée par moi, en compagnie de
MM. Jobert, Pénaud, docteur Pétard et Sivel. Dans cette ascension, je ne
ressentis aucune impression désagréable, pas plus que mes compagnons,
provenant de la dépression. Or dans la cloche, vers 50 centimètres, la
face me piquait, ce que M. Sivel ressentait vers 44 centimètres. Avant
429mm, le malaise était déjà très-notable et j’avais la sensation de la barre
sur le front, tandis qu’il n’y a eu rien de semblable pendant l’ascension.
Dans la cloche je possédais 116 pulsations à 51 centimètres, et 155 à
40 centimètres, et dans la nacelle de l’aérostat, j’en avais 116 entre 45 et
44 centimètres. M. Sivel avait 108 pulsations à 46e, 5 dans la cloche, et à
45e, 110 dans la nacelle.
Les bourdonnements furent ressentis par moi absolument dans l’ascen-
sion comme dans la cloche. Dans la descente aérostatique, j’avais comme
du coton dans les oreilles. Cette impression dura jusqu’au lendemain,
mais la douleur ne fut jamais que très-faible. Comme dans la cloche, la
douleur s’était accrue dans les derniers centimètres de dépression, à
cause de la rapidité de la descente.
Dans cette expérience, les deux aéronautes descendirent à
la pression de 504mm de mercure, correspondante à une hau-
teur de 7o00m. Ils ont été, par suite, beaucoup plus vivement
impressionnés que je ne l’avais été, n’ayant pas dépassé 4 1 8mm,
hauteur de 5100m; les phénomènes nerveux ont chez eux
dominé la scène : l’obscurcissement de la vue, la paresse in-
tellectuelle, ont été des plus remarquables chez M. Crocé-Spi-
nelli. M. Sivel, qui était entré à jeun dans l’appareil, com-
mença à manger pendant la décompression; bientôt il s’ar-
rêta, et comme je lui faisais, à travers les hublots de verre,
signe de continuer, il me répondit par un geste de dégoût.
L’action favorable de l'oxygène a été également des plus
manifestes; après quelques [inspirations, les phénomènes fâ-
cheux disparaissaient. A un certain moment, aux très-basses
pressions, les lèvres et l’oreille droite (la seule que je voyais)
de M. Crocé-Spinelli étaient devenues tellement violacées
que je me disposais à ouvrir les robinets lorsqu’il prit à la
758
EXPERIENCES.
bouche le tube d’oxygène : l’effet, c’est-à-dire le retour à la
teinte normale, fut instantané. M. Crocé-Spinelli m’a raconté
en sortant de l’appareil qu’il avait eu à ce moment recours à
l’oxygène, parce qu’il ne voyait presque plus son papier, le-
quel, à la première inspiration, lui apparut soudain tout
blanc, comme par une sorte d’éblouissement.
Dans ces deux expériences, l’oxygène n’avait été employé
que d’une manière intermittente, pour diminuer pendant
quelques instants la gravité des accidents de la décompres-
sion. Je voulus opérer un peu différemment, laisser arriver
les malaises jusqu’à un certain degré, pour respirer alors
d’une manière continue l’air suroxygéné, tout en continuant
à diminuer encore la pression barométrique, et voir ce qui
adviendrait.
Voici le récit de deux expériences faites d’après ce procédé
expérimental :
Expérience CCLVI. — 58 mars. — J’entre dans l’appareil à 1 0h 55m ; la
porte est fermée à U1' 4m; j’ai alors 58 pulsations à la minute. Pression
barométrique, 761'mm ;
1 j h \ Qm ; pression 71 5mni; pouls, 62 ;
Uh 20m; 580mm; pouls, 65;
11 11 25m; 555mm; pouls, 65; quelques sensations nauséeuses;
1 11' 25m; 51 0mm ; gaz s’échappant par en haut et par en bas;
U ii 27m ; 495mm. pouls, 66;
1 1 h 51m; 455mm; pouls, 64; sensation nauséeuse ; gaz s’échappent, et ce-
pendant le ventre reste un peu gonflé;
llh 55m; 455mm; pouls, 70; l’acte de siffler, que j’exécutais très-bien à
la pression normale, qui était devenu assez difficile dès 520mm, est com-
plètement impossible;
1111 55m; 425mm; pouls, 72; un peu'de trouble de la vue, qui est moins
nette ;
llh 57m; 41 2mm ; pouls, 76; je suis assez mal à mon aise, avec l’œil un
peu trouble.
Je commence alors à inspirer d’une manière continue dans le sac plein
d’air suroxygéné que j’ai à côté de moi; l’expiration se fait au dehors.
Quelques éblouissements surviennent, puis tout accident disparaît, et je me
trouve, jusqu’à la fin de l’expérience, dans un état de bien-être parfait.
Le pouls, qui était tombé instantanément à 65, s’abaisse encore, quoi-
que la décompression aille en augmentant.
llh41m; pression, 408mm; 60 pulsations.
Jlh 46m; 582mm; pouls, 65;
ACCIDENTS DE LA DÉCOMPRESSION : MOYENS DE LES CONJURER. 759
U11 47ni ; 380mm; des gaz s’échappent par la bouche et l’anus; bien-être
parfait ;
llh 48m; 369mm; 58 pulsations; encore gaz;
llh 51m; 355mm; 59 pulsations;
llh 52m; 350mm; encore gaz;
I lh 55m; 358mm; je fais quelques efforts pour ouvrir el fermer un fla-
con; le pouls monte à 65; la pression commence à remonter;
II h 591U ; 400mm; 60 pulsations;
Midi ; 440mm ; impossible de siffler;
Midi 2ni; 490mm ; 60 pulsations ; impossible de siffler; je cesse de respi-
rer l’air suroxygéné;
Midi 5m; 520mm; impossible de siffler; 56 pulsations;
Midi 5m; 540mm; je commence à pouvoir siffler;
Midi 7m; 570mm ; je siffle très-bien; 59 pulsations;
Midi 10m; revenu à la pression normale; 52 pulsations.
Cette expérience montre de la manière la plus nette que
les inspirations continues d’oxygène, après avoir fait cesser les
symptômes fâcheux, les empêchent de reparaître, quoique
la pression barométrique continue à diminuer. 11 n’est rien
de plus probant. La dépression atteinte a été de 558 milli
mètres, correspondante à la hauteur de 6500m environ, c’est-
à-dire un peu plus que celle du Chimborazo.
La figure 58 exprime les phases diverses par lesquelles
ont passé les battements du pouls avant et pendant les inspi-
rations d’oxygène, dont le début est marqué en 0.
Entre autres phénomènes qui ont persisté nonobstant l’in-
spiration d’oxygène, parce qu’ils dépendent exclusivement de
la diminution de densité de l’air, je citerai les évacuations
gazeuses et l’impossibilité de siffler, qui avait été notée déjà
dans l’expérience précédente, et dont ne parlent ni les aéro-
nautes ni les ascensionnistes; elle a été observée au-dessous
de 500 millimètres.
L’expérience suivante, conduite de la meme manière, est
encore plus frappante à cause de l’énorme dépression à la-
quelle je me suis impunément soumis :
Expérience CCLVI1. — 50 mars. — J’entre à 10h 15m dans l’appareil
pression barométrique 759mm. J’ai avec moi un moineau, dont la tempéra-
ture rectale est 41°,9, un rat et une bougie.
jO1' 22m; on ferme la porte; j’ai 60 pulsations;
760
EXPERIENCES.
10h 29“ ; pression 710m,n; 63 pulsations;
10h 34m; 665““; pouls, 64;
10h 40m ; 640mm ; pouls, 65; je vois apparaître des bulles de gaz clans
l’eau que j’ai à côté de moi dans un verre;
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10b 43™ ; 605““ ;
10h 46“ ; 580““ ; pouls, 66;
555““; je siffle assez facilement; la flamme de la bougie bleuit un peu,
la mèche s’allonge; elle est à peu près la moitié de la longueur de la
flamme ;
ACCIDENTS DE LA DÉCOMPRESSION : MOYENS DE LES CONJURER. 761
impossible de siffler dans les notes hautes;
10h 53m ; 480mm; 70 pulsations; un peu de malaise ;
10h 53m; 455mm; 78 pulsations; sentiment de congestion à la tète; gaz
s’échappant par en haut et par en bas;
10h 58m; 430mm; pouls, 80; l’oiseau vomit, parait assez malade, mais
reste perché ; le rat semble fort tranquille;
llh; 410mm ; pouls, 86; je place devant ma bouche le tube du sac à
oxygène, que la dépression a gonflé, et je respire ainsi un mélange très-
suroxygéné; j’ai quelques éblouissements;
11»* 2m; 400mm; le pouls est tombé à 64; l’oiseau vomit de nouveau; le
rat paraît fort anxieux ;
iju 5m. 378, mm; 66 pulsations; impossibilité de siffler;
llh 9m; 360mm; 72 pulsations; un peu de malaise, bienquej’aie respiré
l’oxygène d’une manière continue, mais à distance, il est vrai. Je prends
alors le tube de dégagement dans la bouche, sans fermer les narines, et le
garde ainsi jusqu’à la fin de l’expérience. Le malaise disparaît aussitôt;
llh 1 1 m ; 348mm; 66 pulsations; le moineau a 126 respirations à la mi-
nute ;
llh 1 4m ; 523mm; 64 pulsations; le moineau, qui vomit très-fort, reste
cependant perché ;
Hh l'jm. 3i Qmm ; j’a[ U11 peu 0e malaise, avec pouls à 75;
llh 19m; 300mm ; le moineau est fort malade;
llh 22m; 295mm; 64 pulsations; mon malaise a complètement disparu;
Uh 24m; 288,nm;
l|h 27m; 280mm ; pulsations, 66; la flamme delà bougie est très-bleue;
la mèche a environ 5/5 de la longueur de la flamme;
1 1 h 33m; 258mm ; 70 pulsations; l’oiseau vomit et semble extrêmement
malade, mais il reste toujours perché;
Uh 34m. 255mm.
llh 36m; 248mm; 64 pulsations; je laisse augmenter la pression;
llh 58m; 290mm ; pouls, 63;
111' 40m; 340mm; la température rectale du moineau n’est plus que de
36°, 4;
11». 43m. 390mm. pOU|S) 54; je cesse de respirer l’oxygène;
1 1 11 44m; 420mm ; impossible de siffler; l’oiseau est toujours bien malade,
accroupi sur son perchoir;
llh 46m; 480mm ; impossible de siffler;
llh 47m; 550mm; id. ; 66 pulsations;
llh48m; 580mm; je puis siffler les notes basses, mais non les hautes;
llh 49m; 630mm; je siffle très-bien;
llh 51m; revenu à la pression normale; j’ai seulement 52 pulsations.
La température rectale du moineau est 36u,l ; celle du rat 34° ; la mienne,
sous la langue, 36°, 5.
A 3h 50m, le moineau n’a encore que 38°, 7 dans le rectum.
Voici donc une expérience dans laquelle je suis arrivé en
762
EXPERIENCES.
une heure un quart à une pression minimà de 248 milli-
mètres, c’est-à-dire à moins d’un tiers de la pression nor-
male, pendant laquelle je suis resté 45 minutes au-dessous
de 400 millimètres, sans avoir éprouvé de malaise à partir
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du moment où j’ai commencé à respirer régulièrement 1 air
suroxygéné. Mon pouls, comme le montre le tracé inférieur
de la figure 59, est resté dès lors à son chiffre normal ; il s’est
même abaissé vers la fin, soit à cause du long repos dans la
station assise, soit sous l’influence de la respiration d’un aiv
ACCIDENTS DE LA DÉCOMPRESSION : MOYENS DE LES CONJURER. 763
suroxygéné. A côté de moi, un moineau et un rat se trouvaient
fort malades, et leur température s’abaissait de plusieurs de-
grés. Quanta moi, bien loin de courir un danger, je ne ressen-
tais aucun des inconvénients légers de la décompression, ni
l’état nauséeux, ni le mal de tête, ni la congestion à la tête, et
je n’en éprouvai pas davantage après être sorti de l’appareil.
Il me semblait même que j’eusse pu aller beaucoup plus bas
encore, sans nul encombre, et j’y étais parfaitement disposé,
si mes pompes à vapeur, fatiguées du travail, n’eussent re-
fusé d’épuiser davantage l’air des cylindres. Peut-être dois-je
en accuser la complicité des personnes présentes à l’expé-
rience, qui venaient fréquemment me regarder à travers les
hublots et, malgré l’aspect tout à fait naturel de ma physio-
nomie, semblaient fort effrayées de me voir exposé à cette
énorme diminution de pression. Elle correspondait, en effet,
à plus de 8800 mètres, c’est-à-dire à une hauteur supérieure
à celle que les voyageurs en montagne et les aéronautes, hor-
mis MM. Goxwel et Glaisher, aient pu atteindre encore (voir
p. 199). Je n’éprouvais aucun malaise à cette pression qui
avait failli être si funeste aux deux intrépides Anglais, et à
laquelle devaient périr peu de mois plus tard MM. Crocé-Spi-
nclli et Sivel.
CHAPITRE IY
ACTION DE L’AIR COMPRIMÉ SUR LES ANIMAUX.
SOUS-CHAPITRE PREMIER
ACTION TOXIQUE DE l’oXYGÈNE A FORTE TENSION.
Les expériences rapportées au chapitre I, sous-chapitre II,
nous ont amené à cette conclusion remarquable, que l’air
comprimé, ou, pour parler plus exactement, que l’oxygène
arrivé à un certain degré de tension constitue un agent re-
doutable, bientôt même mortel, pour la vie animale.
Cette révélation inattendue, mais qui se déduit de toutes
nos séries d’expériences de manière à s’imposer à l’esprit le
plus défiant, méritait une étude approfondie. Il fallait ana-
lyser les symptômes, à ses degrés divers, de cet empoison-
nement d’une espèce inconnue; il fallait déterminer les
doses auxquelles l’oxygène devient dangereux, et cela tout à
la fois quant à sa tension dans le milieu respiratoire exté-
rieur et quant à sa proportion dans le milieu respiratoire
intérieur, dans le sang ; il fallait enfin chercher à expliquer
son mode d’action intime sur les divers éléments anato-
miques.
Ce problème nouveau laissait bien loin derrière lui , comme
intérêt scientifique, l’analyse des quelques modifications
AIR COMPRIMÉ : OXYGÈNE SOUS FORTE TENSION. 765
dans les rhythmes respiratoire et circulatoire qu’ont jus-
qu’ici étudiés les auteurs qui se sont occupés de l’air com-
primé. Je m’y attachai donc tout d’abord, avec toute l’at tention
dont j’étais capable. Ayant démontré successivement que l’air
comprimé n’agit que par la tension de l’oxygène qu’il con-
tient, et que cet oxygène peut arriver à tuer rapidement les
animaux avec des phénomènes convulsifs, je dus, suivant la
méthode habituelle des physiologistes, laisser momentané-
ment de côté les effets difficiles à apprécier des faibles doses
de l’oxygène, pour étudier d’abord les troubles violents qu’a-
mènent les fortes doses. Je m’occupai donc en premier lieu
des actions de l’oxygène sous une forte tension, ajoutant le
plus souvent à la pression manométrique une richesse cen-
tésimale du milieu, en gaz comburant, fort supérieure à celle
de l’air que nous respirons.
Je crois utile de reproduire ici un certain nombre d’expé-
riences qui me permettront de donner tout d’abord une des-
cription des accidents consécutifs à ce que j’appellerai, ne
fût-ce que par commodité de langage, Y empoisonnement par
l’ oxygène.
Déjà nous avons eu à remarquer* (p. 605) les convulsions
qui s’étaient emparées des moineaux soumis à cet agent
redoutable. Les expériences qui suivent, faites presque toutes
dans l’appareil à eau de Seltz, vont nous en fournir des
exemples nouveaux :
Expérience CCLV1II. — 29 janvier. — Moineau franc mis, de 3h 50,n
à 3h 58m, à 6 atmosphères , dont 5 d’oxygène. Ce mélange contient
81 p. 100 d’oxygène, et la tension de ce gaz est donc équivalente à
486
81 X 6 = 486, ce qui correspond à — — = 23,2 atmosphères d’air.
A 4h 3,n, violentes convulsions, la tête en bas ; agitation rotatoire.
Je diminue la pression et l’amène à 3,5 atmosphères. Pendant la dé-
compression, nouvelles convulsions.
Immédiatement après, 3e attaque ; puis, attaques nouvelles, de plus en
plus faibles, à 4h 6m, 4h llm, 4h 14m.
Pendant les attaques, et dans leur intervalle, les respirations sont très-
amples et très-précipitées ; le bec est grand ouvert.
Les crises se rapprochent à des intervalles de 1 à 2 minutes, en devenant
766
EXPÉRIENCES.
de plus en plus faibles. Elles se calment vers 4h 40,u; l’oiseau reste cou-
ché sur le dos, les respirations deviennent de plus en plus rares, et cessent
à 5h, sans aucun autre mouvement.
A 5h 10m, la température rectale est de 24°.
Expérience CCLIX. — 2 février. — Moineau franc, mis à 6 atmo-
sphères, dont 5 d’oxygène. La tension d’oxygène doit être d’environ
450.
Après 5m, trépidations singulières, trémoussement de tout le corps ;
reste ensuite immobile, le bec en bas.
Après \ 0m, une attaque de grandes convulsions ; une autre à 12m ; une
5e plus faible, à 17m. L’oiseau est fort malade, respire de 50 à 70 fois par
minute, le bec grand ouvert.
Ramené avec précaution à la pression normale : revient assez peu à
lui ; température rectale de 54 à 55°. A, dans sa cage, de nouvelles atta-
ques convulsives; au bout d’un quart d’heure, se remet sur ses pattes;
mais, quand on le menace du doigt, recule en marchant sur tout le tarse,
et tombe en arrière.
Après 2 ou 5 heures, paraît assez bien revenu, mais meurt dans la nuit.
Expérience CGLX. — 5 février. Moineau porté à 5 atmosphères, dont
4 d’oxygène. La tension de l’oxygène doit être d’environ 400. Après
15 minutes environ, arrivent les grandes convulsions; j’en laisse 2 ou
5 attaques, puis je ramène à la pression normale.
La température rectale est de 52°.
L’oiseau a conservé évidemment toute son intelligence; il mord vio-
lemment quand on lui présente le doigt, et est vigoureux des ailes et des
pattes.
1 heure après, sa température est de 54°. Il a encore eu de petites atta-
ques convulsives, et ne peut se tenir sur ses pattes.
5 h après, la température rectale est remontée à 59°, 5. Survit.
Expérience CCLX1. — 26 février. — Moineau : température rectale 40°, 5.
Mis à 5 atmosphères, dont 4 d’oxygène (pression d’environ 400).
Au bout de 5 m, commencement d’agitation. Je ramène rapidement à la
pression normale par le robinet capillaire.
La température est de 40°, 5, mais elle remonte rapidement à 40°, 5 par la
respiration à l’air* L’oiseau est très-vigoureux et fort méchant. Suffu-
sions crâniennes rouges, en moucheté abondant.
L’oiseau marche, court, grimpe dans sa cage, mais il ne vole pas. Si on
le jette en l’air, il a les plus grandes peines à se soutenir, et retombe
bientôt ; il refuse alors de s’envoler de terre.
Survit ; le lendemain, vole très-bien ; les suffusions persistent plu-
sieurs jours.
Expérience CCLXIl. — 2 mars. — Moinedu à 5 atmosphères, dont 4
d’oxygène.
AIR COMPRIMÉ : OXYGÈNE SOUS FORTE TENSION.
767
Après 5 ou 7m, les convulsions commencent; à la première apparition,
j’ouvre le petit robinet. La température rectale monte à 41°, mais avec une
très-grande lenteur à partir de 58°.
Petites suffusions sanguines.
Expérience CCLX11I. — 25 mai. — A 4h, moineau porté à 5 atmosphères,
dont 4 d’oxygène. Pression d’à peu près 400.
Après 15 minutes, petites convulsions; à 20m, grandes convulsions,
deux ou trois attaques. A 501U, retiré.
Température rectale 53°.
A 5° 45m, temp. rectale 35° ; encore tremblotant, tout malade.
A 7h, mort; contractions musculaires singulièrement lentes.
Expérience GGLXIV. — 12 février. — Moineau; appareil cylindrique.
A la pression normale, 155 respir. Poussé à 3 atmosphères d’air, 115
respir.
A 4h 20in, je fais passer dans l’appareil un courant d’oxygène, et je pousse
la pression à 2 atmosphères suroxygénées.
A 4h 30*11, ventilation nouvelle, et pression montée à 5 atmosphères.
A 4h 40m, id. ; pression à 4 atmosphères.
A4h 55m, id., 5{ atmosphères; il commence à apparaître de petites
convulsions.
A 5h 6,n, nouvelle ventilation poussée à 6 atmosphères. Les convulsions
reviennent, par crises ;
Mort vers 6h 50m.
L’air contenait alors 75 p. 100 d’oxygène et 0,5 p. 100 d’acide carbo-
nique :
La tension de l’oxygène P x O = 458 correspond à 21 atm. d’air.
Sang très-rouge dans la jugulaire. Suffusions sanguines étendues sur
tout le crâne.
Expérience GCLXV. — 29 mars. — ■ Moineau mis dans petit appareil à
eau de Sellz.
On commence, à 2h 50m, à fouler de l’oxygène, jusqu’à 8 atmosphères ;
le robinet capillaire étant ouvert, la compression que l’on maintient se fait
au milieu d’un courant d’air débitant plus d’un litre par minute.
A 3h 15m, arrivent les grandes convulsions ; je laisse deux crises se suc-
céder, à trois minutes d’intervalle. Puis, décompression rapide, L’oiseau
mord le doigt que je lui présente, et paraît intelligent.
Sa température rectale est de 52°. Il a, hors de l'appareil, une troisième
crise, et meurt à 3h 22lu. Le sang de la veine jugulaire est noir, et ne con-
tient pas de gaz libres.
Expérience GGLXVI. — 9 juillet. — Moineau poussé à 7 atmosphères
d’air suroxygéné.
Après 10,u, est pris de convulsions toniques. Pieliré après 15m ; lés con-
vulsions continuent, ou plutôt l’oiseau est en opislholonos constant. De
768
EXPÉRIENCES.
temps à autre, la raideur augmente; l’oiseau crie, écarte les ailes et s’en
enveloppe; les plumes de la queue s’étaleut. Reste sensible et paraît intelli-
gent. Les crises de raideur sont les unes spontanées, les autres nettement
provocables par les excitations.
11 meurt 20 minutes après.
Expérience CCLXVII. — 18 juillet. — Moineau poussé à 5 atmosphères
d’air suroxygéné.
Après 5m, vomit, et parait fort mal en point. Mais les convulsions ne
surviennent qu’ après 20m environ, et elles sont violentes.
Retiré 5m après, il continue à avoir des convulsions et des raideurs avec
opistliolonos. Mord le doigt qu’on approche. Sa température rectale est
de 57°,
Deux heures après, est parfaitement remis; sa température est remon-
tée à 41°.
Expérience CCLXV11I. — 24 mai 1874. Expérience faite devant une Com-
mission de l’Académie des sciences.
Moineau poussé à 6 atmosphères suroxygénées. Il est 4h.
Après 15,n environ, les petites convulsions surviennent, bientôt suivies
de grandes crises.
On retire l’oiseau ; il a de fortes ecchymoses au crâne. Sa température
rectale n’est que de 30°.
Reste fort malade, et meurt dans la nuit.
Les faits qui viennent d’être énumérés nous permettent
dès maintenant de tracer une description des accidents vio-
lents dus à l’air comprimé, à la trop forte tension de l’oxy-
gène, et de préparer l’analyse physiologique de cet empoison-
nement.
La première question que nous devions nous poser est
celle-ci : avec quelle tension d’oxygène surviennent les phé-
nomènes convulsifs? Rassemblons en un tableau (tableau
XIV) les expériences du chapitre Ier et celles qui précèdent.
Il ressort de l’examen de ce tableau que les convulsions
commencent à apparaître avec une tension d’oxygène expri-
mée par le chiffre 300, et qui, si l’on employait l’air pur,
correspondrait à 15 atmosphères environ.
Les effets fâcheux se faisaient sentir beaucoup plus tôt,
comme le montre le tracé A de la figure 22 (p. 608), qui
exprime la proportion d’oxvgène qui reste dans l’air com-
primé où sont morts des oiseaux, lorsqu’on a pris soin d’éli-
AIR COMPRIMÉ ; OXYGÈNE SOUS FORTE TENSION. 769
TABLEAU XIY.
1
NUMÉROS
DES
EXPÉRIENCES
PRESSION j
BAROMÉTRIQUE ^ ;
3_
M O
-..g §
1 g s
« g H
Z O S
ta * , *
ü J b,
H b.
63 S
C g.
VALEUR EN ;
ATMOSPHÈRES ^
d’air
TEMPÉRATURE
RECTALE “ j
6
SYMPTOMES ET OBSERVATIONS
CXXXIX
atm.
1,75
150
atm.
7
»
Pas de convulsions.
CXXXVIII
3
260
13
»
Id.
CXLI
4
300
15
»
Convulsions.
cxx
20
Env. 420
20
»
Convulsions; l’appareil perd.
CCLX
5
id.
Env. 21
32°
Convulsions; retiré; survit.
CCLXI
5
id.
id.
40°, 2
Retiré à la première conv.; survit.
CCLXII
5
id.
id.
38°
Id.
CCLXYII
5
id.
id.
37°
Id.
CCLXIII
5
id.
id.
33°
Conv.; retiré après 30 min.; meurt.
CXXXYII
5
id.
id.
18°
Conv. violentes; meurt en 25 min.
CXLII
8,5
430
21,5
»
Id.; meurt en 20 min.
CCLXIV
6
440
22
»
Id.
CXLV
5,5
460
23
27°
Id.; meurt en 20 min.
CCLXYIII
6
»
»
50°
Id.; meurt dans la nuit.
CCLV1II
6
480
24
»
Id.; meurt.
CCLIX
6
id. (?)
id. (?)
35°
Id.; retiré ; meurt dans la nuit.
CCLXV
8
»
»
32»
Id.; retiré; meurt aussitôt.
miner l'acide carbonique formé. Ils sont très-nets à partir
de 6 et surtout de 12 atmosphères. '
Mais les convulsions ne se manifestent sûrement qu’entre
15 et 20 atmosphères. L’expérience GXX (p. 595), dans la-
quelle un linot a été porté à 20 atmosphères d’air, en signale
l’apparition; seulement elles ont été notablement plus fai-
bles que celles obtenues avec l’air suroxygéné. De plus, dans
l’expérience CXXXIII, où la pression a été de 17 atmosphères,
il n’y a pas eu de convulsions. Cette apparente contradiction
s’explique par l’influence simultanée de l’acide carbonique
produit, qui, s’emmagasinant dans l’organisme, y joue,
comme nous le verrons dans un chapitre spécial, un rôle
anesthésique très-prononcé. Or, nous allons montrer, dans
un instant, que les anesthésiques arrêtent ou empêchent les
convulsions dues à l’oxygène.
Donnons maintenant une description sommaire de ces con-
vulsions; nous aurons à y revenir, du reste, lorsque nous les
aurons étudiées chez les chiens.
49
770
EXPÉRIENCES.
Ces convulsions surviennent au bout d’un temps variable,
généralement de cinq à dix minutes : l’oiseau secoue la tête
et les pattes comme s’il marchait sur des charbons ardents.
Ce sont des trépidations singulières, des trémoussements de
tout le corps. Bientôt, dans les cas plus graves, il entr’ouvre
les ailes, les agite vivement, et, tombant sur le dos, il tourne
rapidement dans le récipient, battant avec violence l’air de
ses ailes, les pattes contractées sous le ventre ; ces phéno-
mènes durent quelques minutes, puis se calment, pour repa-
raître par crises de plus en plus fréquentes et de moins en
moins fortes jusqu’à la mort. Pendant les attaques, et dans
les intervalles, les respirations sont très-amples et très-pré-
cipitées : le bec est très-grand ouvert. Aux très-hautes pres-
sions, la mort survient dès la première crise.
Ces accidents remarquables continuent à se manifester
après que l’oiseau, soustrait à l’influence de l’oxygène, a été
ramené à l’air libre sous la pression normale ; ils peuvent
même alors se terminer par la mort.
Ces crises sont souvent très-nettement provocables, à la
façon de celles de la strychnine (voir expér. CCLXYI) ; leur
apparence générale rappelle à la fois les tremblotements
irréguliers de l’empoisonnement par l’acide phénique1, et les
convulsions toniques et cloniques des attaques convulsives
strychniques.
Ni la sensibilité ni l’intelligence ne paraissent atteintes ;
l’oiseau, retiré du récipient, suit des yeux et s’efforce de
mordre le doigt qui le menace ; il ferme les paupières lors-
qu’on approche quelque objet de son œil.
La locomotion générale est évidemment fort troublée, en
dehors, bien entendu, des crises convulsives: l’oiseau a des
allures ataxiques ; à peine peut-il, dans certains cas, se tenir
sur ses pattes ; dans d’autres, il peut bien marcher, mais non
voler.
Enfin, et c’est là, après la constatation même de ces acci-
dents, le point le plus important de cette étude, la tempéra-
1 De l'action toxique de l'acide phénique , par MM. Paul Bert et Jolyet. Mémoires
de la Soc . de biologie , année 1870, p. 65-88.
AIR COMPRIMÉ : OXYGÈNE SOUS FORTE TENSION. 771
ture intérieure s’abaisse, dans tous les cas, rapidement et
considérablement. On la voit tomber de 10 et 15 degrés; je
signale particulièrement l’expérience CCLV, dans laquelle la
température étant tombée en moins d’une demi-heure à 52°,
elle s’est relevée assez vite à près de 40°, et l’animal a sur-
vécu.
Je reviendrai avec insistance sur ce fait remarquable, sur
lequel je me contente d’appeler actuellement l’attention ; il
montre d’une manière bien nette que les accidents de l’oxy-
gène ne sont pas dus à une activité exagérée imprimée aux
combustions intra-organiques.
La première idée qui devait se présenter à l’esprit, et
j’avoue très-volontiers qu’elle me vint tout d’abord, c’est que,
sous l’influence de cette sursaturation d’oxygène, les tissus
animaux se brûlaient à l’excès, qu’il en résultait une éléva-
tion de la température propre , et que les convulsions qui
apparaissaient pouvaient être comparées à celles qui précè-
dent la mort des animaux surchauffés dans une étuve. Or,
nous pouvons, dès maintenant, affirmer qu’il n’en est rien,
quitte à analyser plus tard, et tout à fait à fond, cet impor-
tant phénomène.
Je dirai enfin quelques mots d’un accident constant chez
les oiseaux dans les empoisonnements par l’oxygène, acci-
dent que j’ai désigné par l’expression de suffusions sangui-
nes du crâne. Ce sont des hémorrhagies qui remplissent le
diploé crânien ; dans les cas les plus faibles, elles ne consis-
tent qu’en un piqueté très-fin ; ce piqueté est remplacé par
des taches larges qui deviennent confluentes dans les cas
graves, et le tissu spongieux de l’os se remplit de sang. Elles
commencent toujours par l’occipital, mais peuvent envahir
le crâne tout entier. On les voit survenir avant les convul-
sions, et lorsque l’oiseau ne périt pas, elles ne se résorbent
qu’au bout de quelques semaines. Bien qu’elles existent tou-
jours quand les accidents dus à l’oxygène prennent une cer-
taine gravité, elles ne sont pas spécialement caractéristiques
de cet empoisonnement. Depuis que mon attention a été ap-
pelée sur leur existence, je les ai retrouvées assez souvent,
772
EXPÉRIENCES.
dans l’asphyxie et dans la mort par décompression. On les
trouvera notées, en effet, dans quelques-unes des expérien-
ces rapportées au chapitre Ier; lorsqu’il n’en est pas ques-
tion, cela signifie simplement qu’on ne les a pas recherchées.
Je dois ajouter que jamais je ne les ai vues aussi étendues
ni aussi fortes que dans rempoisonnement par l’oxygène.
Leur mécanisme m’échappe complètement; elles apparais-
sent en dehors de tout phénomène convulsif, et les autop-
sies ne m’ont montré d’apoplexies dans aucune autre partie
du corps.
Pénétrons maintenant un peu plus profondément dans
l’analyse des phénomènes que nous venons de décrire. Sur
quel élément anatomique agit l’oxygène en excès ? Quelle est
la cause des convulsions? Le cœur est-il directement attaqué,
comme il l’est par un si grand nombre de poisons? Les faits
qui viennent d’être rapportés seraient insuffisants pour nous
permettre de répondre complètement à ces diverses questions.
Il a fallu mettre en œuvre le réactif physiologique par excel-
lence, la grenouille :
Expérience CGLXIX. — 27 février. — Grenouille mise à 2h à 7 atmo-
sphères, dont 6 d’oxygène. La tension de l’oxygène correspond à 505. Le
soir, à 7h, rien de bien particulier; semble un peu anxieuse.
Le 28, à 9h du matin, morte. Plus d’actions réflexes d’aucune façon; les
nerfs moteurs et les muscles sont excitables. Le cœur, d’un beau rouge
carmin, bat lentement à l’air. Gaz libres dans le sang.
L’air mortel ne contient pas trace d’acide carbonique.
Expérience CCLXX. — 4 mars. — Grenouille mise à 4hdans5 atmosphè-
res, dont 4 d’oxygène; la pression de ce gaz doit être d’environ 500.
A 10h du soir, gonflée.
Le 5 à 2h, paraît morte. Le cœur ne bat plus spontanément, mais est
excitable; les nerfs moteurs et les muscles sont excitables. En coupant au
dos la moelle épinière en travers, on a des mouvements dans les membres
postérieurs.
Expérience CCLXXI. — 29 février. — Mis à 6h grenouille dans 4 atmo-
sphères, dont 3 d’oxygène.
La tension de ce gaz est 254.
Le lendemain 1er mars, à5h, a des raideurs, se gonfle, semble avoir des
mouvements convulsifs quand on frappe sur la table. A 7h du soir, est
beaucoup plus affaissée.
AIR COMPRIMÉ : OXYGÈNE SOUS FORTE TENSION. 775
2 mars, à 1\ morte, raide. Le cœur bat, les nerfs et les membres sont
excitables ; on n’a aucun mouvement en coupant la moelle en travers.
L’air mortel ne contient pas trace d’acide carbonique.
Expérience CCLXXII. — 18 avril. — Mis à 6h du soir une grenouille à
4 1/2 atmosphères suroxygènées. La tension de l’oxygène est représentée
par 335. Tempér., 15°.
Le lendemain, rien de particulier dans l’aspect de l’anima).
Le 20, trouvée morte à lh. Le cœur, très-rose, bat encore un peu. Les
muscles sont parfaitement contractiles.
Expérience CCLXXII1» — 17 juin. — Grenouille mise à 4h 50m sous une
pression de 5 atmosphères suroxygénées. Le cœur esta nu, Tempér. 20°.
Le 18, à llh du matin, très-affaiblie, affaissée. Pas de mouvements res-
piratoires. Pulsations rares, irrégulières, des ventricules ; mais les oreillet-
tes battent seules 40 fois par minute.
A 3h, décomprimée. Encore quelques faibles battements du cœur. Il n’y
a plus d’actes réflexes, mais les nerfs moteurs et les muscles sont parfai-
tement excitables.
Sucre dans le foie, en assez grande quantité.
Il résulte de toutes ces expériences que l’oxygène ne tue
point en agissant sur le cœur, sur les nerfs moteurs, ni sur
les muscles. Mais les actes réflexes de la moelle épinière,
après avoir été considérablement excités, sont supprimés.
Le fait que les convulsions proviennent de la moelle épi-
nière, communiquant son excitation aux muscles par l’inter-
médiaire des nerfs moteurs, est surabondamment démontré
parles expériences dans lesquelles le nerf moteur a été coupé.
Exemple :
Expérience CCLXXIV. — 20 juin. — Grenouille; nerf sciatique gauche
coupé ;
3h du soir; mise à 3 atmosphères suroxygénées, contenant 60,5 p. 100
d’oxygène, soient 3 X 60,5 = 4 81,5 =9 atmosphères d’air.
La respiration cesse un moment.
21 juin. — Respirations très-rares ; yeux très-saillants avec pupilles
largement arrondies; gonflée, un peu affaissée; pas de convulsions.
22 juin; llh matin. — Plus de respiration; affaissée; yeux fermés par
la paupière transparente. Convulsions cloniques commençant dans le bras
droit, puis se généralisant, sauf dans la patte gauche; alors raideurs géné-
rales ; puis affaissement.
Ces crises sont excitables à volonté, par le choc ; mais bientôt l’animal
paraît insensible, comme mort.
774
EXPÉRIENCES.
Décomprimée brusquement; aucun effet. A l’air, ne respire pas; cœur,
mis à nu, bat 50 fois à la minute; le sang, qui y était rose d’abord, y
noircit progressivement.
Après l/4h environ, l’excitation ramène de nouvelles crises convulsives,
semblables aux précédentes. En excitant la patte droite, on a des mouve-
ments du bras droit, mais non du gauche.
Contractions fibrillaires fréquentes, dans les muscles de la poitrine, sur-
tout, et aussi dans les membres, sauf à la patte gauche.
Pendant les convulsions, le cœur ne paraît pas modifié.
Meurt vers 2h.
Ainsi, la section d’un nerf moteur a empêché tout mouve-
ment convulsif, fibrillaire ou généralisé, de se produire dans
les muscles correspondants.
Puisque l’oxygène atteint la moelle épinière, à la façon de
la strychnine, de l’acide phénique, etc., les convulsions de-
vront être empêchées par le chloroforme qui, comme je l’ai
autrefois démontré1, agit spécialement sur la moelle épi-
nière. C’est, en effet, ce qui est arrivé dans l’expérience
suivante :
Expérience CCLXXY. — 26 février. — Moineau éthérisé, mis dans le réci-
pient; se réveille pendant la pression. Je mets dans le vase où barbotte
dans la potasse l’oxygène attiré par la pompe quelques gouttes d’éther,
et je pousse à 5 atmosphères, dont 4 d’oxygène.
L’oiseau se rendort, après avoir présenté quelques trémoussements des
pattes; il meurt lentement, en 25™, sans aucune convulsion.
Vastes suffusions crâniennes.
L’air mortel contient CO2 2; O 76. La pression primitive de l’O était
donc environ 78 X 5 = 590, correspondant à 19 atmosphères d’air.
Cette expérience montre, non-seulement que l’anesthésie
empêche les convulsions de l’oxygène , comme celles des
autres poisons de la moelle épinière, mais encore qu’elle
n’empêche pas la mort d’arriver, tout en arrivant avec calme.
L’expérience suivante , ^dans laquelle l’animal a été retiré
après l’action de l’oxygène, et chez qui les convulsions ont
apparu au fur et à mesure que la sensibilité revenait, est en-
core plus probante :
Expérience CGLXXV1. — 24 février. — Rat chloroformé, a été tout près
de mourir pendant l’anesthésie.
1 Comptes rendus de V Académie des Sciences, t. LXIV, p. 622, 1867.
775
AIR COMPRIMÉ : OXYGÈNE SOUS FORTE TENSION.
Commence à être sensible après l/2h environ. — Temp. rectale 35°.
Mis à 5 atm., et après 10m à 6 1/2 d’oxygène.
Au bout de 20mde compression paraît fort malade ; avec quelques petits
tressaillements ; les convulsions ne venant pas, il est retiré.
Temp. rectale 34°.
Remis dans la cage, reste étendu; bientôt il est pris de convulsions ;
raideurs de la queue, etc. — Elles apparaissent spontanément ou sitôt
qu’on touche l’animal.
lh après, môme état; la temp. est de 32°.
2 l/2h après, très-faibles convulsions; tempér., 28°. Évidemment mou-
rant.
25 février. — Trouvé mort et froid.
t
Je n’insiste pas sur ce point, parce que les expériences
faites sur les chiens nous fourniront des faits analogues.
Avant d’arriver à celles-ci, je crois devoir en rapporter en-
core une qui a été faite sur les moineaux, et dans laquelle
se montre le rôle important que joue le sang dans l’empoi-
sonnement par l’oxygène :
Expérience CCLXXVII. — 17 juillet. — Deux moineaux sont, de 5h 2m à 5h
7m, portés à 8 atm. suroxygénées, où la tension de l’oxygène équivaut à
424, soit à 20 atmosphères d’air.
L’un, A, est sain ; l’autre, B, qui pèse 20§r, a été saigné, à 4h, de 0CC,7 de
sang à la jugulaire; il est encore très-abattu ; sa temp. rectale n’est que
de 32°, tandis que celle de A est de 42°.
Dès 5h 10m ou 12m, A a de petites secousses convulsives, et vers 5h 20m
a de franches convulsions, qui durent jusqu’à 5h 33m où il meurt. B n’est
pris, et faiblement, que vers 5h 25m ; pas de secousses générales, mais
grands efforts de respiration, raideurs, etc., qui deviennent de vraies con-
vulsions, des pattes, sinon des ailes, vers 5h 35m ; il en a peu, puis reste
sur le dos, comme mort.
Décomprimé à 5h 45m.
A, tempér. rect., 31°.
B, — 28°.
Énormes suffusions crâniennes aux deux oiseaux.
B respire encore ; sa température rectale baisse et est de 25° à 6h ; il
meurt alors. Les muscles quand on les pinçait se contractaient lentement
et fortement, comme avec des crampes.
Ainsi, chez l’animal saigné, les accidents se sont montrés
beaucoup plus lentement que chez l’animal sain. Cela tient
tout à la fois à la dépression générale qu’il avait subie, et à la
moindre quantité de sang qui, ne se chargeant < d’une
776
EXPÉRIENCES.
plus faible quantité d’oxygène, n’a pu porter cet agent redou-
table qu’en proportion moindre à la moelle épinière.
Il serait prématuré d’insister en ce moment sur le rôle du
sang dans l’empoisonnement par l’oxygène. Cette question
reviendra d’une manière bien plus utile, lorsque nous
aurons étudié les expériences faites sur les chiens, dont je
vais maintenant rendre compte avec détails.
J’ai eu pour but spécial, en mettant des chiens en expé-
rience, de chercher avec quelle proportion d’oxygène con-
tenu dans le sang survenaient les accidents convulsifs. Je
pensais en même temps continuer, grâce à l’emploi des
atmosphères suroxygénées comprimées , la recherche des
rapports qui s’établissent chez l’animal vivant entre la ten-
sion de l’oxygène du milieu respiratoire et la richesse en oxy-
gène du sang artériel, rapports étudiés au sous-chapitre III
du chapitre Ier jusqu’à 10 atmosphères d’air seulement.
L’animal en expérience était disposé sur son cadre comme
il est dit à la page 656. Pour arriver à lui faire respirer
de l’oxygène comprimé, je dus recourir à un artifice, n’ayant
pas à ma disposition la quantité d’oxygène nécessaire pour
comprimer ce gaz à plusieurs atmosphères dans un récipient
de 150 litres.
Je fixais dans la trachée du chien un tube métallique aussi
large que possible, et le mettais en communication avec un
sac de caoutchouc mesurant environ 50 litres. Le sac était
placé à côté de l’animal, et l’air injecté par la pompe les com-
primait tous deux à la fois. L’expérience ne durait jamais
assez longtemps pour que le chien épuisât complètement
l’oxygène. Mais, comme l’expiration se faisait dans le sac, il
s’y emmagasinait de l’acide carbonique qui, par suite, s’ac-
cumulait également dans le sang. Il en résulte qu’il ne faut
pas tenir compte de la proportion de ce gaz révélée par les
analyses ; j’ai cru devoir cependant l’indiquer à titre de ren-
seignement dans le narré des expériences. Dans un certain
nombre de cas, j’ai, pour éviter cette accumulation, disposé
sur le trajet du tube qui allait de la trachée au sac un flacon
où barbottait l’air suroxygéné dans une solution de potasse;
777
A'IR COMPRIMÉ : OXYGÈNE SOUS FORTE TENSION.
d’autres fois, la solution se trouvait dans le sac lui- même.
Ces expériences, comparées à celles où aucune précaution
semblable n’avait été prise, me permettent d’aflirmer que,
dans ces dernières, l’influence de 1 acide carbonique a été
tout à fait négligeable ; ceci s’expliquera tout naturellement,
lorsque nous traiterons , au chapitre VIII, de l’empoisonne-
ment par l’acide carbonique.
Voici maintenant le récit d’un certain nombre d’expé-
riences :
Expérience CCLXXVIII. — 16 novembre. — Chien noir, à poils ras,
neuf, pesant environ 12 kil.
On l’attache sur le dos, et on lui met dans la trachée un tube de métal,
au bout duquel est un tube de caoutchouc notablement plus étroit. Les
respirations se font par séries d’extrême fréquence, séparées par quel-
ques intervalles de calme.
Au bout d’une demi-heure environ, on prend la température rectale,
qui est de 36° (sur un chien sain, le même thermomètre donne 38°, 5).
On lui tire alors à la carotide gauche 35 cent, cubes de sang qui
est porté immédiatement dans la pompe à extraire les gaz A.
Le chien est ensuite placé dans l’appareil à compression ; au tube de sa
trachée est alors adapté, un sac de caoutchouc contenant de l’oxygène ;
puis on fixe l’animal comme il a été dit ci-dessus.
La pression est commencée à 3h 56m.
A 4h 21m, on est à 5 atmosphères; je tire 38cc de sang, très-rouge, ne
laissant pas dégager de gaz B.
A 4h 40m, à 7 atmosphères, tiré 51cc de sang très-rouge, dans lequel le
dégagement de gaz est au moins douteux G.
On monte à 8 atmosphères, et à 4h 45m on décomprime brusquement
en 3 minutes et demie.
L’animal est immédiatement extrait de l’appareil ; il n’y a de gaz libres
ni dans le sang artériel ni dans le sang veineux ; les bruits du cœur sont
purs, sans aucun gargouillement indiquant la présence de gaz. La tempé-
rature rectale est de 30°. Il y a eu issue de matières fécales, et la gueule
est pleine d’écume mousseuse.
Les pattes sont fortement raidies ; l’animal, détaché, est en opistbotonos
très-prononcé ; tout le corps est en convulsion tonique. Les matières
fécales continuent à sortir. L’œil se ferme quand on touche la cornée,
mais non la conjonctive; les pupilles, très-dilatées, ne se contractent pas à
la lumière.
La pression cardiaque, dans la carotide, oscille entre 9 et 12 cent.
Les phénomènes vont en augmentant d’intensité. Vers 5 heures, les con-
vulsions sont d’une violence extrême ; au milieu des raideurs continuelles
apparaissent des convulsions cloniques des membres, du cou, des ma-
778
EXPÉRIENCES.
choires. Les yeux sont convulsés. Le pénis est tellement rétracté, que pour
sonder l’animal il faut fendre le prépuce dans toute sa longueur : pas
d’urine dans la vessie. L’animal écume énormément.
Vers 5h 30m, la température est de 29 degrés. Il survient des vomisse-
ments. Les convulsions prennent l’apparence de crises, sans véritable
repos dans l’intervalle ; cela ressemble beaucoup à des attaques stry cli-
niques successives, sauf la permanence presque complète des raideurs et
de i’opisthotonos. On excite les convulsions cloniques, en touchant l’ani-
mal, en choquant la table, en introduisant le thermomètre au fond du
rectum. Pendant les crises, la respiration s’arrête, mais le cœur continue à
battre.
Graduellement apparaissent quelques intervalles d’un repos relatif.
L’animal commence à grincer des dents avec une force extraordinaire, à
croire qu’elle vont se briser. La température remonte ; à 6 heures elle est
de 51 degrés.
6h 15m : A certains moments, il n’y a plus de raideurs; la respiration
se fait mieux ; la queue remue.
6h45ra : L’animal reste toujours couché sur le flanc; les convulsions
cloniques ressemblent à celles de l’acide phénique, en ce sens qu’elles
imitent presque les mouvements de la marche ; elles se succèdent par
crises que sépare un intervalle de repos relatif. A chaque crise, opis-
thotonos violent, avec agitation des mâchoires, puis claquement de dents ;
de temps en temps, raideurs générales avec immobilité, mais moins fortes
qu’au début. La pupille est toujours insensible à la lumière. La tempéra-
ture est de 52 degrés. Le cœur bat vite et fort.
Le lendemain , à 11 heures du matin, l’animal, auquel on a laissé sa
canule trachéenne, est couché comme la veille ; il est en opisthotonos avec
contraction permanente des membres ; le sphincter anal est fermé ; se-
cousses faibles, mais presque continues. La salivation visqueuse a conti-
nué ainsi que le larmoiement ; les pupilles sont dilatées ; la coruée est
sensible, mais non la conjonctive. Respiration assez calme ; 80 pulsations
faibles ; température 27 degrés.
Je fais respirer du chloroforme jusqu’à insensibilité cornéale; les rai-
deurs et les secousses disparaissent pour reparaître bientôt.
L’animal meurt dans la journée.
Voici maintenant le résultat des analyses :
A : Air ordinaire, pression normale ; 100cc de sang contiennent
Û 1 5CC , 5 ; CO1 2 22,9 K
B : 5 atm. d’air suroxygéné : 1 00ce de sang contiennent O 24,0; CO2 65.
C : 7 atm. d’air suroxygéné : 100cc de sang contiennent 0 51 ,5 ; CO2 54,6.
L’air du sac, après l’expérience, était, pour 100, composé de O 66;
CO2 5,4. La composition primitive était donc environ de 75 pour 100
d’oxygène.
1 Ces nombres et ceux des expériences suivantes sont rapportés à 0° et 76 de
pression.
779
AIR COMPRIMÉ : OXYGÈNE SOUS FORTE TENSION.
La tension de l’oxygène en B était donc environ 70 X 5 = 350.
En G, elle était environ de 68 X 7 = 476.
On était monté jusqu’à 66 X 8 = 528, ce qui correspond à 26 atmo-
sphère d’air environ.
Cette expérience est particulièrement remarquable ; voilà
un animal qui, pour avoir été exposé pendant trois quarts
d’heure à une tension d’oxygène correspondante à peu
près à 26 atmosphères d’air, est mort après 24 heures
environ de violentes convulsions.
Expérience GCLXXIX. — 20 novembre. — Chien assez jeune, pesant en-
viron 8 kilos.
On met un tube dans la trachée.
Après un quart d’heure, la température rectale est 59°, 4; il a 144 pul-
sations, 24 respirations à la minute : la pression du sang dans la carotide
oscille entre 15 et 17e de mercure.
A 3h 38,u, on tire 58cc de sang A.
Mis dans l’appareil à 4h 10m, avec sac plein d’un mélange à 89,5 pour 100
d’oxygène.
A 4h 30m, on est à 5 atmosphères, et l’on s’y maintient.
A 4h 38m, on tire 43cc de sang très-rouge ; il ne se dégage pas de
gaz B.
Décompression en une minute et demie, à4l1 40m.
On retire aussitôt l’animal, on enlève le sac, et l’on constate qu’il a
déjà vomi dans l’appareil. Il vomit à nouveau. Il présente des crises de
raideurs, sans secousses cloniques. La température est de 36°, 5 ; la pres-
sion cardiaque de 11 à 12e ; les pulsations sont à 140, les respirations
à 24.
Ges crises de raideurs convulsives durent environ 20 minutes.
A 6 heures, la température est de 35 degrés, la pression cardiaque
de 12e, les pulsations au nombre de 140. Le chien commence à pouvoir se
soutenir sur ses pattes.
A 6h 30m, l’animal, dont la canule a été enlevée, reste couché avec des
espèces de tremblotements musculaires, qui ressemblent à ceux de l’acide
phénique. Son œil est sensible, et les pupilles se contractent et se dilatent
comme par des trépidations qui semblent en rapport avec les tremblements
des membres. Il y a quelques raideurs dans les pattes de devant, mais on
peut les plier aisément.
Le lendemain, se porte très-bien.
Les analyses ont donné les résultats suivants :
A : Air, pression normale; 100cc de sang contiennent : O. 17,0;
GO2 39,0.
B : A 5 atm. d’air suroxygéné ; 100cc de sang contiennent : O. 24,8;
GO2 75,0.
780
EXPÉRIENCES.
Le gaz du sac, après l’expérience, contient 76,2 d’oxygène et 8,1 d’acide
carbonique. La tension de l’oxygène en B était donc environ 77 x 5
= 585.
Expérience GGLXXX. — 25 novembre. — Chien de moyenne taille.
Tube dans la trachée; carotide gauche à nu.
Température rectale 58°, 1 l.
3h 12m : tiré 33cc de sang; l’animal respire tranquillement. ... A.
Mis dans l’appareil à 5h 55m, avec sac à oxygène ; entre le sac et le tube
trachéal est placé un flacon, au fond duquel se trouvent des morceaux de
potasse; je veux ainsi diminuer la proportion de l'acide carbonique qui
s’emmagasine dans le sac.
4h 25m : on est à 7 atmosphères ; à 4h 28m, tiré avec la plus grande dif-
ficulté 25cc de sang B.
A 4h 58m, la pression est de 7 1/4 atmosphères ; je décomprime brus-
quement.
Retiré à 4h 45m, l’animal est sensible à l’œil : sa température est de
56°; il présente quelques raideurs des membres postérieurs et du cou; la
respiration paraît suspendue, le cœur bat très-faiblement. -
Après 10m les raideurs augmentent, mais la respiration revient, et le
cœur bat plus vite et plus fort. Bientôt après, l’animal redevient flasque,
comme il était au sortir de l’appareil; sa respiration est faible; il meurt
à 5h 50m, sans mouvement.
A 5h 20m, sa température était de 34°, 5 ; à 5h 50ni, elle est tombée à 35°, 5.
À 5h 5,u, je tire 55cc de sang carotidien C.
A 5h 50m, tiré de même 53cc de sang D.
L’autopsie montre le cœur plein de sang noir à droite, un peu rouge à
gauche. Il y a dans la vessie quelques gouttes d'urines extrêmement char-
gées de sucre. Le foie contient beaucoup de sucre.
Le sang A (air, pression normale) contenait. ... O 14,4; CO2 41,0
— B (oxygène, 7 atm.) O 24,1; GO2 68,5
— C (air, pression normale, 40m après la dé-
compression) O 15,8; GO2 16,5
— B (air, 70ni après la décompression) .... O 15,8; CO2 28,5
Le gaz du sac contenait avant l’expérience 79 pour 100 d’oxygène; la
tension d’oxygène en B était donc probablement 74 x 7 =518 ; elle s’est
élevée au maximum à 550, à 4h 58m.
Expérience CCLXXX1. — 27 novembre. — Chien de berger, pesant
16 kilog.
Tube dans la trachée; température rectale 58°, 5.
A 4h 501U, tiré 55cc de sang à la carotide gauche A.
1 Ces températures , indiquées par mon thermomètre dans cette expérience et
dans plusieurs autres, sont certainement trop basses, absolument parlant. Mais
il importe peu, la comparaison seule a de l’intérêt.
AIR COMPRIMÉ : OXIGÈNE SOUS FORTE TENSION.
781
Mis à 5h 8m dans l’appareil à compression, avec le sac à oxygène, sans
flacon à potasse.
A 5h 12m on est à 1 3/4 atmosphères ; tiré 33cc de sang, bien rouge. B.
A 5h 48m, 7 atmosphères ; on s’y maintient, et à 5h 50m, tiré 39cc de sang
très-rouge, sans gaz libres G.
A 5h 53m, décomprimé en 2 minutes.
Retiré : température, 38°, 5. Est en raideur, et toutes les 3 ou 4 minu-
tes, convulsion tonique énorme, avec opisthotonos très-violent, suspension
de la respiration, le cœur continuant à battre, quoique plus lentement.
L’œil est insensible. L’excitabilité est beaucoup moins évidente que dans
la strychnine. Il y a ainsi 4 ou 5 de ces affreuses convulsions pendant
lesquelles il semble que l’animal va tomber de la table.
A 6h 10m, je fais respirer au chien un mélange de chloroforme et d’é-
ther; il semble, au début, que les convulsions s’exagèrent. Mais au bout de
2 ou 3 minutes, elles disparaissent, et il ne reste plus que des trépidations
des membres antérieurs, semblables à celles de l’acide phénique, qui
disparaissent à leur tour, ainsi que les raideurs ; l’animal devient souple
et calme.
6h 15,n, on cesse les inhalations. La sensibilité reparaît, puis quelques
raideurs; mais il n’y a plus de grandes convulsions. Température, 39°.
6h 22m : on tire 33cc de sang, moyennement rouge ; . . D.
6h 45ra : latempér. est 38°, 5.
7h : on tire 33ccde sang, très-noir E.
Le lendemain, l’animal est très-bien revenu.
Le sang A (air) contient, dans 100cc. .... O 16,9; GO2 33,1
— B (oxyg., 1 3/4 atm.) O 21,4 ; CO2 36,6
— G (oxyg., 7 atm.) O 32,5 ; GO2 73,8 ; Az 4,1
— D (air, 27m après la décompression). O 16,9; CO2 21,0
— E (air, 67m après la décompression). O 17,0,; CO2 31,5
Le sac contenait après l’expérience un mélange de GO2 10,7, et 70
pour 100.
Il en résulte que la pression de l’oxygène, lorsqu’on a tiré le sang B, de-
vait être d’environ 1,75 x79 = 138, et lorsqu’on a tiré le sang G, d’envi-
ron 7 x 71 = 497.
Expérience CCLXXXII. — 3 décembre. — Chien.
Tube dans la trachée; tempér. rectale, 38°; respirations extraordinaire-
ment rapides.
3h 20m : tiré sang à la carotide gauche 33cc A.
On ajoute à la canule trachéale le sac à oxygène; sur le passage de l’air,
est placé un flacon au fond duquel se trouvent quelques morceaux de
potasse.
3h 30m: tiré 33cc de sang notablement plus rouge; les respirations sont
devenues beaucoup plus lentes B.
782
EXPÉRIENCES.
5h 45m : mis dans le grand appareil à compression.
4h : on est à 5 1/2 atmosphères : tiré 35cc de sang, très-rouge ; pas de
gaz G.
Il arrive une série d’accidents de détail; à4h 40,n, je veux décomprimer
brusquement; mais le sac de caoutchouc se place devant l’ouverture, et la
décompression ne finit qu’à 5h 45 m.
L’animal n’a ni convulsions ni trépidations; sa température est de 56°.
Le sang A (air, pression normale) contient O 18,1 ; GO2 24,9
— B (oxyg., pression normale) O 20,9 ; GO2 55,7
— G (oxyg., 5 l/2atmosph.) O 27,5; CO2 56,5
L’air du sac contenait, avant l’expérience, 85 pour 100 d’oxygène; ainsi,
lorsqu’on a tiré le sang G, la tension devait être environ 80 X 3,5 = 280.
Expérience CCLXXXIII. — 10 décembre. — Chien vigoureux, pesant
12\5.
A 5h 45m, mis tube dans la trachée ; la respiration devient très-haletante.
5h 55m : tiré 55cc de sang; la temp. est de 58°, 5 A.
4h 10m : mis à respirer sac de caoutchouc contenant oxygène.
4h 1 8m : tiré 55cc de sang, plus rouge B.
41' 55m : mis dans grand appareil avec le sac de caoutchouc, dans lequel
on a introduit une lessive de potasse.
5h 5m: on est à 6 atmosphères; ‘tiré 58cc de sang G.
5h 55m : — 9 — 55cc — D.
Il paraît venir quelques bulles de gaz, très-fines.
5h 58“ : décompression en 5 ou 4 minutes.
Quand on retire l’animal, il est mort. L’oreillette droite bat encore. Le
sang veineux est assez rouge, et quand on le reçoit dans un verre, il s’en
dégage de petites bulles de gaz qui viennent à la surface ou restent adhé-
rentes aux parois du verre. Même phénomène pour le sang artériel, seule-
ment lesbullessont beaucoupplus petites. Les muscles et les nerfs moteurs
répondent à l’électricité.
Tandis que je tirais le sang D, ce sang venait très-difficilement, dans la
seringue, par coups lents. Probablement l’animal se mourait juste à ce mo-
ment; jusque-là, du reste, on l’avait vu respirer; ensuite, non.
A 7h, pas de rigidité cadavérique.
Sang A (air, pression normale) O 19,8; CO2 20,9; Az 2,1
— B (oxyg. à 880/0, pression normale). . O 20,9; CO2 54,5; Az 1,5
— G (oxyg., 6 atm.) O 26,3 ; CO2 63,5; Az 3,9
— D (oxyg., 9 atm.) O 30,7; CO2 61,5 ; Az 5,5
L’air du sac, avant toute expérience, contenait 88 pour 100 d’oxygène.
Ainsi, en tenant compte de l’altération respiratoire, la tension de l’oxy-
gène, lorsqu’on a tiré le sang C, pouvait être exprimée par 80 X 6 — 480,
et lorsqu’on a tiré le sangD, par 78 X 9 = 702.
AIR COMPRIMÉ : OXYGÈNE SOUS FORTE TENSION.
785
Expérience CCLXXXIV. — 17 décembre. — Chien jeune, pesant 7k,5.
5h 30m; Températion rectale, 39°.
.Mis tube dans la trachée; respirations très-rapides.
3h 40m ; tiré 33cc de sang carotidien, peu rouge A.
3h 42m : mis à respirer dans sac à oxygène, avec lessive de potasse
dans le sac.
3h 50m : température rectale, 38°, 8 ; tiré 33cc de sang, bien rouge. B.
Mis dans l’appareil à compression à 4h 5m.
4h 50m : 7 atmosphères; on essaie en vain d’extraire du sang.
Poussé à 5/4 atmosphères, et décomprimé brusquement.
Retiré : tempér., 37°. Quelques raideurs et convulsions cloniques. Le
cœur bat lentement, le sang est très-noir.
Meurt à 5h 10m, sans dernier soupir, en résolution complète. .
Pas d’urine dans la vessie. Mais les reins, broyés avec du sulfate de soude
et du charbon animal, donnent un précipité jaune avec de très-bonne li-
queur de Bareswill. Le sang, traité de même, donne un semblable préci-
pité énorme; la potasse brunit la liqueur à l’ébullition.
Le sang A (air, pression normale) contient O 12,1 ; CO2 29,6
— B (oxyg. à 91 0/0, pression normale). ... O 14,1 ; CO2 24,5
La tension de l’oxygène a dû être environ 7,75 X 80 = 620.
Expérience CCLXXXV. — 20 décembre. — Chien très-vigoureux, pesant
16k,5. Tempér. rectale, 38°, 5.
3h 55m : tiré 33cc de sang assez noir. Respirations un peu lentes.. A.
4h : tube dans la trachée ; respirations entièrement exagérées pendant
4 à 5 minutes; puis, période de calme, à laquelle succèdent de nouvelles
respirations exagérées. A 4h 10m, je me prépare à tirer du sang, quand
les respirations se calment et reviennent à un type normal.
4h 12m : Tiré 33tc de sang, moins noir
4h 30m : mis dans l’appareil à compression, avec sac de caoutchouc.
5h 5m : on est à 6 3/4 atmosphères; tiré 40cc de sang, très-rouge, du-
quel sortent de très-fines bulles de gaz C
5h 12m : décomprimé brusquement.
Apporté sur la table, a une mousse abondante à la gueule ; il est en
opisthotonos très-violent, que remplace de temps en temps un pleuro-
sthotonos du côté droit; par moments fortes convulsions cloniques, avec
quelques intervalles de repos complet. Pendant les crises, la respiration
s’arrête, et le cœur se laisse sentir très-difficilement. L’œil reste sen-
sible.
A 5h 15m, la tempér. est 36°7, et le cœur ne donne que 20 pulsations.
A5h 30ra : 48 respirations, 112 pulsations.
A 5h 38m : un peu après une grande convulsion, je prends 33ccdesang,
bien rouge p,
A 5h 45m : température, 35°.
Je fais respirer par la trachée du chloroforme ; les respirations sont
784
EXPERIENCES.
très-aclives ; les pattes sont alors en raideur. Bientôt la respiration s’arrête
à son tour, les yeux sont très-gonflés.
Je fais la r espiration artificielle ; le cœur reprend assez vigoureusement,
et la respiration revient ; puis, tout s’arrête, malgré la respiration artifi-
cielle, et l’animal meurt vers 6h.
Le sérum sanguin, traité par le sulfate de soude et le charbon animal,
donne par la liqueur bleue un très-abondant précipité jaune-rouge.
Sang A (air, pression normale, respiration
normale) O 15,1; GO2 40,8
— B (air, pression normale, respiration
trachéale) O 20,3; CO2 24,0
— G (oxyg., 6 5/4 atmosph.) O 34,6; CO2 92,5;Az5,6
— D (pendant les convulsions) O 19,0; GO2 14,8
La composition de l’air du sac, avant l’expérience, étant 87 pour 100
d’oxygène, la tension lors de la saignée G devait être d’environ
6,75 X 84 = 567.
Expérience CCLXXXYI. — 22 janvier. — 0 = 16°. — Chien de grande
taille.
A 5h 10m, on lui met un tube dans la trachée; sa température rectale
est 59°, 5.
A 3U 50m, l’animal respirant lentement et avec ampleur, on prend 33cc de
sang carotidien A.
A 5h 40lu, il est placé dans le cylindre à compression, avec le sac de
caoutchouc contenant de l’air à 88,6 0/0 d’oxygène.
A 4h, on est arrivé à 4 atmosphères; je tire alors 33cc de sang, très-
rouge B.
A 4h 15m, on est à 6 1/2 atm. Tiré 38cc de sang, très-rouge, qui se coa-
gule très-rapidement C.
A4h 17m, décomprimé en 2 minutes.
Betiré en pleines convulsions. Celles-ci consistent en attaques de rai-
deurs des pattes et du corps en opisthotonos, assez fortes pour qu’on puisse
porter le chien par une patte , comme un morceau de bois (voy. fîg. 61,
p. 800). On peut les exciter à volonté.
Tempér. rectale, 57°.
A 4h 40m, je tire 53cc d’un sang médiocrement rouge; la température
s’est abaissée à 56° D.
Les convulsions vont en diminuant; on ôte la canule. A 5h 35m, il n’y a
plus de convulsions. Je tire un peu de sang carotidien, qui, bouilli avec du
noir animal et du sulfate de soude, donne une très-forte réduction de la
liqueur bleue. Bien par le sulfate de chaux ni l’acide azotique.
On met l’animal dans une cage disposée de manière à recueillir les
urines.
Ces urines , le lendemain, décolorent la liqueur bleue en donnant un
abondant vrécipité jaune.
AIR COMPRIMÉ : OXYGÈNE SOUS FORTE TENSION.
785
Sang A (air, pression normale) O : 15,8 — CO2 : 45,0
— B (oxyg. ; 4 atm.) O : 23,9 — CO2 : 59,0
' — C (oxyg.; 6 1/2 atm.) O : 28,7 — CO2 : 69,4
— D (air, revenu à la pression normale,
convulsions) O : 12,4 — CO2 : 9,9
Le sac contenait, au début, de l’air à 88,6. p. 100 d’oxygène.
Au moment où l’on a tiré le sang B, la tension de l’oxygène devait donc
équivaloir à peu près à 520, représentant 16 atmosphères. Pour le sang C,
les nombres seraient 480 et 24 atmosphères.
Expérience CCLXXXVII. — 25 janvier, Q=z 1 6°. — Chien de grande taille.
Température rectale 39°. On lui met dans la trachée un tube, à 5h 15in.
Son rhvthme respiratoire ne change pas sensiblement; il était très-rapide.
A 3h 55m, sa température s’est abaissée à 38°, 5. Je tire à la carotide
33cc de sang médiocrement rouge A.
A 4h 2m, il est mis dans l’appareil avec le sac contenant de Pair sur-
oxygéné.
A 4h 15m, on est arrivé à 2 atm. 5/4.
Je tire 45cc de sang très-rouge, ne contenant pas de gaz libres, ayant
une tendance manifeste à la coagulation. Un accident m’empêche d’en faire
l’analyse au point de vue des gaz.
A 4h 58,n, on est arrivé à 7 1/4 atmosphères.
Je tire encore 45cc de sang, très-rouge, se coagulant rapidement, et dans
lequel il n’apparait pas de gaz libres B.
A 4h 40m, décomprimé en 2 minutes.
Betiré en pleines convulsions. Température rectale, 57°.
Les convulsions, d’abord assez médiocres, avec intervalles de flaccidité,
vont en augmentant de force. Dans les intervalles des convulsions toni-
ques, l’animal agite les pattes comme s’il marchait. Les convulsions toni-
ques sont tellement fortes qu’on peut soulever l’animal comme un morceau
de bois, par une patte. Il a les pattes raides, le corps en pleurosthotonos
droit, avec opisthotonos du cou, les yeux ouverts, saillants ; les pupilles
dilatées; il vomit.
A 5h il meurt. Le cœur continue à battre pendant quelques minutes.
A 5h 10m, on tire 35ccdesang, très-noir, avec une sonde, du cœur gau-
che, qui ne bat plus G.
Il n’y a pas d’urine dans la vessie; congestion pulmonaire très-forte.
Sang A (air, pression normale) O : 17,2; CO2 : 22,5
— B (oxyg., 7 atm., 1/4 de pression) O : 50,1 ; CO2 : 72,3
— G (après la mort) O : 1,4; GO2 : 29,0
L’air du sac de caoutchouc, analysé après que l’animal a été sorti de
l’appareil, contenait : O 74 pour 100 ; CO2 10 pour 100.
Au moment où l’on a pris le sang B, la tension de l’oxygène devait donc
être à peu près 540, équivalant à 27 atmosphères.
Expérience CCLXXXVI1I. — 24 janvier, 0=17°. — Chien bull-dog, vigou-
reux.
50
78(3
EXPERIENCES.
Temp. rect., 58°, 5.
A 2h 50m, j’extrais 55cc de sang carotidien; l’animal respire tranquille-
ment, par les voies naturelles A.
Je mets un tube dans la trachée ; les respirations s’accélèrent beaucoup.
A 2h 45m, je tire 55cc de sang B.
A 5h 25m, l’animal est placé dans l’appareil, avec le sac à. air suroxy-
géné.
A5h 45m, la pression étant de 4 atmosphères, je tire 41cc de sang. C.
A 4h om, la pression est montée à 0 5/4 atmosphères; extraction de
57cc de sang D.
A 4h 7,n, décompression en 5 minutes. La température rectale est de
57°; l’animal est en proie à de fortes convulsions.
A 4h 55'11, la température rectale est abaissée à 56°.
A 4h 55m, je fais respirer du chloroforme; la première application sus-
cite des convulsions, qui cessent bientôt, et l’animal devient insensible et
en résolution. On cesse de chloroformer à 4h 45m. Jusqu’à 5h 55m, il n’y a
plus de convulsions. Elles reparaissent alors.
L’animal survit.
Sang A (air, pression normale, respiration par
les voies naturelles) O : 16,0; CO2 : 41,5
B (air, pression normale, respiration tra-
chéale) O : 25,4; CO2 : 15,2
— C (oxyg.; pression 4 atm.) O : 28,5; GO2 : 08,5
— D (oxyg. ; pression 0 5/4) O : 50,7; CO2 : 82,0
Le sac où avait respiré l’animal contenant, après l’expérience, 74,5 p. 100
d’oxygène et 8,0 d’acide carbonique, on peut évaluer à 500 la tension de
l’oxygène au moment où a été tiré le sang G, soit 15 atmosphères d’air, et
à 510 au moment où a été tiré le sang D, soient 25 à 20 atmosphères.
Expérience CCLXXXIX. — 28 janvier. — - Ghiende grande taille, à jeun
depuis le 27 au malin.
A 2h 55m, je tire 55cc de sang carotidien, médiocrement rouge.. . A.
j'en mêle quelques centimètres cubes avec de l’eau distillée, pour la re-
cherche du sucre (a). La température rectale est 58°.
On n’ouvre pas la trachée, mais l’on adapte à ranimait a muselière repré-
sentée fig. 57, page 070, et à 5h 15m on le place dans l’appareil avec le
sac à oxygène.
A 5h 50111, on est arrivé à 0 5/4 atmosphères. La décompression se fait
en 5 minutes.
L’animal est en pleines convulsions : raideurs toniques, convulsions
cloniques. Crises excitables à volonté.
A 4h, je tire pendant les convulsions 25cc de sang carotidien noir. B.
La température rectale n’est plus que de 56°, 5.
A 4h 25m, tiré 55cc de sang, médiocrement rouge; il vient d'y avoir une
crise G.
AIU COMPRIMÉ : OXYGÈNE SOUS FORTE TENSION. 787
A 4h 501U, la température n’est plus que de 56°.
A 5h 10m, encore 55cc de sang, plus rouge; les convulsions ont cessé
depuis quelques minutes D.
L’animal n’a plus de convulsions à 6h; complètement détaché et mis à
terre, marche comme une hyène, le train postérieur très-bas. On le met
de côté pour avoir ses urines.
Il n’urine que le lendemain à 5h; pas de sucre. A ce moment, sa tem-
pérature est montée à 59°, 5.
Le sang a, bouilli avec du charbon animal, ne réduit pas la liqueur de
Fehling.
Au» contraire, un mélange des sangs B, C, D, bouilli semblablement,
donne une réduction très-considérable. Une partie de la liqueur incolore
obtenue par l’ébullition de ce sang additionné d’eau et mélangé à beaucoup
de charbon, étant placée à l’étuve, avec de la levure de bière, dans un tube
renversé sur le mercure, fermente et donne un gaz qu’absorbe la potasse.
Une autre partie, mise à froid avec de la liqueur bleue, la décolore et pré-
cipite.
Le sang A (air, pression normale), contenait. . O : 1 G ,0 ; CO2 : 44,5
— B (retour à l’air, convulsions) O : 9,7; CO2 : 48,2
— C (après 25,u de retour à l’air) O : 15,9; CO'2 : 10,5
— D (après lh 10m de retour à l’air). ... O : 18,5; CO2 : 19,0
L’air du sac, après l’expérience, contenait 61,5 d’oxygène et 12,9 d’a-
cide carbonique. La tension de l’oxygène s’était élevée à peu près à 420,
soit 21 atmosphères d’air.
Expérience CCXC. — 4 février. — Chien de grande taille, n’ayant pas
mangé depuis le 5 au matin. Température rectale, 57°, 5.
A 5h 15m, pris à la carotide 55cc de sang, assez rouge A,
Une petite quantité de ce sang est bouillie avec de l’eau, du sulfate de
soude et du charbon.
L’animal, muni de la muselière et du sac d’oxygène, et mis dans l’ap-
pareil à 4h.
A 4h 40m, je décomprime en quelques minutes ; la pression était arrivée
à 7 1/2 atmosphères.
L’animal est en convulsions, convulsions excitables ; sa température est
56° seulement.
A 5h 20m, tiré 55cc de sang1, bien rouge * B.
L’animal venait d’avoir des convulsions, et, dans l’intervalle, il respi-
rait très-rapidement.
A 5h 40m, tiré à nouveau 55cc de sang C.
Les convulsions sont alors finies; l’animal, détaché, ne peut marcher.
Il survit ; l’urine qu’il rend dans la nuit ne contient pas de sucre ; la
salive, très-abondante, qui se trouvait dans la muselière, n’én contenait pas
non plus. Au contraire, le sang B était certainement plus riche en sucre
que le sang A.
788 EXPÉRIENCES.
Le sang A (avant l’expérience) contenait O : 18,7; CO- : 44,0
— B (après, pendant les convulsions). ... O : 25,2 ; CO2 : 19,4
— G (les convulsions finies) O : 20,5; CO2 : 22,0
L’air du sac, après l’expérience, contenait 57,6 d’oxygène, et 7,4 d’acide
carbonique.
La tension de l’oxygène était donc montée environ à 440, soit 22 atmo-
sphères.
Expérience CGXC1. — 5 février. — Chien terrier, de moyenne taille,
à jeun depuis la veille.
Température rectale, 59°, 5. *
A 5h, mis dans l’appareil avec la muselière et le sac à oxygène.
A 5h 40,n, est arrivé à 7 1/5 atmosphères.
De 5h 40m à 5h 45,n, décomprimé.
Est en pleines convulsions, avec violents claquements de dents. Tempé-
rature, 58°.
Meurt à 6h.
L’air du sac, après l’expérience, contenait 77,2 d’oxvgène pour 100 et
8 d’acide carbonique.
La tension de l’oxygène avait été d’environ 560, correspondant à 28 at-
mosphères d’air.
Expérience CCXClï. — 7 février. — Chien caniche vigoureux.
Température, 59°, 8.
Pris du sang à la carotide pour la recherche du sucre a.
A 4h, muselière et sac d’oxygène ; la compression commence.
A 4h 4511', la pression est de 7 1/4 atmosphères; on décomprime rapi-
dement. Retiré, a 2 ou 5 convulsions; sa température est 58°; il meurt
pendant qu’on lui tire un peu de sang artériel, très-noir, qui est traité par
le sulfate de soude /3.
a et /3 sont traités de la même manière, avec la même addition d’eau,
et suivant la méthode de Cl. Bernard. Or, 5CC du liquide filtré fourni
par a ne réduisent que 10 gouttes de liqueur bleue, tandis que le même
volume du liquide de /3 en réduit 15 |3.
L’air du sac, avant l’expérience, contenait 90 pour 100 d’oxygène. Après
l’expérience, il n’y en avait plus que 76,5 avec 10,7 d’acide carbonique.
La tension de l’oxygène s’était donc élevée environ à 600, ce qui cor-
respond à 50 atmosphères d’air.
Expérience CCXCIII. — 18 février. — Chien pesant 10k, à jeun depuis le
17 au matin. Température rectale, 40°.
A lh 50m, je lui mets un tube dans la trachée.
A 2h, sa température rectale n’est plus que de 59°, 8.
De 2h 5m à 2h 20m (15m), je le force à inspirer et expirer dans un sac de
caoutchouc contenant 41 1 d’air ; vers la fin, l’animal éprouve une certaine
gêne respiratoire, fait de grandes inspirations, et s’agite un peu. J’appelle
a l’air de ce sac.
789
AIR COMPRIMÉ : OXYGÈNE SOUS FORTE TENSION.
A 2h 45m, je prends 25^r de sang1 de la carotide et le mêle avec 25»rde
sulfate de soude et 10gr d’eau distillée a.
 2h 55m, est mis dans l’appareil à compression, avec le snc à oxygène,
dans lequel se trouve un peu d’eau alcalinisée.
A 3h 16ni, est arrivé à 5 1/2 atmosphères ; décomprimé en 2m et demie.
Le chien ne présente que de faibles convulsions, durant à peine
1/4 d’heure. 11 a salivé très-abondamment; sa température est de 58°.
A 3h 25m, tiré 25^r de sang carotidien (/3), qui est traité comme le
sang «•
A 3h 40m, tiré 33cc de sang; l’animal respire avec calme depuis long-
temps A.
De oh 43m à 3h 58m (15 minutes), je fais respirer le chien dans un sac
contenant la même quantité d’air que le sac a; j’appelle b cet air. L’ani-
mal souffre également à la fin de ce séjour respiratoire.
A4h20m, l’animal étant fort tranquille, je lui tire 33cc de sang caro-
tidien B.
A 4h 45m, température rectale, 36°, 5.
A 6h, tiré 33cc de sang C.
Aussitôt après, sa température est trouvée de 37°.
A 6h 15m, je prends encore du sang que je traite comme a et /3 (7).
Température rectale, 37°.
J’ôte la canule trachéale ; le chien peut marcher un peu. A 7h10m, sa
température est remontée à 39°. Il survit.
L’air du sac contenant, avant l’expérience, 90,8 pour 100 d’oxygène, et
après l’expérience, 77,3 d’oxygène et 8,4 d’acide carbonique, la tension a
dû s'élever à 440, soit 22 atmosphères d’air. '
Le sang A (22m après la décompression) conte-
nait O : 17,5; CO2 : 20,0
— B (lh après la décompression) contenait. O : 17,2; CO2 : 17,0
— G (2h 40m après la décompression) con-
tenait . O : 16,3; CO2 : 26,5
Les liquides produits par l’ébullition des sangs a, (3,7, donnent les résul-
tats suivants :
5CC du liquide fourni par a (avant la compression) décolorent 15 gout-
tes de liqueur bleue.
5CC du liquide fourni par /3 (10m après la décompression) décolorent
35 gouttes de liqueur bleue.
5CC du liquide fourni par 7 (3h après la décompression) décolorent
15 gouttes de liqueur bleue.
Les analyses de airs a et b montrent que :
1° En a , le chien, avant la compression oxygénée, a consommé, en 15"*,
4',89 d’O, et produit 21, 99 de CO2; soient en une heure 15l,56 d’O. et
9*,98 de CO2.
2° En 6, le chien, après la compression, n’a consommé, en 25m, que
790
EXPERIENCES.
o*,57 d’O, et produit seulement \ ‘,88 de CO2; soient en une heure 8*,88
dU et 4*, 51 de CO2.
Expérience CCXC1V. — 25 février. — Chienne épagneule forte.
Température rectale, 59°.
A 2'1 15U1, je lui mets un tube dans la trachée; les respirations devien-
nent très-rapides, 110; il y a 120 pulsations.
A 2h 40m , pris à la carotide 25ër de sang, qui sont traités comme à l’ha-
bitude pour la recherche du sucre a.
A 2h 40m, la température rectale est 58°. La respiration se calme, et
tombe à 40 par minute.
De 2h 45m à 5h (15m), l’animal respire dans un sac clos, contenant
4 7 1 , 1 4 d’air. Les respirations, calmes d’abord, deviennent gênées au bout
de 7 à 8m. J’appelle a l’air de ce sac.
A 5h 45m, la température rectale est toujours 58°.
A 5h 15m, mis dans l’appareil, avec sac à oxygène.
A 5h 40m, arrivé à 6 5/4 atmosphères, décomprimé brusquement. Est en
convulsions, assez fortes. Écume blanche très-abondante à la gueule.
Température rectale, 57°.
A 5h 45m, tiré un peu de sang pour recherche du sucre; l’animal est en
convulsions |3.
A 4h, l’animal est calme; 14 respirations, 00 pulsations.
De 4h 12m à 4*‘ 27m (15m), mis à respirer dans la même quantité d’air
pur que ci-dessus (b). Les respirations restent calmes tout le temps.
A 5h, température rectale encore 57°. L’animal mis à terre marche assez
bien. Il survit.
L’air du sac à oxygène contenait au début de l’expérience 86,4 d’oxy-
gène; à la fin, il n’en contenait plus que 68,1 avec 10,4 pour 100 d’acide
carbonique. La tension de l’oxygène avait donc dû s'élever à environ 460,
soit 25 atmosphères.
Le liquide fourni par le sang a décolore, par 5CC, entre 10 et 15 gouttes
de liqueur bleue; celui du sang (3 en décolore entre 15 et 20.
Quant à la consommation d’oxygène, elle a été dans l’expérience a de
3*,95, et dans l’expérience b elle est tombée à 21,15. La production d’acide
carbonique a baissé également de 2*,41 à 1*599.
Expérience CCXCV. — 24 février. — Chienne pesant 17k.
2h 55m ; respiration par les voies naturelles, calme; température vagi-
nale, 40°. Je tire 55cc de sang carotidien A.
5h 12m, je mets un tube dans la trachée; respirations rapides; puis, je
fais une saignée artérielle de 500sr.
5h 47m, pris 25cc de sang (0 = 59°) B.
De 4h 10m à 4b 40m,mise dans l’appareil avec un sac contenant de l’air à
95 pour 100 d'oxygène. La pression monte à 6 5/4 atmosphères.
Décomprimée brusquement, trouvée morte, flasque, 0 — 57°.
La tension de l’oxygène était montée à environ 580, soit 29 atmosphè-
res d’air.
AIR COMPRIMÉ : OXYGÈNE SOUS FORTE TENSION.
791
A (respir. nat.) 17,0 d’oxyg. et 58,5 de CO2.
B (respir. traclr, forte saignée), . . . 16,5 — 14,4 —
Expérience CCXCVI. — - 25 février. — Chien pesant 15k.
Pendant qu’il respire par les voies naturelles, je lui tire 55cc de sang
carotidien A.
Sa température rectale est 40°.
Je lui mets ensuite un tube dans la trachée, et lui extrais en une heure
400cc de sang artériel. Il ne fait pas de respirations extraordinaires et
rapides, mais sa température s’abaisse à 37°, 5 ; je prends les derniers 35cc
de sang pour l’analyser B.
Porté de 5h 45m à 4h 40m à la pression de 6 atmosphères 1/2, avec un
sac contenant de l’air à 90 pour 100 d’oxygène.
Betiré en pleines convulsions, excitables par l’introduction du thermo-
mètre dans le rectum. 6 = 56°.
Les convulsions continuent, et ranimai meurt dans la nuit.
La tension de l’oxygène devait être au maximum de 520 environ, cor-
respondant à 26 atmosphères d’air.
A (respiration naturelle) 19,0 d’O., et 42,0 de CO2.
B (respiration trachéale, forte saignée). 15,1 — 15,2 —
Expérience CCXCVII. — 24 mai 1874. — Expérience faite devant la com-
mission de l’Académie des Sciences.
Chienne de moyenne taille. Tube dans la trachée. Sac à oxygène.
On la comprime à 7 atmosphères. A ce moment (5h 1/2), on prend 35ce
de sang carotidien, où se dégagent quelques gaz libres. Ce sang contient
35cc,2 d’oxygène pour 100cc de sang, 76 d’acide carbonique, et 6,6 d’azote.
On décomprime brusquement, à 5h55m; l’animal n’a pas de convul-
sions. Un quart d’heure après, celles-ci surviennent par crises , et sont
excitables ; à de certains moments, la chienne devient raide comme du
bois.
On la chloroformise ; les convulsions s’arrêtent pour reparaître quand
revient la sensibilité.
A 6h 1/2, couchée sur le Banc, fait d’une manière continue Je geste de
marcher avec les deux pattes antérieures.
A 7hl/2, encore des raideurs.
Le lendemain, à midi, ces raideurs persistent. L’animal est resté toute
la nuit couché sur le sol, sans avoir bougé de place. L’œil est insensible,
la pupille ne revient pas à la lumière ; la température rectale est de 25°,
celle du cabinet étant de 19°.
La chienne meurt dans la journée.
J’espère que le lecteur ne me reprochera pas cette longue
série de descriptions. Les phénomènes que j’étudie en ce
moment m’ont paru assez importants pour qu’il fût néces-
saire d’en donner par le détail des exemples nombreux. Les
TABLEAU XV.
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794
EXPERIENCES.
questions qui se présentent devant nous sont multiples.
Nous voici maintenant suffisamment informés pour les ré-
soudre presque toutes.
Mais il est bon, tout d’abord, de dresser, selon notre habi-
tude, un tableau (tableau XV) qui résume les résultats prin-
cipaux des faits que nous venons de rapporter. J’y ai classé
les expériences d’après le degré croissant de la tension de
l’oxygène, tension qui est exprimée dans la colonne 4 par sa
valeur réelle, et que la colonne 5 traduit en équivalence
d’atmosphères.
Nous sommes en situation maintenant de faire une des-
cription complète des effets funestes de l’oxygène, d’en dé-
crire les symptômes, et même de pénétrer dans le mécanisme
de l’empoisonnement.
Occupons-nous d’abord des doses.
Les accidents convulsifs, comme nous le montrent les co-
lonnes 5 et 10 du tableau, n’ont apparu d’une manière nette
qu’aux environs de 19 atmosphères. Les chiens sembleraient
donc un peu moins sensibles que les oiseaux, à comparer ce
résultat à celui du tableau de la page 769. Gela n’aurait rien
d’étonnant, mais cependant je ne fais nulle difficulté de dé-
clarer que, sur ce point, mes expériences ne fournissent pas
de renseignements suffisamment précis.
Je puis seulement dire que la durée de la compression est
pour beaucoup dans l’intensité des manifestations de l’em-
poisonnement par l’oxvgène. Je les ai vues survenir quelque-
fois pour des pressions dépassant à peine 10 atmosphères
d’air, et aller jusqu’à entraîner la mort. Voici, par exemple,
trois expériences :
Expérience CCXCV11I. — 26 avril. — Un lapin et deux moineaux sont
placés dans le grand récipient à air comprimé.
De lh 45m à 2h 45m, on amène la pression à 10 atmosphères.
Vers 5h, en regardant à travers les vitres de l’appareil, on voit que les
animaux sont morts.
Expérience CGXC1X. — ■ 50 avril. — Chien pesant 4k,500. Est mis à
9h 45m, libre, dans le grand récipient.
La pression est poussée à 10 atmosphères; elle y arrive à 10h50m; on
795
AIR COMPRIMÉ : OXYGÈNE SOUS FORTE TENSION.
ouvre alors le pelit robinet de dégagement, de manière à entretenir un
courant d’air sous 10 atmosphères; la pression monte même à 11 atmo-
sphères, à 10h45m; à ce moment, on regarde à travers les hublots, et l’on
voit le chien renversé sur le dos, avec des espèces de convulsions. On ra-
mène la pression à 10, et presque aussitôt l’animal revient à lui, se remet
sur ses pattes et aboie en désespéré.
A midi, la pression est toujours de 10 atmosphères; le chien est resté
debout et se met à aboyer avec fureur quand on approche de l’appareil.
Le courant d’air sous pression est entretenu.
A 2b15m, l’animal est couché, s’agitant demi-convulsivement.
11 meurt à 5h; comme on a fermé le robinet depuis quelque temps, on
prend un échantillon d’air, qui se montre sensiblement pur (019,8 ; CO2
0,4).
Expérience CGC. — 15 février. — Deux moineaux friquets sont main-
tenus, de 1 1 h 30m à 5h50m, sous une pression d’air qui varie de 8 1/2 à
9 1/2 atmosphères : courant d’air continu.
L’un d’eux (A) donne, au bout de quelques heures de séjour, des signes
de malaise qui vont croissant.
Décompression très-lente. A est affaissé, présente des mouvements con-
vulsifs des ailes, des pattes, de la queue; sa température, qui était de 41°
au début, n’est que de 55°, 8. A 7h du soir, il a encore des mouvements
convulsifs, s’appuie en arrière sur sa queue.
L’autre moineau paraît assez bien portant. Sa température est de 59°.
Tous deux meurent dans la nuit.
Je n’insiste pas sur ces dernières expériences. Pour nous en
tenir à celles qui sont résumées au tableau XY, nous voyons
que si, pour les compressions de peu de durée, les convulsions
commencent à apparaître avec une tension de l’oxygène un
peu inférieure à la valeur de 19 atmosphères d’air, elles sont
énergiques et constantes au-dessus de 20 atmosphères, et
entraînent toujours une mort des plus rapides, au-dessus de
27 atmosphères. Dans la seule expérience (exp. CCLXXX1II)
où la tension de l’oxygène se soit élevée jusqu’à la valeur de
o 5 atmosphères, l’animal était déjà mort lorsqu’on l’a retiré
de l’appareil.
Considérons, maintenant, la richesse du sang artériel en
oxygène, telle que nous la présente la colonne 7 du tableau.
Nous y trouvons d’assez grandes différences. Tandis, par
exemple, que dans l’expérience CCLXXXI, la proportion d’oxy-
gène s’étant élevée de 14,9 à 52,5, l’animal, bien que pris de
796
EXPÉRIENCES.
violentes convulsions, a survécu, nous vovons le chien de fex-
périence CCLXXXVII périr en 20 minutes, sans avoir eu dans
le sang plus de 30,1 d’oxygène, la proportion initiale étant
17,2. Tous les résultats montrent qu’il serait impossible de
fixer d’une manière exacte, soit la quantité absolue d’oxygène
avec laquelle arrivent les convulsions et la mort, soit son aug-
mentation proportionnelle. Cependant, toutes les fois que
l’animal a succombé, la quantité d’oxygène avait toujours
dépassé 50 volumes par 100 volumes de sang.
Cette augmentation est, on le voit, bien peu de chose, puis-
qu’elle oscille entre le tiers ou moitié en sus de celle qui
existait normalement.
Si, pour en examiner avec plus de fruit la marche générale,
nous exprimons par des tracés, suivant nos conventions habi-
tuelles, les résultats contenus à la colonne 7, nous obtenons
la figure 60. Les variations multiples que nous avons signa-
lées se traduisent ici avec la plus grande évidence.
Que si nous faisons exécuter à toutes ces lignes un mou-
vement de glissement dans le sens vertical, qui amène leur
origine, à toutes, à coïncider avec le nombre 20, et si nous
prenons la moyenne des divers points correspondant à peu
près à la même pression, nous obtenons, en définitive, une
ligne d’une remarquable régularité, c’est-à-
dire une ligne droite.
Ainsi, sur l’animal vivant, se trouvent confirmées les expé-
riences in vitro comprises au sous-chapitre Y du chapitre II :
à partir d’une atmosphère, il ne s’ajoute au sang que de
l’oxygène simplement dissous.
C’est un fait fort digne de remarque que les convulsions
peuvent apparaître avec une richesse oxygénée du sang que
présentent parfois des animaux sains, ou à laquelle ils peu-
vent presque atteindre, à la suite de respirations rapides. On
voit d’abord par là que ce n’est pas la proportion d’oxygène
contenue dans le sang qui est par elle-même dangereuse;
on voit ensuite que l’augmentation même de cette proportion,
fût-ce à un degré élevé, ne constitue pas le danger. Il faut que
cette augmentation soit permanente, qu’elle soit le résultat,
AIR COMPRIME : OXYGÈNE SOUS FORTE TENSION.
797
non d’une saturation meilleure des globules sous l'influence
Fig. GO. — Chiens empoisonnés par l’oxygène : richesse croissante en oxygène
de leur sang artériel.
d’une aération plus parfaite* saturation que Paction réductrice
des tissus ramène aussitôt au degré normal, mais bien d*une
798
EXPÉRIENCES.
saturation due à ce que les tissus sont eux-mêmes saturés
d’oxygène et en équilibre avec le sang.
C’est pour cette raison que les convulsions ne surviennent
qu’après quelque temps de compression. Il faut que les tissus
soient imprégnés de l’oxygène en surcroît que leur apporte et
leur cède incessamment le sang qui s’en surcharge dans les
poumons.
J’avais dû, au début de ces expériences, me demander sî
le sang n’était pas directement altéré par l’excès de l’oxygène,
et ne devenait pas ainsi la cause des phénomènes convulsifs.
L’inspection des globules au microscope ne m’y montrait, il
est vrai, aucune altération de formes ni de dimensions;
mais cela ne me suffisait pas. Je résolus alors d’injecter dans
un chien sain du sang qui aurait été fortement suroxygéné.
C’est ce que je fis dans les expériences suivantes :
Expérience CCCI. — 50 juin. — Sang de chien défibriné, agité dans
l’appareil figuré à la page 097, sous la pression de 1 0 atmosphères d’air à 65
pour 100 d’oxygène. On chasse ensuite l’excès de gaz en tournant en fronde,
au bout d’une corde, le flacon où est le sang. Il contient alors 24 volumes
d’oxygène pour 100 volumes de sang. J’en injecte 200cc dans la veine fé-
morale d’une chienne de 6k.
Aucun accident, et même aucun malaise apparent.
Expérience CCCll. — 25 juillet. — Sang de chien défibriné; traité comme
le précédent à 10 atmosphères suroxygénées; il contient 54 volumes
d’oxygène.
Je saigne à la carotide un petit chien pesant 1640gr; je lui retire 20ccde
sang très-rouge (ce sang se caille avec une rapidité extraordinaire), mais
ne contenant que 7,5 d'oxygène, avec 55 d’acide carbonique ; la pression
artérielle était 15e.
Je lui injecte dans la veine jugulaire 55cc du sang sursaturé d’oxygène,
qui a été agité en fronde*
Aucun effet*
Expérience CCGJII. — 10 août. — Sang de chien défibriné, traité comme
ci-dessus, à 10 atmosphères suroxygénées ; contenait 55 volumes d’oxy-
gène.
Petit chien pesant 2085^^ : température rectale, 56°; pulsations, 160;
respirations, 50. Je lui retire 100cc de sang, il devient très-faible; sa tem-
pérature tombe à 54°, 5 ; pulsations, 128; respirations, 50.
Je lui injecte alors dans la jugulaire 110cc du sang suroxygéné ; aussitôt
l’animal se ranime, et, mis à terre, semble seulement un peu faible.
Aucun effet consécutif
AIR COMPRIMÉ : OXYGÈNE SOUS FORTE TENSION. 799
Ainsi, dans des conditions de compression, c’est-à-dire de
saturation oxygénée, égales et même supérieures à celles qui
occasionnaient la mort, le sang n’a acquis aucune qualité
redoutable, et peut être substitué impunément, dans une
proportion très-forte (19 du poids du corps), au sang d’un autre
animal. Il faut ajouter que l’agitation dans l’oxygène com-
primé n’avait duré que très-peu de temps, moins d’une heure.
Nous verrons au sous-chapitre III du chapitre VI d’autres ex-
périences faites à un autre point de vue avec du sang agité
pendant plusieurs heures avec l’oxvgène comprimé.
Mais arrivons à la description de l’attaque convulsive elle-
même. Elle est vraiment curieuse et effrayante.
Prenons un cas de moyenne intensité : Lorsqu’on retire
l’animal de l’appareil, il est généralement en pleine convul-
sion tonique ; les quatre pattes sont roidies , le tronc est re-
courbé en arrière ou un peu sur le côté, les yeux sont sail-
lants, la pupille dilatée, les mâchoires serrées. L’examen
ophthalmoscopique montre une forte injection du fond de
l’œil. Bientôt survient une sorte de relâchement auquel suc-
cède une nouvelle crise de roideurs avec convulsions cloni-
ques ressemblant à la fois à une crise strychnique et à une
attaque de tétanos. Ces crises, pendant les intervalles des-
quelles le chien ne se relâche pas complètement, mais reste
en opisthotonos, respirant avec une grande difficulté, sus-
pendent la respiration, le cœur continuant toujours à battre,
quoique souvent avec une étonnante lenteur; la pression
artérielle s’abaisse considérablement. La sensibilité reste
conservée, et l’on peut, en la mettant en jeu, exciter de nou-
velles convulsions. Après quelque temps, ces périodes con-
vulsives, qui apparaissaient d’abord toutes les cinq ou six mi-
nutes, deviennent plus rares, puis moins violentes ; la roideur
diminue dans les intervalles, et finalement tout disparaît au
bout de quelques minutes, ou au plus de quelques heures.
Dans les cas plus légers, au lieu d’attaques tellement vio-
lentes qu’on peut soulever F animal par une seule patte , roide
comme un morceau de bois , ainsi que le montre la figure 61,
on observe des mouvements désordonnés, des convulsions
800
EXPÉRIENCES
locales, des phénomènes, en un mot, qui ressemblent beau-
coup à ceux de rempoisonnement par l’acide phénique. On
voit parfois alors des actes qui semblent indiquer un certain
désordre intellectuel.
Fig. 01. — Chien pendant les convulsions toniques de l’empoisonnement par l'oxygêno.
Dans les cas très-graves, au contraire, la roideur est conti-
nuelle, avec quelques redoublements cloniques de temps à
autre; les dents grincent et se serrent jusqu’à paraître près
de se briser, et la mort peut survenir après une ou deux
crises, dans le laps de quelques minutes. On trouve alors le
801
AIR COMPRIMÉ : OXYGÈNE SOUS FORTE TENSION.
sang rouge, même dans le système porte ; puis il noircit.
Alors que l'animal ne fait plus aucun mouvement, le cœur
continue à battre encore pendant quelques minutes. D’autres
fois, comme dans les expériences CCLXXV1II et CCXCVII, les
convulsions durent près de 24 heures avant de se terminer
par la mort.
On ne trouve ni congestions, ni ecchymoses, dans les pou-
mons et dans les centres nerveux. Seulement, d’une manière
constante, chez les moineaux, on voit le diploé crânien rem-
pli d’un épanchement en piqueté, en taches plus ou moins
grandes, ou même en nappe, envahissant toute la région occi-
pitale, et, dans les cas les plus violents, toute l’étendue du
crâne. Ces suffusions sanguines, dont le mécanisme ne me
paraît point facile à expliquer, sont constantes dans l’empoi-
sonnement par l’oxygène. Elles arrivent bien avant le moment
de la mort. Mais elles ne sont pas spéciales à ce genre de
mort, et dans les expériences qui précèdent on les trouve si-
gnalées, même dans l’asphvxie simple, sous diminution de
pression (voy. p. 748 et 749).
La vue seule des symptômes que nous venons de décrire
semble indiquer que l’action toxique produit son effet sur les
centres nerveux, comme le font la strychnine, l’acide phé-
nique et autres poisons convulsivants. Cette présomption est
corroborée par ce fait que les inhalations de chloroforme
arrêtent momentanément les convulsions, qui reparaissent
quand a disparu l’anesthésie. Rappelons enfin que, d’après
nos expériences sur les grenouilles, le membre postérieur
dont on a coupé le nerf sciatique ne présente pas de convul-
sions dans les muscles animés par ce nerf.
Je puis donc reproduire ici, pour résumer tous ces faits,
les conclusions de la note que j’ai eu l’honneur de présenter
sur ce sujet à l’Académie des Sciences, le 17 février 1875.
« 1° L’oxygène se comporte comme un poison rapidement
mortel, lorsque sa quantité dans le sang artériel s’élève â
environ 55 centimètres cubes par 100 centimètres cubes de
liquide ;
« 2° L’empoisonnement est caractérisé par des convulsions
51
802
EXPÉRIENCES.
qui représentent, suivant l’intensité des accidents, les divers
types du tétanos, de la strychnine, de l’acide phénique, de
l’épilepsie, etc.;
» 5° Ces accidents, que calme le chloroforme, sont dus à
une exagération du pouvoir excito-moteur de la moelle épi-
nière ;
» 4° Ils s’accompagnent d’une diminution considérable et
constante de la température interne. »
C’est sur ce dernier point, laissé volontairement de côté
jusqu’ici, que je vais insister maintenant.
g 2. — De la diminution des oxydations par l’empoisonnement
d’oxygène.
Lorsque je vis pour la première fois, sous l’influence
de l’oxygène condensé, un moineau s’agiter dans des con-
vulsions violentes, je m’imaginai d’abord que les oxyda-
tions intra-organiques avaient été chez cet animal tellement
surexcitées, qu’il périssait pour se brûler trop vite, produi-
sant ainsi une quantité de chaleur exagérée, qui peut-être de-
venait elle-même la cause directe de la mort. Je pensai donc
que le thermomètre me montrerait une élévation de la tem-
pérature propre de l’animal. Grande fut ma surprise lorsque
je constatai un résultat absolument opposé.
En effet, dans toutes les expériences, comme le montrent
les nombres inscrits à la colonne 5 du tableau XIV (p. 769),
et à la colonne 9 du tableau XV (p. 791), la température des
animaux en expérience s’est abaissée notablement, avant et
pendant les convulsions dues à l’oxygène.
Dès le début de l’empoisonnement, quand commençaient
seulement à apparaître les phénomènes convulsifs, la tempé-
rature a baissé (expériences CCLXI, CCLXII, CCLXV1I). Pen-
dant les convulsions, elle diminue encore, et quand celles-ci
doivent se terminer par la mort, elle atteint des chiffres très-
bas (expériences CCXCIII, CCIXXXI, CCLXXV1II, CGXGVI1),
surtout chez les oiseaux, où elle descend au-dessous de 50,
AIR COMPRIMÉ : OXYGÈNE SOUS FORTE TENSION. 803
et quelquefois même (expérience CXXXVII, p. 602) au-des-
sous de 20 degrés.
Si, au contraire, l’animal doit survivre, sa température
remonte et revient en quelques heures à sa valeur normale
(expériences CCLX, CCLXII, CCLXYII, CGLXXXIX, CGXCIII).
G’estdonc un fait bien solidement établi, que l’excès d’oxy-
génation de l’organisme a pour conséquence une diminution
d’intensité dans les actes chimiques qui produisent la chaleur
animale.
Si l’abaissement de la température du corps nous a donné
de ce fait étrange une démonstration certaine bien qu’indi-
recte, nous devons en trouver la preuve directe en examinant
soit l’absorption de l’oxygène, soit les deux excrétions impor-
tantes de l’urée et de l’acide carbonique.
Échange pulmonaire. — Parlons d’abord de la consomma-
tion d’oxygène et de la production d’acide carbonique, qui
se mesurent par une même expérience.
Les expériences rapportées au chapitre Ier sur les oiseaux
morts dans l’air confiné et comprimé montrent bien que ces
deux phénomènes ont diminué d’intensité pendant la com-
pression. Mais il n’est possible d’en rien conclure, parce que
l’acide carbonique qui s’emmagasine dans les tissus de l’ani-
mal vient ajouter son action à celle de l’oxygène, et nous
verrons dans le chapitre VIII que l’acide carbonique, lui
aussi, diminue les oxydations.
Quant aux expériences exposées dans le présent chapitre,
elles ne peuvent non plus rien fournir pour ce qui se passe
pendant la compression même.
J’ai donc dû instituer des expériences spéciales; malheu-
reusement, le problème présentait des difficultés plus graves
qu’on ne pouvait le supposer au premier abord.
En agissant sur des animaux maintenus en vases clos ,
comme l’idée devait en venir de suite, il fallait, pour la rai-
son qui vient d’être indiquée, éliminer l’acide carbonique et
s’en tenir à la mesure de l’oxygène consommé. Or, sous l’in-
fluence de la pression, il doit se dissoudre, dans le corps
même de l’animal, une certaine quantité d’oxygène qu’il est
804
EXPÉRIENCES.
impossible d’estimer et de défalquer du chiffre total de l’oxy-
gène disparu.
Ce n’est pas tout. Dans les nombreuses expériences que j’ai
tentées par cette méthode, j’avais soin d’agir toujours com-
parativement, de mettre simultanément deux animaux iden-
tiques, l’un sous une cloche de capacité connue à la pression
normale, l’autre dans un récipient à compression à une pres-
sion déterminée, en présence d’une solution de potasse qui
absorbait l’acide carbonique au fur et à mesure de sa forma-
tion. Un certain temps écoulé, je faisais l’analyse des deux
airs, et je pouvais aisément déduire la quantité d’oxygène
absorbé par chacun des deux animaux pendant une certaine
unité de temps. Malheureusement, les analyses centésimales
faites nécessairement sur un petit volume prélevé sur la masse
tolale de l’air en expérience, doivent être multipliées par
cette masse, alin d’obtenir la consommation totale, et les
causes d’erreur d’ordre chimique ou physiologique prennent
alors une valeur telle qu’elles dépassent les différences con-
statées entre les deux analyses.
11 a donc fallu renoncer complètement à ce mode d’expéri-
mentation. J’en ai employé deux autres, qui ne prêtent pas à
la même critique.
Le premier est un peu indirect. Il consiste à comparer la
quantité d’acide carbonique rendu par le même animal placé
successivement, en vase clos, dans l’air ordinaire ou dans un
air suroxygéné, à un même degré de compression. L’action
spéciale de l’acide carbonique se trouve ainsi éliminée, parce
qu’elle est sensiblement la même dans les deux cas. Voici
les détails d’une expérience ainsi conduite :
Expérience CCCIV. — Rat albinos. Température rectale, 58°.
10 mai. Placé de 4h 5m à 6h 55,u (2h 50m) dans le grand récipient fait
d’une bouteille à mercure (contenant 5 litres), sous la pression de 5 1/4 at-
mosphères d’air. Quand on le retire, sa température s’est abaissée à 30°;
il est assez malade, respire lentement et largement, mais se remet assez
vite.
L’air du flacon contient 12,5 pour 100 d’oxygène, et 6,6 pour 100 d’acide
carbonique.
12 mai. — L’animal est parfaitement remis; on recommence la même
AIR COMPRIMÉ : OXYGÈNE SOUS FORTE TENSION.
§05
expérience, comme pression et comme durée ; mais on emploie cette
fois de l’air contenant environ 60 pour 100 d’oxygène. La tension de
ce gaz correspond ainsi à celle de l’air comprimé de 9 à 10 atmos-
phères.
A la décompression, on trouve l’animal au plus bas, insensible au pin-
cement, mais sensible à la cornée. Sa température rectale n’est plus que
de 23°, 8. Il ne fait aucun mouvement et meurt au bout d’une demi-heure;
pas de gaz dans les vaisseaux.
L’air où il était contenait seulement 5,3 pour 100 d’acide carbonique.
Expérience CCCV. — 1er juillet. — A. Deux moineaux pesant ensemble
38^, sont placés à la pression de 5 atmosphères d’air pendant 32m, dans
le récipient à eau de Seltz.
Retirés par décompression brusque, sont très-bien portants, avec de
faibles suffusions sanguines au crâne.
Us ont, pendant ce temps, consommé 3,9 pour 100 d’oxygène, et pro-
duit 2,8 pour 100 d’acide carbonique.
B. Deux autres moineaux, pesant ensemble 39sr, sont placés ensuite
dans le même appareil, à la même pression, mais dans de l’air contenant
72,6 pour 100 d’oxygène; la tension 5 X 72,6 — 363,0, correspond en-
viron à celle de 18 atmosphères d’air. Ils restent dans l’appareil pendant
27 minutes.'
Au bout de 5 minutes sont apparues les convulsions chez les deux oi-
seaux ; elles durent avec intensité pendant 15 minutes. Puis les moineaux
restent couchés sur le dos, avec respiration très-haletante.
L’un d’eux meurt au bout d’une heure ; 'l’autre , après avoir paru se
remettre, mais conservant d’incessants frémissements musculaires, est
repris de convulsions après une heure et demie, et meurt en une demi-
heure.
Tous deux entrent de suite en rigidité cadavérique : médiocres suffu-
sions sanguines.
Ils ont, en 27 minutes, consommé 2,05 pour 100 d’oxygène, dont 1,07
dans les 17 premières, et seulement 0,35 dans les 10 dernières; ils ont
produit, dans les 17 premières minutes, 1,07 pour 100 d’acide carboni-
que, et 0,28 dans le reste du temps, soit en tout 1,35.
On tire de ces chiffres que, en 10 minutes, à 3 atmosphères d’air, il a
été consommé 1,2 pour 100 d’oxvgène et formé 0,8 d’acide carbonique,
tandis qu’à une tension correspondante à 18 atmosphères d’air, la con-
sommation n’a plus été que de 0,7 et la production de 0,5.
Ces expériences montrent bien nettement que l’absorption
d’oxygène et la production de l’acide carbonique diminuent
quand augmente la tension de l’oxygène ; la différence va en
s’accentuant au fur et à mesure que dure l’expérience.
L’expérience CCGY1 fait voir que, dès 9 ou 10 atmosphères
806
EXPÉRIENCES.
d’air, cet effet se produit nettement, et que, à cette pres-
sion faible, la mort peut survenir à la suite d’une exposition
suffisamment prolongée.
La seconde méthode expérimentale que j’ai employée a
consisté à recueillir et à doser tout l’acide carbonique produit
par un animal pendant un certain temps, sous diverses pres-
sions, mais dans un courant d’air toujours pur :
Expérience CCCVI. — Rat pesant 160 grammes.
28 juillet. — Placé pendant une demi-heure dans le gazogène à eau de
Seltz, à la pression normale, sous courant d’air donnant 2 litres à la mi-
nute. L’appareil est immergé dans de l’eau à 20°. L’air qui sort est
recueilli dans un sac, et ensuite mis en rapport avec le barboteur à po-
tasse de la figure 75, qui en absorbe tout l’acide carbonique; celui-ci est
ensuite extrait d’un coup dans la pompe à mercure.
La température de l’animal a baissé de 58° à 57°, 5.
Il a produit 247cc d’acide carbonique.
2 août. — Même animal, mêmes dispositions générales.
Maintenu sous courant d’air, mais cette fois à la pression de 9 atmos-
phères, pendant le même temps.
Au sortir de l’appareil, n’a que 54°,6 au lieu de 58°, 1.
A produit 17GCC d’acide carbonique.
Dans deux des expériences (GCXCIII et CCXCIY) faites sur
les chiens, qui ont été rapportées au précédent sous-chapi-
tre, j’ai mesuré la consommation de l’oxygène, et en même
temps la production de l’acide carbonique, non plus pendant
la compression, mais pendant les moments qui suivent la
décompression, et même en pleine crise convulsive.
Cette mesure n’avait d’intérêt qu’au point de vue compa-
ratif. Aussi le procédé que j’ai employé, qui n’a pas de pré-
tention à la rigueur absolue, me permet-il de comparer ce
qu’était capable d’absorber et de produire un chien avant
d’être soumis à l’air comprimé avec ce qu’il consomme et
produit au sortir du cylindre.
Les animaux en expérience avaient un tube dans la tra-
chée. Je mettais ce tube en communication avec un sac rempli
d’un volume connu d’air et laissais l’animal respirer dans le
sac pendant un certain temps. L’opération étant répétée quel-
ques minutes après la décompression , deux analyses chimi-
807
AIR COMPRIMÉ : OXYGÈNE SOUS FORTE TENSION.
ques permettaient de déterminer la quantité des gaz absorbés
et rejetés dans l’un et l’autre cas.
Or, l’expérience GGXGIII montre que, tandis qu’avant la
compression le chien avait, en un quart d’heure, consommé
4!,89 d’oxygène et produit 2\99 9e CO2, il n’en a plus, dans
le même temps, après qu’il a été retiré de l’appareil, con-
sommé que 2*,02 et formé que 1\12. Semblablement, dans
l’expérience CCXCIY, la consommation de l’oxygène est tom-
bée de 5\95 à 2\15, et la production d’acide carbonique de
2\41 à T,99.
La diminution dans la production de l’acide carbonique
par le fait de la suroxygénation de l’organisme se marque
encore par l’étude des nombres inscrits dans la colonne 8
du tableau XY. Si l’on examine les expériences CCLXXX,
CCLXXXI, CCLXXXY, CCLXXXVI, CCLXXXYIÏ, CCLXXXIX, CCXC,
CCXCIII, on voit que, quelques minutes après la décompres-
sion, on ne trouve plus dans le sang que des proportions
minimes d’acide carbonique. Chose d’autant plus remarqua-
ble que, dans les conditions où se faisaient les expériences,
l’acide carbonique s’était, pendant la compression, emmaga-
siné dans le sang en quantité considérable. Or, une fois de
retour à l’air, cet acide a diminué jusqu’à s’abaisser bien
au-dessous de la proportion normale; c’est ainsi que, dans
l’expérience CCLXXXIX, il est tombé à 10,5 volumes pour
100 volumes de sang, sa proportion régulière, antérieure à
la compression, étant 44,5; c’est ainsi que, dans l’expé-
rience CCLXXXY1, la proportion avant la compression étant
45,0, elle est devenue pendant la compression 69,4 , pour
s’abaisser 20 minutes après à 9,9 ; dans l’expér. CCLXXXY,
les mêmes chiffres ont été 40,8, puis 92,5, et enfin 14,8.
Il est donc bien évident que, par suite de la suroxygénation
exagérée de l’organisme, l’acide carbonique a cessé de se
produire dans les tissus, de se déverser dans le sang, ou
du moins que ces phénomènes se sont considérablement
ralentis. Ceci aurait été manifeste pendant la compression
môme, s’il m’eût été possible de faire vivre les animaux dans
un courant d’oxygène comprimé, de manière à éviter un
808
EXPERIENCES.
emmagasinement de l’acide carbonique dû au confinement.
Du reste, les expériences rapportées au chapitre II, où il s’a-
gissait de pressions assez faibles, mais faites avec de l’air à
peu près pur, montraient, comme nous l’avons fait remar-
quer, une diminution de l’acide carbonique du sang (voir le
tableau XII, p. 601).
Il résulte de ces faits que l’agitation respiratoire intra-pul-
monaire serait capable d’enlever au sang des proportions
d’acide carbonique bien plus considérables qu’on ne l’aurait
pensé, d’épuiser presque, en un mot, les bicarbonates et les
phospho-carbonatës, si l’organisme ne fournissait incessam-
ment au sang veineux une source constante de ce gaz. Nous
reviendrons dans un autre chapitre sur ces faits, mais il
serait curieux de voir, par une expérience simple, dans
laquelle un même sang serait forcé, par le jeu d’une pompe,
de traverser incessamment les poumons, où l’on entretien-
drait une respiration artificielle, jusqu’à quel point ce sang
pourrait s’appauvrir en l’acide carbonique.
Disons, avant de quitter ce sujet, que l’acide carbonique
ne reparaît qu’assez lentement en proportion normale dans
le sang artériel, lorsque l’animal suroxygéné revient à lui-
même et survit. Ainsi, dans l’expérience CCLXXXIX, au bout
de lM5m, la proportion de l’acide carbonique n’était encore
que de 19,0 ; dans l’expérience CCXCIIÏ, après 2h40m, elle ne
s’était relevée qu’à 26,5 ; mais dans l’expérience CCLXXXI,
au bout de 67 minutes, elle était revenue à son chiffre pri-
mitif, 31,5. Remarquons enfin que cette tendance au retour
vers la proportion normale n’indique pas toujours que l’ani-
mal survivra : c’est ce que montre l’expérience CCLXXX.
Excrétmi de Vurêe. — J’arrive maintenant à l’urée. Les
expériences ont été conduites comme celles dont il s’est agi
à propos de la diminution de pression. L’animal, soumis à
un régime déterminé depuis plusieurs jours, était pendant
quelques heures maintenu dans l’air comprimé, avec un
courant d’air convenable. L’urine rendue spontanément ou
recueillie à la sonde dans les 24 heures précédentes était
comparée à celle rendue dans les 24 heures où avait eu lieu
AIR COMPRIMÉ : OXYGÈNE SOUS FORTE TENSION. 809
la compression. Au surplus, le récit des expériences donnera
les détails nécessaires :
Expérience CCGVII. — Chien pesant 12\ mange chaque jour, à 7h du
matin, une soupe composée de 250sr de pain, 250sr de viande, et 500§r
d’eau.
