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Full text of "La pression barométrique : Recherches de physiologie expérimentale"

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RŒ  CNIVERSIÏLIJv 
Mine  &îiodepne  I 
jrr.  s E;i?PRÉ: 
les  Ecoles  60  ! 
PARIS J 


A LA  MÊME  LIBRAIRIE 


REVUE  DES  SCIENCES 

ET  DE  LEURS  APPLICATIONS  AUX  ARTS  ET  A L’INDUSTRIE 

JOURNAL  HEBDOMADAIRE  ILLUSTRÉ 

HONORÉ  PAR  M.  LE  MINISTRE  DE  L’iNSTRUCTION  FUBLIQCE 
D’üNE  SOUSCRIPTION  POUR  LES  BIBLIOTHÈQUES  POPULAIRES  ET  SCOLAIRES 


Rédacteur  en  chef  : GASTON  TISSANDIER 


La  Nature  paraît  le  Samedi  de  chaque  semaine.  Chaque  numéro  est  formé  de  16  pages 
à 2 colonnes,  avec  de  nombreuses  gravures  dans  le  texte. 

Le  journal  parait  depuis  juin  fi  82 3;  il  forme  chaque  année 
2 beaux  volumes  «le  bibliothèque 

Chaque  volume  de  LA  NATURE  contient  environ  500  gravures  sur  bois 

CARTES  ET  DIAGRAMMES 


Le  journal  la  Nature  a pour  but  de  vulgariser  la  science  dans  la  bonne  acception  du 
mot,  c’est-à-dire  sans  l’amoindrir  et  sans  la  dénaturer.  Il  retrace  le  tableau  complet  de 
l’histoire  de  la  science,  dont  l'actualité  lui  fournit  les  sujets.  Il  constitue  un  annuaire,  édité 
avec  grand  luxe,  et  illustré  de  magnifiques  gravures,  de  cartes.,  de  diagrammes,  qui  accom- 
pagnent le  texte  en  l’éclaircissant  sans  cesse.  Le  domaine  dont  il  fait  l’exploration  est  si 
vaste  qu’il  ne  peut  être  parcouru  avec  fruit  que  par  un  grand  nombre  de  spécialistes.  Aussi 
la  rédaction  de  la  Nature  est-elle  formée  d’un  groupe  d’astronomes,  de  physiciens,  de 
chimistes,  de  médecins,  d’ingénieurs,  de  naturalistes,  qui  ne  parlent  que  des  sujets  avec 
lesquels  ils  sont  familiers.  On  a bien  caractérisé  le  journal  la  Nature  en  disant  qu’il  est  à 
la  fois  le  Magasin  ^'Moresque  de  la  science  et  le  Tour  du  Monde  savant  et  industriel.  Il  pé- 
nètre partout  où  se  font  les  grandes  recherches  et  les  importants  travaux;  il  ouvre  à ses 
lecteurs  les  établissements  scientifiques,  les  laboratoires,  les  musées,  les  collections,  les 
usines;  il  suit  l’explorateur  dans  ses  voyages,  il  prend  part  aux  congrès  scientifiques,  aux 
réunions  des  sociétés  savantes;  il  se  fait  l’écho  de  toutes  les  manifestations  du  progrès. 


PRIX  DE  L’ABONNEMENT: 

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A LA  MÊME  LIBRAIRIE 


BIBLIOTHÈQUE  DIAMANT 

Collection  publiée  dans  le  format  m-18  raisin , imprimée  avec  luxe , papier  teinté , 
nombreuses  figures  dans  le  texte,  cartonnage  à l'anglaise , tranches  rouges. 


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teur Eugène  Vincent,  avec  53  figures  dans  le  texte. 

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Par  le  Dr  Lacassagne  , professeur  agrégé  au  Val-de-Grâce  et  à la  Faculté  de 

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d’Auteuil,  1 volume  avec  figures. 

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Rédigé  d’après  les  travaux  et  les  leçons  du  Dr  Onimus,  par  le  Dr  Bonnefoy,  avec 

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Manuel  d’Ohstétrique 

Ou  Aide-Mémoire  de  V élève  et  du  praticien , par  M.  le  Dr  Nielly,  avec  43  figures 

dans  le  texte. 

Manuel  d’Ophthalmoscopie 

Diagnostic  des  maladies  de  V œil,  par  M.  le  Dr  Üaguenet,  avec  11  figures  dans  le 

texte  et  une  échelle  typographique. 


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in  2016 


https://archive.org/details/b2808584x 


LA 

PRESSION  BAROMÉTRIQUE 


PARIS.  — TYPOGRAPHIE  LAHURE 
. Rue  de  Fleurus,  9 


RECHERCHES 


DE  PHYSIOLOGIE  EXPÉRIMENTALE 


PAR 


PAUL  BJRT 

PROFESSEUR  A LA  FACULTÉ  DES  SCIENCES  DE  PARIS 

LAURÉAT  DE  L’ACADÉMIE  DES  SCIENCES 
(Prix  de  physiologie  expérimentale,  186a) 
lauréat  DE  l’institut  (Grand  Prix  biennal,  1875) 


AVEC  89  FIGURES  DANS  LE  TEXTE 


PARIS 

G.  MASSON,  ÉDITEUR 

LIBRAIRE  DE  L’ACADÉMIE  DE  MÉDECINE 

BOULEVARD  SAINT-GERMAIN,  EN  FACE  DE  L’ÉCOLE  DE  MÉDECINE 


M DCGC  LXXVIII 


WELLCOME  INSTITUTE 

LIBRARY 

Col!. 

welMOmec 

Cal! 

No; 

Q/T. 

A H.  LE  DOCTEUR  JOURDANET 


Mon  cher  Confrère, 

C’est  à vous  que  je  dois , avec  l'idée  première  de  ce  travail , 
les  moyens  matériels  de  l'exécuter , moyens  matériels  si  difficiles 
à rassembler.  J'ai  été  bien  heureux  de  voir  V expérimentation 
physiologique  , sur  un  des  points  les  plus  importants  de  ces 
études,  confirmer  entièrement  la  théorie  que  votre  sagacité  avait 
déduite  de  nombreuses  observations  pathologiques  recueillies  sur 
les  hauts  plateaux  mexicains.  A tous  ces  titres , je  devais  vous 
dédier  ce  livre,  et  je  le  fais  avec  d'autant  plus  de  plaisir  que  vous 
êtes  de  ceux  qui  rendraient  aux  natures  les  plus  ingrates  la 
reconnaissance  légère  à porter. 


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I 


PRÉFACE 


L’influence  considérable  que  peuvent  exercer  sur  les  êtres 
vivants  les  modifications  dans  la  pression  barométrique,  n’est 
mise  en  doute  par  personne;  on  est  même  disposé  à en  exa- 
gérer l’importance.  Que  la  colonne  du  baromètre  monte  ou 
baisse  de  quelques  millimètres,  les  gens  nerveux,  les  asthma- 
tiques éprouvent  des  phénomènes  favorables  ou  fâcheux 
qu’ils  ne  manquent  pas  d’attribuer  à la  lourdeur  ou  à la  lé- 
gèreté de  l’air.  Si  c’était  cette  cause  qu’il  fallût  incriminer, 
une  promenade  des  bords  de  la  Seine  au  sommet  de  la  butte 


Montmartre,  ou  réciproquement,  devrait,  chez  les  mêmes 
personnes,  produire  de  semblables  résultats. 

Mais  en  dehors  de  cet  ordre  de  fai  ts,  sur  lesquels  je  revien- 
drai dans  un  instant,  il  en  reste,  et  de  nombreux,  qui  présen- 
tent un  intérêt  bien  plus  considérable,  et  qui  méritent  qu’on 
s’attache  à leur  étude  avec  persévérance. 

S’agit-il  de  l’augmentation  de  pression?  Lorsque,  dans  les 
puits  de  mine  ou  dans  les  tubes  destinés  à devenir  des  piles 
de  pont,  des  ouvriers  travaillent,  protégés  contre  l’enva- 


a 


ii  PRÉFACE. 

hissement  des  eaux  par  l’air  comprimé  à plusieurs  atmo- 
sphères que  lancent  de  puissantes  machines,  ils  éprouvent, 
pendant  ou  après  leur  séjour  dans  l’air  comprimé,  des  acci- 
dents singuliers  et  parfois  redoutables.  De  même,  les  plon- 
geurs qui  s’en  vont,  munis  de  scaphandres  et  respirant  un 
air  dont  la  pression  est  mesurée  par  la  profondeur  à laquelle 
ils  s’enfoncent,  recueillir  les  perles,  les  éponges,  le  corail, 
ou  tenter  le  sauvetage  de  navires  submergés,  sont  fréquem- 
ment frappés  de  paralysie  ou  de  mort.  D’un  autre  côté,  la 
*j  thérapeutique,  s’emparant  d’observations  déjà  anciennes,  a, 
depuis  Junod,  Pravaz  et  Tabarié,  tenté  d’utiliser,  non  sans 
d’importants  succès,  l’influence  de  l’air  assez  faiblement  com- 
primé. 

S’agit-il  de  la  diminution  de  pression?  Nous  pouvons  citer 
tout  d’abord  les  accidents  qui  menacent  les  aéronautes  lors- 
que leur  course  verticale  les  entraîne  à des  hauteurs  qui  dé- 
passent 4000  mètres  : nausées,  vertiges,  hémorrhagies,  syn- 
copes; puis,  les  phénomènes  connus  depuis  bien  plus  longtemps 
de  tous  ceux  qui  ont  tenté  au-dessus  de  5 à 4000  mètres  les 
ascensions  de  montagnes,  ce  mal  des  montagnes , sur  la  cause 
duquel  ont  été  émises  tant  et  de  si  étranges  hypothèses.  En- 
fin, nous  rencontrons  ici  des  faits  d’une  importance  bien  au- 
trement grande.  Il  ne  s’agit  plus,  en  effet,  de  quelques  ou- 
vriers, de  quelques  malades,  de  quelques  touristes,  mais  bien 
de  populations  entières  qui,  normalement  et  régulièrement, 
vivent,  construisent  des  villes,  se  groupent  en  peuples,  sur 
ces  hauts  lieux  où  des  sensations  pénibles  et  parfois  insup- 
portables attendent  le  voyageur. 

On  sent  qu’ici,  le  problème  qui  nous  occupe  touche  non- 
seulement  à l’hygiène  des  peuples,  mais  jusqu’à  un  certain 
point  à l’histoire  et  à la  politique.  Dans  l’Himalaya,  dans  la 


PRÉFACE. 


m 


Cordillère  des  Andes,  des  cités  populeuses  sont  bâties  à des 
hauteurs  qui  dépassent  celle  de  notre  Mont-Blanc,  où  per- 
sonne n’échappe  complètement  au  mal  des  montagnes;  au 
Mexique,  des  milliers  d’hommes  habitent,  à une  altitude 
moyenne  de  deux  mille  mètres,  les  plateaux  de  l’Ànahuac; 
les  grandes  civilisations  des  Mayas  et  des  Nahuas  ont  eu  leur 
maximum  de  développement  entre  2 et  4000  mètres  au-des  • 
sus  du  niveau  de  la  mer. 

Le  lecteur  peut  voir,  par  ce  rapide  coup  d’œil,  à quels  in- 
térêts de  premier  ordre  touche  la  question  à l’étude  expéri- 
mentale de  laquelle  je  me  suis  consciencieusement  appliqué. 
Il  trouvera  par  suite  tout  naturel  que  de  pareils  phénomènes 
aient  été  l’occasion  de  publications  nombreuses,  de  la  part  des 
médecins  ou  des  voyageurs  ; mais  il  s’étonnera  sans  doute  qu’on 
ait  si  peu  tenté,  pour  en  éclairer  la  cause,  dans  le  domaine  de 
l’expérience  en  laboratoire.  L’idée  la  plus  simple  aurait  dû 
être,  ce  semble,  de  construire  des  appareils  permettant  de 
reproduire  les  modifications  dans  la  pression  barométrique, 
en  les  isolant  des  conditions  secondaires,  annexes,  qui  les 
accompagnent  fatalement  dans  l’état  de  nature,  et  d’examiner 
sur  l’homme,  sur  les  animaux,  les  résultats  immédiats  de  ces 
modifications.  Or,  on  a très-peu  fait  dans  cette  direction.  En 
revanche,  nous  rencontrerons  en  grand  nombre  les  observa- 
tions incomplètes,  les  dissertations  prétentieuses,  les  explica- 
tions vraisemblables  ou  absurdes. 

Je  me  suis  proposé  pour  but  de  combler  cette  considérable 
lacune,  et  de  résoudre  par  voie  purement  expérimentale  ces 
importants  problèmes. 

En  prenant  ainsi  position  sur  ce  terrain  solide,  j’ai  dû  lais- 
ser systématiquement  de  côté  trois  ordres  de  questions  qui  ne 
pouvaient  être  attaquées  dans  le  laboratoire,  et  pour  les- 


IV 


PREFACE. 


quelles,  par  suite,  les  conditions  certaines  de  la  preuve  ne 
pouvaient  être  rassemblées;  c’est  à savoir  : les  oscillations 
quotidiennes  du  baromètre,  les  applications  thérapeutiques, 
racclimatement  sur  les  hauts  lieux. 

Je  regrette  peu  la  première  question,  qui  ne  me  paraît 
même  pas  appartenir  à notre  sujet  d’études.  Les  légères  mo- 
difications dans  la  pression  de  l’air  que  révèle,  en  un  lieu 
donné,  la  colonne  barométrique,  sont  accompagnées  de  trop 
d’autres  phénomènes  météorologiques  (hygrométriques,  élec- 
triques, etc.),  pour  qu’on  puisse  déterminer  la  part,  à coup 
sûr  bien  minime,  qui  leur  revient  dans  la  manière  d’être  de 
certains  malades. 

Quant  aux  deux  autres  questions,  je  me  suis  beaucoup  servi 
des  laits  observés  par  les  auteurs  qui  s’en  sont  occupés,  et  je 
pense  que  mes  propres  études  ne  seront  pas  inutiles  pour 
guider  les  médecins  et  les  hygiénistes  au  milieu  des  innom- 
brables difficultés  qu’elles  soulèvent,  Mais  je  ne  les  ai  pas 
abordées  directement,  non-seulement  à cause  de  mon  incom- 
pétence médicale,  non-seulement  parce  que  les  expériences  de 
laboratoire  sur  les  oiseaux,  les  chiens,  voire  même  les  hom- 
mes, ne  pouvaient  guère  permettre  de  les  résoudre,  mais  en- 
core pour  une  raison  spéciale  et  en  quelque  sorte  personnelle. 

Lorsque,  il  y a de  cela  huit  ans,  M.  le  docteur  Jourdanet, 
très-connu  pour  ses  remarquables  études  sur  la  climatologie 
du  Mexique  et  pour  sa  théorie  de  Yanoxyhémie  des  altitudes, 
vint  m’offrir — avec  une  générosité  dont  je  voudrais  que  les 
résultats  de  mes  travaux  fussent  une  digne  récompense  — de 
mettre  à ma  disposition  tous  les  moyens  matériels  qu’exige- 
raient des  recherches  dont  j’avais  publiquement1,  en  1868, 

1 Voir  mes  Leçons  sur  la  Physiologie  comparée  de  la  respiration;  Paris,  1870, 
pages  121-150. 


PRÉFACE.  v 

indiqué  l’importance  et  la  difficulté,  il  s’établit  entre  nous 
une  sorte  de  convention  tacite.  Je  devais  me  borner  à étu- 
dier, expérimentalement,  dans  le  laboratoire,  à l’aide  de  mes 
instruments,  les  modifications  que  des  changements  de  la 
pression  barométrique  apporteraient  dans  les  manifestations 
vitales  des  animaux  ou  des  végétaux.  Quelle  que  fût  l’ampleur 
de  mon  outillage  expérimental,  ces  changements  11e  pou- 
vaient bien  évidemment  être  de  longue  durée,  en  telle  sorte 
que,  pour  qu’ils  produisissent  des  effets  évidents,  il  fallait  de 
toute  nécessité  qu’ils  fussent  considérables.  C’est  là,  du  reste, 
le  propre  des  expériences  de  laboratoire. 

M.  Jourdanet  se  réservait  légitimement  l’étude  des  effets 
que  peuvent  produire  des  variations  barométriques  légères, 
mais  s’exerçant  soit  pendant  un  temps  encore  assez  bref  sur 
des  malades  — réactif  dont  l’exquise  délicatesse  fera  toujours 
un  peu  peur  aux  expérimentateurs,  — soit  pendant  des  an- 
nées sur  les  mêmes  individus,  ou  des  siècles  sur  les  géné- 
rations successives,  mêlant  ainsi  son  action  à celles  de  tant 
de  causes  connues  ou  inconnues  : périlleux  problèmes,  mais 
bien  propres  à séduire  un  esprit  ardent  et  sagace,  servi  par 
une  plume  éloquente. 

Nous  avons  tous  les  deux  accompli  notre  tâche  : depuis 
deux  ans  déjà,  M.  Jourdanet  a publié  son  beau  livre  de  Y In- 
fluence de  la  pression  de  l'air  sur  la  vie  de  l'homme  : climats 
d'altitude  et  climats  de  montagne1. 

Quant  à moi,  retardé  par  des  luttes  extra-scientifiques,  ar- 
raché trop  souvent  à mon  laboratoire  par  la  sévérité  des  de- 
voirs civiques,  j’apporte  seulement  aujourd’hui  les  résultats 
mis  en  ordre  de  mes  longues  recherches. 

1 Paris,  G.  Masson,  1875.  — 2e  édition,  1876. 


VI 


PREFACE. 


Le  présent  livre  qui,  si  je  ne  me  fais  illusion,  a de  quoi  in- 
téresser non-seulement  les  physiologistes,  mais  les  médecins, 
les  ingénieurs,  les  voyageurs  même,  se  divise  en  trois  par- 
ties: historique,  expériences,  conclusions. 

J’ai  apporté  à la  rédaction  de  l’historique  les  soins  les  plus 
minutieux.  Je  me  suis  efforcé  de  réunir  tout  ce  qui  a été  écrit 
sur  le  sujet  de  mes  études.  Il  m’a  semblé  qu’il  y aurait  grand 
intérêt  pour  le  lecteur  à avoir  ainsi  sous  les  yeux  toutes  les 
pièces  du  procès,  avec  l’infinie  variété  des  récits,  leurs  con- 
tradictions fréquentes,  et  souvent  aussi  leurs  répétitions  in- 
structives. J’ai  cru  devoir  prendre  le  parti  de  rapporter  tex- 
tuellement les  paroles  des  auteurs  cités:  je  me  suis  défié  des 
analyses  même  les  plus  consciencieuses;  il  m’est  arrivé  de 
voir  plusieurs  fois,  dans  mes  recherches  bibliographiques,  les 
affirmations  d’un  auteur  transformées  en  négations  par  une 
série  de  traductions  et  d’analyses.  Du  reste,  des  chapitres 
de  résumé  et  de  critique  reposent  l’esprit  du  lecteur;  mais 
du  moins  chacun  des  faits  qui  y sont  affirmés  trouve  sa  preuve 
dans  les  extraits  qui  précèdent. 

Dans  la  deuxième  partie  se  trouvent  rapportées  mes  expé- 
riences personnelles.  Les  titres  des  chapitres  indiquent  suf- 
fisamment l’ordre  dans  lequel  j’ai  conçu  leur  exposition.  Un 
coup  d’œil  jeté  sur  la  table  des  matières  montre  qu’après 
avoir  étudié  directement  l’influence  des  changements  dans 
la  pression  barométrique,  j’ai  consacré  quelques  chapitres  à 
des  recherches  nouvelles  sur  l’action  physiologique  de  l’acide 
carbonique,  sur  l’asphyxie,  sur  les  gaz  du  sang.  Le  lecteur 
verra,  en  les  parcourant,  que  je  ne  me  suis  pas  autant  écarté 
de  mon  sujet  que  pourrait  le  faire  supposer  ce  simple  énoncé; 
les  nombreux  renvois  que  je  fais,  dans  mes  conclusions,  à cette 
partie  de  mon  livre,  en  donnent  une  preuve  évidente. 


PRÉFACE. 


VII 


J’ai,  dans  la  rédaction  des  expériences,  qui  sont  au  nom- 
bre de  six  cent  soixante-dix  environ,  employé  la  méthode 
énumérative;  toutes  celles  qui  m’ont  paru  présenter  de  l’in- 
térêt ont  été  exposées  tout  au  long.  Cette  méthode  a pour 
avantages  d’abord  de  fournir  la  preuve  de  toutes  les  affirma- 
tions, ensuite  de  permettre  parfois  au  lecteur  de  trouver  dans 
le  récit  des  expériences  ce  que  l’auteur  n’y  a pas  vu  lui- 
même.  Des  résumés  annexés  à chaque  chapitre  facilitent 
d’ailleurs  la  connaissance  rapide  des  résultats  obtenus.  Je 
dirai,  enfin,  que  sur  chaque  point,  les  expériences  sont 
énumérées  suivant  leur  date  d’exécùtion  ; on  peut  ainsi 
tenir  compte  des  observations  qui  ont  échappé  au  début  des 
recherches,  des  perfectionnements  réalisés  par  l’expérimen- 
tateur, et,  par  suite,  de  la  valeur  sans  cesse  décroissante 
des  causes  d’erreurs. 

Enfin,  la  troisième  partie  est  intitulée  : Faits  récents , ré- 
sumé et  conclusions . J’y  reprends  d’abord  l’historique  que  j’a- 
vais, dans  la  première  partie,  amené  seulement  jusqu’à  mes  pro- 
pres travaux.  Puis,  je  tire  les  conclusions  de  toutes  mes  séries 
de  recherches.  On  verra  qu’ici,  ma  convention  avec  M.  Jour- 
danet  n’a  pu  être  exécutée  dans  toute  sa  rigueur,  et  que  je 
n’ai  pu  m’empêcher  de  faire  quelques  incursions  sur  le  do- 
uuaine  qui  lui  était  réservé. 

Le  chapitre  III  et  dernier,  qui  a pour  titre  : Conclusions  gé- 
nérales, ne  contient  que  trois  pages.  Puisse  cette  sobriété 
dans  le  résumé  me  faire  pardonner  les  onze  cent  cinquante 
pages  qui  m’ont  paru  nécessaires  pour  y conduire  le  lecteur  ! 
Je  laisse  à d’autres  le  soin  délicat  de  décider  si  cette  antithèse 
prête  à la  critique  ou  à l’éloge.  Je  me  bornerai,  plaidant  du 
moins  les  circonstances  atténuantes,  à rappeler  que  l’Institut 
m’ayant  fait  l’honneur,  en  1875,  sur  le  rapport  de  l’Àca- 


VIII 


PREFACE. 


demie  des  sciences,  de  décerner  à mes  travaux  le  grand  prix 
biennal1,  il  m’a  semblé  qu’il  était  de  mon  devoir  de  n’épargner 
ni  temps  ni  peine  pour  rendre  leur  publication  plus  digne  de 
cette  haute  récompense. 


Je  dois,  avant  de  terminer  cette  préface,  remercier 
MM.  Gréhant  et  Dastre,  mes  suppléants  dans  la  chaire  de 
physiologie  de  la  Faculté  des  sciences,  M.  le  Dr  Jolyet,  sous- 
directeur  du  laboratoire,  et  M.  Paul  Piegnard,  préparateur  du 
cours,  qui  m’ont  aidé  dans  mes  recherches  avec  un  dévoue- 
ment affectueux. 

P.  B. 

Octobre  1877. 

1 Celte  récompense  de  premier  ordre  est  accorcTée,  tous  les  deux  ans,  suivant 
les  termes  du  décret  constitutif,  « à l’œuvre  ou  à la  découverte  qui  aura  le  plus 
contribué  à honorer  ou  à servir  le  pays  » dans  les  dix  dernières  années,  à tour 
de  rôle,  pour  chacune  des  branches  des  connaissances  humaines  représentées 
parles  cinq  classes  de  l’Institut. 

Le  prix  triennal,  par  le  décret  du  14  avril  1855,  a été  décerné  à M.  Fizeau,  en 
1856;  il  n’a  été  triennal  qu’une  seule  fois,  et  par  décret  du  22  décembre  1860, 
sur  la  demande  de  l’Institut,  il  est  devenu  biennal  et  a été  depuis  ainsi  accordé  : 

A MM.  Thiers  (Académie  française),  1861. 

— Jules  Oppert  (Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres),  1865. 

— Würtz  (Académie  des  sciences),  1865. 

— Félicien  David  (Académie  des  beaux-arts),  1867. 

— Henri  Martin  (Académie  des  sciences  morales  et  politiques),  1869. 

— Guizot  (Académie  française),  1871. 

— Mariette-Bêy  (Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres),  1875. 

— PaulBert  (Académie  des  sciences),  1875. 

— Chapu  (Académie  des  beaux-arts),  187 7-. 


(Noie  de  V éditeur.) 


PREMIÈRE  PARTIE 


HISTORIQUE 


TITRE  PREMIER 


DIMINUTION  DE  PRESSION 


CHAPITRE  PRÉLIMINAIRE 

LES  RÉGIONS  ÉLEVÉES  DU  GLOBE. 


Les  effets  que  produit  sur  l’organisme  une  grande  et  soudaine 
diminution  dans  la  pression  barométrique  peuvent  être  observés 
dans  trois  cas  différents  : voyages  sur  les  montagnes,  ascensions 
en  ballon,  expériences  sous  les  cloches  pneumatiques. 

Ces  deux  dernières  circonstances  étaient  absolument  inconnues 
aux  anciens.  Galilée,  comme  chacun  le  sait,  eut,  le  premier,  une 
idée  nette  de  la  pression  de  l’air  ; c’est  en  1640  seulement  que  To- 
ricelli  inventa  le  baromètre,  et,  en  1650,  Otto  de  Guéricke,  la  ma- 
chine pneumatique.  En  1648,  à l’instigation  de  notre  grand  Pascal, 
Périer  ht,  au  Puy-de-Dôme,  l’expérience  mémorable  dans  laquelle  il 
vit  la  hauteur  de  la  colonne  barométrique  diminuer  à mesure 
qu’augmentait  l’altitude  du  lieu  où  elle  était  observée. 

Pour  les  ballons,  la  découverte  est  plus  récente  encore.  La  pre- 
mière montgolfière  qui  emporta  dans  les  airs  Pilàtre  du  Rozier  et 
le  marquis  d'Arlandes,  s’éleva  de  Paris  le  22  novembre  1785;  peu 
de  jours  après,  le  1er  décembre,  Charles  faisait  une  ascension  avec 
le  ballon  à hydrogène  qu’il  venait  d’inventer.  Seul,  ce  ballon  pou- 
ètre  capable  d’emporter  des  observateurs  assez  haut  pour  que  la 


HISTORIQUE. 


4 

diminution  de  pression  fit  sentir  sur  eux  son  action.  En  effet,  l’ex- 
périence a prouvé  que  celle-ci  ne  se  manifeste  pas  nettement, 
en  aérostat,  avant  5 ou  6,000  mètres  d’élévation.  Il  en  résulte  que, 
parmi  les  milliers  d’ascensions  qui  ont  suivi  celle  de  Charles  et 
Robert,  un  très-petit  nombre  peuvent  nous  présenter  quelque  in- 
térêt au  point  de  vue  où  nous  sommes  placés,  et  devront  être 
rapportées  dans  cette  revue  historique. 

Quant  à la  troisième  condition,  l’ascension  des  hautes  monta- 
gnes, il  paraît  au  premier  abord  étonnant  d’avoir  à constater  que 
les  auteurs  anciens  ne  nous  ont  laissé  aucune  indication  précise 
permettant  de  croire  qu’ils  aient  observé,  pendant  l’ascension  des 
lieux  élevés,  quelques  troubles  physiologiques  dignes  d’attirer  l’at- 
tention1 2. 

En  effet,  sur  l’étendue  du  monde  connu  des  anciens  se  dressent 
des  montagnes  d’une  hauteur  considérable.  À ses  extrêmes  limites 
orientales \ le  mont  Ararat  et  les  pics  culminants  du  Caucase  élèvent 
leurs  tètes  éternellement  glacées  à plus  de  5000m  au-dessus  du  ni- 
veau de  la  mer  ; les  chaînes  du  Liban  et  du  Taurus  contiennent  beau- 
coup de  sommets  dépassant  2500m  et  meme  5000'"  ; le  fameux  mont 
Argée  atteint  3840“  ; parmi  les  collines  de  l’Hémus  et  du  Rhodope, 
quelques-unes  s’élèvent  à 5000'“;  le  mont  Athos  a 1975'“,  le  Par- 
nasse, 2470'",  le  Taygète,  2400m,  et  c’est  à 2975'",  sur  le  front 
sourcilleux  de  l’Olympe,  que  les  poètes  plaçaient  le  séjour  des 
Dieux.  Le  mont  Etna  (554 0m)  menace  depuis  deux  mille  cinq  cents 
ans  les  villes  grecques  établies  à ses  pieds.  Les  Phéniciens  et  les 
Carthaginois,  dont  l’audace  avait  été  établir  des  colonies  jus- 
qu’aux lies  fortunées,  connaissaient  le  sommet  fumant  du  pic  de 
Ténériffe  (3715m).  Enfin  les  Pyrénées  et  les  Alpes  n’ont  servi  que 
d’insuffisantes  barrières  contre  les  armées  de  Carthage  et  de 
Rome. 

La  raison  du  silence  des  auteurs  est  facile  à trouver.  Comme  l’a 
très-justement  remarqué  de  Humboldt,  les  anciens  redoutaient  la 

1 Voir  cependant,  au  chapitre  III,  la  citation  de  Bacon. 

2 Les  hauteurs  que  je  rapporte  dans  celte  revue  générale  ont  été  pour  la  plupart 
empruntées  à la  dernière  édition  du  Stieler’s  Hand- Atlas.  Celles  que  je  n’ai  pas  trou- 
vées dans  cet  atlas  ont  été  prises  pour  l’Europe,  dans  l'Orographie  de  Bruguière;  pour 
la  France,  dans  la  Géographie  de  M.  Levasseur;  pour  l’Amérique  du  Sud,  dans  les  tra- 
vaux de  Pentland  et  de  M.  Pissiz.  J’ai  utilisé  aussi  les  renseignements  fournis  par  le 
récent  travail  de  Berghaus  (. Hôhenlafel  von  100  Gebirgsgruppcn  aus  aïlen  Erdtheilcn. 
Geogr.  Jahrbuch.  1874).  Le  but  (pie  je  me  propose  d’atteindre  n’exige  évidemment  pas 
une  précision  absolue;  aussi  n’ai-je  pas  hésité  à me  servir  de  quelques  documents  un 
peu  anciens;  pour  la  même  raison,  j’ai  supprimé  les  unités  dans  les  cotes  de  hauteur. 


LES  RÉGIONS  ÉLEVÉES  DU  GLOBE. 


5 


montagne  bien  plus  qu’ils  ne  l’admiraient.  Ils  n’en  parlent  qu’avec 
crainte,  avec  une  secrète  horreur;  les  magnifiques  spectacles  qu’elle 
offre  au  regard  ne  les  touchaient  nullement;  les  émotions  qu’elle 
suscite,  les  nobles  idées  qu’elle  inspire,  leur  étaient  inconnues. 
L’amour  du  pittoresque  est  un  sentiment  tout  moderne;  les  anciens, 
et  même  nos  aïeux  jusqu’au  siècle  dernier,  eussent  considéré  avec 
un  étonnement  mêlé  de  dédain  nos  intrépides  grimpeurs  des  Alpes. 
Polybe,  le  premier,  parcourut  les  vallées  alpestres  ; les  masses 
montagneuses  les  plus  énormes,  le  mont  Blanc,  le  mont  Rose,  la 
Yungfrau,  n’ont  pas  de  noms  dans  les  langues  classiques. 

La  seule  montagne  dont  les  anciens  aient  fait  l’ascension  sans  y 
être  forcés  est  l’Etna.  Sénèque  engage  son  ami  Lucilius  Junior  à 
monter  en  son  honneur  au  sommet  du  volcan  (Lettre  79)  ; ces  ex- 
cursions étaient  fréquentes  au  temps  de  Strabon1,  et  d’après  un 
poème  attribué  aujourd’hui  a ce  même  Lucilius,  des  prêtres  s’occu- 
paient à brûler  l'encens  sur  les  bords  du  cratère  pour  apaiser  les 
immortels  ; l’empereur  Adrien , grand  voyageur,  eut  la  fantaisie  de 
monter  au  sommet  de  l’Etna , pour  voir  lever  le  soleil.  Aucun  de 
ces  récits  ne  parle  d’accidents  physiologiques  ; mais  nous  verrons 
qu’à  la  hauteur  de  ce  volcan  ils  sont  faibles,  ne  frappent  qu’une 
partie  des  voyageurs  et  ont  pu  être  confondus  avec  les  effets  ordi- 
naires de  la  fatigue.  11  en  est  de  même  peur  les  traversées  des  Pyré- 
nées et  des  Alpes.  Les  cols  pyrénéens  par  lesquels  s’établissaient  les 
communications  régulières  entre  la  Gaule  et  l’Hispanie,  atteignent  à 
peine  1,500“.  Quelque  opinion  qu’on  adopte  pour  le  lieu  du  passage 
d’Annibal,  qu’on  le  place  au  petit  Saint-Bernard,  (2160  m)  au  col 
du  mont  Yiso  (2700  “),  au  mont  Cenis,  (2080  “),  à la  vallée  de  Beau- 
fort  entre  Albert-Ville  et  Chamounix,  on  voit  que  les  hauteurs  at- 
teintes n’étaient  pas  extrêmement  considérables.  Auguste  fit  établir 
deux  routes,  parles  cols  du  grand  Saint-Bernard  (2490  “)  et  du  pe- 
tit Saint-Bernard2,  et  le  roi  Cottus,  son  contemporain,  perça  celle 
du  mont  Cenis.  Au  moyen  âge,  le  Simplon  (2020m)  et  le  grand 
Saint-Bernard  furent  très-fréquentés  ; les  chroniqueurs  nous  ont 
gardé  de  ces  voyages  ou  de  ces  expéditions  des  descriptions  où  les 
difficultés  terribles  des  chemins,  les  fatigues  excessives,  le  froid, 
expliquent  suffisamment  le  lamentable  état  des  voyageurs,  dont 
beaucoup,  comme  Elfrige,  archevêque  de  Cantorbéry,  périssaient 
dans  les  neiges. 

1 Strabon,  Géographie , liv.  VI,  chap.  m,  § ix. 

2 Ibid.,  liv.  IV,  chap.  vi,  § iv. 


G 


HISTORIQUE. 


Il  fallait,  pour  forcer  l’attention,  que  les  voyageurs  fussent  amenés 
à faire  des  ascensions  plus  élevées,  et  que  des  malaises  évidemment 
inexplicables  parles  causes  ordinaires  fussent  venus  les  frapper.  Les 
hauts  sommets  des  Alpes  présentaient,  comme  nous  le  verrons,  les 
conditions  nécessaires;  seulement,  leurs  ascensions  n’offrent  au- 
cun intérêt  pratique,  n’eurent  lieu  qu’à  la  fin  du  siècle  dernier. 
Mais,  vingt  ans  après  la  découverte  de  l’Amérique,  la  conquête  du 
Mexique  et  du  Pérou,  les  expéditions  militaires  à travers  les  Cordillè- 
res, amenèrent  les  Espagnols  dans  les  conditions  où  se  manifes- 
tent nettement  les  accidents  de  la  décompression.  Aussi  l’atten- 
tion fut-elle  bientôt  éveillée  sur  eux,  et  l’on  arriva  à les  constater 
dans  des  ascensions  où  ils  ne  sont  ni  considérables  ni  constants, 
comme  celles  de  l’Etna  et  du  Pic  de  Ténériffe.  Cependant  nos  Alpes 
restèrent  longtemps  encore  inexplorées;  si  les  villes  importantes, 
les  riches  vallées  de  Suisse  attiraient  d’assez  nombreux  voyageurs, 
il  ne  venait  à la  pensée  d’aucun  d’eux  de  gravir  ces  sommets  re- 
doutables, couverts  de  neiges,  peuplés  d’êtres  étranges1,  et  sur 
lesquels  on  se  répétait  les  plus  sombres  légendes.  C’est  dans  la  se- 
conde moitié  du  dix-huitième  siècle  seulement  que  l’on  se  résolut 
à les  admirer,  et  que  l’idée  d’en  atteindre  la  cime  germa  dans 
quelques  esprits.  Encore  est-ce  le  point  de  vue  scientifique  qui  di- 
rigea les  premières  ascensions.  Celles  de  de  Saussure  signalèrent  avec 
une  vivacité  saisissante  les  accidents  amenés  par  le  séjour  dans  un 
air  raréfié.  Depuis,  de  semblables  observations  se  sont  multipliées. 
Enfin,  plus  récemment  encore,  les  officiers,  les  savants,  les  voya- 
geurs anglais  ont  poussé  leurs  explorations  jusque  dans  les  plus 
hautes  régions  de  l’Ilimalaya.  Leurs  récits,  joints  à ceux  des  ascen- 
sionnistes des  Alpes,  à ceux  des  voyageurs  en  Amérique  devenus 
plus  nombreux,  ont  familiarisé  les  médecins  avec  les  symptômes 
du  mal  des  montagnes . 

Je  vais,  dans  les  pages  suivantes,  rapporter  la  plupart  des  faits 
intéressants  recueillis  ainsi  par  les  témoins  oculaires,  et  souvent 
dans  leur  observation  personnelle.  Mais  je  voudrais,  dans  ce  cha- 
pitre préliminaire,  rappeler  à la  mémoire  du  lecteur  les  diverses 
régions  montagneuses  sur  lesquelles  le  voyageur  est  exposé  à souf- 
frir par  suite  de  la  diminution  de  pression.  Cette  simple  énuméra- 
tion lui  montrera  l’importance  pratique  de  la  question  dont  nous 
nous  occuperons  ici,  c’est-à-dire  de  l’influence  de  la  diminution 


1 Voir  Scheuclizer,  ou/je^oir/js  Ilelveticus.  Lugd.  Bat.,  1725. 


LES  RÉGIONS  ÉLEVÉES  DU  GLOBE.  T 

de  pression  se  manifestant  par  des  accidents  aigus  et  violents. 

Le  mal  des  montagnes  n’apparaît  que  rarement  avec  une  certaine 
intensité  dans  nos  régions  tempérées,  au-dessous  de  3500m  d’alli- 
tude.  Entre  les  tropiques,  il  faut,  pour  l’éprouver  nettement  dans 
les  conditions  ordinaires,  s’élever  jusqu’à  plus  de  4000m.  Nous  au- 
rons à revenir  sur  ces  limites  et  à tenir  compte  des  circonstances 
diverses  qui  accélèrent  ou  retardent  les  accidents,  je  veux  dire  les 
font  survenir  ou  plus  bas  ou  plus  haut.  Pour  le  moment,  ces  hau- 
teurs approximatives  suffisent  pour  servir  de  base  à la  revue  que 
nous  nous  proposons  de  faire. 

Europe.  — Prenons  l’Europe,  d’abord;  la  chaîne  des  Alpes,  celle 
des  Pyrénées,  celle  du  Caucase,  nous  offrent  presque  seules  des 
pics  suffisamment  élevés  pour  que  leur  ascension  occasionne  d’au- 
tres inconvénients  que  la  fatigue  et  les  dangers  habituels  des  mon- 
tagnes. 

Examinons  en  premier  lieu  les  Alpes.  Cet  énorme  massif  monta- 
gneux, qui  présente  sur  une  ligne  courbe  de  deux  cents  lieues  de 
longueur  d’innombrables  sommets  chargés  de  neiges  éternelles, 
descend  rapidement,  du  côté  du  sud,  vers  les  basses  plaines  de  la 
Lombardie,  tandis  qu’au  nord,  il  s’incline  plus  lentement  vers  les 
plateaux  élevés  du  Wurtemberg,  de  la  Bavière,  de  la  Bohême,  entre- 
coupés de  montagnes  secondaires. 

Le  nœud  du  système  est  formé  par  Te  massif  du  Saint-Gothard, 
dont  les  eaux  s’écoulent  à la  fois  par  le  Bhin  dans  la  mer  du  Nord, 
par  le  Rhône  dans  la  Méditerranée,  par  le  Tessin  dans  l’Adriatique; 
et  cependant  cette  région  est  une  des  moins  élevées  des  Alpes  cen- 
trales. Elle  est  immédiatement  dominée  au  nord  par  le  Galensfock 
(5800m)  et  le  Todi  (3600m)  ; à l’Est,  par  le  groupe  qui  entoui  e le  petit 
Saint-Bernard,  entre  autres  le  Rheinwaldhorn  (3400m);  à l’Ouest, 
par  la  masse  énorme  des  glaciers  des  Alpes  bernoises,  au  milieu 
desquels  se  dressent  la  Yungfrau  (4170m),  rAletschhorn  (4200m),  le 
Schreckhorn  (4080m) , le  Bietsch  (3950m),  le  Mônch(4100m),  le 
Finsteraarhorn  (4270m).En  s’avançant  vers  l’orient,  on  voit  le  mont 
Bernin  (4050m)  et  le  mont  délia  Disgrazia  (5680ai)  séparer  la  vallée 
de  la  Valteline,  où  coule  l’Adda,  de  celle  de  l’Engadine,  où  l’fnn 
conduit  par  le  Danube  à la  mer  Noire  les  eaux  que  lui  amènent  de 
nombreux  sommets  dépassant  5000m,  comme  ceux  du  Piz  d’Err 
(3590m),  du  Piz  Linard  (3410m),  du  Piz  Languard  (3270m),  etc.  Sur 
l’autre  rive  de  l’Adda,  les  Alpes  Tiroliennes  montrent  des  cimes  plus 
élevées  encore  ; c’est  l’Adamello  (3560m),  la  Wildspitze  (3770m),  le 


s 


HISTORIQUE. 


Venediger  (3675ni),  le  Gros-Glockner  (3890m)  et  surtout  l’Orteler 
(5920“). 

Mais  c’est  du  côté  de  l’ouest  et  sur  la  rive  gauche  du  Rhône  que 
s’élèvent  les  géanls  des  Alpes.  C’est  d’abord,  autour  du  Simplon 
(3200“),  leMonfe-Leoric  (5560m) , le  Fletschhorn  (4020“),  le  Weïsmies 
(4050m)  ; puis  le  massif  du  mont  Rose,  avec  ses  Irois  points  culmi- 
nants : le  dôme  du  Mischabel  (4550“),  le  Malterhorn  ou  mont  Cervin 
(4480“),  et  le  mont  Rose  proprement  dit,  dont  le  pic  le  plus  élevé, 
la  pointe  de  Dufour,  monte  à 4640“.  Viennent  ensuite  la  Derit- 
Blanche  (4560“),  le  Weisshorn  (4510m),  le  grand  Combin  (4520“), 
et,  plus  à l’ouest  le  mont  Blanc  (4810'"),  qui,  entouré  de  nombreu- 
ses aiguilles  presque  inaccessibles,  domine  toutes  les  autres  mon- 
tagnes d’Europe. 

Au  delà,  la  chaîne  s’abaisse  rapidement,  bien  qu’elle  présente 
encore  quelques  sommets  élevés,  comme  le  mont  Iseran  (4045“), 
le  mont  Cenis  (3620™),  la  Yanoise  (5860“),  dans  les  Alpes  Graïes  ; 
le  mont  Viso  (3840“),  le  mont  Olan  (421 5“ ),  dans  les  Alpes  Cot- 
tiennes;  le  montPelvoux  (3955m),  la  pointe  des  Écrins  (4100“),  les 
grandes  Rousses  (3475“),  dans  les  Alpes  du  Dauphiné.  Les  Alpes 
maritimes  sont  moins  élevées  encore  ; viennent  enfin  les  Apennins, 
dont  la  plus  haute  cime,  le  Monte-Corvo,  dans  les  Abruzzes,  n’at- 
teint que  2910“.  Mais  quelle  figure  fait,  à côté  de  ces  géants,  le 
Capitole,  avec  ses  47“  au-dessus  du  niveau  de  la  mer! 

A l’extrémité  de  la  chaîne,  une  montagne  assez  élevée,  le  mont 
Alio  (1080“)  fait  face  à la  Sicile,  dont  le  sol  monlueux,  pas  plus 
que  celui  de  la  Sardaigne,  ne  présente  de  sommets  atteignant 
2ü00m.  Au-dessus  de  toutes  ces  montagnes  secondaires  se  dresse  à 
5310“  le  cratère  de  l’Etna. 

Entre  ces  hauts  sommets,  ces  aiguilles  abruptes,  qu’escaladent 
ceux-là  seuls  qu’entraîne  l’amour  de  la  science,  le  goût  des  grands 
spectacles,  ou  simplement  la  vanité,  des  dépressions,  des  cols , 
permettent  à des  voyageurs  très-nombreux  sur  certains  points  de 
franchir  la  chaîne  principale  pour  aller  de  Suisse  ou  de  France  en 
Italie.  Ces  cols  sont  pour  la  plupart  très-élevés.  Les  plus  connus  et 
les  plus  hauts  sont  : dans  les  Alpes  maritimes,  les  cols  de  Tende 
(1870“),  de  Longet  (5150“) , de  l’Argentière  (1905“),  de  Maurin 
(2980'“)  ; dans  les  Alpes  cottienncs,  les  cols  de  Traversette  (2995“), 
dell  Agnello  (2700m),  de  Sayse  (3360“),  du  mont  Genèvre  ( 1 850“)  ; 
dans  les  Alpes  Graïes,  le  passage  du  mont  Cenis  (2080“),  celui  du 
petit  Saint-Bernard  (216ü“);  dans  les  Alpes  Penninnes,  le  col  du 


LES  RÉGIONS  ÉLEVÉES  DU  GLOBE. 


9 


grand  Saint-Bernard  (2490“),  celui  du  Géant  (5560“),  celui  de  la 
Seigne  (2550“),  le  col  de  Balme  (2200“),  le  col  de  Saint-Théodule 
(53w20in) ; dans  les  Alpes  helvétiques,  le  passage  du  Simplon 
( 2020'11),  le  col  de  Gemmi  (2500“),  le  passage  du  Grimsel  (2160“), 
celui  de  la  Fourra  (2460“),  du  Saint-Gothard  (2110“),  du  Bernardin 
(2060“),  etc.  La  roule  de  la  Valteline,  la  plus  haule  route  carrossa- 
ble d’Europe,  franchit  le  col  de  Stelvio  à 2810“,  pour  passer  du 
bassin  du  Pô  dans  celui  du  Danube. 

Le  long  de  l’Adriatique,  les  Alpes  se  continuent  par  les  montagnes 
de  la  Croatie,  du  Monténégro  et  de  la  Serbie,  avec  les  Balkans  au 
nord,  au  sud  les  monts  Rhodope  et  la  chaîne  du  Pinde  qui  donne 
naissance  aux  collines  de  Grèce.  Nous  n’avons  guère  à citer  dans 
ces  régions  très-montueuses,  mais  dont  les  sommets  sont  peu  éle- 
vés, que  le  Dormitor  (2260“)  en  Herzégovine,  le  Kom  (2290“)  au 
Monténégro,  le  Kriwosta  (2440“)  en  Roumélie;  puis  le  géant  des 
monts  Rhodope,  le  Rilo  Dagh  (2815“),  et  enfin  les  montagnes  de 
Grèce  dont  nous  avons  déjà  parlé. 

Le  Danube,  qui  reçoit  les  eaux  du  versant  nord  des  Alpes,  prend 
naissance  dans  le  massif  montagneux  de  la  Forêt-Noire,  où  se 
voient  quelques  sommets  moyennement  élevés;  après  avoir  couru 
vers  1 est,  il  se  heurte  à la  chaîne  des  Karpathes,  dans  laquelle  se 
trouvent  des  cimes  comme  le  Tatra  (2655“),  le  Gailuripi  (2925“), 
le  Ruska-Poyana  (5020“),  et  qui  le  rejette  au  sud. 

Les  montagnes  de  l’intérieur  de  la  France  n’ont  pas  de  quoi  nous 
arrêter,  au  point  de  vue  où  nous  sommes  placés,  puisque  la  plus 
élevée,  le  mont  Dore,  ne  va  qu’à  1890m  ; la  petite  chaîne  qui  tra- 
verse la  Corse  est  plus  intéressante  : son  point  culminant,  le  monte 
Cinto,  s’élève  à 2710“. 

Mais  les  Pyrénées,  sur  une  longueur  de  150kil  et  une  largeur  maxi- 
mum de  1 20kl1,  présentent  un  grand  nombre  de  sommets  qui,  pour 
ne  pas  atteindre  à la  masse  imposante  ni  à la  hauteur  des  massifs 
alpins,  sont  cependant  importants  à considérer  pour  notre  sujet. 
Ce  sont  d abord,  dans  les  Pyrénées  orientales,  le  Canigou  (2785“), 
puis  le  Puigmal  (2910“)  et  le  pic  Corlitte  (292Q“),  dominant  de 
chaque  côté  le  col  de  la  Perche  (1620m);  enfin  de  ce  col  au  val 
d Aran,  sur  une  crête  fort  élevée,  une  série  de  pics  atteignent  2800“, 
dont  le  plus  élevé  est  le  Montcalm  (5090“). 

Au  delà  du  val,  les  Pyrénées  occidentales  commencent  par  le 
massif  de  la  Maladetta,  qui  contient  leur  point  culminant  : le  pic 
de  Nethou  (5405“).  C’est  ici  le  centre  du  massif  pyrénéen,  qui  sur 


10 


HISTORIQUE. 


une  longueur  d’une  centaine  de  kilomètres  présente  un  grand  nombre 
de  sommets  dépassant  3000m  : le  pic  Perdighera  (3220m),  le  cylindre 
du  Marboré  (o530m),  le  mont  Perdu  (5550m),  le  Vignemale  (5300m), 
le  Marmuré  (2950m),le  pic  du  midi  d’Ossau  (2885m);  et,  au  nord  de 
la  chaîne  principale,  le  pic  Campvieil  (31 75m)  et  le  pic  du  midi  de 
Bigorre  (2880m)  sur  lequel  vient  d’être  établi  un  observatoire  mé- 
téorologique. Les  passages  ou  ports  de  cette  région  présentent  éga- 
lement une  altitude  considérable  : port  de  Yiella  (2455ra),  port  de 
Yénasque  (2420m);  le  plus  bas  est  le  port  de  Gavarnie  (2280m),  le 
plus  élevé, de  Portillon  (3045m). 

En  se  dirigeant  vers  l’ouest,  la  chaîne  s’abaisse  rapidement  ; puis, 
aux  Pyrénées  proprement  dites  font  suite  les  monts  Cantabriques, 
qui  s’étendent  jusqu’à  la  pointe  de  Galice.  Sur  toute  cette  étendue, 
à peine  voit-on  quelques  sommets  dépasser  2000,n.  Dans  le  reste  de 
l’Espagne,  la  sierra  Guadarrama  et  la  sierra  de  Gredos,  qui  dominent 
Madrid,  et  déversent  sur  elle  le  vent  si  redouté  de  la  montagne, 
s’élèvent  sur  certains  points  à plus  de  5000m;  enfin  le  long  de  la 
mer,  au  point  culminant  de  la  sierra  Nevada,  les  deux  sommets  ju- 
meaux du  pic  de  Yeleta  (547 0m)  et  du  Cerro  de  Mulhacen  (5555m), 
dépassent  les  plus  hautes  montagnes  pyrénéennes. 

Il  n’y  a plus,  dans  le  reste  de  l’Europe,  de  montagnes  qui  puis- 
sent attirer  notre  attention.  Le  Ben-nevis,  le  plus  haut  sommet  des 
îles  britanniques,  ne  va  qu’à  1330m;  en  Islande,  l’Oràfa  Jokull  a 
1950m;  dans  les  Alpes  Scandinaves,  les  montagnes  les  plus  élevées 
sont  le  Sneehàtten  (2300m),  le  Skagstôlstinder  (2450m),  et  le  Ymes- 
Feldj  (2600m);  dans  l’Oural,  on  ne  voit  pas  de  sommets  atteignant 
2000m  : le  plus  élevé,  le  Toll-pos-Is,  n’a  que  1680m. 

Asie.  — Mais,  sur  les  limites  de  l’Europe  et  de  l’Asie,  une  chaîne 
considérable,  s’étendant  de  la  Caspienne  à la  mer  Noire,  confinant 
au  nord  à des  plaines,  au  sud  aux  régions  montagneuses  de  l’Ar- 
ménie dont  nous  suivrons  tout  à l’heure  les  ramifications,  le  Cau- 
case, se  couronne  de  sommets  qui  laissent  bien  au-dessous  d’eux  les 
Pyrénées  et  les  Alpes  elles-mêmes.  Les  pics  de  5 à 4000in  y sont 
nombreux  et  ils  sont  dominés  de  haut  par  le  Kasbek  (5030m),  le 
Kaschtantan  (5220m)  et  l’Elbruz,  auquel  la  légende  attache  Promé- 
thée  (5620m).  Une  seule  route  carrossable  traverse  la  chaîne  au  pied 
du  Kasbeck,  par  les  portes  Caucasiennes  des  anciens,  à une  hauteur 
de  plus  de  3000“. 

Au  sud  de  la  chaîne  Caucasique,  le  territoire  montueux  de 
l’Arménie  voit  s’élever  une  série  de  pics  dont  quelques-uns  at- 


LES  RÉGIONS  É LEVEES  DL  GLOBE. 


11 


teignent  4000m  : l’Alagôs  (4090m),  le  Kapudschich  (5920m);  au- 
dessus  d’eux  se  dresse  le  Grand  Ara  rat  (51 55m) . De  ce  mas- 
sif part  vers  le  S.  0.  la  chaîne  du  Taurus,  qui  contient  plusieurs 
sommets  dépassent  5000“,  dont  les  plus  élevés  sont  le  Metdesis 
(5570“)  et  le  mont  Argée  (5840“);  dans  le  Liban,  bifurcation  du 
Taurus,  le  plus  haut  sommet,  le  Dor-el-Chodib,  n’a  que  5065“.  Au 
sud,  les  monts  du  Kurdistan,  avec  le  Dschehil  (4550“)  ; au  sud-est, 
les  monts  Elburs,  avec  le  Sawalan  (4810“)  et  le  Démavend  (5620“), 
dominent  les  vastes  plaines  de  l’Iran. 

Le  centre  de  l’Asie  nous  présente  un  système  orographique 
bien  plus  complexe  et  des  masses  montagneuses  bien  autrement 
imposantes.  Le  voyageur  qui  remonte  le  Gange  voit  se  dresser  sur 
sa  droite,  du  Boutan  au  Cachemire,  sur  une  étendue  de  plus  de 
600  lieues,  la  formidable  rangée  des  monts  Himalaya  ; entre  leurs 
contre-forts  parallèles  descendent  d’innombrables  affluents  au 
grand  fleuve  indien.  C’est  dans  cette  masse,  que  se  trouvent  les 
montagnes  les  plus  élevées  du  globe  ; la  ligne  de  faite  se  maintient 
à une  hauteur  moyenne  de  5 à 6000“  ; on  compte  par  centaines  les 
sommets  dépassant  6000“;  les  pics  de  moins  de  7000“  sont  la  plu- 
part du  temps  dédaigneusement  marqués  sur  les  cartes  anglaises 
par  de  simples  numéros,  et  il  semble  que  les  montagnes  ne  méri- 
tent d'avoir  un  nom  qu’à  la  condition  d’atteindre  8000“. 

Nous  citerons  : dans  le  Boutan,  le  Dalla  (7050“),  les  monts  Oodoo 
(7540“),  le  Chamalari  (7500“)  ; dans  le  Sikkim,  le  Doukia  (7070“)  et 
le  Kantschin-Janja  (8580“)  ; celui-ci  ne  le  cède  qu’au  Gaurisankar  ou 
mont  Everest  dans  le  Népaul,  la  plus  haute  des  montagnes  du  globe, 
qui  dresse  sa  cime  à la  prodigieuse  hauteur  de  8840“  : c’est  ce 
qu’on  obtiendrait  en  entassant  la  Yung-frau  (4170“)  sur  le  mont 
Bose  (4640“);  c’est  plus  de  sept  fois  la  hauteur  du  Vésuve  (1190“). 
Encore  dans  le  Népaul,  le  Jangmar  (7950“),  le  Djibjibia  (8020“),  le 
Jassa  (8155“),  le  Marschiadi  (8080“),  le  Barathor  (7950“)  et  enfin  le 
Dawalaghiri  (8 185“),  longtemps  considéré  comme  le  plus  élevé  de 
tous  et  que  le  Gaurisankar  a détrôné. 

Puis,  la  chaîne  Himalayenne  s’ouvre  pour  laisser  passer  la  Set- 
ledj,  qui  va  porter  à l’Indus  les  eaux  du  versant  nord  et  ceux  du 
lac  sacré  de  Manasarovar  (’4650“).  Au  delà,  elle  se  termine  par 
l’extraordinaire  intrication  des  montagnes  du  Cachemire,  au  milieu 
desquelles  s’ouvre  la  délicieuse  vallée  de  Srinagar,  le  « paradis 
terrestre  » des  Hindous. 

A son  extrémité  orientale,  l’Himalaya  se  relie  aux  monts  Lang- 


1 2 


HISTORIQUE. 


fan,  le  nœud  des  chaînes  d’iine  hauteur  relativement  médiocre  qui 
déterminent  le  relief  de  la  Chine  et  de  l’Indo-Chine. 

L’Himalaya  forme  ainsi,  sur  son  versant  sud,  comme  le  gigantes- 
que talus  d’un  haut  plateau  montueux.  C’est  le  Thibet,  qui,  sur  une 
élendue  immense,  dépasse  la  hauteur  de  5000m,  et  dont  les  eaux, 
recueillies  par  le  Brahmapoutra,  courent  d’abord  vers  l’Orient,  puis, 
se  heurtant  aux  montagnes  de  Chine,  retournent  au  S.  0.  pour  se 
mêler  à celles  du  Gange.  Au  nord,  ce  plateau  est  borné  par  la 
chaîne  du  Ivuen-Loun  ; son  extrémité  occidentale  est  parcourue  par 
celle  du  Karakorum,  dont  les  sommets  rivalisent  avec  ceux  de  l’IIi- 
malaya  : tels  le  Dapsang  (8620m),  le  Diamer  (8150ni),  le  Guslier- 
brum  (8040m). 

Des  cols,  dont  l’élévation  grandit  naturellement  au  fur  et  à me- 
sure qu’on  s’approche  des  lignes  de  faîte,  permettent  de  franchir 
les  contre-forts  de  ces  chaînes  principales,  et  enfin  ces  chaînes  elles- 
mêmes.  Beaucoup  de  ces  passes , et  des  plus  fréquentées,  sont  si- 
tuées à plus  de  5000m;  la  passe  fameuse  de  Karakorum  est  par 
5650m;  la  Yangi-Diwan  Pass,  une  des  routes  du  Cachemire  à Kho- 
tan  à travers  le  Ivuen-Loun,  a 5820m;  la  plus  élevée1  de  toutes  celles 
de  l’empire  britannique,  la  passe  de  Parang,  atteint  5855m. 

Le  voyageur  qui  gravit  les  degrés  de  cette  sorte  d’escalier  gi- 
gantesque, redescend  entre  chacun  d’eux  beaucoup  moins  qu’il 
n’a  monté;  il  arrive  ainsi  sur  un  vaste  plateau  désolé;  c’est  le 
Pamir,  que  visita  au  treizième  siècle  Marco-Polo,  le  Bam-i-Dunya, 
c’est-à-dire  le  toit  du  monde , dont  la  hauteur  moyenne  dépasse 
4500"1.  Du  côté  de  l’orient,  ce  toit  s’incline  pour  former  les  plai- 
nes élevées  de  la  haute  Tartarie,  et  ses  eaux,  par  le  fleuve  Tarim, 
vont  se  perdre  au  désert  de  Gobi.  Vers  l’occident,  elles  se  ras- 
semblent dans  POxus  qui  les  conduit  au  lac  d’Aral. 

D’autres  chaînes,  d’une  élévation  absolue  considérable,  surgis- 
sent au-dessus  de  ces  hauts  plateaux.  Au  nord-est  le  Thian-Schan, 
dont  le  point  culminant  est  le  Bogda-Oola,  borne  le  grand  dé- 
sert, et  va  rejoindre  l’Altaï  et  l’arête  montagneuse  qui  sépare  le 
bassin  de  l’océan  Glacial  d’avec  celui  du  Pacifique.  Au  sud-ouest, 
l’Hind  ou-Kouch,  qui  prolonge  le  Karakorum  et  ne  lui  cède  pas  en 
hauteur  au  début,  va,  par  les  monts  du  Korassan,  se  relier  à la 
chaîne  de  l’Elburs.  Au  sud,  le  Soliman-Kouch  longe  le  fleuve  Indus. 


1 Harcourt,  On  the  Himalayan  vallcys  : Kooloo , Lahoul  and  Spili.  Journal  of  the 
royal  géogr.  soc.,  t.  XLI,  p.  245-257;  1871. 


15 


LES  RÉGIONS  ÉLEVÉES  DU  GLOBE. 

Amérique.  — Le  système  orographique  de  l’Amérique  forme  avec 
celui  de  l’Asie  un  contraste  frappant.  Il  ne  s’agit  plus  ici  d’un  massif 
central  duquel  s’étendent,  comme  autant  de  bras  gigantesques,  des 
chaînes  divergentes.  Tout  au  contraire,  une  arête,  dont  certains  som- 
mets ne  sont  dominés  que  par  ceux  de  l’Himalaya,  longe,  de  la  Pata- 
gonie à l’Alaska,  les  rives  de  l’océan  Pacitique.  Dans  sa  parlie  la  plus 
méridionale,  la  Cordillère  est  simple  et  d’une  médiocre  hauteur; 
mais  en  se  dirigeant  vers  le  nord,  on  voit  graduellement  grandir 
son  élévation  moyenne  qui  atteint  deux  rnaxima  : en  Bolivie  et 
sous  l'équateur.  En  même  temps,  pendant  que  son  versant  occi- 
dental reste  toujours  abrupte,  à ce  point  que  des  montagnes  de 
6000m  sont  parfois  à moins  de  20  lieues  de  la  mer,  apparaissent 
sur  son  flanc  oriental  des  contre-forts  dont  l’importance  va  toujours 
grandissant,  jusqu’à  constituer  en  Bolivie  un  véritable  massif  de 
100  à 150  lieues  de  largeur  sur  une  hauteur  moyenne  de  4000m,  où 
se  distinguent  surtout  deux  chaînes  parallèles  déterminant  la  haute 
vallée  du  lac  de  Titicaca  (59I5m).  Ces  deux  chaînes,  avec  leur  vallée 
intermédiaire  entrecoupée  de  nœuds , où  prennent  naissance  le 
Maranon  et  l’Ucayali,  où  sont  bâties  la  Paz,  Puno,  Cuzco,  Quito  et 
d’autres  villes,  s’abaissent  d’abord  en  s’étalant  jusqu’au  nœud  de 
Pasco,  puis  se  relèvent  et  atteignent  leur  point  culminant  juste  sous 
l’équateur.  Ici,  l’arête  orientale  se  bifurque  à son  tour  et  se  termine 
à la  mer,  par  la  chaîne  de  Venezuela  et  la  Nevada  de  Sanla-Marta, 
dont  le  principal  sommet,  la  Horqueta  (5500m),  se  dresse  presque 
sur  le  bord  de  la  mer  des  Antilles. 

La  Cordillère  occidentale,  singulièrement  réduite  en  hauteur, 
forme  ensuite  l’isthme  de  Panama,  longe  le  Pacifique  dans  l’Amé- 
rique centrale,  se  relève  et  s’étale  au  Mexique.  De  là  partent, 
comme  dans  l’Amérique  du  Sud,  deux  grandes  chaînes  parallèles, 
mais  cette  fois  beaucoup  plus  éloignées  l’une  de  l’autre,  et  du  reste 
beaucoup  moins  élevées.  A l’est,  la  ligne  de  faite  des  monts  du  Nou- 
veau-Mexique, des  montagnes  Rocheuses,  des  monts  des  Chipways, 
sépare  les  eaux  de  l’Atlantique  de  ceux  du  Pacifique.  La  chaîne 
occidentale  demeure  voisine  de  l’Océan,  et  est  interrompue  dans 
son  parcours  pour  le  libre  passage  du  Colorado  et  de  la  Columbia. 

Sur  l'immense  étendue  de  cette  arête  montagneuse  se  dressent  des 
montagnes,  pour  la  plupart  volcaniques,  d’une  prodigieuse  hau- 
teur. L’impertinence  du  chanoine  Bourrit  nous  parait  grande  d’a- 
voir prétendu  que  « comparées  aux  Alpes  suisses,  ces  montagnes 
de  l’Amérique  méridionale  ne  sont  que  des  nains  montés  sur  de 


14 


HISTORIQUE. 


grands  piédestaux 1 » ; il  y a cependant  un  fonds  de  vérité  dans  son 
dire,  et  il  n’est  pas  sans  intérêt  pour  notre  sujet. 

Précisément  sous  l’équateur,  des  terrasses  de  la  ville  de  Quito, 
Pœil  étonné  contemple  onze  montagnes  volcaniques  couvertes  de 
neiges  éternelles.  Les  unes,  comme  le  Cayambe  (5950m),  l’Iliniza 
(5250"'),  le  Chimborazo  (6420m),  sont  aujourd’hui  éteintes;  d’au- 
tres, comme  le  Pichincha  (4860111),  l’Antisana  (5880"'),  le  Cotopaxi 
(5945m),  lancent  encore  des  fumées  ou  des  flammes.  On  a pendant 
longtemps  considéré  le  Chimborazo  comme  la  cime  la  plus  haute 
des  Andes;  c’est  une  erreur.  Plus  élevé  encore  est  l’Aconcagua 
(6855m),  dans  les  Andes  du  Chili,  et  surtout  l’Illimani  (7510"')  et  le 
Sorate  (7560"')  qui  bordent  le  lac  de  Titicaca. 

Une  foule  de  montagnes,  comme  le  Tolima  (5525"'),  le  Puracé 
(51 85m)  en  Colombie;  le  Cotocachi  (4950m),  le  Sangay  (5044m),  le 
Sinchalagua  (5200m),  le  Tunguragua  (5020m),  le  Llanganati  (5595"'), 
l’Altar  (5240"'),  le  Sara-urcu  (5140m),  dans  la  République  de  l’Equa- 
teur; le  Misli  (6100m),  le  Chipicani  (6180m),  le  Jachura  (5180m),  le 
Tacora  (5700'"),  le  Parinacota  (6550'"),  le  Nevado  Vilcanota  (5560'"), 
le  Lirima  (7470'"),  au  Pérou  ; le  Sahama  (701 5m) , le  pic  Farinacobo 
(6714m),  le  Gualatiéri  (6690m),  le  Cerro  de  Potosi  (6620'"),  l’Ata- 
cama  (5300'"),  le  Coolo  (6870m),  le  Soololo  (6795m),  le  Quenuta 
(687üm),  le  Pomarape  (6580'"),  en  Bolivie;  la  Nevada  de  Famatina 
(5820'")  dans  la  République  Argentine  ; le  Cerro  del  Plomo  (5455'“), 
la  Cima  del  Mercedario  (6800'"),  le  Juncal  (5960'"),  le  Tupungato 
(61 80m) , le  Maypu  (5585'"),  le  San-José  (6100"'),  au  Chili,  dépassent 
de  beaucoup  les  Alpes  et  meme  le  Caucase 2. 

Les  passages  qu’ont  à franchir  les  voyageurs  qui  se  rendent  des 
côtes  du  Pacifique  aux  grandes  villes  de  la  Cordillère  ou  directe- 
ment aux  bassins  de  l’Orénoque,  de  l’Amazone  ou  de  la  Plata,  attei- 
gnent toujours  à leurs  points  culminants  des  hauteurs  capables 
d’impressionner  l’organisme.  La  grande  route  que  les  Incas  avaient 
construite,  de  Cuzco  à Quito,  traverse  le  passage  du  nœud  de  l’As- 
suay  à 4735m  ; de  Potosi  à la  Paz,  le  voyageur  reste  sans  cesse  à des 
hauteurs  de  4000"'  et  plus  : le  poste  de  Talapolco  est  à 4190'".  Dans 
la  République  de  l’Equateur,  les  passages  par  lesquels  on  peut  al- 
ler de  Quito  à la  mer  sont  par-delà  4000'";  la  route  de  Lima  à Pasco 

1 Nouvelle  description  des  glacières  et  des  glaciers  des  Alpes , 2e  éd.,  t.  II,  p.  87.  — 
Genève,  1785. 

2 Outre  les  sources  indiquées  plus  haut  en  note  (page  4),  j’ai  fait  pour  ces  hauteurs 
de  nombreux  emprunts  à Klôden,  Handbuch  der  Erdkunde , Berlin,  1869,  et  à Stein. 
édition  de  VV'appens  : Hctndbuch  der  Géographie,  Leipzig,  1865-70. 


15 


LES  RÉGIONS  ÉLEVÉES  DU  GLOBE. 

passe  à l’Alto  de  Lachagual,  par  4710“;  celle  de  Lima  à Tarina,  à 
4800“.  Au  Pérou,  le  col  de  Vilcanota,  entre  Cuzco  et  la  mer,  est  à 
4425m  ; la  route  d’Arequipa  à Puno  passe  à 4750m;  la  maison  de 
poste  d’Ancomarca,  entre  Arica  et  la  Paz,  est  à 4330“;  la  passe 
de  Qualillas  à 4420“,  celle  de  Tacora  à 4390“,  et  celle  de  Chullun- 
quiani  à 4620“.  Enfin,  des  deux  chemins  de  fer  qui  traversent  la 
Cordillère,  celui  qui  va  de  Puerta  Mejia  au  lac  de  Titicaca  a son 
point  culminant  à Crucero  (4460m)  : de  là  il  se  dirige  sur  Cuzco,  se 
maintenant  entre  3500  et  4300“  ; le  dernier  construit,  entre  le  Callao 
et  la  Oroya,  passe  à 4760“,  dans  un  tunnel  qu’il  a fallu  creuser  ainsi 
presque  à la  hauteur  du  Mont-Blanc. 

Mais  la  route  la  plus  habituellement  fréquentée  jusqu’ici  parles 
voyageurs,  pour  passer  d’un  océan  à l’autre,  était  celle  qui  traverse 
les  Andes  de  Mendoza  à Santiago.  Elle  conduit  en  effet  de  Buenos- 
Av  res  à Valparaiso  (417  lieues),  et  de  l’un  ou  de  l’autre  de  ces 
points  permet  d’atteindre  facilement  par  voie  de  mer,  aux  autres 
ports  de  l’Atlantique  ou  du  Pacifique.  Quatre  passages  se  présen- 
tent, qui  sont,  du  nord  au  sud  : celui  de  « los  Patos  »,  de  Cordova  à 
San-Juan,  longtemps  abandonné;  celui  du  Cumbre  d’Uspallata,  plus 
fréquenté  (3920“)  ; et  celui  du  Portillo,  qui  force  à traverser  deux 
cols  dont  l’un  n’a  pas  moins  de  4360“.  Enfin,  le  dernier,  qui  est  le 
moins  élevé  des  Andes  chiliennes,  celui  de  Planchon,  qui  va  droit 
au  port  de  Conception,  arrive  encore  à 2500“  de  hauteur. 

Sur  le  long  parcours  de  l’Amérique'  centrale,  la  Cordillère  se 
maintient  à un  niveau  moyen;  seul,  parmi  les  innombrables  vol- 
cans dont  elle  est  hérissée,  celui  d’Acatenango  (4150“),  dans  le 
Guatemala,  dépasse  4000“. 

La  ville  de  Mexico  est,  comme  la  ville  de  Quito,  entourée  de 
montagnes  : le  Toluca  (4580“),  l’Ixtaccihualt  (4790“),  le  Chicle, 
au-dessus  de  laquelle  passa  en  ballon  Robertson  le  jeune,  et  le 
Popocatepetl  (5420“).  Le  Citlaltepetl  ou  pic  d’Orizaba,  (5400“)  en 
est  éloigné  d’environ  60  lieues. 

Bans  les  montagnes  Rocheuses,  il  faut  noter  surtout  l’Uncom- 
pahgre  Peak  (4450“);  le  Pike’s  Peak,  au  sommet  duquel  (4540“)  les 
Etats-Unis  viennent  d’installer  un  observatoire  météorologique  ; le 
mont  Lincoln  (4500“);  le  Long’s  Peak  (4510“)  et  le  pic  Frémont 
(4130“)  entre  lesquels  passe  à 2500“  de  hauteur  le  grand  chemin 
de  fer  de  New-York  à San-Francisco;  à côté  l’un  de  l’autre,  le  mont 
Brown  (4850“)  et  le  mont  Hooker  (5 100“).  Les  montagnes  qui  lon- 
gent le  Pacifique  laissent  passer  l’Orégon  entre  la  sierra  Nevada  de 


16 


HISTORIQUE. 


Californie  dont  les  sommets  les  plus  élevés  sont  le  mont  Whitnev 
(4500m),  le  mont  Tyndall  (4380“)  et  le  mont  Shasta  (4400,n),  et  la 
chaîne  des  Cascades,  avec  le  mont  Baker  (3390,n),  le  mont  llood 
(5420“)  et  le  mont  Rainier  (4400111)  comme  points  culminants. 

A l’extrémité  septentrionale  se  dressent,  sur  les  bords  même  de 
l’Océan,  les  plus  hauts  sommets  de  l’Amérique  du  Nord,  le  mont 
Fairweather  (4620m)  et  le  mont  Saint-Elias  (5440'").  Enfin,  dans  l’A- 
laska, le  volcan  Gorjaloja  termine  l’immense  chaîne  américaine, 
qui  s’est  ainsi  allongée  sur  plus  de  4500  lieues. 

Afrique.  — L’Afrique  est  loin  de  posséder  des  chaînes  de  monta- 
gnes qui  se  puissent  comparer  à l’IIimalaya,  aux  Andes  ou  même 
aux  Alpes.  Cependant  la  ceinture  montagneuse  qui,  à peu  de  distance 
de  la  mer,  entoure  les  vastes  plateaux  de  l’intérieur,  se  relève  en 
divers  points  à des  hauteurs  notables.  L’Atlas,  qui,  dans  les  posses- 
sions tunisiennes  et  françaises,  n’atteint  jamais  5000m,  les  dépasse 
quelquefois  au  Maroc,  où  le  mont  Miltsin  mesure  5470,u.  En  Abyssi- 
nie, le  cercle  montagneux  qui  entoure  Gondar  et  le  lac  Zana  s’élève 
sur  certains  points  jusqu’à  4425'"  (Abba-Jarct),  même  4620"1  (Raz- 
Daschan);  la  passe  de  Buhait  est  à 4520m.  Sur  les  bords  de  l’Atlan- 
tique, le  pic  de  Fernando-Po  monte  à 5260m,  et,  en  face  de  lui,  les 
monts  Camerons,  peut-être  le  Octov  o/r^m  de  Hannon,  atteignent 
4000m.  Dans  la  colonie  de  Natal,  la  chaîne  du  Drakenberg  présente 
des  sommets  de  plus  de  5000m  : Cathkin  Peak  (3150m).  Enfin,  pres- 
que sous  l’Équateur,  près  des  bords  de  l’océan  Indien,  les  monts 
Renia  ont  5000m,  et  le  Kilimandjaro  dresse  sa  cime  éternellement 
neigeuse  à 6110“.  Ajoutons  que,  dans  l’intérieur,  une  montagne 
élevée  a été  signalée,  dont  les  sommets  dépassent  5000m;  c’est 
l’Alantika,  qui  se  relie  aux  monts  Camerons. 

Iles.  — Les  îles,  dont  il  nous  reste  à parler,  ne  contiennent  qu’un 
petit  nombre  de  montagnes  dont  la  hauteur  soit  assez  grande  pour 
que  leur  ascension  amène  des  troubles  physiologiques.  Le  point  cul- 
minant des  Alpes  australiennes,  le  mont  Kosciusko,  n’atteint  que 
2190“.  Mais,  à la  Nouvelle-Zélande,  plusieurs  dépassent  5000'",  et 
le  géant  de  l’île  du  sud,  le  mont  Cook,  va  jusqu’à  3770m.  La  Nou- 
velle-Guinée contient  plusieurs  montagnes  volcaniques  qui  ne  le 
cèdent  pas  à celles  de  la  Nouvelle-Zélande  : l’Owen  Stanley,  la  plus 
élevée,  mesure  4020“;  mais  je  suis  loin  de  compter  parmi  elles 
ce  mont  Hercule,  haut  de  10  929“,  dont  un  capitaine  anglais, 
M.  Lawson  a annoncé  tout  récemment  la  découverte,  et  sur  les  lianes 
duquel  il  prétend  avoir  grimpé  jusqu’à  8455“.  Dans  file  d’Hawaï, 


LES  RÉGIONS  ÉLEVÉES  DU  GLOBE. 


17 


parmi  plusieurs  volcans  encore  en  action,  le  Mauna  Loa  s’élève  à 
4250“,  et  le  Mauna  Kea  à 4195“  ; dans  l’ile  voisine  de  Maui,  le  Mau- 
na Haleakala  atteint  5110“.  Les  innombrables  volcans  qui  forment 
File  de  Java  ont  aussi  de  hauts  sommets  : le  Gounong-Simeron  me- 
sure 5500“,  le  Semerœ  5750“.  A Sumatra,  je  signalerai  FIndrapura 
(5870“)  et  le  Dempo  (5500“);  à Bornéo,  le  Kini  Ballu  (4175“). 
L’arête  montagneuse  de  File  Formose  présente  des  sommets  de 
5 à 4000“.  Dans  le  Nipon,  parmi  d’autres  montagnes  élevées,  le 
volcan  Fusiyama,  la  « montagne  sans  pareille  » domine  à 4520“  de 
hauteur  la  rade  de  Yeddo.  Enfin,  au  pôle  Sud,  les  volcans  élevés  de 
la  terre  de  Victoria,  l’Érebus  (5800“),  le  Melbourne  (4500“),  et,  sur 
le  cercle  polaire  du  Nord,  ceux  du  Kamtchatka,  dont  le  plus  haut  est 
le  Klioutchef  (4805“),  terminent  cette  ceinture  volcanique  qui  borde 
sur  tout  son  pourtour  américain  ou  asiatique  l’océan  Pacifique. 

Dans  File  de  Ceylan,  le  pic  sur  lequel  les  pèlerins  vont  adorer  le 
Cri-Pada,  la  trace  du  pied  de  Boudba  ou  d’Adam,  ne  monte  qu’à 
2420“.  Les  montagnes  de  Madagascar  atteignent,  dans  leur  point 
culminant,  FAnkaratra,  5550“.  Le  Piton  de  Neige,  à la  Réunion, 
mesure  5070“.  Enfin,  l’indication  des  volcans  de  Ténôriffe  (5715“) 
et  de  l’Etna  (5510“)  termine  cette  longue  énumération  de  tous  les 
lieux  du  globe  dont  l’élévation  est  assez  grande  pour  que  leur  as- 
cension puisse  amener  des  troubles  physiologiques  dont  la  gravilé 
attire  forcément  l’attention  des  voyageurs. 

Résumé.  — Tout  ceci  peut  se  résumer  rapidement  sous  une  forme 
saisissante.  Supposons  que  la  masse  des  eaux  sur  le  globe  augmente 
assez  pour  que  le  niveau  des  mers  s’élève  de  5000“.  Que  resterait- 
il,  émergeant  au-dessus  d’un  océan  presque  sans  limite? 

La  plus  vaste  terre  serait  formée  par  les  hauts  plateaux  du  Thibet, 
du  Vokan,  du  Pamir,  sur  lesquels  s’élèveraient  de  nombreuses  mon- 
tagnes de  4 à 5000“  ; son  étendue  serait  deux  ou  trois  fois  plus 
grande  que  celle  de  la  France.  On  en  verrait  partir  en  divergeant 
des  séries  d’îles  qui  marqueraient  la  trace  des  chaînes  du  Thian- 
Shang,  de  Flndou-kouch,  du  Soleiman,  des  montagnes  du  Yunam  et 
de  la  Chine. 

A l’autre  extrémité  d’un  diamètre  terrestre,  une  longue  bande  s’é- 
tendant de  l’équateur  au  tropique  du  Capricorne,  s’élargissant  à 
ses  deux  extrémités  et  surtout  au  midi,  dans  la  région  correspon- 
dante à la  Bolivie,  se  prolo  ngerait  vers  le  sud  et  vers  le  nord  par  des 
chapelets  d’il  es  élevées  et  pressées  les  unes  contre  les  autres  : c’est 
tout  ce  qui  resterait  des  Andes. 


18 


HISTORIQUE. 


Le  plateau  d’Arménie,  séparé  des  crêtes  émergeantes  du  Caucase, 
constituerait  une  dernière  terre  beaucoup  plus  petite  que  les  deux 
autres,  que  flanqueraient  quelques  sommets  du  Taurus  et  des 
monts  Elburs. 

Puis  la  région  des  Alpes  serait  devenue  un  archipel  compliqué, 
avec  îles  et  îlots  innombrables,  Oberland,  Grisons,  massif  du  mont 
Rose,  massif  du  mont  Blanc.  Des  Pyrénées  il  ne  resterait  que  quel- 
ques sommets  voisins  de  la  Maladetta.  Le  Mulahacen  et  l’Etna  émer- 
geraient seuls  encore  en  Europe. 

De  l’Afrique,  on  ne  verrait  que  le  croissant  abyssinien  et  des 
points  isolés  : quelques  îles  dans  l’Atlas  marocain,  le  pic  de  Téné- 
riffe,  celui  de  Fernando-Po,  les  monts  Camerons,  le  Kilimandjaro 
et  le  Kénia,  quelques  cimes  du  Drakenberg,  l’Ankaratra  de  Mada- 
gascar. 

L’Amérique  du  Nord  laisserait  encore  au-dessus  des  eaux  un  cer- 
tain nombre  de  sommets  appartenant  aux  volcans  du  Guatemala  et 
du  Mexique,  aux  montagnes  Rocheuses,  à celles  des  Cascades,  à la 
sierra  Nevada;  plus  au  nord,  le  mont  Saint-Elias,  et  les  volcans  de 
l’Alaska,  faisant  face  à ceux  du  Kamtschalka.  Enfin,  de  l’Océanie 
disparue  il  ne  resterait  plus  que  les  volcans  des  terres  australes,  de 
la  Nouvelle-Zélande,  d’Haïti,  de  la  Nouvelle-Guinée,  des  îles  de  la 
Sonde,  de  Formose  et  du  Japon. 

Ce  sont  ces  régions,  si  réduites  en  surface,  dont  l’étude  nous  in- 
téresse ici.  La  revue  que  nous  en  avons  passée  montre  que  toutes 
ces  montagnes  diffèrent  singulièrement  les  unes  des  autres  non- 
seulement  par  leur  hauteur,  mais  par  leur  disposition  générale. 
Les  unes  s’élèvent  rapidement,  d’un  seul  jet,  pour  ainsi  dire,  à leur 
hauteur  totale;  c’est  le  fait,  par  exemple,  des  montagnes  insulaires 
et  de  celles  du  versant  occidental  de  la  Cordillère  des  Andes.  Chez 
d’autres,  les  assises  s’entassent  progressivement  les  unes  sur  les  au- 
tres, et  des  sommets  d’une  hauteur  prodigieuse  ne  semblent  pas, 
sur  leurs  bases  élevées,  égaler  des  pics  isolés  qu’ils  dépassent  en 
réalité.  Nous  montrerons,  dans  la  troisième  partie  de  cet  ouvrage, 
que  ces  dispositions  orographiques  différentes  ont  une  grande 
importance  au  point  de  vue  de  notre  étude. 

Neiges  éternelles.  — La  latitude  de  ces  montagnes  n’en  présente 
pas  moins.  Elle  est  en  effet  intimement  liée  à la  question  de 
température.  Or,  la  limite  à laquelle  commencent  les  neiges  éter- 
nelles traduit  assez  fidèlement  celle-ci. 

Dans  nos  Alpes  et  nos  Pyrénées,  vers  45-47°  de  latitude  nord, 


19- 


LES  RÉGIONS  ÉLEVÉES  DU  GLOBE. 

cette  limite  est  un  peu  au-dessus  de  2 7 00m ; sur  l’Etna  (38°  lat.  N.) 
elle  remonte  à 2900m.  Dans  les  massifs  montagneux  du  centre  de 
l’Asie,  du  Pamir  (40°  lat.  N.)  aux  monts  du  Boutan  (27°  lat.  N.), 
elle  oscille  entre  les  hauteurs  énormes  de  4000  à 6000m,  plus  éle- 
vée, tout  naturellement,  dans  les  régions  les  plus  voisines  de  l’équa- 
teur, et  aussi,  fait  très-curieux,  sur  le  versant  des  montagnes  qui 
regardent  le  nord  ; sur  le  Gaurisankar,  les  neiges  n’apparaissent 
qu’à  5500m  au  nord,  tandis  qu’on  les  voit  déjà  à 4900m  au  sud;  la 
chaîne  du  Karakorum  est,  sur  certains  points,  dépouillée  de  neige 
jusqu’à  6500m  (Schlagintweit).  En  Abyssinie  (13°  lat.  N.)  la  limite 
est  par  4300m  environ,  et  au  Kilimandjâro  (3°  lat.  S.)  on  estime  sa 
situation  à un  peu  plus  de  5000m.  La  Cordillère,  dans  sa  longue  ex- 
tension du  Sud  au  Nord,  ne  saurait  se  prêter  à une  appréciation 
moyenne.  Sous  l’équateur,  les  volcans  qui  entourent  Quito  ne  se 
laissent  recouvrir  par  les  neiges  éternelles  qu’à  partir  de  4800m. 
D’une  manière  générale,  ce  niveau  glacé  s’abaisse  à mesure  qu’on 
s’éloigne  de  l’équateur;  ainsi  au  Popocatepetl  (19°  lat.  N ),  il  n’est 
plus  qu’à  4300m.  Mais  dans  les  Andes  de  Bolivie,  et  particulièrement 
dans  les  montagnes  qui  bordent  à l’ouest  le  lac  Titicaca  (16° lat.  S.), 
il  s’élève  d’une  manière  singulière,  jusqu’à  atteindre  6000m  : bien 
supérieur  à ce  qu’on  observe  dans  les  montagnes  de  l’Est  où  il  se 
maintient  vers  4800m.  Dans  les  Andes  du  littoral  Chilien,  sur  le 
volcan  Corcobado  (2290m),  par  43°  lat.  JS.,  c’est-à-dire  à la  même 
distance  de  l’Équateur  que  la  Maladetta,  il  n’est  qu’à  1800m.  Sur  le 
montHooker  (52°  lat.  N.)  il  est  à 2600m,  sur  le  mont  Élias  (60°  lat. 
N.)  à 1500m,  et  sur  le  Bàren-Berg  (2096m)  de  l’île  de  Jan  Mayen  (71° 
lat.  N.),  à 400m  seulement.  Sur  la  Terre  de  Feu,  au  mont  Sarmiento 
(2075m),  par  54°  lat.  S.;  la  limite  n’est  qu’à  1100m,  bien  plus  bas 
qu’au  mont  Élias,  qui  cependant  est  beaucoup  plus  près  du  pôle. 

Êtres  vivants.  — L’extension  de  la  végétation  en  hauteur  varie 
comme  la  limite  des  neiges  qui  l’arrêtent  perpétuellement.  Tandis 
que  dans  nos  Alpes  la  région  des  forêts  se  termine  vers  1800m,nous 
voyons,  dans  les  Andes  tropicales,  la  vigne,  les  quinquinas,  les  chê- 
nes, s’élever  jusqu’à  3000m.  Dans  l’Himalaya,  la  limite  est  bien  plus 
reculée  encore,  puisqu’on  cultive  l’abricotier  par  plus  de  3000m, 
et  que  les  bouleaux  et  les  peupliers  montent  à 4200m. 

Les  animaux  suivent  naturellement  la  végétation;  les  oiseaux 
n’échappent  pas  à cette  règle,  et  si,  sur  les  flancs  du  Chimborazo, 
on  a vu  quelquefois  les  Condors  planer  à la  prodigieuse  hauteur 
de  7000111,  cela  tient  à ce  que  2 à 3000  mètres  plus  bas,  les  pâtu- 


20 


HISTORIQUE. 


rages  peuplés  de  Lamas,  d’ Au  truelles,  etc.,  leur  assurent  une  nour 
riture  abondante. 

Les  habitations  humaines  obéissent  à la  môme  loi.  Dans  l’Europe 
centrale,  on  ne  voit  que  peu  de  villages  dépassant  1500m;  le  plus 
élevé  des  Pyrénées,  Porté,  est  par  16*25™ ; Saint-Véran,  dans  les 
Hautes-Alpes,  et  Soglio,  dans  les  Alpes  Rhétiennes,  sont  par  2050™. 
Au-dessus,  on  ne  trouve  que  quelques  chalets  inhabités  en  hiver. 
L’hospice  du  Sainf-Gothard  est  à 2090™,  celui  du  Bernina  à 2500™; 
le  plus  haut  des  pâturages  d’été  que  fréquentent  les  pâtres  alpestres 
est  celui  de  Fluhalpe,  à 2550™,  et  l’on  sait  que  la  population  mona- 
cale de  l’hospice  du  grand  Saint-Bernard  (2470™)  ne  peut  être  en- 
tretenue que  grâce  au  double  attrait  des  récompenses  célestes 
et  des  grasses  prébendes  italiennes  promises  aux  moines  après 
quelques  années  d’un  pénible  séjour  sur  la  montagne. 

Dans  les  montagnes  Rocheuses,  Central  City  est  à 5460™  sur  les 
flancs  de  Long’s  Peak  (40°  lat.  N.). 

Dans  les  Andes,  ce  ne  sont  pas  seulement  des  villages,  mais  des 
villes  populeuses  qu’on  trouve  bâties,  en  grand  nombre,  sur  les 
hauts  lieux.  Mexico  esta  2290™,  Santa-Fé  de  Bogota  à 2560™,  Quito, 
avec  ses  60  000  habitants,  à 2910™,  Cuzco  à 5470™,  Micuipampa  à 
5620™,  la  Paz  à 5720™,  Puno  à 5920™,  Tacora  à 4170™;  Potosi,  qui  a 
compté  jadis  plus  de  100  000  habitants,  est  par  4165™,  Oruro  par 
4090™,  Torata  par  4175™,  Portugalete  par  4290™,  Cerro  de  Pasco  par 
4550“;  au  Pérou  et  en  Bolivie,  la  plus  grande  partie  de  la  popula- 
tion habite  au-dessus  de  5000™  E Des  villages,  des  métairies  s’élè- 
vent à des  niveaux  supérieurs  encore.  Les  mines  de  Chouta  sont 
exploitées  à 4480™,  celles  de  Iluancavelica,  à 4655™,  celles  de  Villa- 
cota  à 5042™  (Pissiz).  La  maison  de  poste  de  Rumihuani,  dans  l’illi- 
mani,  est  à 4740™.  Le  chemin  de  fer  d’Aréquipa  à Puno  traverse, 
comme  nous  l’avons  vu,  la  Cordillère  à 4460™  de  hauteur,  et  celui 
du  Callao  à la  Orova  présente  à son  point  culminant  un  tunnel  situé 
à 4760™;  or  ces  travaux  gigantesques  ont  nécessité  le  séjour  pro- 
longé d’un  grand  nombre  d’ouvriers. 

Dans  l’Himalaya,  l’homme  a fixé  sa  demeure  à des  hauteurs  tout 
aussi  étonnantes.  Selon  les  frères  Schlagintweit,  la  capitale  du  pe- 
tit Thibet,  Leh,  est  bâtie  à 5505™;  dans  la  meme  contrée,  Mu- 
glab,  Kibar,  villes  construites  en  pierre,  sont  à 4150™  et  4220™;  le 
village  de  Chushul,  le  plus  élevé  de  l’Himalaya  parmi  ceux  qui 

1 Jourdanet,  Influence  de  la  pression  de  l'air  sur  la  vie  de  i homme,  l.  I,  p.  108.  — 
Paris,  1875. 


LES  RÉGIONS  ÉLEVÉES  DU  GLOBE. 


21 


sont  habités  toute  l’année,  està  4590ra;  le  monastère  Bouddhique 
de  Hante,  dans  le  Ladak,  est  à 4610“  : une  vingtaine  de  lamas  y 
résident. Quant  aux  villages  habités  l’été  seulement,  ils  sont  fré- 
quemment situés  entre  4500“  et  4900“;  ainsi  Norbu  est  à 4860“. 
En  été,  les  troupeaux  vont  paître  dans  des  pâturages  qui  atteignent 
5000“,  tels  que  celui  de  Larsa,  à 4980“\  Sur  les  hauts  plateaux  du 
Yokhan  et  du  Pamir,  les  Kirghises  conduisent  à 4700“  leurs  yaks  et 
moulons.  Le  Mirza  envoyé  par  M.  Monfgomerie  au  Thibet  signale 
môme  un  village,  Thok-Djalank,  à la  hauteur  extraordinaire  de 
4980“. 

Les  Andes  etl’Himalaya  comprennent  les  deux  seules  régions  du 
globe  où  des  populations  qui  se  comptent  par  millions  d’âmes  vi- 
vent régulièrement  au-dessus  de  5000“.  Déjà,  sur  les  hauts  plateaux 
du  Mexique,  les  régions  habitées  par  un  grand  nombre  d’hommes 
descendent  à 2000“  environ;  en  Abyssinie,  elles  sont  plus  basses 
encore;  Gondar  est  à 2220“  et  le  village  d’Endschetkab,  qui  parait 
être  le  plus  élevé  de  l'Abyssinie,  à 2960“. 

Il  en  est  de  même  à peu  près  pour  les  habitants  des  montagnes 
arméniennes  : Hispahan  est  bâti  à 1540u\  Erzeroum  à 1860“  et 
Kars  à 1960“.  En  Europe,  comme  nous  l’avons  vu,  le  niveau 
s’abaisse  encore. 

Les  hommes  qui  vivent  à ces  hauteurs  sont  assurément  dans  des 
conditions  fort  différentes  de  celles  qui  se  rencontrent  sur  le  bord 
de  la  mer.  A 5500“,  un  litre  d’air  pèse  juste  moitié  moins  qu’au 
niveau  de  la  mer:  à 5500“,  un  tiers  moins,  à 2500“,  un  quart. 
Ces  conditions  parliculières  sont-elles  avantageuses  ou  défavorables 
pour  le  développement  matériel  ou  intellectuel  de  l’homme?  C’est 
ce  que  j’essaierai  de  discuter  dans  la  troisième  partie  de  ce  livre. 
Je  dois  rappeler,  du  reste,  à mes  lecteurs,  que  les  influences  lentes, 
progressives,  que  peuvent  exercer  sur  les  générations  successives 
le  séjour  dans  les  hautes  montagnes  ne  m’arrêteront  que  peu.  Je 
renvoie,  pour  ces  questions  si  importantes  en  hygiène  et  en  politi- 
que, au  livre  remarquable  de  M.  Jourdanet.  Ici,  et  tout  particulière- 
ment dans  cette  partie  consacrée  à l’exposition  des  documents  his- 
toriques, il  ne  sera  question  que  des  accidents  soudains,  manifestes, 
qu’amène  chez  les  hommes  et  les  animaux  le  changement  brusque 
et  considérable  de  niveau  et  par  suite  de  pression  barométrique. 
Aussi  est-ce  aux  récits  des  voyageurs,  racontant  le  plus  souvent 

Schlagintweit,  Resulls  of  a scientific  mission  to  India  and  Hiyh  Asia.  in  1854-1858 

5 vol.  1861-1865;  t.  II,  p.  477. 


22 


HISTORIQUE. 


leurs  propres  impressions,  que  je  ferai  appel  dans  les  pages  qui 
vont  suivre. 

J’ai  divisé  cet  historique  en  trois  chapitres  distincts.  Le  pre- 
mier contient  les  témoignages  dont  je  viens  de  parler;  je  les  ai 
classés  par  régions  orographiques,  et  énumérés  chronologiquement. 
Je  n’ai  certes  pas  la  prétention  d’être  dans  cette  énumération  abso- 
lument complet  ; mais  je  pense  n’avoir  rien  laissé  échapper  de  vrai- 
ment intéressant. 

Dans  le  second  sont  rapportés  les  récits  des  aéronautes.  Enfin, 
dans  le  troisième  j’ai  groupé  les  expériences  de  laboratoire,  exécu- 
tées dans  le  but  d’étudier  l’influence  de  la  pression  diminuée,  les 
interprétations  théoriques  qu’ont  données  à priori  divers  physiolo- 
gistes des  troubles  observés  pendant  les  ascensions  de  montagnes,  et 
enfin  les  explications  tentées  par  les  voyageurs  eux-mêmes,  avec  les 
opinions  populaires  su:  ces  étranges  malaises.  Je  m’arrête,  bien  en- 
tendu, dans  ce  chapitre,  aux  discussions  qu’ont  soulevées  mes  pro- 
pres recherches;  mon  but  est  de  montrer  quel  était  l’état  de  la 
science  au  moment  où  j’ai  commencé  mes  expériences.  Enfin,  un 
dernier  chapitre  résume  à la  fois  tous  les  faits  observés  et  toutes 
les  théories  émises. 


CHAPITRE  PREMIER 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES 


§ 1er.  — Amérique  méridionale 

C’est  aux  récits  des  voyageurs  qui  suivirent  les  premiers  con- 
quérants américains  que  nous  devons  la  notion  des  accidents  qui  at- 
teignent l’homme  lorsqu’il  s’élève  à une  certaine  hauteur  sur  le 
flanc  des  montagnes.  Il  fallut,  pour  avoir  cette  connaissance  élé- 
mentaire, queCortez  ait  en  1519  attaqué  le  Mexique  et  que  Pizarre, 
vingt-cinq  ans  plus  tard,  ait  pris  Quito  et  soumis  le  Chili  et  le  Pé- 
rou. Cependant  les  conquérants  eux-mêmes  se  préoccupèrent  peu 
du  surcroît  de  souffrances  que  leur  apportait  un  mal  inconnu  ; du 
moins,  leurs  historiens  n’en  parlent  pas.  Dans  le  récit  des  deux 
expéditions  qui  par  l’ordre  de  Cortez  montèrent,  en  1519  et  1522, 
au  cratère  du  Popocatepetl  (5420m),  expéditions  dont  la  dernière  a 
été  racontée  en  détails  par  Herrera  4,  on  ne  voit  pas  que  le  mal  des 
montagnes  soit  bien  nettement  indiqué. 

Les  compagnons  (62  cavaliers  et  102  fantassins)  de  François  Pi- 
zarre, dans  la  marche  téméraire  qui,  de  la  côte  du  Pacifique,  les 
amena  en  octobre  1552  à Cuzco,  au  coeur  de  l’empire  des  Incas,  du- 
rent franchir,  à travers  mille  périls,  les  défilés  élevés  de  la  Cordil- 
lère des  Andes.  L’historien  Xérès1 2  qui  raconte  cette  merveilleuse 

1 Yoy.  Jourdanet,  Influence  de  la  pression  de  l'air  sur  la  vie  de  l’homme. — Paris, 
1875,  T.  I,  p.  212. 

2 Relation  véridique  de  la  conquête  du  Pérou  : in  Collection  de  voyages  pour  servir  à 
l'histoire  de  la  découverte  de  V Amérique,  par  Ternaux-Compans,  t.  IV,  Paris,  1857. 


HISTORIQUE. 


24 

expédition,  11e  parle  que  « du  grand  froid  que  l’on  éprouvait  sur 
ces  hauteurs  ».  Cependant,  ils  étaient  au-dessous  de  la  région  des 
neiges  perpétuelles;  le  sol  était  couvert  d’une  plante  semblable  à 
T « esparlo  corto  » (p.  65).  Ferdinand  Pizarre,  envoyé  par  son 
frère  de  Caxamalca  à Parcama  et  à Xauxa,  traversa,  le  5'  mars 
1555,  « une  grande  montagne  de  neige,  très-escarpée,  où  les  che- 
vaux entraient  jusqu’au  ventre  » (p.  157);  mais  pas  de  plainte 
spéciale. 

En  1554,  Pedro  de  Àlvarado  entreprit  avec  500  hommes  et  225 
chevaux  la  conquête  du  Pérou;  débarqué  au  cap  San-Francisco,  il 
atteignit  la  route  de  Cuzco  à Quito  en  un  point  situé  au  sud  d’Am- 
balo;  il  est  donc  évident  qu’il  effectua  le  passage  des  Andes  aux 
environs  du  Chimborazo.  Il  dut  s’y  élever  à une  hauteur  dépassant 
4800m,  puisqu’il  se  trouva  au  milieu  des  neiges  ; les  souffrances  de 
son  armée  furent  terribles  : 

Il  mourut , d’après  Herrera,  quinze  Castillans  et  six  femmes,  plusieurs 
nègres  et  deux  mille  Indiens.  Quand  ils  sortirent  des  neiges,  ils  avaient  tous  des 
figures  cadavériques.  Plusieurs  Indiens  qui  en  échappèrent  perdirent  les  doigts 
et  même  les  pieds  ; quelques-uns  restèrent  aveugles. 

La  grande  expédition  de  don  Diego  d’Almagro,  à la  conquête  du 
Chili,  amena  des  résultats  plus  effroyables  encore.  Sorti  de  Cuzco, 
en  1555,  il  voulut  passer  par  la  montagne,  malgré  ses  capitai- 
nes. L’Inca  Garcilasso  de  la  Vega1  a fait  de^  souffrances  de  l’armée 
un  récit  saisissant  : 

Comme  il  se  fut  engagé  dans  un  si  rude  pais,  il  en  porta  la  peine  bien-tost 
après  : car,  à quelques  journées  de  là,  ils  trouvèrent  d’étranges  obstacles  dans 
la  route  qu’ils  prirent.  Le  premier  fut  qu’ils  ne  pouvoient  marcher  à cause  des 
neiges — le  second,  que  les  vivres  commencèrent  à leur  manquer — et  le  troi- 
sième, que,  suivant  la  supputation  des  cosmographes  et  des  astrologues,  les 
Montagnes  portant  leur  sommet  jusques  dans  la  moyenne  Région  de  l’air,  le 
rendoient  si  froid,  pource  que  tout  y est  couvert  de  neige,  principalement  en 
un  temps  tel  que  celuy  que  nos  Advanturiers  avoient  pris,  qui  estoil  en  llyver, 
à le  prendre  selon  l’ordre  de  leurs  saisons,  aux  jours  les  plus  courts,  et  les  plus 
froids  de  l’année  ; qu’il  y eut  quantité  d’Espagnols,  de  Nègres,  d lndiens  et  de 
chevaux,  qui  furent  gelez  et  transis  de  froid.  Mais  les  Indiens  entr’autres,  pour 
èslre  vestus  à la  légère  en  eurent  la  meilleure  part.  De  15000  qu’ils  estoie.nt,  il 
y en  eut  plus  de  10000  de  morts  et  plus  de  150  du  costé  des  Espagnols,... 

C’est  probablement  par  les  régions  élevées  de  Tacora,  sur  la  route 

1 Histoire  des  guerres  civiles  des  Espagnols  dans  les  Indes.  Trad.  de  Baudoin,  p.  200. 
— Paris,  1050.  (L’ouvrage  original  a été  publié  à Cordoue  en  1015.)  Liv,  II,  chap.  xx, 

1 .1. 


25 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — AMÉRIQUE  DU  SUD. 

entre  la  Paz  et  Arica,  que  se  fit  cette  campagne,  si  malencontreuse- 
ment entreprise  en  plein  hiver  austral. 

En  1541  \ peu  de  temps  après  la  mort  de  Pizarre,  quatre  espa- 
gnols qui  faisaient  partie  d’une  expédition  sortie  de  l’Assomption, 
sous  les  ordres  de  Irala,  se  rendirent  à Lima,  en  passant  par  Po- 
tosi  et  Cuzco.  Un  envoyé  du  gouverneur  du  Pérou  avait  fait  le 
même  chemin,  « Miguel  Ruedo  et  Ahaic  étaient  tellement  épuisés 
par  les  fatigues  de  la  route,  dit  Ulrich  Sclimidel,  qui  faisait 
partie  de  l’expédition,  qu’ils  furent  obligés  de  rester  à Potosi 

(p.  222).  « 

Ces  récits,  comme  on  le  voit,  ne  mettent  en  avant  pour  expli- 
quer les  souffrances  et  les  désastres,  que  la  fatigue,  le  manque  de 
vivres  et  le  froid.  C’est  au  Père  jésuite  Acosta1 2,  qui  voyageait  dans 
l’Amérique  du  Sud,  vers  la  fin  du  seizième  siècle,  que  revient  l’hon- 
neur d’avoir  signalé  le  premier  des  souffrances  spéciales  dues  à 
une  cause  spéciale,  l’air  des  lieux  élevés.  Ajoutons  qu’il  en  a donné 
une  description  saisissante  : 

Je  copie  dans  la  traduction  qu’imprima  à Paris,  en  1596,  Robert 
Régnault  Cauxois,  la  partie  la  plus  intéressante  de  son  récit  : 

En  certains  endroits  des  Indes,  l'air  et  le  vent  qui  y court  estourdit  les 
hommes,  non  pas  moins,  mais  davantage  qu’en  la  mer.... 

11  y a au  Péru  une  montagne  haute  qu’ils  appellent  Pariacaca,  et  ayant  ouï 
dire  et  parler  du  changement  qu’elle  causoit,  j’allois  préparé  le  mieux  que  ie  pou- 
vois  selon  l’enseignement  que  donnent  par  delà  ceux  qu’ils  appellent  Vaquianos 
ou  experts  : mais  néantmoins  toute  ma  préparation,  quand  ie  vins  à monter  les 
escalliers  qu’ils  appellent,  qui  est  le  plus  haut  de  ceste  montagne,  ie  fus  subite- 
ment atteint  et  surprins  d’un  mal  si  mortel  et  estrange,  que  ie  fus  presque  sur 
le  point  de  me  laisser  choir  de  la  monture  en  terre,  et  encor  que  nous  fussions 
plusieurs  de  compagnie,  chacun  hastoit  le  pas  sans  attendre  son  compagnon, 
pour  sortir  vistement  de  ce  mauvais  passage.  Me  trouuant  donc  seul  avec  un 
Indien,  lequel  ie  priay  de  m’aider  à me  tenir  sur  la  monture,  ie  fus  épris  de  telle 
douleur  de  sanglots  et  de  vomissement,  que  ie  pensay  jetter  et  rendre  l’àme. 
D’autant  qu’après  auoir  vorny  la  viande,  les  phlegmes  et  la  colère,  l’une  jaune  et 
l’autre  verde,  ie  vins  iusque  à jetter  le  sang,  de  la  violence  que  ie  sentois  en 
l’estomach,  ie  dis  enfin,  que  si  cela  eust  duré,  i’eusse  pensé  certainement  es Lre 
arrivé  à la  mort.  Cela  ne  dura  que  trois  ou  quatre  heures,  iusques  à ce  que  nous 
fussions  descendus  bien  bas,  et  nous  fussions  arrivez  en  une  température  plus 
conuenable  au  naturel,  où  tous  nos  compagnôs,  quiestoyent  quatorze  ou  quinze, 
estoyent  fort  fatiguez,  quelques  uns  cheminans  demandoient  confession  pensans 
réellement  mourir,  les  autres  mettoyent  pied  à terre,  et  estoyent  perdus  de  vomis- 

1 Histoire  véritable  d'un  Voyage  curieux  dans  l'Amérique  de  1534  à 1554.  In  collec- 
tion Ternaux-Compans,  t.  V. 

2 Acosta  (José  de)  Historia  Natural  y Moral  de  las  Indias  : en  que  se  trata  de  cosas 
notables  del  Cielo , de  los  elementos,  metales,  plantas,  y animales,  etc.  (Sevilia,  1590), 


2G 


HISTORIQUE. 


sement,  et  de  force  d’aller  à la  selle,  et  me  fut  dict  qu’autrefois  quelques  uns 
y auoyent  perdu  la  vie  de  cest  accident.  Je  veis  un  homme  qui  se  despitoit  contre 
terre,  s’escriant  de  rage  et  de  douleur  que  luy  auoit  causé  le  passage  de  Paria - 
caca.  Mais  ordinairement  il  ne  fait  point  aucun  dommage  qui  importe,  autre  que 
cest  ennuy  et  fascheux  desgout  qu’il  donne  pendant  qu’il  dure.  Et  ce  n’est  pas  seu- 
lement le  pas  de  la  montagne  Pariacaca,  qui  a ceste  propriété,  mais  aussi  toute 
ceste  chaîne  de  montagnes  qui  court  plus  de  cinq  cens  lieues  de  long;  et  en  quel- 
que endroit  que  l’on  la  passe,  l’on  sent  ceste  estrange  intempérature,  combien 
que  ce  soit  en  quelques  endroits  plus  qu’ès  autres,  et  plus  à ceux  qui  montent  du 
costé  de  la  mer,  qu’à  ceux  qui  viennent  du  costé  des  plaines,  ie  l’ay  passée  mesme 
outre  de  Pariacaca  par  Lucanas  et  Soras,  et  en  autre  endroit  par  Colleguas,  et  en 
autre  par  Cauanas,  finalement  par  quatre  lieux  différens  en  diuerses  allées  et 
venues,  et  tousiours  en  cest  endroit  ay  senty  l’alteration  et  estourdissement  que 
i’ay  dict,  encor  qu’en  nul  endroit  ce  n’a  esté  tellement  que  la  première  fois  en 

Pariacaca,  ce  qui  a esté  expérimenté  par  tous  ceux  qui  y ont  passé 

Et  non-seulement  les  hommes  sentent  ceste  alteration,  mais  aussi  les  bestes, 
qui  quelques  fois  s’arrestent  de  sorte  qu’il  n’y  a esperon  qui  les  puisse  faire 
aduancer.  De  ma  part,  ie  tiens  que  ce  lieu  est  un  des  plus  hauts  endroits  de  la 

terre  qui  soit  au  monde 

Toute  ceste  chaine  de  montagnes  est  communément  deserte,  sans  aucuns 
villages  ny  habitations  des  hommes,  de  sorte  qu’à  peine  l’on  y trouve  des  petites 
maisons  ou  retraittes  pour  y loger  les  passans  de  nuict.  Il  n’y  a non  plus  d’ani- 
maux, ou  bons  ou  mauuais,  si  ce  n’est  quelques  Vicunos  qui  sont  des  moutons  du 
pays,  lesquels  ont  une  propriété  estrange  et  merueilleuse,  comme  ie  diray  en  son 
lieu.  L’herbe  y est  souvenles  fois  bruslée,  et  toute  noire  de  l’air  que  ie  dis,  et  ce 
desert  dure  comme  vingt  cinq  à trente  lieues  detrauerse,  et  contient  de  longueur, 
corne  i’ai  dict,  plus  de  cinq  cens  lieues  (p.  87). 


Cette  description  faite,  et  l’on  avouera  qu’il  n’était  pas  possible  de 
joindre  avec  plus  d’art  l’exactitude  au  pittoresque,  Acosta  cherche 
la  cause  de  ces  malaises  qu’il  dit  avoir  ressentis  encore  en  quatre 
autres  passages  de  la  grande  Cordillère.  Nous  rapporterons  dans  le 
chapitre  consacré  au  résumé  des  explications  théoriques  les  idées 
du  Révérend,  idées  véritablement  merveilleuses  de  prévoyance  et 
de  lucidité. 

Il  est  difficile  de  déterminer  exactement  le  point  où  passa  Acosta  : 
Pariacaca  est  un  nom  disparu  au  Pérou  comme  à l’Équateur.  Il  est 
à peu  près  certain  qu’il  se  trouvait  au-dessous  de  la  limite  des 
neiges,  car  son  récit,  si  exact  et  si  détaillé,  n’en  parle  pas;  sa  hau- 
teur au-dessus  du  niveau  de  la  mer  était  donc  probablement  de 
4500"1  au  plus. 

Il  est  très-curieux  de  voir  qu’après  avoir  si  admirablement  dé- 
crit et  expliqué  les  sensations  pénibles  qu’il  avait  éprouvées  en  tra- 
versant les  hautes  montagnes,  Acosta  ne  songe  pas  à en  tirer  parti 
pour  rendre  compte  des  désastres  subis  par  les  armées  espagnoles. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — AMÉRIQUE  DU  SUD.  ci7 

Il  les  connaissait  fort  bien,  cependant,  il  en  parle;  mais  ici  sa  net- 
teté d’esprit  semble  l’abandonner  : 

Il  y a d’autres  déserts  ou  lieux  inhabités,  qu’ils  appellent  au  Péru  Punas  (pour 
parler  du  second  poinct  que  nous  auons  promis)  où  la  qualité  de  l’air  tranche  les 
corps  et  la  vie  des  hommes,  sans  le  sentir.  Au  temps  passé  les  Espagnols  chemi- 
novent  du  Péru  au  Royaume  de  Chillé,  par  la  montagne  : aujourd’huy  l’on  va  ordi- 
nairement par  mer,  et  quelques  fois  le  long  de  la  cosle  : et  combien  que  le 
chemin  y soit  ennuyeux  et  fascheux,  il  n’y  a pas  toutes  fois  tant  de  danger,  qu’en 
l’autre  chemin  de  la  montagne,  ou  il  y a des  plaines,  au  passage  desquelles  plu- 
sieurs hommes  sont  morts  et  péris,  et  d’autres  en  sont  eschappez  par  grande 
aduanture,  dont  les  uns  sont  demeurez  estropiez.  Il  court  en  cest  endroit  un  petit 
air  qui  n’est  pas  trop  fort  n’y  violent.  Mais  il  pénétré  de  telle  façon,  que  les  hom- 
mes y tombent  morts  quasi  sans  se  sentir,  ou  bien  les  doigts  des  pieds  et  des 
mains  y demeurent  : ce  qui  pourra  sembler  chose  fabuleuse,  et  toutes  fois  c’est 
chose  véritable.  J’ai  cogneu  et  longtemps  fréquenté  le  general  Hierosme  Costilla 
ancien  peupleur  deCusco,  qui  auoit  perdu  trois  ou  quatre  doigts  de  pieds,  qui  lui 
tombèrent  en  passant  les  deserts  de  Chillé,  par  ce  qu’ils  auoient  esté  atteints  et 
penetrez  de  ce  petit  air,  et  quand  il  les  vint  à regarder  il  estoient  desia  tous 
morts  et  tombèrent  d’eux  mesmes  sans  luy  faire  aucune  douleur,  tout  ainsi 
que  tombe  de  l’arbre  une  pome  gastée.  Ce  capitaine  racontoit  que  d’une  bonne 
armée  qu’il  auoit  conduite  et  passée  par  ce  lieu  les  années  précédentes,  de- 
puis la  descouverte  de  ce  Royaume  faicte  par  Almagro,  une  grande  partie  des  hom- 
mes y demeurèrent  morts,  et  qu’il  y vid  les  corps  estendus  parmy  le  desert,  sans 
aucune  mauuaise  odeur  ni  corruption....  Sans  doute,  c’est  un  genre  de  froid  que 
cestuy-la  si  pénétrant  qu’il  esteint  la  chaleur  vitale  en  coupant  son  influence  : et 
d’autant  qu’il  est  aussi  très-froid  il  ne  corrompt  ny  donne  putréfaction  aux  corps 
morts,  parce  que  la  putréfaction  procède  de  chaleur  et  d’humidité  (p.  89). 

Un  célèbre  historien  espagnol,  qui  écrivait  peu  de  temps  après 
Acosta,  Antonio  d’Herrera,  s’empara  des  idées  du  savant  jésuite, 
et,  sans  le  citer,  copia  presque  intégralement  les  passages  que  nous 
venons  de  mettre  sous  les  yeux  de  nos  lecteurs1.  Mais  il  est  évident 
qu’il  ne  put  comprendre  en  son  entier  l’explication  d’Acosta  ; il 
serait  au  moins  inutile  de  reproduire  ici  son  chapitre  : Des  causes 
pour  lesquelles  est  si  périlleux  le  passage  des  « Puertos  Nevados  » 
qui  vont  au  Chili , et  de  ceux  de  la  province  de  Quito  que  traversè- 
rent Belalcazar  et  Alvarado  avec  leurs  armées . 

Un  siècle  et  demi  s’écoule  sans  que  les  historiens  et  les  voya- 
geurs parlent  des  troubles  physiologiques  qu’avait  signalés  Acosta. 
Les  Lettres  édifiantes2,  où  se  trouvent  tant  de  détails,  puérils  le  plus 
souvent,  intéressants  parfois,  n’y  font  aucune  allusion,  bien  que 
leurs  écrivains  se  soient  évidemment  trouvés  plusieurs  fois  dans  les 

1 Historia  general  delos  Hechos  de  los  Castellanos  en  las  islas  y tierra  firme  del  mar 
Océano.  Madrid,  1615,  Decada  V,  Libro  X,  Capitulo  V,  T.  III,  p.  29,  I. 

2 Nouvelle  édition,  t.  VI,  VII,  VIII,  IX.  — Paris,  1781. 


HISTORIQUE. 


28 

mêmes  conditions  que  leur  prédécesseur.  Mes  recherches  dans  les 
auteurs  du  dix-septième  siècle  ne  m’ont  rien  fait  trouver  se  ratta- 
chant à notre  sujet. 

Mais  un  document  publié  au  commencement  du  dix-huitième 
siècle  nous  montre  que  dans  les  Andes  mêmes,  on  savait  depuis 
longtemps  que,  sur  certains  points,  des  accidents  plus  ou  moins 
graves  atteignent  les  hommes  et  les  animaux.  Nous  y trouvons 
même  une  explication  qui  se  reproduira  jusqu’à  l’époque  actuelle. 
Un  français,  Frezier1,  visita  de  1712  à 1714  les  côtes  du  Chili 
et  du  Pérou  ; il  parle  longuement  des  mines  si  riches  de  l’inté- 
rieur  du  pays,  et  après  avoir  discuté  sur  l’origine  des  métaux,  il 
ajoute  : 

11  est  certain  qu’il  sort  continuellement  de  fortes  exhalaisons  des  mines  : les 
Espagnols  qui  vivent  au-dessus  sont  obligés  de  boire  très-fréquemment  de  l’herbe 
du  Paraguay  ou  Maté , pour  s’humecter  la  poitrine,  sans  quoi  ils  subissent  une 
sorte  de  suffocation.  Les  mules  mêmes  qui  passent  dans  ces  endroits,  quoique 
beaucoup  moins  rudes  et  montueux  que  d’autres,  où  elles  vont  en  courrant,  sont 
obligées  de  se  reposer  presque  à tout  moment  pour  reprendre  haleine.  Mais  ces 
exhalaisons  sont  bien  plus  sensibles  en  dedans;  elles  font  un  tel  effet,  sur  les 
corps  qui  n’y  sont  pas  accoutumés,  qu’un  homme  qui  y entre  pour  un  moment, 

en  sort  comme  perclus Les  Espagnols  appellent  ce  mal  Quebranlahuessos , 

c’est-à-dire  qui  brise  les  os  (p.  150). 

Frezier  n’eut  point  occasion  de  faire  d’observations  personnel- 
les. Mais  quelques  années  plus  tard,  en  1756,  trois  académiciens 
français,  Bouguer,  La  Condamine  et  Godin,  s’en  allèrent  au  Pérou 
pour  y mesurer  un  degré  du  méridien.  C’est  à partir  de  cette  ex- 
pédition célèbre  que  les  accidents  de  la  décompression  commencent 
à être  étudiés  et  scientifiquement  commentés.  Les  savants  astro- 
nomes séjournèrent  pendant  dix  ans  sur  les  régions  élevées  de  l’é- 
quateur. Dans  une  de  leurs  courses,  Bouguer  et  La  Condamine 
demeurèrent  trois  semaines  sur  le  Pichincha,  à une  hauteur  de 
4860m  environ.  Là,  ils  éprouvèrent  des  accidents  que  Bouguer 2 dé- 
crit dans  les  termes  suivants  : 

Nous  nous  sommes  tous  trouvés  d’abord  considérablement  incommodés  de  la 
subtilité  de  l’air;  ceux  d’entre  nous  qui  avaient  la  poitrine  plus  délicate  sentaient 
davantage  la  différence  et  étaient  sujets  à de  petites  hémorrhagies,  ce  qui  venait 

1 Relation  du  voyage  de  la  mer  du  Sud  aux  côtes  du  Chily  et  du  Pérou,  fait  pendant 
les  annéés  1712,  1715  et  1714.  Paris,  1710. 

- Relation  abrégée  du  voyage  fait  au  Pérou,  par  MM.  de  l' Académie  royale  des  scien- 
ces, pour  mesurer  les  degrés  du  méridien  aux  environs  de  i équateur , et  en  conclure  la 
figure  de  la  terre.  — Mémoires  de  l'Académie  des  sciences  de  Paris,  1744,  p.  249-297. 


29 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — AMÉRIQUE  DU  SUD. 

sans  doute  de  ce  que  l'atmosphère,  ayant  un  moindre  poids,  n’aidait  pas  assez  par 
sa  compression  les  vaisseaux  à retenir  le  sang,  qui  de  son  côté  était  toujours  ca- 
pable de  la  même  action.  Je  n’ai  pas  remarqué  dans  mon  particulier  que  cette 
incommodité  augmentât  beaucoup  lorsqu’il  nous  est  arrivé  ensuite  de  monter 
plus  haut  ; peut-être  parce  que  je  m’étais  déjà  fait  au  pays,  ou  peut-être  aussi 
parce  que  le  froid  empêche  la  dilatation  de  l'air  d’être  aussi  considérable  qu’elle 
le  serait  sans  cela.  Plusieurs  d’entre  nous,  lorsque  nous  montions,  tombaient  en 
défaillance  et  étaient  sujets  au  vomissement  ; mais  ces  accidents  étaient  encore 

plus  l’effet  de  la  lassitude  que  de  la  difficulté  de  respirer Nous  éprouvions 

parfois  un  froid  très-rigoureux,  tandis  que  le  thermomètre  n’en  indiquait  qu’un 
médiocre  (p.  261). 

Bouguer  développe  alors  une  thèse  dont  nous  parlerons  dans  le 
troisième  chapitre;  pour  lui,  les  accidents  éprouvés  sont  dus  en 
partie  à la  fatigue,  en  partie  à une  sorte  de  scorbut. 

Je  n’ai  pu  trouver  dans  les  deux  volumes  que  La  Condamine1  con- 
sacre au  récit  de  son  voyage,  et  qui  sont,  du  reste,  à moitié  remplis 
par  ses  violentes  contestations  avec  Bouguer,  que  le  passage  suivant 
relatif  à son  séjour  sur  le  Pichincha  : 

Don  Antoine  d’Ulloa,  en  montant  avec  nous,  tomba  en  faiblesse  et  fut  obligé  de 
se  faire  porter  dans  une  grolte  voisine....  Je  ne  ressentis  en  mon  particulier 
aucune  difficulté  dans  la  respiration.  Quant  aux  affections  dont  M.  Bouguer  fait 
mention  et  qui  désignent  apparemment  la  disposition  prochaine  à saigner  des 
gencives,  dont  je  fus  alors  incommodé,  je  ne  crois  pas  devoir  l’attribuer  au  froid 
du  Pitchincha,  n’ayant  rien  éprouvé  de  pareil  en  d’autres  parties  aussi  élevées,  et 
le  même  accident  m’ayant  repris  5 ans  après  à Cotehesqui,  dont  le  climat  est 
tempéré.  (T.  I,  p.  55.) 

Mais  les  renseignements  les  plus  circonstanciés  et  les  plus  précis 
nous  sont  fournis  par  don  Ulloa,  jeune  officier  de  marine  que  le 
gouvernement  espagnol  avait  envoyé  pour  protéger  la  mission  fran- 
çaise, et  qui  joua  plus  tard  un  grand  rôie  dans  sa  nation.  Dans  ses 
récits2  paraît  à la  fois  l’histoire  des  accidents  éprouvés  d’une  ma- 
nière transitoire  par  les  ascensionnistes,  et  ceux  qui  sont  la  suite  du 
séjour  de  plusieurs  mois  dans  certaines  régions  de  la  Cordillère  des 
Andes.  C’est  aussi  pour  la  première  fois  qu’on  y trouve  l’indica- 
tion des  services  que  peut  rendre  à la  thérapeutique  le  séjour  dans 
les  lieux  élevés  : 

Ceux  qui  ne  sont  pas  habitués  à fréquenter  ces  endroits-là  sont  encore  ex- 
posés à une  autre  incommodité,  outre  le  froid  dont  nous  venons  de  parler  ; c’est 

1 Journal  du  voyage  fait  par  ordre  du  Roi,  à l'équateur . — 2 vol.,  Paris.  1751. 

- Mémoires  philosophiques , historiques,  physiques,  concernant  la  découverte  de  l’ Amé- 
rique. Trad.  française,  T.  l8r,  1787. 


30 


HISTORIQUE. 


le  Maréo  de  la  Puna  : et  il  est  rare  qu’ils  n’en  soient  pas  attaqués.  C’est  une  ma- 
ladie toute  semblable  à celle  qu’on  éprouve  en  se  mettant  en  mer  : elle  en  présente 
tous  les  symptômes  et  suit  le  même  ordre.  La  tête  tourne  ; on  sent  de  très-grandes 
chaleurs  ; et  il  survient  des  nausées  pénibles,  suivies  de  vomissements  bilieux. 
Les  forces  tombent,  le  corps  s’abat  , la  fièvre  s’y  joint  ; et  le  seul  soulagement 
qu’on  y trouve  c’est  de  vomir.  Certains  sujets  y sont  même  si  abattus,  qu'ils  don- 
neraient de  l’inquiétude , si  on  n’était  certain  que  ce  n’est  autre  chose  que  ce 
Maréo.  Cela  dure  ordinairement  un  jour  ou  deux,  après  quoi  la  santé  se  rétablit. 
Cette  incommodité  est  plus  ou  moins  considérable  selon  la  disposition  naturelle 
des  personnes  ; mais  peu  y échappent.  Lorsqu’on  l’a  une  fois  éprouvée , il  est 
extraordinaire  qu’on  en  soit  repris  en  passant  par  Puna  ou  en  y venant  des  pays 
bas,  ou  de  toute  contrée  dont  la  température  est  chaude,  (p.  116) 

On  observe  encore  dans  ces  climats  un  autre  accident  auquel  les  animaux  sont 
sujets.  Dès  qu’ils  passent  des  plaines  à ces  éminences  ou  Punas,  comme  des  pays 
où  il  y a des  habitations  aux  cimes  qui  les  environnent,  la  respiration  leur  devient 
si  difficile,  que  malgré  les  différentes  pauses  qu’ils  font  pour  reprendre  haleine, 
ils  tombent  et  meurent  là.  (p.  118.) 

Ulloa  discute  alors  les  diverses  explications  proposées  de  son 
temps  pour  rendre  compte  de  ces  phénomènes,  et  repousse  avec 
force  l’idée  des  émanations  toxiques  dues  aux  minéraux  enfouis 
dans  la  terre,  idée  qui  domine  encore  aujourd’hui  chez  les  popula- 
tions et  môme  dans  les  classes  éclairées  de  la  Bolivie  et  du  Chili. 
Puis  il  ajoute  : 

Les  hommes  qui  arrivent  nouvellement  dans  ces  climats  éprouvent  aussi  quelque 
chose  d’analogue  à ce  que  j’ai  dit  des  animaux  ; ils  sentent  en  marchant  une 
fatigue  comme  suffocante  et  très-pénible,  qui  les  oblige  de  se  reposer  longtemps  ; 
cela  leur  arrive  même  dans  le  plat  pays  ; or,  il  ne  peut  y avoir  d’autre  cause  de 
ce  phénomène  que  la  subtilité  de  Pair  ; mais  à mesure  que  les  poumons  se  font 
à cette  atmosphère,  la  gêne  devient  moindre.  Cependant  on  y éprouve  toujours 
quelque  difficulté  de  respirer  lorsqu’on  veut  monter  quelque  côte  ; ce  qui  est 
inévitable,  mais  ce  qu’on  ne  sent  point  dans  les  autres  contrées  où  l’atmosphère  a 
une  densité  régulière. 

Cette  légèreté  de  l’air  devient  favorable  aux  asthmatiques  devenus  tels  dans  un 
air  plus  épais.  Cet  asthme  y est  connu  sous  le  nom  de  ahogos  ou  suffocation  ; 
il  y est  même  assez  commun  : c'est  pourquoi  ceux  qui  en  sont  attaqués  dans  les 
basses  contrées  se  rendent  dans  les  hautes;  quoiqu’ils  n’y  guérissent  pas  entière- 
ment, ils  y vivent  cependant  sans  peine  : ceux  au  contraire  qui  sont  devenus  tels 
dans  les  hauts  pays,  se  trouvent  bien  dans  les  bas  ; ainsi,  le  changement  d’air 
devient  un  soulagement  assuré  dans  celte  espèce  d’incommodité.  La  médecine 
pourrait  tirer  parti  de  ces  expériences  , en  envoyant  les  malades  d’une  contrée 
dans  une  autre  , quoiqu’il  n’y  eût  pas  ailleurs  une  aussi  grande  différence  dans 
l’élévation  des  terrains. 

On  remarque  aussi  à certain  point  la  difficulté  de  respirer  dans  les  hautes 
contrées  de  la  province  de  Quito,  mais  elle  y est  moins  pénible  : cela  vient  sans 
doute  de  ce  que  l’une  de  ces  contrées  est  sous  l’équateur,  ou  très-près,  tandis 
que  l’autre  en  est  éloignée.  On  en  a conclu  que  les  Punas  ou  cimes  du  Pérou 
sont  moins  froides  et  l’air  moins  âpre  que  dans  les  autres  contrées.  Mais  il  est 


31 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  - AMÉRIQUE  DU  SUD. 

bon  d’observer  que  ce  qui  a été  dit  de  Guancavelica  est  général  pour  tous  les  ter- 
rains qui  se  prolongent  vers  le  sud. 

Pour  mieux  faire  comprendre  ces  détails,  j’observerai  ici  que  ce  qu’on  appelle 
Punas  au  Pérou,  se  nomme  Paramo  au  royaume  de  Quito.  (P.  120.) 

C’est  dans  la  dernière  année  du  dix-huilième  siècle  que  l’il- 
lustre Alexandre  de  Humboldt  entreprit  ce  grand  voyage  dans 
l’Amérique  méridionale,  qui  fut  l’origine  de  tant  de  découvertes 
importantes  pour  l’histoire  de  l’homme,  la  physique  du  globe  et 
l’histoire  naturelle1.  En  1802  il  séjourna  sur  le  plateau  élevé  de 
Quito,  que  dominent  les  sommets  gigantesques  du  Pichincha,  du 
Cotopaxi,  du  Chimborazo  et  de  l’Antisana. 

Il  fit  en  mars  et  en  juin  1802,  sur  ces  deux  derniers  volcans,  des 
ascensions  demeurées  célèbres  ; il  en  donna  de  suife  un  récit 
succinct  dans  deux  lettres,  écrites  le  même  jour,  et  dont  je  repro- 
duis les  passages  intéressants  à notre  point  de  vue. 

La  première  est  adressée  au  citoyen  Delambre;  elle  parle  sur- 
tout de  l’ascension  du  Chimborazo  : 

On  a cru  jusqu’ici  à Quito  que  2470  toises  étaient  la  plus  grande  hauteur  à la- 
quelle les  hommes  peuvent  résister  à la  rareté  de  l’air.  Au  mois  de  mars  1802, 
nous  passâmes  quelques  jours  dans  les  grandes  plaines  qui  entourent  le  volcan  d’Àn- 
tisana,  à 2107  toises,  où  les  bœufs,  quand  on  les  chasse , vomissent  souvent  du 
sang....  Le  16  mai,  nous  reconnûmes  un  chemin  sur  la  neige,  une  pente  douce 
sur  laquelle  nous  montâmes  à 2775  toises.  L’air  y contenait  0,218  d’O....  le  ther- 
momètre de  Réaumur  n’était  qu’à  + 15  0 ; il  ne  fit'pas  froid  du  tout,  mais  le  sang 
nous  sortait  des  lèvres  et  des  yeux.  (P.  174.) 

• • • • • • ••••••••••••••*••«•# 

Dans  l’expédition  que  je  fis  le  25  juin  1862  au  Chimborazo,  nous  avons  prouvé 
qu’avec  de  la  patience  on  peut  soutenir  une  plus  grande  rareté  de  l’air.  Nous  pas- 
sâmes 500  toises  plus  haut  que  la  Condamine  au  Corazon , et  nous  portâmes  au 
Chimborazo  des  instruments  à 5051  toises,  voyant  descendre  le  mercure  dans  le 
baromètre  à 15  pouces  11,2  lignes:  le  thermomètre  était  de  1 °,5  au-dessus  de  zéro. 
Nous  saignâmes  encore  des  lèvres.  Nos  Indiens  nous  abandonnèrent  comme  de 
coutume.  Le  citoyen  Bompland  et  M.  Montufar,  fils  du  marqnis  de  Selvalègre,  de 
Quito,  étaient  les  seuls  qui  résistaient.  Nous  sentîmes  tous  un  malaise,  une  débi- 
lité, une  envie  de  vomir,  qui  certainement  provient  autant  du  manque  d’oxigène 
de  ces  régions  que  de  la  rareté  de  l’air.  Je  ne  trouvai  que  0,20  d’O.  à cette 
immense  hauteur.  (P.  175.) 

L’autre  lettre  est  adressée  à son  frère  Guillaume  de  Humboldt  ; 

* Voyage  aux  régions  équinoxiales  clu  nouveau  continent,  fait  en  1799-1804.. — Paris. 
1814. 

* Lettre  de  M.  Humboldt  adressée  au  citoyen  Delambre,  datée  de  Lima  le  25  novembre 
1802.  — Ann.  du  Muséum  d'histoire  naturelle,  T.  II,  p.  170-180,  an  XI  (1803)* 


32 


HISTORIQUE. 


il  y est,  plus  que  dans  la  précédente,  parlé  de  l’ascension  au 
volcan  d’Antisana1  : 

A notre  voyage  au  volcan  d’Antisana  le  temps  nous  favorisa  si  bien,  que  nous 
montâmes  jusqu’à  la  hauteur  de  2775  toises.  Le  baromètre  baissa  dans  cette  région 
élevée,  jusqu’à  14  pouces  7 lignes,  et  le  peu  de  densité  de  l’air  nous  fit  jeter  le 
sang  par  les  lèvres,  les  gencives  et  les  yeux  même  ; nous  sentions  une  faiblesse 
extrême,  et  un  de  ceux  qui  nous  accompagnaient  dans  cette  course  s'évanouit.... 

Nous  avons  réussi  à nous  approcher  jusqu'à  environ  250  toises  près  de  la  cime 
de  l’immense  colonne  du  Chimborazo....  Nous  montâmes  jusqu’à  une  hauteur  de 
5051  toises,  et  nous  nous  sentîmes  incommodés  de  la  même  manière  que  sur  le 
sommet  de  l’Antisana.  Il  nous  restait  même  encore , 2 ou  5 jours  après  notre 
retour  dans  la  plaine,  un  malaise  que  nous  ne  pouvions  attribuer  qu’à  l’effet  de 
l’air  dans  ces  régions  élevées,  dont  l’analyse  nous  donna  20  centièmes  d’oxygène. 
(P.  529.) 

Trenle-cinq  années  plus  tard2 * *,  de  Humboldt  revint  avec  détails  sur 
le  récit  de  ces  ascensions.  Il  insiste  tout  spécialement  sur  les  trou- 
bles physiologiques  et  développe  à ce  propos  quelques  considéra- 
tions théoriques  fort  intéressantes. 

Le  22  juin  1802,  il  se  trouvait  dans  la  plaine  de  Tapia,  à 2890111 
de  hauteur.  La  première  partie  de  l’ascension  ne  présenta  rien  de 
remarquable  pour  la  question  qui  nous  occupe  : 

Arrivés  à 15,600  pieds  tous  les  Indiens  , à l’exception  d’un  seul,  nous  abandon- 
nèrent.... Ils  prétendaient  souffrir  beaucoup  plus  que  nous.  Nous  ne  restâmes 
donc  plus  que  quatre  : M.  Bonpland....,  M.  Carlos  Montufar....,  un  métis  de  San- 
Juan,  village  voisin,  et  moi.  (P.  415.).  


Nous  commençâmes  tous,  par  degrés,  à nous  trouver  très-mal  à notre  aise  (ils 
étaient  alors  à environ  5,800  mètres).  L’envie  de  vomir  était  accompagnée  de 
quelques  vertiges  et  bien  plus  pénible  que  la  difficulté  de  respirer.  Le  métis  de  San- 
Juan , paysan  pauvre  et  robuste,  qui  avait  voulu  nous  suivre  jusqu'au  bout  par 
bonté  d’âme  et  nullement  par  un  motif  d’intérêt,  souffrait  plus  que  nous.  Nos 
gencives  et  nos  lèvres  saignaient.  La  tunique  conjonctive  des  yeux  était  chez  nous 
tous,  sans  exception,  gorgée  de  sang.  Ces  symptômes  d’extravasion  dans  les  yeux 
et  d’éruption  sanguine  aux  gencives  et  aux  lèvres  n'avaient  rien  d’inquiétant  pour 
nous,  puisque  nous  les  connaissions  par  un  grand  nombre  d’exemples.  En  Europe, 
M.  Zumstein  commença  à rendre  du  sang  à une  hauteur  beaucoup  moins  considé- 
rable, sur  le  mont  Rose5.  (P.  417.) 


1 Extrait  de  plusieurs  lettres  de  M.  de  llumboldt , Ann.  du  Muséum,  t.  II,  p.  322- 
337  , an  XI  (1803). 

2 Do  llumboldt  (Alexandre),  ISolicc  sur  deux  tentatives  d’ascension  au  Chimborazo. 

Ann.  de  chim;  2°  série;  t.  LX1X,  p.  401-454;  1858.  Traduit  par  Eyriès  du  Jahrbuch  de 

Schumacher  pour  1857. 

Je  n’ai  pu  trouver  cette  indication  dans  les  récits  de  Zumstein. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — AMERIQUE  DU  SUD. 


oo 


Une  fois,  sur  le  volcan  de  Pichincha,  je  ressentis,  sans  aucun  saignement,  un  si 
violent  mal  d’estomac  , accompagné  de  vertige , que  mes  compagnons  me  retrou- 
vèrent étendu  sans  connaissance  à terre.  L'altitude  n'était  que  de  13,800  pieds 
(4480m),  et  par  conséquent  peu  considérable.  Mais  sur  l’Antisana,  à la  grande  hau- 
teur de  17,022  pieds  (5527m),  don  Carlos  Montufar  saigna  beaucoup  des  gencives. 

Tous  ces  phénomènes  sont  très-dissemblables,  suivant  Page,  la  constitution,  la 
finesse  de  la  peau , les  efforts  antérieurs  musculaires  qu’on  a exercés  ; cepen- 
dant ils  sont  pour  chaque  individu  une  sorte  de  mesure  de  la  raréfaction  de  l’air 
et  de  l’altitude  à laquelle  on  est  parvenu.  D’après  mes  observations  ils  se  manifestent 
dans  les  Andes  chez  l’homme  blanc,  quand  le  baromètre  se  tient  entre  14  pouces 
et  15  pouces  10  lignes.  (P.  418.) 

Nous  verrons  plus  tard  quelles  opinions  successives,  et  notable- 
ment différentes,  s’était  faites  l’illustre  naturaliste  sur  l’explica- 
tion de  ces  phénomènes  divers. 

Mais  avant  de  passer  à d’autres  récits,  je  dois  reproduire  ici  un 
fragment  d’un  des  ouvrages  de  Humboldt1,  dans  lequel  il  donne 
sur  l'habitat  ordinaire  du  Condor  et  sur  la  hauteur  maximum  à la- 
quelle on  le  voit  s’élever,  des  renseignements  pleins  d’intérêt  pour 
le  sujet  de  notre  étude. 

La  région  que  l’on  peut  regarder  comme  le  séjour  habituel  du  condor  commence 
à une  hauteur  égale  à celle  de  l’Etna,  et  comprend  des  couches  d’air  élevées  de 
1,800  à 5,000  toises  au  dessus  du  niveau  de  la  mer.  Les  plus  grands  individus 
que  l’on  trouve  dans  la  chaîne  des  Andes  de  Quito  , ont  14  pieds  d’envergure  , et 
les  plus  petits  8 pieds  seulement.  D’après  ces  dimensions  et  d’après  l’angle  visuel 
sous  lequel  cet  oiseau  paraissait  quelquefois  perpendiculairement  au-dessus  de 
nos  têtes,  on  peut  juger  à quelle  hauteur  prodigieuse  il  s’élève  quand  le  ciel  est 
serein.  Vu,  par  exemple,  sous  un  angle  visuel  de  quatre  minutes,  il  devait  être  à 
un  éloignement  perpendiculaire  de  1,146  toises.  La  caverne  (machay)  d’Antisana, 
située  vis-à-vis  la  montagne  deChuesulongo,  et  de  laquelle  nous  mesurâmes  l’oiseau 
planant,  est  élevée  de  2,495  toises  au-dessus  du  niveau  du  Grand-Océan.  Ainsi  la 
hauteur  absolue  que  le  condor  atteignait,  était  de  5,659  toises;  là  le  baromètre 
se  soutient  à peine  à douze  pouces.  C’est  un  phénomène  physiologique  assez  remar- 
quable, que  ce  même  oiseau  qui,  pendant  des  heures  entières  , vole  en  tournant 
dans  des  régions  où  l’air  est  si  raréfié , s'abatte  tout  d'un  coup  jusqu’au  bord 
de  la  mer,  comme  le  long  de  la  pente  occidentale  du  volcan  de  Pichincha, 
et  ainsi  en  peu  d’instants  parcoure  en  quelque  sorte  tous  les  climats.  A une 
hauteur  de  5,600  toises,  les  sacs  aériens  et  membraneux  du  condor  qui  se 
sont  remplis  dans  les  régions  plus  basses  , doivent  s’enfler  d’une  manière  ex- 
traordinaire. Il  y a soixante  ans  qu’Ülloa  exprima  son  étonnement  de  ce  que  le 
vautour  des  Andes  pouvait  voler  à une  hauteur  où  la  pression  de  l’air  n’était  que 
de  14  pouces.  On  croyait  alors,  d’après  l’analogie  des  expériences  faites  avec  la 
machine  pneumatique,  qu’aucun  animal  ne  pouvait  vivre  dans  un  milieu  si  rare. 
J’ai  vu,  comme  je  l’ai  dit,  le  baromètre  descendre  sur  le  Chimborazo  à 15  pouces 
M lignes  2 dixièmes.  Mon  ami  M.  Gay-Lussac  a respiré  pendant  un  quart 
d'heure  dans  un  air  dont  la  pression  n’était  que  de  0m ,3288 . A de  si  grandes 

1 Tableaux  de  la  nature,  traduit  par  Eyriès.  — Paris,  1828,  t.  II. 


54 


HISTORIQUE. 


hauteurs  l’homme  se  trouve  en  général  dans  un  état  asthénique  trés-pénible.  Au 
contraire  chez  le  condor , l’acte  de  la  respiration  paraît  se  faire  avec  une  égale 
aisance  dans  des  milieux  où  la  pression  diffère  de  12  à 28  pouces.  De  tous  les 
êtres  vivants,  c’est  sans  doute  celui  qui  peut  à son  gré  s’éloigner  le  plus  de  la  ' 
superficie  delà  terre.  Je  dis  à son  gré,  parce  que  de  petits  insectes  sont  empor- 
tés encore  plus  haut  par  des  courants  ascendants.  Probablement  l’élévation  que  le 
condor  atteint  est  plus  considérable  que  celle  que  nous  avons  trouvée  par  le  calcul 
cité.  Je  me  souviens  que  sur  le  Cotopaxi,  dans  la  plaine  de  Suniguaicu,  couverte 
de  pierres  ponces  et  élevée  de  2,265  toises  au-dessus  du  niveau  delà  mer,  j’ai 
aperçu  ce  volatile  à une  hauteur  telle  , qu’il  ne  paraissait  que  comme  un  point 
noir.  Quel  est  le  plus  petit  angle  sous  lequel  on  distingue  des  objets  éclairés 
faiblement  ? L’affaiblissement  des  rayons  de  la  lumière , par  leur  passage  à 
travers  les  couches  de  l’air,  a une  grande  influence  sur  le  minimum  de  cet  angle. 
La  transparence  de  l’air  des  montagnes  est  si  considérable  sous  l’équateur, 
que  dans  la  province  de  Quito,  comme  je  l’ai  montré  ailleurs,  le  poncho 
ou  manteau  blanc  d’une  personne  à cheval  se  distingue  à l’œil  nu  à une 
distance  horizontale  de  14,022  toises,  et  par  conséquent  sous  un  angle  de  15  se- 
condes. (P.  78.) 

Les  révolutions  à la  suite  desquelles  les  colonies  espagnoles  de 
l’Amérique  secouèrent  le  joug  de  la  métropole,  eurent  pour  consé- 
quence de  faire  traverser  par  des  troupes  de  plusieurs  milliers 
d’hommes  certains  passages  des  Andes  que  fréquentent  seulement, 
en  temps  ordinaire,  de  rares  voyageurs.  Le  séjour  dans  l’air  dilaté 
apporta  certainement  à ces  petites  armées  un  surcroit  de  souf- 
frances; mais  les  historiens  .paraissent  s’en  être  assez  peu  préoc- 
cupés, frappés  qu’ils  sont  surtout  de  la  légitime  influence  du  froid, 
du  manque  de  vivres,  des  fatigues  excessives. 

Ainsi,  au  commencement  de  1817,  le  général  Saint-Martin,  à la 
tête  de  5000  indépendants,  envahit  le  Cfiili  par  le  difficile  passage 
qui  mène  de  Mendoza  à Santa-Rosa,  et  dont  le  point  culminant 
dépasse  4500111. 

L’expédition,  dit  M . Gustave  Hubbarcl  h présentait  des  difficultés  tellement  graves, 
que  les  troupes  de  Santiago  et  le  gouverneur  du  Chili  se  refusaient  à croire  à une 
tentative  aussi  hasardeuse 

Un  grand  nombre  d’hommes  périrent  de  froid  dans  cette  atmosphère  raré- 
fiée et  glaciale  qu’il  fallut  traverser....  L’armée  en  partant  de  Mendoza  comptait 
9,281  mulets;  elle  n’en  avait  plus  que  4,500  de  l’autre  côté  des  Andes , et  sur 
1,600  chevaux  il  n’en  survivait  que  500.  (T.  1,  p.  546.) 

L’armée  que  Bolivar  conduisit  en  juin  1819  contre  Morillo,  du 
Venezuela  à la  Nouvelle-Grenade,  à travers  les  Andes  de  Colombie, 
rencontra  les  mêmes  difficultés.  Les  Anglais,  qui  fournissaient 


1 Histoire  contemporaine  de  l’ Espar/ne.  — 2 vol.  — Paris,  1869 


35 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — AMÉRIQUE  DU  SUD. 

une  notable  partie  de  son  corps  expéditionnaire,  périrent  en  grand 
nombre.  Le  célèbre  historien  Gervinus  dit  à ce  propos1  : 

La  route  est  infailliblement  marquée  par  les  ossements  des  nombreuses  victimes 
qui  meurent  toujours  pendant  ces  passages....  En  effet,  ceux  qui,  vaincus  par  la  fa- 
tigue et  par  le  froid,  s’abandonnent  à la  somnolence  particulière  dont  le  voyageur 
devient  dans  les  altitudes  la  proie  facile,  tombent  dans  un  engourdissement  qui 
leur  enlève  les  forces  ( emparamados  de  paramos , nom  sous  lequel  on  désigne  les 
plus  hauts  plateaux)  et  qui  les  conduit  sans  espoir  de  salut  à la  mort  (p.  88). 

Le  haut  et  le  bas  Pérou  virent  également  de  semblables  expédi- 
tions. En  1821,  le  vice-roi  espagnol  La  Serna,  forcé  d’abandonner 
Lima,  fit  retraite  à travers  la  Cordillère,  et  s’établit  dans  la  haute 
vallée  de  Jauja.  Ses  troupes  en  descendirent  souvent  pour  attaquer 
les  indépendants,  jusqu’à  ce  que  Bolivar  entreprît  contre  eux  la 
campagne  qui  se  termina  par  la  bataille  d’Ayacucho  (1824),  et  qui 
tout  entière  se  livra  à plus  de  5000“  d’altitude.  C’est  encore  à une 
hauteur  plus  grande,  par  4500m,  que  le  général  Santa- Cruz  battit 
en  1822  les  Espagnols  sur  les  flancs  du  Pichincha. 

L’écrivain  espagnol  Torrente2,  dans  son  histoire  de  la  révolution 
américaine,  attribue  justement  à l’altitude  une  part  considérable 
dans  les  souffrances  des  armées  pendant  ces  marches  à grande 
hauteur  : 

Lorsqu’on  traverse  la  cordillère  des  Andes  du  Pérou,  on  a l’habitude  de  sonffrir 
de  deux  maux  : le  spasme  et  le  mal  de  mer.  Ce  dernier  mal  est  le  plus  commün, 
surtout  pour  ceux  qui  viennent  des  terrains  bas  et  chauds  de  la  côte.  La  subtilité 
de  l’air  dans  cette  atmosphère  comprime  la  respiration  et  la  rend  trés-laborieuse, 
redouble  les  palpitations,  accélère  la  circulation,  fait  qu’on  souffre  d’intenses  dou- 
leurs de  tête  , que  les  vaisseaux  se  gonflent  vite  et  que  quelques  malheureux 
périssent  en  jetant  le  sang  par  la  bouche,  les  yeux  et  les  narines.  C’est  une  véritable 
suffocation,  qui  atteint  aussi  les  animaux  pour  peu  qu’on  veuille  accroître  leurs 
charges  ou  précipiter  leur  marche.  Les  pertes  de  la  petite  armée  du  vice-roi 
la  Serna  furent  plus  grandes  pendant  la  retraite  de  Lima  à Jauja  , parce  qu’une 
grande  partie  de  ses  soldats  était  encore  en  état  de  convalescence. 

L’auteur  ajoute,  en  reproduisant  les  croyances  populaires  : 

U semble  que  les  filons  des  métaux  précieux  et  d’antimoine  qui  courent  à tra- 
vers le  territoire  du  Pérou  sont  la  cause  de  cette  combinaison  atmosphérique  si 
contraire  à la  santé.  Ce  qui  tendrait  à le  prouver,  c’est  le  fait  que  les  effets  en 
sont  bien  moins  sensibles  sur  des  points  d’une  plus  grande  élévation,  tels  que  cer- 
taines parties  de  la  cordillère  du  Chili , la  Sierra  de  Pichincha  , et  d’autres  mon- 
tagnes du  Quito. 


1 Gervinus,  Histoire  du  dix-neuvième  siècle,  traduction  Minssen,  t.  VII.  — Paris,1865. 

2 Historia  délia  Revolucion  hispano-americanai  — Madrid,  1850. 


56 


HISTORIQUE. 


Ce  mal  de  mer  est  connu  clans  le  pays  sous  le  nom  de  Soroche  , et  on  l’éprouve 
môme  dans  certains  villages  bas , situés  sur  des  terrains  métallifères.  (T.  III, 
p.  164  et  169,  note.) 

Nous  avons  vu  Saint-Martin  traversant  la  Cordillère  de  Mendoza  à 
Santiago,  et  exécutant  ainsi  une  expédition  que  Manuel  deÀlmagro1 
considère  ce  comme  bien  autrement  difficile  et  digne  d’admiration 
que  celle  de  Bonaparte  au  grand  Saint-Bernard,  qui  a été  beaucoup 
exagérée  » (p.  54).  Cette  route  est,  comme  nous  l’avons  dit,  celle 
que  suivent  habituellement  les  voyageurs  qui  veulent  traverser 
l'Amérique.  Deux  passages  se  présentent,  l’un  par  le  Cumbre 
(592Üm),  l’autre  par  le  Portillo  (4560111).  Le  premier  est  le  plus  fré- 
quenté. La  plupart  des  récits  font  mention  des  accidents  de  la  dé- 
compression; mais,  par  ce  chemin,  ils  sont  ordinairement  assez 
médiocres. 

Cependant  Samuel  Haigh2 *,  qui,  pendant  l’hiver  austral  de  1818, 
se  bazarda  de  Mendoza  à Santiago  dans  les  passes  du  Cumbre,  les 
ressentit,  à un  degré  assez  notable.  Une  tempête  de  neige  qui  l’as- 
saillit le  força  à se  réfugier  avec  ses  compagnons  sur  une  colline  où 
la  « casucha  » de  las  Vacas  leur  offrait  un  abri  : 

En  grimpant  la  colline  sur  laquelle  elle  est  construite,  dit-il,  je  fus  frappé  pour 
la  première  fois,  de  la  puna  ou  soroche.  C’est  une  maladie  particulière,  je  crois, 
aux  hautes  montagnes  ; elle  résulte  de  l’extrême  raréfaction  de  l’air  qui  devient 
ainsi  difficile  à respirer.  Je  fus  obligé  de  me  coucher  trois  fois  à terre  avant  d’arri- 
ver au  sommet  de  la  colline,  et  tje  ressentis  une  brièveté  de  la  respiration  avec  douleur 
et  oppression  de  poitrine  et  sensation  de  nausée.  La  puna  frappe  quelques  indivi- 
dus avec  un  tel  degré,  que  le  sang  sort  de  leur  bouche  et  de  leurs  narines.  Cepen- 
dant, il  faut  le  dire,  nos  souffrances  commencèrent  pour  tout  de  bon.  (P.  104.) 

Mais  tous  rie  sont  pas  également  affectés,  surtout  lorsque,  comme 
il  arr  ive  d’ordinaire  dans  la  bonne  saison,  le  voyage  s’effectue  à 
dos  de  mulet.  C’est  ce  qu’explique  très-bien  Miers5,  qui  fit  la  tra- 
versée en  mai  ! 819  : 

Ceux  qui  voudront  entreprendre  ce  voyage  seront  effrayés  des  récits  des  diffi- 
cultés qu’ils  auront  à souffrir  de  la  puna , nom  donné  à la  sensation  de  respiration 
courte  et  difficile,  qui  nous  atteint  souvent  en  montant  dans  l’air  raréfié.  C’est 
l’appréhension  et  le  sujet  des  conversations  de  tous  ceux  qui  ont  traversé  la  Cor- 
dillère, qui  vous  disent  qu’ils  n’ont  échappé  à ces  effets  si  effrayants  qu’en  man- 
geant beaucoup  d’oignons,  qu’en  ne  goûtant  pas  de  liqueurs  alcooliques,  excepté 

1 Curta  descricion  de  Los  viages  hechos  en  America  por  la  Comision  cientifica  man- 
dada  por  el  Gobierno  Espaiïol,  durante  los  anos  1862,  1866.  — Madrid,  1866. 

2 Sketches  of  Buenos- Après , Chilc,  and  Peru.  — London,  1831. 

5 Travels  in  Chilc  and  la  Plata.  — 2 vol.  — London,  1826. 


37 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — AMÉRIQUE  DU  SUD. 

le  vin,  qui  est  considéré  comme  l’antidote  de  la  puna.  Ces  précautions,  cependant, 
ne  sont  pas  nécessaires,  car  bien  peu  de  personnes  qui  font  l’ascension  à dos  de 
cheval  ressentent  ce  malaise,  excepté  celles  dont  les  poumons  sont  malades  ; mais 
beaucoup  de  ceux  qui  ont  monté  le  Cumbre  à pied,  en  se  surmenant  pour  diriger 
les  mules,  l’ont  éprouvée.  Je  doute  qu'on  puisse  souffrir  beaucoup  de  la  puna , 
sans  se  livrer  à un  exercice  épuisant.  J’ai  deux  fois  monté  à pied  et  descendu  le 
Cumbre,  sans  en  être  affecté.  De  même  ni  ma  femme,  ni  mon  enfant,  âgé  de  six 
mois,  avec  le  thermomètre  à 55°  F.,  la  baromètre  à 19  p.  1/8  , n’ont  ressenti  la 
moindre  difficulté  à respirer,  bien  que  nous  devions  penser  que  sur  un  enfant  de  cet 
âge,  aux  poumons  si  délicats,  on  devrait  observer  d’abord  les  modifications  de  la 
respiration,  quand  même  elles  seraient  seulement  dues  à un  air  trop  raréfié. 
(T.  I,  p.  321.) 

Le  récit  de  l’écossais  Caldcleugh1  est  particulièrement  intéressant, 
parce  que  ce  voyageur  traversa  deux  fois  les  Andes,  en  sens  inverse. 
La  première  fois,  le  17  mars  1820,  par  un  très-mauvais  temps,  une 
tempête  de  neige,  il  passa  par  le  Portillo  et  le  Piuquenes,  en  allant 
de  Mendoza  à San- José.  Il  ne  parle  d'aucun  trouble  (t.  I,  p.  285-525). 

Mais  le  2 juin  de  l’année  suivante,  allant  de  la  Punla  de  San-Luis 
à Cordova  (République  argentine),  il  traversa  par  une  hauteur  bien 
moindre,  la  sierra  de  Cordova.  Il  fit  halte  dans  une  casucha  à 5200“ 
et  y passa  la  nuit.  Le  lendemain,  ascension  du  col  : 

La  neige  était  fortement  gelée...  Deux  des  péons  souffrirent  beaucoup  d’une 
maladie  nommée  puna,  qui  les  attaqua  peu  après  notre  départ  de  la  Casucha.  Elle 
me  parut  consister  en  des  soulèvements  du  diaphragme,  accompagnés  d'un  grand 
épuisement  et  perle  des  esprits.  Ceux  qu'elle  frappe  se  couchent,  se  laissent  aller, 
et  souvent  meurent  avant  d’atteindre  la  descente.  De  grandes  quantités  d’ail  et 
d'oignon  sont  considérées  comme  spécifiques  contre  cet  état.  Mais  le  plus  sûr 
traitement  est  d’emmener  aussi  rapidement  que  possible  les  malades  dans  un  lieu 
moins  élevé.  On  a généralement  remarqué  que  ceux  des  peons  qui  sont  vieux  et 
d’habitudes  vicieuses  souffrent  plus  de  la  puna  que  les  autres , et  cette  observa- 
tion s’appliquait  parfaitement  aux  deux  que  j’ai  dû  renvoyer.  L’un  de  ceux-ci  était 
extrêmement  malade,  et  l’autre  sous  la  garde  duquel  il  s’en  alla  était  légèrement 
affecté.  A cette  heure  je  ne  sais  pas  s’il  put  traverser  la  vallée. 

Peu  après  ils  atteignirent  le  sommet,  à 5840m.  Il  ne  se  plaint  de 
rien,  personnellement. 

Schmidtmeyer2,  dans  le  récit  de  sa  traversée  des  Cordillères,  de 
l’est  à l’ouest,  par  le  volcan  de  Cumbre,  ne  parle  d’aucun  trouble 
physiologique.  Mais  à la  fin  du  livre,  il  comble  cette  lacune  : 

J’aurais  dû  parier  plus  tôt  de  cette  lassitude  avec  difficulté  de  respirer  qu’on 
éprouve  en  traversant  la  chaîne  ; j’en  ai  souvent  entendu  parler  au  Chili.  Mais 

1 Travels  in  south  America , during  the  years  1819-20-21.  — 2 vol.  — London,  1825  . 

- Travels  into  Chile  over  the  Andes,  in  the  years  1820  and  1821.  — London,  1824. 


HISTORIQUE. 


38 

nous  sommes  restés  sur  le  dos  de  nos  mules  jusqu’au  sommet  de  la  passe,  où 
nous  arrivâmes  ainsi  sans  le  moindre  effort.  Un  des  nôtres,  cependant,  en  souf- 
frit considérablement,  mais  je  ne  sais  si  c’est  au  degré  le  plus  élevé.  D’une  ma- 
nière générale,  sur  les  points  élevés  des  Andes,  on  éprouve  une  grande  peine  à 
se  mettre  en  mouvement;  c’est  le  contraire  de  ce  qui  arrive  sur  d’autres  monta- 
gnes. (P.  549.) 

Proctor1  (1824),  Head2 3  (1825).  qui  suivirent  la  même  roule,  dans 
le  même  sens,  ne  disent  absolument  rien  de  la  puna.  Lister  Maw5 
qui  en  novembre  1827  partit  de  Truxillo  (Pérou),  pour  gagner  le 
bassin  de  l’Amazone,  ne  parle  pas  non  plus  de  l’influence  de  la 
pression,  sinon  à Gonlumasa  (21 90m) , où  il  dit  poétiquement  : 

La  rareté  de  l’atmosphère  tendait  grandement  à élever  nos  esprits. 

Mais  le  lieutenant  Brand4  est  plus  explicite;  il  mentionne  de  ces 
troubles,  tente  même  de  les  expliquer,  mais  sans  les  avoir  éprou- 
vés lui-même,  et  cependant  il  fit  son  premier  voyage,  de  Men- 
doza à Santiago,  par  le  Cumbre,  en  plein  hiver  austral  (22  août 
1827).  Il  eut  à souffrir  des  froids  terribles,  allant  jusqu’à  15°  au- 
dessous  de  zéro. 

Le  22  août,  il  fit  l’ascension  du  Cumbre  ; le  thermomètre  était 
à 54°  F : 

Comme  j’avais  entendu  souvent  parler  de  la  puna,  ou  difficulté  de  respirer,  par 
des  voyageurs  qui  s’en  plaignaient  beaucoup,  j’y  lis  particulièrement  attention  ; je 
ne  puis  dire  que  j’aie  senti  plus  d’inconvénients  que  cela  ne  me  fût  arrivé  en  fai- 
sant un  tel  travail,  aussi  continu,  alors  même  que  je  n’eusse  pas  été  à cette  élé- 
vation. Je  ne  souffrais  que  d’une  soif  très-vive,  que  la  neige  excitait,  au  lieu  de  la 

calmer Mais  je  n’ai  pas  l’intention  de  critiquer  ce  qui  a été  dit  de  ia  puna,  qui 

a été  éprouvée  sérieusement  par  beaucoup  de  voyageurs.  (P.  147.) 


Dans  mon  retour  à travers  les  Andes  , en  décembre  1827  , je  vis  que  les  mules 
s’arrêtaient  fréquemment  pour  respirer,  spécialement  en  montant  le  Cumbre , où 
elles  s’arrêtaient  à chaque  zig-zag,  comme  si  elles  souffraient  des  poumons,  et  je 
trouvai,  comme  Acosta,  que  ni  les  cris  ni  les  coups  ne  pouvaient  les  faire  avancer 
jusqu’à  ce  que  cela  leur  plaise.  Mais  il  n’y  a rien  là  de  particulier  au  Cumbre  ni 
aux  autres  élévations  de  la  Cordillère,  car  souvent  les  mules  s’arrêtent  ainsi,  comme 
si  elles  souffraient  des  poumons. 

Il  en  advenait  de  même  aux  péons  qui  tout-à-coup,  en  marchant,  s’arrêtaient, 
criaient  « puna , puna  » et  continuaient  ensuite  à monter,  il  semblait  qu’ils  con- 

1 Narrative  of  a journey  across  the  Cordillera  of  the  Andes,  in  the  years,  1825  a.  1824. 
— London,  1824. 

2 Rough  notes  taken  during  sortie  rapid  journeys  across  the  Pampas  and  atnong  the 
Andes.  — London,  1828. 

3 Journal  of  a passage  front  the  Pacific  to  the  Atlantic.  — London,  1829. 

4 Journal  of  a voyage  to  Peru.  — London,  1828. 


39 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — AMÉRIQUE  DU  SUD. 

missent  les  points  où  cela  devait  leur  arriver , étant  à pied , car  ils  remarquaient 
fréquemment  : « Aqui  esta  mucha  puna  ».  Je  ne  puis  attribuer  cela  qu’à  la  pré- 
sence dans  ces  endroits  de  minerais  qui  altèrent  plus  ou  moins  l’air,  d’où  leur 
influence  sur  les  poumons.  (P.  149.) 

L’officier  français  de  la  Touanne1  qui  fit  partie  de  l’expédition  de 
Bougainville,  et  qui  suivit  le  même  chemin  que  Brand,  fut  assez  vi- 
vement frappé  pour  tombera  terre;  il  exécuta  sa  traversée  le  29 
janvier  1826. 

Je  suppose  que  le  point  où  nous  nous  trouvions  est  élevé  de  2,000  toises  au 
moins....  L’air  est  très-raréfié  à cette  élévation  ; j’avais  quitté  ma  mule,  lui  lais- 
sant prendre  le  devant  avec  la  caravane,  et  je  m’occupais  à examiner  quelques 
pierres  à droite  et  à gauche  du  sentier.  Lorsque  je  voulus  ensuite  doubler  le  pas 
pour  rejoindre  mes  compagnons  de  voyage,  la  respiration  me  manqua  tout-à-coup  ; 
je  tombai,  la  poitrine  oppressée  et  respirant  avec  difficulté.  Il  fallut  qu’un  péon 
me  ramenât  ma  monture  ; et  par  ce  léger  accident,  je  pus  juger  de  ce  que  doivent 
avoir  à souffrir,  sous  ce  rapport,  les  arrieros  et  les  voyageurs  qui  ont  à fréquenter 
ce  passage  dans  un  temps  difficile.  (P.  50.) 

Après  ces  témoignages  venant  de  voyageurs  qui  n’ont  fait  que 
traverser  la  montagne,  voici  ce  que  dit  un  ingénieur  anglais,  Ed. 
Temple2,  qui  a séjourné  pendant  un  an,  1826-1827,  àPotosi  (4165m), 
employé  à Fexploitation  des  riches  mines  de  cette  contrée, 

En  marchant  j’ai  souvent  éprouvé  cette  difficulté  de  respirer  qui  est  occasionnée 
par  l’extrême  rareté  de  l’air,  et  à laquelle  même  les  natifs  et  les  animaux  sont  sujets. 
Le  sport  royal  des  courses  de  chevaux  ne  pourrait  avoir  lieu  ici , car  les  chevaux 
paraissent  plus  souffrir  du  zorochi  que  les  hommes  ; j’ai  souvent  entendu  dire  qu’ils 
tombent  et  meurent,  si  l’on  veut  les  presser  quand  ils  montent  une  colline. 
(T.  I,  p.  296.) 

Je  citerai  encore  les  passages  dans  lequel  le  voyageur  anglais 
Bollaerl3  qui  fit  au  mois  de  juin  1827  l’ascension  de  la  montagne  de 
Tata  Jachura  (5180m),  décrit  les  souffrances  qu’il  éprouva  pen- 
dant l’ascension. 

Nous  saignâmes  un  peu  du  nez,  nous  éprouvâmes  des  bourdonnements  d’oreilles, 
du  mal  de  tête,  affaiblissement  des  yeux,  et  le  corps  engourdi  par  le  froid,  le  tout 
causé  par  la  puna  ou  soroche  , c’est-à-dire  par  la  dilatation  et  le  froid  de  l’atmo- 
sphère. (P.  121.) 

1 Itinéraire  de  Valparaiso  à Buenos- Ayres,  publié  dans  le  2e  volume  du  Journal  de 
la  navigation  autour  du  globe , de  Bougainville.  — Paris,  1837. 

2 Travels  in  varions  parts  of  Peru  including  a year’s  résidence  in  Potosi.  — 2 vol.  — 
London,  1830. 

ù Observations  on  the  geography  of  Southern  Peru,  including  survey  of  the  Province 
of  Tarapaca,  and  route  of  Chili  by  the  coast  of  the  Desert  of  Atacama.  Journal 
of  the  R.  Geogr.  soc.  — London,  t.  XXI,  p.  99-130;  1851. 


40 


HISTORIQUE. 


J’arrive  à l’important  voyage  de  d’Orbigny  1 et  à la  description  si 
intéressante  qu’il  donne  des  malaises  de  la  montagne. 

Dans  son  premier  voyage,  il  va  d’Arica  à la  Paz  : 

Le  21  mai  1 850,  j'arrivai  au  point  de  jonction  du  ravin  de  Palca  avec  un  autre 
ravin  sans  eau  ...  Là,  j abandonnai  la  végétation  avec  l’humidité.... 

Bientôt  je  commençai  à monter  la  côte  de  Cachun,  et  j’éprouvai  à son  sommet, 
en  même  temps  que  les  premières  atteintes  de  la  raréfaction  de  l’air,  un  lroid 

très-piquant,  dû  à l’élévation.  (T.  II,  p.  577.) 

La  pente  devint  encore  plus  rapide....  Je  sentais  de  plus  en  plus  les  vives 
atteintes  de  la  raréfaction  de  l'air,  un  très-violent  mal  de  tête,  un  grand  embarras 
dans  la  respiration  ; mes  arrieros,  leurs  bêtes,  et  jusqu’à  mon  chien , mon  fidèle 
Cachirulo,  étaient  obligés  de  s’arrêter  tous  les  vingt  ou  trente  mètres,  tourmentés 

qu’ils  étaient  comme  moi  du  soroche 

Chaque  fois  qu’on  éprouve  le  malaise  dû  à la  raréfaction  de  l’air,  les 
habitants  disent  qu’on  a le  soroche.  Ils  en  méconnaissent  la  véritable  cause, 
la  grande  élévation  au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  pour  l’attribuer  à des 
émanations  minérales  d’antimoine,  appelées  en  espagnol  soroche.  C’est  même 
cette  souffrance,  cette  difficulté  de  respirer  dans  les  parties  très-élevées  des  Cor- 
dillères, qui  leur  a fait  donner  le  nom  de  puna  brava.  Quelques  voyageurs  em- 
ploient pour  les  Cordillères  péruviennes  le  mot  Paramo , inusité  dans  le  pays,  et 
qui  ne  remplace  nullement  le  mot  Puna , désignant  un  plateau  élevé , sec  et  dé- 
pourvu d’arbres. 

Après  bien  des  fatigues  nous  atteignîmes  le  sommet  de  la  dernière  côte  ; je  me 

trouvai  enfin  sur  la  crête  de  la  Cordillère.  (P.  578.) 

Depuis  mon  arrivée  au  sommet  de  la  Cordillère , je  souffrais  au  dernier  point 
de  la  raréfaction  de  l’air.  Je  sentais  des  douleurs  atroces  aux  tempes  ; j’avais  des 
maux  de  cœur  analogues  à ceux  que  produit  le  mal  de  mer,  je  respirais  avec  peine. 
Au  moindre  mouvement,  j’éprouvais  des  palpitations  des  plus  fortes  et  un  mal- 
aise général,  joint  à un  découragement  que  tous  mes  efforts  ne  pouvaient  me  faire 
surmonter.  J’eus  une  preuve  bien  marquée  de  ce  que  produit  l’habitude.  Tandis 
que  je  souffrais  ainsi,  je  voyais  deux  indigènes,  envoyés  en  courriers,  gravir  agile- 
ment à pied  avec  facilité,  pour  abréger  leur  route,  des  points  incomparablement 

plus  élevés  que  ceux  où  je  me  trouvais 

Ils  étaient  pourtant  à une  élévation  égale  à celle  du  mont  Blanc.  Le  soir 
j’éprouvai  une  forte  hémorrhagie  nasale  qui  me  soulagea  un  peu  ; néanmoins  je 
passai  une  nuit  d’autant  plus  affreuse,  que  j’étais  sans  abri,  exposé  à un  froid  vif 
et  piquant  qui  convertissait  en  glace  toutes  les  eaux  des  environs.  (P.  580.) 

25  7tiai.  J’éprouvais  toujours  les  atteintes  de  la  raréfaction  de  l’air  ; les 
maux  de  tête  et  les  palpitations  de  cœur  ne  me  laissaient  pas  un  moment  de 

repos 

Mes  muletiers  me  dirent  que,  quelques  mois  avant,  un  Espagnol  faisant  la 
même  route  avec  eux , s’élait  vu  si  fort  affecté  par  la  raréfaction  de  l’air,  qu'il 
éprouva,  dès  le  premier  jour,  des  symptômes  très-alarmants,  et  qu’incapable  de 
poursuivre,  il  mourut  la  nuit  suivante  , sans  qu’on  pût  lui  procurer  le  moindre 
soulagement.  Ils  me  citèrent  encore  beaucoup  de  circonstances  où  les  voyageurs 

1 IVOrbigny,  Voyage  dans  l'Amérique  méridionale,  exécuté  pendant  les  années  1820- 
1853,  7 vol.  Paris,  1855-1847. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — AMERIQUE  DU  SUD. 


41 


qu'ils  accompagnaient  avaient  sonffert  on  ne  peut  plus  de  ce  qu’ils  appellent  le 
soroche.  (P.  587.) 

24  mai.  A mesure  que  je  descendais,  je  respirais  plus  facilement,  et  j’espérais  voir 
cesser,  avant  la  fin  du  jour,  une  partie  du  malaise  que  me  causait  la  raréfaction  de 
l’air.  (P.  590.) 

Le  29  niai,  d’Orbigny  arrive  à la  Paz  (5720m)  : 

Comme  je  m’étais  trouvé  beaucoup  mieux  en  descendant  du  plateau  occidental 
sur  le  plateau  bolivien,  je  croyais  ne  plus  souffrir  de  la  raréfaction  de  l’air  ; mais 
il  en  fut  tout  autrement  dans  la  ville  de  la  Paz.  La  nuit  je  suffoquais  dans  ma 
chambre.  Dans  les  rues,  en  pente  très-roide,  je  ne  pouvais  monter  sans  être  arrêté 
de  IG  pas  en  10  pas  par  des  palpitations  et  par  le  manque  de  respiration.  Si  je 
causais  avec  chaleur , la  parole  me  manquait  tout-à-coup  ; enfin,  invité  dans 
quelques  maisons  à prendre  part  à l’amusement  général , il  m’était  impossible  de 
valser  deux  tours  de  suite  sans  suspendre  cet  exercice,  suffoqué  que  j’étais  par  les 
mêmes  accidents  ; et  je  faillis  un  jour  succomber  , pour  avoir  voulu  me  rendre  à 
pied  à los  Obragos,  village  distant  d'une  lieue,  que  j’avais  dû  faire  en  gravissant 
line  pente  très-rapide, 

Ce  malaise  dura  tout  le  temps  de  mon  premier  séjour  à la  Paz.  Les  personnes 
nées  dans  le  pays  ne  s’en  ressentent  aucunement.  Toutes  m’assurèrent  qu’on  finit 
par  s’y  habituer,  et  j’en  acquis  personnellement  la  preuve  à mon  retour  , trois  ans 
plus  lard.  Pourtant  je  conseillerais  peu  aux  personnes  faibles  de  poitrine  de  se 
soumettre  à cette  épreuve,  celle  qui,  dans  mes  voyages,  m’a  fait  le  plus  souffrir. 
(P.  404.) 

Cependant  l'accoutumance  dont  se  vante  d’Orbigny  ne  fut  pas 
aussi  considérable  qu’on  pourrait  le  croire.  Il  est  vrai  que,  dans  le 
récit  de  son  second  séjour  en  1852  à Potosi,  Oruro  et  la  Paz,  il  ne 
parle  plus  de  souffrances  (t.  lit,  p.  285  et  suivantes)  ; mais  il  y re- 
vient en  racontant  certaines  ascensions  : 

Je  dus  m’arrêter  (5  juillet  1852),  en  allant  de  Cochabamba  au  pays  des 
Moxos,  près  d’un  lac  glacé  à près  de  5000m  au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  L’ex- 
cès du  froid  s’y  faisait  d'autant  plus  sentir  que  nous  n’avions  aucun  abri,  et  la 

raréfaction  de  l’air  y était  telle,  qu’à  peine  pouvais-je  respirer,  (t.  111,  p.  176) 

Le  lendemain,  en  descendant, avec  la  région  des  nuages  commença  la  végé- 

tation ; j'avais  jusqu'alors  senti  ma  poitrine  oppressée,  aussi  ne  saurais-je  ex- 
primer avec  quel  plaisir  je  commençai  à respirer  plus  librement  un  air  moins 
raréfié  (p.  177). 

Un  voyageur  allemand,  Ed.  Pœppig1,  s’étend  plus  longuement 
encore  sur  ce  sujet;  il  séjournait  à Cerro  de  Pasco  (4550m)  : 

Le  nouveau  venu  à Cerro  de  Pasco  est  sujet  à de  sérieux  inconvénients  ; la 
marche,  même  sur  un  terrain  plat,  le  fatigue  extraordinairement  ; dans  les  rues 
qui  montent  la  respiration  devient  courte  et  pénible , il  est  pris  de  maux  de 

1 il eise  in  Chile,  Fera,  uncl  auf  dem  A))iazonenstro?ne,  vahrend  der  Jahrc  1827- 
1852.  — 2 vol.  — Leipzig,  1856. 


42 


HISTORIQUE. 


tête,  d’afflux  de  sang  aux  poumons,  signes  certains  qu’il  ne  pourra  pas  plus  que 
les  autres  étrangers  échapper  aux  attaques  de  la  puna.  En  vain  essaie-t-il  de  se 
raidir  énergiquement  contre  le  mal  ; celui-ci  l’emporte  et  triomphe  des  plus 
fermes  volontés.  Comme  pendant  le  violent  mal  de  mer,  l’esprit  est  abattu,  les 
sens  émoussés,  le  dégoût  et  un  découragement  hypochondriaque  transforment  d’une 
manière  extraordinaire  les  plus  robustes,  les  plus  vivants,  les  plus  courageux.  Les 
souffrances  corporelles,  quand  débutent  les  accès  de  cette  maladie , sont  plus 
pénibles  et  plus  variées  que  dans  les  formes  ordinaires  du  mal  de  mer.  Quand  la 
puna  (nommée  encore  Veta , Sorocho  ou  Mareo)  ne  se  fait  sentir  qu’à  un  degré  mé- 
diocre, on  se  plaint  d’une  difficulté  de  respirer,  qui  force  à s’arrêter  au  bout  d’une 
dizaine  de  pas,  et  l’on  s’efforce  en  vain,  par  des  inspirations  plus  profondes  , une 
extension  plus  grande  de  la  poitrine,  de  remplir  davantage  ses  poumons  de  l’élé- 
ment vivifiant.  Il  semble  qu’on  soit  enfermé  dans  une  chambre  sans  air,  et  le  sen- 
timent d’angoisse  s’augmente  par  l’échec  de  toutes  les  tentatives  faites  pour  triompher 
de  la  perte  des  forces.  Les  pieds  ont  de  la  peine  à supporter  le  corps , les  genoux 
plient,  et  toutes  les  occasions  de  repos,  si  fréquentes  qu’elles  soient,  même  après 
quelques  pas  , sont  les  bienvenues.  C’est  un  tourment  de  remonter  les  rues  en 
pente,  et  quand  on  se  hisse  péniblement  vers  sa  maison,  c’est  avec  une  vraie  joie 
qu’on  trouve  une  porte  , un  coin  pour  s’arrêter,  pour  s’appuyer,  tout  alourdi- 
L’angoisse  ne  diminue  que  pendant  le  repos  absolu  ; mais  la  conviction  de  l’inévi- 
table nécessité  du  mal,  l’incapacité  pour  tout  effort  intellectuel , le  sentiment  de 
la  perte  d’un  temps  précieux,  amènent  la  mauvaise  humeur  et  l’abattement,  si  bien 
qu’un  homme  vigoureux  se  conduit  comme  un  petit  enfant. 

Ceux  que  la  maladie  frappe  au  plus  haut  degré  sont  pris  fréquemment  de  syn- 
copes, symptômes  d’un  afflux  de  sang  à la  tête  et  aux  poumons , avec  un  malaise 
indéfinissable;  et,  sans  fièvre,  même  avec  un  sentiment  de  froid  intérieur,  les 
mains  et  les  pieds  morts,  leur  pouls  bat  de  108  à 120  fois  par  minute.  La  fatigue 
insurmontable,  la  tendance  au  sommeil  sont  bien  loin  d’amener  un  assoupissement 
réparateur,  si  bien  qu’ils  ne  peuvent  trouver  le  repos.  Précisément  la  nuit  amène 
les  plus  fortes  suffocations,  c’est  un  véritable  martyre  ; incapable  de  supporter 
davantage  la  position  couchée , le  malheureux  cherche  un  soulagement  près  du 
maigre  feu  qui  brûle  avec  peine  dans  la  cheminée,  au  risque  de  respirer  un  air 
chargé  de  vapeurs  de  charbon.  Les  yeux  sont  si  sensibles  qu’à  peine  peut-on  lire  ; 
chez  les  uns  surviennent  en  outre  de  légers  maux  de  tête,  tandis  que  chez  d’autres 
dominent  les  malaises  et  les  affections  des  organes  digestifs  qui  rappellent  le  mal 
de  mer,  dont  cependant  se  distingue  bien  la  puna  par  son  cours  comme  par  ses 
causes. 

Quant  cet  état  de  souffrances  tire  à sa  fin,  on  voit  apparaître  souvent  des  phéno- 
mènes critiques  très-pénibles.  Après  G à 7 jours,  les  malaises  violents  s’apaisent 
d’ordinaire  chez  ceux  qui  ont  une  poitrine  saine  et  une  forte  constitution  ; autre- 
ment, il  peut  s’écouler  des  semaines  avant  que  n’arrive  une  amélioration.  Une 
éruption  d’urticaire  apparaît  sur  tout  le  corps , ou  se  limite  aux  lèvres,  oû  elle 
occasionne  des  escharres,  des  saignements  et  des  douleurs  intolérables — Chez  les 
personnes  à peau  line  et  à teint  clair  le  sang  peut  sortir  de  la  peau  sans  blessure, 
si  bien  que,  pendant  la  durée  de  la  puna , beaucoup  n’osent  pas  se  raser.  Malgré 
la  gravité  des  malaises,  il  n’y  a guère  d’exemple  qu’ils  aient  occasionné  la  mort,  et 
il  n’y  a de  danger  que  pour  les  poitrines  faibles  et  surtout  pour  les  gens  atteints 
de  maladie  de  cœur.  (T.  II,  p.  84.) 

Pœppig  continue  en  indiquant  la  manière  dont  se  comportent  les 
divers  tempéraments,  les  diverses  races,  et  en  donnant  des  ren- 


43 


LES  VOYAGES  Eîs  MONTAGNES.  — AMÉRIQUE  DU  SUD. 

seignements  thérapeutiques;  il  admet  un  certain  degré  d’acclima- 
tement pour  les  Européens. 

11  expose  ensuite  que  les  habitants  du  pays,  ceux  mêmes  qui  y 
sont  nés,  ne  sont  pas  absolument  exempts  de  malaise,  surtout  quand 
les  nuits  sont  froides.  Les  Indiens  présentent  une  sorte  d’immunité. 
Les  bêtes  de  somme  ont  des  accidents  analogues  à ceux  des  hom- 
mes; les  chiens  n’éprouvent  rien;  les  chats  sont  rares  à Cerro  et 
dans  les  hauts  lieux,  et  leurs  petits  s’élèvent  difficilement  ; les  pou- 
les n’y  pondent  et  n’y  couvent  que  peu. 

La  narration1  que  fit  M.Boussingault  de  l’ascension  duChimborazo, 
exécutée  le  16  décembre  1851,  contraste  singulièrement  avec  ce 
que  nous  venons  de  rapporter.  Nous  avons  vu  d’Orbigny  sérieuse- 
ment atteint  du  mal  des  montagnes  vers  3700m  ; Pœppig  nous  a dé- 
crit les  souffrances  des  Européens  arrivés  à Cerro  de  Pasco  (4350m)  ; 
or,  M.  Boussingault  et  le  colonel  Hall,  son  compagnon,  montent  à 
peu  de  distance  du  sommet  du  Chimborazo  (à  6004“),  et  ils  n’ac- 
cusent presque  aucun  malaise  sérieux. 

M.  Boussingault  partit  de  Rio-Bamba  où  il  séjournait  depuis  quel- 
que temps,  le  14  décembre  1858.  Il  était  accompagné  du  colonel 
Hall,  avec  qui  il  avait  déjà  fait  les  ascensions  de  l’Antisana  et  du 
Cotopaxi.  Le  14,  ils  allèrent  coucher  à la  métairie  du  Chimborazo 
(3800“),  d’où  ils  partirent  le  15  à sept  heures  du  matin,  guidés  par 
un  Indien  de  la  métairie.  Arrivés  à la  hauteur  du  mont  Blanc,  la 
respiration  des  mulets  était  précipitée,  haletante  : 

Il  était  midi.  Nous  marchions  lentement,  et,  à mesure  que  nous  nous  engagions 
sur  la  neige,  la  difficulté  de  respirer  en  marchant  se  faisait  de  plus  en  plus  sentir; 
nous  rétablissions  aisément  nos  forces  en  nous  arrêtant,  sans  toutefois  nous  asseoir, 
tous  les  huit  ou  dix  pas.  A hauteur  égale,  je  crois  avoir  remarqué  que  l’on  respire 
plus  difficilement  sur  la  neige  que  lorsque  l’on  se  trouve  sur  un  rocher  ; je  cher- 
cherai plus  loin  à en.donner  l’explication.  (P.  155.) 

Cette  première  tentative  échoua  : la  neige  devenue  trop  épaisse 
arrêta  la  marche  des  voyageurs,  qui  enfonçaient  jusqu’à  la  ceinture; 
ils  redescendirent  à la  métairie. 

Le  lendemain,  ils  partirent  à sept  heures  par  une  autre  route, 
celle  qu’avait  suivie  de  Humboldt,  et  s’élevèrent  à 4945  mètres  à dos 
de  mulet.  Là,  il  fallut  mettre  pied  à terre,  les  mulets  ne  pouvant 
plus  porter  leur  fardeau  : il  était  dix  heures  trois  quarts.  Les  deux 
voyageurs  continuent  de  monter  à pied. 

Ascension  au  Chimborazo , exécutée  le  16  décembre  1831.  — Ann.  de  chim.,  2e  sé- 
rie, t.  LVIII,  p.  150-180;  1855. 


44 


HISTORIQUE. 


Nous  reprenions  haleine  tous  les  six  ou  huit  pas , mais  sans  nous  asseoir.... 
Mais  aussitôt  que  nous  atteignions  une  surface  neigeuse,  la  chaleur  du  soleil  deve- 
nait suffocante,  notre  respiration  pénible,  et  par  conséquent  nos  repos  plus  fré- 
quents, plus  nécessaires. 

Nous  gardions  un  silence  absolu  pendant  la  marche,  l’expérience  m’ayant  ensei- 
gné que  rien  n’exténuait  autant  qu’une  conversation  soutenue  à cette  hauteur  ; et 
pendant  nos  haltes,  si  nous  échangions  quelques  paroles,  c’était  presque  à voix 
basse.  C’est  en  grande  partie  à cette  précaution  que  j’attribue  l’état  de  santé  dont 
j’ai  constamment  joui  pendant  mes  ascensions  sur  les  volcans.  Cette  précaution 
salutaire,  je  l’imposais  pour  ainsi  dire,  d’une  manière  despotique,  à ceux  qui  m’ac- 
compagnaient, et,  sur  l’Antisana,  un  Indien,  pour  l’avoir  négligée  en  appelant  de 
toute  la  force  de  ses  poumons  le  colonel  Hall  qui  s’était  égaré  pendant  que  nous 
traversions  un  nuage  , fut  atteint  de  vertige  et  eut  un  commencement  d’hémor- 
ragie. (P.  159.) 

Ils  arrivent  enfin  an  pied  d’une  cime  de  trachyte  qui  leur  barre 
le  passage;  il  ôtait  midi  trois  quarts,  la  hauteur  atteinte  était 5680"\ 
le  thermomètre  marquait  4 degrés,  et  l’air  était  fortement  chargé 
d’humidité,  ce  qui,  selon  M.  Boussingault,  est  constant  sur  les  gla- 
ciers des  Andes.  Enfin,  après  un  assez  long  repos,  ayant  étudié  avec 
soin  le  terrain,  ils  recommencent  leur  marche  ascensionnelle  : 

Nous  commencions  déjà  à ressentir  plus  que  nous  ne  l’avions  jamais  éprouvé 
l’effet  de  la  raréfaction  de  l’air  ; nous  étions  forcés  de  nous  arrêter  tous  les  deux 
ou  trois  pas,  et  souvent  même  de  nous  coucher  pendant  quelques  secondes.  Une 
fois  assis,  nous  nous  remettions  à l’instant  même;  notre  souffrance  n’avait  lieu  que 
pendant  le  mouvement  (p.  250). 

Enfin,  ils  arrivent  à 6004111  de  hauteur,  élévation  que  personne 
n’avait  encore  atteinte;  ce  n’était  cependant  pas  tout  à fait  le  som- 
met du  Chimborazo  : 

Après  quelques  instants  de  repos,  nous  nous  trouvâmes  entièrement  remis  de 
nos  fatigues;  aucun  de  nous  n’éprouva  les  accidents  qu’ont  ressenti  la  plupart  des 
personnes  qui  se  sont  élevées  sur  les  hautes  montagnes.  Trois  quarts  d’heure  après 
notre  arrivée,  mon  pouls,  comme  celui  du  colonel  Hall,  battait  106  pulsations  dans 
une  minute  ; nous  avions  soif,  nous  étions  évidemment  sous  une  légère  influence 
fébrile,  mais  cet  état  n’était  nullement  pénible  (p.  251) 


La  raréfaction  de  l’air  produit  généralement  chez  les  personnes  qui  gravissent 

les  hautes  montagnes  des  effets  très-marqués Quant  à nous,  nous  avions,  il  est 

vrai,  éprouvé  de  la  difficulté  à respirer,  une  lassitude  extrême  pendant  que  nous 
marchions,  mais  les  inconvénients  cessèrent  avec  le  mouvement;  une  fois  en  repos, 
nous  croyions  être  dans  un  état  normal.  Peut-être  faut-il  attribuer  le  peu  d’effet 
que  produisait  sur  nous  la  raréfaction  de  l’air  à notre  séjour  prolongé  dans  les 
villes  élevées  des  Andes. 

Quand  on  a vu  le  mouvement  qui  a lieu  dans  les  villes  comme  Bogota,  Micui- 
pampa,  Potosi  et  d’autres  encore,  qui  atteignent  2600  et  4000  mètres  de  hauteur; 


•45 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — AMÉRIQUE  DU  SUD. 

quand  on  a été  témoin  à Quito,  dont  le  sol  est  élevé  de  5000  mètres,  de  la  force  et 
de  la  prodigieuse  activité  des  toréadors;  quand  on  a vu  des  femmes  jennes  et 
délicates  se  livrer  à la  danse,  pendant  des  nuits  entières,  dans  des  localités  presque 
aussi  hautes  que  le  mont  Blanc,  où  le  célèbre  de  Saussure  trouvait  à peine  assez  de 
force  pour  consulter  ses  instruments,  et  où  ses  vigoureux  montagnards  tombaient 
en  défaillance  en  creusant  un  trou  dans  laneige;  quand  on  se  rappelle  enfin  qu’un 
combat  célèbre,  celui  de  Pichincha,  s’est  donné  à une  hauteur  peu  différente  de 
celle  du  mont  Rose,  il  faut  bien  reconnaître  que  l’homme  peut  s’accoutumer  à 
respirer  l'air  raréfié  des  plus  hautes  montagnes  (p.  245). 

Mais  un  voyageur  allemand,  le  docteur  Meyen1,  qui,  dans  son 
voyage  autour  du  monde,  de  1850  à 1852,  séjourna  quelque  temps 
au  Pérou  et  fit,  en  avril  1851,  l’ascension  du  volcan  d’Arequipa 
(5640m)  parle  du  mal  des  montagnes  dans  des  termes  qui  rappel- 
lent la  description  de  Pœppig  : 

A deux  heures  après  midi,  nous  arrivâmes  au  sommet  de  la  montagne;  mes 
forces  étaient  épuisées,  et  nous  souffrions  de  la  pénible  affection  nommée  s orocho. 
Peu  à peu  avaient  augmenté  les  symptômes  d’un  état  nerveux  ou  fiévreux  auquel 
nous  avions  été  en  proie  tout  le  temps  de  l'ascension.  La  respiration  se  faisait  avec 
une  difficulté  croissante,  et  graduellement  étaient  survenus  les  vertiges,  les  nau- 
sées, les  vomissements,  puis  les  saignements  de  nez  et  les  défaillances;  dans  cet 
état  nous  étions  obligés  de  nous  coucher  à terre,  mais  le  repos  nous  rendait  nos 
forces  et  nous  permettait  de  marcher  de  nouveau  en  avant. 

La  maladie  dont  nous  souffrions  mérite  d’être  étudiée  ici  ; tous  les  voyageurs  en 
ont  entendu  parler,  aussitôt  qu’ils  ont  mis  le  pied  sur  les  côtes  de  ce  pays  en  indi- 
quant 1 intention  de  voyager  dans  la  montagne.  Au  Pérou,  on  l’appelle  sorocho,  et 
à Quito  mareo  de  Puna  ou  encore  Puna.  Elle  se  manifeste  sous  diverses  formes. 
L’un  de  ses  symptômes,  qu'on  rencontre  à la  fois 'dans  les  régions  inférieures  et 
sur  le  sommet  des  Cordillères,  est  une  sensation  de  difficulté  à respirer,  pour  le 
moindre  effort.  Si  l’on  est  à cheval,  on  n’éprouve  rien  ; mais  il  survient,  à des  degrés 
d’intensité  divers,  une  sorte  d’état  demi-fiévreux,  qui  se  manifeste  par  une  chaleur 
brûlante  dans  tout  le  corps,  des  maux  de  tête,  la  sécheresse  de  la  langue,  une  soif 
ardente,  la  perte  de  l’appétit.  Les  battements  du  pouls  montent  à 100  et  110,  au 
plus  petit  mouvement.  Le  visage  rougit,  la  peau  se  fend  sur  différents  points,  de 
telle  sorte  que  le  sang  sort  ; en  même  temps  survient  une  fatigue  générale.  C’est 
là  l'état  habituel,  la  première  épreuve  de  ceux  qui  font  des  ascensions,  qu’il  s’agisse 
de  Quito,  du  Pérou,  du  Chili,  des  montagnes  d’Asie  ou  même  des  plus  élevées 
parmi  celles  de  notre  Europe 

Cet  état  fébrile  augmente  par  les  efforts,  et  aussi  sous  l’influence  des  vents  vio- 
lents, secs  et  froids,  qui  sont  si  communs  dans  la  Cordillère;  c’est  à eux  que  les 
habitants  éclairés  de  ce  pays  attribuent  cette  maladie 

Il  faut  encore  ajouter,  pour  augmenter  les  malaises,  l’action  torride  du  soleil,  sur 

les  hauts  lieux ; elle  entre  pour  quelque  chose  dans  les  maux  de  tête  et  l’état 

demi-fiévreux.  Il  ne  manque  pas  de  personnes  qui  attribuent  la  maladie  aux  exha- 
laisons des  veines  métalliques  et  des  dépôts  de  soufre  si  communs  sur  le  sommet 
des  Cordillères. 

1 Heise  um  die  Erde,  in  den  Jahren  1830-51-52. — Berlin,  1855,  t.  II. 


40 


HISTORIQUE. 


On  a comparé  le  sorocho  au  mal  de  mer,  et  l’on  a été  jusqu’à  dire  que  ceux  qui 
ne  souffrent  pas  de  celui-ci  sont  épargnés  par  celui-là.  Cela  nous  paraît  erroné. 
L’état  à demi  fiévreux  que  nous  avons  décrit  précédemment  est  la  base  de  cette 
maladie,  et,  quand  il  augmente,  il  amène  les  symptômes  caractéristiques  des  affec- 
tions du  cerveau,  des  organes  respiratoires,  des  organes  digestifs.  Un  de  ces  trois 
organes  est  toujours  atteint  d’une  manière  prédominante,  d’où  résultent  les  diverses 
formes  de  la  maladie.  Quand  la  poitrine  est  surtout  affectée,  on  voit  les  difficultés 
de  respirer  s’ajouter  à la  fièvre  générale;  il  survient  une  sensation  de  pesanteur 
dans  la  poitrine,  et  la  respiration  comme  les  battements  du  cœur  deviennent  plus 
rapides  ; arrivent  ensuite  des  déchirements  dans  les  poumons,  des  accidents 
d'étouffement,  et  même  des  hémorrhagies,  phénomène  très-rare 

La  mort  qu’on  a observée  chez  des  animaux  chargés  arrivait  selon  nous  par 
étouffement  ; nous  avions  éprouvé,  en  montant  au  volcan  d’Aréquipa,  de  telles 
difficultés  respiratoires,  qu’il  fallait  tous  les  dix  pas  nous  arrêter  complètement. 
Les  animaux  chargés,  à qui  on  ne  permet  pas  de  le  faire,  vont  jusqu’à  ce  qu’ils 
tombent.  Dans  d’autres  cas,  l’affection  se  porte  surtout  sur  les  organes  digestifs, 
et  alors  arrivent  les  nausées,  les  maux  de  cœur,  un  affaissement  extrême,  et  enfin 
des  vomissements,  qui  soulagent  un  peu.  Bien  plus  dangereuses  sont  les  affec- 
tions du  cerveau  ; elles  se  traduisent  encore  par  les  nausées,  les  syncopes,  par  un 
état  particulier  ressemblant  à l’ivresse,  et  même  par  de  la  fureur.... 

En  général  on  admet  que  les  battements  du  cœur  à de  grandes  hauteurs  sont 
plus  rapides;  cela  s’explique  parce  que  la  respiration  est  devenue  elle-même  beau- 
coup plus  rapide  dans  un  air  plus  léger.  Mais  la  respiration  ni  la  circulation  ne 
sont  pas  accélérées  si  l’on  se  tient  parfaitement  tranquille  ; plusieurs  fois,  sur  le 
plateau  de  Tacora,  après  avoir  dormi,  nous  n’avons  pas  trouvé  plus  de  70  ou  72 
pulsations  à la  minute,  tandis  que,  quelques  heures  plus  tard,  le  simple  acte  d'aller 
à cheval  les  faisait  monter  à 100  et  110.  (P.  54  et  suiv.). 

Ils  arrivèrent  absolument  épuisés  au  somment  de  la  montagne, 
et  redescendirent  en  proie  à un  état  fébrile  qui  n’avait  pas  encore 
complètement  disparu  le  lendemain.  (P.  58). 

Le  récit  de  l’illustre  naturaliste  Charles  Darwin1  concorde  tout  à 
fait  avec  ce  que  nous  avons  rapporté  plus  haut  à propos  de  la  Cor- 
dillère chilienne.  Il  fit,  le  20  mai  1855,  la  traversée  des  Andes  en 
allant  de  Santiago  à Mendoza  à travers  le  passage  du  Portillo 
(4560m)  : 

Vers  midi  nous  commençâmes  l’ennuyeuse  ascension  du  Peuquenes,  et  alors  pour 
la  première  fois  nous  éprouvâmes  quelque  petite  difficulté  dans  notre  respiration. 
Les  mules  s’arrêtaient  chaque  cinquante  pas,  et  les  pauvres  courageux  animaux, 
après  peu  de  secondes,  se  remettaient  en  marche  d’un  commun  accord.  La  brièveté 
delà  respiration  dans  l’air  raréfié  est  nommée  par  les  Chiliens  puna  ; et  ils  ont  des 
idées  fort  ridicules  sur  son  origine.  Les  uns  disent  : toutes  les  eaux  ici  ont  la  puna, 
d’autres  : où  est  la  neige  est  la  puna,  ce  qui  sans  doute  est  vrai.  Elle  est  considérée 
comme  une  sorte  de  maladie,  et  l’on  m’a  montré  des  croix  sur  les  tombeaux  de 
gens  qui  étaient  morts  « punado  ».  Excepté  s'il  s’agit  de  personnes  malades  des 

Narrative  ofthe  voyages  of  Adventure  and  Beagie  ; 1826-1850,  5e  vol.;  Journal  and 
remarks.  — London,  1832-1856. 


47 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — AMÉRIQUE  DU  SUD. 

poumons  ou  du  cœur,  je  pense  que  ces  idées  sont  erronées.  Un  homme  fort  ma- 
lade éprouvera  sans  doute  à ces  hauteurs  une  difficulté  plus  grande  à respirer  que 
les  autres,  et  s’il  meurt,  ceci  peut  en  avoir  été  cause- 

La  seule  sensation  que  je  ressentis  fut  un  léger  resserrement  de  la  tête  et  de  la 
poitrine  ; cette  sensation  a du  rapport  avec  ce  qu’on  éprouve  quand  on  quitte 
une  chambre  chaude  pour  s’exposer  à l’air  glacial.  Il  y avait  beaucoup  d’imagina- 
tion dans  ceci;  car,  ayant  trouvé  des  coquilles  fossiles  sur  le  sommet  le  plus 
élevé,  j’oubliai  entièrement  la  puna  dans  ma  joie.  Mais  certainement  l’épuisement 
par  la  marche  est  extrême,  et  la  respiration  devient  profonde  et  laborieuse.  Il  est 
incompréhensible  pour  moi,  comment  de  Humboldt  et  d’autres  ont  pu  monter  jus- 
qu’à 19,000  pieds;  sans  aucun  doute,  une  résidence  de  quelques  mois  dans  la 
haute  région  de  Quito  avait  prémuni  leur  constitution  contre  un  tel  épuisement. 
Cependant  on  m’a  dit  qu’à  Potosi  (environ  13,000  pieds),  les  étrangers  ne  sont  pas 
accoutumés  à l’atmosphère  avant  un  séjour  d’une  année  entière.  Les  habitants 

recommandent  tous  l’oignon  contre  la  puna pour  ma  part,  je  n’ai  rien  trouvé 

qui  vaille  ies  coquilles  fossiles!  (T.  III,  p.  593.) 

Les  officiers  anglais  Smyth  et  Lowe1  qui  entreprirent  en  1854  un 
voyage  afin  de  trouver  un  passage  navigable  vers  l’Atlantique  par  le 
Pachitea,  l’Ucayali  et  l’Amazone,  traversèrent  la  Cordillère  beau- 
coup plus  près  de  l’équateur.  En  effet,  ils  partirent  de  Lima,  le  20 
septembre  1854.  Le  25  septembre,  un  peu  au  delà  de  Pucachaca,  le 
malaise  les  atteignit  : 

L’air  devint  très -froid nous  commençâmes  à éprouver  ce  qu’on  appelle 

vulgairement  le  vêla  ou  marea  (mal  de  mer),  qui  consiste  en  une  douleur  aiguë 
à travers  les  tempes,  à la  partie  inférieure  et  postérieure  de  la  tête,  et  qui  abat  com- 
plètement ceux  qui  en  sont  frappés....  (P.  25). 

Ils  arrivèrent  le  28  à Cerro  de  Pasco  : 

Nous  avons  éprouvé  à raison  de  l’élévation  du  sol,  et  surtout  en  montant,  une 
difficulté  à respirer  qui  serre  péniblement  la  poitrine,  surtout  chez  les  nouveaux 
venus;  mais,  au  bout  de  quelque  temps,  les  poumons  s’habituent  à l’état  de  l’at- 
mosphère, et  cette  affection  disparaît  (P.  42). 

Du  reste,  ces  faits  étaient  si  connus  dans  les  régions  monta- 
gneuses de  l’Amérique  du  Sud,  qu’en  1842,  un  médecin  écossais, 
Archibald  Smith2,  résumait  dans  les  termes  suivants  les  notions 
qu’il  avait  recueillies  pendant  un  voyage  au  Pérou  : 

Veta , Soroche , la  Puna , Mareo  de  la  Cordillère.  — Un  mal  de  tête  avec  batte- 
ments et  forte  sensation  de  plénitude  aux  tempes,  joint  à une  grande  oppression 
et  tension  de  la  poitrine,  et  fréquemment  à des  maux  d’estomac,  sont  les  symptô- 

1 Narrative  of  a journey  from  Lima  to  Para.  — London,  1836. 

2 Practical  observation  on  the  diseases  of  Peru,  descrïbed  as  they  occur  in  the  Coast 
and  in  the  Sierra.  — Edimb.  med.  and  surg.  journal,  t.  LIV>  LVI,  LVII,  LVI1I,  1839, 
1841,  1842,  1843. 


48 


HISTORIQUE. 


mes  qu'on  éprouve  d’ordinaire  dans  les  premiers  jours  en  traversant  les  Cordillères 
ou  en  séjournant  à Cerro  de  fiasco.  Si  l’on  marche  vite,  si  surtout  l'on  grimpe  une 
colline,  on  ressent  une  plénitude  extrême  de  la  poitrine,  les  artères  temporales 
battent  violemment,  et  les  maux  de  tête  surviennent.  Si  l'on  essaye  de  com  ir, 
ces  symptômes  se  manifestent  aussitôt,  et  l’on  est  heureux  de  s’arrêter  pour 
reprendre  haleine.  La  respiration  d’un  air  glacial,  le  5 juillet  à minuit,  dans  une 
misérable  hutte  au  passage  de  Tucto  (4855m),  m’amena  une  sensation  déchirante, 
le  long  de  la  trachée  artère  ; jusqu’à  la  descente,  j’éprouvai  sans  cesse  l'appré- 
hension que  quelque  vaisseau  sanguin  se  soit  ouvert  dans  mes  poumons Dans 

une  autre  occasion,  par  une  autre  route....  ma  respiration  était  haletante  et  labo- 
rieuse. 

Beaucoup  de  personnes  jeunes  s’accoutument  aux  effets  de  l’air  raréfié,  si 
bien  qu’elles  n’ont  de  maux  de  tête  et  de  dyspnée  que  pendant  un  exercice  exagéré. 
Quelques  individus,  au  contraire,  et  surtout  les  pléthoriques,  ne  peuvent  passer  la 
Cordillère  où  résider  à Cerro  de  Pasco,  sans  maux  de  tête  et  difficultés  respiratoires  ; 
quand  ils  traversent  la  Cordillère  en  voyageant  dans  ces  plaines  élevées  et  glacées 
que  les  natifs  nomment  Puna,  ils  sont  très-sujets  à éprouver  des  épistaxis. 
(T.  LVII,  p.  556;  1842). 

Le  témoignage  du  botaniste  français  Claude  Gay 1 n’est  pas  moins 
concluant.  Or,  l’autorité  de  ce  savant  est  grande,  puisque  pendant 
près  de  quinze  ans,  de  1828  à 1842,  il  explora  la  Cordillère  des  An- 
des. 11  s’exprime  ainsi  : 

Je  sortis  de  Lima  (1841) Après  quatre  jours  de  marche,  nous  franchîmes  la- 

première  Cordillère  par  le  col  de  Tingo,  élevée  de  481 5m  au-dessus  du  niveau  de 
la  mer.  Nous  y éprouvâmes  ce  singulier  malaise,  effet  de  la  grande  raréfaction  de 
l’air,  et  connu  en  Amérique  sous  le  nom  de  soroche,  d epouno,  etc.  On  ne  peut 
mieux  le  comparer  qu'à  un  véritable  mal  de  mer;  ce  sont  les  mêmes  symptômes, 
les  mêmes  souffrances,  douleurs  de  tête,  vomissements,  et  un  abattement  tel,  qu’il 
rend  la  vie  presque  à charge,  et  m’empêchait  d’aller  consulter  mes  baromètres  et 
thermomètres  qui  n’étaient  qu’à  deux  pas  de  moi 

Ce  malaise  me  dura  quelque  temps;  mais,  cfàns  la  suite,  je  finis  par  m’habituer 
à cette  rareté  de  l’air,  et  je  pus  faire  osciller  mes  aiguilles  d’intensité  à une  hau- 
teur de  4685"‘.  et  exécuter  plusieurs  autres  travaux  de  physique  terrestre  sans  en 
être  sensiblement  incommodé.  (P.  28) 

Les  Indiens  du  Cusco...,  quoique  constamment  à une  hauteur  de  10  à 14,000  pieds, 
ne  sont  nullement  incommodés  de  la  grande  rareté  de  l’air;  ils  marchent  et  cau- 
sent avec  autant  de  facilité  que  nous  dans  les  plaines  basses:  aussi  trouve-t-on 
dans  ces  régions  les  villes  et  les  villages  les  plus  élevés  de  notre  globe;  Ocoruco 
à 4252m,  Condoromaà  4545.  On  voit  quelques  maisons  de  poste,  celle  par  exemple 
de  Rumilmani,  qui  s'élèvent  jusqu'à  4685m,  et  des  maisons  de  bergers  jusqu’à 
4778m,  c’est-à-dire  presque  à la  hauteur  du  Mont-Blanc.  (P.  55). 

Le  célèbre  voyageur  allemand  J.  J.  von  Tschudi2  nous  donne  à ce 
sujet  une  monographie  presque  complète. 

1 Fragment  d'un  voyage  dans  le  Chili  et  au  Cusco.  — Bull,  de  la  Soc.  de  géogr. 
2°  série,  t.  XIX,  p.  15-57;  1845. 

2 Peru,  Reiseskizzen  aus  den  Jahren  1858-1842.  — 2 vol.  — Saint-Galien,  1846. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — AMERIQUE  DU  SUD. 


49 


Sur  les  hauteurs  considérables  auxquelles  s’élève  la  Cordillère , l’action  de 
l’air  raréfié  se  fait  sentir  sur  l'organisme  d’une  manière  grave;  elle  se  manifeste 
surtout  par  un  état  de  fatigue  extraordinaire,  et  de  grandes  difficultés  à respirer. 
Les  indigènes  désignent  cette  action  par  les  mots  de  Puna  ou  de  Soroché,  les 
créoles  espagnols  par  ceux  de  Mareo  ou  de  Veta,  et  l’attribuent  à des  émanations 
métalliques,  à celles  surtout  de  l’antimoine,  qui  joue  un  rôle  de  premier  ordre 
dans  leur  physique  et  leur  métallurgie. 

Les  premiers  symptômes  de  la  Veta  se  montrent  ordinairement  à une  hauteur 
de  12,600  pieds,  et  consistent  en  vertiges,  bourdonnements  d'oreilles  et  troubles  de 
la  vue  auxquels  se  joignent  de  violents  maux  de  tète  et  des  nausées.  Ces  accidents 
frappent  les  cavaliers,  moins  il  est  vrai  que  les  piétons.  Plus  on  monte,  plus  ces 
phénomènes  augmentent,  et  il  s’y  ajoute  une  fatigue  des  membres  inférieurs  qui  va 
jusqu’à  l’impossibilité  de  se  mouvoir,  avec  une  respiration  très-anxieuse  et  de 
violents  battements  de  cœur.  Un  repos  complet  fait  disparaître  pour  un  instant  ces 
symptômes,  qui,  aux  moindres  mouvements,  reviennent  aussitôt  avec  une  intensité 
nouvelle  et  sont  accompagnés  souvent  alors  de  défaillances  et  de  pénibles  vomisse- 
ments. Les  vaisseaux  capillaires  de  la  conjonctive,  des  lèvres,  du  nez,  se  rompent,  et 
le  sang  sort  par  gouttes.  Les  muqueuses  respiratoires  et  digestives  sont  le  siège 
de  semblables  accidents;  des  diarrhées,  des  crachats  sanguinolents  sont  le  signe  de 
la  Veta  à son  plus  haut  degré  d'intensité. 

On  peut  approximativement  comparer  ce  malaise  au  mal  de  mer  (d’où  son  nom 
de  Mareo)  ; mais  chez  lui  seul  surviennent  les  angoisses  respiratoires.  Il  n’est  pas 
rare  de  voir  ces  accidents  acquérir  une  intensité  suffisante  pour  entraîner  la  mort 
des  voyageurs.  Je  rencontrai  en  1859  à Pachachaca  un  officier  qui  portait  les  dépê- 
ches de  Lima  à Cuzco,  mais  qui,  une  année,  étant  passé  par  la  Piedra  parada,  périt 
à la  suite  d’hémorrhagies  pulmonaires  et  intestinales  occasionnées  par  la  Veta. 
Tous  les  habitants  des  côtes  et  les  Européens  qui  pour  la  première  fois  franchis- 
sent les  hautes  Cordillères,  éprouvent  cette  maladie  qui  généralement  n’est  pas 
tenace  chez  les  personnes  saines,  mais  qui  frappe  ù un  haut  degré  celles  qui  sont 
faibles,  nerveuses,  malades  de  la  poitrine  ou  du  cœur,  et  aussi  les  pléthoriques  et 
les  gens  trop  gras.  Un  négociant  allemand  de  Lima,  homme  très-corpulent,  qui 
était  allé  au  Cerro  de  Pasco  pour  ses  affaires,  dut  au  bout  de  quelques  heures 
quitter  rapidement  la  ville,  et  descendre  dans  la  vallée  pour  fuir  la  Puna. 

Par  un  long  séjour  dans  ces  hautes  régions , l'organisme  s’accoutume  à cette 
action  de  l’air  raréfié.  Des  Européens  vigoureux  peuvent  même  grimper  avec  légèreté 
les  plus  hautes  montagnes  et  s’y  mouvoir  aussi  librement  que  sur  les  côtes.  J’ai 
eu  deux  fois  seulement  la  Yeta,  mais  à un  haut  degré  ; une  fois  sur  un  plateau 
élevé,  une  autre  fois  sur  la  montagne  d’Antaichahua.  La  première  fois  queje  traversai 
la  Cordillère,  je  ne  ressentis  pas  la  moindre  incommodité , et  je  pus , descendant 
de  mon  cheval  fatigué,  marcher  pendant  une  longue  traite,  sans  éprouver  de  sym- 
ptômes de  la  Veta,  si  bien  que  je  m’en  croyais  à l’abri  pour  toujours 

Les  Indiens  montagnards,  qui  vivent  depuis  leur  enfance  dans  cet  air  raréfié,  ne 

souffrent  pas  de  la  Yeta Les  médecins  de  Lima  ont  coutume  d’envoyer  dans 

la  montagne  les  personnes  épuisées,  afin  que  l’air  pur  leur  rende  de  la  force; 
mais  elles  y sont  atteintes  de  la  Veta  à un  degré  extraordinaire,  et  souvent  laissent 
leur  vie  dans  la  Cordillère 


La  Puna  paraît  agir  plus  énergiquement  sur  certains  animaux  domestiques  que 
sur  l'homme  lui-même.  Cela  se  voit  surtout  chez  les  chats  ; ces  animaux  ne  peuvent 
vivre  au-dessus  de  15,000  pieds  d’altitude.  On  a souvent  essayé  d’en  amener  dans 

4 


HISTORIQUE. 


ôü 

les  villages  élevés,  mais  toujours  en  vain,  car  après  quelques  jours  ils  étaient  pris 

de  convulsions  épileptiformes  terribles  auxquelles  ils  succombaient Ces  chats 

malades  ne  cherchent  pas  à mordre,  ni  à fuir On  les  appelle  dans  le  pays 

azorochados , et  on  leur  donne  de  l’antimoine.  Les  races  délicates  de  chiens  sont 
attaquées  de  même,  mais  moins  énergiquement. 

Les  voyageurs  dans  les  Cordillères  sont  encore  sujets  à des  accidents  qu'on  dé- 
signe par  le  nom  de  Surumpe..  ..  Ce  sont  des  affections  oculaires  dues  à l’action 
du  soleil  réfléchi  sur  la  neige.  (T.  II,  p.  6G  et  suiv.) 

Dans  son  ascension  de  la  Cordillère,  Tschudi  vit  pour  la  première 
fois,  à une  hauteur  d’environ  4000  mètres,  les  chevaux  atteints 
de  la  veta  : 


Ils  commencent  par  marcher  plus  lentement,  s’arrêtent  fréquemment,  tremblent 
de  tout  leur  corps  et  s’abattent.  Plus  ils  montent  haut,  plus  ils  tremblent  fort  et 
plus  ils  tombent  souvent.  Si  on  ne  les  desselle  pas,  si  on  ne  les  laisse  pas  se  reposer 
complètement,  ils  se  couchent  sur  le  sol.  Les  arrieros  saignent  en  quatre  places 
un  animal  dans  cet  état  : au  bout  de  la  queue,  au  palais,  aux  deux  oreilles  ; ils  leur 
coupent  souvent  les  oreilles  et  la  queue  jusqu’à  moitié  et  leur  fendent  les  naseaux 
sur  une  largeur  de  plusieurs  pouces.  Ce  dernier  moyen  me  paraît  devoir  être  de 
quelque  utilité,  parce  que  ces  animaux  peuvent  alors  aspirer  une  plus  grande 
quantité  d'air.  Comme  préservatif  on  leur  met  de  l’ail  dans  les  naseaux.  Les  mu- 
lets et  les  ânes  souffrent  moins  de  la  Veta,  probablement  parce  qu’ils  savent  mieux 
se  reposer.  Les  chevaux  nés  dans  la  Sierra  sont  presque  exempts  de  ces  accidents. 
(T.  II,  p.  52.) 


Un  épisode  très-saisissant  des  récits  de  Tschudi,  c’est  l’histoire  de 
son  séjour  de  vingt-quatre  heures  dans  la  Puna  glacée  du  Pérou,  à 
une  hauteur  moyenne  de  4500  mètres  : 


Je  commençais  à gravir  vigoureusement  la  montagne,  quant  je  ressentis  l’in- 
fluence redoutable  de  l’air  raréfié  ; j’éprouvais  en  marchant  un  malaise  inconnu.il 
me  fallait  demeurer  tranquille  pour  pouvoir  aspirer  l’air  : encore  y arrivais-je  à 
peine  ; si  j’essayais  de  marcher,  une  angoisse  indescriptible  s'emparait  de  moi. 
J’entendais  frapper  mon  cœur  contre  mes  côtes  ; la  respiration  était  courte  et 
entrecoupée  ; j’avais  sur  la  poitrine  un  poids  énorme.  Mes  lèvres  étaient  bleues, 
enflées,  crevassées  ; les  capillaires  de  la  conjonctive  se  déchirèrent,  et  il  en  sortit 
quelques  gouttes  de  sang.  Les  sensations  étaient  singulièrement  émoussées  ; la  vue, 
l’ouïe,  le  toucher,  étaient  altérés;  devant  mes  yeux  flottait  un  nuage  épais  , gri- 
sâtre, souvent  rougeâtre  , et  je  versais  des  larmes  sanguinolentes.  Je  me  sentais 
entre  la  vie  et  la  mort  ; ma  tête  tourna,  mes  sens  défaillirent,  et  je  m’étendis  trem- 
blant sur  le  sol.  En  vérité  , quand  les  richesses  les  plus  précieuses , quand  une 
gloire  immortelle  m’eussent  attendu  quelques  centaines  de  pieds  plus  haut,  il  m’eût 
été  physiquement  et  moralement  impossible  d’étendre  seulement  la  main  vers 
elles. 

Je  restai  quelque  temps  couché  sur  le  sol  dans  cet  étal  de  demi-évanouissement  ; 
puis  je  me  remis  un  peu , je  me  hissai  péniblement  sur  mon  mulet,  et  pus  avan- 
cer. (T.  II,  p.  152.) 


51 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — AMÉRIQUE  DU  SUD. 

Les  récits  faits  par  de  Castelnau1  ne  sont  pas  moins  explicites,  et 
contiennent  maints  détails  curieux  : 

Notre  séjour,  en  septembre  1845,  à Chuquisaca,  ville  de  11  à 12,000  âmes, 
(République  bolivienne),  lut  assez  triste La  plupart  de  mes  compagnons  souf- 

fraient aussi  du  soroché , incommodité  causée  par  la  raréfaction  de  l’air  dans  les 
grandes  altitudes  (suivant  les  observations  de  M.  Penlland , Chuquisaca  esta 
9,545  pieds  anglais  (2847m)  au-dessus  de  la  surface  de  la  mer)  : c’est  surtout  en  gra- 
vissant les  inégalités  des  rues  qu’on  éprouve  cette  pénible  sensation  d 'étouffement  ; 
les  chiens,  les  chevaux  et  les  animaux  de  charge  y sont  également  assujettis,  et 
j’ai  vu  de  ces  derniers  dont  le  sang  s’échappait  par  les  narines.  Les  muleliers  ont 
l'habitude,  dans  ce  cas,  de  leur  faire  avaler  des  gousses  d’ail.  On  a souvent  vu  des 
animaux  périr  d’accidents  semblables  ; les  chevaux  surtout  sont  dans  ce  cas.  Pour 
peu  qu’on  les  excite,  ils  cherchent  à surmonter  le  malaise  qu’ils  ressentent,  et 
tombent  quelquefois  morts  dans  les  rues;  les  mules,  au  contraire,  s'arrêtent 
d’elles-mêmes  et  ne  se  remettent  en  marche  que  quand  elles  sont  reposées,  malgré 
le  mauvais  traitement  qu’un  maître  imprudent  peut  leur  faire  éprouver.  (T.  III, 
p.  517.) 

A la  Paz  (571 7m) , de  Castelnau  assiste  à un  combat  de  tau- 
reaux : 

Malheureusement,  dit-il,  les  taureaux  de  la  Paz,  nourris  dans  les  plaines  gelées 
de  laPuna,  et  qui  d’ailleurs  avaient  probablement  le  soroché , qui  par  parenthèse 
est  effroyable  dans  cette  ville  ; ces  taureaux,  dis-je,  ne  montrèrent  d’énergie  que 
pour  fuir  devant  d’ignobles  toreadores  à pied,  qui  cherchaient  à les  retenir  en  les 
tirant  par  la  queue.  Le  peuple  indigné  se  précipita  dans  l’arène,  et  à force  de  tour- 
menter ces  malheureux  animaux,  il  finit  par  obtenir  le  résultat  désiré , c’est-à- 
dire  la  mort  de  deux  ou  trois  Indiens.  (P.  576.) 

L’un  des  compagnons  de  voyage  de  Castelna-u,  Weddell,  gravit  en 
octobre  1847  le  volcan  d’Aréquipa.  11  exprime  ainsi  les  souffrances 
que  lui  fit  éprouver  cette  ascension  : 

La  difficulté  qu’éprouvaient  nos  animaux  à respirer  nous  mit  dans  la  néces- 
sité de  renoncer  à leur  concours Pour  avancer  il  fallait  louvoyer  , et  même 

ainsi  nous  ne  pouvions  faire  dix  pas  sans  nous  arrêter,  afin  de  laisser  passer  l’op- 
pression qui  s’était  emparée  de  nos  poumons.  A mesure  que  nous  nous  élevions 
davantage,  non-seulement  cette  oppression  augmenta , en  nous  obligeant  à faire 
des  arrêts  plus  prolongés , mais  la  fatigue  des  membres  vint  encore  s’y  ajouter  : 
accident  plus  fâcheux  que  le  soroché , parce  qu’un  arrêt  ne  suffisait  pas  pour  y 
obvier 

Les  dernières  forces  de  mon  compagnon  s’épuisèrent  et  il  dut  me  quitter. 
Seul  je  continuai  mon  voyage,  haletant;...  je  ne  pouvais  guère  avancer  plus  de 
deux  ou  trois  mètres  sans  m’arrêter  pour  prendre  haleine.  (P.  449.) 

En  mai  1846,  de  Castelnau  quitta  Lima  pour  se  rendre  à Cusco. 

1 Expédition  dans  les  parties  centrales  de  l' Amérique  du  Sud.  — Hist.  du  voyage, 
t.  111  et  t;  IV;  — Paris,  1851; 


52  HISTORIQUE. 

Il  eut  ainsi  à franchir  de  hautes  montagnes.  xVu  col  de  la  Vinda 
(4720m),  le  soroché  le  frappa  assez  vigoureusement  : 

La  végétation,  même  celle  des  cierges  rabougris,  disparut.  M.  d’Osery  se  plaignit 
beaucoup  du  soroché , et  il  était  obligé  de  s’arrêter  à chaque  instant,  ainsi  que 
Florentine.  On  donne  ici  à cette  maladie  le  nom  de  re/a,  et  l'on  est  persuadé 
qu’elle  est  due  à la  présence  de  filons  d’antimoine 

A peine  étions-nous  arrivés  au  petit  établissement  de  Casacancha  que,  des- 
cendant de  cheval , je  me  sentis  pris  du  soroché  dont  je  n’avais  pas  éprouvé  les 
effets  jusque-là  ; j’eus  d’abondants  vomissements  de  bile,  et  j’éprouvai  tous  les 
symptômes  du  mal  de  mer  auquel  je  suis  très-sujet 

Lorsque,  après  une  très-mauvaise  nuit,  je  voulus  au  matin  monter  à cheval, 
j’en  sentis  l’absolue  impossibilité.  M.  d’Osery  pouvait  à peine  se  traîner;  Flo- 
rentino,  ancien  marin,  était  étendu  à terre  ; le  petit  Catama  seul  jouait  comme 
à l’ordinaire,  et  ne  semblait  nullement  se  ressentir  du  soroché.  Enfin  , compre- 
nant combien  il  était  indispensable  d’atteindre  des  régions  moins  inhospitalières, 
nous  parvînmes  à nous  mettre  en  selle  dans  l’après-midi;  mais  après  avoir  fait 
moins  d’une  lieue,  nous  nous  laissâmes,  au  positif,  tomber  à la  porte  d’une  ferme 
où  nous  fûmes  bien  traités.  (T.  IV,  p.  194.) 

On  assigne  auCerro  de  Pasco  une  hauteur  de  15,075  pieds  anglais  (4166™) Mal- 

gré l’ardeur  des  rayons  du  soleil,  on  est  gelé  dès  qu’on  se  trouve  à l’ombre,  et  l’on 

est  constamment  sous  la  pénible  influence  du  soroché Le  climat  est  tellement 

funeste,  que  les  ecclésiastiques  ne  cherchent  à garder  cette  cure  que  pendant  trois 

ou  quatre  ans,  malgré  ses  énormes  bénéfices La  population,  en  1845,  était  de 

18,000  âmes....,  c’est  aux  mines  d’argent  seules  qu’est  due  cette  agglomération.... 
L’orge  n’y  donne  pas  de  grains.  (P.  196.) 

De  Castelnau  fit,  au  bout  de  quelques  jours,  une  excursion  dans 
une  caverne  voisine,  située  à une  hauteur  de  4400™,  et  dans  laquelle 
il  trouva  des  ossements  d’animaux  disparus,  entre  antres  une  sorte 
de  tatou  (probablement  un  glyptodon)  : 

Nous  souffrions,  dit-il,  affreusement  du  soroché,  dont  les  étouffements  étaient, 
tels  qu’ils  nous  obligeaient  à chaque  instant  à prendre  du  repos  : les  Indiens 
mêmes  en  semblaient  atteints. 

Un  touriste  français  aux  récits  pittoresques,  M.  de  Saint-Cricq, 
qui  publia  ses  voyages  sous  le  pseudonyme  de  Paul  Marcov1,  éprouva 
de  semblables  accidents  en  se  rendant  d’Aréquipa  à Puno.  11  avait 
passé  la  nuit  à la  maison  de  poste  d’Apo  (pas  de  date)  : 

Au  bout  d’une  heure  de  marche,  qui  nous  avait  élevés  de  quelques  centaines 
de  mètres,  je  commençais  à ressentir  un  malaise  général  que  j’attribuai  à l’insuf- 
fisance de  la  pression  atmosphérique.  Ce  phénomène,  que  les  Quechuas  des  hau- 
teurs appellent  soroché , et  dont  ils  n’ont  pas  à souffrir  , doués  qu’ils  sont  par  la 
nature  de  poumons  d’un  tiers  plus  volumineux  que  ceux  de  l’Européen,  est  attribué 

1 Voyage  à travers  C Amérique  du  Sud,  de  l'occan  Pacifique  à l'océan  Atlantique  — 
Paris,  2 vol.,  1869. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — AMÉRIQUE  DU  SUD. 


53 


par  eux  à des  gaz  méphitiques  produits  par  l’antimoine,  en  quechua  soroche, 
même  aux  endroits  où  ce  métal  n’existe  pas.  Une  contraction  du  diaphragme,  de 
sourdes  douleurs  danslarégion  dorsale,  des  élancements  dans  la  tête,  des  nausées 
et  des  vertiges  sont  les  prodromes  de  ce  mal  singulier,  quelquefois  suivi  de  syncope. 
Mais  je  n’allai  pas  jusque-là.  Mon  guide,  averti  de  ce  que  j’éprouvais  par  ma 
pâleur  livide  et  par  mes  efforts  pour  rester  en  selle,  me  remit  une  gousse  d’ail,  en 

m’engageant  à la  croquer J’obéis....  mais  cet  antidote....  n’ayant  produit 

aucun  effet,  mon  Esculape  me  conseilla  de  m’appliquer  sur  le  nez  quelques  coups 
de  poing  qui,  en  déterminant  une  hémorrhagie,  devaient  amener  un  prompt  sou- 
lagement ; mais  le  moyen  me  sembla  par  trop  héroïque,  et  j’aimai  mieux  grigno- 
ter une  seconde  gousse  d’ail 

Vingt  minutes  environ  s’écoulèrent,  et  soit  que  le  remède  commençât  à opérer, 
soit  que  mes  poumons  s’accoutumassent  par  degrés  à cet  air  si  subtil,  je  sentis 
mon  malaise  se  dissiper.  (T.  I,  p.  76.) 

Le  lieutenant  Gillis1,  de  la  marine  anglaise,  donne  des  rensei- 
gnements semblables,  recueillis,  il  est  vrai,  de  seconde  main,  mais 
résumés  d’une  façon  fort  sensée. 

Dans  la  première  partie  de  son  ouvrage,  consacrée  à la  descrip- 
tion géographique  du  Chili,  l’auteur  arrive  à parler  des  routes  de 
Santiago  à Mendoza,  et  spécialement  de  celle  de  Piuquenes  : 

Bien  peu  de  voyageurs  arrivent  à son  sommet  (15,189  p.  au-dessus  de  la  mer) 
sans  éprouver  des  difficultés  respiratoires  ; et  les  pauvres  mules  en  souffrent 
presque  autant  que  leurs  maîtres.  Au  Chili,  celte  sensation  est  nommée  piina,  au 
Pérou,  veta,  soroche  ou  mareo,  indifféremment  par  les  natifs  et  les  créoles.  Ceux-ci, 
dans  leur  ignorance  de  la  vraie  cause , l’attribuent  aux  exhalaisons  des  veines 
métalliques  si  fréquentes  dans  les  Andes.  Selon  les  cas,  le  malaise  consiste  en 
lassitudes  extraordinaires,  faiblesses,  vertiges,  cécité'  temporaire,  nausées,  accom- 
pagnés assez  fréquemment  d'hémorrhagies  par  les  narines  et  les  yeux.  Tout  le 
monde  n’est  pas  soumis  à cette  influence,  et  il  est  évident  que  certaines  dispositions 
y rendent  plus  sensibles.  Les  arrieros  recommandent  l’ail  et  l’oignon  comme  des 
spécifiques.  (T.  I,  p.  6.) 

L’anglais  Lloyd2,  qui  traversa  la  grande  sierra  de  l’Illimani,  s’ex- 
prime ainsi  : 

Excepté  la  maladie  nommée  soroche , qui  est  une  oppression  des  poumons  dou- 
loureuse  et  souvent  dangereuse,  causée  par  l’extrême  raréfaction  de  l’air  à cette 
grande  hauteur,  on  ne  connaît  presque  aucune  maladie , excepté  les  catarrhes  et 
l’hvdropisie.  (P.  260.) 

Le  botaniste  français  Weddell5,  dont  nous  avons  rapporté  les 
souffrances  alors  qu’il  accompagnait  de  Castelnau,  retourna  plus 

1 The  U.  S.  naval  astronomical  Expédition  to  the  Southern  Hernisphere  during  the 
years  1849-1842.  — Cliile,  Philadelphia,  1859. 

" Beport  of  a jour  ne  y across  the  Andes , between  Cochabamba  and  Chimoré.  — J.  of 
the  royal  géograph.  Society,  l.  XXIV,  p.  259-265;  1851. 

5 Voyage  dans  le  nord  de  la  Bolivie  et  les  parties  voisines  du  Pérou.  — Paris,  1853. 


54  HISTORIQUE. 

tard  on  Bolivie.  11  avait  traversé  sans  accidents  notables  la  chaîne 
de  la  Cordillère,  en  venant  d’Arica,  et  arrivé  à la  Paz  depuis  près 
de  deux  mois,  il  n’avait  rien  éprouvé  de  fâcheux,  lorsque,  le  22  juin 
1851,  dans  une  herborisation,  il  voulut  grimper  rapidement  une 
pente  escarpée  ; il  fut  pris  tout  à coup  : 

Je  pourrais  difficilement  dire,  raconte-t-il,  ce  que  je  souffris  par  suite  du 
soroché , dans  celle  ascension  qui  exigea  de  ma  part  des  efforts  gymnastiques  aux- 
quels j’étais  bien  loin  de  m’attendre.  Toujours  est-il  que  lorsque  j’eus  atteint  avec 
mes  fleurs  le  sommet  du  précipice  , et  que  je  me  fus  étendu  tout  épuisé  et  hale- 
tant sur  le  sol,  je  jurai,  mais  un  peu  tard  , que  l’on  ne  m’y  prendrait  plus.  Dans 
les  premiers  moments  qui  suivirent  mon  excursion , je  ne  pensai  qu’à  ressaisir 
mon  haleine  qui  semblait  sur  le  point  de  m’abandonner , et,  quelques  minutes 
après,  quand  j'eus  l’idée  d’examiner  mon  pouls , il  battait  encore  cent  soixante 
coups  à la  minute.  Je  ne  me  souviens  pas  d’avoir  jamais  été  plus  oppressé  que  dans 
celte  herborisation  improvisée. 

A partir  de  ce  jour,  j’éprouvais  dans  le  corps  un  dérangement  dont  je  ne  pou- 
vais me  rendre  compte,  et  je  pressentais  que  j’allais  être  malade.  (P.  187.) 

11  le  fut,  en  effet,  et  fort  gravement. 

Weddell  ne  s’occupe,  du  reste,  que  très-peu  du  soroché , bien  que 
en  maints  endroits  de  son  récit  l’on  en  reconnaisse  l’indication,  soit 
chez  les  hommes,  soit  chez  les  animaux  domestiques.  Je  ne  trouve 
à relever  que  cette  remarque  intéressante  sur  les  Indiens  postil- 
lons, qui  vont  toujours  courant,  sur  la  route  de  la  Paz  à Puno  : 

Ils  ne  paraissent,  dit-il,  jamais  essoufflés,  tandis  que,  dans  ce  même  pays,  un 
Européen  peut  à peine  courir  dix  pas  sans  être  obligé  de  s’arrêter.  (P.  547.) 

Il  y a là,  comme  on  le  verra,  une  très-grande  différence  avec  ce 
que  signalent  les  voyageurs  de  l’Himalaya  ; les  coolies  indiens,  nous 
disent  ceux-ci,  sont  souvent  plus  malades  que  les  Européens  eux- 
mèmes.  Weddell  n’est  pas  seul  à faire  cette  remarque;  les  frères 
Grandidier  en  ont  aussi  été  frappés1. 

Le  1er  août  1858,  ces  voyageurs  partaient  d’Aréquipa  pour  Cuzco  : 

On  éprouve  ici,  dit  E.  Grandidier  dans  sa  relation,  une  souffrance  inconnue 
aux  touristes  du  vieux  monde,  c’est  le  soroché  ; le  voyageur  qui  gravit  la  Cordil- 
lère ressent  des  douleurs  par  tout  le  corps  ; il  a mal  aux  reins,  à la  tête,  il  a les 
membres  comme  brisés,  le  sang  lui  jaillit  même  quelquefois  par  le  nez,  les  yeux 
ou  les  oreilles.  Ce  malaise  général  est  dû,  non  à la  présence  de  l’antimoine,  ainsi 
qu’on  l’a  répété  sans  raison,  mais  à la  raréfaction  de  l'air  et  au  manque  de  respi- 
ration. Le  soroché  a même  causé  la  mort  de  quelques  personnes  plus  impression- 
nables. Les  mules  sont  aussi  soumises  à l’influence  du  soroché , et  on  cite  beaucoup 
d'exemples  de  ces  animaux  morts  des  suites  de  la  raréfaction  de  l’air.  (P.  50.) 

Voyage  dans  l'Amérique  du  Sud,  Pérou  et  Bolivie.  — Paris,  1861. 


1 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — AMÉRIQUE  DU  SUD.  55 

Et,  plus  loin,  en  allant  de  Paucartambo  à Puno,  leur  attention  se 
porte  sur  les  piétons  indigènes  : 

L’Indien  suit  le  cavalier  à pied , courant  toujours  sans  jamais  perdre  haleine, 
quelque  rapide  que  soit  le  coursier,  et  quelle  que  soit  la  hauteur  des  montagnes.  La 
vitesse  avec  laquelle  l’Indien  parcourt  de  longues  distances  à la  course  étonne 
d’autant  plus  l’Européen  , qu’il  ne  peut , comme  l’indigène,  vaincre  l’oppression 
que  lui  cause  la  raréfaction  de  l’air  et  courir  à cette  altitude  sans  tomber  aussitôt. 
(P.  194.) 

En  décembre,  les  deux  frères  arrivent  à la  Paz  : 

La  descente  de  la  Paz  est  large  et  bien  entretenue  ; mais  la  pente  est  si  rapide 
qu’on  ne  peut  aller  qu’au  pas.  Cette  descente  est  évaluée  à une  lieue  environ,  et 
il  faut  une  heure  au  moins  pour  arriver  à la  ville.  Un  espace  de  temps  bien  plus 
considérable  est  nécessaire  pour  la  gravir,  en  raison  de  la  difficulté  de  respira- 
tion que  les  mules  éprouvent  à la  montée  ; néanmoins,  on  m’a  assuré  que  les 
Indiens  la  gravissaient  en  courant  et  en  jouant  de  la  flûte  ; ils  ne  sont  pas  sujets 
au  soroché , et  à ce  point  de  vue,  ils  tiennent  du  lama,  dont  l’appareil  respira- 
toire est  conformé  pour  la  Cordillère  qu’il  habite.  (P.  225.) 

L’Européen  nouvellement  arrivé  à la  Paz  éprouve  les  effets  d’un  violent  soroché; 
quand  ils  parcourt  la  ville,  il  est  obligé  de  s’arrêter  souvent  pour  reprendre 
haleine,  tant  est  grande  la  difficulté  de  sa  respiration  et  l'oppression  de  sa  poi- 
trine. La  raréfaction  de  l’air  provient  de  la  grande  élévation  de  la  Paz  au-dessus 
du  niveau  de  la  mer  ; cette  élévation  est  de  5750“.  (P.  227.) 

Semblables  récits  du  voyageur  allemand  Burmeisler1 2  qui,  dans 
les  premiers  jours  de  mars  1860,  se  trouvait  dans  la  Cordillère, 
vers  le  28°  lat.  S.,  et  le  72°  long.  0.  Cependant,  il  ne  parle  que  par 
ouï-dire  de  ces  malaises;  du  reste,  la  hauteur  maximum  à laquelle 
il  se  soit  élevé  fut  de  14  000  pieds  : 

Je  n’ai  jamais  souffert  pendant  mon  voyage,  dit-il,  de  ce  qu’on  appelle  la  Puna, 
c’est-à-dire  cette  maladie  qui  survient  habituellement  sur  les  hautes  montagnes 
et  qui  consiste  en  difficultés  à respirer,  nausées,  faiblesses,  vertiges  et  autres 
symptômes.  Seulement,  au  début,  quand  j’entrai  dans  les  gorges  près  d’Estanzuela, 
je  fus  pris  de  pesanteurs  de  tête,  comme  si  j’allais  avoir  des  vertiges  ; mais  il  ne 

m’arriva  rien  d’autre Vraisemblablement  j’ai  été  protégé  par  la  faiblesse  de 

ma  constitution;  car  les  personnes  fortes,  replètes,  sont  plus  facilement  frappées 
de  la  Puna  que  celles  qui  sont  maigres,  sèches  ou  faibles. 

Les  symptômes  de  la  même  affection  apparaissent  chez  les  animaux  et  particu- 
lièrement chez  les  chevaux,  dans  les  sentiers  élevés  des  montagnes;  ils  se  mani- 
festent principalement  par  des  tremblements  des  membres  et  des  hémorrhagies 
violentes,  qui  ne  deviennent  cependant  pas  mortelles.  Beaucoup  de  chevaux,  et 
surtout  des  meilleurs,  tombent  sur  le  sol  dans  les  voyages  en  montagne.  Les  indi- 
gènes appellent  cette  maladie  la  Trembladera  ; ils  prétendent  qu’il  y a dans  la 

1 Reise  dure  h die  La  Plata-Staaten,  ausgefiihrt  in  den  Jahren  1857-1860.  — Halle, 

2 vol.;  1861. 


50 


HISTORIQUE. 


montagne  des  endroits  où  elle  frappe  surtout  les  animaux  qui  passent,  ils  m’en 
ont  indiqué  un  dans  la  sierra  Aconquija  dont  je  ne  pourrais  cependant  déterminer 
la  position. 


L’Anglais  Markham1  qui,  en  1860,  fit  au  Pérou  un  voyage  dans  le 
Lut  d’étudier  les  quinquinas,  et  de  rechercher  les  moyens  de  les 
introduire  dans  l’Inde,  fournit  des  renseignements  du  meme  ordre  : 

Sur  les  hauteurs  de  la  Cordillère,  les  hommes  et  les  animaux  sont  sujets  à une 
maladie  des  plus  pénibles,  causée  par  la  raréfaction  de  l’air,  et  que  les  Péruviens 
nomment  sorochi.  J'avais  été  malade  à Arequipa,  en  telle  sorte  que  j’étais  proba- 
blement prédisposé  à l’atteinte  du  sorochi,  que  j’ai  éprouvé  au  plus  haut  degré. 
Avant  d'arriver  à Apo  (mai  1860),  un  violent  serrement  de  tête,  accompagné  d’une 
souffrance  aiguë  et  de  douleurs  dans  la  région  postérieure  du  cou,  me  rendit  fort 
malade,  et  ces  symptômes  augmentèrent  d’intensité  pendant  la  nuit  passée  à la 
maison  de  poste  d’Apo,  en  telle  sorte  qu’à  trois  heures  du  matin,  quand  nous 
recommençâmes  notre  voyage,  je  fus  incapable  de  monter  sur  mon  mulet  sans 
aide.  (P.  89.) 

Aussi  voyons-nous,  dans  la  description  officielle  de  la  Confédéra- 
tion argentine,  le  D‘  Martin  deMoussy2,  qui  avait  séjourné  pendant 
dix  ans  dans  le  bassin  de  la  Plata,  donner  une  description  détaillée 
de  la  forme  américaine  du  mal  des  montagnes  : 

On  donne  le  nom  d epuna  à cette  sensation  pénible,  à cette  anxiété  respiratoire 
que  quelques  personnes  éprouvent  lorsqu’elles  se  trouvent  à de  grandes  hauteurs. 
Cette  sensation  est  certainement  due  à la  raréfaction  de  l’air,  car,  à 4200“,  alti- 
tude générale  du  plateau,  la  colonne  barométrique  est  réduite  en  moyenne 
à 0m,4ü et  il  est  impossible  qu’une  si  énorme  différence  dans  la  pression  atmo- 

sphérique ne  produise  pas  une  impression  profonde  sur  l’économie  animale.  Cette 
impression  varie  d’ailleurs  selon  les  personnes  ; les  unes  ont  la  respiration  gênée, 
les  autres  éprouvent  de  la  céphalalgie,  une  sorte  de  migraine  et  une  perte  com- 
plète de  l’appétit.  Beaucoup  n’éprouvent  rien  ; mais,  lorsque  l’on  veut  marcher, 
presque  tout  le  monde  sent  une  fatigue  insolite. 

Quant  à la  puna  proprement  dite,  à la  gène  dans  la  respiration,  elle  n’est  pas 
seulement  particulière  aux  grandes  hauteurs  de  la  Cordillère  ; il  est  certaines 
localités  peu  élevées  où  elle  se  fait  sentir  beaucoup  plus  que  dans  d’autres.  Nous 
l’avons  éprouvée  nous-même  au  bourg  de  Molinos,  qui  n’est  pourtant  qu’à  une 
altitude  de  1970“,  et  dans  une  vallée  entourée  de  montagnes  granitiques  qui 
n’offrent  rien  de  particulier.  Il  nous  est  impossible  de  découvrir  une  cause  à cette 
particularité,  qui  se  retrouve  d’ailleurs  sur  différents  points  des  Andes  de  Bolivie. 

Les  animaux  éprouvent  également  cette  fatigue  de  la  respiration  dans  leurs  pre- 
mières traversées  des  Cordillères;  mais  ils  s’y  habituent  assez  vite,  et  telle  est  leur 
vigueur,  que  les  mulets  en  bon  état  et  chargés  convenablement  ne  faiblissent  jamais 
dans  les  voyages  ordinaires.  (T.  1.  p.  217.) 

1 Travels  in  Peru  and  India. — I.ondon,  1862. 

- Description  géographique  et  statistique  de  la  confédération  argentine.  — 5 vol.  — 
Paris,  1860-64. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — AMÉRIQUE  DU  SUD.  57 

Mateo  Paz  Soldan  en  fait  autant  dans  sa  Géographie  du  Pérou 1 : 

Cerro  de  Pasco  est  située  sur  une  penle  à 4552m  au-dessus  du  niveau  de  la  mer... 

Le  climat  de  cette  ville  est  très-froid,  le  degré  moyen  du  thermomètre  est  44°  F. 
le  jour  et  54° la  nuit,  pendant  les  mois  de  juillet  à octobre,  saison  durant  laquelle 
il  tombe  une  grande  quantité  de  grêle  et  de  neiges.  Quelquefois  le  thermomètre 
descend  à 50°  el  à 28°  en  août  et  en  septembre;  l’eau  bout  à 180°.  Les  tempêtes, 
la  grêle  et  les  neiges,  rendent  ce  pays  inhabitable  à partir  du  mois  d'octobre.  Les 
étrangers  y sont  sujets  à la  soroché,  oppression  de  la  poitrine  que  l’on  appelle  dans 
le  pays  veta,  et  qui  provient  du  peu  de  densité  de  l’atmosphère,  dans  une  région 
si  élevée....  Les  anciens  mineurs  sont  sujets  à un  grand  nombre  de  maladies  et 
d'infirmités.  ..  Si  ce  pays  ne  possédait  point  des  mines  d’une  richesse  inépuisable, 
il  serait  absolument  impossible  de  l’habiter.  (P.  172.) 

Vers  cette  époque  parut  sous  forme  de  thèse  soutenue  devant  la 
Faculté  de  médecine  de  Paris  un  travail  remarquable,  dû  à un 
jeune  médecin,  Ch.  Guilbert2  qui,  atteint  de  phthisie,  alla  demander 
à un  séjour  à la  Paz,  et  y obtint,  la  guérison  ou  du  moins  une  amé- 
lioration considérable  de  sa  redoutable  maladie.  Je  citerai  tout  au 
long  la  description  très-serrée  qu’il  fait  du  soroche  : 

Le  soroche  ou  mal  de  la  punci  débute  de  deux  manières  différentes  : les  uns  se 
plaignent  immédiatement  de  la  respiration,  et  c’est  ce  qui  a le  plus  attiré  l’atten- 
tion des  observateurs  ; chez  les  autres,  et  c’est  suivant  moi  le  plus  grand  nombre, 
les  phénomènes  nerveux  débutent  d’abord.  Il  y a même  quelques  voyageurs  qui  ne 
sont  nullement  gênés  pour  respirer. 

La  même  différence  se  retrouve  dans  la  durée  de  ces  deux  ordres  de  symptômes. 
Tandis  que  les  phénomènes  nerveux  ne  durent  que  de  12  à 48  heures,  la  gêne  de 
la  respiration  et  de  la  circulation  persiste  quelquefois  pendant  quelques  mois. 

Le  système  nerveux  est  donc  souvent  impressionné  le  premier,  et  il  réagit  sur  l’ap- 
pareil digestif  et  l’appareil  locomoteur.  On  éprouve  d’abord  des  nausées,  accompa- 
gnées de  crachotements  très-significatifs....  En  même  temps  survient  une  douleur 
de  tête  excessivement  violente,  comparée  à un  cercle  de  fer  qui  étreindrait  forte- 
ment les  tempes....  Après  les  nausées,  viennent  des  vomissements  souvent  très- 
pénibles,  et  qui  augmentent  les  douleurs  de  tête.  On  éprouve  aussi  quelques  ver- 
tiges, des  bourdonnements  d’oreille,  quelquefois  de  la  somnolence 

Un  autre  phénomène  est  la  fatigue  musculaire....  Cette  inaptitude  à la  contrac- 
tion musculaire,  on  l’éprouve  même  à cheval,  et  à ce  point  qu’on  est  obligé  de 
descendre  de  leurs  montures  des  personnes  incapables  de  bouger.  Mais,  les  pre- 
miers jours  passés,  cette  grande  fatigue  disparait  complètement  avec  le  moindre 
repos.  Dans  les  villes,  on  reconnaît  facilement  les  nouveau-venus  : tous  les  40  ou 
50  pas  ils  s’arrêtent  quelques  secondes. 

La  respiration  et  la  circulation  s’accélèrent  d’autant  plus  que  l’élévation  est  con- 
sidérable. La  dyspnée  est  intense,  les  inspirations  très-fréquentes....  Les  batte- 
ments du  cœur  sont  plus  forts,  plus  nombreux  ; au  moindre  effort  on  est  saisi  de 

1 Trad.  deMouqueron.  — Paris,  1865. 

~ De  la  phthisie  pulmonaire  dans  ses  rapports  avec  l'altitude  et  avec  les  races  au 
Pérou  et  en  Bolivie.  — Du  soroche  ou  mal  des  montagnes.  Thèse  de  Taris,  I8G2. 


HISTORIQUE. 


58 

palpitations  violentes  qu’on  éprouve  aussi  bien  à cheval  qu’en  marchant.  La  nuit 
même,  il  arrive  souvent  qu’on  est  réveillé  en  sursaut  par  de  fortes  palpitations  au 

milieu  du  sommeil  le  plus  tranquille 

Le  battement  des  artères  est  plus  fort,  celui  des  artères  intra-crâniennes  très- 
douloureux,  le  pouls  est  vibrant,  à peu  près  comme  dans  l'insuffisance  aortique. 
Un  accident  assez  fréquent,  dans  ces  circonstances  est  une  hémorrhagie  nasale, 
buccale  ou  pulmonaire  ; rarement  on  a observé  des  hémorrhagies  par  la  surface 
muqueuse  gastro-intestinale....  Mais  lorsqu’on  s'est  habitué  à l’air  raréfié,  lorsque 
l’équilibre  s’est  rétabli,  et  que  les  différents  appareils  se  sont  mis  en  harmonie 
avec  le  milieu  ambiant,  les  hémorrhagies  ne  sont  pas  plus  fréquentes  que  partout 

ailleurs Un  phénomène  important  est  la  tendance  à la  syncope,  aussi  faut-il 

être  très-sobre  de  saignées 


Les  symptômes  nerveux  disparaissent  les  premiers  : le  mal  de  tête  ne  dure  guère 
que  de  12  à 24  heures  ; les  nausées,  les  vomissements,  pas  davantage....  Le  troi- 
sième ou  quatrième  jour,  l’appétit  renaît  un  peu  ; aussitôt  qu’on  a pu  prendre  un 
peu  de  nourriture,  la  pesanteur  de  tète  disparaît  à son  tour,  et  il  ne  reste  plus 
que  la  gêne  de  la  respiration,  la  fréquence  des  battements  du  cœur,  les  palpita- 
tions survenant  au  moindre  effort,  et  augmentant  encore  l’essoufflement.  Plus 
tard,  l’équilibre  s’étant  établi,  peu  à peu,  tous  ces  symptômes  disparaissent  géné- 
ralement au  bout  de  quelques  semaines,  et  l’on  s’accoutume  parfaitement  à vivre 
dans  ces  hautes  régions. 

Ainsi  Guilbert  considère  qu’on  peut  parfaitement  s’acclimater 
sur  les  hautes  régions.  11  rappelle  les  paroles  de  M.  Boussingault, 
que  nous  avons  citées  plus  haut  (page  44),  et  ajoute  : 

Le  I'ichincha  a 4996m  ; le  général  bolivien  Santa  Cruz  y battit  les  Espagnols 
en  1822.  Deux  ans  après,  à Ayacucho,  village  situé  à une  hauteur  peu  différente, 
le  général  colombien  Sucre  battit  le  vice-roi  La  Serna 

J’ai  vu  à Corocoro  (4450m)  des  combats  de  taureaux  des  plus  meurtriers.  Ces  tau- 
reaux, agiles  et  furieux,  auraient  pu  servir  à l’éditication  du  voyageur  cité  par 
Lombard1,,  qui  vit  à la  Paz  des  taureaux  doux  et  incapables  du  moindre  effort  sans 
être  atteints  de  vomissements  ; c’étaient  des  taureaux  nouvellement  arrivés  dans  la 
montagne  et  sous  l’influence  du  soroche  qui  se  fait  sentir  sur  les  animaux  aussi 
bien  que  sur  les  hommes....  Il  est  fort  rare  de  traverser  les  Cordillères  sans  as- 
sister aux  angoisses  de  quelque  bête  de  somme,  atteinte  du  soroche;  on  se  hâte 
de  la  décharger,  on  la  frictionne,  et,  après  un  moment  de  repos,  on  la  laisse  suivre 
en  liberté. 

Je  reproduis  au  chapitre  spécial  le  mélange  fort  éclectique  d’ex- 
plications théoriques  que  Guilbert  accepte. 

Le  professeur  italien  Pellegrino  Strobel2,  qui  parcourut  les  di- 
verses passes  entre  Santiago  et  Mendoza,  fut  assez  heureux  pour  ne 


1 C’est  de  Castelnau  qu’il  s’agit.  (Voir  page  51.) 

- Relazione  (lella  <jtla  da  curico  nel  Chili  a son  Raphaël  nella  Pampa  del  sur  (lebraio 
1866).  — Parma.  1869. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — AMERIQUE  DU  SUD. 


50 


pas  souffrir  du  soroche;  il  est  vrai  qu’il  ne  paraît  pas  être  monté 
bien  haut  : 

D’après  ce  qu’à  écrit  M.  de  Moussy  et  ce  que  m’avaient  annoncé  mes  amis,  je 
m’attendais  à éprouver  sur  le  Planchon  quelqu'une  des  sensations  décrites  sous  le 
nom  de  punci.  Mais  je  ne  sais  si  je  dois  dire  heureusement  ou  malheureuse- 
ment, ni  ici  à 5000“  au-dessus  du  Pacifique,  ni  sur  le  Cumbre  d'Uspallata  à environ 
40ü0m,  ni  dans  aucun  autre  lieu  des  chaînes  secondaires  des  Andes,  il  ne  m’a  été 
donné  d’éprouver  la  plus  légère  différence  dans  la  respiration  et  l’appétit,  encore 
moins  de  douleurs  de  tête  et  autres  symptômes  pathologiques  ou  phénomènes 
physiologiques  ; et  cependant  par  la  faiblesse  de  ma  constitution  et  l'étroitesse  de 
ma  poitrine,  il  semble  que  j’aurais  dû  en  souffrir  plus  qu’un  autre.  Il  convient 
donc  d’admettre  que  la  puna  ne  dépend  pas  uniquement  de  la  raréfaction  de  l'air, 
mais  aussi  d’autres  causes  concomitantes,  qui  paraissent  tout  à fait  inconnues 
(P.  25.) 

Cependant  deux  voyageurs  allemands,  Focke  et  Mossbach1,  qui 
parlent  d’après  leur  propre  expérience,  déclarent  que  souvent 
hommes  et  bêtes  sont  malades  à des  hauteurs  plus  faibles  encore  : 

Déjà  à partir  de  10,000  pieds  de  hauteur,  on  éprouve  le  commencement  du  mal 
des  montagnes,  c’est-à-dire  un  mal  de  tête  stupéfiant;  c’est  le  Sorocho,  qui 
frappe  également  les  bêtes  de  somme.  Celles-ci  refusent  d’avancer,  et  pour  les 
guérir  on  leur  fait  une  saignée  sous  la  langue.  (P.  5lJl.) 

Enfin,  je  liens  d’un  employé  supérieur  du  gouvernement  péru- 
vien, homme  fort  éclairé,,  qu’étant  allé  à la  Perina-Cota  (4800  mè- 
tres) au  voisinage  du  Guayaquiri,  il  a vu-,  à partir  de  5000  mètres, 
ses  mulets  devenir  malades;  sur  40  mulets,  16  durent  être  déchar- 
gés. Quelques-uns  de  ses  compagnons  eurent  des  saignements  de 
nez.  Pendant  un  séjour  de  deux  semaines  à cette  grande  hauteur, 
il  éprouvait  régulièrement,  vers  trois  heures  du  matin,  des  étouffe- 
ments qui  le  réveillaient  ; le  moindre  mouvement  les  augmentait 
alors  considérablement;  ces  accidents  diminuaient  pendant  la 
journée.  Les  Indiens  qui  l’accompagnaient  souffraient  du  même 
mal.  Encore  aujourd’hui,  l’explication  généralement  admise  est 
l'empoisonnement  par  émanations  métalliques  ; on  en  combat  les 
effets  avec  des  sachets  d’ail. 

J’ai  appris  encore  de  cette  personne  que  pendant  le  percement 
du  tunnel  du  chemin  de  fer  de  Lima,  à près  de  4800  mètres,  tous 
les  ouvriers  avaient  été  malades,  même  les  plus  énergiques.  Je  re- 
grette de  n’avoir  pu  me  procurer  de  documents  détaillés  sur  les 

1 Reise  iiber  die  Cord  ilteren  von  Àrica  bis  Santa- Cnn.  Extrait  in  Petermann  s 
Mittheilungen,  t.  XI  ; 1865. 


GO 


HISTORIQUE. 


phénomènes  observés  pendant  l’cxécufion  de  cette  œuvre  extra- 
ordinaire. Elle  est  terminée  aujourd'hui,  et  déjà  la  locomotive  en- 
traîne les  voyageurs  vers  des  régions  qu’ils  ne  pouvaient  atteindre 
jadis  sans  les  plus  violents  efforts.  Chose  curieuse  : un  certain 
nombre  d’entre  eux  sont  malades  cependant.  Je  lis  dans  une  lettre 
adressée  cette  année  même  à un  de  mes  amis,  ce  passage  fort  carac- 
téristique : 

Un  train  spécial  est  venu  nous  chercher  au  Callao,  nous  a fait  remonter  te 
Reinar  jusqu’à  Lima,  puis  de  là  dans  les  Andes  en  grimpant  par  des  rampes  suc- 
cessives jusqu'à  3450m  de  hauteur Nous  fîmes  ainsi  150  kil La  température 

s’était  abaissée,  la  raréfaction  de  l’air  était  telle  que  plusieurs  personnes  n’ont  pu 
nous  accompagner  jusqu’au  bout.  Elles  éprouvaient  une  oppression  extrême  et 
avaient  les  paupières  injectées  de  sang. 

Il  serait  fort  à désirer  que  des  observations  soignées  fussent  faites 
dans  ce  chemin  de  fer  et  dans  celui  du  Titicaca;  cela  serait  la  chose 
la  plus  facile  du  monde  aux  professeurs  de  la  Faculté  de  Médecine 
de  Lima. 

Je  terminerai  ces  citations  des  principales  descriptions  générales 
données  du  mal  des  montagnes  dans  la  Cordillère  des  Andes  en 
transcrivant  une  lettre  fort  intéressante  écrite  par  M.  Pissis  à NI.  le 
Dr  Poignard  qui  lui  demandait  de  ma  part  des  renseignements  que 
sa  grande  expérience  de  la  montagne  me  rendait  très-précieux. 
Le  savant  géographe  y décrit  d’une  manière  très-vivante  les  symp- 
tômes qu’il  a éprouvés,  mais  il  ne  hasarde  aucune  explication  : 


Mon  cher  Docteur, 


Paris,  17  mars  1874. 


Voici  les  observations  que  vous  m'aviez  demandées  sur  les  effets  physiologiques 
de  la  raréfaction  de  l'air  dans  les  hautes  montagnes.  Les  effets  généraux  sont  les 
maux  de  tête,  les  nausées,  une  grande  gêne  dans  la  respiration  et  une  contraction 
dans  la  région  des  fausses  côtes,  comme  si  l’on  était  fortement  serré  par  une 
ceinture.  Ces  effets  varient  d’ailleurs  beaucoup,  selon  l’àge  et  la  constitution  des 
individus  ; lorsque  je  passai  le  col  du  Tacora  (bar.,  463mm),  une  négresse  de  dix- 
huit  à vingt  ans,  très-forte,  fut  excessivement  malade,  elle  eut  une  forte  hémor- 
rhagie nasale,  tandis  que  sa  maîtresse,  femme  d’environ  cinquante  ans,  d’une  con- 
stitution faible,  fut  à peine  indisposée;  la  même  différence  s’observe  sur  les  ani- 
maux : les  chevaux  les  plus  forts  sont  les  plus  exposés  à périr.  Les  hémorrhagies 
nasales  sont  aussi  fréquentes  chez  eux.  Après  un  certain  temps  de  séjour  dans 
les  hautes  régions,  ces  effets  ne  se  font  plus  sentir;  les  habitants  d’Üruro  en  Boli- 
vie, à 3,796  mètres  (hauteur  barométrique  moyenne  492  m“)  vivent  comme  au 
bord  de  la  mer  ; les  Indiens  courent  des  lieues  entières  sans  se  fatiguer,  et  après 
une  année  de  séjour,  je  gravissais  facilement  d’assez  hautes  montagnes,  ce  qu’il 
m’aurait  été  impossible  de  faire  à mon  arrivée. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — AMÉRIQUE  DU  SUD.  61 

Le  point  le  plus  haut  où  j’ai  vu  des  habitations  permanentes  sont  les  mines  de 
Villacota  dans  la  province  de  Chayauta,  leur  altitude  est  de  5,042  mètres  et  la 
pression  atmosphérique  421  mm.  Les  Indiens  y travaillent  comme  ailleurs,  ce- 
pendant ils  se  fatiguent  plus  vite,  lorsqu’il  neige,  car  il  ne  pleut  jamais  dans  ces 
régions  ; les  ouvriers,  même  ceux  qui  sont  au  fond  des  mines,  sont  indisposés,  et 
cependant  la  diminution  de  pression  est  à peine  de  4 à 5 millimètres.  Les  alpacas  et 
les  vigognes  vivent  en  troupes  à ces  hauteurs,  les  condors  volent  bien  au-dessus, 
et  j’y  ai  rencontré  quelques  tourterelles.  Bien  qu’habitué  à la  pression  d’Oruro, 
lorsque  j’allais  à ces  mines,  j étais  toujours  indisposé,  les  nausées,  les  maux  de 
tète  et  la  gêne  de  la  respiration  se  faisaient  sentir,  je  ne  pouvais  faire  huit  ou  dix 
pas  sans  être  obligé  de  m'arrêter  pour  respirer.  L’administrateur  qui  y vivait  de- 
puis deux  ans  pouvait  aller  un  peu  plus  loin,  mais  la  gêne  de  la  respiration  se 
faisait  toujours  sentir.  A une  hauteur  de  4,000  mètres,  la  raréfaction  de  l’air 
n’a  qu’un  effet  passager  sur  la  santé , les  habitants  d’Oruro  et  de  Potosi  devien- 
nent très-vieux , les  maladies  de  poitrine  y sont  inconnues  ; ils  sont  généralement 
maigres,  três-agiles,  mais  ont  peu  de  force,  ce  qui  tient  peut-être  aussi  à leur  ré- 
gime alimentaire  presque  exclusivement  végétal. 

Dans  le  Chili,  le  point  le  plus  haut  où  je  suis  arrivé  est  sur  les  flancs  de 
l’Aconcagua  à 5,852  mètres,  le  sommet  est  à 6,834  mètres.  Au  point  où  je  m’ar- 
rêtai, le  baromètre  était  à 382  mm.,  j’étais  très-malade  et  il  m’eût  été  impossible 
de  monter  plus  haut  ; j’avais  les  yeux  fortement  injectés  , tous  les  objets,  même 
la  neige,  me  paraissaient  rouges,  et  même  avec  mes  lunettes  d’un  verre  bleu  très- 
foncé  j’eus  beaucoup  de  peine  à faire  la  lecture  de  mon  baromètre.  Redescendu, 
à environ  5,000  mètres,  tous  ces  effets  disparurent. 

Dans  mes  nombreuses  stations  dans  la  région  des  Andes  , j’ai  vu  souvent  les 
condors  tournoyer  sur  les  flancs  des  plus  hautes  montagnes,  mais  jamais  planer 
au-dessus  de  leur  sommet;  il  ne  faudrait  pas  toutefois  se  hâter  de  rien  conclure; 
car  les  hauteurs  où  ils  arrivent  sont  si  grandes  qu’on  ne  les  voit  plus  que  comme 
de  petits  points  noirs  ; et  s’il  y en  avait  à la  hauteur  du  sommet  de  l’Aconcagua,  ils 
seraient  certainement  invisibles  lors  même  que  l’on  serait  soi-même  à 5,000  mè- 
tres, c’est-à-dire  plus  haut  que  le  Mont  Blanc.  A 4,000  mètres  on  trouve  dans 
les  Andes  du  Chili  des  guanacos,  des  cygnes,  des  canards,  des  tourterelles  et 
même  des  oiseaux-mouches.  A.  Pissis. 

Si  les  voyageurs  qui  se  sont  contentés  de  traverser  les  passes  de 
la  Cordillère  ou  de  séjourner  sur  les  hauts  plateaux  habités  de  Ja 
Bolivie  et  du  Pérou  ont  éprouvé  de  pareils  accidents,  on  doit  sup- 
poser que  ceux  qui  ont,  de  propos  délibéré,  tenté  l’ascension  des 
montagnes  qui  dominent  le  niveau  moyen  de  la  chaîne,  ont  été  plus 
éprouvés  encore.  Il  n’en  est  pas  cependant  toujours  ainsi.  Nous 
avons  vu  que  de  Humboldt,  que  Boussingault,  avaient  été  beaucoup 
moins  malades  sur  le  Chimborazo  que  les  autres  voyageurs  à 
Cerro  de  Pasco  ou  même  à la  Paz.  D’autres  exemples  sont  non  moins 
curieux. 

Ainsi,  le  14  janvier  1845,  Wisse1  descend  dans  le  cratère  du  Rucu- 

1 Exploration  du  cratère  du  Rucu-Pichincha.  Nouv.  arm.  des  voyages,  t.  CYI1  p 106- 
112  ; 1845. 


HISTORIQUE. 


62 

Pichinclia  à la  profondeur  de  « quatre  fois  la  plus  haute  pyramide 
d’Égypte  »,  et  remonte;  il  11e  parle  d’aucun  trouble  physiologique. 

Nous  aurons  à nous  expliquer  plus  tard  sur  ces  différences.  Elles 
sont  telles  que  certains  voyageurs  en  arrivent  à nier  les  malaises 
des  altitudes,  pour  ne  pas  les  avoir  éprouvés,  et  l'on  voit  reparaître 
les  explications  sur  l’air  empoisonné,  qu’ont  acceptées  à la  fois  les 
Indiens  des  Andes  et  ceux  de  lTIimalaya. 

Le  récit  le  plus  remarquable  que  je  connaisse,  sous  ce  rap- 
port, est  celui  du  voyageur  français  Jules  Rémy1 2,  qui,  le  2 octo- 
bre 1850,  fit  l’ascension  du  Pichincha  (4800111).  Le  temps  était 
magnifique,  il  faisait  chaud  au  sommet  de  la  montagne,  où  les 
oiseaux-mouches  bourdonnaient  nombreux.  Rémy  n’éprouva  aucun 
malaise.  : 

Ma  respiration  est  libre,  Tacite,  heureuse , et  je  n’éprouve  aucun  symptôme  de 
malaise,  Tait  important  à noter,  car  il  confirme  mes  observations  précédentes, 
tout  en  combattant  celles  d’autres  voyageurs  qui  avaient  établi  qu’à  ces  hauteurs 
la  diminution  de  la  colonne  atmosphérique  cause  des  troubles  graves  dans  divers 
organes. 

Nous  11e  connaissons  que  le  Cerro  de  Pasco,  montagne  du  Pérou,  célèbre  par  les 
mines  d’argent  qu’on  y exploite , où  les  phénomènes  morbides  qui  se  manifestent 
dans  l’organisme  animal  soient  constants  et  universels.  Là,  on  est  pris  infaillible- 
ment  d’une  affection  singulière,  le  soroche 

Mais,  si  l’on  observe  que  le  Cerro  de  Pasco  n'est  qu’à  10,000  pieds  environ  au- 
dessus  de  l’océan,  et  que,  après  avoir  marché  de  sept  à huit  lieues,  l’état  normal 
de  santé  renaît  subitement,  quoique  l’on  soit  alors  à une  altitude  beaucoup  plus  con- 
sidérable , on  est  bien  forcé  d’admettre  que  la  pression  atmosphérique  n’entre 
pour  rien  dans  les  causes  du  soroche,  qu’on  doit  peut-être  attribuer  aux  émana- 
tions du  sol. 

Cependant,  en  lisant  avec  attention  le  récit  même  de  J.  Rémy,  on 
y trouve  des  indications  de  l’influence  fâcheuse  des  hauleurs  ; mais 
leur  peu  d’imporlance  avait  échappé  à notre  voyageur. 

La  môme  immunité  se  manifeste  chez  lui  dans  l’ascension  qui, 
le  5 novembre  1850,  l’amena  jusqu’au  sommet  du  Chimborazo 3 ; 
naturellement  ses  conclusions  négatives  se  trouvent  ici  singuliè- 
rement renforcées.  Le  campement  de  la  veille  se  fit  à 4700m,  un  peu 
au-dessous  des  neiges  perpétuelles  : 

La  montée  continuait  à être  si  rapide  que  bientôt,  sous  le  poids  de  la  fatigue, 
nous  étions  obligés  de  nous  arrêter  fréquemment  pour  reprendre  haleine.  Dès  lors, 
la  soif  se  ht  violemment  sentir....  Mais  nous  n’éprouvâmes  aucun  symptôme  de 

1 Ascension  du  Pichincha.  — Châlons-sur-Marne,  1858. 

2 Réiny  (.Iules)  et  Brenchley,  Ascension  du  Chitubora:o.  — Noue.  ann.  des  voyages. 

t.  CL III,  p.  230-258;  1857. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — AMERIQUE  DU  SUD. 


05 


malaise  ou  d'affection  morbide  quelconque,  dont  parlent  la  plupart  des  voyageurs 
qui  ont  fait  l’ascension  de  hautes  montagnes. 

Dès  que  nous  avions  suspendu  notre  marche  pendant  quelques  secondes , sans 
même  nous  asseoir,  nous  la  reprenions  avec  une  nouvelle  ardeur  , avec  une  sorte 
d'acharnement  que  nous  inspirait  la  vue  si  rapprochée  du  sommet.  Il  nous  parut 
évident,  par  cette  nouvelle  expérience  qui  venait  en  confirmer  tant  d’autres  précé- 
dentes, qu’à  ces  hauteurs  la  colonne  atmosphérique  est  encore  suffisante  pour  ne 
pas  gêner  la  respiration,  et  que  c’est  à une  autre  cause  qu’il  faut  attribuer  la 
courte  haleine  et  lès  accidents  organiques  dont  on  se  plaint  généralement  en 
gagnant  des  hauteurs  notables. 

Les  deux  voyageurs  ayant  continué  leur  route  au  milieu  des 
nuages  pensent,  d’après  l’observation  de  l’ébullition  de  l’eau,  avoir 
atteint  le  sommet  du  Chimborazo,  qu’ils  estiment  à 6545m. 

Mais  il  s'en  faut  de  beaucoup  que  tout  le  monde  soit  aussi 
heureux.  Dans  un  voyage  récent,  Sluebel1,  tout  en  mettant  en 
garde  le  lecteur  contre  certaines  exagérations,  avoue  qu’il  a nota- 
blement souffert  dans  l’ascension  du  Cotopaxi. 

Le  8 février  1875,  à sept  heures  du  matin,  les  voyageurs  parti- 
rent de  la  hauteur  de  5615“  ; à deux  heures,  ils  étaient  à 4498,n. 
Ils  arrivèrent  sans  grandes  difficultés  au  sommet  du  volcan  de 
Tunguragua  (492  7m),  sans  être  fatigués  et  « sans  éprouver  de  mal 
de  tête.  » (P.  275.) 

Le  8 mars,  ascension  du  Cotopaxi  (5945m,  6=5°, 5)  en  partant  de 
la  ferme  Saint-Élie  : 

Quelques-uns  de  mes  gens  avaient  pris  l’avance,  d’autres  étaient  restés  en  arrière. 
Ils  étaient  fatigués , devenus  un  peu  craintifs  , et  se  plaignaient  de  douleurs  de 
tête....  L ’cirenal  a une  inclinaison  de  55  0 ; il  brise  les  forces,  de  sorte  qu’il  faut 
employer  toute  son  énergie  morale  pour  ne  pas  tomber  au  moment  de  toucher  le 
but....  Nous  avons  mis  vingt-huit  minutes  pour  chaque  cent  mètres.  (P.  282.) 

Nous  commençâmes  à descendre....  je  retrouvai  peu  à peu  chacun  de  mes 
hommes  ; l'un  était  resté  à 50  mètres  des  bords  du  cratère  , dans  l’impossibilité 
d'atteindre  le  but  si  rapproché  ; les  autres  à 400,  et  la  plupart  des  muletiers  beau- 
coup plus  bas.  Comme  moi,  tous  souffraient  d’un  mal  de  tête  très-violent.  Un  seul 
lie  sentait  rien  et  n’était  pas  fatigué  ; il  portait  mon  baromètre,  qui  est  encore 
assez  lourd.  Un  muletier  ne  dépassa  pas  la  hauteur  de  5,600  mètres.  Je  pus 
constater  que  les  vomissements  sont  les  effets  de  l’air  de  ces  grandes  altitudes, 
mais  non  d'une  faiblesse  passagère  de  l’estomac. 

Cependant,  ni  dans  cette  ascension  ni  dans  les  précédentes,  je  n’ai  vu  le  sang  partir 
par  le  nez*  la  bouche  et  les  oreilles  de  mes  gens.  Ce  sont  des  circonstances  sur 
lesquelles  d’autres  voyageurs  insistent  avec  prédilection.  Certainement  il  doit  pa- 
raître étrange  que  M.  Reiss  et  moi , nous  ne  citions  aucun  cas  de  ce  genre.  Or, 

1 Voyages  aü  Chimborazo,  à l’Altar,  et  ascension  au  Tunguragua , lettre  du  18  avril 
1875.  Bull,  de  la  Soc.  de  géogr.,  6e  série,  t.  Vif  p.  258-295;  1875. 


HISTORIQUE. 


Ci 

nous  avons  atteint  trois  fois  6,000  mètres  et  plusieurs  autres  lois  5,000  mètres, 
altitude  à laquelle  peu  de  voyageurs  ont  monté.  Or,  toujours  nous  avons  emmené 
avec  nous  un  certain  nombre  d’hommes  de  races  différentes....  Le  résultat  scien- 
tifique de  ces  ascensions  , dans  lesquelles  l’homme  n’atteint  les  cimes  qu'en  em- 
ployant toutes  ses  forces,  sera  toujours  de  peu  d’importance.  (P.  285.) 


g 2.  — Amérique  centrale  et  septentrionale. 

Amérique  centrale.  — Les  républiques  de  l’Amérique  centrale  ne 
contiennent  pas  de  sommets  dont  l’élévation  soit  comparable  à ceux 
de  la  grande  Cordillère.  Aussi  est-ce  avec  une  vive  surprise  que  j’ai 
rencontré  dans  les  récits  d’un  navigateur  anglais  du  dix-septième 
siècle,  de  Wafer1,  une  indication  très-nette  du  mal  des  montagnes. 

Wafer  faisait  partie  de  l’expédition  de  Dampier,  et  appartenait  à 
la  troupequi  essaya  de  traverser  l’isthme  de  Darien,  en  1681.  Il  se 
blessa  grièvement,  et  tomba  avec  quatre  autres  Anglais  entre  les 
mains  des  Indiens  qui,  après  diverses  aventures,  lui  rendirent  sa 
liberté.  Ils  partirent  alors  du  voisinage  de  la  mer  du  Sud  pour  se 
rendre  à la  mer  du  Nord  : 

Nous  traversâmes,  dit-il,  plusieurs  montagne;  fort. hautes,  mais  la  dernière  les 
surpassait  toutes  ; nous  fûmes  quatre  jours  à la  monter,  quoiqu’il  y eût  quelques 
enfoncements  par-ci  par-là.  Dès  que  nous  eûmes  atteint  le  sommet,  je  sentis  que 
la  tête  me  tournait  d’une  étrange  manière;  je  le  dis  à mes  compagnons  et  aux 
Indiens,  qui  me  répondirent  tous  qu’ils  se  trouvaient  dans  le  même  état.  Il  y a 
grande  apparence  que  cela  venait  de  la  hauteur  excessive  de  cette  montagne  et  de 
la  subtilité  de  l’air....  Notre  vertige  nous  quitta  à mesure  que  nous  descendîmes. 
(P.  174.) 

11  convient  de  noter  que  Wafer  et  ses  compagnons,  que  les  In- 
diens eux-mêmes,  ses  guides,  étaient  dans  un  étal  de  fatigue  voisin 
de  l’épuisement  complet.  Mais,  malgré  celle  circonstance  aggravante, 
dont  nous  verrons  plus  tard  l’importance,  je  ne  puis  me  rendre 
compte  des  circonstances  dans  lesquelles  a pu  se  trouver  Wafer 
qu’en  admettant  qu’il  ait  assez  dévié  vers  le  N.  0.  pour  rencontrer 
le  Chiriqui  (54oOm),  ou  plus  loin  encore,  mais  plus  près  de  la  mer 
du  Nord,  le  Pico  Blanco  (560Ü"1). 

Les  seuls  explorateurs  qui,  dans  les  temps  modernes,  aient  fait 
l’ascension  des  volcans<  les  plus  élevés  de  l’Amérique  centrale, 

1 Voyage  de  M.  Wafer,  où  l’on  trouve  la  description  de  l'isthme  de  rAmérique;  inséré 
dans  le  tome  IV  du  Voyage  aux  terres  australes,  de  G.  Dampier.  — Rouen,  1715. 


LES  VOYAGES  EM  MONTAGNES.  — AMERIQUE  CENTRALE. 


65 


MM.  A.  Dollfus  et  de  Montserrat1,  ne  signalent  jamais  dans  leurs 
récits  si  détaillés  et  si  intéressants  le  malaise  spécial  des  grandes 
hauteurs;  or  ils  le  connaissaient,  Lavant  éprouvé,  comme  nous  le 
verrons  plus  loin,  dans  leur  voyage  au  Popocatepetl. 

Les  hauts  plateaux  habités  du  Mexique  ont  donné  lieu  à des  ob- 
servations analogues,  et  nous  verrons;  dans  le  chapitre  consacré  à 
l’analyse  des  explications  théoriques  données  par  les  auteurs,  que 
c’est  précisément  à leur  propos  que  s’est  élevée  la  discussion  la 
plus  fructueuse  pour  le  sujet  de  ce  livre.  Je  crois  devoir  transcrire 
ici  deux  citations  intéressantes  relatives  aux  phénomènes  observés 
chez  les  animaux  : 

Les  chevaux  et  les  mulets  dans  le  Mexique  sont,  ditBurkbardt 2,  souvent  sujets 
à une  maladie  qui  est  peu  ou  pas  connue  en  Europe.  Si  on  les  force  pendant  la 
chaleur  du  soleil  à de  grands  efforts  ou  à un  mouvement  vite  et  continuel,  ils  sont 
aisément  pris  d’un  battement  de  cœur  et  d’une  accélération  du  pouls  et  de  la  cir- 
culation si  grande  que  par  tout  le  corps  arrivent  de  fortes  convulsions. 

l)e  larges  saignées  sont  le  meilleur  remède  contre  cette  maladie  , que  les  Mexi- 
cains nomment  asoleado....  Aussi,  avant  d’acheter  un  cheval  ou  un  mulet  , a-t-on 
soin  de  faire  un  peu  galoper  l’animal,  et  d’observer  ensuite  si  des  battements  au 
garrot  manifestent  la  maladie.  Souvent  les  animaux  tombent,  par  suite  de  celte 
affection,  lorsqu’un  les  fait  travailler  sans  interruption.  (T.  I,  p.  05.) 

J’emprunte  l’autre  citation  à Heusinger*,  qui  lui-même  l’a  prise 
dans  Elliolson  : 

M.  Lyell  raconte  que  les  Anglais  qui  possèdent  des  mines  sur  le  plateau  du 
Mexique,  dans  une  hauteur  de  9,00Ü  pieds  au-dessus  de  la  mer,  y conduisaient 
des  chiens  lévriers  pour  chasser  les  lièvres;  mais  ils  ne  pouvaient  pas  supporter  la 
chasse  dans  l’air  raréfié,  ils  étaient  hors  d'haleine  avant  d'atteindre  le  gibier.  Au 
contraire,  leurs  petits  nés  dans  cet  air  ne  souffrent  pas  dans  l’air  raréfié,  ils  chas- 
sent et  atteignent  le  gibier  aussi  bien  que  les  meilleurs  lévriers  de  l’Angleterre. 
(T.  I,  p.  260.) 

Mais  je  ne  dois  pas  oublier  que  je  m’occupe  ici  tout  particulière- 
ment non  des  accidents  quasi-chroniques  et  peu  nets  qui  suivent  le 
séjour  prolongé  sur  des  hauteurs  relativement  médiocres,  mais  de 
ceux  qui  frappent  soudain  les  voyageurs  qui  font  l’ascension  des 
montagnes  très-élevées. 

A ce  point  de  vue,  parmi  les  montagnes  dont  la  hauteur  se  trouve 
ainsi  sur  la  limite  à laquelle  apparaissent  les  troubles  physiologi- 

1 Voyage  géographique  aux  républiques  de  Guatemala  et  de  San  Salvador.  — Paris, 
1868. 

- Aufenlhalt  und  Reiscn  in  Mexico  in  den  Jahren  1825  bis  185  i.  — Stuttgard,  1856. 

5 Recherches  de  pathologie  comparée.  — Cassel,  1855. 


66 


HISTORIQUE. 


ques  dus  à l’altitude,  il  convient  de  citer  tout  particulièrement  le 
Popocatcpell  (5420,n). 

Depuis  les  temps  (LM  9)  où  l’intrépide  Ordaz  y monta  sur  l’ordre 
de  Fernand  Cortez,  et  reçut,  pour  prix  de  son  courage,  l’autorisation 
de  porter  un  volcan  sur  son  blason,  et  où  une  seconde  expédition  es- 
pagnole fut  envoyée  par  le  même  conquérant  pour  y chercher  du 
soufre  (1522) l,  aucun  ascensionniste  n’avait  foulé  le  sommet  du 
géant  des  montagnes  mexicaines.  Le  premier  Européen  qui  en  fit 
l’ascension  est  le  lieutenant  anglais  W.  Glennie,  le  20  avril  1827. 

Les  sensations  éprouvées  par  M.  Glennie,  dit  le  secrétaire  de  la  Société  Géologique 
dans  l’extrait  qu’il  donne  d’une  lettre 2 * * de  ce  voyageur,  sont  celles  qu’ont  déjà 
décrites  les  voyageurs  à de  grandes  élévations,  c’est-à-dire,  abattement,  difficultés 
respiratoires  et  mal  de  tête,  ce  dernier  accident  s’étant  manifesté  d'abord  à la  hau- 
teur de  16,895  pieds  (5147m).  On  a trouvé  que  le  tabac  et  les  liqueurs  spiritueuses 
produisaient  un  effet  extraordinairement  rapide  sur  le  sensorium. 

Peu  d’années  après,  le  27  avril  1854,  le  baron  Gros5,  attaché  à la 
légation  française  de  Mexico,  fit  l’ascension  à son  tour. 

Arrivé  au  delà  delà  limite  de  la  végétation,  il  s’écrie  : 

L’on  commence  à sentir  que  l’on  n’est  plus  dans  la  sphère  où  il  est  possible  de 
vivre.  La  respiration  est  gênée  ; une  sorte  de  tristesse  qui  n’est  pas  sans  charmes 
s’empare  de  vous.  (P.  50.) 

11  passa  la  nuit  à cette  hauteur.  Avant  de  se  coucher,  les  voya- 
geurs montèrent  un  peu  plus  haut  « pour  accoutumer  en  quelque 
sorte  nos  poumons  à respirer  par  degrés  un  air  si  peu  fait  pour 
eux.  » (P.  51 .) 

Le  lendemain  matin,  Gros  et  ses  six  compagnons  se  mirent  en 
route  : 

Nous  marchions  l’un  derrière  l’autre,  notre  bâton  ferré  à la  main....  Nous  allions 
très-lentement,  et  force  était  de  nous  arrêter  de  quinze  en  quinze  pas,  pour  pouvoir 
reprendre  haleine.  Le  flacon  d’eau  sucrée  m’était  d’un  grand  secours  ; car,  obligé 
de  respirer  la  bouche  béante,  mon  gosier  se  desséchait  au  point  de  devenir  dou- 
loureux. (P.  55.) 

A 9 heures,  nous  avions  atteint  le  Pico  del  Fraïle....  Nos  guides  refusèrent,  par 
crainte  superstitieuse,  de  continuer  le  voyage....  L’oppression  que  j’éprouvais 
était  moins  forte  que  je  ne  l’avais  craint,  et  mon  pouls  ne  battait  que  120  pulsa- 
tions par  minute.  (P.  54.) 

1 Jourdanet,  Pression  de  l'air,  t.  I,  p.  212. 

2 L.  W.  Glennie,  The  asccnt  of  Popocatapcll  (sic).  — Procecdi  ngs  of  the  geolog  Soc. 

of  London , vol.  I,  p.  75;  1854. 

5 Gros  (baron),  Ascension  au  sommet  du  Popocatcpell.  Lettre  du  45  niai  1854.  oiiv,. 

ann.  des  voyages,  t.  LXIV,‘p.  44-68,  1854. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — AMÉRIQUE  CENTRALE.  67 

Les  voyageurs  continuèrent  seuls  leur  roule,  trouvant  « terrible- 
ment lourds  » les  instruments  dont  ils  avaient  dû  se  charger.  Pour 
se  reposer,  ils  déjeunèrent  : 

Mais  légèrement;  il  serait  imprudent  à cette  hauteur  de  manger  un  peu  trop, 
ou  de  boire  quelque  liqueur  spiritueuse,  car  le  système  nerveux  s’y  trouve  excité 
d’une  manière  inconcevable.  (P.  55.) 

A midi,  nous  avions  atteint  le  sommet  des  rochers  perpendiculaires  ; mais  nos 
forces  commençaient  à manquer,  et  de  10  pas  en  10  pas  nous  étions  obligés  de 
faire  une  longue  pause  pour  respirer  et  permettre  à la  circulation  du  sang  de  se 
calmer  un  peu. 

Il  fallait  crier  très-fort  pour  se  faire  entendre  à vingt  pas  de  distance.  L’air  est 
si  rare  à cette  hauteur , que  j’ai  essayé  inutilement  de  siffler,  et  que  M.  Egerton 
avait  toutes  les  peines  du  monde  à tirer  quelques  sons  d’un  cornet  qu’il  avait 
pris  avec  lui. 

A 2 heures  1/2,  M.  de  Gérolt  était  sur  le  point  le  plus  élevé  du  volcan.  Il  sau- 
tait de  joie.  (P.  57.) . 

Nous  étions  harassés,  j’éprouvais  un  violent  mal  de  tête  et  une  pression  assez 
forte  sur  les  tempes;  mon  pouls  battait  145  pulsations  par  minute  et  108  seule- 
ment après  avoir  pris  quelque  repos  ; mais  je  ne  me  trouvais  guère  plus  oppressé 
qu’au  Pico  del  Fraïle.  Nous  étions  tous  les  quatre  d’une  pâleur  effrayante  ; nos 
lèvres  étaient  d’un  bleu  livide,  et  nos  yeux  enfoncés  dans  leur  orbite  ; aussi,  lorsque 
nous  nous  reposions  sur  les  rochers,  les  bras  jetés  par-dessus  la  tête,  ou  que  nous 
nous  étendions  sur  le  sable,  les  yeux  fermés,  la  bouche  béante,  et  sous  nos  mas- 
ques de  crêpe,  pour  respirer  plus  aisément,  ressemblions-nous  à des  cadavres.... 
Nous  avons  vu  trois  corbeaux  voler  à 200  pieds  au-dessus  de  nous.  (P.  67.).  . . . 

Un  grand  nombre  de  tentatives  ont  été  faites  pour  monter  au  sommet  du 
volcan  ; presque  toutes  ont  échoué  par  des  causes  différentes.  Arrivés  à une  cer- 
taine hauteur,  quelques  voyageurs  ont  été  pris  de  vomissements  de  sang,  qui  les 
ont  forcés  à renoncer  à leur  entreprise.  Cependant,  en  1825  et  en  1850,  quelques 
Anglais  sont  parvenus  jusqu’au  cratère.  M.  W.  Glennie  est  le  premier , je  crois, 
qui  l’ait  vu.  (P.  68.) 

Les  voyageurs  redescendirent  et  passèrent  la  nuit  au  même  en- 
droit que  la  veille  : 

Nous  étions  trop  fatigués  et  surtout  trop  agités  pour  bien  dormir.  Eveillé , je 
ne  parlais  que  du  cratère , et  si  je  venais  à m’endormir , je  remontais  là-haut, 
l’oppression  recommençait,  et  je  me  réveillais  en  sursaut.  (P.  64.) 

MM.  Truqui  et  Graveri,  dans  leur  ascension  de  septembre  1855, 
furent  plus  heureux  : 

Je  dois  faire  observer,  dit  l’un  d’eux  S que  nous  n’éprouvâmes  presque  aucune 
gêne  de  la  respiration  pendant  l’ascension  ; il  nous  parut  au  moins  que  si  nous 
ressentions  quelque  oppression,  il  n’y  avait  lieu  de  l’attribuer  qu’à  la  fatigue  d’une 
montée  longue  et  difficile.  (P.  316); 

1 Ascension  du  volcan  du  Popocatepetl  (montagne  de  la  fumée)  en  septembre  1856. 
Nouv.  ann . des  voyages,  t.  CLIII,  p.  504-317;  1857. 


68 


HISTORIQUE. 


Eli  janvier  1857,  lut  exécutée,  sous  la  conduite  de  M.  Laverrièrc, 
directeur  de  l’École  d’agriculture  de  Mexico,  une  ascension  scien- 
lifique  au  Popocatepetl,  expédition  qui  faisait  partie  d’une  série  de 
recherches  sur  l’histoire  naturelle  du  Mexique  entreprise  avec  la 
plus  louable  ardeur  par  le  gouvernement  du  général  Comonfort. 

M.  I .avcrriére  a bien  voulu  rassembler  dans  ses  noies  et  ses  sou- 
venirs les  faits  qui,  dans  cette  ascension  si  fructueuse  au  point  de 
vue  physique  et  géographique,  présentèrent  un  intérêt  physiologi- 
que. Je  reproduis  en  entier  sa  communication  pour  laquelle  je  lui 
exprime  mes  remercîmcnts  : 

Parmi  les  travaux  qui  nous  étaient  dévolus  se  trouvait  l’ascension  du  Popoca- 
lepell,  situé  au  sud-est  de  la  ville  de  Mexico.  C’est  par  cette  ascension  que  je 
pensais  devoir  commencer  nos  opérations,  attendu  que  la  saison  où  nous  nous 
trouvions  alors  m’y  paraissait  plus  propice  que  toute  autre. 

En  effet,  tous  ceux  qui,  avant  nous,  avaient  tenté  l’ascension  du  Popocatepetl, 
avaient  échoué  ou  n’a\aient  qu’imparfaitement  réussi.  Oubliant  la  latitude  et  les 
particularités  du  climat  mexicain,  ils  avaient  opéré  à des  époques  où  des  explo- 
rations analogues  se  font  en  Europe,  c’est-à-dire  au  printemps  ou  en  été.  Je 
crus,  au  contraire,  devoir  profiter  pour  notre  expédition  de  la  saison  d’hiver, 
époque  à laquelle  l’atmosphère  au  Mexique  est  d’une  transparence  parfaite  favo- 
rable aux  observations,  et  où,  par  suite  de  la  température  relativement  plus  basse, 
les  neiges  qui  enveloppent  la  portion  supérieure  du  cône  occupent  une  surface 
plus  grande  sur  ses  pentes,  ce  qui  diminue  la  longueur  du  trajet  dans  les  sables 
sans  consistance  et  profonds  qui  les  garnissent,  tout  en  offrant,  par  leur  dur- 
cissement, un  point  d’appui  plus  ferme  aux  pieds  du  voyageur. 

En  conséquence,  notre  petite  caravane,  composée  du  Dr  Sonntag,  ingénieur 
astronome,  d’un  majordome,  de  deux  élèves  de  l’Ecole  d’agriculture  et  de  trois 
domestiques,  quittait  Mexico  (2278m)  le  samedi  17  janvier  1857,  par  un  temps 
très-chaud,  traversait  le  18  Chalco  situé  sur  le  lac  du  même  nom,  Amecameca 
(2495'")  le  19,  et  s’engageait  dans  les  vastes  sapinières  qui  couvrent  les  pre- 
miers contreforts  du  volcan,  pour  arriver  au  rancho  deTlamacas  (3S99m)  le  20 
au  soir. 

Le  rancho  de  Tlamacas,  situé  au  pied  du  versant  nord  du  volcan,  se  compose 
de  quelques  cabanes  où  l’on  épure  les  soufres  que,  de  temps  à autre,  on  va 
chercher  au  fond  du  cratère.  11  occupe  une  clairière  près  de  la  limite  de  la  végé- 
tation forestière,  et  dans  son  voisinage  on  rencontre  plusieurs  variétés  de  pins, 
remarquables  par  leur  rusticité,  par  l’excellence  de  leur  bois  et  l’abondance  de 
leur  résine,  susceptibles  d’être  acclimatés  en  Europe. 

C’est  dans  cet  endroit  qu’on  passa  la  nuit.  À six  heures  du  soir,  le  thermo- 
mètre à l’air  libre  marquait  — 0°5C.,  et  — 2°  C.  une  heure  plus  tard.  Malgré 
un  bon  feu  et  nos  couvertures,  nous  eûmes  un  sommeil  agité,  qui  ne  nous  pro- 
cura pas  beaucoup  de  repos;  les  Indiens,  au  contraire,  dormirent  comme  des 
souches,  et  le  lendemain,  de  bonne  heure,  ils  étaient  debout,  dispos  et  gais,  pen- 
dant que  nous  étirions  nos  membres  et  que  nous  faisions  des  mines  renfrognées. 

Le  mercredi  21  janvier,  à cinq  heures  du  matin,  tout  le  monde  était  à cheval 
et  partait  en  silence  ; les  Indiens  suivaient  à pied.  Le  froid  était  si  pénétrant, 
que  malgré  nos  vêtements  assez  épais,  nous  grelottions  à qui  mieux  mieux.  Un 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — AMÉRIQUE  CENTRALE.  09 

quart  d’heure  après,  on  quittait  le  bois  pour  aborder  la  région  des  sables  en 
se  dirigeant  droit  vers  la  pente  déjà  rapide  du  volcan.  Les  chevaux  enfonçaient 
jusqu’au  jarret,  avançaient  lentement,  péniblement.  Bientôt  il  fallut  s’arrêter 
fréquemment  pour  les  laisser  souffler,  car  l’air  était  si  piquant,  le  sentier  si 
raide,  qu’à  peine  ils  pouvaient  respirer. 

A huit  heures  et  demie  on  atteignait  la  Cruz  (4290m).  Les  chevaux  étaient  ren- 
dus, couverts  de  sueur,  haletants.  On  mit  pied  à terre,  et  on  les  renvoya  à Tla- 
camas.  Pour  nous,  engourdis  par  le  froid,  nous  reposâmes  un  peu  sur  le  sable 
réchauffé  par  le  soleil  qui  commençait  à devenir  brûlant. 

A neuf  heures,  chacun  se  mettait  en  route,  le  bâton  à la  main,  à la  suite  de 
notre  guide  indien,  Angel,  qui,  les  pieds  enveloppés  dans  quelques  chiffons,  ou- 
vrait la  marche  d’un  pas  singulièrement  dégagé  comparé  au  nôtre. 

Nous  le  suivions  avec  peine,  malgré  le  soin  que  nous  avions  pris  d’alléger  au- 
tant que  possible  nos  vêtements  et  nos  chaussures. 

Bientôt  on  atteignit  la  bande  de  glace  qui  précède  les  neiges.  Elle  fut  franchie 
sans  trop  de  difficultés,  grâce  à des  entailles  pratiquées  à la  hache  par  un  Indien 
dépêché  à l’avance  avec  ordre  de  nous  tracer  une  piste  jusqu’au  sommet  du 
volcan. 

A la  limite  des  neiges  perpétuelles  (4400m  sur  le  versant  à cette  époque  de 
l’année)  je  commençais  à ressentir  une  lassitude  sérieuse.  J’étais  trpmpé  de 
sueur,  ma  respiration  était  courte,  accélérée,  et  il  me  semblait  que  des  poids 
énormes  étaient  attachés  à mes  pieds.  Tout  près  de  moi,  un  Mexicain  d’Ame- 
cameca,  nommé  Saturnino  Perez,  qui  avait  voulu  nous  accompagner,  mon- 
tait d’une  plus  ferme  allure  ; mais  sa  figure  pâle,  ses  lèvres  bleuies,  ses  yeux 
hagards,  la  contraction  de  sa  bouche,  la  dilatation  de  ses  narines,  montraient 
assez  les  effets  de  l’altitude  sur  sa  constitution,  toute  sèche  et  robuste  quelle  fût. 
La  rampe  était  rapide  il  est  vrai  ; mais  comme  la  neige  était  compacte,  nous 
éprouvions  moins  de  difficultés  à avancer  que  lorsque  nous  étions  dans  les  sables 
et  sur  la  glace.  Seulement  l’air  était  si  délié,  si  sec,  si  froid,  que  cet  avantage  était 
plus  que  compensé. 

Bientôt,  n’en  pouvant  plus,  il  fallut  faire  halte,  halte  très-courte,  car  le  froid 
nous  saisissait  incontinent.  Tous  les  quarante  ou  cinquante  pas  on  était  obligé  de 
s’arrêter  pendant  une  minute  ou  deux.  Les  poumons  semblaient  vouloir  refuser 
le  service;  ils  n’avaient  presque  pas  la  force  de  soulever  la  poitrine  qui,  après 
chaque  inspiration,  retombait  pesamment  sur  elle-même. 

A o ou  400  mètres  du  sommet,  il  y eut  un  moment  d’hésitation,  d’affaissement. 
Bien  que  si  près,  le  but  à atteindre  semblait  encore  énormément  loin.  La  pente 
extrêmement  rapide,  l’éclat  métallique  delà  neige,  le  manque  d’air,  me  causaient 
un  abattement  inexprimable.  Aussi  fallut-il  rassembler  toute  mon  énergie,  faire 
appel  à toute  ma  raison,  et  penser  surtout  à ma  responsabilité,  pour  trouver  la 
force  de  continuer. 

Enfin,  grâce  à un  effort  suprême,  nous  arrivâmes  au  bord  du  cratère  (5280“  ; 
température  — 2°  C.)  par  une  échancrure  à laquelle  j’ai  donné  le  nom  de  Brèche 
Silicco,  en  souvenir  du  ministre  éclairé  qui  nous  avait  envoyés.  Il  était  une  heure 
et  demie  de  l’après-midi,  et  la  partie  à pied  de  notre  ascension  n’avait  pas  de- 
mandé moins  de  quatre  heures  et  demie. 

En  dedans  du  cratère,  et  dès  qu’on  a franchi  son  bord,  se  trouve  une  pente 
intérieure  exposée  au  sud,  formée  par  du  sable  et  desdébris  déroché.  Nous  nous  y 
laissâmes  choir  comme  des  masses  inertes,  n’ayant  presque  plus  conscience  de 
nous- mêmes.  Ma  première  sensation  fut  celle  d’un  bien-être  inexprimable.  Mais 
ce  bien-être  dura  peu.  Le  sable  que  j’avais  d’abord  trouvé  chaud  me  sembla  bien-' 


70 


HISTORIQUE. 


tôt  d’un  froid  insupportable.  Le  soleil,  d’ailleurs,  commençait  à baisser,  un  petit 
vent  dur  et  sec  venait  de  se  lever.  Je  ne  tardai  pas  à être  pris  de  frissons.  Pour 
me  réconforter,  je  voulus  manger,  boire  quelques  gorgées  d’un  xérès  excellent 
que  nos  braves  Indiens  avaient  apporté.  Mais  la  gorge  était  serrée,  les  aliments  ne 
pouvaient  passer,  leur  vue  me  répugnait.  Levin,  au  lieu  de  l’effet  fortifiant  attendu, 
produisait  un  effet  tout  différent  ; par  suite,  sans  doute,  de  la  perversion  du  goût, 
je  croyais  avaler  une  eau-de-vie  carabinée,  une  véritable  liqueur  de  feu  qui  me  brû- 
lait littéralement  les  entrailles.  En  même  temps,  et  malgré  la  lassitude,  une  agi- 
tation singulière  s’emparait  de  moi;  c’était  un  sentiment  d’inquiétude  anxieuse, 
d’angoisse,  qui  ne  me  permettait  pas  de  rester  en  place.  Et,  pourtant,  quand  je 
voulais  me  mouvoir,  mes  forces  me  trahissaient  et  me  refusaient  presque  tout 
service.  J’en  trouvai  cependant  assez  pour  remonter  vers  le  bord  du  cratère  où  je 
pris  de  la  neige  avec  avidité  afin  de  calmer  un  peu  la  soif  ardente  qui  me  dévorait. 

Cette  agitation  se  calma  néanmoins  un  peu  et  les  forces  revinrent  pendant  quel- 
ques heures.  Mais  le  soir,  et  surtout  pendant  la  nuit  que  nous  passâmes  blottis  les 
uns  contre  les  autres  sous  un  pan  de  rocher,  il  se  déclara  chez  moi  un  état  véri- 
tablement fébrile;  tête  en  feu,  froid  perçant  dans  les  membres,  1*20  à 150  pulsa- 
tions à la  minute,  anxiété  insupportable,  augmentée  encore  par  les  sourds  gron- 
dements qui  retentissaient  dans  l’abîme  à côté  de  nous.  Ce  fut  une  nuit  dont  le 
souvenir  ne  saurait  s’effacer.  Aussi  l’aube  fut-elle  saluée  avec  bonheur,  et  après 
avoir  recueilli  avec  peine  les  observations  dont  nous  étions  chargés,  le  signal  du 
retour  fut  donné;  nous  quittions  le  volcan  à dix  heures  et,  trois  heures  après, 
nous  étions  rendus  au  ranclio  de  Tlamacas  que  nous  avions  quitté  trente  heures 
auparavant. 

La  Commission  scientifique1  qui  accompagna  notre  malheureuse 
expédition  du  Mexique  fit  aussi  cette  ascension  le  25  avril  1865; 
les  souffrances  furent  très-supportables  : 

La  limite  des  neiges  perpétuelles  commence  à une  hauteur  d’environ  4500m  au- 
dessus  du  niveau  de  la  mer. 

Ici  tout  le  monde  met  pied  à terre,  et  on  monte  sur  la  neige  en  serpentant 
légèrement....  Quand  on  a monté  environ  100m,  on  commence  à ressentir  une 
grande  difficulté  à respirer,  les  poumons  sont  oppressés,  et  chaque  pas,  chaque 
mouvement  du  corps  vous  rend  presque  haletant  ; on  est  forcé  de  s’arrêter  tous  les 
vingt  pas  pour  reprendre  haleine,  et  il  est  certaines  constitutions  qui  ne  peuvent 
supporter  le  malaise,  assez  faible  du  reste,  qu’on  éprouve. 

La  réverbération  du  soleil  sur  la  neige  est  intense  ; il  est  prudent  de  se  munir 
de  verres  colorés  et  de  voiles  pour  ne  pas  ajouter  à la  fatigue  et  à l’essoufflement 
les  vertiges  que  vous  donnerait  sans  aucun  doute  cet  immense  linceul  de  neige  qui 
vous  entoure. 

Nous  avons  pu  observer,  d’ailleurs,  qu’on  a beaucoup  exagéré  les  souffrances 
physiques  inhérentes  à une  pareille  ascension  ; il  n’a  pas  été  question  pour  nous 
d’hémorrhagies  d’aucune  sorte 

Les  Indiens,  habitués  à cette  ascension,  peuvent  porter  un  arrobe  ( 1 lk. ) et  ils 
montent  très-rapidement 

Nous  arrivâmes  au  sommet  du  volcan  (le  sommet  atteint  par  les  voyageurs  est 

1 Récit  d'une  ascension  du  PopocatepetI , par  MM.  A.  Dollfus,  de  Montserrat  et  Pavie, 
Archives  de  la  Commission  scientifique  du  Mexique,  t.  II,  p.  187-201.  — Paris,  18GG. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — AMÉRIQUE  CENTRALE.  71 

YEspinazo  de l Diablo  (5247 m),  et  non  le  vrai  sommet,  le  Pico  May  or  (5450“) 

Les  derniers  pas  sont  assez  difficiles  ; la  raréfaction  de  l’air,  devenant  de  plus  en 
plus  grande,  ajoute  encore  à la  difficulté  de  l’ascension 

À peine  étions-nous  arrivés  au  sommet  que  la  difficulté  de  respiration  qui  nous 
accablait  cessa  de  se  faire  sentir,  et  nos  poumons  n’étaient  plus  oppressés  dès  que 
nous  demeurions  en  repos.  Cependant,  nous  avons  pu  tous  observer  une  certaine 
exaltation,  qui  augmenta  chez  quelques-uns  d’entre  nous,  au  point  de  leur  donner 
un  violent  mal  de  têle  ; cette  exaltation  peut  se  comparer  presque  à un  léger  état 
d’ivresse  ; le  sang  circule  avec  rapidité,  et  on  peut  compter  près  de  cent  pulsa- 
tions par  minute.  (P.  194.) 

Avec  le  Popocatepetl,  il  n’existe  au  Mexique  que  le  pic  d’Orizaba 
(5400m)  dont  l’ascension  puisse  entraîner  des  troubles  ou  même 
des  accidents.  C’est  ce  qui  est  arrivé  à van  Muller1  et  à ses  compa- 
gnons, le  2 septembre  1856. 

Les  voyageurs  passèrent  la  nuit  à 5000  pieds  espagnols  du  som- 
met : 

Les  conséquences  du  séjour  dans  un  air  aussi  raréfié  se  faisaient  fortement  sen- 
tir chez  nous  tous.  Nos  mouvements  respiratoires  étaient  devenus  beaucoup  plus 
profonds  et  plus  fréquents,  suite  naturelle  de  la  moindre  quantité  d’oxygène  qui 
arrivait  à nos  poumons  à chaque  inspiration  de  cet  air  léger.  Tous  nous  avions  un 
mal  de  tête  violent  avec  mouvement  fébrile.  Ces  accidents  ne  pouvaient  nous 
étonner,  puisque  nous  étions  à une  hauteur  plus  grande  que  celle  du  Mont-Blanc... 
Quoique  couchés  les  uns  près  des  autres,  avec  des  peaux  et  des  couvertures,  nous 
tremblions  tous  de  froid  et  de  fièvre.  La  température  était  au-dessous  du  point  de 
congélation.  (P.  278.) 

Le  lendemain,  ils  voulurent  terminer  l’ascension  : 

La  montée  était  extrêmement  rapide,  tellement  qu’en  25  pas,  nous  ne  faisions 
pas  plus  de  8 à 10  pieds  : encore  fallait-il  nous  arrêter  après  ces  25  pas.  . . . 

Aucun  de  nous  n’eut  pendant  l’ascension  de  saignements  de  nez  ou  accidents 
semblables  ; seulement,  nous  avions  une  grande  congestion  sanguine  à la  tête, 
tellement  que  le  blanc  de  nos  yeux  était  d’un  rouge  foncé Tous  avaient  de  vio- 

lents maux  de  tête,  et  tremblaient  terriblement  à cause  de  la  fièvre.  (P.  282.) 

Une  compagnie  nombreuse  de  voyageurs  américains,  anglais  et 
mexicains,  comprenant  des  artistes,  des  ingénieurs  et  de  simples 
touristes,  voulut  atteindre,  en  1866,  le  sommet  de  ce  pic. 
Eux  non  plus  n’y  purent  parvenir.  Ils  furent  très-éprouvés  par 
des  souffrances  dont  l’un  d’eux  a fait  dans  le  Picayune  de  la  Nou- 
velle-Orléans un  récit  fort  imagé,  et  fort  bizarrement  rédigé.  Je  n’hé- 
site pas  à déclarer,  tout  en  le  reproduisant,  qu’il  me  parait  empreint 
d’une  véritable  exagération;  j’ajouterai,  avec  le  rédacteur  de  Yàl- 

1 Reisen  in  den  Vereinigten  Staaten,  Canada  und  Mexico.  — Leipzig,  1864. 


Il 


HISTORIQUE. 


pine  journal,  que  je  ne  suis  pas  bien  sûr  d’avoir  toujours  compris  ce 
qu’a  voulu  dire  bailleur1,  dans  son  style  obscur  et  ampoulé  : 

Ils  montaient  d’abord  en  chantant  et  en  sifflant;  mais  ces  bruyantes  démonstra- 
tions cessèrent  bientôt.  La  respiration  devint  difficile Jusqu’à  environ  200(3 

pieds  du  sommet,  les  membres  de  la  compagnie  étaient  éparpillés  à une  grande 
distance  les  uns  des  autres.  A ce  moment,  quelques-uns  devinrent  faibles  et  tom- 
bèrent. Le  sang  commença  à sortir  par  les  oreilles  et  le  nez;  les  figures  étaient 
tellement  enflées  que  de  vieux  amis  ne  se  reconnaissaient  que  par  les  habits.  Lu 
petit  nombre  continuèrent  à monter  un  millier  de  pieds,  se  couchèrent,  dormirent 
sur  la  neige  ou  la  poussière  noire,  et  se  réveillèrent  haletants.  Les  artistes, 
chargés  de  leurs  instruments,  se  ressentirent  fortement  des  effets  douloureux  de 
l’atmosphère;  d’un  commun  accord,  ils  tournèrent  le  dos  et  redescendirent  au 
point  où  s’étaient  arrêtés  nos  compagnons  sans  ambition  et  mal’  partagés  en 
poumons 


Les  ingénieurs  et  les  autres  se  couchèrent;  ils  marchaient  en  trébuchant,  incapa- 
bles de  volonté  ou  d’action,  et  appelant  ceux  qui  se  trouvaient  en  avant.  N’était 
la  lutte  continuelle  pour  se  rattraper  à la  vie,  l’angoisse  de  la  respiration,  la 
perte  constante  du  sang,  on  se  serait  cru  rêvant  endormi  dans  un  creux  de  neige 

ou  une  gorge  pleines  de  cendres.  Nous  étions  alors  à 10,000  pieds  environ Le 

général  S continua  vers  le  sommet.  Nonobstant  les  prétentions  des  gens  du 

pays,  il  est  douteux  que  personne  soit  allé  aussi  loin  que  nous.  Pendant  la  guerre 
avec  le  Mexique,  il  y a 20  ans  au  plus,  un  officier  essaya  d'atteindre  le  sommet; 
mais  il  tomba  paralysé,  à la  hauteur  de  15,000  pieds.  Ses  camarades  n’allèrent  pas 
plus  loin  et  plantèrent  sur  ce  point  un  élendard  dont  la  hampe  y est  encore. 

Les  deux  tiers  des  nôtres  étaient  hors  de  vue;  trois  seulement,  en  outre  des 
guides  effrayés,  continuèrent  leur  chemin.  Le  sang  sortait  par  les  oieilles,  les  na- 
rines, la  bouche,  et  les  veines  se  dessinaient  sur  le  front  comme  de  grosses  lignes 
noires;  notre  marche  était  de  plus  en  plus  incertaine,  la  pente  plus  abrupte  et 

périlleuse Le  colonel  C...,  complètement  épuisé,  fit  un  discours  incohérent, 

comme  un  ivrogne. 

Une  pierre  qui  vint  briser  l’épaule  du  général  S....  les  força  à la 
relraite,  à environ  500  pieds  du  sommet. 

Amérique  septentrionale.  — L’Amérique  du  Nord  possède,  comme 
nous  l’avons  vu,  sur  beaucoup  de  points,  des  sommets  assez  élevés 
pour  que  les  voyageurs  y puissent  éprouver  les  accidents  du  mal 
des  montagnes.  Mais  les  rudes  explorateurs  des  rives  du  Colorado, 
de  l’Orégon  et  du  liant  Missouri,  se  soucient  .peu  des  ascensions 
scientifiques  et  pittoresques.  D’autre  part,  les  ingénieurs  et  les 
officiers  qu’à  plusieurs  reprises  le  gouvernement  des  Etats-Unis  a 
envoyés  dans  le  Far- West  se  sont  le  plus  souvent  contentés  de  faire 
des  relevés  trigonomélriques,  et  n’ont  guère  cheminé  que  sur  les 
cols,  dont  l’élévation  atteint  rarement  5000m, 

1 Attempted  ascent  ofOrixaba,  — Alpine  journal , t,  III,  p.  210-214.  — London,  1867. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — AMÉRIQUE  DU  NORD.  73 

Cependant,  le  colonel  Frémont,  dans  le  récit  de  son  expédition 
aux  monlagnes  [Rocheuses  de  l’Orégon,  nous  fournit  une  observa- 
tion intéressante1. 

Le  15  août  1842,  par  42ü  lat.  N.,  les  voyageurs  firent  l’ascension 
d’un  pic  élevé,  et  se  trouvèrent  tout  à coup  extrêmement  fatigués. 
Le  baromètre  marquait  20p,522,  l’altitude  fut  estimée  à 10000 
pieds  environ  (5050m)  ; la  température  n’était  que  de  50°  F.  ; iis 
s’arrêtèrent  pour  camper  : 

Je  fus  pris  peu  de  temps  après,  dit  Frémont,  de  maux  de  tête  violents  et  de 
vomissements  qui  durèrent  presque  toute  la  nuit.  Ces  accidents  étaient  probable- 
ment causés  par  la  fatigue  excessive,  le  manque  d’aliments  et  aussi,  dans  une  cer- 
taine mesure,  par  la  raréfaction  de  l’air 

Le  lendemain,  deux  de  nos  hommes  furent  malades  et  se  couchèrent  sur  le  ro- 
cher; à ce  moment  je  fus  pris  de  maux  de  tête,  de  vertiges  et  de  vomissements, 
comme  la  veille,  au  point  d’être  incapable  d’aller  plus  loin;  M.  Preuss  n’en  pou- 
vait pas  davantage,  le  baromètre  était  à 19p,401  et  le  thermomètre  à 50°  (p.  07). 

15  août....  Le  baromètre  descendit  à 18,295  et  le  thermomètre  à 44°;  nous  étions 
à 15,570  pieds  (41 50m)  ; à ce  point  extrême  nous  vîmes  voler  une  abeille  soli- 
taire  C’est  probablement  ici  le  plus  haut  pic  des  montagnes  Rocheuses. 

Notre  méthode,  pleine  de  précaution,  d’avancer  lentement,  avait  épargné  mes 
forces;  et  à l’exception  d'une  légère  disposition  au  mal  de  tète,  je  ne  ressentis  rien 
du  malaise  de  la  veille  (p.  70). 

La  montagne  dont  il  est  ici  question  est  désignée  sur  les  cartes  par 
le  nom  de  Fremonl’s  Peak  (4:150“),  dans  l’État  de  Wyoming. 

Pans  le  voyage  suivant,  exécuté  en  J 845-44,  l’expédition  améri- 
caine traversa  la  Sierra-Nevada  de  Californie  à une  hauteur  de 
950ÜP,  Je  20  février  (ibid.  p.  255)  ; le  18  juin  1 844,  elle  atteignit  aux 
sources  de  l’Arkansas,  par  11 200p  (5415m)  (p.  285);  dans  l’un  ni 
l aulre  cas  le  récit  ne  porte  indication  de  troubles  physiologiques. 

J’ai  trouvé  à relever  un  récit  analogue  dans  l’immense  publica- 
tion scientifique  de  l’expédition  organisée  pour  l’établissement  du 
tracé  du  cliemin  de  fer  trans-océanique. 

Le  12  septembre  1855,  le  capitaine  Gunnisson2,  ingénieur  topo- 
graphe, fait  l’ascension  du  Mont  Creek,  près  du  lac  Fork  dans  le 
Colorado  : 

L'effet  agréable  et  réjouissant  de  l’air  pur  des  montagnes  à cette  élévation,  thème 
favori  de  l’éloquence  des  trappeurs  et  des  voyageurs,  se  manifesta  chez  nos  hom- 

1 Report  of  the  exploration  to  the  roçku  mountains  in  the  years  1842.  — Washing- 
ton, 1845. 

Reports  o f explorations  ancl  surveys  to  ascertain  the  most practicable  and  économie 
eal  route  for  a rail  road  from  the-  DUssis&ipi  River  to  the  Pacific  océan.  Vol,  IL  AYg- 
shington,  1855, 


74 


HISTORIQUE. 


mes  par  des  éclats  de  joie  bruyants.  Mais  les  exercices  physiques  violents  les  ren- 
daient bientôt  hors  d’haleine  ; et  nos  animaux,  en  grimpant  les  collines,  s’ils  ne 
s’arrêtaient  souvent  pour  respirer,  étaient  bientôt  tout  à fait  épuisés  ; mais  quel- 
ques moments  de  repos  leur  rendaient  leur  force  et  leur  vigueur.  (P.  55.) 

Ils  n’étaient  cependant  qu’à  8559p  (2610,m)  ; baromètre  56imm, 
température  17°, 5. 

Le  2 septembre,  ils  avaient  passé  au  point  culminant  de  leur 
voyage,  par  1Ü0521'  (5056m),  à la  passe  de  Coochetopa,  dans  le  Co- 
lorado; ils  ne  se  plaignirent  de  rien.  (P.  47.) 

Le  révérend  Hines1  fit,  le  24  juillet  1866,  avec  trois  compagnons, 
l’ascension  du  mont  Hood  dans  l’Orégon.  Ce  ne  fut  pas  sans  peine, 
comme  il  l’exprime  énergiquement  : 

Il  n’v  avait  plus  que  700  pieds  à faire  environ,  mais  il  fallut  pendant  deux 
heures  s’allonger  les  tendons,  « sinewy  tug  »,  pour  les  grimper.  Le  soleil  brillait 
de  nouveau,  et  la  sueur  ruisselait  de  nos  fronts;  mais  en  approchant  du  sommet, 
l’abattement  sembla  disparaître,  et  c'est  avec  un  sentiment  de  triomphe  que  nous 
foulâmes  le  sommet  delà  plus  haute  montagne  du  Nord  de  l’Amérique.  (P.  85.) 

ïïines  était  sur  ce  dernier  point  dans  l'erreur;  Williamson2,  qui  est 
remonté  en  1867  sur  le  mont  Hood,  n’a  trouvé,  pour  sa  hauteur, 
que  5420m  ; il  n’est  donc  pas  le  plus  élevé  de  la  chaîne  des  Cas- 
cades, à plus  forte  raison  de  P Amérique  du  nord. 

Plus  récemment,  un  « mountaineer  » anglais  très-connu,  M.  Co- 
leman, a fait  l’ascension  de  montagnes  aussi  élevées  et  même  plus 
élevées  que  le  mont  Hood. 

En  août  1868,  il  monta  sur  le  mont  Baker  (5590m)3 4.  11  ne  parle 
dans  son  récit  que  des  exhalaisons  sulfureuses  dont  souffrirent  lui 
et  ses  compagnons  ; Pun  de  ceux-ci  fut  pris  de  vomissements  (p.  565). 
En  août  1870,  ascension  du  mont  Bainier  (4400m)\  sur  le  sommet 
duquel  il  passa  la  nuit,  se  chauffant  aux  crevasses  du  volcan,  mais 
fort  incommodé  par  leurs  exhalaisons  : ici  encore,  aucune  indica- 
tion physiologique.  Mais  cela  ne  prouve  rien,  car  nous  verrons,  en 
parlant  des  Alpes,  que  les  ascensionnistes  de  profession  semblent 
aujourd’hui  se  faire  un  point  d’honneur  de  ne  jamais  parler  des 
souffrances  du  mal  des  montagnes. 

1 Asccnt  of  mount  Hood.  — Extract  in  Proceed.  of  the  l\oy.  Géogr . Soc.,  t.  III,  p.  81- 
84;  1867. 

2 Pelcrmann’ s Mittheil.,  t.  XIV,  p.  151  ; 1868. 

5 Mountaineering  on  the  Pacific.  — Alpine  journal , t.  V,  p.  557-567.  — London,  1872. 

4 Ibid.,  t.  VI.  192-195 : 1874. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ETNA. 


75 


g 3.  — Etna. 

J’ai  rappelé,  dans  le  chapitre  préliminaire,  que  les  anciens  avaient 
fréquemment  fait  l’ascension  de  l’Etna  (3313m);  mais  ils  ne  nous 
ont  rien  laissé  qui  puisse  faire  croire  qu’ils  aient  ressenti  quelques 
symptômes  extraordinaires.  Les  auteurs  du  moyen  âge,  qui  ont 
suivi  leurs  traces,  et  ont  raconté  leurs  propres  voyages,  ne  sont 
pas  plus  explicites  qu’eux. 

Pietro  Bembo1,  qui  fit  en  1494  l’ascension  avec  son  ami  Angelo 
Chabriele,  ne  parle  même  pas  de  sa  fatigue  dans  son  célèbre  dialo- 
gue avec  son  fils.  En  1540  et  en  1545,  Filoteo  monte  à l’Etna  avec 
plusieurs  de  ses  amis  : il  ne  dit  rien  de  net2 3.  Thomas  Fazello 5 donne 
un  peu  plus  de  détails  dans  le  récit  de  son  ascension  du  6 « des  ca- 
lendes d’août  » 1541  ; il  ne  voit  cependant  à signaler  qu’une  ex- 
trême fatigue  : 

Nous  dûmes  monter  à pied  la  cime  de  la  montagne;  l’ascension  fut  très-ardue  : 
ici  les  aspérités  du  terrain , là  , des  sables  profonds  nous  retardant , nos  pieds 
glissant  en  arrière  ; nous  eûmes  tant  de  difficultés  enfin , que  bien  qu’il  n’y  ait 
pas  plus  de  50  pas  de  hauteur  , nous  y perdîmes  deux  bonnes  heures , et  enfin 
arrivés  au  sommet,  haletants  et  ruisselants  de  sueur,  nous  nous  couchâmes  à terre, 
(Decas  I,  liber  II,  caputIV  ; t.I,  p.  116.) 

Mais  un  siècle  plus  tard,  en  1671,  l’illustre  iatro-mathématicien 
Borelli4,  dont  l'attention  avait  du  reste  été  éveillée  par  les  récits  des 
voyageurs  dans  l’Amérique  du  sud,  constate  des  malaises  qu’il  si- 
gnale nettement  : 

Parmi  les  observations  remarquables  que  je  pus  faire  au  sommet  de  l’Etna  dans 
l'année  1671,  se  place  un  effet  inattendu , dû  à la  raréfaction  de  l’air.  Là,  en 
effet,  des  mouvements  médiocres....  amenaient  une  telle  lassitude,  que  des  hommes 
jeunes  et  robustes  se  voyaient  obligés  de  se  reposer  , de  s’asseoir , et  de  refaire 
leurs  forces  en  respirant  fréquemment.  (P.  242.) 

Puis,  il  cherche  à expliquer  ces  troubles;  nous  verrons  qu’il  en 
donna  successivement  deux  théories  différentes.  Mais  les  sensa- 
tions qu’il  avait  signalées  n’ont  point  été  éprouvées  par  tous  les 
voyageurs,  et  nous  voyons  ici  commencer  une  série  d’apparentes 

1 Opéré , vol.  4.  Venet,  1729. 

2 Ætnœ  topographia;  in  Thésaurus  antiq.  sicül.  — Lugd.  Bat.,  1723. 

3 De  Rebus  siculis.  — Gatane,  1749. 

4 De  motu  animalium.  Pars  altéra , — Rome,  1681. 


70  HISTORIQUE. 

contradictions  dont  nous  aurons,  et  de  nos  jours  encore,  à citer  de 
nombreux  exemples. 

En  effet,  Riedesel1,  dans  la  relation  de  son  voyage  en  Sicile,  ra- 
conte son  ascension  du  1er  mai  1 767,  et  il  ajoute  : 

Je  n’ai  pas  trouvé,  comme  divers  voyageurs  l’assurent,  l’air  raréfié  et  subti- 
lisé au  point  de  couper  ou  pour  le  moins  de  gêner  beaucoup  la  respiration;  ce  qui 
peut  dépendre,  au  reste,  de  la  conformation  et  de*s  dispositions  de  la  poitrine  et 
des  poumons  de  chaque  sujet  qui  en  fait  l’épreuve.  (P.  152.) 

Demeunier2,  IIoüel\  qui  firent  vers  la  meme  époque  la  même 
ascension,  ne  parlent  d’aucun  trouble  observé.  Delon4,  arrivé  au 
sommet  de  l’Etna,  s’écrie  avec  enthousiasme  : 

Un  air  éthéré  qui  presse,  étonne  l’existence,  et  en  fait  connaître  une  qui  avertit 
l’homme  qu’il  est  hors  de  la  région  où  ses  organes  l’enchaînent.  On  sent  l’im- 
pression de  sa  témérité.... 


Je  laisse  au  lecteur  le  soin  de  décider  si  ce  pathos  exprime  quel- 
que phénomène  physiologique,  et  négligeant  là  d’autres  témoignages 
aussi  peu  importants,  j’arrive  à ce  que  rapporte  Dolomieu5,  qui,  le 
22  juin  1781,  fit  l’ascension  de  l’Etna;  le  célèbre  minéralogiste  fut 
très-sérieusement  atteint,  et  son  guide  plus  encore  que  lui  : 

Le  .froid  était  très-vif....,  souvent  la  respiration  me  manquait,  et  j’étais  obligé 
de  m’arrêter  tout  court  pour  reprendre  baleiné,  et  prévenir  de  fortes  palpitations 
que  je  ressentais  dans  les  artères  pulmonaires....  Mou  guide  me  criait  sans 
cesse  de  marcher  plus  doucement,  et  lorsque  j’arrivai  sur  la  plaine,  auprès  de  la 
Tour  du  Philosophe0',  il  me  déclara  qu’il  ne  pouvait  pas  aller  plus  loin,  qu’il  se 
sentait  très-mal,  et  effectivement,  un  moment  après,  il  tomba  sans  connaissance, 
la  pâleur  de  la  mort  sur  la  ligure,  et  dans  l’état  le 'plus  fâcheux....  Quelques 
gouttes  de  vin  le  firent  un  peu  revenir  ; mais  il  était  sans  force  et  semblable  à un 
homme  qui  va  mourir.  (P.  98.) 

Dolomieu  continua  seul  sa  route  et  parvint  au  cratère  sans  que 
son  récit  garde  trace  de  souffrances  véritables  : il  ne  parle  que  de 
sa  fatigue. 

1 Voyage  dans  la.  Sicile  et  dans  la  grande  Grèce , adressé  par  l’auteur  à son  ami, 
M.  "NVinckelmann  ; traduit  de  l’allemand  (sans  nom  d’auteur).  — Lausanne,  1775. 

2 Voyage  en  Sicile  et  à Mall/ie , t.  I,  p.  225.  — Amsterdam,  1775. 

5 Voyage  pittoresque  des  is/es  de  Sicile,  de  Mdlthe  et  de  fjpari,  t.  II,  p.  105.  — Paris, 
1784. 

4 Voyage  en  Sicile.  — Paris,  1788. 

5 Relation  d'un  voyage  fait  depuis  peu  sur  ce  volcan  : in  Voyage  pittoresque  ou  des- 
cription du  royaume  de  Naples  et  de  Sicile,  par  l’abbé  Saint-Non.  — 4e  vol,,  p.  91-104, 
- Paris,  1785. 

G Bâtie  par  Empédocle,  suivant  la  légende,  (Voir  Fazello,  loc.  ciL , t.  I,  p.  115.) 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ETNA.  77 

La  narration  que  nous  a laissée  Spallanzani  (le  son  ascension 
du  5 septembre  1788  est  intéressante,  particulièrement  à cause 
de  l’historique  qu’il  lait  des  appréciations  des  voyageurs  qui  l’ont 
précédé  : , 

La  raréfaction  de  l’air  au  sommet  de  l’Etna  ne  produisit  point  sur  moi  les 
mêmes  effets  qu’éprouvèrent  quelques-uns  des  voyageurs  qui  m’avaient  précédé.  Le 
chevalier  Hamilton  (26  septembre  1 7 G 9 ) sentit  sa  respiration  gênée  par  la  grande 
subtilité  de  ce  fluide  ; le  comte  Borch  (16  octobre  1776)  en  fut  encore  plus  incom- 
modé ; « la  raréfaction  de  l’air  sur  celte  montagne,  dit-il  , est  très-sensible,  et 
telle  que  ce  fluide  n’y  est  presque  plus  propre  à la  respiration  ».  Biedesel  (1767), 
au  contraire,  n’en  souffrit  pas,  ou  n’en  souffrit  que  très-peu,  comme  on  le  peut 
voir  par  cette  phrase  : « Je  ne  me  suis  point  aperçu  que  l’air  fût  aussi  raréfié  que 
l’assurent  plusieurs  voyageurs,  ni  assez  subtil  pour  empêcher  de  respirer , ou 
même  pour  gêner  beaucoup  la  respiration  ».  Brydone  ('27  mai  1770)  n’en  parle 
point,  et  je  conclus  de  son  silence  que  la  subtilité  de  l’air  ne  le  fatigua  nullement. 

Quant  à moi,  mon  domestique  et  mes  deux  guides,  l'air  ne  nous  fit  éprouver 
aucune  incommodité.  La  difficulté  de  grimper....  rendait,  il  est  vrai , notre  res- 
piration pénible  et  précipitée;  mais,  parvenus  au  sommet,  après  un  peu  de  repos, 
nous  retrouvions  bientôt  nos  forces,  et  même  en  marchant  nous  ne  sentions  plus 
de  difficulté  à respirer.  (P.  272.) 1 2 * 

L’illustre  physiologiste  ne  fit  pas  là  preuve  de  sa  sagacité  ordi- 
naire; il  n’a  pas  su  distinguer,  comme  l’avait  fait  Borelli  cent  ans 
auparavant,  les  effets  de  la  marche  d’avec  l’état  de  repos,  et  quoi 
qu’il  en  ait  dit,  on  voit  facilement  que  l’air  lui  fit  éprouver  de  vérita- 
bles, bien  que  légères,  incommodités. 

Ferrara*,  dans  sa  description  de  l’Etna,  va  plus  loin.  Non-seule- 
ment l’ascension  n’occasionne,  selon  lui,  aucun  malaise,  mais  en- 
core on  respirerait  avec  plus  de  facilité  dans  un  air  si  pur  : 

La  densité  diminuée  de  l’air,  non  moins  que  son  extrême  pureté,  donnaient 
une  respiration  grande,  libre....  11  ne  s’est  produit  aucun  des  malaises  que  cer- 
tains voyageurs  disent  avoir  éprouvés  h la  cime  de  l’Etna  ; ils  étaient  bien  plutôt 
un  effet  de  leur  mauvais  état  de  santé.  Tout  le  monde  se  portait  bien.  Dans  son 
ballon,  à la  hauteur  de  21,482  pieds,  Gay-Lussac  allait  bien.  (P.  21.) 

Le  voyageur  français  de  Gourbillon5,  qui  fit  l’ascension  le  10  oc- 
tobre 1819,  n’éprouva  rien  personnellement;  mais  il  n’en  fut  pas 
de  même  de  ses  compagnons  de  voyage  : 

M.  Wilson  avait  étrangement  souffert  ; son  visage,  naturellement  coloré,  était 
défait  et  pâle,  sinon  même  entièrement  livide.  Moins  âgé,  plus  ingambe,  et  n’ayant 
point  souffert  autant  des  exhalaisons  volcaniques  qui  avaient  produit  sur  celui-ci 

1 Voyages  dans  les  deux  Siciles,  traduction  de  G.  Toscan,  t.  ï.  — Paris,  an  VIII 

2 Descrizione  dell’ Etna. — Palermo,  1818. 

Voyage  critique  à l'Etna,  en  1819,- 1.  I. — Paris,  1820. 


78 


HISTORIQUE. 


et  sur  le  guide  même  un  effet  semblable  à celui  du  mal  de  mer,  mon  autre  com- 
pagnon de  voyage  ne  semblait  ni  plus  frais  ni  moins  empêché....  Lazare,  en  sor- 
tant du  tombeau,  n’était  pas  plus  pâle.  (P.  456.) 

De  même,  le  comte  de  Forbin1,  qui  monta  au  cratère  l’année 
suivante,  se  trouva  fort  mal  en  point  : 

J’étais  à peine  à moitié  chemin  de  la  Tour  du  Philosophe  au  sommet,  et  déjà  le 
découragement  s’emparait  de  moi.  La  raréfaction  de  l’air  rendait  la  respiration 
difficile  : plus  tard,  l'oppression  devint  extrême,  elle  agit  à un  tel  point  sur  un  de 
nos  compagnons  de  voyage  qu’il  s’évanouit.  On  le  secourut,  et  rappelant  toutes  nos 
forces,  nous  atteignîmes,  au  bout  d’une  heure  et  demie,  la  plus  haute  sommité  du 
cratère. 

Je  n’avais  ressenti  de  ma  vie  une  telle  fatigue;...  ma  première  impression  fut  de 
me  trouver  comme  un  malade,  affaibli,  troublé  par  les  terreurs  d’un  cerveau  fié- 
vreux.. . La  fatigue  des  sens,  l’exaltation  de  l’imagination,  jettent  dans  un  état 
voisin  du  délire.  (P.  175.) 

Vers  la  même  époque,  A.  de  Sayve  fit  cetfe  ascension.  Les  résul- 
tats en  ont  été  racontés  d’une  manière  fort  intéressante  par  H.  Clo- 
quet,  qui  s’en  servit  utilement  pour  prouver  l’influence  des  grandes 
hauteurs  sur  l’organisme.  Voici  dans  quels  termes  il  en  rendit 
compte  à la  Société  Philomathique2  : 

Au  mois  de  janvier  1820,  M.  H.  Cloquet  a publié  quelques  détails  sur  la  topo- 
graphie médicale  de  Mont  S1  Bernard,  et  des  réflexions  touchant  l’influence  qu’a, 
chez  l’homme,  le  séjour  sur  les  cimes  sourcilleuses  des  hautes  montagnes.  . . . 

Malgré  ces  faits,  un  célèbre  auteur  de  nos  jours,  M.  Ferrara,  a pensé  qu’il  n’y 
avait  que  les  gens  mal  portants  qui  fussent  incommodés  en  montant  au  sommet 
de  l'Etna,  en  Sicile.  Un  observateur  judicieux,  M.  Auguste  de  Sayve,  a visité  ce 
lieu  fameux  au  mois  de  mai  1821,  et  se  trouve  en  contradiction,  sous  ce 
rapport,  avec  le  savant  M.  Ferrara.  Voici  les  principaux  résultats  des  remar- 
ques qu’on  lui  doit,  résultats  que  M.  Cloquet  trouve  propres  à appuyer  ce  qu’il 
a dit 

C’est  à la  fin  de  la  région  des  neiges  que  se  trouve  la  petite  plaine  nommée 
Piano  del  frumento , au  commencement  de  laquelle  sont  les  ruines....  connues 
sous  le  nom  de  la  Tour  du  Philosophe....  Avant  même  d’arriver  à ce  point, 
M.  de  Sayve  sentait  qu’il  respirait  avec  peine  ; il  était,  malgré  le  froid,  tourmenté 
par  une  soif  très-vive  ; un  peu  de  repos  lui  rendit  ses  forces,  cependant. 

Mais  la  scène  devait  changer....  On  passe  près  d’une  maison  de  refuge,  qui  est 
au  pied  du  cône,  et  qui  est  le  bâtiment  le  plus  élevé  de  toute  l’Europe 

(9,200  pieds) Il  reste,  pour  arriver  au  sommet , un  cône  absolument  nu,  de 

1,500  pieds  d’élévation 

A mesure  que  notre  voyageur  s’élevait  sur  ce  cône  du  cratère , il  sentait  son 
malaise  augmenter,  et  était  obligé  de  s’arrêter  presque  à chaque  pas.  Il  éprouvait 
dans  tous  les  membres  une  faiblesse  extraordinaire;  il  avait  mal  au  cœur,  et  se 

1 Souvenirs  de  la  Sicile.  — Paris,  1823. 

2 Note  sür  les  effets  physiologiques  de  la  raréfaction  de  l'air  à de  grandes  hauteurs. 
— Soc.  philomathique*  p.  120-122;  1822. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — PIC  DE  TÉNÉRIFFE. 


79 


croyant  sorti  dé  l’élément  convenable  à sa  nature,  il  cherchait,  dit-il,  à aspirer  un 
peu  d’air,  qu’il  ne  trouvait  point  dans  ce  moment  critique  ; et  cependant  il  était 
dans  un  parfait  état  de  santé,  lorsqu’il  avait  commencé  son  excursion  ; son  passage 
à travers  la  région  des  neiges  ne  l’avait  que  peu  fatigué  ; on  ne  peut  donc  attribuer 
les  accidents  qu’il  a ressentis  qu’à  la  raréfaction  de  l’air. 

M.  Aubert-du-Petit-Thouars....  a raconté  à l’auteur  qu’il  avait  éprouvé  des  sym- 
ptômes analogues , et  surtout  une  grande  défaillance  d’estomac,  en  gravissant  la 
montagne  de  l’ile  de  Bourbon,  appelée  le  Bénard.  M.  Cloquet,  d’ailleurs,  a éprouvé 
lui-même  des  accidents  de  ce  genre,  lorsque,  dans  les  Alpes,  il  est  parvenu  à une 
certaine  hauteur.  

M.  de  Sayve  avait  avec  lui  un  compagnon  quifut  encore  bien  plus  gravement  incom- 
modé ; et  nous  savons  que  l’infortuné  Dolomieu,  dans  la  même  ascension,  fut  aussi 
atteint  de  symptômes  semblables  à ceux  que  nous  venons  de  signaler 

Ces  divers  malaises  sont  assez  variés  et  commencent  à se  manifester  plus  tôt 
chez  certaines  personnes  que  chez  d’autres  ; mais  on  ne  saurait  les  attribuer  à la 
fatigue;  celle-ci  n’a  jamais  de  pareilles  conséquences  dans  les  montagnes  qui  ont 
moins  de  1,000  toises  d'élévation. 

Ils  se  montrent,  du  reste,  également,  et  chez  les  animaux  et  chez  l’homme. 

Je  ne  pousserai  pas  plus  loin  ces  citations.  Les  auteurs  plus  ré- 
cents montrent  les  memes  inégalités  d’appréciation,  et  la  plupart 
ne  disent  rien  des  troubles  physiologiques.  Ce  que  j’ai  rapporté  suf- 
fit pour  montrer  que  l’Etna  est,  si  l’on  peut  ainsi  parler,  une  mon- 
tagne limite , dans  l’ascension  de  laquelle  beaucoup  de  personnes 
n’éprouvent  aucun  phénomène  fâcheux,  d’autres  se  trouvant,  au 
contraire,  plus  ou  moins  malades.  Les  premiers  symptômes  de 
malaise  étant  précisément  ceux  d’une  fatigue  excessive,  il  en  résulte 
que  les  difficultés  de  l’ascension  du  cône  suffisent  pour  tout  expli- 
quer aux  yeux  de  la  plupart  des  voyageurs  ; quelques-uns  mettent 
le  compte  de  l’oppression  sur  des  exhalaisons  nuisibles  venant  du 
volcan  par  les  fissures  innombrables  du  sol.  Il  n’est  donc  pas  éton- 
nant qu’avant  la  constatation  du  malaise  propre  aux  montagnes, 
dans  le  massif  des  Andes,  on  n’ait  rien  signalé  d’extraordinaire 
dans  les  ascensions  à l'Etna. 

g 4.  — Pic  de  Ténériffe. 

Retrouvées  au  quatorzième  siècle  par  des  navigateurs  français, 
les  îles  Canaries  furent  conquises  au  quinzième  siècle  par  les 
Espagnols.  Mais  pendant  longtemps  personne  n’osa  tenter  l’ascen- 
sion du  volcan,  dont  le  sommet  paraît  d’autant  plus  élevé  que  son 
pied  plonge  dans  la  mer. 

Les  appréciations  les  plus  étranges  et  les  plus  exagérées  étaient 


80 


HISTORIQUE. 


mises  eu  avant  sur  reslimalion  de  sa  hauteur.  Selon  TJi.  Niçois1, 
elle  n’élait  pas  de  moins  de  15  lieues;  Riccioli  et  Kircher  l’eslimè- 
rerit  à dix  milles  italiens  : en  réalité,  elle  est  de  571 6m. 

Le  premier  récit  d’ascension2 *  que  nous  ayons  rencontré  est  celui 
d’un  voyage  exécuté  en  1G52  par  quelques  « marchands  considéra- 
bles et  hommes  de  grand  crédit  » : ils  furent  notablement  frappés 
par  rintlucrice  de  l’air  raréfié  : 


Nous  commençâmes  à six  heures  du  matin  à faire  l’ascension  du  Pic 

Quelques-uns  de  notre  compagnie  devinrent  1 rès— faib les  et  malades,  et  furent 

atteints  de  diarrhées,  vomissements  et  tremblements  fiévreux Un  de  nous 

se  trouva  mal,  et  ne  put  aller  plus  loin  en  avant.  (P.  201 .) 


Le  célèbre  Robert  Bovlc 5 a recueilli  un  récit  analogue,  dans  le- 
quel l’action  de  l’air  dilaté  est,  comme  il  arrive  souvent  pour  les 
ascensions  des  volcans,  confondue  avec  celle  des  émanations  ter- 
restres : 


Je  demandai  un  jour  à un  homme  intelligent  qui  avait  vécu  plusieurs  années  à 
Ténériffe,  s’il  était  monté  au  sommet  du  Pic,  et  ce  qu’il  avait  éprouvé.  11  me  répon- 
dit qu’il  y avait  essayé,  que  plusieurs  de  ses  compagnons  avaient  pu  terminer 
l’ascension,  mais  que,  quant  à lui  et.  quelques  autres.  Pair  vit  et  les  exhalations 
sulfureuses  les  rendirent  si  malades  qu’ils  les  arrêtèrent  beaucoup  moins  haut. 
L’effet  de  ces  vapeurs  était  tel  que  sa  peau  devint  jaune-pâle,  et  que  ses  cheveux 
furent  décolorés.  (P.  2059.) 

Tous  les  voyageurs  rf éprouvèrent  pas  les  mêmes  effets,  et,  sui- 
vant l’usage,  ceux  qui  furent  exempts  de  malaises  se  laissent 
entraîner  à nier  ce  qu’ont  rapporté  leurs  prédécesseurs  moins 
heureux. 

Edens4,  qui  monta  sur  le  Pic  en  1715,  s’exprime  ainsi  : 

Ce  qu’on  a dit  sur  la  difficulté  de  respirer  au  sommet  du  Pic  semble  erroné; 
nous  y respirions  aussi  bien  que  dans  le  bas;  nous  y primes  notre  déjeuner. 
(P.  180.) 

1 « Au  milieu  d’icelle  on  voit  une  montagne  grandement  droite  et.  ronde  qu’ils  appel- 
lent Pico  de  Teitlie,  dont  la  situation  est  telle  : sa  pointe  est  fort  droite  et  contient  en 
hauteur  15  grandes  lieues,  qui  reviennent  à plus  de  45  milles  anglais.  » Description 
des  Canaries,  par  l'Anglais  Niçois  ou  Midnnl  ; in  Traité  de  la  navigation , par  Pierre 
Bergeron,  préface  des  I oyages  f ails  en  Asie  dans  les  douzième,  treizième,  quatorzième 
et  quinzième  siècles,  t.  I,  p.  119. — fa  Haye,  1755. 

2 A Iieta/ion  of  llie  Pico  Ténériffe  r'cceived  from  sonie  considérable  merchanls  and 
men  worihg  of  crédit,  who  ment  to  the  l'op  of  il.  — Jlislorg  of  the  Royal  Society  of 
London , bg  Th.  Sprat,  5e  éd.  — London,  1722,  p.  200-213. 

5 Philos.  Transac.,  12  sept . 1070.  Vol.  XXIX,  p.  517  525,  1717. 

4 An  Account  of  a journey  front  the  port  ofOralava  in  the  1 stand,  of  Tcncriff,  to  the 

Top  of  the  Die  in  August  1715.  Mem.  of  the  Dogal  Soc.  of  London , 2°  é<i.,  vol.  VI, 
p.  172-177.  — London,  1745. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — PIC  DE  TÉNÉRIFFE. 


Si 


Le  Père  Feuilléc1,  le  51  juillet  1724,  fit  l’ascension  du  Pic;  il  ne 
dit  rien  qui  puisse  nous  intéresser. 

G.  Glas 2 fut  moins  favorisé  : 

Nous  arrivâmes,  dit-il  en  effet,  au  pied  du  pain  de  sucre Bien  que  sa  lon- 

gueur ne  soit  guère  que  d’un  demi -mille,  nous  fûmes  obligés  de  nous  arrêter  pour 
respirer,  je  crois,  quarante  fois,  et  quand  nous  fûmes  arrivés  au  sommet,  nous  res- 
tâmes bien  un  quart  d’heure  avant  de  nous  remettre  (p.  255). 

Il  en  fut  de  même  des  savants  que  Labillardiôre 3 avait  emmenés 
dans  son  voyage  à la  recherche  de  la  Pérouse  : 

Les  citoyens  Riche  et  Clavier,  dit-il,  avaient  entrepris,  un  jour  après  nous, 
(Labillardière,  qui  fit  l’ascension  le  17  octobre  1791  ne  parle  d’aucune  sensation 
fâcheuse),  le  voyage  du  Pic;  mais  ces  deux  naturalistes  n’eurent  pas  le  plaisir  de 
monter  jusqu'au  sommet;  ils  en  étaient  encore  bien  éloignés  lorsque,  leurs  pou- 
mons ne  pouvant  s’accoutumer  d’un  air  trop  raréfié,  ils  crachèrent  le  sang  et 
furent  obligés  de  renoncer  à leur  entreprise  (T.  I,  p.  27). 

Il  est  vrai  que,  selon  Bory  Saint-Vincent \ 

Riche  avait,  une  très-faible  santé  et  une  fort  mauvaise  poitrine....  Il  est  mort  des 
suites  de  son  voyage,  peu  après  son  retour  en  France.  (P.  182.) 

De  IJumboldt5  (ascension  du  21  juin  1799)  ne  dit  absolument 
rien  des  troubles  physiologiques. 

Le  célèbre  géologue  Cordier0,  qui  monta  sur  le  Pic,  le  16  avril 
1805,  s’occupe  de  ces  troubles,  mais  pour  les  nier  ou  à peu  près  : 

Ce  qu'on  a dit  de  la  vivacité  du  froid,  et  de  la  difficulté  de  respirer  sur  le 

Pic,  n’est  pas  exact.  Au  reste,  j’ai  déjà  éprouvé  plusieurs  fois  que  l’opinion  généra- 
lement reçue  à cet  égard  est  plus  qu’exagérée;  je  vous  assure  que  le  froid  était 
très-supportable que  la  rareté  de  l’air  ne  nous  incommodait  nullement,  quoi- 

qu’elle nous  eût  forcé  à faire  des  poses  assez  fréquentes  en  approchant  du  som- 
met. (P.  61). 

L’illustre  Léopold  de  Buch,  dans  le  récit  de  ses  ascensions  du 

1 Mêm.  acad.  des  sciences  de  Paris  pour  1746,  p.  140-142. 

2 The  History  of  liic  Discovery  and  Conquest  of  the  Canary  Islands.  — London,  1764. 

3 Relation  d’un  voyage  à la  recherche  de  la  Pérouse , fait  par  ordre  de  l’Assemblée 
constituante,  pendant  les  années  1791-1792  et  pendant  la  première  et  la  deuxième  année 
de  la  République  française.  — Paris,  an  VIII. 

4 Essais  sur  les  isles  Fortunées  et  T antique  Atlantide.  — Paris,  germinal  an  XI. 

0 Voyage  aux  régions  équinoxiales  du  nouveau  continent , t.  I,  p.  123-145.  — Paris, 
1814. 

6 Lettre  au  citoyen  Devilliers  fils.  — Journal  de  phys .,  de  chim.  et  d'hist . nat., 

t.  LYII,  p.  55-65;  1803. 


6 


82 


HISTORIQUE. 


18  et  du  27  mai  1815  1 , ne  leur  donne  pas  une  place  plus  impor- 
tante : 

La  montée  devient  plus  difficile  depuis  VEstancia  de  los  Ingleses . . . . Malgré  cela, 
les  difficultés  ne  sont  pas  comparables  à celles  d’une  ascension  à la  cime  de  l’un 

des  pics  couverts  de  neige  des  Alpes Arrivés  au  cratère,  nous  vîmes  tout  à 

coup  paraître  vis-à-vis  de  nous  Mrae  Hammond,  écossaise,  avec  ses  compagnons  de 
voyage.  C’était  la  première  femme  qui  fût  jamais  montée  jusqu’à  cette  cime  (P.  4). 

Le  27  mai  nous  montâmes  de  nouveau  au  Pic  (P.  5). 

La  narration  de  Dumont  d’Urville2  est  très-intéressante  dans  sa 
brièveté.  Il  passa  la  nuit,  en  juin  1826,  kVEstancia  de  los  Imjleses  : 

L’air  était  très-pur,  dit-il,  je  n’éprouvai  aucun  de  ces  violents  malaises  et  de 
ces  suffocations  ressenties  par  divers  voyageurs.  M.  Quoy  seul  souffrit  des  maux 
d’estomac,  et  M.  Gaimard  dormit  toute  la  nuit  sans  rien  éprouver Le  lende- 

main, en  approchant  du  Pain-de-Sucre,  nous  étions  fréquemment  obligés  de  faire 
halte  pour  reprendre  haleine....  Nous  déjeunâmes  avec  gaieté  à la  cime  du  Piton. 
(P.  37). 


Lors  de  son  second  voyage,  en  octobre  1857,  les  officiers  de 
Y Astrolabe  et  de  la  Zélée  firent  l’ascension  du  Pic.  Dumont  d’Ur- 
ville3 rend  compte  onces  termes  de  leurs  sensations  : 

Conformément  à mes  observations  en  1826,  MM.  Dumoulin  et  Coupvent  ont  remar- 
qué  l’engourdissement  des  extrémités  du  corps.  Durant  la  nuit,  le  thermo- 

mètre est  descendu  à — 0,5.  MM.  Dubouzet,  Dumoulin  et  Coupvent  ont  ressenti  des 
maux  de  tète  assez  prononcés,  surtout  ce  dernier  (P.  52). 

Le  chirurgien  le  Guillou4,  en  rendant  compte  de  la  même  ascen- 
sion, dit  : 

Plusieurs  de  nos  camarades  se  virent  sujets  à un  singulier  phénomène  : ils  sai- 
gnèrent copieusement  du  nez,  et  nous  fûmes  forcés  de  faire  halte  quelques  in- 
stants. (P.  29.) 

Le  18  septembre  1842,  ascension  de  M.  Charles  Sainte-Claire  De- 
ville5  ; il  ne  dit  pas  un  mot  des  troubles  physiologiques. 

Itier6,  qui  monta  sur  le  Pic  le  28  décembre  1845,  attache  plus 


1 Description  physique  des  îles  Canaries.  Trad.  Boulanger.  — Paris,  1836, 

2 Voyage  de  V Astrolabe,  exécuté  pendant  les  années  1826-27-28-29.  Histoire  dit 
Voyage,  t.  I;  Paris,  1850. 

5 Voyage  au  Dole  Sud,  t.  I.  — Paris,  1841. 

4 Voyage  autour  du  monde  de  P Astrolabe  et  de  la  Zélée,  sous  les  ordres  de  Dumont 
d’Urville.  Paris,  1842. 

5 Voyage  géologique  aux  Antilles  et  aux  iles  de  Ténériffe  et  de  Fogo. — Paris,  1848  ; 
t.  I,  p.  65-79. 

0 Journal  d'un  voyage  eu  Chine  en  1843,  1844, 1845, 1846.  — Paris,  1848,  3 vol. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  - PIC  DE  TÉNÉRIFFE.  85 

d’importance  que  ses  prédécesseurs  aux  souffrances  qu’il  éprouva  : 

Nous  quittions  FEstancia  d’Ariba  (3104m),  et  nous  gravissions  à pied  Fespèce  de 
sentier  qui  serpente  entre  deux  coulées  d’obsidienne;  la  marche  est  pénible  dans 
ces  fragments  de  pierre  ponce  mêlés  de  cendres  qui  cèdent  sous  le  pied;  d’ailleurs 
le  soleil  commence  à devenir  incommode,  et  l’effet  de  la  raréfaction  de  l’air  ne 
tarde  pas  à s’ajouter  à la  fatigue  de  nos  efforts.  Mon  cœur  bat  violemment  dans 
ma  poitrine,  et  les  artères  de  mon  cerveau  prennent  part  à ce  mouvement  désor- 
donné; la  douleur  de  tête  qu’il  occasionne  m’oblige  souvent  à m’arrêter  ; mon  com- 
pagnon, moins  habitué  que  moi  aux  montagnes,  subit  bien  plus  fortement  encore 
l’influence  de  cette  situation  ; il  s’arrête  tous  les  dix  pas  suffoqué,  anéanti. 
(T.  I,  p.  28). 

Je  citerai,  enfin,  la  narration  que  reproduit,  d’après  les  notes 
d’un  voyageur,  madame  Elizabeth  Murray,  artiste  anglais1,  d’une 
ascension  du  Pic,  faite  en  août,  par  quatre  Anglais  et  un  Améri- 
cain : 

Nous  établîmes  notre  bivouac,  pour  passer  la  nuit,  à la  Estancia  de  los  Ingleses, 
à 9955  pieds  de  hauteur.  (T.  II,  p.  120.) 

Un  des  nôtres  fut  pris  de  faiblesse  extrême,  de  frissons  et  de  violentes  douleurs 
de  tête  ; nous  le  couvrîmes  avec  des  couvertures,  nous  allumâmes  un  bon  feu,  et 
la  chaleur,  jointe  à l’administration  de  quelques  spiritueux,  le  remit  en  partie. 
(P.  121.)  

Il  se  faisait  tard,  et  nous  nous  étendîmes  sur  le  sol,  enveloppés  dans  nos  cou- 
vertures. Peu  de  temps  après,  mon  compagnon  de  droite  se  leva  et  se  plaignit 
vivement  de  froid  extrême,  de  douleurs,  de  malaises  d’estomac.  Nous  le  mîmes, 
près  du  feu,  et  lui  donnâmes  de  l’eau  et  de  l’eau-de-vie  chaude. 

11  commençait  à nous  permettre  de  nous  reposer,  quand  mon  voisin  de  gauche 
fut  attaqué,  puis  traité  de  la  même  manière.  Tous  deux  éprouvèrent  à un  haut 
degré  les  inconvénients  connus  des  voyageurs  en  mer  ; ces  accidents  ne  sont  pas 
rares  sur  le  Pic;  on  les  attribue  quelquefois  aux  exhalaisons  sulfureuses,  mais  je 
pense  qu'ils  sont  plutôt  causés  par  la  rareté  de  l’air.  En  tous  cas,  nous  ne  sen- 
tions aucune  odeur  de  soufre. 

De  nous  quatre,  mon  ami  l’Américain  et  moi  furent  les  seuls  qui  n’éprouvè- 
rent rien.  (P.  125.) 

Avant  d’arriver  à la  Rambleta  (11680p),  beaucoup  d’entre  nous  souffrirent  plus 
ou  moins  de  la  difficulté  de  respirer.  Un  de  mes  compagnons,  en  particulier,  ne 
pouvait  faire  plus  de  huit  à dix  pas  sans  s’arrêter,  nous  forçant  ainsi  à l’attendre. 
(P.  126.) ^ 

Après  un  grand  nombre  de  haltes  nécessaires  pour  reprendre  notre  respiration, 
nous  arrivâmes  au  sommet.  (P.  128.) 

Nous  repassâmes  par  « le  Mal  Pais  » , dont  la  descente  fut  aussi  désagréable  que 
la  montée,  avec  cette  différence  que  notre  respiration  était  beaucoup  plus  libre. 
(P.  156.) 

En  résumé,  le  Pic  de  Ténériffe  est,  comme  l’Etna,  une  montagne 
limite,  dans  l’ascension  de  laquelle  beaucoup  de  voyageurs  n’éprou- 

1 Sixteen  years  of  an  artist’s  life  in  Marocco,  Spain,  and  the  Canary  Islands 
2 vol.  London,  1859. 


84 


HISTORIQUE. 


vent  rien  de  notable,  ceux  qui  sont  malades  ne  l’étant  qu’à  un  fai- 
ble degré. 

g 5.  — Alpes. 


Ce  n’est  qu’à  la  fin  du  siècle  dernier  que  des  ascensions  furent 
faites  dans  les  Alpes,  à des  hauteurs  suffisantes  pour  amener  des 
troubles  physiologiques.  Jusqu’au  chanoine  Bourrit  et  à l’illustre 
de  Saussure,  à peine  quelques  chasseurs  de  chamois  s’étaient-ils 
aventurés  au-delà  des  limites  de  la  neige  perpétuelle.  Le  massif  du 
mont  Blanc,  aujourd’hui  sillonné  en  tous  sens,  chaque  année,  par 
des  centaines  de  touristes,  portait  le  nom  significatif  de  monts 
Maudits;  au  dix-septième  siècle,  l’évêque  d’Annecy,  Jean  d’Aran- 
thon1,  vinl  en  exorciser  les  glacières,  qui  se  retirèrent  docilement 
après  sa  bénédiction.  Des  sommets  rivaux  du  mont  Bose,  de  la  Jun- 
gfrau, il  n’était  nulle  question.  Les  cols  principaux  étaient  fré- 
quentés depuis  l’antiquité  romaine;  bien  des  armées  les  avaient 
traversés;  l’hospice  du  grand* Saint-Bernard  était  fondé  depuis  la 
fin  du  dixiéme  siècle,  mais  personne  n’avait  songé  à risquer  sa  vie 
dans  l’ascension  d’un  des  innombrables  sommets  qui  dominent  les 
belles  vallées  alpestres  : en  1740,  les  premiers  Anglais  arrivent  au 
Montanvert  ! 

Cependant,  on  n’ignorait  pas  que  les  voyageurs  souffraient  par- 
fois, dans  la  traversée  des  Alpes,  d’accidents  pulmonaires.  Haller 
s’en  occupe,  comme  nous  le  verrons  au  chapitre  consacré  à l’expo- 
sition des  explications  théoriques;  il  parle  même  d’hémoptysies 
observées  par  Scheuchzer  : « ut  in  prirnis  in  J.  Sch.  triste  cxemplum 
exstat 2.  » Je  n’ai  pu  me  procurer  le  travail  de  ce  géographe  alle- 
mand3; mais  d’après  Meyer -Ahrens *,  il  n’aurait  éprouvé  que  de 
l’oppression  et  des  menaces  (Vorboten)  d’hémorrhagie. 

Le  premier  voyageur  qui  nous  ait  rendu  compte  d’impres- 
sions personnelles  fâcheuses,  le  second  qui  ait  fait  l’ascension,  au- 
jourd’hui si  vulgaire,  du  Buet  (51 1 0m)  est  le  chanoine  Bourrit5.  A 
cette  hauteur  médiocre,  il  éprouva  de  curieux  accidents  : 


En  1 7 7 G , je  partis  de  Genève  dans  le  dessein  de  monter  sur  le  Buet:  c’était  la 


1 Vie  de  Jean  d'Arantlion  d'Alex , evêque  de  1060  à 1G95;  Lyon,  1767.  — Citée  dans 
le  Guide-itinéraire  du  Mont-Blanc,  de  Y.  Payot.  — Genève,  1800;  p.  101. 

2 Elementa  physiologiœ,  t.  111,  p.  107.  — Lauzanne,  1761 . 

5 Disquisitiones  physicœ  de  meteoris  aqueis.  Bars  prima.  Tiyuri.  1780. 

4 Die  Bergkrankheil.  — Leipzig-,  1854,  p.  71. 

0 Nouvelle  description  des  ylacicrcs  cl  glaciers  des  Alpes,  2eéd.  — Genève,  5 vol.;  1785, 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ALPES. 


85 


deuxième  fois  que  j’allais  sur  cette  montagne;...  j’avais  le  corps  bien  disposé.... 
Nous  arrivâmes  sur  le  sommet  tous  trois  bien  portants....  Après  dix  minutes  d’une 
station  tranquille,  je  me  sens  un  engourdissement  aux  bras,  aux  jambes,  bientôt 
je  n’ai  pas  la  force  de  me  tirer  moi-même  de  cet  état;  et  j’étais  déjà  sans  connais- 
sance, lorsque  mes  compagnons  m’en  arrachèrent  ; ils  me  descendirent  jusqu’aux 
premières  roches  du  glacier.... 

L’année  suivante,....  j’y  arrive  par  le  plus  beau  temps  ;....  je  me  mets  à des- 
siner, et  charge  mon  guide  du  soin  de  me  couvrir  de  mon  parasol.  Au  ! ont  de 
15  minutes,  j’aperçus  qu'il  le  tenait  fort  mal;....  qu’on  juge  de  ma  surprise  en 
voyant  cet  homme  aussi  blanc  que  la  neige....  et  les  yeux  presque  sans  mouve- 
ment; je  n’eus  rien  de  plus  pressé  que  de  le  tirer  de  ce  sommet  si  funeste 

Enfin,  en  1777,...  M.  Saint-Ours....  fut  témoin  d’un  semblable  accident  sur  le 
sommet  du  Buel....  (T.  II,  p.  94.) 

Bourrit  parait  du  reste  avoir  été  fort  sujet  aux  syncopes;  il  en  rap- 
porte deux  autres,  l’une  sur  le  glacier  même  duBuet,  en  marchant 
(t.  111,  p.  198),  l’autre  dans  sa  tentative  pour  monter  au  mont  Blanc, 
le  11  septembre  1784  (t.  III,  p.  500  et  504). 

A une  hauteur  moindre  encore,  au  couvent  du  grand  Saint-Ber- 
nard (2450m),  un  voyageur  du  meme  temps,  Laborde,  éprouvait  des 
accidents  analogues,  bien  que  notablement  moins  intenses  : 

Le  ciel  était  pur  lorsque  nous  arrivâmes  tout-à-fait  au  couvent  du  grand  Saint- 
Bernard  (50  juillet  1777). 

11  serait  difficile  d’exprimer  les  diverses  sensations  qu’on  éprouve  à la  fois  ; 
la  première  qui  se  fait  démêler  est  un  saisissement  occasionné  par  une  gène 
dans  la  respiration;  il  semblait  que  les  poumons' n’avaient  pas  leur  élasticité 
ordinaire  et  manquaient  de  capacité  pour  contenir  l’air  aspiré:  la  différence  de 
celui  qu’on  respire  à une  pareille  hauteur  doit  être  très-sensible  pour  ceux  qui 
ne  sont  accoutumés  qu’à  l’air  des  plaines,  il  y est  plus  raréfié  et  plus  pur  parce 
qu’il  est  moins  chargé  de  vapeurs,  (Discours  sur  l’histoire  naturelle  de  la  Suisse, 
p.  VIH). 

Ces  quelques  citations  nous  amènent  aux  célèbres  récits  de  de 
Saussure  ; les  souffrances  éprouvées  à des  hauteurs  bien  faibles  à 
côté  de  ce  mont  Blanc,  dont  il  osa  tenter  et  opérer  l’escalade, 
font  encore  ressortir  l’intrépidité  qu’il  dut  déployer  dans  cette 
hardie  entreprise.  Le  chanoine  Bourrit,  en  déclarant,  comme  nous 
le  verrons  au  chapitre  111,  qu’il  serait  difficile,  pour  ne  pas  dire 
impossible,  de  vivre  longtemps  au  sommet  du  mont  Blanc,  n’avait 
fait  que  traduire,  sous  une  forme  un  peu  adoucie,  une  opinion 
universellement  répandue  parmi  les  montagnards. 

Be  Saussure,  lorsqu’il  exécuta  l’ascension  du  mont  Blanc,  y était 
préparé  par  de  nombreuses  courses  failes,  chaque  année,  dans  les 

1 Tableaux  topographiques } etc de  la  Suisse , t.  I.  — Paris,  1780. 


80 


HISTORIQUE. 


hautes  montagnes.  Or,  à des  hauteurs  assez  médiocres,  il  avait  déjà 
éprouvé  des  accidents  cpii  avaient  attiré  son  attention.  Dans  le  récit 
de  son  ascension  du  Buet,  faite  le  15  juillet  1778  en  compagnie  de 
Pictet,  il  en  donne1  une  indication  très-nette  : 

La  rareté  de  l’air,  dès  que  l’on  passe  la  hauteur  de  treize  à quatorze  cents 
toises  au-dessus  de  la  mer,  produit  sur  nos  corps  des  effets  très-remarquables. 

L’un  de  ces  elfets,  c’est  que  les  forces  musculaires  s’épuisent  avec  une  extrême 
promptitude  (t.  I,  p.  482) 

Un  autre  effet  de  cet  air  subtil,  c’est  l’assoupissement  qu’il  produit.  Dès  qu’on 
s’est  reposé  pendant  quelques  instants  à ces  grandes  hauteurs,  on  sent,  comme 
je  l’ai  dit,  les  forces  entièrement  réparées  ; l’impression  des  fatigues  précédentes 
semble  même  totalement  effacée  ; cependant  on  voit,  en  peu  d’instants,  tous  ceux 
qui  ne  sont  pas  occupés  s’endormir,  malgré  le  vent,  le  froid,  le  soleil,  et  souvent 
dans  des  attitudes  très-incommodes.  La  fatigue  sans  doute,  même  dans  les  plai- 
nes, provoque  le  sommeil  ; mais  non  pas  avec  tant  de  promptitude,  surtout  lors- 
qu’elle semble  absolument  dissipée,  comme  elle  paraît  l’être  sur  les  montagnes, 
dès  que  l’on  a pris  quelques  moments  de  repos. 

Ces  effets  de  la  subtilité  de  l’air  m’ont  paru  très-universels  ; quelques  person- 
nes y sont  moins  sujettes,  les  habitants  des  Alpes  par  exemple,  habitués  à vivre 
et  à agir  dans  cet  air  subtil,  en  paraissent  moins  affectés  ; mais  ils  n’échappent 
point  entièrement  à son  action.  On  voit  les  guides,  qui  dans  le  bas  des  monta- 
gnes peuvent  monter  des  heures  de  suite  sans  s’arrêter,  être  forcés  à reprendre 
haleine  à tous  les  cent  ou  deux  cents  pas,  dès  qu’ils  sont  à la  hauteur  de  quatorze 
ou  quinze  cents  toises,  et  dès  qu’ils  s’arrêtent  pendant  quelques  moments,  on  les 
voit  aussi  tomber  dans  le  sommeil  avec  une  promptitude  étonnante.  Un  de  nos 
guides,  que  nous  faisions  tenir  debout  au  haut  du  Buet  avec  un  parasol  à la  main, 
pour  que  le  magnétomètre  fût  à l’ombre  pendant  que  M.  Trembley  l’observait, 
s’endormait  à chaque  instant  malgré  les  efforts  que  nous  faisions  et  qu’il  faisait 
lui-même  pour  combattre  cet  assoupissement.  Et  dans  mon  premier  voyage  au 
Buet,  Pierre  Simon,  qui  s’était  fourré  dans  une  crevasse  de  neige  pour  se  mettre 
à l’abri  d’une  bise  froide  qui  nous  incommodait  beaucoup,  s’y  endormit  profon- 
dément. 

Mais  il  y a des  tempéraments  que  cette  rareté  de  l’air  affecte  bien  plus  forte- 
ment encore.  On  voit  des  hommes,  d’ailleurs  très- vigoureux,  saisis  constamment 
à une  certaine  hauteur  par  des  nausées,  des  vomissements  et  même  des  défail- 
lances, suivis  d’un  sommeil  presque  léthargique.  Et  tous  ces  accidents  cessent 
malgré  la  continuation  de  la  fatigue,  dès  qu’en  descendant  ils  ont  regagné  un  air 
plus  dense. 

Heureusement  pour  le  progrès  de  la  physique,  M-  Pictet  n’est  pas  affecté  à ce 
degré  extrême  par  la  subtilité  de  l’air,  il  l’est  cependant  plus  que  le  commun  des 
hommes  ; car,  quoiqu’il  soit  très-fort,  très-agile  et  bien  exercé  à grimper  les 
montagnes,  il  se  trouve  toujours  saisi  d’une  espèce  d’angoisse,  d’un  léger  mal  de 
cœur  et  d’un  dégoût  absolu,  dès  qu’il  arrive  à la  hauteur  de  1400  toises  au-des- 
sus de  la  mer.  Pour  moi,  je  n’en  ressens  d’autre  effet  que  d’être  obligé  de  me  repo- 
ser très-fréquemment,  quand  je  monte  des  pentes  rapides  à ces  grandes  élévations. 
J’en  faisais  encore  l’épreuve  dans  cette  dernière  course  sur  le  Buet.  Lorsque  nous 
gravissions  la  pente  couverte  de  neige  ramollie,  qui  couronnait  la  montagne,  je 

- Voyage  dans  les  Alpes,  4 vol.  Genève;  178(5-1796. 


87 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ALPES. 

ne  pouvais  absolument  pas  faire  sans  m’arrêter  plus  de  cinquante  pas  de  suite,  et 
M.  Pictet,  plus  sensible  que  moi  à cet  effet  de  la  rareté  de  l’air,  comptait  les  pas 
de  son  côté  sans  m’en  rien  dire,  et  trouvait  qu’il  ne  pouvait  pas  en  faire  plus  de 
quarante  sans  reprendre  haleine  (P.  485-85). 

Mais  cela  n’était  rien  à côté  de  ce  qu’il  allait  observer  dans  son 
voyage  au  mont  Blanc.  Déjà  plusieurs  tentatives  avaient  été  faites 
pour  atteindre  au  sommet  de  cette  colossale  montagne.  De  Saus- 
sure nous  a conservé  le  récit  de  ces  essais  infructueux,  et  il  est  évi- 
dent que  les  accidents  physiologiques  éprouvés  par  les  auteurs  de 
ces  tentatives  furent  pour  beaucoup  dans  leur  échec  : 

g 1105.  En  1775,  quatre  guides  de  Chamounix  tentèrent  d’y  parvenir  par  la 

montagne  de  la  Côte Tout  paraissait  leur  promettre  le  plus  heureux  succès;.... 

mais  la  réverbération  du  soleil  sur  la  neige  et  la  stagnation  de  l’air  dans  une 
grande  vallée  de  neige  qui  semblait  les  conduire  directement  à la  cime  de  la 
montagne,  leur  fit  éprouver,  à ce  qu’ils  ont  dit,  une  chaleur  suffocante,  et  leur 
donna  en  même  temps  un  tel  dégoût  pour  les  provisions  dont  ils  s’étaient  munis, 
qu’excédés  d’inanition  et  de  lassitude,  ils  revinrent  sur  leurs  pas.  (T.  II,  p.  550.) 

§1104.  En  1785,  trois  autres  guides  firent  la  même  entreprise,  par  le  même  che- 
min. Ils  allèrent  passer  la  nuit  au  haut  de  la  montagne  de  la  Côte,  traversèrent  le 
glacier,  et  suivirent  la  même  vallée  de  neige.  Ils  étaient  déjà  assez  haut  et  marchaient 
courageuseusement  en  avant,  lorsque  l’un  d’entre  eux,  le  plus  hardi  et  le  plus 
robuste  des -trois,  fut  saisi  presque  subitement  par  une  envie  de  dormir  absolu- 
ment insurmontable  : il  voulait  que  les  deux  autres  le  laissassent  et  continuassent 
sans  lui;  mais  ils  ne  purent  pas  se  résoudre  à l’abandonner  et  à le  laisser  dormir 
sur  la  neige,  persuadés  qu’il  serait  mort  d’un  coup  de  soleil  ; ils  renoncèrent  à 
leur  entreprise  et  revinrent  à Chamounix.  Car  ce  besoin  de  sommeil,  produit  par 
la  rareté  de  l’air,  cessa,  dès  qu’en  descendant,  on  l’eut  ramené  dans  une  atmo- 
sphère plus  dense La  chaleur  les  incommodait  tous  excessivement;  ils  étaient 

sans  appétit;  le  vin  et  les  vivres  qu’ils  portaient  n’avaient  aucun  attrait  pour 
eux. 

Le  15  septembre  1785,  de  Saussure  lui-même  tenta  l’ascension 
avec  M.  Bourrit  et  son  fils.  Il  alla  coucher  à la  cabane  (1422  toises)  : 

§ 1112.  M.  Bourrit  et  son  fils,  encore  plus  que  lui,  furent  un  peu  incommodés 
par  la  rareté  de  l’air;  ils  digérèrent  mal  leur  dîner,  et  ne  purent  point  souper, 
four  moi,  que  l’air  rare  n’incommode  point  quand  je  ne  fais  dans  cet  air  aucun 
exercice  violent,  je  passai  là  une  excellente  nuit. 

Le  lendemain  il  s’éleva  jusqu’à  1900*  ; la  neige  l’arrêta. 

Mais  l’ascension  du  mont  Blanc  était  devenue  chez  lui  une  idée 
dominante.  L’année  suivante,  il  chargea  Pierre  Balmat  d’aller  con- 
struire une  cabane  au  pied  de  quelqu’une  des  crêtes  de  l’aiguille  du 
Bouté,  afin  de  s’y  reposer  pour  chercher  ensuite  à monter  au  som- 
met du  mont  Blanc  : 


88 


HISTORIQUE. 


§ ] 965.  Tour  exécuter  ce  projet,  Pierre  Balmat,  Marie  Coutet  et  un  autre  guide, 
le  9 juin  1 780 . . . . parvinrent,  quoiqu’avec  beaucoup  de  peine,  au  sommet  de 
l’aiguille  du  Goûté,  après  avoir  été  tous  excessivement  malades  de  fatigue  et  de 
la  rareté  de  l’air.  (T.  IV,  p.  158). 

C’est  à la  suite  de  celle  course  que  Jacques  Balmat,  qui  avait  re- 
joint ses  compatriotes  et  qui  passa  la  nuit  dans  la  montagne,  trouva 
la  route  du  mont  Blanc  par  le  Corridor  : 


§ 1965.  Cette  route  avait  déjà  été  tentée,  mais  on  s’en  était  dégoûté  par  une  singu- 
lière prévention.  Comme  elle  suit  une  espèce  de  vallée  entre  des  hauteurs,  on  s’était 

imaginé  qu’elle  était  trop  chaude  et  trop  peu  aérée La  fatigue  et  la  rareté  de  Pair 

donnèrent  à ceux  qui  firent  les  premières  tentatives  cet  accablement  dont  j’ai 
souvent  parlé  ; ils  attribuèrent,  ce  malaise  à la  chaleur  et  à la  stagnation  de  l’air  et 
ils  ne  cherchèrent  plus  à atteindre  la  cime  que  par  des  arêtes  découvertes  et 
isolées. 

Les  gens  de  Chamounix  croyaient  aussi  que  le  sommeil  serait  mortel  dans  ces 
grandes  hauteurs;  mais  l’épreuve  qu’en  fit  Jacques  Balmat,  en  y passant  la  nuit, 
dissipa  cette  crainte.  (T.  IV,  p.  140). 

11  ne  semble  pas  que  le  récit  donné  par  de  Saussure  de  la  décou- 
verte de  Jacques  Balmat  soit  exactement  véridique.  L’illustre  physi- 
cien genevois  paraît  avoir  été  induit  en  erreur  par  ses  guides  de 
prédilection,  qui,  jaloux  de  Balmat,  attribuèrent  au  hasard  ce  qui 
était  le  fruit  de  longues  et  persévérantes  recherches.  Les  intéres- 
sants travaux  de  M.  Ch.  Durier  ont  jeté  quelque  lumière  sur  ce 
point.  Quoi  qu’il  en  soit,  le  10  juin  1786,  Jacques  Balmat,  ayant 
trouvé  la  vraie  route,  après  plusieurs  nuits  passées  dans  la  monta- 
gne, redescendit  presque  mourant  de  fatigue  et  de  froid  à Cha- 
mounix. Soigné  par  le  docteur  Paccard,  il  lui  fit  part  de  sa  décou- 
verte, et  lui  proposa  d’en  partager  la  gloire  en  faisant  avec  lui 
l'ascension.  Paccard  accepta,  et  le  9 août  1786,  un  pied  humain 
foulait  pour  la  première  fois  le  sommet  de  la  plus  haute  nfontagne 
de  l’Europe.  Le  docteur  Paccard  avait  été  épuisé  par  la  fatigue  et 
sans  doute  aussi  par  la  raréfaction  de  l’air,  au  point  de  rester 
couché  en  route  : Balmat  monta  seul,  puis  il  retourna  chercher 
son  compagnon,  le  porta  à demi  jusqu’à  la  cime,  et  le  redescendit 
aveuglé  par  les  neiges. 

Je  n’ai  malheureusement  pu  me  procurer  de  récit  authentique 
de  cette  ascension  mémorable.  Celui  d’Alexandre  Dumas  (Impres- 
sions de  voyage  en  Suisse , cliap.  X),  beaucoup  moins  inexact 
qu’on  ne  le  supposerait,  ne  peut  cependant  faire  foi  en  matière 
physiologique.  Mais  ce  qu’on  a dit  et  écrit  sur  ce  voyage  montre 


LES  VOYAGES  EX  MONTAGNES.  — ALPES. 


89 

que  les  deux  compagnons,  le  docteur  Paccard  surtout,  soutinrent 
vivement  de  la  raréfaction  de  l’air. 

A la  nouvelle  de  la  réussite,  de  Saussure,  qui  avait  promis  une 
prime  à qui  trouverait  le  vrai  chemin,  tout  en  espérant  bien  s en 
servir  le  premier,  se  hâta  d’organiser  une  expédition  nouvelle. 
Mais  jugeant  la  saison  trop  avancée,  il  dut  remettre  à Tannée  sui- 
vante la  réalisation  d’un  désir  qui  le  passionnait  depuis  tant  d’an- 
nées. 

C’est  le  1er  août  1787  qu’il  quitta  Chamounix,  accompagné  d’un 
domestique  et  de  dix-huit  guides.  Il  alla  coucher  sous  la  tente  au 
sommet  de  la  montagne  de  la  Côte. 