25 juillet, à 8h du matin, sondé l’animal, qui est ensuite placé dans une
cage où les urines peuvent être recueillies : il n en rend pas, et le 2G, à
8\ un nouveau sondage amène 280cc d’urine. Cette urine, analysée par le
procédé Yvon, donne 4500cc d’azote, c’est-à-dire 12sr,l d’urée.
26 juillet, de 9h à 3\ estsoumis à 8 atmosphères dépréssion, sous cou-
rant d’air. Décomprimé de 3h à 5h, sort bien portant. Sa température
rectale est 35°, 5.
27 juillet, à 8h du matin (température rectale, 35°, 7), on le sonde et
l’on réunit l’urine ainsi obtenue à celle qu’il a rendue spontanément. On a
ainsi 350cc d’urine, qui ne fournissent que 1598cc d’azote correspondant
à 3sr,7 d’urée. 11 faut dire que l’animal n’a voulu manger que la moitié
de sa ration.
%% juillet, à 8h du matin, sondé à nouveau; on a 520cc d’urine donnant
3838cc d’azote, soit 10sr,3 d’urée. Pendant cette journée , l’animal avait
absolument refusé de manger.
Expérience CCCVIII. — Chien pesant 16k; depuis le 31 juillet, mange
chaque jour 250»r de pain, 250§r de viande.
3 août , à 8h, 30m, sondé.
4 août , à 8h,30m, sondé et réuni celte urine (100cc) à celle qui a été
rendue dans les 24h (475cc). On trouve ainsi, par le procédé Yvon, 8062e*
d’azote, soit 21sr,6 d’urée. Température rectale 35°, 8. A 9h du matin est
placé dans l’appareil, où la pression monte à 8 atmosphères; on com-
mence à décomprimer à 4h 50m, toujours sous courant d’air; l’animal sort
de l’appareil à 6h 20ni; il est bien portant; sa température est de 35°, 5.
5 août , à 8h 1/2 du matin, la sonde a retiré 245cc d’urine : il n’y a rien
dans l’appareil. On obtient seulement 6329cc d’azote, correspondant à
1 6sr,9 d’urée.
Ces exemples suffisent pour montrer que les phénomènes
chimiques desquels dépendent la formation de l’urée et celle
des produits analogues sont entravés de la même façon que
ceux qui déterminent la production de l’acide carbonique.
Sucre du sang; glycosurie. — La recherche du sucre dans le
sang et dans l’urine nous montre encore une transformation
chimique, la destruction de ce sucre, entravée par l’action
de l’oxygène sans tension. Dans l’expérience CCLXXXY1, le
810
EXPÉRIENCES.
chien, qui a survécu après des convulsions d’une violence
extrême, a rendu, après la décompression, des urines forte-
ment sucrées ; dans l’expérience GCLXXXI, qui s’est terminée
par une mort rapide, les quelques gouttes d’urine que conte-
nait la vessie étaient extrêmement chargées de sucre. Cette
glvcosurie, cependant, n’est pas constante (expér. CCXC).
Les expériences CCLXXXV, CGLXXXVI, CCLXXX1X, CCXC,
CCXC1I, CCXCIII, CCXCIY, c’est-à-dire toutes celles où la re-
cherche du sucre dans le sang a été faite, ont montré d’abord
que, dans le sang artériel d’un chien qui a été soumis à la
compression, il y a toujours beaucoup de glycose. Mais,
comme on trouve toujours de la glycose dans le sang arté-
riel, lorsqu’on le traite suivant la méthode de M. Cl. Ber-
nard par l’ébullition en présence du sulfate de soude, il a
fallu faire entre le sang avant l’expérience et le sang après
la compression des expériences comparatives CCLXXXIX,
CCXC, CCXCIÏ, CCXCIII, CCXCIY, qui montrent d’une manière
très-nette que le dernier contient plus de sucre que le pre-
mier. L’expérience CCXCIII prouve, en outre, que cet excès
de sucre disparaît au bout de quelque temps.
Ainsi, le sucre qui sort du foie est beaucoup moins rapi-
dement détruit dans l’organisme sous l’influence de l’oxygène
comprimé qu’à la pression normale, si bien qu’il s’emmaga-
sine dans le sang, jusqu’à produire la glycosurie.
Quant à la production de la glycose hépatique elle-même,
elle est entravée par Faction suffisamment prolongée de l’oxy-
gène en tension, comme le prouvent les expériences sui-
vantes :
Expérience GCC1X. — 7 mars. — Rat albinos.
Température rectale, 59°, 6.
Maintenu pendant 5 heures dans l’air comprimé à 12 atmosphères, au-
dessus d’une solution de potasse qui absorbe l’acide carbonique au furet
à mesure de sa formation.
Retiré brusquement, sa température rectale n’est que de 55°, 5 ; il meurt
rapidement avec de l’air dans le cœur.
Son foie ne contient pas de sucre ; beaucoup de matière glycogène.
Expérience CCCX. — 15 mars. — Rat albinos; température rectale, 59°, 9.
A 12 atmosphères d’air pendant oh, en présence de potasse.
AIR COMPRIMÉ : OXYGÈNE SOUS FORTE TENSION. 811
Retiré : 0 = 37°, 2; meurt comme celui de F expérience précédente.
Pas de sucre dans le foie.
En résumé : consommation d’oxygène, production d’acide
carbonique et d’urée, destruction de la glycose dans le sang,
tous les phénomènes chimiques dont la mesure est facile à
faire, se montrent considérablement ralentis par l’action de
l’oxygène sous forte tension. Et comme ce sont ces phéno-
mènes qui déterminent la production de la chaleur, il n’est
pas étonnant de voir que la température des animaux s’a-
baisse considérablement. Il n’est pas étonnant, non plus, de
voir que la mort soit la conséquence d’une pareille dépression
dans l’intensité des actes physico-chimiques delà nutrition.
Mais l’excitation violente, les convulsions constantes qui
accompagnent cette mort, n’en restent pas moins inexpli-
cables, par le fait seul de cette dépression ; moins explicable
encore est la persistance des accidents après le rétablisse-
ment de la pression normale. Nous avons, en effet, dans l’é-
tude de la diminution de pression, constaté une diminution
des actes chimiques, analogue à celle que nous a révélée l’aug-
mentation de pression, et cependant l’agitation convulsive
qui précède la mort par dépression rapide n’est en rien com-
parable aux violentes convulsions dues à l’oxygène, et, de
plus, le retour à l’air libre marque irrévocablement la fin
de tous ces accidents.
Ceci montre donc que, pendant la compression, les actes
chimiques réguliers de la nutrition ont été non-seulement
ralentis, mais modifiés; il est supposable que le résultat de
cette déviation a été la formation de quelque substance ca-
pable de jouer un rôle toxique, substance qui , persistant
après la décompression, continuerait à entretenir les acci-
dents et pourrait déterminer la mort, substance dont l’éli-
mination ou la destruction seraient nécessaires pour le retour
à l’état de santé.
Le chapitre spécialement consacré à l’étude des fermenta-
tions nous corroborera dans ce sentiment, et nous permettra
meme de l’exprimer avec plus de précision et de clarté.
812
EXPÉRIENCES.
g 3. — Animaux aquatiques ou invertébrés.
Les expériences dont il a été rendu compte jusqu’ici n’ont
été faites qu’avec des animaux vertébrés aériens : mammi-
fères, oiseaux, grenouilles. Il était intéressant d’étudier l’ac-
tion de l’oxygène à très-haute tension sur les animaux inver-
tébrés aériens et sur les animaux aquatiques :
Expérience CCCXI. — 25 avril. — Chrysomèles, mouches, chenilles;
scolopendres; cloportes; disposés en deux groupes semblables.
A — Placés dans flacon bouché; air ordinaire, pression normale.
B — Dans appareil à compression, et poussés à 6 atmosphères suroxy-
génées; la pression tombe à 2 atmosphères.
26 avril. — Tout est vivant, saufles mouches de B.
Expérience CCCXII. — 12 mai.
Lézard; carabes dorés; abeille xylocope, chargée d’acarus ; bourdon,
punaises rouges; mouches; araignées; cloportes; scolopendres.
A 5h du soir, portés à 6 atmosphères suroxygénées.
15 mai : 10h du matin, décomprimé.
Le bourdon, les mouches, les cloportes sont morts, ainsi que plusieurs
punaises rouges : les autres remuent encore un peu les pattes, ainsi que le
xylocope.
Le lézard a des convulsions spontanées et excitables ; il meurt quelques
heures après.
Les carabes, les araignées, les acarus, les scolopendres vont bien et sur-
vivent.
Expérience GGCXII1. — 14 mai.
Carabe doré, abeilles, fourmis, punaises rouges, punaises de bois,
mouches; cloportes; araignées; escargots; vers de terre.
A 5h du soir, placés dans l’appareil cylindrique en verre, avec des bran-
chages, de la terre, etc., pour leur permettre de s’isoler les uns des au-
tres. Poussés à 5 atmosphères suroxygénées.
15 mai, 2h. — Tout mort, sauf les araignées, les vers de terre, qui sont
tordus, étranglés, et les escargots.
Tout meurt à l’air libre.
Expérience CCCXIV. — 16 mai.
Un capricorne, 1 libellule, 1 papillon bleu, plusieurs abeilles, bour-
dons, fourmis, punaises rouges, mouches, syrphes ; scolopendres, géo-
philes; cloportes; araignées.
A llh du matin, mis à 5 atmosphères suroxvgénées; à lh poussés à 6;
à 2h à 11 atmosphères.
AIR COMPRIMÉ : OXYGÈNE SOUS FORTE TENSION. 815
Presque aussitôt tout tombe au fond, immobile, sauf les fourmis et les
scolopendres, qui montent et descendent.
Les mouches meurent en une demi-heure au plus.
4h : Rien ne remue plus. On décomprime.
Les abeilles, les mouches, les syrphes, le papillon, sont morts.
Le capricorne, la libellule, les bourdons, les punaises, les fourmis, les
cloportes, remuent encore un peu.
Les myriapodes et les araignées vont bien.
Le lendemain, tout est mort, sauf les myriapodes.
Expérience CCGXY. — 23 juin.
Cocons de vers à soie, envoyés par M. Raulin, d’Àlais, tous du même
jour.
A, 12 sont placés dans une cloche ouverte.
B, 6 dans Fappareil cylindrique en verre, à 5 atmosphères suroxygénées.
On change Pair tous les deux jours.
8 juillet : A : tout est éclos ;
B : ne remuent pas;
C : tout meurt; la peau des chrysalides n’est pas séparable; elles ont été
évidemment tuées de très-bonne heure.
*
Ainsi , l’influence redoutable de l’oxygène comprimé se
fait sentir aux animaux invertébrés comme à ceux qui appar-
tiennent à l’embranchement supérieur.
Les animaux qui, les premiers, dans des expériences si-
multanées, ont éprouvé les effets funestes de l’oxygène, ont
été les mouches; après elles, les abeilles, les papillons; puis
les libellules, les punaises; notablement plus loin les four-
mis et les coléoptères (longicornes, carabiques). Les clo-
portes, et surtout les arachnides (araignées, acariens) et les
myriapodes (scolopendres, géophiles), résistent bien davan-
tage. Puis viennent les vers de terre et les limaçons, au
moins pour la durée de la vie, sinon pour la dose mortelle.
Le grand intérêt de cet ordre de recherches est de montrer
qué la mort par l’excès d’oxygène ne tient pas à un méca-
nisme particulier aux animaux à globules rouges, mais est un
fait général. Il y a là une modification profonde dans la nu-
trition des tissus. Il est bon de noter que jamais ces animaux
n’ont paru excités; au contraire, ils deviennent rapidement
immobiles et fixés dans quelque coin de l’appareil, et meu-
rent sans présenter aucune convulsion.
814
EXPÉRIENCES.
Comme type d’étude des animaux aquatiques, j’ai mis sur-
tout en expérience les jeunes anguilles, dites de la montée ,
dont on voit aisément battre le cœur :
Expérience CCCXVL — 1er avril. — Petites anguilles de la montée, trans-
par entes, température, 15°.
À : 5 sont mises dans une éprouvette bien bouchée ;
B : à 5h, 5 sont placées dans l’appareil cylindrique et poussées à 11 at-
mosphères d’un air à 50 pour 100 d’oxygène. Tension de l’oxygène 550,
correspondant à peu près à 26 atmosphères d’air.
Le soir, à 7U 1/2 ne présentent rien de particulier.
2 avril , lh. A : vont bien.
B : mortes, roides, non transparentes, non contractiles à l’électricité.
Expérience CCCXV1I. — 2 avril. — Anguilles semblables.
A : ce sont les mêmes que A de l’expérience précédente.
B : à 5h, 5 sont placées dans l’appareil à 5 1 /2 atmosphères d’air à
57,5 pour 100 d’oxygène. La tension est ainsi de 516, correspondant à
15 atmosphères d’air.
5 avril , 10h du matin : A, très-vives; au repos, ont 78 respirations et
40 pulsations à la minute.
B : remuent quand on agite l’appareil, mais non spontanément. Ont au
plus 20 pulsations; les respirations, au repos, ne se voient pas; après agi-
tations, j’arrive à en compter 22. De temps en temps, agitation vio-
lente.
6h du soir ; ont des convulsions et se tordent en 8.
4 avril , lh. B : toutes mortes, opaques.
*
Expérience CCCXVIII. — 4 avril. — Anguilles semblables.
A : ce sont celles des deux expériences précédentes.
B : 5 sont, à 4h, mises sous la pression de 1 0 atmosphères d’air.
5 avril , 9h du matin : A : très-vives, 66 respirations très-amples; 26 pul-
sations.
B ; au fond de l’appareil, remuent à peine; respirations invisibles;
20 pulsations.
7 avril. — ïd., toutes vivantes ; décompression rapide.
•
Expérience CCCX1X. — 8 juillet. — Anguilles non transparentes.
A 5h du soir, comprimées avec 10 atmosphères d’un air contenant
50 pour 100 d’oxygène; on agite l’appareil pour saturer bien l’eau où sont
les anguilles.
ÿ juillet, lh : toutes mortes, opaques.
Je renverse l’appareil, de manière à faire sortir non de l’air, mais de
l’eau, qui recueillie dans la seringue y mousse, et est portée dans la pompe
à mercure.
AIR COMPRIMÉ : OXYGÈNE SOUS FORTE TENSION. 815
Cette eau contient 14 vol. d’oxygène, pour 100 vol. de liquide, et autant
d’azote.
Des pressions beaucoup plus faibles sont même suffisantes
pour tuer les animaux aquatiques, lorsque leur action est
assez longtemps continuée :
Expérience CCCXX. — 20 mai. — Têtards de grenouille, éclos depuis
plusieurs jours et très-bien portants dans le laboratoire.
A — 5 dans petit flacon bouché, avec eau, à la pression normale.
B — 5 dans flacon avec eau, le tout dans l’appareil à compression en
verre, à 7 atmosphères d’air ;
22 mai : tout vivant ;
24 mai : tout vivant à A, tout mort à B, probablement depuis la veille.
Expérience CCCXXI. — 24 mai. — Même expérience, avec animaux sem-
blables ; 7 atmosphères d’air.
27 mai : tous les têtards de l’air comprimé sont morts.
Ainsi, les animaux aquatiques sont tués comme les ani-
maux aériens, lorsque l’oxygène est dissous en quantité suf-
fisante dans l’eau. La pression de 15 atmosphères les tue
assez rapidement et ils ne peuvent vivre à 7 atmosphères. La
transparence des anguilles a permis de constater un rallen-
tissement considérable des battements du cœur, en même
temps que les respirations s’affaiblissent jusqu’à devenir
presque invisibles.
Nous tirerons dans une autre partie de ce livre les consé-
quences de ces dernières expériences au point de vue de la
physique du globe. Il doit nous suffire ici de signaler la gé-
néralité de l’action funeste de l’oxygène comprimé, qui
s’exerce aussi bien sur les animaux à sang chaud que sur les
animaux à sang froid , sur les vertébrés que sur les inver-
tébrés, sur les animaux qui vivent dans l’eau que sur ceux
qui respirent l’air en nature, sur les animaux adultes que
sur ceux en voie de développement. Les chapitres Y et VI
nous permettront d’étendre cette formule aux végétaux, aux
ferments, en un mot, à tout ce qui vit.
816
EXPÉRIENCES.
SOUS-CHAPITRE II
ACTION DE L’AIR COMPRIMÉ A DE FAIBLES PRESSIONS (üE 1 A 5 ATM.)
L’intérêt de premier ordre qui s’attache à l’action toxique
de l’oxygène à haute tension m’a fait, ainsi que je l’ai dit en
commençant ce chapitre, débuter dans cette exposition comme
dans mes recherches par l’analyse détaillée des effets de ce
poison d’un nouveau genre. J’ai même, je l’avoue, pendant
longtemps négligé, je dirai presque dédaigné, cette étude des
actions de l’air faiblement comprimé sur laquelle les méde-
cins français et allemands se sont, comme nous l’avons vu
dans la première partie de ce livre, si longuement exercés. Je
ne pouvais cependant m’en désintéresser absolument. Mes
recherches lui donnaient même un intérêt nouveau, inconnu
des anciens expérimentateurs.
En effet, les expériences qui viennent d’être rapportées
ont démontré que l’empoisonnement par l’oxygène à haute
tension a pour premier effet d’enrayer les combustions intra-
organiques, de diminuer la quantité d’oxygène absorbée,
d’urée excrétée, et, par suite, d’abaisser la température du
corps chez les animaux à sang chaud. Or, il résulte des expé-
riences contenues dans le chapitre III, que les mêmes effets
physiologiques sont le résultat de la diminution de pres-
sion, ou, pour parler plus justement, d’une trop faible ten-
sion de l’oxygène respiré.
La question se posait donc tout naturellement de savoir où
se trouve entre ces deux extrêmes également redoutables le
point où les combustions organiques sont à leur maximum
d’intensité.
De plus, il a été prouvé par les mêmes expériences que le
séjour dans un air très-raréfié, d’une part, ou dans un air
très-comprimé, d’autre part, est funeste aux animaux, alors
même que les modifications de pression ne sont pas telles
qu’elles entraînent les accidents rapides de l’asphyxie ou de
AIR COMPRIMÉ : FAIBLES PRESSIONS.
817
l’empoisonnement par l’oxygène. Il était du plus haut intérêt
de rechercher quelle pression barométrique est la plus favo-
rable à la vie. Et il n’est rien moins que démontré que ce
point favorable coïncide avec le maximum de combustion que
nous essayerons en même temps de déterminer; cela est
même peu vraisemblable à priori.
C’est dans le but d’essayer de résoudre ces deux questions
qu’ont été entreprises les expériences exposées dans le pré-
sent sous-chapitre. Seulement, je dois rappeler encore une
fois ici que je me conduis en physiologiste expérimentateur et
non en hygiéniste ou en médecin. Pour l’étude de l’influence
à longue portée de l’air comprimé, j’ai employé exclusivement
des animaux inférieurs, parce qu’ils se prêtent bien plus
facilement à la réalisation d’expériences dans lesquelles un
séjour prolongé dans l’air à peu près confiné est indispensa-
ble, et parce qu’ils ne présentent pas les inégalités physiolo-
giques qui viennent compliquer si gravement les recherches
sur la nutrition des animaux supérieurs.
Tout semblait m’indiquer que les maxima que je cherchais
devaient se trouver compris entre la pression normale et celle
de cinq atmosphères. Le tracé A de la figure 22 (p. 608), qui
exprime la teneur en oxygène de l’air comprimé et confiné
où sont morts les animaux sans l’intervention de l’acide car-
bonique, était un indice important. C’est donc entre ces
limites que je portai mes investigations.
J’avais pour me les fixer une raison d’un autre ordre, et
qui a bien sa valeur. Il a été surabondamment prouvé par
les expériences sur la diminution comme sur l’augmentation
de pression que celle-ci n’agit que comme modificateur de
la tension de l’oxygène, si bien qu’un air riche en oxygène
et inférieur en pression à une atmosphère produit les mêmes
effets qu’un air pauvre en oxygène, mais suffisamment com-
primé. Dans le sous-chapitre précédent, j’ai, à maintes re-
prises, obtenu la tension de l’oxygène (0 xP) par la combi-
naison du facteur pression (P) avec le facteur richesse
centésimale en oxygène (0). Ainsi, l’air ordinaire, sous la
pression normale, a pour valeur, au point de vue qui nous
52
818
EXPERIENCES.
occupe, 20,9; à deux atmosphères, cette valeur devient
2x20,9=41,8; à cinq atmosphères, 5x20,9=104,5.
C’est-à-dire qu’on peut indifféremment (si l’on a soin d’enle-
ver l’acide carbonique produit, dont l’acide toxique pouvait
venir compliquer les phénomènes) employer de l’air ordinaire
à deux atmosphères de pression ou de l’air à 41,8 pour 100
d’oxygène, sous la pression normale ; et de l’air ordinaire à
cinq atmosphères, ou, sensiblement, de l’oxygène pur.
Cette observation présente un très-haut intérêt pratique,
puisqu’elle permet d’expérimenter à la pression normale,
c’est-à-dire dans des conditions matérielles faciles à réaliser
et qui ne nécessitent pas, comme les hautes pressions, l’em-
ploi de coûteux et fragiles appareils de verre.
Enfin, il m’a semblé que je ne pouvais pas absolument me
désintéresser de ces modifications dans la circulation, la res-
piration, qui ont occupé avant moi tant d’observateurs dont
les constatations, comme nous l’avons vu dans la partie his-
torique (p. 428-457), sont loin d’être toujours concordantes.
Je tenais particulièrement à mesurer la valeur de l’action
mécanique de l’air comprimé, agissant sur les réservoirs ga-
zeux de l’organisme, c’est-à-dire l’intestin et le poumon.
En conséquence, les expériences rapportées dans le présent
sous chapitre se diviseront tout naturellement en deux caté-
gories : dans les unes, ou l’air suroxygéné n’agira que pendant
une faible période de temps, quelques heures, un jour au
plus; dans les autres, son action sera continue, jusqu’à ce
qu’il soit constaté qu’elle a eu ou n’a pas eu d’effet.
§ 1er. — Séjour peu prolongé dans l’air comprimé.
A. — Expériences faîtes sur moi-même .
Je rapporterai d’abord des expériences faites sur moi-
même, dans le but d’examiner, d’une part, les phénomènes
respiratoires et circulatoires, et, d’autre part, l’action de l’air
comprimé sur l’excrétion de l’urée, c’est-à-dire sur l’un des
témoins des combustions intra-organiques.
Fig. 62. — Appareil (le M. Jouidanel pour l’emploi thérapeutique de l’air comprimé
ou de l’air dilaté.
820
EXPERIENCES.
M. le docteur Jourdanet a bien voulu me prêter, pour
cette partie de mes recherches, une chambre qu’il a fait
construire pour les applications thérapeutiques, et dans la-
quelle un dispositif ingénieux permet d’obtenir à volonté
l’augmentation ou la diminution de pression.
Gette chambre, dont la figure 62 donne l’aspect général,
mesure 2m,58 de hauteur sur lm,46 de diamètre, et cube
par suite environ trois mètres et demi d’air; elle est fermée
par deux portes, l’une intérieure, l’autre extérieure, rou-
lant sur des galets, guidées par des rainures, et que relient,
quand elles sont fermées, trois longues vis qui traversent
des trous percés dans leur épaisseur. Comme elles s’applk?
quent sur les parois du cylindre par des plaques de caout-
chouc, il en résulte que, pour l’air comprimé comme pour
l’air dilaté, il en est toujours une qui clôt hermétiquement.
Un tuyau de caoutchouc communique avec l’une ou l’autre
des pompes à dépression ou à compression; la communica-
tion avec l’air extérieur s’établit par des orifices qu’on ne
voit pas dans la figure, et que commandent des robinets inté-
rieurs, dont l’expérimentateur est le maître; un autre robi-
net permet à ses aides de le décomprimer si quelque accident
lui survient. A l’intérieur comme à l’extérieur, se trouvent
«
thermomètre et manomètre de précision.
Je puis, dans cet appareil, en allant à toute vitesse, mon-
ter en une heure à une atmosphère de pression, tout en
restant sous un courant d’air pur et suffisamment actif pour
empêcher la chambre de s’échauffer de plus de 2 ou 5°.
Le nombre des pulsations était compté pendant 5 minutes,
pour éviter des causes d’erreur à l’abri desquelles on ne se
met pas assez souvent. Celui des respirations, pendant 5 et
souvent 10 minutes. .
de plus commode et de plus précis qu’un compteur à gaz.
Celui que j’ai fait construire spécialement dans ce but, et
que représente la figure 65, porte plusieurs cadrans, grâce
auxquels on peut estimer le volume de l’air qui a traversé
l’appareil à 50cc près.
AIR COMPRIMÉ : FAIBLES PRESSIONS.
821
Quand il s’agissait de mesurer les expirations maxima, je
me tenais debout, les vêtements bien relâchés, et, après l’in-
spiration, je prenais dans la bouche, sans aucun ajutage, le
tube adducteur du compteur et soufflais avec une certaine
lenteur jusqu’à épuisement complet, le nez étant bien en-
tendu bouché avec la main gauche ; je faisais ainsi au moins
10 expirations, dont je prenais ensuite la moyenne.
La même disposition s’appliquait au cas où je voulais expi-
rer dans un sac de caoutchouc pour évaluer ensuite la quan-
tité d’acide carbonique produite dans un temps donné. Je
respirais alors pendant 10 minutes en général dans les sacs;
puis l’air de ceux-ci était amené à traverser pendant toute une
nuit les barboteurs à potasse dont je parlerai un peu plus
bas; il s’v dépouillait complètement de son acide carboni-
que; la solution de potasse était alors reprise et analysée
dans la pompe à mercure.
Mais pour la mesure des respirations régulières, l’insfru-
822
EXPERIENCES.
mentation était plus compliquée; il fallait avoir un appareil
qui fonctionnât sans qu’on y apporte la moindre attention,
caron sait avec quelle facilité se modifient, lorsqu’on veut les
examiner, les mouvements respiratoires. Le dispositif de la
ligure 64 donne, comme me l’ont montré bien des expé-
riences de critique, des résultats excellents.
Une embouchure de caoutchouc qui s’applique aux arca-
des dentaires et que maintiennent les lèvres sans gêne et sans
efforts, se relie par un large tube de caoutchouc et une pièce
de cuivre en Y avec deux tubes de verre qui contiennent cha-
Fig. Ci. — Appareil à double soupape pour l’étude de la respiration.
cun une soupape membraneuse, comme celles qu’emploient
MM. Denayrouze dans leurs appareils si connus; ces soupapes
sont excellentes, très-délicates, et tiennent fort bien, à la
condition d’être maintenues mouillées. Gomme elles sont
disposées en sens inverse, l’une permet seulement l’accès de
l’air inspiré, l’autre la sortie de l’air expiré, qu’un tube de
caoutchouc convenablement disposé conduit au compteur.
Il va sans dire que le nez reste pendant tout le temps fermé à
l’aide d’une sorte de pince qu’on s’habitue à supporter aisé-
ment.
Je respirais ainsi pendant 10 et quelquefois 20 minutes,
restant dans un calme parfait, lisant, et me bornant à re-
garder l’heure ou à compter mes respirations ; encore parfois
le faisait-on pour moi en m’examinant à travers un des hu-
blots de verre.
AIR COMPRIME : FAIBLES PRESSIONS.
823
Je réglais en outre avec le plus grand soin toutes les
autres conditions de ma vie; tous les jours j’allais au labora-
toire et j’v restais assis de 2 à 6 heures dans l’appareil ou
hors de l’appareil; je ne faisais pas d’autre exercice.
C’est avec toutes ces précautions qu’ont été exécutées les
expériences suivantes :
Expérience CCCXXII. — 6 novembre. Je commence à me mettre réguliè-
rement au régime suivant, que des tâtonnements préalables m’ont montré
être une ration d’entretien convenable. Mon poids est 73 kilog.; taille
lm,75.
A déjeuner i'12h15m) : Deux œufs moyens, 70&r de viande de mouton,
dégraissée, 140°r de pain, 800cc d’un mélange par moitié d’eau et de
vin.
A dîner (7h) : 120sr de viande de bœuf, dégraissée, 200sr purée de
pommes de terre, 6 cerises à l’eau-de-vie, pain et vin comme à déjeuner.
7 novembre. — Après avoir vidé la vessie à midi, je garde mon urine
jusqu’au 8, à midi A.
, J’en fais autant les jours suivants.
Je reste ce jour-là à la pression normale.
8 novembre. — Je me mets sous la cloche de 3h à 6h; mais j’entretiens
courant d’air à la pression normale.
Urine du 8 au 9 B.
9 novembre. — Assis à 2h 45in dans l’appareil ouvert; 78 pulsations;
8 respirations; l’expiration maximum vaut 3*,7 ;
A 5h 18m, commencé la pression.
A 5h 45m, pression 30e.
A 4h, pression 45e; pulsations 80 ; expiration maximum 41.
A 4h 12ra, pression 53e.
A 4h 42m, même pression; 72 pulsations.
A 5h 10,n, même pression; 8, 2 respirations ; l’expiration maximum est
de 41.
A 5h 32m, la pression a été maintenue au même niveau; je commence
à décomprimer; je sors de l’appareil à 6h 53m.
A la pression normale, l’expiration maximum donne 3l,7.
Urine du 9 au 10 G.
10 novembre. — Assis dans l’appareil à 2h 35m.
L’expiration maximum vaut 3g8 ; la respiration calme donne à la minute
7, 6 respirations, valant 6l,3, ou pour chaque expiration 0l, 83; pulsa-
tions 68.
Fermé les portes à 2h 55m.
A 3h 20m, 37e de compression ; expiration maximum 3*,8.
A 5h 38m, 56e; expiration maximum 41.
A3'1 501U, môme pression; 8, 1 respirations à la minute, valant 6l,7,
soit par chaque expiration O1, 82.
824
EXPERIENCES.
A 4h 25m, même pression; expirations calmes donnent 61, 2 à la. minute,
sans compter le nombre.
A 4h 50m, id.; 6‘5 à la minute.
A 5h, id.; 69 pulsations.
A 5h 10m, id.; expirations maximum 41.
A 5h 37m, id.; commencé la décompression.
A 5h 45m, 65 pulsations.
A 6h 15m, pression 15e; 60 pulsations.
A 6h 20m, pression 10e; expirations calmes donnent 6!,2à la minute.
Pression normale à 6h 501U.
Urine du 10 au 11 D.
11 novembre. — Fin de l’expérience à midi.
Les urines ont été analysées par le procédé Gréhant, mais l’analyse a
été perdue.
Expérience CCCXXIll. — 15 novembre. J’entre dans l’appareil avec un
assez fort rhume de cerveau, de la toux et des douleurs trachéales annon-
çant un rhume de poitrine à son début.
A 2h 40m, à la pression normale, mon expiration maximum donne 5',75.
A 2h 50m, j’ai 77,7 pulsations à la minute. »
De 2h 55,a à 5h 5m, expiré tranquillement dans un sac A.
Les expirations ordinaires donnent au compteur 6l,5 à la minute.
J’ai 9 respirations à la minute.
A 5h 10m, on commence la compression.
A 5h 55m, compression de 52e; les pulsations sont de 65 à la minute.
A 4h, compression 60e; expiration maximum 4’, 08.
A 4h 20m. compression 56e; à la minute 7,5 respirations.
A 4h 50m, id.; 62,5 pulsations.
Les expirations calmes donnent par minute 5!,86.
De 4h 45m à 4h 501U, expiré tranquillement dans un sac P>.
A 4h-52m, commencé la décompression.
A 5h, pression 40e; les expirations calmes donnent par minute 5595.
A 5h 15m, pression 52e; renchifrènement qui m’avalf quitté me reprend
ainsi que la pesanteur de tête; quelques minutes après (pression 20e),
reparaît la toux.
A 5h 55m, pression normale. J’ai par minute 65 pulsations ; la ven-
tilation pulmonaire donne 61 ,28 à la minute; l’expiration maxima est
de 558.
Le rhume de cerveau cesse dans la nuit et le rhume de poitrine dis-
paraît.
Le gaz A donne pour 10m 25645 de CO2, soit pour lh 1 51 ,858
— B — 25710 — 16L260
Expérience CCCXXIV. * — 17 décembre. Pression barométrique 74e; je re-
commence à me mettre au régime de l'expérience CCCXXI1.
Les urines sont recueillies à partir du 17 décembre à midi.
AIR COMPRIMÉ : FAIBLES PRESSIONS.
825
17 décembre. Resté à la pression 'normale.
Urine du 17 au 18, midi A.
18 décembre. A la pression normale, de 2h 30m à 3h, l’expiration maxi-
mum est de 31,76; la ventilation pulmonaire tranquille est par minute
6\54; j’ai 81 pulsations.
A 3h, commencé la compression.
A 3h 44m, compression 48e; l’expiration maximum donne 5!,96.
A4h 30m, même pression; 79 pulsations; ventilation pulmonaire 61,74
à la minute; 8,3 respirations moyennes à la minute.
A 5h 12m, compression 52e; on commence à décomprimer.
A 6h 15m, pression normale; 59 pulsations ; 8 respirations moyennes ;
expiration maximum 3^81.
A 7h 30m, 60 pulsations.
A 8h 15m, 83 pulsations.
Urine du 18 au 19, midi B.
19 décembre. Pression barométrique 74e.
A 9h 50m du matin, 64 pulsations, et 8 respirations à la minute ; à midi, id.
A 2h, encore pression normale, 68 pulsations.
A 2h 20m, commencé la compression.
A 3h 10m, compression 45e.
A 3h 35m, compression 54e.
A 3h 50in, compression 56e ; 82 pulsations; expiration maximum 3l,92.
A 4h, id.; commencé la décompression.
A 4h 45m, compression 37e.
A 5h 50m, pression normale ; 68 pulsations; expiration maximum 3', 80.
Urine du 19 au 20, à midi , . . G.
20 décembre, pression 74e.
A 4 h, pression normale; 85 pulsations ; *6,5 respirations.
A 4h 10m, commencé la compression.
A 5h 10m, compression 50e; 6,6 expirations calmes; je commence la
décompression.
A 5h 30m, compression 41e; 66 pulsations ; 6 respirations.
A 6h 15m, pression normale; 58 pulsations; 5,6 expirations calmes à la
minute.
Urine du 20 au 21, à midi D.
21 décembre , pression normale; même régime.
Urine du 21 au 22, à midi . E.
22 décembre, pression normale ; même régime.
Urine du 22 au 23, à midi F.
L’analyse des urines par l’hypobromite de soude donne :
A (pression normale) 1650cc contenant 20=r,15 durée.
B (air comprimé) 2010 — 24^,72 —
G — 1990 — 26sr,04 —
D (faible compression) 2255 — 21gr,18 —
E (pression normale) 2080 — 20^,80 —
F — 21^5 — 22^,50
*
EXPÉRIENCES.
826
Expérience CCGXXV. — 9 février. M. Regnard, un de mes préparateurs,
27 ans, pesant 75k,5, taille lm,83.
A lh 45m, pression normale; 70 pulsalions; 15,6 respirations; venti-
lation pulmonaire de 12l,28 à la minute. Capacité respiratoire maximum
4», 15.
A 2h, commencé la compression.
A 2h 45m, il est à 52e de compression, et y reste jusqu’à 4h. A ce mo-
ment, le pouls a 57, il y a 14,6 respirations; la ventilation pulmonaire
est de 151,22; l’expiration maximum donne 41,64.
A 4h20'u, commencé la décompression.
A 5h 50m, pression normale; pouls 56; respiration 16; ventilation pul-
monaire 1 51, 02 ; expiration maximum 4 1 , 6 0 .
Voyons maintenant, en résumé, et suivant chaque grande
fonction physiologique, ce que nous ont donné ces expé-
riences. Le tableau suivant facilitera notre examen :
TABLEAU XVI.
1
NUMÉROS
2 3 4 5
AVANT LA COMPRESSION
G 7 8 9
PENDANT LA COMPRESSION
10 11 12 13
APRÈS LA COMPRESSION ;
DES
EXPÉRIENCES
(/)
Z
O
H
<
eu
C/D
U
C5
VENTILATION |
PULMONAIRE l
J
EXPIRATION
MAXIMUM
PULSATIONS
RESPIRATIONS
1
VENTILATION
PULMONAIRE
EXPIRATION
MAXIMUM
PULSATIONS
1
RESPIRATIONS
VENTILATION
PULMONAIRE
EXPIRATION
MAXIMUM
PULSATIONS
CCCXXII
8
lit.
»
lit.
5,7
78
8,2
lit.
»
lit.
4,0
72
»
lit.
)>
lit
3,7
)>
CCCXXII
7,6
6,5
5,8
68
8,1
6,5
4,0
69
»
6,2
»
60
CCCXXIII
9
6,5
5,75
78
7,5
5,86
4,08
62
))
6,28
3,8
65
CCCXXIV
»
6,54
5,76
81
8,5
6,74
5,96
79
8
»
5,81
59
CCCXXIV
»
»
»
68
»
»
5,92
82
»
»
3,80
68
CCCXXIV
6,5
T)
D
85
6,6
»
»
»
5,6
»
»
58
Moyennes.
7,7
6,4
5,75
76
7,7
6,4
5,99
73
6,8
6,2
3,78
62
CCCXXV
15,6
12,28
4,15
70
14,6
15,22
4,64
57
16
13,2
4,60
56
Respiration. — Le nombre des respirations (col. 2 et 6),
qu’il est, comme on sait, toujours très-difficile de mesurer
exactement sur soi-même, a tantôt légèrement augmenté,
tantôt diminué; la moyenne se trouve être la même pour
l’air comprimé et pour la pression normale du début; je ne
compte pas la colonne 10 où il n’y a que deux chiffres in-
scrits.
827
AIR COMPRIMÉ : FAIBLES PRESSIONS
La valeur de la ventilation pulmonaire (col. 5 et 7), c’est-
à-dire la quantité d’air qui, pendant une minute, traverse le
poumon lorsque les respirations sont calmes, est également
restée la même. On peut en conclure que les variations sont
d’une manière générale très-faibles. Ce point que n’avaient
pas nettement déterminé les auteurs qui m'ont précédé (voyez
page 509) est d’une grande importance, comme nous le fe-
rons voir plus tard.
Enfin, mes expériences montrent, comme tous les observa-
teurs l’avaient déjà constaté, un agrandissement notable de
la capacité pulmonaire maximum (col. 4, 8, 12). En moyenne,
l’expiration la plus forte que je puisse faire est passée de 3‘,75
à 5*,99; c’est une augmentation de 240cc, soit 6,9 pour 100.
Chez M. Regnard elle a été de 450cc, soit 11 pour 100. Je
suis, lors de la décompression, revenu rapidement à l’état
normal.
Circulation. — Le nombre moyen des pulsations a considé-
rablement diminué pendant le séjour dans l’air comprimé;
de 76 au début, il est devenu 75 lors du maximum de la com-
pression et 62 à la sortie du cylindre.
Mais je dois dire que l’apparente netteté de ce résultat est
singulièrement atténuée par ce fait qu’à la pression normale
mon pouls interrogé aux mêmes heures, c’est-à-dire à la
même distance du déjeuner, et après un repos assis de plu-
sieurs heures, a donné des variations absolument du même
ordre.
Nutrition. — Mes expériences sont bien peu nombreuses;
mais elles ont été conduites avec les plus grandes précau-
tions physiologiques. L’analyse de l’air expiré tranquillement
pendant 10 minutes me donne (expérience CCCXXII) pour
une heure à la pression normale 15l,858 d’acide carboni-
que; au maximum de la compression (56e), elle a fourni
1 61 ,260, soit une augmentation de 01, 418, c’est-à-dire de
26 pour 100.
La production d’urée (expér. CCCXXI11) a donné un résul-
tat plus intéressant; sous l’influence de l’air comprimé, elle
a augmenté notablement (de 20gr,15 elle est passée à 24gr,72
828
EXPÉRIENCES.
puis à 2Ggr,04), pour retomber ensuite, sous la pression nor-
male à des valeurs voisines de son taux primitif (21gr,18 ;
20gr,80; 22gr,5Q). En sorte que, en moyenne, elle a été à la
pression normale de 2 1 gr , 9 pour monter à 25gr,5 dans l’air
comprimé de 5oc.
J’aurai occasion , dans la troisième partie de ce livre, de
rapprocher ces chiffres de ceux qui ont été obtenus par
M. G. Liebig et par M. Pravaz dans des travaux récents.
B. — Production d'urée : expériences sur des chiens.
J’ai cherché encore à mesurer les modifications apportées
dans la production d’urée en mettant des animaux, des
chiens, en expérience. Je les astreignais, bien entendu, à
un régime de nourriture régulière; l’urine était recueillie
par le sondage toutes les 24h et réunie à celle que l’animal
avait spontanément émise.
Yoici les résultats d’une de ces expériences, qu’aucun ac-
cident n’est venu entraver :
Expérience CCCXXYI. — 9 février. Chien pesant 10k,8, mis à un régime
de nourriture régulier, et habitué au séjour dans les cages et dans l’ap-
pareil à air comprimé de la fig. 53, p. 655.
Le 12 février à 6h du soir on le sonde.
15 février. Est resté à la pression normale; sondé à 6h du soir ; a rendu
en 24 heures 650cc d’urine.. .. f ......... A
14 février, üe 9h du matin à 5h,45m, maintenu sous courant d’air, à la
pression totale de 5 atmosphères. Sondé à 6h ; a rendu en tout 61 0CC d’u-
rine B
15 février. Même pression; urine des 24 heures, 1080cc ..... C
16 février. Pression normale; urine des 24 heures, 1550cc D
17 février. Pression normale ; urine des 24 heures, 1570cc .... E
Analyse des urines par la méthode Yvon :
A (pression normale) contenait gr, 7,9 d’urée.
B (5 atmosphères) — 10,4 —
C — — 9,0 —
D (pression normale) — 9,1 —
E — — 8,4 —
Il est. bien évident que le sondage étant fait immédia te^
AIR COMPRIMÉ : FAIBLES PRESSIONS.
829
ment après la décompression, l’urine D contenait une partie
des produits de désassimilation formés pendant le séjour
dans l’air comprimé; elle doit donc être portée au compte
des urines de la compression. On voit, après cette remarque,
que l’urée a augmenté par le séjour quotidien de 9 heures
dans l’air à 5 atmosphères ; en effet, elle s’est alors élevée
en moyenne à 9sr,5, tandis qu’à la pression normale elle
n’était en moyenne que de 8grl.
C. — Phénomènes chimiques de la respiration.
J’ai fait un certain nombre de tentatives pour essayer d’es-
timer la quantité d’acide carbonique formé par un animal
placé tantôt à la pression normale, tantôt à une pression
augmentée sans dépasser cinq atmosphères. Mais j’ai ren-
contré des difficultés expérimentales qui m’ont empêché
d’arriver à une conclusion.
Pour tourner ces obstacles, j’ai employé au lieu d’air com-
primé les atmosphères suroxygénées, et j’ai mis en usage
en le modifiant légèrement l’appareil monté dans mon labo-
ratoire par les deux préparateurs du cours, MM. Jolyet et Re-
gnard, appareil qui est à la fois une simplification et un per-
fectionnement de l’appareil Régnault et Reiset.
En voici la description succincte, que la figure 65 permettra
de suivre aisément.
L’animal en expérience est placé sous la cloche C, qui est
munie d’un thermomètre £, d’un manomètre m, et d’un petit
sac en caoutchouc v, destiné à combattre l’influence des mo-
difications extérieures de la pression barométrique; élément
dont il faut tenir compte dans des expériences qui peuvent
durer plusieurs jours.
L’air de cette cloche est incessamment purifié de l’acide
carbonique qu’y produi t la respiration de l’animal, par le jeu
des pipettes P et P' et du flacon laveur À. Flacons et pipettes
contiennent une solution très-concentrée de potasse, dont la
richesse en C0â a été antérieurement déterminée à l’aide de
la pompe à mercure et d’un acide ; ils sont mis en action par
830
EXPERIENCES
une petite machine à eau M, et un jeu de poulies et d’ex»
centriques qui se comprend à la seule inspection de la figure;
Fig. 6j. — Appareil permettant l’étude chimique de la respiration d’un animal, maintenu pendant un temps quelconque dans un air
de composition constante.
AIR COMPRIMÉ : FAIBLES PRESSIONS.
831
l’agitation du flacon A est si énergique qu’il paraît rempli de
mousse. L’air qui a traversé les solutions alcalines en sui-
vant la voie iP’ PpA// A, rentre dans la cloche absolument
dépouillé de son acide carbonique.
Mais l’animal consomme de l’oxygène, et il y a par suite
tendance à une diminution de pression dans l’appareil. Or,
de l’oxygène pur, obtenu par la décomposition de l’eau
par la pile, est contenu dans le flacon gradué O, et, grâce
à un appareil à niveau constant H, rempli d’une disso-
lution concentrée de chlorure de calcium, l’oxygène vient
buile à bulle remplacer celui qui a disparu par la respira-
tion.
Lorsque l’expérience est terminée, une simple lecture sur
la cloche graduée donne la quantité d’O consommé; pour
l’acide carbonique produit, on recueille les solutions potas-
sées, et l’on en fait l’analyse, en présence d’un acide, dans le
vide de la pompe à mercure.
Exiérience GGCXXVIE — Rat pesant. 360^r habitué depuis une dizaine
de jours à vivre dans la cloche sous courant d’air, avec sa nourriture et
sa boite :
iü Le 23 décembre , à 5h, l’expérience commence dans Pair ordi-
naire.
Au bout de24h, on l’arrête; on trouve que l’animal a consommé 12', 360
d’oxygène, et formé 71,510 d’acide carbonique.
La température du rat était avant l’expérience de 38°, 5; elle est après
de 38°.
2° Le 25 décembre , à 4h, on fait passer dans la cloche où est le rat et
dans l’appareil un courant d’oxygène. Puis le système étant clos, on fait
marcher pendant un quart d’heure les pipettes de manière à mêler Pair
des divers récipients. On en prend alors un échantillon qui donne
87,5 pour 100 d’oxygène.
Après 24h, arrêt de l’expérience; la consommation d’oxygène a été de
111, 352; la production de l’acide carbonique de 6’, 964.
Température du rat : avant, 38° ; après, 37°, 5.
3° Le 3 janvier, à 3h, refait l’expérience dans Pair ordinaire.
En 24h, la consommation d’oxygène a été 121,840: la production d’acide
carbonique 6',820.
4° Le 5 janvier , à 3h, expérience dans l’air à 48,7 pour 100 d’oxy-
gène.
En 24\ la consommation d’oxygène a été 1 5’ ,724; la production d’acide
carbonique 10l,320.
852
EXPÉRIENCES.
En résumé, si nous transformons les richesses centésimales
en oxygène dans leurs équivalences de pression barométrique,
nous dirons qu’il y a eu
A 1 atmosphère, 12l, 60 d'oxygène consommé, 7*06 de GO2 formé.
A 2,3 — 15*,72 — 10*, 32
A 4,2 — 111, 55 — G1, 96 —
L’activité des combustions organiques a donc été en aug-
mentant d’abord, pour diminuer ensuite après avoir passé
un certain maximum qui est probablement placé au-dessus
de 2 atmosphères.
Les animaux à sang froid m’ont donné un semblable résul-
tat. Mais pour eux il n’était pas nécessaire d’employer un
appareil aussi compliqué, vu la faiblesse de leur respira-
tion. Le dispositif instrumental était le même que celui des
expériences faites sur les tissus (chapitre VI), et que repré-
sente la figure 74; l’animal était placé dans le flacon, ex-
haussé sur un petit trépied qui l’empêchait de toucher à la
solution de potasse :
Expérience CCCXXVIII. — I l janvier. Trois grenouilles (A, B, G,), agiles
et bien portantes, sont placées chacune dans un de ces appareils. La tem-
pérature est 15°.
A pèse28sret est placée dans l’air ordinaire;
B pèse 20gr ; air à56,5pour 100 d’oxygène;
G pèse 20^r; air à 92,5 pour 100.
Les animaux sont laissés dans ces conditions jusqu’au 15 janvier.
On fait alors l’analyse des solutions de potasse, et les lectures des cloches
graduées. Il en résulte que
A a consommé 205cc d’oxygène et produit » de GO2,
B — 157cc — 7 1 cc, 8 —
G — 1 14cc — 62cc,8 —
Si l’on tient compte des poids différents de ces divers animaux, et si on
les rapporte tous à 20rr, on voit, remplaçant les teneurs de l’air en oxy-
gène par les valeurs correspondantes en pression barométrique, qu’il y
a eu i]
A 1 atm., 146cc d’oxygène consommé et » de CO2 produit.
2, 7 — 157cc — 7 1 cc , 8 —
4,4 — 114cc — 62cc,8 —
AIR COMPRIMÉ : FAIBLES PRESSIONS.
835
Cette expérience nous amène aux mêmes conclusions que
la précédente, relativement aux combustions intra-organi-
ques.
D. — Capacité pulmonaire.
Les expériences que j’ai rapportées quelques pages plus
haut ont corroboré cette affirmation des auteurs que l’inspi-
ration maximum est plus grande dans l’air comprimé qu’à la
pression normale.
Comme cette modification est assez considérable et qu’elle
est le résultat instantané de l’augmentation de la pression
ambiante, j’étais porté à croire qu’elle est due à une action
mécanique, agissant, bien entendu, sur la seule partie com-
pressible de notre individu, c’est-à-dire sur les gaz intesti-
naux. La simple diminution de volume de ces gaz devait,
dans ma pensée, avoir pour conséquence une augmentation
de la cavité thoracique, le diaphragme s’abaissant en même
temps que la paroi abdominale pour suivre le retrait des in-
testins.
Dans le but de m’en assurer et de mesurer l’ampliation
ainsi acquise, je disposai l’expérience suivante :
Un chien est tué par section du bulbe; on mesure aussitôt
après, par le procédé exact qu’a imaginé M. Gréhant1, sa ca-
pacité thoracique; puis on introduit dans sa trachée un tube
ayant la forme d’un Y, dont une des branches débouche au
dehors, tandis que l’autre communique avec un sac de caout-
chouc bien purgé d’air; deux soupapes disposées en sens in-
verse permettent à l’air extérieur d’arriver par la première
branche, tandis qu’il ne peut, une fois entré dans le poumon,
s’échapper que dans le sac par la seconde branche. Les choses
étant ainsi disposées, on porte le corps de l’animal dans un
appareil à compression. Ses poumons, en communication
avec l’a ir, peuvent subir les modifications de capacité dont
1 Recherches physiques sur la respiration de l’homme. Journal de l'anatomie
et de la physiologie de Robin; 1” année, p. 524; 18G4.
834
EXPERIENCES.
nous cherchons à constater l’existence. Puis on décomprime
brusquement : Pair du poumon, qui se trouve alors en excès,
sort et se loge dans le sac, où Ton peut en mesurer le vo-
lume, qui indiquera s'il y a eu, oui ou non, augmentation
dans la capacité thoracique.
Voici la formule bien simple qui sert à chercher et à cal-
culer cette augmentation.
Appelons C la capacité pulmonaire à la pression normale, P
la compression (nombre total des atmosphères) à laquelle a
été soumis l'animal, et Y le volume de Pair trouvé dans le sac
G i y
après la décompression. 11 est évident que la formule — -
représentera la capacité pulmonaire pendant la compression,
et la comparaison du nombre ainsi obtenu avec G montrera
la valeur de l'augmentation.
Ceci établi, je liais à ses deux extrémités, anale et œso-
phagienne, le tube intestinal, et j’en recueillais les gaz sous
Peau; il était intéressant de voir le rapport de leur volume
avec celui des variations thoraciques :
Expérience GCGXXIX. — 27 juin. Chien de 4k,250, qui vient de mourir
empoisonné par le curare.
On le porte, disposé comme il vient d’être dit ci-dessus, dans l’appa-
reil cylindrique, et on le pousse à 5 atmosphères ; après la décompression
on trouve dans le sac 260cc d’air.
Or, les poumons et la trachée de l’animal, extraits avec soin, et malaxés
sous l’eau, après avoir été coupés en petits fragments jusqu’à ce que ces
fragments aillent au fond de l’eau, ne laissent échapper que 1 J5CC d’air.
11 y a donc eu 15cc d’augmentation de volume.
Le tube digestif contenait 60cc de gaz, dont 45cc dans l’intestin grêle. A
3 atmosphères, le volume ne devait plus être que de 20cc. Donc, les 4GCC en
moins ont été remplis à peu près pour un tiers par le diaphragme et pour
deux tiers par la paroi abdominale.
Expérience CGCXXX. — 28 juin. Chien de 8k,7, tué par section de
bulbe.
La capacité pulmonaire est de 300cc.
Après avoir été à 3 atmosphères, on trou ve dans le sac 750cc.
Donc, d’après la formule ci-dessus indiquée, l'augmentation de la capa-
cité thoracique avait été de 5ÜCC.
On recommence et l’on va jusqu’à G atmosphères. A la décompression,
il y a dans le sac 200ÜCC; l’augmentation dans ce cas a donc été de 85cc.
AIR COMPRIMÉ : FAIBLES PRESSIONS.
855-
II y a dans le tube digestif 160cc, qui, à 5 atmosphères, ont dû se ré-
duire à 55cc (diminulion de volume : 107cc), et à 6 atmosphères ne plus
représenter que 27cc (diminution : 155cc.)
Expérience CCCXXXI. — 5 juillet. Chien pesant 8k,4, tué de la veille,
La capacité pulmonaire est de 569cc.
On le comprime à 100cc de mercure (pression totale). Le sac contient
alors 157cc.
Le volume réel se déduit de la proportion
100 : 76 = (569c + 157 = 526cc) : x. = 399cc ;
soit une augmentation de 50cc.
Expérience CCCXXX1I. — 13 juillet. Chien pesant 6k, 65.
La capacité pulmonaire est de 196cc.
On le porte à 5 atmosphères, puis on trouve dans le sac 512cc d’air.
La capacité pulmonaire était donc de 256cc ; soit une augmentation
de 40cc.
Expérience CCCXXX1II. — 26 juillet. Chien pesant 5k,5, tué par le
curare.
Capacité pulmonaire 252cc.
Porté à 5 atmosphères; le sac contient 627cc ; d’où capacité de 286cc,
c’est-à-dire augmentation de 54cc.
Porté à 6 atmosphères; le sac contient 1555cc; d’où capacité de 294cc,
c’est-à-dire augmentation de 62cc.
Ainsi, notre prévision s’est vérifiée ; la capacité pulmonaire
a augmenté dans l’air comprimé, par un simple effet physi-
que, en dehors de toute intervention active des muscles res-
piratoires. Mais cette augmentation n’a jamais représenté
qu’une fraction de la diminution de volume des gaz intesti-
naux. De plus, mes expériences montrent qu’elle ne grandit
pas proportionnellement à la pression, tant s’en faut : ainsi,
dans l’expérience CCGXXX, elle était à 5 atmosphères de
16 pour 100 de la capacité initiale, et à 6 atmosphères de
26 pour 100 seulement ; dans l’expérience CCCXXXIII, à 5 at-
mosphères, elle était de 25 pour 100, et à 6 atmosphères de
26 pour 100; bien plus, dans l’expérience CCCXXXI, avec un
tiers seulement d’atmosphère, elle a été de 8 pour 100. Cela
se comprend, du reste, le diaphragme devant rencontrer
dans sa descente sur l’abdomen plus d’obstacles que les pa-
rois du ventre.
836
EXPÉRIENCES.
E. — Pression intr a- pulmonaire.
On sait depuis longtemps que, au début de Einspiration,
l’air contenu dans la poitrine est un peu raréfié, et qu’il est
un peu comprimé au commencement de l’expiration, qu’en
d’autres termes, comme je l’ai dit ailleurs, « l’orifice glotti-
que ne suffit pas au débit de la pompe respiratoire ». Ces va-
riations dans la pression intra-pulmonaire , qui ont sur le
cours du sang une influence si considérable, sont-elles les
mêmes dans l’air comprimé que dans l’air normal? Nous
avons vu (page 268) que Pravaz n’avait pas hésité à les consi-
dérer comme augmentées; mais il ne fournit, non plus que
Vivenot et les autres médecins qui ont adopté son opinion,
aucune preuve expérimentale à l'appui de son dire.
Fi_p 66. — Appareil pour la constatation des variations de la tension aéiienne intra-pulmonaire.
Pour étudier cette difficile question, j’ai mis à profit une
méthode expérimentale que j’ai publiée il y a déjà longtemps1.
Un animal est placé sous une cloche tubulée bien rodée (fig.66)
dont le bouchon laisse passer un tube coudé qui, par l’inter-
médiaire d’un tubede caoutchouc, se rattache au polygraphe-
Marey. Les oscillations que présente alors l’aiguille, et qui cor-
respondent aux mouvements respiratoires, sont, comme je
1 Leçons sur la physiologie de la respiration , p. 584.
AIR COMPRIMÉ : FAIBLES PRESSIONS.
837
l’ai démontré, occasionnées par les changements de la pres-
sion intra-thoracique, et leur amplitude en donne une me-
sure relative.
Rien de plus simple que d’examiner alors les tracés qu’on
obtient soit à la pression normale, soit dans l’air comprimé.
Les seules précautionsà prendre sont de ventiler convenable-
ment la cloche avant de mettre le bouchon, de n’enregistrer
que lorsque l’animal est bien calme, et, pour l’air comprimé,
d’éviter les variations de pression pendant la durée de l’en-
registrement :
Expérience CCCXXXIV. — 12 février. Un chat est placé sous la cloche
A la pression normale, il donne le tracé de la figure 67.
Fig. 67. — Variations de la tension intra-thoracique. Pression normale.
On enlre avec lui dans le cylindre à compression, et en une heure en-
viron, on atteint 55e de compression (pression totale 128e). On obtient
alors le tracé de la fig. 68.
Fig. 68. — Variations de la tension intra-thoracique. Air comprimé..
L’examen de ces deux tracés montre : 1° que le nombre des
respirations a diminué (dans la proportion de 10 à 7) ; 2° que
l’amplitude des oscillations a également diminué, c’est-àr
dire que les variations de la pression aérienne intra-thora-
ciques ont été moindres dans l’air comprimé qu’à la pression
normale.
838
EXPÉRIENCES.
F. — Tension artérielle.
L’augmentation de la tension artérielle sous l’influence
de l’air comprimé a été admise sur la foi des tracés spbyg-
mographiques de Vivenot (p. 445-444) ; mais aucune expé-
rience directe n’avait été faite, ou plutôt réussie, dans le but
de constater, par le manomètre, le sens et la valeur de la
modification.
J’ai essayé de combler cette lacune par les expériences
suivantes :
Expérience CCCXXXV. — 17 février. Chien de moyenne taille, neuf, atta-
ché sur la gouttière.
Le kymographion de Ludwig, fixé dans une artère fémorale, donne le
tracé de la figure 69, dans lequel les nvinima sont à 5e, 5 au-dessus de la
Fig. 09. — Tension du sang dans la fémorale. F'ression normale.
ligne du zéro, ce qui indique une pression de 11e, et les maxima à 6e, 7,
d’où une pression de 13e, 4, soit pour la valeur de Y oscillation respiratoire
2e, 4, et pour la pression moyenne 12e, 2.
L’animal est ensuite placé dans l’appareil à compression, où l’on at-
Fig. 70. — Tension du sang dans la fémorale. Air comprimé.
teint en 45m la pression de 53e. On obtient alors, avec la meme artère, le
AIR COMPRIMÉ : FAIBLES PRESSIONS.
859
tracé de la figure 70 : pression minima 12e; maxima 15e, 6; moyenne
15e, 8; valeur de l'oscillation 5e, 6.
Le nombre des pulsations est descendu environ de 216 à 200, et celui
des respirations de 41 à 29 par minute.
Expérience CCCXXXVL — 25 février. Chien de forte taille, neuf, vigou-
Fig. 71. — Tension du sang dans l’artère carotide. Pression normale.
reux, sous la peau duquel on a injecté, pour calmer son [agitation inces-
sante, 10c= de chlorhydrate de morphine. Il dort tout le temps de l’expé-
rience.
Fig. 72. — Tension du sang dans l’artère carotide. Air comprimé.
A la pression normale, on obtient, par une artère carotide, le tracé de
la figure 71.
Fig. 73. — Tension du sang dans l’artère carotide. Pression normale.
Les portes fermées, et la pression portée en trois quarts d’heure à 55e,
on recueille le tracé de la figure 72.
840
EXPERIENCES.
Enfin, lors du retour à la pression normale, retour qui s’exécute en
5m, on a le tracé de la figure 75.
L’expérience se résume comme il suit :
Pression
Pression
Pression
Oscillations
Nombre
minima.
maxima.
moyenne.
respiratoires.
des respir,
Tracé A
5e, 2
7 e, 2
5e, 8
de 5 à 10mm
48
— B
8e, 8
•] 5e, 4
10e, 4
J 6 à 25mm
28
— G
8e, 0
1 1 ,0
0e, 8
5 à 14mm
40
Maintenant se pose la question de savoir quelle est la rai-
son de ces modifications dans les phénomènes circulatoires.
Faut-il les attribuer à faction du sang' suroxvgéné sur le
cœur, sur le système nerveux qui commande à cet organe et
aux mouvements de la respiration? Sont-elles, au contraire,
la conséquence de la diminution de volume des intestins,
réagissant sur le jeu des organes intra-thoraciques ?
On pourrait, sur ce point disserter longuement. Le plus
sûr est d’expérimenter. Or, si l’on prend les tracés cardiaques
d’un chien qui tantôt respire de l’air ordinaire, tantôt de
l’air chargé d’oxygène à 55 p. 100 environ, ce qui corres-
pond à peu près à la tension obtenue dans nos appareils à
compression, on trouve que, malgré un certain ralentisse-
ment des mouvements respiratoires, lorsque l’animal respire
l’air suroxygéné, la pression artérielle n’est point modifiée,
et que le jeu du thorax l’influence également dans les deux
cas.
Il devient donc évident, par la comparaison de ces résul-
tats, que :
1° La pression du sang (maxima, minima, moyenne) a
augmenté dans l’air comprimé ;
2° L’oscillation due à l’influence respiratoire a notable-
ment augmenté dans fair comprimé, ce qui est contraire aux
conclusions de Vivenot (p. 449), conclusions basées, du
reste, sur des observations faites chez des emphysémateux;
5° Ces variations ont été concomitantes à un ralentisse-
ment de la respiration;
4° Elles sont dues non à l’action de l’oxygène absorbé en
plus grande quantité par le sang, mais à la pression, en tant
qu’agent d’ordre mécanique.
AIR COMPRIMÉ : FAIBLES PRESSIONS.
8 il
§ 2. — Séjour prolongé dans l’air comprimé.
Dans ce second paragraphe vont être énumérées des expé-
riences qui ont eu pour but de chercher si une augmentation
légère dans la tension de l’oxygène peut agir favorablement
ou défavorablement sur la vie des animaux, sur leur déve-
loppement, en un mot sur l’ensemble des phénomènes] de
leur existence, et cela en dehors de toute analyse physiolo-
gique. Pour étudier cette question capitale, j’ai mis en expé-
rience tantôt des œufs, tantôt des cocons, tantôt de petits
animaux aériens ou aquatiques; j’ai employé parfois Pair
comprimé, mais plus souvent, à cause de la facilité à dispo-
ser les expériences, de Pair dont la richesse en oxygène avait
été augmentée.
Arrivons aux expériences :
Expérience CCCXXXVJI. — 51 juillet. Mis dans deux grands ballons,
un certain nombre de chrysalides de mouches du même âge,
A, le ballon est plein d’air.
B, le ballon est plein d’oxygène.
9 août. — 6 éclosions de mouches à A, rien à B.
10 août. — Tout éclos à A, presque tout à B.
Expérience CCCXXXVIN. — 25 juin. Cocons de vers à soie, du même jour
(cette expérience a été faite en même temps que celle de la page 815).
A, 12 sont placés sous une cloche ouverte.
B, 12 dans un flacon de 5 litres, à la pression de 2 atmosphères.
C, 6 dans un récipient à eau de Seltz de un litre, à 5 atmosphères d’air.
On change tous les deux jours l’air de B et G.
% juillet. A, tout éclos.
B, toutes les chrysalides sont très vives; 2 sont transformées mais res-
tées dans leurs cocons.
C, les chrysalides sont immobiles ; mais en enlevant la peau à quelques-
unes, on trouve le papillon presque complet, qui a quelques actions
réflexes.
Je mets B et G à l’air libre.
15 juillet. B, un papillon sorti du cocon et vivant; quelques autres
transformés, mais restés dans le cocon, et morts ; sous la peau des chry-
salides restantes, on trouve le papillon prêt à sortir, mais mort.
G, toutes les chrysalides sont mortes, sans avoir repris de mouvements à
l’air libre ; sous la peau de la chrysalide, les papillons ont des poils, mais
sont peu avancés.
842
EXPÉRIENCES.
Expérience CCCXXXIX. — 15 avril. Œufs de grenouille un peu bilobés
déjà, placés en nombres égaux dans quantité semblable d’eau ; de plus
5 têtards éclos depuis 4 jours.
A et À', sous cloches fermées, air ordinaire.
B et B', sous cloches pleines d’oxygène à 95 pour 100, récemment pré-
paré par le chlorate de potasse, bien lavé sur la ^potasse et ayant sé-
journé deux heures sur de l’eau pure
Ces 4 cloches étant renversées sur des assiettes pleines d’eau, je mets
dans l’eau extérieure aux cloches quelques têtards qui devront servir de
témoins.
25 avril. A et A', tous éclos et très-vifs.
B et B', tous morts, après que les œufs se sont développés presque
jusqu’à éclore.
Les témoins sont bien vivants.
Expérience CCCXL. — 28 avril. Têtards de grenouille éclos depuis 8 ou
10 jours en nombre égal :
A, A', cloches renversées sur eau, pleines d’air ordinaire.
B, B', cloches disposées de même, pleinps d’oxygène bien lavé, à 95
pour 100.
Témoins hors des cloches comme à l’expérience précédente.
1er mai. Tous vivants.
5 mai. Les témoins et les têtards de A et A' sont vivants; ceux de B et
B' sont tous morts.
Expérience CCCXLt. — 8 mai. Têtards : expérience disposée comme
les deux précédentes, avec le même oxygène conservé sur eau bien
propre.
Dès le 10, il y a deux têtards morts dans l’oxygène.
11 mai , tous sont morts dans l’oxygène, et vivants dans l’air.
Expérience CCCXLII. — 26 avril. OEufs de grenouille non encore bilo-
bés. En nombre égal, dans même quantité d’eau, sous cloches fermées.
A dans air ordinaire.
B dans air contenant 24 p, 100 d’oxygène.
G — 28 —
I) — 51 —
E devait contenir au moins 80 p. 100 d’oxygène; mais l’analyse n’a pu
être faite par suite d’un accident.
4 mai. A, grand nombre de lêtards éclos.
B, presque autant qu’à A.
G, beaucoup moins.
D, 5 ou 6 seulement.
E, 2 seulement.
Plus tard (la cloche E ayant été renversée), le développement s’égalise.
21 mai , tous les têtards sont partout bien portants et semblables.
I
ATR COMPRIMÉ : FAIBLES PRESSIONS. 845
Expérience CCCXLIII. 28 mai. — Têtards de grenouille ; eau.
' A. dans flacon plein d’oxygène probablement à 90 p. 100.
D, dans appareil en verre à 5 atmosphères d’air ordinaire.
Les têtards de B meurent le 50 mai.
Ceux de A, le 51 .
Expérience CCCXLIV. — 2 juin. Petites anguilles de la montée ; pla-
cées 5 par 5.
A, sous cloche pleine d’air.
B, — d’oxygène à plus de 90 p. 100.
C, dans l’appareil en verre, à 5 atmosphères d’air ordinaire.
4 juin. A, tout vivant.
B, 1 morte, 2 fort malades.
C, 2 mortes, la 5e fort malade.
Expérience CCCXLY. — 7 avril. Œufs de grenouille en quantités à peu
près égales, dans eau.
A, sous cloche pleine d’air,
B, — d’air à environ 55 p. 100 d’oxygène.
C, — d’air à environ 65 p. 100 d’oxygène.
D, — d’oxygène pur 90 à 95 p. 100.
10 avril. Les jeunes têtards remuent en A et en B; quelques-uns sont
libres en A.
20 avril. Tout est mort en C et en D ; les têtards vivent et sont libres
en A et B.
1er mai. Id.
4 mai. Comme on n’a pas changé l’air ni l’eau, il commence à y avoir
un peu de putréfaction des œufs à A et à B; cependant les têtards vivent
encore.
10 mai. Tout mort; odeur infecte à A; un peu moindre à B ; pas d’o-
deur de putréfaction, mais une sorle d’odeur de marée à C et à D.
Expérience CCCXLVI. — 15 avril. Têtards.
A, air libre.
B, 5 atmosphères d’air.
20 avril. Tout vivant.
lor mai. A, vivants; B, morts.
Expérience CCCXLVIL — 26 juin. Cyprins et larves de chironomus , en
grand nombre, dans eau avec conferves.
A, sous cloche pleine d’air.
B, — d’oxygène à 85 p. 100.
5 juillet. Les animaux de 11 sont moins vifs que ceux de A; les con-
ferves ont l’air malades.
11 juillet. Tout, conferves, cyprins, larves, est mort à B ; tout, au con-
traire, est parfaitement vivant à A, dont l’air contient encore tout son
oxygène.
844 EXPÉRIENCES.
Expérience CCGXEVIIL — 4 octobre. Larves de cousins , en grand nom-
bre, dans eau.
A, sous cloche pleine d’air ordinaire.
B, — d’air à 52 p. 100 d’oxygène.
C, — 62 — — "
D, — 89 — —
8 novembre. Toutes les larves sont vivantes sous les diverses cloches;
en A il s’en est transformé un grand nombre, aucune en B, G et D.
Les expériences qui viennent d’être rapportées ont été
faites, on La vu, sur des vertébrés (poissons, têtards et œufs de
grenouille) et sur des invertébrés (chrysalides, larves d’in-
sectes aquatiques, petits crustacés aquatiques); ellesont donné
des résultats semblables, ce qui permet, je pense, de géné-
raliser les conséquences qu’on en peut déduire.
Or, elles me semblent prouver d’abord que la compression
à 4 ou 5 atmosphères, ou, pour parler avec plus de préci-
sion, l’oxygène à la tension de 80 et au-dessus, a une action
funeste sur les animaux, action qui se manifeste en quelques
jours sur les animaux à sang froid, et qui donnerait sans
doute beaucoup plus rapidement des résultats funestes sur
des animaux à sang chaud.
La seconde conclusion qu’on en peut tirer, c’est que l’aug-
mentation de la tension de l’oxygène au-dessus de sa valeur
normale dans l’air ordinaire n’a paru présenter aucun avan-
tage, tant s’en faut. Quand il se manifeste quelque différence,
elle est en faveur de l’air normal : la vie s’y conserve plus
longtemps; le développement des têtards ou des larves d’in-
sectes s’y fait plus vite.
Il paraît donc démontré que, pour des animaux sains, la
pression atmosphérique ordinaire réalise la meilleure condi-
tion de vie, et qu’une augmentation, pour peu qu’elle soit
notable, est plus à craindre qu’à souhaiter.
CHAPITRE Y
INFLUENCE DES MODIFICATIONS DE LA TRESSION BAROMÉTRIQUE
SUR LES VÉGÉTAUX.
11 était impossible de ne pas se poser la question de sa-
voir si la pression barométrique a quelque action directe ou
indirecte sur les phénomènes de la végétation.
Tout le monde sait que, au fur et à mesure qu’on s’élève sur
les montagnes, la végétation se modifie. Certaines espèces
disparaissent, d’autres se montrent qui ne vivent point dans
la plaine. A de grandes hauteurs, la végétation devient misé-
rable, pour disparaître enfin.
Ces changements dans la flore ont été étudiés avec soin
par des botanistes qui ont reconnu que non-seulement l’al-
titude, mais la latitude, agissent pour déterminer cette dis-
tribution géographique d’un nouveau genre. Les zones habi-
tées par certaines espèces ou certains groupes varient de
hauteur suivant la distance plus ou moins grande de l’équa-
teur où se trouve la montagne considérée.
Ces faits rapprochés de cet autre que, au fur et à mesure
de l’élévation la température diminue, et de cet autre encore,
que certaines plantes des flores dites alpines se retrouvent au
niveau de la mer dans les régions froides, ont amené les bota-
nistes à penser que l’influence de l’altitude n’est autre chose
que l’influence de la température; si bien que celle-ci seule
846
EXPERIENCES.
est invoquée par les auteurs classiques, comme cause déter-
minante des caractères de la flore des hauts lieux.
Rien ne prouve cependant que la dépression en elle-même
ne soit pour quelque chose dans ces différences; rien ne
prouve que des plantes de plaine vivraient très-volontiers sous
une très-faible pression barométrique, alors qu’elles y trou-
veraient même une température analogue à celle dont elles
ont besoin. Pour les plantes, en effet, à la respiration de
l’oxygène se joint l’absorption diurne de l’acide carbonique,
et l’action de la pression sur ces substances gazeuses peut
n’ être pas à négliger.
D’autre part, lorsqu’on interroge les profondeurs des mers,
on voit que la vie végétale s’éteint à des distances qui ne sont
pas très-considérables, et qu’aux différents niveaux cor-
respondent différents groupes d’algues. Ici, ce n’est plus à
la chaleur, mais à la lumière que Ton attribue d’ordinaire les
modifications dans la distribution bathymétrique. Le pro-
blème se complique encore de la richesse plus ou moins
grande des eaux profondes en oxygène et en acide carbonique
libre. Mais à côté de ces conditions d’ordinaire invoquées, il
ne faudrait point oublier la pression elle-même, qui peut-
être intervient.
On sent que ces questions sont insolubles par l’observa-
tion directe, et appellent le secours de l’expérimentation.
Mais celle-ci, on le comprend aussi, est extrêmement difficile
à mettre en action. Les végétaux ne traduisent pas, comme
les animaux, par des signes immédiats, l’état fâcheux dans
lequel les placent des conditions nouvelles. 11 faut les main-
tenir longtemps dans ces conditions pour obtenir quelques
résultats. Dé plus, ils ont besoin pour vivre de la lumière. Or,
les appareils en verre capables de supporter la diminution de
pression, sont difficiles et coûteux à installer. C’est bien autre
chose encore lorsqu’il s’agit d’augmenter la pression : ici,
l’exiguïté des dimensions, l’épaisseur des verres, la présence
des pièces de fonte et des grillages protecteurs, rendent les
expériences presque impossibles à faire dans de bonnes con-
ditions.
EXPÉRIENCES SUR LES VÉGÉTAUX.
847
Il est cependant un phénomène végétatif qui, se passant
dans l’obscurité et demandant peu de place, est facile à
mettre en expériences sous les diverses pressions : c’est la
germination. C’est aussi sur elles presque exclusivement
qu’ont porté mes essais.
Pour la végétation proprement dite, je me suis souvent
servi des sensitives. Cette plante précieuse a été ainsi utili-
sée comme un réactif, comme une sorte de végétal à sang
chaud, ainsi que je l’ai autrefois appelée1.
Dans mes recherches bibliographiques, faites postérieure-
ment à la terminaison de mes expériences et au moment où
je commençais à rédiger le présent volume, j’ai trouvé
qu’un expérimentateur ancien2 s’était déjà autrefois occupé
de cette question, et je reproduis ici le récit de la tentative
qu’il fit pour la résoudre :
Pour étudier l’influence des différentes pressions de l’air, sur la végéta-
tion, ou pour mieux dire sur la grandeur et la forme des plantes, j’ai fait
germer en même temps de l’orge dans de Pair raréfié de moitié, dans
lequel l’éprouvette barométrique se soutenait à quatorze pouces ; et dans
l’air condensé au double de l'état ordinaire, c’est-à-dire sous une pression
de 2 X 28 — 56 pouces de mercure. Dans l’une et l’autre expérience les
grains étaient semés dans du terreau de bruyère et également humectés.
Chacune des deux cloches dans lesquelles le procédé de germination
s’opérait contenait environ 520 pouces cubes d’air, et par conséquent
520
la première = 160 pouces cubes d’air atmosphérique; et dans la
dernière, 520 X 2 — 640 pouces cubes du même fluide.
La germination de l’orge eut lieu presqu’en même temps sous les deux
récipients, et les folioles naissantes montrèrent à peu près la môme teinte
de vert ; mais, au bout de quinze jours, on vit dans les deux cloches les
différences suivantes :
Les pousses avaient atteint dans l’air raréfié la hauteur de 6 pouces,
et celle de 9 à 10 dans l’air condensé. Les premières étaient déployées
et molles; les dernières étaient roulées autour de la tige et solides. Enfin,
les premières étaient humectées à la surface, et surtout vers la pointe, de
gouttes d’eau, dont deux étaient toujours vis-à-vis l’une de l’autre, et les
dernières étaient au contraire presque sèches, surtout à la surface. Cette
1 U. Bert. Sur les mouvements de la sensitive, 2e mémoire. Soc. des sciences
physiques et naturelles de Bordeaux, t. VIII, p. 1-58, 1870.
- Uôbereiner, Expériences sur la germination dans l'air condensé ou raréfié. —
Biblioth. univ. de Genève* t. XXII, p. 121, 1823.
848
EXPÉRIENCES.
différence me surprit, ainsi que mes auditeurs; je serais disposé à croire
que la diminution de la stature des plantes, à mesure qu’on s’élève dans
les montagnes, dépend plutôt de la diminution de pression que de la cha-
leur.
On voit qu’on ne peut en réalité rien conclure de cette
tentative, puisoue le point de comparaison, le témoin, la
germination sous la pression normale, avait été oublié : dé-
rogation malheureusement trop fréquente chez les natura-
listes aux règles de la méthode expérimentale.
SOUS-CHAPITRE PREMIER
PRESSIONS INFÉRIEURES A CELLE ü’üNE ATMOSPHÈRE.
§ 1er. — Germination.
Commençons par des expériences faites sous des pressions
inférieures à celle de l’atmosphère, et, d’abord, par les expé-
riences sur la germination : ,
Expérience CCCXL1X. — 21 mai. Blé. — Semé sur terre humide, en
nombre à peu près égal de graines et recouvert de cloches.
A. Cloche de 2*,2. Laissé à la pression normale.
B. — V,\. Amené à 50e dépréssion.
C. — 111. Amené à 25e de pression.
il mai. — A : Lesbrins ont environ 20e; ils sont très-beaux, très-verts,
très-nombreux.
B. Les brins ne dépassent pas 15e; ils sont beaucoup moins nombreux
mais assez verts et dressés, quoique d’aspect malade.
C. Pas plus de 10e ; brins rares, jaunes, retombant,
27 mai. — A : Tout levé et pousse vert et dru.
B : Germination beaucoup moins avancée.
C : Beaucoup moins encore.
A plusieurs reprises, pendant la durée de l’expérience, il y a eu fuite
et on a dû ramener le vide ; Pair a donc été suffisamment renouvelé.
La terre était très-arrosée, et l’air saturé d’humidité.
Expérience CCCL. 17 juin. — Orge.
Semé dans des terrines pleines de terre, en nombre de graines sem-
blable, et placé immédiatement :
849
EXPÉRIENCES SUR LES VÉGÉTAUX.
A. Sous cloche de 2*,2. Laissé à la pression normale.
B. — 7^1 . Amené à 50e de pression.
C. — 111. Amené à 25e de pression.
20 juin, — Commencent à pousser partout.
21 — Déjà différence évidente.
22 — A : Les brins nombreux, très-verts et très-roides mesurent
environ 10e.
B. Moins nombreux, moins verts; environ 8e.
C. Encore moins; environ 6e.
25 juin. — Je coupe tous les brins au niveau du grain d’orge; il y en a
76 à A, 36 à B, 25 à C. Je mets ces brins à l’étuve et les fais dessécher à
100 degrés pendant 2 jours.
Après ce temps, chaque brin de A pèse 8mg,8; chaque brin de B 7mg, 1 ;
chaque brin de C 6mg,2.
Expérience CCCLI. — 11 juin. — Orge et cresson sur terre mouillée.
A. Pression normale. Cloche de 1 litre.
B. Air à 12e de pression. — 6 litres.
C. — 8e — — 8 litres.
On renouvelle l’air tous les jours.
16 juin. — Les pousses de A sont très-belles et vigoureuses ; rien à B ni
àC.
20 juin. — B : Quelques radicelles et des moisissures blacches ; C seu-
lement des moisissures. Je ramène B et C à la pression normale ; les grains
germent avec un retard dans les premiers jours pour celles de C.
Je crois inutile de rapporter un plus grand nombre d’expé-
riences ; chacune de celles qui précèdent est, en réalité,
multiple, à cause de la quantité de graines qui ont été semées
ensemble. Les expériences suivantes en corroborent les
résultats qui sont du reste, suffisamment nets.
Ils permettent de conclure, à n’en pas douter, que la ger-
mination se fait avec d’autant moins d’énergie et de rapidité
que la pression est plus faible. J’appelle spécialement l’at-
tention sur les résultats de l’expérience CGCL, auxquels le
système des pesées a donné une précision particulière. Ils
montrent que, à la pression normale, chacun des brins
d’orge poussés pesait plus de 8 milligrammes, tandis qu’à 50e
de pression ils n’en pesaient que 7, et à 25e que 6.
De plus, il germe un nombre beaucoup moins grand de
grains sous basse pression qu’à la pression normale. Il est
assez difficile de comprendre la raison de cette inégalité, qui
54
850
EXPÉRIENCES.
s’est montrée manifestement à chaque expérience ; dans la
même expérience CCCL, où les brins ont été comptés, on en
a trouvé 76 à la pression normale, 56 à 50e, et 25 seulement
à 25e.
Il est donc d’ores et déjà bien évident que la germination
doit se faire moins rapidement et moins sûrement, pour les
graines analogues à l’orge, sur les grandes hauteurs que dans
la plaine, étant supposées égales toutes les conditions d’hu-
midité, de température et d’état électrique de l’atmosphère.
Ici se pose maintenant la question que nous avons eu à ré-
soudre en parlant des animaux. Est-ce à la dépression, en
tant que condition physique, qu’est due la lenteur, puis l’ar-
rêt de la germination, ou bien faut-il attribuer ces phéno-
mènes à la moindre tension de l’oxygène de l’air? Tout ce
que j’ai dit jusqu’ici m’autorisait à affirmer l’exactitude de
cette dernière hypothèse. J’ai voulu cependant la soumettre
encore à un double contrôle expérimental, dans lequel, il est
vrai, je me suis contenté d’un petit nombre d’expériences.
Il y a, en effet, comme nous l’avons vu, deux méthodes à
employer. Nous pouvons étudier des germinations faites sous
la pression barométrique normale, mais dans des milieux
peu riches en oxygène. Il est évident que si, dans ce cas,
nous voyons que la germination se fait plus vite dans l’air que
dans un milieu moins oxygéné c’est la pauvreté en oxygène
qu’il faudra accuser.
Nous pouvons encore comparer avec des germinations
faites dans l’air* à la pression normale, d’autres germinations
faites à de fortes dépressions, mais dans des milieux suroxy-
génés, en telle sorte que la tension réelle de l’oxygène soit
à peu près égale à celle que présente l’air dans les conditions
barométriques ordinaires.
Voici d’abord une expérience faite suivant la première de
ces méthodes :
Expérience CGCLII. —12 juillet. — Orge semé sur papier à filtre
mouillé ; 20 grains dans chaque assiette.
A. Cloche de 151 ; laissé à l’air sous la pression normale.
B. — 201 ; je fais le vide, et laisse rentrer url air très-appauvri en
851
EXPÉRIENCES SUR LES VÉGÉTAUX.
oxygène par l’inflammation du phosphore. Le mélange contient ainsi
10 pour 100 d’oxygène.
On remarquera que la capacité des cloches varie en sens inverse de la
quantité d’oxygène.
16 juillet. — Les pousses dans A sont plus fortes que dans B.
18 juillet. — Les pousses dans A (air) sont de 12e en moyenne; celles
dans B (azote) de 10e.
22 juillet. — A en moyenne 21e ; B en moyenne 19e.
Cette expérience montre bien nettement que, dans l’air
pauvre en oxygène, malgré que la quantité totale en soit bien
suffisante, la germination se fait moins vite que dans l’air
ordinaire.
Je n’ai pas cru devoir insister sur cet ordre d’expériences,
parce que les anciennes recherches de Senebier, de Saussure,
de Lefébure, etc., bien que manquant de précision au point
de vue de l’analyse chimique du milieu aérien, déposent net-
tement dans le même sens.
Voici maintenant des expériences faites par la deuxième
méthode :
Expériences CCCL1II. — 9 octobre 1872. — Orge et cresson, semés sur
papier mouillé.
A. &ir à la pression normale.
B. Air à 16e de pression.
C. On fait le vide, puis on laisse rentrer de l’oxygène, jusqu’aurétablisse-
ment de la pression normale ; la même opération est alors recommencée;
enfin on ramène cette atmosphère suroxygénée (dont malheureusement
on a perdu l’échantillon destiné à l’analyse) à la pression de 16e*
12 octobre , quelques graines commencent à germer en A.
Le 14, la germination commence à C.
Le 16, les pousses sont un peu plus belles en A qu’en C.
Le 19, quelques germes apparaissent en B; A est toujours un peu en
avance sur G.
23 octobre , en A, l’orge a 8e, le cresson 5e ; en C, l’orge a 7e, le cres-
son 3e, mais ses germes sont un peu moins beaux qu’en A; B n’a qu’une
pousse d’orge de 6e au plus, et le cresson n’a que 1e, 5.
Expérience GGCLIV. — i novembre. — Semis d’orge et de cresson sur
papier mouillé (une vingtaine de graines).
A. Air à la pression normale,
B. Air à 15e dépréssion.
G. Oxygène à 71 pour 100, ramené à 20e de pression, ce qui corres-
pond à 18 pour 100 sous la pression normale.
852
EXPÉRIENCES.
7 novembre , quelques germes apparaissent à A.
Le 8, quelques-uns à G.
Le 11, commencement de germination à B.
25 novembre , l’état est le suivant :
A. Les graines sont toutes poussées, les germes sont très-verts ; le cres-
son a environ 2e, l’orge 12e.
B. Est remonté à 25° de pression : Cresson plus long, mais moins vert
qu’à A. 3 grains d’orge seulement, aussi longs, mais plus minces et
moins verts qu’à A.
G. Est remonté à 40e (par conséquent est moins oxygéné). Les pousses,
fort nombreuses et fort belles, ressemblent tout à fait à A.
Ces expériences amènent aux mêmes conclusions que les
précédentes. On voit, en effet, que les grains semés dans des
atmosphères très-oxygénées ont poussé aussi vite que dans
l’air à la pression normale, malgré la basse pression baromé-
trique à laquelle ils étaient soumis. Celle-ci n’a donc nulle
influence, lorsque la proportion centésimale de l’oxygène est
suffisante pour que la tension réelle de ce gaz se maintienne
à une valeur voisine de celle qu’il a dans l’air ordinaire et
à 76e.
Il est donc bien établi que le ralentissement de la germi-
nation, constaté dans toutes les expériences qui précèdent,
lorsque la pression barométrique est très-faible, est dû à la
faible tension de l’oxygène. Les graines ne respirent pas suf-
fisamment, malgré qu’elles aient à leur disposition de très-
grandes quantités d’oxygène en poids. Comme pour les glo-
bules sanguins, l’absorption de l’oxygène par les cellules
végétales est en rapport avec la tension extérieure de ce gaz.
Il était intéressant de chercher à quelle limite inférieure
de pression se peut faire la germination. Les expériences qui
précèdent montrent déjà qu’elle évolue encore, bien que fort
lentement, à la pression de 15e, pression beaucoup plus faible
que celle de l’atmosphère au sommet de la plus élevée des
montagnes, le mont Everest dans l’Himalaya.
Les expériences suivantes répondent à cette question :
Expérience GCGLV. — 14 décembre. Orge (une douzaine de graines) et
cresson sur papier mouillé. Cloches de ll,5.
A. Air : pression normale.
853
EXPÉRIENCES SUR LES VÉGÉTAUX.
B. Air : 6e de pression : la tension de l’oxygène correspond
à 76 : 6 = 21 : x = \,6 pour 100 à la pression normale.
17 décembre. — A. Quelques graines de cresson ont fendu leurs enve-
loppes.
20 décembre. — A. Toutes les graines de cresson ont fendu leurs enve-
loppes ; quelques graines d’orge ont poussé leurs radicules.
B. 7e de pression; rien n’a apparu.
\û janvier. — A. Les graines de cresson ont germé ; les pousses d’orge
atteignent 12e.
B. Deux grains d’orge ont poussé ; ils atteignent 6e.
Les graines de B, ayant été ramenées à la pression normale, poussent
toutes, cresson et orge.
Expérience CCCLYI. — 11 mars. — Je sème sur papier à filtre mouillé,
40 grains d’orge et du cresson.
A. A la pression normale.
B. Dans une cloche de 71, amenée à 4e de pression.
28 mars : A. Tout poussé; l’orge à des pousses de 4, 5 et 6e; B, dont on
a change l’air, le 15, le 18, le 23 et le 26, ne présente aucune trace de
germination. On le remonte à 8e.
26 avril. — On a changé l’air de B le 31 mars, le 6, le 8, le 11 avril;
rien n’y est apparu, sinon des moisissures.
On sème à l’air sur papier mouillé.
20 mai. — Belles pousses de cresson, mais l’orge n’a pas poussé.
C’est donc aux environs de 7e de pression que la germina-
tion ne peut plus se faire. Il est curieux de voir que cette
dépression est précisément celle à laquelle succombent rapi-
dement, quelques précautions qu’on prenne, les animaux
à sang chaud (voy. p. 755), et ne peuvent vivre longtemps les
vertébrés à sang froid.
Si l’on cherche la valeur centésimale d’oxygène à laquelle
correspond, à la pression normale, la tension de l’oxygène
sous cette pression de 7e, on la trouve à l’aide de la propor-
tion suivante 20,9 : 7 = 76:æ=2,5. Ceci se rapproche
beaucoup des expériences de Lefébure qui a montré que la
germination de la Rave se fait encore, bien que lentement et
1
incomplètement quand l’air ne contient plus que ^d’oxy-
gène, soient 5,4 pour 100.
854
EXPÉRIENCES.
g 2. — Végétation.
J’ai fait en outre quelques tentatives pour voir si je pourrais
obtenir quelque action sur la végétation proprement dite :
Expérience GCGLVII. -—15 juin. Orge.
Je sème des grains d’orge, en même quantité, dans trois terrines sem-
blables, pleines de terre ; je laisse le tout sous des conditions égales.
25 juin y les trois semis ont bien poussé, mais un peu inégalement;
à l’un, les brins mesurent en moyenne 14“; à l’autre, 15; au troisième,
16 à 17.
Je les place sous 5 cloches :
A. Le semis le moins beau ; laissé à la pression normale.
B. L’intermédiaire ; amené à 50e de pression.
C. Le mieux allant; amené à 25e.
27 juin . Les trois semis ont conservé leurs différences primitives.
3 juillet. Même résultat.
Expérience CCCLVIIL 24 juillet. Sensitives d’un même semis ; une dans
chaque pot, ayant environ 10e de hauteur.
A. Je mets 4 pots sous cloche de5l,5 à la pression normale.
B. 4 pots sous cloche 7',1 ; amené à 50e de pression.
G. — 111 25e.
Toutes reposent sur des assiettes pleines de terre bien mouillée, et sont
placées à un éclairage suffisant.
On a diminué la pression avec précaution ; les folioles se sont fermées
aux environs de 20e de diminution, pour se rouvrir ensuite.
Dès le soir, G ferme ses folioles beaucoup plus tard que les deux autres*
25 juillet. Il y a eu rentrée d’air à G ; la pression est de 40e environ.
On ramène à 25e. Un certain nombre de folioles et même quelques feuil-
les tombent déjà ; une ou deux sensitives paraissent morte®-
B. Un peu malades.
A. Vont très-bien.
26 juillet. — C. La pression est remontée à 45e environ; cependant,
toutes les sensitives sont mortes.
B. Toutes malades, quelques-unes mortes.
A. Vont très-bien ; grandissent.
27 juillet . — B. Toutes mortes.
À. Vont très-bien.
Expérience CGCLIX. — 1er août. Sensitives semblables à celles de l’expé-
rience précédente. Deux dans chaque cloche.
A. Amené à 60e de pression.
B. — 50e —
855
EXPÉRIENCES SUR LES VÉGÉTAUX.
3 août. Quelques folioles et feuilles tombent à G.
6 août. — 3 heures. — A. Folioles sensibles et ouvertes ; B. Demi-fer-
mées ou peu sensibles ; G. Complètement fermées.
7 août. Ramené à la pression normale.
Tout est sensible ; G. Beaucoup moins que les autres ; C. ne ferme pas
bien le soir.
9 août. — A, Va bien ; très-sensible; B. Peu sensible ; malade ; jaunâ-
tre ; G, Feuilles tombent ; mourante.
Il est donc bien certain que, sous l’influence de faibles pres-
sions barométriques, les sensitives deviennent rapidement
insensibles et meurent. Il reste à savoir quelle est la cause de
cette mort. Faut-il l’attribuer, comme nous sommes, pour
ainsi dire, habitués à le faire jusqu’ici, à la faible pression
d’oxygène? doit-on simplement accuser la dilatation des gaz
que contient la plante, dilatation due à la dépression et qui
suffirait pour impressioner d’une manière funeste une plante
aussi délicate?
L’expérience suivante répond à cette question :
Expérience GGCLX. — 25 juillet. Deux pots contenant chacun 3 jeunes
sensitives.
A. Amené à 25e de pression.
B. Je diminue la pression de 50e, et laisse rentrer de l’oxygène, puis ra-
mène la pression à 25e. La tension de l’oxygène dans cette cloche corres-
pond à peu près à celle de l’air, à la pression normale.
26 juillet. — A. Sont malades.
27 juillet. — A. Sont mortes ; B. Bien portantes.
C’est donc ici encore la tension trop faible de l’oxygène qui
a tué les sensitives soumises à une basse pression.
Voici enfin une expérience qui, pour avoir été faite sur un
végétal presque microscopique, n’en a pas moins son intérêt :
Expérience GCCLXï. — 8 avril. Débris d’œufs de grenouille, avec un peu
de matière verte de Priestley.
A. Flacon à la pression normale.
B. Flacon à 25e de pression.
25 avril . Matière verte abondante en A ; rien en B.
Ainsi la diminution de pression s’oppose à la végétation
comme à la germination ; elle tue les végétaux: au même degré
856
EXPERIENCES.
où elle tue les animaux à sang froid, où elle suspend complè-
tement la vie des graines, sans la tuer cependant.
L’unité des phénomènes de la respiration dans les deux
règnes s’accentue ici de la manière la plus nette.
SOUS-CHAPITRE II
PRESSIONS SUPÉRIEURES A CELLE d’uNE ATMOSPHÈRE.
§ 1er. — Germination.
Passons maintenant aux expériences faites sous augmenta-
tion de pression ; et d’abord, la germination. J’ai toujours
fait mes semis sur du papier humide, des expériences préa-
lables m’ayant montré que la présence de la terre complique
les résultats :
Expérience CCCLXI1. — 7 juillet. Semis d’orge sur papier à filtre mouillé.
A. Récipient de 1 litre, poussé à 1 atmosphère 3/4.
R. Récipient semblable; pression normale; bien bouché.
9 juillet. — R. Commence à pousser ; A. Rien.
10 juillet. — R. Les brins ont environ 2e; ils commencent à paraître
en A.
On a renouvelé l’air tous les jours.
1 % juillet. — R. Rrins de 12e environ ; A. N’ont que 8 à 10e.
Cessé l’expérience.
Expérience CCCLXIIÏ. — 13 juillet. Semis d’orge sur papier à filtre
mouillé. 20 grains dans chaque semis.
A. Récipient cylindrique de 650ee, poussé à 5 atmosphères. On change
l’air tous les jours.
R. Éprouvette de même dimension à peu près ; laissée à la pression
normale; bien bouchée.
16 juillet. La germination commence à R.
18 juillet. — Dans B, les pousses ont environ 7e; la germination com-
mence à A.
20 juillet. — B. 13e ; A. 3 à 5e.
26 juillet. — B. 18e; A. 3 à 5e.
Je décomprime, retire avec soin les divers grains et les place sur de la
terre humide.
A. Grandit rapidement et rattrape à peu près B.
Expérience CCCLXIY. — 31 juillet. Semis d’orge sur papier mouillé.
A. Récipient cylindrique poussé à 10 atmosphères.
857
EXPÉRIENCES SUR LES VÉGÉTAUX.
B. Éprouvette de même volume ; pression normale ; bien bouchée.
o août. La germination commence à B.
Je décomprime A; mais en rechargeant, je ne puis dépasser 7 atmos-
phères.
5 août. Les brins à B ont 5 à 6e ; à A, on ne voit que quelques radi-
cules sorties.
7 août. 13e à B ; à A, seulement quelques radicules.
Je cesse l’expérience ; l’air de A analysé ne contient pas d’acide carbo-
nique.
A. Semé sur papier mouillé ; n’a pas commencé à germer le 10 août.
Expérience CCCLXV. — 1er mars. Semis de 30 grains d’orge.
A. Dans le réservoir cylindrique , air ordinaire, 2 3/4 atmosphères de
pression.
B. Éprouvette fermée; pression normale.
4 mars. On change l’air.
8 mars. Pousses plus vertes et plus longues à B qu’à A. On change l’air.
10 mars. — A. 9 grains sans germe ; 11 avec seulement des radicules ;
10 avec pousses pâles de 2e.
B. 11 grains sans germe; 5 avec radicules seulement ; 11 ayant de bel-
les pousses vertes de 4e.
Expérience CGCLXYI. — 30 mars. Semis de 20 grains d’orge sur une
même quantité de papier mouillé avec 10e d’eau.
A. Petit récipient du gazogène ; 2 atmosphères d’air changé tous les
jours, quelquefois deux fois par jour.
B. Récipient semblable, bouché à la pression normale.
3 avril. Radicules apparaissant aux deux.
7 avril. — A. Est un peu en retard, par rapport à B.
Expérience CCCLXV1I. — 16 avril. Semis de 20 grains d’orge. Même quan-
tité de papier et d’eau.
A. Petit récipient à eau de Seltz non grillé ; poussé à 2 1/2 atmosphères.
— Comme ce récipient fuit un peu, je recharge au moins deux fois par
jour, quelquefois à 3 atmosphères ; ce qui fait une ventilation bien suffi-
sante.
B. Récipient semblable, mais grillé, bouché ; pression normale ; changé
l’air tous les jours.
19 avril. Radicules apparaissent à A et à B.
24 avril. Pas de différence bien nette; les pousses ont environ 6e, mais
elles sont un peu plus pâles à A qu’à B.
28 avril. Les deux semis sont à peu près identiques, mesurant 10 à 12e.
Les pousses de A sont moins vertes que celles de B, et cependant elles re-
çoivent notablement plus de lumière.
Expérience CCCLXVIII. — 28 avril.. Semis de 20 grains d’orge et de
grains de radis.
858
EXPERIENCES.
A. Dans le récipient cylindrique, à 10 atmosphères d’air; on change
l’air tous les jours, matin et soir.
B. Dans un vase mal bouché ; pression normale.
7 mai. — A. Aucun développement apparent; B. Les pousses de radis
ont Ie, 5; celles de l’orge ont 5e.
12 mai. — A. A peine quelques radicules de radis et d’orge.
B. Les radis mesurent de 3 à 5e ; l’orge de 5 à 8e. Je décomprime et
sème A sur du papier mouillé ; les radis commencent à pousser le 16 mai ;
l’orge moisit.
Expérience CCCLXIX. — Il juin. Semé 20 grains d’orge et 20 grains de
cresson.
A. Dans réservoir cylindrique, à 5 atmosphères d’air ; changé l’air deux
fois par jour.
B. Dans éprouvette fermée; pression normale.
13 juin. Quelques radicules d’orge et de cresson à A et à B.
1 § juin. — A. Le cresson a germé ; l’orge ne montre aucune tige.
B. Cresson plus beau qu’à A ; orge mesurant de 1 à 2e.
18 juin. — A. Les pousses de cresson ont de 1e, 5 à 2e, 5 ; les feuil-
les ne sont pas encore étalées, et ne sentent pas le cresson ; les tiges
d’orge, au nombre de 16, commencent à sortir du fourreau et ont de 1e, 5
à 4e.
B. Pousses de cresson, 3e, très-vertes, étalées en rosette, sentant très-
fort le cresson ; 20 tiges d’orge de 8 à 9e, quelques-unes allant jus™
qu’à 12e.
Expérience CCCLXX. — 19 juin. Orge et cresson sur papier mouillé.
A. Sous cloche ; pression normale.
B. 6 atmosphères d’air.
On change l’air tous les jours.
22 juin. — A. Cresson germé; tigelles de l’orge sorties.
B. Cresson à peine apparaît ; on voit quelques radicelles d’orge.
29 juin. — A. Cresson, 3e, bien vert et sentant fort ; orge de 12 à 20e.
B. Cresson, 2e, bien vert et sentant fort ; orge, tiges de 1e, 5.
Expérience CCCLXXI. — 17 août. Semis, sur papier bien mouillé, de
graines de belles-de-nuit, de ricin et de melon, qui ont été décortiquées
après deux jours de séjour dans l’eau.
A. Appareil cylindrique à 2 atmosphères d’air.
B. Vase ouvert.
18 août. — 9 heures du matin : à A et à B, quelques belles-de-nuit
ont germé.
Je pousse A à 6 atmosphères, et change l’air tous les jours.
23 août. — A. Même état.
B. Les radicules des graines de melon et de ricin apparaissent.
26 août . — A. Rien n’a poussé.
859
EXPÉRIENCES SUR LES VEGETAUX.
B. Les belles-de-nuit ont 2 à 3e ; les graines de melon et de ricin ont
lancé toutes leurs racines.
B continue à pousser à l’air libre, tandis que rien ne pousse à A,
Ces expériences montrent de la manière la plus nette que, à
partir d’une certaine pression, la germination est ralentie,
qu’à une pression plus élevée elle n’a pas lieu. De plus, cer-
taines graines sont mortes alors et ne peuvent plus se déve-
lopper quand on les ramène à la pression normale.
Mais avant d’éludier ces résultats dans leurs détails, il faut
que nous résolvions encore la question que nous avons plu-
sieurs fois rencontrée, et que nous sachions si cet effet fâ-
cheux est dû à la pression même ou à la tension chimique
exagérée de l’oxygène.
Et ici, nous retrouvons les diverses méthodes que nous
sommes habitués à employer : 1° faire la compression avec
de l’air pauvre en oxygène, en telle sorte que la tension de ce
gaz équi vaille à celle de l’oxygène de l’air à la pression nor-
male; 2° faire des expériences à la pression normale avec de
l’air plus riche en oxygène que l’air ordinaire ; 5° employer
à la fois une faible pression, et de l’air fortement oxygéné, de
manière à obtenir une haute tension avec peu de pression.
A. — Pressions fortes avec air peu oxygéné.
Expérience CGCLXXII. — 13 juillet. Semis d’orge sur papier mouillé.
A. Récipient à pression normale, bien bouché.
B. Semblable ; poussé à 4 atmosphères, dont 5 d’air très-riche en azote.
14 juillet. Mis à 2 atmosphères seulement. On a renouvelé et on renou-
velle chaque jour avec air très-azoté.
16 juillet. 5 atmosphères. Rien ni à A ni à B.
17 juillet. Un peu de germination aux deux.
19 juillet. — A. Pousses un peu plus fortes qu’à B.
22 juillet. id.
L’air de B contient 1,7 d’acide carbonique et 11,9 pour 100 d’oxygène.
La pression de l’oxygène était donc à la fin 13,6x3 = 40, 8.
Expérience CCGLXXIII. — 4 novembre. Orge et cresson sur papier
mouillé.
A. Éprouvette à pression normale.
860
EXPÉRIENCES.
B. Appareil cylindrique, à 8 atmosphères d’air peu oxygéné; le mé-
lange contient 5,7 d’oxygène, dont la pression 5,7 X 8—45,6 correspond
à environ 2 atmosphères d’air.
7 novembre. A, quelques germes.
8 novembre. A, un peu plus ; B, rien. L’appareil a perdu, la pression
est tombée à 6 atmosphères ; on la remonte à 8 avec le même air.
9 novembre. Quelques grains d’orge germent à B : à A, les pousses sont
déjà belles.
11 novembre. Même état; on décomprime, et l’on sème sur terre
mouillée les grains venant de B. Le gaz de l’appareil contient GO2 5,2 ;
01,6; la pression de GO2 est donc ici 5,2x8 = 25,6.
20 novembre. Le cresson a 5e, les grains d’orge 5 ou 6.
Expérience GCGLXXIV. — 2 août. Semis d’orge et de cresson.
A. Appareil cylindrique poussé à 10 atmosphères d’un air qui contient
9,8 p. 100 d’oxygène; la tension de ce gaz est donc 98, correspondant à
près de 5 atmosphères d’air.
B. Éprouvette, pression normale.
5 août. Je ramène A à 7 atmosphères ; la tension de l’oxygène n’est
plus que 7x9,8 = 68,6 soit un peu plus de 3 atmosphères d’air.
4 août. Les cressons et l’orge ont poussé partout, bien qu’avec un re-
tard évident de A sur B.
Il résulte déjà de ces expériences que c’est bien l’oxygène
qu’il faut accuser. En effet, dans l’expérience CCCLXXII, la
germination, si l’on avait employé l’air ordinaire, aurait été
notablement retardée, tandis qu’elle l’a été à peine; dans les
deux autres expériences, elle aurait dû être complètement
arrêtée par des pressions de 8 et 10 atmosphères, tandis qu’il
n’y a eu qu’un retard explicable par la tension de l’oxygène,
qui correspondait déjà à 2 atmosphères (exp. CGGLXXI11) ou à
5 atmosphères (exp. GCGLXXIV).
Dans l’expérience CCCLXXIII un élément nouveau, la ten-
sion considérable de l’acide carbonique, s’est introduit et
vient compliquer les résultats. C’est la raison pour laquelle
je n’ai pas multiplié les expériences faites par cette méthode,
où il était assez difficile de renouveler suffisamment un air
pauvre en oxygène.
EXPÉRIENCES SUR LES VÉGÉTAUX.
861
B. — Pression normale : air suroxygéné.
J’arrive aux expériences plus nombreuses et bien plus con-
cluantes faites par la deuxième méthode :
Expérience GCGLXXV. — 12 juillet. Orge semé sur papier mouillé ; 20
grains.
A. Cloche de 71; air contenant 65 p. 100 d’oxygène, ce qui correspond
à 3 atmosphères d’air.
B. Cloche de 131; air ordinaire.
18 juillet. A, les pousses ont 8e ; celles de B, 12e.
22 juillet. A, en moyenne 15e ; B, en moyenne 21e.
Expérience GGGLXXVI. — 4 novembre. Semis d’orge et de cresson sur
papier mouilléo
A. Air à 79 p. 100 d’O. c’est-à-dire valant près de 4 atmosphères d’air.
B. Air ordinaire.
7 novembre. Quelques germes apparaissent à B.
9 novembre. Quelques germes à A.
25 novembre. A. Deux grains d’orge seuls ont poussé, et mesurent 4e;
le cresson a environ 2e ; tout est peu vert.
B. Toutes les graines germées, bien vertes ; le cresson a environ 2e,
l’orge 12e.
^ •
Expérience CCCLXXV1I. — 7 décembre. 20 grains d’orge et cresson sur
papier mouillé. Cloches de 2 à 31.
A, dans air à 65 p. 100 d’oxygène.
B, — 40 —
C, — 51 —
D, dans air ordinaire.
17 décembre. Le cresson a poussé partout assez également. L’orge jette
partout ses radicules.
1 eT janvier. A. Les pousses d’orge ont 9e, les tiges sont à moitié ou-
vertes, grêles, peu nombreuses ; le cresson a 2e ; tous les grains ne sont
pas germés.
B. Orge 12e, tiges vertes ; cresson 2e.
C. Orge 13e, tiges élancées, mais fermées; cresson 5e.
D. Orge 10e, tiges larges, étalées, vertes; cresson 2e, tassé, bien vert.
14 janvier. A. Orge 11e, tiges décolorées, grêles, peu nombreuses;
cresson 2e.
B. Orge 14e, tiges vertes, ouvertes; cresson 3e. .
C. Orge 16e, tiges longues, grêles, fermées; cresson 4e.
D. Orge 13e, feuilles ouvertes, bien vertes; cresson 5e.
20 janvier. A. Orge 11®, tout jaune, mourant ; B et C, orge 20e, tiges
jaunâtres ; D, 14e, bien vert.
m
EXPÉRIENCES.
Ainsi B et C ont poussé des tiges plus longues que D, mais qui ne se
portent pas aussi bien ; A au contraire est tout à fait malade.
Expérience CCCLXXVIÏI. — 11 mars. 40 grains d’orge et des graines de
cresson sont semés sur papier à filtre mouillé, et placés.
A. Dans une cloche de 2L5, pleine d’air à la pression normale.
B. Cloche de 2*,25 ; pression normale; air contenant 30,2 p. 100
d’oxygène, ce qui correspond à peu près à 1 atmosphère 1/2 d’air.
C. Cloche de 21, 6 ; pression normale; air contenant 43 p. 100 d’oxv-
gène, soit un peu plus de 2 atmosphères d’air.
D. Cloche de 2!,5; pression normale ; air à 58,3 p. 100 d’oxygène, soit
2 atmosphères 3/4 d’air.
29 mars. Arrêté l’expérience : l’orge et le cresson ont poussé partout ;
à A et B les pousses sont un peu plus vertes et de 1,5 à 2e plus longues
qu'à C et D. Du reste, l’air de B contient 17,5 d’oxygène seulement, avec
13,4 d’acide carbonique; l’air de C contient 28,2 d’oxygène et 12,3 de
CO2 ; celui de D, 44,8 d’oxygène et 11,2 de CO2; l’air de A a été renouvelé.
Expérience CCCLXXIX. — 6 mai. Semis d’orge.
A. Air à 94 p. 100 d’oxygène, soient 4 4/2 atmosphères d’air.
B. Air ordinaire.
13 mai. L’orge a paru aux deux; il semble y avoir quelque avantage
pour A, qui est plus vert.
Mais les jours suivants, l’avantage se manifeste à B, et le 20 mai, les
pousses de A n’ont que 2 à 3e, tandis que celles do B ont 8 à 9e.
Cependant l’analyse de l’air de B n’y décèle plus d’oxygène, et il s'y
trouve 25,4 d’acide carbonique; à A, il y a 19,9 de CO2, et seulement 71,6
d’oxygène.
La tension moyenne de l’oxygène a donc été 4 atmosphères d’air en-
viron.
C. — Faibles pressions : air sur oxygéné.
Expérience CCCLXXX. — 4 novembre. Semis d'orge et de cresson sur
papier mouillé.
A. A la pression de 3 atmosphères d’un air contenant 86,9 p. 100
d'oxygène. La tension de ce gaz est ainsi de 260, correspondant environ
à 12 1/2 atmosphères d’air.
B. Pression normale, air ordinaire.
7 novembre. Rien à A ; quelques pousses à B.
11 novembre. Rien à A; tout a germé à B. L’air de A contient encofé
86,2 d’oxygène, avec 0,7 d’acide carbonique.
Je sème sur de la terre humide les graines de A. Le 20 novembre, le
cresson commence à pousser, mais l’orge est mort,
Expérience CCCLXXXL — 31 mai. Semis de grains d’drge sur papief
mouillé.
865
EXPÉRIENCES SUR LES VÉGÉTAUX.
A. 5&1 dans réservoir cylindrique à 3 1/3 atmosphères d’un] air contenant
54 p. 100 d’oxvgène; la tension correspond à 180, soient environ 9 at-
mosphères d’air.
B. 8sr, pression normale, air ordinaire, cloche de 1840cc.
5 juin. Aucune germination. Je change l’air à B et l’oxygène à A. Après
cette opération, l’air de A contient 46,2 d’oxygène, la pression est pous-
sée à 5 atmosphères ; la tension est donc 138, soient un peu moins de
7 atmosphères.
7 juin. A. A peine quelques radicules; la pression est tombée à 2 atmo-
sphères; l’air contient 2 p. 100 de GO2 et 41,2 d’oxygène.
B. Les pousses ont 3 à 5e et sont très-vertes. L’air contient 8 p. 100 de
CO2 et 11,2 d’oxygène.
En supposant pour A une pression moyenne de 2 1/2 atmosphères, on
trouve que dans les 4 jours, les graines de A ont consommé, par 10&r
136cc d’oxygène, et celles de B 225cc.
Je sème sur de la terre humide les graines de A, qui se développent.
Le tableau XYÏI résume les résultats principaux des expé-
riences ci-dessus. Elles sont disposées suivant l’ordre crois-
sant des tensions d’oxygène exprimées en atmosphères.
Les diverses méthodes employés concordent pour montrer
qu’une augmentation même légère dans la tension de l’oxy-
gène agit d’une manière défavorable à la germination; dès
deux atmosphères ou dès 40 p. 100 d’oxygène, elle est ma-
nifestement ralentie.
A 5 atmosphères, ce qui correspond à l’oxygène pur, le re-
tard apporté à la germination est extrêmement considérable.
Au-dessus de 7 atmosphères, les graines ne font que jeter
quelques radicules, sans qu’apparaisse leur tigelle.
Enfin, vers 10 atmosphères, les graines dWge, ramenées
à la pression normale, sont mortes et ne germeijt plus, tandis
que celles de cresson résistent et poussent, bien qu’avec une
certaine lenteur (expér. CGGLXXX).
Or, les graines de cresson ont des cotylédons minces et
secs et ne contiennent pas d’albumen. Je me suis demandé
si la mort des germes d’orge ne tiendrait pas à quelque
altération chimique de l’albumen considérable qui les ac-
compagne.
Mes expériences sur la fermentation, qui seront rapportées
au chapitre; m’ont persuadé de l’exactitude de cette hypo-
864
EXPÉRIENCES.
thèse. Du reste, on voit par Texpérience CCCLXX1 que des
graines charnues comme celles du ricin et du melon ont été
TABLEAU XVII.
NUMÉROS
DES
EXPÉRIENCES
PRESSION
BAROMÉTRIQUE
VALEUR DE LA TENSION
D’OXYGÈNE EN PRESSION
BAROMÉTRIQUE
DURÉE DE LA
COMPRESSION EN JOURS
ESPÈCES
EN EXPÉRIENCE
COMPARAISON
AVEC LA PRESSION NORMALE
CCCLXXVIII
1
1 1/2
18
Orge et cresson
Aussi bien qu’à l’air.
CCCLXXVII
1
1 1/2
43
Orge et cresson
Plus longs ; mais moins bien por-
tants.
CCCLXII
13/4
1 3/4
6
Orge
Un peu de retard.
CCCLXXVIII
1
2
18
Id.
Un peu ralenti.
CCCLXXVII
1
2
45
Orge et cresson
Plus longs; mais moins bien por-
tants.
CCCLXXII
3
2
9
Orge
Un peu de retard.
CCCLXVI
2
2
8
Id.
Id.
CCCLXXVIII
1
2 1/2
18
Id.
Id.
CCCLXVII
21/2
21/2
12
Id.
Un peu plus pâle.
CCCLXV
23/4
2 5/4
10
Id.
Ralentissement évident.
CCCLXXV
1
3
10
Id.
Ralenti.
CCCLXXVII
1
3
43
Orge et cresson
Ralenti et fort mal portants.
CCCLXXIV
7
31/4
2
Id.
Ralenti.
CCCLXXVI
1
4
11
i Orge
Cresson
Quelques grains seuls germent.
Germe, peu vert.
CCCLXXIX
1
41/2
7
Orge
Très-ralenti.
CCCLX1X
5
5
7
Orge et cresson
Très-ralentis.
CCCLXIII
5
»
5
13
Orge
Très-ralenti, mais pousse très-
bien à l’air libre.
CCCLXXX
G
6
10
Orge et cresson
Belles-de-nuit
Très-ralentis, orge surtout.
Germent, mais ne poussent plus.
CCCLXXI
6
6
9
i Ricin
Melon
même à l’air libre.
Pas de germination, même à l’air
libre.
CCCLXIV
7
7
8
Orge
Quelques radicelles.
CCCLXXXI
3
7
7
Id.
Quelques radicelles; pousse à
l’air libre.
CCCLXVII1
10
10
14
Id.
Cresson
Ne germe pas, même à l’air libre.
Germe après avoir ramené à l’air
libre.
CCCLXXX
3
121/2
7
Orge
Cresson
Rien ; est mort,
Rien; pousse à la pression nor-
male. J
bien plus fortement impressionnées par la pression que
celles des belles-de-nuit, qui ressemblent davantage à celles
du cresson.
EXPÉRIENCES SUR LES VÉGÉTAUX.
865
Je ferai remarquer, en terminant, que pour obtenir des
résultats concluants, il faut mouiller les graines. Sans quoi
l’oxygène, malgré la haute tension, ne les tuerait point.
Exemple :
Expérience CCCLXXXII. — 19 juillet. On place dans un flacon du blé sec;
dans un autre du blé humecté au préalable, mais qui cependant ne
baigne pas dans l’eau.
Les deux flacons sont soumis à 15 atmosphères d’un air contenant 70
p. 100 d’oxygène.
31 juillet. Décompression et semis.
Le blé sec pousse parfaitement bien; l’autre pourrit en terre sans
rien donner.
g 2. — Végétation.
Les expériences sur la végétation sont très-difficiles à faire,
on le comprend aisément, à cause de f exiguïté des récipients
en verre et de leur peu de transparence. En voici cependant
quelques-unes qui sont suffisamment concluantes:
Expérience CCCLXXXIII. — 28 avril. Orge poussée de 10 à 12e dans les
grands récipients de gazogène à eau de Seltz (2 lit.).
L’un A, qui est dans le récipient grillé, est fermé et laissé à la pression
normale.
L’autre B, récipient non grillé, qui laisse passer plus de lumière, est
poussé à 3 atmosphères suroxygénées, que l’on change deux fois par jour.
7 mai. A a plus que doublé de longueur; B n’a pas changé : laissés à
l’air libre, les brins jaunissent et meurent.
Expérience CCCLXXXIY. — 25 juillet. Petites sensitives d’environ 6 à 8e
de haut, bien vivantes, en pot.
A. Mis en pot dans le récipient d’un litre, avec grillage ; laissé à la pres-
sion normale, bien bouché.
B. Autre pot dans récipient semblable, mais sans grillage, et par con-
séquent dans de meilleures conditions d’éclairage. Porté à 6 atmosphères
d’air.
Dès le soir B est insensible.
26 juillet. Les feuilles tombent à B.
27 juillet. B complètement mort; A va bien.
Expérience GCCLXXXV. — 1er août. Sensitives semblables à celles de
l’expérience précédente. Mêmes récipients.
A. A 3 atmosphères.
55
866
EXPÉRIENCES.
B. Sous pression normale.
5 août. Toutes deux sensibles et bien portantes.
Expérience CCCLXXXVI. — 25 juillet. Petites sensitives, bien sensibles.
A. Appareil cylindrique à 4 atmosphères d’oxygène à 80 p. 100 ; ten-
sion 520, équivalente à près de 16 atmosphères d’air.
B. Pression normale, air.
27 juillet. A, morte; B bien sensible.
Ainsi, les sensitives périssent rapidement à 6 atmosphères
d’air, et il est plus que probable que les autres végétaux
verts mourraient à la même pression, bien que beaucoup
moins rapidement. Les végétaux paraissent ainsi redouter
l’excès de tension de l'oxygène encore plus que les animaux,
même que les animaux à sang chaud.
SOUS-CHAPITRE III
RÉS'UMÉ.
Les expériences contenues dans le présent chapitre prou-
vent en résumé que sous les pressions supérieures ou infé-
rieures à une atmosphère, la germination et la végétation
des plantes vertes sont ralenties, arrêtées même. Comme
pour les animaux, cet effet funeste est dû non à la pression
même, mais à la tension de l’oxygène, tantôt trop faible, d’où
résulte une sorte d’asphyxie, tantôt trop forte et tuant les
graines ou les plantes.
Dans la troisième partie de ce livre, nous tirerons de ces
faits les conséquences qu’ils comportent relativement à la
distribution géographique des plantes et à l’apparition de la
vie végétale à la surface du globe.
CHAPITRE VI
ACTION DES MODIFICATIONS DE LA PRESSION BAROMÉTRIQUE
SUR LES FERMENTS, LES VENINS, LES VIRUS ET LES ÉLÉMENTS
ANATOMIQUES.
Les travaux admirables de M. Pasteur ont démontré que les
phénomènes connus sous le nom de fermentations appar-
tiennent à deux catégories bien distinctes. Les uns sont cor-
rélatifs au développement d’êtres vivants microscopiques,
végétaux ou animaux : telles les fermentations alcoolique,
acétique, butyrique, telle la putréfaction. D’autres sont dé-
terminés par Faction obscure encore de substances produites
par des êtres vivants, mais solubles dans l’eau, et conservant
leur vertu après avoir été isolées des liquides où elles se trou-
vaient, etmême desséchées : telle est la transformation de l’a-
midon en glycose sous l’influence de la diastase animale ou
végétale : telle la formation de l’essence d’amandes amères
par la synaptase agissant sur l’amygdaline, etc.
Il était tout naturel de se demander si les modifications dans
la pression barométrique, nous pouvons dire maintenant dans
la tension de l’oxygène ambiant, exerceraient sur ces phéno-
mènes une action appréciable. Tout d’abord, pour les fermen-
tations vraies, la question se réduisait à savoir si un agent à
la fois aussi nécessaire et aussi redoutable, suivant les doses,
que l’oxygène, dont la privation empêche de vivre et dont
868
EXPÉRIENCES.
l’excès tue les animaux et les végétaux visibles à l’œil nu, et
d’une organisation anatomique un peu compliquée, si cet
agent serait sans action sur les êtres microscopiques, réduits
à la structure cellulaire. Pour les fausses fermentations, les
fermentations zymotiques, comme elles jouent, à coup sûr,
un très-grand rôle dans les phénomènes chimiques de la
nutrition chez tous les êtres vivants, il était intéressant de
savoir si la tension de l’oxygène pouvait agir sur elle.
Les venins, les virus, qui, à tant de points de vue, se rap-
prochent des ferments de ces deux classes, méritaient égale-
ment d’être mis en expérience. Enfin, je devais, après avoir
étudié ces espèces d’éléments anatomiques libres, examiner
l’action des modifications de la tension oxygénée sur les di-
vers éléments anatomiques dont la savante agglomération
constitue un être vivant.
Les effets si curieux de l’augmentation de pression de-
vaient tout particulièrement fixer mon attention. J’ai cepen-
dant fait quelques expériences avec l’air dilaté; mais j’en
mêle le récit à celui des autres, avec lesquelles elles ont été
le plus souvent faites simultanément.
Je dois dire enfin que j’ai employé à tour de rôle, et sui-
vant l’intérêt des expériences, de l’air ordinaire comprimé,
de l’air suroxygéné comprimé, ou de l’air suroxygéné à la
pression normale. Je considère comme suffisamment démon-
trée par toutes les recherches antérieures cette vérité que
l’action de la compression n’est autre que l’action de l’oxy-
gène à haute tension. Du reste, pour les questions traitées
dans ce chapitre, les expériences constituent un contrôle qui
devient par lui-même démonstratif.
FERMENTATIONS PAR ORGANISMES.
869
SOUS-CHAPITRE PREMIER.
FERMENTATIONS PAR ORGANISMES.
g 1er. — Putréfaction.
J’ai pris tout particulièrement comme type et sujet d’étude
les fermentations de la putréfaction. Certes, au point de vue
chimique, les phénomènes que la putréfaction présente sont
. extrêmement complexes et difficiles à suivre. Mais sa con-
stance, la facilité avec laquelle on l’obtient, les signes exté-
rieurs aisés à constater qui la caractérisent, m’ont paru être
d’un grand avantage pour le point de vue auquel je suis
placé. Aussi commencerai-je par énumérer les principales
expériences que j’ai faites sur ce sujet important.
Il s’agira d’abord de la putréfaction de la viande :
A. — Viande.
Expérience CCCLXXXVI. — 21 juillet, 0 = 22°. Muscles de chien tué
quelques heures avant. 100^r, coupés en morceaux, sont placés :
A. dans un flacon de 21, à la pression normale;
R, — 4*,250, à 58e de pression ;
C, dans le récipient à eau de Seltz, contenant 1050cc, où je comprime à
5 1/2 atmosphères un air suroxygéné contenant 75,7 pour 100 d’oxygène.
Tension de l’oxygène: 75,7x5,5 = 410, équivalant à 20,8 atmosphères
environ.
25 juillet. A. Le tube manométrique annexé indique environ 1e (mer-
cure) d’excès de pression. La viande est évidemment très-pourrie. L’air
du flacon est horriblement infect ; il contient 58 pour 100 d’acide carbo-
nique, mais plus trace d’oxygène. Il y a eu ainsi 41 0CC d’oxygène con-
sommé et 760cc d’acide carbonique produit.
B. La pression a baissé de 1e au plus; la viande a un aspect un peu rosé.
L’air du flacon est un peu moins infect que celui de A ; il contient 50,9
pour 100 de CO2, mais plus trace d’oxygène. Il y a donc eu 440cc d’oxy-
gène consommé et 649cc de CO2 produit.
C. Pression bien maintenue. La viande est d’une couleur ambrée. L’air
du récipient n’a aucune odeur; il contient 7,2 pour 100 de CO2 et 69 pour
100 d’oxygène. Il v a donc eu environ 557cc d’oxygène consommé et
596cc de CO2 produit.
Expérience CCCLXXXXII. — 27 juillet. 7h du soir. 0 = 25®. Un petit chien
870 EXPÉRIENCES.
étant mort la veille au soir, ses pattes postérieures, pesant 95sr, sont
placées :
A, sous une cloche de 51,200, pleine d’air à la pression normale; la
cloche étant bien fermée.
B, dans l’appareil à eau de Seltz (1050cc), avec A atm. suroxygénées.
28 juillet . A 5h, on change l’air de A et celui de B, qu’on maintient à
7 atmosphères.
29 juillet , 2h. A. L’air, qui ne sent rien, contient : 0. 17,1 ; GO2 1,8.
La viande est rougeâtre.
B. L’air ne sent rien, et contient 0. 65,5; CO2 0,8. La tension de
l’oxygène était donc au début environ 66 x 7 = 462?, équivalant à 25 atm.
d’air. La viande est jaunâtre. Je ramène la pression à 6 atm. 1/4.
51 juillet , 5h du soir. 6=25°. A. L’air sent fort mauvais; il contient ;
O, 5,8; CO2 17,2; il y a donc été consommé, depuis le 29 juillet,
554cc d’oxygène, et formé 1 1 7CC de CO2.
B. Aucune odeur. 11 a été consommé 52cc d’oxygène, et formé 50cc de CO2.
A est retiré et changé d’air, avec la même cloche ; la viande répand
une odeur horrible ; les poils et l’épiderme se détachent.
B est amené à 6 atmosphères.
o août, 2h. 0—21°. A. Air d’une puanteur repoussante; couvert de
moisissures. L’air ne contient plus trace d’oxygène, mais 25,9 de CO2 ; il
a été consommé, depuis le 51 juillet, 651 cc d’oxygène et formé 741 cc de CO2.
B. Aucune odeur, aucune moisissure. L’air contient 59,2 d’oxygène
et 5,2 de CO2. Il a donc été consommé 548cc d’oxygène, et formé 212cc
de CO2.
B est retiré et placé sur une assiette dans le laboratoire. Dès le len-
demain, commence à sentir mauvais; le 7, des moisissures y appa-
raissent.
Expérience CCCLXXXVIII. — 14 novembre. 0 = 14°.
A. Je place dans l’appareil cylindrique en verre deux côtelettes de mou-
ton, et les soumets à 11 atmosphères de pression, avec de l’air contenant
79,9 pour 100 d’oxygene. La tension de ce gaz est donc 879, correspon-
dant à 44 atmosphères d’air environ.
B. Une autre côtelette est suspendue dans une vaste cloche fermée.
19 novembre. B est infect.
A a bonne apparence. Le manomètre est tombé à 7 atmosphères. L’air,
qui ne sent absolument rien, contient 78,4 d’oxvgène et pas trace d’acide
carbonique.
Je pousse de nouveau la pression à 11 atmosphères avec de nouvel
oxygène.
21 novembre. Toujours aucune mauvaise odeur à A, et bon aspect.
Je prends une côtelette fraîche C, et la suspends dans une cloche abso-
lument remplie d’eau. Je fais alors arriver dans cette cloche une certaine
quantité de l’air comprimé venant de A ; il reste de l’eau au fond de la
cloche. A tombe alors à 6,5 atmosphères.
FERMENTATIONS PAR ORGANISMES.
871
24 novembre. Aucune odeur à A. On laisse se faire une très-légère
fuite, en sorte que le 25 la pression est normale; les côtelettes ont pris
une couleur jaunâtre.
B est alors en putréfaction complète. G est jaunâtre, et l’eau s’est
élevée dans sa cloche.
13 décembre. J’ouvre l’appareil et mets fin à l’expérience.
A. Viande rose, un peu acide; odeur faible de marinade. Je fais griller
les côtelettes ; elles présentent un goût fade , mais non repoussant.
B a dû être jeté depuis le 10, réduite enputrilage.
C. Viande flasque, rose, un peu acide; odeur désagréable, mais qui
n’est pas celle de la putréfaction ordinaire.
Expérience CCCLXXXIX. — 22 novembre.
A. On place dans le récipient à eau de Seltz (1050cc) deux côtelettes, qui
sont poussées à 8 atmosphères suroxygénées.
B. Une autre côtelette est placée, sous cloche, dans de l’oxygène.
G. Une troisième, de même, dans de l’air.
24 novembre. A est tombé à 2 atmosphères; je recharge à 8 atmo-
sphères ; la viande est d’un rouge sombre.
B est d’un rouge vif.
C a la couleur ordinaire.
1er décembre. A n’a aucune mauvaise odeur ; consistance normale ;
réaction alcaline, aspect jaunâtre.
B. Odeur mauvaise ; réaction alcaline.
G. Odeur tout à fait infecte; chairs diffluentes ; réaction acide; noircit
le papier à acétate de plomb.
*
Expérience CGGXG. — 11 décembre.
Sous deux cloches renversées sur l’eau, et dont l’une A contient de
l’air, l’autre B de l’oxygène, on suspend des fragments de muscle.
8 janvier. L’air est infect dans les deux cloches; A présente un grand
nombre de champignons ; B, quelques-uns seulement.
Expérience GGCXCI. — 19 décembre. On taille trois morceaux de viande
non graisseuse, aussi semblables que possible dans la forme.
A. L’un, pesant 458r, est suspendu sous une cloche fermée, de 111, 5,
pleine d’air ordinaire.
B. Le second, pesant 40«r, est suspendu dans une cloche de 3!,2, qui
contient un air à 90 pour 100 d’oxygène.
G. Le troisième, pesant 35sr, est placé dans l’appareil cylindrique en
verre, et soumis à la compression de 10 atmosphères d’un air contenant
88 pour 100 d’oxygène ; la tension de l’oxygène est donc exprimée par 880,
correspondant à 44 atmosphères d’air.
, 26 décembre. On prend de l’air aux 3 cloches, sans le renouveler.
A. La viande a mauvais aspect ; la partie inférieure évidemment putré-
fiée. L’air a une odeur fade, un peu faisandée. L’air contient : O. 12,2;
CO'2 6,4.
872 EXPÉRIENCES.
B. A peu près même aspect de la viande. Odeur fade. L’air contient :
O 70; CO2 12,9.
G. La viande a bon aspect, mais un peu brunie. Aucune odeur. L’air
n’a nullement changé de composition.
8 janvier. On prend encore de l’air, et on arrête l’expérience.
A. Viande très-acide, avec une horrible odeur ; ramollie. L’air contient
7 pour 100 d’oxygène et 12,3 de CO2.
B. Viande très-acide; odeur très-mauvaise, mais moins forte que A.
L’air contient 40 pour 100 d’oxygène et 58,2 de CO2.
C. Viande un peu acide, grisâtre, ferme, avec une légère odeur aigre-
lette, qui n’est pas désagréable. Cuite, elle est fadasse, mais sans mauvais
goût.
La composition de l’air n’a pas changé. — Si nous cherchons à déter-
miner, dans ces deux périodes, la quantité d’oxvgène qui a été con-
sommée, et la quantité de CO2 qui a été produite par la viande placée dans
ces diverses conditions, nous arrivons aux résultats suivants, où tout est
rapporté à un poids égal, 100gr de viande.
Du 19 au 26 décembre :
A (air ordinaire, pression normale) a consommé 21, 2 d’oxygène et pro-
duit 1!,6 de CO2.
B (air à 90 pour 100 d’oxygène, pression normale) a consommé 1 *,7
d’oxygène et produit 1*,2 de CO2.
C (air à 88 pour 100 d’oxygène, 10 atmosphères) a consommé 01 d’oxy-
gène et produit 01 de CO2.
Du 26 décembre au 8 janvier:
A (air à 12,2 pour 100 d’oxvgène) a consommé 1^3 d’oxygène et produit
ll,4 de CO2.
B (air à 70 pour 100 d’oxygène) a consommé 2*,6 d’oxygène et pro-
duit 21 de CO2.
C (air à 88 pour 100 d’oxygène, 10 atmosphères) a consommé 01 d’oxy-
gène et produit 01 de CO2.
J’appelle particulièrement l’attention sur cette expérience.
Elle montre que, en vingt jours, la viande dans l’oxygène
comprimé n’a pas consommé d’oxygène ni formé d’acide car-
boniqne ; elle n’a pas présenté apparence de putréfaction.
On voit, de plus, que la viande consomme moins d’oxygène
dans l’air à 90 pour 100 d’oxygène que dans l’air à 21, mais
plus dans l’air à 70 que dans l’air à 12.
Expérience CCCXCII. — 17 janvier. Morceaux de viande égaux en poids
et semblables de forme.
A. Placé dans une cloche de 15L5, où la pression est abaissée à demi-
atmosphère.
B. Cloche de 7',1 ; air ordinaire, à la pression normale.
FERMENTATIONS PAR ORGANISMES. 873
C. Cloche de 2l,6 ; air à la pression normale, contenant 59 pour 100
d’oxygène.
D. Cloche de 31,2 ; air à la pression normale, contenant 59,8 d’oxvgène.
Toutes ces cloches sont hermétiquement fermées, avec clôture hydrau-
lique.
23 janvier. La viande la moins altérée en apparence est A ; les plus
altérées sont C et D. On prend de l’air :
B contient 13,5 d’oxygène et 7,2 d’acide carbonique.
A - 16,4 - 5,3 —
C — 25,2 — 19,1 —
D — 36,0 17,5 —
On calcule aisément, à l’aide de ces données, que dans l’espace de six
jours :
A (air ordinaire, à 1/2 atmosphère) avait consommé 343cc d’oxygène et
formé 418 de CO2.
B (air ordinaire, à 1 atmosphère) avait consommé 524cc d’oxygène et
formé 514 de CO2.
C (air suroxygéné, correspondant à 2 1/2 atmosphères) avait consommé
642ec d’oxygène et formé 496 de CO2.
D (air suroxygéné, correspondant à 5 atmosphères) avait consommé
761 cc d’oxygène et formé 556 de CO2.
La consommation d’oxygène a donc toujours été en augmentant de 1/2
atmosphère à 5 atmosphères.
Expérience CCCXCIIÏ. — 14 janvier. Des morceaux de viande de bœuf
sont placés dans deux petits flacons (A et A'), dont les bouchons sont tra-
versés d’un tube capillaire; on les enferme alors dans l’appareil cylin-
drique sous une pression de 10 atmosphères suroxy gênées.
27 janvier. Décompression; la viande, un peu brunie, ne semble point
altérée. On cachète rapidement les tubes capillaires avec de la cire bouil-
lante, et l’on renverse les deux flacons dans des vases pleins d’eau. Deux
morceaux de viande sont disposés de la même manière à côté d’eux
(B et B').
10 février. B et B' sont évidemment pourries, et sentent mauvais à tra-
vers les bouclions.
A a laissé rentrer un peu d’eau ; depuis ce moment, la viande est re-
devenue rose ; l’eau est sanguinolente et se couvre de moisissures. A', au
contraire, est très-ferme, très-saine, de couleur ambrée.
25 mars. Même aspect; l’eau a continué de monter dans A. On ouvre ce
flacon, il sent très-mauvais.
22 mai. Fin de l’expérience. Les témoins B et B' sont en putrilage in-
fect ; au microscope, on y voit beaucoup de vibrions, mais plus de fibres
musculaires distinctes ; seulement quelques disques de Bowman.
On a remarqué depuis quelques jours qu’à travers les pores du bou-
chon de A' s’échappent des bulles de gaz. La viande est devenue rosée,
874
EXPÉRIENCES.
mais elle est ferme et raide. Elle sent mauvais et est neutre aux réactifs.
Au microscope, on y trouve quelques rares vibrions, les fibres musculaires
sont restés bien striées. L’air de ce flacon contenait 75 pour 100 de
gaz soluble dans l’eau potassée.
Expérience CCCXCIV. 19 juin. 6 = 18°.
Mis dans deux flacons bouchés au liège, de l’eau où l’on a broyé des
fragments de viande :
' A. Conservé comme témoin.
B. Bouchon percé d’un trou, flacon agité jusqu’à ce que toutes ses parois
soient mouillées, puis placé dans le grand récipient à mercure, où l’on
comprime à 20 atm. de l’oxyg. à 88 pour 100. La pression correspond
donc à 88 atm.
24 juin . 0 ■= 19°. La pression est encore de 15 atm., 5. A, est rouge
et sent mauvais. On décomprime et l’on cachète aussitôt B, qui est ambré
et paraît ne rien sentir.
6 juillet. A est très-rouge, un peu alcalin; l’odeur en est infecte; il n’y
a plus de moisissures à la surface ; le précipité, très-abondant, contient
en grand nombre des vibrions très-vifs, dont l’extrémité se termine par un
renflement réfringent, et aussi des bactérium terrno très-agiles. (Les obser-
vations microscopiques sont faites avec l’aide de M. Gayon, préparateur
de M. Pasteur, à l’École normale.)
B a commencé à rougir depuis quelques jours, le bouchon était évidem-
ment mauvais. Le liquide est couvert de moisissures verdâtres, constituées
par un pénicillium à spores lisses elliptiques (■ virens ?) ; il est très-peu
alcalin. Il exhale une odeur faible de moisi, mais non de putréfaction.
On n’y trouve pas de vibrions, mais des bactériums très-fins et très-
agiles, et en outre de longs filaments d’une nature inconnue.
Expérience CGGXGV. — 26 juin 1874. 0=19°.
Deux lamelles de viandes sont placées chacune dans un flacon :
L’un A, est bouché et gardé comme témoin.
Le second B, est bouché, le bouchon percé d’un trou, puis porté à
15 atm. suroxygénées. J’ai ajouté un peu d’eau, et agité de manière à
mouiller les parois et le bouchon.
*21 juillet. On décomprime. A sent fort mauvais, depuis longtemps, à
travers le bouchon, et est évidemment tout à fait pourri. B est jaunâtre,
paraît sain, et n’exhale aucune odeur. Le bouchon a été enfoncé presque
tout entier. Cependant je couvre tout l’orifice du flacon de cire bouillante.
5 août. Même état.
Les flacons sont conservés tout le reste de l’année, et la viande de B
garde le même aspect.
16 janvier 1875, je montre A et B à la Société de Biologie. A est en
putrilage complet. B a identiquement la même apparence que le 21
juillet.
Le 28 juin 1875, je montre ces flacons à l’Académie des sciences;
même aspect.
FERMENTATIONS PAR ORGANISMES.
875
Le 5 août , ouvert au laboratoire de chimie de M. Ghevreul, devant
M. Cloëz : odeur aigrelette, agréable ; réaction un peu acide. Le flacon
étant cassé, je mets dans le laboratoire même la viande, sans précautions,
dans un flacon bouché à l’émeri.
Le 7 août , même odeur et même aspect ; pas de trace de putréfaction.
Expérience CCCXCYI. — 25 juin. Deux morceaux de viande, du poids
de 31 grammes, sont taillés de forme semblable.
L’un A, est suspendu dans une cloche de 111, 5 pleine d’air, avec ferme-
ture hydraulique.
L’autre B, est placé dans l’appareil cylindrique en verre (cap. 650cc),
au fond duquel sont quelques centimètres cubes d’eau. On fait la com-
pression à 10 atm. 1/2, avec de l’air à 81,1 pour 100 d’oxy, (tension 850
— 42,5 atm. d’air), et l’on agite ensuite l’appareil de manière à en mouil-
ler toutes les parois.
30 juin : A, horiblement pourri, couvert de moisissures ; l’air contient
16,3 pour 100 d’oxyg., et 2,8 p. 100 d’ac. carbonique.
Il y a eu ainsi de consommé 522cc d’oxyg., et de formé 328cc d’ac.
carb.
B. Couleur ambrée; aucune odeur. L’air a conservé presque exacte-
ment sa composition primitive, puisqu’il contient 80,4 d’oxyg., et pas
d’ac. carb.
11 y a donc eu 49cc d’oxyg. de consommé. On ramène la pression à 2,75
atm.; tension de l’oxygène : 220 = 11 atm.
12 juillet. B resté dans le même air; même aspect; toujours même
odeur.
Mais l’air ne contient plus que 69 pour 100 d’oxyg., avec 12 pour 100
de CO2.
Il y a donc eu 21 0CC d’oxyg. de consommé, et 21cc d’ac. carb. devenu
libre.
On ramène la pression à 2,5 atm., la tension n’est plus que de 172 —
8,6 atm.
21 juillet. Même pression, même air. L’aspect est le même, il n’y a
aucune odeur.
L’air ne contient plus que 57,2 pour 100 d’oxyg., avec 23 pour 100 deCO2.
Il y a donc eu 1583cc d’oxyg. consommé.-
27 juillet : même aspect ; toujours aucune odeur.
Sans déboucher l’appareil, je le décharge entièrement, le ventile avec
de l’oxyg., et pousse de nouveau la pression à 10 atm. 1/2. 1/air contient
alors 77,6 d’oxyg., et 1,2 de CO2, tension de l’oxyg., 814 = 40,7 atm.
d’air.
En même temps, je suspends dans une cloche de 15^5 un morceau
de viande pesant 20 gr. — C.
3 août. B. La pression a bien tenu; la viande a toujours le même as-
pect. L’air qui ne présente aucune odeur, contient 74,9 d’oxyg. et 3,2
de CO2.
876
EXPÉRIENCES.
On voit aisément qu’il y a eu, en rapportant à 100 gr. de viande, 390cc
d’oxyg. consommé, et 397cc de GO2 formé.
G. La viande est alcaline, infecte. L’air contient 16,2 d’oxyg., et 3,6
de GO2.
Il y a donc eu pour 100 gr. de viande, 2295cc d’oxyg. consommé, et
3605ce de CO2 dégagé.
5 août. Je décomprime la viande qui est restée à 10 atm. Elle est jaune,
assez ferme, et ne sent rien.
Je la mets dans une éprouvette qui avait été maintenue dans de l’eau
bouillante, et je bouche avec un bouchon de caoutchouc qui était resté
également longtemps dans l’eau bouillante.
18 janvier 1875. La viande a conservé à peu près son aspect primitif.
Ouverte, elle est à peine ramollie, mais sent très-mauvais. Neutre aux
papiers réactifs.
Expérience CCCXCVll. 21 juillet 1874, 6b du soir. Morceaux de viande
coupés en morceaux et placés :
A, dans un matras bouché;
B, dans un matras semblable, dont j’étire le col à la lampe, n’y laissant
qu’un petit orifice. Je le mets dans l’appareil en fer, et pousse la pression
à 15 atm. suroxygénées.
22 juillet. La pression est tombée; je retire B, et l’agite de manière
que toutes les parois soient mouillées. Puis je le remets en place, et re-
monte à 8 atm. 1/2 suroxygénées.
A commence à sentir mauvais.
Le juillet, poussé à 12 atm. suroxygénées.
Le 24 juillet , poussé à 15 atm. suroxygénées.
Le 30 juillet , la pression est de 14 atm. ; je décomprime, et ferme à la
lampe le bout effilé de B : aucune odeur, aspect ambré.
A sent horiblement mauvais.
17 janvier 1875. Présenté à la Société de Biologie. A est un putrilage
horrible d’aspect et d’odeur.
B, que je n’ouvre pas, a conservé sa forme et son apparence premières.
On voit seulement quelques taches blanches qui semblent être de la
graisse.
27 mai 1875. A est horrible; pas de fibres reconnaissables au micro-
scope.
B a éclaté dans la nuit ; la viande est ambrée, elle a conservé sa con-
sistance, ses fibres avec leurs stries; légèrement alcaline; odeur assez
faible de pourri.
Expérience CCCXCV1II. — 22 janvier. Languettes de viande pesant cha-
cune 20 grammes, suspendues :
A. Dans l’appareil à compression en verre à 5 atmosphères d’air, qui
représentent ainsi 5250cc d’air.
B. Dans une cloche contenant 2500cc d’air, à la pression normale.
G. Dans une cloche de 71 00cc, à une demi-atmosphère.
FERMENTATIONS PAR ORGANISMES.
877
26 janvier. Les trois viandes ont une réaction alcaline. A a un peu
d’odeur. B sent notablement plus mauvais que C.
L’air de A contient 20,4 pour 100 d’oxygène ; celui de B 16,5 ; celui de
G 19,2.
On tire de ces chiffres cette conséquence que, dans l’appareil A,
100 grammes de viande ont consommé 8lcc d’oxygène; dans la cloche B,
550cc, et dans la cloche C, seulement 500cc.
Expérience CGCXCIX. — 28 janvier. Languettes de viande pesant chacune
59 grammes, disposées dans les mêmes appareils qu'à l’expérience précé-
dente :
A. A 5 atmosphères d’air, solution de potasse dans le fond de l’appa-
reil.
B. Pression normale.
G. Un tiers d’atmosphère.
2 février. Un peu d’odeur partout; toutes les viandes alcalines.
A contient 12,9 pour 100 d’oxygène. B 16,1. G 18,2. D’où résultent
pour 100 grammes une consommation d’oxygène : en A de 405cc ; en B de
513cc; en G de 103cc.
Il faut faire remarquer que la tension de l’oxygène avait bien diminué
en A, puisqu’à la fin de l’expérience elle n’était plus que de ^2,9x3 = 58,7,
c’est-à-dire moins de 2 atmosphères d’air.
Expérience GGCG. — 5 février. Languettes de viande de 39 grammes.
Mêmes cloches ; mais dissolution dépotasse au fond des cloches, et papiers
imbibés de potasse sur les parois : -
A. Pression normale.
B. Un tiers d’atmosphère. 1 .
8 février . L’air de A contient 10,9 pour 100 d’oxygène; celui de B 15,6.
Pas d’acide carbonique.
D’où, pour 100 grammes, consommation de 249cc en A; de 141cc seule-
ment en B.
Expérience GGCGI. — 10 février. Languettes de 45 grammes. Mêmes ap-
pareils. Potasse partout :
A. Pression normale.
B. 3 atmosphères d’air.
15 février. L’air de A contient 20,1 pour 100 d’oxygène; celui de
B 18,9.
D’où consommation, pour 100 grammes : en A de 19cc d’oxygène ; en
B de 38cc.
Expérience GGGGII. — 16 février. Languettes de viande de 50 grammes
chacune. Potasse dans les récipients.
A. Pression normale. Cloche contenant 2^450 d’air, soient 512cc d’oxy-
gène.
B. Appareil cylindrique en verre, à 4 atmosphères d’air, contenant une
quantité d’oxygène correspondant à 504cc, à la pression normale.
878
EXPÉRIENCES.
19 février. — A. Mauvaise odeur; son air contient 16,8 d’oxygène.
B. Odeur un peu moins mauvaise ; l’air contient 16,4 d’oxygène.
D’où, pour 100 grammes, consommation en A de 101cc d’oxygène; en B
de 109cc.
Expérience CCCC111. — 22 février. 50 grammes de viande. Mêmes appa-
reils qu’à l’expérience précédente. Potasse partout :
A. Pression normale.
B. 4 atmosphères d’air.
24 février. Pas d'odeur nulle part.
L’air de A contient 21,0 d’oxvgène; celui de B 20,8.
Expérience GGGG1V. — 17 mars. Viande en morceaux et eau ; dans 2 pe-
tits matras effilés à la lampe.
A. A la pression normale.
B B'. A 15 atmosphères d’une compression faite avec de l’air contenant
80 pour 100 d’oxygène.
26 mars. Décomprimé. A pourri, infect. B n’a pas d’odeur et est neutre
aux papiers réactifs. Je ferme B' à la lampe.
15 mai. — B' a bon aspect; le liquide dans lequel baigne la viande a la
couleur rosée naturelle.
10 juin. L’aspect de B' a changé depuis quelques jours ; il a perdu son
aspect rosé. Dans la nuit du 9 au 10 juin, le matras éclate ; les morceaux
de viande ont une odeur infecte, avec réaction un peu alcaline; mais ils
ont conservé leurs formes, et on reconnaît aisément les stries musculaires
au microscope. A est, au contraire, un putrilage horrible, et l’on n’y peut
retrouver les stries.
Expérience CCCCV. — 28 mai. Viande en morceaux, dans 2 matras étirés
à la lampe et ouverts â l’extrémité.
A. Laissé à l’air libre.
B. Mis à 8 atmosphères suroxygénées.
L’appareil perdant, on recomprime à plusieurs reprises, jusqu’à 25 at-
mosphères suroxygénées; pendant plusieurs jours la pression reste à
15 atmosphères.
26 juin. — A est horriblement pourri, et depuis longtemps.
B. Ne sent rien; est de couleur ambrée.
28 juin. Je présente le matras B à l’Académie des sciences ; je l’ouvre
en séance : la viande est neutre et n’a qu’une légère odeur aigrelette, pas
désagréable.
Je rebouche le matras sans soin, avec un bouchon échancré , et le rap-
porte au laboratoire.
5 juillet. Aucune odeur.
11 juillet. Très-légère odeur.
19 juillet. La viande est couverte de moisissures, mais ne sent nullement
le pourri.
Expérience GGGCV1. — 29 novembre. Pression barométrique 758mm ;
FERMENTATIONS PAR ORGANISMES.
879
temp. 14°. Au sommet de trois cloches sont suspendus des morceaux de
viande pesant chacun 25^r.Une dissolution de potasse au fond de chaque
cloche absorbera l’acide carbonique au fur et à mesure de sa produc-
tion.
Le bouchon de la cloche laisse passer un tube coudé, dont l’extrémité
plongeant dans du mercure servira de manomètre.
La cloche A (41,6) contient de l’air normal.
La cloche B (159) contient de l’air à 45,5 pour 100 d’oxygène.
La cloche C (l1, 5) — 91,7 —
4 décembre. On ouvre les cloches et on analyse l’air ; la pression baro-
métrique est 735m,n; temp. 14°. La viande de la cloche G sent moins
mauvais que les autres ;
L’absorption de GO2 a amené une dépression de 2e, 7 dans la cloche A,
une de 10e en B, de 10e en G. 11 n’y a nulle part d’acide carbonique.
L’air de A ne contient plus que 17,2 d’oxygène ; celui de B que 55,5 ;
celui de G en contient encore 91,5.
Des calculs simples, dans lesquels on tient compte de la pression ba-
rométrique et de la différence de tension dans les cloches, montrent que :
A qui avait à sa disposition 961 cc d’oxvgène en a consommé 258
B — 867cc ° — 284
G — 1576e- — 185
Si nous envisageons d’abord celles de nos expériences qui
ont porté sur la diminution de pression, nous voyons d’une
manière nette que dans l’air raréfié la putréfaction a été
notablement ralen tie et l’oxydation diminuée.
Ainsi, dans l’expérience CCCXCII, tandis qu’un certain
poids de muscles avait, dans un certain temps, à la pression
normale consommé 524cc d’O. et formé 51 4CC de GO2, la con-
sommation d’O. s’était à demi-atmosphère abaissée à 545ce,
et production de CO2 à 418. Même résultat à l’expérience
GCCXCVIII, où la consommation d’O. s’est abaissée de 550cc à
500, pour le même écart de pression ; de plus, la viande
maintenue dans l’air déprimé sentait bien moins mauvais
que l’autre. Enfin, dans l’expérience GGGXG1X, à un tiers
d’atmosphère, la consommation d’O. a été juste un tiers de
celle à la pression normale.
Mais ces résultats n’ont rien de bien extraordinaire ; l’on
savait depuis longtemps que la putréfaction n’a pas lieu dans
le vide, et il était tout naturel de penser qu’elle serait d’au-
tant moins active que l’air serait plus raréfié.
880
EXPERIENCES.
Les effets de F augmentation de tension de l’oxygène
étaient bien plus intéressants à étudier.
Le fait le plus saillant que m’aient présenté les expériences,
c’est que, dans l’air suffisamment comprimé, la putréfaction
ne se fait pas, aucune odeur désagréable ne se manifeste, et
le muscle conserve, sauf sa couleur, son aspect normal ; sa
structure microscopique n’est point sensiblement altérée
(Exp. CCCXCIII et CCCCIV).
Presque toutes les expériences ci-dessus rapportées présen-
tent des exemples remarquables de ce fait.
Mais ce n’est pas tout : lorsqu’on laisse échapper l’excès
de pression, et qu’on prend des précautions suffisantes pour
se mettre à l’abri des germes apportés du dehors, la putréfac-
tion n’apparaît plus ; si bien que pendant des semaines, des
mois, on peut conserver, à la pression normale, de la chair à
l’état frais. J’appelle particulièrement l’attention à ce point
de vue sur les expériences où j’ai fait cuire et manger des
viandes ainsi conservées depuis 20 jours (Exp. GCCXGI), ou
un mois (Exp. CCCLXXXVIII).
Pour arriver à des résultats concluants et constants, les
plus grandes précautions de détail sont nécessaires. Je ne les
prenais pas toujours au début; d’où résultent, dans certaines
des expériences qui précèdent, et dans d’autres sur le sang,
le lait, etc., d’apparentes exceptions que j’ai tenu à mention-
ner cependant, parce qu’elles sont instructives.
Ainsi, dans mes premières expériences, lorsque je voulais
conserver une substance, après l’avoir soumise à la compres-
sion, je fermais d’un bon bouchon de liège le flacon où elle
était placée ; ce bouchon était percé d’un trou, et lorsque
j’avais retiré le flacon de l’appareil, j’appliquais sur cet ori-
fice fin une goutte de cire fondue, avec laquelle, du reste, je
cachetais tout le bouchon.
Je ne tardai pas à apprendre que cette précaution était in-
suffisante. Les bouchons, même neufs, même lavés, même
chauffés, recèlent trop souvent des germes encore en activité.
J’eus alors recours aux matras, ballons, tubes, que j’étirais à
la lampe, après y avoir introduit la substance en expérience ;
FERMENTATIONS PAR ORGANISMES.
881
le trou presque capillaire de la partie étirée permettait à
l’équilibre de pression de s’établir.
Je m’aperçus encore, à mes dépens, que les germes restés à
l’état sec sur les parois du petit récipient suffisaient, surtout
quand il s’agissait de la putréfaction, mon laboratoire de
dissection en étant bourré, pour troubler les phénomènes.
Je ne pouvais me mettre sûrement à l’abri qu’en ajoutant un
peu d’eau et en remuant avec soin le récipient, avant de le
soumettre à la compression, afin de tuer en même temps et
les germes contenus dans la substance, et ceux des parois
qui se trouvaient mouillés.
Il ne faudrait pas croire cependant, je me hâte de le dire,
que ce procédé de conservation puisse avoir une valeur pra-
tique; les viandes qui ont été comprimées présentent une
saveur fade qui les rend fort peu agréables. Elles doivent
probablement ce goût en partie à l’acide qui s’v développe
pendant la compression : acide non volatil, non odorant, et
qui est probablement de l’acide lactique.
Cette chair, qui ne se putréfie pas, absorbe infiniment
moins d’oxygène que celle qui reste dans les conditions nor-
males. Cela a été étudié particulièrement dans les expé-
riences CCCLXXXVI et CCCLXXXVII.
Mais l’exemple le plus remarquable est fourni par l’expé-
rienceCCCXCI, où, en 20 jours, la viande placée sous une com-
pression d’oxygène équivalant à 44 atm. d’air, n’a pas con-
sommé d’oxygène ni produit d’acide carbonique ; tandis qu’un
même poids de la même viande laissé à la pression normale
avait consommé 3*,5 d’oxygène et formé 51 d’acide carbonique.1
Si on laisse échapper l’excès de pression, et qu’on prenne
les précautions suffisantes pour empêcher l’accès des pous-
sières aériennes, la viande qui se conservera indéfiniment,
ainsi que nous venons de le dire, ne consommera plus que
de très-faibles quantités d’oxygène. C’est ce que montre net-
tement l’expérience suivante :
Expérience CCCCVII. — 20 février. On met dans 15 tubes, 15 morceaux
de viande pesant chacun lgr. Ces tubes sont ensuite étirés à la lampe et
soumis dans l’appareil en fer, à 15 atmosphères très-suroxygénées.
56
882
EXPÉRIENCES.
5 mars. On décomprime avec précaution et l’on ferme à la lampe les
15 tubes. L’analyse de 5 d’entre eux, faite aussitôt, donne de 70 à 80 pour
100 d’oxygène.
13 mars. On brise un des tubes sous le mercure; viande ambrée, pas
d’odeur, réaction acide. On trouve 6,2 pour 100 d’acide carbonique et
77,8 d’oxygène.
Le morceau de viande est alors placé sans précautions dans un tube
bouché avec un bouchon (a).
On place de même, dans un autre tube, lsr de muscle frais (b).
10 mars. Le morceau (a) n’a produit que très-peu de 002 et consommé
peu d’oxygène. Le morceau (b) a consommé tout l’oxygène du tube,
soient 7CC.
27 mars. Un autre tube, ouvert de même sous le mercure, contient
11,0 pour 100 de CO2 et 74,2 d’oxygène.
On met le morceau de viande dans un tube gradué plein d’air bien
bouché (c); un autre morceau, frais, du même poids, est renfermé de
même dans un tube gradué de même capacité ( d ).
10 avril. Le tube c contient lcc,6 de CO2 et 2CC,8 d’O., soient 7,5 de
CO2 et 12,7 d’O. pour 100 ; le tube d 6CC,2 de CO2 et 0CC,2 d’O., soient
28 pour 100 de GO2 et 0,6 seulement d’O.
Ces résultats concordent avec ceux des expériences de
M. Pasteur, montrant que la consommation d'oxygène par
les substances organiques est extrêmement faible, quand on
empêche les êtres vivants microscopiques de s’y développer.
Aux preuves qu’il a fournies, je joindrai l’expérience sui-
vante, où l’action des antiseptiques a donné le même résultat
que celui de l’oxygène à haute tension :
Expérience CCCCVIII. — 26 juin. — A. 14 grammes de muscles avec un
peu d’eau sont placés dans un flacon bouché, contenant 590cc d’air, et ren-
versé sur l’eau.
B. 40 grammes, dans un flacon de 750cc, sont arrosés de quelques
gouttes d’acide phénique et agités ensuite. Le flacon est bouché et renversé
à côté de A.
C. 40 grammes; flacon de 780cc ; .j’y ajoute 2 grammes de chloral qui,
en se dissolvant, blanchissent la chair; bien agité, bouché, renversé près
des autres.
12 juillet. — A. Est pourri; exhale une odeur infecte; l’air (forte
explosion quand on débouche sous le mercure, en telle sorte qu’une par-
tie du gaz ne peut être recueilli sous l’éprouvette) contient 55 pour 100
de CO2, mais plus trace d’oxygène.
B. Aucune odeur de putréfaction ; l’air contient 18,6 pour 100
d’oxygène et 1,1 pour 100 de CO2.
C. Aucune odeur; l’air contient 18,1 d’oxygène et 0,9 de CO2.
FERMENTATIONS PAR ORGANISMES.
885
Ainsi, en rapportant les chiffres à 100 grammes de mus-
cles, on voit que ceux qui se sont putréfiés ont épuisé les
880cc d’oxygène qu’ils avaient à leur disposition, et formé
1512cc de CO2 (sans compter ce qui s’est échappé en débou-
chant le flacon) ; au contraire, 100 grammes conservés par
l’acide phénique ont seulement consommé 55cc,l d’oxygène
et formé 2icc,9 de CO2; 100 grammes conservés par le chloral
ont consommé 35cc,3 d’oxygène et formé 15cc,0 de CO2.
Revenons maintenant à l’action de l’oxygène, et prenons
comme mesure de l’intensité des phénomènes de la putréfac-
tion la consommation de ce gaz dans un temps donné.
Nous ferons observer ici que nous nous appuyons à la fois
sur les expériences faites dans l’air comprimé, et sur celles
où la forte tension de l’oxygène a été obtenue en augmentant
non la pression, mais la proportion centésimale, sous la pres-
sion barométrique ordinaire. Nous sommes suffisamment
autorisé à cette identification par tout ce que nous avons vu
jusqu’ici.
L’expérience CCCXCII nous montre que la quantité d’oxv-
gène consommé augmente avec une tension correspondant à
2 et même à 3 atmosphères d’air; les expériences CCCXCIX
et CCCCI donnent le même résultat pour 3 atmosphères;
mais l’expérience CCCXCI indique, dans sa première partie,
qu’il y a décroissance à la tension de 4 1/2 atmosphères ;
enfin, l’expérience CCCCII montre égalité de consommation
à 4 atmosphères.
Il semble donc, tout d’abord, que le maximum de consom-
mation de l’oxygène s’opère entre 3 et 4 atmosphères. Mais la
question est plus difficile à résoudre qu’on ne le croirait tout
d’abord, et nécessite des expériences conduites avec des pré-
cautions particulières. En effet, dans l’expérience CCCXCII,
par exemple, l’air de la cloche D, dont la tension oxygénée
correspondait au début à 3 atmosphères d’air, et où il y a eu
oxydation plus active, ne correspondait plus à la fin de l’expé-
rience qu’à moins de 2 atmosphères. Il faut donc employer
ici un artifice expérimental qui permette de maintenir pen-
dant tout le temps de l’expérience la même tension de l’oxy-
884
EXPÉRIENCES.
gène et de se débarrasser de Facide carbonique au fur et à
mesure de sa production.
Pour y parvenir, j’ai monté l’appareil représenté par la
ligure 74.
Fig. 74. — Consommation d'oxygène et production de CO2 par un morceau de viande
dans une atmosphère de richesse oxygénée constante.
C’est un flacon C (quelquefois une cloche) plein d’un mé-
lange suroxygéné, dosé à l’avance; dans le fond se trouve
une dissolution de potasse dont l’acide carbonique a été éga-
lement titré à l’aide de la pompe à mercure. On y a suspendu
le morceau de viande, de poids connu. L’absorption de l’oxy-
gène et la fixation du CO2 ont pour effet de faire rentrer dans
le flacon, bulle à bulle, l’oxygène pur contenu dans une
éprouvette graduée E ; un flacon-soupape P s’oppose au reflux
de l’air du flacon pour le cas où son volume augmenterait
(température, diminution de pression, etc.). On dispose ainsi
plusieurs appareils qui fonctionnent simultanément, et dans
des conditions identiques, sauf la composition plus ou moins
riche en oxygène de l’air des flacons. L’expérience terminée,
l’analyse de l’air des flacons, la hauteur de la colonne d’eau
FERMENTATIONS PAR ORGANISMES.
885
dans l’éprouvette, la quantité de GO2 contenue dans la potasse
donnent tous les éléments du problème.
Mais il fallait avant tout établir le degré d’exactitude de ce
procédé expérimental. La critique a pu être faite aisément
en employant de l’air ordinaire et en faisant plusieurs expé-
riences simultanées dans des conditions identiques. En voici
le résultat :
Expérience CGGC1X. — 18 janvier. Morceaux de viande pesant 25§r, dans
4 cloches égales avec de l’air ordinaire.
22 janvier. L’analyse des solulions de potasse montre que la produc-
tion d’acide carbonique a été de 195cc,8; 197cc,8 ; 204cc,8 ; 206cc,8.
La cause d’erreur est donc, pour l’acide carbonique, d’en-
viron 5 pour 100.
Voyons maintenant ce que donnent les expériences :
Expérience GGGCX. — 4 janvier. Pression 745mm ; temp. 16°. Morceau
de viande pesant 25sr, au sommet de 2 cloches:
A contient de l’air normal
B de l’air 49,6 pour 100 d’oxygène.
7 janvier. On trouve, par l’analyse des cloches et des solutions potas-
sées, que :
A a produit 252cc de GO2.
B — 245cc. —
Expérience CGCCXI. — 24 janvier. Pression 761 mm ; temp. 12°. Même
disposition d’expérience, 5 cloches. Elles contiennent : A air ordinaire,
B air à 55 pour 100 d’oxygène, G air à 79,7 pour 100.
Le 29 janvier , analysé les potasses.
A a produit 225cc d’acide carbonique.
B _ 270cc —
G _ 250cc —
Expérience CCCCXII. — 1er février. Au lieu de cloches, de volumes iné-
gaux, on emploie les flacons de petite dimension, comme il est repré-
senté dans la figure 74.
Dans le flacon A est de l’air ordinaire ; en B, de l’air à 37,5 pour 100
d’oxygène; en G, de l’air à 61,2 pour 100 ; en D, de l’air à 81 pour 100.
7 février. Arrêté l’expérience ; l’analyse des solutions de potasse mon-
tre que :
A a produit 31 7CC d’acide carbonique.
B — 326cc —
C — 395cc —
D — 528cc —
886
EXPÉRIENCES.
Expérience CCCCXIII. — 14 février 0 = 16°. Mêmes appareils.
Dans le flacon À, air ordinaire
— B, air à 41,5 pour 100 d'oxygène.
Le 17 février , arrêté l’expérience :
A a produit 1 30cc d’acide carbonique.
B — 178cc —
Si nous appelons 100 dans chacune de ces expériences, la
quantité d’acide carbonique produite sous la pression nor-
male, nous obtiendrons, par de simples proportions, les chif-
fres suivants, qui indiquent la marche de la production d’acide
carbonique :
Air ordinaire (1 al
tmosph.), il y a
100cc d’acide
carbonique
CCCCXII.
Air à 57,5 d’O. (1,8
- -
105cc
—
CCCCXIII.
— 41,5 — (2
- ). -
1 29cc
—
ccccx.
— 49,6 — (2,5
106cc
—
CCCCXI.
— 55 — (2,5
- )’. -
j 21cc
—
CCCCXII.
— 61,2 — (2,9
- ). -
124cc
—
CCCCXI.
— 79,7 — (5,8
112cc
—
CCCCXII.
— 81 — (5,9
105CC
—
Il résulte de ces chiffres que le maximum de combustion
des tissus a lieu au-dessus de la pression normale, et se trouve
aux environs de trois atmosphères. C’était déjà le résultat au-
quel nous étions arrivé dans le sous-chapitre 11 du chapitre IV,
pour les combustions examinées chez les êtres vivants.
Quand les pressions deviennent très-fortes, la diminution
les oxydations des tissus devient extrêmement manifeste.
Ainsi, à "25 atmosphères, la proportion d’oxygène consommé a
diminué dans le rapport de 554 à 52 (Expér. CCCLXXXVII).
Dans l’expérience CCCXCVI, la consommation à la pression
normale a été en 5 jours de 522cc d’oxygène, tandis qu’il n’y
en a eu que 49cc dans l’air comprimé à une tension corres-
pondant à 42,5 atmosphères d’air, et que, dans les 9 jours
d’été suivants, où la tension avait cependant été abaissée à
11 atmosphères, il n’y a eu que 210cc d’oxygène consommé.
On voit donc que la valeur en tension, sous laquelle com-
mencent à diminuer les oxydations rapides dues aux ferments
de la putréfaction, coïncide précisément avec celle où l’action
funeste de F oxygène commence à faire sentir ses effets. Les
FERMENTATIONS PAR ORGANISMES.
887
éléments anatomiques d’une organisation complexe sont donc
impressionnés à la même dose que ceux qui vivent isolés,
sous forme de microzoaires ou de microphytes. Nous trou-
verons de nouvelles confirmations de ces faits quand nous
nous occuperons de l’action de l’oxygène comprimé sur les
végétaux et la germination.
De même, l’expérience CCGLXXXY1 nous montre que la pres-
sion de 21 atmosphères tue complètement les êtres microsco-
piques de la putréfaction, comme elle tue les animaux supé-
rieurs.
Ajoutons enfin que la viande qui s’est ainsi conservée in-
tacte, pendant la compression et après la compression, n’en
reste pas moins un excellent terrain pour le développement
des êtres microscopiques, et que la putréfaction s’y établit ra-
pidement, lorsqu’il arrive à leur contact, en quantité suffi-
sante, des germes apportés par l’air. L’expérience GCGXG1V,
où la pénétration dans le flacon a eu lieu par une fissure im-
perceptible du bouchon, est tout à fait caractéristique. Mais
pour les êtres microscopiques, comme pour ceux de grande
dimension, la récolte est proportionnelle à l’ensemencement;
il n’est donc pas étonnant que, dans ces conditions, la putré-
faction des viandes qui ont été comprimées se fasse avec une
certaine lenteur (Exp. CCCCVII), et que, même dans certains
cas (Exp. CGGCY), les hasards de l’expérience ayant fait entrer
dans les tubes des germes de moisissures, et non des vibrions
de la putréfaction, celle-ci ait été remplacée par une végéta-
tion microscopique.
Il m’est arrivé quelquefois de voir des viandes maintenues
en vases bouchés à la lampe, après la phase de compression
oxygénée, se bien conserver pendant des semaines et des mois,
puis entrer en putréfaction ; c’est ce que montrent, par exem-
ple, les expériences CCCXGV1I et CGGGIV. Dans ce cas, à mon
sens, l’oxygène n’a pas tué tous les vibrions de la putréfac-
tion ; il en a laissé quelques-uns, simplement malades, comme
engourdis, et qui reprennent avec le temps une activité nou-
velle. G’est ce qui arrive également, lorsqu’on a chauffé de la
viande à une température notablement inférieure à l’ébulli-
888
EXPÉRIENCES.
tion ; c est ce qui arrive, lorsqu’on laisse, dans un appareil
où le vide a été fait par l’ébullition, rentrer de l’air à travers
du coton cardé, si le filtre n’a pas été suffisant ; c’est ce qui
arrive, en un mot, toutes les fois que les ferments sont ou en
très-petit nombre, ou altérés par quelque circonstance étran-
gère.
J’ai dù nécessairement étudier la putréfaction de quelques
autres substances. Je transcris ici mes expériences :
B. — Sang.
Expérience CCCCXIV. — 9 juin. Sang de chien, défibriné.
A. 50cc sont placés dans un flacon, à la pression normale.
B. 50cc dans un autre flacon fermé par un bouchon percé. Placé dans
l’appareil en fer et poussé à 12 atmosphères suroxygénées.
La pression tombe les jours suivants, et on ne peut la maintenir qu’à
8 atmosphères.
Le 13 juin. On décomprime et cachète B.
Le 18 juin. — A. Odeur horrible; B. Un peu d’odeur.
Expérience GGCGXV. — -19 juin 1874. Sang de chien, frais, défibriné.
A. Dans flacon bouché, air ordinaire-.
B. Flacon bouché d’un bouchon de liège percé, soumis, après agitation,
à 20 atmosphères suroxygénées, équivalant à 88 atmosphères d’air.
24 juin. — A. Sent horriblement mauvais.
B. Décomprimé, ne sent rien, et est translucide, laqué; je cachète à la
cire l’orifice du flacon.
6 juillet. — A. Couche ridée à la surface; odeur repoussante. Pas de
globules visibles ; vibrions à point terminal brillant, assez nombreux, et
aussi bâtonnets immobiles; cristaux d’hémoglobine.
B. Le sang est redevenu un peu trouble ; pas de couche blanche à la
surface; odeur étrange, très-faiblement putride. Globules sanguins roses et
extraordinairement pâles; pas de cristaux; quelques rares vibrions à
point brillant.
12 juillet. — B. Toujours pas d’odeur putride.
On remet simplement sur B son bouchon, sans cacheter à nouveau. Dans
les mois qui suivent, on l’ouvre fréquemment et le referme sans précau-
tion ; il arrive même que le bouchon tombe à terre et est remis en place
sans autre soin. Cependant l’odeur putride n’apparaît pas nettement.
16 janvier 1875. Présenté à la Société de Biologie.
A. Est horriblement putride.
B. Peut être flairé sans dégoût, mais sent cependant un peu.
Expérience GGGGXV1. — 21 juillet. Sang de chien, défibriné.
En quantités égales dans :
FERMENTATIONS PAR ORGANISMES.
889
A. Malras bouché avec un bouchon de liège.
B. Matras semblable étiré à la lampe ; celui-ci est soumis à 15 atmo-
sphères suroxygénées.
22 juillet . — A. Commence à sentir mauvais.
B. Pression tombée ; je retire B et l’agile pour mouiller les parois du
matras; je repousse ensuite à 8 1/2 atmosphères suroxygénées.
25 juillet. Monté à 12 atmosphères.
2 A juillet. Monté à 15 atmosphères.
50 juillet. — A. Sent horriblement mauvais.
B. Encore 14 atmosphères ; décomprimé ; aucune odeur ; fermé à
la lampe le bout effilé du matras.
Une goutte de ce sang, examinée au microscope, ne présente plus de glo-
bules; aussi est-il d’aspect laqué.
Ainsi, par l’effet de la compression, quand l’expérience a
été bien conduite, le sang se conserve sans se putréfier, dans
l’air comprimé et à sa sortie de l’air comprimé. La seule al-
tération consiste dans l’aspect laqué qu’il prend, aspect dû à
ce que l’hémoglobine quitte les globules pour se dissoudre
dans le sérum. C’est ce qui arrive, du reste, toujours au sang'
mort, et que présente même le sang putréfié en vases clos,
après que la fermentation putride est terminée.
Non-seulement les vibrions sont ainsi tués avant de com-
mencer leur œuvre ; mais lorsqu’on comprime du sang en
pleine putréfaction, on voit celle-ci s’arrêter, et l’odeur ca-
ractéristique diminuer jusqu’à disparaître.
Mais les expériences sur le sang présentent une difficulté
sur laquelle il est intéressant de dire dès maintenant quel-
ques mots, parce qu’elle m’a fait échouer au début dans
nombre d’expériences, et qu’elle pourrait, si je ne la signa-
lais, jeter de l’incertitude dans l’esprit de ceux qui voudront
contrôler mon travail.
Il m’est arrivé fréquemment de voir du sang qui s’était
bien conservé dans l’appareil, pourrir rapidement à la pres-
sion normale, même dans des vases soigneusement fermés à
la lampe. En examinant ces faits avec soin, je reconnus que
cela n’arrivait que pour les expériences faites dans des tubes,
jamais pour celles faites dans des matras. Cette singularité
tient, comme je le soupçonnai aussitôt, à ce que l’épaisseur
890
EXPÉRIENCES.
de la couche sanguine est différente dans les deux procédés
opératoires.
Je m’aperçus alors que l’oxygène, même aux plus hautes
tensions, ne pénètre dans le sang qu’à une faible profondeur.
Exemple :
Expérience CCCCXVll. — 2 décembre. 100cc de sang sont placés dans une
éprouvette à pied ; ils occupent 10e de hauteur ; compression dans la bou-
teille à mercure à 20 atmosphères suroxygénées.
0 décembre. Décompression instantanée ; il se dégage très-peu de gaz
du liquide ; pas de mousse.
Le sérum surnageant occupe une hauteur de 5e ; au-dessous une couche
sanguine très-rouge de 5e ; le reste du sang est tout à fait noir.
Il est donc de toute évidence qu’il ne peut y avoir excès
d’oxygène que dans les couches superficielles du liquide, et
que, par suite, les vibrions placés dans les couches profondes
ne seront pas impressionnés par l’oxygène, ou ne le seront
que faiblement. De là la putréfaction qui apparaît plus ou
moins vite, et que j’ai vue même dans un cas apparaître pen-
dant la compression ; les inégalités dépendent de circon-
stances multiples dans la complication desquelles la hau-
teur de la colonne employée se détache par sa netteté. On ne
devra jamais employer du sang sur une épaisseur de plus de
un demi-centimètre, pour être absolument certain de réussir.
C. — Œufs.
Expérience CCCCXVill. — 19 juin. Œufs battus et bien agités.
Placés en quantités égales dans :
A. Flacon bouché, air ordinaire.
B. Flacon bouché d’un bouchon de liège percé, soumis, après agitation,
à 20 atmosphères suroxygénées, équivalant à 88 atmosphères d’air.
24 juin. — A. Infect, avec moisissures à la surface.
B. Décomprimé, ne sent rien. On trouve le flacon débouché, par l’ex-
pansion des gaz; il faut remettre le bouchon, après l’avoir taillé. Le fla-
con reste ainsi environ 5 minutes ouvert à Pair libre. Je cachète avec soin.
28 juin. — A. Est complètement brouillé.
B. Paraît sain, le jaune surnage nettement.
6 juillet. — A. Horrible odeur ; le bouchon saute quand on l’ouvre ;
l’œuf est tout brouillé et vert.
B. On voit encore deux couches; jaune verdâtre ; pas d’odeur; il y a
des moisissures sur la face inférieure du bouchon.
FERMENTATIONS PAR ORGANISMES.
891
12 juillet. — B, qu’on a rebouché sans précaution, n’a pas d’odeur pu-
tride.
Expérience GGGGXIX. — 21 juillet 1874. Œuf battu.
A. Dans matras bouché avec bouchon de liège.
B. Dans matras semblable, éliré à la lampe. Gelui-ci est soumis à 15 at-
mosphères suroxygénées, agité.
30 juillet. — A. Sent horriblement mauvais et est brouillé.
B. Décomprimé ; ne sent rien, et ses deux couches sont très-neltement
séparées. Je ferme à la lampe.
Au bout de quelques mois, B commence à se coaguler en masse.
18 janvier 1875. — A. Odeur horrible; n’est qu’un magma verdâtre,
très-alcalin.
B. J’ouvre le matras ; l’œuf est coagulé entièrement ; jaune rougeâtre ;
aucune odeur désagréable ; réaction nettement acide.
Expérience CCGGXX. — 29 mai. Œuf battu.
A. Dans matras ouvert, coiffé d’un cornet de papier ; pression normale.
B. Dans matras étiré à la lampe. Poussé à 23 almosphères suroxygénées.
5 juin. — A. Exhale une odeur horrible.
L’appareil à compression a perdu ; je l’ai rechargé à plusieurs reprises ;
il retombe définitivement à 5 atmosphères.
26 juin. Décompression.
A. Est coagulé, infect, avec couche noire au fond du verre.
B. Est divisé en deux couches très-nettes, non coagulées, sans aucune
odeur.
Expérience GCGCXXI. — 17 mars. Œufs battus, dans 2 tubes.
A. Bouché avec un bouchon, air libre.
B. Effilé à la lampe; à 15 atmosphères d’un air contenant 80 pour 100
d’oxygène.
26 mars. Décompression.
A. Odeur infecte; coagulation; je bouche à la lampe.
B. Aucune odeur ; liquide en deux couches nettement distinctes; fermé
à la lampe.
15 mai. — A. Explosion en ouvrant le tube ; odeur infecte; végétation
à la surface.
B. Pas coagulé ; pas d’explosion en ouvrant le tube ; acidité très-légère;
odeur aigrelette agréable, ressemblant à celle du cidre ; pas de végétation
à la surface ; refermé à la lampe.
10 juin. Explosion spontanée du tube B; cependant peu d’odeur; ma-
tière acide, coagulée.
Les œufs ne pourrissent donc ni pendant ni après la dé-
compression, quand on les met à l’abri des germes de l’air.
Mais à la longue, ils finissent par prendre une réaction acide
892
EXPÉRIENCES.
qui, sans développer d’odeur, fait coaguler leur albumine. Il
y aurait là un phénomène chimique des plus intéressants à
étudier dans ses détails.
Ces diverses expériences démontrent donc de la manière
la plus nette que lorsqu’on prend les précautions expérimen-
tales sur lesquelles j’ai insisté, la viande, les œufs, le sang,
c’est-à-dire les plus altérables des matières, sont conservées
sans putréfaction par l’oxygène à haute tension. Retirées de
l’appareil et maintenues en vases clos, elles y restent indéfi-
niment sans se putréfier, mais en subissant certaines altéra-
tions qui les rendraient impropres aux usages habituels.
§2. — Coagulation du lait.
Le lait, que j’ai mis en expérience au double point de vue
de sa putréfaction et de sa coagulation, m’a, sous ce dernier
rapport, longtemps embarrassé :
Expérience CCCCXXII. — 8 août. Lait, mis dans 3 petites bouteilles bien
lavées.
A. Laissé à la pression normale.
B. Placé dans un récipient à compression, poussé à 4 atmosphères
d’air.
C. Poussé à 7 atmosphères d’un air à 70 pour 100 d’oxygène, équiva-
lant à 24 atmosphères d'air.
15 août. — A. B. G. Lait acide ; caillot partout.
Expérience CCCCXXIII. — 27 janvier. Lait placé dans 2 petites bouteilles
semblables.
A. Fermée avec un bouchon de liège.
B. De même, mais le bouchon est traversé par un tube de verre capil-
laire ; la bouteille est soumise, dans le récipient cylindrique en verre, à
une pression de 10 atmosphères, avec un air contenant 84 pour 100
d’oxygène. La tension de l’oxygène, 840, équivaut donc à 42 atmosphères
d’air.
B. Paraît se cailler un peu plus tard que A.
5 février. Décomprimé B et bouché le trou avec de la cire brûlante. A
et B ont le même aspect.
22 mai. — A. Le bouchon saute quan 1 j’ouvre le flacon. Odeur bu-
tyrique très-forte; réaction très-acide. On y voit de nombreux vibrions très-
vivaces, dont quelques-uns ovales et larges.
FERMENTATIONS PAR ORGANISMES.
893
B. Le bouchon ne saute pas ; très-légère odeur butyrique, réaction
très-acide. Rares vibrions en bâtons, très-petits et remuants.
Expérience GGCCXXIV. — 22 mai. 9 — 18°. Lait bouilli, placé dans quatre
flacons bien lavés avec de l’eau chaude et alcaline.
A, A', deux flacons bien bouchés et cachetés.
6, B', deux flacons, bouchés d’un bouchon de liège percé d’un trou,
poussés à 10 atmosphères d’un air à 70 pour 100 d’oxygène, ce qui corres-
pond à 35 atmosphères d’air.
24 mai. Décomprimé B, B' et bouché les trous à la cire fondue.
Les quatre flacons paraissent caillés au même degré.
Expérience GCGCXXY. — 26 mai. Lait bouilli, additionné d’eau alcali-
nisée avec du carbonate de soude.
A, A'. Deux flacons sont bouchés et cachetés.
B, B'. Deux autres, dont ie bouchon est percé d’un trou, sont mis dans
l’appareil cylindrique en verre sous 10 atmosphères d’air à 70 pour 100
d’oxygène : soit 35 atmosphères d’air.
1er juin. AA' est en partie coagulé.
BB' l’est à peine.
3 juin. Décomprimé BB' et bouché les trous à la cire fondue-.
Le liquide est moins nettement coagulé à BB' qu’à AA'.
2 § juin. BB' sont moins nettement coagulés que AA'.
BB' sont neutres ou à peine acides.
AA' sont extrêmement acides.
Expérience GGCCXXYI. — 7 août 1874. Lait bouilli, introduit dans deux
matras,dont le liquide n’occupe qu’une faible partie :
A, bouché avec un bouchon de liège neuf et bien chauffé.
B, étiré à la lampe, sauf un petit troua l’extrémité ; porté et maintenu
entre 8 et 12 atmosphères suroxygénêes.
17 août. A, caillot jaunâtre avec moisissures ; infect.
B, décomprimé, fermé à la lampe; caillot blanc.
18 janvier 1875. A, masse jaunâtre avec pellicule jaune foncé. Sent
mauvais ; réaction alcaline.
B, caillot bien blanc et bien net; ne sent pas mauvais.
Expérience CCCGXXVI1. — 7 août 1874. Lait bouilli, additionné d’eau
alcaline ; disposé comme le précédent ; l’un des matras, B, placé à côté
de celui de l’expérience ci-dessus.
Le 17 août , à la décompression, meme différence dans l’aspect gé-
néral.
18 janvier 1875. A, infect ; jaunâtre avec pellicule jaune ; alcalin.
B, odeur fraîche, aigrelette ; caillot blanc et net ; réaction bien
acide.
Expérience GCCCXXVIII. — 20 janvier. Lait bouilli, dans des tubes,
étendu d’eau.
894
EXPÉRIENCES.
A, pression normale.
B, atmosphères suroxygénées ; tube étiré à la lampe.
La pression tombe à plusieurs reprises.
25 janvier. On décomprime.
il mai. A, odeur infecte; moisissures épaisses à la surface; liquide
jaunâtre avec caillots.
B, très-légère odeur butyreuse, non désagréable; acide; liquide très-
blanc avec grumeaux ; on reconnaît au microscope quelques globules de
lait.
Expérience GCGGXXIX. — 20 janvier. Lait additionné d’une solution de
soude.
Expérience faite en même temps que la précédente.
17 mai. Le lait non comprimé a une odeur infecte ; l’autre ne sent rien.
Expérience GGCCXXX. — 16 mars. Lait bouilli, dans des tubes.
A, pression normale.
B, à 10 atmosphères suroxygénées, dans l’appareil cylindrique en verre.
18 mars. Le lait caille sensiblement en meme temps à A et à B.
On voit que, pour le lait comme pour les autres substances,
la putréfaction a été arrêtée par l’air comprimé : à la condi-
tion de renoncer aux bouchons, et d’employer exclusivement
des tubes ou des matras bouchés à la lampe.
Mais la coagulation n’a pas été empêchée, ni l’acidification
rapide; ces altérations n’ont même pas paru retardées d’une
manière appréciable. Une forte alcalinisation préalable du
lait ne les a pas arrêtées non plus ; cependant, dans ce cas,
un retard évident a été obtenu.
Serait-ce que vraiment l’oxygène en tension serait sans ac-
tion sur les vibrions lactiques découverts par M. Pasteur? ou
bien la coagulation du lait ne serait-elle pas l’œuvre de ces
êtres microscopiques, mais bien de quelque agent invulné-
rable à l’oxygène, comme le sont, ainsi que nous le verrons,
les ferments solubles?
Avant de donner une réponse à ces questions, je devais
réfléchir à la cause d’erreur expérimentale que m’avaient
fait connaître les expériences sur le sang. L’épaisseur des
couches liquides que doit saturer l’oxygène comprimé pour
accomplir son œuvre destructive pouvait jouer ici un rôle
considérable.
FERMENTATIONS PAR ORGANISMES.
895
Il fallait éliminer cette influence fâcheuse; c’est ce que
j’ai fait, par exemple, dans les expériences suivantes :
Expérience GGGCXXXI. — 10 août. Lait bouilli; mis en couche de 2 à 3
millimètres d’épaisseur dans deux cristallisons neufs et bien lavés :
A, à l’air libre, sous un verre qui arrête les poussières ;
B, à 25 atmosphères d’air suroxygéné.
14 août. Décomprimé.
A est coagulé depuis le il et sent très-mauvais.
B est liquide, ne sent aucune odeur et parait tout à fait normal.
Expérience CCCCXXXII. — 25 mai. Au fond de 6 tubes on fait tomber
avec précaution quelques gouttes de lait bouilli (hauteur 1/2 cent.).
A. 2 tubes sont fermés à la lampe et gardés comme témoins.
B. Les 4 autres, étirés mais ouverts, sont soumis à 15 atmosphères
suroxygénées dans le cylindre en verre,
1er juin. Décomprimé.
A est coagulé depuis le 27 mai.
B ne l’est pas : fermé à la lampe.
6 j uin. B, pas encore coagulé.
Ces expériences prouvent d’une manière bien nette que
l’oxygène en tension empêche la coagulation du lait, c’est-à-
dire lue les vibrions qui donnent la fermentation lactique.
Comme l’action de ces êtres se fait très-rapidement, il est
nécessaire, pour l’arrêter, d’employer l’oxygène à très-haute
dose, en présence d’une mince couche de liquide, qu’il faut
saturer rapidement. Pour la putréfaction, qui s’opère beau-
coup plus lentement, ces précautions excessives ne sont pas
nécessaires; le lait ne consommant pas, comme le sang,
l’oxygène au fur et à mesure qu’il pénètre le liquide, ce gaz
a le temps d’aller jusqu’au fond des tubes, et d’y tuer les
agents putrescibles. C’est ce qui explique comment on peut si
facilement, par l’air comprimé, empêcher le lait de se putré-
fier, et si difficilement de se coaguler.
§ 5. — Altératiôn de Burines
Depuis les recherches de M. Van Tieghem* on Sait que la
transformation de l’urée en carbonate d’ammoniaque est une
896
EXPÉRIENCES.
fermentation vraie, due au développement d’un microphyte,
d’une torulacée.
J’ai donc dû l’étudier avec quelques détails :
Expérience CCCCXXXÏII. — 8 août. 0 — 27°. Urine de la veille, bien
acide; en quantités égales dans trois petites bouteilles coiffées d’un bou-
chon de papier, et placées :
A, à la pression normale, sous cloche;
B, dans le petit récipient à eau de Seltz, à 4 atmosphères d’air ;
G, dans le récipient cylindrique en verre, à 7 atmosphères d’un air con-
tenant 70pourl00 d’oxygène, ce qui correspond à 24 atmosphères d’air.
11 août. A, tout à fait trouble, infecte, mais encore acide.
B, décomprimé; un peu trouble, un peu de mauvaise odeur. Beporté à
5 atmosphères d’air.
C, décomprimé; pas de trouble; odeur fraîche. Beporté à 5 atmo-
sphères à 71 pour 100, soit 18 atmosphères d’air environ. .
15 août. A, tout à fait trouble, très-alcaline, horriblement infecte.
B, trouble, assez alcaline, un peu moins infecte.
C, un peu trouble, un peu alcaline, commence à sentir mauvais.
Expérience CGGGXXXIV. — 15 mai. Urine fraîche, bien acide, dans deux
flacons semblables :
A, bouché, à la pression normale;
B, mis à 10 atmosphères d’un air suroxygéné.
18 mai. A, trouble, neutre.
B, claire, acide.
Expérience CCCCXXXV. — 19 juin. Mélange d’urine fraîche et d’urine
déjà gâtée.
A, flacon bouché.
B, flacon avec bouchon de liège percé, mis à 20 atmosphères suroxv-
génées, correspondant à 88 atmosphères d’air.
24 juin. A, trouble, sent mauvais; je ferme à la cire le trou du
bouchon.
B, décomprimé; claire, aucune odeur.
6 juillet. A, odeur forte; trouble; voile à la surface, où l’on trouve des
myriades d’organismes remuants et de cristaux arrondis. Fortement al-
caline ; pour en acidifier une certaine quantité, il faut ajouter 4 gouttes
d’acide sulfurique.
B, aucune odeur ; trouble ; voile ; proto-organismes remuants, mais
pas de cristaux. Peu alcaline ; une seule goutte d’acide sulfurique acidifie
la même quantité qu’à A.
30 juillet. A est horriblement infecte et très-alcaline ; B, qui a été re-
bouchée sans soin, n’a pas d’odeur et est très-peu alcaline.
Cependant les deux urines donnent, par le procédé d’Yvon, la même
quantité d’azote (3,5 à 3,7 par centimètre cube).
FERMENTATIONS PAR ORGANISMES.
897
Expérience CCCCXXXYI. — 21 juillet 1874. Urine fraîche, en quantités
égales dans deux matras égaux :
A, bouché avec un bouchon de liège;
B, étiré à la lampe, avec orifice fin. Placé à 15 atmosphères suroxygé-
nées; agitation du matras.
30 juillet. A, trouble, très-mauvaise odeur.
B, claire et ne sent rien. En voulant fermer le matras à la lampe, il se
brise; je transvase l’urine dans un matras semblable qui se brise égale-
ment, puis enfin dans un tube bouché bien lavé à l’eau bouillante, que je
ferme à la lampe.
Dans les mois suivants, le trouble de A va toujours en augmentant;
odeur infecte ; couleur de plus en plus foncée.
Au contraire, B reste limpide et de couleur pâle.
Le 16 janvier 1875, présenté à la Société de Biologie. A, très-co-
lorée, toute trouble, infecte ; B, claire, avec un léger dépôt flocon-
neux.
Le 18 janvier. A, très-colorée, toute trouble, infecte, très-alcaline.
L’analyse par le procédé Yvon donne pour lcc d’urine 5CC,8 d’azote; mais
par le procédé Gréhant on obtient seulement 2CC d’azote, valent 0cg,5
d’urée ; cela tient à ce que le procédé d’Yvon fait compter le carbonate
d’ammoniaque.
B, claire ; odeur tout à fait fraîche ; acidité normale. Le procédé d’Yvon
donne pour lcc d’urine 6CC,1 d’azote; celui de Gréhant 6CC,0, valant lcg,6
d’urée .
17 mai. L’urine B, qui a été rebouchée à la lampe, est neutre, à peine
odorante ; à sa surface se voit une végétation épaisse. L’analyse par le
procédé Gréhant donne, pour lcc d’urine, lcc,5 d’azote, correspondant à
0cg,4 d’urée.
Expérience CCCCXXXVIl. — 20 mai. Urine fraîche, dans trois tubes ; à
chacun d’eux j’ajoute un petit morceau de papier-Musculus , chargé de
ferment urineux, que m’a remis M. Pasteur; ce papier, préparé depuis
plus de six mois, est encore très-énergique :
A, à l’air libre;
B et B', à 21 atmosphères d’air à 81 pour 100 d’oxygène.
24 mai. Décompression.
A, forte odeur; très-alcaline.
B, B', faible odeur; B neutre, B' très-légèrement alcalin.
Expérience CCCCXXXYIIL — 28 mai. Urine fraîche, dans deux matras
fermés d’un bouchon de liège échancré :
A, à l’air libre ;
B, à 23 atmosphères suroxygénées, qui tombent lentement à 5.
26 juin. Décompression.
A est depuis longtemps infect et trouble.
B, claire avec léger dépôt, aucune odeur, bouché à la cire.
57
«98 EXPÉRIENCES.
2 S juin. Présentée à l’Institut, rebouchée sans soin et reportée dans le
laboratoire.
11 juillet. S’est couverte d’une moisissure verte, mais n’exhale aucune
odeur ammoniacale.
Ainsi, l’urine se conserve avec toutes ses qualités, sa cou-
leur, son odeur, son acidité normale, l’urée s’y maintient
dans sa proportion primitive. L’expérience CCCCXXXV1, qui
a été faite avec un soin particulier, est tout à fait concluante
sous tous ces rapports. L’identité des chiffres donnés par le
procédé Gréhant et par le procédé Yvon pour la quantité
d’azote extraite de l’urine comprimée, montre qu’il n’y avait
pas là de carbonate d’ammoniaque formé, tandis qu’il s’en
trouvait beaucoup dans l’urine laissée à la pression normale.
Mais si, comme dans les expér. CCCCXXXY et CCCCXXXV1I,
on ajoute à l’urine fraîche une notable quantité de ferment,
il y aura commencement d’altération. Gela tient, bien évi-
demment, nous nous en sommes déjà expliqué à propos du
sang et du lait, à ce que l’oxygène n’a pas le temps de tuer
les ferments avant que ceux-ci aient commencé à agir sur la
matière fermentescible; cependant, même dans ces cas, leur
action a été ralentie.
Je ne puis cependant m’empêcher de dire que ces expé-
riences sur l’urine mériteraient d’être reprises avec une in-
sistance particulière ; il semble qu’il y ait là, lorsqu’on met
en jeu le papier-Musculus, quelque chose de complexe, et
l’action simultanée d’un ferment figuré et d’un ferment so-
luble.
g 4. — Levûre de bière.
La levûre de bière est tuée par l’air comprimé, comme le
montre l’expérience suivante :
Expérience CCCCXXXIX. — 26 juin. Des morceaux de levûre de bière
bien active sont placés :
A, dans flacon bouché, pression normale.
B, dans flacon poussé à 15 atmosphères suroxygénées.
21 juillet. A, pourrie, avec odeur infecte ; plus trace reconnaissable
au microscope.
FERMENTATIONS PAR ORGANISMES.
899
B, décomprimé : bonne odeur fraîche ; semble saine à l’aspect exté-
rieur et à l’examen microscopique. Cependant, mise avec de l’eau gly-
cosée, pourrit sans fermenter, en s’acidifiant.
Ainsi la levùre a perdu tout pouvoir avec la vie ; cependant
elle a été préservée de la putréfaction par l’agent même qui
l’a tuée.
Il n’est donc pas étonnant qu’à la pression normale, la fer-
mentation par la levùre marche plus énergiquement que dans
l’oxygène comprimé. Exemples :
Expérience CCCCXL. — 6 août. De la levure de bière est ajoutée à quan-
tités égales d’une dissolution de glycose, au fond de quatre tubes sembla-
bles :
A, 2 laissés à la pression normale ;
B, 2 poussés à 10 atmosphères suroxygénées.
8 août. A, 5CC de liquide réduisent entre 20 et 50 gouttes de réactif
bleu.
B, 5CC réduisent entre 40 et 45 gouttes.
Ainsi, la levùre comprimée a détruit beaucoup moins de sucre que
l’autre.
Expérience CCCCXLI. — 15 mai. 50cc de solution de glycose sont placés
dans deux flacons, avec un morceau de même poids de levure de bière.
A, laissé, bouché, à la pression normale.
B, porté à 10 atmosphères d’un air à 76 pour 100 d’oxygène ; tension
correspondant à 58 atmosphères d’air.
18 mai. A, 5CC du liquide réduisent lcc,5 de la solution de Fehling.
B, 5CC réduisent 5CC.
Le liquide où se trouvait la levure comprimée contenait donc beaucoup
plus de glycose que l’autre.
Expérience CCCCXLII. — 2 décembre. Dans quatre tubes on introduit
5CC d’une faible solution de glycose et gros comme une tête d’épingle de
levùre de bière.
AA' sont maintenus, étirés à la lampe, à la pression normale.
BB' sont portés à 18 atmosphères suroxygénées.
8 décembre. Décompression : A et A' ne contiennent plus de trace de
glycose.
B et V) en contiennent 15ms,6.
§ 5. — Ferments du vin.
Il en est de même pour les deux fermentations qui appa-
raissent si souvent dans le vin, et sont consécutives au déve-
900
EXPERIENCES.
loppement du mycoderma aceti et du my coder ma vini. Dans les
expériences qui suivent, les deux my codermes ont été le plus
souvent employés simultanément :
Expérience CCCCXLIII. — 8 août. 0=2 7°. Vin notablement acide, mis
en quantités égales dans 5 petites bouteilles; j’ajoute à chacune un petit
nuage de ferment acétique en pleine activité :
A, laissé à la pression normale, bouché avec un cornet de papier ren-
versé ;
B, mis à 4 atmosphères d’air ordinaire;
G, à 7 atmosphères d’air à 70 pour 100 d’oxygène; tension équivalant à
24 atmosphères d’air.
11 août. A. Le vin est couvert d’une membrane blanche bien nette.
B, voile très-léger sur presque toute la surface.
G, quelques taches très-légères et étroites.
B et G restent sous compression.
15 août. A, membrane très-épaisse.
B, pellicule un peu plus forte que le 11.
G, taches comme le 11.
Expérience CGCCXLIV. — - 15 août. J’ajoute à du vin placé en couche
mince au fond de deux matras des pellicules de mycoderme du vinaigre.
A est bouché et renversé sur l’eau.
B est battu longuement par un courant d’oxygène presque pur ; je
bouche alors le matras, et le renverse à côté de A.
17 août. A est couvert d’une pellicule blanche de mycodermes.
B n’a rien à la surface.
19 août. A, pellicule épaisse.
B, nuage léger.
21 août. A, membrane tout à fait épaisse.
B, la pellicule a un peu épaissi.
Expérience GGGGXLV. — 27 janvier. Vin ordinaire placé dans deux fioles ;
on répand à la surface un peu de mycoderme venant de vin exposé dans le
laboratoire, et sur lequel on avait semé du mycoderma aceti.
Ce vin contenait 11,9 pour 100 d’alcool et son équivalent d’acidité était
0,08.
A, bouché au liège, et laissé à la pression normale ;
B, bouché de même d’un bouchon percé, et porté à 10 atmosphères
d’un air à 84 pour 100 d’oxygène; tension équivalant à 42 atmosphères
d’air ordinaire.
5 février. A, léger nuage à la surface.
B, décomprimé : rien à la surface ; cacheté le bouchon à la cire.
17 février. A, membrane épaisse.
B, rien à la surface.
24 mai. Montré à la Commission de l'Académie des sciences.
FERMENTATIONS PAR ORGANISMES.
901
A, trouble, avec une épaisse couche de moisissures à la surface ; l’exa-
men microscopique montre qu’il n’y a là que du mycoderma vini et quel-
ques ferments de l’amer.
Filtré etgoûté,est une vinasse horrible. Il n’a plus que9 pour 100 d’al-
cool et son équivalent d’acidité n’est plus que de 0,045.
B, très-clair, mais très-dépouillé, avec léger dépôt de matières colo-
rantes, dans lequel se trouve un peu de mycoderma vini , et nombreux
filaments du ferment de l’amer.
Au goût, n’est pas acide, mais bien un peu amer, et ressemble à de bon
vin de Bourgogne devenu trop vieux : or, c’était un vin des plus mé-
diocres.
Il contient encore 11 pour 100 d’alcool et son équivalent d’acidité est
0,07.
Exposé à l’air, dès le lendemain est extrêmement acide et tout à fait im-
buvable.
(Les analyses chimiques ont été faites au laboratoire de M. Schützen-
berger, et les examens microscopiques sont dus à M. Gayon.)
Expérience GGGCXLYI. — 24 février. Vin fin de Bourgogne.
A, conservé comme témoin dans un flacon plein, bien bouché et
couché.
B, flacon presque plein, à la pression normale; je sème dessus du my-
coderme du vinaigre, et le bouche.
G, grande éprouvette bouchée avec un fort bouchon de liège neuf percé
d’un trou. Je sème dessus plus de mycodermes qu’à B. Poussé à 10 atmo-
sphères suroxygénées.
1er mars. B est couvert de mycodermes.
G, que je décomprime en 24h, n’en a plus apparence ; je cachète le trou
du bouchon.
17 mai. Les 5 flacons sont apportés au laboratoire deM. H. Ste-Gl. De-
ville, et débouchés devant MM. Deville, Boussingault, Debray, etc.
A, belle couleur rouge ; pas. de dépôt. Très-ferme au goût, sans
amer.
B, vinasse horrible, trouble, décolorée.
C, couleur très-belle, un peu ambrée. Dépôt abondant, très-adhérent.
Odeur agréable. Goût non acide, mais un peu plat et nettement amer,
quoique pas trop désagréable. Ressemble absolument à nos bons vins de
Bourgogne, quand ils commencent à passer à l’amer.
Expérience CCCCXLVI1. — 19 juin. Vin ordinaire ; on en met dans deux
flacons et l’on y ensemence des mycodermes en pleine activité dans le
laboratoire.
A, bien bouché; pression normale.
B, bouché, avec un trou percé dans le bouchon; poussé à 20 atmo-
sphères d’air à 88 pour 100 d’oxygène, correspondant à 88 atmosphères
d’air.
24 juin. A, couvert de mycodermes.
902
EXPÉRIENCES
B, décomprimé, sans mycodermes, mais avec dépôt de matières colo-
rantes; aussi est-il dépouillé. Bien cacheté.
6 juillet. A, vin clair, rose, avec un voile de mycoderma vini à la surface,
et un dépôt gélatineux, floconneux, contenant beaucoup de mycoderma
acéii. Forte odeur de vinaigre. Pour neutraliser l’acidité, il faut employer
une quantité d’eau de baryte 2, 3 fois plus grande que pour B.
B, clair, décoloré ; à la surface, pellicule irisée, sans organismes ;
dépôt de matière colorante. Très-faible odeur acide.
Expérience CCCCXLVIII. — 26 juin. Vin fin de Bourgogne dans un fla-
con porté à 15 atmosphères d’air suroxygéné.
21 juillet . Décomprimé. Très-dépouillé, couleur du vin de Rancio. N’a
plus de bouquet. Pas d’acidité; très-faible, avec un léger goût de vin
cuit.
Expérienge CCCCXLIX. — 21 juillet 1874. Vin ordinaire, dans deux
matras au quart pleins.
A, semé mycodermes du vin ; bouché, cacheté, à la pression normale.
B, semis semblable; effilé le matras à la lampe, et poussé à 15 atmo-
sphères suroxygénées.
50 juillet. A, couvert de mycodermes.
B, sans mycodermes, mais dépouillé, avec dépôt adhérent. Décomprimé,
fermé à la lampe.
18 janvier 1875. A, membrane très-épaisse à la surface ; odeur acétique
très-prononcée: goût de vinaigre. L’acidité, dosée par la soude et le tour-
nesol, est 6 fois plus forte qu’à B. Verdit la solution de bichromate de po-
tasse dans l’acide sulfurique; donc, contient encore de l’alcool.
B, couleur très-pâle ; pellicules très-minces à la surface et sur les parois
du vase; odeur vineuse nette, goût peu acide, d’un vin extrêmement fai-
ble. Contient encore de l’alcool.
Expérience CCCCL. — 20 mai. Vin dans tubes, à la surface desquels on
a semé des mycodermes :
A, à l’air libre, coiffé d’un cornet renversé.
B, à 21 atmosphères d’un air à 81 pour 100 d’oxygène.
24 mai. Décomprimé.
A, couche épaisse de mycodermes, liquide trouble.
B, dépouillé, jaunâtre; précipité de matières colorantes: pas de myco-
dermes ; liquide clair.
Je fais bouillir du vin dans deux ballons ; pendant l’ébullition, je ferme
chaque ballon avec un bouchon muni d’un long tube recourbé et effilé, à
travers lequel l’air rentre lentement en refroidissant. Quand le liquide
est froid, j’ouvre un instant les ballons et jette dans l’un, A', le contenu du
tube A ; dans l’autre, B', celui du tube B.
31 mai. A', pellicules épaisses.
B', pas de mycodermes.
FERMENTATIONS PAR ORGANISMES.
905
Expérience GGGCLÏ. — 28 mai. Vin dans matras; mycoderme semé à la
surface :
A, air libre;
B, à 23 atmosphères suroxygénées, qui, dans les derniers jours de la
compression, tombent à 5.
31 mai. A est recouvert d’une pellicule continue.
26 juin. Décompression.
A, couche épaisse de mycodermes ; liquide très-trouble.
B, liquide très-clair, avec dépôt de matières colorantes ; rien à la sur-
face.
Donc, sous l’influence de l’oxygène à haute tension, le
mycoderme qui brûle en entier l’alcool et celui qui le trans-
forme simplement en acide acétique sont tués sans retour.
Le vin conserve ainsi sa richesse en alcool et en acide.
(Exp. GCGGXLY.)
L’action de l’oxygène commence à se manifester avant la
tension qui correspond à 5 atmosphères d’air (Expérience
CCCGXL1Y).
Cependant le vin éprouve certaines altérations. La matière
colorante se précipite sous forme de pellicules adhérentes au
vase, il se dépouille plus ou moins complètement, et présente
tantôt une belle couleur un peu ambrée (Exp. CGCGXLV), tan-
tôt une teinte de vin de Rancio (Exp. CGGGXLYIII), ou, enfin,
une décoloration presque complète (Exp. CGCGXLIX).
Au goût, le vin paraît vieillir rapidement (Exp. CCCCXLYI) ;
il devient même assez amer (Exp. GCGGXLY) ou complètement
tombé (Exp. CCGGXLIX). Il perd son bouquet, et prend quel-
quefois un léger goût de cuit (Exp. CGGGXLYIII).
En un mot, le vin paraît subir les altérations que produit
un chauffage non ménagé, et opéré au contact de l’air.
Je ferai remarquer que dans toutes ces expériences, la
pression a été extrêmement forte, et portée sans doute bien
au delà de ce qu’il faudrait pour tuer les germes. Une pres-
sion plus faible n’altérerait peut-être pas le vin, tout en le
préservant des fermentations ennemies. Peut-être même
serait-il légèrement amélioré, comme il arrive pour les vins
durs et crus lorsqu’on les chauffe suivant les règles établies
par M. Pasteur,
904
EXPÉRIENCES.
De plus, les dégustations ont été opérées après assez long
temps. Rien ne prouve que si elles eussent été immédiates,
elles n’eussent pas constaté, au contraire, un certain avantage.
Toutes ces questions, médiocrement intéressantes au point ,
de vue scientifique, prennent une importance considérable
quand on les envisage à un autre point de vue. Je ne pou-
vais cependant, pour les poursuivre sur ce terrain, me laisser
détourner outre mesure de mes études générales, et j’ai dû,
les faits précédents constatés, ajourner à une autre époque
les recherches de détail et les déductions pratiques, s’il peut
y en avoir.
Je cite seulement ici une expérience qui prouve que la
limite à laquelle l’oxygène en tension agit défavorablement
sur le vin est assez basse; d’où il résulte que sa dose favora-
ble, s’il y en a une, comme semblent l’indiquer les expérien-
ces précédentes, pourrait être obtenue industriellement, puis-
qu’il suffirait d’employer de l’air ordinaire :
Expérience CCCCLII. — 45 juillet. Vin rouge fin dans deux bouteilles ca-
chetées, dont les bouchons sont percés d’un trou.
A, à l’air, debout ;
B, à 10 atmosphères d’air, debout.
29 juillet. Décomprimé.. A n'a pas changé d’aspect.
B a une couleur violacée, avec précipité coloré, abondant, adhérent au
vase.
4 octobre. Dégusté. A, bon goût, bouquet assez fin.
B, décoloré, bouquet perdu, sent l’évent.
g 6. — Moisissures.
Dans un grand nombre d’expériences, faites pour la plu-
part en vue d’un autre but, et dont plusieurs ont déjà été
rapportées, j’ai eu à constater que l’oxygène à haute tension
tue les êtres microscopiques, animaux ou végétaux, autres
que les ferments. Les liquides aptes au développement des
infusoires n’en contiennent pas trace après un certain séjour
dans l’oxygène comprimé; ils en sont complètement purifiés,
lorsqu’ils en contenaient déjà, qu’il s’agisse de végétaux ou
FERMENTATIONS PAR ORGANISMES. 905
d’animaux, de simples monadaires ou d’infusoires les plus
élevés de ta série.
Ces faits n’ont bien évidemment, en présence de tous
ceux que nous avons énumérés déjà (aussi ne donnerons-
nous le récit d’aucune expérience spéciale), qu’une médiocre
importance. La généralité de l’action funeste de l’oxygène à
haute tension a été suffisamment établie par toutes les expé-
riences rapportées jusqu’ici. Ce serait d’une étrange philoso-
phie de s’imaginer — et cependant des esprits éminents ont
commis cette grave erreur dans la question des générations
dites spontanées — que les dimensions microscopiques puis-
sent donner aux êtres qui en sont doués des vertus spéciales,
et autoriser en leur faveur des dérogations aux règles les plus
générales de la nature.
Les moisissures se sont tout naturellement comportées de
même que les végétaux dits supérieurs. Cependant, nous
croyons utile de rapporter ici quelques expériences où il est
principalement question d’elles. Ces faits peuvent être utiles,
en effet, pour la solution de questions qui intéressent la théo-
rie générale des fermentations :
Expérience CCCCLIII. — 26 juin 1874. Deux morceaux de pain mouillé,
de quelques centimètres cubes, sont placés :
A, dans un grand flacon bouché d’un bouchon de liège;
B, dans un petit flacon bouché de même avec bouchon percé d’un
trou. Porté à 15 atmosphères suroxygénées.
21 juillet. A est depuis plusieurs jours en déliquescence et couvert
de moisissures vertes.
B, blanc, solide, très-frais d’aspect ; pas de végétation.
18 janvier 1875. A n’est plus que débris informes, où l’on ne trouve
plus de sucre; neutre au tournesol.
B présente exactement la même apparence que le 21 juillet. Ouvert, a
une' légère odeur acide, agréable, qui n’est pas celle de l’acide acétique,
mais ressemble à celle de l’acide lactique. Bougit fortement le tournesol,
et doit cette action à un acide qui résiste à l’ébullition prolongée avec éva-
poration à siccité. Précipite en abondance la liqueur bleue ; bleuit com-
plètement par l’iode.
Expérience GGGGLIY. — 21 juillet 1874. Pain coupé en petits mor-
ceaux, et placé, mouillé :
A, dans matras bouché ;
90G EXPÉRIENCES.
B, dans matras étiré à la lampe ; celui-ci est soumis à 15 atmosphères
suroxygénées.
50 juillet. A, couvert de moisissures.
B, n’a pas changé d’aspect.
18 janvier 1875. A, en putrilage.
B, que je n’ouvre pas, a le même aspect qu'au 50 juillet.
5 août. B est ouvert au laboratoire de M. Gloëz et devant lui; l’aspect
n’a pas changé ; la réaction est légèrement mais nettement acide ; odeur
aigrelette, agréable.
J'appelle l'attention sur cette réaction acide que présente
le pain malgré son apparente conservation, et l’absence de
toute moisissure. Nous en avions déjà signalé une semblable
dans la viande, dans l'œuf, protégés par la compression con-
tre la putréfaction.
Je l’ai constatée en employant, pour simplifier les condi-
tions expérimentales, de l’amidon cuit au lieu de pain :
Expérience CCCGLY. — 21 juillet 1 874. Je sème sur de l’amidon cuit très-
étendu d’eau des poussières diverses prises dans un coin du laboratoire.
A, matras bouché, pression normale;
B, matras étiré à la lampe, 15 almosphères suroxygénées.
50 juillet. Décomprimé B; en bouchant à la lampe, le matras casse. Je
verse aussitôt le contenu dans un tube lavé à l’eau bouillante, que je
ferme ensuite à la lampe.
18 janvier 1875. A, couvert de moisissures, ne contient ni sucre ni
amidon.
B, net, sans moisissures, contient beaucoup de glycose, et se colore
fortement en bleu par la teinture aqueuse d’iode.
Expérience CGCGLYI. — 7 août 1874. Amidon cuit et très-étendu d’eau :
A, dans un matras fermé d’un bouchon.
B, dans matras, étiré à la lampe, maintenu entre 8 et 12 atmosphères
suroxygénées, jusqu’au 17 août, où je décomprime et ferme à la lampe.
1 % janvier 1875. A, infect, neutre ;
B, aucune altération à l’aspect extérieur; odeur aigrelette et parfumée,
rappelant celle du cidre.
Très-acide, bleuit par l’iode et contient de la glycose.
M. Schiitzenberger, qui a bien voulu examiner cette substance, y a
trouvé des acides volatils, acétique et formique, et un acide fixe donnant
avec le zinc des cristaux de même forme que les lactates.
Expérience CCCCLY1I. — 5 juillet 1875. Amidon cuit et eau; tubes de
verre.
A, fermé à la lampe, air ordinaire;
907
FERMENTATIONS PAR ORGANISMES.
B, effilé à la lampe; poussé à 15 atmosphères suroxygénées.
17 juillet. Décomprimé; fermé B à la lampe.
16 novembre 1876.
A, neutre, contient beaucoup de glycose ; aucune odeur.
B, nettement acide; beaucoup de glycose; pas d’odeur notable.
FRUITS. — Expérience CCCCLVIII. — 26 juin 1874.
A, 5 cerises entières, bien mûres, sont placées dans un petit flacon avec
un peu d’eau.
Portées à 15 atmosphères suroxygénées.
B, moût de cerises laissé à la pression normale, dans un flacon
bouché ;
G, moût de cerises, placé à côté de A.
21 juillet. B, évidemment gâté, couvert de moisissures.
A et G, en très-bon état, ont pri§ une couleur un peu foncée.
18 janvier 1875. B est un magma horrible.
A. Les cerises sont très-belles et très-fermes, semblables absolument à
ce qu’elies étaient le 21 juillet.
50 novembre 1876. Les cerises de A ont toujours le même aspect.
1 mai 1877. Id.
Expérience CGCGLIX. — 28 mai. Matras contenant : A et B, des cerises
entières ; A' et B', des poires.
A et A' sont laissés à l’air, fermés par un cornet renversé.
B et B' sont placés à 25 atmosphères suroxygénées; pression qui tombe
graduellement à 5 atmosphères.
Dès le 51 mai, A et A' sont couverts de moisissures.
26 juin. A et A' sont moisies, les poires en magmas informes.
B et B' n’ont aucune moisissure : les cerises sont d’une couleur brune,
les poires d'une couleur ambrée.
Expérience GGGGLX. — 20 janvier, .lus d’oignon pilé et additionné de
craie en poudre : tubes :
A, pression normale;
B, à 21 atmosphères suroxygénées.
25 janvier. Décomprimé; fermé à la lampe les tubes.
17 mai. A, neutre; végétation abondante à la surface.
B, neutre; pas de moisissures.
Expérience CCGCLXI. — 5 juillet 1875. Cerises sans noyaux, auxquelles
on ajoute un peu de glycose. Mises en colonne de 10e environ dans trois
tubes, portés à 15. atmosphères suroxygénées.
il juillet. Décompression; les cerises ont le goût de cerises cuites, mais
trop acides. Tubes fermés à la lampe.
16 novembre 1876. L’aspect des cerises n’a pas changé; pas d’explo-
sion en ouvrant les tubes; cerises ayant le goût de cerises à l’eau-de-vie,
mais trop acides.
908
EXPERIENCES.
Par le procédé des gouttes huileuses, M. Dastre y trouve beaucoup d’al-
cool ; il en évalue la proportion à 1 pour 100.
Expérience CCCCLXIÏ. — 5 juillet. Abricots et cerises dans flacons.
A, à Pair libre;
B, à 8 atmosphères suroxygénées.
9 juillet. A, couvert de moisissures.
B, sans moisissures ; les abricots ont une étrange odeur piquante.
Expérience CCCCLXIII. — 15 juillet. Pommes, poires, raisins, dans des
bouteilles séparées, fermées par des bouchons cachetés et percés d’un
trou.
A, à l’air libre.
B, à 10 atmosphères d’air.
29 juillet. Décompression.
A, les pommes et les poires s'altèrent; il en sort du liquide; le raisin est
en putrilage ; tous les grains sont tombés de la rafle, qui reste suspendue;
moisissures ; bouché à la cire.
B, pommes et poires sont devenues brunes, et semblent cuites; raisins
bien conservés; pas de moisissures : bouché à la cire.
4 octobre. — A : fruits complètement pourris ;
B : pommes et poires blettes, ont le goût de fruits cuits ; raisin avec
moisissures, mais dont les grains tiennent encore à la rafle.
Expérience CCCCLX1V. — 23 septembre. Prunes de reine-claude, mûres,
bien saines :
A : pression normale ;
B : 15 atmosphères suroxygénées.
29 septembre. — A : intact ; goût normal ;
B: intact aussi d’aspect ; goût de prunes cuites.
Les fruits se conservent donc parfaitement, quant à la
forme, dans l’oxygène à haute tension; ils y sont à l’abri des
moisissures. Les cerises de l’expérience CCCCLVI1I, conser-
vées intactes en apparence depuis 5 ans, après retour à la
pression normale, en donnent un exemple saisissant. Mais
leur couleur change, leur goût surtout, qui ressemble plus
ou moins au goût de cuit, ou à celui des fruits à l’eau-de-vie.
Ces recherches mériteraient d’être poursuivies au point de
vue chimique, surtout en considération de cette production
d’alcool signalée dans l’expérience CCCCLXI. Il faudrait
chercher les rapports de ces faits avec ceux qu’ont signalés
MM. Bellamv, Lechartier et Pasteur.
FERMENTATIONS DIASTASIQUES.
909
SOUS-CHAPITRE II
FERMENTATIONS DIASTASIQUES.
J’arrive maintenant à l’étude de l’action, s’il y en a une, de
l’oxygène à haute tension sur les ferments solubles dans l’eau,
précipitables par l’alcool, qui sont désignés sous les noms de
ferments diastasiques, zymotiques, de faux ferments, etc.
g 1er. — Salive et diastase.
La fermentation zymotique que j’ai dû mettre en expé-
rience le plus fréquemment est celle par laquelle la diastase
transforme en glycose l’amidon. En outre de l’intérêt con-
sidérable que présente ce phénomène, qui joue un si grand
rôle dans la digestion des animaux (salive et suc pancréati-
que) dans leur nutrition (glycogénie hépatique), celle des vé-
gétaux et la germination, j’étais déterminé par la facilité avec
laquelle on peut en mesurer exactement les effets.
La première question à se poser était de chercher à savoir
si le ferment diastasique est tué par l’oxygène en tension,
comme le sont si sûrement les ferments figurés. L’expérience
suivante va répondre :
Expérience CCCCLXY. — 26 juin. — De la diastase est dissoute dans un
peu d’eau et placée dans deux tubes :
A : pression normale;
B : à 15 atmosphères suroxygénées.
21 juillet. — Décomprimé B, qui n’a aucune odeur et a conservé la
plus énergique puissance transformatrice, tandis que A sent mauvais et
n’a plus aucune action sur l’amidon cuit.
Expérience CCCCLXYI. — 16 février. Diastase et eau dans tube étiré. Mise
à 15 atmosphères d’air suroxygéné.
5 mai. Décomprimée, a conservé toute son action. Je fais une nouvelle
solution de diastase dans un tube que je ferme à la lampe, ainsi que le
premier.
17 mai. La diastase qui a été comprimée agit encore sur l’amidon ; elle
n’a pas d’odeur. L’autre sent une odeur butyreuse et n’agit plus.
910
EXPÉRIENCES.
Ainsi la diastase, bien loin d’être détruite par l’oxygène en
tension, s’y conserve parfaitement. Il arrive même que, sans
doute par suite de la destruction par l’air comprimé des fer-
ments figurés qui l’auraient fait putréfier à la pression nor-
male, elle reste presque indéfiniment énergique.
On a le même résultat en mettant en expérience non plus
la diastase pure et dissoute dans l’eau, mais le mélange com-
plexe qui constitue la salive buccale. Exemple :
Expérience CCCCLXVII. — 21 juillet 1874. Salive humaine étendue d’eau
et placée dans un matras étiré à la lampe, et soumis à 15 atm. d’un
air suroxygéné.
Le 50 juillet , je décomprime et soude l’extrémité du tube effilé.
18 janvier 1875. — Cette salive qui ne sent rien et paraît bien normale,
neutre aux réactifs, transforme avec une grande énergie l’amidon cuit en
glycose.
La salive se conserve donc dans l’air comprimé ; mais il
faut avouer qu’elle se conserve aussi très-bien à l’air libre.
Ainsi, de la salive humaine non filtrée, mise le 18 janvier
dans un tube bouché, agissait encore le 12 février; le tube
étant alors resté ouvert par un orifice très-fin, la salive avait
encore une notable activité le 1 7 mai.
Il en est de même du suc pancréatique et en général des
ferments solubles, qui résistent même à la putréfaction com-
mençante.
Mais maintenant, tout en se conservant dans l’oxygène com-
primé, le ferment peut-il y agir? Et y agit-il avec plus ou
moins d’énergie qu’à la pression normale?
Les expériences vont répondre : Je ferai remarquer que j’ai
pris l’amidon cru en suspension dans l’eau, parce que l’ami-
don cuit se transforme instantanément au contact de la salive :
Expérience CCGCLXVtlI. — 18 juillet. Ma salive, filtrée, est mélangée à
une certaine quantité d’eau tenant de l’amidon cru en suspension ; on mêle
avec soin, et l’on place dans 5 tubes ouverts :
A. Laissé à la pression normale.
B. Placé à demi-atmosphère.
G. A 8 atmosphères suroxygénées.
Les tubes et appareils sont placés dans des conditions de température
identiques.
FERMENTATIONS DIASTASIQUES.
911
20 juillet. Retiré les tubes, filtré rapidement les liqueurs, et essayé au
réactif de Fehling.
A. 5CC réduisent de 75 à 85 gouttes de liqueur bleue.
B. 5CC — de 65 à 75 —
G. 5CC — de 50 à 60 —
»
Expérience CCCCLXIX. — 26 mai. Salive filtrée, mélangée à amidon cru
en suspension dans volume égal d’eau. Le liquide, bien mêlé, est placé
en quantités égales dans 2 tubes, dont l’un A est laissé à la pression nor-
male, l’autre B est soumis à 15 atm. suroxygénées.
5 juin. A contient évidemment beaucoup plus de sucre que B.
Cependant le dépôt qui est au fond du tube A se colore en bleu
intense par l’iode, tandis que celui de B ne donne qu’une coloration ver-
dâtre.
Expérience CCCCLXX. — 20 janvier. Salive, amidon cru et eau. Bien
mêlé, et placé dans plusieurs tubes. On s’assure que le mélange ne con-
tient pas de glycose.
A. A la pression normale, bouché avec cornet de papier renversé.
B. A 21 atm. d’air suroxvgéné.
u o
Tous les deux sont mis à l’étuve, 50 degrés.
25 janvier. Essayé avec liqueur bleue :
A. 7CC en réduisent 55 gouttes.
B. 7CC ne réduisent que 14 gouttes.
Expérience CCCCLXX1. — 22 mars. Salive, amidon cru et eau. Mélange
placé dans des tubes.
A, A'. A la pression normale.
B, B'. A 9 atmosphères suroxygénées.
24 mars. Essayé avec liqueur bleue.
A A' contiennent un peu plus de glycose que B et B' ; différence légère,
mais évidente : visées faites avec grand soin sur papier blanc.
Expérience CCCCLXXIl. - — 25 mai. Salive, amidon cru et eau. Quan-
tités égales dans six tubes.
A. Trois sont étirés à la lampe et laissés à la pression normale.
B. Trois à 15 atmosphères d’air suroxygéné.
27 mai. Analyses des tubes par M. Dastre.
A. Contiennent 2ms,2 ; 2m&,9 ; lmg,7 ; soit en moyenne 2mg,5 de glycose.
B. — lmg,6 ; lmg,9 ; lmg,7 ; — lms,7 —
Dans ces expériences, la transformation de l’amidon en
sucre a continué à se faire dans l’oxygène comprimé, mais
son intensité a manifestement diminué.
Mais, pour obtenir ce résultat, il faut ne pas attendre trop
longtemps, et examiner les liqueurs au bout de peu de jours;
912
EXPERIENCES.
Sans quoi, surtout si l’on s’était servi de diastase, l’on trou-
verait le contraire, et l’on verrait que la liqueur comprimée
est plus riche en sucre que l’autre. C’est ce qui est arrivé,
par exemple, dans les expériences suivantes :
Expérience CCCCLXXIII. — 26 juin. Amidon cru en suspension dans
l’eau, mêlé à une certaine quantité de diastase . Bien agité ; mis dans 2 tu-
bes :
A. Pression normale.
B. 15 atm. suroxygénées.
21 juillet. A, 5CC réduisent 25 gouttes de liqueur bleue.
B resté sous compression jusque-là : 5CC réduisent 40 gouttes.
Aux deux il y a encore de l’amidon.
Expérience GGCCLXXIV. — 1er mars. Salive, amidon cru, eau, quantités
égales dans 12 tubes :
A. Six sont étirés à la lampe et laissés à la pression normale.
B. Six sont mis à 15 atmosphères suroxygénées.
28 mars. Analyse des tubes par M. Dastre.
A. 2 tubes contiennent des quantités de glycose proportionnelles aux
nombres 45 et 39 : d’où une quantité moyenne de lmg,7.
B. 5 tubes analysés contiennent des quantités de glycose proportionnel,
les aux nombres 111, 119, 115: d’où une quantité moyenne de 4mg,6
de glycose.
Cela s’explique aisément : la diastase restée à l’air s’était
un peu altérée, tandis que celle qui était sous compression
avait gardé ses propriétés et continuait à agir.
g '2. — Pepsine.
Expérience GGGGLXXV. — 16 février. Pepsine Boudaut; trois tubes,
dans chacun desquels on en met 2 grammes avec 5CC d’eau distillée.
A. A l’air, coiffé d’un cornet de papier,
B, B'. A 15 atm. d’air suroxygéné.
5 mars. Décompression.
A. Sent assez fort et est couvert de moisissures formant bouchon; très-
acide ;
B B'. Ne sent rien; pas de moisissures; acide.
Je mets B et B' chacun dans un verre avec 10 grammes de blanc d’œuf
cuit et coupé en morceaux; les verres, qui sont égaux, sont ensuite rem-
plis d’eau acidulée avec l’acide chlorhydrique.
Je reprends 2 grammes de pepsine en poudre, les mets dans 5CC d’eau
FERMENTATIONS DIASTASIQUES.
913
distillée, y ajoute 10 grammes de blanc d’œuf cuit, et la même quantité
d’eau acidulée.
Les trois verres sont mis à l’étuve à 38 degrés.
8 mars. Il reste dans chaque verre 2 grammes de blanc d’œuf, mat.
Ainsi la pepsine, après l’action de l’oxygène en tension,
s’est comportée absolument comme auparavant.
g 3. — Ferment inversif de la levûre.
Le ferment dont je me suis servi avait été, ainsi que la
myrosine et l’émulsine dont il sera question dans les para-
graphes suivants, préparé par M. Schützenberger, alors chef
du laboratoire des travaux chimiques à la Faculté des
sciences :
Expérience CCCCLXXV bis. — 16 février. Mis dans trois tubes étirés à
la lampe 5CC de liquide.
A. A l’air libre, coiffé d’un cornet de papier.
B B'. A 15 atm. d’air suroxygéné.
5 mars. Décompression; je ferme les trois tubes à la lampe; mais au-
paravant je m’assure que le ferment des tubes A et B transforme rapide-
ment le sucre de canne en glycose.
15 mars. Mis à l’étuve, où la température varie de 25 à 40 degrés.
25 mars. Retiré de l’étuve : A et B B' agissent encore.
17 mai. A est alcalin et infect; n’a plus aucune action.
B et B' sont acides, ne sentent rien, et ont conservé leur énergie.
g 4. — Myrosine.
Expérience CCCCLXXVI. — 16 février; dans 3 tubes étirés à la lampe :
5e de hauteur de liquide.
A. Air libre, coiffé d’un cornet de papier;
B, B'. A 15 atm. d’air suroxygéné.
5 mars. Décomprimé : A et B agissent parfaitement sur le myronate de
potasse pour donner l’essence de moutarde.
15 mars : mis à l’étuve, de 25 à 40 degrés.
25 mars : retiré de l’étuve ; A et B B' agissent encore.
17 mai : A et B B' agissent encore, mais les derniers plus énergique-
ment.
g 5. — Émulsine.
Expérience CCCCLXXVI bis. — 16 février. Cette expérience est faite en
même temps et dans les mêmes conditions que les trois précédentes.
58
914
EXPÉRIENCES.
15 mars : il y a beaucoup de moisissures sur l’émulsine non com-
primée ; rien sur l’autre, non plus que sur les autres tubes.
La formation d’essences d’amandes amères au contact de l’amygdaline
se fait avec les deux liquides, le 25 mars, au sortir de l’étuve.
17 mai. L’émulsine non comprimée estcouverte de moisissures, alcaline,
infecte, elle n’a plus d’action.
L’autre semble fraîche, n’a pas d’odeur, est légèrement acide, et agit
énergiquement et rapidement.
En résumé, tous les faux ferments solubles que nous avons
mis en expérience, diastase salivaire, pepsine, ferment inver-
sif, myrosine, émulsine, nous ont donné le même résultat
et ont conservé leur propriété caractéristique après Faction
prolongée de l’oxygène à haute tension. Bien plus, comme
celui-ci les débarrasse des germes de moisissures, des vi-
brions, etc., qui tôt ou tard les détruisent à l’air libre, ils
demeurent eux-mêmes pendant un temps qui paraît indéfini.
Cette remarquable propriété pourra peut-être être em-
ployée dans la pratique, et notamment dans la thérapeutique.
On se trouverait fort bien, j’en suis persuadé, de substituer
aux poudres, aux extraits si infidèles des sucs digestifs, ces
sucs eux-mêmes, soumis au préalable à une pression suffi-
sante, pour leur éviter la putréfaction. Mais je dois ici me
borner à cette indication.
SOUS-CHAPITRE tll
ACTION DE L’OXYGÈNE A HAUTE TENSION SUR LES ÉLÉMENTS ANATOMIQUES.
Après avoir constaté, dans le chapitre IV, Faction rapide-
ment mortelle de Foxvgène à haute tension sur les animaux
«j O
supérieurs, nous avons cherché à analyser cette action,
d’après des méthodes introduites par M. Claude Bernard dans
la toxicologie. La section des nerfs, l’examen du cœur, l’em-
ploi des anesthésiques, l’injection du sang des animaux tués
par l’oxygène dans les veines d’autres animaux, nous ont
montré que les phénomènes violents qui précèdent et amè-
nent la mort, sont le résultat d’une surexcitation des centres
J
ÉLÉMENTS ANATOMIQUES. 915
nerveux, si bien que j’ai été conduit à rapprocher l'action
de l’oxygène de celle de la strychnine et de l’acide phénique.
Après la mort, les muscles sont encore contractiles, les
nerfs excitables, les actions réflexes possibles, le cœur bat
encore. Mais est-ce à dire que les éléments anatomiques ner-
veux soient seuls attaqués par l’oxygène? Tout ce que nous
avons dit jusqu’ici s’élève contre cette hypothèse : la diminu-
tion si considérable des oxydations intra-organiques, la mort
des animaux inférieurs, celle des végétaux et des ferments,
tous ces phénomènes montrent une généralité d’action qui
doit évidemment s’étendre aux éléments anatomiques des ani-
maux supérieurs.
Je ne pouvais cependant me contenter dans ce cas, nor
plus que dans aucun autre, de conclusions tirées de l’ana-
logie. Des expériences directes m’ont paru nécessaires; mais
j’avoue que, voyant leur concordance avec ce qui parais-
sait si vraisemblable, je n’en ai pas beaucoup multiplié le
nombre :
Expérience CCCCLXXVII. — 20 février. Le train postérieur d’une gre-
nouille est coupé en deux, suivant l’axe vertébral,
A. L’une des parties est laissée à la pression normale, suspendue dans
une éprouvette bouchée, au fond de laquelle se trouve de l’eau, pour éviter
la dessiccation.
B. L’autre est suspendue de même dans l’appareil cylindrique en verre,
où l’on pousse la pression à 10 atm. d’un air contenant 80 pour 100
d’oxygène.
24 février. A. Le nerf sciatique n’est plus excitable ; les muscles se con-
tractent encore sous l’influence d’un assez faible courant ; leur réaction
est neutre.
B. Les muscles pas plus que les nerfs ne sont excitables aux plus forts
courants. U y a rigidité manifeste, et les muscles sont très-acides.