Te  soir  du  second  jour  de  l’ascension,  il  est  arrivé  au  petit  pla- 
teau : la  hauteur  barométrique  est  de  17  pouces  10  lignes.  Ils  s’in- 
stallent pour  passer  la  nuit  (1995  toises) 1 : 

§ 1962.  Là,  dit  de  Saussure,  mes  guides  se  mirent  d’abord  à examiner  la  place  dans 
laquelle  nous  devions  passer  la  niwt  ; mais  ils.  sentirent  bien  vite  l’effet  de  la  rareté 
de  l'air.  Ces  hommes  robustes,  pour  qui  sept  ou  huit  heures  de  marche  que  nous 
venions  de  faire  ne  sont  absolument  rien,  n’avaient  pas  soulevé  cinq  ou  six  pelletées 
de  neige,  qu’ils  se~1rouvaient  dans  l'impossibilité  de  continuer;  il  fallait  qu’ils  se 
relayassent  d'un  moment  à l’autre 

Moi-même,  qui  suis  si  accoutumé  à l’air  des  montagnes,  qui  me  porte  mieux  dans 
eet  air  que  dans  celui  de  la  plaine,  j'étais  épuisé  de  fatigue  en  observant  mes  instru- 
ments de  météorologie.  (T.  1Y,  p.  144.) 

Le  lendemain  ils  continuent  à monter,  et  arrivent  « au  rocher 
qui  forme  l’épaule  gauche  de  la  cime  du  mont  Blanc  » : 

§ 1985.  En  commençant  cette  montée,  j’étais  déjà  bien  essouflé  par  la  rareté  de 
l'air Le  genre  de  fatigue  qui  résulte  de  la  rareté  de  l’air  est  absolument  insur- 

montable; quand  elle  est  à son  comble,  le  péril  le  plus  éminent  ne  vous  ferait  pas 
faire  un  seul  pas  de  plus.  (P.  165.) 

Bientôt,  ils  ne  sont  plus  qu’à  150  toises,  en  hauteur,  du  sommet 
du  mont  Blanc  : 

§ 1988.  J'espérais  donc  atteindre  la  cime  en  moins  de  trois  quarts  d’heure  ; mais  la 
rareté  de  l'air  me  préparait  des  difficultés  plus  grandes  que  je  n’aurais  pu  le  croire. 
Sur  la  fin  j'étais  obligé  de  reprendre  haleine  à tous  les  quinze  ou  seize  pas  : je  le 
faisais  le  plus  souvent  debout,  appuyé  sur  mon  bâton,  mais  à peu  près  de  trois  lois 
l’une  il  fallait  m’asseoir.  Ce  besoin  de  repos  était  absolument  invincible  ; si  j’essayais 
de  le  surmonter,  mes  jambes  me  refusaient  leur  service,  je  sentais  un  commen- 
cement de  défaillance,  et  j’étais  saisi  par  des  éblouissements  tout  à fait  indépen- 
dants de  l’action  de  la  lumière,  puisque  le  crêpe  double  qui  me  couvrait  le  visage, 

1 La  hauteur  exacte  est  5655  mètres. 


90 


HISTORIQUE. 


me  garantissait  parfaitement  les  yeux.  Comme  c’était  avec  un  vif  regret  que  je 
voyais  ainsi  passer  le  temps  que  j’espérais  consacrer  sur  la  cime  à mes  expériences, 
je  Us  diverses  épreuves  pour  abréger  ce  repos  ; j’essayais  par  exemple  de  ne  point 
aller  au  terme  de  mes  forces  , et  de  m’arrêter  un  instant  à tous  les  quatre  ou  cinq 
pas,  mais  je  n’y  gagnais  rien;  j’étais  obligé,  au  bout  de  quinze  ou  seize  pas,  de 
prendre  un  repos  aussi  long  que  si  je  les  avais  fait  de  suite  ; il  y avait  même  ceci 
de  remarquable,  c’est  que  le  plus  grand  malaise  ne  se  fait  sentir  que  huit  ou  dix 
secondes  après  qu'on  a cessé  de  marcher.  La  seule  chose  qui  me  fit  du  bien  et  qui 
augmentait  mes  forces,  c’était  l’air  frais  du  vent  du  nord  ; lorsqu'en  montant 
j’avais  le  visage  tourné  de  ce  côté  là,  et  que  j’avalais  à grands  traits  l’air  qui  en 
venait,  je  pouvais  sans  m’arrêter  faire  jusqu’à  vingt-cinq  ou  vingt-six  pas.  (P.  171.) 

Enfin,  la  cime  la  plus  élevée  est  atteinte  : 

§ 1991.  — Il  fallait  maintenant  faire  les  observations  et  les  expériences,  qu 
seules  donnaient  quelque  prix  à ce  voyage;  et  je  craignais  infiniment  de  ne  pou- 
voir faire  qu'une  petite  partie  de  ce  que  j’avais  projeté.  Car  j'avais  déjà  éprouvé, 
même  sur  le  plateau  où  nous  avions  couché,  que  toute  observation  faite  avec  soin 
fatigue  dans  cet  air  rare,  et  cela  parce  que,  sans  y penser,  on  retient  son  souffle; 
et  que  comme  il  fallait  là  suppléer  à la  rareté  dp  l’air  par  la  fréquence  des  inspi- 
rations, cette  suspension  causait  un  malaise  sensible;  j’étais  obligé  de  me  reposer 
et  de  souffler,  après  avoir  observé  un  instrument  quelconque  comme  après  avoir 
fait  une  montée  rapide  (p.  175). 

Ce  que  de  Saussure  avait  prévu  arriva  : 

§ 1965.  Quand  il  fallut  me  mettre  à disposer  les  instruments  et  à les  observer,  je  me 
trouvai  à chaque  instant  obligé  d’interrompre  mon  travail,  pour  ne  m’occuper  que 
du  soin  de  respirer 

Lorsque  je  demeurais  parfaitement  tranquille,  je  n’éprouvais  qu’un  peu  de  ma- 
laise, une  légère  disposition  au  mal  de  cœur. 

Mais  lorsque  je  prenais  de  la  peine,  ou  que  je  fixais  mon  attention  pendant  quel- 
ques moments  de  suite,  et  surtout  lorsqu’en  me  baissant  je  comprimais  ma  poitrine, 
il  fallait  me  reposer  et  haleter  pendant  deux  ou  trois  minutes.  Mes  guides  éprou- 
vaient des  sensations  analogues.  Ils  n’avaient  aucun  appétit.  (P.  147). 


§ 2021.  — Quelques-uns  ne  purent  supporter  tous  ces  genres  de  souffrances, 
et  descendirent  les  premiers  pour  regagner  un  air  plus  doux  (P.  208). 

Plus  loin,  de  Saussure  fait  une  remarque  très-jusle,  qui  expli- 
que bien  des  exagérations  et  bien  des  incrédulités  : 

§ 2021.  — J’ai  observé  un  fait  assez  curieux,  c’est  qu’il  y a pour  quelques  indi- 
vidus des  limites  parfaitement  tranchées,  où  la  rareté  de  l’air  devient  pour  eux 
absolument  insupportable.  J’ai  souvent  conduit  avec  moi  des  paysans,  d’ailleurs 
très-robustes,  qui  à une  certaine  hauteur  se  trouvaient  tout  d’un  coup  incom- 
modés au  point  de  ne  pouvoir  absolument  pas  monter  plus  haut  ; et  ni  le  repos, 
ni  les  cordiaux,  ni  le  désir  le  plus  vif  d’atteindre  la  cime  de  la  montagne,  ne  pou- 
vaient leur  faire  passer  cette  limite.  Ils  étaient  saisis,  les  uns  de  palpitations,  d’au- 
tres de  yomissements,  d’autres  de  défaillance,  d’autres  d’une  violente  fièvre,  et 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ALPES. 


91 


tous  ces  accidents  disparaissaient  au  moment  où  ils  respiraient  un  air  plus  dense. 
J’en  ai  vu,  quoique  rarement,  que  ces  indispositions  obligeaient  à s’arrêter,  à huit 
cents  toises  au-dessus  de  la  mer;  d’autres  à douze  cents,  plusieurs  à quinze  ou 
seize  cents  ; pour  moi,  de  même  que  la  plupart  des  habitants  des  Alpes,  je  ne  com- 
mence à être  sensiblement  affecté  qu’à  dix-neuf  cents  toises;  mais  au-dessus  de 
ce  terme,  les  hommes  les  plus  exercés  commençent  à souffrir  lorsqu’ils  se  don- 
nent un  mouvement  un  peu  accéléré  (P.  209). 

Enfin,  il  faut  redescendre  : de  onze  heures  à trois  heures  et  demie, 
de  Saussure  est  resté  sur  la  cime,  et  il  a regret  de  partir,  parce  que, 
dit-il,  et  j’appelle  toute  l’attention  du  lecteur  sur  cette  remarque 
d’une  haute  importance  : 

§ 2021.  — Quoique  je  n’aie  pas  perdu  un  seul  moment,  je  ne  pus  pas  faire, 
dans  ces  quatre  heures  et  demie,  toutes  les  expériences  que  j’avais  fréquemment 
achevées  en  moins  de  trois  heures  au  bord  de  la  mer 

Mais  je  conservais  l’espérance  bien  fondée  d’achever,  sur  le  col  du  Géant,  ce  que 
je  n’avais  pas  fait,  et  que  vraisemblablement  Von  ne  fera  jamais,  sur  le  mont  Blanc. 
(P.  210). 

La  descente  s’accomplit  heureusement  et  sans  grande  fatigue  : 

Comme  le  mouvement  que  l’on  fait  en  descendant  ne  comprime  point  le  dia- 
phragme, il  ne  gêne  point  la  respiration,  et  l’on  ne  souffre  point  de  la  rareté  de 
l’air. 

L’exemple  de  l’illustre  physicien  ne  tarda  pas  à être  suivi.  Sept 
jours  après  sa  célèbre  ascension,  le  colonel  anglais  Beaufoy 1 attei- 
gnait à son  tour  le  sommet  du  géant  des  Alpes.  Ce  ne  fut  pas  sans 
de  vives  souffrances,  comme  le  prouvent  les  extraits  suivants  de 
son  récit. 

Parti  de  Chamounix  le  8 août  1787,  il  alla  coucher,  avec  ses  dix 
guides,  à la  hutte  bâtie  en  1786  par  les  ordres  et  aux  frais  de  M.  de 
Saussure.  Le  premier  phénomène  physiologique  que  signale  le  co- 
lonel est  la  soif  : 

La  soif,  depuis  que  nous  étions  arrivés  dans  les  régions  supérieures  de  l’air, 
était  devenue  insupportable.  A peine  avais-je  bu  que  ma  bouche  était  sèche.... 
Bien  que  buvant  continuellement,  la  quantité  de  mon  urine  était  minime  ; sa  cou- 
leur était  très-foncée.  Les  guides  étaient  également  affectés  ; ils  ne  voulaient  pas 
goûter  de  vin 

La  rareté  de  l’air  commença  bientôt  à me  donner  un  violent  mal  de  tête;  j’éprou- 
vai aussi,  à ma  grande  surprise,  une  sensation  aiguë  de  douleur,  juste  au-dessus 
des  genoux 

1 Narrative  of  ajourne y from  the  village  of  Chamouni,  in  Switzerland , to  the  summit 
of  mount  Blanc,  underlaken  on  Aug.  8,  1787.  Thomson' s Annals  of  Philosophy,  vol.  IX, 
p.  97-103;  1817. 


92 


HISTORIQUE. 


Arrivés  à 150  fathoms  (270  mètres)  du  sommet,  les  pernicieux  effets  de  la  rareté 
de  l’air  étaient  évidents  chez  nous  tous  ; une  envie  de  dormir,  presque  irrésisti- 
ble, nous  dominait.  Mon  énergie  m'avait  abandonné;  indifférent  à tout  événe- 
ment, je  ne  pensais  qu’à  me  coucher  à terre  ; d'autres  fois,  je  me  blâmais  de 
cette  expédition,  et,  arrivé  presque  au  sommet,  je  songeais  à redescendre,  sans  le 
faire  cependant.  Beaucoup  d’entre  mes  guides  étaient  dans  la  plus  triste  situa- 
tion; épuisés  par  des  vomissements  excessifs,  ils  semblaient  avoir  perdu  la 
force  du  corps  avec  celle  de  l’esprit.  Mais  la  honte  vint  à notre  secours.  Je  bus  la 
dernière  pinte  d’eau,  et  me  trouvai  rafraîchi.  Cependant  la  douleur  de  mes  genoux 
avait  tellement  augmenté  , que  tous  les  20  ou  50  pas  j’étais  obligé  de  m’arrêter 
jusqu’à  ce  que  son  acuité  fût  calmée.  Mes  poumons  faisaient  avec  peine  leur  office, 
et  mon  cœur  battait  dans  de  violentes  palpitations.  A la  tin,  cependant,  mais  avec 
une  sorte  d’apathie  qui  excluait  la  joie,  nous  atteignîmes  le  sommet.  Six  de  mes 
guides  et  mes  domestiques  se  jetèrent  aussitôt  la  face  contre  terre  et  s’endormirent. 
J’enviais  leur  repos. 

Le  colonel  souffrit  beaucoup  de  la  réverbération  du  soleil  sur  la 
neige;  il  n’avait  ni  crêpe  ni  lunettes. 

Quelques  semaines  plus  tard,  de  Saussure,  dans  son  ascension 
du  mont  Cenis,  le  c28  septembre  1787,  fit  encore,  au  point  de  vue 
physiologique,  des  remarques  fort  intéressantes  : 

§ 1280.  — A notre  départ  de  la  cime,  où  nous  nous  étions  arrêtés  pendant  deux 
heures,  je  comptai  avec  la  montre  à seconde  le  nombre  des  pulsations  des  artères 
de  tous  ceux  qui  composaient  notre  petite  caravane  , et  je  le  comptai  de  nouveau 
à notre  arrivée  à la  poste  du  mont  Cenis  : 


J. -B.  Borot, 

guide,  en  haut 

112, 

en  bas  100 

B.  Bocli, 

id. 

112 

— 96 

J.  Tour, 

id.  — 

80 

88 

Têtu,  mon  domestique  — 

104 

— 100 

Mon  fds 

— 

108 

— 108 

Moi 

— 

112 

— 100 

Moyenne  104  2/5  98  2/5 

On  voit  que  Joseph  Tour  fut  le  seul  qui  eût  le  pouls  plus  fréquent  au  bas  de  la 
montagne  qu’en  haut  ; que,  pour  mon  fils,  le  nombre  fut  le  même,  et  que  les  quatre 
autres  l’eurent  plus  fréquent  sur  la  cime,  en  sorte  que  la  moyenne  donne  six  pul- 
sations par  minute  de  plus  en  haut  qu’en  bas , pour  une  différence  d’environ 
4 pouces  2 lignes  dans  la  hauteur  du  baromètre.  Il  y a même  ceci  à observer, 
c’est  que  je  comptai  les  pulsations  sur  la  montagne,  après  un  séjour  qui  équivalait 
à un  repos  de  deux  heures  au  moins  pour  les  guides;  au  lieu  que  dans  la  plaine, 
comme  ils  voulaient  se  retirer,  je  fus  obligé  de  les  compter  quelques  minutes  après 
notre  arrivée. 

Ce  qu’il  y a encore  plus  remarquable,  c’est  qu’en  séparant  ceux  qui  avaient  eu 
mal  au  cœur  (trois  des  quatre  guides,  dont  de  Saussure  ne  dit  pas  le  nom,  faillirent 
se  trouver  mal  au  sommet)  de  ceux  qui  étaient  demeurés  bien  portants,  je  trouve 
que  la  différence  moyenne  fut  de  9 1/5  pour  les  premiers  , et  seulement  de  2 2/5 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ALPES. 


95 

pour  les  seconds.  Cette  observation  confirme  bien  ce  que  j’ai  toujonrs  cru,  c’est 
que  cette  incommodité  tient  en  partie  à une  espèce  de  fièvre,  produite  par  la  fré- 
quence de  la  respiration,  qui  accélère  la  circulation  du  sang.  Et  quant  à moi , si 
mon  pouls  fut  de  douze  pulsations  plus  fréquent  en  haut  qu’en  bas,  quoique  je 
n’eusse  éprouvé  aucune  incommodité,  c’est  que  je  ne  me  reposai  pas  un  seul  mo- 
ment ; je  fus  pendant  ces  deux  heures  dans  une  action  continuelle  ; si  je  m'étais 
reposé  comme  les  malades,  je  ne  doute  pas  que  mon  pouls  n’eût  baissé  de  plusieurs 
pulsations.  (T.  111,  p.  85.) 

L’année  suivante,  il  s’en  alla  séjourner,  en  compagnie  de  son  fils, 
sur  le  col  du  Géant  (5560m)  du  5 juillet  au  19  juillet  1788;  ce 
voyage,  qui  frappa  les  guides  de  terreur,  fut  entrepris  dans  le  but 
de  tenter  des  expériences  que,  sur  le  mont  Blanc,  « la  brièveté  du 
temps  et  le  malaise  produit  par  la  rareté  de  l’air  m’empêchèrent 
d’exécuter.  » (T.  IV,  p.  217.)  Tout  un  chapitre  fort  curieux  y est 
consacré  aux  Observations  relatives  à la  physiologie  : 

§ 2105.  — Il  était  intéressant  d’observer  quel  serait  sur  nos  corps  l’effet  d’un 
séjour  prolongé  dans  un  air  aussi  raréfié  que  celui  que  nous  respirions  sur  le 
Col  du  Géant.  Il  faut  se  rappeler  que  la  hauteur  moyenne  du  baromètre  fut 
pendant  notre  séjour,  d’environ  19  pouces,  c’est-à-dire  de  9 pouces  plus  bas 
qu’au  bord  de  la  mer,  et  qu’ainsi  la  densité  de  l’air  était  là  de  près  d’un  tier- 
plus  petite. 

M.  Odier,  docteur  en  médecine,  très-zélé  pour  les  progrès  de  son  art  m’avait 
donné  quelques  questions  qui  devaient  servir  de  texte  à mes  observations 

§2106.  — Déterminer  avec  précision  le  degré  de  chaleur  animale.  Dans  la  ma- 
tinée du  17,  dans  un  moment  où  j’étais  bien  tranquille,  et  sans  m’être  donné 
aucun  mouvement  violent,  je  plaçai  sous  ma  langue  un  petit  thermomètre  de 
mercure  en  tenant  la  bouche  fermée,  et  j’observai  en  même  temps  ce  thermo 
mètre  avec  une  loupe;  je  le  trouvai  à 29  1/2,  et  c’était  aussi  dans  les  mêmes 
circonstances  le  même  degré  dans  la  plaine. 

Compter  le  nombre  d'inspirations  et  d'expirations  qu'un  homme  bien  tranquille  et 
non  prévenu  peut  faire  dans  une  minute , ainsi  que  le  rapport  de  ce  nombre  à celui 
des  pulsations  du  pouls.  Dans  les  mêmes  circonstances  que  celles  du  paragraphe 
précédent,  je  trouvai  d’abord  75  pulsations  pour  chaque  inspiration  et  autant  pour 
chaque  expiration.  Mais  une  autre  fois,  en  prenant  un  plus  grand  nombre  et 
qui  par  cela  même  méritait  une  plus  grande  confiance,  je  trouvai  que  je  faisais 
10  inspirations  et  expirations  en  35  secondes,  ce  qui  revient  à 17  par  minute 
et  que  mon  pouls  faisait  79  pulsations  aussi  dans  une  minute. 

§ 2107.  — Essayer  de  faire  inspirer  assez  profondément  pour  arrêter  le  pouls 
du  poignet  gauche , en  supposant  que  le  même  individu  puisse  le  faire  dans  la 
plaine. 

Le  19,  en  me  levant,  et  assis  sur  mon  matelas,  j’ai  réussi  à arrêter  le  pouls  du 
poignet  gauche,  en  prolongeant  pendant  dix  secondes  l’inspiration  ; sur-le- 
champ  je  répétai  l’épreuve,  et  le  pouls  s’arrêta  à la  quinzième  seconde  ;’  la  trei- 
zième fois,  à la  trente-cinquième  seconde  , le  pouls  résistait  encore,  lorsque  ie 
fus  forcé  de  reprendre  haleine.  En  faisant  la  même  épreuve  debout  ’ je  ne  pus 
point  arrêter  le  pouls;  mais  il  est  vrai  que  je  ne  pus  prolonger  l’inspiration  que 


94 


HISTORIQUE. 


pendant  52  secondes.  Cette  épreuve  ne  paraît  donc  pas,  au  moins  pour  moi, 
susceptible  d’une  comparaison  régulière. 

§ 2108.  — Compter  le  pouls  dans  une  situation  parfaitement  verticale;  si  la  dif- 
férence est  plus  grande  que  dans  la  plaine,  cest  une  preuve  que  l'air  des  hautes 
montagnes  augmente  V irritabilité  du  cœur. 

Le  18  juillet,  dans  l’après-midi,  après  avoir  fait  à terre  sur  mon  matelas  un 
petit  sommeil,  dans  une  situation  horizontale,  je  comptai  dans  cette  même  situa- 
tion 85  pulsations  par  minute.  Je  me  levai  alors,  et  étant  debout,  j’en  comptai 
88  ; mais  soupçonnant  que  l’effort  que  j’avais  fait  en  me  levant  de  terre  pouvait 
avoir  contribué  à cette  accélération,  je  me  reposai  pendant  quelques  instants,  et 
alors  je  ne  comptai  plus  que  82  pulsations. 

§ 2109.  — Déterminer  par  comparaison , si  V inspiration  peut  être  aussi  longtemps 
prolongée  sur  la  montagne  que  dans  la  plaine. 

J’ai  rapporté  dans  le  § 2104  les  essais  que  j’avais  faits  sur  la  montagne.  J’ou- 
bliai ensuite  de  les  répéter  dans  la  plaine  à mon  retour  , et  dès  lors  mon  tem- 
pérament a été  si  fort  altéré  par  les  fatigues  et  les  maladies,  que  les  épreuves 
comparatives  que  je  pourrais  faire  ne  donneraient  aucune  induction  sur  laquelle 
on  pût  compter. 

Déterminer , s'il  est  possible  comparativement , la  proportion  des  urines  à la  bois- 
son. Nous  manquions  des  facilités  nécessaires  pour  faire  des  comparaisons. 

§ 2110.  — Vérifier  surtout,  si  les  effets  de  l'air  raréfié  se  manifestent  tout  d'un 
coup  ou  graduellement. 

Il  nous  a paru  que  les  effets  généraux  ont  été  à peu  près  les  mêmes  pendant 
toute  la  durée  de  notre  séjour.  En  arrivant,  nous  nous  trouvâmes  tous  plus  es- 
soufflés que  nous  ne  l’aurions  été  après  avoir  fait  dans  la  dernière  matinée  une 
montée  égale  à celle-là  sur  une  montagne  moins  élevée.  Les  jours  suivants,  bien 
loin  que  l’incommodité  allât  en  croissant,  nos  compagnons,  de  même  que  mon 
fils  et  moi,  nous  croyions  nous  être  accoutumés  à cet  air  : cependant , lorsque 
nous  y faisions  attention,  et  surtout  lorsque  nous  faisions  des  essais  dans  ce  but, 
nous  trouvions  que  si  l’on  courait,  si  l’on  se  tenait  dans  une  attitude  gênée, 
et  principalement  dans  une  situation  où  la  poitrine  fût  comprimée,  on  était  beau- 
coup plus  essoufflé  que  dans  la  plaine,  et  cela  dans  une  progression  croissante  ; 
en  sorte  que,  de  moment  en  moment , il  devenait  plus  difficile  , et  même  enfin 
impossible  de  soutenir  ces  efforts. 

§ 2111.  — Comme  nos  observations  nous  obligeaient  à nous  tenir  en  plein  air 
pendant  presque  tout  le  jour,  j’avais  recommandé  à mon  fils  et  à mon  domesti- 
que d’avoir  toujours,  comme  je  le  faisais  moi-même,  un  crêpe  sur  le  visage.  Mon 
domestique  crut  pouvoir  s’en  passer,  mais  il  lui  survint  une  enflure  de  toute  la 
face,  et  en  particulier  des  lèvres,  qui  le  rendait  hideux,  et  qui  fut  même  accom- 
pagnée de  gerçures  très-douloureuses.  Cela  fit  penser  à mon  fils,  que  peut-être 
l’action  du  soleil  produisait-elle  un  dégagement  d’air  qui  occasionnait  cette 
enflure. 

Pour  voir  si  cet  air  se  manifesterait  au  dehors,  il  fit  tenir  à ce  même  jeune 
homme  ses  mains  dans  l’eau  au  soleil;  elles  se  couvrirent  aussitôt  de  petites 
bulles  ; on  les  essüya,  puis,  quand  on  les  replongea  dans  l’eau,  il  reparut  encore 
des  bulles  ; on  les  fit  essuyer  une  seconde  fois,  et  on  les  plongea  pour  la  troisième 
fois  ; mais  alors  on  ne  put  plus  apercevoir  aucune  bulle.  Nous  conclûmes  de  là, 
que  les  bulles  que  nous  avions  vues  d’abord  n’étaient  que  de  l’air  adhérant  à la 
surface  de  la  peau. 

§ 2212.  — Il  nous  parut  qu’en  général  nous  avions  le  genre  nerveux  plus  irri- 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ALPES. 


95 


table,  que  nous  étions  plus  sujets  à l’impatience,  et  même  à des  mouvements  de 
colère;  nous  étions  sensiblement  plus  altérés;  la  faim  paraissait  plus  inquié- 
tante et  plus  impérieuse  ; mais  aussi  nous  étions  beaucoup  plus  faciles  à rassa- 
sier, et  mes  digestions  paraissaient  se  faire  plus  promptement  que  dans  la 
plaine.  D’ailleurs,  il  nous  semblait,  à mon  fils  et  à moi,  que  dans  nos  travaux  et 
dans  nos  observations  relatives  à la  physique,  nous  avions  l’esprit  sensiblement 
plus  libre,  plus  actif  et  moins  facile  à fatiguer,  je  dirai  même  plus  inventif,  que 
dans  la  plaine,  et  je  souhaiterais  que  nos  lecteurs  en  trouvassent  la  preuve  dans 
l’exposé  de  nos  occupations  pendant  ces  dix-sept  jours  (t.  IV;  p.  515-518). 

Dans  son  voyage  autour  du  mont  Rose,  il  décrit  aussi  le  malaise 
éprouvé  par  les  animaux.  Il  était  au  14  août  1789  sur  le  glacier 
du  mont  Cervin  (glacier  Saint-Théodule)  : 

§ 2220.  — Les  mulets,  qui  enfonçaient  dans  la  neige  jusqu’aux  sangles,  furent 
délivrés  de  leurs  fardeaux  ; cependant  ils  avaient  beaucoup  de  peine  à avancer, 
ils  étaient  essoufflés,  obligés  de  reprendre  haleine,  dès  qu’ils  avaient  fait  quel- 
ques pas.  La  pente  n’était  pourtant  pas  très-rapide,  et  les  trois  ou  quatre  heures 
de  marche  qu’ils  avaient  faites  ne  pouvaient  pas  les  avoir  fatigués....  mais  c’était 
la  rareté  de  l’air  qui  les  affectait;  ils  éprouvaient  tout  ce  que  nous  avions  éprouvé 
en  montant  le  mont  Blanc....  La  respiration  de  ces  pauvres  animaux  était  extrê- 
mement pénible,  et  dans  les  moments  mêmes  où  ils  reprenaient  haleine,  on  les 
voyait  haleter  avec  tant  d’angoisse,  qu’ils  poussaient  une  espèce  de  cri  plaintif 
que  je  n’avais  jamais  entendu,  même  dans  les  plus  grandes  fatigues.  Il  est  vrai 
que  je  n’avais  jamais  voyagé  avec  des  mulets  à une  aussi  grande  élévation.... 
nous  étions  alors  à 1,756  toises  au-dessus  de  la  mer.  (T.  IV,  p.  580.) 

Le  chanoine  Bourrit,  dont  les  tentatives  infructueuses  avaient  pré- 
cédé l’expédition  de  de  Saussure,  fit  en  1788,  en  compagnie  de 
Woodley  et  de  Camper,  l’ascension  du  mont  Blanc.  Je  n’ai  pas 
trouvé  de  description  complète  de  ce  voyage.  Mais  nous  lui  devons 
quelques  détails  sur  une  expédition  un  peu  postérieure,  faite  le  11 
août  1802  par  Forneret  et  Dortheren  : 

La  rareté  de  l’air,  dit-il 1 , ajoutait  à la  difficulté  de  la  marche  ; leur  poitrine 
était  déchirée,  et  ils  m’ont  déclaré  qu’aucun  bien  ne  pourrait  les  engager  à entre- 
prendre de  nouveau  une  semblable  cause.  (P.  451.) 

Le  14  juillet  1809,  première  ascension  du  mont  Blanc  par  une 
femme,  Marie  Paradis,  servante  àChamounix.  Elle  fut  tellement  épui- 
sée vers  4000'",  que  les  guides  qui  l’accompagnaient  furent  obligés 
de  la  soutenir  et  de  la  porter  à la  cime. 

De  1809  à 1816,  une  seule  ascension  (Bodaz,  1812)  sur  laquelle 
on  n’a  point  de  renseignements. 

Lettre  de  M.  Bourrit  au  rédacteur  de  la  Bibliothèque  britannique.  — Bibliolh.  brit. 
de  Genève,  t.  XX,  p.  429-433;  1802. 


HISTORIQUE. 


9.6 

Un  officier  allemand,  le  cornle  de  Lusy,  partit  de  Chamounix  le 
i4  septembre  1816  pour  monter  au  mont  Blanc;  il  avait  huit 
guides  avec  lui.  J’emprunte  à la  brochure  allemande  de  Hamel,  que 
je  vais  citer  tout  à b heure,  n’ayant  pu  me  procurer  le  récit  de 
Lusy1,  l’indication  des  graves  symptômes  qui  les  atteignent  : 

Près  du  sommet,  quelques-uns  des  voyageurs  éprouvaient  de  fortes  envies 
de  dormir,  et  des  nausées;  trois  saignaient  du  nez  et  un  de  la  bouche;  cela 
n’arrêta  pas  le  comte  Lusy  (p.  56). 

Le  4 août  1818,  le  comte  Malazesky,  Polonais2,  puis  van  Rens- 
selaer,  de  New-York,  le  11  juillet  1819,  se  lancèrent  également 
dans  celte  difficile  entreprise.  La  relation  de  ce  dernier,  bien  qu’as- 
sez  détaillée3,  ne  contient  l’indication  d’aucun  fait  physiologique  in- 
téressant; ses  compagnons  et  lui  n’éprouvèrent  qu’une  grande  ac- 
célération de  la  respiration  et  du  pouls,  avec  perte  de  l’appétit. 

Puis,  en  1820,  le  docteur  Hamel4,  conseiller  de  cour  de  S.  M.  l’em- 
pereur de  toutes  les  Russies,  exécute  l’ascension  en  compagnie  du 
colonel  Anderson.  Son  voyage  fut  interrompu  près  du  sommet  par 
une  catastrophe  terrible,  qui  coûta  la  vie  à trois  guides,  entraînés 
dans  une  avalanche. 

11  fît  d’abord,  le  b août,  une  tentative  infructueuse  : 

Nous  partîmes  de  Saint-Gervais  et  passâmes  la  nuit  à Pierre-Ronde,  à l’abri  de 
quelques  rochers. 

Le  lendemain,  nous  atteignîmes  à 11  heures  1/2  au  sommet  du  dôme  du 
Goûté 

Ce  fut  dans  cette  marche  de  deux  heures  que  j’éprouvai,  pour  la  première  fois, 
l’effet  de  l’air  raréfié  sur  mes  forces.  Il  m’était  absolument  impossible  de  faire 
plus  de  quarante  pas  sans  m’arrêter  environ  deux  minutes  pour  prendre  haleine; 
et  arrivé  au  sommet  du  Dôme  (2,200  toises),  je  me  sentis  tellement  épuisé,  qu’il 
m’aurait  fallu  une  demi-heure  au  moins  de  repos  pour  pouvoir  continuer  jusqu’à 
la  cime  du  mont  Blanc.  Je  trouvai,  calcul  fait,  qu’il  serait  tout-à-fait  impossible 
d’aller  jusqu’au  sommet  et  de  redescendre  les  aiguilles  du  Goûté  avant  la  nuit  ; 
je  pris  donc  le  parti  de  retourner  sur  mes  pas.  (I*.  506.) 

Le  16  août,  il  recommença  l’ascension  en  partant  cetle  fois  de 
Chamounix.  Les  voyageurs,  accompagnés  de  douze  guides,  passè- 
rent la  nuit  aux  Grands-Mulets.  Malgré  ses  guides,  qu’effrayait  le 

1 Voyage  au  Mont-Blanc.  — Wien,  chez  Gerold. 

2 Bibliothèque  universelle  de  Genève , t.  IX,  p.  84-89,  1818. 

5 Notice  sur  un  voyage  au  sommet  du  mont  Blanc,  ibid,  t.  XIV,  p.  219-251,  1820. 

4 Relation  de  deux  tentatives  récentes  pour  monter  sur  le  mont  Blanc.  — Bibliothèque 
universelle  de  Genève , t.  XIV,  p.  501-525;  1820.  — Hamel  a depuis  publié  un  récit  plus 
détaillé  de  son  voyage,  avec  des  notes  historiques,  sous  le  titre  Beschreibung  zweicr 
Beisen  auf  den  Mont-Blanc.  — Wien,  1821. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES 


ALPES. 


97 


mauvais  état  de  la  neige  fraîchement  tombée,  Hamel  voulut  conti- 
nuer sa  roule  le  lendemain  ; à huit  heures  et  demie  du  matin,  ils 
cheminaient  sur  le  dernier  grand  plateau  : 

Personne  n’était  indisposé.  Cependant  nous  éprouvions  déjà  depuis  quelque 
temps  l’effet  de  la  rareté  de  l’air  ; mon  pouls  battait  128  pulsations  par  minute, 
et  j’avais  soif  à chaque  instant.  Nos  guides  nous  invitèrent  à déjeuner  ici , car, 
disaient-ils,  plus  haut  on  n’a  plus  d’appétit....  Chacun  mangea  avec  plaisir  son 
demi-poulet 

Nous  étions  arrivés  à 2,500  toises 1 ....  Personne  ne  parlait,  car,  à cette  hau- 
teur, la  parole  même  fatigue,  et  l’air  ne  transporte  que  faiblement  le  son.  J’étais 
encore  le  dernier,  et  je  faisais  jusqu’à  douze  pas  de  suite  ; puis,  appuyé  sur  mon 
bâton,  je  m’arrêtais  pour  faire  quinze  inspirations.  Je  trouvais  que  de  cette  ma- 
nière je  pouvais  m’avancer  sans  m’épuiser.  Muni  de  lunettes  vertes  et  avec  un 
crêpe  devant  le  visage,  mes  yeux  était  fixés  sur  mes  pas,  que  je  comptais,  lorsque 
tout-à-coup  je  sens  la  neige  céder  sous  mes  pieds 

La  nappe  de  neige  tout  entière  se  déroba  sous  les  voyageurs,  et 
trois  des  guides  disparurent  à tout  jamais  dans  une  immense  cre- 
vasse. 

Depuis  cetle  funeste  aventure,  personne  n’avait  hasardé  cette 
entreprise  « périlleuse  autant  qu’inutile  »,  quand  F.  Clissold  la 
terda  de  nouveau  avec  succès,  le  18  août  1822.  Il  se  contente,  dans 
son  premier  récit  assez  succinct2 3 *,  de  dire  que  tous  les  guides, 
excepté  un,  étaient  « plus  ou  moins  incommodés  par  la  rareté  de 
l’air  ». 

La  relation  détaillée  qu’il  publia  plus  tard5  est  beaucoup  plus 
explicite;  elle  contient  même  des  idées  théoriques  fort  remarqua- 
bles que  nous  reproduirons  en  leur  lieu. 

11  est  curieux  d’avoir  à constater  que  cet  étranger,  qui  en  était  à 
son  premier  voyage  dans  les  Alpes,  supporta  mieux  la  diminution 
de  pression  que  les  guides,  qui  presque  tous  étaient  déjà  montés 
au  sommet  du  mont  Blanc  : 

Nous  n'étions  pas  loin  des  Grands-Mulets,  dit-il,  lorsque  mon  compagnon  de 
corde  se  détacha  lui-même,  n’en  pouvant  plus  d’épuisement.  Je  me  lis  attacher 
entre  deux  autres  ; peu  après,  un  second  resta  en  arrière,  et  finalement  tous, 
excepté  Favret  (un  des  G guides)  et  moi,  furent  forcés  de  s’arrêter  par  lassitude  et 
par  une  difficulté  de  respirer  qu’ils  attribuaient  à la  rareté  de  l’air;  un  pou  de 
repos  ne  tarda  pas  à les  remettre.  Nous  atteignîmes,  à deux  heures,  le  Grand- 

1 Hamel  commet  ici  une  erreur;  il  était  encore  à 700  mètres  environ  du  sommet 
(Lepilcur). 

2 Notice  sur  une  nouvelle  ascension  au  mont  Blanc.  Bibliolh.  univ.  de  Genève , 
t.  XXI,  p.  G8-75,  1822. 

3 Bétails  d'une  ascension  au  sommet  du  mont  Blanc , Ibid,  t.  XXI lf,  p.  157-155  et 

237-2  U,  1825. 


1 


HISTORIQUE. 


US 

Plateau.  Marie  Coulel,  qui  respirait  à peine  (il  était  déjà  monté  cinq  fois  au  mont 
Blanc),  s’étonnait  démon  bien-être  (p.  14G). 

ils  couchèrent  dans  une  petite  excavation  du  rocher  Piouge 
(4490m)  et  souffrirent  beaucoup  du  froid.  Le  lendemain,  à l’aube, 
départ  pour  le  sommet  : 

Favret  et  moi  étions  les  seuls  à notre  aise,  surtout  pour  la  respiration.  Quant 
aux  autres,  les  uns  s’étendaient  à plat  sur  la  neige,  les  autres  s’arrêtaient  debout, 
courbés  en  avant  et  la  tête  basse,  trouvant  plus  de  facilité  à respirer  dans  cette 
attitude.  J’ai  éprouvé,  pour  ma  part,  bien  plus  de  fatigue  dans  d’autres  excursions 
et  sur  des  montagnes  bien  moins  élevées  que  je  n’en  ressentais  en  approchant  du 
mont  Blanc;  il  est  vrai  que  je  marchais  alors  plus  vile.  Mon  pouls  s’élevait  bien 
ici  de  100  à 150  pulsations  par  minute,  mais  ma  circulation  s’accélère  à ce  degré 
toutes  les  fois  que  je  gravis  une  pente  rapide,  en  sorte  qu’à  tout  prendre  je 
n’éprouvais  rien  de  particulier  ou  de  nouveau  pour  moi  (p.  149). 

Le  récit  du  voyage  du  docteur  Clark  et  du  capitaine  Sherwill1, 
renferme  des  détails  pleins  d’intérêt.  Ils  montèrent  au  mont  Blanc 
le  25  août  1825;  partis  de  Chamounix  à sept  heures  du  matin,  ils 
arrivèrent  le  lendemain  au  sommet  à trois  heures  cinq  minutes  : 

Arrivés  au  Grand-Plateau,  M.  Clark  était  accablé,  le  capitaine  Sherwill  éprouvait 
beaucoup  de  nausées  et  de  l’oppression....  Simon,  l’un  des  guides,  se  plaignit  de 
mal  de  tête.... 

Au  sommet  du  mont  Blanc,  M.  Clark  éprouvait  de  la  gêne  dans  la  respiration, 
même  lorsqu’il  cessait  tout  mouvement,  il  éprouvait  dans  la  poitrine  une  sensa- 
tion semblable  à celle  qui  précède  l’hémoptysie,  maladie  à laquelle  il  a été  assez 
sujet  dans  sa  jeunesse.  11  ne  crachait  cependant  pas  de  sang  au  sommet  du  mont 
Blanc.  L’un  de  ses  guides  ayant  accidentellement  reçu  un  coup  sur  le  nez  perdit 
un  peu  de  sang,  qui  parut  d’une  couleur  plus  noire  qu’à  l’ordinaire.  M.  Clark 
éprouvait,  ainsique  le  capitaine  Sherwill,  un  violent  mal  de  tète  ; leurs  visages 
étaient  pâles  et  contractés.  Le  capitaine  parla  d’une  singulière  sensation  qu’il 
avait  éprouvée  près  du  sommet  : il  lui  semblait  que  son  corps  avait  une  élasticité 
et  une  légèreté  extraordinaire,  que  ses  pieds  touchaient  à peine  terre.  Les  guides 
étaient,  en  général,  très-fatigués  et  se  plaignaient  de  mal  de  tête. 

En  1827,  le  24  juillet,  nouvelle  ascension,  de  Ilawes  et  Fellowes2, 
accompagnés  de  dix  guides.  Nuit  passée  aux  Grands-Mulets  ( — 5°). 

Pendant  l’ascension  du  dôme  du  Goûté,  on  commença  à ressentir  les  effets  de 
la  grande  élévation,  le  mal  de  tête  augmentait  un  peu  et  à mesure  que  l'on  avan- 
çait ; les  veines  se  gontlaient,  le  pouls  était  fort  et  rapide ; 

A mille  pieds  du  sommet,  les  voyageurs  rendirent  du  sang  par  le  nez  et  pres- 
que tout  le  monde  en  cracha;  ces  accidents  firent  extraordinairement  soul- 

1 D.  Clark  et  Cu*  Sîierwill,  Quelques  détails  sur  leur  expédition  au  mont  Blanc.  Bi - 
blioth.  univ.  de  Genève,  t.  XXX,  p.  245-246,  1825. 

- Ascension  du  muni  Blanc  en  1827.  iSouv.  ann.  des  voyages , t.  XL,  p.  265-269,  1828. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ALPES. 


99 


frir  M.  Felowes,  qui  était  très-délicat  ; mais  M.  Hawes,  de  petite  taille,  fort  et 
robuste,  résista  mieux.  Leur  respiration  était  singulièrement  affectée;  ils  ne 
pouvaient  pas  faire  plus  de  six  à huit  pas  sans  s’arrêter.  Deux  guides,  épuisés  de 
fatigue,  se  trouvèrent  indisposés  et  rendirent  beaucoup  de  sang.  D’ailleurs, 
tout  le  monde  eut  le  visage  gercé  et  perdit  intérieurement  du  sang.  Le  froid 
était  intense 

A force  de  repos  et  de  peu  de  durée,  les  voyageurs  arrivèrent  à 2 heures  20  m. 
sur  la  cime  du  mont  Blanc.  (P.  267.) 

La  même  année,  un  voyageur  écossais,  Auldjo,  fit,  le  9 août,  la 
même  ascension.  N’ayant  pu  me  procurer  le  récit  original  qu’il  en 
publia,  j’en  emprunte  le  résumé  au  Iravail  de  M.  Lepileur,  dont  il 
sera  bientôt  question  : 

M.  Auldjo  dit  n’avoir  commencé  à ressentir  les  effets  de  la  raréfaction  de  l’air 
que  vers  4,200  mètres;  il  fut  alors  saisi  d’oppression  et  de  difficulté  de  respirer. 
Son  pouls  devint  fréquent  ; il  éprouvait  de  la  soif  et  une  plénitude  des  veines  de  la 
tête , mais  pas  de  mal  de  tête  dans  l’immobilité.  La  plupart  de  ses  guides  souffri- 
rent de  la  même  manière  et  au  même  degré.  A mesure  qu’il  s’élevait,  il  était  plus 
épuisé,  l’oppression  augmentait,  un  violent  mal  de  tête  s'y  joignit,  ainsi  que  de 
fortes  palpitatious,  une  lassitude  générale  et  une  douleur  dans  le  genou  et  les 
muscles  de  la  cuisse,  qui  rendait  le  mouvement  des  jambes  difficile.  Vers  4,570m, 
il  éprouvait  une  forte  envie  de  dormir,  et  se  trouvait  complètement  épuisé,  abattu 
et  découragé;  il  fallut  que  ses  guides  le  forçassent  à quitter  les  rochers  des 
Petits-Mulets.  Le  reste  de  la  montée  fut  extrêmement  pénible  pour  lui;  on  fut 
obligé  de  le  hisser  avec  une  corde  le  long  de  la  dernière  pente.  Depuis  le  moment 
où  il  avait  commencé  à souffrir,  il  ne  faisait,  ainsi  que  ses  guides,  que  quinze  à 
vingt  pas  de  suite.  En  gravissant  les  cent  derniers  mètres,  le  guide  le  plus  robuste 
et  le  plus  courageux,  dit-il,  était  épuisé  au  bout  de  trois  ou  quatre  pas , et  obligé 
de  s’arrêter  pour  reprendre  haleine.  11  souffrait  beaucoup  du  froid  du  côté  que 
ne  frappait  pas  le  soleil.  Enfin,  après  avoir  gravi  avec  un  peu  moins  de  malaise 
les  vingt  derniers  mètres,  il  arriva  à la  cime,  où  il  s’endormit  aussitôt  d’un  pro- 
fond sommeil.  On  le  réveilla  au  bout  d’un  quart  d’heure;  il  était  mieux,  le  mal 
de  tête  et  la  douleur  des  jambes  avaient  cessé,  mais  il  ressentait  du  frisson  et  souf- 
frait de  la  soif;  son  pouls  était  fréquent,  sa  respiration  difficile,  quoique  l'oppres- 
sion eût  diminué.  11  ne  put  manger  ; la  vue  et  l’odeur  des  aliments  lui  donnaient 
des  nausées...  (P.  20). 

Les  excursions  en  montagne  s’élaient  multipliées;  ce  n’était  plus 
seulement  au  mont  Blanc  que  s'adressaient  les  voyageurs,  devenus 
des  « touristes  ». 

Un  suisse  allemand,  Meyer1,  qui  publia  le  récit  de  ses  excursions 
en  1812,  a fixé  son  attention  sur  les  troubles  physiologiques;  il 
trouve  qu’on  les  a beaucoup  exagérés  : 

Tout  ce  que  rapporte  de  Saussure,  des  effets  de  l’atmosphère  dans  les  régions 

1 Rcise  auf  die  Eisgcbirgc  des  hantons  Bcrn  and  Ersteigung  ihrèr  hÔchstergipfel 
in  sommer  1812,  Aarau,  1815. 


100 


HISTORIQUE. 


supérieures  sur  l’organisation  animale,  n’est  pas  généralement  fondé  ; il  reste 
encore  bien  des  choses  qui  sont  hypothétiques.  Ainsi,  à une  élévation  absolue  de 
10  à 12,000  pieds  et  davantage,  au-dessus  delà  mer,  aucun  de  nous  ne  se  trouva 
assoupi,  ni  dans  un  état  fébrile  violent,  et  n’éprouva  des  vomissements  non  plus 
que  des  défaillances,  accidents  sur  lesquels  ont  beaucoup  insisté  quelques  voya- 
geurs qui  sont  parvenus  sur  de  très-hautes  sommités 

Qui  pourrait  disconvenir  qu’en  gravissant,  les  battements  du  pouls  ne  devien- 
nent presque  aussitôt  deux  fois  plus  fréquents  qu’ils  n’étaient  auparavant?  Qu’on 
marche  ensuite  d’un  pas  mesuré,  assez  longtemps  pour  se  remettre,  et  le  pouls 
ne  tardera  pas  à revenir  au  même  degré  de  fréquence  où  il  était  dans  la  plaine 
ou  dans  les  vallées....  J’ai  eu  occasion  de  remarquer  que  l’évanouissement  d’un 
de  nos  guides  près  du  sommet  de  la  Jungfrau  avait  été  provoqué  en  grande  par- 
tie par  les  grands  efforts  qu’il  fit  pour  monter,  et  en  partie  aussi,  par  la 
crainte  que  lui  inspira  le  danger  qu'il  courait.  Aucun  de  nous  n’éprouva  rien 
de  semblable  en  redescendant  (p.  50). 

No  lob  s l’évanouissement  du  guide,  quelle  qu’en  soit  l’explication 
donnée.  Ajoutons  qu’à  de  plus  faibles  hauteurs  que  celles  atteintes 
par  Meyer,  un  célèbre  ascensionniste,  le  docteur  Pairot,  éprouva 
un  phénomène  singulier  qu’il  rapporte,  il  est  vrai,  à la  chaleur, 
mais  dans  lequel  la  diminution  de  pression  me  parait  jouer  un  rôle 
considérable.  11  raconte  dans  les  termes  suivants  cet  accident  qui 
lui  arriva  le  18  septembre  : 

J’étais,  dit-il,  depuis  deux  heures  sur  le  bord  occidental  du  glacier  de  Lésa,  à la 
hauteur  de  3456m;  la  chaleur  était  telle,  que  mes  yeux  commencèrent  à rougir, 
et  que  j’éprouvais  une  céphalalgie  frontale  avec  un  assoupissement  et  une  fatigue 
tels,  que  j’avais  la  plus  grande  peine  à observer  convenablement  mon  baromètre  ; 
je  ne  trouvai  d’allégement  à cet  état  qu’en  me  couchant  à terre  (P.  580). 

C’est  le  5 août  1819  qu’eut  lieu  la  première  ascension  du  mont 
Rose;  elle  fut  exécutée  par  deux  habitants  d voisinage,  Vincent, 
directeur  des  mines  d’indren,  et  Delapierre,  inspecteur  des  forets, 
plus  connu  sous  la  traduction  allemande  de  son  nom,  Zumstein. 

Dans  le  premier  voyage,  il  n’est  question  d’aucun  trouble  phy- 
siologique. Mais  le  second,  qui  est  rapporté  avec  détails  dans  les 
Mémoires  de  l’Académie  de  Turin  (1.  XXV,  p.  250-252;  1820),  four- 
nit quelques  indications  intéressantes.  D’abord,  dans  la  nuit  que 
les  ascensionnistes  passèrent  au  pied  des  dernières  crêtes  à la  ca- 
bane des  Mineurs,  habitée  deux  mois,  « la  plus  élevée  de  l’Europe  » 
(1681  toises),  Zumstein  « éprouva  une  certaine  oppression  de  poi- 
trine qui  l’empêcha  de  fermer  l’œil  de  la  nuit.  Peut-être,  ajoute- 

Dr  Parrot,  Ueber  die  Schneegranze  auf  der  miltaglichen  seile  des  Bosagebürges  und 
barornetrischc  Messungcn.  — Schweiager's  journal  fur  chemie  und  p/njsik,  t.  XIX, 
p.  507-425,  1817. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ALPES. 


101 


t-il  prudemment,  cette  agitation  n’était-elle  due  qu’à  la  vive  impa- 
tience du  lendemain  » (p.  257).  En  arrivant  près  du  sommet,  au 
moment  où  les  intrépides  voyageurs  traversaient,  dans  des  marches 
taillées  dans  la  glace,  une  arête  redoutable,  « le  second  en  tête  pâ- 
lit et  s’appuya  en  chancelant  vers  la  pente  de  gauche  (p.  241)  ; » 
quelques  frictions  à la  neige  le  remirent  sur  pied.  Sur  le  sommet, 
après  un  certain  temps  de  repos,  le  pouls  de  Vincent  donna  80  pul- 
sations, celui  de  Zumstein,  101,  celui  d’un  des  guides,  104,  et  celui 
du  chasseur  qui  s’était  trouvé  mal,  77,  ce  qui  étonna  à assez  juste 
titre  Zumstein. 

Enfin,  ils  arrivèrent  au  sommet  de  la  pyramide  Vincent  (421 0m)  : 

Ils  avaient  peu  d’appétit,  mais  une  soif  ardente.  Vincent  avait  déjà  éprouvé  du 
malaise  en  montant,  et  Zumstein,  en  se  baissant  pour  ramasser  quelques  papillons 
argentés  qui  gisaient  à demi  morts  sur  la  neige,  eut  un  tournoiement  de  tête, 
qui  heureusement  se  dissipa  bientôt.  (Anal,  de  Briquet,  p.  16.) 

Le  51  juillet  1820,  ils  renouvelèrent  leur  ascension,  en  compa- 
gnie de  l’ingénieur  Molinatii,  et  passèrent  la  nuit  presque  au  som- 
met même  de  la  montagne,  par  15128  pieds  : 

Au  milieu  de  la  nuit,  Zumstein  fut  réveillé  par  des  palpitations  qui  le  suffo- 
quaient; il  sortit  pour  se  remettre  et  ne  tarda  pas  à se  trouver  mieux. 

Le  lendemain  matin,  ils  continuèrent  à grimper  : 

M.  Molinatti,  épuisé  par  la  rareté  de  l’air,  était  obligé  de  s’arrêter  à chaque 
instant,  tandis  que  MM.  Vincent  semblaient  avoir  des  ailes,  désireux  qu’ils  étaient 
d’arriver  les  premiers  au  sommet;  Zumstein,  en  arrière  d’une  cinquantaine  de 
pas,  les  suivait  haletant,  mais  ne  larda  pas  à les  rejoindre. 

Ils  arrivèrent  ainsi  au  sommet  de  la  pointe  de  Zumstein  (4560m), 
et  redescendirent  sans  encombre. 

Les  autres  ascensions  de  Zumstein,  en  1821,  1822,  ne  contien- 
nent rien  qui  puisse  nous  intéresser1. 

On  constate  donc,  dans  cette  ascension,  des  troubles  physiologiques 
évidents,  bien  que  moindres  que  ceux  dont  les  voyageurs  au  mont 
Blanc  nous  avaient  conservé  le  récit. 

Bien  moindres  encore  sont  ceux  qu’a  observés  Ilugi2,  qui  ne  va 

1 Elles  sont  racontées  textuellement  dans  la  Bibliothèque  universelle,  t.  XXVlIf,  p.  6G- 
77,  1825.  — Les  noies  de  Zumstein  ont  été  publiées  à Vienne,  en  1824,  par  le  baron 
de  Welden.  dans  un  livre  intitulé  : Dcr  Monte  liosa,  que  je  n’ai  pu  me  procurer.  J’em- 
prunte les  détails  qui  précèdent  à un  article  publié  par  M.  Briquet  sous  le  titre  d’Ms- 
censions  aux  pics  du  mont  Rose.  — (Bibl.  unie.,  t.  XII,  p.  1 — 47;  1861.)  " 

2 Na  tu  rh  istorisehe  Alpenreisc  — Solotliurn , 1850. 


102 


HISTORIQUE. 


rien  moins  qu’à  nier,  chose  bien  étrange,  l’accélération  même  du 
pouls  sur  les  lieux  élevés. 

La  plus  grande  hauteur  atteinte  par  ce  voyageur  et  ses  compa- 
gnons fut  le  Finsteraarhorn  (4275,n)  : 

A ces  hauteurs  je  n’ai  jamais  manqué,  dit-il,  d’observer  les  battements  du 
pouls,  la  respiration,  la  température  du  corps.  Les  résultats  furent  constants; 
c’est-à-dire  que  sous  ces  rapports,  les  hauteurs  ou  les  plaines  se  comportent  de 
même,  quand  on  n’éprouve  ni  effort,  ni  fatigue,  ni  crainte.  J’omets  d’énumérer 
les  observations.  Seul,  Wâhren,  connu  pour  sa  vigueur  dans  tout  l’Oberland, 
éprouva  quelques  nausées  sur  la  pointe  du  Finsteraarhorn.  Pendant  qu’il  travail- 
lait à la  Pyramide,  il  cessa  deux  fois  d’y  voir,  au  point  d’être  obligé  de  s’asseoir, 
(P.  218.) 

En  sens  inverse,  Hipp.  Cloquet1  affirme  que  les  accidents  de  la 
compression  se  font  souvent  sentir,  môme  à la  faible  hauteur  du 
grand  Saint-Bernard  : 

La  raréfaction  de  l’air....  produit  sur  les  organes  de  la  respiration  une  modifica- 
tion assez  singulière  pour  être  remarquée.  Les  personnes  douées  d’une  constitution 
forte  et  dont  les  poumons  sont  dans  un  état  parfait  éprouvent  un  certain  plaisir 
à respirer  un  air  aussi  frais  que  pur  et  léger;  celles,  au  contraire,  qui  sont  privées 
de  ces  avantages,  mais  plus  particulièrement  les  asthmatiques,  éprouvent  un  ma- 
laise marqué,  et  une  excessive  difficulté  de  respirer,  lorsqu'elles  fréquentent 
l’hospice  et  ses  environs.  On  a vu  au  Saint-Bernard  des  voyageurs  être  pour  ainsi 
dire  asphyxiés  par  défaut  d’air,  et  tomber  en  syncope,  sans  autre  cause  connue, 
ce  qui  arrive  souvent  aux  individus  faibles  et  délicats.  Au  début  de  la  syncope, 
le  pouls  est  très-fréquent  ; mais  celte  accélération  dans  les  battements  des  artères 
est  d’autant  moindre  que  la  force  des  poumons  est  plus  grande. 

C’est  encore  à la  rareté  de  l’air  que  l’on  doit  peut-être  attribuer  un  phénomène 
remarquable  que  présente  en  ce  lieu  1 observation  des  plaies.  Leur  cicatrisation 
demande  le  double  ou  même  le  triple  du  temps  qu’elle  exigerait  dans  la  plaine 

pour  son  entier  achèvement On  observe  la  même  chose  sur  toutes  les  hautes 

montagnes.  (P.  55). 

Les  récits  des  voyageurs  au  mont  Blanc  sont  toujours  les  plus  ca- 
ractéristiques, pour  ce  qui  a trait  au  mal  des  montagnes.  Depuis 
Auldjo,  un  intervalle  de  sept  ans  s’était  écoulé,  pendant  lequel  une 
seule  ascension  (Wilbraham,  5 août  1850)  avait  eu  lieu.  Mais  le 
17  septembre  1854,  le  docteur  Martin  Barry2  fit  une  ascension 
• scientifique  dont  le  récit  est  plein  d’intérêt. 

11  n’eut  à constater  de  troubles  physiologiques  qu’au-dessus  du 
Grand-Plateau  : 

1 Aperçu  sur  la  topographie  médicale  de  V hospice  du  mont  Saint-Bernard . — Nouveau 
journal  de  Méd.,  Chim.,  Pharm.  etc.,  t.  VII,  p.  29-57;  1820. 

2 Ascent  to  the  summit  of  mont  Blanc,  10-18  septembre  1854. — Edimbourg  new 
philos,  journal,  t.  XVIII,  p.  lOü-120;  1855. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  - ALPES. 


105 


Nous  étions  alors  arrivés  à une  élévation  où  j’allais  vérifier  les  récits  des  précé- 
dents voyageurs  sur  l’épuisement  qu’amène  le  moindre  effort  dans  une  atmo- 
sphère très-raréfiée.  Je  n’ai  point  éprouvé  de  semblables  inconvénients  avant  d’arri- 
ver à ce  point,  et  je  n’en  ai  point  vu  chez  mes  guides.  Je  ne  pouvais  faire  à la 
fois  qu’un  petit  nombre  de  pas,  petits  et  lents.  Deux  ou  trois  inspirations  pro- 
fondes étaient  à chaque  pas  suffisantes  pour  me  remettre;  mais,  quand  je  repar- 
tais, l’épuisement  revenait  comme  auparavant.  J'éprouvais  une  indifférence  dont 
ne  triompha  point  la  vue  du  sommet  prêt  à être  atteint.  J’eus  même  une  légère 
défaillance,  et  fus  obligé  de  m’asseoir  pendant  quelques  minutes;  mais  un  peu  de 
vin  me  remit 

Après  quelques  minutes  de  repos  au  sommet,  la  faiblesse,  l’épuisement,  l’indif- 
férence disparurent....  (P.  112). 

Le  récit  de  l’ascension  du  comte  de  Tillv,  qui  eut  lieu  quinze 
jours  après  celle  de  Barry,  contient  tant  d’erreurs  et  de  confusions 
que  nous  ne  saurions  nous  y arrêter.  Mais  l’année  suivante,  un 
anglais,  Atkins1,  atteignit  le  sommet  avec  deux  compagnons,  He- 
dringen  et  Pedwel,  sans  compter  les  guides,  et  observa  des  faits 
intéressants. 

Son  ascension  eut  lieu  le  25  août  1857.  11  commence  par  s’en  ex- 
cuser, comme  d’une  folie.  Les  premiers  symptômes  ne  sont  signalés 
par  lui  qu’au  Grand-Plateau  : 

• 

J’étais  forcé,  dit-il,  de  m’arrêter  tous  les  dix  pas  pour  reprendre  haleine  et 
reposer  mes  jambes.  En  proie  à la  soif,  je  l’étais  encore  à une  langueur  mor- 
telle. J’avalais  de  temps  en  temps  une  gorgée  de, vinaigre,  pour  tempérer  cette 
soif  qui  dévorait  mes  entrailles,  et  je  saignais  souvent  du  nez. 

Coutet  n était  pas  sans  angoisses  et  Jolliquet  ne  pouvait  tenir  la  tête  droite. 
Quelques-uns  de  ceux  qui  étaient  en  avant  se  traînaient  çà  et  là,  d’autres  se  rele- 
vaient et  retombaient  encore.  Au  pied  du  mur  de  la  Côte  gisait  un  homme  étendu 
de  son  long  et  sans  mouvements.  Je  ne  puis  dire  que  ce  fût  un  des  guides,  mais 
il  nous  rejoignit  enfin 

Enfin,  après  une  ascension  des  plus  accablantes,  après  nous  être  vus  forcés  de 
nous  arrêier  toutes  les  deux  minutes  pour  respirer,  nous  arrivons  sur  la  cime... 
U faisait  7°  au-dessous  de  zéro  (p.  3G) 

t « • • • • • 

Le  petit  chien  qui  nous  accompagnait  eut  à lutter  contre  le  sommeil  sitôt  que 
nous  eûmes  passé  le  Grand-Plateau,  et  chaque  fois  que  nous  nous  arrêtions,  il 
lâchait  de  se  coucher  à nos  pieds,  trouvant  la  neige  froide.  11  laissa  voir  plus  d’un 
signe  de  surprise  en  jetant  souvent  autour  de  lui  des  yeux  égar  es.  Tantôt  il  faisait 
un  effort  pour  courir  bien  vile,  et  tantôt  il  retombait  épuisé.  Quant  à son  appétit, 
les  os  de  poulet  que  nous  lui  donnions  disparaissaient  avec  mie  vitesse  étonnante, 
mais  il  ne  paraissait  pas  souffrir  de  la  soif 

lledringer,  voulant  se  faire  gloire  de  mettre  le  premier  le  pied  sur  la  cime,  se 
mit  à courir,  mais  à peine  eut-il  fait  quelques  pas  que,  d’épuisement,  .il  s’éten- 

1 Ascension  au  mont  Blanc,  traduit  de  l’anglais,  par  Jourdan.  — Genève,  Lon- 
dres, 1838. 


104 


HISTORIQUE 


dit  raide  sur  la  neige  pendant  deux  ou  trois  minutes,  essuyant  des  douleurs 
cruelles.  Il  subit  les  conséquences  de  son  ardeur  déplacée  pendant  tout  le  temps 
que  nous  restâmes  au  sommet  (p.  56) 

Nous  respirions  avec  toujours  plus  de  liberté  à mesure  que  nous  descendions,  et 
nous  nous  sentions  si  légers  qu’il  nous  semblait  à peine  toucher  à la  terre  (p.  59). 

A partir  de  cette  époque,  les  ascensions  du  mont  Blanc  deviennent 
plus  nombreuses.  Depuis  celle  d’Atkins  jusqu’à  la  célèbre  expédi- 
tion de  Bravais,  Lepileur  et  Mari  ins,  en  1844,  on  en  compte  17  ; 
mais  je  ne  puis  guère  signaler  comme  intéressante  que  l’ascension 
de  Mlle  d’Angeville  (4  septembre  1858),  qu’il  fallut  à peu  près  porter 
Jusqu’au  sommet. 

Le  docteur  Rey1  raconte,  dans  les  termes  suivants,  les  symp- 
tômes qu’éprouva  cette  femme  intrépide  : 

J’ai  appris  de  Mlle  Dangeville  que,  dans  son  état  habituel,  son  pouls  bat  de 
58  à GO  fois  par  minute,  bien  petit  et  bien  régulier.  Au  départ  de  Chamouuix  pour 
l’ascension,  il  était  déjà  de  64  et  élevé,  l’émotion  commençait  : aux  Grands-Midels, 
il  était  de  70  et  irrégulier,  quoiqu’elle  se  sentit  au  mieux,  moralement  et  physi- 
quement. A la  montée,  qui  est  au-dessus  du  Grand-Plateau , où  elle  a commencé 
à ressentir  un  peu  de  fatigue  et  de  sommeil,  elle  a compté  150  pulsations  à in- 
tervalles inégaux,  c’est-à-dire  beaucoup  plus  du  double  de  ce  qu’elles  sont  pour  elle' 
dans  son  état  ordinaire.  Arrivée  à un  lieu  nommé  le  Mur  delà  Côte,  près  de  la  der- 
nière cime,  elle  éprouva  une  sorte  d’agonie,  occasionnée  par  un  excessif  besoin 
de  dormir,  et  elle  ne  peut  dire  jusqu’où  une  accélération  aussi  extraordinaire 
s’éleva  pendant  cette  grave  indisposition;  mais  cinq  minutes  après  son  arrivée  à 
la  cime,  le  pouls  de  la  noble  et  généreuse  Française  était  déjà  revenu  à 108 
(p.  541). 

Jeions  donc  un  coup  d’œil  sur  les  autres  montagnes. 

Le  célèbre  naturaliste  Desor2,  dans  le  récit  des  excursions  nom- 
breuses avec  séjour  prolongé  dons  les  bauls  lieux,  qu’il  lit  en 
compagnie  de  l’illustre  Agassiz,  s’étonne  de  ne  ressentir  et  de 
n’observer  aucun  Rouble  physiologique;  il  en  est  frappé  surtout 
lors  de  son  ascension  à la  Jungfrau  (41 70m)  en  1841  : 

Je  dois  avouer  que  pendant  tout  le  temps  que  nous  fûmes  au  sommet,  de  même 
que  pendant  la  montée,  nous  n’éprouvâmes  aucun  de  ces  accidents,  tels  que  nau- 
sées, saignement  du  nez,  tintement  des  oreilles,  accélération  du  pouls,  et  tant 
d’autres  malaises  auxquels  la  plupart  de  ceux  qui  ont  fait  l’ascension  du  mont 
Blanc  nous  disent  avoir  été  en  proie.  Devons-nous  l’attribuer  à cette  différence  de 


1 Influence  sur  le  corps  humain  des  ascensions  sur  les  hautes  montagnes,  Bevue  me- 
dicale, 1842;  t.  IV,  p.  521-544. 

2 Excursions  et  séjours  dans  les  glaciers  et  les  hautes  régions  des  Alpes,  de  M.  Agassiz 
et  de  scs  compagnons  de  voyage.  — Neufchàtel,  Paris,  1844. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ALPES. 


105 


«500  mètres  qu'il  y a entre  la  hauteur  du  mont  Blanc  et  celle  de  la  Jungfrau?  ou 
bien  faut-il  en  chercher  la  cause  dans  1 habitude  que  nous  avions  contractée  de- 
puis plusieurs  semaines  de  vivre  à une  hauteur  de  plus  de  2,590  mètres;  mais  il 
est  à remarquer  que  M.  Duchàtelier,  qui  n’était  dans  les  montagnes  que  depuis 
quelques  jours,  ne  se  trouva  pas  plus  indisposé  que  nous.  Sans  prétendre  décider 
cette  question,  qui  appartient  plus  particulièrement  au  domaine  de  la  physiologie, 
je  penche  cependant  à croire  qu’il  y a un  peu  d’exagération  dans  tout  ce  qu’on 
nous  raconte  à ce  sujet.  Peut-être  aussi  quelques  voyageurs  se  sont-ils  laissé 
tromper  par  leur  imagination,  semblables  à ces  élèves  en  médecine  qui  se  croient 
tous  les  jours  atteints  de  la  maladie  dont  le  professeur  vient  de  leur  exposer  les 
caractères.  Des  physiologistes  allemands  prétendent  même,  si  je  ne  me  trompe, 
avoir  observé  les  symptômes  les  plus  extraordinaires  sur  des  montagnes  de  quel- 
ques mille  pieds.  (P.  409). 

Il  revient  encore1  sur  cette  immunité  à propos  de  son  ascension 
au  Sclireckhorn,  ou  plutôt  au  Lauteraarhorn  (4050m),  le  8 août 
1842  : 

Je  dois  faire  remarquer  que  personne  de  nous  n'éprouva  le  moindre  malaise  ni  au 
sommet,  ni  à la  montée,  ni  à la  descente,  en  sorte  qu’à  cet  égard  je  puis  pleinement 
confirmer  ce  que  j’ai  dit  ailleurs  sur  tous  les  prétendus  inconvénients  des  hautes 
régions. 

Et  cependant,  à cette  conclusion  si  absolue,  on  peut  opposer 
meme  dans  les  récits  de  Desor2,  le  fait  ci-dessous  : 

Nous  cheminions  ainsi  depuis  un  quart  d’heure,  lorsque  tout  à coup  notre  ami 
Nicolet  nous  crie  qu’il  n’en  peut  plus.  Il  éprouve  cette  fatigue  complète  dont  on 
est  quelquefois  assailli  dans  les  hautes  Alpes,  mais  qui  passe  très-vite  pourvu  seule- 
ment qu’on  se  repose  un  instant Je  sens  bien,  dit-il,  que  je  n’arriverai 

pas  vivant  à Zermatt (P.  342). 

Les  voyageurs  étaient  seulement  au  pied  du  montCervin. 
Gottlieb  Studer3  fait,  le  13  août  1842,  l’ascension  de  la  Jungfrau; 
il  n’éprouve  rien  non  plus  et  en  donne  une  étrange  raison  : 

Nous  ne  nous  aperçûmes  d’aucun  des  troubles  qu'à  de  si  grandes  hauteurs  les 
voyageurs  ont  souvent  attribués  à la  raréfaction  de  l’air;  cependant  il  faut  faire 
attention  que,  dans  une  aussi  longue  ascension,  pendant  trois  longues  heures,  la 
poitrine  peut  se  reposer (P.  515). 

En  sens  inverse,  un  autre  touriste,  Spitaler4,  qui  fit,  avec  plu- 

1 Revue  suisse.  — Neufchâtel,  juin  1845. 

s Journal  d'une  course  faite  aux  (//aciers  du  mont  Rose  et  du  mont  Cervin.  — Bi- 
blioth.  univ.  de  Genève.  2e  série,  t.  XXVI I,  1840. 

J Aus/lug  nach  dem  Alelsch  FÀsmeer  und  Ersteigung  der  Jungfrau  (4167™).  Rap- 
porté in-extenso  clans  Matériaux  pour  l'élude  des  glaciers,  par  Dollfus-Ausset,  t.  IV, 
1804. 

4 Beobachlungen  über  den  Ein/luss  der  verdiinnte  Lu  fl  und  des  stârken  Sonncnlichtcs 
au f ho  lier  Gebirgen,  etc..-  — Osterreich.  med,  Jahrb.  N.  Folge,  t.  XXXII;  1843. 


100 


HISTORIQUE. 


sieurs  compagnons,  des  ascensions  sans  grande  importance,  a cer- 
tainement exagéré  les  souffrances  éprouvées.  Ainsi,  à propos  du 
Venediger  dans  le  Pinzgau,  montagne  de  3675m,  il  fait  le  lamentable 
tableau  que  voici  : 

Nous  avions  le  besoin  d’inspirer  plus  souvent  et  tous  les  muscles  étaient  mis 
en  action  avec  peine  ; les  battements  du  cœur  et  du  pouls  doublaient  ou  même 
triplaient;  les  pulsations  étaient  petites  et  faibles,  les  difficultés  respiratoires 
allaient  jusqu’à  l’angoisse,  et  arrêtèrent  l’un  de  nous  à quelques  centaines  de  pas 
de  la  cime  ; un  autre,  en  revenant,  eut  une  légère  hémorrhagie  pulmonaire  ; la 
sécrétion  des  reins  était  singulièrement  diminuée....  personne  n’était  incommodé 
parla  sueur,  mais  la  soif  était  fort  grande.  La  température  était  de  + 2 à 
+ 6 0 R...  — Dans  la  plaine  nous  n’aurions  pas  eu  froid,  mais  à 9,000  pieds  une 
sensation  pénible  de  froid  nous  prit  ; tous  avaient  la  peau  flasque,  le  visage  d’as- 
pect vieillot;  la  force  des  muscles  était  singulièrement  diminuée,  et  de  quarante, 
vingt-six  seulement  atteignirent  la  cime. 

Le  témoignage  du  célèbre  physicien  anglais,  le  principal  Forbes, 
est  bien  autrement  précieux  et  bien  autrement  exact.  Forbes1  parle 
des  accidents  de  montagnes  à propos  de  son  expédition  au  col  du 
Géant  (5360m),  le  23  avril  1842,  dans  laquelle  il  vit  un  de  ses 
guides  légèrement  atteint  : 

Nous  étions  à environ  mille  pieds  du  sommet,  quand  Couttet  sentit  sa  respira- 
tion un  peu  affectée,  mais  non  d'une  manière  grave.  C’est  là  un  symptôme  très- 
commun,  et  qui  dépend  beaucoup  de  l'état  de  la  santé.  Je  m’en  ressentis  à peine 
ici  jusqu’au  sommet.  Mais,  en  1811,  j’en  ai  été  nettement  incommodé  à un  ni- 
veau inférieur,  en  montant  à la  Jungfrau.  Les  guides  disent  que  ces  variations 
tiennent  à l’état  de  l'air;  et  David  Couttet  m’affirma,  que,  à différents  jours, 
lui  et  son  père  avaient  senti  en  même  temps  la  difficulté  à respirer  à une  hau- 
teur très-médiocre.  (U.  224.) 

Après  tous  ces  voyageurs,  naturalistes  ou  simples  touristes,  qui 
n’ont  parlé  qu’incidemment  des  accidents  physiologiques,  nous 
arrivons  à une  expédition  scientifique  demeurée  justement  célè- 
bre, la  première  qu’ait  vu  le  mont  Blanc  depuis  de  Saussure,  et  dont 
un  des  membres,  le  docteur  Lepileur,  était  spécialement  chargé  de 
s’observer  lui-mème  et  d’observer  ses  compagnons  au  point  de  vue 
physiologique.  Aussi  le  récit2  qu’il  a fait  de  cette  ascension  mérite- 
t-il  d’ètre  ici  analysé  très-longuement. 

Mais  avant  d’aborder  ce  récit  lui-même,  M.  Lepileur,  qui  avait 
l’habitude  de  la  montagne,  raconte  que,  dans  ses  excursions  anté' 

1 Travels  through  the  Alps  of  Savoy.  — Édimburgli,  1853. 

2 Mém.  sur  les  phénomènes  physiologiques,  que  l’on  observe  en  s’élevant  à une  cer  - 
taine hauteur  dans  les  Alpes.  Revue  médicale ,,  1845,  t.  II. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ALPES. 


107 


rieures  à l’ascension  du  mont  Blanc,  il  a éprouvé  ou  observé  un 
certain  nombre  de  phénomènes  intéressants,  surtout  par  les  faibles 
hauteurs  auxquelles  ils  se  sont  présentés  : 

En  allant  de  Marligny  au  grand  Saint-Bernard,  en  septembre  1852,  je  vis  mon  frère 
et  deux  de  mes  amis  présenter  Ja  plupart  des  symptômes  du  mal  des  montagnes; 
l’un,  jeune  homme  de  vingt-six  ans,  fut  pris,  une  heure  avant  d’arriver  à l’hos- 
pice , de  malaise  général,  de  fatigue,  d’essoufflement,  de  palpitations,  et  bien- 
tôt ne  put  marcher  sans  être  soutenu  et  sans  faire  des  haltes  fréquentes  à inter- 
valles égaux.  Arrivé  à l’hospice , il  se  coucha,  sans  pouvoir  prendre  autre  chose 
qu’un  peu  de  thé  ; il  souffrit  toute  la  nuit  d’un  malaise  qu’il  comparait  à celui  de 
la  fièvre  ; le  lendemain  matin  il  sentait  encore  de  l’oppression  et  se  hâta  de 
redescendre  à Marligny,  Des  deux  autres,  l'un  avait  trente  ans,  et  mon  frère 
dix-sept:  ils  ne  souffrirent  que  fort  peu  dans  la  dernière  demi-heure  démon- 
tée ; mais  quoique  peu  fatigués  en  arrivant,  ils  n’avaient  pas  le  moindre  appétit, 
et  même  la  vue  et  l’odeur  des  aliments  leur  inspirait  du  dégoût.  La  nuit  les 
remit  tout-à— fait  ; le  lendemain  ils  purent  monter  à l’une  des  cimes  au  sud  du 
couvent,  et  redescendre  à pied  à Marligny.  La  fatigue  de  cette  journée  leur 
ôta  également  le  soir  tout  appétit,  ainsi  qu’à  un  autre  de  nos  compagnons,  qui 
n’avait  rien  éprouvé  au  Saint-Bernard  ; mais  ce  n’était  alors  que  de  la  fatigue,  il 
ne  restait  rien  du  malaise  qu’ils  avaient  ressenti  la  veille. 

Au  mois  de  juin  1835,  en  gravissant  la  pente  de  neige  qui  s’étend  au-dessous 
du  château  Pictet  sur  le  Buet,  à une  hauteur  d’environ  5,000  mètres,  je  sentis 
mes  forces  défaillir,  j’avais  beaucoup  de  peine  à avancer.  Un  de  mes  amis  qui 
m’accompagnait,  souffrait  déjà  depuis  près  d’une  demi-heure  de  fatigue  dans  les 
jambes  et  les  genoux.  Il  faisait  des  haltes  fréquentes.  Quant  à moi,  je  ne  pou- 
vais faire  plus  de  1 00  pas  de  suite. 

Un  peu  de  chocolat  que  je  mangeai  me  remit,  presque  complètement;  cepen- 
dant j’étais  encore  obligé  de  m’arrêter  de  temps  à autre,  quoique  beaucoup  moins 
épuisé.  Du  château  Pictet  à la  cime  du  Buet  la  pente  est  très-douce,  et  je  n’éprou- 
vais dans  ce  trajet  aucune  lassitude. 

Au  mois  de  juillet  de  la  même  année  , je  montais  avec  un  guide  sur  la  pointe 
de  rocher  qui  domine  au  nord  le  col  Saint-Théodule  ; environ  soixante  mètres 
au-dessous  de  la  cime,  je  m’aperçus  que  le  guide  s’arrêtait  fréquemment  ; bien- 
tôt il  lui  devint  impossible  de  faire  plus  de  huit  à dix  pas  sans  reprendre  haleine. 
C’était  un  homme  robuste  et  dans  la  force  de  l’âge,  je  ne  pouvais  penser  que  le 
poids  de  mon  sac  qu’il  portait  suffit  pour  le  fatiguer  à ce  point  ; le  voyant  haleter, 
pâlir  et  sur  le  point  de  tomber  en  défaillance,  je  lui  dis  de  prendre  un  peu  de 
repos  ; il  ne  voulut  pas  d’abord  convenir  de  son  malaise,  mais  enfin  il  fut  obligé 
de  s’asseoir,  une  sueur  froide  coulait  sur  son  visage,  il  était  épuisé.  Je  lui  lis 
manger  un  peu  de  pain  et  de  chocolat,  ce  qui  , joinl  à un  repos  de  dix  minutes, 
le  remit  tout  à l’ait . La  hauteur  à laquelle  nous  étions  n’était  guère  que  de  cent 
cinquante  mèlres au-dessus  du  col  Saint-Théodule,  c’est-à-dire  de  3,560 mètres, 
mais  j’avais  remarqué  en  partant  de  Zermalt , vers  minuit,  que  le  guide  était 
ivre,  et  c’était  là  ce  qui  l’avait  rendu  si  impressionnable  à la  raréfaction  de  l'air. 

Deux  jours  après,  en  gravissant  le  Breithorn,  à l’est-sud-est  du  col  Saint-Théo- 
dule, un  de  mes  guides  se  trouva  dans  l’impossibilité  de  monter  plus  haut  que 
le  dernier  plateau  (environ  5,000  mètres)  ; cet  homme  avait  soixante  ans  et  était 
affecté  d’une  double  hernie  inguinale.  Un  autre  guide  du  même  âge  éprouva 
beaucoup  d’anhélation  en  gravissant  le  cône  terminal  du  Breithorn  (4,100  métrés), 


108 


HISTORIQUE. 


dont  la  pente  est  très-raide.  Les  deux  autres  guides , hommes  de  trente  à 
trente-cinq  ans , n'eurent  aucun  malaise  non  plus  que  moi.  L’année  suivante, 
faisant  la  même  excursion  avec  un  de  mes  amis,  je  fus  pris  d’un  sommeil  invin- 
cible en  traversant  le  vaste  plateau  situé  au  sud  du  Breithorn  , où  l’année  pré- 
cédente un  guide  avait  dû  s’arrêter.  Je  dormais  en  marchant,  quelqu’effort  que 
je  tisse  pour  me  tenir  éveillé  ; un  des  deux  guides  éprouvait  le  même  effet,  l’autre 
et  mon  compagnon  de  voyage  ne  ressentaient  rien  de  semblable.  De  retour  au 
col  Saint-Théodule  (5,410  mètres),  après  un  léger  repas  fait  de  bon  appétit,  nous 
dormîmes  tous  au  soleil , pendant  une  heure  environ.  En  se  réveillant , mon 
compagnon  de  voyage  se  sentit  mal  au  cœur  et  vomit  ce  qu’il  avait  mangé  une 
heure  avant.  Il  faut  remarquer  que  l’avant-dernière  nuit  nous  avions  peu  et  mal 
dormi,  et  qu’après  une  marche  de  huit  heures  , nous  n’avions  pris  , la  nuit  qui 
précéda  notre  excursion,  que  trois  quarts  d’heure  de  sommeil.  Ii  m’est  arrivé 
plusieurs  fois,  à Paris,  de  me  trouver  ainsi  dominé  par  le  sommeil  au  point  de 
dormir  et  même  de  rêver  en  marchant.  Nous  n’avions,  du  reste,  éprouvé  les  uns 
ni  les  autres  aucun  autre  malaise  pendant  cette  excursion. 

Au  mois  de  juillet  1844,  en  gravissant  la  pente  du  Couvercle,  à une  hauteur  de 
2,500  mètres  environ,  j’éprouvai  un  malaise  et  une  difficulté  à monter  comme 
celle  que  j’avais  ressentie  en  1855  au  Buet.  Cet  état  dura  près  de  vingt  minutes. 
Je  n’étais  pas  obligé  de  m’arrêter,  mais  je  souffrais,  et  mes  forces  me  paraissaient 
diminuées  de  beaucoup  : enfin,  sans  cause  appréciable,  car  je  continuais  à mon- 
ter, le  malaise  cessa  tout-à-coup,  je  pus  franchir  sans  peine  la  hauteur  de 
150  mètres  environ,  qui  séparaient  le  point  où  je  me  trouvais  du  Jardin.  Arrivé 
en  ce  dernier  endroit,  je  mangeai  avec  assez  de  plaisir  ; mais  je  fus  bientôt  ras- 
sasié. M.  le  Dr  Noël  de  Mussy,  l’un  de  mes  compagnons  dans  cette  promenade,  et 
qui  se  trouvait  pour  la  première  fois  dans  les  montagnes,  n’éprouva  qu’un  peu 
d’essoufflement;  au  Jardin,  il  mangea  avec  beaucoup  d’appétit.  Cependant  le  soir, 
en  revenant,  il  était  beaucoup  plus  fatigué  que  moi.  Un  autre  voyageur  qui  nous 
accompagnait,  ne  ressentit  aucun  malaise. 

Enfin,  au  mois  de  septembre  , M.  Camille  Bravais,  qui  montait  avec  moi  à la 
pierre  de  l’Echelle,  parvenu  à une  hauteur  d’environ  2,500  mètres,  était  obligé  de 
s’arrêter  tous  les  vingt  pas  pour  reprendre  haleine.'  11  est  vrai  que  Al.  C.  Bravais, 
affecté  sans  doute  d’un  peu  d’hypertrophie  du  cœur,  n’a  jamais  pu  gravir  une 
montée  rapide,  sans  éprouver  de  fortes  palpitations.  (P.  55  et  suiv.  du  tirage  à 
part.) 

Arrivons  maintenant  aux  ascensions  du  mont  Blanc.  Dans  la 
première  tentative  avec  MM.  Bravais  et  Martins,  le  50  juillet  1844. 
ils  éprouvèrent  quelques  troubles  sur  le  Grand-Plateau  (591  lm), 
où  ils  dressèrent  leurs  tentes  pour  la  nuit,  et  qu’ils  ne  purent  dépas- 
ser : dégoût  des  aliments,  diarrhée,  abattement.  M.  Lepileur  fut 
pris  de  frissons  violents  revenant  huit  ou  dix  fois  par  heure; 
M.  Martins  eut  un  accident  analogue.  Us  avaient,  pour  planter 
leur  tente,  prêté  la  main  aux  guides,  et  s’y  étaient  beaucoup  fati- 
gués. 

Le  7 août,  ils  reparlent  tous  trois,  et  vont  coucher  au  Grand- 
Plateau  : les  frissons  y reprennent  M.  Lepileur;  M.  Martins  était 
assez  malade,  Bravais  n’eut  qu’une  invincible  envie  de  dormir  aux 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ALPES. 


109 


Grandes-Montées  (5800m).  L’un  des  guides  avait  le  visage  cyanosé, 
ce  que  M.  Lepileur  aüribue  au  fioid.  M.  Martins,  en  descendant, 
eut  une  hématurie  légère. 

Le  28  août,  troisième  voyage;  départ  de  Chamounix  à minuit  : 

La  montée  se  fit  très-bien  jusque  vers  5,100”.  Là,  Tournier  se  sentit  malade, 
perdit  tout  à fait  courage  et  fut  obligé  de  redescendre.  11  était  pâle,  la  sueur  inon- 
dait son  visage  et  il  pouvait  à peine  faire  quelques  pas  en  montant,  bien  qu’on 
lui  eût  fait  déposer  sa  charge  et  que  nous  fussions  sur  une  pente  assez  douce. 
Il  attribuait  cette  défaillance  de  ses  forces  à ce  que,  la  veille,  ne  pensant  pas 
monter,  il  s’était  fatigué  beaucoup  à un  travail  pénible.  Son  malaise  cessa  dès 
qu’il  fut  à deux  ou  trois  cents  mètres  plus  bas. 

A 5,000“,  je  ne  ressentais  rien  en  marchant  d’un  pas  mesuré;  mais  quand  je 
voulais  monter  vite,  comme  par  exemple  pour  rejoindre  mes  compagnons  de 
voyage,  après  m’être  arrêté  un  instant,  j’éprouvais  du  malaise.  M.  Bravais  sout- 
irait beaucoup  du  froid  aux  pieds  depuis  quelques  heures.  Plusieurs  fois  il  avait 
été  obligé  de  s’arrêter,  et  nous  avions  rétabli  la  circulation  en  lui  frappant  for- 
tement la  face  dorsale  des  orteils  avec  nos  mains 

Au  Petit-Plateau,  je  mangeai  d’abord  avec  répugnance,  puis  avec  plaisir,  lors- 
qu’un peu  d’aliments  eut  excité  l’estomac.  Nous  prîmes  tous  un  peu  de  vin  : 
c’était  toujours  la  ce  qui  nous  réussissait  le  mieux 

M.  Bravais  fut  encore,  cette  fois  comme  les  deux  autres,  pris  d’envie  de  dormir 
vers  la  hauteur  du  Petit-Plateau  (5,800”). 

En  arrivant  au  Grand-Plateau,  il  était,  ainsi  que  moi,  un  peu  fatigué.  M.  Mar- 
tins ne  l’était  pas.  Cachat  et  Ambroise  Coultet  étaient  épuisés.  Aussitôt  qu’ils 
furent  arrêtés,  ils  se  couchèrent  au  soleil  sur  la  neige,  et  restèrent  ainsi  pendant 
trois  ou  quatre  heures,  sans  pouvoir  nous  être  d’aucune  utilité.  Ambroise  Couttet 
eut  de  plus  des  nausées  toute  l’après-midi.  Dès  qu’il  voulait  se  tenir  debout,  la 
syncope  devenait  imminente.  Les  autres  s’occupèrent  avec  nous  à mettre  les 
instruments  en  observation  et  à déblayer  notre  tente  que  la  neige  Rivait  aux  trois 
quarts  ensevelie  du  côté  du  N.-E.  Ce  travail  ne  nous  fatiguait  ni  les  uns  ni  les 
autres,  et  nous  n’éprouvions  pas  plus  d’essoufllement  que  la  première  fois  et  qu’à 
Chamounix,  quand  nous  avions  dressé  nous-même  la  tente  pour  nous  y exercer  et 
montrer  à nos  guides  comment  il  fallait  r.’y  prendre. 

L’appétit  était  chez  tous  moins  développé  que  dans  la  vallée.  M.  Bravais  en  avait 
très-peu;  chez  M.  Martins  et  chez  moi  il  était  nul.  Cependant  je  n’éprouvais  pas 
de  dégoût  pour  les  vivres  frais  que  nous  avions  apportés.  Trois  heures  après 
notre  arrivée,  ayant  ôté  mon  masque  de  crêpe  qui  me  gênait  pour  observer,  je 
sentis  un  commencement  de  mal  à la  tète  qui  cessa  dès  que  j’eus  remis  mon 
masque.  Lorsque  j’apportais  une  grande  attention  à l’observation  de  quelque 
instrument,  quand  par  exemple  je  lisais  un  thermomètre  placé  sur  la  neige,  et  en 
général  quand  je  me  trouvais  dans  une  position  où  la  respiration  était  gênée, 
j’éprouvais  une  légère  sensation  nauséeuse  qui  durait  à peine  une  ou  deux  se- 
condes ; l’instant  d’avant  et  l’instant  d’après  je  ne  m’en  ressentais  nullement. 
Messieurs  Martins  et  Bravais  remarquèrent  chez  eux  le  même  phénomène.  A 
cela  près,  nous  étions  fort  bien  portants,  gais  et  pleins  de  confiance.  Nous 
ne  tenions  note  de  ces  minuties  de  malaise  que  pour  être  rigoureusement 
exacts. 

A.  Simon  fut  pris  de  défaillance  pendant  que  je  lui  tâtais  le  pouls.  11  était  debout 
et  n’eut  que  le  temps  de  se  coucher  sur  la  neige,  pour  éviter  une  syncope  coin- 


110 


HISTORIQUE. 


plète.  Depuis  notre  arrivée,  il  avait  travaillé  à déblayer  la  tente  et  à ranger  nos 
effets  de  campement  sans  éprouver  de  malaise  ; cependant  il  était  un  peu  moins 
dispos  celle  fois  que  les  autres.  Il  se  remit  au  bout  de  quelque  temps  et  mangea 
même  avec  appétit.  Le  soir,  tout  le  monde  était  bien  portant;  nos  deux  malades 
s’étaient  remis  de  leur  l'aligne;  je  dormis  la  nuit,  quoique  fort  gêné  par  l’impos- 
sibilité d’étendre  les  jambes.  Je  sentis  aussi  quelques  douleurs  rhumatismales 
dans  le  genou  droit,  vers  le  bord  interne  de  la  rotule,  et  un  peu  de  névralgie  au 
côté  externe  de  la  cuisse  gauche.  M.  Bravais  observa  jusqu’à  minuit.  Le  29,  à 
quatre  heures  du  matin,  je  Iis  la  première  observation.  J’étais  bien  reposé,  je  me 
sentais  toutes  mes  forces,  mais  je  n’avais  pas  d’appétit;  je  mangeai  seulement 
avec  plaisir  quelques  raisins  secs,  les  vivres,  gelés  à fond  depuis  un  mois,  et  sur- 
tout la  viande,  m’inspiraient  du  dégoût.  Vers  six  heures,  M.  Bravais  et  moi  nous 
prîmes  un  peu  de  pain  et  de  vin.  Les  premières  heures  de  la  matinée  se  passèrent 
à observer  et  à faire  quelques  expériences,  pendant  lesquelles  nous  restâmes 
debout,  allant  et  venant  sur  la  neige  molle.  A dix  heures  dix  minutes,  on  partit 
pour  la  cime. 

La  traversée  du  Grand-Plateau  fut  pénible  à cause  de  la  neige  dans  laquelle  on 
enfonçait  jusqu’au  mollet.  Je  ne  me  sentais  plus  aussi  fort  que  le  matin,  mais  je 
n'éprouvais  aucun  malaise.  Je  transpirai  abondamment  en  traversant  le  Grand- 
Plateau  et  pendant  la  première  demi-heure  de  montée.  Nous  souffrions  du  froid 
aux  pieds  et  aux  mains,  M.  Bravais  surtout.  M.  Martins  s’essoufflait  un  peu  plug 
et  plus  vite  que  nous.  Jusqu’au  bas  des  rochers  Rouges  supérieurs,  4,40Üm  en- 
viron, je  n’avais  de  malaise  d’aucune  espèce  ; nous  faisions  trois  cent  cinquante 
à quatre  cents  pas  de  suite  sans  reprendre  haleine  ; mais  arrivé  à ce  nombre,  ou 
sentait  le  besoin  de  quelques  instants  de  repos.  La  pente  sur  laquelle  nous  nous 
élevions,  mesurée  avec  la  boussole  du  géologue,  était,  vers  4,500'",  de  42°,  l’incli- 
naison de  notre  marche  était  de  1G°. 

Vers  4,400m,  je  commençai  à sentir  au  bout  de  dix  ou  douze  pas  un  peu  de  fa- 
tigue avec  douleur  analogue  à celles  de  la  courbature,  dans  les  jambes  et  les  ge- 
noux. Je  comptai  de  nomeau  mes  pas,  nous  en  faisions  encore  cent  entre  chaque 
halte;  mais  les  vingt  derniers  m’étaient  très-pénibles,  Cette  douleur  des  jambes 
cessait  dès  que  je  m’arrêtais,  et  les  premiers  pas  que  je  faisais  ensuite  étaient 
très-faciles.  Je  commençais  à désirer  vivement  de  voir  la  pente  s’adoucir.  Un 
quart  d’heure  avant  d’atteindre  le  haut  des  rochers  Rouges  supérieurs  elle  devint 
en  effet  moins  roide.  Vers  cette  hauteur  (4,500m)  j’eus  un  peu  de  transpiration 
(pii  ne  dura  que  quelques  instants.  Après  une  courte  halle  on  continua  de  monter; 
un  peu  avant  le  sommet  des  rochers  Rouges  supérieurs,  j’avais  commencé  à 
sentir  quand  je  marchais  un  malaise  indéfinissable;  je  n’avais  ni  mal  de  tête  ni 
palpitations,  une  fois  ou  deux  je  sentis  quelques  battements  dans  les  carotides, 
sans  doute  parce  que  j’avais  fait  quelques  pas  plus  vite  que  les  autres.  Je  n’avais 
pas  non  plus  de  mal  de  cœur,  mais  un  malaise  général,  une  sorte  d’épuisement. 
J’étais  faible  et  il  me  semblait  que  j’avais  juste  assez  de  force  pour  exéculer  les 
mouvements  de  locomotion  pendant  un  certain  temps  et  qu’ensuite  ce  serait 
fini  ; j’étais  en  un  mot  comme  un  homme  qui,  à la  fin  d’une  longue  journée  de 
marche,  épuisé  de  fatigue,  sent  qu’il  pourra  bien  arriver  encore  à tel  point  peu 
éloigné,  mais  qu’il  doit  renoncer  à aller  plus  loin.  Je  ne  pouvais  marcher  que  la 
tête  basse  et  le  menton  touchant  presque  le  sternum.  Cette  altitude  était  celle  de 
tous,  et  lorsqu’on  reprenait  haleine,  c’était  aussi,  pendant  les  premières  secondes, 
le  cou  tendu  et  le  corps  penché  en  avant.  Ciissold  avait  observé  la  même  chose. 
Un  peu  d’envie  de  dormir  se  lit  sentir  chez  moi  à plusieurs  reprises  et  j’eus  quel- 
ques bâillements.  Enfin  ce  qui  ajoutait  beaucoup  au  malaise,  c’était  une  soif 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ALPES. 


111 


assez  vive  ou  plutôt  une  sécheresse  et  un  état  pâteux  de  la  bouche  ; un  peu  de 
neige  fondue  sur  la  langue  en  mâchant  du  raisin  sec,  désaltérait  pour  quelques 
instants.  Cet  état  de  malaise  ne.se  développa  que  graduellement,  et  il  était  très- 
supportable  quand,  vers  4,5G0m,  un  vent  violent  du  nord-ouest  nous  assaillit. 
Aussitôt  nous  sentîmes  se  glacer  nos  mains,  notre  visage  et  la  partie  de  la  tète 
que  la  coiffure  ne  couvrait  pas.  Le  côté  du  corps  que  frappait  le  vent  était  aussi 
très-refroidi,  surtout  chez  MM.  Bravais  et  Martins,  dont  les  vêtements  étaient  assez 
légers.  Comme  nous  montions  en  zigzag,  quand  nous  nous  trouvions  avoir  le 
vent  en  face  pendant  une  raffale,  j’éprouvais  alors  au  plus  haut  degré  la  sensation 
que  j’ai  décrite  à propos  de  notre  première  ascension  au  Grand-Plateau.  J’avais 
beau  me  couvrir  de  la  main  le  nez  et  la  bouche,  baisser,  détourner  la  tête,  je  ne 
respirais  pas  plus  que  si  j’avais  été  sous  l'eau.  J’éprouvais  l’anxiété  de  l’asphyxie, 
la  tète  me  tournait  et  un  peu  de  mal  de  cœur  se  faisait  sentir.  Lors  même  que 
je  tournais  le  dos  à la  raffale,  il  me  semblait  que  le  vent  faisait  le  vide  autour  de 
moi,  et  je  respirais  difficilement.  Je  fus  le  seul  à éprouver  cet  effet  du  vent,  tant 
au  premier  qu’au  troisième  voyage.  Ce  surcroît  de  malaise  dura  sans  discontinuer 
pendant  un  quart  d'heure  ou  vingt  minutes,  je  me  demandais  si  je  pourrais 
arriver  au  sommet,  je  sentais  bien  que  j’y  parviendrais;  mais  il  me  fallait  em- 
ployer tout  ce  que  j’avais  de  force  morale  pour  faire  agir  les  forces  physiques. 
Par  moment  aussi  je  m’avançais  machinalement,  sans  penser,  pour  ainsi  dire. 
Personne  ne  parlait,  chacun  n’avait  comme  moi  qu’une  pensée,  celle  d’avancer 
encore  de  quelques  pas.  Aussi  l’espace  que  l'on  parcourt  entre  les  rochers 
Rouges  et  la  cime,  bien  que  l’on  mette  près  de  deux  heures  à le  franchir,  ne  m’a 
pas  laissé  beaucoup  de  détails  dans  la  mémoire,  et  se  retrace  cà  moi  comme  un 
souvenir  informe  assez  pénible  et  très-court,  sans  doute  à cause  de  son  uniformité. 
La  même  chose  a eu  lieu  pour  MM.  Bravais  et  Martins,  car  nous  avons  été  surpris 
tous  trois  quand  il  fallu  reconnaître  par  nos  notes  que  nous  avions  mis  près  de 
deux  heures  à al  er  des  rochers  Rouges  à la  cime.  Nous  ne  nous  rappelions  que 
deux  ou  trois  incidents  de  cette  montée,  qui,  bien  que  pénible,  lut  pourtant 
laite  sans  interruption  et  sans  l’excès  de  fatigue  et  d’épuisement  éprouvé  par 
quelques  voyageurs.  C’est,  je  crois,  au  vide  que  laisse  dans  la  mémoire  celte 
partie  de  l’ascension  au  mont  Blanc  qu’il  faut  attribuer  les  erreurs  et  les 
confusions  si  fréquentes  dans  les  récits  des  voyageurs  lorsqu’ils  parlent  de  ce 
trajet. 

Quand  on  faisait  halle,  je  me  trouvais  au  bout  de  deux  ou  trois  secondes  en 
parfaite  santé  ; je  ne  souffrais  plus  que  d'un  peu  de  soif  et  du  froid  aux  pieds  et 
aux  mains.  Nous  ne  trouvâmes  pas,  comme  de  Saussure  l’a  observé  sur  lui-même, 
que  le  malaise  causé  par  la  marche  arrivât  à son  plus  haut  point  au  bout  de  huit 
ou  dix  secondes  de  halte. 

Pendant  le  dernier  quart  d’heure  de  montée,  la  pente  était  plus  douce  et  le 
vent  soufflait  avec  moins  de  violence.  Ces  deux  causes,  jointes  au  bonheur  que 
j’éprouvais  en  voyant  la  cime  à peu  de  distance,  diminuèrent  beaucoup  mon 
malaise.  M.  Bravais  ne  souffrit  que  du  froid.  Nous  avions  déjà  reconnu  que  de 
nous  trois  c’était  lui  qui  ressentait  le  moins  les  effets  de  l'air  raréfié.  M.  Martins 
était  celui  qui  en  souffrait  le  plus.  Il  était  très-essoufllé,  avait  des  palpitations, 
des  battements  dans  les  carotides  et  un  peu  de  mal  de  tête  ; il  se  sentait 
une  fatigue  générale,  et  faisait  moins  de  pas  que  nous.  En  arrivant  à la 
cime,  il  s’en  croyait  encore  éloigné  d’une  demi-heure,  et  ressentit  en  s’y  trou- 
vant un  vif  mouvement  de  joie.  Aucun  de  nous  n’éprouva,  pendant  la  mar- 
che, ni  douleur  ni  fatigue,  enfin  rien  d’extraordinaire  dans  l’articulation  coxo- 
fémorale;  eu  général,  on  ne  ressentait  pas  de  fatigue  dans  les  muscles  de  la  cuisse. 


11  ‘2 


HISTORIQUE. 


MM.  Bravais  et  Martins  en  avaient  un  peu  dans  le  droit  antérieur  seulement. 

Entre  les  rochers  Rouges  (4,50Gm)  et  les  Petits-Mulets  (4,G60m)  nous  faisions 
d’abord,  sans  reprendre  haleine,  quatre-vingts  pas,  puis  ce  nombre  se  réduisit  à 
soixante-dix,  et  enfin  à trente-cinq  ou  quarante  pas  entre  les  Petits-Mulets  et  la 
cime.  Cependant,  au  moment  d’arriver  sur  le  point  culminant,  la  pente  étant 
très-douce,  nous  fîmes  une  ou  deux  traites  plus  longues  que  les  autres.  A qua- 
rante mètres  environ  du  sommet,  M.  Bravais  voulut  voir  combien  il  pourrait  faire 
de  pas  en  montant  aussi  vite  que  possible  et  dans  le  sens  de  la  grande  pente.  11 
fut  obligé  de  s’arrêter  au  bout  de  trente-deux  pas;  il  sentait,  dit-il,  qu’au  mo- 
ment où  il  s’arrêta,  il  aurait  pu  en  faire  encore  deux  ou  trois,  peut-être  quatre, 
mais  qu’il  lui  eût  été  tout  à fait  impossible  d’aller  au-delà. 

Pendant  la  montée,  aucun  des  guides  et  des  porteurs  ne  parut  souffrir  ; deux 
d’entre  eux  étaient  un  peu  plus  fatigués  que  les  autres  : c’étaient  Frasserand,  qui 
déjà  la  veille  était  arrivé  un  peu  fatigué  au  Grand-Plateau,  et  À.  Couttet,  qui  y 
avait  été  malade  toute  l’après-midi.  Nos  deux  guides  et  le  porteur  Simon  parais- 
saient pouvoir  faire  un  plus  grand  nombre  de  pas  que  nous.  Plusieurs  fois  même 
ils  ne  s’arrêtèrent  que  parce  qu’on  le  leur  demandait.  Nous  arrivâmes  à la  cime, 
M.  Bravais  et  moi,  en  même  temps  : M.  Martins  nous  y rejoignit  quelques  mi- 
nutes après 

Pendant  huit  ou  dix  minutes  je  souffris  aux  pieds  de  vives  douleurs,  causées 
par  la  réaction  de  chaleur  qui  succédait  à un  froid  intense.  J’éprouvai  aussi,  dans 
les  premiers  moments  de  notre  arrivée  et  quand  les  douleurs  des  pieds  eurent 
cessé,  un  peu  de  somnolence.  Je  me  couchai  sur  la  neige,  où  je  restai  cinq  mi- 
nutes, mais  sans  pouvoir  dormir.  Je  me  relevai  alors,  l’envie  de  dormir  se  dis- 
sipa, et  pendant  tout  le  temps  que  nous  passâmes  au  sommet  je  n’éprouvai 
absolument  aucune  sensation  pénible,  sauf  un  peu  de  froid  pendant  la  dernière 
heure.  Je  n’avais  pas  d’appétit,  quoique  l’idée  de  manger  ne  me  causât  aucune 
répugnance.  M.  Bravais  était  aussi  fort  bien  portant;  seulement  il  éprouvait  de 
temps  à autre  la  petite  sensation  nauséeuse  que  M.  Martins  et  moi  nous  avions 
observée  sur  nous  la  veille  au  Grand-I'lateau.  lise  sentait  de  l’appétit  et  mangea 
un  peu  de  biscuit  et  quelques  pruneaux.  Peu  de  temps  après  notre  arrivée  à la 
cime,  il  but,  ainsique  moi,  environ  un  tiers  de  verre  d’eau-de-vie.  Cette  liqueur 
nous  sembla  délicieuse  et  fort  douce,  à notre  grande  surprise;  elle  nous  fit  beau- 
coup de  bien,  et  nous  donna  des  forces  sans  nous  causer  l’excitation  qu’amènent 
ordinairement  les  spiritueux.  Nous  bûmes  aussi,  pendant  les  deux  premières 
heures  de  notre  séjour  au  sommet,  un  peu  de  vin.  M.  Martins,  un  instant  après 
son  arrivée  à la  cime,  lut  pris  de  nausées,  et  vomit  quelques  grains  de  raisins 
secs  qu’il  avait  mangés  une  heure  auparavant.  Le  vomissement  le  soulagea.  Il 
comparait  son  malaise  au  mal  de  mer.  Couché,  il  ne  souffrait  presque  pas,  mais 
le  mouvement  et  la  station  ramenaient  les  nausées.  Une  heure  après,  il  était  déjà 
mieux;  au  bout  de  deux  heures,  le  malaise  cessa  complètement.  11  but  un  peu  de 
vin,  mais  ne  voulut  pas  manger.  Les  six  hommes  que  nous  avions  avec  nous 
mangèrent  à peine,  mais  ils  burent  environ  deux  bouteilles  de  vin  et  une  demi- 
bouteille  d’eau-de-vie.  Tous  se  trouvaient  en  parfaite  santé;  deux  seulement 

étaient  évidemment  fatigués,  quoiqu’ils  n’en  voulussent  pas  convenir 

On  pouvait  marcher  sans  aucune  difficulté  sur  un  plan  à peu  près  horizon- 
tal: mais,  dès  qu’il  fallait  monter,  on  éprouvait  de  l’anhélation  et  une  lassitude 

générale 

Nous  avions  tous  la  langue  blanche  ; mais  celle  des  guides  l’était  moins  que  la 
nôtre,  et  leur  appétit  n’était  pas  non  plus,  comme  le  nôtre,  complètement  ou 
presque  complètement  nul.  (U.  44-54.) 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ALPES. 


115 


Après  quelques  heures  d’observation,  ils  redescendirent  au  Grand- 
Plateau  ; M.  Martins  fut  pris  d’essoufflement,  de  palpitations  et  de 
battements  dans  les  carotides,  en  sorte  qu’il  fut  forcé  de  s’asseoir. 
Pendant  la  nuit,M.  Lepileur  ressentit  une-violente  névralgie  sciatique 
à gauche.  L’appétit  ne  lui  revint  que  le  lendemain,  quand,  retour- 
nant à Chamounix,  il  arriva  par  3000m  ; dans  toute  la  journée,  il 
n’avait  mangé  qu’un  petit  morceau  de  pain  trempé  dans  un  peu  de 
vin.  Il  envoya  des  vivres  frais  à Martins  et  à Bravais,  restés  au  Grand- 
Plateau  ; ceux-ci  les  reçurent  avec  grand  plaisir  et  firent  un  bon 
repas  ; toutefois,  ce  qu’ils  mangèrent  entre  cmq  n’aurait  guère  fait 
que  la  ration  d’un  homme  dans  la  vallée. 

Les  urines  étaient  rares  et  foncées  chez  tout  le  monde. 

Le  travail  de  M.  Lepileur  est  terminé  par  une  série  de  tableaux 
indiquant  le  nombre  de  pulsations  observées  sur  lui-même,  sur 
Martins  et  sur  trois  guides,  de  Servoz  ou  de  Chamounix  au  sommet 
du  mont  Blanc.  11  le  résume,  en  disant  : 

L’augmentation  de  fréquence  est  un  résultat  constant , quand  on  s’élève,  à par- 
tir d’un  certain  niveau,...  qui  peut  varier  suivant  les  individus....  Mon  pouls  s’est 
trouvé  moins  fréquent  à Chamounix  (GO)  qu’à  Paris  (67,25)  ;....  ce  fut  le  contraire 
chez  M.  Martins....  Le  rapport  de  fréquence  entre  Chamounix  et  la  cime  est,  pour 
M.  Martins  0,82  ; pour  moi,  0,G8  ; pour  Muguier,  0,G7  ; pour  Couttet,  0,60  ; pour 
Simond,  0,61.  (P.  77-80.) 

M.  Martins1  a raconté  beaucoup  plus  tard  le  même  voyage;  ses 
souvenirs  concordent  avec  ceux  de  M.  Lepileur  : 

Sur  le  Grand-Plateau  les  guides  se  mirent  à déblayer  la  tente.  Ce  travail  était 
pénible:  chacun  d’eux  avait  à peine  enlevé  quelques  pelletées  qu’il  s’arrêtait  pour 
respirer  ; un  secret  malaise  se  traduisait  sur  toutes  les  physionomies,  l’appétit 
était  nul.  Auguste  Simond,  le  plus  grand,  le  plus  fort,  le  plus  vaillant  des  guides, 
s’affaissa  sur  la  neige,  et  faillit  tomber  en  syncope  pendant  que  le  docteur  Lepi- 
leur lui  tâtait  le  pouls  ; c’était  l’effet  de  la  raréfaction  de  l’air  jointe  à la  fatigue,  à 
l’insomnie,  dont  chacun  de  nous  était  plus  ou  moins  affecté.  Nous  étions  alors 
à près  de  4000  mètres  au-dessus  de  la  mer,  et  à 5000  mètres  déjà  il  y a peu 
d’hommes  qui  ne  se  sentent  incommodés.  Je  ne  m’étonne  pas  que  nous  ayons 
ressenti  dans  cette  ascension  les  effets  de  la  raréfaction  de  l’air , qui  avaient  été 
peu  marqués  dans  les  deux  premières.  Jamais  nous  ne  nous  étions  élevés  si  vite 
de  Chamounix  au  Grand-Plateau:  partant  de  1040  mètres  au-dessus  de  la  mer, 
nous  étions,  après  dix  heures  et  demie  de  marche,  à 5930  mètres  ; c’est  une  diffé- 
rence de  niveau  de  2890  mètres  , franchie  en  moins  d’une  demi-journée.  Tout 
malaise  disparaissait  quand  nous  cessions  d’agir.  (P.  25  du  tirage  à part.) 

1 Deux  ascensions  scientifiques  au  mont  Blanc.  — Bévue  des  Deux-Mondes,  livraison 
du  15  mars  1865. 


8 


114 


HISTORIQUE. 


Le  lendemain,  ils  terminèrent  l’ascension  : 

La  raréfaction  de  l’air....  nous  forçait  à marcher  lentement  ; tous  les  vingt  pas, 
nous  nous  arrêtions  essoufflés 

Nous  touchions  au  but,  mais  nous  marchions  lentement,  la  tête  baissée,  la  poi- 
trine haletante,  semblables  à un  convoi  de  malades.  L’influence  delà  raréfaction 
de  l’air  se  faisait  sentir  d’une  manière  pénible  : à chaque  instant,  la  colonne  s’ar- 
rêtait. Bravais  voulut  savoir  combien  de  temps  il  pourrait  marcher  en  montant 
le  plus  vite  possible  : il  s’arrêta  au  trente-deuxième  pas  sans  pouvoir  en  faire  un 
de  plus.  Enfin  à une  heure  trois  quarts  nous  atteignîmes  ce  sommet  tant  dé- 
siré. (P.  27.) 

Le  récit  de  l’ascension  du  19  juillet  1859,  faite  par  MM.  Chomel 
et  Crozel1,  a également  donné  lieu  à d’intéressantes  observations  ; 
ils  suivirent  une  route  différente  de  la  route  ordinaire,  de  la  roule 
battue,  pourrait-on  dire,  tant  les  voyages  au  mont  Blanc  sont  deve- 
nus fréquents  : 

Vient  enfin  la  calotte  du  mont  Blanc,  qui,  malgré  son  peu  d’élévation  au-dessus 
de  la  merde  glace,  exige  pourtant  encore  deux  mortelles  heures  d’ascension.  C'est 
là  que,  pendant  ce  dernier  trajet,  le  manque  d’air  rend  pénible  tout  mouvement 
du  corps,  et  qu’il  faut  des  efforts  surhumains  pour  résister  aux  palpitations,  au 
sommeil  et  à l’évanouissement 

Ce  sommet  tant  désiré,  quelques  pieds  à peine  nous  en  séparent  encore.  Nous 
nous  piquons  d’amour-propre,  et  nous  relevant  de  la  neige  où  nous  étions  éten- 
dus, nous  faisons  à la  course  le  reste  du  chemin 

Nous  voici  au  sommet  du  géant  des  Alpes.  La  première  impression....  fut, 
hélas  ! un  tournoiement  de  tête  et  des  contractions  d’estomac  qui  nous  firent 
chanceler. 

Le  célèbre  physicien  anglais  Tyndall2  est  un  des  plus  ardents 
ascensionnistes  des  Alpes.  Chaque  année  le  voit  plantant  son  alpen- 
stock  sur  quelque  sommet  nouveau.  Et  ce  n’est  pas  seulement  dans 
un  but  scientifique  qu’il  brave  ainsi  de  sérieux  dangers;  ce  ne  sont 
pas  seulement  les  grands  spectacles  de  la  nature  qui  l’attirent  et 
le  passionnent;  il  semble,  lui  aussi,  pris  de  celte  manie  de  grimper 
pour  grimper,  qui,  née  en  Angleterre,  fait  aujourd’hui  des  progrès 
dans  notre  propre  pays.  Mais  son  témoignage  n’en  a que  plus  de 
valeur  pour  ces  diverses  raisons. 

C’est  le  12  août  1857  que  Tyndall  fit  sa  première  ascension  au 
mont  Blanc,  en  compagnie  de  MM.  Hirst  et  Huxley.  Celui-ci  dut 
s’arrêter  aux  Grands-Mulets. 

1 Ascension  du  mont  Blanc  par  la  route  de  Saint-*Cermain-les-Banis . — Nouv.  ann. 
des  voy.,  t.  CLXill,  p.  358-562,  1859. 

2 Tyndall,  The  glaciers  of  the  Alps.  — London,  1860. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ALPES. 


115 


Arrivé  aux  Derniers  Rochers,  Tyndall  se  sentit  épuisé.  Le  guide 
Simond  s’écriait  à chaque  pause  : « Ah  ! comme  ça  me  fait  mal  aux 
genoux  ! » 

Je  me  couchai  sur  un  lit  composé  de  granit  et  de  neige , et  m’endormis  immé- 
dialement. 

Mais  mon  compagnon  me  réveilla  bientôt  : Vous  m’avez  fait  peur,  dit-il,  j’ai 
écouté  pendant  quelques  minutes,  et  je  ne  vous  ai  pas  entendu  respirer  une  fois. 

Nous  nous  levâmes  alors,  il  était  c2  heures  et  demie....  Au  sentiment  de  fatigue 
éprouvé  jusque-là  se  joignit  un  nouveau  phénomène,  des  battements  de  cœur. 
Nous  y étions  incessamment  soumis,  et  ils  devenaient  parfois  assez  intenses 
pour  faire  craindre  quelque  danger.  Je  comptai  le  nombre  de  pas  que  je  pou- 
vais faire  sans  m’arrêter  et  le  trouvai  de  quinze  ou  vingt.  A chaque  repos  mon 
cœur  battait  à être  entendu,  comme  je  m’appuyais  sur  mon  bâton,  et  son 
calme  était  le  signal  d’une  nouve’le  marche  en  avant.  Ma  respiration  était  courte, 
mais  facile  et  sans  obstacles.  Je  m’efforçai  de  rechercher  si  l’articulation  de  la 
cuisse,  par  suite  de  la  diminution  de  pression,  était  relâchée,  mais  je  ne  pus  m’en 
assurer 

Depuis  que  nous  avions  passé  les  derniers  rochers,  nous  travaillions  avec  l’in- 
différence stoïque  d’hommes  qui  accomplissent  un  devoir  sans  s’inquiéter  des 
conséquences.  Enfin  un  rayon  d’espérance  commença  à éclairer  nos  esprits  ; le 
sommet  était  visible,  Simond  montra  plus  d’activité....  à 3 heures  et  demie  je 
joignis  les  mains  sur  le  sommet.  (P.  80.) 

Le  récit  de  la  seconde  ascension,  faite  le  12  septembre  1858,  ne 
contient  qu’une  allusion  en  quelques  mots  aux  fatigues  des  monta- 
gnes (p.  180). 

En  1859,  ascension  plus  sérieuse  encore  et  des  plus  fructueuses 
pour  la  science.  Tyndall,  Frankland  et  neuf  guides  passèrent  une 
nuit  au  sommet  du  mont  Blanc  ; leur  séjour  y fut  d'environ  vingt 
heures1 : 

Nous  ne  souffrîmes  pas  du  froid,  bien  que  nous  n’ayions  pas  de  feu  et  que  la 
neige  fût  à une  température  de  — 15  0 C..  Mais  nous  fûmes  tous  indisposés. 
J’étais  mal  portant  en  quittant  Chamounix....  J’avais  fréquemment  triomphé  de 
mon  malaise  dans  des  occasions  précédentes , et  j'espérais  qu’il  m’en  arriverait 
autant.  Mais  je  fus  en  ceci  complètement  déçu  ; mon  malaise  était  plus  profon- 
dément enraciné  qu'à  l’ordinaire,  et  il  augmenta  pendant  toute  l’ascension.  Mais, 
le  lendemain  matin,  je  me  trouvai  plus  fort,  tandis  qu  il  en  était  tout  autrement 
pour  plusieurs  de  mes  compagnons.  (P.  54.) 

La  môme  année,  un  Allemand,  le  docteur  Pitschner2,  fit  une 
ascension  remarquable  de  la  même  montagne;  il  fut  très-sérieuse- 
ment atteint  : 

1 Hours  of  exercise  in  lhe  Alps.  —c2e  éd. — London,  1871. 

2 Der  mont  Blanc.  Darstellung  (1er  Besteigung  desselben  arn  51  juli,  1,  u 2 Aügust 
1859.  — Berlin,  1860. 


116 


HISTORIQUE. 


Nous  étions  à 6 heures  du  matin  dans  le  Corridor  (5,990  mètres)  ; le  thermo- 
mètre marquait  — 8°  C.  A peine  y étions-nous  depuis  cinq  minutes,  qu’une  forte 
envie  de  dormir  vint  nous  saisir,  qui  s’empara  de  moi  au  plus  haut  degré.  Ma 
respiration  était  très-pénible;  mes  yeux  papillotaient,  j’avais  des  bourdonnements 
d’oreilles,  des  douleurs  de  tète,  des  nausées  ; bientôt  survinrent  à plusieurs  re- 
prises des  vomissements  ; Balmat  n’était  pas  plus  épargné  que  moi,  et  l’envie  de 
dormir  le  domptant,  il  se  coucha  sur  la  neige,  et  je  ne  tardai  pas  à me  laisser 
tomber  auprès  de  lui. 

« Je  ne  puis  aller  plus  avant,  avant  de  dormir  une  demi-heure,  » dis-je  à Bal- 
mat....  Je  tombai  dans  un  sommeil  léthargique,  entrecoupé  de  suffocations,  qui 
finit  par  paraître  dangereux  à Balmat  ; aussi  se  mit-il  à me  remuer  et  à me  se- 
couer, sans  pouvoir  me  réveiller.  Quinze  minutes  s’écoulèrent.  Ses  cris  m’éveil- 
lèrent, et  il  me  dit  : « Vous  ne  pouvez  pas  rester  ici  plus  longtemps,  il  faut  aller 
en  avant.  » La  sueur  m’était  venue  au  visage;  je  me  frottai  la  figure  de  neige,  et 
après  une  vingtaine  de  respirations  profondes,  je  me  sentis  remis 

D’après  les  sensations  que  j’éprouvai  sur  le  glacier,  il  est  évident  que  l’influence 
de  l’air  des  hauteurs  s’est  fait  sentir  chez  moi  d’une  manière  très-grave;  il  en- 
gendre des  congestions  périlleuses 

Au  retour,  à trois  heures  après  midi , les  mêmes  symptômes  se  manifestèrent 
dans  le  même  lieu,  mais  avec  une  bien  moindre  intensité  : maux  de  tête,  dégoûts, 
vomissements. 

L’expédition  du  docteur  Piacliaud 4,  le  26  juillet  1864,  donna  des 
résultats  tout  aussi  intéressants.  L’auteur  a porté  son  attention  sur 
les  phénomènes  physiologiques  éprouvés  par  ses  compagnons  et 
lui,  et  « attribués  à la  rareté  de  l’air  » : 

Le  principal,  dit-il,  est  l’oppression,  qui  existe  à peine  lorsqu’on  est  en  repos, 
mais  qui  se  manifeste  dès  qu’on  se  met  en  marche , pour  cesser  de  nouveau, 
quand  on  s’arrête.  Il  en  résulte  l’obligation  d’augmenter  le  nombre  des  inspira- 
tions, et  de  là  une  fatigue  telle  que  tous  les  vingt  ou  vingt-cinq  pas  il  faut  né- 
cessairement un  temps  d’arrêt.  Cette  fatigue,  du  reste,  ne  ressemble  point  à 
celle  qu’on  éprouve  à la  suite  d’une  longue  marche  ; ce  ne  sont  pas  les  jambes 
qui  en  sont  principalement  atteintes,  elle  s’empare  de  l’économie  tout  entière, 
il  y a comme  une  dépression  générale  aussi  bien  morale  que  physique.  Il  est 
essentiel  d’ajouter  que  cet  état  particulier  ne  s’observe  que  pendant  le  mouve- 
ment ascensionnel,  car  une  fois  arrivé  au  sommet  et  pendant  la  descente  je  ne 
ressentis  rien  de  pareil.  Un  autre  effet  remarquable  de  la  rareté  de  l’air  , c’est 
la  tendance  au  sommeil,  à laquelle  j’avais  peine  à résister  ; je  sentais  que  si  je 
m’étais  étendu  sur  la  neige,  ou  que  j’eusse  été  seul,  je  me  serais  immédiatement 
endormi.  Je  ne  pense  pas  que  cette  somnolence  puisse  être  attribuée  au  refroi- 
dissement, car  sur  la  cime,  où  le  froid  était  des  plus  vifs,  j’étais  parfaitement 
éveillé. 

J’ai  éprouvé  aussi  de  très-légers  vertiges,  mais  , si  j’en  parle,  c’est  pour  être 
complet.  Quant  aux  nausées,  vomissements,  défaillances,  hémorrhagies  , il  n’en 
fut  question  pour  aucun  de  nous;  nos  guides,  auxquels  je  demandai  des  rensei- 
gnements sur  ces  divers  points,  me  répondirent  qu’ils  n’avaient  jamais  observé 

1 Une  ascension  au  mont  Blanc  en  186L  Bibl.  univ.  de  Genève } 5®  série,  t.  XXIII, 
p.  66-106,  1865. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ALPES. 


117 


d’hémorrhagies.  Pour  ce  qui  concerne  l’oppression,  qui  est  le  symptôme  le  plus 
ordinairement  constaté,  je  dois  dire  qu’il  est  loin  d’être  absolu,  car  de  nous  six, 
je  suis  le  seul  qui  l’aie  éprouvé  d’une  manière  bien  marquée  ; les  guides  ne  s’en 
plaignaient  pas  et  M.  Loppé  pouvait  courir  en  arrivant  près  du  sommet.  (P.  86.) 

L’examen  du  pouls  a donné  les  résultats  suivants  : 


Chamounix,  10001". 

Grands-Mulets,  oOOO1”. 

Mont  LU  arc,  4800m 

Carrier,  guide 

116 

104 

104 

Couttet,  id. 

PG 

108 

104 

Tournier,  id. 

96 

108 

104 

Payot,  id. 

92 

96 

96 

Loppé,  voyageur 

88 

92 

• 

80 

J’arrive  à deux  ascensions  du  mont  Blanc  qui  furent  remarqua- 
bles au  point  de  vue  qui  nous  occupe  parce  que,  pour  la  première 
fois,  l’ensemble  des  phénomènes  physiologiques  y fut  étudié  avec 
l’aide  des  instruments  de  précision  employés  dans  les  laboratoires. 
Les  troubles  de  la"circulation  et  de  la  respiration  furent  ainsi  déter- 
minés dans  les  conditions  qu’exige  actuellement  la  rigueur  des 
recherches  physiologiques.  De  plus,  ces  constatations  servirent  de 
base  à une  théorie  toute  nouvelle  du  mal  des  montagnes , dont  il 
sera  question  en  son  lieu. 

M.  Lortet1  commence  par  un  rapide  historique  des  accidents  éprou- 
vés par  les  plus  célèbres  voyageurs.  Puis,  avant  d’en  arriver  au  ré- 
cit de  son  voyage,  il  laisse  échapper  l’aveu  précieux  d’une  incrédu- 
lité dont  j’ai  bien  souvent  entendu  se  vanter  des  voyageurs  alpins, 
de  ceux  mêmes  qui  avaient  exécuté  les  plus  difficiles  ascensions  : 

Cependant,  malgré  tant  de  faits  et  de  preuves  rapportés  par  ces  hommes  dis- 
tingués et  dignes  de  foi,  j'étais  resté  un  peu  incrédule  et  je  ne  pouvais  m’em- 
pêcher de  croire  que  l’imagination  ne  jouât  un  très-grand  rôle  dans  la  production 
de  ces  phénomènes.  J’avais  escaladé  souvent  sur  le  massif  du  mont  Rose,  sans 
aucune  difticulté  et  sans  le  moindre  malaise,  des  hauteurs  dépassant  4500  mètres, 
et  je  ne  pouvais  croire  que  500  mètres  de  plus  étaient  suffisants  pour  abattre  un 
organisme  qui  avait  bien  supporté  l'épreuve  jusqu’à  cette  altitude.  Maintenant 
je  suis  forcé  de  l’avouer,  j’ai  été  convaincu  de  visu , et  même  un  peu  à mes  dé- 
pens, de  l’existence  bien  réelle  des  malaises  qui,  à partir  de  cette  hauteur, 
atteignent  celui  qui  respire,  et  surtout  celui  qui  se  meut  au  milieu  de  cet  air 
raréfié.  (P.  11.) 

11  arrive  alors  au  récil  de  sa  première  ascension  avec  le  doc- 
teur Marcet,  le  16  août  1869.  Je  transcris  dans  ses  points  im- 

1 Deux  ascensions  au  mont  Blanc  en  1869;  Recherches  physiologigues  sur  le  ma 
des  montagnes  [Lyon  médical,  1869). 


118 


HISTORIQUE, 


portants  sa  description  remarquable  d’exactitude  et  de  sobriété  : 

Jusqu’aux  Grands-Mulets  (3050  mètres)  , où  nous  arrivons  à 3 heures  pour 
passer  Ja  nuit,  nous  nous  trouvons  très  bien  ; personne  ne  ressent  le  moindre 
malaise  ; nous  avons  tous  un  appétit  excellent  ; mais  déjà  nos  appareils  annoncent 
un  trouble  sérieux  de  la  circulation  , de  la  respiration,  et  surtout  de  la  calorifi- 
cation. 

La  nuit  aux  Grands-Mulets  est  horrible....  A deux  heures  et  demie  nous  nous 
mettons  en  route. 

Au  point  du  jour,  ils  arrivent  au  Grand-Plateau  (5932m)  : 

Nous  nous  arrêtons  un  instant  pour  respirer....  Les  guides  prennent  un  peu 
de  nourriture  ; mais  il  m’est  complètement  impossible  d’a  valer  une  seule  bouchée, 
quoique  cependant  je  me  sente  encore  parfailement  bien. 

Nous  montons  avec  une  lenteur  extrême;  nous  éprouvons  tous  un  sentiment 
de  sommeil  très-pénible  à combattre  et  une  céphalalgie  occipitale  intense,  de  la 
soif  et  de  la  sécheresse  du  gosier,  peu  de  palpitations,  mais  un  pouls  misérable 
qui  varie  entre  160  à 172  par  minute. 

Arrivés  à l'arête,  nous  étions  tous  fatigués,  et  il  me  semblait  qu’il  me  serait 
complètement  impossible  d’aller  plus  loin.  Personne  d’entre  nous  n’eut  de  vo- 
missement, mais  nous  avions  presque  tous  le  cœur  sur  les  lèvres.  Comme  ceux 
qui  sont  atteints  par  le  mal  de  mer,  j’étais  d’une  indifférence  complète  pour  moi 
et  pour  les  autres,  et  je  ne  désirais  qu’une  chose,  c’était  de  rester  immobile.  Les 
Anglais  qui  nous  suivaient  parurent  encore  plus  éprouvés  que  nous  : l’un  d’eux 
fut  obligé  de  s’arrêter  et  ne  tarda  pas  à rebrousser  chemin. 

Enfin,  ils  atteignirent  le  sommet  du  mont  Blanc  : 

Je  ne  ressentais  plus  aucune  espèce  de  malaises  , mais  l'essoufflement  était 
extrême  dès  que  je  voulais  faire  quelques  pas  un  peu  vite.  Le  moindre  mouve- 
ment m’occasionnait  des  palpitations  désagréables.  Un  de  mes  compagnons,  qui 
n’avait  rien  ressenti  jusqu’alors,  fut  pris  subitement,  dès  qu’il  arriva  au  sommet, 
de  tournoiements  de  tête  et  de  vomissements  presque  continuels  qui  ne  cessèrent 
qu’en  redescendant  sur  le  Grand-Plateau.  Son  estomac  était  vide,  aussi  ne  ren- 
dait-il que  des  matières  glaireuses  et  bilieuses  avec  des  efforts  très-pénibles. 
Rien  ne  parvint  à arrêter  ce  trouble  d’estomac;  une  seule  chose  paraissait  amé- 
liorer sa  position,  c’étaient  de  petits  fragments  de  glace  pure  qu’il  parvenait  à 
avaler  de  temps  en  temps.  Son  pouls  était  très-agité,  très-misérable,  et  le  thermo- 
mètre placé  sous  sa  langue  dépassait  à peine  -f  32°  ! 

Le  soleil  était  chaud,  l’atmosphère  assez  calme,  aussi  fut-ce  avec  surprise  que 
je  constatai  que  la  température  de  l’air  était  de  — 9 °. 

Nous  restâmes  près  de  deux  heures  au  sommet  pour  faire  les  expériences  dont 
je  parlerai  plus  loin.  Au  repos,  je  me  sentais  parfaitement  bien,  quoiqu’il  me  fût 
impossible  de  prendre  la  moindre  nourriture.  (P.  16.) 

La  seconde  ascension  se  passa  beaucoup  mieux.  La  nuit  aux 
Grands-Mulets  fut  bonne;  un  temps  magnifique  rendait  la  marche 
facile  : 

Nous  n’éprouvâmes  presque  pas  de  malaises,  si  ce  n’est  un  sommeil  de  plomb 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES,  — ALPES. 


119 


en  montant  la  pente  qui  conduit  au  Dôme.  Jamais  je  n’ai  rien  éprouvé  de  pareil, 
et  je  suis  sûr  d’avoir  dormi  en  marchant.  Mais  arrivé  sur  l'arête,  l’air  frais  et  les 
frictions  de  neige  sur  le  front  firent  passer  cette  congestion. 

Je  me  sentais  beaucoup  mieux  qu’à  la  première  ascension.  J’avais  même  de 
l’appétit  et  je  pus  manger  quelques  morceaux  avec  plaisir.  Cependant  l’essouffle- 
ment au  moindre  mouvement  était  toujours  intense.  L’un  de  nos  compagnons 
éprouva  de  fortes  nausées,  une  inappétence  complète , mais  n’eut  pas  de  vomis- 
sements. (P.  18.) 

Après  cette  description  générale,  M.  Lortet  passe  à l’analyse  des 
troubles  que  présentent  les  différentes  fonctions.  Et,  au  début,  il  a 
soin  de  dire  : 

A peine  appréciable  en  allant  de  Lyon  à Chamounix,  c’est-à-dire  en  passant 
d’une  hauteur  de  200  mètres  à une  altitude  de  1000  mètres,  leur  dérangement 
est,  au  contraire,  très-sensiblè  de  Chamounix  aux  Grands-Mulets  (de  1050  mètres 
à 3050  mètres),  plus  sensible  encore  des  Grands-Mulets  (3050  mètres)  au 
Grand-Plateau  (3932  mètres)  ; enfin  ce  désordre  devient  très-remarquable  du 
Grand-Plateau  aux  Bosses-du-Dromadaire  (4,556  mètres),  et  au  sommet  de  la 
Calotte  du  mont  Blanc  (4810  mètres). 

Nous  allons  donc  passer  en  revue  les  variations  que  subissent  la  respiration, 
la  circulation  et  la  température  intérieure  du  corps , prise  sous  la  langue  aux 
différentes  altitudes,  soit  pendant  la  marche,  soit  après  un  temps  de  repos  con- 
venable. (P.  20.) 

Respiration  : Depuis  Chamounix  jusqu’au  Grand-Plateau  (de  1050  mètres  à 
3932  mètres),  les  troubles  de  la  respiration  sont  peu  marqués  chez  ceux  qui 
savent  marcher  dans  les  hautes  montagnes , qui  tiennent  la  tète  baissée  pour 
diminuer  l’orifice  laryngien,  qui  respirent  la  bouche  fermée,  en  ayant  soin  de 
sucer  un  corps  inerte  , tel  qu’une  noisette  ou  un  petit  morceau  de  quartz , ce 
qui  augmente  notablement  la  salivation  et  empêche  le  dessèchement  des  voies 
aériennes.  De  Chamounix  au  Grand-Plateau,  le  nombre  des  mouvements  respira- 
toires est  à peine  modifié  ; nous  trouvons  au  repos  vingt-quatre  par  minute, 
comme  à Lyon  et  à Chamounix  ; mais  du  Grand- Plateau  aux  Bosses-du-Dromadaire 
et  au  sommet,  nous  trouvons  trente-six  mouvements  par  minute.  La  respiration 
est  très-courte  et  très-gênée,  même  quand  on  reste  immobile;  il  semble  que  les 
muscles  soient  enraidis,  et  que  les  côtes  soient  serrées  dans  un  étau.  Au  sommet, 
le  moindre  mouvement  amène  de  l’essoufflement  ; mais  après  deux  heures  de 
repos  ces  malaises  disparaissent  petit  à pelit.  La  respiration  redescend  à vingt- 
cinq  par  minute,  mais  elle  reste  toujours  pénible.  (P.  20.) 

M.  Lortet  a étudié  avec  Fanapnographe  de  Bergeon  et  Kastus  les 
modifications  de  l’amplitude  de  sa  respiration  ; les  deux  tracés  ci- 
dessous  en  donnent  une  idée  très-complète  ; dans  tous  les  deux, 
Faire  GFED  représente  l’inspiration,  Faire  DCBA,  l’expiration. 

En  comparant  le  tracé  delà  figure  1,  pris  à Lyon,  avec  le  sui- 
vant, pris  au  sommet  du  mont  Blanc,  après  une  heure  et  demie 
de  repos,  on  voit  que  la  quantité  d’air  inspiré  et  expiré  au  som- 
met du  mont  Blanc  est  beaucoup  moindre  qu’à  Lyon. 


120  HISTORIQUE. 

Circulation:  Pendant  l’ascension,  quoique  la  marche  soit  excessivement  lente, 
la  circulation  est  accélérée  d’une  façon  extraordinaire.  A Lyon  , étant  au  repos 
et  à jeun,  le  nombre  moyen  de  mes  pulsations  est  de  soixante-quatre  par  mi- 
nute. En  montant  de  Chamounix  au  mont  Blanc , il  s’élève  progressivement. 


Fig.  1. — Lortet.  Tracé  respiratoire  pris  à Lyon  (200m). 


suivant  les  altitudes,  à 80,  108,  110,  128,  150  ; et  enfin  , en  grimpant  la  der- 
nière arête  qui  conduit  des  Bosses-du-Dromadaire  au  sommet,  à 160  et  quelque- 
fois davantage.  Ces  arêtes,  il  est  vrai,  sont  des  plus  raides,  elles  ont  de  qua- 
rante-cinq à cinquante  degrés  d’inclinaison  ; mais  la  lenteur  de  la  marche  est 


très-grande.  On  fait  en  'général  trente-deux  pas  par  minute  et  souvent  bien 
moins  quand  il  faut  tailler  continuellement  des  marches.  Le  pouls  est  fébrile, 
précipité  et  misérable.  On  sent  que  l’artère  est  presque  vide.  La  moindre  pres- 
sion arrête  le  courant  dans  le  vaisseau.  Le  sang  doit  passer  très-rapidement 
dans  les  poumons , rapidité  qui  augmente  encore  la  mauvaise  oxygénation  qu’il 
a subie  déjà,  à cause  de  la  raréfaction  de  l’air.  Il  n’a  pas  le  temps  de  recevoir 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ALPES. 


121 


convenablement  l’action  de  l’oxygène,  et  il  n’a  pas  le  temps  non  plus  d’expulser 
entièrement  son  acide  carbonique.  A partir  de  4500  mètres , les  veines  des 
mains,  des  avant-bras  et  des  tempes  sont  distendues.  La  face  est  pâle  , avec 
une  légère  teinte  de  cyanose , et  tout  le  monde,  même  les  guides  acclimatés  à 
ces  hautes  régions,  ressentent  une  lourdeur  de  tête  et  une  somnolence  souvent 
très-pénibles,  dues  probablement  à une  stase  veineuse  dans  le  cerveau,  ou  à un 
défaut  d’oxygénation  du  sang. 

Même  après  deux  heures  d’un  repos  complet  au  sommet  et  â jeun  , le  pouls 
reste  toujours  entre  90  et  108  pulsations  par  minute.  (P.  25.) 

Nous  reproduisons,  à titre  d’exemples  fort  curieux,  les  tracés 
sphygmographiques  suivants  (fig.  5,  4,  5)  qui,  pris  par  M.  Chau- 
veau de  Lyon,  lors  de  son  ascension  de  1866,  offrent  toutes  les  ga- 
ranties de  sûreté  désirables.  Le  guide  Cupelain,  qui  les  a fournis, 
est  un  jeune  homme  des  plus  vigoureux,  qui  paraît  n’éprouver 
absolument  rien  du  mal  des  montagnes. 


Fig.  3.  — Cupelain  : Chamounix  (1000m). 


Fig.  1.  — Grands  Mulets  (3C00m)  à minuit,  une  demi-heure  avant  le  dupait. 


Fig.  5.  — Sommet  du  mont  Blanc  (4810'"). 

Pour  M.  Lo'  tct,  qui  souffrit,  comme  nous  l’avons  vu,  les  change- 
ments furent  bien  plus  considérables  encore. 

Température . — Nous  arrivons  au  point  sur  lequel  M.  Lortet  a 
porté  le  plus  d’attention,  et  qui  sert  de  base  à sa  théorie  du  mal  des 
montagnes.  Je  continue  à citer  textuellement  : 

Le  thermomètre  était  placé  sous  la  langue,  l’orifice  buccal  étant  toujours  her- 
métiquement fermé,  et  la  respiration  ne  s’effectuant  que  par  le  nez....  L’instru- 
ment a toujours  été  laissé  en  place  pendant  quinze  minutes  au  moins.  (P.  51.) 

A jeun , pendant  la  marche , la  décroissance  de  la  température  est, 


122 


HISTORIQUE. 


suivant  M.  Lortet,  à peu  près  proportionnelle  a l’altitude  à laquelle 
on  se  trouve.  C’est  ce  que  montre  le  tableau  suivant  : 


LORTET  ; Température. 


W 

Q 

EP 

PREMIÈRE 

ASCENSION 

DEUXIÈME 

ASCENSION 

TEMPÉRATURE 

DE  L’AIR 

c/3  r 

K 

2 

H H 

•<  2 
2 1 
? 3 

LIEUX 

H 

H 

-3 

H 

J 

=3 

O 

s 

MARCHANT  ^ 

} 

Ed 

bJ 

S 

O 

s 

s 

MARCHANT  ^ 

1 

PREMIÈRE 

ASCENSION 

DEUXIÈME 

ASCENSION 

- CS 
M ■< 

a a 

a * 

g « 

O 

« 

Chamonix 

1050 

36,5 

36,3 

37,0 

35,3 

+ 10,1 

+ 12,4 

64 

Cascade  du  Dard. . . 

1500 

36,4 

55,7 

36,5 

34,3 

+ 11,2 

+ le,  4 

70 

Chalet  de  la  Para.  . 

1605 

36,6 

54,8 

56,3 

34,2 

+ 11,8 

-f-  15.6 

80 

Pierre-Poinlue.  . . 

2049 

36,5 

OO  y t) 

36.4 

33,4 

+ 13,2 

+ 14,1 

108 

Grands-Mulets. . . . 

3050 

36,5 

53,1 

56,3 

55,3 

-0,3 

-1,5 

116 

Grand-Plateau.  . . 

3932 

36,3 

52,8 

56,7 

52,5 

— 8,2 

— 6,4 

128 

Bosse  du  Dromadaire 
Sommet  du  mont 

4556 

36,4 

32,2 

56,7 

52,3 

— 10,3 

— 4,2 

136 

Blanc 

4810 

56,3 

CJ 

O 

56,6 

31,0 

-0,1 

-3,4 

172 

Ainsi,  pendant  les  efforts  musculaires  de  l’ascension,  la  température  du  corps 
peut  baisser,  lorsqu'on  s’élève  de  1050  à 4810  mètres,  de  quatre  à cinq  degrés. 
Dès  que  l’on  s’arrête  pendant  quelques  minutes,  la  température  remonte  brus- 
quement tout  près  de  son  chiffre  normal 

Depuis  mon  retour  à Lyon,  j’ai  constaté  qu’en  montant  rapidement  une  des 
nombreuses  rampes  à escalier  qui  conduisent  à Fourvières  ou  à la  Croix-Rousse, 
on  a régulièrement  un  abaissement  qui  varie  presque  toujours  de  trois  à sept 
dixièmes  de  degré.  (P.  32.) 

C’est  à cet  abaissement  de  la  température  du  corps  que  M.  Lortet 
attribue  tous  les  accidents  du  mal  des  montagnes.  Nous  reprodui- 
rons au  chapitre  III  cette  théorie  et  les  objections  qu’elle  a suscitées. 

Le  même  jour  où  MM.  Lortet  et  Marcet  souffrirent  si  gravement 
pendant  l’ascension,  M.  Ch.  Durier1  les  suivait,  marchant  pour  ainsi 
dire  dans  leurs  traces.  Chose  curieuse,  ni  ses  compagnons  ni  lui 
n’éprouvèrent  de  troubles  : 

Nous  étions  trois  , trois  compagnons  de  tempérament  tout  à fait  différent  : 
l’un  d’eux  était  un  jeune  garçon  de  quinze  ans , le  plus  jeune  voyageur  — du 
moins  à ma  connaissance  — qui  soit  jamais  monté  au  mont  Blanc.  Eh  bien  ! 
aucun  de  nous  n’a  ressenti  le  plus  léger  malaise,  pas  même  d’essoufflement. 
(P.  66.) 


1 Histoire  du  mont  Blanc,  — Paris,  1873, 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ALPES. 


123 


A quoi  tenait  cette  différence  d’impression?  se  demande  M.  Du- 
rier.  Et  il  donne  à cette  question  une  réponse  pleine  de  sagacité, 
dont  nous  aurons  plus  lard  à faire  notre  profit. 

Je  terminerai  la  revue  des  principales  ascensions  au  mont  Blanc 
par  celle  de  M,  Albert  Tissandier1;  elle  est  surtout  intéressante 
parce  que  son  auteur,  élant  un  aéronaute,  a pu  comparer  ses  sensa- 
tions avec  celles  qu’il  éprouva  en  ballon  ; il  n’a  rien  ressenti  de  fâ- 
cheux : 

A la  hauteur  de  4400  mètres,  la  respiration  commence  à devenir  quelque  peu 
haletante  et  pénible,  mais  je  supporte  sans  trop  de  douleur  l’effet  de  la  raréfac- 
tion de  l’air.  Mes  deux  guides  m'observent  à ce  moment  et  me  disent  que  souvent 
les  voyageurs,  à cette  altitude,  prennent  un  teint  particulier  ; parfois  leurs  yeux 
se  troublent  et  les  forces  leur  manquent  ; il  faut  alors  les  hisser  à grand’peine 
jusqu'en  haut,  ou  redescendre,  suivant  le  degré  d’énergie  de  l’explorateur. 

C’eût  été  pour  moi  une  grande  douleur  que  d’être  obligé  de  rétrograder.  Il 
m’est  arrivé  d’atteindre  en  ballon  des  hauteurs  à peu  près  égales  à celles  du  mont 
Blanc  sans  être  incommodé  ; mais  l’ascension  en  montagne  , lente  et  pénible,  ne 
ressemble  en  rien  à celle  que  l’on  exécute  si  vite  et  sans  fatigue  dans  la  nacelle 
aérienne. 

L’ascension  du  mont  Blanc,  si  redoutée  avant  l’intrépide  tentative 
de  Jaques  Balmat,  et  que  les  souffrances  de  de  Saussure,  puis  la  ca- 
tastrophe du  docteur  Hamel,  avaient  entourée  d’une  effrayante  re- 
nommée, est  devenue  de  nos  jours  fréquente,  vulgaire  presque.  En 
1873,  soixante  voyageurs  sont  montés  au  sommet  du  géant  des 
Alpes,  parmi  lesquels  sept  femmes  et  un  garçon  de  quatorze  ans, 
le  plus  jeune  qui  ait  encore  fait  l’ascension,  nommé  Horace  de 
Saussure.  Depuis  l’illustre  ancêtre  de  ce  courageux  enfant,  j’ai 
compté  sur  la  liste  encore  incomplète  donnée  par  M.  Besançon2, 
liste  qui  va  jusqu’à  la  fin  de  1873,  828  ascensions,  dont  27  faites 
par  des  femmes.  La  dernière,  exécutée  par  une  Anglaise,  Mrs  Stra- 
lon,  prouve  une  étrange  audace  ; elle  a eu  lieu  le  31  janvier  1876; 
la  voyageuse  a trouvé  sur  la  cime  un  froid  de  — 24  degrés.  Mais  l’im- 
mense majorité  de  ces  expéditions  ne  présente  aucun  intérêt  scien- 
tifique : ce  sont  de  simples  excursions  de  touristes,  souvent  fort 
imprudemment  conduites.  Aussi  le  mont  Blanc,  dont  les  « moun- 
taineers  » de  profession  parlenl  avec  un  cerîain  dédain,  semble-t-il 
s’en  venger;  il  y est  arrivé  plus  d’accidents  graves  que  dans  tout 
le  reste  des  Alpes.  Une  de  ces  catastrophes,  la  plus  terrible  de 
toutes,  n’est  peut-être  pas  sans  quelques  rapports  avec  notre  sujet. 

1 Ascension  du  mont  Blanc.  La  Nature , 10  oct.  1874. 

2 Le  mont  Blanc  et  Cliamounix.  Genève;  sans  date. 


124 


HISTORIQUE. 


Le  6 septembre  1870,  neuf  guides  et  trois  voyageurs  arrivèrent  au 
sommet  du  mont  Blanc;  ils  n’en  purent  redescendre,  et  périrent  le 
lendemain  dans  la  neige.  On  a retrouvé  dans  la  poche  de  l’un  deux, 
M.  Beau 4,  un  papier  rendant  compte  de  leurs  souffrances  : 

Nous  avons  passé  la  nuit  dans  une  grotte  creusée  dans  la  neige,  abri  bien  peu 
confortable;  je  fus  malade  toute  la  nuit. 

La  plupart  des  ascensionnistes  récents  du  mont  Blanc,  dont  les 
Clubs  alpins  nous  ont  conservé  les  récits,  ne  disent  rien  du  mal  des 
montagnes.  Ils  s’étendent  fort  longuement  sur  les  préparatifs  de 
départ,  les  incidents  minutieux  de  la  route,  les  joies  du  retour, 
mais  gardent  un  silence  complet  sur  les  phénomènes  physiologi- 
ques. Et  ce  que  je  dis  du  mont  Blanc  est  vrai  de  toutes  les  autres 
ascensions,  même  des  montagnes  qui  rivalisent  avec  lui  de  hauteur. 
J ai  parcouru,  page  à page,  les  journaux  des  Clubs  alpins  anglais, 
suisse,  italien,  autrichien,  français;  j’ai  lu  paliemment  des  cen- 
taines de  monotones  récits,  et  n’y  ai  pu  trouver  que  bien  peu  de 
faits  se  rapportant  à notre  étude;  je  vais  les  indiquer  chronologi- 
quement. 

Le  15  août  1857,  M.  Hardy2  fait  l’ascension  du  Finsleraar-horn 

(4275m)  : 

Wellig  (l’aubergiste  de  Œggischhorn),  se  considérant  comme  insulté  par  nos 
plaisanteries,  partit  en  avant  pour  arriver  le  premier  au  sommet.  Mais  à peine 
avait-il  fait  une  centaine  de  pas,  qu’il  tomba  comme  si  on  lui  avait  tiré  un  coup 
de  fusil.  Ellis,  qui  venait  après  lui,  pensa  qu’il  se  reposait,  et  marcha  tranquille- 
ment jusqu’à  lui;  mais,  quand  je  vins, je  m’aperçus  que  c’était  plus  sérieux.  Ses 
yeux  étaient  tournés  en  haut,  sa  bouche  ouverte,  et  il  ressemblait  singulièrement 
à un  poisson.  Je  ne  savais  que  faire  ; mais  Croz  adopta  une  bizarre  mode  de 
traitement....  Il  le  mit  assis  et  le  secoua  si  vigoureusement  en  arrière  et  en  avant, 
qu’après  quelques  oscillations,  il  revint  de  son  évanouissement,  se  releva  et  alla 
rejoindre  Fortunatus.  (P.  299.) 

Peut-être  est-il  permis  d’hésiter  à rapporter  au  mal  des  monta- 
gnes celle  subite  syncope;  mais  dans  le  récit  de  Tuckett3,  le  doute 
n’est  pas  possible. 

Il  s’agit  d’une  ascension  à la  Grivola  (5960m),  faite  en  juin  1859  ; 
line  avalanche  a menacé  d’emporter  les  voyageurs  : 

Chabot,  un  des  guides,  se  plaignait  de  sensations  pénibles  dans  la  poitrine  et 

1 Alpine  journal } t.  V,  p.  189.  — London,  1872. 

2 Ascent  of  the  Finstevaar-horn.  — Peaks,  Passes  and  glaciers. — London  1859 
p.  283-508. 

5 A night  bivouac  on  the  Grivola.  — Peaks,  Passes  and  glaciers.  — 2e  série,  t IL 
— London,  1802. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ALPES. 


125 


l’estomac,  de  perte  d’appétit,  de  vertiges,  de  nausées,  de  maux  de  tête,  résultant 
en  partie  de  la  peur  et  de  la  fatigue,  et  en  partie  aussi,  peut-être,  dus  à la  rareté 
de  l’air,  car  nous  avions  atteint  la  hauteur  de  12  U28  pieds  (5665  mètres). 
(P.  297.) 

A mes  yeux,  malgré  la  complication  d’une  absorption  un  peu 
exagérée  de  boissons  alcooliques,  l’influence  de  l’air  raréfié  est  in- 
contestable encore  dans  l’observation  suivante1  : 

Un  jeune  Anglais  d’environ  vingt-quatre  ans,  la  véritable  image  de  la  force  et 
de  la  santé,  passa  le  Weissthor  par  Macugnagna.  Il  n’était  pas  très-accoutumé 
aux  ascensions  difficiles..,,  et  pour  se  donner  des  forces  but  fréquemment  de 
l’eau  et  du  cognac....  Le  résultat  s’en  fit  bientôt  voir.  Les  guides  durent  le  tirer 
avec  des  cordes,  dans  un  état  d’épuisement  complet....  En  fait,  comme  il  me  l’a 
dit,  il  n’a  aucune  notion  de  la  manière  dont  il  surmonta  les  difficultés  pour  arri- 
ver au  sommet;  tout  le  temps,  il  était  dans  une  stupeur  inerte.  (P.  549.) 

M.  Kennedy2,  l’un  des  plus  intrépides  et  des  plus  anciens  ascen- 
sionnistes des  Alpes,  fut  lui-même  pris  dans  une  de  ses  courses,  non 
la  première,  tant  s’en  faut,  ni  la  plus  difficile,  ni  la  plus  élevée;  il 
montait  à la  Dent-Blanche  (4365m)  et  se  trouvait  encore  loin  du 
sommet  : 

Un  poids  extraordinaire  semblait  s’être  appesanti  sur  moi , empêchant  mes 
mouvements.  Mes  jambes,  bien  que  je  ne  me  sentisse  pas  fatigué,  refusaient  de 
travailler  avec  leur  vigueur  habituelle,  et  j’étais  resté  très  en  arrière  ; mais  l’air 
pur  et  raréfié  qui  souillait  sur  nous  et  la  vue  du  pic  de  la  Dent-Blanche  com- 
mencèrent à me  raviver.  (P.  56.) 


Dans  certains  récits,  ce  n’est  qu’incidemment,  et  comme  perdus 
dans  une  phrase,  qu’on  voit  apparaître  les  symptômes  du  mal  des 
montagnes  : 

Guides  et  voyageurs  étaient  comme  épuisés,  s’arrêtant  souvent  pour  respirer.... 
(P.  107.  )5. 

La  neige  était  dure,  il  fallait  entailler  des  pas,  et  plus  d’une  fois  les  voyageurs 
durent  s’arrêter  pour  reprendre  leur  respiration  perdue.  (P.  166.)4. 

Dans  d’autres  cas,  ils  sont  plus  clairement  indiqués,  décrits  môme. 

Ainsi,  en  1864,  Craufurd  Grove5  monte  au  Studer-joch  (5260m)  ; 

1 Schweitzer.  The  Breilhorn  (5735),  ascension  en  1861.  — Peaks,  Passes  and  glaciers. 
— 2e  série,  t.  I.  — London,  1862. 

- Asccnt  of  lhe  Dent  Blanche  (9  juin  1862).  The  Alpine  journal,  1. 1.  — London,  1864. 

J Stephen  (Leslie),  The  Jungfrau-joch  and  Viescher~joch.  Alp.  journ.,  t.  I.  — Lon- 
don, 1864. 

4 Rcg.  Somerled  Macdonald,  Passage  of'  the  Boththal  Sattcl  (août  1864).  Alp.  journ. , 
t.  II.  — London,  1866. 

0 The  Studer-Joch.  Alp . journ.,  t.  I.  — London,  1864; 


126 


HISTORIQUE. 


une  marche  trop  accélérée  rend  malades  voyageurs  et  guides  : 

Perru,  qui  craignait  les  avalanches,  nous  fit  marcher  d’un  pas  inusité  dans  les 
Alpes,  qui  produisit  rapidement  des  signes  de  détresse  dans  tout  le  groupe 
mais  le  robuste  enfant  de  Zermatt  n’en  tint  compte,  et  ne  ralentit  son  pas  que 
lorsque  les  lois  outragées  de  la  respiration  réclamèrent  leurs  droits , et  le  for- 
cèrent à s’arrêter  complètement  pour  prendre  haleine....  Nous  arrivâmes  au  som- 
met ; mais  notre  joie  était  singulièrement  affaiblie  par  cette  circonstance  que 
presque  tous  nous  étions  malades.  Quelques-uns  de  nous  qui  s’étaient  reposés  du 
rude  métier  de  montagnards  près  des  lacs  Italiens,  avaient  absorbé  en  excès 
figues  et  raisins.  Le  résultat  de  ce  régime,  en  présence  de  notre  marche  sur  la 
glace,  fut  trop  douloureux  pour  que  j’en  puisse  parler.  Les  guides  n’étaient  guère 
dans  un  moins  piteux  état  ; il  avaient  bu  la  veille  de  l’eau-de-vie  du  Grimsel. 
(P.  368.) 

Le  récit  de  l’ascension  de  Yiseonti1 2  au  mont  Rose,  en  août  1864, 
est  plus  net  encore  et  plus  intéressant  : 

La  raréfaction  de  l’air  nous  incommoda  beaucoup,  soit  par  la  difficulté  de  res- 
pirer, soit  par  la  diminution  de  la  pression  atmosphérique  sur  les  vaisseaux. 
Pour  ces  raisons  et  à cause  de  la  rapidité  des  pentes  , les  jambes  et  les  poumons 
se  fatiguent  vite  ; mais  quelques  instants  de  repos  leur  rendent  rapidement  leurs 
forces 


Un  peu  avant  d’atteindre  la  cime  (4640  mètres),  nous  rencontrâmes  les  voya- 
geurs anglais  qui  descendaient.  L’un  d’eux  était  pâle  et  bouleversé  ; il  me  raconta 
que  la  raréfaction  de  l’air  lui  avait  occasionné  de  fréquents  vomissements  qui 
l’avaient  affaibli;  ajoutez  à cela  que  la  tète  lui  tournait.  Je  me  sentais  simplement 
de  la  faiblesse  d'estomac,  avec  de  fréquentes  nausées.  (P.  160.) 

Enfin,  je  rapporterai  une  observation  faite  par  M.  Gamard\  pen- 
dant son  ascension  à la  Jungfrau  (417 0m) , le  24  août  1874,  obser- 
vation dont  nous  aurons  à tenir  compte  par  la  suite  : 

Nous  nous  enfonçons  dans  le  flanc  même  de  la  montagne  ; l’air  manque  , et 
comme  nous  l’avons  éprouvé  au  mont  Rose  et  au  mont  Blanc,  ce  n’est  pas  au 
sommet  que  nous  souffrons  de  cette  raréfaction , mais  dans  des  endroits  où  le 
vent  arrive  difficilement. 

A 9 heures  et  demie  , nous  nous  reposons  de  nouveau  .;  nous  sommes  â 
5750  mètres  environ.  (P.  216.) 

Mais,  je  le  répète,  les  observations  de  cet  ordre  sont  extrême- 
ment rares.  Bail  ne  dit  pas  un  mot  du  mai  des  montagnes  dans 
son  utile  travail  intitulé  Suggestions  for  Alpine  travellers 3,  où 

1 Ascension  al  monte  Posa  nell'  agosto  1864.  Bulletino  del  Club  alpino  italiano , 
t.  VI;  p.  157-163  ; 1873. 

2 Ascension  de  la  Jungfrau ; Annuaire  du  Club  alpin  français,  Ire  année,  1874,  p. 
211-219.  — Paris,  1875. 

5 Peaks,  Passes  and  glaciers,  p.  482-509.  — London,  1859. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ALPES. 


127 


il  énumère  les  dangers  des  ascensions  et  les  principales  observations 
de  physique  et  d’histoire  naturelle  qu’on  y peut  faire. 

Est-ce  à dire  que  tout  soit  changé  depuis  de  Saussure  et  qu’au- 
jourd’hui  on  puisse  faire  impunément  des  ascensions  alors  pénibles 
et  douloureuses?  Il  y a dans  cette  hypothèse,  si  étrange  qu’elle  pa- 
raisse au  premier  abord,  une  part  de  vérité  sur  la  valeur  de  laquelle 
nous  reviendrons  plus  tard.  Mais  il  suffît,  pour  s’assurer  que  l’im- 
munité n’est  rien  moins  que  générale  et  complète,  d’interroger 
avec  soin  les  ascensionnistes,  même  ceux  qui,  dans  leurs  récits,  ne 
parlent  pas  de  troubles  physiologiques,  même  ceux  qui  les  nient. 
Au  resle,  M.  Joanne,  qui  a tant  lu,  tant  vu,  tant  entendu,  résume 
parfaitement,  dans  son  excellent  guide  en  Suisse1,  ce  qui  est  sur 
ce  point  d’observation  commune  : 

La  légèreté  et  la  grande  rareté  de  l’air  dans  les  Alpes,  ainsi  que  l’énergie  avec 
laquelle  il  accélère  l’évaporation  , occasionnent  à de  certaines  hauteurs  des  phé- 
nomènes physiologiques  très-remarquables,  tels  que  la  diminution  notable  ou  la 
perte  de  l’appétit,  le  dégoût  pour  les  aliments,  les  nausées,  la  somnolence,  l’anhé- 
lation, la  céphalalgie,  la  défaillance,  etc.  : quelques-uns  de  ces  accidents  obligent 
même  divers  individus  à rebrousser  promptement  chemin,  dès  qu’ils  ont  atteint 
5U00  mètres;  les  mulets,  à 3400  mètres  environ,  sont  tellement  essoufflés  qu’ils 
font  entendre  une  sorte  de  cri  plaintif.  Du  reste,  les  forces  se  réparent,  en  pareil 
cas,  aussi  promptement  et,  en  apparence  , aussi  complètement  qu'elles  ont  été 
épuisées.  La  seule  cessation  du  mouvement  semble,  dans  le  court  espacé  de  trois 
ou  quatre  minutes,  les  restaurer  si  parfaitement , qu’en  se  remettant  en  marche, 
on  ne  ressent  plus  aucune  fatigue.  (P.  95.) 

Mais  si  ces  accidents  sont  si  fréquents,  pourquoi  n’en  pas  parler, 
ou  tout  au  moins  ne  pas  les  signaler  dans  des  récits  souvent  prolixes 
et  surchargés  de  détails  sans  intérêt? 

Tout  d’abord,  il  faut  l’avouer,  on  en  a tellement  exagéré  l’im- 
portance et  la  gravité,  que  les  voyageurs  pris  seulement  d’anhéla- 
tion et  de  palpitations  en  arrivent  volontiers  à nier  la  réalité  même 
d’un  mal  qu’ils  redoutaient  tant  à l’avance.  J’ai  trouvé,  sous  ce  rap- 
port, dans  le  récit  des  ascensions  laites  en  août  1859  à la  Grivola 
(5960'“),  par  M.  Ormsby  *,  une  indication  intéressante.  Il  montait  la 
cheminée,  dans  une  situation  fort  périlleuse,  lorsqu’il  eut  une  sensa- 
tion d’éblouissement  fort  singulière,  et  il  ajoute  : 

J’avais  lu  tant  d’histoires  terribles  des  étranges  effets  de  l’air  raréfié  sur 

1 Paris,  5®  éd.;  1874. 

* Ascent  of  the  Grivola. — Peaks,  Passes  and  glacier «.  — 2*  série,  t.  II.  — London, 
1862. 


128 


HISTORIQUE. 


l’homme  dans  les  grandes  altitudes  que  je  commençai  à me  trouver  très-ner- 
veux.... C’était  le  moment  d’être  pris  par  l’apoplexie,  la  catalepsie,  le  saigne- 
ment d’yeux  ou  tout  autre  des  terribles  symptômes.  (P.  553.) 

En  second  lieu,  la  plupart  des  touristes  dont  les  narrations  rem- 
plissent les  journaux  Alpins  n’ont  guère,  dans  leurs  ascensions, 
de  soucis  scientifiques  ; ils  grimpent  pour  grimper,  ou  encore  pour 
voir,  ou  souvent  pour  dire  qu’ils  ont  grimpé  et  vu.  C’est  généra- 
lement ce  dernier  sentiment  qui  dicte  leurs  récits,  et  c’est  pour 
cela  qu’on  les  voit  chaque  année  à la  recherche  de  quelque  horn , 
spitze , ou  joch , jusqu’alors  inaccessible  ou  simplement  oublié  : 
virginité  souvent  redoutable  à saisir,  dont  ils  vont  se  disputer  la 
stérile  conquête. 

Enfin,  le  point  d’honneur  est  intervenu;  on  craint  presque  le  ri- 
dicule du  mal  des  montagnes,  comme  celui  du  mal  de  mer.  Autre- 
fois, on  en  recherchait  sur  soi-même  les  symptômes,  on  se  vantait 
volontiers  de  les  avoir  éprouvés,  comme  d’un  danger  mystérieux 
bravé;  aujourd’hui  on  se  refuse  à les  observer,  à les  avouer  sur- 
tout ; parfois  on  les  nie. 

Un  des  voyageurs  de  notre  époque  qui  ont  le  plus  pratiqué  la  mon- 
tagne, M.  le  comte  Henry  Russell1,  s’exprime  sur  ce  point  de  la  ma- 
nière la  plus  nette  et  en  même  temps  la  plus  autorisée  : 

J’ai  le  regret  de  constater  que  quelques-unes  des  autorités  les  plus  sérieuses 
de  F Alpine  Club  ont  été  jusqu’à  nier  complètement  une  chose  comme  le  phéno- 
mène pénible  connu  dans  tous  les  pays  sous  le  nom  de  « mal  des  montagnes  », 
ou  encore  le  déclarent  une  exception,  un  effet  de  la  fatigue,  de  l’épuisement. 
Il  est  vrai  que  des  poumons  très-privilégiés  peuvent  s’élever  très-haut  et  continuer 
à respirer  confortablement.  De  même,  il  est  des  voyageurs  qui  sont  exempts  du 
mal  de  mer,  et  nous  pourrions  ainsi  nier  tout  aussi  bien  ce  mal  que  l’autre.  Le 
mal  des  montagnes  est  une  souffrance  qui  a été  éprouvée  sur  le  globe  entier 
(môme  entre  les  tropiques),  dans  les  Andes,  sur  l’Altaï,  sur  l’Himalaya....  par- 
tout. Aucun  animal  n’en  est  exempt,  à une  certaine  hauteur;  et  quant  à moi, 
je  confesse  humblement  que  je  puis  à peine  respirer  au  sommet  du  mont  Diane  ; 
en  fait,  nous  étions  tous  malades,  plus  ou  moins,  y compris  les  guides.  Sur  la 
Calotte,  où  la  pente  est  très-douce,  pas  un  de  nous  ne  put  faire  plus  de  trente- 
quatre  pas  sans  s’arrêter  longtemps.  Et  ce  n’était  pas  de  fatigue,  puisque  nous 
redescendîmes  en  deux  heures  aux  Grands-Mulets  , en  très-bonne  santé  et  pleins 
de  vigueur.  (P.  243.) 

Combien  peu  de  « mountaineers  »,  d’ « alpinistes  »,  auront  le  cou- 
rage d’un  semblable  aveu  ! 


1 On  Mountains,  and  on  Mountainecring  in  general,  Alyine  journal , t.  V,  p.  241-248, 
1872. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — PYRÉNÉES. 


129 


g 6.  — Les  Pyrénées. 

Les  montagnes  les  plus  élevées  des  Pyrénées  n’atteignant  pas  5500n\ 
les  malaises  dus  à la  diminution  de  pression  ne  peuvent  s’y  faire 
sentir  que  dans  des  conditions  exceptionnelles.  Aussi,  les  voyageurs 
sont-ils  le  plus  souvent  muets  sur  ce  sujet,  et  quand  ils  en  par- 
lent, c’est  d’ordinaire  pour  déclarer  qu’ils  n’ont  rien  éprouvé. 

Le  premier  auteur  qui  ait  fait  mention  de  phénomènes  physiolo- 
giques observés  dans  les  Pyrénées  est  Robert  Boyle1,  mais  il  ne 
donne  que  des  renseignements  de  seconde  main  : 

Un  gentilhomme  instruit  avait  fait  l’ascension  du  pic  du  Midi  au  mois  de  sep- 
tembre. Je  lui  demandai  s’il  avait  trouvé  l’air  du  sommet  aussi  fort  pour  la  respi- 
ration que  celui  d’en  bas.  Il  me  répondit  que  non,  et  qu’il  était  forcé  de  respirer 
plus  fréquemment  et  plus  brièvement  qu'à  l’habitude.  El  comme  je  pensais  que 
peut-être  cela  venait  du  mouvement,  je  lui  demandai  si  cette  gêne  avait  cessé 
après  son  arrivée  au  sommet;  il  me  répondit  : Oui,  évidemment,  car  nous  n’au- 
rions pu  rester  plusieurs  heures  sur  ce  sommet  avec  une  pareille  difficulté  de 
respirer.  (P.  2039.) 

Pendant  le  dix-huitième  siècle,  un  assez  bon  nombre  d’ascensions 
furent  faites,  pour  des  motifs  scientifiques,  sur  diverses  monta- 
gnes pyrénéennes,  et  non  des  moins  élevées.  Le  livre  de  Dralet 2 * * 
donne  un  résumé  intéressant  des  faits  anciennement  observés  : 

Les  artistes  qui  furent  employés,  en  1700,  à construire  sur  le  Canigou  une 
pyramide  pour  déterminer  la  méridienne,  n’éprouvèrent  aucun  accident. 
MM.  Vidal  et  Reboul  ont  passé  trois  jours  et  trois  nuits  au  sommet  du  pic  du 
Midi  de  Bigorre,  sans  aucune  incommodité  ; j’en  ai  été  toujours  exempt,  ainsi  que 
mes  compagnons  de  voyage,  non  seulement  au  même  pic,  mais  aussi  sur  les 
crêtes  les  plus  élevées  qui  séparent  la  France  de  l’Espagne....  Cependant  quelques 
voyageurs  ont  été  incommodés  dans  les  Pyrénées,  même  à des  hauteurs  médio- 
cres. En  1741,  M.  Plantade,  célèbre  astronome  du  Languedoc,  mourut  à l’âge  de 
70  ans  à côté  de  son  quart  de  cercle,  sur  la  Hourquette  des  Cinq-Ours  (1244  toises). 
Le  comte  Dolomieu,  au  mois  d’août  1782,  faillit  y subir  le  même  sort;  il  fut  atteint 
d’un  violent  accès  de  fièvre  qui  l’empêcha  d’arriver  au  sommet  du  pic5;  M.  de  Puy- 
maurin  et  M.  Lapeyrouse,  ses  compagnons  de  voyage,  se  trouvèrent  un  instant 
presque  sans  pouls.  M.  Dusaulx,  avant  d'arriver  au  plateau  du  pic  du  Midi,  sentit 
des  éblouissements,  et  une  sorte  de  faiblesse,  sans  que  ses  compagnons  éprouvas- 
sent de  tels  accidents.  Ces  faits  paraissent  prouver,  selon  l’opinion  de  M.  de  Saus- 
sure, que  la  nature  a fixé,  pour  le  tempérament  de  chaque  individu,  la  hauteur 

1 Philosophical  transactions,  12  sept.  1070. 

- Description  clés  Pyrénées,  2 vol.  — Paris,  1813. 

5 11  eut  même,  suivant  Gondret  (. Mém . concernant  les  effets  de  la  jnession  atm.  sur 

le  corps  humain ; Paris,  1819),  un  crachement  de  sang.  (P.  44.) 


9 


130 


HISTORIQUE. 


à laquelle  il  peut  s’élever  sans  inconvénient  et  sans  danger.  Mais  il  est  à remar- 
quer que  certains  voyageurs  ont  été  incommodés  à une  hauteur  médiocre,  quoi- 
qu’habitués  à parcourir  impunément  des  montagnes  d’une  très-forte  élévation. 
(T.  1,  p.  58.) 

Depuis  ce  temps,  le  voyageur  naturaliste  Ramond  fit  le  premier 
l’ascension  du  mont  Perdu  (5550m).  Son  récit1,  fort  intéressant, 
donne  la  preuve  d’une  sagacité  peu  commune;  lui,  du  moins,  se 
garde  bien  de  nier  ce  qu’il  eut  le  bonheur  de  ne  pas  ressentir  : 

Nous  respirions  sans  peine  cet  air  si  léger  et  qui  ne  suffit  plus  à la  respiration 
de  bien  d’autres.  J’ai  vu  des  personnes  vigoureuses  être  forcées  de  s’arrêter  à des 

hauteurs  beaucoup  moindres Ici  nous  n’avons  rien  éprouvé  de  semblable; 

seulement  l’état  du  pouls  indiquait  une  altération  indépendante  de  l’agitation  du 
voyage  : le  repos  ne  le  calmait  point.  Pendant  tout  le  temps  que  ïious  restâmes 
au  sommet,  il  demeura  petit,  sec,  tendu,  et  accéléré  dans  le  rapport  de  5 à 4 ; 
cette  fièvre,  qui  est  nerveuse,  annonçait  assez  le  malaise  que  nous  aurions  res- 
senti à une  hauteur  plus  grande  ; mais  au  point  où  nous  en  étions  affectés,  elle 
produisait  un  effet  tout  opposé  à celui  qu’un  degré  de  plus  aurait  produit.  Bien 
loin  d’occasionner  de  l’abattement,  il  semblait  qu’elle  soutenait  mes  forces,  et 
quelle  excitât  mes  esprits.  Je  suis  persuadé  que  nous  lui  devons  souvent  cette 
agilité  de  membres,  cette  finesse  des  sens,  cet' élan  de  la  pensée  qui  dissipent 
tout  à coup  l’accablement  de  la  fatigue  et  l’appréhension  du  danger;  il  ne  faut 
peut-être  pas  chercher  ailleurs  le  secret  de  l’enthousiasme  qui  perce  dans  les 
récits  de  tous  ceux  qu’on  a vus  s’élever  au-dessus  des  hauteurs  ordinaires.  (P.  84.) 

De  même,  Arbanère2 3 *  déclare  n’avoir,  au  sommet  du  mont  Perdu, 
en  1821  : 

Éprouvé  aucun  effet  de  la  raréfaction  de  l’air,  ce  trouble,  cette  anxiété,  ces  maux 
de  cœur  qui  fatiguent,  accablent  souvent  à une  pareille  hauteur.  (T.  II,  p.  85.) 

Le  11  vendémiaire  an  XI,  Cordier  et  Néergaard  firent  l’ascen- 
sion de  la  Maladetta.  L’un  d’eux  fut  sérieusement  atteint;  voici 
du  reste  comment  le  célèbre  géologue  raconte  cet  accident5  : 

Peu  après,  l’arête  devient  tout  à fait  impraticable,  et  il  faut  entrer  sur  le  gla- 
cier. Nous  étions  alors  à près  de  5000”.  M.  Néergaard  se  trouva  tellement  incom- 
modé de  maux  de  cœur  et  d’étourdissements,  occasionnés  par  la  rareté  de  Pair, 
qu’il  lui  fut  absolument  impossible  d’aller  plus  loin.  Je  ferai  remarquer,  en  pas- 
sant, que  lemal  des  montagnes  attaque  presque  toujours  le  petit  nombre  des  per- 
sonnes qu’une  disposition  naturelle  ou  accidentelle  y rend  sujettes,  à la  hauteur 
de  2600  à 5000ra,  c’est-à-dire,  immédiatement  après  les  limites  de  la  haute  végé- 
tation. (P.  266.) 

1 Voyageait  sommet  du  mont  Perdu.  — Ann.  du  Muséum  d'histeire  naturelle,  t.  III, 
1804. 

2 Tableau  des  Pyrénées  françaises,  2 vol.  — Paris,  1828. 

3 Rapport  fait  au  Conseil  des  mines  sur  un  voyage  à la  Maladetta,  par  la  vallée  de 

Bagnères-de-Luc/wn.  — Journal  des  Mines,  messidor  an  XII,  t.  XVI,  p.  249-282;  1804. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — PYRENEES. 


131 


Cordier  et  son  guide  continuèrent  leur  route  et  arrivèrent  au 
sommet  sans  paraître  avoir  éprouvé  de  symptômes  fâcheux  ; du 
moins  le  récit  n’en  porte  pas  de  traces. 

Un  voyageur  dont  nous  avons  eu  déjà  à parler,  qui  fit  de  nom- 
breuses ascensions,  notamment  dans  les  Pyrénées,  Parrot1,  a fixé 
tout  spécialement  son  attention  sur  les  variations  de  son  pouls,  aux 
diverses  hauteurs.  Je  transcris  ses  importantes  observations  : 

Mon  pouls  au  sommet  du  mont  Perdu  battait  110  fois  à la  minute,  et  quelques 
jours  auparavant,  dans  ma  première  tentative  pour  atteindre  cette  montagne,  il 
battait  100  fois.  Sur  le  haut  de  la  Malade! ta,  j’avais  105  pulsations,  et  quelques 
jours  avant,  à Bagnères  de  Luchon  (628”),  je  n’en  comptais  que  70.  Ces  variations 
sont  dans  un  rapport  régulier  avec  celles  de  la  hauteur  ; elles  concordent  avec  les 
observations  que  j’ai  déjà  faites  sur  mon  pouls  dans  diverses  montagnes.  Ainsi, 
mes  pulsations,  qui  sont  de  70  à la  minute  au  niveau  de  la  mer,  s’élèvent  à 75 
pour  une  hauteur  de  1000m,  à 82  pour  1500”,  90  pour  2000”,  95  pour  2500m, 
100  pour  3000m,  105  pour  3500”,  110  pour  4000”.  (P.  216.) 

Après  lui,  je  ne  trouve  guère  à citer  que  le  récit  de  M.  de  Fran- 
queville2,  qui  le  premier  a atteint  la  plus  haute  cime  des  Pyrénées, 
le  pic  de  Néthou  (3400m). 

L’ascension  eut  lieu  le  18  et  le  19  juillet  1842.  Les  voyageurs 
arrivèrent  sur  le  glacier  du  Néthou,  tout  près  du  but  de  leur  as- 
cension : 

Nous  nous  attendions  tous  à éprouver  quelques-uns  des  phénomènes  dus  à la 
raréfaction  de  l’air,  et  qui  généralement  viennent' encore  ajouter  aux  difficultés 
des  grandes  ascensions.  Il  n’en  fut  pourtant  pas  ainsi.  Seul,  après  avoir  fait  quel- 
ques pas  sur  le  glacier,  M.  de  Tchihatcheff  fut  atteint  de  nausées  assez  violentes 
pour  être  obligé  de  s’arrêter  de  temps  en  temps  et  de  se  coucher  sur  la  neige. 
Quelques  instants  de  repos  suffisaient  pour  le  remettre  entièrement,  et  lui  per- 
mettre de  continuer  sa  route.  Quant  aux  autres,  ni  les  guides  ni  moi  ne  ressen- 
tîmes rien  de  particulier.  Nous  n’eûmes  même  pas  à combattre  cette  lassitude,  ce 
malaise  si  pénibles,  qui  accompagnent,  dit-on,  si  souvent  la  présence  de  l’homme 
dans  ces  régions  élevées  qui  n'ont  pas  été  faites  pour  lui. 

Ici  sc  termine  ce  que  nous  avons  pu  trouver,  dans  les  récits  des 
ascensionnistes  aux  Pyrénées,  d’intéressant  pour  notre  sujet.  Un 
document  curieux  nous  montre  que  rien  d’important  n’a  jamais 
attiré  leur  attention.  Lecomte  Russell-Killough,  qui  connaît  si  mer- 
veilleusement les  Pyrénées,  a publié  un  recueil3  des  ascensions  eu 

1 Ucber  die  Beschleunigung  des  mcnsclilichen  Puises  nack  Maaszgabe  den  Erhôhung 
des  Standpunkles  über  der  Meeresflache.  — Frorieps  Notizen , Bd  X;  1825. 

2 Voyage  à la  Maladetta.  — Paris,  1845. 

3 Recueil  des  ascensions  au  pic  du  Néthou,  de  1842  (lre  ascens  on)  jusqu’à  1868.  — 
Bull,  de  la  Société  Ramond,  1872,  p.  15-24,  195-198;  et  1873,  p.  49-58. 


132 


HISTORIQUE. 


pic  du  Néthou,  depuis  celle  dont  nous  venons  de  parler,  jusqu’en 
1868.  Dans  cet  intervalle,  il  y en  a eu  environ  deux  cents,  com- 
prenant à peu  près  mille  personnes,  dont  vingt-deux  dames. 

Le  livre  qui  reçoit  les  notes  personnelles  de  chaque  touriste 
n’indique  absolument  rien,  sinon  la  vanité  générale  des  motifs  qui 
ont  déterminé  tant  de  personnes  à cette  pénible  ascension.  On  n’v 
parle  même  pas  des  troubles  physiologiques.  Seul,  le  comte  Rus- 
sell (24  août  1865)  dit  : « pas  de  crachement  de  sang».  (P.  50.) 

Enfin,  je  citerai  dans  ce  paragraphe  quelques  observations1  faites 
dans  une  ascension  du  Mulahacen,  le  pic  culminant  de  la  sierra 
Nevada  d’Espagne;  elles  contiennent  l’ébauche  d’une  bizarre  théo- 
rie : 

Les  effets  produits  par  la  rareté  de  l’air  sur  les  poumons  et  sur  le  corps  ne 
s’étaient  pas  fait  sentir  tant  que  nous  étions  restés  sur  les  mules.  Mais  mainte- 
nant qu’il  fallait  faire  des  efforts  musculaires , un  plus  grand  déplacement 
d’énergie  est  nécessaire  que  dans  une  atmosphère  dense.  L’équilibration  de  l’air, 
qui  supporte  les  os  comme  l’eau  fait  pour  les  poissons,  manque,  et  les  muscles 
sont  obligés  de  soulever  un  poids  plus  considérable  ; de  là  l’épuisement.  (P.  157.) 


g 7.  — Le  Caucase,  l’Arménie,  la  Perse. 

Caucase.  — Les  ascensions  des  sommets  élevés  du  Caucase  sont 
tout  à fait  récentes.  Klaproth2 *,  dans  le  récit  de  son  voyage  au  mont 
Caucase  et  en  Géorgie,  exécuté  de  1807  à 1808,  disait  : 

Personne  n’a  monté  l’Elbrouz;  et  les  Caucasiens  croient  que  l’on  ne  peut  pas 
parvenir  à sa  cime  sans  une  permission  particulière  de  Dieu.  (T.  1,  p.  151.) 

Une  tentative  très-sérieuse  pour  monter  au  sommet  du  Kasbek 
ou  Mquinvari  (5050m)  fut  faite  le  17  septembre  1812,  par  Engel- 
hard et  Parrot 5. 

Les  deux  voyageurs  campèrent  à la  limite  des  neiges  perpétuelles  ; 
Parrot  entreprit  seul  l’ascension  du  sommet.  Il  eut  à surmonter 
les  difficultés  ordinaires  de  la  montagne;  mais,  ajoute-t-il  : 

Le  plus  gênant  pour  moi  fut  une  lassitude  singulière  qui  me  forçait  à me  repo- 
ser tous  les  cinquante  pas;  elle  provenait  moins  d’une  oppression  de  la  poitrine 
que  d'une  faiblesse  totale  des  muscles  qui  me  prenait  soudainement,  et  qui  pas- 
sait bientôt  quand  je  m’étais  arrêté  seulement  une  demi-minute.  Elle  était  géné- 

1 Ford,  A Iland-Book  for  travellers  in  Spain.  — London,  1847. 

- Voyage  au  mont  Caucase  et  en  Géorgie.  — Paris,  1825. 

5 Voyage  à la  vallée  du  Terek.  — N.  Ann.  des  Voyages , t.  LI,  p.  273-324,  1831. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ASIE  OCCIDENTALE  133 

râlement  suivie  d’une  sensation  agréable  et  étrange,  comme  si  je  me  fusse  trouvé 
dans  un  nouvel  élément,  auquel  mon  corps,  fait  pour  la  pression  plus  forte  des 
régions  inférieures,  était  supérieur  en  force.  Une  suite  inévitable  de  l’air  extrême- 
ment raréfié  qui  nous  entourait  était  l’accélération  de  la  circulation  du  sang  et 
celle  de  la  respiration  ; mais  le  malaise  et  le  vertige  ne  tourmentaient  ni  moi  ni 
mes  compagnons.  En  revanche,  j’observai  chez  eux  et  chez  moi  un  affaiblissement 
de  plusieurs  organes  des  sens;  nous  étions  obligés  de  parler  très-haut  pour  nous 
entendre  mutuellement;  nous  éprouvions  de  la  peine  à parler,  non  que  la  respira- 
tion nous  manquât,  mais  parce  que  la  langue  avait  perdu  de  sa  souplesse  ; 
l’œil  même  semblait  avoir  moins  d’activité,  etl’on  aurait  dit  qu’une  cause  inté- 
rieure l’empêchait  de  voir  nettement  et  aune  grande  distance.  (P.  502.) 

Parrol  fut  obligé  de  s’arrêter  à 2168  toises  de  hauteur;  il  y 
passa  la  nuit  avec  ses  gens,  mais  dut  redescendre  le  lendemain 
sans  avoir  pu  atteindre  la  cime,  qu’il  estime  à 2400  toises. 

En  1829,  une  expédition  militaire  et  scientifique  s’approcha  du 
mont  Elbrouz  (5620™);  Kupffer1  et  les  autres  savants  qui  en  fai- 
saient partie  résolurent  de  tenter  l’ascension  du  géant  du  Caucase. 

Le  22  juillet  1829,  ils  arrivèrent  sur  ses  flancs,  à la  hauteur  des 
neiges  perpétuelles  : 

Nous  étions  obligés  de  nous  arrêter  presque  à chaque  pas.  La  raréfaction  de  l’air 
est  telle  que  la  respiration  n’est  plus  capable  de  rétablir  les  forces  qu’on  a perdues; 
le  sang  s’agite  violemment  et  cause  des  inflammations  dans  les  parties  les  plus 
faibles....  Tous  mes  sens  étaient  offusqués,  la  tête  me  tournail,  j’éprouvais  de 
temps  en  temps  un  abattement  indéfinissable  dont  je  ne  pouvais  devenir  maître — 
Nous  étions  ici  à une  hauteur  de  14000  pieds  au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  (P.  33.) 

Ils  n’étaient  cependant  pas  arrivés  au  niveau  du  mont  Rose  ; 
ils  ne  purent  atteindre  plus  haut,  mais  un  de  leurs  guides  s’éleva 
jusqu’au  sommet. 

Sjogrun2 3,  qui  fit,  le  26  mai  1836,  l’ascension  de  « la  montagne 
la  plus  élevée  du  Caucase  » (son  récit  n’est  pas  clair,  mais  je  crois 
que  c’est  du  Kazbek  qu’il  veut  parler),  ne  dit  absolument  rien  des 
troubles  physiologiques. 

Mais  Radde5,  bien  que  son  ascension  de  l’Elbrouz  le  10  août  1865 
soit  restée  incomplète,  à cause  du  mauvais  temps,  indique  nette- 
ment dans  son  récit  l’influence  de  l’air  raréfié  : 

Devant  nous  se  dressait,  toute  blanche,  la  cime  de  la  montagne.  Un  fort  vent 
d’ouest  s’était  élevé.  Nous  nous  arrêtâmes  un  certain  temps  ; la  fatigue,  les  tour- 

1 Voyage  dans  les  environs  du  mont  Elbrous  dans  le  Caucase , entrepris  en  1829.  — 
Rapport  fait  à l’Ac.  imp.  des  Sc.  de  St-Pétersb.  — St-Pétersb.,  1830. 

2 Voyage  dans  les  vallées  centrales  du  Caucase , fait  en  1856  et  1837.  — N.  Ann.  des 
Voyages,  t.  CXVIII,  p.  276-328,  1848. 

3 Jleiscn  und  Forschungen  im  Kauhasus,  1865.  — Peterm.  Mitth.,  t.  XIII,  1867. 


154 


HISTORIQUE. 


noiements  de  tête  se  faisaient  sentir  fortement  chez  mes  deux  compagnons  et 
chez  moi-même  ; nous  éprouvâmes  également  une  étrange  faiblesse  des  genoux, 
qui  arrivait  rapidement  à nous  interdire  tout  mouvement 

Nous  nous  arrêtions  de  plus  en  plus  souvent;  les  vertiges,  la  faiblesse  des  ge- 
noux, augmentaient;  une  fatigue  atroce  « entsetzlich  » m’écrasait 

Nous  étions  arrivés  à 14-925  pieds  (4557'").  (P.  102.) 

Dans  leur  voyage,  en  1868,  Douglas  W.  Freshfîeld,  Moore  et 
Tucker1,  accompagnés  d’un  guide  de  Chamounix,  Fr.  Devouassoud, 
avec  qui  ils  avaient  parcouru  les  Alpes,  exécutèrent  les  deux  diffi- 
ciles ascensions  du  Kasbek  et  de  l’Elbrouz. 

Le  1er  juillet,  ascension  du  Kasbek  ; nuit  passée  à 5500m  ; excepté 
la  fatigue  excessive  qui  força  l’un  d’eux  de  se  coucher  et  faillit  en 
empêcher  un  autre  d’atteindre  le  sommet,  nos  voyageurs  ne  notent 
rien  qui  nous  intéresse. 

Le  51  juillet,  ascension  de  l’Elbrouz;  ils  ne  se  plaignent  que  du 
froid. 

Gardiner,  Grove,  Walker  et  Knubel 2 s’élévèrent,  le  28  juillet 
1874,  au  sommet  de  ceLle  dernière  montagne.  Le  27,  ils  campèrent 
à 11500  pieds,  et  le  lendemain  atteignirent  la  cime  : 

Toute  la  compagnie  souffrit  de  la  rareté  de  l’air.  En  18G8,  pas  un  ne  s’en  était 
ressenti;  le  pic  alors  atteint  était  probablement  celui  de  l’Est  ; mais  la  différence 
en  hauteur,  s’il  y en  a une,  est  trop  légère  pour  expliquer  l’immunité  de  la  pre- 
mière expédition. 

C’est  sans  doute  du  voyage  de  Douglas  Freshfîeld  et  autres  qu’il 
s’agit  ici. 

Dans  la  même  publication  se  trouve  un  second  récit,  par  Gardi- 
ner3, de  la  même  ascension  : 

Depuis  le  col,  aucune  difficulté  sérieuse  ne  se  présenta.  Cependant  Grove,  Knu- 
bel et  moi,  nous  souffrîmes  plus  ou  moins  du  côté  de  la  respiration,  ce  qui  nous 
força  à nous  arrêter  souvent  ; nous  avions  aussi  ce  que  j’ai  entendu  appeler  par 
un  guide  suisse  « un  coup  aux  genoux  ».  Walker  saigna  du  nez,  mais  n’eut  pas 
d’autre  accident.  (P.  119.) 

Arménie.  — Le  plateau  de  l’Arménie  qui,  sur  une  vaste  étendue, 

1 Journey  in  the  Caucasus,  and  Ascent  of  Kasbek  and  Elbruz.  — The  journal  of  the 
royal  geoyr.  Society , t.  XXXIX,  p.  50-76  ; London,  1869.  — Itinerary  of  a Tour  in  the  Cau- 
casus;  Alpine  Journal,  t IV,  p.  160-166;  London  1870. — The  Caucasus,  by  C.  Tucker 
[Ibid,  424-25  ). 

- Itinerary  of  a Tour  in  the  Caucasus  made  by  F.  Gardiner,  F.-C.  Grove,  A.-W.  Moore 
and  A.  Walker,  with  Peter  Knubel  of  St-Niklaus.  — Alp . Journal,  t.  Vit,  p.  100-105; 
London,  1874. 

3 An  ascent  of  Elbruz.  — Alpine  Journal,  t.  VU  p.  115-124;  London,  1875. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ASIE  OCCIDENTALE.  155 

dépasse  la  hauteur  moyenne  de  5000m,  est  dominé  par  le  double 
sommet  de  l’Ararat,  qui  était  bien  connu  des  anciens,  el  dont  par- 
lent meme,  comme  chacun  sait,  les  livres  bibliques. 

Mais  si  Noé  a pu  facilement,  selon  la  légende,  descendre  du  som- 
met où  l’avaient  porté  les  eaux  — qui,  si  elles  avaient  couvert  le 
grand  Ararat,  n’auraient  laissé  au-dessus  d’elles  que  ses  voisins 
l’Elbrouz  et  le  Démavend  avec  les  plus  hautes  cimes  des  Andes  et 
de  l’Himalaya,  — l’ascension  de  la  montagne  sainte  présente  des 
difficultés  autrement  sérieuses.  Cependant,  Pierre  Bergeron,  Pari- 
sien, dans  son  traité  des  Tartares1,  nous  donne  le  curieux  rensei- 
gnement suivant  : 

Elmacin,  historien  arabe,  conte  que  l’empereur  Héraclius  faisant  la  guerre  en 
Perse,  et  passant  par  la  ville  de  Thémanin  bâtie,  ce  dit-on,  par  Noé  au  sortir  de 
l’arche,  avait  eu  la  curiosité  de  monter  sur  cette  montagne  (Ararat,  qui  est  le 
Taur,  comme  l’Écriture  l’appelle,  et  les  Grecs  Périarde,  aujourd’hui  Chielder), 
pour  y chercher  ce  qui  restait  de  ce  vaisseau.  liai  ton  dit  aussi  que  de  son  temps 
on  en  voyait  aussi  quelques  pièces  de  reste.  (P.  GG.) 

C’est  encore  à Robert  Boyle2  que  nous  devons  le  premier  récit 
d’une  ascension  sur  l’Ararat,  avec  indication  des  malaises  que  de- 
vait entraîner  le  séjour  sur  un  lieu  si  élevé  : 

M’étant  rencontré  avec  un  ecclésiastique  qui  avait  visité  les  hautes  montagnes 
d’Arménie  (sur  l’une  desquelles,  à cause  de  sa  grande  élévation,  les  gens  du  pays 
disent  que  l'Arche  s’est  arrêtée),  je  lui  demandai  si  sur  les  sommets  il  avait 

éprouvé  quelque  difficulté  à respirer Il  me  répondit  qu’il  n’avait  pu  aller 

jusqu’au  faite  de  ces  montagnes,  à cause  des  neiges;  que  cependant,  il  avait 
remarqué  qu’il  était  obligé  de  respirer  plus  souvent. 

Je  lui  demandai  si  cette  difficulté  lui  paraissait  purement  accidentelle,  ou  par- 
ticulière à lui;  mais  il  m’affirma  qu’elle  était  générale  sur  les  hauts  lieux  et  que 
cela  était  de  commune  observation. 

Ce  même  ecclésiastique  éprouva  de  semblables  accidents  respiratoires  en  fai- 
sant l’ascension  d’une  montagne  des  Cévennes.  (P.  2038.) 

Le  célèbre  botaniste  Tournefort5,  qui  tenta  l’ascension  le  11  août 
1701,  ne  put  aller  jusqu’à  la  limite  des  neiges  : 

L’un,  dit-il,  se  plaignait  qu’il  ne  pouvait  respirer;  pour  moi,  je  n’avais  jamais 
tant  appréhendé  que  quelque  vaisseau  lymphatique  ne  se  cassât,  dans  mon 
corps.  (T.  II,  P.  51G.) 

La  première  ascension  complète  dont  nous  possédions  le  récit 

1 Voyages  faits  en  Asie , dans  les  XII,  XIII . XIV  et  XV  siècles.  — La  Haye,  1755. 

- Philosophical  transactions.  12  sept  1G7C. 

■’  Relation  d’ un  voyage  du  Levant,  2 vol.  — Paris,  1717. 


130 


HISTORIQUE. 


est  celle  qui  a été  exécutée  en  1829  par  Parrot,  le  savant  voyageur 
que  nous  avons  déjà  si  souvent  cité;  il  dut  s’y  reprendre  à trois  fois. 

Le  12  septembre1,  il  ne  monta  que  jusqu’à  5850m  (p.  150)  ; le  18, 
il  arriva  à 5000m  (p.  146).  Enfin,  le  26,  il  alla  passer  la  nuit  à 
4500'11;  il  ne  se  plaint  que  d’un  sentiment  de  fatigue  et  de  tendance 
au  sommeil  (p.  156).  Le  lendemain,  départ  pour  le  sommet  : 

Nous  dûmes  laisser  un  de  nos  paysans,  malade,  au  campement.  Deux  autres, 
harassés  par  l’ascension  des  glaciers,  se  couchèrent  sur  le  sol,  puis  redescendi- 
rent. Sans  nous  laisser  abattre,  nous  poursuivîmes  notre  route.  (P.  157.) 

Le  reste  du  récit  montre  que  leurs  fatigues  furent  extrêmes; 
mais  aucun  autre  symptôme  n’est  signalé.  A trois  heures  un  quart, 
ils  arrivent  au  sommet  : « Mon  premier  désir  et  ma  première  jouis- 
sance, dit  Parrot,  fut  le  repos  » (p.  159). 

Les  difficultés  dont  l’opinion  populaire  entourait  une  ascension 
qui  paraissait  un  peu  sacrilège,  firent  que  le  récit  si  circonstancié 
et  si  véridique  de  Parrot  fut  révoqué  en  doute.  Mais,  quelques 
années  plus  tard,  d’autres  explorateurs,  Àvtonomoff,  le  5 août 
1854 2,  Behrens,  le  20  juillet  et  le  9 août  1855 3,  Abich,  le  29  juil- 
let 1845 4 5,  vinrent  en  démontrer  toute  l’exactitude.  Je  n’ai  pu  me 
procurer  le  récit  complet  de  ces  ascensions,  et  les  comptes  rendus 
qu’en  donnent  les  journaux  de  géographie  ne  parlent  d’aucun  trou- 
ble physiologique. 

Mais  cela  ne  prouve  rien,  car  ils  gardent  le  même  silence  en  ana- 
lysant3 la  célèbre  ascension  du  colonel  russe  Chodzko,  et  cepen- 
dant il  résulte  d’une  communication  que  m’a  fait  l’honneur  de 
m'adresser  le  savant  géodésien  qu’ils  ne  furent  rien  moins  que 
négligeables. 

Voici  ce  récit,  tel  que  me  l’apporte  une  lettre  écrite  en  français 
par  M.  le  général  Chodzko  : je  le  reproduis  intégralement,  en  remer- 
ciant vivement  de  son  obligeance  mon  éminent  correspondant. 
L’expédition  comprenait  cinq  officiers  et  soixante  soldats  : 

L’ascensiona  commencé  le  51  juillet  (11  août)  1850.  Du  4 (IG)  au  6 (18)  août, 
nous  sommes  restés  sous  les  tentes  au  pied  du  sommet  du  mont  Ararat.  Le  5 (17) 
août,  pendant  la  nuit,  abrités  sous  les  rochers  à pic,  nous  restâmes  de  huit 

1 Reize  zum  Ararat.  — Berlin,  1834. 

2 Magazin  fur  die  Litleratur  des  Auslandes;  1835,  n°  34. 

5 Gazette  russe  de  l'Académie;  1858,  nos21,23. 

4 Journal  le  Caucase;  1846,  nos  1,  5,  7. 

5 Journal  le  Caucase  ; 1850,  n°  50.  — Traduit  in  Nouv.  Ann.  clcs  Voyages , t.  CXXX, 
p.  334-349;  1851. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ASIE  OCCIDENTALE. 


137 


à onze  heures  du  soir  au  milieu  de  nuages  électriques.  Les  éclairs  qu’on  voit  d’en 
bas  traverser  les  nuages  comme  de  simples  rubans  minces  avaient  des  dimen- 
sions énormes  ; la  foudre  grondait  au  moment  même  où  apparaissait  la  lumière 
électrique  : c’était  comme  le  feu  des  coups  de  plusieurs  canons  tirés  en  même 
temps.  Après  trois  heures  d’orage,  un  coup  de  tonnerre  très-fort  détacha  une 
partie  des  rochers,  qui  tombèrent  avec  fracas. 

L’orage  une  fois  terminé,  survinrent  des  ouragans  de  neige.  C’est  avec  beau- 
coup de  peine  que  nous  pûmes  dérouler  et  étendre  un  peu  plus  haut  deux  peti- 
tes tentes  en  toile,  sous  lesquelles  nous  restâmes  du  16  au  19  août.  Le  18  août, 
après  avoir  atteint  le  sommet,  nous  y fixâmes  une  croix  peinte  en  noir.  Deux 
tentes  furent  dressés  dans  des  trous  pratiqués  dans  la  neige.  Le  19,  les  obser- 
vations des  distances  zénithales  furent  commencées  (l’Ararat  fut  observé  de  122 
points  trigonométriques)  ; elles  furent  finies  tant  bien  que  mal  le  24  août  au  ma- 
tin. Nous  partîmes  à midi,  et  descendîmes  rapidement. 

Quant  aux  symptômes  physiologiques,  je  me  sentais  la  tête  très-lourde;  il  me' 
semblait  qu’un  cercle  de  fer  me  serrait  le  crâne  au-dessus  des  oreilles.  Il  fallait 
marcher  très-lentement  pour  pouvoir  respirer  à l’aise.  La  nuit,  quand  nous  dor- 
mions enveloppés  de  pelisses,  si  le  froid  pénétrant  au  travers  nous  réveillait,  les 
mouvements  que  nous  faisions  pour  les  serrer  autour  de  nous  nous  coupaient  la 
respiration.  Le  troisième  jour  la  tête  est  devenue  plus  libre;  mais  il  était  tou- 
jours impossible  de  marcher  avec  vitesse. 

Dans  leur  voyage  en  Arménie,  Raddc  et  Sievers  firent  quelques 
ascensions  assez  élevées,  l’une  entre  autres  (le  28  juillet  1871),  sur 
une  montagne  voisine  du  lac  de  Chara-Gol  : 

Vers  12,500  pieds,  dit  Radde1,  je  dus  m’arrêter.  Ma  respiration  était  difficile, 

mes  genoux  étaient  absolument  brisés.  La  fièvre  commençait  à me  prendre 

Sievers  rampa  courageusement  en  avant.  Je  restai  couché  complètement  apathique, 
pendant  deux  heures,  attendant  son  retour.  Au  bout  de  deux  heures  environ,  il 
revint,  aussi  malade  que  moi,  tout  à fait  épuisé  et  brisé.  (P.  177.) 

Parmi  les  nombreux  voyageurs  qui  ont  sillonné  en  tous  sens  l’A- 
sie Mineure,  je  n’en  ai  Irouvé  qu’un,  Ilamilton2,  ayant  fait  l’ascen- 
sion du  mont  Àrgée  (5840m),  le  50  juillet  1837.  Il  ne  dit  absolu- 
ment rien  des  troubles  physiologiques. 

Perse.  — Mais  j’ai  rencontré  deux  récits  d’ascensions  au  volcan 
éteint  de  Déinavend  (5620m),  prés  de  Téhéran. 

Le  8 septembre  1857,  Taylor  Thomson3  alla  camper  sur  les  flancs 
de  la  montagne,  à 2000,n.  Le  lendemain  matin,  départ  : 

Je  ne  montais  pas  depuis  plus  d’une  heure,  quand  deux  de  mes  hommes  refu- 

1 Reisen  im  Armcnischen  ilochland  in  Sommer  1871.  — 2e  partie  : Ouest.  — Peler- 
man  s Mitthcilungen,  1875. 

2 Notice  d'un  voijage  dans  V Asie-Mineur e,  fait  en  1857.  — N.  Ann.  des  Voyages, 
t.  LXXXI,  p 155-196;  1859. 

5 An  Account  of  the  Ascent  of  Mount  Demavend,  near  Tehran,  in  sept.  1857.  — Journ. 
of  (lie  R.  geograpk.  Soc.,  t.  VIII,  p.  109;  1838. 


138 


HISTORIQUE. 


sèrent  d’aller  plus  loin Je  continuai  avec  les  deux  autres,  mais  l’un  d’eux  se 

plaignit  tellement  de  maux  de  tête,  de  palpitations  de  cœur,  que  je  dus  lui  per- 
mettre de  redescendre.  Je  retins  l’autre  jusqu’au  cratère,  par  prières  et  menaces; 

le  froid  était  excessif La  température  était  56°  F.,  le  baromètre  mesurant 

15  P,  05....  ce  qui  correspond  à 14  700  pieds  (4480m). 

L’aulre  ascension  fut  exécutée  le  24  et  le  25  juillet  1858,  par  des 
membres  des  diverses  missions  européennes  à Téhéran.  L’atlaché 
anglais,  R.  F.  Thomson,  en  a donné  un  récit  détaillé1 *. 

Le  campement  de  nuit  eut  lieu  le  24  juillet  au  village  de  Rina 
(5920m)  ; le  thermomètre  marquait  0°  centigrade.  Départ,  le  matin 
du  25  juillet,  de  bonne  heure  : 

L’ascension  de  celte  portion  de  la  montagne  amena  une  grande  fatigue,  spécia- 
lement à cause  de  la  raréfaction  de  l’air  qui  commença  à se  faire  sentir  à nos 
poumons . . . 

La  dernière  partie  de  l’ascension  du  Bamshi  Bend  fut  extrêmement  pénible 
à cause  de  la  raréfaction  de  l’air.  Nous  éprouvions  des  nausées  et  de  violents  maux 
de  tête,  et  une  grande  difficulté  à respirer,  même  au  repos.  M.  de  Saint-Quentin, 
de  la  mission  française,  et  M.  Castelli,  Sarde,  qui  nous  accompagnaient,  étaient 
attaqués  comme  nous.  Nous  étant  reposés  un  peu,  et  nous  trouvant  moins  fatigués, 
et  nous  commençâmes  nos  observations.  Elles  nous  indiquèrent  l'énorme  hauteur 
de  21,520  pieds  (G560m)5!. 

Nous  restâmes  au  sommet  environ  une  heure  et  demie.  (P.  15.) 


g 8.  — Asie  centrale. 


Dans  la  dernière  moitié  du  treizième  siècle,  un  voyageur  illustre, 
Marco  Polo3,  fut  le  premier  Européen  qui  pénétra  jusque  dans  les 
régions  élevées  des  plateaux  de  l’Asie  centrale.  Le  célèbre  Vénitien 
dut,  sans  nul  doute,  comme  le  prouvèrent  les  témoignages  de  ceux 
qui  cinq  cent  cinquante  ans  après  ont  suivi  ses  traces,  éprouver 
sur  lui-même,  observer  sur  ses  compagnons  et  ses  bêtes  de  somme, 
les  phénomènes  dont  nous  donnerons  bientôt  de  multiples  descrip- 
tions; mais  son  récit  n’en  porte  point  l’indication  : 

Si  chevauche  l’en toutefois  par  montaignes,  et  monte  Fen  tant  que  on  dit 

que  c’est  le  plus  haut  lieu  du  monde.  (P.  150.) 

Nul  oisiau  volant  n’y  a,  pour  le  haut  lieu  et  froit  qui  y est.  E si  vous  di  que 

1 R.  F.  Thomson  and  lord  Schomberg  II.  Kerr,  Journcy  Irongh  lhe  mountainous 
Districts  North  of  the  Elbruz , and  Ascent  of  Demavend,  in  Persia.  — Proceedings  of  lhe 
royal  geograph.  Soc.,  t.  III,  p.2-18;  1859. 

- Erreur  considérable  : la  hauteur  du  Démavend  est  5C20m. 

3 Le  livre  de  Marco  Polo,  citoyen  de  Venise,  rédigé  en  français  sous  sa  dictée,  en 
1298,  par  Rusticien  de  Pise.  — Publié  par  Pauthicr.  Paris,  1805. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ASIE  CENTRALE.  139 

le  feu,  pour  cel  grant  froid,  n'y  est  pas  si  cler,  ne  de  tel  chaleur  comme  en  autre 
lieu,  ne  ne  si  pueent  pas  si  bien  cuire  les  viandes.  (P.  133.) 

Ce  lieu,  le  plus  élevé  du  monde,  est,  comme  l’a  montré  plus  lard 
le  voyageur  anglais,  Wood,  le  plateau  de  Pamir,  par  4700,n. 

Des  voyageurs  chinois,  bien  plus  anciens  encore,  avaient  visité 
ces  hauts  lieux.  Tel  le  pèlerin  Fa-ïïian1,  qui,  en  l'année  399?  tra- 
versa la  passe  de  Karakorum  (5690m).  Tel  le  célèbre  Hiouen-Thsang2 * * 
qui,  venant  de  Chine,  rencontra  « une  suite  de  montagnes  et  de  val- 
lées et  des  pics  d’une  hauteur  prodigieuse.  Il  franchit  les  monta- 
gnes noires  » (p.  55).  M.  Stanislas  Julien  déclare  qu’il  s’agit  des 
passes  de  l’Hindou-Koucli  et  du  plateau  de  Pamir.  Mais  dans  les  récits 
très-succincts  qui  nous  ont  été  conservés,  il  n’est  nulle  question 
d’observations  physiologiques. 

La  description  « des  provinces  Wei  et  Zzang  » de  la  Chine  occi- 
dentale, qui,  publiée  en  chinois  dans  l’année  1792,  a été  tra- 
duite en  français  par  Klaproth5,  contient  quelques  indications  qui, 
d’après  ce  que  nous  verrons  plus  loin,  se  rapportent  évidemment 
aux  accidents  de  la  décompression. 

C’est  ainsi  qu’en  parlant  des  affections  qui  atteignent  les  voya- 
geurs dans  ces  pays  de  hautes  montagnes,  l’auteur  chinois  parle 
de  : 

La  chaleur  du  corps,  les  maux  de  tête , et  autres  maladies  propres  au  climat. 
(I\  23.) 

Plus  loin,  dans  un  itinéraire  remarquable  par  la  précision  des 
mesures  et  l’abondance  des  détails,  il  indique  l’influence  des  plan- 
tes empoisonnées,  auxquelles  nous  verrons  jouer  bientôt  un  grand 
rôle  dans  les  récits  des  voyageurs;  ici,  c’est  la  rhubarbe  qu’on 
accuse  : 

Eu  partant  de  Djédo  on  voyage  de  montagnes  en  montagnes,  elles  s’étendent 
au  loin,  mais  elles  ne  sont  pas  très-hautes.  La  rhubarbe  y abonde,  elle  exhale  une 
odeur  très-forte  qui  incommode  beaucoup  le  voyageur.  (P.  188.) 

Enfin,  après  les  plantes,  viennent  les  exhalaisons  du  sol  : 

Plus  loin  à l’ouest  de  Djaya , on  traverse  une  grande  montagne  neigeuse;  le 
chemin  est  très-raide.  Les  neiges  accumulées  ressemblent  aune  vapeur  argentée. 

1 I’urdon,  On  the  Trigonométrie  al  Survey  and  Physical  Configuration  ofthe  valley  of 
Kashmir.  — ,/.  of  R.  Geogr.  S.,  t.  XXXI,  p.  14-50  ; 1861. 

2 Mémoires  sur  les  contrées  occidentales,  traduites  du  sanscrit  en  chinois,  en  l’an  G4S, 

par  Hiouen-Thsang,  et  du  chinois  en  français  par  Stanislas  Julien,  t.  I.  — Paris,  1857. 

J Klaproth,  Description  du  Thibet,  traduite  du  chinois. — Paris,  1831. 


140  HISTORIQUE. 

Le  brouillard  que  la  montagne  exhale  pénètre  dans  le  corps  et  rend  les  Chinois 
malades.  (P.  210.) 

De  Lang  Thang  Keou,  on  suit  la  vallée,  on  monte — La  neige  gelée  rend  la 
route  glissante  et  très-dangereuse.  Il  y a là  aussi  des  exhalaisons  pestilentielles. 
(P.  217.) 

Pendant  le  dix-septième  el  le  dix-huitième  siècle,  quelques  voya- 
geurs européens,  missionnaires,  marchands,  militaires  ou  aventu- 
riers, visitèrent,  soit  dans  l’Empire  chinois,  soit  dans  celui  du  grand 
Mogol,  les  régions  élevées  de  l’Asie  centrale. 

Je  n’ai  trouvé  que  dans  le  récit  d’un  seul,  le  jésuite  portugais 
Antonio  d’Andrada1,  l’indication  nette  d’accidenls  qu’on  puisse  at- 
tribuer à l’effet  de  l’air  des  hauts  lieux.  Ce  missionnaire  eut  le 
* courage  de  traverser  presque  seul  l’Ilimalaya  pour  se  rendre  du 
Cachemire  au  Thibet  : 

Là  commencent  d’énormes  montagnes  que  l’on  ne  peut  franchir  en  moins  de  20 
jours.  On  n’y  trouve  rien  que  des  rochers  presque  toujours  couverts  de  neige 

Tant  par  le  malaise  que  par  une  certaine  exhalaison  pestilentielle  qui  sort  de  la 
terre,  tout  à coup  on  éprouve  une  révolution  violente  et  intérieure  qui  vous  tait 
périr  en  un  quart  d’heure.  J’attribue  ces  morts  subites  à la  cessation  de  la  chaleur 
naturelle  interceptée  par  legrandfroid,  et  surtout  à la  mauvaise  nourriture.  (P.  13.) 

Mais  quant  à lui  et  à scs  deux  compagnons,  il  ne  se  plaint  que  du 
froid  extrême,  de  congélations  partielles,  d’insensibilité  aux  mains 
et  aux  pieds,  et  de  « perte  d’appétit  » (p.  16),  seul  trouble  qu’on 
puisse  rapporter  à la  diminution  de  pression.  Ils  avaient  cependant 
passé  par  les  régions  les  plus  élevées,  puisqu’ils  « arrivèrent  au  som- 
met de  toutes  ces  montagnes  où  se  voit  le  lac  d’où  sortent  la  rivière 
du  Gange  et  une  autre  qui  arrose  les  terres  du  Thibet  » (p.  16). 
C’est  évidemment  du  lac  Manasarowar  que  veut  ici  parler  d’Andrada. 

Le  docteur  Bernier2,  qui  suivit  en  mars  1665  le  grand  Mogol 
Aureng-Zeb,  de  Lahore  à Cachemire,  eut  à traverser  une  montagne 
élevée,  encore  couverte  de  neige;  mais  il  ne  parle  que  du  froid, 
et  de  même,  en  relatant  les  voyages  des  marchands  qui  vont  au 
Kasligar  et  au  Thibet  à travers  les  hautes  chaînes,  il  ne  fait  allu- 
sion qu’aux  difficultés  de  la  marche. 

Les  récitsdu  père  Verbiest3  qui,  en  1685,  accompagna  l’empereur 
de  Chine  dans  la  Tartarie  orientale,  ceux  du  père  Gerbillon4,  de 
1688  à 1698,  ne  mentionnent  aucune  souffrance. 

1 Voyages  au  Thibet;  trad.  par  Tarraud  et  Billecoq.  — Paris,  l’an  IV. 

- Voyages  de  Fr.  Bernier,  t.  II,  lettre  ix.  — Amsterdam,  1G99. 

5-4  Description  de  la  Chine  du  P.  du  Halde,  t.  IV.  — Paris,  17Ô5. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ASIE  CENTRALE. 


141 


En  octobre  1714,  le  père  H.  Desideri  partit  de  Lahore  pour  aller 
à Cachemire,  « à travers  le  Caucase , » comme  on  a longtemps  appelé 
l’Himalaya.  Le  1 7 mai  1715,  il  entreprit  le  terrible  voyage  du  Thibet, 
et  arriva  le  25  juin  à Ladak.  Il  n’accuse  de  ses  souffrances  que  la 
fatigue,  le  froid , les  vents  furieux,  la  réverbération  du  soleil  sur  la 
neige l. 

Dans  la  seconde  moitié  du  dix-huitième  siècle  commencent  les 
relations  politiques  des  Anglais  avec  le  Boutan  et  le  Thibet.  En 
1774,  Bogie  fut  envoyé  auprès  du  grand  Lama  par  le  gouverneur 
des  Indes;  J.  Stewart2,  qui  a raconté  son  voyage,  n’y  fait  aucune 
allusion  à l’influence  des  montagnes. 

En  1785,  Samuel  Turner3  fut  chargé  de  la  même  mission.  Il  tra- 
versa les  hauts  défilés  du  Boutan,  et  séjourna  plusieurs  mois  au 
Thibet.  Il  insiste  fréquemment  sur  la  hauteur  extraordinaire  de  ces 
régions,  sur  les  vents  froids  et  desséchants  qui  y régnent.  La  seule 
observation  qu’on  puisse  rapporter  à l’influence  fâcheuse  de  l’alti- 
tude est  la  suivante  ; Turner  se  trouvait  alors  au  pied  du  Chumalari  : 

Lorsque  noos  eûmes  mis  pied  à terre  à Terma,  je  ressentis  un  violent  mal  de  tête, 
ce  qui  m’engagea  à me  jeter  sur  un  tapis;...  je  souffrais  et  n’avais  nulle  envie  de 

parler.  (T.  I,  p.  512.) 

J'attribuai  ce  mal  de  tête,  qui  m’avait  fait  beaucoup  souffrir,  au  changement  de 
climat.  (IL  514.) 

Le  capitaine  Thomas  Ilardwicke4  fit,,  en  1796,  un  voyage  à 
Srinagar  dans  le  petit  Thibet,  pendant  lequel  il  paraît  s’être  élevé 
à d’assez  grandes  hauteurs;  mais  il  ne  rapporte  aucun  accident 
qu’on  puisse  attribuer  au  mal  des  montagnes. 

Mais  avec  le  célèbre  voyage  de  Moorcroft5  qui,  en  1812,  traversa 
FHimalaya  pour  atteindre  le  lac  de  Manasarowar,  commence,  pour 
ainsi  dire,  une  ère  nouvelle.  Désormais,  tous  les  récits  des  vova- 
geurs  garderont  d’une  manière  nette,  et  souvent  avec  détails,  la 
trace  des  souffrances  que  f altitude  ajoutait  à la  fatigue  et  au  froid. 

Il  partit  le  26  mai,  mais  ce  n’est  que  le  4 juin  qu’on  trouve,  dans 
son  journal,  l’indication  d’un  malaise  spécial  : 

1 LcLlrc  du  16  avril  1710.  Lettres  édifiantes.  Nouvelle  édition,  t.  VII,  p.  450-455.  — 
Paris,  1781. 

- An  account  of  llie  Kingdomof  Thibet,  par  J.  Stewart.  — P h il.  transactions,  t.  LVII, 
p.  4G5-492  ; 1777. 

5 Ambassade  au  Thibet  et  au  Boutan , trad.de  Castéra,  2 vol.  — Paris,  1800. 

4 A journey  to  Sirinagur.  — Asiatic  researches,  t.  VI,  p.  509-581  ; 1801. 

5 A journey  to  Laite  Manasarovara  in  Un-dés,  a Province  of  Utile  Tibet.  — Asiatic 
researches , t.  XII,  p.  375-551.  — Calcutta,  1810. 


142 


HISTORIQUE. 


Dans  la  dernière  partie  de  ce  jour,  dit-il,  je  trouvai  que  ma  respiration  s’accélé- 
rait en  proportion  des  difficultés  de  l’ascension,  et  j’étais  souvent  obligé  de  m’ar- 
rêter pour  attendre  que  les  battements  de  mon  cœur  se  calmassent.  Mon  compa- 
gnon souffrait  de  cette  oppression  depuis  trois  jours,  mais  je  n’avais  jusque-là 
rien  ressenti.  (P.  511 7.) 

Moorcroft  n’indique  pas  la  hauteur  à laquelle  il  était  alors  par- 
venu ; il  parle  seulement  d’un  village  nommé  Niti  où  il  établit  alors 
son  campement.  Il  voulut  de  là,  au  bout  de  quelques  jours,  faire 
l’ascension  des  montagnes  voisines  : 

Le  26  juin,  au  matin,  je  partis.  La  montée  fut  très-pénible  à cause  de  la  grande 
difficulté  de  respirer;  de  cinq  personnes,  une  seule  fut  capable  de  m’accompa- 
gner.... Je  ne  pouvais  faire  plus  de  cinq  à six  pas  sans  m’arrêter  pour  respirer.... 
Ayant  tourné  tout  à coup  le  dos  auvent,  je  ressentis  un  sentiment  de  plénitude  à 
la  tète,  avec  vertiges,  et  des  menaces  d’apoplexie;  aussi  je  me  couchai  rapide- 
ment à terre.  Peu  de  temps  après,  ma  respiration  haletante  se  ralentit,  l’action  du 
cœur  devint  moins  violente,  et  je  pus  me  relever.  Mais  malgré  les  précautions  de 
ma  marche,  je  fus  attaqué  deux  fois  des  mêmes  symptômes,  si  bien  qu’il  me  sem- 
bla prudent  de  renoncer  à monter  plus  haut. 

La  nécessité  impérieuse  de  s’arrêter  pour  respirer  tous  les  quatre  on  cinq  pas 
ne  se  fil  sentir  que  pendant  l’ascension.  Quand  l’action  impétueuse  du  cœur  était 
ralentie  par  le  repos,  la  difficulté  de  respirer  disparaissait  . Elle  n’apparaissait  pas 
à la  descente,  même  lorsque  je  courais;  mais  plusieurs  fois,  à notre  campement, 

au  moment  de  m’endormir,  j’ai  été  interrompu  par  cette  sensation Bien  que 

je  n’éprouvasse  ni  chaud  ni  froid  excessifs,  mes  mains,  mon  cou  et  ma  figure 
étaient  rouges,  la  peau  était  sensible,  et  le  sang  sortit  de  mes  lèvres,  ce  qui  ne 
m’était  jamais  arrivé.  (P.  408.) 

11  revient  à plusieurs  reprises  sur  l’oppression  qui  précède  le 
sommeil  : 

Le  50  juin,  au  lever  du  soleil,  le  thermomètre  était  à 46°  F Je  me  réveillai 

de  très-bonne  heure,  et  fus  aussitôt  pris  de  difficultés  de  respirer  avec  grande 
oppression  au  cœur,  phénomènes  qui  disparurent  après  quelques  inspirations 
profondes.  Comme  je  me  rendormais,  la  suffocation  reparut,  et  la  respiration  de- 
vint fort  anxieuœ  ; cependant,  quand  l’air  se  réchauffa  un  peu,  cette  affection 
diminua.  (P.  412.) 

Le  soir,  bien  que  pressé  du  besoin  de  sommeil,  il  me  fut  impossible  de  m’en- 
dormir à cause  des  étouffements  qui  survenaient  aussitôt,  et  que  pouvaient  seules 
calmer  quelques  respirations  profondes.  (P.  415.) 

Le  5 juillet,  Moorcroft  atteignit  Daba.  Le  reste  du  voyage  ne  l’ex- 
posa plus  au  mal  des  montagnes,  sur  la  cause  et  la  nature  duquel 
il  ne  hasarda  aucune  hypothèse. 

En  1819,  Moorcroft,  en  compagnie  de  Trebeck,  commença  une 
longue  expédition  qui  devait,  en  18*25,  se  terminer  par  la  mort  des 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ASIE  CENTRALE. 


143 


deux  voyageurs.  Je  n’ai,  dans  ïa  publication  faite  par  Wilson1  des 
résultats  de  ce  voyage,  rien  trouvé  qui  ait  rapport  au  mal  des  mon- 
lagnes.  En  racontant  sa  traversée  de  la  passe  de  Chang-La,  la  plus 
haute  qu’il  ait  encore  franchie,  Moorcroft  ne  se  plaint  que  d’un  froid 
terrible  (t.  I,  p.  428).  A la  passe  de  Parang-La,  qu’il  estime  être  à 
près  de  19  000  pieds,  il  dit  seulement  : 

Mon  cheval  était  tellement  incapable  de  marcher,  bien  avant  d’atteindre  le  som- 
met, que  je  dus  en  descendre  et  l’abandonner  à son  sort.  (T.  II,  p.  54.) 

Trois  ans  après  le  premier  voyage  de  Moorcroft,  Fraser2,  qui  ac- 
compagnait l’agent  politique  envoyé  à l’armée  du  général  Martin- 
dale,  remontait  en  1815  les  bords  de  la  Jumna.  Il  traversa  les  mon- 
tagnes, de  Jumnotree  à Gangotree,  par  des  passes  très-élevées,  mais 
dont  il  ne  donne  pas  la  hauteur. 

C’est  le  16  juillet  que,  pour  la  première  fois,  apparaissent  dans 
son  récit  des  accidents  qu’on  peut  rapporter  au  mal  des  mon- 
tagnes : 

Nous  éprouvâmes  beaucoup  d’ennuis,  dit-il,  de  la  part  des  coolies On  avait 

grand’peine  à les  mettre  en  mouvement,  et  ils  s’asseyaient  après  quelques  pas, 
bien  qu’on  eût  beaucoup  allégé  leur  charge  en  prévision  des  difficultés  de  la  mar- 
che. Ils  nous  dirent  qu’ils  étaient  frappés  par  le  Serân , ou  poison  de  l’air  venant 
des  fleurs  qui  couvraient  le  sol  (primevères,  polyanthus,  bruyères);  et  quoique 
leur  position  fût  peut-être  en  partie  due  à la  boisson  et  aux  excès,  et  qu’il  fallût 
aussi  accorder  quelque  chose  à la  paresse,  leur  apparence  générale  indiquait  encore 
autre  chose.  En  arrivant,  ils  jetaient  à terre  leurs  paquets,  et  s’étendaient  malades  ; 
le  plus  souvent  ils  dormaient  aussitôt,  et  bien  peu  pensaient  à manger  auparavant. 
On  nous  dit  que  la  course  du  lendemain  serait  plus  rude  encore.  (P.  440.) 

En  effet,  le  lendemain  les  souffrances  redoublèrent  : 

Il  faisait  excessivement  froid....  Beaucoup  des  Mewatee  et  les  Goorkha  étaient 
presque  incapables  d’avancer,  chacun  se  plaignant  du  bîs,  ou  vent  empoisonné. 
Je  pensai  alors  que  ce  poison  supposé  n’était  autre  que  l’effet  de  la  raréfaction 
de  l’air  due  à notre  grande  élévation,  qui  le  rend  incapable  de  suffire  à notre 
respiration  ; il  ne  peut  distendre  les  poumons;  j’ai  été  amené  à cette  supposition 
d’après  mes  propres  sensations.  Je  fus  obligé  de  faire  des  efforts  extraordinaires 
pour  continuer  ma  course,  et  pouvais;»  peine  trouver  la  force  de  marcher.  J’éprou- 
vai une  grande  oppression  respiratoire,  comme  si  je  manquais  d’air.  Nous  n’au- 
rions certainement  pas  pu  supporter  cela  longtemps 


1 Travels  in  lhe  Himalayan  provinces  of  H indus  tan  and  the  Penjab  ; in  Ladakh  and 
Kashmir ; in  Pcshaivar,  Iiabul,  Kunduz  and  Bohhara ; 2 vol.  — London,  1 851 . 

2 Journal  of  a Tour  ihrough  Part  of  tlic  snowy  Range  of  the  Himalaya  mountains, 
and  lo  lhe  sources  of  lhe  Hivers  Jumna  and  Ganges.  — London,  1820.  Ce  voyage  fut 
publié  en  abrégé  dans  les  Asialic  researchcs , t.  XIII,  p.  170-249.  — Calcutta,  1820. 


144 


HISTORIQUE. 


Enfin  nous  arrivâmes  au  sommet  du  Bumsooroo-ke-Ghàt,  où  il  n’y  avait  plus 
que  de  la  mousse  et  des  lichens....  Aussitôt  que  l’un  de  ceux  qui  se  plaignaient 
d’oppression  se  couchait,  il  s’endormait,  mais  il  ne  paraissait  pas  prudent  de  le 
laisser  s’abandonner  ainsi.  Manger  quelques  bouchées  taisait  un  peu  de  bien,  mais 
rien  ne  soulageait  sérieusement,  et  personne  n’était  à l’abri  de  cette  débilité  géné- 
rale. C’était  le  point  le  plus  haut  de  noire  voyage.  (P.  442.) 


De  là  nous  eûmes  à exécuter  une  série  de  montées  et  de  descentes le  long 

d’un  sentier  très-difficile  et  pénible  à cause  de  la  neige  et  des  pierres  roulantes; 
nous  lûmes  cruellement  tourmentés  par  la  difficulté  de  respirer,  jusqu’à  ce  que 
nous  arrivâmes  à Chaiah-ke-Kanta.  (P.  444.) 

Ils  n’étaient  pas  au  bout  de  leurs  souffrances.  Dès  le  lendemain, 
il  fallut  exécuter  de  nouvelles  ascensions  : 

Nous  avions  à nous  plaindre  de  la  difficulté  du  pays,  du  mauvais  état  de  la 
route,’ et  par-dessus  tout  de  la  fatigue  artificielle  due  à l’oppression  dont  nous 
nous  ressentions  tous  au  plus  haut  point.  (P.  449.) 

En  atteignant  la  gorge  élevée  de  Bamsooroo,  personne  n’évita  l’influence  perni- 
cieuse. H était  curieux  de  voir  que  ceux  qui  avaient  ri  de  leurs  compagnons  se 
laissaient  aller  les  uns  de  fatigue,  les  autres  de  malaise,  malgré  leurs  efforts  pour 
le  cacher  aux  autres.  Je  crois  que  j’y  échappai  plus  longtemps  qu’aucun  autre  ; et 
cependant,  après  avoir  passé  cette  gorge,  quelques  pas  en  montant  me  paraissaient 
un  insupportable  labeur,  et  même  en  passant  sur  les  endroits  à plat,  mes  genoux 
tremblaient  sous  moi,  et  j'éprouvais  de  temps  en  temps  des  nausées  stomacales. 
Les  symptômes  produits  sont  très-variés;  quelques  personnes  souffrent  de  violents 
maux  de  tète  ; d’autres  ont  des  douleurs  dans  la  poitrine,  avec  de  l’oppression  ; 
d'autres  des  nausées  et  des  vomissements  ; beaucoup  sont  accablés  de  somnolence 
et  s’endorment  même  en  marchant. 

Mais  ce  qui  prouvait  que  tout  cela  était  l’effet  de  notre  grande  élévation,  c’est 
que  lorsque  nous  descendîmes,  et  atteignîmes  les  régions  de  la  végétation,  tous  ces 
symptômes  violents,  toutes  ces  souffrances  diminuèrent  et  disparurent.  (P.  459.) 

En  1816,  1817  el  1818,  le  capitaine  Webb  fit  des  efforts  infruc- 
tueux pour  traverser  l’IIimalaya,  et  revoir  le  lac  sacré  de  Manasa- 
rowar;  les  Tartares  l’arrêtèrent  en  route.  Ses  observations  ont  été 
publiées  dans  un  intéressant  article  de  la  Quarterly  Review  1 ; il  en 
est  qui  nous  touchent  spécialement  : 

Sans  élever  le  moindre  doute,  dit  le  rédacteur  qui  analyse  les  lettres  de  Webb, 
sur  la  difficulté  de  respirer  éprouvée  par  M.  Moorcroft  dans  son  ascension  du 
Gliaut,  nous  ferons  observer  qu’on  est  souvent  monté  plus  haut  sans  rien  éprouver 
de  semblable,  ce  qui  semble  indiquer  que  ces  effets  dépendent  beaucoup  de  l’état 
de  la  santé.  Le  capitaine  Webb,  cependant,  confirme  ces  allégations,  non-seule- 
ment par  le  témoignage  de  ses  propres  sensations,  mais  par  celui  des  montagnards 
eux-mêmes,  qui  les  éprouvent  autant  que  les  étrangers,  et  il  nous  assure  que 
ni  les  chevaux  ni  les  yacks  n’en  sont  exempts.  Les  natifs  nomment  ce  mal  Bis - 

* Vol.  XXIL  p.  415-450.  — Londres,  1820. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ASIE  CENTRALE. 


145 


kee-huwa , c’est-à-dire  air  empoisonné,  et  l’attribuent  aux  émanations  de  cer- 
taines fleurs  ; il  survient  quand  on  marche  ou  quand  on  se  fatigue. 

« Tout  le  monde,  dit  notre  voyageur,  se  plaignit  de  perte  d’appétit  pendant  plu- 
sieurs jours  après  notre  arrivée  à Nitee.  Pour  moi,  j’éprouvai  exactement  les  sensa- 
tions qui  précèdent  une  attaque  de  fièvre,  avec  grande  oppression,  action  exagérée 
du  cœur  et  des  viscères.  Mais  un  de  ceux  qui  m’accompagnaient  souffrit  une  de 
ces  attaques  auxquelles  sont  sujets  les  habitants  du  Boutan,  au  commencement 
de  la  saison,  et  qu’ils  considèrent  comme  directement  produits  par  la  Bis-kee - 
huwa.  Il  était  descendu  sur  le  bord  de  la  rivière  à la  chute  du  jour,  et  quand  il 
voulut  remonter,  il  perdit  l’usage  de  ses  jambes  et  même  sa  connaissance  ; ce- 
pendant, il  conservait  encore  quelque  sentiment,  mais  il  ressemblait  pour  moi  à 
un  homme  frappé  d’apoplexie.  Les  extrémités  étaient  froides,  et  après  avoir  vai- 
nement essayé  de  le  ranimer  par  des  frictions,  par  l’application  de  pierres  chaudes 
dans  les  mains  et  à la  plante  des  pieds  pendant  plusieurs  heures,  je  m'avisai  de 
lui  donner  un  émétique;  une  grande  quantité  de  « foam  » fut  chassée,  et  en  deux 
ou  trois  jours  il  revint  à la  santé.  Je  crois  que  cette  sécrétion  de  « foam  » est  un 
effet  particulier  de  l’inhalation  des  vapeurs  toxiques.  (P.  420.)  » 

C’est  à peu  près  vers  la  même  époque  que  les  frères  Gérard  com- 
mencèrent la  célèbre  série  de  leurs  voyages  à travers  l’Himalaya. 

En  1817  (27  août-14  octobre)  premier  voyage  du  capitaine 
Alexandre  Gérard,  de  Soobathoo  à Rarung,  avec  retour.  11  futaccom- 
pognô  pendant  une  partie  de  la  roule  par  le  docteur  Govan,  dont 
nous  aurons  à parler  plus  loin.  Son  récit  fut  publié  pour  la  pre- 
mière fois,  d’après  ses  notes  de  voyage,  par  Lloyd  en  1841 1 (p.  191- 
267).  Il  n’y  est  nulle  part  question  du  mal  des  montagnes. 

L’année  suivante  il  se  remit  en  route,  en*compagnie  cette  fois  du 
docteur  J.  G.  Gérard,  son  frère.  Ils  allèrent  de  Soobathoo  à Shipke, 
avec  retour  à Soobathoo  (22  septembre-22  novembre  1818).  J’em- 
prunte aux  simples  notes  qu’ils  ont  publiées2  ce  qui  touche  à notre 
sujet  : 

2 octobre.  Notre  tente  est  placée  à 15,095  pieds  ; ail  col  qui  sépare  Choara  du 
Koonawur,  il  n’y  a plus  que  quelques  rares  herbes  avec  un  peu  de  mousse..,. 
Pendant  la  nuit  que  nous  y passons  nous  ressentons  tous  de  violents  maux  de  tête, 
dus  probablement  à la  raréfaction  de  l’air,  mais  que  les  natifs  attribuent  à une 
plante  toxique  qui  pousse  en  abondance  aux  grandes  hauteurs.  (P.  566.) 

Le  7 octobre,  traversée  de  la  passe  de  Toongrung(15  729  pieds), 
aucun  effet  noté;  le  12  octobre,  de  môme,  à 15  518  pieds,  à la  passe 
qui  sépare  Koonawur  des  possessions  chinoises.  Le  16  octobre, 

1 Account  o f Koonawur,  in  the  Himalaya.  — London,  1841. 

2 lre  partie  : aller.  Account  of  ; part  of  a journey  through  the  Himalaya  mountains.  — 
The  Edinb.  Philos,  journal , t.  X,  p.  295  505  ; 1824.  — 2e  partie  : retour.  Journal  of 
an  Excursion  through  the  Himalaya  mountains,  from  Shipke  to  tho  Frontiers  of 
Chinca,  Tartary.  — The  Edinb.,  Journal  of  Science,  vol.  I,  p.  41—51  et  p.  215-224;  1824. 

Ces  deux  articles  sont  reproduits  dans  le  Journal  of  the  Asiatic  Society  of  Bengal , 
t.  XI,  p.  565-591;  1842.  C’est  d’après  celle  publication  que  je  cite. 


10 


145 


HISTORIQUE. 


campement  à 14900  pieds,  et  le  18,  ascension  d’un  pic  montant  à 
19411  pieds  (591 5ni)  : 


Violents  maux  de  tête,  nous  laissant  à peine  la  possibilité  de  faire  des  efforts.... 
Les  natifs  refusent  d’avancer....  Pour  dire  la  vérité,  nous  ne  pouvions  plus  mar- 
cher nous-mêmes,  tant  nous  souffrions  de  la  tète,  avec  une  faiblesse  générale, 
et  de  vives  douleurs  dans  les  oreilles  et  la  poitrine....  Le  thermomètre  n’était 
pas  au-dessous  de  22°  F....  et  cependant  à cause  du  vent,  mes  mains  furent 
tellement  engourdies  que  je  dus  les  frotter  pendant  un  quart  d’heure  avant  de 

pouvoir  m’en  servir 

Les  voyageurs  qui  traversent  le  passage  de  Gangtung  le  représentent  comme 
extrêmement  difficile  : ils  se  couvrent  de  vêtements  pour  se  défendre  contre  un 
froid  excessif,  et  ils  se  plaignent  de  terribles  maux  de  tète  et  d’oreilles;  il  y 
périt  souvent  des  chèvres,  des  moutons  et  des  hommes.  (P.  377.) 


Le  24  octobre,  passage  du  llungrung  (14857  pieds);  le  25,  pas- 
sage du  Roonung  (14508  pieds);  aucune  indication.  Le  22  novem- 
bre, retour  à Soobatlioo. 

Alexandre  Gérard  ne  tarda  pas  à repartir  pour  un  nouveau  voyage. 
Cette  fois,  il  s’agissait  de  remonter,  si  possible,  jusqu’aux  sources  du 
Setlej,  un  des  affluents  de  l’Indus,  qui  vient  du  lac  Manasarowar. 
Le  récit  de  ce  voyage  forme  le  deuxième  volume  d’une  publica- 
tion faite  à Londres  en  1 840  1 . 11  avait  déjà  été  publié  sous  une 
forme  plus  succincte  dans  un  journal  scientifique  d’Édinbourg, 
en  1820  et  1827 2 . L’une  et  l’autre  narration  sont  extrêmement  so- 
bres en  descriptions  et  particulièrement  d’ordre  physiologique.  Je 
cite  d’après  le  volume  publié  à Londres. 

Le  voyage  commença  le  6 juin  1821  ; Al.  Gérard  partit  du  pays 
de  Roi,  par  9 à 10000  pieds  de  hauteur.  Il  se  borne  à dire,  au  som- 
met de  la  passe  de  Shatool,  par  15555  pieds  (4758,n),  où  nous  ver- 
rons que  son  frère  devait  tant  souffrir: 


9 juin.  — Nous  ne  dormions  que  Irès-peu,  à cause  des  maux  de  tête  et  de  la 
difficulté  de  respirer.  (P.  15.) 

À la  passe  de  Roorendo  : 

16  juin.  — Comme  il  arrive  d’habitude  à ces  hauteurs,  nous  dormîmes  à peine, 
fatigués  par  des  maux  de  tête  et  une  extrême  difficulté  à respirer.  (P.  57.) 

1 Lloyd  : Narrative  of  a journey  from  Caunpoor  lo  the  Boorendo  pass,  with  Captains 
Alex.  Gérard' s account  of  an  atternpt  to  penetratc  by  Behken  to  Garoo  and  the  Lake  of 
Manasarowar  a.  — London,  2 vol.,  1840. 

2 Al.  Gérard,  Account  of  a Survey  of  the  valley  of  the  Setlej  River,  in  tlic  Himalaya 
mountains.  — The  Edinb.  Journal  of  Science , t.  Y,  p.  270-288,  1820,  et  t.  VI,  p.  28-50, 
1827. 


147 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ASIE  CENTRALE. 

A la  passe  de  Keoobrung,  18515  pieds,  il  est  un  peu  plus  ex- 
plicite : 

24  juin.  — J'éprouvai  une  grande  difficulté  à respirer,  une  grande  faiblesse, 
mais  sans  mal  de  tête,  bien  que  mes  suivants  souffrissent  de  cette  impétuosité 
de  la  circulation  signalée  par  M.  Moorcroft  : la  température  était  de  46°. 

Le  50  août,  il  fait  l’ascension  de  la  passe  de  Manerung  à la  hau- 
teur énorme  de  18612  pieds  (567 Im) . 

Nous  montions  très-lentement  la  montagne;  la  respiration  était  laborieuse,  et 
nous  étions  épuisés  presque  à chaque  pas.  La  crête  de  la  passe  n’était  pas  visible, 
et  nous  ne  savions  quand  finiraient  nos  maux  : la  route  s’élevait  suivant  un 
angle  de  50° 

Notre  situation  était  différente  de  toutes  celles  que  nous  avions  éprouvées;  elle 
ne  peut  être  décrite.  Bien  avant  d’arriver  au  sommet,  notre  respiration  devint 
haletante  et  oppressée,  et  nous  étions  forcés  de  nous  asseoir  au  bout  de  quelques 
pas;  encore  pouvions-nous  alors  à peine  inspirer  une  quantité  d’air  suffisante.  Le 
moindre  mouvement  était  accompagné  de  faiblesse  et  d’abattement  intellectuel. 
Nous  souffrîmes  ainsi  pendant  2 milles  ; le  dernier  demi-mille  était  dans  la  neige 
perpétuelle.  Au  sommet,  le  baromètre  marquait  15,o00p,  le  thermomètre  36a  F. 

Plusieurs  de  mes  gens  ne  purent  franchir  la  passe,  à cause  des  maux  de  tête. 
La  longueur  et  la  difficulté  de  l’ascension,  la  rareté  de  l’atmosphère,  la  rigueur 
du  climat,  bien  qu’en  été,  rendent  ce  passage  formidable  aux  plus  robustes  indi- 
vidus. (P.  240.) 

Le  29  septembre,  il  était  arrivé  à Kotgurh,  fin  du  voyage. 

Dans  le  premier  volume  de  l’ouvrage  publié  par  Lloyd,  se  trouve 
une  lettre  du  docteur  Gérard,  relatant  son  voyage  aux  passes  de 
Shatool  et  de  Boorendo,  dans  le  but  de  déterminer  la  limite  des 
neiges  perpétuelles.  Elle  est  datée  du  lac  Charamace,  à 15800  pieds, 
le  18  août  1822. 

A la  hauteur  de  15000  pieds,  les  mêmes  accidents  l’atteignirent, 
lui  et  ses  compagnons  de  route  : 

On  ne  saurait  décrire  la  fatigue  extrême  que  nous  occasionnèrent  les  500  der- 
niers pieds.  Anxieux,  malades,  nous  ne  pouvions  nous  servir  de  nos  bras  pour 
briser  un  morceau  de  pierre  d’un  coup  de  marteau.  La  respiration  était  libre, 
mais  insuffisante,  nos  jambes  pouvaient  à peine  nous  supporter,  et  nos  visages 
étaient  tirés  comme  si  nous  allions  avoir  la  fièvre 

Tout  mon  monde  était  dans  une  misérable  condition,  je  souffrais  du  mal  de 
tête,  et  chacun  se  plaignait.  (P.  508.) 

C’était  le  9 août,  ils  arrivèrent  au  sommet  de  la  passe  de  Boo- 
Pendo,  à plus  de  15500  pieds,  le  thermomètre  étant  à 57°  : 

En  descendant,  je  ressentis  les  symptômes  du  mal  de  tête,  et  ils  ne  me  quittè- 
rent pàs  jusqu’après  midi  ; je  sortis  pour  chercher  des  fleurs,  mais  je  fus  obligé  de 


148 


HISTORIQUE. 


rentrer  au  campement  (12800p).  Je  me  réveillai  au  point  du  jour  non  reposé 
par  le  sommeil.  J’éprouvais  le  même  sentiment  de  débilité  et  de  langueur  qu’en 

montant,  mais  moins  fort  (p.  515) 

Ma  visite  m’a  enlevé  les  doutes  que  j’avais  sur  les  phénomènes  de  la  neige 
nouvelle  dans  les  passes  en  juillet  et  août,  et  je  n’ai  plus  guère  de  raison  pour 
refuser  de  croire  aux  récits  singuliers  que  font  les  habitants  du  pied  de  la  mon- 
tagne sur  les  accidents  qui  quelquefois  saisissent  les  voyageurs  qui  la  traver- 
sent. Ils  assurent  que  les  phénomènes  de  somnolence  et  de  débilité  sont  beau* 

coup  plus  à craindre  dans  la  saison  des  pluies 

Les  gens  qui  vivent  au  pied  de  la  montagne  et  qui  respirent  dans  un  air  très- 
raréfié,  ou  qui  sont  accoutumés  à monter  leurs  côtes  escarpées,  souffrent  beau- 
coup moins  que  ceux  qui  habitent  une  zone  inférieure  dans  une  atmosphère  plus 
dense  ; mais  ils  connaissent  très-bien  ces  effets,  et  décrivent  leurs  sensations  avec 

une  simplicité  ingénieuse  et  très-intéressante 

Entre  Koonawur  (où  le  peuple  semble  né  pour  vivre  et  mourir  dans  des  régions 
inaccessibles)  et  le  versant  indien  des  montagnes,  nous  voyageâmes  longtemps 
sur  les  crêtes  des  montagnes,  à une  élévation  positive  de  16000p  : je  rencontrais 
chaque  jour  une  foule  de  gens  chargés  de  grains  ; ils  marchaient  lentement,  s’ar- 
rêtant souvent  pour  respirer,  et  ils  semblaient  souffrir  d’une  oppression  uniforme. 
Je  n’ai  pas  appris  s’ils  sont  sujets  à une  indisposition  semblable  à celle  que  j’ai 
éprouvée,  cependant  cela  doit  être,  et  il  est  indiscutable  que,  à partir  d’une  cer- 
taine hauteur,  les  effets  de  l’air  raréfié  sur  les  fonctions  de  la  vie  animale  sont 
permanents  et  que  ni  l’habitude  ni  la  constitution  ne  peuvent  triompher  d’eux. 

(P.  520*) ’. 

Sandyet  moi,  dans  notre  excursion  au  pic  de  1 9500p,  quoique  incapables  de  faire 
une  douzaine  de  pas  sans  être  épuisés,  et  enfin  pouvant  à peine  nous  mouvoir  du 
tout,  néanmoins  nous  allions  mieux  que  les  villageois  qui  nous  accompagnaient, 
et  résident  à la  hauteur  de  12000  p.  Dans  l’intérieur  du  pays,  Là  où  le  sol  est  re- 
marquablement élevé,  les  symptômes  les  plus  redoutables  arrivent  en  traversant 
les  montagnes.  Entre  Ladak  et  Yarkand,  il  m’a  été  parlé  par  un  intelligent  ser- 
viteur de  M.  Moorcroft  des  conséquences  fatales  du  manque  de  précaution.  Il  dit 
que  le  passage  de  la  rangée  la  plus  élevée  doit  être  fait  à jeun,  et  recommande 
de  fréquentes  doses  d’émétique  pendant  le  voyage.  Il  m’a  rapporté  Ehistoire  d’un 
marchand  russe  bien  portant,  qui  allait  de  Ladak  à Lee  pour  voir  M.  Moorcroft, 
et  qui  a péri  en  traversant  une  des  passes  parce  qu’il  a fait  un  bon  repas  avant 
le  départ.  La  mort,  dans  un  tel  cas,  doit  être  proprement  attribuée  à la  somno- 
lence amenée  par  le  froid  et  l’extrême  rareté  de  l’air  qui  prédispose  à l’inactivité 

et  conduit  le  voyageur  au  dernier  sommeil.  (P.  525.) 

Je  fis  une  petite  course  sur  les  rochers,  mais  la  sensation  de  plénitude  à la  tête 
me  força  de  retourner.  Depuis  mon  arrivée  en  ce  lieu,  j’étais  plus  ou  moins  af- 
fecté de  maux  de  tête,  surtout  violents  la  nuit  ; la  douleur  ne  ressemblait  pas  à 
celle  des  maux  de  tête  ordinaires,  mais  c’était  comme  si  un  poids  acca- 
blant « adead  weight  » était  attaché  de  tous  les  côtés  de  la  tête,  la  poussant 
dans  diverses  directions.  Le  thé  me  faisait  du  bien,  mais  pour  peu  de  temps.  (P.  525.) 

Je  souffrais  beaucoup  la  nuit  du  mal  de  tête,  et  d’une  sorte  de  somnolence, 
comme  il  arrive  dans  l'ivresse.  Je  n’ai  jamais  éprouvé  une  preuve  aussi  évi- 
dente de  l’existence  d’un  agent  redoutable  pour  les  principes  de  la  vie  animale, 
et  quoique  j’aie  souffert  beaucoup  plus  dans  la  passe  de  Boorendo,  en  1818,  le 
mal  n’a  pas  duré  jour  après  jour,  comme  ici.  Tout  mon  monde  était  aussi  affecté, 
les  uns  de  maux  de  cœur,  d’autres  de  maux  de  tête  ; tous  n’étaient  pas  également 
atteints,  mais  nous  ne  pourrions  en  conclure  que  ce  fût  une  affaire  de  chance;  il 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ASIE  CENTRALE. 


149 


faut  dire  seulement  que  les  conditions  naturelles  d’énergie  et  d’action  ne  sont 
pas  toujours  les  mêmes 

Les  extrêmes  du  baromètre  étaient  ici  de  17055p  à 17160p;  ceux  du  thermo- 
mètre de  41°F.5  à 53°;  ce  qui  donne  pour  la  passe  de  Shatool  une  hauteur  de 
15500  pieds.  (P.  326.) 

Le  capitaine  Al.  Gérard  nous  a du  reste  laissé,  dans  un  chapitre 
spécial  d’un  ouvrage  posthume1,  un  résumé  des  faits  qu’il  avait  ob- 
servés dans  ses  nombreuses  campagnes  : 

Dans  les  montagnes  élevées,  une  dépression  des  esprits  et  une  débilité  de  corps, 
accompagnées  de  cruels  maux  de  tête,  plénitude  au  cerveau,  oppression  de  poi- 
trine, difficulté  de  la  respiration,  avec,  de  temps  en  temps,  douleur  d'oreilles,  af- 
fectent tout  le  monde,  plus  ou  moins.  Tout  cela  tient  à la  raréfaction  de  l’air,  ce 
dont  j’ai  eu  des  preuves  nombreuses,  ayant  visité  trente-sept  lieux  à différentes 
époques,  entre  14  et  19400  pieds,  et  treize  fois  mon  camp  fut  placé  au-dessus 
de  15000  pieds.  Il  est  digne  de  remarque  que  les  gens  de  Koonawur  et  les 
Tartares  estiment  l’altitude  des  passes  par  la  difficulté  de  respirer  qu’ils  éprouvent 
en  en  faisant  l’ascension. 

Il  faut,  cependant,  bien  noter  que  la  difficulté  à respirer  n’affecte  pas  tout  le 
monde  également  ni  en  même  temps  ; elle  dépend,  certes,  dans  une  grande  me- 
sure, de  l’état  de  la  santé.  Quand  je  ne  me  portais  pas  bien,  j’ai  souffert  de  maux 
de  tête  à 13000  pieds,  tandis  que,  en  bonne  santé,  je  n’ai  rien  ressenti  à 
16000  pieds.  A Boorendo  (15000p),  j’ai  eu  très-froid,  et  j’ai  éprouvé,  même  au 
repos,  une  suffocation  plus  forte  que  cela  ne  m’est  jamais  arrivé  à 19000  pieds, 
même  en  marchant. 

Une  fatigue  quelconque,  mais  surtout  l’ascension  de  monticules,  augmente  ces 
symptômes:  de  17000  à 19000  pieds,  les  maux  de  tête  sont  constants,  et  per- 
sonne ne  peut  faire  plus  d’une  demi-douzaine  de  pas  sans  se  reposer. 

Quand  on  campe  au-dessus  de  16000  pieds  (4875m),  la  difficulté  à respirer  est 
vraiment  terrible,  et  souvent,  pendant  des  heures  entières,  j’ai  cru  que  j’allais 
être  suffoqué. 

Les  personnes  qui  n’ont  pas  fait  des  voyages  semblables  peuvent  à peine  se 
faire  une  idée  du  temps  qu’exige  sur  des  lieux  élevés  un  parcours  de  douze  ou 
quatorze  milles.  J’ai  fait  trente-quatre  milles  à pied  dans  les  pays  qu’appelle- 
raient montagneux  ceux  qui  ne  connaissent  pas  les  parties  difficiles  du  Koonawur, 
avec  plus  de  facilité  et  en  moins  de  temps  que,  dans  ces  hautes  régions,  je  ne 
pouvais  marcher  douze  milles.  Une  ascension  de  5 ou  6000  pieds  n’est  pas  rare,  et 
quand  l’élévation  dépasse  14000  pieds,  chaque  mille,  même  quand  la  route  est 
bonne,  demande  au  moins  deux  fois  plus  de  temps  qu’à  la  hauteur  de  7 à 8000 
pieds.  La  dépression  des  esprits  et  du  corps  qu’on  éprouve  sur  les  montagnes  éle- 
vées affecte  tout  le  monde  à un  plus  ou  moins  fort  degré,  et  un  de  mes  amis  fut 
plus  fatigué  par  une  ascension  et  une  descente  de  5 000  pieds,  sur  une  marche 
totale  de  neuf  milles,  en  terrain  élevé,  qu’en  allant  de  Nahun  à Soobathoo,  ce 
qui  fait  45  milles.  (P.  57-59.) 

Les  observations  du  capitaine  Hodgson  qui,  en  1817,  remonta 


1 Account  of  Koonawur  in  the  Himalaya.  — Publié  après  sa  mort  par  G.  Lloyd.  London, 

1841. 


150 


HISTORIQUE. 


jusqu’aux  sources  du  Gange  et  d’un  de  ses  principaux  affluents, 
la  Jumna,  méritent  au  meme  titre  d’être  citées1  : 

Nous  éprouvions  une  grande  difficulté  à respirer,  avec  cette  sensation  particu- 
lière, constante  dans  les  grandes  élévations,  là  où  il  n’y  a pas  de  verdure,  et 
que  je  n’ai  jamais  éprouvée  comme  sur  les  champs  de  neige,  même  en  montant 
plus  haut 

La  hauteur  du  mercure  était  18  pouces  854,  à la  température  de  55°  F.  ; d’où 
une  altitude  de  12914  pieds  (5955m).  (P.  111.) 

On  était  au  50  mai;  les  voyageurs  avaient  atleint  la  source  du 
Gange. 

Ces  contrées  furent  visitées  dix  ans  après  par  le  capilaine  John- 
son, dont  le  récit2  donne  des  renseignements  identiques  à ceux  de 
ses  prédécesseurs.  Au  reste,  l’influence  redoutable  des  hauts  lieux 
est  bien  connue  des  gens  du  pays. 

En  effet,  le  1er  et  le  2 juillet  18*27,  Johnson  exécute  l’ascension 
du  pic  de  Tazigand  ou  Pendjeoul  : 

Les  naturels  apprenant  le  projet  de  M.  Johnson  tentèrent  en  vain  de  le  lui  faire 
abandonner,  par  des  récits  exagérés  des  difficultés  sans  nombre  qu’il  présentait, 
et  des  dangers  du  bis  ou  vent  empoisonné  qui  souffle  sur  la  neige.  (P.  160), 

Du  reste,  fait  bien  digne  de  remarque  et  dont  nous  trouverons 
ultérieurement  maints  exemples,  les  gens  du  pays  souffrirent  beau- 
coup plus  que  les  Européens  : 

Le  capitaine  Johnson  occupa  le  2 juillet  le  même  terrain  que  celui  où  le  Dr  Gérard 
avait  fait  ses  calculs  barométriques  à 19  411  pieds  (591 5m)  au-dessus  du  niveau 
de  la  mer 

Les  habitants  qui  l’avaient  conduit  là  avaient  la  respiration  très-oppressée  ; 
ils  s’étendaient  sur  la  neige,  se  tenant  le  cou  à deux  mains,  et  le  nassir  cépaye, 
qui  seul  était  parvenu  à la  plus  grande  hauteur,  se  plaignait  aussi  beaucoup,  Il 
est  étonnant  que  nos  compatriotes  n’aient  ressenti  aucune  souffrance.  Ils  éprou- 
vèrent seulement  parfois  de  la  peine  à respirer  ; mais  il  leur  survint  des  ampoules 
et  de  la  cécité  momentanée  par  l’éclat  de  la  neige.  (P.  162.) 

Le  voyageur  français  Jacquemont  semble  être  en  conlradiction 
avec  les  assertions  de  tous  ses  prédécesseurs.  Du  moins,  il  déclare 
n’avoir  rien  éprouvé  à des  hauteurs  souvent  égales  ou  supérieures 
à celles  qui  avaient  tant  fait  souffrir  les  voyageurs  anglais.  Celle 

1 Journal  of  a Survey  to  tlie  Heacls  of  the  Rivers  Ganges  and  Jumna.  — Asiafic  re- 
searches,  t.  XIV,  p.  60-152.  — Calcutta,  1822. 

2 Voyaye  par  les  monts  Himalaya  aux  sources  du  Djemna  et  de  là  aux  frontières  de 
l'empire  chinois ; d' Avril  en  Oct.  1827.  — N.  Ann.  des  Voyages,  t.  LXVIÏ,  p.  127-188, 
1855. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ASIE  CENTRALE. 


151 


différence  le  frappe  tellement  qu’il  la  signale1  aux  professeurs  du 
Muséum  d’histoire  naturelle,  et  tente  de  l’expliquer  : 


Kurnaul,  lar  février  1831. 

Plusieurs  voyageurs  anglais  ont  passé  le  col  de  Bouroune  (15000  pieds  environ), 
et  tous  se  plaignent  de  céphalalgies  et  'de  nausées  qu’il  y ont  éprouvées.  J’ai 
passé  dans  des  lieux  bien  plus  élevés,  puisque  trois  lois  j’ai  campé  au-dessus  de 
16000  pieds,  et,  pour  aller  à Beckhur,  j’ai  eu  à traverser  des  cols  élevés  de  plus 
de  18000  pieds.  Je  n’ai  jamais  ressenti  aucun  des  effets  fâcheux  dont  se  plai- 
gnent tous  les  voyageurs  sur  les  hautes  montagnes,  et  je  n’en  ai  jamais  observé 
les  symptômes  dans  un  seul  des  nombreux  compagnons  de  mes  courses.  J’ai  vécu 
sept  mois  dans  l’Himalaya;  je  me  suis  élevé  de  sa  base  à ses  sommets;  lorsque 
pour  aller  àBechkur  je  montai  quatre  fois  jusqu’à  6000”,  il  y avait  deux  mois  que 
je  n’étais  presque  jamais  descendu  au-dessous  de  5000”  ; de  là  j’étais  allé  camper 
à 4000”  après  quelque  séjour  à 5000.  Quand  l’ascension  est  si  graduelle,  les  pou- 
mons s’accoutument  aisément  à jouer  avec  liberté  dans  une  atmosphère  graduel- 
lement plus  raréfiée.  C’est  un  changement  très-considérable  de  niveau  dans  un 
court  espace  de  temps  qui  les  affecte  et  qui  produit  l’oppression  dont  Saussure 
et  tous  ceux  qui  ont  monté  après  lui  sur  le  mont  Blanc  se  plaignent,  bien  avant 
que  d’arriver  à la  cime.  (P.  55.) 

Les  notes  si  intéressantes  qu’il  avait  laissées,  et  qui  furent  pu- 
bliées après  sa  mort2,  contiennent  à ce  sujet,  sur  lequel  il  avait  tout 
spécialement  fixé  son  attention,  des  observations  fort  remar- 
quables : 

Le  16  mai  1830,  j’arrivai  à 5927”  de  hauteur....  C’était  la  première  fois  que 
je  m’élevais  à une  hauteur  si  considérable;  elle  excède  celle  où  l’on  commence 
dans  les  Alpes  à ressentir  péniblement  les  effets  de  la  raréfaction  de  l’air.  Je  ne  les 
éprouvais  nullement,  je  n’étais  pas  essoufflé  plus  que  je  ne  l’eusse  été  au  niveau 
le  plus  bas,  en  gravissant  avec  la  même  vitesse  des  pentes  pareillement  inclinées. 

Je  n'en  aperçus  les  symptômes  véritables  chez  aucun  des  gens  qui  me  suivaient; 
ni  anhélation,  ni  somnolence,  ni  nausées. 

Il  me  semble  que  dans  les  climats  tempérés,  par  les  parallèles  moyens  des 
Alpes  et  des  Pyrénées,  on  les  éprouve  plus  tôt  que  sur  les  montagnes  plus  voi- 
sinas de  l’équateur.  Si  ce  fait  résulte  uniformément  du  témoignage  des  voyageurs, 
il  est  peu  explicable.  L’effet,  s’d  dépend  uniquement  de  la  raréfaction  atmosphé- 
rique, devrait  être  le  même  à la  même  hauteur  dans  toutes  les  régions  du  globe, 
et  plutôt  plus  dans  les  contrées  intertropicales,  où  la  température  raréfie  davan- 
tage l’air  à la  même  élévation.  (P.  101.) 

Jacquemont  insiste  à plusieurs  reprises  sur  cetle  innocuité  des 
hauteurs  de  l’IIimalaya  comparée  à l’influence  mauvaise  des  Alpes; 

1 Correspondance  inédile,  t.  II,  1867.  — Lettre  à MM.  les  Professeurs  administra- 
teurs  du  Muséum,  à Paris. 

2 Voyage  dans  l'Inde,  pendant  les  années  1828  à 1852.  — Paris,  t.  II,  1811. 


152 


HISTORIQUE. 


il  en  essaie  même  une  explication  non  sans  fondement,  dans  le  pas- 
sage suivant  : 

Je  montai  trois  fois  à cheval  au  co!  de  Rounang,  élevé  de  plus  de  4267“. 

Cette  hauteur  excède  celle  où  les  voyageurs  prétendent  avoir  commencé  à res- 
sentir les  effets  de  la  raréfaction  de  l'air  dans  les  Alpes  et  les  Pyrénées.  Je  ne  les 
éprouvais  aucunement.  Peut-être  l’anhélation  dont  Saussure  et  ses  guides,  et  tous 
ceux  qui  depuis  ont  suivi  ses  pas,  souffraient  au  mont  Blanc,  n’était-elle  que  le 
résultat  d’une  marche  laborieuse  et  prolongée  sur  des  pentes  d’une  roideur  exces- 
sive. Peut-être  si  l’on  pouvait  se  faire  porter  de  Chamounix  au  sommet  du  mont 
Blanc,  éviterait-on  le  malaise  que  l’on  attribue  généralement  à la  raréfaction  de 
l’air  à sa  cime.  Les  frères  Gérard  qui  sont  incontestablement  les  premiers  voya- 
geurs des  régions  Alpines  se  plaignent  constamment  de  fatigue  excessive  et  de 
maux  de  tête  violents,  à tous  les  cols  qu’ils  ont  traversés,  entre  4572“  et  579 1 m ; 
et  cet  état  de  souffrance  s’est  prolongé  chez  eux  tant  qu’ils  sont  restés  «à  ces 
hauteurs,  où  plusieurs  fois  ils  campèrent.  Il  semblerait  résulter  de  là  que  ce 
malaise  n’était  pas  seulement  l’effet  passager  de  la  fatigue  occasionnée  par  une 
ascension  considérable,  mais  réellement  un  effet  de  la  constitution  atmosphé- 
rique  

Le  mont  Blanc  est  élevé  de  5 7 8 0 m au-dessus  de  Chamounix,  qui  ne  l’est  que  de 
1056“  environ  au-dessus  delà  mer.  On  y monte  en  trente  heures.  Voilà  en  un 
bien  court  espace  de  temps,  un  énorme  changement  dans  la  pression  de  l'atmo- 
sphère où  l’on  se  trouve  plongé.  Un  si  brusque  passage,  indépendamment  de  la 
fatigue  nécessaire  pour  l’effectuer,  peut  affecter  sensiblement  l’organe  respira- 
toire. Ici,  au  contraire,  depuis  plus  de  trois  mois,  je  vis  moyennement  à 1829“ 
déjà  au-dessus  de  la  mer,  et  depuis  le  dernier  mois,  à 2745“,  hauteur  où  certes 
je  ne  ressens  aucun  des  effets  de  la  raréfaction  de  l’air.  En  montant  à 4572™ 
d’élévation  absolue,  je  ne  franchis  qu’une  différence  verticale  de  1829™,  la  moitié 
de  celle  qui  existe  entre  le  mont-Blanc  et  Chamounix,  et  je  n’éprouve  rien  que  je 
puisse  rapporter  à un  trouble  de  la  respiration.  Enfin  la  preuve  que  les  symptô- 
mes fâcheux  dont  se  plaignent  les  voyageurs  au  sommet  des  Alpes,  ou  sur  les 
cols  de  l’IIimalaya,  se  dissiperaient  avec  le  temps,  et  que  leurs  poumons  trouve- 
raient assez  d’oxygène  dans  un  air  raréfié  de  la  moitié  de  sa  densité,  c’est 
l'existence  de  la  métairie  d’Antisana  dans  les  Andes,  que  M.  de  llumboldt  a fait 
connaître,  élevée  de  4114“  environ,  et  où  une  famille  vit  à demeure,  et  laboure 
et  travaille.  Nul  doute  que  le  lac  de  Mansarower  n’excède  de  505™  à 457“  ce 
niveau  *,  et  cependant  il  y a des  habitations  sur  ses  bords,  et  les  pèlerins  en 
font  le  tour,  dans  un  voyage  de  sept  jours.  M.  Gérard  établit  lui-même  et  d’une 
manière  très-satisfaisante,  qu’une  portion  considérable  du  haut  pays,  où  voya- 
gent les  marchands  Kanaweris  qui  se  rendent  soit  de  Shipki,  soit  de  Skialkur  à 
Garou  (Gorlope),  excède  4877“,  et  ils  ne  s’y  plaignent  pas  des  symptômes  dont 
nous  les  voyons  eux-mêmes  atteints  en  passant  des  cols  souvent  moins  élevés; 
d’où  je  conclus  que  dans  ce  dernier  cas,  c’est  la  fatigue  de  la  marche  qu’ils 
souffrent,  chargés  surtout  comme  ils  le  sont,  tandis  que  dans  les  hautes  plaines 
de  la  Tarlarie  chinoise,  ils  marchent  à vide  sur  une  route  presque  unie. 

Ce  n’est  pas  que  je  n’aie  moi-même  ressenti  à 4000“  d’élévation  quelques-uns 
des  symptômes  en  question,  savoir  : la  fatigue  et  les  maux  de  tête.  Mais  je  ne  me 
suis  guère  élevé  à cette  hauteur  sans  être  exposé  à un  vent  furieux,  et  quelque 
précaution  que  je  prisse  contre  sa  froidure,  je  fus  toujours  atteint  de  refroidisse- 


Le  lac  est  par  4650“  de  bailleur. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ASIE  CENTRALE. 


15  5 


ment  qui  agissant  d’abord  chez  moi  sur  les  entrailles  produisit  un  dérangement 
dans  la  digestion,  dont  les  maux  de  tête  étaient  évidemment  la  suite.  » (P.  259.) 

Les  observations  suivantes  corroborent  la  première  explication 
donnée  par  Jacquemont  : 

Le  11  août  1830,  j’atteignis  sur  le  col  de  Gantong,  à 5486m  ; je  n’éprouvai,  au 
sommet,  absolument  aucune  difficulté  dans  la  respiration,  tant  que  je  restai  im- 
mobile, porté  sur  mon  cheval  ; mais  essayant  de  marcher  sur  un  chemin  presque 
uni,  la  fatigue,  l’anhélation,  se  firent  sentir  promptement.  Cependant  je  vis  mes 
gens,  pour  atteindre  au  sommet  même  du  passage,  marcher  plusieurs  centaines  de 
pas  sur  des  pentes  de  neige  très-faiblement  inclinées,  sans  s’arrêter  pour  prendre 
haleine;  un  seul  se  frouva  malade.  (P.  288.) *.  . . 

Le  16  août,  au  col  de  Kioubrong  (558 lm),  même  immunité  ; j’y  montai  d’un 
pas  rapide  par  une  pente  très-douce  et  y marchai  plus  d'une  heure  avec  vitesse, 
sans  ressentir  aucune  lassitude  particulière  causée  par  l’élévation,  aucuns  maux 
de  tête  ni  d’oreilles,  aucune  tendance  au  sommeil,  rien  enfin  de  particulier,  peut- 
être,  qu’une  légère  anhélation  ; et,  en  effet,  après  quelques  minutes  de  repos, 
mon  pouls  battait  82  pulsations.  (P.  297.) 

La  limite  des  neiges  perpétuelles  dans  cette  région  de  l’Himalaya 
n’est,  d’après  Jacquemont,  guère  au-dessous  de  6000,u. 

Enfin,  Jacquemont  voulut  établir  nettement  les  conditions  du 
problème  par  une  expérience  personnelle  : 

J’étais  monté  à cheval  au  Kioubrongghauti,  et  l’expérience  que  j’y  avais  faite, 
y étant  parvenu  sans  aucune  fatigue,  de  marcher  rapidement  pendant  une  heure 
en  un  lieu  élevé  de  5600m,  ne  me  laissant  pas  de  doute  sur  la  cause  des  symptô- 
mes singuliers  éprouvés  parles  voyageurs  qui  montent  à la  cime  du  mont  Blanc, 
je  voulus  gravir  à pied  le  col  de  Gantong,  pour  connaître  si  la  marche  prolongée, 
mais  prolongée  modérément  pendant  cinq  heures  seulement,  et  très-lente, 
avec  de  nombreux  intervalles  de  repos,  sur  des  pentes  à la  vérité  fort  rapides, 
mais  dont  la  hauteur  verticale  n’excédait  pas  1000m,  me  réduirait  à l’état  d’épui- 
sement décrit  par  M.  Gérard  comme  la  suite  immédiate  du  moindre  mouvement, 
dès  que  l'on  atteint  l’élévation  absolue  de  457 2m.  C’était  justement  le  niveau  de 
mon  point  de  départ. 

Excité  dans  les  commencements  de  ma  marche  par  le  froid  du  matin,  soutenu 
ensuite  parla  vivacité  du  vent,  préoccupé  par  l’intérêt  des  objets  que  je  voyais  à 
chaque  pas,  souvent  arrêté  par  eux,  et  soigneux  de  faire  après  trois  heures  de 
marche  un  léger  repas  pour  prévenir  tout  sentiment  de  faim,  que  j’ai  éprouvé 
constamment  produire  en  moi  dans  les  lieux  élevés  un  affaiblissement  extrême 
et  des  maux  de  tête,  je  me  trouvai  sans  fatigue  et  presque  sans  m’en  douter  au 
sommet  du  col  de  Gantong,  élevé  de  5576”.  (1*.  302.) 

Mais  si  A^iclor  Jacquemont  fut  à peu  près  indemne  de  tout  acci- 
dent aigu,  et  n’en  vit  pas  se  produire  chez  ses  compagnons  de  route 
ni  chez  ses  bêtes  de  somme,  il  s’en  faut  que  tous  les  voyageurs  aient 
joui  de  la  meme  immunité. 

Nous  trouvons  en  effet  dans  les  annales  de  Berghaus,  pour  mars 


154 


HISTORIQUE. 


1852,  la  citation  suivante,  relative  à une  traversée  de  l’IIimalaya 
sur  les  bords  de  la  Sutlej;  le  nom  du  voyageur  n’y  est  pas  indiqué  : 

Lorsqu’on  arrive  à 1 5,000  pieds,  la  respiration  devient  difficile  ; le  voyageur 
éprouve  une  grande  lassitude,  des  vertiges,  des  maux  de  tête  et  une  soif  inextin- 
guible. Il  est  impossible  de  décrire  les  sensations  que  produit  l’extrême  raréfac- 
tion de  Pair  ; on  croit  étouffer  à tout  moment  ; la  respiration  s’accélère  d’une 
manière  très-pénible,  l’élasticité  de  la  peau  diminue.  Le  point  culminant  du 
passage  est  de  16,500  pieds.  (P.  547.) 1 

Du  reste,  le  lieutenant  J.  Wood2,  qui  fit  en  1856, 1857  et  1858,  un 
voyage  aux  sources  de  fOxus,  donne  à ce  sujet  de  nombreux  et  in- 
téressants détails. 

Le  20  février,  l’expédition  arriva  sur  les  plateaux  de  Pamir, 
dont  la  hauteur  est  de  15600  pieds,  les  montagnes  environnantes 
s’élevant  encore  de  5 ou  4000  pieds  ; elle  était  aux  sources  de 
l’Oxus,  sur  les  bords  d’un  lac  gelé  : 

On  commença  à briser  la  glace  pour  sonder  la  profondeur  du  lac.  L’eau  était 
glacée  sur  une  épaisseur  de  2 pieds  et  demi,  et,  à cause  de  la  grande  rareté 
de  l’air,  quelques  coups  de  pics  nous  épuisaient  tellement  que  nous  étions  obligés 
de  nous  coucher  sur  la  neige  pour  reprendre  baleine  (p.  560) 

Une  course  d’une  cinquantaine  de  pas  à toute  vitesse  forçait  à haleter. 
L’exercice  amenait  en  effet  une  douleur  dans  les  poumons  et  une  prostration 
générale  des  forces  qui  ne  se  relevaient  pas  avant  plusieurs  heures.  Quelques-uns 
d’entre  nous  se  plaignaient  de  vertiges  et  de  maux  de  tête,  mais,  excepté  ces  di- 
vers phénomènes,  je  n’ai  rien  éprouvé,  ni  rien  vu  chez  les  autres,  qui  ressemble 
aux  souffrances  éprouvées  par  les  voyageurs  dans  l’ascension  du  mont-Blanc. 
C’est  que,  dans  ce  dernier  cas,  la  transition  d’un  air  dense  à un  air  rare  est  si 
soudaine,  que  la  circulation  n’a  pas  le  temps  de  s’accommoder  à la  différence 
de  pression,  aussi  sa  violence  s’accroît  dans  quelques-uns  des  organes  les  plus 
sensibles  du  corps.  L’ascension  de  Pamir,  au  contraire,  était  si  graduelle  qu’il 
fallait  des  circonstances  « ex trinsic  » pour  nous  rappeler  l’altitude  considérable 
à laquelle  nous  étions  parvenus. 

Les  effets  de  la  grande  élévation  m’avaient  été  cependant  prouvés  quelques 
temps  auparavant  d’une  manière  à laquelle  je  n’étais  pas  préparé.  Un  soir,  dans  le 
Badakhshan,  comme  j’étais  assis,  lisant  près  du  feu,  j’eus  l’idée  de  me  tâter  le 
pouls,  et  ses  battements  rapides  et  turbulents  appelèrent  mon  attention.  Je  me 
figurai  que  j’étais  atteint  d’une  fièvre  violente,  et  je  suivis  les  indications  de  pré- 
caution que  le  Dr  Lord  m’avait  laissées  en  partant.  Le  lendemain,  mon  pouls  était 
aussi  rapide  quela  veille,  et  cependant  je  me  sentais  en  excellente  santé.  Jepensai 
alors  à examiner  le  pouls  de  mes  compagnons,  et  à ma  grande  surprise,  je  trouvai 
qu’ils  l’avaient  encore  plus  rapide  que  moi.  La  cause  de  cette  augmentation 
d’activité  circulatoire  se  présenta  aussitôt  à moi  ; et  quand  ensuite  nous  nous  di- 

1 Berghaus  Annalen,  t.  V.  — Berlin,  1832. 

2 A personal  narrative  of  a jour neij  to  the  source  of  the  River  drus,  in  the  years  1835, 
1837,1858  — Iondon,  1840, 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ASIE  CENTRALE. 


155 


rigeâmes  vers  le  Wakhan,  je  comptai  le  pouls  de  mes  compagnons  chaque  fois 
que  j’enregistrai  le  point  d’ébullition  de  l’eau. 

Les  modifications  du  pouls  constituent  ainsi  une  sorte  de  baromètre  vivant,  à 
l'aide  duquel  un  homme  habitué  à s’examiner  lui-même  peut,  dans  les  grandes 
altitudes,  calculer  grossièrement  la  hauteur  à laquelle  il  se  trouve, 

Sur  le  Pamir,  les  pulsations  présentaient  les  nombres  suivants  : 


Moi, 

110. 

Écosse. 

gras, 

Gholam  Hussein,  Munshi 

124, 

Jasulmeere 

gras. 

Omer-AUah,  muletier 

112, 

Afghanistan, 

maigre, 

Gaffer,  domestique 

114, 

Peshawuree, 

id. 

Dowd,  id. 

124. 

Kabul, 

robuste. 

La  hauteur  de  la  limite  des  neiges  dans  cette  région  est  au-dessus  de  17,000 
pieds  (5180m).  (P.  552.) 

Le  lieutenant  Wood  fut  accompagné,  dans  une  partie  de  son 
voyage,  par  Al.  Bûmes,  envoyé  en  mission  à Caboul.  Le  19  octobre 
J857,  deux  autres  de  leurs  compagnons,  le  lieutenant  Leech  et  le 
docteur  Lord,  allèrent  reconnaître  et  traversèrent  une  passe  de 
rilindou-Koush,  en  allant  à Caboul.  La  passe  a environ  15000  pieds 
de  hauteur;  les  neiges  allaient  bientôt  la  rendre  impraticable; 
l’ascension  fut  facile.  Cependant,  dit  Burnes1  ; 

Les  chevaux  étaient  en  très-piteux  état,  et  il  fallut  en  descendre  et  aller  à pied. 
Personne  ne  souffrit,  mais  les  natifs  les  informèrent  qu’eux-mêmes  étaient  fré- 
quemment, à cet  endroit,  attaqués  de  vertiges,  de  faiblesses  et  de  vomissements, 
(P.  152.) 

Quelques  années  plus  lard,  un  voyageur  français,  qui  parcourait 
non  l’IIimalava,  mais  les  régions  bien  moins  élevées  de  la  Haute- 
Tartarie,  fait  de  ses  souffrances  un  récit  lamentable.  Il  convient,  il 
est  vrai,  de  se  tenir  en  garde  contre  les  assertions  du  père  IIuc2, 
dont  la  naïveté  crédule  élait  à peu  près  sans  bornes.  Néanmoins,  la 
vive  peinture  qu’il  nous  a laissée  des  sensations  éprouvées  pendant 
la  traversée  du  Bourhan-Bota,  montagne  dont  il  ne  donne  pas  la 
hauteur,  et  qui  paraît  située  vers  le  95°  longitude  E.  et  le  40°  lati- 
tude N.,  mérite  d’ètre  rapportée  ici.  Le  jour  de  l’ascension  n’est  pas 
indiqué,  non  plus  que  la  température  ambiante  : 

Nous  nous  préparâmes  à franchir  le  Bourhan-Bota,  montagne  fameuse  par 
les  vapeurs  pestilentielles  dont  elle  est,  dit-on,  continuellement  enveloppée.  . 


1 Cabool;  in  the  years  183G,  3-8.  — London,  1842. 

2 Souvenirs  d'un  voyage  dans  la  Tartarie,  le  Thihet  et  la  Chine,  en  1844-1846, 
t.  11.  Paris,  1850. 


HISTORIQUE. 


m 

Bientôt  les  clievaux  se  refusent  à porter  leurs  cavaliers  et  chacun  avance  à 
pied  et  à petits  pas.  Insensiblement  tous  les  visages  blêmissent,  on  sentie  cœur 
s’affadir  et  les  jambes  ne  peuvent  plus  fonctionner  ; on  se  couche  par  terre, 
puis  on  se  relève  pour  faire  encore  quelques  pas;  on  se  couche  de  nouveau  et 
c’est  de  cette  façon  déplorable  qu’on  .gravit  ce  fameux  Bourhan-Bota.  Mon  Dieu! 
quelle  misère  ! On  sent  ses  forces  brisées,  la  tête  tourne,  tous  les  membres 
semblent  se  disjoindre,  on  éprouve  un  malaise  tout  à fait  semblable  au  mal  de 
mer,  et  malgré  cela,  il  faut  conserver  assez  d’énergie,  non-seulement  pour  se 
traîner  soi-même,  mais  encore  pour  frapper  à coups  redoublés  les  animaux  qui  se 
couchent  à chaque  pas  et  refusent  d’avancer.  Une  partie  de  la  troupe,  par  mesure 
de  prudence,  s'arrêta  à moitié  chemin,  dans  un  enfoncement  où  les  vapeurs  pes- 
tillen tielles  étaient,  disait-on,  moins  épaisses  ; le  reste,  par  prudence  aussi,  épuisa 
tous  ses  efforts  pour  arriver  jusqu'au  bout  et  ne  pas  mourir  asphyxié,  au  milieu 
de  cet  air  chargé  d'acide  carbonique.  (P.  256.) 

Les  voyageurs  dont  je  vais  maintenant  mentionner  les  récits  sont 
beaucoup  plus  en  concordance  d’opinion  avec  ce  qu’ont  dit  les  frè- 
res Gérard,  qu’avec  les  assertions  extrêmes  de  Jacquemonl  et  du  père 

lluc. 

Le  14  juillet  1815,  Hoffmeister1  atteignit  le  point  culminant  de 
sa  route,  le  passage  de  Lama-Kaga  (Thibet)  à la  hauteur  de  15555 
pieds  anglais;  la  température  ôtait  de  — 50°  lléaumur;  la  neige 
tombait  : 

Il  se  passa  environ  une  heure  et  demie  avant  que  nos  premiers  coolies  arri- 
vassent avec  nos  bagages.  Us  étaient  dans  le  plus  triste  état,  et  souffraient,  ainsi 
que  notre  interprète  M.  Brown,  de  maux  de  tète  qu’ils  dépeignaient  comme  in- 
supportables. La  perle  des  forces,  les  angoisses,  les  nausées  sont  les  symptômes 
de  ce  malaise  qu’on  appelle  ici  Bios  (poison)  ou  Mundara.  Il  atteint  ainsi  les 
voyageurs  au  niveau  des  neiges  perpétuelles.  Chez  les  coolies,  il  se  manifesta  à 
moitié  chemin  en  montant  au  passage.  Us  employaient  contre  lui  une  sorte  de 
pâte  faite  avec  de  petits  abricots  aigres  et  leurs  noyaux.  (F.  242.) 

Dans  le  récit  du  docteur  Th.  Thomson2,  ce  ne  sont  pas  seulement 
les  coolies,  mais  le  voyageur  européen  lui-même,  qui  fut  atteint 
par  l’influence  des  altitudes. 

Le  6 septembre  1 847,  Thomson  et  sa  suite  campèrent  à 14800 
pieds  de  hauteur,  et  le  7.  ils  s’élevèrent  à 1 7000  pieds  (51 80m)  : 

Pendant  toute  la  journée  je  n’ai  jamais  été  débarrassé  d’un  violent  mal  de  tête, 
évidemment  causé  par  la  grande  élévation.  Le  repos  le  faisait  diminuer,  mais  il 
reparaissait  au  moindre  mouvement.  Il  dura  toute  la  soirée,  tant  que  je  fus  ré- 
veillé, et  je  l'avais  encore  le  8 au  matin,  quand  je  me  levai  au  jour  pour  préparer 
le  voyage 

1 Briefe  ans  Indien.  — Braunschweig,  1847. 

2 Western  Himalaya  and  Tibet;  a narrative  of  a journey  throuçfh  the  mountains  of 
Northern  India,  during  the  years  1847-48.  — London,  1852. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ASIE  CENTRALE.  157 

L’ascension,  le  lendemain,  fut  extrêmement  raide  et  laborieuse.  L’acte  d’élever 
son  corps  était  très-fatigant,  et  les  dernières  centaines  de  yards  ne  furent  accom- 
plies qu’après  plusieurs  pauses j’atteignis  le  sommet  de  la  passe  de  Parang  à 

sept  heures  trois  quarts  du  malin;  j’étais  à 18500  pieds  (5640  mètres)  ; la  tempé- 
rature était  28° la  neige  était  gelée le  vent  soufflait  avec  force..  ..  Nous 

descendîmes  sans  fatigue (P.  155.) 

Après  un  séjour  d’une  année  dans  ces  régions  élevées,  le  docteur 
Thomson  poussa  une  reconnaissance  vers  le  nord,  jusqu’à  la  passe 
célèbre  de  Karakorum,  à 18604  pieds  (5670m).  Là  encore,  ses  ma- 
laises reparaissent,  ou,  pour  parler  plus  exactement,  ils  prennent 
une  telle  intensité  que  force  lui  est  d’en  faire  une  mention  ex- 
presse : 

19  août  1848.  — Durant  ces  trois  jours  d’ascension,  je  souffris  très-violem- 
ment des  effets  de  la  raréfaction  de  l’air,  étant  sans  relâche  tourmenté  d’un  dou- 
loureux mal  de  tête  que  le  plus  léger  exercice  surexcitait La  température  de 

l’air  était  50°. 

Le  botaniste  Dalton  Ilooker1  est  encore  plus  explicite. 

A la  hauteur  de  16000  pieds,  en  montant,  le  2 décembre  1848, 
la  passe  de  Kanglachem,  dans  le  Népaul  oriental,  Ilooker  éprouva 
des  difficultés  à respirer,  une  grande  lassitude,  des  vertiges,  des 
maux  de  tête.  (T.  I,  p.  247.) 

Quelques  jours  après,  sur  la  montagne  de  Nango,  à 15000  pieds  : 

Je  trouvai  tout  à fait  impossible  de  garder  mon  calme  à cause  de  l’aggravation 
des  douleurs  dans  le  front,  de  la  lassitude,  de  l’oppression.  (P.  252.) 

Le  25  juillet  1849,  traversée  de  la  passe  de  Kongra-Lama 
(15741  pieds)  : 

Après  deux  heures  j’étais  raide  et  glacé,  et  souffrant  de  maux  de  tête  et  de  ver- 
tiges dus  à l’élévation.  (T.  II,  p.82.) 

Le  18  septembre,  ascension  de  la  passe  de  Sebolah  (17517  pieds)  : 

Je  tâtai  le  pouls  à huit  personnes  après  un  repos  de  deux  heures  ; il  variait  de 
80  à 112,  le  mien  étant  de  104.  Comme  il  est  ordinaire  à ces  hauteurs,  tout  le 
monde  souffrait  de  vertiges  et  maux  de  tète.  (P.  142.) 

Le  15  octobre,  nuit  passée  à 17000  pieds  : 

Mes  coolies  étaient  en  bonne  santé;  mais  ceux  de  Campbell  étaient  dans  un 
état  désastreux  de  malaise  et  de  fatigue;  ils  avaient  la  face  enflée  et  le  pouls 
rapide,  et  quelques-uns  étaient  comme  insensibles  avec  des  symptômes  de  faible 

1 Himalaijan  journal  ; or  noies  of  a ISolaralisl,  2 vol.  — London,  1854. 


158 


HISTORIQUE. 


pression  cérébrale;  ceux-ci  étaient  surtout  des  Ghorkas  (Népauliens).  Je  n’ai 
jamais  éprouvé  de  saignements  du  nez,  des  oreilles,  des  lèvres  et  des  yeux,  et 
n’en  ai  pas  vu  à mes  compagnons,  dans  de  semblables  occasions;  je  n’ai  pas  non 
plus  rencontré  de  voyageur  récent  qui  les  ait  éprouvés.  Le  Dr  Thomson  a fait  les 
mêmes  remarques,  et  ensemble  en  Suisse,  nous  avons  appris  de  A.  Balmat,Fr.  Car- 
tet  et  autres  guides  expérimentés  du  mont  Blanc,  qu’ils  n’avaient  jamais  été  té- 
moinsdeces  symptômes,  non  plus  que  de  la  noirceur  de  la  peau,  si  fréquemment 

indiquée  par  les  voyageurs  alpins.  (P.  160.) 

17  Octobre.  — Il  est  assez  remarquable  de  voir  que  Turner  ne  fait  nulle  part 
allusion  aux  difficultés  de  respirer,  et  ne  parle  que  dans  un  endroit  du  mal  de 
tête,  même  à cette  grande  élévation.  Cela  tient  probablement  à ce  qu’il  a été  con- 
stamment à cheval.  Je  n’ai  jamais,  étant  à cheval,  souffert  de  la  tête  de  la  respi- 
ration ou  de  l’estomac,  même  à 18500  pieds  (5580  mètres).  (P.  167.) 

C’est,  on  le  voit,  en  traversant  des  liasses,  que  les  voyageurs 
éprouvent  des  accidents  ; les  ascensions  proprement  dites  des  mon- 
tagnes isolées  sont  en  effet  extrêmement  rares.  En  voici  cepen- 
dant une,  dans  laquelle  le  capitaine  Roberston1  atteignit,  en  octobre 
1851,  le  sommet  du  Sumeru-Parbut,  à une  hauteur  qu’il  estime  à 
20000  pieds  environ  (6100'“).  La  nuit  précédente  fut  passée  à peu 
près  à 400Ü111  : 

Le  lendemain  matin,  nous  quittâmes  notre  tente  à huit  heures  dix  minutes,  et 
nous  atteignîmes  à une  heure  trente-cinq  minutes  un  glacier  en  talus.  A ce  point, 
la  vue  et  la  respiration  devinrent  très-pénibles  pour  le  lieutenant  Sandilands  et 

pour  plusieurs  de  nos  guides 

Sandilands  atteignit  un  endroit  distant  d’une  demi-heure  du  sommet,  où  il  se 
ressentit  tellement  de  la  raréfaction  de  l’air,  qu’il  lui  fut  impossible  physiquement 
d’aller  plus  loin;  il  s’en  retourna  donc,  avec  le  seul  radjpoute  qui  l’eût  suivi 
jusque-là,  les  autres  l’ayant  depuis  longlemps  abandonné;  mon  brahmine,  beau 
jeune  homme  d’une  forte  constitution,  et  qui  vint  avec  moi  jusqu’au  sommet,  ne 
souffrait  en  apparence  rien,  mais  lorsque  nous  regagnâmes  notre  tente,  il  lui  fut 
impossible  de  rien  manger.  Quant  à moi,  mes  yeux  me  faisaient  souffrir,  ma  res- 
piration et  mes  esprits  vitaux  étaient  oppressés,  mais  il  me  resta  cependant  assez 
d’énergie  et  de  force  physique  pour  monter  plus  haut  encore.  A mon  retour  dans 
ma  tente,  mon  appétit  n’était  nullement  attaqué,  et  je  fis  un  souper  copieux. 

Mais  les  récits  les  plus  intéressants  que  j’aie  rencontrés  dans  mes 
lectures  sont  à coup  sûr  ceux  qu’a  publiés  mistress  Ilervey.  Et  cela 
se  comprend;  simple  touriste,  ne  s’occupant  ni  de  politique,  ni  de 
géographie,  ni  de  science,  elle  accorde  une  attention  spéciale  à tout 
ce  qui  touche  à sa  santé,  aux  petits  incidents  de  sa  route,  qu’elle 
narre  avec  complaisance  et  dans  tous  leurs  détails.  De  plus,  d’assez 
faible  complexion,  elle  parait  être  facilement  atteinte,  à des  niveaux 
assez  bas. 

1 Ascension  du  Sumeru-Parbut  [Himalaya).  — A.  Ann.  des  Voyages , t.  CLU,  p.  503- 
309;  1856. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ASIE  CENTRALE. 


159 


Ainsi  c’est  bien  au  mal  des  montagnes  qu’il  faut  rapporter  une 
partie  des  accidents  suivants,  bien  que  la  hauteur  soit  fort  mé- 
diocre : 

25  Juin.  — Nous  fîmes  halte  (après  avoir  traversé  la  passe  de  Rotung  (11  000 

pieds,  3 550  mètres)  dans  le  Lahoul) Le  capitaine  H.  vint  me  dire  bonsoir 

dans  ma  tente  vers  neuf  heures,  et  observa  que  j’étais  fort  pâle,  la  figure  et 
les  mains  visqueuses  et  froides.  Je  me  trouvais  alors  fort  malade;  ma  tète 
s’égarait  ; j’avais  mal  au  cœur,  les  pieds  et  les  mains  comme  de  la  glace.  Des  con- 
vulsions survinrent  et  de  la  mousse  me  vint  aux  lèvres.  Je  m’étendis  à terre,  et  j’y 
restai  fort  souffrante;  on  me  donna  deux  doses  d’eau  de  Luce,  on  me  mit  aux 
pieds  de  l’eau  qui,  bien  que  bouillante,  ne  rappela  que  difficilement  Ja  circulation. 
Toute  la  journée  d’hier  j’ai  été  malade  et  incapable  de  me  lever  ; mon  pouls  n’était 
pas  à moins  de  108.  Je  suis  mieux  ce  matin,  mais  mon  pouls  est  encore  très-élevé, 
bien  que  moins  irrégulier. 

Le  capitaine  H.  déclare  que  cette  maladie  soudaine  est  due  à la  rareté  de  l’air 

de  la  passe Si  j’en  suis  déjà  ainsi  affectée,  que  sera-ce  à 16  ou  17  000  pieds? 

(T.  I,  p.  117.) 

Mais  si  le  doute  est  possible  dans  ce  cas,  il  n’en  est  plus  de  même 
dans  les  citations  qui  vont  suivre.  Le  6 juillet,  traversée  de  la  passe 
de  Bara-Lacha  ; mistress  llervey  était  en  mauvais  état  de  santé: 

Je  ressentis  de  grandes  souffrances  dans  les  jambes,  et  une  extrême  lassitude, 
bien  avant  d’arriver  au  sommet  de  la  passe  ; mais  je  fis  un  violent  effort  pour  sur- 
monter ces  sensations,  et  j’arrivai  à pouvoir  chevaucher  jusqu’au  sommet.  Du 
moment  où  nous  descendîmes,  un  mal  de  tête  terrible,  brisant,  me  frappa.  Avant 
d’atteindre  Yùnnumscùtclioo,  je  souffris  de  nausées  insurmontables  et  sentais 
comme  si  ma  tête  allait  se  fendre  en  deux.  Les  principales  sensations  étaient  un 
bourdonnement  très-douloureux  et  très-intense  aux  tempes,  des  maux  de  cœur 
violents,  des  douleurs  dans  les  jambes,  et  une  lassitude  allant  jusqu’à  la  prostra- 
tion. Personne  d’autre  n’était  malade  dans  le  camp,  excepté  Ghaussie,  qui  avait 
un  fort  mal  de  tête. 

Je  ne  pus  m’endormir  le  soir  avant  une  heure  ou  deux,  et  fus  réveillée  par  les 
battements  démon  cœur,  si  tumultueux  qu’ils  m’inspirèrent  de  sérieuses  craintes. 
Mon  pouls  galopait,  ma  tête  était  brûlante  avec  des  battements  aux  tempes,  et 
les  misérables  maux  de  cœur.  Nous  ne  nous  sommes  mis  en  marche  que  tard  le 
lendemain  matin,  et  si  je  ne  m’étais  pas  trouvée  mieux,  nous  n’aurions  pas  pu 
bouger.  Le  capitaine  H.  me  dit  qu’il  avait  eu  un  fort  mal  de  tête  pendant  la  nuit, 
qu’il  s’était  senti  fatigué  et  malade,  mais  que  cependant  il  n’avait  pas  autant 
souffert  cette  fois  que  la  dernière  fois  qu’il  avait  traversé  la  passe,  car  il  avait 
alors  eu  les  mêmes  sensations  que  moi . . , 

La  passe  de  Bara-Lacha  est,  je  crois,  entre  16  et  17  000  pieds  au-dessus  delà 
mer,  selon  le  capitaine  Cunningham.  (T.  I,  p.  153.) 

Mistress  llervey  raconte  alors  que  les  gens  du  pays  attribuent 
tous  ces  phénomènes  à l’action  d’une  plante  empoisonnée  ; mais, 

1 The  advenlûres  of  a I.ady  in  Tartan j,  Thihet,  China  and  Kashmir.  • — London,  5 Vol.; 
1853. 


160 


HISTORIQUE. 


celle  lois,  il  s’agit  d’une  espèce  de  mousse.  Nous  reproduirons  ce 
passage  au  chapitre  III. 

Le  lendemain,  la  roule,  qui  se  maintenait  toujours  à de  grandes 
hauteurs,  força  plusieurs  fois  les  voyageurs  à l’ascension  de 
petites  collines  : 

En  montant,  dit  Mrs.  Hervey,  j’observai  un  grand  nombre  démolisses  empoison- 
nées, dont  deux  ou  trois  espèces  croissaient  sur  les  rochers  nus.  Je  souffrais  terri- 
blement delà  tête,  et  tremblais  d’un  retour  de  l’affreuse  « maladie  de  lapasse  » 
ou,  comme  disent  les  natifs,  d’être  « bôôttee  lugcjeea  »,  c’est-à-dire  frappée  par 
les  plantes. 

Nous  monterons  demain  le  Lông-IUàchée  Jôlli  (ou  passe),  et  nous  le  redescen- 
drons, ce  qui  me  promet  une  aimable  journée  de  bôôttee.  (T.  I,  p.  159.) 

Et  en  effet,  en  arrivant  le  lendemain  à Rokchin  (Ladak),  mis- 
tress  Hervey  déclare  qu’elle  est  si  malade  et  si  faible  qu’il  lui  est 
impossible  d’écrire.  Le  9,  après  le  repos  de  la  nuit,  elle  peut  à peine 
écrire,  et  dut  rester  couchée.  Deux  de  ses  domestiques  sont  très- 
malades.  Le  capitaine  11.  a souffert  pendant  la  nuit  de  violents 
maux  de  tête  (p.  142). 

Le  11  juillet,  passage  d'un  lieu  dont  mistress  Hervey  estime  la 
hauteur  à 17000  pieds  environ  : 

Je  souffris  encore  plus  de  la  tète  qu’à  l’habitude,  avec  une  oppression  terrible 
de  la  poitrine.  Il  est  vrai  que,  depuis  la  traversée  de  la  passe  de  Bara-Lâcha,  j’ai 
toujours  beaucoup  souffert  de  la  rareté  de  l’air;  un  mal  de  tête  perpétuel,  et, 
surtout  pendant  la  nuit,  une  gêne  pulmonaire  douloureuse,  et  une  accélération 
très-pénible  des  mouvements  du  cœur.  J’ai  eu  à peine  une  heure  de  sommeil  con- 
tinu ; il  me  fallait  m’asseoir  sur  mon  lit,  ne  pouvant  respirer  couchée.  Ces  régions 
élevées  ne  vont  pas  à mes  poumons.  (P.  152.) 

Dans  la  nuit  suivante,  campement  6 14800  pieds  suc  les  bords  du 
lac  de  Chôômorêêree  : 

J’ai  maintenant  grand’peur  de  la  nuit,  parce  que,  loin  de  dormir,  je  souffre 
terriblement.  Hier,  c’était  vraiment  très-pénible;  en  outre  d’un  cruel  mal  de 
tête,  j’ai  souffert  de  violentes  oppressions  de  poitrine,  et  mon  cœur  allait  un  train 
de  chemin  de  fer,  « a railroad  pace  » , quand  je  remuais  seulement  d’un  pouce  dans 
mon  lit.  (P.  155.) 

Ces  souffrances  sont  telles,  qu’elles  la  déterminent  à changer  un 
peu  sa  route,  pour  éviter  les  grandes  hauteurs  (p.  162).  Et  cepen- 
dant, le  16  juillet,  en  arrivant  au  pied  de  la  passe  de  Tunglund, 
elle  écrit  : 

Nous  avons  vu  beaucoup  de  bootie  empoisonnées  aujourd’hui  en  route.  J’ai  été 
misérablement  malade  pendant  toute  la  nuit.  Vers  onze  heures  du  soir,  l’oppres- 
sion respiratoire,  la  suffocation  devinrent  tellement  insupportables,  que  je  fus 
obligée  de  me  relever  sur  mon  lit,  pour  pouvoir  respirer  un  peu.  (P.  169.) 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ASIE  CENTRALE. 


161 


Le  lendemain,  ascension  de  la  passe  (entre  16  et  17000  pieds)  : 

L’odieuse  mousse  dont  j’ai  si  souvent  parlé  couvrait  la  passe,  et,  bien  avant 
d’arriver  au  sommet,  je  souffrais  de  la  tête  de  la  plus  violente  manière.  Mais  je 
n’ai  pas  eu  de  nausées,  ce  qui  tient  peut-être  à ce  que  la  passe  est  très-aisée. 
(P.  171.) 

Le  19  juillet  de  l’année  suivante,  malgré  son  séjour  continu  dans 
les  régions  élevées  du  petit  Thibet,  mistress  Hervey  n’était  pas  ac- 
climatée, car,  en  franchissant  la  passe  de  Brarmoorj  dans  le  Wurd- 
vvun  (de  15  à 16000  pieds),  elle  dit  : 

J’ai  souffert  d’un  mal  de  tête  tout  à fait  insupportable,  qiii  allait  en  augmen- 
tant sans  cesse;  mais  je  n’ai  pas  eu  les  nausées  que  j’ai  invariablement  éprou- 
vées dans  toutes  les  passes  du  Ladàk.  (T.  11,  p.  298.) 

Et  le  5 août  1851,  à la  traversée  de  la  passe  de  Hànnoo  (entre 
15500  et  16000  pieds),  dans  le  Ladak,  passe  d’accès  assez  facile, 
elle  souffrit  horriblement;  il  est  vrai  qu  elle  était  déjà  indisposée. 
Elle  dit  le  lendemain  : 

J’ai  traversé  bien  des  passes,  mais  jusqu’à  aujourd’hui  je  n’avais  jamais  éprouvé 
les  sensations  terribles  qui  m’ont  rendue  presque  folle  bien  avant  que  je  sois  ar- 
rivée à moitié  chemin  et  bien  après  que  j’ai  eu  quitté  les  grandes  hauteurs.  Mes 
souffrances  ont  pu  être  aggravées  par  mon  indisposition,  mais,  quoi  qu’il  en  soit, 
elles  ont  été  écrasantes.  Je  me  couchai  à terre  à Dora,  plus  morte  que  vive,  et 
mes  domestiques  me  firent  une  tente  de  couvertures.  J’étais  dans  un  tel  état  de 
prostration,  que  non-seulement  je  ne  pouvais  me  lever,  mais  que  je  n’aurais  pu 
supporter  d’être  portée  en  « dhoolie  »....  Un  violent  mal  de  tête,  des  nausées  in- 
supportables, des  palpitations  pressées,  Pimpossibilité  de  respirer  amplement,  tels 
étaient  les  symptômes  de  la  bôôtie  bien  connue  qui  m’assaillit  plus  durement 
que  jamais  avant  que  je  sois  arrivée  au  sommet  de  la  passe.  Je  suis  sûre  que  si 
j’avais  voulu  remuer  un  quart  d’heure  pendant  ces  horribles  sensations,  j’aurai 
vu  se  briser  quelque  vaisseau  sanguin,  et  serais  morte  sur  place.  Parler  seule- 
ment était  un  douloureux  exercice,  qui  amenait  de  copieuses  hémoptysies,  et  ac- 
célérait les  battements  de  mon  cœur  bien  au-delà  de  cent  pulsations  par  minute. 
J’avais  de  terribles  nausées,  dont  la  force  épuisante  ne  peut  être  comparée  qu’à 
celles  du  mal  de  mer.  J’étais  ainsi  bien  misérable  et  mes  souffrances  étaient  in- 
tenses hier.  Même  aujourd’hui  je  ne  puis  respirer  sans  peine,  et  mon  cœur  bat 
violemment  et  irrégulièrement;  je  n’ai  pas  encore  oublié  l’atmosphère  raréfiée  de 
la  passe  de  Hànnoo. 

Comme  on  me  portait,  hier,  à peu  près  à un  demi-mille  du  sommet,  Ghaussie 
appela  mon  attention  sur  un  de  mes  domestiques  qui  gisait  sans  connaissance, 
sur  la  neige,  ün  le  réveilla  facilement,  mais  il  refusa  de  se  mouvoir,  disant  que 
sa  tête  « allait  se  fendre  en  deux.  » Après  un  léger  combat  entre  l’humanité  et 
des  préjugés  fortement  enracinés,  car  le  malade  était  un  sweeper , la  dernière 
classe  des  domestiques,  je  lui  envoyai  mon  propre  ‘poney  pour  le  porter  ; si  on 
l’avait  laissé  là,  il  aurait  péri  certainement  pendant  la  nuit. 

Pendant  que  je  parle  de  la  maladie  de  cette  passe  comme  d’un  cas  de  bôôtie,  je 

11 


162 


HISTORIQUE. 


dois  avouer  que  je  n’ai  pas  observé  une  seule  plante  de  l’espèce  particulière  de 
mousse  qui,  dans  les  passes  de  Ladàket  du  Lahoul,  sont  considérées  comme  em- 
poisonnant le  vent  et  occasionnant  le  désastreux  malaise  que  j’ai  décrit. 

Un  de  mes  domestiques  kashmiriens  fut  la  seule  autre  personne  de  mon  entou- 
rage qui  fût  atteinte  ; ce  n’est  donc  pas  une  règle  sine  quâ  non  que  la  souffrance 
dans  les  grandes  altitudes.  (T.  II,  p.  567-570.) 

Et  le  lendemain,  au  moment  de  partir  de  Scheerebookhchun,  elle 
écrit  : 

Je  vais  voyager  au  clair  de  la  lune,  car  j’ai  été  si  malade  pendant  toute  la  jour- 
née, que  j’ai  été  très-peu  disposée  à me  remuer.  Si  je  me  laissais  dominer  par 
les  sensations  pénibles  qui  m’ont  tant  éprouvée,  je  ne  me  mettrais  pas  en  che- 
min maintenant,  mais  cela  pourrait  être  impolitique.  Dans  mon  opinion,  rien  ne 
vaut  l’exercice  pour  dompter  nos  petites  misères  corporelles  et  mentales. 

Je  dois  pratiquer  ce  que  je  prêche,  et  monter  à cheval  ce  matin,  envoyant  en 
avant  mon  dboolie.  (P.  578.) 

Elle  se  met  en  marche,  au  lever  du  soleil,  et  va,  à cheval,  jusqu’à 
Kulâtsey. 

J’étais  alors  si  malade  et  si  épuisée,  que,  ne  trouvant  pas  là  mon  dhoolie,  je 
me  couchai  dans  mon  châle,  sur  le  sol  même,  pendant  plusieurs  heures.  Enfin, 
vers  le  soir,  un  autre  dhoolie  fut  prêt,  et  j’y  pus  monter...  Je  n’ai  pu  me  remet- 
tre des  effets  de  l’air  raréfié  sur  la  passe  de  Hànnoo.  Mon  cœur  bat  avec  violence 
et  irrégularité,  et  j’éprouve  en  respirant  de  grandes  douleurs  de  poitrine.  Le  dé- 
goût de  la  nourriture  est  tel  que  je  puis  à peine  arriver  à toucher  quelques  ali- 
ments pendant  les  vingt-quatre  heures.  (P.  578.) 

Le  14  août,  traversée  d’une  sorte  de  passe,  au  voisinage  de  Ghia  : 

J’ai  souffert  d’un  bien  pénible  mal  de  tête,  mais  pas  de  nausées,  bien  que  j’aie 
pu  reconnaître  ma  vieille  ennemie,  la  bôôtie,  la  mousse  fatale  du  Ladâk-Oôjar.  En 
marchant  cinquante  pas  pour  atteindre  une  fleur,  les  pulsations  de  mon  cœur 
augmentèrent  horriblement,  et  des  doses  répétées  de  digitale  n’ont  pu  en  calmer 
les  battements  précipités  et  violents.  Je  ne  sache  pas  de  sensation  plus  alarmante 
et  plus  douloureuse  que  cette  action  exagérée  du  cœur.  Aucun  de  mes  domesti- 
ques n’a  souffert 

Je  suis  arrivée  à Zurra  au  lever  du  soleil.  Je  suis  tout  à fait  anéantie  par  mes 
douleurs  stupéfiantes  de  tête,  bien  que  j’aie  échappé  à la  nausée,  et  c’est  là  la  seule 
consolation  que  j’aie  dans  mes  souffrances.  (P.  597.) 

Le  18  août,  campement  à Chôômorêêree,  à une  hauteur  de  14794 
pieds  (4510“')  : 

J’ai  passé  une  nuit  misérable,  et  suis  ce  matin  malade  et  épuisée.  J’ai  dû  res- 
ter ainsi  la  moitié  de  la  nuit,  absolument  incapable  de  respirer  dans  la  position 
horizontale;  mon  cœur  battait  violemment  avec  des  palpitations  effrayantes.  J’ai 
eu  vraiment  peur  de  mourir  dans  les  ténèbres 

Le  soir,  nous  campons  à peu  près  15000  pieds  de  haut.  J’ai  la  plus  grande 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ASIE  CENTRALE. 


163 


difficulté  à respirer,  ma  poitrine  me  paraît  surchargée  d’un  poids  énorme  qui 
m’oppresse  douloureusement.  Ces  sensations  pénibles  augmentent  à la  chute  du 
jour.  (T.  III,  p.  13.) 

Le  20  août,  campement  au  pied  de  la  passe  de  Pârung,  à environ 
17000  pieds  (5180m)  : 

Terrible  hauteur  pour  passer  la  nuit  sous  une  tente,  lorsqu’on  souffre  comme 
moi  de  la  rareté  de  l’air.  Oppression  dans  la  poitrine,  extrême  difficulté  de  la  res- 
piration, crachements  de  sang  fréquents,  ne  m’ont  pas  laissé  de  repos  pendant 

ces  seize  dernières  heures...  Le  froid  est  intense 

Au  jour,  je  me  trouve  mieux,  bien  que  je  ne  puisse  respirer  librement,  et  que 
le  moindre  mouvement  me  mette  comme  en  détresse...  Ma  tête  esta  peu  près 
remise  et,  mon  courage  m’étant  revenu,  je  me  décide  à traverser  la  passe...  Y aller 
à cheval  est  impossible,  à pied  non  moins;  je  monte  sur  un  yack.  (P.  19.) 

Chose  remarquable,  bien  que  cette  passe  soit  la  plus  élevée 
qu’ait  traversée  notre  voyageuse,  elle  n’y  souffrit  que  peu  : pas  de 
nausées,  un  léger  mal  de  tête  seulement  (p.  26).  Moorcroft 
l’estime  à 19000  pieds  (5790m),  et  mistress  Harvey  va  jusqu’à 
20000  (6095m).  Elle  s’étonne,  non  sans  raison,  de  ce  résultat  : 

Il  est  curieux,  dit-elle,  d’observer  les  effets  différents  des  différentes  passes. 
Bien  que  les  sensations  douloureuses  observées  dépendent  incontestablement  de  la 
rareté  de  l’air,  il  est  certain  que  le  malaise  n’est  pas  proportionnel  à la  hauteur.  Sur 
les  passes  de  Bara  Lâcha  et  de  Hànnoo,  j’ai  été  misérablement  malade,  au-delà 
de  toute  expression,  et  sur  celle  de  Pârung,  plus  élevée  de  3 ou  4000  pieds,  je 
n’ai  pas  eu  de  nausées,  à peine  de  mal  de  tête.  Je  respirais  difficilement,  mais 
cela  me  paraît  secondaire. 

Je  suis  loin  de  pouvoir  donner  une  raison  satisfaisante  de  cette  inégalité.  J’ai 
traversé  tant  de  passes  que  j’ai  eu  bien  des  occasions  de  remarquer  combien  peu 
la  maladie  des  passes  est  en  rapport  avec  la  hauteur,  au-delà,  bien  entendu,  de  13 
ou  14000  pieds.  La  « Bischk-ke-Bôôltie  »,  ou  plante  empoisonnée,  couvrait  le  sol 
bien  des  milles  autour  de  Tàlung.  (P.  33.) 

Les  voyages  du  capitaine  Oliver1  dans  l’IIimaflaya  offrent  aussi 
le  récit  d’impressions  intéressantes  pour  notre  sujet.  En  juillet 
1859,  il  traversait  la  passe  de  Roopung,  par  15500  pieds  envi- 
ron (4720ra)  : 

Nous  campâmes  à la  limite  inférieure  de  la  neige  perpétuelle,  à 14000  pieds 

au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  Il  faisait  très-froid 

Le  lendemain  matin  nous  partîmes  sur  la  neige Le  sommet  de  la  passe  se 

montrait  dans  une  scène  sauvage  et  désolée.  Mais  je  ne  m’en  inquiétais  guère, 
ayant  assez  à m’occuper  de  moi-même,  car  la  raréfaction  de  l’air  agissait  sur 
moi.  Je  souffrais  d’une  pénible  brièveté  de  la  respiration,  et  bientôt  il  me  fallut 

1 Trips  in  the  Himalaya.  — Alpine  Journal,  t.  IV,  p.  75-93;  London,  1870. 


1 64 


HISTORIQUE. 


m’arrêter  tous  les  deux  ou  trois  pas.  La  neige  était  molle,  ce  qui  rendait  la  mar- 
che plus  difficile  encore J’atteignis  enfin  la  dernière  pente,  une  bande  de 

neige  de  50  pieds  de  haut,  et  très-rapide Mais  à ce  moment  j’étais  si  com- 

plètement épuisé  que  je  me  trouvais  tout-à-fait  incapable  de  la  franchir  sans 
assistance.  Cependant,  après  une  courte  halte,  je  fis  un  effort  désespéré,  et  je  ne 
sais  comment  j’arrivai  au  sommet,  où  je  m’étendis  sur  le  sol,  absolument 
abattu.  (P.  84) 

Cette  passe  est  très-fréquentée  par  les  Tartares  qui  apportent  du  borax  et  de 
la  laine  sur  les  marchés  indiens.  Ils  souffrent  beaucoup,  cependant,  de  la  raré- 
faction de  l’air,  mais  attribuent  ses  symptômes  à une  plante  empoisonnée,  plante 
fabuleuse  qui,  selon  eux,  croît  sur  les  grandes  hauteurs. 

Ils  sont  aussi  sujets  à de  violentes  attaques  de  coliques  dans  les  passes....  Un 
de  mes  Sickhs  en  fut  pris  ; il  se  coucha  sur  le  sommet,  gémissant,  et  déclarant 
qu’il  allait  mourir  : trente  gouttes  de  laudanum  le  remirent.  (P.  85.) 

La  même  année,  un  autre  voyageur,  Cheetam  l *,  suivait  la  route 
de  Simla  à Srinagar;  le  17  août  1859  il  traversait  la  passe  de 
Lunga-Lacha  par  16750  pieds  (51 00m)  : 

Je  fis  alors  ma  première  expérience  des  effets  funestes  que  l’air  très-raréfié, 
le  mauvais  temps  et  la  fatigue  produisent  sur  les  grandes  hauteurs. 

Vertiges,  maux  de  tête  violents,  nausées,  telles  étaient  les  sensations  carac- 
téristiques, auxquelles  s’ajoutait  agréablement  un  sentiment  d’épuisement  in- 
tense, une  profonde  dépression  physique  et  mentale.  Heureusement,  chez  moi, 
cette  aimable  complication  ne  dura  que  quelques  heures,  dans  le  milieu  du 
jour,  et  encore,  par  intermittences.  J’ai  noté  que,  invariablement,  je  me  trou- 
vais mieux  en  descendant  les  collines  qu’en  les  montant;  et  qu’il  y avait  une 
sorte  de  correspondance  entre  les  apparitions  du  soleil  et  mes  intervalles 
lucides. 

Les  souffrances  de  mon  Kashmirien  et  des  marchands  de  Caubul  étaient  évi- 
demment beaucoup  plus  continuelles  et  aiguës  que  les  miennes,  surtout  à cause 
d’un  dérangement  général  dont  ils  se  plaignaient  depuis  la  veille,  au  passage  du 
Bara  Lacha. 

Il  était  impossible  de  combattre  leur  croyance  absolue  que  tous  ces  accidents 
étaient  dus  aux  exhalaisons  empoisonnées  d’une  plante  mystérieuse,  le  « dewaï- 
glias  » ou  « herbe  médicale  »,  qu’ils  assurent  pousser  dans  ces  régions,  bien 
qu’on  n’ait  jamais  pu  en  rencontrer...  Le  Kashmirien  fut  malade  deux  jours. 
(F.  157.) 

Quelques  jours  après,  passage  d’un  col  plus  élevé  encore,  celui 
de  Tunglung,  qui  a 17750  pieds  (54 1 0111) - Le  campement  de  nuit  se 
fit  à Larsa,  à 16400  pieds  : 

L’ascension  des  1550  pieds  que  nous  avions  à monter  fut  très-rude  ; le  moin- 
dre effort  dans  cet  air  si  raréfié  nous  rendait  la  respiration  très-pénible. 
(F.  141.) 

1 The  Tibeian  Boule  from  Simla  to  Srinagar.  — Alpine  Journal,  t.  III,  p.  118-155;  Lon- 

don, 1807. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ASIE  CENTRALE.  165 

Le  récit  de  Semenof 1 a ceci  d’intéressant  qu’il  se  rapporte  aux 
premiers  voyages  faits  dans  les  hautes  régions  des  monts  Célestes. 
Le  25  juin  1857,  après  avoir  campé  à une  hauteur  de  7500  pieds, 
il  traversait  la  passe  de  Zaùkù.  On  y voit  par  milliers  des  carcas- 
ses de  chameaux,  de  chevaux,  de  bœufs,  de  chiens  : 

Le  cheval  de  M.  Kosharof  s’abattit....  le  mien  glissa,  se  coupa  profondément 
et  mourut  sur  place  ; deux  des  chevaux  des  Cosaques  furent  tellement  épuisés 
qu’ils  ne  purent  aller  plus  avant....  Le  guide  nous  assura  que  la  difficuîté  de 
respirer  au  sommet  du  Zaùkù  Pass  était  telle  qu’il  serait  impossible  d’y  vivre 
plus  d’une  heure  et  demie.  (P.  364.) 

On  voit,  dans  celte  affirmation  du  guide,  un  exemple  des  exagé- 
rations habituelles  dans  tous  les  pays  où  les  lieux  très-élevés  ne 
sont  qu’une  exception.  Malheureusement,  Semenof  ne  donne  pas 
la  hauteur  de  la  passe  de  Zaùkù. 

Mais  personne  n’a  pu  traiter  cette  question  avec  plus  d’autorilé 
que  les  frères  Schlagintweit,  dont  les  expéditions  dans  les  hautes 
régions  de  l’Asie  marquent  parmi  les  voyages  les  plus  importants 
de  ce  siècle,  les  plus  féconds  au  point  de  vue  de  la  géographie,  de 
l’histoire  et  des  sciences  naturelles. 

Ils  ont  consacré  un  paragraphe,  dans  le  récit  officiel  de  leur 
voyage2,  à l’histoire  des  accidents  de  la  décompression.  On  y voit 
qu’ils  se  sont  élevés  à la  plus  grande  hauteur  qu’ait  encore  atteinte 
l’homme  dans  les  ascensions  de  montagnes,  à 6882m,  sur  les  flancs 
ribi-Gamin,  le  19  août  1855. 

Voici  le  résumé  de  leurs  plus  hautes  ascensions  : 

Sur  quelques  plateaux  très-élevés  qui  servent  de  pâturages,  l’habitation  tem- 
poraire pour  quelques  mois  s’établit  dans  les  environs  de  16500  pieds  (5030m)  ; 
c’est  à cette  hauteur,  probablement  la  plus  élevée  de  ce  genre  sur  le  globe,  que 
des  pasteurs  thibétains  dressent  leurs  tentes  et  bâtissent  même  des  habitations 
permanentes. 

Par  expérience  personnelle,  nous  pouvons  dire  que,  pour  dix  ou  douze  jours, 
l’homme  peut  dépasser  considérablement  cette  altitude,  nous  ne  dirons  pas 
sans  souffrance,  mais  positivement  sans  inconvénient  bien  sérieux.  Dans  nos 
explorations  du  glacier  de  Elbi-Gamin,  du  13  au  23  août  1855,  nous  campâmes 
pendant  dix  jours  pleins,  en  compagnie  de  huit  hommes  qui  nous  servaient,  à 
des  élévations  véritablement  extraordinaires.  Pendant  ce  temps,  notre  camp  fut 
placé  à 16642  pieds  (507 0m)  pour  sa  station  la  plus  basse.  Notre  point  le  plus 

1 First  ascent  of  the  Tian-Shan  or  Celestial  mountciins,  and  Visit  to  the  Upper  Course 
of  the  Jaxartes  or  Syr-Daria,  in  1857.  — The  Journal  of  the  roy.  géogr.  Soc.;  t.  XXXI, 
p 356-365;  1861. 

2 Schlagintweit  (Hermann,  Adolph  and  Robert  de),  Results  of  a scientific  mission  to 
India  and  Iligh  Asia,  1854-1858  ; 4 vol.  — Leipzig  and  London,  1861-1866. 


160 


HISTORIQUE. 


élevé  fut  19326  pieds  (5890ra)  ; c’est  l’élévation  la  plus  grande  où  nous  ayons 
passé  la  nuit.  Une  autre  fois,  nous  campâmes  à 19094  pieds,  plus  tard  à 

18300,  et  le  reste  du  temps,  entre  18000  et  17000  pieds 

Un  jour  nous  avons  traversé  un  passage  à 20459  pieds  (G250m),  et  trois  jours 
avant,  le  19  août  1855,  nous  étions  montés  sur  les  flancs  de  l’Ibi-Gamin,  à la 
hauteur  de  22259  pieds  (6882m).  A notre  connaissance  c’est  la  plus  grande 

altitude  à laquelle  on  se  soit  élevé  sur  les  montagnes 

Au  pic  de  Sassar,  le  3 août  1856,  nous  atteignîmes  une  hauteur  de  20120 
pieds.  Avant  nous,  les  frères  Alexandre  et  James  Gérard  montèrent  à 19411  pieds 

sur  un  pic  du  Spiti,  le  18  octobre  1818 

Pour  ce  qui  regarde  les  effets  à considérer  pour  une  acclimatation,  nous  en 
pouvons  parler  par  notre  expérience  personnelle.  En  traversant  pour  les  premières 
lois  des  passages  de  17500  à 18000  pieds,  nous  sentîmes  tout  d’abord  des  trou- 
bles considérables.  Peu  de  jours  ensuite,  après  avoir  parcouru  les  points  les  plus 
élevés  et  passé  plusieurs  nuits  à ces  hauteurs,  nous  nous  trouvâmes  à peu  près 
complètement  libres  de  ces  désagréables  symptômes,  même  à l’élévation  de 
19000  pieds.  Quelle  aurait  été  la  conséquence  d’un  séjour  plus  prolongé  sur  ces 
hautes  régions,  c’est  ce  que  nous  ne  pourrons  dire.  Mais  nous  considérons 
comme  très-probable  qu’une  résidence  plus  longue  aurait  eu  des  effets  funestes 

sur  la  santé 

L’influence  de  l’altitude  varie  avec  les  individus.  L’homme  bien  portant  a des 
chances  pour  souffrir  moins.  La  différence  des  races  n’est  pas  d’une  importance 
appréciable.  Nos  domestiques  indous,  qui  nous  accompagnèrent  jusqu’aux  points 
les  plus  élevés,  souffrirent  du  froid  plus  que  les  Tliibétains,  leurs  camarades, 
mais  ils  ne  se  ressentirent  pas  davantage  des  effets  de  la  diminution  dans  la 
pression  atmosphérique. 

Pour  la  plupart  des  gens,  l’influence  de  la  hauteur  commence  à se  manifester 
à 16500  pieds,  la  hauteur  des  pâturages  extrêmes.  Nos  chameaux  et  nos  chevaux 
souffrirent  d’une  manière  très-évidente  vers  17500  pieds. 

Les  symptômes  produits  par  la  raréfaction  sont  : la  céphalalgie,  la  difficulté  de 
respirer;  l’oppression  de  poitrine,  celle-ci  pouvant  aller  jusqu’à  amener  des  cra- 
chements de  sang,  et  très-rarement  de  légères  hémorrhagies  nasales;  nous  ne 
vîmes  jamais  de  sang  sortir  par  les  lèvres  et  les  oreilles;  le  manque  d’appétit  et 
souvent  des  nausées  ; la  faiblesse  musculaire,  avec  une  dépression  générale  et  un 
abattement  d’esprit.  Tous  ces  symptômes  disparaissent  à peu  près  simultanément, 
chez  l’homme  bien  portant,  par  le  retour  à des  localités  plus  basses.  Les  effets 
mentionnés  ne  sont  pas  sensiblement  augmentés  par  le  froid,  mais  le  vent  a 
l’influence  la  plus  fâcheuse  sur  les  symptômes  éprouvés.  Comme  ceci  était  un 
phénomène  nouveau  pour  nous,  et  qu’il  n’avait,  pas  été  mentionné  par  nos  devan- 
ciers, nous  l’observâmes  avec  attention,  et  remarquâmes  des  circonstances  où  la 
fatigue  n’y  était  pour  rien.  Sur  les  plateaux  du  Karakorum,  il  arrivait  fréquem- 
ment, même  pour  ceux  qui  étaient  endormis  sous  la  tente  dans  des  endroits  un 
peu  protégés,  d’être  réveillés  pendant  la  nuit  par  un  sentiment  d’oppression  qui 
devait  être  attribué  à une  brise,  même  assez  faible,  qui  s’était  élevée  pendant  les 
heures  du  repos.  Quand  nous  étions  occupés  aux  observations,  nous  prenions  peu 
ou  point  d’exercice  du  corps,  quelquefois  pendant  trente-six  heures,  et  nos  domes- 
tiques encore  moins  que  nous.  Et  cependant  il  arriva  souvent,  vers  les  hau- 
teurs qui  n’excédaient  pas  17000  pieds,  que  le  vent  de  l’après-midi  ou  du  soir  nous 
rendait  assez  malades  pour  nous  faire  perdre  tout  goût  à la  nourriture;  on  ne  pen- 
sait même  pas  à préparer  le  dîner.  Dans  la  matinée,  quand  le  vent  ne  soufflait 
plus,  l’appétit  revenait  généralement,  nous  étions  moins  malades  le  matin  que 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ASIE  CENTRALE.  167 

le  soir;  ce  qui  doit  évidemment  tenir  en  partie  à ce  que  les  fortes  brises  s’élèvent 
plus  généralement  dans  la  seconde  moitié  du  jour. 

Les  effets  de  la  diminution  de  pression  sont  considérablement  aggravés  par  la 
fatigue.  Il  est  surprenant  à quel  degré  d’épuisement  on  arrive  : l’action  même  de 
parler  est  un  travail,  on  ne  s’occupe  ni  du  confort  ni  du  danger.  Souvent  nos 
gens,  même  ceux  qui  nous  avaient  servi  de  guides,  se  laissaient  tomber  sur  la 
neige,  déclarant  qu’ils  aimaient  mieux  mourir  sur-le-champ  que  de  faire  un  pas 
de  plus.  Par  de  simples  motifs  d’humanité,  nous  nous  vîmes  souvent  obligés 
d’intervenir  en  leur  faveur  et  de  les  arracher  par  la  force  à la  stupeur  où  ils 
étaient  tombés,  tandis  que  nous  n’étions  guère  nous-mêmes  dans  un  meilleur 
état  d’animation.  (T.  II,  p.  481-485.) 

Les  observations  des  voyageurs  plus  récents  s’accordent  tout  à 
lait  avec  ce  que  nous  venons  de  rapporter.  Il  faut  même  noter  que, 
l’existence  de  malaises  sur  les  passages  élevés  étant  aujourd’hui 
bien  connue  de  tout  le  monde,  souvent  les  voyageurs  n’en  parlent 
pas,  ou  se  contentent  d’y  faire  allusion  en  quelques  mots. 

Ainsi,  le  capitaine  Godwin-Austen â,  qui  explora  les  glaciers 
du  Karakorum,  fait,  en  1860,  l’ascension  du  Bianchu  (16000 
pieds),  du  Gommathaumigo  (17500  pieds),  sans  parler  d’aucun 
trouble. 

Dans  son  voyage  de  1861,  il  grimpe  d’abord  sur  le  Boorje-La 
(15878  pieds)  ; son  pouls  battait  158,  celui  d’un  de  ses  hommes 
104,  et  il  ne  signale  aucun  autre  phénomène  (p.  25).  Mais  en 
montant  le  10  août  sur  un  pic  de  18542  pieds  (5590™)  — c’est  la 
plus  haute  ascension  qu’il  ait  faite,  — il  rapporte  que  « beaucoup 
des  hommes  devinrent  malades,  éprouvèrent  de  violents  maux  de 
tête  et  se  couchèrent  à terre.  (P.  54.) 

11  y a plus  : dans  le  récit1 2  des  longs  et  importants  voyages  exécu- 
tés par  deux  jeunes  brahmanes,  deux  frères,  que  l’administration 
anglaise  envoya  visiter  des  régions  où  les  Européens  ne  peuvent 
guère  mettre  le  pied  sans  risque  de  la  vie,  il  n’est  nullement  ques- 
tion d’accidents  de  la  décompression.  Et  cependant  les  deux  « Pun- 
dits  » ont  certes  visité  bien  des  hauts  lieux,  puisqu’ils  ont  traversé 
l’iïimalaya  dans  le  Népaul,  au  pied  du  Dhawalaghiri,  remonté  le 
eours  du  Brahmapoutra,  de  Lhasa  au  lac  de  Manasarowar,  et  poussé 
jusqu’à  Gartokh.  Mais,  exclusivement  préoccupés  de  géographie  et 
aussi  de  politique,  ils  ne  portent  pas  leur  attention  sur  des  phéno- 


1 On  the  Glaciers  of  the  Mustakh  Range.  — The  Journal  of  ihe  royal  qeoqr  Socieiu 
t.  XXXIV,  p.  19-55;  London,  1864.  J * 

* Reisen  und  Aufnahmen  zweier  Punditen  [gebildeler  Indier)  in  Tibet;  1865  bis  1866. 
— Petermann’s  Mittheilungen  ; t.  XIV,  p.  233-245;  276-290.  1868. 


1G8 


HISTORIQUE. 


mènes  universellement  connus,  ou  du  moins  ne  croient  pas  devoir 
leur  donner  place  dans  leur  narration. 

Cette  expédition  indigène  ayant  amené  d’excellents  résultats,  le 
Trigonometrical  Survey  envoya,  quelques  années  après,  à travers 
l’Hindu-Kush  et  le  Pamir  jusqu’au  Turkestan,  un  employé,  le  Mirza, 
dont  M.  Montgomerie1  a raconté  le  voyage.  On  y trouve  quelques 
détails  intéressants  pour  notre  sujet. 

Le  Mirza  arriva,  en  janvier  1869,  à Lunghar,  dans  les  steppes  de 
Pamir  : 

Toute  la  troupe,  eu  arrivant  à Lungliar  (12200  p),  souffrit  beaucoup  du  Dum , 
comme  l’appelle  le  Mirza,  c’est-à-dire  brièveté  delà  respiration,  etc.,  effet  habi- 
tuel des  grandes  altitudes.  Les  natifs  le  considèrent  généralement  comme  pro- 
duit par  un  mauvais  vent;  quelques-uns  des  hommes  devenaient  presque  insen- 
sibles, mais  se  relevaient  bientôt  quand  le  Mirza  leur  avait  fait  manger  quelques 
fruits  secs  et  du  sucre.  (P.  158.) 

Au  passage  de  Chichik-Dawan  (15000  pieds)  ils  souffrirent  beau- 
coup ; lous  éprouvaient  de  grandes  difficultés  à respirer,  que  le 
Mirza  essaya  en  vain  de  combattre  avec  son  sucre  candi  et  ses  fruits 
secs.  (P.  165.) 

Dans  le  même  temps,  un  voyageur  anglais,  Ilayward2,  se  diri- 
geait également  versKashgar,  mais  par  le  petit  Thibet,  à travers  l’é- 
norme chaîne  du  Karakorum.  Il  est,  lui-même,  extrêmement  so- 
bre en  observations  relatives  à la  raréfaction  de  Pair. 

Le  voyage  fut  exécuté  d’octobre  1868  à juin  1869.  Traversée  de 
la  passe  de  Masimik,  par  18500  pieds  (5640m)  : 

Elle  ne  présente  pas  de  difficultés,  est  très-facile,  mais  les  chevaux  chargés  y 
souffrent  un  peu  de  la  raréfaction  de  l’air.  (P.  56.) 

Traversée  de  la  passe  de  Chang-Lnng  par  18859  pieds  (5740m) 
(p.  58);  ascension  d’un  pic  de  19500  pieds  (p.  45),  d’un  autre  de 
19000  pieds  (p.  55-58),  sans  aucune  observation  physiologique; 
il  dit  seulement  : 

La  difficulté  principale  au  passage  de  Chang  Lang  est  la  détresse  des  animaux 
chargés,  par  suite  de  l’élévation  et  de  la  raréfaction  de  l’air.  (P.  126.) 

L’année  suivante,  en  1870,  le  « Munschi  » Faiz  Buksh,  parti  de 
Peshawar,  dans  le  haut  Pendjab,  se  dirigeait  vers  Kashgar,  s’effor- 

1 Report  of  a the  Mirza  s » Exploration  from  Canbul  io  Kashgar.  — The  Jour n.  ofthc 
roy.  geoyr.  Soc.,  t.  XL1,  p 132-192  ; 1871. 

■-  Journey  from  Leli  to  Yarkand  and  Kashgar,  and  Exploration  of  the  sources  of  the 
Yarkand  River.  — The  Journal  of  the  roy.  geogr.  Soc.,  t . XL,  p.  35-166  ; 1870. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ASIE  CENTRALE. 


109 


çant,  comme  tant  d’autres  envoyés  plus  ou  moins  nettement  offi- 
ciels, à ouvrir  ces  voies  nouvelles  par  lesquelles  le  commerce,  l’in- 
fluence diplomatique  et  peut-être  les  armes  de  l’Angleterre  cher- 
chent à pénétrer  dans  le  Turkestan  occidental. 

Son  récit1  est  très-riche  en  faits  capables  de  nous  intéresser.  11 
insiste  particulièrement  sur  le  Pamir  : 

Pamir  est  désigné  sous  le  nom  de  Bam-i-Dunya  (toit  du  monde),  à cause  de 
son  altitude.  Sa  grande  élévation  est  prouvée  par  l’absence  d’arbres  et  la  ra- 
reté des  oiseaux;  l’herbe  n’y  pousse  qu’en  été.  L’air  y est  extrêmement  raréfié, 
en  telle  sorte  que  la  respiration  y est  difficile  pour  les  hommes  et  les  bêtes. 
Cette  difficulté  est  nommé  tunk  par  les  populations  du  Badakhshan,  et  du  Wak- 
han,  et  ais  par  les  Mogols.  Le  foie  et  l’estomac  sont  iirités.  Les  voyageurs  souf- 
frent du  mal  de  tête  et  le  sang  coule  de  leur  nez.  Quand  il  s’agit  de  gens  de  faible 
constitution,  la  figure,  les  mains  et  les  pieds  gonflent.  Plus  il  fait  froid,  plus  ces 
accidents  sont  marqués.  Les  natifs  se  servent  d’acides,  d'abricots  secs,  de  pru- 
nes, pour  les  combattre.  La  nuit,  si  on  n’a  pas  la  tête  deux  pieds  plus  haut  que 
les  jambes,  la  respiration  est  arrêtée  pendant  le  sommeil.  On  souffre  de  ces 
malaises  à cheval  et  à pied. 

J’ai  trente-quatre  ans.  Sur  un  des  pics  de  Pamir,  mon  pouls  battait  89  fois  à la 
minute;  j’avais  mal  à la  tête,  avec  irritation  du  foie  et  de  l’estomac;  une  fois  le 
sang  me  coula  du  nez.  Un  de  mes  suivants,  nomme  Kadir,  natif  de  Peshawur, 
âgé  de  vingt- sept  ans,  eut  une  attaque  de  lièvre,  avec  difficultés  à respirer,  irri- 
tation du  foie,  gonflement  de  la  face  et  des  extrémités;  son  pouls  battait  99  fois. 
Un  autre,  nommé  Mehra,  natif  de  Ghizni,  âgé  de  vingt  ans,  ne  ressentit  qu’un 
peu  de  difficulté  à respirer;  son  pouls  était  à 75.  Une  nourriture  abondante  aug- 
mente la  difficulté  à respirer.  (P.  470.) 

Entre  Ak  Tash  et  Sarkol  est  un  pic  élevé,  nommé  Shindi  Kotal,  dont  le  som- 
met est  constamment  couvert  de  neige  ; nous  y éprouvâmes  plus  de  difficultés  à 

respirer  que  dans  le  Pamir A la  troisième  marche  après  Sarkol  est  un  pic  élevé, 

nommé  Yam  Bolak,  dont  le  sommet  est  constamment  couvert  de  neige;  nous  y 
éprouvâmes  aussi  de  grandes  difficultés  à respirer.  (P.  472.) 

L’expédition  que  dirigeait  la  même  année  Forsyth,  de  Lahore  à 
Yarkand,  par  le  Ladak,  eut  à traverser  successivement  l’Himalaya 
et  le  Karakorum.  Le  récit  qu’en  a fait  Henderson 2 indique  fréquem- 
ment la  constatation  d’accidenls  dus  à la  raréfaction  de  l’air. 

Le  27  juin  1870,  passage  de  la  Namyika  Pass,  au  Ladak  : 

Bien  que  le  sommet  de  cette  passe  ne  soit  qu’à  12000  pieds  de  haut,  plusieurs 
de  nos  hommes  souffrirent  beaucoup  de  la  difficulté  de  respirer,  qui  continua 
pendant  plusieurs  heures  après  que  nous  eûmes  atteint  notre  camp  de  Karbu, 
600  pieds  plus  bas;  quelques-uns  des  nôtres  ne  purent  même  dormir  pendant  la 
nuit  pour  cette  raison.  (P.  46.) 

1 Journet / from  Pcshawar  io  Kashgar  and  Yarkand  in  Eastern  Turkestan.  — The 
Journ.  of  the  roy.  geogr.  Soc.,  t.  XLIf,  p.  448-173  ; 1872. 

2 Henderson  et  Hume,  Lahore  to  Yarkand.  Incidents  of  the  route  and  natural  history 
ofthe  countries  traversed  hy  the  Expédition  of  1 870,  under  T.  D.  Forsyth.  — London,  1873. 


170 


HISTORIQUE. 


Le  10  juillet,  traversée  de  la  passe  de  Chang-La,  du  bassin  de 
l’indus  à celui  du  Shyok,  un  de  ses  affluents,  à 18000  pieds  (5485m)  ; 
peu  de  neige  : 

Ce  fut  la  première  fois  que  presque  tout  le  monde  dans  le  camp  souffrit  de  la 
rareté  de  l’air.  Les  observations  suivantes,  faites  après  une  demi-heure  de  repos 
au  sommet  , peuvent  sembler  intéressantes  : 

Baromètre  à mercure  15,75.  Thermomètre  61°  F.  Eau  bouillant  à 181°  F. 


Pouls. 

Respiration. 

Je  marchai  jusqu’au  sommet 

80 

26 

M.  Forsyth,  qui  était  à cheval 

100 

22 

M.  Shaw  id. 

94 

Mullik  Kutub  Deen,  du  Pendjab,  à cheval 

92 

Un  Hindou  du  Pendjab,  à pied 

95 

Un  Thibétain,  à pied 

78 

Plusieurs  voyageurs  m’ont  dit  qu’eux  et  leurs  compagnons  avaient  plus  souf- 
fert en  traversant  cette  passe  que  sur  d’autres  plus  élevées.  Nous  campâmes  pour 
la  nuit  près  d'un  petit  Jac  d’eau  douce,  à 300  pieds  au-dessous  du  sommet  de  la 
passe.  Les  symptômes  fâcheux  causés  par  la  rareté  de  l’air  ne  disparurent  que  le 
lendemain,  quand  nous  fûmes  à une  altitude  beaucoup  moindre.  Quant  à moi, 
même  à 19600  pieds,  je  n’ai  jamais  ressenti  de  grands  malaises;  tout  se  rédui- 
sait à une  certaine  brièveté  de  la  respiration  à la  suite  de  tout  exercice,  et  des 
réveils  pendant  la  nuit  avec  un  sentiment  de  suffocation  qui  disparaissait  ordi- 
nairement après  quelques  inspirations  profondes.  Mais  chez  plusieurs  des  nôtres 
les  symptômes  étaient  très-graves,  et  même  quelquefois  alarmants.  Ils  consis- 
taient en  intenses  maux  de  tête,  avec  grande  prostration  du  corps  et  de  l’esprit, 
nausées  constantes,  et  une  telle  irritabilité  de  l’estomac  qu’une  simple  cuillerée 
d’eau  n’était  même  pas  supportée.  Une  grande  excitabilité  de  caractère  était  un 
autre  symptôme  marqué  ; dans  quelques  cas  les  lèvres  devenaient  bleues  ; chez 
M.  Shaw,  un  thermomètre  de  clinique  montra  une  température  moindre  de  1 ou 
2 degrés  par  rapport  à celle  des  jours  précédents.  Ayant  sur  moi  une  certaine 
quantité  de  chlorate  de  potasse,  j’en  donnai  une  forte  solution  aux  malades,  plu- 
tôt pour  leur  faire  plaisir  que  dans  l’espérance  de  les  soulager.  Cependant,  il 
sembla  avoir  un  bon  effet,  mais  en  vertu  de  quoi?  je  ne  me  hasarderai  pas  à le 
conjecturer.  Je  ne  doute  pas  que  ces  accidents  des  hautes  montagnes  ne  soient 
simplement  temporaires  et  que  l’habitude  ne  les  fasse  disparaître,  comme  le  mal 
de  mer.  Ils  deviennent  du  reste  beaucoup  plus  intenses  lorsqu’on  fait  quelque 
ascension  étant  déjà  à une  grande  hauteur. 

Le  11  juillet,  nous  campâmes  à 500  pieds  au-dessous  de  la  passe.  Là  les  maux 
de  tête  et  les  nausées  cessèrent  rapidement.  (P.  56  et  suiv.) 

Le  20  juillet,  traversée  de  la  passe  de  Cayley,  passe  nouvellement 
découverte,  facile  d’accès  et  qui  doit  avoir  environ  5900,n;  par  elle 
on  va  du  bassin  de  l’indus  aux  plateaux  d’Yarkand;  il  n’y  avait  pas 
de  neige.  Les  voyageurs  y trouvèrent  plusieurs  papillons.  Ils  ne  par- 
lent d’aucun  trouble  physiologique. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — ASIE  CENTRALE. 


171 


Le  21  juillet,  campement  dans  de  hautes  plaines  désertes,  à 
5000m  d’altitude;  ils  souffrirent  beaucoup  du  vent  : 

Les  voyageurs  sont  fréquemment  tués  par  ce  vent,  qui  est  quelquefois  si  froid 
qu’il  arrête  la  vitalité  en  un  temps  très-court.  Hommes  et  chevaux  souffrirent 
ici  beaucoup  de  la  rareté  de  l’air.  Plusieurs  des  nôtres  se  couchèrent  en  plaine, 
complètement  épuisés,  et  ne  purent  regagner  notre  camp  que  le  lendemain  ; quel- 
ques chevaux  qui  tombèrent  furent  abandonnés  à leur  malheureux  sort.  (P.  77.) 

Ils  restèrent  plusieurs  jours  sur  ces  plateaux  élevés,  et  à ce  pro- 
pos le  narrateur  ajoute  : 

II  y a nombre  d’observations  que  je  regrette  beaucoup  de  n’avoir  pas  faites  pen- 
dant que  nous  nous  trouvions  à ces  hauteurs,  et  parmi  elles  les  changements  pro- 
duits dans  le  pouls,  la  respiration  et  la  température  du  corps.  Mes  compagnons 
de  voyage  m’ont  bien  offert  de  se  soumettre  à l’ennui  de  laisser  prendre  leur  tem- 
pérature et  compter  leur  pouls  à des  moments  déterminés,  mais  je  trouvai  que 
j’avais  déjà  trop  de  fers  au  feu  (too  many  irons  in  the  tire).  Les  quelques 
observations  détachées  que  je  fis  n’eurent  pas  grande  valeur,  mais  elles  prouvent 
clairement  que,  chez  moi  du  moins,  l’altitude  n’a  que  peu  d’effets,  comme  le 
montrent  les  chiffres  suivants.  Je  dois  mentionner  que  de  nombreuses  observa- 
tions faites  sur  mes  compagnons  ont  donné  de  semblables  résultats  : 


Pouls. 

Respir. 

Température 
sous  la  langue. 

Ordinairement 

80 

24 

98,2 

A Sakte  (assis  depuis  plusieurs  heures), 

12900  pieds,  9 juillet 

90 

25 

98,3 

Sommet  de  Chang-La;  18000  pieds  (5485 
mètres),  10  juillet,  après  avoir  marché  • 

jusqu’au  sommet 

80 

26 

Lak  Zung,  plus  de  17500  pieds;  24  juillet.  . 

/n  i7o  \ 

75 

24 

97,8 

La  deuxième  partie  du  livre  est  consacrée  à l’histoire  naturelle. 
L’ornithologie  est  rédigée  par  A.  0.  Hume.  J’y  relève  des  observa- 
tions curieuses  sur  l’habitat  des  oiseaux  aux  grandes  hauteurs  : 

Un  des  points  qui  m’ont  le  plus  vivement  frappé  dans  les  observations  du  doc- 
teur Ilenderson,  c’est  la  facilité  avec  laquelle  paraissent  vivre  les  oiseaux  à de 
grandes  hauteurs.  Notre  ami  le  Coucou  se  balance  sur  les  branches  pendantes 
des  bouleaux,  lançant  son  chant  joyeux  à une  hauteur  de  11000  pieds,  pendant 
que  la  neige  couvre  le  sol.  La  Huppe  semble  chez  elle  à 18000  pieds  (5485  mè- 
tres), le  « Kashmir  Dipper,  ;>  qui  réside  au-dessus  de  13000  pieds,  y cherche  des 
insectes  dans  les  torrents  à demi  glacés;  le  « Guldenstadt’s  Redstart  » sautille 
insoucieux  dans  la  neige  à 17800  pieds;  la  Montifringilla hæmatopygia  semble  vi- 
vre d’une  manière  permanente  entre  14000  et  17000  pieds,  et  le  « Adams’s 
Finch  » est  commun  à 15000  pieds.  L’Alouette  huppée  à long  bec  se  trouve  dans 
des  lieux  de  12000  à 15000  pieds,  tandis  que  le  « Dottrel  » mongolien  et  le 
« Reddy  Shieldrake  » vivent  à 16000  pieds,  et  le  « Gull  » à tête  brune  à 15000. 
(P.  163.) 


m 


HISTORIQUE. 


Je  terminerai  cette  longue  série  de  citations  par  un  extrait  de  l’ou- 
vrage que  Fr.  Drew1  a récemment  consacré  à la  géographie  du  Jum- 
noo  et  du  Cachemire. 

Dans  la  description  des  hautes  vallées  du  Ladâk,  Drew  commence 
par  celle  de  Rupshu,  dont  l’élévation  moyenne  est  de  14  à 15000 
pieds  (4270  à 4570m);  la  limite  des  neiges  perpéluelles  y est  à 
20000  pieds  environ.  Une  pauvre  tribu,  de  cent  tentes,  y vit,  les 
Rupshu  Châmpâs.  L’auteur  a étudié  dans  un  paragraphe  spécial 
l’influence  de  l’airr  aréfié  : 

Aux  grandes  hauteurs,  en  outre  de  l’oppression  et  de  la  brièveté  de  la  respi- 
ration, se  font  sentir  des  maux  de  tète  et  des  nausées,  comme  il  arrive  au  début 
de  la  fièvre  ou  du  mal  de  mer,  mais  sans  modification  dans  la  température  du 
corps.  Chez  quelques-uns,  aux  niveaux  élevés,  surviennent  des  vomissements, 
mais  cela  n’a  pas  de  suites  graves,  et  tout  revient  dans  l’ordre  quand  on  redes- 
cend dans  de  plus  basses  régions,  à la  condition  cependant  que  les  organes 
soient  parfaitement  sains  ; la  rareté  de  l’air  est  très-propre  à découvrir  les  imper- 
fections des  poumons  ou  du  cœur. 

La  hauteur  à laquelle  ces  eflets  sont  observés  varie  singulièrement,  et  il  n’est  pas 
facile  de  trouver  la  cause  de  ces  irrégularités.  L’état  du  corps  y est  pour  beau- 
coup; un  homme  dans  de  bonnes  conditions  peut  se  soutenir  bien  plus  haut 
qu’un  homme  qui  n’est  pas  habitué  à l’exercice.  On  s’en  aperçoit  d’abord  quand 
on  fait  un  peu  plus  d’efforts  qu’à  l’ordinaire,  comme  de  courir  ou  de  grimper 
quelque  colline  ; dans  ces  conditions,  pour  les  gens  qui  vivent  au-dessus  de 
GO00  pieds,  les  effets  se  font  ordinairement  sentir  dès  11000  ou  12000  pieds. 
A 14  et  15000  pieds,  survient  quelquefois  ce  qu’on  peut  appeler  une  attaque  de 
respiration  courte,  même  au  repos.  La  première  fois  que  j’ai  visité  Rupshu, 
cela  m’arrivait  pendant  la  nuit,  quand  j’étais  couché  depuis  une  demi-heure; 
mais,  après  une  semaine,  je  surmontai  cette  susceptibilité,  et  je  n’ai  plus 
éprouvé,  au  repos,  de  difficultés  à respirer,  lors  même  que  je  campais  à 2 ou  3000 
pieds  plus  haut.  De  même,  j’ai  connu  un  natif  du  Panjâb,  peu  habitué,  il  est  vrai, 
au  travail  musculaire,  qui  eut  une  attaque  à 11000  pieds. 

Mais,  quoiqu’on  puisse  ainsi  s’habituer  jusqu’à  un  certain  point  à la  rareté  de 
l’air  et  n’en  rien  ressentir,  le  moindre  effort  suffit  pour  en  manifester  les  effets. 

A 15000  pieds,  la  plus  faible  pente  à monter  essouffle  autant  qu’à  une  altitude 
inférieure,  de  gravir  une  côte  très-raide.  Parler  ou  marcher,  même  à plat, 
amène  bientôt  le  manque  de  respiration.  Quand  quelqu’un  vient  sur  les  grandes 
hauteurs,  — et  ici  chaque  millier  de  pieds  fait  un  grand  changement,  — monter 
une  pente  est  un  labeur  pénible.  J’ai  traversé  une  passe  de  19500  pieds  qui, 
plus  bas,  n’aurait  présenté  aucune  difficulté;  et  cependant,  à chaque  50  ou  60 
pas,  j’étais  absolument  obligé  de  m’arrêter,  pantelant,  pour  reprendre  haleine  ; 
mais  cependant  je  n'ai  là  ressenti  ni  maux  de  tête  ni  autre  effet  fâcheux;  l’habi- 
tude de  la  montagne  depuis  un  mois  ou  deux  m’a  permis  de  m’endormir  dans 
ces  circonstances.  (P.  291.) 


’ The  Jummoo  and  Kashmir  territoires  : a geographical  accounl.  — London,  1875. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — AFRIQUE. 


173 


§9.  — Afrique. 

Atlas.  — Plusieurs  sommets  de  l’Atlas  marocain,  hauts  de  11  à 
12000  pieds,  ont  été  visités  par  le  docteur  Hookes1,  en  1871;  il 
ne  parle  nullement  de  malaises. 

Monts  Cameron.  — La  première  ascension  fut  faite  le  22  décem- 
bre 1861 , par  Burton.  Dans  le  récit  qu’il  en  publia  immédiatement 2, 
il  signale  quelques  troubles  singuliers  qui  doivent  très-probable- 
ment être  expliqués  par  l’influence  de  l’altitude  : 

En  montant  au  volcan,  j’étais  si  fatigué  que  je  ne  pouvais  plus  ouvrir  les  yeux; 
j’éprouvai  un  malaise  qui  me  semblail  dû  à la  fièvre.  Je  fus  obligé  de  prendre 
du  repos,  je  dormis  une  heure,  et  à quatre  heures  je  me  trouvai  en  état  de  faire 
cette  ascension.  (P.  79.) 

La  publication  générale3  qu’il  fit  plus  tard  de  ses  voyages  aux 
monts  Cameron  et  à Fernando-Po,  n’est  pas  plus  explicite  : 

M.  Saker  se  plaignit  alors  de  complète  surdité.  La  chaleur  brûlante  nous  enle- 
vait le  sentiment.  Peut-être  était-elle  aidée  par  la  raréfaction  de  l’air.  Nous  n’é- 
tions cependant  pas  étonnés  de  si  peu  souffrir,  dans  le  cours  de  notre  ascen- 
sion, des  inconvénients  dont  se  plaignent  tant  de  voyageurs  au  mont  Blanc  et 
dans  les  montagnes  Rocheuses.  (T.  II,  p.  121.) 

Il  faut  noter  qu’ils  n’étaient  alors  qu’à  7000  pieds;  mais  le  len- 
demain ils  terminèrent  l’ascension  du  grand  Pic  : 

Comme  nous  approchions  du  sommet,  les  difficultés  de  l’ascension  augmentè- 
rent. Kharah  se  laissa  tomber  à terre,  presque  évanoui  sous  les  rayons  d’un 
soleil  ardent,  et  fut  forcé  de  rester  là.  A 1 heure  30,  j’arrivai  sur  le  sommet  du 
pic.  (P.  155.) 

Le  13  janvier  1862,  nouvelle  ascension  par  MM.  Calvo,  Saker  et 
Mann  (p.  162-181).  Aucun  accident  signalé. 

Mais,  dans  la  relation  qu’en  publia  Mann4,  il  déclare  « avoir  été 
malade  sur  le  pic  Albert  et  obligé  de  redescendre  (p.  23).  » 

Enfin,  le  29  janvier  1862,  ascension  de  Burton.  Il  campe  à 10187 
pieds,  et  arrive  au  cône  de  cendres  du  mont  Albert  : 

1 Letters  to  [S.  Roderick  Murchison  giving  an  account  of  his  Asccnt  of  the  Atlas.  — 
Proccd.  of  (lie  roy.  gcogr.  Society,  vol.  XV,  p.  212  ; 1871. 

2 Relation  d'une  ascension  aux  monts  Cameron  ( Afrique  occidentale).  — Traduit, 
in  N.  Ann.  des  voyages;  t.  III,  p.  71-107  ; 1863. 

3 Abeokula.  — London,  2 vol.,  1863. 

4 Forschunqen  an  der  Westküste  von  Africa.  — Petermann's  Mittheilunqcn,  t.  XI: 
1865;  p.  22-26. 


174 


HISTORIQUE. 


Je  remarquai  de  nouveau  l’absence  complète  de  toute  souffrance  due  à la  subtilité 
de  l’air.  La  hauteur  est  considérable,  mais  insuffisante,  paraît-il,  pour  occasionner 
les  hémorrhagies  des  oreilles  et  des  lèvres  éprouvées  par  de  Humboldt  dans 
les  Andes,  et  les  souffrances  de  M.  Gay-Lussac  dans  son  ballon.  (Abeokuta,  t.  Il, 
p.  198.) 

Kilimandjaro.  — Le  11  mai  1844,  Rebmann1  voit  le  Kilimandjâro 
couvert  de  neige.  La  montagne  est  « inaccessible,  disent  les  natu- 
rels, à cause  des  mauvais  esprits  qui  avaient  tué  un  grand  nombre 
de  ceux  qui  avaient  essayé  de  la  gravir.  » (P.  276). 

Aussi  ne  peut-il  tenter  aucune  ascension. 

En  1861,  le  baron  de  Decken  atteignit  une  certaine  hauteur  sur 
les  lianes  de  l’immense  montagne,  dont  Thornton2,  son  compa- 
gnon, estima  l’élévation  à 22814  pieds  (6952m). 

Le  27  novembre  1862,  il  put  monter  assez  haut  pour  éprouver 
quelques  malaises.  Le  docteur  Kersten3,  qui  l’accompagnait,  rap- 
porte qu’ils  s’arrêtèrent  à 4223“,  à cause  du  froid,  avant  d’atteindre 
la  limite  des  neiges  : 

La  montée,  dit-il,  ne  laissait  pas  que  d’être  assez  pénible,  et  l’on  était  sou- 
vent obligé  de  s’arrêter  tout  court.  Anainouri,  l’un  des  individus  que  nous  avions 
loués,  se  trouva  aussi  indisposé.  (P.  36.) 

Le  baron  de  Decken3  s’exprime  lui-même  plus  clairement  sur 
l’action  de  l’altitude  : 

Parvenu  vers  11  heures  et  un  quart  à une  hauteur  de  4225  mètres,  je  m’ar- 
rêtai, car  il  y avait  nécessité,  mes  gens  n’ayant  pu  aller  plus  loin  sans  craindre 
des  douleurs  de  poitrine.  Le  docteur  Kersten  éprouvait  également  les  influences 
d’un  air  trop  vif.  (P.  49.) 

Enfin,  le  50  août  1871,  New4  est  arrivé  sur  le  Kilimandjaro  jus- 
qu’à la  limite  de  la  neige  perpétuelle  : 

Mes  hommes  m’abandonnèrent,  se  plaignant  du  froid.  Je  continuai,  seul  avec 
Tofiki.  Cela  alla  bien  pendant  une  heure  et  demie;  mais  alors  Tofiki  s’affaissa,  à 
peine  capable  de  parler.  Il  me  pria  de  continuer,  me  disant  qu’il  m’attendrait, 
mais  qu’il  mourrait  si  je  ne  revenais  pas.  J’arrivai  à la  glace,  en  brisai  quelques 
morceaux  et  descendis  ensuite. 

Oui,  de  la  neige  en  Afrique,  s’écrie-l-il  avec  enthousiasme!  Qu’a 

1 Journal  d'une  excursion  au  Djagg a,  le  pags  des  neiges  de  l'Afrique  orientale.  — N. 
Ann.  des  Voij.;  t.  CXXI1,  p.  257-307,  1849. 

2 Notes  on  a journey  to  Kilimandjaro,  made  in  company  of  the  Baron  von  der  Dec- 
ken. — The  Journal  of  the  R.  géog.  Soc.  ; t.  XXXV,  p.  15-21  ; 1865. 

3 Ascension  du  Kilimandjaro,  dans  l'intérieur  de  l'Afrique  orientale.  — N.  Ann.  des 
Voyages  ; 1864, 1. 1,  p.  28. 

4 Alpine  Journal;  t.  VI,  p. 51-52.  — London,  1874,  cahier  d’avril  1872. 


LES  VOYAGES  EN  MONTAGNES.  — VOLCANS  DU  PACIFIQUE.  175 

dû  penser  de  ce  témoignage  sans  réplique  le  savant  rédacteur  des 
Nouvelles  annales  des  Voyages  qui,  en  1849,  niait  que  Rebmann 
ait  pu  voir  de  la  neige  sur  le  Kilimandjaro? 

g 10.  — Volcans  du  Pacifique. 


Bornéo.  — Le  sommet  le  plus  élevé  de  cette  vaste  île  paraît  être 
le  Kini-Ballu,  dont  la  hauteur  (41 75m)  est  à peu  près  celle  de  la 
Jungfrau. 

Une  première  tentative  d’ascension  fut  faite  le  11  mars  1851  par 
Low1.  Il  n’est  pas  arrivé  à plus  de  2850m,  et  considère  que  le  som- 
met, qu’il  estime  à 13  ou  14000  pieds,  est  « inaccessible  pour  qui  n’a 
pas  des  ailes  ». 

Et  cependant,  en  avril  1858,  il  atteignit  le  sommet,  en  compagnie 
de  M.  Spencer  Saint-John.  Celui-ci  ressentit  très-légèrement, 
comme  le  montre  son  récit,  les  effets  de  l’air  raréfié  : 

Pendant  l’ascension,  dit  Spencer2,  je  souffris  légèrement  de  la  brièveté  de  la 
respiration  et  éprouvai  quelque  paresse  à me  mouvoir.  Mais,  à peine  arrivé  au 
sommet,  ces  symptômes  m’abandonnèrent,  et  il  me  sembla  que  j’étais  plus  léger, 
que  je  pouvais  flotter  dans  les  airs. 

Le  thermomètre,  au  sommet,  marquait  62°  F.  (T.  I,  p.  271.) 

En  juin  1858,  seconde  ascension  dù  même  voyageur.  Cette  fois, 
il  ne  dit  pas  un  mot  des  symptômes  physiologiques. 

Dans  une  autre  partie  de  l’île,  un  autre  explorateur  anglais, 
Brooke3,  montait  en  mars  1858  sur  le  Tabalau  Indu.  Il  est  difficile 
de  ne  pas  faire  une  part  à l'altitude  dans  les  causes  de  cet  ikak 
dont  parlent  les  naturels  et  qu’éprouva  un  de  ses  compagnons  : 

U fallut  grimper  durement;  la  chaleur  était  excessive;  chaque  pas  semblait  le 
dernier  qu’on  pût  faire....  Nous  atteignîmes  le  sommet  et  nous  y reposâmes  avec 
satisfaction.  Le  pauvre  X...  souffrait  beaucoup  et  se  coucha  sur  le  dos,  tandis  que 
quelques-uns  de  ses  serviteurs  allèrent  à la  recherche  de  « l’ami  du  voyageur  », 
une  racine  très-abondante  dont  on  tire  une  eau  fraîche  avec  un  léger  goût  de  bois. 
C’est  une  grande  erreur  de  boire,  car  on  en  a sans  cesse  envie,  et  on  est  pris  de 
ce  que  les  natifs  appellent  « ikak  »,  un  resserrement  désagréable  dans  la  poitrine, 
avec  difficulté  de  respirer.  (P.  305.) 

* Notes  of  an  ascenl  of  t/ie  mountain  Kina-Balow.  ( The  Journal  of  the  indian  Archi- 
pelago.  Vol.  VI,  p.  1-17). — Singapore,  1852. 

2 Life  in  the  forests  of  the  far  East,  2 vol.  — London,  1862. 

3 Ten  ijears  in  Sarawak.  — London,  1866. 


HISTORIQUE. 


176 

Malacca.  — Dans  son  ascension  au  mont  Ophir,  Braddel1  éprouva 
quelques  troubles  : 

J’eus,  dit-il,  en  arrivant  près  du  sommet,  un  violent  mal  de  tête  et  de  forts 
battements  dans  les  tempes;  je  me  lavai  le  front  avec  de  l’eau-de-vie,  ce  qui  me 
remit....  Mais  j’éprouvais  une  fatigue  particulière  et  m’étendis  sur  le  sol.  (P.  87.) 

Jai>on.  — La  première  ascension  du  Fusi-yama  dont  j’ai  trouvé 
le  récit  fut  exécutée  en  1860  par  Rutherford  Alcock  2.  11  estime 
à 141 7 7 pieds  (4520™)  la  hauteur  de  ce  volcan  éteint,  depuis  1707. 
Il  lui  fallut  huit  heures  pour  arriver  au  sommet;  et  ce  ne  fut  pas 
sans  ressentir  l’influence  de  la  raréfaction  de  Fair  : 

La  dernière  moitié  de  l’ascension  fut  de  beaucoup  la  plus  rude....  L’air  se 
raréfiait  beaucoup  et  affectait  évidemment  la  respiration....  Il  nous  fallut  plus 
d’une  heure  d’efforts,  en  nous  arrêtant  fréquemment  pour  respirer,  et  reposer 
nos  jambes  et  nos  dos  qui  nous  faisaient  mal;  nous  étions,  en  arrivant, tout  à fait 
au  bout  de  nos  forces.  La  température  était  54°  F.  (P.  344.) 

Gubbins3,  qui  monta  sur  le  volcan  le  10  août  1872,  ne  se  plaint 
que  de  la  fatigue.  Mais  Jeffreys  \ dont  l’ascension  est  du  4 mai 
1874,  indique  nettement  de  véritables  accidents  de  décompression, 
atteignant  même  les  indigènes  : 

Comme  nous  grimpions  avec  peine,  une  forte  envie  de  dormir  nous  saisit,  et  les 
coolies  n’y  pouvaient  résister  lorsque  nous  nous  arrêtions.  L’un  d’eux  fut  même 
hors  d’état  de  continuer  et  il  fallut  le  laisser  en  route....  Nous  terminâmes  à 
grand’peine  l'ascension  et  arrivâmes  au  sommet  à midi  précis.  (P.  172.) 

Kamschatka.  — La  seule  ascension  que  je  connaisse  du  plus  haut 
volcan  du  Kamschatka,  le  Klioutchef  (4805m),  a été  faite  par  Er- 
man5,  le  10  septembre  1829.  Il  ne  parle  d’aucun  trouble  physio- 
logique. 

Hawaï.  — Le  15  juin  1825,  des  Européens  montaient  pour  la 
première  fois  sur  le  Mauna  Keah,  la  « Montagne  Blanche  n 
(41 95m)  ; c’étaient  un  missionnaire  et  quelques  officiers  du  vaisseau 


1 Notes  of  a Trip  totke  interior  from  Malacca. — The  Journal  of  theindian  Archipelago, 
t.  VI,  p.  73-104.  — Singapore,  1853. 

2 Narrative  of  a journey  in  the  interior  of  Jap  an , in  1860.  — The  Journ.  of  the  R. 
Geograph.  Soc.,  t.  XXXI,  p.  321-356,  1861. 

5 Ascent  of  Fuji-Yama.  Proceedings  of  the  R.  Geogr.  Soc.,  vol.  XVII,  1873;  p.  78-79. 
4 Ascent  of  Fuji-Yama  in  theSnow.  Proceedings  ofthe  Royal  Geogr , Soc.,  mars  1875; 
p.  169-173. 

3 Reise  um  die  Erde,  in  die  Jahrcn  1828,  29  und  30.  — Historique , 3e  vol.,  p.  363  et  suiv. 


LES  JOYAGES  EN  MONTAGNES.  — VOLCANS  DU  PACIFIQUE.  177 

anglais  la  Blonde.  Le  commandant  Byron1  dit,  en  racontant  cette 
expédition  : 

Le  lieutenant  et  le  trésorier  furent  tellement  accablés  par  le  sommeil,  qu’ils  se 
couchèrent  sur  le  roc  nu,  pour  se  reposer. 

Lord  Byron  y monta  à son  tour  le  27  juin  ; mais  il  ne  parie 
d’aucun  malaise. 

Le  12  janvier  1834,  ascension  du  Mauna  Kea  par  David  Douglas2, 
et  le  29  janvier,  du  Mauna  Loa,  « la  Grande  Montagne  » (4250ül)  : 
aucune  indication  de  troubles  physiologiques.  Même  silence  de  la 
port  de  Lœvenstern3,  qui  monta,  en  janvier  1859,  sur  le  Mauna  Loa. 
Du  reste,  son  récit  ne  contient  que  quelques  lignes. 

La  grande  expédition  que  le  gouvernement  des  États-Unis  envoya 
autour  du  monde,  sous  le  commandement  de  Wilkes4,  fit  un  long 
séjour  à Ilawoï.  Du  21  décembre  1840  au  13  janvier  1841,  Wilkes 
et  plusieurs  de  ses  officiers  campèrent  sur  les  flancs  du  Mauna  Loa  ; 
à plusieurs  reprises,  ils  en  atteignirent  le  point  culminant.  Ce  ne 
fut  pas  impunément  qu’ils  vécurent  ainsi  pendant  trois  semaines  à 
de  telles  hauteurs;  déjà,  en  montant,  ils  souffrirent  sérieusement  : 

Le  thermomètre  s’était  abaissé  à 18°,  et  beaucoup  de  nos  hommes  furent  for- 
tement affectés  du  mal  des  montagnes,  avec  maux  de  tête  et  fièvre,  jusqu’à  devenir 
incapables  de  rien  faire.  Je  fus  moi-même  très-souffrant  par  cette  cause,  ayant  de 
forls  battements  dans  les  tempes,  avec  la  respiration  courte,  douloureuse  et  an- 
goissée. (P.  149.) 

Officiers,  matelots  et  natifs  arrivèrent  avec  mille  difficultés  au 
pied  du  cralère  terminal,  à 15440  pieds  (4095m).  Le  lendemain 
matin,  leur  malaise  se  dissipa  un  peu.  Le  campement  fut  main- 
tenu pendant  trois  semaines  à ces  grandes  hauteurs,  et  le  récit 
détaillé  des  opérations  géodésiques  et  physiques  auxquelles  ils  se 
livrèrent  montre  qu’ils  souffrirent  fréquemment  du  mal  des  mon- 
tagnes : 

Tout  le  monde  l’éprouva  plus  ou  moins.  Le  Dr  Judd  remarqua  que  chez  les 
natifs  les  symptômes  étaient  ordinairement  des  coliques,  des  vomissements,  de  la 

1 Voyage  of  H.  M.  S.  Blonde  to  the  Sandwich  Islands,  in  the  years  1824-1825.  

London, 1826. 

Extract  from  a private  Letter  addressed  to  Captain  Sabine.  — Journal  of  the  B. 
Geoyraph.  Soc.,  t.  IV,  p.  353-344. — London,  1834. 

Aperçu  d'un  voyage  autour  du  monde.  Bull,  de  la  Soc.  de  Géogr.,  2e  série,  t.  XVI, 
p.  166-177,  1841. 

Narrative  of  the  United  States  exploring  Expédition  during  the  years  1838,  39,40, 
41,  42,  t.  IV.  — Philadelphie,  1844. 


12 


178 


HISTORIQUE. 


diarrhée;  un  ou  deux  furent  affectés  de  crachements  de  sang,  quelques-uns  eurent 
de  la  fièvre  et  du  frisson.  Nous  eûmes  presque  tous  une  teinte  jaune  de  la  peau, 
des  maux  de  tête  et  des  vertiges,  quelques-uns  de  l’asthme  et  du  rhumatisme.... 

Le  Dr  Judd  trouva  également  qu’on  avait  grand’faim,  mais  sans  être  capable  de 
manger.  Pendant  le  jour,  le  moindre  exercice  augmentait  chez  nous  tous  la  ra- 
pidité du  pouls  de  30  à 40  pulsations.  (P.  177.) 

Depuis  ce  temps,  je  n’ai  trouvé  dans  les  récits  des  voyageurs1  qui 
sont  montés  sur  les  volcan  d’Hawaï  ou  de  Mauï  aucune  indication 
de  malaises  physiologiques. 


1 Sawkins,  On  the  Yolcanic  Mountain  of  Havaii.  Journ.  of  the  Roy.  Geogr.  Soc., 
t.  XXV,  p.  191-194;  1855. — Robert  Ilaskell,  On  a Visitto  the  Recent  Eruption  of  Mann  a 
Loa,  Hawaii.  The  American  journal  of  science  and  arts.  2e  sér.,  t.  XXVIII;  1859, 
p.  66-71.  — Wilmot,  Our  journal  in  the  Pacific.  London,  1873. 


CHAPITRE  II 


ASCENSIONS  EN  BALLON. 


A la  fin  du  dix-huitième  siècle,  l’admirable  découverte  des  frères 
Montgolfier  introduisit  dans  la  question  de  la  décompression  un 
élément  nouveau.  Ici,  le  voyageur  ne  s’élève  plus,  avec  grands  ef- 
forts, et  non  sans  une  certaine  lenteur,  jusqu’aux  régions  où  l’air 
raréfié  peut  agir  sur  son  organisme  ; il  y est  emporté  sans  fatigue 
<et  avec  une  grande  rapidité. 

Les  montgolfières,  ou  ballons  à air  chaud,  ne  pouvant  monter 
régulièrement  qu’à  une  faible  hauteur,  nous  n’avons  point  à nous 
en  occuper.  Nous  rappellerons  seulement  pour  mémoire  que  les 
premiers  aéronautes,  Pilâtre  du  Rozier  et  le  marquis  d’Arlandes, 
quittèrent  le  sol  le  21  novembre  1783,  et  traversèrent  Paris  dans 
une  montgolfière. 

Mais  l’histoire  des  ballons  à gaz  est  riche  en  faits  intéressants  pour 
notre  sujet. 

Le  1er  décembre  de  cette  même  année  1783,  le  physicien  Charles, 
qui  venait  d’inventer  le  ballon  à hydrogène,  faisait  l’épreuve  de 
sa  machine  dans  des  conditions  bien  plus  émouvantes  et  périlleu- 
ses encore  que  les  deux  intrépides  aéronautes  dont  je  viens  de 
citer  les  noms.  Cette  ascension,  comme  l’on  sait,  s’opéra  en  deux 
temps  : Charles,  parti  des  Tuileries  à une  heure  trois  quarts,  atter- 
rit à trois  heures  et  demie  dans  la  plaine  de  Nesles  ; il  laissa  des- 
cendre de  la  nacelle  son  compagnon  Robert  ; puis,  délesté,  son 
ballon  s’élança  de  nouveau  dans  les  airs  avec  une  rapidité  extra- 


180 


HISTORIQUE. 


ordinaire.  Il  dépassa  ainsi,  en  moins  de  dix  minutes,  quinze  cenls 
toises;  le  baromètre  s’arrêta  à dix-huit  pouces  dix  lignes. 

Le  récit1  de  l’habile  physicien,  plein  d’un  enthousiasme  bien  jus- 
tifié, nous  le  montre  « interrogeant  ses  sensations,  s'écoutant  vivre , 
et  n’éprouvant  rien  de  désagréable  dans  le  premier  moment  ».  Mais 
bientôt  : 

Au  milieu  du  ravissement  inexprimable  de  cette  extase  contemplative,  je  fus 
rappelé  à moi-même  par  une  douleur  très-extraordinaire  que  je  ressentis  dans 
l’intérieur  de  l’oreille  droite  et  dans  les  glandes  maxillaires  ; je  l’attribuai  à la 
dilatation  de  l’air  contenu  dans  le  tissu  cellulaire  de  l’organisme,  autant  qu’au 
froid  de  l’air  environnant....  Je  me  couvris  d’un  bonnet  de  laine  qui  était  à mes 
pieds;  mais  la  douleur  ne  se  dissipa  qu’à  mesure  que  j’arrivai  à terre. 

Cette  merveilleuse  invention  mit  le  monde  entier  en  émoi  ; on  se 
berça,  sur  futilité  pratique  des  ballons,  des  plus  ardentes  illusions. 
Parmi  les  idées  étranges  que  tirent  naître  ces  expériences  par  les- 
quelles l’homme  prenait  pour  la  première  fois  possession  des  airs, 
l’une  des  plus  curieuses  est  celle  qui  inspira,  moins  d’un  an  après 
la  première  ascension,  une  thèse  soutenue  en  1784  devant  la  Fa- 
culté de  médecine  de  Montpellier.  Louis  Leullier-Duché 2,  sort 
auteur,  eut  la  pensée  d’appliquer  au  traitement  des  maladies  l’élé- 
vation en  ballon. 

« L’effet,  dit-il,  sera  triple  : mouvement,  froid,  changement  de 
l’air.  » 

Il  insiste  surtout  sur  ce  dernier  point  : 

La  partie  essentielle  de  l’air,  dit-il,  est  pour  l’homme  l’air  déplilogistiqué  (oxy- 
gène). Or,  dans  quelle  proportion  est-il  uni  avec  le  phlogistique  aux  diverses  ré- 
gions de  l’atmosphère?  Les  chimistes  ne  l’ont  pas  déterminé.  Mais  comme  le 
phlogistique  est  plus  léger,  il  doit  y en  avoir  davantage  à une  très-grande  hau- 
teur.... Le  voisinage  de  la  terre  est  la  propre  région  de  l’air  déphlogistiqué.  Mais 

on  ne  peut  douter  qu'il  n’y  soit  vicié  par  diverses  émanations  de  corps  volatils 

Ainsi  donc,  dans  cette  partie  de  l'atmosphère  qui  est  la  région  de  l’air  déphlo- 
gistiqué, celui-ci  est  d’autant,  plus  pur  qu'on  s’éloigne  davantage  de  la  surface  de 
la  terre.  De  plus,  comme  il  y fait  plus  froid,  l’air  déphlogistiqué  y est  accumulé 
et  condensé. 

Or,  Leullier-Duché  attribue  les  vertus  curatives  les  plus  énergi- 


1 Manuscrit  conservé  à la  Bibliothèque  de  l’Institut,  sous  le  titre  de  Second  Mémoire 
de  M Charles  sur  V Aérostatique,  1784.  Voir  aussi  Y Art  de  voyager  dans  les  airs  ou 
les  ballons,  contenant  les  moyens  de  faire  les  globes  aérostatiques,  suivant  la  méthode 
de  MM.  de  Montgoltier,  et  suivant  les  procédés  de  MM.  Charles  et  Robert. — Paris,  1784, 
sans  nom  d’auteur  (par  Piroux,  selon  le  Dictionnaire  des  Anonymes  de  Barbier). 

2 De  aerostatum  usu  medicinœ  applicando.  — Thèses  de  Montpellier,  1784. 


ASCENSIONS  EN  BALLON. 


181 


ques  à l’oxygène,  et  le  considère  comme  agissant  même  sur  la 
génération  et  la  mort  : 

Les  naissances  à Montpellier  se  rapportent  aux  mois  de  printemps  et  les  morts 
aux  mois  d’automne  : pendant  le  printemps,  l’atmosphère  est  plus  chargée  d’air 
déphlogistiqué  que  fournit  la  végétation  des  plantes,  et  pendant  l’automne  leur 
putréfaction  dégage  une  plus  grande  quantité  d’air  inflammable  ou  phlogistique 
(c’est  l’azote  qu’il  désigne  sous  cetle  double  dénomination). 

Leullier-Duché  propose  donc  d’employer  les  aérostats  contre  les 
fièvres  intermittentes,  pestilentielles,  nerveuses,  contre  le  rachi- 
tisme, le  scorbut,  l’hystérie,  la  chlorose,  les  mélancolies,  les  plaies 
indolentes,  etc. 

Nous  avons  vu  que  l’inventeur  du  ballon  à hydrogène,  dans  le 
premier,  dans  l’unique  voyage  qu’il  fit,  éprouva  quelques  sensations 
pénibles  pour  s’être  élevé  rapidement  à une  hauteur  d’environ 
5000m.  Il  s’agissait  simplement  d’une  dilatation  des  gaz  contenus 
dans  l’oreille  moyenne,  gaz  qui,  vu  la  rapidité  de  l’ascension, 
n’avaient  pas  eu  le  temps  de  s’échapper  par  l’orifice  de  la  trompe 
d’Eustache.  De  plus  sérieux  accidents  ne  devaient  pas  tarder  à être 
constatés. 

Le  12  brumaire  an  VII  (Voir  le  Moniteur , p.  175),  Testu-Brissy 
s’éleva,  monté  sur  un  cheval,  à une  assez  grande  hauteur. 

Dans  un  petit  livre1  « dédié  à l’enfance  »,  une  curieuse  gravure 
le  représente  à cheval  sur  une  plate-forme  que  soutient  un  ballon 
cylindrique.  Après  quelques  détails  sur  l’ascension  de  l’aventureux 
aéronaute,  l’auteur,  qui  dit  l’avoir  connu,  déclare  que  : 

Le  but  du  savant  fut  atteint  ; il  acquit  la  certitude  qu’à  un  degré  d’élévation 
dont  il  n’était  nullement  incommodé,  le  sang  des  grands  quadrupèdes,  apparem- 
ment moins  fluide  que  celui  de  l’homme,  s’extravasait  dans  les  artères  et  coulait  par 
le  nez  et  par  les  oreilles.  Content  d’avoir  pris  la  nature  sur  le  fait,  il  redescendit 
de  la  hauteur  considérable  à laquelle  il  s’était  élevé,  et  rendit  compte  de  son  expé- 
dition à l’Institut,  avec  une  modeste  simplicité.  (P.  95). 

Il  est  difficille  d’attacher  beaucoup  d’importance  à ce  récit. 

Deux  années  après  Charles,  un  aéronaute  qui,  après  avoir  joui 
d’une  popularité  prodigieuse,  devait  mourir  pauvre  et  obscur,  Blan- 
chard, dont,  il  est  vrai,  la  parole  ne  peut  avoir  une  grande  autorité, 
prétendit  s’être  élevé,  le  20  novembre  1785,  de  Gand,  jusqu’à  la 
hauteur  de  52000  pieds  (10400ra): 

1 Mme  B*** , née  de  V*** , le  Cirque  olympique , etc. , suivi  du  Cheval  aéronaute  de 
M.  Testu-Brissy.  — Paris,  1817. 