Expérience CCCCLXXVIII. —2 mars, 2h. Moitiés de grenouille disposées
comme dans les expériences précédentes; A à la pression normale, B à
15 atmosphères suroxygénées.
3 mars , 4h. A : nerf sciatique bien excitable; contraction musculaire
très-vive et très-soudaine, comme à l’état normal ;
B : Le nerf sciatique ne peut plus être excité par aucun courant. Les
muscles se contractent encore ; mais la contraction est lente, ressemble à
une sorte de crampe, et dure encore après que l’excitation a cessé.
Expérience CCCGLXXIX. — 8 avril. Expérience disposée toujours de la
916
EXPÉRIENCES.
même façon : A à la pression normale, B à 5 atm. d’un air contenant
50 pour 100 d’oxyg., ce qui correspond en tension à 7,5 atm. d’air.
10 avril. A : On obtient des contractions musculaires avec l’appareil à
chariot, la bobine mobile étant à 16e de l’extérieur de la bobine fixe.
B. Pour avoir des contractions, il faut se rapprocher jusqu’à 5 centi-
mètres. La contraction est accompagnée de contracture.
Expérience GGCGLXXX. — 12 juin,4h. On enlève le cœur à 4 grenouilles.
Ges cœurs sont placés 2 à 2 dans une capsule où ils baignent dans de
l’humeur vitrée de chien.
A. Laissé à la pression normale.
B. Comprimé, dans l’appareil cylindrique en verre, à 10 atm. suroxy-
génées.
6 heures . A. Les cœurs présentent encore des battements, surtout pour
les oreillettes : on peut les exciter.
B. Ils sont complètement arrêtés, et ne peuvent être rappelés par l’ex-
citation.
Ges faits montrent que la contractibilité musculaire, que
l’excitabilité nerveuse motrice, que le jeu rhythmique des
ganglions nerveux du cœur, s’arrêtent bien plus tôt dans
l’oxygène en tension que sous la pression normale avec l’air
ordinaire. En d’autres termes, les éléments anatomiques
musculaires, nerveux et ganglionnaires sont, comme les élé-
ments libres qui constituent les ferments, tués par l’oxygène
comprimé.
D’autres recherches, dans lesquelles j’ai mis en usage la
méthode des greffes animales1, la seule qui pût ici nous
éclairer, montrent que non-seulement les propriétés vitales
d’ordre supérieur, d’ordre animal, sont détruites dans les élé-
ments musculaires et nerveux, mais que tous les éléments
anatomiques sont tués par l’oxygène en tension. En effet, les
greffes exécutées avec des parties soumises au préalable à son
action se sont résorbées sans avoir contracté d’adhérence :
Expérience CCCCLXXXL - — 15 mars. Queues de rat écorchées, sont sus-
pendues dans des tubes de verre bouchés, avec un peu d’eau au fond.
L’une d’elles, A, est laissée à la pression normale.
L’autre, B, dont le bouchon est percé d’un trou, est portée du 16 au 20
mars à 10 atm. d’air suroxygéné. Température 12 degrés.
1 Voy. mon Mémoire sur la vitalité des tissus animaux ( Annales des sciences
naturelles. Zoologie , 1866).
917
ÉLÉMENTS ANATOMIQUES.
20 mars. A sent un peu mauvais. B aucune odeur.
Greffées sous la peau du dos de deux rats.
Pas d’accident.
1 § juillet. La greffe A est parfaitement prise;
B est presque entièrement résorbée.
Expérience GGGCLXXXÏ bis. — 22 mars. Queues de rat écorchées, sus-
pendues dans des tubes, au-dessus d’un peu d’eau.
A. Pression normale.
B. A 9 atmosphères suroxygénées.
24 mars . Greffées à deux rats.
Pas d’accidents.
1er juin. A, greffe parfaitement prise.
B. Presque entièrement résorbée.
La transfusion du sang, qui n’est qu’un cas particulier de
la méthode générale des greffes animales, montre également
que le sang qui a subi l’action prolongée de l’oxygène com-
primé, est incapable d’entretenir la vie; ses éléments anato-
miques, ses globules, sont tués, et leur introduction dans
l’organisme détermine même la mort. Exemple :
Expérience CCGCLXXXII. — 20 avril. 100cc de sang de chien, défibriné,
sont agités d’une manière continue pendant 18 heures dans l’appareil re-
présenté page 697, avec de l’oxygène comprimé à 18 atmosphères.
21 avril. On enlève à un petit chien (pesant 5 kil.) 100cc de sang, sai-
gnée qui certes ne l’aurait pas fait périr1, et on lui injecte lentement,
dans la veine fémorale, les 100cc de sang agités et bien purgés de gaz
libres.
L’injection est faite à llh. Immédiatement après, l’animal se met a
courir; mais bientôt il se retire dans un coin, tombe dans une sorte de
somnolence, et meurt à 5h 50m ; sa temp. rectale est à ce moment de 29°, 5.
t
Ainsi, les éléments anatomiques des os et du tissu cellulaire
ont été tués par l’oxygène à haute tension ; le sang a acquis
des propriétés toxiques; les greffes se sont résorbées sans
avoir contracté d’adhérences vasculaires. Si elles n’ont pas
excité de phlegmon, cela tient probablement à ce que l’oxy-
gène avait tué tous les germes atmosphériques qui pouvaient
1 Paul Bert. Note sur un signe certain de la mort prochaine sur les chiens
soumis à une hémorrhagie rapide ( Mémoire de la Société des sciences de Bordeaux
t. IV, p. 75, 1866).
918
EXPÉRIENCES.
y adhérer; j'ai, du reste, autrefois, obtenu de semblables ré-
sultats.
Il résulte de ces faits que la mort des animaux supérieurs
dans l’oxygène comprimé, si elle a pour mécanisme prochain
la surexcitation du système nerveux central, comme nous
l’avons établi, est due, en réalité, à une action générale
de l’oxygène sur tout l’organisme. Seulement, les éléments
nerveux, plus susceptibles, réagissent les premiers, troublent
les mécanismes vitaux, tellement que la mort survient avant
que les autres éléments soient sensiblement affectés.
Nous tirons encore de là cette conséquence que la mort des
éléments anatomiques n’a rien à voir avec la putréfaction ;
elle n’en est pas, comme on a pu le penser avec une apparente
raison, le premier stade ; elle est tout autre chose, puisque
la pression, qui la hâte, empêche la putréfaction.
SOUS-CHAPITRE IV
DE LEMPLOI DE L’OXYGÈNE A HAUTE TENSION GOMME MÉTHODE
EXPÉRIMENTALE.
Les faits qui viennent d’être rapportés dans les deux sous-
chapitres précédents me paraissent présenter un intérêt con-
sidérable, non-seulement en eux-mêmes, mais au point de vue
d’un emploi de l’oxygène à haute tension, comme méthode
expérimentale. Nous avons vu, en effet, que les organismes
microscopiques qui constituent les vrais ferments, que les
éléments anatomiques, isolés ou groupés en tissus, sont tués
par l’oxygène; qu’au contraire, les ferments non figurés, so-
lubles, les diastases, lui résistent parfaitement et sont même
conservés par lui.
Nous avons donc en main un précieux instrument de diffé-
renciation pour reconnaître ce qui appartient à l’une ou à
l’autre des deux classes de fermentations.
S’agit-il d’une fermentation vraie, elle devra être arrêtée
complètement par l’oxygène comprimé, sous une tension cor-
respondant à environ 30 atmosphères d’air, et le ferment
BLETTISSEMENT DES FRUITS.
919
étant tué, elle ne se manifestera plus, lors même que la pres-
sion redeviendrait normale. La fermentation est-elle due à la
présence d’une matière analogue à la diastase, cette matière,
soumise à l’air comprimé, devra y conserver presque indéfini-
ment ses propriétés actives, qu’une expérience consécutive
permettra de mettre en lumière.
Je me hâte de dire cependant que, s’il est ainsi très-facile
de déterminer si un phénomène donné est une fermentation
vraie, la méthode ne permettra nullement de décider s’il est
une pseudo-fermentation, ou le résultat d’une simple oxyda-
tion. Un exemple tiré du blettissement des fruits fera com-
prendre ma pensée.
§ ier. — Blettissement des fruits.
Certains fruits, par exemple les nèfles, les cormes, sont
régulièrement atteints de blettissement, si bien que, comme
ils ne peuvent être mangés que dans cet état, on le confond
communément avec la maturation. Le blettissement est-il le
fait d’une évolution vitale des cellules du fruit ; est-il le ré-
sultat de la réaction d’une matière' diastasique antérieure-
ment formée sur le tannin, qui disparaît pendant le blettisse-
ment ; est-il, enfin, simplement la conséquence d’une oxyda-
tion de ce tannin, dont la disparition enlève au fruit sa sa-
veur insupportable? Voyons d’abord ce que disent les expé-
riences :
Expérience CCCCLXXXIII. — 29 septembre. Cormes non blettes, bien
saines, placées avec soin dans des éprouvettes.
A, laissées à l’air libre.
B, soumises à une pression de 10 atmosphères suroxygénées.
4 octobre , Décomprimé.
A, commencent à blettir.
B, évidemment plus blettes encore.
Expérience CCCCLXXXIV. — 5 novembre. Nèfles non blettes.
A, à la pression normale.
B, à 17 atmosphères d’un air contenant 78 pour 100 d’oxygène.
1 1 novembre. — Décomprimé.
A, encore très-dures, ne blettissent qu’une semaine après.
920
EXPÉRIENCES.
B, complètement blettes, et, par suite, de la décompression brusque et
du dégagement des gaz, crevées et éclalées.
Ainsi, non-seulement le blettissement n’a pas été arrêté,
mais bien , au contraire , il a été accéléré par l’action de
l’oxygène à haute tension. Gela seul suffit pour nous montrer
qu’il ne s’agit pas là d’un acte de la vie cellulaire.
Mais est-ce un acte diastasique? Est-ce d’une oxydation di-
recte qu’il s’agit? Les oxydations de cet ordre ne sont pas ar-
rêtées par l’oxygène en tension ; au moins en est-il ainsi pour
celle du pyrogallate de potasse :
Expérience GGCCLXXXV. — 10 février. Au fond d’un verre est une dis-
solution d’acide pyrogallique; une petite capsule contenant de la potasse
flotte à la surface. Le tout est soumis à 10 atmosphères suroxygénées dans
l’appareil cylindrique en verre.
15 février. On secoue l’appareil sans l’ouvrir; aussitôt que la potasse
touche l’acide, on voit le liquide rougir instantanément, plus rapidement,
certes, qu’il n’aurait fait à la pression normale.
L’accélération du blettissement dans l’oxygène comprimé
semble bien indiquer qu’il est le résultat d’une oxydation.
L’expérience suivante tend à le démontrer :
Expérience CCCCLXXXYI. — 12 novembre. On broie dans un mortier
des nèfles bien dures, et l’on coule dans un verre la pâte ainsi obtenue.
Deux heures après, le blettissement a commencé à la surface de la masse
pâteuse.
En résumé, nous voyons, grâce à l’emploi de l’oxvgène à
haute tension, que le blettissement n’est très-certainement
pas un acte de la vie des cellules du fruit, mais très-probable-
ment le résultat d’une oxydation directe.
§ 2. — Maturation des fruits.
La même question peut se poser pour la maturation régu-
lière des fruits. Si c’est un phénomène d’ordre diastasique, il
continuera dans l’oxygène comprimé ; si c’est un acte de vie
cellulaire, il sera arrêté. L’expérience est assez difficile à réa-
liser, parce qu’il faut prendre des fruits qui mûrissent aisé-
VENINS.
921
ment et rapidement hors de l’arbre , qui ne soient pas trop
sujets à des altérations fâcheuses, et qui soient d’assez petites
dimensions pour être rapidement pénétrés par l’oxygène :
Expérience CCCCLXXXVII. — 9 juillet. Groseilles à maquereau à peine
rosées, commençant à mûrir.
A, à la pression normale.
B, dans l’appareil cylindrique en verre.
17 juillet. Décomprimé.
A, bien rouges, sucrées, tendres, parfaitement mûres.
B, n’ont pas changé de couleur; sont fermes et dures, acides, avec le
goût de groseilles cuites un peu aigres.
Expérience CCCCLXXXVI1I. — 19 juillet. Prunes commençant à mûrir.
A, pression normale.
B, 15 atmosphères suroxygénées.
26 juillet. Décomprimé.
A, sont mangeables, amollies, et ont notablement jauni.
B, sont devenues d’une couleur brun foncé ; restées très-dures, d’une
insupportable acidité, avec l’odeur el le goût de prunes cuites.
Ces deux exemples suffisent pour montrer, de la manière
la plus nette, que la maturation des fruits est un acte vital,
dû à une certaine évolution cellulaire, et, par suite, essen-
tiellement différent du blettissement, avec lequel on l’a sou-
vent confondu.
J’appelle l’attention sur ce goût de cuit que prennent les
fruits sous l’influence de l’oxygène comprimé. Il a déjà été
signalé dans les expériences du premier sous-chapitre, rela-
tives au développement des moisissures. Il est évidemment dû
soit à une oxydation exagérée, soit à l’action d’un pseudo-fer-
ment diastasique.
§ 3. — Venins.
Le seul venin que j’aie pu mettre en expérience est du ve-
nin de scorpion, dont je conservais les vésicules desséchées
depuis plusieurs années ; il provenait du Buthus occitanus
(Àmor.) et m’avait été envoyé du sud de l’Algérie :
i
Expérience GGCGLXXX1X. — 2 décembre. Douze vésicules de scorpion
desséchées; on les écrase avec un peu d’eau; puis on les soumet à la
pression de 18 atmosphères suroxygénées.
922
EXPÉRIENCES.
(Le liquide est neutre, et n’agit pas sur l’empois d’amidon.)
8 décembre. Décompression. Inoculation sous la peau d’un gros rat de
la partie liquide (A), et sous la peau (à la cuisse gauche, au niveau du
nerf sciatique) d’un jeune rat, une partie des débris solides, macérés
dans l’eau (B).
Un quart d’heure après, je regarde le rat (A), et suis assez étonné de le
voir déjà sur le flanc, insensible aux yeux qui larmoient, respirant diffi-
cilement et avec lenteur, le cœur battant irrégulièrement. Il a, surtout
dans les membres postérieurs, des convulsions toniques très-fortes, qui
deviennent sub-intranles, et l’animal périt en une demi-heure environ.
Les muscles présentent depuis quelques instants des mouvements fibril—
laires fort curieux. Les nerfs n’agissent plus sur les muscles.
Poumons parfaitement sains ; sang noir au cœur, à gauche comme à
droite; cœur en diastole; sang rougissant à l’air, et se coagulant très-
bien; globules intacts; rigidité cadavérique survenant très-vite.
Le rat B est pris une demi-heure après l’inoculation.
D’abord cris indiquant une douleur locale ; puis, parésie générale,
lenteur des mouvements ; respiration très-irrégulière, reste quelquefois
5 ou G secondes sans respirer; le cœur suit la respiration.
La patte gauche reste presque toujours en raideur (action locale?). La
sensibilité va en diminuant, et est perdue à l’œil (cornée la dernière)
avant de l’être aux membres. Légères convulsions, qui paraissent exci-
tables au pincement.
Ap rès trois quarts d’heure, reste couché sur le flanc ; la température
s’abaisse rapidement; après une heure et demie, elle est de 29°.
Meurt en 2h environ.
Injection du cerveau et du cervelet; pas d’inflammation locale.
Ainsi l’action du venin de scorpion persiste avec tous les
caractères que j’ai autrefois signalés1, après le séjour dans
l’oxygène à haute tension. Gela n’avait, du reste, rien qui pût
m’étonner, puisque la matière venimeuse résiste même (celle
du scorpion, sans s’y dissoudre) à l’action de l’alcool absolu.
g 4. — Virus.
J’ai pu faire sur les virus un plus grand nombre d’expé-
riences.
A. — Vaccine.
Expérience CGCCXC. — 10 novembre. On vaccine avec du vaccin pris
sur un seul enfant, douze nouveau-nés ; deux quittent l’hôpital avant le
1 Contributions à l’étude des venins : le venin de scorpion. Comptes rendus
de la Société de biologie pour 1865, p. 136.
VIRUS.
925
développement des pustules; sur un troisième, le vaccin ne prend pas;
chez les 9 autres, les pustules se développent au nombre de 55 (de 1 à 6)
pour 54 piqûres.
Sur le même vaccinifère et sur les mêmes pustules, on remplit ensuite
des tubes de Bretonneau, qui sont, du 11 au 18 novembre, soumis à une
pression de 25 atmosphères suroxygénées.
18 novembre. On vaccine avec le vaccin comprimé sept enfants nou-
veau-nés. Quatre d’entre eux quittent le 'surlendemain, avant qu’on ait pu
constater aucun développement ; sur les trois autres, le vaccin prend, et
donne 15 pustules (6, 6, 1) pour 18 piqûres.
(Opérations faites par M. le docteur Budin, alors interne.)
Une expérience aussi nette me paraît suffisante pour con-
clure. Et ma conclusion, c’est que le virus-vaccin, qui résiste
si complètement à l’action de l’oxygène à haute tension, ne
doit pas sa vertu spéciale à des êtres vivants (bactéries, vi-
brions) ou à des cellules (leucocytes, globules spéciaux),
agissant à la manière de ferments vrais.
Je suis loin de nier pour cela que les corpuscules irrégu-
liers de formes et de dimensions qui flottent dans le vaccin
ne contiennent en eux le principe virulent, comme cela sem-
ble très-vraisemblable depuis les recherches de M. Chauveau.
Mais il est certain pour moi qu’on ne doit pas y voir des êtres
vivant
Peut-être la matière virulente est-elle ainsi précipitée en
flocons insolubles ; peut-être encore ces globules sont-ils
doués de la propriété de fixer le principe actif, comme les
globules sanguins fixent l’hémoglobine et les corpuscules
amylacés des cellules vertes la chlorophylle.
B. — Morve .
Expérience GCGGXCI. — 15 juillet. Pus morveux envoyé d’Alfort par
M. le professeur Trasbot.
Quantités égales sont placées dans deux petites bouteilles, sur une hau-
teur de 1 centimètre environ :
A, à la pression normale.
B, poussé à 20 atmosphères suroxygénées.
21 juillet. Décomprimé.
A est pourri.
924
EXPÉRIENCES.
B n’a aucune odeur.
Le même jour, ces deux pus sont inoculés à deux chevaux.
A, n’a que des accidents locaux, dus évidemment à l’inoculation putride,
décollement delà peau et abcès ; guérit.
B, meurt de la morve, après avoir présenté, m’écrit M. Trasbot, « une
éruption aussi complète que possible. »
Nos conclusions, pour le virus morveux et les corpuscules
qu’il contient, sur le rôle virulent desquels a insisté M. Chau-
veau, seront donc identiques à celles que nous avons tirées
des expériences faites sur le virus-vaccin. Il ne s'agit pas
ici non plus d'êtres microscopiques agissant à la façon des
ferments vrais.
C. — Charbon et sang de rate .
Les recherches de M. Davaine ont attiré l’attention sur le
rôle que pourraient jouer, dans l’infection par le virus char-
bonneux, les êtres microscopiques, les bactéridies , dont il a
découvert l’existence et la présence constante dans les liqui-
des virulents. Les expériences faites par la méthode des di-
lutions, des filtrations, des précipitations, ont amené ce sa-
vant médecin à déclarer que ces bactéridies étaient vraiment
les agents de la virulence, et que, introduites dans le sang
d’un animal sain, elles amènent la mort par leur développe-
ment prodigieusement rapide. Si bien que le charbon serait,
en définitive, une véritable maladie parasitaire.
Mais toutes ces méthodes laissent prise aune objection. Ces
êtres microscopiques, dont la nature est encore mal détermi-
née, pourraient n’être que le véhicule et non la cause créatrice
de l’agent virulent dont ils seraient simplement imprégnés.
J’ai donc dû instituer des expériences suivant la nouvelle
méthode, mais en prenant les plus grandes précautions :
1° pour que la couche de sang soit assez mince et se laisse
pénétrer par l’oxygène ; 2° pour qu’il ne reste pas, sur les limi-
tes du liquide sanguin, d’îlots isolés qui se dessécheraient
et résisteraient alors parfaitement à l’action de l’oxygène :
Expérience GGGGXCII. — 6 octobre. Sang provenant d’un mouton char-
925
FERMENTS, ETC. RÉSUMÉ.
bonneux (envoi du professeur Trasbot). Ce sang inoculé à des cochons
d’Inde a été suivi jusqu’à la quatrième génération virulente.
Soumis en couche mince à 20 atmosphères suroxygénées.
9 octobre. Décomprimé ; inoculé à un cochon d’Inde.
10 octobre. L’animal meurt à 1 heure après midi.
Expérience GGGCXCIII. — 20 novembre. M. le professeur Trasbot m’en-
voie de la sérosité prise sur un mouton qui avait été inoculé avec le sang
d’un cheval mort de fièvre charbonneuse : beaucoup de bactéridies.
J’en inocule 1/2CC, sous la peau d’un cochon d’Inde.
21 novembre. L’animal est trouvé mort le matin.
Je prends un peu de son sang, qui contient des bactéridies, le mêle à
de la sérosité épanchée au lieu d’inoculation, et le soumets, en couche
mince (5mm. environ), à l’action de 20 atmosphères d’un air suroxygéné.
30 novembre. Décompression; le sang est rouge jusqu’au fond. Injec-
tion à deux cochons d’Inde.
1er décembre. Tous deux sont trouvés morts le matin.
J’inocule avec leur sang un cochon d’Inde et un chien sous la peau.
2 décembre. Le cochon et le chien sont morts.
Voilà des expériences dans lesquelles les bactéridies ont
dû être tuées par l’oxygène comprimé, et où cependant le
sang a conservé toute sa virulence; la dernière est surtout
concluante, car pour l’expérience CCCCXCIi la durée de la
compression n’avait peut-être pas été suffisante. Elles prou-
vent donc que cette propriété redoutable n’était pas due, au
moins dans le sang que j’ai employé, à l’existence de ces pe-
tits êtres. Elles ont été corroborées à mes yeux par des expé-
riences dont le récit ne saurait trouver place ici, et dans
lesquelles j’ai vu la matière virulente être précipitée du
même sang par l’alcool, filtrée, puis desséchée, sans perdre
son activité redoutable, qu’elle pouvait encore transmettre
comme auparavant, de génération en génération.
Cependant, je crois qu’il serait imprudent d’appliquer
cette conclusion à tous les sangs dits charbonneux, et qu’il
faudrait auparavant multiplier les expériences, en employant
des sangs de provenances diverses, car il serait possible que
plusieurs maladies soient confondues sous la dénomination
commune de charbon \
* Voir les discussions de MM. Davaine, Jaillarl et Leplat : Comptes rendus de
C Académie des sciences, t. LXI, 1865.
92(i
EXPÉRIENCES.
SOUS-CHAPITRE V
RÉSUMÉ.
Nous sommes donc maintenant, grâce à ces expériences
multiples, en situation de formuler la raison première de la
mort des animaux et des végétaux soumis à une tension
d’oxygène assez forte. Laissons là l’appareil des convulsions
violentes que présentent les animaux supérieurs et allons au
fond des phénomènes.
La vie n’est que le résultat d’un ensemble complexe et
harmonique de modifications chimiquesappartenant au groupe
des fermentations: les unes sont dues à l’intervention directe
des éléments figurés du corps ; les autres sont la conséquence
de l’action de substances instables, solubles, analogues à la
diastase, préalablement formées par l’action des éléments
figurés. Dans l’intérieur même de chacun des éléments ana-
tomiques, le mouvement vital ne s’entretient que par l’action
de ces substances qui y naissent, y agissent, s’y transforment,
s’y détruisent.
Mais, pour que la vie s’entretienne, il est nécessaire que les
phénomènes multiples s’exécutent avec une régularité, ou
mieux une harmonie constante. Quand leur intensité seule
est modifiée, sans que leurs rapports soient altérés, l’activité
vitale diminue, se suspend même parfois, et pendant un long
temps, pour reparaître lorsque des conditions plus favorables
se présentent. C’est ce qui arrive par le froid, par ladessicca-
tion, et, pour rentrer dans notre sujet, parla diminution de
pression. Les graines, conservées intactes dans le vide,
germent lorsqu’on les ramène à l’air ; la viande, restée fraîche
dans le vide, pourrit lorsque l’oxygène vient rendre l’activité
à ses vibrions.
Lorsque, au contraire, ce n’est plus seulement la quantité*
mais la qualité même des modifications chimiques qui se
trouve altérée, des troubles surviennent, dont le détail est
loin d’être connu et qui ont de telles conséquences, qu’en
927
FERMENTS, ETC., RÉSUMÉ.
vain rétablit-on les conditions normales, l’activité vitale ne se
rétablit pas. C’est ce qui arrive par la chaleur, par l’humidifi-
cation excessive, et par l’augmentation de pression. Les grai-
nes conservées intactes en apparence dans l’air comprimé,
ne germent plus lorsqu'on les ramène à la pression normale,
et c’est en vainque l’oxygène, sousla tension habituelle, entre
en contact avec les vibrions morts, et définitivement morts,
qui peuplaient la viande préalablement soumise à l’oxygène
comprimé.
Il n’est pas besoin d’aller jusqu’à la mort pour mettre en
évidence ces importantes différences. Un animal soumis
à la décompression est pris, à un certain moment, de convul-
sions, que fait immédiatement cesser le retour à la pression
normale : Sublatâ causâ , tollitur effectus. Mais les convulsions
dues à l’excès de pression persistent alors même que la cause
apparente a été supprimée : c’est que la cause réelle, l’altéra-
tion chimique existe encore, agit encore et excite les centres
nerveux.
Il se fait donc, sous l’inüuence de l’oxygène en excès de
tension, dans l’intérieur même des éléments anatomiques
isolés en monocellules ou groupés en tissus, des altérations
chimiques donnant naissance à des produits durables, dont
la présence trouble l’harmonie nécessaire à la persistance de
la vie, chez l'élément d’abord, chez l’être complexe ensuite.
Ce sont là sans doute des formules un peu vagues; mais ce
vague tient à l’état général de la science et ne doit pas m’être
reproché. Que savons-nous des transformations moléculaires
qui se passent régulièrement dans les tissus, au sein et au
contact des éléments anatomiques? Le peu que nous en sa-
vons, je l’ai soumis à l’expérience; j’ai vu que la transforma-
tion de l’amidon en glycose, que la réduction de la glycose
en ses éléments premiers, sont ralentis par l’oxygène sous
forte tension. Or, ce sont là des actes généraux qui se mani-
festent, on le sait, dans la vie d’une cellule de mycoderme,
comme dans celle d’un mammifère ou d’un oiseau. Ils sont
ralentis, mais cependant le ferment soluble qui les produit
n’est en rien altéré et reprendra plus tard, à la pression nor-
928
EXPÉRIENCES.
male, toute son activité. Pourquoi donc, après ce retour à la
pression normale, la vie ne reparaît-elle pas, comme après la
suspension due au vide ou au froid? Est-ce que le ferment,
dont Faction régulière a diminué, en aurait acquis une nou-
velle qui aurait produit cette substance durable dont nous
cherchons l’origine? Est-ce la matière fermentescible, au
contraire, qui s’est altérée et se refuse ensuite à Faction du
ferment conservé?
11 est bien difficile de répondre aujourd’hui à ces questions.
Tout ce que je puis dire, c’est que les substances soumises à
la compression : viande, œuf, lait, pain, présentent rapide-
ment une réaction acide, due probablement en partie à de
l’acide lactique. Il n’est pas impossible que la présence decet
acide dans l’intérieur même des éléments anatomiques soit la
cause de la mort.
Mais, sans poursuivre plus longtemps des phénomènes
dans l’intimité desquels nous ne saurions entrer davantage,
nous sommes autorisés à dire, par les nombreuses expé-
riences dont le récit a tenu tant de pages, que sous l’influence
de l’oxygène en tension, il survient, dans l'intérieur même de
chaque élément anatomique, des altérations chimiques in-
compatibles avec la vie de cet élément. Ceci posé, tous les
phénomènes, si variés, que nous avons énumérés jusqu’ici,
s’enchaînent et s’expliquent aisément.
S’agit-il d’un être vivant réduit, dans sa structure élémen-
taire, aune cellule ou à un petit nombre de cellules? Comme
son activité vitale se manifeste le plus souvent à nous par les
phénomènes connus sous le nom de fermentations vraies (al-
coolique, acétique, lactique, putréfaction), sa mort aura cette
conséquence que ces phénomènes seront arrêtés pour tou-
jours, à moins d’un ensemencement de ferments nouveaux.
S’agit-il, pour aller de suite à l’extrême inverse, d’un
animal des plus compliqués dans sa structure? Les élé-
ments anatomiques qui forment ses tissus sont menacés de
mort. Ceux d’entre eux qui jouaient dans la chimie vivante
le rôle des ferments figurés, cessent d’agir, ou diminuent
d’énergie dans Faction. Les phénomènes de fermentation zv-
RÉSUMÉ.
929
motique qui se passent en dehors comme en dedans d’eux
diminuent d’intensité et s’altèrent. Leurs qualités person-
nelles, leur contractibilité, leur propriété de transmettre les
excitations ou de les transformer en réaction, se modifient et
tendent à disparaître.
De là, la dépression générale des phénomènes chimiques de
la vie; de là, moins d’oxygène consommé, moins d’acide car-
bonique produit, moins d’urée excrétée ; de là, l’apparition
dans les urines du sucre qui n’est plus suffisamment détruit;
de là, enfin, un abaissement énorme de la température.
Et en même temps, — comme toutes les fois qu’un trouble
considérable et rapide est apporté dans l’équilibre des fonc-
tions d’un animal supérieur (hémorrhagie, asphyxie, etc.),
c’est le système nerveux central qui, le premier excité, mani-
feste par ses réactions violentes le danger qui menace l’orga-
nisme entier, — en même temps, dis-je, apparaissent ces con-
vulsions qui témoignent, par leur persistance après le retour
à la pression normale, qu’une altération chimique profonde
s’est faite soit dans les tissus mêmes de la moelle épinière,
soit dans le sang qui les baigne et leur apporterait ainsi une
sorte de poison. Viennent enfin les contractions musculaires
modifiées dans leur manière d’être, ressemblant à des cram-
pes, comme il arrive, du reste, à tout muscle qui meurt.
Entre ces deux extrêmes, de la cellule isolée et du vertébré
à sang chaud, tous les intermédiaires : d’un côté, les moisis-
sures, les algues, les graines, les végétaux vasculaires; de
l’autre, les annélides, les mollusques, les insectes, les pois-
sons, les reptiles. Tout l’ensemble des êtres vivants, en un
mot, périt sans retour quand la tension de l’oxygène s’élève
suffisamment. Aucun, on peut l’affirmer, ne résisterait à une
tension correspondante à la pression de 20 atmosphères d’air.
Nous aurons à revenir sur les inductions que suggère ce phé-
nomène inattendu.
59
CHAPITRE VII
DES EFFETS DES CHANGEMENTS BRUSQUES DANS LA PRESSION
BAROMÉTRIQUE.
J’ai parlé exclusivement jusqu’ici des phénomènes consé-
cutifs aux modifications graduellement apportées dans la
valeur de la pression barométrique, modifications qui se
sont réduites, ainsi qu’on a pu le voir, à des phénomènes
d’ordre physico-chimique, suite de l’existence dans le sang
de quantités plus ou moins grandes d’oxygène. Mais c’est
seulement dans ces conditions de lenteur que j’ai pu être
amené à nier l’influence de la pression en tant qu’agent
direct, d’ordre physico-mécanique. On comprend qu’il puisse
en être autrement, lorsqu’il s’agit de modifications brusques
et considérables.
Les expériences rapportées dans le présent chapitre ont
eu pour but d’élucider cette question.
SOUS-CIIAPITRE PREMIER
INFLUENCE DES AUGMENTATES BRUSQUES DE PRESSION.
Cette partie du travail ne sera pas longue. L’augmentation
soudaine de pression ne semble avoir sur les animaux au-*
cun effet appréciable.
951
CHANGEMENTS BRUSQUES DE PRESSION.
Tout d’abord, lorsqu’il s’agissait d’animaux préalablement
soumis à une pression très-faible, comme celle dont il est
question dans les chapitres I et III, le rétablissement immé-
diat de la pression normale n’avait aucun inconvénient appa-
rent. Bien au contraire, lorsque la dépression était très-forte,
son effet favorable se manifestait aussitôt, et l’animal reve-
nait de suite à un état normal. On le voyait alors, surtout
lorsqu’il s’agissait d’un mammifère herbivore, se dégonfler
sensiblement, par le retour au volume primitif des gaz in-
testinaux, que la dépression avait dilatés.
Les expériences sur l’augmentation brusque de la pres-
sion ont été faites sur des oiseaux ou des rats placés dans
le gazogène à eau de Seltz. Ce récipient étant mis, par un
tube de cuivre, en rapport avec le gros récipient de métal
(fig. 53), où la pression était poussée à 10 atm., on ouvrait le
robinet de communication c, et l’équilibre de pression s’éta-
blissait subitement. L’animal semblait alors se tapir, s’apla-
tir, comme effrayé; mais au bout de quelques minutes, il
reprenait toute sa vivacité.
Il n’y a pas lieu de s’étonner de ces résultats négatifs, puis-
que nous avons vu que les ouvriers de tubes et les plongeurs
à scaphandres se soumettent à des pressions soudaines de
plusieurs atmosphères. Et cela, sans ressentir d’autres incon-
vénients que des douleurs d’oreilles plus ou moins vives, dou-
leurs dont ne paraissent pas souffrir les animaux, dont la
trompe d’Eustache s’ouvre sans doute plus facilement que la
nôtre.
L’influence des augmentations brusques de la pression baro-
métrique, presque nulle chez les animaux aériens, se fait au
contraire très-énergiquement sentir chez les poissons munis
d’une vessie natatoire. Que celle-ci soit close ou non, il suffit
d’augmenter un peu la pression de l’air qui surmonte l’eau
où nage le poisson, pour voir immédiatement celui-ci précipité
au fond du vase d’où les plus puissants efforts musculaires ne
peuvent le détacher que pendant un instant. Mais au bout de
quelques jours, pendant lesquels la compression a été main-
tenue, il reprend toute liberté d’action. C’est que, pendant
932
EXPÉRIENCES.
cet intervalle, une sécrétion nouvelle de gaz oxygène a rendu
à sa vessie natatoire son volume primitif, et à son propre
corps, sa densité primitive. Tous ces faits, dont j’ai souvent
été témoin, ont été parfaitement décrits et expliqués parM. le
docteur Armand Moreau.
SOUS-CHAPITRE II
INFLUENCE DE LA DIMINUTION BRUSQUE DE PRESSION A PARTIR
D’UNE ATMOSPHÈRE.
L’étude de cette influence présente de grandes difficultés,
sans avoir grand intérêt. En effet, pour les faibles dépres-
sions, si brusquement qu’on les produise, l’action est à peu
près nulle chez les animaux aériens ; pour les dépressions
fortes, elle se combine avec celle de l’anoxyhémie, à côté
de laquelle elle n’est que de bien médiocre importance.
Quand on tombe brusquement à une demi-atmosphère,
les animaux tressautent, bondissent, quelquefois tournent
sur eux-mêmes, mais se remettent bientôt, ou du moins ne
présentent plus que les troubles asphyxiques dus à la pauvreté
de leur sang en oxygène.
Ces marques de gêne sont dues sans aucun doute à la di-
latation soudaine de tous les réservoirs gazeux de l’orga-
nisme, et l’on conçoit qu’ils sont particulièrement considé-
rables chez les oiseaux où ces réservoirs s’étendent dans le
corps tout entier; mais presque aussitôt, chez ces derniers,
l’équilibre se rétablit, à cause de la communication des sacs
aériens avec la trachée, et, par suite, avec l’intérieur. Les
mammifères, et surtout les herbivores, eux, sont un peu
gonflés par la dilatation des intestins et de l’estomac, mais
ils rejettent assez vite les gaz qui les gênent. C’est ce que
montre du reste l’expérience suivante :
Expérience CGGCXC1V. — 9 juin. Chien qui vient d’ètre tué par une
électrisation du cœur.
On introduit dans le rectum, à l’aide d’une petite vessie qui oblitère
CHANGEMENTS BRUSQUES DE PRESSION.
935
parfaitement l’anus, un tube de verre coudé, dont l’extrémité plonge de
quelques millimètres dans un verre plein d’eau. L’animal est ainsi disposé
dans l’un des grands cylindres de la figure 27 (p. 631).
On fait alors, aussi rapidement que possible, la dépression jusqu’à 34e;
on voit pendant ce temps les bulles de gaz se succéder avec vitesse en
sortant du tube anal ; cependant la paroi abdominale se gonfle visiblement.
On laisse rentrer l’air; la paroi s’aplatit; il y a encore une notable
quantité de gaz dans l’intestin.
Le même effet est produit, ainsi qu’on le sait depuis long-
temps, chez les poissons munis d’une vessie natatoire s’ou-
vrant dans l’œsophage, comme les cyprins. Si la dépression
ne marche pas trop vite, on voit s’échapper de leur bouche
des bulles de gaz sorties de la vessie ; puis, quand on ramène
la pression normale, ils tombent au fond de l’éau, leur den-
sité étant devenue trop forte. Dans ces conditions, ils revien-
nent avec efforts à la surface pour y avaler de l’air et remplir
ainsi à nouveau leur vessie; pour me renseigner sur cette
absorption directe, qui pouvait être mise en doute, j’ai insti-
tué l’expérience suivante :
Expérience CGGGXCV. — 1er juin. Une carpe pesant une demi-livre est
soumise, dans l’eau, à une dépression de deux tiers d’atmosphère. Elle
lâche une grande quantité d’air.
On place alors le cristallisoir où elle nage sous une cloche contenant un
mélange d’air, d’oxygène et d’hydrogène en proportions non dosées.
3 juin. L’animal meurt; sa vessie natatoire contient llcc,4 de gaz ainsi
composé, pour 100 : hydrogène 33,3, oxygène 16,7, azote 50,0.
Pour le dire en passant, les cyprins, dans l’état ordinaire,
tout en venant à la surface de l’eau avaler de l’air, ne l’intro-
duisent pas dans leur vessie, et ne s’en servent vraisembla-
blement que pour aérer plus énergiquement leurs branchies.
Ainsi :
Expérience CCGGXGYI. — 5 juin. Carpe pesant 200 grammes. Le vase où
elle nage est placé sous une cloche contenant un mélange d’oxygène et
d’hvdrogène non dosé.
9 juin. On tue l’animal.
11 n’y a pas d’hydrogène dans la vessie natatoire.
Les poissons à vessie close, devenant plus légers que
1 eau lorsqu’on les décomprime, arrivent à la surface et pé-
954
EXPÉRIENCES.
rissent, par éclatement de la vessie surgonflée. Ce fait est de-
puis longtemps bien connu des pêcheurs, qui, pour éviter la
projection des viscères, qui souillerait le poisson, percent la
vessie avec une pointe de fer ou de bois.
Le même phénomène, je dis ceci pour ne plus revenir sur
cet ordre de faits, s’observe sur les poissons à vessie close
qu’on a maintenus pendant quelques jours sous l’influence
d’une augmentation de pression :
Expérience CCCCXCVII. — 4 mai. Épinoches dans appareil cylindrique
en verre. Soumises à 2 atmosphères de pression, vont immédiatement
au fond de l’eau.
10 mai. Nagent librement. On décomprime ; arrivent immédiatement à
la surface. Retirées, meurent.
Ainsi, ces poissons avaient reformé dans leur vessie une
quantité de gaz suffisante pour reprendre, avec leur densité
première, la liberté de leurs mouvements. Mais la décom-
pression leur a été fatale.
La vessie aérienne close est donc fort mal dénommée vessie
natatoire , puisqu’elle nuit au poisson et le contraint de rester à
une certaine profondeur d’eau, sous peine, ou de venir écla
ter à la surface, ou de couler indéfiniment dans la profondeur,
s’il dépasse les faibles limites entre lesquelles il lui est per-
mis de se mouvoir verticalement.
J’ai pu obtenir un résultat analogue à celui de l’expérience
CCCCXCVII avec des grenouilles rapidement décomprimées
de 5 ou 6 atmosphères à la pression normale. L’air des pou-
mons se dilatant énormément, fermait lui-même l'orifice tra-
chéal; l’estomac sortait parla bouche, le poumon se crevait,
et le corps était transformé en une sorte de ballon fortement
gonflé. Tout cela est chose simple, et se pouvait deviner.
Mais revenons aux animaux aériens. Quand on les décom-
prime très-rapidement, ils périssent aussi presque soudaine-
ment. Peut-on, dans cette mort, attribuer une part impor-
tante à la brusquerie de la décompression? Cela revient
presque à la question que nous avons déjà posée. L’influence
d’ordre purement mécanique ou physique de la décompres-
CHANGEMENTS BRUSQUES DE PRESSION.
935
sion est-elle appréciable? Les expériences rapportées dans
les chapitres précédents montrent qu’elle est bien faible,
en tout cas, puisqu’un animal peut, par exemple (expé-
rience GCLI), être très-rapidement amené sans encombre à la
pression de 7 cent., à la condition que l’air soit très-chargé
d’oxygène.
Examinons cependant les résultats de quelques expérien-
ces faites spécialement en vue de la décompression brusque :
Expérience CCCCXCVIII. — 2 mars. Chien pesant 2UI,300, mis dans cloche
de 31 litres. Cette cloche (fîg. 27, C) est en rapport, par un tube de
caoutchouc à parois épaisses, avec un vaste récipient de tôle (B) où la pres-
sion a été amenée à 10e.
On ouvre un robinet de communication, et la pression tombe immédia-
tement, dans la cloche, à 12e. Aussitôt, agitation comme convulsive, cris,
hémorrhagie nasale avec écume; mort en 3 ou 4 minutes. Les poumons
présentent des ecchymoses qui ne disparaissent pas complètement par l’in-
sufflation. Bronches et trachée pleines d’écume sanguinolente. Sang
noir dans les cavités gauches du cœur, très-noir à droite, sans gaz libres.
Expérience CCCGXCIX. — 7 mars. Chat de grande taille. Même procédé
expérimental.
La pression est amenée d’un coup à 16e; l’animal se dresse presque
aussitôt, s’agite avec violence, bâille. Au bout de 2m, tombe sur le flanc,
sa langue noircit ; à 5m, sa pupille se dilate, des frissons surviennent
dans les muscles peaussiers. Mort après 6m.
Retiré aussitôt, l’animal, très-gonflé, s’affaisse quand la pression nor-
male se rétablit; pas de gaz dans le sang; sang noir dans le cœur gauche,
encore plus dans le cœur droit; veines pulmonaires rouges; ecchymoses
pulmonaires.
Expérience D. — 15 mars. Moineau mis instantanément, par un dispo-
sitif analogue, à 12e dépréssion.
Agitation; mort très-rapide sans vraies convulsions.
Pas de gaz libres dans le sang.
Expérience DI. — 18 juin. Chat. amené très-rapidement à 12e de pres-
sion.
Meurt après une phase très- rapide de convulsions.
Poumons congestionnés, se déplissent et blanchissent quand on les in-
suffle ; les parties les plus congestionnées ne s’enfoncent pas dans l’eau.
Pas de gaz dans le sang, examiné avec grand soin.
Expérience DII. — 16 décembre. Deux rats, mis dans une cloche de
2 litres, sont amenés aussi rapidement que possible (2 ou 3 min.) à la
pression de 4e, 5.
936 EXPÉRIENCES.
Tournent sur eux-mêmes, bondissent, meurent sans véritables convul-
sions.
Retirés aussitôt et ouverts l’un A à l’air, l’autre B sous l’eau : les cœurs
battent encore.
A. Sang examiné à la loupe dans les vaisseaux, puis au microscope :
pas de bulles de gaz. Poumons très-rouges par places, les morceaux
rouges vont au fond de l’eau; ils se déplissent par insufflation.
B. On ne voit pas de bulles de gaz se dégager sous l’eau.
Expérience DIII. — 16 décembre. Rat tué par le même procédé, à la
même pression; mais maintenu pendant 10 minutes à 4e, 5.
Pas de gaz dans le sang, examen minutieux.
Poumons adhérents au thorax, mais revenant sur eux-mêmes quand
on l’ouvre ; rosés avec fines piquetures, surnageant partout.
Le foie broyé avec du noir animal donne énormément de sucre.
En rapprochant ces quelques faits de ceux qui ont été déjà
rapportés, et dans lesquels la dépression avait été très-brus-
quement obtenue, on voit que les phénomènes physiques se
réduisent à bien peu de chose, même alors que la rapidité
de l’expérience a dû en augmenter l’importance. Nous avons
déjà parlé de la dilatation des gaz intestinaux; quand le vide
est soudain, ils n’ont pas le temps de s’échapper, et doivent
contribuer pour une part, bien petite sans doute, aux angois-
ses de l’animal.
Les ecchymoses pulmonaires ne signifient rien, puisqu’on
les trouve dans l’asphyxie simple, à la pression normale.
Les hémorrhagies pulmonaires ne sont point un fait
constant; d’autre part, on les voit survenir dans certains cas
lorsque la pression a été diminuée lentement; il est donc
difficile de les attribuer à la brusquerie de la dépression. Je
considérerais plutôt comme ayant cette cause l’aspect singu-
lier que m’ont présenté les poumons du chien (Exp. CLXXX)
dont l’histoire se trouve rapportée page 651 : « Les poumons,
avons-nous dit, sont, par larges places, rouges, allant au fond
de l’eau, mais se déplissant parfaitement par l’insufflation. »
Cette espèce d’état fœtal me paraît dû à une sorte de succion
exercée de place en place, par la pression de 7 centimètres
sous laquelle était mort l’animal.
On a vu, dans la partie historique de cet ouvrage, que les
CHANGEMENTS BRUSQUES DE PRESSION. 937
anciens auteurs attachaient beaucoup d’importance à ce
phénomène que certains d’entre eux considéraient comme
constant, et comme s’étendant au poumon tout entier. Nous
avons rapporté sur ce point les observations de Musschen-
broëck (p. 208), de Guideus (p. 212) et de Yeratti (p. 214).
Je n’ai jamais vu, quant à moi, les poumons d’animaux
morts par la décompression brusque, rétractés complètement
et plus lourds que l’eau, dans leur masse entière. Sans
doute, comme le pensaient les anciens, sans s’exprimer bien
clairement, lorsque la pesanteur de l’air sera réduite à une
valeur inférieure à la force de l’élasticité pulmonaire, le
poumon devra revenir sur lui-même, et un vide relatif se faire
dans les plèvres. Mais, d’abord, ceci ne peut se faire qu’à des
pressions inférieures à celles sous lesquelles meurent les ani-
maux, puisque l’élasticité pulmonaire d’un chien, même dans
l’état d’inspiration maximum, même ajoutée à la pression né-
gative, ne dépasse pas 5 ou 6 centimètres de mercure ; cette
valeur est encore moindre pour les animaux plus petits. En-
fin, en supposant cet espace vide dans les plèvres, il est évi-
dent que, lorsqu’on rétablira la pression normale, le poumon
devra être refoulé dans sa position primitive, sans quoi les
côtes devraient se briser sous l’effort de la pression atmosphé-
rique, comme je l’ai autrefois montré expérimentalement;
il en résulte que ce phénomène se fût-il produit, on n’en
devra pas retrouver de traces à l’autopsie. Pour que la ré-
traction pulmonaire puisse persister, il faudra ou bien que
lors du rétablissement brusque de la pression normale, quel-
que vésicule se soit rompue, laissant ainsi pénétrer de l’air
dans la plèvre; ou bien qu’après un long séjour dans le vide,
du gaz ou des liquides s’y soient exhalés, et c’est probable-
ment pour cette raison que, selon Yeratti, on ne trouve les
poumons dans cet état que lorsque les animaux sont restés
quelque temps sous la cloche pneumatique.
Quant au dégagement de gaz dans le sang, auquel les an-
ciens auteurs, depuis Robert Boyle (voy. p. 210), ont attribué
un rôle si important, et que F. Hoppe (voy. p. 259) a consi-
déré comme la cause principale de la mort, je dois dire que,
938
EXPÉRIENCES.
pas plus quand la décompression a été brusque que dans le
cas où elle a été plus ménagée, je n’ai trouvé de gaz libres
dans les vaisseaux. Et cependant, in vitro la libération des
gaz du sang commence sous une faible dépression. En effet :
Expérience DIV. — clo juin. On remplit deux tubes de verre, l’un de
sang, défibriné et bien reposé, l’autre d’eau. Deux heures après, aucune
bulle de gaz ne s’en étant dégagée, on commence à diminuer la pression,
en s’arrêtant de 10 en 10e pendant 5m.
A 66e de pression, on ne voit aucune bulle de gaz se dégager;
A 5GC, non plus ;
A 46e, des bulles apparaissent sur les parois des tubes, à la fois dans
l’eau et dans le sang ;
A 56e, le dégagement est également abondant dans les deux tubes.
Un dégagement gazeux doit donc avoir lieu dans les vais-
seaux sanguins, et d’abord dans le système veineux, où la
pression est moindre. Mais il faut faire remarquer que l’oxy-
gène, en admettant qu’il sorte du sang, doit être immédiate-
ment absorbé par les tissus qui en sont avides ; que l’acide
carbonique doit avec la plus grande facilité traverser les
membranes pulmonaires, et que tout doit se borner à l’azote,
dont la proportion (de J à 2 pour 100 volumes de sang) est si
faible. Encore, comme le dégagement est très-lent, a-t-il sans
doute le temps de se diffuser par la voie du poumon. Tant il
y a que, soit qu’on tire le sang sur l’animal vivant, comme
nous avons pu le faire à 17 centimètres de pression (Expér.
CLXXÎX, p. 641), soit qu’on examine le sang de l’animal tué
par dépression brusque ou ménagée, on n’y trouve pas de gaz
libres. (Voy. particulièrement les expériences DI, DU et DIII,
où la recherche des gaz a été faite avec les soins les plus mi-
nutieux.)
CHANGEMENTS BRUSQUES DE PRESSION.
939
SOUS-CHAPITRE III
INFLUENCE DE LA DIMINUTION BRUSQUE DE PRESSION A PARTIR DE PLUSIEURS
ATMOSPHÈRES.
Le sujet de nos recherches devient ici beaucoup plus inté-
ressant. Il se rapproche, en effet, des phénomènes que nous
avons signalés dans la partie historique, en parlant des ou-
vriers qui travaillent aux piles des ponts, et des plongeurs à
scaphandres.
Je commencerai, suivant mon habitude, par le récit dé-
taillé d’un certain nombre d’expériences. J’expose d’abord
celles dans lesquelles la décompression a été obtenue en un
seul temps et aussi rapidement que possible.
§ 1er. — Décompression en un seul temps.
A. — Expériences faites sur des moineaux.
Expérience DV. — 20 juillet. Moineau franc. Récipient à eau de Seltz.
Amené en 20m à 8 atmosphères; laissé pendant 5m sous pression. Ouvert
d’emblée grand robinet et décomprimé en quelques secondes.
S’agite au moment de la décompression, puis ne paraît pas malade, et
survit.
Expérience DVI. — 3 août. Moineau franc. Même appareil. Porté à 8 at-
mosphères, à midi et demi.
A 2h, malade ; à 2h 5/4, très-malade. Pris de l’air qui contient 2, 1
pour 100 de CO2. Tension : 2, 1 x 8 = 16,8.
Ouvert soudain le grand robinet; l’oiseau est renversé violemment en ar-
rière ; enlevé aussitôt : sa température rectale est 25°, celle de l’air extérieur
étant de 20°; sang des veines jugulaires très-rouge, on n’y voit pas de
gaz. Reste sur le dos et meurt en 10m. A la mort, le sang des veines est
noir, on voit des bulles de gaz dans les jugulaires.
Expérience DVII. — 1er mai. Moineau franc. Récipient cylindrique en
verre.
2h 5m, mis à 10 atmosphères ; entouré de papiers imbibés d’une solu-
tion de potasse, en telle sorte que le CO2 soit absorbé au fur et à mesure
de sa production.
A 5h 40m, l’oiseau paraît mort ; la pression est de 9 atmosphères 1/2 ;
940
EXPÉRIENCES.
l’air contient 14,1 d’oxygène, et sans doute très-peu d’acide carbonique.
On décomprime rapidement. Presque immédiatement, l’oiseau qui a levé
la tête au moment où l’on ouvre le robinet, devient très-vif ; suffusions
sanguines au crâne. Survit.
Expérience DVIIÏ. — 10 mai. Moineau franc. Appareil cylindrique. De
4h 15m à 4h 20m, mis à 16 atmosphères. Présente après 5 ou 6m des
trépidations avec grande angoisse, petites convulsions, etc. caractéris-
tiques de l’empoisonnement par l’oxygène, dont la tension est 16x20,9
z=554.
A 4h 30in, décomprimé en lm ; ne paraît pas souffrir de la décompression ;
pas de gaz dans les jugulaires, où le sang est très-rouge. Suffusions san-
guines crâniennes énormes. Température rectale 55°.
A 4h 35m, grande convulsion, meurt. S a température rectale est 34°.
Le sang est très-rouge dans le cœur gauche, sans gaz. Dans le cœur
droit et les jugulaires, il est noir avec gaz en bulles très-fines; ces bulles
existent dans le système porte.
Expérience DIX. — 27 octobre. Moineau (récip. cylind.).
Amené à 8 atmosphères.
Décomprimé en 5 secondes.
Sorti de l’appareil, ne paraît nullement gêné.
Expérience DX. — 27 octobre. Moineau (récip. cylind.).
Amené à 10 atmosphères.
Décomprimé en 5 secondes.
Pas d’accident, survit.
Expérience DXI. — 27 octobre. Moineau (récip. cylind.).
Porté à 12 atmosphères. Pœste pendant ce temps immobile au fond de
l’appareil.
Décomprimé brusquement, s’élance au sommet du cylindre, puis
retombe.
Est mort avant qu’on l’ait retiré de l’appareil.
Air en quantité dans les jugulaires et le cœur droit.
Expérience DXII. — 27 octobre. Moineau (récip. cylind.).
Porté à 14 atmosphères.
Décomprimé brusquement ; meurt en quelques minutes.
Air en quantité dans les jugulaires et le cœur droit.
Expérience DXIII.» — 27 octobre. Moineau (récip. cylind.).
Porté à 14 atmosphères.
Décomprimé brusquement, sans accidents.
Est trouvé mort le lendemain.
Expérience DXIV. — 27 octobre. Moineau ; appareil cylindrique.
Porté à 15 atmosphères, et décomprimé brusquement aussitôt.
941
CHANGEMENTS BRUSQUES DE PRESSION.
Sorti de l’appareil, ne peut marcher, bat des ailes, a des convulsions,
et meurt bientôt.
Air en quantité dans les veines jugulaires et le cœur droit.
Expérience DXV. — 29 juin. Deux moineaux sont portés en une heure
à 7 atmosphères de pression, sous courant d’air entretenu par le gros
cylindre en tôle.
A ce moment, le caoutchouc de communication crève ; la dépression
est instantanée.
Les deux oiseaux meurent en un quart d’heure.
Il faut ajouter à ces expériences faites sur les moineaux
les résultats d’un grand nombre d’autres déjà rapportées,
dans un autre but, au sous-chapitre du chapitre Ier. Nous y
reviendrons plus bas.
Je laisse momentanément de côté les réflexions que méri-
tent ces expériences pour arriver à celles qui ont été faites
sur les mammifères.
D’abord les rats, pour lesquels on a employé généralement
les petits appareils en verre.
B. — Expériences faites sur des rats .
Expérience DXVI. — 9 août 1871. Rat. Récipient à eau de Seltz.
91' 25m, mis à 7 atmosphères.
10h 10U1, pression tombée à 6 1/2 ; l’animal est enroulé en boule, hérissé;
75 respirations.
J’ouvre brusquement le grand robinet; l’animal se réveille aussitôt, et
ne paraît pas souffrir.
Expérience DXVII. — 10 août. Même animal, même appareil.
4h10n\ mis à 6 atmosphères.
5h 25m, respirations difficiles, dicrotes ; l’animal est couché en rond
dans le fond du vase.
Pris air, qui contient 5,2 p. 100 de CO2. Tension: 5,2x6 — 51,2.
La pression tombe de ce fait à 5 1/2. J’ouvre brusquement le grand
robinet. L’animal se remet presque de suite sur ses pattes, et va tout à
fait bien.
Expérience DXY111. — 12 août. Même animal, même appareil.
Mis à 4h 15m à 6 atmosphères 1/2.
L’appareil perd; à 6\ la pression est de 4 atmosphères 1/2; l’animal
est fort malade. Je prends de l’air, qui contient 6,1 p. 100 de CO2.
Tension : 6,1 X 4,5 = 27,4.
942 EXPÉRIENCES.
J’ouvre en plein le robinet ; le rat ne se remet pas de suite, mais il va
bien le lendemain.
Toutes les expériences dont le récit va suivre ont été faites
dans le grand cylindre en tôle d’acier représenté figure 55
(p. 655). Le gros robinet qu’on ouvre brusquement est celui
désigné par c :
Expérience DXIX. — 24 mai. Deux rats dans le grand appareil cylindri-
que (expérience faite devant la Commission de l’Institut).
On les porte à 8 atmosphères \ j 2 ; la décompression est faite en 2m.
Les rats courent au sortir de l’appareil; quelques minutes après, ils se
paralysent et meurent. On trouve du gaz dans tout le système veineux.
G. — Expériences faites sur des lapins .
Expérience DXX. — 22 juin. Lapin.
Porté à 8 atmosphères. Décomprimé en 5lu.
Oreilles d’un rouge vif; aucun accident ni immédiat ni consécutif.
Expérience DXXI. — 7 novembre. Deux lapins.
Portés à 7 atmosphères. Décomprimés en 2111 1/2.
Aucun accident.
Expérience DXXIL — 10 novembre. Mêmes animaux.
Portés à 8 atmosphères 1/8 ; décomprimés en 2ml/4.
Aucun accident ni immédiat ni consécutif.
Expérience DXXII1. — 15 novembre. Lapin.
Porté à 6 atmosphères 1/2.
Décomprimé en 4in 1/2.
Aucun effet.
I). — Expériences faites sur les chats .
Expérience DXXIV. — 25 mai. Chat male, extraordinairement vigoureux
et sauvage.
Porté à 10 atmosphères. Décompression brusque.
Saute, bien portant en apparence, hors de l’appareil et va se cacher
sous un meuble.
Une demi-heure après, on l’y retrouve paraplégique. Les membres
postérieurs sont raides, avec les ongles sortis ; ils sont sensibles, ainsi
que la queue, mais n’obéissent plus à la volonté.
On fait rendre à l’animal des urines sanglantes qui contiennent des
spermatozoïdes.
Le sphincter anal est contracté.
CHANGEMENTS BRUSQUES DE PRESSION.
943
24 mai. Même état ; seulement la queue et le train postérieur sont tout à
fait insensibles, et en relâchement. On obtient, en pinçant une patte, des
actes réflexes très-nets, mais qui ne passent pas d’un membre à l’autre.
La vessie est énormément distendue par une urine très-chargée de
sang. Les sphincters anal et vésical sont fortement serrés.
L’animal miaule faiblement; il est très-faible, se traîne difficilement
avec les pattes antérieures ; temp. rectale 33°.
Tué par section du bulbe.
Muqueuse vésicale, avec hémorrhagies en piqueté ; pas de sang dans
les uretères, ni les bassinets.
Rien de notable aux poumons, au cœur, au cerveau.
Pas d’hémorrhagie ni de congestion médullaire ; mais au niveau des
deux dernières vertèbres thoraciques, des deux premières lombaires,
existe un ramollissement médullaire tellement avancé que sur certains
points (dernière thoracique), la moelle s’écoule comme de la crème. On y
retrouve au microscope les éléments nerveux intacts, sans trace d’épan-
chement sanguin.
Expérience DXXV. — 17 juin. Chat.
De 12h 20m à lh30n\ porté à 10 atmosphères. A lh 391U, décomprimé
subitement en 3m.
Sorti de l’appareil, court en tous sens comme effaré.
A lb 48m, commence à se paralyser du train postérieur; à lh 50m, est
sur le flanc, sans pouvoir se relever.
Pupilles contractées, la gauche plus que la droite; temp. rectale 39°, 5;
140 pulsations régulières ; 36 respirations difficiles et irrégulières.
Motricité et sensibilité complètement abolies dans les membres posté-
rieurs et la queue.
2h. Plus de respirations; mouvements du cœur toujours régu-
liers.
Autopsie immédiate. — Oreillettes se contractent encore ; en piquant
celle de droite, il en sort du sang battu d’air et mousseux ; celle de gau-
che, au contraire, ne contient pas d’air.
En mettant à découvert la moelle, on voit dans les veines des ménin-
ges une grande quantité de petites bulles d’air; il en sort également des
vaisseaux de la moelle divisée en travers. Pas de trace d’hémorrhagies ni
de congestions médullaires.
Expérience DXXVl. — 22 juin. Chat de l’expérience DLXYI1 (placé avec
lapin de DXX).
3h 20m, commencé la compression. A 4Ü, 5 atmosphères 1/2 ; la machine
motrice s’arrête. Remise en marche à 4h 20m; à 4 h 45m, 8 atmosphères.
Courant d’air entretenu sous pression.
A 4h 50m, décompression en 3 minutes.
Le chat saute hors de l’appareil et s’enfuit.
A 5h, il est pris d’un accès convulsif, avec une agitation violente qui
dure environ 5 minutes. On voit, pendant ces mouvements désordonnés
944
EXPERIENCES.
et indescriptibles, le train postérieur se raidir progressivement et devenir
immobile, tandis que le train antérieur et la tête sont en proie aux plus
étranges contorsions. A maintes reprises l’animal, qui se roule sur lui-
même, se retourne et mord avec une sorte de fureur ses pattes posté-
rieures et ses cuisses.
Après 5 minutes, calme relatif ; pupille gauche dilatée outre mesure ;
paraplégie à peu près complète. Défécation par contraction intestinale, le
sphincter anal n’étant point paralysé. Urination ; pas de sang ni de
sperme.
5h30m. Je présente l’animal à la Société de biologie; la paraplégie est
complète pour le mouvement et la sensibilité. Les pupilles sont à l’état
normal.
5h45m. Mieux manifeste; la jambe gauche est sensible, et l’animal la
remue un peu, et lorsqu’on le soutient, s’appuie même un peu dessus ;
rien à la jambe droite.
6h 15m. Celle-ci revient un peu à son tour; la queue commence à être
sensible.
23 juin. La paraplégie est redevenue complète, et a même envahi un
peu la région dorsale inférieure.
Les jours suivants, paralysie plus complète encore et un peu ascen-
dante. Meurt le 26, la vessie distendue; on n’a pu le faire uriner; il a
mangé.
Autopsie. — Toute la moelle épinière est un peu ramollie ; elle est dif-
fluente au-dessous du renflement cervical. Sur ce point précis, elle est un
peu jaunâtre, et contient un peu de sang altéré et quelques corps granu-
leux en voie de formation ; les veines des méninges contiennent un mé-
lange d’air et de sang ; il sort de l’air des vaisseaux de la moelle.
Sucre dans le foie, un peu dans l’urine, qui contient aussi un peu de
sang.
E. - — Expériences faites sur des chiens .
Expérience DXXV1I. — 17 mai. Chien pesant 4 kilog.
Pression portée à 4 atmosphères.
Après 1/4 d’heure environ, ouvert brusquementle gros robinet; décom-
pression en moins de 2m. L’animal va bien.
Expérience DXXV1II. — 18 juin. Chien de petite taille. Poussé en lh à
10 atmosphères ; y reste environ lh ; décomprimé en 3m.
L’animal ne peut sortir de l’appareil ; il n’y a plus d’autres mouve-
ments que des mouvements respiratoires; cris de douleur incessants.
Placé sur la table à autopsie, on voit du gaz dans la jugulaire mise à nu.
On y introduit une sonde qui va dans le cœur droit, et on en extrait
.33cc,9 de gaz contenant pour 100 20,8 de C2 et 79,2 d’azote, avec quel-
ques traces d’oxygène.
Le cœur droit et les veines sont pleins de gaz battu avec du sang ;
945
CHANGEMENTS BRUSQUES DE PRESSION.
il en est de même dans les veines de la pie-mère et des plexus choroïdes.
Estomac très-distendu par les gaz.
Expérience DXXIX. — 9 juillet. Chien pesant 12 kilog.
lh 45m : porté à 5 atmosphères; laissé 50m sous courant d’air.
Décomprimé en 2m.
Aucun accident immédiat ni consécutif.
Expérience DXXX. — 13 juillet. Chien ayant perdu beaucoup de sang.
Poussé à 6 atmosphères et décomprimé en 2m-
L’animal traîne les pattes postérieures et marche sur ses ongles ; après
une heure, marche mieux, mais se recouche aussitôt qu’on cesse de l’ex-
citer.
Va bien le lendemain.
Expérience DXXXI. — 17 juillet. Chien de l’expérience DXXIX et de l’ex-
périence DLXXI (décompression lente).
De lh 56m à 2h, porté à 6 atmosphères ; laissé 30m.
Décomprimé en 2m ; sort bien portant, se secoue et marche très-bien.
Accun accident.
Expérience DXXXII. — 22 juillet. Chien.
Poussé de 5h 50m à 6h 10m à 6 atmosphères 1/2. Je tire alors du sang
duquel il ne se dégage pas de gaz libres dans la seringue. Ce sang con-
tient cependant 7,7 pour 100 d’azote.
A 6h 40“, arrivé à 8 atmosphères 1/2 ; décomprimé en 3m. A 6h50m, je
tire du sang à la carotide; ce sang contient 2 pour 100 d’azote.
L’animal est resté attaché sur la table à expériences; en recousant la
plaie du cou, je vois des bulles d’air dans la jugulaire ; il commence alors
à faire de grandes inspirations, qui se terminent par la mort à 7h 15m.
On ne trouve pas de gaz dans le sang du cœur droit ni du cœur gauche;
mais il y a des bulles nombreuses dans toutes les petites veines du sys-
tème général et du système porte.
L’estomac est énormément distendu ; on en tire 550cc de gaz ; l’intes-
tin contient beaucoup de mousse gazeuse et est gonflé.
Expérience DXXX11I. — 24 juillet. Chien de l’expérience DXXXI.
De5h 30in à 5h 55, porté à 6 atmosphères ; laissé 2h sous courant d’air.
Décomprimé en 2m, aucun accident.
Expérience DXXXIV. — 25 juillet. Chien de l’expérience précédente.
De 2h à 2h 45m, poussé à 7 atmosphères.
Décomprimé aussitôt en 21U : saute seul du haut de l’appareil.
5ia après, tombe sur le côté, le train postérieur paralysé ; sensibilité
très-obtuse. Les pattes antérieures sont en extension forcée et tressautent
à chaque respiration.
27 juillet. Paraplégie complète du mouvement ; muscles relâchés ; queue
et pattes insensibles, mais avec mouvements réflexes de la queue. Le
60
946
EXPÉRIENCES.
sphincter anal est relâché, mais l’introduction d’un thermomètre y provo-
que de violents mouvements réflexes ; tempér. 59°, 5. Vessie paralysée;
en pressant sur le ventre, l’urine sort par jets saccadés ; régulièrement,
elie sort par regorgement : pas de sucre.
1er août. L’animal estresté couché sur le côté droit; la paralysie a fait
des progrès ascendants ; les côtes sont immobiles, et la respiration est pu-
rement diaphragmatique : on voit alors nettement l’élévation des côtes in-
férieures par le diaphragme.
En pinçant la patte postérieure droite, elle se retire, de même pour la
queue : rien à la patte postérieure gauche. Le sciatique gauche, mis à dé-
couvert et pincé vigoureusement, donne quelques petits mouvements dans
les muscles fléchisseurs de la jambe, mais l’animal ne sent rien. Le scia-
tique droit donne des mouvements marqués, et l’animal manifeste de la
douleur quand on le pince. Les muscles interrogés par l’électricité exi-
gent pour se contracter un courant un peu plus fort à gauche qu’à droite,
ce qui est sans doute dû à l’action différente des nerfs.
Les orteils, pris dans les mains, sont plus chauds que les doigts des
membres antérieurs; ceux-ci sont sensibles et se retirent quand on les
pince.
Le sphincter anal se contracte comme convulsivement quand on y touche ;
la température rectale est 58°.
L’urine sort quand on excite le nerf sciatique droit : pas de sucre.
Je tue l’animal, qui est fort malade, par ouverture du thorax.
Le nerf sciatique gauche est rougeâtre, ses vaisseaux sont injectés ;
dans la plupart de ses tubes, la myéline est un peu louche et commence à
se fragmenter. Le nerf sciatique droit est intact.
La moelle épinière est ramollie à la région du renflement lombaire. Des
coupes transversales montrent les altérations suivantes. Au-dessous du
renflement, piqueté rouge dans la substance grise ; à la partie supérieure
du renflement, là où la coupe est possible, on trouve injection complète
de la corne grise postérieure gauche et injection par places de celle du côté
droit ; les cordons antéro-latéral et postérieur de gauche sont d’un gris
jaunâtre très-marqué : tout cela est très-ramolli.
Au bas de la régiondorsale, aspect uniformément rouge de toute la sub-
stance grise, qui est moins molle, avec coloration s’irradiant dans la sub-
stance blanche postérieure, surtout à gauche; ramollissement gris jau-
nâtre du cordon antéro-latéral gauche et du cordon postérieur.
L’altération va en diminuant lorsqu’on remonte, et cesse à peu près au-
dessus du renflement brachial; la moelle y est ferme, mais encore un peu
injectée.
Expérience DXXXV. — 5 août. Chien.
A 8 atmosphères, le petit appareil, qui soutient la canule à tirer le sang
(fig. 54, E), est projeté violemment : la pression tombe en 5 ou 4m.
Le chien sort, court quelques pas, puis tombe et meurt rapidement. Gaz
en abondance dans le cœur droit, mais non dans le cœur gauche.
CHANGEMENTS BRUSQUES DE PRESSION.
947
Expérience DXXXYI. — 5 août. Chienne pleine poussée à 9 atmosphères
un quart, saignée de 375cc de sang (voir expér. CLXXXIV, p. 658 1 ; dé-
comprimée rapidement : fait quelques inspirations et meurt.
Les deux cœurs sont pleins de gaz presque complètement libres : l’es-
tomac contient peu de gaz.
Le cœur des fœtus, leurs veines contiennent à la fois du gaz et un sang
très-noir. Dans le liquide allantoïdien surnagent d’abondantes bulles ;
le placenta est tout déchiré par les gaz ; pas de gaz dans l’amnios.
Expérience DXXXVII. — 16 octobre. Chien qui a déjà servi aux expé-
riences DLXXY1I et DLXXY11Ï (10 atm., décompression lente. Voir p. 959).
De lh lûm à \h 45m, porté à 7 atmosphères, décomprimé à lh 55m en
2m 1/2.
Sorti de l’appareil, est vif et ne paraît éprouver aucun symptôme fâ-
cheux .
3nil/2 après la décompression, soulève la patte antérieure droite,
et paraît souffrir. Après 5m, est agité, titube du train postérieur, a une
érection presque subite. Après 7m, raideur tétanique énorme du train pos-
térieur, qu’on peut à grand’peine fléchir. La queue remue, et il n’y a rien
aux membres antérieurs.
On recomprime l’animal à 7 atmosphères pour le décomprimer très-
lentement. (Voir expér. DLXXXV1II, p. 976.) Meurt le lendemain.
Expérience DXXXVIII. — 18 octobre. Chien.
Comprimé à 7 atmosphères de 2h 25m à 3h 10m, et laissé 7m.
Décomprimé aussi rapidement que possible, en 2m, de 5h 17m à
3h 19m.
Retiré de l’appareil, va, vient, caresse; mais à 3h 21 m est pris de para-
lysie du train postérieur; il reste bientôt couché, et ses souffrances se
manifestent par des cris.
Poussé à une pression nouvelle de 7 atmosphères, et alors à une dé-
pression extrêmement lente. (Voir expér. DLXXXVII.) Meurt le soir.
Expérience DXXXIX. — 20 octobre. Chien.
Soumis à 3 atmosphères et demie. On reçoit du sang artériel sous le
mercure, dans une éprouvette. Il s’en dégage évidemment de très-fines bul-
lettes de gaz, qui se réunissent à la partie supérieure du tube.
Décomprimé en lm, ne présente aucun accident; les bruits du cœur
sont normaux.
Expérience DXL. — 23 octobre. Même animal, poussé à 4 atmosphères
1/2, et laissé 10m. Décomprimé en lml/4, n’éprouve aucun accident im-
médiat ni consécutif.
Expérience DXLI. — 25 octobre. Même animal, poussé à 5 atmosphères ;
laissé 10m et décomprimé en 1 111 3/4 . N’a encore aucun accident.
1 A 3 atmosphères, le sang tiré dégageait du gaz dans la seringue.
948
EXPÉRIENCES.
Expérience DXLÎI. — 51 octobre. Chien.
Poussé à 7 atmosphères 1/4. Décomprimé en lm 1/4. Sorti à 2b 7m, sans
accidents immédiats.
A 2b 15m, est trouvé faible, titubant, a vomi plusieurs fois. A2h35m, on
entend au cœur d’énormes gargouillements, et l’animal meurt subite-
ment.
Gaz dans le cœur droit et tout le système veineux, même la veine porte.
Rien au cœur gauche.
Expérience DXLIII. — 51 octobre. Chien.
Placé à côté du précédent ; n’a aucun accident immédiat. Mais à 2h 15m
est trouvé couché sur le flanc, sans mouvements; la respiration est gênée,
sifflante, comme si l’animal allait bientôt mourir. Il y a des gargouille-
ments au cœur.
On lui fait respirer de l’oxygène (voir la suite, expér. DLXXX1X). Il
meurt dans la nuit.
Expérience DXL1V. — 12 novembre. Chien.
Poussé à 7 atmosphères 1/4. Décomprimé en 2 minutes.
Meurt en 25m environ. Gaz libre dans toutes les petites veines;
cœur droit plein de mousse; bulles moins nombreuses dans le cœur
gauche.
Expérience DXLV. — 12 novembre. Chien.
Placé à côté du précédent. Est pris d’accidents de paralysie et meurt
au bout de lb 1/2 environ, après qu’on lui a fait respirer de l’oxygène.
(Voir expér. DXC.)
Expérience DXLVI. — 15 novembre. Chien.
Poussé à 6 atmosphères 1/2; décomprimé en 4m 1/2.
Aucun accident; ,pas de gaz dans le sang de la veine jugulaire, que
j ’examine au microscope pour plus de sûreté.
Expérience DXLVII. — 25 novembre. Chienne.
Poussée de 2h 25m à 5h à 7 atmosphères 1/2.
Décomprimée en 2m 1/2 à 5h 14m.
A 5h23m, se paralyse du train postérieur, puis tombe; en quelques mi-
nutes, la respiration s’arrête, le cœur ne battant pas plus de 20 fois à la
minute; on y entend de très-gros gargouillements; œil insensible, pu-
pilles dilatées.
On fait respirer de l’oxygène, mais l’animal meurt à 5h 35111. (Voir
expér. DXCI.)
Expérience DXLVI11. -—27 novembre. Chien caniche très-petit.
Monté à 7 atmosphères de 5h à 5h 55lu.
Décomprimé en 2m 1/4.
Sorti de l’appareil, paraît gai pendant quelques minutes, puis, à4h10ra,
CHANGEMENTS BRUSQUES DE PRESSION.
949
commence à boiter, se paralyse du tram postérieur, et soudain, tombe
sur le flanc. Le cœur fait entendre de très-forts gargouillements.
On fait respirer de l’oxygène, mais l’animal meurt à 4h 27m. (Voir
expér. DXCII.)
Expérience DXL1X. — 6 décembre. Chien, poil ras, très-vif.
Mis sous pression de 2h 3Um à 4h 20m et porté à 7 atmosphères 1/2.
A 5h 20111, décompression en 2m.
Sort de l’appareil. Au bout de 10 à 15m, se paralyse du train
postérieur, et paraît fort mal en point avec peut-être quelques gar-
gouillements au cœur(?). Puis se remet un peu, sans pouvoir cependant
se tenir sur ses pattes postérieures, où la sensibilité est conservée.
7 décembre. Est toujours paraplégique et se tient à peine sur ses pattes
antérieures. Mouvements réflexes, sensibilité réflexe aux membres posté-
rieurs, qui sont plus chauds que ceux de devant.
11 décembre. Eschare à l’épaule gauche, sur laquelle il est couché ;
odeur urineuse ; hyperesthésie des pattes antérieures ; mourant.
Expérience DL. — 6 décembre. Chien épagneul, placé à coté de l’ani-
mal précédent.
Est resté dans l’appareil d’où on le tire paraplégique, avec de très-
forts gargouillements au cœur. On lui fait respirer de l’oxygène. (Voir la
suite de son histoire, expér. DXCI1I.)
Expérience DLL — 22 décembre. Chien.
Porté à 8 atmosphères 1/2. Décomprimé en 2m 1/2.
Pœtiré de l’appareil, est flasque déjà, et meurt en 5 ou 6m.
Air en grande quantité dans le cœur droit et les veines. Quelques bulles
dans le cœur gauche. On trouve du gaz en abondance dans tous les vais-
seaux de la région inférieure de la moelle épinière.
Expérience DLII. — 16 janvier. Chienne pesant Gk,5, en mauvais état
général. •
Portée à 7 atmosphères 1/2, puis décomprimée brusquement.
Aucun accident immédiat ni consécutif.
Expérience DLIII. — 23 janvier. Même animal.
Portée de même à 7 atmosphères 1/2 et décomprimée brusquement.
Environ 10m après, se mord le train postérieur, comme si elle
y éprouvait des douleurs vives; elle paraît ensuite avoir quelques trou-
bles de la locomotion, qui disparaissent rapidement.
Expérience DLIY. — 25 janvier. Même animal.
Portée à 8 atmosphères, et décomprimée brusquement.
Aucun effet apparent.
Expérience DLY. — 29 janvier. Même animal.
Portée à 8 atmosphères 1/2, décomprimée brusquement.
Éprouve un peu d’irrégularité et de gêne du train postérieur, mais
950
EXPÉRIENCES.
paraît fort gaie, sans aucune anxiété ; pas de gargouillements au cœur ;
on ne voit pas de gaz dans la jugulaire qui est mise à nu.
Expérience DLYI. — il février. Même animal.
Comprimée à 8 atmosphères et laissée 5ni sous pression, puis décom-
primée en om juste.
A la cinquième minute, après le commencement de la décompression,
on prend du sang à la carotide, sans y trouver de gaz.
A la dixième minute, on tire du sang du cœur droit avec une sonde :
il n’y a pas de gaz non plus.
Aucun accident.
Expérience DLVII. — 12 février. Chien maladif, très-maigre, pesant
8 kilogrammes.
De 4h 30nià 5h 3 2 111 , poussé à 8 atmosphères; décomprimé en 3m.
Mis à terre, ne paraît nullement anxieux, et marche.
A5h 42ni, le train postérieur devient raide et immobile.
A 5b 55m, le train antérieur se prend à son tour; grande angoisse respi-
ratoire.
Meurt à 6h 5m. Air dans les veines.
Expérience DLVIII. — 27 février. Chien caniche pesant 7 kilogrammes.
Mis à 8h du matin dans l’appareil, à 9h 1/2 est à 10 atmosphères; on ar-
rête la pompe.
A 10h, la pression n’est plus que de 9 3/4.
A 10h 1/2, je regarde ranimai : il est bien portant, et vient placer son
nez sur le hublot de verre : la pression est à 9 1/2.
Je rentre dans le laboratoire, et immédiatement une explosion violente
se fait entendre. Le hublot a éclaté et ses fragments ont eu assez de force
pour couper, à un mètre de distance, une conduite d’eau en plomb ; l’ap-
pareil a été soulevé, arraché de ses supports par le recul, et culbuté.
Je retire l’animal avec grand’peine, car il est devenu cylindrique, et
passe difficilement par la porte. Emphysème général sous-cutané, intra
et sous-musculaire. J’ouvre le ventre : le gaz qui le distend s’en échappe
en sifflant.
Le cœur droit est plein de gaz, ainsi que toutes les veines, l’artère pul-
monaire et les veines pulmonaires. Mais il n’y en a ni dans l’oreillette
gauche ni dans l’aorte. On trouve du gaz dans la chambre antérieure de
l’œil, dans le liquide céphalo-rachidien. Les fibres nerveuses de la moelle
épinière sont dissociées par des bulles de gaz qui ne sont pas dans les
vaisseaux.
11 n’y a pas d’hémorrhagie dans le cerveau ni la moelle; les poumons
sont peu congestionnés: pas de sang dans la trachée.
J’extrais 50ccde gaz du cœur droit (où il y en a beaucoup plus) en pre-
nant toutes les précautions pour empêcher l’accès de l’air. Ce gaz con-
tient pour 100 parties : Ox 1,9 ; CO2 15,1 ; Az 83,0.
CHANGEMENTS BRUSQUES DE PRESSION.
951
Expérience DLIX. — 6 mai. Chien pesant 11 kilogrammes.
Del11 à lh 58m, comprimé à 7 atmosphères 1/2.
J’entretiens le courant d’air sous pression jusqu’à 7h, où je fais la dé-
compression en 3m.
En sortant de l’appareil, l’animai titube, puis s’arrête, tombe et
meurt.
Il y a des bulles d'air en abondance dans le cœur droit et les veines, des
bullettes fines dans le cœur gauche.
Pas de gaz dans le tissu cellulaire sous-cutané, excepté dans les
creux des aisselles ; on en trouve aussi en bulles fines dans le tissu de
l’épiploon.
Les intestins ne paraissent pas plus gonflés que dans les conditions or-
dinaires.
Expérience DLX. — 3 juin. Chienne des expériences DLII à DLY1. Bien
nourrie, est devenue grasse et fort bien portante.
De 3h 5m à 4h 51U, est montée à 8 atmosphères, et décomprimée aussitôt
en lm 45.
Sortie de l’appareil, court partout, gaie en apparence, et remuant la
queue.
Mais après 3 ou 4in, pousse de lamentables cris et essaye de se mordre
le train postérieur, qui commence à se paralyser.
L’auscultation du cœur fait entendre de notables gargouillements à
droite, mais non à gauche.
Deux ou trois minutes plus tard, les cris cessent, la paralysie est com
plète, sensibilité et mouvement.
Elle va croissant, envahit le corps tout entier, avec des raideurs aux
pattes, au cou. La respiration, depuis longtemps diaphragmatique seule-
ment, devient très-difficile ; le cœur se ralentit et l’animal meurt vers
4h 1/2.
Je trouve du gaz dans le système veineux général et la veine porte, mais
non dans les artères.
Il y a de l’emphysème dans le tissu sous-cutané des aisselles; on voit de
petites bulles innombrables dans le tissu graisseux sous les muscles du
thorax, et dans le pannicule sous-aponévrotique tout le long du dos, dans
l’épiploon, le médiastin, le sillon du cœur, le tissu graisseux du canal
médullaire.
index d’air dans les vaisseaux de la pie-mère médullaire et cérébrale :
rien dans la toile choroïdienne ni le liquide céphalo-rachidien.
Pas de sang épanché au cerveau ; piqueté un peu gros à la moelle épi-
nière. Poumons sains, sans congestion ni emphysème; congestion de la
rate; petites apoplexies du grand épiploon.
Expérience DLXI. — 21 juillet. Chien pesant 6k, 5.
De 2h 30IÜ à 4h, porté à 8 atmosphères.
A 4h10m, décomprimé en lm 1/4.
952 EXPÉRIENCES.
Meurt à 4h 22m, avec de l’air en quantité clans tout le système veineux;
bulles fines au cœur gauche.
Poumons injectés, œdématiés.
Expérience DLX1I. — 24 mai. Gros chien épagneul.
(Expérience faite devant la Commission de l’Académie des sciences.)
On pousse la compression à 8 atmosphères 1/2, pour décomprimer
en 2m.
Le chien paraît gai et court en remuant la queue. Après quelques mi-
nutes, il s’assied et devient triste. Quelques minutes ensuite, il fléchit sur
le train antérieur et tombe à terre.
On entend des gargouillements au cœur droit.
L’animal paraît souffrir beaucoup et mord violemment tout ce qu’on lui
présente. Il ne tardepas à mourir.
Gaz en bulles fines dans tout le système veineux ; rien aux artères.
Expérience DLXIII. — 4 juin. Jeune chien bien portant, pesant 4500
grammes.
On met à nu la veine jugulaire, sans l’ouvrir ; l’animal, attaché sur la
gouttière, est porté dans l’appareil à compression, où on l’amène rapide-
ment à 6 atmosphères, pression qu’on entretient sous courant d’air pen-
dant 5h 1/2. Il crie beaucoup.
Décompression en 20s. L’animal est retiré du cylindre et détaché. Para-
lysie complète du mouvement et de la sensibilité aux quatre membres ;
pouls rapide, respiration accélérée ; pas de cris.
Remis aussitôt sur la table d’expériences, on recueille par le bout péri-
phérique de la jugulaire 50cc de sang, où l’on ne voit pas de gaz, et
qu’on injecte lentement sous l’eau : aucune bulle de gaz. Une sonde est
introduite dans l’oreillette droite ; on retire et traite de même 50cc de
sang; pas de bulles.
Le chien est pris de diarrhées et de miction involontaire.
11 meurt dans la nuit.
L’autopsie démontre la présence de grosses bulles de gaz dans le sys-
tème veineux (veine cave, veine azygos, veines mésentériques). On en
trouve beaucoup dans certains lobes du foie et dans les reins, un peu
dans la moelle, pas trace dans le cerveau, les méninges ni les muscles.
Expérience DLXIV. — 12 juin. Jeune chien blanc de petite taille, très-
bien portant. — Placé dans le grand cylindre; amené rapidement à 5 at-
mosphères et 1/2 de pression. Maintenu sous cette pression avec courant
d’air pendant 4h.
L’animal paraît fort tranquille pendant tout ce temps.
Décomprimé en 20s.
Sorti de l’appareil, s’échappe en courant et l’on a la plus grande peine
à le reprendre. La jugulaire et la veine fémorale droites étant mises à nu,
on y voit défiler une longue série de bulles de gaz qui vont en grossissant.
Après quelques minutes, ou tire à l’aide d’une seringue, du bout péri-
CHANGEMENTS BRUSQUES DE PRESSION.
955
phérique de la jugulaire, une certaine quantité de sang que l’on injecte
doucement sous de l’eau : on voit de suite de nombreuses bulles se dé-
gager à la surface.
Le chien, gardé en observation pendant plusieurs jours, ne présente
aucun accident consécutif.
Je résume, dans le tableau suivant, les résultats principaux
fournis par les expériences qu'on vient de lire. Je les ai clas-
sées ici en suivant l’ordre croissant des pressions.
J’ai compris dans ce tableau les résultats des expériences
où j’ai tenté de sauver les animaux, soit en les comprimant à
nouveau, soit en leur faisant respirer de l’oxygène. (Voir
sous-chapitre IV, p. 874 et suivantes.)
TABLEAU XVllI.
NUMÉROS
DES
EXPÉRIENCES
DURÉE DE
LA
COMPRESSION
PRESSION
EN ATMOSPHÈRES
DURÉE DE LA
DÉCOMPRESSION
ÉTAT DE L’ANIMAL
i
MOINEAUX.
DXV
compr. lente
7
instantanée.
Morts en un quart d’heure. Deux animaux.
DV
5 min.
8
qq. secondes
Pas d’accidents.
DIX
2 min.
8
id.
Id.
DVI
2 heures
8
id.
Meurt en 10 min. Gaz dans le sang.
DVII
1 h. 55 m.
91/2
id.
Pas d’accidents.
DX
qq. minutes
10
id.
Id.
DXI
Id.
12
id.
Meurt presque instantanément. Gaz en abondance.
DXII
Id.
14
id.
Meurt en quelques minutes. Gaz en abondance.
DXIII
Id.
14
id.
Pas d’accid. immédiats. Trouvé mort le lendemain.
DXIV
Id.
15
id.
Meurt rapidement. Gaz en abondance.
D VIII
5 min.
16
id.
Meurt en quelques minutes. Gaz; avait eu un com-
mencement de convulsions par l’oxygène.
RATS.
DXVII
1 h. 1/4
51/2
qq. secondes
Pas d’accidents.
DXVIII
1 h. 3/4
61/2
—
Id.
DXVI
3/4 d’heure
61/2
qq. secondes
Pas d’accidents.
DX1X
81/2
2 min.
Deux animaux. Morts en qq. min. Gaz dans le sang.
LAPINS.
DXXIII
1 h. 3/4
61/2
4 min. 1/2
Pas d’accidents.
DXXI
qq. minutes
7
2 à 5 min.
Deux animaux.
DXX
5 min.
8
id.
Id.
DXXII
—
81/8
id.
Deux animaux.
CHATS.
DXXV1
5 min.
8
2 à 5 min.
Paraplégie, meurt en 4 jours; ramoll. médullaire.
Exp. faite en môme temps que l’exp. DXX.
DXXV
9 min.
10
id.
Meurt en 15 min. Gaz dans le sang.
DXX1V
—
10
id.
Tué le lendemain. Ramollissement médullaire.
CHIENS.
DXXXIX
—
31/2
1 à 2 min.
Aucun accident, et cependant il se dégage du sang
de fines bulles de gaz.
DXXVII
15 min.
4
2 à 5 min.
Pas d’accidents.
DXL
—
41/2
id.
Id. Même animal qu’à l’exp. DXXXIX.
DXX IX
30 min.
5
id.
Id.
DXLl
—
5
id.
Id. Même animal qu’à l’exp. DXL.
DLX1V
4 heures
51/2
20 sec.
Gaz dans les veines ; pas d’accidents.
DXXXI
30 min.
6
id.
Id. Id. qu’à l’exp. DXXIX.
DXXXIII
2 heures
6
id.
Id. Id. qu’à l’exp. DXXXI.
DXXX
qq. minutes
6
id.
Traîne un peu le train postérieur; se remet très-bien.
DLXIII
5 h. 50 m.
6
20 sec.
Paralysie immédiate ; pas degaz. Meurt; gaz partout.
DXL VI
qq. minutes
61/2
4 min. 1/2
Pas d’accidents. Pas de gaz dans le sang de la jugu-
laire.
DXXXIV
Id.
7
2 min.
Paraplégie, ramollissement médull. Meurt en 7 jours.
Même animal qu’à l’exp. DXXXIII.
DXXXVIII
7 min.
7
2 min.
Paraplégie ; recomprimé et décomprimé lentement.
Meurt le soir.
NUMÉROS
DES
EXPÉRIENCES
DURÉE DE
LA
COMPRESSION
PRESSION
EN ATMOSPHÈRES
DURÉE DE LA
DÉCOMPRESSION
ÉTAT DE L’ANIMAL
DXXXVII
10 min.
7
2 min. 1/2
Paraplégie ; recompr. et décompr. lentement ; meurt
le lendemain. On ne trouve pas de gaz dans le sang.
Petites taches hémorrhag. dans la moelle épinière.
DXLV1I
15 min.
71/2
2 min.
Paralysé, énormément de gaz au cœur; va mourir.
On fait respirer oxygène ; la respiration revient ;
accident; mort.
| DXLVIII
qq. minutes
7
21/4
Paralysé, respire oxygène; meurt.
Paralysé, meurt après 25 min. Gaz au cœur.
DXLIV
Id.
71/4
11/4
DXLIII
Id.
71/4
1 1/4
Paralysé, respire oxygène, respirations reviennent,
gargouillements disparaissent. Reste parai., meurt;
pas d’air dans les vaisseaux.
DXLIV
Id.
71/4
2
Meurt en 25 min. Gaz cœur droit et gauche.
DXLV
Id.
71/4
2
Paralysé, va mourir ; respire oxyg.; va mieux, gar-
gouillements disparus ; remue, s’agite. Meurt après
1 heure 1/2; pas de gaz dans les vaisseaux. . t
DXLIX
Id.
7 1/2
2
Un peu malade, se remet, un peu paraplégique.
DL
Id.
21/2
2
Paralysé; gargouillements. Oxygène. Les gaz dispa-
raissent, l’animal survit, paraplégique ; mourant
le troisième jour.
LII
Id.
71/2
2
Pas d’accidents.
DXXXV
Id.
73/4
3
Resp. oxyg. La paralysie qui commençait rétrograde ;
mais retombe et reste paralysé plusieurs jours.
Id.
8
3 ou 4
Meurt rapidement. Gaz dans le cœur droit.
DLVI1
Id.
8
5
Meurt en un quart d’heure. Gaz dans les veines. i
DLI
Id.
81/4
3
Resp. oxyg. Paraplégie, pas de gaz au cœur; va
mieux; meurt dans la nuit.
Id.
81/2
21/2
Meurt rapidement. Air partout.
DLIII
Id.
71/2
2
•
Animal de l’expér. DLII. — Quelques légers troubles
locomoteurs et sensitifs.
DL1V
Id.
8
2
Même animaf. — Rien.
DLV1
Id.
8
2
Blême animal. Rien. Pas de gaz dans le sang.
DLV
Id.
81/2
2
Même animal. — Quelques légers troubles locomo-
teurs. Pas de gaz dans le sang.
DXXXII
Id.
81/2
3
Blort rapide (25 min.). Pas de gaz au cœur ; gaz dans
toutes les petites veines, dans la veine porte, dans
les vaisseaux du bulbe ; 550OC de gaz dans l’estomac.
D XXX VI
Id.
91/4
3
Sang tiré à 3 atm. donnait déjà des gaz libres. Mort
après quelques resp. Gaz partout. Elle est pleine;
gaz dans le sang des fœtus, dans l’allantoïcle; pla-
centa déchiré. !
DXXVII1
Id.
10
3
Extract. 54 cent. cub. de gaz dans cœur droit (CO2
20,8; — Az 79,2 ; — 0 traces). — Gaz dans les vais-
seaux de la pie-mère.
DLVII1
1 heure
91/2
Explosion.
Mort instantanée. Énorme emphysème sous-cutané,
sous-musculaire. — Gaz dans le ventre, dans l’épi-
ploon, dans la chambre antérieure de l’œil, dans
le liquide céphalo-rachidien, dans la moelle. Pas
d’hémorrhagie, moelle, cerveau, poumons. Pas de
gaz dans cœur gauche. Cœur droit tout gazeux
(GO2 15,2 ; — Az 82,8 ; — 0 2,0).
DLIX
5 heures
71/2
3 min.
Blort rapide; emphysème sous-cutané. Gaz dans tout
le sang.
DLX
qq. minutes
8
1 m. 45 s.
Animal des expér. DLII à DLVI. Meurt. Gaz dans sys-
tème veineux; emphysème sous-cutan.
DLXII
ld.
81/2
2 min.
Bleurt. Gaz dans les veines.
DLX]
10 min.
8
1 min. 1/4
Bleurt en 12 min. Gaz dans les veines et le cœur
gauche.
956
EXPÉRIENCES.
£ 2. — Décompression lente ou en plusieurs temps.
Les faits qui précèdent suffiraient amplement pour me per-
mettre de tracer une histoire assez complète des phénomènes
curieux dus à la décompression brusque, et d’en fournir
F explication. Cependant, la variété dans les détails est telle
qu’il me paraît avantageux de rapporter encore un certain
nombre d’expériences du même ordre, mais où la décom-
pression a été faite d’une manière plus ménagée, précisément
en vue de rechercher les précautions qu’il faudrait prendre
pour la rendre inoffensive.
Yoici ces expériences :
Expérience DLXV. 20 juin. Cochon d’Inde. De 2h 45m à 3h 50in amené à
10 atmosphères; j’établis un courant d’air sous pression.
A 4h 4m, ouvert en grand le robinet; en lm, la pression tombe à 5
atmosphères ; je maintiens alors une ouverture légère du robinet ; la pres-
sion est équilibrée à 4h 50m.
Ouvert l’appareil : le cochon d’Inde paraît en bon état; mais à 4h 40in,
11 s’agite, se roule, se paralyse d’une manière ascendante, la respiration
se trouble et cesse à 4h 45,n.
Gaz en abondance dans le cœur droit, dans les veines des membres et
les artères. Pas de gaz dans le cœur gauche, les veines pulmonaires et
coronaires, le système porte.
Pas de distension gazeuse de l’estomac et des intestins.
Expérience DLXVI. — 20 juin. Chat, placé à côté du cochon d’Inde de
l’expérience précédente.
Poussé à 10 atmosphères. Amené en lra à 5 atmosphères, puis en 25m
à la pression normale.
Aucun accident immédiat ni consécutif.
Expérience DLXVII. — 29 juin. Chat et lapin amenés en lh 1/2 à 10
atmosphères. Pression maintenue sous courant d’air pendant 5h.
Décompression en 2h.
Sortent tout mouillés, tremblants (le chat tremblait dans l’appareil,
dans l’air comprimé), ils n’ont pas crié ; aucune paralysie; se remettent
rapidement, et survivent.
La température du chat était tombée de 59°, 5 à 34°, 3 ; celle du lapin,
de 59°, 6 à 36°, 7.
Expérience DLXVIII. — 2 juillet. Lapin de l’expér. DXX. De 2h 50m à 3h
55m, monté à 10 atmosphères; courant d’air pendant 30m.
On commence à décomprimer à 4h 27m ; la décompression est faite
957
CHANGEMENTS BRUSQUES DE PRESSION.
avec une lenteur calculée, montre en main, à raison d’à peu près 2m
par atmosphère ; elle est terminée à 4h 47m.
Le lapin ne paraît rien avoir. Est pris cependant de paraplégie vers
6h, avec conservation de la sensibilité; vit encore à 7h 30m ; est trouvé
mort le lendemain.
Expérience DLXIX. — 2 juillet. Chat blanc placé à côté du lapin de
l’expérience précédente.
Poussé à 10 atmosphères, décomprimé régulièrement en 20m.
Le chat blanc crie, respire difficilement; au bout de quelques secondes,
paraît entrer en fureur, se mord, mord le chat gris de l’expérience sui-
vante étendu près de lui. A des tremblements convulsifs ; ses pupilles sont
très-dilatées. Meurt en 5m. Je tire avec de grandes précautions du gaz du
cœur droit; les 23cc,8 de gaz que j’obtiens ainsi contiennent 15,9 pour
100 de CO2, le reste en azote, sans trace d’oxygène.
Gaz dans tout l’appareil circulatoire : veines, artères, système porte,
vaisseaux intérieurs de la moelle. Celle ci est très-dure et ne présente
aucune trace de déchirure.
Expérience DLXX. — 2 juillet. Chat gris, placé à côté des animaux des
deux expériences précédentes.
Est mourant au moment où on le retire, et meurt aussitôt après.
Je tire de son cœur droit 55cc, 1 de gaz, qui contiennent 17 pour 100
de CO2.
Mêmes résultats d’autopsie qu’à l’expérience précédente.
Expérience DLXXL — 10 juillet. Chien de l’expérience DXXIX.
De 2h 40m à 5h 40U1, porté à 10 atmosphères. Aux approchesde 10 atmo-
sphères, a des espèces de convulsions.
Sous pression, pendant 50m.
Décomprimé de 10 à 6 atmosphères en lm ; puis de 6 à 1 en lb. Mêmes
convulsions pendant la décompression.
A sa sortie de l’appareil, ne peut se soutenir sur le train postérieur;
hurle et gémit; se couche sur le côté; tremblement et forte extension
des pattes de devant à chaque inspiration. Pattes de derrière fléchies,
immobiles, mais sensibles.
Vers 5h 30m se relève, marche un peu, lentement, puis se recouche
étant encore très-faible du train de derrière.
11 juillet; va bien.
Expérience DLXXII. — 23 juillet. Chien de l’expérience CLXXXII (voif
p. 058).
5h 8ni, chien poussé à 10 atmosphères; à 5h 15m, ramené en 2m à 6 at-
mosphères ; à 5h 45ul, ramené de même à 3 atmosphères; à 6h 33m, décom-
primé en moins de 50m.
Aucun accident immédiat ni consécutif.
Expérience DLXX1II. — 27 juillet. Chien de l’expérience CLXXXII1.
Poussé à 10 atmosphères, saigné de 145cc.
958
EXPERIENCES.
Décomprimé à raison de 5U1 par atmosphère, très-régulièrement.
L’opération est finie à 5h 45111.
Sorti à 6h, est paraplégique : patte droite presque insensible, gauche
un peu sensible, queue sensible.
A 7h : respiration anxieuse. Paralysie ascendante qui a envahi tout le
corps; les côtes ne bougent plus : respiration purement diaphragma-
tique.
Trouvé mort le lendemain.
Expérience DLXX1Y. — 7 août. Chienne poussée à 10 atmosphères, sai-
gnée de 128cc de sang (voir p. 659, expérience CLXXXV).
Je décomprime au moyen du robinet gradué ; en 20m, la pression baisse
de 2 atmosphères 1/2 ; dans les 20“ suivantes, elle baisse de 1 atmo-
sphère 1/4, et de 1 atmosphère 5/4 dans les 16m qui suivent; elle est alors
de 4 atmosphères 1/2, et j’ouvre le gros robinet, qui l’équilibre en 5ra.
Le tout est fini à 7 11 51 m.
Retiré à 7h 40m, l’animal est complètement paralysé; on entend au
cœur un bruit de gargouillement : 80 pulsations extrêmement irréguliè-
res ; 80 à 100 respirations, se faisant encore un peu par les côtes; pas
d’anxiété apparente ; mousse énorme à la gueule.
Meurt à 8h.
Cœur gauche : sang noir avec un peu de gaz. Cœur droit : sang noir
tout battu de fines bulles de gaz.
Gaz dans toutes les veines et les artères, excepté les veines du système
porte, tandis que les artères mésentériques en sont pleines.
Mousse abondante dans l’estomac et l’intestin, mais non énorme et dan-
gereuse par son volume. Écume dans les bronches : poumons sains, sans
congestions ni apoplexies.
Expérience DLXXV. — 8 août. Chien poussé à 10 atmosphères, et saigné
de 155cc. (Voir p. 659, expérience CLXXXVI. )
Décomprimé en 50nl ; très-régulièrement, c’est-à-dire environ 5m par
atmosphère.
L’équilibre est rétabli à 7h 50ra.
A 7h 55m, on entend au cœur un bruit de gargouillementtrès-fort. L’ani-
mal, mis à terre, est paralysé du train postérieur et des côtes. Tempéra-
ture rectale 59°.
8h 50m, bruits de gargouillement très-fort à droite, beaucoup plus faible
à gauche; paralysie progressive ; l’animal est intelligent, et dresse la tête
quand on l’appelle ; température rectale 56°.
9h 50m, état encore plus grave ; température 55°; les yeux sont presque
seuls mobiles. Toujours gargouillement fort à droite, faible à gauche.
Trouvé mort le lendemain.
Expérience DLXXYI. — 9 août. Chien.
Poussé de 8h à 9h 12m à 10 atmosphères ; paraît avoir dans l’appareil
une sorte d’agitation convulsive.
CHANGEMENTS BRUSQUES DE PRESSION. 959
Décomprimé très-régulièrement en lh 50m, soit 10m par atmosphère.
Sort à 10h 42m, gai et bien portant.
A 10h 47m, la patte antérieure gauche s’étend, puis se paralyse du
mouvement, mais reste sensible.
A 10h 50m, l’animal tombe, la patte postérieure droite s’étend paralysée
du mouvement.
10h 55m, cette patte va mieux, mais la patte postérieure gauche se
prend à son tour.
llh, tout le côté gauche est paralysé, mais sensible.
Expérience DLXXY1I. — 25 octobre. Chien vigoureux placé librement dans
le grand appareil. De 2h 50m à 4h, la pression est amenée à 10 atmo-
sphères. Vers 5h 50m, le chien, qui depuis qu’il est dans l’appareil ne
fait que crier, est pris d’une attaque de convulsions toniques et clo-
niques qui dure une vingtaine de secondes. Après quoi il reste faible et
titubant pendant quelques minutes.
A 4h 10m, l’animal va bien; on décomprime en passant brusquement
de 10 atmosphères à 8, de 8 à 6, de 6 à 4, de 4 à 2, de 2 à 1. A chaque
stade, on s’arrête pendant 15m. Le tout dure lh 10m.
11 ne se produit rien pendant la décompression. On ouvre le cylindre, et
l’animal en sort librement. Mais après 2 ou 3m, il pousse des cris de dou-
leur.
A 5h 45m, il se couche ; le train postérieur est raide ; quand on le
force à se tenir debout, il soulève la patte antérieure gauche, dont il paraît
souffrir.
A 6h 15m, il crie moins, mais est toujours dans le même état.
Va bien le lendemain.
Expérience DLXXVIII. — 28 octobre. Chien de. l’expérience précédente,
bien remis.
Porté à 10 atmosphères ; après 5m, a une attaque convulsive.
Au bout de 15m, on le décomprime, à raison de 8U1 par atmosphère,
très-régulièrement, soit lh 12m.
Ne présente aucun trouble ni immédiat ni consécutif.
Expérience DLXX1X. — 14 novembre. Chien.
Poussé à 9 atmosphères. Décomprimé en lh environ,
En sortant de l’appareil, sa température rectale est de 20°. Il a de forts
gargouillements au cœur et meurt rapidement.
Expérience DLXXX. — 27 juin. Chien pesant 19k,3.
De lh à 2h est monté à 7 atmosphères 1/2, avec courant d’air. Une fuite
se déclare; à 5h, la pression est de 6 atmosphères; à 6h 45m, elle n’est
plus que de 4 atm. 1/2, malgré le jeu continu de la pompe.
Décomprimé de Gh 45n* à 7h 45m.
Retiré, le gros chien est très-mouillé, froid, mourant ; il meurt après
quelques respirations. On lui trouve, des ecchymoses pulmonaires et du
gaz partout dans le sang.
960 EXPÉRIENCES.
Expérience DLXXXI. — 27 juin. Deux petits chiens, tout jeunes, pesant
environ lk,5.
Placés à côté de l’animal de l’expérience précédente.
Les petits chiens sont très-mouillés aussi ; mais ils ne présentent aucun
accident immédiat ni consécutif.
Je résume, dans le tableau XIX, les faits relatifs à la dé-
compression progressive et ménagée.
g 5. — Résumé et conséquences des expériences précédentes.
Envisageons maintenant ces résultats expérimentaux dans
leur ensemble.
Le premier fait qui frappe lorsqu’on examine le tableau
XVIII, c’est que chez les oiseaux la décompression brus-
que est beaucoup moins à redouter que chez les mammifères.
Un moineau, en effet (exp. DX), a survécu à la décompres-
sion à partir de 10 atmosphères, un autre (exp. DXIII) n’est
mort qu’assez longtemps après une décompression de 14 at-
mosphères.
Au contraire, chez les mammifères, les accidents ont com-
mencé à se manifester dès 6 atmosphères (exp. DXXX); la mort
a frappé presque tous les animaux ramenés de 8 atmosphères,
et tous ceux qui l’étaient de 9. Les chiens et les chats ont
encore paru plus susceptibles que les lapins; les expé-
riences DXX et DXXVI faites simultanément sur un chat qui
a péri et un lapin qui a survécu, sont caractéristiques,
réserve faite des différences individuelles.
Dans la même espèce, en effet, on remarque des diffé-
rences qui sont fort importantes. Chez les chiens, par exem-
ple, nous avons eu toujours des accidents graves, souvent la
mort à 7 atmosphères, sauf les animaux des expériences
DXLIX et DLII qui ont résisté à la décompression de 7 at-
mosphères 1/2, et celui de DLV qui a survécu même en sor-
tant de 8 1/2.
Ce dernier animal est, à ce point de vue, tout particuliè-
rement intéressant. Dans une série de décompressions brus-
ques, partant de 7 1/2 atmosphères (exp. DLII et DLIII), puis
CHANGEMENTS BRUSQUES DE PRESSION.
TABLEAU XIX.
961
ESPÈCE D’ANIMAL
K
O
DURÉE
ÉTAT DE L’ANIMAL
NUMEROS
C/5
C/5
U
Ch
Ch
DE LA DÉCOMPRESSION
atm.
DLXVII
Lapin
Chat
1 10 '
5 heures de compress.;
déoompress. en 2 h.
Pas d’accidents.
DLXVIII
Lapin
Paralysé après 1 h., vit plus
1
de 3 heures. |
DLXIX
Chat
10
2 min. par atm. 20 min.
1
1 Meurt en 5 min. — Gaz du
DLXX
! cœur, 23cc (CO2 15,9, Az
84,1).
1
Chat
Retiré mourant. — Gaz du
cœur, 331;* (C02 17, Az 85).
DLXV
Cochon d’Inde
Meurt en 15 min.; gaz dans
» 10
De 10 à 5 en 1 min.; de
| le système veineux seule-
5 à 1 en 30 min.
ment.
DLXVI
Chat
1 Aucun accident.
DLXXXI
Fort jeunes chiens . . .
1
1 heure de 7 1/2 à 6;
Aucun accident. '
DLXXX
Chien adulte
• 71/2
3h.45m.de 6 à 41/2;
Retiré mourant. Gaz par-
1 h. de 4 1/2 à 1.
1 tout.
DLXXIX
Chien
9
En 1 heure environ.
Meurt rapidement.
DLXXIII
Id
10
5 min. par atm. 27 min.
Paraplégie; mort dans la
nuit.
DLXXV
Id. -
10
5 — 50 min.
Gargouillement ; paralysie
progressive. Meurt dans
la nuit.
DLXXVII1
Id
10
8 — 1 h. 12 m.
Aucun accident.
DLXXYI
Id
10
10 — 1 h. 50 m.
Légers accidents; survit.
DLXX
Id
10
De 10 à 6 en 1 min.; de
Légers troubles locomot. ;
6 à 1 en 1 Heure.
guérit. Animal de l’expé-
rience DXXIX.
DLXX1V
Id
10
De 10 à 7 1/2, 8 m. par
Complétem. paralysé; gar-
atm.; de 7 1/2 à 6 1/4,
gouillement ; meurt en
15 min. par atm.; de
20 min. Gaz dans tout le
6 1/4 à 4 1/2, 9 min.
par atm.; de 4 1/2 à 1,
3 m. par atm. En tout
1 heure.
sang.
DLXXVIl
Id
10
Brusquement de 10 à 8 ;
Sort librement de l’appa-
de 8 à 6; de 6 à 4 ;
reil ; bientôt crie, troubles
de 4 à 2 ; de 2 à 1.
A chaque stade, 15 m.
d’arrêt.
locomot. Guérit et survit.
En tout 1 h. 10 min.
DLXXII
Id
10
De 10 à 6 en 2 minutes ;
laissé 30 min. à 6.
De 6 à 3 en 2 minutes ;
laissé 45 min. à 3.
De 3 à 1 environ 15 m.
Aucun accident.
-
En tout env. 1 h. 50.
de 8 atmosphères (exp. DLIV et DLYI) et même de 8 atmo-
sphères 1/2 (exp. DLV), il n’a présenté aucun phénomène ma-
lade. Puis, quatre mois plus tard, décomprimé de 8 atmo^
61
962
EXPÉRIENCES.
sphères, il est mort en (exp. DLX) moins d’une demi-heure.
Pendant la première série d’expériences, il était maigre, fort
mal portant ; lors de la dernière, au contraire, les bons soins
lui avaient rendu l’embonpoint et la santé.
Est-ce à cette différence qu’il faut rapporter la différence
des résultats? La cause, purement physico-chimique, que
nous serons forcé d’attribuer aux accidents de la décom-
pression, ne se prête guère à cette interprétation. De plus,
l’expérience DLYII nous montre un chien en tout aussi mau-
vais état, pour le moins, qui, du premier coup, a péri pour
une décompression à partir de 8 atmosphères.
Non moins inexplicable est la résistance des tout jeunes
chiens de l’expérience DLXXX1, alors que le chien adulte placé
à côté d’eux pendant plus de cinq heures (exp. DLXXX), a
péri immédiatement après une décompression assez ménagée,
et partant de 7 atmosphères 1/2.
Mais, en laissant de côté ces inégalités qui peuvent sug-
gérer des réflexions importantes en pratique, examinons
maintenant les accidents en eux-mêmes.
Dans la décompression brusque à partir de 8 atmosphères
et au-dessus, nous avons vu survenir presque toujours une
mort à peu près instantanée. Elle s’est présentée aussi, mais
plus rarement, pour les dépressions partant de 7 à 8 atmosphè-
res. Le plus souvent, alors, les accidents ont consisté dans
une paralysie des membres postérieurs, paralysie tantôt lé-
gère et transitoire, tantôt durable et persistante pendant plu-
sieurs jours, tantôt, enfin, devenant rapidement ascendante
et entraînant la mort par asphyxie dans le laps de quelques
heures.
Les cas où la paralysie a rétrogradé ont été, comme on
pouvait le penser, les cas limites (exp. DXXX, DLXXI, DLXXY1);
les membres seuls avaient été affectés; encore la motricité vo-
lontaire avait été seulement diminuée. Ces troubles ont dis-
paru d’eux-mêmes en moins d’une heure; tous ceux que j’ai
vus durer davantage ont persisté jusqu’à la mort.
Celle-ci survenue, on trouvait d’ordinaire pour l’expliquer
et expliquer les phénomènes plus ou moins complexes qui
CHANGEMENTS BHUSQUES DE PRESSION. 965
l’avaient précédée, un ramollissement plus ou moins étendu
de la moelle épinière, ramollissement fort avancé dans la ré-
gion lombaire, et en voie de progression dans le reste de
l’organe, où le précédaient des lésions inflammatoires comme
celles qui sont décrites dans les expériences DXXYI et DXXXIV.
Restent maintenant à expliquer tout à la fois la cause ini-
tiale de ces paralysies à plus ou moins longue portée, et la
raison de la mort à peu près immédiate qui est si souvent
arrivée.
Disons, de suite, que l’hypothèse de M. Bouchard (p. 504)
ne s’est nullement vérifiée. Nous avons bien trouvé quelque-
fois, il est vrai, l’estomac et les intestins un peu distendus
par des gaz ; mais, outre que cette distension n’a jamais été
bien énorme, nous n’avons jamais vu dans les poumons, ni
dans les centres nerveux les congestions ni les hémorrhagies
qu’il faudrait, selon cet auteur, invoquer pour expliquer la
mort subite. De plus, dans tous les cas, nous avons constaté
la persistance des battements du cœur, et il faut ainsi écarter
encore la syncope.
Nous pouvons aller plus loin encore. La preuve évidente
que les accidents qui frappent les animaux décomprimés ne
sont pas dus aux brusques oscillations du sang refoulé par
la soudaine dilatation des gaz intestinaux, cette preuve se
tire aisément des expériences relatées au chapitre IY. Nous
voyons, en effet, que des chiens ont pu être ramenés en
quelques minutes de 7 ou 8 atmosphères à la pression nor-
male, sans qu’il en résultât pour eux d’accidents analogues à
ceux qui viennent d’être décrits, accidents avec lesquels il
est impossible de confondre le phénomène de l’empoisonne-
ment par l’oxygène, dont ils donnaient l’étrange et terrible
spectacle.
Mais la vraie cause de tous ces phénomènes s’est révélée à
nous avec la dernière évidence, et l’hypothèsê de MM. Ra-
meau et Bucquoy (voy. p. 478) a reçu de nos expériences la
plus éclatante confirmation. Ce sont bien les gaz du sang qui,
comme l’avait prévu la sagacité du professeur de Strasbourg,
repassent à l’état libre sous l’influence de la décompression
9G4
EXPERIENCES.
brusque, et occasionnent alors des accidents comparables à
ceux d’une injection d’air dans les veines. Seulement le phé-
nomène est plus multiple et plus complexe que ne pouvait
de supposer le savant physicien.
D’abord ce ne sont pas, comme il le pensait, les trois gaz
du sang qui redeviennent ainsi aériformes. Et nous pouvions
déjà prévoir ce résultat, puisque nos recherches précédentes
(chapitre II, sous-chapitre 111) nous avaient montré que la
proportion de l’oxygène augmente à peine par la pression, et
que celle de l’acide carbonique n’augmente pas du tout. Nous
étions donc en état, et nous aurions pu nous croire en droit
d’affirmer que le gaz qui menacerait la vie en repassant à
l’état libre serait exclusivement celui dont la proportion était
notablement augmentée dans le sang, c’est à savoir l’azote.
Cette conclusion se tirerait encore des expériences du cha-
pitre IV auxquelles je faisais allusion il n’v a qu’un in-
stant; ici aucun accident n’est survenu, aucune bulle de gaz
n’a paru à l’état libre dans les vaisseaux, parce que l’air que
respiraient les animaux était très-pauvre en azote.
Mais il y a mieux; j’ai pu, comme le montrent les expé-
riences DXXYIII, DLYIII, DLX1X et DLXX, extraire les gaz ras-
semblés dans le cœur en collections volumineuses, et en faire
l’analyse. Je les ai trouvés, en effet, composés pour la plus
grande partie d’azote; mais je dois avouer que mon étonne-
ment fut grand de trouver, en outre de l’azote, une quantité
d’acide carbonique qui a varié de 15 à *20 pour 100 et même,
dans un cas (exp. DLVIII), un peu d’oxygène.
L’explication de ces faits doit probablement être tirée de
cette circonstance que le retour à l’état libre de l’azote se
fait par petites bulles, que brassent les mouvements circu-
latoires, avant qu’elles puissent se réunir dans le cœur en
vastes collections gazeuses, en telle sorte que le sang est
comme traversé par un courant d’azote. Or, on sait depuis
longtemps qu’un pareil courant entraîne avec lui beaucoup
d’acide carbonique.
Quant à l’expérience DLVIII où j’ai trouvé 2 pour 100 d’oxy-
gène, c’est celle où l’appareil a fait explosion, et où l’animal,
CHANGEMENTS BRUSQUES DE PRESSION. 965
instantanément tué, n’a pu consommer le léger excès d’oxv-
gène redevenu libre dans son sang.
Quoi qu’il en soit, la plus grande partie du gaz libre est
constituée par de l’azote, et il en résulte un danger fort
grand ; car de l’acide carbonique, de l’oxygène même pour-
raient se redissoudre rapidement, et Nysten 1 a depuis long-
temps démontré que leur présence dans le système veineux
est sans danger, à moins qu’on n’en introduise des quantités
énormes, surtout pour l’acide carbonique. Il est vrai que dans
nos expériences, il y a du gaz dans le système artériel lui-
même.
Il est probable que toute la partie en excès de l’azote re-
passe ainsi à l’état gazeux. Or, nous avons vu (p. 600) qu’à
10 atmosphères il y a environ 8 centimètres cubes d’azote en
trop dans 100 centimètres cubes de sang. En supposant qu’un
chien de 14 kilogrammes contienne 1 kilogramme de sang, on
trouve qu’il peut se dégager dans les vaisseaux artériels et
veineux 80 centimètres cubes d’azote, entraînant avec eux
environ 20 centimètres cubes d’acide carbonique; cela est
bien suffisant pour amener des accidents immédiatement
mortels.
Nous pouvons donc maintenant nous représenter les effets
de la décompression brusque. Mettons d’abord les choses au
pire; supposons un animal ramené en 2 ou 3 minutes de 10
atmosphères à la pression normale. Immédiatement, dans
tout l’appareil vasculaire, les gaz se dégagent en abondance;
on trouve du sang mousseux dans les veines, dans les artè-
res, dans le système porte, jusque dans les vaisseaux du pla-
centa et des foetus, lorsque l’animal était en gestation (exp.
DXXXYI). Le cœur, qui continue à battre encore quelques mi-
nutes, pousse dans l’extrémité des artères les gaz que conte
naient ses cavités gauches, où l’on n’en trouve que rarement;
le cours du sang veineux qui persiste un peu, amène aux
cavités droites des bulles fines de gaz qui s’y collectent en
quantité assez considérable pour qu’un chat (exp. DLXX) ait
1 Recherches de 'physiologie et de chimie physiologique. Paris, 1811, p. 55 et 81.
906
EXPÉRIENCES.
pu m’en fournir 55 centimètres cubes, et un peu de sang dé-
pouillé de bulles gazeuses va se rendre au cœur gauche par
quelques-unes des artères pulmonaires. Les autres sont ob-
struées par la mousse que lance le cœur droit. On retrouve
ici des effets de cette difficulté qu’ont les gaz à traverser les
capillaires, difficultés qui font si souvent échouer les injec-
tions des anatomistes : nous voyons les bulles de gaz refuser
de traverser les poumons, et dans certaines expériences nous
avons vu les artères mésentériques pleines de bulles de gaz,
sans que le sang de la veine porte en contînt.
Supposons maintenant le cas le plus léger, soit qu’il s’agisse
d’un animal décomprimé seulement de 6 atmosphères (exp.
DXXX), soit que, venant de 10 atmosphères, il ait été décom-
primé avec une grande lenteur (exp. DLXXI,DLXXYI etDLXXVll) .
Dans ces cas, les bulles de gaz repasseront bien que plus petites
et bien moins nombreuses à l’état libre; celles du système vei-
neux s’arrêteront aux poumons, et donneront quelques gênes
respiratoires; puis battues et devenues extrêmement fines
(il faut parfois le microscope pour les voir), elles arriveront
au cœur gauche pour être de là lancées dans les artères, où
elles rejoindront celles qui s’v sont spontanément dévelop-
pées et que la circulation n’a pas encore poussées dans les
veines. Il pourra ainsi arriver qu’elles finissent par se redis-
soudre sans occasionner d’accidents bien nets; mais si, par
malheur, quelques-unes d’entre elles, entraînées par la cir-
culation dans les capillaires des centres nerveux, viennent à
y arrêter localement le cours du sang, aussitôt, instantané-
ment, comme dans l’expérience de Sténon, une paralysie ou
une excitation locale en est la conséquence; seulement,
dans l’espèce, si faible est la bulle, qu’elle disparaît bientôt,
et tout revient à l’état normal.
On comprend qu’entre ces deux extrêmes doivent se placer
bien des cas intermédiaires, et les expériences ci-dessus rap-
portées en présentent suffisamment d’exemples. Rien de plus
saisissant que de voir des animaux décomprimés de 6 à 8 at-
mosphères bondissant hors de l’appareil, comme joyeux de
leur liberté, puis frappés au bout de quelques minutes d’une
CHANGEMENTS BRUSQUES DE PRESSION. 967
paralysie qui débute toujours par les membres inférieurs,
mais qui souvent envahit ensuite tout le reste du corps.
C’est d’abord une chose assez étonnante que l’intervalle
de 5 à 10 et même 15 minutes qui s’écoule presque toujours
entre le moment de la décompression, et celui de la para-
lysie, soit que le gaz ne se dégage pas aussitôt, dans le corps
tout entier, soit qu’il faille un certain temps pour que les
bulles d’air aillent intercepter la circulation médullaire.
Il n’est pas moins curieux de voir, dans certaines expé-
riences, comme celle DLXXV, la vie persister pendant des
heures alors que la paralysie presque générale de l'animal ne
lui laissait de libre que les mouvements du diaphragme, et
qu’on entendait au cœur un bruit de gargouillement annon-
çant, dès le début, la présence d’une grande quantité de gaz
dans le cœur droit et dans les poumons.
Dans ce cas, l’animal asphyxie lentement, comme le prouve
le sang de plus en plus noir qui coule dans ses artères. Il est
évident que le débit pulmonaire est insuffisant pour amener
dans les artères une quantité suffisante de sang oxygéné.
Si maintenant l’on se demande pourquoi l’azote ainsi re-
passé à l’état libre ne se redissout pas à la longue dans le
sang, ou pourquoi il ne sort pas par les poumons, la réponse
est facile.
En effet, le sang qui circule dans les vaisseaux est, dans
les conditions normales, à peu près saturé d’azote par la res-
piration de l’air ; en agitant du sang artériel avec de l’air on
ne peut lui faire dissoudre que quelques dixièmes de centi-
mètre cube d’azote en plus de celui qu’il contenait déjà. Il n’y
a donc pas de raison pour que l’excès passé à l’état libre se
redissolve à nouveau. Maintenant, l’azote libre ne sort pas
par les poumons, parce qu’il se trouve en présence d’une
atmosphère composée pour les quatre cinquièmes d’azote
même, et que rien ne le sollicite à sortir.
En poursuivant ce raisonnement, on arrive à penser qu’il
pourrait y avoir avantage à faire respirer à l’animal de l’oxy-
gène pur, ou un mélange d’oxygène et d’hydrogène, afin de
favoriser à la fois la dissolution de l’azote dans le sang, et sa
968 EXPÉRIENCES. '
diffusion à travers les membranes pulmonaires. C’est ce que
j’ai fait, non sans succès, dans des expériences dont je ren-
drai compte plus loin.
Enfin, troisième point curieux, c’est constamment (sauf
dans l’expérience DLXII) par le train postérieur que nous
avons vu commencer la paralysie. Pourquoi ce lieu d’élec-
tion? Est-ce une explication suffisante que de dire : la région
lombaire de la moelle est celle qui travaille le plus pendant
que l’animal saute et court? Je me contente de rappeler que
la paraplégie est aussi l’accident le plus fréquent chez les
plongeurs et les ouvriers des tubes.
Lorsque la mort survient peu après le début de la paraly-
sie, elle est évidemment sous l’influence de la même cause
que celle-ci; les bulles de gaz, après avoir intercepté la circu-
lation dans le renflement lombaire, vont l’arrêter en d’autres
points plus élevés, où l’autopsie les retrouve, jusqu’à ce
qu’enfin la respiration cesse; pendant ce temps, du reste,
les artères pulmonaires se chargent de gaz libres : l’asphyxie
vient de partout à la fois.
Mais il est arrivé quelquefois que la paralysie s’est localisée
dans les membres inférieurs, ou du moins n’a fait que des
progrès ascendants assez lents ; aussi la mort n’est-elle sur-
venue qu’après plusieurs jours (exp. DXXIY, DXXVI, DXXX1Y).
Si l’on considère l’absence de soins donnés aux animaux, on
est en droit de penser que quelques-uns pourraient survivre,
tout en restant paralysés, comme cela arrive à nombre de
plongeurs.
A la mort, on trouvait, comme nous l’avons déjà rappelé,
un ramollissement plus ou moins étendu, au milieu duquel
se voyaient quelquefois, encore après 4 jours, des bulles de
gaz (exp. DXXYJ), et qu’entouraient des processus inflamma-
toires qui avaient causé la mort. J’appelle l’attention sur la
rapidité avec laquelle est survenu, notamment dans l’expér.
DXXIV, c’est-à-dire en moins de vingt-quatre heures, un ra-
mollissement tel que la moelle était fluide comme de la crème.
Je ne veux que signaler au lecteur les troubles physiolo-
giques remarquables qui accompagnent ces arrêts de la cir-
CHANGEMENTS BRUSQUES DE PRESSION. 969
culation médullaire et les altérations consécutives de la nu-
trition. Ceux qui ont eu la patience de lire les expériences
qui précèdent auront remarqué ces faits curieux de rejet
d’urine sanglante et de sperme, de contracture des mem-
bres, de constriction avec mouvements réflexes exagérés des
sphincters anal et vésical, de sensibilité conservée après la
perte de la motricité, etc.... Je rappellerai seulement ici
le fait curieux de la transmissibilité centripète et de la mo-
tricité du sciatique, si fortement compromises par l’altéra-
tion de la région correspondante de la moelle épinière (exp.
DXXXIV). Je considère que ces ramollissements provoqués à
volonté pourraient contribuer puissamment aux progrès de
la physiologie de la moelle épinière, et rendre au diagnostic
médical d’utiles services : c’est une mine aussi féconde à
exploiter que celle qui a donné tant d’utiles résultats entre
les mains habiles de M. le professeur Charcot.
Quelques-unes des expériences ci-dessus rapportées mon-
trent que la présence de bulles de gaz dans le sang n’est pas
une cause nécessaire de mort ou même d’accidents se mani-
festant aux yeux de l’observateur. Ainsi dans l’expérience
DXXXIX, où la pression était de 3 1/2 atmosphères, le sang reçu
sous le mercure, dans une éprouvette, laissait échapper de
très-fines bullettes de gaz, et cependant l'animal, décomprimé
en une minute, n’a paru nullement affecté. En y regardant de
très-près, en employant la loupe, j’ai même vu, dans un cas
(exp. CLXXXIV), les bulles de gaz libres se dégager sous le
mercure du sang d’un chien placé à 3 atmosphères.
Il est évident que chez le chien de l’expérience DXXXIX, le-
quel a été quelques jours après décomprimé de 5 atmosphères
sans accidents, le sang en circulation contenait de fines bul-
lettes. Mais celles-ci ont pu traverser les capillaires sans
obstruer la circulation, et elles se seront dissoutes plus ou
moins rapidement.
La présence de semblables bullettes suffirait, je crois, alors
même qu’il n’y aurait aucun arrêt circulatoire, pour expli-
quer, par voie d’irritation des tissus, les accidents légers des
ouvriers des tubes, les puces , les moutons , dont il a été ques-
970
EXPERIENCES.
tion dans l’historique. On comprend ainsi quels dangers cou-
rent ces ouvriers, dont la paralysie ou la mort dépend, à ces
limites, de la grosseur d’une bulle de gaz. Il n’est donc pas
étonnant que des accidents légers chez les uns, mortels chez
d’autres, aient apparu dans la décompression trop brusque
aux environs de 4 atmosphères.
Mais la présence de bulles d’azote dans le sang, irritant les
tissus par leur contact, lorsqu’elles sont assez fines pour tra-
verser les capillaires, ou entraînant des accidents plus graves
et plus durables lorsqu’elles interrompent la circulation, ne
constitue pas le seul danger auquel soient exposés les animaux
rapidement décomprimés, ni peut-être le plus redoutable.
En effet, les tissus mêmes de l’organisme, qui sont impré-
gnés de liquide, les collections liquides autres que le sang,
se chargent, au contact du sang sursaturé d’azote, d’une
proportion croissante de ce gaz. Et lorsque survient la dé-
compression, ces gaz doivent nécessairement revenir à l’état
libre, distendant et même dilacérant les tissus au sein des-
quels ils se dégagent. C’est ainsi que les expériences DXXXYI,
DLYIII, DLIX, DLX et DLYIII nous ont montré des gaz dans
le tissu cellulaire sous-cutané ou intermusculaire, dans les
liquides de l’œil, dans le liquide cérébro-rachidien, dans la
moelle épinière, etc. L’expérience DLYIII, où a eu lieu l’explo-
sion, est tout à fait remarquable sous ce rapport; l’emphy-
sème sous-cutané était tel que le chien était devenu absolu-
ment cylindrique. Signalons encore spécialement l’expérience
DXXXYI où, chez une chienne pleine, nous avons trouvé du
gaz non-seulement dans les vaisseaux sanguins et les tissus de
l’animal, mais dans ceux des fœtus eux-mêmes, et jusque
dans le liquide allantoïdien; l’amnios, dont les communica-
tions vasculaires sont beaucoup plus rares, n’en contenait pas.
Ces gaz emprisonnés dans les mailles des tissus doivent,
lorsqu’ils n’occasionnent pas la mort, être la cause de dou-
leurs, de gonflements locaux, et c’est évidemment à eux
qu’il faut attribuer les tumeurs musculaires, les gonflements
des mamelles, etc., dont nous avons cité plusieurs exemples
dans le chapitre consacré à l’historique.
971
CHANGEMENTS BRUSQUES DE PRESSION.
En résumé, la décompression brusque occasionne des ac-
cidents multiples plus ou moins graves, qui s’expliquent tous
aisément par le dégagement, tant dans le liquide sanguin
qu’au sein des tissus, de l’azote qui s’y était dissous en excès,
à la faveur de la pression.
J’avoue que, dans cet ensemble de faits dont l’infinie va-
riété trouve cependant une cause unique si simple, un seul
point m’étonne encore. Je ne puis comprendre comment,
chez certains chiens soumis à une haute pression, le sang
extrait des vaisseaux ne contenait pas de gaz libres : telles,
par exemple, les expériences DXLYI et DLVI, où la pression
était de 6 1/2 et 8 atmosphères. L’expérience DLXIlIest par-
ticulièrement intéressante sous ce rapport : le chien décom-
primé après un long séjour à 6 atmosphères était paralysé,
et cependant on ne voyait pas de gaz libre dans son sang;
mais les accidents s’étant aggravés, on en trouva après la
mort non-seulement dans le sang, mais dans divers organes
et notamment dans la moelle épinière : c’était probablement
là la cause de la paralysie immédiate.
Je me suis trouvé également un peu embarrassé d’abord
pour comprendre comment des chiens décomprimés brusque-
ment de 5 ou 6 atmosphères, des lapins de 6, 7, 8, des moi-
neaux de .8, 9, 10, ne périssaient pas, et même ne présen-
taient pas d’accidents, alors que certainement ils avaient des
gaz libres dans le sang, gaz dont j’ai parfois constaté l’exis-
tence chez l’animal en expérience lui-même, comme dans les
expériences DXXXIX et DLXIY. Je pense que cette apparente
anomalie doit s’expliquer par ceci, que le dégagement des
bulles alors très-fines leur a permis de traverser sans encom-
bre le système des capillaires et de se réunir dans le système
veineux. Or, si tout le gaz ainsi dégagé se rassemble dans les
veines, il ne peut guère constituer un danger sérieux pour
l’animal.
Reprenons en effet un calcul que nous avons déjà fait. A
5 atmosphères, par exemple, le tableau de la page 661 montre
qu’un chien a en moyenne 6 volumes d’azote par 100 volumes
de sang, c’est-à-dire environ 4 volumes de plus que ce liquide
972
EXPÉRIENCES.
n’en peut dissoudre à la pression normale. Prenons un chien
de 10 kil . , et supposons qu’il ait dans ses vaisseaux sanguins
et lymphatiques l1 de liquide ; ce seront 40ec d’azote, avec
environ 10cc de GO2 qui, au maximum, viendront se réunir
dans les cavités du cœur droit. Cette collection ne se fera
que progressivement, car on sait que dans un liquide sursa-
turé de gaz par la pression, ceux-ci ne se dégagent rien moins
qu’instantanément lors de la décompression.
Or, les 10cc d’acide carbonique se redissoudront ou s’exha-
leront aussitôt par le poumon; quant aux 40cc d’azote, qui
correspondent à ce qui existerait dans 50cc d’air, on sait que
si un pareil volume d’air, injecté d’un coup dans une veine du
cœur, peut arrêter les contractions de cet organe, surtout
lorsque cet air est froid, on peut au contraire introduire im-
punément, dans les voies circulatoires, des quantités bien
autrement grandes d’air, en faisant des injections modérées
et successives.
Nysten1 avait, il y a longtemps, démontré ce fait; mais
comme il règne encore sur ce point grand nombre d’erreurs
courantes, je crois devoir rapporter quelques expériences
fort concluantes sous ce rapport :
Expérience DLXXXII. — 24 février. Petit chien 4k, malade. Injecté dans
la veine jugulaire en 4m, 14cc d’air. L’animal meurt en 10m.
Mousse sanguine dans le cœur droit et l’artère pulmonaire; pas de gaz
au cœur gauche.
Expérience DLXXXIII. — 25 juillet. Chien pesant 5k. Temp. ext. 2t°.
A 3h, injection unique, dans la veine fémorale gauche, de 20oc d’air.
Aussitôt on entend le cœur battre avec le bruit d’une éponge sèche
qu’on presse sous l’eau. L’animal cesse de respirer; le cœur semble s’ar-
rêter; la conjonctive devient insensible, mais non la cornée.
Puis les respirations reviennent, d’abord très-rares et très-profondes,
puis précipitées. Les bruits du cœur reparaissent, normaux.
3h 15m; nouvelle injection de 20cc. Mêmes phénomènes, bien que moins
prononcés : la sensibilité, la respiration, les battements du cœur ne dis-
paraissent pas complètement; raideurs dans les membres antérieurs;
petits cris.
3h 25m; l’animal paraît bien revenu. Injection d’un coup, de 40cc d’air.
1 Loc. cit., p. 15 et suiv.
975
CHANGEMENTS BRUSQUES DE PRESSION.
Aussitôt raideurs des pattes, bruits du cœur, troubles respiratoires ; le
tout s’aggrave, et à 5h 35m on n’entend plus le cœur.
Autopsie à 3h 50m. Oreillette et ventricule droits remplis de sang battu
d’air, avec caillots pleins d’air; un peu de gaz dans la veine cave. Pas
d’air dans les artères pulmonaires ni dans le cœur gauche.
Expérience DLXXXIY. — 14 février. Chien bull-dog pesant 12k.
Injection progressive, en 9m, de J50cc d’air, dans la veine jugulaire
guche.
Parait assez anxieux pendant l’injection, mais détaché aussitôt après, va
bien.
Expérience DLXXXY. — 24 février. Chien de chasse vigoureux, pesant
15\5. Température extérieure 14°.
oh 15m. Toutes les deux minutes, on injecte en 50% dans la veine jugu-
laire droite, avec une seringue en verre excellente, 65cc d’air.
A chaque injection, l’animal se plaint, et l’on entend aussitôt, même à
distance, les bruits de gargouillements au cœur.
Après la 10e injection (650cc), l’animal ne paraît pas en danger. A la
24e minute, on recommence à injecter, mais cette fois toutes les minutes.
Après la 17e injection (1100cc), l’animal gémit, urine, étend fortement
les pattes. Les battements du cœur se ralentissent, les respirations sont
très-rares, et l’animal meurt à 5h 55m. Sa température a baissé de 1°.
Je trouve le cœur droit rempli de mousse, de sang battu d’air, avec une
assez grande quantité d’air libre ; il y en a également dans les veines caves
et les artères pulmonaires.
Bulles d’air assez nombreuses dans le cœur gauche, les artères et les
veines cardiaques ; on n’en trouve pas dans les artères des membres ni
dans la veine porte.
Ainsi, dans l’expérience DLXXXII, un chien de petite taille,
il est vrai, et malade, a clé tué par l’injection de 14cc d’air,
tandis que dans l’expérience DLXXXY, il à fallu aller jusqu’à
1100ccpour tuer un grand chien. Ces expériences, en un mot,
nous montrent tout autant de différences pour les injections
artificielles d’air dans les veines que pour cette sorte d’in-
jection physiologique qui a lieu pendant la décompression
brusque.
Un des éléments les plus importants à considérer, relati-
vement à l’apparition des phénomènes morbides consécutifs
à la décompression, est la durée du séjour dans l’air com-
primé. Après le degré de la compression, après la rapidité de
la décompression, c’est lui qui joue le rôle principal. Ainsi,
tandis que pour les chiens décomprimés immédiatement
974
EXPÉRIENCES.
après que le degré voulu avait été atteint, on n’a pas d’acci-
dents graves, comme le montre le tableau XVIII, avant
d’avoir atteint 7 atmosphères, nous voyons, dans l’expé-
rience DLXIII, un chien périr assez rapidement en sortant de
l’appareil où la pression de 6 atmosphères avait été entre-
tenue pendant 5 heures et demie. L’expérience DXV faite sur
un moineau est plus remarquable encore. Cependant, l’expé-
rience DLXIV nous montre un chien sorti sans accidents après
4 heures de séjour sous 5 1 /2 atmosphères; mais il avait
dans le sang d’abondantes bulles de gaz, et se trouvait, par
suite, sous le coup d’une imminence morbide menaçante.
Il n’est peut-être pas sans intérêt de dire, en terminant,
que les animaux aquatiques sont au même titre que les ani-
maux terrestres et par le même mécanisme, tués par la dé-
compression brusque. Mais il paraîtra sans doute suffisant
de citer une expérience à l’appui de cette assertion qui pré-
sente, au point de vue des conditions de vie de ces êtres, un
véritable intérêt :
Expérience DLXXXVI. — 6 avril. Anguilles de la montée , transparentes,
soumises depuis deux jours à la pression de 10 atmosphères d’air.
2h, décomprimées brusquement; rejettent par la bouche des bulles
de gaz.
6h, sont toutes mortes; on voit battre le cœur, qui est plein d’air; des
bulles de gaz s’aperçoivent par transparence dans tous les vaisseaux.
SOUS-CHAPITRE IV
PROPHYLAXIE ET TRAITEMENT DES ACCIDENTS DE LA DÉCOMPRESSION
RRUSQUE
En présence de ces accidents redoutables, une double ques-
tion se pose naturellement à l’esprit : comment les prévenir,
comment y remédier?
On les préviendra, le bon sens l’indique, et l’expérience
le prouve, par une décompression suffisamment ralentie.
Les expériences résumées dans le tableau XIX donnent à ce
sujet des indications fort nettes. On y voit, par exemple, que,
en partant de 10 atmosphères, on a évité les accidents graves
PROPHYLAXIE PE LA DÉCOMPRESSION BRUSQUE. 975
en mettant plus de 1 h. 10 pour la décompression (expé-
riences DLXXI , DLXXII, DLXXVII , DLXXVIII). Mais c’est le
temps limite, puisque une heure, dans l’expérience DLXXIV,
n’a pas empêché la mort. Je laisse de côté les expériences
DLXXX et DLXXXI qui constituent une étrangeté encore inex-
plicable pour moi.
Je n’ai pas remarqué grandes différences entre les cas où
la décompression était faite d’une manière continue, à raison,
par atmosphère, de 8 minutes (exp. DLXXVIII), ou de 10 mi-
nutes (exp. DLXXYI), et celles où elle se faisait par sauts brus-
ques, avec intervalles de repos (exp. DLXXII, DLXXVII). Du
reste, les faits ne sont pas assez nombreux pour permettre
de conclure à l’avantage de l’une ou de l’autre de ces mé-
thodes.
Mais il reste acquis qu’en partant de 10 atmosphères, on
ne peut être assuré qu’un chien sera hors de danger qu’en
donnant à la décompression une durée d’au moins 12 mi-
nutes par atmosphère. Nous aurons à revenir sur ces faits
dans la troisième partie de cet ouvrage.
Arrivons à la seconde question. La décompression a été
faite trop brusquement. Des gaz se dégagent dans le sang,
qui obstruent certains vaisseaux et menacent de mort l’ani-
mal en expérience. Je devais évidemment songer à les faire
redissoudre en soumettant l’animal à une compression nou-
velle, quitte à le décomprimer avec une lenteur ménagée.
C’est ce que j’ai fait dans les deux cas suivants :
Expérience DLXXXVII. — 18 octobre. Chien de l’expérience DXXXYII1
(v. p. 947).
Est paraplégique à la suite d’une décompression brusque partant de
7 atmosphères; la paraplégie a commencé à 3h 21m.
De 3h 25m à 4h 5m, est porté à nouveau à la pression de 7 atmosphères,
et y est maintenu jusqu’à 4h 1 2m. On décomprime alors lentement ; la pres-
sion normale est rétablie à 6h.
Au sortir, l’animal est toujours paralysé du train postérieur, ou, pour
mieux dire, ses pattes de derrière, raides et contractées, n’obéissent plus
à la volonté ; la sensibilité y est conservée, et l’on obtient des mouvements
réllexes au pincement, mais avec un notable retard.
Meurt dans la nuit.
976
EXPERIENCES.
Expérience DLXXXVIII. — 16 octobre. Chien de l’expérience DXXXVII.
Paraplégique en raideur depuis 2h, à la suite d’une décompression
venant de 7 atmosphères. Récomprimé à 7 atmosphères de 2h 15m à 3h 2U1,
puis décomprimé en une heure.
L’animal paraît en meilleur état et plus calme; mais il est toujours para-
plégique, sans raideur ; la température des pattes postérieures est élevée.
Meurt le lendemain.
On ne trouve pas de gaz dans les vaisseaux; mais la moelle épinière
présente, depuis le renflement lombaire jusqu’au milieu de la région dor-
sale, de petites taches hémorrhagiques disséminées dans les faisceaux
antéro-latéraux. Il n’v a pas de ramollissement.
Je n’ai pas multiplié ces expériences ; il est évident que la
recompression s’effectuait ici trop lentement pour qu’il soit
possible de tirer une conclusion quelconque de ces résultats.
Je ne doute pas cependant de l’efficacité de cette méthode, à
la condition de pouvoir obtenir une recompression très-ra-
pide. On a vu, dans la partie historique, qu’elle était déjà
employée par les ouvriers, et recommandée par les médecins
qui les avaient soignés.
Les réflexions que j’ai déjà présentées à la page 967 m’a-
vaient mis sur la voie d’une méthode toute différente, ayant
pour but non de faire redissoudre les bulles de gaz libres
dans le sang, mais de les forcer à s’échapper par la respi-
ration.
Ces bulles sont composées, avons-nous dit, d’azote ; lors-
qu’elles arrivent dans les capillaires pulmonaires, elles ne
peuvent avoir grande tendance à se diffuser et à se mêler à
l’air du poumon, pour cette raison que celui-ci aussi est com-
posé pour les quatre cinquièmes d’azote. Cette réflexion faite,
je devais penser qu’en faisant respirer à l’animal un gaz ne
contenant pas d’azote, de l’oxygène pur, par exemple, la dif-
fusion se ferait beaucoup plus vite, et serait peut-être même
assez rapide pour faire disparaître tout le gaz du sang, et sau-
ver l’animal. Je donne ici les résultats d’un certain nombre
d’expériences faites par cette méthode :
Expérience DLXXXIX. — o 1 octobre. Chien de l’expérience DXLIlf.
Décomprimé de 7 atmosphères 1/4, couché, fort malade depuis 2'1 15"1,
avec gargouillements au cœur.
PROPHYLAXIE DE LA DÉCOMPRESSION BRUSQUE. * 977
A 2h 20ra, on lui fait respirer d’une manière continue de l’oxygène
pur.
A 2h 30m, le bruit du gargouillement a cessé, la respiration est plus
libre, l’animal essaye de se relever à l’aide des pattes antérieures ; son œil
n’est plus hagard.
A 4h 30m, on cesse la respiration d’oxygène. L’animal est tout à fait bien
au point de vue de la respiration et du cœur. Mais il est toujours paralysé,
ou du moins ne peut se tenir sur ses pattes, bien qu’il ait des mouvements
spontanés des membres et de la tête.
Trouvé mort le lendemain. Pas de gaz au cœur ni dans les vaisseaux.
Expérience DXG. — 1*2 novembre. Chien de l’expérience DXLY.
3h 12m. Décomprimé de 7 atmosphères 1/4, paralysé, avec fort gargouil-
lement au cœur, et grandes difficultés respiratoires.
5h 20m. On commence la respiration d’oxygène pur.
3h 35m. Les respirations sont très-amples et fréquentes ; il n’y a plus de
bruit de souffle au cœur. L’animal fait des mouvements généraux, et
essaye d’enlever sa muselière avec ses pattes.
Les respirations se régularisent pendant un certain temps, puis elles
diminuent d’intensité, et vers4h 30m, il est manifeste que l’animal s’épuise
et va mourir.
On l’ouvre à 4h 45m, alors qu’il est près de mourir. Pas de gaz dans les
veines ni dans le cœur.
Expérience DXCI. — 25 novembre. Chienne de l’expérience DXLVII.
Décomprimée de 7 1/2 atmosphères, paralysée à 3h 23m, gargouille-
ments, insensibilité, etc.
3h 28. La respiration étant arrêtée, on est obligé de faire la respiration
artificielle avec de l’oxygène. Au bout de 6 à 7 respirations artificielles, les
mouvements spontanés reviennent, le cœur recommence à battre nette-
ment, les gargouillements diminuent, la sensibilité disparaît.
Mais à ce moment l’oxygène se perd, et on ne peut continuer l’expé-
rience ; l’animal meurt presque aussitôt après.
On trouve le cœur droit tout gonflé de sang, avec un peu de mousse seu-
lement.
Expérience DXCII. — 27 novembre. Chien de l’expérience DXLV11I.
Paralysé, gargouillements très-forts, décomprimé de 7 atmosphères.
Au moment où commencent les respirations d’oxygène, les gargouille-
ments du cœur paraissent augmenter un peu, puis le cœur cesse presque
complètement de battre ; graduellement il devient assez fort et fréquent.
Mais le gaz ne cesse de revenir par le bout supérieur de la veine jugulaire
mise à nu, et l’animal meurt après une demi-heure.
Sang très-rouge, et sans gaz au cœur gauche ; sang assez rouge avec
bulles fines au cœur cjroit.
Expérience DXCII1. — 6 décembre. Chien de l’expérience DL.
Décomprimé de 7 1/2 atmosphères à 3h 22,n. Aussitôt paraplégique,
62
978
EXPÉRIENCES.
pattes antérieures un peu raides, niais se retirant quand on les pince;
pattes postérieures raides et insensibles ; gargouillements très-forts.
Je lui fais respirer de l’oxygène et mets à nu sa veine jugulaire, qui est
pleine de gaz.
Aussitôt les respirations se régularisent ; peu à peu les bulles de gaz
deviennent moins grosses à la jugulaire, la sensibilité revient un peu aux
pattes postérieures ; l’animal va évidemment mieux.
Vers 5h, les gaz ont complètement disparu de la jugulaire ; l’animal
redresse la tête quand on l’appelle en sifflant. On continue la respiration
d’oxygène jusqu’à 9h du soir.
10 décembre. — N’est plus complètement paralysé du train postérieur;
peut se tenir debout et traîne les pattes sur le dos des doigts en marchant.
Sensibilité exagérée aux membres postérieurs. Caractère devenu méchant.
11 décembre. — Couché,, paralysé ; légers mouvements réflexes du train
postérieur. Sensibilité très-exagérée dans les membres antérieurs. Temp.
réel. 57°, 9.
12 décembre. — Meurt.
Rien à noter aux viscères thoraciques et abdominaux.
Pas de ramollissement médullaire. Les coupes transversales de la moelle
montrent dans la substance blanche et la substance grise un piqueté rouge
qui va en diminuant de la région lombaire à la région cervicale.
Expérience DXCIV. — 11 décembre. Chien.
Comprimé à 8 atmosphères. Décomprimé très-lentement à 7 3/4. Puis
en 5m, à la pression normale: 5h 15m.
On retire immédiatement l’animal et lui fait respirer de l’oxygène.
5b 251U. 120 pulsations; sa température rectale, qui était avant l’expé-
rience à 58°, 5, est à 57°, 5. Respiration régulière ; on voit des bulles de gaz
dans la jugulaire mise à nu.
5h 30m. Mis à terre un moment, est paraplégique.
5h 50m. 90 pulsations ; il n’y a jamais eu de gargouillements au cœur ;
on ne voit plus de gaz dans la jugulaire ; température 37°, 2.
6h 15m. On cesse la respiration d’oxygène; mis à terre; n’est plus para-
lysé, et traîne seulement un peu la patte postérieure gauche sur les orteils;
les pattes de derrière semblent insensibles.
11 est entraîné par un mouvement de manège qui le fait tourner sur sa
droite; la tête se courbe fortement à droite, les yeux se tournent de même.
11 a un fort nystagmus et des trépidations des muscles du cou. Quand il
veut marcher, il prend maintes précautions, puis, au moindre obstacle, il
tombe en tournant sur le flanc droit.
Gh 50m. Amélioration manifeste; les pattes de derrière et la queue seœ
sibles ; l’animal marche beaucoup mieux et paraît intelligent.
6h 45,u. L’amélioration ne se soutient pas; l’animal traîne de nouveau la
patte gauche.
12 décembre. — Plus paralysé que la veille, ne peut presque pas marcher,
et tourne encore à droite.
979
DÉCOMPRESSION BRUSQUE : PROPHYLAXIE.
L’excitation des pattes postérieures amène d’énergiques mouvements
réflexes; mais le chien ne semble pas s’en apercevoir. Les pattes posté-
rieures, surtout la gauche, sont plus chaudes que les autres.
14 décembre. — Toujours paraplégique, ne peut se soutenir même un
instant.
18 décembre. — Même état; urine facilement ; mouvements réflexes éner-
giques.
Expérience DXCV. — 13 décembre. Chien.
Porté à 8 1/4 atmosphères; décomprimé en 3m. Aussitôt, à 5h, respira-
tions d’oxygène. %
11 n’est pas paralysé ; mais après quelques minutes, la paraplégie corn-
mence et devient complète, avec mouvements réflexes persistants.
On n’entend à aucun moment des gargouillements au cœur, et la respi-
ration s’opère assez bien.
4U 50m. On cesse la respiration d’oxvgène. L’animal ne peut se tenir sur
les pattes postérieures. La respiration se fait bien, les battements du cœur
sont purs.
6b 50m. Même état; sensibilité obtuse des pattes postérieures.
14 décembre. — Couché, ne peut se tenir sur les pattes postérieures,
bien qu’il puisse les remuer spontanément, et qu’il y perçoive les piqûres.
Meurt dans la nuit du 14 au 15.
Les faits qui viennent d’être rapportés, et dont les ré-
sultats étaient déjà consignés au tableau XVIII, montrent
qu’une de nos prévisions a été parfaitement réalisée. Sous
l’influence de la respiration d’oxygène pur, les gaz contenus
dans les veines et le cœur droit ont diminué, puis disparu ; les
gargouillements cardiaques ne sont pas survenus lorsque la
respiration d’oxygène était faite de bonne heure, ou ont cessé
par son fait. Le danger d’une mort immédiate, par arrêt de
la circulation pulmonaire, a donc été conjuré1.
Mais cependant nous n’avons pu sauver nos animaux ; les
paralysies ont persisté, et, malgré une amélioration immé-
diate réelle, ont fini par emporter les sujets en expérience.
C’est que la respiration d’oxygène n’a pu ramener dans le
torrent circulatoire et faire disparaître les bulles de gaz arrê-
tées çà et là dans les capillaires du système nerveux central.
1 II résulte de ceci que la respiration d’oxygène serait un moyen efficace de
combattre les effets de l’introduction de l’air dans les veines. J’ai fait à ce point
de vue un certain nombre d’expériences tout à fait encourageantes pour les chi-
rurgiens.
980
EXPÉRIENCES.
C’est qu’elle n’a pu, à plus forte raison encore, faire résorber
les bulles qui, ainsi que nous l’avons vu, se dégagent dans
l’épaisseur même des tissus.
Sur elles, la recompression seule peut avoir un effet utile.
Mais, d’autre part, la recompression ne peut faire redissou-
dre une collection gazeuse un peu considérable ramassée dans
le cœur droit.
Nous sommes donc amené à recommander l’emploi succes-
sif de la respiration d’oxygène, pour obtenir l’élimination de
l’azote emmagasiné dans le cœur veineux, et de la recom-
pression pour redissoudre les bulles arrêtées dans les capil-
laires ou disséminées dans les tissus.
Encore ne peut-on se flatter d’une guérison certaine, pour
cette raison que les bulles de gaz, en repassant à l’état libre
au sein de tissus délicats, comme ceux delà moelle épinière,
peuvent y avoir occasionné des désordres, des dilacérations,
dont leur disparition ne saurait suffire pour conjurer les fu-
nestes effets.
C’est donc aux moyens préventifs, c’est donc à la décom-
pression lente que l’on devra s’attacher dans l’industrie, et
c’est là un point sur lequel nous reviendrons dans notre troi-
sième partie.
SOUS-CHAPITRE V
RÉSUMÉ.
En résumé, la décompression non ménagée, à partir de
plusieurs atmosphères, amène des accidents d’une gravité va-
riable suivant le degré de la compression, la rapidité de la
décompression, les espèces animales, les individus, l’état ac-
tuel de l’individu en expérience.
Ces accidents doivent être attribués au dégagement de l’a-
zote qui s’était emmagasiné dans l’organisme en excès, sui-
vant les exigences de la loi de üalton.
Ce gaz repasse à l’état libre dans les vaisseaux sanguins,
les divers liquides organiques, l’épaisseur même des tissus ;
DÉCOMPRESSION BRUSQUE : PROPHYLAXIE. 981
il peut ainsi, suivant les cas, arrêter la circulation pulmo-
naire, anémier et amener au ramollissement certaines ré-
gions des centres nerveux et particulièrement le renflement
lombaire de la moelle épinière, dilacérer les tissus, produire
des tumeurs ou un’ emphysème plus ou moins étendu. La gra-
vité des accidents dépend tout à la fois du siège et de l’éten-
due de ces désordres multiples.
Une décompression ménagée de 12 minutes par atmosphère
est nécessaire pour mettre les chiens à l’abri des accidents,
lorsque la compression s’est élevée aux environs de 10 atmo-
sphères.
Une recompression immédiate, ou consécutive à la respira- .
tion d’oxygène dans le cas où l’on constate des gargouille-
ments au cœur, est le seul moven de combattre efficacement
les accidents de la décompression.
CHAPITRE VIII
QUESTIONS DIVERSES.
Je traite dans ce chapitre d’un certain nombre de ques-
tions qui n’ont avec le sujet de mes études que des rapports
un peu indirects, mais qui ne lui sont cependant pas étran-
gères. Telle la question de l’asphyxie, et celle de l’action
toxique de l’acide carbonique, dont il a été tant de fois
question, particulièrement dans le premier chapitre de cet
ouvrage.
SOUS-CHAPITRE PREMIER
ACTION DE L’ACIDE CARBONIQUE SUR LES ÊTRES VIVANTS.
Les expériences rapportées dans le chapitre I, sous-chapi-
tre II, m’ont fait voir que la mort des animaux maintenus en
vases clos, dans de l’air comprimé à plusieurs atmosphères,
arrive lorsque la tension de l’acide carbonique qu’ils ont
formé en respirant s’élève à une certaine valeur constante.
Cette première constation a dû appeler tout particulière-
ment mon attention sur l’étude des effets de l’acide carbo-
nique sur les êtres vivants, étude qui se rattache ainsi indi-
rectement à mon projet. Ce sont les résultats de ces recherches
que je vais consigner ici.
ACTION DE L’ACIDE CARBONIQUE.
983
g jer — De ia tension mortelle de l’acide carbonique
dans l’air ambiant.
Je rappelle, d’abord, que la tension d’un gaz T est le pro-
duit des deux facteurs, la composition centésimale G et la
pression barométrique P.
Chez les moineaux, ainsi que nous l’avons vu (voy. p. 587),
la mort arrive lorsque la tension de l’acide carbonique s’élève
à une valeur de 24 à 28, quand l’on a, en d’autres termes,
l’équation
CxP = 24à28.
Ainsi, plus la pression sera forte, plus faible sera la pro-
portion centésimale nécessaire pour amener la mort, et réci-
proquement. Ainsi encore, à la pression normale et aux
pressions inférieures, il faudra, pour que les animaux péris-
sent, qu’ils aient été renfermés dans de l’air suroxygéné, car
l’air ordinaire ne pourrait fournir les 24 à 28 centièmes mor-
tels à une atmosphère, les 48 à 56 mortels à une demi-at-
mosphère, etc. C’est, en effet, ce que nous ont montré les
expériences multiples consignées au chapitre Ier.
J’ai fait un assez grand nombre d’expériences sur des ani-
maux d’espèces différentes, desquelles il résulte que la valeur
de la tension mortelle de l’acide carbonique varie suivant
l’espèce.
Voici, par exemple, deux expériences faites sur des rats :
Expérience DXCVI. — 5 août.
Rat mis à 3h dans le petit récipient à eau deSeltz, à 7 atmosphères.
Trouvé mort à 6h ; les muscles se contractent encore.
Poumons gonflés au maximum, ne se rétractant pas à l’ouverture de la
poitrine ; gaz dilatés dans l’estomac.
Gaz dans sang du cœur droit, mais non dans le cœur gauche.
Air mortel, CO2 4,4 ; O 14,8.
Tension du C02 = 30,8.
Expérience DXCVII. — 19 août.
Rat pesant 180g, mis à llh 45m à 7 atmosphères et 1/2.
Même appareil ; meurt à 2h.
Énorme dilatation des gaz de l’estomac.
984
EXPÉRIENCES.
Pas de gaz, même dans le cœur droit
Air mortel, CO2 4 ; O 14,3.
Tension du CO2 = 50,0.
On voit ici que la tension mortelle de l’acide carbonique
est, pour les rats, un peu plus forte que pour les oiseaux.
C’est, du reste, un fait général chez les mammifères, comme
le prouveront tout à l’heure les expériences faites sur les
chiens, expériences qui donneront, en outre, l’explication des
irrégularités apparentes dans la valeur de la tension mortelle.
Je n’ai pas cru devoir insister sur ces différences d’espèce à
espèce; une seule, que j’ai autrefois signalée1, mérite d’être
ici rappelée, comme j’en rappellerai ailleurs la conséquence
générale. C’est à savoir que les batraciens et les reptiles re-
doutent beaucoup plus l’acide carbonique que ne le font les
animaux à sang chaud. Voici quelques expériences à l’appui
de cette importante proposition.
Les unes ont été faites en employant, à la pression nor-
male, de l’air suroxygéné :
Expérience DXCVIII. — 15 février. Couleuvre à collier, mise dans une
cloche de 875cc, avec de l’air à 77 pour 100 d’oxygène.
Meurt le 21 février.
L’air contient 15,5pour 100 d’acide carbonique, et 01 pour 100 d’oxy-
gène.
Expérience DXCIX. — 16 mars. Grenouille mise dans une cloche de
400cc, avec de l’oxygène pur.
Meurt le 23 mars. La température a été de 6 à 7°.
L’air contient : O : 81; CO2 17.
Expérience DC. — 16 mars. Grenouille placée dans une cloche de
même dimension, dans même air que la précédente.
Meurt le 25 mars.
L’air contient : O : 84 ; CO2 15,7.
Pour d’autres, Pair suroxygéné a été additionné d’avance
d’une certaine proportion d’acide carbonique :
Expérience DCI. — 3 août. Lézard gris, mis à 4h !5mdans une cloche
contenant 570cc d’un air à 78,9 pour 100 d’oxygène, le reste en azote.
1 Leçons sur la physiologie comparée de la respiration, p. 521.
ACTION DE L’ACIDE CARBONIQUE.
985
Le 4, bâille beaucoup, fort mal à son aise ; le malaise va en augmen-
tant, et l’animal meurt le 6 vers 2h (70h).
La température a varié de 23° à 29°.
Il y a dans la cloche 15,7 pour 100 de GO2.
Expérience DCII. — 3 août. Lézard gris, mis à 5h 15ra dans une cloche
contenant 550cc d’un air à 90 pour 100 d’oxygène, avec 10 pour 100 de CO2.
4 août. Encore un peu sensible à 4h du soir; est trouvé mort à 9h (en-
viron 28h).
La température a varié de 23° à 29°.
L’air contient 16 pour 100 de GO2.
Expérience DCIII. — 3 août. Grenouille mise à 5h 45m sous une cloche
de 550cc contenant : O : 90 ; CO2 : 10.
4 août. 10hdu malin, paraît à peine respirer.
Meurt à 2h (a vécu 20h). La température du laboratoire a varié de 23°
à 29°.
Il y a dans la cloche 17 pour 100 de CO2.
Pour d’autres, enfin, l’expérience a été faite dans l’air
comprimé :
»
Expérience DCIV. — 28 juillet. Température : 22°. Deux grenouilles
sont mises à 3h dans le petit récipient à eau de Seltz, et soumises à 5 atmo-
sphères de pression.
Rien de bien particulier, les deux ou trois jours suivants.
1er août. lh. Sont évidemment fort malades.
Meurent vers 3h.
L’air contient 3,2 pour 100 de CO2; la tension est donc de 3,2x5=16.
Ainsi, par l’une ou l’autre de ces méthodes multiples, on
voit que la tension mortelle de l’acide carbonique pour les
reptiles oscille entre 13,5 et 17, tandis qu’elle est pour les
moineaux de 24 à 28, et qu’elle atteint et dépasse 30 pour les
mammifères.
§ 2. — De la dose mortelle de l’acide carbonique
dans le sang.
Dans les expériences dont le récit va suivre, j’ai cherché
d'abord à déterminer la dose mortelle de l’acide carbonique,
non plus dans le milieu extérieur, mais dans le sang; puis,
à établir les rapports qui existent entre la proportion crois-
sante de ce gaz dans l’air où est confiné l’animal, et son abon-
dance dans le sang.
986
EXPÉRIENCES.
Ces expériences ne pouvaient évidemment être faites que
sur des chiens, et je ne pouvais penser à essayer pratique-
ment de les maintenir en vases clos dans l’air comprimé.
J’ai donc dû employer la méthode de la respiration dans l’air
suroxygéné, à la pression normale.
La disposition des appareils était des plus simples. L’ani-
mal, solidement attaché, était forcé de respirer, soit par une
muselière bien close, soit directement par la trachée, dans
un vaste sac de caoutchouc faiblement gonflé par l’oxygène.
Un petit orifice permettait de puiser l’air à divers inter-
valles, en prenant toutes les précautions pour que l’échan-
tillon représentât bien la composition moyenne de l’air
du sac.
Arrivons maintenant au récit de ces expériences :
Expérience DGY. 14 février. Chien de 6,5 kilogrammes : malade, avec
un pneumo-gastrique coupé depuis 4 jours.
5h. Placé un tube dans la trachée. Mis à respirer dans le sac de caout-
chouc où l’on introduit de Y air. Après 10m, je tire à l’artère fémorale
70cc de sang A
Remis à l’air libre.
5h 55m. Mis à respirer dans le sac, qui contient alors un mélange à 94
pour 100 d’oxygène. Après 15m, tiré 70cc de sang B
5h 15m. L’animal fait de grandes inspirations. Tiré 44cc de sang ... C
9h. A peine sensible à l’œil ; 15 à 16 respirations, à trois temps, sem-
blables à celles des tortues ; température rectale 27°. Le gaz du sac con-
tient CO2, 28 ; O 60 ; C02-h0 = 88 ; il y a eu une absorption très-manifeste,
correspondant à 6 pour 100 d’oxygène disparu.
Je tire 37cc de sang, qui vient difficilement D
Je laisse respirer l’animal à l’air libre.
A (air) contient pour 100cc de sang : O 16 ; CO2 29,5
B (oxygène) — 18,4; — 20,6
C — 17,5; —50,1
D (CO2 : 28 ; Ox : 60) — 17,9 ; — 68,4
A 10h, l’animal respire encore de môme, et a la même température.
Trouvé mort le lendemain.
Expérience DCVI. — 16 février. Chien très-robuste, pesant 15 kilo-
grammes.
Tube dans la trachée; artère carotide à nu.
2h 40m. Mis à respirer dans un sac contenant environ 30 litres d 'air ; au
bout de 3m, je tire 50cc de sang , 9 A
ACTION DE L’ACIDE CARBONIQUE.
981
Remis à respirer à l’air.
2h 50m. Réadapté au sac de caoutchouc, qui contient 55 litres d’un mé-
lange à environ 90 pour» 100 à' oxygène. A 5h, tiré 50cc de sang évidem-
ment plus rouge R
4h 5ra. De grandes respirations apparaissent; pris de l’air du sac, qui
contient 21,4 pour 100 de CO2 ; tiré 50cc de sang très-rouge G
4h35m. Température rectale 55°.
5h 25. Température rectale 33°; 5h 30m, pris 50cc de sang D
5h45m. Pris dans le cœur droit, par la jugulaire droite, 30cc d’un sang
bien rouge E
A5h 50m, extraitair du sac, qui contient : GO2 37,5 et O 48,8.
Il est probablement entré un peu d’air dans le cœur, car le chien est
pris de trépidations, de convulsions, de raideurs; on le détache.
A 6h 1/4, température rectale 34°.
A 9h du soir, est très-bien remis ; survit.
A (air) contient pour 100cc de sang : O 21,0; GO2 43,5
R (oxygène) — 22,4; — 43,9
G (ox. depuis lh 15m : CO2 21,4) — 22,0; — 89,0
D (ox. depuis 2h35m : C02env. 35) — 19,9; — 87,2
E (sang veineux, CO2 57,5; O 48,8) — 16,5; — 82,3
Expérience DGYIL — 1er mars. Chien de grande taille : muselière.
Pendant qu’il respire à l’air libre avec une rapidité extraordinaire, je
tire à l’artère fémorale 70cc de sang A
et à la veine 40cc A'
3h 45m. Mis à respirer dans le sac plein d’oxygène.
5h 50m. Sang veineux à la fémorale. 40cc R'
3h 55m. Gaz du sac (3
5h 58m. Sang artériel, 40cc R
A 5h 25®, 30 ou 40 respirations calmes à la minute ; température rec-
tale 37° ; pris 40cc de sang artériel G
L’air -du sac contient CO2 52,8; O 53,5 ' . . . . 7
A 6h, l’animal étant fort malade, on injecte avec précaution, par un
petit orifice, de l’acide carbonique dans le sac, en surveillant avec soin et
brassant le sac de manière à obtenir un mélange aussi parfait que pos-
sible.
Vers 7h, il devient évident que l’animal va périr; on cesse l’injec-
tion de l’acide ; température rectale 56°. L’animal respire encore plu-
sieurs fois. Pendant les dernières respirations, je tire avec difficulté 47cc
de sang du cœur droit ; très-noir D'
Tiré ensuite, avec tout autant de difficulté, par la carotide gauche, 40cc
de sang bien rouge D
Immédiatement après, pris gaz du sac §
Je mets aussitôt un tube dans la trachée et recueille sous l’eau l’air des
poumons, en ouvrant le thorax. 11 contient pour 100 : 60,8 de CO2 et 18,8
d’oxygène.
988
EXPÉRIENCES.
Résumé de l’expérience :
0 CO2
A (air libre ; respir. extrêm. rapides ; sang artériel) 24,8 19,5
A' — — veineux 10,0 29,0
B (air p : O 81,8; CO2 5,8, sang artériel) 25,4 55,6
B1 — — veineux) 11,9 51,5
G (air y : O 55,5 ; CO2 52,8 ; sang artériel) 66,7
D (air S : O 57,6 ; GO2 51,5; sang artériel) 17,5 79,5
D' ( — — veineux) 4,4 75,5
Expérience DCVIII. — 4 mars. Ghien pesant 5 kil. 950.
Placé sous une cloche de verre de 51 1 ; amené la pression à 17e ; l’animal
s’agite beaucoup, se dresse anxieux : laissé rentrer de l’oxygène. Je ramène
alors la pression à 8e : mêmes symptômes, et laissé encore rentrer l’oxy-
gène jusqu’à la pression normale.
Le robinet est fermé à 2h 45m ; l’air contient 81 pour 100 d’oxygène.
4h5m. Animal anxieux, respirant péniblement, se dressant dans la cloche,
pris air p
5h 50m. L’animal vient de tomber sur le liane ; pris air y
6h 10m. Couché, indifférent aux chocs sur la cloche, semble insensible ;
16 respirations énormes, très-pénibles ; pris air §
9h 50m. Trouvé mort ; il y a eu absorption assez notable pour que la
pression ait diminué de 4 à 5e dans la cloche ; pris air s
Ainsi, en résumé :
Anxieux, avec air p : O 64,9 ; CO2 15,7 ;
Tombe — y : 60,5 ; 20,2 ;
Insensible — S: 55,8; 27,0;
Mort — s: 46,5; 54,1.
En tenant compte de la diminution de pression de la cloche, on calcule
aisément qu’il y a eu environ 1500cc d’oxygène, qui ont été absorbés sans
avoir reparu à l’état gazeux comme acide carbonique.
Expérience DGIX. — 8 mars. Ghien de moyenne taille ; canule. dans la
trachée ; artère fémorale à nu.
5h 50m. Mis à respirer dans le sac contenant de Y air ; respiration calme;
tiré 50cc de sang à l’artère fémorale A
5h 55h. Mis à respirer dans le sac qui contient de Y oxygène à environ
90 pour 100. Présente une apnée presque complète : à peine quelques
petits mouvements respiratoires. A4h 10m, tiré 50cc de sang très-rouge. B
5h 20m. Respirations forcées, très-gênées; pris de l’air dans le sac; il
contient CO2 9; O 80,8. Tiré 40cc de sang très-rouge G
6h 15m. Température rectale 55°; respirations très-anxieuses; œil sen-
sible. L’air du sac contient CO2 18, O 70 ; tiré 40cc de sang rouge. ... D
Sang A (air) contient pour 100cc de sang : O 18,9 GO2 56,5.
— B (oxygène) — — 25,0 — 42,8.
— G (O 80,8 ; CO2 9) — — 24,7 — 60,8.
— D (O 70; CO2 18) — *—17,6 — 71,6.
ACTION DE L’ACIDE CARBONIQUE.
989
Expérience DGX. — 12 mars. Chien pesant 9 kilogrammes. Tube dans
la trachée. Artère fémorale à nu.
2h 20m. Respire air dans le sac de caoutchouc, depuis 2 à 5m ; respira-
tions très-calmes ; tiré 45cc de sang artériel A
et 55cc de sang veineux dans la veine cave inférieure A'
2h 55m. Mis à respirer mélange à environ 90 pour 100 d 'oxygène.
5h 10m, tiré 45cc de sang artériel plus rouge que A
et 35cc de sang à la veine cave inférieure B'
5h 20m. Air du sac : O 81,7 ; CO2 7,9.
5h45m. 16 respirations très-anxieuses ; lOOpulsations faibles; œil insen-
sible ; température rectale 30° ; pris sang veineux à la veine cave inférieure
au niveau des reins C'
6h 35m. L’air du sac contient CO2 52,5 ; O 55.
6h45m, 12 respirations; 87 pulsations; température rectale 28°, 5 ; pris
45cc de sang artériel bien rouge D
Tiré ensuite dans le cœur droit 35cc de sang D'
N’était pas mort à 7h 30m ; température rectale 28°.
O CO2
Sang A (air, sang artériel) 22,0 46,7
— A' ( — veineux) 16,1 57,3
— B (env. 85 d’O et 6 de CO2, sang artériel). 24,2 54,1
*— B'( — veineux). 9,8 70,6
— G' (env. 60 d’O., sang veineux) 6,7 73,1
— D (env. O 53; CO2 53, sang art.) . . . , . 95,8 18,0
— D' ( — sang du cœur droit). 12,3 101,4
Le lendemain, l’animal étant mort depuis la nuit, on trouve l’estomac
très-distendu par des gaz qui contiennent 50 pour 100 de CO2 et 5 pour 100
d’oxygène.
L’air du sac contenait O 50,6; CO2 34,8 ; celui des poumons : O 23,5 ;
CO2 57,7.
Je prends dans la vessie 45cc d’urine, et l’introduis dans la pompe à ex-
tractioh des gaz, où se trouve déjà un peu d’acide sulfurique dilué et bien
privé de gaz. Je trouve ainsi que 100°° d’urine contiennent 106cc d’acide
carbonique.
Expérience DCXI. — 17 avril. Chien pesant 9 kil. ; tube dans la trachée.
llh 5m. Mis à respirer dans le sac contenant 281 à’ oxygène. Pas d’apnée
visible.
llh 20m. Température rectale 57°, 5.
5h 5m. Insensible à l’œil; 10 respirations, 64 pulsations, température
rectale 30°.
5h45m. 51 pulsations, 6 respirations ; 29°.
4h5m. 48 pulsations, 1 respiration toutes les 2ni.
4h 15ni. Tiré sang du cœur droit, 50cc, assez rouge A
4h 40m. 45 pulsations ; respirations toutes les 2 ou 5,n ; temp. 27°, 8.
4U 50m. Le cœur bat encore ; plus de respiration depuis environ 10m.
090
EXPÉRIENCES.
Tiré 50cc sang du cœur gauche, peu rouge B
5h. Le cœur ne bat plus depuis quelques minutes ; tiré du cœur droit
sang très-noir, 50cc G
A 5h 15lu, l’air du sac contient GO2 45,4 ; 0 59 ; cette composition n’a pu
changer sensiblement depuis la mort, par endosmose, car à 6h 45m, j’y re-
trouve 44,6 d’acide carbonique pour 100.
A (cœur droit; respirations dans oxygène depuis 5h 10m) contient:
016,6; GO2 101,4;
B (cœur gauche ; O 59 ; CO2 45,4) contient : O 10,8; GO2 116,6 ;
G (cœur droit; 0 59; CO2 45,4) contient : O 0,7 ; CO2 120,4.
Expérience DCXII. — 15 mars. 6 = 15°. Chienne jeune, pesant 8k,5.
Température vaginale 59°.
2h 25IU. Mis à respirer par la trachée dans le sac contenant 401 d’air à
85 pour 100 d’oxygène.
Bespirations extrêmement rapides.
2h 50m. Pris 25cc de sang artériel carotidien ; il y a alors 100 pulsa-
tions ; le sang est extrêmement rouge A
2h 55m. 72 respirations plus amples ; température vaginale 56°, 1.
2h 5m. Pris air du sac (3
5h 7m. 60 respirations, assez amples ; température 55°; pris 25cc de sang
artériel B
4h 4,u. 56 respirations ; température 51° ; air du sac y
4h 6m. 25ccde sang, très-rouge G
4h 20U1. Bespirations, 44; pulsations, 51 ; 0 = 50°.
4h 50ai. Respirations, 28 ; pulsations, 52 ; urine.
5h 15m. Respirations, 20; pulsations, 24 ; 6= 27°.
5h 25m. Respirations, 16; pulsations, 16; 0 —26°, 5; insensible à un
œil, encore un peu de sensibilité à l’autre.
5h 52m. Pris 15cc de sang carotidien, bien rouge D
5h 58m. Q = 25° ; on cesse la respiration dans le sac, dont on prend de
l’air S
Après quelques minutes, l’animal, encore insensible à l’œil, est pris de
raideurs des pattes et du cou, avec une certaine agitation des membres ;
on le détache. Il présente alors des mouvements lents et engourdis, comme
ceux d’une marmotte qui se réveille.
6h 20m. Animal calme ; respirations, 24 ; pulsations, 52 ; 0 = 25°. Je tire
25ccdesang bienrouge, puis j’enlève le tube trachéal E
Le lendemain, l’animal est parfaitement revenu à lui ; sa température
vaginale est remontée à 40°. Survit.
Résumé de l’expérience :
O
GO2
0
A (0 à 85 pour 100)
24,7
27,5
39»
fc (air (3 : 0 71,6; CO* 13,3). .
25,4
51,1
55°
C (air y : 0 61; GO2 21,5) . . .
22,6
69,5
51°
D (air S : 0 55 ; CO2 29.6) . . .
20,5
72,5
25°
E (40m après, resp. à l’air libre).
25,0
40,6
25°
ACTION DE L’ACIDE CARBONIQUE.
991
Expérience DCXIII. — 19 mars. 618°. Chienne terrier pesant 9k.
A 2h 25m, mis un tube dans la trachée ; temp. vag., 38°.
2h 32h, mise à respirer dans un sac contenant 40l d’air à 89,4 d’oxy-
gène.
Respirations extrêmement rapides.
2h 43m, tiré à la carotide 25cc de sang médiocrement rouge A
100 resp.; puis. 108 ; temp. 37°, 5.
3h 10m, pris air du sac /3
3h 13ni, tiré 25cc de sang B
3h 20m, resp. 56; puis. 76; 0 37°.
3b 58m, resp. 36; puis. 72, irrégulières; 0 36°, 8, urine ; pris air du
sac y
3h 48m, 0 35°, 9.
4h, resp. 56 ; un cardiomètre placé à la carotide oscille de 11 c, 5 à 19e.
4h 10m, G 55°, 2 ; pris air du sac S
4h 18m, 25cc de sang D
4h 30m, G = 34°, 5 ; pattes insensibles, œil encore sensible ; resp. 56 ;
puis. 72.
4h 59U1, G = 53°, 5 ; air du sac s
5h 5m, absolument insensible, sauf à l’œil.
5h 20U1, resp. 68 ; puis. 80 ; G 32°, 8 ; pris air du sac y
5h 35m, G 32°, 2.
5h 45m, air ç
5h 48m, resp. 52, un peu irrégulières; puis. 58, très-faibles: 0 = 32°;
sang 50cc G
La cornée devient insensible ; la conjonctive conserve encore quelque
sensibilité.
6b, resp. 44; puis. 44 ; G = 31°, 2.
6h 10m, 25cc de sang Il
On enlève le sac, après avoir pris de l’air pour l’analyse ^
Après quelques respirations à l’air libre, l’animal présente des raideurs,
qui durent peu. Mis à terre, il se tord lentement, sans sensibilité mani-
feste.
J’enlève le tube trachéal.
Vers 6h 30m, la sensibilité revient très-nettement. A 7h, excité, se re-
lève et essaye de marcher.
Le lendemain, bien remis ; survit.
O
CO2
0
Sang A (Air à 89,4 p. 100 d’oxyg.) ....
25,5
28,9
38°
— B (Air p : O : 78,4; CO8 : 8,7). . . .
23,7
52,6
37°
Air y: O : 71,2; CO2 : 14,8 . . .
»
»
56°, 8
— D (Air 5:0: 66,0; CO8: 19,4) . . .
22,9
72,2
35°
Air £ : O : 58,4; CO2: 27,5 . . .
»
»
53°, 5
Air» : O: 53,5; CO2 : 32,1 . . .
))
»
52°, 8
— G (Air Ç : O : 50,4 ; CO2 : 54,9) . . .
18,3
72,6
52°
— 11 (Air x ■ O : 47,0; CO2: 58,1) . . .
17,2
82,8
31°, 2
992
EXPÉRIENCES.
Expérience DGXIV. — Chien pesant 7k,7. 0 = 16°.
Mis à 10h 30m un tube dans la trachée. A 10h 45m, sa temp. rectale est
58°, c2.
llh 35,n, mis à respirer dans le sac contenant 401 d’un air a
llh 43m, pris 28cc de sang carotidien A
45m, resp. 60, inég. ; puis. 120 ; 0 38°, 1 ; pris air B
lh 50m, pris air 7
Besp. 40, inég. ; puis. 96 ; l’animal est à peu près insensible.
2h 25m, resp. 56 ; puis. 96 ; 0 51°; œil peu sensible.
2h 55m, resp. 50 ; puis. 66, géminées ; 0 29°, 8 ; pris air ..... . S
5h 23m, pris air s
5h 25m, resp. 28 ; puis. 60 ; 0 28°, 8 ; pris 26cc de sang B
3h 45m, resp. 28; puis. 52; 0 28°, 2; pression carotidienne oscillant
de 12 à 14e; œil encore un peu sensible.
4h 5m, resp. 20 ; puis. 44; 0 27°, 8 ; œil encore un peu sensible ; pris
air
4h 57m, œil insensible; resp. 20 ; puis. 45; q 27° ; pris air ;
5h 5m, resp. 22 ; puis. 48; 0 26°; pris air . *
5h 21m ; 0 25°, 2.
5h 35m, resp. 4; puis. 40, très-faibles ; 0 25° ; pris air X,
5h 50m, 0 24°, 5.
5h 55m, resp. 5 ; puis. 56; 0 24°; pris sang au cœur gauche, avec la
sonde ; bien rouge C
6h 15m, resp. 2 ; puis. 56 ; 0 23°, 5 ; pris air a
Les respirations deviennent de plus en plus rares, puis cessent quel-
ques minutes avant les battements du cœur. Celui-ci s’arrête à 6h55m;
0 = 25°.
A 6h 45in, je prends du sang dans le cœur gauche, il est très-noir . . D
Pris également air du sac
Le nerf sciatique fait encore contracter les muscles à 7h 25m.
Le tableau ci-dessous donne les résultats de l’expérience :
Au
Après
Après
Après
Après
Après
Après
Après
Après
Après
Après
début
lh 5™
2» 10™
oh 15'“
5h 45,n
4h 25m
5 h.
5h 25“
5h 55“
6h 55“
6h 55™
a
13
7
S
s
ç
X
X
P-
V
Oxygène du sac.
70,5
58,6
47,9
42,7
39,7
37,1
34,8
34,9
34,2
53,7
52,5
J O
CO*
5,2
14,4
24,3
28,6
30,4
32,5
35,9
55,9
34,2
55,4
55,4
A
B
C
D
Ox. du sang art.
»
»
»
»
18,7
))
»
»
18
,2
0,0
CO'2
61°, 8
ï)
»
))
99,5
»
»
))
103
,6
106,7
Temp. rectale.
58°, 2
38,1
»
29,8
28,8
27,8
27
26
25
23,5
25
Respirations.. .
»
60
40
50
28
20
20
22
4
2
0
Pulsations. . •
»
120
96
66
60
44
43
48
40
36
0
Expérience DCXV. — 26 mars. 0 = 14°. Chien dogue, très-vigoureux,
pesant 16k.
A llh, mis dans la trachée un large tube; l’animal s’agite, respire avec
une très-grande rapidité, puis tombe, après une série de respirations ex-
ACTION DE L’ACIDE CARBONIQUE.
993
traordinaires précipitées, dans un état d'apnée complète qui dure une
minute.
11 11 25'“, mis à respirer dans un sac contenant 601 d’air suroxygéné, a
Présente aussitôt une légère apnée qui dure 15 secondes; 9 37°, 6..
A llh 40'n, pris 25ec de sang, très-rouge A
111* 57m, resp. amples 21 ; puis. 152; 0 57°, 3.
12h 30m, l’animal s’est agité pendant un quart d’heure environ; pris
air ‘ p
12h 35m, 0 35°, 8 ; urine ; pris sang bien rouge B
12h 45m, resp. 43; puis. 100; 9 35°.
12h 50m, pression cardiaque oscille de 13e à 16e aux entrêmes.
lh, resp. 40 ; puis. 92 ; 0 33°, 8.
lh 34m, resp. 38 ; puis. 88 ; 0 32°, 2 ; pris air y
lb 40™, pression cardiaque oscille de 14e à 16e.
2h 5'", resp. 36 ; puis. 72 ; 0 31°, 2 ; pris sang G
On détache l’animal, dont on peut écraser le bout des doigts, couper la
peau, sans provoquer le moindre signe de douleur, le moindre mouvement,
le moindre changement dans le rhythme respiratoire. Cependant l’œil est
sensible.
2h 30m, resp. 28 ; puis. 60; 0 30°, 8 ; pris air S
3h, resp. 24; puis. 56; 9 30°.
5l1 15'“, insensible à l’œil ; pris air s
31' 18"', resp. 2'.»; puis. 48 ; 0 29°, 5; tiré 25cc de sang carotidien, très-
rouge D
3h 30'", la pression cardiaque oscille de 12 à 14e, avec des extrêmes
accidentels de il et de 15.
4h, resp. 16; puis. 32 ; 0 28°, 5; pris air . n
4h 10m, pris 25ce de sang bien rouge ■ . E
4h 30m, resp. 8; puis. 28 ; 0 28°.
4h 45,n, resp. 8 ; puis. 28 ; 0 28° ; pression de 8 à 10e ; pris air . . . ç
51' 15"', l’animal vient de cesser de respirer ; on a enregistré les der-
niers mouvements respiratoires à l’aide du pneumographe (voy. fig. 78,
p. 1009); 0 27°; le cœur bat encore un peu, cependant il faut tirer le
sang avec la sonde F
Pris air du sac y.
A 61' 30'", il y a encore un peu de contraction musculaire par excita-
tion très-forte du sciatique ; rien à 7h ; durée de lh 20m environ.
Ail1' 45m et à 3h 45"', j’ai pris du sang artériel et l’ai fait bouillir avec
du sulfate de soude et du charbon pour y chercher le sucre ; il n’y en
avait que des traces.
Suit le tableau résumé.
03
994
EXPÉRIENCES.
Au
Après
Après
Après
Après
Après
Après
Après
Après
Après
début
1*> 5m
2h 0“
2h 40m
5h 5™
5h 50'"
4h 55m
4h 45m
5h 20m
5h 50,n
a
?
V
$
O
Ç
X
Oxygène du sac. . .
82
66,2
51,7
»
42,5
59,0
55,0
»
52,9
31,8
CO2
0
15,5
29,7
»
57,5
40,5
42,1
))
45,2
45,7
A
B
C
D
E
F
Oxygène du sang. . .
21,4
20,7
»
21,0
))
25,2
»
18,7
»
9,7
CO2 du sang
42,7
66,8
»
88,7
»
95,4
))
97,5
»
114,2
Température rectale .
57°, 6
35», 8
32°, 2
31,2
30,8
29,5
28,5
28
27°
Respiration
21
45
38
58
28
20
16
»
8
0
Pulsation
#
100
88
72
60
48
32
»
28
0
Pression cardiaque. .
»
13 à 16
14 à 16
»
»
11 à 15
»
»
8 à 10
0
Expérience DGXVI. — 28 mars. Chien pesant 1 4 k , 5 .
A 2h 58'", je le mets à respirer par une muselière dans le sac où est
resté l'air laissé par le chien de l’expérience précédente. Cet air contient
encore 40 p. 100 d’acide carbonique.
Le chien a alors 20 resp. ; 152 puis. ; je viens de lui prendre à la ca-
rotide, avant l’adaptation au sac, 25cc de sang A
3h, resp. 55; puis. 108; puis tout, à coup la respiration s’accélère
extraordinairement, et monte à 108.
3h 5’", paraît insensible ; on coupe la peau de la jambe et écrase les
doigts sans aucun signe de sensibilité.
5h 5,n, la pression dans la carotide oscille entre 19 et 23e ; je prends
25cc de sang carotidien B
5h Gm, resp. 24, très-amples; le diaphragme n’agissant pas, le creux de
l’estomac se déprime à chaque inspiration; 180 puis.
5h 12'“, absolument insensible aux pattes; l’œil est sensible; les pu-
pilles se contractent à la lumière; mais l’écrasement des doigts n’amène
aucun changement ni dans l’état des pupilles, ni dans la pression du cœur.
3h 1 7m, resp. 22 ; puis. 120 ; pression artérielle de 15 à 20e ; 0 = 59°.
3h 25ni, resp. 24 ; puis. 104 ; 0 59° ; presque insensible à l’œil.
3h 26m, j’ôte le sac, et laisse l’animal respirer à l’air libre.
3h 28m, resp. 44, amples; puis. 105.
5h o0m, redevient sensible aux pattes.
Mis à terre, ne peut se tenir debout, et présente quelques raideurs.
5h 50m, commence à se relever, essaye de marcher, mais piésente un
singulier mouvement de manège, en tournant sur lui-même, le derrière à
terre, sur le côté gauche. La tête est tournée, l’oreille gauche baissée, la
pupille gauche dilatée ; nyslagmus des deux yeux.
Ces phénomènes durent une dizaine de minutes en s’affaiblissant gra-
duellement; puis le chien revient parfaitement à lui*
Le sang A (au début) contenait 19,1 d’O. et 44,8 de COL
— B (insensibilité) — 18,0 d’O. et 84,2 de COL
L’air du sac, aprèsl’expérience, contenait p. 100 ; CO2 : 45,0; Ox» : 23,1»
Expérience DCXVII. -= 22 décembre» Chienne du poids de I2k,5»
ACTION DE L’ACIDE CARBONIQUE.
995
A 4h 50m, on la force à respirer par une muselière dans un sac conte-
nant un mélange de CO2 20 p. 100, Ox. 60 p. 100, Az. 20 p. 100.
L'animal avait auparavant 20 resp., 80 puis. ; la pression du cœur os-
cillait de 16 à 18e; sa temp. était 58°, 5. Je lui ai pris 20cc de sang ca-
rotidien - A
Au début des respirations dans le sac, l’animal fait quelques grandes
inspirations, puis se calme bientôt.
5h, bien sensible partout; 44 respirations amples ; la pression est de
18 à 20e.
5h 50,u ; la sensibilité au pincement des pattes est un peu émoussée ;
respirations 56; pulsations 64 ; pression de 14 à 17e.
5h 40m ; je prends 20ee de sang artériel. B
51' 48“ ; sensibilité très-obtuse, même en excitant le nerf sciatique ; œil
sensible.
6'1 ; respirations 28 ; pulsations 80 ; 0 56°
L’insensibilité fait des progrès.
6h 50 ; respirations 56 ; pulsations 100 ; 0 54°, 5.
Complètement insensible au pincement des pattes, des oreilles, à l’é-
lectrisation du nerf sciatique. L’œil est peut-être encore un peu sen-
sible.
La pression artérielle oscille entre 11 et 17e, je tire air du sac et 25ce
de sang artériel C
6h57m; je détache l’animal, j’enlève la muselière et le mets à terre.
Presque aussitôt, il est pris d’une grande attaque de convulsions toniques,
puis cloniques, assez analogues à celles de l’acide phénique.
Ces convulsions se calment peu à peu. 25“ après, l’animal commence
à se tenir debout, mais il est faible et titubant.
7h 20“ ; température 55°. L’animal est plus fort et plus sensible.
Le lendemain se porte tout à fait bien.
Le sang A (air libre) contenait 22,5 d’O et 59,5 de CO2
— B (commenc. d’insens.) 22,5 — 68,2 —
— C (ins. compl.: air CO2 54,4 ; O 45,8) 21,6 — 77,0 —
Expérience DCXVIIl. — 26 décembre. Chien : muselière de caoutchouc.
Respirations 20; pulsations 88; tension artérielle de 18 à 19e;
0 = 39°, 5.
A 5h 7m, mis à respirer dans un sac contenant un mélange de 52,8
de CO2; 56,7 d’oxygène et 11,5 d’azote.
Presque aussitôt est pris d’agitation avec tremblements convulsifs, qui
cessent bientôt.
L’anesthésie est complète 2 à 3m après ; je prends alors 25ce de sang
artériel * * . * A
5h 15m, enlevé le sac: immédiatement les respirations deviennent plus
larges et plus fréquentes.
5h 18m, la sensibilité a reparu ; je prends 25ec de sang. B
»
990
EXPERIENCES.
Mis à terre, l’animal titube et semble ivre; 6 = 59° ; mais il n’a pas de
mouvements convulsifs. Il se remet tout à fait après 15 ou 20‘".
Le sang À (insensibilité) contenait 25,7 d’O et 98,4 de GO2.
— B (sensib. reparue) — 20,8 — 51,7 —
L’air du sac, à la cessation de l’expérience, contenait 52,2 de CO2 seule-
ment et 58,5 d’oxygène.
Expérience DCXIX. — 28 décembre. Chien.
L’animal a 48 respirations, 80 pulsations; la pression carotidienne
oscille de 15e à 19e ; la température rectale est 59°. Je prends 25cc de
sang artériel A
A 5h 50m, mis à respirer, par une muselière, dans le sac contenant un
air à 40,9 p. 100 d’acide carbonique, avec 45,0 d’oxvgène.
Les inspirations deviennent plus larges; mais il n’y a pas d’agitation.
A 5h 55'", le pincement du nerf sciatique ne donne aucune réaction de
sensibilité; la tension artérielle est de 18 à 21e, il y a 44 respirations,
152 pulsations. Je prends 25cc de sang artériel B
5h 55"', enlevé la muselière. Surviennent presque aussitôt des agitations
convulsives. La sensibilité revient à 5'1 40'", et je prends encore 25cc de
sang carotidien G
La pression est alors de 14 à 16e, et la température est de 59°.
Aucun accident consécutif.
Le sang A (air libre) contenait 21,8 d’oxygène et 44,6 de CO2
— B (ins. compl.) — 25,2 - — • 78,6 —
— G (sens, de retour) — 22,1 — • 51,5 —
Les expériences qui précèdent montrent d’abord que, dans
les cas où elles se sont terminées par la mort, celle-ci est ar-
rivée lorsque le milieu respiratoire contenait 55,4 pour 100
de GO2 (exp. DCXIV), ou 59 (exp. DGXI), ou 45,7 (exp. DCXV).
Ce sont là, comme on voit, des nombres assez différents les
uns des autres.
»
D’autre part, des animaux ont survécu, alors que l’air
qu’ils respiraient contenait déjà 54,8 pour 100 de CO2
(exp. DCX), 57,5 (exp. DCYI) et même 58 (exp. DCXÏII).
Sans insister, pour le moment, sur ces inégalités singu-
lières, examinons ce qui arrive pour l’acide carbonique con-
tenu dans le sang.
Dans les cas mortels, la proportion de GO2 contenu dans
100 volumes de sang artériel s’est élevée à 106,7 (exp.
DCX1Y), 114,2 (exp. DGXV) et 116,6 (exp. DGXI); dans cette
dernière, le sang veineux contenait 120,4 de CO\
ACTION DE L’ACIDE CARBONIQUE.
997
Au contraire, dans les expériences où la mort n’est pas ar-
rivée malgré la forte proportion de l’acide carbonique de
l’air, il n’existait dans le sang artériel que 82,8 de GO2 (exp.
DCXI1I), 87,2 (exp. DCVI) et 93,8 (exp. DGX) ; encore, dans
cette dernière, l’animal mourut pendant la nuit.
C’est donc, comme on pouvait le penser à priori , c’est donc
bien moins la tension de l’acide carbonique dans l’air exté-
rieur que sa tension dans le sang qui détermine la mort.
La première n’a, du reste, d’action qu’en déterminant la se-
conde.
C’est ce qui explique comment des animaux, auxquels on a
fait respirer d’emblée un air suroxygéné contenant 40 pour
100 d’acide carbonique (exp. DCXYI etDCXlX), ou même 52,8
pour 100 (exp. DCXV1I1), ne sont pas morts immédiatement.
Il fallait, en effet, qu’ils eussent le temps d’emmagasiner dans
leur sang artériel une quantité suffisante de CO2, emma-
gasinement qui se faisait de deux manières différentes :
1° par l’obstacle apporté à la sortie de l’acide carbonique du
sang veineux à sa traversée des poumons ; 2° par l’absorp-
tion de l’acide carbonique en excès contenu dans l’air
inspiré ; cette absorption est prouvée', du reste, par l’expé-
rience DCXVI1I, où le mélange respirable, après onze mi-
nutes d’expérience, contenait moins d’acide carbonique
qu’avant, et plus d’oxygène.
g 5. — De l’accumulation de l’acide carbonique
dans les tissus.
Mais la question est plus complexe encore. Ce n’est pas
seulement dans le sang que doit s’emmagasiner progressive-
ment l’acide carbonique dont la tension dans l’air respiré
empêche l’excrétion régulière. L’acide carbonique du sang
vient des tissus ; à l’état normal, il s’établit un certain équi-
libre de tension entre la proportion de ce gaz qui demeure
dans ces tissus, et celle qui reste dans le sang, après l’éli-
mination due à une respiration régulière. Si une cause
quelconque maintient un excès d’acide carbonique dans le
998
EXPÉRIENCES.
sang, il doit en rester un excès dans les tissus. L’organisme
doit donc s’imprégner tout entier de ce gaz éminemment
soluble.
Pour m’éclairer sur ce point délicat, j’eus recours au pro-
cédé expérimental suivant. Un poids déterminé des tissus de
l’animal en expérience était introduit, coupé en petits mor-
ceaux, dans un flacon jaugé, d’une capacité environ triple. Le
flacon était alors bien rempli avec une solution assez forte
de potasse ou de soude caustique; semblable solution était
gardée comme témoin dans un autre flacon bien plein et
bien bouché ; je laissais le tout en place pendant vingt-quatre
heures, non sans l’agiter assez souvent, et je supposais que,
dans ce laps de temps, l’alcali s’était emparé de lout l’acide
carbonique dont pouvaient être imprégnés les tissus.
Je prenais alors une certaine quantité du liquide, et le fai-
sais pénétrer dans le récipient de la pompe à mercure, où
avait été introduite préalablement, et bien épurée de ses
gaz, une solution d’acide sulfurique. L’acide carbonique,
aussitôt déplacé par ce dernier, était aisément extrait et
recueilli, et un calcul bien simple me permettait de savoir
combien 100 grammes de tissus mis en expérience conte-
naient d’acide carbonique.
Je ne manquais pas de soumettre au même traitement la
solution d’alcali gardée comme témoin, parce qu’elle conte-
nait toujours une certaine quantité d’acide carbonique qu’il
fallait naturellement déduire.
Cette méthode très-simple, à laquelle je ne prétends pas
attribuer une exactitude de décimales, me paraît devoir don-
ner des résultats très-suffisamment voisins de la vérité ; elle
a l’immense avantage de ne point nécessiter d’outillage com-
pliqué, et de permettre aisément un grand nombre d’expé-
riences comparatives.
Expérience DCXX. — 5 mars. Chien de l’expérience DCVIÏl, qui est mort
la veille dans une cloche remplie d’oxygène.
80g de muscles, 80g de foie, 7Ûg de cerveau, 55g de reins sont placés
dans des flacons de grandeurs appropriées, qu’on remplit ensuite avec
une solution dépotasse.
ACTION DE L'ACIDE CARBONIQUE. 999
Le lendemain, les liquides soumis à l’analyse, comme il vient d’être
dit, montrent que :
100 grammes de muscles contenaient 42cc d’acide carbonique.
100 — cerveau — 26cc —
100 — reins — 62cc —
100 — foie — 64cc —
Expérience DCXXI. — 21 mars. 7h : muscles du chien de l’expérience
DCXIV, mort à 6h45m; 100e sont mis dans un flacon avec 477cc d’une
solution de potasse.
Le 23 mars, à 2h, l’analyse montre que ces 100® contenaient 66cc de CO2.
Or les tissus d’un animal tué par asphyxie vraie, c’est-à-
dire par privation d’oxygène sans augmentation d’acide car-
bonique, ne contiennent qu’une proportion beaucoup plus
faible de ce gaz.
Exemple :
Expérience DCXXIL — 4 avril. 7h du soir. Muscles du chien de l’expé-
rience CLXXXVIIl (v. p. 672), qui est mort à 6h 45m en épuisant l’oxygène
d’un sac plein d’air, en présence d’une solution de potasse.
1 00® sont mis avec 430cc d’une solution de potasse.
Le 5 avril, à 9h, on trouve que ces 100° ont cédé 13cc,2 de CO2.
Alors même que les animaux sont morts simplement dans
l’air confiné, sans qu’on en ait extrait l’acide carbonique au
fur et à mesure de sa formation, on trouve que leurs tissus
sont très-pauvres en acide carbonique. Je. crois devoir rap-
porter ici les expériences qui prouvent cette assertion, dont
je tirerai des conséquences d’un autre ordre en traitant de
l’asphyxie :
Expérience DCXXIIL — 11 mars. Chien mort à 2h 20m dans une cloche
pleine d’air à 43e de pression.
A 4h, 80^ de muscles, 50e de reins sont placés dans des solutions de
potasse.
13 mars. On trouve, par le procédé ci-dessous décrit que 100® de
muscles contenaient 12cc de CO2, 100® de reins, 35cc.
Expérience DCXXIV. — 5 mars. 7h. Chien, mort à 6h 15m (expérience
DCXXXVII1), asphyxié dans air comprimé.
100e de muscles immergés dans 900cc de solution potassique.
6 mars, 10h matin. Ces 100e contenaient 22cc de CO2.
1000
EXPÉRIENCES.
Expérience DCXXV. — 7 mars 5h 1/2. A. Chien mort à 5h (expérience
DCXXXIX) asphyxié dans l’air comprimé.
B. Chien tué la veille à 5h par section du bulbe.
1008 de muscles de chaque animal sont immergés dans 500cc de solu-
tion de polasse.
8 mars 3h. On trouve que les 1008 de A. contenaient 23cc de CO2, et
ceux de B 19cc.
Expérience DCXXV1. 10 mars 6h. Chien mort asphyxié à 5h 20m (expé-
rience DCXE).
1008 de muscles mis avec 585fC de solution potassique.
11 mars , 5h. Ils ont cédé 24cc,8 d’acide carbonique.
Dans d’autres expériences, où j’ai fait l’analyse du corps
entier de moineaux morts dans des conditions diverses, j’ai
obtenu des résultats tout à fait semblables :
Expérience DCXXV1I. — 24 avril. Moineau mort dans la nuit à 10 at-
mosphères d’air.
Le lendemain, le corps entier (13gr), écorché, est placé dans la solution
de potasse (1 10cc).
On trouve ainsi que 1008 d’un pareil animal auraient dégagé 40cc
d’acide carbonique.
L’expérience suivante est tout à fait remarquable sous ce
rapport :
Expérience DCXXYIII. — 18 mars. Moineaux morts dans les conditions
suivantes :
A mort à G atm. d’air (air mortel : 0 16,6; CO2 3,1.
B mort à 34e dans air suroxygéné (air mortel : O 12,9; CO2 52,4).
C mort dans l’air (air mortel : O 4; CO2 14,6).
D mort clans l’air, à 38e (air mortel : O 8,2 ; CO2 11,6).
Ces moineaux sont aussitôt écorchés, j’en retranche la tête, les pattes,
le bout des ailes; les corps, coupés en morceaux, pèsent de 20 à 228. Je
les place avec; solutions semblables dans des flacons semblables.
Le lendemain on trouve que les corps tout entiers ont fourni, si on les
rapporte à 1008.
A (mort par acide carbonique) 55cc d’acide carbon.
B (id). — — 36ec —
C (mort par asphyxie, à la pression normale). . 17cc —
D (mort par privation seule d’oxyg., à 1/2 atm.). 0CC —
Nous connaissons donc maintenant le phénomène dans son
ACTION DE L’ACIDE CARBONIQUE.
1001
ensemble et sa simplicité. Lorsqu’un animal respire dans un
milieu confiné où l’oxygène ne lui fera pas défaut, la ten-
sion croissante de l’acide carbonique qu’il excrète maintient
dans son sang artériel une proportion croissante aussi du
même gaz. Un équilibre analogue s’établissant entre le sang
et les tissus, où se trouve la véritable source de l’acide car-
bonique, ce gaz s’emmagasine graduellement dans l’orga-
nisme tout entier. De là des désordres généraux sur les sym-
ptômes desquels nous entrerons dans quelques détails tout à
l’heure.
Le sang arrive, dans ces conditions, à se charger d’une
quantité énorme d’acide carbonique; nous en avons trouvé
jusqu’à 116,6 volumes pour 100 volumes de sang artériel et
120,4 pour 100 volumes de sang veineux. Cette dernière pro-
portion s’approche de la saturation. Cette saturation, qui doit
varier d’un sang à l’aulre, est, en effet, approximativement
déterminée par les expériences suivantes, assez grossières
sans doute, mais qui peuvent nous servir d’indication géné-
rale suffisante pour notre sujet.
Expérience DCXXIX. — 22 février. Température du laboratoire 14°. Sang
de chien défibriné.
J’en fais passer 100cc dans deux éprouvettes renversées sur le mercure,
puis j’ajoute à chaque 200cc d’acide carbonique. Agitation énergique à
plusieurs reprises ; absorption immédiate et considér able ; mousse énorme.
Laissé les deux éprouvettes à la température ambiante.
Le lendemain, agité à nouveau. Procédé, 5h après, à l’analyse à l’aide
de la pompe à gaz.
L’extraction et l’analyse donnent les résultats suivants (vol. gazeux rap-
portés comme toujours à 0°) :
L’un des sangs contenait GO2 123cc; 0. 16,6.
L’autre — — 132cc; 0. 11,0.
Expérience DCXXX. — 10 mars. Sang de chien défibriné. Tempér. du
laboratoire 15°. Pression 764mm.
100cc sont placés au fond de deux flacons que traverse, pendant
24 heures, un courant d’acide carbonique. L’un des flacons est plongé
dans de l’eau à 41°.
On trouve ainsi que
Le sang à 15° contient 177cc,6 de CO2.
— 40° — 158cc,4 —
1002
EXPÉRIENCES.
Après le sang vient l’urine qui, comme l’a montré l’expé-
rience UCX, peut arriver à contenir 106 vol. de GO2 par 100
volumes de liquide.
Enfin les tissus se montrent à l’analyse d’autant plus riches
en CO2 qu’ils renferment plus de sang; l’expérience DGXX est
tout à fait caractéristique à ce sujet; les reins et le foie, or-
ganes très-vasculaires, contenaient, pour 100 volumes, 6*2 et
64 volumes de CO2 ; les muscles en avaient 42, le cerveau 26
seulement.
L’ensemble des expériences faites sur les muscles des chiens
ou le corps entier des moineaux tend à montrer que, du
corps des animaux tués par l’acide carbonique, on peut
extraire environ environ 40 pour 100 de son volume de ce gaz ;
d’autre part, elles font penser qu’il n’y en existe guère, à
l’état normal, que 10 à 15 pour 100. Ce serait donc environ
25 à 50 pour 100 du volume total de l’animal qui représen-
terait la quantité d’acide carbonique formé et non exhalé
pendant le séjour de l’animal en vases clos. Or, l’expé-
rience DCVIII nous montre précisément qu’un chien pesant
5k,950 a fait disparaître du milieu suroxygéné où il est mort
environ 1500cc d’oxygène, qui ont dû se tranformer en acide
carbonique, et rester dans son sang et ses tissus.
Ces résultats, on le voit, concordent assez bien, mais il ne
faudrait pas leur attribuer une précision extrême : du tiers à
la moitié du volume du corps, telle paraît être la quantité
d’acide carbonique que retient dans ses tissus un animal
avant de périr par l’action même de ce gaz.
Ceci explique comment, ainsi que je l’ai vu dans des expé-
riences de début dont il serait oiseux de reproduire ici les
détails, si l’on donne à respirer à un chien de l’oxygène con-
tenu dans un sac de petites dimensions, l’animal absorbe tout
le gaz du sac et périt ensuite par simple privation d’air. Tout
l’oxygène du sac est resté dans les tissus sous forme d’acide
carbonique.
ACTION DE L’ACIDE CARBONIQUE.
1005
§ 4. — Symptômes et mécanisme de l’empoisonnement
par l’acide carbonique.
Ce point important bien établi, nous devons étudier les
symptômes et le mécanisme de cet empoisonnement par im-
bibition graduelle d’acide carbonique dans tous les tissus.
Envisageons d’abord la marche progressive de l’altération
de l’air suroxygéné dans lequel respire l’animal. Les graphi-
ques de la figure 75, qui expriment les résultats de l’expé-
rience DCXY, nous montrent de la manière la plus nette com-
ment les choses se passent.
Sur l’axe horizontal sont marqués, en heures, les temps
écoulés depuis le début de l’expérience; sur l’axe vertical,
la proportion centésimale des gaz contenus dans le sac.
On voit de la manière la plus nette que la consommation
d’oxvgène et la production d’acide carbonique ne sont pas
proportionnelles aux temps écoulés. Plus l'expérience dure,
plus la valeur de ces phénomènes diminue. L’entre-croise-
ment des graphiques avec les lignes coordonnées montre qu’il
y a eu, en proportions centésimales : *
Dans )a lr,! heure 15,8 d’oxygène consommé, et 15,5 de GO2 excrété
— 2e —
14,5
—
14,2
—
— 5e —
q 9
—
7,6
—
— 4e —
4,5
• —
4,0
—
— 5e —
4,0
i
2,7
—
Dans les 50 dern. min
• 2,2
—
1,7
—
Au total, en 5h 50m
50,2
—
45,7
—
L’expérience DCXIV donne des résultats semblables : il y
a eu, en effet :
Dans la lre heure 11,9 d’oxvgène consommé, et 9,2 de CO2 excrété
— 2e — 9,0 — 8,8 —
— 5e — 5,9 — 4,6 —
— 4e — 5,2 — 5,5 —
— 5e — 5,7 — 2,8 —
— 6e — 0,8 — 0,4 —
— 7" — 1,5 — 4,1 —
Au total, en 7h 57,0
50,2
1004 EXPÉRIENCES.
Ainsi la consommation d’O va on diminuant : ainsi, mal-
gré la forte proportion d’O que contient le sang artériel, les
phénomènes chimiques d’oxydation se ralentissent. Il n’est
donc pas étonnant de voir que la température de l’animal
s’abaisse progressivement jusqu’à atteindre au moment de
Fig. 75. — Mort par l’acide carbonique; altérations de l’air du sac (Exp. DCXV).
la mort des valeurs de 27°, 8 (exp. DGXI), 27° (exp. DCXV,
ligne 0 de la fig. 75), et même 25° (exp. DCXIV). Je signale
à ce propos l’expérience DCX où la température était des-
cendue de 59° à 25°, et où cependant l’animal, remis à l’air
libre, a survécu sans accidents. Je reviendrai plus loin sur
ACTION DE L’ACIDE CARBONIQUE.
1005
l’importance de cet abaissement de la température, consé-
cutif à la diminution des combustions internes.
Examinons maintenant les gaz du sang aux divers moments
des expériences. Prenons encore par exemple l’expér. DCXV,
la plus complète que nous ayons faite. Le tableau de la
page 994 et les tracés O et CO2 delà figure 76 1 expriment net-
tement ces résultats.
On voit, tout d’abord, que malgré la proportion croissante
de l’acide carbonique, et dans l’air respiré et dans le sang,
la proportion d’O n’a pas été notablement modifiée pendant
les quatre premières heures de l’expérience ; cYst, seulement
alors qu’elle s’est abaissée progressivement, sans cependant
qu’on puisse lui attribuer la mort, puisqu’aux derniers batte-
ments du cœur, alors que la respiration avait cessé, il
restait encore 9,7 volumes d’O dans 100 volumes de sang-
artériel.
Quant à l’acide carbonique, j’ai déjà signalé la proportion
énorme qu’il atteignait au moment de la mort. Mais la mar-
che de son emmagasinement dans le sang artériel n’est pas
régulièrement progressive. On tire du tableau de la page 994
et du tracé CO2, les chiffres suivants : *
»
Dans la lre heure, le sang a acquis 20,0, vol. cle CO-
— 2e — 16,8 —
— 5e — 11,0 —
— 4e — 5,0 —
— 5'? — 5,5 —
Dans les 50 dernières minutes 15,2 —
Ainsi, sauf pendant la dernière heure, la richesse du sang
en acide carbonique croissait de moins en moins vite, tandis
que l’animal s’empoisonnait. Et cela se comprend, puisque
nous avons vu que l’absorption d’O se ralentissait de même,
en telle sorte que la production d’acide carbonique dans les
tissus était de moins en moins active et son déversement dans
le sang de moins en moins considérable.
Mais dans la dernière heure, tout à coup, le sang acquiert
1 Dans ces tracés, ainsi que dans ceux de la figure 75, le volume du gaz n’a pas
été réduit à 0°.
1006 EXPÉRIENCES.
une quantité considérable de CO2 (voy. lig. 76, tracé CO2). Un
coup d’œil jeté sur les tracés P et R de la même ligure, qui
expriment le nombre des pulsations et des respirations, ex-
plique parfaitement ce fait singulier ; à ce moment, en effet,
Fig. 76. — Mort par l'acide carbonique; modifications dans la composition des gaz du sang,
la respiration et la circulation (Exp. DGXV).
le cœur ralentit considérablement ses battements, les mou-
vements respiratoires, réduits à 10, à 8 par minute, ont
cessé depuis un instant : le sang doit perdre moins de CO*
à la traversée des poumons, et en acquérir davantage à la tra-
ACTION DE L’ACIDE CARBONIQUE.
1007
versée des tissus. De plus, l’oxygène du sang s’est consommé
sur place et a dû fournir une certaine quantité d’acide carbo-
nique.
L’enrichissement du sang en acide carbonique ayant pour
cause la tension croissante de ce gaz dans l’air confiné où respi-
rait l’animal, il était intéressant de déterminer le rapport
entre ces deux valeurs variables. On y arrive aisément en
comparant les tracés CO2 (qui ont memes coordonnées) des
deux figures 75 et 76, qui expriment les deux lignes CO2 du
sac et CO2 du sang du tableau résumé de l’expérience DCXV
(P- 994).
On trouvé ainsi d’abord que, au moment où l’air du sac
contenait 10 pour 100 de GO2, 100cc de sang artériel conte-
naient 55 volumes du même gaz, et l’on est conduit, par de
semblables rapprochements, à dresser le tableau suivant :
Avec 0 de CO2 dans l’air, il y en avait 40 dans le sang.
— 10 —
55
—
différ. 15
— 20 —
70
—
15
— 30 —
82
—
12
— v 40 —
95
— -
15
-45
114
- —
19
On Voit qu’à des augmentations égales dans l’air respirable
correspondent des augmentations assez peu différentes les
unes des autres dans le sang artériel; ce résultat est con-
forme aux lois de la physique. Mais il ne faudrait pas lui attri-
buer une valeur d’exactitude trop absolue, pour cette raison
que les changements importants dans le rhythme respira-
toire peuvent modifier considérablement la quantité d’acide
carbonique contenue dans le sang artériel.
Laissons-là maintenant ces constatations d’ordre chimique,
et envisageons les modifications présentées par les diverses
fonctions.
Le nombre des battements du cœur diminue progressive-
ment ; les tableaux des pages 992 et 994 le montrent nette-
ment, et le tracé P de la figure 76 plus nettement encore,
du moins pour l’expérience DCXV. Si l’on dresse, avec les ré^
sultats de cette expérience, des graphiques en prenant pour
1008
EXPÉRIENCES.
abscisses, non plus les temps écoulés depuis le début de
l’expérience, comme dans la figure 76, mais la quantité
d’acide carbonique contenue dans le sang (fig. 77), on voit
que cette diminution dans le nombre des battements suit
Fip • 77. — Mort par l’acide carbonique; rapport de la respiration et de la circulation avec
la richesse en CO'i du sang (Exp. DCXV).
assez régulièrement la marche croissante de l’acide carboni-
que du sang.
Le récit détaillé des diverses expériences montre que les
battements du cœur persistent après qu’ont cessé les mouve-
ments respiratoires : dans l'expérience DG VI, le cœur a con-
tinué ainsi de battre pendant dix minutes environ.
D’autre part, on voit que la pression du sang dans les artè-
res n’est que très-lentement modifiée par raccumulation de
1009
ACTION DE L’ACIDE CARBONIQUE.
l’acide carbonique dans le sang et les tissus. Au début meme
elle semble un peu augmentée (exp. DGXY et DGXYI); mais
elle est encore de 12 à 14e à un moment où il y a plus de
90 volumes d’acide carbonique dans le sang (exp. DCXIY), et
de 11 à 15 alors qu’il y en a 95 (exp. DCXYJ, et même de 8 à
10 alors qu’il n’y a plus que huit respirations à la minute,
que la température est tombée à 28°, et que le sang artériel
contient plus de son propre volume d’acide carbonique (ex-
pér. DGXY).
Ainsi, dans l’empoisonnement progressif par l’acide car-
bonique, le cœur est Yullimum moriens , et ses battements
sont le dernier signe de vie qu’on puisse constater chez l’ani-
mal mourant.
Le nombre des mouvements respiratoires diminue égale-
ment; au début de l’expérience, il augmente souvent, mais
quand l’acide carbonique du sang arrive à une proportion
Fig 78. — Mort par l’acide cjrbonique ; derniers mouvements respiratoires (Esp. DCXV).
. » »
qui dépasse 90 volumes, le ralentissement prend une in-
tensité considérable. Ges phénomènes sont, pour l’expé-
rience DGXY, faciles à étudier sur le tableau de la page 994
et sur les tracés R des fi g. 76 et 77. Dans l’expérience DCXIV,
pendant la dernière heure de la vie, il n’y avait que deux à
quatre respirations par minute; à la fin même, on n’en
comptait qu’une toutes les deux ou trois minutes, et dans l’ex-
périence DGYI, une toutes les trois ou quatre minutes. A la
fin, leur amplitude diminuait comme leur nombre, et le tracé
de la figure 78 qui a été recueilli à l’aide du pneumographe
(expér. DCXY), montre que la cessation des mouvements res-
piratoires a lieu sans dernier soupir : ceci seul, comme je
G4
1010 EXPÉRIENCES.
l’ai établi ailleurs1, indique que l’acide carbonique n’est pas
un poison du cœur.
Pendant toute la durée de cet empoisonnement progressif,
les animaux restent parfaitement calmes. A peine, au début,
quelques révoltes, qui bientôt s’apaisent. Si, lorsque le sang
artériel contient 60 ou 70 volumes de CO2, on détache rani-
mai, il ne fait aucun effort pour s’échapper. Plus tard, il
devient insensible aux excitations, aux pincements, à l'élec-
trisation même des nerfs de sensibilité : enfin l’œil lui-même
devient insensible.
Cette curieuse anesthésie mérite de nous arrêter quelques
instants.
Disons d’abord que l’insensibilité au pincement survient
longtemps avant que l’animal soit menacé de mort. Dans
l’expérience DCVI, l’œil était insensible deux heures avant la
mort, alors qu’il y avait encore 1 0 respirations, 64 pulsations,
la température étant tombée à 50 degrés ; dans l’expé-
rience DCX1V, les pattes sont devenues insensibles plus de
quatre heures avant la mort, et l’œil deux heures (respira-
tions 20; pulsations 45, G 27°); enfin dans Inexpérience DCXV,
l’insensibilité absolue des pattes a été constatée plus de trois
heures avant la mort, et l’œil est devenu insensible deux
heures avant (resp. 20 ; puis. 48 ; 0 29°, 5).
Cette insensibilité est très-complète; l’excitation du nerf
sciatique par le pincement ou les courants électriques ne dé-
termine aucun mouvement général, aucun changement dans
le rhythme respiratoire (exp. DCXY), dans la pression du cœur
ou l’état des pupilles (exp. DCXVI), alors même que celles-ci
se contractent encore sous l’influence directe de la lumière.
L’œil, comme je viens de le dire, conserve pendant bien
longtemps encore sa sensibilité, qui disparait en dernier lieu
à la conjonctive (exp. DCXI1I).
Or, lorsque l’œil est devenu absolument insensible, l’ani-
mal n’est nullement en danger. Si l’on cesse de le faire res-
pirer dans ce milieu altéré et qu’on le ramène à l’air, il re-
1 Leçons sur la respiration , p. 431.
ACIDE CARBONIQUE.
1011
vient toujours à la vie (exp. DGXII, DCXIII, DCXVI, DCXVI1,
DCXVI1I, DCXIX), après avoir présenté le plus souvent des
phénomènes singuliers sur lesquels j’appellerai tout à l’heure
l’attention.
Si nous cherchons avec quelle proportion d’acide carbo-
nique dans l’air et le sang artériel est survenue l’insensibi-
lité soit des pattes, soit de l’œil, voici ce que nous trouvons
en moyenne : l’insensibilité des pattes est arrivée quand l’air
contenait environ 28 pour 100 d’acide carbonique, et celle
de l’œil quand la proportion s’élevait à 55 ; pour le sang, les
limites extrêmes sont beaucoup plus étendues, puisqu’elles
oscillent de 72,5 (exp. DCX11) à 95,4 (exp. DGXY).
Gette anesthésie si complète des membres, alors que l’œil
est encore sensible, que le cœur bat encore fréquemment et
avec force, et que l’animal est encore si loin d’un danger
sérieux, devait nécessairem ent éveiller l’idée d’une application
chirurgicale possible.
Mais une première difficulté se présentait. Dans les expé-
riences que je viens de rapporter, l’animal forme lui-même
l’acide carbonique qu’il emmagasine dans son sang et ses
tissus; ceci demande un temps très-long. Dans l’expé-
rience DCXIII, ce n’est qu’après deux heures qu’a été con-
statée l’insensibilité des pattes; il a fallu pour ce résultat
plus de trois heures dans les expériences DCXIV et DGXY. Rien
ne serait moins pratique que cette longue préparation, qui
serait un long supplice. D’autre part, et ceci est plus impor-
tant encore à un autre point de vue, dans ces longues expé-
riences la température est abaissée de plusieurs degrés au
moment où survient l’insensibilité des pattes, et ceci pourrait
avoir des conséquences graves chez les opérés.
Je me suis donc demandé si je pourrais obtenir des résul-
tats analogues aux précédents en faisant respirer d’emblée aux
animaux un mélange plus ou moins riche d’acide carbonique
et d’oxygène. C’est ce que j’ai fait dans les expériences DCXYl,
DGXVII, DCXVI1I, DGXIX.
Lorsque le mélange à respirer contenait 20 pour 100 d’a-
cide carbonique (exp. DGXVII), l’insensibilité n’est survenue
1012
EXPÉRIENCES.
qu’après lh 1/2, la température s’étant abaissée de 4°, les res-
pirations étant au nombre de 56, et les pulsations de 100 ; le
sang artériel contenait alors 77 vol. de CO2. Mais avec 40 pour
100 de CO2 (exp. DCXVI, DCX1X), l’insensibilité est survenue
après 5 ou 5m, sans que, bien entendu, la température ait
changé, et le cœur ayant une force singulière (19 à 25e,
exp. DCXVI; 18 à 20e, exp. DCX1X) plus grande qu’à l’état
normal : le sang artériel contenait 78,6 vol. (exp. DCXIX) ou
81,2 vol. (exp. DCXVI) d’acide carbonique.
Enfin, avec un mélange contenant 52,8 pour 100 de CO2,
l’insensibilité a été presque instantanée, et le sang artériel
se trouvait chargé de 98,4 vol. de CO2 (exp. DCXV111).
Ces derniers résultats montrent que l’emploi chirurgical
de l’acide carbonique, dans une proportion d’environ 40
pour 100, le reste du gaz étant de l’oxygène à peu près pur,
pourrait donner de bons résultats, et ne compromettrait nul-
lement la tension artérielle, comme le font les carbures et
les chloro-carbures d’hydrogène.
Mais il ne faudrait pas dépasser beaucoup cette proportion
d’acide carbonique dans le milieu respirable. J’ai montré,
dès 1864 \ que si l’on place deux rats nouveau-nés, l’un dans
l’acide carbonique, l’autre dans l’azote, le cœur de ce dernier
continue à battre pendant plus d’un quart d’heure, tandis que
celui du premier est arrêté en 2 ou 5m. Mais ces^ conditions
sont toutes différentes de celles de mes expériences actuelles.
11 s’agit ici d’acide carbonique lentement formé par l’orga-
nisme lui-même, et non d’un flot d’acide arrivant tout à coup
au sang du cœur gauche.
Il reste un dernier point à étudier. Lorsque l’animal est
ramené à l’air libre, alors même que son sang et ses tissus
se sont chargés d’une énorme proportion d’acide carbonique,
il revient à la vie. C’est ainsi que j’ai vu survivre les chiens
des expériences DCV1, DCXII, DCXIII, dont le sang artériel con-
tenait 75,5, 82,8 et 87,2 vol. de CO2, dont la température
s’était abaissée jusqu’à 25° (exp. DCXII).
1 Bull . de ia Société philomatique , 18G4, p. 13.
ACIDE CARBONIQUE.
1013
Ils se remettent graduellement; leur respiration s’accé-
lère, ainsi que' les battements du cœur; leur température
se relève, les forces reviennent avec la sensibilité qui repa-
raît en 10 ou 15m.
Mais constamment apparaissent à ce moment des troubles
nerveux fort curieux; ce sont des raideurs avec quelques
convulsions cloniques, ou encore des mouvements lents et
engourdis, comme ceux d’un animal hibernant que l’on
réchauffe et qui se réveille. Cela dure quelques minutes,
pendant la phase même où persiste encore l’insensibilité.
On pourrait penser que ces phénomènes sont dus en partie
au refroidissement considérable des animaux en expérience.
Il n’en est rien, car dans les expériences DCXVI et DCXIX, où
l’insensibilité a été obtenue d’emblée par la respiration d’un
air surcarboniqué, et où il n’y a pas eu de refroidissement,
les mêmes accidents se sont manifestés.
Ils sont donc bien corrélatifs à l’élimination de l’acide car-
bonique en excès; le retour à son état normal delà moelle
épinière anesthésiée se manifeste par des excitations incohé-
rentes qui déterminent pendant quelques minutes des acci-
dents convulsifs.
On sait que, selon M. Brown-Séquard, l’acide carbonique
serait un poison convulsivant ; les accidents violents qui mar
quent la fin des asphyxies et des hémorrhagies rapides s’ex-
pliqueraient selon lui par l’action de l’acide carbonique s’ac-
cumulant dans les tissus. J’avais, il y a longtemps, répondu
à cette doctrine qui, je l’espère, ne reviendra plus en dis-
cussion aujourd’hui. Mais voici que, par une coïncidence
singulière, ces convulsions, qu’on accusait l’acide carboni-
que de produire, sont précisément le fait de son élimina-
tion.
Je ne crois pas que ces accidents convulsifs du retour à la
sensibilité constituent un obstacle sérieux à l’application de
l’acide carbonique à la chirurgie. Ils sont à coup sûr beau-
coup moins effrayants que les violentes agitations qui signa-
lent si souvent le début de l’action du chloroforme, et qu’on
désigne à tort sous le nom de période d' excitation. On pour-
1014
EXPÉRIENCES.
rait du reste très-probablement les éviter en modérant la
rapidité de l’élimination de l’acide carbonique*.
Mais, tout en appelant sur cet anesthésique, auquel on a
déjà pensé, mais qu’on n’a jamais étudié avec un soin suffi-
sant, l’attention des chirurgiens, je suis loin de croire que
les études qui précèdent soient assez précises et assez détail-
lées pour autoriser une application immédiate : autre chose
est une table d’expérience où l’on attache un chien, autre
chose le lit d’un malade.
En cherchant à me faire une idée précise sur l’action
intime de l’acide carbonique, j’en arrive aux considérations
suivantes :
L’excrétion de l’acide carbonique qui se forme incessam-
ment dans la profondeur des tissus est une condition néces-
saire de l’accomplissement, de la continuation des échanges
nutritifs qui lui donnent naissance. Ici, comme dans tant
d’autres phénomènes chimiques, il faut que le produit de la
réaction soit incessamment éliminé pour que cette réaction
conserve son maximum d’act ivi té. Lors donc que, par la res-
piration en vases clos, dans les conditions ci-dessus indiquées,
l’acide carbonique s’emmagasine dans les tissus, il y ralen-
tit toutes les oxydations, comme le prouve la température
qui s’abaisse rapidement. Quant au système nerveux, s’il
paraît atteint le premier, c’est qu’il est le premier à mani-
fester les actions générales qui troublent tout l’organisme;
c’est la moelle qui cesse ses fonctions réflexes de sensibilité,
d’excitation respiratoire, comme c’est elle qui traduit la
première les désordres organiques qui surviennent lorsqu’on
saigne., qu’on désoxygène, qu’on suroxygène, qu’on refroidit,
qu’on surchauffe un animal.
Mais lorsque l’acide carbonique est artificiellement apporté
du dehors, et qu’on le fait respirer dans un mélange gazeux,
ce n’est pas l’organisme tout entier qui est atteint comme
dans le premier cas. L’acide carbonique, absorbé à la tra-
versée des poumons par le sang artériel, est par lui projeté
aussitôt au centre nerveux, dont les échanges nutritifs se
trouvent ainsi subitement troublés, ralentis, altérés : de là,
ACIDE CARBONIQUE.
1015
l’anesthésie. Enfin, quand la proportion est assez forte dans le
mélange respiratoire, les ganglions cardiaques eux-mêmes
sont immédiatement attaqués dans leur nutrition, et le cœur
s’arrête, paralysé.
g 5. — Action de l’acide carbonique sur les êtres vivants
inférieurs.
La généralisation d’action du gaz acide carbonique sur tous
les tissus se manifeste d’une manière bien évidente quand
en met en expérience des animaux inférieurs. Il y a bien long-
temps, par exemple, que j’ai montré dans mes cours que les
grenouilles ou les mammifères nouveau-nés périssent plus
vite dans l’acide carbonique que dans l’oxyde de carbone. Et
cela se comprend, disais-je : l’oxyde de carbone agit à la façon
d’une simple hémorrhagie, ou d’une asphyxie dans Az, en
supprimant l’oxygène du sang, tandis que CO2 empoisonne les
tissus eux-mêmes. Seulement, si on arrête l’expérience avant
que les animaux soient tout à fait morts, la grenouille de GO2
se remet assez vite, celle de CO meurt au contraire, étant défi-
nitivement privée de ses globules sanguins.
11 m’a paru intéressant de chercher à déterminer la pro-
portion d’acide carbonique dissous dans l’eau, qui serait
incompatible avec la vie des poissons. Voici les détails d’une
expérience :
Expérience DCXXX1. — 22 mai. A I2h 15m. Des cyprins dorés de même
taille sont immergés dans des flacons bouchés, pleins d’une eau bien
aérée à laquelle on a ajouté des proportions croissantes d’eau salurée
d'acide carbonique, en telle sorte que
A contenait l’eau pure (qui tient en dissolution 4,4 vol. de CO- par
100 vol. de liquide).
B contenait de l’eau à 11 p. 100 de CO2.
C — de l’eau à 18 pour 100.
D — de l’eau à 30 pour 100.
E — de l’eau à 45 pour 1 00.
Dès 12h 35m, le poisson E respirait très-faiblement, tandis que B respi-
rait plus fort que A.
12h 45m. E est sur le flanc, très-malade; D est évidemment malade
aussi.
1016 EXPÉRIENCES.
lh 5m. E est mort ; D, fort malade; G et II respirent avec difficulté;
D meurt vers 10h du soir.
Le surlendemain, A, B, G, sont encore vivants.
La proportion rapidement mortelle de CO2 libre, est donc
aux environs de 50 pour 100. Cela est bien supérieur aux
quantités qui existent dans toutes les eaux non chargées de
principes salins.
L’acide carbonique manifeste son action non-seulement
chez les animaux, mais chez les végétaux.
Dans un milieu très-chargé en CO2, les végétaux verts
périssent rapidement, lorsqu’on empêche la lumière de leur
permettre de décomposer rapidement le gaz redoutable1.
La germination y est ralentie, arrêtée, quand la proportion
du gaz est suffisante; les graines mêmes peuvent y être tuées.
Je cite à titre d’exemple de ces faits les deux expériences sui-
vantes :
Expérience DCXXXII. — 8 avril. Semé, sous une vaste cloche de 111,
quelques grains d’orge et de cresson sur papier bien mouillé, fa cloche
est remplie d’un mélange contenant : O, 16; GO2, 20; Az, 64.
Le 2 mai , rien ne s’est développé; l’air de la cloche contient: O, 12,9;
CO2, 29.
Je laisse les grains à l’air libre ; dès le 7 mai, on voit apparaître quelques
pousses, et le 20 mai tout a bien poussé; l’orge mesure déjà 12e.
Expérience DCXXXIII. — 50 mars. A. 20 grains d’orge sont semés sur
papier mouillé, sous une cloche de 111 contenant 50 pour 100 d’acide car-
bonique, et 50 d’air ordinaire.
B. Gomme témoins, d’autres grains sont semés sous une cloche de 2', 5
pleine d’air ordinaire.
0 avril. Germination nette à B.
9 avril. — Les pousses de B ont 5 à 4e; rien à A. Sur les grains de B
ont poussé d’abondantes moisissures: il n’y a rien à A.
22 avril. — 11 y a à B de belles pousses, et l’air y contient GO2 4,4;
0 15,6. Bien n’a poussé à A, dont l’air contient encore 9,5 d’oxvgène.
A, laissé à l’air libre, ne pousse pas.
Ainsi, avec 20 à 50 pour 100 d’acide carbonique, il y a seule-
1 Voir le récent travail de J. Boehm, Ueber dm Einfluss der Kohlensaüre auf das
Erqrün’ên und Wachsthum der Pflanzen. (Zitzb . der k. Akad. der Wissensch., LX VII I
Bd'. Wien, 1875.)
ASPHYXIE.
1017
ment suspension de la germination ; mais avec 50 pour 100,
les graines sont tuées. Et ce qui est vrai des grains d’orge est
vrai des moisissures, comme on le voit dans l’expérience
même qui vient d’être rapportée.
11 n’est donc pas étonnant de voir que la putréfaction elle-
même soit ralentie singulièrement et même arrêtée dans une
atmosphère chargée d’acide carbonique.
C’est ce qui est arrivé dans les expériences suivantes :
Expérience DCXXXIY. — 14 décembre. Fragments de muscles placés *
dans cloches remplies :
A, d’air ;
B, d’acide carbonique presque pur.
8 janvier. — A est infect, en pleine pourriture, couverte de moisis-
sures ; B n’a aucune odeur et on n’y voit aucune moisissure.