482 


HISTORIQUE. 


Je  m’élevai,  dit-il1,  avec  une  rupture  d’équilibre  de  35  livres En  moins  de 

deux  minutes,  je  me  vis  éloigné  de  la  terre  de  plus  4500  pieds La  dilatation  de 

l’air  inflammable  fut  telle que  je  montai  à une  hauteur  incroyable,  qui,  selon 

le  rapport  de  mon  instrument,  était  à 52000  pieds  de  terre 

Je  voguais  dans  l’immensité  des  airs  à la  merci  des  vents,  éprouvant  un  froid 
que  jamais  mortel  n’a  ressenti  dans  les  climats  les  plus  rigoureux.  La  nature 
languissait,  j’éprouvais  un  engourdissement,  prélude  d’un  sommeil  dangereux, 
lorsque,  me  levant  malgré  le  peu  de  force  qui  me  restait,  je  m’armai  de  courage, 

j’entrai  dans  mon  ballon  et  à l’aide  du  manche  de  mon  drapeau je  mis  le  pôle 

inférieur  en  pièces.  (P.  7.) 

» 

Le  résultat  de  cette  manœuvre  fut  une  chute  rapide,  qui  se  ter- 
mina heureusement,  après  une  série  d’incidents  curieux. 

Blanchard  annonça  brièvement  son  voyage  dans  une  lettre2  adres- 
sée au  Journal  de  Paris.  Il  est  évident  qu’il  était  monté  très-haut; 
mais  son  observation  ou  son  calcul  étaient  certainement  erronés. 

L’astronome  de  Lalande,  qui  se  piquait  aussi  d’aérostation,  se 
montra  fort  peu  crédule.  Il  écrivit5  aux  éditeurs  de  ce  singulier 
recueil  pour  réfuter  les  assertions  du  vaniteux  aôronaute  : 


Paris,  7 décembre  1785. 

Messieurs, 

Il  s’est  glissé  probablement  une  faute  dans  l’article  que  vous  avez  rapporté  le 
5 de  ce  mois  au  sujet  du  voyage  aérien  de  M.  Blanchard,  fait  le  24  novembre  du 
côté  de  Gand;  on  y lit  qu’il  s’est  élevé  à 52000  pieds,  ce  qui  ferait  5335  toises; 
la  plus  grande  hauteur  où  l’on  ait  été  jusqu’ici  est  de  2434  toises,  et  la  grande 
dilatation  de  l’air  fait  qu’il  serait  probablement  impossible  de  s’élever  ni  de 

respirer  à une  hauteur  qui  serait  plus  que  double A.  2430  toises  de  hauteur 

le  baromètre  n’est  plus  qu’à  16  pouces.  M.  de  la  Condamine  l’a  observé  à 45  pouces 
4 4 lignes,  mais  aucun  homme  ne  l’a  vu  plus  bas.  Si  l’on  pouvait  s’élever  à 5444  toises, 
le  baromètre  ne  serait  plus  qu’à  8 pouces,  et  il  est  vraisemblable  que  l’hémorrhagie 
et  la  mort  en  seraient  bientôt  l’effet. 

De  Lalande. 

Suit  une  table  donnée  par  de  Lalande,  indiquant  les  rapports 
entre  la  pression  barométrique  et  la  hauteur  : 

27  pouces  458  toises  12  pouces  3679  toises 


* 

: 

41 

4057 

46 

2430 

10 

4472 

15 

2710 

9 

4929 

44 

3040 

8 

5441 

43 

3332 

7 

6024 

1 Relation  du  seizième  voyage  aérien  de  M.  Blanchard,  dédiée  à S.  A S.  Mgr  le  prince 
de  Ligne  ; br.  in-4°  de  47  p.  — Gand,  4786. 

2 Journal  de  Paris,  5 décembre  4785. 

3 Ibid.,  20  décembre  4785;  p.  4466. 


ASCENSIONS  EN  BALLON. 


183 


Pour  le  dire  en  passant,  Lalande  reproduit  cette  table  dans  Y An- 
nuaire du  bureau  de  longitudes  pour  l’année  1805,  puis  il  ajoute  : 

Ces  derniers  nombres  seront  probablement  éternellement  inutiles;  l’espèce 
humaine  ne  verra  jamais  le  baromètre  à 11  pouces,  à moins  que,  par  des  moyens 
artificiels,  on  ne  parvienne  à donner  de  l’air  aux  poumons  et  à diminuer  l’effort 
de  l’air  intérieur.  (P.  94.) 

Dans  Y Annuaire  de  1806,1a  réflexion  sur  l’impossibilité  d’attein- 
dre 11  pouces  est  supprimée.  Il  est  dit  seulement  : 

Les  derniers  nombres  seront  probablement  inutiles  : M.  Gay-Lussac  n’a  pu  aller 
qu’à  3584  toises.  (P.  99.) 

Rectification  prudente,  car  11  pouces  correspondent  d’après  La- 
lande à 4057  toises  (7907  métrés),  hauteur  de  beaucoup  dépassée 
depuis,  comme  on  le  verra,  par  Glaisher  et  Coxwell  et  par  Gaston 
Tissandier. 

Mais  revenons  à Blanchard  ; il  ne  se  tint  pas  pour  battu,  et  ré- 
pondit assez  fièrement  dans  le  Journal  de  Paris 1 : 

Messieurs, 

Si  je  n’ai  point  répondu  plus  tôt  à la  lettre  que  vous  a adressée  M.  de  Lalande 
sur  une  prétendue  erreur  au  sujet  de  mon  voyage  à Gand,  dans  lequel  je  dis 
m’être  élevé  à la  hauteur  de  32000  pieds,  ce  n’est  point  faute  de  moyens;  je  ne 
le  ferai  pas  même  aujourd’hui,  me  réservant  de  discuter  son  opinion  d’une  manière 
plus  étendue  dans  la  collection  des  journaux  de  mes  voyages  que  je  me  propose 
de  donner  au  public.  La  nature  de  votre  journal,  Messieurs,  ne  me  permettrait 
point  une  aussi  longue  discussion. 

M.  de  la  Condamine,  dit  mon  illustre  antagoniste,  est  le  seul  homme  qui  ait 
observé  le  baromètre  au  degré  le  plus  bas,  et  il  l’a  observé,  ajoute-t-il,  à 15  pouces 
11  lignes.  Il  ne  servirait  de  rien  de  lui  rappeler  que  j’ai  dit  l’avoir  vu  à 14  pouces 
dans  mon  voyage  de  Lille  avec  le  chevalier  de  l’Epinard,  et  plus  bas  encore  en 
Angleterre,  parce  que,  des  paroles  n’étant  pas  des  preuves,  il  conserverait  à cet  égard 
la  même  incrédulité.  Connaissant  toute  la  supériorité  de  M.  de  Lalande,  je  n’ai 
garde  de  lutter  avec  lui  qu’avec  des  armes  victorieuses  ; et  comme  des  faits  dé- 
mentent quelquefois  les  calculs  les  plus  sûrs,  je  me  borne  dans  ce  moment-ci  à 
l’inviter,  ainsi  que  je  viens  de  le  faire  par  une  lettre  particulière,  à me  faire 
l’honneur  de  m’accompagner  dans  ma  prochaine  ascension  ; il  sera  pour  lors  con- 
vaincu que  les  raisonnements  les  mieux  fondés  ne  sont  rien  contre  la  certitude 
d’un  fait. 

J’ai  l’honneur  d’être,  etc. 

Blanchard. 

Citoyen  de  Calais,  pensionnaire  du  roi. 

On  sait  que  de  Lalande  répondit  au  défi. 

1 5 janvier  1786,  p.  18. 


184 


HISTORIQUE. 


Il  faut  lire  dans  le  Journal  de  Paris1  sa  curieuse  correspondance 
avec  Blanchard  à ce  propos.  Le  8 thermidor  an  VII,  ils  s’élevèrent 
tous  deux  avec  la  fameuse  flottille  de  cinq  ballons  inventée  par  le 
célèbre  aéronaute.  Ils  espéraient,  en  se  servant  des  courants,  s’en 
aller  jusqu’à  Gotha  « voir,  avec  délices,  disait  Lalande,  un  prince  et 
une  princesse  qui,  par  leurs  connaissances  et  leur  zèle  pour  les 
sciences,  donnent  l’exemple  à tous  les  autres  » ; mais,  hélas!  l’un 
des  ballons  creva,  l’astronome  et  le  citoyen  de  Calais  retombèrent 
sans  gloire  au  bois  de  Boulogne. 

Mais  laissons  là  des  récits  manquant  de  précision  et  peut-être  de 
véracité.  Nous  rentrons  dans  le  domaine  des  tentatives  scientifi- 
ques avec  les  remarquables  ascensions  de  Bobertson  et,  bientôt 
après,  de  Gay-Lussac. 

La  plus  importante  ascension  du  physicien  français  Bobertson2 
eut  lieu  à Hambourg,  le  18  juillet  1805.  11  partit  à neuf  heures  du 
matin,  accompagné  de  M.  Lhoëst,  son  condisciple  et  compatriote;  le 
baromètre  marquait  28  pouces,  le  thermomètre  de  Réaumur  16°  : 

Pendant  les  différents  essais  dont  nous  nous  occupions,  nous  éprouvions  une 
anxiété,  un  malaise  général  ; le  bourdonnement  d’oreilles  dont  nous  souffrions 
depuis  longtemps  augmentait  d’autant  plus  que  le  baromètre  dépassait  les 
treize  pouces.  La  douleur  que  nous  éprouvions  avait  quelque  chose  de  semblable 
à celle  que  l’on  ressent  lorsque  l’on  plonge  la  tête  dans  l’eau.  Nos  poitrines  pa- 
raissaient dilatées  et  manquaient  de  ressort,  mon  pouls  était  précipité;  celui  de 
M.  Lhoëst  l’était  moins  : il  avait,  ainsi  que  moi,  les  lèvres  grosses,  les  yeux  sai- 
gnants ; toutes  les  veines  étaient  arrondies  et  se  dessinaient  en  relief  sur  mes 
mains.  Le  sang  se  portait  tellement  à la  tête,  qu’il  me  fit  remarquer  que  son 
chapeau  lui  paraissait  trop  étroit.  Le  froid  augmenta  d’une  manière  sensible;  le 
thermomètre  descendit  alors  assez  brusquement  jusqu’à  2°  et  vint  se  fixer  à 
5*  1/2  au-dessous  de  glace,  tandis  que  le  baromètre  était  à 12  pouces  4/100.  A 
peine  me  trouvais-je  dans  cette  atmosphère,  que  le  malaise  augmenta  ; j’étais 
dans  une  apathie  morale  et  physique  ; nous  pouvions  à peine  nous  défendre  du 
sommeil  que  nous  redoutions  comme  la  mort.  Me  défiant  de  mes  forces,  et  crai- 
gnant que  mon  compagnon  de  voyage  ne  succombât  au  sommeil,  j’avais  attaché 
une  corde  à ma  cuisse,  ainsi  qu’à  la  sienne  ; l’extrémité  de  cette  corde  passait 
dans  nos  mains.  C’est  dans  cet  état,  peu  propre  à des  expériences  délicates,  qu’il 
fallut  commencer  les  observations  que  je  me  proposais.  (T.  I,  p.  70.) 

A ce  point  élevé,  l’état  où  nous  nous  trouvions  était  celui  de  l’indifférence  : 
là,  le  physicien  n’est  plus  sensible  à la  gloire  et  à la  passion  des  découvertes;  le 
danger  même  qui  résulte  dans  ce  voyage  de  la  plus  légère  négligence  ne  l’occupe 
guère  ; ce  n’est  qu’à  l’aide  d’un  peu  de  vin  fortifiant  qu'il  parvient  à retrouver 
des  intervalles  de  lumière  et  de  volonté. 

1 16  et  20  messidor  et  10  thermidor  an  VU. 

2 Robertson,  Relation  adressée  au  président  de  V Acad.  imp.  de  Sainl-Pétersb.,  dans 
ses  Mémoires  récréatifs , scientifiques  et  anecdotiques,  2 vol.  — Paris,  1840. 


ASCENSIONS  EN  BALLON. 


485 


Comme  je  ne  veux  rien  omettre  de  ce  qui  peut  jeter  quelque  jour  sur  les  fonc- 
tions de  l’économie  animale  et  les  opérations  de  la  nature  à cette  élévation,  je 
dois  faire  remarquer  que,  lorsque  le  baromètre  était  encore  à 12  pouces,  mon 
compagnon  m’offrit  du  pain  : je  fis  de  vains  efforts  pour  l’avaler,  et  je  ne  pus  ja- 
mais y parvenir.  Si  l’on  considère  attentivement  l’état  de  l’atmosphère  où  j’étais,  et 
dont  la  grande  rareté  n’offrait  qu’une  légère  résistance  à ma  poitrine  qui  se  dilatait;  si 
l’on  considère  la  petite  quantité  d’oxygène  que  doit  contenir  le  fluide  dans  lequel 
je  nageais,  on  pourra  croire  que  mon  estomac,  déjà  plein  d’un  air  plus  dense  et 
appauvri  parla  perte  de  l’oxygène,  n’était  point  propre  à recevoir  des  aliments  so- 
lides et  encore  moins  à les  digérer.  Je  dois  ajouter  que  les  sécrétions  naturelles  ont 
été  suspendues  chez  mon  ami  et  chez  moi  pendant  les  cinq  heures  de  voyage,  et 
qu’elles  n'ont  eu  lieu  que  trois  heures  après  notre  retour  sur  la  terre 

Septième  expérience.  J’avais  emporté  deux  oiseaux  : au  moment  de  l’expérience 
j’en  trouvai  un  mort,  sans  doute  par  la  raréfaction  de  l’air  ; l’autre  paraissait  as- 
soupi. Après  l’avoir  placé  sur  le  bord  de  la  gondole,  je  cherchai  à l’effrayer  pour 
lui  faire  prendre  la  fuite  : il  agita  ses  ailes,  mais  ne  changea  pas  de  place;  alors 
je  l’abandonnai  à lui-même,  et  il  tomba  perpendiculairement  avec  une  extrême 
vitesse.  11  n’y  a point  de  doute  que  les  oiseaux  ne  pourraient  se  maintenir  à cette 
élévation.  (P.  76.) 

On  peut  évaluer  l’élévation  de  l’aérostat,  en  tenant  compte  de  toutes  les  correc- 
tions, à 3679  toises  (7170  mètres)1.  (P.  83.) 

Le  numéro  du  16  mars  1876  du  journal  Les  Mondes  dit  à ce 
propos  : 

Si,  à un  certain  passage  de  sa  relation,  Robertson  dit  être  monté  à 7170  mètres, 
dans  un  autre  il  ne  dit  plus  que  7075;  en  calculant  à l’aide  des  tables  actuelles 
de  Y Annuaire  du  Bureau  des  longitudes  sur  les  données  de  température  et  de  pres- 
sion enregistrées  par  Robertson,  on  trouve  seulement  6881“  pour  la  hauteur 
maxima  (Ch.  Boissay). 

Robertson  envoya  le  récit  de  son  ascension  et  des  expériences 
de  physique  qu’il  y avait  exécutées,  à la  Société  galvanique;  un 
rapport  fut  fait2,  duquel  nous  extrayons  le  passage  suivant  : 

» 

Nous  savons  depuis  longtemps  qu’un  animal  ne  peut  passer  impunément  d’un 
air  auquel  il  est  habitué  dans  un  air  beaucoup  plus  dense  ou  beauconp  plus  rare. 
Dans  le  premier  cas,  il  a à souffrir  de  l’effort  de  l’air  extérieur,  qui  le  presse  outre 
mesure  ; dans  le  second  cas,  ce  sont  les  liquides  ou  fluides  élastiques  faisant  partie 
de  son  système,  qui,  moins  pressés  qu’ils  ne  doivent  l’être,  se  dilatent  et  agissent 
contre  leur  enveloppe.  Dans  l’un  et  l’autre  cas,  ce  sont  à peu  près  les  mêmes  effets, 
anxiété,  malaise  général,  bourdonnement  d’oreilles  et  souvent  des  hémorrhagies  ; 
l’expérience  de  la  cloche  du  plongeur  nous  avait  depuis  longtemps  indiqué  ce  qui 
arriverait  aux  aéronautes.  Notre  collègue  et  son  compagnon  de  voyage  ont  éprouvé 
ces  effets  dans  une  grande  intensité  ; ils  avaient  les  lèvres  gonflées,  les  yeux 
saignants  ; les  veines  arrondies  se  dessinaient  en  relief  sur  leurs  mains,  et,  ce 

1 C’est  donc  par  erreur  que  tous  les  auteurs,  sans  exception,  ont  attribué  à l’ascension 
de  Robertson  une  élévation  de  7470m. 

2 Par  Izarn  (Voir  le  Moniteur  universel,  25  janvier  1804). 


186 


HISTORIQUE. 


qui  est  très-remarquable,  ils  conservèrent  l’un  et  l’autre  un  teint  brun  rougeâtre 
qui  étonnait  ceux  qui  les  avaient  vus  avant  leur  ascension. 

Cette  distension  des  vaisseaux,  dans  leurs  ramifications  extrêmes,  doit  néces- 
sairement produire  un  embarras,  une  gêne  dans  tous  les  mouvements  muscu- 
laires ; et  c’est  principalement  à cette  cause  que  je  crois  qu’il  faut  attribuer  les 
vains  efforts  que  fit  notre  collègue  pour  avaler  le  pain  que  son  compagnon  de 
voyage  lui  présenta  lorsqu’ils  étaient  encore  à une  hauteur  marquée  par  12  pou- 
ces du  baromètre.  (Mém.,  t.  I,p.  106.) 

Un  aéronaute  qui  se  rendit  célèbre  en  descendant  le  premier 
(29  octobre  1797)  de  ballon  en  parachute,  Jacques  Garnerin,  voulut 
enlever  à son  rival  Robertson  le  mérite  de  l’ascension  la  plus  élevée. 
Il  prétendit,  comme  le  prouve  l’extrait  suivant  du  Journal  de  Pa- 
risl,  être  monté  jusqu’à  4200  toises  (81 86m)  : 

M.  Garnerin  écrit  de  Saint-Pétersbourg,  pour  l'intérêt  des  sciences  et  des  arts , 
que  des  barbares  ont  mutilé,  à Paris,  la  relation  du  voyage  aérien  qu’il  a entrepris 
à Moscou  le  3 octobre  dernier,  et  dans  lequel  il  s’éleva  tout  juste  à la  hauteur  de 
4200  toises,  sans  avoir  éprouvé  d’autre  accident  qu’une  hémorrhagie  par  les  narines, 
et  un  peu  de  malaise  par  le  froid.  Heureuse  occasion  d’entretenir  le  public  de  ses 
querelles  avec  M.  Robertson,  qu'il  appelle  Yaéronaule  de  Hambourg , et  dont  il  con- 
teste l’esprit  d'observation  et  la  véracité!  « Je  me  suis  élevé,  dit  M.  Garnerin, 
521  toises  plus  haut  que  l’aéronaute  de  Hambourg,  et  je  ne  me  suis  pas  aperçu 
que  la  matière  fût  diminuée  de  pesanteur,  je  n’ai  pas  vu  le  soleil  sans  éclat,  ni  le 
ciel  sans  azur.  Je  n’ai  senti  ni  apathie  extraordinaire,  ni  difficulté  d’avaler,  ni  envie 
de  dormir,  etc » 

Rien  ne  semble  moins  authentique  que  l’assertion  de  Garnerin  ; 
les  faits  que  nous  rapporterons  tout  à l’heure  montrent  qu’à  la 
hauteur  où  il  dit  être  parvenu  il  aurait  éprouvé  des  troubles  phy- 
siologiques très-graves. 

Dans  celte  même  année,  une  ascension  des  plus  émouvantes  avait 
lieu  à Rologne. 

Le  comte  Fr.  Zambeccari,  de  Bologne,  le  docteur  Grassetti,  de 
Rome,  et  Pascal  Andreoli,  d’Ancône,  partirent  dans  la  nuit  du  7 au 
8 octobre  1803.  Ils  avaient  passé  la  journée  à gonfler  leur  ballon 
qui  mesurait  14000  pieds  cubes,  et  voulaient  ne  partir  que  le 
lendemain  ; mais  ils  durent  se  hâter,  devant  le  désordre  et  les  cris 
de  la  populace  de  Bologne.  Le  ballon  s’éleva  avec  une  rapidité 
extrême,  et  ils  arrivèrent  bientôt  à une  telle  hauteur,  que  Zambec- 
cari  et  Grassetti,  saisis  par  le  froid  et  épuisés  par  une  série  de 
vomissements,  tombèrent  dans  une  espèce  de  défaillance  accompa- 
gnée d’un  profond  sommeil.  Le  récit  sommaire,  inséré  dans  les 


1 20  janvier  1804;  an  XII,  t.  I,  p.  75 


ASCENSIONS  EN  BALLON. 


187 


Annales  de  Gilbert l,  raconte  comme  suit  leurs  souffrances  et  leur 
malheur  : 

Andreoli,  qui  avait  conservé  l’usage  de  ses  sens,  ne  put  pas  lire  le  baromètre, 
parce  que  la  bougie  qu’ils  avaient  emportée  dans  une  lanterne  s’était  éteinte.  Vers 

2 heures  1/2  du  matin,  le  ballon  commença  à descendre,  et  Andreoli  entendit 

distinctement  le  bruit  des  vagues  qui  se  brisaient  sur  les  côtes  de  la  Romagne.  Il 
réveilla  ses  compagnons La  nacelle  et  le  ballon  tombèrent  dans  la  mer  Adria- 

tique, et  cela  avec  une  telle  violence,  que  l’eau  jaillit  autour  d’eux  à la  hauteur 
d’un  homme.  Les  aéronautes,  couverts  d’eau,  jetèrent  en  grande  hâte  un  sac  de 
sable,  leurs  instruments,  et  tout  ce  que  contenait  leur  nacelle. 

Alors  le  ballon  s’élança  une  seconde  fois  rapidement  dans  les  airs.  Ils  traversèrent 
trois  couches  de  nuages,  et  leurs  vêtements  se  couvrirent  d’une  couche  épaisse  de 
glace  ; l’air  était  si  raréfié,  qu’ils  pouvaient  à peine  s’entendre  l’un  l’autre.  Vers 

3 heures  le  ballon  descendit  de  nouveau. 

Le  triste  pamphlétaire  allemand  Kotzebue2,  pendant  son  voyage 
en  Italie,  rendit  visite  à Zambeccari,  cet  homme  « dont  les  yeux  sont 
des  pensées».  L’intrépide  aéronaute  lui  fit  un  récit  détaillé  de  cette 
terrible  ascension  du  7-8  octobre,  dans  laquelle  il  faillit  périr  : 

Je  m’enlevai  à minuit,  dit-il Soudain  nous  montâmes  avec  une  rapidité  in- 
concevable  

Nous  ne  pouvions  observer  l’état  du  baromètre  qu’à  la  lueur  d’une  lanterne,  et 
très-imparfaitement.  Le  froid  insupportable  qui  régnait  dans  la  région  où  nous 
nous  trouvions,  l’épuisement  où  m’avait  mis  le  défaut  de  nourriture  depuis 
24  heures,  le  chagrin  qui  accablait  mon  âme,  tout  cela  réuni  m’occasionna  une 
défaillance  totale,  et  je  tombai  sur  le  bas  de  la  galerie  dans  une  espèce  de  som- 
meil semblable  à la  mort.  Il  en  arriva  autant  à mon  compagnon  Grassetti.  Andreoli 
fut  le  seul  qui  resta  éveillé  et  bien  portant,  sans  doute  parce  qu’il  avait  l’estomac 
bien  garni  et  qu’il  avait  bu  du  rhum  en  abondance.  A la  vérité,  il  souffrait  aussi 
beaucoup  du  lroid,  qui  était  excessif,  et  fit  pendant  longtemps  de  vains  efforts 
pour  me  réveiller.  Enfin,  il  réussit  à me  remettre  sur  les  pieds,  mais  mes  idées 
étaient  confuses;  je  lui  demandai,  comme  si  je  fusse  sorti  d’un  rêve  : Qu’y  a-t-il 
de  nouveau?  où  allons-nous?  quelle  heure  est-il?  d’où  vient  le  vent? 

11  était  deux  heures.  La  boussole  était  à bas,  par  conséquent  elle  nous  devenait 
inutile  ; la  bougie  qui  était  dans  notre  lanterne  ne  pouvait  brûler  dans  un  air  aussi 
raréfié,  sa  lumière  s’affaiblissait  de  plus  en  plus,  et  finit  par  s’éteindre.  (T.  IV, 
p.  301-305.) 

Ils  tombèrent  alors  dans  la  mer;  puis,  ayant  jeté  tout  ce  que  con- 
tenait leur  nacelle,  ils  s’élevèrent  de  nouveau  : 

Avec  une  telle  rapidité,  à une  si  prodigieuse  élévation,  que  nous  avions  de  la 
peine  à nous  entendre  même  en  criant;  je  me  trouvai  mal,  et  il  me  prit  un  vo- 

1 Abeutener  des  Grafen  Z...  bei  einer  nachtlichen  Luftfahrt.  — Gilbert' s Annal  en  der 
Physik,  vol.  XVI,  p.  205- ‘209  ; 1804. 

2 Souvenirs  d'un  voyage  en  JÂvonie,  à Rome  et  à Naples,  faisant  suite  aux  Souve- 
nirs de  Paris.  Traduit  de  l’allemand.  — Paris,  4 vol.,  1806. 


188 


HISTORIQUE. 


missement  considérable.  Grassetti  saigna  du  nez  ; nous  avions  tous  deux  la  respi- 
ration courte  et  la  poitrine  oppressée.  Comme  nous  étions  trempés  jusqu’aux  os  au 
moment  où  la  machine  nous  avait  transportés  dans  ces  hautes  régions,  le  froid 
nous  saisit  rapidement,  et  nous  fûmes  couverts  en  un  instant  d’une  couche  de 
glace.  Je  n’ai  pu  me  rendre  compte  de  la  raison  pour  laquelle  la  lune,  qui  était 
dans  son  dernier  quartier,  se  trouva  en  ligne  parallèle  avec  nous,  et  nous  parut 
rouge  comme  du  sang.  Après  avoir  parcouru  pendant  une  demi-heure  ces  régions 
immenses,  et  avoir  été  portée  à une  hauteur  incommensurable,  la  machine  recom- 
mença à descendre  lentement,  et  nous  retombâmes  encore  une  fois  dans  la  mer  ; 
il  était  environ  quatre  heures  du  matin.  (T.  IV,  p.  505.) 

Les  malheureux  aéronautes  tomés  dans  l’Adriatique  y restèrent, 
jouets  des  vents  et  des  flots,  jusqu’à  huit  heures,  où  une  barque  les 
sauva,  non  sans  grandes  difficultés.  Ils  avaient  les  pieds  et  les 
mains  gelés,  et  Zambeccari  dut  se  faire  amputer  trois  doigts. 

L’année  suivante,  Robertson1  fit,  le  50  juin,  une  nouvelle  ascen- 
sion, accompagné  du  physicien  russe  Sacharoff;  mais  ils  ne  virent 
s’abaisser  le  baromètre  qu’à  22  pouces,  et  n’éprouvèrent  rien  de 
notable. 

Cette  même  année  1804,  deux  jeunes  physiciens,  Biot  et  Gay- 
Lussac2,  furent  chargés  par  l’Institut  de  France  d'une  mission  scien- 
tifique dans  les  airs.  Ils  devaient  tout  particulièrement  s’occuper 
des  variations  dans  la  puissance  magnétique,  que  de  Saussure 
croyait  avoir  constatées  sur  le  col  du  Géant. 

Les  deux  savants  partirent  le  6 fructidor,  à dix  heures  du  ma- 
tin, du  jardin  du  Conservatoire  des  Arts.  Comme  ils  ne  s’élevèrent 
pas  au-dessus  de  4000m  par  une  température  de  -+-  10°,  ils  ne  de- 
vaient éprouver  aucun  trouble  physiologique  sérieux.  Aussi  ne  di- 
sent-ils que  quelques  mots  de  cet  ordre  de  faits  : 

Nous  observâmes  les  animaux  que  nous  avions  emportés  ; ils  ne  paraissaient  pas 
souffrir  de  la  rareté  de  l’air  ; cependant  le  baromètre  était  à 20  pouces  8 lignes, 
ce  qui  donne  une  hauteur  de  2622  mètres.  Une  abeille  violette,  à qui  nous  avions 
donné  la  liberté,  s’envola  très-vite  et  nous  quitta  en  bourdonnant 

Notre  pouls  était  fort  accéléré  ; celui  de  M.  Gay-Lussac,  qui  bat  ordinairement 
62  pulsations  par  minute,  en  battait  80  ; le  mien,  qui  donne  ordinairement 
89  pulsations,  en  donnait  111.  Cette  accélération  se  faisait  donc  sentir  pour’  nous 
deux  à peu  près  dans  la  même  proportion.  Cependant  notre  respiration  n’était 
nullement  gênée  ; nous  n’éprouvions  aucun  malaise,  et  notre  situation  nous  sem- 
blait extrêmement  agréable 

Nous  avons  observé  nos  animaux  à toutes  les  hauteurs;  ils  ne  paraissaient  souf- 
frir en  aucune  manière.  Pour  nous,  nous  n’èprouvions  aucun  effet,  si  ce  n’est  cette 
accélération  du  pouls  dont  j’ai  déjà  parlé. 

1 Ascension  de  Robertson  et  Sacharoff,  le  30  juin  1804.  — Annales  de  Chimie,  1804, 
vol.  LU,  p.  121  (Récit  de  Robertson).  — Philosophical  Magazine,  1805;  t.  XXI,  p.  193 
(Récit  de  Sacharoff) . 

i Relation  d’un  voyage  aérostatique  fait  par  MM.  Gay-Lussac  et  Riot  ; lue  à la  classe 


ASCENSIONS  EN  BALLON. 


189 


Suit  le  récit  de  ce  qui  arriva  à un  verdier  et  à un  pigeon,  lâchés 
à 5400  mètres;  le  pigeon  ouvrit  les  ailes  et  se  laissa  tomber  en  dé- 
crivant des  cercles,  comme  les  grands  oiseaux  de  proie. 

Gay-Lussac1  repartit  seul,  quelques  jours  après,  et  s’éleva  beau- 
coup plus  haut  que  la  première  fois.  Les  accidents  d’ordre  physio- 
logiques furent  très-supportables;  il  s’en  exprime  ainsi  : 

Parvenu  au  point  le  plus  haut  de  mon  ascension,  à 7016  mètres  au-dessus 
du  niveau  de  la  mer,  ma  respiration  était  sensiblement  gênée  ; mais  j’étais  en- 
core bien  loin  d’éprouver  un  malaise  assez  désagréable  pour  m’engager  à des- 
cendre. Mon  pouls  et  ma  respiration  étaient  très-accélérés  : ainsi,  respirant  trés- 
fréquemment  dans  un  air  très-sec,  je  ne  dois  pas  être  surpris  d’avoir  eu  le  gosier 
si  sec,  qu’il  m’était  pénible  d’avaler  du  pain 

Ce  sont  là  toutes  les  incommodités  que  j’ai  éprouvées.  (P.  89.) 

Robertson  fait  à propos  de  ce  récit  une  observation  intéressante, 
parce  qu’elle  montre  quelle  cause  il  assigne  aux  phénomènes  qu’il 
a éprouvés  lui-même  : 

Je  ne  pense  pas  qu'il  y ait  professeur  de  physique  qui  n'ait  parlé  à ses  auditeurs 
du  poids  de  la  colonne  d’air  qui  correspond  à la  surface  du  corps  d’un  homme, 
et  qui  n’ait  démontré  que  ce  poids  énorme  est  rendu  insensible  à ce  corps  par  l’é- 
quilibre établi  entre  la  pression  de  l’air  extérieur  et  la  réaction  des  fluides  élas- 
tiques qui  font  partie  de  son  système  intérieur.  11  n’en  est  pas  qui  n’ait  démontré 
quels  doivent  être  les  effets  de  la  rupture  de  cet  équilibre.  (. Mém .,  t.  I,  p.  107.) 

Mais  rien  n’autorisait  Roberlson  à tirer  de  ces  réflexions  l’étrange 
conclusion  qui  suit  : 

Je  ne  pense  pas  que  M.  Biot  ait  changé  tout  cela.  On  ne  peut  donc  se  refuser  à 
conclure  que  les  effets  éprouvés  par  M.  Lhoëst  et  par  moi,  puis  parM.  Sacharoff, 
n’ont  rien  que  de  très-rationnel  ; tandis  que  ceux  éprouvés  par  MM.  Biot  et  Gay- 
Lussac  y dérogent  au  point  qu’ils  ont  besoin  d’être  expliqués.  Or,  la  seule  expli- 
cation possible,  c‘est  que  ces  aéronautes  ne  sont  pas  montés  assez  haut,  ou  bien 
qu’ils  sont  montés  si  lentement,  qu’il  n’y  a pas  eu  pour  eux  rupture  d’équilibre, 
sans  quoi  l’on  ne  voit  pas  ce  qui  aurait  pu  les  préserver  d’éprouver  les  effets  qui 
en  sont  la  suite  inévitable.  (Ibid.,  p.  108.) 

Ce  doute  jeté  si  gratuitement  sur  la  véracité  des  observations  de 
savants  comme  Biot  et  Gay-Lussac,  a dû  appeler  de  justes  repré- 
sailles, et  il  n’est  pas  pour  peu  de  chose  dans  le  discrédit  immérité 
qui  depuis  a frappé  les  assertions  de  Robertson. 

des  sciences  mathématiques  et  physiques  de  l'Institut  national , le  9 fructidor  an  XII. 
— Moniteur  universel  du  1*2  fructidor  an  XII  (30  août  1804). 

1 Relation  d’un  voyage  aérostatique  fait  par  M.  Gay-Lussac  le  29  fructidor  an  XII.  — 
Ann.  de  Chimie , t.  LII,  p.  75-94,  an  XIII. 


190 


HISTORIQUE. 


L’ascension  de  Gay-Lussac  eut  un  retentissement  mérité.  Mais  on 
alla  trop  loin  en  passant  complètement  sous  silence  celles  qui 
l’avaient  précédée.  Robertson  se  plaignit,  non  sans  raison,  qu’on 
eût  méconnu  le  rôle  qu’il  avait  antérieurement  joué  : 

M.  Biot,  dit-il,  a imprimé  dans  son  traité  de  physique,  et  ne  manque  pas  de  ré- 
péter dans  ses  cours  au  Collège  de  France,  que  M.  Gay-Lussac  s’est  élevé  à la  plus 
grande  hauteur  où  l’homme  soit  parvenu  jusqu’à  ce  jour.  Cette  assertion,  toute 
fausse  qu’elle  est,  s’accrédite  parmi  la  jeunesse,  parce  que  je  n'ai  personne  qui 
puisse  dire  chaque  année  à quelques  centaines  d’auditeurs  que,  plus  d’un  an  avant 
l’ascension  de  M.  Gay-Lussac,  je  m’étais  élevé  à 5650  toises  ; et  viendra  bientôt  le 
temps  où  personne  ne  saura  ou  ne  se  souviendra  qu’avant  l’ascension  de  MM.  Biot 
et  Gay-Lussac,  j’en  avais  fait  une  semblable,  et,  comme  la  leur,  dans  l’intérêt  de 
la  science,  mais  pendant  laquelle  l’air  de  ces  hautes  régions  s’était  montré  pour 
moi  moins  hospitalier  que  pour  ces  messieurs.  (Mém.,  t.  I,  p.  117.) 

Peu  d’années  après,  en  août  1808,  un  des  compagnons  de  l’infor- 
tuné Zambcccari,  Andreoli,  s’éleva  de  Padoue,  et  atteignit,  s’il  faut 
l’en  croire,  une  hauteur  bien  supérieure  à celle  où  étaient  parve- 
nus ses  prédécesseurs.  Le  correspondant  du  Journal  de  Paris1,  qui 
raconte  le  fait,  paraît  attacher  peu  de  foi  au  récit  de  l’aéronaute 
italien,  récit  bien  extraordinaire  en  effet,  et  dans  lequel  on  ne  sait 
ce  dont  il  faut  le  plus  s'étonner,  ou  de  la  montée  ou  de  la  descente 
des  imprudents  et  heureux  aéronautes  : 

Italie.  Padoue,  23  avril  1808. 

M.  Andreoli  entreprit  hier  dans  cette  ville  un  voyage  aérostatique,  qui  n’a  pas 
été  très-heureux,  et  sur  la  relation  duquel  tous  les  gens  instruits  élèvent  des 
doutes  injurieux  à la  véracité  du  physicien.  Suivant  cette  relation  vraiment  cu- 
rieuse, et  dont  on  se  moquera  peut-être  à Paris,  M.  Andreoli,  accompagné  de 
M.  Brioschi,  s’éleva  à 5 heures  1/2  de  l’après-midi,  en  présence  d’un  grand  nom- 
bre de  spectateurs.  Le  baromètre  étant  descendu  à 15  pouces  (à  15  pouces  ! est- 
on  bien  sûr  de  ce  qu’on  dit,  et  sait-on  qu’à  ce  degré  l’air  doit  être  et  est  en 
effet  prodigieusement  raréfié?  Et  dans  ce  cas,  comment  les  deux  voyageurs  eus- 
sent-ils respiré  ?)  à cette  élévation,  Brioschi  commença  à sentir  des  battements 
de  cœur  extraordinaires,  sans  cependant  s’apercevoir  d’aucune  altération  pénible 
dans  la  respiration  : le  baromètre  s’abaissant  ensuite  à 12°,  il  se  sentit  accablé 
d’un  doux  sommeil,  qui  devint  bientôt  une  véritable  léthargie  (on  ne  dit  pas  ce 
qu’éprouva  M.  Andreoli,  et  comment  il  résista  au  puissant  narcotique  qui  acca- 
blait son  compagnon).  La  machine  montait  toujours  et  quand  le  baromètre  fut 
environ  à 9 pouces  (c’est-à-dire  à une  hauteur  beaucoup  plus  grande  que  celle 
de  la  plus  élevée  des  Cordillères),  Andreoli  s’aperçut  qu’elle  était  totalement  gon- 
flée et  qu’il  ne  pouvait  faire  aucun  mouvement  de  sa  main  gauche.  Le  mercure, 
continuant  à descendre,  marqua  8 pouces  1/2.  Alors  le  globe  fit  entendre  une 
forte  détonation  ; fendant  l’air  avec  un  grand  bruit,  il  commença  à descendre  ra- 


! 9 septembre  1808. 


ASCENSIONS  EN  BALLON. 


191 


pidement  (je  le  crois),  et  alors  M.  Brioschi  s’éveilla  (non  sans  frayeur). La  chute 
eut  lieu  sur  le  château  d’Engança,  non  loin  du  tombeau  de  Pétrarque  et  de  la 
ville  d’Acqua,  à 12  milles  de  Padoue;  et  ce  qu’il  y a de  plus  merveilleux  dans  ce 
récit  si  merveilleux  d’un  bout  à l’autre,  c’est  que  les  voyageurs,  protégés  sans 
doute  par  un  génie  échappé  des  Mille  et  une  nuits , n’ont  pas  éprouvé  le  plus  petit 
mal,  la  plus  petite  égratignure.  Voilà  certes  un  miracle  qui  doit  déconcerter  tous 
les  calculs  des  physiciens  ordinaires.  Quoi  qu’il  en  soit  les  voyageurs  prirent  des 
chevaux  de  poste,  et  vinrent  à 8 heures  1/2  recevoir  à Padoue  des  félicitations 
que  méritait,  de  toutes  manières,  un  si  prodigieux  succès. 

Je  dois  noter  ici  que  le  célèbre  aéronaute  anglais  M.  Glaisher1  pa- 
raît disposé  à ajouter  foi  à ces  faits  extraordinaires;  il  fait  remar- 
quer qu’Andreoli,  habitué  aux  ascensions,  a beaucoup  moins  souf- 
fert que  son  compagnon.  Et,  quant  à la  possibilité  de  survivre  à 
une  aussi  effroyable  chute,  il  la  discute  avec  autorité  et  l’admet 
sans  grande  hésitation.  (P.  161.) 

Le  29  août  1811,  deux  Anglais,  Beaufoy  et  Sadler  2 3,  exécutèrent 
une  ascension,  dans  laquelle  ils  ne  dépassèrent  pas  six  mille  pieds, 
et  qui  ne  présente  d’intéressant  pour  nous  que  la  sensation  éprou- 
vée par  Beaufoy  « d’une  légère  pression  dans  les  oreilles  et  d’un 
peu  de  surdité  »,  et  surtout  l’explication  bizarre  qu’en  donna  le  voya- 
geur : il  attribua  cet  effet  à « l’humidité  reçue  sans  chapeau  pen- 
dant le  voyage.»  (P.  296.) 

Le  26  avril  1812,  la  veuve  de  Blanchard,  qui  devait  si  miséra- 
blement périr,  le  6 juillet  1819,  sur  un  toit  de  la  rue  de  Provence, 
fit  à Turin  une  ascension  dans  laquelle  elle  prétendit  s’être  élevée 
à une  très-grande  hauteur.  Le  Journal  de  Paris  5 en  rendit  compte 
dans  les  termes  suivants  : 

Elle  avait  emporté  avec  elle  un  baromètre A 15  pouces  0 lignes,  le  froid 

était  glacial  ; à 14  pouces  1 ligne,  Mme  Blanchard  dit  avoir  éprouvé  une  diminu- 
tion de  froid  ; à 12  pouces  11  lignes,  elle  ressentit  un  battement  de  l’artère  près 
de  l’angle  extérieur  de  l’œil  gauche  et  une  espèce  de  tremblement  de  la  paupière 
inférieure  du  même  œil.  A 12  pouces  3 lignes,  elle  eut  une  forte  hémorrhagie  au 
nez. 

Peu  de  minutes  après,  le  baromètre  marqua  10  pouces  3 lignes,  qui  est  son 
plus  grand  abaissement....  Celte  indication  porte  la  plus  grande  élévation  de 
Mme  Blanchard  à 3900  toises  (7600m)  ; à cette  hauteur  le  froid  était  insupporta- 
ble, le  thermomètre  de  Réaumur  était  à 17°  au-dessous  de  la  glace 

La  couleur  du  ciel  paraissait  presque  noire Le  soleil  n’avait  pas  ses  rayons 

ordinaires  et  présentait  un  diamètre  beaucoup  plus  petit  que  celui  qu’il  offre 

1 Travels  in  the  Air,  by  Glaisher,  Flamarion,  W.  de  Fonvielle  and  G.  Tissandier, 

2e  éd. — London,  1871. 

2 Biblioth.  britann  , t.  LYII,  p.  286-500;  1814. 

3 8 mai  1812. 


192 


HISTORIQUE. 


lorsqu’on  le  regarde  de  la  surface  de  la  terre.  Un  moment  après  ces  observations, 
le  thermomètre  baissa  encore  d’un  degré,  et  Mme  Blanchard,  presque  engourdie, 
se  décida  à descendre. 

Robertson  éleva  quelques  doutes  sur  l’exactitude  des  observations 
barométriques  de  Mme  Blanchard.  La  note  qu’il  envoya  au  Journal 
de  Parus1  contient,  sur  les  souffrances  que  Llioëst  et  lui  avaient  éprou- 
vées dans  leur  ascension  de  juillet  1803,  des  faits  qui  ne  sont  point 
insérés  dans  le  récit  détaillé  que  nous  avons  reproduit  plus  haut  : 

L’élévation  à laquelle  vous  annoncez  que  Mme  Blanchard  s’est  élevée  dernière- 
ment à Turin  doit  d’autant  plus  étonner  vos  lecteurs  qu’elle  doit  être  regardée 

comme  le  dernier  degré  de  la  témérité  de  l’homme D’abord  je  dois  avouer 

que  je  crois  impossible  à l’homme,  avec  un  aérostat  de  20  pieds  de  diamètre,  dont 
se  sert  ordinairement  Mme  Blanchard,  de  s’élever  assez  haut  pour  faire  descendre 
le  mercure  à 10  pouces 

Lorsqu’on  arrive  à 1 élévation  de  5600  toises,  l’homme  succombe  par  degré  et 
d’une  manière  insensible  à un  sommeil  léthargique  : ses  facultés  morales  s’é- 
teignent longtemps  avant  ses  facultés  physiques.  D’abord  on  n’a  ni  mémoire,  ni 
soucis  pour  le  présent  et  pour  l’avenir  ; on  oublie  la  surveillance  qu’exige  l’aé- 
rostat ; bientôt  un  sommeil  lent  et  doux,  auquel  on  sent  l’impossibilité  de  résis- 
ter, assoupit  tous  les  membres  et  tient  l’aéronaute  dans  une  asphyxie  complète, 
et  sans  doute  mortelle  si  elle  est  prolongée 

En  juillet  1803 je  me  suis  élevé  à Hambourg  avec  M.  Llioëst....  Le  baromètre 

descendit  à 12  pouces  et  quelques  lignes  (lorsque  nous  jouissions  encore  de  nos  fa- 
cultés). Le  ciel  nous  parut  brun;  le  soleil  était  sans  éclat;  on  pouvait  le  fixersans 
être  ébloui;  nous  eûmes  une  légère  hémorrhagie,  et  enfin  nous  éprouvâmes  tout  ce 
que  Mme  Blanchard  vient  de  nous  annoncer.  Nous  succombâmes  dans  cette  ascen- 
sion au  sommeil  ; mais  la  partie  inférieure  du  ballon....  donna  la  liberté  au  gaz 
chassé  par  la  dilatation.  Nous  sortîmes  de  cet  assoupissement  tous  les  deux  à la 
fois  et  subitement,  sans  pouvoir  dire  ce  qui  s’était  passé,  sinon  qu’il  y avait  eu 
une  solution  de  continuité  dans  nos  idées. 

Eugène  Robertson2,  l’un  des  fils  du  célèbre  aéronaute,  s’éleva  le 
16  octobre  1826,  de  Castle-Garden  à New-York,  jusqu’à  21000  pieds 
(6400m)3,  dans  un  ballon  de  16000  pieds  cubes,  gonflé  à l’hydro- 
gène : 

La  respiration  était  laborieuse  et  pénible,  les  facultés  étaient  émoussées,  le 
froid  insupportable,  surtout  aux  mains.  (Therm.  à 21°  F.) 

Le  12  février  1835,  ce  même  aéronaute  4 partit  de  Mexico  et  alla 

1 16  mai  1812. 

2 Silliman’s  American  journal,  vol.  XII,  p.  161-168;  1827. 

5 L’ouvrage  de  Roch  ( Essai  sur  les  Voyages  aériens  d’Eug.  Robertson;  Paris,  1831), 
dit  5533  toises  (6886m). 

4 Relation  du  premier  voyage  aérostatique  exécuté  dans  la  République  mexicaine. — 
Paris,  1835. 


ASCENSIONS  EN  BALLON. 


193 

jusqu’à  5928m.  Il  examina  de  près  le  cratère  de  l’ancien  volcan  la 
Cliicle , et  s’éleva  « au-dessus  d’une  pépinière  de  monts.  » 

Le  fameux  aéronaute  anglais  Green,  qui  a fait,  au  témoignage 
de  Glaisher1,  plus  de  quatorze  cents  ascensions,  est  très-certaine- 
ment monté  plusieurs  fois  à de  grandes  hauteurs;  mais  il  paraît 
s’être  très-peu  préoccupé  de  mesures  exactes,  et  ses  chiffres  portent 
l’empreinte  d’une  grande  exagération. 

L’une  de  ses  ascensions,  qui  eut  lieu  en  1821,  est  curieuse  par  la 
nature  du  gaz  avec  lequel  il  gonfla  son  ballon  ; il  employa  l’oxyde 
de  carbone,  qui  le  porta  à 11000  pieds2.  Mais  ceci  ne  touche  pas 
à notre  sujet. 

Le  20  avril  1851,  le  docteur  Forster3  exécuta  avec  Green  un  voyage 
aérostatique  qui  ne  dépassa  pas  6000  pieds,  hauteur  à laquelle  ils 
demeurèrent  pendant  quatre  heures.  Leurs  observations  physiologi- 
ques n’ont  guère  porté  que  sur  les  phénomènes  de  surdité  qui  attei- 
gnent les  voyageurs  en  montagne  et  les  aéronautes.  Forster  les  con- 
sidère comme  ayant  dans  les  deux  cas  des  causes  très-différentes 
et  dus,  dans  le  premier,  à un  sentiment  de  plénitude  dans  les 
oreilles,  dans  le  second  à un  véritable  affaiblissement  de  l’ouïe. 

L’exagération  extravagante  des  affirmations  de  Green  commence 
à se  manifester  dans  une  note  du  rédacteur  du  Frorieps  Notizen 4 
qui  rapporte  naïvement  que  Green  avait  fait  deux  cent  vingt-six  as- 
censions, dans  lesquelles  plusieurs  fois  il  avait,  assurait-il,  dé- 
passé 6000  toises , sans  éprouver  de  difficultés  à respirer. 

Le  récit  que  Green 5 donna  lui-même  de  la  catastrophe  par  la- 
quelle, le  27  septembre  1856,  son  compagnon  déroute  Gocking per- 
dit la  vie,  indique  une  hauteur  qu’il  ne  faudrait  peut-être  pas  accep- 
ter de  confiance.  On  sait  que  Green  joua  dans  cette  folle  aventure 
un  fort  triste  rôle.  Cocking  avait  fabriqué  un  parachute  à V envers 
sur  l’absurdité  duquel  personne  ne  pouvait  concevoir  de  doute- 
Green  consentit  cependant  à l’emmener.  Le  malheureux  Cocking 
détacha  son  parachute  au  moment  où  le  ballon  dépassait  5000 
pieds;  il  tomba  comme  une  pierre.  En  même  temps,  le  ballon  dé- 
lesté, bondit  à de  grandes  hauteurs  : 

1 Les  Voyages  aériens.  — Paris,  1870,  p.  27. 

2 Einiges  über  die  Luftreize  des  H.  Green  in  London  am  Krônungstage  des  Kônias 
Frorieps  Notizen,  vol.  I,  p.  71  ; 1822.  — Voy.  encore  : Ibid,  vol.  V,  p.  202;  1823.  J ' 

5 Bericht  über  eine  Luftschiffarht.  Ibid , vol.  XXXII,  p.  49;  1831. 

4 Neue  Froriep's  Notizen,  t.  I,  p.  8;  1837. 

:i  Lettre  au  Standard,  juillet  1837. 


13 


194 


HISTORIQUE. 


Nous  nous  élevâmes  alors  avec  une  telle  rapidité  que  nous  fûmes  presque  suffo- 
qués; j’avais  beaucoup  de  peine  à reprendre  mes  sens  et  à examiner  le  baromètre: 
mais  M.  Spencer  observa  que  le  mercure  s’arrêta  à 13,20  ce  qui  donne  une  élé- 
vation de  24384  pieds  (7450ra),  ou  environ  4 milles  1/4. 

Mais  cela  n’est  rien  à côté  de  ce  qu’il  raconta  d’une  ascension 
faite  avec  Rusch  ; le  pathologiste  Renie1  rapporte  cette  asserlion 
prodigieuse  comme  une  chose  toute  simple,  et  sans  faire  d’observa- 
tion : 

Dans  ses  ascensions  en  ballon,  Green  dit  n’avoir  éprouvé  aucune  accélération 
du  pouls,  ni  de  la  respiration,  excepté  lorsqu’il  s’élevait  rapidement  en  jetant 
du  lest. 

En  1858  il  s’éleva  avec  Rusch  à la  hauteur  de  27,156  pieds  (8268  mètres),  où 
il  vit  le  baromètre  s’abaisser  à 10  pouces  52;  les  premiers  11000  pieds  (5350  mè- 
tres) furent  franchis  en  7 minutes,  sans  autres  incommodités  que  celles  qui  ont 
été  signalées  plus  haut.  (P.  586.) 

A beau  mentir  qui  vient  de  haut!  Un  aéronaute  italien  prétendit 
avoir  encore  dépassé  la  fabuleuse  hauteur  que  disait  avoir  atteinte 
l’aéronaute  anglais.  On  lit  en  effet,  dans  les  comptes-rendus  de 
l’Académie  des  sciences  de  Paris2  : 

M.  Bonafoux  écrit  qu’à  l’occasion  des  fêtes  de  mariage  du  prince  héréditaire  de 
Savoie,  M.  Gomaschi  a fait  à Turin  une  ascension  aérostatique,  dans  laquelle,  s’il 
n’y  a pas  eu  erreur  dans  l’observation  du  baromètre,  M.  Gomaschi  se  serait  élevé  à 
9474  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer;  mais  la  différence  de  température 
semblerait  indiquer  une  moindre  hauteur. 

Le  récit  de  Ilobard,  s’il  ne  donne  pas  de  renseignements  d’une 
grande  précision,  paraît  du  moins  véridique;  il  est  inséré  dans  le 
Courrier  français  du  9 octobre  1855  : 

Le  17  août  1855,  un  aéronaute,  M.  Ilobard,  avait  couru  les  plus  grands  dangers 
dans  une  ascension  qu’il  avait  faite  à Lynchburg,  enVirginie  ; il  s’était  enlevé  à 
sept  heures  du  soir,  et,  en  moins  d'une  heure,  il  avait  pris  terre  à environ  treize 
lieues  de  la  ville.  M.  Hobard,  dans  sa  relation,  dit  que  peu  de  minutes  après  son 
départ  il  perdit  entièrement  la  terre  de  vue.  A sept  heures  et  demie,  il  fit  sa 
dernière  observation  et  s’estima  à plus  d'une  lieue  de  hauteur.  Il  aperçut  alors 
deux  météores,  l’un  dans  le  nord  et  l’autre  dans  l’ouest  ; ce  dernier  semblait  s’ap- 
procher rapidement,  mais  il  disparut  tout  d’un  coup,  à la  grande  satisfaction  de 
M.  Ilobard,  qui  craignait  qu'il  n’embrasât  son  aérostat.  Peu  de  temps  après,  une 
bourrasque  emporta  le  ballon  et  l’enleva  en  tourbillonnant  à une  hauteur  que 
l’aéronaule  ne  jugea  pas  moindre  de  26000  pieds  (7925m),  d’après  la  difficulté 
qu’il  éprouvait  à respirer  et  la  perte  entière  de  l’ouïe.  Il  voulut  laisser  échapper  du 
gaz  et  manœuvrer  la  soupape  ; mais,  n’entendant  plus,  il  ne  put  juger,  comme  à 
l’ordinaire,  de  la  fuite  du  gaz  par  le  bruit  qu’il  fait  en  s’échappant.  Il  voyait  néan- 

1 Handbuch  der  rationnellen  Pathologie.  Bd.  Il,  2e  abtli ; 1851. 

2 T.  N IV,  p.  921  ; 1842. 


ASCENSIONS  EN  BALLON. 


195 


moins  que  le  ballon  ne  se  dégonflait  pas  sensiblement,  et  il  appréhendait  de  le 
voir  crever  ; il  craignait  aussi  que  quelqu’une  de  ses  veines  ne  vînt  à se  rompre, 
tant  la  raréfaction  de  l’air  les  avait  fait  se  dilater.  La  première  de  ses  craintes  ne 
tarda  pas  à se  réaliser.  Sans  crever  entièrement,  le  ballon  s’était  fendu  par  le  haut, 
et  se  dégonflant  rapidement  descendit  avec  une  très-grande  vitesse.  Fort  heureu- 
sement pour  M.Hobard,  la  chute  de  l’aérostat  fut  amortie  par  un  jeune  sapin  dont 
la  tige  flexible  le  protégea  du  choc  terrible  qu'il  aurait  éprouvé.  Il  fut  néanmoins 
jeté  hors  de  la  nacelle  et  considérablement  froissé,  mais  qu’était-ce  que  quelques 
contusions  auprès  de  la  mort  cruelle  à laquelle  il  s’attendait!  En  évaluant  sa  plus 
grande  élévation  à 26000  pieds,  M.  Hobard  s’est  basé  sur  ce  que  l’air  raréfié 
avait  affecté  ses  organes  d’une  manière  plus  pénible  que  ne  l’avaient  éprouvé  des 
aéronautes  qui  s’étaient  élevés  à 25000  pieds,  maximum  de  la  hauteur  à laquelle 
on  était  parvenu  jusqu’alors  dans  les  ascensions  aérostatiques. 

Il  faut  arriver  à la  mémorable  ascension  accomplie  le  27  juil- 
let 1850,  par  MM.  Barrai  et  Bixio,  pour  retrouver  la  certitude  et  la 
précision  scientifiques.  Mais,  à notre  point  de  vue,  ce  voyage,  si  utile 
à la  météorologie,  n’offre  qu’un  médiocre  intérêt.  En  effet,  sous 
l’influence  d’une  pression  barométrique  de  315mm,  correspondant 
à une  hauteur  de  7016“,  et  malgré  un  froid  de  59°  au-dessous  de 
zéro,  les  deux  intrépides  voyageurs  n’éprouvèrent  aucun  accident 
physiologique  qui  ait  attiré  leur  attention  : « Notre  respiration, 
disent-ils  seulement,  n’était  nullement  gênée  1.  » 

Deux  ans  plus  tard,  des  ascensions  non  moins  importantes  au 
point  de  vue  scientifique  étaient  faites  en  Angleterre  par  M.  Welsh2  : 

En  juillet  1852,  le  Comité  de  l’observatoire  de  Kew  résolut  d’instituer  une  série 
d’ascensions  en  ballon  pour  l’étude  des  phénomènes  météorologiques  et  physiques 
qui  exigent  la  présence  d’un  observateur  dans  les  hautes  régions  de  l’atmosphère. 
(P.  311.) 

J.  Welsh,  qui  s’adjoignit  Nicklin,  fut  chargé  de  la  partie  scientifi- 
que; la  direction  du  ballon  fut  confiée  au  célèbre  aéronaule  Green.  La 
première  ascension  eut  lieu  le  17  août,  les  aéronautes  allèrent  jus- 
qu’à 19510  pieds  (5945m);  dans  la  seconde  (26  août),  ils  n’allè- 
rent qu’à  19100  pieds  (5820m);  et,  dans  la  troisième,  à 12640 
pieds  (5850m)  seulement.  Mais  le  10  novembre  ils  atteignirent  en 
une  heure  22950  pieds  (698 7m)  et  demeurèrent  plus  de  10  minutes 

1 Journal  d’un  voyage  aéronautique  fait  le  27  juillet  1850.  — Cpt.  R.  Acad,  des  sc., 
t.  XXXI,  p.  126;  1850. 

2 An  Account  of  Meteorological  Observations  in  four  Balloon  Ascents,  made  under  the 
direction  of  the  Kew  Observatory  Committee  of  the  British  Association  for  the  gdvan- 
cement  of  science , by  John  Welsh.  — Philosophical  Transactions,  t.  CXLIIL  p.  511-a47  ; 
1853. 


HISTORIQUE. 


190 

au-dessus  de  20000  pieds;  la  descente  s’opéra  avec  une  rapidité 
extraordinaire  : 

À cette  hauteur,  bien  plus  grande  que  toutes  celles  que  nous  avions  précédem- 
ment atteintes,  les  effets  de  la  diminution  de  pression  se  firent  davantage  sentir. 
M.  Green  et  moi  nous  éprouvâmes  à un  très-haut  degré  la  difficulté  de  respirer, 
avec  plus  d’essoufflement  et  de  fatigue  après  le  moindre  exercice.  (P.  520.) 

A de  bien  moindres  élévations  encore,  un  célèbre  météorologiste 
anglais,  M.  Glaisher,  observa  des  modifications  importantes  de  la 
respiration  et  de  la  circulation. 

Les  ascensions  de  M.  Glaisher  constituent  la  plus  belle  série  de 
voyages  aériens  qui  aient  été  entrepris  dans  un  but  scientifique.  Un 
certain  nombre  d’entre  elles  l’entraînèrent  à de  très-grandes  hau- 
teurs, et  il  en  est  une  qui  demeurera  éternellement  célèbre,  dans 
laquelle  il  faillit  périr  par  suite  de  la  décompression.  J’extrais  de 
la  publication  des  Voyages  aériens 1 les  faits  suivants,  qui  intéres- 
sent notre  thèse. 

La  première  ascension  eut  lieu  le  50  juin  1862;  Glaisher  et  son 
conducteur  de  ballon  Coxwell  atteignirent  8000  mètres  : 

Entre  les  hauteurs  de  4700“  et  5900m,  le  thermomètre  marque  6°  au-dessus  de 

zéro Les  palpitations  de  mon  cœur  commencent  à devenir  sensibles,  et  ma 

respiration  n’est  pas  moins  perturbée,  mes  mains  bleuissent,  et  mon  pouls,  devenant 
fébrile,  bat  100  pulsations  à la  minute. 

A 6168m,  nous  nous  trouvons  dans  une  couche  à zéro  degré....  ; mon  pouls  s’ac- 
célère encore,  et  c'est  avec  une  difficulté  croissante  que  je  parviens  à lire  les 
instruments;  j’éprouve  un  malaise  général,  analogue  au  mal  de  mer,  quoiqu’il  n’y 
ait  ni  roulis  ni  tangage  dans  le  ballon....  Le  bleu  du  ciel  est  devenu  plus  pur. 
(P.  47.1 

L’édition  anglaise  que  publia  en  1871  M.  Glaisher  de  l’ouvrage 
précité1 2  donne  un  récit  assez  différent  des  symptômes  éprouvés 
parle  savant  aéronaute.  Tout  d’abord,  la  date  de  cette  ascension 
est  indiquée  au  17  juillet  et  non  au  50  juin  : 

A la  hauteur  de  1 8 s 4 4 pieds  (5740m),  mon  pouls  battait  100  fois  par  minute; 
à 19455  pieds  (5920m),  je  percevais  les  battements  de  mon  cœur;  le  tic-lac  du 
chronomètre  semblait  très-bruyant  et  ma  respiration  commença  à être  affectée; 
mon  pouls  était  encore  plus  accéléré,  et  c’est  avec  une  difficulté  croissante  que 
je  lisais  mes  instruments;  les  palpitations  du  cœur  se  faisaient  violemment  sen- 
tir. Mes  mains  et  mes  lèvres  prenaient  une  teinte  bleuâtre  foncée,  mais  non  la 

face A 21792  pieds  (66 i0m),  j’éprouvais  une  sorte  de  mal  de  mer,  bien  qu’il 

n’y  ait  ni  roulis  ni  tangage  à bord  du  ballon;  j’étais  si  malade  que  j’étais  incapa- 
ble de  surveiller  les  instruments..,..  Le  ciel  paraissait  bleu  très-foncé.  (P.  44.) 

1 Glaisher,  Flammarion,  de  Fonvielle,  G.  Tissandier,  Voyages  aériens.  — Paris,  1870. 

- Travels  in  Ike  Air , 2e  éd. — London,  1871. 


ASCENSIONS  EN  BALLON. 


197 


2e  Ascension , le  18  août  1862.  Les  voyageurs  ont  atteint  7100 
mètres,  point  culminant  de  l’ascension  : 

Je  lâtai  le  pouls  de  M.  Coxwell1,  qui  ne  donnait  que  90  pulsations  à la  minute, 
tandis  que  le  mien  s’éleva  rapidement.  De  100  il  passa  à 107  et  de  là  à 110,  sans 

que  celui  de  mon  compagnon  fût  sensiblement  modifié En  descendant,  nous 

entendons  un  nouveau  coup  de  tonnerre  gronder  dans  les  nuages  dont  nous  nous 
rapprochons  rapidement.  Est-ce  la  vitesse  croissante  de  notre  mouvement  descen- 
dant qui  m’oppresse?  Est-ce  la  tension  électrique  qui  en  grandissant  porte  le 

trouble  dans  les  sources  cachées  de  la  vie? Je  l’ignore,  mais  j’éprouve  un 

malaise  soudain,  une  espèce  de  tremblement  nerveux.  Heureusement,  après  une 
minute  d’angoisses,  un  admirable  spectacle  vient  m’aider  à triompher  de  cette 
défaillance  passagère.  ( Voyages  aériens , p.  57.) 

Vient  enfin  la  célèbre  ascension  du  5 septembre  1862;  c’est  la 
troisième.  Le  départ  de  Wolverhampton  eut  lieu  à une  heure  trois 
minutes  par  une  température  de  4- 15°.  A une  heure  trente-quatre 
minutes,  les  aéronautes  sont  arrivés  à 5200  mètres  environ  ; la 
température  est  de  — 9°;  il  n’y  a plus  de  vapeur  d’eau  dans  l’air. 
Les  premiers  troubles  physiologiques  se  manifestent  alors  : 

A 1 h54 , je  m’aperçus  que  M.  Coxwell  commençait  à être  essoufflé,  ce  qui  n’est 
pas  étonnant,  puisqu’il  était  sans  relâche  occupé  aux  manœuvres  du  ballon.  . 

A lh39,  nous  atteignîmes  la  hauteur  de  6457m  [c'est  celle  du  Chimborazo] 

Nous  jetons  le  sable....,  dix  minutes  nous  suffisent  pour  bondir  à la  hauteur  du 
Dawalagiri  : la  température  était  tombée  à — 18°, 9 

Jusqu'à  ce  moment,  j'avais  pris  mes  observations  sans  difficultés,  tandis  que 
M.  Coxwell,  qui  était  obligé  de  se  donner  des  mouvements  pour  la  manœuvre, 
semblait  fatigué.  A 1 heure  51  minutes,  le  baromètre  marquait  11,05  pouces.  On 
s’aperçut  plus  tard,  par  une  comparaison  avec  le  baromètre  étalon  de  lord  Wrot- 
tesley,  qu’il  fallait  diminuer  ce  chiffre  de  un  quart  de  pouce.  J'aiJu  ensuite  sur  le 
thermomètre  à boule  sèche  — 5 degrés,  vers  1 heure  52  minutes  environ.  Bientôt 
il  me  fut  impossible  d’apercevoir  la  colonne  de  mercure  dans  le  thermomètre  à 
boule  humide,  ni  les  aiguilles  d’une  montre,  ni  les  divisions  fixes  d’aucun  de  mes 
instruments.  Je  demandai  à M.  Coxwell  de  m’aider  à prendre  les  chiffres  qui 
m’échappaient,  mais,  par  suite  du  mouvement  de  rotation  du  ballon,  qui  n’avait 
point  cessé  depuis  que  nous  avions  quitté  la  terre,  la  corde  de  la  soupape  s’était 
entortillée.  M.  Coxwell  dut  donc  sortir  de  la  nacelle  et  monter  sur  le  cercle  pour 
l’arranger.  Je  tournai  mon  attention  vers  le  baromètre;  je  vis  qu’il  marquait 
10  pouces,  et  qu’il  descendait  rapidement.  Sa  vraie  hauteur,  en  tenant  compte 
de  la  correction  soustractive  d’un  quart  de  pouce,  était  9 pouces  trois  quarts,  ce 
qui  indiquait  une  hauteur  de  29000  pieds  (8838m).  Peu  après,  je  m’appuyai  sur 
la  table  avec  le  bras  droit,  qui  jouissait  de  toute  sa  vigueur  un  instant  auparavant; 
mais,  quand  je  voulus  m’en  servir,  je  m’aperçus  qu’il  n’était  plus  en  état  de  me 
rendre  aucun  service.  Il  doit  avoir  perdu  sa  puissance  instantanément.  J’essayai 
de  me  servir  du  bras  gauche,  et  je  vis  qu’il  était  également  paralysé.  Alors  je 

1 M.  Coxwell  était  un  aéronaute  de  profession  ; l’ascension  du  50  juin  était  la  première 
de  M.  Glaisher. 


198 


HISTORIQUE. 


cherchai  à remuer  le  corps,  et  je  réussis  jusqu’à  un  certain  point;  mais  il  me 
semblait  que  je  n’avais  plus  de  membres;  j’essayai  encore  une  fois  de  lire  le  ba- 
romètre, et  pendant  que  je  me  livrais  à cette  tentative,  ma  tête  tomba  sur  mon 
épaule  gauche.  Je  remuai,  et  j’agilai  de  nouveau  mon  corps;  mais  je  ne  pus 
parvenir  à soulever  mes  bras.  Je  relevai  la  tête,  mais  ce  fut  seulement  pour  un 
instant  ; elle  retomba  de  nouveau. 

Mon  dos  était  appuyé  sur  le  bordage  de  la  nacelle  et  ma  tête  sur  un  des  angles, 
bans  cette  position,  j’avais  les  yeux  fixés  sur  M.  Coxvvell  qui  se  trouvait  dans  le 
cercle.  Quand  je  parvins  à me  soulever  sur  mon  siège,  j’étais  tout  à fait  maître 
des  mouvements  de  l’épine  dorsale,  et  je  possédais  incontestablement  encore  un 
grand  pouvoir  sur  ceux  du  cou,  quoique  j’eusse  perdu  le  contrôle  de  mes  bras  et 
de  mes  jambes;  mais  la  paralysie  avait  fait  de  nouveaux  progrès.  Tout  à coup,  je 
me  sentis  incapable  de  faire  aucun  mouvement.  Je  voyais  vaguement  M.  Coxwell 
dans  le  cercle,  et  j’essayais  de  lui  parler,  mais  sans  parvenir  à remuer  ma  langue 
impuissante.  En  un  instant,  des  ténèbres  épaisses  m’envahirent;  le  nerf  optique 
avait  subitement  perdu  sa  puissance.  J’avais  encore  toute  ma  connaissance  et  mon 
cerveau  était  aussi  actif  qu’en  écrivant  ces  lignes.  Je  pensai  que  j’étais  asphyxié, 
que  je  ne  ferais  plus  d’expériences  et  que  la  mort  allait  me  saisir,  à moins  que 
nous  ne  descendions  rapidement.  D’autres  pensées  se  précipitaient  dans  mon 
esprit,  quand  je  perdis  soudainement  toute  connaissance,  comme  lorsque  l’on 
s’endort. 

Ma  dernière  observation  eut  lieu  à 1 heure  54  minutes,  à 29000  pieds.  Je 
suppose  que  1 ou  2 minutes  s’écoulèrent  avant  que  mes  yeux  cessassent  de  voir 
les  petites  divisions  des  thermomètres,  et  qu’un  même  laps  de  temps  se  passa 
encore  avant  mon  évanouissement.  Tout  porte  à croire  que  je  m’endormis  à 1 heure 
57  minutes  d’un  sommeil  qui  pouvait  être  éternel.  Je  ne  pouvais  pas  bouger, 
quand  j’entendis  les  mots  température  et  observation.  Je  sentis  que  M.  Coxwell  me 
parlait  et  qu’il  essayait  de  me  réveiller;  l’ouïe  et  la  conscience  m’étaient  donc 
revenues.  Je  l’entendis  alors  parler  plus  fort,  mais  je  ne  pouvais  le  voir;  il  m’était 
bien  plus  impossible  de  lui  répondre  ou  de  me  mouvoir.  Il  me  disait  : « Essayez 
maintenant,  essayez.  » Alors  je  vis  vaguement  les  instruments,  et  bientôt  après  les 
objets  environnants.  Je  me  levai  et  regardai  autour  de  moi,  dans  l’étal  où  je  serais 
en  sortant  d’un  sommeil  fiévreux,  qui  épuise  au  lieu  de  reposer.  « Je  me  suis 
évanoui,  » dis-je  à M.  Coxwell.  « Certainement,  me  répondit-il,  et  il  s’en  est  peu 
fallu  que  je  m’évanouisse  aussi.  » Je  ramenai  alors  mes  jambes,  qui  étaient 
étendues  droites,  et  je  repris  un  crayon  pour  continuer  les  observations.  M.  Coxwell 
me  raconta  qu’il  avait  perdu  l’usage  de  ses  mains,  qui  étaient  devenues  noires 
et  sur  lesquelles  je  versai  de  l’eau-de-vie. 

Il  ajouta  que,  pendant  qu’il  avait  été  dans  le  cercle,  il  avait  été  saisi  par  un 
froid  extrême  et  que  des  glaçons  étaient  suspendus  autour  de  l’orifice  du  ballon, 
comme  une  effrayante  girandole,  digne  des  mers  polaires.  En  essayant  de  descendre 
du  cercle,  il  ne  pouvait  plus  se  servir  de  ses  mains,  et  il  fut  obligé  de  se  laisser 
glisser  sur  ses  coudes  pour  revenir  dans  la  nacelle,  où  j’étais  étendu.  Il  pensa, 
en  me  voyant  sur  le  dos,  que  je  me  reposais,  et  il  me  parla  sans  obtenir  de 
réponse.  Ma  contenance  était  sereine  et  tranquille,  sans  cette  anxiété  qu’il  avait 
remarquée  avant  de  monter  dans  le  cercle. 

Voyant  que  mes  bras  et  ma  tête  pendaient,  M.  Coxwell  comprit  que  j’étais 
évanoui.  Il  chercha  à m’approcher,  mais  ne  put  y parvenir,  sentant  que  l’insen- 
sibilité le  gagnait  lui-même.  Alors  il  voulut  ouvrir  la  soupape,  mais,  ayant  perdu 
l’usage  de  la  main,  il  ne  put  y réussir.  Il  ne  serait  point  parvenu  à tempérer  notre 


ASCENSIONS  EN  BALLON. 


109 


course,  s’il  n’avait  eu  l’idée  de  saisir  la  corde  entre  ses  dents1  et  de  lui  imprimer 
deux  ou  trois  mouvements  en  secouant  violemment  la  tête. 

Je  repris  mes  observations  à 2 heures  7 minutes,  et  les  premiers  chiffres  que 
j’enregistrai  furent  292  millimètres  pour  le  baromètre  et  18  degrés  pour  le  ther- 
momètre. Je  suppose  que  3 ou  4 minutes  s’écoulèrent  depuis  le  moment  où 
j’entendis  les  premiers  mots  de  M.  Coxwell  jusqu'au  moment  où  je  recommençai 
à lire  mon  chronomètre  et  mes  autres  instruments.  S’il  en  est  ainsi,  je  revins  à la 
vie  à deux  heures  4 minutes  et  je  suis  resté  tout  à fait  évanoui  pendant  7 mi- 
nutes. (P.  59-64.) 


Je  n’éprouvai  aucune  suite  fâcheuse  de  mon  évanouissement Je  fis  à terre 

huit  ou  neuf  milles  aussi  aisément  que  si  rien  ne  m’était  arrivé 


Je  fis  ma  dernière  observation  à 8858  mètres2.  [C’est  à 2 mètres  près  la  hauteur 
du  pic  le  plus  élevé  de  la  surface  de  la  terre,  le  Gaourichnaka  du  Népaul,  au  pied 
duquel  viennent  mourir  les  pèlerins  brahminiques  qui  cherchent  le  Nirvana;  on 
peut  dire  que  jamais  être  humain  ne  pourrait  se  tramer  à cette  hauteur  en  suivant 
les  aspérités  de  l’enveloppe  terrestre,  et  malgré  leur  courage  les  frères  Schlagintweit 
n’ont  pas  eu  la  prétenlion  de  s’y  élever.  Cependant  j’aurais  pu  y continuer  mes 
observations,  si  le  mouvement  ascendant  du  ballon  ne  m’eût  entraîné  plus  haut, 
là  où  la  vie  est  encore  plus  difficile3.]  Quand  je  m’évanouis,  nous  faisions  notre 
ascension  avec  une  vitesse  énorme  de  305  mètres  par  minute,  et  quand  je  repris 
mes  observations,  nous  étions  en  descente  avec  une  vitesse  de  610  mètres,  double 
de  notre  vitesse  d’ascension  ; cette  circonstance  me  permit  de  calculer  avec  une 
certaine  exactitude  la  hauteur  à laquelle  nous  avions  réellement  pénétré.  (Voya- 
ges aériens , p.  65.) 


Des  calculs  basés  à la  fois  sur  la  vitesse  ascensionnelle  du  ballon 
et  sur  la  température  marquée  par  un  thermomètre  à minima , ont 
conduit  M.  Glaisher  à estimer  que  le  ballon  avait  atteint  la  hauteur 
de  11000  mètres  environ.  Les  résultats  de  ce  calcul  sont,  il  faut  le 
dire,  évidemment  erronés.  On  est  étonné  de  voir  un  savant  de  cette 
valeur  supposer  que  le  ballon  avait  en  montant  et  en  descendant 
une  vitesse  uniforme,  et  résoudre  ainsi  par  des  équations  du  pre- 
mier degré  un  problème  qui  dépend  évidemment  du  second. 

Tout  porte  à croire  que  le  ballon  s’est  bientôt  arrêté  et  a plané 
quelques  minutes  avant  que  de  descendre. 


1 La  possibilité  d’ouvrir  ainsi  une  soupape  de  ballon,  même  pour  un  homme  en  pleine 
possession  de  ses  forces,  a été  absolument  niée  par  un  aéronaute  de  profession,  M.  Duté- 
l’oitevin  (V Aéronaute  d’avril  1876,  p.  105).  Il  est  bon  de  faire  remarquer  que  M.  Glaisher 
n a jamais  considéré  M.  Coxwell  comme  un  collaborateur  scientifique. 

2 Dans  le  diagramme  qui  accompagne  ce  récit,  diagramme  dont  j’ai  eu  en  main  l’original 
dessiné  par  M.  Glaisher  lui-même,  la  dernière  observation  certaine  de  hauteur  est  à 8100ra 
environ  ; la  température  était  de  — 20°, 6. 

’ Les  passages  entre  crochets  []  n’existent  pas  dans  le  texte  anglais.  Auraient -ils 
été  ajoutés  par  un  traducteur  fantaisiste?  Tradutlore,  traditore. 


200 


HISTORIQUE. 


Il  me  reste  à mentionner  une  petite  expérience  qui  n’est  pas 
sans  intérêt  : 

Nous  avions  emporté  avec  nous  six  pigeons  pour  les  lancer  successivement 
dans  l’air  quand  nous  nous  serions  élevés  à des  hauteurs  assez  grandes.  Nous 
jetâmes  le  premier  à 4807  mètres  : il  étendit  ses  ailes,  mais  ne  put  se  soutenir  et 
tomba  comme  une  feuille  de  papier. 

Le  second,  qui  fut  jeté  à 6457  mètres,  ne  se  laissa  point  entraîner  si  facile- 
ment; il  tourbillonna  en  volant  avec  vigueur.  Probablement  il  tournait  sur  lui- 
même  chaque  fois  qu’il  plongeait  malgré  lui.  Peut-être  en  se  livrant  à cette  valse 
étrange  trouvait-il  le  moyen  de  résister  à l’effrayante  aspiration. 

Le  troisième  fut  jeté  avant  d’arriver  au  niveau  de  8048  mètres.  Il  tomba  comme 
une  pierre  et  disparut  rapidement.  Nous  gardâmes  les  trois  pigeons  qui  nous 
restaient  pour  la  descente,  mais  nous  trouvâmes  qu’un  d’eux  était  mort  dans  sa 
cage,  et  qu’un  autre  ne  valait  guère  mieux.  Quand  je  le  tirai  de  sa  cage,  il  refusa 
de  s'envoler.  Ce  n’est  qu’après  un  quart  d’heure  de  repos  qu’il  commença  à 
donner  des  coups  de  bec  sur  un  morceau  de  ruban  rose  qu’il  portait  autour  du 
cou.  C’était  un  pigeon  voyageur  qui,  une  fois  remis,  vola  avec  grande  rapidité 

dans  la  direction  de  Wolverhampton.  (P.  67.) 

De  tous  les  pigeons  lancés  pendant  le  voyage,  un  seul  revint  à Wolverhampton 
dans  le  courant  de  la  journée  du  dimanche  (le  5 septembre  était  un  vendredi). 

M.  Glaislier  fit  encore  plusieurs  ascensions  dans  lesquelles  il  dé- 
passa 70ÜÜ111  (10  avril  1863,  à 7 500m  1 ; 26  juin  1863,  7100,n);  dans 
ses  récits  il  ne  parle  nullement  des  troubles  physiologiques. 

Mais  il  résume,  dans  un  paragraphe  spécial,  les  observations 
de  cet  ordre  qu’il  a pu  faire  dans  ces  diverses  courses;  je  le  prends 
dans  l’édition  anglaise  où  il  est  beaucoup  plus  complet  et  plus 
intéressant  que  dans  les  Voyages  aériens  : 

Le  nombre  des  pulsations  par  minute  augmente  avec  l’altitude,  ainsi  que  le 
nombre  des  inspirations:  le  nombre  de  mes  pulsations  était  généralement  de  76 
avant  de  partir,  à peu  près  de  90  à 10000  pieds,  de  100  à 20000  pieds,  et  de  110 
à de  plus  grandes  hauteurs  ; mais  l’augmentation  de  la  hauteur  n’est,  pas  le  seul 
élément  duquel  dépend  le  nombre  des  pulsations;  l’état  de  santé  y est  pour  beau- 
coup, ainsi  que  le  tempérament  des  diverses  personnes. 

Il  en  est  de  même  pour  la  coloration  de  la  lace  ; à 10,000  pieds,  certaines  per- 
sonnes sont  d’un  rouge  violacé  flamboyant,  tandis  que  d’autres  sont  à peine  affec- 
tées. A 17000  pieds,  mes  lèvres  étaient  bleues;  à 19000  pieds,  mes  mains  et  mes 
lèvres  étaient  d’un  bleu  foncé;  à 4 milles  de  hauteur,  on  entendait  les  battements 
de  mon  cœur,  ma  respiration  était  très-affectée  ; à 29000  pieds  je  devins  insen- 
sible. De  toutes  les  observations  on  peut  conclure  que  les  effets  des  grandes  hau- 
teurs se  font  sentir  sur  tout  le  monde,  mais  diffèrent  chez  le  même  individu  sui- 
vant les  circonstances.  (P.  92.) 

M.  Glaislier  affirme  qu’on  s’accoutume  assez  vite  à l’influence  de 
l'air  raréfié,  et  il  invoque  à ce  propos  son  expérience  personnelle. 

1 C’est  le  chiffre  de  l’édition  et  du  diagramme  anglais.  Les  Voyaqes  aériens  donnent 
7800 1 10 . 


ASCENSIONS  EN  BALLON. 


201 


Il  témoigne  à ce  propos  d’espérances  qui  indiquent  à la  fois  une 
vive  imagination  et  un  grand  sens  scientifique  : 

La  diminution  de  la  pression doit  agir  d’une  façon  toute  particulière  sur  les 

personnes  qui  voyagent  dans  l’air  pour  la  première  lois.  Je  peux  affirmer  ce  fait 
par  suite  de  mon  expérience  personnelle,  qui  a certainement  quelque  valeur,  car 
je  n’ai  pas  toujours  été  capable  de  m’élever  sans  inconvénient  à une  hauteur  qui 
produit  ordinairement  un  grand  malaise,  qui  amène  le  plus  souvent  la  décolora- 
tion des  mains  et  de  la  face.  Je  me  rappelle  avoir  plongé  dans  la  plus  vive  sur- 
prise une  assemblée  de  savants  en  affirmant  que  je  m’étais  habitué  à pénétrer 
dans  des  régions  très-élevées  sans  tourner  au  bleu.  Je  suis  réellement  persuadé 
que  je  me  suis  acclimaté  aux  effets  de  l’air  rarélîé  qui  se  trouve  à six  kilomètres 
de  la  surface  de  la  terre,  et  je  me  flatte  de  pouvoir  respirer  librement  dans  ces 
couches  éloignées  des  rivages  océaniques.  Je  n’ai  même  aucun  doute  que  cette 
acclimatation  ne  puisse  se  développer  assez  pour  exercer  une  influence  notable  sur 
l'usage  scientifique  des  ballons.  A huit  ou  dix  kilomètres  j’ai  expérimenté  sur  moi 
et  sur  M.  Coxwell  les  limites  de  notre  faculté  de  vivre  dans  un  air  raréfié.  Des 
expériences  fréquentes  augmenteraient  cette  hauteur,  et  je  suis  certain  qu’on 
pourrait  la  prolonger  encore  si  l'on  venait  en  aide  à la  respiration  par  des  moyens 
artificiels.  Certainerùent  les  poitrines  humaines  doivent  trouver  là-haut  leurs 
colonnes  d’Ilercule,  mais  je  n’hésite  pas  à déclarer  que  ces  frontières  infranchis- 
sables sont  encore  très-éloignées  de  celles  que  j’ai  atteintes.  ( Voyages  aériens ,p.  9.) 

Le  savant  météorologiste  de  Greenwich  revient  encore,  dans  un 
autre  passage  de  son  travail,  sur  l’avenir  qu’il  prédit  aux  ascensions 
à grande  hauteur;  il  exprime  avec  une  singulière  force  sa  con- 
fiance illimitée  dans  les  efforts  fructueux  de  la  science.  Nous  mon- 
trerons dans  la  suite  de  cet  ouvrage  que  ces  espérances  n’ont  point 
été  déçues  : 

Comme  je  l’ai  déjà  expliqué  dans  l’introduction,  je  ne  doute  pas  qu’on  ne  par- 
vienne à faire  des  observations  dans  ces  régions  où  je  n’ai  pu  arriver  sans  m’éva- 
nouir. Je  suis  persuadé  qu’un  jour  viendra  où  des  aéronautes  me  dépasseront,  de 
la  même  manière  qhe  j’ai  excédé  la  hauteur  de  Barrai  et  Bixio,  qui  avaient  à leur 
tour  atteint  des  altitudes  plus  élevées  que  Sakaroff  et  Gay-Lussac.  Ce  n’est  pas  moi 
qui  me  chargerai  de  déterminer  les  limites  de  l’activité  humaine,  et  d’indiquer 
le  point,  s’il  existe,  où  la  nature  dit  aux  aéronautes  : « Vous  n'irez  pas  plus  loin.  » 
(Ibid.,  p.  67.) 

Pendant  une  dizaine  d’années,  il  ne  se  fit  plus  d’ascension  à 
grande  hauteur,  et,  dans  les  ascensions  scientifiques  à médiocre 
hauteur,  les  aéronautes,  préoccupés  d’importants  problèmes  de  mé- 
téorologie et  de  physique,  négligèrent  tout  à fait  les  phénomènes 
physiologiques  dont  les  modifications,  fort  légères,  n’auraient  pu 
être  constatées  qu’en  fixant  sur  elles  une  observation  très-attentive. 

11  faut  arriver  aux  ascensions  organisées  par  la  Société  de  navi- 
gation aérienne  pour  trouver  des  faits  qui  puissent  nous  intéresser. 
La  première  d’entre  elles,  bien  qu’elle  n’ait  pas  dépassé  4600m,  a 


‘20-2 


HISTORIQUE. 


fourni  à M.  le  docleur  Pétard,  l’un  des  voyageurs,  des  constatations 
physiologiques  fort  intéressantes.  Il  commence  par  indiquer  som- 
mairement le  tempérament  de  ses  compagnons  de  route  : 

M.  Crocé-Spinelli  est  blond,  d’un  tempérament  lymphatique,  nerveux,  il  est  or- 
dinairement disposé  aux  bronchites. 

M.  Pénaud  est  châtain,  d’un  tempérament  lymphatique,  et  il  est  disposé  au 
rhumatisme. 

M.  Jobert  est  très-brun,  d’une  constitution  athlétique  à disposition  bilioso-san- 
guine. 

M.  Sivel  est  brun,  d'un  tempérament  sanguin;  il  est  très-vigoureux  et,  de 
plus,  peu  sensible  aux  influences  aéronautiques,  par  suite  du  grand  nombre  d’as- 
censions qu’il  a faites. 

Enfin,  je  suis  brun  et  d’un  tempérament  sanguin.  (P.  118.) 

Le  ballon  s’éleva  à une  hauteur  de  4600,n  (429  millim.),  où  les 
aéronaut es  trouvèrent  une  température  de  — 7°  après  avoir  passé 
pur  une  couche  à — 20°  : 

J'ai  pu,  dit  M.  Pétard,  observer  la  sensation  optique  de  cuvette,  et  cette  illusion, 
qui  fait  que  les  collines  paraissent  fort  peu  saillantes,  et  les  ravins  peu  pro- 
fonds. 

Le  second  phénomène  que  j’ai  eu  à observer  est  l’oppression  qui  s’est  manifes- 
tée chez  M.  Crocé-Spinelli,  à environ  3500  mètres.  Je  rappellerai  que  M.  Crocé- 
Spinelli  est  prédisposé  aux  bronchites . M.  Pénaud  a éprouvé  aussi  de  l’oppression, 
mais  à un  degré  bien  moindre  que  M.  Crocé-Spinelli.  Les  autres  passagers  n’en 
ont  pas  ressenti. 

Nous  observâmes  ensuite  des  bourdonnements  dans  les  oreilles  qu’accusa  le 
premier  M.  Pénaud  à une  altitude  d’environ  2700  mètres. 

Nous  avons  tous  été,  à peu  près  en  même  temps,  affectés  de  la  même  manière, 
mais  avec  des  différences  très-marquées  dans  l’intensité  de  l'impression.  Elle  a 
passé,  pourM.  Crocé-Spinelli,  à l’état  d’une  douleur  vive,  et  tellement  persistante 
que  dans  le  chemin  de  fer,  pendant  notre  retour,  il  se  plaignait  encore  de  dou- 
leurs dans  les  oreilles. 

M.  Crocé-Spinelli  dit  que,  chez  lui,  les  bourdonnements  et  plus  tard  l’exacerba- 
tion de  la  douleur,  ne  se  sont  produits  que  dans  les  descentes  rapides,  c’est-à- 
dire  quand  la  pression  extérieure  surpassait  celle  de  l’oreille.  Chez  moi,  ces  bour- 
donnements se  sont  fait  sentir  chaque  fois  que  nous  avons  eu  une  ascension  ou 
une  descente  rapides  de  quelque  étendue,  c’est-à-dire  chaque  fois  que  l’équilibre, 

entre  la  pression  interne  et  la  pression  externe  dans  l’oreille,  a été  rompu 

Les  sons  semblaient  non-seulement  affaiblis,  mais  paraissaient  venir  de  loin. 
(P.  119.) 

Les  observations  suivantes  ont  été  faites  au-dessus  de  4000,n  : 

J’ai,  à l’aide  du  thermomètre  buccal  de  M.  Sainte-Claire  Deville  et  de  celui  de 
Celsius,  constaté  un  léger  abaissement  dans  la  température  animale,  laquelle  a 

Observations  j)hysiologiques  faites  à bord  de  V aérostat  l’Étoile  polaire,  le  20  avril 
1873.  — L ' Aéronaute,  n°  de  juin  1873. 


ASCENSIONS  EN  BALLON. 


203 


varié,  dans  les  expériences  faites,  de  55°  02  à 35°  07.  L’accélération  du  rhythme 
respiratoire  et  celle  de  la  circulation  artérielle,  très-sensible  chez  tous,  étaient 
dans  des  rapports  très-variés  chez  les  différents  sujets.  M.  Jobert,  qui  n’a  norma- 
lement que  10  inspirations  par  minute,  en  a eu  jusqu’à  20;  son  pouls,  normal  à 
100,  n’a  atteint  qu’un  maximum  de  130.  — Celui  de  M.  Pénaud  a monté  de  68  à 
104,  la  respiration  de  25  à 45.  — M.  Crocé-Spinelli  : pouls  normal,  72  ; pouls  maxi- 
mum, 116,  à une  altitude  de  3500  mètres.  À 500  mètres  il  n’était  plus  que  86. 
Le  nombre  d’inspirations  a passé  de  40  à 64.  — M.  Sivel  : pouls  normal.  80  ; maxi- 
mum, 108  ; la  respiration  a passé  de  25  à 40.  — Docteur  Pétard  : pouls  normal, 
87  ; maximum,  110;  respiration  normale,  26  ; maximum  35. 

Il  résulte  de  ces  faits  que  l’augmentation  dans  les  inspirations  a atteint  en  moyenne 
les  8/5  de  la  valeur  normale,  mais  que  l’augmentation  dans  le  nombre  des  pulsa- 
tions a varié  suivant  les  tempéraments.  Pendant  que  cette  augmentation  était  de 
7 à 11  pour  les  tempéraments  lymphatiques,  elle  était  de  10  à 13  pour  les  tem- 
péraments sanguins. 

Je  n’ai  pu  constater,  par  le  pneumo-dvnamomètre,  de  différence  bien  appréciable 
dans  l’ampliation  des  poumons. 

Le  pouls  était  généralement  plein  et  régulier  ; mais  il  n’a  pas  été  possible  d’en 
prendre  de  dessins  graphiques,  ne  pouvant  faire  usage  des  sphygmographes  à cause 
de  l’abaissement  de  la  température  qui  rendait  douloureuse  l’exposition  de  la  peau 
à l’air.  (P.  120.) 

Nous  éprouvions  un  sentiment  de  bien-être  particulier  impossible  à décrire, 
quoique  accusé  par  les  paroles  et  les  allures. 

Les  deux  célèbres  ascensions  à grande  hauteur  (7500m  et  8600“) 
exécutées  par  mes  collègues  tant  regrettés  Crocé-Spinelli  et  Sivel, 
ayant  été  entreprises  après  la  publication  première  des  résullats 
de  mes  recherches,  leur  récit  trouvera  naturellement  place  dans  la 
troisième  partie  de  ce  livre. 

Je  ne  trouve  plus  à citer,  en  terminant,  qu’un  récit  dû  à unaéro- 
naute  anglais,  Simons,  qui,  le  9 juillet  1874,  partit  de  Cremorne- 
Garden,  à Londres,  emportant,  suspendu  sous  sa  nacelle,  Groof, 
Y Homme  volant , avec  son  appareil  compliqué. 

Le  ballon  contenait*  27000  pieds  cubes;  à 1000  pieds,  Groof  se 
détacha,  et,  tombant  la  tête  la  première,  se  brisa  sur  le  sol.  Groof 
et  sa  machine  pesaient  150  kil.  : 

Je  regardai  par-dessus  la  nacelle,  dit  Simons,  mais  je  m’élevais  avec  tant  de 
rapidité  que  je  perdis  connaissance  jusqu’à  mon  arrivée  au-dessus  de  Victoria-Park1. 

Mais  je  me  hâte  d ajouter  qu’il  ne  faut  pas  avoir  une  trop  grande 
confiance  dans  les  ascensions  de  Simons,  qui  s’est  très-certaine- 
ment écarté  de  la  vérité  dans  ses  réponses  pendant  l’enquête  faite 
sur  ce  pénible  événement. 

1 Journal  Y Aéroncnile,  n°  d’août  1874. 


CHAPITRE  III 


EXPLICATIONS  THÉORIQUES  ET  EXPÉRIENCES. 


Nous  allons,  dans  le  présent  chapitre,  passer  en  revue  les  expli- 
cations multiples  qu’ont  données  les  divers  auteurs,  voyageurs,  mé- 
decins, physiologistes,  des  accidents  dont  nous  avons,  dans  les 
chapitres  précédents,  reproduit  les  descriptions  si  variées.  Nous  y 
joindrons  le  récit  des  expériences  peu  nombreuses  qui  furent  faites 
dans  les  laboratoires  pour  éclairer  ces  problèmes  obscurs.  Il  ne 
s’agit  que  d’une  exposition  de  doctrines  : les  critiques  viendront 
dans  le  chapitre  suivant. 

Nous  suivrons  ici  l’ordre  purement  chronologique,  les  explications 
proposées  devant  tout  naturellement  se  ressentir  des  théories  phy- 
siologiques courantes. 

Le  premier  voyageur  qui  ait  décrit  le  mal  des  montagnes  est, 
comme  nous  l’avons  vu,  le  jésuite  Acosta  4;  il  n’a  pas  manqué  d’en 
donner  une  explication  que  nous  reproduisons  intégralement,  et 
qui  est  des  plus  remarquables  par  la  sagacité,  la  sûreté  des  vues  et 
la  netteté  de  l’expression.  D’une  part,  en  effet,  il  indique  la  vérita- 
ble cause,  de  l’autre  il  repousse  par  avance  une  hypothèse  erronée  : 

Il  n’y  a point  de  doute,  dit-il,  que  la  cause  de  cette  intempérature  et  si  étrange 
altération  est  le  vent,  ou  l’air  qui  y règne,  parce  que  tout  le  remède  et  le  meilleur 
qu'ils  y trouvent  est  de  se  boucher  tant  qu’on  peut  le  nez,  les  oreilles  et  la  bouche 
et  de  se  couvrir  d’habits,  spécialement  l’estomac,  d’autant  que  l’air  est  si  subtil  et 
pénétrant,  qu’il  va  donner  jusqu’aux  entrailles 

1 Loc.  cit.}  cliap.  ix,  — Sevilla,  1590. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


205 


Par  quoi  je  me  persuade  que  l’élément  de  l’air  est  en  ce  lieu-là  si  subtil  et  si 
délicat,  qu’il  ne  se  proportionne  point  à la  respiration  humaine,  laquelle  le  re- 
quiert plus  gros  et  plus  tempéré 

Les  passages  des  montagnes  Nevadeset  autres  de  l'Europe  que  i’ai  veuës,  combien 
*que  l’air  y soit  froid,  néantmoins  ce  froid  n’oste  pas  l’appétit  de  manger,  au  con- 
traire il  le  provoque,  ny  ne  cause  point  de  vomissements  en  l’estomach Cil 

des  Indes advient  au  même  endroit  que  le  soleil  y est  chaud,  qui  me  fait  croire 

que  le  mal  qu’on  en  reçoit  vient  de  la  qualité  de  l’air  que  l’on  y respire.  (P.  87.) 


Quand  on  songe  que  ces  lignes  ont  été  écrites  à la  fin  du  seizième 
siècle,  trois  cents  ans  avant  Lavoisier  et  Priestley,  par  un  homme  dont 
l’étude  des  sciences  chimiques  et  naturelles  n’était  point  la  spécia- 
lité, on  est  frappé  d’admiration  pour  la  haute  sagacité  du  savant 
jésuite  et  la  merveilleuse  propriété  des  expressions  qu’il  emploie. 
Notons  encore  que  la  machine  pneumatique  n’était  point  inventée, 
que  Torricelli  n’était  pas  encore  au  monde,  quand  Acosta  disait  que 
«l’élément  de  l’air  est  en  ce  lieu-là  si  subtil  et  si  délicat  qu’il  ne 
se  proportionne  pointa  la  respiration  humaine». 

Il  est  intéressant  de  rapprocher  des  explications  d’Acosta  ce  que 
trente  ans  plus  tard  écrivait,  sur  le  même  sujet,  dans  son  Novum 
organum  (paru  en  1620),  le  célèbre  François  Bacon1.  Si  je  ne  me 
fais  illusion,  la  comparaison  n’est  pas  à l’avantage  du  savant  chan- 
celier de  Verulam  : 


Les  rayons  de  soleil  ne  produisent  pas  de  chaleur  dans  ce  que  l’on  nomme  la 
région  moyenne  de  l’air  ; ce  que  l’on  explique  assez  bien  dans  les  écoles,  en  disant 
que  cette  région  n’est  pas  assez  proche,  ni  du  soleil  dont  les  rayons  émanent,  ni 
de  la  terre  qui  les  réfléchit.  A l’appui  de  cette  explication,  on  peut  citer  les  som- 
mets des  montagnes  (à  moins  que  l’élévation  n’en  soit  extrême)  où  séjournent  les 
neiges  perpétuelles.  Quelques  voyageurs,  en  effet,  ont  remarqué  qu’il  n’existe 
point  de  neige  au  sommet  du  pic  de  Ténériffe,  ni  sur  les  Andes  du  Pérou,  tandis 
que  les  flancs  de  ces  montagnes  en  sont  couverts  jusqu'à  une  certaine  hauteur.  On 
assure  en  outre  qu’à  ces  hauteurs  extrêmes  l’air  n’est  nullement  froid,  mais  seu- 
lement rare  et  âcre;  c’est  par  là  que  sur  les  Andes  il  attaque  et  blesse  les  yeux 
et  l’estomac  qui  ne  peut  garder  la  nourriture.  Les  anciens  avaient  remarqué  déjà 
qu’au  sommet  de  l’Olympe  l’air  était  si  rare  qu’il  fallait,  pour  y monter,  emporter 
avec  soi  des  éponges  imbibées  de  vinaigre  et  d’eau,  et  les  approcher  souvent  des 
narines  et  de  la  bouche,  l’air,  à cause  de  sa  rareté,  ne  suffisant  plus  à la  respira- 
tion. On  ajoute  que  sur  ce  même  sommet  où  ne  tombait  ni  la  pluie  ni  la  neige, 
où  le  vent  ne  soufflait  jamais,  il  régnait  un  tel  calme  que,  les  sacrificateurs  traçant 
de  leur  doigt  des  caractères  avec  la  cendre  des  victimes  sur  l’autel  de  Jupiter,  ces 
empreintes  demeuraient  parfaitement  intactes  jusqu’à  l’année  suivante.  Aujour- 
d’hui encore  les  voyageurs  qui  montent  au  sommet  du  pic  de  Ténériffe  font  leur 
ascension  de  nuit  et  non  de  jour;  aussitôt  après  le  lever  du  soleil,  leurs  guides 
les  engagent  à descendre  sans  délai,  à cause  apparemment  du  danger  qu’il  y au- 
rait à respirer  un  air  si  rare  et  si  suffocant. 

• Novum  organum , liv.  Il,  § 11.  Traduction  de  Lorquet,  p.  85. 


206 


HISTORIQUE. 


Ce  n’est  en  effet  qu’un  demi  siècle  après  Acosta,  que  Torri- 
celli  inventait  le  baromètre,  et  Otto  de  Guéricke  la  machine 
pneumatique.  Désormais,  les  expériences  de  laboratoire  pou- 
vaient marcher  simultanément  avec  les  observations  faites  par 
les  voyageurs.  Mais,  chose  curieuse,  pendant  longtemps  les  phy- 
siciens cherchèrent  exclusivement  à étudier  l’influence  du  vide, 
c’est-à-dire  de  la  soustraction  totale  de  l’air.  Ils  ne  se  deman- 
dèrent pas  ce  qui  arriverait  du  séjour  dans  l’air  simplement  ra- 
réfié; pour  eux,  semble-t-il,  il  n’existe  que  deux  circonstances  : 
avoir  de  l’air  ou  en  être  privé.  Et  cependant,  par  une  contradiction 
étrange,  beaucoup  d’entre  eux,  cherchant  pourquoi  meurent  les 
animaux  maintenus  en  vases  clos,  restent  persuadés  que  c’est  à 
cause  de  la  « diminution  du  ressort  de  l’air  ».  Chose  curieuse!  ils 
ne  s’enquièrent  pas  expérimentalement  de  ce  qu’il  adviendrait 
d’animaux  soumis  d’emblée  à une  semblable  diminution;  après 
les  fameuses  expériences  de  Pascal  sur  le  Puy-de-Dôme  (22  septem- 
bre 1648),  ils  ne  s’étonnent  pas  de  voir  continuer  à vivre  des 
animaux  qui,  sur  les  montagnes,  sont  soumis  5 une  diminution  de 
l’élasticité  de  l’air  énormément  supérieure  à celle  qui  coïncide  avec 
l’axphyxie  en  vases  clos. 

Quoi  qu’il  en  soit,  les  membres  de  la  fameuse  Académie  del  Ci- 
mento  1 nous  apprennent  que  : 

Dès  le  temps  que  Torricelli  le  premier  a inventé  l’expérience  avec  le  mercure,  il 
commença  aussi  à penser  comment  il  enfermerait  divers  animaux  dans  le  vuide, 
afin  d’observer  en  eux  le  mouvement,  le  vol,  la  respiration  et  tous  les  autres 
phénomènes  qui  pourraient  être  observés.  Mais,  étant  destitué  pour  cette  sorte 
d’expérience  des  instruments  nécessaires,  il  fit  tout  ce  qu’il  put.  Car  les  petits  et 
tendres  animaux  étaient  opprimés  par  le  mercure,  à travers  lequel  ils  étaient  obli- 
gés de  monter  vers  le  haut,  lorsqu’on  renversait  ensuite  le  vaisseau,  et  qu’on  le 
plongeait  dans  d’autre  mercure.  De  là  il  y arrivaient,  ou  morts,  ou  à l’agonie, 
de  sorte  qu’on  ne  pouvait  bien  discerner  s’ils  recevaient  plus  de  dommage,  ou  du 
mercure  qui  les  suffoquait,  ou  de  la  privation  de  l’air.  (P.  46.) 

Quant  à eux,  ils  racontent,  dans  leurs  mémoires  pour  l’année 
1667,  les  nombreuses  expériences  qu’ils  firent  sur  des  animaux 
en  employant  des  tubes  barométriques  dont  la  vaste  chambre  était 
fermée  par  une  vessie. 

Ces  animaux  étaient  des  sangsues,  des  limaçons,  des  insectes  de 
divers  ordres,  des  reptiles,  des  oiseaux.  Les  expériences  mention- 

1 Relation  de  divers  phénomènes  arrivés  dans  le  vuide , à des  animaux  qu’on  y avoit 
enfermés.  — Collect.  acad  , partie  élrang.,  t.  I,  p.  46-61. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


207 


nent  avec  une  remarquable  exactitude  les  divers  symptômes  que 
présentent  ces  animaux  soumis  instantanément  à un  vide  presque 
parfait.  Les  physiciens  de  Florence  remarquèrent  en  outre  que  chez 
les  poissons  placés  dans  le  vide,  la  « vessie  d’air»  se  désenfle  et  que 
les  poissons  restent  ensuite  au  fond  de  l’eau  : de  là,  de  curieuses 
expériences,  grâce  auxquelles  ils  découvrirent  le  «petit  soupirail» 
par  où  sort  l’air  quand  il  est  dilaté  par  l’effet  de  la  diminution  de 
pression. 

On  ne  trouve  dans  ce  récit  aucune  indication  théorique,  bien 
nette,  sur  l’action  du  vide.  Il  en  ressort  cependant  que,  pour  les  aca- 
démiciens del  Cimento,  le  vide  agit  simplement  par  la  soustraction 
de  l’air.  Au  reste,  leur  traducteur  et  commentateur  van  Musschen- 
broeck  s’en  explique  d’une  manière  fort  claire  lorsqu’il  dit  ‘ 

Si  nous  voulons  sçavoir  exactement  combien  de  temps  un  petit  oiseau  peut  seu- 
lement manquer  d’air,  qu’on  le  plonge  sous  l’eau  ; car  alors  il  ne  peut  point  res- 
pirer l’air,  et  il  est  aussitôt  comme  dans  le  vuide. 

Ces  notes  de  van  Musschenbroeck  1 contiennent  encore  une  très- 
curieuse  description  des  phénomènes  présentés  par  un  animal  sou- 
mis à l’action  du  vide,  avec  une  interprétation  des  causes  de  la 
mort,  interprétation  extrêmement  remarquable,  bien  qu’elle  se  res- 
sente des  idées  fausses  de  l’époque  sur  la  circulation  pulmonaire  : 

On  renferma  dans  un  récipient  de  verre  un  lapin,  et  par  le  moyen  de  la  ma- 
chine pneumatique  on  tira  tout  l’air;  l’animal  commença  d’abord  par  être  inquiet, 
à chercher  l’air,  à s’enfler  de  toutes  parts  : ses  yeux  lui  sortaient  hors  de  la  tête, 
son  ventre  se  lâcha,  il  chercha  une  issue  par  tout  le  vaisseau,  se  dressa  en  res- 
pirant à peine,  s’affaiblit  et  tomba  en  convulsions,  se  coucha  sur  le  côté,  et  enfin, 
il  mourut;  toutes  ces  choses  arrivèrent  dans  une  demi-minute,  dès  que  l’on  eut 
agité  la  pompe,  qui  tira  promptement  tout  l’air  du  vaisseau  : ayant  rendu  l’air, 
tout  le  corps  de  l'animal  se  désenfla  ; ayant  ouvert  ensuite  la  poitrine,  on  trouva 
les  poumons  petits,  flasques,  solides,  spécifiquement  plus  pesans  que  l'eau.  Mais 
tout  le  corps  de  l’animal  s’enfle  dans,  le  vuide,  parce  que  le  ventricule  et  les  intes- 
tins renferment  beaucoup  d’air  qui,  n’étant  plus  comprimé  par  le  poids  extérieur 
de  l’atmosphère,  se  dilate  de  toutes  parts  par  son  élasticité  et  enfle  l’abdomen. 
Mais  le  sang  et  les  autres  humeurs  ont  entre  leurs  parties  de  l’air  élastique  entre- 
mêlé qui  alors,  n’étant  point  comprimé,  se  dilate,  recouvre  son  élasticité  et  dilate 
tous  les  vaisseaux,  d’où  tout  le  corps  de  l’animal  doit  s’enfler  de  toutes  parts,  sur- 
tout les  yeux,  dont  les  humeurs  renferment  beaucoup  de  cet  air;  c’est  ce  que 
l’expérience  m’a  appris,  comme  j’ai  tâché  de  le  prouver  dans  ma  dissertation,  De 
aeris  existentiâ  in  omnibus  animalium  humoribus. 

Outre  cela,  l’animal  renfermé  dans  le  vuide  ne  peut  inspirer  l’air  4&ns  ses  pou- 

1 Je  ne  sais  de  quelle  époque  exacte  elle  sont.  Musschenbroeck  vécut  de  1692  à 1761  ; le. 
volume  de  la  Collection  académique  où  elles  sont  insérées  parut  en  1755. 


‘208 


HISTORIQUE. 


nions,  et  quoiqu’il  tâche  de  dilater  sa  poitrine,  et  qu’il  répète  souvent  cette  dila- 
tation, néanmoins  il  n’y  a rien  qui  entre  de  la  partie  extérieure  des  poumons 
dans  les  vaisseaux  aériens  ou  les  vésicules.  C’est  pourquoi  la  force  contractile 
naturelle  à toutes  les  fibres  resserre  les  vésicules,  les  poumons  décroissent,  de- 
viennent plus  denses,  et  spécifiquement  plus  pesans  que  l’eau  : mais  tandis  que 
les  vésicules  attachées  aux  extrémités  de  la  trachée  artère  se  resserrent,  la  cir- 
culation du  sang  est  empêchée  dans  les  artères  et  les  veines  qui  environnent  en 
abondance  toute  la  surface  vésiculaire,  et  dans  celles  qui  sont  placées  dans  les 
interstices  laissés  entre  chaque  vésicule.  Mais  dans  cet  animal  adulte,  le  sang  de 
tout  le  corps,  chassé  par  le  ventricule  droit  du  cœur,  doit  passer  par  les  vaisseaux 
des  poumons  dans  l’oreillette  et  le  ventricule  gauches,  afin  qu’il  puisse  de  là  être 
chassé  et  envoyé  dans  les  parties  du  corps.  Les  vésicules  des  poumons  étant  tom- 
bées et  resserrées  dans  le  vuide,  les  vaisseaux  sanguins  sont  aussi  comprimés,  il 
ne  passe  rien  du  ventricule  droit  du  cœur  dans  le  gauche,  le  sang  n’est  pas  envoyé 
au  cerveau,  au  cervelet  ou  aux  autres  parties  du  corps,  et  c’en  est  fait  de  la 
circulation  du  sang  en  quoi  consistoit  la  vie.  Mais  avant  que  la  circulation  du  sang 
cessât  entièrement  dans  les  poumons,  l’air  qui  est  mêlé  dans  le  sang  se  dégageoit 
des  interstices,  se  rassembloit,  se  raréfioit,  étoit  poussé  au  cerveau,  causoit  çà  et 
là  des  obstructions  ; de  là  la  sécrétion  mal  ordonnée  des  esprits  animaux  dans  le 
cerveau,  et  de  là  leur  inégale  influence  dans  les  muscles  du  corps,  qui  étoit  la 
cause  des  convulsions  et  retardoit  la  mort.  le  ne  doute  point  que  tous  les  ani- 
maux dont  le  cœur  a deux  ventricules  et  n’est  point  percé  d’un  trou  ovale  ne 
mourussent  dans  le  vuide  avec  les  phénomènes  que  j’ai  rapportés 

Les  animaux  qui  ont  un  trou  ovale  ouvert  dans  le  cœur  vivent  longtemps  dans 

le  vuide,  et  ne  meurent  point  pour  d’autres  causes  que  pour  la  soif,  la  faim,  etc 

(P.  55.) 

Ainsi,  pour  le  célèbre  professeur  de  Leyde,  la  mort  des  animaux 
soumis  au  vide  arrivait  par  suite  d’un  arrêt  dans  la  circulation  du 
sang,  arrêt  dû  à l’affaissement  des  poumons  dont  le  vide  a enlevé 
tout  l’air;  de  plus,  les  gaz  se  séparant  du  sang  obstruaient  les  vais- 
seaux, surtout  dans  le  cerveau  : 

On  dit,  ajoute  Mussenbroeck,  que  les  oiseaux  supportent  plus  facilement  et  sans 
incommodité  un  air  rare,  que  les  animaux  terrestres,  car  ils  ont  coutume  lors- 
qu’ils volent  en  haut  de  respirer  un  air  plus  rare  : ils  ne  supportent  cependant 
pas  un  air  raréfié  aux  trois  quarts;  c’est  pourquoi  ils  ne  peuvent  monter  qu’à  une 
certaine  hauteur  dans  l’atmosphère,  et  non  point  à toutes  sortes  de  hauteurs  : ces 
animaux  sont  inquiets  dans  un  air  plus  rare’,  parce  que  cet  air  peut  à peine,  par 
son  élasticité,  étendre  les  vésicules  des  poumons  si  la  poitrine  ne  se  dilate  par  une 
très-grande  force  ; d’où  vient  cette  inquiétude  qu’ont  ressentie  les  hommes  qui 
sont  montés  sur  le  sommet  des  hautes  montagnes  d’Arménie,  de  Savoie,  des  Py- 
rénées, de  Ténériffe,  où  l’air-  est  beaucoup  plus  rare  que  celui  qui  est  proche  de  la 
surface  de  la  terre.  (IL  57.) 

En  France,  l’Académie  des  sciences  pensa  tout  d’abord  à faire 
des  expériences  avec  « la  machine  de  M.  Guéricke  de  Magdebourg  » ; 
mais  la  seule  dont  ses  Mémoires 1 nous  aient  apporté  le  récit  a trait  à 

1 Expérience  du  Vuide. — Histoire  de  V Acad,  des  sciences  de  Paris,  1668;  t.  I,  p.  45. 
— Collect.  acad.,  partie  française,  t.  I,  p.  ‘23. 


209 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 

un  goujon  qui,  après  l’action  du  vide,  tomba  au  fond  de  l’eau,  « sa 
vessie  s’étant  vidée  ». 

Cependant,  en  Angleterre,  un  des  physiciens  expérimentateurs 
les  plus  remarquables  du  dix-septième  siècle,  Robert  Boyle,  avait 
entrepris  sur  la  vie  des  animaux  soumis  au  vide  des  recherches  du 
plus  haut  intérêt.  11  se  servait  de  la  machine  pneumatique.  Ses  ex- 
périences, publiées  en  1670  parles  Philosopliical  Transactions , sont 
à coup  sûr  notablement  antérieures  à cette  époque,  puisque  quel- 
ques-unes d’entre  elles  sont  citées  dans  le  mémoire  plus  haut  cité 
des  Physiciens  de  Florence,  imprimé  en  1667. 

Ce  travail  considérable  est  divisé  en  plusieurs  litres  : 

Dans  le  1er,  Boyle  se  demande  si  les  oiseaux  aquatiques,  qui  peuvent 
rester  quelque  temps  plongés  dans  l’eau  « par  la  structure  parti- 
culière de  quelques  vaisseaux  qu’ils  ont  autour  du  cœur  » , pourraient 
soutenir  mieux  que  d’autres  animaux  la  privation  de  l’air  dans  la 
machine  pneumatique.  Et,  après  expérience  faite  sur  un  canard,  il 
répond  négativement. 

Dans  le  2e  et  le  5e,  Boyle  rapporte  les  résultats  d’expériences  fai- 
tes sur  les  serpents  et  les  grenouilles,  qui  supportèrent  longtemps 
le  vide. 

Dans  le  4e  titre,  il  dit  qu’il  expérimenta  sur  des  chats  nouveau- 
nés,  et  qu’il  vit  avec  étonnement  ces  animaux  résister  trois  fois  plus 
longtemps  que  probablement  n’auraient  pu  résister  des  animaux 
plus  âgés  et  de  même  grosseur. 

Titre  V.  — Expérience  pour  reconnaître  le  volume  d’air  contenu  dans  les  pores 
de  l’eau. 

Titres  YI  et  Vil.  — De  l’action  du  vide  sur  des  huîtres,  des  écrevisses  et  un  gou- 
jon. 

Titre  VIII.  — Expérience  sur  un  oiseau  et  une  grenouille  renfermés  dans  la  ma- 
chine pneumatique,  ayant  tous  deux  l’abdomen  ouvert. 

Titre  IX.  — Expérience  sur  le  cœur  de  l’anguille. 

Titre  X.  — Comparaison  du  temps  qu’il  faut  pour  faire  mourir  les  animaux  dans 
l’eau  et  dans  la  machine  pneumatique. 

Dans  le  titre  XI,  Boyle  rapporte  les  souffrances  dont  s’est  plaint 
Acosta  dans  son  passage  du  Pariacaca,  et  il  déclare  avoir  entendu  de 
semblables  rapports  de  voyageurs  ayant  fait  l’ascension  du  mont 
Ararat,  du  pic  du  Midi,  du  pic  de  Ténériffe  et  même  des  Cévennes. 

1 Boyle,  R.,  New  Pneumalical  experiments  about  Respiration.  Philos.  Transact., 
t.  V,  p.  2011-2058,  1670.  — Extrait  et  traduit  : Collect.  acad.,  partie  étrangère,  t.  VI, 
p.  23-50;  1761. 


14 


210 


HISTORIQUE. 


Nous  avons  reproduit  au  chapitre  Ier  ces  diverses  observations.  Il  se 
demande  à ce  propos  : 

Si  la  difficulté  de  respirer  qu’ont  éprouvée  quelques  personnes  sur  les  hauteurs 
du  Pariacaca,  et  peut-être  sur  quelques  autres  montagnes  fort  élevées,  vient  uni- 
quement du  défaut  de  ressort  de  l’air  dans  ces  endroits  élevés  ; si  on  ne  doit  pas 
l’attribuer,  au  moins  en  partie,  à quelques  vapeurs  pénétrantes  dont  l’air  peut  se 
trouver  chargé  en  certains  endroits.  (P.  42.) 

Titre  XII.  — Effets  produits  sur  un  animal  par  la  raréfaction  et  la  condensation 
alternatives  du  même  air. 

Le  titre  XIII  contient  le  récit  d’une  bien  remarquable  expérience, 
que  devra  reprendre  Magnus,  plus  d’un  siècle  et  demi  après  : 

Le  sang  d’un  agneau  ou  d’un  mouton  m’ayant  été  apporté  tout  chaud  de  la  bou- 
cherie, où  l’on  avait  eu  soin  de  briser  les  fibres  pour  empêcher  la  coagulation,  je 
mis  ce  sang  dans  un  vaisseau  de  verre  à large  orifice,  et  le  vaisseau  fut  placé 
dans  un  récipient  ; on  pompa  Pair  aussitôt  et  avec  grand  soin  ; mais  l’effet  de  cette 
opération  ne  fut  pas  si  prompt  ni  si  apparent,  surtout  au  commencement,  que  j’au- 
rais cru  qu’il  devait  l’être  sur  une  liqueur  aussi  spiritueuse;  cependant,  après  une 
longue  attente,  nous  vîmes  que  les  parties  les  plus  subtiles  du  sang  se  faisaient 
jour  à travers  les  plus  visqueuses,  et  formaient  des  bouillons  dont  quelques-uns 
étaient  aussi  larges  que  de  grosses  lèves  ou  des  noix  muscades  ; quelquefois 
l’expansion  était  si  forte,  que  le  sang  s’élevait  en  bouillonnant  au-dessus  du  vais- 
seau de  verre,  dont  cependant  il  n’occupait  guère  que  le  quart  au  commencement 
de  l’expérience.  (P.  46.) 

Robert  Boyle  fit  ainsi  sortir  de  l’air  d’autres  liquides  organiques 
et  de  toutes  les  parties  molles.  Et  il  explique  avec  une  sagacité  su- 
périeure le  but  de  ces  expériences  ; il  voulait  reconnaître 

Ce  qui,  joint  au  défaut  de  respiration,  pouvait  contribuer  à faire  mourir  les  ani- 
maux dans  le  vuide  de  la  machine  pneumatique  ; en  effet,  il  paraît  que  les  bulles 
qui,  lorsque  l’air  ambiant  est  supprimé,  se  forment  dans  le  sang,  dans  les 
autres  liqueurs  et  dans  les  parties  molles  du  corps,  peuvent  par  leur  multitude 
et  leur  distension  gonfler  en  quelques  endroits  et  en  d’autres  resserrer  les  vais- 
seaux qui  portent  dans  tout  le  corps  le  sang  et  la  nourriture,  surtout  les  plus 
petits  de  ces  vaisseaux,  boucher  les  passages  ou  changer  leur  figure,  enfin  ar- 
rêter ou  troubler  la  circulation  en  mille  manières.  Ajoutez  à cela  l’irritation  cau- 
sée dans  les  nerfs  et  les  parties  membraneuses  par  ces  distensions  forcées  ; 
irritation  qui  produit  les  convulsions  et  occasionne  une  mort  plus  prompte  que 
n’aurait  fait  la  simple  privation  de  l’air.  Cette  formation  des  bulles  a lieu  même 
dans  les  plus  petites  parties  du  corps,  car  j’ai  vu  une  bulle  très  apparente  se 
mouvoir  de  côté  et  d’autre  dans  l’humeur  aqueuse  de  l’œil  d’une  vipère  à l’in- 
stant où  cet  animal  paraissait  violemment  tourmenté  dans  le  récipient  d’air 
épuisé.  (P.  47.) 

Dans  le  titre  XIV  est  rapportée  une  très-belle  expérience,  par 
laquelle  Boyle  montre  que  les  animaux  s’habituent  à l'action  de  la 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES.  211 

raréfaction  de  l’air,  et  en  souffrent  moins  dans  les  expériences  suc- 
cessives. 

Titre  XY.  — Expérience  qui  prouve  que  l’air  peut  conserver  son  ressort  en 
cessant  d’être  propre  à la  respiration. 

Titre  XVI.  — De  l’usage  de  l’air  pour  faire  sortir  les  exhalaisons  du  corps. 

Titre  XVII.  — Force  de  la  limace  et  de  la  sangsue  pour  supporter  la  privation 
de  l’air. 

Titre  XVIII.  — Essai  du  vuide  sur  quelques  insectes  rampants. 

Titre  XIX.  — Des  insectes  ailés  renfermés  dans  le  vuide. 

Titre  XX.  — Du  besoin  que  les  fourmis  et  les  mites  ont  de  l’air  pour  se  mou- 
voir. 

Dans  un  autre  travail1,  le  célèbre  physicien  insiste  à nouveau 
sur  l’expérience  relative  aux  bulles  d’air  qui  s’échappent  des  li- 
quides organiques  placés  dans  le  vide,  et  il  est  amené  à faire 
jouer  au  dégagement  de  ces  bulles  un  rôle  important  dans  les  acci- 
dents dus  à la  diminution  de  pression  : 

Lorsque  je  me  rappelle,  dit-il,  combien  notre  machine  (la  machine  pneumatique) 
fait  paraître  d’air  invisiblement  retenu  dans  les  pores  non-seulement  de  l’eau, 
mais  du  sang,  du  sérum,  de  Furine,  de  la  bile  et  des  autres  liquides  du  corps 
humain  ; quand  je  réfléchis  que  (comme  je  l’ai  démontré  expérimentalement 
ailleurs)  la  pression  de  l’atmosphère  et  l’élasticité  de  l’air  agissent  sur  les  liqui- 
des et  sur  les  corps  immergés  dans  ces  liquides,  et  aussi  sur  les  corps  solides 
immédiatement  exposés  à l’air,  je  penche  à croire  que  les  simples  altérations  de 
l’atmosphère  au  point  de  vue  du  poids  peuvent,  dans  quelques  cas,  avoir  une 
influence  sensible  même  sur  l’état  de  santé  ou  de  maladie  de  l’homme.  Lorsque 
l’air  ambiant,  par  exemple,  devient  subitement  plus  léger  qu’auparavant  ou  qu’ha- 
bituellement, les  particules  spiritueuses  ou  aériennes,  qui  sont  retenues  en  abon- 
dance dans  la  masse  du  sang,  gonfleront  naturellement  ce  liquide,  pouvant  ainsi 
distendre  les  gros  vaisseaux,  et  changer  notablement  la  rapidité  de  la  circulation 
du  sang  dans  les  artères  capillaires  et  les  veines.  Que  par  cette  altération  plu- 
sieurs changements  puissent  survenir  dans  le  corps,  cela  ne  semblera  point  im- 
probable à ceux  qui  savent,  en  général,  combien  est  important  le  rhythme  de  la 
circulation  du  sang,  quoique,  quant  à ses  effets  particuliers,  je  les  laisse  à la  spé- 
culation des  médecins. 

Ces  expériences  furent  répétées  et  variées  de  différentes  maniè- 
res par  tous  les  physiciens  de  ce  temps  : Slairs,Derham,  Huyghens, 
Papin,  du  Hamel,  etc. 

Je  cilerai  un  extrait  du  travail  fait  en  commun  par  Huyghens  et 
Papin;  ce  passage  est  remarquable  par  l’explication  toute  méca- 
nique qu’on  y trouve  de  la  cause  de  la  mort  des  animaux  placés 
dans  le  vide  de  la  machine  pneumatique. 

1 A new  Experiment  concerning  an  Effect  of  lhe  varying  Weight  ofthe  Atmosphère 
upon  some  Bodies  in  the  Water.  — Philosopli.  Transact.,  VII,  1(372;  p.  5156. 


212 


HISTORIQUE. 


Selon  Huyghens  et  Papin1,  les  animaux  à sang  chaud  ne  revien- 
nent jamais  quand  il  ont  été  mis  dans  un  vide  parfait,  ils  ajoutent 
alors  : 

M.  Guide,  qui  a souvent  disséqué  de  ces  animaux  que  nous  faisions  mourir  dans 
le  vuide,  a observé  entre  autres  choses  que  leurs  poumons  vont  au  fond  de  l’eau, 
et  il  prétend  que  la  solidité  ou  la  densité  des  poumons  des  animaux  qui  sont 
morts  ainsi  dans  le  vuide  vient  de  ce  que  le  sang,  poussé  dans  les  poumons  par 
la  veine  artérielle,  presse  avec  tant  de  violence  les  bronches  de  la  trachée  artère, 
qu’il  en  exprime  l’air  et  qu’il  fait  joindre  les  parois  de  ces  conduits  affaissés, 
comme  si  elles  étaient  collées  ensemble  ; mais,  pour  moi,  je  ne  crois  pas  que  le  sang 
de  la  veine  artérielle  puisse  comprimer  ainsi  les  bronches,  parce  que  le  sang  a ses 
vaisseaux  propres  qui  le  contiennent  et  l’empêchent  d’en  comprimer  d’autres.  . 

11  est  donc  plus  probable  que  si  les  poumons  sont  comprimés  ils  le  sont  par 
la  plèvre  qui  peut  se  gonfler  au  dedans  de  la  poitrine  comme  la  peau  se  gonfle  à 
l’extérieur  ; mais  il  n’est  pas  nécessaire  que  les  poumons  soient  comprimés  dans 
le  vuide  pour  qu’ils  puissent  aller  au  fond  de  l’eau  ; car  j’ai  plusieurs  fois  mis 
dans  le  vuide  des  morceaux  de  poumons  et  des  poumons  entiers,  et  ils  y restaient 
extrêmement  gonflés  ; mais  dès  qu’on  faisait  entrer  de  l’air  dans  le  récipient 
ils  devenaient  plats  et  rouges  et  ils  allaient  au  fond  lorsqu’on  les  mettait  dans 
l’eau.  (P.  150.) 

Enfin,  avant  de  quitter  cette  époque  féconde,  je  crois  devoir  re- 
produire un  fort  curieux  plan  d’expériences  suggéré  au  physicien 
anglais  Beale2,  par  son  célèbre  compatriote  Boyle  : 

Il  serait,  je  pense,  très-important  de  voir  les  effets  produits  sur  les  plantes  pla- 
cées dans  la  machine  à raréfier  l’air  de  M.  Boyle,  et  ainsi  que  sur  les  fleurs  des 
cerisiers,  etc. 

L’illustre  M.  Boyle  me  suggère,  pour  la  saison  qui  approche,  d’essayer  : 

1°  Si  les  graines  germent  dans  le  récipient  privé  d’air  ; 

2°  Si  l’enlèvement  de  l’air  sera  nuisible  aux  sensitives; 

3°  Si  la  gretfe  de  poirier  sur  la  spina  cervina  (le  seul  végétal  purgatif  connu  en, 
Angleterre)  communiquera  aux  poires  des  qualités  purgatives. 

4°  Si  les  œufs  de  ver-à-soie  écloront  dans  le  récipient  quand  la  saison  sera 
venue. 

Il  faudrait  rechercher  en  outre  si  les  plantes  aquatiques  vivent  dans  l’eau  dont 
on  aura  enlevé  l’air  par  la  pompe 

Une  de  ces  expériences  a été  faite  sur  des  graines  de  laitue.  Celles  qui  avaient 
été  semées  à l’air  libre  mesurèrent  1 pouce  1/2  de  haut  après  huit  jours,  les  au- 
tres n’avaient  pas  poussé  ; mais  elles  germèrent  quand  on  laissa  rentrer  l’air. 

Nous  n’insisterons  pas  davantage  sur  ces  tentatives  qui,  ainsi  que 
nous  l’avons  fait  observer,  ont  rapport  presque  exclusivement  à 

1 Huyghens  et  Papin,  Sonie  experiments  touching  Animais,  made  in  Air-Pump.  — 
Philosoph.  transacl.,  X,  p.  542-543.  — Extrait  et  trad.  Collect.  acad partie  étrangère-, 

’t.  VI,  p.  143-155. 

2 To  try  the  Effects  of  the  Pneumatick  Engine  exhausted  in  Plants,  Seeds,  Eggs  of 
Silkworms.  — Philosoph.  Transact.,  vol.  II,  p.  424-425;  1667. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


213 


l’influence  du  vide  à peu  près  complet.  Sauf  quelques  expériences 
de  Boyle  et  de  Muschenbroek,  il  n’y  est  pas  question,  en  effet,  de 
l’air  simplement  raréfié. 

Cependant,  on  l’a  vu,  ces  physiciens  se  sont  efforcés  de  trouver 
dans  ces  expériences  des  explications  pour  les  troubles  physiologi- 
ques éprouvés  par  les  voyageurs  qui  font  l'ascension  de  hautes 
montagnes.  Cette  préoccupation  se  manifeste  encore  dans  un  cu- 
rieux passage  de  Y Histoire  de  V Académie  des  sciences  pour  1 705 1 ; 
il  montre  en  même  temps  combien  d’incertitudes  assiégeaient  alors 
l’esprit  des  physiciens  eux-mêmes,  sur  la  question  de  la  mesure 
des  hauteurs  par  le  baromètre  : 

il  y a quelque  apparence  que  l’air  dilaté  dans  un  tuyau  n’est  pas  tout  à fait  de 
la  même  nature  que  l’air  du  haut  d’une  montagne.  Si  l’on  met  de  l’eau  tiède  dans 
la  machine  du  vuide,  elle  bout  très-fort  dès  qu’on  a pompé  la  moitié  de  l’air,  parce 
que  celui  qui  étoit  naturellement  mêlé  dans  cette  eau,  et  qu’on  avoit  déjà  un  peu 
échauffé,  étant  soulagé  de  la  moitié  du  poids  qui  le  pressoit,  tend  à se  dégager  en- 
tièrement. De  là  M.  Mariette  avait  conjecturé  que  si  l’on  étoit  à une  hauteur  où  le 
poids  de  l’atmosphère  fût  diminué  de  moitié,  le  sang,  beaucoup  plus  chaud  que 
l'eau  tiède  et  toujours  plein  d’air,  bouillonneroit,  de  manière  qu’il  ne  pourroit  plus 
circuler,  et  il  faut  convenir  que  la  conjecture  étoit  assez  bien  fondée.  Cependant 
MM.  Cassini  et  Maraldi,  qui  ont  monté  à des  hauteurs  où,  selon  leur  calcul,  le  poids 
de  l’atmosphère  étoit  à peu  près  de  la  moitié  moindre,  n’ont  senti  aucune  incom- 
modité causée  par  la  raréfaction  de  l’air.  Beaucoup  de  gens  qui  ont  été  encore 
plus  haut  ne  s’en  sont  pas  aperçus  davantage. 

Je  n’ai  pas  besoin  d’insister  pour  faire  remarquer  l’erreur  dans  la- 
quelle se  trouve  l’écrivain  relativement  à la  hauteur  des  montagnes 
où  sont  montés  Cassini  et  Maraldi.  Quelques  lignes  plus  haut,  il  disait 
lui  même  que  « le  baromètre  baisse  à peine  de  5 ou  6 pouces  sur 
les  plus  hautes  montagnes  où  l’on  ait  observé  ». 

Plus  tard,  les  physiciens  italiens  reprirent  l’étude  de  ces  impor- 
tants problèmes.  Veratti,  académicien  de  Bologne,  fit  à ce  sujet  de 
nombreuses  expériences2.  Il  commence  par  rappeler  que  deux  ex- 
plications fort  différentes  ont  été  données  de  la  mort  des  animaux 
dans  le  vide  : 

Selon  l’ingénieux  Borelli,  cette  mort  arrive  parce  que,  l’air  extérieur  étant  enle- 
vé, l’air  contenu  dans  le  sang  et  dans  les  humeurs  se  raréfie  excessivement  et 
distend  les  vaisseaux  au-delà  de  ce  que  l’animal  peut  supporter.  D’après  cette  idée 


1 Sur  la  raréfaction  et  la  condensation  de  l'air.  — Hist.  de  V Acad,  des  sc.  de  Paris , 
année  1705,  p.  15;  et  Collecl.  acad.,  partie  française,  t.  II,  p.  181. 

- Sur  la  mort  des  animaux  dans  le  vuide,  Acad,  des  sc.  de  Bologne.  — Coll,  acad., 
partie  étrangère,  t.  X,  p.  55;  1773. 


214 


HISTORIQUE. 


il  faut  conclure  qu’il  s’excite  dans  le  sang  et  les  autres  liqueurs  une  espèce  d’ef- 
fervescence qui  les  raréfie  et  retarde  leur  mouvement,  que  les  nerfs  en  sont  com- 
primés et  le  cours  des  esprits  animaux  intercepté,  ce  qui  entraîne  nécessairement 
la  mort  de  l’animal 

M.  Muschenbroek....,  place  la  cause  de  ce  phénomène  dans  le  poumon.  Il  pense 
que  les  vésicules  pulmonaires,  ne  recevant  plus  d’air  extérieur,  se  contractent  plus 
que  de  raison...  ce  qui  fait  que  les  vaisseaux  sont  rétrécis,  que  le  sang  s’y  arrête... 
(Voir  du  reste  plus  haut  l’opinion  de  Muschenbroek  et  celle  de  Guideus.) 

Veratti,  ayant  mis  dans  le  vide  des  cailles,  vit  que  leur  pou- 
mon surnageait  après  la  mort.  Le  poumon  de  rats  et  de  lapins  sur- 
nagea aussi,  mais  non  celui  de  jeunes  chats  âgés  de  huit  jours.  Il 
en  conclut  : 

Que  Muschenbroek  et  Guideus  ou  bien  avaient  mis  en  expérience  des  animaux 
nouveau-nés,  dans  lesquels  le  trou  ovale  n’était  point  encore  fermé,  et  dont  les 
poumons  n’avaient  pu  se  dilater  suffisamment  pour  devenir  spécifiquement  plus 
légers  que  l’eau;....  ou  bien  qu’ils  ont  laissé  les  animaux  trop  longtemps  dans  le 
vuide  après  leur  mort;....  ou  encore  que  l’air  du  récipient  était  peut-être  plus 

raréfié  dans  les  expériences  de  ces  physiciens qui  n’ont  pas  eu  soin  d’avertir 

jusqu’à  quel  point  ils  ont  pompé  l’air Quant  à lui,  il  s’est  contenté  de  le  raré- 

fier autant  qu’il  était  nécessaire  pour  donner  la  mort  aux  animaux.  .... 

Les  poumons,  dit-il  'en  terminant,  ne  sont  plus  pesants  que  l’eau  que  dans  le 
cas  où  ils  ont  étégardés  quelque  temps  dans  le  vuide  après  la  mort  de  l’animal.  Gela 
prouve  bien  que  cette  mort  ne  doit  point  être  attribuée  au  resserrement  du  pou- 
mon  Peut-être  même  que  les  poumons  ne  deviennent  pas  plus  denses  dans  le 

vuide,  et  qu’ils  ne  paraissent  tels,  lorsqu’on  les  en  retire,  que  par  la  pression  de  l’air 
extérieur  qu’ils  recommencent  d’éprouver  alors.  D’ailleurs,  toutes  les  autres  par- 
ties du  corps  se  gonflant  dans  le  vuide,  on  ne  voit  pas  pourquoi  le  poumon  serait 
excepté  lui  seul. 

On  voit  que  Yeratti  n’est  rien  moins  qu’édifié  sur  le  résultat  des 
expériences  des  physiciens  hollandais.  Du  reste,  il  ne  prend  point 
un  parti  décidé,  Lien  qu’il  soit  amené  à pencher  vers  l’opinion  de 
Borelli. 

Dans  un  autre  mémoire 1 qu’il  consacre  à l’étude  de  l’asphyxie 
en  vases  clos,  il  fait  une  observation,  erronée  du  reste,  qui  montre 
combien  ces  questions  lui  paraissaient  complexes  : 

Aucuns  des  animaux  qui  meurent  dans  les  récipients  (air  confiné)  n’ont  de 
convulsions,  comme  il  arrive  toujours  à ceux  qui  meurent  sous  le  récipient  de  la 
machine  pneumatique  ; ce  qui  prouve  que  la  cause  qui  tue  les  animaux  dans  un 
air  renfermé  est  fort  différente  de  celle  qui  les  fait  mourir  dans  le  vuide. 

On  est  vraiment  bien  étonné  de  voir,  après  cela,  que  dans  l’expli- 


1 Sur  la  mort  de  quelques  espèces  d'oiseaux  et  de  grenouilles  dans  un  air  renfermé, 
Acad,  des  sc.  de  Bologne. — Collect.  acad.,  partie  étrangère,  t.  X,  p.  513-521. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


215 


cation  de  la  mort  des  animaux  renfermés  il  fasse  jouer  un  rôle 
important  à « la  destruction  du  ressort  de  l’air,  prouvée  par  ses  ex- 
périences »,  c’est-à-dire  à une  diminution  de  pression  de  quelques 
millimètres  de  mercure. 

Un  autre  Italien,  J.  Fr.  Cigna1,  poursuivait  peu  après  des  recher- 
ches du  même  ordre  sur  la  mort  en  vases  clos.  Mais,  le  premier,  il 
eut  l’idée  d’étudier  ce  qui  adviendrait  à des  animaux  maintenus 
jusqu’à  la  mort  dans  des  récipients  fermés,  en  présence  d’un  air 
diversement  raréfié. 

Il  se  servait  d’une  bouteille  contenant  « environ  50  livres  d’eau  ». 
Il  y mit  un  moineau,  puis  il  pompa  l’air  en  deux  minutes  jusqu’à 
une  dépression  de  16  pouces  et  10  lignes  : 

L’animal  vomit  dès  le  commencement,  il  essuya  quelques  convulsions,  ensuite 
il  parut  se  trouver  assez  bien  pendant  quelques  instants.  Sa  respiration  était  d’a- 
bord petite  et  fréquente  ; elle  le  devint  encore  plus  dans  la  suite  ; bientôt  elle  fut 
fréquente  et  profonde,  et  enfin  profonde  et  rare;  il  survint  alors  des  convulsions 
qui  terminèrent  sa  vie.  Le  mercure  s’était  peu  à peu  élevé  dans  le  siphon,  de 
sorte  qu’à  la  mort  de  l’animal  sa  hauteur  était  augmentée  d’environ  4 1/2  lignes. 
A compter  du  moment  que  la  communication  du  tube  avec  la  pompe  pneumatique 
avait  été  interrompue,  le  moineau  avait  vécu  55  minutes 

Après  avoir  lavé  la  bouteille,  j’introduisis  un  autre  moineau  ; je  pompai  l’air, 
de  façon  cependant  que  le  mercure  ne  s’élevait  dans  le  syphon  que  de  13  pouces 
5 lignes,  et  j’ôtai  la  communication  de  la  bouteille  avec  la  pompe.  Toutes  ces 
opérations  furent  faites,  comme  la  première  fois,  dans  l’espace  de  deux  minutes 
depuis  l’intromission  du  moineau.  Cet  animal  essuya  les  mêmes  symptômes  que  le 
premier.  Il  vécut  70  minutes  ; à sa  mort,  le  mercure  était  élevé  de  sept  lignes 
au-dessus  du  point  où  il  était  au  commencement. 

Enfin  j’introduisis  un  troisième  moineau  dans  la  bouteille,  sans  en  avoir  raréfié 
l’air  (la  hauteur  du  mercure  étoit  alors  de  27  pouces  6 lignes).  Les  symptômes 
furent  les  mêmes  à l’exception  des  convulsions.  L’animal  vécut  trois  heures  et 
demie.  A sa  mort,  le  mercure  était  monté  dans  le  siphon  d’environ  1 pouce  et 
11/2  ligne. 

Dans  ces  expériences,  les  quantités  d’air  enfermé  étaient  entre  elles  comme  les 
nombres  128,  1G9,  330  et,  par  conséquent,  à peu  près  comme  5,  4,  8.  La  durée 
de  la  vie  des  moineaux  fut  comme  les  nombres  55,  70,  210,  et  à peu  près  comme 
1,2,6;  d’où  il  suit  premièrement  que,  dans  des  airs  de  différente  densité,  elle 
ne  répond  pas  à la  quantité  d’air,  mais  qu’elle  augmente  en  plus  grande  propor- 
tion que  la  quantité  d’air,  lorsque  sa  densité  est  plus  grande,  et,  par  conséquent, 
que  la  même  quantité  d’air  soutient  plus  longtemps  la  vie  des  animaux  lorsqu’elle 
est  condensée  que  lorsqu’elle  est  raréfiée.  (P.  165.) 

Cigna  tire  de  ces  expériences  la  conclusion  suivante  : 

Un  air  raréfié  n’est  pas  nuisible  à la  vie  des  animaux  par  sa  rareté  même,  mais 

1 Sur  la  cause  de  l’extinction  de  la  flamme  et  de  la  mort  des  animaux  dans  un  air 
fermé.  Soc.  roy.  des  sc.  de  Turin,  t.  II,  années  1 700—1 7G1  ; p.  168. — Collect.  acad.y 
partie  étrangère,  t.  XIII,  p.  158-184;  1779. 


21  G 


HISTORIQUE. 


parce  qu’il  est  plus  tôt  altéré  que  lorsqu’il  est  plus  dense  ; car  dans  un  tel  air, 
les  animaux  respirent  d’abord  sans  peine  ; leur  respiration  ne  devient  laborieuse 
que  par  degrés,  et  d’autant  plus  tard  que  le  récipient  a plus  de  capacité  ; tout  s’y 
passe,  en  un  mot,  comme  dans  un  air  qui  a sa  densité  naturelle.  Au  lieu  que  si 
l'air  était  pernicieux  par  sa  rareté  même,  il  le  serait  également,  quelle  que  fût  la 
capacité  du  récipient.  (P.  166.) 

Et,  pour  le  prouver,  il  fit  une  double  expérience,  dans  laquelle 
deux  moineaux  étaient  soumis  à la  même  pression  très-faible  (de 
9 et  demi  à 7 et  demi  pouces),  l’un  dans  une  bouteille  fermée,  l’au- 
tre dans  un  récipient  où  il  renouvelait  fréquemment  l’air.  Le  pre- 
mier mourut,  tandis  que  le  second  était  « plein  de  santé  » après 
plus  d’une  demi  heure  : 

11  résulte  de  celte  expérience,  dit-il,  qu’un  air,  extrêmement  raréfié  sous  le 
récipient  pneumatique,  est  propre  à entretenir  la  respiration  et  la  vie,  pourvu 
qu'il  soit  renouvelé,  et  voilà  pourquoi  les  animaux  supportent  beaucoup  mieux 
la  condensation  d'un  air  renfermé  qu’une  raréfaction  égale  ; voilà  encore  pourquoi 
la  flamme  brûle  et  les  animaux  vivent  sur  les  plus  hautes  montagnes,  quoique 
l’air  y soit  extrêmement  raréfié,  tandis  qu’ils  meurent  bientôt  sous  un  récipient 
dont  on  a raréfié  l'air  au  même  degré  (p.  167). 

Mais  j’appelle  tout  particulièrement  l’attention  sur  la  remarquable 
explication  que  donne  Cigna  de  l’innocuité  (certes  bien  exagérée  par 
lui),  de  l’air  raréfié  et  renouvelé  : 

Il  est  sensible  qu’il  suffit  que  l’air  soit  assez  dense  pour  pouvoir  dilater  le 
poulmon  par  sa  pression;  or,  pour  dilater  le  poulmon,  il  suffit  que  cette  pression 
puisse  soumettre  la  résistance  qu’oppose  la  force  contractile  de  ce  viscère,  car  il 
n’y  a aucun  air  thoracique  qui  augmente  cette  résistance,  et  cette  pression  excède 
à peine  celle  de  deux  pouces  de  mercure;  d’où  il  suit  qu’un  air,  même  extrême- 
ment raréfié,  exerce  encore  une  pression  suffisante  pour  le  méchanisme  de  la  res- 
piration (p.  166). 

Aussi  arrive-t-il  à celte  opinion  que  « la  suffocation  des  animaux 
maintenus  dans  des  vaisseaux  fermés  est  l’ouvrage  des  vapeurs  ». 
Mais  le  suivre  dans  cette  voie  nous  écarterait  de  notre  sujet. 

Nous  allons  revenir  aux  voyageurs  qui  ont  fait  l’ascension  de 
montagnes  élevées  ; mais  il  convient  de  rapporter  auparavant  les 
expériences  intéressantes  du  poëte-naturaliste  Darwin1  et  les  cu- 
rieuses conséquences  théoriques  qu’il  en  tire  : nous  aurons  à revenir 
plus  tard  sur  ces  explications. 

L’auteur  se  demande  s’il  existe  vraiment  dans  le  sang  des  va- 


1 Darwin,  Experimenls  on  Animal  Flnids  in  the  exhausted  Receivcr.  — Philos.  Trans., 
t.  LXIV,  p.  544-549,  1774. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


217 


peurs  élastiques  d’une  nature  quelconque,  qui  ont  pu  faire  attri- 
buer « les  maladies  lunaires  et  équinoxiales  » aux  variations  de  la 
pression  atmosphérique  : 

Cette  opinion,  dit— il,  semble  démontrée  par  l’expérience  suivante  : Quatre  onces 
de  sang  sont  tirées  de  la  veine  du  bras  et  introduites  immédiatement  dans  le  réser- 
voir d’une  pompe  à air  : l’air  étant  enlevé,  le  sang  se  met  à mousser,  à s’élever 
en  bulles,  jusqu’à  occuper  dix  fois  plus  de  volume. 

Mais  il  y a là,  dit  Darwin,  un  raisonnement  erroné.  Si  on  isole 
entre  deux  ligatures,  chez  un  animal  qu’on  vient  de  tuer,  une 
certaine  longueur  d’un  vaisseau  plein  de  sang,  et  qu’on  mette  ce 
fragment  dans  un  vase  plein  d’eau,  sous  le  récipient  de  la  pompe, 
il  reste  au  fond  de  l’eau,  lorsqu’on  fait  le  vide,  sans  s’élever  ni  se 
gonfler,  comme  cela  devrait  avoir  lieu  s’il  contenait  réellement  de 
l’air  : 

Ainsi,  il  se  produit  un  grand  changement  dans  le  sang  tiré  de  la  veine,  par 

l’introduction  qui  s’y  fait  de  l’air  atmosphérique Ainsi,  ne  voyons-nous  pas 

que  la  ventouse  appliquée  sur  le  vivant  amène  de  la  mousse,  comme  il  arrive 
dans  le  vide. 

Il  est  donc  probable  que  les  animaux  peuvent  subir  sans  inconvénients  de  fortes 

variations  de  pression Quelques-unes  des  personnes  qui  ont  fait  l’ascension  de 

hautes  montagnes  rapportent  quelles  ont  craché  du  sang  ; mais  cela  n’a  jamais 
été  remarqué  chez  les  animaux  placés  dans  la  machine  pneumatique,  où  la  dimi- 
nution de  pression  était  supérieure  à ce  qui  arrive  dans  les  plus  hautes  montagnes. 
Ces  crachements  étaient  donc  des  maladies  accidentelles,  ou  étaient  la  conséquence 
du  violent  exercice  de  l’ascension. 

Nous  avons  vu,  citée  plus  haut  par  Veratti,  l’explication  qu’avait 
tout  d’abord  donnée  Borelli  des  accidents  de  la  dépression,  accidents 
qu’il  avait  lui-même  éprouvés  en  monlant  sur  l’Etna;  ils  seraient 
le  résultat  d’une  sorte  « d’effervescence  qui  arriverait  dans  le  sang 
et  les  autres  liqueurs.  » Mais  Borelli  ne  persista  pas  longtemps  dans 
cette  opinion,  et,  préoccupé  exclusivement  de  sa  théorie  de  l’effort, 
il  rétrécit  singulièrement  la  question1  : 

Je  m’aperçus  ensuite  que  cette  gêne  n’était  pas  produite  par  la  trop  grande  sub- 
tibilité  de  l’air,  ni  par  quelque  viciation  de  ses  qualités,  puisque,  assis  ou  à cheval, 
respirant  naturellement  le  même  air,  nous  n’avions  pas  plus  d’oppression  que 
sur  le  bord  de  la  mer.  J’ai  donné  une  solution  de  ce  problème  dans  ma  Météoro- 
logie des  incendies  de  l'Etna 2;  mais,  en  y réfléchissant,  je  ne  puis  persévérer  dans 
ce  sentiment,  et  j’en  viens  à une  opinion  plus  vraisemblable.  (P.  242.) 

1 De  Molu  Animalium,  Pars  altéra.  — Rome,  1681. 

2 J®  n’ai  pu  me  procurer  ce  travail.  Mais  probablement  celte  solution  est  celle  qu’a 
rappelée  Veratti  et  dont  nous  venons  de  parler. 


218 


HISTORIQUE. 


Borelli  rappelle  alors  qu’il  a montré  pourquoi  un  travail  fatigant 
amène  nécessairement  l’anhélation.  Il  va  montrer  maintenant  com- 
ment la  locomotion  dans  un  air  raréfié  ne  peut  se  faire  sans  grande 
fatigue,  d’où  la  difficulté  dé  respirer  : (C’est  sa  proposition  CXX1II.) 

Un  travail  peut  devenir  fatigant  pour  deux  raisons  : d’abord,  si  la  résistance 
augmente,  ensuite  si  la  puissance  diminue 

L’air  contenu  dans  la  poitrine  aide,  comme  je  l’ai  dit,  l’effort  des  muscles,  en 
comprimant  par  son  élasticité  les  vaisseaux  aériens  et  sanguins.  Donc,  quand  l’air 
sera  très-raréfié,  bien  qu’il  soit  comprimé  par  le  thorax  comme  l’était  l'air 
dense,  il  agit  moins  sur  les  vaisseaux,  et  par  suite  vient  moins  au  secours  des 

muscles Donc,  dans  un  air  rare,  un  même  travail  demandera  plus  d’efforts,  la 

puissance  étant  diminuée,  d’où  vient  la  lassitude,  ce  qu’il  fallait  démontrer. 
(P.  243.) 

Bouguer1  ne  montre  pas  plus  de  sagacité;  le  fait  bien  reconnu 
que,  dans  certaines  circonstances,  les  malaises  frappent  seulement 
les  piétons  et  non  les  cavaliers,  lui  fait  tout  attribuer  à la  fatigue: 
pour  les  cas  plus  embarrassants,  il  a recours  au  froid  : 

Ce  qui  le  prouve  d’une  manière  incontestable,  c’est  qu’on  n’y  était  jamais  exposé 
lorsqu’on  allait  à cheval  ou  lorsqu’on  était  une  fois  parvenu  au  sommet,  où  l’air 
cependant  était  encore  plus  subtil.  Je  ne  nie  pas  que  cette  grande  subtilité  ne 
hâtât  la  lassitude  et  ne  contribuât  à faire  augmenter  l’épuisement,  car  la  respiration 
y devient  extrêmement  pénible;  pour  peu  qu’on  agisse,  on  se  trouve  tout  hors 
d’haleine  par  le  moindre  mouvement  ; mais  ce  n’est  plus  la  même  chose  aussitôt 
qu’on  reste  dans  l’inaction 

Nous  passâmes  trois  semaines  (août  1737)  sur  le  sommet  du  Pichincha  ; le 
froid  y était  si  vif  que  quelqu’un  d’entre  nous  commença  à sentir  quelques  affec- 
tions scorbutiques,  et  que  les  Indiens  et  les  autres  domestiques  que  nous  avions 
pris  dans  le  pays  eurent  des  tranchées  violentes  : ils  rendirent  du  sang,  et  il  y en 
eut  qui  furent  obligés  de  descendre  ; mais  leur  indisposition  ne  venait  toujours, 
lorsque  nous  fumes  une  fois  logés  sur  la  pointe  du  rocher,  que  de  la  seule  rigueur 
du  froid  auquel  ils  n’étaient  pas  accoutumés,  sans  que  la  dilatation  de  Pair  parût 
en  être  la  cause,  au  moins  immédiate  ou  prochaine  : c’est  ce  que  j’examinai 
avec  d’autant  plus  de  soin  que  je  savais  que  la  plupart  des  voyageurs  y avaient  été 
trompés,  faute  de  démêler  assez  les  différents  effets.  (P.  262.) 

Cependant,  Bouguer  accorde  quelque  importance  à la  diminution 
du  poids  même  de  l’air  : 

Les  petites  hémorrhagies  venaient  sans  doute  de  ce  que  l’atmosphère,  ayant  un 
moindre  poids,  n’aidait  pas  assez  par  sa  compression  les  vaisseaux  à retenir  le 
sang  qui,  de  son  côté,  était  toujours  capable  de  la  même  action.  (P.  261.) 

Ulloa2,  qui  avait  vu  dans  d’autres  régions  de  la  Cordillère  « les 

1 Loc o cit.  : Relation  abrégée,  etc.,  1744. 

2 Loc.  cit.  : Mémoires  philosophiques,  1787. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


219 


gens  de  cheval  aussi  malades  que  ceux  de  pied,»  ne  pouvait  sup- 
poser, comme  l’avait  fait  Bouguer,  que  la  fatigue  était  la  cause 
principale  des  malaises.  Aussi  ne  mentionne-t-il  même  pas  cette 
hypothèse.  Mais  il  discute  victorieusement  celle  du  froid. 

L’idée  de  la  rareté  de  l’air  se  présente  à son  esprit,  mais  une 
circonstance  l’embarrasse,  qui  en  a embarrassé  bien  d’autres,  c’est 
qu’on  n’éprouve  pas  ces  accidents  sur  les  hautes  contrées  voisines 
de  Quito  : 

On  ne  peut  sans  doute  attribuer  cet  accident  au  froid,  car  s’il  en  était  la  seule 
cause,  cette  maladie  serait  commune  dans  tous  les  pays  froids.  Il  faut  donc  que 
cela  vienne  de  la  qualité  de  l’air,  soit  en  conséquence  de  sa  légèreté,  soit  de  toute 
autre  qualité  que  nous  n’y  connaissons  pas.  On  n’éprouve  point  ce  mal  dans  les 
hautes  contrées  de  Quito,  contrées  aussi  élevées  que  celles  du  Pérou,  car  il  est 
différent  de  l’affection  que  nous  appelons  paramarse  : au  moins  ne  l’a-t-on  pas 
éprouvé  quand  on  a fait  les  observations,  c’est  pourquoi  l’on  n’en  a pas  parlé,  au 
lieu  qu’il  est  très-ordinaire  dans  les  pays  qui  conduisent  à ces  autres  contrées.  Il 
faut  encore  observer  que  ceux  qui  sont  disposés  à vomir  en  mer  le  sont  aussi  aux 
Punas,  tandis  que  ceux  sur  qui  la  mer  ne  fait  pas  d’impression  n’éprouvent  non 
plus  cette  incommodité  sur  ces  cimes.  On  sent  quelque  chose  d’analogue  sur  les 
hautes  montagnes  d'Europe  et  sur  d’autres  chaînes  de  montagnes;  ceci  est  parti- 
culier aux  personnes  délicates,  mais  ces  effets  n’y  sont  pas  si  sensibles  et  si 
graves,  ni  même  si  généraux  que  dans  les  contrées  de  l’Amérique.  Ce  qu’on 
éprouve  en  Europe  ne  vient  que  de  la  rareté  de  l’air  et  du  froid  qu’il  fait  sur  ces 
hauteurs,  deux  circonstances  qui  doivent  produire  quelque  altération.  (P.  117.) 

Puis,  à propos  des  accidents  constatés  chez  les  bêtes  de  somme, 
Ulloa  rapporte,  mais  pour  la  combattre,  l’opinion  répandue  de  son 
temps,  et  encore  aujourd’hui  presque  universellement  admise  dans 
les  contrées  de  la  Sud-Amérique,  qu’il  s’agit  d’un  empoisonnement 
par  des  émanations  métalliques  sortant  du  sol.  Cependant,  il  ne 
peut  s’empêcher  de  croire  à quelque  substance  étrangère  répandue 
dans  l’air  : 

Les  habitants  de  ces  contrées  disent  que  c’est  parce  que  les  animaux  passent 
alors  sur  des  mines,  car  ils  prétendent  que  les  montagnes  sont  pleines  de  mine- 
rais, d’où  il  s’exhale,  par  les  pores  de  la  terre,  des  molécules  d’antimoine,  de 
soufre,  d’arsenic  et  autres,  auxquelles  ils  attribuent  ces  accidents. 

Mais  on  peut  objecter  que,  si  cette  opinion  était  fondée,  ceux  qui  montent  ces  ani- 
maux l’éprouveraient  aussi  lorsqu’ils  sont  arrêtés,  ce  qui  n’arrive  pas.  Il  faut  donc 
croire  que  cela  n’est  dû  qu’à  l’extrême  rareté  de  l’air,  imprégné  d’ailleurs  de  quelque 
corps  étranger  qui  s’y  trouve  disséminé,  et  sans  que  cette  matière  étrangère  sorte 
des  pores  de  la  terre.  On  peut  encore  dire  qu’il  n’est  pas  probable  qu’il  y ait  des 
minéraux  renfermés  dans  le  sein  de  toutes  les  cimes  où  ces  accidents  arrivent, 
puisqu’on  ne  voit  aucun  signe  externe  qui  les  décèle  : si  cela  était,  il  n’y  aurait  ni 
mont  ni  coteau  dans  ces  chaînes,  qui  ont  plusieurs  centaines  de  lieues,  où  l’on  ne 
trouvât  quelque  minéral.  (P.  116.) 


220 


HISTORIQUE. 


Ulloa  dit  aussi  quelques  mots  d’accidents  bien  moins  graves,  mais 
que  ses  successeurs  n’ont  pas  toujours  eu,  comme  lui,  la  sagacité  de 
distinguer  d’avec  le  mal  des  montagnes  : 

L’air  sec  et  subtil  occasionne  une  telle  sécheresse,  que  l’épiderme,  et  surtout  la 
pellicule  qui  recouvre  les  lèvres,  se  gerce  et  se  fend  ; on  y sent  de  la  douleur,  et 
bientôt  le  sang  y paraît  ; les  mains  deviennent  rudes  et  squameuses  : cette  aspé- 
rité est  surtout  remarquable  aux  articulations  des  doigts  et  à leur  partie  supérieure, 
les  écailles  y sont  plus  épaisses  qu’ailleurs,  et  elles  prennent  une  couleur  noi- 
râtre qui  ne  se  dissipe  aucunement  par  les  lotions.  On  appelle  ces  affections 
chuqno , terme  par  lequel  les  naturels  désignent  une  chose  ridée  et  durcie  par  le 
froid.  (P.  111.) 

Tous  ces  faits  étaient  connus  de  l’illustre  Haller,  qui  les  rappelle 
brièvement  dans  le  IIIe  volume1  de  son  immense  ouvrage,  et  tente 
de  les  expliquer  avec  les  données  de  la  physique,  de  la  chimie,  de 
la  physiologie  de  son  temps.  L’influence  mécanique  de  la  pression 
de  l'air  lui  paraît  tout  à fait  prédominante.  Chemin  faisant,  il  émet 
celte  idée  bien  singulière,  déjà  indiquée  par  Cigna  (voy.  p.  216), 
que  l’air  des  altitudes  agirait  sur  l’organisme  d’une  manière  moins 
fâcheuse  que  celui  qui  a été  raréfié  au  meme  degré  sous  les  cloches 
pneumatiques  : 

L’air,  dit-il,  pèse  de  toutes  parts  sur  le  corps  de  l’homme et  les  divers  au- 

teurs estiment  ce  poids  à des  valeurs  variables  de  51144  livres  à 42340.  Les 
enfants  sont  plus  comprimés  proportionnellement  que  les  adultes,  leur  surface  du 
corps  diminuant  moins  que  la  masse. 

Tout  cela  varie  en  un  même  lieu,  puisque  le  mercure  du  baromètre  monte  ou 
descend  de  trois  pouces  environ,  d’où  des  différences  qu’on  a estimées  de  3002  à 
3982  livres.  La  variation  est  bien  plus  grande  si  l’on  compare  l’air  des  plus  hautes 

montagnes  à celui  des  plus  profondes  mines  de  charbon Dans  ce  cas,  elle 

peut  aller  de  50292  livres  à 19281  (elle  ne  serait,  suivant  La  Condamine,  que  de 
17000  livres  sur  le  haut  du  Chimborazo,  sommet  inaccessible  du  reste).  Et  cette 
différence  apparaît  bien  autrement  grande,  si  au  lieu  d’un  homme  on  considère 

un  poisson  vivant  dans  des  profondeurs  sous-marines  jusqu’à  400  toises On 

arriverait  ainsi  à une  pression  de  2272000  livres. 

Les  académiciens  anglais  n’ont  pas  mis  en  doute  qu’un  homme  puisse  vivre  à 
200  toises  de  profondeur.  (P.  191.) . . . 

Les  effets  de  cette  pression  ne  peuvent  pas  ne  pas  être  considérables  sur  le 
corps  humain  : nous  le  voyons  en  plaçant  des  animaux  sous  la  cloche  pneuma- 
tique. 

Le  corps  est  soustrait  à la  pression  qui  serrait  contre  les  os  les  vaisseaux,  les 
muscles  et  les  parties  molles.  Et  comme  il  y a dans  les  humeurs  du  corps,  dans 
les  voies  aériennes,  partout,  de  l’air  qui  s’y  trouve  maintenu  par  la  pression,  sous 
un  petit  volume,  lorsque  cette  pression  est  soustraite  l’animal  se  gonfle  de  tous 

1 Elementa  Physiologiœ  corporis  humani.  Lausanne,  1761. 


221 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 

côtés,  par  l’expansion  du  poumon,  de  l’intestin  et  de  l’air  contenu  dans  les  vais- 
seaux et  même  les  mailles  cellulaires.  (P.  192.) 

Mais  il  y a une  grande  différence  entre  l’air  raréfié  par  des  vapeurs  ou  par  la 
soustraction  d’une  partie  de  lui-même,  et  celui  qui  est  plus  léger  à cause  de  la 
hauteur  et  de  son  éloignement  du  centre  de  la  terre.  Dans  celui-ci,  en  effet,  bien 
qu’il  soit  diminué  de  moitié  de  son  poids,  la  respiration  se  fait  sans  difficulté  ; c’est 
ce  que  j’ai  éprouvé  sur  les  monts  Jugo  et  Furca.  (Haller  cite  Cassini,  Bouguer,  etc.) 

Et  l’on  peut  même  vivre  longtemps  à ces  hauteurs J’ajoute  foi  à l’opinion 

d’Arbuthnot  qui  enseigne  que  la  migration  rapide  dans  un  air  raréfié  se  supporte 
difficilement  d’abord,  mais  qu'on  le  tolère  par  habitude.  De  là  vient  peut-être  que 
les  oiseaux  supportent  plus  facilement  l’air  raréfié  que  les  autres  animaux  (Der- 
ham).  On  comprend  facilement,  en  effet,  que  les  pressions  dans  nos  humeurs  et 
nos  vaisseaux  seront  d’autant  plus  grandes  que  l’air  extérieur  sera  plus  dense,  et 

d’autant  moindre  qu’il  le  sera  moins.  (P.  193.) 

Nous  comprenons  facilement  les  inconvénients  de  l’air  raréfié;  nous  verrons 
qu’il  ne  peut  dilater  complètement  les  poumons.  Comme  la  pression  ne  soutient 
plus  les  vaisseaux  du  corps,  ils  résistent  moins  au  cœur  et  se  rompent  plus  facile- 
ment. Dans  un  air  très-raréfié,  le  péril  est  augmenté  par  l’expansion  de  l’air  con- 
tenu dans  nos  humeurs.  L’air  léger,  qui  dilate  mal  les  poumons,  rend  plus  dif- 
ficile le  passage  du  sang  dans  ces  organes,  et,  laissant  moins  arriver  de  sang  au 
cœur  gauche  dans  un  temps  donné,  lui  enlève  le  stimulant  qui  le  sollicitait  à se 

contracter.  (P.  196.) 

Dans  l’air  raréfié,  les  forces  sont  brisées.  Dans  nos  Alpes,  ceux  qui  sont  faibles 
de  poitrine  meurent  quand  ils  sont  dans  les  endroits  élevés,  surtout  s’il  y fait 
chaud,  car  le  froid  tempère  les  mauvais  effets  de  l’air  rare.  Les  robustes  monta- 
gnards des  Alpes  portent  parmi  les  hauts  lieux  des  fardeaux  énormes. 

Si  en  passant  des  montagnes  certains  voyageurs  ont  éprouvé  de  la  fièvre,  des 
faiblesses,  de  petites  hémorrhagies,  des  hémoptysies,  comme  on  en  voit  un  fâcheux 
exemple  dans  Scheuchzer  *,  je  les  rapporte  plutôt  à la  fatigue  de  l’ascension  et  aux 
forces  respiratoires  tendues  à l’excès.  En  effet,  les  voyageurs  au  repos  ou  à cheval 
n’éprouvent  rien  de  semblable.  (P.  197.) 

Ainsi,  suivant  le  célèbre  physiologiste  suisse,  l’action  de  l’air 
raréfié  a pour  causes  principales  la  diminution  du  poids  qui  pesait 
sur  la  surface  du  corps,  la  dilatation  des  vaisseaux  sanguins  super- 
ficiels et  la  circulation  du  sang  rendue  plus  difficile  à travers  les 
poumons.  Nous  aurons  à revenir,  dans  le  prochain  chapitre,  sur 
la  valeur  de  ces  théories  qu’il  serait  prématuré  de  discuter  actuel- 
lement. 

D’après  le  récit  de  Haller,  on  voit  que  les  voyageurs  dans  les  Alpes 
avaient  déjà  éprouvé  quelques  effets  fâcheux  de  la  diminution  de 
pression  barométrique.  Cependant,  aucun  des  géants  des  Alpes,  ni 
le  mont  Blanc,  ni  le  mont  Rose,  ni  la  Jungfrau,  n’avait  encore  vu 
d’explorateurs  fouler  leurs  sommets  qui  s’élèvent  à plus  de  4000m. 
Or,  au-dessous  de  ce  niveau,  les  accidents,  même  légers,  sont  assez 


1 De  meteoris  aqueis,  p.  40.  Je  n’ai  pu  me  procurer  cet  ouvrage. 


222 


HISTORIQUE. 


rares.  Le  physicien  genevois  de  Luc1  s’en  étonne,  en  considérant  la 
grande  diminution  du  poids  d’air  supporté  par  le  corps  ; il  en  tire 
une  conséquence  fort  raisonnable  sur  l’influence  que  certains  mé- 
decins attribuent  aux  changements  barométriques  sur  la  santé  : 

Nous  étions  fort  à notre  aise  auprès  des  petits  rochers  où  nous  étions  descendus 
(glacier  du  Buet,  baromètre  19  pouces  6 lignes;  9355  pieds  au-dessus  du  niveau 

de  la  mer) Nous  nous  émerveillions  de  n’apercevoir  la  différence  de  densité 

de  l’air  que  par  nos  instruments;  de  ce  qu'aucune  incommodité  ou  sensation 
désagréable  ne  nous  avertissoit  que  cet  air  que  nous  respirions  étoit  près  d’un 
tiers  moins  dense  que  celui  de  la  plaine  ; de  ce  que  le  poids  de  l’atmosphère  avoit 
diminué  de  cent  quintaux  sur  notre  corps  sans  que  l’équilibre  fût  troublé  dans 
son  intérieur.  Quelle  merveilleuse  machine,  que  celle  qui  se  prête  à de  si  grandes 
variations  dans  les  causes  mêmes  de  ses  principaux  mouvements,  sans  qu’ils 
cessent  d’être  réguliers  ! 

Je  ne  puis  m’empêcher  de  faire  remarquer,  à ce  sujet,  combien  se  sont  trompés 
quelques  médecins  qui  ont  attribué  à la  différence  du  poids  ou  de  la  densité  de 
l’air  les  changements  qu’éprouvent  certaines  personnes  lorsque  le  baromètre 
baisse,  et  qui  ont  entrepris  d’en  rendre  raison  par  le  manque  d’équilibre  entre 
l’air  intérieur  et  l’air  extérieur,  ou  par  l’effet  que  peut  produire  sur  les  mouve- 
ments du  cœur  et  des  poulinons  un  air  plus  ou  moins  dense. 

Si  ces  vicissitudes  influoient  sensiblement  sur  nos  organes,  que  deviendroient 
ces  chasseurs  au  chamois,  qui  passent  chaque  jour  du  fond  des  vallées  au  sommet 

d’aussi  hautes  montagnes fces  asthmatiques  mêmes  n’en  sont  pas  affectés; 

j’ai  été  du  moins  sur  la  montagne  du  Salève  avec  un  de  mes  amis  qui  craignoit 
cet  effet  et  qui  ne  l’éprouva  point.  (P.  328.) 

Nous  avons  vu  que  le  chanoine  Bourrit  fut,  dans  l’ascension  du 
Buet,  moins  heureux  que  de  Luc;  les  récits  de  de  Saussure  et  de 
Pictet  montrent,  du  reste,  que  cette  montagne,  malgré  sa  médiocre 
hauteur,  est  une  de  celles  où  les  ascensionnistes  sont  le  plus  facile- 
ment atteints.  Bourrit2  fait  à ce  propos  une  réflexion  singulière 
sur  la  différence  de  densité,  à hauteur  égale,  entre  l’air  des  Alpes, 
qui  rend  malade,  et  celui  des  Cordillères,  « où  l’on  n’éprouve  rien  » : 

J’ai  remarqué  qu’on  évite  ces  accidents  en  se  promenant moyens  qui  re- 
nouvellent l’air  dans  les  poumons  et  en  entretiennent  l’activité 

Je  sais  qu’il  serait  difficile,  pour  ne  pas  dire  impossible,  de  vivre  longtemps 
sur  le  mont  Blanc.  

De  toutes  ces  circonstances  il  faut  conclure  que  l’air  qu’on  respire  sur  les 
hautes  Alpes  est  bien  plus  rare  que  celui  des  Cordillères  à la  même  hauteur, 
parce  que  ces  dernières  sont  sous  l’équateur,  et  que  par  là  même  elles  sont  plus 
imprégnées  de  vapeurs  grossières  et  épaisses.  (T.  Il,  p.  98.) 

Si  cette  idée  nous  paraît  aujourd’hui  très-singulière,  que  dire  de 


1 Recherches  sur  les  modifications  de  l'atmosphère,  t.  II.  — Genève,  1772. 

2 Loc.  cit.  : Nouvelle  description,  etc.,  1785. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


223 


celle  de  d’Arcet1  qui  nie  d’abord  les  malaises  des  montagnes  (il  n’était 
monté  qu’au  pic  du  Midi)  et  en  arrive  à se  demander  si  réellement 
l’air  des  régions  élevées  est  plus  dilaté  que  celui  des  plaines  ! 

Quant  à la  difficulté  de  respirer  qu’on  a cru  sentir  quelquefois  sur  les  hautes 
montagnes,  et  que  nous  n’avons  jamais  éprouvée,  je  crois  qu’elle  peut  venir  du 
resserrement  qu’on  sent  lorsque,  tout  échauffé  et  fatigué  de  monter,  on  arrive 
sur  un  sommet  très-découvert  et  fort  élevé.  Là,  on  est  saisi  tout  à coup  par  un 
air  froid  et  vif * 

Quelque  fatigué  qu’on  soit,  lorsqu’on  parvient  sur  une  haute  montagne,  on  s’y 
trouve  promptement  délassé;  on  s’y  sent  plus  leste,  plus  léger;  le  visage  est  pâle 
et  la  chair  moins  colorée.  En  un  mot,  ce  qu’on  sent  alors  n’a  rien  de  commun 
ou  plutôt  c’est  le  contraire  des  effets  que  produit  sur  les  êtres  vivants  un  air 
trop  dilaté  et  trop  rare.  (P.  123.) 

Il  discute  ensuite  les  observations  de  Bouguer  et  de  La  Condamine, 
et  dit  en  terminant  : 

J’engage  les  physiciens  qui  seront  à portée. de  tenter  de  nouvelles  expériences, 
s’il  est  possible,  pour  s’assurer  si  en  effet,  à de  certaines  hauteurs,  l’air  y devient 
rare  et  s’y  dilate  au  point  que  des  animaux  ne  pourroient  plus  s’y  élever  sans 
y étouffer  comme  dans  le  vuide;  si  cette  densité  plus  ou  moins  grande  est  ici-bas 
la  seule  cause  de  l’ascension  et  des  variations  du  mercure  dans  le  baromètre. 

De  Saussure2,  dès  le  premier  volume  de  son  grand  ouvrage,  après 
avoir  raconté  qu’il  a souffert  du  mal  des  montagnes  en  faisant 
l’ascension  du  Buet,  s’efforce  d’en  trouver  la  raison.  Chose  bien 
curieuse,  il  indique  en  passant,  mais  pour  la  combattre,  l’explication 
véritable,  que  les  découvertes  récentes  de  Priestley  et  de  Lavoisier 
lui  permettaient  déjà  d’entrevoir  : 

§ 559.  — On  ne  peut  attribuer  l’épuisement  des  forces  musculaires  à la  seule 
fatigue,  comme  l’a  cru  M.  Bouguer.  Un  homme  fatigué,  dans  la  plaine  ou  sur 
des  montagnes  peu  élevées,  l’est  rarement  assez  pour  ne  pouvoir  absolument 
plus  aller  en  avant;  au  lieu  que,  sur  une  haute  montagne,  on  l’est  quelquefois 
à un  tel  point,  que,  fût-ce  pour  éviter  le  danger  le  plus  imminent,  on  ne  ferait 
pas  à la  lettre  quatre  pas  de  plus,  et  peut-être  même  pas  un  seul.  Car  si  l’on 
persiste  à faire  des  efforts,  on  est  saisi  par  des  palpitations  et  par  des  batte- 
ments si  rapides  et  si  forts  dans  toutes  les  artères,  que  l’on  tomberait  en  défail- 
lance si  on  l’augmentait  encore  en  continuant  de  monter. 

Cependant,  et  ceci  forme  le  second  caractère  de  ce  singulier  genre  de  fatigue, 
les  forces  se  réparent  aussi  promptement,  et  en  apparence  aussi  complettement 
qu’elles  ont  été  épuisées.  La  seule  cessation  de  mouvement,  même  sans  que  l’on 
s’asseye,  et  dans  le  court  espace  de  trois  ou  quatre  minutes,  semble  restaurer  si 
parfaitement  les  forces,  qu’en  se  remettant  en  marche  on  est  persuadé  qu’on 

1 Discours  en  forme  de  dissertation  sur  l'état  actuel  des  montagnes  des  Pyrénées. 
— Paris,  1776. 

2 Voyage  dans  les  Alpes.  — Genève,  4 vol.  in-4°;  1786  à 1796. 


524 


HISTORIQUE. 


montera  tout  d’une  haleine  jusques  à la  cime  de  la  montagne.  Or,  dans  la  plaine, 
une  fatigue  aussi  grande  que  celle  dont  nous  venons  de  parler  ne  se  dissipe  point 
avec  tant  de  facilité 

§ 560.  — On  serait  tenté  d’attribuer  ces  effets  à la  difficulté  de  respirer;  il 
semble  naturel  de  croire  que  cet  air  rare  et  léger  ne  dilate  pas  assez  les  poumons, 
et  que  les  organes  de  la  respiration  se  fatiguent  par  les  efforts  qu’ils  font  pour  y 
suppléer,  ou  que  le  ministère  de  cette  fonction  vitale  n’étant  pas  complètement 
rempli,  le  sang,  suivant  la  doctrine  de  M.  Priestley,  n’étant  pas  suffisamment 
muni  de  son  phlogistique,  toute  l’économie  animale  en  est  dérangée. 

Mais  ce  qui  me  persuade  que  ce  n’est  point  là  la  véritable  raison  de  ces  effets, 
c’est  qu’on  se  sent  fatigué,  mais  non  point  oppressé;  et  si  l’action  pénible  de 
gravir  une  pente  rapide  rend  la  respiration  plus  courte  et  plus  difficile,  cette 
incommodité  se  fait  sentir  sur  les  basses  montagnes  comme  sur  les  hautes,  et 
ne  produit  pourtant  point  sur  nous,  quand  nous  gravissons  ces  basses  montagnes, 
l’effet  que  nous  éprouvons  sur  celles  qui  sont  très-élevées;  d’ailleurs  sur  celles- 
ci,  quand  on  est  tranquille,  on  respire  avec  la  plus  grande  facilité.  Enfin,  et  cette 
réflexion  me  paraît  décisive,  si  c’était  une  respiration  imparfaite  qui  produisait 
cet  épuisement,  comment  quelques  instants  d’un  repos  pris  en  respirant  ce 
même  air  paraitraient-ils  réparer  si  complètement  les  forces? 

§ 561.  — Je  croirais  plutôt  que  ces  effets  doivent  être  attribués  au  relâche- 
ment des  vaisseaux  produit  par  la  diminution  de  la  force  comprimante  de  l’air. 

L’habitude  de  vivre  comprimés  par  le  poids  de  l’atmosphère  fait  que  nous  ne 
pensons  guère  à l’action  de  ce  poids  et  à son  influence  sur  l’économie  animale. 
Cependant  si  l’on  réfléchit  qu’au  bord  de  la  mer  tous  les  points  de  la  surface  de 
notre  corps  sont  chargés  du  poids  d’une  colonne  de  mercure  de  28  pouces  de 
hauteur;  qu’un  seul  pouce  de  ce  fluide  exerce,  sur  une  surface  d’un  pied  quarré, 
une  pression  équivalente  à 78  livres,  11  onces,  40  grains,  poids  de  marc;  que  par 
conséquent  28  pouces  exercent  sur  celte  même  surface  la  pression  de  2205  livres, 
6 onces;  et  qu’ainsi  en  attribuant,  comme  on  le  fait  communément,  10  pieds 
quarrés  de  surface  à un  homme  de  moyenne  taille,  la  masse  totale  du  poids  qui 
comprime  le  corps  de  cet  homme,  équivaut  à 22033  livres,  12  onces;  si,  dis-je, 
on  réfléchit  à ce  qui  doit  résulter  de  l’action  de  ce  poids,  on  verra  qu’il  doit  re- 
fouler toutes  les  parties  de  notre  corps,  qu’il  les  contrebande  pour  ainsi  dire, 
qu’il  comprime  les  vaisseaux,  qu’il  contribue  à la  force  élastique  des  artères,  qu’il 
condense  les  parois  de  ces  mêmes  vaisseaux,  et  s’oppose  à la  transsudation  des 
parties  les  plus  subtiles,  du  fluide  nerveux  par  exemple;  et  que  par  toutes  ces 
raisons  il  doit  contribuer  à la  force  musculaire. 

Si  donc  du  bord  de  la  mer  on  se  trouvait  tout  à coup  transporté,  seulement  à 
la  hauteur  de  1250  toises,  où  le  poids  de  l’air  ne  soulève  qu’environ  21  pouces 
de  mercure,  l’action  de  l’atmosphère  sur  notre  corps  se  trouverait  diminuée  d’un 
quart,  ou  de  5508  livres,  7 onces  ; par  conséquent  tous  les  effets  de  cette  action 
seraient  sensiblement  diminués,  et  les  forces  musculaires  devraient  nécessairement 
en  souffrir.  Les  vaisseaux,  en  particulier,  exerceraient  une  pression  beaucoup 
moins  considérable  sur  les  fluides  qu’ils  renferment;  et  par  cela  même  ils  op- 
poseraient moins  d’obstacles  à l’accélération  que  le  mouvement  musculaire  tend 
à donner  à toute  la  masse  de  nos  liquides. 

Donc,  dans  les  régions  élevées,  où  les  vaisseaux  ne  sont  que  faiblement  contre- 
bandés  par  la  pression  de  l’atmosphère,  les  efforts  que  l’on  fait  en  gravissant  une 
pente  rapide  doivent  accélérer  le  mouvement  du  sang,  beaucoup  plus  que  dans 
des  régions  basses,  où  la  compression  des  vaisseaux  résiste  à cette  accélération.  De 
là,  sans  doute,  ces  battements  rapides  de  toutes  les  artères,  et  ces  palpitations  qui 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


225 


saisissent  sur  les  hautes  montagnes,  et  qui  feraient  tomber  en  défaillance  si  l’on 
persistait  à se  mouvoir  avec  trop  de  vitesse. 

Mais  aussi,  par  un  effet  de  ce  même  relâchement  des  vaisseaux,  comme  ils 
réagissent  faiblement  sur  le  sang,  dès  que  Ton  discontinue  le  mouvement,  l’ac- 
célération qui  avait  été  produite  par  ce  mouvement  cesse  d'elle-mème  en  peu  de 
temps,  au  lieu  que  si  les  vaisseaux  étaient  fortement  tendus,  leur  élasticité  aurait 
perpétué  cette  accélération,  longtemps  après  que  sa  cause  aurait  cessé  d’agir.  C’est 
le  propre  des  êtres  faibles,  ils  s’émeuvent  facilement  et  s’apaisent  de  même;  au 
lieu  que  les  êtres  forts,  difficiles  à ébranler,  se  calment  plus  difficilement  encore. 
Lors  donc  que  les  vaisseaux  sont  relâchés  par  la  diminution  de  la  pression  de  l’air, 
quelques  instants  de  repos  suffisent  pour  rétablir  l’ordre  et  la  tranquillité  dans  la 
circulation,  pour  donner  par  le  ralentissement  de  celte  même  circulation,  un 
sentiment  de  fraîcheur  intérieure  qui,  aidé  par  la  fraîcheur  de  l’air  qu’on  respire 
dans  ces  régions  élevées,  calme  complètement,  et  persuade  que  la  fatigue  est 
entièrement  dissipée.  Quant  à l’assoupissement,  je  crois  qu’il  est  l’effet  du  re- 
lâchement vasculaire  et  surtout  de  celui  du  cerveau.  Telle  est  du  moins  la  raison 
de  ces  faits  qui  me  paraît  la  plus  probable  : j'en  laisse  le  jugement  aux  physio- 
logistes de  profession.  (T.  I,  p.  482-488.) 

Ainsi  c’est,  pour  de  Saussure,  la  diminution  de  la  pression  exercée 
par  l’air  sur  les  vaisseaux  cutanés  qui,  diminuant  leur  résislance 
aux  impulsions  du  cœur,  détermine  l’accélération  circulatoire  et 
amène  à la  suite  tous  les  troubles  qu’il  a observés  et  soufferts.  Mais* 
après  sa  célèbre  ascension  du  mont  Blanc,  il  ajoute  à cette  explica- 
tion des  réflexions  d’une  valeur  bien  plus  en  rapport  avec  la  sagacité 
de  son  esprit  élevé  : 

§ 19G5.  — Si  l’on  considère,  dit-il,  en  effet,  que  le  baromètre  n’était  là  qu’à 
seize  pouces  et  une  ligne,  et  qu’ainsi  l'air  n’avait  guère  plus  de  la  moitié  de  sa 
densité  ordinaire,  on  comprendra  qu’il  fallait  suppléer  à la  densité  par  la  fré- 
quence des  inspirations.  Or,  celle  fréquence  accélérait  le  mouvement  du  sang, 
d’autant  plus  que  les  artères  n’étaient  plus  contrebandées  au  dehors  par  une 
pression  égale  à celle  qu’elles  éprouvent  à l’ordinaire  ; aussi  avions-nous  tous  la 
fièvre.  (T.  IV,  p.  147.) 

Il  revient  un  peu  plus  loin  sur  cette  explication,  et  en  poursuit 
les  conséquences.  Il  réfute  également  la  théorie  de  Bouguer  : 

§ 2021.  — De  tous  nos  organes,  celui  qui  est  le  plus  affecté  par  la  rareté  del  air, 
c’est  celui  de  la  respiration.  On  sait  que  pour  entretenir  la  vie,  surtout  celle  des  ani- 
maux à sang  chaud,  il  faut  qu’une  quantité  d’air  déterminée  traverse  leurs  poumons 
dans  un  temps  donné.  Si  donc  l’air  qu’ils  respirent  est  le  double  plus  rare,  il 
faudra  que  leurs  inspirations  soient  le  double  plus  fréquentes,  afin  que  la  rareté 
soit  compensée  par  le  volume.  C’est  cette  accélération  forcée  de  la  respiration  qui 
est  cause  de  la  fatigue  et  des  angoisses  que  l’on  éprouve  à ces  grandes  hauteurs- 
Car,  en  même  temps  que  la  respiration  s’accélère,  la  circulation  s accélère  aussi. 
Je  m’en  étais  souvent  aperçu  sur  de  hautes  cimes,  mais  je  voulais  en  faire  une 
épreuve  exacte  sur  le  mont  Blanc  ; et  pour  que  l’action  du  mouvement  du  voyage 
ne  pût  pas  se  confondre  avec  celle  de  la  rareté  de  l’air,  je  ne  fis  mon  épreuve 

15 


226 


HISTORIQUE. 


qu’après  que  nous  fûmes  restés  tranquilles  ou  à peu  près  tranquilles  pendant 
quatre  heures  sur  la  cime  de  la  montagne.  Alors  le  pouls  de  Pierre  Balmat  se 
trouva  battre  98  pulsations  par  minute  : celui  de  Têtu,  mon  domestique,  112,  et 
le  mien  100.  À Chamounix,  également  après  le  repos,  les  mêmes,  dans  le  môme 
ordre,  battirent  49,  60,  72. 

Nous  étions  donc  tous  là  dans  un  état  de  fièvre  qui  explique  et  la  soif  qui  nous 
tourmentait,  et  notre  aversion  pour  le  vin,  pour  les  liqueurs  fortes,  et  même  pour 
toute  espèce  d’aliment 

Cependant  lorsqu’on  demeurait  dans  une  tranquillité  parfaite,  on  ne  souffrait 
pas  d’une  manière  sensible.  Et  c’est  ce  qui  a fait  penser  à Bouguer  que  les  sym- 
ptômes qu’on  éprouve  dans  cet  air  ne  viennent  que  de  la  fatigue,  car  il  est  d’ac- 
cord avec  moi  sur  tous  les  faits 

11  me  paraît  évident  que,  dans  l’explication  de  ces  faits,  ce  savant  académicien  a 
commis  une  erreur,  en  confondant  les  effets  de  la  rareté  de  l’air  avec  ceux  de  la 
lassitude.  Celle-ci  ne  produit  point  les  effets  de  la  rareté  de  Pair.  Souvent,  dans 
ma  jeunesse,  en  revenant  de  quelque  grande  course  de  montagne,  je  me  suis 
trouvé  fatigué  au  point  de  ne  pouvoir  plus  me  soutenir  sur  mes  jambes  ; dans  cet 
état  qu’Homère  a si  énergiquement  exprimé  en  disant  que  les  membres  sont  dis- 
sous par  la  fatigue,  et  cependant  je  n’éprouvais  ni  nausées  ni  défaillance,  et  je 
désirais  des  restaurants  bien  loin  de  les  avoir  en  aversion.  D’ailleurs,  quoique 
ces  académiciens  aient  souvent  éprouvé  de  grandes  fatigues  dans  le  cours 
de  leurs  longs  et  pénibles  travaux,  cependant,  pour  monter  au  Pichincha, 
dont  il  est  surtout  ici  question,  ils  partaient  de  Quito,  déjà  élevé  de  14  ou 
1 500  toises,  et  ils  montaient  encore  fort  haut  à cheval.  Il  ne  leur  restait 
donc  guères  que  5 ou  4 cents  toises  à faire  à pied,  ce  qui  ne  pouvait  guères 
produire  une  fatigue  capable  de  donner  lieu  aux  accidents  que  décrit  Bouguer. 
Donc  le  même  mouvement  musculaire  qui  n’aurait  produit  qu’une  lassitude  mé- 
diocre sans  aucun  accident  dans  un  air  dense,  produit  dans  un  air  très-rare  une 
accélération  dans  la  respiration  et  dans  la  circulation,  d’où  résultent  des  incom- 
modités insupportables  pour  certains  tempéraments.  (T.  I,  p.  207-209.) 

Mais  la  première  interprétation  acceptée  par  de  Saussure,  la  di- 
minution du  poids  supporté,  eut  une  fortune  bien  supérieure  à son 
mérite,  tandis  que  la  seconde,  qui  contient,  comme  nous  le  ver- 
rons, une  part  de  la  vérité,  resta  beaucoup  plus  ignorée. 

Quelques  années  après  lui,  le  physiologiste  Fodéré1  soulignait 
pour  ainsi  dire,  son  erreur,  en  assimilant  les  hémorrhagies  de  la 
diminution  de  pression  à celles  qui  suivent  l’application  des  ven- 
touses : 

La  pression  atmosphérique  fait  que  les  vaisseaux  ne  sont  pas  trop  fortement  dis- 
tendus par  les  liquides  qu’ils  renferment  et  par  la  force  élastique  de  l’air  qui  y 
abonde...  Si  on  supprime  cette  pression,  ou  seulement  si  l’on  en  diminue  l’inten- 
sité, les  parties  subissent  des  tuméfactions  sensibles  et  des  hémorrhagies  ; on  en 

a des  exemples  familiers dans  la  succion,  dans  l’opération  des  ventouses,  dans 

les  hémorrhagies  des  voyageurs  qui  montent  sur  le  sommet  des  hautes  monta- 

1 Essai  de  Physiologie  positive  appliquée  spécialement  à la  médecine  pratique,  t.  I. 
— Avignon,  1806. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES.  227 

gnes  ; dans  la  pesanteur,  le  gonflement  et  le  malaise  que  nous  éprouvons,  toutes 
les  fois  que  l’air  est  plus  léger.  (P.  220.) 

Hallé  et  Nysten1  partagent  cette  opinion,  et  l’expriment  avec  une 
très-grande  netteté.  Pour  eux;  tout  d’abord,  l’action  prédominante 
est  due  à la  soustraction  du  poids  de  l’atmosphère  : 

Lorsqu’on  place  un  animal  sous  le  récipient  de  la  maehine  pneumatique,  ou 
lorsque  l’homme  s’élève  rapidement  à des  hauteurs  considérables,  alors,  non-seu- 
lement la  dilatation  subite  des  fluides  élastiques  libres,  proportionnelle  à la  di- 
minution rapide  de  la  pression  atmosphérique,  mais  encore  la  tendance  à la  dila- 
tation qui  existe  dans  les  liquides  animaux  eux-mêmes,  surtout  dans  les  fluides 
élastiques  qu’ils  tiennent  dissous,  peuvent  être  cause  de  plusieurs  effets  remar- 
quables : tels  sont  un  sentiment  de  malaise  général,  etc. 

Cependant,  après  avoir  décrit  les  phénomènes  présentés  par  les 
voyageurs  et  les  aéronautes,  les  auteurs  semblent  reléguer  au 
second  plan  leur  explication  toute  mécanique,  car  ils  ajoutent  : 

On  se  rend  facilement  compte  de  ces  effets.  La  diminution  de  la  densité  de  l’air 
fait  que  sous  un  même  volume  il  y en  a une  moindre  quantité.  Cet  air  est  donc 
moins  suffisant  aux  combinaisons  qu’il  doit  éprouver  dans  l’acte  de  la  respiration: 
en  conséquence,  pour  que  dans  un  air  raréfié  ces  combinaisons  se  fassent  confor- 
mément au  but  de  la  nature,  il  faut  respirer  proportionnellement  plus  vite.  Telle 
est  la  cause  de  cette  respiration  haletante  et  pressée  et  par  conséquent  de  l’accé- 
lération du  pouls  qui  en  est  la  suite.  On  conçoit  même  qu’à  des  hauteurs  beau- 
coup plus  considérables  la  raréfaction  de  l’air  serait  telle  que  l’accélération  de 
la  respiration  ne  suffirait  pas  pour  faire  arriver  aux  poumons  la  quantité  d’air 
nécessaire  à l’entretien  de  la  vie,  et  que  celle-ci  finirait  par  s’éteindre,  comme 
dans  les  asphyxies,  par  défaut  du  principal  agent  delà  respiration.  La  mort,  dans 
ce  cas,  pourrait  être  précédée  par  divers  phénomènes  étrangers  à la  respiration, 
tels  que  l’emphysème  et  diverses  hémorrhagies  dues  exclusivement  à l’expansion 
extrême  de  toutes  les  parties  du  corps. 

Nous  retrouvons  ici,  appliquée  à la  respiration,  l’explication 
déjà  donnée  par  de  Saussure;  quant  aux  hémorrhagies,  Hallé  et 
Nysten  persistent  à les  attribuer  à la  diminution  du  poids  supporté 
par  le  corps. 

Le  même  cumul  d’explications  est  exprimé  avec  plus  de  netteté 
encore  et  de  sobriété  dans  la  thèse  de  Courtois2  : 

La  plupart  de  ces  phénomènes  dépendent  tout  à la  fois  des  changements  qui 
surviennent  dans  le  poids  de  l’air  et  de  la  quantité  plus  ou  moins  considérable 
d’oxygène  que  ce  fluide  contient  sous  un  même  volume,  selon  qu’il  est  condensé 
ou  rarétié  : ainsi  des  phénomènes  chimiques  viennent  se  compliquer  avec  ceux  qui 
dépendent  delà  pesanteur  de  l’air.  (P.  17.) 

1 Art.  Air,  Dict.  des  Sc.  méd.,  t.  I,  p.  248;  Paris,  1812. 

2 Des  effets  de  la  pesanteur  de  l'air  sur  l'homme  considéré  dans  l'état  de  santé.  — 
Thèses  de  Paris  ; 1813. 


228 


HISTORIQUE. 


A la  même  époque  paraissait  un  travail  remarquable,  qui  mé- 
ritait d’attirer  davantage  l’attention  des  'physiologistes,  et  qui 
cependant  demeura,  au  moins  dans  la  partie  qui  nous  intéresse,  à 
peu  près  complètement  ignoré.  Je  dois  meme  avouer,  non  sans 
quelque  confusion,  que  je  n’ai  connu  son  existence  qu’en  faisant, 
toutes  mes  expériences  terminées,  les  recherches  bibliographiques 
nécessaires  pour  la  rédaction  de  la  première  partie  de  cet  ouvrage. 

Legallois  1 fut  amené,  dans  ses  recherches  sur  la  chaleur  ani- 
male, à comparer  les  variations  de  la  température  des  animaux  à 
sang  chaud  avec  la  quantité  d’oxygène  qu’ils  absorbent  dans  un 
temps  donné.  Parmi  les  causes  qui  pourraient  agir  sur  cette  absorp- 
tion, il  pense  à la  raréfaction  de  Pair,  comme  un  moyen  « de  faire 
diminuer  la  quantité  d’oxygène  que  contient  l’air  où  l’on  enferme 
l’animal  ».  Legallois  maintenait  les  animaux  en  vases  clos  (le  ma- 
nomètre, comme  il  l’appelle,  mesurait  41  litres)  pendant  tout  le 
temps  de  l’expérience;  il  n’a  nulle  part  indiqué  le  degré  de  dépres- 
sion auquel  il  les  avait  soumis,  mais  il  est  facile  de  conclure  de  ses 
récits  qu’il  n’a  jamais  atteint  une  demi-atmosphère.  Je  résume 
dans  le  tableau  suivant  les  résultats  de  ses  expériences;  l’épreuve 
comparative,  faite  pour  chaque  animal  sous  la  pression  normale,  a, 
bien  entendu,  duré  le  même  temps  : 


Oxygène 

Acide  cari). 

Chang. dans 

consommé. 

formé. 

la  temp.ducor 

1°  Lapin,  pression  normale  . . . . 

7,05 

6,16 

+ 0°,2 

— air  raréfié 

6,45 

5,02 

2° 

2°  Lapin,  pression  normale  .... 

6,55 

6,56 

+ 0°,5 

— air  raréfié  

5,97 

4,56 

— 2°,  2 

5°  Lapin,  pression  normale  .... 

12,08 

8,55 

— 1°,5 

— air  raréfié 

9,96 

7,60 

— 1°,5 

4°  Chai,  pression  normale  . . . . 

9,50 

— 0°,5 

— air  raréfié 

6,95 

— 4°, 2 

5°  Chat,  pression  normale  . . . . 

8,52 

6,20 

— 0°,5 

— air  raréfié 

7,66 

6,12 

— 7° 

6°  Chien,  pression  normale  .... 

15,26 

9,12 

— 1°,7 

— air  raréfié 

10,91 

9,11 

— 4°,  2 

7°  Chien,  pression  normale  .... 

15,19 

7,65 

— 4° 

— air  raréfié 

10,59 

6,65 

— 6°, 2 

8°  Cochon  d’Inde,  pression  normale . 

8,19 

6,27 

— 0°,4 

— air  raréfié.  . . . 

7,57 

6,56 

— 2°, 6 

9°  Cochon  d’Inde,  pression  normale. 

11,41 

9,10 

— 1°,5 

— air  raréfié  .... 

9,58 

8,42 

— 4°, 8 

Legallois  tire  de  ces  expériences,  par  rapport  au  sujet  qui  nous 


1 Deuxième  Mémoire  sur  la  chaleur  animale ; 1815. — Œuvres  de  Legallois , avec  des 
notes  de  M.  Pariset,  t.  II.  — Paris,  1850. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES.  229 

occupe  ici,  la  conclusion  suivante  qui  montre  une  admirable  saga- 
cité : 

Puisque  la  simple  raréfaction  de  l’air , portée  au  degré  de  faire  baisser  le 
baromètre  de  moins  de  50  centimètres,  suffit  pour  faire  refroidir  l’animal  qui 
le  respire,  il  en  résulte  que  le  froid  qu’on  éprouve  sur  les  hautes  montagnes  ne 
dépend  pas  uniquement  de  celui  de  l’atmosphère , et  qu’il  reconnaît  de  plu 
une  cause  intérieure,  laquelle  agit  par  la  respiration.  (P.  59.) 

Quel  contraste  entre  ces  expériences  si  nettes,  ces  conclusions  si 
précises,  et  l’entassement  confus  de  prétendues  explications  que, 
dans  cette  même  année,  Dralel1  donnait  tout  à la  fois  des  malaises 
et  du  mieux-être  qu’on  éprouve  sur  les  hauts  lieux  ! 

L’air  des  montagnes  de  moyenne  élévation  est  plus  salubre  quecelui  des  plaines... 
Si  l’on  considère  d’ailleurs  que  la  pression  de  l’atmosphère  est  moindre  à mesure  que 
nous  nous  élevons,  on  ne  s’étonnera  pas  si  les  habitants  de  la  plaine  se  trouvent 
plus  dispos  dans  les  Pyrénées,  mangent  avec  plus  d’appélit,  et  si  le  ressort  de  leur 
poumon  y acquiert  de  nouvelles  forces. 

Mais  l'homme  qui  s'approche  de  la  région  des  glaces  ne  trouve  plus  un  air  aussi 
favorable  à l’économie  animale  ; la  végétation,  suivant  l’observation  deM.  Ramond, 
étant  presque  nulle  dans  ces  lieux  sauvages,  l’azote  n’est  plus  absorbé  par  les  or- 
ganes des  plantes,  et  nuit  par  son  abondance  à la  salubrité  de  l’air.  MM.  Vidal  et 
Reboul  ont  vérifié  que  la  quantité  d’air  vital  que  contenait  l’atmosphère  au  sommet 
du  pic  du  Midi  de  Bigorre,  était  moindre  d’environ  un  quart  que  dans  la  vallée. 
D’ailleurs,  comme  il  y a diminution  dans  le  poids  de  l’atmosphère,  à mesure  que 
ses  couches  sont  plus  élevées,  lorsqu'un  homme  est  parvenu  sur  le  sommet  d’une 
haute  montagne,  toutes  les  parties  de  son  cor'ps,  ne  recevant  plus  de  l’air  envi- 
ronnant une  pression  suffisante,  doivent  céder  au  calorique  qui  les  dilate  en  cher- 
chant son  équilibre  dans  les  corps  environnants.  De  là,  relâchement  dans  la  fibre, 
amollissement  dans  les  parties  solides,  et  excès  de  fluidité  dans  les  liquides. 

Ainsi  les  personnes  qui  voyagent  dans  les  hautes  montagnes  sont  sujettes  aux 
hémorrhagies,  aux  vomissements  et  aux  défaillances  ; mais  ces  incommodités  ar- 
rivent rarement,  à moins  qu’on  ne  s’élève  à 2000  toises  au-dessus  du  niveau  de 
la  mer.  (T.  I,  p.  50.) 

Gondret 2 ne  fut  pas  plus  heureux  en  voulant  donner  « une 
explication,  sinon  complète,  du  moins  satisfaisante,  » des  acci- 
dents observés  pendant  les  ascensions  en  montagne.  Yoici  ce  qu’il 
dit  : 

La  diminution  du  poids  de  la  colonne  d’air  et  l’élasticité  de  nos  organes  expli- 
quent la  turgescence  du  corps,  la  dilatation  des  vaisseaux,  des  fluides,  et  par  con- 
séquent les  hémorrhagies. 

Les  poumons,  habitués  à 18  ou  20  inspirations  et  expirations  régulières 

1 Description  des  Pyrénées,  2 vol.  — Paris,  1813. 

2 Mémoire  concernant  les  effets  de  la  pression  atmosphérique  sur  le  corps  humain , 
et  V application  de  la  ventouse  dans  différents  ordres  de  maladie.  — Paris,  1819. 


230 


HISTORIQUE. 


dans  l’espace  d’une  minute,  obligés  tout  à coup,  pour  absorber  une  même  quan- 
tité d’air,  à des  mouvements  multipliés,  sont  extraordinairement  pressés  dans 
leur  exercice. 

Le  cœur  se  ressent  immédiatement  de  la  précipitation  des  actes  du  poumon  ; 
de  là  naissent  les  pulsations  accélérées,  les  lipothymies. 

Les  deux  mouvements  que  le  cœur  et  le  poumon  impriment  au  cerveau  étant 
ainsi  accélérés,  on  conçoit  les  changements  qui  se  passent  dans  cet  organe,  et  par 
conséquent  dans  ses  fonctions  : c’est  à ces  altérations  que  l’on  peut  rapporter 
les  vertiges,  les  étourdissements,  les  syncopes,  tous  les  désordres  qui  en  sont  la 
suite. 

Les  différences  qui  se  remarquent  chez  les  divers  individus,  dans  l’intensité  des 
symptômes,  dépendent  de  l’idiosyncrasie.  (P.  40.) 

Cependant  il  faut  reconnaître  qu’il  eut  le  premier  l’idée  d’appli- 
quer l’air  raréfié  à la  thérapeutique.  De  l’influence  très-manifeste 
qu’exercent  sur  nous  les  changements  dans  la  pression  baromé- 
trique, il  tire  cette  indication  : 

Peut-être  parviendrait-on  à construire  des  chambres  de  telle  manière  que  l’on 
pût , à l’aide  de  la  pompe  pneumatique , y introduire  à volonté  un  air  plus  ou 
moins  dense,  suivant  l’exigence  du  cas.  (P.  45.) 

• 

Le  reste  du  volume  est  exclusivement  consacré  à l’étude  de  l’in- 
fluence des  ventouses  simples  et  scarifiées. 

Les  voyageurs  anglais  qui,  au  commencement  de  ce  siècle,  par- 
coururent les  régions  élevées  de  l’Inde,  ont  introduit  dans  l’explica- 
tion du  mal  des  montagnes  un  élément  nouveau.  D’après  leurs 
récits,  les  natifs  de  ces  contrées  attribuent  les  malaises  qui  frappent 
les  étrangers  et  les  indigènes  eux-mêmes,  à l’action  d’un  vent 
empoisonné;  pour  la  plupart,  ce  sont  les  émanations  de  certaines 
plantes  qui  donneraient  à l’air  ces  qualités  toxiques. 

C’est  à Fraser  1 le  premier  que  nous  devons  ce  curieux  rensei- 
gnement; il  faut  dire  qu’il  se  hâte  de  repousser  cette  explication 
et  cela  par  un  excellent  motif  : 

Je  ne  me  doutais  pas  que  l’altitude  pouvait  si  durement  affecter  les  forces  et  la 
poitrine,  et  cependant  c’était  bien  elle  uniquement,  quelque  diificile  que  fût  1 as- 
cension; car  nous  avions  eu  sous  ce  rapport  d’au  moins  aussi  mauvaises  journées 
auparavant  ; et  quoiqu’on  nous  assurât  que  l’air  était  empoisonné  par  1 odeur 
des  fleurs,  et  bien  qu’il  y en  eût  en  effet  une  profusion  pendant  la  première  par- 
tie de  notre  route,  la  plupart  n’avaient  pas  d’odeur,  et  nous  ne  pouvions  rien 
percevoir  dans  l’air.  Bien  plus,  nous  souffrîmes  surtout  en  atteignant  la  gorge  éle- 
vée de  Bamsooroo,  où  il  n’y  avait  pas  de  végétation,  et  par  conséquent  pas  de  par- 
fums de  fleurs.,  (P.  449.) 

1 Loc.  cit.  : Journal  of  a Tour,  etc.;  1820. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


231 


Le  docteur  Govan1,  qui  accompagna  le  capitaine  Al.  Gérard  dans 
son  premier  voyage  en  1817,  rapporte  la  même  tradition,  sans  y 
croire  davantage.  Mais,  très-étonné  du  manque  de  proportion  si- 
gnalé déjà  par  les  voyageurs  entre  l’altitude  et  l’intensité  des  acci- 
dents, il  en  arrive  à l’idée  singulière  de  faire  jouer  dans  ces  phéno- 
mènes un  rôle  actif  à l’électricité  : 

Sur  les  sommets  extrêmes  des  montagnes  du  Choor  apparaissent  d’abord  le  ge- 
névrier, le  rhododendron  alpin  et  le  grand  aconit,  dont  les  effets  toxiques  bien 
connus,  quand  on  en  fait  un  usage  interne,  semblent  avoir  donné  naissance  à cette 
croyance  répandue  chez  les  indigènes,  qu’il  empoisonne  l’air  aux  alentours  : opi- 
nion à laquelle  je  ne  puis  découvrir  nui  fondement,  sinon  que  dans  les  endroits 
élevés  habités  par  cette  belle  plante,  les  voyageurs  éprouvent  souvent,  mais  non 
toujours,  les  phénomènes  désagréables,  attribués  ordinairement  à la  dilatation  de 
l’air.  * 

Si  les  symptômes  regardés  par  d’éminents  naturalistes  comme  dépendant  de 
cette  dilatation  doivent  lui  être  réellement  imputés,  comment  se  fait-il  qu’ils  ne 
soient  pas  proportionnels  à l’élévation  et  à la  raréfaction,  et  qu’ils  n’arrivent  pas 
invariablement  quand  elles  atteignent  un  certain  degré? 

J ai  passé  la  nuit,  en  deux  circonstances,  à des  hauteurs  de  plus  de  14000  pieds 
au-dessus  de  la  limite  des  neiges  perpétuelles,  j’ai  traversé  le  Rol-Pass  (beaucoup 
au-dessus  de  15  000  pieds),  accompagné  de  40  soldats  indigènes,  sans  que  per- 
sonne d’entre  nous  ait  éprouvé  ces  symptômes  fâcheux.  Or,  dans  les  mêmes  en- 
droits, et  même  à des  hauteurs  moins  grandes,  ils  ont  été  observés  dans  d’autres 
ascensions  et  annoncés  à l’avance  par  les  indigènes. 

Tout  ceci  semble  indiquer  que  ces  phénomènes  dépendent  de  circonstances 
atmosphériques  moins  générales,  comme  l’agent  électrique  qui,  en  présence  de 
conducteurs  si  élevés,  doit  être  dans  un  état  de  constante  fluctuation.  (P.  282). 

Le  capilaine  Al.  Gérard2,  dans  le  récit  de  son  voyage  de  1818, 
parle  également  des  plantes  empoisonnées  : 

Il  est  bon  de  faire  remarquer  que  les  habitants  du  Koonawur  estiment  la  hau- 
teur des  montagnes  par  la  difficulté  de  respirer  pendant  leur  ascension,  difficulté 
qu’ils  attribuent  à une  plante  toxique  ; mais,  malgré  nos  recherches  faites  à chaque 
village,  nous  n’avons  trouvé  personne  qui  ait  jamais  connu  cette  plante,  et,  d’après 
notre  expérience,  nous  inclinons  à attribuer  ces  effets  à la  raréfaction  de  l'atmo- 
sphère, car  nous  les  avons  éprouvés  à des  hauteurs  où  il  n’y  avait  plus  de  végéta- 
tion. (P.  49). 

[1  revient  encore  sur  cette  hypothèse  dans  son  livre  sur  le 
pays  de  Koonawur 3,  mais  toujours  pour  la  repousser  : 


1 Additionnai  Observations  on  the  Natural  History  and  Physical  Geography  of  lhe 
Himalayah  Mountains , between  the  River- Beds  of  the  Jumna  and,  lhe  Sutlej.  ■ — The 
Bdinburgh  Journal  of  science , conducted  btj  D.  Brcwstcr , vol.  II.  p.  277-287,  1825.  Lu 
devant  la  Soc.  royale  d’Edimb.,  le  19  décembre  1824. 

2 Loc.  cit.  : The  Edinb.  Journal  of  science,  vol.  I;  1824. 

5 Loc.  cit.  : Account  of  Koonawur,  etc.  — London,  1841. 


23 1 


HISTORIQUE. 


Ceux  qui  traversent  ces  chaînes  attribuent  ces  effets  fâcheux  à l'influence  de 
plantes  empoisonnées;  mais  ceux  qui,  mieux  informés,  ont  l’habitude  de  traverser 
ces  hauteurs  où  il  n’y  a pas  de  végétation,  savent  bien  qu’ils  sont  produits  par  la 
hauteur  seule.  (P.  57.) 


Mais  en  racontant  son  expédition  et  son  séjour  à la  passe  de 
Shatool  (4  850m),  le  docteur  Gérard 1 ne  daigne  plus  s’occuper  de 
l’explication  des  indigènes.  Il  souffre  beaucoup,  comme  le  prouve 
le  récit  que  nous  avons  rapporté  plus  haut,  et  cherche  naturel- 
lement, mais  sans  y réussir,  la  cause  de  son  mal;  chemin  faisant, 
il  combat  le  scepticisme  de  ceux  qui  ont  été  épargnés  pour  des 
raisons  quelconques  : 

J’aireçu  là  une  leçon  que  .je  n’oublierai  jamqis,  et  je  ne  doute  pas  qu’un  homme 
d’une  constitution  plus  pléthorique  n’eût  succombé  sous  les  effets  de  suffo- 
cations apoplectiques.  Le  sang  abandonna  les  extrémités,  et  la  pression  était  telle- 
ment diminuée  à la  surface  du  corps  dans  cet  air  raréfié,  que  le  sang  se  précipitait 
à la  tête  et  produisait  des  vertiges.  (P.  308.) 


La  cause  des  accidents  n’est  pas  très-facile  à voir,  et  ces  symptômes  extraor- 
dinaires de  prostration  des  forces,  d’anxiété  et  de  faiblesse  intellectuelle  ne  sont 
pas  expliqués  d’une  manière  satisfaisante,  et  bien  que  nous  ne  puissions  hésiter  à en 
rapporter  la  cause  principale  et  immédiate  à la  légèreté  de  l’air,  ou  plus  exacte- 
ment à la  pression  diminuée,  par  laquelle  la  balance  de  la  circulation  est  détruite, 
néanmoins,  les  effets  sont  si  capricieux  et  si  irréguliers,  qu’ils  peuvent  à peine 
concorder  avec  l’idée  d’une  cause  constante.  Ce  qui  amène  même  à nier  l’éxis- 
tence  des  symptômes,  et  ceux  qui  ont,  par  hasard,  résisté  à cette  impression  en 
traversant  les  montagnes,  restent  inébranlables  dans  leur  conviction  ; mais  je 
sais  que  vous  me  croirez  dans  mes  récits,  quoique  vous  n’ayez  ressenti  que  du  mal 
de  tête  sur  le  Boorendo.  J’ai  aussi  passé  la  nuit  ici  sans  aucun  symptôme,  excepté 
de  la  faiblesse.  (P.  520.) 

Comme  la  respiration  ne  peut  avoir  lieu  dans  le  vide,  nous  devons  considérer 
que,  à la  hauteur  de  18  480  pieds  (5  650m),  l’épuisement  de  l’air  est  à peu  près  à 
moitié,  et  comme  le  tout  ne  peut  avoir  que  la  somme  des  effets  de  ses  composants, 
l’action  progressive  devient  ici  une  série  arithmétique,  réductible  à une  expérience 
de  physique,  dans  laquelle  les  coups  de  piston  d’une  pompe  pneumatique  parais- 
sent attirer  de  plus  en  plus  la  main  placée  sur  l’ouverture,  jusqu’à  ce  que  la 
pression  supérieure  dépasse  assez  l’inférieure  pour  être  insupportant  à l’expéri- 
mentateur. À 18  480  pieds,  le  baromètre,  dans  l’état  moyen  de  l’air,  se  tient  à 
15  pouces,  de  sorte  que  nous  respirions  alors  dans  un  air  moitié  dense  que  celui 
du  bord  de  la  mer  ; qui  pourrait  être  surpris  des  effets  observés?  (P.  523.) 

Le  capitaine  Hodgson  2,  qui  rapporte  à son  tour  les  dires  des  in- 
digènes, ne  paraît  pas  éloigné  d’y  croire  lui-même  : 

Les  montagnards,  qui  ne  savent  rien  de  la  raréfaction  de  l’air,  attribuent  leur 

1 Loc.  cit.  : Narrative  of  a journey , etc.;  t.  I — London,  1840. 

Loc.  cit. y Asiatic  Research.,  I.  XIV;  1822. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


235 


faiblesse  aux  exhalaisons  de  plantes  nuisibles,  et  je  crois  qu’ils  ont  raison,  car 
une  sorte  d’effluve  malsain  était  exhalée  par  elles  aussi  bien  ici  que  sur  les 
hauteurs  inférieures  aux  pics  neigeux  que  j’ai  franchis  l’année  dernière  sur  le 
Setlej  ; quoique  sur  la  neige  la  plus  élevée,  on  ne  se  plaignait  pas  de  la  faiblesse, 
mais  de  l’impossibilité  de  marcher  quelque  temps  sans  s’arrêter  pour  respirer. 
(P.  111.) 

Nous  verrons  plus  tard,  par  le  témoignage  des  voyageurs  mo- 
dernes, que  cette  idée  du  vent  empoisonné  par  les  plantes  est  en- 
core aujourd’hui  tout  à fait  populaire  dans  la  Haute-Asie. 

Si  nous  revenons  maintenant  dans  nos  Alpes,  nous  trouvons, 
vers  la  même  époque,  Hipp.  Cloquet1  reproduisant  l’explication 
mécanique  : 

La  pression  de  l’air,  qui  pèse  continuellement  sur  nous  et  en  tous  sens,....  paraît 
nécessaire  au  maintien  de  l’équilibre  entre  les  solides  vivants  et  les  humeurs  qui 
circulent  ou  qui  flottent  dans  leur  sein  ; elle  contrebalance  la  force  élastique  des 
fluides  de  notre  corps;  et  puisqu’ici  cette  pression  est  considérablement  diminuée, 
il  n’y  arien  d’étonnant  que  l’équilibre  soit  rompu.  (P.  56.) 

Le  docteur  Hamel2,  lorsqu’il  entreprit  en  1820,  au  mont  Blanc, 
l’expédition  qui  devait  avoir  des  suites  si  funestes,  s’était  proposé 
d’y  faire  des  expériences;  l’un  de  ses  projets  témoigne  d’une  remar- 
quable sagacité  et  indique  des  vues  hypothétiques  très-nettes  et 
très- scientifiques  sur  la  cause  et  les  effets  de  l’air  raréfié  : 

J’avais  préparé  un  flacon  d’eau  de  chaux  pour  voir  si,  en  haut,  l’air  expiré  était 
chargé  de  carbone  dans  la  même  proportion  que  dans  les  régions  où  à chaque 
inspiration  il  entre  environ  un  tiers  de  plus  d’oxygène  avec  le  même  volume  d’air 
atmosphérique.  Je  comptais  aussi  extraire,  en  haut,  le  sang  de  quelque  animal, 
pour  voir  à sa  couleur  s’il  avait  été  suffisamment  décarbonisé  dans  les  poumons. 

Le  récit  de  l’ascension  au  mont  Blanc,  exécutée  par  Clissold3  en 
1822,  nous  apporte  une  explication  que,  jusqu’ici,  nous  n’avons 
pas  vue  apparaître  et  qui  pourrait  servir  de  type  à cette  physiologie 
des  vraisemblances  qui  a tant  fait  de  mal  à la  science, 

Clissold  attribue  en  premier  lieu  les  accidents  observés  à la 
moindre  quantité  d’oxygène  contenue  dans  un  même  volume  d’air, 
ce  qui  nécessite  que  la  respiration  soit  accélérée  et  approfondie. 

D’autre  part,  l’énergie  musculaire  étant  en  général  diminuée,  le 
poumon  se  dilate  moins,  et  il  faut  y suppléer  par  la  plus  grande 


1 I.oc.  cit.,  Nouveau  Journal  de  médecine,  t.  VII;  1820. 

2 Loc.  cit.  : Bibl.  univ.,  t.  XIV;  1820. 

3 Loc.  cit.  : Bibl  univ.,  t.  XXIII;  1823. 


254 


HISTORIQUE. 


fréquence  des  inspirations.  Alors  le  rédacteur  de  la  Bibliothèque 
universelle  ajoute  : 

Clissold  touche  ici,  sans  la  développer,  à l’une  des  causes  à laquelle  nous  serions 
tentés  d’attribuer  la  plus  grande  influence  sur  l’un  des  effets  observés;  nous 
voulons  parler  de  la  dilatation  qu'éprouve  l’air  renfermé  dans  la  cavité  abdominale, 
à mesure  qu’on  s’élève  dans  l’atmosphère;  dilatation  qui,  soulevant  le  diaphragme, 
diminue  d’autant  la  capacité  de  la  boîte  thoracique,  et  ne  permet  pas  au  poumon 
de  se  développer  autant  qu’à  l’ordinaire,  jusqu’à  ce  que,  par  quelques  communi- 
cations lentes  avec  l’extérieur,  l’équilibre  entre  les  cavités  abdominale  et  thora- 
cique se  rétablisse,  et  que  celle-ci  reprenne  sa  capacité  ordinaire. 

Le  naturaliste  français  Roulin1,  qui  séjourna  pendant  plusieurs 
années  en  Bolivie,  envoya  en  1826  à Magendie  une  lettre  contenant 
des  observations  sur  le  nombre  des  battements  du  pouls,  faites 
chez  les  mêmes  personnes  à Guaduas  (pression  moyenne  7 1 8mm)  et  à 
Santa-Fé-de-Bogota  (560mm;  2 645m  au-dessus  du  niveau  de  la  mer). 
Elle  montrent  une  légère  augmentation  du  nombre  des  pulsations 
dans  ce  dernier  séjour.  La  différence  est  assez  faible,  et  M.  Roulin 
en  conclut  : 

D’après  cela,  il  est  permis  de  supposer  que  les  effets  qu’on  ressent  quand  on 
gravit  sur  de  hautes  montagnes  et  qu’on  rapporte  entièrement  à la  diminution  de 
pression,  quand  ils  ne  sont  pas  dus  au  froid  ou  à la  fatigue  de  l’ascension,  doivent 
être  considérés  en  grande  partie  comme  des  phénomènes  nerveux. 

Et  cependant,  quelques  pages  plus  loin,  Fauteur  ajoute  : 

La  gêne  que  je  sentais  dans  la  respiration,  sur  le  plateau  de  Bogota,  fut  d’abord 
attribuée  à l’état  de  ma  santé;  mais  je  reconnus  que  plusieurs  personnes,  récem- 
ment arrivées  sur  le  plateau,  se  plaignaient  également  de  cette  gêne. 

C’est  évidemment  plutôt  à cause  du  nom  de  leur  auteur,  qu’à 
cause  de  leur  importance  propre,  que  j’ai  cité  ces  observations; 
elles  ne  sont  rien  moins  que  concluantes. 

C’est  également  à titre  de  curiosité  que  je  rapporte  ici  les  conclu- 
sions d’un  travail  de  John  Davy 2 sur  les  gaz  des  liquides  et  des  so- 
lides du  corps;  c’est  un  véritable  recul  en  arrière  de  ce  que  nous 
avaient  appris  Robert  Boyle  et  Darwin.  Mais  le  lecteur  peut  ainsi 
juger  des  hésitations  entre  lesquelles  flottait  l’esprit  des  physio- 
logistes. 

1 Observations  sur  la  vitesse  du  pouls  à différents  degrés  de  pression  atmosph.  — 
Journ.  de  Physiol.  de  Magendie,  t.  VI,  p.  1-15;  1826. 

2 On  tlie  Effecls  of  removin g Atmospheric  Pressure  frorn  the  fluids  and  solids  of  the 
human  Bodg  — Transactions  of  the  Médico-Chirurgical  Society  of  Edinburgh,  vol.  III, 
p.  448-158;  1829. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


235 


J.  Davy  exécuta  de  nombreuses  expériences  en  vue  de  rechercher 
si  les  liquides  ou  les  solides  contiennent  des  gaz  que  la  pompe 
pneumatique  puisse  extraire.  Les  résultats  obtenus  ont  toujours 
été  négatifs,  et  il  en  conclut  qu’il  n’y  a pas  de  gaz  libres  dans  le 
sang,  ce  qui  serait,  du  reste  « unchemical  » et  incompatible  avec 
la  vie,  car  à la  moindre  augmentation  de  température,  ou  diminu- 
tion de  pression,  rien  ne  pourrait  prévenir  le  dégagement  de  ces 

gaz- 

Or,  il  est  curieux  de  voir,  peu  d’années  après,  un  célèbre  médecin 
français,  Rostan1,  invoquer  justement,  d’une  manière  vague,  il  est 
vrai,  l’influence  de  ces  gaz,  pour  expliquer  les  accidents  de  la  dé- 
compression. 11  y mêle  les  idées  erronées  que  nous  avons  déjà  ren- 
contrées et  que  nous  retrouverons  souvent  encore,  sur  la  part  qui 
reviendrait  à la  diminution  du  poids  supporté  par  le  corps  : 

Si  l’on  place  un  animal  vivant  dans  le  vide,  l’air  intérieur,  n’ayant  plus  rien 

qui  lui  résiste,  se  dilate,  l’animal  se  gonfle  et  périt C’est  la  pression  de  l’air 

qui  retient  les  fluides  dans  les  vaisseaux  des  animaux  et  les  empêche  de  s’échapper. 
Lorsque  le  baromètre  descend  de  quelques  degrés,  les  fluides  tendent  donc  à la 
périphérie;  il  y a difficulté  de  respirer,  embarras  de  la  circulation,  congestion 
vers  la  tête.  (P.  340.) 

Vers  la  même  époque  parut  un  mémoire  anglais  qui  a du  moins 
le  mérite  de  l’originalité,  dans  le  sens  de  bizarrerie.  Cunningham2 
fait  jouer,  comme  l’avait  déjà  fait  Govan,  un  rôle  de  premier  ordre 
à l’électricité,  expliquant  ainsi  l’inconnu  par  l’inconnu;  mais  il  y 
ajoute  une  idée  étrange  : il  y aurait  une  différence  radicale  entre  les 
effets  de  l’ascension  des  montagnes  dans  l’un  et  l’autre  hémisphère  : 

Les  symptômes  apoplectiques  caractérisent  le  malaise  des  voyageurs  au  mont 
Blanc,  tandis  que  dans  l'hémisphère  sud  on  est  menacé  par  tous  ceux  qui  ac- 
compagnent la  syncope 

Les  premiers  ont  été  attribués  à la  grande  raréfaction  de  l’air  qui  permet  aux 
parties  molles  du  corps  humain  de  se  dilater  par  suite  de  la  réduction  de  la  pres- 
sion qui  s’exerçait  sur  elles;  donc,  comme  une  élévation  semblable  dans  les  Andes 
produit  des  effets  d’une  nature  opposée,  nous  devons  chercher  à expliquer  ces 
derniers  par  d’autres  causes  que  la  raréfaction  de  l’air. 

Cette  cause,  l’auteur  la  trouve  dans  l’électricité, 

Qui  occupe,  dans  l’hémisphère  nord,  la  partie  supérieure  du  corps,  et,  dans  l’hé- 
misphère sud,  la  partie  inférieure,  et  tend  ainsi  à attirer  le  sang  vers  la  tête  dans 

* Diclimmaire  de  Médceine,  article  Atmosphère , t.  IV;  1833. 

2 Effects  o f Mountain  Elévation  vpon  the  hum  an  Body . — London,  Med.  Gaz.,  t.  Xl\, 
p.  207,  520;  1834. 


230 


HISTORIQUE. 


le  premier,  et  vers  les  pieds  dans  le  second,....  ce  qui  explique  encore  pourquoi 
le  malaise  est  guéri  par  la  position  horizontale. 

Nous  croyons  inutile  d’insister  davantage,  et  nous  rapporterons  de 
même  sans  réflexion  aucune  les  quelques  lignes  que  Burdach l,  dans 
son  immense  encyclopédie,  consacre  aux  effets  de  la  diminution  de 
pression  sur  l’organisme;  on  y voit  clairement  qu’il  les  atlribue 
au  défaut  du  support  de  l’air  sur  les  vaisseaux  sanguins  : 

La  pression  de  l'atmosphère,  dit-il,  égale  sur  le  corps  humain  un  poids  de  50 
à 5G  000  livres  ; elle  maintient  les  dispositions  mécaniques  de  l’organisme  dans  leur 
état  normal,  et  concourt  notamment  à favoriser  la  circulation,  en  restreignant 
l’afflux  du  sang  vers  la  surface On  a quelquefois  remarqué  sur  les  hautes  mon- 

tagnes, où  l'air  est  très-raréfié,  des  accidents  causés  par  des  congestions  vers  divers 
organes,  (i*.  325.) 

Une  des  grandes  difficultés  contre  lesquelles  se  sont  heurtés  de 
tout  temps  les  auteurs,  c’est  la  non-proportionnalité  de  la  gravité 
des  accidenls  avec  la  hauteur  à laquelle  parviennent  les  voyageurs, 
et  cela  non-seulement  d’un  hémisphère  à l’autre,  mais  dans  la 
même  (trée,  sur  la  même  chaîne  de  montagnes. 

C’est  pour  cette  raison  que  l’Allemand  Pœppig2,  qui  a donné  du 
mal  des  montagnes  des  Andes  une  description  si  complète,  ne  peut 
se  résoudre  à en  trouver  la  cause  dans  la  diminution  de  la  pression 
atmosphérique  : 

L’idée  que  la  Puna,  la  Veta,  ne  dépend  point  de  la  raréfaction  de  l’air,  mais 
d’une  altération  dans  sa  composition,  trouve  un  appui  dans  cette  observation  que 
la  maladie  n’est  pas  toujours  en  rapport  avec  la  hauteur  d’un  lieu  au-dessus  du 
niveau  de  la  mer.  La  cabane  de  Casacaucha  est  à peu  près  au  même  niveau  que  le 
Cerro  de  Pasco,  le  pas  de  Viuda  est  un  millier  de  pieds  plus  haut,  et  je  n’y  ai  jamais 
éprouvé  la  moindre  sensation  de  malaise.  (T.  II,  p.  84.) 

M.  Boussingault3  fut,  lui  aussi,  frappé  de  ces  inégalités  ; mais,  plus 
hardi  que  Pœppig,  il  en  cherche  l’explication  : 

Dans  toutes  les  excursions  que  j’ai  entreprises  dans  les  Cordillères,  j’ai  toujours 
éprouvé,  à hauteur  égale,  une  sensation  infiniment  plus  pénible  en  gravissant  une 
pente  couverte  de  neige  qu’en  m’élevant  sur  une  roche  nue;  nous  avons  beaucoup 
plus  souffert  en  escaladant  le  Cotopaxi,  qu’en  montant  le  Chimborazo.  C’est  que 
sur  le  Cotopaxi  nous  sommes  constamment  restés  sur  la  neige. 

Les  Indiens  d’Antisana  nous  assuraient  aussi  qu’ils  éprouvaient  un  étouffement 
(ahogo)  lorsqu’ils  marchaient  pendant  longtemps  sur  une  plaine  neigeuse  ; et  j’avoue 
qu’en  considérant  bien  les  incommodités  auxquelles  de  Saussure  et  ses  guides  fu- 

1 Traite  de  Physiologie,  trad.  Jourdan,  t.  VI;  1837. 

~ Loc.  cit.  : Reise  in  Chile,  etc.;  1856. 

5 Loc.  cit.  : Ann.  de  Chimie,  2e  série,  t.  LVIII;  1835. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


237 


rent  exposés  en  bivouaquant  sur  le  mont  Blanc,  à la  simple  hauteur  de  3888  mètres, 
je  suis  disposé  à les  attribuer  au  moins  en  partie  à Faction  encore  inconnue  de  la 
neige.  En  effet,  leur  bivouac  n’atteignait  même  pas  la  hauteur  des  villes  de  Cala- 
marca  et  de  Potosi. 

Sur  les  hautes  montagnes  du  Pérou,  dans  les  Andes  de  Quito,  les  voyageurs 
et  les  mulets  qui  les  portent  éprouvent  quelquefois  et  presque  subitement  une 
très-grande  difficulté  à respirer  ; on  assure  avoir  vu  des  animaux  tomber  dans 
un  état  voisin  de  l’asphyxie.  Ce  phénomène  n’est  pas  constant,  et,  dans  beaucoup 
de  circonstances,  il  paraît  indépendant  des  effets  causés  par  la  raréfaction  de  l’air. 
On  l’observe  surtout  lorsque  des  neiges  abondantes  couvrent  les  montagnes  et 
que  le  temps  est  calme. 

C’est  peut-être  ici  le  lieu  de  remarquer  que  de  Saussure  se  trouvait  soulagé  des 
incommodités  qu’il  ressentait  sur  le  mont  Blanc,  lorsqu’une  bise  légère  se  faisait 
sentir.  En  Amérique,  on  désigne  sous  le  nom  de  soroche  cft  état  météorologique 
de  l’air,  qui  affecte  si  fortement  les  organes  de  la  respiration.  Soroche,  dans  la 
langue  des  mineurs  américains,  signifie  de  la  pyrite;  ce  nom  indique  assez  que 
l’on  a cherché  la  cause  de  ce  phénomène  dans  les  exhalaisons  souterraines.  La 
chose  n’est  pas  impossible,  mais  il  est  plus  naturel  de  voir  encore,  dans  le  soroche, 
un  effet  de  la  neige. 

La  suffocation  que  j’ai  éprouvée  plusieurs  fois  moi-même  en  gravissant  sur  la 
neige,  quand  elle  était  frappée  par  les  rayons  du  soleil,  m’a  fait  supposer  qu’il 
pouvait  s’en  dégager,  par  l’action  de  la  chaleur,  de  l’air  visiblement  vicié.  Ce  qui 
me  soutenait  dans  cette  idée  singulière,  c’était  une  ancienne  expérience  de 
de  Saussure,  par  laquelle  il  crut  reconnaître  que  l’air  dégagé  des  pores  de  la  neige 
contenait  beaucoup  moins  d’oxygène  que  celui  de  l'atmosphère.  L’air  soumis  à 
l’examen  avait  été  recueilli  dans  les  interstices  de  la  neige  du  col  du  Géant. 
L’analyse  en  fut  faite  par  Sennebier,  au  moyen  du  gaz  nitreux,  et  en  opérant 
comparativement  avec  de  l’air  de  Genève.  (P.  167.) 

M.  Boussingault  répète  alors  l’expérience  de  Sennebier  avec  la 
neige  qu’il  avait  prise  sur  le  Chimborazo.  L’analyse  ordinaire  lui 
donne  seulemenl  16  p.  100  d’oxygène.  Mais  le  célèbre  chimiste  dé- 
clare lui-môme  qu’une  objection  peut  « à la  rigueur  » être  faite  à 
sa  mélhode  : c’est  que  la  neige  ayant  fondu  dans  la  bouteille,  l’air, 
s’étant  trouvé  en  présence  d’eau  peu  aérée,  a pu  lui  céder  une  partie 
de  son  oxygène.  Cela  dépend,  évidemment,  de  la  quantité  d’air 
relativement  à la  quantité  d’eau,  proportion  non  indiquée  dans  le 
travail  que  nous  citons. 

Mais  plus  tard,  du  reste,  M.  Boussingault,  ayant  repris  cette  ques- 
tion1, a montré  que  la  pauvreté  apparente  en  oxygène  de  l’air 
contenu  dans  les  pores  de  la  neige  tient  à ce  que  l'oxygène  se  dis- 
sout en  plus  forte  proportion  que  l’azote  dans  l’eau  de  fusion.  11 
ne  reste  donc  rien  de  sa  première  hypothèse. 

Ces  résultats  contradictoires,  dus  au  perfectionnement  des  mé- 

1 Sur  la  composition  de  l’air  qui  se  trouve  dans  les  pores  de  la  neige.  — Ann.  de 
Chim.  et  de  Phys.,  3e  série,  t.  I,  p.  351-300;  1841. 


253 


HISTORIQUE. 


thodes  d’analyse  chimique,  rappellent  de  très-près  les  opinions  dif- 
férentes qu’en  1804  et  en  1857  émit  sur  le  même  sujet  l’illustre 
de  Humboldt. 

Dans  les  lettres  qu’il  écrivit  à son  frère  et  à Delambre,  immédiate- 
ment après  ses  ascensions  de  l’Antisana  et  du  Chimborazo,  de 
Humboldt  déclarait  qu’à  ses  yeux 

Le  malaise,  la  débilité,  l’envie  de  vomir,  provenaient  certainement  autant  du 
manque  d’oxygène  de  ces  régions  que  de  la  rareté  de  l’air.  Il  n’avait  trouvé  que 
0,20  d’oxygène  à 5 051  toises,  sur  le  Chimborazo.  (P.  175  h) 

El  cependant,  il  résulte  de  sa  lettre  à son  frère1 2 3  que  les  mêmes  ac- 
cidents les  atteignirent  au  sommet  de  l’Antisana,  où  cependant  l’a- 
nalyse leur  montrait  dans  l’air  la  proportion  normale  de  0,218 
d’oxvgène. 

Mais  lorsque,  en  1857 r>,  il  revient  sur  les  détails  de  son  récit,  il  ne 
parle  plus  de  la  composition  chimique  de  l’air,  mais  seulement  de 
la  moindre  quantité  d’oxygène  dans  un  même  volume  ; de  plus,  il 
introduit  dans  la  science  une  explication  nouvelle  de  la  fatigue 
des  montagnes,  explication  malheureuse  et  qui  cependant  fut  pen- 
dant bien  longtemps  acceptée  sans  conteste  : 

D’après  l’état  actuel  de  l’eudiométrie,  l’air  paraît  aussi  riche  en  oxygène  dans 
ces  hautes  régions  que  dans  les  régions  inférieures  ; mais,  dans  cet  air  raréfié,  la 
pression  du  baromèlre  étant  moindre  de  moitié  que  celle  à laquelle  nous  sommes 
ordinairement  exposés  dans  les  plaines,  une  moindre  quantité  d’oxygène  est  reçue 
par  le  sang  à chaque  aspiration,  et  on  conçoit  parfaitement  comment  il  en  résulte 
un  sentiment  général  de  faiblesse.  Ce  n’est  pas  ici  le  lieu  de  rechercher  pourquoi 
cette  asthénie  excite  sur  les  montagnes,  comme  dans  le  vertige,  de  préférence  le 
malaise  et  l’envie  de  vomir,  non  plus  que  de  démontrer  que  l’éruption  du  sang  ou 
le  saignement  des  lèvres,  des  gencives  et  des  yeux,  que  n’éprouvent  pas  tous  les 
individus  à des  hauteurs  si  grandes,  ne  peut  nullement  être  expliqué  d’une  ma- 
nière satisfaisante  par  l’enlèvement  progressif  d’un  contre-poids  mécanique  qui 
comprime  le  système  vasculaire.  Il  conviendrait  plutôt  d’examiner  la  vraisemblance 
de  l'inlluence  d’une  moindre  pression  de  l’air  sur  la  lassitude  lorsque  les  jambes 
se  meuvent  dans  les  régions  où  l’atmosphère  est  très-raréfiée  ; puisque,  d’après 
la  découverte  mémorable4  de  deux  savants  ingénieux,  MM.  Guillaume  et  Édouard 

1 Loc.  cit.  : Lettre  à Delambre.  — Ann.  du  Muséum  ; t.  II,  1805. 

2 Loc.  cit.  : Ibid. 

3 Loc.  cit.  :Ann.  de  Chimie , 2e  série;  t.  LXIX,  1858. 

4 Le  fait  que  la  pression  atmosphérique  est  la  véritable  cause  du  maintien  des  ad- 
hérences articulaires  a été,  ce  qu’on  ignore  généralement,  découvert  par  le  physiolo- 
giste français  Bérard.  Guérard,  qui  en  a porté  témoignage,  s’exprime  dans  les  termes 
suivants  : 

« Longtemps  avant  que  les  travaux  de  ces  physiologistes  fussent  connus  en  France, 
M.  Bérard,  dans  un  concours  pour  le  bureau  central  (vers  1828  ou  1829),  avait,  suivant 
l’usage  alors  établi,  fait  imprimer  une  série  de  propositions  sur  lesquelles  l’argumenta- 


THEORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


259 


Weber,  la  jambe,  attachée  au  corps,  n’est  supportée,  quand  elle  se  meut,  que 
parla  pression  de  l’air  atmosphérique.  (P.  419.).  . 

Si  M.  Gay-Lussac  qui,  le  16  septembre  1804,  atteignit  à la  hauteur  prodi- 
gieuse de  21  600  pieds,  par  conséquent  entre  celle  du  Chimborazo  et  de  l’Illimani, 
ne  rendit  pas  de  sang,  il  faut  peut-être  l’attribuer  à l’absence  de  tout  mouvement 
musculaire.  (P.  418.) 

Vers  celte  époque  un  médecin  français,  le  docteur  Junod1,  con- 
çut et  exécuta  le  premier  Vidée,  déjà  entrevue  par  Gondret,  de  dimi- 
nuer artificiellement  la  pression  dans  des  appareils  suffisamment 
vastes  pour  qu’un  homme  y puisse  séjourner. 

M.  Junod  avait  été  amené  à faire  ses  expériences  par  les  effets 
qu’il  ressentit  de  l’air  dilaté  dans  les  Alpes,  dans  les  Pyrénées,  au 
mont  Etna.  Son  appareil  consistait  en  une  sphère  de  cuivre  de 
lm,30  de  diamètre,  dans  laquelle  un  homme  pouvait  s’asseoir  : 

Lorsqu’une  personne  est  placée  dans  l’intérieur  du  récipient,  et  qu’on  diminue 
d'un  quart  la  pression  naturelle  de  l’air,  voici  ce  que  l’on  observe  : 

1°  La  membrane  du  tympan  se  trouve  distendue,  ce  qui  produit  une  sensation 
assez  incommode,  qui  se  dissipe  à mesure  que  l’équilibre  se  rétablit; 

2°  La  respiration  est  gênée  : les  inspirations  sont  courtes  et  fréquentes  au  bout 
de  15  ou  20  minutes.  À cette  gêne  de  la  respiration  succède  une  véritable  dyspnée; 

3°  Le  pouls  est  plein,  dépressible,  fréquent;  tous  les  ordres  de  vaisseaux  super- 
ficiels sont  dans  un  état  de  turgescence  manifeste.  Les  paupières  et  les  lèvres 
sont  distendues  par  la  surabondance  des  fluides.  Assez  fréquemment  il  survient 
des  hémorrhagies,  avec  tendance  à la  syncope.  La  peau  est  le  siège  d’une  chaleur 
incommode  et  ses  fonctions  sont  activées; 

4°  Le  peu  d’activité  de  l’hématose,  l’expansion  plus  ou  moins  grande  des  gaz  qui 
circulent  avec  le  sang,  la  surabondance  de  ce  liquide  dans  les  différents  ordres 
de  vaisseaux  superficiels,  expliquent  assez  le  défaut  d’innervation  qui  se  caractérise 
par  le  manque  d’énergie  et  par  une  apathie  complète  ; 

5°  Les  glandes  salivaires  et  rénales  sécrètent  avec  une  moindre  abondance  leurs 
fluides,  et  cet  effet  paraît  s’étendre  sur  tout  le  système  glandulaire; 

6°  Le  poids  du  corps  paraît  diminuer  d’une  manière  sensible. 

Le  mémoire  est  terminé  par  la  description  des  grandes  ven- 


tion  eut  lieu.  L’une  de  ces  propositions  était  conçue  en  ces  termes  : La  pression  atmo- 
sphérique peut,  suivant  les  cas,  favoriser  ou  rendre  plus  difficiles  les  désarticulations.  A 
l’appui  de  cette  proposition,  M.  Bérard  citait  une  expérience  qu’il  avait  imaginée,  et  qui 
consistait  à enlever  tous  les  muscles  qui  fixent  la  cuisse  au  bassin  et  à couper  le  liga- 
ment capsulaire  lui-même.  En  tirant  sur  la  jambe,  l’adhérence  de  la  tête  du  fémur  à la 
cavité  cotyloïde  sous  l’influence  de  la  pesanteur  suffisait  pour  que  l’on  pût  traîner  le 
cadavre  sur  le  sol  sans  que  les  deux  parties  de  l’articulation  vinssent  à se  séparer  ». 
[Ann.  d'hy g.  publique  et  de  méd.  lég.,  2e  série,  t.  I,  1854,  p.  304.) 

Ce  qui  appartient  bien  en  propre  aux  physiologistes  allemands,  c’est  l’application 
erronée  qu’ils  ont  faite  de  cette  vérité  à la  théorie  de  la  marche. 

1 Recherche  s sur  les  effets  physiologiques  et  thérapeutiques  de  la  compression  et  de  la 
raréfaction  de  l’air,  tant  sur  le  corps  que  sur  les  membres  isolés.  — Ann.  gén.  de  Méd., 
2e  série,  t.  IX,  p.  157-172;  1835. 


240 


HISTORIQUE. 


touses  et  de  quelques  cas  pathologiques  traités  par  elles.  C’est  à 
l’application  de  cètte  méthode  de  traitement,  à laquelle  il  a donné 
le  nom  d ’hémospasie,  que  M.  Junod  a consacré  depuis  tous  ses 
efforts  l.  Elle  n’a  vraiment  aucun  rapport  avec  notre  sujet,  puis- 
qu’il s’agit  ici  de  rompre  l’équilibre  de  pression  entre  divers  points 
du  corps,  grâce  à l’application  d’un  vide  partiel  sur  un  ou  plusieurs 
membres.  C’est  ce  qu’a  mis  d’abord  en  évidence  Magendie2  dans  le 
rapport  qu’il  fut  chargé  de  présenter  à l’Académie  des  sciences  sur 
les  travaux  de  M.  Junod. 

Le  célèbre  physiologiste  commence  par  rappeler  l’histoire  des 
ventouses,  qui  datent  des  Egyptiens,  et  il  en  arrive  aux  chambres 
barométriques  de  M.  Junod  par  une  transilion  qui  indique  que, 
malgré  lui,  il  les  rapproche  encore  de  ces  ventouses  : 

Ces  appareils,  dit-il  en  effet,  ont  été  construits  dans  la  vue  de  varier,  soit  en 
plus,  soit  en  moins,  la  pression  que  le  corps  de  l’homme  supporte  en  raison  de 
l’étendue  de  ses  surfaces  cutanées  et  pulmonaires 

C'est  en  agissant  à la  fois  sur  les  deux  surfaces  que  cet  appareil  diffère  de  ceux 
qui  ont  été  imaginés  en  Angleterre  par  MM.  Murray  et  Clanny  ; ces  derniers  por- 
tent exclusivement  leur  action  sur  la  peau,  le  poumon  restant  en  libre  commu- 
nication avec  l’air  extérieur,  par  un  tuyau  séparé  3. 

Puis,  arrivant  à la  partie  du  travail  de  M.  Junod  qui  a de  quoi 
nous  intéresser,  Magendie  reproduit  le  récit,  des  phénomènes  pré- 
sentés par  l’homme  soumis  à l’action  de  l’air  comprimé  ou  dilaté; 
nous  venons  d’emprunter  au  mémoire  original  ce  qui  a trait  à ce 
dernier  point. 

Nous  avons  le  regret  d’ajouter  que  Magendie  n’a  pas  fait  preuve 
d’un  sentiment  bien  exact  de  l’avenir  en  disant  : 

Sous  le  point  de  vue  médical,  ces  appareils  ne  paraissent  jusqu’ici  susceptibles 

1 T)c  V lîcmospasie.  — Recueil  de  Mémoires  sur  les  effets  thérapeutiques  de  cette 
méthode  de  traitement.  — Paris,  1850. 

2 Rapport  sur  un  Mémoire  ayant  pour  titre  : De  la  Condensation  et  de  la  Raréfac- 
tion de  l'Air,  opérées  sur  toute  l'habitude  du  corps  ou  sur  les  membres  seulement,  consi- 
dérées sous  leurs  rapports  thérapeutiques,  par  M.  Th.  Junod,  M.  D.  — Cpt.  R.  Acad, 
des  Sc.,  t.  I,  p.  60-65;  1855- 

3 C’est  en  effet  ce  que  déclare  Clanny  lui-même  : « Il  est  curieux  de  voir  qu’au  même 
moment  sir  James  Murray  de  Dublin,  Th.  Junod  de  Strasbourg,  et  moi,  nous  ayons 
inventé  un  appareil  semblable,  dans  le  but  de  diminuer  la  pression  de  l’atmosphère  à 
la  surface  du  corps,  sans  que  rien  ait  été  publié  antérieurement  dans  quelque  journal  ». 

( Researches  of  M.  Junod  into  the  physiological  and  therap.  effects  of  the  compression 
and  rare  faction. — The  Lancet,  1835-36;  t.  Il,  p.  u59.) 

danny  et  Murray  n’avaient  inventé  que  la  grande  ventouse.  — Apparatus  forremoving 
the  Pressure  of  the  Atmosphère  frorn  the  Bodg  or  Limbs.  — The  Lancet,  1854-55  ; t.  I. 
p.  804-805. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


241 


d'aucune  application Il  n’en  est  pas  de  même  de  ceux  que  M.  Junod  propose 

pour  opérer  le  vide  autour  des  membres  ou  pour  y condenser  l’air. 

Il  n’est  pas  étonnant  de  constater  qu’après  ces  réflexions  peu  en- 
courageantes, M.  Junod  renonça  à l’emploi  de  l’air  dilaté  comme 
milieu  général,  et  se  borna  à perfectionner 1 les  grandes  ventouses 
qui  portent  son  nom,  agent  thérapeutique  des  plus  puissants,  et 
fort  injustement  négligé  par  les  médecins.  Mais  il  arriva  que,  par 
une  confusion  singulière,  on  continua  à appliquer  à l’action  géné- 
rale de  la  diminution  de  pression  des  explications  très-justes  quand 
il  s’agit  du  vide  local  par  les  grandes  ventouses.  Je  citerai  comme 
exemple  de  cette  erreur  les  réflexions  du  dr  11.  Favre2  : 

Les  principes  sur  lesquels  repose  la  méthode-J  unod  sont  des  plus  simples  : 

M.  Junod,  né  dans  les  Alpes,  avait  par  lui-même  ressenti  la  différence  de  pression 
suivant  qu’on  s’élève  ou  qu’on  descend  dans  les  montagnes.  Les  expériences  de 
de  Saussure,  de  Gay-Lussac,  furent  par  lui  reprises  avec  le  plus  louable  discer- 
nement. 

Qu’on  gravisse  jusqu’au  sommet  du  mont  Blanc,  qu’on  s'élance  en  ballon  k 
7000  mètres  du  sol,  on  éprouve  des  effets  remarquables,  tenant  uniquement  au 
défaut  de  pression  exercée  à ces  hauteurs  par  l’atmosphère  de  plus  en  plus  ra- 
réfiée. 

Artificiellement  on  sait,  en  pratiquant  le  vide,  raréfier  l’air,  c’est-à-dire  diminuer 
la  pression  dans  un  espace  circonscrit.  S’il  s’agit  d’un  corps  vivant,  certains  effets 
produits  par  l’ascension  dans  les  régions  de  l’atmosphère  vont  alors  apparaître  : 
tel  est  le  but  de  l’hémospasie  ; le  docteur  Junad  l’atteignit  par  la  création  de  sa 
grande  ventouse.  (P.  7.) 

En  revenant  maintenant  aux  voyageurs  en  montagne,  nous  re- 
trouvons la  série  des  idées  erronées  préconçues  et  des  contradic- 
tions apparentes  que  nous  avons  signalées  déjà.  La  difficulté  d’expli- 
quer les  faits  entraîne  beaucoup  d’entre  eux  à la  négation.  Un  exem- 
ples de  ces  protestations  théoriques  nous  est  fourni  par  le  rédac- 
teur de  la  Bibliothèque  universelle  de  Genève3,  qui  analysait  le 
récit  de  l’ascension  du  Dr  Barry  au  mont  Blanc  : 

Les  circonstances  observées  par  M.  Barry  sont  si  peu  importantes  qu’elles  nous 
confirment  dans  l’opinion  que  la  fatigue  joue  un  plus  grand  rôle  que  la  rareté  de 

l’air  ou  l’influence  présumée  de  la  neige Nous  pouvons  affirmer  que  ce  sont 

les  mêmes  sensations  éprouvées  par  les  voyageurs  ordinaires  quand  ils  approchent 
de  la  cime  d’une  montagne  quelconque. 

1 Junod,  Traité  théorique  et  pratique  de  l'hémospasie.  — Paris,  1875. 

2 Considérations  sur  les  effets  thérapeutiques  de  l'hémospasie,  d'après  les  observa- 
tions recueillies  en  Algérie  par  T.  Junod.  — Paris,  1858. 

3 Bibl.  univ.  de  Genève,  2°  série,  t.  V,  p.  151  ; 1836. 


16 


‘242 


HISTORIQUE. 


Je  prie  le  lecteur  de  se  reporter  aux  paroles  mêmes  de  Barry 
(voy.  p.  105)  ; il  trouvera  là,  je  l’espère,  une  preuve  de  la  nécessité 
des  citations  textuelles. 

11  est  curieux  de  constater  que  M.  Martins1,  qui  devait  être  plus 
tard,  comme  par  une  sorte  de  punition  de  son  scepticisme,  si  malade 
au  mont  Blanc,  partageait  alors  ces  sentiments.  Les  récits  sur  le 
mal  des  montagnes  le  laissaient  fort  incrédule  : 

Quant  à nous,  dit-il,  occupés  nuit  et  jour  de  nos  observations,  nous  cherchions 
aussi  à interroger  nos  sensations  pour  découvrir  si  cette  habitation  élevée  (2680m) 

exerçait  quelque  influence  physiologique  sur  nos  organes.  Mais  c’était  en  vain 

J’ai  relu,  depuis  mon  séjour,  tout  les  récits  des  ascensions  au  mont  Blanc,  depuis 
de  Saussure  jusqu’à  Mlle  d’Angeville,  et  les  sensations  éprouvées  par  ces  voyageurs 
s’expliquent  très-bien  par  la  fatigue 

Sans  doute  l’air  des  montagnes  est  plus  raréfié,  mais  il  est  aussi  plus  vif.... 

La  vivacité  de  l'air,  jointe  à sa  ténuité,  ranime  le  voyageur  et  double  ses  forces  : 
car  la  composition  chimique  est  la  même.  (P.  215.) 

J’avoue  que  je  suis  étonné  qu’un  homme  d’un  esprit  aussi  clair 
et  aussi  perspicace  ait  pu  employer  de  semblables  expressions.  Que 
signifient  ces  mots  « air  plus  vif?  » Les  paysans  suisses  voyant 
le  célèbre  professeur  de  Montpellier  recueillir  de  l’air  dans  des  bal- 
lons et  l’envoyer  à Paris,  et  s’imaginant  qu’il  voulait  le  faire  respi- 
rer à quelque  illustre  malade,  hochaient  la  tête  et  disaient  : « notre 
air  arrivera  mort  ».  On  voit  qu’au  fond  ils  pensaient  comme 
M.  Martins. 

Le  Dr  Rey2,  dont  le  travail  est  souvent  cité,  et  qui,  sans  paraître 
avoir  jamais  fait  d’ascension,  écrivit  un  article  dogmatique  sur  le 
mal  des  montagnes,  arrive,  après  l’énumération  descriptive,  à l’ex- 
plication théorique.  Il  voit  bien,  et  en  cela  il  ri’a  pas  le  mérite  de 
l’invention,  que  l’air  raréfié  est  cause  de  tous  ces  troubles  : 

Ce  n’est  ni  la  fatigue  ciui  ôte  la  faculté  de  respirer,  ni  la  difficulté  de  respirer 
ou  une  respiration  incomplète  qui  causent  l’épuisement,  comme  on  l’a  dit  quelque- 
fois, c’est  la  diminution  de  la  densité  de  l’air 

Ces  effets  sont  dus  au  relâchement  de  la  libre  occasionné  par  la  diminution  db 
la  force  comprimante  de  l’air,  et  voici  comment.  (P.  534.) 

Suit  le  calcul  habituel  sur  la  différence  du  poids  supporté  par 
le  corps  aux  différentes  hauteurs.  Au  Saint-Bernard,  « faction  de 
l’atmosphère  est  diminuée  d’un  quart  ou  de  5500  livres,  ce  qui  di- 
late les  vaisseaux  dans  une  proportion  semblable.  » Puis,  aux  expli- 

1 Ascension  au  Faulhorn. — Revue  médicale , 1841,  t.  IV. 

2 Loc.  cit.  : Influence,  etc.  — Revue  médicale,  1842,  t.  IV. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


243 


cations  « fournies  par  la  science  » Rey  en  ajoute  une,  que  je  ne 
puis  m’empêcher  de  trouver  assez  bizarre  : 

Nous  ne  montons  guère  au  sommet  d’une  tour  très-élevée  sans  faire  de  fré- 
quentes pauses  en  chemin,  et  nous  n’y  parvenons,  le  plus  souvent,  qu’avec  une 
peine  extrême.  Ce  n’est  certainement  point  par  la  raréfaction  de  l’air,  ce  n’est 
même  point  par  lassitude.  N’est-ce  pas  parce  que  nous  avons  eu  à lever  les  jambe? 
un  grand  nombre  de  fois  de  suite,  par  une  loi  toute  différente  de  celle  de  la 
marche  et  bien  autrement  pénible  à accomplir?  En  effet,  tous  les  muscles  de  nos 
organes  de  locomotion,  mis  en  action  à la  fois  par  un  mouvement  ascensionnel  à la 
continuité  duquel  ils  ne  sont  pas  habituellement  exercés,  en  éprouvent  une  fatigue 
qui  nous  contraint  à de  fréquents  repos,  qui  s’accroît  tant  que  nous  avons  à monter 
encore,  mais  qui  cesse  dès  que  nous  sommes  arrivés  et  qui  ne  revient  pas  pendant 
que  nous  faisons  le  même  chemin  pour  redescendre.  Eh  bien,  ce  qui  se  passe  dans 
l’homme  montant  un  escalier,  il  l’éprouve  à plus  forte  raison  sur  les  flancs  d’une 
montagne  escarpée,  parce  qu’ici  il  y a combinaison  d’une  marche  longue  dans 
les  voies  tracées  souvent  à pic  d’un  exercice  violent  et  inaccoutumé  des  forces 
musculaires  et  d’une  grande  raréfaction  de  l’air  atmosphérique.  Si  l’on  pouvait 
tourner  le  mont  Blanc  et  atteindre  sa  cime  par  une  pente  insensible,  comme  on 
tourne  le  Saint  Gothard  ou  le  Simplon,  il  n’y  aurait  plus  à faire  le  mouvement 
forcé  des  jambes,  membres  qui  deviennent  plus  lourds  à lever  en  proportion  du 
raccourcissement  de  la  colonne  d’air,  et  l’on  n’éprouverait  plus,  par  conséquent, 
ce  sentiment  de  malaise  que  l’on  prend  pour  de  la  fatigue.  (P.  335.) 

Le  célèbre  voyageur  allemand  dont  nous  avons  reproduit  pré- 
cédemment (voy.  p.  49)  la  description  complète  du  mal  des  mon- 
tagnes dans  la  Cordillère  des  Andes,  Tschudi1,  explique,  comme 
de  Humboldt  et  les  frères  Weber,  la  lassitude  extrême  des  membres 
inférieurs  qu’on  éprouve  en  montant  : 

Comme  la  tête  du  fémur,  d’après  les  recherches  de  Weber,  est  retenue  dans  sa 
cavité  par  la  pression  atmosphérique,  il  faut,  lorsque  celle-ci  diminue,  qu’une 
contraction  musculaire  continue  vienne  la  remplacer.  (T.  II,  p.  66.) 

Il  rapporte  ensuite,  mais  sans  avoir  l’air  d’y  croire,  l’explication 
adoptée  par  les  Indiens  sur  les  émanations  métalliques  : 

Il  y a des  endroits  où  l’on  sait  que  la  Yeta  sévit  plus  fort  qu’ailleurs,  et  ils  sont 
parfois  plus  bas  que  d’autres  où  elle  est  beaucoup  moins  sensible,  en  telle  sorte 
qu’elle  ne  paraît  pas  occasionnée  seulement  par  l’air  raréfié,  mais  encore.'par  quelque 
influence  climatérique  inconnue.  Ordinairement  ces  endroits  son  riches  en  mé- 
taux, d’où  vient  la  croyance  générale  des  Péruviens  que  ces  effets  sont  dus  à des 
émanations  métalliques.  • 

Le  Dr  Archibald  Smith2  ne  se  préoccupe  pas,  lui,  de  ces  différen- 

1 Loc.  cit.  : Peru,  Reiseskizzen,  etc.;  1846. 

2 Loc.  cit.  : Practical  observations , etc.;  t.  LVII,  1842. 


HISTORIQUE. 


24 1 

ces;  mais  il  donne  sur  les  phénomènes  de  la  Yéta  et  sur  leurs  causes 
possibles  de  fort  curieux  renseignements  : 

Les  habitants  de  la  côte,  lorsqu’ils  gravissent  la  chaîne  des  Andes,  sentent  leur 
respiration  oppressée  là  où  les  Indiens  n’éprouvent  pas  cet  inconvénient,  en  raison 
du  développement  beaucoup  plus  grand  de  leurs  organes  respiratoires.  . . . 

Le  pouls  s’accélère  et  les  poumons  agissent  beaucoup  plus  vite  qu’à  l’état  normal. 
Leur  libre  jeu  est  entravé  cependant  par  l’accumulation  du  sang,  et  un  considérable 
degré  de  congestion,  provenant,  à mon  avis,  d’un  côté  de  la  moindre  pression 
atmosphérique,  qui  amène  une  expansion  des  fluides  en  circulation,  et  d’autre 
part  de  la  résistance  des  capillaires  cutanés  et  pulmonaires  augmentés  par  le  froid. 

De  là  vient  que  les  étrangers  à ces  climats  sont  très-sujets  à des  malaises 
d’estomac,  de  la  dyspnée,  de  l’apoplexie  ou  d’autres  hémorrhagies,  quand  ils 

traversent  les  passes  des  Cordillères Les  chats  qu’on  élève  à la  limite  des 

neiges,  et  qu’on  nourrit  bien,  sont  très-sujets  à la  mort  subite J’ai  appris  qu’à 

Cerro  de  Pasco,  un  chien  terrier  tomba  mort  tout  à coup,  probablement  par 
opoplexie,  tandis  qu’il  sautait  de  joie  en  caressant  son  maître.  (P.  550.) 

Un  voyageur  anglais,  Hill1,  qui  fut  assez  malade  en  traversant 
les  Andes,  et  qui  y vit  deux  enfants  frappés  du  soroche  avec  une 
telle  intensité  qu’ils  « étaient  comme  sans  vie  dans  les  bras  de  leur 
père,  » insiste  sur  l’influence  des  divers  tempéraments,  relative- 
ment à la  gravité  de  leur  maladie  : 

L’affection,  [sous  sa  forme  la  plus  redoutable,  est  accompagnée  de  symptômes 
très-inquiétants  et  devient  généralement  mortelle  ; sur  le  voyageur  d’une  consti- 
tution pléthorique,  elle  est  ordinairement  très -grave  ; elle  se  caractérise  alors  par 
des  vertiges,  une  faiblesse  de  la  vue,  de  l’ouïe,  et  bien  souvent  par  un  écoulement 
de  sang  des  yeux,  du  nez,  des  lèvres,  de  violentes  douleurs  de  tète  et  des  vomis- 
sements. Mais  chez  les  voyageurs  maigres,  d’une  complexion  peu  forte,  elle  occa- 
sionne plutôt  des  accès  de  faiblesse,  accompagnés  d’un  crachement  de  sang.  Chez 
les  personnes  qui  jouissent  d’une  bonne  santé,  les  vomissements  constituent  un 
des  symptômes  les  plus  Iréquents,  et  ces  derniers  consistent,  la  plupart  du  temps, 
dans  une  lassitude,  la  difficulté  de  respirer,  tels  qu’ils  se  sont  manifestés  chez  mes 
compagnons  et  chez  moi.  (P.  68.) 

Arrivant  aux  causes  des  accidents,  il  reproduit,  sans  paraître  lui 
attacher  une  véritable  importance,  l’opinion  des  habitants  sur  les 
émanations  métalliques  : 

Cette  affection  a été  observée  comme  étant  plus  fréquente  dans  les  provinces  où 
les  métaux  abondent  ; aussi  l’impression  générale  , parmi  les  habitants , est-elle 
qu’elle  doit  son  apparition  ou  son  exacerbation  aux  exhalaisons  métalliques  que  l’on 
suppose  saturer  l’atmosphère  de  ces  contrées.  Cette  opinion  est  basée  incontesta- 
blement sur  ce  fait  que  l’affection  attaque  surtout  les  chercheurs  de  métaux,  gens 
pour  la  plupart  peu  habitués  à l’air  des  montagnes,  et  endurant  le  plus  de  fa- 
tigues. 

1 Voyages  au  Pérou  et  à Mexico,  t.  I.  J’emprunte  cette  citation  à Flemeing,  traduc- 
tion Ringuet;  loc.  cit.,  De  Vinflueuce , etc.  — Périgueux,  1809. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


245 


On  ne  peut  guère  douter  que,  quelle  que  soit  la  forme  sous  laquelle  elle  se  pré- 
sente, son  apparition  ne  soit  due  à une  diminution  de  la  pesanteur  de  l’air,  dont 
tout  le  monde  éprouve  l’influence  dans  les  localités  très-élevées.  (P.  69.) 

Hill  n’hésite  pas  à déclarer  que  les  animaux  peuvent  s’acclima- 
ter, à peu  près  complètement,  sur  les  hauts  lieux  : 

Les  effets  de  l’air  raréfié  ne  se  bornent  pas  à l’homme  ; ils  exercent  une  action 
égale,  sinon  plus  forte,  sur  les  autres  animaux  de  la  création.  Les  chevaux  et  les 
mulets  des  plaines  ne  peuvent  pas  parcourir  la  même  distance  sur  les  montagnes, 
et  dans  un  temps  donné,  que  dans  la  plaine;  ils  ne  sont  pas  susceptibles  de  por- 
ter sur  la  Sierra  des  fardeaux  aussi  lourds  que  dans  les  climats  où  ils  ont  l’habi- 
tude de  vivre. 

Toutefois,  ces  animaux  transportés  à des  hauteurs  considérables,  et  bien  soi- 
gnés, s’y  acclimatent,  dans  la  majorité  des  circonstances,  au  bout  de  quelques 
mois,  et  ils  deviennent  aptes  à faire  presque  le  même  travail  que  les  animaux  nés 
dans  ces  régions  élevées.  (P.  69.) 

Les  physiologistes  continuaient  cependant,  mais  sans  grand  suc- 
cès, à rechercher  les  causes  de  ces  malaises  signalés,  expliqués 
ou  niés  par  les  voyageurs.  L’un  d’eux,  que  ses  profondes  con- 
naissances en  physique  ont  souvent  mieux  inspiré,  M.  Maissiat1, 
reprenant  une  explication  que  nous  avons  déjà  vu  indiquer  par 
Clissold,  en  1822,  fait  iouer  un  rôle  considérable  aux  gaz  abdomi- 
naux, distendus  par  la  pression  diminuée  : 

Leur  pression  est  provocatrice  du  diaphragme  et  régulatrice  de  la  fréquence  de 
ses  contractions;  partant,  la  circulation  se  trouve  liée  à la  production  des  gaz 
intestinaux.  (P.  255.) 

Il  y aura  accélération  de  la  circulation  et  de  la  respiration,  sang  à la  peau,  si  la 
pression  extérieure  à l’animal,  enveloppante,  vient  à diminuer,  et  jusqu’à  l’ivresse 
et  à la  mort,  si  elle  diminue  toujours;  la  pression  dans  l’atmosphère  abdominale 
croissant  d’autant,  relativement  à ses  effets,  que  celle  extérieure  diminue,  et  les 
gaz  intestinaux  prenant  du  volume,  distendent  tout,  jusqu’à  rupture,  si  la  pression 
extérieure  est  très-rapidement  supprimée 

La  circulation  et  la  respiration  accélérées  tendent  à dépenser  plus  rapidement 
l’action  abdominale,  et  ainsi  à ramener  l’équilibre,  le  calme  régulier.  (P.  254.) 

Le  D'  allemand  Flechner2  nous  fait  connaître  une  opinion  tout 
à fait  contraire  à celle  de  Boussingault  et  de  ïïumboldt  sur  la  compo- 
sition de  l’air  des  hauts  lieux  ; il  la  combat,  il  est  vrai,  et  se  ratta- 
che 5 la  dernière  idée  émise  par  de  Saussure.  Je  cite  d’après  l’ana- 
lyse du  Schmidt" s Jalirbuch  : 

1 Études  de  Physique  animale.  — Paris,  1843. 

Betrachtung  der  Gebirgsluft  und  der  Lebensweise  der  Gebirgsbewohner  in  Bezug 
ihres  Einflusses  auf  Blutbereitung  und  auf  das  Vorkommen  gewisser  Iirankheitsfor- 

mCoàr  OEsterr.  Med.  Jahrb.,  t.  XXIII.  — Analyse  in  Schmidt's  Jahrb.,  t.  XXXIII» 
p.  298,  1812. 


246 


HISTORIQUE. 


D’après  l’opinion  générale,  l’air  des  montagnes  est  plus  riche  en  oxygène,  d’où 
résultent  des  maladies  inflammatoires. . . Flechner  a trouvé  que  cela  n’estpas  exact. . . 
Mais  si,  dans  les  lieux  élevés,  l’air  est  plus  rare,  la  composition  restant  la  même, 
l’oxygène  pèsera  moins  : il  procurera  moins  d’oxygène  au  sang.  L’influence  de  la 
lumière  solaire  est  nulle. 

Tout  le  reste  du  travail  est  consacré  à des  considérations  sur  les 
maladies  qui  régnent  dans  les  montagnes. 

Le  professeur  lyonnais  Brachet1,  dans  le  travail  spécial  qu’il  con- 
sacra à notre  sujet,  commence  par  reproduire  l’idée  vulgaire  de  la 
diminution  du  poids  supportée  par  le  corps  lorsque  l’air  se  dilate  : 

Une  colonne  d’air  qui  ne  fait  plus  monter  le  baromètre  qu’à  13  pouces  et  demi 
doit  exercer  sur  le  corps  et  sur  toutes  les  surfaces  avec  lesquelles  il  est  en  con- 
tact une  pression  infiniment  moins  grande,  dont  on  peut  comparer  les  effets  à 
ceux  de  l’immense  ventouse  Junod,  et  qu’on  pourrait,  en  conséquence,  regarder 
comme  une  sorte  de  succion.  Les  capillaires,  moins  pressés,  doivent  donc  réagir 
moins  énergiquement  sur  le  sang  et  sur  les  autres  liquides  qui  les  parcourent; 
ils  doivent  donc  s’en  laisser  distendre  et  s’engorger  par  une  sorte  de  stase. 

La  raréfaction  de  l’air  explique  bien  la  difficulté  et  la  gêne  de  la  respiration , 
mais  elle  n’explique  pas  l’anhélation  et  la  lassitude  extraordinaire  qu’occasionne 
le  moindre  mouvement. 

Pour  expliquer  cet  élément  nouveau,  Brachet,  qui  vient  de  tom- 
ber dans  une  si  étrange  erreur  physique,  émet  les  idées  les  plus 
justes  : 

L’anhélation,  dit-il,  dépend  du  sang  plus  noir  qui  arrive  aux  poumons  et 
qui  ne  trouve  pas,  dans  l’air  raréfié  qui  y pénètre,  une  quantité  d’oxygène  suffi- 
sante pour  se  revivifier  assez  promptement.  La  lassitude  dépend  de  ce  que  le 
sang,  ainsi  moins  bien  hématosé,  ne  porte  plus  aux  muscles  l’incitation  normale 
dont  ils  ont  besoin  pour  se  contracter. 

Cette  vue  si  simple,  si  nette,  et  ajoutons  par  avance,  si  vraie,  ne 
termina  cependant  pas  les  controverses. 

En  effet,  quelques  mois  après,  un  membre  de  l’Académie  de  mé- 
decine, Castel2,  s’occupant  théoriquement  de  la  question,  s’explique 
à son  propos  dans  les  termes  les  plus  obscurs;  sans  doute,  pour 
lui,  les  phénomènes  physiologiques  observés  sur  les  hautes  monta- 
gnes sont  dus  à la  diminution  de  la  pression  atmosphérique,  mais, 
ajoute-t-il  : 

Non  que  cette  pression  soit,  comme  certains  auteurs  l'ont  avancé,  l’agent 

1 Note  sur  les  Causes  de  la  lassitude  et  de  V anhélation  dans  les  ascensions  sur  les 
montagnes  les  plus  élevées.  — Rev.  Méd.,  1844,  t.  III,  p.  556-568. 

2 Sur  la  Cause  des  phénomènes  physiologiques  que  l’on  trouve  quand  on  s’élève  à une 
certaine  hauteur  dans  les  montagnes. — Cpt.  R.  Ac.  des  Sc.,  t.  XX,  p.  1501  ; 1845. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


247 


immédiat  du  mouvement  du  sang  dans  les  dernières  ramifications  artérielles  et 
dans  les  veines,  mais  elle  exerce  une  influence  directe  et  incessante  sur  la  con- 
tractilité, de  laquelle  le  cours  des  liqueurs  animales  n’est  jamais  indépendant.  La 
contractilité  est  d’autant  plus  en  échec  que  la  pression  atmosphérique  a subi  un 
abaissement  plus  considérable. 

Enfin,  la  même  année,  le  célèbre  physiologiste  allemand  Vierordt 1 
fit  un  certain  nombre  d’expériences  sur  l’influence  d’un  air  légère- 
ment dilaté  sur  la  respiration.  Il  ne  donne  aucun  renseignement 
sur  la  manière  dont  il  conduisait  ses  expériences,  qui  n’ont  porté 
que  sur  les  pressions  comprises  entre  340  et  330  lignes  de  Paris 
(767  et  744mm). 

Elles  avaient  pour  but  principal  de  rechercher  si  les  variations 
dans  la  pression  influent  sur  l’exhalation  de  l’acide  carbonique  ; 
leurs,  résultats  sont  fort  peu  clairs,  malgré  le  luxe  des  tabelles 
dans  lesquelles  ils  sont  exprimés  et  la  richesse  de  décimales  à origine 
douteuse  qui  accompagnent  chaque  nombre.  Toutes  conclusions 
basées  sur  ces  expériences  me  paraîtraient  singulièrement  aventu- 
rées. Du  reste,  les  faibles  oscillations  barométriques  dans  les  limites 
desquelles  elles  sont  contenues  leur  enlèvent  pour  nous  tout  inté- 
rêt. 

C’est  encore  à la  même  époque  que  parut  le  mémoire  de  M.  Lepi- 
leur2,  dont  nous  avons  reproduit  en  son  lieu,  et  avec  maints  détails 
(voy.  p.  106-113),  l’intéressant  récit.  Ce  travail  n’est  pas  seule- 
ment riche  en  observations  exactes  et  sagaces,  il  contient  encore  des 
vues  théoriques  dont  l’importance  mérite  toute  notre  attention. 
M.  Lepileur  fait  d’abord  une  certaine  part  aux  explications  de  de 
Saussure,  et  à celles  de  Brachet  ; mais  elles  ne  lui  suffisent  pas  : 

Les  phénomènes  relatifs  à l’hématose  ne  nous  semblent  pas  seuls  à détermi- 
ner l’anhélation  et  la  lassitude  sur  les  hautes  montagnes 

On  se  fait  graduellement  à l’air  raréfié,  au  point  de  n’en  plus  ressentir  l’in- 
fluence. Si  elle  tenait  seulement  à l’excitation  plus  ou  moins  complète  des  muscles 
par  un  sang  plus  ou  moins  artériel,  cette  fatigue  serait-elle  accompagnée  des  dou- 
leurs de  la  courbature,  et  tendrait-elle  à s’effacer  ainsi  par  l’habitude  en  si  peu 
de  temps  ? 

Nous  serions  tentés  de  considérer  cette  fatigue  douloureuse  comme  résultant 
principalement  de  la  congestion  sanguine  qui  a lieu  dans  les  muscles  pendant 
leur  action,  en  proportion  de  leurs  efforts,  et  l’ensemble  des  phénomènes  dus  à la 
raréfaction  de  l’air  nous  semble  s’accorder  assez  avec  celte  idée.  Plus  la  circulation 
est  active,  plus  les  organes  sont  facilement  congestionnés.  Or,  le  pouls,  sans  per- 
dre de  force,  augmente  notablement  de  vitesse  quand  on  s’élève  dans  les  monta- 

1 Physiologie  des  Athmens.  — Karlsruhe,  1845,  p 84-89 

2 Loc.  cit.,  Mém.  sur  les  phén.  pliysiol.  ; 1845. 


248 


HISTORIQUE. 


gnes,  et  la  disposition  aux  congestions  est  surabondamment  démontrée  par  les 
faits  que  nous  avons  cités....  Quand  on  reste  immobile,  l’équilibre  se  maintient.... 
mais  dès  qu’on  veut  agir,  les  membres  contractés  deviennent  le  siège  d’une 
congestion  d’autant  plus  rapide  que  la  vitesse  de  la  circulation  augmente  en- 
core. (P.  02-64  du  tirage  à part.) 

A côté  de  la  congestion  sanguine  dans  les  muscles,  qui  explique 
selon  lui  la  lassitude,  M.  Lepileur  place  l’effort,  qui  expliquerait  les 
maux  de  cœur,  les  défaillances  imminentes,  la  céphalalgie  : 

Dans  l’effort,  il  y a stase  du  sang  dans  les  capillaires  et  congestion  dans  le  cer- 
veau, les  poumons  et  les  muscles.  Lorsqu’on  fait  une  suite  d’efforts  presque  non 
interrompus,...  lorsqu’on  monte  un  escalier  en  courant,...  la  vue  se  trouble,  le 
vertige  survient,  une  fatigue  douloureuse  se  fait  sentir  dans  les  membres,  et  les 
forces  musculaires  font  défaut.  Mais,  si  l’on  s’arrête  pour  reprendre  haleine,  avant 
que  les  effets  de  la  congestion  cérébrale  et  pulmonaire  soient  arrivés  à ce  point, 
le  sang  reflue  alors  vers  le  cœur,  le  visage  pâlit , et  une  sensation  bien  marquée 
de  défaillance  se  manifeste;  quelquefois  même  la  syncope  survient  quand  on  n’a 
pas  la  précaution  de  se  mettre  immédiatement  dans  la  position  horizontale 

Si  maintenant  on  considère  les  phénomènes  observés  sur  l’organisme  à de 
grandes  hauteurs,  on  retrouve  exactement  la  même  marche  et  les  mêmes  signes. 
Seulement  la  raréfaction  de  l'air,  en  rendant  la  respiration  plus  fréquente  et  l’an- 
hélation plus  rapide,  hâte  nécessairement  le  reste  des  effets  ordinaires  de  l’ef- 
fort  

Les  petites  hémorrhagies  des  gencives,  l’imminence  de  l’hémoptysie,  l’épistaxis, 
s’expliquent  par  la  congestion,  suite  de  l’effort 

Quant  au  malaise  de  l’estomac , ne  faut-il  pas  considérer  comme  contri- 
buant beaucoup  à ce  phénomène  et  à ceux  qui  lui  font  cortège  la  dilatation  gra- 
duelle des  gaz  intestinaux  sous  une  pression  toujours  moindre  de  l’atmosphère?... 
Cependant  nous  n’avons  pas  remarqué  d’augmentation  dans  le  volume  de  l’ab- 
domen. (P.  05-68.) 

On  voit  que  pour  M.  Lepileur  tout  s’explique  par  des  congestions 
des  muscles  et  des  centres  nerveux,  dues  aux  efforts  et  augmen- 
tées par  l’anhélation*,  sur  la  cause  de  laquelle  il  ne  dit  absolument 
rien. 

Il  paraissait  bien  difficile,  après  une  observation  si  complète  et  si 
détaillée,  de  nier  encore  l’influence  fâcheuse  des  hauteurs  dans  cer- 
taines circonstances.  Aussi,  à la  suite  du  récit  de  son  ascension  au 
Wetterhorn  (3707m),  le  31  août  1845,  A.  Vogt1  proteste-t-il  contre 
des  négations  au  moins  imprudentes  ; il  cherche,  du  reste,  à les 
expliquer,  mais  ne  se  montre  pas  très-heureux  dans  cette  tenta- 
tive : 

On  voit,  dit-il,  dans  les  récits  des  voyageurs  qui  ont  grimpé  de  hautes  monta- 

1 Allgemcine  Zeitung  Miszellcn  : Ersteigung  des  Wetterhorns,  reproduit  in  extenso 
dans  Dolfus-Ausset,  loc.  cit.t  Matériaux , etc.,  t.  IV,  p.  417-429. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


249 


gnes,  des  contradictions  singulières  ; les  uns  accusent  des  malaises  fréquents  et 
plus  ou  moins  graves,  les  autres  les  nient  complètement.  Trois  facteurs  me  pa- 
raissent agir  sur  l’organisme  humain  dans  les  grandes  hauteurs  : 

1°  La  diminution  de  poids  de  l’atmosphère  et  la  dilatation  consécutive  de  l’air  ; 
2°  la  sécheresse  de  l’air,  et  3°  la  lumière  réfléchie  sur  les  champs  de  neige. 

Martins,  Barry,  Agassiz,  Desor,  Escher  von  der  Linth,  etc.,  qui  n’ont  éprouvé 
aucun  phénomène,  accusent  l’imaginâtion  de  leurs  prédécesseurs.  Je  puis  les 
contredire  sur  un  point.  Dans  la  nuit  que  nous  avons  passée  à l’Aaresattel,  je  fus 
étonné  de  la  rapidité  avec  laquelle  je  respirais  ; je  faisais  deux  fois  plus  de  respi- 
rations que  dans  la  plaine,  sans  éprouver  le  moindre  malaise. 

Il  est  naturel  que  dans  une  atmosphère  raréfiée  on  respire  plus  d’air,  afin  d’a- 
mener dans  le  sang  la  même  quantité  d’oxygène,  puisque  dans  un  volume  donné 
d’air  il  y en  a moins  en  poids  que  dans  la  plaine.  Si  beaucoup  d’ascensionnistes 
n’ont  pas  remarqué  ce  phénomène,  cela  tient  à ce  que  la  pression  atmosphérique 
diminuée  aide  beaucoup  l’ampliation  de  la  cavité  thoracique,  et  par  là  facilite  la 
respiration. 

Le  Père  Hue1,  lui,  n’est  pas  un  sceptique,  tant  s’en  faut.  Sa  cré- 
dulité même,  bien  connue,  enlève  beaucoup  d’aulorité  à ses  récits. 
Rien  de  curieux  comme  cette  naïveté  qui  emprunte  fort  légèrement 
le  langage  et  les  secours  de  la  science.  Nous  le  voyons,  en  effet, 
adopter  absolument  l’idée  d’émanations  ou  de  vapeurs  pestilen- 
tielles; mais,  plus  hardi  que  ses  prédécesseurs,  il  en  précise  même 
la  nature,  et  les  considère  comme  étant  formées  d’acide  carbo- 
nique : 

La  montagne  Bourhan-Bota  présente  cette  particularité  assez  remarquable,  c’est 
que  le  gaz  délétère  ne  se  trouve  que  vers  la  partie  qui  regarde  l’est  et  le  nord; 
de  l’autre  côté,  l’air  est  pur  et  facilement  respirable  ; il  paraît  que  ces  vapeurs 
pestilentielles  ne  sont  autre  chose  que  du  gaz  acide  carbonique.  Les  gens  atta- 
chés à l’ambassade  nous  dirent  que,  lorsqu’il  faisait  du  vent,  les  vapeurs  se  fai- 
saient à peine  sentir,  mais  qu’elles  étaient  très-dangereuses  lorsque  le  temps 
était  calme  et  serein.  Le  gaz  acide  carbonique  étant,  comme  on  sait,  plus  pesant 
que  l’air  atmosphérique,  doit  se  condensera  la  surface  du  sol  et  y demeurer  fixé 
jusqu'à  ce  qu’une  grande  agitation  de  l’air  vienne  le  mettre  en  mouvement,  le 
disséminer  dans  l’atmosphère  et  neutraliser  ses  effets.  Quand  nous  franchîmes  le 
Bourhan-Bota,  le  temps  était  assez  calme.  Nous  remarquâmes  que  lorsque  nous 
nous  couchions  par  terre,  nous  respirions  avec  beaucoup  plus  de  difficulté  ; si,  au 
contraire,  nous  montions  à cheval,  l'influence  du  gaz  se  faisait  à peine  sentir. 
La  présence  de  l’acide  carbonique  était  cause  qu’il  était  très-difficile  d’allumer  le 
feu,  les  argals  brûlaient  sans  flamme  et  en  répandant  beaucoup  de  fumée.  Main- 
tenant, dire  de  quelle  manière  se  formait  ce  gaz,  d’où  il  venait,  c’est  ce  qui  nous 
est  impossible 

Il  tomba  dans  la  nuit  une  épouvantable  quantité  de  neige  ; ceux  qui , la  veille, 
n’avaient  pas  osé  continuer  leur  route,  vinrent  nous  rejoindre  dans  la  matinée; 
ils  nous  annoncèrent  qu’ils  avaient  achevé  l’ascension  de  la  montagne  avec  assez 
de  facilité,  parce  que  la  neige  avait  fait  disparaître  les  vapeurs.  (P.  265.) 

1 Loc.  cit.  : Souvr  nirs , etc.,  t.  Il,  1850 


250 


HISTORIQUE. 


Ces  régions,  si  rarement  explorées,  furent  traversées,  en  1873, 
par  le  capitaine  Przevalski1.  Il  repousse  complètement  l’explication 
que  nous  venons  de  rapporter  : 

La  grande  élévation  du  Thibet  septentrional  produit  une  singulière  difficulté  de 
respirer,  surtout  si  l’on  marche  vite;  puis  viennent  des  vertiges,  des  tremblements 
de  jambes  et  jusqu’à  des  vomissements.  Le  combustible  du  pays  (argal)  brûle 
avec  peine,  à cause  de  la  raréfaction  de  l’air  et  de  la  rareté  de  l’oxygène. 

Le  missionnaire  Hue  explique  les  mêmes  phénomènes,  qu’il  a observés  sur  la 
montagne  de  Burchan-buda,  par  des  émanations  de  gaz  carbonique  ; mais  c’est  une 
erreur,  car  il  y demeure  pendant  l’été  beaucoup  de  Mongols  du  Tsaidam  avec  leurs 

bestiaux,  ce  qui  ne  serait  point  possible  s’il  s’y  dégageait  des  gaz  asphyxiants 

Le  Père  IIuc  est  peu  digne  de  foi  quand  il  parle  des  gaz  délétères  de  Burchan- 
buda.  (P.  174.) 

Un  médecin  lyonnais,  le  Dr  Pravaz2,  avait  fondé,,  depuis  plusieurs 
années,  un  établissement  où  il  employait  pour  le  traitement  de  di- 
verses maladies  le  séjour  dans  l’air  comprimé.  Le  livre  qu’il  con- 
sacra en  1850  à l’exposition  des  faits  qu’il  avait  observés  contient, 
dans  sa  première  partie,  de  remarquables  réflexions  sur  les  causes 
diverses  du  mal  des  montagnes  : 

1°  La  respiration  est  mécaniquement  restreinte  dans  son  étendue  par  le  défaut 
d’élasticité  de  l’atmosphère,  qui  presse  l’intérieur  des  poumons  et  produit  seule 
leur  développement  quand  le  thorax  se  dilate  par  l’effort  des  muscles  inspi- 
rateurs. 

2°  Cette  fonction  est  insuffisante  pour  l’hématose,  parce  que  l’oxygène,  ou  le 
principe  vivifiant  du  sang,  est  en  trop  faible  quantité  absolue  dans  le  volume  d’air 
qu'introduit  chaque  mouvement  d’inspiration,  outre  que  le  défaut  de  pression 
rend  la  dissolution  de  ce  gaz  dans  le  sang  moins  abondante. 

5°  La  circulation  artérielle  est  accélérée  par  suite  de  la  précipitation  des  mou- 
vements respiratoires  que  détermine  l’instinct  de  la  conservation  , tandis  que  la 
circulation  capillaire  se  ralentit,  parce  que  l’appel  du  sang  veineux  dans  les  cavi- 
tés droites  du  cœur  est  devenu  moins  énergique  par  la  diminution  de  la  constric- 
tion  exercée  sur  la  périphérie  des  organes.  (P.  57.) 

Plus  loin,  insistant  sur  ces  congestions  des  muqueuses  qui  ont 
tant  frappé  les  observateurs,  il  les  explique  en  disant  : 

L’un  des  moteurs  de  la  circulation  veineuse,  et  par  suite  de  la  circulation  ca- 
pillaire, savoir,  la  pression  atmosphérique,  décroît  à mesure  que  l’on  s’élève  au- 
dessus  du  niveau  des  mers.  Plus  l’altitude  sera  grande , moins  l’appel  du  sang 
dans  les  cavités  droites  du  cœur  aura  d’activité,  et  plus  ce  liquide  aura  de  ten- 
dance à engorger  les  parties  où  l’aspiration  se  fait  ordinairement  sentir  avec  le 
plus  d’efficacité.  On  peut  comparer  alors  l’action  du  viscère  à celle  d’une  pompe 

1 Esplorazioni  di  N.-M.  Przevalski  nella  Mongolia  orientale  e sulle  falde  N.-E.  del 
Tibet  (1871-1873).  — Cosmos  di  Guido  Cora,  t.  II,  p.  14-19,  164-175  et  261-277.  — 
Torino,  1874. 

- Essai  sur  l'Emploi  de  l'air  comprimé,  — Paris-Lyon,  1850. 


251 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 

fonctionnant  dans  un  milieu  où  l’air  serait  très-raréfié,  et  qui  ne  pourrait  aller 
puiser  l’eau  qu’à  une  profondeur  beaucoup  moindre  que  sous  la  pression  ordi- 
naire de  l’atmosphère 

De  là  la  tendance  aux  hémorrhagies  et  à l’apoplexie  sur  les  hautes  montagnes. 

Le  mal  des  montagnes  présente  un  autre  symptôme,  que  personne  n’a  cher- 
ché à expliquer  physiologiquement.  Il  est  produit  manifestement  par  un  em- 
barras delà  circulation  dans  le  système  de  la  veine  porte;  il  est  caractérisé,  en 
effet,  comme  les  engorgements  du  foie  et  des  viscères  abdominaux , par  des  vo- 
missements, des  crampes  d’estomac  et  des  douleurs  intestinales.  (P.  82.) 

Quant  aux  différences  présentées  par  les  divers  individus  relati- 
vement à la  hauteur  où  les  frappe  le  mal  des  montagnes,  Pravas  en 
trouve  la  raison  dans  l’inégalité  de  « la  résistance  de  leurs  tissus  et 
dans  la  contractilité  vitale  de  leurs  poumons.  » La  soudaineté  des 
accidents,  soudaineté  que  notre  auteur  exagère,  est  due  à ce  que, 
« dans  un  moment  presque  indivisible,  la  pression  atmosphérique 
devient  inférieure  à la  réaction  du  poumon,  et  cesse  de  pouvoir 
lutter  avec  avantage  contre  elle....  La  diminution  de  la  quantité 
d’oxygène  contenue  dans  Pair  respiré  ne  suffirait  pas  à expliquer 
ce  fait,  car  cette  diminution....  ne  pourrait  amener  que  graduelle- 
ment la  dyspnée  ».  (P.  76.) 

Quoi  qu’il  en  soit  de  cette  dernière  restriction,  nous  avons  vu  ac- 
cepter jusqu’ici  sans  conteste  l’explication  avancée  en  dernier  lieu 
par  de  Saussure  et  tendant  à attribuer,  au  moins  pour  une  forte  part, 
les  malaises  de  la  dépression  à l’insuffisante  quantité  d’oxygène 
que  les  actes  respiratoires  introduisent  dans  les  poumons.  Mais  en 
1851,  un  ingénieur  qui  s’occupait  beaucoup  des  cloches  à plon- 
geur, Payerne  \ éleva  contre  cette  hypothèse  une  objection  dont 
nous  aurons  plus  tard  à rechercher  la  valeur  : 

Sur  les  cimes  les  plus  élevées  auxquelles  on  soit  parvenu,  la  pression  égale  au 
moins  32  e de  mercure.  L’air  y renferme  encore  125gr  d’oxygène  par  mètre  cube, 
soit  100gr  par  800 1 qu’un  homme  respire  par  heure.  Or,  des  expériences,  dont 
on  ne  saurait  suspecter  l’exactitude,  ont  récemment  démontré  qu’un  homme  au 
repos  convertit  seulement  50gr  d’oxyg.  en  CO2.  En  supposant  qu’au  travail  il  en 
convertisse  5 et  même  10  gr.  de  plus,  il  sera  loin  d’en  manquer  dans  un  lieu  où 
le  baromètre  accuse  52  cent 

La  lassitude  et  l’anhélation  dans  les  lieux  élevés  ne  me  paraissent  donc  pas 
provenir  d’une  insuffisance  d’oxygène,  mais  bien  de  la  rupture  de  l’équilibre  entre 
la  tension  des  fluides  contenus  dans  nos  organes  et  celle  de  l’air  ambiant,  n’importe 
en  quel  sens  la  rupture  s’opère. 

1 Observations  tendant  à démontrer  que,  dans  les  ascensions  sur  les  hautes  mon- 

tagnes, la  lassitude  et  V anhélation  éprouvées  par  la  plupart  des  explorateurs  n'ont 
pas  pour  cause  une  insuffisance  d'oxijgène  dans  V air  respiré,  — Cpt.  R.  Acad,  des  Sc.} 
t.  XXXIII,  p.  198;  1851. 


252 


HISTORIQUE. 


Les  auteurs  qui  suivirent  Payerne  ne  parurent  pas  avoir  connais- 
sance de  ses  objections.  Marchai  de  Calvi1,  entre  autres,  reproduit 
purement  et  simplement  l’ancienne  explication;  c’est  ce  que 
montre  l’extrait  de  son  travail,  publié  par  les  Comptes  rendus, 
extrait  que  nous  reproduisons  en  entier  : 

L’auteur  croit  pouvoir  conclure  des  expériences  rapportées  dans  cette  Note 
que  les  variations  de  pression  atmosphérique  sont  loin  d’exercer  l’influence  qu’on 
leur  suppose.  Suivant  lui,  l’erreur  vient  de  ce  que  dans  la  plupart  des  cas  que 
l’on  a considérés,  en  même  temps  qu'il  y a diminution  de  pression  à la  surface 
des  corps,  il  y a raréfaction  de  l’air  qui  pénètre  dans  nos  poumons,  et  par  suite 
diminution  de  la  quantité  d’oxygène  nécessaire  pour  l’accomplissement  normal 
de  l’hématose. 

En  1 855,  un  médecin  anglais,  Speer2,  publia  un  travail  spécial  sur 
la  nature  et  les  causes  du  mal  des  montagnes.  Il  commence  par 
raconter  que  lui-même,  dans  le  massif  du  mont  Blanc,  arrivé  à 
9000  pieds,  commença  à éprouver  les  symptômes  suivants  : 

Plénitude  de  la  tête,  battements  des  carotides,  palpitations  de  cœur,  dégoût  de 
la  nourriture.  A 10  000  pieds,  il  ressentit  une  constriction  de  la  poitrine,  et  peu 
après  le  goût  du  sang  dans  la  bouche,  ce  qui  était  causé  par  une  légère  exsudation 
des  gencives. 

Il  passe  alors  en  revue  les  diverses  explications  proposées,  en  insi- 
stant sur  celle  de  Brachet,  qu’il  trouve  « trop  exclusive.  » Pour  lui, 
la  grande  fatigue  des  muscles  a pour  cause  « la  congestion  sanguine 
qui  suit  leurs  contractions  répétées,  » et  quant  aux  autres  phéno- 
mènes du  mal  des  montagnes,  ils  sont  dus  pour  une  forte  part  à 
« l’irrégularité  de  la  circulation,  avec  congestion  dans  le  crâne  et 
les  viscères  abdominaux.  » 

Les  conclusions  suivantes  indiquent  clairement  la  manière  de 
penser  de  l’auteur  : 

Le  mal  des  montagnes  est  caractérisé  par  les  symptômes  suivants,  dont  la  réu- 
nion du  reste  ne  s’observe  que  rarement,  sinon  jamais,  chez  la  même  personne  : 
vertige,  mal  de  tête,  somnolence,  dyspnée,  constriction  de  la  poitrine,  palpitations, 
tendances  à la  syncope,  suintement  du  sang  par  les  surfaces  muqueuses,  augmen- 
tation de  rapidité  du  pouls,  anorexie,  nausées  et  vomissements,  soif,  langue 
fébrile,  douleurs  musculaires,  sensation  de  faiblesse  extrême  dans  les  membres 
inférieurs,  prostration  générale  des  forces. 

Ces  symptômes  doivent  être  rapportés  à trois  causes  : congestion  graduellement 

1 Note  sur  les  Effets  de  la  diminution  de  la  pression  atmosphérique  sur  les  animaux. 
— Cpt.  R.  Acad,  des  Sc.,  t.  XXXVII,  p.  863;  1855. 

2 On  the  Nature  and  Causes  of  t/ie  physiological  phenomena  comprised  in  the  terni 
« Mountain  Sichness  » more  especially  as  experienced  among  the  Higher  Alps.  — Assoc. 
Med.  Journ.,  1853,  p.  49  et  80. 


253 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 

croissante  des  portions  profondes  de  l’appareil  circulatoire;  augmentation  de  la 
vénosité  du  sang;  perte  d’équilibre  entre  la  pression  de  l’air  extérieur  et  celle 
des  gaz  existant  dans  l’intestin. 

Ces  causes  déterminantes  du  mal  des  montagnes  sont  elles-mêmes  le  résultat 
du  changement  considérable  et  rapide  dans  la  pression  et  la  température  de 
l’atmosphère. 

L’année  suivante,  le  Dr  Conrad  Meyer-Ahrens1,  médecin  à Zurich, 
consacra  à l’étude  des  accidents  de  la  décompression  un  long  travail 
bien  autrement  important  que  celui  de  Speer. 

Ce  mémoire  se  compose  de  deux  parties;  dans  la  lre  (p.  1-99) 
sont  rapportés  avec  détails  les  récits  d’un  grand  nombre  de  voya- 
geurs; la  seconde  résume  la  symptomatologie  (p.  99-123)  et  indique 
l’étiologie  (p.  123-136),  la  prophylaxie  et  le  traitement  (p.  136-139) 
du  mal  des  montagnes . 

Nous  avons,  dans  les  chapitres  précédents,  reproduit  tous  les  faits 
cités  par  Meyer-Ahrens  et  bien  d’autres  encore  ; cette  partie  de  son 
travail  ne  contenant,  du  reste,  aucune  observation  personnelle,  je 
n’en  dirai  rien.  Mais  j’extrais  de  celle  qui  est  consacrée  à la  symp- 
tomatologie un  tableau  résumé  et  fort  bien  fait  des  troubles  dont 
ont  souffert,  à des  degrés  divers,  les  voyageurs  en  montagnes  : 

Les  principaux  symptômes  ou  du  moins  ceux  qui  surviennent  le  plus  souvent 
sont  chez  l’homme  : malaise,  dégoût  de  la  nourriture,  surtout  dégoût  du  vin  (on 
a cependant  parfois  remarqué  le  contraire),  soif  intense  (surtout  pour  l’eau,  qui 
désaltère  le  mieux),  nausées,  vomissements  ; [respiration  accélérée,  haletante; 
dyspnée,  accélération  du  pouls,  battements  dans  les  grosses  artères,  dans  les 
tempes;  palpitations  violentes,  oppression,  anxiété,  asphyxie  ; vertiges,  céphalalgie, 
tendance  à la  syncope;  besoin  invincible  de  sommeil,  sommeil  non  réparateur, 
mais  troublé  par  l’angoisse;  enfin  fatigue  musculaire  étonnante  et  tout  à fait 

étrange.  Ces  symptômes  ne  se  manifestent  pas  toujours  dans  leur  ensemble 

On  en  observe  encore  d’autres,  bien  que  plus  rarement,  comme  les  hémorrhagies 
pulmonaires,  rénales,  intestinales  (aussi  chez  les  animaux);  les  vomissements 
sanguinolents;  la  sortie  du  sang  par  les  muqueuses  des  lèvres  et  la  peau  (due 
simplement  à la  dessiccation  de  ces  membranes), l’émoussement  des  sensations  et 
de  l’intelligence,  l’impatience,  l’irascibilité, ....  enfin  des  bourdonnements  d’oreilles . 
(Pages  100-101.) 

Mais  le  chapitre  le  plus  intéressant  pour  nous  est  celui  de  l’étio- 
logie. J’en  traduis  ci-après  les  principaux  passages  : 

Tout  ce  que  nous  venons  de  dire  sur  l’étiologie  du  mal  des  montagnes,  montre  : 
1°  qu’il  apparaît  à des  altitudes  plus  ou  moins  grandes;  2°  que  les  conditions  mé- 
téorologiques, les  dispositions  personnelles  momentanées  ou  générales,  la  rapidité 

1 Die  Bergkrankheit,  oder  der  Einfluss  des  Ersteigens  grosser  Ilôhen  auf  den  thie- 
rischen  Organismus.  — Leipzig,  1854;  in-8°,  140  p. 


254  HISTORIQUE. 

de  la  locomotion,  font  varier  la  hauteur  à laquelle  on  est  saisi,  la  gravité  et  la 
multiplicité  des  symptômes. 

En  voyant  l’apparition  du  mal  des  montagnes  correspondre  à des  élévations 
plus  ou  moins  importantes,  on  se  demande  quelles  circonstances  dépendantes  de 
l’altitude  sont  capables  de  déterminer  les  phénomènes  qui  le  constituent.  Dans 
mon  opinion,  le  rôle  capital  appartient  à la  diminution  de  la  quantité  absolue 
d’oxygène  dans  l’air  raréfié,  à la  rapidité  de  l’évaporation,  à l'action  intense  de  la 
lumière  directe  ou  réfléchie  par  la  neige,  tandis  que  l’action  directe  de  la  dimi- 
nution de  pression  doit  être  placée  au  second  rang.  Je  trouve  les  causes  prochaines 
du  mal  des  montagnes  dans  les  modifications  qu’apportent  à la  composition  et  à 
la  formation  du  sang  la  diminution  de  l’oxygène  et  l’évaporation  exagérée,  altéra- 
tions auxquelles  s’en  ajoutent  d’autres  dues  à l’action  de  la  lumière  sur  les  fonctions 
cérébrales,  action  qui  retentit  sur  la  préparation  du  liquide  sanguin. 

C es  suppositions  permettent  — si  l’on  tient  compte  en  outre  des  dispositions  indi- 
viduelles— de  comprendre  tous  les  phénomènes  du  mal  des  montagnes,  sans  avoir 
besoin  d’invoquerl’action  directe  de  la  diminution  de  pesanteur  de  l’air.  Ainsi  s’ex- 
pliquent l’accélération  des  mouvements  respiratoires  et  delà  circulation,  les  con- 
gestions, les  hémorrhagies,  les  troubles  fonctionnels  du  cerveau  et  la  fatigue  extra- 
ordinaire dont  se  plaignent  presque  tous  les  voyageurs.  On  voit  aussi  pourquoi  le 
mal  des  montagnes  n’atteint  pas  seulement  les  voyageurs  à pied,  mais  aussi  les 
cavaliers;  pourquoi  les  premiers  en  sont  bien  plus  énergiquement  frappés  (deux  fois 
plus,  selon  Tschudi);  pourquoi  les  efforts  l’exagèrent;  pourquoi  il  se  calme  quand  le 
voyageur  suspend  pendant  un  instant  sa  marche,  pour  reparaître  aussitôt  qu’il 
se  remet  en  mouvement;  pourquoi,  cependant,  de  même  que  les  cavaliers  eux- 
mêmes  en  éprouvent  les  symptômes  fâcheux,  de  même,  aux  très-grandes  hauteurs, 
le  repos  n’en  exempte  pas  complètement  les  voyageurs  (de  Saussure,  A.  Yogt); 
pourquoi  souvent  aussi  la  marche  à plat,  sur  les  grandes  hauteurs,  est  accom- 
pagnée de  malaises  qui  augmentent  quand  on  marche  plus  vite  ou  quand  on 
commence  à grimper;  pourquoi  les  aéronautes  ne  sont  pas  exempts  des  troubles 
de  la  respiration  et  de  la  circulation;  pourquoi  on  conseille  aux  malades  atteints 
du  mal  de  la  Pana  de  se  tenir  assis  et  tranquilles  dans  des  chambres  chaudes  et 
bien  closes,  etc.,  etc.  (Pages  131-155) 

D’autres  phénomènes  peuvent  être  en  partie  rapportés  à l’action  immédiate  de 
la  pression  diminuée,  comme,  par  exemple,  la  singulière  sensation  de  légèreté 
dont  parlent  beaucoup  de  voyageurs,  les  battements  violents  du  cœur,  les  dégoûts, 
les  nausées,  les  vomissements,  les  oppressions.  En  effet,  la  moindre  pression  de 
l’air,  en  diminuant  les  résistances,  facilite  la  marche  rapide,  les  mouvements 
respiratoires  et  l’action  du  cœur,  en  même  temps  qu’elle.tend  à augmenter  le 
volume  des  gaz  contenus  dans  le  canal  intestinal  ; en  sorte  que  la  distension  de 
l’estomac,  le  refoulement  en  haut  du  diaphragme,  peuvent  amener  les  nausées  et 
les  oppressions.  Mais  ces  phénomènes  d’action  directe  doivent  être,  comme  je  l’ai 
déjà  dit,  relégués  au  second  rang.  (P.  134.) 

On  sait,  d’après  les  expériences  des  Weber,  que  la  lassitude  remarquable  des 
voyageurs  en  montagne  est  due  à une  action  directe  de  la  pression  atmosphé- 
rique diminuée  ; mais  il  faut  comprendre  que  non-seulement  les  gros  muscles, 
ceux  qui  font  mouvoir  les  gros  os  et  les  retiennent  dans  leurs  articulations,  se 
fatiguent,  mais  qu'il  en  est  de  même  des  petits  muscles,  comme  ceux  de  la  langue 
et  du  larynx  (Parrot  et  Ilamel);  phénomène  qui  doit  être  général  et  aller  en 
augmentant,  comme  le  fait  remarquer  A.  Vogt,  s’il  est  la  conséquence  de  la 
diminution  de  pression,  et  c’est  ce  qui  arrive  en  effet.  Il  faut  ici  encore  faire  la 
part  des  individualités.  (P.  135.) 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


255 


Ainsi,  pour  Meyer-Ahrens,  les  causes  prochaines  du  mal  des  mon- 
tagnes sont  en  premier  lieu  la  diminution  dans  la  quantité  absolue 
d’oxygène  de  l’air  raréfié;  puis  viennent  la  rapidité  de  l’évaporation, 
l’action  intense  de  la  lumière,  l’augmentation  de  volume  des  gaz 
intestinaux,  la  moindre  solidité  dans  l’articulation  coxo-fémorale. 

Le  Dr  Lombard1,  qui  écrivait  presque  en  même  temps,  dans  la  Bi- 
bliothèque de  Genève,  des  articles  remarquables  qu’il  publia  bien- 
tôt après  réunis  en  brochure,  revient  purement  et  simplement  aux 
deux  anciennes  explications  de  de  Saussure  : diminution  du  poids 
supporté,  diminution  de  la  quantité  d’oxygène  contenue  dans  un 
même  volume  d’air  ; puis  apparaît  encore  la  théorie  des  Weber  : 

Il  y a dans  les  climats  de  montagne  un  élément  très- important;  c’est  une 
pression  atmosphérique  moindre  et  par  conséquent  un  air  moins  dense,  ainsi 
qu’une  diminution  dans  la  quantité  d’oxygène  qui  est  nécessaire  pour  entretenir 
la  vie  par  le  moyen  de  la  respiration.  C’est  à ces  deux  dernières  circonstances 
que  sont  dus  en  grande  partie  les  phénomènes  observés  sur  les  hautes  montagnes, 
et  sur  lesquels  je  désire  fixer  pour  quelques  instants  l’attention  de  mes  lecteurs. 

Si  nous  interrogeons  la  physique,  nous  verrons  que  le  poids  total  de  l’at- 
mosphère représente  autant  de  fois  cent  trois  kilogrammes  qu’il  y a de  décimètres 
carrés  sur  la  surface  de  notre  corps,  en  sorte  que,  suivant  la  taille  des  diverses 
personnes,  le  poids  total  supporté  par  nos  organes  variera  entre  quinze  et  vingt 
mille  kilogrammes.  Que  l’on  quitte,  dès  lors,  un  pays  plus  ou  moins  rapproché 
du  niveau  des  mers,  pour  atteindre  une  localité  plus  élevée,  notre  corps  sup- 
portera une  pression  d’autant  moins  forte  que  la  hauteur  sera  plus  grande.  L’on 
peut  comprendre  quelle  perturbation  doit  survenir  dans  nos  organes,  lorsque  le 
poids  énorme  auquel  ils  sont  habituellement  soumis  sera  diminué  d'un  sixième , 
d'un  quart  et  même  d'un  tiers , comme  on  l’observe  sur  le  Righi,  le  Saint-Bernard 
ou  le  sommet  du  mont  Blanc.  Et  si  l’on  ajoute  à cette  diminution  de  pression  le 
changement  non  moins  important  qui  survient  dans  la  densité  de  l’air,  et  par 
conséquent  dans  la  quantité  d’oxygène,  l’on  ne  sera  pas  embarrassé  pour  ex- 
pliquer les  divers  troubles  qui  surviennent  dans  la  respiration,  la  circulation,  la 
locomotion  et  les  fonctions  digestives  chez  ceux  qui  gravissent  les  hautes  cimes 
de  nos  Alpes  ou  qui  en  font,  pour  un  temps,  leur  habitation. 

Quelle  est,  dans  l’apparition  des  symptômes  dont  nous  parlons,  la  part  d’une 
faible  pression,  et  celle  d’une  quantité  insuffisante  d’oxygène?  C’est  ce  qu’il  est 
difficile  de  dire;  la  respiration  et  la  circulation  devant  être  également  modifiées 
sous  ces  deux  influences  et  devant  réagir  sur  les  forces  musculaires  ; d’un  autre 
côté,  des  recherches  récentes  ayant  établi  que  c’est  grâce  à la  pression  atmo- 
sphérique que  la  tête  du  fémur  se  maintient  dans  la  cavité  cotyloïde,  il  est 
évident  qu’une  diminution  dans  le  poids  de  l’air  doit  rendre  les  mouvements  plus 
difficiles;  en  sorte  que  nous  arrivons  à la  conclusion  que  les  phénomènes  produits 
sur  les  corps  vivants,  transportés  à de  grandes  hauteurs,  sont  le  résultat  des 
deux  faits  météorologiques  dont  nous  venons  de  parler  : une  moindre  pression 
et  une  plus  faible  quantité  d’oxygène.  (P.  273.) 

1 Des  Climats  de  montagne  considérés  au  point  de  vue  médical.  — Arch.  des  Sc, 
phys.  et  nat.  de  Genève,  t.  XXXII,  p.  265-505  ; 1856. 


256 


HISTORIQUE. 


Mais  peu  après  un  médecin  français  très-compétent  dans  les  ques- 
tions de  physique,  M.  Giraud-Teulon,  réduisait  à néant  l’erreur  fon- 
damentale sur  laquelle  M.  Lombard  venait  après  tant  d’autres  de 
s’appuyer. 

Il  y avait  déjà  longtemps  que  Valentin1,  calculant  la  valeur  des 
changements  que  présente  sur  la  surface  du  corps  humain  le  poids 
de  l’atmosphère  à diverses  hauteurs  au-dessus  du  niveau  de  la  mer, 
et  admettant  que  les  matières  organiques  sont  compressibles  au 
même  degré  que  l’eau,  avait  montré  que  : 

Pour  une  atmosphère  de  pression  surajoutée,  la  diminution  de  volume  serait 
d’environ  0,2  pouce  cubique,  c’est-à-dire  1/22522  du  volume  total  du  corps. 

On  voit  donc  que  le  volume  d’un  homme  qui  se  trouverait  au  sommet  du  mont 
Blanc  et  qui  se  laisserait  glisser  jusqu’en  bas  se  contracterait  seulement  de 
sept  cent  millièmes.  (T.  I,  p.  84.) 

Cependant,  cette  démonstration  nette  du  peu  d’importance  des 
changements  de  pression  considérés  au  point  de  vue  mécanique 
n’avait  pas  empêché  un  auteur  très-recommandable,  Ileusinger2,  de 
reproduire,  avec  maints  détails,  l’explication  admise  sans  grande 
réflexion  par  tant  de  voyageurs  : 

La  pression  de  l’atmosphère  sur  le  corps  diminue Au  niveau  de  la  mer,  on 

calcule  qu'un  homme  adulte  supporte  une  pression  qui  équivaut  à 33  895  liv.  ; s’il 

s’élève  à la  hauteur  du  mont  Blanc,  la  pression  ne  sera  plus  que  de  19  334  liv 

Les  os  ne  seront  plus  retenus  dans  les  articulations  avec  la  même  force,  les 
muscles  doivent  exercer  une  plus  grande  force,  la  fatigue  doit  donc  être  plus 
grande;....  le  sang  est  retenu  avec  moins  de  force  dans  les  vaisseaux,  il  aura  la 
tendance  à transsuder,  et  à former  des  hémorrhagies,  où  les  parois  sont  assez 
faibles,  et  le  sang  s’accumulera  dans  les  organes  moins  contractibles,  où  les 
vaisseaux  capillaires  se  laissent  plus  aisément  dilater,  par  exemple  dans  les 
membranes  muqueuses,  dans  les  poumons,  le  cerveau,  il  y aura  congestion  dans 
ces  organes  ; le  cœur,  qui  a moins  d’obstacles  à surmonter,  se  contractera  plus 
souvent  et  le  pouls  deviendra  plus  fréquent.  (T.  I,  p.  252.) 

Il  faut  faire  remarquer  qu’à  cette  cause  erronée  il  en  ajoute 
nombre  d’autres,  plus  ou  moins  justifiées,  suivant  les  errements  de 
la  méthode  éclectique.  C’est  d’abord  l’évaporation  due  à la  diminu- 
tion de  pression  et  à la  siccité,  la  température  plus  basse,  l’action 
des  rayons  du  soleil,  plus  forte,  qui  « pénètre  plus  profondément  le 
corps,  et  irrite  les  yeux,  le  cerveau  et  la  moelle  épinière,»  puis  l’é- 
lectricité v<  probablement  plus  forte  et  moins  souvent  négative,  » 
et  enfin  la  moindre  quantité  d’oxygène  que  contient  l’air  raréfié,  ce 

1 Lehrbuch  der  Physiologie  des  Mcnschen.  — Braunschweig,  1844. 

2 Recherches  de  Pathologie  comparée.  — Cassel,  1853. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


257 


qui  « contre-balance  la  fréquence  de  la  respiration  et  de  la  circula- 
tion. » 

Pour  en  revenir  à l’explication  mécanique,  elle  fut  absolument 
réduite  à néant  par  le  travail  de  M.  Giraud-Teulon,  et  il  est  permis 
de  s’étonner  qu’après  une  aussi  rigoureuse  exécution,  on  l’ait  en- 
core vue  reparaître  dans  les  livres  et  jusque  dans  les  académies. 

M.  Giraud-Teulon1  commence  par  poser  deux  principes  trop  ou- 
bliés par  les  médecins  et  les  physiologistes,  avant  et  depuis  lui  : 

1°  Toutes  les  pressions  exercées  par  l’atmosphère  ambiante  sur  le  corps  hu- 
main se  combattent  naturellement  et  se  détruisent  d’une  manière  parfaite. 

2°  L’effort  exercé  par  le  poids  de  l’atmosphère  est  du  reste  contre-balancé  par 
l’incompressibilité  des  liquides  dont  tous  nos  organes  sont  imbibés,  et  par  la  ten- 
sion des  gaz  et  des  vapeurs  dans  les  cavités  et  les  interstices  splanchniques.  La 
peau  se  trouve  ainsi  placée  entre  deux  forces  qui  luttent  en  sens  contraire  et  se 
font  équilibre. 

Puis  il  se  demande  : 

D’où  vient  la  différence  (différence  sur  la  nature  de  laquelle  il  ne  s’explique 
malheureusement  pas)  qu’on  observe  entre  le  cadavre  et  le  vivant  dans  la  réac 
tion  de  l’un  et  de  l’autre  contre  la  pression  extérieure?  Faut-il  l’attribuer  seule- 
ment à celle  qui  existe  dans  les  températures?  Mais  la  température  du  corps  hu- 
main n’est  pas  assez  élevée  pour  donner  aux  vapeurs  des  liquides  qu’il  renferme 
une  tension  supérieure  à 3 ou  4 centimètres  de  mercure.  Est-ce  aux  gaz  dissous 
dans  ces  liquides  ? Mais  il  résulte  des  expériences  de  Magnus  que  si  leur  quantité 
atteint,  pour  quelques-uns  d’entre  eux  seulement,  des  proportions  qui  suffisent 
à porter  la  tension  des  liquides  qui  les  contiennent  à un  chiffre  qui  égalerait  ou 
surpasserait  la  pression  atmosphérique,  il  faudrait  que  leur  action  et  leur  réac- 
tion, vis-à-vis  de  ce  liquide,  fussent  purement  physiques.  Or  Magnus  a fait  voir, 
au  contraire,  que  les  gaz  dissous  dans  le  sang  y sont  retenus  par  de  tout  autres 
forces  que  la  simple  pression.  Car  il  ne  suffit  ni  d’élever  la  température,  ni  d’a- 
baisser la  tension  extérieure,  même  jusqu’à  quelques  centimètres  seulement,  pour 
chasser  les  gaz  dissous  dans  les  liquides  de  l’économie;  il  faut  la  présence  d’au- 
tres gaz  dont  le  sang  est  plus  avide  que  des  gaz  normaux  qu’il  renferme.  Où  donc 
trouver  la  force  intérieure  qui  fait  équilibre  à la  pression  ambiante?  Dans  l’étude 
des  lois  de  la  circulation  et  de  la  pression  dans  les  grands  systèmes  vasculaires. 

L’auteur  montre  alors  que,  chez  l’animal  vivant,  les  tissus  sont 
toujours,  à cause  de  la  circulation  sanguine,  à un  élat  de  tension 
qu’il  estime  valoir  de  8 à 15  millimètres  de  mercure.  Cette  tension 
étant  constante,  il  en  résulte,  dit-il  : 

Que  le  système  organique  de  l’être  animé  n’est  jamais  en  péril  par  une  varia- 
tion même  considérable,  mais  graduelle,  de  la  pression  extérieure,  et  que  la  cir- 
culation doit  continuer  à s’opérer  comme  avant  la  variation.  Ce  qui  donne  l’expli- 

1 Mémoire  sur  la  pression  atmosphérique  dans  ses  rapports  avec  V organisme  vivant „ 
— Cpt.  R.  Acad,  des  Sc.,  t.  XLIV,  p 255;  1857. 


17 


258 


HISTORIQUE. 


cation  des  faits  reconnus  par  M.  Poiseuille  et  par  M.  Tingu,  sur  la  continuation 
des  fonctions  vitales , malgré  une  augmentation  considérable  de  la  pression  am- 
biante. 

L’influence  redoutable  des  gaz  du  sang,  rendus  libres  par  la  di- 
minution de  pression,  hypothèse  qu’avait  émise  le  premier  Robert 
Boyle,  et  que  M.  Giraud-Teulon  a,  comme  nous  venons  de  le  voir, 
énergiquement  combattue,  trouva  un  défenseur  autorisé  dans  Félix 
Hoppe1.  Le  travail  de  ce  chimiste  est  d’ordre  purement  expérimental  ; 
il  a été  entrepris  dans  le  but  d’expliquer  les  accidents  qui  frappent 
les  ouvriers  dans  les  travaux  sous  l’air  comprimé  ; et,  comme  tout 
le  monde  a remarqué  que  ces  accidents  surviennent  au  moment  de 
la  décompression,  Hoppe  espérait  en  trouver  la  cause  par  l’étude 
de  la  mort  dans  l’air  raréfié.  Voici  d’abord  le  résumé  de  ses  expé- 
riences : 

Une  ratte  fut  soumise  à une  rapide  diminution  de  pression.  Vers  50mm  de  mer- 
cure, survinrent  les  convulsions,...  et  la  mort  entre  40  et  50mm.  A l’ouverture 
du  thorax,...  on  voyait  à travers  les  parois  de  la  veine  cave,  de  l’oreillette  et  du 
ventricule  droits,  une  notable  quantité  de  gaz  qu’on  put  faire  sortir  par  une 
ponction 

Chez  un  chat....  qui  mourut  vers  40mm,...  je  trouvai  environ  0,3  centimètres 
cubes  d’air  dans  la  veine  cave  et  les  cavités  droites  du  cœur  ; il  y avait  quelques 
bulles  d’air  dans  l’oreillette  gauche.  Les  veines  et  le  cœur  droit  étaient  pleins  de 
sang,  le  cœur  gauche  presque  vide  ; le  sang  était  complètement  liquide,  les  ar- 
tères se  contractaient  spontanément,  les  ventricules  seulement  sous  l’excitation  ; 
les  poumons  étaient  vides  d’air  et  sains;  il  n’y  avait  pas  de  rupture  de  vaisseaux  ; 
le  cerveau  était  normal 

Deux  hirondelles....  sont  mortes  entre  125  et  120mm  de  pression;  j’ai  trouvé 
dans  leur  sang  quelques  petites  bulles  d'air . . . 

Chez  les  oiseaux  comme  chez  les  mammifères,  le  sang  du  cœur  gauche  était 
rouge  clair  et  par  suite  contenait  encore  de  l’oxygène 

Deux  grenouilles  amenées  jusqu’à  complet  affaissement,  furent  ouvertes  ; on  n’y 
trouva  pas  de  gaz  au  cœur....  Un  orvet  amené  à 22mm  de  pression,  se  gonfla  et 
demeura  sans  mouvement;  puis,  quelques  minutes  après  être  revenu  à la  pression 
normale,  il  parut  aussi  bien  qu’auparavant. 

En  résumé  : 

1°  Les  oiseaux  meurent  bien  avant  le  point  d'effervescence  de  leur  sang;  les 
mammifères  meurent  à une  pression  à peine  supérieure  à ce  point  ; les  amphi- 
bies ne  meurent  pas  même  au-dessous  de  ce  point  ; 

2°  Chez  les  animaux  à sang  chaud,  il  se  dégage  du  gaz  dans  l’intérieur  des  vais- 
seaux par  une  rapide  diminution  de  pression.  Il  n’en  est  pas  de  même  chez  les 
amphibies. 

1 Ueber  den  Einfluss , welchen  der  Wechsel  des  Luftdruckes  auf  das  Blut  ausübt. 
Muller' s Archiv.;  1857,  p.  63-73. 


259 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 

F.  Hoppe  se  demande  alors  s’il  faut  attribuer  la  mort  à ce  dégage- 
ment des  gaz  du  sang,  ou  bien  à la  pauvreté  du  sang  en  oxygène. 
Il  est  très-difficile,  dit-il,  de  répondre  à cette  question  : « Car,  on 
trouve  à l’autopsie  le  sang  artériel  encore  rouge-clair,  et  très-diffé- 
rent du  sang  des  asphyxiés  » (p.  67);  observation  juste,  mais  due 
à une  erreur  expérimentale  que  nous  démontrerons  plus  tard.  En 
tout  cas,  la  mort  subite  lui  paraît  certainement  due  à l’obstruction 
du  vaisseau  par  les  gaz  devenus  libres  : 

Le  cœur  exerce  sur  son  contenu  une  pression  de  100mm;  si  l’air  dans  les  gros 
troncs  veineux  n’a  qu’une  pression  de  50mm,  il  devra  être  comprimé  un  tiers  de 
son  volume  pour  entrer  dans  les  artères  ; de  là  un  grand  ralentissement  dans  la 
circulation.  Si  ce  ralentissement,  joint  à la  faible  quantité  d’oxygène  contenu  dans 
le  sang,  et  à l’inégale  puissance  du  cœur  droit  et  du  cœur  gauche,  peut  amener 
la  mort,  ce  ne  peut  être  qu’une  mort  instantanée.  Celle-ci  ne  peut  être  causée 
que  par  l’obstruction  des  capillaires  des  poumons  par  les  bulles  d’air,  d’où  l’ar- 
rêt de  la  circulation. 

Il  ne  s’en  tient  pas  à cette  démonstration  théorique,  et  essaye  de 
prouver,  par  voie  expérimentale,  que  ce  n’est  pas  la  privation 
d’oxygène,  mais  la  diminution  même  de  la  pression,  qui  lue  les 
animaux  placés  sous  la  cloche  de  la  machine  pneumatique.  Pour  y 
arriver,  il  emploie  une  méthode  que,  de  mon  côté,  bien  avant  de 
connaître  le  travail  de  Hoppe,  l’uu  des  derniers  que  j’aie  rencontrés 
dans  ces  recherches  bibliographiques,  j’ai  fréquemment  mis  en 
usage,  et  dont,  comme  on  le  verra,  j’ai  tiré  des  conclusions  diamé- 
tralement opposées  aux  siennes.  Il  sera  intéressant  d’examiner  la 
raison  de  ces  divergences  : mais  ce  n’est  point  encore  ici  le  lieu. 

Quoi  qu’il  en  soit,  Hoppe  se  dit  : si  c’est  la  diminution  de  pres- 
sion qui  tue,  et  non  la  privation  d’oxygène,  la  mort  devra  arriver 
à la  même  pression,  quand  même  on  emploierait  de  l’oxygène  pur  : 

Un  cochon  d’Inde  tomba  .[en  convulsion  à 77mm;  on  fit  rentrer  de  l’oxygène  pur 
dans  la  cloche,  et  il  se  releva  aussitôt.  Le  vide  étant  fait  de  nouveau,  il  éprouva 
les  mêmes  symptômes  à 75“m;  seconde  rentrée  d’oxygène,  troisième  diminution 
de  pression  : accidents  à 75mm  ; nouvelle  rentrée  d’oxygène,  affaissement  à 75mm. 
Retour  à la  pression  normale;  l’animal  survit.  (P.  69) 

Ainsi  les  symptômes  d’asphyxie  soudaine  sont  arrivés  à la  même  pression 
barométrique,  que  l’animal  soit  dans  l’air  et  dans  l’oxygène. 

Il  en  conclut  définitivement  que  la  cause  de  la  mort  se  trouve 
dans  l’apparition  des  gaz  libres  ; le  moment  de  leur  dégagement 
varie  avec  « la  pression,  la  température  de  l’animal,  la  puissance 
d’absorption  et  l’affinité  du  sang  pour  les  gaz,  la  richesse  en  glo- 
bules du  sang.  » . 


260 


HISTORIQUE. 


Les  remarquables  recherches  de  M.  Fernet 1 vinrent,  la  même 
année,  apporter  dans  la  question  un  élément  nouveau  qui,  lors  des 

discussionspostérieures  sur  la  cause  du  mal  des  montagnes,  pa- 
rurent servir  de  point  d’appui  pour  soutenir  des  théories  erronées. 

On  savait,  depuis  les  anciennes  expériences  de  Robert  Boyle,  qu’il 
se  trouve  dans  le  sang  des  gaz  en  quantité  considérable.  Des  chi- 
mistes plus  récents,  et  notamment  Magnus 2 en  1857,  avaient  montré 
que  l’oxygène  y entre  pour  une  très-forte  proportion.  Les  physio- 
logistes avaient  été  amenés  à conclure  de  ces  expériences  que  la 
respiration  ne  consiste  qu’en  un  simple  échange  de  gaz  entre  l’acide 
carbonique  du  sang  et  l’oxygène  de  l’air,  échange  réglé  par  les  lois 
de  la  physique3. 

Le  travail  de  M.  Fernet  les  fit  changer  d’opinion.  Ce  physicien,  par 
une  série  d’expériences  conduites  avec  une  rare  sagacité,  montra 
que  l’acide  carbonique  et  l’oxygène  sont  en  grande  partie  maintenus 
dans  le  sang  par  une  affinité  chimique.  Le  procédé  de  démonstra- 
tion qu’il  employa  louche  directement  à notre  sujet,  puisqu’il  met- 
tait en  jeu  l’influence  des  changements  dans  la  pression  baromé- 
trique. 

Enlever  au  sang  les  gaz  qu’il  contenait , l’agiter  en  vases  clos, 
avec  de  l’oxygène  ou  de  l’acide  carbonique  sous  des  pressions  va- 
riées, mesurer  la  quantité  qu’il  en  absorbait  dans  ces  conditions  di- 
verses, telle  fut  la  méthode  employée  par  M.  Fernet. 

Il  montra  ainsi  que  : 

Les  volumes  d’oxygène  chimiquement  absorbés  et  indépendants  de  la  pression 
ont  une  valeur  relative  si  considérable  que  ces  expériences  se  distinguent  par  là 
immédiatement  de  celles  qui  sont  relatives  aux  solutions  salines  et  même  au  sé- 
rum. Non-seulement  la  marche  du  phénomène  n’est  plus  assujettie  à la  loi  de  la 
dissolution  simple  d’une  manière  presque  complète,  mais  les  volumes  absorbés 
semblent,  au  premier  abord,  indépendants  de  la  pression,  le  volume,  chimique- 
ment combiné,  étant  presque  cinq  fois  égal  au  volume  proprement  dissous  sous 
la  pression  atmosphérique.  (P.  209.) 

Or,  dans  la  respiration,  l’oxygène  de  l’air  exerce  une  pression  qui  n'entre  que 
pour  un  cinquième  dans  la  pression  de  l’atmosphère,  d’où  il  suit  que  le  volume 
proprement  dissous  dans  le  sang  de  l’appareil  respiratoire  doit  être  réduit  dans 
la  même  proportion.  Le  volume  d’oxygène  absorbé  à l’état  de  combinaison  par 

1 Du  rôle  des  principaux  éléments  du  sang  dans  l'absorption  ou  le  dégagement  des  gaz 
de  la  respiration.  — Ann.  des  Sc.  natur.,  4e  série;  Zool.,  t.  VIII,  p.  125;  1857. 

2 Ueber  die  im  Blute  enthallenen  Gaze  : Sauerstoff,  Siickstoff  und  Kohlensaiire . 
— Poggendorffs  Annalen,  1837;  trad.  in  Ann.  des  Sc.  nat Zool.;  2e  série,  t.  VIII, 
p.  79;  1837. 

3 Voir  pour  le  développement  de  cette  manière  de  voir  : Vierordt,  Physiologie  des 
Athmens. — Karlsruhe,  1845. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


261 

les  globules  deviendra  alors  environ  vingt-cinq  fois  égal  au  volume  qui  entre  effec- 
tivement dans  le  sérum  à l’état  de  dissolution  proprement  dite.  (P.  211.) 

De  ce  fait  bien  établi,  dans  les  conditions  expérimentales  où  il  se 
plaçait,  M.  Fernet  crut  pouvoir  tirer  la  conclusion  suivante  : 

On  explique  ainsi  ce  résultat  déjà  constaté  par  un  grand  nombre  d’observations, 
que  l’absorption  de  l’oxygène  est  à très-peu  près  la  même,  quelle  que  soit  la  pres- 
sion atmosphérique  sur  le  sommet  des  montagnes  et  dans  les  plaines  ; cependant 
l’observation,  d’accord  ici  avec  la  théorie,  a constaté  déjà  de  petites  différences 
correspondant  aux  différences  de  pression;  mais  elles  ne  sont  accessibles  qu’aux 
méthodes  de  mesures  susceptibles  d’une  grande  exactitude.  (P.  211.) 

Nous  devons  faire  toutes  nos  réserves  sur  cette  conclusion  , qui 
ne  nous  paraît  pas  comprise  dans  les  prémisses  expérimentales. 
Mais  nous  verrons  que  certains  physiologistes  se  sont  laissé  en- 
traîner encore  bien  au  delà.  De  ce  nombre  est  Longet. 

Longet1  analyse  rapidement  les  observations  des  voyageurs  en 
montagne  et  des  aéronautes;  il  passe  en  revue  les  diverses  explica- 
tions qu’ils  ont  données  des  accidents  éprouvés.  Il  accepte  que  des 
modifications  brusques  dans  la  pression  puissent  diminuer  l’oxy- 
génation du  sang,  parce  que  : 

Un  certain  laps  de  temps  est  toujours  nécessaire  pour  que  l’équilibre  entre  les 
gaz  du  sang  et  les  gaz  extérieurs  puisse  complètement  s’établir,  pour  qu’aussi  les 
mouvements  plus  actifs  de  la  respiration  se  mettent  en  harmonie  avec  les  condi- 
tions nouvelles,  de  manière  que  le  poumon  absorbe  , dans  un  temps  donné,  à 
peu  près  la  même  quantité  d’oxygène  qu’exige  l’état  normal.  ( lra  éd.,  p.  474; 
3e  éd.,  p.  566.  ) v 

Mais  si  l’on  séjourne  longtemps,  tout  doit  s’équilibrer.  En  effet, 
dit-il  : 

Si,  à chaque  inspiration,  l’individu  qui  habite  la  montagne  introduit  nécessai- 
rement moins  d’oxygène  dans  ses  poumons  que  ne  le  fait  l’habitant  de  la  plaine, 
il  y supplée  à l’aide  d’inspirations  plus  fréquentes,  de  manière  qu’en  définitive, 
chez  l’un  et  l’autre,  la  même  quantité  d’oxygène  peut  se  trouver  absorbée  dans  le 
même  temps.  (lre  éd.,  p.  475  ; 3e  éd.,  p.  561.) 

Et  plus  loin,  en  parlant  de  l’oxygène  du  sang,  il  écrit  ce  passage 
tout  à fait  explicite  : 

On  sait  que  la  quantité  en  poids  d’un  gaz  dissous  dans  l’eau  est  toujours  pro- 
portionnelle à la  pression  extérieure  ; or,  en  appliquant  cette  loi  au  cas  dont  il 
s’agit,  on  arriverait  à cette  conséquence  que  le  sang  des  habitants  des  régions  où 
la  pression  atmosphérique  n’est  guère  que  de  0m,580,  renfermerait  moitié  moins 

1 Traité  de  Physiologie . — Paris,  lre  édit.,  t.  I,  1857;  3®  édit.,  t.  I,  1868. 


262 


HISTORIQUE. 


d’oxygène  que  le  sang  des  habitants  des  bords  de  la  mer  où  cette  pression 
est  de  0n\760  ; mais  sans  doute  la  précédente  loi  ne  trouve  pas  ici  d’application, 
parce  qu’il  y a intervention  de  quelque  affinité  chimique.  (5e  éd.,  p.  592;  lre  éd., 
p.  493.) 

C’était  également  là  l’avis  de  M.  Gavarret1  qui,  dès  1855,  s’expri- 
mait ainsi  : 

Il  serait  faux  de  dire  que  l’absorption  de  l’oxygène  par  le  sang  veineux  est  un 
fait  purement  physique  ; tout  démontre,  au  contraire,  que  les  forces  chimiques 
jouent  un  rôle  important  dans  cette  fixation  de  l’oxygène.  Si,  en  effet,  son  ab- 
sorption était  une  simple  dissolution  physique,  la  pression  extérieure  restant  la 
même,  la  quantité  d’oxygène  absorbé  devrait  croître  en  raison  directe  de  la  pro- 
portion de  ce  gaz  dans  l’air  respiré  par  l’animal;  or,  les  expériences  de  Lavoisier 
l’avaient  déjà  démontré  et  celles  de  M.  Régnault  ont  mis  ce  fait  hors  de  toute  con- 
testation , quelque  forte  que  soit  sa  proportion  dans  les  atmosphères  artifi- 
cielles créées  autour  des  animaux,  la  consommation  d’oxygène  reste  la  même. 
En  second  lieu  , la  composition  de  l’air  restant  la  même , la  quantité  pon- 
dérale d’oxygène  dissous  physiquement  par  un  liquide  varie  proportionnelle- 
ment à la  pression  extérieure.  Dans  l’hypothèse  où  le  phénomène  s’accompli- 
rait uniquement  en  vertu  de  forces  physiques,  la  masse  d’oxygène  absorbé  par 
les  habitants  des  villes  situées  sur  les  hauts  plateaux  du  Nouveau-Monde  se 
réduirait  nécessairement  à des  proportions  très-minimes  ; les  animaux  qui  ha- 
bitent d’une  manière  permanente  la  métairie  d'Antisana , où  le  baromètre  ne 
marque  que  47  centimètres,  n’absorberaient  plus  qu’un  poids  d’oxygène  inférieur 
aux  deux  tiers  de  celui  qu’ils  consomment  au  niveau  de  la  mer.  Une  pareille  varia- 
tion dans  une  fonction  aussi  importante  entraînerait  certainement,  dans  leur  mode 
d’existence,  des  modifications  profondes  qui  n’auraient  pas  échappé  aux  observa- 
teurs. Si  l’oxygénation  du  sang  dans  les  capillaires  pulmonaires  était  un  fait  pu- 
rement physique,  chez  les  oiseaux  de  haut  vol  qui  passent  instantanément  de  la 
surface  de  la  terre  aux  régions  les  plus  élevées  de  l’atmosphère,  la  consommation 
d’oxygène  éprouverait  des  variations  trop  subites  et  trop  étendues  pour  ne  pas 
compromettre  sérieusement  la  vie  de  ces  animaux.  (P.  262.) 

Du  reste,  en  1868,  dans  sa  troisième  édition,  Longet  emprun- 
tait à M.  Gavarret  cette  dernière  objection,  et  ajoutait  au  passage 
que  j’ai  cité  plus  haut  la  réflexion  suivante  *- 

Comment  admettre  que  les  observateurs  n’auraient  point  été  frappés  des  pro- 
fondes modifications  que  des  variations  pareilles  ne  manqueraient  pas  de  produire 
dans  le  mode  d’existence  de  ces  populations? 

N’esl-il  pas  curieux  de  voir  après  cela  que,  lorsque  M.  Jourdanet 
vient,  en  « observateur  »,  signaler  « ces  variations  dans  le  mode 
d’existence  des  populations  des  hauts  lieux  » on  le  repousse  par 
une  fin  de  non-recevoir,  tirée  de  ce  que  l’oxygène  ne  peut  être,  en 
vertu  des  lois  chimiques,  soustrait  au  sang  par  la  diminution  de 
pression? 

1 De  la  chaleur  produite  par  les  êtres  vivants.  — Paris,  1855. 


263 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 

En  1858  parut  la  2e  édition  du  livre  de  M.  Lombard1,  dont  nous 
avons  déjà  parlé  ; en  l’annonçant,  le  rédacteur  de  la  Bibliothèque 
universelle,  le  Dr  Duval 2,  s’exprime  en  ces  termes  caractéristi- 
ques : 

Les  recherches  sur  le  mal  des  montagnes  ont  été  complétées  et  mieux  coordon- 
nées; peut-être  l’auteur  a-t-il  un  peu  trop  généralisé  les  accidents  qui  peuvent 
survenir  du  côté  des  fonctions  digestives  à une  hauteur  de  1300  à 2000  mètres. 
Bien  des  touristes  affirmeront  qu’ils  n’éprouvent  à cette  hauteur  ni  inappétence, 
ni  dégoût,  ni  vomissement,  mais  au  contraire  un  excellent  et  vif  appétit  ; quel- 
ques-uns nieront  aussi  cette  aversion  pour  le  vin  et  les  liqueurs  alcooliques  que 
l’on  éprouverait  dans  les  mêmes  circonstances;  mais  ce  n’est  qu’une  question  de 
quelques  mètres  de  plus  ou  de  moins,  et  la  réalité  des  phénomènes  décrits  n’en 
est  pas  moins  constante  à une  élévation  qui  varie  suivant  les  individus.  De  Saus- 
sure, qui  ne  commençait  à être  sensiblement  affecté  qu’à  5800m,  peut  passer  pour 
une  exception. 

Quant  à M.  Lombard,  il  revient  beaucoup  sur  le  compte  de  l’ac- 
tion directe  du  poids  de  l’air  diminué  ; il  fait  également  entrer  en 
ligne  l’objection  de  Payerne,  mais  il  n’en  accorde  pas  moins  une 
importance  capitale  à la  moindre  quantité  d’oxygène  contenu  dans 
l’air  dilaté,  à volume  égal  : 

MM.  Barrai  etBixio,...  malgré  que  plus  de  9000k fussent  soustraits  à la  pression 
à laquelle  leur  corps  était  habitué,  n’éprouvèrent  aucune  sensation  bien  pronon- 
cée.... D’autre  part,  les  ouvriers  qui  travaillent  dans  les  cloches  à plongeur  sup- 
portent une  pression  double,  triple  et  même  quadruple  sans  modification  grave 
dans  le  jeu  des  organes  ; d’où  l’on  est  amené  naturellement  à considérer  les  dif- 
férences de  pression  atmosphérique  comme  moins  importantes,  que  l'on  y serait 
disposé  en  partant  du  point  de  vue  purement  scientifique. 

D’un  autre  côté,  nous  avons  reconnu  qu’à  mesure  que  l’on  s’élève  sur  les  hau* 
leurs,  l’air  devient  moins  dense  et  contient  par  conséquent  moins  d’oxygène,  en 
sorte  qu  il  faut  une  respiration  plus  fréquente  et  plus  complète  pour  introduire 
dans  le  poumon  la  quantité  nécessaire  à l’oxygénation  du  sang.  Or  il  doit  résul- 
ter de  celte  nécessité  physiologique  une  gêne  considérable  dans  la  respiration  et 
par  conséquent  aussi  dans  la  circulation  ; c’est  ce  que  l’on  voit  chez  ceux  qui  ha- 
bitent les  hautes  régions  de  notre  globe. 

Cependant  il  ne  faut  pas  croire  que  l’air  raréfié  de  nos  montagnes  ne  contienne 
pas  une  proportion  suffisante  d’oxygène  pour  entretenir  la  vie  ; il  résulte,  en  elfet, 
des  expériences  faites  sur  la  quantité  d’oxygène  nécessaire  à la  respiration,  qu’un 
homme  en  repos  convertit,  dans  l’espace  d’une  heure,  50  grammes  en  acide  car- 
bonique, et  si  l’on  ajoute  cinq  et  même  dix  grammes  pour  l’augmentation  que 
peut  produire  le  mouvement  ou  le  travail,  l’on  verra  qu’en  supposant  le  séjour 
dans  un  lieu  où  le  baromètre  n’est  plus  qu’à  315mm  (7000m),  l’air  contient  encore 
100gr  d’oxygène  sur  8001  qu’un  homme  respire  par  heure.  En  sorte  qu’en  défini- 
tive l’on  voit  que,  même  à des  hauteurs  considérables,  l’atmosphère  pourra  four- 
nir à l’homme  une  quantité  suffisante  d’oxygène  pour  entretenir  la  respiration. 

1 Climats  de  montagne,  etc.,  2e  édit.,  1858. 

2 Bibl.  univ.  de  Genève . 5e  série,  t.  II,  p,  647,  1858. 


264 


HISTORIQUE. 


S’ensuit-il  néanmoins  que  cette  forte  diminution  dans  un  élément  aussi  essen- 
tiel à la  vie  soit  sans  action  sur  nos  principales  fonctions  ? Nous  ne  le  pensons 
pas,  bien  au  contraire;  il  est  de  toute  évidence  à nos  yeux  que  la  soustraction 
d’une  portion  notable  d’oxygène  doit  rendre  la  respiration  incomplète  et  réagir 
sur  les  autres  fonctions  vitales  qui,  comme  la  circulation,  sont  dans  un  rapport 
très-intime  avec  la  respiration. 

Mais  ce  n’est  pas  tout  encore:  lorsqu’un  sang  incomplètement  oxygéné  parvient 
aux  divers  organes,  tels  que  le  cerveau  et  le  système  musculaire,  il  est  évident 
que  leurs  fonctions  éprouveront  une  perturbation  proportionnée  à l'insuffisance 
de  l’oxygénation  ; en  sorte  que  l’on  devra  rapporter  à la  diminution  de  l’oxygène 
une  portion  notable  des  troubles  qui  surviennent  dans  l’innervation  et  la  moti- 
lité. (P.  47.) 


M.  Lombard  admet  ensuite  pour  partie  l’explication  qu’avaient 
donnée  les  frères  Weber  et  qu’avait  acceptée  de  llumboldt  touchant 
le  rôle  de  la  pression  sur  les  cavités  cotyloïdes. 

Parmi  les  phénomènes  qu’éprouvent  les  voyageurs  atteints  du  mal 
des  montagnes,  la  sensation  d’un  froid  extrême  n’est  ni  la  moins 
singulière,  ni  la  moins  pénible.  M.  Ch.  Martins1,  qui  l’avait  res- 
sentie dans  son  ascension  au  mont  Blanc,  en  compagnie  de  Bravais 
et  de  M.  Lepileur,  a fait  une  étude  spéciale  de  ce  froid  physiologi- 
que, expression  qui  désigne,  dans  la  pensée  du  savant  professeur 
de  Montpellier,  non  l’abaissement  de  la  température  du  corps,  mais 
la  sensation  de  froid  que  peuvent  produire  des  causes  diverses. 

Après  avoir  étudié  ces  causes  chez  l’homme  placé  au  niveau  de  la 
mer,  M.  Martins  constate  qu’il  en  existe  d’autres  sur  les  montagnes. 
Les  unes  agissent  indirectement  en  modifiant  la  température  de 
l’air  que  le  soleil  échauffe  moins  par  suite  de  sa  densité  moindre,  et 
qui  n’emprunte  que  peu  de  chaleur  aux  surfaces  de  contact,  si  ré- 
duites, que  lui  présente  le  sol.  Ajoutons  que  son  renouvellement  in- 
cessant ne  lui  donne  pas  le  temps  de  s’échauffer,  et  que  la  dilatation 
des  courants  ascendants  tend  à le  refroidir.  D’autres  causes  agissent 
directement  sur  le  corps  vivant. 

C’est  d’abord  la  puissance  du  rayonnement  qui  est  deux  fois  plus 
forte  sur  le  grand  plateau  du  mont  Blanc  qu’à  Chamounix;  puis, 
l’évaporation  pulmonaire  et  cutanée,  activée  par  la  faible  pression, 
par  le  vent  qui  règne  presque  sans  cesse  sur  les  hautes  régions,  par 
la  sécheresse  de  l’air  ; enfin,  sur  les  sommets  élevés,  le  contact 
d’un  sol  gelé.  Telles  sont  les  causes  physiques  qui  tendent  à refroi- 
dir le  corps.  Après  les  avoir  exposées  avec  détails,  M.  Martins  arrive 


1 Du  Froid  thermométrique  et  de  ses  relations  avec  le  froid  physiologique  dans 
les  plaines  et  sur  les  montagnes.  — Mém.  de  V Acad,  des  Sc.  de  Montpellier , t.  IV,  1859. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES 


265 


ensuite  aux  causes  physiologiques  de  froid,  spéciales  aux  hautes 
montagnes:  Ici  nous  citons  textuellement  : 

Tout  le  monde  sait  qu’à  des  élévations  qui  varient  suivant  les  individus,  de 
2000  à 4000m,  on  commence  à éprouver  des  sensations  pénibles,  savoir  : une  an- 
hélation extrême  accompagnée  de  céphalalgie,  d’envie  de  dormir,  de  nausées  et 
d’une  grande  lassitude.  C’est  le  phénomène  appelé  mal  de  montagne , résultat  com- 
plexe de  la  fatigue,  de  la  diminulion  brusque  dépréssion,  mais  surtout  de  la  ra- 
réfaction de  l’air.  En  effet,  les  physiologistes  admettent  que  l’homme  introduit 
moyennement  un  demi-litre  d’air  dans  ses  poumons  dans  une  inspiration  ordi- 
naire ; l’oxygène  de  ce  demi-litre  d’air  se  combine  avec  le  sang.  Au  bord  de  la 
mer,  sous  la  pression  de  760mm  de  mercure,  un  demi-litre  d’air  pèse  0gr,65  et 
contient  en  poids  0gyl6  d’oxygène;  sous  une  pression  moindre,  celle  de  475mm, 
par  exemple  , à laquelle  nous  avons  été  soumis  pendant  trois  jours  au  Grand- 
Plateau,  le  volume  d’air  inspiré  est  toujours  le  même  ; mais  son  poids  ne  l’est 
plus,  car  il  se  réduit  à 0gr,40,  et  celui  que  contient  ce  demi-litre  d’air  n’est  plus 
que  0gr,10,  et  au  sommet  du  mont  Blanc,  sous  la  pression  de  420mtn,  de  0er,09.... 

L’oxygène  du  sang  et  par  suite  la  calorification,  sont  donc  moindres  qu’au  bord 
de  la  mer  par  le  seul  fait  que  la  quantité  d’oxygène  introduite  dans  le  poumon 
est  beaucoup  plus  petite.  La  respiration  est  moins  parfaite,  exactement  comme 
dans  un  air  Ticié  où  la  proportion  d’oxygène  serait  plus  faible  que  dans  l’air  nor- 
mal. Cette  cause  toute  physique  avait  déjà  été  indiquée  par  Hallé,  Lombard  et 
Pravaz  fils.  Je  lui  attribue,  comme  eux,  les  symptômes  d’anhélation  qu’on  ob- 
serve dans  les  ascensions  brusques  sur  de  hautes  montagnes. 

Vainement  objecterait-on  que  sur  les  hautes  montagnes  le  nombre  des  inspi- 
rations supplée  à la  moindre  proportion  d’oxygène  du  volume  d’air  inspiré.  Qui- 
conque a par  lui-même  éprouvé  les  inspirations  courtes,  précipitées,  sans  am- 
pliation convenable  du  thorax  qui  accompagnent  l’essouftlement  pendant  et 
immédiatement  après  une  ascension,  a conservé  le  sentiment  que  ces  inspirations 
hâtives  ne  sauraient  avoir  l’effet  calorifique  |des  inspirations  régulières.  Aussi 
l’anhélation  cesse-t-elle  du  moment  qu’on  s’arrête , et  une  respiration  régulière, 
mais  plus  fréquente  que  dans  la  plaine,  supplée  en  partie  la  moindre  quantité 
d’oxygène;  je  dis  en  partie,  car  pour  y suppléer  totalement , il  faudrait  qu’au 
Grand-Plateau,  par  exemple,  le  nombre  des  inspirations  fût  à celui  de  la  plaine 
::  8 : 5,  c’est-à-dire  proportionnel  aux  quantités  d’oxygène  inspirées.  Or,  cela 
n’est  pas  : l’anhélation,  dans  l’état  de  repos,  n’atteint  certainement  pas  un  tiers 
en  sus.  La  moindre  oxygénation  du  sang  n’est  donc  pas  compensée  par  la  fré- 
quence des  inspirations,  et  devient  une  cause  physiologique  de  froid  spéciale  aux 
hautes  régions , et  probablement  la  principale  de  toutes  celles  qui  amènent  les 
symptômes  connus  sous  le  nom  de  mal  des  montagnes. 

Cette  explication,  on  le  voit,  n’est  autre  que  celle  qu’avait  déjà  en- 
trevue de  Saussure  ; on  voit  également  que  M.  Martins  est  beaucoup 
moins  optimiste  que  Longet,  qui  déclarait  que  sur  les  montagnes 
on  pouvait  suppléer  à la  richesse  des  inspirations  par  leur  nombre. 

Les  mêmes  idées  se  présentent  également  à l’esprit  de  Guilbert1, 
rendant  compte  du  soroché  des  Cordillères  : 


1 Loc.  cil.  De  la 'phthisie,  etc.,  1862. 


266 


HISTORIQUE. 


Lorsqu’on  est  parvenu  sur  le  plateau  des  Cordillères,  l’air  ne  contient  plus  que 
les  5/5  delà  quantité  d’oxygène  qu’il  contient  à 0,76.  Or,  en  s’élevant,  on  arrive 
dans  des  régions  de  plus  en  plus  froides  où,  pour  maintenir  sa  température  pro- 
pre, l’homme  doit  produire  plus  de  chaleur.  Pour  activer  sa  combustion,  il  a be- 
soin d’une  plus  grande  quantité  d’oxygène,  et  l’air  en  contient  moins.  Yoilà  deux 
causes  agissant  dans  le  même  sens,  et  suffisantes  pour  expliquer  le  trouble  de  la 
respiration  et  de  la  circulation. 

Les  expériences  de  Magnus  ont  montré  la  présence  de  gaz  libres  à l’état  de  dis- 
solution dans  le  sang.  La  tension  de  ces  gaz  augmente  comme  la  pression 
diminue.  Alors  ces  gaz  exercent  une  pression  contre  les  parois  des  vaisseaux  dans 
lesquels  ils  circulent  avec  le  sang,  et  les  distendent  : de  là  compression  du  cer- 
veau, de  là  les  violentes  douleurs  de  tête,  etc....  Peut-être  aussi  l’hématose  est- 
elle  incomplète  ; elle  pourrait,  dans  ce  cas,  revendiquer  une  part  d’intluence  sur 
le  système  nerveux  : le  sang,  ayant  perdu  une  partie  de  ses  qualités  excit.atives, 
pourrait  n’être  plus  un  excitant  suffisant;  de  là  la  tendance  à la  syncope,  etc.... 

La  diminution  de  la  pression  atmosphérique  explique  encore  les  hémorrha- 
gies. Les  gaz  libres  du  sang  font  effort  contre  les  parois  des  vaisseaux  ; il  peut  ar- 
river un  moment  où  ceux-ci,  incapables  de  résister  davantage,  se  rompent  et  lais- 
sent écouler  le  sang 

L’action  du  cœur  n’étant  plus  contre-balancée  par  la  pression  atmosphérique, 
il  en  résulte  une  stase  sanguine  dans  les  capillaires  qui  se  laissent  distendre.  Ce 
phénomène  est  manifeste  au  visage,  aux  mains,  et  surtout  dans  les  conjonctives. 
Il  doit  en  être  de  même  dans  les  capillaires  du  poumon,  et  cette  prédominance 
de  la  contraction  du  cœur  a aussi  une  part  dans  la  gêne  de  la  respiration. 

Notons,  en  outre,  que  Guilbert  adopte  l’explication  des  frères  We- 
ber sur  les  rapports  de  la  dépression  avec  la  solidité  de  la  tête  du 
fémur. 

Je  rapporterai  enfin  les  conclusions  de  Guilbert  relative  à la  phthi- 
sie pulmonaire.  Cette  maladie  est  très-commune  sur  la  côte  du  Pa- 
cifique, excepté  chez  les  Indiens.  Mais,  dans  la  Cordillère,  on  con- 
state, suivant  ce  médecin  : 

1°  L’absence  de  la  phthisie  sur  les  indigènes,  sans  distinction  de  race; 

2°  La  curabilité  par  un  séjour  prolongé,  et  dans  une  proportion  telle  que  cette 
curabilité  ne  doit  plus  être  considérée  comme  l’exception  ; 

5°  L’influence  constamment  retardataire  du  climat  sur  la  marche  de  la  maladie 
de  ceux  qui  ne  doivent  pas  guérir  définitivement,  et  souvent  des  guérisons  tem- 
poraires. 

C’est  à l’année  1861  que  remonte  le  premier  livre  de  M.  Jour- 
danet1.  Ce  travail  avait  un  double  mérite  : d’abord,  au  point  de  vue 
de  l’observation,  il  arrivait  à reconnaître  certains  signes  de  l’in- 
fluence fâcheuse  du  séjour  prolongé  sur  les  hauts  lieux,  là  où  per- 
sonne ne  l’avait  soupçonnée  avant  lui  ; puis,  au  point  de  vue  de 

1 Les  Altitudes  de  l’Amérique  tropicale  comparées  au  niveau  des  mers , au  point  de  vue 
delà  constitution  médicale . — Paris,  1861. 


THEORIES  ET  EXPERIENCES. 


267 


l’explication,  il  ramenait  dans  la  science  l’idée  entrevue  par  Pra- 
vaz,  mais  qu’avaient  fait  rejeter  bien  loin  les  travaux  de  M.  Fernet, 
d’une  moindre  solubilité  de  l’oxygène  dans  le  sang,  conséquence 
d’une  pression  barométrique  diminuée.  La  véritable  doctrine  se 
trouvait  tout  entière  exprimée  dans  ce  volume.  Au  début,  M.  Jour- 
danet  reprend,  en  les  développant,  les  calculs  de  M.  Martins  : 

La  pression  barométrique  de  Mexico  est  de  585mm.  Il  s’ensuit  qu’un  litre  d’air 
pesant,  au  niveau  des  mers,  13  décigrammes,  ne  pèse  plus  dans  cette  capitale  que 
1 gramme  à peu  près.  L’oxygène  figure  dans  l’un  et  dans  l’autre  cas  pour  la  pro- 
portion de  23,01  p.  100.  Ce  qui  nous  donne  pour  le  poids  d’un  litre  d’oxygène  au 
niveau  des  mers  299  milligrammes , tandis  que  ce  chiffre  se  trouve  réduit  à 
230  milligrammes  pour  la  hauteur  de  Mexico. 

Constatons  donc  une  différence  de  69  milligrammes  par  litre,  au  préjudice  de 
cette  localité. 

En  admettant  maintenant  comme  exact  le  calcul  qui  a évalué  à 16  le  nombre 
des  inspirations  que  fait  un  homme  dans  une  minute , nous  remarquons 
que  la  consommation  d’air  est  de  8 litres  dans  cet  intervalle  de  temps,  et,  par 
conséquent,  de  480  litres  dans  une  heure.  Mais  nous  avons  déjà  constaté  pour 
Mexico  une  perte  d’oxygène  de  69  milligrammes  par  litre.  Il  est  donc  incontesta- 
ble que,  dans  cette  capitale,  on  perd  le  bénéfice  de  33  grammes  d’oxygène  par 
heure  ou  de  794  grammes  par  jour.  (P.  65.) 

Après  avoir  ainsi  exposé  la  condition  principale  du  problème  phy- 
sico-physiologique, M.  Jourdanet  fait  observer  que  l’ardeur  du  soleil 
sur  les  hauteurs  de  l’Anahuac  doit  encore  agir  pour  diminuer  con- 
sidérablement la  densité  des  couches  d’air  voisines  du  sol,  et,  par 
suite,  l’endosmose  gazeuse  intra-pulmonaire. 

Ceci  posé,  il  rapproche  avec  sagacité  la  respiration  dans  un  air 
pur, mais  sous  faible  pression,  de  la  respiration  dans  un  air  pauvre 
en  oxygène,  mais  à la  pression  normale.  Et  répondant  alors  à l’ob- 
jection tirée  par  M.  Gavarret  des  travaux  de  MM.  Régnault  et 
Reiset,  objection  qui  venait  de  trouver  une  force  nouvelle  dans 
les  expériences  de  M.  Fernet,  il  fait  observer  avec  raison  que  si  la 
combinaison  chimique  de  l’oxygène  et  du  sang  était  absolument 
indépendante  de  la  pression,  on  devrait  vivre  aisément  non-seule- 
ment aux  plus  faibles  pressions  barométriques,  mais  dans  l’air  le 
plus  pauvre  en  oxygène,  ce  que  personne  n’admettra  : 

D’après  l’avis  de  M.  Gavarret  lui-même,  la  solubilité  de  l’oxygène  dans  le  sang  se 
trouve  diminuée  lorsque  la  quantité  d’oxygène  inspiré  est  amoindrie.  Il  est  donc 
incontestable  que,  quelque  efficace  et  nécessaire  que  soit  d’ailleurs  l’affinité  des 
globules  pour  l’oxygène  dans  l’acte  de  l’endosmose  respiratoire,  le  fait  seul  de  la 
raréfaction  de  ce  gaz  en  diminue  l’absorption  sur  les  altitudes  et  apporte  ainsi  un 
trouble  réel  aux  phénomènes  de  la  respiration.  (P.  69.) 


268 


HISTORIQUE. 


M.  Jourdanet  ajoute  alors  la  curieuse  observation  suivante  : 

Pour  que  les  convictions  que  nous  venons  de  manifester  fussent  dénuées 
d’exactitude  dans  les  résultats,  il  faudrait  que  la  raréfaction  et  la  légèreté  de 
l’atmosphère  fussent  compensées  à Mexico  par  des  inspirations  profondes  et  par 
une  respiration  en  général  plus  active  qu’au  niveau  des  mers.  On  croit  vulgaire- 
ment qu’il  en  est  ainsi,  et  cette  opinion  se  fonde  sur  l’observation  à laquelle  don- 
nent lieu  les  personnes  qui  s’élèvent  rapidement  dans  l’atmosphère,  ou  qui  ne 
font  sur  les  altitudes  qu’un  séjour  passager.  Elle  est  complètement  erronée.  La 
vérité  est  que  ceux  qui  habitent  à de  grandes  élévations  respirent  moins  vite  que 
les  hommes  dont  le  séjour  est  fixé  près  du  niveau  des  mers.  La  rareté  de  l’air, 
comme  nous  le  verrons  plus  loin,  produit  l’apathie  du  système  musculaire.  La 
poitrine  s’en  ressent  pour  sa  part.  J’ai  souvent  surpris  les  fonctions  sur  le  fait  en 
comptant  le  mouvement  respiratoire  sur  des  personnes  qui  n’y  prenaient  pas 
garde,  et  qui  se  trouvaient  en  état  de  repos  parfait.  Presque  toujours  je  consta- 
tais une  diminution  dans  le  nombre  d’ampliations  de  la  poitrine.  Quelquefois,  assez 
souvent  même,  on  oublie  de  respirer  et  l'on  est  obligé  de  remplacer  le  temps  perdu 
en  faisant  des  inspirations  profondes.  (P.  76.) 

Mais  cette  respiration,  si  calme  dans  le  repos  absolu,  prend  facilement  de  l’am- 
pleur sous  rinlluence  du  mouvement.  (P.  87.) 

Les  conséquences  de  cette  moindre  absorption  d’oxygène  sont 
faciles  à prévoir.  C’est  d’abord  une  moindre  activité  dans  la  produc- 
tion de  la  chaleur  animale,  alors  que,  en  raison  de  l’altitude,  il 
faudrait  que  celte  production  fût  augmentée. 

En  effet,  dit  excellemment  notre  auteur  : 

La  nature  prévoyante,  au  niveau  de  la  mer,  a établi  des  lois  qui  favorisent,  de 
la  part  de  l’atmosphère  , ces  variations  dans  la  production  de  chaleur  humaine. 
Car,  en  hiver,  l’air  refroidi  est  plus  dense,  et  contient,  sous  un  certain  volume, 
une  plus  grande  part  du  principe  vivifiant.  La  chaleur  des  étés  , au  contraire  , 
produisant  la  dilatation  de  l’atmosphère,  ne  donne  au  poumon  qu’une  proportion 
d’oxygène  en  rapport  avec  le  peu  de  calorique  que  le  corps  doit  produire.  C’est 
ainsi  que  la  source  où  nous  puisons  les  éléments  de  notre  respiration  varie  elle- 
même  dans  une  certaine  mesure  qui,  pour  le  niveau  des  mers,  est  un  bienfait 
de  la  Providence. 

Il  en  est  autrement  sur  les  altitudes,  où  la  densité  de  l’air,  amoindrie  par  la 
diminution  de  la  pression  barométrique,  n’est  plus  en  rapport  avec  la  tempéra- 
ture qui  nous  entoure,  mais  bien  avec  la  hauteur  où  nous  sommes  parvenus.  Et  re- 
marquez tout  d’abord  ce  fait  d’une  importance  extrême  : tandis  qu’au  niveau  de 
l’Océan  les  causes  extérieures  qui  nous  refroidissent  prennent  soin  de  nous  don- 
ner les  moyens  de  combattre  cet  abaissement  de  température,  à Mexico,  au  con- 
traire, la  diminution  de  pression  qui  produit  du  froid  dans  l’air  altère  pour  nous 
la  source  de  chaleur  en  nous  forçant  à respirer  une  atmosphère  raréfiée.  De  sorte 
que,  d’un  côté,  la  dilatabilité  de  l’air  augmentée  et  l’évaporation  rendue  plus  fa- 
cile, nous  refroidissent  sans  cesse,  pendant  que,  d’autre  part,  l’oxygène  devenu 
plus  rare  nous  refuse  les  moyens  normaux  de  calorification. 

C’est  sur  ces  données  si  claires  et  si  précises  que  repose  tout  entière  l’origina- 
lité physiologique  des  altitudes.  (P.  85.) 


THEORIES  ET  EXPERIENCES. 


269 


Il  n’est  donc  pas  étonnant  de  voir  que  : 

Les  personnes  en  état  de  repos  se  refroidissent  avec  la  plus  grande  facilité. 
Leurs  membres  inférieurs  ne  sont  presque  jamais  chauds.  L’exercice  musculaire 
activerait  la  circulation  et  les  mouvements  respiratoires;  mais  le  sang,  appauvri 
d'oxygène,  produit  l’apathie  des  muscles  et  fait  aimer  le  repos.  Ici  se  réalise  donc 
le  résultat  de  l’expérience  faite  par  M.  Becquerel  sur  la  fibre  musculaire  qui  perd 
sa  contractilité  et  s’engourdit  quand  le  contact  du  sang  artériel  lui  fait  défaut. 
( P.  86.  ) 

Ici,  M.  Jourdanet  rencontre  le  phénomène  décrit  par  tous  les  voya- 
geurs en  montagne, de  la  fatigue  exagérée,  de  la  douleur  des  cuisses, 
de  la  pesanteur  des  membres  inférieurs  ; il  proleste  énergique- 
ment contre  l’explication  des  frères  Weber,  acceptée  par  de  Humboldt 
et  presque  tous  les  auteurs  consécutifs,  explication  qui,  selon  sa 
juste  expression,  « ne  supporte  pas  un  examen  sérieux  » : 

Si  nous  évaluons,  en  effet,  en  centimètres  carrés,  la  surface  au  plan  d’ouver- 
ture de  la  cavité  cotyloïde  dont  le  diamètre  est  de  54  millimètres,  nous  trouvons 
22,89  centimètres  carrés  qui,  multipliés  par  1005  grammes,  poids  équivalent  à 
un  centimètre  carré  de  surface,  nous  donnent  25  645  grammes,  pour  représenter 
le  poids  réel  dans  la  cavité  articulaire.  Si  nous  voulons  bien  nous  rappeler  que 
beaucoup  de  voyageurs  ont  senti  la  fatigue  musculaire  qui  nous  occupe  , lors- 
qu’ils avaient  à peine  franchi  un  quart  de  pression  atmosphérique,  nous  remar- 
querons que  ce  phénomène  s’est  présenté  lorsque  la  cuisse  était  encore  soutenue 
par  un  poids  de  17  kil.  751  gr.  Nous  ne  comprenons  pas  pourquoi  un  membre, 
qui  peut  bien  peser  au  plus  15  livres,  aurait  si  peu  de  respect  pour  les  21  livres 
d’excédant  qu’il  entraînerait  dans  sa  chute.  (P.  89.) 

La  véritable  raison,  scion  M.  Jourdanet,  se  formule  ainsi  : 

Ce  phénomène  se  présente  lorsque  le  sang , peu  oxygéné , fait  diminuer  nota- 
blement la  faculté  contractile  de  la  libre  musculaire.  Le  membre  abdominal  se 
refuse  alors  à remplir  ses  fonctions  normales  et  avertit  par  la  douleur  que  le  tra- 
vail est  au-dessus  de  ses  forces.  La  même  chose  arriverait  aux  autres  muscles  du 
corps,  si  on  exigeait  d’eux  les  efforts  exagérés  que  l’ascension  attend  des  muscles 
de  la  cuisse.  (P.  89.) 

En  résumé  : 

Les  symptômes  du  fameux  mal  des  montagnes  : vertiges,  lipothymies,  vomis- 
sements, — qu’est-ce  autre  chose,  sinon  : anémie  cérébrale  par  défaut  du  stimu- 
lant de  l’oxygène  artériel  ; engorgement  du  système  veineux,  et  surtout  de  la 
veine-porte  et  du  foie  ; m;tis,  par-dessus  tout,  engourdissement  de  la  fibre  mus- 
culaire pour  la  môme  cause. 

Toujours  et  partout  : défaut  de  la  quantité  normale  d’oxygène  dans  la  circula- 
tion du  sang  artériel.  (P.  90.) 

La  plus  grande  partie  du  livre  est  consacrée,  comme  son  titre 
l’indique,  à l’étude  des  maladies  du  Mexique.  Partout  M.  Jourdanet  y 


270 


HISTORIQUE. 


trouve  prédominante  l’influence  de  cette  anémie  d’un  ordre  spécial 
« conséquence  d’une  endosmose  respiratoire  imparfaite.  » C’est 
même,  comme  il  le  dit  clairement  dans  ses  ouvrages  subséquents, 
c’est  cette  constitution  médicale  , étrange  qui,  mettant  en  éveil  sa 
sagacité  de  praticien,  Fa  amené  à réfléchir  sur  les  conditions  fâ- 
cheuses pour  la  respiration  et  la  nutrition  que  présenté  le  séjour 
prolongé  sur  les  hauts  plateaux  de  FAnahuac. 

Je  citerai  seulement  le  passage  suivant,  parce  qu’il  offre  une  sorte 
de  résumé  de  ce  remarquable  ouvrage,  et  qu’on  y trouve  une  part 
donnée  à la  pression  en  tant  qu’agent  mécanique,  part  simplement 
adjuvante  de  son  action  chimique  : 

Nous  avons  déjà  vu  le  sang,  mollement  accueilli  et  paresseusement  chassé  par 
les  centres  nerveux  , congestionner  le  cerveau  et  la  moelle  épinière  d’individus 
faibles,  déjà  maltraités  par  le  climat.  Nous  dirons  les  troubles  de  plus  d’un  genre 
du  tube  digestif  dont  plusieurs  devront  leur  origine  au  ralentissement  circula- 
toire et  aux  engorgements  capillaires  du  système  veineux  intestinal.  L’utérus  a 
réveillé  notre  attention  par  des  phénomènes  de  même  nature.  Nous  prendrons 
occasion  de  dire  ici  que  les  congestions  pulmonaires  sont  fréquentes  à Mexico  et 
trop  souvent  mortelles.  Enfin,  plus  fréquemment  que  tous  les  autres  organes,  le 
foie  s’imbibe  de  sang  et  puise  à cette  source  mille  accidents  dont  les  conséquen- 
ces déplorables  comptent  fréquemment  parmi  les  causes  de  mort. 

Ainsi  donc,  plus  de  doute,  l’altitude  favorise  les  stases  veineuses.  Quand  elles 
sont  superficielles,  on  ne  saurait  nier  que  la  diminution  de  la  pression  de  l’air  n’a- 
gisse, pour  le  résultat,  dans  un  sens  purement  mécanique.  Les  réseaux  capillaires 
superficiels,  privés  de  leur  soutien  extérieur  naturel,  se  laissent  dilater  avec  une 
facilité  d’autant  plus  grande  que  le  poids  est  plus  amoindri.  Si,  à cette  première 
cause,  vous  rattachez  un  sang  trop  peu  stimulant  du  côté  des  artères,  trop  abon- 
dant en  général  du  côté  des  veines,  vous  arrivez  à la  trinité  étiologique  : adjuvant 
extérieur  amoindri,  paresse  organique,  engorgement  général  du  système  vei- 
neux; trinité  dont  les  effets  se  porteront  tour  à tour  sur  différents  points  de  l’or- 
ganisme, selon  que  les  troubles  de  l’innervation  les  auront  préalablement  dispo- 
sés. (P.  254.) 

Deux  années  plus  tard,  parut  un  long  mémoire  du  même  au- 
teur1. 

Le  titre  seul  de  ce  second  travail,  V Anémie  des  altitudes,  indi- 
que la  pensée  de  M.  Jourdanet  : pour  lui  « les  habitants  des  grandes 
élévations,  au  delà  de  2000m,  sont  généralement  anémiques  »,  et 
cet  état  se  manifeste  tout  particulièrement  aux  yeux  du  praticien 
par  la  constitution  médicale.  Et  cependant,  l’analyse  chimique  du 
sang  vient  apporter  une  contradiction  singulière  à ce  que  révélait 
l’observation  clinique  : 

1 De  l'Anémie  des  Altitudes  et  de  l'Anémie  en  général,  dans  ses  rapports  avec  la 
pression  de  l'atmosphère.  — Paris,  1863. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


271 


En  1849,  étant  à Puebla,  j’ai  voulu  m’assurer  par  l’examen  analytique  du  sang 
si  la  proportion  des  globules  s’y  trouverait  diminuée.  Je  fis  une  première  recherche 
à propos  d’un  jeune  homme  de  vingt-cinq  ans  que  je  savais  souffrant  de  gastralgies 
et  de  vertiges.  Il  tomba  de  cheval,  et  les  suites  de  cette  chute  rendirent  une  saignée 
nécessaire.  Ce  fut  sur  le  sang  obtenu  dans  ces  circonstances  qu’eurent  lieu  mes 
essais  analytiques.  Ils  me  démontrèrent  que  les  globules  y figuraient  pour  151/1000. 
Je  renouvelai  mes  expériences  sur  quatre  jeunes  femmes  qui  furent  saignées  à 
l’occasion  d’accidents.  Leur  pâleur,  leur  abattement  général,  leur  état  nerveux,  les 
présentaient  comme  des  personnes  atteintes  de  chloro-anémie,  quoique  l’auscul- 
tation ne  fît  reconnaître  aucun  souffle  artériel.  Leur  sang  fournit  les  proportions 
normales  de  globules.  (P.  8.) 

Quelle  est  l’explication  de  cette  contradiction  apparente?  C’est 
que  : 

Le  principal  rôle  des  globules  sanguins  est  de  servir  de  support  au  véritable 
agent  qui  nous  fait  vivre.  Lors  donc  que  leur  proportion  diminue  dans  le  sang,  il 
est  sans  doute  exact  de  dire  qu’il  y a maladie  à la  suite  de  l’amoindrissement  des 
globules;  mais  on  déterminerait  la  cause  immédiate  des  symptômes  de  l’affection, 
d’une  manière  plus  essentielle,  si  l’on  attribuait  son  existence  à la  soustraction  de 
l’oxygène.  Je  crois  être  d’autant  plus  fondé  à m’exprimer  de  la  sorte,  que  si,  dans 
le  fait  de  l’anémie,  nous  ramenons  l’attention,  comme  il  est  naturel  de  le  faire, 
sur  la  proportion  diminuée  de  ce  gaz  en  circulation,  nous  voyons  plusieurs  causes 
qui  peuvent  produire  cette  anomalie  circulatoire,  sans  qu’il  soit  nécessaire  de 
l’expliquer  par  une  diminution  globulaire.  C’est  là,  précisément,  le  fait  de  l’anémie 
des  altitudes.  (P.  10.) 

M.  Jourdanet  résume  son  opinion  dans  les  propositions  suivantes  : 

1°  Les  globules  et  la  pression  barométrique  s,ont  les  régulateurs  de  la  densité 
de  l’oxygène  dans  le  sang; 

2°  Les  troubles  qui  s’établissent  dans  l’une  ou  l’autre  de  ces  deux  forces  doivent 
nécessairement  affecter  l’hématose  ; 

5°  L’oxygène  étant  l’agent  vital  par  excellence,  sa  diminution  par  défaut  de 
globules  fait  la  faiblesse  des  anémiques  ; sa  diminution  dans  le  sang  par  défaut 
de  pression  doit  produire  le  même  résultat  ; 

4°  C’est  pour  cela  que  les  sujets  qui  respirent  les  atmosphères  des  grandes 
élévations,  doivent  avoir  leur  santé  altérée  au  même  titre  que  les  anémiques  des 
niveaux  inférieurs  ; 

5°  L’anoxyhémie  des  altitudes  a donc  son  analogue  dans  P anémie  hypo-globulaire 
du  niveau  de  la  mer.  (P.  21.) 

Or,  comme  les  individus  pléthoriques  ont  dans  le  sang  une  pro- 
portion considérable  de  globules,  il  n’est  pas  étonnant,  comme  le 
dit  M.  Jourdanet,  qu’on  les  voie  souvent  : 

Gravir  les  escarpements  du  Popocatepetl  et  puiser  à 17  700  pieds  des  éléments 
complets  de  vie,  tandis  que  leurs  compagnons  de  voyage,  moins  bien  constitués, 
succombaient  au  mal  des  montagnes.  (P.  22.) 

S’attachant  alors  à une  étude  plus  détaillée  du  phénomène  domi 


272 


HISTORIQUE. 


nateur  dont  il  a indiqué  précédemment  le  sens  général  ; tenant 
compte  des  expériences  de  Magnus  et  de  M.  Fernet,  et  des  siennes 
propres,  M.  Jourdanet  arrive  aux  remarquables  conclusions  que 
nous  reproduisons  textuellement  : 

1°  De  76  à 65  centim.,  le  vide  partiel  n’a  d'action  que  sur  la  partie  des  gaz  du 
sang  qui  s’y  trouve  retenue  par  solubilité  pure; 

2°  Sous  l’influence  de  cette  première  dépression  barométrique,  le  dégagement 
d’acide  carbonique  est  bien  supérieur  à la  perte  d’oxygène,  d’où  résulte  pour  celui- 
ci  une  plus  grande  liberté  d’action; 

5°  Il  se  peut  donc,  qu’une  élévation  modérée  ne  diminuant  pas  d’une  manière 
sensible  la  densité  de  l’oxvgène  du  sang,  tandis  qu’elle  en  soustrait  une  partie 
notable  d’acide  carbonique,  agisse  sur  l’homme  dans  le  sens  d’une  action  tonique 
et  fortifiante  ; 

4°  Quant  à la  partie  d’oxygène  qu’une  affinité  faible  permet  de  considérer  comme 
étant  retenue  par  une  action  chimique,  son  dégagement  du  sang  n’obéit  à la  dé- 
pression barométrique  que  lorsqu’elle  approche  de  60  centimètres; 

5°  C’est  donc  à compler.du  voisinage  de  cette  limite  que  la  densité  de  l’oxygène 
du  sang  se  trouve  sérieusement  diminuée,  et  c'est  alors  que  l’anémie  des  altitudes 
commence  ; 

6°  On  peut  donc  comprendre  qu’une  altitude  modérée  soit  un  moyen  puissant 
de  guérir  l’anémie,  tandis  que  cette  même  affection  est  une  conséquence  naturelle 
du  séjour  sur  une  altitude  considérable.  (P.  57.) 

Enfin,  en  1864,  un  troisième  ouvrage1  reproduit  avec  des  déve- 
loppements nouveaux  les  idées  émises  dans  les  travaux  auxquels 
je  viens  d’emprunter  de  nombreuses  citations.  Je  ne  puis  cepen- 
dant m’empêcher  d’extraire  d’un  de  ses  chapitres  sur  le  mal  des 
montagnes,  l’explication  si  nette  donnée  de  cet  ensemble  d’acci- 
dents, explication  à laquelle  nous  n’avons  rien  d’important  à chan- 
ger dans  les  conclusions  du  présent  livre  : 

L’homme  qui  se  transporte  rapidement  sur  un  point  très-élevé  se  trouve  privé 
d’une  certaine  quantité  de  l’oxygène  dont  il  recevait  habituellement  une  action 
stimulante  nécessaire  au  plein  exercice  de  ses  forces.  Certes,  ce  qui  lui  eu  reste, 
après  son  ascension,  est  encore  susceptible  d’entretenir  la  vie  et  même  le  jeu 
régulier  des  fonctions.  Mais  l’homme  ne  saurait  supporter  sans  accidents  passagers 
une  soustraction  subite  qui  diminue  les  ressources  auxquelles  le  système  nerveux 
est  dans  l’habitude  de  puiser  son  influence.  La  fibre  musculaire  se  refuse  aussi 
à remplir  sa  tâche  au  contact  d’un  oxygène  affaibli.  On  voit  alors  apparaître  ces 
phénomènes  que  les  hémorrhagies  nous  ont  rendus  familiers.  Sous  l’impression 
causée  par  une  perte  de  sang,  l’organisme,  nous  le  savons,  perd  tout  à coup  une 
partie  importante  de  son  stimulant  normal  ; on  a le  vertige,  les  muscles  s’affaissent, 
les  nausées  surviennent,  et  le  malade  est  pris  de  syncope  d’autant  plus  vite  que 
sa  position  le  rapproche  davantage  de  la  station  verticale 

La  faiblesse  produite  par  la  saignée  est  évidemment  la  conséquence  d’une  pri- 
vation subite  d’oxygène  par  la  perte  d’une  certaine  quantité  de  globules,  de  même 

1 Le  Mexique  et  l’ Amérique  tropicale:  climat,  hygiène  et  maladies.  — Paris,  1864. 


273 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 

que  le  mal  des  montagnes  provient  d’une  soustraction  plus  directe  du  même  gaz. 
De  sorte  que,  n’en  doutons  pas,  une  ascension  au  delà  de  3000  mètres  équivaut 
à une  désoxygénation  barométrique  du  sang,  comme  une  saignée  en  est  une  désoxygé- 
nation globulaire.  (P.  92.) 