Expérience DCXXXV. — 14 janvier. Fragments de muscles placés dans
cloches remplies :
A, d’air.
B, d’un mélange (O, 14,4 ; Az, 54,6; CO2, 51 pour 100).
17 janvier. — L’air de A ne contient plus que 18,1 d’oxygène, avec 3
de CO2; il sent mauvais.
L’air de B n’a pas changé de composition et n’a aucune odeur.
Expérience DCXXXVI. 29 juillet. Une lame mince de viande de bœuf
pesant 100", est suspendue dans l’appareil en verre, sous pne pression de
6 atmosphères, dont 5 d’acide carbonique.
10 août. — Décompression.
La viande ne sent aucune odeur; elle est de couleur un peu terne.
Je la fais cuire; elle n’a ni odeur ni goût putride; mais sa saveur est
désagréable, fade, douceâtre, ressemblant à celle de la viande conservée
dans l'oxygène comprimé.
Enfin la contractilité musculaire est rapidement détruite
par l’acide carbonique, et très-probablement il en serait de
même pour les autres propriétés vitales :
Expérience DCXXXVII. — 4 juin. Deux pattes d’une même grenouille sont
suspendues chacune au haut d’une éprouvette :
A dans air;
B dans acide carbonique presque pur.
'ojuin. — A, nerf non excilable; muscle très-contractile ;
B, plus de contractilité musculaire.
1018
EXPÉRIENCES.
g 0. — Résumé et conclusions.
i
Nous voici arrivés au terme de cette longue étude. Elle se
résume dans les propositions suivantes :
À. Quand un animal respire en vase clos, soit dans l’air
comprimé, soit dans un air suroxygéné, à la pression nor-
male, en telle sorte que l’oxygène ne lui fasse jamais défaut,
. la tension croissante du CO2 dans l’air maintient une propor-
tion croissante du même gaz dans le sang, si bien que l’acide
carbonique produit dans la profondeur des tissus reste dans
ces tissus.
B. Il résulte de cette accumulation un ralentissement pre-
gressifdes oxydations intra-organiques, d’où, comme consé-
quence, un abaissement considérable de la température du
corps.
G. Le système nerveux central, dans cette action générale
sur l’organisme, manifeste le premier qu’il est atteint, par la
perte des transmissions réflexes, d’abord aux membres, puis
à l’œil, puis enfin au centre respiratoire, d’où résulte la
mort.
I). Aucune agitation, aucun mouvement convulsif ne pré-
cèdent la mort.
Le cœur, tout en ralentissant ses battements, conserve
très-longtemps toute sa force, et demeure Yultimum moriem.
Ces deux faits ruinent définitivement les théories qui fai-
saient de l’acide carbonique l’une un poison convulsivant,
l’autre un poison du cœur.
E. L’anesthésie produite par l’acide carbonique paraît mé-
riter d’attirer de nouveau l’attention des chirurgiens ; elle
est complète à un moment où il s’en faut de beaucoup que
la vie de l’animal soit en danger.
F. La vie végétale, la germination, le développement des
moisissures, la putréfaction, sont ralentis, suspendus, ar-
rêtés définitivement par l’acide carbonique sous une tension
suffisante.
G. Ainsi, l’acide carbonique est un poison universel, qui
ASPHYXIE.
1010
tue animaux et végétaux, de grande taille ou microscopiques;
qui tue les éléments anatomiques isolés ou groupés en tissus.
Et tout cela n’a rien d’étonnant, puisqu’il est le produit d’ex-
crétion universelle de toutes les cellules vivantes; sa présence
empêche l’excrétion, et arrête par conséquent, en y opposant
un obstacle terminal, toute la série des transformations chi-
miques constituantes de la vie, qui commencent par l’absorp-
tion d’oxygène, et finissent par le rejet de Lapide carbonique.
SOUS-CHAPITRE II
ASPHYXIE.
Les recherches dont j’ai rendu compte dans les chapitres
précédents m’ont tout naturellement conduit à m’occuper
de l’asphyxie en vases clos, dans l’air ordinaire, à la pression
normale. Ici, au moment de la mort, tension très-faible de
l'oxygène, tension assez forte de CO2; à laquelle des deux in-
fluences est due la mort? Toutes deux interviennent-elles ?
J’ai déjà traité cette question dans mes Leçons sur la respi-
ration (p. 525), et, me basant exclusivement sur la composi-
tion chimique de l’air mortel, j’étais arrivé aux conclu-
sions suivantes :
A. Pour les animaux à sang chaud, la mort a lieu par pri-
vation d’oxygène ;
B. Pour les animaux à sang froid, par empoisonnement
par l’acide carbonique.
J’ai été amené à envisager cette question à un autre point
de vue, en considérant les modifications subies par les gaz
du sang, et en les comparant d’une part avec celles qui sont
rapportées au chapitre II, sous-chapitre IV, et d’autre part,
avec celles qui sont la conséquence de l’empoisonnement par
l’acide carbonique.
Les expériences ont été faites par la même méthode que
dans les chapitres cités : respiration à l’aide d’une muselière
hermétiquement close, ou par la trachée, dans un sac conte-
nant une certaine quantité d’air.
1020
EXPÉRIENCES.
Suit le récit de quelques expériences
Expérience DCXXXV1II. — 5 mars. Chien épagneul pesant 12 kilo-
grammes.
5h 35,n. Tiré par la carotide 40cc de sang A
5h 57m. Mis à respirer, par une muselière, dans un sac de caoutchouc
contenant environ 201 d’air.
5h 521U. L’animal, qui s’est beaucoup agité, et qui a perdu de l’a;r par
les côtés de la muselière, est fort malade.
Pris air du sac . : p
5h 55m. Tiré 33cc de sang carotidien très-noir B
6h 15m. L’animal meurt, sans convulsions ni raideurs. Je lire avec diffi-
culté du sang qui commence à se coaguler dans le cœur gauche. ... C
Air du sac 7
Sang A (à l’air libre) contenait . . . 15,9 d’O et 44,8 de CO2.
— B (air p: 0 4,8 ; CO2 12,1). .. 2,4 — 44,5 —
— C (air mortel y : 0 3 ; CO2 15,8). 0,8 — 39,9 —
Expérience DCXXXIX. — 7 mars. Chien épagneul pesant 13 kilogrammes.
Je mets à découvert la carotide et la trachée.
3h. Respirations, 45 ; pulsations, 90 ; température rectale 38°, 5.
3h 5ra. Tiré 33cc de sang carotidien, médiocrement rouge. ..... A
3h 15,n. Placé un tube dans la trachée.
Les respirations deviennent extraordinairement rapides.
5h 20m. Respirations, 124; 6 38°, 5 ; tiré 33cc de sang carotidien, plus
rouge que A B
3h 22ni. Mis la trachée en communication avec un sac de caoutchouc
contenant GO1 d’air.
Beaucoup d’agitation; respirations très-fréquentes.
3h 43m. 0 = 38°.
4h. Respirations, 84 ; pulsations, 96 ; pris air et 33cc de sang, moins
rouge que A C
4h 5m. Respirations très-amples, 56 par minute; pulsations, 96.
4h 15m. © = 36°, 5.
4h 35m. Respirations, 28 ; pulsations, 52, très-irrégulières.
ô = 56°. Air du sac p
Cornée sensible ; tiré 25cc de sang très-noir D
4h 40m. Cornée insensible ; pupilles dilatées ; respirations, 16; pulsa-
tions trop faibles pourêtre senties ; 0 = 35°, 5.
Les respirations se ralentissent de plus en plus, et la dernière a lieu à
4h 46ni ; il n’y a aucune convulsion.
4h48m. Le cœur pousse encore un peu de sang dans la carotide, et avec
une sonde j’arrive à extraire 40cc de sang très-noir du cœur gauche . . E
Puis je prends air du sac y
4h55m. Je recueille sous l’eau les gaz du poumon . , $
ASPHYXIE.
1021
L’urine, traitée dans la pompe par l’acide sulfurique, donne environ
15 vol. pour 100 de GO2.
Sang A (air libre, respirations par voie naturelle). . O 19,8; CO2 40,1
— B ( — — très-rapides, par la trachée). — 21,5 — 18,3
— C (air a: O 9,3; CO2 7,0) —14,4 — 32,0
— D (air p : O 1,8; CO2 12,0) — 2,1 — 54,3
— E (air mortel / : O 1,5; CO2 12,6) — 1,2 — 42,5
L’air des poumons j contenait : O 0; CO2 14,6.
Expérience DCXL. — 10 mars. Chien braque, pesant 16 kilogrammes.
Température rectale59°,5.
511 15m p]acé un tube dans la trachée ; respire avec calme.
3h 20m. Mis à respirer dans le sac, qui contient 1 37 1 d’air.
3h 23m. Respirations calmes ; tiré 35cc de sang carotidien, moyennement
rouge A
311 49m Respirations profondes, 58 ; pris air du sac 3
3h 50m. Tiré 25cc de sang, moins rouge que A B
4h 5m. Respirations profondes, agitées, 48 ; 0 = 37°, 8.
41. 1 2,u. Agitation violente : 0 57°, 5.
4h 1 5m. Air du sac 7
4h 16m. 52 respirations amples; tiré 25cc de sang, notablement moins
rouge . . G
4h 38™. Air du sac §
4h 40m. Respirations, 48 ; 0 = 35°, 5 ; tiré 25cc de sang noir .... I)
5h. Respirations assez amples, 40 ; pulsations, 36 ; 0 —35°.
5h 5"1. Air du sac .' s
5h 7m. Tiré 25ccde sang très-noir E
5h 8m. L’œil jusque-là sensible, devient insensible; la pupille se dilate.
5h 10,u. Respirations, 6 ; pulsations, 30. •
5h*15m. Urine; les respirations deviennent de plus en plus lenles et de
plus en plus faibles ; le cœur baisse également.
5h 20m. Mort sans convulsions. Pris air du sac t?
Pris sang dans le cœur gauche . . . F
L’urine contient 18cc de GO2 pour 100cc de liquide.
Le nerf sciatique reste excitable à l’électricité jusqu’à 6h 40ül, c’est-à-
dire pendant lh 20m.
Sang A (air libre) contenait O 21,8 GO2 42,9
— B (air : 012,5 ; CO2 6.8) — 21,0 — 48,2
— G (air 7 : O 7,6; CO2 9.8) — 15,4 — 57,8
— D (air S : 0 4,0; GO2 10, 3) — 6,9 —58,3
— E (air e : 02,8; GO2 14, 7) — 1,0 —52,4
— F (air mortel -/? : 01,9; CO2 14,7). . — — 50,2
Expérience DGXLI. — 28 mars. Chien pesant llk,5; température rec-
tale 39°.
1022
EXPERIENCES.
4h 10,n. Pris25ccde sang carotidien, médiocrement rouge A
Je le fais respirer aussitôt par la muselière dans le sac qui contient en-
viron 1001 d’air.
Respirations, 28.
4h 40m. Respirations, 5(5; pulsations, 92; 0 = 57°, 5 ; pris air du
sac (S
411 41 n. 95CC de sang, moins rouge que A R
5,,10m. Respirations, 56 ; pulsations. 100; 0 = 56°; pris air du sac. y
5h llm. Tiré25ccde sang très noir G
Encore sensible aux pattes.
5h 15,n. Cesse soudain de respirer, sans agitation convulsive.
51. 20m. Tiré 45cc de sang au cœur gauche, très-noir D
Pris air du sac §
Le nerf sciatique est excitable jusqu’à 6U 50"1, c’est-à-dire pendant
1" 10“.
SangA (respirations à l’air libre) contenait. . O 15,7; CO2 56,5
— R (air p : O 19,2; CO2 1,9) — — 12.8; — - 49,5
— G (air y analyse perdue) — — 2,5; — 55,8
— D (air mortel S : 04,5; GO2 15,1) — — 0,5; — 53,6
Expérience DCXLII. — 2 avril. Chien terrier jeune, pesant 7k,5 ; tube
dans la trachée.
6h. Mis à respirer dans le sac contenant environ 401 d’air.
6h lm. Tiré 20cc de sang bien rouge; l’animal reste tranquille tandis
qu’on tire le sang A
6h 5,u. Respirations, 156; pulsations, 120; 0 = 56°, 5.
6h 50,n. Respiralions, 50 ; pulsations, 106 ; 0 55", 8 ; pris air du sac. /3
6h51'n. Tiré20cc de sang noir R
L’animal s’agite ; respirations amples et irrégulières; sensible à l’œil et
à la patte.
6h 45m. Respiralions, 52; pulsations, 76 ; 0 54°, 2 ; pris air y
6h 58,n. Respirations, 9 ; pulsations, 14 ; 0 55°, 8 ; insensible à l’œil; pris
air S
et sang très-noir D
7h 6m. Il n’y a plus de respirations ; on compte encore 60 pulsations,
très-faibles; les intestins remuent dans l’abdomen; les pulsations finissent
à 7h 9m.
Pris air du sac s
Sang A (respirations à l’air libre) contenait : O 14,6; CO2 46,7
— R (air (3 : O 7,4; CO2 9,1) — — 9,1; —52,3
— C (air y : O 2,6; CO2 15,3) — —0,8; —51,8
L’air mortel s contient : O 2,4; GO2 12,9.
Je n’insisterai pas sur les symptômes que m’ont présentés
les animaux asphyxiés dont je viens de raconter l’histoire :
ASPHYXIE.
1025
phénomènes terminaux,
et la dilatation pupillaire
ralentissement de la respiration, de la circulation, insensi-
bilité finale, dilatation de la pupille, refroidissement pro-
gressif, ce sont là des phénomènes bien connus. J’ai, du reste,
parlé de ces symptômes dans le chapitre où j’ai étudié l’as-
phyxie en vases clos, l’acide carbonique étant éliminé. (Voir
page 740).
J’indiquerai seulement que les
c’est-à-dire l’insensibilité de l’œil
arrivent au moment où il n’v a
«j
plus qu’environ de 1 à 2 volumes
pour 100 d’oxygène dans le sang
artériel (exp. DGXXXIX et DCXL).
L’animal est donc alors en grand
danger de périr, puisque la quan-
tité d’oxygène trouvée dans ce
môme sang après la mort a varié
de 0,5 à 1,2.
Portons maintenant notre at-
tention sur les altérations progres-
sives de l’air confiné où respiraient
mes animaux. Les graphiques de
la ligure 79 expriment les résul-
tats de l’expérienc.e DCXL, la plus
complète de celles que nous avons
rapportées.
Sur l’axe des x sont portés les
temps écoulés depuis le commen- - ° - — *■ r--,— —
1 , . clos : gaz de l’air (exp DCXL).
cernent de 1 expenence; sur 1 axe
des y , les proportions existantes d’oxygène, de CO2, et la
somme CO2-}- O de ces deux valeurs, somme dont les varia-
tions présentent ici, comme nous le verrons, un intérêt véri-
table.
%
On voit que la consommation d’oxygène a été en diminuant
au fur et à mesure que progressait l’asphyxie ; dans la pre-
mière heure, elle était de 13,5 pour 100; dans la deuxième
et dernière, de 5,7 seulement. De même il y a eu, dans la
première heure, 9,8 d’acide carbonique produit, et seule-
1024
EXPÉRIENCES.
ment 4,9 dans la seconde. Ce sont là des faits identiques
à ceux sur lesquels j’ai insisté au sous-chapitre IV du cha-
pitre II.
J’en dirai autant de ce qui a rapporta la composil ion termi-
nale de l’air mortel. Les va-
riations ont été, pour l’oxygène,
de 4,5 (exp. DCXL1I) à 1,5 (exp.
DCXXXIX), et, pour l’acide car-
bonique, de 12,6 (exp. DCXXXIX)
à 15,8 (exp. DCXXXVI1I).
Arrivons maintenant aux gaz
du sang. Ici encore le graphique
ci-contre (fig. 80) (le volume des
gaz n’y a pas été réduit à zéro)
montre les faits de la manière la
plus évidente (exp. DCXXX1V).
Comme on le sait bien, l’oxy-
gène va en diminuant dans le
sang artériel. Mais il n’v dimi-
nue pas d’une manière régulière-
ment proportionnelle au temps;
dans la première heure, en effet,
nous voyons .que la proportion
d’oxygène n’a baissé que de 6,6
volumes, tandis qu’elle est tom-
bée de plus de 14 dans la se-
conde heure.
Ceci est en rapport avec ce
que nous ont appris nos études
précédentes. L’absorption plus
Fig. 80. — Mort par asphyxie en vases , , , , , ,
clos : gaz du sang. (Exp. dcxxxiv.) énergique de loxygene exté-
rieur, qui se fait au début, a
pour conséquence une persistance relative de la richesse en
oxygène du sang artériel.
Si maintenant nous dressons un graphique (fig. 81) en pre-
nant pour abscisses les quantités d’oxygène contenues dans
l’air extérieur aux divers moments de l’asphyxie, et en por-
ASPHYXIE.
1025
tant sur les ordonnées les quantités d’oxygène contenues dans
100 volumes de sang artériel, nous arrivons à un résultat qui
ressemble tout à fait au tracé Ox (ligne pointillée) de la fi-
gure 59 (page 676), fourni par les asphyxies sans acide car-
bonique. Celui-ci paraît donc n’avoir en rien agi.
Quant à l’acide carbonique, sa proportion augmente d’abord
dans le sang, comme on devait le supposer, puisqu’elle aug-
mente dans l’air où respire l’animal. Mais tout à coup elle
Fig. 81. — Rapport entre la richesse en oxygène de l’air et celle du sang.
diminue, et la courbe (fig. 80) présente un point de rebrous-
sement correspondant à 1 heure 20 min.; ainsi, dans les der-
niers moments de la vie, il y a dans le sang moins de CO2
que quelques instants auparavant. Lorsque je constatai ce
fait pour la première fois, je crus que cet acide, à ce mo-
ment où les pulsations sont très-ralenties, s’était imbibé dans
les tissus. Mais si l’on examine comparativement le tracé du
CO2 du sang (fig. 79) avec celui du C02-f-0 de l’air (fig. 80),
on y voit un semblable point de rebroussement qui montre
65
1026
EXPERIENCES.
que, au moment où précisément GO2 diminue dans le sang,
il augmente considérablement dans l’air expiré, qu’en un
mot il sort de l’animal. J’ai, dans toutes mes analyses, re-
trouvé ce fait ignoré jusqu’ici : il suffit, pour s’en assurer,
de jeter un coup d’œil sur les tableaux qui les résument.
Il ne faut donc pas continuer à dire, comme cela a été trop
facilement admis a priori, que, dans l’asphyxie en vases clos,
la quantité de GO2 contenu dans le sang va en augmentant
jusqu’à la mort; bien au contraire, et toujours, elle diminue
dans les derniers temps de la vie.
Il y a plus, lorsque le volume de l’air où s’asphyxie l’ani-
mal est petit, l’acide carbonique diminue dans le sang arté-
riel dès le début, malgré son augmentation dans l’air. G’est ce
que montre, par exemple, l’expérience DCXXXVII, où un gros
chien n’ayant à sa disposition que 20 litres d’air, la propor-
tion d’acide carbonique de son sang est tombée de 44,8 à
59,9.
Mais lorsqu’on empêche l’acide carbonique de sortir au
dehors, comme c’est le cas pour les animaux étranglés ou
noyés, il augmente, mais en très-faible proportion, dans
le sang.
Exemples :
Expérience DGXLIII. — Avril. Chien pesant 15k,8. Tiré à la carotide
55cc de sang artériel A
Mis un tube dans la trachée, et aussitôt après, un bouchon dans le tube.
Agitation, mort en 4 minutes.
Une sonde a été introduite dans le cœur gauche; au moment où le
cœur s’arrête, on tire 55cc de sang très-noir B
A contient, pour 100, 55,9 d’acide carbonique.
B — 40,8 —
Geci répond de la manière la plus péremptoire à la ques-
tion que nous nous étions posée au commencement de ce
chapitre : l’acide carbonique qui se produit pendant l’asphyxie
contribue-t-il pour une certaine part à déterminer la mort?
Déjà tout ce que nous avions appris nous montrait que son
rôle, dans tous les cas, doit être singulièrement restreint.
Pour que, chez les chiens, l’acide carbonique amène la mort,
ASPHYXIE.
1027
il faut que sa proportion dans l’air dépasse 50 pour 100 ; or,
dans l’air confiné, où l’animal s’est asphyxié, elle ne s’élève
jamais au-dessus de 17 à 1*8. D’autre part, les troubles de la
circulation, de la locomotion, de la calorification, etc., les
variations de l’oxygène de l’air, de l’oxygène du sang, sont les
mêmes dans les cas où l’acide carbonique a été éliminé de
l’air confiné où respire l’animal (chap. III, sous-chapitre II)
et dans les asphyxies ordinaires.
Mais les expériences que nous venons de rapporter mon-
trent que l’augmentation de l’acide carbonique dans le sang
artériel des animaux asphyxiés, lorsqu’elle existe, n’amène
jamais à un chiffre bien supérieur à celui qu’on trouve quel-
quefois dans le sang d’animaux qui respirent à l’air libre;
le maximum a été de 55,6 (exp. DGXL1), et les accidents
constatables de l’empoisonnement par l’acide carbonique ne
se manifestent pas avant que le sang contienne de 70 à
80 volumes de ce gaz. Enfin, la question ne peut même plus
être posée pour les cas où l’acide carbonique, loin d’augmen-
ter, a diminué dans le sang et les tissus.
C’est ici le lieu de rappeler les expériences DGXX1Y, DCXXV,
DGXXYI, rapportées à propos de l’empoisonnement par l’acide
carbonique, sur la recherche de la quantité de ce gaz dissous
dans les tissus. Elles montrent en effet que, précisément pour
les animaux des expériences DCXXXYI1I, DGXXXIX, DCXL, les
tissus ne contenaient qu’une faible quantité d’acide carbo-
nique, à peine supérieure, si tant est qu’elle le soit, à celle
qu’on y trouve normalement. Enfin, l’urine de chiens as-
phyxiés n’a donné, en présence d’un acide, que 15 à 20 volu-
mes de CO2 (exp. DCXXXIX, DGXL), c’est-à-dire la quantité qu’on
retrouve en moyenne chez les chiens qui reçoivent une nour-
riture mixte.
Tout cet ensemble de faits démontre donc péremptoire-
ment que, pour les chiens noyés, étranglés, asphyxiés dans
un très-petit volume d’air, l’acide carbonique ne joue aucun
rôle dans la mort, et que ce rôle est à peu près nul lorsque
l’asphyxie a lieu dans des espaces plus considérables. Peut-
être serait-il imprudent d’étendre cette dernière conclusion
1028
EXPÉRIENCES.
aux animaux chez lesquels, comme chez les moineaux, la
tension mortelle de l’acide carbonique dans l’air n’est que
de 22 à 26 pour 100; cependant ici encore, l’expérience
BCXXViH G. montre que l’acide carbonique n’a point d’im-
portance sérieuse.
Cependant sa diminution dans les tissus lorsque l’asphyxie
a lieu dans un air privé d’acide carbonique ou dans l’air di-
laté (expériences DGXXV111 D et DCXXIÎ1) pourrait peut-être
expliquer les quelques différences que nous avons signalées
entre l’asphyxie en vases clos et l’asphyxie par décompression,
en parlant notamment de la rigidité cadavérique (V. p. 740).
SOUS-CHAPITRE III
OBSERVATIONS SUR LES GAZ DU SANG.
Les nombreuses analyses des gaz du sang que j’ai rappor-
tées dans ce livre méritent de nous arrêter quelques instants,
en dehors même des considérations relatives à la pression
barométrique.
Je dirai tout d’abord que la haute température à laquelle
je porte le sang dans la pompe à gaz, m’a permis d’ex-
traire beaucoup plus rapidement et beaucoup plus complè-
tement les gaz du sang que n’avaient pu le faire mes devan-
ciers. Sans doute, à 40°, sous l’influence du vide, on finit par
obtenir à peu près tout l’oxygène et tout le CO2 contenus dans
le sang ; mais il faut longtemps pour cela, les coups de pompe
successifs n’amènent plus que de faibles quantités de gaz, il
vient en même temps de la vapeur d’eau où l’acide carbo-
nique se redissout lors de la condensation, et enfin, chose
plus grave, une petite quantité d’oxygène peut être consom-
mée pendant l’opération même. Au contraire, à la température
de l’eau bouillante, tous les gaz sont immédiatement appelés
par le vide, et il m’est arrivé quelquefois de les recueillir
tous d’un seul coup de pompe.
Azote. ■ — D’après les recherches de Fernet, 100 volumes
GAZ DU SANG.
1029
de sang, à 15°, sont capables de dissoudre 1,4 volumes d’azote.
J’ai souvent trouvé des chiffres un peu supérieurs à celui-
ci, ce qui n’a aucune signification, car il pouvait être resté
quelques bulles d’air dans tout l’appareil; mais j’en ai aussi
trouvé d’un peu inférieurs, et ceci est plus intéressant. En
laissant de côté les causes possibles d’erreur, nous y trouvons
cette présomption que le sang, en traversant les poumons,
n’est point suffisamment agité avec l’air pour se saturer des
gaz qu’il est apte à dissoudre.
Ceci devient une certitude quand nous envisageons les résul-
tats des expériences sur les gaz du sang d’animaux placés dans
l’air comprimé. Il s’en faut, en effet, de beaucoup que
l’azote suive la loi de Ilalton, puisqu’à 10 atmosphères,
par exemple, je n’en ai trouvé au maximum que il vol. 4
(exp. CLXXXIII).
Je vais revenir dans un instant sur cette constatation impor-
tante.
Oxygène. — Les proportions d’oxygène que nous avons
trouvées dans un même volume de sang, chez des animaux de
même espèce et également bien portants, ont varié dans des
limites dont l’étendue a lieu d’étonner.
J’en relève ici le tableau, tant pour l’acide carbonique que
pour l’oxygène, en ne prenant, bien entendu, que les expé-
riences faites sur des animaux qui respiraient l’air ordinaire,
à la pression normale. J’ai placé entre crochets, et je ne com-
prends pas dans la moyenne des analyses, celles où les ani-
maux étaient malades, ou respiraient dans des conditions
anormales : les indications nécessaires sont inscrites dans la
colonne des observations.
Ainsi, en éliminant les circonstances extraordinaires, les
extrêmes ont été pour l’oxygène 24,0 (exp. DCLXVI) et 14,4
(exp. CCLXXX). Il y a 8 analyses donnant de 14 à 16, 9 de 16
à 18, 29 de 18 à 20, 25 de 20 à 22, 9 de 22 à 24 ; la moyenne
générale a été de 19,4. Mais on voit que j’ai eu raison de
prendre assez souvent, dans le cours de ce livre, comme ex-
pression moyenne, la proportion de 20 volumes pour 100.
Ces variations peuvent être dues soit à la présence d’une
TABLEAU XX.
EXPÉRIENCES
0
CO2
OBSERVATIONS
CLIV
[‘7)7]
»
Épuisé par suppuration.
CLY
* 19,7
45,0
CLYI
21,4
39,5
f
CLYI bis
21,2
40,1
, Même animal.
CLY Iter
21,5
38 , 6
CL VII
19,7
30,7
Curare.
CLY1IÏ
[•24 , 6]
[51,2]
| Bulbe coupé, repos.
CUlllbis
[18,2]
[28,8]
Id. agitation.
eux ,
18,6
57,0
Tranquille.
CL1X bis
19,4
35,2
S'agitant.
CLX
1 [HJ]
[5o , 6]
! Animal, en état de traumatisme.
CL Xbis
1 [12,4]
[32,7]
CLXI
15,1
40,8
Respiration normale.
CLXI bis
20,3
[24,0]
Trachée; respir. exagérées.
CLXIII
18,8
59,7
CLXIV
21,5
41,9
CLXV
21,6
56,5
CLXYI
18,3
152,8]
Après la dépression.
CLXYIÏ
19,8
[29,1]
Id.
CLXVIII
[26,4]
[22,7]
Id. Resp. très-rapides.
CLX1X
20,6
59,0
CLXX
21,9
54,7
Avant la dépression.
CL XX bis
21,1
55,2
Après la dépression.
CLXXI
19,4
48,4
Id.
CLX XII
20,1
41,1
Id.
CLXXI II
22,6
39,7
CLXXIV
[1 6 , 5]
[54,9]
Malade, id. CLXXI.
CLXXV
17,4
oo . 8
CLXX VI
[16,9]
45,7
Après la dépression.
CLXXYI1
[14,8]
[22,1]
Id.
CLXXYI1I
19,2
»
CLXXIX
20,8
46,1
Avant la dépression.
CLX XIX bis
20,8
40,5
Après la dépression.
CLXXXI
19,2
55,0
CLXXXII
19,4
«30 « 0
CLXXXIII
18,3
57 ,1
CLXXXIV
18,4
47,7
CLXXXV
22,8
50,1
CLXXXYI
20,2
57,1
CLXXXV1I
19,0
48,0
CLXXXV III
18,2
50,8
CLXXXIX
21,5
47.5
•
exe
21,6
45,0
CXCI
22 2
[29,4]
j
CXCII
18,0
49,0
CCLXXYIII
15,5
[22,9]
Resp. par tube trachéal, exagérées.
CCLXXIX
17,0
59,0
CCLXXX
14,4
41,0
CCLXXXI
16,9
oo , 0
CCLXXX1I
18,1
[24,9]
Respir. par tube, exagérées.
EXPÉRIENCES
0
CO2
OBSERVATIONS
CCLXXXIII
19,8
[20,9]
Respir. par tube, exagérées.
CGLXXXIY
[12, IJ
[29,6]
Id., id.
CGLXXXY
15,1
40,8
Voies naturelles.
CGLXXXYI
15,8
43,0
Tube dans la trachée.
CGLXXXYII
17,2
[22,3]
Id., id. |
CCLXXXYIII
16,0
41,5
Voies naturelles.
CGLXXXYI Ilôts
[23,4]
[15,2]
Trachée.
CGLXXXIX
16,0
44,5
CGXG
18,7
44,0
CGXCV
17,0
38,5
CCXCVI
19,0
42,0
CCCII
[7,5]
[33,0]
Petit chien de 1640 grammes.
DGV
[16,0]
[29,5]
Malade de traumatisme. j
DCVI
21,0
43,5
DG VII
[24,8]
[19,5]
Respir. par voies natur., mais avec
DCVIII
18,9
36,5
rapidité extraordinaire. j
DCIX
22,0
46,7
DCXVI
19,1
44,8
DCXVII
22,5
39,5
DGXIX
21,8
44,6
DCXXXYIII
15,9
44,8
DCXXXIX
19,8
40,1
Voies naturelles.
DC XXXIX bis
[21,5]
[18,3]
Trachée; respir. exagérées.
DCXL
21,8
42,9
DGXLI
15,7
36,5
DCXLII
[14,6]
46,7
Animal jeune.
DGXLIII
19,0
33,9
DCXLIV
[9,4]
[27,6]
Petit chien de 1850 grammes.
DCXLV
15,5
37,2
»
DCXLYI
DGXLYII
22,5
20,2
38,9
36,6
A jeun ) m*me anjmaj
En digestion j
DGXLVIIl
17,9
35,0
DGXLIX
19,3
54,6
DCL
[15,0]
54,9
Animal de DGXLIX, malade.
DCLI
20,9
39,1
DGLII
21,0
40,5
DCLIII
21,2
»
DGLIV
[16,8]
[35,3]
Animal de l’exp. CLXXII, malade.
DCLV
18,0
»
DCLYI
18,1
[25,0]
Respir. très-rapides, par tube trach.
DGLYIl
20,8
Oô ) 0
DCLYIII
19,6
59,4
DCLIX
20,4
36,6
DGLXI
22,1
36,1
DGLXII
19,3
58,7
[ DCLXIII
22,6
42,4
DCLXIV
20,0
40,4
DCLXV
16,7
36,1
DGLXVI
24,0
50,3
Moyenne
19,4
40,4
•
1052
EXPERIENCES.
moindre quantité d’hémoglobine dans un même volume de
sang (alors même qu’il y aurait un même nombre de globu-
les), soit à une moindre saturation de cette hémoglobine dans
les conditions où respire l’animal, soit enfin à une différence
plus intime dans la nature de l’hémoglobine et à sa moindre
capacité d’absorption pour l’oxygène.
Mais ici, la réflexion que suscitait, il y a un moment, l’étude
de l’azote, se présente avec bien plus d’importance. Presque
jamais, dans les conditions régulièrement ordinaires de la
respiration, le sang artériel n’est saturé d’oxygène, ne contient
tout l’oxygène qu’il peut absorber par son agitation avec l’air.
Rien de plus variable que cet écart entre ce que contient et
ce que peut contenir d’oxygène le sang artériel.
Il y a donc tel individu chez qui une certaine augmenta-
tion dans la rapidité et l’ampleur des mouvements respira-
toires pourra augmenter notablement l’oxygène du sang, et
tel autre, au contraire, qui ne pourrait y trouver presque
aucun avantage. Ces deux êtres ne seront donc pas dans
des conditions identiques, au point de vue, par exemple,
de la diminution de pression. Inversement, il est des indi-
vidus qui, étant plus saturés déjà, pourront beaucoup mieux
que d’autres supporter un certain ralentissement respira-
toire, sans voir la proportion de l’oxygène de leur sang
s’abaisser à un chiffre trop bas.
D’une manière générale, la richesse du sang en oxygène
se manifeste par la rutilance, et plus un sang est rouge, plus
il contient d’oxygène. Mais cela n’est absolument vrai que d’un
même sang. Mes analyses m’ont, au contraire, très-souvent
montré que certains sangs clairs et rutilants étaient pauvres
en oxygène, relativement à d’autres sangs à la teinte sombre.
C’est que la rutilance marque seulement la richesse en
oxygène de la combinaison oxy-hémoglobique. Si nous suppo-
sons deux sangs contenant la meme quantité d’oxygène, celui
qui sera très-riche en hémoglobine sera notablement moins
rutilant que l’autre. C’est ainsi qu’il m’est arrivé, après une
copieuse saignée, de trouver un sang plus rouge ou aussi rouge
qu’avant, bien que notablement moins riche en oxygène;
GAZ DU SANG.
1055
seulement, la teinte était plus claire, parce que le sang était
moins chargé en globules.
C’est ce que présentent les jeunes animaux. Les expériences
CCCII et DCXLY nous ont montré, en effet, chez de petits
chiens, un sang rouge clair, qui ne contenait que 9,4 et
même 7,3 vol. d’oxygène. Ceci explique la faible résistance
des jeunes animaux (je ne parle pas des nouveau-nés, bien
entendu) à l’asphyxie, au refroidissement, etc. Ce sont, au
plus haut degré, des anoxyhémiques.
Mes analyses montrent encore que, chez les animaux
malades, la quantité d’oxygène contenue dans le sang artériel
est très-faible. Elle s’est, en effet, par exemple, abaissée
à 13,3 chez le chien de l’expérience CLXXIY, animal qui souf-
frait d’une plaie suppurante à la suite d’hémorrhagies, et
qui, à l’état sain, avait donné 19,4 (exp. CLXXI).
11 me paraît extrêmement vraisemblable que dans certains
cas de maladie, la moindre quantité d’oxvgène contenue dans
le sang doit tenir, non-seulement à une moindre quantité de
globules ou même d’hémoglobine, mais à une altération de
cette dernière, qui devient moins apte à se charger d’oxygène.
C’est là un sujet très-important de recherches, dont, sur
mon indication, M. le docteur Légerot1 a commencé l’étude.
Quoi qu’il en soit, laissant de côté les très-jeunes animaux
et les malades, il reste établi que de grandes différences exis-
tent entre divers animaux d’une même espèce au point de vue
de la richesse oxygénée de leur sang.
D’autre part, chez le même animal, des changements con-
sidérables dans lesrhvthmes circulatoire et respiratoire peu-
vent modifier notablement cette richesse en oxygène. J’ai
déjà indiqué ces faits dans le chapitre qui traite de la critique
expérimentale de ma méthode d’analyse des gaz du sang
(Y. p. 626 et suiv.). Les expériences CLYI, CCLXXXYHI et
DCXXXIX, rapportées au précédent tableau, sont tout à fait
caractéristiques à ce point de vue.
1 Légerot, Études d'hématologie pathologique basées sur l'extraction des gaz du
sang. — Thèses de Paris, 1875.
1034
EXPERIENCES.
Acide carbonique. — L’acide carbonique a été extrait du
sang dans des proportions encore plus variables que celles de
l’oxygène. Les extrêmes ont été, toujours en éliminant les
faits exceptionnels, 50,8 (exp. CLXXXVill) et 55 (exp. CCLXXXI).
Il y a eu 50 analyses donnant de 50 à 40, 52 de 40 à 50, 5
au-dessus de 50, et la moyenne générale a été 40,4.
L’accélération de la respiration, surtout lorsque celle-ci se
fait directement par la trachée, fait diminuer dans une pro-
portion souvent énorme, la quantité du CO2 du sang. J’ai déjà
indiqué ces faits en traitant de la critique expérimentale et
du degré d’exactitude qu’il convient d’attribuer aux analyses
des gaz du sang. Les faits que nous ont signalés nos expé-
riences sont reproduits au tableau ci-dessus : ce sont
les expériences GLXIèis, CCLXXVJII, CCLXXXII, CCLXXXIII,
CGLXXXYII bis , DCVII, DGXXXIX bis , et DGLVI. J’appelle sur-
tout l’attention sur l’expérience CGLXXXVIII, où la quantité
de CO2 est tombée de 41,5 à 15,2 par la respiration tra-
chéenne; et l’expérience DCVII, où une respiration exagérée,
mais par les voies naturelles, a amené ce gaz à 19,5.
Ainsi, la diminution de l’acide carbonique du sang par la
respiration exagérée sous la pression normale peut arriver
presque au même degré que chez les animaux soumis aux
plus basses pressions atmosphériques, puisque le tableau X
(page 645) donne comme moyennes 29,5 à la pression de
54e, 25,2 à celle de 25e, et encore 12,4 à celle de 17e.
Si nous revenons aux circonstances de l’extraction des gaz
par la pompe, nous verrons que la facilité de cette extraction
dépend, comme on devait s’y attendre, de la quantité qui
en existe dans le sang. J’ai fait à ce propos un assez bon
nombre d’expériences pour voir dans quelles proportions sor-
tent du sang l’oxygène et l’acide carbonique, lorsqu’on dimi-
nue graduellement la pression.
L’expérience était disposée de la manière suivante : un vide
partiel étant fait dans la pompe barométrique, j’y introdui-
sais le sang à analyser ; puis j’extrayais, par des coups de
pompe successifs, une partie à la fois de l’air qui restait et
des gaz sortis du sang; je continuais ainsi jusqu’à ce qu’il ne
GAZ DU SANG.
1035
sortît plus rien. Les gaz amenés par chacun des coups de
pompe successifs étaient alors l’objet d’autant d’analyses.
Voici les résultats d’une de ces analyses fragmentées :
Expérience DCLX. — 23 janvier. 100cc de sang pris à l’artère brachiale
d’un grand chien de berger.
La pompe à gaz a été amenée à 16e, 5 de pression réelle ; j’introduis le
sang, l’agite un moment, et extrais du premier coup de pompe 92cc
de gaz A
A une 2e extraction, j’amène 85cc de gaz B
A la 5e (pression 12cc,5) . 61cc — C
— 4e ( 5e ) . 25cc — D
- — 5e (jusqu’au vide) . . 2CC,5 — - E
Le bain-marie était à l’ébullition ; j’introduis alors dans le récipient un
peu d’acide sulfurique étendu d’eau distillée bouillie.
Il vient encore lcc de CO2.
Les analyses montrent que :
Le gaz A ne contenait ni O ni CO2, venant du sang.
— B contenait lcc,9 d’oxygène, et lcc,9 de COs
— C —
13cc,9
—
17cc,8 —
— D —
4CC,6
—
12cc,0 —
— E —
0CC,4
—
lcc,6 —
Au total :
20cc,8
—
33cc,3 —
CO2
Le rapport -q- entre l’acide carbonique et l’oxygène a donc été succes-
sivement : à B, 1 ; à C, 1,3 ; à D, 2,6 ; à E, 4. Le rapport total étant 1,6,
il en résulte que, pendant la première phase de l’expérience, il est sorti
proportionnellement plus d’oxygène du sang que d’acide carbonique ; le
contraire a eu lieu dans la seconde phase.
D’autres expériences semblables déposent dans le même
sens, et il serait oiseux d’en donner les détails. De même,
lorsque, le sang étant introduit dans le vide parfait, j’analy-
sais à part les gaz que m’apportaient les coups de pompe
successifs, je trouvais toujours un résultat analogue. C’est,
enfin, ce qu’ont donné les expériences faites sur les animaux
soumis à de faibles pressions (voir tabl. X, col. 4, 5).
Ainsi, de quelque côté qu’on aborde le problème, on voit
que, sous l’influence de la diminution de pression, le sang
perd d’abord, proportionnellement, plus vite son oxygène que
son acide carbonique; puis l’équilibre s’établit; puis l’acide
1036
EXPÉRIENCES.
carbonique sort en proportion plus grande, et, à la fin, la
pompe n’amène plus que de l’acide carbonique.
11 en est meme encore ainsi lorsqu’il s’agit d’un sang où la
proportion d’acide carbonique est beaucoup au-dessus de la
moyenne. Les expériences d’empoisonnement par l’acide car-
bonique nous en offrent de nombreux exemples.
Ainsi, dans l’expérience DCXIV (p. 990), dans le sang C qui
GO2
contenait CO2 103,6 et Ox. 18, 2, le rapport— étant ainsi 5,7,
les premiers coups de pompe ont amené un gaz où la propor-
CO2
tion — était 5,2, tandis que les derniers ont donné le rap-
port 6,0. De même, dans l’expérience DCXV, pour le sang E
CO2
(GO2 97,5; O 18,7), le rapport —étant 5,2, on a eu, pour le
premier tube rempli de gaz, le rapport 4, 7, et pour le deuxième,
le rapport 9.
Le vide de la pompe à gaz, employé comme je l’ai dit, con-
curremment avec la température de l’eau bouillante, a pour
effet d’enlever presque tout l’acide carbonique contenu dans
le sang. L’addition consécutive d’un acide fort n’en met en
liberté que des quantités minimes et parfois nulles : l’expé-
rience que je viens de citer en donne un exemple suffisant.
On sait combien ont varié les opinions des physiologistes
et des chimistes sur l’acide carbonique qui peut être extrait
par la pompe (acide libre, dissous, ausgepumpen des Alle-
mands) et celui qui résiste au vide aidé de la chaleur (acide
combiné, lié, gebunden). Les anciens auteurs croyaient ce
dernier très-abondant (Lothar Meyer l’estimait à 28,58 contre
6,17 de libre); mais les analyses de 8choffer, Setschenow,
Pflüger, etc. en ont successivement réduit la proportion à ce
que nous avons constaté nous-même.
Dans du sang saturé artificiellement d’acide carbonique,
ce gaz se trouve à trois états : simplement dissous, combiné
faiblement (bicarbonates et phosphocarbonates) ou combiné
fortement (carbonates). Mais à quel état existe-t-il dans le
sang normal, artériel et veineux? Y a-t-il dans ces conditions
GAZ DU SANG.
1037
naturelles de l’acide carbonique simplement dissous? M. Fer-
net ( loc . cit ., p. 209) avait conclu de ses expériences que
dans le liquide saturé, c’est-à-dire contenant 156cc,l de
GO2 pour 100cc de sang (sang de bœuf à 16°), la plus forte
partie (96cc,4) de cet acide est dissoute dans le sang, puis-
qu’elle suit la loi de Dalton dans ses rapports avec la pression
barométrique, et que le reste (59cc, 7) est combiné à l’état de
bicarbonate ou de phospho-carbonate, parce qu’il échappe
à cette loi.
Or, nos analyses nous ont montré que, dans le sang arté-
riel, il n’y a que très- rarement 50 volumes de CO2. On peut
donc dire que, régulièrement, le sang artériel ne contient
que du CO2 combiné, faiblement et fortement. Au contraire,
dans le'sang du cœur droit nous avons trouvé, en moyenne,
des proportions plus élevées de GO2 ; ce sang paraît donc con-
tenir, en outre, du CO2 simplement dissous.
Geci nous amène donc à penser que la respiration, pour
ce qui a trait à l’acide carbonique, consiste surtout et peut-
être exclusivement dans une exhalation de l’excès d’acide
carbonique simplement dissous, la partie combinée à l’état
de bicarbonate ou phosphocarbonate n’étant que peu ou
point modifiée. Dans la respiration parfaite, à son rhythme
régulier, il ne devrait pas rester dans le sang artériel d’acide
dissous.
Dans le but de m’éclairer sur ce point important pour la
théorie générale de la respiration, j’ai institué des expérien-
ces d’après la méthode suivante. Je tire à un animal du sang
artériel, dont je détermine aussitôt la tension en acide carbo-
nique, à l’aide du vide et de la chaleur. Puis, j’agite pendant
2 heures, à l’aide de la machine à eau (voy. fig. 42, p. 688),
un autre échantillon du même sang dans un flacon plein
d’acide carbonique pur : une vessie de caoutchouc pleine elle-
même de CO2 et communiquant avec le flacon, empêche que
l’absorption ne diminue la tension gazeuse. Après ce temps,
nouvelle analyse. Je défalque alors du nombre trouvé la quan-
tité de GO2 que le sang serait capable de dissoudre à la tempé-
rature actuelle (les constatations de M. Fernet m’ont permis
1058
EXPERIENCES.
de me servir pour les coefficients de solubilité des tables de
Bunsen), et le nombre restant doit indiquer s’il y a encore
dans le sang artériel du GO2 dissous. Prenons, pour être plus
clair, un exemple : supposons que le sang artériel ait donné
40 volumes de CO2, et qu’après agitation à 10° il en contienne
158; le coefficient de solubilité étant 90,4, on voit que les
sels du sang exigeaient pour se saturer 158 — 96,4 = 41,6;
donc, dans le sang ils n’étaient pas au maximum de carbo-
nisation, puisqu’il leur manquait pour cela 1,0 vol. de CO2.
Yoici quelques expériences faites par cette méthode si sim-
ple. Les deux premières de ces expériences comprennent en
outre l’analyse du gaz du sang du cœur droit :
Expérience DGLXI. — 4 juillet. Chien.
Tiré 25cc de sang à l’artère fémorale.
Il contient O 22,1 CO2 36,1. Simultanément 25cc de sang du cœur
droit. Il contient O 5,5 CO2 56,4.
100cc de sang sont agités pendant 24h avec CO2 pur (temp. 20°).
Contiennent alors 127,4 de CO2.
Coefficient de solubilité à 20° : 91,5. Or, 127,4 — 91,5 = 55,9. Donc,
les sels du sang artériel sont exactement saturés. Quant au sang veineux,
il contient, toute saturation étant parfaite, 20,5 volumes de CO2 dissous.
Expérience DCLXII. — 9 juillet. Chien en digestion, pesant 8 kil. (il
meurt dans la nuit des suites de l’hémorrhagie).
Tiré à l’artère crurale 25cc de sang, qui contient O 19,5 CO2 58,7 (à
0° et 760mm).
Tiré simultanément au cœur droit, 5ÛCC contenant CO2 49,0.
On enlève alors 550cc de sang artériel, qui sont agités pendant toute la
nuit avec du CO2 pur.
Le lendemain (temp. 20°), ce sang contient 172,1 volumes de CO2.
Le coefficient de solubilité de CO2 à 20° était 91,5; d’autre part,
172,1 — 91,5 = 80,6. 11 en résulte qu’il s’en fallait de 41,9 que le sang
artériel fût chimiquement saturé de CO2, et qu’au sang veineux lui-même
il en manquait 51 cc,6.
Expérience DCLXII1. — 26 juin. Chien de grande taille ; je tire à la caro-
tide 25cc de sang, qui contient O 22,6; CO2 42,4*
Agitation pendant 18 heures avec CO2 pur. Contient alors (temp. 25°)
146,8 volumes de CO2*
Coefficient de solubilité à 25°> environ 87 ; 146,8 — 87 = 59,8. Donc»
manquent pour saturation des bases du sang artériel 17,4 volumes
environ.
GAZ DU SANG.
1039
Expérience DCLXIV. — 11 juillet. Chien à jeun, pesant lOkil.
Tiré 25cc de sang à l’artère crurale ; il contient O 20,0; CO2 40,4.
On met à agiter 100cc du même sang avec deux fois son volume de CO2
pur.
Le lendemain (temp. 22°), on analyse le sang, qui contient 155,9 vol.
Coefficient de solubilité à 22° : 90,1. Donc, manquent pour la saturation
25,4 vol. de CO2.
Expérience DCLXV. — 18 juillet. Chien à jeun, pesant 15 kil.
Expérience semblablement conduite : sang artériel : O 16,7 ; CO2 56,1.
Après agitation (40 heures) dans CO2 contient 147,6 (temp. 20°).
Coefficient de solubilité à 20° : 91,5. Donc, manquent pour la saturation
20 vol. de CO2.
Expérience DCLXYI. — 22 juillet. Chien à jeun, pesant 11 kil.
Sang artériel : O 24,0 ; CO2 50,5.
2$ juillet. — Après agitation : CO2 167,0 (temp. 22°).
Coefficient de solubilité à 22°, environ 88,5. Donc, manquent pour la
saturation 28,2 vol. de CO2 environ.
Expérience DCLXVII. — 20 août. Chien à jeun.
Sang artériel : CO2 54,0.
Après agitation pendant 5 heures en présence d’acide carbonique pur,
le sang contient, à 22°, 166 volumes de CO2.
Le coefficient de solubilité étant 90,1, on voit qu’il manquait à la satu-
ration des bases 22 vol. de CO2.
Expérience DCLXVII1. — 24 juillet. Cheval' vieux, épuisé, paralysé du
train postérieur, sur qui l’un des nerfs sympathiques vient d’être coupé
au cou.
Tiré sang carotidien du côté du sympathique coupé.
Il contient O 11,8 ; CO2 44,8.
Pris de même sang veineux dans une branche de la jugulaire; il con-
tient O 11,8 ; CO2 54,0.
Avant la section, le sang veineux avait donné CO2 50,1. Agité pen-
dant 24 heures, avec l’acide pur, contient (temp. 19°) 178,2 volumes de
CO2. Il a pris une teinte brune fort singulière, que je n’ai jamais vue.
Coefficient de solubilité à 19° : 92,5. Donc, il manque pour saturation
complète des bases du sang artériel 40,9 volumes de CO2, et pour celle
du sang veineux avant toute section nerveuse, 51,7.
On voit que, dans aucune de nos expériences, le sang ar-
tériel ne contenait d’acide carbonique simplement dissous;
une seule fois (exp. DCLX1), les bases alcalines étaient exac-
tement saturées. Il y a plus, le sang veineux lui-même, dans
les expériences DCLXIÏ et DCLXYI, ne contenait que de l’acide
1040
EXPERIENCES.
carbonique combiné; mais dans l’expérience DCLXI,il y avait
20,5 volumes de GO2 dissous.
II faudrait peut-être, pour asseoir des conclusions défini-
tives, disposer d’un nombre d’expériences plus considérable;
cependant, pour le sang artériel, la concordance de nos ana-
lyses est parfaite, et nous pouvons, je crois, considérer comme
démontré ce fait que tout l’acide carbonique dissous (lors-
qu’il en existe dans le sang veineux) s’échappe à la traversée
des poumons, et que les sels alcalins surcarbonatés y sont en
outre dissociés pour une partie de leur acide qui ne dépasse
guère le tiers.
Mais cette dernière limite peut être franchie, et une plus
forte proportion d’acide carbonique combiné peut sortir par
l’acte respiratoire et ne plus se retrouver dans le sang arté-
riel. C’est ce qui arrive, notamment, lors des respirations
exagérées à travers un tube placé dans la trachée ; c’est ce
qui arrive dans les empoisonnements par le curare, lors-
qu’on fait la respiration artificielle, même avec précautions;
c’est ce qui arrive après ou pendant les convulsions dues à
l’oxygène comprime (voir particulièrement à ce point de vue
l’expérience CGLXXXYI, p. 784, où la proportion du CO2 s’est
abaissée à 9,9 volumes dans le sang artériel); c’est ce qui
arrive enfin par la respiration dans l’air raréfié. L’alcalinité
du sang doit notablement augmenter dans ces circonstances,
ce qui ne pourrait manquer, si elles étaient durables, d’exer-
cer une influence considérable sur l’état de santé de l’animal
en expérience ; nous aurons à revenir sur ce dernier point en
étudiant dans notre troisième partie les conditions de la vie
des habitants des hauts lieux.
TROISIÈME PARTIE
FAITS RÉCENTS,
RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS
CHAPITRE PREMIER
DIMINUTION DE PRESSION.
«
SOUS-CHAPITRE PREMIER
OBSERVATIONS, THÉORIES ET CRITIQUES RÉCENTES.
Les résultats principaux des expériences rapportées dans la
deuxième partie du^présent ouvrage, et la théorie qui s’en dé-
duit relativement à l’influence des hauts lieux, sont soumis au
jugement du public depuis plusieurs années h L’idée que les
1 Voici la liste de mes notes sur ce sujet, avec les dates de leurs publications :
A. — Recherches expérimentales sur l'influence que les changements dans la
pression barométrique exercent sur les phénomènes de la vie. — Comptes rendus
de V Académie des sciences. *
lre note. — Mort dans l'air confiné ; diminution de pression. (Séance du 17 juillet 4871.)
2e note. — Mort dans l'air confiné ; augmentation de pression. (Séance du 21 août 1871.)
5e note. — Mort par l'acide carbonique ; action toxique de l'oxygène. (Séance du 26 fé-
vrier 1872.)
4e note. — Les modifications dans la pression barométrique n’agissent qu'en modifiant
la tension de l'oxygène. (Séancé du 1er juillet 1872.)
5e note. — Les gaz du sang sous diminution de pression. (Séance du 8 juillet 1872.)
6e note. — La décompression brusque. (Séance du 19 août 1872.)
7e note. — Les gaz du sang sous augmentation de pression. (Séance du 26 août 1872.)
8e note. — L’ empoisonnement par l’oxygène : dose , symptômes ; analyse physiologique .
(Séance du 17 février 1873.)
9e note. — La décompression brusque: analyse, prophylaxie. (Séance du 5 mars 1873.)
10e note. — Action toxique de l’acide carbonique. (Séance du 19 mai 1873.)
He
note. — Action des variations de pression sur la végétation. (Séance du 16 juin 1873.)
12e note. — Action toxique de l'oxygène: ralentissement des oxydations. (Séance du
25 août 1873.)
13* note. — Expériences personnelles sur la dépression. (Séance du 30 mars 1874.)
B. — De la quantité d'oxygène que } petit absorber le sang aux diverses pres-
sions barométriques. — Comptes rendus de la séance du 22 mars 1875.
C. — Influence de l'air comprimé sur les fermentations. — Comptes rendus de
la séance du 28 juin 1875.
D. — De l'emploi de V oxygéné à haute tension comme procédé d'investigation
physiologique. — Comptes rendus delà séance du 21 mai 1877.
1044
FAITS RÉCENTS, RESUME ET CONCLUSIONS.
accidents amenés par le séjour dans l’air raréfié, et spéciale-
ment que le mal des montagnes ont pour cause unique la
diminution dans la tension de l’oxygène aérien, et ne sont en
définitive qu’une forme de l'asphyxie, a soulevé bien des
polémiques, le plus souvent fort peu instructives, et qu’il
serait peu intéressant de reproduire ici.
Parmi ceux qui ont cru devoir combattre mes conclusions,
les uns paraissent ne pas en avoir une connaissance exacte
et surtout n’avoir pas lu les expériences sur lesquelles elles
s’appuient; c’est ainsique M. Bouchot1 écrit les lignes sui-
vantes, en 1875 :
On peut, discuter pour savoir si c’est bien la diminution de l’oxygène
du sang qui est la cause du mal de montagne, ou plutôt une carbonhémie
due à l’accumulation de l’acide carbonique dans le sang, qui stupéfie les
organes et en dérange les fonctions ; mais cela ne change rien au fait en
lui-même, qui est incontestable. A mon point de vue, et d’après mes ex-
périences, les phénomènes nerveux de l’asphyxie sont tous dus à l’action
stupéfiante de l’acide carbonique retenu dans le sang. J’ai démontré, en
effet, que tous les animaux qui périssent asphyxiés par défaut d’oxygène
ont préalablement une anesthésie plus ou moins prononcée, et je suis sur-
pris que les aéronautes n’aient pas indiqué le fait alors qu’il est si facile
de le constater sur un mammifère mis sous le récipient d’une machine
pneumatique.
J’ai lu bien des articles curieux sous ce rapport. Je n’en
citerai qu’un cependant, parce qu’il a eu les honneurs de
l’insertion au Journal officiel 2, et parce qu’il peut servir de
modèle en cet art si commun, de masquer son ignorance
derrière un langage aux allures scientifiques et pompeuses :
Pour avoir une explication satisfaisante du mal des montagnes, il faut
arriver aux connaissances modernes sur la physiologie et la physique
humaines. On a cru d’abord trouver la cause de ces phénomènes dans la
raréfaction croissante de l’air à mesure qu’on s’élève.
La diminution de densité des couches atmosphériques produit bien,
il est vrai, une accélération du pouls et de la respiration; mais ces symp-
tômes restent isolés et passent souvent inaperçus chez les aéronautes à
des hauteurs de beaucoup supérieures à celles où se produit le mat des
montagnes . La raréfaction de l’air est compensée par l’augmentation de
1 Journal officiel du 22 mai 1875, p. 5624.
2 Journal officiel du 14'juin 1876, p. 4165.
DIMINUTION DE PRESSION.
1045
fréquence et d’amplitude des respirations. De plus, l’oxygène, dans ce
cas, s’il est moins abondant, paraît mieux se fixer et se dissoudre dans
le sang, ce qui diminue d’autant les inconvénients de sa rareté.
Quoi qu’il en soit, l’ascension dans les régions supérieures de l’air, si
elle a une certaine influence, ne la possède qu’à titre auxiliaire, et comme
pour rendre plus sensible et plus prompte celle du travail exagéré que
nécessite la marche; car c’est là, c’est dans l’accroissement du travail
mécanique qu’il faut chercher la vraie raison du mal des montagnes.
En effet, l’homme au repos, pour entretenir la chaleur animale et la
vie, consomme une quantité déterminée de chaleur, dont l’hydrogène et
le carbone font les frais. D’après les théories modernes, tout travail mé-
canique est le résultat ou la transformation d’une quantité équivalente de
calorique fourni par les combustions intimes.
Ce calorique, transformé en travail, n’augmente pas la température du
corps; mais il ne peut se produire sans donner les résidus ordinaires qui
sont, comme on le sait, de l’acide carbonique et de la vapeur d’eau.
L'exagération du travail à laquelle oblige la marche fatigante des ascen-
sions use donc dans le sang les matériaux de la calorification et produit
une quantité surabondante d’acide carbonique, dont l’économie se dé-
barrasse par l’accroissement de la respiration. Encore cette décharge
est-elle souvent insuffisante; d’où les phénomènes que nous avons dé-
crits, lesquels sont d’autant plus marqués que l’on est dans des régions
froides; d’où encore la rapidité avec laquelle ils cessent lorsque le
voyageur se repose, et qu’il ne demande plus à l’acte respiratoire que la
chaleur nécessaire à son entretien.
L’excès d'acide carbonique se dégage et -tout rentre dans l’ordre.
Il en est qui ont protesté au nom des anciennes théories,
et fait revivre les idées malheureusement classiques sur la
diminution du poids supporté par le corps, les hémorrhagies
par succion, la ventouse périphérique. J’ai raconté plus haut
(Y. p. 521) la singulière discussion soulevée à l’Académie
de médecine, et l’opinion de M. Colin sur le rôle des gaz in-
testinaux dilatés.
M. le docteur Chabert \ dans une thèse récente, après avoir
rapporté et adopté notre théorie, ne peut s’empêcher, non
sans remords il est vrai, de sacrifier lui aussi aux anciens
dieux, aux faux dieux :
L’accélération de la respiration et de la circulation a donc bien réel-
lement pour cause principale le besoin plus pressant d’oxygène.... Mais
1 Des accidents quon observe dans les hautes ascensions aérostatiques. — Thèses
de Paris, 1875.
1046 FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
certaines causes secondaires viennent en outre favoriser cette accéléra-
tion. Nous admettrons, entre autres, comme pouvant aider à ce résultat,
la plus grande tension des liquides et des gaz du sang, augmentation de
tension qu’on indique généralement comme devant se produire dans les
hautes régions, et qui serait due à la diminution de la pression am-
biante. Elle agirait en donnant au sang une fluidité plus grande, tandis
que la diminution de la pression atmosphérique permettrait aux capil-
laires de se dilater, ajoute-t-on, et par suite de donner au sang un passage
plus facile. Mais n’a-t-on pas quelque peu exagéré l’influence de cette
dernière cause? Le froid toujours si intense des régions où l’air est ra-
réfié ne doit-il pas largement contre-balancer cette action, déjà douteuse,
sur la circulation périphérique? Le froid, en effet, produit une stase du
sang dans les capillaires sur lesquels peut se manifester son' influence,
c’est-à-dire sur ceux mêmes que pourrait influencer la diminution de
pression. Or, cet effet du froid doit atténuer beaucoup l’action peut-être
encore problématique, de la dépression atmosphérique dans ce cas; et à
l’appui de notre opinion nous voyons, en effet, dans les observations que
nous avons rapportées, que cette circulation périphérique est loin d’être
aussi activée qu’on veut bien le dire. M. Glaisher se plaint que ses mains
bleuissent ; dans une autre ascension, il est obligé de verser de l’eau-de-
vie sur celles de son compagnon Coxwell, qui sont devenues noires et
insensibles, et nous voyons encore le même fait se produire d’autres
fois. (P. 28.)
Ces vieilles hypothèses ne méritent plus de nous arrêter
maintenant; un mot nous suffira tout à l’heure pour en ré-
sumer la réfutation définitive.
Mais nous sommes loin de traiter avec le même dédain
l’intéressante théorie développée par M. Dufour. Nous avons
vu, dans la partie historique de ce livre (p. 503), que ce
savant avait, en 1874, mais sans connaître encore nos expé-
riences, émis l’opinion que le mal des montagnes est dû à
l’épuisement, par le fait des contractions musculaires exagé-
rées, des matériaux ternaires du sang et des tissus, maté-
riaux nécessaires à la production de la chaleur et du tra-
vail. La réponse à cette théorie se présente d’elle-mème, et
nous l’avons exprimée en quelques mots (p. 554). La dis-
cussion qui eut lieu au sein de la Société médicale de la
Suisse romande avant fait connaître à M. Dufour les résul-
«j
tats de mes expériences, il modifia quelque peu sa manière
de voir, et en arriva à considérer qu’il faut distinguer le
mal d'altitude d’avec le mal de fatigue , la comhinajsou de
DIMINUTION DE PRESSION.
1047
ces deux facteurs engendrant le mal de montagne. Voici, du
reste, ses propres paroles 1 :
A. Le mal d'altitude. — Le sang perd sa provision d’oxygène suivant
les règles établies par M. Bert pour quelques animaux. Ainsi, si on peut
appliquer à l’homme les résultats obtenus chez les animaux, à 4200 mè-
tres le sang aurait déjà perdu un cinquième de l’oxygène qui doit y être
contenu, à 6400 mètres presque la moitié, et ainsi de suite.
On comprend que cela constitue un état pathologique, lequel survient
par le simple fait que l’on respire à une pression trop faible ou dans un
air trop peu oxygéné.
Le mal d’altitude est le seul mal qu’éprouvent les aréonautes si nous
ne faisons pas entrer en ligne de compte l’influence du froid.
B. Le mal de fatigue. — C’est la conséquence du travail musculaire.
Si celui-ci est répété et violent, comme après l’ascension rapide d’une
longue rampe d’escaliers, le mal de fatigue sera une asphyxie par défaut
d’oxygène et excès d’acide carbonique dans le sang. Si le travail muscu-
laire est long et soutenu, sans réparation alimentaire, l’organisme souf-
frira par inanition.
L’asphvxie par travail musculaire ne se produira guère à la plaine, si
le travail n’est pas trop rapide ; elle se produira facilement dans les hau-
teurs, d’après les résultats de M. Bert. Mais un travail prolongé, quel
qu’il soit, finira toujours par produire des symptômes pathologiques.
Ceux-ci doivent être très-difficiles à déterminer exactement; il paraît pro-
bable cependant que c’est au mal de fatigue que l’on doit la plupart des
symptômes pathologiques observés en montagne.
Le mal de montagne serait alors une action combinée du mal d’altitude
et du mal de fatigue, ou plutôt un mal de fatigue venant plus rapidement,
par le fait de l’altitude. Plus le mal de montagne se montre à un niveau
bas, plus il dépend du facteur inanition sur lequel j’ai insisté, plus il se
montre à un niveau élevé, plus l’anoxyhémie de M. Bert joue un rôle im-
portant.
Le mal des montagnes nous apparaît ainsi comme un phénomène com-
plexe dépendant de l’altitude, de la fatigue (celle-ci dépendant à son tour
du travail, de l’alimentation) et des impressions morales que MM. Javel L*
et Forel (Bulletin, mars et juin) ont démontrées par d’intéressants exemples
(p. 265).
La conséquence de ceci, c’est :
Qu’il est impossible que M. Bert puisse étudier le mal des montagnes
sous la cloche pneumatique. Pourquoi? Parce qu’il n’éprouve que l’in-
fluence de la raréfaction, c’est-à-dire le mal d’altitude pur et simple
(p. 264).
1 Encore un mot sur le mal des montagnes. — Bull . de la Soc. mcd. de la Suisse
romande , 1874, p. 201-264.
1048
FAITS REGENTS, RESEME ET CONCLUSIONS.
Nous n’avons rien à changer à notre réponse. La fatigue à
laquelle sont soumis les ascensionnistes a-t-elle pour cause
prochaine, comme le dit M. Dufour, l’usure des matériaux
carbonés des muscles et du sang? C’est là une hypothèse vrai-
semblable, bien que non prouvée et certainement incom-
plète. On a beaucoup écrit et beaucoup expérimenté sur la
fatigue musculaire et nerveuse, et la question est encore
pleine d’obscurités. Mais en lin, il importe peu que cette fatigue
consécutive à des excès de marche et à des efforts continu:
d’ascension soit la suite d’excursions sur des collines de b à
600m d’altitude, ou dans des montagnes dé passa ni iOüO111.
Or, les manifestations seront tout autres dans les deux cas;
et le nom même du mal des montagnes est des plus caracté-
ristiques. Il 11e se montre qu’à un certain niveau, là où la dés-
oxygénation du sang est arrivée à un degré suffisant, et nous
verrons dans un moment à préciser ce mot. Si les aéronautes
ne sont frappés que bien après les ascensionnistes, ce n’est
point parce que leur réserve de matériaux ternaires est in-
tacte, car il leur suffit de se livrer à quelques efforts pour
être malades aussitôt, c’est parce que leurs muscles au repos
ne demandent point au sang artériel appauvri une quantité
d’oxygène qu’il serait incapable de leur fournir. Est-ce à dire
que les diverses causes de fatigue ne jouent aucun rôle dans
les conditions d’apparition du mal des montagnes? J’ai ré-
pondu déjà à cette question (V. p. 557) ; mais il est douteux
qu’il s’agisse d’usure des matériaux ternaires, puisqu’une
nuit sans sommeil, une indigestion, une indisposition quel-
conque ont les mêmes conséquences fâcheuses. L’homme fati-
gué présente les meilleures conditions pour le développement
du mal des montagnes; mais celui-ci ne reconnaît pas la fati-
gue pour cause, puisque, si elle est seule, il 11’apparaît jamais.
M. Forel, des travaux duquel il a été question dans notre
première partie (Y. p. 500), a complètement adopté mes idées
dans son troisième Mémoire1. Je reproduis ici l’intéressant
1 Expériences sur la température du corps humain dans l'acte de l'ascension sur
les montagnes. 5e série. — Genève et Bàle, 1874. (Extrait du Bull, de la Soc. méd.
de la Suisse romande.)
DIMINUTION DE PRESSION.
1049
récit d’une excursion faite par ce physicien dans une grotte
dont l’air était fort pauvre en oxygène, récit qu’il faut rappro-
cher de celui de M. F. Leblanc (Y. p. 745) et aussi, à cause
d’une remarquable coïncidence de symptômes, de mon expé-
rience CCLIV (V. p 750) :
Je faisais, le 25 juin 1864, une course d’exploration dans la Grolte-des-
Fèes de St-Maurice, caverne très-profonde qui présente entre autres parti-
cularités une atmosphère très-pauvre en oxygène ; voici le résultat d’une
des analyses que M. le professeur Bischoff a faites sur l’air recueilli
à 1000 mètres de distance de l’entrée de la caverne.
Azote 82,(56
Oxygène 15,55 1
Acide carbonique 1,99.
Si je calcule la tension de l’oxygène dans cet air, je vois qu’elle est de
14,7 centièmes d’atmosphère, la tension normale au bord de la mer étant
de 20,9. Ce chiffre corespondaità la tension de l’air à une altitude déplus
de 2000 mètres.
Après un séjour de plusieurs heures dans cette caverne, en étudiant
mon état physiologique, j’ai constaté : accélération du pouls, accélération
des mouvements respiratoires, et troubles intellectuels que je décrivais
alors dans les termes suivants : Lorsque j’ai voulu compter mon pouls,
j’ai été obligé d’y revenir à sept fois; je me trompais souvent, je passais
des nombres, je comptais deux fois de suite la môme dizaine ou je comp-
tais une dizaine en commençant par la fin.
La similitude presque complète des symptômes de troubles intellectuels
observés par M. Bert et par moi, à un si grand intervalle et dans des con-
ditions extérieures si différentes, m’a semblé mériter d’être signa-
lée. (P. 88.)
M. Ford voit, comme nous, la cause de la faiblesse des
contractions .musculaires pendant le mal des montagnes,
dans l’épuisement de l’oxygène du muscle, et non dans la con-
sommation des réserves carbonées de l’organisme, et il s’ex-
prime à ce propos en termes excellents :
Nous pouvons reproduire la fatigue spéciale du mal des montagnes, en
plaine, en montant, en courant rapidement une longue rampe très-incli-
née, une centaine de marches d’escalier; par exemple l’Escalier-du-Mar-
1 P. Moyle a rencontré dans une mine de cuivre du duché de Cornouailles, la
mine de Carn-Bréa, une proportion plus faible encore d’oxygène (14,51). Deux
hommes y travaillaient; mais il ne dit rien des troubles physiologiques. — Ann.
dephys. et de chimie , 5e série, t. lit, p. 518-551, 1841.
1050
FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
ché, à Lausanne, m’a souvent servi pour cette expérience. En arrivant
près du sommet, l’on s’arrête essoufflé, incapable de faire un pas, en
proie à des palpitations violentes, asphyxié, éreinté, mais surtout inca-
pable de faire un pas, de soulever la jambe. On souffre du mal des mon-
tagnes dans toute sa perfection. Or, dans ce cas, le travail opéré n’est
pas très-considérable ; il est loin d’épuiser la réserve des matériaux com-
bustibles de l’organisme. Mais ce travail se fait très-rapidement; c’est en
quelques minutes que ce déploiement de forces s’exécute; il épuise la
réserve d’oxygène, et alors même que l’air n’est pas raréfié comme il l’est
sur une haute montagne, nous sommes asphyxiés. (P. 92.)
Le mémoire auquel nous venons de faire ces emprunts con-
tient les récits fort intéressants d’ascensions faites par M. Fo-
rel au Gorner-Graat (le 4 juillet 1875; 51 56m), et à la Sattel
Toile , sur le mont Rose (le 7 juillet 1875 ; 4500m). Chose cu-
rieuse, mais qui n’étonnera pas trop nos lecteurs, notre
voyageur souffrit bien évidemment du mal des montagnes
dans la première ascension, et ne fut que très-peu indisposé
pendant la seconde, dans laquelle cependant il monta beau-
coup plus haut.
Voici, en effet, ce qu’il dit de son voyage au Gorner-
Graat :
5b45m. Dans mon lit à Zermatt, 0 — 56°,75.
1 lh45m. Arrivée à l’hôtel du Riffel : 58°, 62.
lb45m. Après déjeuner, 57°, 70.
Promenade au Gorner-Graat. Marche très-lente jusqu’au col du Riffel
(2780m). J’y suis fortement influencé par le mal des montagnes. Gêne res-
piratoire. Flatulence. Nausées. Céphalalgie. Sommeil. Pouls très-petit. Res-
piration 24, très-large. Pouls 95.
Fig. 82. — Pouls au col du Riffel (2780m), pendant le mal des montagnes
(ascension du 4 juillet).
Je prends un tracé sphygmographique (fig. 81).
DIMINUTION DE PRESSION.
1051
Impulsion du cœur très-faible, très-lente, dicrotisme. Pouls misérable.
Sieste d’une demi-heure.
En route pour le Gorner-Graat, pouls 144. Je bois quelques gouttes
d’eau de cerises et le malaise disparait.
4u20,n. Arrivée au sommet du Gorner-Graat (3136m). 58°, 36e.
Pouls 126, respiration 30 (P. 109.)
Au contraire, l’ascension de la Sattel Toile fut très-peu pé-
nible :
lb20m : 2509m. Réveil à l’hôtel du Riffel : 0 — 37°, 10.
4h3üm : 2850m. Temp. 38°, 14; pouls 80; resp. 34.
6h : 3300m. Au-dessus de ce point, je commence à souffrir de gêne res-
piratoire, de céphalalgie, j’ai la tête comme cerclée. Notre ascension est
très-lente en partie à cause de cette oppression, en partie à cause de
l’état détestable de la neige où nous enfonçons à chaque pas jusqu’aux
genoux.
6n55w. La gêne respiratoire s’accentue; temp. 38°, 44; pouls 100;
resp. 32.
7h45m : 3700m. Pendant la montée ; temp. 58°, 25 ; pouls 102 ;
resp, 42.
8h7m ; 3800“*. Quelques nausées; 3e déjeuner; pouls 80; resp, 24,
dyspnée.
Nous commençons la montée de la Botzer Toile , que nous faisons tout
d’une traite, sauf une halte de quelques minutes à moitié hauteur. Au
fur et à mesure de cette montée je vois disparaître l’un après l’autre la
plupart des symptômes du mal des montagnes dont je souffrais aupa-
ravant.
9h50m : 4300m. A la Sattel Toile, halte; temp. 38°, 59e; pouls 80;
resp. 38.
Fig. 85. — Pouls à la Sattel-Tolle (4300“) : en arrivant (a); après une demi-heure
de repos relatif (b) (ascension du 7 juillet).
10h. Ibid.; pouls 70.
1052 FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
10h55m. Pouls de 1 04 à 120; 4e déjeuner.
10h50m. Grande irrégularité du pouls qui est à 86 ; celui de mes
guides est à J 02 et 108, irréguliers.
Descente :
o». Arrivée au Riffel.
4h. Teinp. 57°, 87; pouls 95; resp. 28.
3h45lu du matin, à Zermatt (J 620"*) dans mon
(P. 102.)
temp. 57°, 52.
J’ajoute ici, comme terme de comparaison, uni tracé
sph vgm ogra pli iq ue pris par M. Foret à son retour à Mortes
(580m) le 10 juillet.
Fig. 85. — Pouls à Morges (380‘), repos absolu (10 juillet).
M. Forel attribue les différences entre les souffrances des
deux ascensions à l’habitude de la montagne, à rentraîne-
ment dû aux trois journées de séjour au Riffel (2500m) :
Chaque année, dit-il, j’ai plus souffert dans ma première ascension de
l’été que dans les courses subséquentes. Ainsi, en 1865, j’ai été très-forte-
ment éprouvé par le mal des montagnes sur le col du Géant à 5400 mètres.
C’était ma première ascension; mais six jours après, entraîné que j’étais
par les passages successifs des cols du Géant, de Joux, de la Ranzola,
d’Ollen et du Turlo, j'ai fait le passage de Weissthor, 5610 mètres, sans
souffrir aucunement de l’influence de l’altitude. (P. 108.)
Nous avons fait nous -môme des réflexions analogues
(Y. p. 556).
La disparition des accidents pendant 1 ascension de la Bot-
DIMINUTION DE PRESSION.
1055
zer Toile e st un fait des plus intéressants ; M. Forel l’explique
d’une manière fort originale :
En préparant ma course, j’avais eu soin de m’informer auprès de toutes
les personnes qui connaissaient le mont Rose du point où l’on souffre le
plus du mal des montagnes. Il est en effet connu que chaque montagne
a sous ce rapport sa localité spéciale ; ce n’est pas en général sur la
cime, bien aérée et bien ventée, sur les arêtes dangereuses ou intéres-
santes que le mal se fait ressentir le plus ; c’est surtout dans des rampes
neigeuses, encaissées, bien protégées contre les vents et ennuyeuses ; je
citerai comme exemple le corridor du mont Blanc. Tous les rapports qui
me furent faits étaient unanimes; c’était sur la Botzer Toile, avant d’arriver
au Sattel, que tous les voyageurs, et même souvent les guides, étaient
éprouvés. Sur l’arête du sommet, au contraire, personne ne pense à souf-
frir du mal des montagnes. Je me préparai donc à étudier soigneusement
cette Botzer Toile. Je m’en fis indiquer le commencement par les guides,
et je me forçai depuis son origine à monter rapidement et sans arrêt, de
manière à exagérer par la fatigue les symptômes dont je souffrais avant
de l’aborder. Mais, chose étrange, je vis ces symptômes disparaître l’un
après l’autre; à mesure que je dirigeais spécialement mon attention sur
l’un d’eux, je le sentais s’évanouir. La fatigue, la lassitude, la dépression,
la céphalalgie me laissèrent ainsi l’une après l’autre, et j’enlevai ce pas-
sage ennuyeux en parfaitement bon état, à la stupéfaction de mes guides
qui m’avaient vu péniblement affecté dans des régions beaucoup moins
fatales aux autres voyageurs. L’attention, l’intérêt scientifique a donc eu
pour moi dans ce cas le même effet curatif que possède le danger ; per-
sonne ne souffre du mal des montagnes dans les passages dangereux.
Cette action du moral et de l’attention particulière, sur le mal des moil-
tagncs, doit être signalée, et mérite d’être considérée plus qu’on ne l’a
fait jusqu’à présent dans l’étude de ce mal. Je me borne à l’indiquer
ici. (P. 110.)
La température du corps, on le voit par les chiffres plus
haut cités, s’est maintenue à son degré primitif, ou même
s’est élevée au-dessus, pendant les efforts musculaires; en
tout cas, il n’a pas été constaté de diminution. Mais il faut
dire que, précisément pendant l’accès du mal des monta-
gnes, c’est-à-dire au moment intéressant, l’examen de la
température n’a pas été fait. M. Forel, qui fait lui-même
remarquer cet oubli, donne « cette négligence comme une
preuve du trouble physique et mental qu’il ressentait alors »
(p. 109).
Deux voyageurs anglais, avant lu le travail du docteur Fo-
«J O O 7 «J
1054
FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
rel, publièrent les notes qu’ils avaient antérieurement prises,
sur les variations de leur température buccale pendant les
ascensions en montagne.
M. Thorpe1 est arrivé à des résultats négatifs. Son voyage
ascensionnel a consisté à monter de Gatane à Zaffarana : la
température buccale s’est montrée invariable, 98°, 4 F.; le
pouls était passé de 78 à 85.
M. Tempest Anderson2, au contraire, dit avoir observé un
notable abaissement delà température buccale pendant l’acte
même de l’ascension ; il affirme s’être mis à l’abri de toutes
causes d’erreur et s’être préalablement bien exercé aux ob-
servations thermométriques : le thermomètre restait cinq
minutes sous la langue. Voici le résumé de ses observations,
faites dans les collines du Yorkshire :
Hauteur. Temp.
Heure. (Pieds angl.) (Th. F.)
Au lit 7h,50 900 97°, 7
Avant de partir, ayant froid 9\40 id 97°, 6
Après une marche en plaine de un mille, et une
ascension rapide de 1000 pieds, fatigué, ayant ,
chaud, suant, et avant de m’arrêter llh,20 1900 96°, 4
Assis, après 10 minutes, ni chaud ni froid .... llh,50 id 98°, 2
Ascension rapide jusqu’au sommet, où j’arrive
en sueur, ne pouvant plus respirer 12h 2414 97°, 6
Assis, ayant un peu mangé, et trouvant le vent
froid * 12h,57 id 99°, 3
Rapide descente de 1000 pieds, ayant chaud, sans
m’arrêter 1 h ,1 0 1400 98°, 0
Traversé la vallée pour monter sur le Grageth;
après 500 pieds d’ascension, ayant chaud, suant,
et sans m’arrêter . ; . 2l,,17 1900 96°, 4
Assis 2\24 id 97°, 6
Id : . . 2h,35 id 98°, 6
Au sommet du Grageth, marchant lentement. . . 2h,52 2250 98°, 2
Assis, ayant froid « 5h,12 id 98°, 4
Après avoir descendu rapidement 1000 pieds . . 2h,55 1200 98°, 0
Assis * * . 4h, 5 id 98°, 0
A l’auberge du « George and Dragon » 9h,50 500 97°, 9
1 On the température of the human Body durinq mountain Climbinq . — Nature,
t. XII, p. 165, 1875.
2 Température of the Body in mountain Climbing. — Nature, t. XII, p. 186,
1875.
DIMINUTION DE PRESSION.
1055
Ainsi le minimum de température 96°, 4 a été observé pendant
la marche ascensionnelle, en pleine sueur, avec sensation de cha-
leur.
Je pense avec le docteur Marcet, que c’est le fait de l’ascension et non l’al-
titude en elle-même qui influence la température.
Une même théorie peut, selon M. Anderson, embrasser les
cas en apparence contradictoires, comme ceux de M. Marcet
et de M. Forel. La machine humaine n’a point, dit-il, chez
tous les hommes , le même rendement. La quantité de cha-
leur nécessaire pour obtenir le travail de l’ascension, peut,
chez certains individus, être développée grâce à une plus
grande activité dans les combustions; il se peut que d’autres
soient incapables de ce surcroît d’oxydation :
Dans la première classe on placerait M. Forel ; dans l’autre, celle des
faibles combureurs, je me range avec l’honorable compagnie des docteurs
Marcet et Lortet.
TABLEAU XXI.
llAUTEUR
HEURES
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W
P
H
fis
P
H
<
CS
Cm
53
«
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CALBERLA
(26 ANS)
PETER BOHREN
ANS)
PETER MULLER
(32 ans) J
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PULSATIONS 1
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C/3
Î5
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H
<
C/3
P
P
CS
RESPIRATIONS j
mètres
h. m.
1658
12 30
57°, 0
80
76
16
80
18
2799
3 15
+ 2°,0
104
56°, 8
100
28
37°, 4
108
28
3081
4 50
-1,4
37,4
100
96
50
108
28
3302
5 55
— 1,6
112
57,0
104
30
37,2
104
30
5521
6 50
+ 1,8
37,2
108
108
30
112
32
3780
8
“h 2,0
108
56,8
112
26
57,0
112
30
5817
8 50
+ 4,5
57,4
112
108
26
112
28
4008
9 57
+ 4,8
124
36,8
116
52
57,5
120
30
4358
10 45
+ 3,6
37,5
132
116
30
120
28
4271
11 (Halte.)
+ 4,1
92
36,4
88
20
37,0
100
22
4462
11 50
+ 0,2
37,2
112
112
28
116
30
4553
12 6
— 0,4
136
36,8
120
30
37,2
124
54
4695
12 55 (ir.au soin met)
+ 5,8
37,4
124
57,2
120
28
37,2
124
34
4663
2 (Apres repos.)
+ 4,8
56,8
88
36,8
80
18
36,8
96
20
4374
5 55
+ 4,6
124
37,0
96
24
57,2
116
28
3012
5 20
+ 5,2
37,4
140
128
32
128
36
1644
9 30
36,8
92
36,9
88
18
57,2-
92
18
FAITS RECENTS, RESUME ET CONCLUSIONS.
1056
Un voyageur allemand, Galberla *, a publié des observa-
tions du même ordre prises sur le mont Rose. Ci-contre est
un tableau (tableau XXI) qui résume les observations faites
sur lui-même et sur deux guides; les températures ont été
prises dans le rectum, pendant la marche même.
Les variations des respirations et des pulsations sont en
rapport avec tout ce qu’on connaissait déjà. Quant aux tem-
pératures, on voit qu’elles ont oscillé, pour Calberla et P. Mill-
ier, de 56°, 8 à 57°, 5; pour P. Bohren, de 50°, 4 à 57°, 2. Pen-
dant l’ascension, la température s’est toujours élevée; le
minimum observé a été pendant une halte, à 4571 mètres, ou
après le repos au sommet du mont Rose, la température de
l’air étant de -h 4°, 8.
Le professeur L. Thomas, dans une note jointe au Mémoire
de Calberla, déclare avoir mesuré sa température sous la lan-
gue pendant plusieurs années auRoccia Melonc (5550 mètres),
au Levanna(5750 mètres), au grand Pelvoux(5954 mètres) , sans
jamais avoir constaté d’abaissement de la température par le
fait de l’ascension.
Mais il convient de faire remarquer que toutes ces obser-
vations laissent entière la question de savoir ce qu’il advien-
drait si les observateurs avaient réellement souffert de l’alti-
tude ; il reste donc encore un point obscur, et sur lequel j’ap-
pelle l’attention des voyageurs scientifiques : la température
diminue-t-elle par l’acte de l’ascension, pendant l’état bien
prononcé de mal des montagnes? Mais je dois insister à nou-
veau sur les précautions à prendre dans l’emploi du thermo-
mètre buccal : deux minutes d’application sous la langue
sont pour le moins nécessaires, suivant les observations de
M. Thorpe. Et encore les causes d’erreur (voy. p. 500) sont
telles, que le mieux est de prendre la température dans le
rectum, à l’aide de thermomètres à maxima.
Je citerai encore, comme document intéressant pour notre
sujet, quelques extraits d’une lettre que j’ai reçue de M. le
docteur Ward, qui fut attaché, à titre médical, aux travaux
1 Ueber clas VcrhalLen der Kôrperteinperatur bel Bergbeistungen. Arch. dey Heil-
kunde , XVI, p. 276-281, 1875.
DIMINUTION DE PRESSION.
1057
du chemin de fer qui traverse les Andes, du Gallao à la
Orova :
cl
Presque tous les ouvriers qui oui travaillé au tunnel, excepté les indi-
gènes nés dans la montagne, ont souffert plus ou moins durement de la
diminution de pression; cependant ils se sont presque tous assez rapide-
ment accoutumés à cette influence, c’est-à-dire après une ou deux semaines.
Les animaux souffraient comme les hommes.
Les natifs sont des hommes courts et trapus, avec une capacité pulmo-
naire immense, comme le prouvent les mesures suivantes, prises sur la
peau nue, au niveau des mamelons.
Age.
Taille.
Circonférence de la poitr
14 ans.
. 4
pieds 10 pouces
56
pouces
24 — .
. 5
— 6 1/2
55
21 — .
. 5
— 4
55
16 — .
tu
. 0
— »
54
1/2
50 — .
. 5
— 4 1/2
50
1/2
Ces hommes mangent du blé sec, de la coca, du sucre grossier, des
pommes de terre, avec peu ou plus souvent point de viande. Avec une
poignée de grain et de coca, ils peuvent travailler toute une journée sans
donner signe de fatigue.
M. Malinowski, ingénieur à Lima, en m’envoyant la lettre
du docteur Ward, ajoute :
Un Américain du Nord, aide-ingénieur, ayant été un jour faire une vi-
site au tunnel, y fut attaqué du sorroche d’une manière très-violente. On
s’empressa de le faire transporter vers un endroit moins élevé de
1000 mètres environ, mais il expira bientôt.
M. le docteur Vacher1 a publié une intéressante étude sur
les stations médicales de Davos (1650 mètres), dans les Gri-
sons, et du mont Dore, en Auvergne(1050 mètres). Il constate,
comme beaucoup de ses prédécesseurs, l’immunité pour la
phthisie de la population de ces hauts lieux, et étudie la
question du traitement par la cure des hauteurs de cette re-
doutable maladie. Pour ce qui nous intéresse ici, nous ne
relèverons que les observations suivantes :
1° A Davos, le nombre des mouvements cardiaques est sensiblement
plus élevé que dans la plaine ; à Paris, mon pouls donne 69 pulsations ;
1 Le mont Dore; Davos. Étude médicale et climatologique. — Paris, 1875.
67
1058
FAITS RECENTS, RESUME ET CONCLUSIONS.
à Davos, 78. C’est à ce phénomène qu’on a donné le nom assez impropre
de fièvre d’altitude.... Il persiste pendant toute la durée du séjour dans
la station, ce qui le distingue des phénomènes d’excitation produits par
les eaux minérales
2° Les fonctions du poumon sont également modifiées dans ce milieu ra-
réfié, où l’on constate une amélioration notable des mouvements respira-
toires. Le docteur Spengler déclare expressément que, dans l’atmosphère
de Davos, le poumon supplée au déficit d’oxygène par des inspirations
plus profondes et plus lentes que dans les conditions normales de pres-
sion. 11 est bien vrai qu’à l’altitude de 1650 mètres il y a dans l’air un
déficit notable d’oxygène, mais l’observation pr ouve que ce n’est pas par
des inspirations plus profondes et plus prolongées que le poumon y sup-
plée, mais par des mouvements respiratoires plus fréquents. A Davos, où
je me suis observé avec soin pendant plusieurs jours, j’ai constaté 18,2
mouvements respiratoires par minute, tandis qu’à Paris, ie n’en compte
que 16,6 (p. 12).
Comme premier signe d’amendement des symptômes thoraciques dans
la phthisie, on observe à Davos un accroissement de la capacité respira-
toire, mesurée à l’aide du spiromètre, instrument couramment employé
dans cette station (p. 15).
C’est le 22 mars 1874 que Crocé-Spmelli et Sivel firent leur
premier voyage à grande hauteur, dans lequel, encouragés par
le résultat des tentatives faites dans nos cylindres (V. p. 754),
ils emportèrent des ballonnets d’oxygène, afin de combattre en
respirant ce gaz les effets de la décompression. V Etoile po-
laire, qu’ils montaient, aérostat de 2800 mètres cubes, les
porta en deux heures à 7500 mètres de hauteur. Je reproduis
ici la partie de leur récit1 qui touche à notre sujet :
Nous ressentîmes dans notre voyage, disent-ils, des impressions analo-
gues à celles que nous avions éprouvées dans les cloches à dépression
de M. Bert, où nous étions entrés quelques jours avant l’ascension pour
descendre jusqu’à la pression de 504 millimètres. Cependant, dans la na-
celle, où nous arrivâmes à 500 millimètres, le malaise était bien plus vif
que dans la cloche, ce qui doit être attribué au travail plus considérable
effectué, au grand abaissement de la température et à la durée du séjour
dans les couches élevées. Tandis que dans la nacelle, nous avons subi un
froid de 22 à 24 degrés, nous n’avions qu’une température cou tante de
-}- 15° pendant la dépression à terre; de plus, le séjour dans la cloche ne
fut que d’une heure, ce qui est presque la durée des ascensions à grande
hauteur au-dessus de 7000 mètres, tandis que nous restâmes 2 heures 40
1 Comptes vendus de l'Académie des sciences, t. LXXV1II, p. 046 et 1060; 1874.
DIMINUTION DE PRESSION.
105 'J
minutes en l’air, et 1 heure 45 minutes au-dessus de 5000 mètres. Ajou-
tons que dans la cloche, l’oxygène pur que nous inspirions nous produisit
des étourdissements analogues à ceux de l’ivresse, et qu’au contraire
nous nous trouvâmes très-bien des deux mélanges, l’un à 40 pour 100
d’oxygène et 60 pour 100 d’azote, et l’autre à 70 pour 100 d’oxygène et
50 pour 100 d’azote, que M. Bert nous avait fournis pour notre ascen-
sion.
Nous commençâmes à respirer le mélange à 40 pour 100 à partir de
5600 métrés et jusqu’à 6000 mètres; nous eûmes recours à celui de
70 pour 100 dans les grandes hauteurs, parce que le moins riche était
insuffisant, surtout pour M. Crocé-Spinelli. Dans les régions les plus raré-
fiées, nous dûmes tous deux laisser dans la bouche les tuyaux de caout-
chouc qui correspondaient aux ballonnets. Nous respirions ainsi de temps
en temps, en ayant soin de serrer avec les dents l’ajutage élastique quand
nous nous sentions mieux. Lorsque M. Sivel jetait du lest, ce qui l’empê-
chait de respirer du gaz, les sacs de 15 ki'ogrammes lui semblaient en
peser 100.
Pour M. Crocé-Spinelli, tempérament lymphatico-nerveux, les effets
étaient bien autrement marqués que pour M. Sivel, homme très-vigou-
reux, de tempérament sanguin. Lorsque le premier ne respirait plus
d’oxygène, il était obligé de s’asseoir sur un sac de lest et de faire ses
observations, immobile dans celte position. Pendant l’absorption du gaz
comburant, il se sentait renaître, et après une dizaine d’inspirations, il
pouvait se lever, causer gaiement, regarder le sol avec attention et faire
les observations délicates. L’esprit était précis et la mémoire excellente.
Pour voir dans le spectroscope, il lui fallait inspirer ce gaz, justement
appelé vital ; les raies, d’abord confuses, devenaient alors très-nettes.
L’oxygène produisit encore chez M. Crocé-Spinelli un effet dont l’expli-
cation est facile, après ce qui vient d’être dit. Pour réagir contre les
effets combinés du froid et de la raréfaction, il essaya de manger. Le
résultat ne fut d’abord pas favorable; mais, ayant eu l’idée de respirer en
même temps de l’oxygène, il sentit l’appétit revenir et la digestion s’opérer
facilement. Quant au pouls, il marquait chez lui entre les hauteurs de
6560 et 7400 mètres, 140 pulsations avant l’absorption, et 120 tout de
suite après. Son pouls, à terre, est de 80 en moyenne.
Nous n’eûmes, ni l’un ni l’autre, ces saignements de nez, des lèvres et
des oreilles dont s’était plaint Gay-Lussac1, bien que la face fût devenue
très-rouge et les muqueuses presque noires. Nous ressentîmes, par mo-
ments, comme dans la cloche, de la chaleur à la face et des picotements
dans la tête. Le front, par instants, semblait serré comme dans un élau,
et l’on avait la sensation d’une barre dure, de faible diamètre, que l’on
appuierait très-fortement au-dessus du sourcil. Une inspiration d’oxygène
faisait disparaître en grande partie les sensations douloureuses.
1 M. Crocé-Spinelli a reproduit ici une version accréditée à tort. Gay-Lussac
n’a eu à souffrir d’aucune hémorrhagie. (Yoy. plus haut, p. 189.)
1000
FAITS RECENTS, RESUME ET CONCLUSIONS.
La descente s’opéra presque sans lest et sans oxygène; la provision,
dont M. Crocé-Spinelli avait absorbé presque les deux tiers, était épuisée.-
Vers 4000 mètres, alors que la température était remontée à — 7°,
M. Sivel fut pris d’un tremblement très-fort et d’un malaise extrême. Sa
figure était contractée, et sa bouche était ouverte avec un certain rictus.
Son compagnon, moins vigoureux cependant, ne ressentait alors qu’un
froid très-sensible produit par le passage rapide dans l’air. Tandis qu’à
— 22° nous ne ressentions tous deux qu’une sensation de froid assez
faible, parce que l’air était calme, nous grelottions dans la descente rapide.
11 y avait d’ailleurs certainement une autre cause du malaise de M. Sivel :
peut-être avait-il trop travaillé. Ce malaise disparut à 2500 mètres.
Nous avions des compagnons de nacelle : nous possédions, en effet, des
pigeons voyageurs qui nous avaient été prêtés par M. Van Roosbecke.
Quatre pigeons, choisis parmi les meilleurs coureurs, se trouvaient dans
une cage, avec la plume préparée qui devait recevoir la dépêche. Ils
semblaient fort mal à l’aise dans les hautes régions; ils s’appuyaient sur
le ventre et avaient les paupières baissées.
Le premier pigeon fut lancé à 5000 mètres, une demi-heure après le
départ. Il commença par battre des ailes, se soutint quelque temps en
cherchant à remonter sur sa cage, puis, voyant que ses efforts étaient
vains, il descendit les ailes étendues, en décrivant des courbes de 200 à
500 mètres de diamètre, et cela avec une effrayante vitesse de translation
d’environ 40 à 50 mètres par seconde. C’est le seul qui soit revenu avec
sa dépêche, et cela après avoir mis plus de 50 heures pour arriver à sa
destination. Le second, lancé après le départ, vers 5200 mètres, se com-
porta de même. Il eut cependant la force de remonter en volant sur sa
cage.
Nous appelons tout spécialement rattention sur les effets
favorables des respirations oxygénées. Retour des forces et de
l’appétit, diminution des douleurs de tète, rétablissement de
la vision nette, du sang-froid, de la présence d’esprit, tous les
phénomènes déjà observés dans les cylindres de mon labora-
toire se reproduisirent avec une sûreté qui, dans ces circon-
stances dramatiques, frappa fortement l’opinion et inspira
aux deux aéronautes une confiance poussée jusqu’à l’impru-
dence, et qui leur devint fatale.
Le 15 avril 1875, ils repartaient pour une nouvelle ascen-
sion à grande hauteur, emmenant avec eux M. Gaston Tis-
sandier. Au cercle de l’aérostat étaient attachés trois ballon-
nets remplis d’un mélange à 72 pour 100 d’oxygène. Ces bal-
lonnets, je puis le dire aujourd’hui, étaient d’une capacité
DIMINUTION DE PRESSION.
1061
tout à fait insuffisante. J’étais alors absent de Paris, et pré-
venu par une lettre de Crocé-Spinelli de leur prochain voyage,
lettre dans laquelle il m’indiquait la quantité d’oxygène
qu’ils allaient emporter (elle devait être, je crois, de 150 li-
tres) , je lui en fis remarquer l’insuffisance. « Dans les hauts
lieux où cette respiration artificielle vous sera indispensable,
lui disais-je, vous devez compter, pour trois hommes, sur une
consommation d’au moins 20 litres par minute; voyez com-
ment votre provision sera vite épuisée ! » Ma lettre arrivait,
paraît-il, trop tard; le jour de l’ascension était fixé, et l’on
tira simplement de mes observations cette conclusion qui fut
si funeste, qu’il fallait attendre l’extrême nécessité pour faire
usage des ballonnets. On sait ce qui advint : quand les aéro-
nautes, sentant l’asphyxie les gagner, voulurent saisir les tu-
bes sauveurs, leurs bras étaient paralysés.
M. Gaston Tissandier, le seul survivant de la catastrophe
du Zénith , en a écrit1 une narration saisissante et à laquelle
nous allons faire de larges emprunts :
Le jeudi 15 avril 1875, à llh 35m du matin, l’aéroslat le Zénith s’éle-
vait de terre à l’usine à gaz de la Villette. Crocé-Spinelli, Sivel et moi
avions pris place dans la nacelle. Trois ballonnets remplis d’un mélange
d’air à 70 pour 100 d’oxvgène étaient attachés au cercle. A la partie infé-
rieure de chacun d’eux, un tube de caoutchouc traversait un flacon la-
veur rempli d’un liquide aromatique. Cet appareil, dans les hautes ré-
gions de l’atmosphère, devait fournir aux voyageurs le gaz comburant
nécessaire à l’entretien de la vie. Un aspirateur à retournement rempli
d'essence de pétrole, que l’abaissement de température ne peut solidifier,
était suspendu en dehors de la nacelle; il allait être arrimé verticalement
à 5000 mètres d’altitude pour faire passer de l’air dans les tubes à po-
tasse destinés aux dosages de l’acide carbonique
On part, on s’élève au milieu d’un flot de lumière, emblème de la joie,
de l’espérance !...
Trois heures après le départ, Sivel et Crocé-Spinelli allaient être trouvés
inanimés dans la nacelle! Au delà de 8000 mètres d’altitude, l’asphyxie a
frappé de mort ces disciples de la science et de la vérité !
Il appartient à leur compagnon de voyage, miraculeusement échappé au
trépas, de fermer un instant son cœur à la douleur, de chasser les tristes
souvenirs et les sombres visions, pour rapporter les faits recueillis pen-
1 Journal la Nature, n° du 1er mai 1875; 5e année, 1er semestre, p. 557-5-44.
1062 FAITS RECENTS, RÉSUMÉ -ET CONCLUSIONS.
dant l’exploration et pour dire ce qu’il sait de la mort de ses infortunés
et glorieux amis
• ••• • • • • •*•*••••••(•••*•
A 4500 mètres, nous commençons à respirer de l’oxygène, non pas
parce que nous sentons encore le besoin d’avoir recours au mélange ga-
zeux, mais uniquement parce que nous voulons nous convaincre que nos
appareils, si bien disposés par M. Limousin, d’après les proportions indi-
quées par M. P. Bert, fonctionnent convenablement.
Je dois dire à ce sujet que mon cher et regretté Crocé-Spinelli avait
insisté avec énergie pour que je fasse partie de l’ascension à grande hau-
teur, qu’il devait d’abord accomplir seul avec Sivel. M. Hervé-Mangon ,
président de la Société de navigation aérienne , et M. Bureau de Villeneuve,
secrétaire général, n’approuvaient pas ce projet, dans la seule crainte, je
me hâte de l’ajouter, de priver Sivel de la quantité de lest suffisante et
dont ma présence devait diminuer le poids. Ces messieurs avaient cepen-
dant cédé aux pressantes instances de Crocé-Spinelli. Qui eût résisté au
charme de sa parole entraînante et de son regard? « Mon ami Tissandier,
me disait Crocé quelques jours après la première ascension du Zénith ,
soyez tranquille, vous partirez avec nous. Je ne vous quitte pas, ajoutait-il
en me serrant dans ses bras. Il faut être trois pour faire une ascension en
hauteur, pour mieux confirmer les résultats. Et qui sait? un accident
peut survenir. Six bras valent mieux que quatre! D’ailleurs, il faut que
vous respiriez l’oxygène, dans les hautes régions, pour affirmer comme
nous que cela est efficace, que cela est nécessaire. »
Crocé-Spinelli avait un ardent amour de la vérité, et il ne pouvait ad-
mettre, lui si franc, si loyal, que l’on mît en doute ses affirmations. C’est
à l’altitude de 7000 mètres, à lb 20m, que j’ai respiré le mélange d’air et
d’oxygène, et que j’ai senti en effet tout mon être, déjà oppressé, se ra-
nimer sous l’action de ce cordial; à 7000 mètres, j’ai tracé sur mon carnet
de bord les lignes suivantes : Je respire oxygène. Excellent effet.
A cette hauteur, Sivel, qui était d’une force physique peu commune et
d’un tempérament sanguin, eommençajt à fermer les yeux par moments,
à s’assoupir même et à devenir un peu pâle. Mais celte âme vaillante ne
s’abandonnait pas longtemps aux mouvements de la faiblesse : il se re-
dressait avec l’expression de la fermeté; il me faisait vider le liquide con-
tenu dans mon aspirateur après mon expérience, et il jetait le le.^t par-
dessus bord pour atteindre des régions plus élevées. Sivel avait été l’an
dernier à 7500 mètres, avec Crocé-Spinelli. Il voulait, cette année, mon-
ter à 8000 mètres, et quand Sivel voulait, il eût fallu de bien grands
obstacles pour entraver ses desseins.
Crocé-Spinelli avait depuis longtemps l’œil fixé au spectroscope. 11 pa-
raissait rayonnant de joie, et s’était écrié déjà : « 11 y a absence complète
des raies de la vapeau d’eau. >' Puis, après avoir fait entendre ces paroles,
il s’était mis à continuer ses observations avec une telle ardeur, qu’il
m’avait prié d’inscrire sur mon carnet le résultat des lectures du thermo-
mètre et du baromètre.
DIMINUTION DE PRESSION.
1003
Pendant le cours de cette ascension rapide, au milieu d’occupations
multiples , il nous a été difficile d’apporter aux observations physiolo-
giques l’attention qu’elles nécessitent. Nous réservions nos forces à cet
égard, pour le moment où nous serions plongés dans Pair des régions
supérieures, sans soupçonner le dénoùment funeste qui allait paralyser
nos efforts. Il nous a été possible cependant d’obtenir les résultats sui-
vants, que nous enregistrons d’après les carnets de bord :
Heure.
Altitude.
12
h. 48
4602m
Tissandier, 110 pulsations à laminule.
12
h. 55
521 0™
Crocé, température buccale 37°, 50.
1
h. 03
5300m
Crocé, 120 pulsations à la minute.
1
h. 05
5300m
Tissandier, nombre d’inspirations détermi-
nées par Crocé, 26.
Id.
Id.
Sivel, 155 pulsations à la minute.
Id.
Id.
Id. température buccale 37°, 90.
Voici la moyenne des observations qui avaient été recueillies précédem-
ment à terre pendant plusieurs jours consécutifs :
Crocé-Spinelli. . .
Sivel
Tissandier
Pulsations Inspirations Température
à la minute. à la minute. buccale.
74 à 85 24 57°, 5
76 à 86 inconnu 37°, 5
70 à 80 19 à 23 37°, 4
J’arrive à l’heure fatale où nous allions être saisis par la terrible in-
fluence de la dépression atmosphérique. A 7000 mètres nous sommes
tous debout dans la nacelle; Sivel, un moment engourdi, s est ranimé;
Crocé-Spinelli est immobile en face de moi. « Voyez, me dit ce dernier,
comme ces cirrhus sont beaux! » C’était beau, en effet, ce spectacle su-
blime qui s’offrait à nos yeux. Des cirrhus, de formes diverses, les uns
allongés, les autres légèrement mamelonnés, formaient autour de nous
un cercle d’un blanc d’argent. En se penchant au dehors de la nacelle on
apercevait, comme au fond d’un puits, dont les cirrhus et la buée infé-
rieure eussent formé les parois, la surface terrestre qui apparaissait dans
les abîmes de l’atmosphère. Le ciel, loin d’être noir et foncé, était d’un
bleu clair et limpide ; le soleil ardent nous brûlait le visage. Cependant
le froid commençait à faire sentir son influ nce, et nous avions, antérieu-
rement déjà, placé nos couvertures sur nos épaules. L’engourdissement
m’avait saisi, mes mains étaient froides, glacées. Je voulais mettre mes
gants de fourrure; mais sans en avoir conscience, l’action de les prendre
dans ma poche nécessitait, de ma part, un effort que je ne pouvais plus
faire.
A cette hauteur de 7000 mètres, j’écrivais cependant presque machi-
nalement sur mon carnet ; je recopie textuellement les lignes suivantes,
qui on f été écrites sans que j’en aie actuellement le souvenir bien précis;
11104 FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
elles sont tracées d’une façon peu lisible, par une main que le froid de-
vait singulièrement faire trembler :
« J'ai les mains gelées. Je vais bien. Nous allons bien. Brume à l'hori-
zon avec petits cirrhus arrondis. Nous montons. Crocé souffle. Nous respi-
rons oxygène. Sivel ferme les yeux. Crocé aussi ferme les yeux. Je vide
aspirateur. Temp. — 10°. 1 h. 20, H. 520. Sivel est assoupi 1 h. 25,
temp. — il0, H = 500. Sivel jette lest. Sivel jette lest. » (Ces derniers mots
sont à peine lisibles.)
Sivel, en effet, qui était resté quelques instants, comme pensif et im-
mobile, fermant parfois les yeux, venait de se rappeler sans doute qu’il
voulait dépasser les limites où planait alors le Zénith. 11 se redresse, sa
figure énergique s’éclaire subitement d’un éclat inaccoutumé ; il se tourne
vers moi et me dit : Quelle est la pression? — 50e (7450 mètres d’altitude
environ). — Nous avons beaucoup de lest, faut-il en jeter? — Je lui ré-
ponds : Faites ce que vous voudrez. — 11 se tourne vers Crocé et lui fait
la même question. Crocé baisse la tète avec un signe d’affirmation très-
énergique.
Il y avait dans la nacelle au moins cinq sacs de lest ; il y en avait encore
à peu près autant, pendus en dehors par leurs cordelettes. Ceux-ci, nous
devons l’ajouter, n’étaient plus entièrement remplis; Sivel avait certaine-
ment su estimer leur poids, mais il nous est impossible de rien fixer à
cet égard.
Sivel saisit son couleau et coupe successivement trois cordes; les trois
sacs se vident et nous montons rapidement. Le dernier souvenir bit n net
qui me soit resté de l’ascension remonte à un moment un peu antérieur.
Crocé-Spinelli était assis, tenant à la main le flacon laveur du gaz oxy-
gène ; il avait la tête légèrement inclinée et semblait oppressé. J’avais en-
core la force de frapper du doigt le baromètre anéroïde pour faciliter le
mouvement de son aiguille; Sivel venait de lever la main vers le ciel,
comme pour montrer du doigt les régions supérieures de l’almosphère.
La figure 86 reproduit le plus exactement possible l’aspect de la nacelle
du Zénith à cet instant solennel.
Mais je n’avais pas tardé à garder l’immobilité absolue, sans me douter
que j’avais déjà peut-être perdu l’usage de mes mouvements. Vers 7500
mètres, l’état d’engourdissement où l’on se trouve est extraordinaire. Le
corps et l’esprit s’affaiblissent peu à peu, graduellement, insensiblement,
sans qu’on en ait conscience. On ne souffre en aucune façon ; au contraire.
On éprouve une joie intérieure, et comme un effet de ce rayonnement de
lumière qui vous inonde. On devient indifférent; on ne pense plus ni à la
situation périlleuse ni au danger; on monte et on est heureux de monter.
Le vertige des hautes régions n’est pas un vain mot. Mais autant que je
puis en juger par mes impressions personnelles, ce vertige apparaît au
dernier moment; il précède immédiatement l’anéantissement, subit, inat-
tendu, irrésistible.
Lorsque Sivel eut coupé les trois sacs de lest, à l’altitude de 7450. mè-
tres environ, c’est-à-dire sous la pression 500 (c’est le dernier chiffre que
Fig. 86. — La nacelle du Zénith dans’les hautes régions de l’atmosphère.
SIVEL
oupe les cordelettes qui retien-
nent à la nacelle les sacs de
lest remplis de sable.
G. TISSA N DI ER CROCÉ-SPINELLI
observe les baromètres. après avoir fait les observations
spectroscopiques , va respirer
l’oxvgène.
1066
FAITS RÉGENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
j’aie écrit alors sur mon carnet), je crois me rappeler qu’il s’assit au fond
de ia nacelle, et prit peu près la position qu’avait Crocé-Spinelli. Quant
à moi, j’élais appuyé dans l’angle de la nacelle, où je me soutenais grâce
à cet appui. Je ne tardai pas à me sentir si faible que je ne pus même pas
tourner la tête pour regarder mes compagnons.
Bientôt, je veux saisir le tube à oxygène, mais il m’est impossible de
lever le bras. Mon esprit cependant est encore très-lucide. Je considère
toujours le baromètre; j’ai les yeux fixés sur l’aiguille qui arrive bientôt
au chiffre de la pression 290, puis 280 qu’elle dépasse.
Je veux m’écrier : « Nous sommes à 8000 mètres! » Mais ma langue est
comme paralysée. Tout à coup je ferme les yeux et je tombe inerte, per-
dant absolument le souvenir. 11 était environ 1 h. 50 m.
A 2 h. 8 m. je me réveille un moment. Le ballon descendait rapide-
ment. J’ai pu couper un sac de lest pour arrêter la vitesse, et écrire sur
mon regis! re de bord les lignes suivantes que je recopie :
« Nous descendons ; température — 8°; je jette lest , H = 515. Nous des-
cendons. Sivel et Crocé encore évanouis au fond de la nacelle. Descendons
très- fort. »
A peine ai-je écrit ces lignes qu’une sorte de tremblement me saisit
et je retombe affaibli encore une fois. Le vent était violent de bas en haut,
et dénotait une descente très-rapide. Quelques moments après, je me sens
secouer par le bras, et je reconnais Crocé, qui s’est ranimé. « Jetez du
lest, me dit-il, nous descendons. » Mais c’est à peine si je puis ouvrir les
yeux, et je n’ai pas vu si Sivel était réveillé.
Je me rappelle que Crocé a détaché l’aspirateur qu’il a lancé par-des-
sus bord, et qu’il a jeté du lest, des couvertures, etc. Tout cela est un
souvenir extrêmement confus qui s’éteint vite, car je retombe dans mon
inertie plus complètement encore qu’auparavant, et il me semble que je
m’endors d’un sommeil éternel.
Que s’est-il passé? 11 est certain que le ballon délesté, imperméable
comme il l’était, et très-chaud, est remonté encore une fois dans les hau-
tes régions.
A 5 b. 50 m. environ, je rouvre les yeux, je me sens étourdi, affaissé,
mais mon esprit se ranime. Le ballon descend avec une vitesse effrayante;
la nacelle est balancée fortement et décrit de grandes oscillations. Je me
traîne sur les genoux et je tire Sivel par le bras ainsi que Crocé.
« Sivel! Crocé! m’écriai-je, réveillez-vous! »
Mes deux compagnons étaient accroupis dans la nacelle, la tête cachée
sous leurs couvertures de voyage. Je rassemble mes forces et j’essaye de
les soulever. Sivel avait la figure noire, les yeux ternes, la bouche béante
et remplie de sang. Crocé avait les yeux à demi fermés et la bouche en-
sanglantée.
Raconter en détail ce qui se passa alors m'est impossible. Je ressentais
un vent effroyable de bas en haut. Nous étions encore à 6000 mètres d'al-
titude. Il y avait dans la nacelle deux sacs de lest que j’ai jetés. Bientôt la
terre se rapproche, je veux saisir mon couteau pour couper la cordelette
DIMINUTION DE PRESSION.
1067
de l’ancre : impossible de le trouver. J’étais comme fou, je continuais à
appeler : « Sivel ! Sivel ! »
Par bonheur, j’ai pu mettre la main sur un couteau et détacher l'ancre'
au moment voulu. Le choc à terre fut d’une violence extrême. Le ballon
sembla s’aplatir et je crus qu’il allait rester en place, mais le vent était
rapide et l’entraîna. L’ancre ne mordait pas et la nacelle glissait à plat
sur les champs; les corps de mes malheureux amis étaient cahotés çà et
là, et je croyais à tout moment qu’ils allaient tomber de l’esquif. Cepen-
dant j’ai pu saisir la corde de soupape, et le ballon n’a pas tardé à se
vider, puis à s’éventrer contre un arbre. Il était quatre heures.
En mettant pied à terre, j’ai été pris d’une surexcitation fébrile, et je
me suis affaissé en devenant livide. J’ai cru que j’allais rejoindre mes
amis dans l’autre monde.
Cependant je me remis peu à peu. Je suis allé auprès de mes malheu-
reux compagnons, qui étaient déjà froids et crispés. J’ai fait porter leur
corps à l’abri dans une grange voisine. Les sanglots m’étouffaient !
La descente du Zénith a eu lieu dans les plaines qui avoisinent Ciron
(Indre), à 250 kilomèires de Paris à vol d’oiseau
Après avoir retracé l’histoire de l’ascension du Zénith , j’arrive aux deux
points importants qui ont si vivement préoccupé l’attention du monde sa-
vant et du public.
Quelle est la hauleur maximum atteinte par le Zénith ?
Quelle est la cause de la mort de Crocé-Spinelli et de Sivel?
La première question est aujourd’hui résolue par l’ouverture des tuhes
barométriques témoins, imaginés par M. Janssen, et déjà employés par
Sivel et Crocé-Spinelli lors de leur ascension à 7300 mètres (22 mars
1874)
Un tube avait été cassé, quelques autres avaient éprouvé des accidents
ou fonctionné mal, mais il y en a deux dont la marche a été régulière, et
qui nous ont fourni des résultats concordants. Ils tendent à établir que la
plus faible pression était de 264 à 262 millimètres, ce qui porte la hau-
teur maximum à 8540 et 8601 mètres (correction faite de la pression à la
surface du sol).
Comme au moment de mon anéantissement, à 8000 mètres, l’aiguille
du baromètre passait rapidement sur le chiffre de la pression 28 (8002 mè-
tres) et indiquait ainsi une ascension d’une assez grande vitesse, j’ai la
persuasion que nous avons atteint cette altitude de 8600 mètres, dès la
première ascension. Après la première descente, Crocé-Spinelli et très-
certainement Sivel vivaient encore; ils ont été frappés de mort quand le
ballon a atteint une seconde fois les niveaux élevés qu’il venait de quitter,
mais qu’il n’a pas dû dépasser, son poids et son volume ne lui permettant
certainement pas de monter plus haut.
11 ne me semble pas douteux que la mort de ces infortunés est la consé-
quence de la dépression atmosphérique; il est possible de supporter, pen-
dant un temps de faible durée, l’action de cette dépression; il est diffi-
1068
FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
cile cl’en subir l’effet coup sur coup pendant près de deux heures presque
consécutives. Notre séjour dans les hautes régions a été, en effet, bien
plus long que celui d’aucune ascension précédente à grande hauteur.
J’ajouterai que l’air particulièrement sec n’a peut-être pas été sans exercer
une funeste influence.
On se demandera à présent quelle est la cause de mon salut. Je dois la
vie probablement à mon tempérament particulier, essentiellement lympha-
tique, peut-être à mon évanouissement complet, sorte d’arrêt, des fonctions
respiratoires. J’étais à jeun au moment du départ, et je pensais d’abord
que cette circonstance m’était particulière, mais j’ai eu depuis la preuve
que si Sivel avait mangé, Crocé n’avait, comme moi, presque aucun ali-
ment dans l’estomac.