Ces  travaux  suscitèrent  bientôt  une  polémique  qui  ne  laissa  pas 
d’être  assez  vive.  Un  corps  expéditionnaire  français  venait  d’être 
envoyé  au  Mexique,  et  les  conclusions  de  M.  Jourdanet  n’étaient 
rien  moins  qu’encourageantes  pour  ceux  qui  rêvaient  l’établisse- 
ment d’un  empire  latin  qu’appuierait  une  colonie  française  établie 
sur  les  hauts  plateaux  de  UAnahuac. 

Michel  Lévy,  alors  directeur  de  l’école  de  médecine  et  de  chirur- 
gie militaires,  s’en  émut  et  crut  devoir  ouvrir  sur  l’exactitude  des 
faits  signalés  par  M.  Jourdanet  une  sorte  d’enquête,  dont  le  docteur 
L.  Coindet,  chef  du  service  médical  de  la  2e  division  de  l’armée 
française,  consentit  à se  charger. 

La  première  lettre  envoyée  par  cet  observateur  à son  chef  hiérar- 
chique, s’occupait  à contrôler  l’assertion  de  M.  Jourdanet,  sur  le 
ralentissement  du  mouvement  respiratoire  : 


Assertion,  disait  Michel  Lévy,  qui  heurte  l’opinion  admise  jusqu’à  présent,  que, 
sous  l’influence  d’une  diminution  de  pression  atmosphérique,  la  respiration  s’ac- 
célère pour  compenser  par  le  nombre  des  inspirations  la  proportion  moindre 
d’oxygène  dans  un  même  volume  d’air1. 


Dans  ce  document2,  L.  Coindet  rapporte  les  résultats  de  1500 
observations  faites  sur  des  Mexicains  et  des  Français  arrivés  sur  les 
hauts  plateaux,  observations  dans  lesquelles  il  a compté  le  nombre 
des  mouvements  respiratoires.  Je  reproduis  ici  le  résumé  de  ses  ta- 
bleaux : 


Français.  Mexicains. 

Au-dessous  de  16  inspir.  à la  minute 54  25 

A 16  inspir 70  54 

Au-dessus  de  16  inspir „ 626  671 

"750  75Ô 

Moyenne  générale  des  inspir.  à la  minute 19,56  20,297 

D après  cette  masse  de  faits,  ajoute  notre  auteur,  le  doute  n’est  plus  permis, 
et  il  est  bien  positif  que  ceux  qui  habitent  ici  ne  respirent  pas  moins  vite  que  les 
hommes  dont  le  séjour  est  fixé  à 2277  mètres  plus  bas. 


Plus  loin,  Coindet  déclare  : 

Qu  indépendamment  de  l’activité  plus  grande  de  la  respiration,  les  inspirations 

1 Gazette  hebd.  de  niéd.  et  de  chir.,  1863,  p.  777. 

2 Gaz.  hebd.  de  méd.  et  de  chir.,  1863,  p.  778-781. 


18 


274  HISTORIQUE. 

sont  généralement  amples,  larges,  profondes,  et  d’autant  plus  qu’elles  sont  moins 
nombreuses. 

Il  affirme  alors,  sans  avoir  pris  cependant  aucune  mesure  exacte 
sur  ce  point  : 

Que,  de  la  sorte,  l’équilibre  s’établit  toujours,  et  que  la  fonction  tend  con- 
tinuellement à se  mettre  en  rapport  avec  la  raréfaction  et  la  légèreté  de  l’at- 
mosphère. 

Puis,  conclusion  singulièrement  rapide  et  qui  semble  indiquer 
de  la  part  de  notre  auteur  un  bien  grand  désir  d’être  aisément  con- 
vaincu, de  ces  observations  sur  le  rhythme  respiratoire  Coindet 
n’hésite  pas  à tirer  aussitôt  la  conséquence  grave  : 

Que  ce  qui  a été  écrit  relativement  à l’insuffisance  de  l’oxygénation  du  sang 
sur  les  altitudes,  comme  conséquence  d’un  prétendu  ralentissement  de  la  respira- 
tion, semble  devoir  être  considéré  comme  non  avenu....  Il  se  pourrait  très-bien 
que  l’anémie,  soi-disant  mexicaine,  ne  repose  que  sur  le  teint  jaunâtre  propre 
aux  indigènes  ! 

Viennent  ensuite  des  observations  sur  le  nombre  des  pulsations 
et  les  mesures  comparatives  de  l’amplitude  de  la  poitrine  chez  les 
Français  et  chez  les  Mexicains.  Nous  reviendrons  plus  loin  sur  ces 
derniers.  Relativement  au  pouls  : 

Je  l’ai,  dit  Coindet,  tâté  à plusieurs  reprises,  sans  aucune  prétention,  et  j’ai 
même  compté  les  battements  du  cœur  qui  concordaient  avec  ceux  des  artères. 

En  définitive,  il  trouve,  comme  nombre  moyen  de  pulsations, 
76,216  chez  les  Français  et  80,24  chez  les  Mexicains. 

La  seconde  lettre1  traite  « de  Facclimatement  sur  les  altitudes 
du  Mexique  » ; elle  ne  contient  qu’une  description  sommaire  des 
races  du  Mexique,  et  quelques  indications  météorologiques.  J’y  re- 
lève cependant  le  passage  suivant,  qui  ne  manque  pas  d’intérêt  : 

Après  notre  passage  du  Cumbre,  quand  nous  arrivâmes  au-dessus  de  2000  mè- 
tres d’élévation,  alors  la  respiration,  la  circulation,  et  consécutivement  l’absorp- 
tion, l’exhalation  et  la  nutrition  éprouvèrent  des  modifications  sensibles.  Nous 
remarquâmes  une  tendance  des  fluides  du  corps  à se  porter  à la  périphérie,  d’où 
embarras  de  la  circulation,  congestions  diverses,  hémorrhagies  cérébrales,  pulmo- 
naires, nasales,  ainsi  que  j’en  ai  cité  plusieurs  exemples  ; la  difficulté  de  respirer, 
qui  nous  rendait  haletants,  anhéleux  ; malaise  général , nous  faisant  trouver  le 
temps  lourd,  bien  qu’il  fut  réellement  plus  léger;  gêne  des  mouvements,  fatigue 
plus  facile,  et  ces  phénomènes  furent  surtout  marqués  chez  les  hommes  du  95e  de 
ligne,  qui  comme  nous  n’avaient  pas  séjourné  longtemps  à Orizaba,  et  qui  étaient 


* Gaz.  hebcl.,  1863,  p.  817-821. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


275 


passés  assez  brusquement  du  niveau  des  mers  à une  élévation  assez  considérable. 
Peu  à peu  l’organisme  de  tous,  en  conflit  d’abord  avec  un  milieu  pour  lequel  il 
n’avait  pas  été  créé,  s’est  adapté  progressivement  à ce  milieu,  et  aujourd’hui,  après 
dix  mois  de  séjour  sur  l’Anahuac,  il  s’est  transformé  en  telle  sorte  qu’il  se  rap- 
proche de  celui  de  l’Indien.  (P.  817.) 

La  troisième  lettre1  est  pour  nous  beaucoup  plus  importante.  On 
y trouve  le  récit  des  analyses  pratiquées  au  laboratoire  de  l’école  des 
mines  de  Mexico,  sous  la  direction  du  professeur  Murfî,  dans  le  but 
de  mesurer  la  quantité  d’acide  carbonique  formée  dans  un  temps 
donné  par  des  habitants  des  hauts  plateaux.  25  individus,  dont  10 
Français,  10  Indiens  ou  métis,  et  5 Mexicains  d’origine  européenne, 
ont  été  mis  en  expérience.  Les  résultats  moyens,  pour  les  Français, 
par  exemple,  sont  renfermés  dans  le  tableau  suivant  : 


Nombre  des  inspirations  à la  minute 19,6 

— pulsations 78,2 

Quantité  d’air  expiré  en  une  minute 5m,90 

Moyenne  d’acide  carbonique  pour  100  à la  minute 4,24 


Si  nous  laissons  de  côté  la  discussion  à laquelle  se  livre  Coindet 
sur  les  petites  différences  de  détails  constatés  entre  les  représen- 
tants des  diverses  races  sur  lesquels  il  a expérimenté,  nous  trou- 
vons que  ces  constatations  lui  inspirent  les  réflexions  suivantes  : 

La  moyenne  d’air  expiré  à la  minute  admise  par  M.  Dumas  étant  de  5litres,5  au 
niveau  des  mers,  nous  avons  ici  d’une  manière  générale,  toujours  une  fois  l’ac- 
climatation produite,  6 lit.  environ.  Ceci  devait  être,  car  l’air  des  altitudes  renfer- 
mant sous  un  volume  donné  moins  d’oxygène  à 0m,58  ou  0m,59  de  pression  baromé- 
trique qu’à  Uia,76,  il  était  nécessaire  d’absorber  une  plus  grande  quantité  de  cet 
air  pour  compenser  la  différence  : c’est  ce  à quoi  on  arrive  par  une  activité  plus 
grande  de  la  respiration  ; de  sorte  que  l’air  qui  est  introduit  dans  les  poumons, 
et  qui  en  est  exhalé,  est  toujours  d’un  tiers  de  litre  environ  pour  chaque  inspira- 
tion et  chaque  expiration. 

L’air  expiré  par  riioinme  au  niveau  des  mers  renfermant  de  5 à 5 parties 
d’acide  carbonique  pour  100,  il  résulte  de  nos  expériences  que  sur  l’Anahuac  la 
moyenne  n’est  pas  moins  élevée,  puisque,  pour  25  sujets,  elle  est  de  4,56. 

Or,  il  résulte  de  105  observations  faites  au  niveau  des  mers  par  MM.  Brunner 
et  Valentin,  que  la  quantité  d’acide  carbonique  contenne  dans  l’air  expiré  est  de 
4,267  pour  100.  M.  Vierordt2,  qui  a tenté,  à cet  égard,  près  de  600  expériences, 
est  arrivé  à peu  de  chose  près  aux  mêmes  résultats.  L’air  expiré  contient  en 
moyenne  4,556  pour  100. 

Notre  moyenne  ne  diffère  pas  de  cette  dernière,  si  l’on  tient  compte  de  la 
diminution  de  pression  atmosphérique  qui,  comme  on  ne  l’ignore  pas  (?),  aug- 
mente un  peu  la  proportion  d’acide  carbonique  exhalé. 

1 Gaz.  hebd.,  1864,  p.  35-57. 

2 La  moyenne  de  la  circulation  aérienne  intra-pulmonaire  était  précisément  pour 
Vierordt  de  6 litres,  c’est-à-dire  égale  à celle  constatée  par  Coindet. 


276 


HISTORIQUE. 


On  n’est  pas  peu  surpris,  après  cette  longue  énumération  défaits, 
de  voir  Coindet  s’écrier  avec  un  accent  de  triomphe  : 

Absorption  d’oxygène,  exhalation  d'acide  carbonique  constituent,  au  point  de 
vue  chimique  de  la  respiration,  deux  termes  liés  l'un  à l’autre.  D’autre  part,  la 
modification  dans  les  qualités  de  l’air  expiré  et  les  changements  correspondants 
dans  la  constitution  du  sang,  sont  les  deux  termes  du  problème  physico-chimique 
de  la  respiration. 

Il  ne  peut  donc  rester  de  doute  sur  ce  que  l’on  doit  penser  de  la  prétendue 
insuffisance  d’oxygénation  du  fluide  sanguin  sur  les  altitudes. 

La  Gazette  hebdomadaire  contient  encore  une  autre  série  de  let- 
tres adressées  par  Coindet  à Michel  Lévy1,  sous  le  titre  général  : 
« Études  statistiques  sur  le  Mexique  »,  consacrées  à la  patho- 
logie, à la  météorologie,  etc.  Elles  ne  touchent  que  rarement  aux 
questions  purement  physiologiques.  On  voit  que,  pour  ce  médecin, 
tout  est  résolu  par  ses  recherches  précédentes,  et  qu’il  est  bien 
prouvé,  comme  il  le  dit  en  maintes  circonstances,  que  sur  les  hauts 
lieux  l’homme  compense  exactement,  par  le  nombre  et  l’amplitude 
des  mouvements  respiratoires,  ce  que  tendrait  à lui  faire  perdre  en 
oxygène  la  moindre  densité  de  l’air;  en  telle  sorte  que  l’équilibre 
est  régulièrement  maintenu.  Je  ne  trouve  à reproduire  textuelle- 
ment que  le  passage  suivant,  dans  lequel  se  montre  l’opinion  que 
se  fait  notre  auteur  de  la  cause  du  mal  des  montagnes. 

Le  5 juin  1865,  dit-il,  en  compagnie  du  Dr  Laval,  je  montai  presque  au  sommet 
de  l’Iztaccihuatl  (^dSô"4)....  Notre  bouche  et  notre  gorge  étaient  sèches;  nous 
avions  les  jarrets  brisés;  notre  respiration  était  haletante,  précipitée,  profonde, 
souvent  entrecoupée;  notre  pouls,  petit,  donnait  128  pulsations.  Mais  nous  ne 
ressentions  pas  encore  de  malaise,  de  céphalalgie,  de  disposition  nauséuse,  ce 
qui  constitue,  en  un  mot,  le  mal  des  montagnes,  dans  lequel,  entre  parenthèse, 
l’accélération  de  la  circulation  n’est  sans  doute  pas  sans  avoir  une  grande  part 
par  son  influence  congestive. 

M.  Jourdanet  ne  laissa  pas  sans  réponse  des  lettres  qui  contredi- 
saient sur  presque  tous  les  points  ses  assertions  physiologiques  et 
médicales,  et  laissaient  croire  qu’il  ne  pouvait  y avoir  quelque 
chose  d’exact  « dans  un  livre  »,  ce  sont  les  expressions  mêmes  de 
Coindet,  « si  opposé,  je  m’en  félicite,  à tout  ce  que  j’ai  écrit.  » Sans 
relever  ce  qui  regarde  la  pathologie,  nous  irons  droit  à la  réponse 
péremptoire  qu’oppose  M.  Jourdanet2,  non  aux  faits  rapportés  par 
Coindet,  mais  aux  conclusions  qu’en  tire  ce  médecin  : 


1 Gaz.  hebd.,  1864,  p.  254,  265,  571,  450,  545,  579,  674. 

2 Gaz.  hebd.,  1865,  p.  145-151. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


277 


M.  Coindet  affirme  que  la  respiration  n’est  pas  seulement  accélérée,  mais 
qu’elle  est  ample , large , profonde.  Or,  quelles  sont  cette  ampleur,  cette  largeur 
et  cette  profondeur?  Nous  en  trouvons  la  mesure  non  équivoque  dans  le  passage 
de  sa  correspondance  où  nous  voyons  que  25  sujets  ont  donné  une  moyenne 
de  6 litres  d’air  respiré  par  minute,  pour  20  inspirations.  C’est  donc  une  moyenne 
de  50  centilitres  d’air  pour  chaque  mouvement  respiratoire.  Or,  il  est  évident 
que  ce  volume  d’air  ne  représente  qu’une  ampleur  thoracique  fort  médiocre.... 

Notre  confrère  n’est  pas  plus  heureux  lorsqu’il  affirme  que,  sur  les  grandes 
hauteurs  de  l’Anahuac,  en  un  temps  donné,  il  passe  plus  d’air  dans  la  poitrine 
qu’au  niveau  de  la  mer  ; car  les  6 litres  qu’il  a recueillis  chez  les  sujets  de  ses 
observations  ne  dépassent  pas  la  moyenne  fort  ordinaire  fournie  par  les  hommes 
de  20  à 30  ans  sous  la  pression  de  76  centimètres.  Et  encore  est-il  juste  de  faire 
observer  que,  vu  la  raréfaction  de  l’air  de  Mexico,  ces  6 litres  ne  pèsent  que 
6 grammes,  au  lieu  de  7ïr,8,  poids  du  même  volume  d’air  au  niveau  de  la  mer.... 

Donc,  d’après  M.  Coindet  lui-même,  à 2277“  d’altitude,  la  respiration  n’est  ni 
plus  ample,  ni  plus  large,  ni  plus  énergique  qu’au  niveau  de  la  mer.  (P.  150.) 

La  réponse  paraît  péremptoire  suc  ce  point  de  la  question.  Res- 
tent. les  considérations  d’ordre  chimique. 

Ici,  M.  Jourdanet  relève,  dans  la  rédaction  de  Coindet,  une 
obscurité  qui  aura  sans  doute  frappé  déjà  nos  lecteurs,  mais  qui 
rend  tout  à fait  incompréhensible  la  lecture  des  diverses  observa- 
tions contenues  dans  le  mémoire  lui-même.  Nous  avons,  dans 
le  tableau  reproduit  plus  haut  (p.  275),  copié  textuellement  ces 
mots  : moyenne  d'acide  carbonique  pour  100  à la  minute  : 4,24. 
Que  signifie  celte  indication?  A-t-elle  rapport  à une  proportion 
cenlésimale  estimée  en  volume,  ou  à un  poids?  Cette  question  se 
pose  à propos  de  chacune  des  observations.  Or, 

On  est  tout  surpris,  dit  avec  raison  M.  Jourdanet,  de  l’obscurité  qui  règne  dans 
le  compte  rendu  de  M.  Coindet.  Prenons,  par  exemple,  la  première  expérience  : 

« H.  Staines....  Nombre  d’inspirations  à la  minute  22;  nombre  de  litres  d’air 
en  une  minute  6,4;  acide  carbonique  pour  cent  4,64.  » 

En  présence  de  ces  6,4  litres  d’air  respiré  par  le  sujet  des  expériences,  on  ne 
saurait  s’empêcher  de  croire  que  les  4,64  pour  100  d’acide  carbonique  désignent 
en  volume  aussi  la  quantité  proportionnelle  de  ce  gaz.  Mais  plus  loin  (Gaz.,  1864, 
p.  56,  lro  col.),  ces  chiffres  se  trouvent  reproduits  sous  le  titre  de  : Poids  pour 
100  d'acide  carbonique  expiré  dans  une  minute,  évidemment  la  rédaction  n’est 
pas  claire. 


Nous  répéterons  avec  M.  Jourdanet  : évidemment  la  rédaction  n’est 
pas  claire  ; mais  une  circonstance  importante  jette  sur  elle  un  jour 
complet.  C’est  le  rapprochement  que  fait  Coindet  du  chiffre  qu’il  a 
obtenu  avec  ceux  de  Vierordt,  de  Brünner  et  de  Valentin.  Or,  ces 
physiologistes  ont  très-certainement  désigné  la  proportion  centési- 
male en  volume,  et  Coindet  n’a  pu  faire  là-dessus  de  confusion, 


278 


HISTORIQUE. 


puisque  le  passage  que  nous  avons  copié  plus  haut  est  la  reproduc- 
tion textuelle  d’un  alinéa  du  livre  si  justement  populaire  de  M.  Bé- 
clard1,  duquel  ont  été  seulement  retranchés  les  mots  « pour  100  en 
volume  ».  Il  s’agit  donc  bien,  aux  yeux  de  Coindet,  d’une  proportion 
en  volume,  et  ses  expériences  mômes  montreraient,  s’il  en  était 
ainsi,  une  considérable  diminution  dans  les  combustions  intra- 
organiques sur  le  plateau  mexicain,  puisque  la  quantité  (en  vo- 
lume) d’acide  carbonique  exhalé  y étant  la  même  qu’au  niveau  des 
mers,  la  quantité  en  poids  serait  évidemment  bien  inférieure,  infé- 
rieure dans  un  rapport  mesuré  par  la  diminution  même  de  la  pres- 
sion atmosphérique. 

Mais  voici  bien  autre  chose.  M.  Jourdanet,  qui  se  trouvait  alors  à 
Mexico,  tenant  à s’éclairer  sur  cette  question  douteuse,  interroge 
M.  Murfi,  « véritable  auteur  de  ces  analyses  »,  et  il  en  obtient  une 
réponse  montrant  clairement  que: 

Les  expériences  du  Collège  des  mines  ont  donné  en  moyenne  4 grammes  et 
51  centigrammes  d’acide  carbonique  pour  100  litres  d’air  expiré,  mesuré  à 14  de- 
grés de  température  et  à 58  centimètres. 

La  contradiction  est  flagrante  : Coindet  indiquait  des  volumes, 
M.  Murfi  affirme  qu’il  s’agit  de  poids,  et  M.  Jourdanet,  attribuant 
avec  raison  plus  d’importance  aux  dires  du  chimiste  mexicain,  en 
tire  une  conséquence  vraiment  écrasante  pour  son  adversaire  : 

Il  est  donc  indubitable,  dit-il,  que  les  sujets  des  expériences  du  Collège  des 
mines  ont  produit  4gr,51  d’acide  carbonique,  pour  100  litres  d’air  expiré.  D’autre 
part,  le  compte  rendu  de  M.  Coindet,  d’accord  en  cela  avec  le  dire  de  M.  Murti, 
affirme  que  la  quantité  d’air  expiré  a été  en  moyenne  de  6 litres  par  minute.  Qui 
peut  douter  dès  lors  que  si  4gr,51  d’acide  carbonique  correspondent  à 100  litres 
d’air,  les  6 litres  expirés  par  les  sujets  des  expériences  en  contenaient  27  cen- 
tigrammes. Il  est  donc  certain  que  le  résultat  tout  à fait  irrécusable  du  dosage 
respiratoire  du  Collège  des  mines  a été  que  les  sujets  de  vingt  à trente  ans  ont 
produit  27  centigrammes  d’acide  carbonique  par  minute,  c’est-à-dire  10  grammes 
et  20  centigrammes  par  heure. 

Les  conclusions  de  M.  Coindet  ne  sont  pas  d’accord  avec  ces  chiffres;  car,  non- 
seulement  ces  chiffres  alarmants  ne  l’autorisaient  pas  à dire  que  la  respiration  à 
Mexico  est  identique  avec  celle  du  niveau  des  mers,  mais  indiquent  un  danger 
qui  ferait  justement  redouter  le  séjour  du  haut  Anahuac;  puisque,  d’après  ces 
expériences,  les  combustions  respiratoires  carbonées  n'y  arriveraient  pas  à la 
moitié  de  ce  qu’elles  sont  au  niveau  de  la  mer.  Les  analyses  du  Collège  des  mines 
nous  laissent  donc  dans  un  souci  des  plus  graves.  Je  l’ai  fait  pressentir  à mes 
collègues  de  la  Société  de  médecine  de  Mexico,  qui  en  ont  été  assez  émus  pour 
voter  de  nouvelles  expertises.  (P.  151.) 

1 Traité  élémentaire  de  Physiologie,  chap.  iv,  § 138 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


279 


A cette  indiscutable  conclusion,  Coindet1  essaye  de  répondre  à 
son  tour.  Laissons  de  côté  les  simples  affirmations,  laissons  de 
côté,  bien  qu’ils  abondent,  les  écarts  d’une  polémique  acrimonieuse 
et  arrivons  au  fait  lui-même,  à la  contradiction  que  nous  avons  plus 
haut  mise  en  lumière  : 

M.  Michel  Lévy,  dit-il,  les  membres  de  la  Société  de  médecine  de  Mexico,  savent 
la  réponse  que  j’ai  faite  aux  assertions  de  M.  Jourdanet.  J’ai  prouvé  que  le  volume 
3,90  pour  100  d’air  à 14  degrés  température  et  à 58  pression  que  me  donnait 
le  poids  4,51  pour  100  d’air  aussi  à 14  degrés  température  et  à 58  pression, 
fournissait,  en  raison  de  la  plus  grande  quantité  d’air  expiré  (6  litres  au  lieu 
de  5,3  Dumas),  295gr,l3  de  carbone  brûlé  en  24  heures,  ou  12sr,30  en  une  heure, 
et  l’on  sait  les  moyennes  admises  au  niveau  des  mers  par  MM.  Dumas,  Andral, 
Gavarret,  Valentin,  Brunner,  Vierordt,  etc.  Il  est  bien  positif,  je  l’affirme,  que 
mes  sujets  n’auraient  pas  expiré  plus  de  3m,3  d’air  au  niveau  des  mers. 

J’avoue,  quant  à moi,  ne  pas  bien  comprendre,  et  il  eût  été  à 
désirer  que  Coindet  reproduisît  dans  sa  lettre  les  preuves  qu’il 
avait  envoyées  à M.  Michel  Lévy.  D’abord,  constatons  que  cette  fois, 
pour  lui,  les  4,51 2 ne  sont  plus  une  mesure  de  volume,  comme 
cela  résultait  évidemment  de  l’alinéa  que  nous  avons  cité,  mais 
une  mesure  de  poids;  c’est  bien,  comme  l’a  dit  M.  Murfi,  le  poids 
d’acide  carbonique  contenu  dans  100  litres  d’air  expiré  à 14°  et  58e. 

• Mais  dès  lors,  le  raisonnement  et  le  calcul  de  M.  Jourdanet  sont 
inattaquables.  S’il  passe  6 litres  d’air  par  minute  dans  les  pou- 
mons, cela  fait  en  une  heure  560  litres,  contenant  560  x 4S,51 
= 16gr,25  d’acide  carbonique.  Or,  les  recherches  d’Andral  et  Ga- 
varret3 * donnent  une  moyenne,  entre  20  et  40  ans,  de  12g,2  de  car- 
bone brûlé,  ce  qui  correspond  à 44g,07  d’acide  carbonique.  L’écart 
est  énorme,  tellement  énorme  que,  pour  ma  part,  je  crois  à une 
erreur  fondamentale  dans  les  analyses  mêmes  qui  lui  servent  de 
point  de  départ. 

Voyons  maintenant  le  raisonnement  de  Coindet.  Et  d’abord, 
constatons  qu’il  prend  un  singulier  chemin  de  traverse  : « J’ai 
prouvé,  dit-il,  que  le  volume  5,90p.  100  d’air  à 14°  et  à 58  pression 
que  me  donnait  le  poids  4,51  pour  100  d’air  aussi  à 14  degrés  tem- 
pérature et  à 58  pression....  » 

Voilà  des  calculs  pénibles  et  bien  inutiles,  car  pourquoi  transfor- 
mer un  poids  en  volume  pour  chercher  à nouveau  une  quantité  en 

1 Gaz.  hebd.f  1865,  p.  467-470. 

2 Ce  chiffre  est  relatif  aux  expériences  faites  sur  les  Indiens.  [Gaz.  hebd.,  1864,  p.  56.) 

5 Recherches  sur  la  quant,  d'ac.  carb.  exhalé  par  le  poumon  dans  l'espèce  humaine . 

— Cpt.  R.  Acad,  des  Sc.,  t.  XVI,  p.  113,  1843. 


280 


HISTORIQUE. 


poids?  Refaisons-les  cependant,  parce  que,  si  leur  résultat  apparent 
est  favorable,  nous  allons  y trouver  de  notables  erreurs. 

Un  litre  d’acide  carbonique  à 0°  et  76e  de  pression  pèse  lg,966. 
Donc,  4S,51  de  ce  gaz  représentent  dans  ces  conditions  de  tem- 


pérature et  de  pression 


4lil,51 

1,966’ 


soit  à 58e 


4m,51  x 76 
1,966x58’ 


et  à 14° 


4'“, 51  x76  (275  + 14)  _ lit 
1,966  x 58  x 275 


Ainsi  l’air  expiré  renfermait  en  volume  5,16  pour  100  d’acide 
carbonique,  et  non  pas  5,90  comme  le  dit  Coindet,  dont  tous  les  ré- 
sultats subséquents  se  trouvent  singulièrement  faussés. 

Il  y a mieux  : en  acceptant  même  le  chiffre  de  5,90  pour  100 
(rapport  qui,  par  parenthèse,  ne  varie  pas,  comme  paraît  le  croire 
Coindet,  avec  la  pression  et  la  température)  on  trouve  des  résultats 
définitifs  bien  différents  de  ceux  qu’il  enregistre.  En  effet,  les 
hommes  qu’il  observait  faisaient  passer  dans  leur  poitrine,  par 
heure,  560  litres  d’air,  qui  contenaient  par  suite,  selon  lui, 
560  x 5Ht,9  = 14l!t,04  d’acide  carbonique,  à 14°  et  58e,  représen- 
tant, à 76e  et  0°, 


14ut,04x  58x  275 
76  (275  + 14) 


10lit,19. 


Or,  1 litre  pesant  lgr,966,  on  n’aurait  pour  la  production  par 
heure  que  lgr,966  x 10, 19  = 20gr,05  ; et  comme  il  y a en  poids 
27,68  pour  100  de  carbone  dans  l’acide  carbonique,  le  poids  du 
carbone  brûlé  par  heure  serait 

lgr,966  x 10,19x27,68 
ïôô = 5 ’54  ; 


% 

ce  qui  est  bien  loin  des  12gr,50  annoncés  par  Coindet. 

Au  contraire,  le  calcul  de  M.  Jourdanet  trouve  ici  une  vérification 
complète  par  contre-épreuve.  En  effet,  il  résulte  de  ce  que  nous 
venons  de  dire  immédiatement  que,  en  réalité,  d’après  les  expé- 
riences de  Coindet,  ses  hommes  exhalaient  par  heure 

560  litres  x 5,16  = llht,576 

d’acide  carbonique,  représentant  à 76e  et  0°,  8ht,258,  lesquels  pèsent 
16gr,25,  nombre  exactement  semblable  à celui  que  nous  avons  pré- 
cédemment trouvé  après  M.  Jourdanet. 

C’est  au  lecteur  à décider  s’il  convient,  après  une  si  étonnante 


281 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 

argumentation,  de  railler,  comme  l’a  fait  Coindet,  « la  compé- 
tence » de  celui  qui  relevait  fort  courtoisement  son  erreur.  Quoi 
qu’il  en  soit,  on  peut  maintenant  facilement  apprécier  ce  que  valent 
les  conclusions  suivantes,  qu’il  a hardiment  formulées1  : 

4°  La  moyenne  d’acide  carbonique  expirée  sur  l’Aiiahuac,  à alimentation  et  à 
conditions  égales,  n'est  pas  moins  élevée  qu’au  niveau  des  mers. 


6°  La  quantité  d’oxygène  qui  circule  dans  le  sang,  est  la  même  sur  les  hau- 
teurs qu’au  niveau  des  mers  ; et,  à conditions  hygiéniques  égales  et  également  sa- 
tisfaisantes, le  degré  d’énergie  de  l’hématose  est  aussi  le  même. 

17°  Dans  les  conditions  ordinaires,  l’habitation  de  l’Anahuac  ne  paraît  pas  di- 
minuer d’une  manière  permanente  et  préjudiciable  la  somme  des  gaz  qui  cir- 
culent dans  le  corps  de  l’homme. 

Quant  à moi,  je  n’hésite  pas  à le  dire,  dans  le  travail  de  Coin- 
det, rien  ne  motive  cette  dernière  conclusion,  et  tout  y contredit 
les  deux  premières.  Pour  aller  jusqu’au  fond  de  ma  pensée,  j’avou- 
rai  que  je  ne  saurais  admettre  comme  exactes  les  analyses  mêmes 
qui  en  sont  le  fondement;  il  doit  y avoir  là  quelque  erreur  dans  la 
méthode  expérimentale  ou  dans  son  application.  Je  dirai  seulement 
que  la  quantité  d’air  sur  laquelle  portait  l’analyse  était  beau- 
coup trop  faible  : M.  Murfi  faisait  exécuter  dans  son  appareil  les 
mouvements  respiratoires  pendant  une  demi-minute  ; Andral  et  Ga- 
varret  les  faisaient  continuer  de  8 à 13  minutes.  De  plus,  on  n’a  pas 
pris  de  précaution  pour  recueillir  l’air  qui  passe  par  les  narines.  Si 
disposé  que  je  sois  à penser  que  sur  l’Anahuac  l’intensité  des  com- 
bustions organiques  soit  réellement  diminuée,  je  me  refuse  à 
croire  qu’elle  ait  baissé  de  plus  de  moitié,  ainsi  que  cela  serait 
démontré,  si  l’on  considérait  comme  exacts  les  chiffres  fournis  par 
le  travail  de  Coindet  lui-même.  En  résumé,  au  point  de  vue  des 
phénomènes  chimiques  de  la  respiration,  il  ne  reste  de  ce  travail 
absolument  rien. 

Un  des  chirurgiens  de  l’expédition  du  Mexique,  M.  Cavaroz2,  pu- 
blia peu  de  temps  après  un  mémoire  dont  les  observations  et  les 
conclusions  se  rapprochent  tout  à fait  de  ce  qu’avait  déjà  dit 
M.  Jourdanel. 

Il  a d’abord  pris  sur  des  soldats  français  un  grand  nombre  de 
mesures  desquelles  il  résulte  que,  à une  altitude  de  1712in,  la 

1 Gazette  hebdomadaire,  1865,  p.  468. 

2 De  la  Respiration  sur  les  hauts  plateaux  de  l' Analiuac.  — • Rec.  de  Mém.  de  méd. 
milit.,  3e  série,  t.  XIV,  p.  512-516,  1866. 


282 


HISTORIQUE. 


moyenne  générale  des  respirations  était  19  2/5,  et  celle  des  pulsa- 
tions 65  1/4  : 

Il  en  tire  d’abord  cette  conséquence  que  : sur  les  hauts  plateaux  de  l’Ànahuac, 
il  s’établit  chez  l’Européen  une  respiration  supplémentaire,  destinée  à compenser 
parle  nombre  des  mouvements  respiratoires  la  déperdition  d’oxygène  qui  résulte 
pour  l’hématose  de  la  raréfaction  de  l’atmosphère 

Mais,  ajoute-t-il  bientôt,  c’est  une  question  de  savoir  si  cette  compensation  est 
complète  , et  si,  en  fin  de  compte,  il  n’y  a pas  de  déperdition  d’oxygène,  et  si 
l’hématose  est  aussi  normale,  aussi  parfaite  qu’au  niveau  des  mers.  Je  ne  le  pense 
pas,  car  d’après  le  rapport  moyen  de  18  respirations  pour  67  pulsations,  le  nom- 
bre des  pulsations  pour  19  2/3  respirations  devrait  être  67  1/2.  Il  n’est  que  de 
65  1/4  ; il  y a donc  2 1/4  pulsations  en  moins  : donc  la  circulation  est  languis- 
sante jusqu’à  un  certain  degré,  et  l’état  physiologique  troublé. 

Le  reste  du  travail  de  M.  Cavaroz  contient  des  observations  ten- 
dant à prouver  que,  sur  les  hauts  plateaux,  l’Européen  perd  sa  vi- 
vacité et  ses  forces,  et  que,  s’il  devient  malade,  il  tombe  rapidement 
dans  un  état  adynanique.  Aussi,  à ses  yeux,  l'acclimatement  par- 
fait n’est-il  rien  moins  que  démontré.  Le  rapport  entre  ces  idées  et 
celles  de  M.  Jourdanet  est  tout  à fait  frappant. 

Cependant  on  n’en  a tenu  aucun  compte,  et  désormais  les  au- 
teurs ne  parleront  que  de  Coindet  auquel,  il  faut  bien  l’avouer, 
ils  seront  unanimes  à donner  raison  contre  M.  Jourdanet,  ce  qui 
prouve,  entre  autres  choses,  qu’il  est  bien  plus  facile  de  lire  des 
conclusions  que  de  discuter  un  mémoire. 

Ainsi,  dans  l’article  Air  que  M.  A.  Tardieu1  a rédigé  pour  le 
Dictionnaire  de  médecine  et  de  chirurgie  pratiques,  le  savant  hygié- 
niste consacre  une  page  à l’étude  des  effets  physiologiques  de 
l’air  déprimé.  Elle  est  remplie  par  une  analyse  rapide  des  idées  de 
M.  Jourdanet  et  des  travaux  de  Coindet;  j’en  extrais  ces  lignes  ca- 
ractéristiques : 

On  voit,  d'après  ce  qui  vient  d’être  dit,  ce  qu’il  faut  penser  de  la  prélendue 
insuffisance  d’oxygénation  du  liquide  sanguin  sur  les  hauteurs. 

Du  reste,  M.  Tardieu  ne  présente  aucune  explication. 

L’article  Altitudes  que,  dans  le  Dictionnaire  encyclopédique,  fit 
paraître  deux  ans  après  M.  Leroy  de  Méricourt,  mérite  le  même 
reproche.  Mais  avant  d’en  rendre  compte,  je  dois  dire  un  mot  d’un 
livre  fort  curieux,  publié  en  1865  par  le  Dr  Folëy2. 

Lorsque  nous  en  arriverons  à l’étude  de  l’air  comprimé,  nous 


1 Art.  Air  du  Diction,  de  Méd.  et  de  Chir.  pratiques.  — Paris,  1864. 

2 Du  Travail  dans  l'air  comprimé.  — Paris,  1863. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


283 


aurons  à en  donner  une  analyse  étendue. Nous  verrons  que,  pour  ce 
médecin,  la  compression  exercée  par  l’air  joue  le  rôle  principal  : 
« Quand  on  entre  dans  les  tubes,  dit-il,  on  est  aplati.  » Il  apporte 
naturellement  la  même  préoccupation  d’ordre  mécanique  dans 
l’étude  du  mal  des  montagnes  : 

Un  voyageur  gravit  une  montagne.  Plus  il  monte,  plus  il  se  sent  faible,  plus  ses 
veines  sous-cutanées  gonflent.  Il  finit  par  se  trouver  mal.  Pourquoi  ? 

La  périphérie  de  son  corps  a cessé  d’être  comprimée.  Un  vide  relatif  s’y  est 
fait.  Le  sang  s’y  est  accumulé.  L’encéphale  en  a manqué.  L’aéronaute  s’est 
évanoui.  (P.  63.) 

Ajoutons  que,  plus  loin,  M.  Folëy  déclare  que  les  maux  de  cœur, 
les  crampes,  etc.,  sont  le  signe  d’une  « aimalose  insuffisante.  » 

Enfin,  pour  notre  auteur,  c’est  la  présence  des  sacs  aériens  qui 
sauve  l’oiseau  des  accidents  de  la  décompression  ; les  chocs  en  re- 
tour dont  il  serait  menacé  comme  les  ouvriers  qui  sortent  des 
tubes  (voir  plus  loin,  titre  11,  ch.  m)  lui  sont  évités  grâce  à la  ten- 
sion élastique  des  gaz  qui  sont  contenus  dans  les  sacs.  Pour  cela,  il 
suffit  à l’oiseau  qui  s’élève  de  fermer  le  bec  et  les  arrière-narines; 
mais  peut-être  est-il  permis  de  se  demander  comment  alors  il 
pourra  respirer. 

Un  vétérinaire  distingué , qui  commandait  le  service  pendant 
l’expédition  du  Mexique,  M.  Liguistin1,  s’est  trouvé  placé  en  présence 
des  mêmes  problèmes  que  les  médecins  militaires.  11  ne  paraît  pas 
avoir  eu  connaissance  de  la  vive  discussion  dont  nous  venons  de 
résumer  les  traits  principaux  : 

« Pour  lui,  du  reste,  l’effet  de  la  diminution  de  la  densité  de 
l’air  est  parfaitement  connu.  » (T.  III,  p.  583.) 

Quant  aux  accidents  observés  sur  les  animaux,  il  déclare  que  les 
troubles  de  la  respiration  signalés  par  les  médecins  ne  paraissent 
pas  avoir  atteint  les  bêtes  de  somme  : 

Les  grands  solipèdes  supporteraient-ils  plus  facilement  que  l’homme  l’action 
d’un  air  peu  oxygéné  ? Le  tempérament  lymphatique  dont  ils  sont  dotés  explique- 
rait-il suffisamment  le  besoin  moins  urgent  d’un  air  plus  condensé?  Nous  savons 
bien  cependant,  et  nous  l’avons  dit  déjà,  que  la  pression  atmosphérique  la  plus 
favorable  aux  animaux  est  aussi  celle  qui  a lieu  au  niveau  des  mers  et  dans  les 
lieux  peu  élevés,  alors  que  la  colonne  de  mercure  marque  sur  le  baromètre  envi- 
ron 76  centimètres;  que,  si  l’on  place  un  animal  vivant  dans  le  vide,  l’air  inté- 

1 Considérations  générales  sur  les  maladies  principales  qui  ont  régné  sur  les  chevaux 
et  mulets  du  corps  expéditionnaire  du  Mexique  pendant  la  période  de  1862  à 1863.  — 
Journal  de  médecine  vétérinaire  militaire,  t.  III,  mars,  avril,  mai  1865  ; t.  IV,  juin, 
juillet,  août  1865 


284 


HISTORIQUE. 


rieur  n’ayant  plus  rien  qui  lui  résiste  se  dilate,  l’animal  se  gonfle  et  périt  ; que 
c’est  la  pression  de  l’air  qui  maintient  les  fluides  dans  les  vaisseaux  des  animaux 
et  les  empêche  de  s’échapper.  Donc,  lorsque  le  baromètre  descend  de  quelques 
degrés,  le  sang  doit  évidemment  se  porter  vers  la  périphérie  : on  observe  alors  la 
difficulté  et  l’accélération  de  la  respiration,  l’embarras  de  la  circulation,  des  fati- 
gues, de  l’accablement,  de  la  nonchalance.  Si  dans  cette  situation  nos  animaux 
étaient  doués  de  la  faculté  de  traduire  leur  impression,  ils  nous  diraient  proba- 
blement , comme  l’homme,  que  le  temps  est  lourd , prenant  ainsi  l’effet  pour  la 
cause,  car  on  sait  : que  plus  l’air  est  rare  et  plus  il  est  léger.  Il  est.  inutile 
d’expliquer  pourquoi  la  respiration  est  plus  accélérée.  On  sent  assez  que  l’air 
nécessaire  à la  vie  étant  extrêmement  rare,  il  laut  que  les  actes  respiratoires  soient 
multipliés  pour  que  le  même  résultat  soit  produit.  Il  est  encore  plus  inutile 
d’ajouter  que  l’air  devenant  plus  rare,  on  pourrait  périr  d’asphyxie.  Dans  un  air 
raréfié,  doivent  nécessairement  dominer  les  inflammations  thoraciques  et  les 
hémorrhagies.  C’est  cependant  ce  que  nous  n’avons  pas  observé,  et  c’est  pourquoi 
aussi  nous  nous  croyons  autorisé  à avancer  que  le  peu  de  pression  de  l’atmo- 
sphère des  plateaux  élevés  du  Mexique  n’a  pas  sur  nos  animaux  l’influence  particu- 
lière que  l’on  a observée  sur  les  hommes  vivant  dans  le  même  milieu.  Nous  ne 
faisons  intervenir  la  raréfaction  de  l’air  que  pour  expliquer  les  ballonnements  exa- 
gérés qui  ont  accompagné  les  indigestions  nombreuses  observées  sur  nos  chevaux 
et  nos  mulets  pendant  la  période  du  siège.  (T.  III,  p.  658.) 

Dans  un  travail  spécial,  le  même  vétérinaire  rend  compte  d’une 
série  d’accidents  très-curieux,  observés  sur  les  animaux  du  corps 
expéditionnaire,  au  passage  du  Rio-Frio  (35Ü0m). 

L’animal  passe  de  la  santé  à la  maladie  sans  symptômes  précurseurs.  L’orga- 
nisme est  dans  un  état  de  tension  général,  le  système  musculaire  tout  particuliè- 
rement. L’œil  est  fixe,  hagard,  brillant,  inquiet,  le  faciès  crispé  et  la  pupille  dila- 
tée. Les  membres  postérieurs  et  toute  l’arrière-main  sont  le  siège  de  mouvements 
spasmodiques  très-accusés  et  facilement  saisissables.  Les  muscles  du  grasset  et  de 
la  cuisse  présentent  des  tremblements  partiels. 

La  bouche  est  remplie  d’une  salive  blanche,  écumeuse,  très-abondante.  Les 
mâchoires  sont  dans  une  contractilité  permanente.  Il  y a certainement  surexci- 
tation sensible  des  glandes  salivaires.  L’envie  de  vomir  est  manifeste.  Les  efforts 
fréquents  avec  éructation  sont  faciles  à constater.  Le  ventre  n’est  pas  ballonné. 
Il  y a quelques  légères  coliques  traduites  par  un  peu  d’inquiétude,  mais  les  ani- 
maux ne  se  campent  pas,  sollicités  instinctivement  par  le  besoin  d’uriner  ou 
d’expulser  des  matières  fécales.  L’appareil  génito-urinaire  est  surexcité  : il  y a 
érection  opiniâtre  et  douloureuse  de  la  verge.  Les  conjonctives  sont  dans  leur  état 
naturel  ou  ne  présentent  aucuns  changements  bien  sensibles  : elles  sont  rosées 
et  très-légèrement  injectées.  Le  système  sanguin  capillaire  n’est  pas  visiblement 
modifié.  Les  battements  du  cœur  sont  forts  et  tumultueux.  On  perçoit  à distance, 
sans  avoir  recours  à l’auscultation,  les  mouvements  précipités  de  diastole  et  de 
systole,  et  on  peut  compter  les  percussions  de  cet  organe  en  portant  l’attention 

en  arrière  du  coude  ; et  cependant,  chose  bien  singulière,  l’état  du  pouls  n’est 

pas  modifié  dans  son  rhythme  normal,  d’une  façon  appréciable. 

Les  naseaux  sont  dilatés.  L’air  expiré  est  chaud  ; la  respiration  est  accélérée. 
L’inspiration  est  petite  et  l’expiration  profonde.  Les  muscles  respiratoires  sont  con- 
tractés, tendus,  et  les  flancs,  tirés  en  contre-haut,  sont  séparés  dans  leur  milieu 


285 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 

par  des  saillies  extrêmement  prononcées.  Ils  s'abaissent  et  s’élèvent  jusqu’à 
vingt  et  vingt-cinq  fois  dans  une  minute. 

11  y a plutôt  affaissement  général  du  système  nerveux  que  surexcitation  appa- 
rente du  cerveau. 

Les  désordres  que  nous  venons  de  signaler  persistent  sans  aggravation  pendant 
plusieurs  heures  et  disparaissent  ensuite  sensiblement  sous  l’influence  de  quel- 
ques soins  appropriés.  (T.  IV,  p.  258.) 

Cette  curieuse  série  de  symptômes  d’une  apparence  si  redoutable 
et  qui  cependant  n’ont  jamais  amené  d’accident  grave,  éveillèrent 
dans  l’esprit  de  M.  Liguistin  l’idée  d’un  empoisonnement.  Tous  ses 
collègues  ne  partageaient  pas  son  avis  : « quelques-uns  expliquaient 
les  accidents  dont  il  s’agit  en  faisant  jouer  à la  raréfaction  de  l’air 
un  rôle  considérable,  asphyxie  lente » 

M.  Liguistin  lui-même  reconnaît  que  cet  élément  doit  posséder 
un  rôle  étiologique  important  : 

Certes,  il  n’est  pas  douteux,  dit-il  en  effet,  qu’à  l’époque  où  nous  sommes  pas- 
sés au  Rio-Frio,  époque  des  grandes  chaleurs,  il  n’est  pas  douteux,  dis-je,  qu’une 
élévation  considérable  de  la  température  amenant  une  raréfaction  évidente  de 
l’air,  jointe  à une  élévation  du  soi  de  5502  mètres  au-dessus  du  niveau  de 
l’Océan  et  produisant,  par  ce  fait  même  d’altitude,  une  diminution  de  5 kilomètres 
et  demi  dans  la  hauteur  de  la  colonne  atmosphérique,  n’ait  eu  pour  conséquence 
immédiate  de  diminuer  d’une  manière  sensible  la  quantité  d’air  respirable  et  de 
produire  des  accidents  inhérents  à ce  genre  de  causes.  Nous  aurions  voulu  pou- 
voir constater  ce  fait  physique  sur  le  baromètre,  pendant  les  différents  états  de 
l’atmosphère  ; car  seul  il  eût  fourni  l’explication  réelle  des  tympanites  qui  se  sont 
manifestées  aussi  sur  les  animaux  du  corps  expéditionnaire  lors  de  notre  passage 
au  Rio-Frio.  Cependant,  bien  que  celte  raréfaction  n’ait  pas  été  démontrée  expé- 
rimentalement, son  existence  n’en  est  pas  moins  indéniable. 

A Mexico,  il  a été  constaté  que  la  pression  atmosphérique  ne  s’élevait  qu’à 
58  degrés.  On  peut  donc  l’évaluer  approximativement  pour  le  Rio-Frio  à 55  ou  56, 
ce  qui  produirait  encore  une  diminution  de  20  degrés  sur  la  pression  normale  de 
l’atmosphère.  Est-il  irrationnel  de  supposer,  après  cela,  que  les  animaux  ne  peuvent 
être  placés,  ne  fût-ce  qu'un  instant,  dans  un  pareil  milieu,  sans  que  leur  orga- 
nisme en  ressente  quelques  effets  ? Évidemment  non  ; et  nous  avons  tous  été  les 
témoins  affligés,  mais  non  surpris,  de  Faction  pernicieuse  qu’une  atmosphère, 
ainsi  raréfiée  , peut  produire  sur  la  santé  des  grands  solipèdes  , je  veux  parler  de 
cette  deuxième  scène  pathologique  dont  l’apparition  s’est  plus  particulièrement 
manifestée  encore  au  Rio-Frio  et  qui  a amené  un  instant  de  trouble  et  de  confu- 
sion (indigestion  avec  ballonnement.)  (T.  IV,  p.  262.) 

En  définitive,  M.  Liguistin  persiste  dans  l’idée  d’un  empoisonne- 
ment, dont  il  explique  l’innocuité  par  la  neutralisation  partielle 
produite  par  d’autres  plantes  simultanément  ingérées.  A force  de 
recherches  sur  le  terrain,  on  finit  par  trouver  une  sorte  de  scille,  à 
laquelle  on  attribua  les  accidents.  Des  expériences  faites  avec  les 


286 


HISTORIQUE. 


feuilles  suspectes  ne  donnèrent  cependant  qu’un  résultat  intéres- 
sant : le  ferme  refus  des  chevaux  d’y  goûter,  même  après  48  heures 
de  jeûne.  Quant  aux  empoisonnements  obtenus  par  l’extrait  aqueux, 
ingéré  de  force  aux  animaux,  ils  ne  ressemblent  en  rien  aux  symp- 
tômes observés  pendant  le  passage  du  Rio-Frio.  D’où  nous  con- 
cluons, à l’inverse  de  notre  auteur,  que  ces  accidents  étaient  dus 
exclusivement  à l’air  raréfié. 

J’arrive  maintenant  à l’article  de  M.  Leroy  de  Méricourt1,  article 
auquel  le  nom  et  la  compétence  spéciale  de  son  auteur  donnèrent 
beaucoup  de  crédit,  et  que  l’on  cite  encore  incessamment. 

11  ne  contient  cependant  aucune  observation  personnelle,  et  la 
seule  idée  vraiment  originale  qu’on  y rencontre  est  due  au  profes- 
seur Gavarret;  mais  il  reproduit,  dans  un  style  élégant,  un  résumé 
des  faits  antérieurement  observés,  des  doctrines  émises.  La  partie 
la  plus  intéressante  consiste  en  une  critique  très-vive  des  travaux 
et  des  opinions  de  M.  Jourdanet,  qu’il  considère  comme  complète- 
ment vaincu  par  Coindet.  Selon  lui  : 

Le  dosage  de  l’acide  carbonique  de  l’air  expiré , comme  indicateur  du 
degré  d’énergie  de  l’hématose  sur  les  hauteurs  de  plus  de  200üm,  a montré  que 
la  moyenne  d’exhalation  de  ce  gaz  n’est  pas  moindre  de  ce  qu’elle  est  au  niveau 
des  mers. 

Nous  avons  montré  plus  haut  ce  qu’il  faut  penser  de  cette  asser- 
tion, à laquelle  les  chiffres  mêmes  de  Coindet  donneraient  un  dé- 
menti beaucoup  trop  complet  selon  nous. 

Puis,  rencontrant  la  comparaison  établie  par  M.  Jourdanet  entre 
le  mal  des  montagnes  et  la  saignée,  et  exprimée  en  ces  termes  si 
saisissants  et  si  exacts  : « Une  ascension  au  delà  de  5000,u  équivaut 
« à une  désoxygénation  barométrique  du  sang,  comme  une  saignée 
<(  est  une  désoxygénation  globulaire,  » M.  Leroy  de  Méricourt  ne 
trouve  rien  de  mieux  à faire  que  de  la  qualifier  éé  étrange  : 

« D’ailleurs,  dit-il,  a priori , on  peut  objecter  à M.  Jourdanet  que  l’absorption  de 
l’oxygène  par  le  sang  veineux  n’est  pas  un  l'ait  purement  physique,  le  résultat 
d’une  simple  dissolution,  mais  que  les  forces  chimiques  jouent  un  rôle  impor- 
tant dans  cette  fixation  de  l’oxygène.  » 

J’ai  tenu  à rapporter  cette  opinion  parce  qu’elle  indique  bien 
quel  était,  en  1866,  le  sentiment  des  hommes  les  plus  instruits  et 
les  plus  autorisés.  Il  faut  s’attendre,  en  effet,  à ce  que  la  théorie 

1 Article  Altitudes  du  Dictionnaire  encyclopédique  des  Sciences  médicales.  — Pa- 
ris, 1866. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


287 


qu’a  émise  M.  Jourdanet,  et  dont  j’ai  démontré  expérimentalement 
l’exactitude,  sera  bientôt  considérée  comme  une  chose  tellement 
simple  et  évidente  que  chacun  en  réclamera  la  paternité  ou  tout  au 
moins  lui  refusera  tout  mérite  d’originalité. 

J’arrive  au  passage  dû  à la  plume  de  M.  Gavarret. 

Après  avoir  rappelé  quelques  principes  de  physique  élémentaire, 
le  savant  professeur  de  la  Faculté  de  Paris  continue  en  ces  termes  : 

Lorsqu’il  monte,  à pied , sur  une  haute  montagne,  l’homme  accomplit  une  quan  - 
tité  de  travail  mécanique  qui  varie  avec  le  poids  de  son  corps,  la  hauteur  d’as- 
cension, la  nature  et  la  disposition  du  terrain  sur  lequel  il  marche.  A la  force 
mécanique  qu’il  dépense  ainsi  correspond  une  consommation  d’une  quantité  dé- 
terminée des  matériaux  organiques  de  son  sang,  dont  la  combustion  ne  produit 
aucun  effet  thermique.  Indépendamment  de  la  quantité  de  chaleur  nécessaire  au 
maintien  de  sa  température  propre,  les  combustions  respiratoires  doivent  donc 
fournir  l 'équivalent  calorifique  de  la  force  mécanique  dépensée  pend  ant  l’ascen- 
sion. Pour  bien  saisir  les  conséquences  de  cet  accroissement  forcé  de  l’activité 
respiratoire,  fixons  notre  attention  sur  un  exemple  déterminé. 

Un  homme  adulte,  bien  constitué,  du  poids  de  75  kilogrammes  , s’est  élevé,  à 
pied , à 2000  mètres  de  hauteur  sur  les  flancs  d’une  montagne.  Il  a effectué  ainsi 
un  travail  utile  de  150  000  kilogrammes,  représentant  355  unités  de  chaleur,  dont 
l’effet  thermique  est  nul , transformées  tout  entières  en  force  mécanique,  et  four- 
nies par  les  combustions  respiratoires.  Les  huit  dixièmes  de  cette  chaleur  transfor- 
mée provenant  de  la  combustion  du  carbone,  la  création  de  la  force  mécanique 
correspondant  au  travail  utile  accompli  pendant  l’ascension , nécessite  la  produc- 
tion de  65  litres  d’acide  carbonique,  en  sus  de  22  litres  de  ce  gaz  que  l’homme 
forme,  par  heure,  dans  ses  capillaires  généraux  pour  maintenir  sa  température 
propre.  Les  conséquences  de  la  production  d’une  aussi  grande  quantité  d’acide 
carbonique  dans  l’économie  se  présentent  d’elles-mêmes.  La  consommation  des 
matériaux  organiques  du  sang  est  excessive,  et  les  forces  s’épuisent  très-rapide- 
ment. Les  mouvements  respiratoires  et  circulatoires  s’accélèrent  considérablement, 
d’une  part,  pour  rendre  possible  l’absorption  de  tout  l’oxygène  nécessaire  à des 
combustions  si  actives;  d’autre  part,  pour  débarrasser  le  sang  d’une  telle  pro- 
portion d’acide  carbonique  dissous.  Lorsque  la  marche  est  lente,  la  force  dépen- 
sée, dans  un  temps  donné,  est  faible,  et  les  troubles  fonctionnels  ne  sont  pas  con- 
sidérables. 

Mais  si  l’ascension  s’opère  rapidement,  l’exhalation  gazeuse,  bien  que  très- 
activée,  n’est  plus  suffisante  pour  maintenir  la  composition  normale  du  sang  qui 
reste  saturé  d’acide  carbonique  ; alors  la  respiration  devient  anxieuse  ; la  dyspnée 
devient  extrême,  et  s’accompagne  de  céphalalgie,  de  vertiges  et  de  somnolence. 
On  comprend  encore  facilement  pourquoi  une  halte  de  quelques  instants  suffit 
pour  faire  disparaître  tous  ces  accidents. 

Du  moment  où  l’homme  est  au  repos,  la  dépense  de  force  cesse,  l’activité  des 
combustions  respiratoires  s’abaisse  rapidement  au  degré  strictement  nécessaire 
au  maintien  de  sa  température  propre,  la  production  de  l’oxygène  n’est  plus  que 
de  22  litres  par  heure , le  sang  se  débarrasse  très-vite  de  l’excès  d’acide  carbo- 
nique qu’il  contient,  et  tous  les  troubles  des  fonctions  respiratoires  et  circulatoi- 
res disparassent  en  même  temps 

Comme  conséquence  de  ces  considérations  , nous  nous  croyons  autorisé  à dire 


288 


HISTORIQUE. 


que  la  majeure  partie  des  troubles  fonctionnels  caractéristiques  du  mal  des  mon- 
tagnes doit  être  rapportée  à une  véritable  intoxication  par  l’acide  carbonique  dis- 
sous en  trop  forte  proportion  dans  le  sang.  Pour  dire  ici  toute  notre  pensée,  nous 
ajouterons  qu’une  intoxication  de  même  nature , résultat  nécessaire  d’une  dé- 
pense de  force  excessive,  est  une  des  principales  causes  des  accidents  graves  ob- 
servés chez  les  animaux  surmenés. 

Cetle  théorie  curieuse  et  originale,  étayée  de  calculs  indiscuta- 
bles et  de  la  grande  autorité  du  savant  professeur  de  physique  mé- 
dicale, devait  obtenir  un  grand  succès  et  faire  époque  dans  la 
science.  Dorénavant,  chacun  la  répétera  à l’envi;  c’est  ce  que  fait 
tout  d'abord,  dans  sa  thèse  inaugurale,  le  Dr  Aug.  Dumas1. 

Mais  la  théorie  de  M.  Gavarret  ne  lui  suffit  pas  ; il  accepte  et 
appuie  de  calculs  fort  bien  conduits,  du  reste,  les  théories  des 
frères  Weber  sur  la  tendance  de  la  tête  du  fémur  à se  séparer  de  la 
cavité  colyloïde  dans  l’air  dilaté.  Les  objections  de  M.  Jourdanet  ne 
le  touchent  pas,  comme  on  voit.  C’est  qu’il  n’attache  pas  grande  im- 
portance aux  travaux  de  ce  savant  médecin  ; à ses  yeux,  Coindet  a 
fait  bonne  et  complète  justice  d’assertions  erronées  : 

Que  devient  donc  maintenant,  s’écrie-t-il,  la  prétendue  insuffisance  d’oxygéna- 
tion du  fluide  sanguin  sur  les  altitudes  ? et  que  dire  de  toutes  les  théories  que 
M.  Jourdanet  a basées  sur  ce  fait  ? 

Quant  aux  maux  de  tète,  vertiges,  pertes  de  connaissance,  éprou- 
vés par  de  Humboldt  et  autres  voyageurs,  Dumas  les  explique 
« d’une  manière  toute  mécanique  » ; à vrai  dire,  il  ne  fait  que 
reproduire  une  explication  déjà  donnée  par  Pravaz  (p.  251)  : 

Barry  a démontré  qu’à  chaque  expiration,  le  cours  du  sang  est  ralenti  dans 
les  veines  jugulaires.  Cela  étant,  il  est  facile  de  comprendre  comment,  chez  un 
individu  parvenu  au  sommet  d’une  haute  montagne,  où  sa  respiration  gênée 
oblige  son  thorax  à des  mouvements  précipités,  son  sang  veineux  éprouve  une 
stase  dans  les  jugulaires  et  même  un  reflux  pouvant  déterminer  une  congestion 
des  centres  nerveux  et  tous  les  accidents  qui  en  dépendent. 

M.  Scoutetten2,  qui  écrivait  l’année  suivante,  se  contente  de  re- 
produire les  parties  principales  de  l’article  Altitudes , et  notamment 
la  citation  de  M.  Gavarret,  dont  il  adopte  entièrement  l’opinion. 

Comme  il  paraît  en  outre  attacher  beaucoup  d’importance  aux 
variations  du  poids  supporté  par  le  corps  humain  sous  les  diverses 

1 Etude  de  quelques-unes  des  variations  que  l'altitude  fait  sentir  à l'air  ambiant  et  d 
l'influence  de  ces  variations  sur  l'homme.  — Thèse  de  Paris,  1866. 

* Influence  de  l'altitude  des  lieux  sur  les  fonctions  physiologiques.  — Paris,  1867 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES.  289 

pressions  barométriques,  il  a pris  la  peine  de  dresser  un  long 
tableau  où  se  trouvent  enregistrées  les  valeurs  de  ce  poids,  dans 
toutes  les  stations  d’eaux  minérales. 

On  apprend  ainsi  qu’un  homme  qui  supporte,  au  niveau  de  la 
mer,  15345  kilogrammes,  est  soulagé  de  406  kil.  à Vichy,  de  1015  à 
Saint-Gervais,  de  1905  au  Mont-Dore,  de  2744  à Cauterets,  la  plus 
élevée  des  eaux  thermales. 

Est-ce  dans  cet  ordre  d’idées  que  se  place  un  auteur  dont  les 
Comptes  rendus  pour  1867  publient  une  note  qui  ne  brille  pas  par 
la  clarté?  Je  l’ignore  et  laisse  au  lecteur  le  soin  d’en  décider1  : 

M.  Kaufmann  soumet  au  jugement  de  l’Académie  un  mémoire  sur  l’influence 
mécanique  de  l’air  dans  quelques  fonctions  physiologiques  où  on  ne  la  fait  pas 
d'ordinaire  intervenir. 

Pour  reconnaître,  dit  l’auteur,  l’influence  mécanique  exercée  sur  diverses  par- 
ties de  l’organisme  parla  pression  de  l’air,  j’ai  institué  des  expériences  aérométri- 
ques ; les  unes,  dans  lesquelles  je  mesurais  les  oscillations  produites  dans  divers 
états  physiologiques  ou  pathologiques  par  la  variation  de  pesanteur  de  l’atmo- 
sphère ; les  autres  dans  lesquelles  j’ai  produit  artificiellement  ces  variations. 
Celles  dont  je  soumets  aujourd’hui  les  résultats  à l’Académie  se  rapportent  aux 
diverses  périodes  de  la  génération  chez  les  mammifères , depuis  le  moment  de 
conception  jusqu’à  l’accomplissement  du  part. 

Dans  le  livre  qu’il  publia  lors  de  son  retour  en  France,  Coin- 
det2  revint  sur  la  question  de  la  quantité  d’acide  carbonique  formée 
parles  hommes  qui  vivent  sur  les  hauts  plateaux.  Evidemment  il  se 
sentait  mal  à l’aise  sur  ce  terrain,  car  dans  un  ouvrage  en  deux 
volumes,  contenant  plus  de  650  pages,  il  n’en  consacre  que  5 à 
cet  important  sujet.  Et  cependant,  qu’y  aurait-il  eu  de  plus  probant 
en  faveur  de  sa  thèse,  que  d’insister  sur  cette  démonstration  que  les 
combustions  intra-organiques  sont  aussi  énergiques  sur  les  hau- 
teurs qu’au  niveau  de  la  mer?  L’anoxyhémie,  qu’il  a voulu  combat- 
tre, s’en  trouverait  réduite  à néant.  J’avoue  que  je  pensais  trouver 
d’abord  dans  ce  livre  des  expériences  nouvelles;  il  n’en  est  rien,  et 
l’exposé  des  faits  y est  infiniment  moins  complet  et  moins  détaillé 
que  dans  les  lettres  adressées  à Michel  Lévy. 

Ceci  s’explique  bientôt,  car  nous  enregistrons  d’abord  un  aveu 
précieux  ; « c’est  par  erreur,  dit  Coindet  (t.  Il,  p.  90),  que  j’ai  écrit 
ailleurs  poids  au  lieu  de  volume.  » Voilà  donc  un  fait  acquis,  et, 
comme  je  l’avais  montré  en  rappelant  le  passage  copié  dans  Béclard, 

1 Kaufmann,  Cpt.  R.  de  V Acad,  des  Sciences,  t.  LXV,  p.  317,  1867. 

2 Le  Mexique  considéré  au  point  de  vue  médico-chirurgical.  — Paris,  t.  I,  1867  ; t.  II, 
1868. 


19 


290 


HISTORIQUE. 


les  fameux  4,51  p.  100,  représentaient  pour  Coindet  en  1864  une 
proportion  en  volume,  bien  qu’il  ait  dit  le  contraire  dans  sa  lettre  de 
1865.  Mais  alors,  s’il  y a dans  l’air  4,51  pour  100  d’acide  carboni- 
que en  volume,  puisque  les  hommes  en  expérience  respiraient  à 
raison  de  6 litres  par  minute,  soient  360  litres  à l’heure,  cela  fait, 
en  une  heure,  560  lit.  ><  4,51  — 16llt,23  d’acide  carbonique  expiré. 

Or,  comme  on  opère  à 14°  et  à 58e,  ce  volume  correspond,  à 0°  et 
à 76e,  à llm,77  ; et  comme  un  litre  pèse  lg,966,  la  production  d’a- 
cide carbonique  par  heure  serait  25g14,  donnant  en  définitive  6g40 
de  carbone  brûlé.  Nous  voici,  encore  une  fois,  bien  loin  des  12ê50 
qu’annonçait  triomphalement  Coindet. 

Mais  celui-ci  se  ravise  : 

Il  ne  faut  pas  perdre  de  vue,  dit-il,  que  4,52  pour  100  en  volume,  moyenne 
d’acide  carbonique  exhalé  en  une  minute,  ont  été  extraits  d’un  air  h 14°temp.,  58e 
pression,  ramené  à0°temp.,  70e  pression....  de  sorte  que  6 ‘,125,  moyenne  d’air 
expiré  en  une  minute,  en  laissant  de  côté  les  Français  nouvellement  arrivés,  non 
acclimatés,  nous  donnent  567  *,55  en  une  heure 

La  moyenne  de  4,52  pour  100  d’acide  carbonique  exhalé  en  une  minute  étant 
admise,  nous  pouvons  établir  la  proportion  suivante  : 

100  : 4,52  ::  567,55  : x = 161,62  d’acide  carbonique  à l’heure. 

Or,  au  niveau  de  la  mer,  1\85  d’acide  carbonique  renferme  Ie  de  carbone,  ce 
qui  nous  donne  9e,  très-approximativement  brûlé  en  une  heure 

Ce  chiffre  est  encore  fort  différent  des  12g,50  du  premier  tra- 
vail. Et  cependant  comment  est-il  obtenu?  D’abord  en  portant  de 
6 litres  à 6V125  la  quantité  d’air  expiré;  puis  en  déclarant  que, 
dans  les  calculs,  l’air  a été  ramené  à 0°  et  à 76e;  mais  Coindet  ou- 
blie qu’il  a dit  autrefois  absolument  le  contraire  : 

j’ai  prouvé  que  le  volume  5,90  pour  100  d’air  à 14°  et  à 58e  que  me  donnait  le 
poids  (n’oublions  pas  que  maintenant  c’est  le  volume)  4,51  d’air  aussi  à 14°  et  à 
58e.... 


Dans  un  autre  passage,  il  n’est  pas  moins  explicite  : 

La  quantité  d’air  expiré  à la  minute  admise  par  M.  Dumas  étant  de  5‘,3  au  ni- 
veau des  mers,  nous  avons  à Mexico....  6 litres  environ.  Ceci  devait  être,  car 
l’air  des  altitudes  renfermant  sous  un  volume  donné  moins  d’oxygène,  il  était 
nécessaire  d’absorber  une  plus  grande  quantité  de  cet  air  pour  compenser  la 
différence. 

Ce  n’est  donc  pas/ dans  notre  opinion,  9 grammes,  mais  bien 
6g,40  de  carbone  brûlé  en  une  heure,  que  donnent  les  chiffres 
mêmes  de  Coindet.  Mais  enfin,  même  avec  9 grammes,  il  faut  pour- 
tant bien  reconnaître  qu’on  est  fort  au-dessous  du  nombre  moyen 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


291 


12g,2  trouvé  par  Andral  et  Gavarret.  Coindet  ne  peut  le  dissimuler, 
mais  il  n’en  paraît  pas  le  moins  du  monde  ébranlé  : 

Notre  moyenne  9*,  dit-il  imperturbablement,  inférieure  à celle  trouvée  par  les 
auteurs,  ne  fait  pas,  par  les  motifs  cités  plus  haut , que  nous  considérions  les  com- 
bustions respiratoires  carbonées,  comme  sensiblement  moindres  sur  les  hauts 
plateaux  qu’elles  ne  le  sont  à des  niveaux  plus  bas. 

Quels  sont  donc  ces  motifs?  C’est,  voyons-nous,  que 

Nos  créoles  étaient  des  élèves  de  l’École  des  mines,  à la  veille  de  leurs  examens 
de  fin  d’année,  assis  et  absorbés  toute  la  journée  par  l’étude,  circonstances  dans 
lesquelles  l’air  expiré  est  peu  altéré  ; 

C’est  que 

Les  Indiens  recevaient  une  alimentation  insuffisante  et  qu’ils  faisaient  un 
usage  habituel  des  alcooliques  ; 

C’est  que 

Il  y avait  des  pertes  par  les  narines  ! 

Je  pense  qu’il  serait  oiseux  d’insister  davantage.  Je  ne  puis  que 
répéter  ce  que  je  disais  plus  haut  : il  ne  reste  rien,  absolument  rien, 
au  point  de  vue  chimique,  du  travail  de  Coindet  ; et  comme  les  ex- 
périences dont  nous  venons  de  montrer  le  peu  de  solidité  sont  la 
base  de  toute  son  argumentation  physiologique,  on  voit  que  celle-ci 
ne  supporte  pas  l’examen. 

Je  n’aurais  certes  pas  si  longuement  parlé  d’un  travail  autour  du- 
quel on  a fait  beaucoup  trop  de  bruit,  s’il  n’était  encore  cité  comme 
une  autorité  par  des  personnes  qui  ont  préféré  s’en  rapporter  à des 
conclusions  tranchantes,  plutôt  que  de  se  livrer  à l’analyse  pénible 
à travers  les  méandres  de  laquelle  nous  avons  conduit  nos  lecteurs. 
Ceux-ci  auront  pu  voir  que  si  les  assertions  à priori  et  les  affirma- 
tions des  conclusions  sont  claires,  tout  est  obscurité,  confusion  ou 
erreur  dans  les  expériences  elles-mêmes  et  dans  les  calculs  auxquels 
elles  servent  de  base. 

M.  Gavarret 1 ne  s’en  est  pas  tenu  à la  théorie  que  nous  avons 
rapportée  plus  haut,  et  qu’il  avait  donnée  comme  une  sorte  de  con- 
sultation à M.  Leroy  de  Méricourt.  En  rédigeant  l’article  Atmo- 
sphère, du  Dictionnaire  encyclopédique , il  a été  conduit  à examiner 
les  effets  de  la  diminution  de  pression , indépendamment  des  sur- 
croîts de  fatigue,  d’efforts,  de  production  d’acide  carbonique,  qu’im- 

1 Article  Atmosphère.  — Dictionn.  encyclopédique  des  Sciences  médicales.  — Paris, 
1867;  p.  111-164. 


292 


HISTORIQUE. 


posent  les  ascensions  de  montagne.  Arrivant  à l’étude  des  causes, 
il  commence  par  combattre , en  physicien  expérimenté,  l’opinion 
que  le  poids  moindre  supporté  par  le  corps  puisse  avoir  une  in- 
iluence  quelconque;  il  invoque  justement  contre  cette  erreur  le 
principe  de  l’incompressibilité  des  liquides  et,  par  suite,  du  corps. 
Mais,  fixant  son  attention  sur  ce  point,  il  revient,  chose  bien  cu- 
rieuse, aux  idées  de  Robert  Boyle  : 

La  perturba  lion  dont  s’accompagne  l’abaissement  de  la  colonne  barométrique 
est  en  réalité  un  effet  des  pressions  de  dedans  en  dehors  exercées  par  les  vapeurs 
et  les  gaz  emprisonnés  dans  l’économie....  Nous  devons  fixer  notre  attention  sur 
les  gaz  du  sang  qui,  sous  l’influence  d’un  abaissement  considérable  et  très-rapide 
de  la  colonne  barométrique  , peuvent  déterminer  des  accidents  graves.  Le  sang, 
en  effet, renferme  à l’état  de  simple  dissolution  de  l’oxygène,  de  l’azote,  de  l’acide  car- 
bonique. Au  moment  où  la  pression  extérieure  diminue,  ces  gaz  tendent  à se  dé- 
gager du  liquide  sanguin,  refoulent  les  parois  des  vaisseaux  de  dedans  en  dehors 
et  distendent  les  capillaires  pulmonaires  et  généraux  dont  les  parois  minces  et 
peu  résistantes,  peuvent  se  rompre.  Tel  est  Je  mécanisme  de  production  d’hé- 
morrhagies tantôt  légères  et  passagères  comme  leur  cause  déterminante  quand 
elles  apparaissent  sur  les  surfaces  extérieures , tantôt  graves  et  même  mortelles 
quand  elles  ont  pour  siège  la  profondeur  de  quelque  viscère  important.  (P.  153.) 

Mais  M.  Gavarret  se  hâte  d’apporter  à ceci  une  juste  restriction  : 

Des  accidents  de  cette  nature  peuvent  sans  doute  se  produire  chez  les  indivi- 
dus qui  sont  très-rapidement  transportés  à de  grandes  altitudes  ; mais  il  n’en  est 
pas  de  même  des  voyageurs  qui,  graduellement , s’élèvent  des  bords  de  la  mer 
jusque  sur  les  plus  hauts  plateaux  du  globe.  Chez  ces  derniers,  les  lois  physiques 
des  gaz  et  de  leur  solubilité....  rétablissent  l’harmonie....  (P.  154.) 


En  d’autres  termes,  l’explication  donnée  par  le  savant  professeur 
ne  peut,  selon  lui,  s’appliquer  qu’aux  expériences  de  laboratoire 
exécutées  sur  des  animaux;  les  ascensionnistes,  les  aéronautes 
eux-mêmes  n’en  sauraient  être  justiciables. 

L’argumentation  dirigée  par  M.  Gavarret  contre  le  rôle  que  tant 
d’auteurs  avaient  fait  jouer  à la  diminution  du  poids  supporté  par 
le  corps,  semblait  avoir  fait  justice  de  cette  erreur;  les  expériences 
importantes  de  Rudolph  von  Vivenot1  ont  semblé  au  contraire  lui 
redonner  une  autorité  nouvelle.  En  effet,  le  médecin  viennois  établit 
avec  la  plus  grande  netteté  que,  dans  l’air  raréfié,  l’amplitude  des 
inspirations,  la  capacité  respiratoire,  diminuent  considérablement. 

Ces  expériences  furent  faites  à l’établissement  de  Johannis- 
berg,  dans  les  appareils  établis  par  le  Dr  Lange  ; les  unes  ont  eu 

2 De  l'Influence  de  la  compression  et  de  la  raréfaction  de  l'air  sur  les  actes  mécaniques 
de  la  respiration.  Traduction  de  Thierry- Mieg. — Gaz.  méd.  de  Paris,  T8G8. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


293 


pour  but  l’étude  de  l’air  comprimé,  nous  nous 'en  occuperons  plus 
tard;  les  autres,  celles  dont  nous  parlerons  ici  étaient  relatives  à 
l’air  raréfié. 

En  tenant  compte  de  l’altitude  de  Johannisberg,  où  la  hauteur 
moyenne  du  baromètre  est  de  742mm,  on  voit  que,  la  dépression  ob- 
tenue dans  l’appareil  étant  51 8mm,  la  pression  réelle  ôtait  434mm,  ce 
qui  correspond  à une  hauteur  de  4470m  au-dessus  du  niveau  de  la 
mer. 

Dans  ces  conditions,  comme  je  le  rappelais  il  y a un  moment, 
l’amplitude  des  respirations  a beaucoup  diminué  : 

Les  Drs  Lange  et  Mittermaier,  dont  la  capacité  pulmonaire  avait  été  peu  avant  sous 
la  pression  normale  de  3942cc  et  de  4237cc  ne  pouvaient  qu’avec  les  plus  grands 
efforts  expirer  3448  et  5845cc  d’air  qui  était  reçu  dans  les  récipients  du  spiro- 
mètre. Leur  capacité  respiratoire  était  donc  diminuée  respectivement  de  494  et 
de  594cc.  En  moyenne,  nous  pouvons  déduire  des  chiffres  ci-dessus,  comme  ca- 
pacité respiratoire  moyenne  normale  4090°%  comme  respiration  sous  l’air  raréfié 
3646cc,  par  conséquent  comme  diminution  moyenne  de  la  capacité  pulmonaire 
444ec,  à quoi  il  faut  ajouter  que  ces  5646co  d’air  raréfié  ne  représentent  que  2084e' 
d’air  normal.  (P.  7 du  tirage  à part.) 

La  fréquence  des  respirations  a,  en  sens  inverse,  notablement 
augmenté  : 

Le  nombre  des  inspirations  a monté  chez  moi  de  14-15  à 18  ; chez  M.  de  G..., 
de  17  à 21,  une  autre  fois  de  17-18  à 19;  chez  le  Dr  Lange  de  15  à 21  ; chez  le 
Dr  Mittermaier  de  7,  5 à 9,  5 par  minute.  Quant  à la  durée  consécutive  de  cet 
effet,  elle  n’a  pu  être  constatée , les  expériences  dans  l’air  raréfié  n’ayant  pas  été 
faites  avec  suite.  (P.  11.) 

Quant  à la  profondeur  et  au  rhythme  de  la  respiration  dans  Y air  raréfié,  on  y 
remarque  une  augmentation  dans  la  profondeur  des  inspirations.  Ceci  est  donc  le 
premier  cas  où  l’effet  de  l’air  raréfié  semble  concorder  avec  celui  de  l’air  com- 
primé, bien  que  les  causes  soient  opposées.  Tandis  que  dans  l’air  comprimé  il  y 
a spontanément,  comme  effet  mécanique  de  l’augmentation  de  pression,  une 
inspiration  plus  profonde;  c’est  au  contraire  le  besoin  d’avoir  de  l’air  qui,  ne 
pouvant  être  satisfait  dans  l’air  raréfié  par  des  inspirations  normales,  y produit 
nécessairement  des  inspirations  profondes  et  forcées.  On  y éprouve  en  même 
temps  un  sentiment  de  malaise,  d’oppression,  pendant  lequel  c’est  surtout  l’inspi- 
ration qui  est  rendue  difficile,  parce  que,  même  dans  l’air  atmosphérique,  elle 
exige  plus  de  force  que  l’expiration,  tandis  que  celle-ci,  dans  l’air  raréfié,  se  fait 
plus  facilement  et  plus  vite.  (P.  16.) 

Vivenot  a fait  également  des  observations  sur  les  pulsations.  Leur  nombre  a passé 
de  78  à 80  chez  le  Dr  M.,  de  75  à 82  chez  le  Dr  L.,  de  61  à 76  chez  M.  de  G.,  de 
80  à 105  chez  Yivenot  lui-même. 

Un  vétérinaire  du  corps  royal  du  génie  anglais,  Flemeing1,  publia 

1 De  l’Influence  de  la  pression  atmosph . et  de  l'altitude  sur  la  santé  et  les  maladies 
de  l homme  et  des  animaux . Trad.  par  Ringuet.  — Périgueux,  1869. 


294 


HISTORIQUE. 


en  1867,  un  travail  où  se  trouvent  relatées  un  assez  grand  nombre 
d’observations  de  voyageurs,  et  en  tête  duquel  il  exprime  son  opi- 
nion théorique  sur  l’action  de  la  décompression  : 

Si  la  pression  est  réduite  artificiellement , comme  lorsqu’on  gravit  une  mon- 
tagne ou  que  l’on  s’élève  en  ballon,  on  constate  les  mêmes  phénomènes  que  chez 
les  poissons  arrachés  de  l’eau . 

Le  corps  se  gonfle,  les  fluides  intérieurs  distendent  les  tissus  en  dehors,  exer- 
cent sur  eux  une  pression  énergique,  font  éclater  les  vaisseaux  et  souvent  des  hé- 
morrhagies se  produisent. 

Un  air  raréfié  contient,  sous  un  volume  donné,  moins  d’oxygène,  de  telle  sorte 
que  la  respiration,  se  faisant  incomplètement,  s’accélère  pour  suppléer  cà  cette 
imperfection;  les  inspirations  sont  proportionnellement  plus  nombreuses;  le 
cœur  se  contracte  avec  force  et  plus  fréquemment,  le  sang  circule  avec  difficulté, 
les  poumons  s’engorgent,  les  vaisseaux  sanguins  se  distendent  et  des  anévrys- 
mes se  forment.  (P.  9.) 

En  résumé,  suivant  Flemeing,  l’influence  de  l’altitude  peut  se 
produire  de  plusieurs  manières  : 

1°  Par  la  diminution  de  la  pression  atmosphérique  : les  muscles  et  les  articu- 
lations tendent  à se  relâcher,  le  sang  s’arrête  ou  transsude  à travers  les  parois 
des  vaisseaux,  surtout  de  la  muqueuse  aérienne,  du  poumon,  des  enveloppes  du 
cerveau. 

2°  Par  l’évaporation  cutanée  et  pulmonaire 

3°  La  fréquence  de  la  circulation  et  de  la  respiration  est  contrebalancée,  ou 
mieux  déterminée  par  les  petites  quantités  d’oxygène  que  l’air  inspiré  contient. 

4°  La  température  abaissée 

5°  Les  rayons  solaires  plus  énergiques....  qui  provoquent  l’irritation  des  yeux, 
du  cerveau,  de  la  moelle  épinière.  (P.  12.) 

M.  Bouchard,  dans  sa  remarquable  thèse  sur  la  'pathogénie  des 
hémorrhagies  \ est  amené  à s’expliquer  sur  la  cause  de  ces  acci- 
dents, signalés  à la  fois  chez  les  personnes  soumises  à une  forte 
diminution  de  pression,  et  chez  les  ouvriers  qui  se  décompriment 
au  sortir  des  piles  de  pont.  Pour  lui,  comme  nous  le  verrons  en 
temps  utile,  les  hémorrhagies  sont  dues  pour  partie  au  dégagement 
dans  les  vaisseaux  de  l’acide  carbonique  du  sang,  qui  s’y  est  em- 
magasiné en  proportion  exagérée  pendant  la  compression. 

La  décompression  par  ascension  produirait  le  meme  effet;  et  si 
les  hémorrhagies  ont  été  signalées  surtout  chez  les  voyageurs  en 
montagne,  la  théorie  qu’il  propose  peut  expliquer  la  différence  de 
ces  effets  : 

L’homme  qui  se  laisse  emporter  par  un  aérostat,  ne  fait  guère  que  le  travail 

1 Thèses  du  Concours  d' agrégation  — Paris,  1809. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


295 


nécessaire  aux  mouvements  respiratoires.  Celui  qui  gravit  une  montagne  élevée 
fait,  au  contraire,  une  dépense  musculaire  considérable  et  doit  surcharger  son 
sang  d’acide  carbonique.  N’est-ce  pas  d’ailleurs  à cette  accumulation  d’acide 
carbonique  dans  le  sang  que  quelques  auteurs  attribuent  cet  état  vertigineux  sin- 
gulier qu’on  appelle  le  mal  des  montagnes?  (P.  102.) 

Les  erreurs  ont  la  vie  dure.  Il  est  curieux  d’avoir  à constater  que 
malgré  la  péremptoire  r éponse  faite  par  M.  Jourdanet  à la  théorie 
des  Weber,  celle-ci  a continué  d’être  professée  presque  universelle- 
ment. M.  Béclard1,  dans  la  dernière  édition  d’un  livre  qui  doit  être 
entre  les  mains  de  tous  les  étudiants,  dit  en  effet  : 

Lorsque  l’homme  s’élève  dans  l’air,  en  gravissant  à pied  de  très-hautes  mon- 
tagnes, il  éprouve,  à mesure  que  la  raréfaction  de  l’air  augmente,  un  sentiment 
tout  particulier.  Il  lui  semble  que  ses  membres  sont  plus  lourds ; les  membres 
inférieurs,  en  particulier,  deviennent  bientôt  le  siège  d’une  fatigue  qui  invite  au 
repos.  À peine  s’est-il  arrêté  un  instant,  que  cette  fatigue  disparait  pour  reparaî- 
tre au  bout  de  peu  de  temps  ; et  ainsi  de  suite.  Yoici,  en  effet,  ce  qui  arrive:  la 
pression  atmosphérique  n’est  plus  suffisante,  à elle  seule,  pour  maintenir  appli- 
quée la  tête  du  fémur  contre  la  cavité  cotyloïde,  et  faire  ainsi  équilibre  au  poids 
du  membre  inférieur,  l’action  musculaire  intervient  pour  maintenir  le  mem- 
bre dans  ses  rapports  articulaires.  Cette  action  musculaire  inusitée  est  prompte- 
ment suivie  du  besoin  de  repos  des  muscles 

Cette  influence  se  fait  sentir,  même  pour  des  différences  de  pression  peu  con- 
sidérables de  la  colonne  barométrique.  Dans  les  abaissements  du  baromètre,  les 
muscles  ayant  à mouvoir  des  organes  plus  pesants,  on  dit  alors  que  le  temps  est 
lourd,  quoique  en  réalité  la  pression  exercée  sur  la  surface  du  corps  par  la  colonne 
atmosphérique  soit  moindre.  De  même,  lorsque  le  baromètre  monte,  les  mouve- 
ments s’exécutent  avec  une  plus  grande  facilité.  (P.  697). 

Quant  aux  accidents  de  la  décompression  autres  que  la  lourdeur 
des  membres,  M.  Béclard  ne  leur  attribue  aucune  importance  quand 
les  transitions  sont  un  peu  ménagées  : 

A Potosi  (4000m),  à Déba  (5000m)...  les  fonctions  de  nutrition,  de  respiration, 
de  circulation  des  habitants  de  la  montagne  s’accomplissent  comme  chez  les  habi- 
tants de  la  plaine,  et  ils  ne  sont  pas  moins  bien  portants 

L’homme  et  les  animaux  peuvent  donc  supporter  des  variations  de  pression 
très-étendues,  sans  que  les  fonctions  de  la  vie  en  souffrent.  Il  est  vrai  que  la  den- 
sité de  l’air  étant  diminuée,  Pair  introduit  dans  le  poumon  contient,  à chaque 
inspiration,  moins  d’oxygène  sous  le  même  volume  que  dans  la  plaine;  mais  les 
mouvements  de  la  respiration  s’harmonisent  avec  ces  conditions  nouvelles.  D’ail- 
leurs la  pression  s’exerce  encore  dans  tous  les  sens , l’air  pénètre,  dans  toutes  les 
cavités  ouvertes  (voies  digestives,  voies  respiratoires),  les  gaz  du  sang  se  mettent 
en  équilibre  de  tension  avec  l’air  atmosphérique,  et  les  conditions  normales  de 
1 échange  gazeux  ne  se  trouvent  pas  changées  dans  les  poumons. 

Les  variations  de  pression  du  milieu  atmosphérique  dans  les  ascensions  sur  les 
montagnes,  ou  dans  les  ascensions  aérostatiques,  ne  sont  généralement  pas  de  na- 

1 Traité  élémentaire  de  physiologie,  liv.  II,  ch.  i,  §244,  6e  édit.;  Paris,  1870. 


296  HISTORIQUE. 

f 

ture,  non  plus,  à produire  d’accidents  fâcheux  du  côté  des  fonctions  de  nutrition. 

Mais  il  en  est  autrement  lorsque  la  décompression  s’opère  rapi- 
dement comme  il  arrive  dans  les  ascensions  aérostatiques  : 

Il  faut  alors  un  certain  temps  pour  que  l’équilibre  entre  les  gaz  intérieurs  et 
les  gaz  extérieurs  s’établisse.  Lorsque  l’ascension  a été  très-considérable,  il  se 
manifeste  quelquefois  une  certaine  difficulté  de  respirer,  des  étouffements  (par 
dilatation  des  gaz  intestinaux  qui  pressent  sur  les  poumons,  en  refoulant  en  haut 
le  diaphragme)  et  des  hémorrhagies  locales  sur  les  membranes  muqueuses  (pro- 
bablement par  distension  brusque  des  gaz  contenus  dans  les  vaisseaux,  et  par  rup- 
ture des  capillaires).  (P.  G96.) 

A côté  des  idées  des  médecins  théoriciens,  il  convient  de  placer 
l’opinion  exprimée  par  les  ascensionnistes  en  montagne.  Après  les 
théories  et  les  discussions  dont  nous  venons  de  rendre  compte,  ce 
n’est  pas  sans  quelque  étonnement  que  nous  voyons  certains  voya- 
geurs nier  presque  l’influence  de  la  décompression. 

Ainsi,  Iludson1  qui,  dédaignant  « la  route  battue  et  facile  qui  con- 
duit d’ordinaire  au  mont  Blanc,  » fit  l’ascension  de  la  montagne 
par  une  route  nouvelle,  en  partant  de  Saint-Gcrvais,  affirme  que  : 

Si  l’on  a soin  de  ménager  ses  forces,  on  peut  parcourir  les  plus  hautes  sommi- 
tés sans  éprouver  d’incommodité  grave.  Plusieurs  personnes  se  sont  plaintes  du 
malaise  éprouvé  à ces  grandes  hauteurs,  nausées,  assoupissement,  saignement 
de  nez,  des  yeux  et  des  oreilles,  et  je  ne  doute  pas  que  de  tels  accidents  ne  soient 
possibles;  mais  ma  longue  habitude  des  courses  de  montagne  m’a  prouvé  qu’ils 
ne  devaient  être  attribués  qu’à  la  fatigue,  à laquelle  sans  doute  peuvent  se  join- 
dre le  froid  et  la  rareté  de  l’air,  ou  plutôt  les  précautions  inusitées  qu’exigent 
ces  deux  circonstances.  En  effet,  nous  nous  trouvions  là  réunis  cinq  personnes, 
et,  uniquement  grâce  au  soin  de  ne  pas  nous  fatiguer,  aucun  de  nous  n’eut  un  in- 
stant de  malaise;  il  en  avait  été  de  même  lors  de  mon  ascension  au  mont  Rose. 
(P.  85.) 

Le  Dr  Piachaud2,  dont  nous  avons  résumé  précédemment  les  inté- 
ressantes observations,  faites  pendant  son  ascension  au  mont  Blanc 
en  1864,  n’attrihue  aussi  qu’à  la  fatigue  les  troubles  de  la  circula- 
tion et  de  la  respiration;  selon  lui,  la  somnolence  est  due  au  froid, 
la  fatigue  musculaire  à la  cause  indiquée  par  Brachet,  et  la  pesan- 
teur des  muscles  inférieurs  à celle  qu’ont  invoquée  Weber  et  de 
Humboldt. 

Mais  ces  appréciations,  peu  originales,  n’ont  guère  d’importance 
à côté  de  la  théorie  toute  nouvelle  et  fort  ingénieuse  qu’émit  le 

1 Une.  Ascension  au  mont  Blanc. — Bill,  univ.,  4°  série,  t.  XXXI,  p.  79-95,  1856. 

2 Loc.  cil.  : Bibl.  univ.;  1865. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


297 


Dr  Lortet1.  Nous  avons  longuement  rapporté  (voy.  p.  117)  les  ob- 
servations faites  avec  toute  la  précision  qu’exigent  les  recherches 
physiologiques  modernes  par  ce  savant  médecin,  péndant  son  as- 
cension du  mont  Blanc.  Celle  de  ses  constatations  à laquelle  il 
attache  le  plus  d’importance,  c’est  la  diminution  de  la  tempéra- 
ture du  corps  pendant  l’acte  de  l’ascension.  Là  se  trouve,  selon  lui, 
la  cause  véritable  des  malaises  éprouvés,  et  pour  l’expliquer  elle* 
même,  M.  Lortet  s’appuie  sur  les  notions  élémentaires  de  la  théorie 
mécanique  de  la  chaleur  : 

À l’état  de  repos  et  à jeun  l’homme  brûle  les  matériaux  de  son  sang,  et  la  cha- 
leur développée  est  employée  tout  entière  à maintenir  sa  température  constante 
au  milieu  des  variations  de  l’atmosphère.  — En  plaine  et  par  des  efforts  mécani- 
ques modérés,  l’intensité  des  combustions  respiratoires,  comme  l’a  montré 
M.  Gavarret,  augmente  proportionnellement  à la  dépense  des  forces.  Il  y a trans- 
formation de  la  chaleur  en  force  mécanique , mais  à cause  de  la  densité  de  l’air  el 
de  la  quantité  d’oxvgène  inspiré  il  y a assez  de  chaleur  formée  pour  subvenir  à 
cette  dépense. 

Dans  la  montagne,  surtout  à de  grandes  altitudes  et  sur  des  pentes  neigeuses 
très-raides,  où  le  travail  mécanique  de  l’ascension  est  considérable,  il  faut  une 
quantité  de  chaleur  énorme  pour  être  transformée  en  force  musculaire.  Cette  dé- 
pense de  force  use  plus  de  chaleur  que  V organisme  ne  peut  en  fournir,  de  là  le  re- 
froidissement sensible  du  corps,  et  ces  haltes  fréquentes  qu’il  faut  faire  pour  se 
réchauffer.  Quoique  le  corps  soit  brûlant,  quoiqu’il  soit  souvent  tout  en  transpi- 
ration, il  se  refroidit  en  montant,  parce  qu’il  use  trop  de  chaleur  et  que  la  combus- 
tion respiratoire  ne  peut  en  fournir  une  quantité  suffisante  à cause  du  peu  de 
densité  de  l’air  ; cette  raréfaction  de  l’air  fait  qu’à  chaque  inspiration  il  entre  dans 
les  poumons  moins  d’oxygène  à une  grande  hauteur  que  dans  la  plaine.  (P.  35). 

M.  Lortet  montre  alors,  par  un  calcul  simple,  que  pour  s’éle- 
ver de  1000m,  un  homme  pesant  75  kil.  verrait  la  température  de 
son  corps  s’abaisser  de  2°, 5,  s’il  ne  fournissait  aucune  chaleur 
réparatrice.  Il  tire  de  là  cette  conséquence  que  l’abaissement  de  4 
à 5Ü,  qu’il  a constaté  en  montant  à 3800ra,  est  tout  naturel  et  dans 
les  limites  indiquées  par  sa  théorie  : 

Prenons  pour  exemple  un  corps  humain  pesant  75  kilogrammes,  et  supposons 
que  pendant  l’ascension,  aucune  combustion  ne  vienne  rétablir  la  perte  de  cha- 
leur subie;  supposons  encore  que  tout  le  travail  mécanique  soit  utilement  em- 
ployé, c’est-à-dire  qu’il  n’y  en  ait  aucune  partie  de  perdue  en  glissades,  en  faux 
pas,  etc. 

Lorsque  le  corps  se  sera  élevé  de  1000  mètres,  la  quantité  de  travail  accom- 
pli sera  représentée  par  75  x 1000  ou  75,000  kilogrammètres. 

Gomme  l’équivalent  mécanique  de  la  chaleur  est  de  425  kilogrammètres  pour 


1 Loc.  cil.  : Deux  ascensions,  etc.;  1869. 


298  HISTORIQUE. 

chaque  unité  de  chaleur,  pour  avoir  la  quantité  de  chaleur  absorbée  pendant  ce 

75  000 

travail  d’ascension  de  1 000  mètres  nous  aurons  - — 176  unités  de  chaleur. 

425 

Si  nous  admettons  que  la  chaleur  spécifique  du  corps  humain  soit  égale  à celle  de 
l’eau,  c’est-à-dire  égale  à 1,  et  si  nous  représentons  cette  chaleur  spécifique 
par  C ; si  nous  nommons  X l’abaissement  de  température  du  corps,  nous  aurons  : 
quantité  de  chaleur  perdue  par  le  corps  = 75  (G  -f-  X)  ou  176  = 75  x X,  d’où 
176 

X = — , ou  X = 2,5. 

Donc  l’abaissement  de  température  du  corps  résultant  de  la  chaleur  absorbée 
par  un  travail  de  75,000  kilogrammètres,  effectué  dans  une  ascension  de  1000 
mètres,  serait  de  2°, 5 centigrades,  en  supposant  qu’aucune  combustion  ne  vînt 
réparer,  au  moins  en  partie,  cette  perte  de  chaleur.  Mais  il  est  évident  qu’en  réa- 
lité celte  combustion  existe  et  qu’une  partie  de  la  chaleur  dépensée  est  reconsti- 
tuée au  fur  et  à mesure  de  son  absorption.  Mais  nous  avons  vu,  par  l’étude  que 
nous  avons  faite  des  troubles  respiratoires  et  circulatoires,  combien  cette  com- 
bustion est  gênée  à une  certaine  altitude,  et  combien  elle  est  incomplète. 

De  plus  il  est  évident  aussi  que  toute  la  force  dépensée  est  loin  d’être  utile  à 
cause  des  faux  pas  et  de  la  mollesse  des  neiges.  La  quantité  de  chaleur  usée  doit 
donc  être  énorme,  le  refroidissement  considérable  et  difficilement  combattu  par 
la  combustion  respiratoire. 

On  voit  donc,  ces  divers  éléments  du  problème  étant  bien  pesés,  que  ce  re- 
froidissement de  quatre  degrés  centigrades  et  quelques  dixièmes,  pour  l’ascension 
du  mont  Blanc,  n’est  nullement  extraordinaire  puisque  ce  chiffre  donne  un  degré 
centigrade  et  quelques  dixièmes  par  mille  mètres  d’élévation,  quantité  très- 
rapprochée  de  2°, 5 centigrades  que  nous  donne  la  théorie  physique,  lorsqu’on  ne 
tient  pas  compte  des  combustions  respiratoires.  (P.  56) 

Cependant  quand  on  est  en  état  de  digestion,  le  refroidissement  devient  pres- 
que nul,  probablement  à cause  de  l’accélération  de  la  circulation  soit  générale, 
soit  capillaire,  et  peut-être  aussi  à cause  d’une  absorption  extrêmement  rapide 
des  matières  alimentaires.  C’est  ce  qui  explique  l’habitude  pratique  qu’ont  les  gui- 
des de  faire  manger  toutes  les  deux  heures  environ.  Malheureusement  à partir  de 
4500  mètres,  l’inappétence  devient  telle  qu’il  est  presque  impossible  d’avaler 
quelques  bouchés  de  nourriture.  (P.  57). 

À celte  cause  dominatrice  s’en  adjoignent  d’autres  sur  lesquelles 
insiste  M.  Lortet.  D’abord  : 

La  rapidité  de  la  circulation  est  encore  une  cause  de  refroidissement,  le  sang 
n’ayant  pas  le  temps  de  s’oxygéner  convenablement  dans  les  vésicules  pulmonai- 
res. (P.  54). 

En  outre,  comme  l’a  montré  M.  Gavarret  : 

La  création  de  la  force  mécanique  correspondant  au  travail  utile,  accompli  pen- 
dant l’ascension  nécessite  la  production  de  65  litres  d’acide  carbonique  en  sus  de 
22  litres  de  ce  gaz  que  l’homme  forme,  par  heure,  dans  ses  capillaires  pour  main- 
tenir sa  température.  Les  conséquences  de  la  production  d'une  aussi  grande  quan- 
tité d’acide  carbonique  dans  l’économie  se  présentent  d’elles-mêmes. 

A une  grande  hauteur,  les  mouvements  respiratoires  et  circulatoires  s’accélèrent 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


299 


non-seulement  pour  rendre  possible  l’absorption  d’une  quantité  convenable  d’oxy- 
gène, mais  aussi  pour  débarrasser  le  sang  de  l’acide  carbonique  qu’il  tient  en  dis- 
solution. Mais  cette  exhalation  gazeuse,  bien  que  très-activée,  n’est  plus  suffisante 
pour  maintenir  la  composition  normale  du  sang  qui  reste  sursaturé  d’acide  car- 
bonique; de  là,  la  céphalalgie  occipitale,  les  nausées,  une  somnolence  irrésistible 
et  un  refroidissement  encore  plus  considérable  dont  souffrent  ordinairement 
voyageurs  et  guides  à partir  de  4000  à 4500m  d’altitude.  (P.  35.) 

Et  il  conclut  en  disant  : 

Les  malaises  connus  sous  le  nom  de  mal  des  montagnes  sont  dus  surtout  au 
refroidissement  considérable  du  corps,  et  peut-être  aussi  à une  viciation  du  sang 
par  l’acide  carbonique.  (P.  37.) 

M.  Lortet  était  accompagné  dans  son  ascension  par  un  médecin 
anglais,  le  Dr  W.  Marcet1,  qui  fit  les  mêmes  expériences,  et  en  rendit 
compte  dans  un  travail  spécial. 

Les  observations  étaient  faites  avec  un  thermomètre  placé  dans 
la  bouche,  sans  arrêter  le  mouvement  d’ascension,  parce  que  : 

Le  ralentissement  de  la  marche  ascendante,  quelque  courte  que  fût  sa  durée, 
suffisait  cependant  pour  permettre  au  corps  de  reproduire  momentanément  de 
la  chaleur  en  remplacement  de  celle  qui  avait  été  dépensée  pendant  l’acte  de 
l’ascension. 

Les  résultats  auxquels  dit  être  arrivé  M.  W.  Marcet  sont  iden- 
tiques avec  ceux  de  M.  Lortet  : 

1°  La  température  du  corps  humain  à l’état  de  repos  ne  paraît  pas  être  habi- 
tuellement moins  élevée  à de  grandes  hauteurs  qu'elle  ne  l’est  au  bord  de  la  mer. 

2°  La  température  du  corps  tend  invariablement  à baisser' pendant  l’acte  de 
l’ascension.  Le  degré  de  cet  abaissement  dépend  presque  exclusivement  de  l’épo- 
que à laquelle  a eu  lieu  le  dernier  repas.  Ce  refroidissement  est  dû  aux  mouve- 
ments musculaires  et  non  point  à l’effet  d’un  air  raréfié....  Une  ascension  ra- 
pide de  328“  seulement  a suffi  pour  amener  un  refroidissement  de  1°,4. 

3°  Le  malaise  général,  et  en  particulier  le  mal  de  cœur,  dont  on  souffre  sou- 
vent à de  grandes  élévations,  est  accompagné  d’un  abaissement  remarquable  de 
la  température  du  corps.  Il  provient  de  ce  que  le  corps  est  devenu  incapable, 
par  suite  des  circonstances  physiologiques  dans  lesquelles  il  se  trouve,  de  re- 
produire la  chaleur  qu’il  a dépensée  pendant  l’acte  de  l’ascension. 

Ainsi,  suivant  M.  Lortet  et  M.  Marcet,  qui  s’exprime  même  plus 
nettement  encore  que  son  compagnon  de  voyage,  il  y a un  refroi- 
dissement considérable  du  corps,  et  ce  refroidissement  est  dû 
« non  à un  effet  de  l’air  raréfié,  » mais  au  mouvement  musculaire, 
à la  transformation  de  la  chaleur  au  travail. 

1 Observations  sur  la  température  du  corps  humain  tf  différentes  altitudes  à l’état  du 
repos  et  pendant  l'acte  de  l’ascension.  — Bibl.  unie,  de  Genève , Arch.  des  Sc.  phys.  et 
nat ,,  5e  série,  t.  XXXVI,  p.  247-289,  1869. 


300 


HISTORIQUE. 


Mais  ccs  physiologistes  trouvèrent  dans  M.  Forel  un  adversaire 
digne  d’eux. 

L’excellent  travail  du  professeur  de  Lausanne  se  divise  en 
trois  parties  publiées  l’une  en  1871,  les  deux  dernières  en  1874. 
Il  a été  entrepris  d’abord  comme  une  critique  des  mémoires 
de  MM.  Marcet  et  Lortet.  M.  Forel 1 commence  par  de  très-justes 
critiques  sur  l’emploi  du  thermomètre  buccal,  comme  indicateur 
de  la  température  réelle  du  corps.  Je  transcris  ici  ses  observa- 
tions dont  j’ai  pu,  en  bien  des  circonstances,  reconnaître  toute 
l’exactitude  : 

Il  est  d’abord  fort  difficile  de  tenir  les  lèvres  hermétiquement  fermées  pen- 
dant un  temps  suffisant,  et  ce  n’est  qu’après  un  nombre  assez  grand  d’essais  et 
d’expériences  que  j’ai  pu  arriver  à une  habitude  assez  complète  pour  être  assuré 
de  ne  pas  laisser  entrer  une  seule  bulle  d’air  pendant  l’expérimentation.  Ce  qui 
est  déjà  difficile  à l’état  de  repos  devient  intolérable  en  marche  ascendante,  alors 
que  la  respiration  devient  haletante,  alors  que  nous  n’avons  pas  assez  de  toutes 
les  ouvertures  pour  introduire  dans  nos  poumons  une  masse  suffisante  d’air, 
alors  surtout  que  la  raréfaction  de  l’air  exige  impérieusement,  pour  fournir  à 
l’organisme  assez  d’oxygène,  un  volume  plus  considérable  que  celui  dont  nous 
avons  besoin  en  plaine  ; c’est  alors  un  véritable  supplice  que  de  fermer,  dix  mi- 
nutes durant,  la  bouche  que  nous  voudrions  pouvoir  agrandir,  et  l’expérimenta- 
tion devient  atrocement  pénible. 

Une  autre  difficulté  est  de  maintenir  exactement  le  thermomètre  sous  la  lan- 
gue, et  autant  que  possible  toujours  à la  même  place.  La  langue  est  fort  souple 
et  assez  docile  ; elle  sait  au  besoin  entourer  la  boule  du  thermomètre  assez  étroi- 
tement pour  ne  point  permettre  de  contact  avec  l’air  de  la  bouche  ; mais  la  chose 
est  fort  difficile,  ainsi  que  l’on  peut  s’en  convaincre  devant  un  miroir,  et  ce  qui 
est  difficile  au  repos  devient  presque  impraticable  dans  les  conditions  pénibles 
de  l’expérimentation. 

Or,  si  une  portion  quelconque  de  la  surface  du  réservoir  est  au  contact  de  l’air 
de  la  bouche,  les  résultats  sont  grandement  modifiés.  En  elfet,  la  cavité  buccale 
n’est  point  fermée  par  derrière,  l’orifice  palatin  permet  un  mélange  constant  de 
l’air  contenu  dans  la  bouche  et  de  l’air  qui  circule  avec  une  impétuosité  violente 
dans  le  canal  pharyngien  ; alors  même  qu’il  n’y  a pas  de  courant  d’air  dans  la 
cavité  buccale  proprement  dite,  ce  mélange  se  fait  nécessairement,  et  cela  dans 
des  proportions  d’autant  plus  grandes  que  le  courant  d’air  pharyngien  est  plus 
violent  et  que  les  différences  de  température  et  d’humidité  entre  l’air  pharyn- 
gien et  l’air  buccal  sont  plus  considérables.  Dans  nos  conditions  d’expérimenta- 
tion sur  de  hautes  montagnes  , nous  sommes  aussi  défavorablement  placés  que 
possible  à ce  point  de  vue.  La  respiration  est  haletante,  dans  un  air  très-sec  et 
très-froid.  Le  mélange  d’air  doit  nécessairement  augmenter  d’importance  avec 
l’altitude  et  avec  les  mouvements  musculaires  qui  accélèrent  la  respiration. 

L’air  froid  introduit  dans  la  bouche  pourrait  peut-être  se  réchauffer  assez  vite 
pour  n’être  pas  la  cause  de  modifications  très-considérables  de  température;  mais, 

1 Expériences  sur  la  température  du  corps  humain  dans  l'acte  de  V ascension  des  mon- 
tagnes. — Extrait  du  Bulletin  de  la  Société  médicale  de  la  Suisse  Romande , lre  série, 
Genève  et  Râle,  1871  ; 2e  et  5e  séries,  1874. 


301 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 

comme  cet  air  est  très-sec,  il  y a évaporation  d’une  certaine  quantité  de  salive, 
d’où  refroidissement  et  abaissement  du  thermomètre.  (P.  12.) 

En  outre  de  cette  critique  tout  à fait  générale,  M.  Foret  trouve, 
avec  raison,  étrange,  inexplicable,  si  l’on  n’admet  une  erreur  con- 
sidérable dans  l’observation,  une  des  assertions  de  MM.  Lortet  et 
Mar  cet  : 

L’un  et  l’autre  disent,  en  effet,  avoir  dû  observer  la  température  en  marche, 
pendant  l’acte  même  de  l’ascension,  car  aussitôt  qu’ils  s’arrêtaient,  qu’ils  ralen- 
tissaient seulement  la  rapidité  de  la  marche,  le  thermomètre,  relativement  très- 
bas  pendant  l’ascension,  se  relevait  presque  subitement  pour  prendre  la  tempé- 
rature normale  du  corps 

Or,  le  corps  humain  ne  peut  pas  se  réchauffer  ainsi  instantanément.  Étant 
donnée  la  température  à 55°,  il  faudra,  s’il  pèse  60  kilogr.,  60  calories  produites 
pour  qu’elle  s’élève  à 56°....  Helmholtz  estime  à 1,5  calories  par  minute  la  pro- 
duction de  chaleur  d’un  homme  de  60kil  ; il  faudrait  donc,  pour  produire  les 
60  calories  40  minutes....  ce  qui  est  bien  loin  de  l’instantanéité  décrite  par  Lor- 
tet et  Marcet.  (P.  15.) 

La  première  partie  du  travail  de  M.  Forel  se  termine  par  des  con- 
clusions dont  j’extrais  les  deux  suivantes,  comme  étant  les  plus  im- 
portantes : 

1°  L’acte  de  l’ascension  amène  normalement  une  élévation  de  la  température 
du  corps  de  quelques  dixièmes  de  degré; 

Je  réserve  mon  opinion  au  sujet  de  l’effet  sur  la  calorification  du  corps  de  l’as- 
cension dans  l’état  connu  sous  le  nom  de  mal  des  montagnes.  (P.  23.) 1 

Ces  conclusions  se  retrouvent  encore  à la  fin  de  la  2e  partie,  dans 
laquelle  les  médecins  et  les  physiologistes  liront  avec  le  plus  grand 
intérêt  des  expériences  de  critique  expérimentale  fort  précise  sur  la 
détermination  de  la  température  en  divers  points  du  corps  (main, 
aisselle,  aine,  bouche,  conduit  auditif,  urine,  rectum). 

La  3e  partie  est  postérieure  à la  publication  dans  les  Annales  des 
sciences  naturelles  de  mon  Mémoire,  dont  M.  Forci  adopte  les  ré- 
sultats. J’y  trouve  une  anecdote,  fort  intéressante  au  point  de 
vue  de  la  théorie  que  j’ai  formulée  et  dont  le  présent  travail  démon- 
trera, je  l’espère,  l’exactitude  aux  plus  difficiles  à convaincre:  je  la 
rapporterai  dans  la  troisième  partie  de  cet  ouvrage. 

Enfin,  M.  Forel  termine  par  un  récit  détaillé  d’une  ascension  au 
mont  Rose  dans  laquelle  il  a ressenti,  bien  qu’à  un  faible  degré,  le 
mal  des  montagnes.  Il  fait  à cette  occasion  cette  remarque,  — qui 
explique  à la  fois  certaines  exagérations  et  certains  scepticismes  — 

1 Dans  ses  ascensions  M.  Forel  n’avait  pas  encore  dépassé  la  Cima  di  Jazzi  (5818m). 


302 


HISTORIQUE. 


c’est  à savoir  que  l’attention  portée  à l’observation  des  symptômes 
qu’on  éprouve,  fait  disparaître  la  dépression  morale  et  diminuer  la 
fatigue.  Il  en  est  de  l’intérêt  scientifique  comme  du  danger  ; per- 
sonne ne  souffre  du  mal  des  montagnes  dans  les  passages  périlleux. 

Dans  cette  ascension,  M.  Forel  a vu  sa  température  s’élever  tou- 
jours par  la  marche,  même  au-dessus  de  4000m  ; il  s’en  étonne  lui- 
même,  eu  égard  à l’état  anoxyhémique  très-prononcé  dans  lequel 
il  devait  se  trouver.  Mais,  comme  il  n’a  pas  été  sérieusement 
éprouvé,  il  se  contente  d’énoncer  le  fait  et,  fidèle  à sa  méthode  pru- 
dente, il  réserve  encore  le  cas  de  l’ascension  pendant  un  état  avéré 
de  mal  des  montagnes. 

Ces  conclusions  furent  corroborées  par  les  recherches  d’un  phy- 
siologiste anglais  qui  s’était  beaucoup  occupé  de  recherches  sur  les 
variations  de  la  température  du  corps  en  santé  et  en  maladie. 

Clifford-Allbutt1  fit  une  série  d’ascensions,  dont  l’une  au  mont 
Blanc,  par  un  fort  mauvais  temps,  pour  étudier  les  effets  de  la  mar- 
che et  de  l’ascension  sur  la  température  du  corps.  Celle-ci  était  me- 
surée sous  la  langue,  pendant  la  marche  même,  le  thermomètre  à 
maxima  restant  en  place  15  ou  20  minutes. 

Il  tire  de  ses  observations  la  conclusion  que  l’exercice  musculaire 
tend  à élever  la  température. 

Je  cite  un  de  ses  tableaux,  le  plus  intéressant,  puisqu’il  a rapport 
au  trajet  des  Grands-Mulets  au  mont  Blanc  : 


18  août  1870, 

1 h 50  matin.  Aux  Grands -Mulets.  Avant  de  me  lever.  . 

5 h 50  — Ascension  commencée  à 5h 

5 h » — Au  Grand-Plateau  (temps  affreux).  . . . 

7 h 50  — J’ai  commencé  à descendre  à 7h 

8 h 50  — Arrivant  aux  Grands  - Mulets 

9 h 15  — A l’hôtel,  à Chamounix,  me  mettant  au  lit.  . 


97°, 5 F. 
97°, 7 
98°, 0 
98°, 5 
98°, 5 
97°, 6 


Je  dois  cependant  noter  que,  la  veille,  tout  à coup,  en  arrivant  aux 
Grands-Mulets,  la  température  s’est  abaissée  à 95,5,  pour  se  relever 
à 98,5  après  10  minutes  de  repos.  Le  20,  à Chamounix,  dans  son 
lit,  Allbutt  trouva  95,4. 

Un  autre  physiologiste  anglais,  C.  Handfield  Jones2,  attribua 
même  à l’épuisement  par  la  fatigue,  les  tracés  sphygmographiques 
de  M.  Lortet. 


1 The  effeet  of  exercise  on  the  boclily  température.  — Journal  of  Anat.  and  Phy- 
siol.,  2e  série,  vol.  VII,  p.  106-119,  novembre  1872. 

2 Observations  on  the  Effects  of  Exercise  on  the  Temperatur  and  Circulation. 
Proceed.  of  the  Roy.  Soc.,  XXI,  p.  574,  1872-75. 


THÉORIES  ET,  EXPÉRIENCES. 


303 


Les  discussions  entre  MM.  Lortet  et  Foret  ont  attiré  de  nouveau, 
surtout  en  Suisse,  l’attention  des  médecins  et  des  physiologistes  sur 
le  mal  des  montages.  C’est  ainsi  que  nous  voyons  M.  Dufour1  émettre 
à son  tour,  sur  ce  difficile  sujet,  une  théorie  des  plus  remarquables 
et  qui  indique  une  connaissance  profonde  des  progrès  récents  de  la 
science. 

Dans  la  séance  du  27  janvier  de  la  section  Diablerets  du  club 
alpin  Suisse,  il  a exprimé  l’idée 

Que  l’élat  maladif  assez  peu  déterminé  que  l’on  appelle  mal  de  montagne  pro- 
vient de  l’absence  dans  le  sang  des  éléments  ternaires  qui  servent  à la  combus- 
tion. (P.  72.) 

M.  Dufour  est  particuliérement  frappé  du  contraste  que  présen- 
tent les  voyageurs  et  les  aéronautes,  ceux-ci  étant  bien  portants  à 
des  hauteurs  où  les  autres  ne  peuvent  atteindre  sans  de  graves  ma- 
laises : 

Si  la  raréfaction  simple  de  l’air  eût  été  nuisible  à la  santé,  combien  plus  Glais- 
her  et  Coxwell  auraient-ils  dû  en  éprouver  les  inconvénients,  eux  qui,  en  25  mi- 
nutes, s’élevèrent  du  niveau  de  la  mer  ou  à peu  près,  jusqu’au  niveau  du  sommet 
du  mont  Blanc  ? 

En  outre,  lorsque  les  aéronautes  éprouvent  enfin  les  symptômes  pathologiques , 
ces  symptômes  ne  ressemblent  point  à ceux  du  mal  de  montagne.  M.  Glaisher 
donne  une  description  qui  rappelle  une  paralysie  de  sensibilité  et  de  mouvement 
s’étendant  régulièrement  des  extrémités  au  centre.  Cette  paralysie  est-elle  pro- 
duite par  un  arrêt  ou  un  ralentissement  de  la  circulation,  ou  bien  est-ce  un  effet 
direct  sur  l’innervation?  Nous  ne  saurions  le  dire.  Le  fait  que  M.  Coxwell  a eu 
un  instant  les  mains  bleues  semble  appuyer  la  première  hypothèse,  tandis  que  le 
fait  que  M.  Glaisher  a perdu  l’usage  de  la  rétine,  tandis  que  les  fonctions  psychi- 
ques étaient  encore  intactes,  appuierait  plutôt  la  seconde. 

En  tous  cas,  et  c’est  le  point  important  pour  nous,  les  symptômes  pathologi- 
ques arrivent  fort  tard,  et  quand  ils  arrivent , ce  ne  sont  pas  ceux  du  mal  de 
montagne. 

Nous  sommes  donc  amenés  à considérer  le  travail  musculaire  comme  étant  le 
facteur  principal  dans  la  production  du  mal  de  montagne,  et  si  la  raréfaction  de 
l’air  y contribue  un  peu , c’est  par  l’intermédiaire  de  la  combustion  que  le  tra- 
vail exige.  (R.  76.) 

M.  Dufour  pense  que  l’inanition  produite  par  le  travail  est  la 
principale  cause  du  mal  des  montagnes.  Il  raconte  en  avoir  éprouvé 
dans  la  plaine  les  symptômes  après  de  grands  efforts  musculaires  : 

M.  Dufour  a éprouvé  plusieurs  symptômes  du  mal  de  montagne,  y compris  la 
nausée,  en  remontant  du  fond  des  mines  de  Freiberg  dans  un  puits  et  par  des 

1 Sur  le  Mal  des  montagnes.  — Bullct.  de  la  Soc.  méd.  de  la  Suisse  Romande , 
1874;  p.  72-79. 


HISTORIQUE. 


30  i 

échelles  verticales.il  avait  cheminé  dans  la  mine  pendant  trois  heures  environ, 
n’avait  rien  mangé  et  le  malaise  le  prit  en  remontant,  à 50  ou  60  mètres  au-des- 
sous de  la  surface  du  sol.  Il  fallait  deux  ou  trois  repos  pour  franchir  celte  courte 
distance  verticale. 

Il  lui  arriva  également  cjue  dans  une  ascension  au  Pilate,  après  une  marche 
trop  rapide  depuis  Hergisvvyl,  il  fut  pris  d’une  prostration  excessive,  battements 
dans  le  cou,  céphalalgie  et  dyspnée.  A ce  moment,  cherchant  machinalement 
dans  la  poche  de  son  habit,  il  y trouva  un  morceau  de  pain  qu’il  porta  à sa  bou- 
che. Après  avoir  passé  cinq  minutes  à avoir  la  salive  nécessaire  pour  mouiller 
son  pain,  il  l’avala.  Quelques  minutes  après,  les  symptômes  du  malaise  disparurent 
comme  par  enchantement,  et  il  fut  possible  de  monter  très-aisément  les  100  ou 
200  mètres  qui  restaient  à gravir.  (P.  76.) 

Alors,  se  basant  sur  les  données  récentes  de  la  physiologie,  il 
considère  que  le  travail  de  l’ascension  use  la  réserve  de  malériaux 
ternaires  contenus  dans  le  sang  et  les  tissus,  d’où  résulte  l’épuise- 
ment musculaire. 

Je  veux  citer  intégralement  ce  passage  remarquable  : 

Il  est  probable  que  pendant  les  premières  heures  de  l’ascension,  le  travail 
musculaire  brûle  les  substances  non  azotées  immédiatement  disponibles  soit  dans 
la  substance  musculaire,  soit  dans  le  sang. 

Quelle  est  la  restitution  qui  doit  compenser  l’effet  d’une  dépense  si  grande  ? 
Elle  ne  peut  avoir  lieu  que  de  deux  manières  : ou  les  vaisseaux  chylifères  amènent 
dans  le  torrent  circulatoire  des  éléments  nouveaux  élaborés  par  la  digestion,  ou  bien 
l’organisme  résorbe  et  entraîne  à nouveau  dans  la  circulation  les  éléments  du 
pannicule  graisseux.  Ce  dernier  point  est  tellement  sûr,  que  travailler  beaucoup 
et  manger  peu  est  un  moyen  parfaitement  connu  de  tout  le  monde  pour  se  faire 
maigrir.  La  première  de  ces  restitutions  peut  se  faire  assez  rapidement;  la  seconde, 
si  nous  en  jugeons  par  les  phénomènes  de  résorption  auxquels  nous  assistons 
souvent,  ne  peut  se  faire  que  beaucoup  plus  lentement. 

11  est  probable  que  la  résorption  du  tissu  graisseux  pour  être  employé,  comme 
combustible,  dans  le  travail  ascensionnel,  est  un  phénomène  trop  lent  pour  suffire 
à compenser  au  fur  et  à mesure  la  dépense  occasionnée  par  le  travail  de  quelqu’un 
qui  monte  sans  s’arrêter. 

11  doit  donc  arriver  un  moment  où  le  grimpeur,  ne  mangeant  pas,  le  combusti- 
ble disponible  va  en  diminuant  et  ne  peut  être  réparé  qu’en  partie  par  la  résorp- 
tion. Cet  effet  se  produira  le  plus  facilement,  lorsqu’après  un  travail  de  quelques 
heures  le  grimpeur  attaque  une  pente  raide  qu’il  veut  gravir  trop  vite,  de  sorte 
quil  y a une  disproportion  plus  grande  encore  entre  le  travail  fourni  et  l’espace 
de  temps  employé  à le  fournir.  (P.  77.) 

Il  devient  ainsi,  selon  M.  Dufour,  très-facile  d’expliquer  : 

ci.  L’importance  du  repos,  parce  que  pendant  le  repos  la  dépense  est  nulle, 
tandis  que  la  réparation  continue. 

b.  Le  fait  qu’après  le  repos,  la  quantité  de  travail  facilement  produite  est  sen- 
siblement proportionnelle  à la  durée  du  repos  ; pour  la  même  raison  que  ci-des- 
sus. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


305 


c.  Le  fait  que,  pour  celui  qui  a le  mal  de  montagne,  tout  nouvel  effort  devient 
pénible  comme  de  se  baisser,  de  travailler  avec  les  bras.  (Voir  H.-B.  de  Saussure.) 

d.  Le  fait  que  le  mal  de  montagne  semble  atteindre  davantage  les  sujets  gras 
que  les  sujets  maigres,  parce  que  les  premiers  livrent,  à ascension  égale,  un  bien 
plus  grand  nombre  de  kilogrammètres  de  travail.  Le  fait  qu’ils  ont  dans  le  pan— 
nicule  graisseux  un  dépôt  de  combustible  est  ici  sans  importance,  car  les  gens 
très-maigres  ont  toujours  un  pannicule  suffisant  pour  fournir  au  travail  ascen- 
sionnel tel  qu’il  se  présente  en  général. 

f.  Le  fait,  enfin,  qu’un  moyen  d’éviter  le  mal  de  montagne  est  de  manger 
souvent,  c’est-à-dire  de  fournir  des  matériaux  non  plus  par  voie  de  résorption, 
mais  par  voie  de  digestion  et  absorption.  (P.  78.) 

Puis,  il  tire  de  sa  théorie  cette  conséquence  logique  : 

Nous  sommes,  en  conséquence,  amenés  à chercher,  pour  éviter  le  malaise  des 
montagnes,  un  aliment  combustible  facile  à digérer  et  à absorber. 

M.  Dufour  pense  que  le  sirop  de  sucre  ou  mieux  le  sirop  de  glycose  remplirai 
ces  conditions.  En  effet,  les  graisses,  qui  sont  le  meilleur  combustible,  deman- 
dent un  certain  temps  de  digestion  et  peuvent  ne  pas  arriver  à temps  pour  satis- 
faire à un  besoin  immédiat;  les  fécules  doivent  être  transformées  en  sucre,  le 
sirop  de  glycose  serait  donc  l’aliment  qui  arriverait  le  plus  facilement  dans  la  cir- 
culation. (P.  78.) 

La  discussion  que  souleva  l’imporlante  théorie  présentée  par 
M.  Dufour  amena  une  communication  fort  intéressante  de  M.  Ja- 
velle1, président  de  la  section  Diablerets  du  Club  Alpin  suisse. 

Les  récits  qu’elle  contient  montrent,  comme  nous  l’avons  déjà 
fait  remarquer,  que  les  personnes  atteintes  du  mal  des  montagnes , 
même  à un  assez  haut  degré,  voient  souvent  disparaître  immédiate- 
ment leur  malaise  lorsque  apparaissent  des  dangers  ou  que  devient 
nécessaire  une  forte  contention  d’esprit. 

Ils  prouvent  en  outre  que  ces  malaises  sont  beaucoup  plus  fré- 
quents qu’on  ne  se  l’imagine  d’ordinaire,  et  répondent  suffisamment 
à certains  sceptiques  qui  n’ont  pas  craint  de  railler  ce  qu’ils  appel- 
lent les  exagérations  de  M.  de  Saussure. 

Notons  que  M.  Javelle  possède  une  longue  expérience  des  hautes 
cimes,  et  qu’il  a fait  près  de  200  ascensions  de  5 à 15000  pieds, 
très-souvent  en  compagnie  de  10  à 20  jeunes  gens  : 

Le  mal  des  montagnes  se  manifeste  très-fréquemment  dans  la  région  moyenne 
des  Alpes,  entre  5 et  100Ü0  pieds,  c’est-à-dire  à une  hauteur  où  l’air  suffit  aux 
besoins  de  la  respiration  et  où  l’on  ne  peut  guère  tenir  compte,  pour  l’expliquer, 
de  l’intoxication  par  excès  d’acide  carbonique.  A 14  ou  15  000  pieds,  le  malaise 

1 Sur  le  Mal  des  montagnes.  — Bull,  de  la  Soc.  méd.  de  la  Suisse  Romande.  1874, 
p.  130-140. 


20 


506  HISTORIQUE. 

qu’éprouvent  même  les  plus  robustes  montagnards  diffère  par  plusieurs  carac- 
tères . 

Le  mal  de  montagne  affecte  tout  particulièrement  les  personnes  qui  ont  peu 
l’habitude  de  la  montagne,  et  surtout  celles  qui  mènent  une  vie  sédentaire.  Les 
anémiques  y échappent  rarement.  Les  novices  qui  débutent  par  une  forte  course 
ont  grande  chance  de  payer  le  tribut.  (P.  136.) 

Ce  malaise  se  produit  surtout  sur  la  neige  molle,  le  gazon,  les  pentes  d’éboulis 
où  la  marche  est  pénible,  dans  les  vallons  et  sur  les  longues  pentes,  en  général 
parlout  où  la  marche  est  à la  fois  fatigante  et  monotone. 

Il  se  produit  bien  rarement  durant  la  grimpée  des  rochers  ou  sur  les  arêtes, 
très-rarement  aussi  dans  les  expéditions  difficiles  ou  dangereuses. 

Une  conversation  intéressante,  ou  simplement  l’observation  attentive  du 
paysage  en  préservent  souvent. 

M.  Javelle  a remarqué  que  les  jeunes  gens  qui  faisaient  les  courses  sans  intérêt 
ni  émulation  et  seulement  pour  suivre  leurs  camarades  en  étaient  le  plus  souvent 
atteints.  (P.  15.) 

Le  rédacteur  du  Bulletin  résume  les  discussions  qui  se  sont  éle- 
vées sur  l’étiologie  du  mal  des  montagnes  dans  le  sein  du  club  al- 
pin Suisse  par  cette  phrase  curieuse  : 

Les  principaux  facteurs  sont  l’inanition,  l’intensité  et  la  rapidité  du  travail,  et 
les  dispositions  psychiques.  On  ne  peut  écarter  complètement  du  cadre  étiologique 
la  raréfaction  de  l’air  et  l'intoxication  par  l’acide  carbonique.  La  question  qui 
présente  un  certain  intérêt  offre  donc  encore  des  inconnues  à chercher.  (P.  140). 

Du  reste,  le  passage  suivant,  emprunté  au  célèbre  physicien  et  in- 
trépide ascensionniste  Tyndall  donne  également  sur  ce  sujet 
d’intéressants  renseignements  : 

Il  n’est  pas  bon  de  s'engager,  sans  avoir  mangé,  dans  ces  ascensions,  et  il  n’est 
pas  bon  de  manger  copieusement.  Il  faut  manger  un  peu  ici  et  un  peu  là,  comme 
le  besoin  s’en  fait  sentir.  Mais,  laissé  à lui-même,  l’estomac  devient  infailliblement 
malade,  et  les  forces  du  système  s’épuisent  rapidement.  Si  le  malaise  arrive  à 
amener  le  dégoût  de  la  nourriture,  les  vomissements  peuvent  survenir  et  l’esto- 
mac être  vaincu.  Un  peu  de  nourriture  suffit  pour  le  remettre.  Les  guides  les  plus 
forts  et  les  porteurs  les  plus  robustes  en  sont  quelquefois  réduits  à cette  extré- 
mité. « Sie  mussen  sich  zvvingen  ».  Les  guides  rapportent  ces  caprices  de  l’esto- 
mac à la  grande  élévation  de  l’air.  Ce  peut  être  là  une  des  causes  , mais  j’incline 
à penser  que  quelque  chose  est  dû  également  au  mouvement,  — l’action 
continue  des  muscles  sur  le  diaphragme.  Les  conditions  dans  lesquelles  se 
fait  le  voyage  et  celles  qui  l’ont  précédé  doivent  aussi  être  prises  en  grande  con- 
sidération. On  dort  peu  ou  point  ; le  repas  du  matin  est  pris  à une  heure  inac- 
coutumée; et  si  le  départ  doit  avoir  lieu  d’une  caverne  ou  d’une  cabane,  au  lieu 
d’un  lit  d’hôtel,  il  y a là  une  aggravation  sérieuse  des  conditions  mauvaises.  Ce  ne 
peut  pas  être  la  faible  différence  de  hauteur  du  mont  Blanc  et  du  mont  Rose  qui 
rend  si  différents  les  effets  de  leurs  ascensions.  C’est  que , pour  le  premier,  on  a 
pour  faire  son  café  la  neige  fondue  des  Grands-Mulets  , et  pour  lit  une  planche 

2 Tyndall,  Ilours  of  Exercise  in  the  Alps,  2e  édit.  — London,  1871. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


307 


nue  ; tandis  que  pour  l’autre,  on  jouit  de  l’auberge,  en  comparaison  bien  confor- 
table, du  Riffel.  Du  lait  et  une  croûte  de  pain  sont  tout  ce  dont  j’ai  besoin  pour 
soutenir  mes  forces  et  éviter  le  mal  des  montagnes  .(P.  504.) 

Ces  remarques  très-sages  ont  été  faites  par  beaucoup  de  voya- 
geurs, La  fatigue  plus  ou  moins  grande  qui  a précédé  l’ascension  est 
un  élément  dont  l’importance  est  bien  connue  aujourd’hui.  11  en  est 
de  même  pour  l’habitude  de  la  marche  et  du  séjour  en  montagne. 
Les  observations  suivantes  de  M.  Durier l,  à ce  propos,  sont  tout  à fait 
dignes  d’approbation.  Nous  avons  dit  plus  haut  (p.  122)  comment, 
par  une  coïncidence  singulière,  M.  Durier  et  ses  compagnons,  qui 
ne  souffrirent  nullement  de  la  décompression,  montaient  au  mont 
Blanc  juste  derrière  MM.  Lortet  et  Marcet,  dont  nous  avons  raconté 
les  malaises.  M.  Durier  explique  cette  différence  dans  les  termes 
suivants  : 

En  général,  les  physiologistes  qui  ont  étudié  sur  eux-mêmes  les  impressions  du 
mal  des  montagnes  s’arrachent  aux  travaux  de  leur  laboratoire  pour  accourir  à 
Chamounix  ; au  premier  jour  favorable,  ils  tentent  l’ascension.  Eh  bien  ! je  crois 
qu’ils  font  leur  expérience  dans  des  conditions  peu  scientifiques.  L’ascension  du 
mont  Blanc  est,  après  tout,  fort  pénible.  Elle  exige  un  exercice,  un  entraînement 
préalable.  Ces  savants  s’exposent  à confondre  les  effets  d’une  fatigue  inusitée,  qui 
prend  leurs  muscles  sans  préparation,  avec  ceux  d’une  atmosphère  raréfiée. 
(P.  63.) 

C’est  dans  ces  conditions  que  MM.  Marcet  de  Genève  et  Lortet  de  Lyon  ont  effec- 
tué leur  ascension....  Nous,  nous  étions  à la  quatrième  semaine  d’un  voyage,  d’un 
voyage  à pied , pendant  lequel , sans  nous  reposer  un  jour,  nous  avions  franchi 
quelques-uns  des  cols  les  plus  élevés  des  Alpes.  (P.  66.) 

Enfin  M.  Russel  Killough2,  dont  j’ai  signalé  les  très-sagaces  ré- 
ponses aux  sceptiques  qui  nient  le  mal  des  montagnes , est  moins 
heureux  quand  il  s’agit  d’explications  théoriques.  Il  fait  renaître, 
sans  la  moindre  preuve  à l’appui,  d’expérience  ni  de  raisonnement, 
l’hypothèse  de  l’action  funeste  de  la  neige  : 

Je  suis  prêt  à accorder  que  la  hauteur  n’est  pas  exclusivement  la  cause  de 
ces  souffrances.  Je  crois,  et  d’autres  ont  cru  avant  moi,  que  la  neige  est  un 
élément  important  de  la  question,  parce  qu’au  moment  où  l’on  touche  la  terre 
ferme,  on  se  trouve  soulagé.  Chacun  de  nous  n’a-t-il  pas  remarqué  que  sur  les 
glaciers  l’air  a un  goût  métallique,  analogue  à l’eau  de  la  fonte  des  neiges,  qu’il 
semble  vicié,  comme  si  la  glace  et  la  neige  l’empoisonnaient  de  leurs  émanations? 
Pourquoi  sous  les  tropiques,  où  l’on  marche  sur  l’herbe  à 18000  pieds,  les  nau- 
sées et  l’envie  de  dormir,  cette  espèce  de  somnambulisme,  ne  sont-ils  ressentis 
qu’à  de  bien  plus  grandes  hauteurs  qu’en  Europe? 

1 Histoire  du  mont  Blanc.  — Paris,  1873. 

2 Loc.  cit.  : On  mountains,  etc.,  1872. 


08 


HISTORIQUE. 


En  tout  cas,  quelle  qu’en  soit  la  cause , cette  souffrance  particulière  est  tout  à 
fait  hors  de  doute,  et  Uhomme  ne  peut  pas  plus  vivre  à de  certaines  altitudes  que 
dans  les  profondeurs  de  l’Océan.  (P.  244.) 

Si  des  Alpes  nous  passons  à l’Himalaya,  nous  voyons  les  voya- 
geurs modernes  nous  donner,  par  leurs  récits,  ce  témoignage  que, 
encore  de  nos  jours,  les  malaises  des  grandes  hauteurs  sont  attri- 
bués, par  les  indigènes,  à l’influence  de  plantes  qui  empoisonneraient 
l’air  au  loin. 

Ainsi  mistress  Hervey 1 y revient  à plusieurs  reprises  : 

Ces  attaques  extraordinaires,  sur  les  passes  d’une  grande  élévation,  sont  attri- 
buées par  les  natifs  à ce  qu’ils  appellent  Bisclik-Ke-Hâwa  (Bischk,  poison  ; Hàwa, 
vent)  ou  vent  empoisonné.  Ils  croient  que  le  vent  devient  empoisonné  parce  qu’il 
souffle  sur  certaines  plantes  du  groupe  des  mousses,  qui  poussent  abondamment 
sur  les  hautes  montagnes  de  Tartarie,  et  se  rencontrent  là  où  cesse  la  végétation. 
Depuis  le  sommet  du  Bara  Lâcha  jusqu’à  Yûnnumscûtchoo,  j’en  observai  des  mil- 
liers. Elles  ont  de  très-petites  fleurs  jaunes,  et  sont  de  différentes  espèces.  Une 
explication  plus  scientifique  de  cette  maladie  particulière  consiste  à l’attribuer  à 
la  grande  rareté  de  l’air  à ces  hauteurs  extrêmes.  (T.  I,  p.  153.) 

On  voit  même,  en  plusieurs  endroits  de  son  récit,  et  nous  en 
avons  cité  de  fort  curieux  sous  ce  rapport,  qu’elle  n’est  pas  toujours 
très-sûre  de  la  supériorité  de  « l’explication  plus  scientifique  ». 

Henderson2  parle  aussi  des  plantes  ; seulement,  il  ne  s’agit  plus 
d’une  espèce  de  mousse,  mais  d’artémise  : 

Avant  d’atteindre  le  camp  , beaucoup  de  nos  suivants  se  plaignaient  de  mal  de 
tète,  et  je  trouvai  plusieurs  des  pasteurs  thibétains  couchés  le  long  de  la  route, 
dans  un  état  de  prostration  complète.  Quand  je  leur  demandais  ce  qu’ils  avaient, 
ls  plaçaient  une  main  devant  leur  front,  et  avec  l’autre,  arrachaient  un  morceau 
d’une  artémise  à forte  odeur,  faisant  signe  que  cette  plante  était  cause  de  leurs 
souffrances.  Sur  plusieurs  des  passes,  cette  artémise  a une  odeur  extrêmement 
puissante,  et  tous  les  bagages,  les  chevaux  et  les  hommes  venant  d’Yarkand  en 
ont  empestés.  La  viande  de  mouton  même  a cette  odeur. 

Drew3  ne  se  borne  pas  à signaler  ce  préjugé  et  à le  réfuter  pé- 
remptoirement, il  envisage  théoriquement  la  question  elle-même  et 
recherche  non  point  pourquoi  on  est  malade,  ce  qui  lui  paraît  fort 
simple,  mais  comment  on  peut  résister  à l’influence  redoutable  de 
l’air  dilaté  : 

Dans  les  vallées  du  Rupsku,  l’eau  bout  à environ  187°  F.,  ce  qui  corres- 
ond  à une  hauteur  barométrique  de  17p.8  ; il  résulte  de  là  que  la  quantité  d’air 

1 Loc.  cit.  : The  adventures,  etc.,  1853. 

2 Loc.  cit.  : Lahore  to  Yarkand , etc.,  1875. 

3 î.oc.  cit.  : The  Jumnoo , etc.,  1875. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


309 


— et  d’oxygène  — attirée  dans  nos  poumons  par  une  inspiration  ordinaire  est 
seulement  les  7/12  de  ce  qui  y entre  au  niveau  de  la  mer.  Comment  les  Cham- 
pas  (tribus  qui  habitent  les  hautes  plaines  du  Rupsku,  au  sud-est)  arrivent-ils  à 
compenser  cette  perte?  Je  ne  puis  le  dire  avec  précision  ; je  pense,  d’abord,  qu’il 
y a une  moindre  usure  des  tissus  dans  leurs  corps  que  dans  ceux  qui  vivent  dans 
des  régions  plus  basses  et  plus  chaudes  ; ils  se  donnent  moins  d’exercice  muscu- 
laire que  les  peuples  des  contrées  environnantes  ; il  est  vrai  qu’ils  sont  bons  mar- 
cheurs, mais  ils  ne  se  soucient  pas  beaucoup  de  cette  qualité  et  ne  veulent  pas 
porter  de  fardeaux.  Surveiller  des  troupeaux  n’est  pas  une  occupation  qui  amène 
les  muscles  à agir  puissamment.  Mais  cela  ne  peut  pas  tout  expliquer  ; il  doit  y 
avoir  quelque  habitude  compensatrice  qui  les  rend  capables  d’absorber  un  large 
volume  de  cet  air  raréfié;  probablement,  et  sans  en  avoir  conscience,  ils  respi- 
rent plus  profondément. 

Chez  nous,  cette  compensation  d’oxygène  tend  à se  faire  par  un  moyen  simple 
et  direct.  La  respiration  devient  plus  rapide  et  plus  ample  ; il  y a un  effort  pour 
augmenter  à la  fois  le  nombre  des  inspirations  et  la  capacité  de  chacune  d’elles. 
L’intensité  de  cet  effet  augmente  chaque  fois  qu’on  s’élève  un  peu  lorsqu’on  est 
déjà  au-dessus  du  niveau  où  la  respiration  ordinaire  suffit.  (P.  290.) 

Les  natifs  attribuent  communément  ces  effets  fâcheux  de  l’air  raréfié  à des 
plantes  qui,  dans  leur  opinion,  ont  le  pouvoir  d’empoisonner  l’air.  Quelques-unes 
des  herbes  qui  poussent  sur  les  grandes  hauteurs  exhalent  une  odeur  quand  on 
les  froisse,  et  c’est  à elles  qu'on  attribue  les  malaises.  L'oignon,  dont  on  abuse  tant, 
qui  pousse  sauvage  à de  grandes  hauteurs,  est  souvent  accusé.  Mais  une  réponse 
aisée  à cette  erreur,  c’est  que  les  effets  sont  les  plus  marqués  sur  les  hauteurs  où 
ces  plantes,  et  aussi  toute  végétation  ont  disparu.  (P.  292.) 

Ces  idées  sont  bien  autrement  nettes  et  sûres  que  celles  du  capi- 
taine Burton  1 sur  l’origine  du  mal  des  montagnes  : 

Quelques-uns  essayaient  d’expliquer  notre  immunité  pour  le  mal  des  monta- 
gnes ou  la  puna  sur  le  Grand-Pic,  par  l'existence  d’un  vent  soufflant  violemment 
et  constamment  de  l’est,  qui  apportait  à nos  poumons  la  quantité  d’oxygène  né- 
cessaire à leur  consommation.  Je  crois,  cependant,  que  cette  maladie  doit  être, 
comme  le  mal  de  mer,  un  désordre  du  foie  ou  de  l'estomac,  souvent  aggravé  par 
les  stimulants  et  par  un  violent  et  soudain  exercice.  (T.  II,  p.  121.) 

Le  célèbre  voyageur  africain  cite  sérieusement  à ce  propos  un 
passage  d’un  ouvrage  que  je  n’ai  pu  me  procurer,  qui  contient,  je 
crois,  l’une  des  idées  les  plus  bouffonnes  qui  aient  été  émises  en 
cette  difficile  matière  : 

Selon  le  Dr  J.  llunt  ( Acclimatisation  of  Man ) les  Européens  ne  peuvent  pas  vivre 
à une  grande  élévation  longtemps  dans  l’hémisphère  nord;  les  natifs  du  sud  le 
peuvent....  « Cette  différence  entre  l’hémisphère  nord  et  le  sud  est,  dit-il,  cau- 
sée par  la  différence  de  l’attraction  au  pôle  Nord.  Dans  l’hémisphère  nord  l’ascen- 
sion d’une  haute  montagne  cause  un  appel  de  sang  à la  tête  ; dans  le  Sud,  c’est 
une  attraction  aux  pieds  : de  là  la  cause  des  malaises  éprouvés  dans  l’ascension 
d'une  montagne  dans  le  premier  hémisphère.  » 


1 Abeokuta.  — London  ; 2 vol.,  1863. 


310 


HISTORIQUE. 


Je  terminerai  cette  longue  série  de  citations  en  rapportant  presque 
au  complet  deux  notes  très-intéressantes,  dues  à la  plume  de  méde- 
cins fort  distingués,  et  dans  lesquelles  sont  étudiés  les  effets  d’altitu- 
des insuffisantes  pour  produire  le  mal  des  montagnes,  mais  suffisan- 
tes pour  amener  des  modifications  physiologiques  dont  la  thérapeu- 
tique a pu  tirer  parti. 

La  première  est  de  M.  le  Dr  Jaccoud1,  et  est  consacrée  à l'étude,  au 
point  de  vue  médical,  de  la  station  de  Saint-Moritz,  dans  la  haute 
Engadine. 

Les  oscillations  extrêmes  du  baromètre  à rétablissement  des  bains 
sont  comprises  entre  599  et  627mm.  La  hauteur  du  village  de  Saint- 
Moritz  est  de  1855m  au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  Sur  le  vaste 
plateau  de  l’Engadine,  le  climat  se  montre  beaucoup  plus  clément 
que  sur  les  hauteurs  correspondantes  du  reste  de  la  Suisse  : 

Chez  l’adulte  en  bonne  santé,  les  premiers  effets  de  l’altitude  se  révèlent  par 
une  augmentation  de  l’appétit  qui  se  fait  sentir  dès  le  premier  jour,  et  qui  mar- 
che de  pair  avec  un  accroissement  proportionnel  de  la  puissance  digestive  et  as- 
similative 

La  suractivité  parallèle  des  fonctions  digestives  et  de  l’échange  nutritif  est 
démontrée,  d’une  part,  par  la  facilité  et  la  rapidité  des  digestions,  malgré  l’aug- 
mentation des  ingesta;  d’autre  part,  par  les  changements  de  proportion  entre 
le  tissu  graisseux  et  le  tissu  musculaire.  Le  premier  diminue  notablement  par 
suite  d’un  séjour  prolongé  sur  la  haute  Engadine  , tandis  que  les  muscles  pren- 
nent un  développement  prépondérant  qui  se  traduit  par  l’accroissement  des  for- 
ces et  de  la  capacité  motrice 

L’abaissement  de  la  pression  atmosphérique  détermine  l’accélération  des  batte- 
ments du  cœur  ; j’ai  constaté  sur  moi  une  augmentation  variant  de  douze  à dix- 
huit  dans  le  nombre  des  pulsations  radiales  ; en  outre , la  circulation  dans  son 
ensemble  est  notablement  modifiée,  en  ce  sens  qu’il  se  fait  à la  périphérie  un 
puissant  afflux  sanguin  ; les  capillaires  cutanés  sont  turgescents,  et  les  téguments 
prennent  une  couleur  d’un  rouge  violet  que  l’on  retrouve  sur  les  muqueuses  su- 
périeures, notamment  sur  celles  de  la  bouche  et  de  la  langue;  si  le  séjour  est 
prolongé  durant  quelques  semaines,  la  prédominance  de  la  circulation  périphé- 
rique produit  une  pigmentation  plus  forte  de  la  peau  : comme  ce  phénomène  est 
plus  marqué  sur  les  régions  habituellement  exposées  à l’action  du  soleil,  on  pour- 
rait croire  qu’il  ne  s’agit  ici  que  d’une  pigmentation  par  irradiation  solaire; 
mais  la  même  modification  a lieu  sur  les  parties  protégées  par  les  vêtements,  et 
sa  cause  véritable  est  par  là  nettement  démontrée.  Dans  quelques  cas,  plus  rares 
qu’on  ne  le  supposerait  à priori , de  légères  épistaxis  témoignent  aussi  du  change- 
ment survenu  dans  la  répartition  du  sang. 

L’appel  incessant  du  sang  à la  périphérie  maintient  les  viscères  dans  un  état 
d’anémie  relative,  lequel,  en  raison  de  son  degré,  11e  se  révèle  que  par  des  phé- 
nomènes favorables  ; les  fonctions  cérébro-spinales  sont  plus  actives  et  plus  fa- 
ciles, la  tête  est  libre  et  légère,  la  puissance  locomotrice  est  accrue,  la  respiration 


1 I.ci  Station  médicale  de  Saint-Moritz  [Engadine) . — Paris,  1813. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


311 


est  remarquablement  aisée,  encore  bien  que  le  mode  en  soit  grandement  modi- 
fié, comme  nous  le  verrons  dans  un  instant.  Ces  changements  organiques  éveil- 
lent chez  l’individu  qui  les  subit  le  sentiment  d’une  force  nouvelle,  qu’il  juge  par 
comparaison  avec  son  état  ordinaire  ; il  se  sent  dispos  et  gaillard,  il  a un  entrain 
que  justifie  l’accroissement  réel  de  sa  capacité  pour  le  travail  physique.  (P.  31.) 

La  raréfaction  de  l’air  à l’altitude  de  Saint-Moritz  produit  dans  la  fonction  res- 
piratoire deux  changements  qui  sont  le  point  de  départ  d’importantes  modifica- 
tions. La  fréquence  de  la  respiration  est  augmentée  , le  nombre  moyen  de  mes 
inspirations  à Paris,  au  repos,  est  de  15  par  minute  ; il  est  de  19  à 20  dans  l’Eïî- 
gadine  ; en  même  temps  qu’elle  est  plus  fréquente,  la  respiration  est  plus  pro- 
fonde ou,  pour  mieux  dire,  plus  ample  ; la  raison,  c’est  que  dans  ce  milieu  raré- 
fié, il  faut  une  capacité,  une  absorption  inspiratoire  plus  grande  , pour  mainte- 
nir dans  l’appareil  pulmonaire  la  quantité  d’air  nécessaire  à l’accomplissement 
régulier  des  opérations  de  l’hématose  et  de  la  nutrition  en  état  de  suractivité. 
Or,  l’augmentation  légère  du  nombre  des  inspirations  ne  saurait  amener  ce  ré- 
sultat; il  ne  peut  être  dû  qu’à  une  ampliation  pulmonaire  plus  considérable,  qui 
met  en  jeu  certaines  régions  du  poumon  que  j’appelle  paresseuses,  parce  que, 
dans  les  conditions  ordinaires,  elles  ne  prennent  qu’une  très-faible  part  à l’ex- 
pansion inspiratoire  ; ces  régions  sont  les  parties  supérieures  des  organes.  Mais 
comme  la  pression  atmosphérique  est  abaissée,  cette  participation  plus  complète 
du  poumon  à l’acte  inspiratoire  implique  nécessairement  une  augmentation  d’ac- 
tion des  forces  musculaires  qui  président  à l’ampliation  du  thorax  ; et  cet  ensem- 
ble de  conditions  subordonnées,  toutes  issues  du  changement  de  pression  dans 
le  milieu  respirable,  a pour  résultat,  en  fin  de  compte,  une  gymnastique  métho- 
dique régulière  et  constante  de  l’appareil  respiratoire,  qui  est  maintenu  sans  fa- 
tigue au  maximum  de  l’activité  fonctionnelle. 

Ainsi  sont  produits,  par  une  intervention  active  des  organes  de  respiration,  des 
effets  analogues  à ceux  qu’ils  subissent  passivement  sous  l’influence  de  l’air  com- 
primé; dans  l’air  raréfié,  l’absorption  inspiratoire  devient  complète  par  le  fait 
d’un  travail  actif  des  puissances  musculaires;  dans  l’air  comprimé  , l’absorption 
inspiratoire  accrue  est  la  conséquence  d’une  pression  augmentée  , sous  laquelle 
les  poumons,  et  les  poumons  seuls,  cèdent  passivement.  Ce  rapprochement,  qui  me 
paraît  digne  d’intérêt,  suffit  pour  établir  la  supériorité  de  la  première  condition, 
au  point  de  vue  du  développement  et  de  l’exercice  réguliers  des  fonctions  pul- 
monaires. (P.  34.)  • « 

Ainsi,  augmentation  du  nombre  et  de  l’amplitude  des  mouve- 
ments respiratoires,  dans  le  but  de  compenser  le  déficit  en  oxygène 
dû  au  moindre  poids  de  l’air,  accélération  des  battements  du 
cœur,  appel  du  sang  à la  périphérie  du  corps,  tels  sont,  aux  yeux 
de  M.  Jaccoud,  les  effets  sur  l’organisme  d’une  dépression  de  15  à 
16  centimètres. 

M.  le  Dr  Armieux1,  dont  il  me  reste  à parler,  a examiné  avec  soin 
les  militaires  confiés  à sa  direction  médicale  à la  station  thermale 
de  Baréges  (1270m). 

Effets  physiologiques  du  climat  et  des  eaux  de  Baréges . — Mém.  de  V Acad,  des  Sc. 
Inscr  et  Belles-Lettres  de  Toulouse , 7e  série,  t.  IV,  p.  214-231,  1873. 


312 


HISTORIQUE. 


Il  commence  par  calculer  la  diminution  du  poids  d’air  supporté 
par  le  corps  de  l’homme  à la  hauteur  de  Baréges;  elle  serait  d’en- 
viron 220  kil.  ; « cette  diminution,  dit-il,  est  très-appréciable  ; on  a 
plus  d’agilité,  de  vigueur  (p.  7).  » 

Enfin,  à Baréges,  eu  égard  à la  densité  de  l’air,  on  est  en  déficit, 
au  point  de  vue  de  la  quantité  d’oxygène  introduite  dans  les  pou- 
mons, par  heure  de  22  g.  56  et  par  jour  de  541  g.  44. 

Mais  voici  la  partie  vraiment  originale  du  travail  de  M.  Armieux  : 

Le  4 mai  1867,  je  mesurai,  à Toulouse,  la  poitrine  de  quatre-vingt-dix  infir- 
miers, désignés  pour  Baréges.  La  circonférence  pectorale,  prise  horizontalement, 
au  niveau  des  mamelons,  m’a  donné  une  moyenne  de  871  millimètres,  au  repos, 
et  905  millimètres  dans  la  plus  grande  amplitude  obtenue  par  une  forte  in- 
spiration. 

Ces  hommes  sont  arrivés  à Baréges  le  15  mai,  ils  n’ont  pas  fait  de  cure  thermale, 
et  les  observations  ultérieures  ont  démontré  l’influence  seule  du  milieu  hygié- 
nique. 

Le  27  juin,  c’est-à-dire  après  quarante-trois  jours  de  résidence,  leur  poitrine 
mesurée  de  nouveau  a donné  les  moyennes  de  888  millimètres  de  circonférence 
au  repos  et  917  millimètres  dans  la  plus  grande  expansion;  l’augmentation  de 
circonférence  a donc  été  en  moyenne,  dans  le  premier  cas,  de  17  millimètres, 
dans  le  second  de  12  millimètres. 

Le  17  septembre,  après  un  séjour  de  quatre  mois  à Baréges,  les  mêmes  sujets, 
soumis  à une  nouvelle  mensuration,  ont  fourni  les  résultats  moyens  suivants  : 
900  millimètres  au  repos  et  950  millimètres  dans  l’amplitude  forcée;  il  y avait 
une  acquisition  moyenne  nouvelle  de  12  ou  15  millimètres  sur  les  mesures  du 
mois  de  juin,  et  une  augmentation  progressive  totale,  après  quatre  mois,  de 
25  millimètres  dans  l’amplitude,  et  de  52,9  millimètres  au  repos. 

Il  est  donc  incontestable  que  la  poitrine  de  ces  militaires  a augmenté  de 
capacité,  en  quatre  mois,  dans  une  assez  forte  proportion,  par  suite  de  leur 
transport  dans  une  station  dont  l’altitude  est  de  1100  mètres  plus  élevée  que 

celle  qu’ils  habitaient  auparavant 

• ••  • ••  • •••••••••••■•••  •••• 

Pour  arriver  à une  preuve  plus  directe,  nous  avons  fait,  en  1868,  une  ex- 
périence confirmative  de  la  précédente,  en  ayant  soin  de  prendre  le  poids  exact 
des  sujets,  afin  de  comparer  leur  acquisition  matérielle  totale  avec  l’augmen- 
tation de  volume  de  la  poitrine. 

Nous  avons  voulu  également,  cette  fois,  tenir  compte  des  modifications  que 
pouvaient  éprouver  le  pouls,  les  mouvements  respiratoires,  par  le  transport  sur 
les  altitudes. 

Nous  avons  soumis  quatorze  infirmiers  à une  observation  rigoureuse,  avant 
leur  départ  pour  Baréges  et  après  trente-cinq  jours  de  résidence  dans  cette 
localité. 

Le  tableau  suivant  donne  les  détails  et  les  moyennes  de  nos  observations  : 


THEORIES  ET  EXPERIENCES 


313 


314 


HISTORIQUE. 


Nous  y voyons  que  l’acquisition  en  poids  est  de  1 kil.  286  grammes,  en 
moyenne,  variant  de  1 à 4 kilogrammes  chez  douze  de  ces  militaires,  et  éprou- 
vant une  légère  diminution  chez  deux  d’entre  eux,  tandis  que  l’augmentation  de 
volume  de  la  poitrine  est  en  moyenne  de  près  de  2 centimètres,  ce  qui  est 
relativement  plus  considérable  ; cet  accroissement  a pu  aller  jusqu’à  7 centimètres 
chez  le  premier  sujet;  enfin,  il  est  général  et  existe  même  sur  ceux  qui  ont 
diminué  de  poids,  ce  qui  est  péremptoire. 


Pour  êlre  complet,  je  transcris  ici  un  passngequi  vise  la  compo- 
sition des  gaz  du  sang,  bien  qu’il  renferme  d’inexplicables  erreurs, 
et  que  je  n’en  comprenne  ni  le  but  ni  les  résultats;  mais  il  est  in- 
téressant de  montrer  par  un  exemple  tout  récent  combien  ces  ques- 
tions renferment  encore  d’inconnues,  d’obscurités,  aux  yeux  mêmes 
des  médecins  les  plus  instruits  : 

Outre  les  phénomènes  que  nous  venons  d’exposer,  il  se  produit,  par  suite  de 
la  diminution  de  pression  atmosphérique,  une  dilatation  et  une  tension  plus 
grande  des  gaz  contenus  dans  les  vaisseaux  sanguins.  Le  sang  veineux  contient 
par  litre  : 

Oxygène  ..... 

Azote  

Acide  carbonique  . 

Total 81  centimètres  cubes. 

Le  sang  artériel  renferme  par  litre  : 

Oxygène  . . 24  centimètres  cubes. 

Azote  . 13  — 

Acide  carbonique  . 64  — 

Total 101  centimètres  cubes. 

Pour  M.  Schœuffèle  qui  a étudié  la  question  à Baréges  même,  ces  chiffres 
deviennent  à la  pression  de  65  centimètres  : 94780  pour  le  sang  veineux  et 
119640  pour  le  sang  artériel;  l’augmentation  du  volume  du  gaz  intra-vasculaire 

rait  donc  en  moyenne,  de  11,25  pour  100  à l’altitude  de  Baréges. 

M.  Armieux  termine  son  travail  par  les  conclusions  suivantes  : 

Les  expériences  que  je  viens  de  relater  démontrent  que,  par  les  effets  de  l’alti- 
tude, les  personnes  qui  arrivent  à Baréges,  éprouvent  : 

1°  Une  augmentation  notable  de  la  capacité  thoracique  pour  faire  une  compen- 
sation au  déficit  d’oxygène; 

2°  Une  augmentation  de  poids,  qui  indique  une  plus  grande  activité  de  la 
nutrition  ; 

5°  Une  accélération  des  mouvements  respiratoires; 

4°  Une  diminution  dans  la  fréquence  du  pouls; 

5°  Un  défaut  de  corrélation  entre  les  deux  relations  de  la  respiration  et  de  la 
circulation  ; 


11  centimètres  cubes. 
15  — 

55  — 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES.  515 

6°  Une  dilatation  des  gaz  contenus  physiologiquement  dans  les  vaisseaux  san- 
guins, par  suite  de  la  diminution  de  la  pression  atmosphérique; 

7°  Une  disposition  plus  grande  à la  diaphorèse  par  la  même  cause. 

Cette  augmentation  notable  de  la  capacité  thoracique,  observée 
par  M.  Armieux  chez  les  militaires  soumis  d’une  manière  continue 
à rinfluence  d’une  faible  pression  barométrique,  rappelle  ce  que 
disait  bien  longtemps  auparavant  d’Orbigny1,  en  parlant  d’une  tribu 
péruvienne,  les  Quichuas,  qui  vivent  dans  les  hautes  régions  de  la 
Cordillère  : 

Les  formes  sont  plus  massives  chez  les  Quichuas  que  chez  les  autres  nations 
des  montagnes  ; nous  pouvons  les  présenter  comme  caractéristiques.  Les  Qui- 
chuas ont  les  épaules  très-larges,  carrées,  la  poitrine  excessivement  volumineuse, 
très-bombée  et  plus  longue  qu’à  l’ordinaire,  ce  qui  augmente  le  tronc  ; aussi  le 
rapport  normal  de  longueur  respective  de  celui-ci  avec  les  extrémités  ne  parait-il 
pas  être  le  même  chez  les  Quichuas  que  dans  nos  races  européennes,  et  diffère-t-il 
également  de  celui  des  autres  rameaux  américains.  (T.  I,  p.  226.) 

Et  le  célèbre  voyageur  frappé  tout  à la  fois  de  cette  amplitude 
thoracique,  de  l’habitat  de  cette  tribu,  de  son  immunité  pour  le 
soroche , essaye  de  préciser  le  fait  anatomique  et  de  le  relier 
théoriquement  aux  conditions  de  vie  de  ces  Indiens. 

Revenons  aux  causes  qui  déterminent,  dans  les  Quichuas,  le  grand  volume  que 
nous  y avons  observé  : beaucoup  de  recherches  ont  dû  nous  le  faire  attribuer  à 
l’influence  des  régions  élevées  sur  lesquelles  ils  vivent  et  aux  modifications  ap- 
portées par  l’extrême  dilatation  de  l’air.  Les  plateaux  qu’ils  habitent  sont  toujours 
compris  entre  les  limites  de  7500  à 15000  pieds,  ou  de  2500  à 5000  mètres  d’élé- 
vation au-dessus  du  niveau  de  la  mer;  aussi  l’air  y est-il  si  raréfié,  qu’il  en  faut 
une  plus  grande  quantité  qu’au  niveau  de  l’Océan,  pour  que  l’homme  y trouve 
les  éléments  de  la  vie.  Les  poumons  ayant  besoin,  par  suite  de  leur  grand  volume 
nécessaire,  et  de  leur  plus  grande  dilatation  dans  l’inspiration,  d’une  cavité  plus 
large  qu’aux  régions  basses,  cette  cavité  reçoit,  dès  l’enfance  et  pendant  toute  la 
durée  de  l’accroissement,  un  grand  développement,  tout  à fait  indépendant  de 
celui  des  autres  parties. 

Nous  avons  voulu  nous  assurer  si,  comme  nous  devions  le  supposer  a priori, 
les  poumons  eux-mêmes,  par  suite  de  leur  plus  grande  extension,  n’avaient  pas 
subi  de  modifications  notables.  Habitant  la  ville  de  Paz,  élevée  de  5717  mètres 
au-dessus  du  niveau  de  l’Océan,  et  informé  qu’à  l’hôpital  il  y avait  constamment 
des  Indiens  des  plateaux  très-populeux  plus  élevés  encore  (5900  à 4400  mètres), 
nous  avons  eu  recours  à la  complaisance  de  notre  compatriote  M.  Burnier,  mé- 
decin de  cet  hôpital;  nous  l’avons  prié  de  vouloir  bien  nous  permettre  de  faire 
l’autopsie  du  cadavre  de  quelques-uns  des  Indiens  des  plus  hautes  régions,  et 
nous  avons,  comme  nous  nous  y attendions,  reconnu  avec  lui  aux  poumons  des 
dimensions  extraordinaires,  ce  qu’indiquait  la  forme  extérieure  de  la  poitrine. 
(M.  Burnier  nous  fit  remarquer,  en  outre,  que  les  poumons  paraissaient  divisés  en 
cellules  beaucoupplus  nombreuses  qu'à  l’ordinaire.  Ce  fait  nous  paraissant  étrange 

1 L'homme  américain,  2 vol.  — Paris,  1859. 


318 


HISTORIQUE. 


et  difficile  à admettre,  nous  avons  prié  M.  Burnier  de  répéter  ces  observations 
sur  un  plus  grand  nombre  de  sujets;  et  lorsqu’après  quelques  années  nous 
avons  revu  ce  médecin  instruit,  il  nous  l’a  de  nouveau  complètement  confirmé.) 
Nous  avons  remarqué  que  les  cellules  sont  plus  grandes  que  celles  des  poumons 
que  nous  avions  disséqués  en  France;  condition  aussi  nécessaire  pour  augmenter 
la  surface  en  contact  avec  le  fluide  ambiant.  En  résumé,  lions  avons  cru  recon- 
naître  : 1°  que  les  cellules  sont  plus  dilatées;  2°  que  leur  dilatation  augmente 
notablement  le  volume  des  poumons:  3°  que  par  suite  il  faut  à ceux-ci  pour  les 
contenir,  une  cavité  plus  vaste  ; 4°  que,  dès  lors,  la  poitrine  a une  capacité  plus 
grande  que  dans  l’état  normal  ; 5°  enfin,  que  ce  grand  développement  de  la  poi- 
trine allonge  le  tronc  un  peu  au  delà  des  proportions  ordinaires,  et  le  met  presque 
en  désharmonie  avec  la  longueur  des  extrémités,  restées  ce  qu’elles  auraient  dû 
être,  si  la  poitrine  avait  conservé  ses  dimensions  naturelles.  (T.  I,  p.  267.) 

Ces  observations  anatomiques  sont  tellement  intéressantes  que  la 
Société  d’ Anthropologie  crut  devoir  en  introduire  la  vérification 
parmi  les  Questions  ethnologiques  et  médicales  relatives  au  Pérou , 
dont  elle  proposa  en  1861  la  solution  aux  voyageurs. 

Le  savant  rapporteur,  M.  Gosse  père1,  fait  remarquer  que,  « jus- 
qu’à ce  jour,  les  assertions  de  d’Orbigny  n’ont  été  vérifiées  par 
aucun  voyageur  » (p.  107).  Il  indique  même  un  fait  qui  semble- 
rait prouver  qu’il  s’agit  là  d’un  caractère  de  race  indépendant 
du  milieu,  puisque  : 

Les  descendants  des  montagnards  colonisés  par  les  Incas,  sur  les  bords  de  la 
mer,  près  de  Cobija,  auraient  conservé  jusqu’à  nos  jours,  sous  l’influence  de 
l’hérédité,  la  constitution  physique  spéciale,  censée  acquise  dans  l’atmosphère 
des  plateaux  élevés.  (P.  108.) 

La  même  année,  M.  Jourdanet2,  parlant  des  Indiens  du  Mexique, 
disait  : 

L’Indien,  qu’on  peut  considérer  comme  définitivement  acclimaté,  possède  une 
poitrine  dont  l’ampleur  dépasse  les  proportions  qu’on  devrait  attendre  de  sa  taille 
peu  élevée.  Aussi  se  livre-t-il  sans  gêne  à des  exercices  qui  auraient  lieu  de 

surprendre  en  tous  pays Sa  vaste  poitrine  le  met  à l’aise  au  milieu  de  cet  air 

délié.  (P.  98.) 

Sur  ce  point  également,  il  fut  contredit  par  Coindct3.  Selon  cet 
observateur,  pour  une  série  de  Français  dont  la  taille  moyenne  était 
lm678,  la  circonférence  thoracique  au  niveau  des  mamelons  était 
92e, 450,  tandis  que  chez  les  Mexicains,  dans  une  taille  moyenne 
de  lm620,  elle  tombait  à 89e, 048. 

1 Instruction  pour  le  Pérou.  — Bull,  de  la  Soc.  d’Anthrop.  de  Paris,  t.  II,  p.  86-137. 
— Paris,  1861. 

2 Les  altitudes  de  V Am.  trop  ; Paris,  1861. 

1 Gaz.  hebd.;  1863,  p.  779. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


317 


Mais  le  voyageur  anglais  Forbes  confirma  les  observations  de 
d’Orbigny  et  de  M.  Jourdanet  : 

M.  D.  Forbes,  dit  M.  Darwin  *,  quia  mesuré  avec  grand  soin  un  grand  nombre 
d’Aymaras,  vivant  à une  altitude  comprise  entre  10  et  15000  pieds,  m’informa 
qu’ils  diffèrent  très-notablement  des  hommes  de  toutes  les  autres  races  qu’il  a 
vues,  par  la  circonférence  et  par  la  longueur  de  leur  corps. 

Enfin,  dans  son  dernier  livre,  M.  Jourdanet1 2  précise  les  faits  en 
disant  : 

Je  possède  le  relevé  d’un  grand  nombre  d’observations  qui  ne  permettent  pas  de 
conserver  le  moindre  doute.  Elles  m’autorisent  à affirmer  que,  pour  une  moyenne 
de  taille  de  160  à 163  centimètres,  les  Indiens  de  l’Anahuac  ont  un  sternum  d’une 
longueur  de  227mm,  sur  895mm  de  circonférence  thoracique,  mesurée  immédiate- 
ment au-dessus  des  mamelles. 

D’autre  part,  mes  recherches  m’avaient  amené  à constater  d’une  manière  gé- 
nérale que,  pour  trouver  les  mêmes  dimensions  de  poitrine  chez  les  créoles,  il 
fallait  s’élever  à la  taille  de  168  à 173  centimètres,  (T.  I,  p.  317.) 

Ainsi,  il  s’agit  bien  moins,  en  réalité,  d’une  capacité  thoracique 
extraordinairement  vaste,  que  d’une  taille  moins  élevée,  ou  pour 
parler  plus  exactement,  que  de  membres  inférieurs  moins  longs  par 
rapport  à la  hauteur  du  tronc. 

Mais  revenons  aux  instructions  du  Dr  Gosse. 

M.  Gosse  fait  suivre  ses  observations,  pleines  de  sagacité,  sur  ce 
point  intéressant,  par  un  questionnaire  sur  le  mal  des  montagnes , 
que  je  crois  devoir  reproduire  intégralement  ici  : 

L’étude  de  l’influence  qu’exerce  l’air  raréfié  des  hauteurs  dans  les  Andes  péru- 
viennes, sur  la  constitution  physiologique  de  leurs  habitants,  nous  conduit  naturel- 
lement à celle  des  accidents  produits  par  cette  cause  sur  les  personnes  étrangères 
aux  plateaux,  qui  s’y  exposent  imprudemment  ou  trop  brusquement,  et  sur  les 
moyens  auxquels  on  a recours  pour  les  combattre  ou  du  moins  pour  en  mitiger  les 
effets. 

Si  les  accidents  observés  dans  nos  Alpes  européennes,  et  auxquels  on  donne  le 
nom  de  mal  des  montagnes , se  bornent  en  général  à une  anhélation  extrême, 
accompagnée  de  céphalagie,  de  battements  dans  les  carotides,  de  palpitations, 
de  nausées,  d'un  trouble  des  fonctions  digestives,  d’une  grande  lassitude  et 
parfois  de  syncopes,  ceux  qui  se  déclarent  dans  les  Andes  du  Pérou,  et  qu’on 
désigne  par  les  noms  de  soroché,  de  mareo  ou  de  veta , acquièrent,  dit-on,  une 
violence  telle  qu’ils  méritent  de  fixer  l’attention  des  médecins  explorateurs,  et 
d’autant  mieux  que  l’on  n’a  pas  toujours  analysé  suffisamment,  dans  ce  cas,  le 
mécanisme  de  l’action,  ordinairement  combinée,  de  la  diminution  de  l’oxygène 
dans  l’air  et  de  la  pression  atmosphérique,  de  l’abaissement  éventuel  de  la  tem- 

1 Descendance  de  l'homme , t.  I,  p.  330. 

2 Influence  de  la  pression  de  l'air;  Paris,  1875. 


518 


HISTORIQUE. 


pérature,  sous  un  rayonnement  plus  facile  du  calorique,  de  l’absence  d’humidité, 
et  surtout  de  l’exercice  forcé  des  muscles,  et  que  même,  pour  en  expliquer  les 
anomalies,  on  a été  disposé  à soupçonner  l’existence,  au  Pérou,  de  causes  spéciales 
inconnues,  qui  ne  se  rencontreraient  pas  ailleurs. 

Des  observations  bien  faites,  de  nouveaux  documents  bien  constatés,  serviraient 
à dissiper  les  doutes  et  à concilier  les  opinions.  C’est  dans  ce  but  que  nous  croyons 
devoir  poser  les  questions  suivantes  : 

1°  Quels  sont  les  symptômes  caractéristiques  du  soroché  des  Andes  péruviennes, 
propres  aux  systèmes  nerveux,  sanguin,  pulmonaire  ou  musculaire? 

2°  Quelle  est  la  succession  normale  de  ces  symptômes,  dans  les  cas  les  plus 
ordinaires,  et  quels  sont  ceux  qui  prédominent? 

5°  Existe-il  des  symptômes  précurseurs  de  l’attaque  aiguë,  et  quels  sont-ils? 

4°  Remarque-t-on  fréquemment,  à de  très-grandes  hauteurs,  une  tendance  aux 
hémorrhagies  nasales,  labiales,  pulmonaires,  oculaires,  cutanées,  etc.,  etc.? 

5°  L’injection  de  la  cornée  et  l’érythème  de  la  face  s’observent-ils,  indépen- 
damment de  la  réverbération  de  la  lumière  par  la  neige? 

6°  Observe-t-on  que  la  peau  prenne  une  teinte  livide  ou  comme  cyanosée  à une 
hauteur  qui  ne  peut  être  moindre  de  5800  mètres,  mais  qui,  sous  la  latitude  du 
Pérou,  doit  s’élever  jusqu’au  niveau  des  neiges  étemelles?  Et  si  ce  phénomène  se 
produit,  n’est-il  que  passager  à la  montée,  ou  persiste-t-il  à l’arrivée  au  som- 
met? 

7°  Lorsque  les  habitants  des  hauteurs  descendent  dans  les  plaines  et  vers  le 
bord  de  la  mer,  éprouvent-ils  un  trouble  dans  leurs  fonctions,  et  en  quoi  consiste 
ce  trouble? 

8°  Observe-t-on  souvent  un  trouble  moral  correspondant  au  trouble  physique, 
du  découragement,  ou  une  irritabilité  de  caractère? 

99  Les  accidents  du  soroché  sont-ils  les  mêmes  sur  les  versants  orientaux  ou 
occidentaux  des  Andes,  quelle  que  soit  l’exposition  des  lieux  où  on  les  observe? 

10°  Ne  surviennent-ils  qu’à  la  limite  des  neiges  éternelles,  comme  le  soutien- 
nent certains  auteurs,  ou  bien  les  Andes  péruviennes  et  boliviennes  fournissent- 
elles  des  exceptions  bien  constatées  cà  celte  règle? 

11°  Des  étrangers  aux  plateaux  des  Andes  éprouvent -ils  le  soroché  lorsqu’ils 
arrivent  à cheval  sur  les  hauteurs  de  la  Cordillère?  Et  lorsqu’ils  en  ressentent 
les  atteintes,  des  efforts  musculaires  ont-ils  ordinairement  précédé  le  trouble  des 
organes  de  la  circulation  de  la  respiration  ? 

12°  Les  effets  du  soroché  diffèrent-ils  suivant  l’âge  et  le  sexe? 

15°  Varient-ils  suivant  les  idiosyncrasies,  et  quelles  sont  celles  qui  y pré- 
disposent ou  l’éloignent  ? 

14°  Quelle  est  l’influence  qu’exercent,  sur  sa  production,  et  sur  ses  symptômes, 
les  saisons,  les  vents  régnants,  ou  les  orages? 

15°  Quelle  est  l’influence  du  froid  dans  les  lieux  où  le  soroché  se  manifeste? 
Indiquer  la  température  moyenne  de  ces  lieux  et  la  température  absolue,  au 
moment  des  accidents. 

16°  Quelle  est  l’influence  de  la  sécheresse  ou  de  l’humidité? 

17°  Est-il  prouvé  que  la  hauteur  absolue  dans  l’atmosphère  ne  suffit  pas  pour 
expliquer  certaines  anomalies  locales?  Et  si  le  fait  est  réel,  rechercher  les  causes 
probables  de  ces  anomalies,  soit  dans  les  conditions  atmosphériques  du  moment 
ou  de  la  localité,  soit  dans  les  conditions  telluriques,  en  particulier  dans  la  nature 
des  émanations  qui  peuvent  s’y  dégager.  Étudier,  sous  ce  rapport,  la  conformation 
de  ces  localités  qui  pourrait  favoriser  le  séjour  des  eaux  et  l’humidité  atmosphé- 
rique, leur  voisinage  de  terrains  miniers,  qui  pourraient  exhaler  des  vapeurs 


519 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 

minérales,  nuisibles,  arsénicales  ou  autres.  Ne  pas  négliger  non  plus  les  con- 
ditions accidentelles  dans  lesquelles  se  trouvent  placés  les  individus  ? 

18°  L’acclimatation  des  étrangers,  relativement  au  soroché,  a-t-elle  lieu  plus 
ou  moins  promptement,  et  quelles  sont  les  conditions  qui  la  favorisent  ou  la 
retardent?  Cette  acclimatation  a-t-elle  un  résultat  durable  ou  seulement  tem- 
poraire? Les  nègres  éprouvent-ils  plus  de  di'fîcultés  à s’acclimater  que  les  blancs? 
Et  à cette  occasion  il  serait  intéressant  d’instituer  une  série  d’expériences,  pour 
s’assurer  du  ryhthme  normal  du  pouls  chez  les  habitants  des  plateaux,  Indiens, 
nègres  et  blancs;  en  ayant  soin  de  les  répéter  sur  un  grand  nombre  d’individus 
sains  des  deux  sexes,  adultes  et  d’un  âge  bien  constaté,  de  faire  ces  expériences 
au  repos,  dans  la  station  et  le  décubitus,  à une  certaine  distance  du  repas,  et  de 
noter  la  température  extérieure,  chaude  ou  froide,  de  la  saison  ? 

19°  Si  les  accidents  du  soroché  se  font  sentir  chez  les  animaux,  quels  sont  leurs 
caractères  chez  les  divers  animaux  et  les  conditions  qui  les  [font  naître?  Quelles 
sont,  en  particulier,  les  causes  qui  donnent  lieu  à la  maladie  des  mulets,  connue 
sous  le  nom  de  trembladeraï  Les  lamas  domestiques  et  porteurs  sont-ils  également 
sujets  à cette  maladie? 

20°  La  morlalité  de  certains  animaux  (des  chats,  par  exemple),  déterminée  par 
leur  séjour  dans  les  lieux  très-élevés,  est-elle  ou  non  un  fait  constaté?  Et  si  le 
fait  est  avéré,  quels  sont  les  symptômes  qui  précèdent  la  mort  et  quelles  sont  les 
causes  probables  de  cette  mortalité? 

21°  Existe-t-il  des  moyens  de  se  préserver  du  soroché,  et  s’il  en  existe,  quels 
sont-ils?  A-t-on  essayé,  par  exemple,  au  Pérou,  comme  en  Styrieet  dans  le  Tyrol, 
l’ingestion  de  petites  doses  d’arsenic  pour  prévenir  la  fatigue  des  ascensions  des 
montagnes?  Étudier  spécialement  sous  ce  rapport  les  effets  de  la  plante  connue 
sous  le  nom  du  cuca  ou  de  coca , soit  mâchée  (chiquée),  soit  prise  en  infusion, 
qu’on  assure  douée  d’une  propriété  prophylactique  remarquable  ? 

22°  Quels  sont  les  moyens  employés  avec  le  plus  de  succès  pour  arrêter  ou 
amoindrir  les  accidents  produits  par  le  soroché , soit  chez  l’homme,  soit  chez  les 
animaux?  (P.  113-117.) 

Ainsi  que  j’ai  dit  au  début  de  cette  première  partie  de  mon  tra- 
yait, je  ne  parlerai  pas  dans  cet  historique  des  recherches  qui  s’ap- 
puient sur  les  résultats  de  mes  propres  travaux  ou  qui  en  combattent 
les  conclusions.  Leur  analyse  prendra  naturellement  place  dans  la 
troisième  partie. 

C’est  pour  cette  raison  que  je  ne  dirai  rien  du  livre  récemment 
publié  par  M.  Jourdanet1,  et  dans  lequel  il  a reproduit  en  les  dévelop- 
pant, en  les  appuyant  de  preuves  nouvelles  empruntées  à l’élude 
des  altitudes  sur  la  terre  entière,  les  opinions  que  lui  avait  suggér  ées 
l’observation  des  maladies  du  haut  Mexique.  Je  ne  veux  emprun- 
ter à cet  immense  travail  que  le  récit  d’une  expérience  importante 
où  se  montre  la  première  tentative  faite  pour  étudier  chimiquement 
la  valeur  de  l’anoxyhémie  : 

Je  résolus  de  me  livrer  moi-même  à ce  travail  d’analyse,  vers  la  fin  de  1864.  Je 

1 Influence  de  la  pression  de  l'air  sur  la  vie  de  l'homme,  2 vol.  — Paris,  1875. 


320 


HISTORIQUE. 


trouvai  un  auxiliaire  — très-digne  d’une  mention  distinguée  dans  ce  livre  — dans 
le  laboratoire  et  le  concours  de  M.  Romuald  Zamora,  Espagnol  recommandable, 
qui  s’occupait  de  sciences  dans  ses  heures  de  loisir.  J’analysai  le  sang  de  trois 
lapins  au  moyen  de  l’oxyde  de  carbone,  en  suivant  les  indications  données  par 
M.  Claude  Bernard.  Je  trouvai  une  moyenne  d’oxygène  fort  basse,  mais  pas  assez 
pour  qu’on  pût  s’en  croire  autorisé  à des  conclusions  générales  bien  légitimes. 
Je  me  voyais  d’ailleurs  hésitant  en  présence  d’une  considération  que  j’estimais  de 
grand  poids  : c’est  que  l’on  pourrait  toujours  se  demander  si  ce  ne  serait  pas 
cette  même  quantité  d’oxygène  que  ces  mêmes  animaux  eussent  donné  à des 
niveaux  plus  inférieurs.  Mes  différences  de  dosage,  en  effet,  trouvées  dans  les 
analyses  de  sang  faites  jusqu’alors,  prouvent  que  la  proportion  de  ce  gaz  est  un 
fait  individuel  du  moins  dans  de  certaines  limites.  Il  me  parût,  dès  lors,  que  ce 
point  intéressant  ne  pourrait  être  incontestablement  jugé  que  par  une  double 
analyse  portant  sur  le  sang  du  même  animal,  puisé  à la  pression  normale  d’abord, 
et  à une  dépression  plus  ou  moins  prononcée,  en  second  lieu.  Je  renvoyai  donc 
encore  à de  meilleurs  temps  la  réalisation  de  mes  désirs.  (T.  I. , p.  181.) 

Ces  désirs,  j’ai  eu  la  bonne  fortune,  grâce  à la  généreuse  inter- 
vention de  mon  savant  confrère,  de  pouvoir  les  réaliser.  Et  l’on 
verra  que  j’ai  pu  constater  combien  ses  prévisions  étaient  en  rap- 
port avec  la  vérité.  Mais  je  renvoie  pour  cette  démonstration  les 
lecteurs  à la  seconde  partie  de  mon  livre. 

C’est  dans  la  troisième  partie  qu’il  trouvera  l’histoire  détaillée 
des  dernières  ascensions  aéronautiques  à grande  hauteur,  et  no- 
tamment de  celle  qui  a eu  une  terminaison  si  funeste.  Nous  aurons 
à déterminer  nettement  alors  les  causes  de  cette  catastrophe  et 
à en  tirer  les  enseignements  qu’elle  comporte.  En  nous  restrei- 
gnant à ce  qui  fait  le  sujet  du  présent  chapitre,  nous  dirons  que 
les  interprétations  données  par  les  divers  journaux  scientifiques  et 
autres,  des  causes  de  la  mort  de  Sivel  et  de  Crocé-Spinelli  ne  sont 
autres  que  celles  dont  le  développement  occupe  les  pages  qui  pré- 
cèdent. Rien  de  nouveau  ne  s’y  trouve  qui  mérite  d’être  relevé  ici, 
et  toutes  ces  idées  avaient  été  présentées  déjà  par  des  autorités 
plus  considérables. 

Nous  ne  ferons  d’exception  que  pour  la  courte  discussion  qui 
s’est  élevée,  à ce  propos,  dans  le  sein  de  l’Académie  de  médecine. 
On  voit  que,  pour  MM.  Woillez,  Mialhe,  Colin,  c’est  encore  la  dimi- 
nution du  poids  supporté  par  le  corps  qui  joue  le  rôle  principal  ; 
malgré  la  physique  dont  nous  avons  déjà  vu  M.  Giraud-Teulon, 
M.  Gavarret  et  bien  d’autres  leur  rappeler  les  principes  élémentaires  ; 
ils  en  sont  encore  à la  théorie  de  la  ventouse  universelle.  Mais 
M.  Colin  y ajoute  une  hypothèse  qui  mériterait  à elle  seule  les 
honneurs  d’une  reproduction,  car  elle  n’avait  été  que  très-briève- 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


321 


ment  indiquée  par  quelques  auteurs  anciens,  et  M.  Maissiat  lui- 
même  n’allait  pas  jusqu’à  lui  donner  une  telle  importance.  A ses 
yeux,  le  dégagement  des  gaz  dans  l’intestin,  le  gonflement  de  ces 
gaz  par  la  diminution  de  pression,  a joué  dans  la  terminaison 
fatale  un  rôle  dominateur.  Voici,  du  reste,  le  passage  tout  entier  : 

M.  Larrey  : Les  ingénieuses  expériences  de  M.  Woillez  et  les  recherches  nouvel- 
les qu’il  pourrait  faire  sur  le  spiroscope  le  conduiraient  sans  doute  à des  applica- 
tions désirables  pour  les  'observations  aérostatiques.  Je  veux  parler  d’abord  de 
l’étude  physiologique  des  phénomènes  respiratoires  à différentes  altitudes,  et  en- 
suite de  la  prophylaxie  hygiénique  des  troubles  violents  de  cette  importante  fonc- 
tion, suivant  d’autres  influences.  Il  aurait  à déterminer  aussi  l’intervention  thé- 
rapeutique, lorsque  l’asphyxie  , par  exemple,  est  imminente  et  provoque  des 
accidents  complexes  rapidement  mortels,  par  une  subite  raréfaction  de  l’air 
ou  par  la  diminution  progressive  de  la  pression  atmosphérique.  Il  s’agirait  enfin 
d’examiner  et  de  contrôler  les  moyens  à l’aide  desquels  on  parviendrait  à établir 
la  respiration  artificielle,  comme  dans  la  cloche  du  plongeur,  comparable,  sous 
ce  rapport,  à la  nacelle  des  aéronautes. 

La  fatale  catastrophe  qui  vient  de  consterner  le  monde  savant  et  dont  les  deux 
victimes  ont  été  inhumées  aujourd’hui  même,  m’engage  à soumettre  cette  remar- 
que à l’Académie,  ne  fùt-ce  que  comme  une  digression  utile  peut-être  à l’intéres- 
sante communication  de  M.  Woillez. 

M.  Woillez  : Je  ne  puis  ici  me  prononcer  sur  un  sujet  aussi  grave;  mais  il  me 
semble  qu’il  n’y  a pas  là  qu’une  question  de  respiration  , il  faut  surtout  tenir 
compte  de  la  diminution  de  la  pression  atmosphérique  contre  laquelle  l’oxygène 
qu’on  avait  emporté  ne  pouvait  absolument  rien. 

M.  Coliin  : Puisque  la  question  du  ballon  est  soulevée,  je  demande  à dire  ce  que 
je  pense  des  causes  de  la  mort  des  aéronautes.  Certainement  ces  causes  sont  mul- 
tiples, surtout  celles  qui  se  lient  à la  diminution  de  pression  ; quelques-unes  sont 
déjà  indiquées  par  les  conditions  dans  lesquelles  se  trouvaient  les  explorateurs. 

Deux  avaient  déjeuné  et  ils  sont  morts;  l’autre  était  à jeun  et  il  a résisté.  Le 
dégagement  des  gaz  dans  l’appareil  digestif  des  premiers  a pu  jouer  un  grand 
rôle  dans  le  développement  de  l’asphyxie.  On  sait  que  ce  dégagement  est  très- 
considérable  chez  les  ruminants  à la  suite  de  l’usage  des  aliments  verts,  et  qu’il 
peut,  à la  pression  ordinaire , produire  subitement  la  mort  par  asphyxie  en  im- 
mobilisant le  diaphragme.  Sans  doute  ce  dégagement  est  plus  restreint  chez 
l’homme;  mais  il  augmente  par  le  fait  du  malaise  et  de  l’indigestion,  et  alors,  l’ex- 
pansion des  gaz  croissant  à mesure  que  la  pression  diminue,  le  diaphragme  est 
bientôt  fortement  refoulé  en  haut;  ses  oscillations  deviennent  très-restreintes  et 
finissent  par  devenir  impossibles.  On  sait  qu’à  un  certain  moment,  en  gravissant 
de  hautes  montagnes,  le  voyageur  est  pris  de  lassitude,  il  a bras  et  jambes  cassés; 
les  muscles,  irrigués  par  un  sang  imparfaitement  oxygéné,  perdent  leur  énergie. 
Or,  le  diaphragme  participe  à cette  fatigue  et  ïï  peut  finir  par  tomber  dans  l’iner- 
tie, surtout  s’il  est  refoulé  par  l’expansion  des  gaz  de  l’estomac. 

Je  sais  bien  que  les  aéronautes  ont  besoin  de  se  prémunir  contre  le  refroidis- 
sement, et  que  le  jeûne  n’échauffe  pas  ; mais  ils  peuvent  régler  leurs  repas  de 

1 Bulletin  de  V Académie  de  médecine.  — Séance  du  20  avril  1875,  2'  série,  t.  IV, 
p.  400-401. 


21 


522 


HISTORIQUE. 


manière  à achever  la  digestion  avant  le  départ,  et  remplacer  les  aliments  fermen- 
tescibles par  des  aliments  respiratoires,  par  des  liquides  qui  excitent  et  dévelop- 
pent de  la  chaleur. 

Ce  qui  a été  observé  sur  les  victimes  et  sur  le  survivant  indique  bien  la  cause 
capitale  des  accidents.  Cette  cause  n’est  pas,  quoi  qu’en  dise  M.  Bert , l’insuffi- 
sance d’oxygène,  car,  dans  les  expériences,  les  animaux  ne  meurent  pas  avec  la 
dose  de  ce  gaz,  telle  qu’elle  peut  être  à 7 ou  8000  mètres.  C’est  bien  la  diminu- 
tion de  pression,  comme  M.  Woillez  vient  de  le  dire,  qui  produit  les  troubles  gra- 
ves , les  hémorrhagies  dans  les  voies  respiratoires , les  troubles  de  la  cireu- 
tion,  etc. 

M.  Blot  : Les  derniers  mots  de  M.  Colin  me  paraissent  en  contradiction  avec  ce 
qu’il  disait  au  début.  Ainsi  il  explique  d’abord  la  mort  par  le  refoulement  du  dia- 
phragme et  du  poumon  sous  l’action  de  la  dilatation  des  gaz  intestinaux,  et  en 
finissant  il  la  rapporte  â la  diminution  de  pression. 

Quant  au  rapprochement  entre  les  herbivores  et  l’homme,  il  me  paraît  fort  dis- 
cutable. 

M.  Colin  : Je  m’étonne  de  ce  que  M.  Blot  voie  la  moindre  contradiction  dans 
mes  paroles.  J’ai  dit  que  les  accidents  et  la  mort,  dans  les  ascensions  tenaient  à 
plusieurs  causes,  entre  autres  le  refoulement  du  diaphragme  par  les  gaz  de  l’ap- 
pareil digestif  et  la  diminution  de  pression  sur  les  tissus  et  les  vaisseaux  dans  les 
hémorrhagies  pulmonaires,  nasales,  etc.  Chacune  de  ces  causes  a une  part  d’ac- 
tion ; loin  de  s’exclure,  elles  se  lient.  , 

M.  Mialhe  : Je  pense  comme  M.  Woillez  que  la  diminution  de  la  pression  atmo- 
sphérique a été  la  principale  cause  de  la  mort , mais  je  ne  puis  admettre  l’idée 
de  M.  Colin,  qu’il  ne  faille  pas  manger  avant  de  monter  en  ballon.  L’hormne  n’est 
pas  un  ruminant,  et  les  choses  ne  se  passent  pas  tout  à fait  chez  lui  comme 
chez  les  herbivores. 

M.  Colin  : Comment  ! l’homme  a donc  des  privilèges  au  point  de  vue  de  la  diges- 
tion ? Est-ce  que  l’estomac  fonctionne  autrement  dans  l’abdomen  de  l’homme 
que  dans  l’abdomen  d’un  animal?  Le  chien  qui  a mangé  de  la  viande,  du  pain,  a 
dans  l’estomac  beaucoup  de  gaz  qu’on  peut  mesurer  en  liant  l’œsophage  et  le  py- 
lore. Pourquoi  ces  mêmes  aliments  ne  produiraient-ils  pas  également  des  gaz  dans 
l’estomac  de  l’homme?  Le  travail  digestif  et  les  fermentations  n’ont-ils  pas  des 
caractères  uniformes  dans  des  espèces  si  voisines  ? 

J’aurai  à m’expliquer  plus  tard  sur  cette  question  des  gaz  intes- 
tinaux; mais  maintenant,  en  voyant  Fimportance  que  M.  Colin 
semble  lui  attribuer,  je  ne  puis  me  défendre  d’une  réflexion  : c’est 
que  le  désir  de  contredire  doit  être  chez  certaines  personnes  une 
passion  bien  forte,  puisqu’il  a pu  conduire  un  physiologiste  de 
cette  valeur  à commettre  de  telles  étrangetés. 

Le  dernier  document  que  je  mettrai  sous  les  yeux  de  mes  lecteurs 
est  plus  curieux  encore  peut-être.  S’il  en  est,  comme  je  le  crains, 
quelques-uns  parmi  eux  qui  ont  trouvé  qu’en  faisant  l’histoire  du 
mal  des  montagnes,  j’ai  étalé  un  luxe  excessif  de  citations  et  de 
descriptions,  ils  me  pardonneront  sans  doute  cet  abus  en  voyant 
qu’en  1875,  devant  la  Société  de  géographie,  devant  l’Académie  des 


THEORIES  ET  EXPERIENCES. 


323 


sciences  elle-même,  l’existence  même  du  mal  des  montagnes  a été 
niée,  négation  qui  s’appuie  sur  la  plus  étrange  des  méthodes,  ou 
plutôt  qui  est  l’absence  même  de  méthode  scientifique,  puisqu’elle 
ne  tient  compte  que  des  circonstances  dans  lesquelles  les  voyageurs 
n’ont  rien  éprouvé  pendant  leurs  ascensions.  . 

La  première  communication  de  M.  Yirlet  d’Aoust  à ce  sujet  date 
du  19  mai  1875.  Le  compterendu  officiel  delà  Société  de  géographie 
la  relate  dans  les  termes  suivants  : 

M.  Yirlet  d’Aoust , à l’occasion  de  la  récente  catastrophe  du  Zénith , fait  une 
communication  sur  les  effets  de  la  raréfaction  de  l’air  dans  la  région  des  hautes 
montagnes.  Dans  une  ascension  au  Popocatepelt,  par  une  altitude  de  4500  mètres, 
il  n’a  éprouvé  aucun  autre  malaise  qu’une  fatigue  plus  accentuée  que  dans  les 
plaines.  Il  existe  de  nombreux  exemples  dans  les  Andes  de  lieux  habités  à 2000 
et  5000  mètres.  Mexico  est  situé  à 2300  mètres. 


Une  discussion  s’engage  relativement  à l’influence  de  la  pression  atmosphéri- 
que sur  la  vie  humaine. 

MM.  Antoine  d’Abbadie,  Maunoir,  de  Charencey,  de  Puydt  y prennent  part.  Ce 
dernier  membre  a parcouru  pendant  deux  ans  les  vallées  des  Andes,  dans  l’Équa- 
teur et  la  Bolivie,  vivant  à des  hauteurs  de  4800  mètres,  conservant  toujours  la 
santé  et  la  vigueur.  M.  l’abbé  Durand  confirme  cette  disposition,  d’après  M.  Stue- 
bel,  qui  a fait,  il  y a deux  ans,  une  ascension  du  Chimbarazo.  (P.  552.) 

On  a pu  voir,  par  le  récit  que  nous  avons  reproduit  de  l’ascen- 
sion de  Stuebel  (voy.  p.  63)  dans  quelle  exagération  est  tombé 
M.  l’abbé  Durand.  Mais,  sans  discuter  tout  ceci  pour  le  moment,  il 
n’est  pas  sans  intérêt  de  reproduire  plus  au  long,  d’après  un 
journal  autorisé,  V Explorateur  % les  arguments  présentés  par 
M.  Yirlet  d’Aoust  et  ses  savants  collègues  : 

M.  Virlet  d’Aoust,  à l’occasion  du  déplorable  événement  du  Zénith , qui  a coûté 
la  vie  à deux  jeunes  savants,  MM.  Crocé-Spinelli  et  Sivel,  rappelle  les  circonstan- 
ces de  son  ascension  au  Popocatepetl,  en  avril  1853,  dans  le  but  de  faire  res- 
sortir les  différences  considérables  qui  existent  entre  les  ascensions  en  monta- 
gnes et  les  ascensions  verticales  en  ballon  dans  l’atmosphère. 

Lorsqu’on  s’élève  dans  l’air  à l’aide  d’un  ballon,  dit  M.  Virlet  d’Aoust,  on  se 
trouve  successivement  plongé  dans  des  couches  d’air,  sinon  de  compositions  dif- 
férentes, du  moins  de  densités  moindres,  et  où  cependant  l’acide  carbonique,  en 
raison  de  sa  plus  grande  pesanteur  spécifique,  doit  diminuer  de  proportion.  Ces 
sortes  d’ascensions  se  font  d’ailleurs  avec  trop  de  rapidité  pour  que  les  organes 
de  la  vie  humaine  aient  le  temps  de  se  modifier  suffisamment  pour  rendre  sup- 
portables les  différences  successives  de  pressions  atmosphériques. 

Quand  on  escalade,  les  couches  d’air  ont  exactement  la  même  composition  que 

1 Bull,  de  la  Soc.  de  Gèo<jr .,  6e  série,  t.  IX,  1875. 

2 \,c  Xtmée,  1*  vol.  — Paris,  1875. 


324 


HISTORIQUE. 


dans  la  plaine,  car  ces  couches  viennent  d’en  bas  parcourants,  en  s’amincissant, 
jusqu’aux  sommets  les  plus  élevés.  Il  résulte  de  là  que  toute  expérience  ayant 
seulement  pour  but  de  déterminer  les  différences  de  composition  de  l’air  à di- 
verses hauteurs  doit  s’effectuer  verticalement  en  ballon  et  non  en  faisant  l’ascen- 
sion d’une  montagne. 

L’ascension  de  M.  Virlet  .d’Aoust  au  Popocatepetl  (montagne  qui  fume)  se  fit  en 
nombreuse  compagnie  et  fut  pour  ainsi  dire  une  expédition  internationale.  Les 
États-Unis,  l’Angleterre,  le  Mexique,  l’Allemagne,  la  Belgique,  la  Suisse,  l’Italie  et 
la  France  étaient  représentées 

Bien  que  la  plaine  et  la  ville  de  Mexico  soient  élevées  environ  de  2500  mètres 
au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  on  y vit  très-bien  ; la  santé  publique  y est  parfaite 
et  exempte  de  toute  maladie  endémique.  La  station  des  voyageurs,  au  pied  du 
cône,  était  à plus  de  4000  mètres  de  hauteur;  ils  y étaient  arrivés  à cheval  sans  le 
moindre  inconvénient  et  sans  éprouver  le  plus  petit  effet  de  la  raréfaction  de 
l’air.  Le  difficile  était  l’ascension  du  cône,  véritable  pain  de  sucre  qu’il  fallait  gra- 
vir à pied.  Cela  demande  quatre  heures  d’une  marche  très-pénible,  bien  que  la 
descente  s’opère  en  moins  d’une  demi-heure.  Ni  M.  Virlet  d’Aoust  ni  ses  compa- 
gnons n’éprouvèrent  d’autres  inconvénients  que  ceux  résultant  d’une  respiration 
un  peu  plus  rapide,  avec  un  peu  plus  de  lourdeur  dans  les  membres 

De  ces  expériences,  M.  Virlet  d’Aoust  a tiré  la  conséquence  que  le  prétendu 
mal  des  montagnes  se  borne  à une  grande  fatigue  résultant  principalement  de 
l’alourdissement  par  la  diminution  de  la  couche  d’air  qui  entoure  l’explorateur 
et  qui  le  soutient  dans  les  régions  inférieures 

M.  d’Abbadie  demande  à l’auteur  si  dans  ces  ascensions  sur  des  pics  élevés  il 
ne  se  présente  pas  un  malaise  qui  se  manifeste  par  des  étourdissements  et  des 
vomissements.  M.  Virlet  d’Aoust  assure  qu’il  n’a  rien  ressenti  de  semblable,  pas 
plus  que  ses  compagnons  de  route.  M.  de  Puydt  dit  qu’il  a parcouru  les  pics  les 
plus  élevés  des  Andes  , depuis  l’Equateur  jusqu’au  6e  degré  de  latitude  nord  ; 
qu’il  a franchi  des  hauteurs  de  4800  mètres  et  qu’il  n’a  jamais  éprouvé  aucune 
de  ces  fatigues;  et  pourtant  il  a fait  plus  de  450  lieues  dans  les  Andes.  M.  l’abbé 
Durand  appuie  cette  opinion  en  rappelant  l’ascension  officielle  des  grands  volcans 
ordonnée  par  le  gouvernement  de  l’Équateur.  Enfin,  M.  Maunoir  dit  que  l’in- 
fluence des  ascensions,  même  dans  les  montagnes,  doit  varier  suivant  les  condi- 
tions de  santé  et  le  tempérament  du  voyageur.  (P.  401.) 

M.  Virlet  dWoust1  est  revenu  sur  ce  sujet  dans  la  séance  du 
7 juillet  : il  suit  toujours  la  môme  singulière  méthode  : 

M.  Virlet  d’Aoust,  reprenant  le  sujet  étudié  dans  une  précédente  séance,  sur 
rinfluence  de  la  raréfaction  de  l’air  dans  les  hautes  régions  de  l’atmosphère,  si- 
gnale une  ascension  du  volcan  d’Arequipa  ou  Misti,  dont  l’altitude  est  de  5650m, 
pendant  laquelle  les  voyageurs  n ont  point  été  incommodés  (Renvoi  au  Bulleti?i). 
(P.  107.) 

V Explorateur  du  15  juillet  1875 2 est  beaucoup  plus  explicite  : 

Le  mal  des  montagnes.  A l’appui  de  ce  qu’il  a précédemment  dit  à l’occasion 
de  ses  ascensions  au  Popocatepetl  et  à l’Ixtaccihuatl,  sur  le  prétendu  mal  des  monta- 

1 Bull,  de  la  Soc.  de  Géog.,  6e  série,  t,  X. 

2 lre  Année,  2e  vol.  — Paris,  1875. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


525 


gnes,  M.  Virlet  d’Aoust  signale  une  autre  ascension,  celle  du  volcan  Misti,  plus 
souvent  désigné  sous  le  nom  de  volcan  d’Arequipa,  au  Pérou,  qui  a donné  lieu 
aux  mêmes  conclusions.  Le  Dr  J.  T.  Coates,  des  États  - Unis,  qui  l’a  exécutée,  est 
parti  le  22  septembre  d’Arequipa  pour  aller  coucher  au  pied  du  mont,  situé  à 
50  milles  au  N.  E.  de  cette  ville.  Le  lendemain  de  très-bonne  heure,  accompagné 
de  trois  guides  et  muni  de  deux  anéroïdes,  il  a entrepris  l’ascension.  La  petite  ca- 
ravane put  d’abord  voyager  à cheval;  mais,  au  bout  d’une  heure,  la  pente  deve- 
nant trop  rapide  et  les  difficultés  augmentant  au  fur  et  à mesure  qu’elle  avançait, 
elle  dut  continuer  à pied. 

Après  dix  heures  d’une  marche  pénible,  elle  atteignit  enfin,  à six  heures  et  de- 
mie du  soir,  le  sommet  du  volcan,  mais  sans  avoir  éprouvé  ni  hémorrhagies,  ni 
difficultés  de  respirer,  ni  nausées,  ni  maux  de  tête,  ni  aucune  autre  de  ces  sensa- 
tions pénibles  que  l’on  prétend  devoir  être  ressenties  par  les  personnes  qui  s’a- 
venturent dans  les  montagnes  à des  altitudes  de  plus  de  5000  mètres 

Enfin,  M.  Yirlet  d’Aoust  croit  devoir  signaler  une  autre  ascension  bien  plus  élevée 
encore  qui  aurait  eu  lieu  dans  la  Nouvelle-Guinée.  Plusieurs  journaux  ont  annoncé 
récemment  que  M.  le  capitaine  anglais  Lawson  aurait  découvert  dans  cette  grande 
île  océanique  une  montagne  qu’il  a appelée  le  mont  d’Hercule,  laquelle  aurait 
10  929  mètres  de  hauteur  au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  soit  1262  mètres  déplus 
que  le  pic  Everest,  delà  chaîne  de  l’Himalaya,  considéré  jusqu’ici  comme  le  point  le 
plus  élevé  du  monde  entier.  L 'Explorateur  a dit  quelles  réserves  il  fallait  appor- 
ter dans  l’accueil  à faire  à cette  prétendue  découverte.  Quoi  qu’il  en  soit,  d’après 
son  récit,  le  capitaine  Lawson  ayant  tenté  l’ascension  du  mont  d’Hercule,  n’au- 
rait pu  s’y  élever  que  jusqu’à  la  hauteur  de  8455  mètres,  c’est-à-dire  à une  alti- 
tude presque  égale  à celle  qu’aurait  atteint  le  ballon  le  Zénith  dans  sa  dernière 
et  fatale  ascension;  mais,  à cette  hauteur,  le  sang  lui  serait  sorti  par  les 
yeux  et  par  les  oreilles,  et  il  aurait  failli  périr  par  suite  de  la  raréfaction  de  l’air. 
Cette  affirmation,  de  même  que  la  découverte  d’une  montagne  qui  serait  la  plus 
haute  du  globe , et  aurait  été  si  tardivement  reconnue , mérite  confirmation. 
(P.  65.) 

Rien  n’est  venu  confirmer  ce  dernier  récit,  auquel  on  ne  pouvait 
ajouter  foi  sans  une  forte  dose  de  crédulité.  Mais  je  n’insiste  pas  : 
dans  le  chapitre  suivant  viendront  les  discussions  critiques. 


CHAPITRE  IV 


RÉSUMÉ  ET  CRITIQUE  S. 


Le  moment  est  venu  de  résumer  la  longue  série  d’observations, 
d’expériences  et  de  théories  dont  nous  venons  d’énumérer  les  dé- 
tails. Après  avoir,  par  la  méthode  laborieuse,  mais  sûre,  des  cita- 
tions textuelles,  mis  sous  les  yeux  du  lecteur  à peu  près  tout  ce 
qui  a été  écrit  sur  l’influence  de  la  diminution  dans  la  pression 
atmosphérique,  nous  devons  maintenant  simplifier  sa  tâche  en 
condensant  tant  d’assertions  variées,  souvent  redondantes,  parfois 
contradictoires. 

Il  faut,  de  plus,  soumettre  à un  examen  sérieux  les  explications 
émises,  combattues,  ou  éclectiquement  cumulées  par  les  voyageurs, 
les  médecins,  les  physiologistes,  les  physiciens,  qui  ont  envisagé 
sous  ses  aspects  divers  cette  question  si  complexe  en  apparence, 
si  simple  en  réalité,  comme  nous  le  démontrerons.  Dans  cette  par- 
tie de  ma  tâche,  je  devrai,  bien  entendu,  laisser  de  côté  les  argu- 
ments tirés  de  mes  propres  expériences.  C’est  à l’aide  des  notions 
antérieurement  connues  que  j’espère  prouver  qu’au  moment  où 
j’ai  commencé  mes  recherches,  il  n’existait  dans  la  science  aucune 
théorie — je  ne  dis  pas  démontrée,  cela  est  évident  — mais  pou- 
vant supporter  une  critique  approfondie.  La  vérité  même,  lors- 
qu’elle a été  rencontrée,  était  mêlée  à tant  d’erreurs  ou  si  peu 
armée  de  preuves,  qu’elle  ne  pouvait  imposer  aux  esprits,  rebelles 
sa  lumineuse  évidence.  Or,  l’on  n’a  raison  que  lorsqu’on  peut  prou- 


327 


RÉSUMÉ  ET  CRITIQUES. 

ver  à tous  qu’on  a raison  : Toujours  répondre,  a dit  Voltaire,  c’est 
prouver  qu’on  n’a  pas  répondu. 

Le  présent  chapitre  se  divise  tout  naturellement  en  trois  parties  : 
les  conditions  dans  lesquelles  se  manifeste  le  mal  des  montagnes, 
le  résumé  des  symptômes  qui  le  constituent,  l’examen  critique  des 
théories  émises  pour  l’expliquer. 

V V 

g 1er.  — Conditions  d’apparition  du  mal  des  montagnes. 

t 

Le  fait  le  plus  général  qui  ressort  de  notre  étude,  c’est  qu’en 
s’élevant  à de  grandes  hauteurs  au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  les 
hommes  et  les  animaux  finissent  toujours  par  éprouver  une  série 
d’accidents  plus  ou  moins  graves,  dont  l’ensemble  constitue  le  mal 
des  montagnes . 

L’existence  même  de  ces  accidents  a cependant  été  niée,  comme 
nous  l’avons  vu;  mais  ces  négations,  généralisations  imprudentes 
et  antiscientifiques  de  quelques  cas  isolés,  ne  méritent  pas  de 
nous  arrêter  ici. 

Le  premier  fait  qui  frappe,  lorsqu’on  examine  la  série  de  ceux 
que  nous  avons  recueillis,  c’est  la  différence  de  hauteur  à laquelle 
apparaissent  les  symptômes  fâcheux,  suivant  qu’il  s’agit  de  voyages 
en  montagnes  ou  d’ascensions  en  ballon.  Tandis  que  dans  le  pre- 
mier cas,  en  effet,  les  voyageurs  deviennent  parfois  malades  aux 
environs  de  3000m,  et  ne  dépassent  presque  jamais,  sans  souffran- 
ces sérieuses,  une  hauteur  de  5000“,  Gay-Lussac,  Barrai  et  Bixio, 
M.  Glaisher,  à 7000'11,  ont  à peine  ressenti  quelques  troubles  lé- 
gers. Nous  trouverons  facilement,  dans  un  instant,  la  raison  de  cette 
énorme  différence. 

Sur  terre  comme  dans  les  airs,  la  gravité  des  accidents  va  crois- 
sant avec  la  hauteur;  mais  elle  suit,  dans  sa  marche  ascendante, 
une  loi  de  progression,  non  de  proportion.  Jusqu’à  5000“,  un 
voyageur  parti  du  niveau  de  la  vallée,  à 1000m,  par  exemple,  ne 
sera  averti  de  la  diminution  de  pression  que  par  une  légère  accélé- 
ration du  pouls  et  de  la  respiration  ; de  5000“  à 4000m,  les  acci- 
dents augmentent  considérablement  d’intensité;  au-dessus,  chaque 
dénivellation  de  quelques  centaines  de  mètres  est  marquée  par 
leur  aggravation  progressivement  croissante,  et  il  arrive  un  mo- 
ment où  il  est  plus  difficile  de  gravir  50“,  qu’il  ne  l’était  de  monter 
500“  au  début  du  voyage.  11  n’est  donc  pas  étonnant  de  voir, 


528 


HISTORIQUE. 


comme  l’a  rapporté  le  capitaine  Gérard,  les  montagnards  du  Koo- 
nawur,  habitués  à observer  les  sensations  de  cet  ordre,  estimer 
l’altitude  du  point  où  ils  sont  parvenus,  par  la  difficulté  de  respirer 
qu’ils  y éprouvent. 

* La  hauteur  à laquelle  apparaissent  les  symptômes  du  mal  des  mon- 
tagnes varie  d’une  manière  remarquable  dans  les  diverses  régions 
du  globe.  Nous  avons  vu  que,  dans  les  Pyrénées,  il  n’arrive  d’ac- 
cidents notables,  et  encore  sont-ils  très-rares,  qu’en  approchant 
des  plus  hautes  cimes,  c’est-à-dire  au-dessus  de  3000“.  C’est  à ce 
môme  niveau,  dans  les  Alpes,  que  les  récits  des  voyageurs  commen- 
cent à signaler  quelques  troubles  ; ils  sont  assez  habituels  entre 
5500  et  4000m  ; au-dessus,  leur  existence  constitue  une  règle  à la- 
quelle échappent  beaucoup  moins  de  personnes  que  ne  voudraient 
le  faire  croire  les  rédacteurs  des  Clubs  alpins.  L’Etna,  avec 
ses  5515m,  est,  sous  ce  rapport,  comme  nous  l’avons  dit,  une 
montagne  limite , ainsi  que  le  pic  de  Ténériffe  (5716m),  Dans  le 
Caucase  et  les  montagnes  arméniennes,  le  niveau  auquel  presque 
tout  le  monde  est  gravement  frappé  paraît  un  peu  plus  élevé  que 
dans  les  Alpes  ; sur  les  volcans  du  Pacifique,  qui  dépassent  4000m, 
on  ne  paraît  guère  plus  malade  que  sur  le  pic  de  Ténériffe  ; il  en 
est  de  même  des  monts  Cameron,  et,  sur  le  Kilimandjaro,  New  attei- 
gnit 5000m  environ,  sans  souffrances  sérieuses  ; dans  l’Amérique 
du  Nord,  Frémont  et  ses  compagnons  se  trouvèrent  malades  vers 
3500ra;  mais  au  Mexique,  il  faut,  pour  éprouver  des  accidents  ma- 
nifestes, dépasser  la  hauteur  de  4500“;  encore  ne  sont-ils  pas  tou- 
jours très-graves  au  sommet  même  du  Popocatepetl  (5420m).  La 
longue  chaîne  montagneuse  de  la  Sud-Amérique  ne  se  laisse  traver- 
ser sur  aucun  de  ses  points,  du  Chili  à la  Colombie,  sans  frapper 
la  plupart  des  voyageurs  de  la  terrible  puna.  Mais  il  ne  semble  pas 
qu’il  y ait,  pour  ces  souffrances,  uniformité  complète  de  hauteur  ; 
tandis  qu’aux  passes  de  Santiago  de  Chili,  beaucoup  sont  malades 
par  moins  de  4000m,  que  presque  tous  les  étrangers  sont  rudement 
atteints  à la  Paz  (5720”),  et  même  à Chuquisaca  (2845“),  et  tous 
à Cerro  de  Pasco  (4350m),  l’ascension  des  montagnes  voisines  de 
Quito  est  à peu  près  inoffensive  jusqu’à  5000m,  et  mille  mètres  de 
plus  ne  présentent  pas  d’insurmontables  difficultés  au  point  de  vue 
physiologique. 

Les  immenses  montagnes  de  l’Asie  centrale  peuvent  être  compa- 
rées aux  Andes  du  haut  Pérou,  au  point  de  vue  de  la  limite  où  se 
manifeste  le  mal  des  montagnes.  Les  passes  de  moins  de  4500“  sont 


329 


RÉSUMÉ  ET  CRITIQUES. 

franchies  sans  souffrances  sérieuses  ; il  en  est  d’assez  fréquentées 
qui  ont  plus  de  5500m;  plusieurs  voyageurs  ont  atteint  6000m,  et 
nous  avons  vu  les  frères  Schlagintweit  s’élever  à la  hauteur  prodi- 
gieuse de  6882m,  sur  les  flancs  de  l’Ibi-Gamin. 

Ces  inégalités,  au  point  de  vue  de  notre  étude,  entre  les  diverses 
régions  montagneuses  du  globe,  se  dégagent  de  la  multitude  des 
faits  que  nous  avons  cités  ; mais  on  y trouvera  aisément  des  excep- 
tions nombreuses  à ces  règles  générales.  En  effet,  et  ce  n’est  pas  le 
fait  le  moins  intéressant  que  nous  révèlent  ces  observations  multi- 
ples, on  voit,  dans  une  même  région  du  globe,  dans  une  même 
masse  montagneuse,  que  certains  lieux  déterminés  sont  particuliè- 
rement redoutés  des  voyageurs  et  des  indigènes  ; et  ces  lieux  ne  sont 
pas  toujours  les  plus  élevés,  tant  s’en  faut.  Cette  singularité  s’ob- 
serve même  dans  l’ascension  d’une  montagne  donnée  : tel  le  Couloir 
du  Mont-Blanc,  où  apparaissent  souvent  des  troubles  qui  se  dissi- 
pent au  sommet.  En  un  mot,  et  ces  faits  ont  été  particulièrement 
signalés  dans  les  Andes  et  dans  l’Himalaya,  l’intensité  des  accidents 
n’est  pas  toujours  en  proportion  de  la  hauteur  atteinte.  Là  s’est 
trouvée  l’origine  d’étranges  hypothèses  imaginées  par  les  indigènes, 
et  auxquelles  les  voyageurs  ont  trop  souvent  accordé  foi  ; de  là,  en 
effet,  la  croyance  aux  émanations  métalliques,  aux  gaz  méphitiques 
sortant  de  terre,  aux  exhalaisons  funestes  de  diverses  plantes. 

Mais,  sauf  ces  exceptions  fort  intéressantes,  que  nous  essaierons 
d’expliquer  dans  une  autre  partie  de  cet  ouvrage,  les  différences  de 
hauteur  moyenner  auxquelles  apparaissent  les  troubles  graves  sui- 
vant les  parties  du  monde  où  on  les  observe,  sont,  lorsqu’on  les 
considère  d’ensemble,  dans  un  rapport  remarquable  avec  celles  des 
hauteurs  où  se  maintiennent  les  neiges  perpétuelles.  Le  résumé  que 
nous  avons  inséré  plus  haut  (voir  page  18),  sur  ce  dernier  sujet, 
facilite  pour  le  lecteur  cette  comparaison.  Mais  il  ne  faudrait  pas 
aller  jusqu’à  croire,  comme  l’ont  fait  quelques  voyageurs,  qu’il 
existe  une  relation  directe,  et  presque  de  cause  à effet,  entre  ces 
deux  ordres  de  phénomènes  si  distincts.  Tout  d’abord,  bien  évi- 
demment, on  ne  s’est  jamais  plaint  du  mal  des  montagnes  dans  les 
régions  polaires,  où  les  moindres  collines  restent  éternellement 
recouvertes  de  neige.  Mais,  sans  recourir  à cette  démonstration  par 
l’absurde,  nous  voyons  que,  dans  nos  Alpes,  c’est  presque  toujours 
à 500m  au  moins  au-dessus  de  la  limite  de  fusion  que  se  mani- 
festent les  troubles  physiologiques  avec  une  intensité  suffisante  pour 
appeler  l’attention.  11  en  est  de  même  sur  les  volcans  de  l’Équateur 


330  HISTORIQUE. 

et  du  Mexique,  les  Montagnes  Rocheuses  et  bien  d’autres  points.  Au 
contraire,  sur  les  Andes  boliviennes,  et  encore  plus  dans  l’Hima- 
laya,  les  récits  précédemment  publiés  nous  montrent  les  voyageurs 
fort  malades,  alors  qu’ils  foulent  le  sol  ferme,  et  sont  encore  assez 
éloignés  de  la  zone  éternellement  glacée.  Mais  il  n’en  est  pas  moins 
vrai  de  dire  que,  d’une  manière  générale,  plus  élevée  sera,  la  limite 
des  neiges  perpétuelles,  plus  tard,  dans  les  ascensions,  les  voya- 
geurs seront  menacés  des  accidents  que  nous  avons  tant  de  fois 
décrits. 

A côté  de  ces  inégalités  dues  aux  circonstances  extérieures, 
il  en  est  qui  dépendent  des  personnes  elles-mêmes  qui  se  soumet- 
tent à l’influence  de  la  décompression. 

Tout  d’abord,  en  effet,  dans  la  même  région,  sur  la  même  mon- 
tagne, on  voit  les  voyageurs  tantôt  se  plaindre  de  souffrances  sé- 
rieuses, tantôt  se  réjouir  ou  s’étonner  de  n’avoir  presque  rien  res- 
senti. Au  passage  du  Cumbre  d’Uspallata,  la  plupart  de  ceux  qui 
font  la  traversée  des  Andes  sont  frappés  de  la  puna;  Samuel  Haigh, 
Schmidtmeyer  et  bien  d’autres  en  ont  porté  témoignage  : or, 
nous  avons  vu  Miers,  Brand,  Strobel,  etc.,  y échapper  complète- 
ment. Tandis  que  de  Humboldt  et  Bonpland  furent  très-malades 
dans  leurs  ascensions  du  Chimborazo,  M.  Boussingault  et  le  colonel 
Hall,  qui  les  dépassèrent  en  hauteur,  n’éprouvèrent  que  de  faibles 
symptômes,  et  M.  Jules  Rémy,  qui  dit  avoir  atteint  le  sommet,  af- 
firme n’avoir  ressenti  aucun  symptôme  de  malaise.  Au  Popocatc- 
pell,  le  baron  Gros  et  ses  six  compagnons,  puis  M.  Laverrière,  se 
plaignent  de  véritables  souffrances;  MM.  Turqui  et  Craveri,  M.  Vir- 
let  d’Aoust,  déclarent  avoir  été  complètement  épargnés,  tandis  que 
la  Commission  scientifique  du  Mexique  fut  un  peu  moins  favorisée. 

Ces  différences  sont  encore  plus  frappantes  sur  les  montagnes 
moins  élevées.  Nous  avons  vu  Riche  et  Blavier,  atteints  d’hémoptysie, 
renoncer  à gravir  le  sommet  du  pic  de  Ténériffe,  auquel  par- 
vinrent sans  encombre  de  Humboldt,  Léopold  de  Buch,  Elie  de 
Beaumont1,  et  tant  d’autres.  Sur  l’Etna,  le  comte  de  Forbin,  A.  de 
Sayvc,  souffrirent  beaucoup,  tandis  que  Spallanzani  demeura  in- 
demne, et  que  Ferraro  prétendit  s’y  porter  mieux  que  dans  la 
plaine. 

De  même  pour  les  Alpes.  Dans  les  centaines  d’ascensions  dont 
son  sommet  a été  le  but,  le  Mont-Blanc  nous  a présenté  les  plus 


1 Comptes  rendus  de  V Académie  des  sciences , t.  XX,  p.  1502  ; 1845. 


531 


RÉSUMÉ  ET  CRITIQUES. 

contradictoires  résultats.  De  Saussure,  Beaufoy,  Clark  et  Sherwill, 
Hawes  et  Fellowes,  Bravais,  Martins  et  Lepileur,  accusent  de  vio- 
lents malaises,  dont  ils  ne  purent  triompher  que  par  des  prodiges 
d’énergie;  au  contraire,  Clissold,  Piachaud,  Albert Tissandier,  furent 
à peine  malades.  J’ai  entendu  des  « alpinistes  » réputés  affirmer 
qu’ils  n’avaient  absolument  rien  éprouvé  d’extraordinaire  dans 
cette  ascension  jadis  si  redoutée.  Or,  par  un  contraste  saisissant, 
Laborde,  le  frère  de  M.  Lepileur,  etc.,  furent  malades  en  montant 
simplement  au  Grand-Saint -Bernard  (2490m)  ; Spitaler  et  ses  compa- 
gnons racontent,  sur  leur  ascension  au  Venediger  (3675m),  les  plus 
pénibles  détails,  alors  que  Desor,  que  Gottlieb  Studer  affirment 
n’avoir  absolument  rien  ressenti  en  montant  à la  Jungfrau  (4170m). 
En  Arménie,  nous  voyons  Radde  se  coucher  épuisé  à 3700m,  tandis 
que  les  montagnes  voisines  et  bien  autrement  élevées,  de  l’Elbrouz 
(5620m),  du  Kasbek  (5030m),  et  de  l’Ararat  (5155m),  ont  vu  d’intré- 
pides voyageurs  fouler  presque  impunément  leurs  cimes.  Bien  plus, 
en  1868,  Freshfield,  Moore  et  Tucker  font  sans  souffrances  l’ascen- 
sion du  Kasbek;  en  1874,  des  montagnards  non  moins  expéri- 
mentés, Gardiner,  Grove,  Walker  et  Knubel  souffrirent  notablement 
dans  la  même  ascension.  Je  ne  citerai  pas  d’autres  exemples.  Il 
suffit  de  se  reporter  à ce  que  nous  avons  dit  dans  les  chapitres  pré- 
cédents, pour  trouver,  parmi  tant  d’observations,  des  exemples 
d’inégalités  non  moins  considérables  constatés  dans  les  Pyrénées, 
l’Himalaya  et  les  autres  régions  montagneuses. 

Ces  différences  sont  surtout  saisissantes  lorsqu’elles  se  manifes- 
tent sur  des  voyageurs  qui,  dans  des  conditions  semblables  en  ap- 
parence de  santé,  d’hygiène,  d’exercice  antérieur,  exécutent  si- 
multanément une  même  ascension.  Sur  le  Pichincha,  Ulloa  tombe 
en  défaillance  ; La  Condamine  ne  ressent  aucune  difficulté  dans  la 
respiration.  En  montant  au  Cotopaxi  (5945U1),  un  des  muletiers  de 
Stuebel  fut  tellement  malade  qu’il  ne  put  dépasser  5600m;  un 
autre  ne  sentit  absolument  rien.  Sur  le  mont  Etna,  de  Gourbillon 
n’éprouva  rien,  tandis  que  son  compagnon  Wilson  souffrit  étrange 
ment.  Dans  l’ascension  du  Finsteraarhorn  (4275m),  Ilugi  se  trouvait 
fort  bien,  de  même  que  ses  compagnons,  sauf  l’un  des  plus  vigou- 
reux guides  de  l’Oberland,  qui  eut  des  vertiges  et  des  nausées.  Sur 
le  glacier  de  la  Maladetta,  Néergaard  s’arrête,  incapable  de  conti- 
nuer une  ascension  que  termine  sans  accident  le  célèbre  géologue 
Cordier.  MM.  Lortet  et  Durier  montent  le  même  jour  au  Mont- 
Blanc  : les  récits  de  leurs  sensations  sont  aussi  dissemblables  que 


532 


HISTORIQUE. 


possible.  A 550üm,  Crocé-Spinelli  est  pris  clans  son  ballon  d’une 
oppression  manifeste;  ses  compagnons  de  voyage  déclarent  ne 
rien  éprouver. 

Mais  ce  n’est  pas  tout  : la  môme  personne  exécutant,  dans  des 
conditions  qui  lui  semblent  identiques,  la  même  ascension  à deux 
reprises  différentes,  ne  se  comporte  pas  toujours  de  même.  A sa 
première  ascension  du  Buet,  le  chanoine  Bourrit  tombe  sans  con- 
naissance ; l’année  suivante,  il  n’éprouve  rien  de  particulier.  Sur 
le  Breithorn  (41 00m) , M.  Lepileur,  en  1875,  ne  ressentit  aucun  ma- 
laise, tandis  que  l’année  suivante  il  y fut  pris  d’un  sommeil  invin- 
cible. Semblable  inégalité  entre  les  trois  ascensions  du  Mont-Blanc 
parM.  Tyndall,  et  les  deux  par  M.  Lortct.  Les  observations  faites 
sur  les  guides  sont  encore  plus  concluantes. 

Il  faut  enfin  noter  que,  tandis  que  certaines  personnes  semblent 
extrêmement  sensibles  aux  effets  des  ascensions,  d’autres  dépassent 
sans  se  plaindre  le  niveau  où  la  grande  majorité  des  voyageurs  est 
frappée  des  malaises  habituels.  Nous  avons  vu  que  le  Dr  Martin  de 
Moussy  avait  ressenti  la  piinct  à 1970m,  tandis  que  Jules  Rémy  a pu 
monter  à peu  près  impunément  au  sommet  du  Chimborazo  (6420m). 
Victor  Jacquemont  semblait  particulièrement  indemne  sous  ce  rap- 
port, comme  on  peut  le  voir  dans  les  extraits  de  ses  lettres.  Ce  sont 
là,  du  reste,  des  faits  bien  connus  de  tous  les  « mountainers;  » on 
sait  que  certains  guides  sont  incapables  de  suivre  « leurs  messieurs  » 
à partir  d’un  certain  niveau,  et  des  voyageurs,  intrépides  et  infati- 
gables dans  les  montagnes  de  second  ordre,  ont  dû  renoncer  à at- 
teindre les  plus  hauts  sommets  des  Alpes. 

Les  nombreuses  ascensions  dont  nous  avons  énuméré  les  récits  dif- 
fèrent donc  en  définitive  les  unes  des  autres,  par  rapport  au  mal  des 
montagnes,  d’abord  par  des  raisons  qui  paraissent  dépendre  de  la 
montagne  elle-même,  puis  par  des  raisons  qui  dépendent  des  voya- 
geurs, ces  dernières  pouvant  être  constantes  et  pouvant  aussi  n’être 
que  transitoires.  Les  extrêmes  de  ces  différences  peuvent  osciller 
entre  1500IU  (M.  Javelle)  et  6000m  ; c’est  là  ce  qui  explique,  sans  les 
justifier,  les  dénégations  inconsidérées  que  nous  avons  tant  de  fois 
enregistrées. 

Nous  devons  maintenant  nous  attacher  spécialement  à l’étude  des 
influences  d’ordre  transitoire,  et  chercher,  en  analysant  d’une 
manière  plus  détaillée  les  relations  citées,  s’il  est  possible  d’expli- 
quer ces  différences  par  certaines  conditions  de  milieu,  par  les  cir- 
constances dans  lesquelles  se  sont  trouvés  accidentellement  les 


333 


RÉSUMÉ  ET  CRITIQUES. 

voyageurs  ou  par  cet  ensemble  de  conditions  intrinsèques  propres 
à chacun  de  nous,  dont  les  unes  sont  susceptibles  de  mesure,  les 
autres  plus  ou  moins  inconnues  et  qu’on  désigne  parles  expressions 
générales  de  tempérament  et  d’idiosyncrasie.  C’est  ici  le  lieu  de  re- 
chercher l’influence  de  l’habitude,  de  l’acclimatement,  de  tenir 
compte  de  la  race  humaine  à laquelle  appartient  le  voyageur. 

Sous  ce  dernier  rapport,  les  résultats  observés  semblent  bien  con- 
tradictoires : tandis  que  d’Orbigny,  Pœppig,  Tschudi,  de  Saint-Cricq, 
Weddell,  les  frères  Grandidicr,  etc.,  remarquent  avec  étonnement 
l’immunité  des  Indiens  qui  courent  à côté  de  leurs  mules  sans  laisser 
paraître  le  moindre  malaise,  nous  voyons,  dans  l’ascension  de  de 
Humboldt  au  Chimborazo,  un  métis  né  sur  les  hauts  lieux  souffrir 
plus  que  les  Européens  ; de  même , Caldcleugh , Brand , Stuebcl 
voient  leurs  péons  malades  alors  qu’eux-mêmes  n’éprouvent  pres- 
que rien  ; cependant,  d’une  manière  générale,  il  est  évident  que, 
dans  les  Andes,  les  Indiens  résistent  beaucoup  plus  que  les  Euro- 
péens aux  effets  du  mal  des  montagnes. 

Je  ne  puis  m’empêcher  de  citer  à ce  propos  un  passage  d’une 
lettre  pleine  d’intérêt  qu’a  bien  voulu  m’écrire  un  ingénieur  fran- 
çais, M.  E.  Roy,  ancien  sous-directeur  de  l’école  des  arts  et  métiers 
de  Lima,  qui  a beaucoup  fréquenté  les  hautes  régions  des  Andes  : 

La  race  indigène  indienne  est  forte  et  vigoureuse,  la  nature  ou  l’effet  d’une 
espèce  d’atavisme  l’a  douée  d’un  puissant  appareil  respiratoire  qui  lui  permet, 
probablement  par  la  respiration  d’une  plus  grande  quantité  d’air,  de  retrouver 
l’équivalent  d’oxygène  nécessaire  à son  existence  et  au  maintien  d’une  bonne 
constitution.  L’Indien  de  ces  hauts  plateaux  est  trapu,  a le  torse  et  le  bassin 
énormes  et  les  jambes  relativement  courtes  ; c’est  un  marcheur  de  premier  ordre. 
Chaussé  de  ses  doubles  bas  de  laine  et  de  ses  mocassins,  il  fera  50  kilomètres, 
sans  sourciller,  dans  ses  montagnes,  et,  pourvu  qu’il  ait  des  feuilles  de  coca  à mâ- 
cher, il  fera  ce  trajet  d’un  trait.  C’est  bien  pour  lui  et  ses  lamas  que  le  plus 
court  chemin  d’un  point  à un  autre  est  la  ligne  droite  : il  ne  cherche  pas  à con- 
tourner les  vallées  pour  aller  de  l’une  dans  l’autre,  il  pique  droit  devant  lui,  si 
la  déclivité  de  la  montagne  n’est  pas  infranchissable  : c’est  vous  dire  combien  il 
laut  qu’il  respire  librement. 

En  retour,  quand  ces  montagnards  descendent  sur  le  bord  de  la  mer,  ils  ne 
peuvent  se  livrer  à un  travail  pénible,  comme  dans  leurs  montagnes;  beaucoup 
deviennent  poitrinaires.  Ainsi,  à l’école  dont  j’étais  sous-directeur,  beaucoup  de 
jeunes  gens  venant  de  ces  hautes  contrées  ont  dù,  pour  cette  cause,  retourner  à 
l’air  natal  avant  d’avoir  fini  leurs  études,  à cause  du  travail  de  l’atelier  trop  pé- 
nible pour  eux. 

Le  contraire  parait  résulter  des  récits  faits  par  les  voyageuts  de 
l’Asie  centrale.  Déjà  Fraser  se  plaint  vivement  de  ses  coolies.  D’après 


354 


HISTORIQUE. 


le  Dr  Gérard  (p.  148),  les  habitants  duKoonawur,  nés  sur  les  hauts 
plateaux,  sont  aussi  malades  que  les  voyageurs.  Johnston  raconte  que 
tandis  que  les  indigènes  qui  raccompagnaient  sur  le  pic  de  Tazigand 
respiraient  avec  la  plus  grande  peine,  lui  et  ses  compagnons  anglais 
ne  ressentaient  aucune  souffrance  (p.  150).  Oliver  Cheetam,  Godwin 
Austen,  Hcnderson,  racontent  des  faits  semblables.  Pour  les  frères 
Schlagintweit , la  différence  des  races  est  de  peu  d’importance. 
Drew  a vu  un  natif  du  Pendjab  malade  à 11  000  pieds  (5500m).  Ainsi, 
les  Indiens,  même  ceux  qui  sont  nés  dans  les  régions  montagneuses, 
semblent  au  moins  aussi  sensibles  que  les  Européens  aux  effets  des 
ascensions. 

De  même,  en  Afrique,  dans  les  ascensions  des  monts  Cameron  et 
du  Kilimandjaro  ; de  même  à Hawaï,  sur  le  Mauna-Loa,  les  indi- 
gènes ont  été  frappés  du  mal  des  montagnes  avant  les  voyageurs 
européens,  et  plus  gravement  qu’eux. 

Mais  il  convient  de  dire,  dès  maintenant,  qu’indigènes  et  Euro- 
péens n’étaient  pas,  pendant  ces  voyages,  dans  des  conditions  identi- 
ques, au  point  de  vue  des  vêtements,  de  la  nourriture  et  du  travail. 

Si  des  indigènes  appartenant  à des  races  qui  semblent , suivant 
l’expression  du  Dr  Gérard,  « nées  pour  vivre  et  mourir  dans  des  ré- 
gions inaccessibles,  » sont  atteints  par  l’influence  de  la  montagne, 
il  doit  en  être  de  même,  à plus  forte  raison,  des  populations  de  races 
européennes , qui  habitent  les  hauts  lieux.  Tous  les  récits  du  cha- 
pitre 1er  montrent,  en  effet,  les  porteurs  et  les  guides  malades  aussi 
vite  et  aussi  gravement  que  les  voyageurs,  lorsque  ceux-ci  ont  déjà 
l’habitude  de  l’exercice  en  montagnes.  Quelquefois  même,  ce  sont 
eux  qui  en  sont  pris  les  premiers;  le  récit  de  Holoinieu  (p.  76)  est 
tout  à fait  caractéristique.  Le  léger  avantage  qu’ils  présentent,  en 
moyenne,  est  assez  rapidement  acquis  par  les  gens  des  plaines  que 
l’humeur  vagabonde  pousse  dans  la  montagne. 

Une  autre  preuve,  et  non  la  moins  saisissante,  du  peu  d’impor- 
tance de  l’accoutumance  au  séjour  des  hauts  lieux,  se  tire  de  l’in- 
tensité avec  laquelle  le  mal  atteint  les  animaux  domestiques.  Tous 
les  récits  des  voyageurs  dans  les  Andes  et  l’Himalaya  sont  riches  en 
détails  attristants  sur  le  piteux  état  des  mules  ou  des  chevaux  qui 
portent  les  fardeaux  ; ces  derniers  périssent  fréquemment  ; les  cha- 
meaux ne  se  comportent  pas  mieux;  les  mules  de  de  Saussure  pous- 
saient des  cris  plaintifs  sur  le  glacier  de  Saint-Théodule;  les  bœufs 
sauvages  eux-mêmes,  quand  on  les  chasse,  vomissent  souvent  le  sang, 
dit  de  Humboldt,  et  l’on  a vu  quelle  triste  figure  ils  faisaient  par- 


335 


RÉSUMÉ  ET  CRITIQUES. 

fois,  selon  de  Castelnau,  dans  les  combats  de  taureaux.  Les  chiens 
sont  également  très-durement  frappés,  et  ont  de  la  peine  à courir. 
Les  chats  surtout  paraissent  présenter  une  susceptibilité  excessive, 
puisque,  selon  Pœppig  et  Tschudi , ils  ne  peuvent  pas  vivre  au- 
dessus  de  4000m.  (P.  43,  49.)  Il  convient  cependant  de  faire  remar- 
quer que,  d’après  Tschudi  et  Eiliotson,  les  animaux  nés  dans  la 
montagne  sont  moins  malades  que  les  autres. 

Mais  il  faut  avouer  que  tout  ceci  se  rapporte  aux  animaux  domes- 
tiques importés.  Les  espèces  indigènes  paraissent  fort  à l’aise  aux 
plus  grandes  hauteurs  ; seul,  le  capitaine  Webb  a vu  des  yacks  atteints 
de  la  maladie  (p.  144);  les  lamas  en  semblent  tout  à fait  exempts, 
eux  qui,  du  reste,  à l’état  libre,  paissent  à des  hauteurs  de  plus  de 
4000  mètres  Enfin,  depuis  Ulloa,  tout  le  monde  a été  frappé  d’éton- 
nement en  voyant  les  condors  planer  habituellement  à 4 ou  5000m, 
et  dépasser  quelquefois  7000  mètres;  dans  l’Himalaya,  les  huppes 
et  d’autres  passereaux  habitent  par  plus  de  5000  mètres. 

Nous  touchons  ici  à l’un  des  points  les  plus  intéressants  de  cette 
revue  d’ensemble.  L’influence  de  l’habitude,  l’accoutumance  au 
mal  des  montagnes,  est  indéniable;  mais  on  en  a tout  à la  fois  exa- 
géré et  mal  déterminé  les  conditions. 

Au  témoignage  de  d’Orbigny,  de  Pœppig,  de  Gay,  de  Tschudi,  de 
Guilhert,  on  s’habitue  parfaitement  à vivre  dans  les  hautes  régions 
des  Andes,  et  les  malaises  souvent  insupportables  qui  frappent  l’Eu- 
ropéen dans  les  premiers  jours  disparaissent  graduellement.  «Dans 
les  rues,  dit  Guilbert,  on  reconnaît  facilement  les  nouveaux  venus  ; 
tous  les  quarante  ou  cinquante  pas  ils  s’arrêtent  quelques  secondes.  » 
(P.  57.)  Des  effets  analogues  ont  été  remarqués  dans  nos  montagnes 
d’Europe  ; tel  novice  qui , arrivant  des  plaines,  est  malade  à une 
faible  hauteur,  pourra,  plus  tard,  faire  impunément  des  ascensions 
beaucoup  plus  élevées.  Mais  il  ne  faudrait  pas  croire  que  cette  im- 
munité soit  absolue  ; un  changement  de  niveau  un  peu  considérable, 
des  circonstances  particulières,  font  soudain  reparaître  le  malaise 
disparu;  nous  en  trouverons  la  preuve  dans  les  récits  de  M.  Wed- 
dell,  de  M.  Pissis,  de  d’Orbigny  lui-même.  En  un  mot,  il  en  est  de 
l’arrivée  en  montagne  comme  de  tous  les  changements  brusques 
auxquels  nous  pouvons  nous  soumettre  ; un  certain  temps  écoulé 
laisse  rétablir  l’équilibre  un  instant  ébranlé,  et  que  des  transi- 
tions plus  ménagées  auraient  permis  de  conserver. 

Nous  essaierons  de  préciser  plus  tard  la  nature  et  Pimportancc 
des  conditions  changées  par  le  fait  de  l’ascension  ; mais,  dès  main- 


336 


HISTORIQUE. 


tenant , nous  pouvons  constater  la  réalité  de  raccoutumance , ou , 
comme  on  dit  d’ordinaire,  de  l’acclimatation  sur  les  hauts  lieux. 

Mais  nous  ne  parlons  ici,  nous  ne  saurions  trop  le  redire,  que  des 
accidents  violents  et  soudains  du  mal  des  montagnes,  en  un  mot; 
nous  n’avons  nullement  l’intention  de  nous  jeter  dans  l’étude  déli- 
cate, complexe,  où  les  moyens  de  démonstration  sont  d’autant  plus 
nombreux  qu’ils  sont  moins  probants,  de  l’acclimatation  véritable, 
sur  les  hautes  régions,  des  générations  successives  tendant  à la 
constitution  d’une  race. 

Tout  en  faisant  quelques  réserves,  car  il  paraît  prouvé  que  cer- 
taines personnes  ne  peuvent  s’habituer  au  séjour  des  hauts  lieux, 
nous  constatons  simplement  qu’un  voyageur  arrivé  depuis  quelque 
temps  dans  la  montagne  n’éprouvera  rien  d’extraordinaire  là  où  il 
était,  à ses  débuis,  malade;  que  ses  descendants,  s’il  y fait  souche, 
conserveront  son  immunité  relative  ; que  la  race  qui  se  sera  ainsi 
formée  jouira  des  mêmes  avantages,  jusqu’à  frapper  d’étonnement 
le  voyageur  nouveau  venu.  Mais  sous  la  réserve  déjà  faite  qu’il  n’y 
a là  rien  d’absolu. 

Encore  faudrait-il  bien  s’entendre  sur  la  question  d’habitude.  En 
effet,  ainsi  que  nous  allons  le  dire  dans  un  moment,  la  fatigue  est 
un  élément  considérable , dans  l’intensité  du  mal  des  montagnes. 
Or,  l’une  des  conséquences  de  l’exercice  prolongé  en  montagnes, 
c’est  la  moindre  disposition  à la  fatigue.  11  en  est  de  cette  gymnas- 
tique spéciale  comme  de  toutes  les  autres  ; on  arrive  à ne  faire  con- 
tracter que  les  muscles,  que  les  faisceaux  musculaires  indispensa- 
bles pour  le  mouvement  qu’on  cherche  à obtenir;  on  ne  les  amène 
qu’au  degré  de  contraction  précisément  nécessaire;  en  un  mot,  on 
réduit  à son  minimum  la  dépense  des  forces.  De  plus,  les  muscles, 
et  sans  doute  aussi  les  nerfs,  sollicités  plus  fréquemment  à l’action, 
dont  une  circulation  locale  plus  active  enlève  sans  cesse  les  dé- 
chets, peuvent  fournir  à un  emmagasinement  et  à une  décharge 
dynamiques  plus  considérables,  deviennent,  comme  on  dit,  plus 
forts,  et,  pour  un  même  travail,  donnent  à un  bien  moindre  degré 
la  sensation  de  fatigue. 

De  là  suit  qu’on  se  dispose  à raccoutumance  sur  les  hauteurs  par 
le  simple  exercice  gymnastique  des  ascensions  médiocres  dont  les 
« alpinistes  » de  profession  ont  toujours  soin  de  faire  précéder  leurs 
prouesses  à grande  hauteur.  Faute  de  s’astreindre  à cette  règle,  les 
plus  énergiques  payent  souvent  leur  tribut.  Un  des  membres  du 
Club  alpin  autrichien,  des  plus  familiers  avec  les  sommets  élevés  des 


RESUME  ET  CRITIQUES. 


537 


Alpes,  qui  se  vantait  à moi  de  n’avoir  jamais  rien  ressenti  au  mont 
Rose  ni  au  mont  Blanc,  m’avoua  avoir  été  fort  malade  un  jour  pour 
avoir  fait,  en  sortant  d’une  vie  sédentaire,  et  sans  nulle  transition, 
une  ascension  de  2500“.  C’est  là  une  des  raisons  pour  lesquelles  les 
médiocres  montagnes  de  la  vallée  de  Chamounix,  le  Buet,  parfois 
même  le  Brévent  (2525m),  rendent  malades  les  voyageurs  qui  arri- 
vent par  Genève  ; c’est  aussi  cette  absence  d’entraînement  qui 
explique  la  fréquence  des  accidents  du  mal  des  montagnes  dans 
l’ascension  du  mont  Blanc,  alors  que  celle  du  mont  Rose  est  beau- 
coup moins  redoutée  sous  ce  rapport;  c’est  que  la  première  est 
souvent  faite  par  des  novices  ou  même  par  des  « mountainers  » 
expérimentés,  mais  qui,  quelques  jours  avant,  vivaient  dans  l’at- 
mosphère de  Londres  ou  de  Paris,  tandis  qu’on  n’atteint  générale- 
ment au  mont  Rose  qu’après  une  série  d’exercices  préalables  qui  ont 
discipliné  l’appareil  locomoteur. 

Les  exemples  de  l’influence  de  la  fatigue  sont  nombreux  dans  les 
récits  mêmes  que  nous  avons  cités. 

En  faisant  l’énumération  des  symptômes  du  mal  des  montagnes, 
nous  aurons  à insister  sur  le  fait  de  son  exagération  par  l’exercice, 
même  le  plus  modéré.  Ici,  nous  devons  simplement  signaler  les  cas 
où  il  n’apparaît  que  sous  l’influence  de  la  fatigue,  et  nous  pouvons 
même  dire,  d’une  fatigue  passagère,  due  à un  exercice  violent.  J’ai 
moi-même  ressenti  des  accidents  assez  sérieux,  pour  avoir  fait  au 
pas  gymnastique  une  course  ascendante  de  près  d’un  kilomètre,  sur 
la  route  du  grand  Saint-Bernard,  à une  hauteur  qui  ne  devait  pas 
dépasser  1500m.  C’est  à l’influence  de  la  fatigue,  des  charges  portées 
à dos  d’homme,  qu’il  faut  rapporter,  pour  une  grande  part,  les 
malaises  violents  qui  frappent  parfois  les  péons  des  Andes  et 
surtout  les  coolies  de  l’Himalaya,  avant  les  voyageurs  européens. 

Ceux-ci,  du  reste,  se  laissent  d’ordinaire  transporter  tranquille- 
ment sur  le  dos  des  chevaux,  des  mulets  ou  des  yaks.  Nous  avons 
énuméré  bien  des  cas  dans  lesquels  la  maladie  les  frappait  sou- 
dain, aussitôt  qu’ils  descendaient  pour  cheminer  à côté  de  leurs 
montures.  S’ils  marchent  sur  un  terrain  difficile,  dans  la  neige  nou- 
velle où  enfonce  le  corps,  la  fatigue  s’en  augmente,  et  avec  elle 
l’intensité  des  accidents. 

Si,  comme  l’ont  fait  d’ordinaire  les  [voyageurs,,  nous  appliquons 
le  mot  fatigue  non-seulement  au  résultat  de  contractions  muscu- 
laires exagérées,  mais  [à  l’influence  d’autres  causes  épuisantes,  ce 
facteur  du  mal  des  montagnes  prend  encore  plus  d’énergie.  Ainsi 


358  HISTORIQUE. 

l’insommie,  le  manque  de  repos  et  de  confort  ne  sohtf  point  à 
négliger.  A leur  seconde  ascension  du  Mont-Blanc,  MM.  Lortet  et 
Marcet  furent  beaucoup  moins  malades  qu’à  la  première  : ils 
avaient  passé  une  bonne  nuit  aux  Grands-Mulets.  La  généralité  des 
malaises,  en  grimpant  cette  montagne,  tient  en  partie  à ce  que  le 
lieu  de  repos,  la  cabane  des  Grands-Mulets,  est  fort  mal  installé  ; 
au  contraire,  sur  le  mont  Rose,  se  trouve  l’auberge  du  Riffelberg, 
où  l’on  se  repose  à son  gré,  et  où  l’on  peut  demeurer  plusieurs 
jours  à une  élévation  de  2570m. 

A la  fatigue,  à l’insommie,  il  faut  joindre  l’alimentation  insuffi- 
sante ou  mauvaise.  Les  guides  sont  unanimes  pour  recommander 
de  manger  peu,  mais  souvent  et  substantiellement.  Un  mauvais 
état  de  l’estomac  ou  de  l’intestin  amène  infailliblement  les  trou- 
bles bien  avant  le  niveau  habituel.  On  a vu  fréquemment  des 
guides  devenir  malades  assez  bas,  pour  s’être  enivrés  la  veille;  les 
péons  qui  ont  des  habitudes  vicieuses  souffrent  plus  de  la  puna  que 
les  autres,  dit  Caldcleugh  (page  57). 

Telles  sontles  principales  circonstances,  variables  et  accidentelles, 
qui  peuvent  modifier  l’intensité  du  mal  des  montagnes  : non-accli- 
matement, non-entrainement,  fatigue,  insomnie,  mauvaise  alimen- 
tation, dispositions  momentanées  mauvaises.  Les  tempéraments 
divers  paraissent  inégalement  atteints.  Suivant  la  plupart  des  voya- 
geurs, suivant  A.  Smith  (p.  47),  Tschudi  (p.  49),  Burmeister  (p.  55); 
Pissis  (p.  61),  les  pléthoriques  et  aussi  les  personnes  âgées  ou 
très-faibles  sont  particulièrement  frappées.  Il  n’est  pas  rare  de 
voir  des  gens  d’apparence  assez  frôle,  mais  bilieux  ou  nerveux,  faire 
impunément  des  ascensions  où  échouent  des  personnes  corpulentes* 
On  peut  dire  qu’ils  ont  moins  lourd  à soulever,  ce  qui  a son  impor- 
tance, surtout  quand  ils  cheminent  sur  la  neige,  où  ils  enfoncent 
moins;  en  outre,  leur  surface  pulmonaire  est,  comme  celle  des  en- 
fants, plus  grande,  proportionnellement  à leur  poids  ; mais,  quoi 
qu’il  en  soit  de  l’explication,  le  fait  est  d’observation  courante. 

L’-état  de  mauvaise  santé,  pour  une  cause  quelconque,  prédispose 
également  à être  plus  tôt  malade.  « Quand  je  ne  me  portais  pas  bien, 
dit  Al.  Gérard,  j’ai  souffert  à 15  000  pieds,  tandis  qu’en  bonne 
santé,  je  n’ai  rien  ressenti  à 16000  pieds  » (p.  149). 

Une  influence  d’une  nature  générale  est  celle  du  froid,  qui  pré- 
dispose au  mal  des  montagnes.  C’est,  nous  l’avons  vu,  à la  région 
des  neiges  perpétuelles  qu’il  apparaît  d’ordinaire,  et  dans  les  con- 
trées intertropicales,  il  recule  avec  elles  jusqu’à  d’énormes  hau- 


339 


RÉSUMÉ  ET  CRITIQUES. 

leurs.  Tous  les  voyageurs  sont  d’accord  pour  déclarer  que  le  vent 
glacé  des  hauts  lieux,  lorsqu’il  s’élève,  rend  insupportables  les 
malaises,  et  peut  amener  la  mort  ; le  fait  a été  remarqué  d’abord 
dans  les  Andes  par  Acosta  (p.  27). 

Si  donc  à la  fatigue  de  la  marche  et  des  fardeaux  portés  on  joint 
l’alimentation  insuffisante,  les  privations  de  la  misère,  les  vêtements 
impuissants  à préserver  du  froid,  on  trouve  réunies  toutes  les 
causes  qui  peuvent  augmenter  l’intensité  du  mal  des  montagnes. 
Ces  causes,  sans  parler  des  habitudes  vicieuses,  se  donnent  rendez- 
vous  pour  frapper  les  malheureux  coolies  indiens  et  aussi,  bien 
qu’à  un  moindre  degré,  les  péons  des  Andes  ; cela  suffit  bien  pour 
expliquer  la  violence  avec  laquelle  ils  souffrent  ordinairement  de 
la  puna  ou  du  bies,  suivant  leurs  expressions. 

Que  si  maintenant  nous  nous  reportons  aux  différences  signa- 
lées dès  le  début  de  ce  paragraphe  entre  les  diverses  montagnes, 
relativement  à la  hauteur  à laquelle  surviennent  d’ordinaire  les 
malaises,  nous  pouvons  les  expliquer  en  partie  par  les  observations 
qui  viennent  d’être  relevées. 

Si,  sous  les  tropiques,  le  mal  des  montagnes  n’arrive  guère  avant 
4500m,  tandis  que  dans  nos  Alpes  il  n’est  pas  rare  mille  mètres 
plus  bas,  la  température  est  certes  pour  beaucoup  dans  cette  iné- 
galité considérable  ; ainsi  que  je  le  faisais  remarquer  il  n’y  a qu’un 
instant,  la  zone  des  neiges  éternelles  est  à peu  près  celle  à laquelle 
apparaissent  les  malaises.  Si  la  ville  de  Cerro  de  Pasco  est  si  redou- 
tée de  tous  les  voyageurs,  c’est  que  son  climat  glacé  vient  augmen- 
ter l’intensité  des  accidents  occasionnés  par  la  hauteur.  Evidem- 
ment, c’est  à leur  position  sous  l’Équateur  même  que  les  montagnes 
gigantesques  qui  environnent  Quito  doivent  en  partie  l’immunité 
relative  dont  ont  joui  ceux  qui  en  ont  fait  l’ascension.  A Quito,  dit 
Jameson1,  la  température  moyenne  est  d’à  peu  près  14°;  le  ther- 
momètre oscille  entre  18°  et  8°. 

Mais  cet  élément  n’est  pas  le  seul.  11  y a une  grande  différence* 
d’après  ce  que  nous  avons  dit  précédemment,  entre  une  montagne 
située  sur  le  bord  de  l’Océan,  comme  le  pic  de  Ténériffe  (371bm), 
par  exemple,  et  une  autre  de  même  hauteur  dans  le  massif  de  nos 
Alpes,  comme  le  Galenstock  (3800m).  Pour  faire  l’ascension  du  pre- 
mier, en  effet,  le  voyageur  part  du  niveau  de  la  mer,  et  franchit 
d’un  coup  une  hauteur  verticale  considérable  ; pour  le  second,  la 

1 Joürney  frorn  Quito  lo  Cayambe.  — Journal  roy.  geogi'.  Sob.t  t.  XXXI,  p.  184-190; 
1861. 


340 


HISTORIQUE. 


distance  à parcourir  est  diminuée  de  1000“  au  moins.  La  transi- 
tion est  donc,  dans  ce  dernier  cas,  infiniment  plus  ménagée.  De 
plus,  on  ne  peut  accéder  au  pied  même  des  montagnes  alpestres 
qu’après  avoir  fait  une  sorte  d’acclimatement  avec  entraînement 
musculaire,  au  lieu  qu’on  débarque  simplement  au  pied  du  Pic  ou  de 
l’Etna.  11  en  résulte  que  sur  ces  montagnes  médiocres,  malgré  la 
température  élevée  de  leur  région,  les  accidents  sont  encore  plus 
fréquents  que  sur  les  montagnes  équivalentes  des  Alpes. 

C’est  pour  la  même  raison,  en  outre  de  leur  situation  dans  la  zone 
torride,  que  le  Chimborazo,  l’Antisana,  le  Cotopaxi,  etc.,  n’occa- 
sionnent que  de  médiocres  accidents;  la  ville  de  Quito,  qui  est  à 
leurs  pieds,  et  d’où  l’on  part  après  un  séjour  plus  ou  moins  long, 
est  située  par  291 0,n,  en  telle  sorte  qu’il  ne  reste  que  1950ni  à 
monter  en  verticale,  pour  arriver  au  sommet  du  Pichincha  ; c’est 
le  cas  de  se  souvenir  de  l’irrévérencieuse  comparaison  du  cha- 
noine Bourrit  (p.  15). 

Le  lecteur  peut  s’assurer,  en  passant  en  revue  les  voyages  à tra- 
vers les  Andes  (p.  25-64),  que  les  accidents  frappent  bien  plus 
généralement  et  bien  plus  durement  les  voyageurs  qui  vont  du  Paci- 
fique à l’Atlantique,  que  ceux  qui  suivent  la  route  inverse.  Pour 
moi,  l’explication  de  cette  singularité  apparente  se  trouve  en  grande 
partie  dans  ce  fait,  que  du  côté  chilien,  l’ascension  est  extrême- 
ment brusque,  tandis  qu’elle  est  lente  et  progressive  pour  le  voya- 
geur qui  va  de  l’est  à l’ouest. 

Enfin,  la  hauteur  considérable  à laquelle  il  faut  s’élever  dans 
l’Himalaya  pour  être  atteint  par  le  mal  des  montagnes  peut  être 
due  à la  même  cause.  Dans  l’énorme  massif  d’où  sortent  l’indus, 
le  Bramapoutra  et  le  Gange,  on  n’atteint  les  passages  redoutables 
qu’après  avoir  longtemps  marché  sur  un  terrain  montueux,  dont 
les  assises  de  plus  en  plus  élevées  préparent  lentement  à l’influence 
des  grandes  hauteurs.  C’est  là  que  les  transitions  sont  le  plus  mé- 
nagées : c’est  là  que  les  accidents  à craindre  doivent  se  faire  sentir 
le  plus  tardivement,  ce  qui  arrive  en  effet. 

Mais,  bien  entendu,  cette  influence  considérable  doit  être  rappro- 
chée des  conditions  climatériques  et  des  autres  causes  de  variations 
que  nous  avons  déjà  signalées.  11  nous  semble  que,  sauf  quelques 
cas  encore  difficiles  à interpréter,  et  sur  lesquels  la  discussion  des 
théories  émises  jettera  quelque  lumière,  les  inégalités  si  singulières 
que  nous  indiquions  au  commencement  de  ce  paragraphe  se  lais- 
sent à peu  près  looks  expliquer  d’une  manière  satisfaisante. 


RÉSUMÉ  ET  CRITIQUES. 


341 


§ 2.  — Symptômes  du  mal  des  montagnes. 

Le  mal  des  montagnes,  la  veta , la  puna,  le  mareo , le  soroche  des 
Sud-Américains,  le  bis , le  tunk,  le  dum , le  mundara,  le  serein,  Y aïs 
des  montagnards  de  l’Asie  centrale,  Yikak  des  naturels  de  Bornéo, 
est  constitué,  à son  maximum  d’intensité,  par  un  ensemble  de 
symptômes  redoutables,  qui  portent  à la  fois  sur  toutes  les  grandes 
fonctions  physiologiqnes  : l’innervation,  la  locomotion,  la  circula- 
tion, la  respiration,  la  digestion.  Nous  allons  d’abord  les  résumer, 
d’après  les  récits  qui  précèdent,  en  les  rapportant  à chacune  de  ces 
divisions  des  phénomènes  naturels. 

Digestion.  — La  soif  exagérée,  le  dégoût  non-seulement  pour  l’in- 
gestion, mais  pour  la  vue  et  l’odeur  des  aliments,  le  manque  de  sa- 
pidité des  liquides,  les  nausées,  les  vomissements  ont  été  signalés 
par  presque  tous  les  voyageurs.  On  mange  très-peu  sur  les  hautes  mon- 
tagnes ; Martins  et  Bravais,  avec  trois  guides,  firent  un  bon  repas  de 
la  ration  d’un  homme  seul.  Quant  aux  accidents  violents,  rien  de 
plus  saisissant  que  la  description  faite  par  Acosta  : « Après  avoir 
vomy  la  viande,  les  phlegmes  et  la  colère,  l’une  jaune  et  l’autre 
verde,  ie  vins  iusque  à jetter  le  sang  » (p.  25).  Les  pudiques  péri- 
phrases des  voyageurs  anglais  sur  les  « soulèvements  du  dia- 
phragme »,  « les  malaises  d’estomac,  » laissent  entrevoir  le  tableau 
énergiquement  retracé  par  le  vieux  jésuite.  On  n’aura,  dans  les 
récils  du  premier  chapitre,  que  l’embarras  du  choix  entre  les  des- 
criptions. Quelquefois  l’estomac  devient  d’une  susceptibilité  telle, 
qu’il  ne  peut  supporter  une  cuillerée  d’eau  (P.  170). 

La  diarrhée  a été  signalée,  vraisemblablement  comme  consé- 
quence des  jets  de  bile  lancés  dans  l’inlestin  pendant  les  efforts 
de  vomissement.  « Mes  compagnons  étaient  perdus  de  vomissement 
et  de  force  d’aller  à la  selle,  » raconte  encore  Acosta  (P.  26).  Il 
faut  dire  cependant  que,  dans  quelques  cas,  elle  paraît  être  due 
simplement  au  froid,  aux  pieds  humides,  etc. 

L’ensemble  de  ces  phénomènes  est,  en  tous  lieux,  ce  qui  a le 
plus  frappé  et  le  plus  effrayé  les  voyageurs  ; c’est  à eux  qu’est  duc 
la  vieille  comparaison  qui  a fait  donner  au  mal  des  montagnes,  au 
mareo,  son  nom  significatif. 

décrétions.  — Les  troubles  sécrétoires  sont  peu  importants;  leur 
relation  d’effet  à cause  avec  l’acte  même  de  l’ascension  n’est  rien 
moins  que  démontrée.  Que  la  sueur  s’exagère,  l’exercice  violent, 


342 


HISTORIQUE. 


l’action  directe  des  rayons  solaires,  l’expliquent  suffisamment.  La 
diminution  dans  la  sécrétion  urinaire  peut  en  être  la  suite,  mais 
plusieurs  voyageurs  n’hésitent  pas  à y voir  l’influence  directe  des 
hautes  régions.  Du  reste,  aucune  mesure  exacte  n’a  été  prise,  au- 
cune analyse  chimique  n’a  été  faite. 

Respiration.  — La  respiration  plus  fréquente,  plus  courte,  puis 
difficile,  entrecoupée  et  anxieuse,  a été  éprouvée  et  signalée  par 
tout  le  monde.  L’oppression  s’accompagne  souvent  de  douleurs 
de  poitrine.  C’est,  avec  la  fatigue  exagérée,  la  première  mani- 
festation du  mal  des  montagnes.  Les  animaux  n’en  sont  pas  exempts. 
Nous  avons  vu  quelle  importance  ont  attachée  au  nombre  aug- 
menté des  respirations  les  théoriciens  qui  se  sont  occupés  de  la 
question  : nous  y reviendrons  dans  un  moment. 

Les  observations  de  M.  Lortet  (P.  120)  ont  précisé  les  modifica- 
tions apportées  par  l’altitude  dans  le  rhythmc  respiratoire  : l’am- 
plitude diminue,  si  le  nombre  augmente.  C’est  aussi  ce  qu’a 
constaté  Yivenot  dans  ses  appareils  (p.  295). 

Quant  aux  conséquences,  relativement  à la  respiration,  d’un  sé- 
jour habituel  dans  les  hauts  lieux,  les  faits  rapportés  semblent  en 
contradiction  avec  ces  résultats.  Pour  ne  citer  que  les  plus  récents 
auteurs,  nous  voyons  M.  Jaccoud  affirmer  que  le  nombre  et  l’am- 
plitude des  respirations  augmentent  sur  l’Engadine  (p.  511).  Drew 
trouve  aussi  « la  respiration  plus  rapide  et  plus  ample  » (p.  509). 
M.  Armieux  arrive  au  même  résultat  pour  le  nombre;  de  plus  il 
constate  une  capacité  respiratoire  augmentée  chez  les  infirmiers  de 
Baréges.  Tout  le  monde  paraît  être  d’accord  sur  la  question  de  la 
fréquence  ; mais  celle  de  l’amplitude  appelle  de  nouvelles  recher- 
ches. Il  en  est  ainsi,  à plus  forte  raison,  si  l’on  fait  intervenir  la 
question  des  races  (p.  515). 

Circulation.  — L’accélération  du  pouls,  si  elle  n’a  pas  été  notée 
par  tous  les  voyageurs,  comme  les  troubles  digestifs  et  res- 
piratoires, n’est  pas  moins  constante.  On  peut  la  constater,  alors 
même  qu’aucun  sentiment  de  malaise  n’appelle  l’observation.  En 
faisant  la  très-modeste  ascension  du  Nivolet  (1558m)  près  Cham- 
béry (269m),  j’ai  vu  mon  pouls  et  celui  de  toutes  les  autres  person- 
nes qui  composaient  notre  petite  caravane  monter  de  4 à 8 batte- 
ments ; il  était  compté,  bien  entendu,  après  un  long  repos.  Le 
lieutenant  Wood  ne  s’est  aperçu  que  par  hasard  de  la  rapidité 
extraordinaire  de  son  pouls,  si  bien  qu’il  se  crut  alors  pris  de 
fièvre  (p.  154). 


543 


RÉSUMÉ  ET  CRITIQUES. 

Quand  la  différence  de  niveau  est  très-grande,  l’accélération 
devient  considérable.  Elle  est,  du  reste,  comme  l’a  dit  de  Saus- 
sure (p.  92),  en  rapport  avec  l’intensité  du  malaise  éprouvé.  Les 
nombres  exlraordinaires  de  150,  140  pulsations  ne  sont  pas  très- 
rares  dans  les  hautes  montagnes  : « Mon  cœur,  dit  mistress  Hen- 
derson,  allait  un  train  de  chemin  de  fer  » (P,  160).  Nous  avons 
vu  Parrot  chercher  à établir  une  sorte  de  rapport,  qui  aurait  pu 
servir  de  mesure  pour  la  hauteur,  entre  le  nombre  de  ses  pulsa- 
tions et  l’altitude  atteinte  (P.  151).  Le  tableau  publié  par  Lortet 
(P.  122)  est  très-curieux  sous  ce  rapport;  mais  il  s’en  faut  de 
beaucoup  qu’une  pareille  régularité  soit  générale.  A de  grandes 
hauteurs,  l’accélération  du  pouls  devient  insupportable  ; elle  s’ac- 
compagne de  bourdonnements  d’oreilles,  de  battements  dans  les 
carotides,  dans  les  tempes,  de  palpitations  plus  ou  moins  violentes, 
et  qui  deviennent  effrayantes.  Cette  accélération  ne  paraît  pas  im- 
pressionnable par  l’emploi  de  la  digitale  (P.  162). 

Cette  modification  n’est  pas  transitoire  ; elle  persiste  pendant  le 
séjour  dans  les  lieux  élevés.  Sur  ce  point,  il  est  à regretter  que  les 
observations  précises  soient  extrêmement  rares.  Aussi,  je  crois 
devoir  reproduire  ici  celles  qu’a  récemment  publiées  M.  Mermod. 

M,  Mermod1  a compté  sur  lui-même,  à maintes  reprises,  le  nom- 
bre des  pulsations,  aux  trois  stations  d’Erlangen  (525m),  de  Lau- 
sanne (61 4“),  et  Sainte-Croix  (1090ra)  ; ïe  séjour  dans  chacun  de 
ces  pays  durait  plusieurs  mois.  Ces  observations  ont  été  faites  avec 
un  soin  rigoureux,  et  toutes  les  précautions  nécessaires  ont  été 
prises  pour  que  les  causes  d’erreur  fussent  inférieures  aux  varia- 
tions, évidemment  bien  légères,  que  pouvait  présenter  la  circulation 
sous  d’aussi  faibles  différences  d’altitude.  Or,  la  moyenne  de  900 
observations  faites  à Erlangen  a donné  62,76  pulsations,  celle  de 
577  observations  faites  à Lausanne,  a donné  66,68  pulsations,  et 
celle  de  555  observations  faites  à Sainte-Croix,  68,87.  L’augmenta- 
tion du  nombre  avec  l’altitude  a été  constatée  à toutes  les  heures 
u jour. 

M.  Jaccoud  (voy.  p.  510)  a observé  aussi  sur  l’Engadine  une  accé- 
lération permanente  de  son  propre  pouls. 

Je  dois  cependant  citer  dans  un  sens  inverse  les  observations  du 
Dr  Armieux  (p.  515),  trouvant  une  diminution  moyenne  de  5,85 
pulsations  de  Toulouse  (200m),  à Baréges  (1 270m) . 

Elude  de  l'influence  de  l’altitude  sur  la  fréquence  des  battèments  du  cœur.  — Bul- 
letin delà  Société  vaudoisc  des  sciences  naturelles,  t.  XIII,  p.  501-599,  1875. 


344 


HISTORIQUE. 


La  fréquence  n’est  pas  seule  modifiée  dans  le  pouls.  Sa  force  di- 
minue beaucoup,  il  devient  irrégulier,  très-nettement  dicrote,  de 
plus  en  plus  petit  et  dépressible.  Les  tracés  pris  par  M.  Lortet  pen- 
dant l’ascension  du  mont  Blanc  (voy.  p.  121)  sont  des  plus  nets 
sous  ce  rapport.  La  tension  artérielle  diminue  notablement. 

D’autres  observateurs  ont  trouvé  au  contraire  le  pouls  plein,  fort, 
« vibrant,  dit  Guilbert,  comme  dans  l’insuffisance  aortique.  » 
(Voy.  p.  58.)  Selon  Junod,  qui  expérimentait  en  vases  clos,  il  est 
plein,  dépressible,  fréquent  (p.  259).  Sans  perdre  de  force,  dit 
M.  Lepileur,  le  pouls  augmente  notablement  de  vitesse  (p.  248). 

Le  système  veineux  présente  des  phénomènes  non  moins  frap- 
pants; plénitude  des  vaisseaux,  congestion  de  la  peau,  des  lèvres, 
des  conjonctives;  apparence  violacée,  vultueuse,  enflée  de  la  face  ; 
lèvres  bleues  et  gonflées. 

Puis,  parfois,  tout  à coup,  la  scène  change  du  tout  au  tout  : la 
face  devient  pâle  : c’est  la  syncope  qui  menace.  Elle  arrive  souvent 
môme,  allant  jusqu’à  la  perte  complète  de  connaissance.  La  station 
debout  la  favorise  singulièrement.  (Voy.  p.  85,  109.) 

Le  plus  effrayant,  sinon  le  plus  grave  des  troubles  circulatoires, 
ce  sont  les  hémorrhagies  ; elles  sont  plus  rares  qu’on  ne  le  dit  gé- 
néralement ; par  ordre  de  fréquence,  on  signale  d’abord  les  hémor- 
rhagies nasales  et  pulmonaires,  celles  des  yeux,  des  lèvres,  des 
oreilles,  les  hémorrhagies  intestinales  ; enfin,  M.  Martins  a éprouvé 
une  hématurie  légère.  Mlle  Dangeville  vit  son  époque  de  menstrua- 
tion notablement  avancée  ; mais  l’exercice  violent  peut  suffire  pour 
expliquer  ce  fait. 

Ces  pertes  de  sang  ont  été  observées  chez  les  animaux,  notam- 
ment chez  les  chevaux  et  les  bœufs.  Je  signale  en  passant  l’impor- 
tante observation  du  Dr  Clark,  qui  remarqua  que  le  sang  venu  du 
nez  était  « d’une  couleur  plus  noire  qu’à  l’ordinaire  » (p.  98). 

Locomotion . — La  pesanteur  des  membres  inférieurs,  le  « coup 
aux  genoux  »,  une  fatigue  que  n’expliquent  pas  les  efforts  accomplis, 
sont  l’un  des  premiers  signes  du  mal  des  montagnes.  Nous  avons 
vu,  par  des  citations  nombreuses,  qu’à  une  certaine  hauteur,  il  de- 
vient impossible  aux  plus  robustes  marcheurs  de  faire  plus  de  quel- 
ques pas  sans  s’arrêter.  Et  il  s’agit  bien  là  de  la  hauteur,  non  des 
difficultés  ordinaires  de  la  route  en  montagnes.  « J’ai  fait,  dit  le 
capitaine  Gérard,  54  milles  à pied  dans  des  pays  qu’appelleraient 
montagneux  ceux  qui  ne  connaissent  pas  les  parties  difficiles  du 
Koonawur,  avec  plus  de  facilité  et  en  moins  de  temps  que,  dans  ces 


345 


RÉSUME  ET  CRITIQUES. 

hautes  régions,  je  ne  pouvais  marcher  12  milles.  Quand  l’élévation 
dépasse  14  000  pieds,  chaque  mille,  meme  quand  la  route  est  bonne, 
demande  au  moins  deux  fois  plus  de  temps  qu’à  la  hauteur  de  7 à 
8000  pieds.  » (Voy.  p.  149.) 

Ce  n’est  pas  seulement  la  marche- qui  devient  pénible.  Le  moin- 
dre poids  fatigue  les  épaules;  un  travail,  médiocre  dans  les  régions 
ordinaires,  ne  peut  s’exécuter  dans  la  montagne  qu’au  prix  de  véri- 
tables souffrances,  parfois  de  dangers.  « Nous  ne  pouvions  nous 
servir  de  nos  bras,  dit  le  Dr  Gérard  (p.  147),  pour  briser  un  mor- 
ceau de  pierre  d’un  coup  de  marteau.  » Hamel  affirme  que  « la 
parole  même  fatigue  ».  (P.  97.)  Et  les  frères  Schlagintweit,  qui  font 
la  même  observation,  ajoutent  qu’  « on  ne  s’occupe  ni  du  confort 
ni  du  danger.  (P.  167.) 

Je  n’ai  trouvé  de  convulsions  citées  que  dans  les  récits  de  mis- 
tress  Hervey  (p.  159)  et,  nonobstant  l’irrévérence  de  ce  rapproche- 
ment, chez  les  chevaux  dont  Liguistin  a rapporté  l’histoire.  (P.  284.) 
Mais  dans  l’un  et  l’autre  cas  il  y a peut-être  autre  chose  encore 
que  l’influence  des  hauts  lieux. 

Innervation.  — En  tête  de  cette  catégorie  se  placent  les  maux  de 
tête,  si  violents,  si  insupportables,  comparés  à « un  cercle  de  fer 
serrant  les  tempes  » (Guilbert),  comme  si  « la  tête  allait  se  fendre 
en  deux  » (Mrs.  Hervey.),  dont  se  plaignent  particulièrement  les 
voyageurs  dans  l’Himalaya. 

Les  altérations  sensorielles,  et  surtout  la  dépression  intellectuelle, 
ont  été  beaucoup  moins  notées  que  les  symptômes  précédents. 
Cependant,  on  parle  encore  assez  volontiers  des  bourdonnements 
d’oreilles,  de  la  diminution  du  goût  et  de  l’odorat.  L’affaiblissement 
de  l’ouïe  est  expliqué  par  la  moindre  intensité  des  bruits  transmis 
par  un  air  peu  dense.  De  la  vue,  il  est  plus  rarement  question,  bien 
que  nous  ayons  cité  des  exemples  de  voyageurs  cessant  d’y  voir, 
ou  se  plaignant  d’éblouissements,  d’obscurcissements,  etc.  (Voy. 
p.  102,  158.)  On  accuse  encore  la  perte  de  connaissance,  la  dé- 
faillance totale,  suite,  dit-on,  de  la  syncope.  Mais  ce  qu’on  n’a- 
voue pas  volontiers,  c’est  ce  que  le  capitaine  Gérard  appelait  avec 
franchise  la  « dépression  des  esprits  » (p.  149),  et  Henderson,  une 
« grande  prostration  du  corps  et  de  l’esprit  » (p.  170). 

Et  cependant,  quand  on  lit  avec  soin  les  récits  des  voyageurs,  on 
en  trouve  presque  toujours  la  trace  manifeste.  Beaucoup  la  déguisent 
sous  le  nom  de  somnolence  ; on  ne  fait  pas  difficulté  de  parler  ou- 
vertement d’une  envie  de  dormir  qui  devient  parfois  invincible  : 


546 


HISTORIQUE. 


mais  on  ne  reconnaît  pas  aussi  aisément  que  les  sens  sont  émous- 
sés, l’intelligence  affaiblie,  l’énergie  affaissée,  que  l’esprit  est 
comme  le  corps  envahi  par  une  suprême  paresse,  ou  bien,  par  une 
réaction  singulière,  jeté  dans  des  exagérations  malsaines. 

Le  comte  deForbin  déclare  cependant  (p.  78)  qu’il  était  « affaibli, 
troublé  par  les  terreurs  d’un  cerveau  fiévreux.  La  fatigue  des  sens, 
l’exaltation  de  l’imagination,  jettent  dans  un  état  voisin  du  délire  », 
Henderson  parle  aussi,  et  de  Saussure  l’avait  fait  bien  avant  lui, 
d’une  grande  excitabilité  de  caractère.  D’un  autre  côté,  de  Saussure 
avoue  qu’il  n’a  pas  travaillé  avec  un  grand  entrain  au  sommet  du 
mont  Blanc.  M.  Lepileur  va  plus  loin  et  raconte  (p.  111)  que  ses 
compagnons  et  lui  cheminaient  machinalement,  sans  penser,  pour 
ainsi  dire.  Il  attribue  à cet  affaissement  intellectuel  les  contradic- 
tions qu’il  signale  dans  les  récits  des  ascensionnistes  qui  l’ont  pré- 
cédé. Pour  moi,  qui  ai  lu  des  centaines  de  récits  d’ascensions,  dans 
les  recueils  des  clubs  alpins  de  toutes  les  nations,  je  ne  puis  m’em- 
pêcher de  penser  que  leur  monotonie,  leur  peu  d’intérêt  sérieux, 
le  défaut  de  préoccupations  d’ordre  élevé  qui  les  caractérise  pres- 
que tous,  tiennent  en  grande  partie  à l’inconscient  état  de  dépres- 
sion mentale  dans  lequel  le  séjour  des  hauts  lieux  a.  placé  leurs 
auteurs.  La  moyenne  des  narrations  d’ascensions  faites  à de  moin- 
dres niveaux  est  infiniment  plus  intéressante,  plus  riche  en  obser- 
vations extérieures,  en  manifestations  intellectuelles  ; les  tours  de 
force  de  gymnastique,  les  préoccupations  culinaires,  y tiennent  en 
tous  cas  une  bien  moindre  place. 

Les  aéronautes  ont  signalé  des  faits  analogues,  c’est-à-dire  une 
lente  dépression,  conduisant  à l’indifférence  et  au  sommeil  : « Les 
facultés  morales  s’éteignent  avant  les  facultés  physiques.  D’abord 
on  n’a  ni  mémoire  ni  souci.  On  oublie  la  surveillance  de  l’aérostat 
bientôt  un  sommeil  lent  et  doux  assoupit  tous  les  membres  » (Ro- 
bertson, p.  192).  Dans  d’autres  cas,  il  s’agit  d’excitation  singulière. 
Enfin,  à de  grandes  hauteurs,  l’aéronaute,  même  dans  le  calme 
physique  le  plus  complet,  est  tout  à coup  frappé  d’insensibilité 
complète.  C’est  ce  qui  est  arrivé  à Zaïnbeccari  et  à M.  Glaisher. 

Tels  sont  les  fâcheux  phénomènes  que  produit  l’infïuenee  des 
hauts  lieux.  Au  début,  sensation  de  fatigue  inexplicable,  respira- 
tion courte,  anhélation  rapide,  battements  de  cœur  violents  et  pré- 
cipités ; dégoût  pour  la  nourrituft;  ; puis,  bourdonnements  d’oreilles, 
angoisse  respiratoire,  éblouissements,  vertiges,  faiblesse  sans  cesse 
croissante,  nausées,  vomissements,  somnolence  ; enfin,  affaisse- 


547 


RÉSUMÉ  ET  CRITIQUES. 

ment,  obscurcissement  de  la  vue,  hémorrhagies  diverses,  diarrhées, 
perte  de  connaissance.  Telle  est  la  série  ascendante  des  symptômes, 
en  rapport  avec  l’altitude  atteinte.  Parmi  tous  les  récits  que  nous 
avons  recueillis,  qui  peignent  avec  énergie  toutes  ces  angoisses,  il 
n’en  est  pas,  à mon  sens,  de  plus  énergique  et  de  plus  complet  que 
celui  de  Tschudi,  tombant  inanimé  sur  le  sol,  dans  la  Puna  glacée 
du  Pérou.  (Yoy.  p.  50.) 

La  mort  même,  une  mort  immédiate,  peut  être  la  conséquence 
de  ces  graves  accidents.  Nous  en  avons  cité  quelques  cas,  dans  les 
Andes  (voy.  p.  35,  40,  46,  49),  et  dans  l’Himalaya  (p.  148).  Et  ce  ne 
sont  pas  seulement  les  hommes  qui  peuvent  succomber  ; les  animaux, 
chats,  chiens,  chameaux,  mulets  et  chevaux  surtout,  périssent  plus 
souvent  encore. 

L’intensité  de  ces  symptômes  est  singulièrement  exagérée  par  la 
•marche,  la  course,  une  dépense  de  forces  quelconque.  Nous  en  avons 
eu  maints  exemples.  Ici  (p.  102),  c’est  un  des  meilleurs  guides  de 
l’Oberland  qu’un  travail  un  peu  énergique  rend  par  deux  fois  aveu- 
gle ; là,  c’est  le  voyageur  Weddell,  jusqu’alors  indemne  du  soroche, 
qui  est  frappé,  à la  suite  d’une  course  rapide  (p.  54);  c’est  de  la 
Taranne,  tombant  à terre  presque  sans  connaissance,  pour  avoir 
voulu  doubler  le  pas  tout  à coup  (p.  39),;  c’est  d’Orbigny,  qui,  se 
croyant  acclimaté,  était  forcé  de  s’arrêter  chaque  fois  qu’il  valsait 
(p.  41);  c’est  Hedringer  tombant  sur  la  neige,  parce  qu’il  a voulu 
courir  au  sommet  du  mont  Blanc  (p.  103);  c’est  un  habitant  des 
montagnes  alpines,  qui,  s’efforçant  de  dépasser  ses  compagnons, 
roule  « comme  si  on  lui  avait  tiré  un  coup  de  fusil  » (p.  124).  Les 
voyageurs  racontent  que  c’est  à l’ardeur  des  chevaux,  qui  s’élan- 
cent sous  l’éperon,  qu’est  due  leur  mort  si  fréquente,  tandis  que 
les  mules,  patientes  et  têtues,  survivent,  refusant  de  hâter  le  pas. 
C’est  surtout  la  marche  ascendante  qui  fatigue  et  épuise. 

Cette  influence  funeste  de  l’activité  musculaire  se  fait  sentir 
à toutes  les  hauteurs.  Mais  dans  les  régions  moyennement  élevées 
le  repos  suffit  pour  en  faire  disparaître  les  effets,  pour  ramener 
même  un  calme  complet.  Et  c’est  là  le  caractère  le  plus  remarqua- 
ble peut-être  du  mal  des  montagnes.  A l’anxiété  du  voyageur,  à sa 
fatigue  extrême,  à son  trouble  mortel,  succède  aussitôt  qu’il  s’ar- 
rête, assis  ou  surtout  couché,  un  bien-être  inespéré  : le  cœur  re- 
prend son  rhythme,  la  respiration  se  régularise,  le  sentiment  de  la 
force  revient,  le  tout  comme  par  enchantement  ; si  bien  qu’au  bout 


548  HISTORIQUE. 

de  quelques  minutes,  étonné  tout  à la  fois  de  ces  malaises  incon- 
nus et  de  cette  guérison  subite,  le  voyageur  inexpérimenté  reprend 
avec  confiance  sa  marche  ascensionnelle.  Mais  bientôt  le  voici  de 
nouveau  assailli  et  vaincu. 

Sur  les  montagnes  plus  élevées,  le  repos,  même  le  repos  hori- 
zontal, s’il  fait  disparaître  les  symptômes  les  plus  violents,  ne  ra- 
mène cependant  pas  le  calme.  Les  palpitations,  les  étouffements, 
troublent  ou  éloignent  le  sommeil.  Parfois,  un  accident  étrange  se 
présente  : pendant  la  nuit,  au  point  du  jour  surtout,  des  angoisses 
respiratoires  soudaines  réveillent  en  sursaut.  (Y.  p.  42,  58,  59, 
145,  160,  166,  169,  170.)  Quelques  grandes  inspirations  ramènent 
le  calme  ; il  faut  probablement  voir  là  une  conséquence  de  cet  ou- 
bli de  respirer  dont  avait  parlé  de  Saussure  (p.  90)  : l’asphyxie 
qui  menace  réveille  tout  à coup  le  dormeur. 

Telle  est  la  série  des  accidents  qui,  à des  degrés  divers,  à des 
hauteurs  diverses,  frappent  les  ascensionnistes  et  les  aéronautes. 
11  ne  semble  pas  qu’il  y ait  grande  différence,  sauf  l’intensité,  en- 
tre les  accidents  observés  dans  les  diverses  régions  montagneuses. 
Si  les  troubles  que  nous  avons  décrits  arrivent  plus  tôt  dans  nos 
Alpes  que  dans  les  Andes  et  l’Himalaya,  ils  n’y  atteignent  jamais 
la  redoutable  gravité  qui  met  en  danger  dans  ces  régions  la  vie  des 
voyageurs  et  de  leurs  guides,  même  indigènes.  C’est  que  la  hau- 
teur du  mont  Blanc  (481 0m)  est  le  maximum  qu’on  puisse  atteindre 
dans  notre  Europe,  et  qu’on  n’y  séjourne]  au  plus  que  quelques 
heures.  Bien  différentes  sont  les  conditions  dans  l’Himalaya,  où 
l’on  reste  pendant  longtemps  sur  des  plateaux  dépassant  4000,n,  en 
traversant  presque  chaque  jour  des  passes  qui  atteignent  de  5000 
à 5500m. 

Une  influence  fâcheuse  dont  bien  des  voyageurs  ont  signalé  les 
effets  redoutables,  est  celle  du  vent.  « Il  court  en  cet  endroit,  dit 
Acosta,  qu’il  faut  toujours  citer,  un  petit  air  qui  n’est  pas  trop  fort 
ni  violent.  Mais  il  pénètre  de  telle  façon,  que  les  hommes  y tombent 
morts  quasi  sans  se  sentir.  » (P.  27.)  M.  Lepileur,  à un  degré  bien 
moins  redoutable,  a également  souffert  du  vent.  (P.  111.)  Les 
frères  Schlagintweit  s’en  plaignent  aussi  très-vivement  (P.  166), 
etllenderson  l’accuse  de  tuer  souvent  les  voyageurs.  (P.  171.) 

Beaucoup  de  récits  s’accordent  pour  déclarer  que  les  accidents 
sont  particulièrement  intenses  dans  les  points  de  la  montagne  où 
l’air  se  renouvelle  plus  difficilement.  Est-ce  à réchauffement  de 
cet  air,  dilaté  par  le  soleil,  qu’il  faut  attribuer  cette  inégalité?  Est- 


RÉSUMÉ  ET  CRITIQUES.  549 

ce  à l’ennui  de  la  marche  dans  ces  couloirs  monotones  ? Les  obser- 
vations de  M.  Javelle  et  de  M.  Forel  tendent  à appuyer  cette  der- 
nière hypothèse.  Ils  déclarent,  en  effet,  que  le  ma}  des  montagnes 
disparaît  dans  les  endroits  périlleux  (p.  302)  et  aussi  par  l’obser- 
vation attentive  du  paysage  ou  de  soi-même.  (P.  306.) 

11  serait  peu  intéressant  d’insister  sur  les  médications  opposées 
par  les  indigènes  aux  accidents  de  la  montagne.  Ils  s’accordent 
généralement  pour  proscrire  les  boissons  alcooliques  ; en  Amérique, 
ils  vantent  la  saignée,  surtout  chez  les  animaux.  Dans  les  Andes 
on  attribue  des  vertus  protectrices  à l’ail  ou  à l’oignon  introduit 
dans  les  naseaux  des  animaux;  dans  l’Himalaya,  on  emploie  des 
fruits  acides  et  secs.  Enfin,  à peu  près  partout  on  recommande  de 
manger  peu  et  souvent.  M.  Dufour  déclare  avoir  fait  disparaître, 
en  mangeant  un  seul  morceau  de  pain,  un  mal  des  montagnes  déjà 
violent.  (P.  304.) 


§ 3.  — Explications  théoriques. 

On  peut  diviser  en  deux  grandes  catégories  les  hypothèses  et  les 
théories  mises  en  avant  pour  l’explication  du  mal  des  montagnes  : 
les  unes,  de  beaucoup  les  plus  intéressantes,  s’efforcent  de  déter- 
miner le  rôle  mécanique,  physique  ou  chimique  de  la  pression 
atmosphérique  diminuée;  les  autres,  les' plus  bizarres,  cherchent 
ailleurs  que  dans  l’abaissement  du  baromètre  la  cause  des  acci- 
dents. Nous  commencerons  par  celles-ci. 

Exhalaisons  pestilentielles.  — Les  explications  qui  mettent  en 
avant  des  exhalaisons  pestilentielles,  venant  soit  du  sol,  soit  de 
plantes  toxiques,  doivent  nous  arrêter  un  moment. 

Elles  tirent  leur  origine  de  l’ignorance  absolue  où  se  trouvaient 
les  populations  indigènes  de  l’existence  même  d’une  atmosphère. 
Aussi,  les  Indiens  et  les  Tartares  de  l’Himalaya,  les  Peaux-Rouges  des 
Andes  et  leurs  successeurs  presque  aussi  grossiers  qu’eux,  n’hési- 
tèrent-ils  pas  à attribuer  les  accidents  qui  les  frappaient,  eux  et 
leurs  animaux  domestiques,  à quelque  empoisonnement  mysté- 
rieux. Dans  les  Andes,  la  présence  si  fréquente  des  minerais  métal- 
liques, l’action  si  manifeste  du  mal  des  montagnes  sur  les  malheu- 
reux mineurs,  ont  fait  penser  qu’il  sortait  des  métaux  enfouis,  et 
particulièrement  de  l’antimoine,  « qui  joue,  dit  Tschudi,  un  rôle 
de  premier  ordre  dans  leur  physique  et  leur  métallurgie,  » des 
émanations  funestes  pour  tous  ceux  qui  passaient  sur  leurs  gisc- 


550  HISTORIQUE. 

ments.  De  là  le  nom  de  soroche , qui  désigne  à la  fois  l’antimoine 
et  le  mal  des  montagnes. 

Dans  l’Asie  centrale,  l’idée  des  exhalaisons  telluriques  s’est  aussi 
présentée  à l’esprit  des  populations,  surtout  du  côté  de  la  Chine  ; 
nous  avons  vu  que  le  père  IIuc  n’avait  pas  hésité,  avec  sa  crédulité 
habituelle,  à déclarer  que  les  accidents  du  Bourhan-Bota  étaient 
dus  à de  l’acide  carbonique  sorti  du  sol.  (P.  249.) 

Les  montagnes  volcaniques,  comme  l’Etna,  le  Pic  de  Ténériffe, 
les  monts  de  l’Amérique  du  Nord,  ont,  à cause  des  vapeurs  délé- 
tères qui  s’élèvent  de  certaines  crevasses,  donné  lieu,  de  la  part 
des  voyageurs,  à une  confusion  bien  plus  excusable  entre  l’action  de 
la  hauteur  et  celle  des  gaz  méphitiques;  nous  en  avons  vu  des 
exemples. 

Dans  tout  l’Himalaya,  les  montagnards  n’hésitent  pas  à rapporter 
aux  poisons  volatils  émanant  de  fleurs  ou  de  plantes  les  malaises 
dont  ils  souffrent.  Le  plus  souvent,  les  récits  des  voyageurs  s’en 
tiennent  à ces  vagues  expressions  ; mais  lorsqu’ils  prennent  plus 
de  précision,  on  voit  apparaître  les  plus  curieuses  divergences. 

L’auteur  chinois  que  nous  avons  cité  (p.  159)  met  en  cause  la 
rhubarbe.  Au  moment  où  Fraser  voit  scs  coolies  se  plaindre  du 
seran  et  accuser  les  fleurs  qui  couvrent  le  sol,  il  regarde  autour 
de  lui  et  trouve  des  primevères,  des  bruyères,  des  polyanthus. 
(P.  145.)  Pour  mistress  Hervey,  dont  nous  avons  raconté  les  mi- 
sères, c’est  une  sorte  de  mousse,  la  bôôltee , que  les  natifs  lui 
montrent  comme  cause  de  tous  ses  maux.  (P.  160.)  On  ne  put  faire 
voir  à Cheetam  le  dèwctïghas , la  plante  mystérieuse  et  toxique. 
(P.  164.)  Ilenderson  rapporte  qu’on  accusait  l’artômise  (p.  508), 
et  Drew,  l’oignon.  (P.  509.) 

Ces  hypothèses,  produit  naturel  de  l’ignorance  des  indigènes,  ont 
été  parfois  acceptées  par  les  voyageurs  européens.  Elles  leur  ser- 
vaient à expliquer  aisément  ce  fait  curieux,  que  l’intensité  des  ma- 
laises n’est  pas  régulièrement  proportionnelle  à l’altitude,  et  que 
dans  certains  points,  quelquefois  médiocrement  élevés,  presque 
tout  le  monde  est  malade.  Ce  sont  surtout  les  voyageurs  des  Andes 
qui  croient  aux  émanations  telluriques.  Certains  diraient  volontiers, 
comme  les  péons  de  Brand  : « Ici  il  y a beaucoup  de  puna  » (p.  59). 

Cependant,  bien  peu  avouent  d’une  manière  nette  leur  crédulité; 
ils  se  contentent  de  dire  qu’il  y a des  « causes  concomitantes,  in- 
connues, agissant  avec  la  raréfaction  de  l’air  » (p.  59);  que  « la 
pression  atmosphérique  n’entre  pour  rien  dans  les  causes  du  soro- 


351 


RÉSUMÉ  ET  CRITIQUES. 

cji©,  qu’on  doit  peut-être  attribuer  aux  émanations  du  sol  ».  (P.  62.) 

Les  voyageurs  asiatiques  ont  été  plus  prudents.  Seul,  Hodgson 
laisse  entrevoir  une  certaine  crédulité  (p.  255)  ; mais  tous  les 
autres  se  refusent  à admettre  ^intoxication  par  les  plantes  ; ceux 
qui  ont  daigné  s’en  occuper  déclarent  formellement  que  les 
malaises  arrivent  fréquemment  là  où  il  n’y  a nulle  végétation,  pas 
même  de  mousse  : de  Fraser  à mistress  Hervey  et  à Drew,  ils  sont 
tous  d’accord  sur  ce  point. 

Ces  hypothèses  n’ont  point,  à vrai  dire,  besoin  d’autre  réfutation. 
Du  reste,  l’identité  des  symptômes  morbides  attribués  ici  à l’anti- 
moine, là  aux  vapeurs  telluriques,  ailleurs  aux  émanations  de 
plantes  indéterminées,  suffit  pour  montrer  qu’ils  ont  une  cause 
unique,  laquelle  est  en  rapport  intime  avec  l’élévation  au-dessus  du 
niveau  de  la  mer. 

Électricité.  — • Quand  les  gens  ne  savent  plus  que  dire,  il  y a 
grande  chance  pour  les  voir  mettre  en  cause  et  invoquer  l’électricité. 
C’est  ce  qu’a  fait  le  Dr  Govan  (p.  251)  : « Ces  phénomènes,  dit-il, 
dépendent  de  circonstances  atmosphériques,  moins  générales  que 
la  diminution  de  pression,  comme  l’agent  électrique  qui  doit  être 
en  présence  de  conducteurs  si  élevés  dans  un  état  de  constante 
fluctuation.  » Pour  Heusinger  (p.  256)  l’électricité  doit  agir,  car 
elle  est  plus  forte  et  moins  souvent  négative.  Mais  ces  auteurs 
furent  dépassés  par  le  Dr  Cunniughanr,  qui  déclara  que  « dans 
l’hémisphère  nord,  l’électricité  attire  le  sang  à la  tête,  et  dans 
l’hémisphère  sud,  aux  pieds... . d’où  résulte  le  mal  des  montagnes, 
ce  qui  explique  pourquoi  le  malade  est  guéri  par  la  position  hori- 
zontale » (p.  255).  Le  plus  curieux,  c’est  que  cette  bizarre  doctrine 
a rencontré  des  sectateurs  (p.  509). 

Pauvreté  de  Vair  en  oxygène.  — C’est  l’inégalité  d’effet  de  la 
hauteur,  suivant  les  régions,  qui  a mis  en  tête  toutes  ces  explica- 
tions singulières.  Des  hommes  sérieux,  éminents  même,  n’ont  pas 
échappé  à ce  besoin  de  chercher  ailleurs  que  dans  l’influence  de  la 
pression  diminuée,  la  cause  des  malaises  éprouvés. 

Certains  ont  cru  la  trouver  dans  une  altération  particulière  de 
l’air  ou,  pour  parler  plus  exactement,  dans  sa  moindre  richesse  en 
oxygène.  C’était  déjà  l’avis  de  Humboldt  (p.  51),  qui  dit  n’avoir 
trouvé  que  20  p.  100  d’oxygène  sur  le  Chimborazo,  et  attribue 
une  grande  influence  à cette  différence. 

M.  Boussingault,  frappé  de  ce  fait  que  le  mal  des  montagnes  ne 
survient  guère  que  quand  on  a atteint  les  neiges  perpétuelles,  reprit 


552 


HISTORIQUE. 


une  ancienne  idée  de  de  Saussure,  qui  avait  prétendu  que  l’air 
dégagé  des  pores  de  la  neige  contient  moins  d’oxygène  que  l’air 
libre;  il  fit  une  analyse  qui  ne  lui  donna  que  16  p.  100  d’oxygène, 
et  alors  il  attribua  à cet  air  vicié,  dégagé  par  l’action  des  rayons 
solaires,  la  suffocation  qu’il  avait  éprouvée  (p.  257).  A ce  compte, 
on  devrait  éprouver  le  mal  des  montagnes  dans  les  plaines  couvertes 
de  neige,  par  un  beau  soleil  de  janvier.  D’autres  voyageurs  (p.  507) 
ont,  sans  autre  objection,  accepté  cette  hypothèse,  que  le  célèbre 
chimiste  a lini  par  reconnaître  lui-même  comme  erronée. 

Fatigue , froid.  — Ce  sont  deux  causes  fréquemment  invoquées, 
non  à titre  adjuvant,  ce  qui  serait  exact,  mais  comme  cause  prin- 
cipale ou  même  unique.  C’est  meme  là  le  cheval  de  bataille  de  ceux 
qui  nient  le  mal  des  montagnes  : « Nous  pouvons  affirmer,  dit  l’un 
d’eux,  que  ce  sont  les  mêmes  sensations  éprouvées  par  les  voya- 
geurs ordinaires  quand  ils  s’approchent  de  la  cime  d’une  monta- 
gne quelconque  » (p.  241).  « Ce  qui  prouve  d’une  manière  incon- 
testable que  ces  malaises  sont  dus  à la  fatigue,  dit  Bouguer,  c’est 
qu’on  n’y  était  jamais  exposé  lorsqu’on  allait  à cheval,  ou  lorsqu’on 
était  une  fois  parvenu  au  sommet,  où  l’air  cependant  était  encore 
plus  subtil  » (p.  218). 

Il  faut  bien  avouer  qu’à  première  vue,  et  pour  des  accidents 
légers,  la  confusion  est  possible.  La  rapidité  de  la  respiration,  la 
dyspnée,  l’accélération  circulatoire,  les  palpitations,  les  vertiges 
même,  la  pesanteur  des  membres,  sont  la  conséquence  de  tout 
exercice  un  peu  fatigant  et  prolongé.  Mais  il  suffit  de  jeter  un  coup 
d’œil  sur  les  faits  si  nombreux  rapportés  ci-dessus  pour  y trouver 
la  preuve  qu’il  s’agit  bien  là  d’une  influence  spéciale  aux  lieux 
élevés  : les  malaises,  nous  l’avons  vu,  arrivent  pendant  le  repos 
même  et  le  sommeil.  Acosta  avait,  du  reste,  dès  le  premier  jour, 
réfuté  ces  erreurs  (p.  207)  et  aussi  de  Saussure  (p.  225,  226). 

C’est  cependant  la  fatigue,  mais  d’une  espèce  particulière,  qu’in- 
voque encore  Rey  (p.  245).  Les  idées  de  M.  Lepileur  (p.  247)  sont 
évidemment  du  même  ordre  ; ce  savant  médecin  donne  en  effet  une 
importance  prépondérante  dans  l’explication  de  la  lassitude  à « la 
congestion  sanguine  qui  a lieu  dans  les  muscles  pendant  leur  ac- 
tion. » Quant  aux  autres  phénomènes,  ils  sont  le  résultat  de  con- 
gestions du  poumon  et  du  cerveau,  lesquelles  dépendent  de  la  répé- 
tition incessante  des  efforts  effectués  dans  l’acte  de  grimper.  De 
plus,  « la  raréfaction  de  l’air,  en  rendant  la  respiration  plus  fré- 
quente et  l’anhélation  plus  rapide,  hâte  nécessairement  le  reste  des 


RÉSUMÉ  ET  CRITIQUES.  555 

effets  ordinaires  de  l’effort.  » Mais  comment  la  raréfaction  de  l’air 
rend-elle  l’anhélation  plus  rapide?  C’est  ce  que  ne  dit  pas  M.  Le- 
pileur. 

Théories  de  M.  Lortet  et  de  M.  Dufour.  — Voici  maintenant  deux 
théories  fort  sérieuses,  qui  prouvent  une  connaissance  approfon- 
die des  questions  les  plus  difficiles  de  la  physiologie.  Leur  place 
est  ici  marquée,  parce  qu’elles  ne  sont,  en  définitive,  qu’une  forme 
scientifique  des  accusations  banales  dirigées  contre  la  fatigue  et  le 
froid. 

Pour  M.  Lortet,  la  température  propre  de  l’homme  diminue  quand 
il  déploie  l’énorme  quantité  de  travail  nécessaire  pour  élever  à une 
grande  hauteur  le  poids  de  son  corps.  Nous  avons  rapporté  dans 
toute  leur  extension  les  faits  observés  par  Lortet  (p.  121)  et  les  con- 
clusions théoriques  qu’il  en  tire  (p.  297).  Malheureusement, 
comme  l’ont  montré  MM.  Forel  (p.  300)  et  Clifford-Allbutt  (p.  302), 
les  observations  mêmes  du  physiologiste  français  étaient  erronées  : 
la  température  du  corps  s’élève  toujours  par  l’acte  de  l’ascension, 
comme  par  toutes  les  gymnastiques  violentes. 

En  s’en  rapportant  même  aux  chiffres  de  M.  Lortet,  qui  prétend 
que  de  Chamounix  aux  Grands-Mulets  la  température  aurait  baissé 
de  2°,  et  qu’à  Chamounix,  l’acte  de  marcher  refroidirait  le  corps 
de  1°,7,  des  malaises  importants  devraient  suivre  le  moindre 
exercice  à ces  hauteurs,  où  jamais  cependant  on  n’a  constaté  le  mal 
des  montagnes.  D’ailleurs,  selon  lui,  le  repos  ramènerait  presque 
instantanément  la  température  normale  : or,  il  s’en  faut  qu’il  fasse 
disparaître  aussi  tous  les  troubles. 

Il  faut  dire  cependant  que  M.  Forel,  n’ayant  pas  eu  le  mal  des 
montagnes,  n’a  pu  mesurer  sa  température  dans  cette  condition 
spéciale;  on  pourrait  toujours  dire,  jusqu’à  preuve  contraire, 
qu’il  la  trouverait  dans  ce  cas  abaissée.  Mais,  quand  même  il 
en  serait  ainsi,  il  faudrait  encore  admettre  qu’un  autre  élément  que 
le  travail  doit  entrer  en  jeu,  et  que  la  hauteur  est  cet  élément. 

Nous  parlerons  dans  un  moment  des  théories  sur  l’oxygénation 
insuffisante  due  à la  diminution  de  pression.  En  introduisant  ce 
facteur  nouveau  dans  la  théorie  de  Lortet,  on  pourrait  être  amené 
à penser  que  le  travail  de  l’ascension  demandant  un  surcroît  de 
combustion,  et  la  dose  d’oxygène  étant  trop  faible,  la  chaleur 
•devrait  se  transformer  en  mouvement,  d’où  abaissement  de  tempé- 
rature et,  partant,  troubles  généraux.  Mais  il  faudrait  démontrer 
cet  abaissement,  et  les  observations  de  Lortet  sont  évidemment  en- 

23 


554 


HISTORIQUE. 


tachées  de  causes  d’erreur  qui  ne  leur  permettent  plus  de  faire 
preuve  : les  expériences  môme  de  Legallois  (p.  228),  si  remarqua- 
bles qu’elles  soient,  ne  pourraient  être  invoquées  en  sa  faveur, 
puisqu’il  s’agit  d’air  confiné. 

La  théorie  de  M.  Dufour  (p.  503)  est,  elle  aussi,  indépendante  de 
l’idée  d’altitude.  Pour  lui,  le  mal  des  montagnes  est  la  conséquence 
pure  et  simple  de  la  fatigue,  laquelle  résulte  de  l’épuisement  des 
matériaux  ternaires  emmagasinés  dans  les  muscles  ; aussi,  il 
affirme  en  avoir  éprouvé  les  symptômes  même  en  plaine,  après 
une  grande  fatigue.  Ce  ne  peut  être  la  simple  raréfaction  de  l’air, 
dit-il,  qui  rende  malade  au  sommet  du  mont  Blanc,  puisqu’il  a 
fallu  que  les  aéronautes  atteignissent  7 et  8000m  pour  éprouver  des 
troubles  sérieux  ; du  reste,  ceux-ci  ne  ressemblent  point  à ceux 
que  produit  la  montagne. 

Nous  laissons  au  lecteur  le  soin  d’apprécier  la  valeur  de  cette 
dernière  assertion,  et  quant  à l’assimilation  du  mal  des  montagnes 
à la  fatigue  simple,  nous  nous  contenterons  de  demander  pourquoi 
elle  n’a  jamais  été  faite  par  des  touristes,  qui,  non  sans  fatigues 
sérieuses,  marchent  toute  la  journée  dans  des  montagnes  de  moins 
de  2000m.  Au  moins  jamais  n’ont-ils  confondu  la  lassitude  durable 
qu’ils  éprouvent  le  soir  avec  le  soudain  « coup  aux  genoux  » qui 
brise  les  membres,  et  disparaît  après  quelques  instants  de  repos  ; 
l’essoufflement  et  l’accélération  du  pouls  dus  à une  marche  péni- 
ble ou  rapide  avec  la  dyspnée,  les  palpitations,  l’épuisement  total 
qui,  à 4000U1  de  hauteur,  arrête  souvent  le  voyageur  au  bout  de 
quelques  pas.  Il  y a donc  autre  chose  que  l’usure  des  matériaux 
ternaires,  et  ce  quelque  chose  est  la  hauteur  atteinte  ou,  pour 
parler  plus  nettement,  la  pression  diminuée.  Cette  objection 
s’adresse  évidemment  aux  idées  de  Bouguer,  de  Lepilcur  et  de  Lor- 
tet,  aussi  bien  qu’à  la  théorie  de  Dufour. 

Nous  en  arrivons  maintenant  aux  théories  qui  font  intervenir  cette 
diminution  dans  la  pression  atmosphérique.  Les  expériences  de  la- 
boratoire avaient  fait  voir  que  les  animaux  placés  sous  la  cloche 
de  la  machine  pneumatique  y devenaient  malades,  y périssaient 
même,  quand  la  pression  est  suffisamment  diminuée,,  et  l’on  en 
avait  conclu  que  la  pression  de  l’air  diminuée  sur  les  hautes  mon- 
tagnes devait  être  la  cause  prédominante  des  accidents.  Mais  com- 
ment agit-elle?  Ici  les  théories  deviennent  nombreuses. 

Diminution  du  poids  supporté  par  le  corps.  — L’une  des  pre- 
mières qui  se  soit  présentée  à l’esprit  des  voyageurs  peut  se  résu- 


355 


RÉSUMÉ  ET  CRITIQUES. 

mer  ainsi  : A la  pression  normale,  chaque  centimètre  carré  de  notre 
corps  supporte  un  poids  de  1 kil. 03,  soit,  pour  la  surface  entière,  un 
nombre  qui  doit  être,  pour  un  homme  de  taille  moyenne,  de 
18000  kil.  Nous  ne  sentons  pas,  disent  les  auteurs,  ce  poids  énorme 
qui  nous  écraserait,  grâce  à la  tension  intérieure  des  fluides  du  corps 
qui  le  contrebalancent  ; mais,  qu’il  vienne  à diminuer,  aussitôt 
cette  tension,  que  rien  ne  maintient  plus,  poussera  les  fluides  à la 
périphérie,  remplira  la  peau  de  sang,  la  gonflera,  la  congestion- 
nera et,  faisant  rompre  les  vaisseaux,  déterminera  des  hémor- 
rhagies : le  corps  sera  comme  plongé  dans  une  immense  ventouse. 
Or,  c’est  ce  qui  arrive  quand  on  s’élève  dans  l’air  : à 5500m  de  hau- 
teur, 5000  kil.  auront  été  enlevés  ; à 5500m,  la  moitié  du  poids 
total,  soient  9000  kil.  Comment  s’étonner  des  troubles  graves  qui 
surviennent  alors  ? 

Telle  est  la  théorie  à laquelle  ont  adhéré  la  grande  majorité  de 
ceux  qui  se  sont  occupés  de  la  question,  particulièrement,  il  faut 
le  dire,  des  voyageurs  et  des  médecins.  Nous  la  trouvons  émise, 
pour  la  première  fois,  en  quelques  mots,  par  Bouguer  (p.  218). 
Haller  la  développe  tout  au  long  (p.  220)  ; il  est  vrai  que,  reprenant 
une  idée  singulière  de  Cigna  (p.  216),  il  déclare  qu’il  y a une  grande 
différence  entre  « l’air  raréfié  par  la  soustraction  d’une  partie  de 
lui-même  et  celui  qui  est  plus  léger  à cause  de  la  hauteur...  Dans 
celui-ci,  bien  que  diminué  de  moitié  de  son  poids,  la  respiration 
se  fait  sans  difficulté  ».  Cela  n’est  pas  plus  curieux,  du  reste,  que 
de  voir  Bourrit  prétendre  qu’à  hauteur  égale,  « l’air  des  Alpes  est 
plus  rare  que  celui  des  Cordillères  » (p.  222).  De  Saussure  accepta 
complètement  la  théorie  du  « relâchement  des  vaisseaux  produit 
par  la  diminution  de  la  force  comprimante  de  l’air  » (p.  224).  C’est 
même  cet  illustre  physicien  qui  l’a  exprimée  avec  le  plus  de  netteté. 
Elle  fut  également  acceptée  par  Fodéré  (p.  226);  Hallé  et  Nysten 
(p.  227)  ; Gondret  (p.  229)  ; le  Dr  Gérard  (p.  252)  ; Hipp.  Cloquet 
(p.  233)  ; Burdach  (p.  256)  ; Rey  (p.  242)  ; Brachet  (p.  246)  ; Lombard 
(p.  255);  Heusingcr(p.  256);  Foleÿ  (p.  285);  Scoutetten  (p.  288)  : 
nous  ne  citons  que  les  principaux. 

On  voit  que  cette  doctrine  se  présente  avec  l’appui  des  noms  les 
plus  respectables.  Il  est  vraiment  pénible  d’avoir  à la  repousser  par 
une  sorte  de  question  préalable,  comme  absolument  contraire  aux 
lois  de  la  physique  élémentaire.  Mais,  bien  avant  moi,  MM.  Giraud- 
Teulon  (p.  257)  et  Gavarret  (p.  292)  avaient  invoqué  pour  com- 
battre cette  erreur  le  principe  de  l’incompressibilité  des  liquides. 


356 


HISTORIQUE. 


Valentin  (p.  25(5)  avait  même  calculé  que  la  suppression  d’une 
demi-atmosphère  n’augmenterait  le  volume  du  corps  que  de  trois 
cent-millièmes  environ.  Il  est  bien  évident  que  toutes  les  pressions 
ou  dépressions  exercées  sur  le  corps  humain  s’équilibrent,  se  con- 
trebalancent immédiatement,  en  se  communiquant  à tout  le  corps, 
puisqu’il  est  tout  entier  composé  de  liquides  et  de  solides.  S’il  y 
a pression  diminuée  à la  surface  de  la  peau,  sur  la  paroi  extérieure 
des  vaisseaux  sanguins,  la  diminution  est  absolument  égale  sur 
leur  paroi  intérieure,  et  il  n’y  a rien  de  changé  dans  l’état  d’équi- 
libre. 

Il  est  vraiment  étrange  qu’on  ait  pu  sérieusement  penser1  qu’en 
allant  à Cautcrets  on  soit  soulagé  de  2744  k.  (p.  289),  et  que  Gay- 
Lussac  se  soit  senti  en  quelques  minutes  enlever  10  000  k.  de  dessus 
les  épaules.  Si  les  liquides  de  l’organisme  étaient  ainsi  réellement 
maintenus  par  la  pression  extérieure,  il  suffirait  de  quelques  centi- 
mètres de  diminution  de  pression  pour  produire  les  plus  terribles 
désordres.  C’est  la  comparaison  avec  la  ventouse  qui  a amené  l’er- 
reur : on  a oublié  que,  dans  la  ventouse,  c’est  l’effet  de  la  pression 
sur  le  reste  du  corps  qui  amène  le  gonflement,  la  congestion,  les 
hémorrhagies  locales. 

Sortie  des  gciz  du  sang.  — Les  physiciens,  qui  ont  pour  la  plupart 
échappé  à l’hypothèse  erronée  que  nous  venons  de  discuter,  ont  été 
mieux  inspirés  en  faisant  jouer  un  rôle  important  à la  sortie  des 
gaz  du  sang,  sous  l’influence  de  la  pression  diminuée.  Robert  Bovle, 
le  premier  (p.  210),  avait  vu  que  tous  les  liquides  du  corps,  sang, 
urine,  bile,  humeurs  de  l’œil,  laissent  échapper  des  bulbes  de  gaz, 
lorsqu’on  les  place  dans  le  vide.  Il  en  tira  cette  conséquence,  que 
chez  les  animaux  qui  périssent  dans  ces  conditions,  la  mort  peut 
être,  « en  outre  du  défaut  de  respiration,  » la  conséquence  de  la 
formation  de  ces  bulles,  qui  viennent  « arrêter  ou  troubler  la  circu- 
lation en  mille  manières.  » Il  pensa  même  que,  lors  des  variations 
légères  du  baromètre,  ce  sont  « les  particules  spiri tueuses  ou  aérien- 
nes qui,  retenues  en  abondance  dans  la  masse  du  sang,  gonflent 
naturellement  le  liquide,  pouvant  ainsi  distendre  les  gros  vaisseaux 
et  changer  notablement  la  rapidité  de  la  circulation  du  sang  dans 
les  artères  capillaires  et  dans  les  veines  ». 

Borelli  eut  la  même  idée  et  attribua  à une  sorte  d’effervescence 
du  sang  les  accidents  qu’il  avait  éprouvés  sur  le  mont  Etna  (p.  213); 
mais  il  abandonna  bientôt  cette  idée  (p.  217),  à laquelle  cependant 
se  rallièrent  Musschenbroeck  (p.  207),  auteur  d’une  dissertation  Z)e 


357 


RÉSUMÉ  ET  CRITIQUES. 

aeris  existentiâ  in  omnibus  animalium  humoribus , Veratti  (p.  215), 
Rostan  (p.  235),  F.  Hoppe,  qui  fit  pour  les  vérifier  des  expériences 
sur  les  animaux  (p.  258),  Guilbert  (p.  266),  et  enfin  Gavarret 
(p.  292). 

On  a surtout  expliqué  par  le  dégagement  ou  la  tendance  au  déga- 
gement des  gaz  du  sang,  l’accélération  circulatoire  et  les  hémorrha- 
gies. « Au  moment  où  la  pression  extérieure  diminue,  dit  M.  Gavar- 
ret, ces  go z tendent  à se  dégager  du  liquide  sanguin,  refoulent  les 
parois  des  vaisseaux  de  dedans  en  dehors  et  distendent  les  capillaires 
pulmonaires  et  généraux,  dont  les  parois,  minces  et  peu  résistantes, 
peuvent  se  rompre.  Tel  est  le  mécanisme  de  production  des  hé- 
morrhagies. » 

Il  paraît,  en  effet,  bien  établi,  malgré  les  objections  de  Ch.  Darwin 
(p.  217),  de  John  Davy  (p.  235),  de  M.  Giraud-Teulon  (p.  257),  qu*à 
une  pression  suffisamment  basse,  il  se  dégage  des  gaz  dans  le  sang 
des  animaux  vivants  placés  sous  la  cloche  pneumatique  : F.  Hoppe 
n’a  même  pas  hésité  à conclure  que  c’est  à ce  dégagement  gazeux 
qu’est  due,  dans  ces  conditions,  la  mort  des  animaux.  Mais  rien 
dans  les  expériences  connues  jusqu’ici  ne  prouve  que  le  dégage- 
ment ait  lieu  aux  pressions  qui  coïncident  avec  le  mal  des  monta- 
gnes, ni  que  la  tendance  au  dégagement  puisse  amener  les  troubles 
dont  on  l’accuse.  Il  n’y  a nulle  comparaison  à établir  entre  un  ani- 
mal amené  en  quelques  minutes  à une  dépression  mortelle  et  un 
voyageur  qui  met  six  heures  à monter  de  2000m  en  verticale.  Si  les 
gaz  étaient  pour  quelque  chose  dans  les  accidents,  les  aôronautes, 
qui  subissent  avec  une  extraordinaire  rapidité  d’énormes  change- 
ments de  pression,  devraient  être  les  premiers  frappés,  et  l’on  sait 
qu’il  n’en  est  rien. 

Dilatation  des  gaz  intestinaux.  — L’idée  que  la  diminution  de 
pression  doit  dilater  les  gaz  intestinaux  n’a  évidemment  rien  d’er- 
roné physiquement;  mais  de  là  à conclure  que  cette  augmentation 
de  volume  est  la  cause  ou  l’une  des  causes  du  mal  des  montagnes, 
il  y a loin.  Cependant,  Clissold  (p.  254)  a considéré  qu’elle  devait 
singulièrement  gêner  la  respiration  et  la  circulation.  M.  Lepileur 
(p.  248)  et  Speer  (p.  253)  tendent  aussi  à lui  attribuer  quelque 
rôle;  M.  Maissiat  est  plus  affirmatif  : « Les  gaz  intestinaux,  prenant 
du  volume,  distendent  tout,  jusqu’à  rupture.  » (P.  245.)  Le  savant 
physicien  a raisonné  comme  si  l’intestin  était  une  vessie  natatoire 
close,  et  il  a oublié  la  double  communication  avec  l’extérieur  qui, 
dans  la  pratique,  ne  permet  aucune  distension.  Il  en  est  de  même 


358 


HISTORIQUE. 


de  M.  Colin,  qui  voit  une  cause  de  mort  dans  « le  refoulement  du 
diaphragme  par  l’expansion  du  gaz  » (p.  321). 

Relâchement  de  V articulation  coxo- fémorale. — -C’est  sous  le  patro- 
nage de  l’illustre  de  Humboldt  (p.  258)  que  s’est  présentée  cette 
bizarre  explication  de  la  fatigue  extrême,  de  la  pesanteur  des  mem- 
bres inférieurs,  qui  accompagnent  les  hautes  ascensions.  Elle  a été 
acceptée  depuis  par  beaucoup  d’écrivains  : Tschudi  (p.  245),  Meyer- 
Ahrens  (p.  254),  Lombard  (p.  264),  Guilbert  (p.  266). 

Il  est  incontestable,  comme  l’a  montré  Bérard  (p.  258),  que  la 
surface  de  la  cavité  cotyloïde  est  suffisante  pour  permettre  à la 
pression  atmosphérique  de  soutenir  le  poids  de  la  jambe,  alors  que 
toutes  les  parties  molles  ont  été  sectionnées.  D’après  M.  Jourdanet, 
la  pression  ainsi  exercée  équivaudrait  à 23  kil.  environ.  Nous  avons 
vu  comment  cet  auteur  a montré,  d’après  des  calculs  basés  sur  la 
surface  de  la  cavité  cotyloïde,  qu’au  moment  où  la  fatigue  du  mem- 
bre inférieur  arrive,  la  pression  atmosphérique  est  encore  capa- 
ble de  soutenir  un  poids  double  de  celui  de  ce  membre  (p.  269). 

M.  le  docteur  Farabœuf  a bien  voulu,  à ma  demande,  prendre 
avec  exactitude  ces  mesures  sur  un  cadavre  humain.  Voici  le  résul- 
tat qu’il  m’a  fourni  : 

Homme  de  quarante-huit  ans,  pesant  52k,5;  taille  lra,65,  dont  0ra,85  pour  le 
membre  inférieur;  bien  proportionné,  amaigri,  mais  encore  musclé  en  appa- 
rence. 

Diamètre  de  la  cavité  cotyloïde 51mm,5 

Surface 20uq,8 

Poids  de  l’atmosphère  sur  cette  surface 21k,4 

Poids  du  membre  inférieur  désarticulé  dans  le  pli  de  la 

fesse  et  de  l’aine 6k,5 

Poids  du  membre  inférieur  dépouillé  des  muscles  qui  s’in- 
sèrent au  bassin 5k 

Ainsi  la  pression  atmosphérique  est  capable,  à elle  seule,  de  sou- 
tenir un  poids  quatre  fois  plus  considérable  que  celui  du  membre 
inférieur  dépouillé  des  muscles  qui  se  soutiennent  eux-mêmes  pat* 
leur  attache  au  bassin.  Il  faudrait  donc  aller  jusqu’au  quart  d’at- 
mosphère, soit  19e  de  pression,  pour  voir  s’annuler  le  soutien 
fourni  par  la  pesanteur  de  l’air.  Évidemment  donc,  la  cause  invo- 
quée par  de  Humboldt  n’a  rien  à voir  dans  la  fatigue  qui  survient 
au  mont  Blanc,  sous  la  pression  de  41e,  où  l’atmosphère  représente 
encore  11\5. 

On  a très-certainement  exagéré  l’inHuencc  de  la  pression  sur  la 


359 


RÉSUMÉ  ET  CRITIQUES. 

solidité  des  articulations  ; cette  exagération  à part,  de  Humboldt 
n’a  pas  tiré  la  conséquence  vraiment  logique  du  principe  qu’il 
croyait  exact.  Ce  n’est  pas  une  plus  grande  fatigue  musculaire  qui 
devrait  survenir,  et  elle  ne  devrait  pas  être  limitée  aux  muscles  de 
la  cuisse  ; ce  qu’il  faudrait  craindre  pour  le  voyageur  dans  les  ré- 
gions où  la  pression  atmosphérique  est  diminuée,  ce  sont  les  luxa- 
tions, et  cela  dans  toutes  les  articulations  ; or,  malgré  les  efforts 
extraordinaires  qu’entraînent  les  ascensions,  pareil  accident  n’a 
jamais  été  signalé. 

Antres  actions  mécaniques  de  la  diminution  de  pression.  — Borelli 
attribuait  la  fatigue  à la  présence  dans  le  thorax  d’un  air  dilaté  qui 
« n’aide  plus,  dit-il,  l’effort  des  muscles,  en  comprimant  par  son 
élasticité  les  vaisseaux  aériens  et  sanguins  ».  Il  n’est  pas  facile  de 
voir  clairement  ce  que  voulait  dire  le  savant  iatro-mathématicien. 
Mais  il  y a quelque  vérité  dans  ce  que  nous  pouvons  supposer  avoir 
été  sa  pensée.  Si,  dans  le  phénomène  de  l’effort,  la  cage  thoracique 
se  trouve,  comme  l’a  montré  M.  J.  Cloquet1,  immobilisée  dans  un 
certain  état  de  gonflement,  grâce  à l’équilibre  établi  entre  la  pres- 
sion des  muscles  expirateurs  et  l’élasticité  des  gaz  intra-pulmo- 
naire  que  la  glotte  fermée  empêche  de  s’échapper,  la  densité 
primitive  de  ces  gaz  ne  doit  pas  être  indifférente.  S’ils  sont  raré- 
fiés, l’état  d’équilibre  n’arrivera  qu’avec  une  contraction  plus  forte, 
ou  un  gonflement  moindre  du  thorax,  et  cette  situation  peut  être 
défavorable  aux  phénomènes  d’effort  maximum.  Mais  l’influence  ne 
doit  pas  être,  en  tous  cas,  de  grande  importance. 

La  mort  des  animaux  dans  le  vide  avait  reçu  de  Musschenbroeck 
une  explication  fort  ingénieuse.  Il  leur  avait  trouvé  les  poumons 
a petits,  flasques,  solides  (p.  207),  spécifiquement  plus  pesants  que 
l’eau  »,  et  il  avait  considéré  que  la  mort  est  le  résultat  de  l’arrêt 
dans  la  circulation  que  doit  amener  cet  affaissement  ; le  même  fait 
fut  constaté  par  les  physiologistes  hollandais  (p.  212),  qui  l’inter- 
prétèrent un  peu  différemment.  Mais  ces  explications  ne  peuvent,  en 
tous  cas,  s’appliquer  aux  troubles  et  à la  mort  dans  un  air  très- 
raréfié,  mais  encore  loin  du  vide  parfait.  Cigna  a depuis  bien  long- 
temps fait  remarquer  que  la  respiration  doit  continuer  à se  faire 
dans  ces  conditions,  tant  que  « l’air  sera  assez  dense  pour  dilater  le 
poumon  par  sa  pression  » ; or,  pour  cela,  il  suffit  « que  cette  pres- 
sion puisse  soumettre  la  résistance  qu’oppose  la  force  contractile  du 

1 De  l'influence  de  l'effort  sur  les  organes  renfermés  dans  la  cavité  thoracique.  — 
Paris,  1820. 


560 


HISTORIQUE. 


poulmon,  car  il  n’y  a aucun  air  thoracique  qui  augmente  cette  ré- 
sistance, et  cette  pression  excède  à peine  celle  de  deux  pouces  de 
mercure.  » (P.  216.) 

On  ne  saurait  mieux  dire,  et  Cigna  répondait,  sans  le  savoir,  par 
avance,  à ceux  qui  feraient  jouer  plus  tard  un  rôle  dans  le  mal  des 
montagnes  à la  tendance  des  poumons  à se  rétracter  en  présence 
d’une  moindre  densité  de  l’air  intra-pulmonaire.  Leur  force,  c’est- 
à-dire  leur  élasticité,  équivaut  à quelques  centimètres  de  mercure 
seulement,  comme  l’avait  dit  Cigna.  Ce  ne  peut  donc  être  que  pour 
une  pression  moindre  encore  que  le  poumon  pourrait  quitter  le 
thorax  en  faisant  le  vide  dans  la  plèvre.  L’action  imaginée  est 
donc  absolument  nulle. 

Pravaz  est  tombé  dans  une  erreur  analogue  lorsqu’il  dit  que  « la 
respiration  est,  dans  l’air  des  montagnes,  mécaniquement  restreinte 
dans  son  étendue  par  le  défaut  d’élasticité  de  l’atmosphère  qui 
presse  l’intérieur  des  poumons  » (p.  250).  Son  opinion  est  justi- 
ciable des  mêmes  objections.  Mais  au  moins  a-t-elle  quelque  air  de 
vraisemblance,  tandis  que  je  ne  puis  comprendre  ce  qui  a fait  dire 
à A.  Vogt  que  « la  pression  atmosphérique  diminuée  aide  beaucoup 
l’ampliation  de  la  cavité  thoracique,  et  par  là  facilite  la  respira- 
tion » (p.  249). 

Le  savant  médecin  lyonnais  ne  me  paraît  pas  mieux  inspiré  quand 
il  met  sur  le  compte  de  la  pression  moindre  les  congestions  vei- 
neuses, parce  que  « l’appel  du  sang  dans  les  cavités  droites  du 
cœur  aura  moins  d’activité  ».  Sa  comparaison  du  cœur  avec  « une 
pompe  fonctionnant  dans  un  milieu  où  l’air  serait  très-raréfié,  et 
qui  ne  pourrait  aller  puiser  l’eau  qu’à  une  profondeur  beaucoup 
moindre  » (p.  251)  n’a  aucune  valeur;  personne  ne  croit  plus  à la 
dilatation  active,  aspirante  du  cœur. 

Enfin,  nous  citerons  du  même  auteur  une  idée  plus  juste,  rela- 
tive à l’appel  du  sang  veineux  par  la  dilatation  pulmonaire.  On 
peut  penser  que  la  puissance  de  cet  appel  doit  être  diminuée  par 
la  diminution  de  pression.  Cependant,  en  y réfléchissant,  on  voit 
qu’il  n’y  a là  rien  de  démontré  : la  poussée  du  sang  des  gros 
troncs  veineux  vers  le  cœur  se  fait  en  vertu  de  la  différence 
entre  la  tension  de  l’air  extérieur  et  celle  de  l’air  qui  s’introduit 
dans  le  poumon  en  se  dilatant,  puisque,  ainsi  que  nous  l’avons 
il  y a longtemps  prouvé1,  chez  aucun  animal  l’orifice  de  la 


1 P.  Bert,  Leçons  sur  la  physiologie  de  la  respiration . Paris,  1870,  p.  381-389. 


3 61 


RÉSUMÉ  ET  CRITIQUES. 

glotte  ne  peut  suffire  au  débit  de  la  pompe  respiratoire.  Il  reste- 
rait à démontrer  que  cette  différence,  la  pression  négative  des 
Allemands,  est  moindre  dans  l’air  raréfié  que  dans  l’air  normal, 
ce  que  nous  ne  savons  nullement,  ce  qui  même  n’est  pas  vrai- 
semblable. 

Excès  d'acide  carbonique  dans  le  sang.  — Nous  avons  rapporté 
avec  tous  les  développements  qu’elle  mérite  la  curieuse  théorie  de 
M.  Gavarret  (p.  287),  expliquant  le  mal  des  montagnes  par  un  vé- 
ritable empoisonnement  par  l’acide  carbonique.  Selon  le  savant 
professeur,  l’acte  de  l’ascension  nécessiterait  un  tel  surcroît 
de  combustion  organique , que  l’acide  carbonique  qui  en  est 
la  conséquence  ne  pourrait  plus  être  expulsé  assez  vite,  malgré 
l’augmentation  du  nombre  des  mouvements  respiratoires  et  des 
battements  du  cœur.  De  là  un  emmagasinement  qui  amène  des 
accidents  toxiques;  de  là  l’amélioration  qui  suit  immédiate- 
ment le  repos,  pendant  lequel  l’évacuation  se  fait  pour  le  gaz  en 
excès. 

Nous  avons  vu  cette  théorie  acceptée  par  M.  Leroy  de  Méricourt, 
par  M.  Aug.  Dumas,  par  M.  Scoutetten,  par  M.  Lortet  (p.  299)  et 
beaucoup  d’auteurs  modernes. 

Je  n’insiste  pas  sur  la  différence  qui  existe  entre  les  symptômes 
du  mal  des  montagnes  et  ceux  de  l’empoisonnement  par  l’acide  car- 
bonique. Mais  il  est  bien  évident  que  la  théorie  de  M.  Gavarret  est 
susceptible  de  la  même  objection  que  nous  avons  victorieusement 
opposée  aux  théories  invoquant  la  fatigue  et  à celle  de  M.  Lortet.  Il 
est  clair,  en  effet,  que  la  quantité  d’acide  carbonique  qui  doit  être 
produite  pour  élever  le  corps  de  1000m,  par  exemple,  est  indépen- 
dante de  l’altitude;  d’où  il  résulte  qu’il  devrait  y avoir  excès  de 
gaz  emmagasiné,  et  par  suite  malaises,  aussi  bien  en  montant  de 
Ghamounix  (1050in)  à la  Pierre-Pointue  (2040ni),  que  du  Grand-Pla- 
teau (3930m)  au  sommet  du  mont  Blanc  (481 0m)  ; or,  cela  ne  s’est 
jamais  vu.  Bien  plus,  au  niveau  même  de  la  mer,  un  travail  suffi- 
samment énergique  et  prolongé  devrait  amener  le  même  résultat, 
et  il  n’en  est  rien.  L’élément  nécessaire,  l’altitude,  n’est  nullement 
visé  par  cette  explication. 

Quant  au  fait  allégué,  en  lui-même,  il  n’est  rien  moins  que  dé- 
montré. Rien  ne  prouve  que  l’acide  carbonique,  dont  la  formation 
est  augmentée  pendant  le  travail  de  l’ascension,  puisse  s’emmaga- 
siner réellement  dans  le  sang.  D’après  M.  Gavarret  lui-même,  en 
s’élevant  de  2000  mètres  en  verticale,  un  homme  forme  65  litres 


562 


HISTORIQUE. 


d’acide  carbonique,  en  sus  des  22  litres  qu’il  produit  par  heure  pour 
ses  besoins  normaux.  Or,  ces  2000m,  il  faudra,  pour  les  franchir,  au 
moins  six  heures.  (MM.  Lortet  et  Marcet  ont  mis  8 heures  pour 
aller  de  Chamounix  (1050m)  aux  Grands-Mulets  (3050ni).  Il  faut 
donc  ajouter  65  litres  aux  152  litres  formés  pendant  ce  temps  ; en 
d’autres  termes,  la  quanti  lé  d’acide  carbonique  produite  aura  été 
augmentée  d’un  tiers.  Or,  il  est  très-vraisemblable  que  l’excrétion 
pulmonaire  aura  été  suffisante  pour  rejeter  au  dehors  ce  léger  excès 
gazeux;  le  sang  artériel,  le  sang  nourricier,  celui  dont  l’altération 
est  si  grave,  n’est  donc  probablement  pas  surchargé  du  gaz  toxique. 
D’autre  part  on  sait,  d’après  les  expériences  de  M.  Cl.  Bernard,  que 
Ton  peut  impunément  injecter  dans  le  système  veineux  d'un  ani- 
mal des  quantités  énormes  d’acide  carbonique,  sans  produire  d’acci- 
dents, à cause  de  la  rapidité  et  de  l’énergie  de  l’exhalation  pulmo- 
naire. Ainsi,  rien  ne  prouve  qu’il  y ait  excès  d’acide  carbonique 
dans  le  sang  artériel  ; rien  ne  prouve  que  cet  excès,  s’il  existe,  soit 
capable,  dans  les  proportions  où  il  se  trouve,  d’amener  des  acci- 
dents; en  tous  cas,  ces  accidents  devraient  survenir  à n’importe 
quelle  altitude,  et  par  conséquent  n’ont  rien  à voir  avec  le  mal  des 
montagnes. 

Théorie  de  de  Saussure  et  de  Mar  tins . — De  Saussure  fit  remar- 
quer, comme  nous  l’avons  rapporté  (p.  225),  que,  au  sommet  du 
mont  Blanc,  « l’air  n’ayant  guère  plus  de  la  moitié  de  sa  densité  or- 
dinaire, il  fallait  suppléer  à la  densité  par  la  fréquence  des  inspi- 
rations  C’est  là,  dit-il  plus  tard,  la  cause  de  la  fatigue  que 

l’on  éprouve  à ces  grandes  hauteurs.  Car,  en  meme  temps  que  la 
respiration  s’accélère,  la  circulation  s'accélère  aussi.  » Cette  vue 
supérieure  était  cependant  incomplète,  ou  plutôt  incomplètement 
exprimée.  De  Saussure  laissait  croire  en  effet  que  l’accélération 
respiratoire  pouvait  compenser  la  densité  diminuée  de  l’air.  Or,  il 
savait  certes  qu’il  n’en  était  rien,  et  qu'au  sommet  du  mont  Blanc, 
le  nombre  ou  l’amplitude  des  respirations  ne  doublait  pas  1a.  venti- 
lation pulmonaire. 

Cette  explication  fut  acceptée  par  tous  les  auteurs  qui  suivircnl 
de  Saussure.  Dallé  et  Nysten  (p.  227)  ; Courtois  (p.  227)  ; Gondrct 
(p.  229);  Clissold  (p.  235);  de  Ilümboldt  (p.  258);  Brachet  (p.  246); 
Lepileur  (p.  247);  A.  Yogi  (p.  249)  ; Pravaz  (p.  250)  ; Marchai  de 
Calvi  (p.  252)  ; Meyer-Ahrens  (p.  254)  ; Lombard  (p.  255)  ; Longel 
(p.  261) , etc.,  la  reproduisent  sous  des  formes  diverses.  Les  uns  se 
contentent,  comme  l’avait  fait  de  Saussure,  de  parler  d’une  ma- 


RÉSUMÉ  ET  CRITIQUES.  565 

nière  assez  vague  de  la  trop  faible  quantité  d’air  introduite  dans 
les  poumons  sur  les  grandes  hauteurs;  d’autres,  précisant  davantage 
les  faits,  déclarent  que,  comme  il  arrive  moins  d’oxygène  aux  pou- 
mons dans  un  temps  donné,  il  doit  y en  avoir  moins  d’absorbé  par 
le  sang,  d’où  les  troubles;  il  en  est,  comme  Longet,  qui  nient  cette 
conséquence,  affirmant  que  « l’individu  qui  habite  la  montagne... 
supplée  à l’aide  d’inspirations  plus  fréquentes,  de  manière  que...  la 
même  quantité  d’oxygène  peut  se  trouver  absorbée  dans  le  même 
temps.  » (P.  261 .) 

M.  Martins  releva  cette  erreur  manifeste;  il  déclara  qu’il  devait 
y avoir  une  moindre  oxygénation  du  sang  provenant  de  cette  cir- 
culation pulmonaire  insuffisante,  d’où  « une  cause  physiologique 
de  froid  spéciale  aux  hautes  régions,  et  probablement  la  princi- 
pale de  toutes  celles  qui  amènent  les  symptômes  connus  sous  le 
nom  de  mal  des  montagnes.  » (P.  265.) 

Mais  nous  avons  fait  connaître  l’objection  fondamentale  que 
Payerne  (p.  251)  éleva  contre  la  théorie  de  de  Saussure.  A ses 
yeux,  il  y a bien  assez  d’oxygène  dans  l’air,  même  au  sommet  des 
plus  hautes  montagnes  atteintes,  pour  subvenir  aux  besoins  de  la 
respiration,  pour  faire  face  aux  combustions  augmentées  par  le 
travail  de  l’ascension. 

Lombard  seul  (p.  263)  paraît  s’être  ému  des  calculs  de  Payerne  ; 
il  ne  fait  contre  eux  aucune  objection,  et  avoue  que,  « même  à des 
hauteurs  de  7 000m,  l’atmosphère  pourra  fournir  à l’homme  une 
quantité  suffisante  d’oxygène  pour  entretenir  la  respiration  >> 
(p.  263).  11  n’en  conclut  pas  moins,  cependant,  « qu’un  sang  in- 
complètement oxygéné  parvient  aux  divers  organes D’où  ré- 

sulte une  portion  notable  des  troubles  qui  surviennent  dans  l’in- 
nervation et  la  motilité  » (p.  264). 

Dans  une  autre  partie  de  cet  ouvrage,  je  discuterai  à fond  l’ob- 
jection de  Payerne,  et  je  montrerai  quelle  part  de  vérité  elle  con- 
tient. Mais  il  me  suffit  ici  de  démontrer  que  personne  n’y  a répondu,  et 
que,  par  conséquent,  la  théorie  de  de  Saussure,  avec  les  commen- 
taires chimico-physiologiques  dont  elle  a été  enrichie,  reste  actuelle- 
ment fortement  battue  en  brèche  par  elle.  Si,  même  à 7000rt‘,  et 
sans  tenir  compte  de  l’accélération  respiratoire,  il  passe  dans  les 
poumons  bien  plus  d’oxygène  que  n’eri  exigent  les  consommations 
organiques,  pourquoi  le  sang  n’y  prendrait-il  pas  ce  dont  il  a be- 
soin et  qu’il  y peut  trouver? 

Et  d’abord  en  fait,  et  non  plus  en  théorie,  le  sang  est-il  réelle- 


564 


HISTORIQUE. 

ment  « moins  bien  hématose  »,  comme  disait  Brachet?  Il  est  curieux 
d’avoir  à constater  que  Hamel  seul  s’élait  proposé  de  faire  une  ex- 
périence pour  « extraire,  en  haut  du  mont  Blanc,  le  sang  de  quel- 
que animal,  et  voir  à sa  couleur  s’il  avait  été  suffisamment  décar- 
bonisé dans  les  poumons  » (p.  235).  Cependant,  il  faut  avouer  que 
la  teinte  violacée  des  lèvres,  des  conjonctives,  donnait  quelque  soli- 
dité aux  affirmations  de  ceux  qui  soutenaient  que  l’hématose  était 
incomplète  : un  des  guides  de  Clark  ayant  saigné  du  nez,  « son 
sang  parut  d’une  couleur  plus  noire  qu’à  l’ordinaire.  » (P.  98.) 

Théorie  de  M.  Jourdanet.  — Quelques  auteurs  avaient  entrevu, 
pour  expliquer  cette  insuffisance  de  l’hématose,  une  autre  cause 
que  celle  dont  nous  venons  de  parler.  Ce  n’était  pas  seulement  la 
trop  faible  quantité  d’oxygène  circulant  dans  les  poumons  en  un 
temps  donné,  qu’ils  accusaient;  mais,  pour  emprunter  les  paroles 
même  de  Pravaz,  « le  défaut  de  pression  qui  rend  la  dissolution  de 
ce  gaz  dans  le  sang  moins  abondante.  » (p.  250.)  Cette  idée  ne  fut 
nettement  formulée  que  par  Pravaz,  dans  le  passage  que  je  viens  de 
citer  : personne  ne  la  releva  depuis.  M.  Gavarret  la  combattit  éner- 
giquement ; le  savant  professeur  de  la  Faculté  de  médecine  de  Pa- 
ris déclara  « que  l’absorption  de  l’oxygène  par  le  sang  veineux  n’est 
pas  un  fait  purement  physique,  mais  que  les  forces  chimiques 
jouent  un  rôle  important  dans  cette  fixation  » (p.  262).  D’ailleurs, 
s’il  en  était  ainsi,  qu’adviendrait-il  des  habitants  de  la  métairie 
d’Antisana,  où  le  baromètre  marque  47  centimètres,  qui  n’absor- 
beraient plus  « qu’un  poids  d’oxygène  inférieur  aux  deux  tiers  de 
celui  qu’on  consomme  au  bord  de  la  mer  »?  Et  Longet  disait  un 
peu  plus  tard  : « Si  la  loi  des  dissolutions  s’appliquait,  on  arrive- 
rait à cetle  conséquence,  que  le  sang  des  habitants  des  régions  où 
la  pression  atmosphérique  n’est  guère  que  de  0,u,580,  renferme- 
rait moitié  moins  d’oxygène  que  le  sang  des  habitants  des  bords  de 
la  mer...  Mais,  sans  doute,  la  précédente  loi  ne  trouve  pas  ici  son 
application.  » (p.  261.) 

Mais  la  question  était  précisément  de  savoir  ce  qui  arrivait  à ces 
habitants  de  hauts  lieux,  et  le  raisonnement  des  savants  professeurs 
était  un  vrai  cercle  vicieux.  Heureusement  pour  eux,  les  expériences 
remarquables  de  M.  Fernet  (p.  260),  exécutées  sur  ces  entrefaites, 
semblèrent  leur  donner  entièrement  raison,  en  paraissant  montrer 
que  les  volumes  d’oxygène  absorbés  par  le  sang  sont  à peu  près  in- 
dépendants de  la  pression  barométrique. 

Chacun  s’inclina  alors  devant  ces  conclusions  étayées  par  des  ex- 


365 


RÉSUMÉ  ET  CRITIQUES. 

périences  qui  ne  laissent  prise  à aucune  objection  d’ordre  purement 
physico-chimique. 

M.  Jourdanet  seul  (p.  266)  ne  se  déclara  point  convaincu.  Il  fit 
remarquer  avec  sagacité  que,  quelle  que  soit  l’affinité  des  glo- 
bules pour  l’oxygène  dans  l’acte  respiratoire,  on  ne  pouvait  met- 
tre en  doute  que,  dans  un  air  pauvre  en  oxygène , la  solubilité  de 
ce  gaz  dans  le  sang  ne  soit  moindre.  11  ne  peut  en  être  autrement 
dans  l’air  raréfié,  et  le  sang  ne  s’y  doit  charger  que  d’une  quan- 
tité plus  faible,  et  qui  peut  être  insuffisante,  d’oxygène.  Joignez 
à cela  la  diminution  due  à la  cause  dont  avait  parlé  de  Saus- 
sure, et  à laquelle  M.  Jourdanet  attribue  une  sérieuse  impor 
tance,  et  vous  arriverez,  pensait-il,  à cette  certitude  que,  sur  les 
montagnes,  le  sang  est  moins  riche  en  oxygène  qu’au  niveau  de  la 
mer  ; et  cette  pauvreté  en  oxygène  produit,  bien  que  le  nombre 
des  globules  sanguins  reste  le  même,  les  mêmes  effets  funestes 
qu’une  diminution  dans  le  nombre  de  ces  globules.  L ’anoxy- 
hémie  est  le  pendant  pathologique  de  l’anémie  ; d’où  cette  parole 
remarquable  : « Une  ascension  au-delà  de  3000ra  équivaut  à une 
désoxygénation  barométrique  du  sang,  comme  une  saignée  est  une 
désoxygénation  globulaire.  » (P.  273.)  Quand  les  phénomènes  sont 
poussés  à l’extrême,  comme  il  arrive  sur  les  hautes  montagnes,  les 
accidents  violents  que  nous  avons  décrits  sont  la  conséquence  de 
l’irrigation  des  organes  par  un  sang  trop  peu  oxygéné,  incapable  de 
les  exciter  et  de  les  nourrir.  A de  moindres  hauteurs,  comme  sur  le 
plateau  mexicain,  la  différence  dans  la  richesse  oxygénée  n’est  pas 
assez  forte  pour  amener  des  troubles  capables  de  frapper  l’obser- 
vateur, dans  les  conditions  ordinaires  de  la  vie.  Mais  si  quelque 
maladie  survient,  elle  prendra  aussitôt  un  caractère  si  particulier 
qu’un  médecin  expérimenté  n’hésitera  pas  à reconnaître  dans  son 
malade  un  véritable  anémique.  Telle  est  la  thèse  générale  qu’avec 
une  grande  ardeur,  a,  depuis  1861 , soutenue  M.  Jourdanet;  il  l’a 
étayée  dans  les  ouvrages  successifs  que  nous  avons  plus  haut  ana- 
lysés, d’une  étonnante  quantité  d’observations  personnelles  et  de 
citations  en  harmonie  avec  elles. 

Certes  on  avait , comme  nous  l’avons  vu  , parlé  plus  ou  moins 
clairement  avant  lui,  d’absorption  insuffisante  d’oxygène,  et  même 
de  sang  incomplètement  hématosé;  mais  personne  n’avait  rapproché 
l’une  de  l’autre  les  deux  causes  qui  peuvent  produire  la  pauvreté  du 
sang  en  oxygène,  mesuré  leur  importance,  montré  leur  généralité; 
personne  ne  semblait  avoir  supposé  même  qu’elles  pussent  agir  aux 


HISTORIQUE. 


300 

altitudes  médiocres,  là  où  aucun  accident  violent  n’appelle  l’atten- 
tion du  voyageur  ou  du  médecin  ; personne  n’en  avait  poursuivi  les 
conséquences  et  montré  l’influence  redoutable  dans  les  conditions 
pathologiques;  personne  enfin  n’avait  tenté  de  rechercher  quel  rôle 
elles  jouent  dans  l’hygiène  des  populations  qui  habitent  les  hauts 
lieux,  quelle  influence  elles  peuvent  exercer  sur  leur  caractère, 
leurs  coutumes,  leur  destinée. 

S’il  est  vrai  de  dire  que  la  découverte  appartient  non  à celui  qui 
a rencontré,  comme  par  hasard,  la  vérité,  et  qui  l’a  négligemment 
énoncée,  mais  à celui  qui,  l’apercevant  à son  tour,  en  a senti  toute 
l’importance,  a accumulé  les  preuves  à l’appui,  l’a  défendue  contre 
les  attaques  passionnées,  alors  même  qu’elles  venaient  d’autorités 
considérables;  qui,  en  un  mot,  d’une  idée  isolée  a fait  une  théorie, 
c’est  à M.  Jourdanet  et  non  à de  Saussure,  à Martins,  àBrachet  ou  à 
Pravaz  que  nous  attribuerons  le  mérite  d’avoir  trouvé  la  véritable 
explication  des  malaises  de  la  décompression,  comme  il  a celui  de 
les  avoir  si  nettement  définis  et  décrits  à la  fois  par  le  nom  d’anoxy- 
hémie. 

Cependant,  il  faut  ici  encore  faire  remarquer  que  la  base  même 
de  la  théorie  n’était  assise  que  sur  des  raisonnements  et  des  déduc- 
tions fort  bien  enchaînés,  à coup  sûr,  mais  qui  ne  suffisent  pas  à 
établir  la  démonstration  complète  pour  les  esprits  habitués  à la 
rigueur  des  méthodes  scientifiques.  11  était  nécessaire  de  faire  la 
preuve  expérimentale  de  l’anoxyhémie,  et  de  son  influence  sur  la 
production  des  troubles  qui  surviennent  dans  l’air  raréfié.  C’est  ce 
que  je  disais  déjà  en  1869  : « Je  ne  saurais  trop  le  répéter,  ce  sont 
là  raisonnements,  vraisemblances,  probabilités  tout  au  plus.  A 
quand  l’expérience  qui  entraînera  la  conviction?  Qui  viendra  faire, 
pour  l’étude  de  la  respiration,  sous  diminution  ou  augmentation  de 
pression,  ce  qu’a  fait  le  roi  de  Bavière,  fournissant  à Pettenkofer 
tous  les  appareils  nécessaires  pour  l’étude  des  produits  de  la  res- 
piration normale1?  » 

Cet  appel  a été  entendu.  C’est  M.  Jourdanet  lui-même  qui  m’a 
permis  de  soumettre  à la  critique  expérimentale  et  sa  propre  théorie 
et  toutes  celles  qui  méritaient  d’être  ainsi  examinées.  Le  récit  des 
expériences  que  j’ai  faites  à l’aide  des  appareils  que  j’ai  pu,  grâce 
à lui,  faire  construire,  va  constituer  la  deuxième  partie  de  cet  ou- 
vrage. 


3 Leçons , etc.  p.  129. 


367 


RÉSUMÉ  ET  CRITIQUES. 

Il  me  reste,  en  terminant  cette  analyse  des  opinions  émises  pour 
expliquer  le  mal  des  montagnes,  à rappeler  en  résumé  au  lecteur 
que  beaucoup  d’entre  elles  n’ont  pu  supporter  l’examen  critique 
auquel  nous  les  avons  soumises;  que  d’autres,  dont  l’exactitude  est 
peu  vraisemblable,  attendent,  pour  être  jugées  définitivement,  le 
contrôle  expérimental;  que  d’autres,  enfin,  et  celle-là  même  qui 
nous  semble  la  plus  solidement  établie,  celle  de  l’anoxyhémie,  ne 
pourra  entraîner  la  conviction  qu’après  l’intervention  du  juge  sou- 
verain : l'expérience. 


> • 

. 


TITRE  II 


AUGMENTATION  DE  PRESSION 


La  nature  n’offre  point  de  conditions  où  l’homme  et  les  ê(rcs 
vivants  aériens  soient  soumis  à l’influence  d’une  pression  plus  forte 
que  celle  qu’exerce  l’atmosphère  au  niveau  des  mers1.  Seuls  les 
animaux  et  les  végétaux  aquatiques  supportent  des  pressions  qui 
peuvent,  dans  les  profondeurs  de  l’Océan,  se  chiffrer  en  centaines 
d’atmosphères. 

La  recherche  des  minerais,  celle  surtout  de  la  houille,  ont  bien 
forcé  de  nombreux  ouvriers  à vivre  à des  profondeurs  où  la  pres- 
sion normale  de  760mm  se  voit  augmentée  de  quelques  centimètres 
de  mercure.  Mais  l’influence  de  cette  modification  légère  n’a  jamais 
attiré  l’altention  des  observateurs,  perdue  qu’elle  est,  en  admettant 
qu’elle  soit  de  quelque  importance,  dans  la  foule  des  conditions 
particulières  et  défavorables  où  vivent  les  mineurs  (humidité,  obscu- 
rité, confinement,  gaz  délétères,  poussières,  etc.). 

Mais  depuis  le  XVIe  siècle,  les  progrès  de  l’industrie  ont  amené 
des  hommes  à travailler  sous  des  pressions  qui  ont  dépassé  quatre 
atmosphères.  Les  cloches  à plongeurs,  les  scaphandres,  les  tubes  à 
air  comprimé  inventés  par  M.  Triger,  ont  placé  dans  ce  milieu  mo- 
difié des  milliers  d’ouvriers.  Des  accidents  graves  sont  alors  sur- 
venus, dont  le  nombre  a effrayé  les  ingénieurs  et  les  médecins. 

1 II  faudrait  à la  rigueur  faire  exception  pour  les  contrées  peu  étendues,  peu  peuplées, 
où  le  sol  est  au-dessous  du  niveau  de  la  mer;  la  plus  importante,  à coup  sûr,  est  lu 
vallée  de  la  mer  Morte. 


24 


370 


HISTORIQUE. 


Cependant  ces  derniers,  frappés  des  modifications  singulières  et 
souvent  heureuses  que  le  séjour  dans  l’air  comprimé  apporte  dans 
cerlains  états  morbides,  ont  eu  l’idée  de  régulariser  l’emploi  de 
cet  agent  thérapeutique  nouveau.  Des  appareils  ont  été  installés, 
qui  ont  servi  à d’intéressantes  observations  physiologiques  et  à 
d’utiles  applications  médicales. 

J’énumère,  dans  les  chapitres  qui  suivent,  les  faits  observés  dans 
les  circonstances  que  je  viens  de  rappeler.  Entre  celles-ci,  on  aper- 
çoit, en  les  considérant  d’ensemble,  une  différence  notable.  Les 
plongeurs,  les  ouvriers  des  tubes,  sont  soumis  à des  pressions  qui 
sont  parfois  énormes  ; l’attention  n’a  été  attirée  sur  les  accidents 
qu’ils  présentent  que  lorsque  ces  pressions  étaient  fort  élevées  ; 
enfin,  ces  accidents  sont,  comme  nous  le  verrons,  le  résultat,  non 
de  la  compression  elle-même,  mais  de  la  décompression  brusque. 
Dans  les  appareils  médicaux,  au  contraire,  la  pression  employée  a 
toujours  été  faible,  inférieure  au  double  de  l’état  normal;  les  ob- 
servations physiologiques  ont  porté  sur  les  phénomènes  produits 
par  l’air  comprimé  lui-même,  et  aucun  accident  n’a  pu  être  mis  à 
la  charge  delà  décompression,  toujours  très-prudemment  graduée. 

J’ai  donc  dû  diviser  en  deux  chapitres  l’exposé  de  faits  aussi  dif- 
férents. Un  troisième  est  consacré  à l’indication  des  tentatives  faites 
par  les  divers  auteurs  pour  expliquer  les  modifications  physiologi- 
ques et  les  accidents  plus  ou  moins  redoutables  qui  frappent  les  ou- 
vriers. Enfin,  dans  un  dernier  chapitre,  se  trouvent  résumés  et 
critiqués  les  faits  observés  et  les  théories  émises  en  vue  de  les 
expliquer. 


CHAPITRE  PREMIER 


FORTES  PRESSIONS. 


§ 1er.  — Cloches  à plongeurs. 

C’est  au  commencement  du  XVIe  siècle  que  Sturmius  inventa  la 
cloche  à plongeurs,  qui  devait  rendre  de  si  grands  services.  C’était 
tout  simplement  une  cloche  lourdement  lestée,  qu’on  laissait, 
pleine  d’air,  descendre  verticalement  dans  l’eau  jusqu’à  toucher 
le  fond.  L’eau  pénétrait  dans  l’appareil  à une  hauteur  qui  aug- 
mentait avec  la  profondeur  de  l’immersion  : à dix  mètres,  il  y avait 
sous  la  cloche,  en  volume,  moitié  d’air  et  moitié  d’eau  ; à vingt 
mètres,  deux  tiers  d’eau  et  un  tiers  d’air,  etc.  ; les  ouvriers,  réfu- 
giés jusque-là  sur  des  gradins,  en  descendaient  pour  travailler,  dans 
les  plus  mauvaises  conditions. 

L’inventeur  se  préoccupa  de  l’influence  fâcheuse  que  pouvait  exer- 
cer sur  eux  l’air  comprimé  par  la  descente;  pour  y obvier,  dit  Pan- 
thot1,  il  conseilla  d’emporter  de  l’air  dans  des  bouteilles  que  l’on 
casserait  ensuite  sous  la  cloche. 

Ce  procédé,  qui  ne  pouvait  en  aucune  façon  modifier  la  tension 
de  l’air,  fut  perfectionné  par  Halley,  dans  un  but  plus  en  rapport 
avec  les  lois  de  la  physique.  Le  médecin  anglais  se  proposa  de 
mettre  à sec  l’ouvrier  envahi  par  l’eau  et  de  renouveler  l’air  altéré 
par  sa  respiration  ; il  y parvenait  en  descendant  sous  la  cloche  des 

1 Je  cite  cette  dpinion  deJPanthot,  d'après  Brizé-Fradin,  p.  31. 


372 


HISTORIQUE. 


barillets  pleins  d’air,  que  le  plongeur  recevait  et  ouvrait  à son  gré; 
l’air  chaud  et  impur  s’échappait  par  le  haut  de  la  cloche,  à l’aide 
d’une  soupape.  Halley  trouva  même  le  moyen  de  permettre  à un 
plongeur  de  s’éloigner  de  la  cloche,  en  continuant  de  communiquer 
avec  l’air  comprimé  qui  y est  contenu  par  un  tuyau  et  un  capuchon 
recouvrant  la  tête.  (Brizé-Fradin,  2e  S.,  pl.  I.)  C’était  la  première 
idée  du  scaphandre. 

Spalding  apporta  à l’appareil  de  Halley  des  améliorations  d’ordre 
purement  mécanique  ; ces  perfectionnements  ne  l’empêchèrent  pas 
de  trouver  la  mort  dans  son  appareil  meme  en  1785. 

Brizé-Fradin,  au  travail  duquel1  j’ai  emprunté  la  plupart  des 
renseignements  qui  précèdent,  résume  dans  les  termes  suivants  les 
inconvénients  de  la  cloche  à plongeurs  : 

1°  Douleur  vive  et  insupportable  dans  l’oreille,  due  à la  compres- 
sion de  la  cloison  du  tympan; 

2°  Altération  de  l’air  par  la  respiration  des  ouvriers,  d’où  as- 
phyxie ; 

5°  La  plupart  des  physiciens  ont  trouvé  un  Iroisième  inconvénient;  ils  croient 
que  le  ressort  de  l’air,  agissant  dans  tous  les  sens  et  à toutes  les  profondeurs, 
comprime  les  vaisseaux  sanguins,  les  artères  et  occasionne  des  hémorrhagies. 

On  peut  opposer  à cette  assertion  des  faits  constants  et  des  expériences  directes  ; 
écoutons  M.  Halley  : 

« J’ai  été  moi  même  l’une  des  cinq  personnes  qui  ont  plongé  jusqu’à  la  profon- 
deur de  18ra,  sans  en  être  incommodé;  nous  sommes  restés  pendant  une  heure 
et  demie;  j’aurais  pu  même  y rester  plus  longtemps,  car  rien  ne  s’y  oppo- 
sait. » 

Ce  témoignage  de  M.  Halley  pourrait  être  appuyé  de  celui  de  tous  les  plongeurs. 
La  pression  de  l’air  sous  l’eau,  à une  profondeur  de  18m,  n’occasionne  pas  de  crache- 
ment de  sang;  si  on  plongeait  plus  avant,  sans  doute,  on  trouverait  le  terme  où 
l’air  condensé  serait  irrespirable.  (P.  171.) 

Et  cependant,  ajoute  Brizé-Fradin  : 

En  observant  ces  rapports  d’identité  avec  la  pression  de  l’eau  et  la  puissance 
élastique  de  l’air,  il  semble  que  le  plongeur  placé  sous  la  cloche  à une  profon- 
deur de  18m  doit  être  dans  un  état  d’affaissement  universel.  (P.  173.) 

Le  conseiller  de  Cour  de  l’empereur  de  .Russie,  dont  nous 
avons  rapporté  plus  haut  la  funeste  ascension  au  mont  Blanc,  le 
docteur  Hamel2,  descendit  dans  une  cloche  à plongeur  installée  par 
Rennie  dans  le  port  de  Howth,  près  de  Dublin  ; la  profondeur  de 

1 La  chimie  pneumatique  appliquée  aux  travaux  sous  l'eau.  — Paris,  1808. 

2 Lettre  au  professeur  Piolet  sur  la  cloche  du  plongeur.  — Dibl.  univ.  de  Genève , 
t.  XIII.  p.  230-234.  1820. 


FOUTES  PRESSIONS  : CLOCHES  A PLONGEURS. 


375 


l’eau  élait  d’environ  30  pieds.  Il  n’éprouva  pas  d’autre  incommodité 
que  de  violentes  douleurs  d’oreilles,  « comme  si  on  y introduisait 
avec  force  une  baguette,  » qu’il  faisait  cesser  en  avalant  sa  salive. 
De  là  vint  à Hamel  l’idée  « que  la  cloche  des  plongeurs  pourrait  ser- 
vir de  remède  dans  les  cas  de  surdité  provenant  de  l’obstruction  de 
la  trompe  d’Eustache  ». 

Pour  le  reste  il  dit  simplement  : 

Je  m’attendais  à éprouver  quelque  effet  pénible  pour  la  respiration,  résultant 
de  la  pression  de  l’air  augmentée  du  poids  d'une  atmosphère  presque  entière; 
cependant  je  n'ai  pas  ressenti  la  moindre  incommodité  sous  ce  rapport. 

La  même  année,  dans  la  même  cloche  et  à la  meme  profondeur, 
descendit  le  docteur  Colladon l.  Il  est  un  peu  plus  explicite  : 

Nous  descendions  si  silencieusemenl  que  nous  ne  nous  apercevions  point  du  mou- 
vement de  la  cloche;  mais  aussitôt  qu’elle  fut  plongée  dans  l’eau,  nous  ressen- 
tîmes dans  les  oreilles  et  sur  le  front  un  sentiment  de  pression  qui  alla  en  aug- 
mentant pendant  quelques  minutes.  Je  n’éprouvais  cependant  pas  de  douleurs 
dans  les  oreilles;  mais  mon  compagnon  souffrait  tellement,  que  nous  fûmes 
obligés  de  suspendre  la  descente  pendant  quelques  minutes.  Four  remédier  à cet 
inconvénient,  les  ouvriers  nous  conseillèrent  d’avaler  notre  salive  après  avoir 
fermé  fortement  les  narines  et  la  bouche  et  de  retenir  pendant  quelques  instants 
notre  respiration,  afin  que,  par  cet  exercice,  l’air  intérieur  pût  agir  sur  la 
trompe  d’Eustache.  Mon  compagnon  se  trouva  peu  soulagé  par  le  procédé. 
Lorsque  nous  nous  remîmes  en  mouvement,  il  souffrait  beaucoup,  il  était  pâle, 
ses  lèvres  étaient  décolorées,  on  l’eût  cru  prêt  à -se  trouver  mal.  Son  abattement 
était  dû,  sans  doute,  à la  violence  de  la  douleur,  jointe  à un  sentiment  de  crainte 
qu’il  n’était  pas  le  maître  de  surmonter.  Cette  expérience  produisit  sur  moi  un 
effet  contraire  : j'étais  dans  un  état  d’excitement,  comme  si  j’eusse  bu  quelque 
liqueur  spiritucuse,  je  ne  souffrais  point,  je  n’éprouvais  qu’une  forte  pression 
autour  de  la  tête,  comme  si  un  cercle  de  fer  y eût  été  attaché  fortement.  En 
parlant  avec  les  ouvriers,  j'avais  quelque  peine  à les  entendre;  cette  difficulté  de 
l’ouïe  devint  si  forte,  que  pendant  trois  ou  quatre  minutes  je  ne  les  entendis  plus 
parler;  je  ne  m’entendais  pas  moi-môme,  quoique  je  parlasse  aussi  haut  qu’il 
m’était  possible,  et  bientôt  le  bruit  causé  par  la  violence  du  courant  contre  les 
parois  de  la  cloche  ne  parvint  plus  à mon  oreille.  (F.  6.) 

Enfin  nous  arrivâmes  au  fond  de  la  mer,  où  toute  sensation  désagréable  cessa 
presque  entièrement 

Nous  respirâmes  avec  beaucoup  de  facilité  pendant  tout  le  temps  de  notre 
visite  sous  l’eau...  Notre  pouls  n’éprouva  aucune  altération 

En  remontant,  nos  sensations  furent  très-dilférentes  de  celles  que  nous  avions 
éprouvées  en  descendant  ; il  nous  semblait  que  nos  tètes  devenaient  beau- 
coup plus  grosses  ; que  tous  les  os  étaient  sur  le  point  de  s’en  séparer.  Cet  incon- 
vénient ne  fut  pas  de  longue  durée.  (F.  8.) 

s 

A ces  observations  presque  négatives,  Colladon  ajoute  deux  faits 

1 Relation  d'une  descente  en  mer  dans  la  cloche  du  plongeur . — Paris,  182G. 


574 


HISTORIQUE. 


des  plus  jintéressants,  et  qui  ont  [été  le  point  de  départ  d’impor- 
tantes applications  thérapeutiques  : 

Aucun  des  ouvriers  ne  devient  sourd,  il  semblerait  plutôt  que,  dans  certains 
cas,  l’action  de  la  cloche  sur  les  oreilles  pourrait  servir  de  remède  à la  surdité. 
Un  des  ouvriers,  respirant  habituellement  av^c  une  grande  difficulté,  se  trouva 
complètement  guéri  peu  de  temps  après  avoir  entrepris  le  travail  de  la  cloche. 
(P.  14.) 

La  cloche  à plongeurs  est  aujourd’hui  complètement  abandonnée. 
Elle  a été  remplacée  par  les  caissons  remplis  d’air  comprimé  par  la 
méthode  Triger. 

Des  tentatives,  qui  ne  manquent  point  d’intérêt,  ont  été  faites  à 
plusieurs  reprises  pour  inventer  des  bateaux  sous-marins  dans  les- 
quels des  hommes  vivraient  soit  dans  l’air  comprimé  soit  dans  l’air  à 
la  pression  normale.  Ces  essais  ont  commencé  au  dix-septième  siè- 
cle ; le  P.  Mersenne,  l’ami  de  Descartes,  n’a  pas  dédaigné  de  s’en 
occuper;  plus  récemment,  U.  Fulton  a fait  dans  le  port  de  Brest  des 
tentatives  qu’on  aurait  peut-être  dû  encourager  ; puis  vint  Payerne, 
dont  Yhydrostat  sous-marin  fonctionna  avec  quelques  succès.  De 
nos  jours  enfin,  M.  Yilleroi,  puis  le  contre-amiral  Bourgeois,  ont  in- 
venté des  bateaux-cigares  qui  pourraient  être  utilisés  en  cas  de 
guerre.  Mais,  comme  aucune  observation  d’ordre  physiologique  n’a 
été  faite  à l’aide  de  ces  engins,  et  que  je  n’ai  nullement  le  désir 
d’écrire  une  histoire,  si  abrégée  que  ce  soit,  des  applications  indus-  . 
trielles  de  Pair  comprimé,  j’arrive  sans  autre  transition  aux  faits 
nombreux  relatifs  au  creusement  des  puits  de  mine  et  au  fonçage 
des  piles  de  pont  par  la  méthode  Triger, 

§2.  — Appareils  construits  d’après  la  méthode  Triger. 

C’est  en  effet  à M.  Triger,  ingénieur  français,  qu’est  due  la  pré- 
cieuse invention  de  l’emploi  de  Pair  comprimé  à de  hautes  pressions 
pour  le  forage  des  puits  ou  le  fonçage  de  piles  de  pont.  11  s’agissait 
d’aller  exploiter  dans  la  concession  de  la  Haye-Longue  (Maine-et- 
Loire)  des  couches  de  terrain  houiller  recouvertes  d’alluvions  que 
traversaient  les  eaux  de  la  Loire.  On  ne  pouvait  penser  à épuiser 
Peau  qui  envahissait  et  empêchait  de  pousser  en  avant  les  gale- 
ries : M.  Triger  conçut  l’idée  simple  et  lumineuse  de  la  repousser, 
de  la  contenir,  en  insufflant  de  Pair  comprimé  par  la  partie  supé- 
rieure du  puits;  à l’abri  de  l’assèchement  ainsi  produit,  des  ou- 


FORTES  PRESSIONS  : APPAREILS  TRIGER. 


575 


vriers  purent  aller  oblitérer  les  voies  d’eau  par  des  voûtes  de 
maçonnerie. 

M.  Trouessart,  dont  nous  citons  plus  loin  le  rapport  sur  cette  ad- 
mirable découverte,  fait  remarquer  que  l’idée  en  était  déjà  venue  à 
Denis  Papin,  en  1691,  et  il  cite  le  passage  suivant,  qui  est  en  effet 
des  plus  remarquables  : 

On  pourrait  injecter  continuellement  de  l’air  frais  dans  la  cloche  à plonger,  à 
l’aide  d’un  fort  soufflet  de  cuir  garni  de  soupapes,  par  un  tuyau  passant  sous  la 
cloche,  et  débouchant  à sa  partie  supérieure.  Ainsi,  la  cloche  demeurant  toujours 
vide  et  la  faisant  appuyer  tout  à fait  à terre,  le  fond  de  l’eau  en  cet  endroit  demeu- 
rerait presque  sec  et  on  pourrait  y travailler  de  même  que  hors  de  l’eau,  et  je  ne 
doute  point  que  cela  pût  épargner  beaucoup  de  dépense  quand  on  veut  bâtir  sous 
l’eau.  Au  reste,  au  cas  que  les  soufflets  de  cuir  ne  fussent  pas  assez  forts  pour 
presser  l’air  autant  qu’il  serait  nécessaire  dans  de  grandes  profondeurs,  on  pour- 
rait toujours  remédier  à cette  difficulté,  en  se  servant  de  pompes  pour  presser 
l’air. 

Mais  il  y a loin  de  cette  idée  à l’invention  complète  de  M.  Triger, 
qui,  en  1839,  résolut  pratiquement  le  problème,  et  annonça  de 
suite  les  applications  nombreuses  qu’on  en  devait  faire  après  lui. 

L’énoncé  complet  de  cette  invention  se  trouve  dans  un  Mémoire1 
présenté  en  1841  à l’Académie  des  sciences. 

Nous  laissons  naturellement  de  côté  tout  le  détail  de  la  construc- 
tion des  appareils,  pour  arriver  à l’indication  des  phénomènes  phy- 
siologiques, fort  peu  étudiés,  comme  on  va  le  voir,  par  le  célèbre 
ingénieur. 

Un  fait  intéressant  se  rencontre  tout  d’abord  : M.  Triger  voulut 
essayer  sur  lui-même  l’action  de  l’air  comprimé.  Or  : 

Au  moment  où  le  manomètre  s’élevait  à peine  à la  hauteur  de  40  pouces  (pres- 
sion totale)  une  détonation  se  fit  entendre,  et  nous  nous  trouvâmes  saisis  d’un 
froid  glacial  et  plongés  dans  l’obscurité  la  plus  complète,  par  suite  de  la  produc- 
tion instantanée  d’un  épais  brouillard  : une  vitre  de  l’appareil  avait  crevé. 

Cette  explosion  n’eut  d’autre  résultat  que  de  nous  occasionner  une  grande 
surprise. 

M.  Triger  signale  ensuite,  en  les  rapportant  bien  exactement  à 
leur  cause,  les  douleurs  d’oreilles  qui  accompagnent  la  compression 
et  la  décompression.  Puis  il  ajoute,  et  c’est  lout  ce  que  contient  son 
Mémoire  sur  le  sujet  qui  nous  intéresse  : 

A la  pression  de  trois  atmosphères,  il  n’est  plus  possible  à personne  de  siffler 

1 Triger,  Mémoire  sur  un  appareil  à air  comprimé,  pour  le  percement  des  puits  de 
mine  et  autres  travaux , sous  les  eaux  et  dans  les  sables  submergés.  — Compt.  rendus 
Acad,  des  sciences,  t.  XIIT,  p.  884-806,  1841. 


5J6  - HISTORIQUE. 

dans  l’air  comprimé:  faculté  qui,  du  reste,  ne  se  perd  que  lorsque  l’on  arrive  à 
cette  pression. 

Dans  l’air  comprimé,  tout  le  monde  parle  du  nez,  ce  qui  devient  d’autant  plus 
sensible  que  la  pression  est  plus  grande. 

Les  ouvriers  ont  remarqué  qu’en  montant  dans  les  échelles,  ils  se  trouvaient 
moins  essoufflés  dans  l’air  comprimé  qu’à  l’air  libre. 

Enfin,  je  terminerai  par  une  observation  assez  curieuse,  que  j’ai  été  à même  de 
bien  constater  : c’est  qu’un  ouvrier  mineur,  le  nommé  Floc,  sourd  depuis  le 
siège  d’Anvers,  a constamment  entendu  plus  distinctement  dans  l’air  comprimé 
que  tous  ses  autres  camarades.  (P.  892.) 

M.  le  professeur  Trouessart1,  chargé  par  la  Société  industrielle 
d’Angers  d’examiner  les  résultats  pratiques  de  l’appareil  de 
M.  Triger,  rendit  compte  de  ses  recherches  dans  un  intéressant 
Mémoire. 

Il  y est  peu  question  de  physiologie  ; on  y trouve  cependant  quel- 
ques observations  qui  méritent  d’être  rapportées  ici,  par  cette  rai- 
son surtout  qu’elles  ont  été  les  premières  faites  sur  l’homme  à des 
pressions  de  5 atmosphères  en  sus  de  l’atmosphère  normale  : 

Ce  n’est  pas  sans  une  certaine  appréhension,  nous  l’avouons,  que  l’on  descend 
la  première  fois  dans  l’appareil  pour  y être  soumis  à une  pression  de  trois  atmos- 
phères. Ces  52  000  kilogrammes  en  sus  de  la  pression  antérieure,  qu’il  va  vous 
falloir  supporter,  ont  bien  de  quoi  effrayer  les  épaules  les  plus  robustes. 

Vient  d’abord  la  description  des  douleurs  d’oreilles,  qui  sont  par- 
faitement étudiées  et  expliquées  : 

Un  phénomène  plus  difficile  à comprendre,  c’est  que^  les  personnes  sourdes 
entendent  non-seulement  dans  l’air  comprimé  mieux  qu’à  l'air  libre,  mais 
qu’elles  entendent  mieux  que  les  personnes  dont  l’organe  est  sain 

Un  des  résultats  les  plus  singuliers,  c’est  qu’on  perde  subitement  la  faculté  de 
siffler  sous  la  pression  de  2 atmosphères  3/4  à 5 atmosphères. 

Les  fonctions  de  nutrition,  de  respiration  et  de  circulation  ne  paraissent  pas 
sensiblement  modifiées  dans  l’air  comprimé.  Nous  avions  cru  trouver,  lors  de 
notre  première  visite,  une  accélération  dans  les  battements  du  pouls  de  toutes  les 
personnes  soumises  à l’expérience;  niais,  à notre  seconde  visite,  le  résultat 
d’une  observation  plus  exacte,  faite  par  un  membre  très-exercé  à toucher  le 
pouls,  fut  complètement  négatif 

La  respiration  n’est  ni  plus  lente  ni  plus  rapide.  11  ne  paraît  pas  non  plus 
qu’elle  soit  plus  active  et  que  la  chaleur  animale  soit  augmentée.  Le  sang  jaillit 
aussi  dans  les  conditions  normales.  En  un  mot,  et  c’est  ce  qui  surprend  le  plus, 
il  y a très  peu  de  modifications  dans  les  fonctions  vitales.  Les  ouvriers  assurent 
monter  plus  facilement  à l’échelle  et  être  moins  essoufflés  en  arrivant  en  haut. 
Cela  ne  peut  tenir  à la  perte  assez  faible  qu'ils  font  de  leur  poids.  Peut-être  peu- 
vent-ils retenir  plus  longtemps  leur  respiration,  à cause  de  la  densité  plus 

1 Rapport  sur  les  puits  à air  comprimé  de  M.  Triger.  — Bull,  cle  la  Soc.  indust. 
d'Angers  et  du  départ,  de  Maine-et-Loire,  — 1845. 


FORTES  PRESSIONS  : APPAREILS  TRIGER. 