La dépression est considérable à l’altitude de 8G00 mètres, puisque la
colonne mercurielle du baromètre n’est plus que de O"1, 26 environ.
J’ai la persuasion que Crocé-Spinelli et Sivel vivraient encore, malgré
leur séjour si prolongé dans les hautes régions, s’ils avaient pu respirer
l’oxygène. Ils auront, comme moi, subitement perdu la faculté de se
mouvoir. Les tubes abducteurs de l’air vital auront échappé de leurs
mains paralysées! Mais ces nobles victimes ont ouvert à l’investigation
scientifique de nouveaux horizons; ces soldats de la science, en mourant,
ont montré du doigt les périls de la route, afin que l’on sache après eux
les prévoir et les éviter.
xM. G. Tissandier a essayé de représenter, par le diagramme
ci-contre (11g. 87), la marche du ballon, qui a, comme on le
voit, décrit dans l’espace une sorte de M gigantesque de
8600 mètres de hauteur. La partie ponctuée de la courbe
représente la deuxième phase de l’ascension : il est probable
qu’elle ne s’éloigne pas beaucoup du tracé véritable. C’est
pendant cette partie du voyage que Crocé-Spinelli et Sivel
ont perdu la vie, au milieu de ces déserts glacés des hautes
régions atmosphériques !
Je crois utile de reproduire encore quelques extraits d’une
note rédigée par M. Limousin1, pharmacien distingué, qui
avait été chargé de fournir l’oxvgène nécessaire au gonfle-
ment des ballonnets :
Afin d’obvier à la rupture probable de la baudruche par suite de la
dilatation du gaz à une grande altitude, 100 litres seulement du mélange
(oxyg. 65 ; air 55) furent introduits dans chaque ballonnet dont la capa-
cité était environ de 200 litres.
1 Les inhalations d'oxygène et V ascension du Zénith. Répertoire de pharmacie.
Avril 1875.
DIMINUTION DE PRESSION.
1069
Pour neutraliser autant que possible la détestable odeur que la bau-
druche graissée communiquait au mélange gazeux, j installai pour chaque
voyageur de très-petits flacons laveurs munis d’un tube recourbé garni
de caoutchouc qui permettait de les tenir à la bouche à la manière d’une
pipe, laissant les mains libres de façon à pouvoir noter les observations
Ç.MATHIE.U
emoms
Cirrhusl U5 ère ment
mamelonné s
Ciron
INDRE
Château ro uk.
Fig. 87. — Diagramme de l'ascension à grande hauteur du 15 avril 1875,
sur un carnet.be cette façon, le gaz, traversant de l’eau aromatisée avec
du benjoin, arrivait frais et parfumé dans les poumons
Malheureusement toutes ces précautions furent, sinon inutiles, au moins
d’un bien mince secours. Par suite de la rapidité de leur marche ascen-
sionnelle et de la soudaineté de l’évanouissement des aéronautes, les in-
1070 FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
halations ne purent être faites au moment où elles étaient le plus indis-
pensables.
M. Gaston Tissandier, qui au début en avait éprouvé de bons effets, ne
put, à un moment, trouver assez d’énergie pour élever la main à portée
du tube d’aspiration. A son retour, il m'assura que lors de la descente de
l’aérostat, qui eut lieu, comme on sait, à Ciron, près du Blanc, dans
l’Indre, les ballonnets étaient attachés au-dessous de la nacelle contenant
encore la plus grande partie de l'oxygène qu’on y avait introduit.
Ainsi donc, on le voit, le seul moyen qui pouvait conjurer la terrible
Fig. 8S. — Sivel.
catastrophe qui a terminé cette ascension n’a pu être mis en œuvre....
Chargé par la Société de navigation aérienne d’assister l’artiste qui
doit exécuter les bustes des deux malheureux aéronautes, nous avons
fait ouvrir les cercueils, à leur arrivée à la gare d’Orléans, le dimanche
18 avril, à onze heures quarante-cinq du soir, et j’ai été frappé de l’état
de conservation des traits et de la physionomie.
J’aurais presque pu me dispenser de recourir aux agents de désinfec-
tion dont je m’étais muni pour faciliter le moulage des visages. . . .
Sivel avait conservé son mâle et énergique visage; il ne présentait au
nez ni à la bouche aucune trace d’hémorrhagie; la face légèrement tu-
méfiée n’était pas cyanosée.
DIMINUTION I)E PRESSION.
1071
Crocé-Spinelli avait les narines et la bouche remplies de sang que nous
dûmes enlever par des lavages réitérés. Il portait au front, au nez et à la
joue droite des plaques noirâtres produites par les ecchymoses résultant
des meurtrissures déterminées par les oscillations de la nacelle. Néan-
moins, malgré le sang qui les recouvrait, les lèvres n’avaient pas cette
teinte bleuâtre caractéristique de l’asphyxie et le côté gauche de la face
avait presque conservé sa coloration normale.
La catastrophe du Zénith a profondément ému notre pays;
Fig. 89. — Groeé-Spinelli.
chacun se souvient des funérailles solennelles faites aux vic-
times, des manifestations des corps politiques et savants, de
la souscription ouverte en faveur des familles de Crocé et de
Sivel, souscription qui produisit près de 100 000 francs. Le 25
mai, dans un grand meeting où pour la dernière fois M. le
pasteur Athanase Coquerel fils fit entendre sa voix élo-
quente, j’ai pu dire1 en toute vérité :
Un rribis et demi déjà s’est écoulé depuis la catastrophe du Zénith , et
1 I j'Aéronautc, juillet 1875.
1072
FAITS RÉCENTS, RESUME ET CONCLUSIONS.
dans noire pays, qu’on accuse injustement de légèreté et d’oubli, l’émo-
tion qu’elle a suscitée n’est point encore calmée.
11 y a là un fait remarquable et sur lequel il est utile d’insister. Chaque
jour, les feuilles publiques nous apportent le récit de désastres terribles,
inondations, explosions, incendies, naufrages, qui coûtent la vie à des
dizaines, à des centaines d’hommes : il semble que notre sensibilité s’y
doive émousser, et que la perte de deux hommes doive à peine l’atteindre.
Que dis-je? Notre pays, notre héroïque et malheureux pays, sort à peine
d’une période de douleurs et de sacrifices, dans laquelle il a dû pleurer
non-seulement ceux qui sont morts pour sa défense, mais ceux qui, vi-
vants encore, lui sont à cette heure arrachés ; et cependant on apprend
la mort de deux hommes, de deux hommes seulement, et voici que la
France entière tressaille et s’émeut.
C’est que tout, dans celte double mort, est étrange et sublime. Certes,
Sivel et Crocé-Spinelli ne sont pas les premiers aéronautes dont la science
ait à déplorer la perle ; leurs noms soid les derniers d’une liste en tête de
laquelle brillent les noms de deux autres savants, Pilaire du Rozier et Ro-
main, qui se brisèrent en 1785 sur la plage de Roulogne. Mais la mort
qui avait frappé ces deux aéronautes était une mort connue, prévue, vul-
gaire en quelque sorte ; une mort à laquelle chacun avait pensé, que
chacun avait redoutée, depuis le jour où parut dans les airs la machine
de Montgolfîer : c’était la chute. Ils étaient morts en tombant. Mais ici,
pour la première fois, on voyait deux hommes mourir au sein même des
airs, et mourir en montant. Ils sentent venir la mort, une mort inconnue
jusqu’alors; leur poitrine oppressée les avertit du danger; ils se consul-
tent : Faut-il redescendre? Ah! la consultation ne fut pas longue. Nous
avons du lest, nous pouvons là-haut faire encore des observations utiles;
excelsior, plus haut! Et puis, l’on dit qu’un Anglais a pu vivre et observer
par delà 8000 mètres : il faut que le pavillon que nous portons aille
flotter plus haut encore. Ils bondissent, et la mort les saisit, sans efforts,
sans souffrances, comme une proie à elle dévolue dans ces régions gla-
cées où règne un éternel silence. Oui, nos malheureux amis ont eu cet
étrange privilège, ce funeste honneur, de mourir les premiers dans ce que
nous appelons les cieux.
Et, par une douloureuse dérision du sort, ils sont morts à l’heure où
la science leur fournissait les moyens de triompher du péril auquel ils
allaient succomber.
C’était un but scientifique de grande portée théorique1, d’immenses con-
séquences pratiques, que poursuivaient nos deux amis. Déterminer la di-
rection, la force, l’épaisseur des couches aériennes en mouvement; me-
surer les variations de la température, de l’électricité, de l’humidité, de
la composition chimique de l’air, à diverses hauteurs ; aller analyser les
1 Ce passage est une réponse à l’assertion de M. Paye, que les ascensions au-
dessus de 70U0"1 ne présentaient point d’utilité pour la science. ( Comptes ren-
dus de r Acad, des sciences, t, LXXX, p. 1057, 1875.
DIMINUTION DE PRESSION.
1075
éléments constitutifs des astres, en se plaçant au-dessus de l’espèce
d’écran que forment les couches inférieures de l’atmosphère : tels étaient
les principaux problèmes qu’ils s’étaient posés. On a nié l’utilité des ascen-
sions à grande hauteur : c’était nier l’évidence. Tout amène à croire que
le ballon pourra, par sa force ascensionnelle, porter l’observateur jus-
qu’aux limites extrêmes où flottent les nuages les plus élevés. Or, quelle
source de prospérité pour l’humanité pourrait être comparée à la prévi-
sion certaine du temps? Comment pourrait-on espérer y arriver, sans con-
naître à fond cette région où se forment la pluie, la neige, la grêle, où
s’engendrent les vents et les orages? Et comment connaître celle-ci sans
l’ascension à grande hauteur, qui permet d’atteindre ses confins et de
faire, si j’ose ainsi parler, l’anatomie de l’atmosphère?
Je devais ces explications à la Société de navigation aérienne; je les de-
vais à la mémoire de nos malheureux amis. Au reste, personne ne s’y est
trompé. Chacun a compris qu’il s'agissait d’hommes de science, morts en
faisant d’utiles recherches de science, et c’est là la seconde raison qui
explique l’émotion suscitée par leur mort.
Il en est une troisième encore, plus saisissante, plus poignante peut-
être. Transportons-nous par la pensée cinq années en arrière, pendant
l’hiver terrible. Paris est enfermé dans un cercle de fer ; toutes commu-
nications sont coupées; sur terre, d’infranchissables obstacles; dés filets
barrent le fleuve. Mais l’air nous reste, cette voie nouvelle ouverte par
un Français, Montgolfier, sur laquelle s’est le premier aventuré un Fran-
çais, Pilàtre du Rozier; des hommes intrépides, — M. G. Tissandier en
était, — s’élancent dans les airs, bravant mille périls, sans parler des
balles ennemies, répandant en province les nouvelles qui adoucissaient
les angoisses de la séparation, emportant avec eux le sentiment énergique,
l’indomptable résolution de la grande ville de faire jusqu’au bout son de-
voir. Aussi, j’ose le dire, et qui me démentira? lorsque se répandit le
bruit que deux hommes étaient morts en ballon, Paris se reporta à ces
heures de douleurs et d’espérances, la France tressaillit, et tous les cœurs
battirent, comme ils battaient lorsqu’on nous disait qu’un ballon avait
pris terre, qu’on avait vu un ballon dans les airs.
Ainsi cette double mort, qui apparaissait comme empreinte d’une
étrange et lugubre poésie, comme éclairée par l’auréole de la science,
éveillait encore les souvenirs du patriotisme le plus pur. N’en est-ce pas
assez pour expliquer qu’elle ait excité dans la France entière un sentiment
si vif, si universel, si durable?
L’émotion des hommes de science se manifesta spéciale*
ment, d’un côté par des notes et mémoires tendant à expîi*
quer la mort des deux aéronautes, de l’autre par des
inventions destinées à éviter désormais de si terribles ca-
tastrophes. Je suis obligé de déclarer que rien de ce qui a
été dit ou imaginé à ce propos ne mérite d’être reproduit
08
1074 FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
ici. Au point de vue théorique, ce ne sont que des réédi-
tions des vieilles idées, déjà condamnées, dont nous avons
reproduit dans notre historique la bizarre série; on y a
ajouté gratuitement, pour le cas particulier, l’intervention
toxique du gaz d’éclairage s’échappant à flots du ballon trop
rapidement dilaté et venant empoisonner les aéronautes. Les
inventions protectrices valent ce que valent les théories qui
ont inspiré leurs auteurs. La plupart parlent de scaphandres,
de cages vitrées, de nacelles closes, avec air confiné ou com-
primé, atmosphères artificielles, sources d’oxygène, etc.;
mais rien de ce qui a été ainsi sérieusement proposé ne vaut
la charmante mystification du Voyage à la lune , et M. Jules
Verne me pardonnera de ne pas le discuter ici.
Le docteur Stoliczka, géologue fort connu par d’importants
travaux sur les montagnes de l’Inde, avait, en 1864, tra-
versé nombre de passes au-dessus de 5000 mètres dans
l’Himalaya ; il y avait fait «une horrible expérience1» des
fatigues et du mal des montagnes, et n’était revenu que
lentement à la santé. En juin 1874, il repartit avec une
mission anglaise commandée par le lieutenant-colonel
Gordon, et mourut subitement le 19 juin, à l’âge de 54 ans,
trois jours après avoir traversé le Karakorum. Les détails
donnés sur sa mort par les lettres du lieutenant-colonel Gor-
don et du capitaine Trutter 2 semblent bien indiquer que
l’influence fatale de l’air raréfié a joué un rôle important
dans la mort du malheureux géologue.
Je reproduis ici la lettre du capitaine Trutter, la plus
intéressante et la plus complète :
Le 16 juin, le jour où nous traversâmes le Karakorum, il se plaignit
d’une douleur à la partie postérieure de la tête ; comme d’ailleurs il souf-
frait toujours plus ou moins de douleurs de tête, tant qu’il restait sur les
grandes hauteurs, je pensai que son mal n’avait pas d’autre signification ;
le mal continua le 17, jour où nous traversâmes les déserts de Dipsang,
dont le niveau est encore très-élevé. Hier 18, il partit de bonne heure
1 Obituary. — The geological Magazine , 1874, p. 585.
- Nachrichten uber die letzten T âge der verstorbenen I). F . Stoliczka. — Verhandl.
der K. K. geologischen Reichsanstalt , 1874, p. 279-285.
DlMINUÎION DE PRESSION.
1075
pour aller chercher quelques roches à Bruchsè, et à moitié chemin il se
rencontra avec nous au déjeuner. Il paraissait très-fatigué, et se plaignait
de la tête. Lorsque vers midi nous fûmes arrivés ici, il se jeta sur
un lit, et commença bientôt à respirer difficilement, à tousser beaucoup,
et il vomit. La tête et les mains étaient très-chaudes et le pouls battait
vite et fort. Il se plaignait beaucoup de douleurs dans le cou et Locciput.
Sur mon conseil, il mit deux emplâtres de moutarde l’un sur le cou,
l’autre sur la poitrine, sans en ressentir grand soulagement. Le soir, la
toux devint très-rude et le médecin indigène prépara une mixture pour
calmer l’irritation qui causait la toux; celle-ci n’en continua pas moins
pendant toute la nuit. Au matin, elle disparut; mais le malade, très-affai-
bli, semblait à peine avoir conscience de lui-même. Depuis la veille au
soir il n’avait rien dit, et ne répondait que par quelques syllabes aux ques-
tions qu’on lui adressait, sans paraître bien comprendre ce qu’on lui di-
sait. Ce matin, je lui demandai deux fois s’il éprouvait des douleurs, à
quoi il répondit : non.
Le médecin indigène parut croire qu’il était atteint de bronchite aiguë
et de pneumonie. Mais d’après ce que le capitaine Biddulph et moi avions
vu de sa maladie qui l’avait frappé au mois d’octobre dernier, à Kizil-
Jilga, sur la route de Kashgar, et dont nous reconnûmes les symptômes,
il fut clair pour nous que le mal était le même que la première fois, c’est-
à-dire une méningite spinale. Sur le conseil du docteur, on lui appliqua
un emplâtre sur le côté droit. Il resta jusqu’à midi dans un état de demi-
inconscience, et prit à plusieurs reprises du bouillon de poulet et de
l’eau-de-vie dans sa potion.
Il ne parut être ni mieux ni plus mal ; il faisait habituellement 50 res-
pirations à la minute, irrégulières, et souvent alternativement profondes
et difficiles, ou brèves et faciles. La respiration était accompagnée de bruits
sonores, qui ressemblaient au bruit du bord de la mer ou au crépitement
d’une fusillade lointaine. Plus tard, au matin, il me sembla que le bruit
était devenu plus rude. Pourtant la respiration devint un peu plus facile,
et il fit vers lh 1/2 signe qu’il désirait se placer dans sa chaise. On l’v
porta et je lui donnai un peu de porto, mais il semblait si défait et si
anéanti, que j’appelai Biddulph qui, trouvant le malade fort mal, alla
prévenir le colonel. Reporté dans son lit, il chercha aussitôt à s’asseoir ;
je le tirai en arrière pour le soutenir, pendant qu’arrivait le colonel ; le
bruit de râle cessa — mais il respirait encore profondément, ses mouve-
ments respiratoires devinrent de plus en plus lents, comme sonpoute;
enfin il rendit le dernier soupir, mourant si tranquillement qu’il fut im-
possible de fixer d’une manière précise le moment oû il s’est endormi. Il
n’eut aucune agonie, mourut apparemment sans douleur, et après sa mort
une expression de repos et de paix resta sur son visage.
Depuis le moment où il vint ici jusqu’à celui où il mourut, il dit à
peine un mot, et toute conversation devint impossible ; cependant, lors-
qu’il me regardait, je croyais pouvoir comprendre sur son visage qu’il
avait connaissance de sa position critique.
1076
FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
Il m’avait dit quelques semaines auparavant qu’une deuxième attaque
de méningite amènerait une mort certaine, puisqu’il est rare qu’on sur-
vive à une première attaque.... Je ne puis m’empêcher de croire que les
hauteurs étaient pour beaucoup dans l’aggravation des symptômes; il
avait été exposé au même froid dans l’expédition du Pamir, et cependant,
la hauteur étant moindre, il n’avait pas souffert.
Je pense que le capitaine Truffer a raison. Je ne crois pas
que le docteur Stoliczka ait succombé à la seule influence de
T air raréfié; il a probablement, sous l’influence d’un froid
intense, été atteint d’une méningite spinale compliquée de
broncho-pneumonie; mais la prostration immédiate, la mort
en deux jours doivent être attribuées à une complication
inconnue aux niveaux ordinaires. Je n’hésite pas à croire
qu’une diminution dans l’étendue ou l’intégrité de la surface
hématosante qui n’eût amené sur les bords de la mer que des
troubles légers, a dû entraîner la mort par asphyxie dans
des régions oû l’absorption d’oxygène était réduite déjà à son
minimum. Nous aurons à revenir sur ces faits dans le sous-
chapitre suivant.
Un anatomiste de grand mérite, qui vient de publier un
travail considérable sur l’appareil respiratoire des oiseaux,
a essayé, parmi des considérations fort intéressantes sur le
jeu de cet appareil, d’expliquer la singulière immunité dont
jouissent, par rapport aux effets de l’air raréfié, les oiseaux
de haut vol. Aux yeux de M. Campana \ tout s’explique par la
suractivité imprimée par les actes musculaires du vol aux
phénomènes respiratoires; aussi, dit-il, faisant allusion aux
expériences dans lesquelles j’ai vu des crécerelles (p. 757)
ne pas résister à la décompression notablement plus que les
autres oiseaux :
J’admettrais sans peine que ces mêmes condors, ou, mieux encore, des
condors pris dans une ménagerie, pourraient bien subir tous ces désordres
fonctionnels, si, au lieu de s’élever librement en volant , ils participaient,
d’une manière passive, à l’ascension d’un aérostat, retenus captifs et irn-
1 Recherches d'anatomie , de physiologie et d'organogénie pour la détermination
des lois de la genèse et de l'évolution des espèces animales. 1er mémoire. — Physio-
logie de la respiration chez les oiseaux. — Paris, 1875.
DIMINUTION DE PRESSION.
1077
mobiles dans une cage, au fond de la nacelle. A plus [forte raison, si on
les déprimait en vases clos. (P. 536.)
Cette survie sans malaises à des hauteurs qui, pour les con-
dors, atteint 7000m, tient, selon M. Campana, à deux causes ;
examinons-les avec le soin que mérite son important travail.
Ces deux causes sont exprimées dans la formule suivante:
Chez les mammifères, le mal des montagnes , le mal des aéronautes , s’ex-
plique par l’impossibilité d’une amplification thoracique régulièrement
continue et suffisante, due à l’impuissance des muscles qui meuvent le
thorax; et aussi par l’exposition immédiate d'un parenchyme pulmonaire
rétractile à une pression atmosphérique extérieure, notablement affaiblie,
et par l’annulation de la fonction compensatrice de la glotte. (P. 341.)
D’abord, selon M. Campana, les mouvements des ailes
auraient pour conséquence une mise en jeu de la partie des
sacs aériens (prolongements brachiaux du réceptacle anté-
rieur-supérieur) située entre les muscles moteurs du bras,
sacs qui restent immobiles en dehors du vol ; ils se dilate-
raient lors de l’élévation de l’aile (c’est-à-dire, d’après les
observations de M. Marey, au moment de l’inspiration tra-
chéale), et se videraient d’air lors de son abaissement. Il
en résulterait une circulation aérienne notablement plus
rapide à travers les poumons, une ventilation plus parfaite,
qui aurait pour conséquence que :
Dans les mêmes conditions où le mal des montagnes se manifeste chez
les mammifères, les oiseaux au vol échappent aux deux causes d’anoxyhé-
mie qui frappent les mammifères, sinon absolument et indéfiniment, du
moins à un degré extrêmement supérieur. (P. 541.)
Je considère comme parfaitement exactes les observations
de M. Campana relativement au développement des cellules
aériennes alaires pendant l’acte du vol. Mais je crois qu’il a
extrêmement exagéré l’importance de cette constatation;
d’abord le surcroît de volume acquis de la sorte est en
somme peu considérable, eu égard à celui des autres ré-
servoirs gazeux qui agissent en même temps, c’est-à-dire
aux sacs extra-thoraciques. En second lieu, si je voyais ces
adjuvants de l’acte respiratoire ne se développer que pea-
1078 FAITS RÉGENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
dant le vol aux grandes hauteurs, j’accorderais volontiers
qu’ils peuvent alors présenter une certaine utilité : mais ils
agissent également à toutes les hauteurs, pourvu que l’oiseau
vole; et si je veux bien croire qu’ils aident ainsi à produire
le surcroît de forces nécessaires pour le travail dans l’air et
à établir l’équilibre de l’organisme à l’état dynamique, je ne
comprends pas comment ils pourraient y ajouter, là où la
faible pression devient menaçante, un supplément de ven-
tilation et par suite d’oxygénation qui n’aurait pas été déjà
fourni dans les bas niveaux. Enfin, en admettant même la
ventilation rendue parfaite, nous avons vu que cela est
de peu d’importance, puisque c’est la capacité du sang
pour l’oxygène qui, ayant diminué avec la hauteur, con-
stitue le véritable péril. La perfection de la ventilation ne
peut jouer qu’un rôle très-restreint, puisqu’elle ne peut
qu’élever la quantité d’oxygène contenue dans le sang arté-
riel en circulation à ce que ce sang serait capable d’absorber
s’il était convenablement saturé Cette augmentation n’est
point à dédaigner chez les mammifères, et nous insisterons
sur ce point dans le sous-chapitre suivant. Mais précisément
on doit à peine en parler chez les oiseaux, puisque, d’après
les recherches récentes de M. Jolyet1, leur sang artériel est
toujours à peu près saturé d’oxygène; c’est là, pour le dire
en passant, un fait du plus haut intérêt, puisqu’il montre
que chez les oiseaux, au contraire des mammifères, les
conditions du brassement aéro-sanguin sont parfaites dans
l’appareil respiratoire.
La seconde raison indiquée par M. Campana pour expli-
quer la résistance des oiseaux hauturiers, c’est
Qu’ils possèdent le moyen de soustraire le parenchyme pulmonaire et
jusqu’à un certain point les réceptacles moyens eux-mêmes à cette absolue
dépendance de la pression barométrique que les poumons des mammifères
subissent forcément pendant l’inspiration. (P. 542.)
En d’autres termes, pendant l’inspiration comme pendant
1 Contribution à l'étude de la physiologie comparée du sang des vertébrés ovipares .
— Comptes rendus de la Société de biologie , t. NX VI, p. 278, 1874.
DIMINUTION DE PRESSION.
1079
l’expiration, les poumons, par suite de l’injection énergique
exécutée alternativement par les réceptacles extra et intra-
thoraciques, « sont gorgés d’air sous une pression supérieure
à celle de l’air extérieur. » (P. 543.)
Ainsi, l’appareil respiratoire est soustrait jusqu’à un certain point à la
dépression barométrique, ce qui rend possible l’ascension dans les hautes
l égions de l’atmosphère, et a fortiori le vol plané au sein d’un air glacial
et asphyxiant. (P. 546.)
Je ne veux ni rapporter ni discuter les détails du méca-
nisme très-compliqué par lequel M. Campana explique cette
compression de Pair dans l’intérieur des poumons; il se ré-
duit en définitive à une injection d’air trop considérable pour
la section des ouvertures de débit, dans les mailles du paren-
chyme pulmonaire. Mais je ne puis admettre qu’on attribue à
ce léger excès de pression un rôle sérieux au point de vue
qui nous occupe, et qu’on le considère comme pouvant con-
tre-balancer l’énorme dépression à laquelle va s’exposer l’oi-
seau ; c’est par millimètres de mercure que se peuvent comp-
ter ces modifications intra-pulmonaires, et c’est par dizaines
de centimètres que se mesure la dépression extérieure.
A mes yeux, la question reste entière et l’immunité des
condors et des vautours demeure inexpliquée pour moi. Quand
meme l’étude de l’influence de la dépression, en vases
clos, nous montrerait un de ces oiseaux résistant beaucoup
plus que ne l’a fait notre crécerelle, nous serions débarrassés
d’une espèce de contradiction, mais nous n’aurions pas
encore d’explication. Je reviendrai sur ces faits en parlant
dans le prochain sous-chapitre des habitants des hauts lieux,
qui semblent présenter une immunité analogue, ainsi que
les yacks de l’Himalaya et les lamas des Andes.
Je terminerai cette revue des travaux publiés depuis la publi-
es lion des principaux résultats obtenus dans mes recherches
par une brève analyse du nouveau livre de M. Jourdanet 1 . Cette
œuvre considérable, dont j’ai annoncé l’apparition et cité quel-
ques passages dans la première partie du présent ouvrage
1 Influence de la pression de l'air sur la vie de l'homme. ‘2 vol. Paris, 1 875.
1080
FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
(p. 517, 519), est divisée en cinq parties. Dans la première
(t. I, p. 5-84), intitulée « Études barométriques préliminai-
res », je signalerai seulement ici, et sans pouvoir m’y arrê-
ter, le curieux chapitre sur les modifications de la pression
barométrique dans les âges géologiques, et leur influence
sur les êtres vivants. La seconde (p. 85-567), « Climats des
altitudes », contient, en outre d’une description magistrale
des régions élevées et habitées du globe, et d’une importante
statistique du Mexique, un résumé de mes propres expérien-
ces, et l’étude de rinfluence qu’exerce la décompression sur
les voyageurs (mal des montagnes) et sur les habitants des
hauts lieux. Dans la troisième partie (t. Il, p. 5-154), « Con-
stitution pathologique des altitudes », est développée et ap-
puyée par des observations médicales du plus haut intérêt,
la remarquable découverte laite par M. Jourdanet, de l’in-
fluence déprimante des grandes hauteurs, de l’état anémique
[anoxyhèmiquè) des habitants des hauts lieux lorsqu’ils sont
atteints de quelque maladie. La quatrième partie (p. 155-204)
traite des « Climats de montagne ». M. Jourdanet explique
dans les termes suivants la valeur qu’il attribue à ce mot,
opposé à celui de climat des altitudes :
J’appelie climats d'altitude ceux qu’une élévation suffisante, combinée
avec la distance à l’Équateur, caractérise par les signes certains d’une
altération respiratoire, comme conséquence de la diminution de densité
de l’air ambiant.
Au-dessous de cette limite physiologique, la dépression barométrique
n’agissant pas dans un sens nuisible par elle-même, et pouvant au con-
traire produire des résultats heureux sur la santé, je désigne par la déno-
mination de climats de montagne les conditions qui se l'attachent à des
hauteurs modérées et aux basses ondulations du sol des pays montueux.
( Préface , p. 2.)
On trouvera dans cette quatrième partie des faits et par-
ticulièrement des statistiques qui sont de nature à faire faire
de sceptiques réflexions sur Y air vivifiant et l’action forti-
fiante de la montagne. Enfin, dans la cinquième partie
(p. 205-292), sous le titre de « Transitions barométriques
naturelles et artificielles », le séjour momentané sur les lieux
DIMINUTION DE PRESSION.
1081
montagneux est opposé avec un grand art à l’effet d’une habi-
tation prolongée; de fort curieuses observations s’v trouvent
en outre relatées, sur l’emploi thérapeutique de l’air raréfié.
On voit que la seconde partie seule de cet important
ouvrage se développe sur le terrain même où nous nous
sommes cantonné. Or, j’ai donné dans le présent livre (voy.
p. 266 à 291, et 317, 419), en analysant les travaux antérieurs
de M. Jourdanet, la place qu’elles méritent à ses remarqua-
bles observations; je ne pourrais, sans tomber dans des re-
dites, y revenir ici. Quant aux considérations hygiéniques et
médicales auxquelles mon savant confrère a su donner tant
d’ampleur et d’intérêt, je ne puis que renvoyer le lecteur à
ce livre, qui renferme tant d’observations curieuses, d’aper-
çus nouveaux, tant de preuves d’une érudition profonde,
tenace, si l’on peut ainsi dire, et guidée par une idée théori-
que, heureuse, féconde. Il admirera l’étendue des consé-
quences générales relatives à la constitution des races
humaines, à l’histoire des civilisations, à la politique philo-
sophique, que M. Jourdanet a su tirer de cette première ob-
servation, que, pendant une opération chirurgicale faite à
Mexico, le sang qui s’échappait des artères ne présentait pas
la rutilance habituelle (t. I, p. 171). Mais je ne puis ici insister
davantage.
SOUS-CHAPITRE II
RÉSUMÉ ET APPLICATIONS PRATIQUES.
Nous avons exposé, dans notre deuxième partie, avec une
surabondance qui aura pu peut-être paraître excessive, les
preuves de cette vérité que la diminution dans la pression
barométrique n’agit sur les êtres vivants qu’en diminuant la
tension de l’oxygène qu’ils respirent, et, si l’on pousse les
choses à l’extrême, qu’en les asphyxiant par privation d’oxy-
gène. Si bien qu’il existe un parallélisme qui peut être pour-
suivi dans les moindres détails entre deux animaux dont l’un
est soumis jusqu’à la mort dans l’air normal à une diminué
1082
FAITS RÉGENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
tion progressive de la pression, tandis que l’autre respire, éga-
lement jusqu’à la mort, sous la pression normale, un air de
plus en plus pauvre en oxygène. Tous deux périront après
avoir présenté les mêmes symptômes ; et, aux différents mo-
ments de l’expérience, à la mort même, on pourra chez tous
deux constater le même rapport entre la tension de l’oxygène
dans T air extérieur et sa proportion dans leur sang.
Toutes les anciennes théories sur l’action mécanique de la
dépression ont dû disparaître entièrement, et il suffirait vrai-
ment, pour montrer leur inanité, de rappeler l’expérience
dans laquelle j’ai pu descendre jusqu’à la pression mortelle
de 248mm, sans éprouver le moindre inconvénient, sous la
seule condition de rétablir à son degré normal la tension du
gaz comburant, par la respiration d’un air artificiel sur-
oxygéné.
La question apparaît donc comme réduite à une simplicité
singulière; mais si la cause des phénomènes observés peut
être ainsi exprimée en un mot, ses conséquences sont si di-
verses, qu’elles méritent d’être étudiées dans les différentes
conditions où peut agir la diminution de pression.
g 1er. — Aéronautes.
/
Commençons par le cas le plus simple, et considérons d’a-
bord l’aéronaute qui, sans faire aucun effort , est emporté par
la marche ascensionnelle de son ballon.
A mesure qu’il s’élève et que la pression diminue, son
sang s’appauvrit en oxygène, comme l’ont montré mes expé-
riences : diminution bien faible d’abord, mais dont cepen-
dant mes analyses m’ont permis de prouver l’existence dès
que la pression n’est plus que de 5b centimètres. Ici même,
la perte en oxygène ne saurait avoir une influence immédiate
bien saisissable ; la différence est de l’ordre de celles que l’on
constate entre individus également bien portants, de l’ordre
de celles qu’entraînent chez un même individu les change-
ments dans le rhythme respiratoire, les états divers d’activité
DIMINUTION DE PRESSION.
1083
ou de repos, de digestion ou d’abstinence. L’aéronaute n’en
peut rien sentir.
S’il s’élève davantage, l’appauvrissement en oxygène aug-
mente : à 2000 mètres, il était en moyenne de 15 pour 100 ;
à 5000, il devient de 21 pour 100; à 6500, de 45 pour 100 ;
à 8600 mètres (26 centimètres de pression), hauteur à la-
quelle sont morts Crocé-Spinelli et Sivel, ils devaient avoir
perdu la moitié de l’oxygène de leur sang artériel. Mes ani-
maux, à 17 centimètres de pression, en avaient perdu 65 pour
100 : leur sang artériel n’en contenait plus que 7 volumes
au lieu de 20 pour 100 volumes de sang, moins que du sang
veineux ordinaire sortant d’un muscle en contraction. C’est
un pareil sang qui, dans les artères, était chargé de nourrir,
d’animer les muscles, la moelle, les organes sensoriaux, le
cerveau ! On se rappelle, en présence de ces faits, la célèbre
expérience de Bichat sur le sang noir injecté dans les vais-
seaux des centres nerveux.
On sait que, d’une manière générale, les effets de la raré-
faction de l’air commencent à se faire sentir assez nettement
vers la hauteur de 4000m, correspondant à 46e de pression.
C’est aussi à peu près à cette pression que dans nos cloches
nos animaux cessaient de s’agiter et paraissaient devenir in-
quiets. Or, le graphique de la figure 51 (fig. 645) montre
que c’est à partir de ce moment, à peu près, que la propor-
tion d’oxygène diminue dans le sang avec le plus de rapidité;
il y a ici une concordance remarquable.
Cette diminution dans la quantité d’oxygène contenu dans
le sang est le fait dominateur. C’est d’elle que vont se déduire
tous les accidents de la décompression. Sa cause, nous l’a-
vons vu, est double : d’abord, la proportion d’oxvgène que
peut absorber le sang est d’autant moindre que la pression
est plus basse (Y. 2e partie, chap. II, s. -ch. Y); en second lieu,
si nous supposons que le rhythme respiratoire n’ait pas changé,
la quantité d’oxygène qui circule dans les poumons pendant
un temps donné diminue. dans le même rapport que la pres-
sion. Or, sous la pression normale elle-même, le sang arté-
riel, nous l’avons vu, n’est jamais saturé de l’oxygène qu’il
1084
✓
FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
pourrait absorber, l'agitation du sang et de l’air ne se faisant
pas dans les poumons avec une énergie suffisante.
L’écart doit singulièrement augmenter lorsque diminue
non-seulement le coefficient d’absorption de l’oxygène, mais
la circulation intra - pulmonaire. En effet, à demi-atmo-
sphère, par exemple, pour maintenir semblables à ce qu’elles
sont au niveau de la merles conditions du brassement intra-
pulmonaire, il faudrait que tout fût doublé : doubles les
mouvements respiratoires en amplitude, en rapidité; dou-
bles les battements du cœur, en force et en nombre. Cela
est évidemment impossible.
Cependant, il se fait un changement dans ce sens, comme
en témoignent les récits de tous les aéronautes, comme je l’ai
observé sur les animaux et éprouvé moi-même dans mes
appareils; aux faibles dépressions la respiration s’accélère,
les battements du cœur sont plus forts et plus nombreux, et
l’équilibre peut être à peu près rétabli, Nous avons vu, en
effet, que si la ventilation pulmonaire augmente, le sang
artériel peut gagner 5 ou 4 volumes d’oxygène pour 100 vo-
lumes de sang.
Mais, tout d’abord, ceci ne peut être que momentané, et sem-
blable gymnastique ne saurait continuer longtemps sans des
menaces d’emphysème et de maladies cardiaques; aussi cette
exagération ne dure-t-elle pas, et quand le ballon devient
stationnaire, les aéronautes ne voient nullement se maintenir
chez eux cette accélération redoutable : l’oxygène diminue
donc fatalement dans leur sang.
Il y a plus, quand la pression diminue encore, l’accéléra-
tion respiratoire et circulatoire ne pouvant plus, même pour
un instant, compenser l’insuffisance de l’agitation aéro-san-
guine intra-pulmonaire, les muscles de la respiration comme
ceux du cœur ne recevant plus qu’un sang insuffisamment
oxygéné, et contraints cependant à un travail continu, per-
dent de leur énergie, se fatiguent. Les respirations, toujours
nombreuses pendant l’activité, sont très-peu amples, si bien
que c’est à peine si la quantité d’air inspiré dans un temps
donné est en volume la même qu’à la pression normale ; au
DIMINUTION DE PRESSION.
1085
repos, elles retombent au nombre ordinaire, tout en restant
très-faibles, et il semble même, selon la remarque de de
Saussure (p. 90), qu’on oublie parfois de respirer. Les mou-
vements du cœur donnent des résultats analogues ; leur fré-
quence augmente, il est vrai, mais la tension cardiaque baisse
considérablement; dans un des tracés sphygmographiques de
M. Lortet, pris au moment de l’arrivée au sommet du mont
Blanc, on a peine à retrouver l’indication du pouls.
Ainsi, l’organisme, vaincu dans sa lutte pour compenser
par l’agitation aéro-sanguine la moindre densité de l’oxygène
de Pair, revient au type régulier de ses mouvements, qu’af-
faiblit bientôt la pauvreté du sang. A ce moment, la gravité
des phénomènes va en augmentant rapidement; l’insuffi-
sance de la capacité du sang pour l’oxygène se complique
d’une imperfection de plus en plus considérable dans la ven-
tilation et la circulation intra-pulmonaires, causée précisé-
ment par l’insuffisance de l’oxygène absorbé. C’est ce qui fait
que, comme nous l’avons vu (p. 696), le sang artériel des
animaux décomprimés contient encore moins d’oxygène qu’il
n’en pourrait absorber à la pression sous laquelle ils se trou-
vent.
Cette diminution rapide dans la richesse en oxygène du
sang a pour conséquence un trouble profond apporté dans la
nutrition et par suite dans le fonctionnement des organes.
Nous avons vu que chez les animaux placés sous les cloches
à air raréfié, lorsque la dépression est assez forte, la quan-
tité d’acide carbonique exhalée et d’urée excrétée diminue
notablement; la température s’abaisse également, alors ce-
pendant que celle de l’air extérieur est tout à fait moyenne.
11 doit certainement en arriver de même aux aéronautes, lors-
qu’ils atteignent de très-grandes hauteurs, où, par surcroît,
l’air est généralement très-froid. Je rappelle que j’ai montré
expérimentalement que dans l’air froid la résistance à la dé-
pression est moindre qu’à des températures ordinaires.
Mais sous des dépressions inférieures à celles qu’il a fallu
mettre en jeu pour manifester expérimentalement, c’est-à-
dire brutalement, la diminution des actes intimes de la nu-
1086
FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
trition, le fonctionnement des organes la révèle à l’observa-
teur. Et ici, comme toujours quand il s’agit d’une cause
capable d’agir sur l’organisme tout entier, c’est le système
nerveux qui réagit le premier, qui, si je puis employer cette
expression, se plaint le premier. La sensation de fatigue, la
diminution des acuités sensorielles, les accidents cérébraux,
vertiges, sommeil, hallucinations, tintements, éblouisse-
ments, fourmillements, les réactions des nerfs pneumo-gas-
trique et sympathique, nausées, battements de cœur, dilata-
tion des petits vaisseaux, sont le signe de l’oxygénation insuf-
fisante des organes nerveux centraux et périphériques. Après
le système nerveux vient le système musculaire, qui accuse
de la faiblesse, est pris de contractions convulsives, de trem-
blements où certes le système nerveux a aussi sa part. Enfin,
aux degrés ultimes, surviennent la paralysie, la syncope, ou
pour parler plus exactement, la perte de connaissance, et
enfin la mort sans dernier soupir et sans convulsions, si la
diminution de pression n’a pas été trop brusquement portée
à son degré mortel.
Les troubles de la décompression disparaissent très-vite
quand le ballon descend des hauteurs; très-vite aussi, je l’ai
vu souvent dans mes expériences, la proportion normale de
l’oxygène reparaît dans le sang. Gela est absolument en série.
Ce qui n’est pas moins en série, c’est la coïncidence re-
marquable que nous fournissent les faits observés dans les
ascensions en ballon avec les deux seuls faits connus dans
lesquels des hommes ont été soumis à un air pauvre en oxy-
gène, sans intervention d’acide carbonique. Le premier a été
observé, comme je l’ai déjà dit (p. 745), par M. F. Leblanc
dans les mines pyriteuses de Huelgoat, en Bretagne. Dans
une galerie où l’air ne contenait plus que 9,8 pour 100 d’oxy-
gène, et où il était entré sans transition, il a eu des vertiges
et des défaillances. Or, la tension de l’oxygène correspond
alors à peu près à celle de l’air à 6000 mètres de hauteur,
là où certes le mal des aérostats frapperait avec une grande
violence celui qui s’y exposerait brusquement. Le second,
constaté par M. Forel (p. 1049), est surtout remarquable par la
DIMINUTION DE PRESSION.
1087
coïncidence des troubles intellectuels qu’il- a éprouvés dans
l’air peu oxygéné, avec ceux dont j’ai moi-même souffert
sous une dépression correspondante à la hauteur du mont
Blanc.
Le moment auquel les aéronautes éprouvent et les animaux
en expérience manifestent des troubles sérieux varie, nous
l’avons vu, non-seulement avec les espèces, mais dans la
même espèce, avec les individus.
L’analyse des gaz du sang artériel nous montre des inéga-
lités tout à fait du même ordre, et qui sont certainement la
cause prochaine de ces différences. Ainsi, à 56 centimètres de
pression, un de mes chiens (expér. GLXXI, n° 10 du ta-
bleau X, p. 645) avait perdu 55,6 pour 100 de l’oxygène de
son sang, un autre (exp. CLXXIY, n° 11) n’en ayant perdu que
56,1 (tableau X, col. 14) ; ils étaient cependant arrivés à peu
près au même chiffre (8,5 et 8,9, col. 8). Un autre de mes
chiens a fait preuve (exp. CLXX, nos 2 et 5) d’une résistance
très-remarquable : à 5 6centimètres, il n’a perdu que 5 ,2
pour 100 de son oxygène; à 46e, que 5,5, conservant la pro-
portion élevée de 20,5.
L’inspection attentive du tableau de la page 645 montre
sous ce rapport beaucoup d’inégalités intéressantes; mais
on ne saurait y trouver les raisons de ces inégalités. Ni la vi-
gueur des animaux, ni la richesse primitive de leur sang en
oxygène ne peuvent servir à elles seules d’explication. On
peut, cependant, en se basant sur les résultats généraux des
analyses des gaz du sang, se rendre compte de ces phéno-
mènes d’une manière assez satisfaisante.
Tout d’abord nous savons que, entre deux animaux de même
espèce, adultes et bien portants, la richesse en oxygène du sang
artériel est très-variable ; les écarts, dans nos analyses, ont été
(V. le tableau XX, p. 1050) de 14,4 à 22,8 volumes d’oxygène
pour 100 volumes de sang ; il paraît donc bien évident, a
priori , que deux animaux présentant cette différence ne se
comporteront pas de même au point de vue de la décom-
pression, et que le premier sera plus rapidement impressionné
que le second.
10B8
FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
En second lieu; si nous supposons deux animaux identi-
ques au point de vue de la richesse en oxygène de leur sang-
artériel, il se pourra faire qu’ils ne soient pas identiques au
point de vue de la capacité maximum de leur sang pour
l’oxygène; l’un pourra être déjà presque saturé, l’autre se
trouver encore assez loin de son point de saturation. Ce der-
nier pourra donc, d’abord, en accélérant ses actes respira-
toires et circulatoires, tendre davantage vers la saturation,
et, par suite, résister mieux à la décompression. Mais ce n’est
pas tout; puisqu’il a la même quantité d’oxygène, tout en étant
moins saturé, c’est que son sang contient à volume égal plus
d’hémoglobine que celui du premier, et que celte hémoglo-
bine est moins oxygénée. Or, tout démontre que la combi-
naison oxy-hémoglobique est d’autant plus difficile à disso-
cier, soit dans la pompe, soit par les tissus, qu’elle s’éloigne
de son point de saturation. Notre animal, pour cette raison
encore, perdra par la dépression moins d’oxygène que celui
qui en avait cependant la même quantité dans le sang.
Nous pouvons aller plus loin encore : deux animaux que
nous prendrons de même poids et identiques par la richesse
oxygénée et le degré de saturation de leur sang artériel, peu-
vent différer singulièrement par la quantité de sang contenu
dans leurs vaisseaux. En supposant qu’il en soit ainsi, il est
clair que s’ils font, dans un temps donné, la même dépense
d’oxygène dans les profondeurs de leurs organismes, celui
qui a le moins de sang verra ce sang abandonner aux tissus
une proportion plus grande d’oxygène; en d’autres termes,
il y aura un écart plus grand au point de vue de la richesse
oxygénée, entre son sang veineux et son sang artériel, que
chez l’animal très-sanguin. Nous avons constaté dans nos
expériences des différences de cette nature; nous avons vu,
par exemple, tel chien avoir dans le sang veineux 9,2 volumes
d’oxygène de moins que dans le sang artériel (exp. GXC); tel
autre (exp. CXCII) n’en avoir que 5,5. Si l’on suppose toutes
les autres conditions identiques, et si l’on soumet ces deux
animaux à une forte diminution de pression, il est clair que
le premier sera impressionné fâcheusement longtemps avant
DIMINUTION DE PRESSION.
1089
l’autre, puisque son sang veineux n’a qu’une bien moindre
réserve d’oxygène.
Nous arrivons ici au fond même de la question. Considé-
rons un individu dont le sang artériel contient pour 100 volu-
mes 20 volumes d’oxvgène, et dont le sang veineux en con-
tient 12, un individu qui, par conséquent, pour les besoins
de ses combustions organiques, consomme 8 volumes d’oxy-
gène empruntés à son sang artériel. Supposons-le maintenant
soumis, dans un aérostat, à l’influence de la diminution de
pression. L’oxygène de son sang artériel diminuera progressi-
vement comme nous l’avons vu, et il en sera naturellement
de même dans son sang veineux. Mais il va passer par deux
phases successives que nous devons étudier avec soin. Dans
la première, le sang artériel appauvri, malgré les efforts de
compensation tentés par l’appareil respiratoire, descendra à
18, 16, 14 volumes d’oxygène ; c’est quand, — si nous pre-
nons pour base de nos calculs le graphique de la figure 51
(p. 645), — la pression se sera abaissée à 62, 48, 40e, corres-
pondant environ à des hauteurs de 1600, 5600, 5100 mètres.
Si rien n’est changé dans l’intensité de ses combustions
intra-organiques, notre aéronaute aura toujours eu besoin
des 8 volumes d’oxygène qu’il consommait à la pression nor-
male, et son sang veineux aura contenu 10, 8, 6 volumes
d’oxygène. Ce sont là des combinaisons oxy-hémoglobiques
faciles à dissocier pour les besoins des combustions orga-
niques; la quantité d’oxvgène nécessaire aux phénomènes
intimes de la nutrition aura pu être trouvée, et rien ne sera
changé dans l’équilibre général de notre aéronaute. Sans
doute, ses tissus seront baignés par un sang relativement
pauvre en oxygène; mais comme ils peuvent, en somme-
bien qu’avec un peu plus de difficulté qu’à l’état normal, en
extraire ce dont ils ont besoin, les troubles nutritifs avec
leurs conséquences fonctionnelles ne seront que de médiocre
importançe.
Mais voici que le ballon monte toujours et atteint successi-
vement 5700“ (57e), 6600m (55e), 8600m (26e) : le sang artériel
voit sou oxygène s’abaisser à 15, 12, 10 volumes. Alors il de-
G9
1090
FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
N
vient de plus en plus difficile de trouver les 8 volumes d’oxy-
gène nécessaires à l’entretien régulier de l’organisme, car
il faudrait que le sang veineux tombât à 5, 4, 2 volumes,
et la combinaison oxy-hémoglobique se montre de plus en
plus rebelle à la réduction. En fait, l’expérience l’a prouvé,
cette réduction n’a pas lieu ; les graphiques de la figure 40
(p. 690) sont très-caractéristiques et montrent que la con-
sommation d’oxygène diminue dans l’organisme, l’écart di-
minuant entre les tracés jusqu’alors parallèles qui repré-
sentent la richesse en oxygène du sang artériel et celle du
sang veineux aux diverses pressions. C’est alors que, simul-
tanément, on voit diminuer dans une proportion croissante
la quantité d’oxygène consommé dans l’air, d’acide car-
bonique rejeté, d’urée excrétée; c’est alors que la tem-
pérature commence à s’abaisser. Alors, par suite, se mani-
festent, avec une intensité également croissante, des troubles
physiologiques graves, dus à l’insuffisance de la quantité de
forces vives mises en liberté; les muscles respiratoires, le
cœur, qui jusque-là avaient fait effort pour activer les actes
nutritifs, retombent, pour ainsi dire, comme épuisés; le sys-
tème musculaire tout entier, le système veineux, qui peuvent
à peine trouver dans le sang appauvri l’oxygène strictement
nécessaire à leur entretien statique, ne peuvent entrer en
action énergique ou durable. Et, par la série habituelle des
sympathies, des harmonies organiques, ce qui était effet devient
cause à son tour : les tissus refroidis deviennent moins aptes
aux combustions, le cœur rallenti et sans forces n’envoie plus
avec la même abondance le liquide nourricier, et le malheu-
reux aéronaute, entraîné dans cette espèce de spirale vicieuse,
descend rapidement la pente qui mène à la mort.
Ainsi, en résumé, deux phases : phase de lutte, phase de
déroute, avec un passage de l’une à l’autre dont la durée
variera suivant bien des circonstances, que nous allons passer
rapidement en revue. Nous pouvons les diviser en deux clas-
ses : les unes sont inhérentes, les autres extérieures à la per-
sonne en expérience.
Parmi les circonstances intrinsèques, nous avons déjà cité
DIMINUTION DE PRESSION.
1091
comme favorables la richesse sanguine de l’organisme, la ri-
chesse oxygénée du sang, la grande capacité du sang pour
l’oxygène, la moindre consommation relative d’oxygène dans
le sang à la traversée des tissus. Il en est d’autres encore, et
non des moins importantes, mais que nous ne comprenons
pas aussi clairement tout d’abord, et qui dépendent de l’état
chimique des tissus eux-mêmes. Autre chose sera, en présence
du moindre apport d’oxygène, un tissu où le repos a laissé
s’accumuler des matériaux facilement oxydables, ou bien un
tissu épuisé de ces matériaux par un fonctionnement anté-
rieur par trop énergique. Dans le premier, tout sera prêt
pour un maximum d’utilisation de l’oxygène apporté, et par
suite pour un maximum de rendement de force vive; dans le
second, au contraire, à côté des phénomènes de dégagement
de la force vive, de combustion, l’équilibre organique amené
à ses extrêmes limites exigera des réductions, des emmagasi-
nements de force vive qui diminueront d’autant la somme
des dépenses possibles en chaleur et en travail. Encore à ce
point de vue, la digestion, qui jette dans l’organisme des ma-
tières faciles à oxyder, doit constituer une condition favo-
rable à la conservation d’un état compatible avec la force et
la santé. Enfin, pour terminer ce qui a rapport aux circon-
stances intrinsèques, nous signalerons les effets désastreux
des efforts intellectuels ou musculaires qui, exigeant pour
s’accomplir une soudaine consommation d’oxygène, viennent
enlever à ce sang déjà si pauvre la provision insuffisante
qu’il destinait à la nutrition des tissus, et réduisent ces der-
niers à l’indigence et à l’impuissance ; mais ceci sera mieux
à sa place dans l’étude des accidents des voyageurs en mon-
tagne.
En tête des circonstances extrinsèques et défavorables, il
faut citer le froid. Les aéronautes ont rencontré des tempé-
ratures extraordinairement basses. Or, depuis les immortels
travaux de Lavoisier, chacun sait quelle suractivité dans les
oxydations peut être alors exigée pour la conservation d’une
température constante, il est clair que dans les conditions
fâcheuses où se trouve la source oxygénée, c’est-à-dire le
J 092 FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
sang artériel, le moment où l’organisme sera mis en péril
pourra être avancé par l’action d’un froid intense. Mais il
faudra que le patient ait déjà atteint, ou peu s’en faut, la
phase de dépression organique, sans quoi le jeu compensateur
des mêmes moyens physiologiques qui nous permettent , au
niveau du sol, de résister au froid, pourrait se montrer effi-
cace dans les hautes régions. Une seconde circonstance fâ-
cheuse est une rapidité trop grande dans l’acte de l’ascension.
Si confuse que soit encore l’idée qu’on peut se faire des effets
de l’habitude, il est bien certain que les modifications dans les
conditions au milieu desquelles nous vivons, ont des consé-
quences bien plus pénibles lorsqu’elles sont soudaines que
lorsqu’elles sont amenées avec une certaine lenteur; le fait
est des plus évidents pour la diminution de pression, et nous
avons vu maintes fois, dans nos expériences, un animal fou-
droyé soudain par une dépression à laquelle on aurait pu
aisément l’amener en employant des transitions prudentes;
bien plus, cet animal, s’il n’est pas tué sur place, se remet
et revient plus ou moins complètement à lui, sous la même
dépression qui avait failli lui être fatale.
Nous n’avons, jusqu’à présent, parlé que de l’oxygène du
sang. Les autres gaz, dont la proportion diminue également,
joueraient-ils quelque rôle dans les accidents de la décompres-
sion? L’acide carbonique, dont la diminution dans le sang
marche encore plus vite que celle de l’oxygène (Y. la fîg. 51,
p. 645), ne me paraît pas devoir présenter d’importance
pour le cas des aéronautes qui restent si peu de temps sous
l’influence de la décompression ; nous aurons à revenir sur
ce point quand nous parlerons des habitants des montagnes.
Quant à l'azote, il ne peut être question de lui qu’au point
de vue mécanique. Nous avons montré le rôle redoutable qu’il
joue dans les décompressions brusques à partir de plusieurs
atmosphères ; mais il me semble impossible d’attribuer la
moindre influence fâcheuse à son dégagement pendant l’as-
cension même la plus rapide en ballon : Coxwell et Glaisher
mirent 50 minutes pour arriver à 8858m; Crocé-Spinelli,
Sivel et Tissandier atteignirent en deux heures la hauteur de
DIMINUTION DE PRESSION.
1095
8600m, la diminution de pression étant d’environ trois quarts
d’atmosphère. Or, nous avons vu que les accidents même lé-
gers delà décompression brusque n’apparaissent jamais pour
une décompression presque instantanée de une atmosphère
(p. 512) ; au-dessus, pour des dépressions de plusieurs at-
mosphères, vingt minutes par atmosphère mettent à l’abri
des accidents ; nous sommes bien loin des conditions pré-
sentées par les aéronautes.
Nous comprenons donc parfaitement maintenant les phé-
nomènes que va présenter l’aéronaute en s’élevant dans son
ballon. Aux faibles hauteurs, légère accélération du pouls et
de la respiration tendant à compenser la diminution d’oxy-
gène que commence à subir le sang, accélération qui semble
avoir quelques-unes des conséquences de la fièvre, comme
elle a quelques-uns de ses symptômes. A ce moment, en effet,
les observateurs ont signalé une certaine excitation intellec-
tuelle, avec sentiment de bien-être, de légèreté, de force, qu’il
ne me semblerait pas exact d’attribuer seulement à l’émotion
du voyage, aux splendides spectacles qu’offrent à l’admira-
tion de l’aréonaute les nuages éclairés d’en haut par le soleil.
Je pense que l’activité augmentée de la circulation, sou-
mettant à une irrigation plus rapide les organes et particu-
lièrement les centres nerveux, en enlève d’une manière plus
complète les déchets nutritifs, et par cette sorte de lavage
les met dans les conditions les plus favorables à leur fonc-
tionnement. D’autre part, non-seulement l’acide carbonique
pour une faible partie, mais toutes les impuretés gazeuses
que notre sang absorbe au niveau du sol, particulièrement
dans l’air des grandes villes, s’échappent en proportion déjà
notable, et nos organes, si sensibles à l’influence de ces ma-
tières miasmatiques encore pour la plupart inconnues, doi-
vent en éprouver des avantages plus faciles à deviner qu’à
définir avec précision.
Mais le ballon poursuit sa marche ascensionnelle : il atteint
et dépasse 5000rn. L’oxygène diminue en proportion notable
dans le sang, bien qu’il en reste assez pour que la consom-
mation nécessaire puisse être satisfaite. L’enthousiasme, l’ex-
1 09i
FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
citation fébrile éprouvés vers 2000m ont à peu près disparu;
le cœur bat rapidement; les mouvements deviennent assez
pénibles, le froid se fait sentir. Plus haut encore, le repos
devient indispensable; le sang appauvri ne peut suffire au
surcroît d’oxygénation exigé pour les contractions muscu-
laires; aussi, le moindre effort donne des essoufflements, des
palpitations : le vigoureux Sivel peut à grand’peine soulever
un sac de sable de 20 livres au niveau de la nacelle; la som-
nolence envahit les passagers; ils ont des vertiges, des
tintements d’oreille, des éblouissements; le ciel paraît pres-
que noir, en partie à cause de l’affaiblissement de la vue.
Enfin, plus haut encore, si, au milieu de l’espèce d’inertie
musculaire, sensorielle, intellectuelle à laquelle ils sont
condamnés, ils veulent faire un mouvement, même faible,
lever un bras comme Glaisher et comme Tissandier, soudain
ils s’aperçoivent que la paralysie les a frappés à leur insu et
presque aussitôt le cerveau, auquel un cœur affaibli n’en-
voie plus qu’un sang insuffisamment oxygéné, cessant ses
fonctions, il survient une perte de connaissance qui, si le
ballon ne redescend pas, peut conduire rapidement à la mort.
Prophylaxie. — L’analyse' que nous venons de faire montre
l’utilité d’un certain nombre de précautions que le bon sens-
avait du reste indiquées déjà. Les aéronautes qui se disposent
à des ascensions fort élevées devront, autant que possible,
dans les jours qui précèdent, éviter les excès de fatigue
musculaire, nerveuse, intellectuelle. Bien portants d’ordi-
naire, surtout au point de vue des organes respiratoires et
circulatoires, ils devront prendre garde aux bronchites,
qui sont de nature à gêner les actes respiratoires. Avant de
partir, ils devront faire un repas d’aliments substantiels et
emporter avec eux, pour manger fréquemment en route,
quelque victuaille réconfortante.
Ils tâcheront de disposer toutes choses dans la nacelle de
manière à ne pas être obligés à de grands efforts muscu-
laires; les sacs de lest, par exemple, devront être vidés par
la section d’une cordelette, et non portés du fond au bord
de la nacelle. Une installation confortable ne sera pas sim-
DIMINUTION DE PRESSION.
1095
pleinent du luxe, elle épargnera la consommation de l’oxy-
gène.
Ajoutons que des couvertures, des bouteilles d’eau ou
mieux d’huile chaude, devront être emportées afin de pré-
server du froid, autre consommateur d’oxygène.
La prudence commanderait, en arrivant dans les hautes
régions, de ralentir l’ascension, afin de ne pas se soumettre à
de trop "brusques changements. Malheureusement cela n’est
presque jamais possible dans la pratique, car si l’on ralentit
la marche du ballon, le gaz qui y est contenu ira en se
refroidissant au contact des couches glacées de l’air, et
l’aérostat perdra une partie de sa force ascensionnelle. Or,
on n’en a jamais trop pour de pareilles expéditions, et il faut
songer à conserver le plus de lest possible pour les accidents
de la descente, où le ballon, presque vidé, se conduit presque
comme un simple parachute.
Telles sont les précautions dont, avant mes travaux, on
pouvait prévoir l’utilité. Mais aujourd’hui, sans cesser d’être
utiles à respecter, elles cèdent de beaucoup le pas à la respi-
ration de l'air suroxygéné. Grâce à celle-ci, et à elle seule, tous
les dangers de la décompression peuvent être impunément
bravés. Je l’ai, ainsi qu’on l’a vu (p. 749-762), expérimen-
talement vérifié sur moi-même.
Il suffit, pour être complètement à l’abri, de respirer un
air d’autant plus oxygéné que la pression diminue davantage;
en telle sorte que la tension du gaz vivifiant reste toujours la
même, ou du moins soit toujours égale, sinon supérieure, à
celle qui existe dans l’air, sous la pression normale. Dans les
ascensions en ballon, rien de plus simple à exécuter, l’espace
ne faisant pas défaut.
On suspendra donc au cercle de l’aérostat deux ballon-
nets de baudruche, dont l’un, plein d’un mélange à 70 pour
100 d’oxygène, servira pour les hauteurs de b à 7000 mètres :
tension de l’oxygène à 6000 mètres=70 X
55
76
= 52 environ.
L’autre, aussi pur que possible (95 pour 100 en pratique), ser-
vira pour les hauteurs supérieures : à 9000 mètres, la tension
1090
FAITS RECENTS, RESUME ET CONCLUSIONS.
oxygénée du mélange vaudra à peu près 95 x
24
76
50
c’est-à-dire qu’elle sera double de celle de l’air ordinaire à
2700 mètres. La grandeur des ballonnets devra être cal-
culée à raison de 10 litres par homme et par minute de séjour
dans les régions dangereuses; ainsi, dans le funeste et glo-
rieux voyage du Zénith , il aurait fallu, pour éviter tout péril,
et tirer un parti utile de toute l’ascension, emporter 1500 li-
tres du premier mélange et 1800 litres du second1, soit
environ 5 mètres cubes dans des ballonnets avant 9 mètres
«j
de capacité, à cause de la dilatation extrême du gaz à ces
hauteurs. Mais cette quantité, il faut le dire, eût été tout à
fait un maximum.
Je ne saurais recommander trop énergiquement d’établir,
à partir de 5 à 6000 mètres, une relation directe et forcée, à
l’aide d’une embouchure analogue à celles des appareils Ga-
libert ou Denayrouze, entre la bouche des aéronautes et les
ballonnets d’oxygène. Si semblable précaution eût été prise
pour 1 e Zénith, on n’aurait eu aucun malheur à déplorer;
qu’on se reporte à l’émouvant récit de M. G. Tissandier :
« Je veux saisir le tube à oxygène, mais il m’est impossible
de lever le bras. » S’il avait eu le tube à la bouche, ils étaient
tous sauvés !
§ 2. — Voyageurs en montagne.
Les conditions dans lesquelles sont placés les voyageurs en
montagne diffèrent de celles des aéronautes en deux points
importants : 1° les efforts musculaires nécessités par l’acte
de l’ascension; 2° la lenteur relative de l’ascension et la
durée du séjour sur les hauts lieux.
1° Efforts musculaires. — Les contractions musculaires, la
production du travail nécessaire pour élever le poids du
corps, nécessitent une consommation active d’oxygène, à
1 Je tire ces chiffres du diagramme de la figure 87 (p. 1069) ; en supposant
que la première descente se soit effectuée régulièrement, le séjour entre 500ra et
7000“ aurait duré 45 minutes et celui au-dessus de 7000“, une heure environ.
DIMINUTION DE PRESSION.
1097
laquelle, sur les niveaux ordinaires, l’accélération de la res-
piration suffit pour satisfaire. Mais lorsque la quantité d’oxy-
gène dans le sang s’est abaissée notablement, la dépense
nouvelle ne peut plus être couverte sans des troubles sérieux.
Aussi n’est-il pas étonnant de voir que le mal des montagnes
arrive à des niveaux notablement moins élevés que le malaise
des aéronautes; il est généralement assez intense à 4000
mètres (46 centimètres de pression) ; presque tout le monde
l’éprouve au sommet du mont Blanc (4800 mètres ; 41 cen-
timètres). Ce n’est enfin qu’au prix des plus vives souffrances
que la généralité des voyageurs dépassent dans les Andes et
l’Himalaya la hauteur de 5500 mètres (58 centimètres) et que
les frères Schlagintweit sont arrivés sur l’Ibi-Gamin à 6880
mètres (52 centimètres); encore ces courageux voyageurs
étaient-ils déjà acclimatés par un assez long séjour sur les
hauts lieux.
Les faits présentés dans mes expériences par les oiseaux
qui, pour s’être agités, sont menacés de mort par une dé-
compression qui rend à peine malade leur voisin plus tran-
quille ; l’impossibilité de se mouvoir, à partir d’une certaine
dépression, et, chez les voyageurs, la’ lassitude extrême, la né-
cessité de s’arrêter presque à chaque pas, l’amélioration qui
suit le repos, surtout le repos horizontal, tout cela s’explique
parfaitement d’après la connaissance que nous avons de l’ap-
pauvrissement du sang en oxygène sur les grandes hauteurs.
Nos analyses des gaz du sang nous permettent de repousser
a posteriori , comme nous l’avons déjà fait a priori (V. p. 561),
la théorie de M. Gavarret sur l’empoisonnement des ascen-
sionnistes par l’excès d’acide carbonique qu’ils ont produit.
Nous avons vu, en effet, que, même chez les animaux mal
attachés sur leur cadre et qui, se remuant sans cesse, con-
tractent fortement leurs muscles, que toujours, en un mot,
l’acide carbonique diminue, bien loin d’augmenter.
Examinons maintenant de plus près la question de la
consommation d’oxygène, et comparons notre voyageur en
montagne à Paéronaute dont nous avons précédemment
parlé : supposons, pour mieux dire, que ce soit le même indi-
1098
FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
vidu, ayant à la pression normale 20 volumes d’oxygène dans
100 volumes de sang artériel, et 12 volumes dans le sang vei-
neux. Le voici transporté à 3600 mètres et au repos; son sang
artériel contiendra 16 volumes, son sang veineux 8 volumes,
en admettant que rien n’est changé dans l’intensité des
phénomènes nutritifs, et qu’aucun trouble fonctionnel n’est
survenu. Mais voici qu’il met ses muscles en contraction,
qu’il marche et continue à s’élever par une série d’ef-
forts nécessitant une consommation d’oxvgène. On sait,
depuis les recherches de Claude Bernard, corroborées par
celles de Ludwig et Sczelkow, qu’il y a entre le sang arté-
riel qui entre dans un muscle et le sang veineux qui en sort
pendant la contraction, une différence d’environ 12 volu-
mes d’oxygène, différence qui n’est que de 8 volumes pen-
dant le repos du muscle. Si donc on supposait que toute la
consommation de l’oxygène du sang de notre voyageur fût due
à la nutrition musculaire, celle-ci étant augmentée dans le
rapport de 8 à 12, le sang veineux ne devrait plus contenir
que 12 : 8 = 8 : x = 5 volumes environ d’oxygène; à 5100
mètres, la richesse en oxygène du sang veineux devrait tomber,
en passant de l’état de repos à l’état de contraction générale,
de 6 à 4; à 6600 mètres elle se réduirait à 1, 3; et tout ce
que nous avons dit plus haut sur la difficulté de dissocier
les combinaisons faiblement oxvgénées de l’hémoglobine,
montre les conséquences fâcheuses de cet épuisement dont
le calcul d’autre part prouve la nécessité. Ou il se fera complè-
tement, et alors le sang qui reviendra au cœur droit sera pres-
que absolument dépouillé d’oxvgène, et les échanges respira-
toires ne ramèneront dans le sang artériel qu’une quantité
d’oxygène moindre encore que celle qui s’y trouvait après la
phase de repos; ou il sera entravé par les difficultés chimi-
ques, et alors le muscle ne pouvant trouver la quantité suf-
fisante d’oxygène, s’arrêtera dans sa contraction. Pour l’une
ou l’autre raison, le voyageur, après quelques pas, est forcé
de s’arrêter aussitôt, sous peine d’asphyxie : aussi s’arrête-
t-il, et le sang veineux qui sort des muscles en repos, conte-
nant encore une assez notable quantité d’oxygène, peut aller
DIMINUTION DE PRESSION.
1099
dans les poumons se charger de ce que la loi physico-chimi-
que de la dissociation lui permet de prendre dans le milieu
aérien dilaté. La proportion centésimale se relevant suffi-
samment, nouvel effort possible, suivi bientôt de nouvel ar-
rêt. C’est ce qui est arrivé à tous les voyageurs dans les
régions élevées, comme le prouvent surabondamment les
faits rapportés dans la partie historique de ce livre.
Sans doute les calculs que nous venons de faire donnent
des résultats exagérés en ce sens que le corps n’est pas tout
muscles et que tous les muscles ne se contractent pas à la
fois dans l’acte de l’ascension. Mais d’autre part, nous n’avons
parlé que de la contraction musculaire statique, sans tenir
compte du travail à développer. Or, il est vraisemblable,
sans qu’on puisse considérer cette allégation comme démon-
trée aujourd’hui, qu’un muscle qui se contracte en produi-
sant du travail, consomme plus d’oxvgène qu’un muscle qui se
contracte statiquement. Si, en effet, laconsommationd’oxygène
était la même dans les deux cas, la chaleur du muscle devrait
être moindre quand il y a travail produit; or, Ileidenhain
a montré qu’elle augmente au contraire, ce qui exige une plus
grande consommation d’oxygène. Nous sommes. donc autorisés
à penser que l’élévation du poids du corps dans l’acte de
l’ascension augmente encore les emprunts faits par les
muscles en contraction à l’oxygène du sang veineux et aug-
mente par suite la détresse de l’organisme.
Par là s’explique ce fait si connu que, dans les hautes ré-
gions, tandis que la marche à plat est assez bien supportée,
l’ascension des moindres mamelons amène des troubles
graves (Y. p. 347).
Ce que nous venons de dire du voyageur en montagne, et
ce que nous avons dit antérieurement de l’aéronaute, nous
permet d’aborder la question du refroidissement du corps
pendant l’acte de l’ascension. La théorie de Lortet et Marcet
(V. p. 297) consiste à dire que, dans des conditions de dépres-
sion où, à l’état de repos, la température reste constante,
celle-ci s’abaisse lorsque l’ascension, qui nécessite un énorme
travail mécanique, le produit aux dépens de la chaleur déve-
1100
FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
loppée par les oxydations organiques. Je dirai d’abord que
dans mon opinion, il n’y a point ainsi dans l’organisme trans-
formation de chaleur en force mécanique; tout me semble
démontrer que, lors de la mise en liberté, sous forme de
forces vives, des forces de tension, par suite de la fixation de
l’oxygène, il se produit à la fois chaleur, électricité, travail,
dans des proportions qui varient sans doute, mais dont les
variations sont initiales et ne dépendent pas de transforma-
tions ultérieures. 11 faut donc se demander s’il peut arriver,
non que la chaleur se transforme en force mécanique,
mais que les forces de tension, en se développant, don-
nent moins de chaleur afin de faire face au travail mécani-
que. La question ainsi posée, il faut avouer que jusqu’ici, les
observations qui déposent dans le sens de la théorie peuvent
être récusées (Y. p. 555 et 1054), le thermomètre buccal ne
pouvant donner des résultats certains pendant la marche
même. M. Forel, dans un récent travail (V. p. 1050), M. Cal-
berla,qui prenait la température dans le rectum (Y. p. 1050),
ont toujours constaté une augmentation de température pen-
dant l’acte de l’ascension. Et cependant, je suis persuadé que
dans des régions plus élevées, le fait annoncé par M. Lortet
doit se produire. Nous avons bien vu, dans nos expériences,
des animaux immobiles se refroidir par le fait de la diminu-
tion de pression; je suis persuadé que si, à ce moment, on
eût exigé de leur organisme épuisé une production de travail
mécanique, leur température eût encore baissé davantage,
parce qu’ils n’auraient pas pu, ayant dépassé déjà la limite
d’équilibre et s’étant avoués impuissants à oxyder suffisam-
ment leur organisme pour le maintenir au rang d’animal à
température constante, libérer le surcroît nécessaire de forces
de tension, et qu’ils auraient dû, par suite, prélever sur la
production de chaleur la force vive nécessaire pour exécuter
ce travail. Or, il est possible même qu’à la limite, alors que
pendant le repos la température reste encore normale, il se
fasse un abaissement léger au moment de la dépense nouvelle
exigée par le transport vertical du corps. Je ne saurais trop
insister sur l’intérêt que présenteraient des recherches ther-
DIMINUTION DE PRESSION.
1101
mométriques faites, avec toutes les précautions nécessaires,
et pendant l’acte de l’ascension, sur des individus atteints
au plus haut degré déjà du mal des montagnes; mais peut-
être nos montagnes européennes sont-elles trop peu élevées
pour permettre de constater, même dans ces conditions, un
abaissement de température.
Il est bien démontré, en tout cas, que le refroidissement
du corps n’est point la cause du mal des montagnes, et
que celui-ci survient sans que la température intérieure ait
été modifiée.
Ce n’ést pas à dire, ainsi que nous l’avons fait observer en
parlant des aéronautes, que le froid extérieur ne joue aucun
rôle dans la question du mal des montagnes. Son importance
est grande, au contraire, puisqu’il vient augmenter les exi-
gences oxygénées de l’organisme s’efforçant de conserver son
équilibre. C’est même évidemment cette nécessité de lutter
contre le froid, cause nouvelle de consommation d’oxvgène,
cause nouvelle d’appauvrissement du sang, qui explique pour-
quoi, dans nos Alpes glaciales, le mal des montagnes frappe
la plupart des voyageurs à des hauteurs qui sont, dans les
Cordillères, tout à fait inoffensives ici, la limite des neiges
perpétuelles est par 4800 mètres ; là, par 2700 seulement. 11
faut pourvoir au réchauffement du corps en même temps
qu’aux efforts musculaires delà marche.
B. Durée de l'ascension. — La durée des voyages en mon-
tagne, beaucoup plus longue que celle des ascensions en bal-
lon, est une condition favorable, ainsi que nous l’avons dit
en parlant de ces dernières. Le voyageur astreint à gravir len-
tement les pentes évite l’effet fâcheux des brusques modifica-
tions dans la richesse oxygénée du sang ; il ne peut guère,
dans sa journée, franchir une dénivellation de plus de 5000m,
et il lui faut alors, si le sommet n’est pas atteint, se reposer,
passer la nuit, s’habituer, en un mot, à l’état d’anoxyhémie
dans lequel il se trouve. Cela est tellement vrai que nous
avons pu, dans la première partie de ce livre, expliquer une
partie des singularités que présente le mal des montagnes
dans les diverses régions du globe par la forme du massif
1 1 02 FAITS RÉCENTS, RÉSUME ET CONCLUSIONS.
montagneux, ou la situation plus ou moins isolée du pic à
gravir.
Nous avons également montré comment s’expliquait, par
un meilleur emploi des forces musculaires, du à l’habitude
de la gymnastique en montagne, la résistance beaucoup plus
grande au mal que présentent les voyageurs après quelques
ascensions préliminaires : la dépense de forces est ainsi ré-
duite à son minimum.
Pour toutes ces questions, pour l’influence de la fatigue, du
froid, etc., nous renvoyons au résumé déjà présenté des faits
depuis longtemps connus (p. 527-540). Aujourd’hui que nous
savons comment tout s’explique par la diminution de l’oxy-
gène du sang, nous comprenons comment un excès inutile
de contractions musculaires pourra amener plus rapidement
l’anoxyhémie à son degré asphyxique , et occasionner le
mal.
Quant à la nourriture mauvaise ou insuffisante, il est clair
que si les matériaux oxydables ne sont point fournis en quan-
tité convenable, les difficultés que l’organisme a, dans l’air
dilaté, à réaliser les combustions nécessaires, seront aug-
mentées d’autant. Mais il n’y a rien là, sauf l’intensité, qui
soit spécial aux lieux élevés; l’usure sur laquelle ajustement
insisté M. Dufour aura lieu, au même degré, pour toute course
ascendante, qu’elle s’opère au-dessous de 1000 mètres ou au-
dessus de 4000, et cependant les phénomènes consécutifs se-
ront bien différents.
Quant à l’analyse plus précise des causes et de la valeur
de l’accoutumance, il me semble qu’elle sera mieux placée
dans le paragraphe suivant, lorsque je parlerai des habitants
des hauts lieux.
Prophylaxie. — Se prémunir contre le froid, se nourrir
convenablement, réduire à leur minimum les efforts muscu-
laires, s’exercer à des ascensions préliminaires et au séjour
prolongé dans les régions élevées, aller camper la nuit qui
précédera la grande ascension aussi haut que possible, ne
point se hâter sur les pentes rapides, couper l’ascension par
des haltes fréquentes, manger peu et souvent, telles sont les
DIMINUTION DE PRESSION.
1103
précautions générales qui ressortent de tout ce que nous
avons dit.
L’emploi de l’oxygène, du souverain protecteur contre les
dangers de l’air raréfié , présente ici de bien plus grandes
difficultés que pour les ascensions en ballon. Il ne peut être
question, en effet, d’emporter en montagne des ballonnets
d’oxygène contenant plusieurs mètres cubes. Deux moyens
seulement se présentent à l’esprit : renfermer la provision
nécessaire d’oxygène, comprimée à plusieurs atmosphères,
dans des récipients solides; ou encore, préparer extemporané-
rnent et sur place, de temps en temps, l’oxygène nécessaire.
Pour étudier la réalisation du premier moyen, je me suis
adressé à M. Denayrouze, qui a mis à ma disposition un appa-
reil composé de deux cylindres en tôle d’acier d’un millimè-
tre d’épaisseur, capables de supporter la pression de 40 atmo-
sphères, et qu’on peut porter sur le dos comme un sac de tou-
riste : les deux cylindres réunis n’ayant que 56e de hauteur
sur 20e de largeur, et pesant avec le régulateur Denayrouze
seulement 15 kilogrammes. Le volume des cylindres étant de
11 litres, on aurait, à 50 atmosphères, charge qui ne pré-
sente aucun danger, 550 litres d’oxygène1, qu’il faudrait évi-
demment prendre aussi pur que possible, c’est-à-dire, dans
la pratique, à 95 pour 100. Mais la respiration d’oxygène pur
n’étant nullement nécessaire, j’ai fait construire un ajutage
en forme d'Y, qui peut servira mêler, en proportion convena-
ble, l’oxygène du récipient avec l’air extérieur : l’une des
branches, qui débouche au dehors, est libre; l’autre, qui
communique avec les cylindres, porte un verrou gradué, à
l’aide duquel on rétrécit plus ou moins son calibre, suivant
des indications calculées à l’avance, afin de maintenir la ten-
sion de foxvgène à un degré suffisant.
En supposant qu’on respire en moyenne de l’air à 45 pour
1 En réduisant l’appareil à un seul cylindre, que porterait alors chaque voya-
geur, on pourrait obtenir 250 litres de capacité sous 50 atmosphères, avec un
poids de S kilogr. ; en réunissant, an contraire, 5 cylindres, portés par un guide
spécial pour le service de plusieurs voyageurs, on aurait une capacité de 510 litres
avec un poids de 17 kilogr.
J 104
FAITS REGENTS, RESUME ET CONCLUSIONS.
100 d’oxygène, le volume disponible deviendrait 000 litres,
ce qui pourrait suffire à la respiration continue d’un homme
pendant plus d’une heure. Mais, dans la pratique, il ne serait
pas nécessaire de respirer continuellement l’air suroxygéné.
Au mont Blanc, la montagne d’Europe où les malaises sont à
leur maximum, cette provision suffirait parfaitement pour le
plus susceptible des voyageurs, et en moyenne pourrait éviter
à deux ou trois voyageurs ce qu’i! y a quelquefois de si péni-
ble dans les angoisses du mal des montagnes; ils n’auraient
qu’à venir de temps en temps, aux passages difficiles, respi-
rer quelques bouffées de ce cordial gazeux, boire, suivant
l’expression imagée de Sivel, quelques gorgées d’oxygène.
Mais on voit que l’emploi de ce moyen ne serait pas sans dif-
ficultés, sans inconvénients dans les très-hautes régions, où
la respiration suroxygénée devrait être à peu près continue,
et même, il faut l’avouer, sans dangers, si une chute violente
du porteur venait à faire crever l’appareil.
11 serait certainement bien préférable de pouvoir produire
de place en place l’oxygène, aux haltes nécessaires, et au fur
et à mesure des besoins, afin de l’emmagasiner dans de petits
ballons. Mais jusqu’à présent je ne connais aucune réaction
chimique qui puisse être opérée facilement sans le trans-
port d’instruments fragiles ou pesants, dans des condi-
tions pratiques, en un mot, pour les ascensions ordinaires.
Mais les expéditions scientifiques de longue durée, comme
celles qui séjournent pendant des semaines sur les hautes
régions du Thibet, du Ladak, du Pamir, pourraient parfaite-
ment et devraient même emporter l’outillage nécessaire pour
se procurer de l’oxygène dans telle circonstance .donnée. Il
est rare, sans doute, qu’on meure exclusivement par l’effet
de l’air raréfié, bien que nous ayons cité des exemples de
ce genre de mort; mais son influence redoutable vient aug-
menter rapidement les dangers de toutes les maladies qui
compromettent l’oxydation du sang. Je suis persuadé que si
l’on eût pu faire respirer au Dr Stoliczka (V. p. 1074) de temps
en temps de l’oxygène, on ne l’aurait pas vu périr ainsi en
deux jours.
DïMliNÜTION DE PRESSION.
Il 05
Quoiqu’il eu soit des difficultés de la réalisation pratique,
il est certain que, par la respiration d’un air suroxygéné, le
sommet du mont Everest, la plus élevée des montagnes du
globe (8840m), n’est plus théoriquement inaccessible à
l’homme, puisque j’ai pu moi-même atteindre sans encombre
la pression de 248mm, qui correspond précisément à celle de
cette prodigieuse hauteur. Or, à ce niveau, Glaisher est tombé
inanimé au fond de sa nacelle, et 200m moins haut, Crocé-
Spinelli et Sivel sont morts.
§ 3. — Habitants des hauts lieux.
Nous avons vu, dans la première partie de ce livre (p. 19),
que les habitations humaines s’élèvent, dans l’Amérique du
Sud et dans l’ilimalaya, jusqu’au niveau de 4500m; au som-
met du Pichincha (4860m), les oiseaux-mouches sont nom-
breux; la huppe « semble chez elle » à 5500m sur les hauts
plateaux du Peti t-Thihet (p. 171). Ce sont là les limites ex-
trêmes. Plus bas, entre 2 et 5000m, des millions d’hommes
vivent groupés en cités, en nations, dans des conditions où
les habitants des bords de la mer éprouvent presque toujours,
quand ils s’v sont transportés brusquement, quelque in-
lluence pénible, parfois même impossible à supporter. Enfin,
sur les collines de 1000,n environ, non-seulement on trouve
aussi des populations nombreuses, mais les habitants des
bords de la mer s’y sentent d’ordinaire, au moins pendant
un temps, plus actifs, plus dispos, plus forts que dans leur
séjour naturel. •
Examinons successivement ces points divers.
Faibles hauteurs. — Nous plaçons leur limite supérieure
aux environs de 2000m. L’impression qu’elles produisent sur
le voyageur qui vient y séjourner pendant quelques semaines
ou quelques mois est, comme nous venons de le dire, géné-
ralement favorable. Reportons-nous à ce que nous avons dit
de l’aéronaute amené par son ballon à un niveau correspon-
dant; les mêmes observations s’appliqueront à notre voya-
geur. 11 doit y avoir d’abord une tendance à la diminution
70
1106
FAITS RÉGENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
de l’oxygène contenue dans le sang, diminution à laquelle
l’accélération de la respiration et de la circulation vient,
selon toute vraisemblance, apporter une compensation suf-
fisante. Ces accélérations sont réelles, comme le prouvent
les observations de M. Jaccoud (p. 510), de M. Vacher
(p. 1057). La respiration devient même plus ample, « de
manière à mettre en jeu certaines régions paresseuses du
poumon qui, dans les conditions ordinaires, ne prennent
qu’une très-faible part à rexpansion inspiratoire; ces régions
sont les parties supérieures des organes » (p. 311). Selon
le docteur Armieux (p. 514), la conséquence en est une
augmentation notable de la capacité thoracique, dont la cir-
conférence gagne en moyenne de 2 à 5 centimètres. Or, cette
amplitude augmentée des mouvements respiratoires est de
grande importance; non-seulement elle introduit dans un
temps donné une plus grande quantité d’air dans les pou-
mons, mais encore cet air se distribue mieux et plus utile-
ment dans l’arbre respiratoire. M. Gréhant1 a fait voir, en
effet, que le coefficient de ventilation étant 0,060 pour des
inspirations de 500cc, il devient 0,159 pour des inspirations
de 600cc, c’est-à-dire de beaucoup plus du double, pour des
inspirations doubles. Aussi, dit-il, et ce n’est pas Je moins
curieux parmi les résultats de ses belles études : « Trente-six
inspirations de 500cc faites en une minute (10,8 litres) ne
renouvelleront pas les gaz du poumon aussi bien que dix-huit
inspirations d’un demi-litre chaque (9 litres) » (p. 557). C’est
là une considération dont on n’a pas tenu compte jusqu’ici.
L’appareil circulatoire vient, lui aussi, à la rescousse.
M. Mermod (p. 545) a vu son pouls monter de 62 pulsations
à 66, puis à 68, en habitant successivement à 300, 600,
1100m d’altitude. Or, ainsi que nous l’avons dit, la rapidité
plus grande de l’irrigation des tissus parle sang doit, d’une
part, compenser le léger déficit de l’oxygène, d’autre part,
diminuer par une sorte de lavage la proportion des déchets
organiques retenus dans les tissus.
1 Recherches physiques sur la respiration de l'homme. — Journal de Robin, 1. 1,
p. 525-555, 1864.
diminution de pression.
1107
Enfin, les substances volatiles étrangères doivent disparaî-
tre du sang, et Facide carbonique y diminuer; cette diminu-
tion est légère sans doute, puisque à 1500m(65e) elle doit être
environ de 5 vol. sur 40 (V. fig. 51, p. 645), en supposant
toutes les autres conditions égales; mais personne ne saurait
affirmer qu’elle soit absolument indifférente, et il est permis
de penser qu’elle est favorable, au contraire, à l’énergie des
propriétés vitales. P’abord, semblable diminution a lieu dans
le sang veineux (Y. fig. 40, p. 681) et par suite dans les tissus
sur lesquels, ainsi que je l’ai démontré (V. p. 982-1019), cet
acide agit comme un stupéfiant. On sait, de plus, que le fonc-
tionnement des systèmes musculaire et nerveux a pour consé-
quence la formation d’acide lactique, et que l’accumulation
de cet acide est des plus redoutables pour l’intégrité des
fonctions organiques. Or, nous avons vu (V. p. 1059) que le
sang artériel ne contient presque jamais de CO2 dissous et que
presque toujours, au contraire, ses bases ne sont pas abso-
lument saturées par Facide carbonique. Si donc l’alcalinité
du sang augmente, les effets de la formation de Facide lacti-
que peuvent être plus aisément compensés, et un sentiment
de mieux être peut s’en montrer la conséquence.
Ajoutons que ces déplacements, déterminés le plus souvent
par des raisons de santé ou d’agrément, enlèvent le voya-
geur aux conditions habituelles et mauvaises de sa vie, le
contraignent aux bains d’air, à l’exercice, à une alimenta-
tion plus active, lui procurent des digestions plus faciles,
le forcent au repos nerveux, l’excitent par la vue des splen-
dides spectacles de la nature, toutes circonstances réalisées
au plus haut degré par le séjour dans la montagne.
Grandes hauteurs. — Mais supposons notre voyageur trans-
porté soudain des bords de la mer non à Chamounix (1020m;
67e) ou à Davos (1650m; 62e), mais à la Paz (5720ni; 4ÿ), ou
surtout à Cerro de Pasco (4550m; 44e;. S’il avait, suivant notre
hypothèse habituelle, 20 vol. d’oxygène dans son sang artériel
et 12 dans son sang veineux, et que rien d’autre ne soit changé
en lui, il n’en aura plus que 16 ou 14 volumes environ dans le
sang artériel, avec 8 ou 6 dans le sang veineux. On a vu, dans
i
nos FAITS RECENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
la première partie que, incontestablement, il sera à Cerro de
Pasco, surtout si Faction du froid intervient, frappé du soroche,
dont la gravité augmentera quand il voudra marcher, grim-
per, ou, comme d’Orbigny, valser. Les calculs que nous avons
faits dans le paragraphe précédent, à propos des voyageurs en
montagne, nous rendent un compte suffisant de ces malaises.
Mais, très-probablement, il semblera s’habituer progressi-
vement à cet état de choses, surtout à la Paz (Y. p. 41, 47,
58 etc.); au bout de quelque temps, il ne ressentira plus le
soroche dans l’état de repos, et n’en éprouvera les désastreux
effets que s’il se livre à un exercice violent. Il pourra meme
arriver qu’il y échappe complètement (V. p. 49); il est, ou il
parait être, comme on dit, acclimaté. Y a-t-il donc en lui quel -
que chose de changé?
On pourrait se demander d’abord si, par une compensation
harmonique dont l’histoire naturelle générale nous offre
bien des exemples, son sang serait devenu apte, soit par une
modification dans la nature ou la quantité de l’hémoglobine,
soit par une augmentation du nombre des globules rouges,
à absorber plus d’oxygène sous un même volume, et à reve-
nir ainsi à la norme habituelle des bords de la mer? La
couleur noire du sang observée jadis par le docteur Jourdanet
pendant les opérations chirurgicales, ne serait point une
objection absolue à cette hypothèse, puisque nous avons vu
(p. 1052) que la couleur rouge du sang dépend non de la quan-
tité d’oxygène qu’il contient, mais du rapport entre cette quan-
tité et celle de l’hémoglobine. Mais il est bien certain que
pareil changement, s’il a lieu, ne peut s’opérer qu’à la longue ;
vraisemblablement même, il ne peut être le fait que de dis-
positions transmises héréditairement, et ne doit arriver à son
complet développement qu’au bout de générations succes-
sives, en telle sorte qu’il expliquerait non l’acclimatement de
l’individu, mais celui de la race. Mais même pour ce dernier
cas, il n’est rien moins que démontré; ajoutons qu’il serait
désirable et très-facile 1 de faire juger par l’expérience directe
1 L’analyse sur place des gaz du sang artériel chez les animaux bien acclimatés
ou les animaux sauvages des hautes régions (yacks, lamas, condors surtout) ne
DIMINUTION DE PRESSION.
1109
l’hypothèse que je mets en avant sans y attacher grande con-
fiance.
Mais enfin, l’acclimatation au moins apparente, non-seule-
ment des natifs, mais des simples résidents, est chose avérée,
lorsque l’élévation ne dépasse pas certaines limites. Com-
ment se peut-elle faire? Dire que c’est parce qu’ils ont pris
l’habitude de ces conditions nouvelles, n’est rien expliquer,
bien que, le plus souvent, nous soyons obligés d’user de
cette expression vague pour désigner des faits d’observation
journalière. Comment se fait-il que tel jour d’une tempéra-
ture moyenne nous semble chaud en hiver, glacial en été?
que telle chambre aux volets fermés est obscure au premier
aspect, tandis que ses moindres détails s’éclairent après quel-
ques minutes? Dans le cas particulier qui nous occupe, nous
comprenons bien d’une part que des organes, habitués à être
irrigués par un sang artériel à 20 pour 100 d’oxygène, habi-
tués à vivre en empruntant à ce sang 8 volumes d’oxygène
faciles «à dissocier, se plaignent et se révoltent quand le sang
artériel ne leur apporte plus que 16 volumes, dvoù les 8 vo-
lumes nécessaires à la consommation intime deviennent plus
difficiles à extraire, et d’autre part, qu’au bout de quelques
jours, de quelques semaines de transitions plus ou moins pé-
nibles, ils reviennent progressivement sur leur impression
première, fassent effort et soient plus aptes à opérer la dis-
sociation un peu plus difficile à laquelle ils sont obligés. Mais
tout ceci, à vrai dire, n’est qu’une paraphrase de l’expression
habitude, et n’explique pas grand’chose ; il faudrait savoir
en quoi consiste cette modification intime des tissus, et nous
sommes incapables aujourd’hui de nous en former la moin
dre idée.
pourra être faite de longtemps. Mais les travaux de M. Jolyet ( Comptes vendus de
la Société de biologie , 1874) ayant montré que la capacité absorbante du sang pour
l’oxygène ne change pas après la putréfaction, rien ne serait plus facile que de
recueillir du sang veineux d’homme sain et vigoureux (Européen acclimaté et In-
dien), ou du sang d’animal, de le défibriner, et de l’envoyer dans un flacon bien
bouché; il suffirait ensuite de l'agiter vigoureusement à l’air pour juger de sa
capacité d’absorption sur le vivant. 50 centimètres cubes sont bien assez pour cha-
que analyse.
1110 FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
Ce qui est bien certain, c’est que ce voyageur devenu ha-
bitant de la haute montagne n’essaye même pas de lutter
contre la diminution d’oxygène de son sang artériel en acti-
vant outre mesure ses respirations, comme on l’avait d’abord
supposé. Les observations de M. le docteur Jourdanet sont con-
cluantes (V. p. 268). Et cela se comprend. D’abord la gymnas-
tique à laquelle il faudrait se livrer pour faire circuler dans
ses poumons la même quantité d’air en poids à 48e qu’à 76e,
est évidemment impossible à soutenir, même pendant quelques
minutes. En second lieu, elle ne serait guère efficace, puisque
nos expériences ont montré (V. fig. 45, graph. B. et C., p. 691)
qu'à cétte pression la saturation du sang par une agitation
parfaite n’y pourrait guère ajouter plus d’un volume et demi
d’oxygène, et que, d’autre part, à la pression normale, il y a
le plus souvent le même écart moyen entre la richesse du
sang artériel et sa capacité maximum. Cependant une légère
augmentation dans ce sens ne serait pas inutile, et elle pour-
rait se produire soit par une accélération, soit par une am-
plitude plus considérable des mouvements. Le premier phé-
nomène n’a pas lieu, suivant M. Jourdanet; l’étude du second
présenterait de grandes difficultés : il faudrait, en effet, pla-
cer un compteur à gaz sur le trajet de l’air inspiré ou expiré,
observer la respiration pendant un temps très-long afin d’éli-
miner les modifications intercurrentes, et faire les observa-
tions soit, ce qui serait le meilleur mais le moins réalisable,
sur une même personne alternativement aux bords de la mer
et aux grandes altitudes, soit sur un très-grand nombre de
personnes, afin de pouvoir prendre des moyennes.
Si nous supposons, comme cela est probable, que la venti-
lation pulmonaire a peu ou point changé et si, d’autre part,
les consommations organiques sont restées au meme degré,
il en résultera évidemment que la proportion centésimale, en
volume, de l’acide carbonique dans l’air expiré devra avoir
augmenté dans le rapport inverse des pressions. A demi-at-
mosphère, dans cette hypothèse, elle devra avoir doublé ; à
deux tiers d’atmosphère (50e de pression, 5500m, à peu près
la hauteur de Cuzco) elle devra avoir augmenté d’un tiers, et
I
DIMINUTION DE PRESSION. 1111
de 4,5 pour 100, moyenne an niveau des mers, être devenue
6,5; à Mexico (58e), où ont été faites les expériences malheu-
reusement nulles et non avenues de Coindet (p. 275-281 et
289-291), elle devrait être 58 : 76 =4,5 :x = 5,6. Ce sont
là des faits qu’il serait facile d’étudier sur place ; un flacon de
200 centimètres cubes dans lequel on ferait une vingtaine
d’expirations, de manière à y renouveler totalement l’air,
pourrait même, bien bouché avec du caoutchouc chauffé,
servir à des analyses à grande distance : je me permets de
recommander cette constatation aux voyageurs qui séjour-
neront sur les hautes régions ou même aux simples ascen-
sionnistes en montagne.
Mais très-probablement, la proportion pour les individus
acclimatés sera inférieure à ce que le calcul exige ; très-pro-
bablement, en d’autres termes, l’intensité des combustions
respiratoires aura diminué. Et en ceci consiste probablement
ce qu’on appelle l’acclimatation sur les hauts lieux; je
m’imagine qu’elle a simplement pour cause une moindre
consommation d’oxygène dans un temps donné, une écono-
mie dans les combustions, économie qui, dans de certaines
limites, n’efnpêche pas l’intégrité des fonctions organiques.
Je reconnais que je quitte ici le sol résistant des conséquences
expérimentales directes, pour entreprendre un hasardeux
voyage dans la région mobile des hypothèses; mais qu’im-
porte, si l’hypothèse nous conduit non à d’imprudentes con-
clusions, mais à des recherches nouvelles et fécondes? En ceci
comme en tant, d’autres matières, qui ne risque rien n’a rien.
Voyons donc.
Or, je suis persuadé qu’à la pression normale, nous consom-
mons beaucoup plus d’oxygène dans un temps donné qu’il
n’est nécessaire pour entretenir notre température à son de-
gré normal et constant, et pour satisfaire à la dépense de
forces exigées pour les actes musculaires et nerveux. Exami-
nons les chiffres, tels que nous les donne l’état actuel de la
science, mais en faisant toutes réserves1 sur l’exactitude des
1 Voir à ce propos les judicieuses réflexions de M. Gavarret : De la chaleur vro-
1112
FAITS RÉCENTS. RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
valeurs que nous sommes obligés d’employer : au moins nous
donnent-elles une approximation.
Admettons qu’un homme pesant 60 kilogrammes produit
en vingt-quatre heures 2800 calories de kilogramme1, et con-
sidérons d’abord la dépense de chaleur qui lui serait néces-
saire pour entretenir au degré normal (en moyenne 38°) la
masse de son corps dans un air dont la température serait
de 19°.
Si nous admettons que cet homme fasse passer en 24 heures
dans ses poumons 12kl1 d’air, qui s’échaufferont ainsi de 19°,
nous trouverons, la capacité calorifique de l’air étant 0,26,
qu’il y aura eu de dépensé ainsi en calories 12 x 19x0,26 =
39,28 calories. L’évaporation pulmonaire de 500gr d’eau (quan-
tité probablement maximum) nécessitera une perte de 292 ca-
lories (la chaleur de vaporisation étant (1,582).
L’échauffement des boissons et des aliments, le rejet des
urines et des excréments fait perdre une quantité de chaleur
qu’Ilelmlioltz estime à 2,6 pour 100 de la perte totale, soit
ici 65 calories.
Voici donc une dépense connue, que j’admets comme né-
cessaire, de 59+292-1-65= 516 calories. Restent environ
2500 calories perdues 1° par le rayonnement cutané et le
contact de l’air 2° par l’évaporation cutanée : celle-ci est en
moyenne estimée à lkil, consommant ainsi 582 calories.
Ces pertes sont-elles justifiées, dans les circonstances où nous
nous trouvons placés, par les nécessités physiques d’entretien
à la température de 58° d’un corps pesant 60kil, ayant envi-
ron 15 000cq de surface, avec une capacité calorifique à peu
près égale à celle de l’eau, et plongé dans de l’air à J 9° ? C’est
ce que je voudrais bien pouvoir examiner ici. Malheureuse-
ment, les données actuelles de la science ne nous permet-
cluite dans les êlres vivants. — Paris, 1855, p. 277. Elles sont encore, après vingt
ans, applicables aux connaissances actuelles.
1 Lavoisier avait trouvé, par kilogramme et par heure, une production de
22,9 calories, Barrai une moyenne de 23 calories, ce qui ferait pour 00 ldlog. et
24 heures, 3300 calories. M. Béclard admet 2300. {Traité élémentaire de physiolo-
gie humaine , § IGG.)
DIMINUTION DE PRESSION.
1115
tent pas de résoudre ce problème \ et il faudrait entrepren-
dre sur ce point des recherches spéciales.
A priori, je ne puis m’empêcher de croire qu’il est super-
flu de perdre par simple évaporation cutanée un kilogramme
d’eau par jour, et par suite 582 calories; cette dépense ne
peut se motiver que par un excès de chaleur produite, que
le rayonnement et le contact ne peuvent rejeter au dehors.
Comment comprendre que de la chaleur soit produite dans
le seul but de la perdre consécutivement?
Cet excès paraît bien plus fort encore lorsque l’on consi-
dère le corps humain produisant du travail ; la chaleur non
util isée devient telle alors qu’une sueur abondante vient
1 Péclet s’en est occupé sous sa forme la plus générale. (Voir son Traité de la
chaleur considérée dans ses applications. 3e éd., t. III, p. 418-453. Paris, 1861.)
Deux causes concourent à enlever au corps en expérience la chaleur qu’il faut lui
restituer : le rayonnement et le contact de l’air. Péclet a trouvé que, dans les
limites de température dont nous nous occupons, la valeur du refroidissement
par rayonnement dans une heure et pour un mètre carré de surface s’exprime
par la formule kt[ 1 -h 0,0056/) et celle de la perte d’air au contact par lit (1 -+-
0,0075/), Z désignant l’excès de la température initiale du corps sur celle du mi-
lieu ambiant. Or, le coefficient k varie singulièrement suivant la nature de la sur-
face rayonnante, puisqu’il vaut 0,26 pour le cuivre jaune poli et 4,01 pour le noir
de fumée; nous ne pouvons soupçonner quel il est pour la peau humaine, quel il
est pour les vêtements. D’autre part, le cofficierit k' dépend de la forme et de la
grandeur du corps; on peut approximativement, d’après Péclet, en assimilant le
corps humain à un cylindre de 1“,70 de hauteur et de 0m,12 de diamètre (surface
12 823 cq), le tirer de la formule
Encore celte valeur ne serait-elle « qu’une appréciation peu précise. »
On voit que les éléments nécessaires pour résoudre le problème que nous nous
sommes posé nous font absolument défaut. Il faudrait, pour déterminer la valeur
des coefficients k et k', faire appel à l’expérience directe, en se basant sur les prin-
cipes indiqués par Péclet. On y arriverait en recouvrant de peau humaine fraîche-
ment enlevée et maintenue humide un cylindre creux de métal, affectant à peu
près la forme et les dimensions du corps, en remplissant ce cylindre d’eau à 38°,
avec un système d’agitateur et de thermomètres destinés à bien brasser l’eau et en
suivant alors la marche décroissante de la température.
On aurait ainsi la quantité de chaleur nécessaire pour maintenir notre tempéra-
ture à son degré normal pendant l’état de repos, dans la station verticale et l’état
de nudité (notons qu’on pourrait par la même méthode étudier l’influence des
divers vêtements). Si le chiffre obtenu était notablement inférieur à 2500 calories,
on en conclurait que notre hypothèse est vraisemblable.
1114
FAITS RÉGENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
l’enlever par son évaporation. Or il se peut très-bien que les
habitants des montagnes aient une machine mieux réglée,
qui, au lieu de ne leur donner en travail que 18 à 20 pour
J 00 de la force dégagée, soit d’un rendement plus considé-
rable, et par suite n’exige, pour une même dépense dyna-
mique, qu’une absorption moindre d’oxygène et aussi d’ali-
ments.
On voit que nous faisons très-probablement, dans les con-
ditions habituelles de notre vie, des excès d’oxygénation
comme des excès de nourriture, deux sortes d’excès corréla-
tifs l’un à l’autre. Et de même que les paysans, qui se nour-
rissent beaucoup moins que nous, arrivent, utilisant tout ce
qu’ils absorbent, à produire en chaleur et en travail un effet
utile égal sinon supérieur à celui des citadins; de même
qu’un montagnard basque muni d’un morceau de pain et de
quelques oignons accomplit des excursions qui exigent du
membre de V Alpine Club qui l’accompagne l’absorption d’une
livre de viande, de mêrqe il se peut faire que les habitants des
hauts lieux arrivent à restreindre la consommation d’oxygène
de leur organisme, tout en conservant à leur disposition, soit
pour l’équilibre de température, soit pour la production de
travail, une même quantité de forces vives. Ainsi s’explique-
rait l’acclimatement des individus, des générations, des races.
Mais il convient de considérer non-seulement les actes de
nutrition eux-mêmes, mais l’excitation, peut-être moindre,
qu’un sang peu oxygéné détermine dans les muscles, les
nerfs, les centres nerveux. Nous n’avons aucune mesure de
ces faits, mais il est probable qu’il n’est point indifférent pour
ces organes délicats, en dehors des questions d’oxydation, de
recevoir un sang artériel contenant 20 ou seulement 16 vo -
lumes d’oxygène, et il nous est permis de penser que, dans
cette dernière condition, ils tendront à être moins actifs dans
leur état moyen.
La considération des modifications apportées à la richesse
du sang en acide carbonique, que nous avons un peu négligée
jusqu’ici, doit, ce semble, nous arrêter davantage, mainte-
nant qu’il s’agit d’un séjour à longue portée. Dans les villes
DIMINUTION DE PRESSION.
1115
où nous supposons transporté notre voyageur, par 4000m en-
viron, l’acide carbonique aura diminué de 6 à 7 volumes, en
admettant les 40 volumes moyens du niveau de la mer. Le
sang, et par suite les tissus deviendront donc ainsi notable-
ment alcalins, et cette modification doit avoir des conséquen-
ces dont on devine l’importance, sans pouvoir aujourd’hui en
préciser la nature.
En fait, d’après les observations de M. Jourdanet, les habi-
tants des hauteurs, même les natifs Européens, sont, malgré
les apparences de la santé, presque tous anémiques1. Les
maladies, quelles qu’elles soient, celles surtout qui attaquent
les organes respiratoires, viennent entraver l’absorption de
l’oxvgène, et rendent manifeste cette espèce d’anémie la-
tente, due non à la diminution du nombre des globules, mais
à leur moindre oxygénation, cette anoxyhémie , suivant l’heu-
reuse expression de mon savant confrère et ami. La saignée,
à laquelle on pourrait, en souvenir de la médication des bas
niveaux, se laisser entraîner, est pernicieuse, et les toniques
au contraire rendent de vrais services.
A leur tête il conviendrait de placer la respiration d’un air
légèrement suroxygéné, ou encore d’un air comprimé de ma-
nière à rétablir la tension normale. J’ai la persuasion que
des établissements du genre de ceux de Junod, de Pravaz et
de Tabarié rendraient de grands services à Mexico, à la Paz,
à Cuzco, à Cerro de Pasco, surtout aux nouveaux arrivés et
aux malades.
Mais je m’arrête en me gardant bien de conclure. Il a dû
me suffire de montrer dans quelles conditions physiologi-
1 À l’appui de la thèse de M. Jourdanet sur les dangers réels de l’habitation con-
tinue des hauteurs, sujet que je ne fais qu'effleurer, renvoyant à son beau livre
pour une étude complète, je citerai l’assertion suivante de Reissacher ( Chemisclie
Briefe, t. II, p. 481), que j’emprunte du reste à George von Liebig, p. 450 ( Deutch .
Archiv. f. Klin. Med. f. 1871) :
« D’après les déclarations des directeurs des mines du Bockstein, sur le haut du
Goldberg, dans le Rauris (2455”, P 56e), les mineurs ne peuvent plus travailler
après 40 ans, et à Rathhausberg, sur le Bockstein (de 1996m, P 59e à 2166”, P 58e),
ils sont hors de service dans la 50e année... Les chiens et les chats ne peuvent
vivre au Goldberg ; ils succombent à la paralysie des extrémités et aux troubles
respiratoires. »
I
1116 FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
ques doivent se trouver les habitants des hauts lieux, et
comment on comprend qu’ils se puissent accoutumer à ces
graves perturbations. Pour la réalité et la solidité de cette
accoutumance chez les individus, sa transmission de généra-
tion en génération, l’immunité apparente de certaines races
humaines ou espèces animales, ce sont là questions dont je
comprends toute l’importance, mais qui incombent à l’hygié-
niste ou au naturaliste, et dont la solution, du reste, ne peut
ressortir d'expériences de laboratoire. Or, c’est sur le terrain
expérimental, qui m’est familier et où je suis sûr de mes pas,
que je me veux obstinément maintenir.
$4. — Vie animale et végétale sur les hautes régions.
Les animaux sauvages ou importés qui habitent les hautes
régions des Cordillères et de l’Himalaya nous présentent le
même problème que les humains dont nous venons de parler.
Pour ceux-là comme pour ceux-ci, les indigènes, espèces ou
races, résistent infiniment plus que ceux qui sont venus leur
faire concurrence. Les yacks indiens, les lamas américains
peuvent servir de bêtes de somme sans souffrir aucunement,
là où les mulets et les chevaux périssent souvent de la décom-
pression.
Les oiseaux peuvent s’élever plus haut encore que les mam-
mifères, le condor surtout, qui monte en volant jusqu’à 7000'",
et plane pendant des heures à ces hauteurs où l’aéronaute
immobile commence à ressentir d’importants malaises, où
les frères Schlagintweit ne sont arrivés sur le flanc des mon-
tagnes qu’au prix de vives souffrances dues à Pair raréfié. Or,
dans mes cloches à dépression, les oiseaux se sont montrés
plus sensibles que les mammifères, et les oiseaux de proie
que nous avons mis en expérience étaient presque aussitôt
malades que les passereaux. Comment se rendre compte de
cette double contradiction entre des faits également certains?
Nous avons vu que les explications proposées ne pouvaient
nous satisfaire, et j’avoue que je n’en ai pas d’autre à propo-
DIMINUTION DE PRESSION.
1117
ser. 11 me faudrait, pour en tenter une, être d’abord maître
de faits expérimentaux qui me sont absolument inconnus.
Tout d’abord il faudrait, en vases clos, essayer sur des con-
dors les effets de la décompression, et cela non sur des ani-
maux de ménagerie, acclimatés peut-être à la forte pression
barométrique de nos contrées, mais sur des condors saisis
vigoureux dans leur habitat ordinaire : conditions difficiles à
réaliser. 11 faudrait encore connaître la richesse en oxygène
de leur sang, et surtout, ce qui est facile à constater, comme
je l’ai indiqué plus haut (p. 1108), sa capacité pour l’oxy-
gène. La quantité de sang qu’ils contiennent serait encore
un élément intéressant. Rien ne serait plus curieux, enfin,
que de tâcher d’établir par des analyses d’air, des pesées ali-
mentaires, des mesures calorimétriques, leur équation respi-
ratoire et nutritive.
Peut-être, tout ceci constaté, serait-il possible de se ren-
dre compte de la résistance étrange qu’ils présentent, même
en développant le travail considérable de l’ascension au vol,
à l’influence de l’air raréfié.
Je rappellerai, en terminant ce chapitre, que les végétaux
sont, au même titre que les animaux, impressionnables par
la moindre tension de l’oxygène qu’ils respirent sur les hauts
lieux. Cet élément a été jusqu’ici négligé par les botanistes,
préoccupés justement dans l’étude de la distribution géogra-
phique sur les montagnes des influences de la température,
de l’intensité des rayons solaires, de l’état hygrométrique.
D’ordinaire, ils n’en parlent pas, ou bien ils en dénient
l’importance. C’est ainsi que M. Radau1, signalant ce fait que
certaines plantes des altitudes ne peuvent vivre dans nos
contrées avec des températures analogues à celles de leur
pays natal, dit expressément : « La pression atmosphérique
n’est probablement pour rien dans les faits de cet ordre. »
Mais mes expériences montrent que la végétation, que la ger-
mination plus encore peut-être, sont ralenties singulière-
ment dans l’air raréfié. Elles mettent aussi en lumière une
1 Les derniers progrès de la science . — Paris, 1868, p. 108.
1118
FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
certaine inégalité de résistance entre divers types végétaux,
les crucifères paraissant moins susceptibles que les grami-
nées. Enfin, coïncidence qui a de l’intérêt, nous avons vu que
les phénomènes de la vie végétale s’arrêtent précisément à la
pression de T de mercure, qui est funeste à tous les animaux.
C’est donc avec cette faible tension de l'oxygène (2,5) que
les oxydations organiques arrivent chez tous les êtres vivants
à se ralentir tellement qu’elles ne suffisent plus à l’entretien
de l’équilibre vital.
g 5. — Applications médicales.
Je me hâte de déclarer que je ne fais qu’indiquer ce point,
qui sort du cadre de mes études. M. le docteur Jourdanet a
eu, le premier, l’idée d’appliquer l’air artificiellement raréfié
au traitement de diverses maladies , et notamment de
l’anémie et de la phthisie. Je renvoie à ses livres pour l’étude
des résultats obtenus. Avant lui et depuis lui, l’habitation
des hauteurs a été et est recommandée surtout aux phthi-
siques; ce mode de traitement date, dans les Andes, de la
conquête espagnole, et suivant Tschudi, les médecins en
font un tel abus que « souvent les malades laissent leur vie
dans la Cordillère » (p. 49). En Europe, le séjour sur les
hauts lieux et particulièrement dans l’Engadine, n’est con-
seillé que depuis peu de temps; mais déjà il s’est mis fort à
la mode, ce qui prouve qu’il est utile à beaucoup de monde
et probablement aussi aux malades.
Je ne voudrais qu’appeler l’attention des médecins sur
l’avantage qu’on pourrait peut-être retirer dans certains cas
(fièvres ou inflammations), d’une décompression assez forte
pour enlever au sang une notable partie de son oxygène, et
peut-être même pour abaisser la température du corps. Il y
aurait là, ce me semble, une médication altérante d’une
grande puissance; mais je m’arrête en déclinant ma compé-
tence sur ces matières difficiles.
CHAPITRE II
AUGMENTATION DE PRESSION.
SOUS-CHAPITRE PREMIER
OBSERVATIONS, THÉORIES ET CRITIQUES RÉCENTES.
g 1er — Fortes pressions.
L’étude des fortes pressions barométriques n’a été l’objet
d’aucun travail récent. Les résultats de mes expériences
sur l’action de l’oxygène à forte tension ont été acceptés
sans conteste, je pourrais même dire sans critiques, par les
physiologistes. De même, pour les effets de la décompression
brusque et leur explication démontrée par mes travaux ,
aucun fait nouveau, ni dans l’ordre industriel ni dans l’ordre
scientifique, ne s’est produit qui puisse être rapporté ici. Je
ne ferai d’exception que pour un très-curieux travail de
M. Guichard1, ingénieur des plus expérimentés dans l’appli-
cation de l’air comprimé et très-habitué personnellement à
l’usage du scaphandre.
Le mémoire de M. Guichard se compose de deux ordres
d’observations. Les plus nombreuses sont relatives au séjour
dans des gaz délétères (GO, GO2, C2H4, SO2, etc.); celles-ci,
malgré leur grand intérêt pratique, et les détails dramatiques
de l’une d’elles (obs. VIII), n’ont aucun rapport avec le sujet
1 Observations sur le séjour clans l'air comprimé et dans différents gaz délétères.
— Journal de Robin , t. I, p. 452-476, 1875.
11*20
FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
de nos études. Dans les autres, il est question de la respira-
tion dans l’air comprimé; j’en reproduis deux, intéressantes
à divers titres :
Obs. XIV. — Sept plongeurs sont pris successivement d'épistaxis sous
une pression d'une colonne d'eau de 9 mètres. — Pour montrer l’usage
d’un nouvel appareil de respiration artificielle, je descendis dans un
vaste bassin de maçonnerie contenant de l’eau très-limpide sur une pro-
fondeur de 9 mètres. L’ascension et la descente furent exécutées sans
aucune précaution de temps, vu la faible pression maxima à supporter, et
l’habitude que j’avais de m’y soumettre.
Je fis ensuite descendre avec plus de précaution, successivement, sept
ouvriers mineurs, Sardes de naissance, et travaillant ordinairement à
l’extraction du minerai de plomb. Leur constitution était un peu débile.
Ils étaient exposés depuis plusieurs années à des fièvres paludéennes ré-
gnant dans le pays tout l’été. Ces hommes vivaient mal, se nourrissant
presque exclusivement de légumes et de fruits ; ils couchaient en plein
air pendant six mois de l’année. Ils étaient en général nonchalants et
fournissaient une faible somme de travail quoîidien.
Ces détails expliqueront peut-être que tous furent pris d’épistaxis plus
ou moins abondantes après avoir supporté pendant quatre à cinq minu-
tes, quelques-uns dix, une pression atmosphérique correspondant à 9 mè-
tres d’eau, profondeur totale du bassin où ils descendirent. Le fait est que
sans exception ils remontèrent, le sang sortant par le nez, et chez quel-
ques-uns par les oreilles.
En général les accidents de cette sorte ne se produisent qu’à de très-
grandes profondeurs, 55 ou 40 mètres, surtout quand la décompression
est trop rapide.
Obs. XVI. — Commencement d'asphyxie en vase clos sous 5 mètres d'eau.
— Je suis descendu muni d’un appareil dans un petit bassin circulaire de
5 mètres de profondeur et de 4 mètres de diamètre. L’eau était très-
trouble, et malgré le peu de profondeur, l’obscurité était presque com-
plète ; il était impossible de distinguer rien à l’extérieur. Des aides inex-
périmentés manœuvraient l’appariel à comprimer l’air.
Je m’étais désorienté presque dès les premiers pas au fond du bassin,
et la corde de signaux qui n’était pas maintenue de l’extérieur ne pouvait
m’aider à retrouver le point où était l’échelle permettant le retour. Ce fut
dans ces circonstances que l’air me manqua subitement. Du moins je ne
pouvais plus user que d’une réserve approvisionnée dans le récipient qui
m’enfermait. La capacité totale de cette réserve d’air pur était d’environ
50 litres. En faisant, en moyenne, douze aspirations de 75 centilitres par
minute, je commençai après trois minutes à respirer un air déjà respiré.
Pour échapper à une asphyxie imminente, je pris, dès le début, le soin
de commencer à séparer de l’appareil les surcharges de plomb qui me
retenaient au fond, de façon à pouvoir remonter à la surface. Je parvins
facilement à détacher l’un de ces poids, mais le second était encore retenu
AUGMENTATION DE PRESSION.
1121
par une corde, lorsque tout effort me devint impossible. J’étais dans un
état de transpiration abondante. J’avais un sentiment de très-vive chaleur
à la tête, mais qui allait en diminuant vers les membres inférieurs ;
ceux-ci me semblaient froids; j’eus quelques fourmillements dans les
pieds.
Je respirais très-vite et comme si je n’avais pas pu vider mes poumons
par expiration. Cette impression particulière consistant à me faire croire
que je ne pouvais expulser l’air renfermé dans mes poumons fut très-
distincte. Je la signale d’une manière toute spéciale. Loin de souffrir de
ne pouvoir aspirer, j’eus le sentiment de ne pouvoir expirer l’air. La sen-
sation me parut à peu près celle qu’on devrait éprouver si l’on vous en-
terrait jusqu’au cou, et qu’on vous mît la tête dans un bain de vapeur a
haute température.
J’eus des tintements d’oreilles et des cercles lumineux devant les
yeux.
L’air me revint alors, et les accidents disparurent. Je me remis
en quelques minutes, je rattachai mes plombs, et je séjournai encore
dix minutes dans l’eau pour ne remonter que tout à fait en état
normal.
J’en fus quitte pour un assez violent mal de tête, qui avait disparu le
lendemain. J’avais fait environ un séjour de trois à quatre minutes dans
un espace clos contenant 30 litres d’air. J’eus le pouls vif et plein pendant
les deux heures qui suivirent l’expérience. La salivation était difficile.
J’eus quelques frissons légers et de la courbature. Je dormis bien la
nuit.
J’ai, dans la partie historique (p. 406), rapporté avec la
discrétion convenable, le récit d’accidents survenus dans
l’exécution d’importants travaux exécutés par une grande
Compagnie française. Je puis aujourd’hui parler plus claire-
ment, le médecin de cette Compagnie ayant publié sur ces
laits un mémoire fort intéressant1. Il s’agit de la construction
d’un pont sur le Limfjord, en Danemark; le docteur Heiberg,
d’Aalborg, rapporte que la pression totale est montée jus-
qu’à 4, 5 atmosphères ; les ouvriers restaient de 2 à 5 heures
dans la chambre de travail :
Les ouvriers, après être restés dans la cloche sous l’action de l’air com-
primé, et être descendus dans la chambre sous cette même pression, qui
à la fin des fonçages atteint 3 atmosphères 1/2 (en plus de la pression
atmosphérique), éprouvent tous les mêmes symptômes : un fort bourdon-
1 Sygdomsformer hos Arbejderne ved Fastbroanlœgell over Limfjorden Ugeskrifi
for Lœger. Kjobenhavn , 25 nov. 1876, p. 377-386.
71
1122 FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
nement dans les oreilles, une respiration fatigante, tandis que le pouls
bat plus lentement, 60 à 70 par minute, une pression sur le tympan qui
s’en va en général par des mouvements de déglutition, le nez étant fermé,
manœuvre que les hommes exercent toujours pour se soulager. En de-
hors des indispositions ci-dessus, les hommes se portent bien en faisant
leur travail, le danger ne doit donc pas être attribué à la pression de l’air
comprimé. Quelquefois les ouvriers sont gênés par différents gaz qui se
dégagent du fond du fiord ; il s’est même produit une fois une explosion
de ces gaz qui a occasionné de fortes brûlures à trois ouvriers; mais, en
général , le séjour dans l’air comprimé ne présente aucun danger. Par
contre, cela change tout à fait quand les hommes sortent et que la dé-
compression s’opère trop rapidement.
Les phénomènes remarquables des maladies qui se produisent alors sont
les suivantes : douleurs atroces sur toutes les parties du corps, accompa-
gnées d’un picotement insupportable dans la peau, forte oppression au
cœur, battements plus forts, pouls plus vite, 110-150, grande lourdeur
dans la tète, assoupissement, paralysie complète dans les parties infé-
rieures, la vessie et le rectum, développement d’emphysèmes sur plu-
sieurs parties du corps, le plus souvent sur la poitrine, sous les aisselles
et sur les bras, douleur à la pression sur l’épine dorsale et dans la région
lombaire.
Ces symptômes se produisent généralement dès que les ouvriers sont
sortis, mais aussi quelquefois après un délai de quelques heures. Ainsi,
un ouvrier qui était sorti bien portant, est tombé subitement frappé en
rentrant chez lui et est mort à l’instant.
Chez plusieurs ouvriers, les accidents se guérissent au bout de quel-
ques jours; chez d’autres, la paralysie persiste et devient souvent incu-
rable. J’ai traité deux hommes chez qui la paralysie sur la vessie et le
rectum s’est améliorée ; la sensibilité et les mouvements sont revenus,
mais la marche est restée chancelante. On a du les rapatrier tous les deux
comme ne pouvant plus reprendre leur travail.
Le docteur Heiberg donne alors d’intéressants détails sur
l’autopsie des deux ouvriers qu’il avait vus mourir et sur les
symptômes présentés par les malades qu’il a observés. J’ai
déjà (p. 407) donné un résumé très-court des résultats
d’une de ces autopsies, celle de Iviva, mais nous sommes ici
mieux renseignés :
Kiva Ferdinando, trente ans, fut frappé, en sortant de la chambre du
travail, de douleurs dans les membres, avec paralysie complète de la
vessie, du rectum et des parties inférieures; il est à moitié évanoui, cya-
notique, sa respiration est râlante, on entend des sons de râle humide
dans les poumons, le pouls est petit et rapide. On l’amène à l’hôpital le
26 juillet 1875; son état ne change pas, la paralysie se tient au même
AUGMENTATION DE PRESSION.
1125
endroit, il a du délire continuel, puis survient le collapsus, et la mort
arrive le 30 juillet dans la nuit. A l’autopsie on trouve les poumons rem-
plis de sang, avec une sécrétion des bronches mêlées de sang et d’une
lymphe écumante. La moelle épinière était tout à fait ramollie sur une
étendue de quelques pouces dans la région dorsale inférieure et lombaire
supérieure. Le ramollissement était limité avec précision, sans trace de
sang, d’inflammation ou d’exudat. Dans le cerveau, le cœur, les reins
et la rate, rien d’anormal ; mais mon attention n’était pas encore fixée
sur le développement de l’air dans les veines, parce que cela m’était
inconnu à cette époque.
L’autre cas, qui finit également par la mort, n’a pu être observé sur le
vivant. L’ouvrier retournait chez lui ayant l’air bien portant. Chemin
faisant, il se sent malade et tombe mort comme frappé par la foudre. Le
lendemain, on fait l’autopsie, le corps s’est déjà raidi ; on remarque une
forte coloration de cyanose sur le corps, particulièrement sur la poi-
trine, sous les aisselles et sur le bras gauche, où l’on éprouve une sen-
sation emphysémateuse très-distincte ; en faisant une incision à ces en-
droits, il sort une lymphe sanguinolente, avec un fort mélange d’air; la
rate très-emphysémateuse pétillé sur toute la surface à la pression, et, en
faisant l’incision, il sort un sang mélangé de beaucoup d’air; point de
bulles d’air dans l’aorte, la veine jugulaire, les artères iliaques et cru-
rales. Les reins et le foie sont à l’état normal, la vessie urinaire vide, un
développement d’air dans l’épiploon, le cerveau pas rempli de sang, des
bulles d’air très-distinctes et très-volumineuses dans l’artère basilaire,
dans le sinus et dans les veines de la surface- supérieure du cerveau ; entre
ces bulles d’air, des taches de sang très-petites, presque liquides. L’esto-
mac était très-allongé, et contenait une certaine quan ité de nourriture
végétale. On n’a pas fait de recherches dans la moelle épinière parce que
l’examen minutieux des veines a demandé beaucoup de temps pour faire
les ligatures.
Bien que ces deux autopsies soient imparfaites à un très-haut degré, et
qu’elles laissent beaucoup à désirer, il me semble qu’elles sont tout à fait
d’accord. Dans le premier cas, où les phénomènes de la maladie s’étaient
développés pendant plusieurs jours, et où les bulles s’étaient rencontrées
et concentrées dans la moelle épinière, il se produit un ramollissement
complet tout à fait conforme aux expériences de P. Bert. Dans le second
cas, où la mort fut instantanée avant que les bulles se soient avancées
aussi loin, il se trouve des bulles d’air dans les veines du cerveau, avec
des emphysèmes sur plusieurs endroits, aussi bien à l’intérieur qu’à l’ex-
térieur, et tout à fait conformes à ce que P. Bert a constaté et affirmé
comme étant l’effet physiologique du passage d’une forte pression à la
pression atmosphérique* La dernière autopsie paraît aussi démontrer que
trois quarts d’heure sont un délai trop court pour éviter des dangers, la
pression étant de 3 atmosphères f/2. Cependant il n’est pas impossible
que le solide repas de légumes qui se trouvait dans l’estomac ne soit pour
quelque chose dans l’accidenti
1124 FAITS RECENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
J’ai traité à l’hôpital quatorze malades, dont un est mort et deux ont été
rapatriés comme incapables de reprendre le travail. Onze cas ont été moins
graves, ils se guérirent après quelques jours; chez tous on observait
les symptômes caractéristiques à un degré plus ou moins fort, notam-
ment fortes douleurs dans les membres, serrement cardiaque, respira-
tion pénible, cyanose, douleur à la pression le long de la colonne ver-
tébrale dans la région lumbo-dorsale, marche traînante, difficultés
pour uriner ; dans deux cas, paralysie complète de la vessie, du rec-
tum et des parties inférieures, avec affaiblissement. Je n’ai pas remar-
qué le développement des emphysèmes sous la peau ; mais les ouvriers
affirment qu’ils existent. J’ai été présent au moment de la sortie des
ouvriers de la cloche, èt je n’ai pas observé cet accident ; mais je dois
ajouter qu’aucun des ouvriers que j’ai examiné de cette manière n’est
tombé malade.
Les deux cas où la paralysie s’est améliorée, mais où la situation des
malades est restée telle qu’ils n’ont pu reprendre leur travail, et ont dû
être rapatriés, l’un à Prague et l’autre à Milan, étant fort semblables, je
vais en communiquer un.
Eger Mayer François, trente-quatre ans, fort bien bâti, est amené à l’hô-
pital le 25 juillet 1875; il était tombé malade de suite après sa sortie de
la cloche : douleurs ordinaires, paralysie complète dans les parties infé-
rieures, vessie et rectum, beaucoup de douleur en pressant sur les
régions lumbo-dorsales. On employa des ventouses, des courants induits
électriques, des bains tièdes et des douches. Dès le 1er août, il pouvait
uriner seul, la paralysie du rectum persistait, il y avait un peu de catar-
rhe de vessie, mais l’urine était normale. Le 18 août, il pouvait se tenir
debout et marcher avec des béquilles, et ensuite avec deux bâtons. Son
état s’améliorait sensiblement, il prenait des bains de vapeur, de la noix
vomique, et l’on continuait l’électricité ; enfin la paralysie du rectum
s’améliorait aussi ; il faisait de plus longues promenades, mais la mar-
che restait chancelante. Le 2 novembre, on l’envoya à Prague, et dans
ces derniers jours j’ai appris qu’il était mort après un assez long séjour
à l’hôpital.
L’état du second malade était presque le même, seulement la paralysie
de la vessie a duré plus longtemps ; après un séjour de plusieurs mois
à l’hôpital il pouvait se promener assez longtemps. Mais comme il ne
pouvait reprendre son travail , on a dû le rapatrier à Milan.
La Compagnie de Fives-Lille, qui exécutait ces travaux,
m’ayant consulté à propos de ces accidents inquiétants, je
donnai le conseil : 1° de décomprimer plus lentement en-
core; 2° de disposer des appareils de réchauffement pour
éviter aux ouvriers les douleurs insupportables et les
dangers du refroidissement dans la chambre à décom-
AUGMENTATION DE PRESSION.
1125
pression. J’ai eu la satisfaction de recevoir peu de temps
après, d’un des administrateurs de la Compagnie, la note ci-
après :
Nous avons transmis à notre chantier d’Aalberg les renseignements que
vous avez bien voulu nous donner sur les précautions à prendre pour le
travail des hommes à de fortes pressions.
Nous avons dépassé la profondeur de 52 mètres au-dessous du niveau
de l’eau, et les accidents ont disparu par suite de l’augmentation de la
durée de l’éclusage de sortie.
g 2. — Faibles pressions. Appareils médicaux.
L’action des faibles pressions n’a donné lieu, dans les
dernières années, qu’à un petit nombre de travaux. Mais
deux d’entre eux sont d’une importance considérable au
point de vue théorique.
M. J. Pravaz a soutenu, le 9 août 1875, devant la Faculté
des sciences de Lyon, une thèse sur les effets de l’aug-
mentation de la pression atmosphérique, thèse dans laquelle
il étudie successivement la circulation, la respiration, la nu-
trition.
Relativement à la première de ces fonctions, il constate,
avec tous les observateurs anciens, un certain ralentissement
du pouls pendant le séjour dans l’air comprimé, et il l’ex-
plique : Ie par l’augmentation de la température du corps,
agissant secondairement sur le cœur; 2° pa? l’augmentation
de la tension artérielle. Celle-ci aurait pour cause l’obstacle
direct apporté au cours du sang par l’air comprimé agissant
pour « refouler des parties périphériques le sang des capil-
laires et des veines (p. 25). » On voit que M. Pravaz accepte
la théorie de l’écrasement superficiel dans l’air comprimé ; il
considère comme démonstrative l’étrange expérience de Vi-
venot que nous avons plus haut rapportée (p. 495) et appré-
ciée à sa juste valeur (p. 515). Nous ne croyons pas utile de
revenir sur la réfutation de ces erreurs.
La respiration devient, dit-il, à la fois moins fréquente et
plus ample, au moins jusqu’aux environs de une demi-at-
1126 FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
mosphère de compression; au delà (M. Pravaz va jusqu’à deux
atmosphères en tout), il y a mouvement en sens inverse.
L’explication de ces faits est celle qu’avait déjà donnée Ch.
Pravaz (Y. p. 466), dont son fils adopte sur tous les points les
opinions. Les modifications dans l’amplitude ont été mesu-
rées à l’aide de l’anapnographe de MM. Bergeon et Kastus :
si l’on exprime par 100 l’étendue du mouvement respiratoire
à la pression normale, elle devient 106 à 19e de pression,
118 à 58e, 109 à 76e. Mais M. Pravaz n’a pas cherché à étu-
dier la relation entre la fréquence et l’amplitude, de manière
à déterminer les variations dans le débit, dans la ventilation
pulmonaire, ou, en d’autres termes, dans la quantité d’air
qui traverse les poumons pendant un temps donné.
La partie la plus originale de la thèse est celle qui a rap-
port à l’étude des variations dans la production de l’urée.
M. Pravaz a fait sur ce point cinq expériences :
Dans la première, il mesure l’urée rendue pendant vingt-
quatre heures d’abord à la pression normale, puis sous des
pressions augmentées de 10 à 76e : l’urée a diminué (moyenne :
de 29gr,6450 à28gr,4448).
La seconde a été conduite de même, avec la précaution en
plus de se soumettre à un régime alimentaire déterminé et
régulier : augmentation de l’urée (moyenne : de 29gr,1685 à
51gr,4947).
La troisième, semblable à la seconde, a donné une dimi-
nution (moyenne : de 27gr,2401 à 26gr,2224).
Dans la quatrième, la méthode a été changée. 11 y a tou-
jours régime identique (ce régime, qui rne semble bien pauvre
en carbone et un peu exagéré en azote, était composé de
pain 250gr, viande dégraissée 200gr, fromage sec 100gr), mais
l’urine n’est recueillie que le matin, à jeun, pendant trois
heures, soit à l’air libre, soit sous pression. Ici, augmenta-
tion dans l’air comprimé (moyenne : de 5gr,2019 à 5gr,4965).
Enfin, dans la cinquième, conduite comme la précédente,
l’excrétion d’urée a été étudiée d’heure en heure pendant le
séjour dans l’air comprimé; les moyennes sont : à l’air
libre 0§r,9492; pendant la première heure de compression
AUGMENTATION DE PRESSION.
1127
lgr,0758 ; pendant la deuxième lgr,0651 ; pendant la troi-
sième lgr,0363; dans l’heure qui suit, à la pression normale
0gr,7178.
M. Pravaz conclut de ces faits :
1° Que l’excrétion de l’urée augmente sous l’influence de
l’air comprimé;
2° Que cette augmentation est à son maximum au début
de la compression ;
3° Qu’elle est plus forte aux faibles pressions (à 20e envi-
ron) qu’aux pressions fortes (de 30 à 76e).
4° Qu’après la décompression il y a diminution dans la
production de l’urée.
Les expériences sur l’exhalation de l’acide carbonique ne
portant que sur la proportion centésimale de ce gaz dans l’air
expiré, et non sur la quantité rendue dans un temps donné,
ne pouvaient fournir de résultat vraiment intéressant.
Enfin, M. Pravaz croit pouvoir conclure de ses observations
sur la température, qu’elle suit exactement la même marche
que la production de l’urée : les écarts maxima sont, dans le
rectum, de 0°,34.
Je renvoie au mémoire original pour la lecture des expli-
cations que M. Pravaz donne des oscillations dans les phéno-
mènes nutritifs qu’il croit avoir constatées. Je considère,
quant à moi, qu’une seule expérience ne peut permettre
de conclure, et qu’il convient de suspendre son jugement
sur la question de savoir si les combustions n’augmentent
réellement que pendant les premiers moments du séjour dans
Pair comprimé. Quant aux observations qui embrassent la
période de vingt-quatre heures, la première doit être élimi-
née d’abord, l’alimentation n’ayant pas été réglée. Pour les
deux suivantes, il n’y a pas eu de précautions prises au point
de vue du travail musculaire : « l’exercice, dit lui-même
M. Pravaz, était nécessairement variable d’un jour à l’autre,
et donnait lieu à des changements dans la production de
l’urée, ce qui pouvait introduire dans le problème une incon-
nue non déterminable (p. 43) ; » on doit donc n’en pas tenir
compte. Enfin, la quatrième présente des irrégularités qui
1128
FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
paraissent enlever toute valeur aux moyennes qu’on en tire;
pendant trois heures à jeun, les quantités d’urée obtenues
ont été :
1er jour Pression normale 3sr,0075
2e — 10e de compression. .... 3 ,1933
5e — 19e — 3 ,6990
4e — 38e — 3 ,5685
5e — 57e — 3 ,2711
6e — 76e — 3 ,7507
7e — Pression normale 3 ,3963
On voit, du reste, que le maximum de la production a
coïncidé avec la plus forte pression, ce qui ne concorde pas
avec l’opinion de l’auteur.
Sans insister davantage sur cette analyse critique, je re-
produis la conclusion générale de M. Pravaz :
Si l’on envisage à un point de vue général les effets de l’augmenta-
tion de la pression atmosphérique sur l’économie animale, on est con-
duit à distinguer dans l’action qu’exerce l’air comprimé deux éléments :
l’élément pression et l’élément suroxygénation.
De l’élément pi'ession ou mécanique relèvent principalement les modifi-
cations qui se produisent dans le rhythme et l’amplitude de la respiration.
Les modifications éprouvées par la circulation et la nutrition sont la
résultante du conflit qui s’établit entre l’élément sur oxygénation et l’élé-
ment pression , le premier tendant, par la suractivité qu’il donne aux phé-
nomènes chimiques qui se passent dans les tissus, à augmenter la pro-
duction de l’urée et de l’acide carbonique, d’où l’élévation de la tempé-
rature, et, consécutivement, l’accélération des battements du cœur qui
se remarquent, dans les premiers instants de séjour dans une atmosphère
plus dense; le second tendant, au contraire, par les modifications qu’il
apporte dans les conditions physiques du cours du sang, et par l’augmen-
tation de la tension artérielle qui en résulte, à jouer le rôle de modéra-
teur en diminuant, par le ralentissement consécutif de la circulation, la
rapidité des combustions organiques et la production de la chaleur en
raison de la durée du séjour dans l’air comprimé et de l’élévation de la
pression. (P. 65.)
Georges Liebig, dont nous avons déjà analysé les travaux
(V. p. 456 et 500), a récemment publié un mémoire considé-
rable1, où il s’est proposé pour but spécial l’étude de l’excré-
tion de l’acide carbonique à la pression normale (en moyenne
1 Ueber die Sauerstoffaufnahme in der Lunqen bei gewôhnlichem und erhôhtem
Luftdruck. Pflügers Archiv ., Bd. X, p. 479-536; 1875.
TABLEAU XXII.
1
DATES
DES EXPÉRIENCES
2
W
O
>5 Or
2 £
rfi H
£ g
<
NOMBRE
DES MOUVEMENTS
RESPIRATOIRES 01
DANS UNE MINUTE
QUANTITÉ D’AIR :
INSPIRÉ EN *5»
QUINZE MINUTES
VALEUR MOYENNE
DE uî
CHAQUE INSPIRATION'
QUANTITÉ D’O
ABSORBÉ O
EN QUINZE MINUTES
QUANTITÉ DE CO2
FORMÉ
EN QUINZE MINUTES
(litres)
(litres)
(grammes)
(grammes)
A. —
Pression normale.
15 novembre. . . .
720mm
15,3
116,5
0,51
7,171
6,750 !
15,7
117,9
0,50
6,465
6,630
16 novembre. . . .
719
15,5
129,2
0,56
8,019
7,719
17,5
128,0
0,48
7,305
7,647
14,6
115,2
0,53
6,380
7,093
17 novembre. . . .
722
17,1
123,8
0,48
7,945
8,132
15,5
118,1
0,51
8,078
6,373
16,0
120,2
0,50
7,187
8,012
18 novembre. . . .
719
17,0
127,5
0,50
8,345
8,710
15,0
114,8
0,51
7,033
8,119
19,6
129,6
0,44
7,972
7,476
28 novembre. . . .
720
18,2
118,6
0,43
6,935
6,887
17,0
109,1
0,43
5,792
6,014
18,2
108,4
0,40
5,675
5,747
17 mai
710
15,7
112,4
0,48
6,657
6,782
15,5
103,2
0,44
5,112
6,030
23 mai
725
17,5
117,9
0,45
7,327
7,097
Moyenne
719
16,5
118 ,
0,48
7,058
7,152
B. — Pression augmentée.
22 novembre. . . .
1039
15,0
113,4
0,50
7,835
7,330
15,6
111,5
0,47
7,387
6,479
15,6
106,4
0,45
6,565
5,824
25 novembre. . . .
1059
16,4
114,5
0,46
8,273
7,246
15,4
107,8
0,47
6,481
6,322
16,2
111,0
0,46
7,374
6,602
25 novembre. . . .
1040
15,8
107,2
0,47
7,719
6,555
16,5
102,9
0,42
7,298
7,691
16,2
105,8
0,44
7,107
7,244
2G novembre. . . .
1040
15,2
104,6
0,46
6,854
6,424
15,9
107,4
0,45
. 6,783
7,551
16,2
107,6
0,44
7,494
8,192
20 mai
1038
15,3
115,6
0,50
8,814
8,737
15,5
112,1
0,48
7,869
8,082
21 mai
1045
16,5
118,5
0,48
8,879
8,455
16,1
115,1
0,48
7,804
8,013
16,1
115,2
0,48
7,546
7,358
22 mai
1042
15,6
104,0
0,44
7,185
6,297
15,7
109,4
0,46
7,413
6,722
15,6
105,9
0,45
6,954
6,842
Moyenne
1040
15,9
110,0
0,46
7,481
7,197
1130
FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
720mm) et dans Pair comprimé (en moyenne 1040mm). La per-
sonne en expérience était un homme de 59 ans, pesant 59k,
avec une capacité pulmonaire de 5*,9; son régime de vie
était fort régulier, et l’auteur en indique les détails (p. 504) ;
les expériences étaient toujours faites à la même heure. Le
patient, assis, une sorte de masque sur la bouche et le nez,
respirait pendant 15 minutes une quantité d’air mesurée par
un compteur à gaz; l’appareil employé, et dont nous ne
pourrions donner ici la description, est celui du professeur
Jollv1. On pouvait conclure des analyses à la fois le volume
d’air qui avait traversé les poumons pendant la durée de
l’expérience (15 minutes), la quantité d’acide carbonique
produit, la quantité d’oxygène qui restait dans l’air expiré,
d’où l’on concluait, l'azote étant supposé invariable, la quan-
tité d’oxygène absorbé.
Je reproduis ci-contre le tableau résumé (tableau XXII) de
ses trente-sept expériences.
C’est sur cette importante série d’analyses que G. Liebig
fait rouler une discussion qui n’est pas toujours très-claire,
et dont nous allons essayer de dégager les points principaux.
Tout d’abord, il dispose ses expériences en plusieurs séries,
ce qui lui permet de comparer plusieurs moyennes ; ces séries
sont établies d’après les chiffres de la colonne 4, c’est-à-dire
d’après la quantité d’air qui a circulé dans les poumons pen-
dant quinze minutes. À la pression normale, par exemple, la
première série comprend les expériences où la circulation
pulmonaire a varié de 121 à 150 litres. Les nombres de la
colonne 2 du tableau XXIII indiquent les limi tes pour chacune
des séries; dans les autres colonnes sont inscrites les moyen-
nes qui leur correspondent.
Si l’on considère d’abord le côté chimique de la question,
on voit que dans la moyenne générale (tableau XXII), comme
dans chaque moyenne particulière des séries d’égal rang
(tableau XXIII), la consommation d’oxygène (col. 6) s’est mon-
trée plus considérable dans l’air comprimé que sous la pres-
1 Voy. Pflüger's Archiv ., Bd. IX, taf. VII, a; \ 874,
AUGMENTATION DE PRESSION.
1131
sion normale, La moyenne générale donne 7gr,058 sous la
pression normale, et 7gr,481 dans Fair comprimé, avec des
écarts extrêmes allant, dans le premier cas, de 5gr,l 1 2 à
8gr,545, et dans le second cas, de 6gr,481 à 8gr,879. La diffé-
rence est beaucoup moins importante et moins constante pour
l’acide carbonique (col. 7), si l’on considère seulement les
moyennes; cependant, l’examen des minima et des maxima
corrobore l’idée d’une formation plus grande de CO2 dans
TABLEAU XXIII.
l’air comprimé : à la pression ordinaire, en effet, les oscil-
lations ont été de 5gr, 747 à 8gr ,7 10, et sous pression de 5gr,824
à 8gr,737.
Les nombres relatifs à la ventilation pulmonaire (col. 4)
sont aussi fort intéressants. D’abord, bien évidemment, il
passe à travers les poumons, dans un temps donné, moins
d’air, en volume, sous la pression augmentée qu’à la pres-
sion normale; la moyenne générale donne 110 et 118, avec
des écarts, dans le premier cas, de 102,9 à 118,5, et dans le
second, de 105,2 à 129,6. Le nombre des mouvements respi-
ratoires est également diminué dans Fair comprimé; en
LIMITES
DES SÉRIES
(litres inspiré
3
</)
Ed
H C/d
H
55 Ed
Ed CZ
P
Ed
ce
3 g
ca
> s
U
S
O
55
§ g
B e-
»
P
m
rf) Ed
55
Ed CZ
a
Q
“ en
K
a <
a
'S
S es
< £ £
s s 5
(litres)
a 55
p o
Ed c/D
Q 55
(litres)
'Ed
■H “
£ §
03
< S
(grammes)
c n
nx Ed
■O £
° g
Ed —
« s
xÿ £Z Ed
O N
£ fa £
55
P
<y
p
c
(grammes)
I
II
III
de 121 à 150
de 112 à 121
de 103 à 112
A. — Pression normale.
17,5
15.7
16.8
127,6
117,5
108.8
0,49
0,49
0,44
7,91
7,12
6,11
7,94
7,15
6.35
B. — Pression augmentée.
I
de 115 à 118
16,1
115,8
0,48
8,26
7,96
II
de 108 à 1 15
15,6
111,5
0,47
7,56
7,04
III
de 105 à 108
15,8
106.0
0,44
7.04
6,89
1152 FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
moyenne il tombe de 46,5 à 15,9 par minute. Il résulte de
ces deux modifications que famplitude respiratoire change
à peine, puisqu’elle ne varie en moyenne que de 0‘, 48 (pres-
sion normale) à O1, 46 (air comprimé). Ajoutons que l’inspec-
tion attentive des mouvements respiratoires, une montre à
secondes à la main, aurait permis à G. Liebig de constater
que le rhythme respiratoire lui-même change dans l’air com-
primé, l’inspiration y devenant plus courte et l’expiration plus
longue : le rapport de durée entre ces deux phases aurait,
dans une de ses observations, passé de 2 : 5 à 1 : 2 (p. 518).
Il est ainsi cl’accord avec ce qu’avait dit Vivenot (Y. p. 442 et
fig. 9), et en contradiction avec Panum (V. p. 455).
Tous ces résultats, qui sont en harmonie avec les faits déjà
connus, s’expliquent, suivant G. Liebig, par l’action mécani-
que de la pression augmentée :
On peut s’en rendre compte par les observations suivantes. Supposons
un flacon recouvert d’une membrane élastique; si l’on extrait l’air de ce
flacon, à l’aide d’un tube pénétrant dans l’intérieur, on observera que la
membrane est infléchie en dedans. Plus la pression extérieure sera forte,
plus profond sera l’infléchissement, et réciproquement, puisque son élas-
ticité propre agit en sens inverse de la pression de l’air.
Pendant l’inspiration, lorsque les parois de la poitrine se dilatent, et
que le diaphragme se contracte, il tend à se former autour des poumons
un vide qui sera d’autant plus facilement rempli que la pression exté-
rieure de l’air sera plus forte relativement à leur élasticité. L’expiration
deviendra plus difficile, parce que la pression extérieure de l’air oppose
une résistance au retour des poumons sur eux-mêmes. •
Panum et Vivenot ont montré que les parois de la poitrine et le dia-
phragme prennent dans l’air comprimé un état d’équilibre différent de
l’état ordinaire, avec élargissement du thorax. Ces parois présentent alors
une tension de dedans en dehors qui s’oppose à la tension inverse des
poumons; les deux forces se trouvent l’une et l’autre dans un équilibre
déterminé avec la troisième force qui entre en action, à savoir la pres-
sion de l’air. Si cette force est accrue ou diminuée, il se produira un
changement dans l’équilibre du système. (P. 516.)
Le docteur Leonid Simonoff \ directeur de l’établissement
aérothérapique de Saint-Pétersbourg, a tout récemment pu-
blié un livre important sur la compression barométrique, en-
1 Aerotherapie. — Giessen, 1876.
AUGMENTATION DE PRESSION.
1135
visagée au point de vue médical. La partie physiologique con-
tient un résumé fort intéressant des connaissances anté-
rieures, et aussi le compte rendu d’un certain nombre d’ex-
périences personnelles sur les variations du poids chez les
malades soumis à la médication aérothérapique :
Dans le cours de l’année 1875, le docteur Katschenowskv a exécuté
dans mon service médical des observations sur lui et sur d’autres person-
nes Le résultat est le suivant : Avec des quantités de nourriture telles
que dans Pair ordinaire, il y aurait équilibre entre les ingesta et les ex-
créta, le poids du corps diminue successivement sous l’influence d’un
séjour quotidien de deux heures dans l’air comprimé. (P. 79.)
Mais, fait observer M. Simonoff, l’appétit augmente tou-
jours; or, si on le satisfait, au lieu de régler la nourriture
comme l’a fait Katschenowsky, on voit le poids du corps
augmenter. Sur cinquante-trois personnes qu’il a exami-
nées, trente-deux pesaient davantage après le traitement (en
moyenne 1077gr par individu); deux n’avaient pas changé;
dix-neuf avaient diminué de poids (en moyenne 786gr par in-
dividu) (p. 81-92). Il faut remarquer que toutes ces mesures
ont été prises sur des malades , et que l’augmentation du
poids du corps et de l’appétit paraissait n’être qu’un effet in-
direct de l’amélioration due aux traitements. Il faudrait, pour
faire preuve, expérimenter sur des individus bien portants.
SOUS-CHAPITRE II
RÉSUMÉ, ET APPLICATIONS PRATIQUES. ,
g jer — Fortes pressions.
La découverte de l’action toxique de l’oxygène à haute ten-
sion constitue à coup sûr la partie la plus intéressante et la plus
inattendue de ce long travail. Les expériences faites sur les
animaux comme sur les végétaux, sur les êtres aériens comme
sur les êtres aquatiques, sur les êtres compliqués de structure
comme sur les microscopiques monocellulaires et sur les élé-
ments anatomiques séparés du corps, ont montré de la ma-
1154
FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
nière la plus nette qu’à partir d’une certaine tension oxygé-
née de l’atmosphère ambiante, la vie devient impossible, et
que la mort peut survenir avec une remarquable rapidité.
Chez les animaux à sang chaud, les phénomènes convulsifs
violents dont nous avons donné la description (p. 799) se ma-
nifestent de suite au-dessus de 20 atmosphères d’air ; la mort
très-rapide a lieu au-dessus de 25 atmosphères ; mais les ef-
fets fâcheux se font sentir nettement dès 6 atmosphères,
comme nous l’avons vu par une méthode indirecte (p. 768).
Nous avons surabondamment prouvé qu’ils sont la consé-
quence non de la pression barométrique en tant qu’agent
physico-mécanique, mais de l’augmentation dans la tension
de l’oxvgène ambiant. Je renvoie pour tous ces faits au chapi-
tre IV, sous-chapitre I, où ils ont été étudiés avec détail. On
y verra non-seulement la description des symptômes de l'em-
poisonnement par l’oxvgène, l’indication de la dose mortelle
de l’oxygène extérieur, exprimée en tensions, mais celle de la
richesse oxygénée du sang qui correspond aux différents sta-
des des phénomènes extérieurs : la mort arrive rapidement
quand la proportion de ce gaz a augmenté d’un tiers dans le
sang artériel. On y trouvera en outre démontré ce résultat pa-
radoxal en apparence, que sous l’influence d’une plus forte
oxygénation du sang, les tissus s’oxydent moins, les combus-
tions organiques diminuent d’énergie , la production d’acide
carbonique, l’excrétion d’urée, la destruction intra-sanguine
du sucre sont entravées, et que, par suite, la - température
diminue.
Ces faits perdent de leur étrangeté en se liant à ceux que
révèle le chapitre VI. Tous les éléments anatomiques, y est-il
en effet démontré, subissent la redoutable influence de Toxy-
gène comprimé (p. 914); les êtres microscopiques qui déter-
minent les fermentations vraies, sont tués par cet agent1 ; la
1 Les récents travaux de M. Pasteur et les miens sur l’agent virulent des mala-
dies charbonneuses, semblent indiquer une exception à cette règle générale. Les
corpuscules reproducteurs de certains vibrions qui conservent, comme je l’ai
montré, leur vitalité pendant plusieurs mois dans l’alcool dilué, résistent en effet
à des tensions oxygénées qui tuent les vibrions eux-mêmes. Mais il faudrait savoir
si ce n'est pas là simplement une question de dose dans la tension, ou de durée
AUGMENTATION DE PRESSION .
1155
putréfaction est arrêtée, et la consommation d’oxygène qui
lui est concomitante diminue jusqu’à pouvoir être réduite à
zéro. Or les éléments anatomiques, en présence de l’oxygène
en excès, se comportent comme les êtres élémentaires libres,
et, périssant, cessent de consommer l’oxygène nécessaire à
l'entretien de leurs actes vitaux.
Suivons ceci d’un peu plus près. Et d’abord, nous l’avons
vu, pour les végétaux comme pour les animaux, la pression
de 5 ou 6 atmosphères d’air (tension oxygénée 100 à 120)
amène des troubles assez graves pour que des expériences de
laboratoire, qui s’exécutent à bref délai, les signalent d’une
manière manifeste. Ainsi la respiration d’oxygène pur, à la
pression normale (tension 100), ne pourrait être longtemps
supportée par les animaux à sang chaud. Vers 10 ou 12 atmo-
sphères apparaissent des troubles assez rapidement mortels,
et vers 20 atmosphères, les convulsions caractéristiques de
l’empoisonnement oxygéné. Or, à 6 atmosphères, l’oxygène
du sang artériel n’a augmenté que de 5 volumes; à 12 at-
mosphères, il a passé en moyenne de 20 à 25 volumes, et à
20 atmosphères, de 20 à 29 (voy. fig. 56, p. 664); quand il
passe de 20 à 55 (exemple : expérience CCLXXXVII, 27 at-
mosphères), la mort arrive en quelques minutes. D’autre
part, nous avons à plusieurs reprises insisté sur ce fait, que
le sang artériel, dans les actes normaux de la respiration, ne
se sature presque jamais d’oxvgène. Quand on ouvre la tra-
chée et qu’il s’ensuit, comme cela arrive souvent, une respi-
ration tout à fait exagérée, ou quand on agite le sang dans
un flacon plein d’air, on le voit gagner 5 ou 4 volumes en
moyenne.
Ainsi, la pression de 6 atmosphères d’air environ a pour
conséquence d’introduire dans le sang artériel à peu près la
quantité d’oxygène qui serait nécessaire pour le saturer sous
la pression normale. Et, nous l’avons vu, cette pression com-
mence à être pernicieuse pour les organismes supérieurs. La
dans l’expérience. Je poursuis cette question, à laquelle je na saurais encore don-
ner une réponse. (Voy. les Comptes rendus de l'Académie des sciences. Séances des
21 mai, 9 juillet, 50 juillet 1877.)
1136 FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
saturation du sang serait donc une condition fâcheuse, et par
une heureuse harmonie, lorsqu’elle est atteinte, Y apnée qui
intervient l’empêche aussitôt de persister.
A partir de ce degré de pression, la combinaison oxy-hé-
moglobique est satisfaite, et l’oxygène qui s’ajoute au sang sui-
vant une progression qui se rapproche de la loi de Dalton
(p. 665, 700) n’est plus que de l’oxygène dissous, également
réparti entre les globules et le plasma ; et même, si le séjour
dans l’air comprimé dure un temps suffisant, il doit se dis-
soudre aussi dans les tissus au même degré. Or, fait du plus
haut intérêt, c’est en présence de cet oxygène simplement
dissous, libre, que les oxydations intimes se ralentissent, puis
s’arrêtent. Il semble que les tissus aient besoin, pour s’oxy-
der, de l’oxygène emprunté, enlevé à la combinaison oxy-
hémoglobique, si bien que, en présence de l’oxygène dissous
apporté par la compression, ou les tissus deviennent incapa-
bles d’opérer cette dissociation, ou les globules ne peu-
vent plus céder leur oxygène, et demeurent condamnés à la
saturation perpétuelle, «le ne connais rien, en chimie physio-
logique, de plus curieux que cette sorte d 'action de présence
de l’oxygène dissous, ayant pour conséquence non d’activer,
mais d’arrêter une combinaison. Quoi qu’il en soit des expli-
cations possibles, il est certain que les oxydations organi-
ques ne se font plus lorsque le glojrule sanguin, chargé cepen-
dant au maximum d’oxygène, est entouré de cette espèce
d’atmosphère d’oxygène libre, dissous dans le plasma, dissous
dans les tissus.
Nous avons vu, je le rappelle encore, que cette cessation
de l’activité oxydante des tissus a lieu en présence de l’excès
d’oxygène, non-seulement chez les animaux à globules rouges,
mais chez tous les êtres vivants. Or, cette cessation des phé-
nomènes vitaux n’est pas seulement momentanée, comme
celle que, chez les êtres inférieurs, occasionne la diminution
de pression, mais est une véritable mort, une mort définitive;
ce qui montre que bien évidemment il ne s’agit pas ici d’une
simple suspension, mais d’une déviation des phénomènes
vitaux. Une graine maintenue dans le vide, germe lorsqu’on
AUGMENTATION UE PRESSION.
1137
laisse rentrer l’oxygène; un chien qui a des convulsions
d’asphyxie revient à lui quand on lui rend l’air. Mais la
graine maintenue sous compression ne germera plus ; le
chien ramené de l’oxygène comprimé à la pression normale,
peut, après vingt-quatre heures de convulsions consécutives,
périr sans s’être amélioré (exp. CCLXXVIII, p. 777). Il semble
qu’il se soit, sous l’influence de l’oxygène comprimé, formé
dans les éléments anatomiques quelque produit toxique, qui
ne peut pas toujours s’éliminer, et tue alors même que sa cause
formatrice a disparu. Aller plus loin que cette hypothèse me
paraîtrait une imprudence dans l’état actuel de la science.
Les travaux de M. Pasteur ont appris que les êtres vivants
microscopiques peuvent être divisés en deux groupes, les uns
ayant besoin pour vivre du contact de l’air, de l’oxygène libre
(aérobies), les autres (anaérobies) redoutant l’air, au con-
traire, et empruntant l’oxygène qu’ils consomment à des ma-
tières organiques qu’ils décomposent dans ce but. Or, ce que
nous venons de dire montre que les éléments anatomiques
groupés en tissus sont essentiellement anaérobies. Chez les
animaux supérieurs, où il a été possible de pousser assez loin
l’analyse des phénomènes, nous savons que c’est à l’oxy-hé-
moglobine qu’ils demandent leur oxygène ; mais quand celle-
ci étant saturée, ce dernier gaz apparaît simplement dissous
dans le plasma et les tissus, ils deviennent malades et meu-
rent si l’expérience dure assez longtemps, ou si la dose d’oxy-
gène libre est assez forte, absolument comme font les vi-
brions de la fermentation butyrique1 en présence de l’air
atmosphérique. Le globule rouge semble seul faire excep-
tion, car il paraît bien essentiellement aérobie; mais je
penche à croire que ce n’est là qu’une illusion, car ce
globule lui-même, lorsque son stroma constitutif, sa glo-
buline, contient de l’oxygène libre après la saturation de
la teinture (hématocristalline) avide d’oxygène qu’il porte en
lui, périt comme les autres éléments anatomiques (V. p. 917).
Aussi, dans l’état régulier des choses, ainsi que nous l’avons
1 Voy. Pasteur, Études sur la bière , p. 293. — Paris, 1876.
72 •
1138
FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ETJXimUSIONS.
vu, jamais la combinaison oxy-hémoglobique n’est saturée
d’oxygène. Il est à remarquer, du reste, que les micro-orga-
nismes aérobies, comme les bactéries, périssent également
sous Finfluence de Foxygèrie comprimé; on peut dès lors
faire l’hypothèse qu’elles portent en elle, comme le globule
rouge, quelque matière avide d’oxygène et dont la combinai-
son oxygénée nourrit leur propre substance constituante. Dans
cette hypothèse, tous les êtres vivants et toutes leurs parties
prises isolément, seraient anaérobies. Quoi qu’il en soit, le
parallélisme s’établit parfaitement entre les globules rouges
et les bactéries d’une part, les éléments anatomiques et les
vibrions d’autre part. Mais si différents qu’ils paraissent être,
divisés ici deux à deux, tous se ressemblent par la mort qui
les frappe rapidement en présence d’une dose suffisante
d’oxygène dissous.
Avant de quitter ce sujet, appelons encore l’attention sur
cette application nouvelle de la règle générale, que lorsqu’un
poison frappe tout l’organisme, c’est le système nerveux qui
réagit le premier. Le chien dans l’air comprimé a d’abord des
convulsions ; et celles-ci, troublant les mécanismes dont l’har-
monie est nécessaire à l’entretien de la vie, le tuent avant
que les autres éléments anatomiques soient frappés à mort;
mais c’est pour ces derniers une question de temps. Son
sang est encore capable de rappeler à la vie un autre chien
exsangue; mais si on l’agite pendant quelques heures sous
pression oxygénée, il tuera l’animal sain auquel on l’injec-
tera, bien loin de pouvoir sauver l’exsangue mourant. De
même, la queue du rat mort par l’oxygène se peut parfaite-
ment greffer; mais une plus longue exposition dans l’oxygène
comprimé en tuera les éléments et la greffe se résorbera
sans suppuration (p. 944).
g 2. — Faibles pressions.
Je désigne sous ce titre, ainsi que je l’ai fait dans le sous-
chapitre Il du chapitre IV (p. 816-844), les pressions interné-
AUGMENTATION ÜE PRESSION.
1139
diaires entre une et cinq atmosphères d’air, dans lesquelles la
tension de l’oxygène varie entre celle de l’air (20,9) et les
100 de l’oxygène pur. Avec ces tensions, comme je viens de
le faire remarquer, le sang artériel n’est pas complètement
saturé d’oxygène, bien qu’il en soit de plus en plus riche à
mesure que l’on s’éloigne de la pression normale.
Ces pressions faibles sont fort importantes à étudier pour
le médecin et pour l’hygiéniste, puisque ce sont celles
qu’on emploie dans la thérapeutique d’une part et de l’autre
dans l’industrie. Mais au point de vue où j’étais placé, ce qui
m’y paraissait le plus intéressant, c’était de chercher à
quelle pression se trouvait réalisé le maximum d’oxydation
intra-organique. Nous avons vu, d’une part, que depuis les
plus faibles pressions jusqu’à une atmosphère, et d’autre
part que, à partir de cinq ou six atmosphères et au-dessus,
ces oxydations s’en vont en diminuant : où serait placé le
sommet de la courbe qui représenterait ces phénomènes?
Or, mes analyses directes de la quantité d’acide carboni-
que exhalé, d’oxygène absorbé, d’urée sécrétée dans un temps
donné, et mes recherches indirectes sur la rapidité des pu-
tréfactions, tendent à démontrer que c’est aux environs de
trois atmosphères, vers la tension de 60 d’oxygène que se
trouve le maximum cherché. Les récentes expériences de
G. Liebig (p. 1130) déposent dans le même sens.
Mais je suis le premier à reconnaître que rien n’est plus
difficile que de semblables expériences, et que les conclu-
sions sont toujours périlleuses. Relativement à la production
de l’urée, par exemple, ou bien nous maintiendrons le sujet
en. expérience à une nourriture bien régulière, et alors l’ex-
cès d’oxydation, s’il y en a un, s’exerçant sur les matériaux
de l’organisme lui-même, cessera en les épuisant de se mani-
fester; ou bien nous augmenterons la nourriture, et alors
l’augmentation d’urée produite n’aura plus de mesure possi-
ble, puisque nous ne connaissons pas l’équivalent en urée
des divers aliments : j’ai commencé sur ce dernier point des
recherches encore incomplètes. Mais malgré toutes ces cau-
ses d’erreur, je suis frappé de la concordance des analyses
1140 FAITS RÉGENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
de Vivenot, Panum, G. Liebig, J. Pravaz, avec les miennes, et
aussi du témoignage unanime des médecins et des ingénieurs
sur Paugmentation de l’appétit des malades ou des ouvriers
soumis à Pair comprimé. Mes conclusions me semblent donc
pour le moins très-vraisemblables.
Il en résulterait, si nous considérons les animaux supé-
rieurs, que les oxydations organiques augmenteront d’inten-
sité quand on se rapprochera de la saturation de la combi-
naison oxy-hémoglobique. On peut imaginer que ce sera là
le point maximum, celui où l’oxydation se fera le plus faci-
lement, les dernières molécules d’oxygène étant pour ainsi
dire hésitantes, à peine retenues par l’hémoglobine, prêtes
à la quitter pour se combiner aux tissus; au delà, comme
nous l’avons vu plus haut, les oxydations diminuent.
Mais d’autre part, la manière d’être, la rapidité de dévelop-
pement des animaux inférieurs, têtards de grenouilles, larves
d’insectes, maintenus pendant longtemps sous les tensions
d’oxygène comprises entre 21 et 100, démontrent d’une ma-
nière fort nette que s’il y a augmentation de nutrition, il n’y
a pas, tant s’en faut, meilleur état général. A partir de 80
même, l’influence funeste de l’oxygène se fait évidemment
sentir. 11 en va de même, et avec une bien plus grande inten-
sité encore, pour les germinations, qui ne s’opèrent jamais
mieux que sous la pression normale.
Ce point étudié, je ne pouvais me désintéresser complète-
ment des modifications apportées par l’air comprimé à la
circulation et la respiration, modifications tant de fois ana-
lysées par les médecins. J’ai constaté après bien d’autres
observateurs la diminution du nombre des pulsations et
l’augmentation de la capacité pulmonaire maxima : j’ai
trouvé que la quantité d’air (en volume) qui traverse le pou-
mon pendant un temps donné ne change pas sensiblement
dans l’air comprimé : ce point n’avait pas été directement
examiné avant moi ; je dois dire que, selon G. Liebig, elle di-
minuerait un peu (dans le rapport de 118 à 100).
Le fait le plus intéressant que m’ait fourni cette partie de
mes recherches, est la preuve que l’amplitude plus grande
AUGMENTATION DE PRESSION.
1141
du poumon est due à l’action mécanique de la compression
sur les gaz intestinaux (p. 855). Elle a encore pour conséquence
de diminuer les variations de la pression aérienne intra-
thoracique pendant les actes d’inspiration et d’expiration.
Entin j’ai, le premier, mesuré directement la pression arté-
rielle sous compression, et montré qu’elle est notablement
augmentée encore par l’action mécanique de la pression.
J’ai été jusqu’ici assez sévère contre les explications qui
ont invoqué le côté mécanique de la pression pour insister
sur ces constatations nouvelles. Mais, ainsi que je l’ai sou-
vent dit, la pression ne peut à ce point de vue agir que sur
des réservoirs gazeux; c’est ce qu’elle fait pour l’intestin,
vessie close, dont le volume diminue suivant la loi de Mariotte,
le poumon devant suivre alors le diaphragme qui s’abaisse
davantage; c’est ce qu’elle fait pour le thorax, qui serait
écrasé si l’ouverture trachéale n’existait pas, et qui ne serait
nullement impressionné si cette ouverture était, ce qu’elle
n’est pas, suffisamment large.
Mais l’in tensité relative de cette action de la pression va en di-
minuant avec la valeur de la compression ; et cela se comprend,
car si l’intestin perd, en passant de une à deux atmosphères,
la moitié de son volume, il ne diminue que d’un quart en sus
en passant de deux à quatre. De plus, l’augmentation de la
capacité thoracique ne peut représenter qu’une partie de la
réduction de volume de l’intestin, parce que les parois de
l’abdomen en comblent une proportion qui doit aller en
croissant avec la pression, le diaphragme rencontrant dans
sa descente des obstacles de plus en plus forts.
§ 3. — Décompression brusque.
Je crois avoir élucidé, dans le chapitre Vît, tout ce qui a
rapport à cette question, relativement assez simple, puis-
qu’elle est purement d’ordre physique. J’ai montré que tous
les accidents, depuis les plus faibles jusqu’à ceux qui en-
traînent une mort soudaine, sont la conséquence du déga-
1142 FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
gement de bulles d’azote dans le sang et même dans les tissus
quand la compression avait duré une temps suffisant.
Ces quelques lignes suffisent pour résumer cette partie de
notre étude, sur laquelle nous allons revenir dans le paragra-
phe suivant.
g 4. — Applications pratiques. Thérapeutique et hygiène.
A. Thérapeutique. — Je me garderai, observant en ceci la
même prudence que lorsqu’il s’est agi de l’air raréfié, d’ex-
poser et de juger les applications qu’on a faites depuis Junod,
Pravaz et Tabarié, de l’air faiblement comprimé au traitement
de diverses maladies. Je pourrais cependant affirmer, après
tant d’autres, l’utilité de cette médication dans certains asth-
mes et dans l’anémie. Mais j’aime mieux, ayant cité ces deux
maladies, dire que le séjour dans les appareils à air comprimé
me paraît agir sur elles d’une manière différente : pour
l’asthme, je crois que c’est l’action mécanique dont j’ai plus
haut parlé qui l’emporte; pour l’anémie, je crois que c’est
l’action chimique, la saturation plus parfaite de l’oxy-hémo-
globine.
L’intérêt de cette distinction gît en ceci, que dans les cas
où l’action chimique devra être recherchée, et ce sont très-
probablement ceux où il s’agira de modifier la nutrition, on
pourrait parfaitement remplacer le séjour dans les cylindres
à compression par la respiration d’air suroxygéné : grand avan-
tage, on le comprend, dans la pratique thérapeutique, car ja-
mais les coûteux appareils à air comprimé ne pourront fonc-
tionner hors des grandes villes ou, des villes d’eau, tandis
que rien n’est plus facile que de se procurer de l’oxygène à
domicile.
Mais il faut bien s’entendre sur l’emploi des inhalations
d’oxygène. Depuis le jour où Priestley disputa à deux souris
« l’honneur d’avoir le premier respiré l’air déphlogisti-
qué 1 « jusqu’à l’époque actuelle, bien des tentatives ont été
1 Priestley, Expériences et observations sur l'air, etc. Trad. Gibelin, t. Il, p. 125.
AUGMENTATION DE PRESSION.
1143
faites pour introduire les respirations d’oxygène dans le do-
maine de la thérapeutique1. L’enthousiasme des auteurs de la
fin du dernier siècle et du commencement de celui-ci pour
les vertus curatives de l’air vital, n’était tempéré que par une
crainte : l’action irritante de l’oxygène sur le tissu des pou-
mons, et surtout l’activité dévorante qu’il devrait imprimer
aux oxydations vitales. Brizé-Fradin2 s’exprime sur ce point
avec une grande énergie :
L’air vital ou l’oxygène pur userait bientôt la vie au lieu de l’entretenir...
Le flambeau de la vie, brûlant avec précipitation, s’éteindrait bientôt...
La fièvre emporterait bientôt celui qui ferait un usage immodéré de l’air
vital.
Il est impossible de respirer l’oxygène seul au delà de deux minutes ;
les pulsations du pouls sont alors plus vives, plus fréquentes; on éprouve
un état de gêne insupportable. (P. 133.)
Il est à peine besoin de dire que la violence des sensations
et des troubles éprouvés est purement imaginaire, à moins
cependant que le gaz oxygène ne fût mal préparé.
Après être complètement tombé dans l’oubli, l’oxygène
tend à reprendre faveur depuis plusieurs années. Mais je me
permets de penser qu’on s’y prend fort mal dans son applica-
tion, et que, s’il est possible d’espérer quelque utilité de son
emploi , c’est à la condition de changer totalement de mé-
thode.
On fait, en effet, respirer aux malades l’oxygène presque
pur, et comme alors il n’est pas possible d’en avoir une grande
quantité, on en administre quelques litres (généralement 50
au maximum en France), qui sont absorbés en 5 ou 6 minu-
tes au plus. Cette manière de procéder offre deux inconvé-
nients : d’abord on ne peut espérer quelque action durable
d’une légère augmentation pendant dix minutes au plus,
dans l’oxygène du sang ; en second lieu, comme on s’efforce
d’employer de l’oxygène aussi pur que possible, il est possible
1 Voy. pour l’historique de la question, Demarquay : Essai de pneumatologie
médicale; Paris, 1866. — Voy. aussi l’intéressante brochure du Dr Andrew Smith :
Oxygen gas as a remedy in disease; New York, 1870.
2 La chimie pneumatique appliquée aux travaux sous Veau. — Paris, 1808.
1144
FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
qu’on aille à rencontre du but qu’on se propose d’atteindre
en dépassant le maximum d’oxygénation véritablement utile
aux oxydations. Ainsi, choc violent et de peu de durée, agis-
sant peut-être en sens inverse de ce qu’on désire, tel est le
résumé de la méthode, qui ne me paraît pas devoir être con-
servée dans la grande majorité des cas.
Je ne voudrais la voir désormais appliquée que dans les cas
menaçants d’asphyxie1, d’empoisonnement par l’oxyde de
carbone2 ou le gaz des égouts, là où l’on a peu de temps pour
agir. Encore faudrait-il employer seulement de l’air à envi-
ron 60 pour 100 d’oxygène, et continuer les inhalations pen-
dant au moins une heure.
Les attaques d’asthmes pourraient aussi être favorablement
modifiées par ces inhalations, mais beaucoup moins, sans
doute, que par l’air comprimé, où l’action mécanique s’ajoute
à l’action chimique.
Mais s’il s’agit de combattre une affection lente, comme l’a-
némie, mon avis est d’essayer de faire respirer au malade,
tous les jours, pendant deux heures environ, un mélange à
25 ou 50 pour 100 d’oxygène seulement, ce qui correspon-
drait à une compression de 20 à 55 centimètres. Pour ce temps,
il faudrait au plus une quantité totale d’un mètre cube de
mélange gazeux, contenant de 50 à 1 00 litres d’oxygène ajouté;
des ballonnets de baudruche, avec flacons laveurs odorifé-
rants, suffiraient dans la pratique, et les manipulations néces-
saires deviendraient bientôt familières aux malades. J’ai la
profonde persuasion qu’on éprouverait d’une semblable mé-
dication d’aussi bons résultats que de l’emploi de l’air com-
primé.
Je trouve qu’on a été jusqu’ici un peu trop timoré dans
l’emploi thérapeutique de l’air comprimé. Jamais, en effet, on
n’a, dans les appareils médicaux, dépassé 2 atmosphères,
1 Voy. Constantin Paul, De l'emploi de V oxygène en thérapeutique (Bull. gén. de
thérap ., 15 août 1868, observ. 1 et III), et Limousin, Note sur le traitement de
l'asphyxie par le gaz oxygène ; Bull, des travaux de la Soc. de méd. pratique de
Paris, 1871.
2 Voy. Linas et Limousin, Asphyxie par le charbon; traitement et guérison par
l'oxygène. — Société de thérapeutique ; 17 juillet 1868.
AUGMENTATION DE PRESSION.
1145
pression totale ; rarement même on les atteint. Je crois qu’on
pourrait pousser sans inconvénient jusqu’à 5 atmosphères;
c’est vers ce niveau, en effet, que se trouve le maximum des
oxydations intra-organiques, et si c’est en augmentant les oxy-
dations que l’air comprimé agit favorablement sur les malades,
on peut aller jusque-là logiquement.
Pravaz, on l’a vu, a fait quelques tentatives pour l’emploi
chirurgical de l’air comprimé. Je suis étonné qu’il n’ait
pas songé à le préconiser dans les cas de hernies étranglées
où l’intestin contient beaucoup de gaz qui empêchent la ré-
duction; à 2 atmosphères, le volume de ces gaz aurait dimi-
nué de moitié, des deux tiers à 5 atmosphères, ce qui ne se-
rait pas indifférent. On devrait, bjen entendu, recommencer
le taxis dans l’appareil même.
Enfin, dans certaines tympanites suffocantes, si l’on sou-
mettait le malade à l’air comprimé, on verrait aussitôt ces-
ser les menaces d’étouffement. Peut-être reparaîtraient-elles
si aucune médication ne pouvait enrayer la maladie; mais
il vaut la peine d’essayer. En tout cas, il faudrait garder les
malades dans les cylindres jusqu’à guérison complète.
Qu’adviendrait-il de l’emploi médical de très-hautes pres-
sions, 5 atmosphères et plus? La diminution des combus-
tions ferait, certes, de cette médication, un antiphlogistique;
mais n’y aurait-il pas quelque autre élément en jeu? Il est
probable que l’essai ne sera pas fait de longtemps, du moins
par les médecins des hôpitaux. Ceux qui soignent les ouvriers
tubistes et les plongeurs ont eu déjà, nous l’avons vu, l’occa-
sion de constater que l’oxygène à haute tension exerce une ac-
tion favorable sur les phénomènes inflammatoires.
B. Hygiène. — Les ouvriers qui travaillent aux piles de
pont, les plongeurs à scaphandre, n’ont pas encore atteint le
degré où la respiration de l’air comprimé devient, d’après
nos expériences, évidemment dangereuse : la pression la plus
forte qui ait été obtenue jusqu’ici a été de 4atm ,25 à Douchy
et de 4,45 à Saint-Louis U. S. Et cependant déjà, certains
accidents d’anémie pouvaient être mis au compte de ces
fortes pressions. Seulement, les phénomènes de la dépression
i
1146
FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
viennent tellement compliquer les choses qu’il est impossi-
ble de rien affirmer.
Mais si les nécessités de l’industrie entraînent l’emploi de
pressions dépassant 5 atmosphères, on peut s’attendre à voir
survenir chez les ouvriers des accidents dont la gravité aug-
mentera rapidement; à 10 atmosphères, je ne mets pas en
doute que la mort ne soit fréquente, et je ne parle, bien en-
tendu, ici, que du stade de compression.
Si l’importance de ces travaux est suffisante pour motiver
de grandes dépenses, et le cas pourra se présenter, par exem-
ple, pour les pêcheurs de perles, d’éponges et surtout de co-
rail, pour les scaphandriers dans quelque sauvetage précieux,
il sera possible de tourner la difficulté: l’augmentation dans
la tension de l’oxygène ambiant constituant le danger, il fau-
dra la diminuer en telle sorte qu’elle oscille toujours à peu
près entre la valeur normale de 21 et celle de 60, qui semble
inoffensive. Pour y arriver, il faudra refouler dans les tubes
non de l’air ordinaire, mais de Pair pauvre en oxygène. L’ap-
pareil à l’aide duquel M. Tessié du Motay prépare l’oxygène
pourrait être ici utilisé; on pourrait en obtenir, en effet, de
l’azote ne contenant que très-peu d’oxygène. En mêlant dans
des proportions convenables cet azote avec Pair ordinaire, on
réaliserait aisément les proportions voulues : à 8 atmosphères,
par exemple, pour ramener la tension de l’oxygène à 40, il
faudrait envoyer de Pair contenant 5 pour 100 seulement
d’oxygène. L’hydrogène pourrait également être employé, et
l’on sait que M. Giffard le prépare aujourd’hui à des prix
extrêmement modérés.
Mais si l’on suppose ces graves difficultés vaincues, on se
trouvera en présence des dangers de la décompression, singu-
lièrement aggravés par l’énorme proportion d’azote qui se
sera dissoute dans Je sang. Déjà, comme nous Pavons vu, les
accidents sont fréquents, même avec Pair ordinaire. Mais pour
ce dernier cas, le seul qui se soit jusqu’ici présenté, nos re-
cherches nous ont amené à des conséquences pratiques très-
importantes et très-applicables.
Dès que la pression employée atteindra 2 atmosphères en
AUGMENTATION DE PRESSION.
1147
pression totale, il sera bon de surveiller de près ; il n’y a pas
encore de danger véritable, mais déjà les douleurs locales
apparaissent, et il est utile, du reste, d’habituer de bonne
heure les ouvriers aux précautions. Or, la grande précaution,
c’est la lenteur dans la décompression.
Je pense qu’entre 2 et 3 atmosphères, il faudra consacrer,
pour être complètement à l’abri, une demi-heure à la décom-
pression; de 3 à 4, une heure, et la lenteur de la décompres-
sion devra être assurée par le degré d’ouverture possible du
robinet d’équilibre. Mais ici intervient l’inconvénient grave,
le danger même, du refroidissement concomitant au travail
de dilatation de l’air, avec la rosée qui en est la conséquence.
Il faudra, pour le conjurer, non-seulement donner à l’ouvrier
des vêtements secs et chauds, mais disposer dans la chambre
à décompression des cylindres de réchauffement, ayant de
doubles parois creuses, que traverseraient des jets de vapeur,
et que l’ouvrier pourrait embrasser, contre lesquels il pour-
rait s’appuyer. Je crois que des agencements très-simples et
peu coûteux permettraient de résoudre le problème.
On pourrait, du reste, disposer deux chambres de décom-
pression, toutes deux chauffées, si bien qu’on passerait, par
• exemple, d’une chambre de 3 atmosphères à une de 2, pour
séjourner là pendant un quart d’heure au plus et sortir ensuite
au dehors; ces éclusées doubles gêneraient moins le service.
Plus les ouvriers seront restés longtemps dans les tubes,
plus lentement ils devront se décomprimer, car il faudra lais-
ser le temps non-seulement à l’azote du sang de sortir, mais
à l’azote des tissus de repasser dans le sang. Et, comme c’est
ce dernier point qui est le plus difficile à obtenir, il faudra
ne pas imposer aux ouvriers des stades de travail trop longs,
et ne les laisser descendre qu’une fois par jour dans les tubes.
Pour les plongeurs à scaphandres, comme on ne peut les
réchauffer, il serait peut-être difficile de les décomprimer
très-lentement à l’aide de quelque treuil mécanique et
gradué. Mais cependant, quand ils reviendront de grands
fonds, par 50 mètres par exemple, il faut absolument, ou les
remonter sur quelque siège qui permette de les retenir au
H 48
FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
moins un bon quart d’heure à moitié chemin, ou les con-
traindre à stationner pendant un temps suffisant sur quelque
haut-fonds, lorsqu’il s’en trouve dans l’étendue de leur ter-
rain de pêche.
Si, enfin, malgré ces diverses précautions, un accident sur-
venait, que faire? Mes recherches ont déjà répondu pour nous
(chap. VII, s.-chap. IV). Si l’auscultation dévoile quelques gar-
gouillements gazeux dans la région du cœur, se hâter de faire
respirer de l’oxygène aussi pur que possible, qu’on devra
toujours avoir dans un ballon de caoutchouc, ou mieux, com-
primé en quantité dans quelque réservoir en acier. Puis,
lorsque les gaz auront disparu du cœur, et que la mort ne
sera plus imminente, soumettre aussitôt le malade à une
pression supérieure à celle d’où il sortait, pour le décom-
primer ensuite avec une lenteur extrême. Du reste, quand
la pression atteint 4 atmosphères, il serait prudent de faire
respirer l’oxygène, surtout aux plongeurs, aussitôt après
le retour à l’air libre, et sans attendre l’apparition d’aucun
accident. Lorsque la dépression manifestera ses effets par la
paraplégie, il faudra immédiatement recomprimer , sans
perdre son temps à faire respirer l’oxvgène, surtout quand
l’accident, n’est arrivé que quelque temps après le retour à
l’air normal, car il ne s’agit plus là d’obstruction générale
de la circulation pulmonaire, mais de quelque bulle de gaz
arrêtée dans les vaisseaux de la moelle, et dont il faut réduire
aussitôt le volume pour que le sang puisse l’entraîner.
Les ouvriers employés dans l’air comprimé doivent en outre
souffrir d’inconvénients qui pour être moins graves ne sont
pas cependant à négliger complètement. Ainsi les gonfle-
ments soudains des gaz intestinaux, la mousse formée dans
les liquides du tube digestif, peuvent avoir des conséquences
fâcheuses au point de vue de la digestion, et contribuer à
ces troubles de l’appétit qu’on a souvent signalés.
De plus, l’air dans lequel ils séjournent n’est rien moins
que sain. Dans les tubes du pont de Kehl, M. Bucquoy a trouvé
2,57 pour 100 d’acide carbonique (p. 591), et la pression
s’élevant à 5 atmosphères et demie, les ouvriers étaient, ainsi
AUGMENTATION DE PRESSION.
1149
que nous l’avons prouvé, dans la même condition que si,
à la pression normale, ils avaient respiré de l’air contenant
2,37 x 3,5 = 8,3 pour 100 de CO2; et à coup sûr, une pa-
reille respiration ne serait pas sans danger. De même d’autres
gaz, l’oxyde de carbone des combustions incomplètes, les gaz
produits par les explosions des mines qu’on fait quelquefois
jouer, ceux qui se dégagent du sol qu'on traverse, agissent
dans le double rapport de leur proportion centésimale et de
la pression manométrique ; nous avons vu (p. 774) combien
vite quelques gouttes d’éther anesthésient dans l’air com-
primé. On voit qu’une énergique ventilation est de rigueur,
et l’on n’a pas assez insisté sur ce point, parce qu’on ne con-
naissait pas les effets multiplicateurs de la pression sur l’ac-
tion des gaz toxiques.
g 5. — Conséquences au point de vue de l’histoire naturelle
générale.
Nous avons eu, en parlant de la diminution de pression, à
montrer succinctement le rôle qu’elle joue dans les condi-
tions générales de la vie sur le globe et la distribution géo-
graphique des animaux ou des plantes.
L’étude de la nature actuelle ne nous présente rien de
comparable au point de vue de l’augmentation de pression,
du moins si nous considérons les êtres vivants aériens : les
régions si restreintes qui se trouvent un peu au-dessous du
niveau de la mer (vallées de la mer Morte et de la Caspienne)
sont à peine peuplées. Mais il en est, ou du moins il paraît en
être tout autrement, pour les êtres qui vivent dans les eaux
de la mer à des profondeurs qui atteignent 4 et 5000 mètres.
Tout d’abord, si nous considérons en place même les êtres
des profondeurs maxima, y compris le célèbre Bathvbius, qui,
après avoir joué un rôle si considérable dans les nouvelles
philosophies de la nature, semble devoir être relégué parmi
les matières minérales1, il est clair qu’ils ne subissent
1 Voy. C. Vogt, L'origine de l'homme . ( Revue scientifique , il* du 1 2 mai 1877,
p. 1090.)
1150
FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
aucune influence immédiate et mécanique de l’énorme pres-
sion à laquelle ils sont constamment soumis et avec laquelle
ils sont parfaitement équilibrés. Il en serait tout autrement
si l’on immergeait à 4000 mètres, par exemple, un animal
habitué à vivre par 2000 mètres; l’excès de pression produi-
rait une diminution du volume de son corps, qui très-proba-
blement ne serait pas sans influence fâcheuse sur son orga-
nisme. Réciproquement, un animal amené de 4000 mètres
à la surface se dilatera d’une quantité notable (environ 15
millièmes de son volume primitif), et cette espèce de disten-
sion des tissus est probablement pour beaucoup dans la mort
des animaux pêchés dans les dragages profonds \
L’influence mécanique de la compression ou de la décom-
pression s’exerce d’une manière très-efficace et très-éner-
gique sur les animaux munis de vessies aériennes, surtout
lorsqu’elles sont closes, comme chez les poissons marins.
Dans ce cas, ainsi que l’a surabondamment démontré M. A.
Moreau1 2, toute variation brusque de pression qui, agissant
sur le volume de leur vessie, peut assez modifier leur den-
sité moyenne pour les amener de quelques mètres au-
dessus ou au-dessous de leur lieu d’équilibre, aura pour
conséquence, pour le premier cas, de les entraîner jusqu’à
la surface, leur vessie se dilatant toujours jusqu’à éclater;
pour le second cas, de les faire sonder indéfiniment dans les
profondeurs de l’Océan, la vessie se contractant toujours, et
la densité de leur propre corps augmentant dans le même
rapport que celle de l’eau. Remarquons que les variations
naturelles de la pression barométrique ne dépassant pas
deux centimètres de mercure (2fic d’eau) par jour, et les
oscillations extrêmes n’étant que de 5 centimètres (65e d’eau)
au plus, les poissons n’en sont pas sérieusement impres-
sionnés, Du reste, ainsi que l’ont montré les remarquables
expériences de M. Moreau, ils peuvent, avec du temps, com-
1 Voy. Wyville Thomson, Les abîmes de la mer. Trad. Lortet. — Paris, 1875,
p. 27.
2 Recherches expérimentales sur les fonctions de la vessie natatoire. — Riblioth .
de l'École des hautes études , t. XV, 1876.
AUGMENTATION DE PRESSION.
1151
penser cette influence, tantôt en sécrétant de l’oxygène dans
leur vessie natatoire, tantôt en absorbant au contraire l’oxy-
gène qu’elle contient, et faire ainsi varier à la fois son volume
et leur densité.
Nous avons vu que les animaux aquatiques périssent tués
par l’oxygène lorsque la compression en introduit dans l’eau
une quantité suffisante (V. p. 814). Mais cet effet redoutable
ne peut évidemment avoir lieu que si la compression s’exerce
d’abord sur l’air et fait alors pénétrer dans l’eau l’oxygène
en proportion croissante, suivant la loi de Dalton ; mais la
pression exercée par la colonne d’eau elle-même sur ses par-
ties profondes ne modifie en rien la tension réelle de l’oxy-
gène. Du reste, les analyses directes de l’eau de mer puisée
dans les profondeurs ont montré qu’elle contenait moins
d’oxygène que l’eau de la surface. D’après Lant Carpenter1,
l’eau de mer contiendrait en moyenne, quelle que soit la pro-
fondeur, 2,8 volumes de gaz pour 100 volumes d’eau ; ce gaz
serait ainsi constitué :
A la surface. Au fond.
Oxygène 25,00 d 9,53
Azote 54,21 ' 52,60
GO2 20,84 27,87
100,00 100,00
Ainsi, moins d’oxygène et un peu moins d’azote. De ceci,
découlent deux conséquences :
D’abord, le séjour dans les profondeurs ne soumet les ani-
maux à aucun péril venant de l’oxygène en tension. En second
lieu, la décompression brusque ne devra produire aucun
effet fâcheux sur les animaux des profondeurs, puisqu’ils
n’auront pas d’excès d’azote dissous dans leurs tissus ; ainsi
en va-t-il, du reste, et l’on n’a jamais trouvé de gaz libres dans
les tissus d’un poisson ou d’un invertébré ramené par la
drague.
Les choses changeraient singulièrement si tout à coup
quelque source d’air venait à jaillir du fond de la mer. Il
1 In W. Thompson, Les abîmes , etc., Appendice.
1152
FAITS RÉGENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
suffirait qu’elle vînt de 100 mètres, fût-elle chimiquement
pure, pour tuer rapidement tous les êtres qu’elle rencontre-
rait sur son passage.
Enfin si, pour les animaux aériens comme pour les ani-
maux aquatiques, nous considérons non plus l’époque ac-
tuelle, mais les âges géologiques, tout nous donne à penser
que la pression barométrique a dû jouer un rôle important
dans l’apparition et dans la modification de la vie à la sur-
face du globe. Aux premiers âges de notre planète, en effet,
la tension de l’oxygène devait être beaucoup plus forte
qu’aujourd’hui pour deux raisons : l’atmosphère était plus
haute, et sa richesse oxygénée plus forte, les roches n’étant
point encore refroidies et oxydées sur une aussi grande
épaisseur. Les époques qui nous suivront verront sans doute
l’air rentrer de plus en plus dans les profondeurs du sol et
l’oxygène y diminuer en proportion croissante. Ainsi, il est
permis d’imaginer qu’il y a eu un temps oû les êtres actuels
n’auraient pu vivre sur le sol, à cause de la trop grande ten-
sion de l’oxygène, et qu’un temps viendra où ils ne pourront
plus vivre à cause de sa trop faible tension. Aller au delà de
cette première hypothèse plausible serait s’aventurer dans le
pur domaine de la fantaisie : nous laisserons à d’autres ce
rôle séduisant et facile.
Peut-être cependant me pardonnera-t-on de faire remar-
quer que les trois ennemis de la vie telle que nous la con-
naissons aujourd’hui, étant, aux premiers âges géologiques,
la chaleur, la tension de l’oxygène et celle de l’acide car-
bonique, les êtres qui résistent le plus à cette triple et fu-
neste influence appartiennent au groupe des vibrioniens. Ce
sont eux, également, qui demeurent le plus longtemps actifs
dans l’air raréfié. Vraisemblablement donc c’est par eux que
la vie a apparu, c’est par eux qu’elle finira à la surface de
notre planète.
CHAPITRE III
CONCLUSIONS GÉNÉRALES.
Les faits exposés dans la deuxième partie de cet ouvrage,
les théories qui en sont la conséquence, et qu’a résurnées la
troisième partie, peuvent être, si nous laissons de côté les
chapitres qui traitent de l’empoisonnement par l’acide carbo-
nique, de l’asphyxie, des gaz du sang, et autres questions un
peu en dehors du sujet même de ce livre, condensés dans les
conclusions suivantes :
A. — La diminution de la pression barométrique n’agit
sur les êtres vivants qu’en diminuant la tension de l’oxygène
dans l’air qu’ils respirent, dans le sang qui anime leurs
tissus (anoxy hernie de M. Jourdanet), et en les exposant ainsi
à des menaces d’asphyxie.
B. — L’augmentation de la pression barométrique n’agit
qu’en augmentant la tension de l’oxygène dans l’air et dans
le sang.
Jusqu’à trois atmosphères environ, cette augmentation de
tension a pour conséquence des oxydations intra-organiques
un peu plus actives.
Au delà de cinq atmosphères, les oxydations diminuent
d’intensité, changent probablement de nature, et, quand la
pression s’élève sutYisamment, s’arrêtent complètement.
Il en résulte que tous les êtres vivants, aériens ou aqua-
75
1154
CONCLUSIONS GÉNÉRALES.
tiques, animaux ou végétaux, complexes ou mono-cellulai-
res, que tous les éléments anatomiques, isolés (globules du
sang, etc.) ou groupés en tissus, périssent plus ou moins ra-
pidement dans l’air suffisamment comprimé. Cette formule
11e paraît souffrir d’exception que pour les corpuscules
reproducteurs de quelques êtres microscopiques. Pour les
animaux dits supérieurs, la mort est précédée de convul-
sions toniques et cloniques d’une violence extrême.
Chez les vertébrés, les accidents rapides dus à la trop
grande tension de l’oxygène ne commencent à se manifester
qu’au moment où l’hémoglobine étant saturée d’oxygène, ce
gaz entre à l’état de simple dissolution au contact des tissus.
On peut donc dire que les éléments anatomiques sont anaé-
robies.
C. — Les diastases, les venins, les virus vrais, résistent à
l’action de l’oxygène à haute tension.
D. — I ,es effets fâcheux de la diminution de pression
peuvent être efficacement combattus par la respiration
d’un air suffisamment riche en oxygène pour maintenir à la
valeur normale (20,9) la tension de ce gaz.
Ceux de l’augmentation de pression le seront en employant
de l’air assez pauvre en oxygène pour arriver au même
résultat.
E. — D’une manière générale, les gaz favorables ou nui-
sibles (oxygène, acide carbonique, etc.) n’agissent, sur les
êtres vivants que suivant la tension qu’ils possèdent dans
l’atmosphère ambiante, tension qui se mesure en multi-
pliant leur proportion centésimale par la pression baromé-
trique; l’augmentation de l’un des facteurs peut être com-
pensée par la diminution de l’autre.
F. — - Lorsque les animaux possèdent des réservoirs d’air
soit complètement clos (vessie natatoire des poissons aean-
thoptérygiens, etc.), soit en communication avec l’air pen-
dant la décompression seule (vessie natatoire des Cyprins,
intestins des vertébrés aériens, etc.), soit en communication
avec l’air pendant la compression comme pendant la décom-
pression, mais par des orifices trop étroits (poumons des ver-
CONCLUSIONS GÉNÉRALES.
1155
tébrés aériens, etc.), la diminution ou l’augmentation de
pression peuvent avoir des effets physico-mécaniques.
G. — La décompression brusque à partir de plusieurs at-
mosphères n’a d’effet (sauf réserve pour quelques cas compris
dans la conclusion F) qu’en laissant revenir à l’état libre
l’azote qui s’était, à la faveur de la pression, dissous dans le
sang et les tissus.
H. — Les êtres actuellement existants à l’état sauvage sur
la surface du globe sont accommodés au degré de tension
oxygénée sous laquelle ils vivent : toute diminution, toute
augmentation paraît leur être défavorable quand ils sont dans
l’état de santé.
La thérapeutique peut tirer un parti utile de ces modifica-
tions dans divers états pathologiques.
L — La pression barométrique et la proportion centési-
male de l’oxygène n’ont pas toujours été les mêmes sur notre
globe. La tension de ce gaz a vraisemblablement été et
continuera sans doute d’aller en diminuant. C’est là un fac-
teur dont on n’a pas encore tenu compte dans les spécu-
lations biogéniques.
La puissance de réaction contre cés diverses modifications
conduit à supposer que les êtres microscopiques ont du appa-
raître les premiers et qu’ils disparaîtront les derniers,
lorsque la vie s’éteindra par insuffisance de tension d’oxygène.
K. — Il est inexact d’enseigner, comme on le fait d’ordi-
naire, que les végétaux ont dû apparaître sur la terre avant
les animaux, afin de purifier l’air de la grande quantité de
CO2 qu’il contenait. En effet, la germination, même celle des
moisissures, ne se fait pas dans l’air assez chargé de CO2 pour
être mortel aux animaux à sang chaud.
Il F est tout autant, ainsi que je l’ai fait il y a longtemps
observer, d’expliquer l’antériorité des reptiles par rapport
aux animaux à sang chaud, par l’impureté de l’air souillé de
trop de CO2; les reptiles, en effet, redoutent ce gaz plus
encore que les oiseaux, et surtout que les mammifères.
ANNEXES
i
Tableau indiquant très-approximativement les rapports entre la hauteur et
l'altitude de la colonne barométrique (les hauteurs calculées sont em-
pruntées au livre de M. Jourdanet, t. Il, p. 331).
Col. barom. Hauteur
en centimètres, en mètres.
76
0
75
105
74
212
73
521
72
450
71
542
70
655
69
769
68
886
67
1004
66
1125
05
1245
64
1568
63
1494
62
1621
61
1751
60
1882
59
2016
58
2152
57
2291
56
2432
55
2575
54
2721
55
2874
52
3022
51
3176
50
5534
49
3495
48
5659
47
3827
46
5998
45
4173
44
4552
43
4535
42
4723
41
4911
40
59
5515
38
5520
37
5732
36
5950
55
6174
54
6405
55
6643
52
6888
51
7141
50
7402
29
7674
28
7951
27
8241
26,2
8600
24,8
8840
Orthez (!05ra) ; Reims (109®).
Dijon (217®) ; Tulle; (222®).
Tarbes (302®); Epinal (317™) ; Privas (534®).
Brioude (424m) ; Gibraltar (458™).
Bagnères (556™); Tolède (563®).
Le l’uv (625®); Grenade (681"’).
Gap (729®).
Burgos (875m).
L’Escurial (995®); Chamounix (1020m).
Barcelonnette ( 1 1 30 m ) .
Cormayeur (1218®); le Ballon d'Alsace (1250®).
Hispahan (1340®).
Le Puy de Dème (1476®).
Porté, le village le plus élevé des Pyrénées (1625®).
Le mont Ossa (1755®).
Le pic de Sancy (1897®); Erzeroum (1860®).
Le col du Simplon (2020®).
Le col du petit Saint-Bernard (2160®).
Mexico (2290®).
L’hospice du grand Saint-Bernard (2470™) ; le Parnasse (2470™)
Santa-Fé de Bogota (2560®).
Le col du mont Yiso (2700®); le mont Cinto (Corse) (2710®).
Quinto (2910™).
Endschetkab en Abyssinie (2960®); l’Olympe (2975®).
Le Simplon (3200®).
L’Etna (3310®) ; le mont Perdu (3350®).
Le pic de Nethou (3405®) ; Cuzco (3470®); Leh (3505™).
Le Mont-Cenis (3620®); le pic de Ténériffe (3715®); la Paz (3720®).
Le mont Argée (3840®).
Le lac de Titicaca (3915®).
La Yungfrau (4170®) ; l’otosi (4165®).
Cerro de Pasco (4350®); le village de C! ushul (4390™).
Le Mischabel (4550®); le monastère de IL, nie (4610®).
Le Mont-Blanc (4816™); le tunnel de la Oroya (4760®); le poste de
Rumihuani (4740®).
Le Pichincha (4860®); le village de Thok-Djalank (4980™).
5111 Le Kasbek (5030®) ; le grand Ararat (5155™) ; les mines de
Villacota (5042™).
Le Popocatepetl (5120™).
L’Elbruz ^5620®) ; la passe de Karakorum (5650®).
La passe de Parang (5835®).
Le Cotopaxi (5945™).
Le Kilimandjaro (6110™) ; le Misti (6100™).
Le Cliimborazo (6420®).
Le Cerro de Potosi (6620®).
L’Aconcagua (6835™).
Le Doukia (7070®); le ballon de Robertson (7170®).
Le Cliamalari (7300™); rillimani (7310®).
Le Sorate (7560®).
Le Barathor (7950™).
Le Dawalaghiri (8185™).
Crocé spinelli, Sivel et Tissandier, en ballon.
Le mont Everest (8840®); le ballon de Glaislier (8838™); moi, dans
mon appareil (voy. p. 761).
ANNEXES.
1157
Iï
Analyse du récent travail de M. le D1' Mermod .
Au moment de donner le bon à tirer de cette dernière feuille, je reçois
de M. le D‘ Mermod, dont j’ai déjà parlé (voy. page 545), un travail trop
intéressant pour que je puisse le passer sous silence.
M. Mermod a comparé les phénomènes respiratoires et circulatoires
observés sur lui-mème, pendant des séjours de plusieurs mois à Sainte-
Croix (U00in), Lausanne (61 4m), Erlangen (545m) , et Strasbourg (142m).
Après avoir rappelé ses anciennes observations sur l’accélération du
pouls, il constate (en contradiction sur ce point avec cc qu’ont dit les
auteurs qui l’ont précédé, voy. p. 510, 1057) que la fréquence des mou-
vements respiratoires est restée la môme à Sainte-Croix et à Strasbourg;
d’où il résulte évidemment que le rapport entre le nombre des respi-
rations et celui des battements du cœur a diminué par l’habitation d’une
station plus élevée. La température du corps est restée invariable.
Mais la partie la plus importante du travajl de M. Mermod est celle où
il compare l’exhalation de l’acide carbonique dans les deux stations
extrêmes.
Les moyennes des résultats qu’il a obtenus peuvent être résumées
dans le tableau ci-dessous :
Strasbourg Sainte-Croix
(II U2™ ; 0 12°, 63; F 715™™.) (II 1100™; 0 12°, 68; F 669mm.
Nombre de respirations par minute 11,15 11,24
Volume du gaz expiré par minute "5',85 6'. 27
Ce même volume, réduit à 0° et 760mm 5',48 5*,27
Volume de chaque expiration 524oc 557cc
Ce même volume réduit à 0° et 760'ntn 4'HC0 469cc
Poids de CO- expiré par minute 0er,375 0sr,402
Proportion centésimale de CO2 dans l’air expire. 5,507 0,098
On tire de ces chiffres les conclusions suivantes:
1° Le volume de l’air qui circule dans les poumons pendant un temps
donné, et celui qui s’y introduit par une seule inspiration, sont plus grands
à Sainte-Croix qu’à Strasbourg ; mais leur poids est plus petit;
2° La quantité d’acide carbonique exhalée dans un temps donné et sa
proportion centésimale dans l’air expiré, sont plus grandes à Sainte-Croix
qu’à Strasbourg.
Je n’ai aucune critique à élever contre les méthodes d’expériences et
d’analyses employées par M. Mermod, et je liens ses résultats pour exacts
dans les conditions où il les a obtenus.
Mais peut être serait-il prématuré de généraliser les conclusions pré-
cédentes, même pour les écarts de niveau auxquels ont été faites les obser-
vations.
L’auteur ne nous renseigne pas suffisamment sur les conditions et les
époques de ses recherches; il dit seulement qu’à Strasbourg il a opéré
pendant l’hiver, et à Sainte-Croix pendant l’automne. Mais s’agit-il de
1158
ANNEXES.
la même année, ou d’années différentes? Dans ce dernier cas, il aurait,
pu survenir dans sa constitution des modifications qui expliqueraient les
changements observés dans les résultats expérimentaux ; or, M. Mermod
ne parle même pas du poids de son corps, il est probable, d’autre part,
que son régime de vie, en dehors de la nourriture sur laquelle il donne
quelques détails, n’était pas le même sur la montagne et dans la ville, et
il peut y avoir là une certaine influence sur la production de l’acide car-
bonique dans un temps donné.
A plus forte raison, il ne paraît pas permis d’appliquer, comme tend à
le faire M. Mermod, les résultats qui précèdent à l’habitation dans les
régions très-élevées, où se fait sentir le bis ou le soroche. Là, l’état
maladif des voyageurs et même des indigènes contraste singulièrement
avec le sentiment de mieux-être que presque tout le monde éprouve aux
faibles altitudes où a observé notre auteur. Nous renvoyons à ce que nous
avons dit, pages 1105 et suivantes, sur la comparaison des faibles hau-
teurs (au-dessus de 2000,n) avec les (fraudes hauteurs , au point de vue
des effets de l’habitation prolongée.
Je ne saurais trop engager M. Mermod à compléter ses intéressantes
expériences en nouant le cercle, c'est-à-dire en recommençant ses ana-
lyses à Sainte-Croix, lieu où il avait opéré avant Strasbourg; s’il retrouve
les mômes nombres, il aura levé toutes les objections, pour ce qui est des
bas niveaux. Il serait, enfin, de la plus haute importance d’observer sui-
vant les mêmes méthodes à la Paz (5720m) ou à Cerro de Pasco (4350m).
Je ne dirai qu’un mot, en terminant, à propos d’une question de priorité
soulevée par M. Mermod. A l’entendre, .son maître, l’éminent chimiste
Iloppe-Seypler aurait, seize ans avant moi, découvert la cause de la mort
par décompression brusque, et la raison fondamentale du mal des mon -
teignes.
Il rapporte, pour ce dernier point, une page remarquable du mémoire
que j’ai moi-même cité (p. 258), page que je signerais volontiers aujour-
d’hui. Mais ce passage ne marque que la pénétration d’esprit de son
auteur ; c’est une pure hypothèse que combattent même les propres expé-
riences deHoppe, et à laquelle il renonce quand il s’agit d’expliquer la
mort des animaux soumis à l’air raréfié. Quant à la part qui lui revient
dans l’explication de la mort des animaux brusquement décomprimés à
partir de plusieurs atmosphères, je l’ai indiquée à la page 474 de ce
livre.
Mais je n’insiste pas sur ces questions de priorité qui n’ont jamais qu’un
intérêt fort médiocre.
TABLE DES GRAVURES
Fig. 1. — Lortet. Tracé respiratoire pris à Lyon (200m) 120
Fig. 2. — Lortet. Tracé respiratoire pris au sommet du mont Blanc (4810m),
après une heure de repos. 120
Fig. 3. — Cupelain : Chamounix (1000m) 121
Fig. 4. — Grands-Mulets (3000m) à minuit, une demi-heure avant le départ.. . 121
Fig. 5. — Sommet du mont Blanc (4810m). r 121
Fig. 6. — Fonçage d’une pile de pont par les tubes à air comprimé. 386
Fig. 7. — Scaphandrier pourvu du régulateur Denayrouze, costume complet. . 409
Fig. 8. — Scaphandrier pourvu du régulateur Denayrouze, ayant ôté son masque. 411
Fig. 9. — L'établissement aérothérapeutique du docteur Carlo Fornanini , à
Milan. 429
Fig. 9 bis. Moditicadons de la respiration dans l’air comprimé 443
Fig. 10. — Modifications delà circulation dans l’air comprimé.. , 443
Fig. 11. — Id 444
Fig. 12. — Id 444
Fig. 13. — Id 445
Fig. 14. — Id 449
Fig. 15. — Appareil à quatre plaques pour expériences sur la diminution de
pression 528
Fig. IG. — Pompe à mercure disposée pour l’extraction des gaz du sang. . . . 531
Fig. 17. — Composition de l’air confiné devenu mortel à des pressions inférieures
à une atmosphère. ... 549
Fig. 18. — Variations dans la tension de l’oxygène contenu dans l’air comprimé
devenu mortel à diverses pressions moindres qu’une atmosphère. 551
Fig. 19. — Rapports entre la tension cle l’oxygène. . . 557
Fig. 20. — Appareil cylindrique en verre pour hautes pressions (25 atmosphè-
res), en charge d’air suroxygéné 582
Fig. 21. — Air confiné devenu mortel sous pression 599
Fig. 22. — Air confiné devenu mortel sous des pressions de 20 cent, à 24 atm. . 008
Fig. 23. — Seringue graduée pour l’extraction du sang 614
Fig. 24. — Pompe à mercure disposée pour l’extraction des gaz du sang. . . . 615
Fig. 25. — Petite cuve à mercure 622
Fig. 26. — Soufflet pour la respiration artificielle 625
Fig. 27. — Grand appareil pour l’étude des faibles pressions 631
Fig. 28. — Chien préparé pour être placé dans les cylindres de la ligure 27, et
servir à l’extraction du sang sous pression diminuée 633
Fig. 29. — Diverses formes de sondes pour l’extraction du sang sous diminution
de pression 655
TABLE DES GRAVURES.
1160
Fig1. 50. — Extraction du sang d’un animal placé sous diminution de pression. C56
Fig. 31. — Diminution des quantités d’O et de CO2 contenues dans le sang arté-
riel, quand la pression barométrique diminue. G45
Fig. 52. — Diminution centésimale de l’O et du CO2 du sang artériel quand la
pression barométrique diminue 048
Fig. 55 — Grand appareil à air comprimé, cylindre de tôle d’acier supportant
12 atmosphères 655
Fig. 54. — Extraction du sang d’un animal placé dans l'air comprimé 657
Fig. 55. — Variations des gaz du sang aux pressions supérieures à une atmo-
sphère 662
Fig. 56. — Augmentation de l’oxygène du sang artériel de 0 à 10 atmosphères et
de 0 à 28 atmosphères 664
Fig. 57. — Chien respirant de l’air contenu dans un sac de caoutchouc 670
Fig. 38. — Variations des gaz du sang et de l’oxygène de l’air dans l’asphyxie en
vases clos, l’acide carbonique étant absorbé 674
Fig. 59. — Variations des gaz du sang dans l’asphyxie comparée à la diminution
de pression 676
Fig. 40. — Diminution des gaz du sang artériel et du sang veineux quand dimi-
nue la tension de l’oxygène respiré 681
Fig. 41. — Flacon disposé pour la saturation du sang par l’oxygène sous diverses
dépressions 687
Fig. 42. — Machine à eau agitant le flacon où se trouve le sang à saturer d’oxy-
gène 688
Fig. 43. — Capacité d’absorption du sang pour l’oxygène aux pressions infé-
rieures à une atmosphère 091
Fig. 44. — Appareil destiné à mettre le sang au contact de l’air sous une cer-
taine diminution de pression 695
Fig. 45. — Appareil pour saturer d’air le sang à de hautes pressions 097
Fig. 46. — Capacité du sang pour l’oxygène, depuis le vide jusqu’à 18 atmo-
sphères d’air 700
Fig. 47. — Modification du nombre des mouvements respiratoires sous l’influence
de la décompression. (Chiens, lapins.) .... 715
Fig. 48. — Idem. (Cochon d’Inde, expér. CCXXVII) 715
Fig. 49. — Modifications simultanées du nombre des mouvements respiratoi-
res R et des pulsations P sous l’influence de la décompression. (Chat,
expér. CCXXI.) 717
Fig. 50. — Idem. (Chien, expér. CCXVIII.) 718
Fig. 51. — Idem. (Chien, expér. CCXVII.) 718
Fig. 52. — Consommation d’O et production de CO2 aux différentes pressions. . 726
Fig; 53. — Asphyxie sans acide carbonique 743
Fig. 54. — Maxima et minima de la pression cardiaque dans l’asphyxie sans acide
carbonique 744
Fig. 55. — Oiseau dans un air de plus en plus dilaté et de plus en plus oxygéné. 748
Fig. 56. — Respiration d’un air suroxygéné, dilaté par la diminution de pres-
sion .... 750
Fig. 57. — Modifications brusques du nombre des pulsations par des respirations
intermittentes d’air suroxygéné 755
Fig. 58. — Modifications dans les battements du pouls, pendant la décompression,
par la respiration continue d’oxygène. (Expér. CCLVI.) 760
Fig. 59. — Idem. (Expér. CCLVII.) 762
Fig. 60. — Chiens empoisonnés par l’oxygène 797
Fig. 61. — Chien pendant les convulsions toniques de l’empoisonnement par
l’oxygène. 800
Fig. 62. — Appareil de M. Jourdanet pour l’emploi thérapeutique de l’air com-
primé ou de l’air dilaté. 819
Fig. 63. — Compteur à gaz pour la mesure des mouvements respiratoires. ... 821
Fig. 64. — Appareil à double soupape pour l’étude de la respiration 822
TABLE DES GRAVURES. 1161
Fig'. 65. — Appareil permettant l’étude chimique de la respiration d’un animal
maintenu pendant un temps quelconque dans un air de composi-
tion constante 850
Fig. 66. — Appareil pour la constatation des variations de la tension aérienne
intra-pulmonaire 836'
Fig. 67. — Variations de la tension intra-thoracique. Pression normale 857
Fig. 68. — Idem. Air comprimé 837
Fig. 69. — Tension du sang dans la fémorale. Pression normale 858
Fig. 70. — Idem. Air comprimé 858
Fig. 71. — Tension du sang dans l’artère carotide. Pression normale 859
Fig. 72. — Idem. Air comprimé 859
Fig. 73. — Idem. Pression normale 859
Fig. 74. — Consommation d’oxygène et production de CO"2 par un morceau de
viande dans une atmosphère de richesse oxygénée constante. . . . 884
Fig. 75. — Mort par l’acide carbonique; altérations de l’air du sac. (Exp. DCXV.) . 1004
Fig. 76. — Mort par l’acide carbonique; modifications dans la composition des
gaz du sang, la respiration et la circulation. (Exp. DCAV.). . . . 1006
Fig. 77. — Mort par l’acide carbonique; rapport de la respiration et de la circu-
lation avec la richesse en CO2 du sang. (Exp. DCXV.) 1008
Fig. 78 — Mort par l’acide carbonique; derniers mouvements respiratoires.
(Exp. DCXV.) 1009
Fig. 79. — Mort par asphyxie en vase clos : gaz de l’air. (Exp. DCXL.) 1025
Fig. 80. — Idem : gaz du sang. (Exp. DCXXX1V.) 1024
Fig. 81. — Rapport entre la richesse en oxygène de l’air et celle du sang. . . . 1025
Fig. 82. — Pouls au col du Riffel (2780m), pendant le mal des montagnes. . . . 1050
Fig. 83. — Pouls à la Sattel-Tolle (450Um) 1051
Fig. 84. — Pouls au Riffel (2569ra), repos au retour 1052
Fig. 85. — Pouls à M orges (380m), repos absolu 1052
Fig. 86. — La nacelle du Zénith dans les hautes régions de l’atmosphère . . . . 1065
Fig. 87. — Diagramme de l’ascension à grande hauteur du 15 avril 1875. . . . 1069
Fig. 88. — Portrait de Sivel 1070
Fig. 89. — Portrait de Crocé-Spinelli 1071
TABLE DES MATIÈRES
Préface,
PREMIÈRE PARTIE. — HISTORIQUE-
TITRE PREMIER. — DIMINUTION DE PRESSION.
Chapitre préliminaire : Les régions élevées iuj globe
Europe
Asie
Amérique
Afrique
Iles
Résumé
Neiges éternelles
Êtres vivants
Chapitre premier. — Les voyages en montagnes
§ 1er. — Amérique méridionale
Les conquérants. — Acosta. — De Herrera. — Frezier. — Bouguer. — La
Condamine. — Don Ulloa. — A. de Humboldt. — Guerres de l’Indépendance.
— S. ilaigli. — Miers. — Caldcleugli. — Schmidtmeyer. — Grand. — De la
Touanne. — Temple. — Bollaert. — D’Orbignv. — Pœppig. — Boussingault.
— Meyers. — Ch. Darwin. — Smyth et Lowe. — Arch. Smith. — Cl. Gay.
— Von Tscliudi. — De Castelnau. — Weddell. — De Saint-Cricq. — Gillis.
— Lloyd. — Grandidier. — Burmeister. — Markham. — Martin de Moussy.
— Mateo Paz Soldan. — Guilbcrt. — Pellegrino Strobel. — Focke et Mossbach.
— Pissis. — Wisse. — J. Rémy. — Stuebel.
g 2. — Amérique centrale et septentrionale
Wafer. — Dollfus et de Montserrat. — Barkhardt. — Elliotson. — Glennie.
— Gros. — Truqui et Craveri. — Laverrière. — Commission scientifique du
Mexique. — Von Muller. — Frémont. — Gunnisson. Ilines. — Williamson.
— Coleman.
§ 5. — Etna
Bembo. — Filoteo. — Fazello. — Borelli. — Riedesel. — Demeunier. —
Iloüel. — Delon. — Dolomier. — Spallanzani. — Ferrara. — De Gourbillon.
— De Forbin. — De Sayve.
i
3
3
7
10
13
16
IG
17
18
19
23
23
64
75
TABLE DES MATIÈRES.
§ 4. — Pic cle Tênériffe
R. Bovle. — Edens. — Feuillée. — Glas. — Riche et Blavier. — De Htirn-
boldt. — Cordier. •— L. de Bucli. — Dumont d’Urville. — Le Guillou.
Ch. Sainte-Glaire Deville. — Itier. — Madame Murray.
§ 5. — Alpes
Bourrit. — Laborde. — De Saussure. — Beaufoy. — Forneret et Dorthe-
ren; — De Lusy. — Van Reusselaer. — Ilamel. — Clissold. — Clark et Sher-
will. — Hawes et Fellowes. — Auldjo. — Meyer. — Parrot. — Vincent et
Zumstein. — Molinatti. — Hugi. — H. Cloquet. — Martin Barry. — Atkins. —
Mademoiselle d’Angeville. — Desor. — G. Studer. — Spitaler. — Forbes. —
Lepileur. — Bravais. — Martins. — Chomel et Crozet. — Tyndall. — T. et
Frankland. — Pitschner. — Piachaud. — Lortet et Marcet. — Durier. —
A. Tissandier. — Hardy. — Tuckett. — Kennedy. — C. Grove. — Visconti. —
Gamard. — Joanne. — Ormsby. — H. Russell.
§ 6. — Pyrénées
Rob. Boyle.— Dralet. — Ramond. — Arbassière. — Cordier et Néergaard.-—
Parrot. — De Franqueville. — Russell-Killough. — Le Mulahacen.
g 7. — Caucase. — Arménie. — Perse
Engelhardt et Parrot. — Kupffer. — Sjôgrun. — Radde. — Douglas. —
Freshfield. — Gardiner.
Rob. Boyle. — Tournefort. — - Parrot. — Chodzko. — Radde et Sievers. — -
Hamilton.
Taylor Thomson. — R. F. Thomson.
§ 8. — Asie centrale. .
Marco-Polo. — Hiouen. — Tsang. — Itinéraire chinois. — Missionnaires. —
S. Turner. — Th. Hardwicke. — Moorcroft. — Fraser. — Webb. — Les frères
Gérard. — Johnson. — V. Jacquemont. — Wood. — Burnes. — Le père Hue.
— Iloffmeister. — Th. Thomson. — Dalton Hooker. — Robertson. — Mis-
Iress Ilervey. — Oliver. — Cheetam. — Semenof. — Les frères Schlagintweit.
— Godwin-Austen. — Les Pundits. — Le Mirza. — Hayward. — Faiz Buksh.
— Henderson. — Hume. — Drew.
§ 9. — Afrique
Burton. — Mann.
Rebmann. — De Decken. — New.
§ 10. — Volcans du Pacifique
Low. — Brooke.
Braddel.
Rutherford Alcock. — Gubbins. — Jeffreys.
Byron. — D. Douglas. — Lœvenstern. — Wilkes.
Chapitre II. — Ascensions en ballon
Charles et Robert. — Lcullier-Duché. — Testu-Brissy. — Blanchard. —
De Lalande. — Robertson. — Garnerin. — Zambeccari. — Biot et Gay-Lus-
sac. — Andreoli. — Beaufoy et Sadler. — Madame Blanchard. — Eug. Ro-
bertson. — Green. — Comaschi. — Hobard. — Barrai et Bixio. — Welsh. —
Glaisher — Crccé-Spinelli et Sivel. — Simons.
Chapitre III. — Théouies et expériences
«Acosta. — Fr. Bacon. — Académie del Cimento. — Van Mussclienbroeck. —
Robert Boyle. — Huyghens et Papin. — Beale. — Veratti. — Cigna. — Darwin.
— Borelli. — Bouguer. — Ulloa. — Haller. — De Luc. — Bourrit. — De Saus-
sure. — Fodéré. — Halle et Nysten. — Courtois. — Legallois. — Dralet. —
Gondret. — Fraser. — Govan. — Les frères Gérard. — Hodgson. — H. Cloquet.
— Clissold. — Boulin. — J. Davy. — Rostan. — Cunningham. — Burdach. —
Pœppig. — Boussingault. — De Humboldt. — Junod. — Magendie. — Favre.
— Barry. — Martins. — Rey. — Tschudi. — A. Smith. — Ilill. — Maissiat. —
Fleclmer. — Brachet. — Castel. — Vierordt. — Lepileur. — A. Vogt. — Le
1 165
79
84
129
132
158
175
175
179
204
1164
TABLE DES MATIERES.
père Hue. — Przevalski. — Pravaz. — Payerne. — Marchai de Calvi. — Spoer.
— Meyer-Alirens. — Lombard. — Valentin. — Heusinger. — Giraud-Teulon.
— F. Hoppe. — Fernet. — Longet. — Gavarret. — Duval. — Lombard. —
Martins. — Guilbert. — Jourdanet. — Ses discussions avec Coindet. — Cava-
roz. — Tardieu. — Foley. — Liguislin. — Leroy de Méricourt. — Gavarret.
— A. Dumas. — Scoutetten. — Kaufmann. — Coindet. — Gavarret. — Von
Vivenot. — Flemeing. — Bouchard. — Béclard. — Hudson. — Piachaud. —
Lortet. — Marcet. — Forel. — Clifford— Albutt. — Dufour. — Javelle. — Tyndall.
— Durier. — Russell-Killough. ■ — Mistress llervey. — Henderson. — Drew. —
Burton. — Huart. — Jaccoud. — Armieux. — Gosse. — Jourdanet. — L’Aca-
démie de Médecine en 1875. — Virlet d’Aoust.
ChapHre SY. — Résumé et critiques . 526
§ 1er. — Conditions d’ apparition du mal des montagnes 527
§ 2. — Symptômes du mal des montagnes . . 541
§ 5. — Explications théoriques 549
Exhalaisons pestilentielles. — Électricité. — Pauvreté de l’air en oxygène.
— Fatigue, froid. — Théories de M. Lortet et de M. Dufour. — Diminution du
poids supporté par le corps. — Sortie des gaz du sang. — Dilatation des gaz
intestinaux. — Relâchement de l’articulation coxo-fémorale. — Autres actions
mécaniques. — Extès d’acide carbonique dans le sang. — Théorie de de Saus-
sure et de Martins — Théorie de M. Jourdanet.
TITRE II. — AUGMENTATION DE PRESSION
569
Chapitre preEünicr. — Fortes pressions 571
§ 1er. — Cloches à plongeurs 571
Sturmius. — Ilallev. — Spalding. — Brizé-Fradin. — Ilamel. — Col—
ladon.
§ 2. — Appareils construits d'après la méthode Triger 574
Papin. — Triger. — Trouessart. — De la Gournerie. — Blavier. — Pol et
Watelle. — Comte. — Bouliy. — Brunei. — Cézanne. — Regnauld. — Babing-
ton et Cuthbert. — François. — Bucquoy. — Foley. — Nail. — llermel. —
Limousin. — Bayssellance. — Gallard. — Triger. — Barella. — Eads. —
Bauer. — Malézieux. — Renseignements inédits.
§ 5. — Plongeurs à scaphandres 40
Borelli. — Halley. — Leroy de Méricourt. — Denayrouze. — Gai. — Sampa-
darios.
Chapitre II. — Faibles pressions 428
Junod. — Tabarié. — Pravaz. — Milliet. — Sandahl. — Tutschek. —
G. Lange. — Vivenot. — Freud. — Elsâsser. — Panum. — G. Liebig. —
Mayer. — Marc.
Chapitre III. — Explications théoriques et expériences 458
Borelli. — Musschenbroeck. — Haller. — Achard. — Brizé-Fradin. — Hallé
et Nysten. — Poiseuille. — Maissiat. — Hervier et Saint-Lager. — Pravaz. —
Pol et Watelle. — A. Guérard. — Milliet. — Eug. Bertin. — Hoppe. — Fran-
çois. — Bucquoy. — llennel. — Foley. — Caffe. — Babington et Cuthbert. —
Sandahl. — Tutschek. — Vivenot. — G. Lange. — Elsâsser. — Panum. —
G. Liebig. — Gavarret. — Leroy de Méricourt. — Bouchard. — Gai.
Chapitre IV. — Résumé et critiques 508
§ 1er. — Action physiologique de l'air comprimé 508
A. Phénomènes dus à la compression 509
B. Phénomènes dus à la décompression 512
TABLE DES MATIÈRES. 1165
2. — Explications théoriques 513
A. Phénomènes dus à la compression 514
Explications physico-mécaniques. — Explications chimiques.
B. Phénomènes dus à la décompression 520
SECONDE PARTIE- — EXPÉRIENCES.
Chapitre premier. — Des conditions chimiques ie la mort, en vases clos, des
ANIMAUX SOUMIS A DIVERSES PRESSIONS BAROMÉTRIQUES 525
Sous— chapitre premier. — Pressions inférieures à celle d’une atmosphère 527
§ 1er. — Dispositif expérimental 527
§ 2. — Expériences 556
A. Expériences faites sur les oiseaux 556
B. Expériences faites sur les mammifères 569
G. Expériences faites sur les animaux à sang froid 578
§ 5. — Conclusions 579
Sous— chapitre ii. — Pressions inférieures à celle d’une atmosphère 580
§ 1er. — Dispositif des expériences 580
§ 2. — Expériences 585
A. Compressions avec de Pair ordinaire 585
B. Air suroxygéné; pressions inférieures à une atmosphère 589
G. Air comprimé à très-haute pression; action funeste de l’oxvgène 594
D. Compression avec de l’air pauvre en oxygène COO
E. Compression avec de Pair suroxygéné 601
F. Compression avec de Pair ordinaire; élimination de l’acide carbonique. . 606
§ 5. — Conclusions 609
Sous-chapitre iii. — Résumé et conclusions 610
Chapitre II. — Des gaz contenus dans le sang aux diverses pressions barométriques. 615
Sous-cha titre premier. — Méthode opératoire et critique expérimentale . 615
Sous-chapitre ii. — Des gaz du sang sous des pressions inférieures à celle d’une
atmosphère * 650
§ 1er. — Dispositif des expériences 650
§ 2. — Expériences 657
Sous-chapitre iii. — Des gaz du sang sous des pressions supérieures à celle cl’une
atmosphère 654
g 1er — Dispositif des expériences 654
§ 2. — Expériences 658
Sous-chapitre iv. — Des gaz du sang dans l’asphyxie comparée à la diminution de
pression 670
Sous-chapitre v. — De la quantité d’oxygène que peut absorber, aux diverses pres-
sions barométriques, le sang tiré des vaisseaux 685
g 1er. — Pressions inférieures à une atmosphère 687
§ 2. — Pressions supérieures à une atmosphère . . 697
Chapitre III. — Phénomènes présentés par les animaux soumis a des pressions infé-
rieures a celle de l’atmosphère 705
Sous-chapitre premier. — Accidents de la décompressions 706
§ 1e,‘. — Respiration 712
1166
TABLE DES MATIÈRES.
§ 2. — Circulation „ . . . 716*
§ 5. — Digestion 719
§ 4. — Innervation et locomotion. . 720
§ 5. — Nutrition 723
Phénomènes chimiques de la respiration. — Excrétion urinaire. — Sucre
du foie et du sang, glycosurie. — Température. — Développement.
§ G. — Limite inférieure de pression 735
§ 7. — Mort 738
Sous-chapitre h. — Comparaison des phénomènes de la décompression avec ceux
de l’asphyxie en vases clos 740
Sous* chapitre ni. — Des moyens de conjurer les accidents de la décompression. . . 746
Chapitre IV. — Action de l’air comprimé sur les animaux. 764
Sous-chapitre premier. — Action toxique de l’oxygène à haute tension 764
§ 2. — De la diminution des oxydations par V empoisonnement d'oxygène . . . 802
Échanges pulmonaires. — Excrétion de l’urée. — Sucre du sang, glyco-
surie.
§ 5. — Animaux aquatiques ou invertébrés 812
Sous— chapitre ii. — Action de l’air comprimé à de faibles pressions 816
g 1er. — Séjour peu prolongé clans l'air comprimé 818
A. Expériences faites sur moi-même 818
B. Production d’urée; expériences sur des chiens 828
C. Phénomènes chimiques de la respiration. . . 829
D. Capacité pulmonaire 833
E. Pression intra-pulmonaire 856
F. Tension artérielle 838
§ 2. — Séjour prolongé dans l'air comprimé 841
Chapitre V. — Influence des modifications de la pression barométrique sur les
végétaux 845
Sous-chapitre premier. — Pressions inférieures à celle d’une atmosphère 848
§ 1er. — Germination 848
§ 2. — Végétation 854
Sous-chapitre ii. — Pressions supérieures à celle d’une atmosphère 856
§ 1er. — Germination 856
A. Pressions fortes avec air peu oxygéné 859
B. Pression normale ; air suroxygéné 861
C. Faibles pressions ; air suroxygéné. . 862
§ 2. — Végétation 865
Sous-chapitre ni. — Résumé 866
Chapitre VI. — Action des modifications de la pression barométrique sur les fer-
ments, les venins, les virus et les éléments anatomiques 867
Sous-chapitre premier. — Fermentations par organismes 869
§ 1er. — Putréfaction 869
A. Viande 869
Bi Sang * 888
C. Œufs 890
§ 2. — Coagulation du lait. * 892
§ 3. — Altération de l'urine 895
§ 4. — Levure de bière 898
§ 5. — Ferments du vin 899
§ 6. — Moisissures 904
Sous-chapitre ii. — Fermentations diastasiques 909
TABLE DES MATIÈRES.
1167
§ 1er. — Salive et diastase 909
§ 2. — Pepsine 912
§ 5. — Ferment inversif de la levûre 913
§ 4. — Myrosine 915
§ 5. — Émulsine 913
Sous-chapitre iii. — Action de l’oxygène à haute tension sur les éléments anatomi-
ques 914
Sous-chapitre iv. — De l’emploi de l’oxygène à haute tension comme méthode expé-
§ 1er. — Blettissement des fruits 919
§ 2. — Maturation des fruits 920
§ 3. — Venins 921
§ 4. — Virus 922
A. Vaccine 922
B. Morve 923
C. Charbon et sang de rate 924
Sous-chapitre v. — Résumé 926
Chapitre VII. — Des effets des changements brusques dans la pression barométrique. 950
Sous-chapitre premier. — Influence des augmentations brusques de pression. . . 930
Sous-chapitre ii. — Influence de la diminution brusque de pression à partir d’une
atmosphère 932
Socs-chapitre iii. — Influence de la diminution brusque de pression à partir de
plusieurs atmosphères 939
g 1er. — Décompression en un seul temps 930
À. Expériences faites sur des moineaux 939
B. Expériences faites sur des rats 941
C. Expériences faites sur des lapins 942
D. Expériences faites sur des chats . 942
E. Expériences faites sur des chiens .' 944
§ 2. — Décompression lente ou en plusieurs temps 956
5. — Résumé et conséquences des expériences précédentes 960
Sous-chapitre iv. — Prophylaxie et traitement des accidents de la décompression
brusque. 974
Sous-chapitre v. — Piésumé 980
Chapitre VIII. — Questions diverses 982
Sous-chapitre premier. — Action de l’acide carbonique sur les êtres vivants. . . . 982
§ l6*-. — De la tension mortelle de l'acide carbonique dans l'air ambiant. . . 985
§ 2. — De la dose mortelle de l' acide carbonique dans le sang 985
§ 5. — De V accumulation de l'acide carbonique dans les tissus 997
§ 4. — Symptômes et mécanisme de V empoisonnement par l'acide carbonique . 1003
§ 5. — Action de l' aciclc carbonique sur les êtres vivants inférieurs 1015
§ 6. — Résumé et conclusions . . 1018
Sous-chapitre ir. — Asphyxie * 1019
Sous-chapitre iii. — Observations sur les ga t du sang 1028
TROISIÈME PARTIE. — FAITS RÉCENTS, RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS.
Chapitre premier. — Diminution de pression 1043
Sous-chapitre premier. — Observations, théories et critiques récentes 1043
Bouchut. — Chabert. — Dufour. — Forel. — Tliorpe. — Tempest Ander-
1108
TABLE DES MATIERES.
son. — Calberla. — Ward. — Vaclien. — Crocé-Spinelli, Sivel et G. Tissandier.
— Stobezka. — Campana — Jourdanet.
Sous-chapitre ii. — Résumé et applications pratiques 1081
§ 1er. — Àéronaules. . 1082
§ 2. — Voyageurs en montagnes. 1096
§ 3. — Habitants des hauts lieux 1105
§4. — Vie animale et végétale sur les hautes régions 1116
§ 5. — Applications médicales 1118
Chapitre II. — Augmentation de pression 1119
Sous-chapitre premier. — Observations, théories et critiques récentes ...... 1119
§ lor. — Fortes pressions 1119
Guichard. — Ileiberg.
§ 2. — Faibles pressions. — Appareils médicaux. . 1125
J Pravaz. — G. Liebig. — Léonid Simonoff.
Sous— ®hapitre ir. — Résumé et applications pratiques 1133
g 1er — Fortes pressions 1153
§ 2. — Faibles pressions 1138
§ 5. — • Décompression brusque 1141
§ 4. — - Applications pratiques. — Thérapeutique cl hygiène 1142
§ 5. — Conséquences au point de vue de l'histoire naturelle générale 1149
Chapitre III. — Conclusions générales. 1153
Annexes. — I. Correspondance des hauteurs et des pressions barométriques. . . . 1156
— II. Le nouveau travail de M. le Dr Mermod 1157
Tarle des gravures 1159
Typographie Lahure, rue de Fleurus, 9, à Paris. [17257]
A
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