377 


grande  du  gaz  amené  par  chaque  respiration?  D’un  autre  côté,  ils  prétendent 
fatiguer  beaucoup  plus  en  travaillant  dans  l’air  comprimé  que  dans  l’air  libre, 
Nous  croyons  que  cela  lient  à l’humidité  très-grande  de  l’atmosphère  des  puits, 
humidité,  qui  gêne  la  transpiration  insensible  et  provoque  plus  rapidement  la  sé- 
crétion de  la  sueur  chez  ceux  qui,  dans  un  semblable  milieu,  ont  à développer 
leur  puissance  musculaire.  C’est  cette  humidité  qui  expliquerait  aussi  peut-être 
les  douleurs  assez  vives  dans  les  articulations  qu’ont  éprouvées  quelques  ouvriers, 
peu  d’heures  après  la  sortie  du  puits 

Nous  pouvons  conclure  qu’il  n’y  a aucun  danger  sérieux  à séjourner  plusieurs 
heures  de  suite,  et  pendant  plusieurs  jours,  dans  un  air  comprimé  à 5 atmo- 
sphères. 

Notre  auteur  ne  dit  rien  de  la  durée  de  la  décompression  ; il  pa- 
raît du  reste,  se  préoccuper  davantage  du  « passage  d’une  faible  à une 
forte  pression  » : il  dit  seulement  qu’on  ouvrait  peu  à peu  le  robinet. 

Dans  une  seconde  communication  à l’Académie  des  sciences, 
M.  Triger1  reproduit  ses  anciennes  observations.  Il  y ajoute  les  faits 
suivants  : 

9 

Tout  le  monde  parle  du  nez  et  perd  la  faculté  de  siffler  à 3 atmosphères.  Afin 
de  m'assurer  de  l’effet  de  l’air  comprimé  sur  un  instrument  à cordes,  j’ai  fait  des- 
cendre un  violon  dans  le  puits  et  l’on  a trouvé  qu’à  la  pression  ci-dessus  le  son 
perdait  au  moins  la  moitié  de  son  intensité. 

Puis  vient  la  première  indication  des  accidents  assez  graves  de 
la  décompression  : 

Je  dois  déclarer  ici  que  deux  ouvriers,  après  avoir  passé  7 heures  de  suite  dans 
l’air  comprimé,  ont  éprouvé  des  douleurs  assez  vives  dans  les  articulations,  une 
demi-heure  après  être  sortis  du  puits.  Le  premier  se  plaignait  d’une  douleur 
extrêmement  vive  dans  le  bras  gauche,  et  le  second  éprouvait  une  douleur  semblable 
dans  les  genoux  et  dans  l’épaule  gauche;  quelques  frictions  faites  avec  de 
l’esprit-de-vin  ont  bientôt  fait  disparaître  cette  douleur  chez  les  deux  individus  ; 
ils  n’en  ont  pas  moins  continué  leur  travaifles  jours  suivants. 

En  1846,  M.  de  laGournerie2,  s’inspirant,  dit-il,  d’un  appareil  pro- 
posé en  1778  et  approuvé  par  l’Académie  des  sciences  en  1779, 
employa  à l’extraction  de  rochers  dans  le  chenal  du  port  du  Croisic 
un  bateau  portant  une  chambre  en  métal  ouverle  par  en  bas,  et  de 
laquelle  on  chassait  l’eau  par  de  l’air  comprimé. 

11  ne  l’immergea  que  de  5 ou  4 mètres  ; il  ne  faut  donc  pas 
s’étonner  de  voir  que 

Lettre  à M.  Araqo.  — Comptes  rendus  de  l' Académie  des  sciences,  t.  XX,  p.  445- 
449;  1845. 

- Mémoire  sur  V extraction  des  roches  de  la  passe  d'entrée  du  port  du  Croisic.  — 
Ann.  des  ponts  el  chaussées , 1848,  1er  semestre,  p.  261-515. 


HISTORIQUE. 


578 

Les  ouvriers  n’ont  jamais  trouvé  que  la  pression  de  l’air  les  incommodât.  C’est 
à peine  si  elle  fait  éprouver  pendant  quelques  secondes  une  gêne  légère  aux 
oreilles. 

Le  nombre  des  pulsations  du  pouls  n’est  pas  sensiblement  augmenté.  (P.  508.) 

C’est  dans  les  mines  de  Douchy  (Nord),  que  fut  imitée  d’abord  la 
méthode  employée  par  M.  Triger  sur  les  bords  de  la  Loire.  Les  dif- 
ficultés étaient  plus  grandes,  puisqu’il  s’agissait  non  plus  de  tra- 
verser des  sables  perméables  avec  un  tube  en  tôle  de  1 m50  de  dia- 
mètre, mais  de  creuser  à travers  des  calcaires  un  puits  de  5 mètres 
de  diamètre. 

Nous  citerons  dans  un  moment  le  Mémoire  important  que  les 
docteurs  Poi  et  Watelle  ont  consacré  à l’étude  des  accidents  qui  ont, 
dans  cette  exploitation,  frappé  de  nombreux  ouvriers.  La  première 
connaissance  en  fut  apportée  par  un  rapport  de  l’ingénieur  Blavier1, 
envoyé  pour  examiner  cette  invention  nouvelle. 

I II  indique  d’abord  les  douleurs  d’oreilles,  l’impossibilité  de  siffler. 
Pour  parler  il  faut  faire  un  certain  effort  : 

II  nous  a semblé  aussi  que  dans  l’échelle  diatonique  la  voix  perdait  un  ton  ou 
un  Ion  et  demi  dans  les  notes  aigües  sans  les  regagner  par  le  bas. 

Il  rfa  trouvé  aucune  différence  dans  le  nombre  des  pulsations  ’ 
avant  d’entrer  et  dans  l’appareil  : 

Si  les  effets  de  l’air  comprimé  ne  se  manifestent  pas  sur  l’économie  animale  tout 
le  temps  qu’on  y est  plongé,  du  moins  dans  la  durée  d’une  pose  d’ouvriers,  il  n’en 
est  pas  tou t— à-fait  de  même  si  l’on  cherche  à envisager  ces  effets,  abstraction  faite 
du  moment....  La  plupart  des  ouvriers,  quoique  choisis  parmi  les  plus  robustes 
et  les  plus  sains,  ont  ressenti  fréquemment,  quelques  heures  après  en  être  sortis, 
soit  des  pesanteurs  de  tète,  soit  des  douleurs  dans  les  jambes.  Un  d’eux  seulement 
a éprouvé  une  perclusion  absolue  des  bras  et  des  jambes  pendant  12  heures.  Le 
directeur  de  la  mine  nous  a affirmé  que  les  effets  ressentis  coïncidaient  presque 
toujours  avec  quelques  excès  commis  dans  l’intervalle  des  poses.  (P.  561.) 

Cependant  lui-même,  après  avoir  été  soumis  à la  pression  totale 
de  2c 6 à 5 atmosphères,  fut  frappé  d’un  accident  assez  sérieux  : 

Le  lendemain  de  notre  visite  du  5 décembre,  des  douleurs  vives  sont  surve- 
nues dans  le  côté  gauche,  et  nous  avons  ressenti  une  gêne  douloureuse  assez 
grande  pendant  plusieurs  jours  de  suite.  Comme  un  refroidissement  ou  quelque 
autre  cause  étrangère  à l’air  comprimé  pouvait  avoir  agi,  lorsque  nous  avons  été 

1 Rapport  sur  Je  procédé  suivi,  à Douchy , pour  traverser  des  nappes  d'eau  considé- 
rables, — Ann.  des  mines,  4°  série,  t.  IX,  p.  549-364;  1846. 


FORTES  PRESSIONS  : APPAREILS  T'RIGER. 


579 


complètement  délivré  de  ces  douleurs,  le  28  décembre,  nous  avons  tenu  à recom- 
mencer l’expérience,  et  nous  avons  pris  à la  sortie  du  puits  les  plus  grandes  pré- 
cautions pour  nous  mettre  à l’abri  de  tout  refroidissement.  Malgré  ces  précautions, 
le  lendemain,  Irès-sensiblement  à la  même  heure,  à savoir  20  heures  après  notre 
sortie  du  milieu  d’air  comprimé,  nous  avons  ressenti  dans  le  côté  droit  des  dou- 
leurs tout  à fait  semblables  aux  premières,  et  qui  nous  ont  tenu  engourdi  pen- 
dant quatre  à cinq  jours.  (P.  362.) 

Nous  arrivons  maintenant  à l’important  Mémoire,  le  premier  qui 
fut  sur  ces  accidents  écrit  par  des  médecins,  dans  lequel  MM.  Pol  et 
Watelle  1 exposent  les  effets  de  la  compression  de  l’air  sur  les  mi- 
neurs pendant  le  creusement  de  l’Avaleresse-la-Naville,  à Lourches, 
dans  la  concession  de  Douchy  (Nord). 

Les  auteurs  ont  pris  soin  d’avertir  que  leurs  notes  ayant  été  pri- 
ses sans  intention  de  publicité,  ils  ont  observé  sans  plan,  sans 
programme,  et  par  conséquent  sans  ordre.  Mais  ils  pensent,  et  avec 
grande  raison,  que  leur  travail  présentera  cependant  quelque  intérêt 
et  quelque  utilité. 

Pendant  l’exploitation,  la  pression  totale  s’est  élevée  à 4 atmos- 
phères 1/4.  La  compression  se  faisait  en  un  quart  d’heure,  la  dé- 
compression en  une  demi-heure  ; 64  ouvriers  ont  pris  part  aux  tra- 
vaux ; ils  restaient  ordinairement  quatre  heures  de  suite  dans 
l’appareil,  et  cela  deux  fois  par  jour. 

Les  auteurs  ont  décrit  à part  les  effets  physiologiques  qu’ils  ont 
observés  sur  eux-mêmes  et  les  effets  pathologiques  éprouvés  par  les 
ouvriers  : 

1°  Effets  physiologiques  : Douleurs  des  membranes  tympaniques  ; 
ralentissement  de  la  respiration  et  surtout  diminution  d’amplitude 
de  l’expansion  thoracique,  devenue  à peine  perceptible  ; ralentis- 
sement du  pouls,  (tombé  de  70  à 55  ; ) augmentation  de  la  sécrétion 
urinaire. 

Les  auteurs  accusent  encore  un  « sentiment  musculaire  d’une  ré- 
sistance à vaincre,  la  densité  insolite  de  l’atmosphère  ambiante 
embarrassant  la  progression  » ; l’impossibilité  de  siffler,  éprouvée 
au-dessus  de  5 atmosphères,  est  également  attribuée  à une  résis- 
tance inattendue,  éprouvée  par  les  muscles  de  la  langue  en  présence 
d’un  air  condensé. 

Au  retour  et  pendant  la  décompression,  ils  éprouvèrent  une  vive 

1 Mémoire  sur  les  effets  (le  la  compression  de  l'air  appliquée  au  creusement  des  puits 
à houille.  — Ann.  d'hygiène  publique  et  de  médecine  légale.  2°  série,  t.  I,  p.  241-279; 
1851.  — Mémoire  écrit  à la  fin  de  l’année  1847,  et  présenté,  peu  de  temps  après,  à la 
Société  de  Douchy. 


380 


HISTORIQUE. 


sensation  de  froid,  une  certaine  anhélation  ; le  pouls  remonta  à 85. 

Effets  pathologiques . —En  prenant  en  bloc  les  observations,  on 
voit  que,  sur  64  hommes,  47  ont  supporté  plus  ou  moins  bien  les 
travaux  ; 25  ont  dû  être  réformés  ; 2 sont  morts.  En  les  relevant  par 
le  détail,  on  voit  que  14  ont  éprouvé  des  accidents  légers,  16  des 
accidents  plus  ou  moins  graves,  pouvant  aller  jusqu’à  menacer  la 
vie  ; 2 sont  morts. 

En  revanche,  2 ont  bénéficié  d’une  certaine  amélioration.  L’un 
(lre  catégorie,  obs.  I),  était  asthmatique,  et  respirait  mieux  dans  le 
puits;  l’autre  (5me  catég.,  obs.  o),  chloro-anémique,  ayant  eu  des  hé- 
moptysies fréquentes,  vit  son  oppression  disparaître,  ses  muqueu- 
ses devenir  plus  rouges  : 

Nous  voyons  poindre,  disent  à ce  propos  MM.  Pol  et  Watelle,  sans  nous  dissi- 
muler les  difficultés  d’application,  une  nouvelle  ressource  de  thérapeutique  pal- 
liative contre  la  plupart  des  dyspnées. 

Les  accidents,  règle  universelle  et  sans  exceptions,  avaient  lieu 
au  moment  de  la  décompression  : 

Le  danger  n'est  pas  de  pénétrer  dans  un  puits  comprimé  ; il  n’est  pas  davan- 
tage d'y  séjourner  plus  ou  moins  longtemps  ; la  décompression  seule  est  à crain- 
dre : on  ne  paie  qu'en  sortant. 

Examinons  maintenant  en  quoi  consistent  ces  accidents  plus  ou 
moins  graves. 

Ce  sont  d’abord  les  douleurs  du  tympan,  plus  ou  moins  vives  et 
durables,  et  M.  Pol  conslate  qu’on  les  fait  cesser  beaucoup  plus  vite 
en  se  mouchant  qu’en  faisant  des  efforts  de  déglutition. 

Pour  les  autres  symptômes,  comme  MM.  Pol  et  Watelle  ont  eu  le 
bon  esprit  de  donner  les  observations  complètes,  je  crois  ne  pou- 
voir mieux  faire  que  de  les  résumer  chacune  en  quelques  mots, 
suivant  l’ordre  dans  lequel  ils  les  ont  présenlées  : 


Première  catégorie.  — Ouvriers  ayant  pris  les  travaux  à V origine. 

Observations.  — I.  Asthmatique,  respire  mieux  dans  le  puits.  A la  décompres- 
sion, violentes  oppressions  avec  réaction  circulatoire  exagérée.  Réformé. 

II.  A été  jusqu'à  quatre  atmosphères  et  demie.  Embarras  de  la  respiration, 
diminution  d’appétit,  digestions  pénibles,  douleurs  dans  les  membres.  Selles 
noires.  A beaucoup  maigri. 

III.  Mêmes  effets. 

IV.  Idem. 

V.  A fait  bonne  contenance  jusqu'à  trois  atmosphères.  Au-delà,  éblouissements, 


FORTES  PRESSIONS  : APPAREILS  TR1GER.  581 

douleurs  musculaires,  crampes  ou  engourdissement  universel,  vomissements  de 
matières  noirâtres.  Le  tout  au  retour  à l’air  libre. 

Un  jour,  une  heure  après  sa  sortie  du  puits,  ayant  pris  son  repas,  il  se  plaint 
de  malaise;  porté  sur  son  lit,  il  y perd,  connaissance.  Pouls  plein  et  fréquent,  face 
injectée,  respiration  courte  et  stertoreuse;  son  obscur  partout,  souffle  bron- 
chique, râle  muqueux;  résolution  musculaire.  Saigné,  purgé,  sinapisé.  Après 
quatre  heures,  retour  à la  connaissance.  En  trois  jours,  guérison.  Réformé. 

VI.  Arrivé  sans  encombre  jusqu’à  quatre  at  mosphères  un  quart.  Un  soir,  après 
s’être  couché  bien  portant  en  apparence,  pris,  à onze  heures,  de  douleurs  muscu- 
laires accompagnées  de  contractions  qui  simulaient  des  accès  tétaniques. 

Peau  glacée,  pouls  petit  et  lent,  urines  abondantes  et  limpides.  Respiration 
anxieuse  ; mêmes  résultats  d’auscultation  qu’à  V. 

Bains  à 32°  exaspèrent  tellement  les  douleurs,  que  le  malade  n’y  peut  rester. 
Frictions,  sudation  forte,  calme.  Rétabli  le  lendemain,  reprend  son  travail. 

Vil.  A la  pression  de  3,3  : troubles  cérébraux,  analogues  à l’ivresse  comateuse, 
hébétude,  bredouillement.  Respiration  accélérée,  pouls  rapide.  Pupilles  dilatées. 

Deux  attaques  semblables,  guéries  l’une  en  neuf  jours,  l’autre  en  quinze.  Con- 
serve de  la  diplopie  et  des  tournoiements,  avec  surdité  d’un  côté.  Réformé. 

VIII.  Présentait  à l’excès  deux  phénomènes  habituels  : 1°  suppression  des  fonc- 
tions de  la  peau  et  augmentation  de  la  sécrétion  urinaire  pendant  la  compression  : 
2°  rapidité  augmentée  des  battements  de  cœur  après  la  décompression  ; son  pouls, 
de  58  montait  à 130. 

IX  à XVII.  Rien  d’important  à noter. 

XVIII.  Sain  et  vigoureux.  A éprouvé  à plusieurs  reprises  de  vives  douleurs  dans 
les  membres  et  la  poitrine.  Troubles  respiratoires  croissant  avec  la  pression, 
ainsi  que  les  douleurs  musculaires  qui  sont  très-aiguës. 

Est  réformé.  Dans  les  dernières  journées,  descend  sans  permission  dans  le  puits. 
V travaille  sans  se  plaindre;  sort  avec  ses  compagnons,  se  lave  comme  eux, 
tombe  aussitôt  privé  de  sentiment  et  meurt  en  un  quart  d’heure.  L’autopsie  si- 
gnale seulement  engouement  des  poumons,  engorgement  du  foie,  de  la  rate,  des 
reins;  rien  au  cerveau,  sinon  sablé  congestionne!. 

XIX.  Oppression  violente  avec  matité  et  bronchophonie  ; pouls  rapide,  peau 
froide,  toux  continuelle  ; contractions  cloniques  des  membres  ; mieux  sensible 
après  cinq  heures  de  soins. 

Puis,  une  autre  fois,  à ces  accidents  se  joignent  : dilatation  de  la  pupille,  réso- 
lution des  membres,  subdilerium , coma.  Trois  saignées  coup  sur  coup;  sang  ruti- 
lant au  sortir  de  la  veine;  guéri.  Réformé. 

XX.  Mêmes  accidents  que  VII.  Resté  également  sourd  d’un  côté,  avec  vue  très- 
affaiblie.  Réformé. 

XXI.  Un  jour,  vue  troublée  et  double,  ouïe  abolie;  respiration  gênée,  toux 
fréquente,  pouls  dur  et  galopant.  Saignée  rouge,  guérit. 

XXII  et  XXIII.  Douleurs  de  tète,  étourdissements,  crampes.  Réformés. 

XXIV  et  XXV.  Rien  d’important. 

XXVI.  Accidents  thoraciques  et  cérébraux  ordinaires  ; guérit  après  de  fortes 
transpirations.  (P.  250  à 259.) 

Catégorie  spéciale  ?i'ayant  travaillé  qiiun  jour  et  sans  préparation , à 2,8  atmos- 
phères. 

Neuf  hommes  sortirent  sans  se  plaindre  de  rien.  Mais  peu  après,  huit  éprou- 
vèrent des  douleurs  musculaires  très-intenses,  qui  disparurent  dans  la  nuit, 
excepté  chez  un,  où  elles  persistèrent  plusieurs  jours. 


582 


HISTORIQUE. 


Deuxième  catégorie.  — Ouvriers  n' ayant  pris  part  aux  travaux  qu'à  partir  de 

2,9,  atmosphères. 

I.  Aucun  effet. 

II.  Seulement  douleurs  musculaires  dans  la  cuisse  gauche,  qui  cédaient  à l’eau 
froide. 

III,  IV.  Rien. 

V.  Douleurs  musculaires  médiocres,  mais  persistantes  d’une  pose  à l’autre;  la 
recompression  les  faisait  disparaître  aussitôt  . 

VI.  Rien. 

VIL  28  ans.  Athlétique.  Pression  de  5,8  pour  commencer.  Après  dix  jours 
perte  de  connaissance,  trismus  violent.  Pouls  rapide. 

Saignée  semi-rutilante  huit  heures  après,  purgation,  vésicatoires. 

Le  surlendemain,  tout  à coup  la  connaissance  revient  : le  malade  ouvre  les  yeux, 
semble  sortir  d’un  rêve,  prononce  quelques  mots  étonnés. 

Guérit,  mais  demeure  profondément  sourd. 

Troisième  catégorie.  — Ouvriers  qui  ont  commencé  à 4,15-4  atmosphères. 

I,  II.  Rien. 

Itl.  A eu  des  hémoptysies  antérieures.  Amélioration. 

IV,  V,  VI.  Rien,  sinon  douleurs  musculaires  assez  vives. 

VII.  40  ans.  Très-robuste.  N’est  descendu  qu’une  fois  dans  le  puits.  A sa  sortie 
(décompression  en  vingt  minutes),  est  mort  presque  immédiatement. 

A l’autopsie,  56  heures  après  la  mort  : emphysème  sous-cutané  généralisé 
(existait  avant  que  la  putréfaction  commençât,  notent  les  auteurs)  ; rien  aux 
méninges,  au  cerveau,  au  cervelet  ; congestion  des  poumons  avec  teinte  noirâtre 
généralisée  (souligné par  les  auteurs);  sang  fluide  et  noir  dans  le  cœur;  foie,  rate 
et  reins  engorgés. 

VIII.  Rien. 

IX.  Douleurs  musculaires  modérées. 

X.  A sa  première  séance,  douleurs  musculaires  très-vives,  persistantes  pendant 
plusieurs  jours.  Réformé. 

XI.  Idem. 

XII  à XIX.  Rien,  sinon  d’insignifiantes  douleurs  musculaires.  Cependant  ont  sup- 
porté la  pression  de  quatre  atmosphères  un  quart  pendant  trois  mois. 

XX.  A sa  première  séance,  décompression  trop  rapide.  Quelques  minutes  après 
sa  sortie  du  sas,  offrait  l'aspect  d'un  cadavre  : face  livide,  froideur  glaciale,  yeux 
ternes,  pupilles  énormément  dilatées,  respiration  anxieuse;  en  auscultant  le 
cœur,  on  n’entend  qu’un  vague  frémissement  ; pouls  insensible  ; intelligence 
abolie;  urines  involontaires;  vomissements  noirâtres;  impuissance  musculaire 
complète. 

Bain  chaud,  couvertures,  frictions.  Après  une  demi-heure,  le  pouls  commence 
à devenir  perceptible,  la  respiration  est  plus  ample,  un  peu  de  chaleur  reparaît 
au  tronc;  le  malade  balbutie  des  mots  sans  suite.  Pendant  la  nuit,  à peine  la  cha- 
leur est-elle  rétablie,  que  des  douleurs  atroces  éclatent  dans  les  muscles;  vives 
douleurs  de  tête,  cécité  et  surdité;  pouls  misérable,  à 50. 

Amélioration  nette  le  surlendemain;  le  malade  voit  confusément.  Mais  conserve 
une  vue  faible  et  des  pupilles  anormalement  dilatées. 


FORTES  PRESSIONS  : APPAREILS  TRIGER. 


383 


XXL  A sa  première  séance,  décompression  trop  rapide.  Vives  douleurs  muscu- 
laires persistant  six  jours. 

XXII.  A sa  première  séance,  décompression  trop  rapide.  Perte  de  connais- 
sance, résolution  des  membres;  respiration  gênée,  pouls  plein,  dur,  130  pulsa- 
tions. 

Saignée  rouge,  sinapismes;  après  quatre  heures,  la  connaissance  revient.  Dans 
la  nuit,  crampes  et  douleurs  musculaires  d’une  violence  épouvantable. 

Survit,  mais  avec  un  grand  affaiblissement  de  la  vue  et  une  surdité  profonde. 
(P.  265  à 275.) 

Je  citerai  enfin  l’accident  arrivé  à M.  Pol  lui-même,  parce  qu’il 
contient  l’énoncé  d’un  phénomène  des  plus  curieux,  et  sur  l’impor- 
tance duquel  nous  aurons  à insister  plus  tard.  La  pression  subie 
avait  été  de  3,48  atmosphères  : 

A 11  heures,  il  regagna  sa  demeure  ; il  ressentait  des  douleurs  vives  dans  le 
bras  et  l’épaule  gauches  ; les  parois  du  thorax  étaient  aussi  douloureuses.  Il  lui 
sembla  qu’il  existait  de  l’emphysème  dans  ces  régions....  Vers  minuit,  il  eut 
quelques  frissons  que  des  vomissements  suivirent.  Il  prit  une  tasse  de  thé  et  s’en- 
dormit ; bientôt  il  survint  une  transpiration  abondante.  Le  lendemain,  il  était  dans 
son  état  ordinaire.  (P.  250.) 

En  résumé,  les  accidents  constatés,  lors  de  la  décompression , 
sont  les  suivants  : 

Difficultés  respiratoires,  pouvant  aller  jusqu’à  l’anxiété  ; 

Accélération  et  dureté  du  pouis  ; 

Douleurs  musculaires  souvent  très-vives  : « aucun  des  effets  de 
la  décompression  ne  s’est  montré  aussi  général  ; unique  dans  beau- 
coup de  cas,  . il  est  initial  dans  presque  tous C’est  le  premier  et 

le. plus  large  anneau  d’une  chaîne  qui  comprend  successivement, 
par  rang  ascendant  de  gravité  et  descendant  de  fréquence,  la  con- 
traction non  permanente  ou  clonique,  la  résolution  et  enfin  la  si- 
dération » (P.  277.)  ; 

Accidents  cérébraux,  hébétude,  perte  de  la  sensibilité  et  de  la 
conscience,  coma.  Surdité,  cécité,  très-souvent  permanentes; 

Enfin,  mort  subite. 

La  lecture  des  observations  relevées  ci-dessus  montre  quelle 
variété  de  forme  et  d’intensité  présentent  les  accidents,  même  pour 
des  pressions  égales,  chez  les  individus  différents,  et  parfois  chez 
le  meme  individu. 

MM.  Pol  et  Walelle  ont  remarqué  que  les  jeunes  hommes  de  18  à 
26  ans  ont  beaucoup  mieux  résisté  que  les  hommes  faits  : sur  les 
25  réformés,  19  avaient  plus  de  40  ans  et  5 plus  de  30;  l’autre 
avait  28  ans. 


384 


HISTORIQUE. 


Ces  accidents  sont  attribues  exclusivement,  par  les  médecins  de 
Douchy,  à des  congestions  pulmonaires,  hépatiques,  rénales  ou 
cérébrales.  Nous  verrons  au  chapitre  spécial  consacré  à l’énumé- 
ration des  explications  théoriques,  quelles  sont  celles  qu’ont  pré- 
sentées de  ces  phénomènes  pathologiques  MM.  Pol  et  Wa telle. 

J’ai  tenu  à analyser  longuement  leur  important  Mémoire,  le 
premier  en  date  pour  l’étude  des  hautes  pressions,  non-seulement 
à cause  des  nombreuses  observations  pleines  d’intérêt  qui  s’y  trou- 
vent rapportées,  mais  parce  que  des  vérités  d’une  haute  importance 
y sont  mises  pleinement  en  lumière  : 

1°  « La  compression,  jusqu’à  4 atmosphères  un  quart,  n’est  pas 
à craindre  par  elle-même;  elle  se  supporte  parfaitement  et  infini- 
ment mieux  qu’une  raréfaction  proportionnelle  beaucoup  moins 
considérable.  » Le  retour  à la  pression  naturelle  seul  est  à crain- 
dre; son  danger  est  proportionnel  à la  fois  à la  valeur  de  la  com- 
pression et  à la  rapidité  de  la  décompression  : il  faut  donc  ralen- 
tir beaucoup  celle-ci  ; 

2°  Dans  l’air  comprimé,  le  sang  veineux  devient  rutilant.  Cet 
effet  persiste  un  peu  après  le  retour  à la  pression  normale  ; 

5°  On  est  « autorisé  à espérer  » qu’un  moyen  de  soulagement 
certain  et  prompt  serait  de  recomprimer  immédiatement,  pour  dé- 
comprimer ensuite  avec  précaution  ; 

4°  Les  chlorotiques  ou  anémiques,  les  personnes  qui  respirent 
difficilement,  pourront  tirer  un  parti  utile  du  séjour  dans  un  air 
variablement  comprimé. 

Pendant  les  travaux  de  Douchy,  une  èxplosion  survint,  au  mo- 
ment où  la  pression  totale  était  de  5,20  atmosphères.  Elle  fut  l’ob- 
jet d’un  rapport  de  M.  Comte1,  ingénieur  en  chef  des  mines.  Huit 
hommes  se  trouvaient  en  ce  moment  dans  l’appareil;  quatre  furent 
tués  par  écrasement  ; deux  autres,  après  avoir  commencé  à monter 
l’échelle  pour  sortir  du  cylindre,  la  lâchèrent,  sans  qu’ori  ait  jamais 
pu  savoir  pourquoi  ni  comment  ; un  septième  ouvrier  n’éprouva 
aucun  accident;  le  huitième,  envahi  par  l’eau,  put  également  s’é- 
chapper. M.  Comte  fait  à son  propos  une  hypothèse  curieuse  et 
étrange,  intéressante  parce  qu’elle  montre  combien,  en  ces  ques- 
tions, les  meilleurs  esprits  errent  aisément  : 

Peut-être,  dit-il,  Irouva-t-il  secours  pour  remonter  sur  l’eau dans  la  légèreté 

1 Rapport  sur  /’ explosion  d'un  cylindre  à air  comprimé  sur  Vavalercsse  n°  7,  située 
dans  la  concession  de  Douchy  [Nord}  — Ann.  des  mines,  4e  série,  t II,  p.  121-148. 1847. 


FORTES  PRESSIONS  : APPAREILS  TRI  G ER. 


585 


spécifique  que  lui  communiquait  l’air  comprimé  dont  certaines  parties  de  son 
corps  étaient  encore  plus  ou  moins  remplies.  (P.  130.) 

La  nouvelle  méthode  se  généralisa  rapidement.  D’autres  puits 
furent  creusés,  et  l’on  observa  des  faits  analogues  à ceux  qu’avaient 
signalés  MM.  Pol  et  Wattelle. 

C’est  ce  qui  arriva,  par  exemple,  au  rapport  de  Bouhy1,  dans  ta 
mine  de  Strépy-Bracquegnies  (Belgique)  : 

A Strépy-Bracquegnies,  tous  les  ouvriers,  un  seul  excepté,  qui  ont  travaillé 
dans  l’air  comprimé  à 5,70  atmosphères,  et  pendant  quatre  à cinq  heures  consé- 
cutives, ont  été  atteints,  après  leur  sortie  de  l’appareil,  de  douleurs  plus  ou 
moins  aiguës Ces  douleurs,  dont  le  siège  était  principalement  dans  les  arti- 

culations, telles  que  les  genoux,  lesépaules,  les  plis  des  bras,  se  présentaient  chez 
certains  individus  avec  un  degré  d’acuité  tel  qu’ils  restaient  quelquefois  plus  de 
quarante-huit  heures  sans  pouvoir  goûter  le  sommeil 

On  a remarqué  que  quelques  ouvriers  assez  fortement  attaqués,  et  qui  étaient 
descendus  pour  travailler,  se  trouvaient  débarrassés  de  toute  douieur  dès  qu’ils 
étaient  comprimés,  mais  qu’elles  se  faisaient  sentir  de  nouveau  quelque  temps 
après  leur  sortie  de  l’appareil. 

Outre  ces  effets,  l’auteur  signale  encore  des  picotements  incommodes  sur  toule 
la  surface  du  corps  et  particulièrement  aux  extrémités. 

Mais  c’est  surtout  à la  fondation  des  piles  de  pont  que  l’air  com- 
primé est  employé,  et  c’est  dans  ces  conditions  que  des  centaines 
d’ouvriers  sont  chaque  année  exposés  à- son  action.  Il  n’est  donc 
pas  sans  intérêt  pour  nous  d’indiquer  d’une  manière  rapide  en 
quoi  consiste,  dans  ce  cas  particulier,  la  mise  en  application  delà 
méthode  Triger. 

La  figure  6 nous  permettra  d’être  très-bref  dans  nos  explica- 
tions; c’est  une  figure  demi-schématique  que  nous  empruntons  au 
mémoire  plus  loin  analysé  du  Dr  Foleÿ. 

Un  tube  de  fonte  MM  composé  d’anneaux  concentriques  réunis  par 
des  boulons  m,  et  terminé  à sa  partie  inférieure  par  une  chambre 
évasée  ou  « crinoline  »,  est  descendu  dans  le  lit  du  fleuve  à la  place 
que  devra  occuper  la  pile  de  pont.  Ilest  coiffé  à son  extrémité  supé- 
rieure par  une  pièce  à 3 compartiments;  celui  du  milieu,  F,  com- 
munique constamment  avec  le  tube  de  fonte;  une  machine  souf- 
flante y envoie  continuellement,  par  un  tube  G,  de  l’air  suffisamment 
comprimé  pour  pouvoir  chasser  toute  l’eau  du  cylindre  de  fonte,  et 
sortir  incessamment  en  bouillonnant  tout  autour;  le  fond  s’asséche 

1 Creusement  à travers  les  sables  mouvants  cl'un  puits  de  la  mine  de  Slrépy-Bracquc- 
qnies.  — Ann.  des  trav.  pull,  de  Belgique , t.  VII,  1848;  cité  par  Barella,  p.  521. 

25 


38G  HISTORIQUE. 

alors,  comme  il  arrive  au  tube  de  verre  dans  lequel  un  enfant 

souffle  après  l’avoir 
plongé  dans  beau. 

Dans  ces  conditions, 
l’ouvrier  qui  vient  à son 
travail,  ouvre  la  porte 
d’une  des  chambres  laté- 
rales, E,  la  referme  der- 
rière lui , et,  par  un  ro- 
binet de  communication 
avec  la  chambre  centrale 
F,  équilibre  la  pression 
de  l’air  où  il  est  plongé 
avec  celle  de  l’air  du 
cylindre.  Ceci  fait,  il  ou-, 
vre  aisément  la  porte 
intérieure  jusque  là  fer- 
mée par  la  pression,  et 
descend  par  une  échelle 
jusqu’au  fonds  du  puits. 
Là , il  travaille  , rem- 
plit, avec  les  matériaux 
qu’il  enlève,  des  seaux 
qu’on  remonte  et  qu'on 
vide  au  dehors.  Veut-il 
sortir?  il  se  présente 
devant  l'autre  cham- 
bre latérale  C où  l’air 
est  resté  sous  pression, 
y entre,  referme  la  porte, 
et  laisse,  par  un  robinet 
qui  communique  avec  le 
dehors,  s’échapper  l’ex- 
cès d’air  comprimé,  il 
peut  alors  aisément  ou- 
vrir la  porte  extérieure 
et  quitter  F appareil. 

Au  fur  et  à mesure 
que  le  travail  avance,  que  Fexcavation  augmente,  le  tube  de  fonte 
s’enfonce  par  son  propre  poids  et  par  celui  de  la  maçonnerie  nn 


Fig.  6 (empruntée  à la  thèse  de  M.  Foleÿ). 
Schéma  représentant  le  fonçage  d’une  pile  de  pont 
par  les  tubes  à air  comprimé. 


FORTES  PRESSIONS.  — APPAREILS  TRIGER.  587 

dont  on  le  charge  ; on  superpose  alors  de  nouvelles  rondelles  de 
fonte,  jusqu’à  ce  que  la  creusée  soit  finie  ; il  ne  reste  plus  enfin 
qu'à  remplir  de  maçonnerie  tout  le  cylindre,  et  la  pile  est  terminée. 

C’est  par  cette  méthode  si  simple,  beaucoup  plus  compliquée,  ce- 
pendant, en  pratique,  que  ne  semble  l’indiquer  la  description  qui 
précède,  qu’ont  été  construits,  depuis  1851,  un  grand  nombre  de 
ponts. 

La  conception  de  cette  application  à la  fondation  des  piles  de  pont 
de  son  système  d’assèchement,  appartient  à M.  Triger  lui-même1. 
Mais  cette  idée  ne  fut  réalisée  qu’en  1851  par  l’ingénieur  anglais 
Hughes,  pour  la  construction  du  pont  de  Rochester,  sur  la  Medway, 
dans  le  comté  de  Kent. 

Un  ingénieur  d’origine  française,  Brunei,  construisit  par  ce  sys- 
tème le  pont  de  Chepstow,  sur  la  Wye  (1849-1851)  et  de  Saltash 
(1854-1859)  ; pour  ce  dernier,  la  profondeur  maximum  atteinte  fut 
26m,68  au-dessous  de  la  haute  mer.  A celui-ci  seulement  arriva  un 
accident  mortel  ; un  homme  mourut  en  quittant  le  cylindre  où  il 
était  resté  fort  peu  de  temps.  Je  n’ai  pu,  du  reste,  me  procurer  de 
renseignements  détaillés  sur  ces  faits. 

En  1856,  M.  Cézanne2  fut  chargé  d’établir  un  pont  à Szegedin 
(Hongrie),  pour  permettre  au  chemin  de  fer  autrichien  du  S.  E.  de 
traverser  la  Theiss,  affluent  du  Danube.  . 

Il  employa  le  système  des  tubes  à air  comprimé.  Les  travaux  de 
fouilles  ont  été  « arrêtés  à 20  mètres  environ  sous  les  hautes  eaux, 
pour  ne  pas  s’exposer  à la  pression  de  5 atmosphères,  au  delà  de 
laquelle  le  travail  des  hommes  est  très-pénible  ».  (P.  355.) 

Un  paragraphe  spécial  du  mémoire  de  mon  regretté  collègue  est 
consacré  à l’élude  des  effets  physiologiques  de  l’air  comprimé  : 

Il  y a trois  phasesà  distinguer  : l’entrée,  le  séjour,  la  sortie. 

Lorsqu’on  ouvre  le  robinet  d’entrée  de  l’air,  on  est  immédiatement  saisi  aux 
oreilles  par  un  bourdonnement  violent  accompagné  de  douleurs  dont  l’intensité 
varie  avec  les  individus 

Le  séjour  au  fond  du  tube,  dans  une  pression  de  trois  atmosphères,  peut  être 
prolongé  pendant  plusieurs  heures  sans  inconvénients  ; le  timbre  de  la  voix  est 
un  peu  altéré,  la  respiration  activée  comme  par  une  marche  rapide  ; une  ciga- 
rette qu’on  agite  se  consume  en  flambant;  les  bougies  brûlent  rapidement,  mais 
avec  une  flamme  fumeuse 

Le  moment  de  la  sortie,  quoique  peu  douloureux  pour  la  grande  majorité  des 

Lettre  à Ai.  Arago.  — Comptes  rendus  de  l'Academie  des  sciences,  t.  XX,  p.  445, 
1845. 

2 Notice  sur  le  pont  de  la  Theiss  et  sur  tes  fondations  tubulaires . — * Annales  des  ponts 
et  chaussées , 1859,  lre  semestre,  p.  534-382. 


588  HISTORIQUE. 

individus,  est  le  plus  dangereux  pour  les  ouvriers Le  sang  afflue  quelquefois 

dans  le  nez  et  dans  la  gorge;  certaines  personnes  éprouvent  des  névralgies  vio- 
lentes, mais  courtes;  d’autres  conservent  pendant  plusieurs  jours  des  maux  de 
tête  et  des  douleurs  de  dents • 

Les  ouvriers  qui  travaillent  habituellement  dans  les  tubes  ont  mauvaise  mine  ; 
ils  résistent  cependant  très-bien.  (P.  569.) 

Le  12  décembre  1859,  il  y eut  une  explosion  de  pile  au  pont  de 
Bordeaux,  d’où  décompression  instantanée  ; sept  des  ouvriers  qui  y 
travaillaient  n’ont  éprouvé  aucun  accident.  Deux  furent  tués , mais 
par  des  causes  purement  mécaniques. 

M.  P.  Regnauld1,  qui  rendit  compte  des  travaux,  ne  dit  pas  sous 
quelle  pression  eut  lieu  cet  événement,  mais  il  résulte  de  son  Mé- 
moire que  l’enfoncement  du  tube  était  alors  certainement  inférieur 
à 12,n,90.  (P.  82.) 

On  a bâti,  en  1859,  un  pont  sur  le  Nil,  le  pont  de  Kaffre-Azzyat  : 
les  piles  furent  creusées  à 26  métrés  au-dessous  de  Peau.  Cinq 
Arabes  moururent  des  effets  de  la  pression  : un  dans  la  cage  meme, 
en  s’en  allant,  mais  avant  d’être  sorti  dehors;  la  pression  était  de 
56  livres  anglaises  par  pouce  carré2.  Les  autres  se  sentirent  ma- 
lades dans  le  cylindre  et  moururent  pendant  la  décompression  ; la 
pression  était  alors  de  plus  de  50  livres.  Le  sang  soldait  par  la 
bouche,  le  nez  et  les  oreilles. 

Le  Mémoire  de  Babington  et  Cuthbert3,  auquel  j’emprunte  les  faits 
précédents,  est  spécialement  consacré  à l’étude  médicale  des  acci- 
dents observés  pendant  la  fondation  du  pont  de  Londonderry , en 
octobre  1861. 

La  profondeur  atteinte  a été  de  75  pieds  au-dessous  du  niveau  de 
l’eau  : 

La  pression  supportée  par  les  ouvriers  fut,  au  maximum,  de  45  livres  par  pouce 
carré,  en  tout.  Ils  souffraient  de  douleurs  d’oreilles,  de  maux  de  tête,  de  douleurs 
dans  les  jambes,  de  saignements  de  nez,  de  malaises  généraux.  Ces  symptômes 
augmentaient  beaucoup  quand  les  robinets  étant  ouverts  tout  grands,  le  chan- 
gement de  pression  était  trop  rapide Ces  symptômes  apparaissaient  d’abord 

en  entrant  dans  l’air  compripié;  mais  ils  étaient  beaucoup  plus  forts  quand  on 
passait  des  cylindres  dans  l’air  libre  : des  accidents  sérieux,  mortels  même,  sont 
alors  arrivés. 

Mémoire  sur  la  construction  du  pont  métallique  sur  la  Garonne  , à Bordeaux.  — 
Ann.  des  ponts  et  chaussées,  1867,  2e  semestre,  p.  27-115. 

2 Une  atmosphère  correspond  à 15  livres  par  pouce  carré. 

3 Paralysis  caused  by  working  under  compressed  air  in  sinking  the  Fondations  of 
Londonderry  New  Bridae.  — - The  Dublin  quart,  journal  of  medical  science,  f.  XXXVJ, 
p.  312-318,  1863. 


FORTES  PRESSIONS.  — APPAREILS  TR1GER. 


389 


Je  reproduis,  en  les  abrégeant,  les  six  observations  des  auteurs  : 

I.  5 octobre  1861.  Homme  de  28  ans,  ayant  travaillé  quatre  heures  sous  une 
pression  de  23  livres;  en  sortant,  tombe  insensible.  Froid  et  livide;  insensibilité 
totale,  paralysie  faciale  à droite;  strabisme  de  l’œil  droit  ; pupilles  presque  immo- 
biles ; 150  pulsations,  petites  et  irrégulières;  bruits  du  cœur  à peine  percepti- 
bles; respirations  très-irrégulières,  de  24  à 44  par  minute;  inspiration  brusque, 
expiration  prolongée. 

Saignée  : sang  noir,  visqueux  et  poisseux Mort  vingt-quatre  heures  après  la 

sortie  du  cylindre. 

JI.  Cas  absolument  semblable,  survenu  en  même  temps.  Mort  de  même  en  vingt- 
quatre  heures. 

III.  23  ans.  Quand  nous  le  visitâmes,  il  était  tout  à fait  abattu,  mais  avait  sa 
connaissance,  se  plaignait  de  douleurs  aux  jambes  et  aux  cuisses.  Incapable  de 
marcher,  jambes  et  pieds  froids  et  insensibles.  Était  assis  les  pieds  dans  le  feu , si 
bien  que  plusieurs  de  ses  orteils  furent  brûlés  sans  qu’il  sentît  la  chaleur. 

Il  n’était  pas  devenu  de  suite  malade,  et  comme  il  avait  souffert  des  jambes  les 
jours  précédents,  il  n'avait  appelé  le  médecin  que  plusieurs  heures  après  être 
sorti  du  cylindre. 

Deux  jours  après  était  guéri,  sauf  ses  brûlures. 

IV.  Cas  semblable.  Hémoptysie.  Guérison. 

V.  18  ans,  le  5 octobre.  Quatre  heures  sous  la  pression;  tombe  sans  connais- 
sance pendant  qu’on  décomprime État  demi-comateux,  répond  quand  on 

l’excite  et  retombe  dans  l’insensibilité.  Les  symptômes  comateux  passèrent  en 
dix-huit  heures;  il  était  alors  paralysé  totalement  depuis  la  quatrième  côte.  Ré- 
tention d’urine,  perte  de  sensation  et  autres  symptômes  des  maladies  de  la  région 
médullaire  cervicale. 

Mourut  à l’hôpital  162  jours  après  ; n’a  jamais  retrouvé  la  sensibilité  ni  le  mou- 
vement. 

VI.  30  ans.  Symptômes  identiques  ; seulement  la  paralysie  ne  commence  qu’à 
la  huitième  vertèbre  dorsale.  Vécut  trente  jours. 

Beaucoup  d’autres  cas  de  paralysies  légères,  de  douleurs  musculaires  et  autres 
affections  nerveuses  furent  également  observés. 

Aucune  autopsie  n’a  malheureusement  pu  être  faite. 

Nous  verrons  plus  loin  l’explication  que  les  deux  médecins  anglais 
ont  donnée  de  ces  faits. 

En  1859,  un  travail  de  la  plus  haute  importance,  la  fondation  des 
piles  du  pont  de  Strasbourg  à Kehl,  fut  exécuté  à l’aide  de  l’air  com- 
primé. Deux  Mémoires  intéressants , l’un  plus  spécialement  patho- 
logique, l’autre  plus  physiologique,  nous  ont  rendu  compte  et  des 
sensations  éprouvées,  et  des  phénomènes  observés,  et  des  accidents 
survenus.  Le  premier,  par  ordre  de  date,  est  celui  du  Dr  François1 2  ; 
nous  nous  en  occuperons  d’abord. 

1 Des  effets  de  l'air  comprimé  sur  les  ouvriers  travaillant  dans  les  caissons  servant 
de  base  aux  piles  du  pont  du  grand  Rhin,  — Ann.  cVIma.  pubt.  et  de  méd.  léq.,  1860, 

2e  série,  t.  XIV,  p.  ‘289-319. 


390 


HISTORIQUE. 


L’auteur  commence  par  décrire  rapidement  les  appareils  em- 
ployés dans  les  travaux  du  pont.  La  durée  du  travail  était  de  quatre 
heures,  et  les  postes  se  succédaient  après  huit  heures  de  repos. 
La  pression  totale  s’est  élevée  à 5 atmosphères  et  demie.  La  décom- 
pression, d’après  les  règlements,  devait  durer  de  6 à 8 minutes 
jusqu’à  2 atmosphères;  de  12  à 15  minutes  jusqu’à  5 atmosphères; 
mais  l’imprudence  des  ouvriers  a presque  toujours  empêché  la 
stricte  exécution  de  ce  règlement. 

Effets  physiologiques.  — Respiration  allégée,  moins  fréquente; 
ampliation  plus  considérable  de  la  poitrine , « ce  qui  s’explique  de 
soi-même;  » circulation  exagérée  pendant  la  compression,  se  ralen- 
tissant lors  du  retour  à l’air  libre;  amaigrissement  sensible,  môme 
chez  les  ouvriers  qui  n’ont  pas  souffert. 

L’auteur  insiste  peu  sur  ces  faits,  et  annonce  qu’ils  seront  déve- 
loppés dans  le  travail  de  M.  Bucquoy  dont  nous  rendrons  compte 
tout  à l’heure, 

Effets  pathologiques.  — Ce  sont  d’abord  des  otalgies  et  otites , 
après  lesquelles  souvent  l’ouïe  reste  très-dure. 

Puis  des  douleurs  dans  les  muscles  ou  les  articulations  : il  y en  a 
eu  155  cas.  Elles  se  dissipent  au  bout  de  quelques  jours.  Quelque- 
fois, on  constate  un  gonflement  local  assez  manifeste,  mais  sans 
crépitation.  Dans  un  des  cas,  le  sein  gauche  d’un  des  ouvriers  s’est 
gonflé  subitement , de  manière  « à ressembler  au  sein  bien  con- 
formé d’une  femme  » ; ce  gonflement  douloureux  a cédé  rapide- 
ment à l’application  de  quelques  ventouses  scarifiées.  (P.  507.) 
Dans  un  autre , le  malade  est  resté  incapable  de  se  servir  de  sa 
jambe  gauche. 

M.  François  signale  encore,  comme  fréquentes,  les  démangeai- 
sons à la  peau,  les  puces , comme  les  appellent  les  ouvriers;  elles 
cédaient,  dit-il,  à des  lotions  d’eau  fraîche. 

Il  explique,  par  des  congestions  vers  le  poumon,  le  cœur,  le  foie 
et  la  rate,  quelques  accidents  assez  obscurs,  où  se  mêlent  des  suffo- 
cations, des  palpitations,  etc.;  l’un  des  malades,  sujet  du  reste  à des 
hémoptysies,  a succombé  quelques  mois  après. 

Enfin,  la  céphalalgie  violente,  la  perte  de  connaissance,  sont  attri- 
buées à une  congestion  cérébrale  ; ces  congestions  ne  commençaient 
qu’au  bout  d’un  quart  d’heure  ou  d’une  demi-heure.  Dans  l’un  des 
cas,  l’ouvrier,  sorti  des  caissons  (5  atmosphères)  sans  rien  éprouver 
qu’un  picotement  très-incommode  par  tout  le  corps,  gagne  d’un  pas 
leste  la  citadelle;  arrivé  là,  il  tombe  comme  foudroyé  : saignées 


391 


FORTES  PRESSIONS.  - APPAREILS  TRÏGER, 

répétées,  purgatifs,  etc.;  il  se  rétablit,  sauf,  pendant  assez  long’ 
temps,  une  faiblesse  notable  des  membres  inférieurs. 

Ceci  amène  à la  description  de  quelques  lésions  fonctionnelles  de 
la  moelle  épinière  : rétention  d’urine , violentes  douleurs  dans  les 
membres,  et,  pour  un  malade,  paraplégie  persistante  à gauche  ; la 
pression  était  de  5 atmosphères. 

Notons  enfin  que  de  légères  hémorrhagies  nasales  et  même  pul- 
monaires ont  été  quelquefois  signalées. 

Je  ne  cite  que  pour  mémoire  un  travail  de  M.  Willemin1,  qui 
n’est  qu’un  simple  compte  rendu  de  celui  de  M.  François,  dont 
l’auteur  semble  accepter  toutes  les  conclusions,  car  il  ne  s’occupe 
nullement  des  explications  théoriques. 

La  thèse  de  M.  Bucquoy2  est  au  contraire  un  travail  original  et 
d’une  véritable  importance.  Ses  observations,  comme  je  l’ai  dit,  ont 
été  faites  lors  de  la  construction  du  pont  de  Kehl. 

Nous  trouvons,  au  début  de  son  exposition,  un  renseignement 
dont  nous  verrons  peut-être  plus  tard  à tirer  quelque  profit,  c’est 
que  l’air  des  caissons  où  travaillaient  les  ouvriers,  contenait  en 
moyenne  (six  analyses  à des  époques  différentes)  2,57  d’acide  car- 
bonique pour  100. 

Arrivant  à l’étude  des  phénomènes  physiologiques,  M.  Bucquoy 
décrit  d’abord  les  douleurs  d’oreilles. 

Relativement  à la  circulation,  il  donne  le  tableau  suivant  : ‘ 


NOMBRE 

DES 

OBSERVATIONS 

POULS 

A 

l’air  libre 

POULS 

TENDANT  LES  DIFFÉRENTS  TEMPS 
DE  LA  COMPRESSION 

DIFFÉRENCE 

EN  PLUS 

10 

77,85 

Pendant  que  l’air  arrivait.  . . 100,05 

22,20 

9 

77,08 

Après  un  quart  d’heure  de  séjour  90,12 

13,04 

7 

75,39 

Après  25  minutes 86,80 

11,41 

28 

76,05 

Après  une  demi-heure.  ....  81,57 

5,32 

11 

76,59 

Après  1 heure 83,58 

6,99  \ 

3 

76,50 

Après  2 heures 85,50 

7,00  ;i 

Ainsi,  dans  l’air  comprimé,  le  nombre  des  pulsations  est  plus 
grand  qu’à  l’air  libre,  et  cela  est  vrai  pour  tous  les  degrés  de  pres- 
sion et  surtout  jusqu’à  2 atmosphères  1/2.  M.  Bucquoy,  qui  signale 


1 Remarques  sur  l'emploi  de  l'air  comprimé  dans  les  travaux  d'art.  — Gaz.  mèd.  de 
Strasbourg,  1860,  p.  179. 

a De  V air  comprimé.  — Thèse  de  Strasbourg,  1861. 


HISTORIQUE. 


"92 

ici  sa  contradiction  avec  les  auteurs  qui  ont  observé  des  malades, 
ajoute  : 

.le  possède  néanmoins  une  observation  qui  semble  confirmer  ce  que  dit  M.  Pra- 
vaz  quant  à faction  sédative  de  l’air  comprimé.  Un  de  mes  amis,  M.  Ritter,  étant 
descendu  avec  moi  dans  les  caissons,  malgré  une  fièvre  très-intense,  a vu  son 
pouls  tomber  de  95  à 75  au  bout  d’une  heure  de  séjour.  (P.  24.) 

La  capacité  respiratoire  augmente  également,  comme  l’avait  déjà 
dit  Pravaz  (voy.  le  chapitre  suivant)  ; le  tableau  résumé  suivant 
donne  la  mesure  moyenne  de  cette  modification  : 


NOMBRE 

DES 

OBSERVATIONS 

MOMENT 

OÙ  ELLES  ONT  ÉTÉ  FAITES 

CAPACITÉ 
RESPIRATOIRE 
EN  CENTIMÈTRES 
CUBES 

103 

10  minutes  avant  l’entrée  dans  le  sas 

2950 

103 

Après  une  demi-heure  de  séjour  dans  l’air  comprime. 

5224 

103 

Un  quart  d’heure  après  le  retour  à l’air  libre.  . . . 

3075 

10 

j Après  trois  quarts  d’heure 

3004 

10 

| Après  2 heures 

5000 

10 

I Après  10  heures 

2980 

10 

Après  15  heures 

2950 

Ainsi  l’augmentation,  qui  est  constante,  et  qui,  comme  le  mon- 
trent d’autres  tableaux,  va  en  augmentant  jusqu’à  2 atmosphères, 
persiste  encore  assez  longtemps  après  la  décompression. 

Aussi  M.  Bucquoy  ajoute  avec  raison  : 

En  montrant  que  cet  efi'et  n’est  pas  passager,  qu’il  ne  cesse  pas  avec  la  com- 
pression, mes  expériences  font  pressentir  l’efficacité  des  bains  d’air  comprimé 
chez  les  sujets  dont  la  capacité  vitale  est  trop  petite.  (P.  29.) 

A propos  des  phénomènes  généraux  de  la  nutrition,  M.  Buc- 
quoy, après  avoir  analysé  tous  les  travaux  antérieurs  aux  siens  et 
Fait  ressortir  leurs  contradictions,  apparentes  au  moins,  déclare 
qu’il 

Incline  à croire  que,  dans  l’air  comprimé,  les  combustions  respiratoires  aug- 
mentent; mais  les  bases  sur  lesquelles  on  a voulu  appuyer  cette  idée  manquent 
de  solidité,  et  c’est  une  question  à revoir. 

M.  le  docteur  Folcÿ1  a écrit  sur  notre  sujet  une  curieuse  brochure, 
très-souvent  citée  et  avec  éloges.  Il  avait  observé  les  accidents  des 


* Du  travail  dans  l'air  comprimé.  — • Paris,  1803. 


FORTES  PRESSIONS.  — APPAREILS  TRIGER. 


593 


tubisles,  lors  de  la  construclion,  en  1861,  du  pont  d’Argenleuil  sur 
la  Seine;  la  pression  maximum  n’avait  pas  dépassé  3 atmosphères 
et  demie.  Je  commencerai  par  citer  quelques  passages  des  plus  ca- 
ractéristiques dans  lesquels  M.  Foleÿ  décrit  et  explique  tout  à la  fois 
les  phénomènes  qu’on  éprouve  dans  l’air  comprimé  : 

Tous  les  sons,  dans  les  tubes,  ont  un  timbre  métallique  qui  vous  ébranle  le 
cerveau;  et  quand  on  parle,  on  se  fait  vibrer  la  base  du  crâne  comme  une  trom- 
pette. 

Expliquons  ces  phénomènes.  En  aplatissant  notre  muqueuse  aérienne  dans  sa 
totalité,  l’air  comprimé  rend  nos  cavités  pharyngo-laryngiennes  et  bucco-nasales 
plus  grandes  et  osseusement  sonores. 

De  plus,  pour  entrer  en  vibration,  il  imprime,  aux  bords  du  larynx,  de  la  lan- 
gue, des  lèvres,  du  voile  du  palais,  et  même  des  narines,  des  tensions  d’autant 
plus  fortes  qu’il  est  plus  dense.  Il  ne  faut  donc  pas  s’étonner  si  tous  ces  organes 
haussent  les  sons  qu’ils  produisent Vu  la  faiblesse  de  nos  lèvres,  nous  y per- 

dons tous  le  sifflet. 

Quelques  individus  sentent  diminuer  et  perdent  même  totalement  le  goût  et 
l’odorat  dans  l’air  comprimé. 

L’aplatissement  de  la  muqueuse  aérienne  qui  rend  impossible  toute  hémorrhagie 
des  voies  respiratoires  et  guérit  subitement  (sinon  sans  douleurl  le  coryza  et 
l’enrouement,  explique  parfaitement  tous  ces  faits.  Comment  un  organe  flétri,  ra- 
tatiné, pourrait-il  recueillir  des  saveurs  quelconques. 

Notre  peau  est  plus  solide  que  notre  muqueuse;  malgré  cela  les  tubes  l’in- 
fluencent. Ses  papilles,  comme  celles  du  nez  et  de  la  langue,  y deviennent  moins 
sensibles,  et  beaucoup  d’ouvriers,  à mains  pourtant  fort  calleuses,  trouvent  leur 
toucher  moins  sûr  dans  l’air  comprimé 

En  ce  même  milieu,  notre  pouls  devient  rapidement  filiforme  et  même  insen- 
sible. La  vis  a tergo  manque  promptement  dans  nos  veines,  notre  circulation 
languit,  mais  nos  tissus  ne  deviennent  pas  livides;  le  contraire  aurait  plutôt  lieu. 

C’est  que  la  grande  tension  de  l’air,  en  favorisant  la  combinaison  de  l’oxygène 
avec  notre  sang,  comme  avec  tous  les  autres  combustibles,  le  rend  si  riche,  qu'il 
sort  aussi  rutilant  de  nos  veines  que  de  nos  artères.  Quelle  décoloration  serait 
possible  avec  un  pareil  liquide? 

Dans  l’air  comprimé,  notre  capacité  pulmonaire  augmente,  et  les  mouvements 
de  nos  côtes  diminuent.  L’excès  de  pression  qui  fait  dissoudre  l’oxygène  dans 
nos  plus  fines  ramifications  vasculo-sanguines  rend  superflu  le  jeu  du  thorax,  et 
notre  centre  nerveux  coordinateur  le  réduit,  pour  ce  motif,  à son  minimum  d’am- 
plitude. 

Économie  de  force  et  de  temps,  telle  est  la  loi  que  l’ame  humaine  suit  dans  les 
nombreuses  combinaisons  qu’elle  fait  pour  nous  maintenir  en  harmonie  avec  le 
monde,  même  quand  il  s’agit  de  notre  vie  végétative. 

Les  ouvriers,  quand  ils  travaillent  dans  les  tubes,  sentent  moins  la  fatigue  qu’à 
l’air  libre,  et  ne  s’essoufflent  pas  autant.  La  faim  les  prend  vite;  ils  suent  beau- 
coup, et  cependant  n’ont  jamais  soif. 

Voici  le  pourquoi  de  tous  ces  phénomènes,  contradictoires  en  apparence  seu- 
lement. 

L’absence  de  soif,  malgré  d’énormes  déperditions  sudorales,  a pour  cause  la 
grande  quantité  d’eau  que  l’air  comprimé  tient  en  dissolution  et  fait  pénétrer 
dans  l’organisme. 


394 


HISTORIQUE, 


Les  sueurs  sont  dues  au  concours  que  notre  tégument  externe  ne  refuse  jamais 
aux  poumons,  surtout  dans  une  atmosphère  chaude,  quand  il  s’agit  de  rejeter 
beaucoup  de  matériaux  musculaires  désassimiiés  par  le  travail. 

La  faim  tient  à l’énorme  consommation  que  font  de  nos  tissus  divers  l’excès 
d’oxygène  qui  les  pénètre  et  les  contractions  plus  énergiques  de  certains  d’entre 
eux. 

L’essoufflement  moindre  est  produit  par  le  ralentissement  circulatoire  qui  ne 
ramène  (vers  les  poumons,  le  foie  et  la  rate)  que  peu  de  sang  veineux,  puisqu’il 
n’y  en  a plus,  à vrai  dire. 

Enfin,  l’absence  de  fatigue  dépend  précisément  de  la  richesse  de  ce  même 
liquide  nourricier  qui,  sans  relâche,  répare  nos  muscles  à mesure  que  leurs  pro- 
pres contractions  les  détruisent. 

Dans  l’air  comprimé,  nos  sécrétions  se  modifient;  celles  du  poumon  et  de  la 
peau  augmentent  considérablement.  Celles  du  tube  digestif,  des  reins  et  du  foie, 
leurs  inverses  en  maintes  circonstances,  ne  varient  pas,  ou  mieux,  diminuent 
généralement.  (P.  12  et  13.) 

Au  sortir  de  l’air,  quand  aucune  maladie  ne  doit  s’ensuivre,  on  éprouve  immé- 
diatement du  bien-être.  Il  semble  qu’on  respire  comme  malgré  soi,  qu’on  ait  la 
poitrine  pleine  d’air,  et  qu’on  soit  plus  léger.  C’est  que  rien  ne  vous  écrase  plus, 
(P.  17.) 

Tels  sont  les  effets  produits  par  l’action  passagère  de  l’air  com- 
primé. Selon  M.  Foleÿ,  les  ouvriers  qui  s’y  soumettent  fréquemment 
éprouvent  des  phénomènes  d’un  autre  ordre  : 

Toute  durée  trop  longue  de  travail  intratubaire  se  divise  en  deux  périodes  : 
l’une  de  bénéfice,  l’autre  de  déperdition  organique 

Tant  que  la  première  dure,  le  tubiste  gagne  de  l’appétit,  quitte  son  ouvrage 
sans  fatigue,  rentre  dans  l’air  libre  plus  alerte,  plus  vif  et  plus  impatient  que  de 
coutume.  Il  se  sent  plus  fort  et  s’en  vante,  avec  raison,  car  alors  la  richesse  de 
son  sang  lui  profite. 

Dès  que  la  seconde  commence,  l’inverse  a lieu.  L’ouvrier  perd  l’appétit  et,  de 
plus  en  plus,  arrive  à son  ouvrage  comme  il  le  quitte,  triste  et  fatigué.  Sa  peau 
devient  flasque,  décolorée,  quasi  terreuse.  Les  conjonctives  prennent  une  teinte 
vineuse.  Son  regard  s’éteint.  Son  visage  et  tout  son  être  maigrissent.  L’indécision, 
l’immobilité,  la  stupeur  presque,  s’étalent  sur  tous  ses  mouvements,  et  peu  à peu 
l’heure  sonne  où,  hors  des  tubes,  il  paraît  sans  vigueur;  où  l’atmosphère  normale 
ne  suffit  plus  à son  hématose. 

Dans  l’air  comprimé,  tous  ces  fâcheux  symptômes  s’effacent;  malheureusement 
ils  reparaissent  dès  qu’il  en  sort,  et  cela  de  plus  en  plus  vite.  Bientôt  même, 
l’excès  de  pression  cesse  de  le  raviver.  C’est  alors  qu’il  est  à la  veille  de  ne  pouvoir 
plus  recouvrer  les  forces  qu’il  perd,  à chaque  fois  qu’il  travaille,  que  par  l’inter- 
vention des  phénomènes  morbides.  (P.  18.) 

Voilà  pour  les  phénomènes  purement  physiologiques.  Quant  aux 
accidents,  les  puces,  ou  démangeaisons  atroces  à la  peau,  ne  com- 
mencent guère  à apparaître  avant  la  pression  de  2,5  atmosphères; 
au  delà  de  5 atmosphères,  « elles  ne  manquent  chez  personne  ; » 


FORTES  PRESSIONS.  — APPAREILS  TR1GER.  395 

les  tuméfactions  musculaires  ( moutons ) sont  fréquentes  vers  o at- 
mosphères, ainsi  que  les  « gonflements  synoviaux  » ; mais  les  arti- 
culations elles-mêmes  ne  sont  prises  que  plus  tard  et  plus  rarement. 
Les  accidents  des  muscles  atteignent  particulièrement  ceux  qui  ont 
été  fatigués  par  des  contractions  répétées. 

Le  nombre  de  jours  pendant  lesquels  les  ouvriers  auront  travaillé 
dans  les  tubes  paraît  à M.  Foleÿ  une  considération  des  plus  impor- 
tantes ; sous  une  pression  à peu  près  égale,  les  accidents  devien- 
draient de  plus  en  plus  fréquents  et  graves,  à mesure  qu’on  s’éloi- 
gne du  début  du  travail. 

On  n’a  pas,  du  reste,  observé  à Argenteuil  de  terminaison  fatale, 
ni  de  paralysie.  Les  plus  sérieux  accidents  sont  des  douleurs  mus- 
culaires qui,  d’après  les  détails  des  observations,  paraissent  avoir 
été  d’une  violence  extrême. 

M.  Foleÿ  est  en  contradiction  avec  tous  les  autres  auteurs  sur 
deux  points  capitaux,  et  de  la  plus  haute  importance  pratique.  Se- 
lon lui,  d’abord,  lorsque  les  ouvriers  prolongent  leur  séjour  dans 
les  tubes  au  delà  de  12  heures,  ils  en  sortent  impunément  : cela 
tient,  dit-il,  à ce  que  « la  réaction  nervoso-sanguine  est  générale  » 
(p.  49)  ; mais  cette  prétendue  explication  importe  peu. 

En  second  lieu,  chose  curieuse,  il  n’attache  aucune  importance  à 
la  rapidité  de  la  décompression.  Une  minute  par  atmosphère  de 
compression  lui  paraît  une  durée  suffisante  : 

Pour  des  pressions  supérieures  à 3 1/2  atmosphères  (décompression  en  deux 
minutes  trente  secondes),  faudrait-il  suivre  la  même  progression?  Je  ne  le  pense 
pas;  deux  minutes  et  demie  sont  bien  longues  dans  une  écluse  glaciale.  (P.  56.) 

Si  l’on  devait  employer  ces  hautes  pressions,  M.  Foleÿ  conseille 
de  décomprimer  les  hommes  en  « trois  minutes  ».  Il  est,  du  reste, 
si  éloigné  de  l’idée  qu’une  décompression  rapide  puisse  être  dange- 
reuse, et  tellement  persuadé  qu’elle  n’agit  qu’en  refroidissant,  qu’il 
résume  sa  pensée  par  ce  précepte  : 

Si  le  brouillard  épais  et  glacial  qui  ne  manque  pas  de  se  produire  vous  pénètre 
trop,  hàtez-vous!  (P.  53.) 

La  fondation  par  l’air  comprimé  a été  employée  en  1862  au  via- 
duc  sur  le  Scorff,  à Lorient,  et,  en  1864,  au  pont  sur  lequel  le  che- 
min de  fer  de  Napoléon-Vendée  traverse  la  Loire  à Nantes.  M.  l’in- 
génieur en  chef  Croizette-Desnoyers1,  qui  donne  sur  la  construction 

' 1 Mémoire  sur  l'établissement  des  travaux  dans  les  terrains  vaseux  de  Bretagne.  — 
Ann.  des  Bonis  el  Chaussées,  1864,  1er  semestre,  p.  275-396 


HISTORIQUE. 


"96 

et  le  fonctionnement  des  appareils  établis  par  la  maison  Gouin  les 
plus  minutieux  détails,  ne  parle  pas  de  l’état  des  ouvriers  ; il  se  con- 
tente de  reconnaître  que  « aux  grandes  profondeurs,  le  système  de 
fondation  à l’air  comprimé  peut  nuire  à la  santé  des  ouvriers  » 
(p.  592). 

Cependant  des  accidents  graves  étaient  arrivés  au  pont  du  Scorff. 

Le  relevé  des  ouvriers  malades,  dressé  par  M.  le  docteur  Nail, 
porte  16  noms  ; les  accidents,  tous  dus  à l’air  comprimé,  compren- 
nent : 1 cas  de  surdité,  6 cas  de  douleurs  articulaires,  1 de  douleurs 
musculaires,  6 congestions  cérébrales,  2 morts. 

Les  deux  morts  ne  furent  pas  simultanées.  La  première  arriva 
le  17  mars  1862;  l’ouvrier  mourut  « d’asphyxie  à la  sortie  du 
caisson  » ; la  seconde,  le  5 juin,  dans  une  autre  pile  ; la  note  médi- 
cale porte  : « décédé  après  quatre  heures  de  congestion  cérébrale 
et  d'asphyxie.  » 

Je  n’ai  pu  me  procurer  aucun  détail  ni  sur  les  accidents  qui  ont 
précédé  la  mort,  ni  sur  les  résultats  des  autopsies,  si  elles  ont  eu 
lieu,  ni  meme  sur  la  pression  atteinte.  Je  sais  seulement  que  la 
décompression  se  faisait  régulièrement  en  10  secondes  et  que  le 
maximum  d’enfoncement,  pour  la  première  pile,  a été  18  mètres, 
pour  la  deuxième,  12  mètres  seulement. 

11  se  fit  ainsi  8042  passages  d’ouvriers,  pour  lesquels  il  veut  seu- 
lement 16  accidents  assez  graves  pour  qu’on  en  prît  note.  D’autres 
ouvriers  qui  se  trouvaient  dans  la  chambre  d’éclusement  avec  les 
deux  victimes  n’éprouvèrent  pas  d’accidents. 

Ce  double  malheur  fut  l’occasion  d’une  instance  d’office  contre 
les  employés  de  la  compagnie,  prévenus  d’homicide  par  imprudence  ; 
ils  furent  acquittés  par  le  tribunal  de  Lorient  (50  septembre  1862) 
et  par  la  cour  de  Rennes  (11  décembre  1862).  Les  considérants  du 
jugement  et  de  l’arrêt  sont  fort  intéressant,  parce  qu’ils  révèlent 
les  incerlitudes  d’opinion  des  hommes  de  l’art  sur  la  vraie  cause 
des  accidents,  incerlitudes  qui  motivent  les  acquittements  pro- 
noncés. 

Un  autre  accident,  suivi  d’une  autre  instance  judiciaire,  eut  lieu 
au  pont  du  Scorff.  Un  M.  Gallois,  ingénieur  civil,  agent  de  la  com- 
pagnie, étant  descendu  le  12  mai  1862  dans  les  caissons,  fut,  à son 
retour  à l’air  libre,  pris  d’accidents  de  paralysie,  « suite  de  con- 
gestions cérébro-spinales,  des  étourdissements  et  des  secousses 
nerveuses,  » à la  suite  desquels  il  dut  être  envoyé  aux  eaux  ; il 
mourut  deux  ans  après. 


FORTES  PRESSIONS.  — APPAREILS  TRIGER. 


397 


Sa  demande  de  dommages-intérêts  fut  repoussée  par  le  tribunal 
de  la  Seine  (le  18  août  1861)  ; la  compagnie  d’Orléans  produisit  une 
consultation  de  M.  Dufaure,  consultation  qui  met  en  pleine  lumière, 
comme  les  documents  judiciaires  que  je  citais  tout  à l’heure,  les 
hésitations  de  la  science  médicale.  Le  célèbre  légiste  oppose  à l’opi- 
nion de  Pol  et  Watelle  sur  la  nécessité  de  pratiquer  la  décompres- 
sion avec  une  grande  lenteur,  celle  de  M.  Foleÿ.  Le  tribunal  ne  se 
prononça  nullement  sur  la  question  scientifique,  mais  déclara  que 
Gallois  n’avait  reçu  aucun  ordre  pour  descendre  dans  le  caisson,  et 
que  par  suite  la  compagnie  ne  pouvait  être  déclarée  responsable. 

Voici  l’état  dans  lequel  le  docteur  Hermel1,  médecin  homœo- 
pathe  habitant  Paris,  trouva  le  sieur  Gallois,  qui  l’avait  fait  appeler 
en  consultation  quelques  jours  après  l’accident  : 

Le  21  mai  1862,  nous  fûmes  appelé  à Paris  près  deM.  Gallois,  ingénieur  civil,  âgé 
de  24  ans.  Nous  trouvâmes  le  malade  affecté  de  paralysie  incomplète  des  mem- 
bres inférieurs,  ne  permettant  ni  la  station  debout  ni  la  marche  sans  appui  ; ne 
pouvant  avancer  que  d’une  manière  très-défectueuse,  s’appuyant  des  deux  mains 
à tous  les  objets  environnants,  les  mouvements  des  membres  étaient  irréguliers, 
saccadés,  tremblants;  il  traînait  les  pieds;  s’il  voulait  se  tenir  debout,  aussitôt 
un  violent  tremblement  agitait  les  jambes  et  le  forçait  à s’asseoir.  Après  trois  ou 
quatre  pas,  le  même  tremblement  convulsif  l’arrêtait,  parce  qu’il  augmentait  de 
plus  en  plus  et  qu’il  l’aurait  fait  tomber.  Par  tout  le  corps  la  sensibilité  cutanée 
était  exagérée,  c’était  de  l’hypéresthésie,  la  peau  était  le  siège  d’un  prurit  in- 
commode, sans  qu’il  y eût  trace  d’éruption.  Les  mouvements  de  la  langue  étaient 
assez  difficiles  pour  que  le  malade  ne  pût  articuler  nettement  tous  les  mots.  La 
mémoire  était  confuse,  ainsi  que  les  idées.  De  la  suffocation,  une  toux  très-ré- 
pélée  le  fatiguait  lorsqu’il  parlait  et  produisait  une  expectoration  fréquente,  abon- 
dante de  mucosités  d’un  aspect  analogue  à celui  du  blanc  d’œuf.  L’auscultation 
de  la  poitrine  et  la  percussion  faisaient  reconnaître  que  le  poumon,  quoique  per- 
méable à l’air  dans  toute  son  étendue  pendant  de  profondes  inspirations,  ne 
jouissait  pas  de  toute  son  élasticité;  on  entendait,  surtout  du  côté  gauche,  l’ex- 
pansion des  vésicules  pulmonaires  commencer  et  s’arrêter  tout  à coup  avant  que 
le  mouvement  de  l’inspiration  fut  terminé.  Cette  expansion  des  vésicules  pulmo- 
naires était  donc  incomplète,  ce  qui  nuisait  à la  respiration  normale.  Les  fonc- 
tions abdominales  étaient  interrompues;  la  constipation  ne  pouvait  être  vaincue 
que  par  des  lavements  purgatifs  : il  y avait  paralysie  du  rectum.  La  vessie  était 
aussi  paralysée;  l’émission  des  urines  ne  pouvait  avoir  lieu  que  par  l’usage  de  la 
sonde.  Il  avait  perdu  l’appétit,  et  la  toux  provoquait  souvent  des  vomissements. 

Connaissant  la  vie  parfaitement  régulière  de  ce  jeune  homme,  nous  l’interro- 
geâmes sur  la  date  et  le  mode  d’invasion  de  cette  maladie. 

Il  nous  apprit  que,  employé  aux  travaux  du  chemin  de  fer  de  Lorient,  il  était 
. descendu  dans  un  caisson  sous  la  compression  de  trois  atmosphères  (y  compris 
la  pression  extérieure),  où  il  était  resté  trois  heures  pour  relever  l’état  des  tra- 

1 Des  accidents  produits  par  l’usage  des  caissons  dans  les  travaux  sous-terrains  et  souS- 
marins.  Art  médical,  t.  XVI,  p.  428-452,  1862;  t.  XVII,  p.  27-48,  105-124  et  194-213. 
1803. 


598 


HISTORIQUE. 


vaux  dans  les  fondations  d’un  pont.  Il  éprouva,  trois  ou  quatre  minutes  après  sa 
sortie,  par  l’effet  de  l’énorme  raréfaction  de  l’air  extérieur  relativement  à la 
pression  intérieure,  un  froid  glacial,  subit  et  profond.  En  essayant  de  se  laver 
les  mains,  il  s’aperçut  que  les  mouvements  des  bras  étaient  impossibles,  il  ne 
pouvait  mettre  ses  mains  dans  le  baquet,  parce  qu’il  ne  pouvait  les  élever  plus 
haut  que  la  ceinture. 

Emmené  chez  lui  par  deux  hommes  qui  le  soutenaient  sous  les  bras,  et  pla- 
çaient ses  pieds  sur  les  échelons  qu'il  avait  à descendre,  il  se  coucha;  après 
quatre  ou  cinq  heures  il  voulut  se  lever,  mais  il  était  complètement  paralysé.  Un 
traitement  énergique  lui  fut  appliqué  et  le  mit  en  état  de  venir  à Paris  tant  bien 
que  mal.  Le  dixième  jour  il  était  dans  l’état  que  nous  avons  dit  plus  haut. 

Pendant  dix  jours  nous  donnâmes  la  belladone  12e  et  bryonia,  qui  calmèrent 
un  peu  la  toux.  Le  2 juin,  nous  avons  commencé  à appliquer,  tous  les  deux  jours, 
les  réophores  d’une  machine  électro- galvanique  sur  l’hypogastre,  pour  combattre 
la  paralysie  de  la  vessie.  Après  la  troisième  séance,  il  commença  à uriner  sans 
sonde,  mais  le  lendemain  il  fut  obligé  d’y  avoir  recours.  Après  la  quatrième 
séance,  il  n’urina  seul  que  dans  la  journée.  A la  suite  de  la  cinquième  séance,  les 
urines  reprirent  leur  cours  naturel.  La  constipation  persistait.  Nous  électrisâmes 
les  parois  abdominales  et  l’anus.  Le  cours  des  selles,  quoique  parfois  difficile, 
s’est  rétabli  vers  la  huitième  séance.  Après  la  dixième  séance,  les  membres  ab- 
dominaux avaient  acquis  de  la  force  et  de  l’agilité,  surtout  à gauche.  La  jambe 
droite  traînait  encore,  et  dans  certaines  positions  elle  était  encore  affectée  de 
tremblement  convulsif;  il  n’aurait  pu  se  tenir  debout  sur  une  seule  jambe;  il 
s’aidait  d’une  canne  pour  marcher. 

En  juillet,  il  alla  aux  bains  de  Balaruc,  d’où  il  revint  le  1er  août.  Son  état  s’était 
amélioré,  mais  il  y avait  encore  de  l’hésitation  dans  la  jambe  droite.  La  toux  per- 
sistait, quoique  moins  forte;  la  respiration  était  encore  incomplète.  L’intégrité 
de  la  parole,  des  idées,  de  la  mémoire,  était  rétablie.  Il  n’éprouvait  plus  de  prurit 
ni  hypéresthésie  de  la  peau.  Six  nouvelles  applications  d’électricité  produisirent 
une  grande  amélioration  dans  les  mouvements;  il  put  marcher  sans  appui. 

Aujourd’hui,  12  janvier,  c’est-à-dire  après  huit  mois  de  traitement,  il  éprouve 
par  moments  des  quintes  de  toux  fatigantes  ; sa  respiration  est  à peu  près  nor- 
male, l’essoufflement  arrive  s’il  fait  une  trop  longue  course  ou  trop  vite.  Il  mar- 
che sans  soutien,  mais  il  reste  encore  de  la  roideur  dans  la  jambe  droite,  et  nous 
ne  pouvons  dire  quand  il  sera  complètement  guéri.  (T.  XVII,  p.  198-200.) 

En  1862  aussi,  on  construisit  sur  l’Adour,  à Bayonne,  un  pont 
dans  lequel  on  dut  pousser  la  pression  jusqu’à  plus  de  4 atmosphè- 
res» L’ingénieur  civil,  qui  dirigeait  le  travail,  M.  Counord,  âgé  de 
vingt  ans,  qui  jusque-là  n’avait  éprouvé  aucun  accident,  fut,  le 
51  décembre,  quelques  minutes  après  être  sorti  du  sas*  où  la  dé- 
compression s’était  opérée  en  4 ou  5 minutes,  pris  de  vertiges, 
tournoiement  de  tète,  et  perte  complète  de  connaissance»  La  pres- 
sion était  de  4 atmosphères,  la  durée  du  séjour  d’une  heure;  la 
veille,  il  était  resté  dans  les  tubes  pendant  deux  heures.  Trois 
heures  après,  lorsqu’il  revint  à lui,  il  était  complètement  paralysé 
du  sentiment  et  du  mouvement  dans  les  membres  inférieurs,  avec 
insensibilité  des  bras. 


FORTES  PRESSIONS.  — APPAREILS  TRIGER.  399 

L’observation  détaillée  des  débuts  de  ce  cas  curieux  a été  donnée 
par  le  docteur  Limousin1,  de  Bergerac,  qui  n’hésite  pas  à attribuer 
les  accidents  à une  hémorrhagie  de  la  moelle  épinière  : 

Transporté  de  Bayonne  à Bergerac,  je  vois  M.  C.  le  12  janvier  1865  : paralysie 
complète  des  membres  intérieurs,  excrétion  involontaire  des  fèces  et  de  l’urine, 
sensibilité  normale  partout,  un  peu  exagérée  aux  membres  inférieurs  ; si  on  les 
frappe  brusquement,  si  on  les  touche  avec  un  corps  froid,  il  se  produit  un 
brusque  mouvement  d’extension.  Intelligence  saine.  A l’épigastre  et  dans  les 
hypocondres,  douleurs  qui  cessent  par  l’application  de  morphine  sur  le  derme* 
dénudé.  Jusqu’au  20  deux  purgatifs  furent  administrés  ; il  ne  se  produisit  rien  de 
nouveau,  si  ce  n’est  des  mouvements  convulsifs  très-douloureux  dans  les  mem- 
bres abdominaux. 

28.  Des  douleurs  atroces  sont  survenues  hier  dans  le  ventre;  il  est  souple,  la 
pression  ne  le  modifie  pas.  L’état  du  malade  est  effrayant  : plaintes  continuelles, 
voix  éteinte,  sueurs  froides,  face  cadavérique,  pouls  insensible,  à 48.  Des  ven- 
touses sèches,  des  lavements  laudanisés  ne  produisent  aucun  résultat.  Je  prescris 
alors  20  centigrammes  d’extrait  thébaïque  en  quatre  pilules,  d’heure  en  heure. 

Le  29,  dès  la  seconde  pilule,  les  douleurs  cessent;  un  sommeil  profond  s'em- 
pare du  malade  ; ils  se  réveille  parfaitement  débarrassé.  Dès  les  premiers  jours, 
il  s’était  formé  une  petite  érosion  au  sacrum , il  y a aujourd’hui  une  vaste  es- 
chare; les  fesses,  la  région  lombaire,  sont  rouge  livide  ; le  patient  ne  se  tient 
qu’en  supination. 

20  février.  La  plaie  du  sacrum,  saupoudrée  de  quinquina  gris,  est  réduite  aux 
dimensions  d’une  pièce  de  5 francs  ; elle  est  rose  et  granulée  ; des  contractions 
douloureuses  ont  cédé  à l’application  d’armatures  métalliques.  Les  mouvements 
sont  possibles  dans  les  membres  paralysés;  ils  s’exécutent  plus  librement  à 
droite;  la  sensibilité,  au  contraire,  très-obtuse  à-  droite,  est  plus  vive  à gauche 
dans  les  mêmes  parties  ; il  y a des  fourmillements  par  tout  le  corps  ; un  jour,  la 
vue  fut  entièrement  abolie  pendant  quelques  instants  ; des  érections,  rares  dans 
les  premiers  temps,  sont  devenues  plus  fréquentes.  Enfin,  les  selles  et  les  mic- 
tions sont  volontaires. 

Il  est  difficile  de  trouver  un  exemple  plus  complet  de  l’apoplexie  médullaire  : 
invasion  subite,  lésions  de  la  contractilité,  du  sentiment,  d’un  sens  spécial,  de 
l’œil;  mouvements  réflexes,  provoqués  par  la  plus  légère  excitation;  profonde 
dépression  de  la  vitalité  des  tissus,  se  manifestant  par  la  rapide  mortification  des 
régions  qui  supportaient  le  poids  du  corps;  enfin,  érections  qui  ne  s’accom- 
pagnent d’aucune  excitation  du  sens  génital.  Jamais  il  n’y  a eu  de  sensibilité  no- 
table sur  le  trajet  de  l’épine. 

L’amélioration  ne  suivit  pas  une  marche  ascendante  bien  rapide. 
Ën  mai  1870,  M.  Counord  faisait  quelques  pas  sans  appui;  il  avait 
ëncore,  quand  on  pinçait  les  membres  inférieurs,  des  mouvements 
réflexes  fort  remarquables;  la  sensibilité  de  la  jambe  gauche  était 
fort  diminuée.  Je  Lai  revu  en  mai  1876  : il  pouvait  monter,  très^ 
difficilement  et  avec  l’appui  d’un  bras,  un  étage  d’escalier;  des 

Action  de  l'air  comprimé:  apoplexie  de  la  moelle  épinière.  [Union  médicale  de  la 
Gironde,  1863,  p.  260-270. 


400 


HISTORIQUE. 


fourmillements  dans  les  membres  antérieurs  semblaient  indiquer 
un  travail  morbide  dans  les  régions  supérieures  de  la  moelle  ; les 
fonctions  d’expulsion  urinaire  et  digestive  étaient  redevenues  nor- 
males. 

Quelques  jours  plus  tard,  un  accident  terrible,  dans  lequel  trois 
hommes  périrent,  vint  attrister  le  chantier  de  Bayonne  : le  cylin- 
dre avait  éclaté,  comme  à Douchy,  comme  plus  tard  à Chalonnes. 
On  a avancé  l’opinion1  que  la  mort  des  ouvriers  avait  été  occa- 
sionnée par  la  décompression  ; c’est  probablement  une  erreur, 
comme  le  montre  l’extrait  suivant  d’une  lettre  qu’a  bien  voulu 
m’écrire  M.  l’ingénieur  Bayssellance,  qui  a eu  la  complaisance  de 
faire,  à ma  demande,  une  petite  enquête  sur  ce  sujet  : 

La  pile  étant  profondément  enfoncée  dans  le  sable,  comptait  en  tout  plus  de 
50  mètres  de  hauteur  jusqu’au  niveau  de  l’eau.  La  pression  intérieure  était  donc 
de  4 1/4  atmosphères  environ.  Le  plateau  supérieur  n’étant  pas  construit  en  vue 
d’une  pression  aussi  élevée,  fléchissait  sensiblement  : cette  flexion  entraînait  la 
déformation  du  cylindre  en  fonte  de  la  chambre  d’équilibre.  Un  des  boulons  ayant 
cédé  à la  tension  devenue  oblique,  il  se  produisit  un  choc,  qui  fit  voler  en  éclats 
toute  la  portion  supérieure  de  la  chambre  d’équilibre.  La  dépression  fut  donc 
subite  dans  cette  petite  portion  de  l’appareil  ; dans  l’intérieur  de  la  pile,  dont  la 
capacité  était  de  ‘200  à 500  mètres  cubes,  elle  dut  être  plus  graduelle,  et  en- 
traîna un  violent  courant  d’air  de  bas  en  haut,  emportant  avec  lui  les  planches 
et  le  sable  des  plateaux  de  repos. 

D’après  le  contre-maître  les  résultats  furent  tout  autres  qu’on  ne  l’a  dit.  Aucun 
homme  ne  fut  tué  par  suite  du  changement  cle  pression.  Le  sable  mouillé  du  fond 
n’étant  plus  contenu  s’éleva  rapidement,  atteignit  et  dépassa  un  des  hommes  qui 
montait  à l’échelle;  on  le  retrouva  dix-sept  jours  après  en  déblayant,  cramponné 
aux  échelons  dans  la  position  de  l’ascension.  Un  autre  fut  enlevé  par  le  courant 
d’air  et  se  trouva  porté  jusqu’en  haut,  sans  se  rendre  bien  compte  de  ce  qui  lui 
arrivait.  Deux  autres  qui  étaient  sur  les  plateaux  intermédiaires  furent  pressés  en 
remontant  contre  le  plateau  inférieur  de  la  chambre  d’équilibre,  et  restèrent 
presque  asphyxiés,  la  bouche  pleine  de  sable;  ils  furent  emportés  à l’hôpital,  et 
moururent  le  lendemain,  je  crois.  Enfin,  cinq  hommes  qui  se  trouvaient  dans  la 
chambre  d’équilibre  même  furent  couverts  de  sable,  qui  pénétra  même  dans  la 
peau,  et  restèrent  quelques  instants  comme  hébétés,  mais  aucun  ne  fut  sérieuse- 
ment malade. 

Ce  résultat  n’est  point  conforme  à ce  qui  m’avait  été  raconté;  mais  M.  Wolff 
était  en  tournée  au  moment  de  l’accident,  M.  Counord  était  malade;  il  semble  plus 
sûr  de  s’en  rapporter  à la  version  d'un  témoin  à peu  près  contraire.  Cet  homme 
a assisté,  du  reste,  à un  accident  analogue,  lors  de  la  construction  du  pont  de 
Bordeaux;  là  encore,  il  n'y  eut  aucune  mort  causée  par  la  dépression  subite;  deux 
hommes  seulement  furent  tués  par  des  éclats  de  fonte. 

Mais  si  une  brusque  dépression  de  plus  de  trois  atmosphères  n’a  pas  été  mor- 
telle, ce  changement,  même  tempéré  par  un  séjour  de  4 à 5 minutes  dans  la 

1 Soc.  des  Sc.  phys.  et  r.at.  de  Bordeaux,  mince  487 4-1 875.  Procès-verbaux  des 
séances,  p.  XX. 


FORTES  PRESSIONS.  — APPAREILS  TRIGER. 


401 


chambre  d’équilibre,  n’en  était  pas  moins  funeste  à la  longue.  D’après  M.  Cou- 
nord,  90  p.  c.  des  ouvriers  ont  été  malades,  pris  tous'par  des  douleurs  articu- 
laires violentes,  oppression,  trouble  de  la  vue,  etc.  Le  contre-maître  que  j’ai  vu  a 
été  pris  trois  fois,  et  a beaucoup  souffert,  mais  jamais  plus  d’un  jour.  Un  matin, 
sur  onze  hommes  qui  sortaient  , neuf  furent  pris  de  douleurs  au  bout  de  quelques 
instants. 

Certes  il  n’est  pas  impossible  que  la  décompression  ne  soit  pour 
quelque  chose  clans  la  mort  des  deux  ouvriers  qui  furent  ensevelis 
dans  le  sable  mouillé;  mais  cela  n’est  pas  prouvé.  Le  plus  curieux 
dans  cette  observation  est  de  voir  des  hommes  n’éprouver  presque 
aucun  accident  à la  suite  d’une  décompression  instantanée  partant 
de  4 atmosphères  au  moins. 

En  1865,  fondation  semblable  sur  le  fouet,  à Chalonrtes  (Maine- 
et  Loire),  pour  le  passage  de  la  ligne  d’Angers  à Niort.  Une  catastro- 
phe jusqu’ici  inexpliquée  vint  frapper  de  mort  deux  ouvriers  : 

Le  20  février  1865,  au  moment  où  la  pile  n°  2 reposait  sur  le  rocher,  à 14m  de 
profondeur  au-dessous  de  l’étiage,  alors  que  tout  semblait  terminé,  que  déjà  la 
chambre  de  travail  était  remplie  de  béton  et  que  le  tube,  formant  cheminée,  était 
également  rempli  à 5m  de  hauteur,  tout  à coup  une  violente  explosion  eut  lieu,  la 
moitié  du  couvercle  de  la  chambre  d’équilibre  1 fut  projetée  à environ  30m  de  dis- 
tance. Deux  ouvriers,  qui  se  trouvaient  dans  la  chambre  de  travail,  furent  fou- 
droyés. Personne  n’a  pu  encore  expliquer  ce  terrible  accident  (Cours  des  Ponts  de 
M.  Morandière). 

Il  est  probable  qu’ici,  pour  une  raison  inconnue,  la  (ension  de 
l’air  comprimé  s’était  élevée  beaucoup  au-dessus  de  ce  qu’exigeait 
la  profondeur  atteinte;  la  puissance  de  l’explosion  en  fait  foi. 

Je  dois  à l’obligeance  de  M.  le  docteur  Gallard  de  pouvoir 
donner  à propos  de  ce  grave  accident  quelques  intéressants  détails: 

La  mort  des  deux  ouvriers,  m’écrit  ce  savant  confrère,  fut  presque  subite,  fou- 
droyante, en  quelque  sorte,  pour  l’un  d’eux,  un  peu  plus  lente  pour  le  second, 
<pii  respira  encore  quelques  instants,  mais  en  ayant  déjà  perdu  connaissance. 

L’autopsie  (faite  par  M.  Gallard  dans  de  mauvaises  conditions,  après  exhu- 
mation et  autopsie  préalable  du  médecin  de  Chalonnes)  montra  de  nombreuses 
plaques  d’emphysème  interlobaire  et  vésiculaire  sur  les  poumons  des  deux  victimes. 
11  y avait,  en  outr  e,  sous  la  plèvre  et  sous  le  péricarde  de  nombreuses  ecchymoses 

ponctuées 11  me  semble  me  rappeler  que  le  sang contenait  quelques  bulles 

de  gaz Les  notes  de  l’autopsie  ont  été  perdues  par  le  médecin  d’Angers  à qui 

je  les  avais  dictées. 

Est-ce  à la  décompression  qu’il  faut  attribuer  la  mort?  Il  est  dif- 
ficile de  prendre  un  parti,  en  présence  d’une  autopsie  insuffisante 

1 Pesant  près  de  500  kil.,  dit  le  rapport  de  M.  l’ingénieur  Dubreil 

26 


402 


HISTORIQUE. 


et  surtout  du  fait  que  nous  avons  plus  haut  rapporté  en  parlant 
du  pont  de  Bayonne. 

M.  Triger  s’émut  des  accidents  qu’avait  entraînés  l’application  de 
son  procédé,  et  il  adressa  à ce  sujet  au  ministre  des  travaux  publics 
un  Mémoire  qui  fut  soumis  à l’examen  de  MM.  Combes,  de  Hennezel 
et  Féline-Romany. 

Le  rapport1  de  ces  ingénieurs,  après  avoir  passé  rapidement  en 
revue  les  travaux  exécutés  par  la  compagnie  du  Midi  sur  le  Tech, 
à Bordeaux  et  à Bayonne;  par  la  compagnie  de  l’Ouest  à Argenteuil, 
à Elbeuf  et  à Orival  sur  la  Seine,  àBriollay  sur  le  Loir  ; par  la  com- 
pagnie d’Orléans  sur  le  Scorff  à Lorient,  sur  le  Louet  à Chalonnes, 
et  à Nantes  sur  la  Loire,  déclare  que  : 

Les  accidents  auxquels  sont  exposés  les  ouvriers  qui  travaillent  dans  l’air  com- 
primé mettent  rarement  leur  vie  en  danger,  n’occasionnent  que  des  interrup- 
tions de  travail  assez  courtes  et  sont  surtout  peu  nombreuses,  si  on  les  compare 
au  nombre  des  passages  par  les  sas  sur  chaque  chantier. 

Les  maladies  occasionnées  par  ces  accidents  peuvent  être  prévenues  par  l’em- 
ploi des  moyens  indiqués  dans  le  cours  de  ce  rapport. 

Ces  moyens  sont  l’emploi  de  vêlements  de  laine  dans  le  sas  et 
un  déséclusement  pour  lequel  on  ne  saurait  poser  de  règle  uni- 
forme : 

Il  n’y  en  a pas  à observer  d’autre  que  celle  que  le  bon  sens  indique,  c’est-à- 
dire  de  ne  pas  ouvrir  le  robinet  trop  vite,  aussi  bien  pour  l’éclusement  que  pour 
le  déséclusement,  afin  de  donner  à l’organisme  le  temps  de  se  mettre  en  équilibre 
avec  le  milieu  dans  lequel  il  se  trouve  plongé. 

M.  Triger  demande  que  le  déséclusement  dure  7 minutes,  et  affirme  que  les  acci- 
dents disparaissent  complètement  alors.  Il  nous  semble  que  ce  temps  doit  varier 
avec  la  constitution  de  l’ouvrier.  (P.  125.) 

Le  foncement  d’un  puits  houiller  à Trazegnies,  en  Belgique,  a été 
vers  la  meme  époque,  l’objet  d’un  travail  des  plus  intéressants 
de  M.  Barella2. 

La  pression  totale  maximum  a été  de  o 1,2  atmosphères.  La  dé- 
compression se  faisait  en  20  minutes  environ. 

Selon  M.  Barella,  on  éprouve  en  outre,  des  douleurs  d’oreilles  : 

La  sécheresse  de  l’arrière-bouche,  la  diminution  notable  de  la  sécrétion  urinaire, 
une  sensation  de  mieux-être  respiratoire,  car  il  me  semblait  que  je  n’avais 
jamais  respiré  aussi  librement,  avec  autant  de  facilité. 

1 Ann.  des  Ponts  et  Chaussées,  1867,  2e  semestre,  p.  116-151. 

2 Du  travail  dans  l'air  comprimé.  — Observations  recueillies  à Trazegnies , lors  de 
t’ enfoncement  cVun  nouveau  puits  houiller . — • Bull.  acad.  de  med.  de  Belgique , 5e  série, 
I.  Il,  p.  595-647, 1868. 


403 


FORTES  PRESSIONS.  — APPAREILS  TRIGER. 

Pour  le  pouls,  nous  ne  sommes  pas  arrivé  à un  résultat  bien  net;  cependant, 
il  nous  a semblé  diminué  de  quelques  pulsations  chez  la  plupart  de  nos 
ouvriers.  (P.  598.) 

Les  accidents  observés  ont  été  : 

1°  Chez  sept  ouvriers,  épistaxis,  sans  gravité  ; 

2°  Chez  onze  ouvriers,  douleurs  dans  les  membres  thoraciques  et  abdominaux, 
parfois  concassantes,  térébrantes , atroces. 

o°  Des  démangeaisons  très-vives  aux  jambes,  mais  sans  douleurs,  accident 
très-fréquent.  (P.  605.) 

M.  Barella  fait  remarquer  qu’aucun  de  ces  accidents  n’est  sur- 
venu pendant  le  séjour  dans  l’air  comprimé;  on  les  a constatés  à la 
sortie  seulement  des  appareils.  De  plus,  ils  n’ont  commencé  à se 
produire  qu’au-dessus  de  2,8  atmosphères. 

M.  Barella  raconte  que  les  petites  plaies  que  se  faisaient  les  ou- 
vriers en  travaillant  ne  donnèrent  pas  de  sang,  « ce  qui  s’explique 
par  la  pression  que  supportent  les  téguments  cutanés.  » 

Un  élève  de  l’école  des  mines  de  Liège  étant  descendu  dans  le 
puits,  le  15  avril,  éprouva  en  sortant  des  symptômes  fort  graves, 
qu’il  décrivit  lui-même  dans  les  termes  suivants  : 

Pendant  la  dilatation  de  l’air,  je  ressentis  un  malaise  que  j’attribuai  au 
froid. 

Dès  ma  sortie,  en  voulant  soulever  le  bras  droit,  je  ne  pouvais  lui  faire 
atteindre  un  point  déterminé,  sans  reprendre  deux  ou  trois  fois  l’effort.  La  vue 
était  affectée,  et  je  voyais  mon  bras  se  mouvoir  de  la  façon  dont  on  perçoit  les 
objets  après  avoir  tourné  quelquefois  sur  soi-même. 

La  paralysie  s’accentua  et  il  me  devint  impossible  de  remuer  mon  bras  qui 
pendait  inerte,  je  ne  pouvais  même  pas  faire  des  mouvements  avec  la  main.  Le 
phénomène  était  assez  semblable  à celui  du  bras  endormi.  Il  se  manifesta  pro- 
gressivement et  de  la  même  manière  à la  jambe  droite. 

L’on  me  coucha  sur  un  lit,  car  je  ne  pouvais  marcher,  je  m’affaissais.  On  me 
frictionna.  J’eus  des  éblouissements  et  mes  yeux  me  refusèrent  tout  service.  Je  ne 
voyais  qu’à  de  longs  intervalles,  et  pendant  une  seconde  au  plus,  puis  tout  dispa- 
raissait pour  ne  plus  reparaître  que  quelques  instants  après  de  la  même  manière. 
Mes  yeux  étaient  ternes  et  vitreux,  m’a-t-on  dit,  et  ne  percevaient  qu’une  lueur 
blanche,  vaporeuse. 

Je  recouvrai  d’abord  l’usage  de  la  jambe,  puis  du  bras;  les  instants  pendant 
lesquels  je  voyais  se  rapprochèrent,  et  je  vis  distinctement  pendant  des  instants 
plus  longs. 

Enfin  il  ne  me  resta  de  tout  cela  qu’un  violent  mal  de  tête  et  les  signes  ordi- 
naires d’une  indigestion.  Je  rendis  mes  aliments.  Mon  mal  de  tête  se  dissipa  au 
dehors,  et  je  rentrai  chez  moi  sans  que  rien,  sinon  la  fatigue*  me  rappelât  les 
émotions  précédentes. 

L ami  qui  m’accompagnait  et  qui  avait  fait  le  même  repas  que  moi  ne  ressentit 
rien  que  d’ordinaire.  (P.  612.) 


HISTORIQUE. 


401 

Parmi  les  conclusions  de  M.  Barella,  nous  en  citerons  deux  : 

1°  Il  convient  de  ne  pas  dépasser  une  pression  de  5 atmosphères 
et  demie  en  sus  de  la  pression  ordinaire; 

2°  On  peut  prendre  pour  base  de  la  durée  de  la  décompression 
10  minutes  par  atmosphère. 

Les  autres  n’ont  qu’un  intérêt  de  pure  médication  : lymphatisme, 
maladies  de  cœur,  etc. 

En  Amérique,  le  premier  pont  construit  par  Pair  comprimé  le 
fut  sur  la  rivière  Great  Pee  Dee,  pour  le  chemin  de  fer  de  Wilming- 
ton  à Columbia  et  Augusta.  Je  n’ai  trouvé  dans  mes  lectures  aucun 
renseignement  sur  ce  travail,  au  point  de  vue  qui  nous  intéresse  ici. 

En  1869,  un  travail  vraiment  gigantesque  fut  entrepris  à Saint- 
Louis  (États-Unis).  Un  pont  à deux  piles  fut  jeté  sur  le  Mississipi. 
A la  pile  de  l’est,  la  profondeur  atteinte  fut  de  55m, 70  encontre-bas 
des  eaux  ordinaires;  c'était  une  profondeur  sans  exemple  dans  les 
applications  antérieures  de  la  méthode,  et  qui  devait  s’accroître  en- 
core par  les  crues  accidentelles  du  fleuve.  La  pression  totale  s’y 
éleva  à 4 atmosphères,  45.  Le  nombre  total  des  ouvriers  qui  y furent 
employés  fut  de  552  ; environ  50  furent  sérieusement  affectés  : 
12  d’entre  ces  derniers  moururent. 

Voici,  du  reste,  un  extrait  du  rapport  rédigé  par  l’ingénieur  en 
chef  des  travaux,  M.  Eads 1 : 

Quand  la  profondeur  de  60  pieds  fut  atteinte,  quelques-uns  des  ouvriers  furent 
affectés  de  paralysie  musculaire  des  membres  inférieurs.  Elle  était  rarement  dou- 
loureuse, et  s’en  allait  en  deux  ou  trois  jours.  Au  fur  et  à mesure  de  l’enfonce- 
ment du  tube,  la  paralysie  s’en  alla  plus  difficilement.  Dans  quelques  cas,  les  bras 
furent  pris,  et  plus  rarement  les  sphincters  et  les  intestins.  Les  malades  souf- 
fraient aussi  beaucoup  des  articulations  quand  les  symptômes  étaient  très-graves. 
Les  neuf  dixièmes  des  malades  n’éprouvaient  pas  de  douleurs  et  guérissaient  très- 
vite. 

La  durée  du  séjour  sous  la  chambre  à air  fut  graduellement  abaissée  de  4 heures 
îi  5,  à 2 et  enfin  à 1 heure.  L’usage  de  plaques  ou  anneaux  galvaniques  sembla, 
dans  l’opinion  du  directeur  de  la  construction  et  des  ouvriers,  donner  une  remar- 
quable immunité  contre  les  attaques.  A la  fin,  ils  en  avaient  tous.  Elles  étaient 
faites  d’anneaux  alternatifs  de  zinc  et  d’argent,  et  placées  sur  la  poitrine,  aux  bras, 
aux  coudes,  à la  taille  et  sous  la  plante  des  pieds.  L’acidité  de  la  sueur  suffisait 
pour  établir  un  courant  galvanique,  et  l’opinion  des  plus  expérimentés  en  ces  ma- 
tières était  tout  à fait  favorable  à ce  remède.  Le  capitaine  Eads  incline  beaucoup 
à lui  croire  de  la  valeur 

Les  ingénieurs  du  port,  qui  ont  très-souvent  visité  les  travaux  des  caisses  n’ont 
jamais  été  malades. 

ti 

1 The  effects  of  compressed  air  on  the  human  bochj.  — The  Med.  Times  aiul  Gazette 
vol.  II,  p.  291-292,1871. 


FORTES  PRESSIONS.  — APPAREILS  TRIGER. 


405 


Les  médecins  ont  beaucoup  différé  sur  la  cause  des  accidents.  Les  uns  soute- 
naient qu’un  retour  plus  ménagé  à la  pression  normale  aurait  été  moins  dange- 
reux ; les  autres  accusaient  de  tout  le  mal  la  trop  rapide  compression.  Le  fait  que 
les  ouvriers  employés  aux  fermetures  des  portes  n’ont  jamais  été  affectés,  bien 
que,  pendant  les  deux  heures  de  leur  travail  ils  aient  été  très-fréquemment  dans 
les  conditions  extrêmes  et  alternatives  de  pression  — un  moment  à la  pression 
normale,  et  5 minutes  après  supportant  un  poids  de  50  livres  par  pouce 
carré  à la  surface  de  leur  corps  — semblerait  prouver  que  ces  deux  théories  sont 
erronées,  et  nous  fait  penser  que  la  véritable  cause  de  danger  réside  dans  la  longue 
durée  du  séjour  dans  cet  air  où  le  corps  supporte  une  pression  si  extraordinaire, 
et  non  des  alternatives  rapides  auxquelles  il  est  exposé 

Les  transitions  duraient  de  3 à 4 minutes 

En  considérant  que  des  milliers  de  personnes  avaient  visité  impunément  pen- 
dant peu  de  temps  les  chambres  à air,  même  des  dames  délicates,  et  après  que  le 
caisson  eut  atteint  le  roc,  et  qu’aucun  accident  sérieux  n’est  arrivé  aux  ouvriers 
après  la  réduction  à 1 heure  du  temps  de  travail,  M.  Eads  a conclu  que  la 
vraie  cause  était  dans  le  travail  prolongé....  Un  séjour  trop  long  était' invariable- 
ment suivi  de  paralysie.  Le  Dr  Jaminet,  médecin  des  Iravaux,  étant  un  jour  resté 
2 heures  5/4  quand  la  profondeur  était  de  90  pieds,  fut  dangereusement  attaqué 
après  être  rentré  chez  lui. 

Le  Dr  Bauer1,  chirurgien  du  « City-hospital  »,  auquel  on  apporta 
25  ouvriers  atteints  pendant  la  fondation  du  pont  de  Saint-Louis, 
et  présentant  ce  qu’il  appelle  « Brigde-cases  »,  a donné,  sur  les 
phénomènes  observés  chez  ces  malades  d’intéressants  renseigne- 
ments : 

La  respiration  devient  plus  fatigante,  le  pouls  plus  rapide  au  début  de  la  com- 
pression, ce  qui  passe  assez  vite  chez  les  gens  bien  portants.  La  voix  prend  un 
timbre  nasal  qu’elle  conserve  même  après  la  sortie  de  l’air  comprimé. 

En  sortant^  tous  les  ouvriers  sont  très-pâles,  extrêmement  fatigués,  jusqu’à  s’é- 
tendre sur  le  sol.  Chez  d’autres  on  voit  des  contractions  musculaires  involontaires, 
choréiformes,  avec  saignements  du  nez  et  du  poumon. 

Dans  les  cas  graves,  on  voit  des  paralysies  à différents  degrés,  depuis  une  légère 
parésie  jusqu’à  une  perte  complète  du  mouvement  et  de  la  sensibilité. 

Très-souvent,  l’urination  est  rendue  difficile  et  tout  à fait  impossible,  en  telle 
sorte  qu’il  faut  les  sonder  : l’urine  est  souvent  sanguinolente.  La  respiration  n’est 
pas  troublée;  la  lièvre  se  montre  rarement  et  elle  amène  une  terminaison  fatale. 
La  mort  survient  dans  un  état  comateux,  avec  délire,  hoquet,  respiration  stertoreuse 
et  crampes  musculaires  ; les  pupilles  sont  vers  la  fin  dilatées 

Parmi  les  malades  observés,  quelques-uns  seulement  guérirent  dans  le  cours  de 
la  première  semaine;  d’autres  restèrent  un  mois  en  traitement;  quatre  mouru- 
rent. Chez  les  paralytiques,  on  trouve  des  hyperémies  des  méninges  cérébrales 
et  médullaires,  de  l’œdème  de  l’arachnoïde,  des  ramollissements  du  cerveau  et.  de 
la  moelle  sans  localisation  déterminée.  Dans  un  cas,  le  ramollissement  occupait  les 

1 Pathologie  al  effects  upon  the  brain  and  spinal  cord  of  men  exposed  to  tke  action 
of  a largely  increased  atmospheric  pressure.  — St  Louis,  Med.  and  Surg,  journ.,  mai 
18i'0.  — Ext.  in  Canstalt's  Jahr.,  1. 1,  p.  178,  1870. 


406 


HISTORIQUE. 


cornes  antérieures  et  le  cordon  latéral  sur  toute  la  longueur  de  la  moelle.  Baum- 
garten  trouva  dans  ce  foyer  d’abondantes  cellules  de  la  névroglie  atteintes  de  dégé- 
nérescence graisseuse. 

Les  mêmes  faits  ont  été  relatés  par  M.  l’ingénieur  en  chef  des 
ponts  et  chaussées,  Malézieux1,  dans  son  beau  rapport  de  mission  sur 
les  travaux  publics  des  États-Unis  d’Amérique  en  1870.  Il  re- 
produit textuellement  (p.  91-95)  le  passage  du  rapport  de  l’ingé- 
nieur Eads,  que  nous  avons  cité  plus  haut. 

M.  Malézieux  a également  donné  des  détails  sur  la  fondation  du 
pont  qui  devait  relier  New-York  à Brooklyn.  Lors  de  sa  visite,  on 
en  était  seulement  au  début  des  travaux.  Mais  les  projets  ôtaient 
gigantesques  ; le  caisson  de  fond  avait  52ra,46  de  longueur,  sur 
5 1 m , 1 1 de  largeur,  soit  plus  de  16  ares  de  superficie. 

Dans  un  second  Mémoire2,  M.  Malézieux  nous  donne  la  profon- 
deur définitivement  atteinte.  La  pile  de  Brooklyn  fut  fondée  par  15™  ; 
celle  de  New-York,  par  24m. 

Pour  cette  dernière,  on  avait  installé  un  chauffage  à la  vapeur 
dans  chacune  des  écluses  à air,  afin  de  prévenir  le  refroidissement 
que  produit  le  brusque  échappement  de  l’air  comprimé  (p.  585). 

Quant  aux  effets  physiologiques,  M.  Malézieux  déclare  : 

Qu’il  a peu  de  chose  à ajouter  à ce  qu’il  a rapporté  ailleurs  sur  le  pont  de  Saint- 
Louis.  M.  Rœbling  (c’est  l’ingénieur-constructeur)  signale  pourtant  ce  fait,  que  le 
jeu  des  poumons  se  modifie  involontairement  dans  l’air  comprimé;  le  nombre  de 
fois  qu’on  respire  dans  un  temps  donné  se  réduit  de  50  à 50  p.  100  ; ce  qui  indi- 
querait que  l’organisme  réagit  contre  l’introduction  de  f oxygène  à dose  deux  ou 
trois  fois  plus  considérable  que  dans  l’atmosphère  normale. 

La  conséquence  naturelle  à tirer  de  cette  observation,  est  bien  celle  que 
M.  Eads  avait  formulée  à Saint-Louis  : abréger  la  durée  du  travail  dans  l’air  com- 
primé à mesure  que  la  pression  augmente. (P.  595.) 

Je  citerai,  en  terminant,  quelques  renseignements  que  je  dois  à 
l’obligeance  des  administrateurs  d'une  grande  compagnie  indus- 
trielle, qui  s’est  beaucoup  occupée  de  la  fondation  des  ponts  par 
l’air  comprimé.  Ces  documents  ont  rapport  à des  travaux  tout  ré- 
cents, exécutés  hors  de  France;  une  discrétion  dont  chacun  com- 
prendra les  motifs  m’empêche  de  donner  avec  plus  de  précision 
les  détails  de  date  et  de  lieu. 

Yoici  d’abord  des  indications  générales  sur  la  manière  dont  étaient 


1 Travaux 'publics  des  États-Unis  d' Amérique  en  1870.  - — Paris,  1875. 

2 Fondations  à l'air  comprimé.  — Ann.  des  Ponts  et  Chaussées , 1874,  1er  sem., 
p.  520-401. 


FORTES  PRESSIONS.  — APPAREILS  TRIGER. 


407  • 


conduits  les  travaux,  et  dont  sont  survenus  les  accidents;  elles 
émanent  du  directeur  du  chantier  lui-même  : 

1°  À une  profondeur  de  20  à 22m,  on  faisait  encore  des  postes  de  8 heures,  et 
nos  hommes  n’étaient  pas  trop  fatigués,  aucun  ne  souffrait  de  la  pression,  ils 
étaient  seulement  incommodés  par  la  mauvaise  odeur  des  vases  et  par  l’air  chaud, 
que  cependant  nous  avons  soin  de  renouveler  assez  fréquemment  par  la  colonne 
d’ascension;  sous  cette  pression  de  deux  atmosphères,  les  ouvriers  se  décompri- 
maient en  4 ou  5 minutes. 

2°  De  22  à 25  mètres,  on  a fait  des  postes  d’une  durée  de  4 heures;  sous  cette 
pression,  les  hommes  ont  commencé  d’être  atteints  assez  fort;  la  décompression 
s’opérait  en  10  minutes,  l’orifice  du  robinet  de  sortie  n’était  que  de  25  millimè- 
tres, puis  ensuite  de  18  millimètres. 

5°  De  25  à 28  mètres,  les  ouvriers  se  relevaient  toutes  les  3 heures,  pour  se  décom- 
primer, au  moyen  d’un  robinet  dont  l’orifice  était  réduit  à 10ffim;  il  fallait  16  à 17  mi- 
nutes, et  c’est  en  travaillant  sous  cette  pression  que  nos  hommes  ont  été  le  plus 
fatigués;  très-souvent  il  est  arrivé  que  4 sur  7 se  sont  trouvés  pris  par  la  pression 
dans  les  jambes,  dans  la  tête,  dans  l’estomac  ; à d’autres,  la  décompression  leur 
causait  une  paralysie  de  la  vessie  ou  de  la  vue;  plusieurs  de  ces  ouvriers  ont 
éprouvé  des  souffrances  horribles  pendant  deux  ou  trois  jours  et  ensuite  trois  ou 
quatre  jours  de  convalescence  avant  de  pouvoir  reprendre  leur  travail;  ce  sont 
ceux-là  qui  sont  le  plus  fortement  atteints;  quant  à ceux  qui  sont  moins  atteints, 
ils  éprouvent  aussi  de  fortes  douleurs  pendant  vingt-quatre  heures  et  ensuite  1 ou 
2 jours  d’incapacité  de  travail.  (22  juillet  1875.) 

— Gomme  suite  à ma  lettre  du  22,  je  vous  informe  que  depuis  quatre  jours 
nous  n’avons  eu  que  deux  ouvriers  atteints  de  la  pression;  mais  légèrement,  assez 
cependant  pour  les  empêcher  de  travailler,  nous  avons  encore  à l’hospice  2 ou- 
vriers fortement  atteints  de  pression  depuis  le  21  à la  sortie  du  poste  de  6 heures 
du  soir  ; ils  sont  paralysés  dans  les  parties  inférieures  du  corps,  on  est  obligé  de 
les  sonder  pour  les  faire  uriner. 

L’éclusage  dure  en  moyenne  18  minutes, les  postes  sont  de  5 heures.  (28  juillet.) 

— Comme  suite  à ma  lettre  du  28  courant,  je  viens  vous  informer  que  l’un  des 
deux  ouvriers  fonceurs  à l’hôpital  pour  la  pression,  le  nommé  R.  est  mort  aujour- 
d’hui à midi  et  demi.  Le  deuxième  ouvrier  est,  de  l’avis  des  médecins,  hors  de 
danger;  il  n’a  plus  en  ce  moment  que  les  deux  jambes  paralysées,  ce  qui,  on 
l’espère,  disparaîtra  d’ici  peu  de  temps. 

Les  médecins  prétendent  que  la  mort  de  R.  est  due  à la  pression,  qui  aurait 
attaqué  la  moelle  épinière;  cet  homme  avait  déjà  travaillé  aux  fonçages  à l’air 
comprimé,  mais  sans  jamais  dépasser  2 atmosphères  1 ou  2/10.  (50  juillet.) 

Le  premier  des  deux  ouvriers  gravement  atteints  dont  il  vient 
d’être  question  est  retourné  dans  son  pays  ; on  n’a  plus  eu  de  ren- 
seignements sur  lui. 

Quant  au  sieur  R.,  son  autopsie  fut  faite.  Elle  a donné  un  remar- 
quable résultat  que  le  Dr  L.  décrit  dans  une  lettre  adressée  à la 
compagnie,  et  dont  voici  la  traduction  : 

Après  l’ouverture  du  canal  spinal,  j’ai  trouvé  à la  hauteur  des  vertèbres  de  la 
poitrine,  la  moelle  épinière  tout  à fait  ramollie;  elle  était  sur  une  étendue  de  quel 


40S 


HISTORIQUE. 


ques  pouces  transformée  en  une  masse  molle  et  coulante,  d’une  couleur  jaune 
gris,  qui  en  montant  et  descendant  se  perdait  dans  la  partie  saine. 

La  moelle  était  en  général  surchargée  de  sang,  ainsi  que  le  cerveau,  mais  du 
reste  je  n’y  ai  rien  observé  d’anormal,  pas  plus  que  dans  les  autres  organes. 


3.  — Plongeurs  à scaphandre,, 


Ainsi  que  nous  l’avons  dit  en  commençant  ce  chapitre,  la  cloche 
à plongeur  a été  entièrement  abandonnée  pour  le  scaphandre,  ap- 
pareil infiniment  plus  simple,  moins  coûteux,  et  qui  permet  ci  cha- 
que ouvrier  de  travailler  isolément  avec  une  certaine  liberté. 

Je  n’ai  nullement  l’intention  de  remonter  aux  origines,  cepen- 
dant fort  récentes,  de  cetle  invention  ; le  mot  lui-même  (axa<poç, 
bateau,  avBpoc  homme)  date  de  la  fin  du  siècle  dernier,  et  s’appli- 
quait à une  simple  ceinture  de  sauvetage.  Ce  n’est  guère  que  depuis 
cinquante  ans  que  Siebe,  de  Londres,  puis  M.  Cabiroî,  et  enfin 
MM.  Rouquayrol  et  Denayrouze,  en  ont  fait  un  appareil  pratique  et 
facile  à employer  pour,  les  pêches  des  huîtres,  du  corail,  des  per- 
les, des  éponges,  le  sauvetage  des  objets  submergés,  le  nettoyage  et 
l’inspection  des  carènes  de  navires,  etc... 

Je  ne  puis  cependant  m’empêcher  de  dire  un  mot  d’une  inven- 
tion singulière  de  Borelli,  qui  n’était  pas  sans  rapport  avec  le  sca- 
phandre, et  qui  est  intéressante  pour  l’histoire  des  théories  de  la 
respiration  ; j’emprunte  la  description  de  cet  appareil  fort  mal 
conçu,  puisqu’on  n’y  renouvelait  pas  la  provision  d’air  du  plongeur, 
à Brizé-Fradin  qui  le  cite,  sans  indiquer  où  le  célèbre  iatro-mathô- 
malicien  a décrit  son  appareil.  11  s’exprime  en  ces  termes  : 

Borelly,  inventeur  de  la  machine  appelée  vessie  du  plongeur,  la  préfère,  on  ne 
sait  trop  pourquoi,  à la  cloche  de  llalley.  C’est  un  globe  d’airain  ou  de  cuivre  d’en- 
viron deux  pieds  de  diamètre,  placé  au-dessus  de  la  tète  du  plongeur  ; il  est  joint 
à un  habit  de  peau  de  chèvre  fait  à la  mesure  du  plongeur.  Dans  ce  globe  sont  des 
tuyaux  par  lesquels  on  y entretient  la  circulation  de  l’air,  le  plongeur  porte  à son 
côté  une  pompe  à air  au  moyen  de  laquelle  il  peut  se  rendre  plus  pesant  ou  plus 
léger,  comme  font  les  poissons  en  pressant  ou  dilatant  leur  vessie  à air  : de  cette 
manière  il  croit  prévenir  toutes  les  objections  faites  à l’égard  des  autres  machines, 
et  particulièrement  à celle  relative  au  manque  d’air,  l’air  qu’il  a respiré  étant, 
selon  lui,  dépourvu  de  ses  qualités  nuisibles  par  la  circulation  dans  les  tuyaux, 
(P.  44.) 

Rappelons  que  dans  la  cloche  à plongeur  de  llalley  un  individu 
pouvait  faire  quelques  pas  hors  de  la  cloche  et  continuer  à respirer 


FORTES  PRESSIONS.  — SCAPHANDRES.  409 

à l’aide  d’une  sorte  de  coiffe  et  d’un  tuyau  aboutissant  dans  l’air 
de  la  cloche;  il  était  à peu  près  ainsi  dans  les  conditions  du 
scaphandre  moderne.  La  partie  principale  des  appareils  actuels 
(tig.  7)  consiste  en  un  lourd  casque  de  métal,  percé  de  hublots 


Fig'.  7.  — Scaphandrier  pourvu  du  régulateur  Denayrouze,  costume  complet. 

de  verre,  dont  le  plongeur  charge  sa  tête;  un  tuyau  qui  com- 
munique avec  une  pompe  foulante  placée  sur  le  ivage  ou  sur  le 
pont  du  bateau  lui  envoie  de  l’air  comprimé  qui  s’échappe  par  des 
orifices  ménagés  dans  ce  but.  La  pression  à laquelle  est  soumis  l’air 
que  le  plongeur  respire  est  donc  sensiblement  égale  à celle  que 


410 


HISTORIQUE. 


l’eau  exerce  sur  le  reste  de  son  corps.  Cette  condition  est  indispen- 
sable à remplir,  comme  nous  le  verrons  dans  la  suite  de  cet  ou- 
vrage, et  des  accidents  très-graves  ont  dû  être  la  conséquence  de 
l’oubli,  dans  certaines  circonstances,  de  cette  règle  fondamentale. 

Or  elle  est  scrupuleusement  respectée  par  l’appareil  de  MM.  Rou- 
quayrol  et  Denayrouze.  Le  plongeur  revêtu  de  leur  scaphandre  ne 
respire  pas  directement  l’air  que  lui  envoie  la  pompe;  sur  son  dos 
se  trouve  un  réservoir  métallique  où  l’air  comprimé  est  incessam- 
ment emmagasiné,  pour  n’en  sortir,  grâce  à un  très  ingénieux  mé- 
canisme, que  suivant  les  besoins  du  plongeur  et  à la  pression  ri- 
goureusement nécessaire  sous  la  profondeur  atteinte.  Quand  le 
réservoir  est  plein,  le  plongeur  peut  détacher  le  tuyau  qui  va  à la 
pompe,  et  se  mouvoir  librement  pendant  un  certain  temps.  Enfin, 
il  peut  même,  pour  les  travaux  de  peu  de  durée,  supprimer  le  cas- 
que et  prendre  directement  à la  bouche  le  tuyau  qui  vient  du  ré- 
gulateur (fig.  8). 

Pour  revenir  à la  surface , les  plongeurs  tantôt  remontent  une 
échelle  de  corde,  tantôt  se  font  bisser  à bord  au  moyen  d’une  corde 
attachée  à la  ceinture.  Dans  l’un  et  l’autre  cas,  ils  ne  mettent 
guère  que  une  ou  deux  minutes  pour  retrouver  la  pression  normale. 

Les  scaphandres  sont  actuellement  employés  très-fréquemment 
dans  tous  nos  ports  de  mer;  mais  les  profondeurs  atteintes  sont 
généralement  assez  faibles,  et  ne  dépassent  guère  20m.  On  s’en  sert 
également  beaucoup  dans  les  mers  de  l’Archipel,  pour  la  pêche  des 
éponges.  Ici,  les  fonds  atteints  vont  jusqu’à  40m;  je  tiens  même  de 
M.  Denayrouze  qu’on  a été  à 48m  ; la  pression  totale  était  donc  dans 
ce  cas  de  5 atmosphères, 8. 

Enfin,  selon  M.  Leroy  de  Méricourt,  les  plongeurs  à scaphandres 
aux  ordres  des  compagnies  anglaises  auraient  affronté  la  profon- 
deur de  54“\  la  pression  étant  ainsi  de  6 atmosphères,  4. 

Ce  n’est  pas  impunément  que  de  pareilles  pressions  ont  été  sup- 
portées , ou  pour  parler  plus  exactement,  ce  n’est  pas  impunément 
que  des  plongeurs  sont  revenus  de  pareilles  profondeurs,  en  quel- 
ques minutes,  à la  surface  de  l’eau.  Des  accidents  nombreux  ont 
été  signalés,  dont  beaucoup  se  sont  terminés  par  la  mort.  Leur 
fréquence  et  leur  gravité  sont  telles,  que  les  récits  qui  nous  en  ont 
donné  connaissance  semblent  dédaigner  et  passer  sous  silence  tout 
ce  qui  n’est  pas  paralysie  ou  mort.  Cependant,  les  bénéfices  finan- 
ciers sont  si  considérables,  que  l’emploi  des  scaphandres  va  en 
augmentant  chaque  année.  Ils  sont  introduits  depuis  une  douzaine 


FORTES  PRESSIONS.  — SCAPHANDRES. 


411 


d'années  seulement  dans  l’Archipel,  où  leur  apparition  a occasionné 
de  véritables  émeutes  en  1866;  or,  en  1867  déjà,  une  vingtaine 
de  machines  fonctionnaient  pour  la  pêche  des  éponges.  Il  m’a  été 


I! 


Fig.  8.  — Scaphandrier  pourvu  du  régulateur  Denayrouze,  ayant  ôté  son  masque. 

affirmé  qu’il  en  existe  aujourd’hui  plus  de  trois  cents,  — et  que  les 
cas  de  mort  s’élèvent  à une  trentaine  par  an  î » 

Le  premier  document  qui  nous  ait  fait  connaître  ces  accidents 
redoutables  et  curieux  est  dû  à M.  Leroy  de  Méricourt1,  et  porte  la 

1 Considérations  sur  l'hygiène  des  pêcheurs  d'éponges.  — Ann.  d' hygiène  publique  et 
de  médecine  légale,  2e  série,  t.  XXXI,  p.  274-286,  1869. 


412 


HISTORIQUE. 


date  de  1869.  Cet  article  est  rédigé,  dit  l’auteur,  sur  les  renseigne- 
ments contenus  dans  un  mémoire  manuscrit  de  M.  Aublé,  agent  de 
la  Société  pour  la  pêche  clés  éponges  au  moyen  des  appareils  plon- 
geurs Rouquayrol  et  Denayrouze  : 

Pendant  la  campagne  de  18G7,  il  n’est  survenu  aucun  accident  sérieux  parmi 
les  hommes  qui  ont  pêché  munis  de  cet  appareil.  Mais  à la  même  époque,  sur 
24  hommes  qui  se  servaient  de  12  scaphandres  de  fabrication  anglaise,  10  succom- 
bèrent. 

L’absence  de  médecins  sur  les  lieux  de  pêche  et  la  difficulté  d’obtenir  des  ren- 
seignements de  la  part  des  pêcheurs  de  l’Archipel,  qui  sont  d’un  naturel  fort  dé- 
fiant, n’ont  pas  permis  d’être  fixé,  comme  il  eût  été  à désirer,  sur  la  nature  des 
phénomènes  qui  ont  précédé  la  mort,  des  10  hommes  dont  nous  venons  de  parler. 
On  a pu  savoir  seulement  que  trois  d’entre  eux  étaient  morts  subitement  en  quit- 
tant le  travail  sous-marin,  et  que  les  autres  avaient  langui  de  un  à trois  mois, 
paralysés  des  membres  inférieurs  et  de  la  vessie.  En  raison  de  l’existence  de  la  para- 
plégie chez  les  7 plongeurs  qui  ont  survécu  quelque  temps,  il  est  permis  de  sup- 
poser, jusqu’à  un  certain  point,  que  ce  phénomène  devait  également  exister  chez 
les  5 qui  ont  succombé  rapidement. 

Quelles  sont  les  lésions  qui  ont  amené  la  mort  de  ces  malheureux  pêcheurs 
pendant  la  campagne  de  1807,  et  comment  peut-on  expliquer  le  mécanisme  de 
leur  production  ? L’absence  d’observations  médicales  et  surtout  d’autopsies  ne 
nous  permet  d’émettre  une  opinion  à ce  sujet  qu’avec  beaucoup  de  réserve.  La 
paraplégie  est,  il  est  vrai,  un  phénomène  tellement  caractéristique  et  apparent, 
qu’il  n’est  pas  besoin  d’être  médecin  pour  Je  constater.  Chez  une  des  victimes, 
jeune  Grec  très-hardi  plongeur,  il  survint  une  telle  distension  de  la  vessie  que  le 
père,  dans  l'espoir  de  soulager  ce  malheureux,  essaya  de  le  sonder  ; il  détermina 
des  désordres  qui  furent  suivis  d’une  péritonite  rapidement  mortelle. 

Nous  verrons,  au  chapitre  lit,  l’explication  que  M.  Leroy  de  Méri- 
court  propose  de  ces  accidents,  qu’il  attribue  à des  hémorrha- 
gies médullaires. 

Le  reste  de  la  note  est  consacré  à de  très-justes  remarques  sur 
la  supériorité  de  l’appareil  Denayrouze  et  la  nécessité  d’une  décom- 
pression lente  : 

Tandis  que  le  groupe  de  plongeurs  parmi  lesquels  les  accidents  sont  survenus 
atteignaient  les  profondeurs  considérables  de  45  à 54  mètres  et  supportaient,  par 
conséquent,  une  des  pressions  variant  de  5 atm.  1/2  à 0 atrn.  4/10,  M.  Denay- 
rouze, avec  une  prudence  qui  lui  fait  honneur,  avait  donné  l’ordre  de  ne  pas  dé- 
passer 55  mètres,  de  ne  pas  séjourner  plus  de  2 heures  50  minutes,  par  plongeur 
et  par  jour,  et  enfin  de  remonter  très-lentement  en  mettant  une  minute  par 
mètre  de  profondeur.  De  plus,  l’appareil  employé  offre  de  meilleures  garanties 
que  le  scaphandre  : l’air  est  débité  proportionnellement  aux  besoins  de  la  res- 
piration, et  à une  pression  mathématiquement  égale  à celle  du  milieu  am- 
biant. 


Mais  il  n’a  pas  été  possible  de  faire  observer  par  les  Grecs  ces 


FORTES  PRESSIONS. 


SCAPHANDRES. 


413 


précautions  rigoureuses.  La  décompression  à laquelle  M.  Denay- 
rouze  avait  assigné  une  durée  de  15  minutes,  a recommencé  à se 
faire  en  une  ou  deux  minutes.  Aussi  les  accidents  ont-ils  reparu. 
Une  lettre  particulière  de  M.  Denayrouzc,  en  date  du  9 juillet  1872, 
me  donne  sur  ce  point  les  renseignements  suivants  : 

J'ai  fait,  pendant  6 mois,  plonger  une  centaine  d’hommes  à des  profondeurs  va- 
riant de  30  à 40  mètres.  200  autres  plongeurs  étrangers  travaillaient  sous  mes 
yeux  dans  les  mêmes  conditions.  Tous  ces  gens-là  respiraient  de  l’air  à la  pres- 
sion du  milieu  ambiant,  soit  à 4 ou  5 atmosphères. 

Cinq  hommes  sont  morts  à ces  pressions,  un  grand  nombre  d’autres  ont  été 
atteints  de  diverses  affections,  dont  les  plus  fréquentes  ont  été  des  paralysies  des 
membres  inférieurs  et  de  la  vessie,  des  surdités  et  enfin  des  anémies. 

Les  hommes  soumis  à des  décompressions  brusques  étaient  en  effet  plus  expo- 
sés aux  accidents  que  les  autres.  Ceux  qui  sont  morts  n’ont  jamais  expiré  au 
fond  de  l’eau,  ils  remontaient  se  plaignant  de  douleurs  internes,  au  cœur  en  par- 
ticulier, se  couchaient  dans  leur  barque  et  s’éteignaient  au  bout  de  quelques 
heures. 

Le  19  juillet  1872,  un  jeune  médecin  qui  avait  fait  en  1868  une 
campagne  à bord  d’un  bateau  destiné  à la  pèche  des  éponges,  sur 
les  côtes  de  la  Turquie,  Alphonse  Gai l,  soutenait  devant  la  Faculté 
.de  Montpellier  une  thèse  fort  intéressante  sur  les  faits  qu’il  avait 
observés. 

Dans  la  première  partie  de  son  travail,  il  étudie  les  modifications 
qu’apporte  le  séjour  dans  l’air  comprimé  aux  fonctions  physiolo- 
giques. Je  ne  rapporte  naturellement  que  la  part  d’observations 
qui  lui  est  personnelle.  • 

En  parlant  d’abord  de  la  respiration,  il  dit  : 

Il  est  impossible  dans  un  scaphandre  de  se  servir  du  spiromètre  ; et  il  est  assez 
difficile  d’apprécier  des  sensations  de  l’ordre  de  celles  que  nous  étudions.  Pour- 
tant, à des  pressions  variables  depuis  15  jusqu’à  25  mètres,  je  me  suis  étudié  au 
point  de  vue  des  mouvements  respiratoires,  et  je  crois  à une  dilatation  moins 
grande  qu’à  l’état  normal.  Sans  doute  la  capacité  pulmonaire,  ce  que  M.  Bucquoy 
appelle  la  capacité  vitale,  augmente,  dans  les  inspirations  où  l’on  demande  aux 
poumons  toute  leur  puissance  ; sans  doute,  quand  on  fait  l’expérience  et  qu’on 
cherche  à produire  l’ampliation  la  plus  étendue,  les  résultats  sont  plus  avanta- 
geux dans  l’air  comprimé  ; sans  doute  aussi  le  malade  soumis  au  bain  d’air, 
éprouvant  rapidement  une  sensation  de  bien-être  due  à la  perfection  plus  grande 
de  l’hématose,  fait  instinctivement  de  grandes  inspirations  ; mais  le  plongeur, 
soumis  à une  pression  de  2,  3 et  4 atmosphères,  n’éprouve  nullement  la  néces- 
sité d’agrandir  sa  cavité  pulmonaire,  et  comme  Foleÿ,  je  crois  à l’intervention 
des  centres  nerveux  pour  modérer  l’étendue  de  l’inspiration,  étendue  devenue  inu- 

1 Des  dangers  du  travail  dans  l'air  comprimé  el  des  moyens  de  les  prévenir:  — Thèses 
de  Montpellier,  1872. 


414 


HISTORIQUE. 


tile  en  raison  de  la  quantité  plus  considérable  d’oxygène  mise  en  rapport  avec 
les  capillaires  du  réseau  pulmonaire  sous  un  volume  simplement  égal  au  volume 
normal. 

Ainsi  en  résumé  pour  les  inspirations  forcées,  le  développement  pulmonaire 
croît  avec  la  pression  atmosphérique  ; mais  pour  les  inspirations  ordinaires  sur- 
tout chez  l’homme  sain,  cette  loi  n’est  plus  exacte,  car  on  observe  plutôt,  tout  au 
moins  j’ai  cru  le  constater,  surtout  aux  pressions  de  2 à 5 atmosphères,  on  observe 
plutôt,  dis-je,  une  diminution  dans  l’ampliation  pulmonaire.  (P.  17.) 

Relativement  au  nombre  des  mouvements  respiratoires  : 

J’ai  pu,  pour  mon  compte,  faire  à ce  sujet  un  nombre  considérable 
d’observations  ; quand  un  plongeur  se  trouvait  au  fond  de  l’eau,  à une  petite  dis- 
tance du  bâtiment  et  que  la  mer  était  calme,  je  voyais  parfaitement  arriver  à la 
surface  les  bulles  d’air  de  chaque  respiration.  Comme  on  a pu  le  voir  dans  la  des- 
cription du  sac  à air  régulateur,  le  plongeur  avec  scaphandre  Denayrouze  respire 
par  la  bouche  de  l’air  contenu  dans  un  réservoir,  et  il  expire  encore  par  la  bouche. 
L’air  ainsi  expiré  s’échappe  par  une  soupape  qui  se  referme  aussitôt  après  l’expi- 
ration. On  peut  donc  ainsi  mesurer  l’espace  qui  sépare  deux  actes  respiratoires, 
et  le  plongeur  pendant  ce  temps  se  trouve  dans  les  conditions  normales  de  tra- 
vail et  ne  sait  pas  qu’il  est  observé.  J’ai  pu  remarquer  ainsi  les  différences  indivi- 
duelles, mais  dans  de  très-faibles  limites.  Le  minimum  des  respirations  a été  de 
12  ; le  maximum  de  50  ; mais  il  ne  faut  pas  croire  que  la  moyenne  soit  le  nombre 
intermédiaire  à ces  deux  chiffres.  Sur  toutes  les  observations  que  j’ai  prises,  elle 
est  de  18,  mais  elle  est  trop  élevée  et  ne  peut  donner  le  chiffre  normal  des  in- 
spirations dans  l’air  comprimé.  En  effet,  toutes  les  fois  que  j’ai  constaté  chez  un 
plongeur  un  nombre  de  respirations  plus  élevé  que  20,  je  suis  sûr  que  cette 
accélération  respiratoire  tenait  à une  cause  fortuite  (émotion,  effort  musculaire, 
marche  rapide,  etc. ) . Dans  bien  des  cas,  en  suivant  la  respiration  du  plongeur 
pendant  quelques  minutes,  je  l’ai  vue  peu  à peu  redescendre  et  arriver  au-dessous 
de  20. 

En  résumé,  les  modifications  physiologiques  de  l’appareil  respiratoire  portent 
sur  l’étendue  et  le  rhythme  des  mouvements.  Ajoutons  à ce  que  nous  avons  dit  à 
ce  sujet  que  la  respiration  est  toujours  très-facile  dans  l’air  comprimé.  Nous 
sommes  en  ceci  d’accord  avec  tous  ceux  qui  ont  expérimenté  dans  de  bonnes 
conditions  de  ventilation.  Sous  l’eau,  quelle  que  soit  la  profondeur,  on.  respire 
facilement  et  librement.  (P.  19.) 

Nous  avons  vu  chez  les  plongeurs  les  mouvements  respiratoires  augmenter  de 
nombre  à mesure  qu’ils  montaient  l’échelle  et  par  suite  se  décomprimaient.  Il 
faut  sans  doute  attribuer  à l’acte  même  de  la  décompression  une  grande  partie  de 
cette  accélération,  car  la  montée  est  excessivemens  facile  pour  les  plongeurs  ; et 
grâce  à l’air  contenu  dans  leur  habit,  et  qui  se  dilate  à mesure  que  l’ascension 
avance,  ils  ont  plutôt  besoin  de  se  retenir  que  de  faire  des  efforts  pour  monter. 
Mais  quelle  que  soit  l’intensité  de  pression  subie,  jamais  cette  accélération  des 
mouvements  respiratoires  ne  va  jusqu’à  l’anhélation.  (P.  21.) 

Passons  à la  circulation  : 

Dans  les  scaphandres,  on  ne  peut  faire  à ce  sujet  que  des  observations  peu 
exactes  ; le  pouls  est  très-difficile  à percevoir  et  on  n’a  pas  de  moyen  de  mesurer 
avec  précision  le  temps  employé  à l’observation.  J’ai  pourtant  essayé  de  me  rendre 


FORTES  PRESSIONS.  — SCAPHANDRES.  415 

compte  du  rhythme  de  ma  circulation  et  je  ne  crois  pas  que  sa  vitesse  ait  jamais 
diminué. 

Nous  pouvons  dire,  sans  chercher  à l’expliquer,  que  dans  l’air  comprimé,  aux 
pressions  employées  par  les  pêcheurs  d’éponges,  le  rhythme  de  la  circulation  ne 
paraît  pas  modifié. 

Il  n’en  est  pas  de  même  de  l’amplitude  des  pulsations  : pour  ceci  tous  les  expé- 
rimentateurs, Junod  seul  excepté,  sont  d’accord.  Ils  admettent  tous  que  dans  l’air 
comprimé  le  pouls  devient  filiforme  et  quelquelquefois  insaisissable 

Evidemment  les  capillaires  artificiels  et  les  artères  les  plus  rapprochées  de  la 
peau  subissent  davantage  l’influence  de  la  pression  extérieure  et  leur  calibre  di- 
minue. Si  l’on  entre  dans  l’air  comprimé  avec  une  partie  de  muqueuse  ou  de  tégu- 
ment externe  congestionnée,  l’injection  ne  tarde  pas  à disparaître.  Dans  le  sca- 
phandre, malgré  les  bracelets  en  caoutchouc  qui  serrent  fortement  le  poignet,  la 
main  est  décolorée.  Mais  si  la  quantité  du  sang  diminue  à la  périphérie,  les  orga- 
nes qui  par  leur  position  sont  moins  directement  soumis  à l’action  de  l’air  com- 
primé ont  une  circulation  plus  abondante.  Le  poumon  se  trouvant  dans  les  mêmes 
conditions  que  la  peau,  doit  recevoir  moins  de  sang  qu’à  l’état  normal.  (P.  22-23.) 

Si  on  revient  d’une  pression  plus  forte  à la  pression  normale,  les  battements 
s’accélèrent,  le  pouls  qui  était  filiforme  reprend  de  son  ampleur,  et  si  la  diffé- 
rence des  pressions  a été  considérable,  on  observe  quelquefois  des  hémorragies 
légères. 

L’unanimité  des  auteurs  sur  cette  question  est  parfaite.  Nous  n’avons  pas  pu 
suivre  les  modifications  de  la  circulation  pendant  l’acte  même  de  la  décompres- 
sion ; mais  nous  avons  constaté  par  un  grand  nombre  d’observations  qu’au  mo- 
ment de  l’arrivée  sur  le  pont  le  pouls  des  plongeurs  battait  presque  toujours  plus 
de  80  fois  par  minute.  Sur  240  observations  nous  l’avons  trouvé  : 

Au-dessous  de 80  pulsations  11  fois. 


80  à 90 

— 

105 

90  à 100 

— 

124 

100  à 109 

— 

2 

Une  demi-heure  après,  203  fois,  le  pouls  était  revenu  à peu  près  à la  normale  ; 
3 fois,  il  était  tombé  manifestement  au-dessous  et  54  fois,  il  était  encore  entre 
75  et  80  pulsations. 

Ici,  comme  pour  la  respiration,  nous  ne  pouvons  attribuer  l’accélération  du 
rhythme  à l’acte  même  de  la  montée.  Nous  l’avons  dit,  la  fatigue  musculaire  est 
à peu  près  nulle  à cause  de  la  dilatation  de  l’air  dans  l’habit  et  de  la  lenteur  avec 
laquelle  on  s’élève.  (P.  24.) 

Les  sécrétions  lui  fournissent  les  observations  suivantes  : 

Tous  les  auteurs,  sauf  MM.  Foleÿ  et  François,  constatent  une  sécrétion  plus  con-= 
sidérable  d’urine  ; je  crois  que  cette  opinion  est  la  vraie.  Les  plongeurs  que  j’ai 
observés  ne  pouvaient  rester  plus  d’une  heure  et  demie  soumis  à une  pression  de 
20  mètres  d’eau  sans  que  le  besoin  de  la  miction  se  fit  sentir  ; quelquefois  même, 
il  leur  arrivait  d’uriner  dans  leurs  habits.  L’augmentation  de  la  sécrétion  salivaire 
n’est  notée  que  par  MM.  Eugène  Bertin  et  Junod  ; pour  moi,  je  ne.  puis,  à cet 
égard,  avoir  une  opinion  : chez  tous  les  plongeurs  français  et  chez  moi-même  la 
sécrétion  salivaire  était  plus  abondante  qu’à  l’état  normal  ; mais  la  présence  dans 
la  bouche  d’un  appareil  de  caoutchouc  destiné  à l’arrivée  de  l’air  rend  parfaite- 
ment compte  de  ce  phénomène. 


ilG 


HISTORIQUE. 


Après  cette  série  d’observations  d’ordre  purement  physiologique, 
M.  Gai  arrive  à l’étude  des  dangers  des  fortes  pressions.  îl  divise  les 
maladies  qu’on  peut  attribuer  à l’effet  de  l’air  comprimé  en  deux 
catégories  : les  maladies  à début  brusque , qui  ne  surviennent  ja- 
mais, quand  le  plongeur  est  dans  l’air  comprimé,  et  sont  le  fait  de 
la  décompression;  les  maladies  à début  insidieux , qui  doivent  être 
directement  rattachées  à l’action  de  l’air  comprimé. 

Maladies  à début  brusque.  — Au  premier  rang  M.  Gai  place  les 
puces  : 

Cette  maladie  disparaît  sans  aucun  traitement  et  se  termine  lorsque  intervient 
une  hypersécrétion  sodomie.  (Foleÿ,  p.  53.)  Est-ce  donc  parce  que  nos  plongeurs 
étaient  toujours  couverts  de  sueur  lorsqu’ils  arrivaient  sur  le  pont  que  je  n’ai 
jamais  eu  l’occasion  de  l’observer  ? Cela  me  paraît  infiniment  probable.  (P.  55.) 

Viennent  ensuite  les  douleurs  musculaires,  les  arthrites  : 

Parmi  toutes  ces  affections,  j’ai  vu  seulement  des  douleurs  excessivement 
vives  survenant  brusquement,  et  bientôt  après  la  sortie  de  l’air  comprimé;  affec- 
tant plus  spécialement  les  parties  du  corps  où  l’effort  musculaire  a été  le  plus 
soutenu,  le  deltoïlde  gauche  en  général  chez  les  plongeurs;  presque  toujours  un 
peu  de  gonflement  de  la  partie  affectée,  mais  sans  aucune  rougeur.  Jamais  ces 
douleurs  n’ont  duré  plus  de  deux  jours,  et  le  plus  souvent  elles  disparaissaient 
au  bout  de  quelques  heures. 

Tous  les  plongeurs,  sauf  les  nommés  Thépot  et  Paugarn,  les  ont  éprouvées  à 
plusieurs  reprises. 

Je  n'ai  pas  cité  d’observations  à ce  sujet,  parce  que  ces  affections,  toujours  lé- 
gères, ne  m’ont  jamais  rien  représenté  d’anormal,  soit  dans  leur  marche,  soit 
dans  leur  terminaison.  Des  frictions  avec  le  baume  tranquille  ou  l’application  d’un 
cataplasme  laudanisé  les  ont  toujours  fait  disparaître. 

Puis  les  otalgies  et  otites,  dont  M.  Gai  cite  quelques  exemples,  des 
troubles  gastriques,  dont  la  cause  est  peut-être  dans  les  centres 
nerveux.  Un  cas  d’hémorragie  a été  observé,  qui  présente  cette 
circonstance  rare  d’avoir  débuté  pendant  la  compression  meme  : 

Le  15  décembre,  le  nommé  Féroc,  28  ans,  plongeur  exercé  au  scaphandre, 
descend  par  une  profondeur  de  4 à 15  ra,  reste  trois  quarts  d’heure  au  fond  et 
remonte  avec  une  hémorragie  nasale  qui  a débuté,  pendant  qu’il  était  soumis 
à la  pression.  La  face  est  légèrement  \uhueuse,  le  pouls  à 70.  C’est,  me  dit-il,  la 
troisième  hémorragie  nasale  qu’il  subit,  et  toujours  elle  a commencé  au  fond. 
Comme  les  précédentes,  elle  cesse  sans  aucun  remède. 

Le  12  janvier,  ce  même  plongeur  redescend  pour  la  première  fois  depuis  le 
15  décembre,  par  20”  de  profondeur.  Nouvelle  hémorragie  dans  les  mêmes  con- 
ditions ; seulement  le  pouls  est  à 90,  un  quart  d'heure  après  la  montée,  et  une 
heure  après  il  est  faible,  dépressible,  et  à 70.  En  même  temps  céphalalgie  in- 
tense. 

Friction  excitante;  repos.  Le  lendemain,  il  va  tout  à fait  bien  41.) 


FORTES  PRESSIONS  : SCAPHANDRES. 


417 


En  lait  d’accidents  graves,  M.  Gai  n'a  observé  qu’une  paraplégie, 
qui,  fait  fort  intéressant,  a débuté  seulement  vingt-quatre  heures 
après  la  décompression.  Voici  l’observation  complète  : 

Quidelleur,  28  ans,  ivrogne.  Le  18  janvier  18G9,  descente  par  28™  de  profon- 
deur. 

Une  heure  de  séjour  au  fond,  il  remonte  sourd  d'une  oreille  ; c’est  son  pre- 
mier accident,  il  ne  souffre  pas  et  éprouve  seulement  du  bourdonnement,  accom- 
pagné de  surdité  de  l’oreille  gauche. 

Le  19  janvier,  il  plonge  par  16m  de  profondeur,  termine  son  quart  de  une 
heure  et  demie,  et  médit  en  remontant  que  sa  surdité  s’est  dissipée  au  fond. 

Le  20  janvier,  descente  par  28m  de  profondeur.  Ce  jour-là,  pendant  que  quatre 
plongeurs  se  trouvaient  à la  mer,  et  parmi  eux  Quidelleur,  le  navire  fait  un  tour 
complet  autour  de  son  ancre,  et  cet  accident  a pour  résultat  d’enrouler  autour 
de  la  chaîne  du  navire  les  quatre  tuyaux  d'envoi  d’air  et  les  quatre  cordes  des 
plongeurs. 

11  s’ensuit  un  moment  de  confusion,  pendant  lequel  les  signaux  ne  peuvent 
plus  être  perçus  ; et,  au  moment  où  Quidelleur  arrive  sur  le  pont,  il  se  plaint  d’a- 
voir été,  à trois  reprises  différentes,  soulevé  du  fond  à une  hauteur  de  10m  à 
peu  près,  et,  à chaque  fois,  il  est  retombé  brusquement,  au  grand  détriment  de 
ses  oreilles.  En  somme,  il  est  resté  pendant  une  heure  à une  pression  réelle  de 
5 atmosphères  8 dixièmes  ; et  il  ne  se  plaint  que  de  douleurs  dans  les  oreilles  et 
surtout  la  gauche. 

Je  le  fais  frictionner  avec  de  la  flanelle  sèche,  comme  cela  se  faisait  toujours 
après  une  descente  de  plus  de  20m,  et  je  ne  remarque  chez  lui  rien  d’anormal. 

Pendant  la  journée  du  21  janvier,  la  pèche  est  interrompue,  et  Quidelleur  tra- 
vaille comme  les  autres  matelots  à divers  travaux  du  bord.  Le  soir  à cinq  heures, 
il  vient  me  conduire  à terre,  et  je  remarque  un  peu  d’altération  sur  sa  figure  ; 
sur  ma  demande,  il  m’assure  qu’il  ne  souffre  pas,  sauf  un  peu  de  l’oreille  gau- 
che. Une  heure  après,  on  vient  me  chercher;  il  se  plaint  de  douleurs  violentes, 
sans  siège  précis,  s’étendant  à tout  le  corps.  J'ai  beaucoup  de  peine  à le  faire 
parler,  mais  son  attitude  méfait  comprendre  que  le  maximum  de  la  douleur  se 
trouve  dans  l'abdomen.  Le  malade  est  fortement  replié  sur  lui-même,  tous  les 
membres  dans  la  flexion  et  appuyés  sur  le  plan  antérieur  du  corps.  Les  douleurs 
sont  assez  fortes  pour  le  faire  pleurer;  il  finit  par  me  dire  qu’il  souffre  comme  si 
on  lui  arrachait  le  ventre  et  la  poitrine.  Je  ne  constate  aucun  gonflement,  aucune 
rougeur  de  la  peau.  Le  pouls  est  à 70  pulsations;  il  est  fortement  déprimé.  La 
respiration  un  peu  fréquente  est  saccadée 

A onze  heures  du  matin  (22  janvier),  on  vient  me  dire  que  le  malade  se  plaint 
de  nouveau  de  ne  pouvoir  uriner;  je  constate,  en  effet,  la  présence  de  liquide 
dans  la  vessie  et,  mis  en  éveil  par  cet  accident,  je  recherche  s’il  y a lésion  de  la 
sensibilité  et  de  la  motilité.  L’une  et  l’autre  sont  affaiblies  dans  les  membres 
inférieurs,  sans  pourtant  qu’elles  soient  tout  à fait  abolies.  La  verge  est  dans 
une  demi-érection.  L’introduction  d’une  sonde  dans  la  vessie  donne  issue  à un 
demi-litre  d’urine.  Celle-ci  coule  lentement  ; la  contraction  musculaire  n’y  est 
pour  rien  ; il  y a bien  paralysie  de  la  vessie.  Le  pouls  est  tout  à fait  normal,  les 
douleurs  de  la  veille  ont  disparu,  la  respiration  est  bonne. 

Friction  sur  la  colonne  vertébrale  et  sur  les  membres  inférieurs,  avec  le 
baume  Opodeldoch.  Tisane  de  sureau. 

2ô  janvier.  Le  malade,  moins  courbaturé,  essaye  de  se  lever,  mais  ses  jambes 

27 


418  HISTORIQUE. 

ne  peuvent  le  supporter,  quoique,  lorsqu’il  est  dans  le  hamac,  il  puisse  les  re- 
muer comme  la  veille;  affaiblissement  de  la  sensibilité. 

Pouls  à 70,  plutôt  dépressible  que  fort.  Respiration  normale,  pas  de  douleurs  ; 
l’ouïe  qui  la  veille  était  encore  un  peu  faible  à gauche,  est  revenue  à son  état 
normal. 

Je  fais  promener  des  sinapismes  sur  ses  membres  inférieurs  et  le  long  de  la 
colonne  vertébrale.  Tisane  de  sureau.  Cathétérismes  le  matin.  Potages. 

Le  soir,  la  paralysie  a cessé  ; le  malade  urine  facilement.  Rien  de  nouveau  dans 
son  état;  depuis  le  jour  de  l’accident,  c’est-à-dire  le  20  janvier,  il  n’a  pas  eu 
de  selles. 

24  janvier.  Même  état  des  jambes  ; pouls  et  respirations  normaux.  Pas  de  selles. 
Le  malade  désire  manger 

27  janvier.  Légère  amélioration,  mouvements  des  membres  inférieurs  un  peu 
plus  faciles,  sans  qu’il  y ait  beaucoup  de  force 

Depuis  ce  jour  jusqu’au  50  janvier,  l’amélioration  a marché  avec  une  grande 
lenteur;  puis  brusquement,  le  1er  février,  le  malade  monte  sur  le  pont,  et  c’est 
à peine  si  dans  sa  démarche  on  peut  s’apercevoir  qu’il  a été  paralysé  des  mem- 
bres inférieurs. 

Pendant  les  jours  suivants,  le  mieux  se  maintient  ; seul,  le  rectum  est  encore 
paralysé.  On  ne  peut  obtenir  que  des  lavements  purgatifs. 

Le  malade  a été  très-indocile,  tout  le  temps  qu’à  duré  sa  maladie;  j’ai  pu 
constater  qu’il  est  d’un  caraclère  extrêmement  faible,  et  qu’il  se  laisse  très-faci- 
ment  abattre  par  la  souffrance. 

J’aurais  voulu  le  purger  dès  le  premier  jour  ; mais  malgré  toutes  mes  repré- 
sentations, il  n’a  pas  voulu  y consentir. 

Jusqu'au  5 février,  il  n’est  pas  allé  à la  selle  et  il  souffre  beaucoup  de  sa  con- 
stipation. Je  lui  administre,  sans  qu’il  s’en  doute,  quatre-vingts  centigrammes  de 
calomel  dans  du  lait  ; cette  purge  amène  une  débâcle  qui  est  le  signal  de  son 
complet  rétablissement.  A partir  de  ce  jour,  le  rectum  reprend  ses  fonctions  nor- 
males, et  la  santé  de  ce  plongeur  est  très-florissante. 

M.  Gai  donne  encore  trois  observations  du  même  ordre,  dont  il  a 
pu  recueillir  lui-même  les  éléments,  quoiqu’il  n’ait  pas  vu  les  ma- 
lades au  moment  de  l’accident.  Dans  le  premier  cas,  la  mort  est 
survenue  par  suite  de  l’ignorance  du  médecin  : 

Le  5 août  18G9,  le  nommé  Nicolas  Théodoros  fut  pris  de  paralysie  des  membres 
inférieurs. 

Ce  plongeur  pêchait  sur  les  côtes  de  la  Crète  depuis  le  commencement  de  mai 
c’est-à-dire  depuis  trois  mois.  C’était  un  homme  de  grande  taille  et  en  môme 
temps  d’une  corpulence  énorme,  due  surtout  au  développement  très-considérable 
du  tissu  adipeux* 

Le  5 août,  il  pêchait  aux  environs  de  Sitia  et,  depuis  huit  jours,  il  affrontait  des 
profondeurs  de  vingt  brasses  et  plus,  c’est-à-dire  de  50  à 55m.  Aucun  accident 
fâcheux,  aucune  douleur  n’était  venue  l’avertir,  lorsque  le  5 août,  un  quart 
d’heure  après  être  remonté  d’une  profondeur  de  57m,  il  fut  pris  de  paralysie  com- 
plète des  membres  inférieurs. 

J'ai  pu  savoir  par  les  Grecs  qui  montaient  le  même  bateau,  qu’il  était  resté  au 
fond  plus  d’une  demi-heure,  qu’il  s’était,  selon  la  mauvaise  habitude  des  Grecs, 
fait  hisser,  et  que,  par  suite,  la  décompression  avait  été  très-rapide. 


FORTES  PRESSIONS  : SCAPHANDRES. 


419 


Il  avait  quitté  ses  vêtements  de  plongeur,  et  allait  se  reposer  sous  le  pont  de 
son  calque,  lorsque  la  maladie  débuta  insidieusement  par  un  malaise  général,  et 
bientôt  il  s’aperçut  qu’il  ne  pouvait  plus  remuer  ses  jambes,  et  qu’elles  étaient 
complètement  insensibles. 

Malheureusement,  je  me  trouvais  en  ce  moment  à la  Canée,  c’est-à-dire  à plus 
de  cent  milles  de  l’endroit  où  se  trouvait  ce  malheureux  plongeur.  Sa  barque  vint 
au  point  le  plus  rapproché,  où  l’on  espérait  trouver  du  secours;  ce  fut  à Sitia.  Il 
n’y  avait  là  qu’un  médecin  italien  complètement  ignorant  des  accidents  qui  peu- 
vent arriver  aux  plongeurs. 

Ne  trouvant  pas  de  fièvre,  pas  de  douleur,  il  ne  sut  à quoi  attribuer  la  maladie 
cl  resta  complètement  inactif.  Le  certificat  de  décès  qu’il  délivra  aux  camarades 
du  plongeur  porte  seulement  qu’il  est  mort  : Da  stranguria  et  costipazione  ven- 
trale. 

Quoique  ces  mots  indiquent  qu’il  avait  reconnu  l’impossibilité  où  se  trouvait  le 
plongeur  d'uriner  et  l’absence  des  selles,  il  ne  s’occupa  pas  du  tout  de  la  pre- 
mière indication,  ne  sonda  pas  le  malade,  et  se  contenta  de  lui  donner  une  purge; 
encore  ne  le  fit-il  que  le  huitième  jour  de  la  maladie,  la  veille  de  la  mort. 

La  paralysie,  qui  avait  été  indolore  au  commencement,  ne  tarda  pas  à s’accom- 
pagner des  symptômes  ordinaires  à la  paralysie  de  la  vessie  et  du  rectum,  quand 
on  ne  vide  pas  la  première,  et  qu'on  n’entretient  pas  la  liberté  du  ventre. 

Quand  j’arrivais  à Sitia,  le  16  août,  le  malade  était  mort  depuis  deux  jours 
après  des  souffrances  atroces,  siégeant  dans  l'abdomen,  et  accompagnées  d’aug- 
mentation considérable  du  volume  de  cette  partie  du  corps.  Les  renseignements 
que  m’ont  fournis  ses  camarades  étaient  assez  récents,  et  je  suis  convaincu  que 
Théodoros  n’a  succombé  à la  paraplégie  que  par  défaut  de  soins.  On  verra  par  les 
observations  que  je  vais  citer  que,  lorsque  la  paralysie  n’atteint  que  les  membres 
inférieurs,  la  guérison  est  assez  fréquente,  ou  tout  au  moins,  si  les  individus  at- 
teints conservent  la  paralysie  des  membres,  ils  ne  meurent  pas,  ou  tout  au  moins 
11e  meurent  qu’au  bout  de  plusieurs  mois.  (P.  48.) 

Dans  les  deux  autres  cas,  la  paraplégie  s’est  à moitié  guérie  : 

J’ai  vu  à Symi  deux  plongeurs,  FotiKazi  Foti  et  Yanni,  qui,  pendant  la  campa- 
gne de  1867,  ont  été  tous  deux  paralysés  complètement  de  toute  la  partie  infé- 
rieure du  corps.  Ils  revinrent  aussitôt  l’un  et  l’autre  à Symi,  où  ils  furent  soignés 
par  un  docteur  qui  avait  fait  ses  études  médicales  à Paris,  M.  Migliorati.  J’ai  eu 
l’occasion  de  causer  avec  ce  dernier;  malheureusement  il  était  fort  malade,  dans 
la  période  ultime  d’une  tuberculisation  pulmonaire,  et  il  ne  put  me  donner  que  peu 
de  renseignements. 

Les  deux  plongeurs  sont  restés  trois  mois  sans  pouvoir  se  servir  de  leurs  mem- 
bres inférieurs  ; peu  à peu,  pourtant,  il  leur  a été  possible  de  faire  quelques  mou- 
vements ; la  paralysie  de  la  vessie  et  du  rectum  a disparu  la  première.  M.  Miglio- 
rali  a épuisé  sur  eux  toutes  les  ressources  de  la  thérapeutique  : frictions, 
vésicatoires,  ventouses  scarifiées,  teinture  de  noix  vomique,  soit  en  frictions, 
soit  à l’intérieur,  etc.  Il  n’a  pourtant  pas  essayé  la  cautérisation  et  la  faradisation. 

Au  moment  où  je  les  vois,  je  constate  que  la  lésion  paralytique  des  membres 
inférieurs  persiste  toujours;  il  y a plus  d’un  an  qu’ils  ont  été  frappés.  Pourtant 
la  marche  est  possible,  à condition  qu’ils  s’aideront  de  deux  bâtons,  mais  ils  n’ont 
pas  besoin  de  béquilles.  On  voit  qu’ils  ne  soulèvent  les  jambes  qu’avec  peine,  et 
ils  ne  le  font  qu’autant  que  c’est  rigoureusement  nécessaire. 


420 


HISTORIQUE. 


J’interroge  la  sensibilité,  et  je  trouve  un  affaiblissement  marqué  et,  des  deux 
côtés,  de  la  sensibilité  tactile,  de  la  sensibilité  à la  chaleur  et  au  froid,  de  la 
sensibilité  à la  douleur. 

Tous  les  autres  appareils,  toutes  les  autres  fonctions  sont  à l'état,  normal.  Je 
constate  pourtant  un  peu  d’anémie  chez  Yanni,  mais  elle  ne  tient  pas  à la  para- 
lysie; il  a eu,  pendant  l’année  1808,  des  fièvres  intermittentes  rebelles,  guéries 
depuis  peu  de  temps,  quand  je  le  vis. 

Les  muscles  des  membres  inférieurs  11e  sont  pas  manifestement  atrophiés.  Ces 
deux  hommes  continuent  à se  servir  «lu  scaphandre.  Ils  ont  repris  leurs  travaux, 
Lun  au  mois  d’octobre  1808,  l’autre  au  mois  de  mai  1861),  et  trouvent  (pie  la 
marche  est  plus  facile  dans  l’eau  qu'à  l’air  libre. 

Au  mois  de  janvier  1870,  ils  étaient  dans  le  même  état.  (P.  50.) 

Vient  ensuite  une  série  de  9 observations,  dans  lesquelles 
2 plongeurs  sont  rnoris  très-rapidement,  Tun  après  vingt-quatre 
heures,  l’aulre  après  trois  mois,  des  suites  de  la  paraplégie.  Les 
5 derniers  ont  guéri  plus  ou  moins  complètement.  Je  reproduis  in- 
tégralement ces  observations,  fort  succincles,  du  reste  : 

ï.  Le  23  juin  1808,  à Navarin,  Jorgieos  Koulcliournki,  descendu  par  une  pro- 
fondeur de  40  à 45ra,  est  resté  un  quart  d’heure  au  fond.  Selon  la  coutume  des 
plongeurs  grecs,  il  s’est  fait  hisser  après  ce  temps;  il  est  arrivé  sur  le  pont  du 
bateau  en  parfaite  santé  ; quelques  minutes  après,  il  s'est  plaint  de  tournoiements 
de  tète,  et  il  est  tombé  sur  le  pont.  Perte  de  la  parole  et  de  l’intelligence;  face 
rouge  : mort  subite. 

H.  Le  10  juillet  1808,  dans  l’Archipel  grec,  Manolis  Couloumaris,  descendu  par 
une  profondeur  de  vingt-cinq  brasses,  c'est-à-dire  à peu  près  de  40m,  est  resté 
environ  trois  quarts  d’heure  au  fond.  Au  bout  de  ce  temps,  i!  a fait  le  signal  con- 
venu, et  il  a élé  hissé.  Il  était  sur  le  pont  depuis  un  quart  d’heure  à peu  près,  et, 
au  dire  de  ses  camarades,  il  pressait  les  éponges  qu’il  avait  remontées,  lorsqu’il 
fut  brusquement  saisi  par  de  fortes  douleurs,  et  presque  aussitôt,  perle  de  con- 
naissance absolue.  Il  succomba  rapidement. 

HL  Le  15  juin  1809,  sur  la  côte  de  Bengasi,  le  nommé  Joannis  Xippas  descendit 
par  vingt  brasses  de  fond,  c’est-à-dire  de  50  à 55”.  Le  plongeur  était  descendu 
pendant  cinq  jours  de  suite,  et  à plusieurs  reprises  chaque  jour,  par  des  pro- 
fondeurs toujours  supérieures  a 50”,  et  jusqu’alors  il  n'avait  rien  éprouvé  de  fâ- 
cheux, sauf  un  peu  de  douleur  dans  le  br  as  gauche. Le  15  juin  il  on  était  à sa  se- 
conde descente,  lorsque  l’accident  lui  arriva.  Uemonté  après  un  séjour  de  plus 
d’une  demi-heure,  il  ne  parut  tout  d’abord  rien  éprouver  de  fâcheux,  et  descen- 
dit sous  le  pont  de  son  caïque  pour  se  reposer.  Le  ne  fut  qu’une  heure  aorès 
qu’un  de  ses  camarades,  descendant  auprès  de  lui,  le  trouva  sans  connaissance, 
la  figure  rouge,  les  membres  complètement  inertes  et  couverts  de  sueur  froide.  On 
essaya  de  le  réchauffer,  sans  pouvoir  y parvenir. 

On  mit  à la  voile  pour  se  rendre  à Alexandrie,  où  l’on  espérait  trouver  du  se- 
cours; mais  la  mort  arriva  au  bout  de  vingt-quatre  heures.  Le  malade  était  resté 
tout  ce  temps  dans  l’immobilité  la  plus  absolue.  Il  n’y  avait  pas  eu  de  selle  ni 
de  mixtion.  Ceux  qui  ont  assisté  à sa  mort  assurent  qu’un  peu  avant  de  mourir, 
il  aurait  donné  quelques  signes  d’intelligence  et  de  souffrance;  mais  la  paralysie 
des  membres  est  restée  complète. 

IV.  Le  1er  juillet  1869,  sur  la  côte  de  Rhodes,  le  nommé  Nicolas  Roditis,  qui 


FOUTES  PREsSlOAS  : bCArilANDRES. 


421 


plongeait  à la  machine  depuis  trois  mois  environ,  remonta  d’une  profondeur  de  55  à 
40  mètres.  Au  bout  d’une  demi-heure,  il  est  pris  de  fortes  douleurs  dans  la  région 
épigastrique,  et  en  même  temps  s’aperçoit  qu’il  ne  peut  plus  se  tenir  sur  ses 
jambes.  On  le  ramène  à Rhodes,  où  il  s’adresse  d’abord  à un  charlatan,  qui  le  fait 
mettre  dans  un  four.  Il  n’est  pas  soulagé,  comme  on  le  pense  bien  ; les  douleurs 
d’estomac  persistent;  la  paralysie  de  la  partie  inférieure  du  corps  était  complète, 
et  portait  sur  les  jambes,  les  cuisses,  la  vessie  et  le  rectum.  Aux  douleurs  de  la 
région  épigastrique  s’ajoutait  la  tension  du  ventre;  il  y avait  trois  jours  qu’il 
n’avait  pas  uriné  et  qu’il  n’avait  pas  eu  de  selles,  quand  il  fit  appeler  un  méde- 
cin italien,  qui  para  au  plus  pressé  en  le  sondant,  et  qui  essaya  ensuite  de  guérir 
sa  paraplégie.  On  lui  donna  divers  remèdes  et  on  lui  fit  des  frictions;  mais  il  a été 
impossible  de  savoir  au  juste  quel  traitement  on  lui  fit  suivre. 

Un  mois  après  l'accident,  il  arrive  à Calymnos,  où  le  voit  le  docteur  Pélicanos. 
A ce  moment,  il  est  complètement  paralysé  de  toute  la  moitié  inférieure  du  corps, 
aussi  bien  du  côté  de  la  motilité  que  de  celui  de  la  sensibilité.  La  vessie  et  le  rec- 
tum participent  à la  paralysie. 

De  plus,  il  porte  à la  partie  postérieure  et  inférieure  du  tronc  une  large  eschare 
de  14  centimètres  sur  15.  Toutes  les  parties  molles  sont  ulcérées  et  le  sacrum 
est  à nu.  A la  hauteur  des  deux  grands  trochanters,  on  voit  aussi  deux  plaies; 
l’une  a amené  la  destruction  de  la  peau  ; dans  l’autre,  l’os  est  à nu.  Eschare  au 
calcanéum  droit.  Eschare  à la  partie  inférieure  et  externe  du  cinquième  métarta- 
sien  gauche  et  «à  la  plante  du  même  pied.  Douleurs  atroces  dans  la  région  de 
l’estomac;  constipation  constante.  Le  malade  est  très-anémié. 

On  lui  donne  d’abord  du  sirop  de  lactate  de  fer,  du  quinquina,  du  vin  vieux  de 
Chypre  et  une  alimentation  aussi  réparatrice  que  possible.  On  lave  les  plaies  avec 
une  décoction  de  camomille  et  de  quinquina  ; on  le  panse  avec  du  vin  aromatique. 
De  temps  en  temps  un  purgatif  avec  l’huile  de  ricin  ou  la  poudre  de  jalap. 

Pas  d’amélioration  ; les  eschares  s’agrandissent;  une  fièvre  à type  intermit- 
tent quotidien,  à exacerbations  revenant  tous  les  soirs,  se  déclare.  C’était  évi- 
demment de  la  fièvre  hectique. 

L’appétit  est  presque  nul,  l’état  général  s’aggrave  encore;  une  eschare  gan- 
gréneuse envahit  le  prépuce,  et  enfin  le  malade  succombe  dans  le  marasme  trois 
mois  après  son  accident. 

Il  y avait  un  mois  que  la  paralysie  de  la  vessie  avait  cessé  ; mais  il  n’y  avait  eu 
aucune  amélioration  du  côté  de  la  motilité  et  de  la  sensibilité  des  membres  infé- 
rieurs. 

V.  Au  commencement  de  septembre  1808,  le  nommé  Nicolas  Kardachi  est  pris, 
sur  la  côte  de  Dengazi,  de  paralysie  des  membres  inférieurs,  de  la  vessie  et  du 
rectum.  Il  y avait  chez  lui  paralysie  complète  des  mouvements,  hypéreslhésie  de 
la  peau  et  vives  douleurs  depuis  la  hauteur  des  reins  jusqu’à  l’extrémité  des  doigts 
des  pieds. 

L’affection  s’était  déclarée  fort  peu  de  temps  après  qu’il  fut  remonté  sur  le 
pont  de  son  calque. 

On  le  ramène  aussi  vite  que  possible  à Calymnos,  où  il  arrive  cinq  jours  après 
le  début  de  la  maladie.  Il  n’avait  pas  uriné  et  n’avait  pas  eu  de  selles  ; la  vessie, 
fort  distendue,  lui  causait  de  vives  souffrances.  Le  cathétérisme,  l’emploi  des  pur- 
gatifs et  l’application  d’un  large  vésicatoire  sur  le  rachis,  à la  hauteur  des  lom- 
bes, furent  les  premiers  moyens  employés  par  M.  le  docteur  Pélicanos. 

Le  malade  était  tout  à fait  sans  fièvre  ; l’appétit  était  bon  ; le  régime  fut  tonique 
dès  le  début. 

Le  vésicatoire  de  la  région  lombaire  fut  renouvelé,  et  les  mouvements  revinrent 


HISTORIQUE. 


422 

peu  à peu,  en  même  temps  que  la  sensibilité  normale.  La  paralysie  de  la  vessie 
fut  la  première  à céder,  et  au  bout  d’un  mois  et  demi  le  malade  put  marcher  un 
peu  en  traînant  les  jambes.  On  lui  fait  d’abord  des  frictions  le  long  de  la  colonne 
vertébrale  avec  de  la  teinture  de  noix  vomique,  puis  ensuite  avec  le  liniment 
suivant  : 

Huile  d’olive 250  grammes. 

Essence  de  térébenthine 50  — 

Camphre 4 — 

Teinture  de  cantharides 4 — 

Ammoniaque  liquide 20  — 

Le  docteur  Pélicanos  se  loue  beaucoup  de  l’emploi  de  ce  dernier  médicament  ; 
les  mouvements  revinrent  peu  à peu,  et  au  bout  de  trois  mois  le  malade  était 
parfaitement  guéri. 

VI.  Septembre  1808.  — L’histoire  de  ce  malade,  nommé  Nomikas  Sissoïs,  est  tou1 
à fait  la  même  que  celle  du  précédent.  Il  fut  pris  comme  lui  en  pêchant  à Ben- 
gaz,  à la  tin  de  la  saison  de  pêche,  par  des  fonds  de  35  à 45  mètres;  il  mit  plus 
de  temps  pour  se  rendre  à Calymnos,  et  l’affection  a duré  plus  longtemps,  quo; 
qu’il  ait  pu  marcher,  en  se  traînant,  au  bout  d’un  mois. 

Le  traitement  a été  le  même,  la  durée  de  la  maladie  six  mois  ; et  en  janvier 
1870,  c’est-à-dire  quinze  mois  après  le  début,  il  ne  lui  reste  qu’une  légère  liési 
tation  dans  la  démarche.  On  a essayé  sur  lui  l’injection  dans  la  vessie  d’une  faible 
dose  de  su llate  de  strychnine;  mais  ce  moyen  n’a  pas  donné  de  résultats  satisfai- 
sants. 

VII.  Au  mois  d’août  1869,  sur  les  côtes  de  Crète,  le  nommé  Philippe  Karah- 
toni  est  paralysé  des  membres  inférieurs  après  avoir  plongé  à 35  ou  40  mètres 
de  profondeur.  La  vessie  et  le  rectum  sont  épargnés.  On  n’a  employé  comm& 
traitement  que  le  liniment  excitant  déjà  indiqué,  et  la  guérison  a eu  lieu  en 
quinze  jours. 

VIII.  Au  mois  de  septembre  1869,  dans  l’Archipel  grec,  le  nommé  Georges 
Ervloïa  est  paralysé  de  toute  la  portion  inférieure  du  corps;  la  vessie  et  le  rectum 
sont  pris;  le  malade  éprouve  aussi  de  violentes  douleurs  dans  tout  le  corps.  11 
arrive  à Calymnos  le  lendemain  du  début  de  son  affection. 

Le  cathétérisme,  un  purgatif  et  l’emploi  du  liniment  excitant  amènent  la  gué- 
rison radicale  en  vingt  jours. 

IX.  Au  mois  de  septembre  18611,  le  nomm  Georgios  Baboris  plongeait  à Can- 
die: il  fut  atteint  légèrement  de  paralysie.  Traité  à Mégalo-Castro,  il  fut  très- 
rapidement  sur  pied,  et  il  ne  lui  resta  qu’un  peu  de  faiblesse  des  membres  infé- 
rieurs. 

Après  cette  énumération  intéressante,  M.  Gai  ajoute  : 

Ce  que  nous  venons  de  montrer  par  ces  observations,  la  fréquence  des  lésions 
fonctionnelles  de  la  moelle  s’est  aussi  rencontrée  pour  les  dix  plongeurs  qui  sont 
morts  en  1867.  Trois  seulement  moururent  subitement;  les  sept  autres  traînè- 
rent plus  ou  moins  longtemps.  Ces  derniers  étaient  tous  paraplégiques.  J’ai  eu  un 
autre  but  en  citant  ces  observations,  c’est  de  faire  constater  qu’avec  des  précau- 
tions, on  peut  arriver  à diminuer  sensiblement  le  nombre  des  accidents. 

Ainsi,  en  1867,  il  y avait  en  Grèce  12  scaphandres  montés  par  24  plongeurs  ; il 
y eut  dix  morts.  Les  Grecs  descendaient  par  des  profondeurs  de  plus  de  4b  mètres, 


FOnTES  PRESSIONS  : SCAPHANDRES. 


423 


se  faisaient  hisser  rapidement  quand  ils  voulaient  remonter,  faisaient  un  nombre 
considérable  de  plonges  pendant  la  journée. 

En  1868,  il  y avait  au  moins  dix  machines  à Calymnos  seulement.  Elles  em- 
ployaient trente  plongeurs;  il  y eut  deux  morts,  et  deux  paraplégies  suivies  de 
guérison. 

En  1869,  plus  de  quinze  machines,  occupant  plus  de  quarante-cinq  plongeurs. 
Trois  morts  et  trois  paraplégies. 

Je  irai  pu  faire  cette  statistique  que  pour  file  de  Calymnos;  mais  on  voit  com- 
bien le  nombre  et  la  gravité  des  accidents  ont  diminué.  La  mesure  de  prendre 
trois  plongeurs  par  machine,  pour  diminuer  le  travail  journalier  de  chacun  d’eux, 
et  un  peu  plus  de  prudence  pour  ce  qui  regarde  la  profondeur,  ont  suffi  pour 
amener  ce  résultat.  Un  petit  livre  publié  en  grec  par  M.  Denavrouse  et  répandu  à 
profusion  parmi  les  pêcheurs,  a contribué  sans  doute  pour  sa  part  à cette  amé- 
lioration. (P.  56.) 

Nous  arrivons  ainsi  à la  seconde  catégorie  de  maladies  observées 
chez  les  plongeurs.  M.  Gai  les  désigne  sous  le  nom  de  Maladies  à 
début  insidieux  : elles  sont,  selon  lui,  les  manifestations  multiples 
(amaigrissement,  pertes  de  force)  d’une  anémie  particulière  : 

Comme  l’a  fait  Foleÿ,  nous  attribuons  l’amaigrissement  à l'action  même 
de  l’air  comprimé  et  ce  que  nous  avons  constaté  maintes  fois,  qu’après  plusieurs 
jours  de  travail,  tous  les  plongeurs  sans  exception  offraient  des  symptômes  évi- 
dents d’anémie,  et  une  prédisposition  beaucoup  plus  marquée  à être  atteints  par 
les  alfections  à début  brusque.  C’était  à ce  moment-là  que  presque  tous  éprou- 
vaient des  douleurs  musculaires  plus  ou  moins  vives,  et  que  la  prudence  nous 
faisait  une  loi  de  leur  faire  prendre  un  repos  réparateur.  (P.  57.) 

Je  dois  à AL  le  Dr  Sampadarios,  d’Égine,  une  série  d’observations 
curieuses  et  inédites  que  je  transcris,  sans  en  rien  retrancher  ; je 
suis  heureux  de  pouvoir  le  remercier  ici  de  ses  intéressantes  com- 
munications : 

Observation.  I.  — Pendant  l’été  de  l’année  1866  on  m’a  appelé  pour  visiter 
le  sieur  L.  Cet  homme  plongeait  en  scaphandre  depuis  quelque  temps  pour  pêcher 
l’éponge,  il  avait  quarante  ans.  La  veille,  étant  retiré  du  fond  de  la  mer,  il  était 
tombé  dans  un  état  comateux;  lorsque  je  l’ai  vu,  il  était  aux  derniers  moments, 
la  face  bouffie,  bleuâtre,  comme  mort  d’asphyxie. 

Observation.  II.  — En  1867,  j’ai  observé  un  autre  malade;  il  était  descendu, 
dit-il,  trois  fois  dans  la  même  journée  pour  pêcher;  à la  troisième  il  avait 
senti  au  fond  de  la  mer  une  gêne  de  la  poitrine,  et  à peine  avait-il  eu  le 
temps  d’avertir  en  donnant  le  signe  de  le  retirer.  Ramené  dans  le  bateau, 
il  était  tombé  dans  un  état  comateux,  tout  à fait  insensible,  dont  il  s’était 
remis  après  trois  heures.  Il  avait  alors  dyspnée,  paralysie  complète  des  mem- 
bres inférieurs  et  de  la  vessie,  constipation,  paralysie  incomplète  (parésie)  des 
membres  supérieurs,  d’un  côté  surtout.  La  dyspnée  avait  bientôt  disparu,  on  a 
été  obligé  de  vider  la  vessie  par  la  sonde.  On  a suivi  le  malade  pendant  un  mois,  il 
y a eu  une  amélioration,  puis  on  l’a  perdu  de  vue. 

Observation.  III.  — N.  B.,  visité  par  un  autre  confrère;  il  a depuis  quelques 


4*24 


HISTORIQUE. 


mois  une  paralysie  des  membres  inférieurs  et  de  la  vessie,  avec  constipation,  les 
urines  sont  vidées  toujours  au  moyen  de  la  sonde.  On  remarque  seulement  une 
faible  flexion  dans  F articulation  coxofémoraie  et  dans  celle  du  genou  : paralysie  de 
la  sensibilité  plus  ou  moins  avancée.  Le  malade  retiré  du  fond  de  la  mer  était 
resté  pendant  quelques  heures  dans  un  état  comateux  ; lorsqu'il  s’étad,  remis,  il 
avait  de  la  dyspnée,  et  les  membres  étaient  paralysés. 

Observation . IY.  — N.  À.  jeune  homme  robuste,  de  l’âge  de  vingt-cinq  ans,  bien 
portant  jusqu'à  présent;  depuis  quelque  temps  il  était  attaché  à une  compagnie  de 
pécheurs  d’éponge,  et  il  plongeait  à scaphandre.  J’ai  été  appelé  pour  le  visiter 
le  20  juillet  1870,  il  m’a  raconté  que  deux  jours  avant  il  avait  trop  travaillé, 
parce  qu’il  était  resté  cinq  heures,  dit-il,  au  fond  de  la  mer  pour  ramasser  des 
éponges,  et  par  conséquent  il  avait  senti  une  espèce  de  défaillance.  Cependant  il 
avait  plongé  de  nouveau  pour  travailler;  mais  après  une  demi-heure  de  travail, 
il  a senti  qu’il  se  trouvait  mal,  il  a donné  le  signe  de  le  retirer,  et  on  l’a 
retiré,  dit-il,  bien  vite,  comme  on  a l’habitude,  lorsqu’on  voit  qu’on  se  trouve  en 
danger;  on  lui  a ôté  bien  vite  aussi  le  scaphandre,  après  quoi  il  est  tombé  dans 
un  état  d’insensibilité.  Il  avait  senti  un  engourdissement  des  membres,  du  tour- 
noiement de  la  tête,  et  de  sa  bouche,  dit-il,  sortait  de  l’écume.  On  n’avait  pas 
appelé  un  médecin,  parce  que  de  pareils  symptômes  s’étaient  présentés  plusieurs 
fois  aux  plongeurs,  et  qu’au  moyen  de  frictions  et  de  révulsifs  aux  extrémités, 
ils  étaient  remis  après  quelques  heures.  Lui  aussi  s’était  remis  de  cet  état  coma- 
teux après  cinq  heures,  après  qu’il  eût  vomi  plusieurs  fois;  mais  pendant  vingt- 
quatre  heures  il  avait  des  tournoiements  de  tète,  lorsqu’il  ouvrait  les  yeux  ; les 
membres  inférieurs  et  la  vessie  étaient  paralysés.  Il  y avait  encore  au  com- 
mencement une  espèce  de  parésie  des  membres  supérieurs,  qui  disparut  vite, 
mais  la  rétention  de  l’urine  complète  persista,  et  c’est  pour  cela  qu’on  m’a  appelé 
le  troisième  jour. 

J'ai  trouvé  la  vessie  montant  jusqu’à  l’ombilic:  il  y a de  la  constipation,  les 
membres  inférieurs  sont  paralysés  : à droite  paralysie  complète  de  la  sensibilité 
et  du  mouvement,  à gauche  la  sensibilité  se  conserve  en  partie  avec  mouvement 
de  flexion  faible  à l’articulation  coxo-fémorale;  il  n’y  a aucun  autre  dérangement, 
pas  de  douleur  à la  colonne  vertébrale.  Nous  avons  vidé  la  vessie  par  la  sonde  ; le 
lendemain  un  purgatif  d’huile  de  ricin  a donné  des  évacuations.  Nous  avons  con- 
tinué à sonder  le  malade;  enfin,  après  vingt  et  un  jours,  le  malade  a pu  vider  la 
vessie  tout  seul.  11  faut  noter  qu’après  le  huitième  cathétérisme  est  survenu  un 
accès  très-fort  de  fièvre  intermittente,  contre  lequel  nous  avons  donné  la  qui- 
nine, et  qui  ne  s’est  pas  répété. 

La  paralysie  des  membres  cède  aussi  aux  frictions  irritantes,  et  le  quarantième 
jour  le  malade  a pu  marcher  avec  des  béquilles.  Nous  lui  avons  administré  l’ex- 
trait de  noix  vomique,  des  douleurs  se  sont  présentées  le  long  des  membres, 
mais  sans  aucune  amélioration  perçue.  Ne  connaissant  pas  la  nature  de  la 
maladie,  nous  avons  fait  un  traitement  symptomatique;  nous  lui  avons  donné 
intérieurement  l’iodare  de  potassium. 

24  octobre.  — Les  membres  inférieurs  sont  encore  faillies,  surtout  à gauche, 
où  l’on  remarque  en  même  temps,  à la  jambe  et  au  pied,  manque  de  sensibilité 
de  la  douleur  et  du  contact,  sensation  modérée  du  froid.  A droite,  où  il  y avait 
au  commencement  paralysie  complète  du  sentiment  et  du  mouvement,  persiste 
seulement  de  l’insensibilité  à la  partie  externe  du  dos  du  pied.  Les  mouvements 
actifs  se  font  bien,  excepté  une  faiblesse  à gauche  à l’articulation  tibio-tarsienne, 
surtout  à la  flexion.  Les  mouvements  passifs  sont  naturels. 

L’examen  par  l’électricité  (appareil  d’induction)  rencontre  à droite  la  conlrac- 


FORTES  PRESSIONS  : SCAPHANDRES. 


4-5 


tilité  électrique  diminuée  des  muscles  qui  dépendent  du  nerf  péronier.  A gauche 
non-seulement  ceux-ci,  mais  encore  les  jambiersont  la  contractilité  électrique  di- 
minuée. Les  autres  muscles  réagissent  bien,  comme  ceux  du  ventre. 

Nous  avons  continué  à faradiser  la  peau  et  les  muscles  des  membres  et  du 
ventre.  Il  y a eu  une  amélioration.  Pendant  deux  heures  après  la  faradisation  le 
malade  sentait  ses  mouvements  libres,  comme  s’il  était  tout  à fait  bien  portant. 

28  novembre.  - Insensibilité  de  la  douleur,  du  contact  et  du  froid  à gauche 
jusqu’à  la  moitié  de  la  cuisse,  même  la  moitié  du  pénis,  à droite  seulement 
insensibilité  de  la  douleur  et  du  contact  au  pied  ; faiblesse  des  membres,  pour- 
tant l’extension  du  pied  à droite  est  très-incomplète.  Si  le  malade  ferme  les  yeux, 
il  chancèle  et  il  va  tomber.  Incoordination  ou  irrégularité  des  mouvements  pen- 
dant la  marche,  contractions  involontaires,  convulsives,  par  action  réflexe  des 
membres  inférieurs,  par  exemple  de  la  morsure  d’une  puce  aux  fesses  ou  aux 
lombes.  Quelquefois  rétention  de  l’urine,  d’autrefois  incontinence.  Nous  lui  avons 
appliqué  deux  cautères  à la  colonne  vertébrale,  et  nous  lui  avons  donné  à l’in- 
térieur l’iodure  de  potassium. 

10  décembre.  — Amélioration,  il  veut  s’en  aller. 

Après  mes  publications  que  j’ai  faites  à propos  de  cette  question,  en  1871,  au 
mois  de  septembre,  M.  le  docteur  Cotsonopoulos,  de  Nauplie  de  la  Morée,  a publié 
une  observation  suivie  d’autopsie  dans  le  journal  grec  Asclépios  (Esculape),  où 
sont  publiées  aussi  mes  observations.  Je  vous  en  fais  la  traduction. 

D.  N.  à l’àge  de  50  ans,  marin  bien  constitué,  fort,  travaillant  depuis  une  année 
avec  le  scaphandre  anglais,  a été  transporté  le  2 mai  à l’hôpital  de  Nauplie.  Avant 
6 jours  il  travaillait  au  bord  du  golfe  argolique,  à la  profondeur  de  50  mètres  sur 
un  sol  boueux.  Lorsqu’on  l’a  retiré,  il  a senti  une  douleur  aux  lombes  et  un  fort 
engourdissement  des  membres  inférieurs,  dont  les  mouvements  après  une  heure 
étaient  tout  à fait  impossibles.  Les  camarades  lui  ont  lait  des  frictions  et  ils  lui 
ont  cautérisé  le  pénis.  Un  médecin  l’a  saigné -avant  son  entrée  à l’hôpital  et  il 
lui  a appliqué  sur  les  lombes  plusieurs  fois  des  ventouses,  un  vésicatoire  qu’il  a 
saupoudré  avec  la  strychnine,  et  des  cautères  avec  le  cautère  actuel.  A son  en- 
trée à l’hôpital  la  paraplégie  était  complète  ; aucun  mouvement  des  membres 
inférieurs  ; aucune  contraction,  même  par  l’électricité,  dit-on  ; perte  de  la  sensi- 
bilité et  même  de  la  sensibilité  électrique.  Le  tiers  supérieur  de  la  cuisse  un  peu 
sensible  ; le  malade  avait  quelquefois  spontanément  un  sentiment  de  brûlure 
aux  jambes;  paralysie  de  la  vessie,  paresse  du  tube  digestif,  le  ventre  gonflé  : on 
vidait  la  vessie  deux  fois  par  jour.  La  pression  à la  colonne  vertébrale  n’était  pas 
douloureuse.  Un  érythème  douloureux  existe  à la  région  sacrée,  c’est  le  commen- 
cement de  la  gangrène  du  décubitus,  qui  se  développe  plus  tard.  Pas  de  fièvre. 
En  présence  de  pareilles  symptômes  survenus  subitement  avec  douleur  aux 
lombes,  on  a admis  une  hémorrhagie  dans  la  colonne  vertébrale  et  on  a 
ordonné  de  nouveau  des  venlouses  et  des  sangsues  à l’anus,  des  purgatifs  et  des 
lavements  vinaigrés,  les  purgatifs  n’ayant  rien  fait.  Il  y a eu  une  petite  amé- 
lioration : la  sensibilité  a augmenté  un  peu  à la  partie  supérieure  des  cuisses, 
mais  bientôt  le  mal  a fait  des  progrès  ; une  cystite  se  développe  avec  gangrène  de 
dubitus,  lièvre,  frissons,  incontinence  avec  rétention,  évacuations  involontaires; 
enfin,  par  suite  des  progrès  de  la  gangrène,  le  sacrum  est  tout  à fait  dénudé. 
Aux  derniers  jours  de  la  maladie  des  eschares  s’étaient  présentées  aux 
talons. 

La  mort  survient  le  quarantième  jour  du  commencement  de  la  maladie.  Le 
malade  avait  conservé  ses  facultés  intellectuelles  intactes  jusqu’à  la  fin. 


426 


HISTORIQUE. 


Autopsie.  — C’est  avec  difficulté  que  les  parents  ont  permis  de  faire  l’autopsie. 
Le  docteur  Jéanopoulos  était  présent.  On  a ouvert  le  canal  dorsal,  et  on  a trouvé 
du  sang  en  quantité  demi-coagulé,  rouge-noir,  situé  entre  la  dure-mère  et  le 
canal  osseux  et  s’étendant  de  la  première  vertèbre  lombaire  jusqu’à  la  tin  du  suc 
méningien.  La  surface  extérieure  de  la.  dure-mère,  qui  était  mouillée  par  le 
sang,  était  d’une  couleur  rouge-noire  et  infiltrée  de  sang  extravasé.  Sa  surface 
interne  après  la  section  était  trouvée  blanchâtre  et  un  peu  injectée.  A la 
partie  inférieure  de  la  cavité  sous-arachnoïdienne  existait  aussi  un  épanchement 
de  sang  rouge  foncé,  demi-coagulé  en  quantité  assez  grande  autour  des  nerfs 
formant  la  queue  du  cheval.  Ayant  fait  des  incisions  dans  différents  endroits 
de  la  moelle  épinière,  nous  avons  trouvé  que  sa  portion  lombaire  en  grande  par- 
tie et  le  tiers  supérieur  de  la  portion  thoracique  avaient  subi  le  ramollissement 
blanc  à un  degré  considérable,  parce  que  à peine  la  pie-mère  était  coupée  ou  dé- 
chirée, la  substance  de  la  moelle  coulait,  pour  ainsi  dire,  dehors.  Les  autres  por- 
tions de  la  moelle,  celles  mêmes  qui  étaient  situées  entre  les  portions  ramollies, 
avaient  la  consistance  naturelle  ; pas  de  congestion  ni  dans  la  moelle  ni  dans  la 
pie-mère.  Les  parents  du  malade  étant  venus,  on  n’a  pas  fait  l’examen  des  au- 
tres cavités  ; on  a ouvert  seulement  l’hypogastre  pour  voir  la  vessie,  dont  les 
parois  étaient  très-hypertrophiées. 

Telles  sont  les  observations  qu’on  a publiées  chez  nous  jusqu’à  présent  concer- 
nant cette  question. 

Si  nous  analysons  ces  divers  faits,  nous  voyons  que  la  mort  est  arrivée  de  deux 
manières  : ou  tout  de  suite  ou  par  lésion  de  la  moelle  épinière.  Lorsqu’on  pré- 
cisera la  nature  de  cette  maladie,  on  pourra  savoir  si  ce  sont  deux  causes  diffé- 
rentes qui  produisent  ces  deux  sortes  de  manifestations  morbides,  où  si  ce  sont 
des  différents  degrés  d’une  affection. 

Je  dois  remarquer  seulement  que  si  on  voulait  expliquer  ces  accidents  seulement 
par  le  changement  de  la  pression  atmosphérique,  cela  ne  suffirait  pas  ; parce  que 
bien  certainement  le  dérangement  de  la  santé  commence  au  fond  de  la  mer. 
Le  pêcheur  sent  qu’il  se  trouve  mal,  et  il  donne  le  signe  de  le  retirer.  M.  Cotso- 
nopoulos  cite  un  cas  où  l’on  a retiré  le  plongeur  presque  mort,  et  il  a été  mort 
après  quelques  mouvements.  Le  malade  que  j’ai  soigné  m’a  raconté  aussi  un  pareil 
accident.  Je  ne  suis  pas  sûr  si  la  mort  est  arrivée  de  la  même  manière  à mon 
malade  (observation  I).  Ces  gens  racontent  qu'ils  se  trouvent  mal  lorsqu’ils 
travaillent  à une  grande  protondeur  pendant  quatre  ou  cinq  heures,  lorsqu’il  y a du 
vent  et  des  vagues,  et  peut-être  alors  on  ne  peut  pas  régler  la  pression  de  la  ma- 
chine, enfin  lorsqu’ils  se  fatiguent  trop.  Il  faut  noter  que  lorsque  le  plongeur 
donne  le  signe  qu’il  se  trouve  mal,  on  s’empresse  de  le  retirer  bien  vite,  et  au 
premier  dérangement  s’ajoute  peut-être  celui  de  la  décompression  brusque.  Lors- 
qu’ils descendent  à une  profondeur  plus  grande  que  50  mètres,  ils  ne  peuvent 
pas  y travailler  longtemps  ; plus  ils  descendent  profondément  moins  ils  reste- 
raient. Du  reste  quelquefois  la  pression  de  la  machine  n’est  pas  assez  forte  ou 
régulière,  el  le  plongeur  sent  la  colonne  de  l'eau  qui  commence  de  lui  presser 
l’habit  autour  des  mains  et  des  pieds,  alors  il  fait  le  signe  convenu  et  on  lui 
envoie  de  l’air.  Il  paraît  qu’on  travaillait  chez  nous,  au  commencement  au  moins, 
avec  le  scaphandre  anglais. 

Quant  à la  paraplégie  qui  persiste,  on  voit  qu’elle  se  présente  comme  un  reste 
d’un  dérangement  qui  a agi  sur  tout  l'organisme  (observations  2,  4),  mais  qui 
n’ayant  pas  causé  la  mort,  ne  laisse  de  dérangement  matériel  que  dans  la  moelle 
épinière,  parce  qu'on  ne  peut  pas  accepter  que  cette  affection  de  la  moelle 


FORTES  PRESSIONS  : SCAPHANDRES. 


427 


seulement  a causé  la  mort  ou  cet  état  général  qu’on  observe  au  commencement. 
Mais  quelle  est  la  nature  de  cette  affection  ? M.  Le  Roy  de  Méricourt  pense  qu’il 
se  fait  des  hémorrhagies  capillaires  dans  la  moelle  pendant  la  décompression. 
Chez  notre  malade  (observ.  4),  nous  avons  vu  au  commencement  une  paraplégie, 
une  abolition  complète  des  fondions  de  la  moelle  ; une  amélioration  très-grande 
est  survenue  après  quelques  jours,  et  plus  tard  nous  avons  eu  le  tableau  d’une 
myélite.  Le  siège  de  l’affection  devait  être  dans  la  portion  thoracique,  pour  que 
nous  ayons  la  vessie  et  le  rectum  plus  ou  moins  paralysés,  car,  lorsque  la  région 
lombaire  souffre,  il  y a seulement  paralysie  des  extrémités  inférieures. 

L’autopsie  de  l’autre  malade  nous  a donné  un  ramollissement  diffus  de  la  moelle 
et  une  hémorrhagie.  Mais  c’est  le  ramollissement  de  la  moelle,  qui  occupait 
même  la  portion  thoracique,  qui  peut  expliquer  les  symptômes  de  la  paralysie 
de  la  vessie  et  du  rectum  et  non  pas  l’hémorrhagie  qui  occupait  la  portion 
lombaire.  Quant  à nous,  nous  pensons  que  les  ecchymoses  des  membranes  sont 
en  relation  avec  la  gangrène  du  sacrum.  Disons  de  plus  que  noire  malade  n’avait 
senti  aucune  douleur,  et  il  s’en  serait  produit  dans  une  hémorrhagie  des  mem- 
branes de  la  moelle. 

Mais  comment  se  produisit  cette  inflammation  de  la  moelle?  Est  ce  par  des 
hémorrhagies  capillaires?  Est-ce  par  dilatation  des  capillaires  par  les  gaz  et  de 
suite  par  altération  de  nutrition  (ramollissement)  ? 

Les  examens  microscopiques  sur  des  hommes  ou  sur  des  animaux  pourront  élu 
cider  cette  question. 


Samsoun  (Turquie  d’Asie),  G juin  1875. 


CHAPITRE  II 


FAIBLES  PRESSIONS. 


Les  pressions  dont  il  s’agit  dans  ce  chapitre  n’ont  jamais  atüeint 
une  atmosphère  surajoutée  à l’atmosphère  normale.  Les  ouvriers 
employés  à la  fondatiorrdes  piles  de  pont,  les  plongeurs  à scaphandre 
sont  eux  aussi  évidemment  soumis  fréquemment  à ces  pressions 
médiocres  ; mais  comme  ils  n’y  éprouvent  aucun  malaise  (sauf  les 
douleurs  d’oreilles  du  début)  comme  ils  en  sortent  sans  encombre, 
l’attention  des  ingénieurs  ou  des  médecins  n’a  presque  jamais  été 
appelée  sur  les  phénomènes  qu’on  aurait  pu  observer  dans  ces 
conditions. 

Il  en  est  tout  autrement  pour  les  pressions  basses  que,  dans  un 
but  thérapeutique,  les  médecins  emploient  fréquemment  aujour- 
d’hui. Ici,  au  contraire,  les  observations  délicates,  d’ordre  pure- 
ment physiologique,  ont  été  accumulées,  et  l’on  a étudié  l’action  de 
l’air  faiblement  comprimé  avec  le  meme  soin  et  suivant  la  meme 
méthode  que  celle  d’une  substance  médicamenteuse  quelconque  : à 
savoir  sur  l’homme  sain  d’abord,  puis  dans  divers  cas  pathologiques. 

C’est  à trois  médecins  français,  Junod  de  Paris,  Tabariô  de  Mont- 
pellier et  Pravaz  de  Lyon,  que  revient  l’honneur  d'avoir  introduit 
dans  la  thérapeutique  un  agent  dont  la  puissance  est  chaque  jour 
constatée  par  les  praticiens  et  dont  l’emploi  deviendra,  on  peut  l’af- 
tirmer,  de  plus  en  plus  fréquent.  Je  ne  veux  pas  prendre  un  parti 
dans  la  querelle  qui  s’est  élevée  entr  e eux  au  sujet  de  la  priorité  de 
l’invention;  autant  qu’il  me  semble,  elle  appartient  à M.  Junod; 
c’est  lui,  du  moins,  qui  fit  à ce  sujet  les  premières  publications. 


L'établissement  aérothérapeutique  du  docteur  Carlo  Fornanini,  à Milan. 

Cylindre  horizontal  contenant  deux  chambres;  la  paroi  antérieure  de  celle  de  droite 

a été  enlevée. 


450 


HISTORIQUE. 


Aujourd’hui,  ies  appareils  destinés  au  Iraitement  par  l’air  com- 
primé sont  assez  nombreux.  On  en  trouve  : en  France,  deux  établis- 
sements à Paris,  d’autres  à Lyon,  Montpellier,  Nice;  en  Allemagne, 
à Hanovre,  à Stuttgard,  à Wiesbaden,  à Jobannisberg,  à Reichen- 
hall,  à Ems;  en  Danemark,  à Altona  ; en  Suède,  à Stockholm  ; en 
Écosse,  à Peu  Rhydding;,  en  Angleterre,  à Londres;  en  Italie,  à 
Milan.  La  figure  ci-contre  représente  l’appareil  que  le  Dr  Fornanini 
a installé  dans  cette  dernière  ville. 

Les  divers  directeurs  de  ces  établissements  diffèrent  d’opinion 
quant  à la  pression  qu’il  convient  d’employer  ou  plutôt  quant  au 
degré  par  lequel  il  faut  débuter.  Il  en  est  qui  tiennent  pour  les 
pressions  fortes,  de  50  centimètres  au  moins;  à Paris,  M.  Leval- 
Piquechef  se  trouve  bien  de  débuter  avec  une  grande  prudence, 
par  10  cent,  au  plus.  Il  ne  m’appartient  pas  de  discuter  ces  divers 
points  de  pratique;  je  ne  m'occuperai  pas  non  plus  des  applications 
thérapeutiques  de  la  méthode,  me  bornant  à dire  une  fois  pour 
toutes  que  son  efficacité  a été  reconnue  très-puissante  dans  l’asthme 
emphysémateux,  dans  les  bronchites  chroniques,  dans  les  chloro- 
anémies,  et  les  hémorrhagies  passives;  elle  paraît  être  à la  fois 
tonique  et  sédative,  pour  employer  le  langage  de  l’École1. 

1 Voici  la  série  des  principaux  travaux  qui  ont  été  publiés  sur  l’emploi  thérapeutique 
de  l'air  comprimé.  Je  n’y  ai  pas  compris  ceux  que  je  cite  et  analyse  dans  le  présent  cha- 
pitre et  dans  le  chapitre  suivant.  Celte  énumération  montrera  à quelle  étonnante  variété 
de  maladies  on  a essayé  d’appliquer  la  médication  nouvelle  : 

Pravaz,  Mém.  sur  V emploi  du  bain  d'air  comprime  dans  le  traitement  des  affections 
tuberculeuses,  des  hémorrhagies  capillaires  et  des  surdités  catarrhales.  — Acad,  de 
Med.  de  Paris,  G déc.  1857.  — Cpt.  R.  Acad,  des  Sciences,  t.  VII,  p.  285,  1838. 

Id.  De  V influence  de  la  respiration  sur  la  santé  et  la  vigueur  de  l'homme.  — Lyon, 

1842.’ 

Id-  Mémoire  sur  l'emploi  de  la  compression  au  moyen  de  l'air  condensé  dans  les 
hydarthrpses , et  sur  la  possibilité  de  réduire  certaines  luxations  spontanées  de  la  hanche. 

— Lyon,  1843. 

Dubreuil,  Bains  d'air  comprimé.  — Marseille,  1848. 

De  la  Prade,  Rapport  sur  le  mémoire  relatif  aux  bains  d’ air  comprimé , in  Essai  sur 
l'emploi  médical  de  l'air  comprimé,  par  Pravaz.  — Lyon,  1850. 

Povser,  On  the  treatment  of  chronic  and  ollter  diseases  by  baths  of  comprcssed  air. 
_ Association  Med.  Journal,  sept.  9,  1855. 

Devay,  Du  bain  d'air  comprimé  dans  les  affections  graves  des  organes  respiratoires. 

— Gazette  hebd.,  1855. 

Schütz.  Briefliche  Mittheilungen  aus  Nizza.  — Deutsche  Ivlinik,  février  1857. 

Bottini,  Dell  aria  compressa  corne  agente  terapeutico . — Gazz.  med.  italiana,  Stati 
Sardi,  1857 

A.  Simpson,  Compressed  air  as  a therapeutic  agent.  — Edinburgh,  1857. 

Hau°liton,  On  the  use  of  the  compressed  air  baths.  — Dublin,  IJosp.  Gaz.,  1858. 

Pravaz  fils,  Des  effets  physiologiques  et  des  applications  thérapeutiques  de  l'air  com- 
primé. — Lyon,  1859. 

Gindrod,  The  compressed  air-bath,  a therapeutical  agent  ni  varions  affections  of  the 
respiratnmj  organs  and  other  diseuses.  — London,  1860. 


FAIBLES  PRESSIONS  : APPAREILS  MÉDICAUX.  431 

Avant  d'arriver  à l’énumération  des  témoignages  recueillis 

Lippert(in  Nizza),  Ueber  Paris  naeh  Nizza,  medicinishe  Beiseskizze. — Deutsche  Klinik, 
octobre  1861. 

Trier,  Oni  Bode  i fortœttet  luft.  — Kjôbenhavn,  1865. 

G.  Lange.  Der  pneumatische  apparat.  — Wiener  Med.,  Wochenschift,  août  1863. 

Levinstein,  Beobaciilungen  über  die  Einwirkung  der  verdicliteten  Luft  bei  Krankheiten 
der  Respirations  - und  Circulations  - Organe.  — Berl.  Wochenschrift,  1864. 

Freud,  Ber  pneumatische  apparat.  Wirkung  und  Anwendung  der  comprimirten Luft 
in  verse hiedenen  Kranhheiten.  — Wien,  1864. 

Fischer,  Errichtung  eines  Luft  compression  Apparates  zu  Hannover.  — 1864. 

Joseplison,  Die  therapeutische  Auwendung  der  comprimirten  Luft.  — Deutsche  Kli- 
nik, 1864. 

Levinstein,  Grundzüge  zur  practisclicn  Otiartie  mit  Beriicksichtigung  der  neuesten 
thcrapeutischen  Technik , etc.  — Berlin,  1865. 

Smoler,  Die  Anwendung  der  comprimirten  Luft  in  Krankheiten  der  Gehôrorganes, 
Osterr.  Zeists.  f.pract.  Heilkuiule.  — Wien,  1865. 

Storch,  Jagttagelser  over  Virkningen  af  comprimiret  Luft  ved  behandlingen  afBryst- 
ticlelser,  meddelle  fra  Basmussens  medico-pneumatiske  Austalt.  — lIospitals-TDlende 
VIII.  Aarg.  — Kjôbenhavn,  1865. 

Sandahl,  Nyare  undersôkningar  och  iakttagelser  rôrande  de  fgsiologiska  och  terapeu- 
tiska  verkningarne  af  bad  i fôrtâtad  luft.  Ilygiea.  — Stockholm,  1865. 

id.,  Beraltelse  om  den  mediko-pneumatiska  anstaltcns  verksamhct  i Stockholm  under 
aren  1863  och  1864.  — Stockholm,  1865. 

Freud,  Vortrag  über  der  pneumatisch  Apparat,  und  seine  Wirkung  en  im  Wiener  Doc- 
toren  colleg.  — Zeitsch  f.  pract.  Heilk.,  1865. 

Bertin  (Emile).  Analyse  de  trois  brochures  sur  l'air  comprimé.  — Montpellier  mé- 
dical, 1866. 

Kryszka,  Der  atmosphârisclie  Druck.  — Vocli.  d.  Zeitsch  der  K.  K.  Gcsellscb.  der  Aerzle 
in  Wien,  1866. 

Pravaz  fils,  De  V application  de  V air  comprimé  au  traitement  delà  surdité  catarrhale. 

— Grenoble,  1866. 

Brünniche,  Berelning  omA.  Basmussens  medico-pneumatiske  Austalt  i 1866.  — Bi- 
bliotek  for  Lager.  Kjôbenhavn,  1867. 

George  v.  Liebig,  Der  pneumatische  Apparat  zu  Beichenhall  und  andere  Forlschritte 
des  gen.  Kurorts.  — Bayer,  arztl,  Inlell.  Blatt;  1867. 

Id.  Der  pneumatisehc  Apparat  zu  Beichenhall  wàhrend  der  Saison  von  1867.  — Ibid., 
1868. 

Sandahl,  Des  bains  d'air  comprimé.  Court  aperçu  de  leurs  effets  physiologiques  et 
thérapeutiques, — Stockholm,  1867. 

Boussaux,  De  V aèrothérapie.  — Thèse  de  Paris,  1868. 

Levinstein,  Zur  Casuistik  der  Anwendung  der  verdicliteten  Luft  bel  Lungenkrankcn. 

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Féréol,  Applications  thérapeutiques  de  l'air  comprimé . — Gaz.  méd.,  1875,  p.  238. 


432 


HISTORIQUE. 


par  les  physiologistes  et  les  médecins,  je  crois  devoir  rapporter, 
d’après  Jæger1,  le  récit  d’une  catastrophe  qui  fit  grand  bruit  en 
son  temps,  et  dons  laquelle  ouvriers  et  médecins  prétendirent 
que  l’air  comprimé  avait  contribué  à augmenter  les  souffrances 
des  victimes,  ce  qui,  à mes  yeux,  n’est,  rien  moins  que  dé- 
montré. 

Les  28  février  1812,  à i l heures  du  matin,  une  fosse  de  la  mine 
à charbon  de  Beaujeu,  près  Leodium,  fut  envahie  par  les  eaux  ; 
127  ouvriers  se  trouvaient  à 270m  de  profondeur.  90  d’entre  eux 
furent  bloqués  au  fond  d’une  galerie,  dans  de  l’air  comprimé  « ca- 
pable de  soutenir  l’eau  à 64  pieds  dans  un  tube  métallique,  et 
dont  la  densité  était  par  conséquent  double  de  celle  de  l’atmo- 
sphère ».  Ils  restèrent  7 jours  dans  celte  position  critique;  70  seu- 
lement survécurent  : 

Comme  il  était  impossible  à ces  malheureux  de  communiquer  avec  le  reste  de 
la  fosse,  ils  restèrent  confinés  dans  un  étroit  espace,  privés  d’air  et  de  toutes 
choses.  Mais  leur  chef  Coftîn  et  son  fils  montrèrent  un  courage  héroïque  . . . 

Un  ne  parvint  à eux  que  le  septième  jour.  Ainsi,  pendant  sept  jours  et  autant 
de  nuits,  ils  furent  privés  de  lumière  et  de  nourriture,  et  épuisés  par  un 
travail  continuel.  Il  souf  frirent  incroyablement  de  la  faim  et  de  la  soif  ; la  respi- 
ration était  difficile,  et  les  chandelles,  par  le  manque  d’air,  s’éteignaient.  Ils  res- 
sentaient une  ardeur  suffocante,  la  peau  était  sèche  et  brûlante.  Us  assurèrent  que 

la  pression  énorme  de  l'air  leur  était  fort  pénible Quelques-uns  devinrent  fous, 

et  les  autres  devaient  les  secourir  et  se  protéger  contre  eux 

Dans  mon  opinion,  la  densité  étonnante  de  l’air  fut  la  cause  de  ces  phénomènes. 
Il  n’est  pas  douteux  que  l’air  n'ait  produit  plus  de  chaleur  par  sa  condensation, 

car,  on  le  sait,  celle-ci  peut  arriver  à produire  du  feu Il  arrive  ainsi  que  les 

processus  de  combustion  se  sont  tellement  accélérés  dans  les  poumons,  que  la 
sensation  de  chaleur  peut  s'expliquer  (p.  98). 

La  première  publication  relative  aux  symptômes  éprouvés  parles 
hommes  placés  dans  l’air  comprimé  est  due  à M.  Junod2.  Il  rend 
compte  de  ses  observations  dans  les  termes  suivants  : 

Lorsqu’on  augmente  de  moitié  la  pression  naturelle  de  l'atmosphère  sur  le 
corps  de  l’homme  placé  dans  le  récipient,  voici  ce  que  l’on  observe  : 

1°  La  membrane  du  tympan  refoulée  vers  l’oreille  interne  devient  le  siège 
d’une  pression  assez  incommode.  Toutefois,  elle  se  dissipe  à mesure  que  l’équi- 
libre se  rétablit. 

2°  Le  jeu  de  la  respiration  se  fait  avec  une  facilité  nouvelle,  la  capacité  des 
poumons  pour  l’air  semble  augmenter,  les  aspirations  sont  grandes  et  moins  fré- 
quentes ; au  bout  de  15  minutes,  on  éprouve  à l’intérieur  du  thorax  une  chaleur 
ayréable,  on  dirait  que  les  aréoles  pulmonaires,  qui  depuis  longtemps  étaient 

1 Tractalus  physico-mecUcus  de  almosphera  et  acre  atmospherico . — Cologne,  1810. 

2 Loc.  cit.  : Arch.  *;én.  de  Méd.;  2e  série,  t.  IX,  p.  157-172,  1855. 


455 


FAIBLES  PRESSIONS  : APPAREILS  MÉDICAUX. 

devenues  étrangères  au  contact  de  l’air,  se  dilatent  de  nouveau  pour  le 'rece- 
voir, et  toute  l’économie  puise  dans  chaque  inspiration  un  surcroît  de  vie  et  de 
force. 

5°  L’augmentation  de  la  densité  de  l’air  paraît  modifier  la  circulation  d’une 
manière  notable,  le  pouls  a une  tendance  à la  fréquence:  il  est  plein  et  se  dé- 
prime difficilement;  le  calibre  des  vaisseaux  veineux  superficiels  diminue  et  peut 
même  s’effacer  complètement;  de  sorte  que  le  sang,  dans  son  retour  vers  le 
cœur,  suit  la  direction  des  veines  profondes,  Si  le  calibre  des  vaisseaux  superfi- 
ciels augmente  ou  diminue  en  raison  de  la  tension  du  ressort  atmosphérique, 
il  doit  en  être  de  même  dans  les  organes  pulmonaires  qui  sont  placés  à cet  égard 
dans  les  mêmes  circonstances  ; d’où  il  doit  nécessairement  résulter  que,  la  pres- 
sion de  l’air  étant  augmentée,  la  quantité  de  sang  veineux  contenu  dans  les  pou- 
mons doit  diminuer;  c’est  là  sans  doute  ce  qui  permet  d’introduire  à chaque 
inspiration  une  quantité  d’air  beaucoup  plus  considérable  qu’à  la  pression  nor- 
male de  l’atmosphère. 

Si  la  densité  croissante  de  l'air  diminue  le  calibre  des  vaisseaux  veineux,  il 
doit  nécessairement  en  résulter  que  le  sang  se  portera  en  plus  grande  quantité 
dans  le  système  artériel,  ainsi  que  vers  les  principaux  centres  nerveux,  notamment 
dans  le  cerveau,  lequel  est  soustrait  à la  pression  directe  de  l’atmosphère  par  la 
résistance  de  la  boîte  osseuse  qui  l’enveloppe.  Ainsi  les  fonctions  de  l’encéphale 
sont  activées,  l’imagination  est  vive,  les  pensées  s’accompagnent  d’un  charme 
particulier,  et  chez  quelques  personnes  il  se  manifeste  des  symptômes  d’ivresse. 
Ce  surcroît  d’innervation  agit  également  sur  le  système  musculaire,  les  mouve- 
ments sont  plus  faciles  et  plus  assurés. 

4°  Les  fonctions  du  tube  digestif  sont  activées  : la  soif  est  nulle; 

5°  Les  glandes  salivaires  et  rénales  sécrètent  leurs  fluides  avec  abondance 
(p.  159). 

Le  rapport  que  fit  Magendie  sur  le  travail  de  M.  Junod,  rapport 
dont  nous  avons  cité  plus  haut  (p.  240)  ce  qui  a trait  à l'influence 
de  la  diminution  atmosphérique,  ne  dit  rien  de  nouveau  sur  le  su- 
jet, ni  au  point  de  vue  symptomatique,  ni  au  point  de  vue  théori- 
que. 

C’est  en  1858  seulement  que  Tabarié1  donna  de  la  publicité  à ses 
recherches,  qui,  dit-il  alors,  remontaient  cependant  à une  époque 
déjà  très-reculée. 

Sa  noie  montre  qu’il  s’était  proposé  une  série  de  problèmes  très- 
complexes,  puisque  les  procédés  qu’il  avait  mis  en  usage  compre- 
naient : 

1°  La  condensation  générale  de  l’air  sur  toute  l’économie; 

2°  La  condensation  locale  sur  les  membres  ; 

5*  La  raréfaction  locale  sur  les  membres  ; 

4°  La  condensation  et  la  raréfaction  alternatives  et  locales  ou  ondulation  sur  les 
membres  ; 

5°  La  raréfaction  sur  toute  l’habitude  du  corps  sauf  la  tète; 

1 Recherches  sur  les  effets  des  variations  dans  la  pression  atmosphérique  à la  sur- 
face du  corps. — Cpt.  R.  Acad,  des  Sciences,  t.  VI,  p.  89ü  ; 1858. 


28 


HISTORIQUE. 


434 

(3°  Le  jeu  des  condensations  et  des  raréfactions  alternatives  sur  toute  l’habi- 
tude du  corps  sauf  la  bouche,  d’où  résulte  une  respiration  artificielle  et  complète 
contre  l’asphyxie. 

Le  reste  de  sa  note  ne  contient  qu’un  très-court  résumé  des 
applications  laites  de  ces  diverses  méthodes.  On  n’y  trouve  rien  de 
net,  ni  au  point  de  vue  des  phénomènes  physiologiques,  ni  sur  les 
idées  théoriques  qu’il  se  faisait  du  mode  d’action  de  l’air  com- 
primé. 

Mais  dans  un  travail  postérieur1  il  se  montre  un  peu  plus  explicite 
quant  à la  description  des  phénomènes. 

L’influence  de  l’air  condensé,  dit-il,  est  signalé  par  deux  princi- 
paux traits  : 

1°  L’air  condensé  réagit  sur  la  circulation  en  la  ralentissant  ; et  en  même  temps 
qu’il  diminue  le  nombre  des  battements  du  cœur,  il  en  régularise  le  rhythme. 

Ces  phénomènes,  qui  sont  peu  sensibles  dans  un  état  normal  de  santé  et  sous 
l’action  d’expériences  brèves  ou  imparfaites,  deviennent  très-marqués  dans  le 
cas  de  maladies  inflammatoires  ou  fébriles,  lorsque  toutefois  les  conditions  expé- 
rimentales sont  convenablement  remplies  et  suffisamment  soutenues  .... 

2»  L’air  condensé  n’infiuence  pas  la  calorification  générale  comme  le  ferait  un 
air  plus  riche  en  oxygène  ; car  bien  loin  d’exalter  cette  fonction,  ainsi  qu’on  s’est 
plu  à l’imaginer  par  analogie,  il  la  modère  et,  dans  certains  cas,  il  va  même  jus- 
qu'à l’affaiblir. 

Ce  fait,  que  j’annonçais  en  1858,  avec  quelque  timidité,  s’est  manifesté  depuis 
lors  avec  une  nouvelle  évidence.  Non-seulement  l’usage  du  bain  d’air  comprimé 
ne  développe  aucune  chaleur  insolite  à l'intérieur  du  thorax,  mais,  au  contraire, 
il  incline  à produire  une  sensation  générale  de  froid,  alors  même  que  la  tempéra» 
ture  des  appareils  est  supérieure  à celle  qui  règne  au  dehors;  et  chez  quelques 
sujets  où  ce  sentiment  de  réfrigération  est  plus  marqué,  on  observe  qu’il  s’accroît 
avec  la  durée  et  l’élévation  du  degré  des  bains. 

On  obtient  de  meilleurs  résultats  à des  pressions  médiocres  (2/5  d’atm.)  qu'à 
des  degrés  plus  élevés  (2/5  d’atm.). 

Du  reste,  la  note  de  Tabarié  ne  contient  aucune  explication  théo- 
rique. 

Les  prëmières  tenlatives  de  Pravaz  pour  appliquer  les  bains  d’air 
comprimé  à la  thérapeutique  remontent  à 185b.  11  commença  à 
publier  en  1857  2 3 le  résultat  de  ses  observations.  11  a résumé  dans 
le  travail  que  nous  prenons  pour  guide5  ses  notes  et  mémoires  anté-^ 
rieurs. 

Son  appareil  mesurait  9mc.  La  pression  employée  était  générale- 

1 Sur  l'action  thérapeutique  de  éair  comprimé.  — Cpt.  R.  Acad,  des  Se.,  t.  XI,  p.  26; 
1840. 

2 Voir  la  note  de  la  page  450. 

3 Essai  sur  l'emploi  médical  de  l'air  comprimé.  — Lyon-Paris,  1850, 


FAIBLES  PRESSIONS  : APPAREILS  MÉDICAUX. 


455 

ment  de  30  à 55e.  Pravaz  décrit  ainsi  les  phénomènes  présentés  par 
les  sujets  de  ses  expériences  : 

Chez  la  plupart  des  sujets  d’une  Lionne  constitution  et  dans  l’état  de  santé, 
la  circulation  artérielle  n’éprouve  pas  de  modifications  considérables,  sans 
doute  parce  que  la  respiration  qui  suffisait  à l’hématose  sous  la  pression  ordi- 
naire conserve  à peu  près  le  même  rhythme  dans  l’air  condensé;  mais  il  n’en 
est  pas  de  même  lorsqu’il  y a accélération  morbide  du  pouls  ; on  le  voit  alors 
s’abaisser  beaucoup,  sauf  dans  quelques  cas  exceptionnels  qui  seront  exposés  plus 
tard. 

L’injection  des  capillaires  de  la  peau  et  des  membranes  muqueuses  est  évidem- 
ment diminuée  par  l’accroissement  de  pression  exercée  sur  la  périphérie  du 
corps.  Cet  effet  devient  très-apparent  sur  la  surface  des  vésicatoires  et  de  la  con- 
jonctive, lorsque  celle-ci  est  rouge  et  enflammée. 

L’excitation  des  organes  digestifs,  notée  par  M\I.  Colladon  et  Junod,  ne  se  borne 
pas  toujours  à produire  une  simple  augmentation  de  l’appétit;  quelquefois  cette 
excitation  arrive,  après  un  certain  temps,  au  point  de  déterminer  une  véritable 
boulimie,  qui  oblige  de  suspendre  ou  de  rendre  moins  fréquent  l’usage  du  bain 
d’air  comprimé. 

Parmi  les  sécrétions  dont  l’accroissement  a été  mentionné  par  les  auteurs  que 
je  viens  de  citer,  celle  de  l’urine  éprouve,  pour  la  quantité  et  la  nature,  des  chan- 
gements qui  m’ont  paru  les  plus  remarquables;  et  cela  doit  résulter  rationnelle- 
ment de  la  plus  grande  activité  imprimée  à la  métamorphose  des  tissus  par  une 
absorption  plus  grande  d’oxygène. 

Le  sentiment  d’une  respiration  plus  facile,  plus  large,  n’est  pas  éprouvé  au 
même  degré  par  tous  les  sujets  qui  sont  placés  dans  l’air  comprimé.  Ceux  qui  res- 
pirent habituellement  avec  ampleur  s’en  aperçoivent  à peine,  mais  il  n’est  pas  de 
même  des  malades  ou  des  valétudinaires  atteints'de  dyspnée  plus  ou  moins  pro- 
noncée, soit  par  une  affection  des  organes  thoraciques,  soit  par  un  état  de  plé- 
thore veineuse;  ils  éprouvent  en  général  une  sensation  de  bien-être  extraordinaire 
qui  leur  persuaderait  qu’ils  sont  guéris,  si  elle  se  prolongeait  hors  du  bain. 
(P.  112.) 

Un  autre  médecin  de  Lyon,  Milüet1,  qui  avait  fondé  l’établisse- 
ment de  Nice,  a publié  quelques  années  après  des  observations  qui 
concordent  en  partie  avec  celles  de  Pravaz  : 

Un  des  phénomènes  les  plus  remarquables  produits  par  l’augmentation  de  la 
pression  de  l’air  respiré,  c’est  le  notable  ralentissement  imprimé  à la  circulation 
chez  la  plupart  des  sujets.  Le  rhythme  circulatoire  s’abaisse  de  10,  15  et 
même  de  45  pulsations.*...  Chez  une  femme  âgée  de  74  ans,  souffrante  d’une 
affection  catarrhale  subaiguë,  le  pouls  qui  s’était  élevé  à 120  pulsations,  tomba 
à 60  et  s’y  maintint.  (P.  15*) 

Dans  l’air  condensé,  les  mouvements  d’inspiration  se  ralentissent;  ils  se  répè- 
tent avec  moins  de  fréquence  dans  un  même  espace  de  tempsdonné  pour  effec- 
tuer régulièrement  F alimentation  pulmonaire.  (P.  15.) 

Cependant  la  nouvelle  méthode  de  (railcment  avait  fait  des  pro- 

1 De  l’air  comprimé  comme  agent  thérapeutique.  — Lyon,  1851. 


436 


HISTORIQUE. 


grès;  des  appareils  avaient  été  installés  à Stockholm,  par  le  DrSan- 
dahl 1 qui,  dès  1862,  signalait  les  phénomènes  physiologiques 
qu’il  avait  observés. 

Après  l’indication,  Eétude  détaillée  et  l’explication  des  douleurs 
d’oreilles  habituelles,  Sandahl  arrive  aux  phénomènes  respiratoi- 
res et  circulatoires  : 

Dans  1454  observations,  portant  sur  75  personnes,  les  mouvements  respiratoires 
ont  été  ralentis  dans  1562  cas,  comprenant  64  personnes;  chez  11  personnes  seu- 
lement, qui  ont  pris  en  tout  102  bains,  la  respiration  a été  plus  rapide  qu’au- 
paravant.  ............  

En  général,  on  trouve  que  la  diminution  du  nombre  des  mouvements  respira- 
toires non-seulement  arrive  pendant  le  bain,  mais  dure  après  le  bain  .... 

Les  battements  du  cœur  deviennent  également  plus  lents Ainsi  le  pouls, 

dans  le  bain  où  l’air  était  comprimé  d’une  demi-atmosphère,  a diminué  en 
moyenne  de  9,94  battements. 

Des  observations  semblables  étaient  faites  à Nice.  Tutschek2  dé- 
clare que  l’effet  de  l’air  comprimé  se  manifeste  par: 

1°  Agrandissement  des  cellules  pulmonaires;  2°  diminution  du  nombre  des  res- 
pirations ; 5°  ralentissement  de  la  circulation  artérielle;  4°  accélération  de  la 
circulation  veineuse  et  capillaire  ; 5°  excitation  des  dépenses  organiques  et  de 
l’assimilation,  se  manifestant  par  une  excrétion  plus  considérable  de  l’acide  car- 
bonique et  de  l’urée,  et  par  une  faim  allant  jusqu’à  la  gloutonnerie;  6°  excitation 
plus  grande  du  système  nerveux  par  un  sang  plus  riche  en  oxygène,  se  manifes- 
tant par  l’activité  d’esprit  et  une  sensation  de  légèreté  des  mouvements. 

Il  ne  dit  pas  la  pression  employée.  Tout  fait  penser,  du  reste, 
que  ce  résumé  symptomatique  est  simplement  emprunté  aux  au- 
teurs antérieurs;  Tutschek  n’a  fait  d’observation  que  sur  5 person- 
nes saines  ei  6 malades.  Chez  les  premières,  le  nombre  des  respi- 
rations diminuait  de  5 à 5 et  celui  des  pulsations  de  0 à 10  ; les 
changements  étaient  plus  grands  chez  les  malades. 

En  Allemagne,  le  Dr  G.  Lange,  médecin  des  eaux  de  Johannis- 
berg,  avait  installé  dans  cet  établissement  un  appareil  à air  com- 
primé. Il  y fit,  en  commun  avec  Rudolph  von  Yivenot,  de  nombreu- 
ses observations  dont  nous  allons  parler,  et  publia  sur  les  résultats 
de  sa  pratique  un  mémoire  que  traduisit  en  français  M.  Thierry- 

1 Om  verhningcirne  af  fortâtad  luft  pae  den  menskliga  organismen , i fgsiologiskt  och 
terapcutiskt  hânseende.  — Medicinskt  Archiv  utgivet  af  Larare  vid  Carolinska  Institut 
et  in  Stockholm.  Bdl.  Hit  I;  p.  1-205;  1862.  N'ayant  pas  pu  me  procurer  le  mémoire 
original,  je  cite  d’après  l’analyse  étendue  qu’en  donne  Von  der  Busch  dans  le  Schmidt' s 
Jahrbucher  der  Gesammten  Medicin , t.  CXX,  p.  172-180;  1865. 

- Die  comprimirte  Luft  als  Heilmiltcl.  — Acrztl.  Intcll.  Bl.  18,19.—  Ext.  in  Canstatt’s 
Jahr.,  1863;  t.  Y,  p.  135. 


FAIBLES  PRESSIONS  : APPAREILS  MEDICAUX. 


457 


Mieg.  Les  extraits  intéressants  de  ce  mémoire  seront  mieux  à leur 
place  au  chapitre  consacré  à l’étude  des  explications  théoriques. 

Je  citerai  seulement  ici  le  résumé  qu’il  donne  des  phénomènes 
observés  sur  les  personnes  soumises  à l’action  de  l’air  comprimé  : 

Ralentissement  delà  respiration  et  de  la  circulation;  très-probablement,  absorp- 
tion plus  considérable  d’oxygène  par  la  peau  et  les  poumons  ; augmentation  de 
l’exhalation  d’acide  carbonique  : diminution  de  la  transpiration  cutanée  et  de 
l’exhalation  pulmonaire;  augmentation  de  la  sécrétion  urinaire,  qui  élimine  plus 
d’acide  urique  et  moins  de  phosphates  ; amélioration  de  l’hématose  et  de  la  nutri- 
tion ; augmentation  de  l’énergie  de  l’appareil  musculaire  et  de  la  capacité  vitale 
des  poumons.  (P.  35.) 

C’est  en  1860  que  von  Vivenot  commença  la  série  de  ses  publica- 
tions sur  Faction  physiologique  et  thérapeutique  de  l’air  comprimé. 
Ses  notes  et  mémoires  nombreux1  le  conduisirent  à la  rédaction 
d’un  ouvrage  considérable2,  qui  parut  en  1868;  c’est,  de  beaucoup, 
le  travail  le  plus  important  qui  ait  été  publié  sur  ce  sujet. 

La  plus  grande  partie  de  ses  recherches  furent  faites  à l’établis- 
sement des  bains  de  Johannisberg.  L’altitude  étant  assez  grande,  la 
pression  barométrique  moyenne  n’était  que  de  741mm,l  7 ; la  compres- 
sion employée  s’élevant  à 518mm,07,  on  avait,  pour  la  pression  totale, 
1060mm,24.  On  atteignait  dans  l’appareil  cette  pression  en  20  minu- 


1 Ueber  den  Einfluss  der  verànderten  Luftdruckes  'auf  dm  menschlichen  Organismus. 

— Virchow' s Archiv  fur  pathol.  Anat.  and  Physiol.  und  Klin.  Med ic in,  Bd  xix.  — Berlin, 
1860,  p.  492-521. 

Ueber  die  therap.  Anwendung  der  verdichteten  Luft,  und  die  Errichtung  eines  Lufl 
Compressions  Apparates  in  Wien.  — Wochenblatt  der  Zeits.  der  K.  K.  Gesellschaft 
der  Aerzte  zu  Wien.  N03  des  9,  16  et  25  juillet  1862. 

Ueber  die  Aufstellung  eines  pneumatischen  Apparates  in  Wien.  — Allgemeine  Wiener 
Medic.  Zeit.  — N03  du  15  et  10  Février  1865. 

Ueber  der  Einfluss  der  verstcirkten  und  verminderten  Luftdruckes  auf  der  Mecha- 
nismus  und  Chemismus  der  Respiration.  — Medic.  Jahrb.  der  Zeitsch.  der  K.  K.  Gesell- 
schaft der  Aerzte  zu  Wien.  — Mai  1865.  Traduit  en  partie  par  Thierry-Mieg;  Gaz.  Med. 
de  Paris,  1868. 

Ueber  die  Zunahme  der  Lungen  capacitüt  bei  thercipeutischer  Anwendung  der  verdi- 
chteten  Luft.  — Virchow' s Archiv.  Bd.  XXXIII;  Berlin,  1865,  pag.  126-144. 

Ueber  die  Veranderungen  im  arteriellen  Stromgebiete  untér  den  Einfluss  des  ver- 
stàrkten  Luftdruckes.  — Virchovs  Archiv.  Bd.  XXXIV;  Berlin,  1865;  p.  515-591.  Tra- 
duit par  Lorain;  Le  Pouls,  Paris,  1870. 

Ueber  die  Veranderungen  der  Kôrperw  arme  unler  den  Einflussc  der  ver  star  kten  Luft- 
druckes. — Medicinische  Jahrb.  der  Zeitsch ..  der  K.  K.  Gesellsch.  der  Aerzte  zu  Wien. 

— Février,  1866. 

Ueber  Luftdruckcuren.  — Der  Cur salon.  Wien;  1867,  n03  6 et  7. 

Beitràge  zur  pneumatischen  Respirationstherapie ; Allqem.  Wien.  med.  Zeitunq.  — 
Wien,  1868. 

Zur  Kenntniss  der  physiologischen  Wirkungen  und  der  therapeutischen  Anwendung 
der  verdichteten  Luft.  — Erlangen,  1868  ;gd.  in-8û  de  xn-626  pages. 


438 


HISTORIQUE. 


tes  ; elle  y restait  permanente  pendant  1 heure;  40  minutes  étaient 
employées  pour  revenir  à la  pression  normale. 

Respiration.  — Le  plus  important  des  mémoires  de  Vivenot  est 
celui  qu’il  a consacré  à l’étude  des  modifications  des  actes  mécani- 
ques et  chimiques  de  la  respiration.  Comme  il  n’y  a ajouté,  dans  son 
grand  ouvrage,  que  des  détails  d’observation  d’un  médiocre  intérêt, 
je  ne  puis  mieux  faire  que  de  reproduire  les  principaux  passages 
du  travail  primitif,  publié  en  1865;  c’est  en  quelque  sorte  une 
analyse  de  Yivenot  par  Vivenot  lui-même. 

Nous  nous  bornerons  cependant  ici  à rapporter  les  observations 
relatives  aux  changements  du  rhythme  respiratoire  et  de  la  capacité 
pulmonaire  ; la  partie  chimique,  étant  beaucoup  plus  intimement 
liée  aux  questions  de  théorie,  sera  mieux  à sa  place  dans  le  chapitre 
suivant  : 

Si  l’on  examine  un  individu  d’abord  sous  la  pression  normale,  puis  sous  l’air 
comprimé  , on  peut  constater  par  la  percussion , Y auscultation  et  la  palpation  des 
changements  de  grandeur  et  de  situation  de  divers  organes  , correspondant  aux 
nouvelles  conditions  dépréssion.  A-t-on  marqué,  sous  la  pression  normale,  la  po- 
sition du  diaphragme  et  la  limite  supérieure  du  foie  correspondantes  à une  inspi- 
ration et  à une  expiration  aussi  profondes  que  possible,  ainsi  que  les  limites  de  la 
matité  du  cœur,  on  trouve  que , dans  les  deux  cas,  sous  l’air  comprimé , le  dia- 
phragme et  le  foie  sont  situés  plus  bas  ; l’abaissement  est  de  1 1/2  à 2 centimè- 
tres sous  une  augmentation  de  pression  de  5/7  d’atmosphère  ; la  matité  du  cœur 
est  devenue  moins  étendue  et  a pris  une  autre  forme  (celle  d’une  faucille  dont  la 
convexité  est  tournée  vers  le  sternum).  En  même  temps  l’impulsion  cardiaque 
semble  au  doigt  qui  palpe  moins  vigoureuse,  et  l’oreille  qui  ausculte  perçoit  les 
bruits  du  cœur  plus  faibles,  comme  s’ils  étaient  plus  éloignés.  11  se  produit  quel- 
quefois dans  l’air  comprimé  une  dilatation  mécanique  des  poumons,  à la  suite  de 
laquelle  le  dinphragme  et  le  foie  sont  repoussés  en  bas,  pendant  que  le  lobe  anté- 
rieur du  poumon  gauche  vient  se  placer  par-dessus  la  moitié  correspondante  du 
cœur.  C’est  pour  cette  raison  que  la  matité  du  cœur  diminue,  que  la  forme  en 
est  changée,  et  que  l'impulsion  et  les  bruits  du  même  organe  paraissent  affaiblis. 

L augmentation  cle  capacité  (les  poumons , démontrée  par  ces  faits,  se  démontre 
encore  d’une  autre  manière.  Ainsi,  dans  l’air  comprimé,  le  spiromètre  permet  de 
constater  une  augmentation  assez  notable  de  la  capacité  respiratoire.  La  moyenne 
d’un  grand  nombre  d’expériences,  faites  pendant  un  séjour  d’une  heure  et  demie 
sous  la  pression  de  1 3/7  d’atmosphère , a donné  chez  moi  une  augmentation  de 
108,07  centimètres  cubes,  chez  le  docteur  G.  Lange  155,3,  chez  le  docteur  Mit— 
termaier  (après  une  seule  expérience)  121,0  et  chez  M.  H.. ..y  99,2CC.  Or,  ma  capa- 
cité pulmonaire  étant  en  moyenne  3425cc,  celle  du  docteur  Lange  3950cc,  celle 
du  docteur  Mittermaier  4159‘c  et  celle  deM.  H y 2910cc,  il  s’ensuit  que  l’aug- 

mentation de  la  capacité  des  poumons  a été,  chez  moi,  de  1/51,7,  chez  le  docteur 
Lange  de  1/29,7,  chez  le  docteur  Mittermaier  de  1/55,4  et  chez  M.  IL. ..y 
de  1/29,5. 

On  voit  que  ces  résultats  ne  diffèrent  pas  sensiblement  les  uns  des  autres  et 
ils  indiquent  une  moyenne  (V augmentation  de  la  capacité  pulmonaire  égale  à 1/51,5 
du  volume  des  poumons  soit  5,5  pour  cent.  Comme  maximum  de  cette  augmenta- 


FAIBLES  PRESSIONS  : APPAREILS  MÉDICAUX.  430 

tion,  j’ai  obtenu  chez  moi  254°%  chez  le  docteur  Lange  200",  chez  M.  H. ...y 
225'%  chez  M.  R.270cc  et  même  500;  686  chez  un  emphysémateux,  M.  G.,  dont 
la  capacité  respiratoire  moyenne  était  de  2268°%  c’est-à-dire  environ  2/9  à 2/7  de 
la  capacité  respiratoire  totale. 

L’effet  obtenu  est,  comme  on  le  voit,  doublé  : d’une  part,  nous  avons  sous 
e même  volume  plus  d’air  atmosphérique,  et  d’autre  part,  nos  poumons  agrandis 
sont  capables  de  recevoir  un  plus  grand  volume  de  cet  air  condensé.  Si  donc 
ma  capacité  respiratoire  moyenne  est  de  5425cc  sous  la  pression  normale  , le 
même  volume  d’air  comprimé  à 1 atm, 57  représenterait  à lui  seul  4893" 
d’air  normal.  Et  comme,  sous  une  pression  augmentée,  mes  poumons  inspirent  en 
moyenne  108C%1  de  plus,  ce  qui  équivaut  à 154c%5  d’air  normal,  que  j’inspire, 
donc  5425-j-108",l  = 5555", 1 d’air  comprimé,  il  en  résulte  que  le  volume 
d’air  introduit  par  la  plus  forte  inspiration  sous  l’influence  de  la  compression 
équivaut  à 5047c%5  d’air  à la  pression  normale 

L’expérience  a prouvé  qu’après  un  séjour  de  2 heures  dans  l’air  comprimé  , la 
capacité  pulmonaire,  même  sous  la  pression  normale,  ne  revient  pas  à son  voiume 
primitif,  mais  conserve  un  agrandissement  qui,  chez  moi,  s’élevait  en  moyenne  à 
50", 53,  au  maximum,  à 185°%  chez  M.H...y  en  moyenne  à 57c%6,  au  maximum  à 
124cc.  Elle  a donné  ensuite  ce  résultat  intéressant,  étonnant,  que  l'effet  consé- 
cutif n est  pas  un  effet  passager,  mais  qu'il  est  en  partie  permanent , de  sorte  qu’à 
la  faveur  de  l’emploi  de  l’air  comprimé  pendant  2 heures  tous  les  jours,  on  entre 
sous  l’appareil  pneumatique  avec  une  capacité  pulmonaire  qui,  en  négligeant  na- 
turellement les  variations  physiologiques,  dépasse  tous  les  jours  de  20  à 30"  ce 
qu’elle  était  la  veille.  C’est  ainsi  que  du  50  avril  jusqu’au  19  septembre  inclusive- 
ment, c’est-à-dire  dans  l’espace  de  145  jours,  après  122  bains  d’air  comprimé  pris 
pendant  ce  temps,  ma  capacité  pulmonaire  sous  la  pression  normale  était  montée 
successivement  de  5051  à 5794"  (sous  l’air  comprimé  même  jusqu’à  5981"), 
hauteur  qu’elle  avait  déjà  atteinte  le  12  août  après  91  bains  d’air,  et  à laquelle 
elle  s’est  ensuite  maintenue  d’une  façon  presque  constante.  La  capacité  vitale  des 
poumons  avait  donc  éprouvé  chez  moi  dans  l'espace  de  trois  mois  et  demi  une  aug- 
mentation progressive  de  745",  c'est-à-dire  de  près  du  quart  de  sa  grandeur  primi- 
tive (de  24  pour  cent).  Un  résultat  semblable  a été  observé  chez  d’autres  personnes. 
Chez  M.  H.... y,  la  capacité  respiratoire  était  montée  après  11  jours  d’emploi  de 
l’air  comprimé  de  2900"  à 5085"  ; chez  M.  de  K.,  en  4 jours,  de  3252"  à 3664"  ; 
chez  M.  G.,  emphysémateux,  en  17  jours,  de  2202"  à 2550";  la  capacité  respi- 
ratoire de  ce  dernier  avait  même  atteint  dans  l’air  comprimé  2836". 

Une  suspension,  même  de  plusieurs  jours,  ne  laissait  pas  apercevoir  d’effet 
rétrograde,  et,  trois  semaines  après  mon  dernier  séjour  dan*  ?n  comprimé, 
le  spiromètre  démontra  que  ma  capacité  respiratoire  s’était  maïnienue  a 5800". 
De  même  aussi,  la  percussion  permit  de  constater  après  5 semaines  , ce  qui 
fut  fait  par  le  professeur  IJuchek,  que  le  refoulement  de  haut  en  bas  du  dia- 
phragme et  du  foie,  de  2 centimètres,  et  la  diminution  de  la  matité  du  cœur,, 
caractères  dont  il  a été  question  plus  haut,  se  maintenaient. 

Il  est  bien  évident  que  de  pareils  changements  dans  la  capacité 
pulmonaire  ne  peuvent  être  sans  influence  sur  l’ensemble  des  fonc- 
tions respiratoires,  et  notamment  sur  le  nombre,  la  profondeur  et 
le  rhythme  des  respirations. 

Le  nombre  d’abord  : 


4,0 


HISTORIQUE. 


Déjà  , dans  mes  premières  expériences  publiées  il  y a plusieurs  années  , j’avais 
trouvé  le  nombre  des  inspirations  diminué  ; ma  longue  série  actuelle  d’expériences 
a confirmé  ce  résultat,  comme  étant,  on  peut  presque  dire,  constant.  La  diminu- 
tion du  nombre  des  inspirations  varie  selon  les  individualités.  Elle  est,  en  moyenne, 
d’autant  plus  grande  que  le  nombre  des  respirations  est  lui-même  plus  considé- 
rable ; elle  est  en  général  de'5,  2,  1 à 1/2  respirations  par  minute.  Comme  maxi- 
mum, j’ai  constaté  chez  2 emphysémateux,  dont  les  inspirations  s’élevaient  à 55 
par  minute,  une  diminution  qui  était  respectivement  de  16  et  de  11  inspirations. 

Au  retour  sous  la  pression  normale , le  nombre  des  inspirations  augmente  de  nou- 
veau un  peu,  mais  sans  atteindre  son  chiffre  primitif.  En  cela  également,  l’effet,  de 
l’air  comprimé  n’est  pas  seulement  passager,  mais  il  a quelque  chose  de  permanent. 
Cela  est  d’autant  plus  évident  que  l’on  considère  la  fréquence  de  la  respiration 
dans  une  plus  longue  série  d’observation.  On  constate  alors  que  la  respiration  est 
toujours  moins  fréquente  le  lendemain  que  la  veille.  Comme  elle  éprouve  une  nou- 
velle diminution  par  l’effet  de  chaque  nouvelle  séance  sous  l’air  comprimé,  il  en 
résulte  ce  fait  certain  et  constant  que  l'usaqe  continu  de  l'air  comprimé  fait  diminua 
journellement,  jusqu  à une  certaine  limite,  la  fréquence  des  mouvements  respiratoires. 

Ma  propre  respiration  , après  trois  mois  d’usage  journalier  de  l’air  comprimé 
pendant  2 heures  par  jour,  était  tombée,  de  20-1 6 par  minute,  à 4,  5 sous  la 
pression  normale  et  même  à 5,  4 dans  l’air  comprimé. 

Arrivée  à ce  degré  de  ralentissement , elle  resta  stationnaire  pendant  les  expé- 
riences subséquentes  (se  ralentissant  toujours  un  peu  sous  l’influence  de  la  pres- 
sion) et  maintenant  encore  , au  moment  où  j’écris  ces  lignes  , bien  que  5 mois  se 
soient  écoulés  depuis  lors,  ma  respiration  ne  dépasse  pas  le  chiffre  remarquable 
de  5,4  inspirations  par  minute.  Le  même  résultat,  moins  éclatant,  parce  que  la 
série  des  expériences  a été  plus  courte,  fut  constaté  par  les  observations  faites  sur 
d’autres  personnes.  Chez  M.  II. ...y,  le  nombre  des  inspirations  était  descendu  en 
12  jours  de  21  successivement  à 16  et  dans  l’air  comprimé  jusqu’à  15  par  minute. 
Chez  le  docteur  Lange,  après  4 séances  prises  en  11  jours  (nonobstant  des  inter- 
ruptions de  plusieurs  jours)  de  19  à 16,  et  sous  l’air  comprimé  de  14  à 6 ; chez 
M.  G.,  emphysémateux,  après  14  séances  prises  en  19  jours,  de  20,5  à 15,5  ; chez 
le  docteur  D.,  également  emphysémateux,  de  55,  le  second  jour  déjà,  à 18,  en 
5 jours  à 10,4. 

C’est  pendant  les  premiers  jours  que  la  fréquence  respiratoire  diminue  de  la 
façon  la  plus  remarquable  et  la  plus  prompte  ; plus  tard,  la  diminution  devient 
plus  lente  et  les  différences  moins  considérables. 

Si  nous  comparons  le  résultat  obtenu,  quant  à la  fréquence  de  la  respiration 
avec  celui  que  nous  donne  la  spirométrie,  il  sera  difficde  de  ne  pas  remarquer 
qu’il  y a entre  les  deux  une  relation  motivée,  que  la  fréquence  des  inspirations  est 
en  raison  inverse  de  leur  amplitude,  de  sorte  qu’à  mesure  que  cette  amplitude,  aug- 
mente, la  fréquence  de  la  respiration  diminue.  L’augmentation  de  la  capacité  des 
poumons,  sous  l’influence  de  l’air  comprimé,  est  la  cause  du  ralentissement  de  la 
respiration  ; ou,  en  d’autres  termes , le  ralentissement  de  la  respiration  est  une 
conséquence  nécessaire  de  l’augmentation  de  la  capacité  pulmonaire,  puisque  l’ins- 
piration et  l’expiration  d’un  volume  d’air  plus  considérable  demandent  nécessaire- 
ment plus  de  temps. 

Puis,  la  profondeur  : 

On  pouvait  concevoir  trois  modes  différents  comme  possibles.  Ainsi,  il  pouvait 
s’établir  entre  la  fréquence  et  la  profondeur  des  inspirations  une  compensation, 


FAIBLES  PRESSIONS  : APPAREILS  MÉDICAUX. 


441 


par  le  fait  que  l’amplitude  de  la  respiration  pouvait  être  moindre  que  sous  la 
pression  normale,  puisqu’il  entre  une  quantité  plus  considérable  d’air  sous  le 
même  volume,  et  la  fréquence  de  la  respiration  pouvait  néanmoins  être  réduite 
aussi;  ou  bien,  en  second  lieu,  la  compensation  pouvait  s’établir,  par  les  mêmes 
causes,  avec  des  inspirations  moins  nombreuses,  mais  conservant  la  même  am- 
plitude. Enfin,  en  troisième  lieu,  il  pouvait  y avoir,  nonobstant  l’apport  d’une 
quantité  d’air  plus  considérable,  comme  conséquence  de  la  compression,  un  ra- 
lentissement et  une  augmentation  de  profondeur  des  inspirations.  C’est  cette  der- 
nière condition  qui  paraissait  à priori  la  plus  vraisemblable  si  l’on  tenait  compte 
de  l’augmentation  d’amplitude  de  la  respiration,  telle  que  nous  l’avions  constatée, 
et  elle  devait  se  réaliser  surtout  chez  les  personnes  dont  la  capacité  pulmonaire 
avait  été  pathologiquement  diminuée. 

Pour  éclaircir  ces  difficultés,  j’employai  un  appareil  construit  tout  exprès,  qui 
pouvait  être  fixé  autour  du  thorax,  et  en  suivait  les  mouvements  d’inspiration  et 
d’expiration,  l’augmentation  de  la  circonférence  du  thorax  étant  indiquée  en  mil- 
limètres par  l’écartement  de  deux  aiguilles  mobiles.  Cette  augmentation  plus  ou 
moins  considérable  de  la  circonférence  thoracique  servait  à mesurer  la  profon- 
deur plus  ou  moins  grande  des  inspirations.  Dans  chacune  des  trente-neuf  expé- 
riences faites  avec  ce  thoracomètre,  la  profondeur  et  le  nombre  des  inspirations 
furent  notés  pendant  quinze  minutes  consécutives,  temps  suffisant  pour  que 
l’influence  de  la  volonté  ou  d’une  petite  erreur  d’observation  pût  être  négli- 
gée. Les  expériences  étaient  toujours  faites  comparativement  dans  l’air  atmo- 
sphérique et  dans  l’air  comprimé  ; et  comme  la  fréquence  de  mes  inspirations 
était  alors  de  7,G7  à 4,40  par  minute,  il  fallait  de  cent  quinze  à soixante-six  ob- 
servations dans  chaque  expérience,  faisant  un  total  d’environ  trois  mille  nombres 
concernant  la  mobilité  du  thorax. 

La  mensuration  faite,  comme  il  a été  dit  ci-dessus,  permet  de  constater  que 
chez  moi,  le  premier  jour  d’expérience,  l’expansion  thoracique,  c’est-à-dire  l’aug- 
mentation  de  la  circonférence  thoracique  produite  par  une  inspiration  ordinaire 
était,  sous  la  pression  normale  de  12°39mm,  au  commencement  de  la  pression 
maximum  15,68;  après  une  heure  de  cette  même  pression  17,22;  et  au  retour, 
sous  la  pression  normale  18,14,  tandis  que  la  fréquence  des  inspirations  avait  été 
en  diminuant  de  7,67  à 6,07,  5,80,  et  jusqu’à  5,60;  il  s’était  donc  produit  sous 
l’influence  de  l’air  comprimé  une  diminution  progressive  de  la  fréquence  en  même 
temps  qu’une  augmentation  progressive  de  la  profondeur  des  inspirations,  laquelle 
continuait  même  au  retour  de  la  pression  ordinaire.  Le  lendemain,  l’expansion 
thoracique  sous  la  pression  normale  était  de  14,92  ; Je  troisième  jour,  de  17,84  ; 
le  cinquième  jour,  de  18,98;  quinze  jours  plus  tard  elle  était  montée  à 21,86, 
pendant  que  le  nombre  des  inspirations  sous  la  pression  atmosphérique  était  des- 
cendue respectivement  de  7,67  à 7,07  ; 6,40;  6,53;  5,00  par  minute,  et  que  la 
capacité  respiratoire  s’était  au  contraire  élevée  de  5550cu  à 3400,  3474,  3498, 
5644. 

Les  expériences  faites  sur  MM.  de  K...  et  le  docteur  M...  donnèrent  le  même 
résultat.  Chez  ce  dernier,  la  fréquence  des  inspirations  était  tombée  pendant 
une  seule  expérience  dans  l’air  comprimé  de  7,6  à 6,5  par  minute,  tandis  que  son 
expansion  thoracique  était  montée  de  19,28  à 25,02mm,  et  sa  capacité  respiratoire 
était  également  montée  de  4159  à 4280cc.  Ce  résultat  prouve  que  sous  l'influence 
de  l'air  comprimé  la  profondeur  des  inspirations  ainsi  que  la  capacité  des  poumons 
augmentent,  tandis  que,  dans  un  rapport  inverse , la  fréquence  des  inspirations  di- 
minue. 

L’ expansibilité  du  thorax,  telle  qu’elle  a été  examinée  jusqu’ici,  n’est  que  celle 


442 


HISTORIQUE. 


qui  correspond  à line  inspiration  ordinaire,  non  modifiée  par  la  volonté,  et  telle 
qu’elle  se  produit  comme  effet  de  l'influence  prolongée  de  l'air  comprimé. 

Toutefois,  les  modifications  déjà  signalées  faisaient,  prévoir  aussi  un  changement 
dans  les  conditions  des  inspirations  volontaires,  changement  à constater  par  l’aug- 
mentation de  la  circonférence  totale  et  de  l’expansion  volontaire  du  thorax  avant 
et  après  faction  prolongée  de  l’air  comprimé.  Si  la  capacité  des  poumons  avait 
réellement  augmenté,  les  dernières  mensurations  devaient  indiquer  une  augmen- 
tation dans  la  circonférence  du  thorax,  non-seulement  lors  des  plus  grandes  expi- 
rations, mais  aussi  lors  des  inspirations  les  plus  profondes;  et  si  par  un  séjour 
prolongé  dans  l’air  comprimé  on  avait  acquis  la  facililé  d’une  respiration  habi- 
tuellement plus  vigoureuse,  l’expansibilité  maximum  du  thorax  devait  aussi  avoir 
augmenté.  Ce  résultat  aussi  est  constaté  par  des  chiffres.  Ma  circonférence  thora- 
cique ayant  été,  le  50  avril,  après  la  plus  profonde  inspiration,  de  85  centimètres, 
était  le  1er  septembre  de  80,5  ; et  après  la  plus  forte  expiration,  elle  était  le 
50  avril  de  77e,  et  le  1er  septembre,  de  78e;  de  sorte  que  mon  expansion  pul- 
monaire était,  le  50  avril,  de  8 eentimètres,  le  1er  septembre  de  8°, 5. 

L 'augmentation  générale  de  la  capacité  des  poumons , telle  qu’elle  a été  constatée 
par  le  spiromètre  et  l'augmentation  du  diamètre  vertical  des  poumons,  telle  que  la 
percussion  a permis  de  la  déterminer,  reçoivent  un  complément  de  démonstration 
par  V augmentation  de  la  circonférence  thoracique. 

Enfin,  les  rapports  des  temps  respiratoires  : 

L 'inspiration  se  fait  plus  facilement,  étant  favorisée  par  l’augmentation  de  pres- 
sion, par  l’extensibilité  du  tissu  pulmonaire  et  par  la  compressibilité  des  intes- 
tins, tandis  qu’il  faut  plus  de  force  pour  l’expiration  afin  de  contracter  les  pou- 
mons plus  distendus  et  de  chasser  la  quantité  plus  considérable  d’air  expiré. 
C’est  pourquoi  Y expiration  se  fait  avec  plus  de  peine  et  plus  lentement  que  dans 
l’état  normal.  Pendant  que  sous  la  pression  atmosphérique,  la  durée  de  l’inspira- 
tion est  à celle  de  l’expiration  à peu  près  comme  4:5,  ce  rapport  devient  dans 
l’air  comprimé  à peu  près  comme  4:6  4:7,  même  4:8  et  4 : 11. 

Cependant  la  résistance  à l’expiration  se  trouve  en  partie  compensée  par  la  con- 
traction plus  puissante  des  muscles  abdominaux  que  la  compression  soutient  dans 
leur  action.  Par  l’effet  de  cette  contraction,  la  première  moitié  de  l’expiration  se 
fait  vite  et  avec  énergie;  mais  la  seconde  moitié  se  fait  si  lentement  et  d’une  ma- 
nière si  peu  perceptible  qu’il  en  résulte  une  espèce  de  pause  entre  l’inspiration 
et  l’expiration.  Cette  pause  qui  doit  en  tous  cas  être  ajoutée  à l’expirationet  dont 
la  durée  a été,  selon  mes  observations,  de  deux  à six  secondes,  est  d'autant  plus 
longue  que  les  inspirations  sont  plus  rares. 

Yivenot  a essayé  d’exprimer  ces  diverses  modifications  durhythme 
respiratoire  par  le  graphique  schématique  suivant  (fig.  9),  que 
j’emprunte  à son  grand  ouvrage  (p.  251),  et  dans  lequel  la  ligne 
pleine  indique  les  respirations  normales,  et  la  ligne  pointillée  la 
respiration  sous  l’air  comprimé,  le  tout  pendant  cinquante  et  quel- 
ques secondes. 

Circulation.  — Le  mémoire  publié  par  Yivenot  en  1805  dans  les 
archives  de  Yircliow  contient  des  indications  détaillées  sur  les  mo- 
difications qu’a  présentées  son  pouls  sous  l’influence  de  la  com- 


FAIBLES  PRESSIONS  : APPAREILS  MÉDICAUX.  443 

pression.  Ces  explications  sont  accompagnées  de  nombreux  gra- 
phiques  obtenus  à l’aide  du  sphygmographe  de  M.  Marey  ; je  repro- 
duirailes  plus  caractéristiques  : 

Un  regard  rapide,  jeté  sur  les  courbes  exposées  ci-après,  montre  que  celles-ci, 
sous  l’influence  d’un  air  comprimé  subissent  de  remarquables  modifications  dans 
leurs  figures  primitives;  une  attention  plus  profonde  montre  que  toutes  les  par- 


O 10  20  3 0 40  50 


Fig.  9. 


Lies  de  la  courbe  sont  si  essentiellement  changées  que  leur  analyse  demande  une 
dissection  pénétrante  des  segments  isolés  de  la  courbe. 

Nous  voyons  que  dans  toutes  les  ondulations  sans  exception,  sous  l’action  de 
l’air  comprimé,  la  hauteur  de  la  courbe  décroît.  La  ligne  d’ascension,  plus  ou 
moins  abrupte  primitivement,  devient  plus  oblique;  le  sommet  paraît  plus  ar- 
rondi, et,  par  suite  de  l’amoindrissement  de  l’amplitude,  la  ligne  de  descente, 
encore  moins  abrupte,  à la  fin  s'infléchit  en  forme  d’onde  qui  se  transforme  en 
une  droite  plus  ou  moins  convexe.  Par  suite  de  la  diminution  de  la  hauteur  de 
l’ondulation,  Langle  figuré  par  la  rencontre  de  la  ligne  ascendante  et  de  la  ligne 
descendante  de  la  pulsation  écrite  et  qui  sous  la  pression  atmosphérique  normale 
mesure  environ  45°  est  notablement  émoussé;  comme  aussi,  par  suite  de  la  direc- 


tion plus^  oblique  de  la  ligne  d’ascension,  la  pointe  au  sommet  de  la  courbe  se 
prolonge  plus  en  arrière...  de  sorte  que  la  courbe  dans  son  entier  affecte  la 
forme  d’un  segment  de  sphère. 

Les  changements  que  nous  venons  de  décrire  sont  proportionnels  à la  force  de  la 
pression  de  Pair  et  à la  durée  du  séjour  dans  l’air  comprimé  et  par  conséquent 
d’autant  plus  marqués  et  plus  intenses  que  la  pression  de  l’air  a été  portée  plus 


1 Dans  ces  quatre  figures  la  lettre  a désigne  le  tracé  sphygmograpliique  obtenu  sous  la 
pression  normale;  b est  le  tracé  pendant  que  la  pression  augmente  dans  l’appareil  ; c, 
pendant  le  stade  de  compression  constante;  d,  apres  le  retour  de  la  pression  normale. 
Fig.  11,  ai,  est  pris  pendant  que  la  pression  augmente;  ci}  pendant  qu’elle  diminue. 


444 


HISTORIQUE. 


haut,  et  le  séjour  dans  l’appareil  plus  prolongé.  Nous  trouvons  donc  que  les 
signes  produits  après  vingt  minutes  de  pression  maximum,  c’est-à-dire 
l’obliquité  visiblement  apparente  de  la  ligne  d’ascension,  le  rapetissement  de 
l’ondulation,  l’aplatissement  arrondi  du  sommet,  et  la  transformation  de  la  ligne 
onduleuse  de  descente  en  une  ligne  droite  ou  en  une  simple  ligne  convexe  pren- 
nent après  une  heure  et  demie,  c’est-à-dire  après  une  heure  d’exposition  à la 


pression  maximum  constante,  un  caractère  encore  plus  accusé,  si  bien  que  le 
tracé  du  pouls  finit  par  ne  plus  présenter  pour  ainsi  dire  qu’une  ligne  droite. 

Par  le  retour  à la  pression  atmosphérique  normale,  immédiatement  après  la 
séance,  la  courbe  reprend  son  intégrité,  ou  ne  revient  que  partiellement  à 
l’état  primitif,  ou,  ce  qui  n’est  pas  rare,  le  changement,  une  fois  commencé  dans 
l’apparence  de  fondée  sanguine,  subit  un  mouvement  de  descente.  La  figure  6 
exprime  toutes  ces  diverses  phases. 

Dans  aucun  cas,  il  ne  m’est  arrivé  de  trouver  durable  ce  changement  de  la 
courbe,  mais  cette  action,  d’accord  avec  les  résultats  obtenus  par  nous  pour  la 


Fig.  12. 


fréquence  du  pouls,  se  prolonge  dans  les  cas  favorables  pendant  un  petit  nombre 
d’heures.  La  courbe  d , de  la  figure  ci-dessus  fournit  un  exemple  d’une  courbe  se 
relevant  et  regagnant  sa  forme  primitive  non  pas  immédiatement,  mais  vingt  mi- 
nutes après  le  retour  à la  pression  normale. 

Pour  établir  la  vérité  de  l’assertion  que  nous  avons  acceptée  déjà,  que  la  trace 
restante  après  la  séance  d'une  action  sur  le  tracé  s’éteint  déjà  après  une  durée 
de  plusieurs  heures,  on  peut  se  servir  de  courbes  obtenues  sur  moi-même  le 
2ti  mai,  jour  où  j’avais  accompli  deux  séances  d’expériences  dans  l’air  comprimé. 
Si  nous  comparons  la  courbe  obtenue  ce  jour-là  avant  la  première  séance,  à huit 
heures  du  matin  (fig.  12,  a),  avec  la  courbe  correspondante  de  la  deuxième  séance, 


FAIBLES  PRESSIONS  : APPAREILS  MEDICAUX. 


445 


c’est-à-dire  prise  à deux  heures  et  demie  de  l’après-midi  (Fig.  15,  a),  on  ne  peut 
reconnaître  aucune  différence  essentielle  entre  ces  deux  tracés  du  pouls.  11  ne 
reste  plus  de  trace  sensible  après  cet  espace  de  quatre  heures  et  demie  de  l’in- 
fluence encore  remarquable  à dix  heures  sur  la  courbe  b de  la  figure  7 ; à plus 
forte  raison  ne  faut-il  pas  chercher  la  persistance  de  cette  action  d’un  jour  sur 
l’autre. 

Maintenant,  pour  pouvoir  saisir  la  valeur  des  différences  trouvées  jusqu’ici 
nous  devons  nous  représenter  les  divers  éléments  des  courbes  comme  l’expres- 
sion de  ces  changements. 

Le  choc  à ligne  ascendante  qui  coïncide  avec  la  systole  du  cœur  est  produit 
par  l’ondée  sanguine  chassée  en  avant  par  la  contraction  du  cœur,  ondée  qui, 
tendant  à fuir  dans  toutes  les  directions,  va  presser  en  partie  le  sang  du  courant 
et  exerce  en  partie  une  pression  excentrique  sur  les  parois  des  vaisseaux  qu’elle 
élargit.  La  partie  ascendante  de  la  courbe  (ligne  d’ascension)  correspond  donc  à 
la  diastole  artérielle.  Plus  l’écoulement  du  sang  se  fait  facilement  dans  les  capil- 
laires, plus  celui-ci  est  transporté  vite  dans  les  artères,  et  plus  le  cœur  revient 
facilement  sur  lui-même,  puisque  la  pression  du  sang  représentant  la  résistance 
opposée  à la  systole  du  cœur  en  devient  plus  faible,  il  est  connu  que  tout  mus- 
cle se  contracte  d’autant  plus  facilement  et  plus  vite  que  l’exécution  de  ce  mou- 
vement demandejnoins  de  dépense  de  force.  Par  conséquent,  en  pareil  cas,  l’ex- 


pansion artérielle  se  fera  en  d’autant  moins  de  temps  ; et  si  le  temps  à partir  du 
moment  de  la  montée  de  la  pression  du  sang  jusqu’à  son  maximum  d’élé- 
vation est  très-petit,  cela  trouvera  son  expression  dans  l’escarpement  de  la  ligne 
ascendante  de  la  courbe;  et  même  si  la  durée  du  temps  est  si  courte  qu’elle  ne 
peut  être  mesurée,  alors  la  ligne  d’ascension  paraîtra  complètement  verticale, 
comme  c’est  presque  toujours  le  cas  dans  l’état  normal. 

Lorsque,  au  contraire,  sur  les  tracés  obtenues  dans  l’air  comprimé,  nous  ob- 
servons que  la  ligne  d’ascension  devient  oblique,  il  en  résulte  pour  nous  que  la 
résistance  qui  s’oppose  au  flot  sanguin  poussé  par  la  systole  du  cœur,  a augmenté 
en  même  temps  que  l’écoulement  du  sang  est  arrêté  dans  les  capillaires;  que 
par  suite  la  systole  du  cœur  est  moins  rapide,  que  le  flot  sanguin  arrive  lente- 
ment aux  artères,  et  que  par  suite  aussi  la  dilatation  des  artères  ne  se  fait  pas 
brusquemeut,  mais  progressivement. 

Le  sommet  de  la  courbe  que  nous  ne  voulons  pas  considérer  comme  un  point 
mathématique,  mais  comme  la  convergence  des  lignes  ascendante  et  descen- 
dante, nous  montre  le  moment  où  l’artère,  parvenue  au  maximum  de  sa  dilata- 
tion par  le  sang  qui  la  distend,  résiste  en  vertu  de  sa  contractilité  propre  à la 
pression  du  sang  qui  agit  sur  elle,  et  par  son  retrait  imprime  au  sang  une  nou- 
velle impulsion. 

Maintenant  la  résistance  que  le  flot  sanguin  éprouve  dans  les  troncs  artériels 
éloignés  du  cœur,  vient-elle  à décroître  un  peu,  alors  l’écoulement  du  sang  dans 


446 


HISTORIQUE. 


le  sens  du  courant,  du  cœur  à la  périphérie,  devient  facile  et  rapide,  la  pression 
du  sang  dans  les  artères  s’abaisse  rapidement  ; et  celles-ci  peuvent  se  resserrer 
rapidement.  Plus  cette  disposition  est  marquée,  et  plus  aigu  se  montre  le  som- 
met du  tracé  comme  on  peut  le  voir  par  exemple  sur  le  pouls  normal. 

Le  contraire  a lieu  dans  l’air  comprimé,  et  l’angle  aigu  primitif  se  change, 
comme  nous  avons  vu,  en  un  angle  plus  ou  moins  émoussé,  et  même  en  cintre, 
lequel  cas  a lieu,  si  par  la  notable  obliquité  de  la  ligne  d’ascension,  le  point  cul- 
minant suivant  la  verticale  en  arrive  à couper  juste  au  milieu  de  la  courbe. 

Par  conséquent  l’augmentation  de  résistance  exprimée  déjà  dans  la  partie 
ascendante  de  la  courbe,  par  son  obliquité  sous  l’influence  de  l’air  comprimé, 
s’est  communiquée  ou  transmise  aussi  au  sommet  de  la  courbe  (p.  557-560).  . 


Le  flot  descendant  de  la  courbe  du  pouls,  qui  correspond  à la  diastole  du  cœur, 
nous  montre  la  décroissance  delà  pression  du  sang  dans  les  artères,  coïncidant 
avec  la  clôture  des  valvules  semi-lunaires,  et  avec  l’écoulement  simultané  des 
grosses  artères  dans  les  capillaires,  c’est-à-dire  les  artères  sortant  victorieuses 
de  leur  combat  contre  la  pression  du  sang,  et  grâce  à leur  élasticité,  par  la 
transformation  de  leur  force  d’expansion  en  force  vive,  pouvant  se  rétracter 
jusqu’à  la  limite  minimum  de  leur  calibre.  L’apparence  si  différente  de  la  ligne 
de  descente,  suivant  qu’elle  s’infléchit,  qu’elle  devient  rectiligne,  ou  oblique,  ou 
convexe,  ou  qu’elle  tombe  à pic,  nous  donne  la  mesure  du  plus  ou  moins  de  faci- 
lité avec  laquelle  le  cours  du  sang  s’effectue  dans  les  capillaires.  Les  tracés  de 
pouls  obtenus  à la  pression  atmosphérique  normale,  avant  l’entrée  dans  l’air 
comprimé  (tracés  1— XVII  de  Vivenot)  montrent  ce  caractère  d’oscillation  plus  ou 
moins  accentué  que  le  doigt  ne  ressent  que  dans  les  cas  les  plus  prononcés  e 
qu’on  appelle  dicrolisme  et  qui  consiste  en  deux,  et  plus  souvent  trois  oscilla- 
tions de  l’ondée.  (P.  562.) 

Tandis  que  nous  avons  trouvé  le  policrotisme  comme  particularité  plus  ou 
moins  marquée  du  pouls  normal  à la  pressioji  ordinaire,  il  ressort  de  nos  courbes 
comme  effet  de  l’air  comprimé  que  cette  compression  a pour  effet  de  produire 
une  disparition  du  policrotisme  et  une  transformation  de  la  ligne  de  descente 
ondulée  en  une  ligne  presque  droite  ou  plus  ou  moins  convexe. 

Ainsi  nous  trouvons  la  preuve  d’un  tassement  du  sang  dans  les  vaisseaux  et 
d’un  embarras  de  la  circulation  capillaire,  aussi  bien  dans  la  ligne  descendante 
de  la  courbe,  que  nous  l’avions  trouvée  dans  sa  partie  ascendante  et  son  sommet. 

Tandis  que,  comme  Marey  l’a  montré  et  en  a fourni  un  exemple  par  un  tracé 
recueilli  dans  un  cas  de  maladie  du  cœur  (fig.  86  de  Marey),  le  dicrotisme  est 
d’autant  plus  grand  que  l’ondée  envoyée  par  le  ventricule  est  plus  petite  par 
rapport  au  calibre  de  l’artère,  nous  confirmons,  de  notre  côté,  cette  proposition 
par  rapport  au  dicrotisme,  puisque,  comme  il  appert  de  ce  qui  précède,  les  ar- 
tères rapetissées  par  la  pression  extérieure,  et  par  ainsi  charriant  très-peu  de 
sang,  se  montrent  néanmoins  fortement  remplies  de  sang  relativement  à leur 
calibre  amoindri. 

Avec  le  retour  à la  pression  normale,  reparaît  aussitôt  la  figure  primitive  de  la 
ligne  de  descente  et  la  ligne  simplement  convexe  reprend  son  précédent  policro- 
tisme ou  bien  la  forme  qui  s’est  produite  se  maintient  encore  quelque  temps, 
pendant  une  oü  deux  heures,  pour  céder  et  reprendre  peu  à peu  son  apparence 
originelle  (Yoy.  plus  haut,  fig.  6);  . 

Dans  notre  analyse  êtes  tracés  du  pouls  nous  avons  laissé  de  côté  jusqu’ici  une 
circonstance,  nous  voulons  parler  du  changement  qui  n’est  pas  sans  importance 
que  subit  l’amplitude  de  1 courbe  sous  l’influence  de  l’air  comprimé. 


FAIBLES  PRESSIONS  : APPAREILS  MÉDICAUX. 


447 


Pour  la  clarté  de  la  description,  nous  en  avons  reculé  l’analyse  jusqu’au  cha- 
pitre de  la  force  du  pouls,  plus  justement  désignée  sous  le  nom  de  grandeur  du 
pouls,  qui  se  rapporte  à la  hauteur  verticale  de  l’ondée  sanguine,  c’est-à-dire  au 
maximum  de  la  hauteur,  et  qui,  d’après  Marey,  est  proportionnelle  à l’énergie  de 
la  pulsation.  Comme  nous  l’avons  conclu  de  l’accord  du  tracé  des  courbes  que 
nous  avons  réunies  jusqu’ici,  l’amplitude  du  pouls  est  rendue  plus  petite  par  le 
séjour  dans  l’air  comprimé,  et  perd  souvent  de  4/5  à 5/6  de  sa  hauteur  primitive, 
de  sorte  que  toute  la  série  de  pulsations  tracées  est  changée  souvent  en  une  ligne 
où  les  ondes  isolées  sont  à peine  perceptibles. 

Cet  abaissement  de  l’amplitude  est  proportionnel  à la  compression  de  l’air  et  à 
la  longueur  du  séjour  dans  l’air  comprimé,  aussi  observe-t-on  surtout  le  minimum 
d’amplitude  à la  fin  du  séjour  dans  l’air  comprimé;  il  arrive  exceptionnellement 
quaprès  le  retour  à la  pression  normale,  l’amplitude  reste  stationnaire,  pour  re- 
venir à l’état  normal,  après  un  long  séjour  sous  la  pression  ordinaire.  Il  est  éga- 
lement exceptionnel  de  voir  l’amplitude,  après  avoir  atteint  son  minimum,  com- 
mencer à s’élever  peu  à peu  pendant  le  stade  de  la  pression  maximum  constante, 
sans  toutefois  atteindre  à sa  hauteur  primitive. 

Les  changements  que  le  pouls  subit  ici  s’expliquent  du  reste  et  sont  sensibles 
au  tact,  puisque  dans  la  majorité  des  cas  le  pouls  étant  trouvé  normal,  avant 
l’entrée  dans  l’appareil  pneumatique,  se  montre  dans  l’air  comprimé  presque  in- 
sensible au  toucher  du  doigt  ; il  est  véritablement  le  pulsus  debilis.  Il  est  utile 
de  faire  observer  à propos  de  ce  dernier  point,  que  les  transformations  décrites 
plus  haut  du  pouls  en  un  pulsus  loncjus , comme  nous  en  avons  vu  quelques-unes 
se  produire  dans  l’appareil  pneumatique,  et  qui  sont  observées  du  reste  à la  pres- 
sion normale  de  l’air  dans  certains  procès  susmorbides,  tels  que  les  anévrysmes, 
les  embolies,  donnent  une  sensation  trompeuse  au  doigt,  de  sorte  que  même 
alors  que  la  hauteur  verticale  du  pouls  reste  identique,  comme  Marey  l’a  observé 
(p.  245),  le  pouls  paraîtra  d’autant  plus  fort  que  Fondée  sanguine  sera  plus  gra- 
duelle, ce  qui  est  exprimé  par  la  montée  et  la  descente  de  la  pression  du  sang 
dans  les  vaisseaux;  mais  puisque  dans  notre  cas,  dans  l’air  comprimé,  l’abaisse- 
ment de  la  force  du  pouls  perçu  par  le  tact  est  confirmé  encore  par  l’amoin- 
drissement de  la  hauteur  verticale  du  tracé,  il  faut  tenir  pour  certain  l’amoin- 
drissement de  la  force  du  pouls  en  soi. 

Nous  aurions  maintenant  à montrer  la  cause  de  cet  amoindrissement  de  la  force 
du  pouls  dans  l’aîr  comprimé,  ainsi  que  cela  résulte  de  nos  recherches  ; en  pre- 
mière ligne,  on  pouvait  bien  penser  à l’affaiblissement  de  l’action  du  cœur  lui- 
même  , comme  à la  circonstance  occasionnelle  de  l’abaissement  de  la  force  du 
pouls  dans  l’air  comprimé,  affaiblissement  peut-être  produit  par  l’élévation  de  la 
résistance,  que  l’accroissement  de  la  pression  atmosphérique  qui  exerce  une  com- 
pression sur  l’ensemble  des  vaisseaux  périphériques,  amène  dans  le  système  ar- 
tériel; à l’appui  de  cette  supposition,  on  pourrait  citer  des  faits  qui  ont  été  rap- 
portés par  mof  dans  une  autre  circonstance  et  dans  un  autre  lieu  ; en  effet, 
l’inspection  et  la  palpation  du  cœur  en  montrent  l’impulsion  plus  faible  ; l’auscul- 
tation du  cœur  donne  un  résultat  identique,  et  le  son  paraît,  pour  ainsi  dire, 
plus  lointain. 

Cependant  ces  faits  ne  démontrent  et  ne  prouvent  eh  aucune  façon  qu’un  chan- 
gement ait  lieu  dans  la  force  d’impulsion  du  cœur,  car,  d’un  côté,  pour  avoir  une 
preuve  presque  certaine  et  démontrée  du  changement  d’intensité  de  la  contraction 
du  cœur,  nous  éprouvons  les  plus  grandes  difficultés,  et,  d’un  autre  côté,  l’affai- 
blissement de  l’impulsion  du  cœur  et  des  bruits  du  cœur,  constaté  dans  le  séjour 
dans  l’air  comprimé  par  la  vue,  la  main  et  l’oreille,  peut  n’être  qu’apparent;  et 


448 


HISTORIQUE. 


comme  je  Fai  déjà  montré  dans  la  dissertation  susdite,  n’être  qu’un  simple  effet 
d’un  déplacement  du  cœur,  produit  par  la  compression  de  l’air  et  lié  à l’agran- 
dissement de  la  capacité  des  poumons  et  au  passage,  au-devant  du  cœur , de  la 
lame  antérieure  du  poumon  gauche.  (P.  564-567.) 


Nous  ne  nous  sommes  occupés  jusqu’ici  que  de  la  figure  de  Fondée  isolée,  sans 
tenir  compte  de  l’ensemble  des  ondées  successives,  et  cependant  ce  phénomène 
complexe  demande  quelques  explications. 

Tirons  du  commencement  à la  fin,  à la  base  de  Fondée  ou  à travers  son  sommet 
une  ligne,  alors  que  nous  avons  ce  que  Marey  a appelé  ligne  d'ensemble  (geme- 
insame  linie),  qui  peut  nous  donner  des  éclaircissements  sur  certains  change- 
ments dans  la  pression  du  sang,  et  dans  la  distension  des  vaisseaux.  Cette  ligne 
qui,  ainsi  que  nous  l’avons  dit,  se  comporte  différemment  suivant  certains  chan- 
gements d’attitude  du  corps,  peut  présenter  un  changement  total  ou  partiel  dans 
sa  figure  et  dans  sa  direction.  Le  premier  cas  se  présente  à la  suite  d’un  change- 
ment de  longue  durée  dans  la  pression  du  sang  et  dans  la  distension  du  vaisseau, 
et  se  reconnaît  à une  modification  considérable  de  toute  la  ligne  par  rapport  à la 
figure  primitive  du  pouls  , tandis  qu’un  changement  fréquent  de  la  pression  du 
sang  et  de  la  distension  vasculaire,  comme  cela  a lieu  par  exemple  sous  l’influence 
d’une  respiration  irrégulière,  trouve  une  expression  dans  des  incurvations  plus  ou 
moins  marquées  et  plus  ou  moins  fréquentes,  dans  une  série  d’élévations  et  d’a- 
baissements de  la  ligne  du  pouls.  Maintenant,  comme  cette  ligne,  d’après  Marey, 
indique  qu’un  obstacle  à l’écoulement  du  sang  augmente  la  distension  dans  le 
système  artériel  en  un  point  quelconque,  nous  avions  à rechercher  si  cela  se  pro- 
duisait dans  l’air  comprimé  par  suite  de  la  compression  des  vaisseaux  superficiels, 
et  si  l’obstacle  ou  la  gêne  reconnus  par  nous  dans  la  circulation  artérielle  au 
changement  de  la  ligne  d’ascension,  produisait  aussi  un  changement  dans  notre 
ligne  d’ensemble,  et  trouvait  son  expression  dans  son  élévation  (ascension  oblique 
de  toute  la  ligne),  dans  l’air  comprimé. 

Après  avoir  dans  ce  but  assujetti  l’instrument,  d’après  les  régies  établies  dans 
nos  précédentes  expériences  faites  à l’aide  du  sphygmographe,  et  disposé  les  choses 
de  telle  façon  que  le  stylet  enregistreur  fût  placé  juste  au  milieu  de  la  bande  de  pa- 
pier, à une  distance  égale  du  bord  supérieur  et  du  bord  inférieur,  et  je  recueillis  ainsi 
à l’air  libre,  après  avoir  lâché  le  mouvement  d’horlogerie,  un  tracé  du  pouls  juste 
au  milieu  du  papier;  mais  je  ne  trouvai  plus  la  même  chose  en  opérant  dans  l’air 
comprimé.  Quoique  l’instrument  n’eût  pas  été  enlevé,  et  qu’aucun  changement  ne 
se  fût  produit  ni  dans  l’attitude  du  bras,  ni  dans  la  position  de  l’instrument,  le 
stylet  enregistreur,  sous  l’influence  de  l’air  comprimé,  subit  un  mouvement  par 
rapport  à sa  situation  primitive,  et  monta  ; il  monta  même  si  haut,  qu’il  passa 
par-dessus  le  bord  supérieur  de  la  bande  de  papier,  et  qu’il  fallut,  par  un  léger 
mouvement  de  la  main  , l’abaisser  au  niveau  du  papier,  pour  prendre  un  tracé. 
D’après  cette  expérience,  nous  avons  démontré  : pour  V artère  radiale  une  élévation 
générale  de  la  tension  du  sang  et  de  la  distension  vasculaire  indépendante  de  celle 
(pie  Von  peut  observer  sur  une  pulsation  isolée. 

Enfui  quant  à ce  qui  concerne  V influence  des  mouvements  respiratoires  dénon- 
cée par  les  incurvations  en  arcades  de  la  ligne  du  pouls , elle  est  assez  insensible  et 
assez  peu  apparente  pour  passer  inaperçue  aux  yeux  d’un  observateur  superficiel. 
Elle  n’est  très-apparente  que  lorsqu’on  fait  de  profondes  inspirations,  et  qu’il  y a 
une  gêne  dans  la  respiration. 

Par  suite  de  changements  survenus  dans  la  grandeur  du  thorax  par  les  inspi- 
rations et  les  expirations  d’une  part , d’autre  part,  par  suite  des  mouvements 


FAIBLES  PRESSIONS  : APPAREILS  MEDICAUX. 


449 


d’élévation  et  d’abaissement  du  diaphragme,  qui  rétrécit  on  agrandit  alternati- 
vement la  cavité  abdominale  et  la  cavité  thoracique  , et  par  suite  du  changement 
de  distension  qui  en  résulte  pour  l’abdomen  , il  se  produit  alternativement  dans 
l’aorte  thoracique  et  dans  l’aorte  abdominale  une  pression  plus  forte  ; il  en  résulte 
pour  ces  vaisseaux  une  distension  variable  qui  se  communique  consécutivement 
aux  artères  éloignées. 

Par  là,  ainsi  que  je  l’ai  montré  ailleurs,  sous  l’influence  de  l’air  comprimé,  on 
observe  un  ralentissement  de  la  fréquence  de  la  respiration  qui,  entretenu  par  la 
continuation  journalière  de  cette  même  influence  de  la  pression  de  l’air,  s’accroît 
de  jour  en  jour  jusqu’à  un  certain  chiffre  ; du  reste,  la  respiration  est  plus  facile 
dans  l’air  comprimé  ; elle  devient  plus  tranquille  et  plus  complète  ; et  l’on  calme 
ainsi  quelques  troubles  respiratoires.  Ainsi,  là  où,  à l’air  libre,  l’influence  delà  res- 
piration se  faisait  sentir  sur  la  courbe  du  pouls,  cette  influence  devait  s’affaiblir 
dans  l’air  comprimé,  c’est-à-dire  que  les  courbures  et  les  cintrages  de  la  ligne  du 
pouls  devaient,  sous  cette  influence,  diminuer  de  fréquence  et  d’intensité,  comme 
du  reste  on  peut  le  voir  à la  figure  9,  qui,  prise  le  lpr  mai  sur  un  emphysé- 
malique  âgé  de  44  ans,  en  a à la  pression  normale,  montre  de  remarquables  in- 
flexions aux  courbures  dans  lesquelles  s’inscrivent  les  pulsations,  et  qui  trahissent 


a 

b 


Fig.  14. 

une  forte  gêne  de  la  respiration,  tandis  que  sous  l’influence  de  l’air  comprimé  en  * 
ù,  l’intensité  de  l’ondulation  a baissé  si  notablement,  que  la  ligne  du  pouls  se  rap- 
proche presque  de  l’horizontale,  et  que  en  même  temps  il  y a un  plus  grand 
nombre  de  pulsations,  pour  une  respiration  qu’en  a,  par  quoi  se  marque  l’apai- 
sement de  la  précédente  gêne  respiratoire. 

L’existence  de  ce  changement  dans  la  courbe  respiratoire  sous  l’influence  de 
l’air  comprimé  peut  être  considéré  comme  étant  la  règle,  et  l’on  trouve  rarement 
l’état  contraire.  (P.  578-580.) 

Quant  au  nombre  des  pulsations,  Vivenot  résume  dans  les  termes 
suivants  423  observations  faites  sur  lui-même  : 

Le  matin,  entre  6 et  7 heures,  en  me  réveillant,  j’avais  65,22  pulsations.  Après 
avoir  déjeuné  dans  le  lit, ce  nombre  s’élevait  à son  maximum,  81,20;  au  moment 
d’entrer  dans  l’appareil  pneumatique,  il  n’était  plus  que  de  79,05.  Sous  l’influence 
de  l’air  comprimé,  il  s’abaissait  entre  75,45  et  71,66;  au  retour  à la  pression 
normale,  j’avais  encore  72,41,  et  dans  le  cours  de  la  journée  mon  pouls  ne 
remontait  pas  au  chiffre  antérieur  à l’entrée  dans  les  appareils. 

Cet  abaissement  du  pouls  dans  l’air  comprimé  a été  constaté  575  fois  dans  mes 
423  observations  ; 18  fois  il  n’y  a eu  aucun  changement  ; 50  fois,  un  accélération 
du  pouls.  (P.  532.) 

Vivenot  a vu  rinjection  des  vaisseaux  de  la  conjonctive  disparai- 

29 


450 


HISTORIQUE. 


tre  totalement  ou  partiellement  par  la  compression.  L’examen  de  la 
rétine  lui  a aussi  montré,  chez  un  individu  soumis  à l’atropine, 
que  les  vaisseaux  de  l’œil  se  vident  de  sang  dans  l’air  comprimé. 

Il  a fait,  en  outre,  sur  un  lapin  blanc  apprivoisé,  cinq  observa- 
tions directes  relativement  aux  modifications  de  la  circulation  dans 
les  oreilles  et  la  conjonctive.  Je  reproduis  les  détails  qu’il  a donnés 
à ce  sujet,  parce  qu’ils  ne  me  semblent  pas  justifier  les  conséquen- 
ces qu’il  en  a tirées,  et  qu’on  a acceptées  d’après  lui. 

I.  — (a).  Pression  normale  : 

Le  lapin  tranquille  et  libre.  Les  oreilles  dressées,  gonflées  de  sang.  Les  vais- 
seaux de  la  conjonctive  injectés.  L’iris  et  particulièrement  la  pupille  très-colorés 
en  rouge. 

(b.)  Pendant  l'augmentation  de  pression  : 

Vaisseaux  de  la  conjonctive  plus  minces  et  plus  pâles.  Décoloration  de  l’iris  et 
de  la  pupille. 

(c).  Pe?idant  la  pression  constante  maximum: 

Par  transparence,  les  vaisseaux  des  oreilles  vides  de  sang  ; les  plus  gros  sont  à 
peine  visibles  ; peu  après,  l’oreille  est  toute  pâle  et  flasque  et  les  vaisseaux  ont 
complètement  disparu. 

(d.)  Pendant  la  diminution  de  pression  : 

L’oreille  et  la  conjonctive  restent  pâles. 

( e .)  Sous  la  pression  normale , immédiatement  après  la  séance  : 

Après  la  séance,  et  même  une  heure  après,  les  oreilles  sont  vides  de  sang, 
pâles  et  flasques. 

II.  — [a.)  Les  vaisseaux  des  oreilles  sont  modérément  injectés. 

(b.)  Au  commencement,  une  plus  forte  injection  des  artères  et  des  veines  de 
l’oreille;  plus  tard  l’iris  pâlit  d’abord  et  se  décolore  ensuite. 

(c.)  Les  oreilles  restent  pâles  ; l’iris  est  plus  sombre  ; la  pupille  plus  rouge. 

HL  — (a.)  Les  vaisseaux  des  oreilles  sont  modérément  injectés;  l’iris  et  la  pu- 
pille sont  d’un  beau  rouge. 

(b.)  Gonflement  des  vaisseaux  et  particulièrement  des  veines  des  oreilles,  dont 
les  plus  grosses  sont  dilatées. 

(c.)  Au  commencement , aucun  changement  appréciable  dans  la  couleur  de 
l’iris  et  de  la  pupille.  Alternativement  les  vaisseaux  de  l’oreille  pâlissent  subite- 
ment et  se  remplissent  de  nouveau  ; pourtant  quelque  temps  après,  ils  sont  défi- 
nitivement pâles  et  restent  vides  de  sang. 

(d.)  Les  oreilles  sont  toujours  pâles  et  flasques. 

(e.)  Les  oreilles  sont  encore,  quelques  heures  après  la  séance,  toutes  vides  de 
sang,  pâles  et  flasques. 

IV.  — (a.)  Longtemps  avant  la  séance,  les  oreilles  sont  assez  vides  de  sang. 

(b.)  Les  vaisseaux  des  oreilles  sont  alternativement  injectés  et  pâles  ; enfin  ils 
restent  pâles. 

(c.)  A cause  de  la  trop  grande  obscurité  régnant  dans  l’appareil,  la  couleur  de 
la  pupille  ne  peul  être  observée. 

(d.)  Les  oreilles  toujours  pâles. 

(e.)  La  pupille  semble  devenir  rouge  foncé.  Les  oreille  se  remplissent  fortement 
de  sang. 


FAIBLES  PRESSIONS  : APPAREILS  MÉDICAUX.  451 

y.  — (a.)  La  conjonctive  injectée  à des  endroits  isolés.  Les  vaisseaux  de  l’oreille 
modérément  injectés. 

(b.)  L’injection  de  la  conjonctive  et  des  vaisseaux  de  l’oreille  disparaît  en  partie. 

(c.)  Vaisseaux  de  l’oreille  et  de  la  conjonctive  tout  à fait  disparus;  les  oreilles 
pâles  ; parfois  injectées  en  un  clin  d’œil.  A cause  de  l’obscurité  croissante,  la 
couleur  de  la  pupille  et  celle  de  l’iris  ne  peut  pas  être  déterminée. 

(d.)  L’oreille  et  lav  conjonctive  restent  pâles  ; à la  fin,  on  ne  peut  apercevoir 
aucun  vaisseau.  (P.  587.) 

Ainsi,  conclut  Vivenot,  sous  l’influence  de  l’air  comprimé  le  sang 
diminue  dans  les  vaisseaux  de  la  périphérie  du  corps. 

Après  les  détails  que  je  viens  de  rapporter  sur  les  modifications 
des  deux  grandes  fonctions  physiologiques  de  la  respiration  et  delà 
circulation,  modifications  qui  sont  à la  fois  les  plus  importantes  et 
les  plus  faciles  à constater,  je  crois  qu’il  sera  suffisant  de  repro- 
duire le  résumé  que  Vivenot  donne  lui-même  de  toutes  ses  observa- 
tions. Malheureusement,  l’indication  des  faits  y est  intimement 
mêlée  aux  idées  théoriques  que  fauteur  s’était  faites  pour  les  expli- 
quer, en  telle  sorte  qu’il  serait  impossible  de  les  en  séparer;  mais 
les  difficultés  qui  résultent  de  cette  confusion  s’éclairciront  à la 
lecture  du  chapitre  suivant. 


Résumé  clés  phénomènes  physiologiques * 

1.  Impressions  dans  l’oreille 

2.  Le  changement  du  son  de  la  voix,  les  sons  émis  augmentent  de  hauteur;  la 
prononciation  difficile,  le  sifflement  impossible,  parfois  un  léger  bégayement. 

5.  L’odorat,  le  goût  et  le  toucher  perdent  de  leur  acuité. 

4.  La  pression  négative  à l’inspiration  et  la  pression  positive  à l’expiration 
augmentent. 

5.  La  convexité  de  l’abdomen  diminue  par  la  compression  des  gaz  intesti- 
naux. 

6.  Pour  la  même  raison,  le  diaphragme  et  la  base  du  poumon  s’abaissent. 

7.  Le  poumon,  pendant  l’inspiration  comme  pendant  l’expiration,  vient  se 
placer  devant  le  cœur. 

8.  D’où  vient  la  diminution  de  l’impulsion  cardiaque  à la  palpation  et  la  fai- 
blesse de  ses  bruits  à l’auscultation. 

9.  La  capacité  vitale  pulmonaire  augmente.  A 3/7  de  compression,  elle 
s’est  agrandie  en  1/2  heure,  de  73cc,40  en  moyenne,  et  en  1 heure  1/2, 
del05c#,27,  c’est-à-dire  5,30  p.  c.  de  leurs  dimensions  primitives. 

10.  Par  le  retour  à la  pression  normale,  l’augmentation  de  la  capacité  pulmo- 
naire diminue,  le  poumon  ne  reprend  pas  exactement  son  volume  primitif. 

11.  Des  séjours  répétés  amènent  chaque  jour  une  augmentation  de  la  capa- 
cité pulmonaire;  plus  au  début  qu’à  la  fin.  Après  3 mois  1/2  de  bains  d’air  ma 
capacité  pulmonaire  vitale  était  devenue  743co,  c’est-à-dire  augmentée  d’un  quart 
sans  aucune  perte  du  pouvoir  contractile  du  poumon. 


452  HISTORIQUE. 

12.  L’habitude  acquise  par  le  diaphragme  et  le  thorax  persiste  après  la  termi- 
naison des  expériences. 

15.  Ces  augmentations  n’ont  pas  seulement  lieu  pour  les  respirations  ex- 
trêmes; elles  se  constatent  dans  la  respiration  régulière,  et  le  diaphragme  est  là 
aussi  plus  bas  qu’à  l’état  normal 

14.  La  respiration  devient  moins  fréquente.  Le  nombre  des  mouvements  dimi- 
nue de  1 à 4 par  minute.  Cet  effet  se  prolonge  un  peu  lors  du  retour  à l’air 
normal. 

15, 16,  17,  18.  Répètent  pour  la  fréquence  ce  qui  a été  dit  de  10  à 15  pour  la 
profondeur. 

19.  L’inspiration  est  plus  rapide,  l’expiration  plus  lente;  la  première  partie  de 
cette  dernière  est  assez  brève,  mais  la  seconde  devient  tellement  lente  qu'il 
semble  y avoir  une  pause. 

20.  La  proportion  d’acide  carbonique  contenue  dans  l’air  expiré  augmente; 
une  respiration  avec  5/7  d’atmosphère  en  sus  contient  en  moyenne  22,26  p.  c. 
plus  d’acide  carbonique  qu’à  la  pression  normale. 

21.  Cette  augmentation  n’est  donc  pas  en  rapport  exact  avec  celle  de  la  capa- 
cité pulmonaire,  qui  est  de  5,5  pour  cent. 

22.  Elle  a lieu  non-seulement  pour  les  mouvements  respiratoires  forcés,  mais 
dans  la  respiration  tranquille. 

25.  En  comparant  cette  augmentation  d’acide  carbonique  avec  la  diminution 
de  la  fréquence  respiratoire,  on  voit  qu’il  y a,  en  définitive,  une  plus  grande 
quantité  d’acide  carbonique  rendu  et  par  suite  d’oxygène  absorbé. 

24.  De  là  vient  qu’après  une  série  de  séjours  dans  l’air  comprimé,  le  sang 
veineux  parait  plus  clair,  la  température  du  corps  augmente  (de  0°1  à 0°4),  la 
force  musculaire  est  plus  grande,  la  faim  se  fait  sentir,  et,  malgré  une  nourri- 
ture plus  abondante,  le  poids  du  corps  diminue  par  amaigrissement  ; cependant, 
si  la  pression  n’est  pas  trop  forte  et  si  l’on  mange  beaucoup,  on  peut  au  con- 
traire engraisser. 

25.  La  fréquence  du  pouls  diminue  de  4 à 7 dans  une  minute;  celte  diminu- 
tion est  encore  plus  marquée  quand  il  y avait  une  accélération  anormale, 

26.  Au  retour  dans  l’air,  le  pouls  reprend  son  rhythme  normal. 

27.  Cependant,  lorsque  la  fréquence  du  pouls  était  due  à quelque  difficulté 
respiratoire,  un  abaissement  durable  peut  être  la  suite  du  traitement  par  l’air 
comprimé. 

28.  La  diminution  de  la  fréquence  du  pouls  paraît  être  la  suite  de  l’action 
purement  mécanique  de  l’air  comprimé  ; la  pression  augmentée  à la  surface  du 
corps  augmente  les  résistances  que  rencontrent  les  ondes  sanguines  passées  par 
la  systole  du  cœur;  celle-ci  devient  alors  plus  difficile,  d’où  résulte  la  diminu- 
tion du  nombre  des  pulsations. 

29.  La  courbe  du  pouls  radial  subit  des  changements  de  formes;  sa  hauteur 
diminue,  la  ligne  d’ascension  est  moins  raide,  plus  oblique,  le  sommet  plus 
arrondi,  la  ligne  de  descente  perd  sa  forme  ondulée  et  devient  droite  ou  légère- 
ment convexe.  H y a donc  diminution  des  vaisseaux,  et  par  suite,  de  la  quantité 
de  sang  qu’ils  contiennent,  augmentation  dans  la  résistance  à la  systole  du  cœur, 
et  difficulté  plus  grande  dans  la  circulation  capillaire. 

50.  Par  le  retour  à l’air  normal,  le  tracé  reprend  peu  à peu  sa  forme  primi- 
tive. 

51.  Le  pouls  radial  parait  changé  au  toucher;  il  devient  petit,  filiforme, 
presque  insensible. 

52-55.  Relatives  à une  expérience  qui  sera  rapportée  dans  le  chapitre  suivant. 


FAIBLES  PRESSIONS  : APPAREILS  MÉDICAUX.  455 

54.  L’action  du  cœur  dans  l’air  comprimé  n’est  pas  plus  forte;  maison  ne 
sait  si  elle  diminue,  bien  que  ce  soit  vraisemblable. 

55.  La  courbe  sphygmographique  se  tient,  pendant  que  la  pression  augmente, 
au-dessus  de  celle  qu’on  a obtenue^  l’air  normal.  11  y a donc,  dans  cette  phase, 
une  augmentation  dans  la  pression  totale  du  sang,  du  moins  à l’artère  ra- 
diale. 

56.  Des  expériences  faites  chez  des  animaux,  sur  la  pression  du  sang  dan  s 
l’artère  carotide,  au  moyen  de  l’hémodynamomètre  n’ont  donné  aucun  résultat. 
Il  est  vraisemblable  que  quand  la  pression  de  l’air  est  devenue  constante,  un  nou- 
veau degré  d’équilibre  est  atteint,  l’action  du  cœur  devenue  moins  forte  amène 
une  diminutiondans  le  système  ao  rtique. 

57.  La  diminution  du  calibre  des  vaisseaux  de  la  conjonctive,  de  la  rétine,  de 
l’oreille  des  lapins,  la  décoloration  de  la  pupille  et  de  l’iris  des  lapins  blancs,  la 
pâleur  des  ouvriers  qui  travaillent  dans  l’air  comprimé,  prouvent  directement 
le  refoulement  du  sang  de  la  périphérie  vers  le  centre  ; 

58.  De  là  viennent  la  diminution  de  la  pression  intra-oculaire,  la  contraction  de 
la  pupille,  la  moindre  sensation  du  pouls  dans  l’oreille  et  la  mâchoire,  la  mem- 
brane du  tympan  moins  rouge,  l’amélioration  des  érisypèdes,  enfin  l’affaisse- 
ment des  strumes  scrofuleuses 

59.  Un  manomètre  placé  dans  la  veine  jugulaire  a montré  que  la  pression  vei- 
neuse diminue  dans  l’air  comprimé.  (Yivenot  n’a  pas  fait  là-dessus  d’expérience. 
Il  s’appuie  sur  une  expérience  de  Panum  qu’il  trouve  lui-même  insuffisante  et 
mal  conduite.  P.  414.) 

On  n’a  pas  fait  d’expériences  directes  sur  l’influence  de  l’air  comprimé  sur  les 
systèmes  veineux  et  lymphatique.  Mais  il  est  certain  qu’elle  ne  peut  être  qu’exci- 
tante; de  pins,  la  pression  négative,  qui  est  augmentée,  agit  encore  sur  le  cœur 
et  les  grands  vaisseaux. 

40.  La  température,  dans  l’aisselle,  augmente  pendant  que  l’on  comprime 
l’air,  elle  arrive  à son  maximum  avec  la  compression.  Pendant  le  stade  de  pres- 
sion constante,  il  y a aussi  une  augmentation  de  la  température  dans  le  rec- 
tum. 

41 . Il  résulte  de  nos  expériences  qu’une  partie  du  sang  est  repoussé  de  la  péri- 
phérie du  corps;  l’organisme  dispose  donc  d’une  quantité  de  sang  qui  doit 
alfluer  dans  les  organes  plus  profondément  situés,  comme  le  cerveau  , la  moelle, 
les  muscles,  le  tube  intestinal,  le  foie,  la  rate,  les  reins,  l’utérus.  De  la  *»l?nnent 
pour  le  cerveau  la  pesanteur  de  tête,  la  surdité  légère,  les  bâillements;  pour  l’ap- 
pareil digestif,  la  faim,  la  température  rectale  augmentée  ; pour  les  muscles, 
l’augmentation  de  la  force  musculaire,  de  la  chaleur  axillaire;  pour  les  reins, 
la  plus  grande  quantité  d’urine.  Ces  symptômes  complexes,  dans  lesquels  inter- 
vient encore  le  froid  extérieur,  ne  s’exercent  que  dans  les  limites  physiolo- 
giques. 

42.  C’est  pourquoi  la  compression  de  l’air  n’apporte  aucun  trouble  important 
dans  la  circulation  du  sang,  alors  même  qu’elle  est  poussée  à 4 atmosphères  1/2. 

15.  On  n’en  peut  pas  dire  autant  du  stade  de  décompression  qui  cause,  quand 
on  va  trop  vite,  des  troubles  gênants  et  même  très-dangereux  dans  la  distribu- 
tiondu  sang. 

44.  Le  séjour  dans  l’air  comprimé  est  donc  moins  dangereux  que  le  retour  à 
1 air  libre,  qui  cause  des  congestions,  des  hémorrhagies,  des  douleurs  et  surtout 
des  troubles  d’équilibre  de  diverses  sortes  dans  le  système  circulatoire,  qui 
même,  par  le  développement  de  gaz  dans  le  sang,  peut  amener  un  arrêt  de  la 
circulation  et  par  suite  une  mort  subite. 


454 


HISTORIQUE. 


45.  Le  moyen  à employer  en  présence  de  ces  accidents  est  le  retour  rapide 
dans  l’air  comprimé.  ( Zur  Kenntniss , etc.  P.  489-495.) 

La  série  des  travaux  de  Vivenot  fixa,  sur  les  phénomènes  curieux 
qu’il  signalait  le  premier  ou  qu’il  décrirait  avec  plus  de  précision 
que  les  auteurs  précédents,  l’attention  des  physiologistes  et  des 
médecins.  Les  publications  se  succédèrent  rapidement. 

C’est  ainsi  que  Freud1 2 * *  observa  une  augmentation  considérable 
dans  sa  capacité  pulmonaire.  Après  30  séances  de  bains,  elle  était 
passée  de  5100cc  à 5600cc;  cet  agrandissement  persistait  5 mois  \ /2 
plus  tard.  Il  n’y  avait  plus  que  quatre  respirations  par  minute. 

Elsâsser*,  qui  fit  ses  recherches  dans  l’appareil  de  Gmelin,  à 
Stuttgard,  crut  pouvoir  résumer  les  observations  de  ses  prédéces- 
seurs et  les  siennes,  relativement  au  rhythme  respiratoire^  dans  les 
propositions  suivantes  : 

■ 

1°  La  valeur  totale  des  mouvements  respiratoires  dans  un  temps  donné  est  di- 
minuée... ; 2°  La  diminution  porte  en  partie  sur  la  fréquence,  en  partie  sur  l’am- 
plitude des  mouvements  ; plus  la  fréquence  se  rapproche  de  la  normale,  moins 
profondes  sont  les  respirations  ; si  celles-ci  sont  très-rares,  elles  deviennent  plu  s 
profondes  ; 5°  Par  des  inspirations  très-forfes,  il  entre  dans  les  poumons  une  plus 
grande  quantité  d’air  qu’à  la  pression  normale.  (P.  26.) 

Du  reste,  son  mémoire  paraît  n’être  qu’une  sorte  de  résumé  des 
travaux  antérieurs  de  Vivenot.  Il  est  particulièrement  consacré  à 
la  thérapeutique. 

Mais  au  premier  rang  des  auteurs  qui,  après  Vivenot,  s’occupè- 
rent de  ces  questions,  il  faut  citer  le  professeur  Panum.  Le  travail 
du  savant  Danois  est  exclusivement  d’ordre  physiologique5.  Nous 
aurons  à lui  donner  une  place  importante  dans  le  chapitre  suivant; 
ici,  nous  ne  parlerons  que  des  observations  relatives  aux  phéno- 
mènes physico-mécaniques  de  la  circulation  et  de  la  respiration. 

Respiration.  — Le  premier  phénomène  dont  il  s’occupe  est  l’a- 
grandissement de  la  cavité  pulmonaire  dans  l’air  comprimé  : 

La  respiration  est  toujours  plus  profonde  qu’à  la  pression  normale.  Cette  action 
dure  souvent  pendant  24  heures  et  plus  et  augmente  par  la  répétition  des  bains 
d’air.  Chez  une  personne  dont,  à l’air  normal,  l’inspiration  valait  de  400  à 700oc 

1 Erfahrungen  über  Anwendung  der  comprimirten  Luft.  — Wiener  Med.  Press,  1866. 

2 Zur  Théorie  der  Lebenserscheinungen  in  comprimirten  Luft.  — Stuttgard,  1866. 

5 Le  mémoire  de  Panum  parut  d’abord  en  danois,  en  1866.  Je  cite  d’après  la  traduc- 
tion allemande  publiée  par  l’auteur  lui-même  : Untersuchungen  über  die  physiologischen 

Wirkungen  der  comprimirten  Luft.  — Pflïugcr's  Archiv  f.  Physiologie  ; t.  I,  p.  125-165, 

1868. 


FAIBLES  PRESSIONS  : APPAREILS  MÉDICAUX.  455 

(en  moyenne  480"),  le  premier  bain  de  35*  de  même  l’avait  fait  passer  de  650 
à 800"  (moyenne  750ec);  le  second  l’avait  amené  en  moyenne  à 900". 

La  fréquence  des  mouvements  était  tombée  de  13-14,5  à 11,5  par  minute. 
(P.  153.) 

Voici,  du  reste,  un  tableau  qui  exprime  les  modifications  pré- 
sentées par  la  respiration  dans  l’air  normal  et  dans  l’air  comprimé, 
suivant  différents  rhythmes  volontaires  de  la  respiration  : 


AIR  COMPRIMÉ 

PRESSION 

NORMALE 

» 

QUANTITÉ  D’AIR 
DANS  CHAQUE 
MOUVEMENT 
RESPIRATOIRE. 
EN  CENTIMÈTRES 
CUBES. 

NOMBRE 

DES 

MOUVEMENTS 

RESPIRATOIRES. 

QUANTITÉ  D’AIR 
A CHAQUE 
MOUVEMENT 
RESPIRATOIRE. 
EN  CENTIMÈTRES 
CUBES. 

NOMBRE 
DES  f 

MOUVEMENTS 
RESPIRATOIRES. 

Respiration  tranquille.  . 

631,8 

13,5 

563,5 

14,2 

Idem 

Respiration  forte  et  pro- 

745,6 

10,8 

679,5 

11,9 

fonde 

Respirations  aussi  fortes 
et  aussi  rapides  que 

1326,4 

8,4 

1314,6 

9,9 

possible. 

Respirations  aussi  lentes 
et  faisant  circuler  aussi 

2301,6 

6,4 

1846,7 

12,7 

peu  d’air  que  possible. 

1216,4 

4,2 

930,3 

5,8 

Quant  au  rhythme  respiratoire  proprement  dit,  Panum  affirme 
que  « la  durée  relative  de  l’inspiration  el  de  l’expiration  est  sem- 
blable dans  Pair  comprimé  et  à la  pression  normale.  » Et  il  donne 
à l’appui  de  cette  assertion,  qui  contredit  ce  que  nous  avons  précé- 
demment rapporté  d’après  Vivenot,  un  tracé  des  mouvements  res- 
piratoires enregistré  directement. 

Circulation.  — Panum  rapporte  les  observations  de  Vivenot  et  de 
Sandhal,  et  admet  le  ralentissement  du  pouls.  Il  tenta  de  faire  des 
expériences  sur  deux  chiens  pour  étudier  les  modifications  de  la 
pression  manométrique  du  cœur  ; mais  elles  ne  donnèrent  aucun 
résultat. 

La  diminution  du  cours  du  sang  dans  les  capillaires  est  prouvée, 
selon  lui,  par  ce  fait  qu’un  mal  de  dent  a disparu  dans  l’air  com- 
primé. Cependant,  les  observations  sur  les  conjonctives  et  les  oreil- 
les de  lapins  n’ont  rien  montré  de  net  ; du  reste,  déclare-t-il,  il  y a 
là  trop  de  causes  de  complications.  Mais  quelle  est  la  cause  pro- 
chaine de  ces  modifications  dans  les  actes  circulatoires? 


456 


HISTORIQUE. 


La  diminution  du  pouls  et  de  la  tension  doit  être  due  à une  influence  sur  l’action 
du  cœur.  Cette  influence  est-elle  une  suite  des  changements  respiratoires  ? Dé- 
pend-elle de  la  pression  qui  s’exercerait  sur  les  muscles  et  les  ganglions  du  cœur? 
Ou  encore  de  quelque  autre  circonstance  ? Je  n’ose  donner  une  opinion  auto- 
risée. 

Le  travail  de  G.  von  Liebig1  contient  le  récit  d’expériences  faites 
à Reichenhall  dans  les  appareils  des  frères  Mack.  La  pression 
moyenne  à Reichenhall  est  de  72  à 73  centimètres;  dans  les  appa- 
reils elle  variait  de  100  à 130  centimètres. 

G.  Liebig  a constaté  d’abord,  après  tant  d’autres,  que  la  respira- 
tion se  ralentit  dans  l’air  comprimé.  Chez  Kramer,  l’une  des  per- 
sonnes qu’il  observait,  elle  est  tombée  de  10  à 7 par  minute,  et  est 
restée  à ce  chiffre  sous  la  pression  normale  : mais  chez  l’autre, 
Mack,  l’un  des  propriétaires  de  l’établissement,  qui  avait  l’habitude 
de  l’air  comprimé,  la  différence  n’a  été  que  de  43  à 41. 

L'amplitude  respiratoire  a également  été  modifiée  chez  le  pre- 
mier sujet  ; elle  a passé  0m,819  à 1\073,  pour  rester  à ll,068.  Mais 
chez  le  second,  le  changement  n’a  été  que  de  l',437  à l‘,489,  et  l’on 
peut  le  considérer  comme  nul. 

Mayer2  a fait  des  observations  analogues  sur  une  dame  atteinte 
d’ascite,  et  sur  lui-même  : 

Il  constata  les  phénomènes  habituels.  Mais  (au  contraire  de  Yivenot)  il  trouva 
un  ralentissement  constant  du  pouls,  qu’il  explique  par  les  résistances  circula- 
toires augmentées  ( pression  augmentée  sur  le  cœur  et  les  vaisseaux  ) ; la  respi- 
ration fut  aussi  ralentie.  La  capacité  vitale  du  poumon  augmenta  d’une  façon 
sensible,  qui  sembla  être  persistante.  La  combustion  augmentée  éleva  la  tempé- 
rature, chez  la  patiente,  de  37°3  à 37°7. 

Le  travail  de  Marc3 * 5  est  plus  intéressant,  bien  qu’il  ne  porte 
que  sur  une  observation  que  le  Dr  Stachelhausen,  atteint  d’hémop- 
tysie et  d’asthme  emphysémateux  depuis  4 ans,  a faite  sur  lui- 
même. 

Après  une  cure  d’un  mois,  une  amélioration  considérable  s’était 
produite  ; mais  je  n’ai  pas  à insister  sur  les  détails  pathologiques. 
Le  fait  le  plus  frappant  de  l’observation  est  la  modification  profonde 
apportée  dans  le  nombre  des  pulsations  cardiaques  et  des  mouve- 


1 Ueber  das  Athmen  unter  erhorliten  Luftdruck.  — Zeitschrift  f.  Biologie ; Ve  vol., 

p.  1-27,  München,  1869. 

- Bericht  über  eine  Versuchs-Sitzung  in  comprimirten  Luft.  — Petersburgh  mcd. 

Zcitsch,  xn.  Ext.  in  Gurlt’s  und  Ilirsch’s  Jalir.  1870,  t.  1,  p.  210. 

5 Beitrage  zur  Erkenntniss  der  physiologischcn  und  therapeulischen  Wirkungen  der 
Bàder  in  comprimirten  Luft.  — Berlinen  Klinische  Wochemchift,  1871,  p.  249-251. 


THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


457 


ments  respiratoires;  j’ai  résumé  les  chiffres  de  l’auteur  dans  le 
tableau  suivant  : 


Ainsi,  deux  choses  sont  à remarquer  : d’abord  la  diminution 
brusque  du  nombre  des  pulsations  et  des  mouvements  respiratoires 
par  l’action  dans  l’air  comprimé  ; la  diminution  du  nombre  de  ces 
derniers,  même  à l’air  libre,  pendant  la  durée  de  la  cure,  tandis  que 
les  pulsations  n’ont  point  changé. 

La  capacité  pulmonaire  mesurée  au  spiromètre  a été  augmentée 
de  550  c.  c. 


22  juin,  avant  le  commencement  de  la  oure  . . 1450  cent,  cubes. 

29  » pendant  la  cure 1600  id. 

8 juillet,  id.  1800  id. 

15  » id.  . 1900  id. 

21  » id.  2000  id. 


Il  est  à regretter  que  Marc  n’ait  indiqué  ni  le  degré  de  la  com- 
pression de  l’air,  ni  la  durée  du  séjour  de  ’son  malade  dans  les  ap- 
pareils. 


CHAPITRE  III 


EXPLICATIONS  THÉORIQUES  ET  EXPÉRIENCES. 


Si  les  expériences  et  les  théories  que  nous  avons  analysées  en 
parlant  de  l’influence  de  la  diminution  de  pression  étaient  nom- 
breuses, variées,  contradictoires,  parfois  bizarres  et  peu  compré- 
hensibles, du  moins  elles  avaient  pour  but  de  répondre  à une  ques- 
tion unique:  quelle  est  la  cause  des  accidents  de  la  décompression? 
11  en  est  autrement  pour  celles  que  nous  allons  résumer  dans  le  pré- 
sent chapitre,  et  leur  exposition  se  ressentira  nécessairement  de  la 
confusion  dans  laquelle  sont  tombés  ceux  qui  les  ont  émises. 

Les  faits  que  nous  avons  rapportés  jusqu’ici  montrent  qu’en  effet 
les  phénomènes  présentés  par  les  personnes  soumises  à l’action  de 
l’air  comprimé  sont  extrêmement  divers  et  se  présentent  dans  des 
conditions  peu  comparables,  peut-être  même  absolument  différen- 
tes. Il  faut  en  effet,  du  moins  lorsque  la  compression  s’est  élevée  à 
un  certain  degré,  tenir  compte  non-seulement  de  la  phase  de  com- 
pression, mais  de  celle  de  dépression,  dont  les  observations  faites 
par  les  ouvriers  eux-mêmes  ont  bientôt  montré  les  influences  péril- 
leuses. Ce  sont  même  ces  dernières  qui  ont  d’abord  frappé  l’es- 
prit par  leur  étrangeté  et  leur  gravité.  Les  modifications  que  l’air 
comprimé  lui-même  apporte  dans  les  diverses  fonctions  physiolo- 
giques sont,  dans  les' limites  où  l’on  a observé  jusqu’ici,  fort  peu 
considérables,  et  il  a fallu  même  pour  les  constater  une  observation 
attentive,  soutenue,  aidée  des  ressources  instrumentales  qu’em- 
ploient de  nos  jours  la  physiologie  et  la  pathologie.  Quelques  méde- 


459 


AIR  COMPRIMÉ  : THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 

cins  ont  bien  distingué  les  deux  ordres  de  phénomènes,  et  tenté  de 
les  expliquer  par  des  raisons  différentes  ; mais  d’autres  les  ont 
confondus  dans  des  théories  communes,  si  bien  qu’il  ne  serait  pas 
possible  de  sous-diviser  ce  chapitre,  comme,  pour  notre  part,  nous 
voudrions  pouvoir  le  faire. 

Ajoutons  que  les  expériences  de  laboratoire,  sur  les  animaux,  ont 
été  beaucoup  plus  rares  que  pour  la  diminution  de  pression.  La  rai- 
son s’en  trouve  aisément  ; d’une  part,  en  effet,  le  problème  semblait 
beaucoup  moins  intéressant,  puisqu’il  ne  touchait  pas  à des  ques- 
tions d’habitat  transitoire  ou  permanent  pour  l’homme  ; d’autre 
part,  l’appareil  instrumental  nécessaire  est  plus  compliqué,  plus 
coûteux,  et  les  expériences  ne  sont  pas  sans  présenter  quelques 
dangers. 

Le  premier  auteur  dans  lequel  j’aie  trouvé  quelques  indications 
théoriques  sur  la  manière  dont  doit  agir  l’air  comprimé  sur  les 
êtres  vivants,  est  l’iatro-mathématicien  Borelli,  qui,  dans  son  traité 
célèbre  de  Motu  Animalium 1 , inscrit  la  proposition  suivante  : 

Prop.  CXXV.  — Causes  vraisemblables  de  la  suffocation  qui  se  produit  de 
différentes  manières  dans  l’air  épais  et  trop  condensé. 

Borelli  confond  ici,  suivant  les  connaissances  de  son  temps,  l’ac- 
tion de  l’air  comprimé  avec  celui  de  l’air  chargé  de  « particules  éthé- 
rées,  terrestres,  aqueuses,  huileuses,  ignées,  salines,  etc.  comme  il 

arrive  par  la  vapeur  de  charbon et  dans  la  caverne  du  lac 

Agnanus  Puteolis » Cependant,  il  consacre  un  paragraphe  spé- 

cial à l’action  de  l’air  « pur  ramené  au  plus  haut  degré  de  com- 
pression, ut  in  folle  lusorio  sit  » : 

Je  ne  nierai  pas,  dit-il,  qu’il  ne  puisse  être  dangereux  à respirer,  parce  que  les 
extrémités  près  des  bronches  et  les  délicates  vésicules  de  Malpighi  pourraient  être 
distendues  et  déchirées  par  la  trop  grande  élasticité,  d’où  résulteraient  des  troubles 
redoutables.  De  plus , le  passage  et  la  circulation  du  sang  en  seraient  empêchés, 
parce  que  l’expiration  ne  pourrait  plus  que  difficilement  s’exercer  à cause  de  la 
trop  grande  résistance  de  l’air  ambiant.  (P.  246.) 

Borelli  n’a  pas  fait  d’expériences. 

C’est  dans  les  notes  que  van  Musschenbroeck  a ajoutées  à la  tra- 
duction des  Mémoires  de  l’Académie  del  Cimento 2 que  nous  trouvons 
la  première  indication  d’expériences  faites  sur  des  animaux  soumis 
à l’action  de  l’air  comprimé  : 

1 Pars  altéra.  — Rome,  1681. 

- Loc.  cit.  — Collect.  acad.,  partie  étrang.,  t.  I,  p.  46-61  ; 1755. 


4G0 


HISTORIQUE. 


Je  rapporterai,  dit  d’abord  le  physicien  hollandais,  ce  qui  est  unnc  cl  animaux 
mis  dans  un  air  beaucoup  plus  dense  que  celui  qui  est  vers  la  surface  de  la  mer. 
M.  Stairs  enferma  un  rat  dans  un  air  deux  fois  plus  dense;  il  y vécut  pendant  l’es- 
pace de  cinq  heures;  cependant,  après  cinq  autres  heures,  il  mourut.  Mais  lors- 
qu’il eût  mis  un  autre  rat  dans  un  air  beaucoup  plus  dense,  il  observa  qu’il  était 
mort  tout-à-coup.  Il  rapporte  qu’une  mouche , dans  un  air  condensé  qui  faisait 
monter  le  mercure  à soixante  pouces  au  delà  de  son  élévation  ordinaire,  se  portait 
bien  le  troisième  jour,  et  même  s’envola  ; que  cependant  ses  autres  compagnes 
moururent. 

M.  Derham  mit  un  moineau  dans  un  récipient,  où  il  condensait  l’air;  parce 
qu’il  ne  retint  point  l’air  exactement,  il  répéta  les  condensations  de  temps  en 
temps  ; le  moineau  vécut  bien  l’espace  de  trois  heures  ; ensuite,  étant  mis  en  li- 
berté, il  paraissait  n’avoir  rien  souffert.  Ensuite  il  renferma  une  mésange  et  un 
moineau  , il  rendit  l’air  deux  fois  plus  dense;  après  une  heure  ces  oiseaux  se 
portèrent  de  même  que  lorsqu’on  les  avait  enfermés  ; ensuite  ils  commencèrent 
à languir,  en  deux  heures  de  plus  ils  devinrent  malades,  et  trois  heures  après  ils 
expirèrent. 

J’enfermai  aussi  un  canard  dans  un  récipient,  où  je  rendis  l’air  trois  fois  plus 
dense  que  celui  de  l’atmosphère  ; il  demeura  cependant  gai  l’espace  d’un  heure, 
et  il  parut  n’avoir  souffert  aucune  incommodité. 

Ensuite  j’enfermai  trois  perches  et  une  truite  avec  une  grande  quantité  d’eau 
et  en  même  temps  avec  quelques  vers  de  terre  vivants  ; je  rendis  l’air  (rois  fois  plus 
dense  dans  le  récipient;  prolongeant  l’expérience  pendant  six  heures,  j’observai  les 
choses  suivantes  : la  première  heure  tous  les  petits  poissons  nageaient  très-bien , 
prenaient  souvent  un  nouvel  air  sur  la  surface  de  l’eau,  et  ne  mangeaient  cepen- 
dant aucun  ver;  après  une  heure,  la  truite  paraissait  moins  vive,  et  se  tenait  plus 
en  repos  ; une  demi-heure  après  elle  secouait  ses  nageoires,  elle  était  cependant 
le  dos  tourné  en  haut  comme  dans  l’état  naturel  ; les  perches  pendant  ce  temps- 
là,  nageaient  gaiement  ; cinq  heures  après,  la  truite  ayant  encore  le  dos  tourné 
en  haut,  et  étant  couchée  librement  dans  l’eau,  était  expirée;  une  perche  devint 
plus  tranquille  ; après  la  sixième  heure,  elle  était  aussi  proche  de  la  mort,  mais 
elle  était  couchée  sur  le  fond  le  dos  tourné  en  haut  ; ensuite  ayant  ouvert  le 
vaisseau  et  laissé  sortir  l’air,  les  deux  perches  étaient  en  vie  et  très-gaies:  mais 
les  deux  poissons  morts  surnageaient  couchés  sur  le  dos  ; les  vers  pendant  tout 
ce  temps  avaient  vécu  sous  l’eau,  et,  en  étant  tirés,  ils  n’étaient  pas  peu  languis- 
sans.  Cette  expérience  a été  faite  le  10  novembre  1750. 

J’appelle  l’atlention  sur  les  curieuses  conséquences  queMusschen- 
broeck  tire  des  expériences  qu’il  vient  de  rapporter  : 

Il  suit  de  ces  expériences  que  les  animaux  peuvent  vivre  plus  longtemps  dans 
un  air  condensé  que  dans  l’air  naturel , sans  être  renouvelé  ; car  quoique  les 
animaux  enfermés  consument  un  peu  d’air,  on  diminue  une  portion  de  son  élas- 
ticité; néanmoins  dans  un  air  condensé  il  reste  assez  d’air,  et  l’élasticité  est  assez 
grande  : en  sorte  que  dans  l’inspiration , les  vésicules  des  poumons  s’étendent 
bien  et  facilement,  et  le  sang  circule  très-librement  dans  les  artères  et  les  veines 
du  poumon.  Cependant  les  animaux  meurent  enfin  dans  cet  air  condensé  ; mais 
quelle  en  est  la  cause?  Ce  n’est  point  le  défaut  de  l’air,  ce  n’est  point  la  perte  de 
son  élasticité;  car  le  mercure  fait  voir  à l’index  qu’il  en  reste  encore  assez.  Mais 
ou  ils  meurent,  parce  que  les  exhalations  du  corps  de  l’animal  sont  nuisibles  à 


AIR  COMPRIMÉ  : THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


461 


ses  poumons,  ou  à sa  vie,  ou  parce  qu’il  y a dans  l’air  quelque  chose  de  consumé 
qui  est  nécessaire  à l’entretien  de  la  vie,  et  qui  doit  être  continuellement  mêlé 
dans  le  sang.  Cette  dernière  considération  peut  cependant  à peine  avoir  lieu  , 
puisque  le  célèbre  M.  Roerhave  a prouvé  par  des  arguments  invincibles,  qu’aucun 
air  inspiré  dans  les  poumons  ne  peut  passer  des  véscicules  dans  les  vaisseaux 
sanguins  : c’est  pourquoi  il  nous  reste  à conclure  que  les  particules  que  nous 
transpirons  nous  sont  nuisibles , et  que  celles  qui  sortent  des  autres  animaux 
leur  sont  aussi  nuisibles  et  agissent  comme  un  poison  ; et  de  là  nous  comprenons 
pourquoi  les  plongeurs  enfermés  dans  une  cloche,  un  tonneau  ou  autre  vaisseau, 
doivent  toujours  être  rafraîchis  d’un  nouvel  air , afin  qu’ils  respirent  commodé- 
ment ; ensuite  pourquoi  les  mineurs,  qui  travaillent  dans  des  mines  profondes, 
sont  pressés  d’inquiétude,  si  on  n’envoye  continuellement  un  nouvel  air  dans  les 
mines,  par  les  moyens  des  soufflets  ou  quelques  autres  ventilateurs.  (P.  58.) 

Haller1  a donné  place  dans  sa  physiologie  aux  faits  expérimentaux 
et  à ceux  qu'avait  déjà  révélés  l’observation  des  cloches  à plon- 
geur; il  les  explique  de  la  façon  suivante  : 

Si  l’air  est  rendu  plus  dense le  sang  qui  coule  dans  les  vaisseaux  plus  com- 

primés et  plus  denses  eux-mêmes,  y éprouve  plus  de  frottement  ; cet  air  gonflera 
mieux  les  poumons,  et  apportera  au  cœur  gauche  le  stimulus  qui  le  fera  mieux 
contracter 

Un  air  dense  est  utile  et  augmente  les  forces  du  corps....  Des  animaux  ont  pu 
vivre  sans  inconvénient  dans  de  l’air  réduit  au  quart  et  au  huitième  de  son  vo- 
lume Sous  la  cloche  à plongeur,  dans  un  air  plus  dense,  on  vit,  et  une  respiration 
plus  rare  suffit.  Un  rat  a vécu  plus  longtemps  dans  un  air  comprimé  que  dans 
l’air  ordinaire 

Il  y a pourtant  des  limites , au  delà  desquelles  Pair  comprimé  nuit.  C’est  ce 
qui  arrive  dans  la  cloche  à plongeurs;  dans  laquelle,  quand  la  profondeur  aug- 
mente, l’eau  entre  et  comprime  l’air  à nouveau.  Alors  la  respiration  est  empêchée, 
le  ventre  est  comprimé,  l’air  entre  non  sans  douleur  dans  le  méat  auditif,  les 
bras  sont  liés  comme  avec  une  corde,  la  membrane  du  tympan  est  parfois  brisée 
et  le  sang  sort  par  l’oreille  et  les  narines;  enfin,  le  cœur  éprouve  de  telles  résis- 
tances, que  le  cours  du  sang  en  est  presque  supprimé,  et  on  en  a vu  qui  ont 
ainsi  péri.  Un  rat  mourut  dans  l’air  réduit  au  vingtième  de  son  volume. 
(P.  194.) 

Des  expériences  analogues  à celles  de  Stairs,  de  Derham  et  de 
Musschenbroeck  furent  refaites  au  commencement  de  ce  siècle  par 
Achard2,  qui  les  rapporte  dans  les  termes  suivants  : 

J’ai  fait  quelques  expériences  sur  la  germination  des  graines  dans  l’air  com- 
primé. Le  résultat  en  est  que  les  graines  germent  d’autant  plus  vite,  que  ce  fluide 
est  plus  comprimé  ; la  différence  est  considérable.  J’ai  fait  en  même  temps  des  expé- 
riences sur  la  durée  de  la  vie  des  animaux  dans  de  l’air  condensé  à différents 
degrés,  et  j’ai  trouvé  que  dans  l’air  trois  fois  plus  dense  que  l’atmosphère,  un 

1 Elernenta  physiologies  corporis  humanu  — 5®  vol..  1761. 

2 Extrait  d'une  lettre  de  M.  A.  au  citoyen  Van  Mons.  — Ann.  de  Chimie,  t.  XXXV11; 
1801. 


462 


HISTORIQUE. 


animal  vit,  sous  circonstances  d’ailleurs  égales,  et  dans  des  volumes  égaux  d’air, 
cinq  fois  plus  longtemps  que  dans  l’air  atmosphérique.  Il  est  remarquable  que 
lorsqu’on  comprime  subitement  l’air  jusqu’à  une  densité  environ  triple,  l’animal 
tombe  dans  un  état  d’inaction  et  de  sommeil  léthargique,  ce  qui  apparemment 
est  une  suite  de  la  pression  exercée  sur  le  cerveau.  Après  que  cet  état  a duré  plus 
ou  moins  longtemps,  l’animal  reprend  son  activité  naturelle,  après  quoi  il  tombe 
dans  un  état  d’anxiété  ordinaire  qui  augmente  graduellement  jusqu’à  la  mort. 
Il  est  encore  remarquable  que  l’économie  animale  ne  souffre  pas  de  cet  état  de 
compression  ; j’ai  tenu  dans  l’air  réduit  au  quart  de  son  volume,  des  oiseaux 
pendant  une  heure , et  les  ai  remis  ensuite  à l’air  libre  ; ils  se  sont  très-bien 
trouvés,  n’ont  donné  aucune  marque  d’incommodité.  (P.  223.) 

Brizé-Fradin,  après  avoir  fait,  comme  nous  l’avons  vu, 
F histoire  des  appareils  à plongeurs,  et  rapporté  les  sensations 
qu’on  y éprouve,  cherche  à s’expliquer  ces  phénomènes,  et  à se 
faire  une  idée  nette  de  la  situation  dans  laquelle  se  trouve,  aux 
points  de  vue  physique  et  physiologique,  l’homme  qui  respire  dans 
l’air  comprimé.  Le  passage  ci-dessous  est  véritablement  très-curieux  : 

Le  plongeur  est  placé  dans  un  milieu  qui  comprime  tout  le  système. 

Comment  se  met-il  en  équilibre  avec  ces  puissances  combinées?  Comment 
parvient-il  à les  surmonter? 

La  solution  raisonnée  se  trouve  dans  les  caractères  et  les  propriétés  de  la  force 
vitale.  Il  est  nécessaire  de  considérer  dans  l’homme  ce  qui  forme  l’essence  de  la 
vie,  c’est-à-dire  cette  force  qui,  souvent,  modifie  les  lois  de  la  nature,  et  les 
réduisent  à ce  qu’elles  doivent  être  pour  constituer  la  vie  ; elle  est  la  loi  pri- 
mordiale de  l’action,  de  la  conservation  et  de  l’harmonie  des  êtres  organisés. 

L’analyse  ne  permet  pas  de  résoudre  en  ses  éléments  la  nature  de  cette  force 
vitale  attribuée  à un  esprit  substil,  invisible;  mais  il  suffit  que  son  existence 
soit  prouvée  par  ses  propriétés,  ses  rapports  constants.  (P.  176.) 

Il  faut  rendre  à Brizé-Fradin  cette  justice  qu’il  ne  se  satisfait 
pas  de  cette  vague  déclaration,  et  que,  non  content  de  la  métaphy- 
sique, il  cherche  à préciser  les  effets  de  cette  force  vitale  sur  le 
plongeur  : 

L’air  plus  dense,  renfermé  dans  la  cloche,  applique  aux  poumons  une  quantité 
plus  grande  de  gaz  oxygène;  il  s’y  produit  immédiatement  une  somme  de  cha- 
leur plus  considérable  : cet  air,  doué  de  la  force  du  ressort,  se  précipite  dans  les 
poumons;  l’organe  respiratoire,  dont  les  parois  touchent  de  toutes  parts  à la 
plèvre,  acquiert  une  capacité  plus  grande  ; le  fluide  ouvre  les  angles  que  les  vais- 
seaux y forment  et  rend  le  passage  du  sang  à travers  leur  substance  plus  libre 
et  plus  facile;  il  accélère  la  rapidité  de  la  circulation,  multiplie  dans  les  fibres 
des  muscles  ces  frottements  intimes,  causes  puissantes  de  chaleur.  Les  releveurs, 
les  intercostaux  se  contractent  vivement;  les  côtes  s’élèvent  ; le  diaphragme 
s’abaisse;  non-seulement  l’équilibre  est  détruit,  mais  la  puissance  élastique  de 
l’air  est  repoussée  par  cette  énergie  intime  qui  élève  la  contractilité  musculaire 
au  plus  haut  degré,  et  qui  suit  les  effets  de  la  caloricité. 


AIR  COMPRIMÉ  . THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES.  465 

On  sait  que  la  pression  de  l’air  sur  une  surface  est  égale  à une  colonne  d’eau 
de  trente  et  un  pieds  ; on  a calculé  que  l’effet  de  la  pression,  par  rapport  à un 
homme  de  moyenne  taille,  équivaut  à un  poids  de  36,000;  mais  cette  pesanteur 
est  contrebalancée,  par  la  force  vitale,  par  la  réaction  des  fluides  élastiques  qui 
font  partie  de  notre  organisation.  Comme  les  variations  de  l’atmosphère  sont 
successives,  elles  nous  affectent  d’une  manière  peu  sensible;  mais  s’il  arrive  un 
changement  subit,  la  rupture  d’équilibre  influe  d’une  manière  très-marquée  sur 
l'économie  animale  ; si  l’homme  s’élève  à de  grandes  hauteurs  il  éprouve  la  gêne, 
la  fatigue,  l’assoupissement  : ainsi,  quand  on  voudra  se  rendre  compte  de  la  dif- 
férence entre  les  effets  du  poids  de  l’eau  et  ceux  de  la  force  élastique  de  l’air 
condensé  à une  profondeur  de  soixante  pieds,  il  faudra  recourir  encore  à celte 
force  inconnue  quant  à son  principe,  mais  qui  change,  modifie  les  lois  géné- 
rales, et  met.  dans  la  classe  des  vérités  démontrées  ce  qui  au  premier  aspect 
paraissait  difficile  à expliquer.  (P.  177.) 

On  voit  que  sa  tentative  physiologique  a été  infructueuse,  et  qu’il 
lui  faut  revenir,  pour  expliquer,  non  les  accidents,  mais  la  résis- 
tance du  plongeur,  à « cette  force  inconnue  quant  à son  principe, 
mais  qui  change  les  lois  générales.  » Il  était  vraiment  inutile  alors 
de  se  donner  tant  de  mal  pour  essayer  d’appliquer  celles-ci. 

Plus  loin,  signalant  les  deux  inconvénients  principaux  de  la  clo- 
che à plongeur,  les  douleurs  d’oreilles  et  le  confinement  de  l’air, 
Brizé-Fradin  propose  pour  y remédier  : 

1°  De  mettre  du  coton  dans  le  conduit  auditif,  pour  imiter  « le 
créateur,  toujours  sage  dans  ses  œuvres,  qui  a distribué  dans  l’or- 
gane de  l’ouïe  ce  cérumen  qui...  favorise  l’harmonie  des  ondula- 
tions sonores  » (p.  181)  ; 

2°  D’introduire  dans  la  cloche  de  l’oxygène  à l’aide  d’une  pompe 
foulante  « lorsque  la  mer  a été  mise  à sec  avec  ces  barillets  à air  »; 
mais  il  recommande  « de  n’en  introduire  que  des  quantités  exactes 

et  qui  n’excèdent  jamais  le  dixième  de  la  masse  d’air  vital car 

l’excès  produirait  une  sensibilité  vicieuse  et  du  désordre  » (p.  183). 

Je  n’indique  que  pour  mémoire  le  passage  dans  lequel  Hallé  et 
Nysten 1 parlent  de  l’action  de  l’air  comprimé  ; ils  se  contentent  en 
effet  de  dire  : 

Dans  les  mines  profondes,  les  effets  qui  dépendent  de  la  compression  de  l’air 
seraient  plus  salutaires  que  nuisibles,  à raison  de  l’augmentation  de  la  quantité 
d’air  sous  le  même  volume.  Ils  rendraient  la  respiration  moins  fréquente,  parce 
que  chaque  inspiration  s’exercerait  sur  une  plus  grande  masse  de  ce  fluide. 

La  pesanteur  atmosphérique  augmentée  semble  devoir  produire  des  effets 
moins  sensibles  que  sa  diminution  et  la  pression  qui  tend  à condenser  toutes  ses 
parties  semble  moins  préjudiciable  à notre  organisation  que  leur  expansion 
excessive. 

1 Art.  Air,  du  Dicté  des  Sc.  méd.  — t*  1,  p.  248 * 1812, 


464 


HISTORIQUE. 


C’est  au  même  titre  que  je  rapporte  l’opinion  de  Jœger1,  qui  ne 
paraît  la  baser  sur  aucune  observation  directe  : 

L’air  condensé  à un  très-haut  degré  peut  causer  une  mort  subite,  parce  qu’il 
produit  l’apoplexie  sanguine  avec  hémorrhagie  et  empêche  le  retour  du  sang 
dans  les  parties  supérieures  et  le  cœur.  (P.  97.) 

Les  expériences  de  Poiseuille2 * *  ont  une  tout  autre  valeur. 

Au  cours  de  ses  recherches,  si  remarquables  par  l’esprit  scien- 
tifique et  la  précision  qu’il  y apporte,  cet  auteur  se  demande  si  les 
variations  dans  la  pression  onl  de  l’influence  sur  la  circulation  du 
sang.  Pour  résoudre  cette  importante  question,  il  fait  usage  d’un 
porte-objet  pneumatique  composé  d’une  boite  résistante,  garnie  de 
plaques  de  verre,  et  dans  laquelle  on  peut  augmenter  ou  diminuer 
la  pression  : 

L’animal  préparé  de  manière  à voir  la  circulation  capillaire  est  placé  dans  l’in- 
strument, et  l’appareil  lui-même  sous  l’objectif  du  microscope  ; on  peut  alors 
observer  les  modifications  que  peut  introduire  dans  la  circulation  capillaire  une 
pression  ambiante  plus  ou  moins  considérable.  Chez  les  salamandres,  les  gre- 
nouilles, leurs  têtards,  les  très-jeunes  rats  et  les  jeunes  souris,  les  circulations 
artérielle,  capillaire  et  veineuse  n’ont  offert  aucun  changement  en  portant  la 
pression,  même  brusquement,  à 2,  3,  4,  6 et  8 atmosphères,  et  réciproquement. 
En  outre,  la  circulation  a continué  à se  faire  avec  le  même  rhythme  sous  une 
pression  de  quelques  centimètres  de  mercure  chez  les  salamandres,  les  grenouilles 
et  leurs  têtards.  En  plaçant  dans  l’appareil  de  très-jeunes  rats,  de  très-jeunes 
souris  (on  sait  que  les  mammifères,  pendant  les  premiers  jours  de  leur  nais- 
sance, peuvent  rester  quelques  heures  sans  respirer),  on  a pu  voir  par  l’inté- 
grité parfaite  de  circulation  chez  ces  animaux  alors  placés  dans  le  vide,  combien 
était  illusoire  l’opinion  des  physiologistes  qui  pensent  que,  sans  pression  atmo- 
sphérique, il  n’y  a point  de  circulation  possible;  mais  la  pression  atmosphérique, 
concurremment  avec  les  mouvements  respiratoires,  sont  des  causes  accessoires 
du  cours  du  sang,  ainsi  que  M.  Poiseuille  l’a  démontré  dans  l’un  de  ses  précé- 
dents mémoires. 

Poiseuille,  on  le  voit,  s’occupe  à la  fois  de  l’inflence  de  l’augmen- 
tation et  de  celle  de  la  diminution  de  pression  sur  la  rapidité  de  la 
circulation;  il  affirme  qu’elles  sont  nulles. 

Les  explications  de  M.  Maissiat5  tendent  aussi  à viser  simultané- 
ment les  deux  questions.  Nous  avons  vu,  dans  le  titre  Ier  (p.  245), 
qu’il  fait  jouer  le  principal  rôle  aux  gaz  intestinaux,  dont  le  volume 

1 Traclatus  p hy s i c o-medi c u s de  almosplierâ  et  acre  almospherico.  — Cologne,  1816. 

2 Recherches  sur  les  causes  du  mouvement  du  sang  dans  les  vaisseaux  capillaires.  — 

C.  R.  Acad,  des  Sc .,  t.  I,  p 554-560,  1835.  — Ces  diverses  expériences  sont  exposées, 
avec  détails,  dans  le  mémoire  du  même  auteur,  inséré  dans  tome  VII  des  Mémoires  des 

savants  étrangers. 

5 Études  de  physique  animale.  — Paris,  1843. 


AIR  COMPRIMÉ  : THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES.  465 

doit  changer  avec  la  pression  aérienne.  Après  avoir  considéré  leur 
dilatation  comme  accélérant  circulation  et  respiration,  comme 
chassant  le  sang  à la  peau,  il  ajoute: 

11  v aura  lieu  à effets  inverses  et  retour  du  sang  vers  les  vaisseaux  des  milieux 
profonds,  si,  au  contraire,  la  pression  extérieure  à l’animal  croît  ; l’effet  sera  médi- 
calement sédatif,  calmant  de  tout,  de  la  respiration  et  de  la  circulation.  (P.  254.) 

Quelques  années  plus  tard,  llervier  etSt-Lager1  firent,  à l’instiga- 
tion de  Pravaz,  les  premières  expériences  tentées  dans  le  but  de 
rechercher  si  les  ‘combustions  organiques  sont  activées  pendant  le 
séjour  dans  l’air  comprimé. 

Les  auteurs  arrivent  au  résultat  curieux  formulé  dans  la  conclu- 
sion suivante,  résultat  à l’appui  duquel  ils  n'apportent  du  reste  au- 
cun chiffre;  la  méthode  par  laquelle  il  est  obtenu  et  qui  donne  non 
la  quantité  d’acide  carbonique  exhalé,  mais  seulement  sa  propor- 
tion dans  l’air  expiré,  est,  je  suis  -obligé  de  le  déclarer,  des  plus 
défectueuses2  : 

Les  quantités  d’acide  carbonique  exhalé  dans  le  bain  d’air  comprimé  s’élèvent 
au-dessus  des  proportions  de  l’état  normal  jusqu’à  la  pression  de  775  millièmes  ; 
au-dessus  de  ce  chiffre,  le  poumon  exhale  moins  d’acide  carbonique  qu’avant  le 
bain. 

Et  voici  l’explication  peu  claire  qu’ils  donnent  de  celte  contradic- 
tion : 

A une  faible  pression,  l’effet  chimique  dominant  l’influence  mécanique,  l’çn- 
dosmose  trouve  dans  les  conditions  de  pression  une  circonstance  favorable  au 
développement  des  fonctions  respiratoires  sans  que  l’exosmose  soit  entravée  par 
une  pression  trop  forte d’où  il  suit  une  augmentation  croissante  dans  l’exha- 

lation de  l’acide  carbonique.  A une  pression  plus  forte  l’effet  mécanique  neutra- 
lise et  anéantit  l'influence  chimique,  au  point  d’empêcher  l’exosmose  gazeuse 
dans  le  bain  d’air,  sans  toutefois  s’opposer  à l’absorption  des  gaz. 

C’est  cet  emmagasinement  d’acide  carbonique  par  le  sang,  sous 
l’influence  de  l’air  comprimé,  qui  expliquerait,  selon  nos  auteurs, 
comment  : 

Les  bains  d’air  comprimé  ont  pour  effet  d'augmenter  l’exhalation  de  l’acide 
carbonique  au  dehors  du  bain  ; cet  effet,  qui  se  prolonge  plusieurs  heures  après 
leur  administration,  est  plus  sensible  deux  ou  trois  heures  après  qu’immédiate- 
ment  après  le  bain. 

1 Note  sur  la  carbonométrie  pulmonaire  dans  l'air  comprimé.  — Gaz.  méd.  de  Lyon , 
1849,  p.  168. 

2 Cette  méthode  est  exposée  dans  un  travail  antérieur  des  mêmes  auteurs,  intitulé  : 
Recherches  sur  les  quantités  d'acide  carbonique  exhalé  par  le  poumon  à l'étal  de 
sauté  et  de  maladie.  — Ibid.,  p.  59-50. 


50 


466 


HISTORIQUE. 


Cela  tiendrait  à ce  que  : 

La  dilatation  anormale  des  vésicules  pulmonaires,  par  l’effet  d’une  pression 
suffisamment  forte  dans  l’air  comprimé,  diminue  le  ressort  et  l’élasticité  des 
organes  respiratoires tandis  que,  lorsqu’au  sortir  du  bain  l’influence  méca- 

nique suspend  son  action,  le  ressort  du  poumon  revient  bientôt  à son  état  nor- 
mal, et  par  le  fait  de  l’exosmose  gazeuse  qui  n’est  plus  entravée,  rejette  au 
dehors,  sous  forme  d’acide  carbonique,  tout  l’oxygène  qu’il  avait  absorbé  dans  le 
bain  sous  l’influence  de  l’endosmose. 

Pravaz1,  dont  nous  avons  déjà  cité  le  livre  (p!  455)  après  avoir 
énuméré  les  modifications  favorables  que  le  séjour  dans  l’air  com- 
primé apporte  à l’exercice  de  plusieurs  grandes  fonctions  physio- 
logiques, trouve  à ces  avantages  notables  trois  causes  d’ordre  diffé- 
rent: 

A.  — L’amplitude  des  inspirations  est  augmentée  pour  deux  rai- 
sons : 

1°  S’il  est  certain  que,  dans  les  conditions  ordinaires  de  la  vie,  l’inspiration 
est  loin  d’avoir  l’étendue  que  comporterait  la  disposition  anatomique  des  parois 
thoraciques,  on  ne  peut  douter  que  chez  un  grand  nombre  de  sujets,  et  particu- 
lièrement chez  ceux  qui,  menant  une  vie  sédentaire,  n’ont  besoin  pour  l’héma- 
tose que  d’un  conflit  médiocre  avec  l’atmosphère,  la  rétractilité  de  tissu  n’ait 
réduit  notablement  le  maximum  de  capacité  que  peuvent  acquérir  les  poumons 
sous  la  pression  ordinaire,  et  par  suite  l'ampliation  habituelle  de  la  cavité  pecto- 
rale; dès  lors,  n’est-il  pas  manifeste  qu’en  augmentant  cette  pression  et  élevant 
ainsi  à une  plus  haute  puissance  la  force  qui  lutte  contre  la  réaction  du  poumon, 
on  doit  étendre  la  limite  supérieure  de  son  développement  propre,  et  consécu- 
tivement celte  de  l’expansion  de  la  cage  thoracique  sous  l’effort  des  muscles  inspi- 
rateurs, effort  qui  devient  promptement  impuissant  lorsque  la  tendance  au  vide, 
qui  a lieu  entre  les  deux  plèvres  pendant  l’inspiration,  dépasse  une  certaine 
mesure. 

2°  L’accroissement  de  la  pression  atmosphérique  ayant  pour  effet  de  compri- 
mer l’abdomen,  d’augmenter  l’élasticité  des  gaz  intestinaux,  et  par  suite  leur  réac- 
tion contre  l’effort  du  diaphragme,  ce  muscle  rencontre  un  point  d’appui  plus 
solide  et  change  le  mode  de  respiration  le  plus  ordinaire,  en  obligeant  les  côtes 
et  le  sternum  à prendre  une  plus  grande  part  au  mécanisme  de  cette  fonction. 
A la  vérité,  la  dilatation  de  la  cavité  thoracique,  dans  le  sens  vertical,  se  trouve 
ainsi  diminuée;  mais  cette  réduction  est  plus  que  compensée  par  l’expansion  de 
la  poitrine,  suivant  ses  diamètres  antéro-postérieur  et  latéral,  et,  loin  d’être 
moindre,  le  volume  d’air  introduit  par  chaque  inspiration  se  trouve  augmenté. 
En  effet,  dans  le  mode  de  respiration  qui  a lieu  principalement  par  l’abaissement 
du  diaphragme,  la  capacité  de  la  poitrine  ne  s’accroît  que  suivant  le  rapport 
simple  des  diamètres  verticaux  successifs,  mesurés  latéralement,  car  la  partie 
moyenne  du  diaphragme  reste  à peu  près  fixe;  tandis  que  dans  la  respiration 
costo-sternale,  l’agrandissement  de  cette  cavité  a lieu  dans  le  rapport  composé 


1 Loc.  cil.  — Essai , etc.;  1850. 


AIR  COMPRIMÉ  : THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES.  467 

du  produit  des  diamètres  horizontaux  primitifs  au  produit  des  mêmes  diamètres 
dilatés.  (P.  11-12.) 

B.  — L’hématose  est  activée  * 

Est-ce,  comme  on  le  croit  généralement,  parce  que  l’air  comprimé  contient, 
sous  un  volume  donné,  une  plus  grande  quantité  absolue  d’oxygène  qu’il  active 
et  perfectionne  la  sanguification?  (P.  21.) 

Pravaz  oppose  alors  aux  anciennes  assertions  d’Allen  et  Pep- 
pys  les  expériences  récentes  de  MM.  Régnault  et  Reiset,  et  il 
ajoute  : 

Si,  entre  ces  assertions  contradictoires,  on  inclinait  pour  la  dernière,  comme 
produite  sous  la  garantie  d’expérimentateurs  réputés  plus  exacts,  on  ne  serait  pas 
embarrassé  toutefois  d’expliquer  comment  l’air  condensé  peut  donner  d’autres 
résultats  que  l’oxygène  pur,  ou  présenté  seulement  en  plus  grande  quantité  à 
l’absorption  pulmonaire. 

En  effet,  c’est  à la  pression  ordinaire  que  Lavoisier,  MM.  Régnault  et  Reiset  ont 
recueilli  leurs  observations  ; or,  on  sait,  d’après  M.  Biot,  que  la  quantité,  en 
poids,  des  gaz  dissous  dans  un  liquide  croît  proportionnellement  à la  pression 
que  ces  gaz  supportent. 

Il  y a donc  dans  l’action  de  l’air  condensé  sur  l’organisme  un  autre  élément 
que  la  multiplication  des  molécules  d’oxygène  sous  un  volume  donné;  cet  élé- 
ment est  une  force  mécanique  supérieure  à celle  qui  agit  sur  les  gaz  expérimen- 
tés à la  pression  ordinaire  de  0m,76  ; cette  différence  entre  les  conditions  d’ab- 
sorption fait  pressentir  une  différence  correspondante  entre  les  résultats  fournis 
par  l’inspiration  de  l’oxygène  pur  et  celle  de  ^atmosphère  simplement  com- 
primé; (P.  23,) 

L’expérience,  selon  lui,  confirme  cet  aperçu  de  la  théorie.  Cette 
expérience  est  celle  d’IIervier  et  St-Lager(p.  464)  dont  Pravaz  accepte 
les  conclusions,  et  dont  il  explique  comme  il  suit  les  contradictions 
apparentes  : 

L’endosmose  de  l’oxygène,  qui  est  l’office  principal  de  la  respiration,  est  favo- 
risée par  toutes  les  circonstances  qui  augmentent  la  solubilité  de  ce  gaz  dans  le 
sang;  or,  l’accroissement  de  la  pression  atmosphérique  est  évidemment  au 
nombre  de.ces  circonstances,  d’après  l'expérience  déjà  citée  de  M.  Biot;  ainsi, 
dans  l’air  comprimé,  il  doit  y avoir  sursaturation  du  sang  veineux  par  l’oxygène, 
mais  ce  phénomène  ne  peut  se  manifester  immédiatement  par  une  exhalation 
plus  considérable  d’acide  carbonique,  car  l’exosmose  de  ce  gaz  est  enrayée  par 
la  même  force  mécanique  qui  augmente  l’absorption  de  l’oxygène. 

Lorsque  la  respiration  vient  à se  faire  de  nouveau  dans  l’atmosphère  normale, 
la  suroxydation  des  globules  sanguins  qui  s’était  produite  pendant  la  durée  du 
bain  d’air  comprimé  ne  peut  manquer  de  donner  lieu  à des  symptômes  d’exalta- 
tion vitale,  et  à l’élimination  en  plus  grande  quantité  du  produit  gazeux  de  la 
combus'ion  du  carbone,  devenue  plus  active,  puisque  ce  gaz  cesse  d’être  soumis 
à la  pression  supérieure  qui  coerçail  son  expansibilité „ 


408  HISTORIQUE. 

L’analogie  conduit  à penser  qu’il  en  est  de  l’azote  comme  de  l’oxygène.  Son 
absorption  plus  considérable  est-elle  de  quelque  utilité  pour  la  nutrition?  Je  suis 
disposé  à le  croire,  d’après  les  observations  de  Régnault  et  Reise  sur  1 absorp- 
tion de  l’azote  de  l’air  par  les  animaux  à l’état  d’inanition en  sorte  que  ce 

gaz semblerait  destiné à suppléer,  dans  une  certaine  mesure,  à l’alimen- 

tation par  les  organes  digestifs.  Si  l’on  admettait  cette  hypothèse  très-plausible, 
on  aurait  une  nouvelle  donnée  pour  l’explication  des  bons  ellets  obtenus  par 
l’usage  du  bain  d’air  comprimé  dans  les  cas  ou  il  y a langueur  des  fonctions 
digestives  par  atonie.  (P.  28.) 

C.  — L’air  comprimé  facilite  le  retour  du  sang  veineux  au 
cœur. 

Pravaz  déclare  d’abord  que  la  compression  diminue  le  nombre 
de  pulsations  artérielles  : il  l’a  vu  même  réduit  des  2/5,  « surtout 
lorsqu’il  existait  un  état  fébrile  antérieur.  » Puis  il  insiste  sur  ce 
fait  que  l’aspiration  « exercée  par  l’oreiPette  droite  et  la  cavité 
thoracique»  est  une  des  causes  les  plus  actives  de  la  circulation 
veineuse,  et  il  ajoute  : 

Le  syslème  capillaire,  par  suite  de  l’accroissment  de  la  pression  baromé- 
trique, devra  se  vider  plus  facilement  dans  les  veines,  car  non-seulement  l’ac- 
tion périphérique  de  la  force  qui  comprime  ce  réseau,  ainsi  que  les  veines  où  il 
se  décharge,  est  devenue  plus  énergique,  mais  encore  la  tendance  au  vide  pro- 
duite dans  le  péricarde  el  le  inédiaslin  pendant  l’inspiration,  et  destinée  à con- 
courir avec  l’effort  concentrique  d’impulsion  vers  le  cœur,  doit  être  plus  pro- 
noncée. (P.  52.) 

Le  livre  de  Pravaz  se  termine  par  l’étude  de  l’influence  favo- 
rable de  Pair  comprimé  dans  le  traitement  de  la  phthisie,  du 
rachitisme,  de  la  chlorose,  de  l’anémie,  de  la  surdité,  des  conges- 
tions chroniques  des  centres  nerveux,  de  différentes  névroses. 

Dans  l’explication  des  succès  nombreux  qu’il  enregistre  à ce  pro- 
pos, Pravaz  fait  surtout  intervenir  la  raison  chimique  tirée  de  la 
suroxygénation  du  sang,  et  de  l’activité  plus  grande  imprimée 
ainsi  aux  phénomènes  de  la  nutrition.  Mais  il  invoque  également 
l’action  mécanique,  la  pression  de  Pair  condensé.  Ainsi,  en  parlant 
de  la  guérison  de  la  coxalgiepar  le  bain  d’air  comprimé,  il  dit,  dans 
un  ouvrage  antérieur  à celui  que  nous  venons  de  citer1  : 

Dans  Pair  comprimé,  on  peut  remplir  l’indication  de  comprimer  la  tumeur  de 
la  hanche  de  la  manière  la  plus  uniforme  et  la  plus  inoffensive,  puisque  ce  n’est 
plus  seulement  la  tête  articulaire  qui  est  repoussée  de  dehors  en  dedans,  mais 


Mémoire  sur  l’emploi  de  la  compression  au  moyen  de  l'air  condensé  dans  les  h dar- 
l/troscs.  — Lyon,  1845. 


AIR  COMPRIMÉ  : THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


469 


encore  la  capsule,  faisant,  une  saillie  anormale  au  delà  de  ses  inserlions.  Cette 
compression,  dont  l'effort  sur  l’aire  correspondante  à la  cavité  c'otyloïde  peut 
être  évaluée  à vingt  kilogrammes  par  atmosphère,  doit  déterminer  la  résorption 
au  moins  partielle  des  liquides  épanchés,  comme  on  le  voit  dans  les  cas  d’ascite 
et  d’hydrocéphale  lorsqu'on  embrasse  l’abdomen  ou  le  crâne  par  un  bandage 
plus  ou  moins  serré.  (P.  8.) 

Plus  loin,  citant  le  fait  d’une  jeune  fille  guérie,  par  l’air  com- 
primé, d’un  torticolis  « dû  à une  hyperhémie  encéphalique»,  il  dé- 
clare que  c’est  à la  pression  mécanique  qu’est  dû  le  dégagement  du 
cerveau  : 

Le  vide  qui  se  fait  sentir  pendant  l’inspiration  dans  les  veines  jugulaires,  et 
qui  y appelle  le  sang  de  la  tête  et  du  rachis,  tend  à se  remplir  d’autant  plus 
rapidement  que  la  pression  extérieure  est  plus  forte;  et  d’un  autre  côté,  l’ac- 
croissement de  cette  pression  doit  opposer  un  plus  grand  obstacle  au  mouve- 
ment de  reflux  qiie  l’expiration  détermine  dans  les  vaisseaux  afférents;  dès  lors , 
on  ne  saurait  s’étonner  que  le  système  capillaire  de  l’encéphale  et  de  la  moelle 
épinière,  en  communication  avec  les  veines  soumises  à une  sorte  de  succion  de- 
venue plus  énergique  que  dans  l’état  normal,  puisse  se  débarrasser  de  l’excès  de 
fluide  sanguin  qui  l’engorgeait.  (P.  13.) 

Pol  et  Watelle 1 sont  les  premiers  auteurs  qui  aient  tenté  d’ex- 
pliquer les  accidents  de  la  décompression,  dont  ils  avaient  aussi 
les  premiers  nettement  déterminé  le  moment.  Ce  sont  eux  qui 
nous  ont  rapporté  ce  mot  si  caractéristique  des  ouvriers:  « on  ne 
paye  qu’en  sortant.  » 

Notons,  en  passant,  comme  une  sorte  de  curiosité,  l’idée  émise  par 
ces  auteurs  que  « la  densité  insoliie  de  Pair  comprimé  embarrasserait 
la  progression  »,  et  que  la  difficulté  à parler  dans  les  cylindres,  obser- 
vée par  eux,  dépendrait  également  de  « cette  résistance  inattendue  à 
des  contractions  musculaires  instinctivement  mesurées  par  l’habi- 
tude ».  (p.  250). 

Arrivons  maintenant  à l’explication  des  accidents  produits  par  la 
décompression.  Les  médecins  de  Douchy  cherchent,  selon  leur  ex- 
pression, « à établir  la  signification  des  symptômes  observés,  à dé- 
terminer, en  les  interprétant,  l’individualité  nosologique  qu’ils  ca- 
ractérisent ».  Or,  disent-ils: 

Cette  tâche  est  facile  à remplir,  ou  plutôt  elle  est  toute  remplie. 

En  effet,  si  l’on  excepte  les  douleurs  musculaires,  dans  les  cas  du  moins  où, 
isolées,  ne  coexistant  avec  nul  indice  d’une  souffrance  des  centres  nerveux,  elles 
étaient  probablement  produites  par  l’impression  sur  les  capillaires  de  ce  sys- 
tème, d’un  sang  trop  richement  oxygéné; 


1 Loc.  cit.  — Voir  ci-dcssus,  p.  578. 


470 


HISTORIQUE. 


Si  l’on  excepte  aussi  les  accidents  gastriques,  qui  tantôt  ont  semblé  purement 
sympathiques,  et  tantôt,  c’est  notre  sentiment,  ont  eu  pour  cause  l’ingestion 
très-copieuse  des  produits  de  la  combustion  ; il  apparaît  très-clairement  que 
toujours  ils  ont  été  par-dessus  tout  l’expression  d’un  état  congestionnel  du  cer- 
veau et  des  poumons. 

Nous  ne  nous  évertuerons  pas  à démontrer,  phénomènes  en  main,  cette  pro- 
position à l’égard  de  laquelle  l’autopsie  de  Héraut  ne  permet  d’ailleurs  aucun 
doute,  et  qui  puisera  une  surabondante  évidence  dans  les  résultats  d’un  second 
examen  cadavérique. 

La  congestion  pulmonaire  et  cérébrale  est  donc  la  principale  conséquence  de 
la  compression  de  l’air;  c’est  son  aboutissant  morbide  le  plus  important,  la 
source  d’où  découlent  les  indications  thérapeutiques  fondamentales» 

Nous  passons  à dessein  sous  silence  les  congestions  du  foie,  de  la  rate  et  des 
reins,  constatées  dans  l’autopsie  relatée  plus  haut,  et  qui  se  reproduiront  dans  la 
suivante;  si  ce  n’est  celle  des  reins  qui  ont  donné  lieu  à une  supersécrétion, 
elles  ne  se  sont  pas  traduites  symptomatiquement.  (P.  259.) 

Ainsi,  les  accidents  graves  éprouvés  par  les  ouvriers  sont  la  suite 
de  congestions  viscérales.  Mais  quelle  peut  être  la  cause  de  ces  con- 
gestions mêmes?  La  compression,  répondent-ils,  en  tant  qu’agent 
d’ordre  mécanique;  c’est  du  moins  ce  qui  ressort  clairement  du 
passage  suivant  : 

Puisque,  quand  la  pression  atmosphérique  diminue  beaucoup,  le  sang  se  porte 
à l’extérieur  et  s’échappe  des  capillaires,  il  devrait  s’ensuivre  delà  condensation 
de  l’air  des  congestions  viscérales,  des  hypérémies  profondes.  A influences  con- 
traires, effets  opposés  : contraria  contrariis. 

D’ou  cette  conséquence,  toute  théorique  encore,  que  si  une  pression  de  plus  en 
plus  considérable  s’exerçait,  on  verrait  à un  degré  actuellement  indéterminable, 
au  lieu  des  hémorrhagies  périphériques  provoquées  par  la  rareté  de  l’air,  sur- 
venir des  épanchements  intra-organiques,  des  apoplexies.  (P.  272.) 

Mais  si  c’est  la  compression  même  qui  produit  les  congestions, 
comment  se  fait-il  donc  qu’elles  ne  manifestent  leur  redoutable 
effet  qu’au  moment  de  la  décompression?  Voici  la  curieuse  réponse 
que  font  les  deux  médecins  à cette  objection  qui  pourrait  paraître 
péremptoire: 

Rasori  pensait  que  les  congestions  sont  constamment  veineuses , et  cela  est 
hors  de  doute  quand  c’est  un  obstacle  au  retour  du  sang  qui  les  occasionne.  Mais 
en  est-il  de  même  lorsqu’elles  sont  sous  la  dépendance  d’un  afflux  artériel  ; alors 
aussi  l’arrêt  circulatoire  qui  les  constitue  résiderait-il  exclusivement  dans  les  ca- 
pillaires veineux  ; le  sang  noir  , en  un  mot , comme  le  veut  le  médecin  italien, 
serait-il  en  toute  circonstance  l’agent  des  congestions  ? 

Les  observations  de  M.  Andral  ne  contredisent  point  cette  opinion  ; elles  l’au- 
torisent, au  contraire,  puisqu’il  en  résulte  que  les  tissus  hypérémies  rouges  au 
premier  degré  qui,  selon  M.  Dubois  d’Amiens  , n’est  autre  chose  qu’un  mouve- 
ment fluxionnaire  précurseur  de  la  congestion,  sont  bruns  au  deuxième  degré  et 
noirs  au  troisième. 


AIR  COMPRIMÉ  : THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


471 


Or  que,  par  hypothèse,  on  veuille  bien  admettre  que  c’est  plutôt  à l’action  stu- 
péfiante du  sang  noir  qu’elles  doivent  d’être  pernicieuses  qu’à  la  compression 
provenant  d’un  abord  exagéré , et  il  s’ensuivra  que  si  l’inspiration  d’un  excès 
d’oxygène  artérialisait  le  sang  veineux , les  congestions,  selon  le  quantum,  de- 
vraient perdre  tout  ou  partie  de  leur  nocuité. 

Eh  bien,  c’est  précisément  ce  qui  est  arrivé  chez  nos  mineurs;  d’une  part,  con- 
gestion sans  accidents  aucun  ; d’autre  part,  sang  veineux  rutilant. 

Et  comme  contre-épreuve,  quand  l’agent  de  la  rutilance  était  soustrait  et  son 
action  éteinte  ou  amoindrie  dans  une  certaine  mesure,  ce  qui  prenait  un  temps 
variable,  accidents  graves  pouvant  s’élever  jusqu’au  foudroiement. 

Ainsi,  les  congestions  qui  résultent  de  la  compression  de  l’air  ne  révèlent  pas 
leur  existence,  tant  que  cette  compression  s’exerce. 

La  compression  par  conséquent  porte  en  soi  son  correctif. 

La  décompression  démasque,  en  quelque  sorte  les  congestions  ; elle  leur  laisse 
sortir  leur  plein  et  entier  effet  ; on  pourrait  dire  que  de  latentes  , de  virtuelles, 
elle  le  rend  effectives. 

Partant  de  là,  on  conçoit  qu’elle  doit  se  montrer  d’autant  plus  redoutable  qu’elle 
est  plus  rapide,  et  qu’il  suffirait  probablement  pour  qu’elle  devint  inoffensive  de 
la  pratiquer  avec  une  grande  lenteur,  beaucoup  plus  lentement  qu’il  n’a  été  fait, 
à Louches,  la  plupart  du  temps.  (P.  260.) 

Ainsi,  les  médecins  de  Douchy  font  jouer  à la  suroxygénation  du 
sang  un  rôle  singulier  à coup  sûr,  mais  fort  important.  Il  est  cu- 
rieux de  voir,  cependant,  combien  peu  ils  se  faisaient  une  idée 
nette  des  conditions  qui,  dans  l’air  comprimé,  déterminent  cette 
suroxygénation.  Parlant,  en  effet,  des  inspirations  d’oxygène  qui 
avaient  été  autrefois  tentées,  ils  protestent  contre  toute  assimilation 
entre  l’emploi  de  ce  gaz,  et  celui  de  l’air  comprimé  ; 

C’est  autre  chose,  assurément,  de  respirer  de  l’oxygène  pur,  même  de  Pair 
oxygéné,  ou  de  respirer  de  l’air  simplement  condensé,  sans  modification  quanti- 
tative de  ses  éléments,  de  l’air  où  l’oxygène  ne  cesse  pas  d’être  étendu  d’azote 
dans  les  proportions  naturelles.  (P.  269.) 

La  note  étendue  dont  A.  Guérard 1 fit  suivre,  dans  les  Annales 
d'hygiène , l’important  mémoire  de  Pol  et  Watelle,  n’est  qu’un  tra- 
vail de  compilation.  Elle  ne  contient  rien  de  nouveau,  ni  au  point 
de  vue  des  phénomènes  observés,  ni  au  point  de  vue  des  explica- 
tions physiologiques.  Seulement  son  auteur  insiste,  plus  qu’on 
n’avait  fait  jusque-là,  sur  les  changements  énormes  que  l’augmen- 
tation de  pression  ferait  subir  au  poids  supporté  par  notre  corps.  Il 
en  a dressé  un  tableau  détaillé,  duquel,  à titre  de  curiosité,  nous 
extrayons  les  chiffres  suivants  : 


1 Note  sur  les  effets  physiologiques  et  pathologiques  de  Vair  comprimé.  — Ann. 
d’hiyg.  puhl.  et  de  méd.  lég.,  1854,  2e  série,  I,  p.  279-304. 


472 


HISTORIQUE. 


A 1 atmosphère  le  poids  supporté  varie  de 

15  500 

à 20  600  Kil. 

11/2  — — 

25  250 

50  400 

2 — — 

31  000 

41  200 

3 — — 

46  500 

60  800 

4 — — 

62  000 

82  400 

5 — — 

77  500 

103  000 

6 — — 

95  000 

125  600 

Et.  il  en  conclut  à des  surcharges  effroyables,  puisque  à 6 atmo- 
sphères elles  varieraient  de  77,500  kil.  à 100,000  kil.  î 

Guérard  admet  en  outre  que,  sous  l’influence  de  la  pression,  l’oxy- 
gène et  l’azote  se  dissolvent  en  plus  grande  quantité  dans  le  sang, 
et  que  de  là  résulte  un  accroissement  des  combustions  interstitiel- 
les, d'où  l’amaigrissement. 

Quant  aux  douleurs  musculaires,  il  les  considère  comme  étant  de 
nature  rhumatismale,  et  dues  au  refroidissement  qui  accompagne 
la  décompression. 

Puis,  admettant  comme  générale  la  plus  grande  facilité  des 
mouvements  que  Pol  et  Mathieu  avaient  cru  remarquer  chez  quel- 
ques ouvriers  pendant  le  travail  dans  Pair  comprimé,  il  dit  : 

Il  se  pourrait  que  l’influence  exercée  sur  la  marche  par  la  pression  atmosphé- 
rique reçût  un  nouveau  degré  de  puissance  de  l’augmentation  de  cette  pression. 

Pour  le  reste,  il  accepte  les  conclusions  de  Pol  et  Watelle  et 
celles  de  Pravaz. 

Nous  revenons,  avec  le  Dr  Milliet1,  aux  observations  d’ordre  pure- 
ment médical.  Pour  ce  médecin,  l’action  de  l’air  comprimé  est 
exclusivement  physique  ; il  proteste  contre  l’idée  d’une  modifica- 
tion chimique  dans  les  actes  respiratoires  ; mais,  hormis  cette 
protestation,  il  n’émet  aucune  idée  nette  : 

En  plongeant,  pour  ainsi  dire,  les  organes  de  la  respiration  dans  une  atmo- 
sphère plus  condensée,  le  poumon  trouvera  sous  un  même  volume  une  quantité 
plus  considérable  d’air  atmosphérique;  dès  lors  il  sera  en  contact,  à chaque  ins- 
piration, avec  une  masse  plus  grande  d’air  atmosphérique...  Que  résultera-t-il  de 
cet  apport?  Ce  seul  effet,  une  facilité  plus  grande  dans  la  fonction.  (P.  15.) 

Cette  réduction  du  rhythme  dans  les  actes  des  mouvements  respiratoires  est 
purement  physique,  et  malgré  les  idées  générales  reçues,  ii  est  certain  qu’aucune 
modification  chimique  ni  en  plus  ni  en  moins  n’est  apportée  dans  le  fait  de  l’oxi- 
dation  du  sang.  L’air  n’a  point  été  modifié  dans  sa  constitution  chimique,  et  les 
lois  qui  régissent  notre  organisme  n’ont  point  cessé  leur  action  naturelle. 

Ainsi,  que  l’air  atmosphérique  soit  raréfié  ou  condensé,  il  n’a  modifié  en  rien 
l'action  chimique  de  la  respiration;  il  n’a  eu  qu’une  influence  physique  sur  le  jeu 


1 Loc.  cil.  — De  l'air  comprimé,  etc.  Lyon,  1854.* 


475 


AIR  COMPRIMÉ  : THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 

de  celte  Ponction.  Mais  les  choses  se  passent  bien  différemment  si  vous  changez 
les  proportions  chimiques  des  gaz  de  Pair. 

Un  des  effets  de  l’usage  de  l’air  comprimé  est  l’augmentation  des  sécrétions  et 
de  l’absorption.  L’activité  nerveuse  dans  les  organes  excréteurs  et  absorbants  m’a 
paru  dériver  de  la  circulation  veineuse,  qui  est  toujours  plus  large  et  plus  com- 
plète pendant  que  notre  corps  est  soumis  à une  pression  plus  élevée.  (P.  16.) 

En  1855  parut  la  première  édition  du  livre  que  Eugène  Bertin1, 
qui  employait  les  appareils  installés  à Montpellier  par  Tabarié,  con- 
sacre à l’étude  l’emploi  thérapeutique  de  l’air  comprimé.  Ce  travail, 
comme  son  tilre  l’indique,  doit  intéresser  surtout  les  médecins. 
Du  reste,  l’auteur  déclare,  dès  le  début  de  son  livre,  « qu’il  n’abor- 
dera pas  les  considérations  physiologiques . » Aussi  ne  nous  y arrê- 
terons-nous pas  longtemps. 

11  résume  cependant  ses  opinions  dans  les  termes  suivants  : 

L’air  comprimé,  quel  que  soit  le  degré  auquel  on  l’élève,  peut  être  supporté 
sans  danger,  à cause  de  l’équilibre  de  pression  qui  s'établit  sur  toutes  les  parties 
du  corps,  absolument  comme  cela  a lieu  dans  l’atmosphère  ordinaire. 

L'expérience  démontre  qu’à  une  pression  poussée  bien  au  delà  du  degré  qu’il 
suffit  d’atteindre  pour  déterminer  tous  les  effets  thérapeutiques,  il  ne  survient 
dans  les  phénomènes  de  la  vie  aucunes  modifications  qui  puissent  nuire  à leur 
régularité , 

11  est  rationnel  d’admettre  que  la  diminution  de  pression  atmosphérique  suffi- 
sant pour  ralentir  le  retour  du  sang  veineux  vers  le  cœur,  et  pour  favoriser  ainsi 
des  stases  dans  le  système  capillaire,  une  augmentation  de  pression  doive,  au 
contraire,  faciliter  ce  retour  et  dissiper  ces  congestions 

La  respiration  opérée  dans  un  air  comprimé,  en  mettant  le  sang  en  contact 
avec  une  plus  grande  abondance  des  deux  principes  constituants  de  l’air  sous  un 
même  volume,  doit  nécessairement  décarboniser  une  quantité  de  sang  plus  con- 
sidérable que  dans  l’état  ordinaire.  Par  la  même  raison,  le  rôle  que  l’azote  peut 
jouer  dans  l’économie  doit  aussi  se  trouver  plus  amplement  rempli.  Chaque  ins- 
piration doit  donc  avoir  un  effet  plus  étendu  sous  l’air  comprimé  que  sous  l’at- 
mosphère ordinaire  : de  là  la  nécessité  d’inspirations  moins  répétées,  pour  suffire 
aux  besoins  de  chaque  moment;  de  là  une  diminution,  souvent  très-grande, 
dans  le  jeu  des  organes  pulmonaires,  et  la  source  d’un  repos  si  utile  et  pourtant 
si  difficile  à procurer  par  tout  autre  moyen  à des  organes  dont  l’action  doit  être 
incessante. 

Sous  l’intluence  des  relations  qui  unissent  la  respiration  avec  les  battements 
du  cœur,  le  relentissement  de  la  première  doit  amener  une  modification  sem- 
blable dans  la  circulation  ; bien  des  faits  permettent,  en  outre,  d’attribuer  à l’air 
comprimé  une  action  sédative  directe  sur  le  système  circulatoire  ; sous  cette  double 
action,  la  lenteur  du  pouls  devient  un  état  permanent,  non-seulement  pendant 
l’emploi  soutenu  des  bains  d’air  comprimé,  mais  même  longtemps  après  leur 
interruption 

En  même  temps,  l’appétit  s’augmente,  les  fonctions  digestives  s’accomplissent 

1 Etude  clinique  de  V emploi  et  des  effets  du  bain  d’air  comprime  dans  le  traite- 
ment des  diverses  maladies.  — Paris,  1855. 


474 


HISTORIQUE. 


avec  régu’arité,  et  par  là  se  trouve  assurée  une  bonne  nutrition,  source  indubitable 
d’un  accroissement  des  forces  générales ; 

Les  sécrétions  offrent  peu  de  traces  de  l’action  de  l’air  comprimé.  J’ai  signalé 
une  augmentation  sensible  de  la  salive  pendant  la  durée  du  bain.  (P.  60.) 

Dans  sa  2e  édit.,  publiée  en  1868,  Eug.  Bertin  reproduit  pure- 
ment et  simplement  (p.  97),  le  résumé  que  nous  venons  de  citer. 
Du  reste,  si  Bon  fait  abstraction  des  observations  médicales,  beau- 
coup plus  nombreuses  que  dans  la  première  édition,  on  ne  trouve 
que  peu  de  modifications  apportées  au  texte  primitif. 

L’addition  la  plus  importante  est  la  critique  de  l’opinion  de  Vive- 
not  sur  le  ralenfissement  des  pulsations  artérielles.  Bertin  fait 
d’abord  remarquer  qu’il  a rarement  constaté  cette  diminution  sous 
l’appareil  ; au  contraire,  il  l’a  notée  à la  fin  du  bain,  presque  tou- 
jours quelques  heures  après,  ou  meme  le  lendemain  avant  le  lever 
du  malade.  Souvent  elle  n’existe  jamais.  Enfin,  elle  n’est  pas  pro- 
portionnée à la  pression,  dit-il,  car  elle  devrait  être  énorme  chez 
les  ouvriers  des  tubes. 

Nous  avons  vu  plus  haut  (p.  258)  que  Iloppe1,  dans  un  remarqua- 
ble travail  sur  les  causes  de  la  mort  des  animaux  tués  soudain 
par  l’air  raréfié,  avait  trouvé  dans  leurs  vaisseaux  sanguins  des 
bulles  d’air  libre,  auxquelles,  selon  lui,  la  mort  était  due.  11  ne 
manqua  pas  d’appliquer  aux  accidents  delà  décompression  brusque 
l’observation  qu’il  avait  faite  : 

Si,  après  qu’un  animal  est  resté  quelque  temps  dans  l’air  comprimé,  on  diminue 
soudain  la  pression,  les  poumons  n’auront  pas  le  temps  de  laisser  échapper  les 
gaz  devenus  libres  dans  les  grosses  veines.  C’est  ainsi  qu’on  a vu,  dans  les  mines 
de  houille  de  France,  survenir  des  morts  subites,  sans  lésions  anatomiques.  (P.  72.) 

Il  convient  de  faire  remarquer  que  Iloppe  n’a  jamais  fait  d’expé- 
riences directes  sur  ce  point,  et  qu’il  raisonne  seulement  par  ana- 
logie. 

Quant  à l’influence  de  la  compression  elle-même,  il  dit  simple- 
ment : 

L’augmentation  de  la  pression  de  l’air  doit  augmenter  la  force  d’absorption  du 
sang  pour  les  gaz  ; le  sang  contiendra  alors  plus  d’oxygène,  d’où  devra  résulter 
une  production  plus  grande  de  chaleur  et  une  diminution  de  la  quantité  d’air 
respiré  dans  un  temps  donné.  L’observation  de  Pravaz  d’une  moindre  quantité 
d’acide  carbonique  excrété  dans  l’air  comprimé  s’explique  par  le  faible  volume 
d’air  sur  lequel  il  expérimentait.  (P.  71.) 

1 Loc.  cil  — JJeber  der  Einfluss,  etc.  — Müller’s  Arcli.,  1S57. 


475 


AIR  COMPRIMÉ  : THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 

Le  Dr  François1,  après  la  relation  que  nous  avons  reproduite  des 
accidents  survenus  aux  ouvriers  du  pont  de  Kehl,  en  cherche  la 
cause.  Il  repousse  d’abord  l’opinion  de  Guérard  sur  le  rhumatisme, 
et  l’une  des  raisons  qu’il  donne  est  que  « les  douleurs  musculaires 
disparaissent  spontanément  si  les  ouvriers  se  replongent  dans  Pair 
comprimé  ».  Rien  de  plus  curieux  que  l’explication  qu’il  donne  de 
ces  douleurs  : 

Elles  sont , dit-il,  le  résultat  flagrant  de  l’insinuation  dans  les  tissus  de  Pair 
comprimé,  envoyé  par  les  machines  soufflantes,  air  qui  s’amalgame  avec  le  tissu 
cellulaire  dans  ses  parties  les  plus  intimes,  comme,  par  exemple , le  mercure 
s’amalgame  avec  l’axonge  après  une  trituration  minutieuse,  de  façon  qu’aucune 
molécule  de  métal  n’est  plus  perceptible  à l’œil  nu. 

Cet  air,  ainsi  amassé  outre  mesure  dans  nos  tissus,  doit  nécessairement  chercher 
à s’équilibrer  avec  l’atmosphère  ambiante,  lors  de  la  sortie  du  milieu  comprimé, 
et  plus  cette  sortie  de  la  chambre  à air  aura  été  effectuée  avec  précipitation,  moins 
elle  aura  été  graduée  et  l’élimination  prolongée,  plus  les  effets  pathologiques  de- 
vront être  prononcés,  par  la  raison  que  nous  avons  citée  plus  haut. 

Il  repousse  explicitement,  comme  F avaient  fait  Pol  et  Watelle, 
toute  comparaison  entre  l’air  suroxygéné  et  l’air  comprimé  : 

Nous  ne  pouvons  admettre  que  ces  douleurs  soient  produites  par  la  présence 
d’un  air  plus  richement  oxygéné,  comme  l’opinion  en  avait  été  émise;  en  effet, 
chaque  atmosphère  de  l’air  comprimé  ne  contient,  avec  tous  ses  autres  éléments, 
que  la  même  proportion  d’oxygène  qu’il  renferme  à l’extérieur  : ce  n’est  pas  un 
excès  d’oxygène  que  l’on  envoie  dans  les  caissons,  mais  bien  un  excès  d’air  at- 
mosphérique. 

Pour  nous  donc,  nous  sommes  disposé  à admettre  que  les  douleurs  muscu- 
laires sont  le  résultat  d’une  action  constante,  exercée  dausles  tissus  par  un  excès 
d’air  atmosphérique , irritation  poussée  quelquefois  jusqu’à  la  douleur  la  plus 
aiguë,  lorsque  cet  air  cherche  à se  mettre  trop  brusquement  en  équilibre  avec 
un  milieu  moins  dense.  (P.  309.) 

Voilà  pour  les  douleurs  musculaires.  Quant  aux  accidents  du 
côté  de  la  respiration,  ce  sont,  dit  M.  François,  des  congestions 
pulmonaires  : 

Leur  mode  de  production  est  facile  à établir  ; en  effet,  nous  savons  que  l’am- 
pliation de  la  capacité  pulmonaire  est  très-forte  sous  l’influence  de  l’air  condensé; 
que  les  cellules  des  organes  respiratoires  sont  considérablement  distendues;  or, 
lors  de  la  sortie  et  surtout  à la  suite  d’un  éclusement  rapide  et  trop  peu  gradué, 
le  vide  se  fait  trop  promptement  dans  la  cavité  thoracique,  et  ce  vide  doit  néces- 
sairement être  remplacé  par  un  afflux  subit  du  sang  et  des  autres  liquides  ; de  là 
ces  congestions  ; de  là  aussi  ces  hémoptysies,  suite  de  rupture  des  vaisseaux  dans 
le  parenchyme  pulmonaire. 


1 Loc.  cit.  — Des  effets  de  V air  comprimé,  etc.;  1860. 


470 


HISTORIQUE. 


D’après  ceci,  l’on  doit  concevoir  que  des  personnes  sanguines,  pléthoriques, 
sont  plus  sujettes  à ces  affections  que  des  individus  à tempérament  lymphatique 
ou  nerveux. 

Les  accidents  cérébraux  dont  nous  avons  cité  les  exemples,  sont 
également  à ses  yeux  le  résultat  de  phénomènes  congestifs.  Et  ici, 
M.  François  cherche  à expliquer  comment  ils  se  manifestent  préci- 
sément au  moment  de  la  décompression  : 

Il  est  incontestable  que  ces  congestions  cérébrales,  de  même  que  celles  du  tissu 
pulmonaire , ne  procèdent  pas  des  mêmes  causes  que  les  congestions  frappant 
des  individus  dans  le  cours  de  la  vie  ordinaire,  où  elles  sont  produites,  la  plupart 
du  temps,  par  une  stase  sanguine  veineuse  occasionnée  par  un  obstacle  au  retour 
du  sang;  d’autres  fois,  mais  dans  des  circonstances  moins  fréquentes,  ces  con- 
gestions sont  le  résultat  d’une  grande  impulsion  artérielle  ; mais  il  arrive  alors 
constamment  une  stase  consécutive,  stase  qui  peut  devenir  pernicieuse,  lorsque 
la  congestion,  de  rouge  qu’elle  était,  devient  noire  et  stupéfiante,  c’est-à  dire  que 
le  sang  se  montre  de  moins  en  moins  oxygéné. 

En  est-il  de  même  dans  les  congestions  produites  par  l'air  condensé  ? Evidem- 
ment non,  car  ici  point  de  congestion  tant  que  dure  la  pression  atmosphérique 
exagérée;  puis  l’ouvrier,  soustrait  à la  pression  exagérée,  l’excès  de  l’air  contenu 
dans  son  organisme  cherche  à s’équilibrer  avec  l’air  extérieur  ; cette  tendance  se 
fait  sans  mesure  , comme  on  doit  le  penser  ; de  là,  refoulemeut  du  sang,  mais 
d'un  sang  rutilant,  vers  le  centre  nerveux,  refoulement  se  manifestant  quelque- 
fois d’une  manière  foudroyante,  surtout  si  l’éclusement  n'a  pas  été  fait  progres- 
sivement et  avec  prudence,  mais  n'ayant  jusqu’à  présent  produit  aucun  cas  mortel. 

Dans  tous  les  cas,  lorsqu’on  pratiquait  la  saignée,  le  sang  sortait  rutilant  de  la 
veine  ; aucune  saignée  noirâtre  n’a  été  constatée.  (P.  515.) 

Enfin  les  paraplégies,  les  rétentions  d’urine,  etc.,  seraient  dues  à 
des  congestions  médullaires  produites  par  une  cause  semblable. 

C’est  également,  comme  nous  l’avons  dit,  sur  les  ouvriers  em- 
ployés au  pont  de  Kehl,  que  M.  Bucquoy1  fit  ses  observations.  Son 
travail  est  extrêmement  remarquable,  au  point  de  vue  surtout  des 
explications  physiologiques. 

Il  s’occupe  tout  d'abord  de  l’augmentation  dans  la  quantité  d’oxy- 
gène que  contient  le  sang.  Mais  l’hypothèse  qui  pouvait  paraître  très- 
simple  à Pravaz  se  complique  singulièrement  depuis  le  travail  de 
M.  Fernet  (Voy.  p.  260).  Aussi,  dit  M.  Bucquoy,  qui  insiste  lon- 
guement sur  la  différence  établie  par  ce  physicien  entre  l’oxygène 
combiné  chimiquement  aux  globules  et  l’oxygène  dissous  dans  le 
sérum  : 

C’est  à l'oxygène  simplement  dissous  que  sont  dues  les  modifications  de  l’hé- 
matose observées  dans  l’air  comprimé  : 


1 Loc.  cit.  — l)c  l’air  comprimé  ; 1801. 


AIR  COMPRIMÉ  : THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


477 


En  effet,  les  globules  sanguins  n’absorbent  pas  dans  l’air  comprimé  une  pro 
portion  d’oxygène  plus  grande  qu’à  l’air  libre,  puisque  cette  proportion  est  dé- 
montrée indépendante  de  la  pression. 

D’un  autre  côté,  la  dépense  d’oxygène  que  le  sang  doit  faire  au  profit  des  com- 
bustions respiratoires  est  aussi  grande  dans  l’air  comprimé  qu’à  l’air  libre , 
puisque  ces  combustions  n’y  sont  pas  moins  actives  que  sous  la  pression  atmo- 
sphérique ordinaire. 

Si  donc,  dans  l’air  comprimé,  les  globules  du  sang  fournissaient  seuls  et  sans 
compensation  tout  l’oxygène  nécessaire  aux  combustions,  ils  perdraient , comme 
à la  pression  ordinaire,  une  quantité  d’oxygène  suffisante  pour  que  leur  couleur 
artérielle  disparût,  et  à leur  sortie  des  capillaires  généraux,  on  les  trouverait 
avec  la  teinte  du  sang  veineux.  Or,  il  n’en  est  pas  ainsi  : les  globules  du  sang 
veineux  sont  rutilants  chez  l’homme  soumis  à l’air  comprimé. 

Ce  fait,  considérable  au  point  de  vue  physiologique,  11e  peut  s’expliquer  que 
de  deux  façons  : 

Ou  les  globules  sanguins  ne  fournissent  aux  combustions  respiratoires , sous 
l'air  comprimé,  qu’une  portion  d’oxygène  trop  petite  pour  que  leur  couleur 
rouge  en  soit  sensiblement  altérée;  dans  ce  cas,  le  complément  d’oxygène  né- 
cessaire aux  combustions  est  pris  directement  à la  portion  de  ce  gaz  qui  est  sim- 
plement dissous  dans  le  sérum,  mais  dont  la  quantité  augmente  avec  la  pression. 

Ou  bien  les  globules  fournissent  aux  combustions  tout  l’oxygène  nécessaire  ; 
dans  ce  deuxième  cas,  on  est  obligé  d’admettre  qu’ils  en  reprennent  au  sérum  à 
mesure  qu'ils  en  perdent,  puisque  leur  couleur  est  à peine  modifiée  ; cette  hypo- 
thèse est  la  plus  vraisemblable. 

Quoi  qu’il  en  soit,  la  partie  d’oxygène  dissoute  dans  le  sérum  joue  directement 
ou  indirectement  un  rôle  important  dans  les  phénomènes  d’hématose  qui  se  pas- 
sent sous  des  pressions  supérieures  à l’atmosphère.  C’est  cette  portion  d’oxygène 
qui  peut  seule  expliquer  la  rutilance  du  sang  veineux,  toujours  rencontrée  par 
MM.  Pol  et  Vatelle,  et  toujours  aussi  par  M.  François.  C’est  donc  à tort  qu’on  né- 
glige maintenant  cette  portion  d’oxygène  absorbé  et  qu’on  regarde  les  variations 
de  pression  comme  indifférentes  eu  égard  à l’hématose.  (P.  50.) 

J’ai  le  regrel  de  rencontrer,  après  cette  page  remarquable,  l’a- 
doption, timide,  il  est  vrai  et  pleine  de  restrictions,  de  la  théorie 
si  erronnée  de  la  compression  physique  des  tissus  extérieurs,  et 
du  refoulement  consécutif  du  sang  dans  les  parties  profondes. 
Voici  de  quelle  façon,  fort  originale,  je  l’avoue,  la  formule  M.  Buc- 

quoy  : 

• 

L’accroissement  de  pression  du  milieu  ambiant  produit  son  maximum  d’effet 
sur  les  tissus  de  la  périphérie.  Ces  tissus  se  condensent,  mais  ils  résistent  dans 
une  certaine  mesure  à la  pression  extérieure,  et  en  neutralisent  une  fraction.  La 
pression  subsistante  condense  les  couches  placées  au-dessous  des  premières, mais 
elle  éprouve  de  leur  part  une  nouvelle  résistance  qui  diminue  encore  son  inten- 
sité, et  ainsi  de  suite.  De  sorte  qu’à  mesure  qu’on  s’avance  de  la  surface  vers  les 
parties  centrales,  les  tissus  sont  de  moins  en  moins  condensés  , et  les  pressions 
de  plus  en  plus  affaiblies.  Mais  le  sang  contenu  dans  les  tissus  superficiels  trans- 
met à toute  la  masse  sanguine,  dans  tous  les  sens,  à toutes  les  profondeurs  et 
presque  également,  la  pression  extérieure.  Par  conséquent,  dans  tous  les  points  * 
de  l’économie  le  liquide  sanguin  exerce  contre  les  parois  de  ses  vaisseaux  de 


478  HISTORIQUE. 

dedans  en  dehors,  et  tendant  à les  dilater,  une  pression  presqu’égale  à la  pression 
qu’il  supporte  extérieurement. 

Pour  résister  à cette  dilatation  de  vaisseaux  , chaque  tissu  a sa  résistance 
propre,  et  la  fraction  de  pression  extérieure  qui  a pu  se  propager  jusqu’à  lui  à 
travers  les  couches  plus  superficielles.  Il  en  résulte  que  les  différents  tissus  ré- 
sistent très-inégalement  à cette  dilatation  des  vaisseaux,  et  que  celle-ci  est  d’au- 
tant plus  grande  que  les  tissus  sont  plus  profonds,  puisque  la  pression  extérieure 
transmise  aux  tissus  par  les  tissus  diminue  avec  la  profondeur.  Par  conséquent: 
dilatation  des  vaisseaux  dans  les  tissus  profonds,  où  la  pression  venant  de  l’exté- 
rieur est  faible  ; diminution  du  calibre  des  vaisseaux  dans  les  couches  superfi- 
cielles où  la  pression  extérieure  est  forte  ; tout  cela  dans  une  mesure  convenable, 
jusqu’à  ce  que  l’équilibre  soit  partout  rétabli.  A chaque  nouvel  accroissement  de 
pression,  il  se  produit  un  effet  analogue;  une  nouvelle  distribution  du  sang  et  un 
nouvel  équilibre  s’établissent.  L’effet  total  est  une  plus  grande  masse  de  sang,  dans 
les  tissus  et  les  organes  profonds;  on  a,  en  un  mot,  les  congestions  viscérales  et  les 
hypérémies,  dont  parlent  tous  les  auteurs.  (P.  52.) 

Mais  M.  Bucquoy  retrouve  un  terrain  solide  lorsqu’il  parle  des 
eiïets  fâcheux  de  la  décompression.  Il  n’a  pas  grand’peine  à venir 
à bout  des  théories  de  Pol  et  Wat^lle  sur  les  effets  tardifs  de 
suroxygénation  du  sang,  et  de  Guérard  sur  la  nature  rhuma- 
tismale des  douleurs.  Envisageant  la  question  en  physicien,  il  dit  : 

Si  l’on  pénètre  dans  l’air  comprimé,  l’oxygène,  l’acide  carbonique  et  l’azote, 
tenus  en  simple  dissolution  dans  le  sang,  doivent  augmenter  avec  la  pression; 
et  si  la  compression  a duré  suffisamment  longtemps,  la  loi  de  Dalton  veut  que  Ja 
quantité  de  chacun  de  ces  gaz  absorbée  par  le  sang  soit  proportionnelle  à sa 
pression  dans  l’air  condensé  où  l’on  respire.  Dans  l’état  ordinaire,  l’acide  carbo- 
nique et  l’azote  du  sang  ne  sont  pas  puisés  dans  l’air  inspiré  ; ils  sont  engendrés 
par  les  phénomènes  physiques  de  la  vie.  Par  suite  de  leur  origine,  ces  deux  gaz 
ne  suivent  sans  doute  pas  rigoureusement  la  loi  de  Dalton,  mais  leur  quantité 
pondérale  dans  le  sang  varie  nécessairement  dans  le  sens  indiqué  par  cette  loi. 

Cela  posé,  que  doit-il  advenir  lorsqu’on  sort  des  appareils  à l’air  comprimé? 

Pendant  et  après  la  décompression,  tous  les  gaz  dissous  en  excès  dans  le  sang, 
par  suite  de  la  condensation  de  l’air,  tendront  à s’échapper  de  ce  liquide  avec 
un  effort  d’autant  plus  grand,  à séjour  égal  dans  l’air  comprimé,  que  la  pression 
qu’on  aura  subie  était  plus  considérable.  C’est  là  une  conséquence  forcée  des  lois 
physiques  sur  la  dissolution  des  gaz  dans  les  liquides,  et  l’on  en  a un  exemple 
commun  et  fréquent  dans  la  rapidité  et  dans  la  force  avec  lesquelles  l’acide  car- 
bonique s’échappe  d’une  eau  gazeuse,  quand  on  enlève  le  bouchon  de  la  bou- 
teille qui  ïa  contient.  (P.  58.) 

Les  particules  de  gaz  qui  ont  repris  l’état  aériforme  dans  toute  l’étendue  du 
système  sanguin,  restent  mécaniquement  mêlées  aux  molécules  liquides,  qui 
auparavant  les  dissolvaient;  il  s’ensuit  que  le  sang  devient  un  mélange  expan- 
sible qui  fait  sans  cesse  effort  pour  distendre  ces  vaisseaux  et  pour  augmenter 
de  volume.  Le  résultat  définitif  est  une  turgescence  générale  plus  ou  moins  con- 
sidérable des  vaisseaux  sanguins  et  une  imminence  hémorrhagique  plus  ou  moins 
menaçante.  Et  comme  les  gaz  dissous  en  excès  se  séparent  des  humeurs  comme 
du  sang,  il  en  résultera  une  tendance  générale  à l’emphysème. 

Attribuons  maintenant  à la  force  expansive  des  gaz  devenus  libres  une  inten- 


AIR  COMPRIMÉ  : THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


479 


sité  suffisante,  et  il  n’est  pas  nécessaire  qu’elle  soit  considérable,  si  elle  est 
favorisée  par  des  dispositions  individuelles,  alors  l’imminence  hémorrhagique  et 
la  tendance  à l’emphysème  se  traduiront  en  faits.  Nous  aurons  tous  les  cas  d’hé- 
morrhagie et  d’emphysème  observés,  soit  dans  les  ascensions  sur  les  hautes  mon- 
tagnes, soit  dans  les  voyages  aérostatiques,  soit  dans  les  ateliers  à air  comprimé. 
(P.  59.) 

Appuyé,  sur  cette  base  excellente  de  raisonnement,  M.  Bucquoy 
explique  facilement  les  emphysèmes  observés  à Douchy,  les  hé- 
morrhagies, les  douleurs  musculaires  et  articulaires,  à propos  des- 
quelles il  cite  la  très-intéressante  observation  suivante  : 

Un  jour  que  j’observais  un  ouvrier  qui  souffrait  cruellement  à un  genou,  j’ai 
vu  les  ventouses  sèches  placées  autour  de  l’articulation  tomber  les  unes  après  les 
autres,  quoique  bien  appliquées  par  l’infirmier,  homme  très-adroit.  Elles  lurent 
replacées  plusieurs  fois  et  ne  tinrent  qu’au  bout  d’un  certain  temps  ; le  malade 
alors  se  trouva  notablement  soulagé.  L’élimination  des  gaz  libres  explique  à la 
fois  et  la  chute  des  premières  ventouses  et  la  prompte  disparition  du  mal  par 
leur  application  répétée.  (P.  62.) 

M.  Bucquoy  termine  en  conseillant  avec  grande  raison  aux  ingé- 
nieurs de  prendre  toutes  les  précautions  nécessaires  pour  obtenir 
une  décompression  suffisamment  lente. 

Nous  avons  rapporté  plus  haut  (p.  596)  l’histoire  du  malade  de 
M.  Hermel  S qui  fut  frappé  de  paralysie  en  sortant  des  piles  du  pont 
du  Scorff,  près  Lorient.  L’auteur,  s’e&t  efforcé,  en  résumant  les 
observations  antérieures,  d’expliquer  les  accidents  constatés;  nous 
verrons  qu’il  n’est  pas  heureux  dans  ses  tentatives. 

Il  insiste  d’abord  beaucoup  sur  le  confinement  auquel  sont  sou- 
mis les  ouvriers  qui  travaillent  dans  les  caissons.  L’acide  carboni- 
que qui  s’y  produit  doit,  selon  lui,  jouer  un  grand  rôle,  et,  rappe- 
lant les  fourmillements  et  les  ardeurs  cutanées  qu’a  décrits 
Herpin  (de  Metz)  il  pense  : 

Que  ce  phénomène  pourrait  bien  être  la  cause  du  prurit  ardent  dont  se  plai- 
gnent les  ouvriers  et  que  MM.  l’ol,  Mathieu  et  François  ont  signalé,  ce  que  les 
ouvriers  appellent  leurs  puces. 

De  même,  les  effets  du  bain  d’acide  carbonique  qui  accélère  la  circulation  peu- 
vent nous  donner  la  raison  de  la  divergence  d’opinions  que  nous  avons  présentée 
entre  MM.  Pol,  Mathieu  et  Blavier,  d’une  part  (les  premiers  ayant  constaté  dans 
l’air  comprimé  le  ralentissement  de  la  circulation,  le  troisième  n’ayant  remar- 
qué aucune  différence  sur  trois  personnes)  et  d’autre  part,  M.  François,  qui  a 
noté  l’accélération  de  la  circulation  comme  constante.  (T.  XVI,  p.  445.) 

Quant  à la  rougeur  du  sang  veineux,  observé  par  Pol  et  Watelle, 

1 Loc.  cit.  — Des  accidents , etc.;  1802.  1805. 


480 


HISTORIQUE. 


il  sc  refuse  à admettre  leur  sagace  explication.  11  répète  avec  Fran- 
çois que  « ce  n’est  pas  un  excès  d’oxygène  qu’on  envoie  dans  les 
caissons,  mais  bien  un  excès  d’air  atmosphérique  ».  Il  va  même 
plus  loin  : 

D'après  ce  que  nous  avons  établi,  l’oxygène  des  caissons  était  considérablement 
diminué  par  l'absorption  respiratoire  et  la  combustion  ; l’acide  carbonique  nui- 
sant à l’hématose,  comment  le  sang  veineux  serait-il  oxygéné?  Il  faut  chercher 
ailleurs  la  raison  de  la  rutilance  du  sang.  Les  conditions  de  milieu  dont  nous 
nous  occupons  donnent  lieu  d’admettre  la  formation  de  gaz  oxyde  de  carbone, 
qui  expliquerait  ce  phénomène.  (P.  447.) 

Cet  oxyde  de  carbone  serait  produit,  selon  noire  homoeopathe,  par 
la  respiration  dans  un  air  pauvre  en  oxygène. 

Telle  est  la  cause  des  accidents  qui  atteignent  les. ouvriers  : 

Les  auteurs  n’ayant  vu  ces  accidents  paraître  qu’après  la  décompression,  ils 
ont  tout  attribué  à celte  transition. 

Il  arrive  alors  à l’étude  de  la  décompression  ; et  il  compare  ce 
qui  se  passe  chez  les  ouvriers  aux  effets  de  l’ascension  dans  les 
hautes  régions  de  l’atmosphère.  Il  y a cependant,  dit-il,  une  grande 
différence,  c’est  que  : 

Comme  c’est  la  pression  normale  de  l'air  qui  retient  les  fluides  dans  les  vais- 
seaux, on  voit  rarement  se  produire  à la  sortie  des  caissons  les  hémorrhagies 
qui  sont  fréquentes  dans  les  ascensions.  (T.  XVII,  p.  57.) 

En  outre,  les  effets  sont  plus  graves  que  ceux  de  l’ascension  parce 
que,la  compression  est  plus  considérable,  que  la  décompression  est 
plus  rapide,  qu’elle  agit  sur  des  hommes  dans  un  état  morbide 
manifeste,  et  que  cette  sorte  de  raréfaction  s’opère  dans  un  air  con- 
finé et  mêlé  de  gaz  nuisibles. 

Relativement  aux  douleurs  musculaires,  il  repousse  l’interpréta- 
tion de  Fol  et  Watelle  : 

Parce  que  nous  n’avons  pas  trouvé  que  le  sang  ait  absorbé  une  plus  grande 
proportion  d’oxygène  que  normalement.  (P.  112.) 

Mais  nous  admettons  avec  François  que  la  compression  de  l’air  fasse  pénétrer 
une  certaine  quantité  d’air  dans  les  tissus.  Ce  fait  est  démontré  par  les  cas  d’ern- 
physème  sous-cutané.  (P.  114.) 

Quant  aux  accidents  graves,  ce  sont,  pour  M.  Hermel,  des  con- 
gestions pulmonaires,  médullaires,  cérébrales,  qu’il  explique  par 
des  chocs  en  retour  ; du  reste  : 

L’opération  de  la  décompression,  dit-il,  ne  produit  pas  à elle  seule  tous  les 


481 


AIR  COMPRIMÉ  : THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 

accidents  observés;  la  compression  de  l’air  dans  les  caissons  et  leur  milieu  délé- 
tère y contribuent  pour  une  grande  part.  (P.  205.) 


Le  travail  de  M.  Foleÿ1  est  certes  le  plus  original  au  point  de  vue 
théorique,  entre  tous  ceux  que  nous  avons  renconlrés  et  résumés 
déjà.  La  lecture  en  est  des  plus  piquantes,  sinon  des  plus  faciles;  on 
y trouve,  en  effet,  non-seulement  l’histoire  et  l’explication  des  ac- 
cidents qui  frappent  les  ouvriers  des  tubes,  mais  la  théorie  de  la 
respiration  des  oiseaux  dans  les  hautes  régions  de  l’air,  du  fonc- 
tionnement de  la  vessie  natatoire  chez  les  poissons,  etc.  En  laissant 
là  ces  questions,  qui  ne  nous  toucher  + qu’indirectement,  nous 
voyons  M.  Foleÿ  s’efforcer  d’éclairer  la  cause  intime  des  accidents 
qu’il  a constatés,  par  une  étude  peu  facile  à comprendre  sur  la  nu- 
trition, F c<  aimatose  » et  la  physiologie  des  trois  systèmes  nerveux 
à l’aide  desquels  « l1  homme  (plante,  animal  et  âme)  gouverne  son 
être  multiple.  » 

Un  exemple  indiquera  la  nature  de  ces  considérations  et  de  leurs 
conséquences.  L’auteur  fait  la  remarque  que  les  ingénieurs  sont 
longtemps  avant  de  souffrir  de  l’air  comprimé  : 

Cela  tient,  dit-il,  à ce  que,  d’habitude,  les  premiers  alimentent  leur  moelle 
épinière  et,  par  suite,  incitent  tout  leur  être  avec  des  souvenirs,  des  sensations 
conservées,  et  que  dès  lors,  écraser  leurs  sens,  c’est  favoriser  (pour  ainsi  dire) 
leur  mode  vital  ordinaire. 

Au  lieu  que  les  seconds,  obligés  de  vivre  et  travailler  au  jour  le  jour,  de 
fabriquer  et  dépenser  de  l’incitation  à l’heure  l’heure  (parce  qu’ils  n’ont  jamais 
eu  le  temps  d’habituer  la  source  première  de  notre  activité  organique  à des  im- 
pressions gardées),  ne  peuvent  alimenter  leurs  rachis  qu’avec  des  matériaux  de 
contacts  atmosphériques  toujours  réels,  toujours  positifs,  toujours  immédiats  : 
matériaux  que  précisément  l’excès  de  pression  les  empêche  de  recueillir.  (P.  24.) 

J’avoue  que  je  crois  devoir  renoncer  à la  tâche  de  résumer  en  une 
formule  nette  et  intelligible  les  doctrines  de  M.  Foleÿ.  Voici  quel- 
ques citations  que  j’essaye  de  coordonner  de  manière  à jeter  un  peu 
de  lumière  sur  ces  obscurités  de  pensée  et  de  style  : 

Dès  que  les  ouvriers  sont  dans  l’air  comprimé,  leur  sang  s’hypcrartérialise 
et  leur  circulation  s’achemine  vers  son  minimum.  En  même  temps,  leur  réserve 
nerveuse  déjà  si  basse...  tombe  encore. 

Ils  travaillent  cependant,  autrement  dit  leurs  muscles,  leurs  divers  organes 
mécaniques,  tout  en  mangeant  du  liquide  cruorique,  demandent  à la  moelle  épi-* 
niève  de  l’incitation  et  à leurs  ganglions  directeurs  de  la  force  plastique  ; 
de  ce  triple  composé  de  pulpes  encéphalique,  épinière  et  sympathique;  de  ce 
triple  mélange  de  substances  cordinatrice,  végétative  et  incitatrice,  que  le  grand 

• 1 Loc.  cit.  — Du  travail , etc.;  1*805. 

51 


482 


HISTORIQUE. 


sympathique  fait  pour  décider  le  cours  du  sang  d’abord,  le  régulariser  ensuite,  e( 
finalement  le  transformer  en  chair  humaine. 

Comment  répondent  à leurs  administrés  les  directeurs  mécaniques  et  nutri- 
tifs interrogés? 

Mais  la  moelle  épinière  qui  ne  fabrique  plus  assez  d’incitation  en  refuse,  peut- 
être  même  en  redemande  aux  ganglions  ou  plexus  du  grand  sympathique  ! A leur 
tour  donc,  ceux-ci  en  refusent  à leurs  administrés,  qui  malgré  cela  continuent 
leurs  travaux,  se  vident  de  sang,  puis  se  détériorent,  et  puis  finissent  par  ne 
plus  pouvoir  servir.  (P.  27.) 

Voilà  pour  les  phénomènes  causés  par  la  compression  ; arrivons 
maintenant  à la  décompression  : 

Nous  aurons  l'inverse  de  ce  que  la  compression  a causé.  (P.  44.).  . . . . 

Peu  à peu,  les  sens  affaissés  du  tubiste  se  relèvent;  peu  à peu  ils  dirigent  vers 
la  moelle  épinière  des  sensations  plus  complètes;  peu  à peu  ce  dernier  appareil 
récupère  sa  puissance.  Peu  à peu,  il  rend  aux  portions  du  grand  sympathique  si 
énergiquement  interrogées  ce  qu’il  leur  faut  d’incitation  pour  se  refaire  elles- 
mêmes;  et  peu  à peu,  mais  en  dernier  ressort,  ces  régisseurs  nerveux  compo- 
sent l’ordre  qui  dirigera,  sur  les  muscles  ou  autres  organes  épuisés,  l’afflux 
réparateur. 

Enfin  ce  commandement  est  fait.  Il  part  comme  la  foudre.  Mais  trop  conforme 
en  général  au  principe  (la  réaction  doit  égaler  l’action),  il  détermine  presque  tou- 
jours une  congestion  artérielle,  d’autant  plus  abondante  et  d’autant  plus  subite 
qu’elle  a été  plus  tardive.  (P.  28.) 

En  résumé,  nous  n’avons  à craindre,  pour  le  tubiste  rentré  dans  l’air  libre, 
qu’une  réaction  nervoso-sanguine  trop  forte,  un  choc  circulatoire  en  ce  tour  trop 
violent.  (P.  45.) 

C’est  là  ce  que  M.  Foleÿ  désigne  sous  le  nom  de  « congestion 
posléro- tubaire.  » 

c(  Ainsi,  toujours  selon  M.  Foleÿ,  nous  avons  toutes  les  clefs 
nécessaires  à Fintelligencc  des  divers  phénomènes  morbides  qui 
peuvent  naître  quand  on  a quitté  l’air  comprimé.  (P.  29.)  » 

Voici,  par  exemple,  la  clef  du  suintement  sanguin  qui  se  produit 
assez  fréquemment  par  le  nez  ou  la  bouche  : 

La  muqueuse,  quasi-exsangue  tant  qu’agit  l’air  comprimé,  se  remplit  dès  que 
la  tension  cesse,  se  déchire  si  elle  est  trop  mince puis,  momentanément  sur- 

prise, elle  recouvre  son  épaisseur  normale  après  quelques  oscillations  pénibles. 
(P.  50.) 

Voici  maintenant  pour  les  sensations  de  chaleur  à la  peau,  et 
pour  le  « prurit  pénible,  brûlant,  intolérable,  qui  oblige  à se  grat- 
ter à deux  mains  avec  impatience,  anxiété,  fureur  ou  délire,  que 
les  ouvriers  nomment  puces  » : 

Dès  qu’on  entre  dans  les  tubés,onest  aplati;  les  artères  diminuent  de  calibre, 
et  l’on  sue  facilement.  Par  tous  ces  effets  notre  peau  se  vide  et  se  flétrit. 


AIR  COMPRIMÉ  : THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES.  483 

Aussitôt  qu’on  en  sort,  au  contraire,  p.ir  la  seule  force  mécanique  de  ses  fibres 
élastiques,  cette  enveloppe  s’épanouit.  Malheureusement  la  rétractilité  de  leur 
tunique  jaune  conserve,  à nos  vaisseaux  nourriciers,  leur  diamètre  minimum.  Il 
eu  résulte  qu’une  sorte  de  vide  se  forme  autour  d’eux. 

Les  choses  étant  ainsi  disposées,  quand  la  réaction  commence,  autrement  dit, 
quand  les  ondées  sanguines  redeviennent  vigoureuses , nos  artères  préalablement 
isolées  cèdent  facilement,  reprennent  leur  diamètre  antérieur,  et  même  l’exa- 
gèrent. En  même  temps,  nos  innombrables  papilles  cutanées  sont  tuméfiées  ou- 
tre mesure  par  un  sang  suroxygéné.  Alors  dans  l’épaisseur  de  la  peau  les  lllets 
nerveux  qui  enlacent  nos  vaisseaux  nourriciers,  tiraillés  brusquement  et  outre 
mesure,  accusent  des  douleurs  cruelles  et  dilacérantes,  tandis  qu’à  sa  surface 
tous  les  contacts  deviennent  à la  fois  piquants  et  brûlants.  Ce  sont  toutes  ces  dou- 
leurs simultanées  qui  déterminent  les  puces.  (P.  53.) 

Enfin  les  accidents  ,qui  frappent  « les  muscles,  puis  leurs  auxi- 
liaires synoviaux,  aponévrotiques  ou  articulaires  »,  s’expliquent  de 
même;  ce  sont;  comme  on  l’a  vu  (p.  594),  des  tuméfactions  : 

Ces  gonflements  sont-ils  de  nature  gazeuse,  hémorrhagique  ou  rhumatismale, 
comme  on  l’a  dit  ? Non  ! 

La  recompression  qui  toujours  les  efface  immédiatement,  l’absence  de  crépita- 
tion, de  craquement,  de  coloration  quelconque  sous  l’épiderme,  et  de  pérégrina- 
tion, enfin  l’excessive  richesse  du  sang,  qui  exclut  toute  idée  de  fibrine  en  excès, 
autrement  dit  de  maladie  inflammatoire,  ne  permettent  pas  d’en  douter.  Ce  sont 
tout  bonnement  des  congestions  artérielles  sans  extravasation.  (P.  55.) 

M.  Foleÿ  n’hésite  pas  à prédire  à la  médicalion  par  l'air  com- 
primé le  plus  bel  avenir  : 

Faites,  dit-il,  une  chaise  à porteurs  fermant  bien  hermétiquement Adap- 

tez-y  une  soupape  de  sûreté,  une  pompe  foulante  et  un  manomètre  : en  un  mot, 
disposez  tout  pour  qu’en  cette  petite  chambre  la  pression  de  l’air  puisse  atteindre 
2,5  atm.  au  plus. 

Et  certainement  vous  posséderez  un  meuble  qui  vous  permettra  d’aller  soula- 
ger bien  des  Vieillards  asthmatiques;  d’aller  sauver  beaucoup  d’enfants  atteints 
du  croup,  et  d’aller  aussi  guérir  quantité  d’adultes  frappés  de  maladies  congestion- 
nelles,  toxico-hémiques.  (P.  155.) 

Sans  discuter  la  valeur  de  ces  espérances,  il  est  nécessaire  de 
faire  observer  aux  « réalisateurs  »-,  comme  les  appelle  M.  Foleÿ, 
que  la  construction  des  appareils  est  notablement  plus  compliquée 
et  plus  coûteuse  qu’il  ne  semble  le  croire. 

M.  Caffe1  fut  chargé  par  la  Société  médicale  d’émulation  d’exa- 
miner le  travail  de  M.  Foleÿ.  11  en  profita  pour  étudier  à son  tour 
l’action  de  l’air  comprimé. 

1 Rapport  sur  le  travail  de  M.  Foleÿ,  lu  à la  Soc.  méd.  d' émulation  de  Paris,  séance 
du  ict  août  18G3; 


HISTORIQUE. 


4S  é 

Il  commence  par  accepler  les  idées  du  Dr  François  sur  Faction 
mécanique  de  l’air  comprimé  et  sur  « l’amalgame  » de  l’air  cl 
des  tissus;  il  les  résume  dans  les  termes  suivants  : 

M.  François  rapporte  les  douleurs  musculaires  et  arthritiques  à la  pénétra- 
tion dans  les  tissus  de  l’air  comprimé  qui  devient  une  cause  d’irritation,  dési- 
gnée sous  le  nom  de  souffrance  des  caissons;  des  abcès  leur  succèdent  quelque- 
lois.  Une  expérience  semble  confirmer  l’opinion  de  M.  François;  lors  du  forage 
des  caissons,  quand  on  a retiré  de  leur  intérieur  les  sommiers  en  chêne,  soumis 
à la  compression  de  l’air,  ces  poutres  plongées  dans  l’eau  dégageaient  de  notables 
quantités  de  bulles  d’air. 

Le  danger  des  congestions  cérébrales  se  traduit  également  à la  sortie  de  l’éclu- 
sement ; le  sang,  soustrait  à la  pression  par  l’air  condensé,  tend  à s’équilibrer  avec 
l’air  extérieur;  il  est  donc  refoulé  vers  les  centres  nerveux,  cerveau,  moelle  épi- 
nière; la  vessie  urinaire  perd  elle-même  de  sa  contractilité.  (P.  2.) 

Puis,  après  avoir  exposé  les  observations  et  les  doctrines  de 
M.  Foleÿ,  il  se  déclare  un  partisan  des  plus  ardents  de  sa  « chaise 
à porteurs  »,  et  s’écrie  avec  enthousiasme  : 

Nous  serons  ainsi  en  possession  d’un  ingénieux  instrument  qui  deviendra  une 
précieuse  ressource  thérapeutique  pour  le  soulagement  et  la  longévité  de  beau- 
coup de  vieillards  eatarrheux  et  asthmatiques,  et  pour  conjurer  les  douleurs  si 
pénibles  à supporter  et  à voir  des  adultes  affectés  d’angines  de  poitrine,  qui 
bleuissent  et  s’asphyxient  en  cherchant  l’air  qui  les  fuit. 

Sans  aucun  effort  d’imagination,  mais  en  procédant  avec  la  logique  des  faits 
et  du  raisonnement,  on  peut  concevoir  l’espérance  de  sauver  d’une  mort  immi- 
nente les  "victimes  de  la  dernière  période  du  croup.  L’air  comprimé  déprimera, 
aplatira  les  fausses  membranes,  et  rétablira  la  liberté  et  le  passage  de  l’air  dans 
les  voies  respiratoires.  Les  congestions  cérébrales,  les  prédispositions  apoplecti- 
formes  seront  conjurées  tant  que  l’influx  nerveux  présidera  à la  circulation  ; 
peut-être  encore  est-il  permis  d’espérer  que  le  typhus,  la  morve  et  toutes  les 
maladies  de  nature  toxico-hémique  seront  guéris,  ou  du  moins  singulièrement 
abrégés  dans  leur  durée,  et  annihilés  dans  leur  gravité  par  la  respiration  dans  un 
air  comprimé,  qui  artérialise  et  hématose  le  sang  sans  aucun  effort;  l'expérience 
est  facile  à tenter  sur  les  animaux. 

Le  venin  de  la  vipère,  le  virus  de  la  rage,  de  la  variole,  etc.,  peut-être 
seront-ils  un  jour  neutralisés  localement,  ne  rencontrant  plus,  sous  l’air  com- 
primé, qu’un  sang  très-riche  essentiellement  vital  et  qui  se  refusera,  par  consé- 
quent, à servir  de  véhicule  au  poison,  comme  anéanti  sur  place;  quel  est  le  méde- 
cin qui  ignore  que  les  maladies  contagieuses  ou  transmissibles  ne  le  deviennent 
que  lorsqu’elles  rencontrent  des  individus  prédisposés,  soit  sur  un  terrain  pro- 
pice à leur  évolution?  (F.  7.) 

Les  auteurs  anglais,  Babington  cl  Cuthbert1,  qui  ont  été  témoins 
des  accidents  du  pont  de  Londonderry,  ont  cherché,  comme  tous 
leurs  prédécesseurs,  à les  expliquer.  Eux  aussi  sont  frappés  de 

* Loc,  cit.  — Paralysis  causcd,  etc.;  18(35. 


AIR  COMPRIMÉ  : THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES.  485 

voir  qu’ils  surviennent  exclusivement  clans  la  phase  de  la  décom- 
pression : 

L’idée  a’un  élément  dangereux  dans  l'air  comprimé  doit  êire  abandonnée, 
parce  que  les  ouvriers  ne  souffraient  pas  pendant  leur  séjour,  de  5 ou  4 heures, 
dans  le  cylindre.  Tous  les  cas  de  malaise  sérieux  arrivaient  quand  on  enlevait,  plus 
ou  moins  rapidement,  un  excès  de  pression.  Il  semble  raisonnable,  dans  l’absence 
de  toute  autre  cause,  de  supposer  que  la  transition  soudaine  d’un  air  condensé  à 
l’air  libre  occasionne  tous  ces  symptômes  graves. 

Mais  pourquoi  ce  changement  frappe-t-il  le  système  nerveux?  Le  cerveau  et  la 
moelle,  enfermés  qu’ils  sont  dans  leurs  cavités  osseuses,  et  ayant  leurs  vaisseaux 
protégés  de  même,  ne  peuvent  pas  céder  à la  pression  atmosphérique  aussi  facile- 
ment que  les  parties  plus  élastiques.  Ainsi  le  cerveau,  quand  l’ouvrier  est  sous 
une  pression  excessive,  ne  peut,  si  cette  pression  est  enlevée  de  la  surface,  s’ac- 
commoder à cette  modification  aussi  rapidement  que  les  autres  organes  ; l’excès  de 
pression  sur  le  cerveau  et  la  moelle  doit  s’en  aller  par  les  passages  étroits  par  où 
le  sang  sort  de  ces  organes.  Les  canaux  osseux  dans  lesquels  les  vaisseaux  san- 
guins sont  creusés  rend  cette  issue  plus  pénible,  et  l’excès  de  pression  se  porte 
sur  les  délicates  parties  nerveuses,  brisant  les  petits  vaisseaux,  et  produisant  la 
série  des  redoutables  accidents  que  nous  avons  rapportés.  (P.  518.) 


Le  Dr  Sandahl  1 est  très-net  dans  ses  explications.  Pour  lui, 
les  modifications  physiologiques  observées  sont  principalement 
la  conséquence  d’une  augmentation  dans  la  quantité  d’oxygène 
contenue  dans  le  sang.  L’action  mécanique  de  la  compression 
ne  s’exerce  que  par  l’intermédiaire,  pour  ainsi  dire,  des  gaz  dis- 
sous : 

La  richesse  plus  grande  en  oxygène  de  l’air  comprimé  agit  naturellement  plus 
énergiquement  sur  les  poumons  malades  que  sur  les  poumons  sains.  Supposons 
qu’un  homme  sain  fasse  par  minute  20  inspirations  absorbant  chacune  50  1>c 
d’air  ; si  ses  poumons  deviennent  malades,  et  n’inspirent  plus  que  20po,  il  devra 
faire  50  respirations  à la  minute  pour  amener  dans  son  organisme  la  même  quan- 
tité d’oxygène.  Si  alors  on  lui  fait  respirer  de  l’air  ayant  une  demi-atmosphère 
de  compression,  les  poumons  ne  feront  plus  que  20  respirations,  puisque  20pu  de 
cet  air  comprimé  en  vaudront  50  d’air  ordinaire. 

Si  la  masse  totale  du  sang  chez  un  homme  sain  passe  en  4 minutes  à travers 
les  poumons  pour  y absorber  une  certaine  quantité  d’oxygène,  elle  devra,  dans 
le  cas  où  les  poumons  seront  rétrécis  par  la  maladie,  passer  plus  vite,  pour  ab- 
sorber la  même  quantité  d’oxygène,  d’où  accélération  nécessaire  des  battements 
du  cœur.  Si  la  compression  a rendu  l’air  plus  riche  en  oxygène  sous  le  même 
volume,  le  sang  y pourra  prendre  plus  d’oxygène,  et  la  circulation  n’aura  pas  be- 
soin d’être  aussi  rapide 

Une  action  essentielle  de  l’air  comprimé  est  son  influence  sur  les  gaz  libres  con- 
tenus dans  le  sang.  La  présence  de  ces  gaz  permet  à la  masse  du  sang  d’être  com- 
primée par  l’air,  en  telle  sorte  que  les  vaisseaux  se  contractent.  Cet  effet  doit  se 
produire  surtout  d’abord  dans  les  vaisseaux  de  la  superficie  du  corps.  Les  capil- 
laires de  la  peau  et  du  poumons  se  contracteront  donc 

J Loc.  cil.  — Ueber  die  Wirkwujai , etc.;  1802. 


480 


HISTORIQUE. 


L’augmentation  de  la  production  d’acide  carbonique  dans  l’air  comprimé  a 

besoin  d’être  démontrée  par  des  recherches  nouvelles 

La  compression  introduisant  plus  d’oxygène  dans  le  sang,  on  pourrait  s’attendre 
à voir  augmenter  la  température  du  corps.  Mais  cela  n’a  pas  eu  lieu  dans  des 
observations  faites  avec  le  plus  grand  soin — Du  reste  , le  ralentissement  de  la 
respiration  et  de  la  circulation  doivent  compenser  la  plus  grande  quantité  d’oxy- 
gène contenus  dans  le  sang. 

Suivent  des  considérations  sur  la  sueur,  l’urine,  la  nutrition, 
desquelles  rien  de  clair  ne  se  dégage. 

Tutschek1  formule  d’une  manière  plus  condensée  des  opi- 
nions analogues.  Selon  lui,  l’action  de  l’air  comprimé  a deux  fac- 
teurs : 

La  pression  mécanique  augmentée,  ce  qui  modifie  le  cours  du  sang;  l’augmen- 
tation de  l’oxygène  du  sang,  qui  exerce  une  grande  influence  sur  les  échanges 
de  matières. 

Nous  arrivons  maintenant  aux  travaux  de  Rudolph  von  Vivenot2. 
La  partie  descriptive  des  changements  du  rhythme  respiratoire  par 
le  séjour  dans  l’air  comprimé  a été  reproduite  dans  le  chapitre  pré- 
cédent (Voy.  p.  458).  Quant  à l’explication  de  l’augmentation  dans 
la  capacité  pulmonaire,  Vivenot  la  trouve  dans  la  considération  sui- 
vante : 

Bien  que  l’augmentation  de  pression  s’exerce  également  sur  tous  les  points  de  la 
surface  du  corps,  l’effet  produit  par  cette  pression  n’est  nullement  égal  partout, 
à cause  des  différences  de  texture , de  consistance  et  de  position  des  différents 
organes. 

Le  tissu  pulmonaire , qui  est  délicat,  élastique,  et  cède  facilement,  résistera 
moi]is  à V augmentation  de  pression  du  côté  de  la  base  des  poumons,  où  il  ne  repose 
que  sur  les  intestins,  très-compressibles,  que  du  côté  des  parois  thoraciques,  qui 
sont  formées  par  des  tissus  plus  durs,  plus  compactes.  C’est  ce  qui  explique 
l’augmentation  du  diamètre  vertical  des  poumons  et  leur  déplacement  vers  le  bas. 

Les  modifications  que  l’action  de  l’air  comprimé  peut  apporter 
dans  les  échanges  chimiques  de  la  respiration  ont  ôté  étudiées  par 
Vivenot  avec  un  grand  luxe  de  détails;  l’importance  capitale  de  ce 
côté  de  la  question  nous  force  à reproduire  ici  une  grande  partie 
de  son  mémoire  de  1865  : 

Il  fallait,  comme  base  des  observations,  déterminer  la  quantité  d’acide  carbo- 
nique exhalé  par  la  respiration,  afin  de  voir  si  la  quantité  d’oxygène  absorbé  et 
la  quantité  d’oxygène  consommé  sont,  par  l’effet  de  l’air  comprimé,  dans  des 
conditions  différentes. 

1 Loc.  cit.  — Die  comprimirte  Luft,  etc.;  1865. 

- Loc.  cit.  — Voir  la  liste  des  travaux  de  Vivenot,  p.  457. 


AIR  COMPRIMÉ  : THEORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


487 


A priori , on  pouvait  s’attendre  à une  augmentation  dans  les  quantités  absolue 
et  relative  d’oxygène  absorbé  ; dans  la  quantité  absolue,  à cause  de  l’augmenta- 
tion de  la  pression  exercée  sur  les  poumons,  comme  aussi  à cause  de  l’augmen- 
tation précilée  de  la  capacité  pulmonaire;  dans  la  quantité  relative,  puisque  le 
nombre  des  respirations  est  diminué,  et  que  c’est  un  fait  que  l’acide  carbonique 
exhalé,  quelquefois  aussi  l’oxygène  absorbé,  sont  en  raison  inverse  de  la  fré- 
quence de  la  respiration.  (Yierordt.) 

Vivenot  décrit  alors  le  spiromètre  dont  il  s’est  servi,  et  dans 
lequel  « on  exhalait  l’air  provenant  d’une  expiration  aussi  forte  que 
possible,  faite  sans  grand  effort  » : 

Si  l’on  veut  en  quelque  façon  pouvoir  compter  sur  le  résultat,  il  faut,  comme 
des  essaisantérieursnous  l’ont  prouvé,  faire  en  sorte  que  l’expiration  soit  toujours 
faite  dans  des  circonstances  à peu  près  identiques.  C’est  pourquoi  les  précautions 
les  plus  minutieuses  ont  été  prises,  et  l'on  faisait  les  expériences  sur  des  inspira- 
tions aussi  profondes  que  possible , faites  à des  intervalles  d'une  heure  et  dans  des 
conditions  tout  à fait  semblables. 

Le  volume  d’air  était  chez  moi  en  moyenne  de  3 700e  c.  La  durée  de  la  respira- 
tion de  quinze  à dix-huit  secondes.  Le  premier  essai  était  fait  une  heure  avant 
l’entrée  dans  l’air  comprimé,  c’est-à-dif'e  à huit  heures  du  matin  ; les  chiffres 
obtenus  à ce  moment  n’ont  pas  d’importance,  ne  devant  servir  que  de  point  de 
départ  à l’expérience.  Le  second  essai  se  faisait  à neuf  heures,  aussitôt  avant 
l’entrée  dans  l’appareil  pneumatique  ; le  troisième  à dix  heures,  sous  l’in- 
fluence de  l’air  comprimé,  après  une  heure  de  durée  de  la  compression;  le  qua- 
trième à onze  heures,  sous  la  pression  normale,  aussitôt  après  la  sortie  de  l’ap- 
pareil ; le  cinquième  et  le  sixième  à midi  et  une  heure,  aussi  sous  une  pression 
ordinaire. 

Les  observations  faites  de  cette  manière,  journellement,  du  26  août  au  13  sep- 
tembre inclusivement,  ont  donné  les  chiffres  suivants,  comme  quantités  d'acide 
carbonique  exprimées  en  grammes , contenues  dans  chaque  expiration , et  quantité 
correspondantes  de  carbone  exhalé. 


OBSERVATEUR,  VIVENOT 

SOUS  LA  PRESSION 
NORMALE 

SOUS  UNE 
PRESSION 
AUGMENTÉE 

SOUS  LA  PRESSION 
NORMALE 

8 HEURES 

9 HEURES 

10  HEURES 

11  HEURES 

MIDI 

1 HEURE 

Quantité  d’acide  carbonique 
contenue  dans  une  expi- 
ration exprimée  en  gram- 
mes  

0,1983 

0,2256 

0,2670 

0,2185 

0,2177 

0,2100 

Quantité  de  carbone  dans 
une  respiration  exprimée 
en  grammes 

0,05408 

0,00098 

0,07298 

0,05954 

0,05957 

0,05744 

488 


HISTORIQUE. 


Ce  résultat  prouve  évidemment  qu’une  expiration  dans  l’air  comprimé  renferme 
de  0,0440  à 0,0570  grammes , en  moyenne  0,050  grammes , c’est-à-dire  1/4,552 
d’acide  carbonique  de  plus  que  sous  la  pression  normale. 

Les  chiffres  trouvés  pour  la  pression  normale  (à  l’exception  de  l’observation 
faite  à huit  heures),  et  dont  la  moyenne  est  de  0,2176  grammes,  se  correspondent 
d’une  façon  remarquable  ; cependant  on  ne  peut  méconnaître  une  petite  dimi- 
nution progressive  d’acide  carbonique  à partir  de  onze  heures,  c’est-à-dire  à 
partir  du  retour  sous  la  pression  normale  jusqu’à  midi  à une  heure.  Le  maximum 
de  la  quantité  d’acide  carbonique  trouvée  chez  moi  sous  la  pression  normale  s’est 
élevée  à 0,2890,  et  dans  l’air  comprimé  à 0,5215  grammes. 

Les  données  prises  sur  d'autres  personnes  ont  donné  des  résultats  analogues. 
Chez  M.  H...t,une  expiration  de  5,0Ü0UC,  sous  la  pression  ordinaire,  renfermaiten 
moyenne  0,1505  grammes  d’acide  carbonique,  mais  dans  l’air  comprimé  0,1755, 
avec  un  excès  de  0,0450  grammes,  c’est-à-dire  de  1/4,04  de  la  quantité  totale  et 
normale  d’acide  carbonique.  Chez  Mlle  B. , une  seule  expérience  faite  sous  la 
pression  normale  a donné  pour  5,000 uc  d’air  expiré  0,158  grammes  à la  pression 
normale,  et  dans  l’air  comprimé  0,170  d’acide  carbonique,  c’est-à-dire  une  aug- 
mentation de  0,0520,  ou  1/4,51. 

Partant  de  l’idée  qu’au  commencement  du  séjour  dans  l’air  comprimé  il  y avait 
peut-être  une  plus  grande  quantité  d’oxygène  absorbé  que  vers  la  lin  de  ce  séjour, 
comme  si  le  sang  se  saturait  d’oxygène,  le  docteur  Lange  a fait  des  expériences 
sur  lui-même,  et  a modifié  ma  propre  manière  d’expérimenter.  11  déterminait  le 
contenu  en  acide  carbonique  de  sa  respiration  immédiatement  avant  la  séance,  en- 
suite il  recommençait  au  bout  d’une  demi-heure  de  séjour  dans  l’air  comprimé, 
c’est-à-dire  au  moment  où  la  pression  atteignait  son  maximum , puis  au  bout 
d’une  heure,  après  l’influence  continue  d’une  heure  de  celte  pression  maximum, 
c’est-à-dire  après  un  séjour  d’une  heure  et  demie  dans  l’air  comprimé.  Pour  une 
quantité  de  5950 c d’air  expiré,  il  obtint  les  résultats  suivants  : 


. ! 

SOUS  UNE  PRESSION  AUGMENTEE 

OBSERVATEUR,  LANGE 

SOUS  LA 

IMIESSION  NORMALE 

A l’arrivée  au 
maximum  de  la 
pression  (au  bout 
d’une 

demi-heure). 

Après  une  heure  de 
durée  du  maximum 
de  la  pression 
(c’est-à-dire  au  bout 
d’une  heure 
et  demie). 

Quantité  d’acide  carbonique 
contenue  dans  une  expira- 
tion, exprimée  en  gram- 
mes  

0,2500* 

0,2959 

0,2211 

Quantité  de  carbone  dans  une 
expiration,  exprimée  en 
grammes 

0,00827 

0,08070 

IWBiOCTI'SI»  •OfXtT 

0,00500  j 

il  y a donc  ici  également,  à l’arrivée  au  maximum  de  la  pression,  au  bout  d’une 
demi-heure  de  séjour  dans  Pair  comprimé,  une  augmentation  de  la  quantité 


AIR  COMPRIMÉ  : THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


480 


d’acide  carbonique  exhalée,  analogue  à celle  qui  a été  constatée  chez  moi.  Cette 
augmentation  a été  de  0,0455  grammes,  c’est-à-dire  1/5,55.  Le  maximum  absolu 
a été,  chez  le  docteur  Lange,  sous  la  pression  normale,  de  0,5770  grammes,  dan^ 
l’air  comprimé,  de  0,4545  grammes.  Mais  nous  trouvons  ici,  après  une  heure  de 
durée  du  maximum  de  pression , une  diminution  d’acide  carbonique  exhalé  de 
0,0295  grammes. 

Cependant  le  chiffre  obtenu  en  dernier  lieu  est  douteux,  ce  qui  résulte  d’essais 
faits  plus  tard,  et  cela  s’explique  par  le  fait  qu’une  partie  de  l’air  expiré  s’était 
perdu,  les  tuyaux  en  caoutchouc  n’ayant  pas  été  hermétiquement  fermés.  Des 
essais  faits  postérieurement  par  le  docteur  Lange  ont  donné,  comme  total  de  la 
quantité  d’acide  carbonique  exhalée  en  deux  expirations  ordinaires  (d'environ  5 
à 400  centimètres  cubes)  et  respectivement  comme  quantité  de  carbone  éliminé, 
les  chiffres  suivants  : 


OBSERVATEUR,  LANGE 

SOUi  LA 

PIlEaSION  NORMALE 

A L’ARRIVÉ  3 
AU  MAXIMUM  13E  LA 
PRESSION  (AU  ROUT 

d’une 

demi-iieure) 

APRÈS  UNE  HEURE  DE 
DURÉE  DU  MAXIMUM 
DE  LA  PRESSION 
(AU  ÎIOUT 

d’une  demi-iieure) 

Acide  carbonique 

0,2400  gr. 

0,2910  gr. 

0,2920  gr.  ! 

Carbone 

0,06709  gr. 

0,07936  gr. 

0,07904  gr. 

Ce  qui  concorde  avec  les  résultat  s que  j’avais  obtenus  moi-meme,  comme  aug- 
mentation de  la  quantité  d’acide  carbonique  exhalée  dans  l’air  comprimé. 

Si  maintenant  je  compare  les  chiffres  obtenus  chez  plusieurs  personnes,  je 
trouve  comme  excès  de  la  quantité  d'acide  carbonique  exhalée  dans  l'air  comprimé, 
comparativement  à la  quantité  totale  : 


Chez  moi 

Il 

ilO 

• 

22;  99 

p.  100 

Chez  M.  IL... t . . 

1 

* 4,04 

24,75 

p.  100 

Chez  Mlle  R 

1 

' 4,51 

25,20 

p.  100 

Chez  le  docteur  Lange  . 

1 

5,  ou 

18,08 

p.  100 

En  moyenne  .... 

1 * 
* 4,50 

22-, 26 

p.  100 

Il  peut  être  bon  de  faire  observer  ici  que  l’excédant  d’acide  carbonique  expiré 
dans  l’air  comprimé  ne  peut  pas  être  attribué  à une  augmentation  dans  la  quan- 
tité d’acide  carbonique  qui  aurait  été  contenue  dans  l’appareil  pneumatique.  Un 
essai  de  l’air  de  l’appareil  fait  par  le  docteur  Lange,  après  que  trois  personnes  y 
avaient  séjourné  pendant  deux  heures,  donna  comme  moyenne  de  4 expériences 
sur  5 500e  0 d’air  0,0  591  grammes  d’acide  carbonique.  L’air  de  la  salle  d’attente, 


490 


HISTORIQUE. 


où  le  spiromètre  se  trouvait  placé  et  où  l’on  faisait  les  essais  décrits  ci-dessus  de 
l’acide  carbonique  expiré  sous  la  pression  normale , donna  de  même,  comme 
moyenne  de  4 essais  à 5 500e  0 d’air,  0,0592  grammes  d’acide  carbonique,  c’est- 
à-dire  exactement  la  même  quantité. 

Ainsi,  il  est  prouvé  aux  yeux  de  Yivenot  que,  dans  une  expira- 
tion, il  y a plus  d’acide  carbonique  sous  l’air  comprimé  qu’à  la 
pression  normale.  Mais,  d’autre  part,  la  capacité  respiratoire  est 
plus  grande  dans  le  premier  cas  que  dans  le  second.  Y a-t-il  pro- 
portionnalité entre  ces  deux  augmentations,  et  l’une  peut-elle  être 
considérée  comme  la  conséquence  de  l’autre?  Yivenot  répond 
comme  il  suit  à cette  question  : 

* 

Si  nous  rapprochons  les  rapports  des  quantités  d’acide  carbonique  exhalées 
dans  la  pression  normale  et  dans  l’air  comprimé  des  rapports  respectifs  d’aug- 
mentation de  la  capacité  pulmonaire,  nous  trouvons  : 


CAPACITÉS  RESPIRATOIRES 

QUANTITÉS 

d’acide  carronique  produit 

DANS 

DANS 

DANS 

DANS 

l’aie  normal 

l’air  CONDENSÉ 

l’air  NORMAL 

l’air  condensé 

Chez  moi 

5425  CC 

5555  CC 

0,2170  gr. 

0,2070  gr. 

Chez  le  Dr  Lange.  . 

5950  CC 

4085  CC 

0,2505  gr. 

0.2959  gr. 

i 

En  moyenne.  . . . 

5087,5  CC 

5809,5  CC 

0,-5410  gr. 

0,28175  gr. 

Soit  une  augmenta- 
tion de 

122,0  CC 

0,01705  gr. 

Ou,  en  représentant  par  i les  valeurs  correspondantes  aux  rapports  normaux  : 

Chez  moi 

1:1 + 5X7- 

1:1++. 
n 4,55 

Chez  le  Dr  Lange.  . 

1:1+  1 • 

^ 29,7 

• 

1:1+4-,* 

5,5o 

Soit  en  moyenne  . . 

1:1+  1 . 
^ 50,80 

1 

1:1  + 

' 4,91 

Ainsi,  pendant  que  l’augmentation  de  la  capacité  pulmonaire  dans  1 air 
comprimé  s’élève  à > ^ — , la  quantité  d’acide  carbonique  exhalé  a augmenté 


AIR  COMPRIME  : THEORIES  ET  EXPERIENCES 


401 


1 

de  g|‘  Le  rapport  des  augmentations  est  donc  environ  ::  1:6.  Si  je  calcule 

quelle  devrait  être  la  quantité  d’acide  carbonique  exhalé,  si  l’augmentation  con- 
statée dans  l’air  comprimé  était  proportionnelle  à l’augmentation  de  la  capacité 
pulmonaire,  je  trouve  la  proportion  3687, 5CC  : 5809, 500  = 02541,0  gr.  : x; 
d’où  x — 0,24197  grammes.  L’augmentation  calculée  pour  ce  cas  est  de  0,00787 
au  lieu  de  0,04765  grammes  que  donne  l’expérience. 

Cette  divergence  considérable  entre  le  calcul  et  l’expérience  montre  clairement 
que  l’augmentation  de  la  quantité  d’acide  carbonique  exhalé  sous  l’air  comprimé 
n’est  pas  proportionnelle  à l’agrandissement  de  capacité  pulmonaire,  qui  ne  peut 
avoir  qu’une  petite  part  comme  cause  de  cette  augmentation.  II  semblerait  donc 
permis  d’admettre  que  l'excès  de  la  quantité  d'acide  carbonique  exhalé  serait  produit 
parla  compression  même,  agissant  enpartie  d'après  la  loi  deDalton  et  produisant  une 
plus  forte  absorption  d'oxygène , sous  l’influence  directe  de  la  compression  d’une 

3 

part,  et  du  fait  que  l’air  comprimé  renferme  lui-même  ^ d’oxygène  de  plus  sous 
le  même  volume. 


Il  restait  enfin  à calculer  la  valeur  de  l’augmentation  totale  de 
l’acide  carbonique  produit  dans  un  temps  donné.  Pour  y arriver, 
Yivenot  procède  par  voie  de  calcul,  en  tenant  compte  à la  fois  du 
nombre  des  respirations  qu’il  fait  dans  une  minute,  et  de  la  quan- 
tité d’acide  carbonique  contenue  dans  une  expiration.  Voici,  au 
reste,  comment  il  explique  sa  manière  de  procéder  : 

L’air  exhalé  par  moi  dans  une  expiration  contenait,  comme  il  a été  dit  ci- 
dessus,  sous  la  pression  normale,  0,2176  grammes,  et  dans  l’air  comprimé 
0,2676  grammes  d’acide  carbonique.  Or,  comme  à l’époque  où  les  analyses  fu- 
rent faites  (du  26  août  au  15  septembre)  la  moyenne  de  mes  respirations  dans 
l’air  normal  était  de  4,15  et  dans  l’air  comprimé  de  5,76  par  minute,  on  peut 
tirer  de  cette  série  d’expériences  la  conclusion  suivante  : 


• 

QUANTITÉ  ; 

d’acide  carbonique 

EXHALÉ,  EXPRIMÉE  EN  GRAMMES 

QUANTITÉ  i 

DE  CARBONE  CONSOMMÉE , EXPRIMÉE 
EN  GRAMMES 

SOUS  LA 

PRESSION  NORMALE 

DANS 

l’air  COMPRIMÉ 

SOUS  LA  PRESSION 
NORMALE 

DANS 

l’air  COMPRIMÉ 

En  une  minute.  . . 

0,903040 

1,006176 

0,2462  i 

0,27441 

En  une  heure. . . . 

54,18240 

60,37086 

14,7770 

10,4647 

En  24  heures.  . . . 

1500,57760 

1449,49550 

354,6480 

595,1528  ! 

Si  nous  comparons  les  chiffres  obtenus  pour  l’air  normal  avec  ceux  qu’ont 
donnés  les  auteurs  les  plus  dignes  de  confiance,  nous  trouvons  que  la  quantité 


492 


HISTORIQUE. 


d’acide  carbonique  exhalée  dans  line  heure  par  des  individus  de  20  à 28  ans  a 
été  estimée  par  Andral  et  Gavarret  en  moyenne  à 44,55  grammes,  et  au  maximum 
à 51,7,  et  par  Valentin,  en  moyenne  à 59,140.  Réduits  en  carbone,  ces  chiffres 
correspondent  pour  Andral  et  Gavarret  à une  quantité  moyenne  par  heure  de 
14,1  grammes,  pour  Valentin,  à 10,665  grammes.  Humas  indique  10  grammes 
comme  devant  être  la  moyenne  probable  de  la  consommation  de  carbone  par 
heure  et  15  grammes  pour  des  hommes  d’une  force  exceptionnelle. 

Nous  voyons  par  là  que  les  chiffres  obtenus  par  moi  pour  la  pression  normale,  et 
bien  que  ma  constitution  ne  soit  pas  très-robuste,  correspondent  aux  chiffres 
les  plus  élevés  obtenus  par  les  auteurs,  mais  que  les  résultats  obtenus  dans  l'air 
comprimé  dépassent  encore  considérablement  ces  mêmes  quantités.  Le  calcul  fait  pour 
un  séjour  de  vingt-quatre  heures  dans  l’air  comprimé  ne  donne  qu’un  résultat 
idéal,  puisque  le  séjour  n’a  duré  en  réalité  que  deux  heures  par  jour,  et  qu’il 
faudrait  donc,  pour  ce  cas,  ne  prendre  que  les  résultats  de  l’air  comprimé  que 
pour  deux  heures  et  y ajouter  ceux  de  l’air  normal  pour  les  22  heures  restantes. 
En  faisant  le  calcul  de  celte  manière,  nous  trouvons  comme  quantité  véritable 
d’acide  carbonique  exhalé  en  24  heures,  après  une  séance  journalière  de  deux 
heures  dans  l’air  comprimé,  1512,7559  grammes,  et  comme  quantité  correspon- 
dante de  carbone  consommé  pendant  ce  même  temps  558,0254  grammes.  D’où 
il  suit  que  même  après  celle  réduction  la  production  d’acide  carbonique  trou- 
vée par  moi  dépasse  encore  notablement  celle  que  d’autres  observateurs  ont  trou- 
vée dans  des  conditions  normales. 

L’explication  des  chiffres  considérables  obtenus  par  moi-même  sous  la  pression 
normale  réside  dans  ce  fait  que  les  analyses  de  l’air  expiré  n’ont  pu  être  faites 
dès  les  premières  séances,  faute  d’appareils  et  de  réactifs  convenables,  et  ne  l’ont 
été  que  lorsque  j’avais  déjà  fait  plus  d’une  centaine  de  séances  dans  l’air  com- 
primé. D’où  il  suit  que  dans  les  chiffres  obtenus  chez  moi  sous  la  pression  normale 
figure  déjà  l'effet  d'un  usage  prolongé  de  l'air  comprimé,  c’est-à-dire  une  aug- 
mentation de  la  quantité  d’acide  carbonique  ; et  des  analyses  faites  avant  le  com- 
mencement de  ma  série  de  séances  d’air  comprimé  auraient  certainement  donné 
une  production  d’acide  carbonique  correspondant  parfaitement  à celle  des  auteurs, 
c’est-à-dire  moindre. 

Le  résultat  établit  donc  indubitablement  comme  un  fait  que  l'influence  directe  de 
la  compression  de  l'air  aussi  bien  que  l'effet  consécutif  d'une  séance  journalière  de 
deux  heures  dans  V air  comprimé,  répétée  pendant  un  certain  temps , produit  une 
exhalation  plus  considérable  d'acide  carbonique , et  par  suite  aussi  une  augmentation 
dans  la  quantité  de  l'oxygène  absorbé. 

De  cette  augmentation  dans  la  quantité  d’oxygène  absorbée,  que 
Vivenot  considère  comme  démontrée,  il  tire  des  conséquences  géné- 
rales de  la  plus  haute  importance  : 

Deux  faits,  qui  concordent  parfaitement  avec  le  précédent,  sont: 

\°  Le  besoin  plus  considérable  d' alimentation  qui  se  fait  sentir  comme  effet  de 
l’air  comprimé,  par  une  augmentation  remarquable  de  l'appétit , ce  que  j’ai  con- 
staté chez  moi-même  et  chez  d’autres,  et  ce  qu'on  observe  tout  particulièrement 
et  sans  exception  chez  les  ouvriers  qui  travaillent  dans  l’air  comprimé  ; 2°  l'aug- 
mentation très-notable  de  la  sécrétion  urinaire , constatée  de  nouveau  chez  moi 
pendant  cette  série  d’expériences  et  chez  plusieurs  autres  personnes,  et  corres- 
pondant particulièrement  aux  premières  séances  dans  l’air  comprimé. 


VI R COMPRIME  : TIICORIES  ET  EXPERIENCES. 


405 


II  se  produit  donc  dans  l'économie  un  échange  plus  considérable  de  matériaux , 
et  cela  sert  aussi  à expliquer  des  résultats  eu  apparence  contradictoires,  siguaiés 
par  différents  auteurs. 

Il  s’agit  de  V augmentation  clupoids  du  corps,  indiquée  comme  conséquence  du 
séjour  dans  l’air  comprimé  par  quelques  auteurs  : témoin  J.  Lange  (d’Utersen), 
qui  dit  avoir  observé  une  augmentation  de  poids  de  5 kilogrammes  en  trente- 
huit  jours  (de  58  à 63  kilogrammes)  chez  une  personne,  et  de  5 kilogrammes  en 
C21  jours  chez  une  autre.  Je  ne  puis  que  confirmer  cette  observation  par  ce  que  j’ai 
remarqué  sur  moi-même  ; car  mon  poids  avait  augmenté  en  quatre  mois  (du  30 
avril  au  1er  septembre)  de  5 livres  1/2  (de  127,5  à 130  livres),  ce  qui  est  d’autant 
plus  concluant  que  c’était  au  milieu  de  la  saison  chaude  où,  comme  on  le  sait,  le 
poids  du  corps  diminue  habituellement. 

Mais,  d’un  autre  côté,  il  y a un  fait  qui  ne  peut  pas  non  plus  être  contesté, 
c'est  l'amaigrissement  considérable  des  ouvriers  travaillant  sous  une  pression  de 
trois  à quatre  atmosphères  (dans  des  mines  de  houille  ou  à la  construction  des 
ponts).  Sandahla  constaté  le  même  fait  comme  conséquence  de  l’emploi  théra- 
peutique de  l’air  comprimé,  d’où  il  suit  que  ce  traitement  a déjà  été  conseillé 
assez  souvent,  comme  moyen  à opposer  à l'obésité. 

La  contradiction  apparente  de  ces  résultats,  conséquences  de  l’augmentation  de 
la  pression  de  l’air,  s’explique  par  la  considération  du  rapport  entre  le  besoin,  l'ap- 
port de  matériaux  et  la  combustion.  Le  besoin  d’une  alimentation  plus  considérable 
se  fait  sentir.  Si  donc  l’augmentation  de  l’appétit  et  la  possibilité  de  prendre  plus 
d’aliments  peuvent  non-seulement  compenser,  mais  dépasser  la  combustion  plus 
considérable  des  matériaux  du  sang  (ce  qui  sera  le  cas  sous  une  augmentation  de 
pression  peu  considérable  et  avec  des  séances  journalières  relativement  courtes), 
une  augmentation  du  poids  du  corps  devra  nécessairement  se  produire.  Mais,  si  la 
combustion  du  carbone  étant  aussi  considérable  que  celle  qui  se  produit  chez 
des  ouvriers  travaillant  six  à huit  heures  par  jour  sous  une  pression  de  trois  à 
quatre  atmosphères,  le  remplacement  des  matériaux  brûlés  ne  peut  pas  se  faire 
complètement,  la  combustion  devra  nécessairement  se  faire  aux  dépens  de  l'orga- 
nisme, ce  qui  produira  l'amaigrissement. 

Nous  avons  reproduit  plus  haut  (p.  442  et  suiv.),  dans  ses  par- 
ties les  plus  intéressantes,  la  longue  élude  qu’a  faite  Yivenot  des 
modifications  que  l’air  comprimé  apporte  dans  la  circulation  et 
spécialement  dans  les  caractères  du  pouls. 

Il  s’est  demandé  si  ces  changements  dans  la  forme  du  pouls  peu- 
vent être  expliqués  par  l’action  directe,  locale,  de  la  pression  sur 
le  système  artériel.  Pour  répondre  à cette  question,  il  institua  Pcx- 
périence  suivante,  dans  laquelle  il  élimine,  dit-il,  tous  les  éléments 
complexes  du  problème,  pour  ne  se  trouver  qu’en  présence  de  « la 
contractilité  des  vaisseaux  et  la  pression  du  sang  » : 

On  prend  un  ballon  de  caoutchouc  avec  un  tube  d’environ  50  centimètres  de 
long  ; on  les  remplit  d’eau,  sans  les  mettre  sous  tension,  et  on  ferme  l’extré- 
mité avec  un  fil.  Le  cœur  est  représenté  par  le  ballon,  les  artères  par  le  tube,  le 
sang  par  l’eau. 

Un  sphygmographe  est  placé  sur  le  tube.  Un  poids  tombe  régulièrement  et  tou- 


m 


HISTORIQUE 


jours  de  la  même  hauteur  sur  le  ballon,  représentant  ainsi  l’impulsion  du 
cœur.  On  obtient  de  la  sorte  un  tracé  sphygmographique. 

A la  pression  normale,  ce  tracé  présente  les  apparences  caractéristiques  du 
pouls  normal  dans  ces  conditions  : ascension  rapide,  verticale,  sommet  aigu,  des- 
cente en  forme  de  vagues,  tous  les  signes  d’une  tension  faible  dans  les  vaisseaux. 

Si  on  place  l’appareil  dans  l'air  comprimé,  rien  autre  n’étant  changé,  la  courbe 
du  sphygmographe  est  beaucoup  modifiée.  Elle  ressemble  alors,  d’une  manière 
tout  à fait  remarquable,  à celle  que  donne  le  pouls  lui-même  sous  la  compression. 
La  ligne  d’ascension  est  devenue  oblique,  le  sommet  s’est  changé  en  un  plateau, 
la  hauteur  de  l’impulsion  est  moitié  moindre,  le  polycrotisme  de  la  ligne  descen- 
dante a disparu  complètement. 

En  faisant  tomber  de  plus  haut  le  poids,  de  manière  à avoir  une  pression  plus 
forte  sur  le  cœur  artificiel,  la  ligne  d’ascension  deviendra  plus  droite,  l’amplitude 
de  l’oscillation  augmentera,  mais  il  n’y  aura  pas  de  polycrotisme.  Si  l’appareil 
reste  longtemps  dans  l’air  comprimé,  on  voit  sortir  aux  environs  de  la  ligature 
quelques  gouttes  de  liquide,  ce  qui  n’arrive  jamais  à la  pression  normale.  A ce 
moment,  le  sphygmographe  donne  un  tracé  qui  se  rapproche  beaucoup  de  celui 
qu’on  obtenait  avec  l’impulsion  première . 

Au  retour  dans  l’air  normal,  on  retrouve  la  courbe  primitive,  seulement  avec 
une  ascension  plus  raide  encore  et  un  polycrotisme  plus  accentué.  ( Zur  liennt- 
iiiss,  etc.,  p.  575-574.) 

11  conclut  de  cette  expérience  et  de  la  similitude  des  tracés  ob- 
tenus tant  avec  les  artères  qu’avec  son  appareil,  dans  l’air  com- 
primé, que  : 

Les  changements  présentés  par  les  courbes  dans  les  deux  cas  ont  les  mêmes 
causes  et  dépendent  d’une  pure  influence  mécanique  exercée  par  l’augmentation 
de  la  pression  sur  des  tuyaux  élastiques  et  remplis  de  liquide. 

L'obliquité  de  la  ligne  ascendante,  devenue  plus  accentuée  dans  l’air  comprimé, 
indique  une  résistance  plus  grande  des  parois  artérielles  à l’impulsion  du 
cœur. 

L’amplitude  amoindrie  de  l’oscillation  a deux  causes: 

La  diminution  de  l’excursion  des  vaisseaux  artériels,  dont  la  diastole  est  moin- 
dre à cause  de  la  résistance  augmentée  des  parois,  et  la  systole  moindre  parce 
que,  grâce  à la  pression,  les  artères  sont  plus  pleines  de  sang,  relativement  à leur 
calibre,  et  ne  peuvent  se  contracter  autant; 

La  diminution  du  volume  des  artères  qui,  dans  l’air  comprimé,  deviennent  plus 
petites  et  contiennent  d’une  manière  absolue  moins  de  sang  ; c’est  ceque  démon- 
tre nettement  la  sortie  du  liquide  hors  de  notre  appareil  après  un  long  séjour 
dans  l’air  comprimé 

Maintenant,  il  y a des  gaz  comprimés  dans  le  sang,  qui  sont  mis  en  liberté  par 
la  diminution  de  la  pression  de  l’air,  et  qui  par  conséquent  y sout  retenus  par 
une  pression  atmosphérique  élevée  : de  là  une  raison  pour  que  la  masse  du  sang 
restant  constante  arrive,  sous  un  excès  de  pression  de  l’air,  à être  réduite  au  plus 
petit  volume  possible.  . . 

11  résulte  de  ces  faits  que  l’action  de  l’air  comprimé  s'exercera  au  plus  haut 
point  sur  les  vaisseaux  périphériques.  (Ibid.,  p.  5*75.) 


Nous  verrons,  au  chapitre  suivant  * ce  que  vaut  cette  étrange 


AIR  COMPRIME  : THEORIES  ET  EXPERIENCES. 


495 


expérience,  la  seule  qu’ait  faite  Yivenot  dans  le  cours  de  scs  recher- 
ches, et  quelle  importance  peuvent  avoir  les  conséquences  qu’il  en 
lire. 

Les  idées  de  G.  Lange1  sont,  comme  on  devait  s’y  attendre,  en 
concordance  parfaite  avec  celles  de  son  collaborateur  Yivenot.  11 
y ajoute  cependant  quelques  explications  originales  : celle-ci,  par 
exemple,  qui  a trait  à la  diminution  du  nombre  des  mouvements 
respiratoires  : 

Le  besoin  de  respirer  ne  résulte  pas  de  rinfluence  qu'exerce  sur  la  moelle 
allongée  un  sang  devenu  moins  riche  en  oxygène  ; mais  c’est  l’acide  carbonique 
du  sang  qui  fait  naître  ce  besoin,  dont  l’intensité  croît  proportionnellement  à la 
quantité  de  cet  acide  que  le  sang  contient.  C’est  pourquoi  toute  augmentation  de 
la  quantité  d’acide  carbonique  exhalé  fera  diminuer  le  besoin  de  respirer,  et  par 
suite  le  nombre  des  inspirations,  à moins  qu’une  combustion  plus  active  du  sang 
n’y  ramène  un  excès  d’acide  carbonique  égal  ou  supérieur  à la  quantité  exhalée 
en  plus. 

On  expliquerait  ainsi  la  diminution  de  fréquence  des  mouvements  respira- 
toires par  une  plus  grande  exhalation  d’acide  carbonique  dans  l’air  comprimé, 
au  moins  pendant  le  séjour  sous  la  cloche,  et  le  temps  qui  suit  immédiatement 
ce  séjour.  (P.  25.) 

Mais  G.  Lange  sait  très-bien  que  celte  hypothèse,  alors  en  rapport 
avec  la  théorie  de  Brown-Séquard,  ne  peut  rendre  compte  du  ra- 
lentissement permanent  des  mouvements  respiratoires.  Aussi  a-t-il 
alors  recours  à un  autre  ordre  d’explicalion  : 

Je  ne  puis,  dit-il,  expliquer  ce  fait  que  par  l’incontestable  augmentation  de 
force  des  muscles  respirateurs,  laquelle  peut  seule  aussi  rendre  compte  de  l’aug- 
mentation de  la  capacité  vitale  des  poumons  appréciable  dès  la  première  séance. 

Il  s’appuie  ici  sur  les  conclusions  d’un  mémoire  de  J.  Lange2, 
que  je  n’ai  pu  me  procurer  : 

Le  docteur  J.  L.,  dans  son  travail  sur  les  effets  physiologiques  et  thérapeu- 
tiques de  l’air  comprimé,  a conclu  d’une  série  d’expériences,  dont  je  peux  attes- 
ter l’exactitude,  que  l’on  y voyait  augmenter  notablement  la  pression  négative 
dans  l’inspiration  et  la  pression  positive  dans  l’expiration.  Si  donc  les  muscles 
respirateurs  augmentent  de  vigueur,  on  est  autorisé  à supposer  que  tout  le  reste 
de  l’appareil  musculaire  participe  à cette  augmentation  de  force.  C’est  ce  que  le 
docteur  J.  L.  a prouvé  par  une  série  d’expériences,  et  il  établit  comme  un  fait 
que,  si  des  malades  se  sont  soumis  à l’action  de  l’air  comprimé  pour  une  maladie 

1 Mittheilungcn  iiber  die  physiologischen  Wirkungen  und  therapeutische  Bedeutung 
der  comprimirten  Luft.  — Wiesbaden,  1865.  — Trad.  de  l'allemand  par  le  f)r  Thierry- 
Mieg  — Pari  Si  1867. 

- U cher  comprimirten  Luft , ihre  physiologischen  Wirkungen  und  ihre  therapeutische 
Bedeutung . — GOttingen,  1864. 


490 


historique. 


quelconque  des  poumons,  ils  sentent  augmenter  leurs  lorces  après  quelques 
bains,  et  l’exercice  musculaire  leur  devient  de  jour  en  jour  plus  facile  et  moins 
fatigant. 

Le  même  auteur  dit  encore  : Il  est  difficile,  sinon  impossible,  de  trouver  la 
mesure  de  cette  augmentation  des  forces.  Les  expériences  ne  fournissent  pas  de 
résultats  d’une  valeur  absolue.  Elles  nous  montrent  cependant  qu’une  augmen- 
tation de  vigueur  de  tout  le  système  musculaire  se  produit,  et  qu’elle  est  d’une 
certaine  importance 

On  peut  regarder  l’augmentation  de  la  force  musculaire  dans  l’air  comprimé 
comme  une  preuve  de  l’absorption  d’une  quantité  plus  considérable  d’oxygène. 
Cette  absorption  se  but  surtout  par  les  poumons,  et  aussi  en  partie  par  la  peau. 
Sandalil  fait  remarquer  avec  raison  que  la  peau  a un  pouvoir  respiratoire  et  que, 
sous  l’infiuence  d’une  forte  pression,  laquelle  favorise  l’endosmose,  elle  doit 
absorber  plus  d’oxygène.  (U.  27.) 


G.  Lange  arrive  ensuite  au  ralentissement  de  la  circulation,  et  il 
reproduit  l’explication  de  Yivcnot  : 

Ne  pourrait-on  pas,  dit-il,  expliquer  en  quelque  manière  le  ralentissement  des 
pulsations  par  ce  fait  que  la  pression  exercée  sur  une  si  grande  partie  du  système 
capillaire  et  des  petites  artères  y rend  le  passage  du  sang  plus  difficile? 

La  présence  de  gaz  libres  dans  le  sang  rend  une  compression  possible,  et  les 
vaisseaux,  surtout  ceux  qui  sont  situés  à la  superficie,  se  contractent  au  point 
que  l’on  voit  même  quelquefois  de  légères  hyperémies  disparaître  rapidement. 

Les  observations  relatives  à l’influence  de  l’air  comprimé  sur  les 
fonctions  du  système  nerveux  sont  intéressantes  à rapporter  dans 
leur  entier;  on  retrouve  dans  leur  explication  l’idée  déjà  émise  par 
divers  auteurs,  et  notamment  par  M.  Junod  (p.  452),  que  les  orga- 
nes contenus  dans  la  cavité  crânienne  échappent  plus  ou  moins 
complètement  à l’influence  de  la  compression  qui  s’exerce  sur  le 
reste  du  corps  : 

Si  l’on  observe,  sous  la  pression  atmosphérique  augmentée,  plus  d’activité  et 
de  clarté  dans  l’esprit,  on  peut  rapporter  ce  phénomène  à une  autre  cause  qu'à 
l’élévation  du  baromètre  d’un  pouce  ou  d’un  pouce  et  demi,  et  il  n’est  permis 
d’en  tirer  aucune  conclusion  en  faveur  de  l’augmentation  de  pression.  Quand 
Junod  prétend  que  sous  une  certaine  pression  le  cercle  des  idées  s’étend,  et  que 
l’on  devient  capable  de  faire  des  vers,  sa  prétention  me  semble  bizarre.  Mes  obser- 
vations sont,  en  outre,  contradictoires  de  celles  du  docteur  J.  Lange.  Il  dit  que 
sous  l’influence  de  l’air  comprimé  le  système  nerveux  central  est  stimulé  d’une 
manière  particulière,  que,  notamment,  les  fonctions  dévolues  aux  hémisphères 
cérébraux  se  font  plus  activement,  que  chez  beaucoup  d’individus  on  observe  à un 
degré  plus  ou  moins  grand  une  élasticité  et  une  fraîcheur  d’esprit  qui  n’existaient 
pas  auparavant.  Le  sujet  soumis  au  bain  éprouverait  un  bien-être  intellectuel,  et 
son  esprit  serait  plus  clair  et  plus  libre.  J’ajoute  qu’il  croit  pouvoir  donner  ces 
phénomènes  comme  des  effets  constants  de  l’air  comprimé. 

Dans  mes  nombreuses  observations,  je  n’ai  rien  remarqué  de  semblable.  J’ai 


AIR  COMPRIME  : THEORIES  ET  EXPERIENCES.  497 

observé  au  contraire,  sur  moi-même  et  sur  d’autres,  un  sentiment  de  calme  au- 
quel succédait  généralement  une  tendance  au  sommeil. 

L'air  comprimé  ne  peut  agir  directement  sur  les  organes  contenus  dans  la  boite 
crânienne,  tandis  que  toutes  les  autres  parties  du  corps  en  subissent  les  effets  : 
aussi  pourrait-on  supposer  que  l’augmentation,  même  faible,  de  la  pression  atmo- 
sphérique, porte  plus  de  sang  au  cerveau.  La  tendance  au  sommeil  ferait  aussi 
conclure  dans  ce  sens.  Le  docteur  Vivenot  eut  l’idée  de  constater  cette  augmenta- 
tion de  pression  au  moyen  de  la  dilatation  de  la  pupille. 

Il  plaça  dans  une  monture  de  lunettes  un  fil  divisé  en  millimètres,  et  mesura 
au  moyen  d’un  miroir  concave  la  largeur  de  la  pupille  avant.et  pendant  la  séance, 
se  servant  dans  les  deux  cas  de  bougies,  afin  d’avoir  un  éclairage  bien  égal. 
Chose  remarquable,  il  observa  le  plus  souvent  un  resserrement  de  l’orifice  pupil- 
laire, ce  qui  doit  être  attribué  à une  excitation  qui,  je  l’ai  déjà  dit,  ne  se  mani- 
festait chez  moi  par  aucun  autre  signe.  (P.  29.) 

Citons  encore  une  discussion  curieuse  sur  les  modifications  dans 
la  circulation  lymphatique  : 

On  observe  habituellement  chez  les  personnes  qui  ont  fait  usage,  pendant 
quelque  temps,  de  bains  d’air  comprimé,  une  augmentation  d’appétit.  Quelques- 
unes  maigrissent  un  peu  au  début,  mais  bientôt  leur  aspect  devient  meilleur  et 
elles  augmentent  de  poids.  Le  docteur  J.  Lange  fournit  de  ce  fait  l’explication  sui- 
vante : Le  sang  contenu  dans  la  veine  sous-clavière  subissant  une  aspiration,  la 
lymphe  qui  vient  du  canal  thoracique  y coulerait  avec  plus  d’abondance,  et  en 
outre,  le  canal  thoracique  lui-même,  qui  est  hermétiquement  inclus  dans  la  poi- 
trine, serait  aussi  soumis  à la  pression  négative,  et  par  suite,  la  lymphe  qui  y e^t 
contenue  subirait  une  aspiration  d’où  résulteraient  un  courant  plus  fort  et  l’exis- 
tence dans  le  canal  d’une  quantité  de  lymphe  plus  considérable.  Quoi  qu’il  en 
soit  de  cette  explication,  je  pense  que  l’affaiblissement  et  l’amaigrissement,  cau- 
sés par  une  maladie  des  organes  respiratoires,  doivent  diminuer  à mesure  que 
la  guérison  s’opère,  et  que,  la  respiration  se  faisant  mieux,  l’appétit  se  trouve 
augmenté.  L’amaigrissement  du  début  tient  probablement  à l’absorption  plus 
grande  d’oxygène,  et  les  effets  de  ce  gaz  ne  sont  plus  déprimants  quand  l’ap- 
pétit augmente.  (P.  31.) 

Les  opinions  d’Elsasser1  ne  sont  évidemment  qu’un  reflet  de  celles 
de  Vivenot  : 

L’action  de  l’air  comprimé  dépend  de  deux  facteurs  principaux  : 1*  la  pression 
mécanique  augmentée  a sur  la  surface  extérieure  du  corps;  b sur  les  cavités 
respiratoires;  2°  la  plus  grande  quantité  d’oxygène  et  d’azote  respirée  dans  un 
volume  donné. 

Le  premier  facteur  manifeste  son  intervention  d’abord  sur  les  gaz  contenus 
dans  le  corps,  puis  sur  les  capillaires  sanguins  de  la  peau  et  des  muqueuses, 
dont  les  parois  s’aplatissent.  Le  second  agira  sur  les  échanges  et  sur  les  mouve- 
ments respiratoires.  (P.  9.) 

Et  plus  loin,  développant  ces  principes  : 

La  pression  d’une  atmosphère  et  demie  a pour  conséquence  une  condensation 

1 Loc.  cit.  — Unlersuchungen,  etc.;  18G8. 


32 


49$ 


HISTORIQUE. 


des  tissus,  une  contraction  du  calibre  des  vaisseaux  sanguins;  le  sang  est  dimi- 
nué dans  la  peau  ; les  conjonctivites  légères  se  guérissent,  les  surfaces  vési- 
quées,  les  oreilles  des  lapins  blancs  pâlissent 

De  semblables  modifications  se  remarquent  sur  les  muqueuses  respiratoires  ; 
elles  deviennent  plus  denses,  plus  minces,  moins  riches  en  liquides  et  en  sang. 
De  là  viennent  les  guérisons  des  inflammations  des  poumons,  etc 

Quelle  est  la  conséquence  de  ce  refoulement  du  sang?  Ps’amène-t-il  pas  de 
congestions  intérieures?  L’expérience  montre  que  le  cœur  n’en  est  pas  troublé, 

mais  travaille  avec  plus  de  tranquillité  ; il  n’y  a pas  de  congestion  cérébrale ; 

mais  l'augmentation  de  l’appétit,  de  la  sécrétion  urinaire,  de  la  force,  semble  en 
rapport  avec  une  plus  grande  quantité  de  sang 

Le  second  facteur,  la  quantité  plus  grande  d’oxygène,  a été  jusqu’ici  trop 
négligé...  Si,  à la  pression  normale,  un  homme  sain  respire  16  fois  à la  minute, 
et  absorbe  à chaque  lois  50  pouces  cubiques  d’air,  il  aura  consommé  480  p.  c.  en 
une  minute.  Mais  sous  la  pression  de  1 1/2  atmosphère,  ces  480  p.  c.  dont  il  a 
besoin  deviennent  520;  s’il  respire  encore  16  fois,  chaque  inspiration  ne  sera 
que  de  20  p.  c.;  avec  12  respirations,  elle  montera  à 26  p.  c.  6;  avec  8,  à 
40  p.  c....  Si  donc  la  proportion  ainsi  calculée  n’est  pas  observée,  il  y aura 
plus  d’oxygène  introduit  dans  un  temps  donné  dans  les  poumons,  ce  qui  explique 
les  assertions  des  auteurs  sur  l’absorption  d’oxygène  plus  forte,  l’hématose  aug- 
mentée, la  combustion  organique  activée,  etc.  (P.  15-17.) 

Panum  l,  dans  le  travail  que  nous  avons  déjà  cité  (p.  452),  cri- 
tique, non  sans  raison,  la  méthode  employée  par  Yivenot  pour 
mesurer  la  quantité  d’acide  carbonique  produit  dans  un  temps 
donné  : 

La  quantité  énorme  d’acide  carbonique  trouvée  par  Vivenot,  dit-il,  tient  à ce 
que  ses  expirations  étaient  trop  fortes  ; on  arrive,  en  effet,  en  prenant  ses  chif- 
fres, à trouver  pour  la  ventilation  pulmonaire  de  24  h.,  à la  pression  normale, 
21111,2  litres,  et  dans  l’air  comprimé  19745,5  (Panum  trouve  pour  lui,  dans 
une  expérience,  1152  litres  à la  pression  normale).  Par  une  respiration  aussi 
énormément  forcée  il  arrive  à trouver  une  production  d’acide  carbonique  de 
1500  grammes  à l’air  normal  et  de  1449  gr.,  5 dans  Pair  comprimé  (Panum  a 
sur  lui-même  816 gr.,  2). 

Quant  à lui,  il  faisait  ses  analyses  sur  60  ou  meme  120  litres 
d’air  expirés  dans  un  spiromètre,  à divers  moments  de  l’expé- 
rience. Il  ne  donne  pas,  du  reste,  d’indications  très-claires  sur  la 
manière  dont  il  conduisait  celle-ci;  je  vois  seulement  que  la  com- 
pression était  de  24  centimètres  : 

Je  n’ai  trouvé  aucune  trace,  dans  mes  expériences,  de  cette  augmentation  de 

la  production  d’acide  carbonique  après  les  bains  d’air,  dont  parle  Vivenot Je 

considère  comme  une  erreur  l’opinion  de  Vivenot,  parce  que  sa  méthode  n’avait 
pas  de  base  solide  et  ne  pouvait  servir  à estimer  la  quantité  d’air  qui  traverse 
régulièrement  le  poumon  dans  un  temps  donné,  avec  une  respiration  naturelle 
et  tranquille  ; son  rhythme  respiratoire  étant  forcé,  non  naturel 

1 Loc.  cil.  — Zur  Théorie,  etc.;  1866. 


AIR  COMPRIMÉ  : THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


499 


Si  Ton  compare  dans  mes  tableaux  les  cas  dans  lesquels  ont  été  respirés  des 
volumes  égaux  d’air  comprimé  et  d’air  normal,  on  trouve  que  la  quantité  d’acide 
carbonique  exhalé  a augmenté  absolument  et  relativement  dans  l’air  comprimé. 
Mais  si  l’on  compare  les  cas  ou  il  y a eu  un  même  volume  d’air,  rapporté  à la 
même  pression,  respiré  à l’air  libre  ou  dans  la  cloche,  on  voit  qu’il  y a eu  dans 
l’air  comprimé  un  peu  moins  d'acide  carbonique  produit  qu’à  la  pression  nor- 
male. En  d’autres  ternies,  la  quantité  d’acide  carbonique  exhalé  augmente  pen- 
dant la  respiration  dans  l’air  comprimé  par  l’augmentation  de  la  masse  d’air  qui 
traverse  les  poumons,  en  vertu  de  la  pression,  mais  dans  une  proportion  un  peu 
moindre  que  celle-ci.  (P.  143-146.) 

Or,  c’est  là  précisément  le  résultat  auquel  était  arrivé  Vivenot, 
malgré  la  méthode  défectueuse  qu’il  avait  employée.  Panum  s’étonne 
de  cetle  concordance  : 

Les  expériences  de  Régnault  et  Reiset,  dans  lesquelles  la  respiration  d’un  air 
plus  riche  en  oxygène  n’avait  pas  amené  une  plus  forte  excrétion  d’acide  carbo- 
nique, semblaient  a priori  prouver  qu’on  n’aurait  rien  non  plus  par  l’air  com- 
primé. Cependant  j’ai  obtenu  ce  qu’avait  vu  Vivenot,  et  malgré  mon  attente,  ce 
qui  est  d’autant  plus  convaincant. 

D’où  peut  dépendre  une  telle  différence  entre  la  respiration  dans  un  air  riche 
en  oxygène  à la  pression  normale,  ou  dans  un  air  normal  sous  une  pression 
plus  élevée? 

On  peut  se  demander  si  c’est  l’oxygène  lié  chimiquement  aux  corpuscules  du 
sang,  ou  celui  qui  est  simplement  absorbé,  qui  dans  un  cas  oxyde  plus  éner- 
giquement que  dans  l’autre?  Si  l’on  respire  de  l’air  très-oxygéné  à la  pression 
normale,  alors  la  pression  partielle  augmentée  augmente  aussi  la  proportion 
d’oxygène  simplement  dissoute  dans  le  sang,  tandis  que  celle  qui  s’y  trouve  à 
l’état  de  combinaison  chimique  ne  varie  très-probablement  pas.  Ceci  montre  que 
ce  n’est  pas  l’oxygène  simplement  dissous,  mais  l’oxygène  combiné  qui  produit 
l’acide  carbonique,  puisque,  dans  les  expériences  de  Régnault,  cette  production 
n’augmentait  pas. 

On  peut  voir  de  même  que  l’augmentation  d’oxydation  et  d’acide  carbonique 
produit  que  nous  avons  constatée  dans  l’air  comprimé  dépend  de  l’oxygène  com- 
biné du  sang.  (P.  147.) 

Passant  à un  autre  ordre  de  phénomènes,  le  "physiologiste  da- 
nois étudie  les  modifications  du  rhythme  respiratoire.  Nous  avons 
reproduit  au  chapitre  précédent  les  faits  qu’il  a observés.  Pour 
expliquer  l’augmentation  de  la  capacité  pulmonaire,  il  fait  l’expé- 
rience suivante  : 

J’immerge  sous  l’eau,  dans  un  flacon,  une  vessie  à moitié  pleine  d’air;  une 
seconde  vessie  pourvue  d’un  tube  est  placée  sur  elle;  le  tube  passe  au  travers 
d’un  bouchon  qui  ferme  hermétiquement  le  flacon,  qui  est  ainsi  plein  d’eau,  sauf 
l’espace  occupé  par  les  vessies.  La  vessie  inférieure  représente  le  tube  intestinal 
et  ses  gaz,  la  supérieure  le  poumon  avec  la  trachée,  le  flacon  et  l’eau  figurant 
la  cavité  thoracique  fermée.  Si  l’on  porte  cet  appareil  très-simple  dans  l’air 
comprimé,  on  voit  que  la  vessie  inférieure  diminue,  la  supérieure  augmentant 
de  volume. 


500 


HISTORIQUE. 


Ce  résultat  ne  change  pas  absolument,  si  l’on  emploie  un  Hacon  dont  le  fond 
soit  remplacé  par  une  membrane  élastique.  La  vessie  fermée  se  comporte  de 
même  ; mais  une  partie  seulement  de  l’espace  qu’elle  laisse  libre  est  rempli  par 
la  vessie  supérieure;  la  membrane  du  fond  se  relève. 

Ceci  montre  que  c’est  la  compression  de  l’air  renfermé  dans  l’intestin  qui  est 
la  cause  de  l’augmentation  de  capacité  du  poumon  et  de  l’abaissement  plus  consi- 
dérable du  diaphragme. 

Les  changements  dans  le  rhythme  respiratoire  ne  pourraient, 
dit  Panum,  s’expliquer  par  l’augmentation  de  l’oxygène  du  sang, 
puisque  cette  augmentation  conduit  à l’apnée  : or,  dans  l’apnée, 
non-seulement  le  nombre,  mais  l’amplitude  des  mouvements  res- 
piratoires, diminuent.  11  repousse  également  l’hypothèse  acceptée  par 
Yivenot  et  G.  Lange  d’une  augmentation  dans  la  force  des  muscles 
inspiratoires;  il  trouve,  avec  raison,  que  ces  auteurs  n’ont  donné 
aucune  preuve  de  leur  assertion.  Selon  lui,  c’est  l’augmentation  de 
la  capacité  moyenne  du  poumon,  sous  l’influence  directe  et  mé- 
canique de  Pair  comprimé,  qui  amène  les  inspirations  plus  pro- 
fondes . 

Relativement  aux  changements  du  pouls,  à l’augmentation 
de  la  pression  artérielle,  Panum  trouve  tout  à fait  contraire 
aux  lois  de  -la  physique  « ganz  unphysikalisch  » l’explication 
de  Yivenot,  G.  Lange,  Sandahl  et  Elsasser,  invoquant  une  pré- 
tendue diminution  du  volume  du  sang,  par  suite  du  volume 
diminué  sous  l’influence  de  la  pression  des  gaz  qui  y sont  con- 
tenus. 

Enfin,  pour  ce  qui  est  des  accidents  de  la  décompression,  notre 
auteur,  sans  avoir  cependant  fait  d’expériences  sur  cet  ordre  de 
faits,  en  arrive  à cette  opinion  que  : 

Les  phénomènes  morbides  dépendent  en  grande  partie  de  ce  que  l’air  devenu 
soudain  libre  dans  les  vaisseaux  sanguins  est  entraîné  par  le  courant  circula- 
toire, et  vient  former  des  obstructions  emboliques  dans  diverses  régions  vascu- 
laires. (P.  149.) 

Le  but  principal  de  G.  von  Liehig1  était  d’examiner  si  la  quan- 
tité d’acide  carbonique  formé  est  la  même  à l’air  libre  et  dans  l’air 
comprimé.  11  décrit  minutieusement  les  appareils  compliqués  qu’il 
employait;  je  dirai  seulement  que  l’analyse  de  l’air  était  faite 
d’après  la  quantité  expirée  en  15  minutes,  à l’aide  d’une  solution 
de  baryte  dosée  par  l’acide  oxalique.  Il  va  de  soi  que  tous  les 


1 Loc.  cil.  — U cher  clas  Athmen,  etc.;  1869. 


AIR  COMPRIMÉ  : THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


501 


chiffres  sont  accompagnés  de  décimales  multiples;  mais,  en  revan- 
che, l’auteur  se  garde  de  dire  si  les  personnes  mises  en  expé- 
rience étaient  astreintes  à un  régime  régulier,  au  double  point  de 
vue  de  la  nourriture  et  de  l’exercice,  ce  qui  est  cependant  de  bien 
autre  conséquence  que  des  critiques  sur  le  temps  pendant  lequel  il 
faut  agiter  les  vases  pour  avoir  une  absorption  complète  de  l’acide 
carbonique. 

L’acide  carbonique,  dont  le  dosage  a été  fait  dans  huit  expé- 
riences dont  Kramer  était  le  sujet,  semble  bien  avoir  diminué  par 
le  fait  de  la  compression.  A la  pression  normale,  d’abord,  le  pa- 
tient a produit  en  15  minutes,  le  premier  jour  8gr,442  de  CO2,  le 
second  7gr,955;  dans  l’appareil,  successivement  7gr,614,  7gr,784, 
7gr,747,  7gr,156;  enfin,  de  retour  à l’air  libre,  7gr,791  et  7gr,287, 
c’est-à-dire  en  moyenne  : avant  la  compression,  8gr,198;  pendant, 
7gr,570;  après,  7gr,559.  La  différence  en  moins  a donc  été,  pen- 
dant la  compression,  pour  45  minutes,  de  0gr,628,  soit  en  24  heu- 
res, en  admettant  qu’elle  serait  restée  la  même,  60gr,5. 

G.  Liebig,  qui  mêle  dans  une  moyenne  commune  les  expériences 
à l’air  libre,  avant  et  après  la  compression,  n’arr  ive  qu’à  une  diffé- 
rence de  28  grammes,  qu’il  déclare  être  de  l’ordre  des  différences 
physiologiques.  Je  le  concède  volontiers,  et  cela  même  pour  les 
60  grammes,  pour  cette  raison  qu’il  ne  fournit  sur  le  régime  de 
son  patient  aucun  des  renseignements  indispensables.  Mais  alors  il 
faut  avouer  que,  de  ses  multiples  analyses,  malgré  leur  escorte  de 
critiques  physiques  sur  l’influence  de  la  vapeur  d’eau,  de  l’acide 
carbonique  contenu  en  proportion  un  peu  plus  forte  dans  l’air  com- 
primé que  dans  l’air  libre  (0,197  pour  100  au  lieu  de  0,147,  par 
exemple),  il  ne  reste  rien  qui  puisse  nous  servir  sur  le  terrain  phy- 
siologique. 

G.  Liebig  s’occupe  aussi  à expliquer  les  modifications  dans  les 
phénomènes  rhylhmiques  de  la  respiration. 

Pour  l’augmentation  du  volume  pulmonaire,  il  s’exprime 
ainsi  : 

La  pression  barométrique  agit  à la  fois  sur  la  surface  du  corps  et  sur  celle  des 
poumons.  En  s’élevant,  elle  combat  plus  énergiquement  l’élasticité  du  tissu  pul- 
monaire ; celle-ci,  qui  équivaut  à 35mm  de  mercure,  correspond  à 1/24  de  la  pres- 
sion 720ram  (pression  moyenne  de  Reichenhall),  mais  n’est  plus  que  1/54  de  1050m“ 
(pression  de  l’appareil)  ; il  en  résulte  que  dans  l’air  comprimé  la  contraction  des 
muscles  inspiratoires  a moins  de  résistance  à vaincre.  Le  diaphragme  est  aussi 
aidé  dans  son  action  par  la  diminution  du  volume  des  gaz  intestinaux.  L’inspira- 
tion est  donc  plus  facile  et  plus  forte  ; par  les  mêmes  motifs  l’expiration  est  un 


502 


HISTORIQUE. 


peu  relardée,  d'où  il  suit  qu’on  ne  peut  pas  respirer  aussi  vite  dans  l’air  comprimé 
qu’à  la  pression  ordinaire.  Le  poumon  revient  également  moins  sur  lui-même,  en 
sorte  que  son  volume  augmente  à l’état  de  repos.  (P.  16.) 

Quant  à l’amplitude  de  la  poitrine,  qui  persiste  après  la  cure, 
il  y voit,  comme  G.  Lange,  le  résultat  de  la  gymnastique  favorable 
qu’ont  subie  les  muscles  inspiratoires  par  la  disposition  nouvelle 
de  la  cage  thoracique  dans  l’air  comprimé. 

Les  auteurs  dont  il  nous  reste  à parler  ont  été  surtout  frappés 
par  les  accidents  de  la  décompression. 

M.  Gavarret  \ dans  l’article  que  nous  avons  déjà  cité  (p.  291), 
s’occupe  aussi  des  accidents  qui  atteignent  les  ouvriers  : 

Le  retour  à l’air  libre  produit  souvent  des  hémorrhagies  buccales  et  nasales,  qui 
généralementne  sont  accompagnées  d’aucune  douleur.  Pour  nous,  ces  écoulements 
sanguins  sont  le  résultat  de  déchirures  des  capillaires  déterminées  par  la  tension 
du  gaz,  dont  le  sang  est  sursaturé. 

Les  modifications  déterminées  dans  la  circulation  cutanée  au  moment  de  la  dé- 
compression nous  paraissent  suffisantes  pour  expliquer  ces  accidents.  Le  sang, 
sursaturé  de  gaz  libres  à forte  tension,  aiflue  dans  les  capillaires,  les  distend,  ti- 
raille les  innombrables  filets  nerveux  qui  les  enlacent,  et  détermine,  suivant  la 
rapidité  et  l’intensité  de  la  congestion  vasculaire,  tantôt  un  simple  sentiment  de 
chaleur,  tantôt  de  véritables  douleurs.  (P.  156.) 

M.  Leroy  de  Méricourt1 2,  après  avoir  décrit  les  paralysies  dont 
sont  atteints  les  plongeurs  qui  se  servent  du  scaphandre,  les  expli- 
que en  disant  : 

Nous  croyons  qu’il  est  possible  d’admettre  que  dans  ces  cas  il  se  produit  une 
lésion  de  la  moelle,  et  que  cette  lésion  a du  être  une,  hémorrhagie.  Suivant  le 
siège  et  l’intensité  de  cette  hémorrhagie,  la  mort  est  survenue  très-promptement, 
comme  cela  a lieu  pour  trois  sujets,  ou  n’est  survenue  qu’après  un  temps  variable, 
comme  chez  les  sept  autres. 

Puis,  cette  hypothèse  admise,  il  se  demande  quelle  peut  être  la 
cause  de  rhémorrhagie  médullaire  : 

Après  mûre  réflexion,  répond-il,  nous  sommes  porté  à croire  qu’elle  est  le  ré- 
sultat de  la  tension  exagérée  des  gaz  libres,  en  dissolution  dans  le  sang,  par  suite 
de  la  pression  considérable  à laquelle  les  plongeurs  peuvent  être  soumis.  Dans  le 
scaphandre,  comme  on  le  sait,  l’homme  est  complètement  isolé  de  l’eau  à l’aide 
d’un  habit  en  forte  toile  imperméable  et  d'un  casque  métallique  fixé  sur  la  colle- 
rette de  l’habit.  L’air  lui  est  envoyé  dans  cette  enveloppe,  à l’aide  d’une  pompe 
qui  communique  avec  elle  par  un  tuyau  flexible  aboutissant  à l’arrière  du  casque. 
Rien  ne  règle  ni  le  débit  , ni  la  pression  de  l’air  injecté  dans  l’enveloppe.  Il  en 

1 Loc.  cit.  — Art.  Atmosphère  ; 1867. 

* Loc.  cit,  — Considérations,  etc.;  1809, 


AIR  COMPRIMÉ  : THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES.  505 

résulte  que  l’ouvrier  reçoit  souvent  ou  trop  ou  trop  peu  d'air;  il  est  obligé  pour 
remédier,  en  partie,  à la  gêne  de  respiration  qu’il  éprouve,  d’être  constamment 
en  rapport  avec  les  pompeurs,  au  moyen  de  signaux  consistant  en  un  certain 
nombre  de  coups  donnés  à une  corde  d'appel.  Néanmoins,  grâce  à cette  atmo- 
sphère que  l’homme  conserve  autour  de  lui,  il  peut  entretenir  sa  respiration  et 
séjourner  des  heures  entières  au  fond  de  l’eau.  Mais  plus  la  profondeur  est  con- 
sidérable, plus  la  durée  du  séjour  se  prolonge,  plus  le  sang  doit  se  charger  d’un 
excès  de  gaz  libres  à l’état  de  solution.  L’absence  de  régulateur  de  la  pression 
doit  même  souvent  faire  que  l’atmosphère  de  l’enveloppe  soit  à une  pression  plus 
grande  qu’il  n’est  nécessaire.  L’homme  est  réellement,  au  point  de  vue  physique, 
dans  la  situation  d’une  bouteille  d’eau  que  l’on  charge  de  gaz  acide  carbonique 
pour  obtenir  de  l’eau  de  seltz  artificielle. 

Lorsqu'il  remonte  à la  surface,  si  la  décompression  est  trop  peu  graduée,  les 
gaz  dont  le  sang  est  sursaturé  tendent  à se  dégager  avec  effervescence.  Or  les 
expérimentateurs  qui  font  des  injections  dans  le  système  veineux  des  chevaux, 
par  exemple , savent  que  si  on  laisse  à dessein  pénétrer,  avec  le  liquide  injecté, 
une  fine  bulle  d’air,  au  moment  où  cette  bulle  d’air  pénètre  dans  la  circulation 
cérébrale,  l’animal  en  expérience  tombe  comme  sidéré.  Cette  sidération,  dans  ce 
cas,  n’est  que  momentanée,  mais  si  la  quantité  de  bulles  d’air  introduites  est  con- 
sidérable, la  mort  survient  d’une  manière  très-rapide. 

Nous  axons  tenu  à reproduire  en  entier  ce  remarquable  passage, 
qui  rappelle  ce  qu’avait  déjà  dit  M.  Bucquoy  (voy.  p.  477),  et  qui 
contient,  sous  forme  d’hypothèse,  une  véritable  description  de 
ce  qui  se  passe  en  effet,  comme  nous  le  démontrerons  dans  la  se- 
conde partie  du  présent  livre.  Mais,  par  une  inconséquence  singu- 
lière, et  qui  montre  à quel  point  les  anciennes  idées  sur  l’influence 
mécanique  de  la  dépression  avaient  pris  autorité  sur  les  meilleurs 
esprits,  M.  Leroy  de  Méricourt,  au  lieu  de  s’attacher  à l’idée  des 
oblitérations  gazeuses  intra-vasculaires,  demeure  imbu  de  l’hypo- 
thèse des  hémorrhagies,  suites  de  refoulements  sanguins.  Il  se  de- 
mande alors  pourquoi  « elles  se  produisent  plutôt  dans  le  centre 
nerveux  spécial  que  dans  la  masse  cérébrale  »,  et  il  répond  : 

La  boîte  crânienne  et  la  colonne  vertébrale  forment  deux  enveloppes  égale- 
ment incompressibles  ; par  conséquent,  le  sang  refoulé  de  la  surface  entière  du 
corps  et  des  cavités  splanchniques  compressibles  doit  tendre  à congestionnei 
l’axe  cérébro-spinal.  Le  système  circulatoire  de  la  moelle  , comparé  à celui  du 
cerveau,  est  infiniment  plus  riche  , comme  le  démontrent  les  injections;  enfin, 
chez  le  pêcheur  d’éponges,  ce  sont  les  jambes  qui  fatiguent  le  plus,  attendu  que 
pendant  le  séjour  sous  l’eau  il  a constamment  à marcher,  à monter  et  à descendre 
le  long  des  roches.  Telles  sont  peul-êlre  les  causes  qui  rendent  compte  du  siège 
de  prédilection  des  accidents  du  côté  de  la  moelle.  Nous  donnons  cette  explication , 
bien  entendu,  avec  la  plus  grande  réserve. 

M.  Bouchard1,  dans  son  étude  sur  la  Pathogônic  des  hémorrha- 

1 De  la  Pathogénie  des  Hémorrhagies.  — Paris,  1809. 


504 


HISTORIQUE. 


gies,  donne  place  aux  accidents  de  la  compression  et  de  la  décom- 
pression, qu’il  considère  comme  dus  à des  congestions  et  des  hé- 
morrhagies abdominales,  médullaires  et  cérébrales.  La  manière  dont 
il  conçoit  leur  mode  de  production  est  des  plus  intéressantes  ; elle 
est  empruntée,  dit-il,  à M.  Marey  : 

L’air  comprimé  pénétrant  dans  les  poumons,  le  vide  n’a  plus  aucune  tendance 
à se  faire  dans  la  poitrine,  comme  chez  les  pêcheurs  à nu  ; les  congestions  pul- 
monaires ne  sont  plus  à craindre.  Toutefois  l’abdomen  est  normalement  distendu 
par  des  gaz  ; l’air  extérieur  ne  pénétrant  pas  dans  l’intestin,  ces  gaz  se  compri- 
ment et  occupent  un  volume  qui  est  en  raison  inverse  de  l’intensité  de  la  com- 
pression. Le  volume  de  l’abdomen  deviendra  quatre  fois  moindre,  si  la  pression 
est  de  quatre  atmosphères.  Alors  la  paroi  est  de  toute  part  refoulée  contre  la 
colonne  vertébrale  et  forme  ainsi  une  concavité  antérieure.  Mais  cette  paroi  n’est 
pas  inerte  ; elle  tend  à se  redresser  grâce  à sa  tonicité  et  même  à sa  contractilité 
et,  par  suite,  à diminuer  dans  l’abdomen  la  pression  qui  avait  été  équilibrée  par 
ce  refoulement  de  la  paroi  ; elle  agit  à la  façon  d’une  ventouse  monstre,  qui 
chercherait  à accumuler  dans  l’abdomen  le  sang  des  autres  organes.  Et  en  effet, 
l’anémie  générale  se  produit. 

Cette  réplétion  des  organes  abdominaux  par  le  sang  n’est  cependant  pas  l’oc- 
casion d’hémorrhagies,  excepté  peut-être  dans  la  rate. 

Voilà  pour  l’explication  des  congestions  viscérales  pendant  la 
compression.  Mais,  lors  de  la  décompression,  un  phénomène  inverse 
se  produirait  : 

C’est  au  moment  de  la  décompression  qu’arrivent  les  hémorrhagies,  au  mo- 
ment où  les  gaz  intestinaux  reprenant  leur  volume,  et  distendant  la  paroi  ab- 
dominale en  sens  inverse,  vont  faire  subir  aux  organes  du  ventre  une  pression 
positive  qui  expulsera  le  sang  emmagasiné  dans  leur  intérieur,  et  le  lancera  su- 
bitement vers  les  autres  organes,  dont  les  vaisseaux,  qui  ont  perdu  leurs 
tonus,....  ne  s’accommodent  pas  subitement  à cette  irruption  soudaine.  C’est 
alors  que  se  produisent  les  épistaxis,  les  hémoptysies,  quelquefois  des  apo- 
plexies passagères  ou  mortelles,  accompagnées,  dans  certains  cas,  d’hémiplégies 
momentanées  ou  durables,  et  enfin  ces  paraplégies  fugaces  ou  persistantes,  que 
M.  Barella  signale  chez  les  ouvriers  qui  travaillent  dans  les  puits  tubulaires,  et 
qui,  d’après  M.  Leroy  de  Méricourt,  seraient  l’une  des  causes  de  mort  les  plus 
fréquentes  chez  les  pêcheurs  d’éponges. 

Cette  explication  ne  suffit  pas,  du  reste,  à M.  Bouchard,  qui  repro- 
duit alors  les  idées  de  MM.  Rameaux  et  Bucquov  sur  les  gaz  du  sang  : 

Mais  cette  congestion  subite,  et  comme  par  contre-coup,  au  moment  où  le  sang 
reflue  de  l’abdomen  vers  les  autres  organes,  n’est  peut-être  pas  la  seule,  ni  la 
véritable  cause  de  ces  hémorrhagies,  ou  du  moins  d’un  certain  nombre  d’entre 
elles:  de  celles,  par  exemple,  qui  se  font  dans  les  cavités  incompressibles,  le  crâne 
et  le  rachis.  Une  autre  interprétation  a été  donnée,  qui  ne  manque  pas  de  vrai- 
semblance. Les  gaz  se  dissolvent  dans  les  liquides  proportionnellement  à leur 
tension  ; le  sang  d’un  homme  qui  est  resté  pendant  plusieurs  heures  sous  une 


AIR  COMPRIMÉ  : THÉORIES  ET  EXPÉRIENCES. 


505 


pression  de  quatre  atmosphères  doit  donc  renfermer  une  proportion  d’acide 
carbonique  beaucoup  plus  forte  qu’à  l’état  normal  ; et  cet  acide  carbonique  dis- 
sous reviendra  à l’état  gazeux,  dès  que  la  pression  extérieure  diminuera.  Si  la 
décompression  se  fait  lentement,  le  sang,  en  passant  par  les  poumons  , pourra 
exhaler  le  trop-piein  d’acide  carbonique,  et  aucun  accident  ne  se  manifestera  ; 
mais  si  la  décompression  est  brusque,  l’acide  carbonique  tendra  à faire  irruption 
sous  forme  gazeuse , même  dans  les  vaisseaux,  et  par  sa  brusque  expansion,  ou 
par  l’oblitération  de  petits  vaisseaux  dans  lesquels  il  ne  peut  pas  circuler,  amè- 
nera des  ruptures  et  des  extravasations.  (P.  99.) 

M.  Bouchard  applique  cette  idée  à la  formation  des  tumeurs  mus- 
culaires douloureuses,  dont  ont  parlé  les  auteurs  que  nous  avons 
précédemment  cités  : 

Ces  tumeurs  ne  sont  pas  inflammatoires, ce  ne  sont  point  des  exsudats , ni  des 
extravasations.  Elles  disparaissent  immédiatement  par  le  seul  fait  de  la  rentrée 
dans  l’air  comprimé,  et  ne  sont  jamais  suivies  de  taches  ecchymotiques.  Au  mo- 
ment où  la  tumeur  existe,  elle  ne  s’accompagne  ni  de  battements, ni  de  rougeur, 
ce  qui  ne  permet  guère  de  l’attribuer  à une  dilatation  artérielle  exagérée,  comme 
l’a  fait  M.  Foleÿ.  S’il  est  vrai  que  le  travail  musculaire  est  une  source  importante 
d’acide  carbonique,  ne  pourrait-on  pas  supposer  que  les  muscles  qui  ont  le  plus 
fontionné  sont  chargés  d’acide  carbonique  dissous  dans  le  tissu  même,  et  que, 
au  moment  de  la  décompression,  cet  acide  devient  libre  à l’état  gazeux,  pour  se 
redissoudre  par  une  compression  nouvelle?  (P.  101.) 

Il  nous  reste  enfin  à parler  d’un  auteur  qui  a écrit  postérieure- 
ment à nos  premières  recherches  personnelles;  mais  nous  le  pla- 
çons ici,  parce  qu’il  ne  paraît  pas  avoir  tenu  grand  compte  des 
expériences  que  nous  avions  déjà  publiées. 

Après  l’exposé  des  faits  qu’il  a observés,  et  dont  nous  avons 
donné  le  résumé  dans  le  chapitre  premier  (p.  415  et  suiv.),  M.  Gai1 
arrive  aux  explications  théoriques,  ou,  comme  il  dit,  à la  pathogé- 
nie des  maladies  causées  par  le  travail  dans  l’air  comprimé. 

Il  distingue  avec  sagacité  la  cause  des  maladies  à début  insidieux 
de  celle  des  accidents  brusquement  survenus.  Pour  les  premières,  il 
accepte,  dit-il,  l’explication  de  M.  Foleÿ;  mais,  du  moins,  il  a l’in- 
contestable mérite  de  l’exposer  sous  une  forme  compréhensible  : 

Nous  avons  vu  que  le  sang  du  tubisteet  du  plongeur  est  richement  hématosé, 
et  il  semble  difficile  que  l’anémie  puisse  survenir  dans  ces  conditions.  Mais  d’un 
autre  côté,  nous  avons  vu  que  les  sensations  perçues  par  les  organes  des  sens 
sont  beaucoup  moins  nettes  dans  l’air  comprimé  ; il  suit  de  là  que  la  moelle  et 
l’encéphale  recevant  moins  d’incitations,  produiront  moins  de  force  nerveuse,  et 
l’influence  du  grand  sympathique  sur  la  nutrition  des  tissus  sera  plus  faible  qu’à 
l’état  normal. 

Tant  que  l’ouvrier  n’aura  pas  épuisé  sa  réserve  d’influx  nerveux,  il  ne  souffrira 

1 Loc.  cit.  — Des  dangers , etc.;  1872. 


506 


HISTORIQUE. 


pas  ; l’augmentation  de  son  appétit  fournira  au  sang  les  matériaux  dont  il  a besoin 
pour  brûler  son  oxygène  ; mais  le  jour  où  il  aura  épuisé  sa  réserve,  la  produc- 
tion restant  en  dessous  de  la  dépense,  les  fonctions  du  grand  sympathique  ne 
se  feront  plus  que  d’une  façon  imparfaite,  et  le  sujet  languira  fatalement.  C’est 
alors  qu’il  sera  le  plus  exposé  aux  autres  maladies  à début  brusque  et  d’une 
gravité  immédiate. 

Quant  aux  autres  maladies,  elles  sont  toutes  « dues  à la  conges- 
tion ».  Là-dessus,  dit  M.  Gai,  tout  le  monde  est  d’accord  ; mais  il  en 
est  autrement  quand  il  s’agit  d’expliquer  leur  mode  de  production. 

Sur  ce  point,  il  se  montre  fort  éclectique.  Il  considère  comme 
« possible  »,  après  mes  expériences,  l’opinion  qui  attribue  des 
accidents  à un  dégagement  gazeux  dans  le  sang.  Mais  il  penche 
davanlage  pour  l’explication  de  M.  Foleÿ  sur 

La  réaction  trop  vive , occasionnée,  soit  par  une  décompression  trop  brusque, 
soit  par  un  manque  de  réaction  dans  les  points  où  elle  se  fait  d'ordinaire,  et 
où  elle  est  inoffensive,  la  peau  surtout.  (P.  CO.) 

On  avouera  que  cela  n’est  rien  moins  que  net.  Un  peu  plus  loin, 
il  ajoute  : 

Pour  les  plongeurs  morts  subilement , l’opinion  de  M.  Bucquoy  et  de  M.  Le 
Roy  de  Mericourt  (c’est  l’effervescence  gazeuse  dont  il  s’agit)  a de  grandes  chances 
d’être  vraie. 

Quant  aux  autres  plongeurs,  morts  plus  ou  moins  longtemps  après  l’accident, 
ils  avaient  tous  des  paraplégies.  Chez  tous  la  lésion  de  la  moelle  était  survenue 
brusquement,  ce  qu'on  ne  peut  rattacher  qu’à  une  congestion,  une  hémorrhagie 
dans  la  substance  de  la  moelle  ou  une  compression  par  hémorrhagie  dans  le 
canal  vertébral. 

Les  cas  de  guérison  rapide  observés  et  la  constance  de  la  paraplégie  double 
me  font  pencher  pour  la  congestion  dans  la  majorité  des  cas  ; mais  rien  ne  prouve 
que  la  tension  gazeuse  n’ait  pas  amené  quelquefois  des  hémorrhagies. 

Enfin,  dans  le  cas  que  nous  avons  observé,  où  la  paralysie  a débuté  plus  de  24 
heures  après  la  dernière  descente,  nous  ne  pouvons  voir  qu’un  fait  assez  anormal 
chez  les  plongeurs,  une  congestion  passive  dans  laquelle  l’influence  des  gaz  du 
sang  ne  saurait  être  admise. 

Nous  avons  insisté  sur  les  congestions  graves  ; tout  ce  que  nous  en  avons  dit 
peut,  avec  des  degrés  de  gravité  différents,  s’appliquer  à toutes  les  maladies  des 
plongeurs.  L’afflux  du  sang  et  peut-être  l’influence  des  gaz  qu’il  contient  se  fait  en 
des  points  différents,  et  la  gravité  de  l’affection  dépend  de  l’importance  de  l’organe. 
Les  puces,  les  douleurs  musculaires,  arthritiques,  les  hémoptysies  ou  les  hémor- 
rhagies nasales,  les  otites,  les  congestions  viscérales  sont  toujours  le  résultat 
d’une  même  cause:  réaction  sanguine  trop  violente  ou  mal  dirigée,  soit  que  cette 
réaction  soit  due,  comme  le  veut  Foleÿ,  à l’influence  nerveuse  qui  renaît  pendant 
la  décompression,  soit  qu’il  faille  faire  intervenir  l’action  des  gaz  dissous  dans 
le  sang.  (P.  60.) 

Au  point  de  vue  pratique  et  prophylactique,  M.  Gai  tire,  avec 


AIR  COMPRIME  : THEORIES  ET  EXPERIENCES. 


507 


tous  les  auteurs  qui  l'ont  précédé  (sauf  M.  Foleÿ),  cette  conclusion 
qu’il  faut  décomprimer  lentement;  il  recommande  aussi  de  rester 
d’autant  moins  longtemps  sous  l’eau  qu’on  a atteint  de  plus  grandes 
profondeurs.  Voici,  du  reste,  comment  les  choses  se  passaient  sous 
sa  direction  : 

Jusqu’à  25  mètres,  même  par  des  fonds  uniformes,  la  durée  du  travail  sous 
l’eau  était  d’une  heure  et  demie.  De  25  à 50  mètres,  la  durée  était  réduite  à 
une  heure.  De  50  à 55  mètres,  une  demi-heure  seulement.  Au  dessus  de  55  mè- 
tres et  au-dessous  de  40,  les  plongeurs  ne  restaient  plus  qu’un  quart  d’heure 
au  fond. 

Nos  pêcheurs  n’ont  pas  dépassé  55  mètres.  Les  Grecs , plus  audacieux  , sont 
allés,  en  1867,  jusqu’à  54  mètres. 

En  même  temps  que  la  durée  du  travail  diminuait , le  temps  employé  à la 
décompression  augmentait.  On  avait  d’abord  posé  comme  règle  une  demi-minute 
par  mètre;  mais  jamais  les  pêcheurs  n’ont  voulu  s’y  soumettre.  Ils  montaient 
environ  4 mètres  par  minute.  (P.  72.) 


CHAPITRE  IV 


RÉSUMÉ  ET  CRITIQUES. 


Je  vais  maintenant  résumer,  comme  je  l’ai  fait  pour  la  diminu- 
tion de  pression,  d’abord  les  symptômes  physiologiques  qu’amène 
l’emploi  de  l’air  comprimé  et  les  accidents  plus  ou  moins  graves 
qui  l’ont  souvent  suivi,  puis  les  théories  que  les  auteurs  ont  mises 
en  avant  pour  expliquer  tous  ces  phénomènes. 

g 1er.  — Action  physiologique  de  l’air  comprimé. 

11  résulte  de  la  manière  la  plus  nette  des  faits  exposés  dans  le 
chapitre  Ier  que  les  phénomènes  qui  doivent  être  rapportés  ici  se  di- 
visent en  deux  catégories  bien  différentes  par  leur  origine,  et  que 
nous  devons, sous  peine  de  tout  confondre,  séparer  dans  l’exposi- 
tion,  bien  que  la  distinction  n’en  ait  pas  toujours  été  faite  par  les 
auteurs.  Les  uns,  en  effet,  se  manifestent  pendant  la  compression 
même,  et  sont  la  conséquence  du  séjour  dans  l’air  condensé  ; les 
autres  ne  surviennent  qu’au  moment  du  retour  à la  pression  nor- 
male; ils  sont  le  résultat  de  la  décompression,  et  leur  intensité  est 
d’autant  plus  grande  que  celle-ci  a été  plus  rapide,  et  que  la  com- 
pression était  plus  considérable.  Cette  distinction  qui  a été,  pour  la 
première  fois,  indiquée  d’une  manière  encore  assez  confuse  par  Pol 
et  Watelle,  doit  dominer  notre  résumé. 


500 


AIR  COMPRIMÉ  : RÉSUMÉ  ET  CRITIQUES. 


A.  — PHÉNOMÈNES  DUS  A LA  COMPRESSION. 

Douleurs  d'oreilles.  — Les  douleurs  d’oreilles  ont  été  signalées, 
pendant  l’acte  de  la  compression  comme  pendant  celui  delà  décom- 
pression, par  tous  les  observateurs.  Tous  en  ont  aussi  donné  l’expli- 
cation exacte;  ils  ont  montré  comment  la  trompe  d’Eustache,  obs- 
truée par  des  causes  diverses,  ne  laissant  pas  pénétrer  l’air  comprimé 
dans  la  caisse,  la  membrane  tvmpanique  refoulée,  distendue , 
cause  des  douleurs  qui  peuvent  être  intolérables.  Elle  se  rompt 
même  parfois,  comme  il  est  arrivé  à M.  Cézanne,  au  pont  de  Sgede- 
zin.  Des  .accidents  semblables,  mais  moins  intenses,  signalent  la  dé- 
compression. On  les  fait  cesser  en  débouchant  la  trompe,  soit  par 
desmouvemenls  de  déglutition,  soit,  ce  qui  est  plus  sûr,  en  expirant 
fortement,  la  bouche  et  le  nez  fermés. 

Ces  manœuvres  répétées  ont  pour  conséquence  de  rétablir  la 
perméabilité  de  la  trompe,  dont  l’oblitération  est  une  cause  fré- 
quente de  surdité  ; de  là,  sans  doute,  l’amélioration  souvent  obser- 
vée de  cette  infirmité,  et  l’efficacité  du  traitement  institué  par  Pra- 
vaz.  Mais  la  question  se  complique  de  l’action  directe  de  l’air  com- 
primé sur  les  muqueuses,  dont  je  parlerai  tout  à l’heure. 

Voix.  — La  voix  est  altérée  dans  l’àir  comprimé  : on  parle  du 
nez,  dit  Triger  ; elle  hausse  de  ton,  et  Vivenot  a fait  sur  ce  point 
l’observation  précise  d’une  cantatrice  qui  gagnait  un  demi-ton  dans 
l'appareil.  L’acte  de  siftler  devient  impossible  à partir  de  5 atmo- 
sphères, comme  l’avait  déjà  vu  Triger;  il  faut  même,  selon  Pot  et 
Wa telle-,  un  certain  effort  pour  parler.  Tout  cela  est  bien  évidem- 
ment dû  à la  densité  plus  grande  de  l’air. 

Respiration.  — Il  est  établi  de  la  manière  la  plus  nette  que,  pen- 
dant le  séjour  dans  l’air  comprimé,  la  capacité  respiratoire  maxi- 
mum augmente  notablement.  Le  diaphragme  et  la  base  du  poumon 
s’abaissent;  la  respiration  s’opère  ainsi  dans  un  certain  état  constant 
de  gonflement  du  thorax.  De  là  sans  doute  une  des  causes  d’amélio- 
ration pour  les  asthmatiques,  chez  qui  l’expansion  pulmonaire  se 
fait  alors  plus  largement.  Cette  modification,  qui  s’accentue  à cha- 
cun des  premiers  bains,  persiste  pendant  plus  ou  moins  longtemps 
après  le  retour  à l’air  libre. 

La  fréquence  des  mouvements  respiratoires  diminue  notablement  ; 
tout  le  monde  est  d’accord  là-dessus;  leur  amplitude  augmente  en 
sens  inverse.  Mais,  en  définitive,  il  passe  à travers  le  poumon,  en 


510 


HISTORIQUE. 


un  temps  donné,  un  moindre  volume  d’air  sous  pression  que  dans 
l’air  ordinaire.  Cela,  du  moins,  semble  résulter  des  chiffres  de  Vi- 
venot  et  de  Panum  ; mais  il  faut  dire  qu’aucune  expérience  directe 
n’a  été  faite,  et  que  ces  conclusions  ont  été  tirées  de  calculs  où  l’on 
a dû  tenir  compte  de  l’amplitude  d’une  ou  plusieurs  respirations 
et  du  nombre  des  mouvements  respiratoires  à la  minute  : calculs 
complexes  et  semés  de  causes  d’erreurs  d’ordre  physiologique. 

Quant  au  rhythme  lui-même,  Vivenot  et  Panum  sont  en  contra- 
diction complète  dans  leurs  assertions  ; mais  le  point  est  du  reste 
de  peu  d’importance. 

Circulation.  — La  diminution  des  battements  du  cœur  est  aussi 
un  fait  d’observalion  générale;  seul,  M.  Bucquoy  (p.  591)  a avancé 
une  assertion  contraire.  Dans  l’air  fortement  comprimé,  Pol  et 
Watelle  ont  vu  tomber  les  pulsations  de  80  à 50;  le  changement 
est  surtout  très-considérable  lorsqu’il  y avait  une  accélération  anor- 
male. Au  retour  à la  pression  ordinaire,  la  fréquence  habituelle 
reparaît. 

Le  pouls  subit  d’autres  modifications  encore,  sur  lesquelles  les 
tracés  de  Vivenot  nous  renseignent  clairement  (fig.  10-13,  p.  442, 
445)  ; son  amplitude  est  très-diminuée,  et  il  porte  tous  les  carac- 
tères de  la  tension  artérielle  exagérée. 

Aucune  expérience  directe  n’a  été  faite  pour  mesurer  sur  des 
animaux  les  changements  dans  la  pression  du  cœur  et  dans  la  ra- 
pidité du  cours  du  sang. 

La  circulation  capillaire  est  évidemment  trés-modifiée.  La  peau 
et  les  muqueuses  pâlissent,  surtout  lorsqu’elles  étaient  le  siège  de 
congestion  ou  d'inflammation  ; les  observations  des  médecins  sont, 
sur  ce  fait  capital  en  thérapeutique,  plus  probantes  que  les  expé- 
riences faites  par  Vivenot  sur  les  oreilles  des  lapins  blancs. 

La  couleur  du  sang  présente,  et  cela  a surtout  été  observé  chez 
les  ouvriers  des  tubes,  une  rutilance  extraordinaire.  Le  sang  vei- 
neux de  la  saignée  du  bras,  comme  l’ont  remarqué  les  premiers 
Pol  et  Watelle  (p.  584),  a l’aspect  artériel,  indice  certain  de  la  plus 
grande  proportion  d’oxygène  qu’il  contient  : celle  rougeur  du  sang 
persiste,  selon  ces  auteurs,  pendant  un  temps  assez  long. 

Sécrétions.  — La  seule  remarque  importante  qui  ait  été  faite  porte 
sur  l’augmentalion  de  la  sécrétion  urinaire;  mais  aucune  mesure 
exacte  n’a  été  prise,  et  on  n’a  fait  aucune  analyse  de  l’urine* 

Quelques  observateurs  ont  parlé  de  la  sécheresse  de  la  peau,  mais 
ce  point  est  difficilement  susceptible  d’appréciations  exactes* 


AIR  COMPRIMÉ  : RÉSUMÉ  ET  CRITIQUES.  511 

Nutrition.  — Les  variations  du  poids  du  corps  ont  été  estimées 
fort  différemment  par  les  divers  (auteurs.  Les  médecins  des  ouvriers 
tubistes  et  des  plongeurs  déclarent  qu’il  y a amaigrissement  ; ceux 
qui  ont  employé  l’air  comprimé  dans  un  but  thérapeutique  con- 
cluent à l’engraissement.  Outre  qu’il  peut  y avoir  une  grande  diffé- 
rence à ce  point  de  vue  entre  l’action  d’une  pression  de  5 atmo- 
sphères et  celle  d’une  pression  de  quelques  centimètres  de  mer- 
cure, on  lie  peut  guère  comparer  les  ouvriers  tubistes,  gens  que 
leur  dur  travail  épuise,  qui  cherchent  dans  les  alcooliques  un  se- 
cours périlleux,  et  qui  se  nourrissent  fort  insuffisamment  en  géné- 
ral, avec  les  expérimentateurs  placés  dans  d’excellentes  conditions 
hygiéniques  et  pouvant  satisfaire  largement  au  surcroît  d’appétit 
que  paraît  amener  le  séjour  dans  les  cloches.  De  ce  chef  donc,  il 
ne  paraît  guère  possible  d’arriver  à une  conclusion  quelconque. 

Les  observations  de  Vivenot.sur  une  augmentation  de  la  tempéra- 
ture du  corps,  allant  de  0°,1  à 0°,4,  ne  me  paraissent  en  aucune  fa- 
çon convaincantes. 

Quant  à la  production  d’acide  carbonique  dans  un  temps  donné, 
nous  en  parlerons  dans  le  prochain  paragraphe. 

Innervation.  — 11  est  très-difficile  d’y  voir  clair  parmi  les  récits 
des  auteurs,  pour  ce  qui  a rapport  aux  fonctions  sensorielles.  L’o- 
dorat et  le  goût  sont  impressionnés  désagréablement  dans  les  tuhes 
par  les  impuretés  de  l’air,  et  l’oreille  est  rendue  malade  par  la  dis- 
tension de  la  membrane  du  tympan. 

Ils  ne  sont  pas*  plus  d’accord  pour  les  fondions  intellectuelles. 
Colladon  (p.  575)  accuse  une  excitabilité  qui  ressemble  à l’ivresse; 
M.  Junod  (p.  452)  affirme  que  « les  fonctions  de  l’encéphale  sont 
activées  » ; M.  Foleÿ,  en  sortant  des  tubes,  il  est  vrai,  était  atteint 
d’une  surexcitation  cérébrale  qui  le  faisait  « se  surprendre  en 
flagrant  délit  de  bavardage,  en  dépit  de  tous  ses  efforts.  » J.  Lange 
(p.  496)  prétend  que  constamment,  dans  l’appareil  même,  « on 
éprouve  une  élasticité  et  une  fraîcheur  d’esprit  qui  n’existait  pas 
auparavant  ».  En  sens  inverse,  le  Dr  François  dit  qu’on  ressent 
surtout  au  début  une  certaine  somnolence,  et  suivant  G.  Lange,  le 
seul  phénomène  qu’on  puisse  constater  est  « un  sentiment  de  calme 
auquel  succède  généralement  une  tendance  au  sommeil.  » 


512 


HISTORIQUE. 


B.  — PHÉNOMÈNES  DUS  A I.A  DÉCOMPRESSION. 

Leur  intensité  dépend,  comme  nous  l’avons  dit,  de  deux  facteurs 
auquels  elle  est  proportionnelle  : le  degré  de  la  pression  atteinte,  la 
rapidité  de  la  décompression. 

Jusqu’à  2 atmosphères,  il  ne  parait  se  manifester  aucun  accident 
chez  les  ouvriers.  Au-dessus,  apparaissent  de  plus  en  plus  fré- 
quemment des  démangeaisons  cutanées,  des  puces,  qui  finissent 
par  occasionner  des  douleurs  extrêmement  vives;  elles  sont  beau- 
coup plus  communes  chez  les  ouvriers  tubistes  que  chez  les  plon- 
geurs. Puis  surviennent  des  gontlemenls  douloureux  des  muscles, 
particulièrement,  selon  la  juste  remarque  de  M.  Foleÿ,  de  ceux  qui 
ont  le  plus  travaillé  pendant  le  séjour  dans  l’air  comprimé;  en 
môme  temps,  des  douleurs  périarticulaires.  Ce  n’est  qu’au-dessus 
de  5 alm.  qu’arrivent  les  accidents  vraiment  graves  : troubles  sen- 
soriaux,  cécité,  surdité,  troubles  de  la  locomotion  et  de  la  sensi- 
bilité générale,  surtout  paralysie  des  membres  inférieurs,  de  la  ves- 
sie, du  rectum,  et  bien  plus  rarement  des  membres  thoraci- 
ques; troubles  cérébraux,  perle  de  connaissance;  enfin,  mort 
subite. 

Ces  accidents  ne  se  manifestent  que  quelques  minutes  et  parfois 
quelques  heures  après  la  sortie  des  caissons  ou  des  scaphandres; 
dans  un  cas  observé  par  M.  Gai,  la  paraplégie  n’a  débuté  que  vingt- 
quatre  heures  après  la  décompression  opérée.  La  duree  de  celle-ci 
est  du  reste  très- variable;  chez  les  plongeurs,  elle  se  fait  avec  une 
rapidité  que  les  bons  conseils  de  M.  Denayrouze  n’ont  pu  modérer  ; 
pour  les  tubistes,  elle  a été  au  maximum  de  trois  ou  quatre  mi- 
nutes par  atmosphère. 

Les  troubles  légers,  douleurs  cutanées,  musculaires,  articulaires, 
disparaissent  toujours  dans  un  temps  assez  court.  Il  en  est  ainsi  sou- 
vent des  accidents  plus  graves,  et  môme  de  la  perte  de  connaissance. 
Mais  trop  fréquemment  les  paralysies  des  membres  inférieurs  sont 
persistantes,  et  nous  avons  rapporté  des  observations  nombreuses 
qui  font  un  lamentable  tableau  de  ces  malheureux  dont  presque 
toujours  la  mort  vient,  au  bout  d’un  temps  variable,  terminer  les 
souffrances.  Dans  aucun  des  faits  que  nous  avons  rapportés  une 
paraplégie  ayant  duré  plus  de  deux  jours  n’a  été  complètement 
guérie. 

L’inégalité  entre  les  divers  individus  au  point  de  vue  des  effets 


513 


AIR  COMPRIMÉ  : RÉSUMÉ  ET  CRITIQUES. 

de  la  décompression  est  une  des  circonstances  les  plus  singulières 
que  nous  ait  révélées  cette  étude.  Nous  avons  vu,  par  maints 
exemples,  que,  de  plusieurs  personnes  soumises  à la  même  pression 
et  décomprimées  en  même  temps,  les  unes  restaient  absolument 
indemnes,  d’autres  n’avaient  que  de  légers  accidents,  tandis  qu’une 
d’entre  elles  pouvait  être  frappée  d’une  manière  redoutable.  Il  en 
arrive  aulanl,  dira-t-on,  dans  bien  d’autres  circonstances,  et  une 
simple  sortie  de  bal  donne  de  semblables  inégalités.  Mais  ce  qui 
fait  la  singularité  du  cas  présent,  c’est  qu’on  a invoqué,  pour  expli- 
quer ces  accidents,  et  avec  raison,  nous  le  démontrerons,  une  cause 
purement  physique,  et  que  la  physique  devrait  être  égale  pour  tous. 
Mais  l’inégalité  n’existe  pas  seulement  entre  divers  individus  ; elle 
existe  chez  la  même  personne,  suivant  des  circonstances  mal  dé- 
terminées. Il  n’est  pas  rare  de  voir  un  ouvrier,  épargné  jusque-là, 
être  frappé  en  quittant  une  pression  identique,  parfois  même  infé- 
rieure à celles  dont  il  avait  déjà  impunément  supporté  la  suppres- 
sion. On  a souvent  invoqué,  pour  expliquer  ces  faits,  l’excuse  banale 
et  facile  d’excès  alcooliques  ou  autres  ; mais  parfois  cette  explication, 
qui  n’en  est  pas  une  au  point  de  vue  physique,  faisait  complète- 
ment défaut.  La  seule  circonstance  sur  laquelle  les  observateurs 
soient  d’accord,  c’est  la  durée  du  séjour  dans  l’air  comprimé;  plus 
celui-ci  est  long,  plus  à craindre  seront. les  accidents,  si  bien  que 
certains  auteurs  en  sont  arrivés  à conclure  qu’il  faudrait  multiplier 
les  poses,  c’est-à-dire  les  intervalles  de  travail  dans  les  tubes,  sans 
faire  attention  qu’on  multiplierait  ainsi  les  décompressions,  occa- 
sions d’accidents. 

Le  précepte  de  décomprimer  lentement  a été,  en  dehors  de  toute 
idée  théorique,  accepté  par  tous  les  auteurs  et  proclamé  par  les 
ouvriers  eux-mêmes,  bien  que,  dans  la  pratique,  le  froid  intense 
qui  accompagne  la  décompression  pousse  ceux-ci  à se  hâter.  M.  Foleÿ 
seul  n’y  paraît  attacher  aucune  importance,  et  encourage  au  con- 
traire à la  décompression  rapide  (p.  595). 

g 2.  — Explications  théoriques. 

Nous  avons  ici  encore  à séparer  les  symptômes  observés  pendant 
le  séjour  dans  l’air  comprimé  d’avec  les  accidents  de  la  décompres- 
sion. 


514 


HISTORIQUE. 


À.  — PHÉNOMÈNES  DUS  A LA  COMPRESSION . 


Il  ne  pouvait,  bien  entendu,  être  question  ici  de  chercher  ailleurs 
que  dans  l’air  comprimé  la  cause  des  symptômes  présentés  par  les 
expérimentateurs  ou  les  ouvriers;  les  bizarres  hypothèses  dont 
nous  avons  eu  à nous  occuper  à propos  du  mal  des  montagnes  ne 
pouvaient  être  imaginées  ici.  Mais  cette  action  de  l’air  comprimé 
a été  considérée  par  les  uns  au  point  de  vue  physico-mécanique, 
par  d’autres  au  point  de  vue  purement  chimique.  Je  ne  rappelle 
que  pour  mémoire  la  prétendue  explication  fournie  par  Brizé-Fra- 
din  (p.  462),  qui  met  en  avant  « la  force  vitale  » et  ceci  fait,  s’en 
rapporte  à elle  pour  k changer  les  lois  générales  » et  tout  arranger 


à souhait. 

Explications  physico-mécaniques . — Laissons  de  côté,  comme  ne 
méritant  vraiment  pas  d’être  relevée,  l’idée  que  l’air  comprimé  à 
plusieurs  atmosphères  embarrasserait  les  mouvement  de  la  loco- 
motion, et,  comme  trop  évidente,  l’action  de  Pair  comprimé  sur  la 
membrane  du  tympan,  dont  nous  avons  déjà  parlé.  Nous  nous  trou- 
vons d’abord  en  face  de  l’explication  que  nous  avons  eue  à combat- 
tre, en  parlant  de  la  dépression,  je  veux  dire  de  la  différence  du 
poids  supporté  par  le  corps. 

Nous  avons  reproduit  les  calculs  que  Guérard  a pris  la  peine  d’é- 
tablir pour  montrer  à quel  écrasement  serait  exposé  un  homme 
qui  travaille  sous  plusieurs  atmosphères  de  pression.  Ainsi  les 
ouvriers  du  pont  de  Kehl  auraient  eu  à supporter  54,000  kilogr. 
de  charge  supplémentaire.  En  vérité,  si,  comme  nous  l’avons  déjà 
montré  (p.  556),  la  physique  élémentaire  ne  faisait  justice  de 
ces  idées,  au  nom  de  l’incompressibilité  des  liquides  et  des  solides, 
ces  chiffres  seuls  auraient  dû  avertir  les  auteurs  de  l’énormité 
qu’ils  commettaient.  Cependant,  presque  tous  ont  accepté  cette  ex- 
plication; M.  Foleÿ  l’exprime  d’une  manière  saisissante  ; « Dès 
qu’on  entre  dans  les  tubes,  dit-il,  on  est  aplati  (p.  482).  » 

Presque  tous  les  auteurs,  je  le  répète,  même  les  plus  sagaces  et 
les  plus  autorisés,  même  Pravaz,  Bucquoy,  Yivenot,  etc.,  croient  à 
l’action  directe  et  mécanique  de  la  pression.  Qu’est-ce  qui  a pu 
induire  dans  une  telle  erreur  d’aussi  bons  esprits?  Une  observation 
très-juste,  et  faite  par  tous  les  observateurs  : la  pâleur  de  la  peau 
et  des  muqueuses  chez  les  ouvriers  ou  les  expérimentateurs,  et  sur- 
tout, chez  les  malades,  lorsqu’il  s’agissait  d’une  muqueuse  enllam- 


AIR  COMPRIMÉ  : RÉSUMÉ  ET  CRITIQUES.  515 

mée.  Dans  l'air  raréfié,  nous  l’avons  vu,  les  veines  et  les  capil- 
laires superficiels  se  remplissent,  comme  si  le  sang  était  appelé  à 
la  périphérie;  dans  l’air  comprimé,  ces  vaisseaux  se  vident,  comme 
si  le  sang  était  refoulé  vers  les  profondeurs.  De  là,  dans  le  premier 
cas,  la  théorie  de  la  ventouse  générale  ; dans  le  second,  celle  de 
l’écrasement  : « l’air  comprimé,  dit  encore  M.  Foleÿ,  qui  revient  fré- 
quemment sur  cette  idée  avec  une  énergie  singulière,  aplatit  notre 
muqueuse  aérienne  dans  sa  totalité  » (p.  595). 

Les  autres  auteurs  sont  généralement  plus  prudents  ; ils  se  sen- 
tent embarrassés  par  la  physique  qui  proteste  contre  leur  doctrine. 
Rien  de  plus  curieux  que  les  efforts  de  M.  Bucquoy  pour  échapper  à 
cette  contradiction  ; mais  sa  théorie  de  la  pression  progressivement 
décroissante,  à mesure  qu’on  va  de  la  peau  aux  tissus  profonds, 
n’est  pas  soulenable  (p.  477).  Je  signale  aussi  les  idées  de  M.  Junod, 
de  G.  Lange,  de  M.  Leroy  de  Méricourt,  sur  le  prétendu  refoule- 
ment du  sang  dans  le  cerveau,  dû  à ce  que  celui-ci,  protégé  par 
la  boîte  crânienne,  ne  pourrait  être  comprimé  directement  comme 
le  reste  du  corps;  ces  auteurs  ont  oublié  que  la  pression  se  trans- 
met instantanément  à la  moelle  épinière  et  au  cerveau  par  d’autres 
voies  que  les  vaisseaux  sanguins,  en  sorte  qu’il  y a dans  cet  organe 
comme  ailleurs  égalité  de  pression,  et  que  la  circulation  du  sang 
n’y  peut  être  nullement  modifiée. 

Mais  si  l’on  peut  comprendre  que  la  complexité  des  conditions 
présentées  par  le  corps  humain,  considéré  dans  son  ensemble,  ait 
entraîné  des  esprits  distingués  à des  erreurs  physiques  aussi  éton- 
nantes, on  ne  peut  guère  s’expliquer  comment,  lorsque  la  question 
a été  réduite  à ses  termes  les  plus  simples,  ils  n’aient  pas,  du  pre- 
mier coup,  reconnu  quelle  faute  ils  commettaient.  Et  cependant, 
nous  avons  vu  Yivenot,  dans  le  but  d’expliquer  les  modifications 
que  le  séjour  dans  l’air  comprimé  apporte  dans  la  forme  du  pouls, 
instituer  l’étrange  expérience  plus  haut  rapportée  (p.  495),  et  pré- 
tendre qu’une  pression  d’un  tiers  d’atmosphère  suffit  pour  modifier 
. le  volume  et  la  réaction  élastique  d’une  poire  de  caoutchouc  rem- 
plie d’eau. 

J’ai  eu  la  curiosité  de  répéter  cette  expérience,  non  pour  m’édi- 
fier à son  sujet,  mais  pour  savoir  ce  qui  avait  pu  faire  obtenir  à 
Vivenot  des  tracés  graphiques  différents  dans  l’air  normal  et  dans 
l’air  comprimé;  il  est  résulté  de  mes  tentatives  que  très-vraisem- 
blablement Vivenot  n’avait  pas  bien  fermé  son  appareil,  et  que,  en 
outre,  il  y avait  laissé  de  l’air.  On  comprend  qu’il  soit  absolument 


HISTORIQUE. 


516 

inutile  d’insister  sur  des  conclusions  « ganz  unphysikalisch  », 
comme  dit  très-justement  Panum.  Le  plus  curieux  de  l’affaire, 
c’est  que  cette  expérience,  si  étrangement  conçue  et  si  malheureuse- 
ment conduite,  a été  acceptée  et  prônée  des  deux  côtés  du  Rhin. 
Vivenot  a fait  une  expérience  ! dit-on.  Et  cela  suffît  à beaucoup  de 
gens;  car  il  existe  toute  une  école  médicale  dont  les  sectateurs 
n’ont,  bien  entendu,  jamais  hanté  les  laboratoires,  mais  pour  qui 
le  mot  « expérience  » lient  lieu  de  tout,  comme  le  « tarte  à la 
crème  » de  la  comédie. 

Pravaz  n’a  pas  manqué  d’appliquer  à la  compression  la  théorie 
que  nous  avons  déjà  citée  plus  haut  (p.  560),  à propos  de  la  décom- 
pression. Selon  lui,  le  sang  est  appelé  avec  plus  d’énergie  dans  les 
organes  profonds  lors  de  l’inspiration  dans  Pair  comprimé,  parce 
que  la  pression  extérieure  agit  plus  énergiquement  sur  le  système 
veineux.  Mais,  comme  nous  l’avons  dit  déjà,  il  faudrait  démontrer 
que  dans  l’air  comprimé  la  pression  négative  intra-thoracique 
est  plus  forte  qu’à  une  atmosphère.  Les  conclusions  de  Vivenot 
l’affirment,  il  est  vrai,  mais  j’en  ai  cherché  vainement  la  preuve 
dans  son  livre. 

Je  citerai  enfin  l’intéressante  théorie  développée  par  M.  Bou- 
chard (p.  505).  Selon  lui,  la  paroi  abdominale,  refoulée  par  la 
pression  à cause  de  la  diminution  de  volume  des  gaz  intestinaux, 
tendrait  à se  redresser  par  son  élasticité,  et  exercerait  ainsi  sur  les 
organes  abdominaux  une  sorte  de  succion,  qui  aurait  pour  consé- 
quence d’y  emmagasiner  le  sang  : d’où  les  congestions  viscérales 
et  l’anémie  générale.  Je  ne  saurais,  quant  à moi,  accepter  cette 
idée  originale;  il  n’y  a pas  que  la  paroi  abdominale  qui  soit  portée 
en  dedans;  le  diaphragme  est  dans  le  même  cas,  et  nous  avons  vu 
que  le  diamètre  vertical  de  la  poitrine  s’agrandit.  Or  il  me  semble 
impossible  d’admettre' que  ces  membranes  musculaires  présentent 
une  élasticité  suffisante  pour  se  roidir  contre  la  compression  et 
opérer  ainsi  ventouse  : elles  doivent,  au  contraire,  le  diaphragme 
surtout,  lui  céder  fort  docilement. 

Il  n’en  est  pas  moins  vrai  que,  pour  des  raisons  quelconques,  le 
sang  paraît  refoulé  de  la  périphérie  vers  les  organes  profondément 
situés;  de  là  des  modifications  importantes  dans  la  circulation  et  la 
nutrition  des  diverses  parlies  du  corps,  modifications  dont  on  sent 
que  la  thérapeutique  a pu  tirer  grand  profit,  dont  on  comprend 
que  la  santé  peut,  lorsqu’elles  persistent  trop  longtemps,  avoir  à 
souffrir. 


AIR  COMPRIMÉ  : RÉSUMÉ  ET  CRITIQUES. 


517 


Les  variations  dans  l’amplitude  et  le  rhythme  respiratoire  ont 
aussi  été  expliquées  par  l’action  mécanique  de  l’air  comprimé. 

Les  uns,  comme  Pravaz,  ont  considéré  que  l’air  comprimé  favo- 
rise l’expansion  pulmonaire,  en  combattant  plus  énergiquement  la 
réaction  élastique  des  tissus.  C’est  la  réciproque  de  la  théorie  expo- 
sée à propos  de  la  décompression,  et  dont  nous  avons  montré 
l’inexactitude,  ou  du  moins  l’extrême  exagération. 

D’autres,  avec  bien  plus  de  raison,  ont  fait  intervenir  les  gaz 
intestinaux.  C’est  en  effet  la  seule  partie  de  l’organisme  sur  laquelle 
puisse  directement  agir  la  pression  de  Pair.  Si,  dans  la  phase  de 
raréfaction,  leur  volume  ne  peut  augmenter,  comme  nous  l’avons 
vu,  à cause  des  deux  orifices  qui  laissent  avec  tant  de  facilité 
échapper  un  trop-plein,  il  peut  et  doit  évidemment  diminuer  sui- 
vant la  loi  de  Mariotte,  et  de  façon  indéünie,  lorsque  Pair  extérieur 
devient  plus  dense.  Ainsi  fait-il,  en  réalité;  des  ouvriers  tubistes, 
que  j’ai  interrogés,  m’ont  avoué  qu’ils  étaient  obligés,  une  fois 
dans  les  tubes,  de  resserrer  la  boucle  de  leur  pantalon,  à cause  de 
la  rétraction  du  ventre. 

* Ce  fait  établi,  je  ne  saurais  admettre  la  conséquence  qu’en  tire 
Pravaz  (p.  466),  à savoir  que  l’élasticité  augmentée  de  ces  gaz  gêne 
l’action  du  diaphragme,  diminue  la  dilatation  thoracique  dans 
le  sens  vertical,  mais  augmente  l’expansion  de  la  poitrine  dans 
les  deux  autres  directions.  Outre  que  cette  hypothèse  ne  paraît 
guère  soutenable,  les  mesures  obtenues  directement  par  Yivenot 
au  moyen  de  la  percussion  et  de  l’auscultation  montrent  que, 
dans  Pair  comprimé,  le  poumon  descend  plus  bas  qu’à  l’état 
normal. 

Panum  a fait,  pour  mettre  en  lumière  le  mécanisme  de  l’agran- 
dissement de  la  cavité  thoracique,  une  expérience  que  nous  avons 
rapportée  plus  haut  (p.  499).  Elle  n’a  qu’un  défaut,  c’est  qu’il  était 
inutile  de  la  faire  ; bien  certainement,  ôtant  donné  un  tube  fermé  à 
ses  extrémités  par  deux  membranes  d’inégale  épaisseur,  rempli 
d’eau  et  contenant  en  outre  une  vessie  pleine  d’air,  on  verra,  si 
l’on  porte  cet  appareil  sous  pression,  la  vessie  se  réduire  en  volume 
et  les  deux  membranes  s’enfoncer  dans  le  tube  en  proportion  inverse 
de  leur  épaisseur.  Il  doit  bien  évidemment  se  passer  quelque  chose 
d’analogue  dans  l’abdomen,  entre  les  gaz  du  tube  intestinal  d’une 
part,  le  diaphragme  et  les  parois  ventrales  de  l’autre.  Tout  l’in- 
térêt de  la  question  est  de  savoir  dans  quelles  proportions  ces  derniers 
organes  tendent  à envahir  de  dehors  en  dedans  l’espace  qu’occu- 


518 


HISTORIQUE. 


paient  les  gaz  intestinaux  diminués  de  volume.  Or  l’expérience  de 
Panum  ne  dit  rien  là-dessus. 

Explications  chimiques.  — L’idée  que,  sous  une  plus  grande 
pression  barométrique  le  sang  se  charge,  en  traversant  les  pou- 
mons, d’une  plus  grande  proportion  d’oxygène,  est  une  idée  toute 
naturelle,  qui  a été  acceptée  par  tous  les  auteurs,  depuis  et  y com- 
pris Brizé-Fradin  (p.  402).  Elle  a trouvé  une  confirmation  évidente 
dans  la  constatation  faite  par  Pol  et  Watelle,  François,  Foleÿ  et 
tous  les  médecins  qui  ont  soigné  les  ouvriers  tubistes,  que  le  sang 
tiré  des  veines  pendant  la  compression,  ou  même  quelque  temps 
après  la  décompression,  présente  une  couleur  rouge,  artérielle.  Les 
expériences  contradictoires  en  apparence  de  M.  Fernet  (p.  260)  n’ont 
pas  beaucoup  impressionné  les  auteurs  en  présence  de  ce  fait  si  évi- 
dent. Je  ne  vois  guère  que  M.  Bucquoy  (p.  477)  qui  se  soit  efforcé 
de  les  discuter;  à ses  yeux,  c’est  l’oxygène  dissous  dont  seule  la 
proportion  augmente,  puisque  M.  Fernet  a prouvé  que  les  globules 
sanguins  n’absorbent  pas  dans  l’air  comprimé  une  quantité  d’oxy- 
gène plus  grande  qu’à  l’air  libre.  Les  autres  auteurs  se  bornent  à 
constater  que  le  sang  est  plus  riche  en  oxygène,  et  à tirer  de  là 
toutes  les  conséquences  qu’ils  croient  inspirées  par  la  logique, 
guide  dont  il  faut  toujours  se  défier  en  ces  matières  complexes. 

Pour  M.  Foleÿ,  par  exemple,  « l’hypérartérialisation  » du  sang 
n’est  pas  à mettre  en  doute,  et  elle  a pour  suite  « une  énorme 
consommation  des  tissus  divers,  à cause  de  l’excès  d’oxygène  qui 
les  pénètre  ».  Mais  cette  augmentation  dans  les  combustions  intra- 
organiques, il  faudrait  en  prouver  l’existence. 

Or  les  expériences  de  MM.  Régnault  et  Reiset,  montrant  que  les 
animaux  qui  respirent  dans  un  milieu  très-riche  en  oxygène,  n’y 
absorbent  pas  plus  de  ce  gaz  et  n’y  forment  pas  plus  d’acide  car- 
bonique que  dans  l’air  ordinaire,  rendaient  peu  vraisemblable 
l’idée  d’une  activité  chimique  augmentée.  Pravaz,  le  seul  qui  avec 
Panum  (p.  499)  paraisse  avoir  compris  la  portée  de  l’objection,  y 
répond  fort  médiocrement  (p.  467)  et  de  manière  à compromettre 
un  peu  sa  réputation  de  physicien.  Mais  il  eut  le  mérite  de  faire 
faire  à deux  de  ses  élèves,  Hervier  et  Saint-Lager,  des  expériences 
tendant  à résoudre  directement  la  difficulté. 

On  sait  à quelles  conclusions  compliquées  (p.  465)  sont  arrivés 
ces  expérimentateurs  en  cherchant  à déterminer  les  modifications 
que  le  séjour  dans  l’air  comprimé  apporte  dans  l’excrétion  de 
L'acide  carbonique,  et  par  suite  dans  la  consommation  de  l’oxygène. 


519 


ATR  COMPRIMÉ  : RÉSUMÉ  ET  CRITIQUES. 

Je  n’essayerai  pas  de  les  discuter,  parce  que  de  pareilles  recherches 
n’ont  de  valeur  que  par  la  méthode  employée;  or  cette  méthode, 
je  l’ai  déjà  déclaré,  était  des  plus  défectueuses.  En  une  matière  si 
délicate,  et  où  l’on  peut  présumer  que  les  différences  seront  de 
très-faible  importance,  il  est  indispensable  de  respecter  scrupuleu- 
sement et  la  précision  chimique  et  surtout  l’exactitude  physiolo- 
gique. 

Ce  n’est  pas  la  première  de  ces  conditions  qui  manque,  du  moins 
en  apparence,  au  travail  de  Vivenot.  A en  croire  ses  chiffres,  l’ana- 
lyse qu’il  aurait  faite  de  l’acide  carbonique,  contenu  dans  une 
expiration,  serait  exacte  jusqu’à  la  6e  décimale,  et  ceci  seul,  je 
l’avoue,  suffirait  pour  me  mettre  en  défiance.  Ainsi  la  quantité 
d’acide  carbonique  exhalé  en  24  heures  à la  pression  normale  étant 
de  1500gr, 57760,  elle  serait  dans  l’air  comprimé  de  1449gr, 49350. 
Voilà  qui  paraît  bien  concluant.  Mais  comment  ces  chiffres  ont-ils 
été  obtenus?  En  analysant  le  produit  d 'une  expiration  « aussi  forte 
que  possible,  mais  faite  sans  grands  efforts  » à la  pression  nor- 
male, qui  a donné  0gr,2176  d’acide  carbonique,  et  d 'une  expiration 
sous  compression,  qui  a donné  0gr,2676;  en  tenant  compte  du  nom- 
bre moyen  des  mouvements  respiratoires  par  minute,  qui  était  de 
4,15  pour  le  premier  cas  et  de  3,76  pour  le  second;  enfin,  en  mul- 
tipliant par  60  puis  par  24  le  nombre  ainsi  trouvé. 

Pour  moi,  je  me  refuse  à accorder  aucune  espèce  de  valeur  à des 
chiffres  obtenus  par  une  méthode  aussi  absolument  contraire  à ce 
qu’exige  la  vraie  précision,  la  précision  physiologique.  Se  baser  sur 
une  expiration,  faite  à raison  de  3,76  mouvements  respiratoires 
par  minute,  c’est-à-dire  sur  des  conditions  extraordinaires,  c’est 
s’exposer  à supporter,  au  nom  de  la  méthode  expérimentale,  les 
plus  sévères  critiques.  Je  n’hésite  pas  à dire,  sans  entrer  dans  le 
détail  des  expériences,  sans  insister  sur  les  « tuyaux  de  caoutchouc 
non  hermétiquement  fermés  » (p.  488),  que  toute  cette  partie  du 
travail  de  Vivenot,  malgré  ses  innombrables  tcibelles  et  scs  colonnes 
de  chiffres  où  la  table  de  logarithmes  a « fait  merveille  »,  doit  être 
considérée  comme  nulle  et  non  avenue. 

C’est  aussi  l’avis  de  Panum,  qui  a étudié  la  même  question  en  se 
plaçant  dans  des  conditions  meilleures,  sans  doute,  mais  qui  ne 
sont  encore  pas  à l’abri  de  tout  reproche.  Cependant,  ses  expé- 
riences déposent  dans  le  même  sens,  et  tendent  à montrer  que, 
dans  Pair  comprimé,  il  y a plus  d’acide  carbonique  produit  en  un 
temps  donné  qu’à  la  pression  normale. 


520 


HISTORIQUE. 


J’avoue  qu’à  mes  yeux  ce  fait  meme  n’est  pas  prouvé  ; un 
coup  d’œil  jeté  sur  le  tableau  publié  par  Panum  suffit  pour 
motiver  mes  doutes  sur  les  résultats  de  ses  expériences  mêmes  ; 
car  on  voit  qu’en  définitive  il  n’y  en  a que  quatre  qui  soient  com- 
parables et  dans  les  conditions  normales,  et  que  sur  ces  quatre 
une  seule  a été  faite  à la  pression  ordinaire.  De  plus,  la  respira- 
tion n’a  été  prolongée  que  pendant  10  à 12  minutes;  enfin,  il  n’est 
rien  dit  du  régime  diététique  auquel  était  soumis  le  sujet  des 
expériences. 

L’augmenlation  de  la  quantité  d’acide  carbonique  exhalé,  dans 
l’air  comprimé,  admise  sans  conteste  par  Pravaz,  par  M.  Foleÿ, 
par  les  physiologistes  allemands,  les  a entraînés  à conclure  à une 
plus  grande  quantité  d’oxygène  absorbée  pendant  la  compression 
même.  De  là,  toute  une  série  de  conséquences,  déjà  entrevues  par 
les  anciens  auteurs  : excitation  nerveuse,  énergie  musculaire,  com- 
bustion des  tissus,  s’en  déduisent  facilement.  De  la,  l’augmentation 
dans  la  quantité  d’urine  excrétée  (?),  l’élévation  légère  de  la  tem- 
pérature (?),  l’appétit  insatiable,  qui  amène  l’engraissement  s’il 
est  possibl  de  le  satisfaire,  et  l’amaigrissement  dans  le  cas  con- 
traire. Tout  cela  s’enchaîne  fort  bien,  il  faut  l’avouer;  mais  c’est 
une  bien  périlleuse  méthode  que  celle  qui  appuie  la  certitude  des 
prémisses  sur  leur  harmonie  avec  les  conséquences  : elle  ne  fera 
jamais  preuve  aux  yeux  d’un  expérimentateur.  Je  n’insiste  donc 
pas  sur  ces  fails  dont  j’ai  donné  plus  haut  tous  les  détails. 

B.  — Phénomènes  dus  a la  décompression.  • 

Les  médecins  qui  ont  soigné  les  ouvriers  tubistes  et  les  plongeurs 
à scaphandre  ont  été  unanimes  pour  attribuer  à des  congestions 
sanguines,  allant  parfois  jusqu’à  l’hémorrhagie,  les  accidents  con- 
sécutifs à la  décompression  : congestion  des  poumons,  des  viscères 
abdominaux,  et  surtout  des  centres  nerveux  encéphaliques  et  spi- 
naux. Mais  le  mode  de  production  de  ces  congestions  n’a  pas  été 
par  eux  nettement  déterminé,  tant  s’en  faut. 

Pol  et  Watelle  croient  que  la  congestion  se  produit  pendant  l’acte 
même  de  la  compression,  par  le  refoulement  centripète  du  sang; 
si  elle  ne  produit  pas  son  effet  alors,  c’est  que  le  sang  suroxygéné 
n’a  pas  d’action  fâcheuse  sur  les  organes.  A la  décompression,  le 
sang  se  désoxygènc  et  les  conséquences  habituelles  de  la  congestion 


521 


AIR  COMPRIMÉ  : RÉSUMÉ  ET  CRITIQUES. 

se  manifestent  (p.  470).  J’avoue  ne  pas  bien  comprendre  comment 
les  médecins  de  Douchy  pourraient  accommoder  leur  théorie  avec 
les  cas  par  eux-mêmes  constatés  dans  lesquels  les  accidents  les 
plus  graves  coexistaient  avec  la  rutilance  du  sang  veineux. 

M.  Foleÿ,  dans  son  explication  de  la  « congestion  postéro-tu- 
baire  »,  est  si  peu  clair  que  je  préfère  renvoyer  le  lecteur  aux  cita- 
tions textuelles  que  j’ai  faites  de  son  mémoire  (p.  480).  Bubington 
et  Cuthbert  (p.  484)  ne  s’expriment  pas  d’une  manière  beaucoup 
plus  intelligible  : à leurs  yeux,  la  protection  du  crâne  et  de  la  co- 
lonne vertébrale  empêcherait,  lors  de  la  décompression,  « l’excès 
de  pression  sur  le  cerveau  et  la  moelle  de  s’en  aller  assez  rapide- 
ment par  les  passages  étroits  par  où  le  sang  sort  de  ces  organes  » : 
de  là  les  congestions,  ou  mieux  les  compressions  nerveuses.  Cette 
erreur  physique  ne  mérite  vraiment  pas  une  réfutation. 

M.  Bouchard  a développé  sur  ce  sujet  une  idée  digne  d’attirer 
l’attention.  Ce  serait  la  soudaine  dilatation  des  gaz  intestinaux,  pri- 
mitivement comprimés,  qui  chasserait  tout  d’un  coup  le  sang  con- 
tenu dans  les  viscères  abdominaux,  le  refoulerait  dans  la  circulation 
générale,  et  amènerait  les  congestions  et  les  hémorrhagies  dans  les 
organes  nerveux  (p.  504).  J’avoue  que  je  ne  puis  admettre  qu’une 
expansion  gazeuse,  Jans  un  canal  ouvert  à ses  deux  extrémités, 
puisse,  en  présence  de  parois  aussi  facilement  extensibles  que  le 
diaphragme  et  les  muscles  abdominaux,  expulser  le  sang  du  foie, 
de  la  rate,  etc.,  avec  assez  de  violence  pour  produire  de  pareils 
désordres. 

Une  autre  explication  des  accidents  de  la  décompression  a 
été  proposée  par  M.  Bucquoy,  et  inspirée  par  les  leçons  du  pro- 
fesseur Rameaux,  de  Strasbourg  (p.  478).  Sous  l’influence  de  la 
pression,  les  gaz  du  sang  augmenteraient  en  quantité,  l’oxygène  sui- 
vant la  loi  de  Dalton,  l’azote  et  l’acide  carbonique  suivant  une  pro- 
gression moindre,  parce  qu’  « ils  ne  sont  pas  puisés  dans  l’air 
inspiré,  mais  engendrés  par  les  phénomènes  physiques  de  la  vie  ». 
Il  en  résulte,  qu’au  moment  de  la  décompression,  ces  gaz  tendent  à 
redevenir  libres,  comme  « l’acide  carbonique  s’échappe  d’une  eau 
gazeuse,  quand  on  enlève  le  bouchon  de  la  bouteille  qui  la  con- 
tient ».  Et  M.  Bucquoy  cite,  à l’appui  de  cette  hypothèse  si  vraisem- 
blable dans  ses  traits  généraux,  les  emphysèmes  observés  à Dou- 
chy, la  guérison  des  tumeurs  musculaires  par  la  recompression, 
et  une  observation  fort  curieuse  que  nous  avons  rapportée  en  en- 
tier (p.  479). 


522 


HISTORIQUE. 


F.  Hoppe,  nous  l’avons  vu,  avait  déjà  eu  la  meme  idée;  mais  il 
ne  l’appuyait  que  sur  les  expériences  faites  sur  la  décompression 
par  la  machine  pneumatique,  et  n’apportait  à l’appui  de  son  hypo- 
thèse aucune  observation  personnelle  (p.  474). 

L’idée  de  M.  Bucquoy  fut  acceptée  par  M.  François,  qui  ne  parait 
cependant  pas  en  avoir  une  compréhension  bien  nette,  puisqu’il 
parle  « d’amalgame  du  tissu  cellulaire  avec  l’air  des  machines 
soufflantes,  amalgame  comparable  à celui  du  mercure  avec 
l’axonge  » (p.  475),  et  par  tous  les  auteurs  qui  le  suivirent,  Yivenot 
(p.  452),  Panum  (p.  500),  M.  Gavarret  (p.  502),  M.  Leroy  de  Méri- 
court  (p.  505),  etc.;  M.  Foleÿ  seul  n’y  crut  pas  (p.  485).  M.  Bou- 
chard (p.  504),  M.  Gai  (p.  506)  et  d’autres  admettent  simultanément 
les  congestions  viscérales  et  le  dégagement  des  gaz  libres  du  sang. 

Mais  ce  dégagement,  personne  ne  l’a  vu,  aucune  expérience  n’ayant 
été  faite.  Et  quels  sont  ces  gaz  libres?  Les  trois  gaz  du  sang  et  sur- 
tout l’oxygène,  comme  l’indique  M.  Bucquoy?  Rien  ne  le  prouve; 
comment  croire  que  l’oxygène,  qui  si  facilement  se  combine  aux 
tissus,  puisse  redevenir  gazeux,  et  présenter  un  obstacle  sérieux, 
invincible,  à la  circula  lion  de  ce  sang  qui  l’absorbe  ordinairement 
avec  tant  de  rapidité,  et  dans  lequel  on  peut  en  injecter  sans  danger 
de  grandes  quantités?  Puis,  comment  agit  le  gaz  devenu  libre?  En 
oblitérant  les  vaisseaux?  En  déterminant  des  hémorrhagies?  Et  com- 
ment se  fait-il  que  les  accidents  ne  soient  que  l’exception,  même 
au-dessus  de  quatre  atmosphères?  Ne  pourrait-on  pas  nier  l’exacti- 
tude de  l’hypothèse  elle-même,  en  soutenant  que,  s’il  fallait  l’admet- 
tre, tous  les  ouvriers  décomprimés  simultanément  devraient  avoir 
leur  sang  semblable  à l’eau  gazeuse  qui  s’échappe  de  la  bouteille 
débouchée  dont  parle  M.  Bucquoy,  et  devraient,  par  suite,  être 
simultanément  frappés? 

On  le  voit,  bien  que  vraisemblable  à priori,  bien  que  vraie,  pour 
le  dire  à l’avance,  la  théorie  des  gaz  libres  n’est  .rien  moins  que 
démontrée  aujourd’hui.  Pour  ceux-là  même  qui  l’ont  énoncée  et 
soutenue,  elle  se  mêle  à d’autres  théories,  et  rien  de  bien  net  ne  se 
dégage  de  ce  que  nous  venons  de  résumer. 


SECONDE  PARUE 


EXPÉRIENCES 


CHAPITRE  PREMIER 


DES  CONDITIONS  CHIMIQUES  DE  LA  MORT,  EN  VASES  CLOS,  DES 
ANIMAUX  SOUMIS  A DIVERSES  PRESSIONS  BAROMÉTRIQUES. 


Les  recherches  nombreuses  que  j’ai  faites  autrefois  sur  la 
composition  finale  de  Pair  contenu  dans  des  vases  clos  où 
des  animaux  sont  maintenus  jusqu’à  la  mort1,  m’ont  déter- 
miné à commencer  l’étude  de  l’influence  qu’exercent  sur  les 
organismes  vivants  les  modifications  dans  la  pression  baro- 
métrique, par  l’analyse  de  l’air  devenu  mortel  par  suite  du 
confinement,  lorsque  cet  air  est  soumis  à des  pressions  diffé- 
rentes de  la  pression  normale. 

Un  certain  nombre  d’expériences  préliminaires  sur  les- 
quelles il  serait  oiseux  de  donner  ici  des  détails,  me  fai- 
saient déjà  fortement  incliner  à penser  que  la  cause  prin- 
cipale, sinon  la  cause  unique  de  cette  influence  dont  les 
aéronautes  d’une  part,  et  les  plongeurs  à scaphandre  de 
l’autre,  présentent  les  exemples  les  plus  énergiques,  tenait 
à la  composition  différente,  suivant  les  différentes  pres- 
sions, des  gaz  contenus  dans  le  sang.  Il  semblait  donc 
que  le  plus  court  et  le  meilleur  chemin  pour  résoudre 

1 Voy.  mes  Leçons  sur  la  physiologie  comparée  de  la  respiration.  Leçons  XXVII 
et  XXVIII,  p.  498-520.  — Paris,  1870. 


52G 


EXPERIENCES. 


la  question,  dût  être  de  commencer  par  installer  et  met- 
tre en  usage  les  appareils  nécessaires  pour  étudier  ces  gaz 
du  sang.  Je  résistai  cependant  à cette  idée,  la  plus  simple 
en  apparence,  et  me  décidai  à attaquer  le  problème  par  la 
voie  indirecte  de  l’étude  de  l’air  confiné,  et  ceci  pour  deux 
raisons.  Je  pensais  d’abord  trouver  ainsi  quelques  aperçus 
nouveaux  sur  la  question  de  l’asphyxie,  qui  me  préoccupait 
depuis  si  longtemps;  en  second  lieu,  le  problème  que  j’entre- 
prenais de  résoudre  se  présentait  à moi  avec  une  telle  com- 
plexité apparente,  qu’il  me  parut  bon  de  ne  pas  aller  tout 
droit  à ce  qui  me  paraissait  a priori  devoir  me  fournir  la  so- 
lution générale,  de  crainte  d’être  trop  vite  satisfait,  et  de 
laisser  échapper  certains  éléments  peut-qtre  fort  importants. 
J’espérais,  si  l’on  me  permet  cette  comparaison,  en  battant 
ainsi  les  buissons  au  lieu  de  suivre  la  grande  route,  faire 
quelque  utile  et  curieuse  rencontre.  C’est  au  lecteur  déjuger 
si  mon  espérance  a été  trompée  ; je  veux  ici  seulement  me  dis- 
culper par  avance  du  reproche  d’illogisme  qui  pourrait  pa- 
raître fondé,  sans  oser  pour  cela,  malgré  la  grande  envie  que 
j’en  ai,  déclarer  que  cette  marche  indirecte,  et  pour  ainsi 
dire  oblique,  doit  être,  dans  bien  des  cas,  érigée  en  méthode 
générale  de  recherches. 

Étant  donnée  maintenant  cette  question  première,  il 
me  fallait  l’envisager  à tous  ses  points  de  vue,  et  ils  sont 
nombreux.  Je  pouvais  d’abord  considérer  des  animaux  de 
même  espèce  mourant  en  vase  clos,  sous  des  pressions  plus 
faibles  ou  plus  fortes  que  la  pression  barométrique  normale. 
Je  pouvais  ensuite  comparer  les  uns  aux  autres,  dans  des  con- 
ditions barométriques  semblables,  des  animaux  d’espèces 
différentes.  Enfin  il  était  nécessaire  d’examiner  l’action,  sous 
pressions  diverses,  de  milieux  respirabies  dont  la  composi- 
tion chimique  fût  différente  de  celle  de  l’air  atmosphérique, 
car  cette  dernière  considération,  appliquée  à la  théorie  de 
l’asphyxie,  avait  fourni  à Claude  Bernard  des  faits  d’un  in- 
térêt capital. 

Je  me  plaçai  donc  à ces  points  de  vue  divers,  et  je  vais 
rendre  compte  successivement  des  résultats  que  m’a  fournis 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  DIMINUEE. 


527 


1? expérience.  Je  commencerai  par  l’élude  de  Fair  ordinaire 
pour  finir  par  celle  d’un  air  de  composition  différente,  et  dans 
l’un  et  l’autre  cas  je  m’occuperai  d’abord  de  la  diminution, 
puis  de  l’augmentation  de  pression.  Chacune  de  ces  parties  de 
mes  recherches  fournira  le  texte  de  réflexions  particulières; 
mais  on  verra  que  les  conclusions  d’ensemble  ne  peuvent 
être  tirées  que  de  leur  étude  simultanée,  tant  les  divers  faits 
se  compléteront  les  uns  parles  autres,  s’engrèneront,  pour 
ainsi  dire,  de  manière  à conduire  à un  résultat  général  que 
je  puis,  dès  maintenant,  énoncer  sous  cette  forme  un  peu  pa- 
radoxale  : la  pression,  dans  ses  variations  les  plus  étendues, 
par  exemple,  de  10  centimètres  de  mercure  à 20  atmosphères, 
n’agit  pas,  lorsque  ces  variations  sont  ménagées  avec  une 
suffisante  lenteur,  n’agit  pas,  dis-je,  sur  les  êtres  vivants  en 
tant  que  pression,  comme  agent  physique  direct,  mais 
comme  agent  chimique  faisant  changer  les  proportions  de 
l’oxygène  contenu  dans  le  sang,  et  occasionnant  soit  l’asphyxie, 
lorsqu’il  n’y  en  a pas  assez,  soit  des  accidents  toxiques  lors- 
qu’il y en  a trop.  C’est  vers  la  démonstration  de  cette  vérité 
que  convergent  tous  les  faits  expérimentaux  dont  je  vais 
maintenant  exposer  les  détails. 


SOUS-CHAPITRE  PREMIER. 


CESSIONS  INFÉRIEURES  A CELLE  d’üNE  ATMOSPHÈRE, 

g 1er.  — Dispositif  expérimental. 

L’appareil,  à l’aide  duquel  ont  été  faites  mes  expériences 
sur  la  composition  de  Fair  confiné  dans  lequel  meurent  des 
animaux  sous  des  pressions  moindres  que  celle  d’une 
atmosphère,  est  d’une  construction  des  plus  simples. 

Sur  une  table  sont  fixées  quatre  plaques  de  verre  mon- 
tées sur  des  armatures  de  cuivre,  semblables  à celles  des  ma- 
chines pneumatiques  (fig.  15)  A,  en  telle  sorte  que  l’on  peut 
mener  quatre  expériences  de  front.  Les  quatre  parties  de 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  DIMINUÉE.  529 

l’appareil  étant  absolument  semblables,  il  doit  suffire  d’en 
décrire  une  seule. 

La  plaque  est  percée  en  son  centre  d’un  orifice  par 
lequel  passe  un  tube  de  plomb  coiffé  d'un  chapiteau  mo- 
bile B,  lequel  devra  empêcher  les  animaux  d’être  attirés 
par  l’aspiration  de  l’air.  Ce  tube  se  rend  dans  un  tuyau 
transversal  CC’  qui  lui-même  communique  avec  une  pompe 
aspirante  mue  par  une  machine  à vapeur;  un  robinet  D per- 
met d’établir  ou  de  fermer  la  communication.  Entre  le  robi- 
net et  l’embouchure  B se  dresse  un  long  tube  de  verre  deux 
fois  recourbé  sur  lui-même  EFGH,  et  dans  lequel  on  a versé 
du  mercure.  Il  est  bien  évident  que  lorsque  la  cloche  I 
sera  fixée  sur  la  plaque  A,  et  que  la  pompe  aspirante  entrera 
en  jeu,  le  mercure  s’élèvera  dans  la  branche  fermée  du 
tube  de  verre,  et  que  la  différence  entre  les  niveaux  nn ’ me- 
surée sur  la  règle  divisée  K indiquera  exactement  la  valeur 
de  la  dépression;  on  voit  en  e un  renflement  destiné  à re- 
cueillir le  mercure  qu’un  coup  de  piston  trop  énergique  pour- 
rait aspirer  violemment  et  faire  passer  dans  les  tubes  de 
plomb.  La  cloche  I est  terminée  par  une  douille  fermée  d’un 
bouchon  de  caoutchouc  à travers  lequel  passent  un  thermomè- 
tre L et  un  robinet  M;  l’extrémité  inférieure  de  celui-ci  porte 
un  tube  de  caoutchouc,  en  telle  sorte  que  l’air  extrait  par  le 
procédé  que  je  vais  indiquer  dans  un  moment,  provient  des 
régions  movennes  de  la  cloche. 

^ «J 

Il  est  indispensable,  pour  que  ces  expériences  puissent 
donner  un  résultat,  que  l’appareil  soit  bien  hermétiquement 
fermé,  et  garde  exactement  le  degré  de  vide  auquel  il  a été 
amené  : la  moindre  ouverture,  laissant  rentrer  une  petite 
quantité  d’air,  peut  occasionner,  comme  je  m’en  suis  aperçu 
à mes  dépens,  des  causes  d’erreurs  énormes.  Pour  obtenir  la 
fermeture  hermétique  nécessaire,  j’ai  fait  en  sorte  de  noyer 
dans  l’eau  toutes  les  fissures  par  lesquelles  pouvait  pénétrer 
l’air.  Ainsi,  la  plaque  de  verre  sur  laquelle  est  ajustée  la  clo- 
che à l’aide  de  suif,  comme  d’ordinaire,  est  entourée  d’un 
cercle  saillant  de  zinc  N,  dans  lequel  on  verse  de  l’eau  ; de 
même,  des  capsules  en  caoutchouc  O et  P forment  une  fer- 


530 


EXPERIENCES. 


meture  hydraulique  pour  l’ajustement  du  robinet  M et  du 
tube  manométrique  E;  enfin,  les  robinets  D et  Q plongent 
dans  l’eau  du  vase  R et  de  la  gouttière  en  zinc  SS’.  Par  ce 
moyen,  si  la  clôture  n’était  pas  parfaite,  au  lieu  d’air  il  ren- 
trerait de  l’eau,  dont  la  présence  avertirait  du  danger  et  indi- 
querait le  lieu  où  l’appareil  serait  en  défaut. 

L’animal  placé  sous  la  cloche  peut  être,  si  cela  paraît  né- 
cessaire, maintenu  à une  certaine  hauteur  à l’aide  d’un  pla- 
teau grillé  T. 

Lorsque  tout  est  disposé,  on  met  en  marche  la  pompe  à 
vapeur,  et  il  est  facile  de  concevoir  comment  on  peut,  en 
faisant  varier  l’ouverture  du  robinet  M,  diminuer  plus  ou 
moins  rapidement  la  pression  dans  la  cloche,  tout  en  y con- 
servant un  courant  d’air  toujours  pur.  Cette  précaution  per- 
met, comme  on  le  verra  plus  loin,  d’accoutumer  jusqu’à  un 
certain  point  les  animaux  à des  pressions  assez  basses  et  qu’ils 
paraissaient  d’abord  ne  pouvoir  supporter.  Lorsque  j’avais 
besoin  de  recourir  à des  diminutions  de  pression  que  la 
pompe  à vapeur  ne  pouvait  me  donner,  je  fermais,  au  mo- 
ment où  celle-ci  refusait  d’aspirer  davantage,  le  robinet  D 
(le  robinet  M étant  déjà  fermé  depuis  quelque  temps),  et  je 
mettais  ledit  robinet  M en  communication  par  un  tube  épais 
de  caoutchouc  avec  une  machine  pneumatique  ordinaire,  ce 
qui  me  permettait  d’obtenir  le  vide  à Ie  près  environ.  Je 
n’ai  eu,  du  reste,  que  bien  rarement  besoin  de  recourir  à ce 
procédé. 

Je  dois  enfin  faire  connaître  de  quelle  manière  je  me  pro- 
curais, à un  moment  donné,  et  spécialement  après  la  mort 
de  l’animal,  une  certaine  quantité  de  l’air  contenu  dans  la 
cloche,  afin  d’en  faire  l’analvse. 

Je  mettais  dans  ce  but  en  usage  le  petit  modèle  de  la 
pompe  à mercure  que  construisent  MM.  Àlvergniat.  Je  crois 
devoir  donner  ici  une  description  de  cet  instrument  dont  il 
sera  souvent  question  dans  la  suite  de  ce  travail. 

La  pompe  à mercure  (fig.  16)  consiste  en  un  tube  baromé- 
trique dont  la  chambre  À forme  un  renflement  considérable 
et  porte  à sa  partie  supérieure  un  robinet  R*  dont  je  parlerai 


.ej./.\/VAO !z  Ti  $ 


Fig-.  16.  — Pompe  à mercure  disposée  pour  l’extraction  des  gaz  du  sang. 

Chambre  barométrique.  — B.  Boule  mobile,  en  communication,  avec  A par  caoutchouc  et  tube 
de  verre.  — 0.  Cuvette  à mercure  avec  éprouvette  graduée  pour  recueillir  les  gaz. R.  Robi- 

net à trois  voies  pouvant  fermer  complètement  la  chambre  barométrique  (position  1),  en  faisant 
communiquer  A avec  C (position  2),  A avec  D (position  5) 


532 


EXPERIENCES. 


dans  un  moment,  robinet  surmonté  par  une  petite  cuve  à 
mercure  C.  Le  tube  barométrique  est,  par  sa  partie  infé- 
rieure, relié  à l’aide  d’un  tube  de  caoutchouc  très-épais,  avec 
un  réservoir  B d’une  capacité  un  peu  supérieure  à celle  de  la 
chambre  A.  Ce  réservoir  est  fixé  sur  une  pièce  de  bois  qui 
peut  monter  et  descendre  en  glissant,  dans  une  double  rai- 
nure, à l’aide  d’un  système  d’engrenages  dont  la  figure 
montre  la  disposition. 

Tout  le  jeu  de  l’appareil  dépend  à vrai  dire  des  diverses 
positions  du  robinet  R.  Ce  robinet  est  à trois  voies  ; l’anneau 
de  verre  dans  lequel  il  tourne  communique  par  trois  orifices 
avec  la  chambre  barométrique,  la  cuve  à mercure  et  le  tube 
latéral  allant  à l’extérieur. 

Quant  au  robinet  en  lui-même,  il  est  percé  de  deux  canaux 
se  rencontrant  à angle  droit.  Il  est  aisé  de  comprendre  la 
conséquence  de  ses  diverses  positions,  qui  sont  représentées 
sus  le  côté  de  la  figure  16.  En  1,  toute  communication  est 
interrompue,  et  la  chambre  barométrique  est  hermétique- 
ment fermée;  en  c2,  il  y a communication  entre  la  chambre 
et  la  cuve  à mercure  ; en  5,  communication  entre  la  chambre 
et  le  tube  latéral. 

Ce  robinet  de  verre,  lorsqu’il  est  convenablement  graissé, 
tient  parfaitement  le  vide.  Cependant,  de  peur  que  quelques 
bulles  d’air,  pénétrant  entre  le  robinet  et  son  anneau,  ne 
viennent  fausser  les  résultats,  j’ai  fait  envelopper  le  tout 
d’une  capsule  de  fer  et  de  caoutchouc  que  l’on  maintient 
pleine  d’eau. 

Pour  en  finir  avec  les  détails  de  construction,  j’indiquerai 
la  règle  divisée,  qui  permet  de  mesurer  la  hauteur  de  la 
colonne  mercurielle,  ce  qui  est  souvent  utile;  enfin,  tout 
l’appareil  est  fixé  sur  une  caisse  en  bois  munie  de  roulettes 
et  de  vis  calantes,  et  entouré  de  rebords  destinés  à recueillir 
le  mercure  qui  tombe  fréquemment  et  se  perdrait  en  nota- 
ble quantité  pendant  les  diverses  manipulations. 

Il  est  bien  évident  qu’en  versant  du  mercure  dans  le  ré- 
servoir  B préalablement  amené  au  point  le  plus  élevé  de  sa 
course,  on  peut,  le  robinet  R étant  amené  dans  la  posi- 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  DIMINUÉE.  553 

tion  2,  chasser  l’air  contenu  dans  le  tube  et  la  chambre  baro- 
métrique, et  le  remplacer  par  le  mercure,  qui  monte  même 
alors  dans  la  cuve  G.  Si  alors  on  ferme  le  robinet  R (posi- 
tion 1),  et  que  Ton  descende  le  réservoir  B jusqu’au  bas  de 
la  rainure,  le  mercure  s’abaissera  dans  le  tube,  de  manière 
à se  maintenir  à 76e  au-dessus  du  niveau  du  réservoir  B : en 
d’autres  termes,  on  aura  le  vide  barométrique  dans  la  cham- 
bre À.  Si  alors  on  tourne  le  robinet  R de  manière  (position  3) 
à mettre  cette  chambre  en  communication  avec  le  tube  laté- 
ral qui,  dans  notre  figure,  communique  à un  système  de 
manchon  et  de  ballon  qui  ne  sert  que  pour  l’extraction  des 
gaz  du  sang,  une  certaine  quantité  d’air  extérieur  s’intro- 
duit, et  le  mercure  descend  dans  le  tube  barométrique.  Fer- 
mant alors  le  robinet  (position  1),  on  maintient  ainsi  empri- 
sonnée une  certaine  quantité  de  cet  air;  et  si  l’on  a besoin 
d’en  recueillir  pour  une  analyse,  il  suffit  de  remonter  le  ré- 
servoir B,  de  replacer  le  robinet  R dans  la  position  2,  et  l’air 
chassé  par  le  mercure  qui  remonte,  traverse  la  petite  cuve  G 
et  pénètre  dans  l’éprouvette  renversée  qui  est  prête  à le  re- 
cevoir. 

L’invention  de  la  pompe  à mercure  est  d’ordinaire  attribuée 
aux  constructeurs  allemands,  et,  avec  cet  amour  de  la  ré- 
clame étrangère  qui  nous  est  habituel,  nous  décorons  assez 
souvent  cet  instrument  du  nom  de  pompe  de  Geissler.  La 
vérité  est  que  l’invention  en  appartient  en  principe  à M.  Ré- 
gnault. Il  y a longtemps  que  le  célèbre  professeur  du  Collège 
de  France  avait  inventé  une  pompe  fort  analogue,  munie  de 
ce  robinet  à trois  voies,  qui  est  la  maîtresse  pièce  de  l’instru- 
ment. .Seulement,  comme  à cette  époque  on  n’employait 
guère  le  caoutchouc  dans  la  construction  des  appareils,  il 
avait,  au  lieu  d’un  réservoir  mobile,  mis  son  tube  baromé- 
trique en  communication  avec  deux  réservoirs  placés  l’un  en 
bas,  l’autre  en  haut;  ceci  entraînait,  on  le  comprend,  un 
système  assez  compliqué  de  tubes  et  de  robinets.  Mais  le  prin- 
cipe était  le  même,  et  l’adjonction  d’un  tube  de  caoutchouc 
n’a  certes  pas  une  importance  suffisante  pour  nous  faire 
oublier  le  véritable  inventeur. 


554 


EXPÉRIENCES. 


Rien  de  plus  simple  maintenant  que  de  comprendre  com- 
ment cet  instrument  peut  être  appliqué  à r extraction  de  l’air 
contenu  dans  les  cloches  de  l’appareil  représenté  figure  15. 
Î1  suffit  d’ajouter  au  tube  latéral,  qui  dans  la  figure  16  com- 
munique avec  le  ballon  1),  un  tuyau  de  caoutchouc  pouvant 
supporter  le  vide,  et,  qui  coiffe  par  son  autre  extrémité  le 
robinet  M placé  au  sommet  de  la  cloche  où  se  trouve  l’animal 
en  expérience.  Ce  robinet  étant  fermé,  le  vide  étant  fait 
dans  la  chambre  A,  je  mets  le  robinet  R dans  la  position  5 
de  manière  à aspirer  Pair  contenu  dans  le  tuyau  de  caout- 
chouc S ; je  ferme  alors  le  robinet  R (position  1),  j’amène  le 
réservoir  R au  sommet  le  plus  élevé  de  sa  course,  je  place 
le  robinet  dans  la  position  2,  et  l’air  s’échappe  en  traversant 
le  mercure  de  la  cuve,  sur  laquelle  on  n’a  pas  encore  ren- 
versé l’éprouvette.  En  répétant  deux  ou  trois  fois  de  suite 
cette  manœuvre,  on  arrive  à faire  le  vide  complet  dans  tout 
l’appareil,  y compris  le  tuyau  de  caoutchouc,  comme  le 
prouve  le  choc  brusque  du  mercure  (le  marteau  de  mercure) 
contre  le  robinet  fermé  R,  choc  dont  il  faut  modérer  la  vio- 
lence en  relevant  avec  précaution  le  réservoir. 

Ceci  fait,  le  réservoir  R étant  alors  abaissé  au  maximum, 
et  le  robinet  R mis  dans  la  position  5,  j’ouvre  le  robinet  de 
communication  entre  la  cloche  où  je  veux  prendre  l’air,  et  le 
tuyau  de  caoutchouc.  Évidemment,  une  certaine  quantité  de 
l’air  de  la  cloche  se  précipite  et  remplit  la  boule  A.  Par  pré- 
caution, je  chasse  encore  cet  air,  de  peur  que  le  vide  n’ait 
pas  été  parfait  dans  le  tube  latéral  et  dans  la  chambre  baro- 
métrique, et  je  recommence  la  même  manœuvre.  Mais  cette 
fois,  je  renverse  sur  la  cuve  G un  tube  gradué  plein  de  mer- 
cure, et  le  gaz  comprimé  dans  la  chambre  A,  par  suite  du 
relèvement  du  réservoir  R,  est  amené  dans  le  tube  bulle  à 
bulle,  par  un  passage  très-prudemment  ménagé  de  la  posi- 
tion 1 du  robinet  à la  position  2.  Le  gaz  ainsi  recueilli  peut 
être  aisément  transporté  pour  l’analyse. 

Celle-ci  est  faite  sur  la  cuve- à mercure,  an  moven  d’une 
dissolution  de  potasse,  pour  absorber  l’acide  carbonique,  puis 
d’une  autre  dissolution  d’acide  pyrogallique,  pour  absorber 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  DIMINUÉE.  535 

l’oxygène.  Les  différences  de  niveau,  mesurées  dans  le  tube 
gradué,  donnent  par  un  calcul  très-simple  la  composition 
centésimale  du  gaz.  Ce  procédé  d’analyse,  extrêmement  com- 
mode et  rapide  lorsqu’on  a soin  d’agiter  fortement  le  tube, 
surtout  après  l’introduction  de  l'acide  pyrogallique,  m’a 
paru  préférable  à tout  autre. 

Un  physiologiste  allemand  qui  visitait  mon  laboratoire 
me  reprocha  gravement,  un  jour,  de  mesurer  les  diffé- 
rences de  niveau  sSns  l’usage  d’un  cathétomètre;  de  ne 
pas  employer  la  méthode  Bunsen,  par  boules  de  potasse  et 
de  phosphore,  qui  donne  des  résultats  plus  précis;  de  ne 
pas  déduire  la  valeur  de  la  colonne  de  liquide  qui  diminue 
de  2 ou  5 centimètres  d’eau  la  tension  de  l’air  contenu  dans 
le  tube  gradué;  enfin,  de  ne  pas  tenir  compte  de  la  petite 
quantité  d’oxyde  de  carbone  qui  peut  se  former  pendant  l’ab- 
sorption de  l’oxygène  par  le  pyrogallate  de  potasse.  Je  ne  rap- 
porterais pas  ici  ces  critiques  puériles,  si  elles  ne  fournis- 
saient un  exemple  tout  à fait  caractéristique  d’une  erreur  de 
méthode  très-commune  de  l’autre  côté  du  Rhin,  et  que  des 
pédants  prétentieux  voudraient  importer  en  France.  J’ai  sou- 
vent eu  déjà  l’occasion  de  dire  mon  sentiment  au  sujet  de 
cette  recherche  oiseuse  et  dangereuse  d’une  fausse  exacti- 
tude. J’en  parle  à propos  des  analyses  actuelles,  pour  dire  que 
es  causes  d’erreurs  signalées  ne  touchent  qu’à  la  troisième 
décimale,  laquelle  j’ai  eu  soin  de  ne  jamais  mettre  en  ligne. 
Le  lecteur  verra  plus  loin,  quand  je  discuterai  les  résultats  des 
expériences,  comment  des  circonstances  qu’il  est  impossible 
de  prévoir  et  très-souvent  d’expliquer  peuvent  faire  varier  les 
nombres  fournis  par  les  analyses  dans  la  première  décimale 
ou  même  dans  le  chiffre  des  unités.  La  préoccupation  d’une 
troisième  décimale  serait  donc  une  naïveté. 

Ces  observations  se  rapportent,  bien  entendu,  à toutes  les  • 
analyses  de  gaz  que  l’on  trouvera  énumérées  dans  le  présent 
travail,  qu’il  s’agisse  d’air  comprimé  ou  dilaté,  de  gaz  extraits 
du  sang,  etc.... 


556 


EXPÉRIENCES. 


g 2.  — Expériences. 

A.  — Expériences  faites  sur  les  Oiseaux. 

Ce  sont  de  beaucoup  les  plus  nombreuses. 

Les  moineaux  (moineau  franc,  Fringilla  domestica,  Lin.  et 
moineau  friquet,  Fringilla  montana,  Lin.)  m’ont  tout  particu- 
lièrementservi  dans  ces  expériences  et  dans  celles  relatives 
à l’augmentation  de  pression. 

Je  commence  par  indiquer  quelques  expériences  dans  les- 
quelles la  mort  dans  l’air  confiné  a eu  lieu  à la  pression  nor- 
male. Elles  nous  serviront  de  termes  de  comparaison  pour 
les  autres. 


Expérience  I.  — 21  mars,  lemp.  15°.  Moineau  franc,  vigoureux,  pe- 
sant 51sr. 

Placé  sur  la  cuve  à mercure  dans  une  cloche  mesurant  1 litre  ; une 
rondelle  de  liège  le  sépare  du  mercure. 

Mis  à l'1 40;  mort  à 2h  45  : durée  de  la  vie,  l1'  5m. 

Composition  de  l’air  mortel  : 05,0;  CO2  14,8. 

Addition  de  l’oxygène  restant  et  de  l’acide  carbonique  formé  : 

CO2  4-0=  17,8; 


Rapport  de  l’acide  carbonique  formé  à l’oxygène  disparu  : 


CO2  _ 14,8 
O 17,9 


0,82. 


Expérience  II.  — 18  mars.  Moineau  franc. 

Cloche  de  11,9.  Mis  à l1'  10m,  mort  à 5h  5m.  La  dépression  finale  est 
par  suite  de  l’absorption,  de  2e, 5.  Il  n’v  a pas  de  tache  sanguine  au 
crâne. 

Air  mortel  : 0 4,2;  CO2  14,6. 

CO2 4-0  = 18, 8;  = 0,87. 

Expérience  111. — 20  juillet;  temp.  24°.  Moineau  franc. 

Cloche  de  1*,5.  Misa  3h  15,  pression  normale.  N’était  pas  mort  à 6h  15m, 
meurt  vers  7 heures. 

Air  mortel  : O 5,5;  CO9  16,0. 


MORT  EK  VASES  CLOS  : PRESSION  DIMINUÉE. 


537 


J’arrive  maintenant  aux  expériences  faites  à l’aide  de  l’ap- 
reil  représenté  figure  15,  page  528. 

Expérience  IV.  — 24  mars,'  temp.  15°,  pression  75e.  Moineau  franc. 
Cloche  de  5 litres. 

Mis  à 2h  4ra.  Commencé  courant  d’air  avec  la  pompe  à vapeur,  le  robi- 
net M étant  ouvert.  A 2h  10m,  10e  de  dépression;  à 2h  12m,  15e;  à 2h  14m, 
20e;  à 2h  17m,  25e;  à 2h  20m,  50e. 

On  ferme  le  robinet  et  on  continue  à décomprimer.  A 2h  23m,  32e  ; à 
2h  50m,  40e  ; à 2h  57m,  52e  : pression  réelle  25e. 

On  ferme  alors  le  robinet  D.  La  pression  se  maintient  parfaitement  à 
25e  avec  absorption  d’environ  1 demi-centimètre.  L’animal  meurt  à 3h55m, 
et  a ainsi  vécu  dans  5 litres  d’air  à 22e, 5,  qui  représentent  environ  0,4 
à la  pression  normale,  pendant  lh  35m. 

Composition  de  l’air  mortel  : 0 10,3;  CO2  7,5. 

CO2 

CO2 -+-0=17,8;  --  =0,70. 


Expérience  V.  — 25 mars;  temp.  15e;  press.  75e.  Moineau  franc.  Cloche 
de  3*,200. 

Misa  lh  50m  : courant  d’air.  A lh  55m,  10e de  diminution;  à lh  59m,  21e; 
à 2h  2m,  53e;  à 2h  5m,  45e  ; fermé  les  robinets  : pression  réelle  29e. 

Air  mortel  : O 9,3;  CO2  11,2. 

CO2 

CO2 -+-0=20, 5;  ^-  — 0,96. 


Expériences  VI  à IX,  simultanées.  — 6 mai;  temp.  16°;  pression  76e, 4. 
Moineaux  friquets  mâles,  vigoureux. 


VI.  — Cloche  de  2‘  5. 

Mis  à 3h  42m.  Laissé  à la  pression  normale.  A 6h,  très-malade;  128  res- 
pirations; à 6h  25m,  120  respirations.  Meurt  à 7h  5m.  A vécu  3h  23m. 

Air  mortel  : O 3,5;  CO2  14,6. 


CO2 -+-0=  18,1 


CO2 

U 


= 0,84. 


VII.  — Cloche  de  31,  2. 

Mis  à 5h  42,n.  Courant  d’air;  à 3h  55m,  6e  de  diminution;  à 4h,  16e;  à 
4h  4m.  21e, 4.  Fermé  les  robinets.  Pression  réelle  55e. 

A 41‘  19m,  assez  tranquille,  120  respirations;  à 5h  8m,  116  respirations; 
à 6h,  112  respirations,  ne  paraît  pas  malade;  à 6‘‘  25m,  108  respirations, 
encore  assez  bien.  Meurt  à 8h  55m. 

A vécu  4h  51m,  dans  3l,2  d’air  à 55e,  qui  représentent  2l,5  à 76e. 

Air  mortel  : O 4,5  ; CO2  14,4. 


C02-f-0=  18,9; 


CO2 


= 0,84. 


O 


538 


EXPÉRIENCES. 


VIII.  — Cloche  de  5l. 

Misa  51'  42  m : courant  d’air.  A 5h  55m,  8e  de  diminution;  à 4h,  16e;  à 
4h  4m,  19e;  à 4h  7,n,  40e.  Pression  réelle  56e, 4.  Fermé  les  robinets. 

A 4h  19,n,  150  respirations,  tranquille;  à 5h  8m,  126  respirations;  à 6h, 
très-malade,  128  respirations  ; à 6h  25,  150  respirations  ; meurt  à 7h  10m. 

A vécu  5h  dans  51  d’air  à 56*,4,  qui  représentent  2*,4  à 76e. 

Analyse  perdue. 

IX.  — Cloche  de  111, 5. 

Mis  à 5h  42m  : courant  d’air.  A 5h  55m,  14e  de  diminution  ; à 4h,  29e;  à 
4h  4m,  58e  ;à  4h  7,n,  52e  ; à4h  llm,  59e.  Fermé  les  robinets.  Pression  réelle 
17e, 4. 

Très-malade  de  suite.  A41'  19m,  140  respirations;  à4h  22m,  meurt  avec 
des  convulsions.  A vécu  11  minutes. 

Air  mortel  ; O 19,6;  CO2  0,6. 

Expériences  X à XII,  simultanées.  Il  mai;  temp.  16°;  press.  75e, 5. 

X.  — Friquet  mâle.  Cloche  de  21,2. 

Pe  5h  20,u  à 5h  22'"  la  pression  est  abaissée  brusquement  à 20e.  Immé- 
diatement, affaissement  de  l’oiseau,  et  mort  à 5h  24m,  après  convulsions. 
On  ne  croit  pas  devoir  prendre  d’air  pour  l’analyse. 

Le  cœur  gauche  contient  du  sang  noir;  pas  de  gaz  dans  le  sang. 

XI.  — Moineau  franc.  Cloche  de  5!,2. 

Amené  de  5h  15m  à 5h  17m  à 24e, 5 de  pression.  S’affaisse  un  moment, 
puis  revient  très-bien  à lui.  Meurt  à 5h  52"1.  A vécu  58  minutes  dans  une 
cloche  dont  la  capacité,  ramenée  à 76e,  représentait  1 1 ,05  d’air. 

Air  mortel  : O 12,8  ; CO2  6,  2. 

PO2 

CO2  4-  0 = 19,0;  -Ay  = 0,76. 

XII.  — Moineau  franc.  Cloche  de  4^6. 

Amené  en  quelques  minutes  à 54e, 5 de  pression  : paraît  à peine  s’en 
apercevoir.  Piobinets  fermés  à 5h  9m. 

A 4h  50m,  bien  malade,  mais  encore  sur  ses  pattes.  Mort  à 5h  4om.  A 
vécu  2h  54m  dans  une  quantité  d’air  représentant  1*,89  à 76e. 

Air  mortel  : O 8,2  ; CO2 10,8. 

PO2 

CO2  H-  O = 19,0;  ~ = 0,85. 

Expériences  XIII  à XV,  simultanées. — 24 mai;  temp.  17°;  pression  76e, 5. 
Moineaux  francs. 

XIII.  — Cloche  de  2!,5. 

Mis  à 5h  51  : courant  d’air.  A 5h  55m,  57e  de  pression  réelle:  fermé  les 
robinets.  L’animal  ne  paraît  pas  mal  à son  aise. 

Meurt  à 5h  20m.  A vécu  lh  45m  dans  une  quantité  d’air  qui  représente 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  DIMINUÉE. 


539 


l‘,22  d’air  à 76e.  Légère  absorption  d’environ  J /2e  de  mercure  : la  pres- 
sion finale  n’est  donc  plus  que  de  56e, 5. 

Air  mortel  : O 7,2;  CO2 11,5. 

f O2 

CO2  4-0=18,7;  ~ = 0,84. 

XIV.  — Cloche  de  S‘,2. 

Commencé  à 5h  24m.  A 5h  27m,  pression  réelle  de  28e, 5 : l’oiseau  ne 
tombe  pas  ; on  ferme  les  robinets. 

Meurt  à 4h  56m.  A vécu  lh  50 m dans  une  quantité  d’air  correspondant 
à 1 1 , 1 9 : absorption  d’environ  1 /2e  ; la  pression  réelle  est  donc  de  27%8. 

Air  mortel  : O 7,9;  CO2 10,5. 

CO2 

CO2  + O = 18,2  ; — 0,79. 

XV.  — Cloche  de  4l,6. 

Commencé  à 5h  10m.  A 5h  15m,  51e  de  diminution:  l’oiseau  tombe. 
A 5h  17m,  55e  de  diminution;  on  ferme  les  robinets  : pression  réelle,  21e, 5. 

A 5h  25n\  l’oiseau  se  relève  et  paraît  beaucoup  moins  mal  à l’aise.  A 
4h  42m,  agitation  convulsive  assez  violente.  Dernier  mouvement  à 4h  55ni. 
A vécu  lh  40m  dans  une  quantité  d’air  correspondant  à i\T). 

Air  mortel  : 011,8;  CO2  7 . 

f O2 

CO2 + 0=18,8;—  =0,77*. 

U 

Expériences  XVI  à XIX,  simultanées.  — 51  mai;  temp.  19°.  Pression 
75e, 8.  Moineaux  jeunes,  mais  vigoureux.  ' 

XVI.  — Cloche  de  51. 

Commencé  à 5h  45/n.  A 5h  55m,  la  pression  réelle  n’est  plus  que  de  19e, 7. 
On  ferme  les  robinets. 

L’oiseau  est  resté  tout  le  temps  immobile;  mais  vers  45  â 50e  de  dimi- 
nution, il  devient  inquiet,  puis  malade.  Au  moment  où  l’on  ferme  les  ro- 
binets, il  semble  qu’il  doive  bientôt  mourir.  Mais  vers  4h  il  va  notable- 
ment mieux. 

Mort  à 51'  50ni.  A vécu  lh  45ni  dans  une  quantité  d’air  correspondant 
à 1 1 ,50. 

A 5h  42m,  la  température  rectale  est  de  25°, 6 : il  n’y  a pas  de  rigidité 
cadavérique.  A 5h  55m,  la  température  est  de  22°, 8 et  il  y a rigidité,  qui 
est  ainsi  survenue  en  moins  de  25  minutes. 

Air  mortel  : O \ 2,9  ; CO2  7,0. 

CO2 

CO2  +-  O = 19,9;  ~ =0,87. 

X VIT.  — Cloche  de  4*,6. 

Commencé  à 5h,45m.  Depuis  qu’il  est  sous  la  cloche,  l’oiseau  s’agite  d’une 
manière  continuelle;  il  en  est  de  môme  pendant  le  commencement  de  la 
décompression;  vers  40  cent,  de  diminution,  il  se  calme  et  devient  ha- 


EXPÉRIENCES. 


540 

letant  et  de  plus  en  plus  malade.  A 5h  53™,  la  pression  n’est  plus  que  de 
20e, 8.  On  ferme  les  robinets.  L’oiseau  est  fort  malade,  s’agite  violem- 
ment et  convulsivement  et  périt  à 5h55™,  c’est-à-dire  en  2 minutes,  dans 
une  quantité  d’air  correspondant  à 1 1 , 2 7 . 

A 4h  15™,  sa  température  prise  dans  le  rectum  est  encore  de  51°, 6,  et 
la  rigidité  cadavérique  est  très-prononcée. 

Air  mortel  : 020,5;  GO2  0,5. 

XVIII.  — Cloche  de  5>,2. 

Commencé  à 5h  47™.  L’oiseau  s’est  agité  et  s’agite  comme  le  précédent, 
puis  il  se  calme  vers  40e  de  diminution  et  devient  aussitôt  assez  malade. 
A 5h  51™,  la  pression  n’est  plus  que  de  27e, 8 : on  ferme  les  robinets. 

L’oiseau  est  alors  très-malade,  et  pris  de  vomissements.  Mais  il  ne  tarde 
pas  à se  remettre  et  va  assez  bien  vers  41'.  A 6h  50™,  meurt  sans  convul- 
sions. Il  a ainsi  vécu  2 heures  dans  une  quantité  d’air  correspondant 
à 0,1 5. 

A 6h  42™,  sa  température  rectale  est  de  21°, 4 ; pas  de  rigidité  cadavé- 
rique. A 6h45™,  21°  : rigidité  commençante.  A 6h  47™,  c’est-à-dire  après 
17  minutes,  rigidité  complète;  tempér.  20°, 5. 

Air  mortel  : O 8,5;  CO2 10,9. 

CO2 

CO2 -f-0  = 19,4;  = 0,88. 

XIX.  — Pour  examiner  la  marche  naturelle  de  la  décroissance  de 
température  et  de  l’établissement  de  la  rigidité  cadavérique,  je  coupe, 
à 5h  7™,  la  tète  à un  moineau  semblable  aux  précédents.  La  température 
rectale  est  de  42°, 8.  Les  mouvements  réflexes  disparaissent  aussitôt;  l’œil 
estinsensible,  bien  quelebec  s’ouvre  encore  spontanément  plusieurs  fois. 
Après  5 minutes,  la  température  est  de  41°, 7 ; après  15  minutes,  de  55°. 5 ; 
après  25  minutes,  de  52°, 9;  après  58  minutes,  de  29°, 5.  A ce  moment,  il 
n’y  a pas  encore  de  rigidité  cadavérique. 

Expériences  XX  à XXIV,  simultanées.  — 5 juin;  tempér.  20°;  pression 
76e, 5.  Moineaux  francs. 

Ces  expériences  ont  été  faites  dans  le  but  d’examiner  si  la  dimension 
des  cloches  a une  influence  notable  sur  la  composition  de  l’air  mortel 
lorsque  la  dépression  est  partout  la  même. 

XX.  — Cloche  de  111, 5. 

Commencé  à 2h  51™.  A 2h  57™,  la  dépression  n’est  plus  que  de  30e, 8. 
Le  moineau  ne  s’est  pas  agité,  il  est  à peine  malade.  On  ferme  les  robi- 
nets. 

A 5h  5™,  il  titube  et  vomit,  mais  se  remet  assez  vite;  à 5h40™,  un  peu 
malade;  à 9h  50™,  très-malade  : on  extrait  de  l’air,  avec  la  pompe  à mer- 
cure, ce  qui  diminue  encore  la  pression  d’environ  1e, 5;  le  malaise  de 
l’oiseau  paraît  aussitôt  augmenté. 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  DIMINUÉE. 


541 


Meurt  à 9h  50m;  a vécu  6h  55m  dans  une  cloche  dont  la  capacité,  rame- 
née à la  pression  normale,  représentait  4l,66,  soit  par  litre  lh  28m. 

La  température  rectale,  prise  à 9h  55,n,  est  de  28°, 4;  il  n’y  a pas  de  ri- 
gidité cadavérique,  mais  celle-ci  existe  à 10h  5m,  la  température  étant 
de  26°, 7. 

L’air  pris  à 9h  50m  contenait  O 8,8  ; GO*  9,4. 

L’air  mortel  contenait  O 8,5;  CO*  9,8. 

PO* 

CO*  -b  O = 18,1  ; ~ — 0,78. 

XXI.  — Cloche  de  7*. 

Commencé  à 2h  51,n.  A 2h  55m,  pression  de  50e, 5.  L'oiseau,  qui  s’est 
beaucoup  agité,  est  assez  malade,  et  se  tient  difficilement  sur  ses  pattes. 
Les  robinets  sont  fermés.  A 5h  25m,  très-malade. 

Meurt  à 7h  20m.  Il  a ainsi  vécu  4h  25m  dans  une  quantité  d’air  corres- 
pondant à 2\79,  soit  pour  un  litre  lh  34“. 

A 7h  50m,  sa  température  n’est  que  de  25°;  pas  de  rigidité  ; à 7h  40m, 
trouvé  raide. 

Air  mortel  : O 8,2  ; CO2 10,1 . 

PO8 

CO*  -b  O =18,3;  = 0,79. 

XXII.  — Cloche  de  ô1. 

; 

Commencé  à 2h  47m.  S’agite  beaucoup.  A 2h  51m,  la  pression  n’est  plus 
que  de  26e, 1.  L’oiseau,  est  très-malade  et  crispé  contre  le  rebord  de  la 
cloche. 

Meurt  à 2h  55n\  A 5h  10m  est  très-raide.  Sa  température  est  de  54°, 7. 

• A vécu  6 minutes.  On  ne  prend  pas  d’air. 

XXIII.  — Cloche  de  51. 

Commencé  à 5h  20m.  S’agite  beaucoup.  A 3h  24m,  la  pression  est  de 
50e, 3;  l’oiseau  ne  parait  pas  malade;  on  ferme.  A 5h  25m,  très-malade. 
L’heure  de  la  mort  n’a  pas  été  marquée. 

Air  mortel  : O 8,3  ; CO*  1 0,5. 

PO2 

CO*  -b  O ~ 18,6;  — — 0,81 . 

XXIV.  — Cloche  de  21,5. 

Commencé  à 21'  51m.  A 2h  59“l,  la  pression  est  de  50e, 5.  S’est  agité 
beaucoup,  vomit,  mais  ne  tombe  pas.  Fermé  les  robinets. 

Vers  5h  5m,  un  peu  d’agitation.  Meurt  à 4h  30m. 

A 4h  50m,  27°  de  température;  rigidité  prononcée.  A vécu  lh  31m  dans 
la  c oche,  dont  la  capacité  correspond  à 1 litre. 

Air  mortel  : 0 10  ; CO*  10,4. 

PO  2 

CO*  -b  O — 20,4;  jy  — 0,95. 


EXPERIENCES. 


542 

La  moyenne  des  quatre  expériences  suivies  d’analyse  d'air  est  pour  la 
pression  de  30e, 5 : 0 8,7;  GO2 10,1. 

Expériences  XXV  à XXY11I,  simultanées,  faites  dans  le  même  but  que  les 
précédentes.  — 8 juin.  Temp.20°,5;  pression  76e.  Moineaux  francs. 

X XV. — Cloche  de  11  *,5. 

Commencé  à 3b  45,n.  A 5h  53m,  la  pression  est  de  24e, 2.  S’est  agité;  un 
peu  malade;  couché,  bâille  fréquemment;  fermé  robinet. 

A 4h  15in,  se  remet  sur  ses  pattes;  à 6b,  va  assez  bien;  à 7b  50m,  un  peu 
malade;  trouvé  mort  à 9h  50m. 

A donc  vécu  environ  5 heures  dans  une  cloche  dont  la  capacité  repré- 
sente 3C66  ; soit,  par  litre,  environ  lh  22m. 

Air  mortel  : O 13,7  ; CO2  5,4. 

CO2  4-0  = 19,1;  ~ = <J,75. 

XXVI.  — Cloche  de  71. 

Commencé  à 4b.  A 4h  10m,  pression  de  24e, 2.  S’est  beaucoup  agité;  a 
des  convulsions  et  paraît  près  de  périr.  Fermé  les  robinets. 

A 4b  15m,  se  remet  sur  ses  pattes;  à 4b  30m,  très  vif,  s’agite  beaucoup 
à 5h,  devient  malade;  à 6h,  comme  assoupi;  à 6b  2Ü‘U,  meurt  après  agita- 
tion convulsive  violente. 

A vécu  2b  10m,  dans  une  quantité  d’air  correspondant  à 2*,22  ; soit, 
par  litre,  58  minutes. 

A 6h  32m,  température  rectale  50°, 3,  n’est  pas  tout  à fait  raide;  à 6h 
45,u,  raide,  température  26°, 5. 

Air  mortel  : O 12,6;  CO2  7,0. 

Cf)2 

CO2  + 0=19,6;  — - = 0,84. 

XXVII.  - Cloche  de  51. 

Commencé  à 4b  15m.  A41*  21m,  arrivé  à 24e, 2 de  pression;  s’est  agité 
d’abord,  puis  calmé  aux  environs  de  42e  de  diminution,  comme  du  reste, 
ont  fait  les  précédents;  ne  tombe  pas.  Fermé  les  robinets. 

A 4b  22m,  titube,  vomit,  s’accroupit;  mais  bientôt  se  relève  et  va  assez 
bien. 

A 5h  30m,  très-malade;  à 6b  ÎO1,  meurt.  A vécu  lb  50m  dans  une  cloche 
dont  la  capacité  correspond  à 1 1 ,55  d’air;  soit,  par  litre,  lb  10. 

A 6h  211U,  raide;  température  27°, 2. 

Air  mortel  : 011,6;  CO2  7,8. 

fO2 

CO2  H-  O = 19,4;  ~ ^0,84. 

XXVIII.  — Cloche  de  2l ,5. 

Commencé  à 4h  16m;  à 4h  26,n,  la  pression  est  de  24e, 2.  S’est  agité, 
mais  ne  paraît  pas  en  danger. 

Meurt  à 5b  30IU;  a vécu  lb  4,u  dans  une  quantité  d’air  correspondant  à 
01, 79;  soit,  pour  un  litre,  lb  21U1. 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  DIMINUEE. 


545 


A 5h  50ni,  trouvé  raide;  température  27°, 5. 

Air  mortel  : O 12,6;  CO2  5,9. 

ff>2 

CO2  H-  O 1=18,5;  ~ = 0,71. 
Moyenne  des  quatre  expériences  : O 12,6  ; CO2  6,5. 


Expériences  XXIX  à XXXII,  simultanées.  — 10  juin.  Température  21°; 
pression  75e, 5.  Moineaux  francs. 

XXIX.  — Cloche  de  111, 5. 

Commencé  à 2h.  S’agite  beaucoup;  à 2h  8IU,  40e  de  diminution  de  pres- 
sion; se  calme  un  moment,  puis  s’agite  à nouveau.  A 2h  12ra,  la  diminu- 
tion est  de  47e;  ne  bouge  plus  ; un  peu  essoufflé.  A 2h  16m,  55e  de  dimi- 
nution, plus  essoufflé,  vomit.  A 2h  1711*,  la  pression  n’est  plus  que  de 
17e, 5.  On  ferme  les  robinets. 

L’oiseau  respire  très-  difficilement,  et  reste  couché.  Il  meurt  avec  con- 
vulsions à 2h  20m,  c’est-à-dire  après  5,n.  L’air  contient  à peine  des  traces 
d’acide  carbonique. 


XXX.  — Cloche  de  111, 5. 

Commencé  à 2h  45m;  s’agite  beaucoup.  A 2h  50U1,  la  diminution  est  de 
42e;  l’oiseau  se  calme.  A 2h  53m,  44e  de  diminution  : titube,  vomit,  mais 
recommence  à s’agiter.  A 2h  56m,  52e;  souffre  beaucoup.  A 5h  5m,  56e  de 
diminution;  tombe,  et  paraît  près  de  mourir.  On  laisse  rentrer  un  peu 
d’air,  jusqu’à  ce  que  la  dépression  ne  soit  que  de  49e.  A 51'  8"*,  l’oiseau 
paraissant  assez  bien  remis,  on  recommence;  à 5h  11™,  diminution 
de  58e  : agitation  convulsive,  mort  imminente  ; on  revient  à 49e.  A 5h  16IU, 
assez  bien  remis;  à 5h  18m,  dépression  de  56e, 5;  ne  va  pas  trop  mal. 
Fermé  les  robinets. 

A 31'  35"1,  l’oiseau  vomit;  à oh  55m,  comme  il  n’est  pas  trop  malade,  on 
amène  la  dépression  à 57e, 5,  c’est-à-dire  la  pression  à 18e;  il  devient 
aussitôt  anxieux,  mais  la  mort  n’arrive  qu’à  4h  50m. 

A ainsi  vécu  l1*  4ul  dans  une  quantité  d’air  représentant  2l,70;  soit, 
par  litre,  25  minutes. 

Air  mortel  : O 17,7  ; CO2  2,8. 

CO2 

CO2  -1-0  = 20,5;  ~J-  = 0,87. 

XXXI.  — Cloche  de  l1,  9. 

Commencé  à 5b  55111.  A 51'  45m,  la  pression  est  de  41e, 5.  On  ferme  les 
robinets. 

Mort  à 5h  23m  ; à 5h  50m,  tempér.  rectale  28°. 

A vécu  lh  45m  dans  une  cloche  correspondant  à 1 1 , 0 5 ; soit,  par  litre, 
lh  40m. 


Air  mortel:  O 6,5;  CO2  12,9. 

CO2  4-0=  19*4; 


CO2 


O 


544 


EXPERIENCES. 


XXXII.  — Cloche  de  1*,5. 

Commencé  à 5h  35m.  A 5h  45m,  48e, 5 de  pression.  Fermé. 

Mort  à 5h  10,n.  A 5h20m,  temp.  24°, 8.  A vécu  lh  25m  ; la  capacité  cor- 
respondait à O1, 92,  soit  par  litre,  l1'  52IU. 

Air  mortel:  O 5,2;  COM4, 1. 

CO2 

CO2  -H  0=  19,5  ; ^-=0,89. 

Expériences  XXXIII-XXX1Y,  simultanées.  — 14  juin.  Temp.  22°;  pression 
70e,  5.  — Moineaux  francs. 

XXXUÏ.  — Cloche  de  5',  2. 

Commencé  à 4h16m;  agitation  médiocre.  A 4h  21 , diminution  de  45e, 
vomit,  est  fatigué;  à 4h22,  pression  de  25e  ; très-malade.  Fermé  robi- 
nets. 

A 4h26m,  encore  sur  le  flanc;  se  relève  plus  tard.  Meuit  à 5h20m.  A 
5h51m,  tempér.  52°,  non  raide.  A 5h 40'",  50°, 7. 

Air  mortel  : O 11,2  ; CO2  7,0. 

C02  + 0 = 18,8;  ^ = 0,78. 

XXXIV.  — Cloche  de  2',  8. 

Commencé  à 4h  19,n;  agitation  médiocre.  A 4h  25"*,  pression  de  25e; 
vomit.  Fermé  robinets. 

Moins  malade  que  le  précédent.  A 4h  27m,  on  descend  à 24e, 5 de  pres- 
sion ; trés-haletant.  A 5h27m,  meurt  avec  convulsions. A 5h  40m,  la  tempé- 
rature est  de  51°, 0 ; 29°, 4 à 5 11  52m.  A vécu  lh  2m  dans  la  valeur  de  01, 9 
d’air;  soit,  par  litre,  4h  7m. 

Air  mortel  : O 11,5  ; CO2 8,1 . 

CD2 

CO2 -h 0 = 19,4;  ~ — 0,84. 

Expériences  XXXV-XXXVI  simultanées.  — 26  juillet.  Temp.  22°  ; pres- 
sion 76e.  — Moineaux  francs. 

XXXV.  — Cloche  de  21,  25. 

Ramené  en  quelques  minutes  à 55e  de  pression.  Fermé  les  robinets  à 

jh  45m # 

Mort  à 5h  25m.  A ainsi  vécu  lh  401”,  dans  une  cloche  dont  la  capacité 
représentait  ll,6  à la  pression  normale;  soit,  par  litre,  lh  5m.  A 5h  35,n, 
tempér.  rectale  28°. 

Air  mortel  O i,  6;  CO2  13,4. 

CO2 

CO2 + 0 = 18,0;  — =0,81. 

XXXVI.  — Cloche  de  5S2. 

Ramené  à 47e  de  pression.  Fermé  robinets  à 2h.  Mort  à 5h  55.  A vécu 
lh  53m,  dans  une  capacité  équivalente  à 2e;  soit,  par  litre,  57m. 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  DIMINUÉE. 


545 


A 4h,  tempér.  rectate27°. 

Air  mortel  : O 5,5  ; GO2  12,4. 

ff)2 

C02  + 0=  17,9;  — 0,80. 

Expérience  XXXVII. — 18  mars.  Pression  70e. 

Moineau  franc,  mis  à lh,45ni  sous  cloche  de  5l,2.  La  pression  est  ame- 
née à 58e.  Mort  à 5h15m.  Quelques  taches  dans  le  diploë  crânien,  à la 
région  occipitale.  A vécu  lh50m  dans  la  valeur  de  l‘,6  d’air,  soit  par 
lilre,  56  minutes. 

Air  mortel  O 8,2  ; CO2  11,6. 

f O2 

CO2  4-0=  19,8; -jj-  =0,91. 

J’ai  rendu  compte,  à dessein,  dans  les  pages  qui  précèdent, 
d’un  grand  nombre  d’expériences,  afin  de  montrer  ce  qu’il 
y a d’indéfiniment  variable  dans  les  phénomènes,  et  en  même 
temps  ce  qui  se  dégage  de  général  de  cette  variété  qui  défie 
à la  fois  les  moyennes  illusoires  et  la  prétendue  précision 
des  décimales.  A coup  sûr,  lorsqu’un  moineau  meurt  sous 
une  cloche  à une  certaine  pression,  l’air  de  cette  cloche  a 
une  composition  que  les  méthodes  les  plus  perfectionnées 
de  la  chimie  moderne  pourraient  peut-être  permettre  de 
déterminer  à un  dix-millième  près.  Mais  de  quoi  servirait 
cette  précision,  alors  que  nos  expériences  nous  montrent 
qu’un  autre  moineau,  en  tout  semblable  au  premier,  placé 
dans  des  conditions  en  apparence  identiques,  meurt  avec 
une  composition  de  l’air  ambiant  qui  peut  différer  de  la  pre- 
mière de  4 ou  5 dixièmes  d’oxygène  ou  d’acide  carbonique, 
ou  même  plus?  Mieux  vaut  évidemment  multiplier  les  expé- 
riences pour  tâcher  de  trouver  l’explication  de  ces  différen- 
ces, et  s’en  tenir  aux  méthodes  d’analyse  commodes  qui  per- 
mettent d’agir  rapidement. 

Mais  le  comble  de  l’absurde,  et  c’est  malheureusement  ce 
qui  se  trouve  assez  souvent  dans  les  travaux  allemands,  est 
de  prétendre  donnera  ces  dernières  méthodes  une  apparence 
de  précision  qu’elles  ne  comportent  pas,  en  poussant  les  cal- 
culs jusqu’aux  2CS  et  5CS  décimales,  en  s’en  rapportant  même 
à la  table  de  logarithmes  pour  en  obtenir  davantage.  Ce 

55 


846 


EXPÉRIENCES. 


charlatanisme  des  décimales,  qui  amène  à donner  comme 
exacts  les  millièmes  dans  un  nombre  faux  dès  les  unités,  est 
un  des  trompe-l’œil  dont  il  faut  le  plus  se  méfier.  Précisons 
notre  critique,  en  l’appliquant  au  cas  présent. 

Supposons,  dans  un  tube  gradué  en  dixièmes  de  centi- 
mètres cubes,  renversé  sur  la  cuve  à mercure,  notre  mélange 
gazeux  habituel  d’azote,  d’oxygène  et  d’acide  carbonique. 
Pour  éviter  d’avoir  à tenir  compte  dans  la  première  visée 
d’un  ménisque  mercuriel  convexe,  et  dans  les  deux  autres  d’un 
ménisque  aqueux  concave,  j’introduis  d’abord  dans  le  tube 
quelques  gouttes  d’eau  pure,  et  je  cherche  à déterminer  le 
niveau.  Or,  en  admettant  prises  les  plus  grandes  précautions, 
il  est  impossible  d’apprécier,  avec  une  approximation  plus 
grande  que  un  demi-dixième,  la  hauteur  de  la  colonne  li- 
quide. Supposons  que  j’aie  trouvé  qu’elle  affleure  entre 
25cc,5  et  25cc,4;  mais  je  ne  puis  savoir  s’il  s’agit  de  25cc, 52 
ou  de  25cc,57  par  exemple.  J’ajoute  maintenant  la  potasse, 
j’agite  vigoureusement,  à plusieurs  reprises,  et  je  plonge 
à nouveau  le  tube  dans  le  mercure  pour  le  ramener  à la 
température  primitive.  Je  suppose  encore  tout  au  mieux  : 
le  niveau  actuel  sera,  par  exemple,  entre  20cc,2  et  20cc,5, 
et  j’ai  à choisir  entre  20cc,25  et  20cc,28.  Il  aura  donc  dis- 
paru, suivant  que  je  prendrai  plus  ou  moins  haut  mon 
niveau  de  ménisque,  — et  l’on  sait  combien  la  visée  est 
difficile  pour  un  liquide  incolore,  sans  parler  de  ceci,  que 
le  ménisque  de  l’eau  pure,  dans  un  tube  nécessairement  un 
peu  sale,  n’est  pas  le  même  que  le  ménisque  de  l’eau  po- 
tassée qui  mouille  parfaitement  le  verre,  — il  aura  donc 
disparu,  sur  une  quantité  moyenne  de  25cc,55,  soit  5CC,04, 
soit  5CC,14  d’acide  carbonique,  ce  qui  donne,  pour  la  compo- 
sition centésimale  : dans  le  premier  cas  25,55: 100= 5CC, 04: 
x=  1 9CC, 88  ; dans  le  second,  25,55 : 100=5cyI4:æ=  20cc,27 . 
C’est-à-dire,  sans  tenir  compte  de  la  cause  d’erreur  due  à 
l’opération  elle-même,  et  qui,  ici,  agit  sur  la  seconde  déci- 
male, que  mon  analyse,  si  bien  faite  qu’elle  puisse  être 
par  la  méthode  volumétrique,  m’expose  à une  erreur  qui 
peut  aller  dans  le  cas  particulier  actuel  jusqu’à  20,27  — 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  DIMINUÉE.  547 

19-,88  = 0CC,59.  En  d’autres  termes,  la  première  décimale 
peut  et  doit,  dans  la  rapidité  nécessaire  des  analyses,  être 
constamment  faussée. 

C’est  avec  cette  préoccupation  qu’il  convient  d’envisager 
tous  les  résultats  de  nos  analyses;  et,  ceci  étant  considéré, 
personne  ne  me  reprochera  de  m’être  prudemment  arrêté  à 
ce  chiffre  qui  indique  juste  le  degré  de  précision  que  l’on 
peut  attendre  de  cette  méthode  volumétrique  d’analyse,  pas 
plus  qu’on  ne  me  reprochera  de  ne  pas  avoir  employé  d’au- 
tres méthodes,  alors  que  les  différences  expérimentales,  dont 
nous  ne  sommes  pas  maîtres,  sont  au  moins  du  même 
ordre,  ainsi  que  je  l’ai  dit  plus  haut. 

Ces  réserves  faites,  examinons  les  résultats  des  expériences 
que,  pour  abréger  une  lecture  fastidieuse,  j’ai  groupées  en 
un  tableau  d’ensemble  en  les  disposant  suivant  l’ordre  des 
pressions. 

Si  l’on  examine  la  colonne  8,  qui  indique  la  proportion 
d’oxygène  restant  dans  l’air  devenu  irrespirable,  on  voit  que 
les  chiffres  qu’elle  contient  vont  en  augmentant  au  fur  et  à 
mesure  que  la  pression  diminue.  Cette  règle  souffre  cepen- 
dant d’apparentes  exceptions  que  révèle  le  tableau.  Mais  si 
l’on  veut  considérer  les  résultats  que  donnent  les  analyses 
'd’air  devenu  morlel  faites  à la  même  pression,  on  voit  que 
les  exceptions  signalées  sont  du  même  ordre  que  les  diffé- 
rences qui  séparaient  les  résultats  de  ces  analyses.  Ainsi,  à 
la  pression  normale,  la  proportion  d’oxygène  restant  a oscillé 
entre  5 et  4,2  pour  100;  de  même,  à 24e, 2,  nous  ki  voyons 
osciller  entre  11,6  et  13,7. 

Le  sens  général  du  phénomène  se  montre  avec  bien  plus 
de  netteté  encore  dans  la  courbe  représentée  en  O,  figure  17. 
Ici  les  pressions  sont  mesurées  sur  l’axe  des  abscisses,  en 
ordre  croissant,  et  les  quantités  d’oxygène  sont  portées  sur 
celui  des  ordonnées..  Nous  verrons  tout  à l’heure  que  cette 
courbe,  si  on  fait  abstraction  des  petites  irrégularités  dont 
nous  avons  parlé,  répond  à une  définition  géométrique  pré- 
cise, et  ri’est  autre  chose  qu’une  branche  d’hyperbole. 

La  proportion  de  l’acide  carbonique  produit  suit  tout 


548 


EXPÉRIENCES. 


TABLEAU  I. 


1 

11 

£ 

B-° 
Z fi 

2 

i/)  rn 

Id  w 

S g 

O s 
Æ « 

*u: 

^ Cm 
»3  H 
S5  W 

TE  M PI1’  RATURE 

Ol 

EXTERIEURE 

4 

w 

U3 

^ 2 
o c 

c n H 

C/3  'U 
U ^ 
CS  Q 

CS 

03 

CAPACITÉ 

V- 

DE  LA  CLOCHE 

! DURÉE  DE  LA  VIE  Cj 

7 

DURÉE  DE 
LA  VIE  PAR 
LITRE  D’AIR 
RAPPORTÉ 
A 76  C.  DE 
PRESSION 

8 

COMPO 
DE  L’AIR 

0 

9 

SITÏON 

MORTEL 

CO* 

10 
H U 

0 “ 

0 g 

C/3  p* 

0 
w - . 

H J 

0 X P 
7 1 » 

11 

CO2  H-  0 

12 

CO2 

O 

0 

6 

lit. 

h ». 

II.  ni. 

1 

I 

15 

7G 

1 

1 5 

1 5 

3,0 

14,8 

3,0 

17,8 

0,82 

2 

II 

15 

7 G 

1,9 

1 55 

0 57 

4,2 

14, G 

4/2 

18,8 

0,87 

5 

VI 

IG 

75 

2,5 

5 25 

1 20 

5,5 

14, G 

3,5 

18,1 

0,84 

4 

III 

24 

75 

1,5 

5 45 

*2  50 

3,3 

16,0 

3,3 

19,5 

0,80 

5 

VII 

IG 

55 

5/2 

4 31 

1 57 

4,5 

14,4 

3,2 

18,2 

0,84 

G 

XXXV 

22 

55 

2 2 

1 40 

1 03 

4,6 

15,4 

r»  rr 
OfO 

18,0 

0,81 

7 

XXXII 

21 

48,5 

1.5 

1 25 

1 32 

5,2 

14,1 

f7  f 7 
t).ü 

19,5 

0,89 

8 

XXXVI 

22 

47 

5,2 

1 55 

0 57 

5,5 

12,4 

3,4 

17,9 

0,80 

9 

XXXI 

21 

41,5 

1,9 

1 45 

1 45 

G,  5 

12,9 

3,5 

19,4 

0,89 

10 

XXXVII 

)) 

58 

5,2 

1 30 

0 56 

8/2 

11, G 

4,1 

19,8 

0,91 

11 

XIII 

17 

57 

2,5 

1 45 

1 27 

7/2 

11,5 

3,5 

18,7 

0,84 

12 

VIII 

IG 

5‘',4 

5 

5 00 

1 15 

». 

» 

» 

» 

» 

15 

XII 

16 

O éj O 

4, G 

2 54 

1 21 

8,2 

10,8 

3,7 

19,0 

0,85 

14 

XX 

20 

50,8 

11,5 

G 55 

1 28 

8,5 

9,8 

3,4 

18,1 

0,78 

15 

XXIV 

20 

50,5 

2,5 

1 31 

1 31 

10,0 

10,4 

4,0 

20,4 

0,95 

JO 

XXI II 

20 

50,5 

5 

» 

B 

8,3 

10,3 

O j ô 

18, G 

0,81 

17 

XXI 

20 

o05O 

7 

4 25 

1 34 

8,2 

10,1 

3,2 

18,3 

0,79 

18 

V 

15 

29 

5,2 

» 

» 

9,3 

11,2 

5,5 

20,5 

0,96 

19 

XIV 

17 

28,5 

0, 2 

1 50 

' 1 15 

7,9 

10,5 

3.0 

18,2 

0,79 

20 

XVIII 

19 

27,8 

5,2 

2 00 

1 44 

8,5 

10,9 

5, 1 

19,4 

0,88 

21 

XXII 

20 

26,1 

5 

0 06 

» 

» 

» 

)) 

» 

» 

22 

XXXIV 

22 

25 

2,8 

1 02 

1 07 

11,3 

8,1 

5, G 

19,4 

0,84 

2ô 

XI 

IG 

24,5 

5/2 

0 58 

0 58 

12,8 

6,2 

4,1 

19,0 

0,70 

24 

XXV 

20 

24,2 

11,5 

5 00 

1 22 

15,7 

5,4 

4,3 

19,1 

0,75 

25 

XXVI 

20 

24,2 

7 

2 10 

0 58 

12,  G 

7,0 

4,0 

19,  G 

0,84 

2G 

XXVII 

20 

24,2 

5 

1 50 

1 10 

11, G 

7,8 

3,6 

19,4 

0,84 

27 

XXVIII 

20 

94  9 

2,5 

1 04 

1 21 

12, G 

5,9 

4,0 

18,5 

0,71 

28 

IV 

15 

25 

5 

1 55 

1 08 

10,5 

7,5 

5,1 

17,8 

0,70 

29 

XXXIll 

22 

25 

5/2 

» 

» 

11,2 

7.  G 

3,4 

18,8 

0,78 

50 

XV 

17 

21,5 

4, G 

1 40 

1 17 

11,8 

7,0 

3,3 

18,8 

0,77 

51 

XVII 

19 

20,8 

4,0 

0 02 

» 

« 

» 

» 

» 

» ! 

52 

X 

19 

2 u 

9 9 

0 02 

)> 

); 

» 

» 

)> 

» 

55 

XVI 

19 

19,7 

5 

1 45 

1 20 

12,9 

7,0 

5,3 

19,9 

0,87 

54 

XXX 

21 

18 

11,5 

1 04 

’O  23 

17,7 

2,8 

4,2 

20,5 

0,87 

55 

XXIX 

21 

17,5 

11,5 

0 03 

» 

» 

» 

» 

» 

» 

5G 

IX 

10 

17,4 

11,5 

0 11 

» 

Moyenne, 
saul  les  exjiér. 
marquées  d’un 
astérisque  ; 

lh  10m 

19,6 

0,0 

4.5 

moyenne 

3.5 

20,2 

» 

/ 


MOUT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  DIMINUÉE. 


549 


naturellement  une  marche  inverse,  comme  le  montre  la 
courbe  CO2  qui  représente  ses  modifications. 

Ainsi,  plus  la  pression  est  faible,  moins  Pair  confiné  a 
besoin  d’être  altéré  dans  sa  composition  chimique  pour  de- 
venir irrespirable.  Aux  très-basses  pressions  même,  il  devient 
irrespirable  tout  en  étant  parfaitement  pur,  et  cela  pour  une 
raison  que  nous  indiquerons  tout  à l’heure.  Mais  le  fait  géné- 
ral que  nous  venons  de  signaler  sulfit  pour  démontrer  que 


Fig.  17.  — Composition  de  l’air  confiné  devenu  mortel  à des  pressions  inférieures 

à une  atmosphère. 

0.  Proportions  de  l’oxygène  restant.  — CO2.  Proportions  de  l’acide  carbonique.  — CO2  -+  0. 

Somme  de  l’oxygène  consommé  et  de  l’acide  carbonique  formé. 

l’acide  carbonique  rejeté  dans  le  milieu  confiné  n’est  ici  pour 
rien  dans  la  mort,  puisque  sa  proportion  s’abaisse  progressi- 
vement à des  valeurs  minimes.  Au  reste,  des  expériences 
directes,  dans  lesquelles  cet  acide  était  en  grande  partie  ab- 
sorbé par  une  dissolution  de  potasse  au  fur  et  à mesure  de 
sa  formation,  ont  montré  que  la  composition  de  l’air  mortel, 
au  point  de  vue  de  la  richesse  en  oxygène,  n’en  était  nulle- 
ment modifiée.  C’est  donc  cette  richesse,  ou  plutôt  cette 


550 


EXPÉRIENCES. 


pauvreté  en  oxygène,  qui  est  cause  de  la  mort,  et  qu’il  con- 
vient d’examiner  de  près. 

Il  semble  vraiment  bien  difficile  à première  vue  d’attribuer 
la  mort  à la  privation  d’oxygène  dans  des  expériences  où  il 
en  restait  dans  l’air  12,  15,  17  pour  100.  Mais  cette  difficulté 
disparait  en  réfléchissant  suffisamment. 

En  effet,  nous  savons  que  lorsqu’un  oiseau  périt,  à la  pres- 
sion normale,  dans  l’air  confiné,  cette  mort  est  due  (pour  la 
plus  grande  partie  du  moins,  nous  nous  expliquerons  plus 
longuement  là-dessus  plus  tard)  à la  privation  d’oxygène,  ou, 
pour  parler  plus  exactement,  à la  trop  faible  proportion,  et 
plus  exactement  encore,  à la  trop  faible  tension  de  ce  gaz 
dans  le  milieu  ambiant.  Cette  tension  peut  être  exprimée,  à 
la  pression  normale,  précisément  par  le  chiffre  qui  indique 
la  proportion  centésimale.  On  peut  dire,  par  exemple,  que,  à 
une  atmosphère,  la  tension  de  l’oxygène  de  l’air  ordinaire 
est  de  20,9  ; et  de  même,  que  la  tension  de  l’oxygène  de  l’air 
confiné  devenu  mortel  oscille  à peu  près  entre  5 et  4. 

Suivant  cette  convention,  la  tension  de  l’oxygène,  à une 
pression  plus  faible  que  celle  d’une  atmosphère,  sera  évidem- 
ment représentée  par  un  nombre  obtenu  en  multipliant  la 
proportion  centésimale  par  le  rapport  de  cette  pression  à la 
pression  normale,  exprimées  toutes  deux,  pour  plus  de  sim- 
plicité, en  centimètres  de  mercure.  Ainsi,  la  pression  de 
l’oxygène  de  l’air  ordinaire  à 50e  de  pression  sera  repré- 

50 

sentée  par  le  nombre  20,9Xyg  = 8,2. 

Appliquant  maintenant  ce  simple  calcul,  dont  la  formule 
G XI P 

, à tous  les  nombres  inscrits  à notre  tableau,  nous 


est 


7fi 


arrivons  aux  résultats  consignés  dans  la  colonne  10.  Or,  nous 
voyons  ainsi  que,  à quelque  pression  que  nos  oiseaux  aient 
été  placés,  leur  mort  est  survenue  lorsque  la  pression  de 
l’oxygène  s’est  abaissée  à des  valeurs  oscillant  entre  5 et  4,  5 : 
valeurs  qui  sont  précisément  celles  avec  lesquelles  l’air 
devient  irrespirable  à la  pression  normale.  Le  tableau  mon- 
tre que,  même  à des  pressions  très-basses,  on  trouve  des 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  DIMINUÉE. 


551 


chiffres  (nos  28,  50,  55)  qui  indiquent  l’épuisement  le  plus 
complet,  la  tension  la  plus  faible,  lorsqu’on  a pris  des  pré- 
cautions suffisantes,  sur  lesquelles  nous  allons  revenir  dans 
un  moment. 

Les  différences  entre  les  résultats  des  analyses  aux  diver- 
ses pressions  sont  exactement  du  même  ordre  que  celles  qui 
séparent  les  résultats  obtenus  à une  même  pression.  C’est  ce 
qui  ressort  avec  la  dernière  évidence  du  graphique  de  la 
figure  18,  lequel  exprime  les  résultats  de  la  colonne  10.  Ainsi, 
à la  même  pression  de  24e,  on  a des  écarts,  comme  le  montrent 
les  petites  croix,  aussi  grands  que  ceux  du  tracé  tout  entier. 


Fig.  18.  — Variations  dans  la  tension  de  l’oxygène  contenu  dans  l’air  comprimé  devenu 
mortel  à diverses  pressions  moindres  qu’une  atmosphère. 

Ce  sont  là  de  ces  différences  que  présentent  toujours  les  ex- 
périences faites  dans  des  conditions  en  apparence  identiques. 

En  résumé,  nous  arrivons  à cette  expression  très-simple  : 
Dans  l'air  confiné , à des  pressions  inférieures  à celle  d'une 
atmosphère , la  mort  des  moineaux  arrive  lorsque  la  tension  de 
l'oxygène , mesurée  comme  il  vient  d'être  dit , est  représentée  par 
un  chiffre  qui  oscille  environ  entre  5 et  4,  et  que  nous  pouvons 
appeler  k. 

Si  nous  nous  reportons  maintenant  au  tracé  O de  la  ligure  17, 


552 


EXPERIENCES. 


nous  voyons  que  chacun  de  ses  points  correspond  à l’équa- 
tion ~ = k,  d’où  xy=  76/»;.  Or,  h ayant  une  valeur  qui  varie 

de  5 à 4,5,  soit  5,6  en  moyenne,  il  en  résulte  que,  pour 
le  point  qui  correspond  à 4ic  de  pression,  par  exemple, 
..  41x6,5  ^ 

1 équation  sera  — yg — = o,b.  Oest,  en  d autres  termes, 

l’équation  d’une  hyperbole  ayant  pour  asymptotes  l’axe  des  x 
et  une  parallèle  à l’axe  des  y placée  au  zéro  des  pressions, 
ou,  pour  employer  l’expression  exacte,  d’une  hyperbole  équi- 
I cttère. 

Ces  faits  nous  font  envisager  sous  un  nouvel  aspect  l’ac- 
tion de  la  diminution  de  pression  sur  l’organisme.  Ils  ten- 
dent à montrer  qu’elle  consiste  principalement  à diminuer 
la  tension  extérieure  de  l’oxygène,  et,  par  suite,  à placer 
l’animal  dans  des  conditions  semblables  à celles  que  lui  pré- 
senterait la  respiration  a la  pression  normale  dans  un  milieu 
moins  oxygéné  que  l’air.  On  pourrait  même  affirmer  déjà 
qu’il  ne  s’y  mêle  pas  d’autre  élément  important,  puisque,  à 
des  pressions  de  20  à 25e,  nous  retrouvons  dans  le  tableau 
les  chiffres  5,  1 ou  5,  5 qui  indiquent  un  épuisement  aussi 
considérable  qu’à  la  pression  normale. 

En  poursuivant  ce  raisonnement,  nous  pouvons  arriver  à 
déterminer  la  limite  inférieure  de  pression  qu’il  ne  sera  pas 
possible  de  dépasser  sans  faire  périr  les  animaux  (nous  par- 
lons toujours  ici  des  moineaux).  Elle  sera  donnée  par  les  for- 

/y»  nr* 

mules  20,9  Xyy  =5  et  20,9 Xjjj  = 4,5,  puisque  5 et  4, 

5 sont  les  nombres  extrêmes  que  nous  ont  donnés  les  ex- 
périences ci-dessus  rapportées. 

4e  5x76 

On  arrive  ainsi  à x= — ^tfTj — = 15e, 6,  pour  le  chiffre  le 

plus  élevé,  et,  pour  le  plus  bas,  à x=  10e, 9. 

Mais  il  est  évident  que,  pour  atteindreà d’aussi  basses  pres- 
sions, il  faut  prendre  les  plus  grandes  précautions,  et  habi- 
tuer lentement  l’animal  à cette  asphyxie  d’un  nouveau 
genre.  Une  modification  brusque  le  surprenant  avec  des 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  DIMINUEE. 


553 


habitudes  de  consommation  oxygénée  trop  forte,  le  tuerait, 
et  c’est  ce  qui  nous  est  arrivé  (nos  21,  31,  52  du  tableau), 
pour  des  pressions  de  20  et  même  de  26  centimètres.  Il  ne 
faut  pas  oublier  que  les  oiseaux  qui  périssent  dans  les  réci- 
pients d’air  confiné  y périssent  très-lentement,  s’y  refroidis- 
sent et  peuvent  ainsi  vivre  pendant  longtemps  avec  une  très- 
faible  absorption  d’oxygène.  Claude  Bernard 1 a fait  voir  avec 
une  admirable  sagacité  la  différence  qui  existe  à ce  point 
de  vue  entre  un  animal  vigoureux  et  un  animal  affaibli. 

C’est  dans  le  but  d’arriver,  en  allant  lentement , aussi 
bas  que  possible,  qu’ont  été  faites  les  expériences  suivantes  : 

Expérience  XXXVlll. — 50  mars.  Moineau  franc.  Cloche  de5L 

Mis  à 2h.  Entretenu  courant  d’air  continu,  tout  en  faisant  marcher  la 
pompe  pneumatique  à vapeur.  A 2h  4,u,  51e  de  pression;  à 2h  5‘",  59e;  à 
2h  Gm,  55e,  gêné,  respiration  un  peu  haletantê.  A 2h  7m,  25e:  tombe  le 
bec  en  avant,  haletant;  ne  se  relèvera  plus.  La  pression  remonte  à 28e, 
l’oiseau  ne  bouge  pas;  elle  s’abaisse  soudain  à 24e  (2h  9m),  et  l’oiseau 
saule. en  titubant,  pour  retomber  aussitôt.  A 2h  llm,  22e,  même  état;  à 
2h  15m,  16e  : agitation  assez  violente;  on  ramène  à 20e;  à 2h  251U,  tou- 
jours 20e;  on  continue  à diminuer;  à 2h  27m,  il  n’y  a plus  que  17e, 
et  à 2h  50m,  que  10e, 5.  A 2h  52,u,  le  mercure  monte  tout  à coup  à 8e  : 
agitation  convulsive  et  mort.  La  température  rectale  est  de  52°. 

Expérience  XXXIX.  — Même  jour,  même  appareil. 

Mis  à 2h  401U.  En  lm,  amené  à 22e  : tombe  sur  le  flanc,  d’où  il  ne  se  re- 
lèvera pas.  A 2h  45m,  20e;  à 2h  45"1,  17e;  à 2h  54m,  16e;  à 5h  15m,  15e, 5. 
Dans  les  intervalles,  la  pression  s’est  à deux  ou  trois  reprises  abaissée 
soudain  à 10e  pour  se  relever  aussitôt.  L’animal  est  resté  immobile,  hé- 
rissé, respirant  difficilement.  Retiré  à5h  151'1;  est  très-froid. 

Se  remet  très-bien  après  un  quart  d'heure  et  survit.  A 4h  50,n  il  a 
la  température  normale. 

Expérience  XL.  2 janvier.  — Moineau  franc,  vigoureux.  Pression  barom. 
755mm  ; cloche  de  41 ,5. 

On  commence  la  dépression,  sous  courant  d’air,  à 2h  55m. 

A 2h  55,n,  la  pression  sous  la  cloche  n’est  plus  que  de  58e,  l’animal  est 
calme; 

A 5h  05m,  pression  48e;  à 5h  15“,  40e;  à 5h  25m,  50e;  à 5h  55m,  25e  : 
l’animal  est  accroupi  sur  les  tarses; 

1 Leçons  sur  les  effets  des  substances  toxiques  et  médicamenteuses.  Pans,  1857, 
p.  125. 


554 


EXPERIENCES. 


A 5h  45m,  pression  17*';  l’oiseau  est  couché  sur  le  flanc,  mais  ne  paraît 
pas  trop  malade; 

De  3h  50m  à 5h  55m  la  pression  est  abaissée  à 15e;  de  3h  55m  à 4h,  à 
14e;  de  4h  à 4h  5m,  à 11e;  de  4h  5m  à 4h  10m,  à 10e  : l’oiseau  est  sur  le 
flanc,  mais  assez  tranquille. 

On  laisse  rentrer  brusquement  l’air  ; l’oiseau  se  remet  aussitôt  sur  ses 
pattes;  sa  température  rectale  est  de  28°.  On  le  réchauffe  près  du  poêle, 
et  il  remonte  sur  le  bâton  de  sa  cage.  Mais  il  meurt  dans  la  nuit. 

Voici  donc  des  moineaux  pour  lesquels  on  a procédé 
assez  lentement  pour  amener  l’affaissement  et  le  refroidis- 
sement, et  qui  ont  subi  des  abaissements  de  pression  tout 
à fait  comparables  à ceux  qu’indiquaient  les  calculs  précé- 
dents. C’est  ici  une  question  de  prudence  et  de  patience. 

Si  maintenant  nous  examinons  la  colonne  11  du  tableau  I, 
nous  trouvons  des  nombres  représentant  le  résultat  de 
l’addition  de  l’acide  carbonique  produit  et  de  l’oxygène 
restant  au  moment  de  la  mort.  Ils  ont  fourni  le  tracé  CO2 H- O 
de  la  figure  17.  On  voit  que  ces  différents  chiffres  oscillent 
entre  17,8  et  20,5  : la  moyenne  générale  est  18,9.  Ainsi  se 
retrouve  à toutes  les  diminutions  de  pression  le  fait  observé 
par  les  anciens  auteurs,  et  qui  leur  avait  fait  faire  de  si 
étranges  hypothèses  sur  la  nature  de  l’asphyxie  en  vases  clos, 
c’est-à-dire  la  diminution  de  l’élasticité  de  l’air,  ou  en  d’au- 
tres termes  la  disparition  d’une  certaine  quantité  d’oxygène 
qui  ne  se  trouve  pas  dans  l’acide  carbonique  rejeté  au 
dehors.  De  plus,  — cela  est  bien  évident  sur  le  tracé  — 
cette  somme  va  en  augmentant  quand  la  pression  dimi- 
nue : au-dessus  de  une  demi -atmosphère,  elle  est,  en 
moyenne,  de  18,7,  et  au-dessous  elle  est  de  19,2.  Ainsi,  aux 
très-basses  pressions,  il  sort  dans  l’air  extérieur  une  propor- 
tion d’acide  carbonique  plus  forte  par  rapport  à celle  de 
l’oxygène  consommé.  En  étudiant  les  gaz  du  sang  sous  dimi- 
nution de  pression,  nous  nous  rendrons  aisément  compte  de 
ce  phénomène. 

Ce  n’est  pas  tout  : l’inspection  attentive  de  cette  colonne 
Il  nous  montre  encore  un  fait  qui  n’est  pas  sans  intérêt.  Si 
nous  groupons  d’un  côté  tous  les  cas  dans  lesquels  le  chiffre 
indiqué  dans  la  colonne  10  est  compris  entre  5 et  5,5,  et 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  DIMINUÉE.  555 

de  l’autretous  ceux  où  ce  chiffre  est  supérieur  à 5,5,  nous 
trouverons  que  pour  la  première  série  la  moyenne  est  de 
18,6,  tandis  que  pour  la  seconde  elle  s’élève  à 19,5.  Ceci 
signifie  que  plus  l’épuisement  d’oxygène  a été  grand,  plus 
grande  a été  la  quantité  de  ce  gaz  qu’on  ne  retrouve  pas  dans 
l’acide  carbonique  exhalé.  On  peut  tirer  de  là  cette  consé- 
quence que,  dans  l’asphyxie  en  vases  clos,  quelle  que  soit 
la  pression,  vers  la  fin  de  la  vie  de  l’animal,  l’oxygène,  qu’il 
continue  à absorber  en  quantité  très-faible,  reste  dans  les 
tissus  sous  une  forme  quelconque,  sans  aller  jusqu’à  donner 
naissance  à de  l’acide  carbonique. 

Cette  conclusion  est  encore  corroborée  par  l’examen  de  la 
colonne  12  du  tableau,  colonne  qui  contient  pour  chaque 
expérience  le  rapport  entre  l’acide  carbonique  produit  et 
l’oxygène  consommé.  On  voit  en  effet  que  ces  nombres  sont, 
d’une  manière  générale,  d’autant  plus  faibles  que  les  pres- 
sions sont  plus  basses.  Ainsi,  dans  les  onze  premières  expé- 
riences (au-dessus  d’une  demi-atmosphère)  la  moyenne  est 
0,85,  et  pour  les  autres  0,80  seulement.  Il  en  résulte  donc 
que,  aux  très-faibles  pressions,  la  proportion  d’oxygène  qui 
est  absorbée  sans  produire  d’acide  carbonique  est  plus  con- 
sidérable qu’aux  dépressions  moyennes. 

J’ai  cherché  à savoir  s’il  n’existerait  pas  quelque  rapport 
entre  les  chiffres  contenus  dans  les  colonnes  5,  7 et  10, 
qui  expriment  divers  éléments  importants  de  nos  expériences. 
Pour  permettre  de  saisir  ces  rapports,  j’ai  disposé  un  triple 
graphique  dans  lequel  les  expériences  sont  rangées  suivant 
les  numéros  d’ordre  de  la  colonne  1 du  tableau  I,  sur  l’axe 
des  abscisses,  en  telle  sorte  que  les  pressions  vont  en’dimi- 
nuant  de  gauche  à droite.  A chacune  de  ces  expériences  cor- 
respondent trois  valeurs  portées  sur  l’ordonnée  verticale  ; la 
première , A,  exprime  la  tension  finale  de  l’air  confiné 
(colonne  10);  la  seconde  B,  la  durée  de  la  vie  (colonne  7)  : 
cette  durée  est  calculée  en  rapportant  à 76  centimètres  le 
volume  de  l’air  raréfié,  et  en  cherchant  combien  de  temps 
ont  vécu  les  oiseaux  pour  chaque  litre  d’air;  la  troisième  C, 
représente  le  volume  de  l’air  raréfié  rapporté  à la  pression  de 


55G 


EXPERIENCES. 


76  centimètres  de  mercure,  et  permet  de  comparer  les  quan- 
tités réelles  d’air  qu’ont  eues  les  oiseaux  à leur  disposition. 

On  ne  voit  pas  de  rapports  bien  nets  entre  le  tracé  A 
qui  exprime  la  tension  de  l’oxygène  à la  fin  de  l’expérience, 
et  le  tracé  B qui  exprime  la  durée  de  la  vie  des  oiseaux.  Il 
résulte  de  la  comparaison  des  deux  graphiques,  que  l’épui- 
sement plus  ou  moins  grand  de  l’air  (A)  n’est  rien  moins 
qu’en  rapport  constant  avec  la  durée  de  la  vie  (B),  une 
durée  très-courte  pouvant  coïncider  avec  un  épuisement 
considérable  (expérience  8)  ou  inversement  (expérience  15). 
Cependant,  si  l’on  prend  la  moyenne  de  la  durée  de  la 
vie  correspondant  aux  épuisements  avancés  (au-dessous  de 
5,5,  colonne  10), on  trouve  le  chiffre  de  1 heure  11  minutes; 
tandis  qu’en  faisant  le  même  calcul  pour  les  faibles  épui- 
sements, on  trouve  1 heure  25  minutes  (la  moyenne  géné- 
rale étant,  colonne  7,  de  1 heure  16  minutes).  Ainsi,  d’une 
manière  générale,  plus  l’animal  vit  longtemps,  plus  il  épuise 
l’air,  et  cela  n’a  rien  que  de  très-naturel. 

Nous  enquérant  ensuite  de  la  durée  de  la  vie  dans  ses 
rapports  avec  la  capacité  des  cloches  où  mouraient  les  ani- 
maux, et  laissant  de  côté  les  cas  tout  à fait  exceptionnels, 
comme  ceux  des  expériences  16, 21, 51,  52,  et  même  55  et 56, 
nous  voyons  que,  au  premier  coup  d’œil,  le  graphique  C,  qui 
exprime  ces  volumes  variés  n’a  rien  de  commun  avec  le  gra- 
phique B.  Une  capacité  très-considérable  peut  coïncider  avec 
une  durée  médiocre  de  la  vie  (expériences  15,  24),  ou  inver- 
sement (expérience  9).  Mais  si,  comme  dans  le  cas  précédent, 
nous  considérons  les  capacités  correspondant  aux  durées  de 
vie  plus  longues  que  la  moyenne  (1  heure  16  minutes),  nous 
trouvons  que  leur  valeur  moyenne  est  de  2 litres,  tandis 
que , pour  les  morts  plus  rapides,  la  valeur  n’est  que  de 
lHt,5.  Donc,  d’une  manière  générale  encore,  la  vie  est  plus 
longue  quand  la  capacité  des  vases  est  plus  grande  (le  tout 
rapporté,  cela  est  évident,  à l’unité  de  volume  et  à l’unité  de 
pression). 

Nous  retrouvons  ainsi,  non  modifiée  par  l’influence  de  la 
diminution  de  pression,  une  loi  qu’avait  autrefois  formulée 


Fig.  Iü.  — Rapports  cnt.ro  la  tension  de  l'oxîgénc  (tracé  A),  la  durée  de  la  vie  (B)  cita  capa- 
cité réelle  des  vases  (G)  dans  la  mort  en  vases  clos  sous  diminution  de  pression. 


558 


EXPÉRIENCES 


M.  Claude  Bernard,  tout  en  en  signalant  les  nombreuses  ex- 
ceptions : les  principales  sont  dues  au  repos  ou  à l’agitation 
de  l’animal  renfermé,  qui  use  plus  ou  moins  vite  la  quantité 
d’air  Baissée  à sa  disposition. 

11  nous  reste  maintenant  à comparer  les  graphiques  A et  C, 
c’est-à-dire  la  capacité  des  vases  avec  l’épuisement  d’oxygène. 
Ici  encore,  les  tracés  concordent  peu.  Nous  rencontrons 
même  des  résultats  forts  opposés  les  uns  aux  autres,  comme 
celui  de  l’expérience  19,  où,  à un  vase  étroit,  correspond  un 
épuisement  maximum,  et  celui  de  l’expérience  24,  où,  dans  un 
très-grand  vase,  il  y a eu  peu  d’épuisement,  comparés  aux 
expériences  14  et  16  qui  parlent  en  sens  inverse.  Mais  si  l’on 
prend  des  moyennes  , on  voit  que  les  chiffres  inférieurs  à 
5,5  (graphique  A)  correspondent  à une  moyenne  de  1||!,8, 
tandis  que  ceux  qui  sont  supérieurs  correspondent  à lut,6.  Il 
y a donc  en  somme  quelque  avantage  pour  les  vases  de 
grande  capacité,  et  c’est  encore  une  conclusion  en  rapport 
avec  celles  de  M.  Cl.  Bernard.  Mais  les  différences  sont  bien 
faibles,  et  l’on  comprend,  en  examinant  ces  résultats  assez 
nombreux,  les  apparentes  contradictions  des  expérimenta- 
teurs. 

Ainsi,  à quelque  point  de  vue  que  nous  nous  placions  , 
nous  trouvons  que  les  résultats  des  expériences  sous  dimi- 
nution de  pression  concordent  avec  tout  ce  que  nous  savions 
sur  l’asphyxie  en  vases  clos.  Nous  sommes  donc  de  plus  en 
plus  entraînés  à ne  voir  dans  la  raréfaction  de  l’air  qu’un 
procédé  d' ordre  physique  qui  tend  à la  même  fin  que  l’appau- 
vrissement en  oxygène , procédé  d'ordre  chimique.  Les  faits 
suivants  corroborent  encore  cette  manière  de  voir. 

On  sait  que,  à de  très-basses  températures,  et  sous  la 
pression  normale , les  animaux  épuisent  notamment  moins 
l’oxygène  de  l’air  où  ils  sont  maintenus  confinés,  qu’ils  ne  le 
font  à une  température  moyenne.  En  est-il  ainsi  pour  la 
mort  en  vases  clos  à de  basses  pressions?  Les  expériences 
suivantes  permettent  de  répondre  à cette  question  : 

Expériences  XLI-XLIII,  simultanées. — - 12  décembre.  Pression  77e.  La  tem- 
pérature du  laboratoire  est  de  Les  moineaux  étant  placés  sous  les 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  DIMINUÉE.  $5 9 

cloches,  on  entoure  celles-ci  de  neige,  et  la  température  s’y  abaisse  en- 
viron à +2°. 

r 

XLI.  — Cloche  de  2l,25. 

Mis  à 2h  40m.  La  pression  est  ramenée  à 54e,  et  le  froid  l’abaisse  à 52e. 
L’oiseau  est  trouvé  mort  à 4h. 

Air  mortel  : O 8,5  ; CO2  1 1 ,4. 

f O2 

CO2  4-0  = 19,7;  ^ =0,90. 

XLIL  — Cloche  de  o1, 2. 

Mis  à 2b  50111.  Pression  amenée  à 44e  par  le  vide  et  le  froid.  A 4 h res- 
pire très-mal  ; à 4h  15'",  mort.  A vécu  lh  20m  dans  une  quantité  d’air  cor- 
respondant à 21,  sous  la  pression  normale,  c’est-à-dire  40m  par  litre.  A 
4h  55,  température  rectale  18°. 

Air  mortel  : 0 7,6;  CO2  12,0. 

CO2  + 0=  19,0  ; ^ =0,90. 

XL1I1.  — Cloche  de  5'. 

Mis  à 5h.  Pression  amenée  à 27e, 5.  Vivant  à 4h  55m.  Trouvé  mort  à 5h  5m. 

Air  mortel  : O 10,4;  CO2  8,8. 

C0!  + 0 = 19,2;  (4'  — 0,83. 

Expérience  XLIV. — 15  décembre.  Tempér.  extér.  -{-6°.  Pression  77e. 

Moineau  mis  dans  cloche  de  5J,2,  à 2h  45m.  Pression  amenée,  y compris 
l’action  consécutive  du  froid,  à 50e, 5.  On  entoure  la  cloche  de  glace  et 
de  sel  mélangés. 

A 5h  55m,  encore  vivant;  à 5h  45m,  mort.  A vécu  environ  55  minutes 
dans  la  valeur  de  1*,28  d’air,  soit  43m  par  litre 

La  température  de  la  cloche  est  à cemomen/de  — 5°.  La  température 
de  l’animal  dans  le  rectum  est  de  -4  16°. 

Air  mortel  : O 11;  CO2  8,8,0. 

f O2 

CO2  4-0  = 19, 8;  -jj-  =0,89. 

Expériences  XLV-XLVI  simultanées.  — 14  décembre.  Tempér.  4-6°.  Pres- 
sion 76e, 5.  — Moineaux  francs. 

XLV.  — Cloche  de  5l,2. 

Mis  sous  cloche  à 121'  50'";  pression  amenée  en  tout  à 29e, 5. 

La  cloche  est  entourée  de  glace  et  de  sel.  Le  thermomètre  intérieur 
marque  H-l°  à lh;  àlh  20m,  il  est  à — 2°;  à lh55m,  à— -4°;  à 2h5m,à — 4°. 

A 2h  5'",  l’oiseau  est  encore  vivant;  est  mort  à 21'  10"'.  A ainsi  vécu  l1' 
20"'  dans  la  valeur  de  1 1,24  d’air;  soit  par  litre  l1'  4"'.  A 2h  17"',  tem- 
pérature rectale  15°. 


560 


EXPERIENCES. 


Air  mortel  : O 10,3;  CO2  7,4. 

CO5  + 0 = 17,7;  ~ =0,70. 

XLVI.  — Cloclio.de  5', 2. 

Mis  à 2h  42,u,  Pression  amenée  à 29e, 5.  Pas  de  mélange  réfrigérant.  La 
température  intérieure  de  la  cloche  est,  à 5h  5m,  de  -f-8°, 5,  et  à la  mort, 
de  H- 6°, 5.  A 4'1  15m,  très-malade  ; à 4h  25,n,  mort.  A vécu  lh  40m  dans  la 
valeur  de  ll,24  d’air;  soit  par  litre  l1'  20m.  A 4h  50"',  la  température  rec- 
tale est  de  19°. 

Air  mortel  : O 9,2  ; CO2  9,2. 

COs+0  = 18,/i;  ^ = 0,70. 

TABLEAU  II. 


À 


1 

NI  MK UOS  DES 
EXPÉRIENCES 

2 

U 

U 

H 

Ci 

e* 

u 

PRESSION 

4 

< 

«J 

o 2 
G 

H o 
% o 

CL 

ô 

5 

DURÉE 
DE  LA  VIE 

6 

DURÉE  DE  LA  VIE 
PAR  LITRE  D’AIR 
RAPPORTÉE  A 
76«  DE  PRESSION 

7 

COMPO 

D' 

l’air  > 
O 

8 

SITION 

ORTEL 

CO2 

9 

O x P 
70 

AU 

52e 

2',  25 

)) 

» 

8,5 

11,4 

5,9 

XLI.I 

9o 

44e 

3',2 

lh  20 m 

40™ 

7.6 

12,0 

4,4 

XLIV 

— 5° 

5i  e,5 

5', 2 

55  m 

45  m 

11.0 

8,8 

4,4 

XLV 

— 4° 

29*,5 

5', 2 

lh  20™ 

1 h 04™ 

10,3 

7,4 

5,8 

XI.VI 

-+-  6°, 5 

29e,  5 

5>,2 

lh  40™ 

]h  20™ 

9,2 

9,2 

5,5 

XL11I 

_l_  2° 

27e, 5 

5',0 

» 

» 

10,4 

8,8 

3,7 

moyenne 

iiiovemie 

57™ 

4,3 

Pc  tableau  JJ,  qui  résume  ces  faits,  montre  bien  nettement 
qu’en  effet,  aux  basses  températures,  l’épuisement  de  l’air 
est  moins  complet.  11  suffit  d’en  comparer  les  chiffres  avec  • 
ceux  qui  correspondent,  pour  les  mêmes  pressions,  dans  le 
tableau  I.  Les  moyennes,  à elles  seules,  sont  suffisamment 
instructives;  la  tension  de  l’oxygène  a monté  de  5,5  à 4,5.  Ce 
n’est  pas  tout  : la  moyenne  de  la  durée  de  la  vie  s’est  abaissée 
de  lh,16  minutes  à 57  minutes. 

On  voit  que,  sous  ce  double  rapport,  le  parallèle  que  j’ai 
établi  se  poursuit  encore  exactement.  Nous  pourrions  trouver 
bien  d’autres  concordances,  en  examinant  les  phénomènes 
généraux  fournis  par  les  animaux  : les  changements  dans  la 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  DIMINUÉE.  *561 

respiration,  la  circulation,  la  température;  l’existence  ou 
l’absence  des  convulsions,  etc.  Je  préfère  consacrer  à cette 
étude  un  chapitre  spécial. 

Pour  le  moment,  il  faut  faire  un  pas  de  plus,  et  passer 
du  domaine  des  inductions  dans  celui  des  expériences  cru- 
ciales. Le  problème  se  présente  à nous  dans  les  termes  sui- 
vants. 

Nous  avons  vu  que,  dans  une  atmosphère  confinée,  à quel- 
que pression  que  ce  soit  (au-dessous  d’une  atmosphère),  la 
mort  des  moineaux  survient  lorsque  la  tension  de  l’oxygène 
dans  l’air  ambiant  s’abaisse  à 5,6  en  moyenne.  Quand  la 
pression  est  suffisamment  élevée,  le  chiffre  de  la  tension  n’ar- 
rive aussi  bas  qu’après  un  certain  temps,  qu’après  un  épui- 
sement dû  à la  respiration  de  l’animal  lui-même;  mais  l’al- 
tération chimique  de  l’air  qui  en  est  la  conséquence  devient, 
comme  nous  l’avons  vu,  de  moins  en  moins  importante  au 
fur  et  à mesure  que  la  pression  diminue;  si  bien  que,  vers 
15  centimètres  de  pression,  la  mort  arrive  dans  de  l’air  pur  : 
elle  arrive  même,  comme  je  m’en  suis  maintes  fois  assuré, 
sous  courant  d’air,  et  le  confinement,  l’altération  chimique, 
ne  sont  alors  évidemment  pour  rien. 

Si  les  troubles  divers,  dont  le  détail  prendra  place  ailleurs, 
qui  commencent  à se  manifester  lorsque  la  pression  s’abaisse 
à 50  centimètres;  si  les  accidents  graves  qui  surviennent  vers 
25  centimètres;  si  la  mort  qui  arrive  aux  environs  de  18  centi- 
mètres ; si  tous  ces  phénomènes  sont  réellement  dus  à la  faible 
tension  de  l’oxygène  à ces  divers  moments,  on  devra  les  éviter 
en  augmentant  convenablement  cette  tension,  sans  modifier 
pour  cela  la  pression  barométrique. 

Air  suroxygéné  : très-basses  pressions . — 11  est  facile  d’y  ar- 
river en  employant  de  l’air  artificiel  suffisamment  riche  en 

OxP 

oxygène.  Si,  dans  l’expression  — qui  représente  la  ten- 
sion de  l’oxygène,  la  composition  centésimale  O augmente 
dans  le  même  rapport  que  la  pression  P diminue,  la  valeur 
de  la  tension  restera  constante;  et  si  cette  valeur  est  suffi- 
sante, il  ne  devra  se  produire  aucun  trouble  chez  l’animal 

56 


EXPÉRIENCES. 


502 

soumis  à l’expérience.  Par  exemple,  si  on  passe  à une  demi- 
atmosphère,  il  faudra,  pour  conserver  la  tension  de  l’oxygène 
dans  l’air  ordinaire  à la  pression  normale,  doubler  la  va- 
leur 20,9  et  employer  un  air  artificiel  contenant  41,8  pour 
100  d’oxygène. 

Nous  aurons  à revenir  avec  détails  sur  ce  point  important 
dans  une  autre  partie  de  ce  travail.  Mais  ici,  où  il  ne  s’agit 
que  de  la  mort  en  vases  clos,  sous  diverses  basses  pressions, 
le  résultat  doit  être  exprimé  d’une  autre  manière.  Nous  de- 
vrons, si  notre  présomption  se  vérifie,  arriver  à la  formule 
suivante  : Quelle  que  soit  la  pression  employée,  quelle  que 
soit  la  composition  de  Pair  artificiel,  la  mort  des  moineaux 
arrivera  toujours  lorsque  la  tension  liliale  de  l’oxygène  s’abais- 
sera aux  environs  de  la  valeur  moyenne  précédemment  éta- 
blie, c’est-à-dire  de  5,6. 

Le  procédé  expérimental  mis  en  usage  était  le  suivant. 
L’oiseau  étant  placé  sous  une  des  cloches  de  l’appareil  repré- 
senté figure  15,  je  diminuais  la  pression  dans  la  cloche  de 
50  à 40°,  ce  qui,  ainsi  que  nous  l’avons  vu  plus  haut,  ne 
paraît  pas  avoir  sur  les  oiseaux  d’effet  immédiat  fâcheux.  Du 
reste,  je  mettais  aussitôt  après  le  robinet  M en  communi- 
cation avec  un  gazomètre  rempli  d’oxygène,  et  je  laissais 
rentrer  ce  gaz,  de  manière  à revenir  à la  pression  normale. 
Je  recommençais  alors  à diminuer  la  pression  de  ce  mélange 
déjà  plus  oxygéné  que  l’air  ordinaire,  et  je  remplissais  à nou- 
veau avec  de  l’oxygène.  Après  trois  ou  quatre  manœuvres 
analogues,  la  cloche  était  remplie  d’un  mélange  suffisamment 
oxygéné  pour  pouvoir  faire  l’expérience  en  laissant  périr  l’oi- 
seau sous  la  diminution  de  pression  que  je  croyais  devoir 
employer.  Je  prenais  alors  une  certaine  quantité  du  mélange 
pour  en  faire  l’analyse. 

J’arrive  maintenant  au  récit  des  expériences;  je  ne  rappor- 
terai ici  que  celles  qui  ont  été  fai  tes  à de  très-basses  pressions* 
Nous  verrons,  dans  le  chapitre  consacré  à la  mort  par  l’acide 
carbonique,  que  cet  élément  vient  compliquer  la  question 
pour  la  pression  normale  et  pour  les  dépressions  médiocres 
lorsqu’on  emploie  de  l’air  suroxygéné.  Je  veux  ici  l’éliminer; 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  DIMINUÉE. 


565 


la  preuve  que  nous  cherchons  sera  du  reste  d’autant  plus 
nette,  que  les  pressions  employées  auront  été  plus  basses. 

Expérience  XLYII.  — 29  janvier.  Cloche  de  4 h 9. 

Moineau  friquet.  Amené  à 50e  de  diminution,  malade,  laissé  rentrer 
oxygène;  amené  à 60e,  à peine  malade,  laissé  rentrer  oxygène;  amené 
66e, 5,  assez  malade,  laissé  rentrer  oxygène  jusqu’à  40e,  puis  fait  vide 
jusqu’à  52e. 

Fermé  robinets  à 3h15“;  en  prenant  de  l’air,  la  dépression  devient 
de  54e;  à 3h  45,n,  bien  portant;  à 5h,  haletant  : la  pression  réelle  est 
19e.  Meurt  à 6h  30“,  sans  un  mouvement. 

Pression  réelle,  18e.  Mélange  primitif,  O 85,9. 

Air  mortel  : CO2 68,1  ; O 15,4. 

A Q ,10 

Tension  de  C02  = 68,1  x=-=  15,2.  Tension  d’O  — 15,4  — 5,6. 

7b  7b 


Expérience  XLV1IL  — 23  avril.  Cloche  de  1C5. 

Amené  successivement  à 54e,  57e,  62e,  67e,  de  dépression,  et  à chaque 
fois  laissé  rentrer  de  l’oxygène,  puis  laissé  rentrer  de  l’air  jusqu’à  61e, 5 
de  dépression. 

Fermé  les  robinets  à 4h  12“.  Trouvé  mort  à 6h  15“.  Suffusions  san- 
guines en  nappe  dans  le  diploë  crânien.  La  pression  est  14*. 

Air  mortel  : CO-  48,0;  O 23,8. 

Tension  de  CO2  = 8,8.  Tension  d’O  =4,3. 


Expérience  XL1X.  — 6 février.  Cloche  de  159. 

Amené  à 30e,  50e, 50e  de  dépression  avec  rentrées  d’oxygène;  puis  à 14e 
de  pression.  Mis  à 2h  20“ ; s'agite  beaucoup;  mort  à 4h  45“.  Suffusions 
sanguines. 

Pression  réelle  12e, 5.  Mélange  primitif  O 88,4. 

Air  mortel  : CO2  66,0;  0 22,2. 

Tension  de  CO2  = 10,8.  Tension  d’0=3,6. 

Expérience  L.  — 29  janvier.  Cloche  de  21 ,50. 

Amené  à 48e,  puis  52e,  puis  64e, 5 de  dépression  avec  rentrées  d’oxy- 
gène et  fermé  les  robinets  à 2h  40 “* 

A 2h  50,  pris  air,  ce  qui  abaisse  la  pression  réelle  à 10e.  A 3h  30“,  re- 
mue encore  ; à 4h  45“,  mort. 

Pression  réelle  8e.  Mélange  primitif:  0 82,3. 

Air  mortel  : C0257,2;  041,8. 

Tension  de  C02=3,9.  Tension  d’O  = 4,4* 

Expérience  LI.  — 1er  février.  Cloche  de  ll,55. 

Amené  à 44e  de  diminution,  s’agitait,  laissé  rentrer  oxygène;  amené 
à 52e,  même  effet;  amené  à 65e,  s’agitait  et  vomissait;  même  manœuvre 
encore.  Amené  à 65e,  puis  pris  air,  ce  qui  porte  la  dépression  à 68e, 7,  et 


564 


EXPERIENCES. 


la  pression  réelle  à 6e, 6.  L’oiseau  s’agite  à chaque  coup  de  pompe;  il  est 
de  suite  fort  malade,  et  meurt  en  lh  au  plus.  Suffusions  crâniennes. 
Mélange  primitif  : O 87,0. 

Air  mortel  : GO2  17,5;  060,7. 

Tension  de  CO2  — 1 ,5.  Tension  d’O  = 5,8. 

Les  résultats  de  ces  diverses  expériences  sont  résumés  dans 
le  tableau  suivant  : 


TABLEAU  III. 


NUMÉROS  DES 
EXPÉRIENCES 

2 

PRESSION 

BAROMÉTRIQUE 

O 

RICHESSE 
EN  OXYGÈNE 
DU 

MÉLANGE 

PRIMITIF 

4 

TENSION 

DE 

CET  OXYGÈNE 

A 76  C. 

5 6 

COMPOSITION 
DE  L'AIR  MORTEL 

7 

TENSION 
DE  L’OXYGÈNE 
DANS 

l’air  MORTEL 

O X P 
76 

O 

GO'2 

XL  VII 

18e, 0 

85,9 

20,5 

15,4 

68,1 

5,6 

XLVIII 

14,0 

» 

» 

25,8 

48,0 

4,5 

XLIX 

12,5 

88,4 

14,5 

22,2 

66,0 

5,6 

L 

8,0 

82,5 

8,6 

41,8 

57,2 

4,4 

LI 

6,6 

87,0 

7,5 

66,7 

17,5 

5,8 

Un  coup  d’œil  jeté  sur  la  colonne  7 montre  que  mes 
prévisions  se  sont  réalisées;  les  chiffres  qui  y sont  compris 
ne  s’éloignent  pas  beaucoup  de  la  moyenne  trouvée  précé- 
demment. Le  dernier  cependant  est  notablement  plus  élevé. 
Mais  on  trouve  une  explication  facile  de  cette  différence  dans 
le  chiffre  inscrit  à la  colonne  4.  L’animal  avait  été  mis, 
dès  le  début,  dans  un  air  fort  riche  en  oxygène,  sans  doute, 
mais  où  la  tension  réelle  de  ce  gaz  était  cependant  extrême- 
ment faible.  C’était  de  l’air  épuisé,  en  réalité,  et  l’oiseau 
s*est  trouvé,  dès  le  commencement  de  l’expérience,  dans  des 
conditions  asphyxiques;  aussi  a-t-il  été  de  suite  fort  ma- 
lade. 

La  vérification  de  l’hypothèse  qui  nous  avait  dirigé  se  tire 
également,  et  peut-être  avec  plus  d’évidence  encore,  de  la 
considération  des  pressions  auxquelles  il  a été  possible  d’a- 
mener des  oiseaux  sans  les  faire  périr  immédiatement. 
Tandis  qu’avec  l’air  ordinaire  je  ne  pouvais  guère  aller 
au-dessous  de  16%  nous  trouvons  ici,  dans  la  colonne  2, 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  DIMINUÉE. 


565 


les  pressions  de  14%  12%  8e  et  même  6%6  centimètres.  Et  ce 
qui  rend  ce  fait  plus  remarquable  encore  c’est  que  je  n’ai  pu 
employer  les  précautions  sur  l’importance  desquelles  j’ai 
insisté  plus  haut,  et  que  la  dépression  a toujours  été  brutale. 

En  appliquan  t à l’oxygène  le  raisonnement  employé  page  552 
et  en  fixant  comme  limites  delà  tension  minimum  d’oxygène 
compatible  avec  la  vie,  les  chiffres  5 et  4,2,  on  en  arrive  à trou- 
ver pour  les  plus  faibles  pressions  barométriques  auxquelles 
il  seraitthéoriquementpossible,  dans  l’oxygènepur,  avec  toutes 
les  précautions  et  les  lenteurs  nécessaires,  d’amener  les  moi- 
neaux, avant  deles  voir  mourir,  les  nombres  tirés  des  équations 

T X 

100  = 5 et  100  Xfj0  = 4,2.  D’où  x = 2%o  etx=  5%2. 

Il  est  évident  que,  clans  la  pratique  on  ne  saurait  atteindre 
aussi  bas. 

Le  phénomène  ultime,  c’est-à-dire  la  mort,  n’est  pas  le  seul 
dont  la  limite  barométrique  varie  suivant  la  richesse  oxygénée 
du  milieu.  Les  autres  troubles, |le  malaise,  la  cessation  des 
mouvements,  les  vomissements,  l’affaissement  général  sont 
dans  le  môme  cas.  Il  a toujours  été  facile  de  constater  que 
l’oiseau  qui  paraissait  malade  à la  première  diminution  de 
pression  quand  elle  arrivait  à 40  cent,  par  exemple,  ne  don- 
nait aucun  signe  de  malaise  lorsque,  après  avoir  fait  rentrer  de 
l’oxygène,  je  diminuais  à nouveau  la  pression  et  j’arrivais  au 
même  niveau.  Il  fallait  aller  plus  loin,  à 50  cent,  par  exem- 
ple, pour  obtenir  les  mêmes  phénomènes  morbides. 

Les  expériences  avec  l’air  suroxygéné  ont  donc  complète- 
ment prouvé  ce  que  laissaient  voir  comme  certain  les  expé- 
riences avec  l’air  ordinaire.  Il  aurait  été  possible  de  tirer  une 
contre-épreuve  d’expériences  dans  lesquelles  on  aurait  em- 
ployé de  l’air  pauvre  en  oxygène.  Je  pourrais  donner  avec  dé- 
tails quelques  faits  de  cet  ordre;  mais  la  preuve  doit  être 
surabondamment  faite  dans  l’esprit  du  lecteur,  et  je  me  con- 
tenterai de  dire  qu’avec  de  l’air  contenant  seulement  10,2 
pour  100  d’oxygène,  il  ne  m’a  pas  été  possible  de  dépasser 
la  pression  de  28  cent..,  la  tension  de  l’oxygène  étant  alors 
de  3,7. 


566 


EXPÉRIENCES. 


Il  reste  donc  établi  que,  soit  dans  un  vase  clos,  par  alté- 
ration respiratoire,  soit  sous  un  courant  d’air,  la  mort  arrive 
dans  l’air  raréfié  par  suite  de  la  diminution  de  tension  de 
l’oxygène  ambiant.  La  diminution  de  pression  barométrique 
n’est  qu’un  des  moyens  d’obtenir  cette  tension  insuffisante. 
Mais  il  en  est  un  second  qui  consiste  à abaisser  la  proportion 
centésimale  ; c’est  ce  qui  résulte  évidemment  de  la  simple  con- 


sidération de  l’égalité  tant  de  fois  citée  déjà 


0 X P 
76 


5,6, 


La  conséquence  générale  de  tout  ceci,  c’est  que  tous  les 
troubles,  les  accidents,  la  mort,  qui  surviennent  par  l’effet 
de  la  diminution  de  pression,  sont  dus  tout  simplement  à 
l’asphyxie;  c’est  qu’un  animal  soumis  à une  diminution 
croissante  de  pression  est  semblable  à un  animal  qui  s’as- 
phyxie en  vases  clos,  dans  l’air  ordinaire,  sous  la  réserve 
peu  importante,  comme  nous  le  verrons  plus  tard,  de  faction 
de  l’acide  carbonique  produit.  Lorsqu’on  a amené  rapide- 
ment un  animal  en  vases  clos,  à une  certaine  dépression,  et 
qu’on  le  laisse  mourir,  comme  nous  l’avons  fait  dans  les  ex- 
périences précédentes,  l’épuisement  graduel  de  l’air  où  il  est 
confiné  agit  absolument  comme  si  l’on  continuait,  dans 
un  air  pur,  à diminuer  autour  de  lui  la  pression  baromé- 
trique. 

La  tension  d’oxygène  est  tout  ; la  pression  barométri- 
que en  elle-même  ne  fait  rien  ou  presque  rien. 

J’insisterai  sur  ces  faits  et  sur  les  conclusions  à en  tirer 
dans  un  autre  chapitre,  et  j’indiquerai  également  ailleurs 
les  conséquences  pratiques  qui  peuvent  s’en  déduire. 

Je  ne  veux  pas  m’appesantir  maintenant  sur  les  phéno- 
mènes extérieurs  que  présentent  les  moineaux  soumis  à la 
diminution  de  pression.  Cette  étude,  généralisée  et  appuyée 
d’observations  précises  faites  sur  des  animaux  de  diverses 
espèces,  nous  occupera  dans  un  chapitre  spécial.  Je  me  con- 
tente d’indiquer  aujourd’hui  trois  faits  principaux  : 1°  l’aug- 
mentation du  nombre  des  respirations;  2°  l’abaissement  de 
la  température;  5°  les  convulsions  qui  précèdent  la  mort,  et 
qui  nous  fourniront  une  occasion  déjuger  la  théorie  qui  at- 


MORT  ETS  VASES  CLOS  : PRESSION  DIMINUÉE.  567 

tribue  les  convulsions  à l’action  de  l’acide  carbonique  en 
excès  dans  le  sang. 

Je  vais  maintenant  indiquer  les  résultats  d’expériences 
faites  sur  des  oiseaux  autres  que  les  moineaux. 

4 * ■ ‘ ï 

Expériences  LII-LV,  simultanées.  — 2 juillet.  Tempér.  20°  ; press.  76e. 
Chouettes  chevêches  (Stria:  psilodactyla , Lin.). 

LIE  — Jeune,  pesant  125  gr.  Cloche  de  2l ,25. 

Mise  à 5h  7m  ; laissée  à la  pression  normale. 

Paraît  gênée  vers  5U  50m,  meurt  à 5h,  avec  5e, 8 de  diminution  par 
absorption.  Mort  après  lh20m  de  gêne.  Après  1 5m,  la  température  rectale 
est  51°,  5;  pas  de  rigidité. 

Air  mortel:  O 5,5;  CO2  15,4. 

CO2  ' 

C024-0  = 16,7 ; ~ =0,76. 

LIII.  — Semblable  à la  précédente.  Cloche  de  71. 

Commencé  à 5h  15m.  A 5h20m,  22e  de  diminution  de  pression;  s’agite 
un  peu.  A 5h22,  41e  de  diminution,  s’est  calmée;  à 5h  25m,  tibube;  on 
ferme  les  robinets.  Pression  réelle  27e, 7. 

Ferme  bientôt  les  yeux  et  semble  dormir.  Meurt  à 4h  50,  après  lh  de 
gêne.  Dix  minutes  après  la  mort,  la  température  rectale  est  55°, 0;  après 
25,u,  elle  est  de  55°,  8 : pas  de  rigidité. 

Air  mortel:  O 15,4;  CO2  6,4. 

C0s-i-0=19,8;  =0,87.  Tension  d’0=4,8. 

U 

LÎV.  — Semblable.  Cloche  de  71, 5. 

Commencé  à 5h  18m  ; à 5h20m,  dépression  de  55e,  pas  d’agitation;  à 
5h27m,  51e  de  dépression,  vomit  ; à 5h  28m,  pression  réelle  22e.  Fermé  les 
robinets. 

A 5h  52m,  tombe  et  menace  de  mourir  ; je  laisse  rentrer  un  peu  d’air  et 
la  pression  remonte  à 52e;  l’oiseau  se  relève.  On  recommence  deux  fois  la 
même  manœuvre.  A 5h58m,  on  est  à 25e,  5 de  pression,  l’animal  est  à 
demi  relevé  : fermé  les  robinets. 

A 4h10m,  je  descends  à 22e, 5.  Mort  à 4ll55,n,  sans  convulsions,  après  lh 
1 0m  environ  de  gêne  respiratoire.  Après  20m,  la  température  rectale  est 
50°, 2;  après  50,n,  29°,  7 : pas  de  rigidité. 

Air  mortel  : O 17,1  ; CO2  5,5. 

CO2 

C02  + 0 = 20,4;  ^-  = 0,87.  Tension  d’O=5,0. 

LV.  — Chouette  vieille  de  5 ans,  pesant  170  gr.  Cloche  de  111, 5. 

Commencé  à 5h  8m  ; agitation  considérable,  qui  dure  jusqu’à  5h15m,  où 
la  dépression  est  de  56e;  l’oiseau  se  calme  alors.  A 5h  161",  dépression  de 


508 


EXPERIENCES. 


44e  ; vomit  deux  fois.  A 3h21m,  48e;  à 5h26ni,  57e,  soient  19e  dépréssion 
réelle.  Tombe  et  va  périr  ; on  remonte  à 28e  ; i’oiseau  se  relève  après  quel- 
ques minutes.  Deux  fois  se  répète  la  meme  manœuvre,  mais  à chaque  fois 
l’oiseau  est  évidemment  moins  abattu.  A 4h3m,  on  est  à 20e, 2 : l’oiseau 
retombe,  on  ferme  les  robinets. 

A 4h  10,  on  descend  à 19e  ; l’oiseau  est  toujours  tombé,  le  bec  en  avant. 
Mort  à 4h45m,  sans  convulsions,  après  lh20m  environ  de  gêne  respiratoire. 
22m  après  la  mort,  la  température  rectale  est  50J,2;  après  50m,  elle  est 
de  29°, 6;  pas  de  rigidité. 

Air  mortel  : O 17,6  ; GO2  2,6. 

f O2 

C02  + 0— 20,2  ; — = 0,79.  Tension  d’O  = 4,4. 


On  voit  que  notre  règle  se  vérifie,  nonobstant  line  irrégu- 
larité plus  forte  qu’à  l’ordinaire,  présentée  par  l’expérience 
faite  à la  pression  normale.  La  valeur  de  la  tension  de  l’oxy- 
gène dans  l’air  mortel  a été,  en  effet  : à 76e,  de  5,5;  à 27e, 7, 
de  4,8;  à 22e, 5,  de  5;  à 19e,  de  4,4.  Ces  dernières  pressions 
barométriques  sont  très-basses,  et  bien  évidemment  les  tran- 
sitions n’avaient  pas  été  suffiamment  ménagées. 


Expérience  LY1.  — 5 août,  Cressello  (Falco  tinnunculus , Lin.).  Pression 
75e, 5.  Cloche  de  15l,5. 

Commencé  à 5h25m  ; courant  d’air.  La  dépression  est,  à S^SO111  de  8e  ; à 
o'1 35m,  de  16e  ; à 5ll45m  de  50e,  à 5h  50IU  de  40e  ; à 5h  53in  de  50e  ; soient 
25e,  5 de  pression  réelle.  L’oiseau  vomit  et  tombe  ; on  remonte  à 51e,  5 
pour  redescendre  lentement  à 25e, 5 ; l’oiseau,  qui  s’était  un  peu  remis, 
retombe,  menace  de  mourir,  et  l’on  doit  revenir  à 27e,  5. 

A 4h  5ni,  on  est  à 25e;  à 4h  101U,  à 24e, 5 ; à 4h15m,  à 21e, 5;  l’oiseau 
vomit,  titube  et  chancelle,  mais  paraît  se  remettre  un  peu,  tout  en  res- 
tant affaissé.  A 4h17m,  la  pression  n’est  plus  que  de  20e;  à 4h  20m,  de 
19e, 5.  On  ferme  les  robinets,  et  l’oiseau  meurt  à 4h32m.  A ainsi  vécu  en- 
viron 40m  avec  gêne  respiratoire.  8"1  après  la  mort,  la  température  était 
de  57°,  4 dans  le  rectum. 

L’air,  comme  on  pouvait  s’y  attendre,  est  à peine  altéré  : O 20,0  ; CO2  0,8 
Tension  d’O  = 5,1. 


Le  point  intéressant  de  cette  dernière  l’expérience  est 
qu’un  oiseau  de  proie,  voisin  zoologique  de  ces  vautours, 
de  ces  condors  qui  s’élèvent  dans  les  airs  à de  prodigieuses 
hauteurs,  a été  au  moins  aussi  sensible  à la  diminution  de 
pression  qu’unfsimple  moineau. 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  DIMINUÉE. 


509 


B.  Expériences  faites  sur  des  Mammifères . 

Elles  ont  été  en  assez  petit  nombre,  le  principal  intérêt  de 
la  question  ayant  été  résolu  par  les  expériences  faites  sur  les 
moineaux.  Elles  m’ont  montré,  comme  fait  général,  que  les 
mammifères  peuvent  être  amenés  à des  pressions  notable- 
ment plus  basses  que  les  oiseaux.  On  pouvait  s’en  douter,  du 
reste,  puisque  les  mammifères  épuisent  davantage  l’air  con- 
finé que  le  font  les  oiseaux.  (Yoy.  mes  Leçons  sur  la  physiolo- 
gie de  la  respiration , page  510.) 

Ils  sont,  en  outre,  plus  malléables,  pour  ainsi  dire,  c’est- 
à-dire  plus  faciles  à amener  à l’état  d’animaux  à sang  froid, 
supportant  alors,  comme  ces  derniers  (voy.  plus  bas),  des 
pressions  extrêmement  faibles;  cela  est  surtout  vrai  pour 
les  rongeurs.  Un  exemple  remarquable  de  ce  fait  (exp. 
LV1I)  m’a  été  présenté  par  un  cochon  d’Inde,  qui,  placé 
pendant  quatre  heures  dans  un  courant  d’air  (tempéra- 
ture 15°),  y a vécu  sous  une  pression,  constamment  infé- 
rieure à 20e,  et  qui  s’est,  à plusieurs  reprises,  abaissée  jus- 
qu’à 11e  pendant  quatre  ou  cinq  minutes.  Il  est  vrai  qu’après 
ce  temps  le  malheureux  animal  est  resté  immobile,  presque 
insensible,  avec  une  température  rectale  de  20°,  et  qu’il  est 
mort  quelques  heures  après  l’expérience. 

Dans  un  autre  cas  (exp.  L VIII),  un  cochon  d’Inde  put  être, 
par  une  diminution  graduelle  de  pression  qui  dura  une  heure 
etdemie,  amenéet  main  tenu  à une  pression  de  12  cent,  pendant 
environ  un  quart  d’heure.  L’animal  était  alors  très-faible,  et 
sa  température  rectale  n’était  que  de  25°;  mais  trois  minutes 
après  elle  remontait  à 31°,  et  déjà  l’animal  pouvait  se  relever 
sur  ses  pattes.  Ce  cochon  d’Inde  a survécu. 

CHATS.  — Expériences  LIX-LX1I1,  simultanées.  — 1 1 juillet  ; pression  75*. 

Chats  âgés  d’un  mois  à un  mois  et  demi. 

LIX.  — Chat  pesant  280sr.  Cloche  de  3h2. 

Mis  à 31'  1 5m ; pression  normale;  mort  à 4h  35m,  sans  convulsions. 

280gr  ont  vécu  lh  20m  dans  2’,920  d’air,  ce  qui  donne  par  litre  et  par 

...  80 111  280 
kilogramme, 


570 


EXPÉRIENCES. 


Airmortel  : O 4,4  ; CO2 15,4. 

fO2 

C02+  0~=17,8 ; -^=0,81.  Tension  d’O  = 4,4. 

LX.  — Pesant  380gr.  Cloche  de  71. 

Commencé  à 5h  20™  ; à 5h  25m?  la  pression  est  de  51e, 2 ; fermé  robinets , 
mort  à 4h  45m. 

58Qsr  ont,  ainsi  vécu  lh  20™  dans  61 , 620  d’air  à 51e, 2 de  pression, 
ce  qui  donne,  en  rapportant  à 76e  de  pression  et  à 1000gr,  la  valeur 

80™  580  80™  X 380x76  _ . 

6,62x51 ,2  ^ 1 000  ~ 6,62x5 1,2x10  00  ' 5 

76 

Air  mortel:  O 7,2;  CO2 11,4. 

f O2 

C02-+- O = 18,6  ; — = 0,81.  Tension  d’O  — 4,9. 

LXI.  — Pesant  460**.  Cloche  de  13C5. 

Commencé  à 5h  25™;  à 3’1  44™,  la  pression  est  de  21e, 8.  L’animal  est 
très-malade,  a 250  respirations  à la  minute.  A 4h,  grands  mouvements 
convulsifs,  retombe,  et  meurt  à 4h  13™. 

460«r  ont  ainsi  vécu  29™  dans  1 5* ,04  d’air  à 21e, 8,  ce  qui  donne  5™ 
par  litre  à 76e  et  pour  lOOOx 
Air  mortel  : O 15,5  ; CO2  5, 1 . 

Cf)2 

CO2— t- 0=; 20,6 ; -Lj-  = 0,94 . Tension  d’O  = 4,4. 

LXIl.  — Pesant  665°r.  Cloche  de  1 51 ,5 . 

Commencé  à 5h  22™;  à 3h  40™  la  pression  est  de  27e  : vomit,  déféqué. 
A 5h  48™,  elle  n’est  que  de  16e  : très-mal  à l’aise.  Fermé  les  robinets. 
Meurt  à 5h  55™,  sans  convulsions. 

Durée  de  la  vie,  par  kilogramme  et  par  litre,  1 minute. 

Air  mortel  O 19,0;  CO2 1,0.  OxP— 4. 

LX1II.  — Pesant  485§r.  Cloche  de  1 5!,5. 

Amené  en  15™  à 16e  de  pression.  Couché,  haletant;  meurt  en  20  minu- 
tes. 

Durée  de  la  vie,  par  kilogramme  et  par  litre,  3 minutes. 

Expérience  LXIV.  i août.  Chat  pesant  2k  570;  cloche  de  21 1 , 5 . 
Commencé  à 4h  10™.  A 4h  22™,  la  pression  réelle  est  29e, 5.  On  ferme  les 
robinets;  l’animal  ne  parait  pas  beaucoup  souffrir. 

A 4h  57™,  agitation  violente  avec  cris.  A 4h  45™,  convulsions  avec  fré- 
missements des  peaussiers.  Mort  à 4h  47™. 

Durée  de  la  vie,  par  kilogramme  et  par  litre,  8™, 7. 

Air  mortel  : O 10,3;  CO2  9,6. 

f o2 

C02-t-0  = 19,9;  — 0,90.  Tension  d’O  = 4. 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  DIMINUÉE. 


571 


La  valeur  de  la  tension  de  l’oxygène  a été  dans  ces  expé- 
riences : 

A 76e,  de  4,4  ; à 51e, 2,  de4,9  ; à 29e, 5,  de  4;  à 21e, 8,  de  4,4  ; 
à 1 6e,  de  4. 

Si  maintenant  nous  cherchons  la  durée  de  la  vie  en  pre- 
nant comme  base  un  litre  d’air  et  en  rapportant  le  calcul  à 
1 kilogramme  d’animal,  nous  trouvons  que  : à 76e,  la  Jdurée 
de  la  vie  a été  de  7m,7  ; à 51e, 2,  de  7ra,l;  à 29e, 5,  de  8m,7  ; 
à 27e,  deo  minutes;  à 16e,  de  3 minutes.  Il  ne  faut  pas  oublier 
que  le  chat  de  29e, 5 était  fort  différent  des  autres  et,  devait, 
étant  beaucoup  plus  gros,  consommer  moins  d’oxvgène  dans 
un  temps  donné,  par  suite  vivre  plus  longtemps  dans  un  es- 
pace donné. 

J’ai  pensé  qu’il  serait  intéressant  de  mettre  en  expérience 
des  animaux  nouveau-nés,  qui  résistent,  comme  on  le  sait, 
beaucoup  plus  longtemps  à l’asphyxie  que  ne  font  les  adultes. 
Cependant  je  n’ai  pas  pu  aller  avec  eux  notablement  plus  loin 
dans  la  dépression  qu’avec  les  adultes.  Ainsi,  des  chats  nés 
de  l'avant-veille,  portés  rapidement  à 8 et  à 12  centimètres  de 
pression,  sont  morts  en  sept  ou  huit  minutes. 

Voici,  du  reste,  les  résultats  d’expériences  dans  lesquelles 
on  a analysé  l’air  : 


Expériences  LXV-LXVIII,  simultanées.  — 4 juillet;  pression  76e. 

Chats  nés  le  1er  juillet,  pesant  en  moyenne  125gl\ 

LXV.  — Cloche  de  675cc,  avec  défalcation  de  l’animal,  550cc. 

Mis  à 2h  42m;  amené  rapidement  à 58e  de  pression.  A 5h40m  paraît  mort  , 
mais  ne  l’est  réellement  qu’à  4h  351U. 

Air  mortel  : O 3,0;  CO2  17,1. 

CO2 

C02-|-0=20,l  ; — =0,95.  Tension  d’0  = 2,2. 


LXV1.  — Cloche  de  2^5. 

Mis  à 3h  ; à3h  61",  la  pression  est  25e, 5 ; fermé  robinets  ; meurt  à 5h  40m. 
Air  mortel  : O 7,1  ; CO2  13,5. 

CO2 

C02-f-0— 20,6;  -jp  =0,98.  Tension  d’0  = 2,4. 

LXVIÏ.  — Cloche  de  5», 2. 

Mis  à 2h  54m.  A 3h,  pression  20e, 5;  miaule.  Fermé  les  robinets.  Meurt 
à 7h  15m. 


572 


EXPÉRIENCES. 


Air  mortel:  0 8,5;  CO2  12,0. 

fO2 

CO2 4- 0—20,5  ; —=0,97.  Tension  d’O  — 2,2. 

LXVIII.  — Cloche  de  51. 

Mis  à 2h  58m;  à 2h  48,n,  la  pression  est  de  22e;  marche  encore  et  miaule  ; 
à 2h  53m,  la  pression  est  de  16e, 2;  l’animal  est  couché  à plat.  Fermé  les 
robinets.  A 5h  8,n,  je  descends  à 15e, 4. 

Mort  à 7h  55m. 

Air  mortel  : O 15  ; CO2  7. 

CO2 

CO2 4-0=20,0;  ^-  — 0,98.  Tension  d’0  = 2,2. 

Le  rapport  — s’est  ici  maintenu  avec  une  remarquable 

régularité  à 2,2,  chiffre  environ  moitié  moindre  de  celui 
qu’ont  donné  les  chats  adultes. 

Déjà,  dans  mes  Leçons  (p.  510),  j’avais  trouvé  que,  tandis 
que  les  chats  adultes  laissent  en  moyenne  dans  l’air  con- 
finé, où  ils  meurent  à la  pression  normale,  5,5  d’oxygène, 
les  nouveau-nés  ne  laissaient  que  5,0.  Pour  les  rats  adultes, 
la  moyenne  avait  été  de  2,0  et  un  nouveau-né  avait  été  jus- 
qu’à 0,75. 

Si  maintenant  nous  faisons  les  calculs  nécessaires  pour 
trouver  la  durée  de  la  vie  de  ces  chats  nouveau-nés,  rappor- 
tée comme,  nous  l’avons  fait  pour  les  adultes,  à un  litre  d’air 
à 76e  et  à un  kilogramme  d’animal,  nous  trouvons  que  cette 
durée  est:  à 58e,  de55  minutes;  à 25e, 5,  de  24  minutes;  à 
20e, 5,  de  57  minutes;  à 15e, 4,  de  52  minutes. 

On  voit  que  la  durée  de  la  vie  a été  sensiblement  la  même 
aux  très-fortes  dépressions  comme  aux  pressions  moyennes. 
De  plus,  en  comparant  ces  chiffres  avec  ceux  qu’on  tire  de 
l’étude  des  chats  adultes,  on  voit  que  la  durée  de  la  vie  des 
nouveau-nés  a été  d’environ  quatre  fois  plus  considérable.  Ce 
sont  là  deux  faits  qui  concordent  avec  ce  qu’on  sait  de  la  ré- 
sistance vitale  des  animaux  nouveau-nés. 

Enfin,  il  est  intéressant  de  constater  que  le  rapport  entre 
l’oxygène  consacré,  et  l’acide  carbonique  produit,  a été  chez 
les  nouveau-nés,  notablement  plus  élevé  que  chez  les  adultes: 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  DIMINUÉE.  573 

sa  moyenne  est  en  effet  de  0,97,  tandis  que  pour  les  adultes 
elle  est  seulement  de  0,86. 

CHIENS.  — Expérience  LXIX.  — 11  mars.  — Chien  pesant  4k,5.  Cloche 
de  31  h 

Mis  à lh  40m  à 45e  de  pression.  Anxieux;  se  couche  à 2h  ; est  trouvé  mort 
à 2h  20ni. 

Air  à 2“  : O 5,5;  CO2  16,1. 

Air  après  la  mort,  O 5,4;  CO2  16,7.  Tension  d’O  — 5,0. 

LAPINS.  — Expérience  LXX.  — 15  mars.  — Lapin,  Cloche  de  1 1 1 , 5 . 

Mis  à2h  28in.  Laissé  à la  pression  normale. 

A 5h  50m,  debout,  anhélant;  à 5h  55nl,  s’agite;  à 4h,  tombe;  à 4h  30ul , 
dernière  respiration,  sans  convulsions.  15,u  après,  sa  température  rectale 
est  de  54°. 

Air  mortel  : O 5,7  ; CO2  15,2. 

CO2 

CO2  + O = 18,9  ; -^-  = 0,96.  Tension  d’O  = 5,7. 

Expérience  LXXI. — 16mars.  — Lapin  pesant  lk,900.  Cloche  de  201,  75. 

Commencé  à 2h  5m;  à 2h  25,n,  la  pression  n’est  plus  que  de  41e.  Fermé 
les  robinets.  A 2h  55m,  gêné  ; à 3h  20m  très-gêné;  à 3h  35m,  tombé;  à 3h  50m 
mort  sans  convulsions  ; 5,n  après,  la  température  rectale  est  55°, 3. 

A vécu  lh  25m  dans  1 8 1 , 8 5 d’air  à 41e,  ce  qui  donne,  par  litre  et  par 
kilogramme  une  durée  de  16m. 

Air  mortel  : O 5,9  ; GO2 13,3. 

CO2 

CO2 + 0 = 19, 2;  ^-=0,81.  Tension  d’O  = 3,2. 

Expérience  LXX11.  — 14  mars.  — Pression  76e, 6;  température  13°  — La- 
pin pesant  lk, 340.  Cloche  de  511. 

A 2h  27m,  commencé  le  courant  d’air;  le  manomètre  monte  lentement; 
à 2h58m  la  dépression,  est  de  41e;  l’animal  est  resté  jusque-là  parfaitement 
tranquille.  A 3h  2m,  50e  de  diminution,  le  lapin  devient  inquiet  : on  ferme 
le  robinet  d’appel,  et  on  continue  à pomper.  A 3h  7,n,  la  pression  n’est 
que  de  15e, 6;  l’animal  se  couche.  A 3h  12m,  elle  est  de  16e.  Mort  à 5h  20m. 

Air  mortel  : O 19;  CO2 1,6. 

fO2 

CO2  + O = 20,6;  ^-  = 0,84.  Tension  d’O  = 4,0. 

Expérience  LXXIII.  — 15  mars.  — Lapin  pesant  lh,650.  Cloche  de  20l75. 

Commencé  à 3U  48"1.  A 4h  5m,  la  pression  est  de  29e.  On  ferme  les  ro- 
binets. L’animal  meurt  à 6h  42ni  ; 10m  après,  sa  température  est  de  32°. 
On  ne  peut  rien  dire  sur  la  durée  de  la  vie,  parce  qu’il  est  rentré  un  peu 
d’air  pendant  l’expérience. 


574 


EXPERIENCES. 


Air  mortel  ; O 1 J ,0  ; CO*  9,0. 

CO2 

CÛ2-f  O — 20;  -Q-  = 0,90.  Tension  d’0  = 4,2, 

La  valeur  du  rapport  ~ ^ - est  dans  ces  quatre  expérien- 
ces : à la  pression  normale,  5,7;  à 41e,  5,2;  à 29e  4,2,  à 
16e,  4,0. 


COCHONS  D INDE.  — Expériences  LXXIV-LXXV,  simultanées.  —5  aoûl. 

LXXIV.  — Pesant  420gr.  Cloche  de  3R2. 

Mis  à 5h  45,  à la  pression  normale.  Mort  à 5h  5111,  après  agitation,  soubre  - 
sauts, etc....  N’est  jamais  resté  tranquille.  Un  quart  d’heure  après,  sa  tem- 
pérature rectale  est  57°. 

420gr  ont  vécu  lh  20m  dans  2 1 , 78  d’air;  soient  121U  par  litre  et  pour 

1000gr. 

Air  mortel  : O 2,5  ; CO2  10,4. 

CO2 

CO2 4-0=  18,7;  -—=0,88.  Tension  d’0  = 2,3. 

LXXV.  — Pesant  470gr.  Cloche  de  51. 

Commencé  à 5h  55m,  et  amené  en  2 minutes  à 46e, 5 de  pression  réelle. 

Reste  parfaitement  tranquille.  A'5h  17m,  tressaillements  convulsifs.  Meurt 
à 5h  20111  ; J 7m  après,  la  température  rectale  est  54°. 

470gr  ont  vécu  pendant  lh  24m  dans  4',55  à 46e, 5 représentant  à 76e 
2l,10.  Donc  1000gr  auront  vécu  par  litre  14  minutes. 

Air  mortel  : O 5,5;  CO2 16,0. 


CO5 

CO2 + 0 = 19,5;  --=  0,92.  Tension  d’0  = 2,l. 
Expériences  LXXVl-LXXVII,  simultanées.  — 25  juin. 


LXXVI.  — Pesant  580gr.  — Cloche  de  13C 

Commencé  à lh  45m.  Amené  à 16e  de  pression  avec  courant  d’air  à 21'  45m. 
Mort  à 5h  10m  ; 271U  après,  sa  température  rectale  est  de  51°, 5. 

A vécu  lh  12m  dans  un  volume  d’air  correspondant  à 2!,6  à 76e;  soient 
161U  pour  1000grpar  litre. 

Air  mortel  : O 14,5;  CO2  9,8. 

CO2 

CO2 + 0 = 24,5;  ~ = 1,51.  Tension  d’0=8,0. 

LXXVI [.  — Pesant  490gr.  Cloche  de  101. 

Commencé  à lh  45m.  Amené  à 2h45m,  à 12e  de  pression. 

Meurt  à 5h  ; 17m  après,  la  température  est  de  55°,  5.  A vécu  I5m  dans 
1 1 ,5  cl’air  à 76e;  soient  4m,9  pour  1 litre  et  1000+ 


MORT  EN  VASES  GEOS  : PRESSION  DIMINUEE. 


575 


Air  mortel  : O 19;  GO2  5,1. 

f O2 

CO2  + 0=22,1;  -jj-  = 1,65.  Tension  d’O  = 3,0. 


Expérience  LXXVI1I.  — Pesant  4858'r.  Cloche  de  15*5,  pression  76e. 

Commencé  à 5h  24m  ; ne  s’agite  pas.  A 5h50m,  50e  de  diminution  : titube, 
puis  se  remet;  100  respirations,  marche  un  peu.  A 5h  34,n,  56e  de  diminu- 
tion; 155  respirations;  à 5h  55n\  diminution  de  58e, 5,  se  couche  sur  le 
ventre.  À 5h40m,  pression  réelle  15e, 6 : 80  respirations  fortes,  anxieuses. 
Fermé  les  robinets. 

5h  45m  : toujours  couché,  pupilles  dilatées  ; 5h46m,  petites  secousses 
convulsives;  3h  47ra  tombe  sur  le  flanc;  mouvements  convulsifs;  raideurs; 
ventre  énormément  ballonné.  5h49m,  meurt  ayant  vécu  9,n. 

Après  13m,  sa  température  rectale  est  de  54°, 6 ; après  56m  de  31°, 8; 
après  lh16m,  de  28°, 4,  et  la  rigidité  commence;  après  2h  llm,  de  25°, 4; 
faible  rigidité. 

Air  mortel  : O 19,1  ; CO*  2,5. 

CO2 

CO2  + 0 = 21,4;  = \ ,27.  Tension  d’O  = 5,4. 


Expériences  LXX1X-LXXXI,  simultanées.  — 28  mai.  Pression  76e, 5. 


LXXIX.  — Pèse  6208e.  Cloche  de  161. 

Commencé  à 2h52m  ; amené  à 21'  55m,  à 41e, 3 de  diminution,  soit  55e 
de  pression  réelle  ; fermé  les  robinets. 

A 4h50m,  tombe  sur  le  flanc;  à 5ll30in,  meurt;  50,u  après,  sa  tem- 
pérature rectale  est  28°. 

6208e  ont  vécu  pendant  2ll55ül  dans  41, 44  d’air  à 76e.  Ce  qui  donne, 
par  1 000s»-  et  par  litre  d’air  à 76e,  24“. 

Air  mortel  : O 4,9  ; CO2 17,2. 

CD2 

CO2 -h  O = 22,1  ; — = 1,07.  Tension  d’O  = 2,2. 


LXXX.  — Pèse  5208e.  Cloche  de  15C5. 

Commencé  à 2h  57in.  A 2h  44“,  pression  27e, 8 ; fermé  les  robinets. 

A 4h  10ra,  tombé  sur  le  ventre  ; à 4h55m,  sur  le  flanc  ; mort  à 5h  5in  ; 
15“  après,  sa  température  rectale  est  28°. 

520gr  ont  vécu  pendant  2h20ul  dans  4 1 , 7 6 d’air  à 76e  ; ce  qui  fait,  par 
1 000gr  et  par  litre  d’air  à 76e,  17m. 

Air  mortel:  O 5,4;  CO2 15,7. 

CO2 

CO2  + O = 21 ,1  ; ~ = 1 ,01 . Tension  d’O  = 2,2. 


LXXXI.  — Pesant  6208e.  Cloche  de  191. 

Commencé  à 2 11  40  ; à 2h  49,n  la  pression  est  de  19e, 5 ; l’animal  titube. 
Fermé  les  robinets. 

A 21'  55m,  tombe  : à 5h  20,u  va  un  peu  mieux  ; à 4h  15m  fait  encore  de 


57G 


EXPÉRIENCES. 


efforts  pour  se  relever;  à 5h  10m,  soubresauts  convulsifs;  meurt  à b18  50in; 
20,n  après,  la  température  rectale  est  25°. 

A ainsi  vécu  2h  40m  dans  4', 71  d’air;  ce  qui  donne,  par  1000gr  et  par 
litre  à la  pression  normale,  21 111 . 

Air  mortel  : O 8,1  ; CO2 15,6. 

f ns 

C02+ 0=25,7;  ~ —1,21.  Tension  d’0==  2,0. 

La  valeur  de  la  tension  de  l’oxygène  a été,  dans  ces  diver- 
ses expériences  : 

À la  pression  normale,  de  2,5;  à 46e, 5,  de  2,1;  à 41e, 5, 
de  2,2;  à 27e, 8,  de  2,0;  à 19e, 5,  de  2,0;  à 16e,  de  5,0;  à 
15e, 6,  de  5,4;  à 12e,  de  5,0. 

On  remarquera  que,  aux  très-fortes  dépressions,  la  somme 
C02-t-0  a été  21,1;  21,4;  22,1;  22,1;  25,7  et  24,5,  c’est- 
à-dire  supérieure  à la  proportion  primitive  de  l’oxygène. 
L’excès  est  dû,  sans  aucun  doute,  à l’acide  carbonique  con- 
tenu dans  les  intestins  de  ces  rongeurs,  dont  on  voyait  le 
ventre  se  ballonner  au  début  des  pressions  très-basses,  et 
qui  vraisemblablement  laissaient  échapper  alors  une  partie 
de  leurs  gaz  dilatés. 

Quant  à la  durée  de  la  vie,  en  la  rapportant  à 1000  grammes 
d’animal,  elle  a été,  par  litre  : à la  pression  normale,  de  12  mi- 
nutes; à 46e, 5,  de  14  minutes;  à 41e, 5,  de  24  minutes;  à 
27e, 8,  de  17  minutes;  à 19e, 5,  de  21  minutes;  à 16e,  de 
16  minutes;  à 15e, 6 et  à 12e,  la  mort  est  survenue  beaucoup 
plus  rapidement.  Nous  rencontrons  ici  une  régularité  que  ne 
nous  avaient  pas  fournie  les  oiseaux,  extrêmement  variables 
dans  leur  manière  de  se  comporter  sous  les  cloches.  Les 
deux  nombres  extrêmes  12  et  24  s’expliquent  par  l’inces- 
sante agitation  ou  la  tranquillité  parfaite  des  animaux  en 
expérience. 

Si  l’on  rapproche  ces  chiffres  de  ceux  qui  nous  ont  été 
fournis  par  les  autres  mammifères,  on  voit  qu’ils  sont  en- 
viron le  double  de  ceux  donnés  par  les  chats  adultes,  à peu 
près  égaux  à ceux  des  lapins,  et  encore  notablement  infé- 
rieurs à ceux  des  chats  nouveau-nés.  Disons  en  terminant 
que,  pour  les  moineaux,  dont  le  poids  ordinaire  est  de 


TABLEAU  IV 


. 1 

NUMÉROS 

DES 

EXPÉRIENCES 

, .2 
ESPÈCE  D’ANIMAL 

5 

POIDS 

PRESSION  BAROMÉTRIQUE  *=» 

CAPACITÉ  DE  LA  CLOCHE  Üî 

DURÉE  DE  LA  VIE  Ci 

DURÉE  PAR  LITRE  D’AIR 
RAPPORTÉ  A 76  C. 

DE  PRESSION 

ET  PAR  KILOGR.  D'ANIMAL 

8 

■ COMPO 
DE  L’AIR 

O ; 

9 

SITION 

MORTEL 

C02 

10 

TEN- 

SION 

DE 

l’oxy- 
gène 
0 X P 
76 

OISEAU 

X. 

• 

gr. 

c. 

lit. 

h.  m. 

m. 

lu] 

Strix  psiloclactyla. 

125 

76 

2,25 

1.55 

6,2 

5,5 

13,4 

3,3 

liii 

Id 

125 

27,5 

7 

1.10 

5,4 

13,4 

6,4 

4,8 

L1V 

Id.  f 

125 

22,5 

7,5 

57 

2,1 

17,1 

5,5 

5,0 

LV 

Td 

170 

19 

11,5 

55 

2;1 

17,6 

2,6 

4.4 

IM 

Falco  tinnunculus. 

» 

19,5 

15,5 

12 

» 

20 

0,8 

5,1 

Moy. 

5,4 

Moy. 

4,5 

AMMIFÈ 

RES. 

L1X 

Chat  d’an  mois.  . 

280 

76 

5,2 

1.20 

7,7 

4,4 

13,4 

4,4 

LX 

Id 

580 

51 

7 

1.20 

7,1 

7,2 

11,4 

4,9 

LXIV 

Chat  adulte.  . . . 

2570 

29;5 

21,5 

25 

8,7 

10,5 

9.6 

4 

LXIl 

Chat  d’un  mois  . . 

460 

21,8 

15,5 

29 

5 

15,5 

5,1 

4,4 

LX1 

Id 

665 

16 

15,5 

05 

» 

19 

1 

4 

LX1II 

Id 

485 

16 

15,5 

20 

5 

D 

» 

» 

Moy. 

5,9 

Moy. 

4,4 

LXV 

Chats  de  5 jours.  . 

125 

58 

10,5 

1.55 

55 

0,5 

17,1 

2,2 

LXVI 

Id 

125 

25,5 

2,5 

2.55 

24 

7,1 

13,5 

2,4 

LXVII 

Id 

125 

20,5 

5,2 

4.15 

57 

8,5 

12 

2,2 

LXVIII 

Id 

125 

15,5 

5 

4.50 

52 

13 

7 

2,2 

Moy. 

51 

Moy. 

2,2 

LXIX 

Chien 

4k,3 

45 

51 

» 

» 

5,4 

» 

3,0 

LXX 

Lapin 

» 

76 

11,5 

2 

» 

5,7 

15,2 

3,7 

LXXI 

Id 

lk.9 

41 

20,7 

1,25 

16 

5,9 

13,3 

5,2 

LXX11I 

Id.  . . 

1,  6 

29 

20,7 

» 

» 

11 

9 

4,2 

LXX1I 

Id 

1 ,5 

16 

51 

15 

» 

19 

1,6 

4,0 

Moy. 

3,8 

LXXIV 

Cochon  d’Inde.  . . 

420 

76 

5,2 

1.20 

12 

2,5 

16,4 

2,3 

LXXX 

Id 

470 

46,5 

5 

1.20 

14 

5,5 

16 

2,1 

LXXIX 

Id 

620 

55 

16 

2.55 

24 

4,9 

17.2 

2,2 

LXXX 

Id 

520 

28 

15,5 

2.20 

17 

5,4 

15,7 

2,0 

i LXXXÏ 

Id 

620 

19,5 

19 

2.40 

21 

8,1 

15,6 

2,0 

LXXVI 

Id 

580 

16 

15 

1.12 

16 

14,5 

9,8 

5,0 

LXXVIII 

Id 

485 

15,5 

15,5 

9 

» 

19,1 

2,5 

5,4 

! LXXVII 

Id 

490 

12 

10 

15 

» 

19 

3,1 

3,0 

1 

Moy. 

17,5 

Moy. 

2,5 

57 


EXPERIENCES. 


578 

50  grammes  environ,  on  trouverait,  en  envisageant  ainsi  la 
question,  une  moyenne  d’environ  2 minutes  par  kilogramme 
et  par  heure.  Or,  si  Fou  se  reporte  au  célèbre  et  classique 
travail  de  Régnault  et  Reiset  sur  la  respiration,  on  y trouvera 
des  résultats  analogues,  c’est-à-dire  la  consommation  plus 
considérable  d’oxygène  faite  dans  un  temps  donné  par  les 
carnivores  que  par  les  herbivores,  par  les  oiseaux  que  par 
les  mammifères,  par  les  petits  animaux  que  par  les  gros,  etc. 

Tous  les  faits  qui  viennent  d’être  énumérés  se  trouvent 
résumés  dans  le  tableau  IY,  ci-contre. 

J’ajoute,  en  terminant,  le  récit  d’une  expérience  (Exper. 
LXXXI1)  faite  sur  un  hérisson  le  G juillet,  dans  le  but  de 
chercher  à mettre  l’animal  dans  l’état  d’hibernation  en  le 
maintenant  un  certain  temps  à très-basse  pression.  Mais  on 
ne  put,  sans  un  danger  imminent,  dépasser  la  pression  de 
18e;  à 26e  l’animal  se  déroula  et  vomit.  Après  2 heures  pen- 
dant lesquelles  on  a oscillé  entre  28  et  18e  de  pression, 
on  retire  l’animal,  qui  se  remet  rapidement  et  survit.  Ce 
hérisson  s’est,  donc  comporté  comme  l’eût  fait  un  chat  ou 
tout  autre  animal  non  doué  de  la  remarquable  faculté  d’hi- 
berner. 

C.  — Expériences  faites  sur  des  animaux  à sang  froid. 

Je  n’ai  fait  que  peu  d’expériences  sur  les  animaux  à sang 
froid.  Les  grenouilles,  si  utiles  pour  d’autres  ordres  de  re- 
cherches, présentent  souvent,  quand  on  les  laisse  périr  en 
vases  clos,  même  à la  pression  normale,  des  inégalités  sin- 
gulières au  point  de  vue  de  la  durée  de  la  vie,  de  la  compo- 
sition de  l’air  mortel,  etc.  Voici  cependant  une  série  d’expé- 
riences simultanées  dans  lesquelles,  en  prenant  de  minutieu- 
ses précautions  et  en  choisissant  soigneusement  mes  sujets, 
j’ai  pu  obtenir  un  résultat  intéressant  : 

Expériences  LXXXIII-LXXXV1I,  simultanées.  — ■ 15  juin,  à 5h  ; 0 = 22°. 

LXXXIIh  — Pression  normale,  vase  de  275cc;  meurt  le  17  juin  à 51'  du 
soir. 

Air  mortel  : O 2,7. 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  DIMINUÉE. 


579 


LXXX1V. — Pression  de  20e;  vase  de  i1 ,350,  représentant  555cc  à la 
pression  normale  ; meurt  le  16  à 2h. 

Air  mortel:  O 8,4.  Tension  d’O  =2,2. 

LXXXY.  — Pression  de  14e  ; vase  de  1!,9,  représentant  550ccà  la  pres- 
sion normale,  meurt  le  16  à 2h50m. 

Air  mortel  : O 15,5.  Tension  d’O  =2,8. 

LXXXVI.  — Pression  de  10e  ; vase  de  2*,2,  représentant  à la  pression 
normale  290cc  ; a vécu  4h. 

Air  mortel  : O 18,5.  Tension  d’O  = 2,4. 

LXXXVII.  — Pression  de  5e, 5;  vase  de  2J,8,  représentant  200cc;  a vécu, 
2 heures. 

Air  mortel  : O 18,6.  Tension  d’0=  1,5. 

Je  rapporte  enfin  les  résultats  d’une  expérience  faite  sur 
un  insecte,  la  chrysomèle  du  peuplier  : 

Expérience  LXXXVIII.  — 5 août,  4h  du  soir  ; 0=  24°.  Je  mets  10  grammes 
de  chrysomèles  : 

A.  Dans  une  cloche  de  60cc  à la  pression  normale. 

B.  Dans  une  cloche  de  800cc  à 9e  de  pression. 

G.  Dans  une  cloche  de  1^5,  à 4e  de  pression. 

Le  4,  à midi,  les  insectes  sont  immobiles  et  semblent  morls;  l’air  dus 
cloches  ne  contient  plus  trace  d’oxygène;  il  y a de  18  à 20  pour  100 
de  CO2 

Les  animaux  reviennent  à la  vie  après  une  heure  environ. 

§ 5.  — Conclusions. 

Les  résultats  auxquels  nous  ont  conduit  les  faits  énumérés 
dans  le  présent  sous-chapitre  peuvent  être  résumés  dans  la 
conclusion  suivante  : 

En  vase  clos , aux  pressions  inférieures  à une  atmosphère,  la 
mort  survient  lorsque  la  tension  OxP  de  l’oxygène  de  l’air  est 
réduite  à une  certaine  valeur  qui  est  constante  pour  chaque  espèce, 
ou  qui  du  moins  oscille  dans  de  faibles  limites  autour  d'une 
moyenne  (4,4  pour  les  chats  adultes;  5,6  pour  les  moineaux; 
2,5  pour  les  cochons  d’Inde;  2,2  pour  les  chats  nouveau-nés). 

Cette  moyenne  reste  la  même,  quelle  que  soit  la  composi- 
tion initiale  de  l’air  employé  ; mais,  pour  l’air  suroxygéné,  il 
faut  absorber  l’acide  carbonique  au  fur  et  à mesure  de  sa 
production. 


580 


EXPÉRIENCES. 


SOUS-CHAPITRE  II 

PRESSIONS  SUPÉRIEURES  A CELLE  D’UNE  ATMOSPHÈRE. 

g ]er#  „ Dispositif  expérimental. 

Après  avoir  étudié  la  composition  de  l’air  confiné  devenu 
irrespirable  sous  des  pressions  inférieures  à une  atmosphère, 
il  était  tout  naturel  de  chercher  ce  qu’il  adviendrait  en  em- 
ployant des  pressions  supérieures.  Nous  avons  vu  que,  plus 
la  pression  est  faible,  plus  grande  est  la  proportion  d’oxygène 
qui  reste  dans  l’air  mortel,  ou,  en  d’autres  termes,  moins 
celui-ci  est  épuisé.  Cette  loi  se  confirmerait-elle  aux  pressions 
supérieures  ? Arriverait-il  un  moment  où  un  moineau  épui- 
serait, sous  pression,  l’oxygène  de  l’air,  comme  l’ont  fait  aux 
plus  faibles  pressions  les  chrysomèles  dont  j’ai  plus  haut 
raconté  l’histoire?  En  poursuivant  la  loi  et  en  prenant  comme 
moyenne  de  l’épuisement  en  oxygène  à la  pression  normale 
le  chiffre  5,6,  on  ne  devrait,  a 5atm,6,  trouver  que  1 pour  100 
d’oxygène  dans  l’air  devenu  mortel  par  le  confinement,  que 
0,5  à 7atrn,2,  et  ainsi  de  suite.  Nous  allons  voir  combien  cette 
hypothèse  s’est  trouvée  être  éloignée  de  la  vérité. 

Dans  les  expériences  dont  je  vais  donner  le  récit,  j’ai  em- 
ployé à peu  près  exclusivement  les  moineaux.  Leur  petite  taille 
m’a  permis  de  me  servir  d’appareils  en  verre  dont  les  avan- 
tages sont  évidents,  mais  dont  les  dangers,  lorsqu’il  s’agit  d’air 
fortement  comprimé,  ne  sont  pas  moins  évidents  non  plus.  Le 
verre  présente,  en  effet,  ce  grave  inconvénient,  qu’on  n’est 
jamais  sûr  qu'un  appareil  qui  a supporté  à un  certain  moment 
une  certaine  pression,  pourra  la  supporter  de  nouveau.  De 
plus,  sous  l’influence  des  changements  atmosphériques,  les 
pièces  métalliques  dans  lesquelles  il  faut  nécessairement  le 
fixer  se  dilatent  ou  se  rétractent,  dans  les  expériences  de  Ion* 
gue  durée,  suivant  une  loi  différente  de  celle  du  verre  lui- 
même,  lequel  se  trouve  ainsi  soumis  à des  tiraillements  en 
sens  inverses  qui  compromettent  sa  solidité  et  peuvent  même, 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  AUGMENTÉE.  581 

ces  verres  étant  fort  épais,  le  faire  fendre  sans  l’emploi 
d’aucune  pression.  Quoi  qu’il  en  soit,  grâce  aux  précautions 
employées,  les  accidents  qui  sont  arrivés  n’ont  jamais  eu  de 
conséquences  fâcheuses. 

L’un  des  appareils  dont  je  me  suis  le  plus  souvent  servi,  et 
qui  me  permet  de  comprimer  l’air  jusqu’à  25  atmosphères, 
consiste  en  un  cylindre  de  verre,  d’une  capacité  de  650cc  et 
d’une  épaisseur  de  18  millimètres,  protégé  par  une  chemise 
grillée.  Ce  réservoir  est  coiffé  d’une  pièce  mobile  de  bronze 
qui  s’adapte  exactement  à son  orifice,  ou  plutôt  à une  autre 
plaque  de  bronze  fixe  et  reliée  au  socle  sur  lequel  repose  le 
réservoir  par  quatre  colonnes  d’acier,  qui  traversent  à la  fois 
la  pièce  fixe  et  la  pièce  mobile.  Ces  deux  pièces  sont  solide- 
ment assujetties  par  quatre  écrous  mobiles  qui  se  vissent  sur 
les  colonnes  d’acier.  Tout  ceci  se  voit,  du  reste,  très-nette- 
ment sur  la  figure  20. 

Un  manomètre  Bourdon,  qui  indique  la  pression  de  l’air 
du  réservoir,  est  fixé  sur  la  plaque  immobile.  Un  robinet  à 
vis  et  à fente  très-mince  qui  apparaît  à droite  du  cylindre 
permet  de  prendre,  quand  on  le  veut,  une  petite  quantité  de 
cet  air.  A cet  effet,  on  ajuste  à ce  robinet  un  tube  de  caout- 
chouc qu’on  fait  ensuite  plonger  dans  une  cuve  à mercure 
au-dessous  d’un  tube  gradué  ; il  suffit  alors  d’ouvrir  avec 
prudence  ledit  robinet  pour  voir  l’air  comprimé  s’échapper 
de  l’appareil  et  entrer  dans  le  tube  gradué  ; j’avais  toujours 
soin,  bien  entendu,  d’en  rejeter  au  dehors  une  certaine  quan- 
tité avant  de  prendre  celui  que  je  destinais  à l’analyse. 

L’air  est  comprimé  dans  le  réservoir  au  moyen  d’une  petite 
pompe  foulante;  j’ai  fait  entourer] cette  pompe  d’une  enve- 
loppe métallique  que  traverse  un  courant  d’eau  continu;  de 
cette  façon,  la  manœuvre  en  est  beaucoup  moins  pénible,  et, 
ce  qui  est  plus  important,  on  n’envoie  pas  de  l’air  chaud  à 
l’animal.  Je  puis  ainsi  arriver  en  20  minutes  environ,  à la 
pression  de  25  atmosphères.  Enfin,  un  gros  robinet  fixé  sur 
la  pièce  mobile  qui  coiffe  le  cylindre  sert  à ouvrir  ou  à fermer 
hermétiquement  l’appareil.  Il  établit  ou  interrompt  la  com- 
munication avec  la  pompe,  et,  lorsque  le  tube  qui  le  surmonte 


Appareil  cylindrique  en  verre  pour  hautes  pressions  (25  atmosphères),  en  chaige  dair  sui oxygène. 


MORT  EN  VASES  CLOS  : FRESSION  AUGMENTÉE.  583 

est  enlevé,  permet  de  décomprimer  brusquement,  si  on  en  a 
besoin,  Pair  du  réservoir. 

Dans  les  expériences  où  je  comprimais  simplement  de  Pair, 
le  sac  représenté  sur  la  figure  n’existait  pas,  bien  entendu, 
et  l’appel  de  la  pompe  se  faisait  directement  au  dehors. 

J’ai  fait  usage  plus  souvent  encore  d’un  appareil  construit 
d’une  manière  analogue,  mais  dont  le  réservoir  était  un 
simple  récipient  de  générateur  d’eau  de  Seltz.  Je  ne  pouvais 
ainsi  pousser  que  jusqu’à  10  atmosphères;  mais  la  forme 
arrondie  de  l’appareil  laissait  aux  animaux  plus  de  liberté. 

Enfin,  je  me  suis  servi  d’une  bouteille  à mercure,  montée 
comme  le  cvlindre  en  verre.  La  solidité  extrême  de  cet  in- 

«j 

strument  m’aurait  permis  de  pousser  sans  encombre  jusqu’à 
40  atmosphères.  Sa  capacité,  qui  est  de  5 litres,  présente 
aussi  de  grands  avantages;  le  sepl  inconvénient  est  de  ne 
pouvoir  voir  ce  qui  se  passe  au  dedans* 


§2.  — Expériences. 

A.  — Compression  avec  de.  T air  ordinaire. 

J’arrive  maintenant  aux  expériences.  Je  les  énumérerai, 
comme  j’ai  fait  jusqu’ici,  dans  l’ordre  même  où  elles  ont 
été  exécutées.  Ce  que  j’ai  dit  au  début  de  ce  sous-chapitre 
indique  suffisamment  pourquoi  j’ai  commencé  par  la  pres- 
sion de  3atn’,75.  L’appareil  qui  m’a  servi  dans  cette  première 
série  est  un  récipient  à eau  de  Seltz,  d’une  capacité  totale 
de  1060cc. 

Expérience  LXXXIX.  — 18  juillet;  tempér.  26°.  Moineau  franc,  jeune. 
En  10  minutes,  on  amène  le  moineau  à 5,75  atmosphères  ; il  ne  paraît  nul- 
lement gêné;  mais  un  accident  faisant  tomber  subitement  la  pression,  il 
se  hérisse  et  se  cache  la  tête  sous  l’aile.  L’augmentation  de  la  pression  an 
niveau  primitif  lui  redonne  les  apparences  de  la  santé. 

Robinets  fermés  à 2h.  A 2h20m,  malade;  à 5h  10m,  très-malade  ; à5h20ra, 
paraît  mourant  ; à 6h50111,  de  même.  A 10h  du  soir,  le  croyant  mort,  je 
retire  de  l’air  en  sorte  que  la  pression  tombe  à 2 atmosphères;  il  respire 
alors,  et  je  le  laisse  jusqu’à  10h50,u.  Retiré  alors,  est  encore  vivant, 
avec  une  température  rectale  de  28°  (c’est  celle  du  récipient  lui-même);  il 
meurt  dans  la  nuit, 


584 


EXPÉRIENCES. 


L’air  que  j’avais  pris  à 10h,  et  qui  vraisemblablement  n’aurait  été  que 
peu  altéré  consécutivement,  contenait  GO2  7,2;  O 11,1. 

Expérience  XG.  — 19  juillet;  tempér.  25°.  Moineau  franc,  jeune.  En 
10  minutes  porté  à 7 atmosphères;  fermé  le  robinet  à 2h  10ra.  A4h45m 
fort  malade,  yeux  fermés.  A 10h  du  soir,  trouvé  mort. 

Je  décomprime  rapidement  et  en  examinant  la  veine  jugulaire,  j’y  vois 
le  sang  rouge  et  spumeux  semblable  à de  la  mousse. 

L’air. mortel  contient  GO2  5,7  ; O 16,2. 

Expérience  XCI.  — 20  juillet  ; tempér.  21°, 5.  Moineau  franc,  jeune. 
Poussé  rapidement  à 2 1/2  atmosphères.  Fermé  robinets  à 5h30m.  Ma- 
lade à5h55m;  paraît  mort  à 91' 45,u.  Je  retire  de  Pair,  et  j’ouvre  l’appareil. 

En  prenant  l’oiseau  dans  la  main,  je  vois  qu’il  respire  encore  un  peu,  et 
est  encore  un  peu  sensible.  La  température  rectale  est  25°, 5,  probable- 
ment égale  à celle  du  récipient.  Je  lui  coupe  la  tête:  il  a de  très-énergi- 
ques mouvements  réflexes.  L’animal  a ainsi  vécu  4h  1/2  environ,  dans 
une  quantité  d’air  correspondant  à 2l,650  à la  pression  normale. 

Le  sang  est  très-rouge  dans  le  cœur  gauche  ; moins  noir  que  dans  l’é- 
tat ordinaire  à la  jugulaire  droite  : pas  de  gaz  libres  dans  le  sang. 

Air  mortel  : CO2  11,2  ; O 8,5. 

Expérience  XCIL  ■ — 21  juillet  ; moineau  franc,  jeune.  Mis  à 5 atmosphè- 
res à 10h  au  matin  : trouvé  mort  à lh. 

Air  mortel  : GO2  6,0  ; O 14,2. 

Expérience  XCI1I.  — 24  juillet  ; tempér.  21°.  Moineau  franc.  Mis  à 
1 1/2  atmosphère  à 5h10m.  Meurt  à 8h  45m.  Température  rectale  25°, 5 ; 
sang  veineux  assez  rouge  ; pas  de  gaz  libres.  A vécu  3h  55,u  dans  15580 
d’air,  à la  pression  normale. 

Air  mortel:  CO2 15,2;  O 2,6. 

Expérience  XGIV.  — 25  juillet;  tempér.  25°.  Moineau  franc  assez  vieux. 
A 4h  55m  poussé  à 2 atmosphères.  Trouvé  mort  à 7h  45,n. 

Air  mortel  : CO2  15,7  ; O 5,0. 

Expérience  XGV.  — 26  juillet;  tempér.  25°.  Moineau  franc.  A lh25m, 
poussé  à 5 atmosphères. 

Meurt  à 4h  15ni.  Tempér.  reclale  25°;  sang  et  tissus  rouges:  le  cœur 
battait  encore  à l’air.  A vécu  2h50m  dans  la  valeur  de  55500  d’air. 

Air  mortel:  CO2 5,1  ; O 15,4. 

Expérience  XGV1. — 4 août.  Moineau  franc.  A 4h  55m  poussé  à 6 atmosphè- 
res. A 5h  50IU,  très-malade  ; trouvé  mortà9h30m.  Sang  veineux  rouge  ; gaz 
dans  le  cœur  droit  et  les  jugulaires,  mais  non  dans  le  cœur  gauche. 

Air  mortel  : GO2  4,2;  6 16,0. 

Expérience  XCVII.  — 11  août.  Moineau  franc.  A 2 11 55nq  mis  à 1 atmo- 
sphère 1/2.  Très-malade  à 5h  1/2.  Trouvé  mort  à 9h  ; sang  veineux, 
noir. 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  AUGMENTEE. 


585 


Air  mortel  : CO2  15,4  ; O 2,5. 

Expérience  XCVIII.  —17  août.  Bruant  ( Emberiza  citrinella , Lin.).  A 
4h45m,  à 1 atmosphère  3/4.  Malade  à 6h;  trouvé  mort  à 8U;  sang  veineux 
noir,  pas  de  gaz. 

Air  mortel:  CO2  12,9  ; O 4,9. 

Expérience  XCIX. — 19  août;  22°.  Linot  ( Fringilla  cannabina , Lin.). 

Poussé  à 8,8  atmosphères.  Fermé  le  robinet  à 2h50m  ; à 5h  45,  gêné, 
fait  des  efforts  de  vomissement.  A 4h45m,  se  renverse  sur  le  côté,  les  res- 
pirations se  ralentissent  et  s’affaiblissent  ; pas  de  convulsions.  A 6h  un 
frémissement  dans  une  patte,  puis  extension:  c’est  le  dernier  mouvement. 

La  température  rectale  est  25°,  5.  Le  sang  veineux  est  très-rouge,  sans 
gaz;  le  cœur  bat  encore,  oreillettes  et  ventricules.  A vécu  5h10m  dans  9*,530 
d’air  à la  pression  normale. 

Air  mortel  : CO2  2,8  ; O 17,4. 

Expérience  G.  — 19  août;  tempér.  22°.  Linot. 

A 6h20m,  est  poussé  à 95  centimètres  dfj  pression;  à 9ll55m,  trouvé 
mort.  Sang  veineux  noir,  sans  gaz. 

Air  mortel  : CO2 15,5  ; O 5,7. 

Expérience  CL  — 20  août  ; moineau  friquet. 

Mis  à 1 atmosphère  1/4. 

Air  mortel:  GO2  14,5  ; O 3,4. 

Les  résultats  de  ces  expériences  sont  groupés,  suivant 
l’ordre  croissant  des  pressions,  dans  le  tableau  suivant  : 

TABLEAU  V. 


1 

Kf) 

w 

is 

w 

ce 

2 

O 

C/5 

5 

DURÉE 

4 

Ld  ce 

> < 

u e « 

w S o P 

ca  £ p, 

5 

W fcj 

a ss 
^ <w 

l_g 

G 7 

COMPOSITION 
DE  L’AIR  MORTEL 

8 

CO-  X P 

9 

O x P 

10 

CO2  -+-  0 

11 

C02 

ce 

* 

W 

td 

ce 

DE  LA  VIE 

| < 
ce  ce  ^ 

Q C- 

c/3 

^ o 
£ - - 
H ^ 

C02 

O 

0 

atm. 

c 

1 1/4 

20,1 

13,3 

5,0 

15,0 

4,2 

10,9 

77 

CI 

1 1/4 

20,1 

14,3 

3,4 

17,9 

4,2 

17,7 

81 

XCIII 

1,5 

3h,35m 

2h,15m 

51,3 

15,2 

2,0 

22,8 

3.9 

17,8 

85 

XCVII 

1,5 

51,5 

15,4 

2,5 

25,1 

5,7 

17,9 

83 

XCVIII 

1,75 

de  2 à 3h 

30,5 

12,9 

4,9 

22,5 

8,0 

17,8 

80 

XCLV 

2 

moins  de  3 h. 

41,8 

13,7 

5,0 

27,4 

10 

18,7 

80 

XCI 

2,5 

4h,50m 

lh,42m 

52,2 

14,2 

8,5 

28,0 

21,2 

19,7 

90 

LXXXIX 

5,75 

pins  de  8 h. 

78,5 

7,2 

11,1 

27,0 

41,3 

18,5 

73 

XCII 

5.0 

xcv 

5,0 

2h,55m 

55m 

104,5 

5,5 

15,8 

27,5 

09 

» 

77 

XCVI 

6 

125,4 

4,2 

16,0 

25,2 

90,0 

20,2 

85 

xc 

7 

140,5 

3,7 

10,2 

25,9 

113,4 

19,9 

78 

XCIX 

8,8 

3\10m 

a 

o 

CM 

183,9 

2,8 

17,4 

24,0 

153,1 

20,2 

80 

58G 


EXPÉRIENCES. 


Si  nous  considérons  maintenant  ces  résultats,  en  nous  atta- 
chant tout  d’abord  à la  composition  de  l’air  devenu  irrespi- 
rable, et  le  tableau  précédent  nous  rend  facile  cet  examen 
d’ensemble,  nous  voyons  de  suite  que  la  conjecture  énoncée  en 
tête  de  ce  sous-chapitre,  bien  loin  d’être  vérifiée,  s’est  trouvée 
être  précisément  le  contraire  de  la  vérité.  Plus  la  pression  a 
été  grande,  moins  l’oxygène  de  l’air  a été  épuisé,  comme  le 
montre  la  colonne  7 du  tableau  V.  A 8at,n,8,  pression  la  plus 
élevée  que  j’aie  employée  dans  cette  première  série  d’expé- 
rience, il  restait,  après  la  mort,  17,4  d’oxygène. 

Cette  constatation,  déjà  fort  curieuse,  devient  tout  à fait  de 
nature  à étonner,  lorsque  nous  faisons  entrer  en  ligne  de 
compte  non-seulement  le  chiffre  exprimant  la  composition 
centésimale,  mais  ce  nombre  jusqu’ici  constant  dans  nos 
expériences  qui  indique  la  tension  de  l'oxygène  dans  l’air  de- 
venu mortel.  Nous  avons  vu,  dans  le  premier  chapitre,  que 
ce  nombre  oscille  entre  5 et  4.  Or,  dans  les  expériences 
actuelles,  la  colonne  9 ne  nous  fournit  des  chiffres  analogues 
que  pour  les  pressions  intermédiaires  entre  1 et  2 atmosphè- 
res. Et  même  ici  apparaissent  déjà  les  nombres  8 et  10,  qui 
deviennent  bientôt  20  et  40,  pour  arriver  à 113  et  155  aux 
pressions  de  7 et  de  8,8  atmosphères. 

Ainsi  donc,  au-dessus  de  2 atmosphères,  la  mort  dans  l’air 
confiné  ne  pourrait  être  attribuée  à la  privation  d’oxygène  : 
il  faut  chercher  quelque  autre  cause. 

Ma  première  pensée  a dû  naturellement  se  porter  sur  l’acide 
carbonique. 

Or,  en  considérant  la  colonne  8,  dans  laquelle  se  trou- 
vent inscrits  des  nombres  qui  sont  obtenus  en  multipliant  la 
proportion  centésimale  de  l’acide  carbonique  par  le  nombre 
des  atmosphères,  et  qui,  par  conséquent,  représentent  la 
tension  de  l’acide  carbonique  dans  l’air  mortel,  nous  voyons 
que,  à partir  de  2 atmosphères,  ces  nombres  oscillent  entre 
25  et  50. 

Si  maintenant  nous  nous  reportons  à ce  qu’a  dit  autrefois 
M.  Claude  Bernard1  sur  les  conditions  de  la  mort  d’oiseaux 

1 Leçons  sur  les  substances  toxiques , p.  140. 


MOUT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  AUGMENTÉE.  587 

renfermés  à la  pression  normale  dans  un  milieu  très-oxygéné, 
nous  voyons  qu’ils  périssent  lorsqu’ils  y ont  formé  une  pro- 
portion d’acide  carbonique  qui  correspond  précisément  à 
celle  que  nous  venons  d’indiquer.  Les  nombreuses  expériences 
que  j’ai  moi-même1  faites  à ce  sujet  m’ont  conduit  à des  ré- 
sultats analogues,  et  j’ai  confirmé  l’exactitude  de  l’explication 
donnée  par  Cl.  Bernard  de  cette  bizarre  asphyxie  dans  un 
milieu  beaucoup  plus  riche  en  oxygène  que  l’air  ordinaire. 
Il  s’agit  ici  d’un  véritable  empoisonnement  dû  à l’acide  car- 
bonique du  sang  qui  ne  peut  s’éliminer  à cause  de  la  pression 
qu’exerce  sur  lui  l’acide  carbonique  contenu  dans  l’atmo- 
sphère ambiante. 

C’est  donc  la  pression  exercée  par  ,cet  acide  carbonique, 
pression  mesurée  précisément,  à une  atmosphère,  par  le 
chiffre  même  de  la  composition  centésimale,  qui  est  cause 
de  la  mort.  Or,  à des  pressions  supérieures  à une  atmosphère, 
la  pression  réelle,  la  tension  de  l’acide  carbonique,  s’obtient 
en  multipliant  le  chiffre  de  la  composition  centésimale  par 
le  nombre  des  atmosphères,  et  c’est  ainsi  que  nous  avons 
obtenu  les  nombres  de  la  colonne  8. 

Nous  pouvons  donc  donner,  pour  la  mort  en  vases  clos,  à 
des  pressions  plus  fortes  qu’une  atmosphère,  une  formule 
tout  à fait  analogue  à celle  que  nous  avons  indiquée  plus 
haut  (voir  page  579)  pour  les  pressions  inférieures  à une 
atmosphère,  et  dire  : La  mort  des  moineaux  arrive  lorsque 
la  tension  de  l'acide  carbonique , mesurée  comme  il  vient  d'être 
dit , est  représentée  par  un  chiffre  qui  oscille  environ  entre  24 
et  50;  nous  prendrons  dorénavant  26  comme  nombre  moyen. 

Il  résulte  de  ceci  que,  si  nous  représentions  nos  résul- 
tats par  une  courbe  analogue  à celle  de  la  figure  17, 
dans  laquelle  les  abscisses  représenteraient  les  pressions, 
et  les  ordonnées  les  proportions  d’acide  carbonique,  cette 
courbe  correspondrait  à la  formule  xy  = 25  à 50,  et  serait, 
elle  aussi,  par  conséquent,  une  branche  d’hyperbole  équi- 
latère. 

Mais  il  faut  tout  de  suite  faire  remarquer  que  cette  formule 

1 Leçons  sur  la  physiologie  cle  la  respiration , p,  517. 


588 


EXPÉRIENCES. 


ne  commence  à être  vraie  qu’à  partir  de  une  et  demie  et 
surtout  de  deux  atmosphères.  Au-dessous,  les  chiffres  de  la 
colonne  8 sont  beaucoup  plus  faibles.  C’est  que,  ici,  la  quan- 
tité d’oxygène  mise  à la  disposition  de  l’oiseau  n’était  pas 
suffisante  pour  lui  permettre  la  production  d’une  quantité 
d’acide  carbonique  capable  de  le  tuer  à elle  seule.  Sans  doute, 
la  tension  de  l’acide  carbonique  n’était  pas  négligeable,  sur- 
tout quand  elle  arrivait  à valoir  22  ou  25  ; mais  il  faut  dans  ce 
cas  mettre  en  ligne  de  compte  répuisement  de  l’oxygène, 
dont  la  colonne  9 nous  montre  l’état  très-avancé.  Nous  retrou- 
vons, en  effet,  ici  les  chiffres  variant  de  5 et  4 que  nous 
connaissons  comme  exprimant  la  pression  d’oxygène  trop 
faible  pour  entretenir  la  vie. 

Influence  de  la  température.  — Les  résultats  qui  précèdent 
ont  été  obtenus  à des  températures  supérieures  à 20°.  J’ai 
voulu  savoir  si  un  froid  considérable  aurait  une  influence 
notable  sur  les  chiffres  obtenus.  Voici  ce  qui  est  advenu  : 

Expérience  Clt.  — 12 décembre;  température  du  laboratoire  H- 0°.  Moi- 
neau franc.  Mis  à 6 atmosphères  ; fermé  robinets  à 2h.  Entouré  complète- 
ment l’appareil  dans  une  masse  de  neige  à 0°. 

A 4h  20m,  on  trouve  l’oiseau  mort.  A41'  25m,  sa  température  rectale  était 
de  — f-  4°. 

Air  mortel  : GO2  2,9  ; O 17,4. 

C02xP=17,4. 

Expérience  GUI.  — 15  décembre;  température  -H  6°.  Moineau  franc.  A 
2h,  mis  à 5 atmosphères.  Entouré  l’appareil  d’un  mélange  de  glace  et  de 
sel  dont  la  température  s’abaisse  à 12°.  On  ne  peut  lire  la  graduation  du 
thermomètre  intérieur.  A 3h35m,  trouvé  mort.  Tempér.  rectale,  H- 8°  ; 
sang  veineux  rouge,  sans  bulles  de  gaz. 

Air  mortel  : GO2  5,4;  O 15,2. 

C02xP  = 17,0. 

Expérience  C1Y.  — 14  décembre;  tempér.  extér.  5°.  Moineau  franc, 
poussé  à 2h50m,  à 4 atmosphères.  Entouré  d’un  mélange  déglacé  et  de  sel. 

A41'  20"1,  très-malade  ; à 4h  50m,  mort.  Température  intérieure  de  l’ap- 
pareil, -f- 1°  ; tempér.  rectale,  17°, 5. 

Air  mortel  : CO2  5,0  ; O 13,5. 

CO2  x P = 20. 


On  voit  que  l’influence  du  froid  a été  très-importante,  et 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  AUGMENTÉE.  589 

que  les  oiseaux  n’ont  pu,  dans  ces  conditions,  former  autant 
d’acide  carbonique  qu’aux  tempéra  tures  élevées.  Cela  se  com- 
prend assez  bien,  à cause  du  refroidissement  propre  de  l’ani- 
mal, qui  n’était  plus  compatible  avec  l’exercice  des  fonctions, 
et  n’a  plus  permis  les  mouvements  de  la  respiration. 

Je  pense  même  que  c’est  à la  température  qu’il  faut 
attribuer  les  résultats  assez  différents  de  ceux  que  j’ai  rap- 
portés plus  haut,  obtenus  avec  le  même  appareil,  mais  pendant 
une  saison  moins  chaude. 

Expérience  GV.  — 51  janvier.  Moineau  franc.  A 5h50iu,  poussé  à 4 at- 
mosphères. Meurt  à 5h  50m.  Pas  de  suffusions  crâniennes. 

Air  mortel  : GO2  5,8  ; O 15,  2. 

C02xP  = 23,2. 

Expérience  GV1.  — 18  mars.  Moineau  franc.  A 2'1 10in  poussé  à 6 at- 
mosphères. Très-malade  ào'1  50m  ; trouvé  mort  à 4h  50,n.  Piqueté  rouge  au 
crâne. 

Air  mortel  : GO2  5,  9 ; O 14,9. 

CQ2xP=25,4. 

B.  — Air  suroxygéné  : pressions  inférieures  à une  atmosphère. 

C’est  ici  que  je  crois  devoir  placer  le  récit  des  expériences 
faites  suivant  la  méthode  dont  il  a été  question  à la  page  561 
(sous-chap.  Ier),  et  dans  lesquelles  des  moineaux  étaient  main- 
tenus en  vases  clos,  à des  pressions  inférieures  à celles  d’une 
atmosphère,  mais  dans  de  l’air  suroxygéné.  Ici,  jusqu’aux 
basses  limites  qui  ont  été  indiquées,  la  mort  a lieu  non  par 
trop  faible  tension  d’oxygène,  mais  par  trop  forte  tension 
d’acide  carbonique,  c’est-à-dire  par  un  mécanisme  identique 
à celui  dont  nous  nous  occupons  en  ce  moment. 

Voici  le  détail  de  ces  expériences,  faites  toutes  avec  des 
moineaux  : les  deux  premières  sont  la  répétition  de  l’expé- 
rience classique  de  Claude  Bernard  : 

Expérience  GVII.  — 16  janvier.  Cloche  de  1 litre. 

L’oiseau  est  amené  successivement  trois  fois  à 40e  de  diminution  de 
pression,  le  vide  étant  à chaque  fois  rempli  avec  de  l’oxygène.  Le  mélange 


EXPERIENCES. 


590 

contient  alors  91  pour  100  d’oxygène.  Je  laisse  l’oiseau  à la  pression  nor- 
male, et  ferme  les  robinets  à 5h. 

Mort  à 6h  1 5m  ; a vécu  5h  1 5m. 

Air  mortel  : CO2,  24,8  ; O 64,5. 

CO2  + 0=  89,5.  Le  rapport  de  l’acide  carbonique  formé  à l’oxygène 

CO2  24,8 

consommé  a été  de  — - = — 0,95. 

O 20,5 

Expérience  CV1II.  — 16  janvier.  Cloche  de  l1. 

Amené  trois  fois  de  suite  à 40e  de  dépression;  pression  définitive,  56e. 
Fermé  robinets  à 2h  50“'  ; mort  à 6h15m.  Pression  54e.  Mélange  primi- 
tif: O 82. 

Air  mortel  : CO2  65,5;  O 17,5. 

CO* 

CO2 -h  O = 80,8;  = 0,98.  CO2  X P 28,5. 

Expérience  CIX.  — 29  janvier.  Cloche  de  675ee  ; moineau  friquet. 
Pression  diminuée  de  50e,  l’oiseau  devient  malade;  laissé  rentrer  l’oxy- 
gène ; la  seconde  diminution  est  poussée  à 60e,  malade;  laissé  rentrer  oxy- 
gène. Fermé  robinets  à 5h55m. 

Laissé  à pression  normale.  A 5h,  haletant  ; à 6h,  meurt  sans  convulsions  ; 
un  peu  de  suffusion  sanguine  au  crâne. 

Air  mortel  : CO2  24,8  ; 0 65,5. 

Expérience  CX.  — 50  janvier.  Cloche  de  l1  5. 

Amené  à 44e,  58e,  56e,  puis  48e  de  diminution.  Fermé  robinets  à 5h50m  ; 
mort  à 6h  . 

La  pression  intérieure  est  de  25e. 

Mélange  primitif:  O 89,2. 

Air  mortel:  CO2  72,  1 ; O 15,5. 

CO2 

CO2  4- 0 =87,4;  -^-  = 0,97. 

Tension  de  C02  = 25,7. 

90 

Tension  d’O  = 15,5  x 3-^  = 5,0. 

Expérience  CXI.  — 51  janvier.  Cloche  de  675ec. 

Amené  à 40e, 50e, 50e  de  dépression  et  rempli  avec  oxygène.  La  dernière 
fois,  la  pression  est  de  55e.  Fermé  robinets  à 51' 20'“.  Meurt  à 51'  15m  ; pas  de 
suffusions  sanguines  au  crâne. 

Mélange  avant  : O 79,6. 

Air  mortel  : CO2  55,5  ; O 42,5* 

CO* + 0 = 77.6;  —"=0,9-4.  CO* xP  = 25,5. 

U 

Expérience  CX1I.  — 31  janvier.  Cloche  de  1 1 5. 

Amené  à 40e,  50e,  50e  ; la  dernière  fois,  à 45e  de  pression. 

A la  mort,  la  pression  n’est  plus  que  de  56e. 


591 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  AUGMENTÉE, 

Mélange  primitif:  O 89,8. 

Air  mortel  : CO-  57,6  : O 50,1. 

PO2 

CO2 -4-0  — 87,7;  ^-  = 0,96.  C02xP=27,2. 

O 

Expérience  CXII1.  2 février.  Cloche  de  0,550. 

Amené  à 50e, 50e,  puis  50e,  et  rempli  avec  oxygène  ; la  dernière  fois 
amené  à 58e  de  pression. 

Fermé  robinets  à 5h45,n  ; meurt  à 6h45m  ; la  pression  n est  plus  que 
de  51e. 

Mélange  avant:  O 91,5. 

Air  mortel:  CO2  56,0  ; O 54,9. 

CO2 

CO2  + 0=  99,6  ; = 0,98.  CO2  xP  ==  24,2. 

Expérience  CXIV.  — 5 février.  Cloche  de  0,5. 

Amené  à 50e, 50e, 50e  ; à la  quatrième  fois  laissé  à 45e  de  pression. , 

Mis  à 4h.  Mort  à 8h  15m,  la  pression  est  de  58e. 

Air  mortel  : CO2  49,5;  O 56,6. 

CO2  x P = 24,6. 

Expérience  CXV.  — 6 février.  Cloche  de  675ec. 

Amené  successivement  à 50e,  à 50e  et  à 50e  de  dépression,  et  rempli  à 
chaque  fois  avec  oxygène.  Fermé  robinets  à 2U  55m  ; la  pression  est  de  57e. 
Mort  à 5h  45,u.  Suffusion  crâniennes  par  places.  Pression  réelle  55e. 
Mélange  avant  l’expérience  : O 87,8. 

Air  mortel  : CO2  56,5  ; U 50,1. 

CO2 

CO2  H- O = 86,4;  =0,97^  CO'2  X P — 26,2. 

Expérience  CXV1.  — 19  février.  Cloche  de  675ee. 

Amené  une  fois  à 50e  de  diminution,  et  deux  autres  fois  encore  à 50e  ; à 
chaque  fois,  laissé  rentrer  oxygène.  Amené  la  pression  réelle  à 64e.  Fermé 
les  robinets  à ! h 50ul. 

Mort  à 5h  55m  ; petites  marbrures  sanguines  au  crâne.  Sang  de  la  ju- 
gulaire rouge. 

Air  mortel  : CO2  27,7  ; O 54,7. 

La  tension  de  CO2  est  C02xP  = 27,7  Xw^  =l  25* 5. 

7b 

Expérience  CXVII.  — 19  février.  Cloche  de  l1,  55. 

Amené  à 50e, 50e, 50e  ; la  dernière  fois  laissé  à 46e  de  pression. 

Fermé  robinets  à2h  ; à 4h  15m,  très-malade.  A la  mort,  la  pression  est 
de 45e.  Suffusions  crâniennes  faibles. 

Air  mortel  : CO2  42,4  ; O 29,8. 

C02x  P = 24,5. 

Expérience  CXYIIl.  — 19  février.  Cloche  de  21,2. 


592 


EXPÉRIENCES. 


Amené  à 50e, 50e, 50e.  de  dépression,  puis  à 54e  de  pression  réelle. 
Fermé  à 2h  i5m;  meurt  à 6h45m;  suffusion  crânienne  énorme. 
Pression  réelle,  29e. 

Air  mortel:  CO2  CG;  O 13,1. 

C02x  P = 25,2. 


La  pression  de  l’oxygène  restant  n’est  que  de  15,1  X 


29 

76 


5. 


Expérience  CX1X.  — 22  février.  Cloche  de  2*,5. 

Amené  à 50e, 50e, 50e,  puis  à 58e  de  dépression.  Fermé  à lh  5m.  Mortà7h. 
Suffusion  légère  au  crâne  ; sang  veineux  rouge. 

Pression  réelle,  54e. 

Air  mortel  : CO2  60  ; O 27,4. 

CO2  xP  = 26,8. 


Tous  ces  résultats  sont  résumés  et  groupés,  suivant  l’ordre 
décroissant  des  pressions  barométriques,  dans  le  tableau  sui- 
vant ; j’v  ai  joint  les  expériences  rapportées  à la  page  5(35. 

TABLEAU  \I. 


1 

NUMÉROS 

DES 

EXPÉRIENCES 

2 

P 

K S 

2 S 

c n H 
c n »u 

g O 

RICHESSE 
EN  OXYGÈNE 
DU  MÉLANGÉ 
PRIMITIF 

TENSION 

DE  L’OXYGÈNE  *=» 

PRIMITIF 

5 6 

COMPOSITION 
DE  L’AIR  MORTEL 

7 

CO2 

8 

TENSION 
DE  CO2 

CO2  x P 

9 

TENSION 

n’o 

O X P 

' 

CO2 

O 

O 

CVII 

76e 

91 

91 

24.8 

64,5 

0,95 

24,8 

64,5 

C1X 

76 

» 

» 

24,8 

65,5 

» 

24,8 

65,5 

CXVI 

64 

» 

» 

27,7 

54,7 

» 

25,5 

46,0 

cxv 

55 

87,8 

65,5 

56,5 

50,1 

0,97 

26,2 

56,2 

CXI 

55 

79,6 

57,6 

*)£)  . ô 

42,5 

0,94 

25,5 

50 , ô 

CXIII 

51 

91,5 

61,4 

55,7 

54,9 

0,98 

24,2 

56,8 

CXVIl 

45 

» 

» 

42,4 

29,8 

» 

24,5 

16,8 

CXIV 

58 

» 

» 

49,5 

56,6 

» 

24,6 

18,5 

CXII 

56 

89,8 

45,9 

57,6 

50,1 

0,96 

27,2 

14,2 

CVIIL 

54 

82 

56,7 

60 . (y 

17,5 

0,98 

28,5 

7,8 

CXIX 

54 

» 

» 

60 

27,4 

» 

26,8 

12,2 

CXVI1I 

29 

» 

» 

66 

15,1 

» 

25,2 

5,0 

ex 

25 

89,2 

29,5 

72,1 

15,5 

0,97 

25,7 

5,0 

XLVJ1 

18 

85,9 

20,5 

68,1 

15,4 

a,  96 

15,2 

5,6 

XLYIII 

14 

» 

» 

48 

25,8 

» 

8,8 

4,5 

XLIX 

12,5 

88,4 

14,5 

66 

22,2 

0.99 

10,8 

5,6 

L 

8 

82,5 

8,6 

57,2 

41,8 

0,92 

5,9 

4,4 

LI 

6,6 

87 

7,5 

17,5 

66,7 

0,85 

1,5 

5,8 

bans  ce  tableau  un  coup  d’œil  jeté  sur  les  colonnes  5 et  8 
suffit  pour  prouver  que  nos  prévisions  se  sont  réalisées  et 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  AUGMENTÉE.  593 

que,  à ces  pressions  inférieures  à une  atmosphère,  l’empoi- 
sonnement par  l’acide  carbonique  arrive  quand  la  tension  de 
ce  gaz  peut  être  exprimée  par  des  nombres  oscillant  de  24 
à 27.  C’est  le  résultat  obtenu  plus  haut  pour  les  pressions 
supérieures  à une  atmosphère  et  demie. 

Ceci  se  tire,  comme  le  montre  la  colonne  5,  des  proportions 
d’acide  carbonique  qui  peuvent  s’élever  jusqu’à  72  pour  100. 
Aux  pressions  très-basses,  au-dessous  de  20  centimètres,  par 
exemple,  la  loi  ci-dessous  n’est  plus  vérifiée  ; mais  cela  se 
comprend  aisément.  Prenons  comme  exemple  la  pression  de 
14  centimètres,  réalisée  dans  l’expér.  XLVI11.  Pour  arriver  au 
chiffre  moyen  de  26,  il  faudrait  que  la  proportion  centésb 
male  de  l’acide  carbonique  dans  l’air  mortel  s’élevât  à 
76 

26Xt4  = 141,  ce  qui  est  évidemment  impossible.  En  d’au- 
tres termes,  avant  de  pouvoir  atteindre  la  tension  mortelle  de 
l’acide  carbonique,  l’oiseau  arrive  à épuiser  l’oxygène  du  mi- 
lieu, de  manière  à retomber  sur  le  genre  de  mort  habituel 
dans  les  pressions  diminuées,  lorqu’on  emploie  l’air  ordinaire. 
C’est  pourquoi,  du  reste,  nous  avons  transporté  au  sous- 
chapitre  Ier  les  expériences  faites  dans  ces  conditions. 

L’analogie  entre  ces  deux  ordres  d’expériences,  d’apparence 
si  différente,  se  fait  encore  remarquer  dans  un  détail  expé- 
rimental assez  intéressant,  et  qui,  au  premier  aperçu,  m’a- 
vait semblé  assez  paradoxal.  Lorsqu’un  oiseau  sous  pression 
commençant  à devenir  malade  je  lui  ajoutais  de  l’air  pur, 
je  ne  le  soulageais  nullement;  au  contraire,  une  amélioration 
évidente  se  manifestait  lorsque  je  laissais  échapper  une  par- 
tie de  son  air.  Ceci  s’explique  aisément;  supposons  que  l’a- 
nimal soit  à 5 atmosphères  et  qu’il  ait  déjà  formé  6 centiè- 
mes de  CO2  ; la  pression  de  ce  gaz,  6x5  = 18,  est  suffisante 
pour  rendre  malade  l’oiseau.  Si  j’injecte  5 atmosphères  d’air 
pur,  la  tension  de  CO2  devient  5x6  = 18,  c’est-à-dire  qu’elle 
ne  change  pas,  puisque  si  la  pression  augmente  de  moitié, 
la  proportion  centésimale  diminue  de  moitié;  l’animal  n’est 
donc  nullement  soulagé.  Si,  au  contraire,  je  lâche  une  demi- 
atmosphère,  la  tension  devient  6x1, 5=9,  d’où  résulte  un 

38 


594 


EXPÉRIENCES. 


mieux-être  immédiat.  Cet  apparent  paradoxe  confirme  donc 
encore,  par  voie  indirecte,  ce  que  j’ai  déjà  démontré. 

Or,  il  en  est  de  même  pour  les  expériences  à basses  pres- 
sions, en  présence  d’une  atmosphère  suroxygénée.  Ici,  l’ani- 
mal devenu  malade  par  l’acide  carbonique  qu’il  a formé  n’est 
point  soulagé,  si  on  laisse  rentrer  de  Fair  ou  de  l’oxygène; 
il  l’est,  au  contraire,  lorsqu’on  diminue  la  pression  baromé- 
trique. Prenons  le  cas  d’un  oiseau  à 58e,  c’est-à-dire  à demi- 
atmosphère.  Supposons  qu’il  ait  déjà  formé  50  pour  100  de 

1 

CO2;  la  tension  de  celui-ci  est  de  50  x^  — 15  et  l’oiseau 

commence  à en  souffrir.  Laissons  rentrer  de  l’air  jusqu’à  ce 
que  la  pression  soit  57e,  c’est-à-dire  trois  quarts  d’atmosphère. 

La  proportion  centésimale  ne  sera  plus  que  50Xg  = 20, 

T7 

mais  la  tension  sera  20x^=15,  et  l’oiseau  sera  dans  le 

même  cas  qu’auparavant.  Si,  au  contraire,  on  extrait  de  l’air 
et  qu’on  abaisse,  par  exemple,  la  pression  à 19,  soit  un  quart 
d’atmosphère,  la  proportion  centésimale  de  l’action  carbo- 
nique n’aura  pas  changé,  et  sa  tension  ne  sera  plus  que  de 
1 

50  x^— 7,5,  tension  à peu  près  inoffensive  pour  l’oiseau 
qui  sera  immédiatement  soulagé. 

C.  — Air  comprimé  à très -haute  pression  : action  funeste 

de  foxygène . 

L’étude  des  altérations  de  l’air  comprimé  devenu  mortel 
par  le  confinement  devait  me  fournir  un  résultat  bien 
autrement  intéressant  encore. 

Déjà,  lorsqu’on  examine  avec  attention  la  colonne  8 du  ta^ 
bleau  Y (p.  585),  on  voit  que,  à partir  de  6 atmosphères*  le 
chiffre  de  la  tension  de  l’acide  carbonique  est  un  peu  infé- 
rieur à ce  que  l’on  trouve  de  2 à 5 atmosphères  et  semble 
aller  en  diminuant  à mesure  que  la  pression  augmente.  Cette 
légère  différence  ne  m’avait  pas  tout  d’abord  frappé;  mais 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  AUGMENTÉE. 


595 


lorsque  je  fis,  dans  le  réservoir  cylindrique  en  verre  capable 
de  supporter  une  pression  de  25  atmosphères,  des  expériences 
à des  pressions  supérieures  à celles  du  tableau  III,  j’obtins 
des  chiffres  qui  me  démontrèrent  l’intervention  d’un  nouvel 
élément  dans  la  question. 

Voici  le  récit  de  ces  expériences  : 

* 

Expérience  CXX.  — 16  avril. 

Linot;  porté  à 20  atmosphères,  de  4h  55m  à 5h10m. 

Des  convulsions  légères  apparaissent  à 5h  15m  ; les  pattes,  la  tête,  le 
corps,  s’agitent  par  crises.  Meurt  â 5U  55m.  A vécu  25  minutes. 

Air  mortel  : CO"  0,4. 

CO2  xP  — 8. 

Expérience  CXXI.  — 25  avril. 

Moineau  ; à 9h  45m  porté  à 6 atmosphères.  Meurt  à llh  10m  ; a vécu  en- 
viron lh  20m. 

Air  mortel  : CO2  5,5  ; O 16. 

C02xP=21,0. 

Expérience  CXXII.  — 25  avril. 

Moineau  ; porté  à 5h  10m  à 5 atmosphères.  A 4h  5m,  très-malade  ; à 4h  50m, 
mourant.  Mort  à 5 heures  ; a vécu  lh  50m  environ.  Piqueté  crânien  ; sang 
noir  dans  la  jugulaire:  pas  de  gaz. 

Air  mortel  : CO2  7,8;  010,7. 

C02xP~25,4. 

Expérience  CXXIII.  — 24  avril. 

Moineau  friquet;  porté  à lh  40m  à 5 5/4  atmosphères.  A 5 heures  vit  en- 
core ; trouvé  mort  à 5h  50m  ; a vécu  environ  lh  50m.  Suffusions  crâniennes 
considérables. 

Air  mortel  : CO2  5,8;  015,5. 

C02xP  = 21,8. 

Expérience  CXXIV.  — 26  avril. 

Moineau  franc;  à la  pression  normale  a 144  respirations.  Porté  à 5 
atmosphères  à 1 heure;  152  respirations.  A lh  5m,  à 6 atmosphères: 
150  respirations  ; à lh  6m,  à 9 atmosphères  : 120  respirations.  Fermé  les 
robinets  : à lh  llm,  106  respirations  ; à lh  20m,  80  ; à lh  50,  50,  très-ma- 
lade : trouvé  mort  à 2h  25ra.  A vécu  environ  lh  10m. 

Sang  rouge  dans  la  jugulaire  ; suffusions  sanguines  au  crâne. 

Air  mortel  : CO2  2;  O 17,5. 

C02xP—18. 

Expérience  CXXV.  — 26  avril. 

Moineau  franc;  à 4h  25m,  pression  normale,  155  respirations.  Commencé 
la  compression.  A 4h  27m,  6 atmosphères,  96  respirations.  A 4h  29m, 
9 atmosphères,  90  respirations;  à 4h  51m*  12  atmosphères,  90  respira^ 


596 


EXPÉRIENCES. 


tions.  A 4h  53m,  très-malade.  Chaque  inspiration,  qui  est  très-forte,  est 
accompagnée  d’un  frémissement  des  ailes.  A 5h  10m,  encore  quelques  res- 
pirations; à 5h  15m,  meurt. 

A vécu  45  minutes.  Suffusions  crâniennes  en  piqueté  : sang  rouge  dans 
la  jugulaire. 

Air  mortel  : CO2 1,2;  0 18,4. 

C02xP  — 14,4. 

Expérience  CXXVI.  — 7 mai. 

Moineau  poussé  à 15  atmosphères  ; fermé  l’appareil  à 2h  15ra.  A 3h  20m, 
trouvé  mort. 

Air  mortel  : CO2  0,8;  O 19,5. 

C02x  P = 11,2. 

Expérience  CXXV11.  — 17  mai. 

Moineau  à 4 atmosphères  ; fermé  robinets  à 4h  45m. 

S’affaisse  à 5h  34m  ; meurt  à 6h  20.  A vécu  lh  35m.  Écume  rouge  au  bec  ; 
suffusions  crâniennes  par  plaques  noirâtres;  sang  veineux  de  couleur 
normale  : pas  de  gaz. 

Air  mortel  : CO2  5,6  ; O 13,2. 

CO- X P— 22,4. 

Expérience  CXXVIII. — 18  mai. 

Moineau  à 8 atmosphères  : 3h  17m. 

Mort  à 4h  55,n  ;a  vécu  lh38ni.  Écume  rouge  au  bec;  suffusions  sanguines 
par  plaques  rougeâtres;  sang  veineux  rouge  et  contenant  quelques  bulles 
de  gaz. 

Air  mortel  : CO2  2,4;  O 16,8. 

C02xP=19,2 

Expérience  CXX1X.  — 21  mai. 

Moineau  à 14  atmosphères  ; fermé  le  robinet  à 4h  55m.  Trouvé  mort 
à 6 heures  : a vécu  moins  d’une  heure. 

Sang  veineux  très-rouge,  avec  du  gaz.  Suffusions  crâniennes  très-con- 
sidérables. 

Air  mortel  : CO2  0,9  ; O 18,5. 

C02xP  — 12,6. 

Expérience  CXXX.  — 22  mai. 

Moineau;  à 12  atmosphères,  à 2h  45m.  Trouvé  mort  à 3h  40m  ; a vécu 
moins  de  55  minutes. 

Sang  rouge  dans  la  jugulaire,  avec  du  gaz.  Suffusions  crâniennes. 

Air  mortel  : CO2 1,3;  O 19,1. 

C02xP  = 15,6. 

Expérience  CXXXI.  — 18  juin. 

Moineau  ; porté  à 14  atmosphères  à 3h53m.  Mort  à 4h  12m.  A vécu  39  mi- 
nutes. Il  y a eu  de  l’agitation,  mais  pas  de  convulsions. 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  AUGMENTÉE. 


597 


Sang  veineux  très-rouge,  avec  du  gaz.  Suffusions  crâniennes  très-éten- 
dues, d’un  rouge  vif. 

•Air  mortel  : GO2  0,93. 

C02XP=15,2. 

Expérience  CXXXII.  — 19  juin. 

Moineau;  porté  à 3h  4m  à 2 atmosphères.  Mort  à 6h  53m  sans  convul- 
sions, sans  écume  au  bec  ; a vécu  3h  49ra.  Le  diploë  crânien  contient  des 
suffusions  sanguines  par  plaques  noirâtres  peu  étendues.  La  couleur  du 
sang  veineux  est  normale  : pas  de  gaz. 

Air  mortel  : CO2 12,6;  O 3,2. 

C02xP  = 25,2. 

Expérience  CXXXIII.  — 19  juin. 

Moineau;  porté  à 17  atmosphères  de  2h  4m  à 2h  15m.  Meurt  à 2h  54m.  A 
vécu  39  minutes  : respiration  très-lente,  pas  de  convulsions,  écume  rouge 
au  bec. 

Suffusions  sanguines  très-étendues  ; sang  veineux  très-rouge,  conte- 
nant  beaucoup  de  gaz. 

Air  mortel  : GO2  0,6;  O 18,6. 

C08xP  = 10,2. 

Avant  de  passer  à l’étude  des  résultats  de  ces  expé- 
riences, résultats  qui  sont  groupés  dans  le  tableau  VII,  sui- 
vant l’ordre  croissant  des  pressions,  je  crois  devoir  faire 


TABLEAU  VII. 


1 1 

NUMÉROS 

DES 

2 ! 

*3 

O 

c/5 

(/) 

W 

3 

H 

> 

< 

J 

U 

Q 

4 

DURÉE 
DE  LA  VIE 
POUR 
UN  LITRE 

5 

TENSION 

PRIMITIVE 

DE 

l’oxygène 

6 7 

COMPOSITION 
DE  L’AIR  MORTEL 

8 

CO2  x P 

9 

OxP 

10 

CO*  t 
O 

EXPÉRIENCES 

ce 

a* 

W 

%W 

ce 

Ï3 

Q 

D AIR 

A 76e 

CO* 

O 

% 

CXXXII.  . . 

atm 

2 

h m 

3 49 

h m 

3 4 

41,8 

12,6 

3,2 

25,2 

6,4 

0,72 

CXXIf.  . . . 

3 

1 50 

1 

62,7 

7,8 

10,7 

23,4 

32,1 

0,75 

CXXVII  . . . 

4 

1 35 

39 

83,6 

5,6 

13,2 

22,4 

52,8 

0,72 

CXXIII.  . . . 

5 3/4 

1 30 

27 

120,1 

3,8 

15,5 

21,8 

89,1 

0,70 

CXXI .... 

6 

1 20 

22 

125,4 

3,5 

16 

21,0 

96 

0,71 

CXXVIII  . . 

8 

1 38 

20 

167,2 

2,4 

16,8 

19,2 

134,4 

0,60 

CXXIV.  . . . 

9 

1 10 

14 

188,1 

2 

17,5 

18,0 

157,5 

0,59 

CXXV.  . . . 

12 

45 

G 

250,8 

1,2 

18,5 

14,4 

222,8 

0,50 

cxxx.  . . . 

12 

» 

» 

250,8 

1,5 

18,7 

15,6 

224,4 

0,59 

CXXIX  . . 

14 

» 

» 

292,6 

0,9 

18,5 

12,6 

263,2 

0,43 

CXXXI.  . . . 

14 

39 

4 

292,6 

0,9 

» 

13,2 

» 

» 

CX  XVI.  . . . 

15 

» 

» 

313,5 

0,8 

19,4 

11,2 

291 

0,53 

CXXXIII.  . . 

17 

39 

3 

355,3 

0,6 

18,8 

10,2 

319,6 

0,30 

exx 

20 

25 

2 

418,0 

0,4 

» 

8 

» 

» 

598 


EXPERIENCES. 


observer  que  les  analyses  de  gaz  qui  précèdent  ont  été  faites 
avec  un  soin  minutieux,  soin  dont  la  nécessité  toute  spéciale 
est  ici  facile  à démontrer.  On  voit,  en  effet,  que  la  moindre 
erreur  dans  l'évaluation  de  la  proportion  de  l’acide  carbo- 
nique donnerait  sur  le  produit  C02xP  une  erreur  énorme 
pour  les  pressions  élevées.  La  concordance  des  résultats 
énoncés  et  sur  lesquels  je  vais  insister  maintenant  n’en  est 
que  plus  remarquable. 

Un  coup  d’œil  jeté  sur  la  colonne  8 du  tableau,  colonne 
qui  contient  les  nombres  exprimant  la  tension  de  l’acide 
carbonique  dans  l’air  devenu  irrespirable,  confirme  complè- 
tement les  soupçons  que  nous  avait  fait  concevoir  l’examen 
du  tableau  delà  page  585  pour  ce  qui  a rapport  aux  hautes 
pressions. 

En  effet,  le  nombre  C02x  P,  n’est  à vrai  dire,  et  en  y 
regardant  de  très-près,  jamais  constant.  On  le  voit  diminuer 
dès  5 atmosphères,  et  cette  diminution  est  extrêmement  ra- 
pide à partir  de  8 atmosphères. 

La  quantité  de  plus  en  plus  faible  de  l’acide  carbonique, 
eu  égard  à la  loi  ci-dessus  énoncée,  se  montre  d’une  manière 
très-nette  sur  les  graphiques  de  la  figure  21,  où  la  quantité 
d’acide  carbonique  se  mesure  sur  l’axe  vertical,  tandis  que  les 
atmosphères  sont  comptées  sur  celui  des  x.  La  ligne  pleine  B 
exprime  les  chiffres  de  la  colonne  6,  et,  d’autre  part,  la  ligne 
pointillée  A rejoint  des  points  qui  sont  calculés  en  partant 
de  l’équation  C02xP  = 26,  chiffre  moyen  tiré  du  tableau  VI, 
26 

d’où  CO2  = -p- . Cette  ligne  est,  de  même  que  celle  des  pro- 
portions mortelles  de  l’oxygène  dans  les  basses  pressions, 
une  branche  d’hvperbole  équilatère,  ayant  pour  asymptotes 
les  coordonnées. 

Cet  abaissement  constant  du  tracé  au-dessous  de  la  courbe 
qu’indiquait  la  théorie,  devait  me  donnera  penser  à l’inter- 
vention d’un  agent  autre  que  l’acide  carbonique.  Déjà  des 
expériences  de  tâtonnement  m’avaient  montré  que  l’oxygène, 
sous  une  certaine  pression,  est  une  cause  d’accidents  et  de 
mort.  Son  rôle  funeste  me  paraissait  manifeste  ici. 


MORT  EN  YASES  CLOS  : PRESSION  AUGMENTÉE.  599 

Avant  de  chercher  à mettre  en  évidence  ce  fait  dominateur, 
je  veux  encore  appeler  l'attention  sur  un  point  secondaire, 
qui  n’est  cependant  pas  sans  intérêt. 

Les  colonnes  5 des  tableaux  de  la  page  585  et  de  la  page  597 
montrent  que,  sauf  quelques  exceptions  difficiles  à expliquer, 
la  durée  de  la  vie,  de  1 à 9 atmosphères,  n’a  nullement  aug- 
menté avec  la  pression,  ou  en  d’autres  termes,  avec  la  quan- 
tité d’air  que  les  oiseaux  avaient  à leur  disposition.  Et  cela 


Fig.  21.  — Air  confiné  devenu  mortel  sous  pression;  richesse  en  acide  carbonique;  A,  pro- 
portions calculées;  B,  proportions  trouvées  expérimentalement;  C,  air  suroxygéné. 

se  comprend  aisément,  puisqu’ils  ne  mourraient  point  pour 
avoir  épuisé  cet  air,  mais  simplement  lorsqu’ils  avaient 
formé  une  certaine  quantité  d’acide  carbonique,  toujours  le 
même  ou  à peu  près.  L’intervention  fâcheuse  de  l’oxygène 
que  je  viens  de  signaler,  a même  pour  effet  de  diminuer  la 


600 


EXPÉRIENCES. 


durée  de  la  vie,  comme  on  le  voit  nettement  à partir  de  10 
atmosphères;  la  mort  devient  très-rapide  aux  pressions 
fort  élevées. 

Cela  est  bien  autrement  manifeste  lorsque  l’on  compare  la 
durée  de  la  vie  non  plus  au  volume,  mais  à la  quantité  réelle 
d’air  contenue  dans  le  récipient,  ou,  ce  qui  revient  au  même, 
à un  litre  d’air  rapporté  à la  pression  normale;  elle  s’exprime 
alors  par  des  chiffres  qui  vont  en  décroissant  avec  une  ra- 
pidité vraiment  extraordinaire.  C’est  ce  que  montrent  les  co- 
lonnes 4 des  tableaux  V et  VII;  on  voit  que,  déjà  à 4 atmo- 
sphères, la  durée  de  la  vie  est  réduite  de  moitié  environ,  et, 
qu’à  20  atmosphères,  elle  n’est  plus  que  de  2 minutes  par 
litre,  au  lieu  de  70  minutes,  comme  nous  l’avions  trouvé  à la 
pression  normale  (Voir  tableau  I,  p.  548,  col.  7).  On  ne  peut 
accuser  de  cette  différence  énorme  l’acide  carbonique,  dont 
la  tension  diminue  également;  un  autre  agent  intervient  évi- 
demment ici,  et  cet  agent  redoutable  n’est  autre  que  l’oxygène. 

D.  — Compression  avec  de  l'air  pauvre  en  oxygène . 

Examinons  maintenant  cette  hypothèse  d’une  action  funeste 
de  l’oxygène  comprimé  ayant  pour  effet  de  faire  mourir  l’oi- 
seau avant  qu’il  ait  formé  la  proportion  centésimale  d’acide 
carbonique  exigé  par  la  formule  CO2  X P = 26  établie  à la 
page  587.  Reportons-nous  au  tableau  de  la  page  597.  Si  l’ex- 
plication que  je  viens  de  donner  de  la  faiblesse  des  nombres 
de  la  colonne  8 (C02xP),  mesurant  la  tension  de  l’acide  car- 
bonique est  exact,  c’est-à-dire  si  cette  faiblesse  est  due  à la 
valeur  élevée  des  nombres  de  la  colonne  5 (O  X P),  mesurant 
la  tension  de  l’oxvgène,  les  premiers  devront  augmenter  si  je 
fais  diminuer  les  seconds,  en  diminuant  le  facteur  O,  sans 
rien  changer  au  facteur  P. 

Il  suffisait  donc  de  répéter  les  expériences  en  injectant 
dans  l’appareil  à compression  non  plus  de  l’air  ordinaire, 
mais  de  Pair  pauvre  en  oxygène.  C’est  ce  qui  a été  fait  dans 
les  expériences  suivantes  : 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  AUGMENTÉE.  601 

Expérience  CXXXIY.  — 20  avril. 

Verdier.  ( Loxia  chloris , Lin.)  Mis  dans  l’appareil  pendant  5 minutes,  puis 
poussé  à 6 atmosphères  d’air;  robinet  fermé  à 2h  50m.  A 3h,  on  commence 
à injecter  de  l’air  très-épuisé  d’oxygène,  et  à 3h  1 lm,  on  arrive  à 22  atmo- 
sphères. 

L’instant  de  la  mort  ne  peut  être  déterminé  nettement,  mais  l’oiseau 
n’a  eu  de  mouvements  convulsifs  à aucun  moment. 

Suffusions  crâniennes  considérables. 

Air  mortel  : CO2  1,1  ; 0 9. 

Tension  initiale  de  l’oxygène  : 226. 

Tension  finale  de  GO2  24,2. 

Expérience  CXXXV.  — 27  juin. 

On  place  un  moineau  dans  l’appareil,  et  on  injecte  avec  la  pompe  de 
l’air  où  du  phosphore  a brûlé  et  qui  est  devenu  très-pauvre  en  oxygène; 
on  arrive  ainsi  à 5 atmosphères. 

Le  robinet  étant  fermé  à 3h  55m,  l’oiseau  meurt  à 5h  50m.  Il  a ainsi  vécu 
lh55m;  suffusions  sanguines  peu  étendues;  quelques  bulles  de  gaz  dans 
le  cœur  droit. 

Composition  de  l’air  mortel  CO2  4,5  ; O 5. 

Tension  initiale  de  l’oxygène  50. 

Tension  finale  de  l’air  carbonique  22,5. 

Expérience  CXXXVI.  — 29  juin. 

Moineau  à 12  atmosphères,  dont  1 d’air  et  11  d’air  où  du  phosphore  a 
brûlé. 

Mis  à 2h  45m  ; mort  à 3h  15m;  a vécu  30  minutes  : suffusions  crânien- 
nes ; gaz  dans  le  cœur  droit. 

Air  mortel  CO2,  2,  1 ; O 4,  8. 

Tension  initiale  de  l’oxygène  : 84. 

Tension  finale  de  CO2 : 25,2. 

Ces  résultats  justifient  tout  à fait  notre  explication,  et  mon- 
trent bien  que  c’est  à l’intervention  de  l’oxygène  jouant  un 
rôle  funeste  que  doit  être  attribuée  la  décroissance  du  pro- 
duit CO2  xP,  quand  la  pression  augmente. 

On  voit  du  reste  que  les  points  a et  (3,  qui  représentent, 
sur  la  figure  21,  les  nombres  fournis  par  les  expériences 
CXXXIY  et  CXXXVI,  se  plaçent,  comme  on  le  voit,  très-exac- 
tement sur  la  ligne  A,  tracée  d’après  la  théorie. 

E.  — Compression  avec  de  l'air  suroxygéné. 

Cette  influence  funeste  de  l’oxygène,  sous  une  pression  suf- 
fisamment élevée,  constituait  un  phénomène  trop  remar- 


002 


EXPÉRIENCES. 


quable  pour  que  je  ne  m’efforçasse  point  d’épuiser  tous  les 
moyens  de  la  mettre  dans  une  évidence  indiscutable. 

Or,  une  nouvelle  méthode  se  présentait  à moi,  inverse  de 
celle  qui  vient  d’être  employée.  Je  n’avais  qu’à  faire  la 
compression  avec  de  l’air  suroxygéné,  toujours  en  vases  clos. 
L’influence  de  l’oxygène,  si  elle  est  aussi  fâcheuse  que  je  le 
supposais,  devrait  avoir  pour  conséquence  d’amener  la  mort 
des  animaux  à un  moment  où  ils  seraient  loin  d’avoir  fourni 
la  même  proportion  centésimale  d’acide  carbonique  qu’aux 
pressions  correspondantes,  dans  le  cas  de  l’air  ordinaire. 
C’est,  en  effet,  ce  qui  est  arrivé  dans  les  expériences  sui- 
vantes : 


Expérience  CXXXVII.  — 16  janvier. 

Moineau  à 5 atm.  dont  4 d’oxygène. 

Mis  à 5h  25,u  ; à 3h  40m,  se  renverse  avec  convulsions  violentes  ; à 5h48m, 
sur  le  dos  : le  crâne,  dénudé  préalablement,  montre  d’abondantes  suffu- 
sions sanguines.  A 4h  35m,  respire  encore  lentement  ; les  convulsions  ont 
duré  15  minutes  environ. 

A 4h  50m  est  mort.  La  température  rectale  est  1 8°,  celle  de  l’air  du  labo- 
ratoire étant  de  9°.  Sang  veineux  rouge;  pas  de  gaz  ; le  cœur  bat  à l’air. 

Le  mélange  primitif  contenait  O : 83. 

La  tension  de  cet  oxygène  = 83  X 5 — 415,  correspondant  à celle  de 


415 

50,9 


= 19,7  atmosphères. 


Air  mortel  : CO2  1,4;  O 80,5. 
Tension  de  CO2  = 1 ,4  X 5 = 7,0. 


Expérience  CXXXVIII.  — 17  janvier. 

A 3h  30,n  porté  à 3 atmosphères,  dont  2 d’oxygène. 

A 5h  50m  respire  très-difficilement  ; agitation.  A 4h  45n\  mort. 

Air  mortel  : CO2  5,  6 ; O 78,9. 

Tension  de  GO2  =5,6x3  — 16,8. 

La  tension  de  l’oxygène  primitif  devait  être  d’environ  86x3  — 258, 
correspondant  à 12,1  atmosphères. 


Expérience  GXXXIX. — 19  janvier. 

Le  moineau  étant  dans  l’appareil,  on  retire  un  peu  d'air  avec  la  machine 
pneumatique,  et  on  le  remplace  par  de  l’oxygène  qu’on  pousse  jusqu’à 
2 atmosphères.  En  prenant  de  l’air  pour  l’analyse,  la  pression  tombe  à 
1 3/4  atmosphères. 

Fermé  robinets  à 2h  40m  ; mourant  à 4h  45m  ; trouvé  mort  à 5h  30in. 
Mélange  primitif  contient  83,  6 p.  100  d’oxygène. 


603 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  AUGMENTÉE. 

Tension  de  cet  oxygène  = 85,  6x1,75  = 146,  5,  ce  qui  correspond  à 
7,5  atmosphères. 

Air  mortel  : GO2  11,9  ; O 67,8. 

Tension  de  GO2  = 1 1 ,9  X 1 ,75  = 20,8. 

Expérience  CXL.  — 22  janvier. 

Mis  à 2 atm.  dont  1 d’oxygène. 

Mis  à 5h  5m  ; à 5h  50ra  respire  encore  ; trouvé  mort  à 6h  50m. 

Le  mélange  primitif  contient  O 58,8. 

La  tension  de  l’O  était  117,6,  correspondant  à 5,6  atmosphères. 

Air  mortel  : CO2  15,4  ; O 44,  4. 

Tension  de  C02  = 15,  4x2  = 26,8. 

Expérience  CXLI.  — 1er  février. 

Mis  à 4 atm.  dont  5 d’oxygène.  Après  environ  une  demi-heure,  con- 
vulsions assez  faibles  ; meurt  en  1 heure  environ. 

Suffusions  crâniennes  et  sang  veineux  très-rouge  : pas  de  gaz  dans  le 
sang. 

Mélange  primitif  O 75,6. 

Tension  de  cet  0=  75,6  x4  = 502,4  correspondant  à 14,4  atmo- 
sphères. 

Air  mortel  : CO2  2,1  ; O 71,1 . 

Tension  de  GO2  = 2,1  x4  = 8,4. 

Expérience  CXLÏI.  — 17  février. 

Mis  à 5 atmosphères  d’air,  auxquelles  on  ajoute  5 1/2  atmosphères 
d?oxygène.  Après 5 minutes  surviennent  les  convulsions;  l’oiseau  meurt  en 
20  minutes. 

Sang  rouge  partout,  même  dans  le  foie;  pas  de  gaz  (on  n’examine  pas 
le  crâne). 

Air  mortel  : CO2;  0,  8;  O 47,8. 

Tension  de  CO2  = 0,  8x8,  5 = 6,  8. 

La  tension  de  l’O  dans  le  mélange  primitif  a du  être  environ  de 
51x8,5  = 455,5  correspondant  à 20,7  atmosphères. 

Expérience  CXLÏII.  — 19  février.  Appareil  à eau  de  Seltz. 

Mis  dans  l’air  et  chargé  d’un  1/4  d’atmosphère  d’oxygène;  fermé  à 
4h  25m;  mort  vers  6h. 

Pas  de  suffusions  sanguines  au  crâne;  sang  veineux  noir. 

Air  mortel  : GO2  22,1  ; O 5,5, 

Tension  de  GO2  — 22,1  X 1,25  = 27,6, 

Tension  d’0  = 5,5  x 1,25  =4,5. 

La  tension  primitive  de  l’oxygène  devait  être  environ  26  X 1 , 25  = 52,5, 
ce  qui  correspond  à \ ,5  atmosphère. 

Expérience  GXLIY.  — 20  février. 

1 atmosphère  d’air,  plus  une  demie  d’oxygène. 

Quand  on  retire  l’oiseau,  le  croyant  mort,  il  présente  encore  quelques 


604  EXPÉRIENCES. 

petits  mouvements  respiratoires.  Sang  rouge  dans  la  jugulaire.  Pointillé 
rouge  dans  le  diploë  crânien. 

Air  mortel  CO2  16,7  ; O 28,6. 

Tension  de  C02=  16,7x  1,5  =25,1 . 

La  tension  primitive  de  l’oxygène  devait  être  environ  46x1,5=69, 
correspondant  à 5,5  atm. 

Expérience  GXLV.  — 20  février. 

A 5 1/2  atmosphères,  dont  4 d’oxygène. 

Après  501,  tremblote,  la  tête  oscille.  Après  10m,  grandes  convulsions, 
les  pattes  sont  repliées  sous  le  ventre  ; les  convulsions  durent  5 à 1 0,n,  puis 
les  pattes  s’étendent  à plusieurs  reprises.  L’oiseau  reste  affaissé;  après 
20in,  est  mort. 

Suffusion  énorme  du  crâne.  Température  rectale  26°, 5. 

Air  mortel  : CO2  1 ; O 82,5 

Tension  de  C02  = 5,5. 

La  tension  de  10,  dans  le  mélange  primitif  devait  êlre  à peu  près 
85x5,5  = 467,5,  correspondant  à 22,5  atmosphères. 

Expérience  CXLYI.  — 22  février. 

Mis  à 2 1|2  atm.  dont  1/2  d’oxygène. 

Fermé  à 12h  55m;  mort  à 5h  55m.  Suffusions  sanguines  dans  l’épaisseur 
du  diploë  crânien;  sang  rouge  dans  la  veine  jugulaire,  devient  rapidement 
noir. 

Air  mortel  CO2  11,1;  O 55,5. 

Tension  de  C02=  11,1x2,5=27,7. 

La  tension  primitive  de  l’oxygène  devait  être  d’environ  46x2,5  = 
1 15,5,  ce  qui  correspond  à 5,5  atmosphères. 

Les  résultats  de  ces  expériences  sont  groupés  dans  le  ta- 
bleau  VIII,  suivant  l’ordre  croissant  des  tensions  de  l’oxigène. 

Si  nous  envisageons  la  colonne  9,  nous  voyons  que  l’acide 
carbonique  obéit  à la  loi  posée,  jusqu’à  une  pression  corres- 
pondant à 5 ou  6 atmosphères  d’air;  mais,  à partir  de  là,  le 
produit  C02xP  va  en  diminuant  rapidement.  En  comparant 
d’une  part  les  colonnes  7 et  9 avec  les  colonnes  6 et  8 du  ta- 
bleau VII  (page  597),  on  rencontre  des  nombres  tout  à fait 
analogues,  qui  indiquent  une  semblable  intervention  de  l’ac- 
tion funeste  de  l’oxygène.  Elle  devient  très-évidente,  quand 
la  tension  de  ce  gaz  peut  être  représentée  par  150,  c’est-à- 
dire  correspondre  à une  atmosphère  et  demie  d’oxygène  pur, 
ou  à 7 atmosphères  d’air. 

Dans  la  figure  21  (p.  599)  la  ligne  inférieure  G exprime  les 


/ ^ 

MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  AUGMENTÉE  605 

TABLEAU  VIII. 


1 

NUMÉROS 

DES 

2 

a 

E3 

© 

S 

H 

*a 

S 

o 

es 

< 

P 

25 

O 

3 

a 

a 

(fi 

5 & 

Q H 
a 2 

85  q- 
© 

S g 
o â 

o < 

iS  CORRESPONDANTES  ^ 
MOSPHÈRES  D’AIR 

ÉE  DE  LA  VIE 

6 ; 

25 

P 

g o 

§ je 

eu  1 
a < 

> £ 
a p 
a a 

7 8 

COMPOSITION 

DE 

l’air  MORTEL 

9 ; 

CO2  x P 

10 

PHÉNOMÈNES  GÉNÉRAUX 
PRÉSENTÉS 

EXPÉRIENCES 

(fi 

(fi 

H 

« 

eu 

85  'H 
© 3 

c/5 

25 

a 

H 

'Ui  Z 

£ % 

g « 
■< 

P 

© 

ÛZ 

a 

Q 

© =e 

H 

a 3 
*a 

5 

© 

CO2 

0 

PAR  LES  ANIMAUX 

CXLIII . . 

atm. 

1,25 

52,5 

atm. 
1 ,5 

h.m. 
1 30 

h.  m. 
1 36 

22,1 

5,5 

27,6 

Pas  de  suffusions  crâ- 

CXLIV. . . 

1,5 

69,0 

3,5 

» 

» 

16,7 

28,6 

25,1 

niennes. 

Pointillé  rouge  au  crâne. 

CXLVI. . . 

2,5 

115,5 

5,5 

3 

55 

11,1 

53,3 

27,7 

Suffusions  crâniennes. 

CXL  . . . 

2,0 

117,6 

5,6 

3 

52 

13,4 

44,4 

26,8 

» 

CXXX1X.. 

1,75 

146,3 

7,5 

2 20 

31 

11,9 

67,8 

20,8 

» 

CX  XXVII  l. 

3,0 

258,0 

12,1 

1 15 

10 

5,6 

78,9 

16,8 

» 

CXLI.  . . 

4,0 

501,6 

14,4 

1 

7 

2,1 

71,1 

8.4 

Convulsions,  suffusions. 

CXXXVII  . 

5,0 

415,0 

19,7 

1 20 

6 

1,4 

80,5 

7,0 

Id. 

id. 

CXLII..  . 

8,5 

433,5 

20,7 

20 

<2 

0,8 

47,8 

6,8 

Id. 

id.  j 

CXLV. . . 

5,5 

467,5 

22,5 

20 

1 

1,0 

82,5 

5,5 

Id. 

id. 

nombres  de  la  colonne  9;  on  voit  que,  pour  les  mêmes  pres- 
sions barométriques,  elle  reste  fort  au-dessous  de  la  ligne  B 
qui  représente  les  résultats  des  expériences  dans  lesquelles 
on  employait  l’air  ordinaire. 

Enfin,  la  colonne  6 montre,  comme  l’avait  fait  la  colonne  4 
du  tableau  VH,  que  la  durée  de  la  vie,  rapportée  à un  litre 
d’air  ordinaire  sous  la  pression  normale,  va  en  diminuant 
avec  une  rapidité  étonnante,  quand  augmente  la  pression, 
ou  pour  mieux  dire,  la  tension  de  l’oxygène. 

11  est  donc  surabondamment  démontré  que  l’oxygène,  sous 
une  certaine  tension,  est  un  agent  redoutable  qui,  dans  l’air 
comprimé  en  vases  clos,  vient  d’abord  mêler  son  action  à 
celle  de  l’acide  carbonique  produit,  et  qui,  pour  les  hautes 
tensions,  est  la  cause  principale,  bientôt  unique  de  la  mort: 
cette  tension,  mesurée  par  l’expression  OxP,  pouvant  être 
atteinte,  suivant  la  remarque  déjà  si  souvent  faite,  en  aug- 
mentant soit  la  pression  barométrique  P,  soit  la  richesse  cen- 
tésimale 0. 


006 


EXPÉRIENCES. 


Mais  il  reste  établi,  en  même  temps,  que  la  formule  énon- 
cée page  587,  touchant  la  mort  par  l’acide  carbonique  en  trop 
forte  tension,  demeure  l’expression  de  la  vérité.  Il  faut  seu- 
lement, pour  la  vérifier  expérimentalement,  se  mettre  à l’abri 
de  l’excès  d’oxygène. 

F . — Compression  avec  de  l'air  ordinaire  : élimination 

de  l'acide  carbonique. 

La  présence  de  l’acide  carbonique  m’avait  empêché,  comme 
on  vient  de  le  voir,  de  trouver  la  véritable  loi  qui  détermine 
l’épuisement  de  l’oxygène  de  l’air  comprimé,  pour  les  ani- 
maux qu’on  y laisse  périr  en  vases  clos. 

Mais  l’action  funeste  de  l’oxygène  comprimé,  que  les  études 
dont  je  viens  de  rendre  compte  m’avaient  révélée,  ne  me  per- 
mettait plus  de  penser  que  la  loi  si  simple,  établie  pour  les 
pressions  inférieures  à celle  d’une  atmosphère,  pourrait  con- 
tinuer à s’appliquer  aux  pressions  supérieures. 

Il  était  cependant  nécessaire  de  préciser  les  faits.  Rien  de 
plus  simple,  en  apparence;  il  suffisait  de  disposer  les  expé- 
riences de  manière  à ce  que  l’acide  carbonique  fût  éliminé 
au  fur  et  à mesure  de  sa  formation,  en  telle  sorte  qu’il  n’in- 
tervînt pas  dans  le  phénomène.  Mais  la  capacité  fort  res- 
treinte des  récipients  que  j’avais  à ma  disposition  rendait  la 
manœuvre  assez  difficile,  parce  que  l’oiseau,  en  se  remuant, 
finit  presque  toujours  par  se  mettre  au  contact  de  la  potasse, 
d’où  résultent  des  brûlures,  un  trouble  considérable  et  sou- 
vent une  mort  prématurée. 

Je  n’ai  pu  obtenir  une  série  de  résultats  satisfaisants  qu’en 
faisant  usage  de  l’appareil  dont  le  récipient  est  une  bouteille 
à mercure;  il  m’a  été  facile  alors  de  multiplier  les  expé- 
riences, grâce  à la  capacité  et  à la  largeur  d’ouverture  de 
mon  récipient*  De  plus,  sa  grande  solidité  m’a  permis  de 
pousser  la  compression  beaucoup  plus  haut  que  dans  les  ap- 
pareils de  verre.  Le  seul  inconvénient  était  l’opacité,  qui 
empêchait  de  suivre  les  phases  de  l’expérience  et  de  déter- 
miner le  moment  précis  de  la  mort  des  animaux. 


/ 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  AUGMENTÉE.  607 

Je  remplissais  une  partie  du  cylindre  avec  de  l’eau  conte- 
nant de  la  potasse  en  dissolution.  Le  moineau  enfermé  dans 
une  petite  boule  en  grillage,  était  suspendu  au-dessus  du  li- 
quide. Dans  ces  conditions,  on  ne  trouvait  pas  trace  d’acide 
carbonique  dans  l'air  où  il  avait  séjourné  et  péri. 

Je  rapporte  ici  une  série  d’expériences  tout  à fait  carac- 
téristiques : 

Expérience  GXLVII.  — 18  septembre.  Moineau  à 3 atmosphères  1/4. 
Laisse  dans  l’air  où  il  meurt  1 pour  100  d’oxygène. 

Tension  de  l’oxygène  : Ox  P = 1 X 5,25  = 3,25. 

Expérience  CXLVIII.  — 22  septembre.  Moineau  à 6 atmosphères  1/4. 
Laisse  0,8  p.  100  d’oxygène. 

OXP  — 5. 

Expérience  GXLIX.  — 5 octobre.  Moineau  à 9 atmosphères. 

Laisse  2,2  p.  100  d’oxygène, 

OxP  — 20,8. 

Expérience  GL.  — 7 octobre.  Moineau  à 12  atmosphères. 

Laisse  5,6  p.  100  d’oxygène. 

OxP  = 67,2. 

Expérience  CLI.  — 6 janvier.  Moineau  à 15  atmosphères. 

Laisse  14,5  p.  100  d’oxygène. 

OxP  = 217,5. 

Expérience  GLII.  — 50  septembre.  Moineau  à 20  atmosphères. 

Laisse  18,5  p.  100  d’oxygène. 

OxP  = 566,0. 

Expérience  CLIIL  — lér  octobre.  Moineau  à 24  atmosphères; 

Laisse  20,3  p;  100  d’oxygène* 

OxP=487,2; 


608 


EXPÉRIENCES. 


TABLEAU  IX. 


1 

NUMÉROS 

DES  EXPÉRIENCES 

2 

PRESSIONS 

3 

TENSION 
INITIALE 
DE  L’OXYGÈNE 

4 

AIR  MORTEL 
OXYGÈNE 

POUR  100 

5 

TENSION 

DE 

CET  OXYGÈNE 

C XL  VII 

atin. 

5 1/4 

07,9 

1 

5,2 

CXLVIII 

Cl/4 

150,6 

0,8 

5,0 

CXLXIX 

9 

188,1 

2,2 

20,8 

CL 

12 

250,8 

5,6 

07,2 

CEI 

15 

513,5 

14,5 

217,5 

CLII 

20 

418,0 

18,3 

506,0 

CLIII 

24 

501,0 

20,5 

487,2 

« 

Le  tracé  A du  graphique  ci-dessous  exprime  les  résultats 
de  ces  dernières  expériences;  la  richesse  en  oxygène  de  l’air 
où  sont  morts  les  animaux  est  marquée  sur  l’axe  des  y : les 


Fig.  22.  — Air  confiné  devenu  mortel  sous  des  pressions  de  20  cent,  à 21  atm.;  richesse  eu 
oxygène  : A,  sans  acide  carbonique;  B,  avec  l’acide  carbonique. 


pressions  manométriques  le  sont  sur  celui  des  x.  J’y  ai  joint 
les  résultats  déjà  acquis  pour  les  pressions  inférieures  à une 
atmosphère. 


J 


MORT  EN  VASES  CLOS  : PRESSION  AUGMENTÉE.  609 

On  voit  que  l’épuisement  de  l’air  arrive  à son  maximum 
aux  environs  de  6 atmosphères.  A des  pressions  plus  fortes, 
il  diminue  rapidement,  si  bien  qu’à  24  atmosphères,  l’ani- 
mal périt  dans  un  air  presque  pur. 

L’action  redoutable  de  l’oxygène  se  manifeste  de  la  ma- 
nière la  plus  évidente,  surtout  en  arrivant  vers  15  at- 
mosphères. 

Le  tracé  B exprime  les  résultats  des  colonnes  7 des  ta- 
bleaux V et  YII  (p.  585  et  p.  597),  c’est-à-dire  la  proportion 
d’oxygène  qui  reste  dans  l’air  comprimé  quand  on  a laissé 
l’acide  carbonique  agir  sur  l’animal  en  expérience.  On  voit 
que  les  deux  courbes  ne  coïncident  que  jusqu’à  une  atmo- 
sphère et  demie;  au-dessus,  l’acide  intervient  énergiquement 
et  détermine  la  mort  dans  un  air'à  peine  appauvri. 

§ 5.  — Conclusions. 

Les  conclusions  à tirer  des  faits  énoncés  dans  le  présent 
sous-chapitre  sont  plus  complexes  que  celles  du  sous-chapitre 
précédent  f l’intervention  de  l’acide  carbonique  et  celle  de 
l’oxygène,  pour  les  très-hautes  pressions,  viennent  les  com- 
pliquer. Nous  distinguerons  donc  : 

1®  Dans  l’air  confiné,  aux  pressions  supérieures  à celle 
d’une  atmosphère,  si  l’on  a soin  d’éliminer  l’acide  carbonique 
au  fur  et  à mesure  de  sa  production,  la  mort  survient  dans 
les  mêmes  conditions  que  pour  les  pressions  inférieures  à 
une  atmosphère,  c’est-à-dire  lorsque  la  tension  de  l’oxygène 
s’abaisse  à une  valeur  déterminée  (5,  6 en  moyenne  pour  les 
moineaux). 

Ceci  n’est  vrai  que  jusqu’aux  environs  de  six  atmosphères; 
au  delà,  l’oxygène  comprimé  agit  de  manière  à empêcher 
l’épuisement  correspondant  à la  formule. 

2°  Quand  l’acide  carbonique  n’est  pas  absorbé,  il  devient 
cause  de  mort  au  moment  où  sa  tension  s’élève  à une  cer- 
taine valeur  (de  25  à 28  pour  les  moineaux). 

Ceci  n’est  absolument  exact  qu’à  la  condition  d’employer, 
pour  les  pressions  un  peu  élevées,  de  l’air  fort  peu  riche  en 

39 


CIO 


EXPÉRIENCES. 


oxygène,  afin  que  la  tension  de  ce  dernier  gaz  ne  s’élève 
pas  au  point  de  le  rendre  redoutable  à la  vie  même  des  ani- 
maux. 


SOUS-CHAPITRE  III 

RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

En  résumé,  l’étude  de  la  mort  dans  l’air  confiné  sous  des 
pressions  diverses,  si  nous  en  dégageons  les  résultats  princi- 
paux des  questions  incidentes  que  nous  avons  chemin  faisant 
soulevées  et  résolues,  nous  amène  aux  formules  suivantes. 

Dans  l’air  ordinaire  : 

A.  — Aux  pressions  inférieures  à celles  d’une  atmosphère, 
la  mort  des  animaux  survient  lorsque  la  tension  de  l’oxygène 
de  l’air  est  réduite  à une  certaine  valeur  constante  (qui  pour 
les  moineaux  équivaut  en  moyenne  à Oxf— 3,6). 

B.  — Pour  les  pressions  comprises  entre  2 et  9 atmosphè- 
res environ,  la  mort  arrive  lorsque  la  tension  de  l’acide  car- 
bonique s’élève  à une  certaine  valeur  constante  (qui  pour  les 
moineaux  équivaut  en  moyenne  àC02xP=26). 

C.  — Pour  les  pressions  très-élevées,  la  mort  est  due  exclu- 
sivement à la  tension  trop  considérable  de  l’oxygène  ambiant. 
Elle  arrive  rapidement  quand  la  tension  de  ce  gaz  atteint 
5 ou  400. 

D.  — Pour  les  pressions  de  1 à 2 atmosphères,  la  mort 
semble  être  due  surtout  à rabaissement  de  la  tension  d’oxy- 
gène, mais  en  partie  également  à l’augmentation  delà  tension 
de  GO2. 

E.  — A partir  de  5 ou  4 atmosphères,  l’intervention  funeste 
de  l’oxygène  commence  à se  faire  sentir,  et  devient  très-mani- 
feste vers  9 ou  10  atmosphères. 

Les  expériences  faites  soit  avec  des  mélanges  gazeux  plus 
ou  moins  riches  en  oxygène,  soit  en  présence  d’alcalis  capa- 
bles d’absorber  l’acide  carbonique  à mesure  qu’il  se  forme, 
nous  amènent  à donner  à ces  lois  un  caractère  de  généralité 
bien  plus  grand  encore,  et  nous  pouvons  les  formuler  de  la 


MORT  EN  VASES  CLOS  : RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS.  Cil 

manière  suivante  (en  les  appliquant,  pour  plus  de  clarté,  aux 
moineaux)  : 

La  tension  d’un  gaz  étant  représentée  par  le  produit  de  sa 
proportion  centésimale  que  multiplie  la  pression  barométri- 
que, on  voit  que  la  mort  arrive  : 

A.  — Quand  la  tension  de  l’oxygène  s’abaisse  au-dessous  de 
3,6,  que  la  pression  barométrique  soit  supérieure  ou  infé- 
rieure à la  pression  normale  : il  faut,  bien  entendu,  dans  le 
premier  cas,  se  débarrasser  de  l’acide  carbonique  par  un  alcali. 

B.  — Quand  la  tension  de  l’acide  carbonique  s’élève  au- 
dessus  de  26,  que  la  pression  soit  supérieure  ou  inférieure  à 
la  pression  normale:  il  faut,  bien  entendu,  dans  ce  dernier 
cas,  employer  des  mélanges  suroxygénés. 

Ce  que  nous  disons  de  l’acide  carbonique  doit  être  généra- 
lisé pour  tous  les  poisons  gazeux  (CO, HS,  etc.);  la  valeur  nu- 
mérique seule  de  la  tension  mortelle  changera.  Nous  revien- 
drons sur  ce  point  en  parlant  de  l’hygiène  des  ouvriers  des 
tubes  à compression. 

C.  — Quand  la  tension  de  l’oxygène  arrive  aux  environs 
de  500,  quelles  que  soient  la  composition  centésimale  et  la 
pression  (celle-ci  ne  pouvant  être  évidemment  inférieure  à 5 
atmosphères,  avec  l’oxygène  pur). 

D.  — Ces  genres  de  mort  peuvent  se  combiner  deux  à deux, 
A avec  B et  B avec  C,  suivant  [les  pressions  et  les  composi- 
tions gazeuses  employées. 

La  mort  A est  une  véritable  asphyxie  par  privation  d’oxy- 
gène; la  mort  B est  un  empoisonnement  par  /’  acide  carbonique  ; 
la  mort  C peut  être  appelée,  pour  la  facilité  du  discours,  et 
malgré  ce  qu’il  y a d’étrange  dans  une  pareille  expression, 
un  empoisonnement  par  V oxygène. 

On  voit,  et  c’est  là  le  résultat  le  plus  général  auquel  nous 
arrivions,  que  dans  tous  les  cas  la  pression  barométrique, 
dans  ses  variations,  n’est  jamais  directement,  par  elle-même, 
la  cause  des  phénomènes.  Elle  n’est  qu’une  des  conditions 
qui  font  varier  la  tension  des  gaz,  et  l’autre  facteur,  la  com- 
position centésimale,  peut  parfaitement,  s’il  marche  en  sens 
inverse,  en  contrebalancer  les  effets,  de  même  qu’il  les  aug-* 


612 


EXPERIENCES. 


mentera  rapidement,  s’il  marche  dans  le  même  sens. 

Si  maintenant  nous  laissons  de  côté  l’acide  carbonique  pro- 
duit, pour  nous  placer  dans  des  conditions  plus  voisines  de 
celles  où  se  présente,  dans  la  nature  ou  l’industrie,  le  pro- 
blème qui  nous  occupe,  nous  en  arrivons  à conclure,  en 
laissant  de  côté  certains  phénomènes  tout  à fait  secondaires 
sur  lesquels  nous  reviendrons  en  leur  lieu  : 

1°  Que  trois  animaux,  dont  l’un  épuise  par  sa  respiration 
un  espace  clos  plein  d’air;  dont  le  second  est  contraint  de 
respirer  dans  un  courant  d’air  de  moins  en  moins  riche  en 
oxygène;  dont  le  troisième  est  soumis  à une  diminution  gra- 
duelle de  pression,  sont  tous  les  trois,  par  ces  procédés  si 
divers,  menacés  des  mêmes  accidents  et  de  la  même  mort,  de 
la  mort  par  privation  d'oxygène,  par  véritable  asphyxie  ; 

2°  Que  deux  animaux,  dont  l’un  respire  dans  un  courant 
d’air  de  plus  en  plus  riche  en  oxygène  et  dont  l’autre  est 
soumis  à une  pression  barométrique  croissant  de  1 à 5 atmo- 
sphères, sont  dans  des  conditions  identiques.  Que,  au  delà, 
l’animal  qui  respire  de  l’oxygène  pur  à 2,  5,  4 atmosphè- 
res, etc.,  est  dans  les  mêmes  conditions  que  celui  qui  respire 
de  l’air  pur  à JO,  15,  20  atmosphères  : tous  deux  sont,  par 
ces  procédés  divers,  menacés  des  mêmes  accidents  et  de  la 
même  mort,  de  la  mort  par  excès  d’oxvgène,  d’un  empoison- 
nement d’une  espèce  jusqu’ici  inconnue. 

Pas  assez  d'oxygène,  en  tension , ou  trop  d'oxygène , toute  ï in- 
fluence que  les  modifications  barométriques  exercent  sur  les  ani- 
maux se  résume  en  ces  termes . 

Telle  est  l’explication  fort  simple  que  nous  donnent  des 
expériences  dans  lesquelles  nous  avons  considéré  le  milieu 
ambiant  bien  plus  que  l’animal.  Mais  cette  tension  trop  faible 
ou  trop  forte  de  l’oxygène  doit  être  étudiée  maintenant,  non- 
seulement  dans  sa  mesure,  mais  dans  ses  conséquences  pro- 
chaines : il  faut  examiner  également  avec  plus  de  soin  l’ani- 
mal lui-même. 

La  première  question  dont  je  vais  m’occuper  maintenant 
est  celle  delà  composition  des  gaz  contenus  dans  le  sang  d’ani- 
maux soumis  à diverses  pressions. 


CHAPITRE  II 


DES  GAZ  CONTENUS  DANS  LE  SANG  AUX  DIVERSES  PRESSIONS 

RAROMÉTRIQUES. 


9 

SOUS-CHAPITRE  PREMIER 

MÉTHODES  OPÉRATOIRES  ET  CRITIQUE  EXPÉRIMENTALE. 

Je  crois  devoir,  au  début  de  ce  chapitre,  décrire  les  appa- 
reils employés  pour  l’extraction  du  gaz  du  sang,  et  indiquer 
avec  quelques  détails  la  manière  dont  je  les  mets  en  usage. 
Je  placerai  ici  également  l’indication  des  expériences  criti- 
ques que  j’ai  faites,  pour  étudier  le  degré  de  précision  que 
peuvent  atteindre  de  pareilles  recherches. 

Le  premier  des  instruments  indispensables  est  la  seringue 
à l’aide  de  laquelle  on  prend  dans  le  vaisseau  pour  le  porter 
dans  l’appareil  à extraction  une  quantité  mesurée  de  sang. 

Le  modèle  auquel  je  me  suis  arrêté  après  bien  des  tâton- 
nements est  représenté  dans  la  figure  ci-contre. 

Son  corps  est  en  verre  épais,  rodé  et  calibré,  car  sans  cette 
précaution  le  verre  éclate  spontanément  au  moindre  chan- 
gement de  température.  Ce  corps  est  pris  et  solidement  mas- 
tiqué dans  deux  armatures  de  buffle  ou  d’acier,  reliées  l’une 
à l’autre  par  4 fortes  tiges  d’acier. 

Le  piston,  disposé  de  manière  à ne  pas  tourner  sur  lui- 
même,  est  monté  sur  une  tige  munie  d’un  pas  de  vis  parti- 
culier, qui,  dans  toute  l’étendue  de  la  course,  fait  seule- 


614 


EXPERIENCES. 


Fig.  25.  — Seringue  graduée,  pour 
l’extraction  du  sang. 


ment  un  tour  et  demi.  La  pièce 
supérieure,  fermée  à vis,  peul 
être  enlevée  et  ouvrir  la  serin- 
gue de  manière  à permettre  d’en 
extraire  complètement  le  piston 
pour  les  nettoyages.  Cette  pièce 
est  percée  d’un  petit  orifice,  par 
lequel  on  introduit  un  peu  d’eau 
qui  formera  fermeture  hydrau- 
lique au-dessus  du  piston.  En- 
fin, sur  l’un  des  côtés,  une  règle 
divisée  sert  à connaître  la  quan- 
tité de  sang  qui  a été  extraite. 
A l’extrémité  de  la  seringue, 
s’adapte  à vis  une  pièce  à robi- 
net sur  laquelle  se  peuvent  mon- 
ter des  ajutages  de  formes  diver- 
ses. La  capacité  totale  est  de  80 
à 100  centimètres  cubes. 

Une  semblable  seringue,  que 
j’ai  décrite  avec  détails,  parce 
que  c’est  le  modèle  auquel  je 
me  suis  arrêté  après  bien  des 
tâtonnements,  comme  étant  le 
plus  simple,  le  plus  commode, 
le  plus  solide  et  le  moins  coû- 
teux, tient  parfaitement  le  vide. 
Cependant,  par  excès  peut- 
être  de  précaution,  je  ne  l’ai 
jamais  employée  qu’en  intro- 
duisant de  l’eau  au-dessus  du 
piston,  et  en  immergeant  dans 
l’eau  jusqu’au-dessus  de  l’arma- 
ture toute  la  partie  inférieure  : 
pas  une  bulle  d’air  n’y  peut  ainsi 
entrer. 

Une  canule  étant  placée  dans 


Fig.  24.  — Pompe  à mercure  disposée  pour  l’extraction  des  gaz  du  sang. 


A.  Chambre  barométrique.  — B.  Boule  mobile,  en  communication  avec  A par  caoutchouc  et  tube  de 
verre.  — C.  Cuvette  à mercure  pour  recueillir  les  gaz.  — D.  Ballon  plongé  dans  eau  chaude,  où,  le  vide 
étant  fait,  on  introduit  le  sang  par  le  robinet  r.  Le  gros  tube  de  verre,  qui  part  de  D,  est  entouré 
d’un  courant  d’eau  qui  refroidit  les  gaz  et  forme  fermeture  hydraulique.  — R.  Robinet  à trois  voies 
pouvant  fermer  complètement  la  chambre  barométrique  (position  1),  ou  faisant  communiquer 
A avec  C (position  2)  A avec  D (position  5). 


616 


EXPERIENCES. 


l’artère  de  l’animal,  on  y ajuste  la  pièce  F et,  en  ouvrant  la 
serre-fine  qui  ferme  l’artère,  le  sang  se  précipite  dans  la 
seringue  dont  sa  pression  suffit  à soulever  le  piston;  j’en 
prends  d’ordinaire,  pour  chaque  analyse,  55  centimètres 
cubes. 

Le  sang  extrait  et  contenu  dans  la  seringue  est  immédia- 
tement porté  dans  l’appareil  à extraction  des  gaz.  Celui-ci 
est  constitué,  dans  son  organe  le  plus  important,  par  la  pompe 
à mercure  dont  la  description  a été  donnée  plus  haut  (Voy. 
p.  550). 

Au  tube  latéral  que  je  recommande  de  faire  disposer  obli- 
quement, comme  le  montre  la  figure  24,  est  attaché  par  l’inter- 
médiaire d’un  tube  de  caoutchouc  à parois  épaisses  un  large 
tube  de  verre  long  d’environ  75  cent.,  dont  l’extrémité  infé- 
rieure, rodée,  pénètre  à frottement  dans  le  goulot  d’un  ballon 
tubulé  D,  d’une  capacité  d’environ  1 litre.  De  la  tubulure  de 
ce  ballon  part  un  tube  ‘de  verre  de  très-petit  calibre,  deux 
fois  recourbé  sur  lui-même,  dont  le  bout  est  fermé  par  un 
robinet  r. 

Pour  obtenir  dans  tout  cet  appareil  une  fermeture  parfaite, 
tous  les  points  d’union  des  différentes  pièces  sont  plongés 
dans  l’eau,  de  fortes  ligatures  avec  des  bandes  de  caoutchouc 
interceptent  complètement  Pair,  mais  en  outre  un  manchon 
de  zinc  plein  d’eau  forme  à l’union  du  tube  et  du  ballon  une 
fermeture  hydraulique.  Le  robinet  r et  le  tube  de  caoutchouc 
qu’il  porte  à son  extrémité  sont  également  immergés. 

Le  manchon  de  zinc  est  parcouru  par  un  courant  d’eau 
allant  de  bas  en  haut,  et  destiné  à refroidir  le  tube  de  verre. 
Cette  disposition,  due  à M.  Gréhant,  a l’avantage  considé- 
rable d’arrêter  ou  du  moins  de  diminuer  considérablement 
la  mousse  coagulable  qui  s’élève  du  sang,  sous  l’influence  du 
vide,  mousse  qui  peut  arriver  jusqu’à  la  chambre  de  la 
pompe,  se  mêler  au  gaz  extrait,  et  dont  le  moindre  inconvé- 
nient est  de  salir  tout  l’appareil. 

Pour  faire  le  vide  dans  le  système  ci-dessus  décrit,  j’adapte 
d’abord  au  caoutchouc  ajusté  sur  le  robinet  r un  autre  tube 
qui  se  rend  à une  machine  pneumatique  ordinaire.  J’abrège 


617 


GAZ  DU  SANG  : CRITIQUE  EXPÉRIMENTALE. 

ainsi  considérablement  la  manœuvre;  le  vide  est  ensuite 
amené  à l’état  parfait  à l’aide  de  la  pompe  à mercure,  sui- 
vant les  agissements  précédemment  décrits  (page  552). 

Cependant  on  n’arriverait  pas  au  vide  parfait,  en  laissant 
le  système  à la  température  ordinaire  du  laboratoire;  je  me 
suis  assuré  de  cela  par  des  expériences  très-simples,  mais  sur 
le  détail  desquelles  il  est  inutile  d’insister  ici.  Or,  la  pré- 
sence d’une  petite  quantité  d’air  au  début  de  l’expérience 
peut  avoir  des  inconvénients.  Pour  la  chasser  complètement, 
je  laisse  entrer  dans  le  ballon  D,  en  ouvrant  le  robinet  r, 
quelques  centimètres  cubes  d’eau;  puis  je  chauffe  le  ballon 
jusqu’à  ce  que  le  bain-marie  entre  en  ébullition;  en  même 
temps,  j’interromps  le  courant  d’eau  froide  qui  circulait  dans  le 
manchon  de  zinc.  De  cette  façon,  la  vapeur  d’eau  très-chauf- 
fée  qui  s’échappe  du  ballon  chasse,  lorsqu’on  fait  manœuvrer 
la  pompe,  tout  ce  qui  restait  de  gaz,  et  lorsque  ensuite 
on  diminue  le  feu  et  qu’on  laisse  passer  le  courant  d’eau 
froide,  on  est  arrivé  au  vide  aussi  parfait  qu’il  est  néces- 
saire. 

C’est  alors  qu’adaptant  la  seringue  chargée  de  sang  au  tube 
de  caoutchouc  du  robinet  r,  immergeant  sa  partie  inférieure 
dans  l’eau,  et  ouvrant  le  robinet,  l’aspiration  due  au  vide 
fait  entrer  le  sang  dans  le  ballon  D;  je  ferme  alors  le  ro- 
binet et  retire  la  seringue.  Comme  il  reste  une  certaine 
quantité  de  sang  dans  le  siphon  et  qu’il  serait  difficile  d’en 
épuiser  les  gaz,  je  plonge  le  tube  flexible  dans  un  petit  vase 
plein  de  mercure,  et  laisse  monter  celui-ci  jusqu’au  point  où 
le  tube  se  recourbe  pour  entrer  dans  le  ballon. 

Le  sang  arrivé  dans  le  ballon  D s’y  trouve  soumis  à la  tem- 
pérature du  bain-marie,  que  j’ai  portée  successivement  de 
75°  à 100°.  Actuellement,  je  fais  toujours  bouillir  ce  bain- 
marie  ; je  me  suis  trouvé  très-bien  de  l’emploi  de  cette  tem- 
pérature élevée,  et  l’extraction  des  gaz  a toujours  été  beau- 
coup plus  rapide  et  plus  complète  que  lorsque  je  me  bornais, 
à l'exemple  de  mes  devanciers,  à maintenir  le  sang  à la  tem- 
pérature du  corps  vivant,  ou  à peu  près.  Le  seul  inconvé- 
nient est  d’augmenter  ainsi  la  mousse;  mais,  grâce  à la  Ion- 


618 


EXPERIENCES. 


gueur  du  tube  de  communication  et  au  courant  d’eau  froide, 
il  n’en  entre  que  très-rarement  dans  la  pompe  : au  reste,  on 
évite  aisément  cette  mousse  par  un  jeu  habile  du  robinet  à 
trois  voies  ; mais  ce  sont  là  des  tours  de  main  qui  ne  se  peu- 
vent décrire  aisément. 

En  introduisant  de  la  sorte,  comme  je  le  faisais  d’ordi- 
naire, 55cc  de  sang,  l’extraction  des  gaz  se  fait  en  moyenne  en 
trois  coups  de  pompe;  j’ai  vu  quelquefois  toutvenir  du  premier 
coup,  et,  dans  d’autres  cas,  après  le  troisième  coup  qui  amène 
à peine  deux  ou  trois  centimètres  cubes,  j’ai  pu  en  obtenir 
encore  un  ou  deux  en  continuant  la  manœuvre  : mais  c’est 
là  l’exception. 

J’ai  assez  souvent  introduit  à l’avance  dans  le  ballon  D,  non 
plus  seulement  quelques  gouttes  d’eau,  comme  il  a été  dit 
plus  haut,  mais  50  ou  40  centimètres  cubes  d’eau,  que,  bien 
entendu,  je  faisais  bouillir  et  dont  j’extrayais  tous  les  gaz, 
avant  d’introduire  le  sang.  Ce  procédé  a l’avantage,  en  dé- 
layant le  sang,  de  diminuer  sa  coagulabilité  et  d’empêcher  la 
mousse  qui  en  sort  d’être  persistante  et  de  faire  bouchon, 
comme  cela  arrive  quelquefois,  dans  le  tube  DR;  mais  cette 
mousse  est  alors  plus  facile  à entraîner  par  le  coup  de  pompe, 
et  s’élance  jusqu’au  haut  du  tube  : c’est  pour  cela  que  j’ai 
conseillé  de  donner  à celui-ci  une  inclinaison  très-prononcée, 
à partir  même  du  robinet,  afin  qu’elle  retombe  aisément  au 
lieu  de  rester  à l’angle  des  tubes. 

J’avais  fait  un  certain  nombre  d’expériences  par  ce  pro- 
cédé, et  je  m’étais,  du  reste,  assuré,  par  voie  comparative, 
qu’il  ne  présente,  au  point  de  vue  de  la  qualité  et  de  la  quan- 
tité des  gaz  extraits,  aucun  inconvénient,  lorsque  je  lus  avec 
surprise,  dans  les  comptes  rendus  de  l’Académie  des  sciences  \ 
une  note  de  MM.  Estor  et  Saint-Pierre  où  la  présence  de  l’eau 
est  accusée  d’apporter  dans  les  extractions  des  différences 
d’une  importance  énorme. 

Suivant  les  expérimentateurs  de  Montpellier,  le  mélange 

1 Note  sur  les  analyses  du  gaz  du  sang  ; influence  de  l'eau.  — Comptes-rendus, 
t.  LXXIV,  p.  550;  1872.  Le  mémoire  est  publié  en  entier  dans  le  Journal  de  l'Ana- 
tomie et  de  la  Physiologie , t.  VIII,  p.  187-200  ; 1872. 


619 


GAZ  DU  SANG  : CRITIQUE  EXPÉRIMENTALE. 

d’eau  avec  le  sang  aurait  pour  conséquence  de  faciliter  l’ex- 
traction de  l’oxygène,  au  point  que  la  quantité  moyenne  de 
ce  gaz  serait  augmentée  de  4 à 6CC  pour  100cc  de  sang.  S’il  en 
était  ainsi,  il  faudrait,  d’abord,  employer  toujours  ce  mé- 
lange, et  ensuite  ne  jamais  comparer  entre  eux  les  résultats 
obtenus  avec  ou  sans  eau. 

Malheureusement,  MM.  Estor  et  Saint-Pierre,  au  lieu  de 
faire  eux-mêmes  des  analyses  comparatives  faites  simulta- 
nément avec  un  même  sang,  ont  préféré,  suivant  une  méthode 
qui  paraît  leur  être  familière,  comparer  les  unes  aux  autres 
des  analyses  faites  sur  du  sang  d’animaux  différents  et  dans 
des  conditions  tout  à fait  différentes.  Une  seule  des  expé- 
riences rapportées  dans  leur  mémoire  (expérience  XYI)  est 
faite  sur  un  même  sang,  divisé  en  deux  parts  : l’une,  traitée 
par  l’oxyde  de  carbone,  a donné  6,66  d’oxygène  pour  100  vol. 
de  sang;  l’autre,  additionnée  d’eau  et  portée  à l’ébullition,  a 
laissé  dégager  27,72  volumes.  Il  suffit  presque  d’énoncer  ces 
résultats  pour  prouver  que  l’une  et  l’autre  analyse  sont  éga- 
lement mauvaises. 

J’aurais  pu  me  borner  à renvoyer  le  lecteur  aux  expériences 
qui  vont  être  citées  et  dans  lesquelles  souvent  il  a été  ajouté 
de  l’eau  au  sang,  ce  qui  n’a  rien  changé  au  résultat.  Mais, 
par  excès  de  scrupule,  je  veux  citer  deux  expériences  qui  ont 
été  faites  avec  un  soin  scrupuleux,  et  dans  le  but  de  con- 
trôler spécialement  l’étrange  assertion  des  physiologistes  de 
Montpellier  : 

Expérience  CL1V.  — 15  janvier.  Chien  de  moyenne  taille,  épuisé  par  des 
suppurations  à la  suite  d’opérations  nombreuses. 

Tiré  à la  carotide  55ccde  sang  qui  sont  immédiatement  introduits  dans 
la  pompe . A. 

Aussitôt  après,  tiré  encore  55cc  de  sang;  mais  dans  la  pompe  avaient, 
été  introduits  au  préalable  50cc  d’eau,  dont  on  avait  ensuite  épuisé  les 

gaz  par  le  vide  et  l'ébullition  1 B 

Le  sang  A contenait,  pour  100  vol.,  7,1  d’O. 

— B — — 6,2  — 

Expérience  CLV.  — 18  janvier.  Chien  de  grande  taille,  intact. 

1 Les  nombres  qui  expriment  les  volumes  des  gaz  du  sang  ont  toujours  été 
ramenés  à la  température  0°  et  à la  pression  76c. 


620 


EXPÉRIENCES. 


Deux  pompes  à extraction  des  gaz  ont  été  préparées  ; dans  l'une  d’elles 
ont  été  introduits,  puis  épuisés,  o5cc  d’eau. 

On  tire  à l’artère  fémorale  environ  70cc  de  sang  ; 35cc  sont  introduits 
dans  la  pompe  (A),  53cc  dans  la  seconde  où  est  l’eau  (B). 

Le  sang  A contient,  pour  100  vol.,  19,7  d’O.  et  45,0  de  CO2. 

— B — — 19,8  — et  44,2  — 

On  voit  que,  soit  qu’il  s’agisse  d’un  sang  extrêmement 
pauvre  en  oxygène,  soit  qu’il  s’agisse  d’un  sang  normal, 
l’addition  d’eau  n’a  modifié  en  rien  la  quantité  d’oxygène 
extraite  du  sang. 

Au  reste,  la  prétendue  constatation  de  cette  différence 
avait  pour  but  premier  d’expliquer  l’étrange  persévérance 
apportée  par  MM.  Estor  et  Saint-Pierre1  à soutenir  qu’il  y a, 
au  point  de  vue  de  la  composition  en  oxygène,  une  différence 
considérable  entre  le  sang  de  la  carotide  et  celui  de  la  fémo- 
rale : différence  énorme,  selon  eux,  puisque  le  sang  de  la  ca- 
rotide contenant  21,06  vol.  d’oxygène,  celui  de  la  fémorale 
n’en  contiendrait  que  7,62  (p.  510).  Cette  différence  leur  sert 
à appuyer  une  théorie  à eux  appartenant  sur  la  combustion 
presque  instantanée  des  matériaux  du  sang  au  sortir  du 
poumon.  Je  ne  serais  certes  pas  revenu  sur  ce  sujet  que  je 
croyais  avoir  précédemment  épuisé,  sans  les  nouvelles  com- 
munications de  MM.  Estor  et  Saint-Pierre.  Mais  il  faut  bien 
que  j’en  parle,  puisqu’il  m’est  arrivé,  dans  quelques-unes  des 
expériences  qu’on  trouvera  ci-dessous  rapportées , de  com- 
parer des  analyses  du  sang  de  la  carotide  à des  analyses  du 
sang  de  la  fémorale. 

Je  répéterai  donc  ici  ce  que  j’ai  déjà  dit  ailleurs2  : MM.  Estor 
et  Saint-Pierre  n’ont  fait  aucune  expérience  comparative  di- 
recte; s’ils  en  avaient  fait  une  seule,  ils  auraient  vu  combien 
leur  assertion  est  erronée.  Ils  ont  préféré  chercher  dans  les 
livres,  et  comparer  des  résultats  obtenus  par  M.  Claude  Bernard 
à différentes  époques,  sur  des  chiens  placés  dans  les  condi- 
tions générales  les  plus  variées,  en  employant  l’oxyde  de  car- 

1 Du  siège  des  combustions  respiratoires.  — Journal  de  l'Anatomie  et  de  la  Phy- 
siologie., t.  Il,  p.  302-522;  1865. 

2 Leçons , etc.,  p.  119. 


621 


GAZ  DU  SANG  : CRITIQUE  EXPÉRIMENTALE. 

bone  comme  moyen  d’extraire  l’oxygène,  avec  d’autres  dus  à 
plusieurs  physiologistes  allemands  qui  se  servaient  de  pompes 
à mercure  de  divers  modèles,  et  opéraient  tantôt  sur  des 
chiens,  tantôt  sur  des  moutons.  J’ai  montré  avec  détails,  dans 
l’ouvrage  plus  haut  cité,  ce  qu’une  pareille  méthode  a de  pro- 
fondément vicieux,  si  tant  est  qu’on  puisse  donner  le  nom  de 
méthode  à cette  façon  de  procéder.  Je  pourrais  aujourd’hui 
mettre  en  avant  le  résultat  de  mes  propres  expériences,  faites 
simultanément  sur  le  même  animal  et  avec  le  même  appareil. 
Mais  je  préfère  invoquer  l’appui  de  deux  expérimentateurs  qui 
ont  étudié  ces  questions  avec  une  tendance  à la  précision  que 
je  considère  comme  exagérée,  mais  qui  est  un  sûr  garant  du 
soin  apporté  dans  les  expériences.  Or,  MM.  Mathieu  et  Ur- 
bain1, cherchant  s’il  existe  des  différences  entre  le  sang  des 
diverses  artères,  sont  arrivés  aux  résultats  suivants,  relative- 
ment à la  carotide  et  à la  fémorale  (p.  192)  : 

Carotide. . 20,45  — 20,99  — 15,06  — 13,25  — 12,75  — 18,25  — 15,00  — 15,75  — 14,93 

Fémorale . 18,03  — 17,69  — 13,81  — 13,25  — 13,50  — 18,00  — 15,75  — 15,75  — 14,48 

On  voit,  comme  les  auteurs  le  disent  avec  raison,  que  s’il 
y a une  légère  différence  en  faveur  du  sang  de  la  carotide, 
elle  est  infiniment  moins  forte  que  ne  l’affirmaient  MM.  Estor 
et  Saint-Pierre.  Ajoutons  que,  d’après  les  expériences  de 
MM.  Mathieu  et  Urbain,  la  différence  s’accentuerait  beaucoup 
lorsque,  au  lieu  de  prendre  des  artères  qui  ont  à peu  près  le 
même  calibre,  on  examine  comparativement  le  sang  de  la 
carotide  et  celui  d’une  artère  de  petites  dimensions,  qu’elle 
soit  voisine  ou  éloignée  du  cœur.  Mais  nous  ne  pouvons  insis- 
ter sur  ces  faits  ; il  nous  suffit,  pour  notre  but  actuel,  de  con- 
clure que,  s’il  est  préférable  de  tirer  toujours  le  sang  à la 
meme  artère,  il  n’y  a pas  d’inconvénient  sérieux  à prendre 
successivement  la  carotide  et  la  fémorale,  chez  le  même 
animal,  lorsqu’on  s’y  trouve  forcé. 

Du  reste,  avant  de  nous  prononcer  sur  l’importance  des  di- 
verses causes  d’erreurs  qui  peuvent  provenir  çles  causes  phy- 

1 Des  gaz  du  sang.  Archives  de  Physiologie , t.  IV,  p.  5-26,  190-205,  304-318, 
447-469,  573-587,  710-731  ; 1871. 


622 


EXPÉRIENCES. 


siologiques,  il  serait  bon  de  nous  faire  d’abord  une  juste  idée 
de  l’exactitude  à laquelle  on  peut  espérer  d’arriver  en  em- 
ployant l’appareil  que  nous  avons  décrit.  Voici  le  vide  fait, 
et  nous  apportons  au  robinet  r la  seringue  contenant,  par 
exemple,  50cc  de  sang.  Disons  d’abord  qu’il  est  impossible, 
vu  le  calibre  de  la  seringue,  de  déterminer  très-exactement 
cette  quantité  ; nous  serons  au-dessous  de  la  vérité  en  prenant 
comme  erreurs  possibles,  soit  49cc,8,  soit  50cc,2.  De  plus,  il 
restera  dans  le  caoutchouc  et  le  robinet  r au  moins  Qcc,5  de 
sang  qui  échappera  à l’analyse  : la  vérité  est  donc  que,  lors- 
que nous  disons  avoir  opéré  sur  50cc,  nous  avons  réellement 
introduit  dans  l’appareil  49cc,o  ou  49cc,7.  Faisons  maintenant 
■F extraction,  et  supposons-la  parfaitement  complète  : au  moins 
nous  n’avons  aucun  moyen  de  mesurer  le  résidu  très-faible, 
à coup  sûr,  qui  peut  rester  dans  l’appareil.  Nous  obtiendrons 
en  moyenne  50cc  de  gaz  qui  devront  être  recueillis  dans  deux 
tubes  différents,  si  nous  voulons  employer  des 
tubes  étroits  pour  que  la  visée  n’entraîne  pas  une 
trop  forte  cause  d’erreur.  Dans  la  pompe,  en 
même  temps  que  les  gaz,  il  a pénétré  de  la  va- 
peur d’eau  qui  s’est  condensée,  et  chacun  de  nos 
tubes  en  contient  toujours  1 ou  2 cent,  cubes. 
Combien  cette  eau  a-t-elle  absorbé  d’acide  carbo- 
nique en  dissolution?  Nous  ne  le  savons  pas.  Ce 
n’est  pas  tout  : le  gaz  étant  à une  température 
élevée,  il  faut,  avant  de  le  mesurer,  immerger 
complètement  les  tubes  dans  de  petites  cuves  à 
mercure  en  verre,  étroites  et  profondes,  construi- 
tes exprès  (fig.  25)  ; pendant  ce  temps,  et  sous 
pression,  il  doit  se  dissoudre  une  nouvelle  quan- 
tité d’acide  carbonique.  Peut-être  pouvons-nous, 
pour  chaque  tube,  estimer  à 0CC,2  ou  0CC,5  la  quantité  totale  de 
ce  gaz  dont  il  ne  pourra  être  tenu  compte. 

Maintenant  nous  avons  deux  tubes,  dont  l’un  contient,  je 
suppose,  20dc,  l’autre  10cc  ; si  nous  nous  reportons  à ce  qui  a 
été  dit  page  546  sur  les  erreurs  possibles  d’analyse  par  la 
potasse  et  l’acide  pyrogallique,  nous  verrons  que  nous  ne 


Fig.  2o.  — Petite 
cuve  à mercure. 


GAZ  DU  SANG  : CRITIQUE  EXPÉRIMENTALE.  623 

pouvons  affirmer  l’exactitude  de  la  composition  qu’entre  des 
limites  analogues  à celles-ci  : 

PREMIER  TUBE  SECOND  TUBE 

Acide  carbonique 
Oxygène.  . . . 

Ce  qui  peut,  suivant  les  combinaisons,  nous  donner  les  ré- 
sultats totaux  extrêmes  que  voici  : 

Acide  carbonique 19  . ou  18, 8 

Oxygène.  . . . . • 9,6  ou  9,4 

Ajoutons  à ceci  la  quantité  d’acide  carbonique  dissimulée 
dans  l’eau  de  condensation,  et  la  mesure  directe  peut,  pour  ce 
gaz,  nous  donner  un  résultat  au-dessous  de  la  vérité,  de  0CC,4 
à 0CC,6. 

Il  faut  maintenant,  pour  avoir  la  quantité  totale  du  gaz 
contenu  dans  100cc  de  sang,  nombre  dont  on  se  sert  usuelle- 
ment, doubler  tous  ces  chiffres  ; en  telle  sorte  que,  malgré 
les  plus  grandes  précautions,  et  en  supposant  l’extraction 
des  gaz  parfaite,  il  est  impossible  d’affirmer  que  le  nombre 
obtenu  n’est  pas  trop  fort  ou  trop  faible  pour  l’oxygène  et 
l’azote  de  2 ou  5 dixièmes,  et  pour  l’acide  carbonique  de  près 
d’une  unité. 

On  peut  juger  d’après  cela  de  la  valeur  de  ces  deuxièmes 
et  troisièmes  décimales,  que  les  tableaux  d’analyses  étalent 
presque  toujours  à la  suite  de  leurs  nombres  entiers.  Je  me 
porte  fort  de  cette  vérité  que,  si  les  décimales  sont  exactes  au 
point  de  vue  arithmétique,  le  chiffre  même  des  unités  est 
faux  au  point  de  vue  chimique,  car  aux  diverses  causes  d’er- 
reur énumérées  plus  haut,  il  convient  d’ajouter  l’imperfec- 
tion des  appareils  dont  se  sont  servis  la  plupart  des  opéra- 
teurs* 

Ët  que  dire  maintenant  du  point  de  vue  physiologique1? 
L’analyse  dont  nous  venons  de  parler  nous  donne,  pour  un 
cas  déterminé,  un  résultat  absolu,  sauf  erreur.  Mais  combien 
les  choses  vont  se  compliquer,  si  nous  voulons  la  comparer  à 
une  autre  analyse  faite  par  le  même  expérimentateur,  avec  le 


soit.  . . 

12 

) soit.  . . 

7 

soit.  . * 

11,9 

| soit.  . . 

6,9 

soit. 

6,9  i 

soit.  . v 

2,5 

soit,  . . 

7 1 

| soit.  . , 

2,6 

624 


EXPÉRIENCES. 


même  instrument,  sur  un  autre  animal  appartenant  cepen- 
dant à la  même  espèce!  J’ai  indiqué  autrefois 1 les  différences 
que  peut,  au  point  de  vue  de  la  richesse  en  oxygène,  présen- 
ter le  sang  d’un  animal  placé  dans  des  conditions  différentes, 
comme  en  digestion  et  à jeun,  etc.  Depuis,  MM.  Mathieu  et 
Urbain,  reprenant  avec  la  pompe  à gaz  des  expériences  que 
j’avais  faites  simplement  avec  l’oxyde  de  carbone,  et  qui,  par 
conséquent,  ne  touchaient  qu’à  l’oxygène,  ont  multiplié  et 
varié  les  conditions  dans  lesquelles  peuvent  être  placées  les 
animaux.  Leur  travail  qui  développe,  confirme  ou  rectifie  mes 
anciens  essais,  a montré  que  la  proportion  absolue  et  rela- 
tive des  gaz  du  sang  est  sujette  à de  nombreuses  variations. 

Mais  je  veux  me  borner  pour  le  moment  à l’étude  de  celles 
de  ces  variations  qui  peuvent  être  importantes  à considérer 
pour  le  sujet  dont  je  m’occupe  actuellement. 

Or,  il  s’agit  ici  d’expériences  se  faisant  dans  le  laps  de 
deux  ou  trois  heures  au  plus.  Les  seules  influences  qui  puis- 
sent agir  dans  ce  cas  sont  : 1°  les  saignées  antérieures; 
2°  le  nombre  des  respirations  de  l’animal;  5°  son  état  de 
repos  ou  d’agitation. 

MM.  Mathieu  et  Urbain  (/oc.  cit.,  p.  14  et  suiv.)  attachent 
beaucoup  d'importance  aux  saignées  antérieures.  Selon  eux, 
il  suffirait  d’extraire  à un  chien  20cc  de  sang  artériel  pour 
trouver  dans  la  nouvelle  saignée  de  20cc  notablement  moins 
d’O  et  de  GO2;  les  saignées  successives  augmenteraient  ces 
différences.  En  moyenne,  pour  les  saignées  de  20cc  faites  à 
une  heure  et  demie  d’intervalle,  on  aurait  des  diminutions 
totales  de  lcc,25;  — 2CC,25;  — 5CC,00;  — 5CC,50;  — - 5CC,75. 
Après  une  saignée  de  60cc,  la  différence  serait  en  moyenne  de 
2CC,50,  et  de  5CC,91,  après  une  saignée  de  150cc. 

Ces  modifications  seraient  dues  principalement,  selon  eux, 
à la  diminution  dans  la  tension  vasculaire;  elles  ne  se  re- 
marqueraient pas,  en  effet,  lorsqu’après  la  première  saignée 
on  a injecté  dans  les  vaisseaux  une  quantité  d’eau  égale  à la 
quantité  de  sang  enlevée. 


1 Leçons , etc.,  p.  150  et  suiv. 


\ 


GAZ  DU  SANG  : CRITIQUE  EXPÉRIMENTALE.  625 


L’acide  carbonique  varierait,  sous  l’influence  des  saignées 
successives,  dans  le  même  sens  et  suivant  une  proportion 
plus  considérable  que  l’oxygène. 

Quant  à moi,  je  n’ai  jamais  remarqué  d’aussi  importantes 
différences  entre  la  richesse  gazeuse  du  sang  tiré  en  plusieurs 
fois  des  vaisseaux.  Souvent  même  les  nombres  obtenus  sont 
restés  absolument  identiques,  lorsque  l’animal  est  demeuré 
au  repos.  C’est  ce  qui  est  arrivé,  par  exemple,  dans  l’expé- 
rience suivante  : 

Expérience  CLVI. — 18  juillet.  Grand  chien  de  berger. 

A 2h,  tiré  44cc  de  sang  à la  fémorale;  animal  parfaitement  franquille(A). 


Tiré  ensuite  43cc  de  sang  à la  même  artère (B). 

A 3h  et  demie,  tiré  42cc,5  à la  même  artère.  ...........  (C). 

Le  sang  A contient,  pour  100  vol.  : O 21,4;  GO2  30,5. 

— B — 21,2;  — 40,1 . 

— G - 21,5;— 38,6. 


Les  nombreuses  expériences  dont  le  récit  sera  fait  dans  le 
présent  chapitre  montrent  fréquemment  que  les  saignées 
successives  ne  donnent  pas  des  résultats  aussi  dissembla- 
bles qu’on  pourrait  le 
croire  d’après  les  con- 
clusions deMM.  Urbain 
et  Mathieu. 

Pour  étudier  l’in- 
fluence du  nombre  des 
respirations  en  l’iso- 
lant de  celle  des  mou- 
vements généraux  du 
corps,  qui  s’y  mêle  tou- 
jours, j’ai  empoisonné  des  animaux  parle  curare,  et,  lorsqu’ils 
étaient  complètement  paralysés,  j’ai  pratiqué  la  respiration 
artificielle,  à l’aide  d’un  soufflet  introduit  dans  la  trachée. 

Ce  soufflet  (fig.  26)  porte  une  bonne  soupape  aspira trice  A, 
munie  d’une  douille  permettant  d’insuffler  dans  les  pou- 
mons un  gaz  quelconque;  une  crémaillère  graduée,  por- 
tant un  curseur  contre  lequel  vient  s’arrêter  le  mouvement 
de  la  valve  mobile.  La  position  variable  du  curseur  détermine 

40 


Fig.  26.  — Soufflet  pour  la  respiration  artificièlle  (A,  douille 
à soupape  qui  permet  d’employer  un  gaz  quelconque). 


626 


EXPÉRIENCES. 


la  quantité  d’air  que  l’on  injecte.  Rien  de  plus  facile,  avec 
cet  instrument,  que  de  mesurer  exactement  l’amplitude  et  le 
nombre  des  respirations  artificielles.  La  buse  étant  introduite 
dans  la  trachée,  qu’elle  n’oblitère  qu’imparfaitement,  il  suf- 
fit du  petit  espace  qu’elle  laisse  entre  elle  et  les  parois  pour 
que  l’expiration  se  fasse  aisément;  au  reste,  sous  ce  rapport, 
les  conditions  sont  toujours  semblables. 

J’ai  également  employé  l’appareil  construit  sur  les  indica- 
tions  de  M.  Gréhant,  et  que  met  en  mouvement,  dans  mon  la- 
boratoire, une  petite  machine  à eau. 

Or,  voici  ce  qu’a  donné  une  expérience , prise  comme 
exemple  : 

Expérience  GLVII.  — 19  février.  Chien  pesant  18  kilog. 

A 4h  5m,  dose  mortelle  de  curare  sous  la  peau  ; tombe  à 4h  25m  ; ouvert 
la  trachée  et  fait  la  respiration  artificielle,  le  soufflet  débitant  550cc. 

A4h  40m,  on  régularise  la  respiration  artificielle  à 16  par  minute;  le 
pouls  est  à 90.  A4h  50m,  on  tire  à l’artère  fémorale  72cc  de  sang.  . (A). 

Aussitôt  après,  porté  la  respiration  à 70  par  minute;  le  pouls  monte  à 
140;  la  température  rectale  est  58°, 5.  Au  bout  de  10m,  on  prend  72cc  de 
sang  à la  même  artère . (B). 

On  ajuste  la  douille  du  soufllet  à un  sac  plein  d’acide  carbonique  ; 
après  15m  de  respiration  artificielle,  le  cœur  s’arrête.  On  prend  aussitôt 
55cc  de  sang  dans  le  cœur  gauche  avec  une  sonde  enfoncée  par  la  caro- 
tide gauche (C). 

La  température  rectale  est  alors  56°. 

Le  sang  A contient,  pour  100  vol.  : O 19,7  ; CO2  56,7. 

— B — — 20,7;  — 30,1. 

— C — — 5,2;  — 90,2. 

On  voit  que  la  rapidité  des  mouvements  respiratoires,  ou 
plus  généralement,  que  le  passage  par  les  poumons,  dans  un 
temps  donné*  d’une  plus  grande  quantité  d’air,  a pour  double 
résultat  : d’augmenter  la  proportion  de  l’oxygène  du  sang,  de 
diminuer  la  proportion  d’acide  carbonique,  l’augmentation 
de  l’oxygène  étant  beaucoup  moins  considérable  que  la  dimi- 
nution de  l’acide  carbonique. 

Afin  d’étudier  l’influence  de  l’état  de  repos  ou  des  contrat 
tions  musculaires  de  l’animal,  et  de  l’isoler  de  toutes  les  cir- 
constances d’un  autre  ordre,  je  tuais  un  chien  par  section  du 


I 


GAZ  DU  SANG  : CRITIQUE  EXPÉRIMENTALE.  627 

bulbe,  et  pratiquais  ensuite  la  respiration  artificielle  d’une 
manière  régulière.  Au  bout  de  quelque  temps,  l’animal  étant 
naturellement  dans  l’immobilité  complète,  je  tirais  du  sang  ; 
puis,  à l’aide  d’un  fort  courant  induit  traversant  le  corps  de 
la  bouche  à l’anus,  j’obtenais  des  mouvements  généraux 
énergiques  plus  ou-  moins  nombreux,  après  lesquels  je  tirais 
à nouveau  du  sang. 

Voici  les  résultats  d’une  expérience  ainsi  conduite  : 

Expérience  CLYIII.  — 12  novembre.  Chien  vigoureux  pesant  15  kil. 
Bulbe  coupé;  respiration  artificielle  réglée  à 15  par  minute,  pendant 
5 minutes.  Tiré  alors  25cc  de  sang  à la  carotide (A). 

On  excite  alors  la  moelle  épinière,  du  bulbe  à l’anus,  par  de  forts 
courants  induits,  qui  déterminent  des  convulsions  générales,  surtout  dans 
les  membres  postérieurs.  La  respiration  artificielle  est  continuée  avec  le 
même  rhythme.  Après  5 minutes  d’excitation,  on  tire  25cc  de  sang  caro- 
tidien  (B). 

Le  sang  A contient,  pour  100  vol.  0 26,6;  CO2  51,2. 

B - — 18,2;— 28,8. 

Mais  il  faut  bien  reconnaître  que,  dans  l’état  ordinaire  et 
naturel  des  choses,  les  deux  phénomènes  que  nous  avons  ar- 
tificiellement séparés  se  combinent,  se  mêlent  et  surajoutent 
leurs  effets  qui  alors  se  contrebalancent.  Dans  l’immense 
majorité  des  cas,  en  effet,  un  animal  qui  s’agite  respire 
avec  plus  de  fréquence  et  d’ampleur,  et,  inversement,  le 
repos  s’accompagne  d’une  respiration  plus  calme  et  plus 
lente  : 

Expérience  CL1X.  — 24  janvier.  Grand  chien  de  chasse.  Fémorale 
gauche. 

On  prend  75cc  de  sang;  l’analyse  est  perdue,  par  suite  d’accident. 

On  reprend  alors  74cc;  l’animal,  attaché  depuis  longtemps,  est  resté 
parfaitement  tranquille  (A);  au  bout  d’une  heure,  l’animal,  excité,  s’agite 
violemment,  en  poussant  de  grands  cris,  et  cela  pendant  quelques  mi- 
nutes, après  lesquelles  on  reprend  76cc  de  sang  (B). 

Le  sang  A contient  pour  100  vol.:  O 18,6;  CO2  57,0. 

— B — — 19,4;  — 35,2. 

Expérience  CLX.  — 5 mars.  Chien  de  petite  taille,  ayant  les  récur* 
rents  coupés  depuis  le  1er  mars,  mais  allant  bien.  Artère  fémorale. 


628 


EXPÉRIENCES. 


L’animal  étant  très-calme,  on  tire  40cc  de  sang  (A);  puis  on  le  fait  agi- 
ter en  lui  plaçant  un  peu  d’ammoniaque  sous  le  nez,  et  on  tire  même 
quantité  de  sang  (B). 

Le  sang  A contient,  pour  100  vol.  : O 11,7;  GO2  35,6. 

— B — - 12,4;  — 52,7. 

On  l’empoisonne  alors  par  le  curare  ; l’excitation  d’un  sciatique  fait  mon- 
ter la  pression  cardiaque  de  2 à 4e,  même  après  la  section  des  deux 
pneumogastriques.  Le  bout  périphérique  de  ceux-ci  n’agissant  plus  sur  le 
cœur,  le  bout  central,  excité,  augmente  la  pression  du  sang.  Après  avoir 
coupé  transversalement  la  moitié  droite  delà  moelle  lombaire,  on  obtient 
une  augmentation  de  pression  par  l’excition  du  sciatique  droit;  le  gauche 
donne  un  résultat  douteux. 

Voilà  deux  expériences  qui  indiquent  que,  dans  la  plupart 
des  cas,  il  n’y  a pas  à se  préoccuper  beaucoup  des  modifica- 
tions dans  la  manière  d’ètre  de  l’animal  aux  divers  moments 
de  l’expérience.  Les  analyses  comparatives  montrent  que  pour 
l’oxygène  les  causes  d’erreur  arrivent  à peine  à l’unité,  et 
que  pour  l’acide  carbonique  elles  ne  dépassent  guère  deux 
unités. 

Mais  dans  certaines  circonstances  exceptionnelles,  les  dif- 
férences peuvent  atteindre  des  valeurs  beaucoup  plus  élevées. 
Cela  arrive  quelquefois,  par  exemple,  lorsqu’on  ouvre  la  tra- 
chée d’un  animal  et  qu’on  y place  une  canule.  Tous  les  phy- 
siologistes ont  remarqué  que,  dans  ces  conditions,  les  ani- 
maux sont  souvent  pris  d’une  anhélation  extraordinaire,  qui 
cesse  habituellement  au  bout  de  quelques  minutes.  Or,  si 
pendant  cette  période  on  tire  du  sang,  on  trouve  que  sa  com- 
position gazeuse  est  fort  différente  de  celle  qu’il  présentait 
auparavant. 

Je  citerai  comme  exemples  les  deux  faits  suivants,  les  plus 
remarquables  que  j’aie  rencontrés  : 

Expérience  CLXI.  — 20  décembre.  Chien  vigoureux,  pesant  16k  5. 

A 5 11  55m,  je  tire  à la  carotide  55cc  de  sang,  qui  est  assez  noir.  . . (A). 

A 4h,  je  place  dans  la  trachée  un  tube;  les  respirations  deviennent  ex- 
trêmement accélérées  pendant  5 minutes  ; puis  le  calme  revient  et  peu  après 
accélération  nouvelle,  qui  cesse  à 4h  1 0m,  au  moment  même  où  l’on  tire  de 
nouveau  55cc  de  sang,  qui  est  évidemment  moins  noir (B). 

Le  sang  A contient,  pour  100  vol.  : O 15,1  ; CO2  40,8 
— B — — 20.5;  — 24,0 


629 


GAZ  DU  SANG  : CRITIQUE  EXPÉRIMENTALE. 

Expérience  CLXII.  — 24  janvier.  Chien  boule-dogue. 

A 2h  30m,  j’extrais  à la  carotide  32cc  de  sang,  l’animal  respirant  par  les 
voies  naturelles (A). 

J’ouvre  la  trachée,  pour  y placer  un  tube;  les  respirations  deviennent 
extraordinairement  précipitées  ; au  bout  de  cinq  à six  minutes  de  ce 
rhythme,  je  tire  33cc  de  sang,  notablement  plus  rouge (B). 

Le  sang  A contient,  pour  100  vol.  : O 16,0;  CO2  41,5 
— B — — 23,4;  — 15,2 

Mais,  je  le  répète,  ceci  est  un  extrême;  rien  de  comparable, 
à beaucoup  près,  ne  s’est  présenté  chez  des  animaux  respirant 
par  les  voies  naturelles.  Un  grand  nombre  d’expériences  me 
permettent  d’affirmer  que  les  circonstances  dépendantes  de  la 
manière  d’être  de, l’animal,  sans  être  négligeables,  ne  sont  pas 
telles  qu’on  ne  puisse  conclure.  Sans  doute,  je  n’ai  pu  tou- 
jours me  mettre  à l’abri  de  leur  intervention  ; mais  lorsque 
celle-ci  était  très  manifeste,  j’ai  abandonné  l’expérience. 

En  dernier  lieu,  sans  insister  sur  les  différences  que  peut 
présenter  le  sang  d’un  chien,  suivant  que  l’animal  est  à jeun 
ou  en  digestion  de  telle  ou  telle  espèce  d’aliments,  je  dirai 
que  tous  mes  chiens  avaient  mangé  vers  huit  heures  du  ma- 
tin de  la  pâtée  peu  riche  en  viande;  les  expériences  étaient 
faites  généralement  de  deux  à six  heures. 

On  voit  que,  en  définitive,  les  causes  d’erreur  que  renfer- 
ment nos  analyses,  et  qui  tiennent  tant  aux  causes  d’ordre 
chimique  qu’à  celles  d’ordre  physiologique,  sont,  environ,  de 
une  unité  pour  l’oxygène,  de  trois  ou  quatre  unités  pour 
l’acide  carbonique.  Je  maintiens  qu’on  ne  peut  aller,  dans  la 
pratique,  plus  loin  comme  exactitude,  à moins  de  prendre 
un  véritable  leurre  pour  la  réalité. 


630 


EXPERIENCES. 


SOUS-CHAPITRE  II 

DES  GAZ  DU  SANG  SOUS  DES  PRESSIONS  INFÉRIEURES  A CELLE 

d'une  ATMOSPHÈRE. 

§ 1er.  — Dispositif  dss  expériences. 

L’extraction  du  sang  des  vaisseaux  d’un  animal  soumis  à 
l’influence  de  la  diminution  de  pression  n’était  pas  un  pro- 
blème sans  difficultés. 

L’appareil  dont  je  disposais,  et  dont  je  me  suis  servi  dans 
mes  recherches  pour  la  diminution  de  pression,  est  composé 
de  deux  vastes  chambres  cylindriques  (fig.  21)  qui  peuvent 
être  isolées  l’une  de  l’autre  par  une  porte  de  communication. 
Ces  chambres  mesurent  2 mètres  de  hauteur  et  1 mètre  de 
diamètre,  ce  qui  leur  donne  une  capacité  d’environ  lmc,550  : 
je  dis  environ  à cause  du  dôme  convexe  qui  les  revêt.  Elles 
sont  convenablement  éclairées  au  moyen  de  hublots  de  verre 
qu’on  voit  dans  la  figure.  Les  portes  s’ouvrant  en  dehors  et 
reposant  sur  des  bourrelets  de  caoutchouc  déterminent  une 
fermeture  assez  exacte,  la  pression  atmosphérique  tendant  à 
les  appliquer  d’autant  plus  fortement  sur  ces  bourrelets  que 
la  diminution  de  pression  est  plus  considérable  en  dedans. 
Un  manomètre  extérieur,  sorte  de  tube  barométrique  dont  la 
chambre  communique  avec  l’un  des  deux  grands  réservoirs, 
indique  immédiatement  la  valeur  de  la  dépression  intérieure  : 
des  thermomètres  traversent  la  paroi. 

La  diminution  de  pression  est  obtenue  au  moyen  d’une 
pompe  qui  était  mue,  dans  le  principe,  par  une  petite  ma- 
chine à vapeur,  comme  l’indique  la  figure.  J’ai  remplacé 
celle-ci  par  un  moteur  à gaz  du  système  Lenoir,  machine 
infiniment  plus  commode  à manier  dans  un  laboratoire,  et 
plus  avantageuse  pour  les  travaux  qu’il  faut  entreprendre 


) 


GAZ  DU  SANG  : PRESSION  DIMINUÉE.  631 

et  quitter  suivant  des  circonstances  dont  on  n’est  pas  le 
maître. 

Je  puis  arriver  ainsi  à faire  diminuer  la  pression  de  20e  en 
5m,  de  40e  en  10m,  J’atteins  assez  facilement,  en  20m,  la  pres- 


sion de  25  centimètres;  mais  j’ai  eu  la  plus  grande  peine  à 
descendre  au-dessous,  et  je  n’ai  pu  dépasser  celle  de  il  cen- 
timètres. 

On  voit  sur  la  figure  un  cylindre  indépendant  B.  Je  m’en 


G32 


EXPERIENCES. 


servais  comme  d’un  réservoir  de  vide,  si  l’on  peut  ainsi  par- 
ler, dans  certaines  expériences.  Enfin,  le  tube  qui,  dans  la 
figure,  communique  avec  une  cloche  de  verre  C,  est  celui 
que  j’adaptai  plus  tard  à la  table  à plaques  pneumatiques 
représentée  figure  15. 

L’extraction  du  sang  d’un  chien  placé  dans  un  semblable 
appareil  est  une  entreprise  assez  délicate. 

L’animal  est  d’abord  solidement  attaché  sur  le  dos,  comme 
le  montre  la  figure  28,  aux  montants  d’une  sorte  de  cage  en 
bois  solide,  courbée  de  manière  à pouvoir  s’adapter  exacte- 
ment par  son  bord  convexe  à la  concavité  du  cylindre,  et 
pouvant  y être  fixée  au  moyen  de  trous  qui  s’emmanchent 
dans  les  crochets  de  forts  pitons  vissés  aux  flancs  de  ce  cy- 
lindre. La  tête  de  l’animal  est  prise  dans  une  sorte  de  muse- 
lière mobile,  qui  permet  de  tendre  son  cou  suivant  les  besoins 
de  l’expérience,  et  de  le  maintenir  parfaitement  immobile. 
Les  pattes  antérieures  sont  attachées  aux  barreaux  de  la 
cage,  et  pour  les  pattes  postérieures,  deux  barreaux  montés 
sur  des  coulisses  en  arc  de  cercle  peuvent  être  éloignés  plus 
ou  moins  suivant  la  taille  de  l’animal. 

Dans  cette  situation,  on  peut  tirer  le  sang  soit  à l’une  des 
artères  carotides,  soit  à l’une  des  fémorales.  Les  carotides 
sont  plus  commodes  et  par  leur  calibre  et  par  leur  proximité 
de  la  paroi  du  cylindre,  et  c’est  presque  toujours  d’elles  que 
je  me  suis  servi. 

Cette  paroi,  en  face  de  l’endroit  où  se  trouve  amenée  et 
mise  à découvert  l’artère,  est  percée  de  plusieurs  trous,  à la 
façon  d’une  pomme  d’arrosoir;  c’est  par  l’un  de  ces  trous  que 
passera  la  sonde  destinée  à extraire  du  sang;  les  autres  trous 
seront  fermés  à l’aide  d’une  poignée  de  cire  à modeler  forte- 
ment appliquée  sur  eux. 

Et  maintenant  comment  extraire  le  sang?  11  est,  dans  l’ar- 
tère, soumis  à une  pression  équivalente  à environ  15  à 
18  centimètres  de  mercure,  qui  en  rend  la  sortie  très-facile 
quand  on  agit  à la  pression  normale.  Mais  l’animal  est  placé 
dans  un  appareil  où  la  pression  va  être  diminuée,  et  nous 
allons  faire  communiquer  son  artère  avec  le  dehors.  Il  est 


635 


GAZ  DU  SANG  . PRESSION  DIMINUÉE. 


bien  évident  que,  lorsque  la  pression  sera  abaissée  de  15  à 
18  centimètres,  le  sang  n’aura  plus  aucune  tendance  à sortir 


bO 

C3 

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du  vaisseau,  et  que  lorsque  la  diminution  sera  plus  forte 
encore,  l’air  du  dehors  tendra  à se  précipiter  dans  l’artère 


634 


EXPÉRIENCES. 


de  Tanimal,  et  de  là  à se  répandre  dans  tout  l’appareil  circu- 
latoire. 

C’est  là  qu’est  le  danger  et  là  que  gît  la  difficulté.  Pour  le 
conjurer  et  le  résoudre,  je  me  servis  (fig.  29)  d’abord  d’une 
sonde  A bifurquée  à son  extrémité  libre,  dans  laquelle  glis- 
sait un  mandrin  terminé  par  une  olive.  Celle-ci  était  dis- 
posée de  manière  à pouvoir  oblitérer  exactement  l’orifice  de 
la  sonde  placée  dans  l’artère  de  l’animal.  Lorsqu’on  voulait 
extraire  le  sang,  on  tirait  le  mandrin  jusqu’à  ce  que  l’olive 
arrivât  dans  la  région  de  la  bifurcation.  Pendant  tout  ce 
temps,  la  cavité  de  la  sonde  était  parfaitement  fermée,  le 
mandrin  glissant  à frottement  dur  dans  un  bouchon  percé 
de  caoutchouc  qu’une  tête  a assujettissait  fortement.  Alors, 
adaptant  à l’orifice  a\  à l’aide  d’un  tube  de  caoutchouc  à 
parois  épaisses,  la  seringue  de  la  figure  25,  et  ouvrant  le  ro- 
binet, on  pouvait  sans  danger  aspirer  le  sang. 

Mais,  malgré  toutes  les  précautions  prises,  il  m’est  arrivé 
des  accidents  consécutifs  à l’entrée  d’une  certaine  quantité 
d’air.  Il  suffit,  en  effet,  d’un  orifice  microscopique  pour  lais- 
ser entrer  quelques  bulles,  et  celles-ci,  arrivant  au  cœur 
gauche  et  lancées  de  là  dans  les  artères,  peuvent,  comme  on 
le  verra,  occasionner  des  troubles  très-graves.  Quelquefois 
meme,  la  quantité  d’air  ainsi  introduite  a été  suffisante  pour 
entraîner  une  mort  immédiate. 

Je  fis  alors  fabriquer  une  autre  sonde,  tout  entière  métal- 
lique, formée  de  deux  pièces  réunies  en  à,  et  dont  la  figure  B 
donne  une  idée  suffisante.  J’eus  encore  des  échecs,  et  j’en 
arrivai  à une  disposition  figurée  en  C qui  m’a  donné  d’ex- 
cellents résultats,  et  qui,  comme  cela  arrive  souvent,  est  la 
plus  simple  de  toutes. 

L’expérience  se  fait  de  la  manière  suivante.  La  carotide  de 
l’animal  ayant  été  mise  à découvert  et  liée  à son  extrémité 
supérieure,  j’accroche  aux  parois  de  l’un  des  compartiments 
de  l’appareil  le  cadre  qui  supporte  le  chien.  L’opérateur 
entre  en  même  temps  dans  le  cylindre,  fait  passer  par  Lun 
des  trous  dont  la  paroi  est  criblée  à cet  endroit  à la  façon 
d’une  pomme  d’arrosoir  la  serre-fine  D,  dont  le  long  manche  d 


') 


du  sang  sous  diminution  de  pression. 


636 


EXPERIENCES. 


reste  à P extérieur.  Écartant  alors  les  deux  mors  de  la  serre- 
fine,  de  manière  à faire  sortir  les  petits  tenons  de  leurs  trous, 
il  fait  passer  la  carotide  dans  l’espace  d!\  d’où  elle  ne  peut 
plus  sortir,  grâce  aux  tenons;  le  levier  mobile  d , mû  du  de- 
hors par  le  manche  d , lui  permet  de  serrer  l’artère  aussi  bas 
que  possible.  Il  ouvre  alors  celle-ci,  y place  la  sonde  métal- 
lique, dont  il  fait  passer  l’extrémité  à travers  l’un  des  trous 
de  la  paroi.  On  y fixe  ensuite  le  caoutchouc  et  le  robinet. 

Les  cylindres  fermés,  la  dépression  obtenue,  lorsqu’on  veut 

tirer  du  sang,  on  dispose  les 
choses  comme  le  montre  la 
figure  50.  On  ouvre  la  serre- 
fine,  on  applique  la  seringue 
dont  le  piston  a été  surmonté 
d’une  couche  d’eau,  et  on  as- 
pire. Tous  les  raccords  étant 
noyés  dans  l’eau,  il  ne  peut 
arriver  d’accidents. 

Mais  après  l’extraction  il 
reste  dans  la  sonde  un  long 
caillot  qui,  le  plus  souvent, 
s’oppose  à une  extraction  nou- 
velle. C’est  pour  parer  à cet 

Fig.  30  - Extraction  du  sang  d’un  animal  placé  inconvénient  QUe  î avais  ima- 
sous  diminution  de  pression  : A artere;  1*  pa-  # ^ J 

roi  de  l’appareil;  S serre-fine;  a sonde  placée  giné  le  mandrin  de  la  sonde  A, 
dans  l’artère  ; s seringue  aspirant  le  sang  (son  . p i • i 

armature  inférieure  doit  plonger  tout  entière  qui  reloulait  le  sang  dans  1 a- 
dans  l’eau).  • i i , 

nimal;  seulement,  ainsi  que 
je  l’ai  dit,  je  ne  pouvais  être  sûr  de  l’oblitération.  Je  dois 
ajouter  que,  lorsque  les  extractions  n’étaient  pas  trop  éloi- 
gnées l’une  de  l’autre,  il  m’est  arrivé  de  pouvoir  aspirer 
d’un  coup  de  seringue  le  caillot  encore  diffluent.  D’autres 
fois,  immédiatement  après  avoir  tiré  du  sang,  j’injectais  dans 
la  sonde  un  peu  de  solution  de  carbonate  de  soude,  pour  em- 
pêcher la  coagulation. 

Je  tirais  ainsi,  comme  je  l’ai  dit,  à chaque  fois,  de  50  à 40cc 
de  sang.  J’attendais  que  la  dépression  fût  maintenue  pendant 
quelques  minutes  pour  faire  l'extraction.  Le  sang  de  la  près- 


GAZ  DU  SANG  : PRESSION  DIMINUEE. 


657 


sion  normale  était  quelquefois  pris  à l’avance;  mais  la  ten- 
dance à la  coagulation,  qui  résultait  de  cette  pratique,  a fait 
que  le  plus  souvent  je  l’ai  pris  au  retour.  J’avais  soin  alors 
d’attendre  un  temps  assez  long.  Le  récit  des  expériences  ainsi 
conduites  indiquera  du  reste  ces  détails. 

§2.  — Expériences. 

Expérience  CLXIII. — 22  juin.  Pression  76e, 4 ; temp.  25°.  Chien  de  grande 
taille,  auquel  on  a fait  la  veille  diverses  opérations  : ne  paraît  pas  malade. 

Tiré  à l’artère  fémorale  46ee  de  sang,  à la  pression  normale  ; sang  assez 


rouge A. 

Mis  dans  le  grand  appareil;  amené  en  une  demi-heure  à 45e  de  diminu- 
tion ; pression  réelle  51e, 4 ; après  10m,  tiré  à la  carotide  46ee,5  de  sang  ; 
sang  notablement  moins  rouge B. 

Le  sang  A (76e, 4)  contient,  pour  100  vol.  : O 18,8  ; CO2  59,7 
— B (51e, 4)  — — 12,0;  — 51,0 


lia  ainsi  disparu,  à 51e, 4 de  pression,  56,2  pour  100  de  l’oxygène  qui 
existait  à la  pression  normale,  et  21,9  de  l’acide  carbonique. 

Expérience  CLX1V.  — 24  juin.  Pression  76e;  temp.  21°.  Chien  de  grande 
taille. 

Pression  normale  : Tiré  à l’artère  fémorale’46cc  de  sang,  bien  rouge.  À. 

Amené  en  trois  quarts  d’heure  environ  à 54e  de  diminution  (22e  de  pres- 
sion). Tiré  à la  même  artère  40ce  de  sang,  très-noir B. 

Le  sang  A (76e)  contient,  pour  100  vol.  : O 21,5;  CO2  41,9 
— B (22e)  — — 10,7;  — 22,0 

11  a disparu  50  peur  100  de  l’oxygène,  et  47,5  de  l’acide  carbonique 
primitif. 

Expérience  CLXV.  — 28  juin.  Pression  76e;  temp.  21°, 8.  Chien  de  l’ex- 
périence précédente,  bien  remis,  vigoureux. 

En  liant,  par  les  préparatifs,  la  carotide  gauche,  la  fémorale  liée  trois 
jours  avant  s’ouvre,  et  le  sang  en  sort  : l’animal  perd  ainsi  environ  50te 
de  sang. 

Mis  ensuite  dans  l’appareil,  la  pression  est  amenée  en  5m  à 19e  de  dimi- 
nution (pression  réelle  57e);  elle  y demeure  pendant  une  demi-heure.  On 
tire  alors  à la  carotide  gauche  42ce,5  de  sang,  pas  très-rouge A. 

L’animal,  ramené  à la  pression  normale,  y respire  tranquillement  pen- 
dant une  heure.  On  lai  tire  alors  42cc,5  de  sang  à la  même  carotide  ; évi- 
demment, plus  rouge  que  le  précédent B. 

Le  sang  A (57e)  contient,  pour  100  vol.  : O 18,6;  CO2  55,4 
— B (76e)  — — 21,6;  —36,5 


658 


EXPERIENCES. 


Expérience  CLXVI.  — 4 juillet.  Pression  76e;  temp.  22°.  Chienne  de 
moyenne  taille. 

A 5h,  tiré  par  une  fémorale  45ee,5  de  sang  peu  rouge A. 

Mis  l’animal  dans  l’appareil  ; crie  et  s’agite  beaucoup  ; on  arrive  à 52e  de 
diminution  pour  redescendre  à 47e  et  remonter  à 50e,  le  tout  pendant  envi- 
ron un  quart  d’heure.  La  pression  réelle  est  26e.  On  tire  alors  45ee,l  de 
sang  très-noir,  à la  même  artère B. 

Le  sang  A (76e)  contient,  pour  100  vol.  : O 18,5;  CO2  52,8 
— B (26e)  — — 9,8  ; — 24,5 

Expérience  CLXVII.  — 6 juillet.  Pression  76e;  temp.  24°, 5.  Chienne  de 
l’expérience  précédente,  bien  portante. 

Mise  dans  le  grand  appareil;  amenée  en  un  quart  d’heure  à 44e  de  pres- 
sion réelle  ; s’agite  beaucoup  ; maintenue  à cette  pression  pendant  20in,  et 
on  tire  alors  à la  carotide  gauche  52ee,6  de  sang  assez  noir A. 

L’animal  étant  ramené  à la  pression  normale,  ce  qui  met  environ  5 mi- 
nutes, on  prend  aussitôt  à la  même  artère  42ce,5  d’un  sang  évidemment 
plus  rouge . : B. 

Le  sang  A (44e)  contient,  pour  100  vol.  : O 16,5;  CO2  25,5 
— B (76e)  — — 19,8;  —29,1 

Expérience  CLXYI1I.  — 8 juillet.  Pression  75e, 9;  temp.  25°.  Chien  de 
très-grande  taille. 

Mis  dans  l’appareil  ; a dans  la  carotide  gauche  une  sonde  neuve  du  mo- 
dèle A (fig.  29).  On  l’amène  en  un  quart  d’heure  à 20e  de  diminution,  et  on 
l’y  laisse  un  quart  d’heure.  On  tire  alors  59ee  de  sang,  avec  difficulté.  A. 

On  pousse  le  chien  à 50e  de  diminution,  et  on  essaie  d’extraire  le  sang; 
mais  cela  est  impossible,  la  sonde  est  tordue. 

Ramené  à la  pression  normale,  le  chien  continue  à crier  et  à respirer 
très-vite  et  très-bruyamment,  comme  depuis  qu’on  a tiré  le  sang  A.  On 
prend  alors  48ce  d’un  sang  très-rouge B. 

L’animal,  délié,  est  incapable  démarcher;  il  n’est  paralysé  d’aucun 
membre,  et  ne  peut  cependant  se  tenir  sur  ses  quatre  pattes. 

Le  lendemain,  même  état,  sauf  que  la  respiration  est  calme. 

Il  meurt  au  bout  de  quelques  jours,  ayant  toujours  été  somnolent  et  in- 
capable de  marcher.  On  trouve  à l’autopsie  un  ramollissement  gris.  Il  est 
évidemment  entré  dans  l’appareil  circulatoire  des  bulles  dont  quelques- 
unes  ont  pénétré  dans  les  centres  nerveux  et  intercepté  la  circulation. 

Le  sang  A (56e)  contient,  pour  100  vol.  : O 20,9;  CO2  55,5 
— B (76e)  — — 26,4;  — 22,7 

Je  ne  ferai  pas  entrer  dans  la  discussion  générale  des  expé- 
riences le  curieux  résultat  qui  précède;  mais  j’ai  cru  ne  pas 
devoir  l’omettre.  J’appelle  l’attention  du  lecteur  sur  le  ramol- 
lissement cérébral  localisé  dû  à la  pénétration  de  l’air* 


GAZ  DU  SANG  : PRESSION  DIMINUEE. 


639 


Expérience  GLXIX. — 50  avril.  Pression  77e;  température  16°.  Chien  pe- 
sant llk, 5. 

A 4h  25m,  mis  dans  l’appareil,  et  amené  en  10m  à 56e  de  pression  réelle. 
A 4h  45m,  tiré  46cc  d’un  sang  très-noir,  à la  carotide  droite A. 

5h  : Ramené  à pression  normale;  à 5h  5m,  tiré  sang 46cc,  très-rouge.  B. 

Le  sang  A (36e)  contient,  pour  100  vol.  : O 11,9;  CO2  25,2 
— B (77e)  — — 20,6;— 59,0 

Expérience  CLXX.  — 1er  mai.  Pression  76e;  temp.  16°.  Chien  de  l’expé- 
rience précédente,  bien  remis. 

4h  15m.  Tiré  à la  carotide  gauche  41 cc  ; respiration  60,  par  minute.  A. 

4h  30m.  Mis  dans  le  grand  récipient;  à 4h  45m,  55e  de  diminution  ; laissé 
rentrer  air  jusqu’à  30e  (pression  46e).  A 4h  45m,  tiré  58ee  de  sang.  . B. 

Amené  à 56e  de  pression  réelle  ; à 5h  15m,  100  respirations  ; tiré  41 ee  de 
sang C. 

Ramené  lentement  à la  pression  normale;  à 6h  20,  60  respirations  ; tiré 
41ee  de  sang • D. 

Le  sang  A (76e)  contient,  pour  100  vol.  : O 21,9;  CO2  54,7 


B (46e)  — 

— 

20,5; 

— 30,5 

C (56e)  — 

— 

21 ,1  ; 

- 34,7 

D (76e) 

— 

21,1; 

— 35,2 

La  moyenne  entre  A et  D est  O 21 ,5;  CO2  34,9. 

Expérience  CLXXI.  — 3 mai.  Pression  76e.  Chien  jeune,  très-vif,  pe- 
sant 4 kilog.  Carotide  droite. 

4h  32m.  Mis  dans  le  récipient;  à 4h  45,n,  45e  de  diminution;  24  respira 
tions  scindées  en  périodes  de  3 ou  4 moyennes  et  1 très-ample  ; puis  repos. 

41'  58ra.  La  dépression  a oscillé  entre  44e  et  47e  ; elle  est  actuellement  de 
45e  : 31e  de  pression  réelle.  Tiré  41 cc  de  sang,  plus  noir  que  du  sang  vei- 
neux ordinaire A. 

Ramené  lentement  à la  pression  normale. 

A 5h  7h,  est  à 25e  : 16  respirations  avec  même  type.  A 5h  13m,  pression 
normale;  tiré  41ee  de  sang,  perdu  ; à 6h  20m,  16  respirations,  même  type  ; 
tiré  41ce  de  sang  couleur  ordinaire B. 

Le  sang  A (51e)  contient,  pour  100  vol.  : O 15,6;  CO2  36,5 
_ B (76e)  — — 19,4;  — 48,4 

Expérience  CLXXII.  — 7 mai;  pression  75e;  temp.  18°.  Chienne  pesant 
11  kilog. 

3h  12,n.  Mise  dans  récipient;  à 5h  25m,  40e  de  diminution. 

A 5h  45m,  maintenue  à 59e  de  diminution  (36e  de  pression  réelle)  ; 21 
à 24  respirations;  tiré  41ee  de  sang  très-noir.  A. 

5h  50m,  amenée  à 46e  de  pression,  et  maintenue.  A 4h  5m*  tiré  41ee  de' 
sang,  moins  noir  : 18  à 21  respirations.  ; . . ; , . , . B, 

Ramenée  à la  pression  normale,  qui  est  obtenue  à 4h  15“;  à 4h  55m, 
50  respirations  ; à 5*%  tiré  41ee  de  sang*  pas  très-rouge;  C. 


640 


EXPÉRIENCES. 


Cette  chienne  a présenté,  avant  qu’on  tire  le  sang,  et  après  qu’on  l’a  dé- 
tachée, de  singulières  convulsions  toniques  et  cloniques,  avec  insensibilité 
cornéale  et  cris  ; la  deuxième  crise  a été  très-forte,  a duré  au  moins  15  mi- 
nutes, et  a été  suivie  d’un  état  de  stupeur,  avec  petits  cris  plaintifs  : hys- 
térie? épilepsie? 

Le  sang  A (56e)  contient,  pour  1 00  vol.  : O 8,9  ; CO2  54,5 

_ B (46e)  — — 15,2;  — 40,7 

— C (76e)  — — 20,1;  — 41,1 

Expérience  CLXXIII.  — 8 mai.  Pression  75e, 5;  temp.  17°.  Petit  chien, 

pesant  5 kilog. 

A 4h,  tiré  à la  carotide  droite  55ce  de  sang  bien  rouge A 

A 4h  28m,  mis  dans  récipient.  A 4h  55,n,  54e  de  diminution  : 15  respira- 
tions, amples  ; à 4h  50U1,  50e  de  diminution  ; 20  respirations,  plus  petites.  A 
5h  5m,  toujours  50e  de  diminution;  18  respirations  ; tiré  55ec  de  sang,  très- 
noir B. 

Le  sang  A (75e, 5)  contient,  pour  100  vol.  : O 22,6;  CO2  59,7 

— B (25c,5)  — — 9,8;  — 25,1 

Expérience  CLXXIV.  — 9 mai.  Pression  75e, 5;  temp.  16°, 5.  Chien  de 
l’expérience  CLXX1,  encore  un  peu  malade.  Carotide  gauche. 

A 5h  50m,  tiré  27ec,5  de  sang A. 

A 5h  50m,  mis  dans  récipient;  à 4h  5‘u,  la  pression  est  à 56e  ; à 4h  18in 
idem;  55  respirations,  moyennes.  Tiré  41ec  de  sang  très-noir  ....  B. 

Le  sang  A (75e, 5)  contient,  pour  100  vol.  : O 15,5;  CO2  54,9 

— B (56e)  — — 8,5;  — 21,4 

Expérience  CLXXY.  — 15  mai.  Pression  76e;  temp.  17°.  Chienne  grasse 
et  forte,  ayant  mangé  à midi. 

A 5h  10m,  tiré  54ee,5  de  sang  à la  carotide  droite  ; animal  tranquille.  A. 

A 5h  20m,  mise  dans  l’appareil,  crie,  s’agite;  à 5h  25m,  56e de  pression.  A 
5h  55m,  pression  entretenue;  tiré  54e,  5 de  sang,  animal  tranquille,  50  res- 
pirations; mais  s’est  beaucoup  agité B. 

A 5h  40m,  50e  de  diminution;  à 5h  55m,  idem.  ; tiré  54ec,5  de  sang;  ani- 
mal tranquille,  mais  s’est  agité C. 

A 4\  dépression  de  40e;  même  état  de  l’animal;  tiré  54ee,5  de  sang, 
noir D, 

Le  sang  A (76e)  contient,  pour  100  vol.  : O 17,4  ; CO2  55,8 
— B (56e)  — — 15,5;  — 28,0 

— C (46e)  — — 12,5;  — 26,4 

_ D (56e)  — — 10,8  ; — 22,8 

Expérience  CLXXVL  — 22  mai.  76e  pression.  Chien  de  moyenne  taille, 
ayant  mangé  à midi.  Carotide  droite. 

A la  pression  normale,  15  respirations. 

5h  55m.  Mis  dans  appareil. 

A 4h  5m,  40e  de  diminution,  maintenue. 


GAZ  DU  SANG  : PRESSION  DIMINUÉE. 


641 


A 4h  7m,  15  respirations,  un  peu  irrégulières. 

4h  25m,  id.  ; tiré  55e, 5 de  sang,  très-noir , . A. 

Laissé  rentrer  air  à 4h  55m;  20e  de  diminution. 

A 4h  50m,  tiré  55c5,  de  sang,  plus  rouge  que  A B. 

A 4h  55m,  pression  normale. 

A 5h  25m,  tiré  55e, 5 de  sang,  assez  rouge G. 

Le  sang  A (56e)  contient,  pour  100  vol.  : O 9,6  ; CO2  55,9 

— B (56e)  — — 12,4;  — 55,0 

— G (76e)  — — 16,9;  — 45,7 


Expérience  CLXXVIL  — 21  juin.  Chienne  de  taille  moyenne,  n’ayant 
jamais  servi.  Sonde  dans  l’artère  carotide  droite. 

A4h  15,u,  commencé  la  diminution  de  pression. 

A 4h  45m,  54e  de  diminution  ; agitation  vive,  depuis  le  début. 

A 5h  15m,  56e, 5;  120  respirations. 

A 5h  50m,  57e, 5;  je  tire  50cc  de  sang,  très-noir A. 

On  laisse  rentrer  l’air  jusqu’à  56e  seulement  de  diminution;  puis,  on  re- 
prend la  décompression. 

A 6h  8m,  50e  de  diminution;  je  tire  55ee  de  sang,  très-noir B. 

A 6h  20m,  56e;  40ec  de  sang,  très-noir  également C. 

6h  20m.  Laissé  rentrer  l’air  ; la  pression  normale  est  rétablie  à 6h  55m. 
A 7h  10m,  tiré  57ee  de  sang,  assez  rouge D. 

Le  sang  A (19e)  contient,  pour  100  vol.  : O 4,9 
— B (26e)  — — 6,5 

— C (21e)  — — * 4,5 

— D (76e)  — — 14,8;  GO2  22,1 

Expérience  CLXXVIIL  — 5 juillet.  Chien  n’ayant  jamais  servi,  pesant 
11  kilog  ; 

A 2h50in,  je  tire  à la  carotide  droite  55ce  d’un  sang  médiocrement  rouge  ; 

l’animal  criait  et  s’agitait A. 

A 2h  40m,  commencé  la  décompression. 

A 5h,  55e  de  décompression. 

A 5h  llm,  57e  de  décompression;  tiré  55ee  de  sang,  très-noir.  . . B. 
Laissé  rentrer  air. 

Le  sang  A (76e, 5)  contient,  pour  100  vol.  : 19,2  d’oxygène. 

— B (19e, 5)  — — 4,2  — 

Expérience  CLXXIX.  — 5 juillet;  76e, 5.  Chien  pesant  10  kilog. 

Tiré  à la  carotide  droite  55ee  d'e  sang  bien  rouge  ; a 58  respirations,  avec 

petits  cris A. 

5h  25m.  Mis  dans  l’appareil. 

A 5h  45m,  pression  50e, 5;  s’agite,  crie.  A 5h  55m,  pression  24e, 5 ; la  ma- 
chine à gaz  s’arrête. 

A 4h  5m,  pression  58e;  on  relance  la  machine;  26  respirations,  tran- 
quille. 


41 


I 


642  EXPÉRIENCES. 

A 4h  12m,  2GC,5;  60  respirations,  singultueuses;  à 4h  26ra,  19e, 5 ; 74 
respirations,  singultueuses. 

A 4h  50  m,  pression  18e  ; tiré  55cc  d’un  sang  très-noir B. 

A 4h  42m,  pression  17e;  80  respirations;  tiré  55ec  d’un  sang  très- 
noir G. 

Ouvert  le  robinet  ; à 4h  55m,  la  pression  est  remontée  â 26e;  on  l’v  main- 
tient, et  à 5h  1 0m  on  tire  35ccd’un  sang  noir D. 

A 5h  15m,  revenu  à la  pression  normale. 

A 6h  pris  55cc  de  sang,  très-rouge.  E. 


Le  sang  A 

(76e)  contient,  pour  100  vol.  : 

0 20,8  ; 

GO2  46,1 

— B 

(18e)  — 

7,0; 

— 12,9 

— G 

(17e)  — — 

74; 

— 11,9 

— D 

(26e)  — — 

9,2; 

- 15,7 

- E 

(76e)  — — 

20,8; 

— 40,5 

Lorsque,  après  avoir  suivi  les  expériences  qui  précèdent,  on 
jette  les  yeux  sur  le  tableau  X qui  les  résume  et  dans  lequel 
elles  sont  rangées  suivant  l’ordre  des  dépressions,  Lun  des 
premiers  faits  qui  appellent  l’attention  est  la  variation  remar- 
quable que  présentent  les  chiffres  des  colonnes  5 et  4,  qui 
expriment  les  quantités  des  gaz  oxygène  et  acide  carbonique 
contenus,  à la  pression  normale,  dans  1ÛQCC  de  sang.  Les  va- 
riations pour  l’oxygène  ont  été  (en  laissant  de  côté  l’expé- 
rience CLXXiV  pour  des  motifs  que  j’indiquerai  tout  à l’heure) 
de  16,9  à 22,6;  celles  de  l’acide  carbonique,  de  29,1  à 48,4. 
11  convient  de  faire  remarquer  qu’il  n’y  a aucune  espèce  de 
rapport,  ni  direct,  ni  inverse,  entre  les  augmentations  ou  les 
diminutions  de  ces  deux  gaz,  en  telle  sorte  que  les  variations 
du  total  (col.  5),  qui  ont  été  de  48,2  à 67,8,  ne  sont  l’expres- 
sion d’aucune  loi  distincte. 

On  chercherait  vainement,  dans  les  détails  des  expériences, 
l’explication  de  ces  variations.  Tous  mes  chiens  étaient  en 
bonne  santé,  nourris  de  la  môme  manière  et  ayant  mangé 
depuis  le  meme  temps;  j’avais  soin,  ainsi  que  je  l’ai  dit,  de 
leur  tirer  du  sang  pendant  une  période  de  tranquillité  : ils 
étaient,  en  un  mot,  aussi  comparables  que  possible.  Je  suis 
donc  porté  à croire  que  ces  résultats  concordent  avec  l’état 
réel  des  choses  et  qu’ainsi,  d’un  individu  à un  autre,  toutes 
circonstances  étant  cependant  égales,  il  y a des  différences 
importantes  dans  la  richesse  en  oxygène  du  sang  artériel.  Ces 


TABLEAU  X. 


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NUMÉROS 

DES 

EXPÉRIENCES 

CLXV 

CLXX 

CLXXV 

CLXXVI 

CLXX 

CLXXII 
CLXX  Y 

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CLXIX 

CLXXI 

CLXXIV 

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644 


EXPERIENCES. 


variations  sont,  du  reste,  tout  aussi  évidentes  dans  les  ta- 
bleaux d’analyses  publiés  par  d’autres  auteurs;  ce  serait  un 
véritable  leurre  que  de  s’en  débarrasser  en  en  tirant  une 
moyenne  quelconque. 

Dans  mes  expériences,  une  seule  des  différences  constatées 
s’explique  par  l’état  de  l’animal,  c’est  celle  de  l’expérience 
CLXXIV.  Il  s’agit  ici  d’un  chien  de  petite  taille  (4  kil .) , auquel 
cinq  jours  avant  j’avais  tiré  1 10cc  de  sang  artériel,  c’est-à-dire 
à peu  près  la  moitié  de  ce  qu’il  aurait  fallu  enlever  pour  le  tuer 
de  suite,  qui  était  resté  malade  et  mangeant  peu  depuis  ce 
temps.  Dans  la  première  expérience,  son  sang  avait  donné 
19,4  d’oxygène  et  48,4  d’acide  carbonique;  dans  la  seconde, 
il  n’y  avait  plus  que  15,5  d’oxygène  et  54,9  d’acide  carbo- 
nique : les  deux  gaz  avaient  ainsi  considérablement  di- 
minué. 

Les  variations  de  l’acide  carbonique  sont,  comme  nous 
l’avons  dit  tout  à l’heure,  considérablement  plus  étendues 
que  celles  de  l’oxygène,  mais  ne  s’expliquent  pas  mieux  : il 
y a là  un  ensemble  de  problèmes  analogues  à ceux  que  nous 
avons,  MM.  Mathieu'  et  Urbain  et  moi,  déjà  étudiés,  et  qui 
nécessiterait  des  expériences  extrêmement  nombreuses. 

En  arrivant  maintenant  au  point  qui  doit  ici  nous  occuper 
spécialement,  un  simple  coup  d’œil  jeté  sur  les  chiffres  des 
colonnes  8 et  9 du  tableau  X,  comparés  aux  chiffres  correspon- 
dants des  colonnes  5 et  4,  nous  montre  que  dans  tous  les 
cas,  sous  pression  diminuée,  l’oxygène  et  l’acide  carbonique 
ont  diminué  dans  le  sang  artériel.  Il  n’y  a pas  eu  d’exception 
à cet  égard. 

C’est  ce  qu’expriment  d’une  manière  bien  nette  dans  la  fi- 
gure 51  les  tracés  composés  de  traits  réunissant  de  petits  cer- 
cles O’- — -o* — Dans  ce  graphique,  les  quantités  de  gaz  sont 

mesurées  sur  l’axe  des  y et  les  pressions  sur  celui  des  x;  les 
points  en  ont  été  déterminés  par  la  convention  suivante  : 

J’ai  pris  les  chiffres  qui  expriment  les  moyennes  et  sont 
placés  au  bas  du  tableauX.  J’ai  supposé  que  la  valeur  initiale, 
à la  pression  normale,  de  l’oxygène  (col.  5),  était  toujours 20, 
et  que  celle  de  l’acide  carbonique  (col.  4)  était  toujours  40. 


GAZ  DU  SANG  : PRESSION  DIMINUÉE. 


645 


Alors  les  valeurs  aux  diverses  pressions  (col.  8 et  9)  ont  été 
modifiées  en  vertu  d’opérations  analogues  à celles-ci  : 

„ . ..  . ...  { 0.  . 19. 3 (col.  3)  : 20  = 16,9  (col.  8)  : x = 17,5 

Moyenne  des  expériences  de  1 a 4.  j CQ2>  37'7  ^ 4j . 40  = 35)2  l(col.  9):Xs=  35>2 


Fig.  51.  — Diminution  des  quantités  d’O.  et  de  CO"2  contenues  dans  le  sang  artériel, 

quand  la  pression  barométrique  diminue. 

En  même  temps,  à chaque  pression,  j’ai  fait  le  même  cal- 


646 


EXPÉRIENCES. 


cul,  non  plus  pour  les  moyennes,  mais  pour  les  valeurs  extrê- 
mes des  modifications,  et  j’ai  obtenu  ainsi  les  points  mar- 
qués par  des  petits  cercles  isolés  qui  accompagnent  les  deux 
courbes  représentatives  des  moyennes. 

Les  mêmes  faits  sont  exprimés  sous  une  forme  différente, 
plus  simple  peut-être,  par  les  colonnes  12,  15,  14  et  15.  Les 
colonnes  12  et  15  indiquent  la  quantité  absolue  des  gaz  qui 
ont  disparu.  Les  colonnes  14  et  15,  plus  instructives,  expri- 
ment la  proportion  disparue  et  non  plus  la  quantité  absolue. 
Elles  ont  été  obtenues  par  des  opérations  analogues  à celles-ci  : 

„ , . ,10....  21,6  (col.  5)  : 3,0  (col.  12)  = 100  : x = 13,8  (col.  14) 

Expérience  n°  1.  j CQ2>  . . 36>5  (col>  4j  . 0,9  (col.  15)  = 100  : x = 2,5  (col.  15) 

Examinant  d’abord  la  colonne  8,  nous  voyons  que  la  quan- 
tité d’oxygène  contenue  dans  le  sang  artériel  a pu,  à des 
pressions  de  50  ou  40e,  s’abaisser  à 9CC  pour  100cc  de  sang; 
c’est-à-dire  qu’à  ce  moment  le  sang  artériel  était  notablement 
moins  riche  en  oxygène  que  du  sang  veineux  ordinaire. 

La  diminution  de  l’acide  carbonique  a été  également  (col.  9) 
très-considérable;  les  chiffres  exprimant  la  proportion  de  ce 
gaz  se  sont,  en  effet,  abaissés  presque  jusqu’à  20cc  pour  100cc 
de  sang.  Nous  reviendrons  plus  loin  sur  les  conséquences  de 
ces  faits. 

En  comparant  les  expériences  faites  à une  même  diminu- 
tion de  pression,  nous  trouvons  que  la  désoxygénation  et  la 
décarbonisation  ont  singulièrement  varié.  C’est  ainsi  que  les 
chiffres  les  plus  faibles  des  colonnes  8 et  9 se  trouvent  non 
point  à la  lin,  mais  vers  le  milieu  du  tableau.  Les  consé- 
quences de  ce  fait  sont  encore  plus  évidentes  dans  les  co- 
lonnes 14  et  15;  on  y voit  que,  par  exemple,  à 56e  de  pres- 
sion, c’est-à-dire  à environ  une  demi-atmosphère,  le  sang 
artériel  a perdu,  dans  les  diverses  expériences,  de  56,1  à 
55,6  pour  100  de  son  oxygène,  et  de  16,8  à 58,6  de  son  acide 
carbonique. 

Il  est  difficile  d’expliquer  ces  différences  par  les  diverses 
manières  d’être  des  animaux  observées  pendant  la  diminution 
de  pression.  Cet  élément  peut  avoir  de  l’importance;  mais 


647 


GAZ  DU  SANG  : PRESSION  DIMINUÉE. 

il  ne  doit  pas  être  le  seul,  et  très-vraisemblablement  des 
animaux  ayant  la  même  manière  d’être  doivent  différer  quant 
au  résultat,  pour  une  même  dépression,  et  perdre  plus  ou 
moins  d’oxygène  ou  plus  ou  moins  d’acide  carbonique  les  uns 
que  les  autres.  Ceci  a des  conséquences  pratiques  intéres- 
santes sur  lesquelles  nous  insisterons  en  leur  lieu. 

En  laissant  de  côté  ces  différences  individuelles,  encore 
plus  difficiles  à étudier  ici  que  dans  le  cas  de  la  pression 
normale,  et  en  les  faisant  disparaître  dans  des  moyennes, 
nous  voyons  (col.  14)  que,  en  moyenne,  le  sang  artériel  à la 
pression  de  56e  contient  13,6  pour  100  d’oxygène  de  moins 
qu’à  la  pression  normale;  qu’à  46e,  il  en  contient  21,1  p.  100 
de  moins  ; à 56e,  43  pour  100,  et  à 26e,  50,7  pour  100.  Ainsi, 
à 26e,  en  moyenne,  la  moitié  de  l’oxygène  du  sang  a dis- 
paru. Ces  chiffres  montrent  que  la  diminution  de  ce  gaz 
est  loin  de  suivre  la  loi  de  Dalton,  qui  donnerait,  pour  les 
mêmes  dépressions,  des  pertes  de  26,3;  59,4;  52,6;  65,8 
pour  100. 

Les  pertes  de  l’acide  carbonique  (col.  15)  pour  les  mêmes 
dépressions,  en  moyenne,  sont  de  10,9;  14,0;  29,2;  38,2 
pour  100  du  gaz  existant  à la  pression  normale;  cela  est  en- 
core plus  loin,  comme  on  le  voit,  de  la  loi  de  Dalton. 

Ces  chiffres  montrent  même  que  la  perte  moyenne  en 
acide  carbonique  est  moindre  que  celle  en  oxygène.  La  plus 
forte  proportion  de  perte,  pour  le  premier  gaz  (col.  15),  a été 
de  41,8  pour  100;  pour  le  second,  nous  avons  eu  (col.  14)  deux 
fois  55,6.  Dans  uncas(exp.  CLXXII),  à 46e de  pression,  la  quan- 
tité d’acide  carbonique  était  presque  restée  la  même  qu’à  la 
pression  normale.  Ces  résultats  se  traduisent  sous  une  autre 
forme  dans  les  colonnes  6 et  11,  indiquant  la  proportion  de 
l’acide  carbonique  et  de  l’oxygène  sous  les  diverses  pressions. 
On  voit  qu’à  la  pression  normale,  ce  rapport  a oscillé  de  1,5 
à 2,7,  avec  une  moyenne  de  1,9,  tandis  qu’aux  faibles  pres- 
sions, il  a oscillé  de  1,5  à 3,8,  avec  une  moyenne  de  2,3. 
Dans  presque  tous  les  cas,  le  chiffre  de  la  colonne  II  est  plus 
fort  que  celui  qui  lui  correspond  dans  la  colonne  6,  que 
celui-ci  soit  faible  ou  fort  : les  exceptions  (exp.  CLXXV,  CLXX, 


648 


EXPERIENCES. 


CLXV11,  CLXXIV)  se  rapportent  à des  cas  où  le  sang  à la  pres- 
sion normale  contenait  des  quantités  d’acide  carbonique 
assez  faibles,  allant  de  29,1  à 55ec. 

Ces  faits  peuvent  être  exprimés  d’une  manière  plus  précise 
par  la  formule  suivante: 

La  combinaison  de  l’oxygène  avec  l’hémoglobine  est  sus- 
ceptible de  se  détruire  partiellement,  de  se  dissocier,  à de  fai- 
bles diminutions  de  pression  ; cette  dissociation  est  évidente 
dès  20e  de  diminution  (pression  de  56e).  Elle  va  en  augmentant 
quand  la  dépression  augmente.  De  10  en  10e,  nous  trouvons 
en  moyenne  : de  56  à 46e,  une  perte  de  7,5  pour  100;  de  46 
à 56e,  une  perte  de  21,9  pour  100  ; de  56  à 26e,  une  perte  de 
7,7  pour  100.  La  perte  la  plus  considérable  se  fait  donc  aux 
environs  d’une  demi-atmosphère. 

Le  tracé  Ox  de  la  figure  52  donne  au  premier  coup  d’œil  la 
marche  de  cet  appauvrissement  graduel  en  oxygène;  sur  l’axe 

horizontal  sont 
comptées  les  pres- 
sions, et  sur  l’axe 
vertical  les  propor- 
tions centésimales 
des  gaz  disparus 
(col.  14  et  15  du 
tableau  X). 

Quant  à l’acide 
carbonique,  il  se 
conduit  à peu  près 
de  même  ; seule- 
ment, sa  diminu- 
tion est  toujours 
moindre  que  celle 
de  l’oxygène  : tout  ceci  se  voit  aisément  sur  le  tracé  CO2. 

Le  graphique  montre  encore  que  la  diminution  des  gaz  ne 
se  fait  pas  suivant  la  loi  de  Dalton  (qui  serait  représentée  par 
la  bissectrice  de  l’angle  des  coordonnées).  C’est  l’acide  carbo- 
nique qui  s’en  éloigne  le  plus.  Cependant  il  faut  dire  que 
l’écart  n’est  pas  très  considérable,  pour  l’un  ni  l’autre  gaz. 


Fig.  52.  — Diminution  centésimale  de  l’O.  et  du  CO2  du  san< 
artériel  quand  la  pression  barométrique  diminue. 


GAZ  DU  SANG  : PRESSION  DIMINUEE. 


649 


Cela  est  fort  remarquable  si  on  se  reporte  aux  opinions 
qui  ont  cours  sur  l’état  dans  lequel  se  trouvent  les  gaz  dans 
le  sang,  d’après  les  recherches  de  M.  Fernet,  aujourd’hui 
classiques  (voir  plus  haut,  p.  260).  D’abord,  l’oxygène,  uni 
chimiquement  aux  globules,  ne  serait  pas  modifiable,  quant 
à sa  proportion,  par  la  pression  diminuée  (ou  augmentée)  ; 
or,  il  en  va  tout  autrement,  puisque  l’appauvrissement  en 
oxygène  est  des  plus  manifestes,  et  se  rapproche  notable- 
ment de  ce  que  commanderait  la  loi  qui  régit  les  simples 
dissolutions. 

La  difficulté  se  présente  sous  un  aspect  inverse  lorsque  l’on 
considère  l’acide  carbonique.  Les  expériences  de  M.  Fernet  ont 
fait  prédominer  cette  manière  de  voir,  que  l’acide  carbonique 
du  sang  est  pour  la  plus  grande  partie  (0,964)  à l’état  de 
simple  dissolution  dans  le  liquide,  et  qu’une  proportion  rela- 
tivement faible  (0,597)  s’y  trouve  seule  à l’état  de  combinai- 
son. Or,  ce  que  nous  venons  de  dire  rend  peu  probable  cette 
interprétation  des  expériences  de  M.  Fernet.  Si  la  plus  grande 
partie  de  l’acide  carbonique  était  dissoute,  la  sortie  de  l’a- 
cide carbonique  s’exécuterait  plus  facilement  et  plus  réguliè- 
rement sous  l’influence  de  la  dépression,  et  le  tracé  CO2  se 
rapprocherait  davantage  de  la  bissectrice.  Nous  trouverons, 
du  reste,  dans  une  autre  partie  de  ce  travail,  d’autres  raisons 
de  penser  que  l’acide  carbonique  du  sang  artériel  est,  pour  la 
plus  forte  proportion,  combiné  aux  carbonates  et  aux  phos- 
phates, et  qu’il  n’en  existe  qu’une  très-faible  partie  à l’état 
dissous.  Seulement  ces  combinaisons  se  dissocient  aisément 
sous  l’influence  de  la  diminution  de  pression. 

Ces  contradictions  avec  les  conclusions  de  M.  Fernet  n’im- 
pliquent nullement  une  critique  de  son  important  travail.  Car 
il  faut  faire  remarquer  que  les  expériences  de  ce  physicien 
ont  été  faites  in  vitro , et  à basse  température,  tandis  que  les 
miennes  ont  eu  pour  appareil  instrumental  l’animal  vivant 
lui-même.  La  présence  des  tissus,  la  consommation  inces- 
sante de  l’oxygène,  la  multiplicité  des  surfaces  de  contact  du 
sang  et  de  l’air,  les  mouvements  circulatoires,  la  formation 
probable  pendant  l’absorption  d’oxygène  de  substances  capa- 


650 


EXPERIENCES. 


blés  d’agir  sur  l’élimination  de  l’acide  carbonique,  la  tempé- 
rature élevée  du  corps  vivant,  sont  des  conditions  qui  exi- 
staient dans  un  cas  et  non  dans  l’autre.  Sans  parler  des  élé- 
ments encore  absolument  inconnus  du  problème  complexe 
de  la  respiration,  en  voilà  assez  pour  faire  comprendre  plutôt 
que  pour  expliquer  les  différences  de  nos  résultats. 

J’ai  voulu,  du  reste,  faire  moi-même  des  expériences  in 
vitro , dans  lesquelles  j’opérerais  des  changements  de  pres- 
sion beaucoup  plus  considérables  que  ceux  obtenus  par 
M.  Fernet.  Le  récit  de  ces  expériences  formera  le  sous-cha- 
pitre  Y du  présent  chapitre. 

Le  lecteur  a pu  remarquer  que  je  n’ai  étudié  la  composition 
des  gaz  du  sang  qu’à  partir  de  56e.  Entre  56e  et  76e,  je  n’ai 
cru  devoir  rendre  compte  d’aucune  de  mes  expériences.  C’est 
qu’ici  la  valeur  des  modifications  que  l’on  rencontre  est  pré- 
cisément de  l’ordre  des  erreurs  d’analyses.  11  faudrait  donc, 
pour  pouvoir  conclure  quelque  chose,  faire  un  nombre  con- 
sidérable d’expériences,  et  en  tirer  une  moyenne  qui  ex- 
primerait le  sens,  sinon  la  valeur  réelle  de  la  modification. 
Or  ce  sens  me  paraît  suffisamment  déterminé  parce  que  nous 
savons  jusqu’ici.  La  diminution  de  l’oxygène  et  de  l’acide 
carbonique  du  sang,  évidente  et  constante  à 56e,  bien  que 
très-variable  quant  à sa  valeur,  commence,  à coup  sûr,  nota- 
blement plus  tôt,  mais  à des  niveaux  barométriques  et  avec 
une  intensité  qui  doivent  varier  d’un  animal  à l’autre,  ou 
chez  le  même  animal  suivant  diverses  circonstances.  < 

D’autre  part,  toutes  les  expériences  montrent  que  l’oxygène 
sort  toujours  en  proportion  plus  grande  que  l’acide  carboni- 
que. Cela  doit  suffire  pour  nous  faire  penser  que  cette  règle 
s’étend  à la  période  comprise  dans  les  20  premiers  cen- 
timètres de  diminution  de  pression,  période  qui  présente 
cette  importance  toute  spéciale  d’être  celle  à l’influence  de 
laquelle  sont  soumis  le  plus  grand  nombre  des  habitants 
des  hauts  lieux. 

Si  notre  tableau  d’expériences  montre  que  nous  n’avons 
pas  commencé  dès  le  début  des  dépressions,  il  montre  égale- 


/ 


GAZ  DU  SANG  : PRESSION  DIMINUÉE.  651 

ment  que  nous  ne  sommes  pas  allés  jusqu’au  bout,  c’est-à- 
dire  jusqu’à  la  diminution  de  pression  qui  devient  incom- 
patible avec  la  vie  des  animaux.  C’est  que  mes  appareils  ne 
m’ont  pas  permis  de  le  faire,  les  fuites  impossibles  à éviter 
dans  d’aussi  vastes  récipients  arrêtant,  comme  je  l’ai  dit,  à 
17e  la  diminution  de  pression. 

J’ai  tâché  de  combler  cette  lacune  par  un  moyen  détourné. 
Je  mettais  un  chien  sous  une  grande  cloche  de  verre,  et  l’v 
faisais  périr  par  diminution  de  pression.  Puis,  le  retirant  aussi 
rapidement  que  possible,  je  prenais  du  sang  dans  son  cœur 
gauche  à l’aide  d’une  sonde. 

Voici  deux  expériences  ainsi  conduites  : 

Expérience  CLXXX.  — 15  mai.  Chien  pesant  5 kilog.  ; cloche  de  51  li- 
tres. Carotide  gauche  mise  à découvert  à l’avance. 

Mis  à 5h40,n  sous  la  cloche,  et  commencé  la  diminution  de  pression  en 
entretenant  un  courant  d’air. 

A 5h47m,  pression  45e;  s’est  agité,  mais  reste  maintenant  tranquille. 

A 5h50m,  45e;  17  respirations,  larges;  reste  immobile  ; tremble. 

A 5h55m,  35e;  17  respirations;  immobile,  la  tête  basse  ; à 5h55m,  12  res- 
pirations. 

A 5h58m,  pression  25e;  à 6h,  22  respirations  ; immobile. 

A 6h  5m,  16  respirations  ; amené  la  pression  à 15e.  6h  7m  : ne  peut  plus 
se  tenir  comme  il  l’a  fait  jusqu’ici  à demi-assis;  se  couche,  le  nez  appuyé 
pour  soutenir  la  tête;  fait  par  minute  28  énormes  respirations.  On  main- 
tient la  pression  à 15e. 

A6h10m,  59  respirations  moins  amples. 

A 6h15m,  55e;  à 6h15m,  44  : sortie  de  matières  fécales,  sans  effort  appa- 
rent ; à 6h  19m,  40  respirations. 

A 6h  20m,  je  ferme  le  robinet  d’appel  ; la  pression  s’abaisse  aussitôt  à 7e. 
Le  chien  se  soulève  sur  les  quatre  pattes,  se  raidit  violemment,  bien  qu’a- 
vec une  lenteur  régulière,  cesse  de  respirer,  et  s’affaisse,  mort. 

Je  laisse  rentrer  l’air  : l’animal  se  dégonfle  beaucoup.  Retiré,  fait  deux 
ou  trois  petites  inspirations  pendant  qu’on  introduit  la  sonde  dans  le  cœur 
gauche.  Le  cœur  bal  encore  un  peu  ; on  tire  avec  beaucoup  de  peine  52ee 
d’un  sang  très-noir. 

Les  poumons  sont,  par  larges  places,  rouges,  allant  au  fond  de  l’eau,  mais 
se  déplissant  parfaitement  par  l’insufflation.  Il  y a là  une  sorte  d’état  fœ- 
tal. Pas  de  sang  dans  la  trachée,  ni  dans  les  bronchioles. 

Le  sang  extrait  contient,  pour  100  volumes  : CO2  19,0;  O 4,9. 

Expérience  CLXXXL  — 25  mai.  Chien  pesant  4 kilog. 

Pris  à la  carotide  gauche  55ee,5  de  sang 


A. 


652  EXPÉRIENCES. 

6h.  Mis  sous  cloche  de  51  litres,  et  commencé  à diminuer  la  pres- 
sion. 

A 6h  6m,  pression  40e;  à 6h  8m,  55e  ; 14  respirations. 

A 6h12m,  ramené  à 45e,  10  respirations. 

A 6h15m,  pression  51e;  se  lève,  s’assied,  se  retourne. 

A 6h  17m,  pression  20e;  assis,  mais  la  tète  basse,  15  respirations  ; lève  la 
tète  quand  on  frappe  la  cloche. 

,A6h20m,  pression  15e;  tombe,  urine,  aboie  faiblement  et  plaintive- 
ment. 

A 6h  21m,  pression  15e  ; se  relève,  aboie  et  retombe. 

A 6h25m,  pression  15e;  couché,  9 respirations,  moyennes. 

Fermé  le  robinet  : la  pression  descend  doucement  à 7e  ; l’animal  parait 
mort,  quand  tout  à coup  (6ll27lu)  il  se  redresse  debout,  se  raidit  lentement 
et  fortement,  et  retombe. 

On  revient  à 15e  ; il  paraît  mieux,  se  remue  un  peu  ; on  remonte  à 7e  ; 
meurt  sans  mouvement. 

Retiré  de  sriite.  J’extrais  sans  difficultés,  du  cœur  gauche,  50eed’un  sang 
très-noir B. 

Au  premier  coup  de  pompe,  il  ne  vient  rien.  Au  deuxième,  environ  5ee; 
au  troisième,  une  assez  forte  quantité  de  gaz,  et  au  quatrième  presque  rien. 
Le  sang  n’a  pas  moussé  sensiblement.  C’est  au  reste  ce  que  nous  avait  donné 
l’expérience  précédente  et  ce  qui  s’explique  par  la  faible  quantité  de  gaz. 

Le  sang  A contenait,  pour  100  vol.  : CO2  55,0;  O 19,2 
— B — — 16,2;—  8,1 

Ces  expériences  ne  permettent  de  rien  conclure  relative- 
ment à l’oxygène,  parce  que,  bien  évidemment,  lors  du  re- 
tour à la  pression  normale,  l'oxygène  de  l’air  contenu  dans  les 
vésicules  pulmonaires  s’est  dissous  en  partie  dans  le  sang 
des  poumons,  qui  a été  ensuite  chassé  dans  le  cœur  gauche. 
Aussi  le  sang  artériel  était-il  très-rouge,  ce  qui  avait  déjà, 
comme  nous  l’avons  vu  dans  l’historique  (p.  259),  singulière- 
ment embarrassé  F.  Iloppe.  Mais  l’acide  carbonique  est  dans 
un  autre  cas,  et  nous  pouvons  voir  qu’il  a été  réduit  à 19e, 0 
et  16cc,2.  Quant  à la  proportion  disparue,  elle  a été,  dans 
l’expérience  CLXXXI,  de  55,7  pour  100. 

Or,  en  nous  reportant  au  tableau  X,  p.  645,  nous  trouvons 
à la  pression  de  17  centimètres  (expér.  CLXXIX)  une  perte  bien 
plus  forte,  de  74  pour  100.  Mais  d’abord,  cette  perte  n’est  pas 
une  moyenne,  puisqu’elle  ne  résulte  que  de  deux  analyses 
faites  sur  le  même  animal,  dans  la  même  expérience,  l’une  à 
18  centimètres,  l’autre  à 17  centimètres,  avec  12  minutes 


f 


GAZ  DU  SANG  : PRESSION  DIMINUÉE.  653 

d’intervalle.  De  plus,  pour  arriver  à cette  dépression  énorme, 
que  je  n’ai  pu  atteindre  depuis,  j’avais  dû  maintenir  pendant 
une  heure  l’animal  à une  pression  inférieure  à 50  centimè- 
tres (voy.  à la  page  641  le  détail  de  l’expérience). 

Je  signalerai  encore  dans  cette  expérience  CLXXIX  la  très- 
faible  proportion  d’acide  carbonique  qu’a  retenue  le  sang  en 
passant  de  17  à 26  centimètres  de  pression  (anal;  D),  malgré 
un  quart  d’heure  d’intervalle.  J’ai  cru  ne  pas  devoir  faire 
entrer  ce  chiffre  n°  17,  tableau  X,  dans  la  moyenne  de  la 
colonne  15  et  dans  le  graphique  de  la  figure  52  qui  l’exprime. 

Un  autre  point  intéressant  est,  au  contraire,  le  retour  des 
proportions  normales  d’oxygène  et  à peu  près  normales  de  CO2 
lorsque  l’animal  a été  ramené  à la  pression  de  76  centimètres 
(trois  quarts  d’heure  après).  J’ai  eu  de  nombreux  exemples 
de  cette  réparation  des  gaz,  exemples  plus  rapides  encore. 

Quant  aux  chiffres  des  analyses  B,  C,  D (nos  20,  21,  17  du 
tableau  X),  je  pense  qu’il  faut  les  considérer  comme  des 
minima  pour  l’acide  carbonique,  et  j’ai  préféré  inscrire  au 
tracé  CO2  de  la  figure  51  les  résultats  fournis  par  les  expé- 
riences à 7 centimètres,  qui  semblent  être  plus  près  de  la 
moyenne,  et  mieux  rentrer  dans  la  loi  du  graphique. 

11  me  serait  facile  de  tirer  maintenant  des  conséquences 
pratiques  de  la  considération  des  faits  qui  précèdent,  et  de 
montrer  ce  qu’il  advient  du  sang  des  voyageurs  qui,  soit  en 
ballon,  soit  sur  le  flanc  des  montagnes,  se  soumettent  à des 
diminutions  importantes  de  pression.  Mais  je  pense  que  ces 
réflexions  se  trouveront  mieux  à leur  place  dans  la  troisième 
partie  de  cet  ouvrage,  lorsque  je  déduirai  de  l’ensemble 
des  faits  expérimentaux  l’explication  des  troubles  produits 
par  les  modifications  de  la  pression.  Je  me  contente  ici  de 
résumer  les  résultats  ci-dessus  rapportés  en  cette  formule 
simple  : 

Quand  la  pression  diminue , la  quantité  des  gaz  contenus  dans 
le  sang  diminue  également , mais  en  proportion  un  peu  moindre 
que  celle  qu’indiquerait  la  loi  de  Dalton  ; le  sang  perd  ainsi  rela- 
tivement plus  d'oxygène  que  d'acide  carbonique. 


654 


EXPERIENCES. 


SOUS-CHAPITRE  III 

DES  GAZ  DU  SANG  AUX  PRESSIONS  SUPÉRIEURES  A CELLE 
D UNE  ATMOSPHÈRE. 


g 1.  — Dispositif  des  expériences. 

- \ 

I/appareil  que  j’emploie  en  vue  de  l’extraction  du  sang 
d’animaux  soumis  à des  pressions  supérieures  à celle  de 
l’atmosphère  consiste  (fig.  55)  en  un  cylindre  droit  en  tôle 
d’acier  de  4 mill.  d’épaisseur.  La  partie  moyenne  du  cylindre 
est  à base  circulaire,  tandis  que  les  deux  extrémités  ont  pour 
directrice  une  ellipse.  Le  raccord  est  assujetti  au  moyen  de 
nombreux  boulons  très-petits.  La  forme  elliptique  a pour 
objet  de  permettre  d’introduire,  en  les  présentant  par  leur 
petit  axe,  les  portes  qui  doivent  fermer  les  extrémités  ‘du 
cvlindre. 

«j 

Ces  portes  consistent  en  un  cadre  de  fonte  au  centre 
duquel  est  fixé  un  hublot  de  verre  de  18  mill.  d’épaisseur, 
sur  un  diamètre  de  10  cent.  On  les  met  en  place  en  les 
présentant  obliquement  et  en  les  entrant  dans  le  cylindre; 
ramenées  alors  en  arrière,  elles  se  juxtaposent  au  rebord  et 
ferment  hermétiquement,  grâce  à une  rondelle  de  caout- 
chouc. Deux  chevalets  armés  d’écrous  les  maintiennent  en 
place  ; la  pression  de  dedans  en  dehors  fait  le  reste. 

La  longueur  totale  du  cylindre  est  de  lm, 50  ; son  diamètre, 
dans  sa  partie  circulaire,  est  de  40  cent.;  la  capacité  totale 
est  donc  d’environ  155  litres. 

On  charge  l’appareil  au  moyen  d’une  pompe  à compres- 
sion C du  système  Rouquavrolle  et  Denayrouze,  mue  par  la 
machine  à gaz  dont  on  voit  en  A l’embrayage  qui  actionne 
les  engrenages  B ; l’air  chargé  de  vapeur  d’eau  que  lance 
cette  pompe,  et  dont  la  température  s’élève  notablement, 
est  forcé  de  traverser  un  serpentin  baignant  dans  l’eau  froide 
D,  muni  d’un  réservoir  E pour  l’eau  de  condensation. 


uni/;  vjuuuic  uc  'Uic  u kuci  tant  aiuiuapiicico 


/T  £ 

A.  Counoie  de  transmission  de  la  machine  à vapeur.  B.  Système  d’engrenages.  — C.  Pompe  Denayrouze  à compression.  — D.  Serpentin  pour  refroidir 
t air  comprime.  — li.  Récipient  pour  recevoir  l’eau  condensée  en  D.  — a Robinet  par  lequel  arrive  l’air  comprimé.  — b Manomètre.  — c Gros  robinet  pour 
fission  brusque.—  .Rabiaaet  pour  recueillir  l’eau,  l’urine,  contenues  dans  l’appareil.  — f Ouverture  de  fortes  dimensions  pour  manipulations  diverses. 


C56  EXPÉRIENCES. 

Un  robinet  a établit  ou  ferme  la  communication  avec  la 
pompe. 

Un  autre  robinet  c,  dont  l’ouverture  peut  être  progressive- 
ment augmentée,  permet,  soit  d’extraire,  pour  l’analyser,  de 
l’air  du  récipient,  soit  d’y  entretenir,  sous  pression,  un  cou- 
rant d’air  pur,  soit,  enfin  d’obtenir  une  décompression  très- 
brusque.  Enfin,  le  manomètre  b indique  la  pression. 

En  d se  trouve  un  robinet  qui,  situé  dans  la  partie  déclive 
d’une  garniture  intérieure  en  zinc,  permet  d’extraire  les 
urines  ou  les  eaux  de  condensation.  Enfin,  en  f est  un  gros 
orifice  qui  peut,  tantôt  être  fermé  par  une  tête  à pas  de  vis, 
comme  le  montre  la  figure , tantôt  permettre  d’introduire 
un  thermomètre,  une  serre-fine  à tige,  une  sonde,  etc.  Pour 
empêcher  l’air  de  s’échapper  autour  de  ces  instruments,  on 
leur  fait  traverser  une  balle  de  caoutchouc  (B,  fig.  34),  prise 
dans  une  bague  en  cuivre  dont  le  pas  de  vis  la  serre  à volonté. 
Cette  disposition  tout  en  oblitérant  complètement  l’air,  laisse 
aux  instruments  une  mobilité  qui  peut  être  utile. 

Lorsqu’on  veut  voir  ce  qui  se  passe  dans  l’appareil,  on 
place  une  bougie  en  face  de  l’un  des  hublots  de  verre,  et  on 
regarde  par  l’autre  : manœuvre  périlleuse,  car  c’est  dans  ces 
conditions  que  survint  l’explosion  dont  je  parlerai  dans  un 
autre  chapitre. 

Le  chien  sur  lequel  devra  être  faite  l’opération  est  solide- 
ment attaché,  le  museau  pris  dans  une  muselière,  sur  un 
cadre  en  fer  et  en  bois,  dont  la  forme  s’adapte  à la  paroi 
intérieure  de  l’appareil,  en  telle  sorte  que  l’animal,  une  fois 
introduit,  ne  peut  se  déplacer.  Dans  une  de  ses  artères  caro- 
tides A,  est  introduite  une  sonde  métallique  S,  qui  peut,  lors- 
que l’animal  est  en  place,  se  raccorder  avec  un  tube  de  cuivre 
qui  traverse  à vis  la  paroi  de  l’appareil,  et  est  muni  au  dehors 
d’un  robinet  R. 

Les  choses  étant  disposées,  on  ferme  le  robinet  R,  la 
serre-fine  SF  fermant  la  carotide  et  empêchant  le  sang  d’en- 
trer dans  la  sonde.  On  fixe  alors  la  porte  du  cylindre  et  on 
commence  la  pression;  celle-ci  monte  aisément  à raison 
d’environ  4 minutes  par  atmosphère,  lorsque  tous  les  robi- 


r 


GAZ  DU  SANG  : PRESSION  AUGMENTÉE. 


657 


nets  sont  bien  fermés.  Il  faut  ainsi  à peu  près  40  minutes 
pour  arriver  à 10  atmosphères,  pression  maxima  que  j’aie 
atteinte  avec  cet  appareil. 

Rien  de  plus  simple  maintenant  que  d’extraire  le  sang  de 
l’animal,  lorsqu’on  est 
arrivé  à la  pression  dé- 
sirée. Il  suffit  d’ouvrir 
le  robinet  R et  d’enle- 
ver la  serre -fixe  SF 
pour  voir  le  sang  ca- 
rotidine  s’élancer  avec 
une  force  extraor- 
dinaire au  dehors. 

Dans  ces  conditions, 
en  effet,  l’animal  est 
comme  une  éponge 
puissamment  expri- 
mée par  une  force  cor- 
respondante à lk,03 
multiplié  par  le  nom- 
bre des  atmosphères 
et  par  la  surface  exté- 
rieure de  son  corps. 

Toute  la  manœuvre 
consiste  donc  à adap- 
ter au  caoutchouc  épais  qui  adhère  au  robinet  la  seringue 
en  verre  de  la  fig.  23.  En  ouvrant  avec  précaution  les  robi- 
nets, on  voit  le  piston  de  la  seringue  soulevé  énergiquement 
par  la  pression  du  sang.  Il  ne  faut  pas  manquer  d’adapter 
à la  seringue  son  robinet  propre,  et  de  le  fermer  aussitôt 
qu’on  a pris  la  quantité  désirée  de  sang,  afin  d’empêcher  les 
gaz  qui  se  dégagent  souvent  de  s’échapper.  Quand  ce  dégage- 
ment était  considérable,  je  pesais  la  seringue  pour  avoir  la 
quantité  de  sang,  les  lectures  de  volume  devenant  alors  fort 
inexactes. 


Fig.  34. 


Extraction  du  sang  d’un  animal  placé 
dans  l’air  comprimé. 


42 


658 


EXPÉRIENCES. 


g 2.  — Expériences. 

Yoici  maintenant  le  récit  détaillé  des  expériences  faites 
dans  les  conditions  ci-dessus  indiquées. 

Expérience  CLXXXÏI.  — 25  juillet.  Chien  pesant  12  kilog. 

Tiré  à la  carotide  gauche  56cc  de  sang  . A . 

4h50m.  Mis  dans  l’appareil  à compression,  et  foulé  l’air  avec  courant; 
à 5h  8m,  on  est  arrivé  à 10  atmosphères. 

A5h15m,  tiré  56sr,7  de  sang,  très-rouge;  des  gaz  se  dégagent  dans  la 
seringue,  et  le  sang  commence  très-vite  à se  coaguler B. 

Ramené  en  2 min.  à 6 atmosphères,  et  entretenu  à celte  pression,  sous  cou- 
rant; à 5h  45ra,  tiré  59cc,7  de  sang  un  peu  moins  rouge  ; pas  de  gaz  libre  (C). 

Ramené  brusquement  à 5 atmosphères,  et  entretenu  sous-courant  d’air. 

A 6h55m,  tiré  58cc,2  de  sang;  pas  de  gaz  libres  (D) 

On  décomprime  lentement.  A 7h,  l’animal  va  bien;  il  survit  sans  accident. 

/ . 

Le  sang  A (1  atm.)  contient,  pour  100  vol.  : O 19,4;  CO2  55,5;  Az.  2,2 


— B (10  atm.)  — 

— 

24,6  ; 

56,4; 

11,5 

— C (6  atm.)  — 

— 

25,7; 

55,6; 

8,1 

— D (5  atm.)  — 

— 

20,9; 

55,1; 

. 4,7 

Expérience  CLXXXlli.  — 27  juillet.  Chienne  pesant  9 kilog. 

Tiré  29cc,5  de  sang  à la  carotide . (A) 

Mise  dans  l’appareil  à compression  ; avant  chaque  extraction  de  sang,  je 
maintiens  à la  pression  déterminée,  sous  courant  d’air,  pendant  quelques 


minutes. 

A 5h21m,  tiré  29cc,5  de  sang  à 2 atmosphères (B) 

A5h48m,  54cc,5de  sang  à 5 atmosphères (C) 

A4h55m,  58cc,2  de  sang  à 7 1/2  atmosphères (D) 

Jusque-là,  pas  de  dégagement  de  gaz  dans  la  seringue. 

A 5h15m,  tiré  50cc,7  de  sang  à 10  atmosphères;  ici,  il  vient  des  bulles 

fines  de  gaz.  . . . • (E) 

Décomprimée  en  50  minutes;  meurt. 

Le  reste  de  son  histoire  sera  rapporté  au  chapitre  VIL 

Le  sang  A (1  atm.)  contient,  pour  100  vol.  : CO2 18,5;  CO2  57,1  ; Az  2,2 
— R (2  atm.)  — — 19,1;  57,7 ; 5,0 

— C (5  atm.)  --  — 20,6 ; 40,5;  6,1 

il  — D(71/2atm.)  — — 21,1;  56,8;  perdu 

— E (10  atm.)  — — 21,4;  56,8;  11,4 

Expérience  CLXXXIY. — 5 août.  Chienne  pesant  11  kilog. 

Tiré  29cc,5  de  sang  à la  carotide (A) 


GAZ  DU  SANG  : PRESSION  AUGMENTÉE. 


659 


Mise  dans  l’appareil  à 5h55m.  Même  précaution  qu’à  l’expérience  précé- 
dente. , j \ 

A 5h55m,  5 atmosphères  ; tiré  29cc,5  de-  sang;  il  s’en  jdégage  quelques 

bulles  de  gaz ^ ......  . (pj 

A 6h28m, 6 atmosphères  5/4  ; tiré  29QQ,5  de  sang  ; le  dégagement  ga- 
zeux est  évident ,j.  . . . . . (C) 

L’animal  crie  et  se  plaint.  j 

A 7h10n\  9 atmosphères  1/4;  tiré  56cc  de  sang  ; gaz  en  abondance 


On  ouvre  fort  grand  le  robinet  de  la  sonde;  il  sort  ainsi  25Ô^r  de  sang 
très-rouge,  qui  se  coagule  aussitôt  ; il  s’y  dégage  beaucdup  de  gaz. 

Décomprimé  rapidement,  l’animal  meurt  aussitôt.  Le  reste  de  son 
histoire, au  chapitre  YII.  ! 

Le  sang  A ( 1 atm.  ) contient,  par  100  vol.  : O 18,4;  CO2  47, T;  Az.  2,5 

— B (5  atm.)  — — 20,0;  I 42,2;  4,4 

— C(63/4atm.)  — — 21,0;  ! 41,5;  7,1 

— D (91/*  atm.)  — — 21,2;  39,8;  9,3 

Expérience  CLXXXV.  — 7 août.  Chienne  pesant  8k,5. 

Tiré  à la  pression  normale  31  cc,9  de  sang  ; l’animal  eniperd  de  plus,  par 
accident,  environ  35cc.  ...  (A) 

A 5h25m,  5 atmosphères  ; tiré  30cc,7  de  sang,  dans  lequel  se  dégagent 
des  bulles  de  gaz. 


• • : • • .,  '(B) 

A 6h5m,  8 atmosphères  ; tiré  51  cc,9  de  sang;  bulles  nombreuses  . (C) 

A 6h33m,  10  atmosphères  ; tiré  55^r,8  de  sang  ; les  gaz  s’y  dégagent  en 
abondance,  et  la  coagulation  menace  de  se  faire  avec  rapidité. 
Décomprimé  ; la  fin  de  son  histoire  au  chapitre  VI I. 

Le  sang  A (1  atm.)  contient,  pour  100  vol.  : O 22,8;  CO2  50,1  ; Az  2,3 

— B (5  atm.)  — — 23,9;  55,2;  6,0 

— G (8  atm.)  — — 25,4;  57,6;  9,5 

— D (10  atm.)  — — 25,2:  39,0;  10,0 

Expérience  CLXXXVI.  — 8 août.  Chien  pesant  12k,5. 

Tiré  55cc,8  de  sang  à la  pression  normale,  par  la  carotide  droite.  . (A) 
Mis  dans  l’appareil  à 4h  45m...  . . 

A5h33m,  5 atmosphères  1/2;  tiré  52cc,9  de  sang;  dégagement  de 


£az 


• • • (B) 

A 6h41m,  10  atmosphères  ; tiré  56e  r,l  de  sang;  gaz  en  abondance  dans 

la  seringue (G) 

Décomprimé;  la  fin  de  son  histoire  au  chapitre  VII. 

Le  sang  A (1  atm.)  contient,  pour  100  vol.  : O 20,2  ; CO2  37,1  ; Az  1,8 

— * B(5atm.1/2)  — — 25,7;  35,5;  6,7 

— C (10  atm.)  — — 24,7;  57,9;  9,8 

Ces  divers  résultats  sont  distribués  dans  le  tableau  XI, 
suivant  l’ordre  croissant  des  pressions. 


TABLEAU  XI. 


GAZ  DU  SANG  : PRESSION  AUGMENTÉE.  661 

, r 

Si  maintenant  nous  passons  à l’examen  des  chiffres  qu’il 
contient,  examen  que  nous  facilite  l’inspection  des  colonnes 
12,  15  et  14,  dans  lesquelles  se  trouvent  indiquées  les  modi- 
fications en  proportions  centésimales  du  volume  des  gaz 
extraits  du  sang  sous  pression,  nous  y voyons  au  premier 
coup-d’œil  : 1°  que  l’oxygène  et  l’azote  ont  toujours  aug- 
menté; 2°  que  l’acide  carbonique  a tantôt  augmenté,  tantôt 
diminué. 

Ceci  peut  être  mis  en  évidence  sous  une  forme  plus 
nette,  en  faisant  sur  ces  différents  nombres  le  calcul  sui- 
vant. 

Nous  supposerons  que,  à la  pression  normale,  le  sang  con- 
tient toujours  20  vol.  d’oxygène,  40  vol.  d’acide  carbonique 
et  2,2  vol.  d’azote;  la  quantité  contenue  aux  autres  pres- 
sions se  déduira  aisément  d’une  proportion. 

Ainsi,  pour  la  première  expérience  inscrite  au  tableau,  les 
proportions  seront,  à 2 atmosphères  : 

0:  18, 3:20=19, 1:»  = 2O,0 
CO2 : 57,1  : 40  —57,7  : a; =40,7 
Az  : 2,2;2,2~  ofi'.x—  5,0 

En  faisant  des  moyennes  pour  les  pressions  identiques,  on 
arrive  à dresser  le  tableau  suivant  : 


TABLEAU  XII. 


1 

ATMOSPHÈRES 

2 

OXYGÈNE 

5 

CO2 

A 

Az  ; 

1 

20 

40,0 

2,2 

! ‘2 

20,9 

40,7 

5 

5 

21,6 

57,2 

3,9 

5 (exp.  4,  5,  6)  . . . . 

22,7 

55,7 

•6 

7 (exp.  7,  8,  9,  10).  . . 

23,1 

55,5 

7 

10 

25,4 

56,6 

9,4 

Les  résultats  de  ce  tableau  sont  exprimés  d’une  manière  * 


Fig.  5o.  — Variations  des  gaz  du  sang  aux  pressions  supérieures  à une  atmosphère. 

pressions  sont  portées  sur  V axe  horizontal,  et  les  quantités 
de  gaz  sur  l’échelle  verticale. 

Reprenons  maintenant  pour  chacun  des  trois  gaz  du  sang 


602  EXPÉRIENGES. 

très-frappante  par  les  graphiques  suivants  (fig.  55),  où  les 


GAZ  DU  SANG  : PRESSION  AUGMENTÉE. 


G63 

l’examen  des  faits,  en  nous  servant  de  la  figure  et  des  deux 
tableaux. 

1 0 Oxygène.  — Son  augmentation,  avons-nous  dit,  est 
constante.  Mais  la  comparaison  des  colonnes  5,  8 et  12  du 
tableau  XI,  nous  montre  qu’elle  est  à la  fois  très-variable 
pour  une  même  pression,  et  très-faible  même  sous  l’énorme 
pression  de  10  atmosphères. 

La  variété  des  résultats  n’a  pas  de  quoi  nous  étonner,  après 
ce  que  nous  avons  déjà  vu  en  parlant  des  diminutions  de 
pression,  et  après  les  inégalités  dont  témoignent  encore  les 
chiffres  si  divers  de  la  colonne  5.  Il  nous  est  impossible  de 
la  rattacher  à quelque  condition  connue;  mais  elle  est  fort 
intéressante  à constater,  parce  qu’elle  peut  servir  à rendre 
compte  de  l’intensité,  fort  variable  selon  les  sujets,  avec 
laquelle  agit  la  compression  de  l’air. 

Quant  à la  valeur  de  cette  augmentation,  il  est  vraiment 
fort  curieux  de  voir  combien  elle  est  faible.  Son  maximum, 
sous  une  pression  de  10  atmosphères,  a été  de  26,7  pour  100, 
c’est-à-dire  qu’en  volume  la  quantité  d’oxygène  contenue  dans 
1 00cc  de  sang  artériel  a passé  de  19cc,4  à 24cc,6.  Les  chiffres 
relatifs  aux  pressions  intermédiaires*  déposent  dans  le  même 
sens.  Le  tracé  üx  et  la  colonne  2 du  tableau  XII  montrent 
avec  une  grande  évidence  cette  lenteur  d’augmentation. 

Nous  avions  déjà  vu,  du  reste,  par  les  expériences  faites 
dans  l’air  dilaté,  que  l’influence  delà  pression  barométrique, 
relative  à la  quantité  d’oxygène  absorbable,  est  moindre  pour 
les  pressions  voisines  de  76e  que  pour  celles  qui  sont  beau- 
coup plus  basses.  Ainsi,  les  chiffres  de  la  colonne  14  du 
tableau  X,  page  645,  montrent  qu’en  passant  de  76  à 56e 
l’oxygène  diminue  seulement  de  15,6  pour  100,  tandis  qu’en 
passant  de  56  à 56e  il  diminue  de  45 — 15,6=  29,4  pour  100. 
Aussi  le  graphique  Ox  (fig„  51),  qui  exprime  la  marche  du 
phénomène,  va  en  se  surbaissant  aux  environs  de  la  pression, 
normale. 

; Nous  pouvons  transformer  ceci  d’une  manière  plus  claire; 
encore  dans  un  autre  graphique  (p.  56).  Prenons  pour  ori- 
gine du  zéro  le  vide  barométrique,  mesurons  les  pressions 


Fig.  56.  — Augmentation  de  loxygéne  du  sang  artériel  de  0 à 10  atmosphères  (tracé  et 
ordonnées  en  pointillé),  et  de  U à 26  atmosphères  (tracé  et  ordonnées  en  trait  plein). 


12 


GAZ  DU  SANG  : PRESSION  AUGMENTÉE.  605 


en  atmosphères  sur  l’axe  des  æ,  et  portons  sur  l’axe  des  y des 
valeurs  proportionnelles  à la  richesse  en  oxygène  aux  diver- 
sespressions,  et  nous  obtenons  ainsi  une  courbe  0<*(3  (gra- 
phique et  lignes  verticales  ponctuées)  qui,  après  avoir  monté 
très-rapidement  dans  la  région  de  zéro  à 1/2  atmosphère,  un 
peu  moins  dans  la  région  de  1/2  à 1 atmosphère,  se  sur- 
baisse considérablement  au  delà. 

Les  chiffres  ne  sont  pas  moins  nets;  en  admettant  que  le 
zéro  de  l’oxygène  corresponde  à la  dépression  mortelle  de 
7 à 8 centimètres,  égale  à 1 /10e  d’atmosphère,  nous  voyons, 
par  la  combinaison  des  tableaux  X et  XI,  que  : 

De  1/10  à 1/4  d’atmosphère,  la  proportion  de  l’oxygène  a 


augmente  de 7,5 

De  1/4  à 1/2 5,7 

1/2  à 3/4 . 4,5 

5/4  à 1 2,5 


De  0 à 1 atmosphère 

1 à 2 

2 à 5.  . . 

^ ^ g | divisant  par  2 la  différence  de  5 à 5 = 1,1. 

5 à 6 

6à7 

7 à 8 

8 à 9 

9 à 10 


20 
0,9 
0,7 
j 0,6 
| 0,5 
0,2 
0,2 
0,1 
0,1 
0,1 


25,4 


Lu  d’autres  termes,  ces  faits  montrent  que,  dans  l’orga- 
nisme vivant,  l’absorption  de  l’oxygène  par  le  sang  aug- 
mente très-rapidement  pour  les  pressions  inférieures  à une 
atmosphère,  mais  très-lentement,  au  contraire,  pour  les 
pressions  de  plusieurs  atmosphères.  Tout  semble  indiquer 
qu’il  existe,  correspondant  aux  environs  de  la  pression  nor- 
male, un  point  de  saturation  chimique  de  l’oxy-hémoglo- 
bine,  et  qu’au  delà  il  ne  s’ajoute  plus  au  sang  que  de  l’oxy- 
gène dissous  dans  le  sérum,  suivant  la  loi  de  Dalton.  Ceci 
sera  vérifié  lorsque  je  parlerai  des  expériences  faites  in  vitro 
sur  le  sang  sorti  des  vaisseaux. 

Nous  reviendrons  en  leur  lieu  sur  les  réflexions  que  susci- 
tent ces  faits  intéressants.  Contentons-nous  de  constater, 
pour  le  moment,  qu’un  ouvrier  qui  travaille  à la  pression 


EXPÉRIENCES. 


666 

de  2 à 5 atmosphères  n’a  pas  beaucoup  plus  d’oxygène  dans 
le  sang  qu’à  la  pression  normale.  11  y a plus,  et  ceci  n’est  pas 
à négliger  pour  l’explication  de  l’inégalité  des  phénomènes 
manifestés  par  les  divers  ouvriers,  j’ai  vu  des  animaux  qui 
avaient  normalement  dans  le  sang,  à la  pression  normale, 
plus  d’oxygène  que  d’autres  à 10  atmosphères;  c’est  ainsi 
que,  dans  les  expériences  sous  pression  diminuée,  certains 
de  mes  chiens  avaient,  à la  pression  normale  (voy.  tableau  X, 
p.  645,  exp.  4 et  11),  moins  d’oxygène  que  d’autres  à une 
pression  de  56  centimètres  et  même  de  44  centimètres 
(exp.  1,  2,  5,  8). 

2°  Acide  carbonique . — Ainsi  que  le  montre  le  tableau  de 
la  page  660  (colonnes  4,  9,  15),  tantôt  il  augmente,  tantôt 
il  diminue.  Son  augmentation  est  toujours  très-faible  (au 
plus  9,2  pour  100,  c’est-à-dire,  en  quantité  réelle,  5CC,4  pour 
100ccde  sang);  sa  diminution  a été  très-forte  (jusqu’à  29,7 
pour  100,  c’est-à-dire  14cc,9  pour  1 1 0CC  de  sang).  Tout  ce  que 
permettent  de  dire  les  chiffres,  c’est  que  l’acide  carbonique 
a toujours  diminué  lorsque  sa  proportion  primitive  dépassait 
58cc  pour  100cc  de  sang. 

Les  moyennes,  représentées,  suivant  la  convention  ci-dessus 
établie,  par  la  colonne  5 du  tableau  Xll  et  par  le  tracé  GO2  de 
la  figure  55,  indiquent  une  diminution  irrégulière,  il  est  vrai, 
mais  constante.  Cependant,  on  peut  dire  qu’il  reste  établi, 
comme  fait  général,  que  raugmentation  de  la  pression  au- 
dessus  de  la  pression  normale  ne  modifie  pas  d’une  manière 
très-considérable  la  richesse  en  acide  carbonique  du  sang.  Il 
en  était  tout  autrement,  ainsi  que  nous  l’avons  vu,  pour  les 
pressions  inférieures  à une  atmosphère;  mais  déjà,  aux  en- 
virons de  76e,  nous  avions  vu  que  l’acide  carbonique  varie 
peu,  et  dans  les  chiffres  de  la  colonne  14,  pour  la  pression 
de  56e,  nous  trouvons  ceux  bien  faibles  de  2,5  et  de  0,8  pour 
100.  Au  contraire,  à la  pression  de  56e,  par  exemple,  le  sang 
contient  en  moyenne  29,2  pour  100  d’acide  carbonique  de 
moins  qu’à  la  pression  normale,  ce  qui  correspond  à une  perte 
moyenne  de  llee,4  pour  100ee  de  sang. 

La  conséquence  pratique  importante  de  ce  fait  est  que  les 


mi 


GAZ  DU  SANG  : PRESSION  AUGMENTÉE. 

accidents  observés  chez  les  hommes  et  les  animaux  soumis  à 
de  hautes  pressions  ne  peuvent  en  rien  être  attribués  à l’in- 
tervention de  l’acide  carbonique.  Nous  aurons  à revenir  sur 
ce  fait. 

Que  si  maintenant  nous  nous  demandons  comment  il  se 
fait  que  l’acide  carbonique  diminue  pour  les  pressions  très- 
basses,  sans  augmenter  pour  cela  au-dessus  d’une  atmo- 
sphère, la  réponse  est  assez  difficile  à faire.  Je  me  suis  ce- 
pendant arrêté  à l’explication  suivante. 

Les  échanges  respiratoires  ne  se  font  pas,  comme  on  le  dit 
dans  le  langage  courant,  entre  le  sang  des  poumons  et  l’air 
de  l’atmosphère.  S’il  en  était  ainsi,  cet  air,  ne  contenant  que 
des  traces  minimes  d’acide  carbonique,  jouerait  à l’endroit 
du  sang,  par  rapport  à ce  gaz,  le  rôle  du  vide,  et  il  n’en  reste- 
rait dans  le  sang  qu’une  quantité  très-faible.  Mais  les  échan- 
ges se  font  entre  le  sang  veineux  et  l’air  des  vésicules  pulmo- 
naires. Or,  j’ai  trouvé  autrefois1  que  cet  air,  même  après 
une  inspiration,  contient  encore  de  6 à 8 pour  100  d’acide 
carbonique.  M.  Gréhant2,  qui  a fait  plus  tard  la  même  recher- 
che par  un  procédé  tout  différent  du  mien,  est  arrivé  à un 
résultat  aussi  voisin  de  celui-ci  qu’oii  peut  le  désirer  en  sem- 
blable matière.  C’est  donc  la  présence  normale  de  cette  pro- 
portion importante  de  l’acide  carbonique  dans  1 air  des  alvéo- 
les qui  en  maintient  dans  le  sangla  quantité  habituelle;  ce 
gaz  se  crée  ainsi  à lui-même  son  propre  obstacle,  et  l’on 
conçoit  aisément  comment  une  ventilation  pulmonaire  exa- 
gérée, diminuant  la  proportion  du  GO2  dans  l’air  des  alvéo- 
les, la  diminue  en  même  temps  dans  le  sang  (voy.  plus 
haut,  p.  626). 

Cet  acide  carbonique  qui  demeure  ainsi  dans  les  pou- 
mons représente  l’excès  régulier  de  l’acide  carbonique  formé 
dans  nos  tissus  sur  celui  qui  est  exhalé  par  la  trachée.  Cette 
quantité  ne  devra  donc  pas  varier,  si  rien  n’est  changé  dans 
les  conditions  de  la  nutrition  et  de  la  ventilation  pulmonaire. 
Or,  ce  parait  être  le  cas  lors  de  la  respiration  dans  l’air  com* 

1 Leçons  sur  la  physiologie  de  la  respiration , p.  161. 

' Comptes  rendus  de  la  Société  de  Biologie  pour  1871,  p;  01  i 


668 


EXPERIENCES. 


primé,  au  moins  pour  ce  qu’il  y a de  grossier  et  d’apparent 
dans  les  phénomènes.  Si  donc  il  se  produit  pendant  le  même 
temps  la  même  quantité  de  CO2,  la  quantité  qui  en  restera 
dans  l’air  des  poumons  sera  la  même;  mais  comme  cette 
quantité  est  comprimée,  son  volume  diminue  en  sens  inverse 
de  la  pression,  et  il  est  clair  qu’alors  sa  proportion  centési- 
male dans  l’air  des  poumons,  dont  le  volume  total  ne  change 
pas,  diminuera  de  même  que  le  volume.  Ainsi,  un  animal  dont 
l’air  des  poumons,  à la  pression  normale,  contenait  0 pour 
100  de  CO2,  n’en  contiendra  que  5 pour  100  à 2 atmosphè- 
res, que  2 pour  100  à 5 atmosphères,  que  1 pour  100  à 
6 atmosphères,  etc. 

Or,  la  pression  exercée  par  cet  acide  carbonique  sur  l’acide 
carbonique  du  sang  ayant  évidemment  comme  mesure  le  pro- 
duit de  la  proportion  centésimale  par  la  pression  barométri- 
que, sera  exprimée  dans  les  divers  cas  plus  haut  cités  : à la 
pression  normale,  par  6x1  = 6;  à 2 atmosphères,  par 
5x2  = 6;  à 5 atmosphères,  par  2x5  = 6,  etc,  c’est-à- 
dire  que  sa  valeur  reste  toujours  la  même.  11  n’est  donc  pas 
étonnant  que  la  richesse  du  sang  en  acide  carbonique  ne 
varie  pas  non  plus. 

Mais  pourquoi  diminue-t-elle  lors  des  pressions  très-faibles? 
Dans  ce  cas,  même  raisonnement,  mêmes  conséquences,  ce 
semble.  Mais  ici  la  question  se  complique.  D’abord,  si  nous 
supposons  l’animal  à demi-atmosphère,  la  proportion  de 
l’acide  carbonique  du  poumon  s’élèvera  à 12  pour  100;  la 
richesse  en  oxygène  de  l’air  des  vésicules  pulmonaires  s’en 
appauvrit  ainsi,  et  l’animal  est  entraîné  à opérer  une  ventila- 

1 

lion  plus  active  qui,  diminuant  la  tension  12  x ^ ~ 0,  laisse 
sortir  plus  d’acide  du  sang. 

Mais  la  raison  principale  est  ailleurs  que  dans  la  diminu- 
tion de  la  pression  barométrique;  nous  verrons,  en  effet, 
p.  676,  que  la  richesse  en  acide  carbonique  diminue  dans  le 
sang  par  le  fait  seul  de  la  respiration  d’un  air  moins  riche  en 
oxygène.  C’est  donc  dans  les  conditions  chimiques  de  la  for- 
mation de  CO2,  conditions  troublées,  qu’il  faut  chercher  la 


GAZ  DU  SANG  : PRESSION  AUGMENTÉE. 


669 


cause  la  plus  importante  de  cette  diminution.  11  en  est  sans 
aucun  doute  de  même  pour  la  diminution  qui  coïncide  avec 
les  pressions  supérieures  à 1 atmosphère. 

5°  Azote.  — Pour  ce  dernier  gaz,  les  choses  doivent  se  pas- 
ser et  se  passent,  en  effet,  avec  une  grande  simplicité.  Comme 
il  n’entre  dans  aucune  combinaison,  sa  proportion  dans  le 
sang  dépend  uniquement  de  la  pression;  aussi  les  colonnes 
5,  10,  14  du  tableau  XI,  nous  montrent  qu’elle  augmente 
considérablement.  Nous  verrons,  en  parlant  des  effets  de  la 
décomposition  brusque,  quelle  importance  présente  cette 
quantité  considérable  d’azote. 

Cependant,  chose  curieuse,  il  s’en  faut  de  beaucoup  que 
l’augmentation  suive  la  loi  de  Dalton.  En  effet,  à 5 atmosphè- 
res, par  exemple,  nous  trouvons  dans  la  colonne  5 le  nombre 
moyen  6,  au  lieu  de  11  qu’exigerait  la  loi  de  Dalton;  à 10  at- 
mosphères, celui  de  10,4  au  lieu  de  22.  Il  y a ainsi  environ 
moitié  moins  d’azote  que  ne  le  voudrait  la  loi.  Cela  est  très- 
saisissant  dans  le  tracé  Az  delà  figure  55,  où  la  ligne  droite 
indique  ce  qu’exigerait  la  loi. 

Ce  fait  est  très-instructif,  parce  qu’il  montre  à quel  point 
est  incomplète  l’agitation  intra-pulmonaire,  au  moins  aux 
pressions  élevées.  Or,  les  résultats  fournis  par  l’oxygène  dé- 
posent dans  le  même  sens.  En  admettant  que  l’hémoglo- 
bine soit  saturée  chimiquement  d’oxygène  aux  environs  de 
la  pression  normale,  la  quantité  d’oxygène  dissous  devrait 
être  beaucoup  plus  forte  aux  pressions  élevées  que  l’expé- 
rience ne  l’indique.  A 10  atmosphères,  par  exemple,  ce 
n’est  pas  23,4  p.  100  qu’il  faudrait  trouver,  mais  29  envi- 
ron. L’insuffisance  du  brassement  de  l’air  dans  le  poumon 
doit  être  ici  invoquée;  du  reste,  elle  est  évidente  à la  pres- 
sion normale,  puisque  du  sang  extrait  de  l’artère  s’enrichit 
toujours  notablement  en  oxygène  par  l’agitation  avec  l’air. 
Nous  allons  voir  qu’il  en  est  de  même  pour  les  hautes  pres- 
sions. 

Tout  ceci  peut  se  résumer  dans  la  phrase  suivante  : chez 
ranimai  vivant , lorsque  la  pression  barométrique  augmente , 
l'oxygène  augmente  dans  le  sang  artériel mais  avec  une  extrême 


670 


EXPÉRIENCES. 


lenteur  ; l1  azote  augmente  plus  vite , mais  pas  autant , à beau- 
coup près , /e  voudrait  la  loi  de  Dalton  ; quant  à l'acide  car- 
bonique, diminue  presque  toujours. 


SOUS-CHAPITRE  IV 

GAZ  DU  SANG  DANS  i/ASrHYXIE  COMPARÉE  A LA  DIMINUTION 

DE  PRESSION. 

Je  crois  avoir  démontré,  dans  le  premier  chapitre,  que  les 
accidents  et  la  mort  dans  l’air  dilaté  sont  la  conséquence 
de  la  faible  pression  de  l’oxygène  extérieur,  et  qu’il  s’agit 
là,  en  somme,  d’une  simple  asphyxie  par  privation  d’oxy- 
gène. 

S’il  en  est  ainsi,  on  doit,  dans  le  sang  d’un  chien  soumis  à 
l’asphyxie,  retrouver  l’appauvrissement,  en  gaz,  du  sang  des 
chiens  soumis  à la  décomposition. 


Pour  vérifier  cette  hypothèse,  deux  méthodes  se  présen- 


Fig.  57.  Chien  respirant  de  l’air  contenu  dans  un  sac  de  caoutchouc.  A,  B,  flacons 

à eau  potassée  formant  soupape,  et  servant  à absorber  l’acide  carbonique. 


taient  : 1°  placer  un  animal  dans  un  courant  d’air  de  plus 
en  plus  pauvre  en  oxygène;  2°  faire  épuiser  par  l’animal 
une  certaine  quantité  d’air,  en  se  débarrassant,  bien  en- 


GAZ  DU  SANG  : ASPHYXIE. 


671 


tendu,  de  l’acide  carbonique  au  fur  et  à mesure  de  sa  for- 
mation. 

La  première  méthode  m’a  paru  impraticable.  Pour  mettre 
en  usage  la  seconde,  j’ai  adapté  à des  chiens  une  muselière 
qui  communiquait  avec  un  sac  contenant  de  150  à 150  litres 
d’air;  à l’expiration  comme  à l’inspiration,  l’air  barbotait 
dans  une  solution  de  potasse  destinée  à le  dépouiller  de  son 
acide  carbonique,  ce  à quoi,  pour  le  dire  en  passant,  il  me 
fut  impossible  de  parvenir  complètement  : l’air  du  sa*c  con- 
tenait toujours  de  1 à 2 pour  100  de  ce  gaz. 

La  figure  57  représente  la  disposition  de  l’expérience.  L’aip 
inspiré  et  l’air  expiré  traversent  des  flacons  A et  B,  où  de  l’eau 
potassée  fait  soupape  ; en  A,  le  tube  qui  communique  avec  le 
chien  se  termine  dans  le  haut  du  flacon  ; c’est  par  lui  que  se 
fera  l’inspiration  ; en  B,  il  descend  et  plonge  un  peu  dans  le 
liquide  ; c’est  par  celui-ci  que  se  fera  l’expiration. 

L’expérience  ainsi  disposée,  je  prenais  de  temps  en  temps 
des  échantillons  de  l’air  du  sac  et  du  sang  carotidien,  pour 
en  faire  Tanalvse. 

Voici  les  résultats  de  quelques  expériences 

Expérience  CLXXXVII. — 1er  avril  : Chien  mâtin,  pesant  11  kil.  Sac 
contenant  157  litres  d’air.  Température  15°.  Expérience  commencée  à 
2h 35m. 

2u56m:  16  respirations;  144  pulsations;  pression  artérielle  variant  de 
12e, 5 à 17e;  température  rectale  59°.  Pris  25ee  de  sang  carotidien,  rouge^ 
clair;  contient  pour  100cc  : 19  d’oxygène  et  48  d’acide  carbonique. 

L’animal  est  très-calme  et  reste  très-calme  pendant  toute  la  durée  de 
l’expérience. 

2h  55m  : respirations,  16;  pulsations,  96. 

5 heures:  Pris  air  du  sac:  contient  O 18,1  ; CO2  0,8. 

5h  5m  : respirations,  15  ; pulsations,  78  ; 6 59°.  Pris  25ee  de  sang,  bien 
rouge;  contient  017,0  ; CO2 49,0. 

5h  50m  : respirations,  20,  longues  ; pulsations,  64;  pression  de  15e 
à 20e;  6 58°, 8. 

5h  55m:  pris  air  du  sac;  contient  O 15,9;  CO2  1,0.  Pris  25cc  de  sang, 
rouge  : contient  : O 15,0;  CO2  46,5. 

4 heures  : respirations,  12  ; pulsations,  <52  ; Q 58°, 5. 

4b  5m  : air  contient  O 14,1  ; CO2  1,3.  Pris  25cc  de  sang,  moins  rouge; 
contient  O 15,6  ; CO2  46,5.  f < 

4h  20m  : pression  cardiaque  de  11  à 18  cent. 


672 


EXPÉRIENCES. 


4h  30m  : respirations,  12  ; pulsations,  40  ; 0 58°, 2.  Air  contient  O 12,2  ; 
CO2 1,7.  Pris  25cc  de  sang;  analyse  perdue. 

5 heures  : respirations,  12;  pulsations,  40;  0 58°, 0. 

5h  10m  : air  contient  O 9,6;  CO2  2,0.  Sang  25cc,  encore  assez  rouge, 
conlient  O 12,0  ; GO*  46,5. 

5h  20m  : pression  de  12  à 18e. 

5h  56,n  : respirations,  12  ; pulsations,  64,  très-irrégulières;  0 57°, 5.  Air 
du  sac  contient  O 7,1  ; GO2  2,2. 

6 heures  : respirations,  14;  pulsations,  104;  0 57°, 5.  Pris  sang,  25ec, 
assez  noir  ; contient  O 7,1  ; CO2  42,8. 

6h  10m  : air  du  sac  contient  O 5,9  ; GO2  2,1 . 

6h  25m  : pression  cardiaque,  de  11e  à 15e. 

6h  50m  : respirations,  20;  pulsations,  92,  très-irrégulières;  0 56°, 6;  les 
expirations  deviennent  plus  brusques  ; l’animal  est  encore  sensible  aux 
pattes. 

6h35m:  air  du  sac  contient  O 4,6  ; GO2  2,2.  Sang  25cc,  noir;  contient 
O 5,0;  CO2  56,7. 

7 heures  : respirations,  24  , avec  expirations  très-brusques  ; pulsa- 
tions, 84;  0 55°.  Pattes  encore  sensibles. 

7h  5m  : air  du  sac  contient  O 2,7  ; GO2 1,9. 

7h  15m  : Les  phénomènes  se  pressent  rapidement  ; le  chien  vient  de 
devenir  soudain  insensible  à l’œil.  Respirations,  4;  pulsations,  56;  0 34,5; 
pression  cardiaque,  4e  environ.  Pris  25cc  de  sang,  très-noir;  contient 
O 0;.CO2,  20,6. 

Dernière  respiration  à 7h  17m. 

Nous  reviendrons  sur  les  diverses  circonstances  de  cette  ob- 
servation ; mais,  nous  bornant  en  ce  moment  à ce  qui  regarde 
les  gaz  du  sang,  nous  pouvons  résumer  comme  il  suit  les  ré- 
sultats des  analyses  : 

«j 

l’air  contient  -100cu  de  sang  contiennent 


OXYGÈNE 

OXYGÈNE 

CO2 

Au  début 

20,9 

19 

48 

Après  t/2  heure 

18,1 

17 

49 

— 1 — 

15,9 

15 

46,5 

— 1 h.  1/2  

14,1 

15,0 

40,5 

— 2 heures 

12,2 

» 

» 

- 2 h.  1/2  

9,0 

12 

40,5 

— 5 heures 

7,4 

7,6 

» 

— 5 h.  20  min 

» 

7,1 

42,8 

— 3 h.  1/2 

5,9 

» 

» 

— -•  4-  heures 

4,6 

5 

36,7 

— 4 h.  40  min 

2,7 

» 

20,0 

Expérience  CLXXXVIII.  — 4 avril  : Chien  pesant  10  kil.  600.  Sac  conte- 
nant 157  litres  d’air.  Température,  15°.  Expérience  commencée  à 2h  5m. 
2h  7m  : respirations,  24  ; pulsations,  92  ; 0 58°, 5 ; pression  cardiaque 


GAZ  DU  SANG  : ASPHYXIE. 


67.3 


* 


de  12e, 5 à 18e, 5.  Pris  25ee  de  sang,  bien  rouge;  contient  pour  100ee, 
O '18,2;  CO2  50,8. 

Un  peu  d’agitation. 

911  55m  . respirations,  20;  pulsations  100,  irrégulières;  0 58°, 2.  Pris 
air  qui  contient:  O 17,9;  CO2  0,9. 

5h  5,n  : respirations,  18;  pulsations,  90;  pression  cardiaque  n’a  pas 
changé,  0 58°.  Pris  air  : O 16,5;  GO2  1,6;  tiré  25ee  de  sang  bien  rouge; 
contient  : O 16,6;  GO2  47,7. 

5h  35ra  : respirations,  18,  expirations  prolongées;  pulsations,  72;  0 37°. 
L’air  contient  O 14,8  : GO2  1,7. 

4h  5,n:  respirations,  16;  pulsations,  90;  pression  de  12e, 5 à 17e, 5.  Air, 
O 15,4  ; CO2  1,9.  Sang  rouge,  25ee,  contient  O 15,9;  GO2  45,1. 

4'1  55m  : respirations,  16;  pulsations,  112;  0 57°.  Air,  O 10,4;  CO2  1,7. 

5h  5m  : respirations,  24;  pulsations,  94;  0 56°, 2.  Air,  O 8,5;  CO2  2,5. 
Pris  sang,  assez  noir  : O 9,8  ; CO2  40,2. 

5h  55,u : air,  0 6,2  ; COM, 7. 

511  50m  : respirations,  28;  pulsations,  148  ; 0 54°.  Sang  très-noir,  25ee, 
contient  O 6,7  ; GO2  57,9. 

5h  58m  : Agitation  violente  soudaine,  après  laquelle  l’animal  retombe, 
comme  vaincu,  et  reste  désormais  tranquille. 

6“  5 111  : air,  O 4,0;  CO2  1,6. 

6h  20m  : pulsations,  68;  pression  de  8e  à 17e;  sensible  aux  pattes. 

6b  50"1  : respirations,  16;  pulsations,  68;  0 54°. 

6h  55ra  : air,  0 5,0;  CO2  0,8. 

6h  40m  : pris25ee  de  sang,  très-noir,  qui  contient  : O 0,7  ; CO2  25,0. 

Les  respirations  se  ralentissent  au  moment  où  l’on  commence  à tirer 
du  sang;  elles  cessent  à 61'  45“ ; je  lire  aussitôt  du  sang,  qui  ne  contient 
pas  trace  d’oxygène. 

En  résumé  : 


l’aih  CONTIENT 

LE  SANG  CONTIENT 

OXYGÈNE 

OXYGÈNE 

CO2 

Au  début 

. . . 20,0 

18,2 

50,8 

Après  1/2  heure.  . . 

. . . 17,9 

» 

» 

— 1 — 

. . . 10,3 

16,6 

47,7 

— 1 h.  1/2.  . . 

. . . 14,8 

» 

» 

— 2 heures.  . . 

. . . 13,4 

15,9 

45,1 

— 2 h.  1/2.  . . 

. . . 10,4 

» 

II 

— 3 h 

...  8,3 

9,8 

40,2 

5 h.  1/2.  . . 

...  0,2 

» 

» 

5 h.  5/4.  . . 

...  » 

0,7 

57,9 

— 4 h 

...  4 

» 

» 

4 h.  1/2.  . . 

...  3 

0,7 

25 

Les  résultats  de  ces  deux  expériences  sont  traduits  sur  le 
graphique  ci-après  (fig.  38),  dont  les  tracés  expriment  les 
variations  simultanées  de  l’oxygène  de  l’air  et  des  gaz  du 

43 


074  EXPÉRIENCES. 

sang.  Le  trait  plein  est  relatif  à l’expérience  CLXXXVIII;  le 
trait  pointillé,  à l’expérience  CLXXXVII. 


Fig.  58.  — Variations  des  gaz  du  sang  et  de  l’oxygène  de  l’air  dans  l’asphyxie  en  vases  elos, 
l’acide  carbonique  étant  absorbé  : pour  donner  plus  de  clarté  à la  ligui’e,  les  ordonnées 
correspondantes  à la  richesse  en  oxygène  de  l’air  sont  doubles  en  hauteur  des  autres. 

Voici  maintenant  une  expérience  dans  laquelle  on  a,  d’em- 
blée, fait  respirer  à un  chien  de  l’air  pauvre  en  oxygène  : 

Expérience  CLXXXIX.  20  mai.  A 5h  50m,  l’animal  respirant  l’air  ordi- 
naire, à 28  respirations,  156  pulsations;  une  pression  cardiaque  de  18 
à 20  cent. 

Son  sang  contient  : 0 21,5  ; CO2  47,5. 

4h30m:  On  le  met  respirer,  à travers  les  soupapes  à potasse,  dans  un 
sac  contenant  un  air  à 10  0/0  seulement  d’oxygène  ; il  reste  tranquille. 

5 heures  : respirations,  16;  pulsations,  128;  pression,  16  à 19e. 

5h  50m:  respirations,  16;  pulsations,  116.  Sang  noir,  contient  : 0 5,5; 
CO2  45,7. 

6 heures:  respirations,  16;  pulsations,  80;  pression  de  8 à 15e. 


GAZ  DU  SANG  : ASPHYXIE. 


675 


6h  50m:  respirations,  16;  pulsations,  56. 

6h  45m  : respirations,  8 ; pulsations,  24. 

Meurt  à 6h  55m;  je  tire  aussitôt  avec  une  sonde  25cc  de  sang  du  cœur 
gauche,  qui  contient  : O 0 ; CO2  29. 

L’air  du  sac  contient  2,5  d’oxygène. 

Reprenons  maintenant,  au  point  de  vue  spécial  qui  nous 
occupe,  les  deux  expériences  CLXXXVII  et  CLXXXVIII.  Le  gra- 
phique précédent  nous  montre  qu’au  fur  et  à mesure  de  la 
diminution  de  la  tension  de  l’oxygène  aérien,  l’oxygène  du 
sang  diminuait;  cela  n’est  pas  bien  étonnant,  mais  il  est  plus 
curieux  de  voir  que  l’acide  carbonique  a diminué  également, 
bien  qu’il  en  restât  dans  l’air  du  sac  une  quantité  notable 
qui  aurait  dû  augmenter  la  proportion  de  ce  gaz. 

Que  si  nous  voulons  comparer,  non  plus  le  sens,  qui  est 
bien  évidemment  le  même,  mais  la  valeur  exacte  de  la  varia- 
tion des  gaz  du  sang  dans  la  diminution  de  pression  d’une  part, 
dans  l’asphyxie  de  l’autre,  il  suffira  de  reprendre  le  graphique 
de  la  page  645  et  de  lui  ajouter  les  résultats  moyens  des  der- 
nières expériences,  en  faisant  sur  les  chiffres  la  même  opé- 
ration pour  ramener  à 20  la  valeur  d’origine  de  l’oxygène, 
et  à 40  celle  de  l’acide  carbonique. 

C’est  ce  qui  a été  réalisé  dans  la  figure  59. 

Sur  les  ordonnées,  sont  comptés,  comme  à l’habitude,  les 
nombres  relatifs  aux  proportions  centésimales  des  gaz  ex- 
traits du  sang. 

Les  abscisses  mesurent  à la  fois  la  proportion  centésimale  de 
l’oxygène  ambiant  et  la  pression  barométrique.  Ainsi,  20,9  cor- 
respond à 76  centimètres;  la  demi-atmosphère,  38  centimè- 
tres, correspond  à , etc....;  c’est  là  ce  qui  va  permettre 

de  voir  s’il  v a,  oui  ou  non,  concordance  entre  les  résultats 
des  deux  ordres  d’expériences. 

Les  points  relatifs  aux  diminutions  de  pression  sont  mar- 
qués, ainsi  que  nous  l’avons  déjà  dit,  par  de  petits  cercles 
réunis  par  des  traits  et  des  points  - .-.o.-.-.-o-.-.  Les 

lignes  pointillées  » expriment  la  moyenne  des  deux 

expériences  d’asphyxie  simple  que  je  viens  de  relater. 


676 


EXPÉRIENCES. 


Or,  pour  l’oxygène,  ce  qui  frappe  tout  d’abord,  c’est  la  con- 
cordance remarquable  qui  existe  entre  les  deux  courbes  ; 


Fig.  59. — Variations  des  gaz  du  sang  dans  l’asphyxie  comparée  à la  diminution 

de  pression. 


seulement,  pour  l’air  raréfié,  ainsi  que  je  l’ai  déjà  indiqué, 
je  n’ai  pu  dépasser  17  centimètres  de  pression,  correspond 


GAZ  DU  SANG  : ASPHYXIE. 


677 


dant  à environ  4,7  pour  100  d’oxygène.  Voilà  un  premier 
point  acquis. 

Pour  l’acide  carbonique,  la  concordance  est  moins  parfaite. 
Mais  il  faut  faire  remarquer  d’abord  qu’il  restait  dans  Pair 
en  voie  d’épuisement  une  certaine  quantité  d’acide  carboni- 
que sans  laquelle  le  graphique  pointillé  serait  certainement 
plus  abaissé  qu’il  n’est.  De  plus,  les  irrégularités  entre  les- 
quelles ont  été  prises  les  moyennes  reliées  par  la  ligne 
_ o — o.--  sont  très-fortes,  pour  l’acide  carbonique,  comme  le 
montrent  les  petits  cercles  isolés,  qui  correspondent  à cha- 
cune des  expériences.  Il  est  donc  probable  que  d’une  très- 
grande  quantité  d’expériences  on  obtiendrait  des  moyennes 
qui  se  rapprocheraient  davantage;  mais  ceci  m’a  paru  peu 
important  à poursuivre. 

Le  grand  intérêt  consistait  à montrer  que,  même  à la  pres- 
sion normale,  mais  la  proportion  de  l’oxygène  étant  faible  dans 
l’air  respirable,  on  retrouve  dans  les  proportions  de  l’oxygène 
et  de  l’acide  carbonique  du  sang  artériel  les  mêmes  modifica- 
tions que  lors  de  la  respiration  sous  pression  diminuée.  De 
cet  examen,  comme  de  celui  auquel  nous  nous  étions  livrés 
dans  le  premier  chapitre,  il  ressort  encore  une  fois  la  preuve 
que  la  dépression  agit  comme  un  simple  agent  asphyxiant. 

Cette  vérité  établie,  il  me  devenait  possible  de  rechercher 
comment  varient,  pendant  la  décompression,  les  gaz  du  sang 
veineux.  J’avais  essayé,  à plusieurs  reprises,  d’extraire  le  sang 
veineux  d’un  chien  placé  dans  mes  grands  cylindres;  des  dif- 
ficultés que  devineront  tous  les  expérimentateurs  m’avaient 
empêché  de  réussir:  des  caillots  se  formaient  dans  les  sondes, 
des  bulles  d’air,  que  ne  combattait  plus  la  pression  sanguine, 
se  précipitaient  au  cœur  droit,  etc. 

Mais  la  respiration  dans  un  air  graduellement  appauvri  en 
oxygène  venait  me  permettre  de  tourner  ces  difficultés.  C’est 
ce  que  j’ai  fait  dans  les  expériences  suivantes  : 

Expérience  CXC.  — 50  juillet.  Chien  pesant  12  kil.  Muselière  bien  her- 
métiquement fermée. 

2h  5m  : Mis  à respirer  avec  les  soupapes  à potasse  dans  un  sac  contenant 
90  litres  d’air. 


678 


EXPÉRIENCES. 


2h  10™  : respirations,  26;  pulsations,  100.  Tiré  à la  carotide  25cc  de 

sang,  pas  extrêmement  rouge A 

2h  20m  : Tiré  à la  jugulaire  gauche,  bout  périphérique,  25cc  de  sang, 

assez  noir A' 

L’animal,  dont  les  yeux  sont  couverts,  reste  parfaitement  tranquille. 

5h  7™:  22  respirations;  100  pulsations. 

5h  10™  : Tiré  25cc  de  sang  carotidien,  à peu  près  aussi  rouge  que  A.  . B 

3h  15™  : Pris  échantillon  de  Pair  du  sac . . . /3 

5h  20™  : Tiré  25cc  de  sang  veineux B' 


4h  10™  : Tiré  25cc  de  sang  artériel,  noir.  . . • G 

4h  15™  : Pris  air  du  sac 7 

L’animal  fait  tout  à coup  un  effort  violent  et  détache  un  instant  le 
caoutchouc  du  sac  (fait  une  inspiration  dehors)  ; continuation  des  efforts 
et  anhélation  considérable. 

4h  22™  : 25cc  sang  veineux  très-noir G' 

4h  50™  : 60  pulsations;  18  grandes  respirations. 

4h  58™  : se  meurt  ; quelques  battements  de  cœur  très-faibles.  Tiré  sang 

artériel  tout  noir D 

Pris  air  du  sac 5 


RÉSUMÉ  DE  L’EXPÉRIENCE. 


AIRS 

H 

g * 

O O 

sang  artériel 

SANG  VEINEUX 

U w 

O Z 
Z «H 
a o 

S w 
S « 
§ 

U 

SANGS. 

OXYGÈNE 

CO2 

OXYGÈNE 

CO2 

‘W  g 
Ut  o 

Q W 

Normal 

c 

76 

AA' 

21,6 

45,0 

12,4 

46,8 

9,2 

£ (11,5  d’O.;  2,0  de  CO2).  . 

41,8 

BB' 

19,6 

42,7 

10,2 

49,1 

9,4 

y (4,7  d’O.;  2,1  de  CO2)..  . 

17,1 

CC' 

8,8 

54,4 

2,2 

36,5 

6,6 

Mortel  $ (2,7  d’O.;  1,9  de  CO2). 

9,8 

D 

0,4 

23,0 

» 

» 

» 

Expérience  CXGI.  — 15  octobre.  Chienne  pesant  15  kil.  Bespirant  à 
l’air  libre:  20  respirations;  148  pulsations  ; température  rectale,  39°, 8. 

2h  50™  : Tiré  25cc  de  sang  par  le  bout  périphérique  de  la  veine  jugu- 


laire   A' 

2h  55™  : 25cc  de  l’artère  carotide A 

5 heures  : Mis  à respirer  dans  un  sac  de  caoutchouc  contenant  150  li- 
tres d’air,  à travers  les  doubles  soupapes  à potasse;  l’animal  se  tient  très- 
calme,  tandis  qu’il  était  fort  agité  au  début  de  l’expérience. 

4 heures  : 25cc  de  sang  artériel B 

4h  12™:  16  respirations;  86  pulsations;  température,  57°, 4. 

4h  15™  : 25cc  de  sang  veineux B' 

Air  du  sac |3 

Animal  fort  tranquille. 


GAZ  DU  SANG  : ASPHYXIE. 


079 


5h  15m  : 25cc  de  sang  veineux G7 

Air  du  sac y 

Respirations,  16;  pulsations,  92;  0 56°. 

6b  10m:  25cc  de  sang  veineux.  D' 

Air  du  sac <î 

Respirations,  16;  pulsations,  96;  6 55°, 5. 

7h  10m  : 25cc  de  sang  artériel E 

25cc  de  sang  veineux E' 

Air  du  sac g 

Respirations,  16;  pulsations,  100;  0 55°, 1. 

La  mort  arrive  à 8h  45m;  0 35°. 

Un  accident  empêche  de  faire  l’analyse  du  sang. 

L’air  du  sac  contient  pour  100  O 4,9  ; CO2  1,2. 


RÉSUMÉ  DE  L’EXPÉRIENCE. 


AIRS 

H 

H 

Z 

fl 

c/>  o 

C/3  CL 

c n 

O 

Z 

SANG  ARTÉRIEL 

SANG  VEINEUX  * 

• O 
Z 

a « „ g 

“B  ^ g 

U « ü 3 K 

ffi  B ® ° 5 

.ra  15  ‘W  , 

H 

OS 

E> 

H 

◄ 

as 

- 

H X 
« w 

OU  BS 

as 

O 

U 

< 
c n 

OXYGÈNE 

CO2 

OXYGÈNE 

CO2 

S *a  g S > 

U,  O 5 W C3 
Q X 

O C/î 

Z 

W 

eu 

a 

w 

H 

Normal 

c 

76 

AA' 

22,2 

29,4 

17,2 

40,3 

5,0 

39°, 8 

j3  (16,3  d’O.;  1,7  de  CO2).  . 

59 

RR' 

16,9 

39,0 

12,8 

39,2 

4,1 

37°, 4 

y (13,6  d’O.;  2,4  de  CO2).  . 

49 

C' 

» 

» 

11,3 

43,0 

» 

36°, 0 

S (10,6  d’O.;  3,1  de  CO2).  . 

38 

D' 

» 

» 

8,8 

45,8 

» 

35°, 5 

£ (7,7  d’O.;  3,0  de  CO2)  . . 

28 

EE' 

10,2 

34,5 

6,0 

45,8 

4,2 

35»,  1 

Mortel  (4, 9 d’O.;  1,2  de  CO2). 

17 

» 

» 

» 

» 

» 

33°,  0 

Expérience  CXCII.  — 15  novembre.  Chien  pesant  16  kil.  Respirant  libre- 
ment : température,  58°, 5. 

2h  45m  : On  prend  30cc  de  sang  carotidien A 

2h  54m  : De  même  50cc  de  sang  par  le  bout  périphérique  de  la  veine  ju- 
gulaire  A' 

2h  56m  : On  commence  à le  faire  respirer  dans  le  sac  contenant 
150  litres  d’air  à travers  les  soupapes  à potasse. 

5h  40m  : Température  rectale,  58°. 

5h  55m  : L’animal  est  fort  gêné  dans  sa  respiration  et  s’agite  depuis 


quelques  minutes.  Pris  50cc  de  sang  veineux .B' 

4h  5m  : Pris  50cc  de  sang  artériel B 

Air  du  sac . . . p 

4h  15m  : Température  rectale  56°. 

5 heures  : Pris  50cc  de  sang  veineux G' 

5h  7m  : Id.  de  sang  artériel . C 

Air  du  sac y 


680  EXPÉRIENCES. 

5h  15m:  Température  reclale,  54°. 

511  20iu  : Sang  artériel  50cc  ; animal  mourant I) 

5h  50m  : Sang  veineux , l’animal  étant  mort D' 


RÉSUMÉ  DE  L'EXPÉRIENCE. 


AIRS 

a 

H 

g < 

O Q 

c7î  2 

</3  0 

C/3 

O 

SANG  ARTÉRIEL 

i-ANG  VEINEUX 

DIFFÉRENCE 
EN  OXYGÈNE 
DU 

H 

CC 

U 

£H 

c : t/3 
C,  “ 

ce 

0 

CJ 

v/J 

OXYGÈNE 

CO- 

OXYGÈNE 

0 

0 ' 

1- 

SANG  ARTÉRIEL 
ET  DU 

SANG  VEINEUX. 

a 

S: 

£d 

H 

Normal 

c 

76 

AA' 

18,0 

49,0 

14,7 

54,0 

3,5 

38° 

£ (10,3  d’O.;  0,5  de  Co2). 

58 

RB' 

6,0 

42,5 

4,7 

49,0 

1,5 

36° 

y (4,7  d’O.;  0,5  de  Co2). 

17 

CC' 

3,7 

29,7 

2,8 

37,0 

0,9 

31° 

A la  mort 

» 

DD' 

0,33 

2 4,0 

0,15 

28,7 

0,18 

» 

La  figure  40  rend  encore  plus  faciles  à saisir  les  résultats 
de  ces  trois  expériences  au  point  de  vue  de  la  variation  des 
gaz  du  sang;  comme  de  coutume,  les  quantités  de  gaz  sont 
mesurées  sur  l’axe  vertical,  la  richesse  en  oxygène  et  la  pres- 
sion barométrique,  qui  lui  correspond,  sur  Y axe  des  x.  Les 
résultats  de  l’expérience  CXG  sont  marqués  par  des  lignes 


pointillées  ; ceux  de  l’expérience  GXCI  par  des 

traits ; ceux  de  l’expérience  GXCI1  par  des  traits  et  des 


points  

On  voit  du  premier  coup  d’œil  que,  dans  le  sang  veineux 
comme  dans  le  sang  artériel,  l’oxygène  et  l’acide  carbonique 
diminuent  quand  diminue  la  tension  de  l’oxygène  respiré. 

On  voit  également  que  la  différence  dans  la  richesse  ga- 
zeuse du  sang  artériel  et  du  sang  veineux  reste  presque  con- 
stante jusqu’à  ce  que  l’air  soit  à peu  près  à moitié  épuisé 
d’oxygène,  c’est-à-dire  jusqu’aux  environs  d’une  demi-atmo- 
sphère. Au  delà,  les  tracés  se  rapprochent. 

Ainsi,  jusqu’à  un  certain  degré,  le  sang  veineux  s’appau- 
vrit en  oxygène  de  la  même  quantité  que  le  sang  artériel  : 
ceci  mérite  quelque  attention. 

Prenons,  par  exemple,  l’expérience  CXG.  Au  début,  le  sang 
artériel  contient  21,0  d’O;  le  sang  veineux,  12,4  : différence 


Fig.  40.  — Diminution  des  gaz  du  sang  artériel  et  du  sang  veineux  quand  diminue  la  tension 
de  l’oxygéne  respiré  : le  groupe  inférieur  correspond  à l’oxygène  du  sang,  le  supérieur 
à l’acide  carbonique 


682 


EXPERIENCES. 


9,2  ; ce  qui  veut  dire  que  les  tissus  avaient  besoin  pour  leur 
entretien  régulier  et  ont  consommé  au  passage  9,2  volumes 
d’oxygène  par  chaque  100  volumes  de  sang. 

Nous  nous  abaissons  à une  pression  de  41% 8,  et,  en  vertu 
de  la  moindre  capacité  du  sang  pour  l’oxygène  à cette  pres- 
sion (voy.  plus  bas,  sous-chap.  V),  il  n’y  a plus  que  1 9,6  de  ce  gaz 
dans  le  sang  artériel;  nous  n’en  trouvons  que  10,2  dans  le 
sang  veineux  : différence  9,4.  La  consommation  d’oxygène 
par  les  tissus  est  donc  restée  la  même,  malgré  l’abaissement 
de  la  proportion  d’O  du  sang,  et  l’on  comprend  que  l’animal 
n’éprouve  aucun  trouble  notable  dans  ses  diverses  fonctions  : 
respiration,  circulation,  etc.,  comme  le  montre  le  récit  dé- 
taillé de  l’expérience. 

Mais  nous  continuons  à descendre;  la  pression  n’estplus  que 
de  17%  et  dans  le  sang  artériel  il  n’y  a plus  que  8,8  volumes 
d’oxygène.  Bien  évidemment,  la  consommation  d’oxygène 
par  les  tissus  n’a  pu  rester  à la  même  valeur,  valeur  que  nous 
avons  vue  être  supérieure  à 9 ; or,  l’analyse  du  sang  veineux 
montre  qu’elle  s’est  abaissée  à 6,6,  c’est-à-dire  qu’il  reste  en- 
core dans  le  sang  veineux  2,2  volumes  d’oxygène,  que  ne 
peuvent  extraire  facilement  les  tissus.  De  là  résultent  pour 
l’animal  des  troubles  nutritifs  manifestes,  un  abaissement  de 
la  température,  une  dépression  générale  des  muscles,  et 
notamment  du  cœur,  ce  qui  ajoute  encore  à l’effet  funeste, 
en  diminuant  la  consommation  de  l’oxygène  par  la  diminu- 
tion de  l’activité  circulatoire. 

La  difficulté  croissante  de  la  dissociation  de  l’oxy-hémoglo- 
bine  du  sang  veineux  quand  la  proportion  d’oxygène  y dimi- 
nue beaucoup  paraît  être  la  cause  des  angoisses  de  l’animal, 
qui  ne  peut  plus  extraire  de  son  sang  la  quantité  d’oxygène 
nécessaire  pour  son  équilibre  nutritif  dans  une  température 
donnée.  Or,  la  quantité  proportionnelle  d’oxygène  que  con- 
somment les  animaux  est  très-différente  d’un  individu  à un 
autre,  comme  le  montre,  par  exemple,  l’expérience  CXG,  où 
elle  est  de  9,2,  comparée  à l’expérience  CXCII,  où  elle  est  de 
5,5.  De  plus,  la  quantité  absolue  d’oxygène  contenue  dans  un 
volume  donné  de  sang  varie  singulièrement  aussi,  comme 


GAZ  DU  SANG  : EXPÉRIENCES  IN  VITRO. 


685 


nous  l’ont  appris  les  nombreuses  analyses  dont  nous  avons 
déjà  rendu  compte.  Enfin,  la  quantité  du  sang  lui-même  pa- 
raît également  fort  variable.  Il  n’y  a donc  rien  d’étonnant  que 
la  manière  d’être  des  divers  individus  d’une  même  espèce,  et 
à plus  forte  raison  des  représentants  d’espèces  différentes, 
soit  très-variable  en  présence  d’une  même  dépression,  l’un 
étant  très-impressionné,  tandis  que  l’autre  n’éprouvera  pres- 
que rien.  On  se  rend  compte  aisément  de  ceci  en  supposant 
deux  animaux  dans  lesquels  deux  de  ces  trois  conditions 
seraient  identiques,  et  la  troisième  fort  différente,  au  con- 
traire; il  est  inutile  d’insister  là-dessus,  parce  qu’on  sent  une 
série  de  combinaisons  dont  le  jeu  rend  fort  complexe  le  pro- 
blème et  impossible  la  prédiction  certaine  de  l’éventualité. 

Nous  aurons  à revenir  sur  ces  faits,  quand  nous  en  arrive- 
rons, dans  la  troisième  partie  de  l’ouvrage,  à l’explication 
des  accidents  connus  sous  les  noms  de  mal  des  aérostats  et 
de  mal  des  montagnes . 


SOUS-CHAPITRE  V 
« 

DE  LA  QUANTITÉ  d’ûXYGÈNE  QUE  PEUT  ABSORBER  , AUX  DIVERSES  PRESSIONS 
BAROMÉTRIQUES,  LE  SANG  TIRÉ  DES  VAISSEAUX. 

Les  analyses  des  gaz  contenus  dans  le  sang  des  animaux 
vivants  soumis  à des  pressions  plus  basses  qu’une  atmosphère 
m’avaient  donné,  pour  l’oxygène,  ainsi  que  je  l’ai  fait  re- 
marquer page  649,  des  résultats  qui  diffèrent  beaucoup  des 
conclusions  qu’on  aurait  pu  tirer  des  travaux  classiques,  et 
particulièrement  de  ceux  de  M.  Fernet. 

Déjà  Magnus  avait  montré  que,  lorsqu’on  place  du  sang 
sous  la  cloche  de  la  machine  pneumatique,  et  qu’on  diminue 
graduellement  la  pression,  les  gaz  ne  commencent  à se  dé- 
gager qu’à  des  pressions  très-basses,  et  que  le  sang  ne  noircit 
(c’est-à-dire  ne  perd  une  partie  notable  de  son  oxygène) 
qu’aux  environs  de  10e  de  mercure. 

M.  Fernet  s’était  proposé,  comme  nous  l’avons  vu  dans  la 


CS4 


EXPERIENCES. 


partie  historique  (page  260),  de  chercher  si  les  gaz  du  sang 
s’y  trouvaient  à l’état  de  dissolution  simple,  ou  engagés  dans 
une  combinaison  chimique.  Dans  le  premier  cas,  disait-il 
avec  raison,  la  capacité  du  sang  pour  ces  gaz  doit  être  pro- 
portionnelle à la  pression  barométrique,  suivant  la  loi  bien 
connue  de  Dalton.  Dans  le  second,  il  n’y  aura  aucun  rapport 
entre  cette  loi  et  la  proportion  absorbée  aux  différentes  pres- 
sions. Que  si,  enfin,  un  gaz  est  en  partie  dissous  et  en  partie 
combiné  dans  le  liquide,  il  sera  possible,  par  un  calcul  assez 
simple,  de  déterminer  la  valeur  proportionnelle  de  ces  deux 
parties. 

Or,  pour  ne  parler  que  de  l’oxygène,  M.  Fernet,  en  agitant 
du  sang  au  contact  de  ce  gaz  sous  des  pressions  qui  ont  varié 
de  la  pression  normale  à G47mm,  est  arrivé  à cette  double  con- 
séquence : 1°  qu’il  se  dissout  dans  le  plasma  sanguin  une 
quantité  d’oxygène  (coefficient  de  solubilité  à 16°,  c’est-à- 
dire  volume  de  gaz  dissous  par  unité  de  volume  de  liquide 
sous  la  pression  normale  : 0,0288)  à peu  près  égale  à celle  qui 
se  dissout  dans  l’eau  pure  (coefficient  de  solubilité  à 16°,  d’a- 
près Bunsen  : 0,0295);  2°  que  les  globules  sanguins  lixent  chi- 
miquement une  quantité  d’oxygène  indépendante  de  la  pres- 
sion, bien  supérieure  à la  précédente,  puisqu’elle  est  en 
moyenne  de  0,0958  par  unité  de  volume  de  sang.  Nous  voyons 
donc  que,  d’après  ces  expériences,  la  pression  barométrique, 
dans  ces  modifications  diverses,  peut  à peine  modifier  la  pro- 
portion d’oxygène  contenue  dans  le  sang.  Elle  ne  pourrait 
agir,  en  effet,  que  sur  le  gaz  simplement  dissous,  lequel  est 
au  gaz  combiné  dans  le  rapport  de  0,0288  à 0,0958,  c’est-à- 
dire  de  1 à 5,5,  lorsque  les  expériences  d’absorption  sont 
faites  avec  de  l’oxygène  pur.  Or,  comme  le  fait  remarquer 
M.  Fernet,  l’air  qui  sert  à la  respiration  ne  contenant  que  un 
cinquième  d’oxygène,  la  proportion  dissoute  dans  le  sérum 
devra  être  diminuée  dans  le  même  rapport;  d’où  il  résulte 
que,  dans  le  sang,  la  proportion  chimiquement  unie,  indépen- 
dante de  la  pression,  devra  être  5,5  X 5 = 16,5  fois  plus 
forte  que  celle  qui  suit  les  modifications  de  la  colonne  baro- 
métrique. C’est  pour  cela,  conclut-il,  « que  l’absorption 


685 


GAZ  DU  SANG  : EXPÉRIENCES  IN  VITRO. 

de  l’oxygène  est  à très-peu  près  la  même,  quelle  que  soit  la 
pression  atmosphérique,  sur  le  sommet  des  montagnes  et 
dans  les  plaines.  » 

A cette  conclusion  qui  ne  visait  que  la  quantité  d’oxygène  ab- 
sorbée par  un  animal  dans  un  temps  donné  sous  des  pressions 
différentes,  et  qui  se  trouvait  d’accord  avec  les  faits  antérieu- 
rement signalés  par  Régnault  et  Reiset,  Yierordt  et  Lehmann, 
les  physiologistes  en  ont  ajouté  une  seconde,  — qui  paraît 
tout  à fait  justifiée,  à priori,  par  les  travaux  mêmes  de  M.  Fer- 
net,  — c’est  à savoir  que,  dans  le  sang  de  l’animal  vivant, 
les  quantités  d’oxygène  sont  à peu  près  indépendantes  de  la 
pression  barométrique.  « Sans  cela,  dit,  par  exemple,  Lon- 
« get1,  on  arriverait  à cette  conséquence  que  le  sang  des  ha- 
« bitants  des  régions  où  la  pression  atmosphérique  est  ré- 
« duite  à moitié  renfermerait  moitié  moins  d’oxygène  que  le 
« sang  des  habitants  des  bords  de  la  mer,  où  cette  pression 
« est  de  0m, 760.  Comment  admettre  que  des  observateurs 
« n’auraient  point  été  frappés  des  profondes  modifications 
« que  des  variations  pareilles  ne  manqueraient  pas  de  pro- 
« du  ire  dans  le  mode  d’existence  de  ces  populations?» 

Cette  conclusion  et  le  raisonnement  qui  lui  sert  de  base 
furent  acceptés  par  tous  les  physiologistes.  Or,  il  est  fort  cu- 
rieux de  remarquer  que,  lorsque  M.  Jourdanet  vint  affirmer, 
appuyant  ses  assertions  sur  une  longue  pratique  médicale, 
que,  dans  les  régions  élevées  de  la  république  mexicaine,  « le 
« mode  d’existence  des  populations  est  profondément  modi- 
« fié,  » on  retourna  contre  lui  l’argumentation  même  de 
bonget,  et  que  l’on  nia  l'exactitude  de  ses  observations  comme 
contraires  aux  données  de  la  chimie  physiologique. 

L’explication  donnée  par  M.  Jourdanet  de  l’état  patholo- 
gique spécial  qu’il  avait  constaté  sur  les  plateaux  de  l’Ana- 
lmac  reposait  précisément  sur  la  moindre  quantité  absolue 
d’oxygène  que  devait  contenir  le  sang  des  hommes  et  des  ani- 
maux sous  une  aussi  faible  pression.  Or,  nous  venons  de  voir, 
dans  le  premier  sous-chapitre,  qu’il  avait  absolument  raison, 

Traité  de  physiologie,  *5a  édit.,  t.  V,  p.  592;  1868. 


i 


(3S6  EXPÉRIENCES. 

et  que,  malgré  le  légitime  étonnement  de  Longet,  il  est  exact 
de  dire  que,  si  l’on  diminue  de  moitié  la  pression  baromé- 
trique, on  voit  se  réduire  presque  à moitié  l’oxygène  contenu 
dans  le  sang. 

11  v avait  donc,  entre  le  résultat  des  observations  deM.  Jour- 
danet  et  de  nos  expériences,  d’une  part,  et,  d’autre  part,  les 
conséquences  logiques  des  analyses  de  M.  Fernet,  une  contra- 
diction qui  ne  pouvait  être  qu’apparente,  et  qu’il  s’agissait 
d’expliquer. 

Mais  tout  d’abord  M.  Fernet  n’avait  pu  modifier  la  pression 
que  dans  des  limites  fort  étroites  ; pour  le  sang  considéré 
dans  son  ensemble,  les  pressions  avaient  varié  de  741  à 
580  millim.  (p.  208).  Je  dus  me  demander  ce  qu’il  advien- 
drait dans  des  expériences  où  la  pression  serait,  d’une  part, 
diminuée  jusqu’au  voisinage  du  vide,  et,  d’autre  part,  aug- 
mentée de  plusieurs  atmosphères. 

Le  problème  était  infiniment  plus  facile  à résoudre  que  du 
temps  de  M.  Fernet;  j’avais,  en  effet,  à ma  disposition  des 
moyens  d’extraire  tous  les  gaz  du  sang,  que  n’avait  pu,  mal- 
gré tous  ses  efforts,  obtenir  ce  physicien.  Il  en  résulte  qu’il 
avait  dù  procéder  par  la  mesure  directe  des  gaz  absorbés, 
c’est-à-dire  de  la  diminution  de  volume  des  gaz  agités  avec 
du  sang  préalablement  dépouillé  de  ceux  qu’il  contenait  d’ar 
bord;  série  d’opérations  très-délicates,  qui  nécessitaient 
un  outillage  très-compliqué,  et  l’emploi  d’appareils  de  verre 
ne  permettant  pas  de  hautes  pressions.  Grâce  à la  pompe  à 
mercure,  au  contraire,  je  pouvais,  après  avoir  agité  le  sang 
en  présence  d’une  grande  quantité  d’air,  sous  des  pressions 
déterminées,  en  extraire  complètement  et  facilement  les  gaz 
dissous.  J’ai  pu,  delà  sorte,  opérer  un  grand  nombre  d’analyses, 
qui,  sans  prétendre  à la  rigueur  des  secondes  décimales,  sont 
très-suffisamment  exactes  pour  atteindre  le  but  que  je  me 
proposais. 

Je  vais  en  rapporter  quelques-unes;  mais  je  dois  aupara- 
vant remercierM.  Gréhant,  qui  me  suppléait  alors  à la  Faculté 
des  sciences  de  Paris,  et  qui,  à ma  prière,  a bien  voulu  exé- 
cuter un  grand  nombre  d’entre  elles. 


GAZ  DU  SANG  : EXPÉRIENCES  IN  VITRO. 


687 


1er.  — Pressions  inférieures  à une  atmosphère. 


Mes  premières  expériences  furent  simplement  faites  en  in- 
troduisant dans  un  flacon  à large  ouverture  (fig.  41)  une 
certaine  quantité  de  sang  délibriné  que  j’agitais  ensuite 
vigoureusement,  sans  fermer  complètement  le  flacon.  Lors- 
que le  sang  était  ainsi  saturé  d’oxygène,  j’attachais  le  flacon 
au  bout  d’une  longue  ficelle,  et  le  faisais  tourner  à la  façon 
d’une  fronde,  manœuvre  qui  fait  sortir  très-rapidement  les 
bulles  d’air  restées  en  suspension 
dans  le  liquide  visqueux.  Je  pre- 
nais alors,  avec  la  seringue  gra- 
duée, une  certaine  quantité  de 
sang,  dont  j’extrayais  les  gaz  par 
la  pompe  à mercure. 

L’ouverture  du  flacon  était 
alors  bouchée  avec  soin  par  un 
bouchon  de  caoutchouc  que  tra- 
versaient un  thermomètre  et  deux 
tubes  de  verre  coudés.  L’un  de 
ces  tubes  plongeait  dans  le  sang, 
dont  il  permettait  de  se  pro- 
curer ensuite  des  échantillons 
par  l’intermédiaire  du  robinet  R. 

Le  robinet  R’  du  second  portait 
une  pièce  bifurquée  par  laquelle 
s’établissait  à la  fois  la  communi- 
cation en  a avec  la  machine  pneu- 
matique, et  en  b avec  un  tube 
plongeant  dans  une  cuvette  pleine 
de  mercure,  tube  destiné  à for- 
mer baromètre* 

Les  choses  ainsi  disposées,  je  diminuais  la  pression  jus- 
qu’au point  voulu,  je  fermais  le  robinet  R’,  j’enlevais  le  tube 
bifurqué,  et  j’agitais  vigoureusement  le  flacon  pendant  un 
quart  d’heure;  Dans  ces  conditions,  l’oxygène  qui  aurait  été 


Fig.  41.  — Flacon  disposé  pour  la  satu- 
ration du  sang  par  l’oxygène  sous  di- 
verses dépressions. 


C88  EXPÉRIENCES. 

en  excès,  par  rapport  à la  pression  diminuée,  pouvait  sortir 
du  sang,  qui  n’était  plus  saturé  qu’à  cette  pression  nouvelle. 
Le  flacon  était  assez  grand,  par  rapport  à la  masse  du  sang, 
pour  que  l’oxygène  ainsi  dégagé  fût  absolument  négligeable. 
Du  reste,  je  m’assurais,  par  une  manœuvre  simple,  que  la 
pression  n’avait  pas  varié  sensiblement  pendant  l’agitation. 

Ceci  fait,  je  prenais  un  nouvel  échantillon  de  sang,  pour 
l’analyse  des  gaz. 

Comme  j’introduisais  dans  le  flacon  environ  200cc  de  sang, 
il  m’était  possible  de  faire  plusieurs  analyses,  avec  le  même 
sang,  à des  pressions  diverses. 

Plus  tard,  un  perfectionnement  utile  fut  apporté  à cette 
méthode,  dont  la  cause  d’erreur  principale  réside  dans  la 

difficulté  d’agiter 
suffisamment  bien 
avec  la  main.  Le 
flacon  fut  solide- 
ment fixé  sur  une 
planche  que  met- 
tait énergique- 
ment en  mouve- 
ment une’  petite 
machine  à eau 
(tig.  42).  Dans  ces 
conditions,  la  sa- 
turation du  sang  se  fait  avec  une  extrême  rapidité,  et  il  suffit 
de  quelques  tours  de  fronde  pour  faire  disparaître  ensuite  la 
mousse  et  les  bulles  de  gaz  en  suspension. 

Arrivons  maintenant  aux  expériences  : 

Expérience  CXCIII.  — 1er  décembre.  Flacon  de  5 litres;  180ce  de  sang  de 
chien  défibriné. 

Après  agitation  à la  pression  normale,  le  sang  contient  pour  1Ü0CC  de 
liquide  : oxygène  19,0  ; acide  carbonique  35,2. 

Après  agitation  à 56e  de  pression  : O 17,2  ; GO2  28,4;  Az2,4. 

A 56e:  O 16;  CO2  27,6;  Az  1,6. 

A 6e:  O 12,4;  C0225,2  ; Az  1,0. 

Expérience  GXG1V.  — 7 janvier.  Sang  de  chien,  agité  à 76cc,  contenant 


Fig.  42.  — Machine  à eau  agitant  le  flacon  où  se  trouve 
le  sang  à saturer  d’oxygène. 


GAZ  DU  SANG  : EXPÉRIENCES  IN  VITRO.  689 

pour  100ee  de  liquide:  25,3  d’oxygène  ; 35,7  d’acide  carbonique  ; 2,3  d’a- 
zote. 

Agité  à la  pression  de  38e,  contenait  encore  O 23,4  ; CO2  27,5;  Az  1,4. 


Expérience  GXGV.  — 9 janvier.  Sang  de  chien  affaibli  et  malade. 

GO2 

Agité  à 75e,  contient:  O 12,3;  GO2  41,6;  Az  2,4.  -^7  =3,4. 

CO2 

Agité  à 34e,  contient  O 11,3  ; GO2  41  ; Az  1,4.  -q-  =3,6. 

fO2 

A 18e  : O 10,4  ; CO2  55,6  ; Az  0,9.  ~ = 3,4. 

ff)2 

A 12e  : O 10  ; CO2  28,7  ; Az  0,6.  = 2,8. 


i 


Expérience  CXGVI.  — 15  janvier.  Sang  de  chien. 


CO2 


Agité  à 77e,  contient  O 20,2;  GO2  28,4;  Az  2,4.  — = 1,40 


CO2 


A 54e:  O 18,9  ; CO2  24,9;  Az  1,3. =1,31. 

fO2 

A 6e  : O 17,7;  GO2  19,8;  Az  0,4.  ^-  = 1,12. 


Expérience  CXCVII.  — 21  janvier.  Sang  de  bœuf. 
Agité  à 770mm,  contient  : O 19,3. 

A 85mm,  contient  : O 18,5. 

A 22œm,  — 0 13,3. 


Expérience  GXCVIII.  — 2 février.  Sang  d’un  chien  soumis  depuis  plusieurs 
jours  à des  hémorrhagies  répétées  et  portant  à la  cuisse  une  vaste  plaie 
suppurante. 

L’agitation  fut  faite  à deux  reprises  différentes  ; dans  l’une,  la  tempéra- 
ture était  celle  du  laboratoire,  11°, 4 ; dans  l’autre,  le  flacon  et  la  plan- 
chette étaient  restés  immergés  dans  l’eau  à 37°,  assez  lontemps  pour  que 
l’équilibre  de  température  fût  établi. 

1°  Température  11°, 4. 

A 760mra,  le  sang  contient  O 8,1  ; GO2  27,6  ; Az  2,0. 

A 9mm  : O 5,1;  GO2  17,5  ; Az  0,1. 

2°  Température  57°. 

A 760mm  : O 7,9  ; CO2  23,9  ; Az  1,2. 

A 407mm  : O 7,1  ; CO2  22,4  ; Az  0,8. 

Expérience  CXC1X.  — 6 mars.  Ghien  de  chasse  de  forte  taille,  bien  por- 
tant; 500  gr.  de  sang  sont  tirés  à la  carotide,  battus  à l’air  et  filtrés  sur  un 
linge.  Flacon  de  2 litres. 

Agité  pendant  une  demi-heure  à la  pressiQn  de  775mm  (762mm  défalcation 

44 


690 


EXPÉRIENCES. 


faite  de  la  tension  de  la  vapeur  d’eau)  et  à la  température  de  15°, 5,  le  sang 

(Y)2 

contenait  : O 25,2  ; GO2  50,2  ; Az  2,4.  -g-  =1,50. 

f f)2 

A 549mm  : O 22,6;  GO2  27,4  ; Az  1,0.  ~=1,21. 

GO2 

A 167mm  : O 21,5  ; CO2  25,1  ; Az  0,6.  ~=  1,12. 

(Y2 

A 88““  : O 20,0  ; CO2  21,0  ; Az  0,4.  = 1,05. 

Expérience  GG.  — 12  mars.  Sang  de  chien  ; température  12°.  Flacon  de 
45550. 

Agité  à 749mm  (défalcation  faite  de  la  tension  de  la  vapeur  d’eau  à 12°), 
contient  : 

GO2 

Oxygène  25,1;  GO2  27,5  ; Az  2,6. = 1,18. 

A 361'”™  : O 23,0;  CO2  22,0;  Az  2,0.  ^ = 0,95. 

GO2 

A 99““  : 0 22,5;  GO2 18,9;  Az  0,5.  ~ =0,84. 

A 55'”™  : O 20,8  ; CCI*  15,4  ; Az  0,2.  Y- 0,74. 

Expérience  CCI.  — 29  mai.  Sang  de  chien;  température  24°;  flacon  de 
4‘,550. 

A 758,mu  (déduction de  la  tension  de  la  vapeur  d’eau),  le  sang  contient: 

Go2 

O 25,6  ; CO2  25,0  ; Az  2,6.  — = 0,89. 

GO2 

A 318™“  : 0 25,7;  GO2  18,9;  Az  1,8.  ~ =0,79. 

(Y)2 

A 128““  : O 25,0  ; GO2  16,2;  Az  0,5.  =0,70 

GO2 

A 78““  : O 25,0;  CO2  15,7;  Az  0,5.  —-==0,59. 

G O2 

A 58““:  O 19,5;  GO2  10,8;  Az  0,5.  ^-  = 0,55. 

Le  graphique  ci-contre  (A,  fig.  45)  résume  et  exprime  la 
moyenne  des  résultats  des  expériences  précédentes,  pour  ce 
qui  a trait  à l’oxygène.  Il  a été  obtenu  en  supposant  que  la 
proportion  initiale  de  l’oxygène,  à la  pression  normale,  était 
toujours  de  20  volumes  pour  100  volumes  de  sang,  et  en  dé- 
terminant la  valeur  des  autres  nombres  par  des  proportions 


GAZ  DU  SANG  EXPÉRIENCES  IN  VITRO. 


091 


semblables  à celle-ci,  qui  s’applique  à l’expérience  CXCI1I  : 
19  (pression  normale):  20=  17,2  (pression  de  56e)  : a?  = 18,l. 

Un  simple  coup  d’œil  fait  voir  que,  de  la  pression  normale 
jusqu’à  celle  de  10  à 15  centimètres  de  mercure,  le  sang  ab- 


a 

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O 

#bp 

Éju 


sorbe  des  quantités  peu  différentes  d’oxygène  : un  ou  deux 
volumes  en  moins,  et  voilà  tout.  11  est  meme  fort  possible 
que  cette  différence  porte  seulement  sur  l’oxygène  dissous 
dans  le  plasma,  qui  s’élève,  suivant  M.  Fernet,  à 2,88  pour 


692 


EXPÉRIENCES. 


100  volumes  de  liquide.  Ainsi,  nos  analyses,  qui  vont  jus- 
qu’à des  pressions  considérablement  plus  basses  que  celles 
employées  par  M.  Fernet,  donnent  des  résultats  qui  déposent 
dans  le  sens  des  conclusions  de  ce  physicien. 

Mais  à partir  de  15  centimètres  de  mercure  et  au  delà, 
l’oxygène  sort  en  bien  plus  grande  proportion  du  sang  que  ne 
le  voudrait  la  loi  de  Dalton.  11  se  fait  là  une  dissociation  de 
ia  combinaison  de  l’oxygène  avec  l’hémoglobine,  dissociation 
dont  l’intensité  augmente  avec  rapidité. 

Une  sorte  de  contre-épreuve  a été  faite  en  employant  une 
méthode  plus  voisine  de  celle  de  M.  Fernet,  puisqu’au  lieu 
d’extraire  progressivement  l’oxygène  par  l’agitation  à des  pres- 
sions de  plus  en  plus  faibles,  on  mesurait  la  quantité  absorbée 
par  un  sang  absolument  dépouillé  de  gaz  au  préalable. 

Yoici  les  résultats  de  trois  expériences  ainsi  exécutées. 
On  verra  qu’ils  concordent,  dans  leur  sens  général,  avec 
ceux  qui  ont  été  obtenus  par  la  première  méthode. 

Expérience  CCI1.  — 30  décembre;  pression  762mm. 

On  préparé  deux  pompes  à mercure  et  deux  appareils  à extraction  des 
gaz  du  sang,  dans  lesquels  on  fait  le  vide  absolu. 

On  prend  dans  la  veine  jugulaire  d’un  chien,  à l’aide  d’une  seringue, 
158cc  de  sang  qui  e^t  injecté  dans  un  llacon  plein  d’air  ; agité  longtemps 
dans  le  flacon,  le  sang  est  ainsi  défibriné  et  oxygéné.  On  fait  passer  dans 
l’une  des  pompes  89cc,5  de  sang  mesuré  dans  une  éprouvette  graduée, 
sang  filtré  sur  un  linge  et  débarrassé  de  la  fibrine  et  des  bulles  d’air;  on 
extrait  les  gaz  du  sang  chauffé  de  55°  à 59°,  jusqu’à  ce  qu’on  entende  un 
choc  sourd  : le  sang  est  bien  réduit.  L’extraction  faite,  on  refroidit  le  sang 
dans  l’eau  froide  à 10°  environ. 

L’analyse  des  gaz  extraits  montre  que  100cc  de  sang  agité  dans  l’air  à 
la  pression  d’une  atmosphère  ont  absorbé  19cc,8  d’oxygène. 

On  fait  rentrer  dans  l’appareil  vide  de  l’air  à la  pression  de  1/2  at- 
mosphère; pour  cela,  on  dispose  un  long  tube  vertical  T (fig.  44)  dans 
lequel  on  verse  du  mercure;  il  est  fermé  par  un  bouchon  à deux  trous 
traversé  par  deux  tubes  de  verre.  L’un,  a , est  enfoncé  dans  le  mer- 
cure, et  la  partie  immergée  a une  longueur  de  381 mm  moitié  de 
762mm;  il  s’ouvre  dans  l’air  et  porte  un  robinet  r.  Le  deuxième 
tube  à,  qui  pénètre  seulement  à la  partie  supérieure  du  tube  plein  de 
mercure,  se  recourbe  au  dehors  en  un  siphon  qui  vient  se  fixer  par  un 
caoutchouc  c sur  le  tube  central  faisant  saillie  au  centre  de  la  petite 
cuve  à mercure  G qui  surmonte  le  robinet  R de  la  pompe  à gaz; 
en  tournant  ce  robinet  comme  le  montre  la  figure,  et  en  ouvrant 


GAZ  DU  SANG  : EXPÉRIENCES  IN  VITRO. 


693 


avec  précaution  le  robinet  r,  on  fait  pénétrer  bulle  à bulle  l’air  exté- 
rieur â travers  le  mercure,  et  lorsque  l’air  qui  est  venu  au  contact 
du  sang  possède  une  pression 
égale  à une  1/2  atmosphère,  l’air 
extérieur  cesse  de  rentrer  par  le 
tube  a. 

On  agite  alors  le  sang  en  éle- 
vant et  en  abaissant  le  ballon  de 
l’appareil  à extraclion,  on  agite 
25  fois  le  sang  avec  l’air  et  avec 
du  mercure;  le  sang  devient  d’un 
rouge  très-vif. 

En  manœuvrant  la  pompe,  et 
en  tenant  élevé  au-dessus  de  l’ho- 
rizon le  ballon  contenant  le  sang, 
on  fait  passer  ce  sang  dans  la 
chambre  barométrique,  puis  dans 
une  seringue.  On  en  obtient  ainsi 
69cc,  c|ue  l’on  fait  pénétrer  dans 
la  seconde  pompe  à mercure.  L’ex- 
traction des  gaz  donne  14cc,5  d’oxv- 
gène  d’air;  soit,  pour  100  vol.,  et 
après  corrections,  19,8,  nombre 
identique  au  précédent. 

Ainsi  le  sang  absorbe  exactement  la  même  quantité  d’oxygène  dans  les 
deux  cas. 

Expériekce  CCIII.  — 51  décembre. 

100cc  de  sang  de  chien  ont  absorbé,  sous  la  pression  ordinaire  de 
7G0mnl,  3'2CC,4  d’oxygène.  100cc  du  même  sang  privé  d’abord  complète- 
ment de  gaz  ont  absorbé  sous  la  pression  de  24mm,  c’est-à-dire  à une 
pression  52  fois  moindre,  26cc,l  d’oxygène. 

Expérience  CG1V.  — 20  et  21  mars.  Chez  un  chien  terrier,  bien  por- 
tant, on  prend  dans  une  branche  de  l’artère  fémorale  500gr  de  sang  qui 
est  défibriné  par  l’agitation  dans  un  flacon. 

Dans  un  grand  flacon  dont  le  volume  intérieur  est  égala  41,335,  onfait 
le  vide  à l’aide  de  la  machine  pneumatique,  et  on  extrait  ensuite  de  l’air 
avec  une  pompe  à mercure,  de  manière  à amener  la  pression  de  l’air  qui 
reste  à 2 centimètres  environ;  on  injecte  dans  le  flacon,  à l’aide  d’une  se- 
ringue, 68cc  de  sang  complètement  privé  de  gaz  par  l’extraction  des  gaz  à 
l’aide  d’une  pompe  à mercure  à 40°,  et  l’on  agite  le  sang  avec  l’air  raréfié 
pendant  1/2  heure,  agitation  obtenue  à l’aide  du  moteur  hydraulique. 
Après  l’agitation,  on  mesure  la  pression  de  l’atmosphère  raréfiée  et  on 
diminue  la  pression  trouvée  de  la  tension  de  la  vapeur  d’eau  à la  tempé- 
rature de  l’air  du  laboratoire,  afin  d’obtenir  la  pression  de  l’air  supposé 
sec;  on  trouve  seulement  152mm.  On  extrait  les  gaz  du  sang  agité  avec 


Fig.  44.  — Appareil  destiné  à mettre  le  sang 
au  contact  de  l’air  sons  une  certaine  dimi- 
nution de  pression. 


EXPÉRIENCES. 


691 

l’air  possédant  seulement  cette  faible  pression,  en  faisant  passer  directe- 
ment le  sang  du  flacon  dans  une  pompe  à gaz  vide  absolument  (pesée  du 
flacon  avant  et  après). 

2°  On  injecte  dans  le  flacon,  à l’aide  de  la  seringue,  68cc  de  sang  privé 
de  gaz  et  68cc  d’air;  agitation  pendant  1/2  heure,  etc....  Dans  les  expé- 
riences suivantes,  on  injecte  de  même  chaque  fois  68cc  de  sang  et  68cc 
d’air.  Voici  les  résultats  obtenus  après  les  corrections  nécessaires  : 

1 00&r  de  sang  d’abord  privé  de  gaz 

A la  pression  de  15e  ont  absorbé  7CC,5  d’O. 


— 

29e 

— 9CC,9  — 

— 

40e 

— 12cc,5  — 

— 

51e 

— 13cc,2  — 

— 

756e 

— 1 8CC,5  — 

Il  résulte  donc  de  ces  faits  que  jusqu’à  de  basses  pres- 
sions la  contradiction  signalée  entre  les  expériences  laites 
in  vitro  sur  la  capacité  du  sang  pour  l’oxygène  et  les  ana- 
lyses du  sang  des  animaux  vivants  subsiste  tout  entière,  telle 
qu’elle  nous  était  apparue  d’abord.  A toutes  les  pressions,  le 
sang,  agité  dans  un  flacon,  contient  une  quantité  à peu  près 
égale  d’oxygène  (tracé  A de  la  fig.  45),  tandis  que  chez  l’ani- 
mal vivant  la  proportion  d’oxygène  diminue  avec  rapidité, 
comme  le  montrent  le  tracé  G,  qui  reproduit  le  tracé  Ox  de  la 
fig.  51,  et  les  analyses  résumées  au  tableau  X (p.  645). 

En  présence  de  cette  difficulté,  je  dus  me  demander  si  la 
température  élevée  du  corps  de  l’animal  n’apporterait  pas 
quelques  modifications  aux  résultats  que  j’avais  obtenus  à 
de  basses  températures.  On  savait  déjà,  en  effet,  que  pour 
extraire  complètement  l’oxygène  du  sang  il  faut  joindre  à 
l’action  du  vide  celle  d’une  température  assez  élevée.  Qu’on 
me  permette  de  rapporter  ici  une  expérience  qui  démontre 
cette  vérité  : 

Expérience  GGV.  — 24  juin.  65ce  de  sang  de  chien  défibriné  sont  in- 
troduits, à 4h,  dans  le  récipient  de  la  pompe  à extraction  des  gaz,  où  le 
vide  absolu  a été  fait  préalablement.  La  température  n’est  que  de  19°. 

On  agite  à plusieurs  reprises  le  sang  dans  le  ballon,  et  on  en  extrait 
tout  le  gaz  qui  veut  venir,  mais  sans  chauffer.  On  obtient  ainsi,  pour  100cc 
de  liquide,  l lcc, 2 d’oxygène,  20cc,0  d’acide  carbonique,  et  2CC,0  d’azote. 

Cette  manœuvre  est  répétée  jusqu’à  Gh  ; depuis  plusieurs  coups  de  pompe 
il  ne  vient  plus  de  gaz,  et  le  sang  est  resté  nettement  rouge.  On  chauffe 


GAZ  DU  SANG  : EXPERIENCES  /ZV  VITRO. 


695 


le  bain-marie  à l’ébullition,  et  alors,  d’un  seul  coup  de  pompe,  on 
extrait  le  reste  du  gaz  : le  sang  noircit  aussitôt.  La  quantité  nouvellement 
extraite  représente,  pour  100cc  de  sang  : Oxygène  13,2;  CO2  13,0;  Az  0,6. 

Ainsi  le  sang  contenait  en  tout  : O 24cc,4  ; GO2  53,0  ; Az  2,6. 

Si  l’on  eût  soumis  ce  sang  aux  expériences  faites  par  la 
méthode  précédemment  décrite,  et  que,  dans  le  flacon  à agi- 
tation, on  eût  fait  le  vide  complet,  à 19°,  on  aurait  encore  pu 
en  extraire  par  la  chaleur  locc,2  d’oxygène.  La  température  a 
donc  une  importance  capitale. 

Je  disposai  donc  l’expérience  d’une  manière  un  peu  diffé- 
rente. Le  flacon  à agitation,  au  lieu  d’être  attaché  sur  la 
planchette  de  la  figure  42,  fut  solidement  fixé  au-dessous,  à 
une  “certaine  distance,  de  manière  à plonger  dans  un  bain 
d’eau  tiède  dont  on  entretint  la  température  à un  degré  sen- 
siblement constant  pendant  toute  la  durée  de  l’agitation. 

Or,  voici  les  résultats  d’expériences  faites  dans  ces  condi- 
tions : 

Expérience  GGVI.  — 5 juin.  Sang  de  chien;  agité  pendant  1/2  heure, 
le  flacon  de  41,530  étant  immergé  dans  l’eau  à 40°. 

A 725mm  (déduction  de  la  tension  de  la  vapeur  d’eau),  il  contient  : 
Ox:15,4; 

A 280mm  : O 13,8  ; 

A 100mm  : O 8,5. 

Expérience  CCVII.  — 10  juillet.  Sang  de  chien;  agité  pendant  20m,  le 
flacon  de  4!,530  étant  immergé  dans  l’eau  à 40°. 

A 738mm  (avec  la  déduction  habituelle),  le  sang  contient  : O 20,1  ; 
CO2 18,8;  Az  1,5. 

A 290mm  : O 16,4;  CO2  13,0;  Az  0,6. 

A 87mm  : O 11,3;  GO2  8,6;  Az  0,4. 

A 26*™:  O 7,2;  CO2  7,0;  Az  0,2. 

Expérience  CCVIII.  — 18  février.  Sang  de  chien  défibriné,  à 38°  temp. 
intérieure.  Agitation  à la  pression  normale  ; le  sang  contient  O 20,2; 

A 38e:  O 17,7; 

A 19e  : O 16,4. 

Expérience  GC1X.  — 26  février.  Sang  de  chien  défibriné.  Agitation 
à la  pression  normale;  température  intérieure  du  flacon  58°;  le  sang  con- 
tient O 18,2;  CO2  10,1; 

A 38e  : O 14,8;  CO2  6,8; 

A 19e  : O 10,6;  GO2  7,0. 


096 


EXPÉRIENCES. 


Ces  quatre  expériences,  quand  on  prend  les  moyennes  en 
ramenant  les  origines  des  tracés  à 20,  nous  donnent  le  tracé 
B de  la  figure  45. 

On  voit  que  la  courbe  (B)  s’incline  beaucoup  plus  rapide- 
ment que  la  précédente  (À),  et  qu’elle  se  rapproche  davan- 
tage de  celle  qui,  tirée  de  la  colonne  8 du  tableau  X, 
exprime  les  modifications  de  l’oxygène  chez  l’animal  vivant, 
et  est  ici  représentée  en  C.  En  d’autres  termes,  la  contradic- 
tion signalée  diminue  beaucoup  d’importance  quand  on  se 
place  dans  les  conditions  de  température  présentée  par  le 
corps  des  animaux  à sang  chaud. 

Cependant  il  résulte  de  nos  analyses  que  le  sang  arté- 
riel d’un  animal  vivant  soumis,  par  exemple,  à - une 
demi -atmosphère , pourrait  absorber  une  quantité  d’oxy- 
gène notablement  supérieure  à celle  qu’il  contient  en  réa- 
lité. 

C’est  que  l’agitation  intrà-pulmonaire  du  sang  avec  l’air  ne 
se  fait  plus  dans  des  conditions  suffisantes.  Déjà,  nous  l’avons 
vu,  même  à la  pression  normale,  le  sang  artériel  n’est  point 
saturé  de  l’oxygène  qu’il  peut  contenir  ; il  n’y  arrive,  ou  à 
peu  près,  qu’à  la  suite  d’efforts  exagérés  de  respiration,  qui 
entraînent  une  exagération  de  la  rapidité  circulatoire.  A 
une  demi-atmosphère,  il  faudrait,  pour  obtenir  le  même 
résultat  qu’au  niveau  du  sol,  que  l’activité  du  brassement 
intrà-pulmonaire  fût  doublée  : doubles  les  mouvements  res- 
piratoires en  amplitude,  en  rapidité;  doubles  les  mouve- 
ments du  cœur,  en  force  et  en  nombre.  Cela  est  évidemment 
impossible. 

En  résumé,  les  conclusions  du  travail  de  M.  Fernet  ne  sont 
légitimes  que  dans  les  conditions  de  pression  et  de  tempéra- 
ture (16°)  uù  il  s’était  placé.  A des  pressions  plus  faibles,  à 
la  température  du  corps,  la  partie  de  l’oxygène  qu’il  con- 
sidère comme  chimiquement  combinée  dans  le  sang  parce 
qu’elle  est  indépendante  de  la  pression  suit  réellement  les 
modifications  de  celle-ci , bien  que  notablement  moins  vite 
que  ne  le  ferait  un  gaz  simplement  dissous.  Mais  ceci  se  com- 
plique, dans  l’organisme  vivant,  d’une  agitation  insuffisante 


697 


EXPÉRIENCES  IN  VITRO . 


GAZ  DU  SANG  : 

du  sang  au  contact  de  l’air, 
d’où  résulte  une  diminu- 
tion beaucoup  plus  rapide 
de  l’oxygène  du  sang  que 
ne  l’auraient  fait  penser 
les  expériences  in  vitro. 

g 2.  — Augmentation 
de  pression. 

Pour  étudier  l’absorp- 
tion de  l’oxygène  par  le 
sang  à des  pressions  supé- 
rieures à celle  de  l’atmos- 
phère, j’ai  fait  fabriquer 
un  récipient  de  bronze, 
d’une  capacité  de  175cc,  ca- 
pable de  résister  aisément 
à 25  atmosphères  (fîg.  45). 
La  manœuvre  était  des  plus 
simples.  On  introduisait 
dans  l’appareil,  dont  la 
partie  intérieure  pouvait 
se  dévisser,  le  sang  défi- 
briné destiné  à l’analyse; 
j’en  mettais  ainsi  environ 
100cc.  Puis,  le  cylindre  re- 
fermé, j’y  comprimais  l’air 
en  le  vissant  à la  pompe 
à compression,  et  fermais 
le  robinet  Pi  quand  le  ma- 
nomètre m’indiquait  que 
j’étais  arrivé  à la  pression 
voulue.  J’agitais  ensuite 
l’appareil  en  le  fixant  sur 
la  planchette  de  la  fig.  42. 
Enfin,  pour  extraire  le  sang 


Fig.  45.  — Appareil  pour  saturer  d air  le  sang 
à de  hautes  pressions. 


698 


EXPÉRIENCES. 


dans  la  seringue  graduée,  il  me  suffisait  d’en  adapter  l’extré- 
mité au  robinet  capillaire  r et  d’entr’ouvrir  celui-ci;  la  pres- 
sion de  l’air  chassait  aussitôt  le  sang;  on  maintenait  avec 
quelques  coups  de  pompe  une  pression  constante  dans  l’ap- 
pareil pendant  toute  la  prise  de  sang.  Quand  il  s’agissait 
de  très-hautes  pressions,  où  l’azote  dissous  en  quantité  se  dé- 
gageait dans  la  seringue,  je  substituais  la  pesée  à la  mesure 
d’un  volume  que  la  mousse  ne  me  permettait  plus  de  déter- 
miner exactement. 

Lorsque  je  voulais  faire  une  analyse  à une  certaine  com- 
pression, je  commençais  par  sursaturer  le  sang  en  l’agitant 
à une  pression  supérieure,  afin  d’être  sûr,  en  le  ramenant  à 
la  pression  voulue,  qu’il  contenait  bien  tout  l’oxygène  qu’il 
pouvait  absorber.  Si  plusieurs  analyses,  à diverses  pressions, 
devaient  être  faites  avec  le  même  sang,  je  procédais  de  même 
en  commençant  par  la  plus  élevée  ; j’en  avais  parfaitement  le 
droit,  puisque  la  quantité  d’oxygène  introduite  dans  l’ap- 
pareil sous  compression  était  toujours  de  beaucoup  supé- 
rieure à celle  que  le  sang  pouvait  absorber.  Il  convient  de 
dire  que  la  pression  comptée  dans  l’expérience  était  celle  qui 
se  lisait  après  l’agitation  et  l’absorption  terminée. 

Un  premier  point  a d’abord  été  déterminé  : c’est  que  l’aug- 
mentation de  l’oxygène  contenu  dans  le  sang  était  tout  à fait 
passagère,  et  disparaissait  rapidement  quand  la  compression 
avait  cessé.  L’expérience  suivante  en  fait  foi  : 

Expérience  CGX.  — 20  juin.  Sang  de  chien  défibriné. 

A la  pression  normale,  après  longue  agitation,  contient  O 20,0. 

On  en  introduit  100cc  dans  l’appareil,  et  l’on  fait  la  compression  à 12  at- 
mosphères, avec  du  gaz  suroxygéné,  en  telle  sorte  que  la  tension  de  l’oxy- 
gène correspond  à 44  atmosphères  d’air.  Après  une  agitation  qui  a été  in- 
suffisante pour  une  saturation  complète,  on  trouve  dans  le  sang,  pour  1 00cc  : 
O 57,7. 

On  recueille  alors  dans  un  flacon  le  reste  du  sang  comprimé,  qui  est 
très-rouge  et  contient  beaucoup  de  gaz  en  suspension  ; le  flacon  reçoit  un 
tour  de  fronde,  et  10m  après  la  sortie  de  l’appareil,  le  sang  ne  contient 
plus  que  20  vol.  d’oxygène,  comme  au  début  de  l’expérience. 

Arrivons  maintenant  aux  expériences  faites  avec  un  soin 


GAZ  DU  SANG  : EXPÉRIENCES  IN  VITRO. 


699 


suffisant  pour  que  la  saturation  ait  été  complète;  la  pression 
a été  faite  avec  de  l’air  ordinaire  : 

Expérience  CGXI.  — 20  juin.  Sang  de  chien  défibriné. 

A la  pression  normale  contenait  O : 20,0 
A 12  atmosphères  en  contenait  50,0 
A 8 — — 25,7 

A 4 - — 22,8 

Expérience  CCXIl.  — 22  janvier.  Sang  de  chien  défibriné. 

A la  pression  normale,  contenait  O 20,2 
A 18  atmosphères  — 28,2 

A 9 — 25,9 

J’appelle  tout  particulièrement  l’attention  sur  l’expérience 
suivante,  qui  a été  faite  avec  les  plus  grandes  précautions  : 

Expérience  CCXII1.  — 12  janvier.  On  tire  à un  chien  de  très-grande 
taille  500cc  de  sang  à l’artère  fémorale.  Ce  sang  est  défibriné,  filtré  à tra- 
vers un  linge,  puis  agité  pendant  une  demi-heure  avec  de  l’air  à la  pres- 
sion normale;  il  contient  14,9  vol.  d’oxygène. 

On  l’introduit  alors  dans  l’appareil  ; à chaque  expérience,  l’agitation 
dure  une  demi-heure.  On  a trouvé  ainsi  : 

A 6 atmosphères,  O 19,2 
A 12  — 26,0 

A 18  — 51,1 

Discutons  les  résultats  de  cette  dernière  expérience. 

Appelons  x le  volume  d’oxygène  supposé  combiné  avec 
l’hémoglobine  contenue  dans  100cc  de  sang,  volume  qui  se- 
rait, par  hypothèse,  indépendant  de  la  pression  ; appelons  y 
le  volume  d’oxygène  que  100cc  de  sang  absorberaient,  à l’état 
de  simple  dissolution,  à la  suite  d’agitation  dans  l’air  à la 
pression  normale;  nous  aurons  : 

A 1 atmosphère  x-\-  ?/  = 14,9  (1) 

6 — x-\-  6 î/  = 19,2  (2) 

12  — ^-4-12?/=  26,0  (5) 

18  — jp  + 18y=51,l  (4) 

Retranchons  (1)  de  (4),  il  vient  17 y=  16,2,  d’où  y=  0,95  ; 
de  l’équation  (1)  nous  tirons  alors  æ=  14, 9 — 0,95  = 13,95. 

En  portant  ces  valeurs  dans  les  équations  (2)  et  (5),  nous 


700 


EXPÉRIENCES. 


trouvons  les  chiffres  19,6  et  25,4,  au  lieu  de  19,2  et  de  26, 
différences  qui  sont  tout  à fait  de  l’ordre  des  erreurs  d’expé- 
rience. 

Ainsi  l’hypothèse  est  vérifiée,  et,  au-dessus  de  1 atmos- 
phère, la  pression  n’ajoute  plus  au  sang  que  de  l’oxygène 
dissous,  dont  la  proportion  croissante  suit  la  loi  de  Dal- 
ton. 

Si  donc  nous  prenons  20  comme  proportion  moyenne  d’oxy- 


gène contenu  dans  le  sang  à la  pression  normale,  et  si  nous 
supposons,  pour  faciliter  le  calcul,  qu’il  y en  ait  1 volume  de 
dissous,  nous  trouverons  que,  à 6 atmosphères,  il  devra  y 
avoir  25  volumes;  à 12  atmosphères,  51  volumes;  à 18  atmos- 
phères, 57  volumes. 

Ces  derniers  résultats  sont  marqués  au  graphique  de  la 
figure  46  par  les  points  dont  la  série  forme  naturellement 
une  ligne  absolument  droite.  Or,  si  nous  avions  dessiné  à 


GAZ  DU  SANG  : EXPÉRIENCES  IN  VITRO. 


701 


la  même  échelle  le  tracé  de  l’expér.  CCXIII,  et  que  nous  en 
eussions  ensuite  remonté  l’ensemble  jusqu’à  amener  son 
point  d’origine  (14,9)  sur  la  ligne  marquée  20,  les  quatre 
points  de  ce  tracé  se  trouveraient  représentés  par  les  petites 
croix  du  graphique.  On  voit  combien  ils  approchent  des 
points  théoriques. 

On  a ajouté  entre  1 atmosphère  et  le  vide  une  réduction 
du  tracé  A de  la  figure  43,  qui  complète  la  vue  d’ensemble 
de  la  capacité  du  sang  pour  l’oxygène,  depuis  les  plus  basses 
jusqu’aux  plus  hautes  pressions. 

J’ai  dû  me  demander  si  pour  les  pressions  élevées  la  tem- 
pérature amènerait  quelque  différence  importante  dans  la 
capacité  du  sang  pour  l’oxygène.  Les  expériences  que  je 
viens  de  rapporter  ayant  été  exécutées  à la  température 
du  laboratoire,  j’en  ai  fait  une  autre  en  agitant  le  sang 
dans  un  bain  maintenu  à 40°.  Comme  les  résultats  ont  con- 
cordé avec  ceux  qui  précèdent,  je  n’ai  pas  cru  devoir  mul- 
tiplier les  faits. 

Voici  l’expérience  : 

Expérience  CGXIV.  — 15  janvier.  300  grammes  de  sang  artériel  sont  tirés 
à un  chien  de  grande  taille,  défibrinés  et  filtrés  sur  un  linge. 

J’en  introduis  150  grammes  dans  l’appareil  de  la  figure  45;  je  com- 
prime l’air  à 22  atm.,  et  je  fais  agiter  le  sang  et  l’air  pendant  une  demi- 
heure,  l’appareil  baignant  dans  l’eau  à 40°. 

J’abaisse  la  pression  à 18  atm.,  et  cinq  minutes  après,  je  recueille 
28  grammes  de  sang A 

La  pression  étant  abaissée  aussitôt  à 12  atm.,  j’agite  encore  et  re- 
cueille 33  grammes  de  sang B 

Semblable  manœuvre  me  donne,  à 6 atm.,  41  grammes  de  sang.  . . C 

Enfin,  à la  pression  normale,  il  me  reste  encore  20  grammes  de  sang.  D 
L’analyse  par  la  pompe  montre  que  : 

A (18  atm.)  contient,  pour  100  vol.  : O 35,7;  Az.  19,2 


B (12  — ) -- 

— 

30,9 

15,1 

C (6  - ) - 

— 

27,1 

7,8 

D (1  - ) - 

— 

23,0 

1,3 

En  opérant  sur  ces  chiffres  les  calculs  qui  viennent  d’être 
appliqués  à l’expérience  CCXIII,  nous  trouverions  pour  le 
coefficient  de  dissolution  de  l’oxvgène  0,75  et  pour  les  valeurs 


702 


EXPÉRIENCES. 


de  B et  de  G 51,2  et  26,7.  L’écart  entre  le  calcul  et  l’expé- 
rience est  donc  de  l’ordre  des  premières  décimales,  ce  qui 
ne  saurait  nous  émouvoir. 

Ainsi,  à la  température  du  corps,  comme  à celle  du  labo- 
ratoire, lorsqu’on  augmente  la  pression,  l’augmentation  dans 
la  proportion  de  l’oxygène  suit  la  loi  deDalton. 

D’autre  part,  si  nous  nous  reportons  à ce  qui  a été  constaté 
directement  chez  l’animal  vivant  (fig.  56,  ligne  pleine, 
p.  664),  nous  voyons  que  la  quantité  d’oxygène  contenue  dans 
le  sang  est  notablement  inférieure  à sa  capacité  maximum 
in  vitro. 

Gela  doit  tenir  en  partie  à ce  que  l’oxygène  simplement 
dissous  dans  le  sérum  tend  à pénétrer  aussi  par  simple  dis- 
solution dans  tous  les  liquides  organiques  et  les  tissus  que 
baigne  le  sang,  jusqu’à  ce  qu’il  s’établisse  entre  eux  et  ce 
sérum  un  équilibre  de  dissolution. 

Le  ralentissement  des  mouvements  respiratoires  et  de  la 
circulation  du  sang,  si  facile  à constater  aux  hautes  pressions 
chez  les  animaux  à sang  froid,  vient  certainement  aussi  con- 
courir à diminuer  la  quantité  d’oxvgène  qui  devrait  s’intro- 
duire dans  le  sang,  en  modifiant  les  conditions  de  l’agitation 
aéro-sanguine  qui  se  fait  dans  les  poumons,  il  y aurait  ià,  de 
la  part  de  l’organisme,  une  lutte  pour  l’équilibre,  s’opérant 
en  sens  inverse  de  celle  sur  laquelle  nous  avons  insisté  plus 
haut. 

Si  nous  nous  reportons  maintenant  à cette  observation  faite 
plusieurs  fois  déjà  que  le  sang,  dans  les  conditions  de  la  res- 
piration normale,  n’est  jamais  saturé  de  l’oxygène  qu’il  peut 
absorber,  on  concevra  que,  l’augmentation  de  pression  in- 
troduisant un  peu  plus  d’oxygène  dans  le  sang,  cet  oxygène 
devra  être  d’abord  rapidement  condensé  par  les  globules 
sanguins,  en  telle  sorte  que  l’hémoglobine  du  sang  arrive  à 
s’en  saturer  tout  entière  avant  qu’il  en  reste  une  plus  forte 
proportion  dans  le  sérum. 

Mais  au  point  de  vue  chimique  pur,  les  faits  que  je  viens  de 
rapporter  présentent  un  intérêt  nouveau  quand  on  les  rap- 
proche de  ceux  qu’ont  récemment  signalés  MM.  Risler  et 


GAZ  DU  SANG  : EXPÉRIENCES  IN  VITRO. 


705 


Schützenberger1.  Selon  ces  chimistes,  le  sang,  ou,  pour  mieux 
dire,  l’hémoglobine  à laquelle  on  a enlevé  tout  l’oxygène  pos- 
sible par  l’action  du  vide  ou  de  l’oxvde  de  carbone,  en  con- 
tiendrait encore  une  quantité  à peu  près  égale  à celle  qu’elle 
vient  de  perdre. 

11  y aurait  donc  ici  une  sorte  d e protoxy -hémoglobine,  que  le 
vide  même  aidé  de  la  chaleur,  que  l’oxyde  de  carbone,  ne  sau- 
raient réduire,  et  une  deutoxy-hémoglobine , à laquelle  le  vide 
et  l’oxyde  de  carbone  pourraient  enlever  son  second  équivalent 
d’oxygène.  Au  delà,  l’hémoglobine,  complètement  saturée,  ne 
saurait  plus  prendre  d’oxygène,  dont  la  proportion  augmen- 
terait seulement  par  simple  dissolution  dans  le  sérum  am- 
biant. Gela  rappelle  singulièrement  le  mode  d’union  de  l’a- 
cide carbonique  avec  les  bases  alcalines , dont  les  proto- 
carbonates  sont  indécomposables  par  le  vide,  tandis  que  les  , 
deuto-carbonates  perdent  aux  très-faibles  pressions  baromé- 
triques leur  second  équivalent  d’acide,  comme  on  le  sait  de- 
puis les  travaux  d’H.  Rose.  Le  sang  complet  se  comporterait 
donc  vis-à-vis  de  l’oxygène,  comme  le  fait  une  solution  de 
bicarbonate  de  soude  vis-à-vis  de  l’acide  carbonique.  Dans 
l’un  et  l’autre  cas,  il  se  trouve  1°  en  dissolution  dans  l’eau  et 
sa  proportion  peut  y être  indéfiniment  augmentée  suivant  la 
loi  de  Dalton  ; 2°  en  union  facile  à dissocier  par  le  vide  aidé 
de  la  chaleur;  5°  en  union  inattaquable  par  le  vide  et  la 
chaleur. 

Ce  rapprochement  est  très-saisissant  lorsqu’on  fixe  son  at- 
tention sur  la  manière  dont  ce  gaz  sort  du  sang  quand  on 
agite  ce  liquide  avec  l’air  à diverses  pressions  barométriques. 

L’agitation  du  sang  avec  l’air  pur,  à la  pression  normale, 
ne  lui  enlève  que  très-lentement  une  partie  de  son  acide  car- 
bonique, sans  pouvoir  l’en  dépouiller  complètement.  Si  l’air 
est  dilaté,  la  sortie  de  l’acide  se  fait  un  peu  plus  vite.  Cepen- 
dant les  expériences  qui  viennent  d’être  ci-dessus  rapportées 
(p.  688  et  suiv.)  montrent  que,  même  à d’assez  basses  pres- 
sions, le  sang  ne  perd  pas  rapidement  son  acide  carbonique. 

Comptes  rendus  de  l'Aôcld.  des  sciences , t.  LXXV1,  p»  440  ; février  1875* 


1 


704 


EXPÉRIENCES. 


Cependant  ce  gaz  sort  du  sang  en  proportions  un  peu  plus 
considérables  que  ne  le  fait  l’oxygène;  aussi  voit-on  le  rap- 
CO2 

port  -Q-  diminuer  de  valeur  au  fur  et  à mesure  que  la  dé- 
compression augmente  (expér.  CXCIX,  CC  et  CCI). 

D'autre  part,  en  faisant  un  vide  progressif  sur  du  sang  placé 
dans  la  pompe  à mercure,  je  n’ai  vu  l’acide  quitter  le  sang 
en  proportions  notables  qu’à  de  très-basses  pressions,  à peu 
près  en  même  temps  que  l’oxygène.  En  d’autres  termes,  les 
bicarbonates  et  les  phospho-carbonates  alcalins  se  compor- 
tent aux  environs  du  vide  comme  la  deutoxy-hémoglobine 
dont  je  parlais  tout  à l’heure. 


CHAPITRE  III 


PHÉNOMÈNES  PRÉSENTÉS  PAR  LES  ANIMAUX  SOUMIS  A DES  PRESSIONS 
INFÉRIEURES  A CELLE  DE  l’aTMOSPHÈRE. 


Les  phénomènes  présentés  par  les  animaux  soumis  à la 
diminution  de  pression  sont  précisément  ceux  qui  ont  été 
signalés  chez  les  voyageurs  en  montagne  et  les  aéronautes; 
j’ai  cependant  quelques  détails  intéressants  à ajouter  à ce 
qui  est  connu  déjà.  Mais  je  ne  fais  nulle  difficulté  d’avouer 
que,  ces  phénomènes  étant  d’ordre  purement  descriptif,  leur 
analyse  exacte  m’a  paru  ne  devoir  être  faite  qu’après  une 
étude  suffisamment  approfondie  de  leur  cause  ; l’intérêt  était 
évidemment  d’ordre  inférieur. 

Cependant,  je  crois  devoir  rapporter  ici  les  détails  de  quel- 
ques expériences.  Il  sera  plus  facile  ensuite  d’en  analyser  les 
phénomènes  en  les  groupant  autour  des  principales  fonctions 
physiologiques.  Mais  les  conclusions  que  nous  en  tirerons 
s’appuieront  également  sur  les  expériences  nombreuses  ex- 
posées au  1er  sous-chapitre  du  chapitre  Ier,  et  au  2e  sous-cha- 
pitre du  chapitre  II,  expériences  qu’il  m’a  paru  au  moins 
inutile  de  raconter  à nouveau  ici. 

Après  l’exposé  de  ces  symptômes,  j’en  ferai  la  comparaison 
avec  ceux  que  présentent  les  animaux  asphyxiés  en  vase  clos 
à la  pression  normale;  je  déduirai  ensuite  de  tous  ces  faits  la 

45 


706 


EXPÉRIENCES. 


méthode  qu’il  faut  employer  pour  se  mettre  à l’abri  des  acci- 
dents de  la  décompression,  et  je  ferai  le  récit  des  expériences 
exécutées  suivant  cette  méthode  sur  les  animaux  et  même 
sur  l’homme. 

SOUS-CIIAPITRE  PREMIER 

ACCIDENTS  DE  LA  DÉCOMPRESSION. 


Expérience  CCXY.  — 2 mars.  — Petit  Chien,  mis  dans  le  grand  cy- 
lindre. 

91.  5m.  Pression  normale  : 16  respirations. 

2h  15m.  40e  de  pression  : 16  — 

2h  20m.  26e  — 24  — 

2h  26"'.  22e  — 40  — se  concile  ; les  respirations 

sont  dicrotes;  il  respire  d’abord  parle  thorax,  puis  l’abdomen  se  sou- 

lève. 

2h  56m.  20e  dépréssion;  44  respirations. 

2h  42 m.  19e  — 56  — 

2h  47m.  18e  — 40  — 

2h  55IU.  On  ouvre  un  peu  le  robinet  de  rentrée  d’air;  la  pression  re- 
monte à 21e,  les  respirations  tombent  à 50.  Puis  on  referme  le  robinet. 

A 5h  la  pression  n’est  plus  que  de  19  ; les  respirations  sont  restées  à 50. 

A 5h  5m,  18e  de  pression;  les  respirations  tombent  à 28. 

5h  10m.  Pression  22e;  respirations  J 8. 

5“  14m.  — 25e;  — 16. 

5 11  T6m.  — 25e;  — 14. 

511  18m.  Retour  à la  pression  normale. 

5h  24m.  Respirations  14. 

L’animal  se  porte  bien. 

Expérience  CCXV1.  — 21  mars.  Chien  épagneul  de  grande  faille,  mis  a 
5h  dans  le  grand  cylindre  à dépression.  Sa  température  rectale  est  58°, 5.  A 
4h  58111,  la  pression  n’est  plus  que  de  25e.  On  ramène  rapidement  la  pres- 
sion normale;  la  température  de  l’animal  s’est  abaissée  à 56°, 5. 

Expérience  CCXV11.  — 2 avril.  Chienne  bull-dog,  ayant  eu  déjà  quel^ 
ques  opérations  ; attachée  dans  le  même  appareil. 

4h 40m,  à la  pression  normale  24  respirations,  J 25  pulsations,  tempé* 
rature  rectale  59°; 

4h45ul,  pression  46e,  24  respirations,  110  pulsations; 

4h  55m,  pression  56e,  22  respirations,  100  pulsations; 


ACCIDENTS  DE  LA  DÉCOMPRESSION  : LEUR  DESCRIPTION. 


707 


ôh  5m,  la  pompe  s’arrête  et  l’air  revient  à la  pression  normale  : 20  res- 
pirations, 120  pulsations. 

On  a mis  à nu  l’artère  fémorale  autour  de  laquelle  a été  placé  un  fil  de 
cuivre  qui  en  indique  les  mouvements  et  permet  ainsi  d’en  compter  les 
pulsations. 

5h  35m,  la  pompe,  remise  en  marche,  a ramené  la  pression  à 46e  : res- 
pirations, 18,  pulsations  104. 

5h45m,  pression  36e,  respirations  24,  pulsations  100. 

6h  15m,  pression  41e,  respirations  18,  pulsations  100. 

6h  20m,  pression  normale;  la  température  rectale  est  38°, 8. 

Expérience  CCXVI1I.  — 23  avril.  Chien,  sous  la  peau  duquel  ont  été  in- 
jectés 5 centigrammes  de  chlorhydrate  de  morphine. 

Mis  à 4h  30m  dans  le  grand  cylindre,  avec  un  manomètre  dans  l’artère 
fémorale  gauche. 

Il  a alors  20  respirations  et  126  pulsations. 

A 4h  52ni,  la  pression  est  à 60e;  il  y a 24  respirations  et  120  pulsations. 

A 4h  55m,  la  pression  est  à 45e  : 33  respirations;  184  pulsations. 

A 4h  40ni , la  pression  est  redevenue  normale;  les  respirations  sont  tom- 
bées à 24  et  les  pulsations  sont  restées  à 160. 

On  ne  peut  apprécier  exactement  la  tension  artérielle  à cause  des  cail- 
lots. 

Expérience  CCXIX.  — 27  mai.  Chien,  attaché  dans  le  grand  appareil, 
avec  fémorale  mise  à nu,  et  cardiomètre  dans  l’artère. 

5h  40m.  — Pression  normale  : 30  respirations;  134  pulsations;  pression 
cardiaque,  de  16  à 18e. 

A 5h  55m.  — Pression  36e;  60  respirations;  l’animal  s’est  agité  par  in- 
stants. 

A 6h  5m.  — Pression  26e  ; 70  respirations  inégales.  On  ouvre  la  commu- 
nication de  l’artère  avec  le  manomètre  ; le  mercure  monte  et  oscille  entre 
16  et  18°.  Les  pulsations  sont  de  160  à 180  par  minute. 

Retour  à la  pression  normale  en  5m;  20  respirations.  L’animal  revien 
rapidement  à l’état  normal. 

Expérience  CCXX.  22  avril.  — Chat  amené  à 2h  30111  rapidement  à 26e  de 
pression,  sous  courant  d’air.  Ne  peut  demeurer  debout,  se  couche  en 
miaulant. 

5h  20m,  33  respirations. 

5h  30,n,  ramené  à 36e  parce  qu’il  parait  trop  malade. 

5h  30m,  est  toujours  resté  couché  en  rond. 

Retiré  à 6h  ; n’a  pas  uriné. 

Maintenu  sous  cloche  ; mais  à la  pression  normale,  sous  courant  d’air 
continu. 

23  avril;  10h  du  matin,  retiré.  Il  a uriné  ; son  urine  ne  contient  pas 
de  sucre. 

Se  remet  très-bien. 


708 


EXPÉRIENCES. 


Expérience  CCXXl.  — - 14  mai.  — Chat  pesant  3k,500.  Sous  la  peau 
10  centig.  de  chlorhydrate  de  morphine.  On  le  place  sous  une  grande 
cloche  de  verre,  mesurant  311;  son  artère  fémorale  a été  mise  à nu,  et 
un  fil  de  cuivre  passé  autour  indique  les  battements.  L’animal  reste  assez 
tranquille  tout  le  temps  de  l’expérience. 

A 4h  50m,  à la  pression  normale,  a 25  respirations;  105  pulsations. 

On  commence  alors  la  diminution  de  pression,  en  ménageant  un  cou- 
rant d’air  faible,  mais  suffisant  pour  maintenir  la  pureté  chimique  de 
l’air  de  la  cloche. 

A 4h  50m,  la  pression  est  de  56e;  il  y a 40  respirations  et  120  pulsa- 
tions. 

A 5h  10lu,  pression  46e  : R.  40  ; P.  120. 

A 5h  20m,  pression  56e  : R,  48;  P.  152. 

A 5h  50,n,  pression  26e;  l’animal  est  fort  gêné,  affaissé  avec  des  soubre- 
sauts convulsifs  fréquents;  il  bave  : R.  56;  P.  140. 

La  pression  descend  lentement  à 20e  ; l’animal  est  haletant,  présente 
des  mouvements  convulsifs  généraux,  et  meurt  à 5h  45m. 

Les  poumons  sont  revenus  sur  eux-mêmes,  sans  crépitation  ; emphysème 
superficiel;  pas  d’apoplexie  pulmonaire. 

Sang  noir  dans  le  cœur  gauche. 

Expérience  CCXXII.  — 28  février.  Température  15° 

Trois  lapins  de  même  portée  sont  placés  à 2h  sous  de  grandes  cloches, 
sur  l’appareil  de  la  figure  15  (p.  528).  On  entretient  un  courant  d’air  sous 
diverses  pressions. 

A : le  lapin  pèse  770  gr.  ; la  pression  est  maintenue  entre  70  et  76  cent. 

R : pèse  770  gr.  ; la  pression  oscille  entre  45  et  50  cent. 

G : pèse  840  gr.  ; la  pression  oscille  entre  58  et  40  cent. 

A 2h  1/2,  on  compte,  pour  le  lapin  A,  70  respirations  par  minute; 
80  pour  R ; 120  pour  G. 

On  les  retire  à 6h,  sans  qu’ils  aient  présenté  aucun  phénomène  remar- 
quable. 

La  température  de  A est  59°, 5;  celle  de  R et  de  G,  de  38°  seulement. 

Le  5 mars,  on  recommence  l’expérience  avec  les  mêmes  résultats.  Le 
lapin  R,  qu’on  pousse  jusqu’à  56e,  présente  alors  quelques  mouvements 
convulsifs,  qui  ne  durent  pas.  Il  urine  sous  la  cloche  : cette  urine  ne 
contient  pas  de  sucre. 

Expérience  CCXX1IL  18  mars.  Lapin  sous  grande  cloche  de  31  b 

3h  15m,  est  depuis  un  quart  d’heure  sous  un  courant  d’air  à pression 
diminuée;  il  est  resté  parfaitement  tranquille,  avec  94  respirations,  la 
pression  étant  56e. 

3h  20m,  pression  46e,  respirations  86. 

5h  25m,  pression  42e,  respirations  66. 

5h  30m,  même  pression,  respirations  64  ; 

5h  38[n,  pression  55e,  respirations  70. 


ACCIDENTS  DE  LA  DÉCOMPRESSION  : LEUR  DESCRIPTION. 


709 


5Ü  50in,  pression  15e,  90  respirations. 

3h53'n,  pression  16e,  45  respirations  peu  profondes. 

Meurt  à 4h.  On  laisse  rentrer  l’air;  l’animal  qui  était  gonflé,  s’affaisse. 

Sang  noir  dans  le  cœur  gauche  ; quelques  ecchymoses  pulmonaires. 

Expérience  CGXXIV.  — 20  mars.  Lapin  de  2!,7,  sous  la  grande  cloche; 
température  20°. 

Mis  à 2h  26,n  sous  courant  d’air  à pression  diminuant. 

2h 30m,  pression  56e,  105  respirations. 

2h  36m,  pression  41e,  99  respirations. 

Il  se  produit  une  fuite,  l’air  rentre,  et  la  pression  retombe  à 0°; 
81  respirations. 

2h46m,  la  pression  est  revenue  à 50e;  138  respirations. 

2h  50m,  pression  44e,  105  respirations. 

2h  54m,  pression  36e,  120  respirations. 

3h  1 0,n,  27e,  102  respirations. 

Reste  entre  27  et  24e  jusqu’à  4h  18m;  respirations  84. 

L’animal  maintenu  à la  même  pression  s’agite  violemment  à 6h  20m, 
tombe  sur  le  dos,  fait  3 ou  4 grands  mouvements  respiratoires,  puis  reste 
immobile,  meurt. 

La  température  intérieure  de  la  cloche  est  20°;  celle  du  lapin  32°. 

Expérience  CCXXV.  — 22  mai.  Lapin  libre  dans  grande  cloche  de  311. 

Au  début  56  respirations. 

L’animal  est  mis  rapidement  à 56e,  et  on  l’y  laisse  20  minutes  ; ses  res- 
pirations passent  à 60. 

On  descend  à 36e;  les  respirations  s’élèvent  à 100.  Mais  l’animal  reste 
tranquille,  sans  gêne  apparente. 

On  passe  à 26e,  à 22e,  sans  que  le  lapin  semble  sérieusement  incom- 
modé. A 16e,  les  troubles  apparaissent.  A 12e,  il  s’agite  avec  violence, 
est  pris  de  convulsions  générales  et  meurt  en  une  minute. 

Les  poumons  sont  le  siège  d’une  forte  congestion,  avec  points  hémor- 
rhagiques, et  emphysème  disséminé.  Leur  densité  est  très-augmentée,  bien 
qu’ils  surnagent  encore. 

Expérience  CGXXVI.  — 23  mai.  Lapin.  Même  cloche,  mêmes  dépressions, 
mêmes  résultats  généraux. 

Expérience  CCXXVIL  — 10  mars.  — Température  15°.  Cochon  d’Inde 
pesant  320  gr.  ; placé  dans  cloche  de  271.  A 2h  50m,  j’ouvre  le  robinet  de 
communication  entre  cette  cloche  et  un  grand  cylindre  où  la  pression  a été 
extrêmement  diminuée;  instantanément  la  pression  delà  cloche  tombe  à 
16e.  L’animal  n’en  paraît  pas  souffrir.  129  respirations. 

La  cloche  ne  fermant  pas  très-bien,  la  pression  remonte  lentement. 

A 3h  13m.,  elle  e^t  à 21e;  l’animal  a 104resp.  J’ouvre  alors  le  robinet; 
la  pression  s’abaisse  à 17e;  l’animal  tombe  sur  le  flanc,  et  se  relève  pres- 
que aussitôt  : respir.  1 12.  „ > >: 


710 


EXPERIENCES. 


i A 5h  52m,  pression  19e,  respir.  120;  animal  tranquille. 

A 5h  35m,  3e  ouverture  du  robinet;  la  pression  descend  à 16e,5,unpeu 
de  titubation. 

A 5h  42ra,  la  pression  est  remontée  à 18e.  4e  ouvert,  du  robinet;  elle 
tombe  à 15e, 5;  le  cochon  d’Inde  tombe  sur  le  flanc,  avec  108  respir. 

A 5h45m,  14e;  78  respir.  ; sur  le  flanc. 

A 5h  51m,  pression  remontée  à 17e.  5e  ouverture  du  robinet;  revient 
à 11e, 5;  l’animal,  qui  s’était  un  peu  relevé,  se  couche  lentement  ; 56  res- 
pirations. 

A 5h  55m,  pression  15e;  69  respir.  ; sur  le  flanc. 

4h  lm,  pression  14e, 5;  92  respir.  ; assez  bien  revenu. 

A 4U  5m,  la  pression,  qui  était  remontée  à 15e, 6,  s’est  abaissée  subite- 
ment à 13e, 5.  L’animal,  qui  était  sur  ses  pattes,  ne  paraît  pas  s’en  aper- 
cevoir ; 96  respirations. 

A 4h  8m,  pression  14e, 7.  Respir.  90.  Secousses  fulgurantes  dans  les 
pattes,  le  peaussier,  la  tête;  à partir  de  ce  moment  jusqu’à  la  fin,  elles 
vont  en  augmentant. 

4h  13m,  16e;  95  respir. 

4h  15m,  6e  ouverture  du  robinet  ; la  pression  retombe  à 13e,5;  un  peu 
plus  de  secousses,  mais  l’animal  reste  sur  ses  pattes  ; les  respirations 
montent  à 108. 

4h  21 m,  pression  15e  ; respir.  85. 

4h  30m,  pression  16e;  respir.  90;  7e  ouverture  du  robinet;  pres- 
sion 11e, 5;  l’animal,  qui  était  accroupi,  relève  deux  fois  la  tête,  puis  se 
couche  lentement.  Les  secousses  fulgurantes  cessent  pendant  quelques 
minutes. 

4h  33m,  pression  13e;  respir.  52. 

4h  39m,  pression  15e;  l’animal  est  resté  couché.  Ramené  à 12e;  ne 
paraît  pas  s’en  apercevoir.. 

4h  46m,  pression  J 4e, 5 ; respir.  66. 

4h  55m,  9e  ouverture  du  robinet;  la  pression  tombe  à 11e, 5;  l’animal 
relève  la  tête,  mais  reste  couché. 

4h  55m,  pression  12e;  respir.  84. 

4h  58m,  — 15  — 60. 

4b  59m,  10e  ouverture  qui  abaisse  la  pression  à 10e, 7;  l’animal  s’agite 
beaucoup,  et  se  met  sur  le  flanc. 

5h,  pression  11e;  respir.  55. 

5h  3m,  — 12  — 60. 

5h  12m,  la  pression  est  15e  ; je  la  ramène  à 11e, 7 ; pas  d’effet  apparent. 

5h  20m,  pression  14e  ; respir.  65. 

5h  22m,  12e  ouverture  ; la  pression  tombe  à 10e, 8. 

L’animal  tourne,  et  roule  sur  le  flanc,  avec  des  convulsions  toniques  et 
cloniques. 

5h  24m;  pression  11e, 7.  Les  convulsions  ont  cessé;  l’animal  n’a  plus 
que  de  petites  trépidations  des  pattes  ; il  reste  couché,  et,  du  reste,  ne  se 
relèvera  plus. 


ACCIDENTS  DE  LA  DÉCOMPRESSION  : LEUR  DESCRIPTION.  711 

5h  57m  ; pression  14e, 7 ; respirations  80. 

5h  40m;  pression  15e;  ramené  à 11e, 7;  l’animal  ne  bouge  pas,  mais  se 
gonfle  manifestement. 

5h  55m;  pression  15e, 5 ; même  état.  14e  ouverture  de  robinet  ; ramené  à 
12e,  5.  ...  , , . , , 

6h45ra;  pression  19e;  meme  état  de  l’animal.  On  ouvre  largement  la  com- 
munication avec  l’air  extérieur.  L’animal  se  dégonfle,  mais  ne  respire  pas 
mieux  ; il  est  presque  insensible;  sa  température  rectale  est  tombée  à 20°, 

Il  reste  couché  sur  le  flanc,  et  meurt  dans  la  nuit. 

Pas  d’ecchvmoses  au  poumon.  . • , ' ' . 

Expérience  CCXXVIII.  — 11  juin;  temp.  21°.  Cochon  d’Inde,  pesant  485 
grammes  ; mis  sous  une  cloche  de  15’,5. 

De  5h  24m  à 5h  50m,  la  pression  est  abaissée  à 26e  ; l’animal  ne  s’est  pas 
agité;  mais  alors  il  titube,  puis  se  remet  assez  bien,  se  gratte  le  nez,  etc, 

A o11  52m  ; meme  état;  100  respirations;  marche  un  peu. 

A 3h  34m;  poussé  à 20e  ; les  respirations  montent  à 155  ; l’animal  reste 
immobile. 

A 3h  35m;  pression  17e, 5;  se  couche  sur  le  ventre. 

5h  40m;  pression  15e, 7;  80  respirations,  fortes,  anxieuses;  les  pupil- 
les ne  tardent  pas  à se  dilater;  surviennent  de  petites  secouses  convul- 
sives. 

,3h  4m.  Même  pression  maintenue;  l’animal  tombe  sur  le  flanc  ; mouve- 
ments convulsifs,  avec  roideurs.  Ventre  énormément  ballonné. 

Meurt  à 3h  49 m. 

A 4h  2m,  la  température  rectale  est  54°,  6.' 

Expérience  CCXXIX.  — 17 juin;  température  22°.  Cochon  d’indedans 
grande  cloche  ; courant  d’air. 

De  2h  50m  à 5h  45m,  on  l’amène  à 36e  de  pression. 

Puis,  progressivement,  de  3h  45m  à 4h  20m,  à 1 5 c ; il  a alors  20  respi- 
rations à la  minute,  et  reste  couché  sur  le  flanc. 

A 4h  25m,  on  descend  un  instant  à 1 0e. 

L’animal  a des  mouvements  convulsifs  des  pattes  et  de  la  tête;  les  res- 
pirations sont  laborieuses  et  saccadées. 

On  le  maintient  à 12e  jusqu’à  4h  40m,  où  on  le  ramène  à la  pression  nor- 
male. 

Sa  température  rectale  est  alors  de  25°.  Très-rapidement,  il  se  remet 
sur  ses  pattes,  reprend  des  forces,  se  réchauffe;  à4h  50m,  sa  temp.  rectale 
est  remontée  à 51°. 

Il  meurt. 

Examinons  maintenant  les  résultats  de  ces  expériences, 
successivement  au  point  de  vue  des  diverses  fonctions  physio- 
logiques. 


712 


EXPÉRIENCES. 


|§  1er.  — Respiration. 

« • 

En  thèse  générale,  la  respiration  s’accélère  quand  la  pres- 
sion diminue.  Mais  rien  n’est  plus  irrégulier  que  ces  modifi- 
cations dans  la  rapidité  respiratoire.  Ici,  l’intervention  de  la 
brusquerie  des  phénomènes  est  de  grande  conséquence. 
L’animal  s’étonne,  s’agite,  fait  des  efforts;  il  est  gêné  par 
les  développements  gazeux  dont  je  parlerai  à propos  de  la 
digestion,  et  tout  cela  accélère  sa  respiration.  Mais  il  arrive 
assez  souvent  que  la  respiration  se  ralentit  et  devient  plus 
ample  ; c’est  presque  la  règle  aux  pressions  très-basses.  Cela 
se  remarque  surtout  quand  l’animal  reste  tranquille  : l’agi- 
tation m’a  paru  toujours  entraîner  l’accélération. 

En  un  mot,  ici  comme  dans  toutes  les  autres  circonstances, 
la  diminution  de  pression  agit  de  même  que  l’asphyxie.  On 
sait  que,  dans  l’asphyxie  en  vase  clos,  il  y a aussi  une  phase 
d’accélération  respiratoire,  suivie  d’une  phase  de  ralenti's- 
. sement  dans  laquelle  les  mouvements  thoraciques  se  font 
largement  et  avec  efforts.  Les  expériences  rapportées  au 
chapitre  Ier  montrent,  elles  aussi,  des  exemples  fréquents  de 
cette  accélération  respiratoire  chez  des  animaux  maintenus 
à des  pressions  plus  ou  moins  basses. 

Mais,  pour  montrer  la  difficulté  qu’il  y aurait  à embrasser 
tous  ces  faits  dans  une  formule  générale,  il  suffit  d’étudier 
de  près  les  expériences , en  prenant  surtout  la  peine  d’ex- 
primer par  des  graphiques  les  chiffres  dont  la  comparaison 
est  difficile. 

Dans  les  figures  47  et  48,  dont  les  graphiques  n’ont  trait 
qu’aux  mouvements  respiratoires,  et  dans  les  figures  49,  50 
et  51,  où  sont  marquées  en  outre  les  pulsations  cardiaques, 
la  direction  des  flèches  indique  la  série  des  dépressions  et 
décompressions  successives  auxquelles  ont  été  soumis  les 
animaux  Quand  la  flèche  se  dirige  vers  la  droite,  la  pression 
diminue,  vers  la  gauche  elle  augmente  au  contraire.  Les  pres- 
sions sont  en  effet  comptées  sur  l’axe  des  abscisses;  sur  l’axe 


g.  47.  — Modification  du  nombre  des  mouvements  respiratoires  sous  l’influence  de  la 
décompression  : A,  B,  chiens^  C,  D,  lapins. 


714 


EXPERIENCES. 


vertical  sont  inscrits  les  nombres  correspondants  aux  mou- 
vements respiratoires  II  et  aux  pulsations  P. 

Le  tracé  B (fîg.  47)  donne  les  détails  de  l’expérience  CCXV, 
faite  sur  un  chien.  On  voit  qu’ici  les  choses  se  sont  passées 
d’une  manière  simple  et  régulière  : le  nombre  des  respira- 
tions augmentant  ou  diminuant  en  sens  inverse  de  la  pres- 
sion. 

Le  tracé  A,  au  contraire  (exp.  CGXVII,  autre  chien),  mon- 
tre une  complication  singulière  : d’une  manière  générale,  le 
nombre  des  mouvements  respiratoires  diminue  quand  la 
pression  diminue  elle-même. 

On  constate  des  différences  analogues  avec  les  lapins, 
tandis  que  P exp.  CCXXY  montre  un  rapport  simple  entre  la 
pression  et  le  nombre  des  mouvements  respiratoires,  l’expé- 
rience CCXXIY  représentée  par  le  tracé  G,  et  l’exp.  CCXXIII, 
représentée  en  D,  semblent  défier  toute  expression  générale. 

Mais  le  maximum  de  complication  imaginable  nous  est 
fourni  par  le  graphique  de  la  figure  48,  représentant  l’expé- 
rience CCXXYIf,  faite  sur  un  cochon  d’Inde. 

On  y trouve,  en  effet,  toutes  les  combinaisons  possibles  et 
les  différences  les  plus  étonnantes  dans  le  sens  et  dans  la 
valeur  des  modifications  du  nombre  des  respirations.  Rappe- 
lons que  cette  expérience  avait  eu  une  durée  exceptionnelle, 
et  que  l’animal  s’était  trouvé  refroidi  au  point  de  périr  après 
être  revenu  à la  pression  normale. 

Ces  faits,  que  j’aurais  pu  multiplier,  ont  l’avantage  de 
montrer  que,  en  dehors  de  ce  qui  est  la  règle  générale,  se 
présentent  des  exceptions  nombreuses,  qui  expliquent  le 
désaccord  dans  lequel  se  sont  trouvés  à ce  sujet  les  observa- 
teurs en  montagne  et  les  aéronautes.  Nous  reviendrons  plus 
tard  sur  ce  dernier  point. 

Notons  enfin  qu’en  outre  du  nombre,  la  respiration  est 
affectée  sous  le  rapport  du  rhythme;  elle  devient  irrégulière, 
souvent  dicrote,  plus  ample  quelquefois,  et  je  l’ai  vue,  chez 
les  chiens,  à de  très-basses  pressions,  comme  séparée  en 
deux  temps  : inspiration  thoracique,  puis  inspiration  dia- 
phragmatique. De  plus,  chaque  mouvement  général  est 


48.  — Modification  du  nombre  des  mouvements  respiratoires  sous  l’influence  de  la 
décompression  : Cochon  d’Inde,  expér.  CCXXVII. 


716 


EXPÉRIENCES. 


accompagné  d’une  sorte  d’anhélation.  Tout  cela  concorde  avec 
ce  que  Ton  a observé  chez  l'homme. 

La  diminution  de  la  capacité  respiratoire  maximum  a été 
mise  en  évidence  par  une  expérience  faite  sur  moi-même,  et 
dont  les  détails  seront  reproduits  dans  le  sous-chapitre  111. 
A la  pression  normale,  elle  était  représentée  par  le  chiffre 
17,5,  valeur  arbitraire  ; à 450  millimètres  de  pression,  elle 
était  tombée  à 11,8,  et  après  une  dëmi-heure  de  séjour  sous 
des  pressions  voisines  de  420  millimètres,  elle  n’était  plus 
que  de  9,9. 


2.  — Circulation. 


En  outre  des  expériences  ci-dessus  rapportées,  je  crois 
devoir  en  relater  une  que  j’ai  faite  sur  moi-même. 

Expérience  CCXXX. — Le  29  juillet,  la  température  étant  23ü,5,  la  pres- 
sion 75e, 5,  j’entre  dans  le  grand  cylindre,  et  m’y  assieds,  en  restant  fort 
tranquille. 

A 2h35m,  j’avais  64  pulsations,  à la  pression  normale. 

A 2h45m,  pression  72e  ; je  n’ai  plus  que  60  pulsations  ; peut-être  le 
repos  seul  a-t-il  suffi  pour  amener  cette  diminution. 

A 2h55,  pression  63e  ; pulsations  63. 

A 3h,  pression  60e;  pulsations  67.  Je  suis  obligé  à ce  moment,  par  le 
gonflement  des  gaz  intestinaux,  d’ouvrir  largement  mes  vêtements. 

A 3h8m,  pression  55e  ; pulsations  67.  Je  me  lève  à ce  moment,  et  fais 
deux  ou  trois  pas  dans  le  cylindre  ; aussitôt  mon  pouls  monte  à 80. 

Je  laisse  lentement  remonter  la  pression. 

A 5M5m;  pression  62e;  pulsations  63. 

A 3h24m;  pression  72e;  pulsations  60. 

A 5h28m ; retour  à la  pression  normale;  les  pulsalions  ne  sont  plus 
que  59. 

Je  sors  et  marche  assez  rapidement  dans  le  laboratoire;  le  pouls  ne 
monte  qu’à  67. 

Je  n’ai  rien  éprouvé  de  désagréable,  sauf  la  tension  des  gaz  intestinaux, 
et  un  besoin  d’avaler  souvent  ma  salive  pour  déboucher  la  trompe 
d’Eustache. 

Les  expériences  sur  moi-même,  dont  le  sous-chapitre  III 
du  présent  chapitre  contiendra  la  narration,  donnent  les 
mêmes  résultats. 


ACCIDENTS  DE  LA  DÉCOMPRESSION  : LEUR  DESCRIPTION.  717 

On  voit  que , dans  la  cloche  à dépression , l’accélération 
circulatoire  se  manifeste  assez  vite,  comme  l’avaient  déjà 
observé  les  aéronautes.  Elle  augmente  considérablement  aux 
moindres  mouvements. 

Les  expériences  faites  sur  les  animaux  déposent  dans  le 
même  sens.  Elles  montrent  le  plus  souvent  une  marche  re- 


Fig.  49.  — Modifications  simultanées  du  nombre  des  mouvements  respiratoires  R et  des 
pulsations  P sous  l'influence  de  la  décompression  : Chat,  expér.  CCXXI. 

marqüablement  concordante  entre  la  variation  du  nombre 
des  mouvements  respiratoires  et  celle  des  battements  car- 
diaques. 

La  figure  49  en  fournit  un  exemple  remarquable,  emprunté 
à l’exp.  GGXXI  qui  a été  faite  sur  un  chat.  Le  tracé  des  pulsa- 
tions est  marqué  F ; il  correspond  à la  colonne  P des  ordon- 
nées. Le  tracé  des  respirations  est  indiqué  par  la  lettre  R, 
ainsi  que  la  valeur  de  ses  ordonnées.  Les  pressions  sont  comp- 
tées sur  l’axe  des  abscisses. 


718 


EXPERIENCES. 


La  même  concordance,  bien  que  moins  constante,  se  re- 
marque dans  la  figure  50,  qui  exprime  les  observations  faites 
pendant  l’expérience  CCXVIII. 

Enfin,  dans  la  figure  51,  qui  reproduit  les  étranges  résul- 
tats de  fexp.  CCXV1I,  nous  voyons  que  si  le  nombre  des 
mouvements  respiratoires  diminue  avec  la  pression,  il  en  est 


Fig.  50.  — Chien,  expér.  CCXVIII.  Fig.  51.  — Chien,  expêr.  CCXVll, 

iKoclificqdipng  simultanées  du  nombre  des  mouvements  respiratoires  R et  des  pulsations  P 

soys  l’influepce  de  la  décompression. 


à peu  près  de  même  des  mouvements  du  cœur.  Ceux-ci  même 
suivent  beaucoup  plus  exactement  que  ces  premiers  cette 
règle  générale. 

Il  m’a  été  presque  impossible,  à cause  des  caillots  qui  se 
formaient  dans  les  artères  et  les  appareils,  de  mesurer  d’une 


ACCIDENTS  DE  LA  DÉCOMPRESSION  : LEUR  DESCRIPTION.  719 

manière  suivie  les  modifications  de  la  pression  cardiaque. 
Les  rares  constatations  que  j’ai  pu  faire  ne  m’ont  montré  que 
de  faibles  diminutions;  il  m’a  semblé  qu’il  faudrait  aller 
très-loin  pour  obtenir  de  notables  différences  chez  des  ani- 
maux qu’il  est  nécessaire  de  maintenir  immobiles.  Ainsi  à 
26e  de  pression,  le  cœur  avait  conservé  la  même  puissance 
qu’à  la  pression  normale  (exp.  CGXIX).  Il  en  serait  sans  nul 
doute  autrement,  s’ils  exécutaient  un  travail  comparable  à 
celui  des  voyageurs  qui  gravissent  une  montagne. 

J’ajoute  que  sous  l’influence  des  pressions  très-faibles  et 
très-rapidement  obtenues,  j’ai  vu  quelquefois  des  hémorrha- 
gies nasales  et  pulmonaires.  Mais  c’est  un  accident  fort  rare 
chez  les  animaux;  il  n’est,  du  reste,  pas  si  commun  qu’on  le 
dit  d’ordinaire  chez  les  hommes. 

g 3.  — Digestion. 

Vers  un  certain  degré  de  décompression,  les  voyageurs  ont 
éprouvé  des  nausées;  j’ai  vu  également  mes  animaux  tituber, 
hocher  de  la  tête  avec  un  malaise  manifeste,  et  vomir.  Les 
Oiseaux  présentaient  presque  tous  ce  symptôme. 

Les  animaux  soumis  à de  fortes  dépressions,  et  surtout  les 
herbivores,  se  gonflaient  d’une  manière  très-remarquable , 
par  la  dilatation  de  leurs  gaz  intestinaux.  Il  m’a  paru,  dans 
quelques  cas,  que  ce  gonflement  était  assez  fort  pour  agir 
même  sur  la  respiration  et  en  gêner  les  mouvements. 

J’ai  constaté  sur  moi-même  ce  gonflement  désagréable , 
dans  l’expérience  racontée  page  716,  et  dans  plusieurs 
autres  du  même  ordre  rapportées  au  sous-chapitre  III;  mais 
il  n’a  jamais  entraîné  une  gêne  sérieuse,  lorsque  les  vête- 
ments qui  serrent  la  taille  étaient  détachés  et  ouverts;  du 
reste,  les  gaz  trouvaient  très-facilement  issue  par  les  deux 
orifices  intestinaux. 

J’ai  même  voulu  faire,  pour  constater  de  visu  cette  évacua* 
tion  gazeuse,  des  expériences  directes  : 

Expérience  CCXXXL  — 10  décembre.  Un  chien,  qui  vient  d’être  tué 


720 


EXPÉRIENCES. 


par  électrisation  du  cœur,  est  attaché  sur  une  gouttière  et  placé  dans  les 
cylindres  à décompression.  Dans  son  rectum  est  introduit  un  tube  de  verre 
coudé  qui,  grâce  à des  ampoules  de  caoutchouc,  oblitère  parfaitement 
l’anus.  L’autre  extrémité  du  tube  plonge  de  quelques  centimètres  dans  un 
verre  plein  d’eau. 

On  commence  alors  la  décompression,  et  l’on  voit,  au  fur  et  à mesure 
que  le  baromètre  baisse,  des  bulles  de  gaz  éclater  à la  surface  de  l’eau  et 
se  succéder  d’autant  plus  rapidement  que  la  marche  de  la  pompe  à dépres- 
sion est-elle  même  plus  rapide. 

Cependant  le  ventre  se  gonflait  visiblement. 

Au  retour  à la  pression  normale  il  s’aplatit  soudain,  et  de  l’eau  rentre 
dans  le  rectum., 

Expérience  CCXXXII.  — 27  février.  Chien  tué  par  hémorrhagie  et  disposé 
comme  celui  de  l’expérience  précédente.  Il  a de  plus  dans  l’œsophage  un 
tube  plongeant  un  peu  dans  l’eau. 

Dès  les  premiers  coups  de  pompe,  l’air  sort  par  l’anus  d’une  manière 
continue  ; à plusieurs  reprises,  on  arrête  la  machine,  l’évacuation  gazeuse 
s’arrête  aussitôt.  Mais  il  ne  sort  jamais  de  gaz  par  l’œsophage. 

La  pression  est  abaissée  jusqu’à  50e  en  2h  20,u. 

Au  retour  à la  pression  normale,  le  ventre  s’aplatit. 

Ainsi  les  gaz  dilatés  sortent  très-aisément  par  l’anus;  mais 
la  dernière  expérience  montre,  fait  assez  bizarre,  qu’ils  ne 
peuvent,  sur  le  cadavre,  s’échapper  parle  cardia,  ni  probable- 
ment par  le  pylore,  en  sorte  que  l’estomac  se  distend.  Mais 
sur  le  vivant  il  n’en  est  pas  de  même,  et  l’éructation  se  pro- 
duit grâce  au  jeu  d’actions  musculaires. 

Cette  influence  sur  la  dépression  des  gaz  intestinaux  est 
fort  peu  importante,  mais  elle  présente  cet  intérêt  d’être  la 
seule  ou  à peu  près  qu’elle  occasionne  à titre  d’agent  pure- 
ment physique. 

J’ai  ressenti  également,  en  plusieurs  occasions,  dans  mes 
cylindres,  les  nausées,  les  dégoûts  occasionnés  par  la  décom- 
pression. 

§ 4.  — Innervation  et  locomotion» 

Quand  la  pression  baisse  notablement,  nous  avons  vu 
diminuer  rapidement  la  force  musculaire  des  animaux. 
Les  oiseaux  refusent  de  faire  des  tentatives  pour  s’envoler. 
Tous  ne  tardent  pas  à rester  absolument  immobiles , malgré 


ACCIDENTS  DE  LA  DÉCOMPRESSION  : LEUR  DESCRIPTION.  721 

qu’on  les  excite  et  menace,  et  si  farouches  ou  si  effrayés  qu’ils 
eussent  semblé  au  début  ; plus  bas,  ils  cessent  de  pouvoir  se 
tenir  debout  et  s’accroupissent  ; plus  bas  encore,  ils  tombent 
sur  le  flanc. 

Je  raconterai,  dans  le  sous-chapitre  III,  les  détails  d’expé- 
riences où  je  suis  descendu  à d’assez  basses  pressions.  J’en  ^ 
extrais  cette  remarque  intéressante  que,  lorsque  je  voulais 
soulever  ma  jambe,  depuis  longtemps  ployée,  elle  était  prise 
de  secousses  convulsives  que  je  ne  pouvais  maîtriser,  mais 
qui  cessaient  aussitôt  que  je  l’appuyais  de  nouveau  à terre. 

De  semblables  tremblements  ont  été  signalés  par  les  aéro- 
nautes  qui,  pour  la  plupart,  les  ont  attribués  au  refroidisse- 
ment. M.  Sivel,  qui  les  a éprouvés,  les  comparait  à la  période 
de  froid  des  accès  de  fièvre  intermittente. 

Les  animaux  soumis  à d’assez  basses  pressions  deviennent 
comme  insensibles  et  indifférents  à toutes  choses;  il  me 
paraît  évident  que  la  sensibilité,  comme  la  force  de  réaction, 
leur  font  défaut  en  même  temps.  Du  reste,  chez  l’homme,  les 
impressions  sensorielles  diminuent  singulièrement  d’acuité; 
nous  en  verrons  la  preuve  dans  le  récit  de  l’ascension  de 
MM.  Crocé-Spinelli  et  Sivel.  Il  en  est  de  même  de  l’énergie 
morale,  de  l’activité  intellectuelle  ; dans  une  de  mes  expé- 
riences, je  me  suis  surpris  à ne  pouvoir  multiplier  28 , 
nombre  de  mes  battements  du  cœur  pendant  un  tiers  de  mi- 
nute, par  5.  J’ai  dû  me  contenter  d’écrire  ces  chiffres  sur 
mon  cahier  de  notes  ; cet  affaissement  me  laissait  d’ailleurs 
assez  indifférent. 

Lorsque  la  dépression  approche  delà  limite  mortelle,  lors- 
qu’elle dure  depuis  longtemps,  ou  lorsqu’elle  a été  amenée 
très-brusquement,  on  voit  souvent  survenir  chez  les  animaux 
des  trépidations  convulsives  qui  rappellent,  en  l’exagérant, 
le  tremblement  que  j’ai  ressenti  moi-même.  Aux  extrêmes 
limites,  quand  la  mort  arrive,  apparaissent  des  convulsions 
véritables,  dont  la  violence  est  en  rapport  avec  la  vigueur 
que  conserve  alors  l’animal. 

Quand  la  dépression  a été  très-lentement  amenée,  quand 
elle  a duré  longtemps,  que  l’animal  est  très-affaibli  et  très- 

46 


722 


EXPÉRIENCES. 


refroidi,  on  ne  constate  pas  de  convulsions,  ou  bien  elles  sont 
très-médiocres.  J’ai  montré  autrefois  qu’il  en  est  de  même 
dans  l’asphyxie  ordinaire,  en  vases  clos.  Yoici,  par  exemple, 
une  expérience  : 

Expérience  CCXXXIïI.  — 17  septembre.  Deux  sansonnets. 

A.  L’un  est  placé  sous  une  cloche  de  900cc,  renversée  sur  une  cuve 
d’eau.  Au  bout  de  trois  quarts  d’heure  surviennent  de  violentes  convul- 
sions, et  l’oiseau  périt. 

D.  Le  second  est  mis  sous  une  cloche  de  141,  également  renversée  sur 
l’eau.  Au  bout  de  6 heures  environ,  la  respiration  paraît  notablement 
gênée.  La  mort  survient  après  9h  25m,  avec  des  phénomènes  graduels, 
sans  aucune  convulsion. 

Les  convulsions  produites  par  la  décompression,  par  l’as- 
phyxie, et  j’ajoute  par  l’hémorrhagie,  ne  sont  autre  chose 
qu’une  réponse  violente  de  la  moelle  épinière  surexcitée  par 
une  modification  brusque  dans  les  conditions  de  sa  nutrition. 
Si  les  transitions  sont  soigneusement  ménagées,  s’il  n’y  a que 
des  changements  lents  et  progressifs,  on  ne  voit  plus  de  phé- 
nomènes violents,  plus  de  convulsions. 

Les  expériences  rapportées  dans  le  chapitre  II,  sous-cha- 
pitres I et  IV,  montrent  que,  par  la  décompression,  l’acide 
carbonique  diminue  considérablement  dans  le  sang.  Quand 
on  arrive  à la  mort,  quand  surviennent  des  convulsions, 
l’animal  en  a perdu  plus  des  deux  tiers.  Ce  n’est  donc  pas, 
bien  évidemment,  à ce  gaz  qu’il  faut  attribuer  les  phéno- 
mènes convulsifs,  comme  le  voulait  la  théorie  émise,  dès 
1850,  par  M.  Brown-Séquard,  et  acceptée  aujourd’hui  par  un 
grand  nombre  de  physiologistes1.  Nous  verrons  directement, 
dans  un  autre  chapitre,  que  l’acide  carbonique  est  un  stupé- 
fiant des  nerfs  et  des  muscles,  bien  loin  de  tendre  à les  sur- 
exciter. 

Ici,  je  veux  simplement  faire  remarquer  que,  dans  toutes 
les  expériences  que  ce  savant  physiologiste  a apportées  à l’ap- 
pui de  son  dire,  l’oxygène  diminuait  rapidement  jusqu’à  dis- 

Voir  ses  Recherches  expérimentales  sur  les  propriétés  physiologiques  et  les 
usages  du  sang  rouge  et  du  sang  noir.  Journal  de  la  physiologie  de  l'homme  et 
des  animaux;  1858,  p.  99,  101,  105. 


ACCIDENTS  DE  LA  DÉCOMPRESSION  : LEUR  DESCRIPTION.  723 

paraître,  tandis  que  l’acide  carbonique  lui-même  augmentait 
à peine  dans  le  sang  et  les  tissus.  Ce  que  nous  venons  de  dire 
suffit,  sans  qu’il  soit  utile  d’insister  davantage,  pour  prouver 
que  c’est  à cette  diminution  brusque  de  l’oxygène  que  de- 
vaient être  attribuées  les  excitations  médullaires  et  les  con- 
- tractions  musculaires. 

Je  crois  devoir  ajouter  ici  que  chez  les  animaux  tués  par 
la  décompression,  comme  chez  les  animaux  rapidement  asphy 
xiés  ou  saignés,  on  voit,  dans  les  instants  qui  précèdent  la 
mort,  les  intestins  se  tordre  dans  le  ventre  par  de  violents 
mouvements  péristaltiques. 

» il-; 

\ 5.  — Nutrition. 

Tous  les  phénomènes  que  nous  venons  de  passer  en  revue 
ne  sont  que  les  conséquences  des  troubles  de  la  nutrition  des 
tissus,  troubles  dus  à la  moindre  quantité  d’oxygène  qui  existe 
dans  le  sang.  Nos  expériences  sur  les  atmosphères  suroxygé- 
nées ont  montré,  en  effet,  que  la  dépression,  en  tant  qu’agent 
physique,  ne  joue  qu’un  rôle  à peu  près  négligeable,  et  que 
la  question  est  exclusivement  d’ordre  chimique. 

Nous  devons  donc  essayer  de  pénétrer  dans  l’étude  de  ces 
troubles  nutritifs,  qui  se  manifestent  si  nettement  à nous 
par  l’abaissement  de  la  température.  Nous  le  ferons  en  recher- 
chant les  modifications  que  subissent  les  phénomènes  chi- 
miques de  la  respiration,  l’absorption  d’oxygène,  qui  est  le 
fait  initial,  l’excrétion  carbonique,  qui  mesure  l’énergie  des 
combustions  intra-organiques,  et  aussi  l’excrétion  rénale,  qui 
peut  servir  également  à mesurer  l’activité  chimique  du  corps 
vivant. 

1 0 Phénomènes  chimiques  de  la  respiration.  — Les  nombreuses 
expériences  rapportées  dans  le  chapitre  Ier  sur  la  mort  en 
vases  clos  d’animaux  soumis  à des  pressions  plus  ou  moins 
faibles,  permettraient  d’établir,  par  un  calcul  simple,  la 
quantité  d’oxygène  consommé  et  la  quantité  d’acide  carbo- 
nique exhalé,  par  unité  de  temps,  pour  chaque  espèce 
animale,  ou  pour  chaque  kilogramme  d’animal. 


724 


EXPÉRIENCES. 


Je  le  ferai  dans  un  moment,  en  ne  tenant  compte  que  des 
expériences  où  l’attitude  de  l’animal  a été  notée,  car  il  est 
bien  évident  que  les  résultats  peuvent  être  modifiés,  renversés 
même  dans  leur  sens  général,  par  le  seul  fait  d’une  agitation 
considérable  comparée  à un  repos  absolu. 

Mais  il  m’a  semblé  utile  d’instituer,  pour  cette  constatation 
délicate,  des  expériences  spéciales,  où  des  précautions  parti- 
culières seraient  prises.  En  outre,  les  expériences  du  cha- 
pitre Ier  se  terminent  par  la  mort,  et,  bien  que  comparables 
entre  elles  sous  ce  rapport,  elles  ne  peuvent  entraîner  aussi 
sûrement  la  conviction  que  celles  où  les  animaux  survivent. 

Yoici  quelques-uns  de  ces  faits  nouveaux  : 

Expérience  GCXXXIV.  — 50  juin.  Rats  de  même  portée,  pesant  chacun 
50  grammes. 

A.  Renfermé  de  4h  i6m  à 4h58m  (42m)  sous  une  cloche  bien  close,  conte- 
nant o1, 2;  pression  normale. 

R.  Renfermé  de  4h54m  à 5h18m  (42 m)  sous  une  cloche  de  71,J , dans 
laquelle  on  amène  rapidement  la  pression  à 54e.  Le  volume  de  la  cloche 
correspond  à 5', 17  à la  pression  normale. 

G.  Renfermé  de  4h  50U1  à 5h12m  (42,n)  sous  une  cloche  de  1 11, 5,  dans 
laquelle  on  amène  rapidement  la  pression  à 20e.  Le  volume  de  la  cloche 
correspond  à 5l,05  à la  pression  normale. 

Les  trois  animaux  restent  tranquilles,  sauf  R qui  remue  un  peu.  G se 
couche  sur  le  ventre,  mais  se  relève  quand  on  l’excite  un  peu;  il  va  mieux 
vers  la  fin  de  l’expérience;  aucun  d’eux  ne  paraît  alors  souffrir  du  confi- 
nement. 

L’expérience  terminée,  on  trouve  que  la  tempér.  rectale  de  A est 
58°, 1 ; celle  de  R 55°, 1 ; celle  de  G 52°, 0. 

La  composition  de  l’air  est  la  suivante  : 

A.  O 14,8;  GO2  5,2. 

B.  — 16,0  ; — 5,9. 

G.  — 17,2;  — 5,2. 

Ainsi,  l’oxygène  consommé,  dans  des  vases  contenant  à peu  près  la 
même  quantité  d’air,  a été  pour  A,  de  6,1  pour  100;  pour  R,  de  4,9  ; 
pour  G,  de  5,7. 

En  établissant  maintenant  la  valeur  absolue  de  la  consommation 
d’oxygène  et  de  la  production  d’acide  carbonique  pendant  les  42m  de  l’ex- 
périence, on  trouve  que  : 

OXYGÈNE  CO2 

A,  qui  avait  à sa  disposition  672cc,  en  a consommé  195  et  a produit  16GCC 
B — — 666  — 155  — 125 

G — — 636  — 112  — 97 


ACCIDENTS  DE  LA  DÉCOMPRESSION  : LEUR  DESCRIPTION.  725 

Expérience  CCXXXY.  3 juin.  Rats  de  même  portée.  Tempér.  extér.  25°. 

a.  Mis  de  2h  20m  à 4h  50m  (2h50m),  à la  pression  normale,  sous  une 
cloche  de  71,  6. 

(S.  Mis  de  2h40m  à 5h15m  (2h35ra),  à la  pression  de  50e,  sous  une  cloche 
de  111, 5,  dont  la  capacité  à cette  pression  correspond,  sous  la  pression 
normale,  à 7* ,57. 

y.  Mis  de  2h55m  à 5h50m  (2h35m),  à la  pression  de  57e,  sous  une  cloche 
de  d 5!,5,  dont  la  capacité  à cette  pression  correspond,  sous  la  pression 
normale,  à 71,53. 

Les  animaux  restent  fort  calmes,  et  ne  paraissent  point  gênés.  A la  fin 
de  l’expérience,  la  tempér.  de  a est  35°;  celle  de  1 3 , 34°;  celle  de  y,  32°, 5 
(Le  thermomètre  n’était  pas  exact,  et  ces  valeurs  doivent  être  considérées 
non  comme  absolues,  mais  comme  comparatives). 


L’analyse  chimique 

a donné  : 

Pour  « 

0 11,3; 

CO2  8,1. 

- P 

— 12,5; 

— 7,8. 

— 7 

- 13,1  ; 

— 5,9. 

En  faisant  les  mêmes  calculs  que  pour  l’expérience  précédente,  on 
trouve  qu’en  2h35m, 

OXYGÈNE  CO2 

«,  qui  avait  à sa  disposition  1596e0,  en  a consommé  729  et  a produit  615e0 
j3  — — 1589  — 636  — 590 

y — 1581  — 587  — 452 

Si,  pour  comparer  plus  aisément  les  résultats  de  ces  deux 
expériences,  on  calcule  pour  une  heure  la  consommation  de 
l’oxygène,  on  trouve  que 


OXYGÈNE 

CO‘- 

A,  à la  pression  normale, 

a consommé  278““, 

et  formé  257 

« — 

— 282 

— 246 

j3  à 50°  de  pression 

— 246 

— 237 

y à 37e  — 

— 227 

— 180 

B à 34“  — 

— 221 

— 175 

C à 20“  — 

— 160 

— 138 

La  concordance  remarquable  entre  les  expériences  A et  a 
d’une  part,  y et  B de  l’autre,  montre  que,  malgré  les  causes 
d’erreurs  inhérentes  à notre  procédé  expérimental,  — causes 
d’erreur  qui  nous  forcent  à ne  tenir  aucun  compte  du  troi- 
sième chiffre  des  nombres  ci-dessus  rapportés,  — nous  pou- 
vons affirmer  hautement  que  la  consommation  d’oxygène 
dans  un  temps  donné  diminue  quand  diminue  la  pression 
elle-même;  ce  fait  se  manifeste  de  la  manière  la  plus  nette 
dans  le  graphique  A de  la  figure  52,  qui  traduit  la  moyenne 
des  résultats  des  deux  expériences  précédentes. 


726 


EXPÉRIENCES. 


La  production  de  l’acide  carbonique  donne  lieu  à des  con- 
clusions semblables.  Le  tracé  À’  en  exprime  les  phases  di- 
verses. 


Reportons-nous  maintenant  aux  expériences  du  chapitre  I, 
sous-chapitre  I,  et  particulièrement  au  tableau  I,  page  548, 
qui  les  résume.  Nous  trouvons  ici  tous  les  éléments  néces- 


Fig.  52.  — Consommation  d’O,  et  production  de  CO'  aux  différentes  pressions. 


saires  pour  notre  calcul.  Or,  si,  sans  suivre  tous  les  détails 
des  expériences,  nous  prenons  quelques  moyennes  à diverses 
dépressions,  nous  voyons  que,  en  une  heure,  un  moineau, 

OXYGÈNE  CO3 

A la  pression  normale  (exp.  1,  2,  3,  4),  a consommé  147cc,  et  produit  122°° 

Aux  environs  de  50e  (exp.  5,  6,  7,  8)  — 118  — 97 

— 30e  (exp.  13,  14,  17)  — 80  — 65 

— • 24e  (exp.  24,  25,  26,  27)  — 72  — 57 

— 20e  (exp.  33)  — 60  — » 

Ces  résultats  ont  été  marqués  aux  tracés  B et  B’  de  la 
figure  5ï2.  On  voit’  que,  malgré  la  différence  capitale  des 


ACCIDENTS  DE  LA  DÉCOMPRESSION  : LEUR  DESCRIPTION.  727 

méthodes  (puisqu’ici  les  moineaux  sont  restés  jusqu’à  la 
mort,  d’où  il  résulte  que  dans  les  derniers  temps  de  la  vie 
ils  étaient  tous  soumis  à la  même  tension  d’oxygène,  la  ten- 
sion qui  entraîne  la  mort),  ils  concordent  singulièrement 
avec  les  précédents,  non-seulement  quant  au  sens  général  de 
leur  variation,  mais  même  quant  à la  proportion  de  cette 
variation. 

Je  suis  donc  tout  à fait  autorisé  à tirer  de  tout  cet  ensemble 
de  faits  la  conséquence  que,  aux  basses  pressions  baromé- 
triques, un  animal  consomme,  dans  un  temps  donné,  une 
quantité  notablement  moindre  d’oxygène , et  produit  une 
quantité  notablement  moindre  d’acide  carbonique  qu’à  la 
pression  normale.  Cette  diminution,  qui  est  d’autant  plus 
grande  que  la  pression  est  moindre,  se  manifeste  déjà  d’une 
manière  très-nette  pour  une  diminution  d’un  tiers  d’atmo- 
sphère, ce  qui  correspond  à une  hauteur  de  plus  5000  mètres 
au-dessus  du  niveau  de  là  mer.. 

Nous  aurons  à revenir  fréquemment  sur  les  conséquences 
de  ce  fait  dominateur,  qui  explique  suffisamment,  on  le  sent 
déjà,  tous  les  troubles  occasionnés  par  la  diminution  de  pres- 
sion. 

2°  Excrétion  urinaire.  — Après  avoir  constaté  que  la  con- 
sommation d’oxygène  et  que  les  combustions  intrà-organiques 
d’où  dépend  la  formation  de  l’acide  carbonique  sont  con- 
sidérablement diminuées  par  le  séjour  dans  l’air  déprimé,  je 
devais  chercher  à savoir  si  ces  modifications  de  la  nutri- 
tion ne  se  manifesteraient  pas  aussi  dans  l’excrétion  urinaire. 

J’ai  porté  spécialement  mon  attention  sur  l’urée.  Les  ana- 
lyses ont  été  faites  tantôt  par  la  méthode  de  M.  Gréhant  (em- 
ploi du  réactif  de  Milon  et  du  vide) , tantôt  par  celle  de  M.  Yvon 
(par  l’hypobromite  de  soude). 

Les  chiens  ont  fourni  les  sujets  de  mes  expériences.  L’ani- 
mal, enfermé  à l’avance  dans  les  cylindres  où  devait  être  faite 
la  décompression,  était  soumis  pendant  deux  ou  trois  jours  à 
un  régime  régulier  de  nourriture  ; on  estimait  alors  la  quan- 
titée  d’urée  excrétée  dans  les  24  heures,  en  pratiquant  deux 
matins  de  suite  des  sondages,  parce  que  les  chiens  renfermés 


728 


EXPERIENCES. 


ne  rendent  leur  urine  qu’à  des  intervalles  fort  irréguliers. 
Bien  entendu,  tout  était  disposé  pour  recueillir  l’urine  rendue 
spontanément  par  l’animal.  La  décompression  étant  entre- 
tenue pendant  quelques  heures,  on  faisait  une  nouvelle  ana- 
lyse embrassant  l’urine  de  la  journée  depuis  le  matin  de 
l’expérience  jusqu’au  lendemain  matin.  Quelquefois,  on 
recueillait  encore  de  même  l’urine  des  24  heures  suivantes. 
Voici  quelques-uns  des  résultats  obtenus  : 

Expérience  CCXXXVI.  — 3 juillet.  — Chien  pesant  12k;  mange  chaque 
jour,  entre  7 et  8h  du  matin,  250gr  de  pain  et  250gr  de  viande  bouillis  avec 
500gr  d’eau. 

Le  4,  à 10h  du  malin,  on  vide  la  vessie  du  chien. 

Le  5,  on  le  sonde  de  nouveau,  à la  même  heure;  il  n’a  pas'uriné  spon- 
tanément; on  obtient  ainsi  260cc  d’urine,  qui,  traités  suivant  la  méthode 
d’Yvon,  donnent  7248cc  d’azote. 

On  en  conclut  qu’il  a rendu  19gr,  4 d’urée. 

Ce  jour-là,  de  llh  à 6\  l’animal  est  soumis  à une  pression  de  38e. 

Ensortantde  l’appareil,  le  sondage  amènel00cc  d’urine,  contenant  7gr,4 
d’urée.  Le  lendemain  à llh  du  matin,  nouveau  sondage,  donnant  80cc  d’u- 
rine, avec  4gr,4  d’urée. 

A donc  rendu,  dans  ces  24  heures,  llgr,8  d’urée  seulement. 

Le  jour  suivant  (7  juillet),  sondé  à lh  15m  ; l’urine,  réunie  à celle  qu’il 
a rendue  dans  la  nuit,  forme  240ec,  contenant  15gt, 4 d’urée. 

Expérience  CCXXXVII.  — Même  chien,  maintenu  au  même  régime. 

Sondé  le  7 juillet  à lh  15in,  comme  il  vient  d’être  dit,  puis  le  8 à 1 0 h 50m, 
(21  heures),  donne,  246cc  d’urine  contenant  19gr,6  d’urée. 

Le  8 juillet,  de  10h  55m  à 4h  45m,  est  maintenu  à 38e  de  pression. 

Le  9,  à lh  15m,  a rendu  (en  27li)  385cc  d’urine  contenant  24g,7  d’urée. 

Si  on  ramène  ces  sécrétions  à ce  qu’elles  auraient  valu  par  rapport  à 
24  heures,  on  trouve  : 

A la  pression  normale,  22gr,4. 

A demi-atmosphère,  21gr,9. 

Expérience  CCXXXV1II.  — 13  juillet.  — Même  chien,  soumis  au  même 
régime.  Mais  il  s’ennuie  de  rester  renfermé. 

Du  13  juillet,  à 7h  45,n  du  matin  (à  jeun)  jusqu’au  14  à 8h  du  matin  (à 
jeun),  a fourni  200cc d’urine,  donnant  13gr  d’urée. 

Le  14,  de  8h  30m  du  matin  à 5h  45m  du  soir,  est  maintenu  à la  pression 
variant  de  50  à 55e.  Ne  paraît  pas  affaissé. 

Le  15,  à 8 h du  matin  (à  jeun),  on  recueille  toute  l’urine,  qui  estde211cc 
avec  7gr  d’urée  seulement. 

Dans  les  24  heures  suivantes,  il  donne  130ec,  avec  8gr,2  d’urée. 

Expérience  CCXXXIX.  — 9 juin.  — Chien  pesant  19k,5.  Soumis  depuis 


ACCIDENTS  DE  LA  DÉCOMPRESSION  : LEUR  DESCRIPTION.  729 

4 jours  à une  ration  alimentaire  de  575gr  de  pain,  575gr  de  viande  et 
500gr  d’eau. 

Du  9 juin,  10h  du  matin,  au  10  juin,  10h  55m,  adonné  276ce  d’urine  qui, 
analysée  par  la  méthode  de  Gréhant,  contiennent  27gr,9  d’urée. 

Le  10  juin,  de  1 1 h50m  du  matin  à 6h50m  du  soir,  est  maintenu  entre  25 
et  50e  de  pression.  Au  sortir  de  l’appareil,  il  est  très-abattu,  refusant 
presque  de  se  tenir  sur  ses  pattes.  On  le  sonde,  sans  pouvoir  extraire  plus 
de  quelques  gouttes  d’urine. 

Le  11  juin,  à 10h  30m  du  matin,  la  sonde  amène  590cc  d’urine  claire,  ne 
contenant  ni  sucre  ni  albumine.  Elle  donne  20gr,7  d’urée. 

Expérience  CGXL.  — 17  juin.  — Même  chien,  maintenu  à la  même  ra- 
tion, mais  laissé  libre.  Placé  le  17  à 10h  du  matin  dans  l’appareil  ; a fourni, 
le  18  à la  même  heure,  57 0CC  d’urine  contenant  27gr,5  d’urée  (méthode 
Yvon). 

Le  18,  de  llh  à 5h  30m  est  maintenu  entre  56  et  38e  de  pression.  Ses 
respirations  montent  de  16  à 24  et  même  50.  Sort  de  l’appareil  un  peu 
abattu  ; sa  température  rectale  a baissé  de  39°, 2 à 59°, 0. 

On  le  sonde,  et  l’on  obtient  100cc  d’urine,  sans  sucre,  contenant  7gr,5 
d’urée;  le  lendemain,  à midi,  fournit  130cc  d’urine  contenant  6gr  d’urée; 
soit,  dans  les  24  heures,  13gr,5. 

Expérience  GCXLI.  — 23  juin  — Même  chien;  régime  régulier,  mais 
ration  un  peu  moindre. 

A la  pression  normale,  en  24  heures,  fournit  250gr  d’urine  contenant 
20gr  d’urée  (méthode  Yvon). 

Est  soumis  de  lh  à 6h  50ni  à la  pression  de  38e.  Produit  dans  les  24  heu- 
res, 220cc  d’urine  qui  contiennent  14gr,4  durée. 

Le  lendemain,  à la  pression  normale,  donne  en  24  heures,  56gr,8  d’u- 
rée dans  600cc  d’urine. 

Expérience  CCXL1I.  — 26  octobre.  — Chien  pesant  20\5  ; mais  depuis 
10  jours  au  régime  quotidien  suivant  : 250gr  viande,  250gr  pain,  500gr  eau. 

Du  26  octobre  à 9h  du  matin  au  27,  à9h  30m,  fournit  356cc  d’urine  qui 
contiennent  25gr,4  d’urée  (méthode  Yvon). 

Le  27,  de  9h  45[n  à 5h  est  soumis  à une  pression  variant  de  50  à 40e.  Le 
lendemain,  à 9h  45m,  a produit  570ee  d’urine,  avec  25gr, 5 d’urée. 

Dans  les  24  heures  suivantes,  donne  530ee  d’urine  avec  17gr,5  d’eau. 

Et  le  jour  d’après,  390ce  d’urine,  avec21gr,8  durée. 

Ces  expériences  montrent,  avec  la  dernière  évidence,  qu’un 
séjour  de  quelques  heures  dans  un  air  dont  la  pression  a été 
diminuée  de  plus  de  moitié  abaisse  notablement  la  quantité 
d’urée  excrétée  en  vingt-quatre  heures.  Quelles  que  puissent 
être  les  causes  diverses  inhérentes  aux  procédés  expérimen- 


750 


EXPERIENCES. 


taux,  la  concordance  exacte  quant  au  sens,  sinon  quant  à la 
valeur  absolue,  des  variations  dans  toutes  les  expériences, 
suffit  pour  constituer  les  éléments  de  la  certitude. 

Cet  abaissement  n’a  point  été  proportionnel  à la  diminution 
de  pression  ; il  a varié  avec  des  circonstances  pour  la  plu- 
part inconnues  : son  maximum  a été,  dans  l’expérience  CCXL, 
de  50,8  pour  100. 

On  peut  remarquer,  en  parcourant  le  récit  de  ces  expé- 
riences, que,  dans  celle  qui  porte  le  n°  GGXL11,  la  diminution 
d’urée  ne  s’est  pas  fait  sentir  le  jour  même  de  la  dépression 
(25gr,4  à 25gr,5),  mais  bien  le  lendemain  (17gr,5);  le  jour 
d’après,  l’état  normal  était  à peu  près  revenu  (21gr,8).  Dans  un 
autre  cas,  expérience  GCXLI,  le  lendemain  du  séjour  dans  l’air 
déprimé,  la  quantité  d’urée  rendue  a beaucoup  augmenté,  et 
s’est  relevée  notablement  au  delà  du  chiffre  primitif,  sous  la 
pression  normale.  Ce  sont  là  des  questions  de  détail  pour 
l’étude  desquelles  il  serait  indispensable  de  multiplier  les 
expériences,  en  prenant  pour  sujet  l’homme,  duquel  l’égalité 
de  régime,  l’égalité  de  mouvements,  etc.,  peuvent  être  bien 
plus  exactement  obtenues. 

Quoi  qu’il  en  soit  de  ces  points  secondaires,  il  reste  avéré 
qu’aux  basses  pressions  la  diminution  d’activité  des  phéno- 
mènes chimiques  porte  non-seulement  sur  ceux  desquels  ré- 
sulte la  production  d’acide  carbonique,  mais  sur  ceux  qui  ont 
pour  conséquence  l’excrétion  de  l’urée.  Tout  l’ensemble  des 
actes  d’oxydation  intra-organiques  se  trouve  donc  diminué 
dans  une  proportion  considérable,  quand  l’air  est  suffisam- 
ment dilaté. 

11  est  à remarquer  que  l’acide  urique  n’a  pas  paru  aug- 
menter dans  l’urine  des  chiens,  où  l’urée  diminuait;  au 
moins  n’a-t-on  pas  remarqué  de  précipité,  ni  spontané,  ni 
consécutif  à l’acidification  de  l’urine.  C’est  un  fait  qui  vient  à 
l’appui  de  tant  d’autres  pour  montrer  que  l’urée  n’est  pas 
un  produit  de  l’oxydation  de  l’acide  urique,  mais  que  ces 
deux  substances  procèdent  de  transformations  chimiques 
différentes. 

5°  Sucre  du  foie  et  du  sang,  glycosurie.  — J’ai  constaté  à plu- 


ACCIDENTS  DE  LA  DÉCOMPRESSION  : LEUR  DESCRIPTION.  731 

sieurs  reprises  la  présence  de  sucre  dans  l’urine  des  animaux 
maintenus  pendant  quelques  heures  à de  faibles  pressions. 
Mais  le  phénomène  s'est  toujours  présenté  d’une  manière  ir- 
régulière en  apparence,  si  bien  que  je  n’ai  pu  le  reproduire 
à volonté  dans  des  expériences  comparatives. 

D’autre  part,  quand  la  dépression  est  forte  et  qu’elle  agit 
pendant  longtemps,  le  sucre  diminue  plus  ou  moins  dans  le 
foie  ; il  peut  même  en  disparaître  tout  à fait.  Exemple  : 

Expérience  CCXLIII.  — ier  août.  — Rat,  maintenu  dans  une  grande  clo- 
che, avec  air  renouvelé  de  temps  en  temps,  à la  pression  oscillant  entre 
30  et  40  cent.,  depuis  lh  10m  jusqu’à  6h  45,n. 

On  abaisse  alors  la  pression  à 8e;  l’animal  meurt  au  bout  de  5m. 

Le  foie  est  extrait  immédiatement,  jeté  dans  de  l’eau  bouillante,  puis 
écrasé  avec  du  noir  animal  : pas  trace  de  sucre. 

* * \ 

Voici  donc  que  le  processus  chimique  qui  transforme  en 
sucre  le  glycogène  du  foie  est,  lui  aussi,  entravé  par  la  di- 
minution de  pression.  Encore  ici,  nous  retrouvons  la  simili- 
tude absolue  de  la  mort  par  dépression  avec  l’asphyxie  lente 
en  vases  clos.  On  sait  que,  de  même  encore,  dans  l’asphyxie, 
la  glycosurie  est  un  phénomène  qui.se  constate  parfois,  mais 
non  toujours.  On  comprend  que  des  conditions  multiples 
président  à son  apparition.  11  faut,  en  effet,  qu’à  un  certain 
moment  le  foie  fournisse  encore  une  grande  quantité  de  sucre 
au  sang,  et  que  l’oxydation  intrà-sanguine  se  trouve  en 
même  temps  gravement  entravée.  Ce  sont  des  conditions 
assez  complexes  et  difficiles  à réaliser  à volonté. 

La  richesse  en  sucre  du  sang  artériel  méritait  aussi  d’être 
examinée  de  près.  Voici  quelques  expériences  exécutées  dans 
ce  but  : les  analyses  ont  été  faites  par  M.  Dastre,  très-habitué 
à cet  ordre  de  recherches  : 

Expérience  GCXLIV.  — 26  février.  Chien  havanais  de  petite  taille. 

Son  sang  artériel  contient  par  kilogramme  0sr,95  de  glycose. 

Il  est  placé  sous  une  grande  cloche,  à une  pression  d’environ  20  ou  25e; 
au  bout  d’un  quart  d’heure,  il  meurt;  la  pression  étant  peut-être  descendue 
trop  bas  par  un  manque  de  surveillance. 

Le  sang  du  cœur  droit  contient  3«l',48  de  glycose  par  kilogramme. 

Beaucoup  de  matière  glycogène  dans  le  foie. 


732 


EXPERIENCES. 


Expérience  CCXLV.  — 27  février.  Chien  de  petite  taille,  malingre,  souf- 
freteux. 

Son  sang  artériel  contient  lgr,80  de  glycose. 

Placé  pendant  5 heures,  sous  courant  d’air,  à une  pression  variant 
entre  15  et  25e.  Puis  tué  par  décompression  soudaine  allant  jus- 
qu’à 5e. 

Sang  du  cœur  droit  contient  lgr,84. 

Beaucoup  de  sucre  et  de  matière  glycogène  dans  le  foie. 

Pas  d’urine  dans  la  vessie;  les  reins  et  la  vessie,  broyés  dans  de  l’eau, 
ne  donnent  pas  de  réduction  à la  matière  bleue. 

La  température  n’a  pas  été  mesurée;  mais  l’animal  ne  semblait  pas  re- 
froidi sensiblement. 

Expérience  CCXLVI.  — 5 mars.  Chien  de  petite  taille. 

Sang  artériel  contient  igr,5  de  glycose. 

Amené  en  20  minutes  à la  pression  de  17e  où  il  reste  pendant  10  mi- 
nutes. Puis  tué  soudain  par  décompression  (9e). 

Sang  artériel,  tiré  du  cœur  pendant  les  derniers  battements,  contient 
ogr,5  de  glycose. 

Température  rectale  58°. 

Beaucoup  de  sucre  et  de  matière  glycogène  dans  le  foie. 

Pas  d’urine  ; la  vessie  et  les  reins,  broyés  avec  de  l’eau,  ne  donnent  pas 
de  sucre. 

Ainsi,  lorsque  la  décompression  n’a  pas  duré  longtemps, 
mais  a été  forte,  le  sucre  augmente  dans  le  sang;  il  revient 
à sa  dose  normale  lorsque  la  dépression  a été  suffisamment 
prolongée.  Cette  différence  me  parait  pouvoir  s’expliquer  de 
la  manière  suivante  : le  foie,  irrité  par  l’action  d’un  sang 
brusquement  désoxygéné,  verse  dans  le  torrent  circulatoire 
une  forte  proportion  de  sucre  qui,  si  l’on  tue  l’animal  au 
bout  de  peu  de  temps,  se  manifeste  à l’analyse;  si,  au  con- 
traire, on  attend  longtemps,  ce  sucre  se  détruit  dans 
l’organisme,  et  le  foie  en  produisant  de  moins  en  moins,  il 
revient  à sa  dose  normale,  pour  diminuer  encore  et  finale- 
ment disparaître,  même  du  foie,  comme  le  montre  l’expé- 
rience CCXL1II  faite  sur  le  rat. 

4°  Température.  — Il  n’est  pas  étonnant,  en  présence  de 
cette  diminution  des  phénomènes  chimiques  de  l’organisme, 
de  voir  s’abaisser  la  température  du  corps. 

On  avait  signalé  déjà  ce  phénomène  dans  les  ascensions  en 
montagnes.  Les  uns  l’ont  attribué  au  froid  ambiant,  d’autres 


ACCIDENTS  DE  LA  DÉCOMPRESSION  : LEUR  DESCRIPTION.  733 

au  travail  exécuté,  et  j'ai  parlé  à ce  propos,  dans  la  par- 
tie historique,  de  la  théorie  de  M.  Lortet  (voy.  p.  297). 

Mais  les  expériences  ci-dessus  rapportées  montrent,  par 
maints  exemples,  que  la  température  des  animaux  décompri- 
més s’abaisse  sans  qu’ils  produisent  le  moindre  travail,  sans 
que  l’air  soit  refroidi,  et  sans  qu’on  puisse  attribuer  le  phé- 
nomène au  courant  d’air  qu’il  faut  établir  autour  d’eux  pour 
éviter  l’accumulation  d’acide  carbonique.  La  perte  est  géné- 
ralement de  2 ou  5 degrés  pour  une  diminution  d’une  demi 
ou  de  deux  tiers  d’atmosphère  en  une  demi-heure,  par  exem- 
ple. Mais  cela  dépend  du  degré  de  la  décompression,  de  sa 
durée  et  de  l’espèce  animale. 

Ainsi,  chez  un  chien  de  grande  taille  (exp.  CCXVI,  p.  706), 
amené  en  2 heures  à 25  centimètres  de  pression,  la  tempé- 
rature avait  baissé  de  2 degrés. 

Toutes  les  expériences  donnent  des  résultats  analogues.  Je 
citerai  particulièrement,  parce  qu’elle  élimine  l’influence  du 
courant  d’air  (exp.  CCXXII),  celle  où  trois  lapins  furent  sou- 
mis, l’un  à un  courant  d’air  à la  pression  normale,  le 
deuxième  à un  courant  sous  pression  de  50  à 55  centimètres, 
le  troisième  à un  courant  sous  pression  de  40  centimètres,  le 
tout  pendant  4 heures.  Au  bout  de  ce  temps,  la  température 
était,  pour  le  premier,  de  59°, 5;  pour  les  deux  autres,  de 
58°.  Les  oiseaux  cités  au  chapitre  Ier,  sous-chapitre  Ier,  présen- 
tent des  phénomènes  du  même  ordre,  sur  le  détail  desquels 
il  serait  inutile  d’insister. 

Mais  c’est  avec  les  cochons  d’Inde  que  j’ai  pu  obtenir 
les  refroidissements  les  plus  considérables.  L’un  d’eux 
(exp.  CGXXIX),  maintenu  pendant  une  heure  à 55  centimè- 
tres de  pression,  et  pendant  une  heure  encore  à 25  et  même 
22  centimètres,  n’avait  plus,  au  sortir  de  la  cloche,  que  25°  de 
température  rectale.  Mais  déjà  après  quelques  minutes  celle- 
ci  s’élevait  à 51°,  et  l’animal  survécut.  Le  cochon  d’Inde  de 
l’expérience  CCXXVII,  dont  les  respirations  ont  fourni  le  gra- 
phique de  la  page  715,  qui  resta  près  de  4 heures  à osciller 
entre  21  centimètres  et  11  centimètres,  n’avait  plus  que  20°; 
il  est  vrai  qu’il  mourut  dans  la  nuit  après  l’expérience. 


17)1 


EXPÉRIENCES. 


La  décompression  est  donc,  par  elle-même,  une  cause  de 
refroidissement.  Dans  les  ascensions  en  ballon,  cette  cause 
s’ajoute  à l’action  directe  d’un  air  glacial.  Dans  les  voyages 
en  montagnes,  ces  deux  causes  prennent  une  gravité  plus 
grande,  à cause  de  la  dépense  de  forces  exigées  par  l’ascen- 
sion. G'estdans  ces  limites  que  l’idée  de  Lortet  peut  à priori 
être  exacte  ; mais  il  faut  nécessairement  que  la  dépression 
empêche  l’oxydation  interne  de  s’activer  comme  elle  le  ferait 
à la  pression  normale  : on  n’aura  jamais  le  mal  des  montagnes 
en  grimpant  une  colline  de  1000  mètres,  fût-on  même 
chargé  des  plus  lourds  fardeaux. 

5°  Développement . — Je  crois  devoir  rapporter  ici  une  expé- 
rience qui  montre  que  le  développement  des  chrysalides  est 
entravé  d’une  manière  notable  par  la  diminution  de  pression. 

Expérience  GGXLVII.  — 25  juin.  — Des  cocons  de  ver  à soie,  du  même 
âge  à un  jour  près,  envoyés  d’Alais  par  M.  Raulin,  sont  placés  : 

A.  12  dans  une  cloche  ouverte  par  en  haut,  à la  pression  normale  par 
conséquent  ; 

B.  18  dans  une  cloche  de  5l,2,  à la  pression  de  50  centimètres  ; 

G.  18  dans  une  cloche  de  71;  pression  de  38e; 

D.  18  dans  une  cloche  de  151;  pression  de  25e; 

E.  5 dans  une  cloche  de  61;  pression  de  5e. 

La  cloche  D casse  le  25  juin  ; l’eau  de  la  fermeture  hydraulique  y rentre 
avec  l’air  ; on  la  laisse  sans  renouvellement.  Tous  les  deux  jours  on 
change  l’air  des  cloches  B et  G ; tous  les  jours  celui  de  la  cloche  E. 

Le  8 juillet,  on  arrête  l’expérience,  l’on  ramène  tout  à l’air  libre,  et  Ton 
ouvre  les  cocons. 

Les  cocons  de  A et  D sont  éclos  du  matin  : papillons  sortis  dehors. 

Des  chrysalides  de  B,  5 sont  transformées,  mais  les  papillons  sont  restés 
dans  le  cocon. 

Les  autres  sont  très-vives,  mais  non  transformées. 

Gelles  de  G sont  assez  vives,  mais  non  transformées. 

On  n’ouvre  pas  les  cocons  de  E. 

Le  15  juillet,  on  trouve  qu’il  s’est  encore  transformé  5 chrysalides  à B; 
tout  est  mort,  du  reste. 

G : tout  est  mort  également  ; mais  sous  la  peau  de  la  chrysalide  on 
trouve  la  transformation  déjà  très-avancée. 

D : tout  mort,  avec  un  degré  de  développement  considérablement 
moindre. 

Il  serait  intéressant  de  faire  des  expériences  avec  des  œufs 
de  grenouilles,  des  larves  d’insectes,  etc* 


ACCIDENTS  DE  LA  DÉCOMPRESSION  : LEUR  DESCRIPTION. 


735 


g 0.  — Limite  inférieure  de  pression. 

La  valeur  de  la  dépression  à laquelle  surviennent  les  divers 
accidents  que  je  viens  d’énumérer,  celle  de  la  limite  infé- 
rieure incompatible  avec  la  vie , varient  suivant  les  espèces. 
Elles  varient  également  suivant  que  les  animaux  sont  restés 
calmes  ou  qu’ils  se  sont  agités  pendant  la  durée  de  l’expé- 
rience. 

Chez  les  moineaux,  le  malaise  commence  généralement  à 
se  manifester  aux  environs  d’une  demi-atmosphère.  L’animal 
commence  à devenir  inquiet;  il  cesse  de  sautiller,  et  ses  res- 
pirations s’accélèrent;  c’est  vers  25  centimètres  qu’il  com- 
mence à vomir,  à osciller  sur  ses  pattes;  bientôt  il  tombe, 
et  si  la  dépression  approche  de  la  limite  mortelle,  il  tourne 
sur  lui-même  et  s’agite  convulsivement.  Nous  avons  vu  plus 
haut  que  cette  limite  était  d’ordinaire  de  17  à 18  centimè- 
tres. 

Elle  peut  varier,  dans  des  limites  assez  étroites,  pour  la 
même  espèce,  d’un  animal  à l’autre,*  alors  même  que  toutes 
les  conditions  de  la  vie  paraissent  bien  identiques.  En  voici 
pour  preuve  une  expérience  : 

Expérience  CCXLVI1I.  18  juin.  — 4 moineaux  : A,  vieux  mâle,  vigoureux; 
B,  C,  D,  femelles,  bien  portantes;  tous  réunis  dans  la  même  cage  depuis 
plusieurs  jours.  Mis  ensemble  dans  une  grande  cloche  de  50  litres,  sous 
courant  d’air.  Un  linge  qui  recouvre  la  cloche  les  empêche  de  s’effrayer 
et  de  s’agiter  inégalement  ; ils  restent  fort  calmes  pendant  toute  la  pre- 
mière partie  de  l’expérience , c’est-à-dire  jusqu’à  ce  qu’ils  souffrent  de 
l’air  raréfié. 

La  dépression  commence  à 4h  45m. 

A 4h  49ni,  la  pression  n’est  plus  que  de  58e, 8 : B et  D vomissent  à plu- 
sieurs reprises. 

A 4h  52m,  pression  29e, 8 : A vomit  à son  tour. 

4h  55  m,  pression  27e, 8 : G vomit  ; D est  très-malade. 

4h  54m,  pression  26e, 8 : tous  haletants  et  accroupis,  sauf  G qui  se  tient 
sur  ses  pattes 

4h  55m,  pression  24e,  8 : tous  marchent  en  se  traînant  deci  delà;  seul  A 
reste  immobile,  le  bec  à terre. 

41' 56m,  pression  25e, 8 : le  plus  malade  est  évidemment  A;  puis 


736 


EXPERIENCES. 


viennent  D,  puis  B,  puis  enfin  G,  notablement  mieux  que  les  autres. 

4h  58m,  pression  21e, 5:  A et  D semblent  mourants  ; ils  sont  renversés, 
avec  respiration  haletante  et  convulsions. 

4h  59m,  je  pousse  jusqu’à  20e, 5,  puis  j’ouvre  tous  grands  les  robinets: 
A et  D restent  quelque  temps  sur  le  dos,  et  ne  se  remettent  qu’après  les 
autres. 

A 5h  50m,  tous  vont  bien. 

Ils  survivent. 

J’ai  montré  qu’il  est  possible,  avec  des  précautions  con- 
venables, d’arriver  jusqu’à  10  centimètres  (p.  555),  limite 
qui  concorde  avec  celle  qu’indique  le  calcul  pour  la  pres- 
sion minima  de  l’oxygène.  Il  faut  pour  cela  opérer  avec 
une  très-grande  lenteur.  En  allant  brusquement,  au  con- 
traire, on  peut  voir  les  troubles  survenir  beaucoup  plus  tôt, 
et,  par  exemple,  la  mort  arriver  tout  à coup  entre  25  et 
50  centimètres.  Il  en  est  de  même  lorsque  l’animal  s’agite. 

Inversement,  il  arrive  souvent  qu’un  animal  qui  paraît  fort 
mal  à son  aise,  près  de  périr,  sous  une  très-faible  pression, 
se  remet  ensuite,  se  relève,  et  s’y  accoutume  fort  bien. 

Tous  ces  faits,  qui  compliquent  la  solution  numérique  du 
problème,  sont  parfaitement  en  rapport  avec  ce  qu’indiquent 
les  observations  des  voyageurs  en  montagne,  et  avec  ce  qu’on 
sait  des  conditions  de  l’asphyxie. 

Plus  ménagées  seront  les  transitions,  plus  facilement  s’ob- 
tiendra l’accoutumance;  plus  grandes  seront  les  dépenses 
d’oxygène,  plus  vite  se  fera  sentir  l’effet  de  sa  privation.  Les 
voyageurs,  comme  les  oiseaux  décomprimés,  comme  les  ani- 
maux asphyxiés,  d’une  manière  générale,  souffrent  d’autant 
plus  qu’ils  agissent  davantage;  les  voyageurs,  nous  en  avons 
eu  maints  exemples,  sont  forcés,  à certaines  hauteurs,  de  s’ar- 
rêter pour  s’accoutumer,  de  se  coucher  pour  diminuer  la 
dépense  d’oxygène.  Les  faits  que  j’indique  sont  parfaitement 
en  série  avec  ceci. 

Ajoutez  que,  d’après  un  certain  nombre  d’expériences  dont 
le  résumé  forme  le  tableau  II  (p.  560),  la  résistance  est  no- 
tablement moindre  quand  la  température  est  très-basse. 
C’est  une  considération  importante,  car  les  voyageurs  comme 
les  aéronautes  sont  le  plus  souvent  exposés  à cette  condition 


ACCIDENTS  DE  LA  DÉCOMPRESSION  : LEUR  DESCRIPTION.  737 

déprimante.  Or  rien  de  plus  naturel,  la  consommation  d’oxy- 
gène devant- être  augmentée  par  le  froid,  sous  peine  d’un  no- 
table abaissement  de  la  température  du  corps. 

Espèces  diverses.  — Si  maintenant  nous  considérons  la 
résistance  moyenne  présentée  par  les  diverses  espèces,  nous 
trouvons  que,  chez  les  oiseaux,  les  rapaces  paraissent  presque 
aussi  sensibles  à la  dépression  que  les  moineaux.  Le  fait  est 
curieux,  lorsqu’on  pense  aux  hauteurs  atmosphériques  con- 
sidérables qu’atteignent  les  grands  oiseaux  de  proie. 

L’expérience  suivante,  si  on  la  rapproche  de  la  précé- 
dente, quia  été  faite  le  même  jour,  en  donne  une  preuve 
plus  nette  encore  que  celles  qui  se  tirent  du  tableau  de  la 
page  577. 

Expérience  CCXL1X.  — 18  juin.  — Mouette  rieuse  (Larus  ridibundus 
Lin.)  et  Cresserelle  (Falco  tinnunculus  Lin.). 

La  dépression  s’est  faite  dans  les  memes  conditions  de  rapidité  que 
pour  les  moineaux  de  l’expérience  CCXLVIII.  Je  résume  dans  le  tableau 
suivant  les  phénomènes  présentés,  sous  la  même  pression,  par  ces  trois 


espèces 

• 

PRESSION 

CRESSERELLE 

MOUETTE 

MOINEAUX 

38e, 8 

B,  D vomissent. 

34,8 

, , , 

Vomit 

Id. 

31,8 

Titube,  vomit.  . . . 

Id. 

29,8 

Id 

A vomit. 

27,8 

Vomit 

Id 

C vomit;  D très-malade. 

20,3 

Couchée,  très-malade,. 

Couchée,  plus  malade 
que  la  cresserelle. 

A et  D mourants. 

18,8 

17,8 

Id 

Va  mourir;  j’ouvre. 

Va  mourir  ; j’ouvre. . 

J’ouvre. 

Ainsi,  la  cresserelle  n’a  guère  qu’un  centimètre  d’avance 
sur  la  mouette,  et  deux  ou  trois  sur  les  moineaux.  Il  serait 
bien  intéressant  de  mettre  en  expérience,  non  plus  seule- 
ment un  représentant  zoologique  des  rapaces  de  haut  vol, 
mais  un  de  ces  oiseaux  lui-même,  un  condor,  par  exemple  ; 
malheureusement,  cette  bonne  fortune  n’est  pas  près  d’arri- 
ver aux  physiologistes. 

Parmi  les  mammifères,  les  chats  paraissent  avoir  une 
susceptibilité  presque  aussi  grande  que  les  moineaux.  Elle 
l’est  certes  plus  que  celle  des  chiens,  qu’il  faut  pour  les 

47 


758 


EXPÉRIENCES. 


tuer  pousser  à 10  ou  8 centimètres.  Nous  avons  vu,  du  reste, 
dans  l’historique,  que  les  chats  sont  difficiles  à élever  et 
même  meurent  rapidement  sur  les  hauteurs  (voy.  p.  43, 49). 

Les  cochons  d’Inde  et  les  lapins  sont  très-faciles  à ame- 
ner à de  basses  pressions,  et,  leur  température  diminuant 
très-vite,  ils  passent,  pour  ainsi  dire,  à l’état  d’animaux  à 
sang  froid. 

C’est  cet  état  dans  lequel  sont,  par  à peu  près,  les  chats 
nouveau-nés  : aussi  meurent-ils  un  peu  plus  tard  que  les 
adultes. 

J’avais  espéré,  en  soumettant  à la  décompression  un  ani- 
mal hibernant,  l’amener  à des  pressions  très-faibles  aussi, 
pensant  qu’il  hibernerait,  pour  ainsi  dire;  mais  la  seule  expé- 
rience que  j’aie  faite,  avec  un  hérisson,  a déçu  mon  attente 
(voy.  p.  578).  Il  ne  m’a  pas  été  possible  de  dépasser  18  centi- 
mètres sans  que  la  vie  de  l’animal  semblât  immédiatement 
menacée. 

J’ajoute  enfin  que,  comme  on  devait  s’y  attendre,  les  ani- 
maux à sang  froid  résistent  à des  pressions  extrêmement 
basses. 

g 7.  — Mort. 

J’ai  indiqué  plus  haut  comment  tantôt  l’animal  meurt  sans 
aucun  mouvement,  tantôt  il  se  relève  et  se  roidit  violemment 
avant  d’expirer,  tantôt  enfin  il  a de  véritables  convulsions. 
Tout  cela,  nous  l’avons  vu,  dépend  de  l’état  d’épuisement  dans 
lequel  il  est,  du  temps  depuis  lequel  dure  l’expérience,  etc. 

L’autopsie  ne  montre  guère  de  résultats  intéressants.  Le 
sang  est  noir  partout,  excepté  dans  les  veine^  pulmonaires, 
où  il  absorbe  de  l’oxygène  pendant  le  retour  à la  pression 
normale.  Il  ne  contient  jamais  de  gaz  libres. 

Chez  les  mammifères,  les  poumons  sont  parfois  un  peu 
emphysémateux;  presque  toujours  ils  sont  ecchymosés  par 
places,  quelquefois,  mais  rarement,  avec  hémorrhagie  véri- 
table ; dans  d’autres  cas,  à la  suite  de  décompressions  sou- 


ACCIDENTS  DE  LA  DÉCOMPRESSION  : LEUR  DESCRIPTION.  739 

daines,  je  les  ai  vus  comme  carnifiés,  revenus  à l’état  fœtal, 
et  allant  par  gros  fragments  au  fond  de  l’eau.  Je  tâcherai 
d’expliquer,  en  parlant  des  décompressions  brusques,  ce  phé- 
nomène étrange. 

Un  fait  curieux,  c’est  la  rapidité  avec  laquelle  survient 
la  rigidité  cadavérique.  C’est  un  résultat  que  j’ai  constaté 
avec  soin  chez  les  moineaux.  Tandis  que,  si  l’on  coupe  la 
tête  à l’un  de  ces  animaux,  la  rigidité  cadavérique  reste 
environ  trois  quarts  d’heure  avant  de  se  manifester,  elle 
survient  entre  10  et  20  minutes  après  la  mort  dans  l’air 
raréfié. 

Je  prendrai  comme  exemples  un  certain  nombre  des  expé- 
riences rapportées  au  chapitre  I (page  559  et  suiv.).  Elles 
permettent  de  dresser  le  tableau  suivant  : 

TABLEAU  XIII. 


C/j 

i u 

CJ 

2 

P 

W 

2 

S5  S 

O CS 

c 7)  ^ 

c/j 

a SS 
r ç 

•À 

TEMPÉRATURE  j 

RIGIDITÉ  CADAVÉlîIQUE 
SURVENUE  APRÈS 

£3  « 

s 2 C '« 

H 2 H H 

w 2 
w a ^ 

H -, 

< 

OBSERVATIONS 

! XIX 

76 

19° 

Plus  de  58  min. 

Tué  par  section  du  cou. 

XVI 

19e,  7 

id. 

Moins  de  25  min. 

24°  env. 

A vécu  lh  45m;  resté  calme. 

XVII 

20e,  8 

id. 

Moins  de  20  min. 

31°,  6 

Mort  en  2m  ; convulsions  violentes. 

XVIII 

27e, 8 

id. 

17  minutes. 

26°,7 

A vécu  2h;  pas  de  convulsions. 

XX 

50e,  8 

20° 

15  minutes. 

20», 5 

A vécu  6h  53m  ; assez  calme. 

XXI 

30e,  3 

id. 

Moins  de  20  min. 

24°  env. 

A vécu  4h  25m  ; assez  calme. 

XXII 

26e , 1 

id. 

Moins  de  17  min. 

34»,  7 

Mort  en  6m;  sans  grandes  convuls. 

XXIV 

50e,  3 

id. 

Moins  de  20  min. 

27» 

A vécu  lh  51 m;  agitation. 

XXVI 

24e,  2 

20», 5 

Environ  15  min. 

28»  env. 

A vécu  2h  10ra;  grande  agitation  et 
convulsions  violentes. 

XXVII 

24e,  2 

id. 

11  minutes. 

27», 2 

A vécu  lh  50m;  assez  calme.  1 

XXVIII 

24e,  2 

id. 

Moins  de  20  min. 

28“  env. 

A vécu  lh  4m;  agitation.  i 

On  voit  qu’il  s’agit  d’un  phénomène  absolument  constant 
et  indépendant  à la  fois  de  la  rapidité  de  la  mort,  du  calme 
ou  de  l’agitation  de  l’animal,  et  du  degré  auquel  s’est  abais- 
sée sa  température* 

Il  n’existe  pas  dans  l’asphyxie  en  vases  clos,  à la  pression 
normale  (sauf  dans  les  conditions  de  l’expér*  CCL,  p.  746), 


740 


EXPERIENCES 


et  je  11e  crois  pouvoir  l’attribuer  qu’à  l’épuisement  de  l’acide 
carbonique  du  sang  et  des  tissus,  par  le  fait  de  la  respiration 
dans  l’air  raréfié.  Nous  verrons  dans  le  chapitre  VIII  que  cet 
épuisement  est  réel. 


SOUS-CHAPITRE  11 

COMPARAISON  DES  PHÉNOMÈNES  DE  LA  DÉCOMPRESSION  AVEC  CEUX 
DE  L ASPHYXIE  EN  VASES  CLOS. 

J’ai  déjà  insisté  à plusieurs  reprises  sur  le  parallèle  entre 
les  phénomènes  de  la  décompression  et  ceux  de  l’asphyxie  en 
vases  clos,  parallèle  qui  se  poursuit  jusque  dans  les  moindres 
détails.  Je  l’ai  fait,  dans  le  premier  chapitre  (p.  554  et  suiv.), 
en  comparant  la  durée  de  vie  des  animaux  dans  l’un  et  l’au- 
tre cas,  sous  l’influence  de  conditions  diverses.  Je  l’ai  fait 
encore  à propos  des  gaz  contenus  dans  le  sang  artériel  chez 
les  animaux  décomprimés  et  chez  ceux  qu’on  asphyxie  en 
vases  clos,  lorsqu’on  soustrait  l’acide  carbonique  au  fur  et  à 
mesure  de  sa  formation  (chap.  11,  sous-chap.  IV). 

Les  descriptions  données  par  les  innombrables  auteurs  qui 
ont  fait  périr  des  animaux  par  asphyxie  concordent  de 
tous  points  avec  les  phénomènes  que  nous  venons  d’énu- 
mérer. On  a montré  les  respirations  devenant  en  général 
plus  rapides  dans  les  premiers  temps,  pour  se  ralentir  et 
prendre  le  caractère  d’angoisse  quand  l’animal  souffre  nota- 
blement. Les  pulsations,  dans  leur  nombre,  dans  leur  force, 
ont  été  beaucoup  moins  étudiées.  Mais  on  n’a  pas  manqué  de 
remarquer  les  nausées,  les  mouvements  de  trépidation,  les 
'convulsions  terminales  dans  des  circonstances  que  nous 
avons  ailleurs  tâché  de  préciser.  Si  les  phénomènes  de  la 
nutrition  n’ont  pas  été  l’objet  d’une  attention  suffisante,  on 
n’a  pas  oublié  l’abaissement  de  la  température  du  corps,  et 
M.  Claude  Bernard  a signalé  la  disparition  du  sucre  du  foie 
dans  les  asphyxies  lentes. 

Il  faut  faire  observer  cependant  que  dans  les  conditions 


ACCIDENTS  DE  LA  DÉCOMPRESSION  : COMPARAISON  AVEC  L’ASPHYXIE.  741 

d'asphyxie  où  ces  expérimentateurs  plaçaient  leurs  animaux, 
l’acide  carbonique  s’emmagasinait  dans  l’air  ambiant,  sans 
qu’on  ait  déterminé  la  part  d’influence  qui  revenait  à ce 
gaz,  les  uns  la  niant  complètement,  les  autres  l’exagérant  à 
l’excès. 

Les  phénomènes  relatifs  à la  diminution  de  l’oxygène 
absorbé,  de  l’acide  carbonique  et  de  l’urée  excrétés  par  des 
animaux  soumis  à la  respiration  d’un  air  pauvre  en  oxygène, 
n’ont  pas  été  étudiés  avec  un  soin  suffisant  jusqu’ici.  Je  ne 
connais  même  rien  qui  soit  relatif  à l’excrétion  urinaire,  et 
cela  se  comprend  : il  ne  serait  rien  moins  que  facile  de  main- 
tenir pendant  un  temps  considérable,  dans  un  air  appauvri 
et  convenablement  renouvelé,  des  animaux  sur  lesquels  se 
pourrait  faire  une  semblable  expérience. 

Relativement  à l’absorption  d’oxygène,  j’ai  bien  souvent, 
en  analysant  à plusieurs  reprises  successives  l’air  d’une  clo- 
che où  s’asphyxiait  lentement  un  animal,  constaté  qu’au  fur 
et  à mesure  que  l’expérience  marchait  vers  son  dénouement 
fatal  l’animal  consommait  de  moins  en  moins  d’oxygène  pour 
des  laps  de  temps  égaux. 

L’expérience  CLXXXYII  (p.  671)  en  montre  un  exemple  : 
ici,  l’acide  carbonique  était  absorbé  par  de  la  potasse  au  fur 
et  à mesure  de  sa  formation,  en  telle  sorte  que  la  comparai- 
son avec  l’air  pur  dilaté  est  très-légitime  ; or,  dans  les  deux 
premières  heures  le  chien  avait  consommé  41  pour  100  de 
l’oxygène  du  sac  clos  où  il  respirait,  tandis  que  dans  les 
2 heures  suivantes  il  n’en  a consommé  que  56  pour  100,  le 
volume  total  du  sac  étant  en  outre  fort  réduit,  par  suite  de 
l’absorption  de  l’acide  carbonique. 

Les  expériences  qui  seront  rapportées  au  chapitre  VIII 
(sous-chap.  11)  déposeront  dans  le  même  sens.  Ainsi  la  pau- 
vreté de  l’air  en  oxygène  donne  le  même  résultat  que  sa 
dilatation. 

Quant  à l’abaissement  de  température,  les  expériences  du 
chapitre  II,  sous-chapitre  IV  (p.  670  et  suiv.),  nous  indiquent 
des  chiffres  intéressants.  Dans  l’expérience  CLXXXVII,  où 
l’asphyxie  a duré  4h  45m,  la  température  était  tombée  de  39° 


742 


EXPÉRIENCES. 


à 54°, 5.  Dans  l’expérience  GLXXXV1II  : durée,  4h  50m;  temp., 
de  58°, 5 à 34°.  Il  y a donc  là  encore  identité  entre  les  deux 
ternies  que  nous  cherchons  à comparer  actuellement. 

Si  nous  envisageons  les  phénomènes  respiratoires  et  circu- 
latoires, au  simple  point  de  vue  du  nombre  des  mouvements, 
nous  trouvons,  dans  l’asphyxie  comme  dans  la  dépression,  la 
même  tendance  générale  et  les  mêmes  irrégularités. 

La  ligure  55  donne  une  idée  de  leur  marche  : le  trait 
plein  représente  les  résultats  de  l’expérience  CLXXXVII,  le 
trait  pointillé  ceux  de  l’expérience  CLXXXYIII.  La  teneur  de 
l’air  en  oxygène  est  inscrite  sur  l’axe  des  abscisses.  Le  nom- 
bre des  respirations  (R)  et  celui  des  pulsations  (P)  sur  l’axe 
des  ordonnées,  à des  échelles  différentes. 

On  voit  que  dans  ces  tracés  se  manifeste,  après  une  phase 
d’incertitude  et  d’irrégularité,  une  période  d’accélération 
dans  les  deux  ordres  de  mouvements,  suivie  d’une  période  de 
ralentissement  soudain. 

Dans  quelques  cas,  à la  fin  de  la  vie,  le  cœur  recommence 
à battre  avec  vitesse,  mais  ses  battements  sont  très-faibles. 
C’est  ce  qui  est  arrivé  dans  une  des  expériences  rapportées  au 
sous-chapitre  II  du  chapitre  VIII,  où  les  pulsations,  après  être 
tombées  de  120  à 14  au  moment  où  l’insensibilité  de  l’œil 
apparaissait,  se  sont,  quand  cessa  la  respiration,  relevées 
soudain  à 60  pendant  quelques  minutes. 

Quant  à la  pression  cardiaque,  elle  baisse  avec  lenteur 
d’abord,  puis  rapidement.  La  figure  54,  dont  les  tracés 
sont  relatifs  à l’expérience  CLXXXVII,  montre  la  marche  des 
maxima  et  des  minima,  en  rapport  avec  la  richesse  de  l’air 
en  oxygène. 

Tous  ces  phénomènes  prouvent  donc  encore  une  fois  l’i- 
dentité des  effets  de  la  décompression  avec  ceux  de  l’asphyxie 
lente,  ou,  pour  mieux  dire,  de  la  respiration  d’un  air  pauvre 
en  oxygène. 

Cette  identité  se  traduit  encore  par  une  coïncidence  inté- 
ressante. Les  détails  des  expériences  rapportées  dans  le  pré- 
sent livre  montrent  que  non-seulement  la  mort,  mais  les 
troubles  divers  apparaissent,  dans  l’asphyxie,  à un  degré  de 


Fig.  57*.  — Asphyxie  sans  acide  carbonique.  Nombre  des  pulsations  P,  P’,  et  des  respirations 
R,  R’,  en  rapport  avec  l’appauvrissement  graduel  de  l’air. 


744 


EXPÉRIENCES. 


pauvreté  en  oxygène,  et  dans  l’air  dilaté  à un  degré  de  dé- 
pression ou  la  tension  de  l’oxygène  est  identique. 

Ainsi,  chez  les  chiens,  les  troubles  respiratoires  sont  ma- 
nifestes, dans  l’air  confiné,  à peu  près  au  moment  où  il  n’y 
a plus  que  12  pour  100  d’oxygène  ; dans  l’air  pur,  ils  appa- 
raissent environ  sous  la  pression  de  45  centimètres,  pression 
que  l’on  rencontre  à peu  près  à 5000  mètres  d’altitude  ; dans 
les  deux  cas,  la  tension  de  l’oxygène  est  la  même,  car 
12x70  = 20,9  x45,6.  Quant  aux  accidents  graves,  aux 
nausées,  etc.,  il  faut  que  la  proportion  de  l’oxygène  dans 
l’air  confiné  s’abaisse  au  voisinage  de  8 pour  100,  ou  que  la 
pression  barométrique  de  l’air  pur  soit  réduite  à 50  centi- 


Fig.  54.  — Maxima  et  minima  de  la  pression  cardiaque  dans  l’asphyxie 
sans  acide  carbonique. 

mètres  environ,  ce  qui  correspond  à une  hauteur  de  7500 
mètres  : la  tension  de  l’oxygène  est  encore  la  même  dans  les 
deux  cas. 

Or,  confirmation  nouvelle,  c’est  à ces  altitudes,  à peu  près, 
que  surviennent  chez  les  aéronautes,  immobiles  dans  leur 
nacelle,  les  troubles  et  les  accidents  qui  constituent  le  mal 
des  ballons . 

La  coïncidence  prend  un  caractère  d’intérêt  plus  vif  en- 
core, lorsqu’elle  se  tire  d’observations  qui  ont  été  prises 
sur  l’homme  lui-même. 

Les  plus  importantes  sont  dues  à M.  Félix  Leblanc1,  qui 

1 Recherches  sur  la  composition  (le  l'air  de  quelques  mines  (Annales  de  chimie  et 
de  physique,  5e  série,  t.  XV). 


ACCIDENTS  DE  LA  DÉCOMPRESSION  : COMPARAISON  AVEC  L’ASPHYXIE.  745 

a eu  l’occasion  d’analyser  l’air  des  mines  de  Poullaouen  et 
d’Huelgoat,  en  Bretagne,  et  dont  le  mémoire  contient  de  pré- 
cieuses indications  sur  les  sensations  des  ouvriers  qui  tra- 
vaillent dans  ces  mines. 

Les  pyrites  qui  existent  en  abondance  dans  les  filons  ex- 
ploités s’emparent  d’une  partie  de  l’oxygène  de  l’air  qui  se 
trouve  ainsi  appauvri  sans  être,  comme  cela  arrive  dans  les 
lieux  confinés,  vicié  en  même  temps  par  de  l’acide  carbonique 
ou  d’autres  gaz. 

Des  faits  rapportés  par  M.  Leblanc,  nous  extrayons  les  sui- 
vants : 

A : Dans  un  endroit  où  il  n’y  a plus  que  16,7  pour  100 
d’oxygène,  la  respiration  est  peu  gênée,  mais  l’air  est  trouvé 
faible  par  les  mineurs  ; 

B : Avec  15,5  d’oxygène,  on  peut  respirer  d’une  manière 
continue  et  sans  trop  de  difficultés; 

G : Avec  9,8  d’oxygène,  l’air  est  asphyxiant,  et  au  bout  de 
1 à 2 minutes  on  se  sent  pris  de  défaillance.  M,  Leblanc,  qui 
s’v  soumit  sans  transition,  faillit  se  trouver  mal,  et  le  maître 
mineur  qui  l’accompagnait  fut  saisi  de  vertiges  et  de  nausées. 

Or,  dans  l’observation  A,  la  tension  de  l’oxygène  équivaut 
à celle  existant  dans  l’air  pur  à 60e, 4 de  pression;  ce  qui 
correspond  à une  altitude  de  1800  mètres.  Pour  l’observa- 
tion B,  la  pression  équivalente  est  55e, 5,  et  l’altitude 
2500  mètres.  Pour  C,  la  pression  est  55e, 4,  et  l’altitude 
6000  mètres. 

Il  est  hors  de  doute  qu’un  habitant  de  la  plaine,  transporté 
subitement  à des  hauteurs  de  1800  et  surtout  de  2500  mè- 
tres, et  forcé  de  s’y  livrer  aussitôt  au  dur  travail  des  mineurs, 
trouverait  comme  eux  que  l’air  est  faible  et  sentirait  sa 
respiration  un  peu  oppressée.  Il  est  hors  de  doute  qu’un 
aéronaute  qui  serait,  aussi  instantanément  que  dans  l’ob- 
servation de  M.  Leblanc,  transporté  à 6000  mètres  de  hau- 
teur, et  qui  voudrait,  comme  ce  chimiste,  faire  l’effort 
nécessaire  pour  gravir  un  talus  et  vider  un  flacon  plein  de 
mercure,  serait,  lui  aussi,  atteint  aussitôt  d’accidents  assez 
graves. 


746 


EXPÉRIENCES. 


Enfin,  dernière  ressemblance  sur  laquelle  nous  appelons 
l’attention,  la  rapidité  singulière  avec  laquelle  survient  la 
rigidité  cadavérique  des  animaux  morts  dans  l’air  raréfié 
(voy.  p.  759)  se  retrouve  dans  la  mort  par  asphyxie,  lorsqu’on 
a soin  d’éliminer  l’acide  carbonique  formé  en  l’absorbant  par 
la  potasse.  Exemple  : 

Expérience  CCL.  — 20  mars.  A 5h,  un  verdier  est  placé  dans  une  cloche  de 
51  sur  un  trépied  qui  l’isole  d’un  cristallisoir  plein  d’une  solution  de  po- 
tasse. Un  tube  coudé  fait  communiquer  cette  cloche  avec  une  autre  qui 
repose  sur  la  cuve  à eau,  et  dans  laquelle  l’eau  montera  au  fur  età  mesure 
de  l’absorption  de  GO2,  en  sorte  que  la  pression  restera  toujours  la  même 

A 4h,  l'oiseau,  qui  s’est  un  peu  agité  au  début,  se  couche  et  demeure 
en  repos  : respiration  haletante. 

II  meurt  à 6h23m;  temp.  rectale  51°. 

La  rigidité  commence  aux  ailes  à 6h  3|m;  elle  est  complète  à 6h  45m. 

Notre  parallèle  entre  les  accidents  de  la  décompression  et 
ceux  de  l’asphyxie  est  donc  complet,  et  se  poursuit  jusque 
dans  les  moindres  détails  avec  une  remarquable  précision. 

Tout  se  résume,  dans  l’un  et  l’autre  cas,  en  cette  formule  : 
troubles  nutritifs  dus  à l’introduction  dans  l’organisme, 
dans  un  temps  donné,  d’une  quantité  insuffisante  d’oxy- 
gène. 


SOUS-CHAPITRE  111 

DES  MOYENS  DE  CONJURER  LES  ACCIDENTS  DE  LA  DÉCOMPRESSION. 

Les  faits  si  nombreux  qui  ont  été  énumérés  jusqu’ici  ont 
montré  de  la  manière  la  plus  nette  que  les  accidents  de  la  dé- 
compression sont  dus  non  à la  soustraction  de  la  pression 
atmosphérique,  mais  à la  diminution  de  la  tension  de  l’oxy- 
gène, qui  ne  pénètre  plus  alors  dans  le  sang  et,  par  suite, 
dans  les  tissus,  en  quantité  suffisante  pour  entretenir  les 
combustions  vitales  à leur  degré  d’énergie  normale.  La  pro- 
phylaxie de  ces  accidents  se  déduit  tout  naturellement  de 
cette  notion  précise. 

La  tension  d’un  gaz,  avons-nous  déjà  dit  bien  souvent, 
est  exprimée  par  le  produit  PxQ  de  la  pression  barométri- 


ACCIDENTS  DE  LA  DÉCOMPRESSION  : MOYENS  DE  LES  CONJURER.  747 

que  P que  multiplie  la  proportion  centésimale  Q du  gaz  dans 
le  mélange  ambiant.  Si  donc,  en  même  temps  qu’on  fait,  par 
le  j eu  de  la  pompe  pneumatique,  diminuer  le  facteur  P,  on 
augmente  le  facteur  Q,  rien  ne  sera  changé  à la  tension,  et 
les  accidents  devront  être  conjurés.  Du  même  coup,  si  l’évé- 
nement justifie  nos  prévisions,  la  théorie  qui  leur  sert  de 
base  se  trouvera  une  fois  de  plus  vérifiée. 

Mais  l’expérience,  sous  la  forme  que  je  viens  d’indiquer, 
est  très-difficile  à réaliser.  On  arrive  aux  mêmes  conclu- 
sions en  l’exécutant  dans  les  conditions  de  celle  dont  je  vais 
ici  exposer  les  détails  : 

Expérience  GGLI.  25  avril.  — Moineau,  sous  une  cloche  de  0,5,  sur  la 
platine  de  la  machine  pneumatique.  La  pression  extérieure  est  de  75  cent. 

5h  20,u,  amené  en  quelques  minutes  à ,25e  de  pression:  212  respira- 
tions à la  minute. 

A 21e,  tourbillonne,  culbute,  va  mourir.  Je  rétablis  la  pression  normale 
en  laissant  rentrer  de  l’air  très-riche  en  oxygène  (par  accident,  il  rentre 
en  meme  temps  de  l’air  extérieur)  ; l’oiseau  se  remet  immédiatement  et 
paraît  vif  et  bien  portant. 

3h  30IU,  l’air  contient  alors  55  p.  100  d’oxygène.  J’amène  l’oiseau  à 18e 
dépréssion;  il  est  alors  fort  malade,  avec  176  respirations;  je  laisse 
rentrer  de  nouveau  de  l’oxygène,  il  revient  aussitôt  à lui. 

5 11 40m,  l’air  contient  77,2  p.  100  d’oxygène.  L’oiseau  sous  15e  déprés- 
sion a 168  respirations,  mais  il  ne  culbute  qu’à  10  centim.  Se  remet  éga- 
lement aussitôt  après  la  rentrée  d’air  suroxygéné. 

5h  50,u,  l’air  contient  87,2  p.  100  d’oxygène.  Le  moineau,  à 10e,  a 176 
respirations,  et  ne  parait  pas  menacé  ; mais  à 8e,  il  culbute  sur  le  dos  et 
va  mourir.  Nouvelle  rentrée  d’oxygène,  se  remet  encore. 

4h  5m,  l’air  contient  91,8  p.  100  d’oxygène.  On  pousse  jusqu’à  la  pres- 
sion de  7e, 5 ; l’oiseau  est  fort  malade,  et  l’on  n’a  que  le  temps  d’ouvrir  les 
robinets. 

Les  tensions  minima  de  l’oxygène  ont  été  successivement  5,8  ; 6,5;  10; 
9,2;  9,1. 

Il  survit. 

Ainsi,  les  dépressions  tout  à l’heure  redoutables  sont  de- 
venues successivement  inoffensives,  parce  que  la  richesse  en 
oxygène  de  l’air  a été  suffisamment  et  progressivement  aug- 
mentée. On  a gagné  12,5  centimètres  avant  de  voir  reparaître 
les  symptômes  qui  annoncent  une  mort  menaçante,  et  on 


748 


EXPÉRIENCES. 


la  pression  prodigieusement  faible  de  7e, 5.  Je  ne  doute  pas 
qu’on  ne  puisse  aller  plus  loin  encore  en  marchant  avec  une 
suffisante  lenteur. 

J’ai  très-souvent  répété  en  public  cette  expérience  très- 
simple,  qui  peut  être  exécutée  dans  tous  les  laboratoires  de 
physique,  et  qui  est  à la  fois  extrêmement  probante  et 
extrêmement  saisissante.  La  figure  55  en  montre  le  dispo- 
sitif expérimental. 

A elle  seule,  elle  suffirait  pour  entraîner  la  conviction  ; on 
peut,  pour  en  augmenter  la  puissance  démonstrative,  la  com- 
pléter par  l’expérience  cruciale  suivante  : 

Expérience  CGLII.  — 24  avril.  — Sous  une  cloche  de  2!,5,  placée  sur 
la  platine  de  la  machine  pneumatique,  et  préalablement  remplie  d’un  air 
très-riche  en  oxygène,  on  introduit  un  moineau.  Pression  extérieure, 
75  cent. 

L’air  contient  alors  86,2  p.  100  d’oxygène;  on  fait  la  diminution  de 


Fig.  55.  — Oiseau  dans  un  air  de  plus  en  plus  dilaté  et  de  plus  en  plus  oxygéné. 

A.  Cloche  communiquant  en  B avec  la  machine  pneumatique,  en  C avec  un  tube  barométrique, 

en  D avec  un  sac  plein  d’oxygéne  0. 


pression.  A 5h  50m,  la  pression  n’est  plus  que  de  15e, 5;  l’oiseau  est  agité 
et  volètedans  la  cloche.  A 9e, 5 il  est  très-malade  et  va  mourir.  On  laisse 
rentrer  de  l’air  un  peu  suroxygéné.  L’oiseau  se  remet  aussitôt. 


ACCIDENTS  DE  LA  DECOMPRESSION  : MOYENS  DE  LES  CONJURER.  749 

5h  58m,  l’air  contient  55,7  d’oxygène;  on  recommence  la  diminution 
de  pression,  sans  pouvoir  aller  plus  loin  que  11e.  Rentrée  d’air  un  peu 
suroxygéné;  animal  bien  remis. 

5h  45m,  l’analyse  de  l’air  a élé  perdue.  Par  la  dépression,  on  n’atteint 
que  15e.  Encore  celte  fois,  l’oiseau  est-il  tellement  malade,  qu'il  reste 
quelques  secondes  immobile  sur  le  dos  après  qu’on  a rétabli  la  pression 
normale  avec  de  l’air  ordinaire. 

5h  55m,  l’air  ne  contient  plus  que  22  p.  100  d’oxygène  ; aussi  ne  peut- 
on  dépasser  18e. 

6h  5m,  cette  fois  on  opère  avec  de  l’air  ordinaire  ; à 20e, 5 l’oiseau  est 
fort  malade  ; mais  il  revient  parfaitement  à lui  sous  la  pression  normale. 
Il  a au  ci  âne  un  piqueté  sanguin  assez  abondant. 

La  tension  de  l’oxygène  au  moment  où  il  fallait  rétablir  la  pression  a 
successivement  été  de  10,7  ; 8,0  ; 5,0  ; 5,6. 

On  peut  mettre  cette  dernière  expérience  sous  une  forme 
plus  simple  encore  : 

Expérience  GCLIIl.  — 5 juin.  Gros-bec  verdier  (Fringilla  chloris  Lin.). 
Mis  sous  la  cloche  de  la  machine  pneumatique. 

Pression  lentement  diminuée;  malade  à 30e  de  pression  réelle,  et, 
comme  il  s’est  un  peu  agité,  est  assez  mal  en  point  à 22e. 

Je  laisse  alors  rentrer  dans  la  cloche,  pour  rétablir  la  pression  normale, 
de  Yazote  pur.  L’animal,  loin  de  se  remettre,  périt  presque  aussitôt. 

Il  a dans  le  diploé  crânien  un  énorme  épanchement  noir. 

Quel  que  soit  le  procédé  opératoire  employé,  ces  diverses 
expériences  montrent  de  la  manière  la  plus  nette,  à la  fois 
la  cause  des  accidents  de  la  décompression  et  le  moyen  de  les 
conjurer. 

Je  ne  pouvais  évidemment  me  borner,  au  moment  d’émet- 
tre des  préceptes  pratiques  destinés  aux  voyageurs  en  mon- 
tagne et  aux  aéronautes,  à des  expériences  faites  sur  des 
animaux,  si  convaincantes  qu’elles  fussent. 

Je  résolus  de  commencer  par  expérimenter  sur  moi-même. 
J’avais  déjà,  dans  mes  grands  cylindres  en  tôle,  subi  l’iji- 
fluence  d’assez  notables  dépressions,  jusqu’à  éprouver  certains 
malaises.  Je  pensai  alors  à m’y  soumettre  de  nouveau,  pour 
faire  disparaître  les  accidents  en  respirant  un  air  suroxy- 
géné. 

Je  plaçais  alors  à côté  de  moi,  dans  l’appareil,  un  grand 
sac  de  caoutchouc,  contenant  un  air  d’autant  plus  riche  en 


750 


EXPERIENCES 


oxygène,  que  la  dépression  devait  être  plus  forte.  La  figure  56 
indique  suffisamment  la  disposition  des  expériences. 

Je  reproduis  ici  les  détails  de  trois  d’entre  elles,  et  d’une 


Fig.  56.  — Respiration  d’un  air  suroxygéné,  dilaté  par  la  diminution  de  pression, 


quatrième  qui  fut  faite  par  mes  regrettés  collègues  et  amis 
MM.  Crocé-Spinelli  et  Sivel  : 

Expérience  CCLIY.  — 20  février  1874.  — Pression  extérieure  758mni. 

2h  50m,  j’entre  et  m’installe  assez  à mon  aise  dans  les  cylindres,  ayant 
avec  moi  un  sac  rempli  d’un  air  extrêmement  riche  en  oxygène  ; à côté  de 
moi,  un  moineau  dans  une  cage. 

Mon  pouls  donne  64;  ma  température  sous  la  langue  prise  avec  un  très- 
grand  soin  est  de  56°, 5 ; une  expiration  dans  un  spiromètre  de  Hutchin- 
son  me  donne  une  valeur  désignée  sur  l’échelle  arbitraire  par  17,5. 

2h  5/lu,  la  porte  est  fermée,  la  dépression  commence. 

2h  45m,  pression  7 1 0mm  ; pouls  68. 

2h  58m,  pression  590 111111  ; pouls  70;  je  suis  à une  dépression  correspon- 
dante à peu  près  à la  hauteur  de  Mexico,  2150m. 


751 


ACCIDENTS  DE  LA  DÉCOMPRESSION  : MOYENS  DE  LES  CONJURER. 

5h  2m,  535mm  ; 73  pulsations. 

3b  6m,  500mm;  il  s’échappe  des  gaz  intestinaux. 

3h  8m,  465mm  ; 78  pulsations. 

3h  12m,  450 mm;  pouls  84;  c’est  la  dépression  de  Calamarca,  par 
41 50m  ; j’ai  quelques  sentiments  de  nausées. 

5h  14m,  450mm;  le  pouls  s’abaisse  à 80;  les  nausées  disparaissent;  j’ai 
le  ventre  un  peu  gonflé;  je  me  sens  la  face  congestionnée  avec  quelques 
légers  éblouissements. 

3h  17m,  450mm,  pouls  84.  Je  respire  trois  fois  de  l’oxygène  ; mon  pouls 
tombe  à 78  ; j’ai  quelques  éblouissements. 

A 5h  21m,  la  pression  n’est  plus  que  de  418nim  ; ce  qui  correspond  à la 
hauteur  du  Mont-Blanc,  4800  mètres  ; mon  pouls  a continué  de  descendre 
après  quelques  respirations  d’oxygène;  il  n’est  plus  qu’à  70;  à chaque 
respiration,  un  éblouissement. 

3h  25m,  420mnj;  je  me  lève  en  respirant  de  l’air;  mon  pouls  monte  im- 
médiatement à 96,  puis  à 100  ; j’ai  un  vertige  net;  je  me  rassieds. 

5h  25m,  445mm  ; le  pouls  retombe  à 90,  puis,  après  une  inspiration 
d’oxvgène,  à 70,  à 3h  26m,  sous  la  pression  460mm. 

5h  28m,  450mm  ; l'oiseau  tombe  dans  sa  cage. 

3h  30m,  440mm;  pouls  76;  renvois  gazeux  par  la  bouche. 

5h  32m,  435mm. 

Ayant  voulu,  sans  quitter  ma  chaise,  élever  la  jambe  droite,  celle-ci  est 
prise  de  tremblements  convulsifs  dans  les  muscles  du  mollet  et  de  la 
cuisse,  tremblements  que  je  ne  puis  maîtriser  avec  la  main  ; ils  cessaient 
lorsque  j’appuyais  fortement  le  pied  à terre;  la  température  sous  la  langue 
est  de  36°8. 

3h  54m,  443mm  ; pouls  80.  Une  inspiration  d’oxygène. 

3h  35m,  445mm  ; le  pouls  tombe  aussitôt  à 70;  ayant  essayé  de  siffler,  à 
ce  moment,  je  remarque  que  cela  m’est  impossible. 

3h  37m,  436mm  ; pouls  80. 

3h  59m,  430mm  ; je  souffle  dans  le  spiromètre;  éblouissement;  je  n’ai 
plus  que  11,8. 

3h  43m,  435mm;  pouls  80.  • 

3h  451U,  423mm  ; pouls  90.  Je  fais  plusieurs  inspirations  d’oxygène; 
éblouissement* 

3h47m,  423mm  ; le  pouls  est  retombé  à 69. 

5b  48m,  423mm;  je  m’agite  sur  ma  chaise  ; léger  éblouissement. 

3h  49m,  425mm  ; pouls78. 

3h  50m,  420mm;  pouls  86. 

3h  51m,  41 8mna  ; pouls  87  ; je  fais  une  inspiration  d’oxygène. 

3h  53nq  426nim;  pouls  78. 

3h  55m,  430mm  ; pouls  80;  quelques  inspirations  d’oxygène  ; éblouis- 
sement. 

3h  57m,  430mm  ; pouls  72. 

2h  59m,  420mm;  pouls  84.  Je  me  sens  assez  mal  à mon  aise  ; ayant  trouvé 
pour  le  nombre  de  mes  pulsations  pendant  20  secondes  28,  j’ai  la  plus 


752  EXPÉRIENCES. 

grande  peine  à multiplier  ce  nombre  par  5,  et  j’inscris  sur  mon  carnet  de 
notes  « difficile  à calculer  » . 

4h  lm,  413nim  ; 88  pulsations. 

4h  3m,  408mm;  92  pulsations  ; sensations  nauséeuses  pénibles  ; éblouis- 
sements; congestion  à la  tête;  tremblements  convulsifs  en  levant  la 
jambe. 

4h  4m,  415mm;  90  pulsations;  je  respire  de  l’oxygène;  éblouisse- 
ments. 

4h  5m,  41 6nim  ; 75  pulsations  seulement. 

4h  7m,  420mni  ; je  souffle  dans  le  spiromètre , et  ne  vais  qu’à  9,9  ; 
éblouissements  et  vertiges  après  avoir  soufflé. 

4h  9m,  450mm;  température  sous  la  langue,  36°, 7. 

4h  14m,  445mm  ; pouls  78;  je  fais  trois  inspirations  d’oxygène  ; éblouis- 
sements; le  pouls  tombe  aussitôt  à 63. 

4h  18M,  452,nm;  pouls  79;  cinq  fois  je  fais  des  inspirations  d’oxygène, 
séparées  chacune  par  deux  inspirations  d’air. 

4h  20m,  450mm  ; le  pouls  est  revenu  à 63.  L’oiseau,  jeté  en  l’air,  tombe 
en  tourbillonnant,  et  se  laisse  prendre  à la  main. 

4h  24ni,  465m,n  ; pouls  72;  je  fais  un  effort  et  me  lève  ; le  {pouls  monte 
aussitôt  à 84. 

4h  26m,  490mm  ; pouls  72;  je  fais  quelques  inspirations  d’oxygène; 
éblouissements. 

4h  29ni,  495mm  ; pouls  60. 

4h  33m,  500mm  ; pouls  25;  plusieurs  inspirations  d’oxygène  ; le  pouls 
tombe  à 64  ; j’essaie  en  vain  de  siffler. 

4h  37,a,  540mm;  pouls  69  ; l’oiseau  refuse  de  s’envoler  de  dessus  laçage, 
mais  est  bien  réveillé. 

4h  38m,  555mm  ; je  ne  peux  pas  siffler. 

4h  40,n,  590,nm;  pouls  63  ; je  commence  à pouvoir  siffler  assez  facilement. 

4h  45m,  759mm;  pouls  58  ; température  sous  la  langue,  36°, 6. 

La  température  intérieure  de  l’appareil  n’a  pas  varié. 

Dans  cette  première  expérience,  les  respirations  d’air  oxy- 
géné ont  été  intermittentes,  et  l’effet  de  chacune  d’elles  s’est 
montré  instantanément.  Les  nausées  disparaissaient,  le  bien- 
être  renaissait  aussitôt.  Le  nombre  des  pulsations,  et  c’est  là 
un  signe  des  plus  précis,  diminuait  immédiatement  pour 
revenir  bientôt  après  à son  chiffre  primitif. 

Les  tracés  de  la  figure  57  expriment  d’une  manière  très- 
nette  ces  curieuses  modifications.  Les  heures  sont  marquées 
sur  l’axe  horizontal.  Le  tracé  supérieur  représente  la  marche 
décroissante  de  la  pression  barométrique,  avec  la  hauteur 
correspondante  à quelques  dépressions  ; le  tracé  inférieur 


ACCIDENTS  DE  LA  DECOMPRESSION  : MOYENS  DE  LES  CONJURER.  %ô 

indique  les  oscillations  du  nombre  des  pulsations.  On  voit  à 
toutes  les  inspirations  d’oxygène,  marquées  O,  une  chute 


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instantanée  de  cette  dernière  ligne  : la  démonstration  est  des 
plus  nettes. 

Des  modifications  aussi  brusques  dans  le  rhythme  circula» 
toire  ne  peuvent  être  sans  inconvénients  : aussi,  c’est  à elles 
que  j’attribue  les  éblouissements  qui  accompagnaient  chaque 

48 


754 


EXPERIENCES. 


inspiration  d’oxygène.  J’ajoute  que,  le  soir  de  cette  expé- 
rience, j’éprouvai  pendant  plusieurs  heures  des  phénomènes 
de  congestion  cérébrale  qui  n’ont  pas  laissé  de  m’inquiéter 
quelque  peu. 

Je  prie  également  le  lecteur  de  remarquer  les  tremble- 
ments musculaires  et  le  singulier  état  d’affaissement  intel- 
lectuel dans  lequel  je  me  suis  trouvé  en  arrivant  à la  pression 
de  42Ü'lim,  c’est-à-dire,  à peu  près  à celle  qu’on  subit  à la  hau- 
teur du  mont  Blanc  : je  me  trouvai  presque  incapable  de 
multiplier,  le  crayon  en  main,  28  par  5. 

Le  9 mars  suivant,  MM.  Crocé-Spinelli  et  Sivel,  qui  proje- 
taient d’exécuter  des  ascensions  à grande  hauteur,  vinrent  à 
mon  laboratoire  dans  le  but  d’étudier  sur  eux-mêmes  les 
effets  déplaisants  de  la  décompression  et  l’influence  favo- 
rable de  l’air  suroxygéné. 

Je  ne  saurais  mieux  faire  que  de  reproduire  ici  la  narra- 
tion que  rédigea  immédiatement  pour  moi  M.  Crocé-Spinelli, 
d’après  les  notes  que  M.  Sivel  et  lui  prenaient  assidûment 
dans  l’appareil,  des  phénomènes  qu’ils  avaient  tous  deux 
éprouvés. 

Expérience  CCLV.  — La  diminution  de  pression  s’opéra 
régulièrement;  en  55  minutes  ils  furent  amenés  à 504mm;  le 
retour  à la  pression  normale  se  fit  en  22  minutes.  Ils  sont 
ainsi  restés  pendant  25  minutes  au-dessous  de  450mm  de 
pression. 


Monsieur, 


Paris,  le  10  mars  1874. 


Je  vous  transmets  les  faits  que  nous  avons  constatés  et  les  impressions 
que  nous  avons  ressenties,  M.  Sivel  et  moi,  dans  vos  cloches  à dépression, 
le  9 mars  1874. 

L’émotion  n’a  pas  sensiblement  influencé  ces  observations,  car  elle  a 
été  presque  nulle,  je  crois,  chez  M.  Sivel,  et  extrêmement  faible  chez  moi 
pendant  toute  la  durée  de  l’expérience.  La  préoccupation  continuelle  de 
constater  des  faits  donne  de  cela  une  explication  satisfaisante. 

L’expérience  commença  à 10h  31 m. 

Les  premiers  moments  de  la  dépression  ne  donnèrent  lieu  à aucune 
impression  désagréable.  A 101'  34m  je  constatai  chez  M.  Sivel,  à la  pression 
de  70,5  centimètres  de  mercure,  80  pulsations;  et,  très-peu  après,  à 
68  cent.,  92  chez  moi.  A lh  4U1",  pression  56L',  le  pouls  de  M.  Sivel  donne 


ACCIDENTS  DE  LA  DÉCOMPRESSION  : MOYENS  DE  LES  CONJURER.  755 

100  et  le  mien  également  100.  A lh  44m , pression  51e,  mon  pouls  donne  1 16 
et  celui  de  M.  Sivel  108. 

C’est  à partir  de  la  pression  de  48e  environ  que  l’oppression  commence  à 
se  manifester  sensiblement.  Je  deviens  plus  paresseux  et  me  contente 
d’examiner  ce  qui  m’influence.  Je  sens  de  la  chaleur  cà  la  face,  ce  que 
ressent  également  M.  Sivel  vers  la  pression  de  44  centimètres.  J’ai  en  outre 
des  picotements  à la  tête,  des  démangeaisons  qui  me  font  l’impression  d’un 
mal  aux  cheveux.  L’énergie  morale  n’a  d’ailleurs  nullement  été  affaiblie, 
car  nous  sommes  gais  et  causeurs. 

A lh  40m  vers  41  centimètres,  M.  Sivel  inspire  l’oxygène  du  ballonnet, 
non  pas  par  besoin,  mais  pour  diminuer  la  tension  considérable  du  réci- 
pient qui  est  prêt  d’éclater.  Sous  la  pression  de  40  cent.,  je  me  sens  mal 
à mon  aise,  la  tête  est  serrée  comme  dans  un  étau  et  je  ressens  l’impres- 
sion d’une  barre  de  faible  diamètre  sur  laquelle  j’appuierais  fortement 
mon  front.  Mon  pouls  donne  135  pulsations. 

A lh  57m,  sous  la  pression  de  59  centimètres,  j’aspire  quelques  gorgées 
d’oxygène  du  sac  que  me  tend  M.  Sivel.  Je  me  sens  soulagé  et  mon  pouls 
redescend  à 128,  bien  que  la  dépression  continue  à se  produire. 

Nous  nous  passons  le  sac  à oxygène.  Mon  compagnon  en  use  jusqu’au 
maximum  de  dépression,  5 ou  6 fois  d’une  manière  souvent  copieuse,  et 
moi  5 ou  4 fois  d’une  façon  généralement  plus  modérée  et  même  mala- 
droite, car,  éprouvant  d’abord  un  certain  dégoût  à inspirer  ce  gaz  qui 
sent  le  caoutchouc,  j’en  laisse  perdre  une  assez  grande  quantité.  Cepen- 
dant, à mesure  que  la  pression  diminue,  je  surmonte  plus  facilement  cette 
répugnance  et  je  ressens  instinctivement  la  nécessité  d’absorber  ce  gaz. 
Mon  pouls  donne  à 58  et  57  centimètres  Î28  pulsations  après  absorption 
d’oxvgène  ; à 35  cent,  il  est  à 132.  Il  est  certain  que  sans  l’oxygène  inspiré 
il  serait  plus  élevé. 

Voici  ce  que  produisit  chez  M.  Sivel  l’absorption  du  gaz  comburant  : 
la  cloche  lui  paraissait  se  mouvoir  comme  pendant  l’ivresse,  et  cela  pen- 
dant quelques  secondes  ; il  ressentait  comme  une  légère  atteinte  de  mal 
de  mer.  Puis,  ce  malaise  se  dissipait  et  l’esprit  devenait  plus  précis 
qu’avant  l’inspiration. 

Chez  moi,  les  mêmes  impressions  m’affectèrent,  mais  d’une  manière 
plus  marquée.  De  plus,  au-dessous  de  35  centimètres,  mes  regards,  qui 
s’obscurcissaient,  devenaient  très-sensiblement  plus  nets  après  l’absorp- 
tion d’oxygène.  Je  voyais  clair  après  avoir  vu  noir;  l’intérieur  de  la  cloche 
semblait  tout  à coup  devenir  plus  lumineux. 

A ces  faibles  pressions,  l’esprit  s’était  beaucoup  alourdi  chez  tous  deux, 
mais  surtout  chez  moi.  Pendant  les  quatre  minutes  qui  précédèrent  le 
moment  où  nous  arrivâmes  à 30,4  centimètres,  je  ne  prenais  guère  que 
les  notes  des  pressions  que  me  dictait  à très-haute  voixM.  Sivel,  et  les  cal- 
culs les  plus  simples  me  semblaient  difficiles.  J’étais  très-sourd  et  me 
faisais  répéter  plusieurs  fois  les  indications  de  pression.  L’air  ne  semblait 
plus  conduire  le  son* 

A llh  8 “h  sous  la  pression  de  50c*4*  ni  M.  Sivel  ni  moi  ne  disons  plus 


75G 


EXPÉRIENCES. 


rien.  Nous  avions  été  cependant  très-gais,  très-causeurs  et  remuants 
jusque  vers  57  centimètres.  Nous  n’avions  plus,  il  est  vrai,  d’oxygène,  et 
cette  constatation  occasionna  chez  moi  une  sorte  de  regret  instinctif. 
M.  Sivel  avait  alors  l’esprit  un  peu  vacillant,  et  moi  j’étais  dans  un  état  de 
prostration  assez  marquée.  L’atonie  n’était  cependant  pas  arrivée  à un  tel 
point  que  nous  n’eussions  pu  encore  supporter,  assez  difficilement,  il  est 
vrai,  deux  ou  trois  centimètres  de  dépression,  surtout  M.  Sivel,  qui  s'est 
toujours  montré  moins  influencé  que  moi. 

Pendant  toute  l’expérience,  nous  n’avons  constaté  ni  l’un  ni  l’autre  de 
ballonnement  abdominal  ni  d’oppression  pulmonaire,  ce  qui  m’étonne  pour 
moi  qui  ai  les  bronches  très-sensibles.  La  face  avait  fini  par  s’empour- 
prer fortement.  M.  Sivel  était  devenu  violet  foncé,  et  moi,  qui  suis  ordi- 
nairement pâle,  violet  léger.  Mon  oreille  droite  était  très-rouge. 

M.  Sivel,  ayant  constaté  mon  état  de  grand  malaise,  me  demanda  si  je 
croyais  qu’on  devait  arrêter  la  dépression.  Je  répondis  que  oui,  parce 
qu’il  n’y  avait  plus  d’oxvgène.  Le  souvenir  de  ce  fait  ne  m’est  pas  revenu 
de  suite  après  l’expérience,  et  ce  n’est  qu’au  moment  où  j’écris  qu’il 
devient  pour  moi  très-net. 

On  arrêta  alors  la  machine  et  on  ouvrit  les  robinets  d’entrée  d’air.  Voici 
le  nombre  de  puisai  ions  constaté  pendant  la  période  de  recompression  : 
chez  moi,  à 52e,  104  pulsations;  à 59e,  100  pulsations;  à 66e,  96  pulsa- 
tions. CliezM.  Sivel,  à 62e,  98  pulsations. 

En  7 minutes,  nousrevimnes  à 45  centimètres,  et  malgré  la  rapidité  de 
la  montée  de  la  pression,  non-seulement  nous  ne  ressentîmes  aucun  ma- 
laise, mais  bien  au  contraire,  moi  surtout,  nous  éprouvions  une  sensation 
très-agréable.  Ce  n'est  qu’après  que  les  bourdonnements  commencèrent  à 
se  faire  sentir  chez  tous  les  deux.  M.  Sivel  but  de  l’eau  et  mangea  un  peu, 
et  par  deux  fois,  son  oreille  se  débouchant  tout  à coup,  il  se  sentit  sou- 
lagé. Je  fus  plus  sensible  aux  bourdonnements  que  lui  ; mon  oreille  ne  se 
déboucha  qu’une  fois  et  je  souffris  assez  violemment.  Cette  souffrance 
s’accrut  vers  70  centimètres,  quand  les  opérateurs,  ne  voyant  sur  le  ma- 
nomètre extérieur  que  quelques  centimètres  de  dépression,  ouvrirent 
beaucoup  le  robinet  de  rentrée  d’air.  11  est  probable  que  c’est  cela  qui 
occasionna  les  maux  d’oreilles  qui  survinrent  chez  moi  après  l’expé- 
rience. 

En  sortant  de  la  cloche  à llb50m,  après  59  minutes  d’expérience, 
j’avais  une  sensation  de  coton  dans  les  oreilles,  fortement  tamponné,  mais 
je  ne  souffrais  pas.  La  tête  était  libre,  mais  l’esprit  un  peu  fébrile.  Toute 
la  journée  je  sentis  les  oreilles,  surtout  la  droite,  très-lourdes.  Le  soir 
celle-ci  me  fit  souffrir.  Couché  à 1111,  je  ne  pus  m’endormir  qu’à  4 heures 
du  matin.  J’avais  non-seulement  des  élancements  et  une  névralgie  tem- 
porale, mais  encore  l’oreille  intérieure  semblait  comme  tuméfiée,  et  une 
pression  de  la  main  produisait  une  impression  douloureuse.  Je  calmai  la 
douleur  en  m’entortillant  la  tête  de  linges.  Quant  à M.  Sivel,  cette  expé- 
rience ne  lui  laissa  aucun  malaise. 

le  dois  dire  que  mon  compagnon  de  cloche  est  de  tempérament  san- 


ACCIDENTS  DE  LA  DÉCOMPRESSION  : MOYENS  DE  LES  CONJURER.,  757 

guin,  qu’il  jouit  d’une  excellente  santé,  et  qu’il  possède  une  apparence 
très-vigoureuse.  Il  est  habitué  aux  voyages  de  long  cours,  sur  mer  et  sur 
terre,  et  il  a fait  deux  ascensions  aérostatiques.  Quoique  d’une  bonne 
constitution,  je  suis  évidemment  moins  fort  que  lui.  Je  possède  un  tem- 
pérament lymphatico-nerveux. 

Je  crois  qu’il  est  bon  de  comparer  les  sensations  ressenties  dans  la 
cloche  avec  celles  que  j’ai  éprouvées  dans  l’ascension  à 4600  mètres,  sous 
une  pression  barométrique  de  429mm,  exécutée  par  moi,  en  compagnie  de 
MM.  Jobert,  Pénaud,  docteur  Pétard  et  Sivel.  Dans  cette  ascension,  je  ne 
ressentis  aucune  impression  désagréable,  pas  plus  que  mes  compagnons, 
provenant  de  la  dépression.  Or  dans  la  cloche,  vers  50  centimètres,  la 
face  me  piquait,  ce  que  M.  Sivel  ressentait  vers  44  centimètres.  Avant 
429mm,  le  malaise  était  déjà  très-notable  et  j’avais  la  sensation  de  la  barre 
sur  le  front,  tandis  qu’il  n’y  a eu  rien  de  semblable  pendant  l’ascension. 
Dans  la  cloche  je  possédais  116  pulsations  à 51  centimètres,  et  155  à 
40  centimètres,  et  dans  la  nacelle  de  l’aérostat,  j’en  avais  116  entre  45  et 
44  centimètres.  M.  Sivel  avait  108  pulsations  à 46e, 5 dans  la  cloche,  et  à 
45e, 110  dans  la  nacelle. 

Les  bourdonnements  furent  ressentis  par  moi  absolument  dans  l’ascen- 
sion comme  dans  la  cloche.  Dans  la  descente  aérostatique,  j’avais  comme 
du  coton  dans  les  oreilles.  Cette  impression  dura  jusqu’au  lendemain, 
mais  la  douleur  ne  fut  jamais  que  très-faible.  Comme  dans  la  cloche,  la 
douleur  s’était  accrue  dans  les  derniers  centimètres  de  dépression,  à 
cause  de  la  rapidité  de  la  descente. 

Dans  cette  expérience,  les  deux  aéronautes  descendirent  à 
la  pression  de  504mm  de  mercure,  correspondante  à une  hau- 
teur de  7o00m.  Ils  ont  été,  par  suite,  beaucoup  plus  vivement 
impressionnés  que  je  ne  l’avais  été,  n’ayant  pas  dépassé  4 1 8mm, 
hauteur  de  5100m;  les  phénomènes  nerveux  ont  chez  eux 
dominé  la  scène  : l’obscurcissement  de  la  vue,  la  paresse  in- 
tellectuelle, ont  été  des  plus  remarquables  chez  M.  Crocé-Spi- 
nelli.  M.  Sivel,  qui  était  entré  à jeun  dans  l’appareil,  com- 
mença à manger  pendant  la  décompression;  bientôt  il  s’ar- 
rêta, et  comme  je  lui  faisais,  à travers  les  hublots  de  verre, 
signe  de  continuer,  il  me  répondit  par  un  geste  de  dégoût. 

L’action  favorable  de  l'oxygène  a été  également  des  plus 
manifestes;  après  quelques  [inspirations,  les  phénomènes  fâ- 
cheux disparaissaient.  A un  certain  moment,  aux  très-basses 
pressions,  les  lèvres  et  l’oreille  droite  (la  seule  que  je  voyais) 
de  M.  Crocé-Spinelli  étaient  devenues  tellement  violacées 
que  je  me  disposais  à ouvrir  les  robinets  lorsqu’il  prit  à la 


758 


EXPERIENCES. 


bouche  le  tube  d’oxygène  : l’effet,  c’est-à-dire  le  retour  à la 
teinte  normale,  fut  instantané.  M.  Crocé-Spinelli  m’a  raconté 
en  sortant  de  l’appareil  qu’il  avait  eu  à ce  moment  recours  à 
l’oxygène,  parce  qu’il  ne  voyait  presque  plus  son  papier,  le- 
quel, à la  première  inspiration,  lui  apparut  soudain  tout 
blanc,  comme  par  une  sorte  d’éblouissement. 

Dans  ces  deux  expériences,  l’oxygène  n’avait  été  employé 
que  d’une  manière  intermittente,  pour  diminuer  pendant 
quelques  instants  la  gravité  des  accidents  de  la  décompres- 
sion. Je  voulus  opérer  un  peu  différemment,  laisser  arriver 
les  malaises  jusqu’à  un  certain  degré,  pour  respirer  alors 
d’une  manière  continue  l’air  suroxygéné,  tout  en  continuant 
à diminuer  encore  la  pression  barométrique,  et  voir  ce  qui 
adviendrait. 

Voici  le  récit  de  deux  expériences  faites  d’après  ce  procédé 
expérimental  : 

Expérience  CCLVI.  — 58  mars.  — J’entre  dans  l’appareil  à 1 0h  55m  ; la 
porte  est  fermée  à U1'  4m;  j’ai  alors  58  pulsations  à la  minute.  Pression 
barométrique,  761'mm  ; 

1 j h \ Qm  ; pression  71 5mni;  pouls,  62  ; 

Uh  20m;  580mm;  pouls,  65; 

11 11  25m;  555mm;  pouls,  65;  quelques  sensations  nauséeuses; 

1 11'  25m;  51 0mm ; gaz  s’échappant  par  en  haut  et  par  en  bas; 

U ii  27m  ; 495mm.  pouls,  66; 

1 1 h 51m;  455mm;  pouls,  64;  sensation  nauséeuse  ; gaz  s’échappent,  et  ce- 
pendant le  ventre  reste  un  peu  gonflé; 

llh  55m;  455mm;  pouls,  70;  l’acte  de  siffler,  que  j’exécutais  très-bien  à 
la  pression  normale,  qui  était  devenu  assez  difficile  dès  520mm,  est  com- 
plètement impossible; 

1111  55m;  425mm;  pouls,  72;  un  peu'de  trouble  de  la  vue,  qui  est  moins 
nette  ; 

llh  57m;  41 2mm ; pouls,  76;  je  suis  assez  mal  à mon  aise,  avec  l’œil  un 
peu  trouble. 

Je  commence  alors  à inspirer  d’une  manière  continue  dans  le  sac  plein 
d’air  suroxygéné  que  j’ai  à côté  de  moi;  l’expiration  se  fait  au  dehors. 
Quelques  éblouissements  surviennent,  puis  tout  accident  disparaît,  et  je  me 
trouve,  jusqu’à  la  fin  de  l’expérience,  dans  un  état  de  bien-être  parfait. 

Le  pouls,  qui  était  tombé  instantanément  à 65,  s’abaisse  encore,  quoi- 
que la  décompression  aille  en  augmentant. 

llh41m;  pression,  408mm;  60  pulsations. 

Jlh  46m;  582mm;  pouls,  65; 


ACCIDENTS  DE  LA  DÉCOMPRESSION  : MOYENS  DE  LES  CONJURER.  759 

U11  47ni  ; 380mm;  des  gaz  s’échappent  par  la  bouche  et  l’anus;  bien-être 
parfait  ; 

llh  48m;  369mm;  58  pulsations;  encore  gaz; 

llh  51m;  355mm;  59  pulsations; 

llh  52m;  350mm;  encore  gaz; 

I lh  55m;  358mm;  je  fais  quelques  efforts  pour  ouvrir  el  fermer  un  fla- 
con; le  pouls  monte  à 65;  la  pression  commence  à remonter; 

II  h 591U ; 400mm;  60  pulsations; 

Midi  ; 440mm ; impossible  de  siffler; 

Midi  2ni;  490mm  ; 60  pulsations  ; impossible  de  siffler;  je  cesse  de  respi- 
rer l’air  suroxygéné; 

Midi  5m;  520mm;  impossible  de  siffler;  56  pulsations; 

Midi  5m;  540mm;  je  commence  à pouvoir  siffler; 

Midi  7m;  570mm ; je  siffle  très-bien;  59  pulsations; 

Midi  10m;  revenu  à la  pression  normale;  52  pulsations. 

Cette  expérience  montre  de  la  manière  la  plus  nette  que 
les  inspirations  continues  d’oxygène,  après  avoir  fait  cesser  les 
symptômes  fâcheux,  les  empêchent  de  reparaître,  quoique 
la  pression  barométrique  continue  à diminuer.  11  n’est  rien 
de  plus  probant.  La  dépression  atteinte  a été  de  558  milli 
mètres,  correspondante  à la  hauteur  de  6500m  environ,  c’est- 
à-dire  un  peu  plus  que  celle  du  Chimborazo. 

La  figure  58  exprime  les  phases  diverses  par  lesquelles 
ont  passé  les  battements  du  pouls  avant  et  pendant  les  inspi- 
rations d’oxygène,  dont  le  début  est  marqué  en  0. 

Entre  autres  phénomènes  qui  ont  persisté  nonobstant  l’in- 
spiration d’oxygène,  parce  qu’ils  dépendent  exclusivement  de 
la  diminution  de  densité  de  l’air,  je  citerai  les  évacuations 
gazeuses  et  l’impossibilité  de  siffler,  qui  avait  été  notée  déjà 
dans  l’expérience  précédente,  et  dont  ne  parlent  ni  les  aéro- 
nautes  ni  les  ascensionnistes;  elle  a été  observée  au-dessous 
de  500  millimètres. 

L’expérience  suivante,  conduite  de  la  meme  manière,  est 
encore  plus  frappante  à cause  de  l’énorme  dépression  à la- 
quelle je  me  suis  impunément  soumis  : 

Expérience  CCLVI1.  — 50  mars.  — J’entre  à 10h  15m  dans  l’appareil 
pression  barométrique  759mm.  J’ai  avec  moi  un  moineau,  dont  la  tempéra- 
ture rectale  est  41°,9,  un  rat  et  une  bougie. 

jO1'  22m;  on  ferme  la  porte;  j’ai  60  pulsations; 


760 


EXPERIENCES. 


10h  29“  ; pression  710m,n;  63  pulsations; 

10h  34m;  665““;  pouls,  64; 

10h  40m ; 640mm ; pouls,  65;  je  vois  apparaître  des  bulles  de  gaz  clans 
l’eau  que  j’ai  à côté  de  moi  dans  un  verre; 


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10b  43™  ; 605““  ; 

10h  46“  ; 580““  ; pouls,  66; 

555““;  je  siffle assez  facilement;  la  flamme  de  la  bougie  bleuit  un  peu, 
la  mèche  s’allonge;  elle  est  à peu  près  la  moitié  de  la  longueur  de  la 
flamme  ; 


ACCIDENTS  DE  LA  DÉCOMPRESSION  : MOYENS  DE  LES  CONJURER.  761 

impossible  de  siffler  dans  les  notes  hautes; 

10h  53m ; 480mm;  70  pulsations;  un  peu  de  malaise  ; 

10h  53m;  455mm;  78  pulsations;  sentiment  de  congestion  à la  tète;  gaz 
s’échappant  par  en  haut  et  par  en  bas; 

10h  58m;  430mm;  pouls,  80;  l’oiseau  vomit,  parait  assez  malade,  mais 
reste  perché  ; le  rat  semble  fort  tranquille; 

llh;  410mm ; pouls,  86;  je  place  devant  ma  bouche  le  tube  du  sac  à 
oxygène,  que  la  dépression  a gonflé,  et  je  respire  ainsi  un  mélange  très- 
suroxygéné;  j’ai  quelques  éblouissements; 

11»*  2m;  400mm;  le  pouls  est  tombé  à 64;  l’oiseau  vomit  de  nouveau;  le 
rat  paraît  fort  anxieux  ; 

iju  5m.  378, mm;  66  pulsations;  impossibilité  de  siffler; 
llh  9m;  360mm;  72  pulsations;  un  peu  de  malaise,  bienquej’aie  respiré 
l’oxygène  d’une  manière  continue,  mais  à distance,  il  est  vrai.  Je  prends 
alors  le  tube  de  dégagement  dans  la  bouche,  sans  fermer  les  narines,  et  le 
garde  ainsi  jusqu’à  la  fin  de  l’expérience.  Le  malaise  disparaît  aussitôt; 

llh  1 1 m ; 348mm;  66  pulsations;  le  moineau  a 126  respirations  à la  mi- 
nute ; 

llh  1 4m ; 523mm;  64  pulsations;  le  moineau,  qui  vomit  très-fort,  reste 
cependant  perché  ; 

Hh  l'jm.  3i Qmm ; j’a[  U11  peu  0e  malaise,  avec  pouls  à 75; 
llh  19m;  300mm ; le  moineau  est  fort  malade; 

llh  22m;  295mm;  64  pulsations;  mon  malaise  a complètement  disparu; 
Uh  24m;  288,nm; 

l|h  27m;  280mm ; pulsations,  66;  la  flamme  delà  bougie  est  très-bleue; 
la  mèche  a environ  5/5  de  la  longueur  de  la  flamme; 

1 1 h 33m;  258mm ; 70  pulsations;  l’oiseau  vomit  et  semble  extrêmement 
malade,  mais  il  reste  toujours  perché; 

Uh  34m.  255mm. 

llh  36m;  248mm;  64  pulsations;  je  laisse  augmenter  la  pression; 
llh  58m;  290mm  ; pouls,  63; 

111'  40m;  340mm;  la  température  rectale  du  moineau  n’est  plus  que  de 
36°, 4; 

11».  43m.  390mm.  pOU|S)  54;  je  cesse  de  respirer  l’oxygène; 

1 1 11  44m;  420mm  ; impossible  de  siffler;  l’oiseau  est  toujours  bien  malade, 
accroupi  sur  son  perchoir; 

llh  46m;  480mm ; impossible  de  siffler; 
llh  47m;  550mm;  id. ; 66  pulsations; 

llh48m;  580mm;  je  puis  siffler  les  notes  basses,  mais  non  les  hautes; 
llh  49m;  630mm;  je  siffle  très-bien; 

llh  51m;  revenu  à la  pression  normale;  j’ai  seulement  52  pulsations. 
La  température  rectale  du  moineau  est  36u,l  ; celle  du  rat  34°  ; la  mienne, 
sous  la  langue,  36°, 5. 

A 3h  50m,  le  moineau  n’a  encore  que  38°, 7 dans  le  rectum. 

Voici  donc  une  expérience  dans  laquelle  je  suis  arrivé  en 


762 


EXPERIENCES. 


une  heure  un  quart  à une  pression  minimà  de  248  milli- 
mètres, c’est-à-dire  à moins  d’un  tiers  de  la  pression  nor- 
male, pendant  laquelle  je  suis  resté  45  minutes  au-dessous 
de  400  millimètres,  sans  avoir  éprouvé  de  malaise  à partir 


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du  moment  où  j’ai  commencé  à respirer  régulièrement  1 air 
suroxygéné.  Mon  pouls,  comme  le  montre  le  tracé  inférieur 
de  la  figure  59,  est  resté  dès  lors  à son  chiffre  normal  ; il  s’est 
même  abaissé  vers  la  fin,  soit  à cause  du  long  repos  dans  la 
station  assise,  soit  sous  l’influence  de  la  respiration  d’un  aiv 


ACCIDENTS  DE  LA  DÉCOMPRESSION  : MOYENS  DE  LES  CONJURER.  763 

suroxygéné.  A côté  de  moi,  un  moineau  et  un  rat  se  trouvaient 
fort  malades,  et  leur  température  s’abaissait  de  plusieurs  de- 
grés. Quanta  moi,  bien  loin  de  courir  un  danger,  je  ne  ressen- 
tais aucun  des  inconvénients  légers  de  la  décompression,  ni 
l’état  nauséeux,  ni  le  mal  de  tête,  ni  la  congestion  à la  tête,  et 
je  n’en  éprouvai  pas  davantage  après  être  sorti  de  l’appareil. 
Il  me  semblait  même  que  j’eusse  pu  aller  beaucoup  plus  bas 
encore,  sans  nul  encombre,  et  j’y  étais  parfaitement  disposé, 
si  mes  pompes  à vapeur,  fatiguées  du  travail,  n’eussent  re- 
fusé d’épuiser  davantage  l’air  des  cylindres.  Peut-être  dois-je 
en  accuser  la  complicité  des  personnes  présentes  à l’expé- 
rience, qui  venaient  fréquemment  me  regarder  à travers  les 
hublots  et,  malgré  l’aspect  tout  à fait  naturel  de  ma  physio- 
nomie, semblaient  fort  effrayées  de  me  voir  exposé  à cette 
énorme  diminution  de  pression.  Elle  correspondait,  en  effet, 
à plus  de  8800  mètres,  c’est-à-dire  à une  hauteur  supérieure 
à celle  que  les  voyageurs  en  montagne  et  les  aéronautes,  hor- 
mis MM.  Goxwel  et  Glaisher,  aient  pu  atteindre  encore  (voir 
p.  199).  Je  n’éprouvais  aucun  malaise  à cette  pression  qui 
avait  failli  être  si  funeste  aux  deux  intrépides  Anglais,  et  à 
laquelle  devaient  périr  peu  de  mois  plus  tard  MM.  Crocé-Spi- 
nclli  et  Sivel. 


CHAPITRE  IY 


ACTION  DE  L’AIR  COMPRIMÉ  SUR  LES  ANIMAUX. 


SOUS-CHAPITRE  PREMIER 

ACTION  TOXIQUE  DE  l’oXYGÈNE  A FORTE  TENSION. 

Les  expériences  rapportées  au  chapitre  I,  sous-chapitre  II, 
nous  ont  amené  à cette  conclusion  remarquable,  que  l’air 
comprimé,  ou,  pour  parler  plus  exactement,  que  l’oxygène 
arrivé  à un  certain  degré  de  tension  constitue  un  agent  re- 
doutable, bientôt  même  mortel,  pour  la  vie  animale. 

Cette  révélation  inattendue,  mais  qui  se  déduit  de  toutes 
nos  séries  d’expériences  de  manière  à s’imposer  à l’esprit  le 
plus  défiant,  méritait  une  étude  approfondie.  Il  fallait  ana- 
lyser les  symptômes,  à ses  degrés  divers,  de  cet  empoison- 
nement d’une  espèce  inconnue;  il  fallait  déterminer  les 
doses  auxquelles  l’oxygène  devient  dangereux,  et  cela  tout  à 
la  fois  quant  à sa  tension  dans  le  milieu  respiratoire  exté- 
rieur et  quant  à sa  proportion  dans  le  milieu  respiratoire 
intérieur,  dans  le  sang  ; il  fallait  enfin  chercher  à expliquer 
son  mode  d’action  intime  sur  les  divers  éléments  anato- 
miques. 

Ce  problème  nouveau  laissait  bien  loin  derrière  lui , comme 
intérêt  scientifique,  l’analyse  des  quelques  modifications 


AIR  COMPRIMÉ  : OXYGÈNE  SOUS  FORTE  TENSION.  765 

dans  les  rhythmes  respiratoire  et  circulatoire  qu’ont  jus- 
qu’ici étudiés  les  auteurs  qui  se  sont  occupés  de  l’air  com- 
primé. Je  m’y  attachai  donc  tout  d’abord,  avec  toute  l’at  tention 
dont  j’étais  capable.  Ayant  démontré  successivement  que  l’air 
comprimé  n’agit  que  par  la  tension  de  l’oxygène  qu’il  con- 
tient, et  que  cet  oxygène  peut  arriver  à tuer  rapidement  les 
animaux  avec  des  phénomènes  convulsifs,  je  dus,  suivant  la 
méthode  habituelle  des  physiologistes,  laisser  momentané- 
ment de  côté  les  effets  difficiles  à apprécier  des  faibles  doses 
de  l’oxygène,  pour  étudier  d’abord  les  troubles  violents  qu’a- 
mènent les  fortes  doses.  Je  m’occupai  donc  en  premier  lieu 
des  actions  de  l’oxygène  sous  une  forte  tension,  ajoutant  le 
plus  souvent  à la  pression  manométrique  une  richesse  cen- 
tésimale du  milieu,  en  gaz  comburant,  fort  supérieure  à celle 
de  l’air  que  nous  respirons. 

Je  crois  utile  de  reproduire  ici  un  certain  nombre  d’expé- 
riences qui  me  permettront  de  donner  tout  d’abord  une  des- 
cription des  accidents  consécutifs  à ce  que  j’appellerai,  ne 
fût-ce  que  par  commodité  de  langage,  Y empoisonnement  par 
l’ oxygène. 

Déjà  nous  avons  eu  à remarquer* (p.  605)  les  convulsions 
qui  s’étaient  emparées  des  moineaux  soumis  à cet  agent 
redoutable.  Les  expériences  qui  suivent,  faites  presque  toutes 
dans  l’appareil  à eau  de  Seltz,  vont  nous  en  fournir  des 
exemples  nouveaux  : 

Expérience  CCLV1II.  — 29  janvier.  — Moineau  franc  mis,  de  3h  50,n 
à 3h  58m,  à 6 atmosphères , dont  5 d’oxygène.  Ce  mélange  contient 
81  p.  100  d’oxygène,  et  la  tension  de  ce  gaz  est  donc  équivalente  à 

486 

81  X 6 = 486,  ce  qui  correspond  à — — = 23,2  atmosphères  d’air. 

A 4h  3,n,  violentes  convulsions,  la  tête  en  bas  ; agitation  rotatoire. 

Je  diminue  la  pression  et  l’amène  à 3,5  atmosphères.  Pendant  la  dé- 
compression, nouvelles  convulsions. 

Immédiatement  après,  3e  attaque  ; puis,  attaques  nouvelles,  de  plus  en 
plus  faibles,  à 4h  6m,  4h  llm,  4h  14m. 

Pendant  les  attaques,  et  dans  leur  intervalle,  les  respirations  sont  très- 
amples  et  très-précipitées  ; le  bec  est  grand  ouvert. 

Les  crises  se  rapprochent  à des  intervalles  de  1 à 2 minutes,  en  devenant 


766 


EXPÉRIENCES. 


de  plus  en  plus  faibles.  Elles  se  calment  vers  4h  40,u;  l’oiseau  reste  cou- 
ché sur  le  dos,  les  respirations  deviennent  de  plus  en  plus  rares,  et  cessent 
à 5h,  sans  aucun  autre  mouvement. 

A 5h  10m,  la  température  rectale  est  de  24°. 

Expérience  CCLIX.  — 2 février.  — Moineau  franc,  mis  à 6 atmo- 
sphères, dont  5 d’oxygène.  La  tension  d’oxygène  doit  être  d’environ 
450. 

Après  5m,  trépidations  singulières,  trémoussement  de  tout  le  corps  ; 
reste  ensuite  immobile,  le  bec  en  bas. 

Après  \ 0m,  une  attaque  de  grandes  convulsions  ; une  autre  à 12m  ; une 
5e  plus  faible,  à 17m.  L’oiseau  est  fort  malade,  respire  de  50  à 70  fois  par 
minute,  le  bec  grand  ouvert. 

Ramené  avec  précaution  à la  pression  normale  : revient  assez  peu  à 
lui  ; température  rectale  de  54  à 55°.  A,  dans  sa  cage,  de  nouvelles  atta- 
ques convulsives;  au  bout  d’un  quart  d’heure,  se  remet  sur  ses  pattes; 
mais,  quand  on  le  menace  du  doigt,  recule  en  marchant  sur  tout  le  tarse, 
et  tombe  en  arrière. 

Après  2 ou  5 heures,  paraît  assez  bien  revenu,  mais  meurt  dans  la  nuit. 

Expérience  CGLX.  — 5 février.  Moineau  porté  à 5 atmosphères,  dont 

4 d’oxygène.  La  tension  de  l’oxygène  doit  être  d’environ  400.  Après 
15  minutes  environ,  arrivent  les  grandes  convulsions;  j’en  laisse  2 ou 

5 attaques,  puis  je  ramène  à la  pression  normale. 

La  température  rectale  est  de  52°. 

L’oiseau  a conservé  évidemment  toute  son  intelligence;  il  mord  vio- 
lemment quand  on  lui  présente  le  doigt,  et  est  vigoureux  des  ailes  et  des 
pattes. 

1 heure  après,  sa  température  est  de  54°.  Il  a encore  eu  de  petites  atta- 
ques convulsives,  et  ne  peut  se  tenir  sur  ses  pattes. 

5 h après,  la  température  rectale  est  remontée  à 59°, 5.  Survit. 

Expérience  CCLX1.  — 26  février.  — Moineau  : température  rectale  40°, 5. 

Mis  à 5 atmosphères,  dont  4 d’oxygène  (pression  d’environ  400). 

Au  bout  de  5 m,  commencement  d’agitation.  Je  ramène  rapidement  à la 
pression  normale  par  le  robinet  capillaire. 

La  température  est  de  40°, 5,  mais  elle  remonte  rapidement  à 40°, 5 par  la 
respiration  à l’air*  L’oiseau  est  très-vigoureux  et  fort  méchant.  Suffu- 
sions crâniennes  rouges,  en  moucheté  abondant. 

L’oiseau  marche,  court,  grimpe  dans  sa  cage,  mais  il  ne  vole  pas.  Si  on 
le  jette  en  l’air,  il  a les  plus  grandes  peines  à se  soutenir,  et  retombe 
bientôt  ; il  refuse  alors  de  s’envoler  de  terre. 

Survit  ; le  lendemain,  vole  très-bien  ; les  suffusions  persistent  plu- 
sieurs jours. 

Expérience  CCLXIl.  — 2 mars.  — Moinedu  à 5 atmosphères,  dont  4 
d’oxygène. 


AIR  COMPRIMÉ  : OXYGÈNE  SOUS  FORTE  TENSION. 


767 


Après  5 ou  7m,  les  convulsions  commencent;  à la  première  apparition, 
j’ouvre  le  petit  robinet.  La  température  rectale  monte  à 41°,  mais  avec  une 
très-grande  lenteur  à partir  de  58°. 

Petites  suffusions  sanguines. 

Expérience  CCLX11I.  — 25  mai.  — A 4h,  moineau  porté  à 5 atmosphères, 
dont  4 d’oxygène.  Pression  d’à  peu  près  400. 

Après  15  minutes,  petites  convulsions;  à 20m,  grandes  convulsions, 
deux  ou  trois  attaques.  A 501U,  retiré. 

Température  rectale  53°. 

A 5°  45m,  temp.  rectale  35°  ; encore  tremblotant,  tout  malade. 

A 7h,  mort;  contractions  musculaires  singulièrement  lentes. 

Expérience  GGLXIV.  — 12  février.  — Moineau;  appareil  cylindrique. 

A la  pression  normale,  155  respir.  Poussé  à 3 atmosphères  d’air,  115 
respir. 

A 4h  20in,  je  fais  passer  dans  l’appareil  un  courant  d’oxygène,  et  je  pousse 
la  pression  à 2 atmosphères  suroxygénées. 

A 4h  30*11,  ventilation  nouvelle,  et  pression  montée  à 5 atmosphères. 

A 4h  40m,  id.  ; pression  à 4 atmosphères. 

A4h  55m,  id.,  5{  atmosphères;  il  commence  à apparaître  de  petites 
convulsions. 

A 5h  6,n,  nouvelle  ventilation  poussée  à 6 atmosphères.  Les  convulsions 
reviennent,  par  crises  ; 

Mort  vers  6h  50m. 

L’air  contenait  alors  75  p.  100  d’oxygène  et  0,5  p.  100  d’acide  carbo- 
nique : 

La  tension  de  l’oxygène  P x O = 458  correspond  à 21  atm.  d’air. 

Sang  très-rouge  dans  la  jugulaire.  Suffusions  sanguines  étendues  sur 
tout  le  crâne. 

Expérience  GCLXV.  — 29  mars.  — ■ Moineau  mis  dans  petit  appareil  à 
eau  de  Sellz. 

On  commence,  à 2h  50m,  à fouler  de  l’oxygène,  jusqu’à  8 atmosphères  ; 
le  robinet  capillaire  étant  ouvert,  la  compression  que  l’on  maintient  se  fait 
au  milieu  d’un  courant  d’air  débitant  plus  d’un  litre  par  minute. 

A 3h  15m,  arrivent  les  grandes  convulsions  ; je  laisse  deux  crises  se  suc- 
céder, à trois  minutes  d’intervalle.  Puis,  décompression  rapide,  L’oiseau 
mord  le  doigt  que  je  lui  présente,  et  paraît  intelligent. 

Sa  température  rectale  est  de  52°.  Il  a,  hors  de  l'appareil,  une  troisième 
crise,  et  meurt  à 3h  22lu.  Le  sang  de  la  veine  jugulaire  est  noir,  et  ne  con- 
tient pas  de  gaz  libres. 

Expérience  GGLXVI.  — 9 juillet.  — Moineau  poussé  à 7 atmosphères 
d’air  suroxygéné. 

Après  10,u,  est  pris  de  convulsions  toniques.  Pieliré  après  15m  ; lés  con- 
vulsions continuent,  ou  plutôt  l’oiseau  est  en  opislholonos  constant.  De 


768 


EXPÉRIENCES. 


temps  à autre,  la  raideur  augmente;  l’oiseau  crie,  écarte  les  ailes  et  s’en 
enveloppe;  les  plumes  de  la  queue  s’étaleut.  Reste  sensible  et  paraît  intelli- 
gent. Les  crises  de  raideur  sont  les  unes  spontanées,  les  autres  nettement 
provocables  par  les  excitations. 

11  meurt  20  minutes  après. 

Expérience  CCLXVII.  — 18  juillet.  — Moineau  poussé  à 5 atmosphères 
d’air  suroxygéné. 

Après  5m,  vomit,  et  parait  fort  mal  en  point.  Mais  les  convulsions  ne 
surviennent  qu’ après  20m  environ,  et  elles  sont  violentes. 

Retiré  5m  après,  il  continue  à avoir  des  convulsions  et  des  raideurs  avec 
opistliolonos.  Mord  le  doigt  qu’on  approche.  Sa  température  rectale  est 
de  57°, 

Deux  heures  après,  est  parfaitement  remis;  sa  température  est  remon- 
tée à 41°. 

Expérience  CCLXV11I. — 24  mai  1874.  Expérience  faite  devant  une  Com- 
mission de  l’Académie  des  sciences. 

Moineau  poussé  à 6 atmosphères  suroxygénées.  Il  est  4h. 

Après  15,n  environ,  les  petites  convulsions  surviennent,  bientôt  suivies 
de  grandes  crises. 

On  retire  l’oiseau  ; il  a de  fortes  ecchymoses  au  crâne.  Sa  température 
rectale  n’est  que  de  30°. 

Reste  fort  malade,  et  meurt  dans  la  nuit. 

Les  faits  qui  viennent  d’être  énumérés  nous  permettent 
dès  maintenant  de  tracer  une  description  des  accidents  vio- 
lents dus  à l’air  comprimé,  à la  trop  forte  tension  de  l’oxy- 
gène, et  de  préparer  l’analyse  physiologique  de  cet  empoison- 
nement. 

La  première  question  que  nous  devions  nous  poser  est 
celle-ci  : avec  quelle  tension  d’oxygène  surviennent  les  phé- 
nomènes convulsifs?  Rassemblons  en  un  tableau  (tableau 
XIV)  les  expériences  du  chapitre  Ier  et  celles  qui  précèdent. 

Il  ressort  de  l’examen  de  ce  tableau  que  les  convulsions 
commencent  à apparaître  avec  une  tension  d’oxygène  expri- 
mée par  le  chiffre  300,  et  qui,  si  l’on  employait  l’air  pur, 
correspondrait  à 15  atmosphères  environ. 

Les  effets  fâcheux  se  faisaient  sentir  beaucoup  plus  tôt, 
comme  le  montre  le  tracé  A de  la  figure  22  (p.  608),  qui 
exprime  la  proportion  d’oxvgène  qui  reste  dans  l’air  com- 
primé où  sont  morts  des  oiseaux,  lorsqu’on  a pris  soin  d’éli- 


AIR  COMPRIMÉ  ; OXYGÈNE  SOUS  FORTE  TENSION.  769 


TABLEAU  XIY. 


1 

NUMÉROS 

DES 

EXPÉRIENCES 

PRESSION  j 

BAROMÉTRIQUE  ^ ; 

3_ 

M O 

-..g  § 
1 g s 

« g H 
Z O S 
ta  * , * 
ü J b, 

H b. 

63  S 

C g. 

VALEUR  EN  ; 

ATMOSPHÈRES  ^ 

d’air 

TEMPÉRATURE 

RECTALE  “ j 

6 

SYMPTOMES  ET  OBSERVATIONS 

CXXXIX 

atm. 

1,75 

150 

atm. 

7 

» 

Pas  de  convulsions. 

CXXXVIII 

3 

260 

13 

» 

Id. 

CXLI 

4 

300 

15 

» 

Convulsions. 

cxx 

20 

Env.  420 

20 

» 

Convulsions;  l’appareil  perd. 

CCLX 

5 

id. 

Env.  21 

32° 

Convulsions;  retiré;  survit. 

CCLXI 

5 

id. 

id. 

40°,  2 

Retiré  à la  première  conv.;  survit. 

CCLXII 

5 

id. 

id. 

38° 

Id. 

CCLXYII 

5 

id. 

id. 

37° 

Id. 

CCLXIII 

5 

id. 

id. 

33° 

Conv.;  retiré  après  30  min.;  meurt. 

CXXXYII 

5 

id. 

id. 

18° 

Conv.  violentes;  meurt  en  25  min. 

CXLII 

8,5 

430 

21,5 

» 

Id.;  meurt  en  20  min. 

CCLXIV 

6 

440 

22 

» 

Id. 

CXLV 

5,5 

460 

23 

27° 

Id.;  meurt  en  20  min. 

CCLXYIII 

6 

» 

» 

50° 

Id.;  meurt  dans  la  nuit. 

CCLV1II 

6 

480 

24 

» 

Id.;  meurt. 

CCLIX 

6 

id.  (?) 

id.  (?) 

35° 

Id.;  retiré  ; meurt  dans  la  nuit. 

CCLXV 

8 

» 

» 

32» 

Id.;  retiré;  meurt  aussitôt. 

miner  l'acide  carbonique  formé.  Ils  sont  très-nets  à partir 
de  6 et  surtout  de  12  atmosphères.  ' 

Mais  les  convulsions  ne  se  manifestent  sûrement  qu’entre 
15  et  20  atmosphères.  L’expérience  GXX  (p.  595),  dans  la- 
quelle un  linot  a été  porté  à 20  atmosphères  d’air,  en  signale 
l’apparition;  seulement  elles  ont  été  notablement  plus  fai- 
bles que  celles  obtenues  avec  l’air  suroxygéné.  De  plus,  dans 
l’expérience  CXXXIII,  où  la  pression  a été  de  17  atmosphères, 
il  n’y  a pas  eu  de  convulsions.  Cette  apparente  contradiction 
s’explique  par  l’influence  simultanée  de  l’acide  carbonique 
produit,  qui,  s’emmagasinant  dans  l’organisme,  y joue, 
comme  nous  le  verrons  dans  un  chapitre  spécial,  un  rôle 
anesthésique  très-prononcé.  Or,  nous  allons  montrer,  dans 
un  instant,  que  les  anesthésiques  arrêtent  ou  empêchent  les 
convulsions  dues  à l’oxygène. 

Donnons  maintenant  une  description  sommaire  de  ces  con- 
vulsions; nous  aurons  à y revenir,  du  reste,  lorsque  nous  les 
aurons  étudiées  chez  les  chiens. 


49 


770 


EXPÉRIENCES. 


Ces  convulsions  surviennent  au  bout  d’un  temps  variable, 
généralement  de  cinq  à dix  minutes  : l’oiseau  secoue  la  tête 
et  les  pattes  comme  s’il  marchait  sur  des  charbons  ardents. 
Ce  sont  des  trépidations  singulières,  des  trémoussements  de 
tout  le  corps.  Bientôt,  dans  les  cas  plus  graves,  il  entr’ouvre 
les  ailes,  les  agite  vivement,  et,  tombant  sur  le  dos,  il  tourne 
rapidement  dans  le  récipient,  battant  avec  violence  l’air  de 
ses  ailes,  les  pattes  contractées  sous  le  ventre  ; ces  phéno- 
mènes durent  quelques  minutes,  puis  se  calment,  pour  repa- 
raître par  crises  de  plus  en  plus  fréquentes  et  de  moins  en 
moins  fortes  jusqu’à  la  mort.  Pendant  les  attaques,  et  dans 
les  intervalles,  les  respirations  sont  très-amples  et  très-pré- 
cipitées : le  bec  est  très-grand  ouvert.  Aux  très-hautes  pres- 
sions, la  mort  survient  dès  la  première  crise. 

Ces  accidents  remarquables  continuent  à se  manifester 
après  que  l’oiseau,  soustrait  à l’influence  de  l’oxygène,  a été 
ramené  à l’air  libre  sous  la  pression  normale  ; ils  peuvent 
même  alors  se  terminer  par  la  mort. 

Ces  crises  sont  souvent  très-nettement  provocables,  à la 
façon  de  celles  de  la  strychnine  (voir  expér.  CCLXYI)  ; leur 
apparence  générale  rappelle  à la  fois  les  tremblotements 
irréguliers  de  l’empoisonnement  par  l’acide  phénique1,  et  les 
convulsions  toniques  et  cloniques  des  attaques  convulsives 
strychniques. 

Ni  la  sensibilité  ni  l’intelligence  ne  paraissent  atteintes  ; 
l’oiseau,  retiré  du  récipient,  suit  des  yeux  et  s’efforce  de 
mordre  le  doigt  qui  le  menace  ; il  ferme  les  paupières  lors- 
qu’on approche  quelque  objet  de  son  œil. 

La  locomotion  générale  est  évidemment  fort  troublée,  en 
dehors,  bien  entendu,  des  crises  convulsives:  l’oiseau  a des 
allures  ataxiques  ; à peine  peut-il,  dans  certains  cas,  se  tenir 
sur  ses  pattes  ; dans  d’autres,  il  peut  bien  marcher,  mais  non 
voler. 

Enfin,  et  c’est  là,  après  la  constatation  même  de  ces  acci- 
dents, le  point  le  plus  important  de  cette  étude,  la  tempéra- 

1 De  l'action  toxique  de  l'acide  phénique , par  MM.  Paul  Bert  et  Jolyet.  Mémoires 
de  la  Soc . de  biologie , année  1870,  p.  65-88. 


AIR  COMPRIMÉ  : OXYGÈNE  SOUS  FORTE  TENSION.  771 

ture  intérieure  s’abaisse,  dans  tous  les  cas,  rapidement  et 
considérablement.  On  la  voit  tomber  de  10  et  15  degrés;  je 
signale  particulièrement  l’expérience  CCLV,  dans  laquelle  la 
température  étant  tombée  en  moins  d’une  demi-heure  à 52°, 
elle  s’est  relevée  assez  vite  à près  de  40°,  et  l’animal  a sur- 
vécu. 

Je  reviendrai  avec  insistance  sur  ce  fait  remarquable,  sur 
lequel  je  me  contente  d’appeler  actuellement  l’attention  ; il 
montre  d’une  manière  bien  nette  que  les  accidents  de  l’oxy- 
gène ne  sont  pas  dus  à une  activité  exagérée  imprimée  aux 
combustions  intra-organiques. 

La  première  idée  qui  devait  se  présenter  à l’esprit,  et 
j’avoue  très-volontiers  qu’elle  me  vint  tout  d’abord,  c’est  que, 
sous  l’influence  de  cette  sursaturation  d’oxygène,  les  tissus 
animaux  se  brûlaient  à l’excès,  qu’il  en  résultait  une  éléva- 
tion de  la  température  propre , et  que  les  convulsions  qui 
apparaissaient  pouvaient  être  comparées  à celles  qui  précè- 
dent la  mort  des  animaux  surchauffés  dans  une  étuve.  Or, 
nous  pouvons,  dès  maintenant,  affirmer  qu’il  n’en  est  rien, 
quitte  à analyser  plus  tard,  et  tout  à fait  à fond,  cet  impor- 
tant phénomène. 

Je  dirai  enfin  quelques  mots  d’un  accident  constant  chez 
les  oiseaux  dans  les  empoisonnements  par  l’oxygène,  acci- 
dent que  j’ai  désigné  par  l’expression  de  suffusions  sangui- 
nes du  crâne.  Ce  sont  des  hémorrhagies  qui  remplissent  le 
diploé  crânien  ; dans  les  cas  les  plus  faibles,  elles  ne  consis- 
tent qu’en  un  piqueté  très-fin  ; ce  piqueté  est  remplacé  par 
des  taches  larges  qui  deviennent  confluentes  dans  les  cas 
graves,  et  le  tissu  spongieux  de  l’os  se  remplit  de  sang.  Elles 
commencent  toujours  par  l’occipital,  mais  peuvent  envahir 
le  crâne  tout  entier.  On  les  voit  survenir  avant  les  convul- 
sions, et  lorsque  l’oiseau  ne  périt  pas,  elles  ne  se  résorbent 
qu’au  bout  de  quelques  semaines.  Bien  qu’elles  existent  tou- 
jours quand  les  accidents  dus  à l’oxygène  prennent  une  cer- 
taine gravité,  elles  ne  sont  pas  spécialement  caractéristiques 
de  cet  empoisonnement.  Depuis  que  mon  attention  a été  ap- 
pelée sur  leur  existence,  je  les  ai  retrouvées  assez  souvent, 


772 


EXPÉRIENCES. 


dans  l’asphyxie  et  dans  la  mort  par  décompression.  On  les 
trouvera  notées,  en  effet,  dans  quelques-unes  des  expérien- 
ces rapportées  au  chapitre  Ier;  lorsqu’il  n’en  est  pas  ques- 
tion, cela  signifie  simplement  qu’on  ne  les  a pas  recherchées. 
Je  dois  ajouter  que  jamais  je  ne  les  ai  vues  aussi  étendues 
ni  aussi  fortes  que  dans  rempoisonnement  par  l’oxygène. 
Leur  mécanisme  m’échappe  complètement;  elles  apparais- 
sent en  dehors  de  tout  phénomène  convulsif,  et  les  autop- 
sies ne  m’ont  montré  d’apoplexies  dans  aucune  autre  partie 
du  corps. 

Pénétrons  maintenant  un  peu  plus  profondément  dans 
l’analyse  des  phénomènes  que  nous  venons  de  décrire.  Sur 
quel  élément  anatomique  agit  l’oxygène  en  excès  ? Quelle  est 
la  cause  des  convulsions?  Le  cœur  est-il  directement  attaqué, 
comme  il  l’est  par  un  si  grand  nombre  de  poisons?  Les  faits 
qui  viennent  d’être  rapportés  seraient  insuffisants  pour  nous 
permettre  de  répondre  complètement  à ces  diverses  questions. 

Il  a fallu  mettre  en  œuvre  le  réactif  physiologique  par  excel- 
lence, la  grenouille  : 

Expérience  CGLXIX.  — 27  février.  — Grenouille  mise  à 2h  à 7 atmo- 
sphères, dont  6 d’oxygène.  La  tension  de  l’oxygène  correspond  à 505.  Le 
soir,  à 7h,  rien  de  bien  particulier;  semble  un  peu  anxieuse. 

Le  28,  à 9h  du  matin,  morte.  Plus  d’actions  réflexes  d’aucune  façon;  les 
nerfs  moteurs  et  les  muscles  sont  excitables.  Le  cœur,  d’un  beau  rouge 
carmin,  bat  lentement  à l’air.  Gaz  libres  dans  le  sang. 

L’air  mortel  ne  contient  pas  trace  d’acide  carbonique. 

Expérience  CCLXX.  — 4 mars.  — Grenouille  mise  à 4hdans5  atmosphè- 
res, dont  4 d’oxygène;  la  pression  de  ce  gaz  doit  être  d’environ  500. 

A 10h  du  soir,  gonflée. 

Le  5 à 2h,  paraît  morte.  Le  cœur  ne  bat  plus  spontanément,  mais  est 
excitable;  les  nerfs  moteurs  et  les  muscles  sont  excitables.  En  coupant  au 
dos  la  moelle  épinière  en  travers,  on  a des  mouvements  dans  les  membres 
postérieurs. 

Expérience  CCLXXI.  — 29  février.  — Mis  à 6h  grenouille  dans  4 atmo- 
sphères, dont  3 d’oxygène. 

La  tension  de  ce  gaz  est  254. 

Le  lendemain  1er  mars,  à5h,  a des  raideurs,  se  gonfle,  semble  avoir  des 
mouvements  convulsifs  quand  on  frappe  sur  la  table.  A 7h  du  soir,  est 
beaucoup  plus  affaissée. 


AIR  COMPRIMÉ  : OXYGÈNE  SOUS  FORTE  TENSION.  775 

2 mars,  à 1\  morte,  raide.  Le  cœur  bat,  les  nerfs  et  les  membres  sont 
excitables  ; on  n’a  aucun  mouvement  en  coupant  la  moelle  en  travers. 

L’air  mortel  ne  contient  pas  trace  d’acide  carbonique. 

Expérience  CCLXXII.  — 18  avril.  — Mis  à 6h  du  soir  une  grenouille  à 
4 1/2  atmosphères  suroxygènées.  La  tension  de  l’oxygène  est  représentée 
par  335.  Tempér.,  15°. 

Le  lendemain,  rien  de  particulier  dans  l’aspect  de  l’anima). 

Le  20,  trouvée  morte  à lh.  Le  cœur,  très-rose,  bat  encore  un  peu.  Les 
muscles  sont  parfaitement  contractiles. 

Expérience  CCLXXII1»  — 17  juin.  — Grenouille  mise  à 4h  50m  sous  une 
pression  de  5 atmosphères  suroxygénées.  Le  cœur  esta  nu,  Tempér.  20°. 

Le  18,  à llh  du  matin,  très-affaiblie,  affaissée.  Pas  de  mouvements  res- 
piratoires. Pulsations  rares,  irrégulières,  des  ventricules  ; mais  les  oreillet- 
tes battent  seules  40  fois  par  minute. 

A 3h,  décomprimée.  Encore  quelques  faibles  battements  du  cœur.  Il  n’y 
a plus  d’actes  réflexes,  mais  les  nerfs  moteurs  et  les  muscles  sont  parfai- 
tement excitables. 

Sucre  dans  le  foie,  en  assez  grande  quantité. 

Il  résulte  de  toutes  ces  expériences  que  l’oxygène  ne  tue 
point  en  agissant  sur  le  cœur,  sur  les  nerfs  moteurs,  ni  sur 
les  muscles.  Mais  les  actes  réflexes  de  la  moelle  épinière, 
après  avoir  été  considérablement  excités,  sont  supprimés. 

Le  fait  que  les  convulsions  proviennent  de  la  moelle  épi- 
nière, communiquant  son  excitation  aux  muscles  par  l’inter- 
médiaire des  nerfs  moteurs,  est  surabondamment  démontré 
parles  expériences  dans  lesquelles  le  nerf  moteur  a été  coupé. 
Exemple  : 

Expérience  CCLXXIV.  — 20  juin.  — Grenouille;  nerf  sciatique  gauche 
coupé  ; 

3h  du  soir;  mise  à 3 atmosphères  suroxygénées,  contenant  60,5  p.  100 
d’oxygène,  soient  3 X 60,5  = 4 81,5  =9  atmosphères  d’air. 

La  respiration  cesse  un  moment. 

21  juin.  — Respirations  très-rares  ; yeux  très-saillants  avec  pupilles 
largement  arrondies;  gonflée,  un  peu  affaissée;  pas  de  convulsions. 

22  juin;  llh  matin.  — Plus  de  respiration;  affaissée;  yeux  fermés  par 
la  paupière  transparente.  Convulsions  cloniques  commençant  dans  le  bras 
droit,  puis  se  généralisant,  sauf  dans  la  patte  gauche;  alors  raideurs  géné- 
rales ; puis  affaissement. 

Ces  crises  sont  excitables  à volonté,  par  le  choc  ; mais  bientôt  l’animal 
paraît  insensible,  comme  mort. 


774 


EXPÉRIENCES. 


Décomprimée  brusquement;  aucun  effet.  A l’air,  ne  respire  pas;  cœur, 
mis  à nu,  bat  50  fois  à la  minute;  le  sang,  qui  y était  rose  d’abord,  y 
noircit  progressivement. 

Après  l/4h  environ,  l’excitation  ramène  de  nouvelles  crises  convulsives, 
semblables  aux  précédentes.  En  excitant  la  patte  droite,  on  a des  mouve- 
ments du  bras  droit,  mais  non  du  gauche. 

Contractions  fibrillaires  fréquentes,  dans  les  muscles  de  la  poitrine,  sur- 
tout, et  aussi  dans  les  membres,  sauf  à la  patte  gauche. 

Pendant  les  convulsions,  le  cœur  ne  paraît  pas  modifié. 

Meurt  vers  2h. 

Ainsi,  la  section  d’un  nerf  moteur  a empêché  tout  mouve- 
ment convulsif,  fibrillaire  ou  généralisé,  de  se  produire  dans 
les  muscles  correspondants. 

Puisque  l’oxygène  atteint  la  moelle  épinière,  à la  façon  de 
la  strychnine,  de  l’acide  phénique,  etc.,  les  convulsions  de- 
vront être  empêchées  par  le  chloroforme  qui,  comme  je  l’ai 
autrefois  démontré1,  agit  spécialement  sur  la  moelle  épi- 
nière. C’est,  en  effet,  ce  qui  est  arrivé  dans  l’expérience 
suivante  : 

Expérience  CCLXXY.  — 26  février.  — Moineau  éthérisé,  mis  dans  le  réci- 
pient; se  réveille  pendant  la  pression.  Je  mets  dans  le  vase  où  barbotte 
dans  la  potasse  l’oxygène  attiré  par  la  pompe  quelques  gouttes  d’éther, 
et  je  pousse  à 5 atmosphères,  dont  4 d’oxygène. 

L’oiseau  se  rendort,  après  avoir  présenté  quelques  trémoussements  des 
pattes;  il  meurt  lentement,  en  25™,  sans  aucune  convulsion. 

Vastes  suffusions  crâniennes. 

L’air  mortel  contient  CO2  2;  O 76.  La  pression  primitive  de  l’O  était 
donc  environ  78  X 5 = 590,  correspondant  à 19  atmosphères  d’air. 

Cette  expérience  montre,  non-seulement  que  l’anesthésie 
empêche  les  convulsions  de  l’oxygène , comme  celles  des 
autres  poisons  de  la  moelle  épinière,  mais  encore  qu’elle 
n’empêche  pas  la  mort  d’arriver,  tout  en  arrivant  avec  calme. 
L’expérience  suivante , ^dans  laquelle  l’animal  a été  retiré 
après  l’action  de  l’oxygène,  et  chez  qui  les  convulsions  ont 
apparu  au  fur  et  à mesure  que  la  sensibilité  revenait,  est  en- 
core plus  probante  : 

Expérience  CGLXXV1.  — 24  février.  — Rat  chloroformé,  a été  tout  près 
de  mourir  pendant  l’anesthésie. 

1 Comptes  rendus  de  V Académie  des  Sciences,  t.  LXIV,  p.  622,  1867. 


775 


AIR  COMPRIMÉ  : OXYGÈNE  SOUS  FORTE  TENSION. 

Commence  à être  sensible  après  l/2h  environ.  — Temp.  rectale  35°. 

Mis  à 5 atm.,  et  après  10m  à 6 1/2  d’oxygène. 

Au  bout  de  20mde  compression  paraît  fort  malade  ; avec  quelques  petits 
tressaillements  ; les  convulsions  ne  venant  pas,  il  est  retiré. 

Temp.  rectale  34°. 

Remis  dans  la  cage,  reste  étendu;  bientôt  il  est  pris  de  convulsions  ; 
raideurs  de  la  queue,  etc.  — Elles  apparaissent  spontanément  ou  sitôt 
qu’on  touche  l’animal. 

lh  après,  môme  état;  la  temp.  est  de  32°. 

2 l/2h  après,  très-faibles  convulsions;  tempér.,  28°.  Évidemment  mou- 
rant. 

25  février.  — Trouvé  mort  et  froid. 

t 

Je  n’insiste  pas  sur  ce  point,  parce  que  les  expériences 
faites  sur  les  chiens  nous  fourniront  des  faits  analogues. 

Avant  d’arriver  à celles-ci,  je  crois  devoir  en  rapporter  en- 
core une  qui  a été  faite  sur  les  moineaux,  et  dans  laquelle 
se  montre  le  rôle  important  que  joue  le  sang  dans  l’empoi- 
sonnement par  l’oxygène  : 

Expérience  CCLXXVII.  — 17  juillet.  — Deux  moineaux  sont,  de  5h  2m  à 5h 
7m,  portés  à 8 atm.  suroxygénées,  où  la  tension  de  l’oxygène  équivaut  à 
424,  soit  à 20  atmosphères  d’air. 

L’un,  A,  est  sain  ; l’autre,  B,  qui  pèse  20§r,  a été  saigné,  à 4h,  de  0CC,7  de 
sang  à la  jugulaire;  il  est  encore  très-abattu  ; sa  temp.  rectale  n’est  que 
de  32°,  tandis  que  celle  de  A est  de  42°. 

Dès  5h  10m  ou  12m,  A a de  petites  secousses  convulsives,  et  vers  5h  20m 
a de  franches  convulsions,  qui  durent  jusqu’à  5h  33m  où  il  meurt.  B n’est 
pris,  et  faiblement,  que  vers  5h  25m  ; pas  de  secousses  générales,  mais 
grands  efforts  de  respiration,  raideurs,  etc.,  qui  deviennent  de  vraies  con- 
vulsions, des  pattes,  sinon  des  ailes,  vers  5h  35m  ; il  en  a peu,  puis  reste 
sur  le  dos,  comme  mort. 

Décomprimé  à 5h  45m. 

A,  tempér.  rect.,  31°. 

B,  — 28°. 

Énormes  suffusions  crâniennes  aux  deux  oiseaux. 

B respire  encore  ; sa  température  rectale  baisse  et  est  de  25°  à 6h  ; il 
meurt  alors.  Les  muscles  quand  on  les  pinçait  se  contractaient  lentement 
et  fortement,  comme  avec  des  crampes. 

Ainsi,  chez  l’animal  saigné,  les  accidents  se  sont  montrés 
beaucoup  plus  lentement  que  chez  l’animal  sain.  Cela  tient 
tout  à la  fois  à la  dépression  générale  qu’il  avait  subie,  et  à la 
moindre  quantité  de  sang  qui,  ne  se  chargeant  < d’une 


776 


EXPÉRIENCES. 


plus  faible  quantité  d’oxygène,  n’a  pu  porter  cet  agent  redou- 
table qu’en  proportion  moindre  à la  moelle  épinière. 

Il  serait  prématuré  d’insister  en  ce  moment  sur  le  rôle  du 
sang  dans  l’empoisonnement  par  l’oxygène.  Cette  question 
reviendra  d’une  manière  bien  plus  utile,  lorsque  nous 
aurons  étudié  les  expériences  faites  sur  les  chiens,  dont  je 
vais  maintenant  rendre  compte  avec  détails. 

J’ai  eu  pour  but  spécial,  en  mettant  des  chiens  en  expé- 
rience, de  chercher  avec  quelle  proportion  d’oxygène  con- 
tenu dans  le  sang  survenaient  les  accidents  convulsifs.  Je 
pensais  en  même  temps  continuer,  grâce  à l’emploi  des 
atmosphères  suroxygénées  comprimées , la  recherche  des 
rapports  qui  s’établissent  chez  l’animal  vivant  entre  la  ten- 
sion de  l’oxygène  du  milieu  respiratoire  et  la  richesse  en  oxy- 
gène du  sang  artériel,  rapports  étudiés  au  sous-chapitre  III 
du  chapitre  Ier  jusqu’à  10  atmosphères  d’air  seulement. 

L’animal  en  expérience  était  disposé  sur  son  cadre  comme 
il  est  dit  à la  page  656.  Pour  arriver  à lui  faire  respirer 
de  l’oxygène  comprimé,  je  dus  recourir  à un  artifice,  n’ayant 
pas  à ma  disposition  la  quantité  d’oxygène  nécessaire  pour 
comprimer  ce  gaz  à plusieurs  atmosphères  dans  un  récipient 
de  150  litres. 

Je  fixais  dans  la  trachée  du  chien  un  tube  métallique  aussi 
large  que  possible,  et  le  mettais  en  communication  avec  un 
sac  de  caoutchouc  mesurant  environ  50  litres.  Le  sac  était 
placé  à côté  de  l’animal,  et  l’air  injecté  par  la  pompe  les  com- 
primait tous  deux  à la  fois.  L’expérience  ne  durait  jamais 
assez  longtemps  pour  que  le  chien  épuisât  complètement 
l’oxygène.  Mais,  comme  l’expiration  se  faisait  dans  le  sac,  il 
s’y  emmagasinait  de  l’acide  carbonique  qui,  par  suite,  s’ac- 
cumulait également  dans  le  sang.  Il  en  résulte  qu’il  ne  faut 
pas  tenir  compte  de  la  proportion  de  ce  gaz  révélée  par  les 
analyses  ; j’ai  cru  devoir  cependant  l’indiquer  à titre  de  ren- 
seignement dans  le  narré  des  expériences.  Dans  un  certain 
nombre  de  cas,  j’ai,  pour  éviter  cette  accumulation,  disposé 
sur  le  trajet  du  tube  qui  allait  de  la  trachée  au  sac  un  flacon 
où  barbottait l’air  suroxygéné  dans  une  solution  de  potasse; 


777 


A'IR  COMPRIMÉ  : OXYGÈNE  SOUS  FORTE  TENSION. 

d’autres  fois,  la  solution  se  trouvait  dans  le  sac  lui- même. 
Ces  expériences,  comparées  à celles  où  aucune  précaution 
semblable  n’avait  été  prise,  me  permettent  d’aflirmer  que, 
dans  ces  dernières,  l’influence  de  1 acide  carbonique  a été 
tout  à fait  négligeable  ; ceci  s’expliquera  tout  naturellement, 
lorsque  nous  traiterons , au  chapitre  VIII,  de  l’empoisonne- 
ment par  l’acide  carbonique. 

Voici  maintenant  le  récit  d’un  certain  nombre  d’expé- 
riences : 

Expérience  CCLXXVIII.  — 16  novembre.  — Chien  noir,  à poils  ras, 
neuf,  pesant  environ  12  kil. 

On  l’attache  sur  le  dos,  et  on  lui  met  dans  la  trachée  un  tube  de  métal, 
au  bout  duquel  est  un  tube  de  caoutchouc  notablement  plus  étroit.  Les 
respirations  se  font  par  séries  d’extrême  fréquence,  séparées  par  quel- 
ques intervalles  de  calme. 

Au  bout  d’une  demi-heure  environ,  on  prend  la  température  rectale, 
qui  est  de  36°  (sur  un  chien  sain,  le  même  thermomètre  donne  38°, 5). 

On  lui  tire  alors  à la  carotide  gauche  35  cent,  cubes  de  sang  qui 
est  porté  immédiatement  dans  la  pompe  à extraire  les  gaz A. 

Le  chien  est  ensuite  placé  dans  l’appareil  à compression  ; au  tube  de  sa 
trachée  est  alors  adapté,  un  sac  de  caoutchouc  contenant  de  l’oxygène  ; 
puis  on  fixe  l’animal  comme  il  a été  dit  ci-dessus. 

La  pression  est  commencée  à 3h  56m. 

A 4h  21m,  on  est  à 5 atmosphères;  je  tire  38cc  de  sang,  très-rouge,  ne 
laissant  pas  dégager  de  gaz B. 

A 4h  40m,  à 7 atmosphères,  tiré  51cc  de  sang  très-rouge,  dans  lequel  le 
dégagement  de  gaz  est  au  moins  douteux G. 

On  monte  à 8 atmosphères,  et  à 4h  45m  on  décomprime  brusquement 
en  3 minutes  et  demie. 

L’animal  est  immédiatement  extrait  de  l’appareil  ; il  n’y  a de  gaz  libres 
ni  dans  le  sang  artériel  ni  dans  le  sang  veineux  ; les  bruits  du  cœur  sont 
purs,  sans  aucun  gargouillement  indiquant  la  présence  de  gaz.  La  tempé- 
rature rectale  est  de  30°.  Il  y a eu  issue  de  matières  fécales,  et  la  gueule 
est  pleine  d’écume  mousseuse. 

Les  pattes  sont  fortement  raidies  ; l’animal,  détaché,  est  en  opistbotonos 
très-prononcé  ; tout  le  corps  est  en  convulsion  tonique.  Les  matières 
fécales  continuent  à sortir.  L’œil  se  ferme  quand  on  touche  la  cornée, 
mais  non  la  conjonctive;  les  pupilles,  très-dilatées,  ne  se  contractent  pas  à 
la  lumière. 

La  pression  cardiaque,  dans  la  carotide,  oscille  entre  9 et  12  cent. 

Les  phénomènes  vont  en  augmentant  d’intensité.  Vers  5 heures,  les  con- 
vulsions sont  d’une  violence  extrême  ; au  milieu  des  raideurs  continuelles 
apparaissent  des  convulsions  cloniques  des  membres,  du  cou,  des  ma- 


778 


EXPÉRIENCES. 


choires.  Les  yeux  sont  convulsés.  Le  pénis  est  tellement  rétracté,  que  pour 
sonder  l’animal  il  faut  fendre  le  prépuce  dans  toute  sa  longueur  : pas 
d’urine  dans  la  vessie.  L’animal  écume  énormément. 

Vers  5h  30m,  la  température  est  de  29  degrés.  Il  survient  des  vomisse- 
ments. Les  convulsions  prennent  l’apparence  de  crises,  sans  véritable 
repos  dans  l’intervalle  ; cela  ressemble  beaucoup  à des  attaques  stry cli- 
niques successives,  sauf  la  permanence  presque  complète  des  raideurs  et 
de  i’opisthotonos.  On  excite  les  convulsions  cloniques,  en  touchant  l’ani- 
mal, en  choquant  la  table,  en  introduisant  le  thermomètre  au  fond  du 
rectum.  Pendant  les  crises,  la  respiration  s’arrête,  mais  le  cœur  continue  à 
battre. 

Graduellement  apparaissent  quelques  intervalles  d’un  repos  relatif. 
L’animal  commence  à grincer  des  dents  avec  une  force  extraordinaire,  à 
croire  qu’elle  vont  se  briser.  La  température  remonte  ; à 6 heures  elle  est 
de  51  degrés. 

6h  15m  : A certains  moments,  il  n’y  a plus  de  raideurs;  la  respiration 
se  fait  mieux  ; la  queue  remue. 

6h45ra  : L’animal  reste  toujours  couché  sur  le  flanc;  les  convulsions 
cloniques  ressemblent  à celles  de  l’acide  phénique,  en  ce  sens  qu’elles 
imitent  presque  les  mouvements  de  la  marche  ; elles  se  succèdent  par 
crises  que  sépare  un  intervalle  de  repos  relatif.  A chaque  crise,  opis- 
thotonos  violent,  avec  agitation  des  mâchoires,  puis  claquement  de  dents  ; 
de  temps  en  temps,  raideurs  générales  avec  immobilité,  mais  moins  fortes 
qu’au  début.  La  pupille  est  toujours  insensible  à la  lumière.  La  tempéra- 
ture est  de  52  degrés.  Le  cœur  bat  vite  et  fort. 

Le  lendemain , à 11  heures  du  matin,  l’animal,  auquel  on  a laissé  sa 
canule  trachéenne,  est  couché  comme  la  veille  ; il  est  en  opisthotonos  avec 
contraction  permanente  des  membres  ; le  sphincter  anal  est  fermé  ; se- 
cousses faibles,  mais  presque  continues.  La  salivation  visqueuse  a conti- 
nué ainsi  que  le  larmoiement  ; les  pupilles  sont  dilatées  ; la  coruée  est 
sensible,  mais  non  la  conjonctive.  Respiration  assez  calme  ; 80  pulsations 
faibles  ; température  27  degrés. 

Je  fais  respirer  du  chloroforme  jusqu’à  insensibilité  cornéale;  les  rai- 
deurs et  les  secousses  disparaissent  pour  reparaître  bientôt. 

L’animal  meurt  dans  la  journée. 

Voici  maintenant  le  résultat  des  analyses  : 

A : Air  ordinaire,  pression  normale  ; 100cc  de  sang  contiennent 
Û 1 5CC , 5 ; CO1 2  22,9  K 

B : 5 atm.  d’air  suroxygéné  : 1 00ce  de  sang  contiennent  O 24,0;  CO2  65. 

C : 7 atm.  d’air  suroxygéné  : 100cc  de  sang  contiennent  0 51 ,5  ; CO2  54,6. 

L’air  du  sac,  après  l’expérience,  était,  pour  100,  composé  de  O 66; 
CO2  5,4.  La  composition  primitive  était  donc  environ  de  75  pour  100 
d’oxygène. 

1 Ces  nombres  et  ceux  des  expériences  suivantes  sont  rapportés  à 0°  et  76  de 

pression. 


779 


AIR  COMPRIMÉ  : OXYGÈNE  SOUS  FORTE  TENSION. 

La  tension  de  l’oxygène  en  B était  donc  environ  70  X 5 = 350. 

En  G,  elle  était  environ  de  68  X 7 = 476. 

On  était  monté  jusqu’à  66  X 8 = 528,  ce  qui  correspond  à 26  atmo- 
sphère d’air  environ. 

Cette  expérience  est  particulièrement  remarquable  ; voilà 
un  animal  qui,  pour  avoir  été  exposé  pendant  trois  quarts 
d’heure  à une  tension  d’oxygène  correspondante  à peu 
près  à 26  atmosphères  d’air,  est  mort  après  24  heures 
environ  de  violentes  convulsions. 

Expérience  GCLXXIX.  — 20  novembre.  — Chien  assez  jeune,  pesant  en- 
viron 8 kilos. 

On  met  un  tube  dans  la  trachée. 

Après  un  quart  d’heure,  la  température  rectale  est  59°, 4;  il  a 144  pul- 
sations, 24  respirations  à la  minute  : la  pression  du  sang  dans  la  carotide 
oscille  entre  15  et  17e  de  mercure. 

A 3h  38,u,  on  tire  58cc  de  sang A. 

Mis  dans  l’appareil  à 4h  10m,  avec  sac  plein  d’un  mélange  à 89,5  pour  100 
d’oxygène. 

A 4h  30m,  on  est  à 5 atmosphères,  et  l’on  s’y  maintient. 

A 4h  38m,  on  tire  43cc  de  sang  très-rouge  ; il  ne  se  dégage  pas  de 
gaz B. 

Décompression  en  une  minute  et  demie,  à4l1 40m. 

On  retire  aussitôt  l’animal,  on  enlève  le  sac,  et  l’on  constate  qu’il  a 
déjà  vomi  dans  l’appareil.  Il  vomit  à nouveau.  Il  présente  des  crises  de 
raideurs,  sans  secousses  cloniques.  La  température  est  de  36°, 5 ; la  pres- 
sion cardiaque  de  11  à 12e  ; les  pulsations  sont  à 140,  les  respirations 
à 24. 

Ges  crises  de  raideurs  convulsives  durent  environ  20  minutes. 

A 6 heures,  la  température  est  de  35  degrés,  la  pression  cardiaque 
de  12e,  les  pulsations  au  nombre  de  140.  Le  chien  commence  à pouvoir  se 
soutenir  sur  ses  pattes. 

A 6h  30m,  l’animal,  dont  la  canule  a été  enlevée,  reste  couché  avec  des 
espèces  de  tremblotements  musculaires,  qui  ressemblent  à ceux  de  l’acide 
phénique.  Son  œil  est  sensible,  et  les  pupilles  se  contractent  et  se  dilatent 
comme  par  des  trépidations  qui  semblent  en  rapport  avec  les  tremblements 
des  membres.  Il  y a quelques  raideurs  dans  les  pattes  de  devant,  mais  on 
peut  les  plier  aisément. 

Le  lendemain,  se  porte  très-bien. 

Les  analyses  ont  donné  les  résultats  suivants  : 

A : Air,  pression  normale;  100cc  de  sang  contiennent  : O.  17,0; 
GO2  39,0. 

B : A 5 atm.  d’air  suroxygéné  ; 100cc  de  sang  contiennent  : O.  24,8; 
GO2  75,0. 


780 


EXPÉRIENCES. 


Le  gaz  du  sac,  après  l’expérience,  contient  76,2  d’oxygène  et  8,1  d’acide 
carbonique.  La  tension  de  l’oxygène  en  B était  donc  environ  77  x 5 
= 585. 

Expérience  GGLXXX.  — 25  novembre.  — Chien  de  moyenne  taille. 

Tube  dans  la  trachée;  carotide  gauche  à nu. 

Température  rectale  58°,  1 l. 

3h  12m  : tiré  33cc  de  sang;  l’animal  respire  tranquillement.  ...  A. 

Mis  dans  l’appareil  à 5h  55m,  avec  sac  à oxygène  ; entre  le  sac  et  le  tube 
trachéal  est  placé  un  flacon,  au  fond  duquel  se  trouvent  des  morceaux  de 
potasse;  je  veux  ainsi  diminuer  la  proportion  de  l'acide  carbonique  qui 
s’emmagasine  dans  le  sac. 

4h  25m  : on  est  à 7 atmosphères  ; à 4h  28m,  tiré  avec  la  plus  grande  dif- 
ficulté 25cc  de  sang B. 

A 4h  58m,  la  pression  est  de  7 1/4  atmosphères  ; je  décomprime  brus- 
quement. 

Retiré  à 4h  45m,  l’animal  est  sensible  à l’œil  : sa  température  est  de 
56°;  il  présente  quelques  raideurs  des  membres  postérieurs  et  du  cou;  la 
respiration  paraît  suspendue,  le  cœur  bat  très-faiblement.  - 

Après  10m  les  raideurs  augmentent,  mais  la  respiration  revient,  et  le 
cœur  bat  plus  vite  et  plus  fort.  Bientôt  après,  l’animal  redevient  flasque, 
comme  il  était  au  sortir  de  l’appareil;  sa  respiration  est  faible;  il  meurt 
à 5h  50m,  sans  mouvement. 

A 5h  20m,  sa  température  était  de  34°, 5 ; à 5h  50ni,  elle  est  tombée  à 35°, 5. 


À 5h  5,u,  je  tire  55cc  de  sang  carotidien C. 

A 5h  50m,  tiré  de  même  53cc  de  sang D. 


L’autopsie  montre  le  cœur  plein  de  sang  noir  à droite,  un  peu  rouge  à 
gauche.  Il  y a dans  la  vessie  quelques  gouttes  d'urines  extrêmement  char- 


gées de  sucre.  Le  foie  contient  beaucoup  de  sucre. 

Le  sang  A (air,  pression  normale)  contenait.  ...  O 14,4;  CO2  41,0 

— B (oxygène,  7 atm.) O 24,1;  GO2  68,5 

— C (air,  pression  normale,  40m  après  la  dé- 
compression)  O 15,8;  GO2  16,5 

— B (air,  70ni  après  la  décompression)  ....  O 15,8;  CO2  28,5 


Le  gaz  du  sac  contenait  avant  l’expérience  79  pour  100  d’oxygène;  la 
tension  d’oxygène  en  B était  donc  probablement  74  x 7 =518  ; elle  s’est 
élevée  au  maximum  à 550,  à 4h  58m. 

Expérience  CCLXXX1.  — 27  novembre.  — Chien  de  berger,  pesant 
16  kilog. 

Tube  dans  la  trachée;  température  rectale  58°, 5. 

A 4h  501U,  tiré  55cc  de  sang  à la  carotide  gauche A. 

1 Ces  températures , indiquées  par  mon  thermomètre  dans  cette  expérience  et 

dans  plusieurs  autres,  sont  certainement  trop  basses,  absolument  parlant.  Mais 
il  importe  peu,  la  comparaison  seule  a de  l’intérêt. 


AIR  COMPRIMÉ  : OXIGÈNE  SOUS  FORTE  TENSION. 


781 


Mis  à 5h  8m  dans  l’appareil  à compression,  avec  le  sac  à oxygène,  sans 
flacon  à potasse. 

A 5h 12m  on  est  à 1 3/4  atmosphères  ; tiré  33cc  de  sang,  bien  rouge.  B. 

A 5h  48m,  7 atmosphères  ; on  s’y  maintient,  et  à 5h  50m,  tiré  39cc  de  sang 
très-rouge,  sans  gaz  libres G. 

A 5h  53m,  décomprimé  en  2 minutes. 

Retiré  : température,  38°, 5.  Est  en  raideur,  et  toutes  les  3 ou  4 minu- 
tes, convulsion  tonique  énorme,  avec  opisthotonos  très-violent,  suspension 
de  la  respiration,  le  cœur  continuant  à battre,  quoique  plus  lentement. 
L’œil  est  insensible.  L’excitabilité  est  beaucoup  moins  évidente  que  dans 
la  strychnine.  Il  y a ainsi  4 ou  5 de  ces  affreuses  convulsions  pendant 
lesquelles  il  semble  que  l’animal  va  tomber  de  la  table. 

A 6h  10m,  je  fais  respirer  au  chien  un  mélange  de  chloroforme  et  d’é- 
ther; il  semble,  au  début,  que  les  convulsions  s’exagèrent.  Mais  au  bout  de 
2 ou  3 minutes,  elles  disparaissent,  et  il  ne  reste  plus  que  des  trépidations 
des  membres  antérieurs,  semblables  à celles  de  l’acide  phénique,  qui 
disparaissent  à leur  tour,  ainsi  que  les  raideurs  ; l’animal  devient  souple 
et  calme. 

6h  15,n,  on  cesse  les  inhalations.  La  sensibilité  reparaît,  puis  quelques 
raideurs;  mais  il  n’y  a plus  de  grandes  convulsions.  Température,  39°. 


6h  22m  : on  tire  33cc  de  sang,  moyennement  rouge ; . . D. 

6h  45ra  : latempér.  est  38°, 5. 

7h  : on  tire  33ccde  sang,  très-noir E. 

Le  lendemain,  l’animal  est  très-bien  revenu. 


Le  sang  A (air)  contient,  dans  100cc.  ....  O 16,9;  GO2  33,1 

— B (oxyg.,  1 3/4  atm.) O 21,4  ; CO2  36,6 

— G (oxyg.,  7 atm.) O 32,5 ; GO2  73,8  ; Az  4,1 

— D (air,  27m après  la  décompression).  O 16,9;  CO2  21,0 

— E (air,  67m après  la  décompression).  O 17,0,;  CO2  31,5 

Le  sac  contenait  après  l’expérience  un  mélange  de  GO2  10,7,  et  70 
pour  100. 

Il  en  résulte  que  la  pression  de  l’oxygène,  lorsqu’on  a tiré  le  sang  B,  de- 
vait être  d’environ  1,75  x79  = 138,  et  lorsqu’on  a tiré  le  sang  G,  d’envi- 
ron 7 x 71  = 497. 

Expérience  CCLXXXII.  — 3 décembre.  — Chien. 

Tube  dans  la  trachée;  tempér.  rectale,  38°;  respirations  extraordinaire- 
ment rapides. 

3h  20m  : tiré  sang  à la  carotide  gauche  33cc A. 

On  ajoute  à la  canule  trachéale  le  sac  à oxygène;  sur  le  passage  de  l’air, 
est  placé  un  flacon  au  fond  duquel  se  trouvent  quelques  morceaux  de 
potasse. 

3h  30m:  tiré 33cc  de  sang  notablement  plus  rouge;  les  respirations  sont 
devenues  beaucoup  plus  lentes B. 


782 


EXPÉRIENCES. 


5h  45m  : mis  dans  le  grand  appareil  à compression. 

4h  : on  est  à 5 1/2  atmosphères  : tiré  35cc  de  sang,  très-rouge  ; pas  de 
gaz G. 

Il  arrive  une  série  d’accidents  de  détail;  à4h  40,n,  je  veux  décomprimer 
brusquement;  mais  le  sac  de  caoutchouc  se  place  devant  l’ouverture,  et  la 
décompression  ne  finit  qu’à  5h  45  m. 

L’animal  n’a  ni  convulsions  ni  trépidations;  sa  température  est  de  56°. 


Le  sang  A (air,  pression  normale)  contient O 18,1  ; GO2  24,9 

— B (oxyg.,  pression  normale) O 20,9  ; GO2  55,7 

— G (oxyg.,  5 l/2atmosph.) O 27,5;  CO2  56,5 


L’air  du  sac  contenait,  avant  l’expérience,  85  pour  100  d’oxygène;  ainsi, 
lorsqu’on  a tiré  le  sang  G,  la  tension  devait  être  environ  80  X 3,5  = 280. 

Expérience  CCLXXXIII.  — 10  décembre.  — Chien  vigoureux,  pesant 
12\5. 

A 5h  45m,  mis  tube  dans  la  trachée  ; la  respiration  devient  très-haletante. 


5h  55m  : tiré  55cc  de  sang;  la  temp.  est  de  58°, 5 A. 

4h  10m  : mis  à respirer  sac  de  caoutchouc  contenant  oxygène. 

4h  1 8m  : tiré  55cc  de  sang,  plus  rouge B. 

41'  55m  : mis  dans  grand  appareil  avec  le  sac  de  caoutchouc,  dans  lequel 
on  a introduit  une  lessive  de  potasse. 

5h  5m:  on  est  à 6 atmosphères; ‘tiré  58cc  de  sang G. 

5h  55m  : — 9 — 55cc  — D. 

Il  paraît  venir  quelques  bulles  de  gaz,  très-fines. 

5h  58“  : décompression  en  5 ou  4 minutes. 


Quand  on  retire  l’animal,  il  est  mort.  L’oreillette  droite  bat  encore.  Le 
sang  veineux  est  assez  rouge,  et  quand  on  le  reçoit  dans  un  verre,  il  s’en 
dégage  de  petites  bulles  de  gaz  qui  viennent  à la  surface  ou  restent  adhé- 
rentes aux  parois  du  verre.  Même  phénomène  pour  le  sang  artériel,  seule- 
ment lesbullessont  beaucoupplus  petites.  Les  muscles  et  les  nerfs  moteurs 
répondent  à l’électricité. 

Tandis  que  je  tirais  le  sang  D,  ce  sang  venait  très-difficilement,  dans  la 
seringue,  par  coups  lents.  Probablement  l’animal  se  mourait  juste  à ce  mo- 
ment; jusque-là,  du  reste,  on  l’avait  vu  respirer;  ensuite,  non. 

A 7h,  pas  de  rigidité  cadavérique. 

Sang  A (air,  pression  normale) O 19,8;  CO2  20,9;  Az  2,1 

— B (oxyg.  à 880/0,  pression  normale).  . O 20,9;  CO2  54,5;  Az  1,5 

— G (oxyg.,  6 atm.) O 26,3  ; CO2  63,5;  Az  3,9 

— D (oxyg.,  9 atm.) O 30,7;  CO2  61,5 ; Az  5,5 

L’air  du  sac,  avant  toute  expérience,  contenait  88  pour  100  d’oxygène. 
Ainsi,  en  tenant  compte  de  l’altération  respiratoire,  la  tension  de  l’oxy- 
gène, lorsqu’on  a tiré  le  sang  C,  pouvait  être  exprimée  par  80  X 6 — 480, 
et  lorsqu’on  a tiré  le  sangD,  par  78  X 9 = 702. 


AIR  COMPRIMÉ  : OXYGÈNE  SOUS  FORTE  TENSION. 


785 


Expérience  CCLXXXIV.  — 17  décembre.  — Chien  jeune,  pesant  7k,5. 

5h  30m;  Températion  rectale,  39°. 

.Mis  tube  dans  la  trachée;  respirations  très-rapides. 

3h  40m  ; tiré  33cc  de  sang  carotidien,  peu  rouge A. 

3h  42m  : mis  à respirer  dans  sac  à oxygène,  avec  lessive  de  potasse 
dans  le  sac. 

3h  50m  : température  rectale,  38°, 8 ; tiré  33cc  de  sang,  bien  rouge.  B. 

Mis  dans  l’appareil  à compression  à 4h  5m. 

4h  50m  : 7 atmosphères;  on  essaie  en  vain  d’extraire  du  sang. 

Poussé  à 5/4  atmosphères,  et  décomprimé  brusquement. 

Retiré  : tempér.,  37°.  Quelques  raideurs  et  convulsions  cloniques.  Le 
cœur  bat  lentement,  le  sang  est  très-noir. 

Meurt  à 5h  10m,  sans  dernier  soupir,  en  résolution  complète.  . 

Pas  d’urine  dans  la  vessie.  Mais  les  reins,  broyés  avec  du  sulfate  de  soude 
et  du  charbon  animal,  donnent  un  précipité  jaune  avec  de  très-bonne  li- 
queur de  Bareswill.  Le  sang,  traité  de  même,  donne  un  semblable  préci- 
pité énorme;  la  potasse  brunit  la  liqueur  à l’ébullition. 

Le  sang  A (air,  pression  normale)  contient O 12,1  ; CO2  29,6 

— B (oxyg.  à 91  0/0,  pression  normale).  ...  O 14,1  ; CO2  24,5 

La  tension  de  l’oxygène  a dû  être  environ  7,75  X 80  = 620. 

Expérience  CCLXXXV.  — 20  décembre.  — Chien  très-vigoureux,  pesant 
16k,5.  Tempér.  rectale,  38°, 5. 

3h  55m  : tiré  33cc  de  sang  assez  noir.  Respirations  un  peu  lentes..  A. 

4h  : tube  dans  la  trachée  ; respirations  entièrement  exagérées  pendant 
4 à 5 minutes;  puis,  période  de  calme,  à laquelle  succèdent  de  nouvelles 
respirations  exagérées.  A 4h  10m,  je  me  prépare  à tirer  du  sang,  quand 
les  respirations  se  calment  et  reviennent  à un  type  normal. 

4h  12m  : Tiré  33tc  de  sang,  moins  noir 

4h  30m  : mis  dans  l’appareil  à compression,  avec  sac  de  caoutchouc. 

5h  5m  : on  est  à 6 3/4  atmosphères;  tiré  40cc  de  sang,  très-rouge,  du- 
quel sortent  de  très-fines  bulles  de  gaz C 

5h  12m  : décomprimé  brusquement. 

Apporté  sur  la  table,  a une  mousse  abondante  à la  gueule  ; il  est  en 
opisthotonos  très-violent,  que  remplace  de  temps  en  temps  un  pleuro- 
sthotonos  du  côté  droit;  par  moments  fortes  convulsions  cloniques,  avec 
quelques  intervalles  de  repos  complet.  Pendant  les  crises,  la  respiration 
s’arrête,  et  le  cœur  se  laisse  sentir  très-difficilement.  L’œil  reste  sen- 
sible. 

A 5h  15m,  la  tempér.  est  36°7,  et  le  cœur  ne  donne  que  20  pulsations. 

A5h  30ra  : 48  respirations,  112  pulsations. 

A 5h  38m  : un  peu  après  une  grande  convulsion,  je  prends  33ccdesang, 
bien  rouge p, 

A 5h  45m  : température,  35°. 

Je  fais  respirer  par  la  trachée  du  chloroforme  ; les  respirations  sont 


784 


EXPERIENCES. 


très-aclives  ; les  pattes  sont  alors  en  raideur.  Bientôt  la  respiration  s’arrête 
à son  tour,  les  yeux  sont  très-gonflés. 

Je  fais  la  r espiration  artificielle  ; le  cœur  reprend  assez  vigoureusement, 
et  la  respiration  revient  ; puis,  tout  s’arrête,  malgré  la  respiration  artifi- 
cielle, et  l’animal  meurt  vers  6h. 

Le  sérum  sanguin,  traité  par  le  sulfate  de  soude  et  le  charbon  animal, 
donne  par  la  liqueur  bleue  un  très-abondant  précipité  jaune-rouge. 

Sang  A (air,  pression  normale,  respiration 

normale) O 15,1;  GO2  40,8 

— B (air,  pression  normale,  respiration 

trachéale) O 20,3;  CO2  24,0 

— G (oxyg.,  6 5/4  atmosph.) O 34,6;  CO2  92,5;Az5,6 

— D (pendant  les  convulsions) O 19,0;  GO2  14,8 

La  composition  de  l’air  du  sac,  avant  l’expérience,  étant  87  pour  100 
d’oxygène,  la  tension  lors  de  la  saignée  G devait  être  d’environ 
6,75  X 84  = 567. 

Expérience  CCLXXXYI.  — 22  janvier.  — 0 = 16°.  — Chien  de  grande 
taille. 

A 5h  10m,  on  lui  met  un  tube  dans  la  trachée;  sa  température  rectale 
est  59°, 5. 

A 3U  50m,  l’animal  respirant  lentement  et  avec  ampleur,  on  prend  33cc  de 
sang  carotidien A. 

A 5h  40lu,  il  est  placé  dans  le  cylindre  à compression,  avec  le  sac  de 
caoutchouc  contenant  de  l’air  à 88,6  0/0  d’oxygène. 

A 4h,  on  est  arrivé  à 4 atmosphères;  je  tire  alors  33cc  de  sang,  très- 
rouge B. 

A 4h  15m,  on  est  à 6 1/2  atm.  Tiré  38cc  de  sang,  très-rouge,  qui  se  coa- 
gule très-rapidement C. 

A4h  17m,  décomprimé  en  2 minutes. 

Betiré  en  pleines  convulsions.  Celles-ci  consistent  en  attaques  de  rai- 
deurs des  pattes  et  du  corps  en  opisthotonos,  assez  fortes  pour  qu’on  puisse 
porter  le  chien  par  une  patte , comme  un  morceau  de  bois  (voy.  fîg.  61, 
p.  800).  On  peut  les  exciter  à volonté. 

Tempér.  rectale,  57°. 

A 4h  40m,  je  tire  53cc  d’un  sang  médiocrement  rouge;  la  température 
s’est  abaissée  à 56° D. 

Les  convulsions  vont  en  diminuant;  on  ôte  la  canule.  A 5h  35m,  il  n’y  a 
plus  de  convulsions.  Je  tire  un  peu  de  sang  carotidien,  qui,  bouilli  avec  du 
noir  animal  et  du  sulfate  de  soude,  donne  une  très-forte  réduction  de  la 
liqueur  bleue.  Bien  par  le  sulfate  de  chaux  ni  l’acide  azotique. 

On  met  l’animal  dans  une  cage  disposée  de  manière  à recueillir  les 
urines. 

Ces  urines , le  lendemain,  décolorent  la  liqueur  bleue  en  donnant  un 
abondant  vrécipité  jaune. 


AIR  COMPRIMÉ  : OXYGÈNE  SOUS  FORTE  TENSION. 


785 


Sang  A (air,  pression  normale) O : 15,8  — CO2  : 45,0 

— B (oxyg.  ; 4 atm.) O : 23,9  — CO2  : 59,0 

' — C (oxyg.;  6 1/2  atm.) O : 28,7  — CO2  : 69,4 

— D (air,  revenu  à la  pression  normale, 

convulsions) O : 12,4 — CO2  : 9,9 

Le  sac  contenait,  au  début,  de  l’air  à 88,6.  p.  100  d’oxygène. 

Au  moment  où  l’on  a tiré  le  sang  B,  la  tension  de  l’oxygène  devait  donc 
équivaloir  à peu  près  à 520,  représentant  16  atmosphères.  Pour  le  sang  C, 
les  nombres  seraient  480  et  24  atmosphères. 

Expérience  CCLXXXVII.  — 25  janvier,  Q=z  1 6°.  — Chien  de  grande  taille. 

Température  rectale  39°.  On  lui  met  dans  la  trachée  un  tube,  à 5h  15in. 
Son  rhvthme  respiratoire  ne  change  pas  sensiblement;  il  était  très-rapide. 

A 3h  55m,  sa  température  s’est  abaissée  à 38°, 5.  Je  tire  à la  carotide 
33cc  de  sang  médiocrement  rouge A. 

A 4h  2m,  il  est  mis  dans  l’appareil  avec  le  sac  contenant  de  Pair  sur- 
oxygéné. 

A 4h  15m,  on  est  arrivé  à 2 atm.  5/4. 

Je  tire  45cc  de  sang  très-rouge,  ne  contenant  pas  de  gaz  libres,  ayant 
une  tendance  manifeste  à la  coagulation.  Un  accident  m’empêche  d’en  faire 
l’analyse  au  point  de  vue  des  gaz. 

A 4h  58,n,  on  est  arrivé  à 7 1/4  atmosphères. 

Je  tire  encore  45cc  de  sang,  très-rouge,  se  coagulant  rapidement,  et  dans 
lequel  il  n’apparait  pas  de  gaz  libres B. 

A 4h  40m,  décomprimé  en  2 minutes. 

Betiré  en  pleines  convulsions.  Température  rectale,  57°. 

Les  convulsions,  d’abord  assez  médiocres,  avec  intervalles  de  flaccidité, 
vont  en  augmentant  de  force.  Dans  les  intervalles  des  convulsions  toni- 
ques, l’animal  agite  les  pattes  comme  s’il  marchait.  Les  convulsions  toni- 
ques sont  tellement  fortes  qu’on  peut  soulever  l’animal  comme  un  morceau 
de  bois,  par  une  patte.  Il  a les  pattes  raides,  le  corps  en  pleurosthotonos 
droit,  avec  opisthotonos  du  cou,  les  yeux  ouverts,  saillants  ; les  pupilles 
dilatées;  il  vomit. 

A 5h  il  meurt.  Le  cœur  continue  à battre  pendant  quelques  minutes. 

A 5h  10m,  on  tire  35ccdesang,  très-noir,  avec  une  sonde,  du  cœur  gau- 
che, qui  ne  bat  plus G. 

Il  n’y  a pas  d’urine  dans  la  vessie;  congestion  pulmonaire  très-forte. 

Sang  A (air,  pression  normale) O : 17,2;  CO2  : 22,5 

— B (oxyg.,  7 atm.,  1/4  de  pression) O : 50,1  ; CO2  : 72,3 

— G (après  la  mort) O : 1,4;  GO2  : 29,0 

L’air  du  sac  de  caoutchouc,  analysé  après  que  l’animal  a été  sorti  de 
l’appareil,  contenait  : O 74  pour  100  ; CO2  10  pour  100. 

Au  moment  où  l’on  a pris  le  sang  B,  la  tension  de  l’oxygène  devait  donc 
être  à peu  près  540,  équivalant  à 27  atmosphères. 

Expérience  CCLXXXVI1I.  — 24  janvier,  0=17°.  — Chien  bull-dog,  vigou- 
reux. 

50 


78(3 


EXPERIENCES. 


Temp.  rect.,  58°, 5. 

A 2h  50m,  j’extrais  55cc  de  sang  carotidien;  l’animal  respire  tranquille- 
ment, par  les  voies  naturelles A. 

Je  mets  un  tube  dans  la  trachée  ; les  respirations  s’accélèrent  beaucoup. 

A 2h  45m,  je  tire  55cc  de  sang B. 

A 5h  25m,  l’animal  est  placé  dans  l’appareil,  avec  le  sac  à.  air  suroxy- 
géné. 

A5h  45m,  la  pression  étant  de  4 atmosphères,  je  tire  41cc  de  sang.  C. 

A 4h  om,  la  pression  est  montée  à 0 5/4  atmosphères;  extraction  de 
57cc  de  sang D. 

A 4h  7,n,  décompression  en  5 minutes.  La  température  rectale  est  de 
57°;  l’animal  est  en  proie  à de  fortes  convulsions. 

A 4h  55'11,  la  température  rectale  est  abaissée  à 56°. 

A 4h  55m,  je  fais  respirer  du  chloroforme;  la  première  application  sus- 
cite des  convulsions,  qui  cessent  bientôt,  et  l’animal  devient  insensible  et 
en  résolution.  On  cesse  de  chloroformer  à 4h  45m.  Jusqu’à  5h  55m,  il  n’y  a 
plus  de  convulsions.  Elles  reparaissent  alors. 

L’animal  survit. 

Sang  A (air,  pression  normale,  respiration  par 

les  voies  naturelles) O : 16,0;  CO2  : 41,5 

B (air,  pression  normale,  respiration  tra- 
chéale)  O : 25,4;  CO2  : 15,2 

— C (oxyg.;  pression  4 atm.) O : 28,5;  GO2  : 08,5 

— D (oxyg.  ; pression  0 5/4) O : 50,7;  CO2  : 82,0 

Le  sac  où  avait  respiré  l’animal  contenant,  après  l’expérience,  74,5  p.  100 
d’oxygène  et  8,0  d’acide  carbonique,  on  peut  évaluer  à 500  la  tension  de 
l’oxygène  au  moment  où  a été  tiré  le  sang  G,  soit  15  atmosphères  d’air,  et 
à 510  au  moment  où  a été  tiré  le  sang  D,  soient  25  à 20  atmosphères. 

Expérience  CCLXXXIX.  — 28  janvier.  — - Ghiende  grande  taille,  à jeun 
depuis  le  27  au  malin. 

A 2h  55m,  je  tire  55cc  de  sang  carotidien,  médiocrement  rouge..  . A. 

j'en  mêle  quelques  centimètres  cubes  avec  de  l’eau  distillée,  pour  la  re- 
cherche du  sucre  (a).  La  température  rectale  est  58°. 

On  n’ouvre  pas  la  trachée,  mais  l’on  adapte  à ranimait  a muselière  repré- 
sentée fig.  57,  page  070,  et  à 5h  15m  on  le  place  dans  l’appareil  avec  le 
sac  à oxygène. 

A 5h  50111,  on  est  arrivé  à 0 5/4  atmosphères.  La  décompression  se  fait 
en  5 minutes. 

L’animal  est  en  pleines  convulsions  : raideurs  toniques,  convulsions 
cloniques.  Crises  excitables  à volonté. 

A 4h,  je  tire  pendant  les  convulsions  25cc  de  sang  carotidien  noir.  B. 

La  température  rectale  n’est  plus  que  de  56°, 5. 

A 4h  25m,  tiré  55cc  de  sang,  médiocrement  rouge;  il  vient  d'y  avoir  une 
crise G. 


AIU  COMPRIMÉ  : OXYGÈNE  SOUS  FORTE  TENSION.  787 

A 4h  501U,  la  température  n’est  plus  que  de  56°. 

A 5h  10m,  encore  55cc  de  sang,  plus  rouge;  les  convulsions  ont  cessé 
depuis  quelques  minutes D. 

L’animal  n’a  plus  de  convulsions  à 6h;  complètement  détaché  et  mis  à 
terre,  marche  comme  une  hyène,  le  train  postérieur  très-bas.  On  le  met 
de  côté  pour  avoir  ses  urines. 

Il  n’urine  que  le  lendemain  à 5h;  pas  de  sucre.  A ce  moment,  sa  tem- 
pérature est  montée  à 59°, 5. 

Le  sang  a,  bouilli  avec  du  charbon  animal,  ne  réduit  pas  la  liqueur  de 
Fehling. 

Au»  contraire,  un  mélange  des  sangs  B,  C,  D,  bouilli  semblablement, 
donne  une  réduction  très-considérable.  Une  partie  de  la  liqueur  incolore 
obtenue  par  l’ébullition  de  ce  sang  additionné  d’eau  et  mélangé  à beaucoup 
de  charbon,  étant  placée  à l’étuve,  avec  de  la  levure  de  bière,  dans  un  tube 
renversé  sur  le  mercure,  fermente  et  donne  un  gaz  qu’absorbe  la  potasse. 
Une  autre  partie,  mise  à froid  avec  de  la  liqueur  bleue,  la  décolore  et  pré- 
cipite. 


Le  sang  A (air,  pression  normale),  contenait.  . O : 1 G ,0  ; CO2  : 44,5 

— B (retour  à l’air,  convulsions) O : 9,7;  CO2  : 48,2 

— C (après  25,u  de  retour  à l’air) O : 15,9;  CO'2  : 10,5 

— D (après  lh  10m  de  retour  à l’air).  ...  O : 18,5;  CO2  : 19,0 


L’air  du  sac,  après  l’expérience,  contenait  61,5  d’oxygène  et  12,9  d’a- 
cide carbonique.  La  tension  de  l’oxygène  s’était  élevée  à peu  près  à 420, 
soit  21  atmosphères  d’air. 

Expérience  CCXC.  — 4 février.  — Chien  de  grande  taille,  n’ayant  pas 
mangé  depuis  le  5 au  matin.  Température  rectale,  57°, 5. 

A 5h  15m,  pris  à la  carotide  55cc  de  sang,  assez  rouge A, 

Une  petite  quantité  de  ce  sang  est  bouillie  avec  de  l’eau,  du  sulfate  de 
soude  et  du  charbon. 

L’animal,  muni  de  la  muselière  et  du  sac  d’oxygène,  et  mis  dans  l’ap- 
pareil à 4h. 

A 4h  40m,  je  décomprime  en  quelques  minutes  ; la  pression  était  arrivée 
à 7 1/2  atmosphères. 

L’animal  est  en  convulsions,  convulsions  excitables  ; sa  température  est 
56°  seulement. 

A 5h  20m,  tiré  55cc  de  sang1,  bien  rouge * B. 

L’animal  venait  d’avoir  des  convulsions,  et,  dans  l’intervalle,  il  respi- 
rait très-rapidement. 

A 5h  40m,  tiré  à nouveau  55cc  de  sang C. 

Les  convulsions  sont  alors  finies;  l’animal,  détaché,  ne  peut  marcher. 

Il  survit  ; l’urine  qu’il  rend  dans  la  nuit  ne  contient  pas  de  sucre  ; la 
salive,  très-abondante,  qui  se  trouvait  dans  la  muselière,  n’én  contenait  pas 
non  plus.  Au  contraire,  le  sang  B était  certainement  plus  riche  en  sucre 
que  le  sang  A. 


788  EXPÉRIENCES. 

Le  sang  A (avant  l’expérience)  contenait O : 18,7;  CO-  : 44,0 

— B (après,  pendant  les  convulsions). ...  O : 25,2  ; CO2  : 19,4 

— G (les  convulsions  finies) O : 20,5;  CO2  : 22,0 


L’air  du  sac,  après  l’expérience,  contenait  57,6  d’oxygène,  et  7,4  d’acide 
carbonique. 

La  tension  de  l’oxygène  était  donc  montée  environ  à 440,  soit  22  atmo- 
sphères. 

Expérience  CGXC1.  — 5 février.  — Chien  terrier,  de  moyenne  taille, 
à jeun  depuis  la  veille. 

Température  rectale,  59°, 5.  * 

A 5h,  mis  dans  l’appareil  avec  la  muselière  et  le  sac  à oxygène. 

A 5h  40,n,  est  arrivé  à 7 1/5  atmosphères. 

De  5h  40m  à 5h  45,n,  décomprimé. 

Est  en  pleines  convulsions,  avec  violents  claquements  de  dents.  Tempé- 
rature, 58°. 

Meurt  à 6h. 

L’air  du  sac,  après  l’expérience,  contenait  77,2  d’oxvgène  pour  100  et 
8 d’acide  carbonique. 

La  tension  de  l’oxygène  avait  été  d’environ  560,  correspondant  à 28  at- 
mosphères d’air. 

Expérience  CCXClï.  — 7 février.  — Chien  caniche  vigoureux. 

Température,  59°, 8. 

Pris  du  sang  à la  carotide  pour  la  recherche  du  sucre a. 

A 4h,  muselière  et  sac  d’oxygène  ; la  compression  commence. 

A 4h  4511',  la  pression  est  de  7 1/4  atmosphères;  on  décomprime  rapi- 
dement. Retiré,  a 2 ou  5 convulsions;  sa  température  est  58°;  il  meurt 
pendant  qu’on  lui  tire  un  peu  de  sang  artériel,  très-noir,  qui  est  traité  par 
le  sulfate  de  soude /3. 

a et  /3  sont  traités  de  la  même  manière,  avec  la  même  addition  d’eau, 
et  suivant  la  méthode  de  Cl.  Bernard.  Or,  5CC  du  liquide  filtré  fourni 
par  a ne  réduisent  que  10  gouttes  de  liqueur  bleue,  tandis  que  le  même 
volume  du  liquide  de  /3  en  réduit  15 |3. 

L’air  du  sac,  avant  l’expérience,  contenait  90  pour  100  d’oxygène.  Après 
l’expérience,  il  n’y  en  avait  plus  que  76,5  avec  10,7  d’acide  carbonique. 

La  tension  de  l’oxygène  s’était  donc  élevée  environ  à 600,  ce  qui  cor- 
respond à 50  atmosphères  d’air. 

Expérience  CCXCIII.  — 18  février.  — Chien  pesant  10k,  à jeun  depuis  le 
17  au  matin.  Température  rectale,  40°. 

A lh  50m,  je  lui  mets  un  tube  dans  la  trachée. 

A 2h,  sa  température  rectale  n’est  plus  que  de  59°, 8. 

De  2h  5m  à 2h  20m  (15m),  je  le  force  à inspirer  et  expirer  dans  un  sac  de 
caoutchouc  contenant  41 1 d’air  ; vers  la  fin,  l’animal  éprouve  une  certaine 
gêne  respiratoire,  fait  de  grandes  inspirations,  et  s’agite  un  peu.  J’appelle 
a l’air  de  ce  sac. 


789 


AIR  COMPRIMÉ  : OXYGÈNE  SOUS  FORTE  TENSION. 

A 2h  45m,  je  prends  25^r  de  sang1  de  la  carotide  et  le  mêle  avec  25»rde 

sulfate  de  soude  et  10gr  d’eau  distillée a. 

 2h  55m,  est  mis  dans  l’appareil  à compression,  avec  le  snc  à oxygène, 
dans  lequel  se  trouve  un  peu  d’eau  alcalinisée. 

A 3h  16ni,  est  arrivé  à 5 1/2  atmosphères  ; décomprimé  en  2m  et  demie. 
Le  chien  ne  présente  que  de  faibles  convulsions,  durant  à peine 
1/4  d’heure.  11  a salivé  très-abondamment;  sa  température  est  de  58°. 

A 3h  25m,  tiré  25^r  de  sang  carotidien  (/3),  qui  est  traité  comme  le 

sang «• 

A 3h  40m,  tiré  33cc  de  sang;  l’animal  respire  avec  calme  depuis  long- 
temps  A. 

De  oh  43m  à 3h  58m  (15  minutes),  je  fais  respirer  le  chien  dans  un  sac 
contenant  la  même  quantité  d’air  que  le  sac  a;  j’appelle  b cet  air.  L’ani- 
mal souffre  également  à la  fin  de  ce  séjour  respiratoire. 

A4h20m,  l’animal  étant  fort  tranquille,  je  lui  tire  33cc  de  sang  caro- 


tidien  B. 

A 4h  45m,  température  rectale,  36°, 5. 

A 6h,  tiré  33cc  de  sang C. 


Aussitôt  après,  sa  température  est  trouvée  de  37°. 

A 6h  15m, je  prends  encore  du  sang  que  je  traite  comme  a et  /3  (7). 

Température  rectale,  37°. 

J’ôte  la  canule  trachéale  ; le  chien  peut  marcher  un  peu.  A 7h10m,  sa 
température  est  remontée  à 39°.  Il  survit. 

L’air  du  sac  contenant,  avant  l’expérience,  90,8  pour  100  d’oxygène,  et 
après  l’expérience,  77,3  d’oxygène  et  8,4  d’acide  carbonique,  la  tension  a 
dû  s'élever  à 440,  soit  22  atmosphères  d’air.  ' 

Le  sang  A (22m  après  la  décompression)  conte- 
nait  O : 17,5;  CO2  : 20,0 

— B (lh  après  la  décompression)  contenait.  O : 17,2;  CO2  : 17,0 
— G (2h  40m  après  la  décompression)  con- 
tenait  . O : 16,3;  CO2  : 26,5 

Les  liquides  produits  par  l’ébullition  des  sangs  a,  (3,7,  donnent  les  résul- 
tats suivants  : 

5CC  du  liquide  fourni  par  a (avant  la  compression)  décolorent  15  gout- 
tes de  liqueur  bleue. 

5CC  du  liquide  fourni  par  /3  (10m  après  la  décompression)  décolorent 
35  gouttes  de  liqueur  bleue. 

5CC  du  liquide  fourni  par  7 (3h  après  la  décompression)  décolorent 
15  gouttes  de  liqueur  bleue. 

Les  analyses  de  airs  a et  b montrent  que  : 

1°  En  a , le  chien,  avant  la  compression  oxygénée,  a consommé,  en  15"*, 
4',89  d’O,  et  produit  21, 99  de  CO2;  soient  en  une  heure  15l,56  d’O.  et 
9*,98  de  CO2. 

2°  En  6,  le  chien,  après  la  compression,  n’a  consommé,  en  25m,  que 


790 


EXPERIENCES. 


o*,57  d’O,  et  produit  seulement  \ ‘,88  de  CO2;  soient  en  une  heure  8*,88 
dU  et  4*, 51  de  CO2. 

Expérience  CCXC1V.  — 25  février.  — Chienne  épagneule  forte. 

Température  rectale,  59°. 

A 2'1  15U1,  je  lui  mets  un  tube  dans  la  trachée;  les  respirations  devien- 
nent très-rapides,  110;  il  y a 120  pulsations. 

A 2h  40m , pris  à la  carotide  25ër  de  sang,  qui  sont  traités  comme  à l’ha- 
bitude pour  la  recherche  du  sucre a. 

A 2h  40m,  la  température  rectale  est  58°.  La  respiration  se  calme,  et 
tombe  à 40  par  minute. 

De  2h  45m  à 5h  (15m),  l’animal  respire  dans  un  sac  clos,  contenant 
4 7 1 , 1 4 d’air.  Les  respirations,  calmes  d’abord,  deviennent  gênées  au  bout 
de  7 à 8m.  J’appelle  a l’air  de  ce  sac. 

A 5h  45m,  la  température  rectale  est  toujours  58°. 

A 5h  15m,  mis  dans  l’appareil,  avec  sac  à oxygène. 

A 5h  40m,  arrivé  à 6 5/4  atmosphères,  décomprimé  brusquement.  Est  en 
convulsions,  assez  fortes.  Écume  blanche  très-abondante  à la  gueule. 

Température  rectale,  57°. 

A 5h  45m,  tiré  un  peu  de  sang  pour  recherche  du  sucre;  l’animal  est  en 
convulsions |3. 

A 4h,  l’animal  est  calme;  14  respirations,  00  pulsations. 

De  4h  12m  à 4*‘  27m  (15m),  mis  à respirer  dans  la  même  quantité  d’air 
pur  que  ci-dessus  (b).  Les  respirations  restent  calmes  tout  le  temps. 

A 5h,  température  rectale  encore  57°.  L’animal  mis  à terre  marche  assez 
bien.  Il  survit. 

L’air  du  sac  à oxygène  contenait  au  début  de  l’expérience  86,4  d’oxy- 
gène; à la  fin,  il  n’en  contenait  plus  que  68,1  avec  10,4  pour  100  d’acide 
carbonique.  La  tension  de  l’oxygène  avait  donc  dû  s'élever  à environ  460, 
soit  25  atmosphères. 

Le  liquide  fourni  par  le  sang  a décolore,  par  5CC,  entre  10  et  15  gouttes 
de  liqueur  bleue;  celui  du  sang  (3  en  décolore  entre  15  et  20. 

Quant  à la  consommation  d’oxygène,  elle  a été  dans  l’expérience  a de 
3*,95,  et  dans  l’expérience  b elle  est  tombée  à 21,15.  La  production  d’acide 
carbonique  a baissé  également  de  2*,41  à 1*599. 

Expérience  CCXCV.  — 24  février.  — Chienne  pesant  17k. 

2h  55m  ; respiration  par  les  voies  naturelles,  calme;  température  vagi- 
nale, 40°.  Je  tire  55cc  de  sang  carotidien A. 

5h  12m,  je  mets  un  tube  dans  la  trachée;  respirations  rapides;  puis,  je 
fais  une  saignée  artérielle  de  500sr. 

5h  47m,  pris  25cc  de  sang  (0  = 59°) B. 

De  4h  10m  à 4b  40m,mise  dans  l’appareil  avec  un  sac  contenant  de  l’air  à 
95  pour  100  d'oxygène.  La  pression  monte  à 6 5/4  atmosphères. 

Décomprimée  brusquement,  trouvée  morte,  flasque,  0 — 57°. 

La  tension  de  l’oxygène  était  montée  à environ  580,  soit  29  atmosphè- 
res d’air. 


AIR  COMPRIMÉ  : OXYGÈNE  SOUS  FORTE  TENSION. 


791 


A (respir.  nat.) 17,0  d’oxyg.  et  58,5  de  CO2. 

B (respir.  traclr,  forte  saignée), . . . 16,5  — 14,4  — 

Expérience  CCXCVI.  — - 25  février.  — Chien  pesant  15k. 

Pendant  qu’il  respire  par  les  voies  naturelles,  je  lui  tire  55cc  de  sang 
carotidien A. 

Sa  température  rectale  est  40°. 

Je  lui  mets  ensuite  un  tube  dans  la  trachée,  et  lui  extrais  en  une  heure 
400cc  de  sang  artériel.  Il  ne  fait  pas  de  respirations  extraordinaires  et 
rapides,  mais  sa  température  s’abaisse  à 37°, 5 ; je  prends  les  derniers  35cc 
de  sang  pour  l’analyser B. 

Porté  de  5h  45m  à 4h  40m  à la  pression  de  6 atmosphères  1/2,  avec  un 
sac  contenant  de  l’air  à 90  pour  100  d’oxygène. 

Betiré  en  pleines  convulsions,  excitables  par  l’introduction  du  thermo- 
mètre dans  le  rectum.  6 = 56°. 

Les  convulsions  continuent,  et  ranimai  meurt  dans  la  nuit. 

La  tension  de  l’oxygène  devait  être  au  maximum  de  520  environ,  cor- 
respondant à 26  atmosphères  d’air. 

A (respiration  naturelle) 19,0  d’O.,  et  42,0  de  CO2. 

B (respiration  trachéale,  forte  saignée).  15,1  — 15,2  — 

Expérience  CCXCVII.  — 24  mai  1874.  — Expérience  faite  devant  la  com- 
mission de  l’Académie  des  Sciences. 

Chienne  de  moyenne  taille.  Tube  dans  la  trachée.  Sac  à oxygène. 

On  la  comprime  à 7 atmosphères.  A ce  moment  (5h  1/2),  on  prend  35ce 
de  sang  carotidien,  où  se  dégagent  quelques  gaz  libres.  Ce  sang  contient 
35cc,2  d’oxygène  pour  100cc  de  sang,  76  d’acide  carbonique,  et  6,6  d’azote. 

On  décomprime  brusquement,  à 5h55m;  l’animal  n’a  pas  de  convul- 
sions. Un  quart  d’heure  après,  celles-ci  surviennent  par  crises , et  sont 
excitables  ; à de  certains  moments,  la  chienne  devient  raide  comme  du 
bois. 

On  la  chloroformise  ; les  convulsions  s’arrêtent  pour  reparaître  quand 
revient  la  sensibilité. 

A 6h  1/2,  couchée  sur  le  Banc,  fait  d’une  manière  continue  Je  geste  de 
marcher  avec  les  deux  pattes  antérieures. 

A 7hl/2,  encore  des  raideurs. 

Le  lendemain,  à midi,  ces  raideurs  persistent.  L’animal  est  resté  toute 
la  nuit  couché  sur  le  sol,  sans  avoir  bougé  de  place.  L’œil  est  insensible, 
la  pupille  ne  revient  pas  à la  lumière  ; la  température  rectale  est  de  25°, 
celle  du  cabinet  étant  de  19°. 

La  chienne  meurt  dans  la  journée. 

J’espère  que  le  lecteur  ne  me  reprochera  pas  cette  longue 
série  de  descriptions.  Les  phénomènes  que  j’étudie  en  ce 
moment  m’ont  paru  assez  importants  pour  qu’il  fût  néces- 
saire d’en  donner  par  le  détail  des  exemples  nombreux.  Les 


TABLEAU  XV. 


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07.  I » ! » I » I 17,0 


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794 


EXPERIENCES. 


questions  qui  se  présentent  devant  nous  sont  multiples. 
Nous  voici  maintenant  suffisamment  informés  pour  les  ré- 
soudre presque  toutes. 

Mais  il  est  bon,  tout  d’abord,  de  dresser,  selon  notre  habi- 
tude, un  tableau  (tableau  XV)  qui  résume  les  résultats  prin- 
cipaux des  faits  que  nous  venons  de  rapporter.  J’y  ai  classé 
les  expériences  d’après  le  degré  croissant  de  la  tension  de 
l’oxygène,  tension  qui  est  exprimée  dans  la  colonne  4 par  sa 
valeur  réelle,  et  que  la  colonne  5 traduit  en  équivalence 
d’atmosphères. 

Nous  sommes  en  situation  maintenant  de  faire  une  des- 
cription complète  des  effets  funestes  de  l’oxygène,  d’en  dé- 
crire les  symptômes,  et  même  de  pénétrer  dans  le  mécanisme 
de  l’empoisonnement. 

Occupons-nous  d’abord  des  doses. 

Les  accidents  convulsifs,  comme  nous  le  montrent  les  co- 
lonnes 5 et  10  du  tableau,  n’ont  apparu  d’une  manière  nette 
qu’aux  environs  de  19  atmosphères.  Les  chiens  sembleraient 
donc  un  peu  moins  sensibles  que  les  oiseaux,  à comparer  ce 
résultat  à celui  du  tableau  de  la  page  769.  Gela  n’aurait  rien 
d’étonnant,  mais  cependant  je  ne  fais  nulle  difficulté  de  dé- 
clarer que,  sur  ce  point,  mes  expériences  ne  fournissent  pas 
de  renseignements  suffisamment  précis. 

Je  puis  seulement  dire  que  la  durée  de  la  compression  est 
pour  beaucoup  dans  l’intensité  des  manifestations  de  l’em- 
poisonnement par  l’oxvgène.  Je  les  ai  vues  survenir  quelque- 
fois pour  des  pressions  dépassant  à peine  10  atmosphères 
d’air,  et  aller  jusqu’à  entraîner  la  mort.  Voici,  par  exemple, 
trois  expériences  : 

Expérience  CCXCV11I.  — 26  avril.  — Un  lapin  et  deux  moineaux  sont 
placés  dans  le  grand  récipient  à air  comprimé. 

De  lh  45m  à 2h  45m,  on  amène  la  pression  à 10  atmosphères. 

Vers  5h,  en  regardant  à travers  les  vitres  de  l’appareil,  on  voit  que  les 
animaux  sont  morts. 

Expérience  CGXC1X.  — ■ 50  avril.  — Chien  pesant  4k,500.  Est  mis  à 
9h  45m,  libre,  dans  le  grand  récipient. 

La  pression  est  poussée  à 10  atmosphères;  elle  y arrive  à 10h50m;  on 


795 


AIR  COMPRIMÉ  : OXYGÈNE  SOUS  FORTE  TENSION. 

ouvre  alors  le  pelit  robinet  de  dégagement,  de  manière  à entretenir  un 
courant  d’air  sous  10  atmosphères;  la  pression  monte  même  à 11  atmo- 
sphères, à 10h45m;  à ce  moment,  on  regarde  à travers  les  hublots,  et  l’on 
voit  le  chien  renversé  sur  le  dos,  avec  des  espèces  de  convulsions.  On  ra- 
mène la  pression  à 10,  et  presque  aussitôt  l’animal  revient  à lui,  se  remet 
sur  ses  pattes  et  aboie  en  désespéré. 

A midi,  la  pression  est  toujours  de  10  atmosphères;  le  chien  est  resté 
debout  et  se  met  à aboyer  avec  fureur  quand  on  approche  de  l’appareil. 

Le  courant  d’air  sous  pression  est  entretenu. 

A 2b15m,  l’animal  est  couché,  s’agitant  demi-convulsivement. 

11  meurt  à 5h;  comme  on  a fermé  le  robinet  depuis  quelque  temps,  on 
prend  un  échantillon  d’air,  qui  se  montre  sensiblement  pur  (019,8  ; CO2 
0,4). 

Expérience  CGC.  — 15  février.  — Deux  moineaux  friquets  sont  main- 
tenus, de  1 1 h 30m  à 5h50m,  sous  une  pression  d’air  qui  varie  de  8 1/2  à 
9 1/2  atmosphères  : courant  d’air  continu. 

L’un  d’eux  (A)  donne,  au  bout  de  quelques  heures  de  séjour,  des  signes 
de  malaise  qui  vont  croissant. 

Décompression  très-lente.  A est  affaissé,  présente  des  mouvements  con- 
vulsifs des  ailes,  des  pattes,  de  la  queue;  sa  température,  qui  était  de  41° 
au  début,  n’est  que  de  55°, 8.  A 7h  du  soir,  il  a encore  des  mouvements 
convulsifs,  s’appuie  en  arrière  sur  sa  queue. 

L’autre  moineau  paraît  assez  bien  portant.  Sa  température  est  de  59°. 

Tous  deux  meurent  dans  la  nuit. 

Je  n’insiste  pas  sur  ces  dernières  expériences.  Pour  nous  en 
tenir  à celles  qui  sont  résumées  au  tableau  XY,  nous  voyons 
que  si,  pour  les  compressions  de  peu  de  durée,  les  convulsions 
commencent  à apparaître  avec  une  tension  de  l’oxygène  un 
peu  inférieure  à la  valeur  de  19  atmosphères  d’air,  elles  sont 
énergiques  et  constantes  au-dessus  de  20  atmosphères,  et 
entraînent  toujours  une  mort  des  plus  rapides,  au-dessus  de 
27  atmosphères.  Dans  la  seule  expérience  (exp.  CCLXXX1II) 
où  la  tension  de  l’oxygène  se  soit  élevée  jusqu’à  la  valeur  de 
o 5 atmosphères,  l’animal  était  déjà  mort  lorsqu’on  l’a  retiré 
de  l’appareil. 

Considérons,  maintenant,  la  richesse  du  sang  artériel  en 
oxygène,  telle  que  nous  la  présente  la  colonne  7 du  tableau. 
Nous  y trouvons  d’assez  grandes  différences.  Tandis,  par 
exemple,  que  dans  l’expérience  CCLXXXI,  la  proportion  d’oxy- 
gène s’étant  élevée  de  14,9  à 52,5,  l’animal,  bien  que  pris  de 


796 


EXPÉRIENCES. 


violentes  convulsions,  a survécu,  nous  vovons  le  chien  de  fex- 
périence  CCLXXXVII  périr  en  20  minutes,  sans  avoir  eu  dans 
le  sang  plus  de  30,1  d’oxygène,  la  proportion  initiale  étant 
17,2.  Tous  les  résultats  montrent  qu’il  serait  impossible  de 
fixer  d’une  manière  exacte,  soit  la  quantité  absolue  d’oxygène 
avec  laquelle  arrivent  les  convulsions  et  la  mort,  soit  son  aug- 
mentation proportionnelle.  Cependant,  toutes  les  fois  que 
l’animal  a succombé,  la  quantité  d’oxygène  avait  toujours 
dépassé  50  volumes  par  100  volumes  de  sang. 

Cette  augmentation  est,  on  le  voit,  bien  peu  de  chose,  puis- 
qu’elle oscille  entre  le  tiers  ou  moitié  en  sus  de  celle  qui 
existait  normalement. 

Si,  pour  en  examiner  avec  plus  de  fruit  la  marche  générale, 
nous  exprimons  par  des  tracés,  suivant  nos  conventions  habi- 
tuelles, les  résultats  contenus  à la  colonne  7,  nous  obtenons 
la  figure  60.  Les  variations  multiples  que  nous  avons  signa- 
lées se  traduisent  ici  avec  la  plus  grande  évidence. 

Que  si  nous  faisons  exécuter  à toutes  ces  lignes  un  mou- 
vement de  glissement  dans  le  sens  vertical,  qui  amène  leur 
origine,  à toutes,  à coïncider  avec  le  nombre  20,  et  si  nous 
prenons  la  moyenne  des  divers  points  correspondant  à peu 
près  à la  même  pression,  nous  obtenons,  en  définitive,  une 

ligne d’une  remarquable  régularité,  c’est-à- 

dire  une  ligne  droite. 

Ainsi,  sur  l’animal  vivant,  se  trouvent  confirmées  les  expé- 
riences in  vitro  comprises  au  sous-chapitre  Y du  chapitre  II  : 
à partir  d’une  atmosphère,  il  ne  s’ajoute  au  sang  que  de 
l’oxygène  simplement  dissous. 

C’est  un  fait  fort  digne  de  remarque  que  les  convulsions 
peuvent  apparaître  avec  une  richesse  oxygénée  du  sang  que 
présentent  parfois  des  animaux  sains,  ou  à laquelle  ils  peu- 
vent presque  atteindre,  à la  suite  de  respirations  rapides.  On 
voit  d’abord  par  là  que  ce  n’est  pas  la  proportion  d’oxygène 
contenue  dans  le  sang  qui  est  par  elle-même  dangereuse; 
on  voit  ensuite  que  l’augmentation  même  de  cette  proportion, 
fût-ce  à un  degré  élevé,  ne  constitue  pas  le  danger.  Il  faut  que 
cette  augmentation  soit  permanente,  qu’elle  soit  le  résultat, 


AIR  COMPRIME  : OXYGÈNE  SOUS  FORTE  TENSION. 


797 


non  d’une  saturation  meilleure  des  globules  sous  l'influence 


Fig.  GO.  — Chiens  empoisonnés  par  l’oxygène  : richesse  croissante  en  oxygène 

de  leur  sang  artériel. 


d’une  aération  plus  parfaite*  saturation  que  Paction  réductrice 
des  tissus  ramène  aussitôt  au  degré  normal,  mais  bien  d*une 


798 


EXPÉRIENCES. 


saturation  due  à ce  que  les  tissus  sont  eux-mêmes  saturés 
d’oxygène  et  en  équilibre  avec  le  sang. 

C’est  pour  cette  raison  que  les  convulsions  ne  surviennent 
qu’après  quelque  temps  de  compression.  Il  faut  que  les  tissus 
soient  imprégnés  de  l’oxygène  en  surcroît  que  leur  apporte  et 
leur  cède  incessamment  le  sang  qui  s’en  surcharge  dans  les 
poumons. 

J’avais  dû,  au  début  de  ces  expériences,  me  demander  sî 
le  sang  n’était  pas  directement  altéré  par  l’excès  de  l’oxygène, 
et  ne  devenait  pas  ainsi  la  cause  des  phénomènes  convulsifs. 
L’inspection  des  globules  au  microscope  ne  m’y  montrait,  il 
est  vrai,  aucune  altération  de  formes  ni  de  dimensions; 
mais  cela  ne  me  suffisait  pas.  Je  résolus  alors  d’injecter  dans 
un  chien  sain  du  sang  qui  aurait  été  fortement  suroxygéné. 
C’est  ce  que  je  fis  dans  les  expériences  suivantes  : 


Expérience  CCCI.  — 50  juin.  — Sang  de  chien  défibriné,  agité  dans 
l’appareil  figuré  à la  page  097,  sous  la  pression  de  1 0 atmosphères  d’air  à 65 
pour  100  d’oxygène.  On  chasse  ensuite  l’excès  de  gaz  en  tournant  en  fronde, 
au  bout  d’une  corde,  le  flacon  où  est  le  sang.  Il  contient  alors  24  volumes 
d’oxygène  pour  100  volumes  de  sang.  J’en  injecte  200cc  dans  la  veine  fé- 
morale d’une  chienne  de  6k. 

Aucun  accident,  et  même  aucun  malaise  apparent. 

Expérience CCCll.  — 25  juillet.  — Sang  de  chien  défibriné;  traité  comme 
le  précédent  à 10  atmosphères  suroxygénées;  il  contient  54  volumes 
d’oxygène. 

Je  saigne  à la  carotide  un  petit  chien  pesant  1640gr;  je  lui  retire  20ccde 
sang  très-rouge  (ce  sang  se  caille  avec  une  rapidité  extraordinaire),  mais 
ne  contenant  que  7,5  d'oxygène,  avec  55  d’acide  carbonique  ; la  pression 
artérielle  était  15e. 

Je  lui  injecte  dans  la  veine  jugulaire  55cc  du  sang  sursaturé  d’oxygène, 
qui  a été  agité  en  fronde* 

Aucun  effet* 

Expérience  CCGJII.  — 10  août.  — Sang  de  chien  défibriné,  traité  comme 
ci-dessus,  à 10  atmosphères  suroxygénées  ; contenait  55  volumes  d’oxy- 
gène. 

Petit  chien  pesant  2085^^  : température  rectale,  56°;  pulsations,  160; 
respirations,  50.  Je  lui  retire  100cc  de  sang,  il  devient  très-faible;  sa  tem- 
pérature tombe  à 54°, 5 ; pulsations,  128;  respirations,  50. 

Je  lui  injecte  alors  dans  la  jugulaire  110cc  du  sang  suroxygéné  ; aussitôt 
l’animal  se  ranime,  et,  mis  à terre,  semble  seulement  un  peu  faible. 

Aucun  effet  consécutif 


AIR  COMPRIMÉ  : OXYGÈNE  SOUS  FORTE  TENSION.  799 

Ainsi,  dans  des  conditions  de  compression,  c’est-à-dire  de 
saturation  oxygénée,  égales  et  même  supérieures  à celles  qui 
occasionnaient  la  mort,  le  sang  n’a  acquis  aucune  qualité 
redoutable,  et  peut  être  substitué  impunément,  dans  une 
proportion  très-forte  (19  du  poids  du  corps),  au  sang  d’un  autre 
animal.  Il  faut  ajouter  que  l’agitation  dans  l’oxygène  com- 
primé n’avait  duré  que  très-peu  de  temps,  moins  d’une  heure. 
Nous  verrons  au  sous-chapitre  III  du  chapitre  VI  d’autres  ex- 
périences faites  à un  autre  point  de  vue  avec  du  sang  agité 
pendant  plusieurs  heures  avec  l’oxvgène  comprimé. 

Mais  arrivons  à la  description  de  l’attaque  convulsive  elle- 
même.  Elle  est  vraiment  curieuse  et  effrayante. 

Prenons  un  cas  de  moyenne  intensité  : Lorsqu’on  retire 
l’animal  de  l’appareil,  il  est  généralement  en  pleine  convul- 
sion tonique  ; les  quatre  pattes  sont  roidies , le  tronc  est  re- 
courbé en  arrière  ou  un  peu  sur  le  côté,  les  yeux  sont  sail- 
lants, la  pupille  dilatée,  les  mâchoires  serrées.  L’examen 
ophthalmoscopique  montre  une  forte  injection  du  fond  de 
l’œil.  Bientôt  survient  une  sorte  de  relâchement  auquel  suc- 
cède une  nouvelle  crise  de  roideurs  avec  convulsions  cloni- 
ques ressemblant  à la  fois  à une  crise  strychnique  et  à une 
attaque  de  tétanos.  Ces  crises,  pendant  les  intervalles  des- 
quelles le  chien  ne  se  relâche  pas  complètement,  mais  reste 
en  opisthotonos,  respirant  avec  une  grande  difficulté,  sus- 
pendent la  respiration,  le  cœur  continuant  toujours  à battre, 
quoique  souvent  avec  une  étonnante  lenteur;  la  pression 
artérielle  s’abaisse  considérablement.  La  sensibilité  reste 
conservée,  et  l’on  peut,  en  la  mettant  en  jeu,  exciter  de  nou- 
velles convulsions.  Après  quelque  temps,  ces  périodes  con- 
vulsives, qui  apparaissaient  d’abord  toutes  les  cinq  ou  six  mi- 
nutes, deviennent  plus  rares,  puis  moins  violentes  ; la  roideur 
diminue  dans  les  intervalles,  et  finalement  tout  disparaît  au 
bout  de  quelques  minutes,  ou  au  plus  de  quelques  heures. 

Dans  les  cas  plus  légers,  au  lieu  d’attaques  tellement  vio- 
lentes qu’on  peut  soulever  F animal  par  une  seule  patte , roide 
comme  un  morceau  de  bois , ainsi  que  le  montre  la  figure  61, 
on  observe  des  mouvements  désordonnés,  des  convulsions 


800 


EXPÉRIENCES 


locales,  des  phénomènes,  en  un  mot,  qui  ressemblent  beau- 
coup à ceux  de  rempoisonnement  par  l’acide  phénique.  On 
voit  parfois  alors  des  actes  qui  semblent  indiquer  un  certain 
désordre  intellectuel. 


Fig.  01.  — Chien  pendant  les  convulsions  toniques  de  l’empoisonnement  par  l'oxygêno. 


Dans  les  cas  très-graves,  au  contraire,  la  roideur  est  conti- 
nuelle, avec  quelques  redoublements  cloniques  de  temps  à 
autre;  les  dents  grincent  et  se  serrent  jusqu’à  paraître  près 
de  se  briser,  et  la  mort  peut  survenir  après  une  ou  deux 
crises,  dans  le  laps  de  quelques  minutes.  On  trouve  alors  le 


801 


AIR  COMPRIMÉ  : OXYGÈNE  SOUS  FORTE  TENSION. 

sang  rouge,  même  dans  le  système  porte  ; puis  il  noircit. 
Alors  que  l'animal  ne  fait  plus  aucun  mouvement,  le  cœur 
continue  à battre  encore  pendant  quelques  minutes.  D’autres 
fois,  comme  dans  les  expériences  CCLXXV1II  et  CCXCVII,  les 
convulsions  durent  près  de  24  heures  avant  de  se  terminer 
par  la  mort. 

On  ne  trouve  ni  congestions,  ni  ecchymoses,  dans  les  pou- 
mons et  dans  les  centres  nerveux.  Seulement,  d’une  manière 
constante,  chez  les  moineaux,  on  voit  le  diploé  crânien  rem- 
pli d’un  épanchement  en  piqueté,  en  taches  plus  ou  moins 
grandes,  ou  même  en  nappe,  envahissant  toute  la  région  occi- 
pitale, et,  dans  les  cas  les  plus  violents,  toute  l’étendue  du 
crâne.  Ces  suffusions  sanguines,  dont  le  mécanisme  ne  me 
paraît  point  facile  à expliquer,  sont  constantes  dans  l’empoi- 
sonnement par  l’oxygène.  Elles  arrivent  bien  avant  le  moment 
de  la  mort.  Mais  elles  ne  sont  pas  spéciales  à ce  genre  de 
mort,  et  dans  les  expériences  qui  précèdent  on  les  trouve  si- 
gnalées, même  dans  l’asphvxie  simple,  sous  diminution  de 
pression  (voy.  p.  748  et  749). 

La  vue  seule  des  symptômes  que  nous  venons  de  décrire 
semble  indiquer  que  l’action  toxique  produit  son  effet  sur  les 
centres  nerveux,  comme  le  font  la  strychnine,  l’acide  phé- 
nique  et  autres  poisons  convulsivants.  Cette  présomption  est 
corroborée  par  ce  fait  que  les  inhalations  de  chloroforme 
arrêtent  momentanément  les  convulsions,  qui  reparaissent 
quand  a disparu  l’anesthésie.  Rappelons  enfin  que,  d’après 
nos  expériences  sur  les  grenouilles,  le  membre  postérieur 
dont  on  a coupé  le  nerf  sciatique  ne  présente  pas  de  convul- 
sions dans  les  muscles  animés  par  ce  nerf. 

Je  puis  donc  reproduire  ici,  pour  résumer  tous  ces  faits, 
les  conclusions  de  la  note  que  j’ai  eu  l’honneur  de  présenter 
sur  ce  sujet  à l’Académie  des  Sciences,  le  17  février  1875. 

« 1°  L’oxygène  se  comporte  comme  un  poison  rapidement 
mortel,  lorsque  sa  quantité  dans  le  sang  artériel  s’élève  â 
environ  55  centimètres  cubes  par  100  centimètres  cubes  de 
liquide  ; 

« 2°  L’empoisonnement  est  caractérisé  par  des  convulsions 

51 


802 


EXPÉRIENCES. 


qui  représentent,  suivant  l’intensité  des  accidents,  les  divers 
types  du  tétanos,  de  la  strychnine,  de  l’acide  phénique,  de 
l’épilepsie,  etc.; 

» 5°  Ces  accidents,  que  calme  le  chloroforme,  sont  dus  à 
une  exagération  du  pouvoir  excito-moteur  de  la  moelle  épi- 
nière ; 

» 4°  Ils  s’accompagnent  d’une  diminution  considérable  et 
constante  de  la  température  interne.  » 

C’est  sur  ce  dernier  point,  laissé  volontairement  de  côté 
jusqu’ici,  que  je  vais  insister  maintenant. 

g 2.  — De  la  diminution  des  oxydations  par  l’empoisonnement 

d’oxygène. 

Lorsque  je  vis  pour  la  première  fois,  sous  l’influence 
de  l’oxygène  condensé,  un  moineau  s’agiter  dans  des  con- 
vulsions violentes,  je  m’imaginai  d’abord  que  les  oxyda- 
tions intra-organiques  avaient  été  chez  cet  animal  tellement 
surexcitées,  qu’il  périssait  pour  se  brûler  trop  vite,  produi- 
sant ainsi  une  quantité  de  chaleur  exagérée,  qui  peut-être  de- 
venait elle-même  la  cause  directe  de  la  mort.  Je  pensai  donc 
que  le  thermomètre  me  montrerait  une  élévation  de  la  tem- 
pérature propre  de  l’animal.  Grande  fut  ma  surprise  lorsque 
je  constatai  un  résultat  absolument  opposé. 

En  effet,  dans  toutes  les  expériences,  comme  le  montrent 
les  nombres  inscrits  à la  colonne  5 du  tableau  XIV  (p.  769), 
et  à la  colonne  9 du  tableau  XV  (p.  791),  la  température  des 
animaux  en  expérience  s’est  abaissée  notablement,  avant  et 
pendant  les  convulsions  dues  à l’oxygène. 

Dès  le  début  de  l’empoisonnement,  quand  commençaient 
seulement  à apparaître  les  phénomènes  convulsifs,  la  tempé- 
rature a baissé  (expériences  CCLXI,  CCLXII,  CCLXV1I).  Pen- 
dant les  convulsions,  elle  diminue  encore,  et  quand  celles-ci 
doivent  se  terminer  par  la  mort,  elle  atteint  des  chiffres  très- 
bas  (expériences  CCXCIII,  CCIXXXI,  CCLXXV1II,  CGXGVI1), 
surtout  chez  les  oiseaux,  où  elle  descend  au-dessous  de  50, 


AIR  COMPRIMÉ  : OXYGÈNE  SOUS  FORTE  TENSION.  803 

et  quelquefois  même  (expérience  CXXXVII,  p.  602)  au-des- 
sous de  20  degrés. 

Si,  au  contraire,  l’animal  doit  survivre,  sa  température 
remonte  et  revient  en  quelques  heures  à sa  valeur  normale 
(expériences  CCLX,  CCLXII,  CCLXYII,  CGLXXXIX,  CGXCIII). 

G’estdonc  un  fait  bien  solidement  établi,  que  l’excès  d’oxy- 
génation de  l’organisme  a pour  conséquence  une  diminution 
d’intensité  dans  les  actes  chimiques  qui  produisent  la  chaleur 
animale. 

Si  l’abaissement  de  la  température  du  corps  nous  a donné 
de  ce  fait  étrange  une  démonstration  certaine  bien  qu’indi- 
recte, nous  devons  en  trouver  la  preuve  directe  en  examinant 
soit  l’absorption  de  l’oxygène,  soit  les  deux  excrétions  impor- 
tantes de  l’urée  et  de  l’acide  carbonique. 

Échange  pulmonaire.  — Parlons  d’abord  de  la  consomma- 
tion d’oxygène  et  de  la  production  d’acide  carbonique,  qui 
se  mesurent  par  une  même  expérience. 

Les  expériences  rapportées  au  chapitre  Ier  sur  les  oiseaux 
morts  dans  l’air  confiné  et  comprimé  montrent  bien  que  ces 
deux  phénomènes  ont  diminué  d’intensité  pendant  la  com- 
pression. Mais  il  n’est  possible  d’en  rien  conclure,  parce  que 
l’acide  carbonique  qui  s’emmagasine  dans  les  tissus  de  l’ani- 
mal vient  ajouter  son  action  à celle  de  l’oxygène,  et  nous 
verrons  dans  le  chapitre  VIII  que  l’acide  carbonique,  lui 
aussi,  diminue  les  oxydations. 

Quant  aux  expériences  exposées  dans  le  présent  chapitre, 
elles  ne  peuvent  non  plus  rien  fournir  pour  ce  qui  se  passe 
pendant  la  compression  même. 

J’ai  donc  dû  instituer  des  expériences  spéciales;  malheu- 
reusement, le  problème  présentait  des  difficultés  plus  graves 
qu’on  ne  pouvait  le  supposer  au  premier  abord. 

En  agissant  sur  des  animaux  maintenus  en  vases  clos , 
comme  l’idée  devait  en  venir  de  suite,  il  fallait,  pour  la  rai- 
son qui  vient  d’être  indiquée,  éliminer  l’acide  carbonique  et 
s’en  tenir  à la  mesure  de  l’oxygène  consommé.  Or,  sous  l’in- 
fluence de  la  pression,  il  doit  se  dissoudre,  dans  le  corps 
même  de  l’animal,  une  certaine  quantité  d’oxygène  qu’il  est 


804 


EXPÉRIENCES. 


impossible  d’estimer  et  de  défalquer  du  chiffre  total  de  l’oxy- 
gène disparu. 

Ce  n’est  pas  tout.  Dans  les  nombreuses  expériences  que  j’ai 
tentées  par  cette  méthode,  j’avais  soin  d’agir  toujours  com- 
parativement, de  mettre  simultanément  deux  animaux  iden- 
tiques, l’un  sous  une  cloche  de  capacité  connue  à la  pression 
normale,  l’autre  dans  un  récipient  à compression  à une  pres- 
sion déterminée,  en  présence  d’une  solution  de  potasse  qui 
absorbait  l’acide  carbonique  au  fur  et  à mesure  de  sa  forma- 
tion. Un  certain  temps  écoulé,  je  faisais  l’analyse  des  deux 
airs,  et  je  pouvais  aisément  déduire  la  quantité  d’oxygène 
absorbé  par  chacun  des  deux  animaux  pendant  une  certaine 
unité  de  temps.  Malheureusement,  les  analyses  centésimales 
faites  nécessairement  sur  un  petit  volume  prélevé  sur  la  masse 
tolale  de  l’air  en  expérience,  doivent  être  multipliées  par 
cette  masse,  alin  d’obtenir  la  consommation  totale,  et  les 
causes  d’erreur  d’ordre  chimique  ou  physiologique  prennent 
alors  une  valeur  telle  qu’elles  dépassent  les  différences  con- 
statées entre  les  deux  analyses. 

11  a donc  fallu  renoncer  complètement  à ce  mode  d’expéri- 
mentation. J’en  ai  employé  deux  autres,  qui  ne  prêtent  pas  à 
la  même  critique. 

Le  premier  est  un  peu  indirect.  Il  consiste  à comparer  la 
quantité  d’acide  carbonique  rendu  par  le  même  animal  placé 
successivement,  en  vase  clos,  dans  l’air  ordinaire  ou  dans  un 
air  suroxygéné,  à un  même  degré  de  compression.  L’action 
spéciale  de  l’acide  carbonique  se  trouve  ainsi  éliminée,  parce 
qu’elle  est  sensiblement  la  même  dans  les  deux  cas.  Voici 
les  détails  d’une  expérience  ainsi  conduite  : 

Expérience  CCCIV.  — Rat  albinos.  Température  rectale,  58°. 

10  mai.  Placé  de  4h  5m  à 6h  55,u  (2h  50m)  dans  le  grand  récipient  fait 
d’une  bouteille  à mercure  (contenant  5 litres),  sous  la  pression  de  5 1/4  at- 
mosphères d’air.  Quand  on  le  retire,  sa  température  s’est  abaissée  à 30°; 
il  est  assez  malade,  respire  lentement  et  largement,  mais  se  remet  assez 
vite. 

L’air  du  flacon  contient  12,5  pour  100  d’oxygène,  et  6,6  pour  100  d’acide 
carbonique. 

12  mai.  — L’animal  est  parfaitement  remis;  on  recommence  la  même 


AIR  COMPRIMÉ  : OXYGÈNE  SOUS  FORTE  TENSION. 


§05 


expérience,  comme  pression  et  comme  durée  ; mais  on  emploie  cette 
fois  de  l’air  contenant  environ  60  pour  100  d’oxygène.  La  tension  de 
ce  gaz  correspond  ainsi  à celle  de  l’air  comprimé  de  9 à 10  atmos- 
phères. 

A la  décompression,  on  trouve  l’animal  au  plus  bas,  insensible  au  pin- 
cement, mais  sensible  à la  cornée.  Sa  température  rectale  n’est  plus  que 
de  23°, 8.  Il  ne  fait  aucun  mouvement  et  meurt  au  bout  d’une  demi-heure; 
pas  de  gaz  dans  les  vaisseaux. 

L’air  où  il  était  contenait  seulement  5,3  pour  100  d’acide  carbonique. 

Expérience  CCCV.  — 1er  juillet.  — A.  Deux  moineaux  pesant  ensemble 
38^,  sont  placés  à la  pression  de  5 atmosphères  d’air  pendant  32m,  dans 
le  récipient  à eau  de  Seltz. 

Retirés  par  décompression  brusque,  sont  très-bien  portants,  avec  de 
faibles  suffusions  sanguines  au  crâne. 

Us  ont,  pendant  ce  temps,  consommé  3,9  pour  100  d’oxygène,  et  pro- 
duit 2,8  pour  100  d’acide  carbonique. 

B.  Deux  autres  moineaux,  pesant  ensemble  39sr,  sont  placés  ensuite 
dans  le  même  appareil,  à la  même  pression,  mais  dans  de  l’air  contenant 
72,6  pour  100  d’oxygène;  la  tension  5 X 72,6  — 363,0,  correspond  en- 
viron à celle  de  18  atmosphères  d’air.  Ils  restent  dans  l’appareil  pendant 
27  minutes.' 

Au  bout  de  5 minutes  sont  apparues  les  convulsions  chez  les  deux  oi- 
seaux ; elles  durent  avec  intensité  pendant  15  minutes.  Puis  les  moineaux 
restent  couchés  sur  le  dos,  avec  respiration  très-haletante. 

L’un  d’eux  meurt  au  bout  d’une  heure  ; 'l’autre , après  avoir  paru  se 
remettre,  mais  conservant  d’incessants  frémissements  musculaires,  est 
repris  de  convulsions  après  une  heure  et  demie,  et  meurt  en  une  demi- 
heure. 

Tous  deux  entrent  de  suite  en  rigidité  cadavérique  : médiocres  suffu- 
sions sanguines. 

Ils  ont,  en  27  minutes,  consommé  2,05  pour  100  d’oxygène,  dont  1,07 
dans  les  17  premières,  et  seulement  0,35  dans  les  10  dernières;  ils  ont 
produit,  dans  les  17  premières  minutes,  1,07  pour  100  d’acide  carboni- 
que, et  0,28  dans  le  reste  du  temps,  soit  en  tout  1,35. 

On  tire  de  ces  chiffres  que,  en  10  minutes,  à 3 atmosphères  d’air,  il  a 
été  consommé  1,2  pour  100  d’oxvgène  et  formé  0,8  d’acide  carbonique, 
tandis  qu’à  une  tension  correspondante  à 18  atmosphères  d’air,  la  con- 
sommation n’a  plus  été  que  de  0,7  et  la  production  de  0,5. 

Ces  expériences  montrent  bien  nettement  que  l’absorption 
d’oxygène  et  la  production  de  l’acide  carbonique  diminuent 
quand  augmente  la  tension  de  l’oxygène  ; la  différence  va  en 
s’accentuant  au  fur  et  à mesure  que  dure  l’expérience. 
L’expérience  CCGY1  fait  voir  que,  dès  9 ou  10  atmosphères 


806 


EXPÉRIENCES. 


d’air,  cet  effet  se  produit  nettement,  et  que,  à cette  pres- 
sion faible,  la  mort  peut  survenir  à la  suite  d’une  exposition 
suffisamment  prolongée. 

La  seconde  méthode  expérimentale  que  j’ai  employée  a 
consisté  à recueillir  et  à doser  tout  l’acide  carbonique  produit 
par  un  animal  pendant  un  certain  temps,  sous  diverses  pres- 
sions, mais  dans  un  courant  d’air  toujours  pur  : 

Expérience  CCCVI.  — Rat  pesant  160  grammes. 

28  juillet.  — Placé  pendant  une  demi-heure  dans  le  gazogène  à eau  de 
Seltz,  à la  pression  normale,  sous  courant  d’air  donnant  2 litres  à la  mi- 
nute. L’appareil  est  immergé  dans  de  l’eau  à 20°.  L’air  qui  sort  est 
recueilli  dans  un  sac,  et  ensuite  mis  en  rapport  avec  le  barboteur  à po- 
tasse de  la  figure  75,  qui  en  absorbe  tout  l’acide  carbonique;  celui-ci  est 
ensuite  extrait  d’un  coup  dans  la  pompe  à mercure. 

La  température  de  l’animal  a baissé  de  58°  à 57°, 5. 

Il  a produit  247cc  d’acide  carbonique. 

2 août.  — Même  animal,  mêmes  dispositions  générales. 

Maintenu  sous  courant  d’air,  mais  cette  fois  à la  pression  de  9 atmos- 
phères, pendant  le  même  temps. 

Au  sortir  de  l’appareil,  n’a  que  54°,6  au  lieu  de  58°, 1. 

A produit  17GCC  d’acide  carbonique. 

Dans  deux  des  expériences  (GCXCIII  et  CCXCIY)  faites  sur 
les  chiens,  qui  ont  été  rapportées  au  précédent  sous-chapi- 
tre,  j’ai  mesuré  la  consommation  de  l’oxygène,  et  en  même 
temps  la  production  de  l’acide  carbonique,  non  plus  pendant 
la  compression,  mais  pendant  les  moments  qui  suivent  la 
décompression,  et  même  en  pleine  crise  convulsive. 

Cette  mesure  n’avait  d’intérêt  qu’au  point  de  vue  compa- 
ratif. Aussi  le  procédé  que  j’ai  employé,  qui  n’a  pas  de  pré- 
tention à la  rigueur  absolue,  me  permet-il  de  comparer  ce 
qu’était  capable  d’absorber  et  de  produire  un  chien  avant 
d’être  soumis  à l’air  comprimé  avec  ce  qu’il  consomme  et 
produit  au  sortir  du  cylindre. 

Les  animaux  en  expérience  avaient  un  tube  dans  la  tra- 
chée. Je  mettais  ce  tube  en  communication  avec  un  sac  rempli 
d’un  volume  connu  d’air  et  laissais  l’animal  respirer  dans  le 
sac  pendant  un  certain  temps.  L’opération  étant  répétée  quel- 
ques minutes  après  la  décompression , deux  analyses  chimi- 


807 


AIR  COMPRIMÉ  : OXYGÈNE  SOUS  FORTE  TENSION. 

ques  permettaient  de  déterminer  la  quantité  des  gaz  absorbés 
et  rejetés  dans  l’un  et  l’autre  cas. 

Or,  l’expérience  GGXGIII  montre  que,  tandis  qu’avant  la 
compression  le  chien  avait,  en  un  quart  d’heure,  consommé 
4!,89  d’oxygène  et  produit  2\99  9e  CO2,  il  n’en  a plus,  dans 
le  même  temps,  après  qu’il  a été  retiré  de  l’appareil,  con- 
sommé que  2*,02  et  formé  que  1\12.  Semblablement,  dans 
l’expérience  CCXCIY,  la  consommation  de  l’oxygène  est  tom- 
bée de  5\95  à 2\15,  et  la  production  d’acide  carbonique  de 
2\41  à T,99. 

La  diminution  dans  la  production  de  l’acide  carbonique 
par  le  fait  de  la  suroxygénation  de  l’organisme  se  marque 
encore  par  l’étude  des  nombres  inscrits  dans  la  colonne  8 
du  tableau  XY.  Si  l’on  examine  les  expériences  CCLXXX, 
CCLXXXI,  CCLXXXY,  CCLXXXVI,  CCLXXXYIÏ,  CCLXXXIX,  CCXC, 
CCXCIII,  on  voit  que,  quelques  minutes  après  la  décompres- 
sion, on  ne  trouve  plus  dans  le  sang  que  des  proportions 
minimes  d’acide  carbonique.  Chose  d’autant  plus  remarqua- 
ble que,  dans  les  conditions  où  se  faisaient  les  expériences, 
l’acide  carbonique  s’était,  pendant  la  compression,  emmaga- 
siné dans  le  sang  en  quantité  considérable.  Or,  une  fois  de 
retour  à l’air,  cet  acide  a diminué  jusqu’à  s’abaisser  bien 
au-dessous  de  la  proportion  normale;  c’est  ainsi  que,  dans 
l’expérience  CCLXXXIX,  il  est  tombé  à 10,5  volumes  pour 
100  volumes  de  sang,  sa  proportion  régulière,  antérieure  à 
la  compression,  étant  44,5;  c’est  ainsi  que,  dans  l’expé- 
rience CCLXXXY1,  la  proportion  avant  la  compression  étant 
45,0,  elle  est  devenue  pendant  la  compression  69,4 , pour 
s’abaisser  20  minutes  après  à 9,9  ; dans  l’expér.  CCLXXXY, 
les  mêmes  chiffres  ont  été  40,8,  puis  92,5,  et  enfin  14,8. 

Il  est  donc  bien  évident  que,  par  suite  de  la  suroxygénation 
exagérée  de  l’organisme,  l’acide  carbonique  a cessé  de  se 
produire  dans  les  tissus,  de  se  déverser  dans  le  sang,  ou 
du  moins  que  ces  phénomènes  se  sont  considérablement 
ralentis.  Ceci  aurait  été  manifeste  pendant  la  compression 
môme,  s’il  m’eût  été  possible  de  faire  vivre  les  animaux  dans 
un  courant  d’oxygène  comprimé,  de  manière  à éviter  un 


808 


EXPERIENCES. 


emmagasinement  de  l’acide  carbonique  dû  au  confinement. 
Du  reste,  les  expériences  rapportées  au  chapitre  II,  où  il  s’a- 
gissait de  pressions  assez  faibles,  mais  faites  avec  de  l’air  à 
peu  près  pur,  montraient,  comme  nous  l’avons  fait  remar- 
quer, une  diminution  de  l’acide  carbonique  du  sang  (voir  le 
tableau  XII,  p.  601). 

Il  résulte  de  ces  faits  que  l’agitation  respiratoire  intra-pul- 
monaire  serait  capable  d’enlever  au  sang  des  proportions 
d’acide  carbonique  bien  plus  considérables  qu’on  ne  l’aurait 
pensé,  d’épuiser  presque,  en  un  mot,  les  bicarbonates  et  les 
phospho-carbonatës,  si  l’organisme  ne  fournissait  incessam- 
ment au  sang  veineux  une  source  constante  de  ce  gaz.  Nous 
reviendrons  dans  un  autre  chapitre  sur  ces  faits,  mais  il 
serait  curieux  de  voir,  par  une  expérience  simple,  dans 
laquelle  un  même  sang  serait  forcé,  par  le  jeu  d’une  pompe, 
de  traverser  incessamment  les  poumons,  où  l’on  entretien- 
drait une  respiration  artificielle,  jusqu’à  quel  point  ce  sang 
pourrait  s’appauvrir  en  l’acide  carbonique. 

Disons,  avant  de  quitter  ce  sujet,  que  l’acide  carbonique 
ne  reparaît  qu’assez  lentement  en  proportion  normale  dans 
le  sang  artériel,  lorsque  l’animal  suroxygéné  revient  à lui- 
même  et  survit.  Ainsi,  dans  l’expérience  CCLXXXIX,  au  bout 
de  lM5m,  la  proportion  de  l’acide  carbonique  n’était  encore 
que  de  19,0  ; dans  l’expérience  CCXCIIÏ,  après  2h40m,  elle  ne 
s’était  relevée  qu’à  26,5  ; mais  dans  l’expérience  CCLXXXI, 
au  bout  de  67  minutes,  elle  était  revenue  à son  chiffre  pri- 
mitif, 31,5.  Remarquons  enfin  que  cette  tendance  au  retour 
vers  la  proportion  normale  n’indique  pas  toujours  que  l’ani- 
mal survivra  : c’est  ce  que  montre  l’expérience  CCLXXX. 

Excrétmi  de  Vurêe.  — J’arrive  maintenant  à l’urée.  Les 
expériences  ont  été  conduites  comme  celles  dont  il  s’est  agi 
à propos  de  la  diminution  de  pression.  L’animal,  soumis  à 
un  régime  déterminé  depuis  plusieurs  jours,  était  pendant 
quelques  heures  maintenu  dans  l’air  comprimé,  avec  un 
courant  d’air  convenable.  L’urine  rendue  spontanément  ou 
recueillie  à la  sonde  dans  les  24  heures  précédentes  était 
comparée  à celle  rendue  dans  les  24  heures  où  avait  eu  lieu 


AIR  COMPRIMÉ  : OXYGÈNE  SOUS  FORTE  TENSION.  809 

la  compression.  Au  surplus,  le  récit  des  expériences  donnera 
les  détails  nécessaires  : 

Expérience  CCGVII.  — Chien  pesant  12\  mange  chaque  jour,  à 7h  du 
matin,  une  soupe  composée  de  250sr  de  pain,  250sr  de  viande,  et  500§r 
d’eau. 

25  juillet,  à 8h  du  matin,  sondé  l’animal,  qui  est  ensuite  placé  dans  une 
cage  où  les  urines  peuvent  être  recueillies  : il  n en  rend  pas,  et  le  2G,  à 
8\  un  nouveau  sondage  amène  280cc  d’urine.  Cette  urine,  analysée  par  le 
procédé  Yvon,  donne  4500cc  d’azote,  c’est-à-dire  12sr,l  d’urée. 

26  juillet,  de  9h  à 3\  estsoumis  à 8 atmosphères  dépréssion,  sous  cou- 
rant d’air.  Décomprimé  de  3h  à 5h,  sort  bien  portant.  Sa  température 
rectale  est  35°, 5. 

27  juillet,  à 8h  du  matin  (température  rectale,  35°, 7),  on  le  sonde  et 
l’on  réunit  l’urine  ainsi  obtenue  à celle  qu’il  a rendue  spontanément.  On  a 
ainsi  350cc  d’urine,  qui  ne  fournissent  que  1598cc  d’azote  correspondant 
à 3sr,7  d’urée.  11  faut  dire  que  l’animal  n’a  voulu  manger  que  la  moitié 
de  sa  ration. 

%%  juillet,  à 8h  du  matin,  sondé  à nouveau;  on  a 520cc  d’urine  donnant 
3838cc  d’azote,  soit  10sr,3  d’urée.  Pendant  cette  journée , l’animal  avait 
absolument  refusé  de  manger. 

Expérience  CCCVIII.  — Chien  pesant  16k;  depuis  le  31  juillet,  mange 
chaque  jour  250»r  de  pain,  250§r  de  viande. 

3 août , à 8h,  30m,  sondé. 

4 août , à 8h,30m,  sondé  et  réuni  celte  urine  (100cc)  à celle  qui  a été 
rendue  dans  les  24h  (475cc).  On  trouve  ainsi,  par  le  procédé  Yvon,  8062e* 
d’azote,  soit  21sr,6  d’urée.  Température  rectale  35°, 8.  A 9h  du  matin  est 
placé  dans  l’appareil,  où  la  pression  monte  à 8 atmosphères;  on  com- 
mence à décomprimer  à 4h  50m,  toujours  sous  courant  d’air;  l’animal  sort 
de  l’appareil  à 6h  20ni;  il  est  bien  portant;  sa  température  est  de  35°, 5. 

5 août , à 8h  1/2  du  matin,  la  sonde  a retiré  245cc  d’urine  : il  n’y  a rien 
dans  l’appareil.  On  obtient  seulement  6329cc  d’azote,  correspondant  à 
1 6sr,9  d’urée. 

Ces  exemples  suffisent  pour  montrer  que  les  phénomènes 
chimiques  desquels  dépendent  la  formation  de  l’urée  et  celle 
des  produits  analogues  sont  entravés  de  la  même  façon  que 
ceux  qui  déterminent  la  production  de  l’acide  carbonique. 

Sucre  du  sang;  glycosurie.  — La  recherche  du  sucre  dans  le 
sang  et  dans  l’urine  nous  montre  encore  une  transformation 
chimique,  la  destruction  de  ce  sucre,  entravée  par  l’action 
de  l’oxygène  sans  tension.  Dans  l’expérience  CCLXXXY1,  le 


810 


EXPÉRIENCES. 


chien,  qui  a survécu  après  des  convulsions  d’une  violence 
extrême,  a rendu,  après  la  décompression,  des  urines  forte- 
ment sucrées  ; dans  l’expérience  GCLXXXI,  qui  s’est  terminée 
par  une  mort  rapide,  les  quelques  gouttes  d’urine  que  conte- 
nait la  vessie  étaient  extrêmement  chargées  de  sucre.  Cette 
glvcosurie,  cependant,  n’est  pas  constante  (expér.  CCXC). 

Les  expériences  CCLXXXV,  CGLXXXVI,  CCLXXX1X,  CCXC, 
CCXC1I,  CCXCIII,  CCXCIY,  c’est-à-dire  toutes  celles  où  la  re- 
cherche du  sucre  dans  le  sang  a été  faite,  ont  montré  d’abord 
que,  dans  le  sang  artériel  d’un  chien  qui  a été  soumis  à la 
compression,  il  y a toujours  beaucoup  de  glycose.  Mais, 
comme  on  trouve  toujours  de  la  glycose  dans  le  sang  arté- 
riel, lorsqu’on  le  traite  suivant  la  méthode  de  M.  Cl.  Ber- 
nard par  l’ébullition  en  présence  du  sulfate  de  soude,  il  a 
fallu  faire  entre  le  sang  avant  l’expérience  et  le  sang  après 
la  compression  des  expériences  comparatives  CCLXXXIX, 
CCXC,  CCXCIÏ,  CCXCIII,  CCXCIY,  qui  montrent  d’une  manière 
très-nette  que  le  dernier  contient  plus  de  sucre  que  le  pre- 
mier. L’expérience  CCXCIII  prouve,  en  outre,  que  cet  excès 
de  sucre  disparaît  au  bout  de  quelque  temps. 

Ainsi,  le  sucre  qui  sort  du  foie  est  beaucoup  moins  rapi- 
dement détruit  dans  l’organisme  sous  l’influence  de  l’oxygène 
comprimé  qu’à  la  pression  normale,  si  bien  qu’il  s’emmaga- 
sine dans  le  sang,  jusqu’à  produire  la  glycosurie. 

Quant  à la  production  de  la  glycose  hépatique  elle-même, 
elle  est  entravée  par  Faction  suffisamment  prolongée  de  l’oxy- 
gène en  tension,  comme  le  prouvent  les  expériences  sui- 
vantes : 

Expérience  GCC1X.  — 7 mars.  — Rat  albinos. 

Température  rectale,  59°, 6. 

Maintenu  pendant  5 heures  dans  l’air  comprimé  à 12  atmosphères,  au- 
dessus  d’une  solution  de  potasse  qui  absorbe  l’acide  carbonique  au  furet 
à mesure  de  sa  formation. 

Retiré  brusquement,  sa  température  rectale  n’est  que  de  55°, 5 ; il  meurt 
rapidement  avec  de  l’air  dans  le  cœur. 

Son  foie  ne  contient  pas  de  sucre  ; beaucoup  de  matière  glycogène. 

Expérience  CCCX.  — 15 mars.  — Rat  albinos;  température  rectale,  59°, 9. 

A 12  atmosphères  d’air  pendant  oh,  en  présence  de  potasse. 


AIR  COMPRIMÉ  : OXYGÈNE  SOUS  FORTE  TENSION.  811 

Retiré  : 0 = 37°,  2;  meurt  comme  celui  de  F expérience  précédente. 

Pas  de  sucre  dans  le  foie. 

En  résumé  : consommation  d’oxygène,  production  d’acide 
carbonique  et  d’urée,  destruction  de  la  glycose  dans  le  sang, 
tous  les  phénomènes  chimiques  dont  la  mesure  est  facile  à 
faire,  se  montrent  considérablement  ralentis  par  l’action  de 
l’oxygène  sous  forte  tension.  Et  comme  ce  sont  ces  phéno- 
mènes qui  déterminent  la  production  de  la  chaleur,  il  n’est 
pas  étonnant  de  voir  que  la  température  des  animaux  s’a- 
baisse considérablement.  Il  n’est  pas  étonnant,  non  plus,  de 
voir  que  la  mort  soit  la  conséquence  d’une  pareille  dépression 
dans  l’intensité  des  actes  physico-chimiques  delà  nutrition. 

Mais  l’excitation  violente,  les  convulsions  constantes  qui 
accompagnent  cette  mort,  n’en  restent  pas  moins  inexpli- 
cables, par  le  fait  seul  de  cette  dépression  ; moins  explicable 
encore  est  la  persistance  des  accidents  après  le  rétablisse- 
ment de  la  pression  normale.  Nous  avons,  en  effet,  dans  l’é- 
tude de  la  diminution  de  pression,  constaté  une  diminution 
des  actes  chimiques,  analogue  à celle  que  nous  a révélée  l’aug- 
mentation de  pression,  et  cependant  l’agitation  convulsive 
qui  précède  la  mort  par  dépression  rapide  n’est  en  rien  com- 
parable aux  violentes  convulsions  dues  à l’oxygène,  et,  de 
plus,  le  retour  à l’air  libre  marque  irrévocablement  la  fin 
de  tous  ces  accidents. 

Ceci  montre  donc  que,  pendant  la  compression,  les  actes 
chimiques  réguliers  de  la  nutrition  ont  été  non-seulement 
ralentis,  mais  modifiés;  il  est  supposable  que  le  résultat  de 
cette  déviation  a été  la  formation  de  quelque  substance  ca- 
pable de  jouer  un  rôle  toxique,  substance  qui , persistant 
après  la  décompression,  continuerait  à entretenir  les  acci- 
dents et  pourrait  déterminer  la  mort,  substance  dont  l’éli- 
mination ou  la  destruction  seraient  nécessaires  pour  le  retour 
à l’état  de  santé. 

Le  chapitre  spécialement  consacré  à l’étude  des  fermenta- 
tions nous  corroborera  dans  ce  sentiment,  et  nous  permettra 
meme  de  l’exprimer  avec  plus  de  précision  et  de  clarté. 


812 


EXPÉRIENCES. 


g 3.  — Animaux  aquatiques  ou  invertébrés. 

Les  expériences  dont  il  a été  rendu  compte  jusqu’ici  n’ont 
été  faites  qu’avec  des  animaux  vertébrés  aériens  : mammi- 
fères, oiseaux,  grenouilles.  Il  était  intéressant  d’étudier  l’ac- 
tion de  l’oxygène  à très-haute  tension  sur  les  animaux  inver- 
tébrés aériens  et  sur  les  animaux  aquatiques  : 

Expérience  CCCXI.  — 25  avril.  — Chrysomèles,  mouches,  chenilles; 
scolopendres;  cloportes;  disposés  en  deux  groupes  semblables. 

A — Placés  dans  flacon  bouché;  air  ordinaire,  pression  normale. 

B — Dans  appareil  à compression,  et  poussés  à 6 atmosphères  suroxy- 
génées; la  pression  tombe  à 2 atmosphères. 

26  avril.  — Tout  est  vivant,  saufles  mouches  de  B. 

Expérience  CCCXII.  — 12  mai. 

Lézard;  carabes  dorés;  abeille  xylocope,  chargée  d’acarus  ; bourdon, 
punaises  rouges;  mouches;  araignées;  cloportes;  scolopendres. 

A 5h  du  soir,  portés  à 6 atmosphères  suroxygénées. 

15  mai  : 10h  du  matin,  décomprimé. 

Le  bourdon,  les  mouches,  les  cloportes  sont  morts,  ainsi  que  plusieurs 
punaises  rouges  : les  autres  remuent  encore  un  peu  les  pattes,  ainsi  que  le 
xylocope. 

Le  lézard  a des  convulsions  spontanées  et  excitables  ; il  meurt  quelques 
heures  après. 

Les  carabes,  les  araignées,  les  acarus,  les  scolopendres  vont  bien  et  sur- 
vivent. 

Expérience  GGCXII1.  — 14  mai. 

Carabe  doré,  abeilles,  fourmis,  punaises  rouges,  punaises  de  bois, 
mouches;  cloportes;  araignées;  escargots;  vers  de  terre. 

A 5h  du  soir,  placés  dans  l’appareil  cylindrique  en  verre,  avec  des  bran- 
chages, de  la  terre,  etc.,  pour  leur  permettre  de  s’isoler  les  uns  des  au- 
tres. Poussés  à 5 atmosphères  suroxygénées. 

15  mai,  2h.  — Tout  mort,  sauf  les  araignées,  les  vers  de  terre,  qui  sont 
tordus,  étranglés,  et  les  escargots. 

Tout  meurt  à l’air  libre. 

Expérience  CCCXIV.  — 16  mai. 

Un  capricorne,  1 libellule,  1 papillon  bleu,  plusieurs  abeilles,  bour- 
dons, fourmis,  punaises  rouges,  mouches,  syrphes  ; scolopendres,  géo- 
philes;  cloportes;  araignées. 

A llh  du  matin,  mis  à 5 atmosphères  suroxvgénées;  à lh  poussés  à 6; 
à 2h  à 11  atmosphères. 


AIR  COMPRIMÉ  : OXYGÈNE  SOUS  FORTE  TENSION.  815 

Presque  aussitôt  tout  tombe  au  fond,  immobile,  sauf  les  fourmis  et  les 
scolopendres,  qui  montent  et  descendent. 

Les  mouches  meurent  en  une  demi-heure  au  plus. 

4h  : Rien  ne  remue  plus.  On  décomprime. 

Les  abeilles,  les  mouches,  les  syrphes,  le  papillon,  sont  morts. 

Le  capricorne,  la  libellule,  les  bourdons,  les  punaises,  les  fourmis,  les 
cloportes,  remuent  encore  un  peu. 

Les  myriapodes  et  les  araignées  vont  bien. 

Le  lendemain,  tout  est  mort,  sauf  les  myriapodes. 

Expérience  CCGXY.  — 23  juin. 

Cocons  de  vers  à soie,  envoyés  par  M.  Raulin,  d’Àlais,  tous  du  même 
jour. 

A,  12  sont  placés  dans  une  cloche  ouverte. 

B,  6 dans  Fappareil  cylindrique  en  verre,  à 5 atmosphères  suroxygénées. 

On  change  Pair  tous  les  deux  jours. 

8 juillet  : A : tout  est  éclos  ; 

B : ne  remuent  pas; 

C : tout  meurt;  la  peau  des  chrysalides  n’est  pas  séparable;  elles  ont  été 

évidemment  tuées  de  très-bonne  heure. 

* 

Ainsi , l’influence  redoutable  de  l’oxygène  comprimé  se 
fait  sentir  aux  animaux  invertébrés  comme  à ceux  qui  appar- 
tiennent à l’embranchement  supérieur. 

Les  animaux  qui,  les  premiers,  dans  des  expériences  si- 
multanées, ont  éprouvé  les  effets  funestes  de  l’oxygène,  ont 
été  les  mouches;  après  elles,  les  abeilles,  les  papillons;  puis 
les  libellules,  les  punaises;  notablement  plus  loin  les  four- 
mis et  les  coléoptères  (longicornes,  carabiques).  Les  clo- 
portes, et  surtout  les  arachnides  (araignées,  acariens)  et  les 
myriapodes  (scolopendres,  géophiles),  résistent  bien  davan- 
tage. Puis  viennent  les  vers  de  terre  et  les  limaçons,  au 
moins  pour  la  durée  de  la  vie,  sinon  pour  la  dose  mortelle. 

Le  grand  intérêt  de  cet  ordre  de  recherches  est  de  montrer 
qué  la  mort  par  l’excès  d’oxygène  ne  tient  pas  à un  méca- 
nisme particulier  aux  animaux  à globules  rouges,  mais  est  un 
fait  général.  Il  y a là  une  modification  profonde  dans  la  nu- 
trition des  tissus.  Il  est  bon  de  noter  que  jamais  ces  animaux 
n’ont  paru  excités;  au  contraire,  ils  deviennent  rapidement 
immobiles  et  fixés  dans  quelque  coin  de  l’appareil,  et  meu- 
rent sans  présenter  aucune  convulsion. 


814 


EXPÉRIENCES. 


Comme  type  d’étude  des  animaux  aquatiques,  j’ai  mis  sur- 
tout en  expérience  les  jeunes  anguilles,  dites  de  la  montée , 
dont  on  voit  aisément  battre  le  cœur  : 

Expérience  CCCXVL  — 1er  avril.  — Petites  anguilles  de  la  montée,  trans- 
par  entes,  température,  15°. 

À : 5 sont  mises  dans  une  éprouvette  bien  bouchée  ; 

B : à 5h,  5 sont  placées  dans  l’appareil  cylindrique  et  poussées  à 11  at- 
mosphères d’un  air  à 50  pour  100  d’oxygène.  Tension  de  l’oxygène  550, 
correspondant  à peu  près  à 26  atmosphères  d’air. 

Le  soir,  à 7U  1/2  ne  présentent  rien  de  particulier. 

2 avril , lh.  A : vont  bien. 

B : mortes,  roides,  non  transparentes,  non  contractiles  à l’électricité. 

Expérience  CCCXV1I.  — 2 avril.  — Anguilles  semblables. 

A : ce  sont  les  mêmes  que  A de  l’expérience  précédente. 

B : à 5h,  5 sont  placées  dans  l’appareil  à 5 1 /2  atmosphères  d’air  à 
57,5  pour  100  d’oxygène.  La  tension  est  ainsi  de  516,  correspondant  à 
15  atmosphères  d’air. 

5 avril , 10h  du  matin  : A,  très-vives;  au  repos,  ont  78  respirations  et 
40  pulsations  à la  minute. 

B : remuent  quand  on  agite  l’appareil,  mais  non  spontanément.  Ont  au 
plus  20  pulsations;  les  respirations,  au  repos,  ne  se  voient  pas;  après  agi- 
tations, j’arrive  à en  compter  22.  De  temps  en  temps,  agitation  vio- 
lente. 

6h  du  soir  ; ont  des  convulsions  et  se  tordent  en  8. 

4 avril , lh.  B : toutes  mortes,  opaques. 

* 

Expérience  CCCXVIII.  — 4 avril.  — Anguilles  semblables. 

A : ce  sont  celles  des  deux  expériences  précédentes. 

B : 5 sont,  à 4h,  mises  sous  la  pression  de  1 0 atmosphères  d’air. 

5 avril , 9h  du  matin  : A : très-vives,  66  respirations  très-amples;  26  pul- 
sations. 

B ; au  fond  de  l’appareil,  remuent  à peine;  respirations  invisibles; 
20  pulsations. 

7 avril.  — ïd.,  toutes  vivantes  ; décompression  rapide. 

• 

Expérience  CCCX1X.  — 8 juillet.  — Anguilles  non  transparentes. 

A 5h  du  soir,  comprimées  avec  10  atmosphères  d’un  air  contenant 
50  pour  100  d’oxygène;  on  agite  l’appareil  pour  saturer  bien  l’eau  où  sont 
les  anguilles. 

ÿ juillet,  lh  : toutes  mortes,  opaques. 

Je  renverse  l’appareil,  de  manière  à faire  sortir  non  de  l’air,  mais  de 
l’eau,  qui  recueillie  dans  la  seringue  y mousse,  et  est  portée  dans  la  pompe 
à mercure. 


AIR  COMPRIMÉ  : OXYGÈNE  SOUS  FORTE  TENSION.  815 

Cette  eau  contient  14  vol.  d’oxygène,  pour  100  vol.  de  liquide,  et  autant 
d’azote. 

Des  pressions  beaucoup  plus  faibles  sont  même  suffisantes 
pour  tuer  les  animaux  aquatiques,  lorsque  leur  action  est 
assez  longtemps  continuée  : 

Expérience  CCCXX.  — 20  mai.  — Têtards  de  grenouille,  éclos  depuis 
plusieurs  jours  et  très-bien  portants  dans  le  laboratoire. 

A — 5 dans  petit  flacon  bouché,  avec  eau,  à la  pression  normale. 

B — 5 dans  flacon  avec  eau,  le  tout  dans  l’appareil  à compression  en 
verre,  à 7 atmosphères  d’air  ; 

22  mai  : tout  vivant  ; 

24  mai  : tout  vivant  à A,  tout  mort  à B,  probablement  depuis  la  veille. 

Expérience  CCCXXI.  — 24  mai.  — Même  expérience,  avec  animaux  sem- 
blables ; 7 atmosphères  d’air. 

27  mai  : tous  les  têtards  de  l’air  comprimé  sont  morts. 

Ainsi,  les  animaux  aquatiques  sont  tués  comme  les  ani- 
maux aériens,  lorsque  l’oxygène  est  dissous  en  quantité  suf- 
fisante dans  l’eau.  La  pression  de  15  atmosphères  les  tue 
assez  rapidement  et  ils  ne  peuvent  vivre  à 7 atmosphères.  La 
transparence  des  anguilles  a permis  de  constater  un  rallen- 
tissement  considérable  des  battements  du  cœur,  en  même 
temps  que  les  respirations  s’affaiblissent  jusqu’à  devenir 
presque  invisibles. 

Nous  tirerons  dans  une  autre  partie  de  ce  livre  les  consé- 
quences de  ces  dernières  expériences  au  point  de  vue  de  la 
physique  du  globe.  Il  doit  nous  suffire  ici  de  signaler  la  gé- 
néralité de  l’action  funeste  de  l’oxygène  comprimé,  qui 
s’exerce  aussi  bien  sur  les  animaux  à sang  chaud  que  sur  les 
animaux  à sang  froid , sur  les  vertébrés  que  sur  les  inver- 
tébrés, sur  les  animaux  qui  vivent  dans  l’eau  que  sur  ceux 
qui  respirent  l’air  en  nature,  sur  les  animaux  adultes  que 
sur  ceux  en  voie  de  développement.  Les  chapitres  Y et  VI 
nous  permettront  d’étendre  cette  formule  aux  végétaux,  aux 
ferments,  en  un  mot,  à tout  ce  qui  vit. 


816 


EXPÉRIENCES. 


SOUS-CHAPITRE  II 

ACTION  DE  L’AIR  COMPRIMÉ  A DE  FAIBLES  PRESSIONS  (üE  1 A 5 ATM.) 

L’intérêt  de  premier  ordre  qui  s’attache  à l’action  toxique 
de  l’oxygène  à haute  tension  m’a  fait,  ainsi  que  je  l’ai  dit  en 
commençant  ce  chapitre,  débuter  dans  cette  exposition  comme 
dans  mes  recherches  par  l’analyse  détaillée  des  effets  de  ce 
poison  d’un  nouveau  genre.  J’ai  même,  je  l’avoue,  pendant 
longtemps  négligé,  je  dirai  presque  dédaigné,  cette  étude  des 
actions  de  l’air  faiblement  comprimé  sur  laquelle  les  méde- 
cins français  et  allemands  se  sont,  comme  nous  l’avons  vu 
dans  la  première  partie  de  ce  livre,  si  longuement  exercés.  Je 
ne  pouvais  cependant  m’en  désintéresser  absolument.  Mes 
recherches  lui  donnaient  même  un  intérêt  nouveau,  inconnu 
des  anciens  expérimentateurs. 

En  effet,  les  expériences  qui  viennent  d’être  rapportées 
ont  démontré  que  l’empoisonnement  par  l’oxygène  à haute 
tension  a pour  premier  effet  d’enrayer  les  combustions  intra- 
organiques, de  diminuer  la  quantité  d’oxygène  absorbée, 
d’urée  excrétée,  et,  par  suite,  d’abaisser  la  température  du 
corps  chez  les  animaux  à sang  chaud.  Or,  il  résulte  des  expé- 
riences contenues  dans  le  chapitre  III,  que  les  mêmes  effets 
physiologiques  sont  le  résultat  de  la  diminution  de  pres- 
sion, ou,  pour  parler  plus  justement,  d’une  trop  faible  ten- 
sion de  l’oxygène  respiré. 

La  question  se  posait  donc  tout  naturellement  de  savoir  où 
se  trouve  entre  ces  deux  extrêmes  également  redoutables  le 
point  où  les  combustions  organiques  sont  à leur  maximum 
d’intensité. 

De  plus,  il  a été  prouvé  par  les  mêmes  expériences  que  le 
séjour  dans  un  air  très-raréfié,  d’une  part,  ou  dans  un  air 
très-comprimé,  d’autre  part,  est  funeste  aux  animaux,  alors 
même  que  les  modifications  de  pression  ne  sont  pas  telles 
qu’elles  entraînent  les  accidents  rapides  de  l’asphyxie  ou  de 


AIR  COMPRIMÉ  : FAIBLES  PRESSIONS. 


817 


l’empoisonnement  par  l’oxygène.  Il  était  du  plus  haut  intérêt 
de  rechercher  quelle  pression  barométrique  est  la  plus  favo- 
rable à la  vie.  Et  il  n’est  rien  moins  que  démontré  que  ce 
point  favorable  coïncide  avec  le  maximum  de  combustion  que 
nous  essayerons  en  même  temps  de  déterminer;  cela  est 
même  peu  vraisemblable  à priori. 

C’est  dans  le  but  d’essayer  de  résoudre  ces  deux  questions 
qu’ont  été  entreprises  les  expériences  exposées  dans  le  pré- 
sent sous-chapitre.  Seulement,  je  dois  rappeler  encore  une 
fois  ici  que  je  me  conduis  en  physiologiste  expérimentateur  et 
non  en  hygiéniste  ou  en  médecin.  Pour  l’étude  de  l’influence 
à longue  portée  de  l’air  comprimé,  j’ai  employé  exclusivement 
des  animaux  inférieurs,  parce  qu’ils  se  prêtent  bien  plus 
facilement  à la  réalisation  d’expériences  dans  lesquelles  un 
séjour  prolongé  dans  l’air  à peu  près  confiné  est  indispensa- 
ble, et  parce  qu’ils  ne  présentent  pas  les  inégalités  physiolo- 
giques qui  viennent  compliquer  si  gravement  les  recherches 
sur  la  nutrition  des  animaux  supérieurs. 

Tout  semblait  m’indiquer  que  les  maxima  que  je  cherchais 
devaient  se  trouver  compris  entre  la  pression  normale  et  celle 
de  cinq  atmosphères.  Le  tracé  A de  la  figure  22  (p.  608),  qui 
exprime  la  teneur  en  oxygène  de  l’air  comprimé  et  confiné 
où  sont  morts  les  animaux  sans  l’intervention  de  l’acide  car- 
bonique, était  un  indice  important.  C’est  donc  entre  ces 
limites  que  je  portai  mes  investigations. 

J’avais  pour  me  les  fixer  une  raison  d’un  autre  ordre,  et 
qui  a bien  sa  valeur.  Il  a été  surabondamment  prouvé  par 
les  expériences  sur  la  diminution  comme  sur  l’augmentation 
de  pression  que  celle-ci  n’agit  que  comme  modificateur  de 
la  tension  de  l’oxygène,  si  bien  qu’un  air  riche  en  oxygène 
et  inférieur  en  pression  à une  atmosphère  produit  les  mêmes 
effets  qu’un  air  pauvre  en  oxygène,  mais  suffisamment  com- 
primé. Dans  le  sous-chapitre  précédent,  j’ai,  à maintes  re- 
prises, obtenu  la  tension  de  l’oxygène  (0  xP)  par  la  combi- 
naison du  facteur  pression  (P)  avec  le  facteur  richesse 
centésimale  en  oxygène  (0).  Ainsi,  l’air  ordinaire,  sous  la 
pression  normale,  a pour  valeur,  au  point  de  vue  qui  nous 

52 


818 


EXPERIENCES. 


occupe,  20,9;  à deux  atmosphères,  cette  valeur  devient 
2x20,9=41,8;  à cinq  atmosphères,  5x20,9=104,5. 
C’est-à-dire  qu’on  peut  indifféremment  (si  l’on  a soin  d’enle- 
ver l’acide  carbonique  produit,  dont  l’acide  toxique  pouvait 
venir  compliquer  les  phénomènes)  employer  de  l’air  ordinaire 
à deux  atmosphères  de  pression  ou  de  l’air  à 41,8  pour  100 
d’oxygène,  sous  la  pression  normale  ; et  de  l’air  ordinaire  à 
cinq  atmosphères,  ou,  sensiblement,  de  l’oxygène  pur. 

Cette  observation  présente  un  très-haut  intérêt  pratique, 
puisqu’elle  permet  d’expérimenter  à la  pression  normale, 
c’est-à-dire  dans  des  conditions  matérielles  faciles  à réaliser 
et  qui  ne  nécessitent  pas,  comme  les  hautes  pressions,  l’em- 
ploi de  coûteux  et  fragiles  appareils  de  verre. 

Enfin,  il  m’a  semblé  que  je  ne  pouvais  pas  absolument  me 
désintéresser  de  ces  modifications  dans  la  circulation,  la  res- 
piration, qui  ont  occupé  avant  moi  tant  d’observateurs  dont 
les  constatations,  comme  nous  l’avons  vu  dans  la  partie  his- 
torique (p.  428-457),  sont  loin  d’être  toujours  concordantes. 
Je  tenais  particulièrement  à mesurer  la  valeur  de  l’action 
mécanique  de  l’air  comprimé,  agissant  sur  les  réservoirs  ga- 
zeux de  l’organisme,  c’est-à-dire  l’intestin  et  le  poumon. 

En  conséquence,  les  expériences  rapportées  dans  le  présent 
sous  chapitre  se  diviseront  tout  naturellement  en  deux  caté- 
gories : dans  les  unes,  ou  l’air  suroxygéné  n’agira  que  pendant 
une  faible  période  de  temps,  quelques  heures,  un  jour  au 
plus;  dans  les  autres,  son  action  sera  continue,  jusqu’à  ce 
qu’il  soit  constaté  qu’elle  a eu  ou  n’a  pas  eu  d’effet. 

§ 1er.  — Séjour  peu  prolongé  dans  l’air  comprimé. 

A.  — Expériences  faîtes  sur  moi-même . 

Je  rapporterai  d’abord  des  expériences  faites  sur  moi- 
même,  dans  le  but  d’examiner,  d’une  part,  les  phénomènes 
respiratoires  et  circulatoires,  et,  d’autre  part,  l’action  de  l’air 
comprimé  sur  l’excrétion  de  l’urée,  c’est-à-dire  sur  l’un  des 
témoins  des  combustions  intra-organiques. 


Fig.  62.  — Appareil  (le  M.  Jouidanel  pour  l’emploi  thérapeutique  de  l’air  comprimé 

ou  de  l’air  dilaté. 


820 


EXPERIENCES. 


M.  le  docteur  Jourdanet  a bien  voulu  me  prêter,  pour 
cette  partie  de  mes  recherches,  une  chambre  qu’il  a fait 
construire  pour  les  applications  thérapeutiques,  et  dans  la- 
quelle un  dispositif  ingénieux  permet  d’obtenir  à volonté 
l’augmentation  ou  la  diminution  de  pression. 

Gette  chambre,  dont  la  figure  62  donne  l’aspect  général, 
mesure  2m,58  de  hauteur  sur  lm,46  de  diamètre,  et  cube 
par  suite  environ  trois  mètres  et  demi  d’air;  elle  est  fermée 
par  deux  portes,  l’une  intérieure,  l’autre  extérieure,  rou- 
lant sur  des  galets,  guidées  par  des  rainures,  et  que  relient, 
quand  elles  sont  fermées,  trois  longues  vis  qui  traversent 
des  trous  percés  dans  leur  épaisseur.  Comme  elles  s’applk? 
quent  sur  les  parois  du  cylindre  par  des  plaques  de  caout- 
chouc, il  en  résulte  que,  pour  l’air  comprimé  comme  pour 
l’air  dilaté,  il  en  est  toujours  une  qui  clôt  hermétiquement. 
Un  tuyau  de  caoutchouc  communique  avec  l’une  ou  l’autre 
des  pompes  à dépression  ou  à compression;  la  communica- 
tion avec  l’air  extérieur  s’établit  par  des  orifices  qu’on  ne 
voit  pas  dans  la  figure,  et  que  commandent  des  robinets  inté- 
rieurs, dont  l’expérimentateur  est  le  maître;  un  autre  robi- 
net permet  à ses  aides  de  le  décomprimer  si  quelque  accident 

lui  survient.  A l’intérieur  comme  à l’extérieur,  se  trouvent 

« 

thermomètre  et  manomètre  de  précision. 

Je  puis,  dans  cet  appareil,  en  allant  à toute  vitesse,  mon- 
ter en  une  heure  à une  atmosphère  de  pression,  tout  en 
restant  sous  un  courant  d’air  pur  et  suffisamment  actif  pour 
empêcher  la  chambre  de  s’échauffer  de  plus  de  2 ou  5°. 

Le  nombre  des  pulsations  était  compté  pendant  5 minutes, 
pour  éviter  des  causes  d’erreur  à l’abri  desquelles  on  ne  se 
met  pas  assez  souvent.  Celui  des  respirations,  pendant  5 et 
souvent  10  minutes.  . 


de  plus  commode  et  de  plus  précis  qu’un  compteur  à gaz. 
Celui  que  j’ai  fait  construire  spécialement  dans  ce  but,  et 
que  représente  la  figure  65,  porte  plusieurs  cadrans,  grâce 
auxquels  on  peut  estimer  le  volume  de  l’air  qui  a traversé 
l’appareil  à 50cc  près. 


AIR  COMPRIMÉ  : FAIBLES  PRESSIONS. 


821 

Quand  il  s’agissait  de  mesurer  les  expirations  maxima,  je 
me  tenais  debout,  les  vêtements  bien  relâchés,  et,  après  l’in- 
spiration, je  prenais  dans  la  bouche,  sans  aucun  ajutage,  le 
tube  adducteur  du  compteur  et  soufflais  avec  une  certaine 
lenteur  jusqu’à  épuisement  complet,  le  nez  étant  bien  en- 
tendu bouché  avec  la  main  gauche  ; je  faisais  ainsi  au  moins 
10  expirations,  dont  je  prenais  ensuite  la  moyenne. 

La  même  disposition  s’appliquait  au  cas  où  je  voulais  expi- 


rer dans  un  sac  de  caoutchouc  pour  évaluer  ensuite  la  quan- 
tité d’acide  carbonique  produite  dans  un  temps  donné.  Je 
respirais  alors  pendant  10  minutes  en  général  dans  les  sacs; 
puis  l’air  de  ceux-ci  était  amené  à traverser  pendant  toute  une 
nuit  les  barboteurs  à potasse  dont  je  parlerai  un  peu  plus 
bas;  il  s’v  dépouillait  complètement  de  son  acide  carboni- 
que; la  solution  de  potasse  était  alors  reprise  et  analysée 
dans  la  pompe  à mercure. 

Mais  pour  la  mesure  des  respirations  régulières,  l’insfru- 


822 


EXPERIENCES. 


mentation  était  plus  compliquée;  il  fallait  avoir  un  appareil 
qui  fonctionnât  sans  qu’on  y apporte  la  moindre  attention, 
caron  sait  avec  quelle  facilité  se  modifient,  lorsqu’on  veut  les 
examiner,  les  mouvements  respiratoires.  Le  dispositif  de  la 
ligure  64  donne,  comme  me  l’ont  montré  bien  des  expé- 
riences de  critique,  des  résultats  excellents. 

Une  embouchure  de  caoutchouc  qui  s’applique  aux  arca- 
des dentaires  et  que  maintiennent  les  lèvres  sans  gêne  et  sans 
efforts,  se  relie  par  un  large  tube  de  caoutchouc  et  une  pièce 
de  cuivre  en  Y avec  deux  tubes  de  verre  qui  contiennent  cha- 


Fig.  Ci.  — Appareil  à double  soupape  pour  l’étude  de  la  respiration. 


cun  une  soupape  membraneuse,  comme  celles  qu’emploient 
MM.  Denayrouze  dans  leurs  appareils  si  connus;  ces  soupapes 
sont  excellentes,  très-délicates,  et  tiennent  fort  bien,  à la 
condition  d’être  maintenues  mouillées.  Gomme  elles  sont 
disposées  en  sens  inverse,  l’une  permet  seulement  l’accès  de 
l’air  inspiré,  l’autre  la  sortie  de  l’air  expiré,  qu’un  tube  de 
caoutchouc  convenablement  disposé  conduit  au  compteur. 
Il  va  sans  dire  que  le  nez  reste  pendant  tout  le  temps  fermé  à 
l’aide  d’une  sorte  de  pince  qu’on  s’habitue  à supporter  aisé- 
ment. 

Je  respirais  ainsi  pendant  10  et  quelquefois  20  minutes, 
restant  dans  un  calme  parfait,  lisant,  et  me  bornant  à re- 
garder l’heure  ou  à compter  mes  respirations  ; encore  parfois 
le  faisait-on  pour  moi  en  m’examinant  à travers  un  des  hu- 
blots de  verre. 


AIR  COMPRIME  : FAIBLES  PRESSIONS. 


823 


Je  réglais  en  outre  avec  le  plus  grand  soin  toutes  les 
autres  conditions  de  ma  vie;  tous  les  jours  j’allais  au  labora- 
toire et  j’v  restais  assis  de  2 à 6 heures  dans  l’appareil  ou 
hors  de  l’appareil;  je  ne  faisais  pas  d’autre  exercice. 

C’est  avec  toutes  ces  précautions  qu’ont  été  exécutées  les 
expériences  suivantes  : 

Expérience  CCCXXII.  — 6 novembre.  Je  commence  à me  mettre  réguliè- 
rement au  régime  suivant,  que  des  tâtonnements  préalables  m’ont  montré 
être  une  ration  d’entretien  convenable.  Mon  poids  est  73  kilog.;  taille 
lm,75. 

A déjeuner  i'12h15m)  : Deux  œufs  moyens,  70&r  de  viande  de  mouton, 
dégraissée,  140°r  de  pain,  800cc  d’un  mélange  par  moitié  d’eau  et  de 
vin. 

A dîner  (7h)  : 120sr  de  viande  de  bœuf,  dégraissée,  200sr  purée  de 
pommes  de  terre,  6 cerises  à l’eau-de-vie,  pain  et  vin  comme  à déjeuner. 

7 novembre.  — Après  avoir  vidé  la  vessie  à midi,  je  garde  mon  urine 

jusqu’au  8,  à midi A. 

, J’en  fais  autant  les  jours  suivants. 

Je  reste  ce  jour-là  à la  pression  normale. 

8 novembre.  — Je  me  mets  sous  la  cloche  de  3h  à 6h;  mais  j’entretiens 
courant  d’air  à la  pression  normale. 

Urine  du  8 au  9 B. 

9 novembre.  — Assis  à 2h  45in  dans  l’appareil  ouvert;  78  pulsations; 
8 respirations;  l’expiration  maximum  vaut  3*,7  ; 

A 5h  18m,  commencé  la  pression. 

A 5h  45m,  pression  30e. 

A 4h,  pression  45e;  pulsations  80  ; expiration  maximum  41. 

A 4h  12ra,  pression  53e. 

A 4h  42m,  même  pression;  72  pulsations. 

A 5h  10,n,  même  pression;  8,  2 respirations  ; l’expiration  maximum  est 
de  41. 

A 5h  32m,  la  pression  a été  maintenue  au  même  niveau;  je  commence 
à décomprimer;  je  sors  de  l’appareil  à 6h  53m. 

A la  pression  normale,  l’expiration  maximum  donne  3l,7. 

Urine  du  9 au  10 G. 

10  novembre.  — Assis  dans  l’appareil  à 2h  35m. 

L’expiration  maximum  vaut  3g8  ; la  respiration  calme  donne  à la  minute 
7,  6 respirations,  valant  6l,3,  ou  pour  chaque  expiration  0l, 83;  pulsa- 
tions 68. 

Fermé  les  portes  à 2h  55m. 

A 3h  20m,  37e  de  compression  ; expiration  maximum  3*,8. 

A 5h  38m,  56e;  expiration  maximum  41. 

A3'1  501U,  môme  pression;  8,  1 respirations  à la  minute,  valant  6l,7, 
soit  par  chaque  expiration  O1, 82. 


824 


EXPERIENCES. 


A 4h  25m,  même  pression;  expirations  calmes  donnent  61, 2 à la.  minute, 
sans  compter  le  nombre. 

A 4h  50m,  id.;  6‘5  à la  minute. 

A 5h,  id.;  69  pulsations. 

A 5h  10m,  id.;  expirations  maximum  41. 

A 5h  37m,  id.;  commencé  la  décompression. 

A 5h  45m,  65  pulsations. 

A 6h  15m,  pression  15e;  60  pulsations. 

A 6h  20m,  pression  10e;  expirations  calmes  donnent  6!,2à  la  minute. 
Pression  normale  à 6h  501U. 

Urine  du  10  au  11 D. 

11  novembre.  — Fin  de  l’expérience  à midi. 

Les  urines  ont  été  analysées  par  le  procédé  Gréhant,  mais  l’analyse  a 
été  perdue. 

Expérience  CCCXXIll.  — 15  novembre.  J’entre  dans  l’appareil  avec  un 
assez  fort  rhume  de  cerveau,  de  la  toux  et  des  douleurs  trachéales  annon- 
çant un  rhume  de  poitrine  à son  début. 

A 2h  40m,  à la  pression  normale,  mon  expiration  maximum  donne  5',75. 
A 2h  50m,  j’ai  77,7  pulsations  à la  minute.  » 

De  2h  55,a  à 5h  5m,  expiré  tranquillement  dans  un  sac A. 

Les  expirations  ordinaires  donnent  au  compteur  6l,5  à la  minute. 

J’ai  9 respirations  à la  minute. 

A 5h  10m,  on  commence  la  compression. 

A 5h  55m,  compression  de  52e;  les  pulsations  sont  de  65  à la  minute. 

A 4h,  compression  60e;  expiration  maximum  4’, 08. 

A 4h  20m.  compression  56e;  à la  minute  7,5  respirations. 

A 4h  50m,  id.;  62,5  pulsations. 

Les  expirations  calmes  donnent  par  minute  5!,86. 

De  4h  45m  à 4h  501U,  expiré  tranquillement  dans  un  sac P>. 

A 4h-52m,  commencé  la  décompression. 

A 5h,  pression  40e;  les  expirations  calmes  donnent  par  minute  5595. 

A 5h  15m,  pression  52e;  renchifrènement  qui  m’avalf  quitté  me  reprend 
ainsi  que  la  pesanteur  de  tête;  quelques  minutes  après  (pression  20e), 
reparaît  la  toux. 

A 5h  55m,  pression  normale.  J’ai  par  minute  65  pulsations  ; la  ven- 
tilation pulmonaire  donne  61 ,28  à la  minute;  l’expiration  maxima  est 
de  558. 

Le  rhume  de  cerveau  cesse  dans  la  nuit  et  le  rhume  de  poitrine  dis- 
paraît. 

Le  gaz  A donne  pour  10m  25645  de  CO2,  soit  pour  lh  1 51 ,858 
— B — 25710  — 16L260 

Expérience  CCCXXIV.  * — 17  décembre.  Pression  barométrique  74e;  je  re- 
commence à me  mettre  au  régime  de  l'expérience  CCCXXI1. 

Les  urines  sont  recueillies  à partir  du  17  décembre  à midi. 


AIR  COMPRIMÉ  : FAIBLES  PRESSIONS. 


825 


17  décembre.  Resté  à la  pression 'normale. 

Urine  du  17  au  18,  midi A. 

18  décembre.  A la  pression  normale,  de  2h  30m  à 3h,  l’expiration  maxi- 
mum est  de  31,76;  la  ventilation  pulmonaire  tranquille  est  par  minute 
6\54;  j’ai  81  pulsations. 

A 3h,  commencé  la  compression. 

A 3h  44m,  compression  48e;  l’expiration  maximum  donne  5!,96. 

A4h  30m,  même  pression;  79  pulsations;  ventilation  pulmonaire  61,74 
à la  minute;  8,3  respirations  moyennes  à la  minute. 

A 5h  12m,  compression  52e;  on  commence  à décomprimer. 

A 6h  15m,  pression  normale;  59  pulsations  ; 8 respirations  moyennes  ; 
expiration  maximum  3^81. 

A 7h  30m,  60  pulsations. 

A 8h  15m,  83  pulsations. 

Urine  du  18  au  19,  midi B. 

19  décembre.  Pression  barométrique  74e. 

A 9h  50m  du  matin,  64  pulsations,  et  8 respirations  à la  minute  ; à midi,  id. 
A 2h,  encore  pression  normale,  68  pulsations. 

A 2h  20m,  commencé  la  compression. 

A 3h  10m,  compression  45e. 

A 3h  35m,  compression  54e. 

A 3h  50in,  compression  56e  ; 82  pulsations;  expiration  maximum  3l,92. 
A 4h,  id.;  commencé  la  décompression. 

A 4h  45m,  compression  37e. 

A 5h  50m,  pression  normale  ; 68  pulsations;  expiration  maximum 3', 80. 
Urine  du  19  au  20,  à midi , . . G. 

20  décembre,  pression  74e. 

A 4 h,  pression  normale;  85  pulsations  ; *6,5  respirations. 

A 4h  10m,  commencé  la  compression. 

A 5h  10m,  compression  50e;  6,6  expirations  calmes;  je  commence  la 
décompression. 

A 5h  30m,  compression  41e;  66  pulsations  ; 6 respirations. 

A 6h  15m,  pression  normale;  58  pulsations;  5,6  expirations  calmes  à la 


minute. 

Urine  du  20  au  21,  à midi D. 

21  décembre , pression  normale;  même  régime. 

Urine  du  21  au  22,  à midi . E. 

22  décembre,  pression  normale  ; même  régime. 

Urine  du  22  au  23,  à midi F. 


L’analyse  des  urines  par  l’hypobromite  de  soude  donne  : 

A (pression  normale)  1650cc  contenant  20=r,15  durée. 
B (air  comprimé)  2010  — 24^,72  — 

G — 1990  — 26sr,04  — 

D (faible  compression)  2255  — 21gr,18  — 

E (pression  normale)  2080  — 20^,80  — 

F — 21^5  — 22^,50 


* 


EXPÉRIENCES. 


826 

Expérience  CCGXXV.  — 9 février.  M.  Regnard,  un  de  mes  préparateurs, 
27  ans,  pesant  75k,5,  taille  lm,83. 

A lh  45m,  pression  normale;  70  pulsalions;  15,6  respirations;  venti- 
lation pulmonaire  de  12l,28  à la  minute.  Capacité  respiratoire  maximum 
4», 15. 

A 2h,  commencé  la  compression. 

A 2h  45m,  il  est  à 52e  de  compression,  et  y reste  jusqu’à  4h.  A ce  mo- 
ment, le  pouls  a 57,  il  y a 14,6  respirations;  la  ventilation  pulmonaire 
est  de  151,22;  l’expiration  maximum  donne  41,64. 

A 4h20'u,  commencé  la  décompression. 

A 5h  50m,  pression  normale;  pouls 56;  respiration  16;  ventilation  pul- 
monaire 1 51, 02  ; expiration  maximum  4 1 , 6 0 . 

Voyons  maintenant,  en  résumé,  et  suivant  chaque  grande 
fonction  physiologique,  ce  que  nous  ont  donné  ces  expé- 
riences. Le  tableau  suivant  facilitera  notre  examen  : 


TABLEAU  XVI. 


1 

NUMÉROS 

2 3 4 5 

AVANT  LA  COMPRESSION 

G 7 8 9 

PENDANT  LA  COMPRESSION 

10  11  12  13 

APRÈS  LA  COMPRESSION  ; 

DES 

EXPÉRIENCES 

(/) 

Z 

O 

H 

< 

eu 

C/D 

U 

C5 

VENTILATION  | 
PULMONAIRE  l 

J 

EXPIRATION 

MAXIMUM 

PULSATIONS 

RESPIRATIONS 

1 

VENTILATION 

PULMONAIRE 

EXPIRATION 

MAXIMUM 

PULSATIONS 

1 

RESPIRATIONS 

VENTILATION 

PULMONAIRE 

EXPIRATION 

MAXIMUM 

PULSATIONS 

CCCXXII 

8 

lit. 

» 

lit. 

5,7 

78 

8,2 

lit. 

» 

lit. 

4,0 

72 

» 

lit. 

)> 

lit 

3,7 

)> 

CCCXXII 

7,6 

6,5 

5,8 

68 

8,1 

6,5 

4,0 

69 

» 

6,2 

» 

60 

CCCXXIII 

9 

6,5 

5,75 

78 

7,5 

5,86 

4,08 

62 

)) 

6,28 

3,8 

65 

CCCXXIV 

» 

6,54 

5,76 

81 

8,5 

6,74 

5,96 

79 

8 

» 

5,81 

59 

CCCXXIV 

» 

» 

» 

68 

» 

» 

5,92 

82 

» 

» 

3,80 

68 

CCCXXIV 

6,5 

T) 

D 

85 

6,6 

» 

» 

» 

5,6 

» 

» 

58 

Moyennes. 

7,7 

6,4 

5,75 

76 

7,7 

6,4 

5,99 

73 

6,8 

6,2 

3,78 

62 

CCCXXV 

15,6 

12,28 

4,15 

70 

14,6 

15,22 

4,64 

57 

16 

13,2 

4,60 

56 

Respiration.  — Le  nombre  des  respirations  (col.  2 et  6), 
qu’il  est,  comme  on  sait,  toujours  très-difficile  de  mesurer 
exactement  sur  soi-même,  a tantôt  légèrement  augmenté, 
tantôt  diminué;  la  moyenne  se  trouve  être  la  même  pour 
l’air  comprimé  et  pour  la  pression  normale  du  début;  je  ne 
compte  pas  la  colonne  10  où  il  n’y  a que  deux  chiffres  in- 
scrits. 


827 


AIR  COMPRIMÉ  : FAIBLES  PRESSIONS 

La  valeur  de  la  ventilation  pulmonaire  (col.  5 et  7),  c’est- 
à-dire  la  quantité  d’air  qui,  pendant  une  minute,  traverse  le 
poumon  lorsque  les  respirations  sont  calmes,  est  également 
restée  la  même.  On  peut  en  conclure  que  les  variations  sont 
d’une  manière  générale  très-faibles.  Ce  point  que  n’avaient 
pas  nettement  déterminé  les  auteurs  qui  m'ont  précédé  (voyez 
page  509)  est  d’une  grande  importance,  comme  nous  le  fe- 
rons voir  plus  tard. 

Enfin,  mes  expériences  montrent,  comme  tous  les  observa- 
teurs l’avaient  déjà  constaté,  un  agrandissement  notable  de 
la  capacité  pulmonaire  maximum  (col.  4,  8, 12).  En  moyenne, 
l’expiration  la  plus  forte  que  je  puisse  faire  est  passée  de  3‘,75 
à 5*,99;  c’est  une  augmentation  de  240cc,  soit  6,9  pour  100. 
Chez  M.  Regnard  elle  a été  de  450cc,  soit  11  pour  100.  Je 
suis,  lors  de  la  décompression,  revenu  rapidement  à l’état 
normal. 

Circulation.  — Le  nombre  moyen  des  pulsations  a considé- 
rablement diminué  pendant  le  séjour  dans  l’air  comprimé; 
de  76  au  début,  il  est  devenu  75  lors  du  maximum  de  la  com- 
pression et  62  à la  sortie  du  cylindre. 

Mais  je  dois  dire  que  l’apparente  netteté  de  ce  résultat  est 
singulièrement  atténuée  par  ce  fait  qu’à  la  pression  normale 
mon  pouls  interrogé  aux  mêmes  heures,  c’est-à-dire  à la 
même  distance  du  déjeuner,  et  après  un  repos  assis  de  plu- 
sieurs heures,  a donné  des  variations  absolument  du  même 
ordre. 

Nutrition.  — Mes  expériences  sont  bien  peu  nombreuses; 
mais  elles  ont  été  conduites  avec  les  plus  grandes  précau- 
tions physiologiques.  L’analyse  de  l’air  expiré  tranquillement 
pendant  10  minutes  me  donne  (expérience  CCCXXII)  pour 
une  heure  à la  pression  normale  15l,858  d’acide  carboni- 
que; au  maximum  de  la  compression  (56e),  elle  a fourni 
1 61 ,260,  soit  une  augmentation  de  01, 418,  c’est-à-dire  de 
26  pour  100. 

La  production  d’urée  (expér.  CCCXXI11)  a donné  un  résul- 
tat plus  intéressant;  sous  l’influence  de  l’air  comprimé,  elle 
a augmenté  notablement  (de  20gr,15  elle  est  passée  à 24gr,72 


828 


EXPÉRIENCES. 


puis  à 2Ggr,04),  pour  retomber  ensuite,  sous  la  pression  nor- 
male à des  valeurs  voisines  de  son  taux  primitif  (21gr,18  ; 
20gr,80;  22gr,5Q).  En  sorte  que,  en  moyenne,  elle  a été  à la 
pression  normale  de  2 1 gr , 9 pour  monter  à 25gr,5  dans  l’air 
comprimé  de  5oc. 

J’aurai  occasion  , dans  la  troisième  partie  de  ce  livre,  de 
rapprocher  ces  chiffres  de  ceux  qui  ont  été  obtenus  par 
M.  G.  Liebig  et  par  M.  Pravaz  dans  des  travaux  récents. 

B.  — Production  d'urée  : expériences  sur  des  chiens. 


J’ai  cherché  encore  à mesurer  les  modifications  apportées 
dans  la  production  d’urée  en  mettant  des  animaux,  des 
chiens,  en  expérience.  Je  les  astreignais,  bien  entendu,  à 
un  régime  de  nourriture  régulière;  l’urine  était  recueillie 
par  le  sondage  toutes  les  24h  et  réunie  à celle  que  l’animal 
avait  spontanément  émise. 

Yoici  les  résultats  d’une  de  ces  expériences,  qu’aucun  ac- 
cident n’est  venu  entraver  : 


Expérience  CCCXXYI.  — 9 février.  Chien  pesant  10k,8,  mis  à un  régime 
de  nourriture  régulier,  et  habitué  au  séjour  dans  les  cages  et  dans  l’ap- 


pareil à air  comprimé  de  la  fig.  53,  p.  655. 

Le  12  février  à 6h  du  soir  on  le  sonde. 

15  février.  Est  resté  à la  pression  normale;  sondé  à 6h  du  soir  ; a rendu 
en  24  heures  650cc  d’urine..  ..  f .........  A 

14  février,  üe  9h  du  matin  à 5h,45m,  maintenu  sous  courant  d’air,  à la 

pression  totale  de  5 atmosphères.  Sondé  à 6h  ; a rendu  en  tout  61 0CC  d’u- 
rine  B 

15  février.  Même  pression;  urine  des  24  heures,  1080cc  .....  C 

16  février.  Pression  normale;  urine  des  24  heures,  1550cc  D 

17  février.  Pression  normale  ; urine  des  24  heures,  1570cc  ....  E 

Analyse  des  urines  par  la  méthode  Yvon  : 


A (pression  normale)  contenait  gr,  7,9  d’urée. 


B (5  atmosphères)  — 10,4  — 

C — — 9,0  — 

D (pression  normale)  — 9,1  — 

E — — 8,4  — 


Il  est.  bien  évident  que  le  sondage  étant  fait  immédia te^ 


AIR  COMPRIMÉ  : FAIBLES  PRESSIONS. 


829 


ment  après  la  décompression,  l’urine  D contenait  une  partie 
des  produits  de  désassimilation  formés  pendant  le  séjour 
dans  l’air  comprimé;  elle  doit  donc  être  portée  au  compte 
des  urines  de  la  compression.  On  voit,  après  cette  remarque, 
que  l’urée  a augmenté  par  le  séjour  quotidien  de  9 heures 
dans  l’air  à 5 atmosphères  ; en  effet,  elle  s’est  alors  élevée 
en  moyenne  à 9sr,5,  tandis  qu’à  la  pression  normale  elle 
n’était  en  moyenne  que  de  8grl. 


C.  — Phénomènes  chimiques  de  la  respiration. 

J’ai  fait  un  certain  nombre  de  tentatives  pour  essayer  d’es- 
timer la  quantité  d’acide  carbonique  formé  par  un  animal 
placé  tantôt  à la  pression  normale,  tantôt  à une  pression 
augmentée  sans  dépasser  cinq  atmosphères.  Mais  j’ai  ren- 
contré des  difficultés  expérimentales  qui  m’ont  empêché 
d’arriver  à une  conclusion. 

Pour  tourner  ces  obstacles,  j’ai  employé  au  lieu  d’air  com- 
primé les  atmosphères  suroxygénées,  et  j’ai  mis  en  usage 
en  le  modifiant  légèrement  l’appareil  monté  dans  mon  labo- 
ratoire par  les  deux  préparateurs  du  cours,  MM.  Jolyet  et  Re- 
gnard,  appareil  qui  est  à la  fois  une  simplification  et  un  per- 
fectionnement de  l’appareil  Régnault  et  Reiset. 

En  voici  la  description  succincte,  que  la  figure  65  permettra 
de  suivre  aisément. 

L’animal  en  expérience  est  placé  sous  la  cloche  C,  qui  est 
munie  d’un  thermomètre  £,  d’un  manomètre  m,  et  d’un  petit 
sac  en  caoutchouc  v,  destiné  à combattre  l’influence  des  mo- 
difications extérieures  de  la  pression  barométrique;  élément 
dont  il  faut  tenir  compte  dans  des  expériences  qui  peuvent 
durer  plusieurs  jours. 

L’air  de  cette  cloche  est  incessamment  purifié  de  l’acide 
carbonique  qu’y  produi  t la  respiration  de  l’animal,  par  le  jeu 
des  pipettes  P et  P'  et  du  flacon  laveur  À.  Flacons  et  pipettes 
contiennent  une  solution  très-concentrée  de  potasse,  dont  la 
richesse  en  C0â  a été  antérieurement  déterminée  à l’aide  de 
la  pompe  à mercure  et  d’un  acide  ; ils  sont  mis  en  action  par 


830 


EXPERIENCES 


une  petite  machine  à eau  M,  et  un  jeu  de  poulies  et  d’ex» 


centriques  qui  se  comprend  à la  seule  inspection  de  la  figure; 


Fig.  6j.  — Appareil  permettant  l’étude  chimique  de  la  respiration  d’un  animal,  maintenu  pendant  un  temps  quelconque  dans  un  air 

de  composition  constante. 


AIR  COMPRIMÉ  : FAIBLES  PRESSIONS. 


831 


l’agitation  du  flacon  A est  si  énergique  qu’il  paraît  rempli  de 
mousse.  L’air  qui  a traversé  les  solutions  alcalines  en  sui- 
vant la  voie  iP’ PpA// A,  rentre  dans  la  cloche  absolument 
dépouillé  de  son  acide  carbonique. 

Mais  l’animal  consomme  de  l’oxygène,  et  il  y a par  suite 
tendance  à une  diminution  de  pression  dans  l’appareil.  Or, 
de  l’oxygène  pur,  obtenu  par  la  décomposition  de  l’eau 
par  la  pile,  est  contenu  dans  le  flacon  gradué  O,  et,  grâce 
à un  appareil  à niveau  constant  H,  rempli  d’une  disso- 
lution concentrée  de  chlorure  de  calcium,  l’oxygène  vient 
buile  à bulle  remplacer  celui  qui  a disparu  par  la  respira- 
tion. 

Lorsque  l’expérience  est  terminée,  une  simple  lecture  sur 
la  cloche  graduée  donne  la  quantité  d’O  consommé;  pour 
l’acide  carbonique  produit,  on  recueille  les  solutions  potas- 
sées, et  l’on  en  fait  l’analyse,  en  présence  d’un  acide,  dans  le 
vide  de  la  pompe  à mercure. 

Exiérience  GGCXXVIE  — Rat  pesant.  360^r  habitué  depuis  une  dizaine 
de  jours  à vivre  dans  la  cloche  sous  courant  d’air,  avec  sa  nourriture  et 
sa  boite  : 

iü  Le  23  décembre , à 5h,  l’expérience  commence  dans  Pair  ordi- 
naire. 

Au  bout  de24h,  on  l’arrête;  on  trouve  que  l’animal  a consommé  12', 360 
d’oxygène,  et  formé  71,510  d’acide  carbonique. 

La  température  du  rat  était  avant  l’expérience  de  38°, 5;  elle  est  après 
de  38°. 

2°  Le  25  décembre , à 4h,  on  fait  passer  dans  la  cloche  où  est  le  rat  et 
dans  l’appareil  un  courant  d’oxygène.  Puis  le  système  étant  clos,  on  fait 
marcher  pendant  un  quart  d’heure  les  pipettes  de  manière  à mêler  Pair 
des  divers  récipients.  On  en  prend  alors  un  échantillon  qui  donne 
87,5  pour  100  d’oxygène. 

Après  24h,  arrêt  de  l’expérience;  la  consommation  d’oxygène  a été  de 
111, 352;  la  production  de  l’acide  carbonique  de  6’, 964. 

Température  du  rat  : avant,  38°  ; après,  37°, 5. 

3°  Le  3 janvier,  à 3h,  refait  l’expérience  dans  Pair  ordinaire. 

En  24h,  la  consommation  d’oxygène  a été  121,840:  la  production  d’acide 
carbonique  6',820. 

4°  Le  5 janvier , à 3h,  expérience  dans  l’air  à 48,7  pour  100  d’oxy- 
gène. 

En  24\  la  consommation  d’oxygène  a été  1 5’ ,724;  la  production  d’acide 
carbonique  10l,320. 


852 


EXPÉRIENCES. 


En  résumé,  si  nous  transformons  les  richesses  centésimales 
en  oxygène  dans  leurs  équivalences  de  pression  barométrique, 
nous  dirons  qu’il  y a eu 

A 1 atmosphère,  12l, 60  d'oxygène  consommé,  7*06  de  GO2  formé. 

A 2,3  — 15*,72  — 10*, 32 

A 4,2  — 111, 55  — G1, 96  — 

L’activité  des  combustions  organiques  a donc  été  en  aug- 
mentant d’abord,  pour  diminuer  ensuite  après  avoir  passé 
un  certain  maximum  qui  est  probablement  placé  au-dessus 
de  2 atmosphères. 

Les  animaux  à sang  froid  m’ont  donné  un  semblable  résul- 
tat. Mais  pour  eux  il  n’était  pas  nécessaire  d’employer  un 
appareil  aussi  compliqué,  vu  la  faiblesse  de  leur  respira- 
tion. Le  dispositif  instrumental  était  le  même  que  celui  des 
expériences  faites  sur  les  tissus  (chapitre  VI),  et  que  repré- 
sente la  figure  74;  l’animal  était  placé  dans  le  flacon,  ex- 
haussé sur  un  petit  trépied  qui  l’empêchait  de  toucher  à la 
solution  de  potasse  : 

Expérience  CCCXXVIII.  — I l janvier.  Trois  grenouilles  (A,  B,  G,),  agiles 
et  bien  portantes,  sont  placées  chacune  dans  un  de  ces  appareils.  La  tem- 
pérature est  15°. 

A pèse28sret  est  placée  dans  l’air  ordinaire; 

B pèse  20gr  ; air  à56,5pour  100  d’oxygène; 

G pèse  20^r;  air  à 92,5  pour  100. 

Les  animaux  sont  laissés  dans  ces  conditions  jusqu’au  15  janvier. 

On  fait  alors  l’analyse  des  solutions  de  potasse,  et  les  lectures  des  cloches 
graduées.  Il  en  résulte  que 

A a consommé  205cc  d’oxygène  et  produit  » de  GO2, 

B — 157cc  — 7 1 cc,  8 — 

G — 1 14cc  — 62cc,8  — 

Si  l’on  tient  compte  des  poids  différents  de  ces  divers  animaux,  et  si  on 
les  rapporte  tous  à 20rr,  on  voit,  remplaçant  les  teneurs  de  l’air  en  oxy- 
gène par  les  valeurs  correspondantes  en  pression  barométrique,  qu’il  y 
a eu  i] 

A 1 atm.,  146cc  d’oxygène  consommé  et  » de  CO2  produit. 
2, 7 — 157cc  — 7 1 cc , 8 — 

4,4  — 114cc  — 62cc,8  — 


AIR  COMPRIMÉ  : FAIBLES  PRESSIONS. 


835 


Cette  expérience  nous  amène  aux  mêmes  conclusions  que 
la  précédente,  relativement  aux  combustions  intra-organi- 
ques. 


D.  — Capacité  pulmonaire. 

Les  expériences  que  j’ai  rapportées  quelques  pages  plus 
haut  ont  corroboré  cette  affirmation  des  auteurs  que  l’inspi- 
ration maximum  est  plus  grande  dans  l’air  comprimé  qu’à  la 
pression  normale. 

Comme  cette  modification  est  assez  considérable  et  qu’elle 
est  le  résultat  instantané  de  l’augmentation  de  la  pression 
ambiante,  j’étais  porté  à croire  qu’elle  est  due  à une  action 
mécanique,  agissant,  bien  entendu,  sur  la  seule  partie  com- 
pressible de  notre  individu,  c’est-à-dire  sur  les  gaz  intesti- 
naux. La  simple  diminution  de  volume  de  ces  gaz  devait, 
dans  ma  pensée,  avoir  pour  conséquence  une  augmentation 
de  la  cavité  thoracique,  le  diaphragme  s’abaissant  en  même 
temps  que  la  paroi  abdominale  pour  suivre  le  retrait  des  in- 
testins. 

Dans  le  but  de  m’en  assurer  et  de  mesurer  l’ampliation 
ainsi  acquise,  je  disposai  l’expérience  suivante  : 

Un  chien  est  tué  par  section  du  bulbe;  on  mesure  aussitôt 
après,  par  le  procédé  exact  qu’a  imaginé  M.  Gréhant1,  sa  ca- 
pacité thoracique;  puis  on  introduit  dans  sa  trachée  un  tube 
ayant  la  forme  d’un  Y,  dont  une  des  branches  débouche  au 
dehors,  tandis  que  l’autre  communique  avec  un  sac  de  caout- 
chouc bien  purgé  d’air;  deux  soupapes  disposées  en  sens  in- 
verse permettent  à l’air  extérieur  d’arriver  par  la  première 
branche,  tandis  qu’il  ne  peut,  une  fois  entré  dans  le  poumon, 
s’échapper  que  dans  le  sac  par  la  seconde  branche.  Les  choses 
étant  ainsi  disposées,  on  porte  le  corps  de  l’animal  dans  un 
appareil  à compression.  Ses  poumons,  en  communication 
avec  l’a ir,  peuvent  subir  les  modifications  de  capacité  dont 

1 Recherches  physiques  sur  la  respiration  de  l’homme.  Journal  de  l'anatomie 
et  de  la  physiologie  de  Robin;  1”  année,  p.  524;  18G4. 


834 


EXPERIENCES. 


nous  cherchons  à constater  l’existence.  Puis  on  décomprime 
brusquement  : Pair  du  poumon,  qui  se  trouve  alors  en  excès, 
sort  et  se  loge  dans  le  sac,  où  Ton  peut  en  mesurer  le  vo- 
lume, qui  indiquera  s'il  y a eu,  oui  ou  non,  augmentation 
dans  la  capacité  thoracique. 

Voici  la  formule  bien  simple  qui  sert  à chercher  et  à cal- 
culer cette  augmentation. 

Appelons  C la  capacité  pulmonaire  à la  pression  normale,  P 
la  compression  (nombre  total  des  atmosphères)  à laquelle  a 
été  soumis  l'animal,  et  Y le  volume  de  Pair  trouvé  dans  le  sac 

G i y 

après  la  décompression.  11  est  évident  que  la  formule  — - 

représentera  la  capacité  pulmonaire  pendant  la  compression, 
et  la  comparaison  du  nombre  ainsi  obtenu  avec  G montrera 
la  valeur  de  l'augmentation. 

Ceci  établi,  je  liais  à ses  deux  extrémités,  anale  et  œso- 
phagienne, le  tube  intestinal,  et  j’en  recueillais  les  gaz  sous 
Peau;  il  était  intéressant  de  voir  le  rapport  de  leur  volume 
avec  celui  des  variations  thoraciques  : 

Expérience  GCGXXIX.  — 27  juin.  Chien  de  4k,250,  qui  vient  de  mourir 
empoisonné  par  le  curare. 

On  le  porte,  disposé  comme  il  vient  d’être  dit  ci-dessus,  dans  l’appa- 
reil cylindrique,  et  on  le  pousse  à 5 atmosphères  ; après  la  décompression 
on  trouve  dans  le  sac  260cc  d’air. 

Or,  les  poumons  et  la  trachée  de  l’animal,  extraits  avec  soin,  et  malaxés 
sous  l’eau,  après  avoir  été  coupés  en  petits  fragments  jusqu’à  ce  que  ces 
fragments  aillent  au  fond  de  l’eau,  ne  laissent  échapper  que  1 J5CC  d’air. 

11  y a donc  eu  15cc  d’augmentation  de  volume. 

Le  tube  digestif  contenait  60cc  de  gaz,  dont  45cc  dans  l’intestin  grêle.  A 
3 atmosphères,  le  volume  ne  devait  plus  être  que  de  20cc.  Donc,  les  4GCC  en 
moins  ont  été  remplis  à peu  près  pour  un  tiers  par  le  diaphragme  et  pour 
deux  tiers  par  la  paroi  abdominale. 

Expérience  CGCXXX.  — 28  juin.  Chien  de  8k,7,  tué  par  section  de 

bulbe. 

La  capacité  pulmonaire  est  de  300cc. 

Après  avoir  été  à 3 atmosphères,  on  trou  ve  dans  le  sac  750cc. 

Donc,  d’après  la  formule  ci-dessus  indiquée,  l'augmentation  de  la  capa- 
cité thoracique  avait  été  de  5ÜCC. 

On  recommence  et  l’on  va  jusqu’à  G atmosphères.  A la  décompression, 
il  y a dans  le  sac  200ÜCC;  l’augmentation  dans  ce  cas  a donc  été  de  85cc. 


AIR  COMPRIMÉ  : FAIBLES  PRESSIONS. 


855- 


II  y a dans  le  tube  digestif  160cc,  qui,  à 5 atmosphères,  ont  dû  se  ré- 
duire à 55cc  (diminulion  de  volume  : 107cc),  et  à 6 atmosphères  ne  plus 
représenter  que  27cc  (diminution  : 155cc.) 

Expérience  CCCXXXI.  — 5 juillet.  Chien  pesant  8k,4,  tué  de  la  veille, 

La  capacité  pulmonaire  est  de  569cc. 

On  le  comprime  à 100cc  de  mercure  (pression  totale).  Le  sac  contient 
alors  157cc. 

Le  volume  réel  se  déduit  de  la  proportion 

100  : 76  = (569c  + 157  = 526cc)  : x.  = 399cc  ; 
soit  une  augmentation  de  50cc. 

Expérience  CCCXXX1I.  — 13  juillet.  Chien  pesant  6k, 65. 

La  capacité  pulmonaire  est  de  196cc. 

On  le  porte  à 5 atmosphères,  puis  on  trouve  dans  le  sac  512cc  d’air. 

La  capacité  pulmonaire  était  donc  de  256cc  ; soit  une  augmentation 
de  40cc. 

Expérience  CCCXXX1II.  — 26  juillet.  Chien  pesant  5k,5,  tué  par  le 
curare. 

Capacité  pulmonaire  252cc. 

Porté  à 5 atmosphères;  le  sac  contient  627cc  ; d’où  capacité  de  286cc, 
c’est-à-dire  augmentation  de  54cc. 

Porté  à 6 atmosphères;  le  sac  contient  1555cc;  d’où  capacité  de  294cc, 
c’est-à-dire  augmentation  de  62cc. 

Ainsi,  notre  prévision  s’est  vérifiée  ; la  capacité  pulmonaire 
a augmenté  dans  l’air  comprimé,  par  un  simple  effet  physi- 
que, en  dehors  de  toute  intervention  active  des  muscles  res- 
piratoires. Mais  cette  augmentation  n’a  jamais  représenté 
qu’une  fraction  de  la  diminution  de  volume  des  gaz  intesti- 
naux. De  plus,  mes  expériences  montrent  qu’elle  ne  grandit 
pas  proportionnellement  à la  pression,  tant  s’en  faut  : ainsi, 
dans  l’expérience  CCGXXX,  elle  était  à 5 atmosphères  de 
16  pour  100  de  la  capacité  initiale,  et  à 6 atmosphères  de 
26  pour  100  seulement  ; dans  l’expérience  CCCXXXIII,  à 5 at- 
mosphères, elle  était  de  25  pour  100,  et  à 6 atmosphères  de 
26  pour  100;  bien  plus,  dans  l’expérience  CCCXXXI,  avec  un 
tiers  seulement  d’atmosphère,  elle  a été  de  8 pour  100.  Cela 
se  comprend,  du  reste,  le  diaphragme  devant  rencontrer 
dans  sa  descente  sur  l’abdomen  plus  d’obstacles  que  les  pa- 
rois du  ventre. 


836 


EXPÉRIENCES. 


E.  — Pression  intr a- pulmonaire. 

On  sait  depuis  longtemps  que,  au  début  de  Einspiration, 
l’air  contenu  dans  la  poitrine  est  un  peu  raréfié,  et  qu’il  est 
un  peu  comprimé  au  commencement  de  l’expiration,  qu’en 
d’autres  termes,  comme  je  l’ai  dit  ailleurs,  « l’orifice  glotti- 
que  ne  suffit  pas  au  débit  de  la  pompe  respiratoire  ».  Ces  va- 
riations dans  la  pression  intra-pulmonaire , qui  ont  sur  le 
cours  du  sang  une  influence  si  considérable,  sont-elles  les 
mêmes  dans  l’air  comprimé  que  dans  l’air  normal?  Nous 
avons  vu  (page  268)  que  Pravaz  n’avait  pas  hésité  à les  consi- 
dérer comme  augmentées;  mais  il  ne  fournit,  non  plus  que 
Vivenot  et  les  autres  médecins  qui  ont  adopté  son  opinion, 
aucune  preuve  expérimentale  à l'appui  de  son  dire. 


Fi_p  66. — Appareil  pour  la  constatation  des  variations  de  la  tension  aéiienne  intra-pulmonaire. 

Pour  étudier  cette  difficile  question,  j’ai  mis  à profit  une 
méthode  expérimentale  que  j’ai  publiée  il  y a déjà  longtemps1. 
Un  animal  est  placé  sous  une  cloche  tubulée  bien  rodée  (fig.66) 
dont  le  bouchon  laisse  passer  un  tube  coudé  qui,  par  l’inter- 
médiaire d’un  tubede  caoutchouc,  se  rattache  au  polygraphe- 
Marey.  Les  oscillations  que  présente  alors  l’aiguille,  et  qui  cor- 
respondent aux  mouvements  respiratoires,  sont,  comme  je 

1 Leçons  sur  la  physiologie  de  la  respiration , p.  584. 


AIR  COMPRIMÉ  : FAIBLES  PRESSIONS. 


837 


l’ai  démontré,  occasionnées  par  les  changements  de  la  pres- 
sion intra-thoracique,  et  leur  amplitude  en  donne  une  me- 
sure relative. 

Rien  de  plus  simple  que  d’examiner  alors  les  tracés  qu’on 
obtient  soit  à la  pression  normale,  soit  dans  l’air  comprimé. 
Les  seules  précautionsà  prendre  sont  de  ventiler  convenable- 
ment la  cloche  avant  de  mettre  le  bouchon,  de  n’enregistrer 
que  lorsque  l’animal  est  bien  calme,  et,  pour  l’air  comprimé, 
d’éviter  les  variations  de  pression  pendant  la  durée  de  l’en- 
registrement : 

Expérience  CCCXXXIV.  — 12  février.  Un  chat  est  placé  sous  la  cloche 

A la  pression  normale,  il  donne  le  tracé  de  la  figure  67. 


Fig.  67.  — Variations  de  la  tension  intra-thoracique.  Pression  normale. 


On  enlre  avec  lui  dans  le  cylindre  à compression,  et  en  une  heure  en- 
viron, on  atteint  55e  de  compression  (pression  totale  128e).  On  obtient 
alors  le  tracé  de  la  fig.  68. 


Fig.  68.  — Variations  de  la  tension  intra-thoracique.  Air  comprimé.. 


L’examen  de  ces  deux  tracés  montre  : 1°  que  le  nombre  des 
respirations  a diminué  (dans  la  proportion  de  10  à 7)  ; 2°  que 
l’amplitude  des  oscillations  a également  diminué,  c’est-àr 
dire  que  les  variations  de  la  pression  aérienne  intra-thora- 
ciques  ont  été  moindres  dans  l’air  comprimé  qu’à  la  pression 
normale. 


838 


EXPÉRIENCES. 


F.  — Tension  artérielle. 

L’augmentation  de  la  tension  artérielle  sous  l’influence 
de  l’air  comprimé  a été  admise  sur  la  foi  des  tracés  spbyg- 
mographiques  de  Vivenot  (p.  445-444)  ; mais  aucune  expé- 
rience directe  n’avait  été  faite,  ou  plutôt  réussie,  dans  le  but 
de  constater,  par  le  manomètre,  le  sens  et  la  valeur  de  la 
modification. 

J’ai  essayé  de  combler  cette  lacune  par  les  expériences 
suivantes  : 

Expérience  CCCXXXV.  — 17  février.  Chien  de  moyenne  taille,  neuf,  atta- 
ché sur  la  gouttière. 

Le  kymographion  de  Ludwig,  fixé  dans  une  artère  fémorale,  donne  le 
tracé  de  la  figure  69,  dans  lequel  les  nvinima  sont  à 5e, 5 au-dessus  de  la 


Fig.  09.  — Tension  du  sang  dans  la  fémorale.  F'ression  normale. 


ligne  du  zéro,  ce  qui  indique  une  pression  de  11e,  et  les  maxima  à 6e, 7, 
d’où  une  pression  de  13e, 4,  soit  pour  la  valeur  de  Y oscillation  respiratoire 
2e, 4,  et  pour  la  pression  moyenne  12e, 2. 

L’animal  est  ensuite  placé  dans  l’appareil  à compression,  où  l’on  at- 


Fig.  70.  — Tension  du  sang  dans  la  fémorale.  Air  comprimé. 

teint  en  45m  la  pression  de  53e.  On  obtient  alors,  avec  la  meme  artère,  le 


AIR  COMPRIMÉ  : FAIBLES  PRESSIONS. 


859 


tracé  de  la  figure  70  : pression  minima  12e;  maxima  15e, 6;  moyenne 
15e, 8;  valeur  de  l'oscillation  5e, 6. 

Le  nombre  des  pulsations  est  descendu  environ  de  216  à 200,  et  celui 
des  respirations  de  41  à 29  par  minute. 

Expérience  CCCXXXVL  — 25  février.  Chien  de  forte  taille,  neuf,  vigou- 


Fig.  71.  — Tension  du  sang  dans  l’artère  carotide.  Pression  normale. 


reux,  sous  la  peau  duquel  on  a injecté,  pour  calmer  son  [agitation  inces- 
sante, 10c=  de  chlorhydrate  de  morphine.  Il  dort  tout  le  temps  de  l’expé- 
rience. 


Fig.  72.  — Tension  du  sang  dans  l’artère  carotide.  Air  comprimé. 


A la  pression  normale,  on  obtient,  par  une  artère  carotide,  le  tracé  de 
la  figure  71. 


Fig.  73.  — Tension  du  sang  dans  l’artère  carotide.  Pression  normale. 


Les  portes  fermées,  et  la  pression  portée  en  trois  quarts  d’heure  à 55e, 
on  recueille  le  tracé  de  la  figure  72. 


840 


EXPERIENCES. 


Enfin,  lors  du  retour  à la  pression  normale,  retour  qui  s’exécute  en 
5m,  on  a le  tracé  de  la  figure  75. 

L’expérience  se  résume  comme  il  suit  : 


Pression 

Pression 

Pression 

Oscillations 

Nombre 

minima. 

maxima. 

moyenne. 

respiratoires. 

des  respir, 

Tracé  A 

5e, 2 

7 e,  2 

5e, 8 

de  5 à 10mm 

48 

— B 

8e, 8 

•]  5e,  4 

10e,  4 

J 6 à 25mm 

28 

— G 

8e,  0 

1 1 ,0 

0e,  8 

5 à 14mm 

40 

Maintenant  se  pose  la  question  de  savoir  quelle  est  la  rai- 
son de  ces  modifications  dans  les  phénomènes  circulatoires. 
Faut-il  les  attribuer  à faction  du  sang'  suroxvgéné  sur  le 
cœur,  sur  le  système  nerveux  qui  commande  à cet  organe  et 
aux  mouvements  de  la  respiration?  Sont-elles,  au  contraire, 
la  conséquence  de  la  diminution  de  volume  des  intestins, 
réagissant  sur  le  jeu  des  organes  intra-thoraciques  ? 

On  pourrait,  sur  ce  point  disserter  longuement.  Le  plus 
sûr  est  d’expérimenter.  Or,  si  l’on  prend  les  tracés  cardiaques 
d’un  chien  qui  tantôt  respire  de  l’air  ordinaire,  tantôt  de 
l’air  chargé  d’oxygène  à 55  p.  100  environ,  ce  qui  corres- 
pond à peu  près  à la  tension  obtenue  dans  nos  appareils  à 
compression,  on  trouve  que,  malgré  un  certain  ralentisse- 
ment des  mouvements  respiratoires,  lorsque  l’animal  respire 
l’air  suroxygéné,  la  pression  artérielle  n’est  point  modifiée, 
et  que  le  jeu  du  thorax  l’influence  également  dans  les  deux 
cas. 

Il  devient  donc  évident,  par  la  comparaison  de  ces  résul- 
tats, que  : 

1°  La  pression  du  sang  (maxima,  minima,  moyenne)  a 
augmenté  dans  l’air  comprimé  ; 

2°  L’oscillation  due  à l’influence  respiratoire  a notable- 
ment augmenté  dans  fair  comprimé,  ce  qui  est  contraire  aux 
conclusions  de  Vivenot  (p.  449),  conclusions  basées,  du 
reste,  sur  des  observations  faites  chez  des  emphysémateux; 

5°  Ces  variations  ont  été  concomitantes  à un  ralentisse- 
ment de  la  respiration; 

4°  Elles  sont  dues  non  à l’action  de  l’oxygène  absorbé  en 
plus  grande  quantité  par  le  sang,  mais  à la  pression,  en  tant 
qu’agent  d’ordre  mécanique. 


AIR  COMPRIMÉ  : FAIBLES  PRESSIONS. 


8 il 

§ 2. — Séjour  prolongé  dans  l’air  comprimé. 

Dans  ce  second  paragraphe  vont  être  énumérées  des  expé- 
riences qui  ont  eu  pour  but  de  chercher  si  une  augmentation 
légère  dans  la  tension  de  l’oxygène  peut  agir  favorablement 
ou  défavorablement  sur  la  vie  des  animaux,  sur  leur  déve- 
loppement, en  un  mot  sur  l’ensemble  des  phénomènes]  de 
leur  existence,  et  cela  en  dehors  de  toute  analyse  physiolo- 
gique. Pour  étudier  cette  question  capitale,  j’ai  mis  en  expé- 
rience tantôt  des  œufs,  tantôt  des  cocons,  tantôt  de  petits 
animaux  aériens  ou  aquatiques;  j’ai  employé  parfois  Pair 
comprimé,  mais  plus  souvent,  à cause  de  la  facilité  à dispo- 
ser les  expériences,  de  Pair  dont  la  richesse  en  oxygène  avait 
été  augmentée. 

Arrivons  aux  expériences  : 

Expérience  CCCXXXVJI.  — 51  juillet.  Mis  dans  deux  grands  ballons, 
un  certain  nombre  de  chrysalides  de  mouches  du  même  âge, 

A,  le  ballon  est  plein  d’air. 

B,  le  ballon  est  plein  d’oxygène. 

9 août.  — 6 éclosions  de  mouches  à A,  rien  à B. 

10  août.  — Tout  éclos  à A,  presque  tout  à B. 

Expérience  CCCXXXVIN.  — 25  juin.  Cocons  de  vers  à soie,  du  même  jour 
(cette  expérience  a été  faite  en  même  temps  que  celle  de  la  page  815). 

A,  12  sont  placés  sous  une  cloche  ouverte. 

B,  12  dans  un  flacon  de  5 litres,  à la  pression  de  2 atmosphères. 

C,  6 dans  un  récipient  à eau  de  Seltz  de  un  litre,  à 5 atmosphères  d’air. 

On  change  tous  les  deux  jours  l’air  de  B et  G. 

% juillet.  A,  tout  éclos. 

B,  toutes  les  chrysalides  sont  très  vives;  2 sont  transformées  mais  res- 
tées dans  leurs  cocons. 

C,  les  chrysalides  sont  immobiles  ; mais  en  enlevant  la  peau  à quelques- 
unes,  on  trouve  le  papillon  presque  complet,  qui  a quelques  actions 
réflexes. 

Je  mets  B et  G à l’air  libre. 

15  juillet.  B,  un  papillon  sorti  du  cocon  et  vivant;  quelques  autres 
transformés,  mais  restés  dans  le  cocon,  et  morts  ; sous  la  peau  des  chry- 
salides restantes,  on  trouve  le  papillon  prêt  à sortir,  mais  mort. 

G,  toutes  les  chrysalides  sont  mortes,  sans  avoir  repris  de  mouvements  à 
l’air  libre  ; sous  la  peau  de  la  chrysalide,  les  papillons  ont  des  poils,  mais 
sont  peu  avancés. 


842 


EXPÉRIENCES. 


Expérience  CCCXXXIX.  — 15  avril.  Œufs  de  grenouille  un  peu  bilobés 
déjà,  placés  en  nombres  égaux  dans  quantité  semblable  d’eau  ; de  plus 
5 têtards  éclos  depuis  4 jours. 

A et  À',  sous  cloches  fermées,  air  ordinaire. 

B et  B',  sous  cloches  pleines  d’oxygène  à 95  pour  100,  récemment  pré- 
paré par  le  chlorate  de  potasse,  bien  lavé  sur  la  ^potasse  et  ayant  sé- 
journé deux  heures  sur  de  l’eau  pure 

Ces  4 cloches  étant  renversées  sur  des  assiettes  pleines  d’eau,  je  mets 
dans  l’eau  extérieure  aux  cloches  quelques  têtards  qui  devront  servir  de 
témoins. 

25  avril.  A et  A',  tous  éclos  et  très-vifs. 

B et  B',  tous  morts,  après  que  les  œufs  se  sont  développés  presque 
jusqu’à  éclore. 

Les  témoins  sont  bien  vivants. 

Expérience  CCCXL.  — 28  avril.  Têtards  de  grenouille  éclos  depuis  8 ou 
10  jours  en  nombre  égal  : 

A,  A',  cloches  renversées  sur  eau,  pleines  d’air  ordinaire. 

B,  B',  cloches  disposées  de  même,  pleinps  d’oxygène  bien  lavé,  à 95 
pour  100. 

Témoins  hors  des  cloches  comme  à l’expérience  précédente. 

1er  mai.  Tous  vivants. 

5 mai.  Les  témoins  et  les  têtards  de  A et  A'  sont  vivants;  ceux  de  B et 
B'  sont  tous  morts. 

Expérience  CCCXLt.  — 8 mai.  Têtards  : expérience  disposée  comme 
les  deux  précédentes,  avec  le  même  oxygène  conservé  sur  eau  bien 
propre. 

Dès  le  10,  il  y a deux  têtards  morts  dans  l’oxygène. 

11  mai , tous  sont  morts  dans  l’oxygène,  et  vivants  dans  l’air. 

Expérience  CCCXLII.  — 26  avril.  OEufs  de  grenouille  non  encore  bilo- 
bés. En  nombre  égal,  dans  même  quantité  d’eau,  sous  cloches  fermées. 

A dans  air  ordinaire. 

B dans  air  contenant  24  p,  100  d’oxygène. 

G — 28  — 

I)  — 51  — 

E devait  contenir  au  moins  80  p.  100  d’oxygène;  mais  l’analyse  n’a  pu 
être  faite  par  suite  d’un  accident. 

4 mai.  A,  grand  nombre  de  lêtards  éclos. 

B,  presque  autant  qu’à  A. 

G,  beaucoup  moins. 

D,  5 ou  6 seulement. 

E,  2 seulement. 

Plus  tard  (la  cloche  E ayant  été  renversée),  le  développement  s’égalise. 

21  mai , tous  les  têtards  sont  partout  bien  portants  et  semblables. 


I 


ATR  COMPRIMÉ  : FAIBLES  PRESSIONS.  845 

Expérience  CCCXLIII.  28  mai.  — Têtards  de  grenouille  ; eau. 

' A.  dans  flacon  plein  d’oxygène  probablement  à 90  p.  100. 

D,  dans  appareil  en  verre  à 5 atmosphères  d’air  ordinaire. 

Les  têtards  de  B meurent  le  50  mai. 

Ceux  de  A,  le  51 . 

Expérience  CCCXLIV.  — 2 juin.  Petites  anguilles  de  la  montée  ; pla- 
cées 5 par  5. 

A,  sous  cloche  pleine  d’air. 

B,  — d’oxygène  à plus  de  90  p.  100. 

C,  dans  l’appareil  en  verre,  à 5 atmosphères  d’air  ordinaire. 

4 juin.  A,  tout  vivant. 

B,  1 morte,  2 fort  malades. 

C,  2 mortes,  la  5e  fort  malade. 

Expérience  CCCXLY.  — 7 avril.  Œufs  de  grenouille  en  quantités  à peu 
près  égales,  dans  eau. 

A,  sous  cloche  pleine  d’air, 

B,  — d’air  à environ  55  p.  100  d’oxygène. 

C,  — d’air  à environ  65  p.  100  d’oxygène. 

D,  — d’oxygène  pur  90  à 95  p.  100. 

10  avril.  Les  jeunes  têtards  remuent  en  A et  en  B;  quelques-uns  sont 
libres  en  A. 

20  avril.  Tout  est  mort  en  C et  en  D ; les  têtards  vivent  et  sont  libres 
en  A et  B. 

1er  mai.  Id. 

4 mai.  Comme  on  n’a  pas  changé  l’air  ni  l’eau,  il  commence  à y avoir 
un  peu  de  putréfaction  des  œufs  à A et  à B;  cependant  les  têtards  vivent 
encore. 

10  mai.  Tout  mort;  odeur  infecte  à A;  un  peu  moindre  à B ; pas  d’o- 
deur de  putréfaction,  mais  une  sorle  d’odeur  de  marée  à C et  à D. 

Expérience  CCCXLVI.  — 15  avril.  Têtards. 

A,  air  libre. 

B,  5 atmosphères  d’air. 

20  avril.  Tout  vivant. 

lor  mai.  A,  vivants;  B,  morts. 

Expérience  CCCXLVIL  — 26  juin.  Cyprins  et  larves  de  chironomus , en 
grand  nombre,  dans  eau  avec  conferves. 

A,  sous  cloche  pleine  d’air. 

B,  — d’oxygène  à 85  p.  100. 

5 juillet.  Les  animaux  de  11  sont  moins  vifs  que  ceux  de  A;  les  con- 
ferves ont  l’air  malades. 

11  juillet.  Tout,  conferves,  cyprins,  larves,  est  mort  à B ; tout,  au  con- 
traire, est  parfaitement  vivant  à A,  dont  l’air  contient  encore  tout  son 
oxygène. 


844  EXPÉRIENCES. 

Expérience  CCGXEVIIL  — 4 octobre.  Larves  de  cousins , en  grand  nom- 
bre, dans  eau. 

A,  sous  cloche  pleine  d’air  ordinaire. 

B,  — d’air  à 52  p.  100  d’oxygène. 

C,  — 62  — — " 

D,  — 89  — — 

8 novembre.  Toutes  les  larves  sont  vivantes  sous  les  diverses  cloches; 
en  A il  s’en  est  transformé  un  grand  nombre,  aucune  en  B,  G et  D. 

Les  expériences  qui  viennent  d’être  rapportées  ont  été 
faites,  on  La  vu,  sur  des  vertébrés  (poissons,  têtards  et  œufs  de 
grenouille)  et  sur  des  invertébrés  (chrysalides,  larves  d’in- 
sectes aquatiques,  petits  crustacés  aquatiques);  ellesont  donné 
des  résultats  semblables,  ce  qui  permet,  je  pense,  de  géné- 
raliser les  conséquences  qu’on  en  peut  déduire. 

Or,  elles  me  semblent  prouver  d’abord  que  la  compression 
à 4 ou  5 atmosphères,  ou,  pour  parler  avec  plus  de  préci- 
sion, l’oxygène  à la  tension  de  80  et  au-dessus,  a une  action 
funeste  sur  les  animaux,  action  qui  se  manifeste  en  quelques 
jours  sur  les  animaux  à sang  froid,  et  qui  donnerait  sans 
doute  beaucoup  plus  rapidement  des  résultats  funestes  sur 
des  animaux  à sang  chaud. 

La  seconde  conclusion  qu’on  en  peut  tirer,  c’est  que  l’aug- 
mentation de  la  tension  de  l’oxygène  au-dessus  de  sa  valeur 
normale  dans  l’air  ordinaire  n’a  paru  présenter  aucun  avan- 
tage, tant  s’en  faut.  Quand  il  se  manifeste  quelque  différence, 
elle  est  en  faveur  de  l’air  normal  : la  vie  s’y  conserve  plus 
longtemps;  le  développement  des  têtards  ou  des  larves  d’in- 
sectes s’y  fait  plus  vite. 

Il  paraît  donc  démontré  que,  pour  des  animaux  sains,  la 
pression  atmosphérique  ordinaire  réalise  la  meilleure  condi- 
tion de  vie,  et  qu’une  augmentation,  pour  peu  qu’elle  soit 
notable,  est  plus  à craindre  qu’à  souhaiter. 


CHAPITRE  Y 


INFLUENCE  DES  MODIFICATIONS  DE  LA  TRESSION  BAROMÉTRIQUE 

SUR  LES  VÉGÉTAUX. 


11  était  impossible  de  ne  pas  se  poser  la  question  de  sa- 
voir si  la  pression  barométrique  a quelque  action  directe  ou 
indirecte  sur  les  phénomènes  de  la  végétation. 

Tout  le  monde  sait  que,  au  fur  et  à mesure  qu’on  s’élève  sur 
les  montagnes,  la  végétation  se  modifie.  Certaines  espèces 
disparaissent,  d’autres  se  montrent  qui  ne  vivent  point  dans 
la  plaine.  A de  grandes  hauteurs,  la  végétation  devient  misé- 
rable, pour  disparaître  enfin. 

Ces  changements  dans  la  flore  ont  été  étudiés  avec  soin 
par  des  botanistes  qui  ont  reconnu  que  non-seulement  l’al- 
titude, mais  la  latitude,  agissent  pour  déterminer  cette  dis- 
tribution géographique  d’un  nouveau  genre.  Les  zones  habi- 
tées par  certaines  espèces  ou  certains  groupes  varient  de 
hauteur  suivant  la  distance  plus  ou  moins  grande  de  l’équa- 
teur où  se  trouve  la  montagne  considérée. 

Ces  faits  rapprochés  de  cet  autre  que,  au  fur  et  à mesure 
de  l’élévation  la  température  diminue,  et  de  cet  autre  encore, 
que  certaines  plantes  des  flores  dites  alpines  se  retrouvent  au 
niveau  de  la  mer  dans  les  régions  froides,  ont  amené  les  bota- 
nistes à penser  que  l’influence  de  l’altitude  n’est  autre  chose 
que  l’influence  de  la  température;  si  bien  que  celle-ci  seule 


846 


EXPERIENCES. 


est  invoquée  par  les  auteurs  classiques,  comme  cause  déter- 
minante des  caractères  de  la  flore  des  hauts  lieux. 

Rien  ne  prouve  cependant  que  la  dépression  en  elle-même 
ne  soit  pour  quelque  chose  dans  ces  différences;  rien  ne 
prouve  que  des  plantes  de  plaine  vivraient  très-volontiers  sous 
une  très-faible  pression  barométrique,  alors  qu’elles  y trou- 
veraient même  une  température  analogue  à celle  dont  elles 
ont  besoin.  Pour  les  plantes,  en  effet,  à la  respiration  de 
l’oxygène  se  joint  l’absorption  diurne  de  l’acide  carbonique, 
et  l’action  de  la  pression  sur  ces  substances  gazeuses  peut 
n’ être  pas  à négliger. 

D’autre  part,  lorsqu’on  interroge  les  profondeurs  des  mers, 
on  voit  que  la  vie  végétale  s’éteint  à des  distances  qui  ne  sont 
pas  très-considérables,  et  qu’aux  différents  niveaux  cor- 
respondent différents  groupes  d’algues.  Ici,  ce  n’est  plus  à 
la  chaleur,  mais  à la  lumière  que  Ton  attribue  d’ordinaire  les 
modifications  dans  la  distribution  bathymétrique.  Le  pro- 
blème se  complique  encore  de  la  richesse  plus  ou  moins 
grande  des  eaux  profondes  en  oxygène  et  en  acide  carbonique 
libre.  Mais  à côté  de  ces  conditions  d’ordinaire  invoquées,  il 
ne  faudrait  point  oublier  la  pression  elle-même,  qui  peut- 
être  intervient. 

On  sent  que  ces  questions  sont  insolubles  par  l’observa- 
tion directe,  et  appellent  le  secours  de  l’expérimentation. 
Mais  celle-ci,  on  le  comprend  aussi,  est  extrêmement  difficile 
à mettre  en  action.  Les  végétaux  ne  traduisent  pas,  comme 
les  animaux,  par  des  signes  immédiats,  l’état  fâcheux  dans 
lequel  les  placent  des  conditions  nouvelles.  11  faut  les  main- 
tenir longtemps  dans  ces  conditions  pour  obtenir  quelques 
résultats.  Dé  plus,  ils  ont  besoin  pour  vivre  de  la  lumière.  Or, 
les  appareils  en  verre  capables  de  supporter  la  diminution  de 
pression,  sont  difficiles  et  coûteux  à installer.  C’est  bien  autre 
chose  encore  lorsqu’il  s’agit  d’augmenter  la  pression  : ici, 
l’exiguïté  des  dimensions,  l’épaisseur  des  verres,  la  présence 
des  pièces  de  fonte  et  des  grillages  protecteurs,  rendent  les 
expériences  presque  impossibles  à faire  dans  de  bonnes  con- 
ditions. 


EXPÉRIENCES  SUR  LES  VÉGÉTAUX. 


847 


Il  est  cependant  un  phénomène  végétatif  qui,  se  passant 
dans  l’obscurité  et  demandant  peu  de  place,  est  facile  à 
mettre  en  expériences  sous  les  diverses  pressions  : c’est  la 
germination.  C’est  aussi  sur  elles  presque  exclusivement 
qu’ont  porté  mes  essais. 

Pour  la  végétation  proprement  dite,  je  me  suis  souvent 
servi  des  sensitives.  Cette  plante  précieuse  a été  ainsi  utili- 
sée comme  un  réactif,  comme  une  sorte  de  végétal  à sang 
chaud,  ainsi  que  je  l’ai  autrefois  appelée1. 

Dans  mes  recherches  bibliographiques,  faites  postérieure- 
ment à la  terminaison  de  mes  expériences  et  au  moment  où 
je  commençais  à rédiger  le  présent  volume,  j’ai  trouvé 
qu’un  expérimentateur  ancien2  s’était  déjà  autrefois  occupé 
de  cette  question,  et  je  reproduis  ici  le  récit  de  la  tentative 
qu’il  fit  pour  la  résoudre  : 

Pour  étudier  l’influence  des  différentes  pressions  de  l’air,  sur  la  végéta- 
tion, ou  pour  mieux  dire  sur  la  grandeur  et  la  forme  des  plantes,  j’ai  fait 
germer  en  même  temps  de  l’orge  dans  de  Pair  raréfié  de  moitié,  dans 
lequel  l’éprouvette  barométrique  se  soutenait  à quatorze  pouces  ; et  dans 
l’air  condensé  au  double  de  l'état  ordinaire,  c’est-à-dire  sous  une  pression 
de  2 X 28  — 56  pouces  de  mercure.  Dans  l’une  et  l’autre  expérience  les 
grains  étaient  semés  dans  du  terreau  de  bruyère  et  également  humectés. 
Chacune  des  deux  cloches  dans  lesquelles  le  procédé  de  germination 
s’opérait  contenait  environ  520  pouces  cubes  d’air,  et  par  conséquent 
520 

la  première = 160  pouces  cubes  d’air  atmosphérique;  et  dans  la 

dernière,  520  X 2 — 640  pouces  cubes  du  même  fluide. 

La  germination  de  l’orge  eut  lieu  presqu’en  même  temps  sous  les  deux 
récipients,  et  les  folioles  naissantes  montrèrent  à peu  près  la  môme  teinte 
de  vert  ; mais,  au  bout  de  quinze  jours,  on  vit  dans  les  deux  cloches  les 
différences  suivantes  : 

Les  pousses  avaient  atteint  dans  l’air  raréfié  la  hauteur  de  6 pouces, 
et  celle  de  9 à 10  dans  l’air  condensé.  Les  premières  étaient  déployées 
et  molles;  les  dernières  étaient  roulées  autour  de  la  tige  et  solides.  Enfin, 
les  premières  étaient  humectées  à la  surface,  et  surtout  vers  la  pointe,  de 
gouttes  d’eau,  dont  deux  étaient  toujours  vis-à-vis  l’une  de  l’autre,  et  les 
dernières  étaient  au  contraire  presque  sèches,  surtout  à la  surface.  Cette 

1 U.  Bert.  Sur  les  mouvements  de  la  sensitive,  2e  mémoire.  Soc.  des  sciences 
physiques  et  naturelles  de  Bordeaux,  t.  VIII,  p.  1-58,  1870. 

- Uôbereiner,  Expériences  sur  la  germination  dans  l'air  condensé  ou  raréfié.  — 
Biblioth.  univ.  de  Genève*  t.  XXII,  p.  121,  1823. 


848 


EXPÉRIENCES. 


différence  me  surprit,  ainsi  que  mes  auditeurs;  je  serais  disposé  à croire 
que  la  diminution  de  la  stature  des  plantes,  à mesure  qu’on  s’élève  dans 
les  montagnes,  dépend  plutôt  de  la  diminution  de  pression  que  de  la  cha- 
leur. 

On  voit  qu’on  ne  peut  en  réalité  rien  conclure  de  cette 
tentative,  puisoue  le  point  de  comparaison,  le  témoin,  la 
germination  sous  la  pression  normale,  avait  été  oublié  : dé- 
rogation malheureusement  trop  fréquente  chez  les  natura- 
listes aux  règles  de  la  méthode  expérimentale. 


SOUS-CHAPITRE  PREMIER 

PRESSIONS  INFÉRIEURES  A CELLE  ü’üNE  ATMOSPHÈRE. 


§ 1er.  — Germination. 

Commençons  par  des  expériences  faites  sous  des  pressions 
inférieures  à celle  de  l’atmosphère,  et,  d’abord,  par  les  expé- 
riences sur  la  germination  : , 

Expérience  CCCXL1X.  — 21  mai.  Blé.  — Semé  sur  terre  humide,  en 
nombre  à peu  près  égal  de  graines  et  recouvert  de  cloches. 

A.  Cloche  de  2*,2.  Laissé  à la  pression  normale. 

B.  — V,\.  Amené  à 50e  dépréssion. 

C.  — 111.  Amené  à 25e  de  pression. 

il  mai.  — A : Lesbrins  ont  environ  20e;  ils  sont  très-beaux,  très-verts, 
très-nombreux. 

B.  Les  brins  ne  dépassent  pas  15e;  ils  sont  beaucoup  moins  nombreux 
mais  assez  verts  et  dressés,  quoique  d’aspect  malade. 

C.  Pas  plus  de  10e  ; brins  rares,  jaunes,  retombant, 

27  mai.  — A : Tout  levé  et  pousse  vert  et  dru. 

B : Germination  beaucoup  moins  avancée. 

C : Beaucoup  moins  encore. 

A plusieurs  reprises,  pendant  la  durée  de  l’expérience,  il  y a eu  fuite 
et  on  a dû  ramener  le  vide  ; Pair  a donc  été  suffisamment  renouvelé. 

La  terre  était  très-arrosée,  et  l’air  saturé  d’humidité. 

Expérience  CCCL.  17  juin.  — Orge. 

Semé  dans  des  terrines  pleines  de  terre,  en  nombre  de  graines  sem- 
blable, et  placé  immédiatement  : 


849 


EXPÉRIENCES  SUR  LES  VÉGÉTAUX. 

A.  Sous  cloche  de  2*,2.  Laissé  à la  pression  normale. 

B.  — 7^1 . Amené  à 50e  de  pression. 

C.  — 111.  Amené  à 25e  de  pression. 

20  juin,  — Commencent  à pousser  partout. 

21  — Déjà  différence  évidente. 

22  — A : Les  brins  nombreux,  très-verts  et  très-roides  mesurent 
environ  10e. 

B.  Moins  nombreux,  moins  verts;  environ  8e. 

C.  Encore  moins;  environ  6e. 

25  juin.  — Je  coupe  tous  les  brins  au  niveau  du  grain  d’orge;  il  y en  a 
76  à A,  36  à B,  25  à C.  Je  mets  ces  brins  à l’étuve  et  les  fais  dessécher  à 
100  degrés  pendant  2 jours. 

Après  ce  temps,  chaque  brin  de  A pèse  8mg,8;  chaque  brin  de  B 7mg,  1 ; 
chaque  brin  de  C 6mg,2. 

Expérience  CCCLI.  — 11  juin.  — Orge  et  cresson  sur  terre  mouillée. 

A.  Pression  normale.  Cloche  de  1 litre. 

B.  Air  à 12e  de  pression.  — 6 litres. 

C.  — 8e  — — 8 litres. 

On  renouvelle  l’air  tous  les  jours. 

16  juin.  — Les  pousses  de  A sont  très-belles  et  vigoureuses  ; rien  à B ni 
àC. 

20  juin.  — B : Quelques  radicelles  et  des  moisissures  blacches  ; C seu- 
lement des  moisissures.  Je  ramène  B et  C à la  pression  normale  ; les  grains 
germent  avec  un  retard  dans  les  premiers  jours  pour  celles  de  C. 

Je  crois  inutile  de  rapporter  un  plus  grand  nombre  d’expé- 
riences ; chacune  de  celles  qui  précèdent  est,  en  réalité, 
multiple,  à cause  de  la  quantité  de  graines  qui  ont  été  semées 
ensemble.  Les  expériences  suivantes  en  corroborent  les 
résultats  qui  sont  du  reste,  suffisamment  nets. 

Ils  permettent  de  conclure,  à n’en  pas  douter,  que  la  ger- 
mination se  fait  avec  d’autant  moins  d’énergie  et  de  rapidité 
que  la  pression  est  plus  faible.  J’appelle  spécialement  l’at- 
tention sur  les  résultats  de  l’expérience  CGCL,  auxquels  le 
système  des  pesées  a donné  une  précision  particulière.  Ils 
montrent  que,  à la  pression  normale,  chacun  des  brins 
d’orge  poussés  pesait  plus  de  8 milligrammes,  tandis  qu’à  50e 
de  pression  ils  n’en  pesaient  que  7,  et  à 25e  que  6. 

De  plus,  il  germe  un  nombre  beaucoup  moins  grand  de 
grains  sous  basse  pression  qu’à  la  pression  normale.  Il  est 
assez  difficile  de  comprendre  la  raison  de  cette  inégalité,  qui 

54 


850 


EXPÉRIENCES. 


s’est  montrée  manifestement  à chaque  expérience  ; dans  la 
même  expérience  CCCL,  où  les  brins  ont  été  comptés,  on  en 
a trouvé  76  à la  pression  normale,  56  à 50e,  et  25  seulement 
à 25e. 

Il  est  donc  d’ores  et  déjà  bien  évident  que  la  germination 
doit  se  faire  moins  rapidement  et  moins  sûrement,  pour  les 
graines  analogues  à l’orge,  sur  les  grandes  hauteurs  que  dans 
la  plaine,  étant  supposées  égales  toutes  les  conditions  d’hu- 
midité, de  température  et  d’état  électrique  de  l’atmosphère. 

Ici  se  pose  maintenant  la  question  que  nous  avons  eu  à ré- 
soudre en  parlant  des  animaux.  Est-ce  à la  dépression,  en 
tant  que  condition  physique,  qu’est  due  la  lenteur,  puis  l’ar- 
rêt de  la  germination,  ou  bien  faut-il  attribuer  ces  phéno- 
mènes à la  moindre  tension  de  l’oxygène  de  l’air?  Tout  ce 
que  j’ai  dit  jusqu’ici  m’autorisait  à affirmer  l’exactitude  de 
cette  dernière  hypothèse.  J’ai  voulu  cependant  la  soumettre 
encore  à un  double  contrôle  expérimental,  dans  lequel,  il  est 
vrai,  je  me  suis  contenté  d’un  petit  nombre  d’expériences. 

Il  y a,  en  effet,  comme  nous  l’avons  vu,  deux  méthodes  à 
employer.  Nous  pouvons  étudier  des  germinations  faites  sous 
la  pression  barométrique  normale,  mais  dans  des  milieux 
peu  riches  en  oxygène.  Il  est  évident  que  si,  dans  ce  cas, 
nous  voyons  que  la  germination  se  fait  plus  vite  dans  l’air  que 
dans  un  milieu  moins  oxygéné  c’est  la  pauvreté  en  oxygène 
qu’il  faudra  accuser. 

Nous  pouvons  encore  comparer  avec  des  germinations 
faites  dans  l’air*  à la  pression  normale,  d’autres  germinations 
faites  à de  fortes  dépressions,  mais  dans  des  milieux  suroxy- 
génés, en  telle  sorte  que  la  tension  réelle  de  l’oxygène  soit 
à peu  près  égale  à celle  que  présente  l’air  dans  les  conditions 
barométriques  ordinaires. 

Voici  d’abord  une  expérience  faite  suivant  la  première  de 
ces  méthodes  : 

Expérience  CGCLII.  —12  juillet.  — Orge  semé  sur  papier  à filtre 
mouillé  ; 20  grains  dans  chaque  assiette. 

A.  Cloche  de  151  ; laissé  à l’air  sous  la  pression  normale. 

B.  — 201  ; je  fais  le  vide,  et  laisse  rentrer  url  air  très-appauvri  en 


851 


EXPÉRIENCES  SUR  LES  VÉGÉTAUX. 

oxygène  par  l’inflammation  du  phosphore.  Le  mélange  contient  ainsi 
10  pour  100  d’oxygène. 

On  remarquera  que  la  capacité  des  cloches  varie  en  sens  inverse  de  la 
quantité  d’oxygène. 

16  juillet.  — Les  pousses  dans  A sont  plus  fortes  que  dans  B. 

18  juillet.  — Les  pousses  dans  A (air)  sont  de  12e  en  moyenne;  celles 
dans  B (azote)  de  10e. 

22  juillet.  — A en  moyenne  21e  ; B en  moyenne  19e. 

Cette  expérience  montre  bien  nettement  que,  dans  l’air 
pauvre  en  oxygène,  malgré  que  la  quantité  totale  en  soit  bien 
suffisante,  la  germination  se  fait  moins  vite  que  dans  l’air 
ordinaire. 

Je  n’ai  pas  cru  devoir  insister  sur  cet  ordre  d’expériences, 
parce  que  les  anciennes  recherches  de  Senebier,  de  Saussure, 
de  Lefébure,  etc.,  bien  que  manquant  de  précision  au  point 
de  vue  de  l’analyse  chimique  du  milieu  aérien,  déposent  net- 
tement dans  le  même  sens. 

Voici  maintenant  des  expériences  faites  par  la  deuxième 
méthode  : 

Expériences  CCCL1II.  — 9 octobre  1872.  — Orge  et  cresson,  semés  sur 
papier  mouillé. 

A.  &ir  à la  pression  normale. 

B.  Air  à 16e  de  pression. 

C.  On  fait  le  vide,  puis  on  laisse  rentrer  de  l’oxygène,  jusqu’aurétablisse- 
ment  de  la  pression  normale  ; la  même  opération  est  alors  recommencée; 
enfin  on  ramène  cette  atmosphère  suroxygénée  (dont  malheureusement 
on  a perdu  l’échantillon  destiné  à l’analyse)  à la  pression  de  16e* 

12  octobre , quelques  graines  commencent  à germer  en  A. 

Le  14,  la  germination  commence  à C. 

Le  16,  les  pousses  sont  un  peu  plus  belles  en  A qu’en  C. 

Le  19,  quelques  germes  apparaissent  en  B;  A est  toujours  un  peu  en 
avance  sur  G. 

23  octobre , en  A,  l’orge  a 8e,  le  cresson  5e  ; en  C,  l’orge  a 7e,  le  cres- 
son 3e,  mais  ses  germes  sont  un  peu  moins  beaux  qu’en  A;  B n’a  qu’une 
pousse  d’orge  de  6e  au  plus,  et  le  cresson  n’a  que  1e, 5. 

Expérience  GGCLIV.  — i novembre.  — Semis  d’orge  et  de  cresson  sur 
papier  mouillé  (une  vingtaine  de  graines). 

A.  Air  à la  pression  normale, 

B.  Air  à 15e  dépréssion. 

G.  Oxygène  à 71  pour  100,  ramené  à 20e  de  pression,  ce  qui  corres- 
pond à 18  pour  100  sous  la  pression  normale. 


852 


EXPÉRIENCES. 


7 novembre , quelques  germes  apparaissent  à A. 

Le  8,  quelques-uns  à G. 

Le  11,  commencement  de  germination  à B. 

25  novembre , l’état  est  le  suivant  : 

A.  Les  graines  sont  toutes  poussées,  les  germes  sont  très-verts  ; le  cres- 
son a environ  2e,  l’orge  12e. 

B.  Est  remonté  à 25°  de  pression  : Cresson  plus  long,  mais  moins  vert 
qu’à  A.  3 grains  d’orge  seulement,  aussi  longs,  mais  plus  minces  et 
moins  verts  qu’à  A. 

G.  Est  remonté  à 40e  (par  conséquent  est  moins  oxygéné).  Les  pousses, 
fort  nombreuses  et  fort  belles,  ressemblent  tout  à fait  à A. 

Ces  expériences  amènent  aux  mêmes  conclusions  que  les 
précédentes.  On  voit,  en  effet,  que  les  grains  semés  dans  des 
atmosphères  très-oxygénées  ont  poussé  aussi  vite  que  dans 
l’air  à la  pression  normale,  malgré  la  basse  pression  baromé- 
trique à laquelle  ils  étaient  soumis.  Celle-ci  n’a  donc  nulle 
influence,  lorsque  la  proportion  centésimale  de  l’oxygène  est 
suffisante  pour  que  la  tension  réelle  de  ce  gaz  se  maintienne 
à une  valeur  voisine  de  celle  qu’il  a dans  l’air  ordinaire  et 
à 76e. 

Il  est  donc  bien  établi  que  le  ralentissement  de  la  germi- 
nation, constaté  dans  toutes  les  expériences  qui  précèdent, 
lorsque  la  pression  barométrique  est  très-faible,  est  dû  à la 
faible  tension  de  l’oxygène.  Les  graines  ne  respirent  pas  suf- 
fisamment, malgré  qu’elles  aient  à leur  disposition  de  très- 
grandes  quantités  d’oxygène  en  poids.  Comme  pour  les  glo- 
bules sanguins,  l’absorption  de  l’oxygène  par  les  cellules 
végétales  est  en  rapport  avec  la  tension  extérieure  de  ce  gaz. 

Il  était  intéressant  de  chercher  à quelle  limite  inférieure 
de  pression  se  peut  faire  la  germination.  Les  expériences  qui 
précèdent  montrent  déjà  qu’elle  évolue  encore,  bien  que  fort 
lentement,  à la  pression  de  15e,  pression  beaucoup  plus  faible 
que  celle  de  l’atmosphère  au  sommet  de  la  plus  élevée  des 
montagnes,  le  mont  Everest  dans  l’Himalaya. 

Les  expériences  suivantes  répondent  à cette  question  : 

Expérience  GCGLV.  — 14  décembre.  Orge  (une  douzaine  de  graines)  et 
cresson  sur  papier  mouillé.  Cloches  de  ll,5. 

A.  Air  : pression  normale. 


853 


EXPÉRIENCES  SUR  LES  VÉGÉTAUX. 

B.  Air  : 6e  de  pression  : la  tension  de  l’oxygène  correspond 
à 76  : 6 = 21  : x = \,6  pour  100  à la  pression  normale. 

17  décembre.  — A.  Quelques  graines  de  cresson  ont  fendu  leurs  enve- 
loppes. 

20  décembre.  — A.  Toutes  les  graines  de  cresson  ont  fendu  leurs  enve- 
loppes ; quelques  graines  d’orge  ont  poussé  leurs  radicules. 

B.  7e  de  pression;  rien  n’a  apparu. 

\û  janvier.  — A.  Les  graines  de  cresson  ont  germé  ; les  pousses  d’orge 
atteignent  12e. 

B.  Deux  grains  d’orge  ont  poussé  ; ils  atteignent  6e. 

Les  graines  de  B,  ayant  été  ramenées  à la  pression  normale,  poussent 
toutes,  cresson  et  orge. 

Expérience  CCCLYI.  — 11  mars.  — Je  sème  sur  papier  à filtre  mouillé, 
40  grains  d’orge  et  du  cresson. 

A.  A la  pression  normale. 

B.  Dans  une  cloche  de  71,  amenée  à 4e  de  pression. 

28  mars  : A.  Tout  poussé;  l’orge  à des  pousses  de  4,  5 et  6e;  B,  dont  on 
a change  l’air,  le  15,  le  18,  le  23  et  le  26,  ne  présente  aucune  trace  de 
germination.  On  le  remonte  à 8e. 

26  avril.  — On  a changé  l’air  de  B le  31  mars,  le  6,  le  8,  le  11  avril; 
rien  n’y  est  apparu,  sinon  des  moisissures. 

On  sème  à l’air  sur  papier  mouillé. 

20  mai.  — Belles  pousses  de  cresson,  mais  l’orge  n’a  pas  poussé. 


C’est  donc  aux  environs  de  7e  de  pression  que  la  germina- 
tion ne  peut  plus  se  faire.  Il  est  curieux  de  voir  que  cette 
dépression  est  précisément  celle  à laquelle  succombent  rapi- 
dement, quelques  précautions  qu’on  prenne,  les  animaux 
à sang  chaud  (voy.  p.  755),  et  ne  peuvent  vivre  longtemps  les 
vertébrés  à sang  froid. 

Si  l’on  cherche  la  valeur  centésimale  d’oxygène  à laquelle 
correspond,  à la  pression  normale,  la  tension  de  l’oxygène 
sous  cette  pression  de  7e,  on  la  trouve  à l’aide  de  la  propor- 
tion suivante  20,9  : 7 = 76:æ=2,5.  Ceci  se  rapproche 
beaucoup  des  expériences  de  Lefébure  qui  a montré  que  la 
germination  de  la  Rave  se  fait  encore,  bien  que  lentement  et 


1 


incomplètement  quand  l’air  ne  contient  plus  que  ^d’oxy- 


gène, soient  5,4  pour  100. 


854 


EXPÉRIENCES. 


g 2.  — Végétation. 

J’ai  fait  en  outre  quelques  tentatives  pour  voir  si  je  pourrais 
obtenir  quelque  action  sur  la  végétation  proprement  dite  : 

Expérience  GCGLVII.  -—15  juin.  Orge. 

Je  sème  des  grains  d’orge,  en  même  quantité,  dans  trois  terrines  sem- 
blables, pleines  de  terre  ; je  laisse  le  tout  sous  des  conditions  égales. 

25  juin y les  trois  semis  ont  bien  poussé,  mais  un  peu  inégalement; 
à l’un,  les  brins  mesurent  en  moyenne  14“;  à l’autre,  15;  au  troisième, 
16  à 17. 

Je  les  place  sous  5 cloches  : 

A.  Le  semis  le  moins  beau  ; laissé  à la  pression  normale. 

B.  L’intermédiaire  ; amené  à 50e  de  pression. 

C.  Le  mieux  allant;  amené  à 25e. 

27  juin . Les  trois  semis  ont  conservé  leurs  différences  primitives. 

3 juillet.  Même  résultat. 

Expérience  CCCLVIIL  24  juillet.  Sensitives  d’un  même  semis  ; une  dans 
chaque  pot,  ayant  environ  10e  de  hauteur. 

A.  Je  mets  4 pots  sous  cloche  de5l,5  à la  pression  normale. 

B.  4 pots  sous  cloche  7',1  ; amené  à 50e  de  pression. 

G.  — 111  25e. 

Toutes  reposent  sur  des  assiettes  pleines  de  terre  bien  mouillée,  et  sont 
placées  à un  éclairage  suffisant. 

On  a diminué  la  pression  avec  précaution  ; les  folioles  se  sont  fermées 
aux  environs  de  20e  de  diminution,  pour  se  rouvrir  ensuite. 

Dès  le  soir,  G ferme  ses  folioles  beaucoup  plus  tard  que  les  deux  autres* 

25  juillet.  Il  y a eu  rentrée  d’air  à G ; la  pression  est  de  40e  environ. 
On  ramène  à 25e.  Un  certain  nombre  de  folioles  et  même  quelques  feuil- 
les tombent  déjà  ; une  ou  deux  sensitives  paraissent  morte®- 

B.  Un  peu  malades. 

A.  Vont  très-bien. 

26  juillet.  — C.  La  pression  est  remontée  à 45e  environ;  cependant, 
toutes  les  sensitives  sont  mortes. 

B.  Toutes  malades,  quelques-unes  mortes. 

A.  Vont  très-bien  ; grandissent. 

27  juillet . — B.  Toutes  mortes. 

À.  Vont  très-bien. 

Expérience  CGCLIX.  — 1er  août.  Sensitives  semblables  à celles  de  l’expé- 
rience précédente.  Deux  dans  chaque  cloche. 

A.  Amené  à 60e  de  pression. 

B.  — 50e  — 


855 


EXPÉRIENCES  SUR  LES  VÉGÉTAUX. 

3 août.  Quelques  folioles  et  feuilles  tombent  à G. 

6 août.  — 3 heures.  — A.  Folioles  sensibles  et  ouvertes  ; B.  Demi-fer- 
mées ou  peu  sensibles  ; G.  Complètement  fermées. 

7 août.  Ramené  à la  pression  normale. 

Tout  est  sensible  ; G.  Beaucoup  moins  que  les  autres  ; C.  ne  ferme  pas 
bien  le  soir. 

9 août.  — A,  Va  bien  ; très-sensible;  B.  Peu  sensible  ; malade  ; jaunâ- 
tre ; G,  Feuilles  tombent  ; mourante. 

Il  est  donc  bien  certain  que,  sous  l’influence  de  faibles  pres- 
sions barométriques,  les  sensitives  deviennent  rapidement 
insensibles  et  meurent.  Il  reste  à savoir  quelle  est  la  cause  de 
cette  mort.  Faut-il  l’attribuer,  comme  nous  sommes,  pour 
ainsi  dire,  habitués  à le  faire  jusqu’ici,  à la  faible  pression 
d’oxygène?  doit-on  simplement  accuser  la  dilatation  des  gaz 
que  contient  la  plante,  dilatation  due  à la  dépression  et  qui 
suffirait  pour  impressioner  d’une  manière  funeste  une  plante 
aussi  délicate? 

L’expérience  suivante  répond  à cette  question  : 

Expérience  GGCLX.  — 25  juillet.  Deux  pots  contenant  chacun  3 jeunes 
sensitives. 

A.  Amené  à 25e  de  pression. 

B.  Je  diminue  la  pression  de  50e,  et  laisse  rentrer  de  l’oxygène,  puis  ra- 
mène la  pression  à 25e.  La  tension  de  l’oxygène  dans  cette  cloche  corres- 
pond à peu  près  à celle  de  l’air,  à la  pression  normale. 

26  juillet.  — A.  Sont  malades. 

27  juillet.  — A.  Sont  mortes  ; B.  Bien  portantes. 

C’est  donc  ici  encore  la  tension  trop  faible  de  l’oxygène  qui 
a tué  les  sensitives  soumises  à une  basse  pression. 

Voici  enfin  une  expérience  qui,  pour  avoir  été  faite  sur  un 
végétal  presque  microscopique,  n’en  a pas  moins  son  intérêt  : 

Expérience  GCCLXï.  — 8 avril.  Débris  d’œufs  de  grenouille,  avec  un  peu 
de  matière  verte  de  Priestley. 

A.  Flacon  à la  pression  normale. 

B.  Flacon  à 25e  de  pression. 

25  avril . Matière  verte  abondante  en  A ; rien  en  B. 

Ainsi  la  diminution  de  pression  s’oppose  à la  végétation 
comme  à la  germination  ; elle  tue  les  végétaux:  au  même  degré 


856 


EXPERIENCES. 


où  elle  tue  les  animaux  à sang  froid,  où  elle  suspend  complè- 
tement la  vie  des  graines,  sans  la  tuer  cependant. 

L’unité  des  phénomènes  de  la  respiration  dans  les  deux 
règnes  s’accentue  ici  de  la  manière  la  plus  nette. 


SOUS-CHAPITRE  II 

PRESSIONS  SUPÉRIEURES  A CELLE  d’uNE  ATMOSPHÈRE. 


§ 1er.  — Germination. 

Passons  maintenant  aux  expériences  faites  sous  augmenta- 
tion de  pression  ; et  d’abord,  la  germination.  J’ai  toujours 
fait  mes  semis  sur  du  papier  humide,  des  expériences  préa- 
lables m’ayant  montré  que  la  présence  de  la  terre  complique 
les  résultats  : 

Expérience  CCCLXI1.  — 7 juillet.  Semis  d’orge  sur  papier  à filtre  mouillé. 

A.  Récipient  de  1 litre,  poussé  à 1 atmosphère  3/4. 

R.  Récipient  semblable;  pression  normale;  bien  bouché. 

9 juillet.  — R.  Commence  à pousser  ; A.  Rien. 

10  juillet.  — R.  Les  brins  ont  environ  2e;  ils  commencent  à paraître 
en  A. 

On  a renouvelé  l’air  tous  les  jours. 

1 % juillet.  — R.  Rrins  de  12e  environ  ; A.  N’ont  que  8 à 10e. 

Cessé  l’expérience. 

Expérience  CCCLXIIÏ.  — 13  juillet.  Semis  d’orge  sur  papier  à filtre 
mouillé.  20  grains  dans  chaque  semis. 

A.  Récipient  cylindrique  de  650ee,  poussé  à 5 atmosphères.  On  change 
l’air  tous  les  jours. 

R.  Éprouvette  de  même  dimension  à peu  près  ; laissée  à la  pression 
normale;  bien  bouchée. 

16  juillet.  La  germination  commence  à R. 

18  juillet.  — Dans  B,  les  pousses  ont  environ  7e;  la  germination  com- 
mence à A. 

20  juillet.  — B.  13e  ; A.  3 à 5e. 

26  juillet.  — B.  18e;  A.  3 à 5e. 

Je  décomprime,  retire  avec  soin  les  divers  grains  et  les  place  sur  de  la 
terre  humide. 

A.  Grandit  rapidement  et  rattrape  à peu  près  B. 

Expérience  CCCLXIY.  — 31  juillet.  Semis  d’orge  sur  papier  mouillé. 

A.  Récipient  cylindrique  poussé  à 10  atmosphères. 


857 


EXPÉRIENCES  SUR  LES  VÉGÉTAUX. 

B.  Éprouvette  de  même  volume  ; pression  normale  ; bien  bouchée. 

o août.  La  germination  commence  à B. 

Je  décomprime  A;  mais  en  rechargeant,  je  ne  puis  dépasser  7 atmos- 
phères. 

5 août.  Les  brins  à B ont  5 à 6e  ; à A,  on  ne  voit  que  quelques  radi- 
cules sorties. 

7 août.  13e  à B ; à A,  seulement  quelques  radicules. 

Je  cesse  l’expérience  ; l’air  de  A analysé  ne  contient  pas  d’acide  carbo- 
nique. 

A.  Semé  sur  papier  mouillé  ; n’a  pas  commencé  à germer  le  10  août. 

Expérience  CCCLXV.  — 1er  mars.  Semis  de  30  grains  d’orge. 

A.  Dans  le  réservoir  cylindrique  , air  ordinaire,  2 3/4  atmosphères  de 
pression. 

B.  Éprouvette  fermée;  pression  normale. 

4 mars.  On  change  l’air. 

8 mars.  Pousses  plus  vertes  et  plus  longues  à B qu’à  A.  On  change  l’air. 

10  mars.  — A.  9 grains  sans  germe  ; 11  avec  seulement  des  radicules  ; 

10  avec  pousses  pâles  de  2e. 

B.  11  grains  sans  germe;  5 avec  radicules  seulement  ; 11  ayant  de  bel- 
les pousses  vertes  de  4e. 

Expérience  CGCLXYI.  — 30  mars.  Semis  de  20  grains  d’orge  sur  une 
même  quantité  de  papier  mouillé  avec  10e  d’eau. 

A.  Petit  récipient  du  gazogène  ; 2 atmosphères  d’air  changé  tous  les 
jours,  quelquefois  deux  fois  par  jour. 

B.  Récipient  semblable,  bouché  à la  pression  normale. 

3 avril.  Radicules  apparaissant  aux  deux. 

7 avril.  — A.  Est  un  peu  en  retard,  par  rapport  à B. 

Expérience  CCCLXV1I.  — 16  avril.  Semis  de  20  grains  d’orge.  Même  quan- 
tité de  papier  et  d’eau. 

A.  Petit  récipient  à eau  de  Seltz  non  grillé  ; poussé  à 2 1/2  atmosphères. 
— Comme  ce  récipient  fuit  un  peu,  je  recharge  au  moins  deux  fois  par 
jour,  quelquefois  à 3 atmosphères  ; ce  qui  fait  une  ventilation  bien  suffi- 
sante. 

B.  Récipient  semblable,  mais  grillé,  bouché  ; pression  normale  ; changé 
l’air  tous  les  jours. 

19  avril.  Radicules  apparaissent  à A et  à B. 

24  avril.  Pas  de  différence  bien  nette;  les  pousses  ont  environ  6e,  mais 
elles  sont  un  peu  plus  pâles  à A qu’à  B. 

28  avril.  Les  deux  semis  sont  à peu  près  identiques,  mesurant  10  à 12e. 
Les  pousses  de  A sont  moins  vertes  que  celles  de  B,  et  cependant  elles  re- 
çoivent notablement  plus  de  lumière. 

Expérience  CCCLXVIII.  — 28  avril..  Semis  de  20  grains  d’orge  et  de 
grains  de  radis. 


858 


EXPERIENCES. 


A.  Dans  le  récipient  cylindrique,  à 10  atmosphères  d’air;  on  change 
l’air  tous  les  jours,  matin  et  soir. 

B.  Dans  un  vase  mal  bouché  ; pression  normale. 

7 mai.  — A.  Aucun  développement  apparent;  B.  Les  pousses  de  radis 
ont  Ie, 5;  celles  de  l’orge  ont  5e. 

12  mai.  — A.  A peine  quelques  radicules  de  radis  et  d’orge. 

B.  Les  radis  mesurent  de  3 à 5e  ; l’orge  de  5 à 8e.  Je  décomprime  et 
sème  A sur  du  papier  mouillé  ; les  radis  commencent  à pousser  le  16  mai  ; 
l’orge  moisit. 

Expérience  CCCLXIX.  — Il  juin.  Semé  20  grains  d’orge  et  20  grains  de 
cresson. 

A.  Dans  réservoir  cylindrique,  à 5 atmosphères  d’air  ; changé  l’air  deux 
fois  par  jour. 

B.  Dans  éprouvette  fermée;  pression  normale. 

13  juin.  Quelques  radicules  d’orge  et  de  cresson  à A et  à B. 

1 § juin.  — A.  Le  cresson  a germé  ; l’orge  ne  montre  aucune  tige. 

B.  Cresson  plus  beau  qu’à  A ; orge  mesurant  de  1 à 2e. 

18  juin.  — A.  Les  pousses  de  cresson  ont  de  1e, 5 à 2e, 5 ; les  feuil- 
les ne  sont  pas  encore  étalées,  et  ne  sentent  pas  le  cresson  ; les  tiges 
d’orge,  au  nombre  de  16,  commencent  à sortir  du  fourreau  et  ont  de  1e, 5 
à 4e. 

B.  Pousses  de  cresson,  3e,  très-vertes,  étalées  en  rosette,  sentant  très- 
fort  le  cresson  ; 20  tiges  d’orge  de  8 à 9e,  quelques-unes  allant  jus™ 
qu’à  12e. 

Expérience  CCCLXX.  — 19  juin.  Orge  et  cresson  sur  papier  mouillé. 

A.  Sous  cloche  ; pression  normale. 

B.  6 atmosphères  d’air. 

On  change  l’air  tous  les  jours. 

22  juin.  — A.  Cresson  germé;  tigelles  de  l’orge  sorties. 

B.  Cresson  à peine  apparaît  ; on  voit  quelques  radicelles  d’orge. 

29  juin.  — A.  Cresson,  3e,  bien  vert  et  sentant  fort  ; orge  de  12  à 20e. 

B.  Cresson,  2e,  bien  vert  et  sentant  fort  ; orge,  tiges  de  1e, 5. 

Expérience  CCCLXXI.  — 17  août.  Semis,  sur  papier  bien  mouillé,  de 
graines  de  belles-de-nuit,  de  ricin  et  de  melon,  qui  ont  été  décortiquées 
après  deux  jours  de  séjour  dans  l’eau. 

A.  Appareil  cylindrique  à 2 atmosphères  d’air. 

B.  Vase  ouvert. 

18  août.  — 9 heures  du  matin  : à A et  à B,  quelques  belles-de-nuit 
ont  germé. 

Je  pousse  A à 6 atmosphères,  et  change  l’air  tous  les  jours. 

23  août.  — A.  Même  état. 

B.  Les  radicules  des  graines  de  melon  et  de  ricin  apparaissent. 

26  août . — A.  Rien  n’a  poussé. 


859 


EXPÉRIENCES  SUR  LES  VEGETAUX. 

B.  Les  belles-de-nuit  ont  2 à 3e  ; les  graines  de  melon  et  de  ricin  ont 
lancé  toutes  leurs  racines. 

B continue  à pousser  à l’air  libre,  tandis  que  rien  ne  pousse  à A, 

Ces  expériences  montrent  de  la  manière  la  plus  nette  que,  à 
partir  d’une  certaine  pression,  la  germination  est  ralentie, 
qu’à  une  pression  plus  élevée  elle  n’a  pas  lieu.  De  plus,  cer- 
taines graines  sont  mortes  alors  et  ne  peuvent  plus  se  déve- 
lopper quand  on  les  ramène  à la  pression  normale. 

Mais  avant  d’éludier  ces  résultats  dans  leurs  détails,  il  faut 
que  nous  résolvions  encore  la  question  que  nous  avons  plu- 
sieurs fois  rencontrée,  et  que  nous  sachions  si  cet  effet  fâ- 
cheux est  dû  à la  pression  même  ou  à la  tension  chimique 
exagérée  de  l’oxygène. 

Et  ici,  nous  retrouvons  les  diverses  méthodes  que  nous 
sommes  habitués  à employer  : 1°  faire  la  compression  avec 
de  l’air  pauvre  en  oxygène,  en  telle  sorte  que  la  tension  de  ce 
gaz  équi vaille  à celle  de  l’oxygène  de  l’air  à la  pression  nor- 
male; 2°  faire  des  expériences  à la  pression  normale  avec  de 
l’air  plus  riche  en  oxygène  que  l’air  ordinaire  ; 5°  employer 
à la  fois  une  faible  pression,  et  de  l’air  fortement  oxygéné,  de 
manière  à obtenir  une  haute  tension  avec  peu  de  pression. 

A.  — Pressions  fortes  avec  air  peu  oxygéné. 


Expérience  CGCLXXII.  — 13  juillet.  Semis  d’orge  sur  papier  mouillé. 

A.  Récipient  à pression  normale,  bien  bouché. 

B.  Semblable  ; poussé  à 4 atmosphères,  dont  5 d’air  très-riche  en  azote. 
14  juillet.  Mis  à 2 atmosphères  seulement.  On  a renouvelé  et  on  renou- 
velle chaque  jour  avec  air  très-azoté. 

16  juillet.  5 atmosphères.  Rien  ni  à A ni  à B. 

17  juillet.  Un  peu  de  germination  aux  deux. 

19  juillet.  — A.  Pousses  un  peu  plus  fortes  qu’à  B. 

22  juillet.  id. 

L’air  de  B contient  1,7  d’acide  carbonique  et  11,9  pour  100  d’oxygène. 
La  pression  de  l’oxygène  était  donc  à la  fin  13,6x3  = 40, 8. 

Expérience  CCGLXXIII.  — 4 novembre.  Orge  et  cresson  sur  papier 
mouillé. 

A.  Éprouvette  à pression  normale. 


860 


EXPÉRIENCES. 


B.  Appareil  cylindrique,  à 8 atmosphères  d’air  peu  oxygéné;  le  mé- 
lange contient  5,7  d’oxygène,  dont  la  pression  5,7  X 8—45,6  correspond 
à environ  2 atmosphères  d’air. 

7 novembre.  A,  quelques  germes. 

8 novembre.  A,  un  peu  plus  ; B,  rien.  L’appareil  a perdu,  la  pression 
est  tombée  à 6 atmosphères  ; on  la  remonte  à 8 avec  le  même  air. 

9 novembre.  Quelques  grains  d’orge  germent  à B : à A,  les  pousses  sont 
déjà  belles. 

11  novembre.  Même  état;  on  décomprime,  et  l’on  sème  sur  terre 
mouillée  les  grains  venant  de  B.  Le  gaz  de  l’appareil  contient  GO2  5,2  ; 
01,6;  la  pression  de  GO2  est  donc  ici  5,2x8  = 25,6. 

20  novembre.  Le  cresson  a 5e,  les  grains  d’orge  5 ou  6. 

Expérience  GCGLXXIV.  — 2 août.  Semis  d’orge  et  de  cresson. 

A.  Appareil  cylindrique  poussé  à 10  atmosphères  d’un  air  qui  contient 
9,8  p.  100  d’oxygène;  la  tension  de  ce  gaz  est  donc  98,  correspondant  à 
près  de  5 atmosphères  d’air. 

B.  Éprouvette,  pression  normale. 

5 août.  Je  ramène  A à 7 atmosphères  ; la  tension  de  l’oxygène  n’est 
plus  que  7x9,8  = 68,6  soit  un  peu  plus  de  3 atmosphères  d’air. 

4 août.  Les  cressons  et  l’orge  ont  poussé  partout,  bien  qu’avec  un  re- 
tard évident  de  A sur  B. 

Il  résulte  déjà  de  ces  expériences  que  c’est  bien  l’oxygène 
qu’il  faut  accuser.  En  effet,  dans  l’expérience  CCCLXXII,  la 
germination,  si  l’on  avait  employé  l’air  ordinaire,  aurait  été 
notablement  retardée,  tandis  qu’elle  l’a  été  à peine;  dans  les 
deux  autres  expériences,  elle  aurait  dû  être  complètement 
arrêtée  par  des  pressions  de  8 et  10  atmosphères,  tandis  qu’il 
n’y  a eu  qu’un  retard  explicable  par  la  tension  de  l’oxygène, 
qui  correspondait  déjà  à 2 atmosphères  (exp.  CGGLXXI11)  ou  à 
5 atmosphères  (exp.  GCGLXXIV). 

Dans  l’expérience  CCCLXXIII  un  élément  nouveau,  la  ten- 
sion considérable  de  l’acide  carbonique,  s’est  introduit  et 
vient  compliquer  les  résultats.  C’est  la  raison  pour  laquelle 
je  n’ai  pas  multiplié  les  expériences  faites  par  cette  méthode, 
où  il  était  assez  difficile  de  renouveler  suffisamment  un  air 
pauvre  en  oxygène. 


EXPÉRIENCES  SUR  LES  VÉGÉTAUX. 


861 


B.  — Pression  normale  : air  suroxygéné. 

J’arrive  aux  expériences  plus  nombreuses  et  bien  plus  con- 
cluantes faites  par  la  deuxième  méthode  : 

Expérience  GCGLXXV.  — 12  juillet.  Orge  semé  sur  papier  mouillé  ; 20 
grains. 

A.  Cloche  de  71;  air  contenant  65  p.  100  d’oxygène,  ce  qui  correspond 
à 3 atmosphères  d’air. 

B.  Cloche  de  131;  air  ordinaire. 

18  juillet.  A,  les  pousses  ont  8e  ; celles  de  B,  12e. 

22  juillet.  A,  en  moyenne  15e  ; B,  en  moyenne  21e. 

Expérience  GGGLXXVI.  — 4 novembre.  Semis  d’orge  et  de  cresson  sur 
papier  mouilléo 

A.  Air  à 79  p.  100  d’O.  c’est-à-dire  valant  près  de  4 atmosphères  d’air. 

B.  Air  ordinaire. 

7 novembre.  Quelques  germes  apparaissent  à B. 

9 novembre.  Quelques  germes  à A. 

25  novembre.  A.  Deux  grains  d’orge  seuls  ont  poussé,  et  mesurent  4e; 
le  cresson  a environ  2e  ; tout  est  peu  vert. 

B.  Toutes  les  graines  germées,  bien  vertes  ; le  cresson  a environ  2e, 
l’orge  12e. 

^ • 

Expérience  CCCLXXV1I.  — 7 décembre.  20  grains  d’orge  et  cresson  sur 
papier  mouillé.  Cloches  de  2 à 31. 

A,  dans  air  à 65  p.  100  d’oxygène. 

B,  — 40  — 

C,  — 51  — 

D,  dans  air  ordinaire. 

17  décembre.  Le  cresson  a poussé  partout  assez  également.  L’orge  jette 
partout  ses  radicules. 

1 eT  janvier.  A.  Les  pousses  d’orge  ont  9e,  les  tiges  sont  à moitié  ou- 
vertes, grêles,  peu  nombreuses  ; le  cresson  a 2e  ; tous  les  grains  ne  sont 
pas  germés. 

B.  Orge  12e,  tiges  vertes  ; cresson  2e. 

C.  Orge  13e,  tiges  élancées,  mais  fermées;  cresson  5e. 

D.  Orge  10e, tiges  larges,  étalées,  vertes;  cresson  2e,  tassé,  bien  vert. 

14 janvier.  A.  Orge  11e,  tiges  décolorées,  grêles,  peu  nombreuses; 

cresson  2e. 

B.  Orge  14e,  tiges  vertes,  ouvertes;  cresson  3e.  . 

C.  Orge  16e,  tiges  longues,  grêles,  fermées;  cresson  4e. 

D.  Orge  13e,  feuilles  ouvertes,  bien  vertes;  cresson  5e. 

20  janvier.  A.  Orge  11®,  tout  jaune,  mourant  ; B et  C,  orge  20e,  tiges 
jaunâtres  ; D,  14e,  bien  vert. 


m 


EXPÉRIENCES. 


Ainsi  B et  C ont  poussé  des  tiges  plus  longues  que  D,  mais  qui  ne  se 
portent  pas  aussi  bien  ; A au  contraire  est  tout  à fait  malade. 

Expérience  CCCLXXVIÏI.  — 11  mars.  40  grains  d’orge  et  des  graines  de 
cresson  sont  semés  sur  papier  à filtre  mouillé,  et  placés. 

A.  Dans  une  cloche  de  2L5,  pleine  d’air  à la  pression  normale. 

B.  Cloche  de  2*,25  ; pression  normale;  air  contenant  30,2  p.  100 
d’oxygène,  ce  qui  correspond  à peu  près  à 1 atmosphère  1/2  d’air. 

C.  Cloche  de  21, 6 ; pression  normale;  air  contenant  43  p.  100  d’oxv- 
gène,  soit  un  peu  plus  de  2 atmosphères  d’air. 

D.  Cloche  de  2!,5;  pression  normale  ; air  à 58,3  p.  100  d’oxygène,  soit 
2 atmosphères  3/4  d’air. 

29  mars.  Arrêté  l’expérience  : l’orge  et  le  cresson  ont  poussé  partout  ; 
à A et  B les  pousses  sont  un  peu  plus  vertes  et  de  1,5  à 2e  plus  longues 
qu'à  C et  D.  Du  reste,  l’air  de  B contient  17,5  d’oxygène  seulement,  avec 
13,4  d’acide  carbonique;  l’air  de  C contient  28,2  d’oxygène  et  12,3  de 
CO2  ; celui  de  D,  44,8  d’oxygène  et  11,2  de  CO2;  l’air  de  A a été  renouvelé. 

Expérience  CCCLXXIX.  — 6 mai.  Semis  d’orge. 

A.  Air  à 94  p.  100  d’oxygène,  soient  4 4/2  atmosphères  d’air. 

B.  Air  ordinaire. 

13  mai.  L’orge  a paru  aux  deux;  il  semble  y avoir  quelque  avantage 
pour  A,  qui  est  plus  vert. 

Mais  les  jours  suivants,  l’avantage  se  manifeste  à B,  et  le  20  mai,  les 
pousses  de  A n’ont  que  2 à 3e,  tandis  que  celles  do  B ont  8 à 9e. 

Cependant  l’analyse  de  l’air  de  B n’y  décèle  plus  d’oxygène,  et  il  s'y 
trouve  25,4  d’acide  carbonique;  à A,  il  y a 19,9  de  CO2,  et  seulement  71,6 
d’oxygène. 

La  tension  moyenne  de  l’oxygène  a donc  été  4 atmosphères  d’air  en- 
viron. 

C.  — Faibles  pressions  : air  sur  oxygéné. 

Expérience  CCCLXXX.  — 4 novembre.  Semis  d'orge  et  de  cresson  sur 
papier  mouillé. 

A.  A la  pression  de  3 atmosphères  d’un  air  contenant  86,9  p.  100 
d'oxygène.  La  tension  de  ce  gaz  est  ainsi  de  260,  correspondant  environ 
à 12  1/2  atmosphères  d’air. 

B.  Pression  normale,  air  ordinaire. 

7 novembre.  Rien  à A ; quelques  pousses  à B. 

11  novembre.  Rien  à A;  tout  a germé  à B.  L’air  de  A contient  encofé 
86,2  d’oxygène,  avec  0,7  d’acide  carbonique. 

Je  sème  sur  de  la  terre  humide  les  graines  de  A.  Le  20  novembre,  le 
cresson  commence  à pousser,  mais  l’orge  est  mort, 

Expérience  CCCLXXXL  — 31  mai.  Semis  de  grains  d’drge  sur  papief 
mouillé. 


865 


EXPÉRIENCES  SUR  LES  VÉGÉTAUX. 

A.  5&1  dans  réservoir  cylindrique  à 3 1/3  atmosphères  d’un] air  contenant 
54  p.  100  d’oxvgène;  la  tension  correspond  à 180,  soient  environ  9 at- 
mosphères d’air. 

B.  8sr,  pression  normale,  air  ordinaire,  cloche  de  1840cc. 

5 juin.  Aucune  germination.  Je  change  l’air  à B et  l’oxygène  à A.  Après 
cette  opération,  l’air  de  A contient  46,2  d’oxygène,  la  pression  est  pous- 
sée à 5 atmosphères  ; la  tension  est  donc  138,  soient  un  peu  moins  de 
7 atmosphères. 

7 juin.  A.  A peine  quelques  radicules;  la  pression  est  tombée  à 2 atmo- 
sphères; l’air  contient  2 p.  100  de  GO2  et  41,2  d’oxygène. 

B.  Les  pousses  ont  3 à 5e  et  sont  très-vertes.  L’air  contient  8 p.  100  de 
CO2  et  11,2  d’oxygène. 

En  supposant  pour  A une  pression  moyenne  de  2 1/2  atmosphères,  on 
trouve  que  dans  les  4 jours,  les  graines  de  A ont  consommé,  par  10&r 
136cc  d’oxygène,  et  celles  de  B 225cc. 

Je  sème  sur  de  la  terre  humide  les  graines  de  A,  qui  se  développent. 


Le  tableau  XYÏI  résume  les  résultats  principaux  des  expé- 
riences ci-dessus.  Elles  sont  disposées  suivant  l’ordre  crois- 
sant des  tensions  d’oxygène  exprimées  en  atmosphères. 

Les  diverses  méthodes  employés  concordent  pour  montrer 
qu’une  augmentation  même  légère  dans  la  tension  de  l’oxy- 
gène agit  d’une  manière  défavorable  à la  germination;  dès 
deux  atmosphères  ou  dès  40  p.  100  d’oxygène,  elle  est  ma- 
nifestement ralentie. 

A 5 atmosphères,  ce  qui  correspond  à l’oxygène  pur,  le  re- 
tard apporté  à la  germination  est  extrêmement  considérable. 

Au-dessus  de  7 atmosphères,  les  graines  ne  font  que  jeter 
quelques  radicules,  sans  qu’apparaisse  leur  tigelle. 

Enfin,  vers  10  atmosphères,  les  graines  dWge,  ramenées 
à la  pression  normale,  sont  mortes  et  ne  germeijt  plus,  tandis 
que  celles  de  cresson  résistent  et  poussent,  bien  qu’avec  une 
certaine  lenteur  (expér.  CGGLXXX). 

Or,  les  graines  de  cresson  ont  des  cotylédons  minces  et 
secs  et  ne  contiennent  pas  d’albumen.  Je  me  suis  demandé 
si  la  mort  des  germes  d’orge  ne  tiendrait  pas  à quelque 
altération  chimique  de  l’albumen  considérable  qui  les  ac- 
compagne. 

Mes  expériences  sur  la  fermentation,  qui  seront  rapportées 
au  chapitre;  m’ont  persuadé  de  l’exactitude  de  cette  hypo- 


864 


EXPÉRIENCES. 


thèse.  Du  reste,  on  voit  par  Texpérience  CCCLXX1  que  des 
graines  charnues  comme  celles  du  ricin  et  du  melon  ont  été 


TABLEAU  XVII. 


NUMÉROS 

DES 

EXPÉRIENCES 

PRESSION 

BAROMÉTRIQUE 

VALEUR  DE  LA  TENSION 
D’OXYGÈNE  EN  PRESSION 
BAROMÉTRIQUE 

DURÉE  DE  LA 
COMPRESSION  EN  JOURS 

ESPÈCES 

EN  EXPÉRIENCE 

COMPARAISON 

AVEC  LA  PRESSION  NORMALE 

CCCLXXVIII 

1 

1 1/2 

18 

Orge  et  cresson 

Aussi  bien  qu’à  l’air. 

CCCLXXVII 

1 

1 1/2 

43 

Orge  et  cresson 

Plus  longs  ; mais  moins  bien  por- 
tants. 

CCCLXII 

13/4 

1 3/4 

6 

Orge 

Un  peu  de  retard. 

CCCLXXVIII 

1 

2 

18 

Id. 

Un  peu  ralenti. 

CCCLXXVII 

1 

2 

45 

Orge  et  cresson 

Plus  longs;  mais  moins  bien  por- 
tants. 

CCCLXXII 

3 

2 

9 

Orge 

Un  peu  de  retard. 

CCCLXVI 

2 

2 

8 

Id. 

Id. 

CCCLXXVIII 

1 

2 1/2 

18 

Id. 

Id. 

CCCLXVII 

21/2 

21/2 

12 

Id. 

Un  peu  plus  pâle. 

CCCLXV 

23/4 

2 5/4 

10 

Id. 

Ralentissement  évident. 

CCCLXXV 

1 

3 

10 

Id. 

Ralenti. 

CCCLXXVII 

1 

3 

43 

Orge  et  cresson 

Ralenti  et  fort  mal  portants. 

CCCLXXIV 

7 

31/4 

2 

Id. 

Ralenti. 

CCCLXXVI 

1 

4 

11 

i Orge 

Cresson 

Quelques  grains  seuls  germent. 
Germe,  peu  vert. 

CCCLXXIX 

1 

41/2 

7 

Orge 

Très-ralenti. 

CCCLX1X 

5 

5 

7 

Orge  et  cresson 

Très-ralentis. 

CCCLXIII 

5 

» 

5 

13 

Orge 

Très-ralenti,  mais  pousse  très- 
bien  à l’air  libre. 

CCCLXXX 

G 

6 

10 

Orge  et  cresson 
Belles-de-nuit 

Très-ralentis,  orge  surtout. 
Germent,  mais  ne  poussent  plus. 

CCCLXXI 

6 

6 

9 

i Ricin 

Melon 

même  à l’air  libre. 

Pas  de  germination,  même  à l’air 
libre. 

CCCLXIV 

7 

7 

8 

Orge 

Quelques  radicelles. 

CCCLXXXI 

3 

7 

7 

Id. 

Quelques  radicelles;  pousse  à 
l’air  libre. 

CCCLXVII1 

10 

10 

14 

Id. 

Cresson 

Ne  germe  pas,  même  à l’air  libre. 
Germe  après  avoir  ramené  à l’air 
libre. 

CCCLXXX 

3 

121/2 

7 

Orge 

Cresson 

Rien  ; est  mort, 

Rien;  pousse  à la  pression  nor- 
male. J 

bien  plus  fortement  impressionnées  par  la  pression  que 
celles  des  belles-de-nuit,  qui  ressemblent  davantage  à celles 
du  cresson. 


EXPÉRIENCES  SUR  LES  VÉGÉTAUX. 


865 


Je  ferai  remarquer,  en  terminant,  que  pour  obtenir  des 
résultats  concluants,  il  faut  mouiller  les  graines.  Sans  quoi 
l’oxygène,  malgré  la  haute  tension,  ne  les  tuerait  point. 
Exemple  : 

Expérience  CCCLXXXII.  — 19  juillet.  On  place  dans  un  flacon  du  blé  sec; 
dans  un  autre  du  blé  humecté  au  préalable,  mais  qui  cependant  ne 
baigne  pas  dans  l’eau. 

Les  deux  flacons  sont  soumis  à 15  atmosphères  d’un  air  contenant  70 
p.  100  d’oxygène. 

31  juillet.  Décompression  et  semis. 

Le  blé  sec  pousse  parfaitement  bien;  l’autre  pourrit  en  terre  sans 
rien  donner. 

g 2.  — Végétation. 

Les  expériences  sur  la  végétation  sont  très-difficiles  à faire, 
on  le  comprend  aisément,  à cause  de  f exiguïté  des  récipients 
en  verre  et  de  leur  peu  de  transparence.  En  voici  cependant 
quelques-unes  qui  sont  suffisamment  concluantes: 

Expérience  CCCLXXXIII.  — 28  avril.  Orge  poussée  de  10  à 12e  dans  les 
grands  récipients  de  gazogène  à eau  de  Seltz  (2  lit.). 

L’un  A,  qui  est  dans  le  récipient  grillé,  est  fermé  et  laissé  à la  pression 
normale. 

L’autre  B,  récipient  non  grillé,  qui  laisse  passer  plus  de  lumière,  est 
poussé  à 3 atmosphères  suroxygénées,  que  l’on  change  deux  fois  par  jour. 

7 mai.  A a plus  que  doublé  de  longueur;  B n’a  pas  changé  : laissés  à 
l’air  libre,  les  brins  jaunissent  et  meurent. 

Expérience  CCCLXXXIY.  — 25  juillet.  Petites  sensitives  d’environ  6 à 8e 
de  haut,  bien  vivantes,  en  pot. 

A.  Mis  en  pot  dans  le  récipient  d’un  litre,  avec  grillage  ; laissé  à la  pres- 
sion normale,  bien  bouché. 

B.  Autre  pot  dans  récipient  semblable,  mais  sans  grillage,  et  par  con- 
séquent dans  de  meilleures  conditions  d’éclairage.  Porté  à 6 atmosphères 
d’air. 

Dès  le  soir  B est  insensible. 

26  juillet.  Les  feuilles  tombent  à B. 

27  juillet.  B complètement  mort;  A va  bien. 

Expérience  GCCLXXXV.  — 1er  août.  Sensitives  semblables  à celles  de 
l’expérience  précédente.  Mêmes  récipients. 

A.  A 3 atmosphères. 


55 


866 


EXPÉRIENCES. 


B.  Sous  pression  normale. 

5 août.  Toutes  deux  sensibles  et  bien  portantes. 

Expérience  CCCLXXXVI.  — 25  juillet.  Petites  sensitives,  bien  sensibles. 

A.  Appareil  cylindrique  à 4 atmosphères  d’oxygène  à 80  p.  100  ; ten- 
sion 520,  équivalente  à près  de  16  atmosphères  d’air. 

B.  Pression  normale,  air. 

27  juillet.  A,  morte;  B bien  sensible. 

Ainsi,  les  sensitives  périssent  rapidement  à 6 atmosphères 
d’air,  et  il  est  plus  que  probable  que  les  autres  végétaux 
verts  mourraient  à la  même  pression,  bien  que  beaucoup 
moins  rapidement.  Les  végétaux  paraissent  ainsi  redouter 
l’excès  de  tension  de  l'oxygène  encore  plus  que  les  animaux, 
même  que  les  animaux  à sang  chaud. 


SOUS-CHAPITRE  III 

RÉS'UMÉ. 

Les  expériences  contenues  dans  le  présent  chapitre  prou- 
vent en  résumé  que  sous  les  pressions  supérieures  ou  infé- 
rieures à une  atmosphère,  la  germination  et  la  végétation 
des  plantes  vertes  sont  ralenties,  arrêtées  même.  Comme 
pour  les  animaux,  cet  effet  funeste  est  dû  non  à la  pression 
même,  mais  à la  tension  de  l’oxygène,  tantôt  trop  faible,  d’où 
résulte  une  sorte  d’asphyxie,  tantôt  trop  forte  et  tuant  les 
graines  ou  les  plantes. 

Dans  la  troisième  partie  de  ce  livre,  nous  tirerons  de  ces 
faits  les  conséquences  qu’ils  comportent  relativement  à la 
distribution  géographique  des  plantes  et  à l’apparition  de  la 
vie  végétale  à la  surface  du  globe. 


CHAPITRE  VI 


ACTION  DES  MODIFICATIONS  DE  LA  PRESSION  BAROMÉTRIQUE 
SUR  LES  FERMENTS,  LES  VENINS,  LES  VIRUS  ET  LES  ÉLÉMENTS 

ANATOMIQUES. 


Les  travaux  admirables  de  M.  Pasteur  ont  démontré  que  les 
phénomènes  connus  sous  le  nom  de  fermentations  appar- 
tiennent à deux  catégories  bien  distinctes.  Les  uns  sont  cor- 
rélatifs au  développement  d’êtres  vivants  microscopiques, 
végétaux  ou  animaux  : telles  les  fermentations  alcoolique, 
acétique,  butyrique,  telle  la  putréfaction.  D’autres  sont  dé- 
terminés par  Faction  obscure  encore  de  substances  produites 
par  des  êtres  vivants,  mais  solubles  dans  l’eau,  et  conservant 
leur  vertu  après  avoir  été  isolées  des  liquides  où  elles  se  trou- 
vaient, etmême  desséchées  : telle  est  la  transformation  de  l’a- 
midon en  glycose  sous  l’influence  de  la  diastase  animale  ou 
végétale  : telle  la  formation  de  l’essence  d’amandes  amères 
par  la  synaptase  agissant  sur  l’amygdaline,  etc. 

Il  était  tout  naturel  de  se  demander  si  les  modifications  dans 
la  pression  barométrique,  nous  pouvons  dire  maintenant  dans 
la  tension  de  l’oxygène  ambiant,  exerceraient  sur  ces  phéno- 
mènes une  action  appréciable.  Tout  d’abord,  pour  les  fermen- 
tations vraies,  la  question  se  réduisait  à savoir  si  un  agent  à 
la  fois  aussi  nécessaire  et  aussi  redoutable,  suivant  les  doses, 
que  l’oxygène,  dont  la  privation  empêche  de  vivre  et  dont 


868 


EXPÉRIENCES. 


l’excès  tue  les  animaux  et  les  végétaux  visibles  à l’œil  nu,  et 
d’une  organisation  anatomique  un  peu  compliquée,  si  cet 
agent  serait  sans  action  sur  les  êtres  microscopiques,  réduits 
à la  structure  cellulaire.  Pour  les  fausses  fermentations,  les 
fermentations  zymotiques,  comme  elles  jouent,  à coup  sûr, 
un  très-grand  rôle  dans  les  phénomènes  chimiques  de  la 
nutrition  chez  tous  les  êtres  vivants,  il  était  intéressant  de 
savoir  si  la  tension  de  l’oxygène  pouvait  agir  sur  elle. 

Les  venins,  les  virus,  qui,  à tant  de  points  de  vue,  se  rap- 
prochent des  ferments  de  ces  deux  classes,  méritaient  égale- 
ment d’être  mis  en  expérience.  Enfin,  je  devais,  après  avoir 
étudié  ces  espèces  d’éléments  anatomiques  libres,  examiner 
l’action  des  modifications  de  la  tension  oxygénée  sur  les  di- 
vers éléments  anatomiques  dont  la  savante  agglomération 
constitue  un  être  vivant. 

Les  effets  si  curieux  de  l’augmentation  de  pression  de- 
vaient tout  particulièrement  fixer  mon  attention.  J’ai  cepen- 
dant fait  quelques  expériences  avec  l’air  dilaté;  mais  j’en 
mêle  le  récit  à celui  des  autres,  avec  lesquelles  elles  ont  été 
le  plus  souvent  faites  simultanément. 

Je  dois  dire  enfin  que  j’ai  employé  à tour  de  rôle,  et  sui- 
vant l’intérêt  des  expériences,  de  l’air  ordinaire  comprimé, 
de  l’air  suroxygéné  comprimé,  ou  de  l’air  suroxygéné  à la 
pression  normale.  Je  considère  comme  suffisamment  démon- 
trée par  toutes  les  recherches  antérieures  cette  vérité  que 
l’action  de  la  compression  n’est  autre  que  l’action  de  l’oxy- 
gène à haute  tension.  Du  reste,  pour  les  questions  traitées 
dans  ce  chapitre,  les  expériences  constituent  un  contrôle  qui 
devient  par  lui-même  démonstratif. 


FERMENTATIONS  PAR  ORGANISMES. 


869 


SOUS-CHAPITRE  PREMIER. 

FERMENTATIONS  PAR  ORGANISMES. 


g 1er.  — Putréfaction. 

J’ai  pris  tout  particulièrement  comme  type  et  sujet  d’étude 
les  fermentations  de  la  putréfaction.  Certes,  au  point  de  vue 
chimique,  les  phénomènes  que  la  putréfaction  présente  sont 
. extrêmement  complexes  et  difficiles  à suivre.  Mais  sa  con- 
stance, la  facilité  avec  laquelle  on  l’obtient,  les  signes  exté- 
rieurs aisés  à constater  qui  la  caractérisent,  m’ont  paru  être 
d’un  grand  avantage  pour  le  point  de  vue  auquel  je  suis 
placé.  Aussi  commencerai-je  par  énumérer  les  principales 
expériences  que  j’ai  faites  sur  ce  sujet  important. 

Il  s’agira  d’abord  de  la  putréfaction  de  la  viande  : 

A.  — Viande. 

Expérience  CCCLXXXVI.  — 21  juillet,  0 = 22°.  Muscles  de  chien  tué 
quelques  heures  avant.  100^r,  coupés  en  morceaux,  sont  placés  : 

A.  dans  un  flacon  de  21,  à la  pression  normale; 

R,  — 4*,250,  à 58e  de  pression  ; 

C,  dans  le  récipient  à eau  de  Seltz,  contenant  1050cc,  où  je  comprime  à 
5 1/2  atmosphères  un  air  suroxygéné  contenant  75,7  pour  100  d’oxygène. 

Tension  de  l’oxygène:  75,7x5,5  = 410,  équivalant  à 20,8  atmosphères 
environ. 

25  juillet.  A.  Le  tube  manométrique  annexé  indique  environ  1e  (mer- 
cure) d’excès  de  pression.  La  viande  est  évidemment  très-pourrie.  L’air 
du  flacon  est  horriblement  infect  ; il  contient  58  pour  100  d’acide  carbo- 
nique, mais  plus  trace  d’oxygène.  Il  y a eu  ainsi  41 0CC  d’oxygène  con- 
sommé et  760cc  d’acide  carbonique  produit. 

B.  La  pression  a baissé  de  1e  au  plus;  la  viande  a un  aspect  un  peu  rosé. 
L’air  du  flacon  est  un  peu  moins  infect  que  celui  de  A ; il  contient  50,9 
pour  100  de  CO2,  mais  plus  trace  d’oxygène.  Il  y a donc  eu  440cc  d’oxy- 
gène consommé  et  649cc  de  CO2  produit. 

C.  Pression  bien  maintenue.  La  viande  est  d’une  couleur  ambrée.  L’air 
du  récipient  n’a  aucune  odeur;  il  contient  7,2  pour  100  de  CO2  et  69  pour 
100  d’oxygène.  Il  v a donc  eu  environ  557cc  d’oxygène  consommé  et 
596cc  de  CO2  produit. 

Expérience  CCCLXXXXII.  — 27  juillet.  7h  du  soir.  0 = 25®.  Un  petit  chien 


870  EXPÉRIENCES. 

étant  mort  la  veille  au  soir,  ses  pattes  postérieures,  pesant  95sr,  sont 
placées  : 

A,  sous  une  cloche  de  51,200,  pleine  d’air  à la  pression  normale;  la 
cloche  étant  bien  fermée. 

B,  dans  l’appareil  à eau  de  Seltz  (1050cc),  avec  A atm.  suroxygénées. 

28  juillet . A 5h,  on  change  l’air  de  A et  celui  de  B,  qu’on  maintient  à 
7 atmosphères. 

29  juillet , 2h.  A.  L’air,  qui  ne  sent  rien,  contient  : 0.  17,1  ; GO2  1,8. 
La  viande  est  rougeâtre. 

B.  L’air  ne  sent  rien,  et  contient  0.  65,5;  CO2  0,8.  La  tension  de 
l’oxygène  était  donc  au  début  environ  66  x 7 = 462?,  équivalant  à 25  atm. 
d’air.  La  viande  est  jaunâtre.  Je  ramène  la  pression  à 6 atm.  1/4. 

51  juillet , 5h  du  soir.  6=25°.  A.  L’air  sent  fort  mauvais;  il  contient  ; 
O,  5,8;  CO2  17,2;  il  y a donc  été  consommé,  depuis  le  29  juillet, 
554cc  d’oxygène,  et  formé  1 1 7CC  de  CO2. 

B.  Aucune  odeur.  11  a été  consommé  52cc  d’oxygène,  et  formé  50cc  de  CO2. 

A est  retiré  et  changé  d’air,  avec  la  même  cloche  ; la  viande  répand 
une  odeur  horrible  ; les  poils  et  l’épiderme  se  détachent. 

B est  amené  à 6 atmosphères. 

o août,  2h.  0—21°.  A.  Air  d’une  puanteur  repoussante;  couvert  de 
moisissures.  L’air  ne  contient  plus  trace  d’oxygène,  mais  25,9  de  CO2  ; il 
a été  consommé,  depuis  le  51  juillet,  651 cc  d’oxygène  et  formé  741 cc  de  CO2. 

B.  Aucune  odeur,  aucune  moisissure.  L’air  contient  59,2  d’oxygène 
et  5,2  de  CO2.  Il  a donc  été  consommé  548cc  d’oxygène,  et  formé  212cc 
de  CO2. 

B est  retiré  et  placé  sur  une  assiette  dans  le  laboratoire.  Dès  le  len- 
demain, commence  à sentir  mauvais;  le  7,  des  moisissures  y appa- 
raissent. 

Expérience  CCCLXXXVIII.  — 14  novembre.  0 = 14°. 

A.  Je  place  dans  l’appareil  cylindrique  en  verre  deux  côtelettes  de  mou- 
ton, et  les  soumets  à 11  atmosphères  de  pression,  avec  de  l’air  contenant 
79,9  pour  100  d’oxygene.  La  tension  de  ce  gaz  est  donc  879,  correspon- 
dant à 44  atmosphères  d’air  environ. 

B.  Une  autre  côtelette  est  suspendue  dans  une  vaste  cloche  fermée. 

19  novembre.  B est  infect. 

A a bonne  apparence.  Le  manomètre  est  tombé  à 7 atmosphères.  L’air, 
qui  ne  sent  absolument  rien,  contient  78,4  d’oxvgène  et  pas  trace  d’acide 
carbonique. 

Je  pousse  de  nouveau  la  pression  à 11  atmosphères  avec  de  nouvel 
oxygène. 

21  novembre.  Toujours  aucune  mauvaise  odeur  à A,  et  bon  aspect. 

Je  prends  une  côtelette  fraîche  C,  et  la  suspends  dans  une  cloche  abso- 
lument remplie  d’eau.  Je  fais  alors  arriver  dans  cette  cloche  une  certaine 
quantité  de  l’air  comprimé  venant  de  A ; il  reste  de  l’eau  au  fond  de  la 
cloche.  A tombe  alors  à 6,5  atmosphères. 


FERMENTATIONS  PAR  ORGANISMES. 


871 


24  novembre.  Aucune  odeur  à A.  On  laisse  se  faire  une  très-légère 
fuite,  en  sorte  que  le  25  la  pression  est  normale;  les  côtelettes  ont  pris 
une  couleur  jaunâtre. 

B est  alors  en  putréfaction  complète.  G est  jaunâtre,  et  l’eau  s’est 
élevée  dans  sa  cloche. 

13  décembre.  J’ouvre  l’appareil  et  mets  fin  à l’expérience. 

A.  Viande  rose,  un  peu  acide;  odeur  faible  de  marinade.  Je  fais  griller 
les  côtelettes  ; elles  présentent  un  goût  fade , mais  non  repoussant. 

B a dû  être  jeté  depuis  le  10,  réduite  enputrilage. 

C.  Viande  flasque,  rose,  un  peu  acide;  odeur  désagréable,  mais  qui 
n’est  pas  celle  de  la  putréfaction  ordinaire. 

Expérience  CCCLXXXIX.  — 22  novembre. 

A.  On  place  dans  le  récipient  à eau  de  Seltz  (1050cc)  deux  côtelettes,  qui 
sont  poussées  à 8 atmosphères  suroxygénées. 

B.  Une  autre  côtelette  est  placée,  sous  cloche,  dans  de  l’oxygène. 

G.  Une  troisième,  de  même,  dans  de  l’air. 

24  novembre.  A est  tombé  à 2 atmosphères;  je  recharge  à 8 atmo- 
sphères ; la  viande  est  d’un  rouge  sombre. 

B est  d’un  rouge  vif. 

C a la  couleur  ordinaire. 

1er  décembre.  A n’a  aucune  mauvaise  odeur  ; consistance  normale  ; 
réaction  alcaline,  aspect  jaunâtre. 

B.  Odeur  mauvaise  ; réaction  alcaline. 

G.  Odeur  tout  à fait  infecte;  chairs  diffluentes  ; réaction  acide;  noircit 
le  papier  à acétate  de  plomb. 

* 

Expérience  CGGXG.  — 11  décembre. 

Sous  deux  cloches  renversées  sur  l’eau,  et  dont  l’une  A contient  de 
l’air,  l’autre  B de  l’oxygène,  on  suspend  des  fragments  de  muscle. 

8 janvier.  L’air  est  infect  dans  les  deux  cloches;  A présente  un  grand 
nombre  de  champignons  ; B,  quelques-uns  seulement. 

Expérience  GGCXCI.  — 19  décembre.  On  taille  trois  morceaux  de  viande 
non  graisseuse,  aussi  semblables  que  possible  dans  la  forme. 

A.  L’un,  pesant  458r,  est  suspendu  sous  une  cloche  fermée,  de  111, 5, 
pleine  d’air  ordinaire. 

B.  Le  second,  pesant  40«r,  est  suspendu  dans  une  cloche  de  3!,2,  qui 
contient  un  air  à 90  pour  100  d’oxygène. 

G.  Le  troisième,  pesant  35sr,  est  placé  dans  l’appareil  cylindrique  en 
verre,  et  soumis  à la  compression  de  10  atmosphères  d’un  air  contenant 
88  pour  100  d’oxygène  ; la  tension  de  l’oxygène  est  donc  exprimée  par  880, 
correspondant  à 44  atmosphères  d’air. 

, 26  décembre.  On  prend  de  l’air  aux  3 cloches,  sans  le  renouveler. 

A.  La  viande  a mauvais  aspect  ; la  partie  inférieure  évidemment  putré- 
fiée. L’air  a une  odeur  fade,  un  peu  faisandée.  L’air  contient  : O.  12,2; 
CO'2  6,4. 


872  EXPÉRIENCES. 

B.  A peu  près  même  aspect  de  la  viande.  Odeur  fade.  L’air  contient  : 
O 70;  CO2  12,9. 

G.  La  viande  a bon  aspect,  mais  un  peu  brunie.  Aucune  odeur.  L’air 
n’a  nullement  changé  de  composition. 

8 janvier.  On  prend  encore  de  l’air,  et  on  arrête  l’expérience. 

A.  Viande  très-acide,  avec  une  horrible  odeur  ; ramollie.  L’air  contient 
7 pour  100  d’oxygène  et  12,3  de  CO2. 

B.  Viande  très-acide;  odeur  très-mauvaise,  mais  moins  forte  que  A. 
L’air  contient  40  pour  100  d’oxygène  et  58,2  de  CO2. 

C.  Viande  un  peu  acide,  grisâtre,  ferme,  avec  une  légère  odeur  aigre- 
lette, qui  n’est  pas  désagréable.  Cuite,  elle  est  fadasse,  mais  sans  mauvais 
goût. 

La  composition  de  l’air  n’a  pas  changé.  — Si  nous  cherchons  à déter- 
miner, dans  ces  deux  périodes,  la  quantité  d’oxvgène  qui  a été  con- 
sommée, et  la  quantité  de  CO2  qui  a été  produite  par  la  viande  placée  dans 
ces  diverses  conditions,  nous  arrivons  aux  résultats  suivants,  où  tout  est 
rapporté  à un  poids  égal,  100gr  de  viande. 

Du  19  au  26  décembre  : 

A (air  ordinaire,  pression  normale)  a consommé  21, 2 d’oxygène  et  pro- 
duit 1!,6  de  CO2. 

B (air  à 90  pour  100  d’oxygène,  pression  normale)  a consommé  1 *,7 
d’oxygène  et  produit  1*,2  de  CO2. 

C (air  à 88  pour  100  d’oxygène,  10  atmosphères)  a consommé  01  d’oxy- 
gène et  produit  01  de  CO2. 

Du  26  décembre  au  8 janvier: 

A (air  à 12,2  pour  100  d’oxvgène)  a consommé  1^3  d’oxygène  et  produit 
ll,4  de  CO2. 

B (air  à 70  pour  100  d’oxygène)  a consommé  2*,6  d’oxygène  et  pro- 
duit 21  de  CO2. 

C (air  à 88  pour  100  d’oxygène,  10  atmosphères)  a consommé  01  d’oxy- 
gène et  produit  01  de  CO2. 

J’appelle  particulièrement  l’attention  sur  cette  expérience. 
Elle  montre  que,  en  vingt  jours,  la  viande  dans  l’oxygène 
comprimé  n’a  pas  consommé  d’oxygène  ni  formé  d’acide  car- 
boniqne  ; elle  n’a  pas  présenté  apparence  de  putréfaction. 

On  voit,  de  plus,  que  la  viande  consomme  moins  d’oxygène 
dans  l’air  à 90  pour  100  d’oxygène  que  dans  l’air  à 21,  mais 
plus  dans  l’air  à 70  que  dans  l’air  à 12. 

Expérience  CCCXCII.  — 17  janvier.  Morceaux  de  viande  égaux  en  poids 
et  semblables  de  forme. 

A.  Placé  dans  une  cloche  de  15L5,  où  la  pression  est  abaissée  à demi- 
atmosphère. 

B.  Cloche  de  7',1  ; air  ordinaire,  à la  pression  normale. 


FERMENTATIONS  PAR  ORGANISMES.  873 

C.  Cloche  de  2l,6  ; air  à la  pression  normale,  contenant  59  pour  100 
d’oxygène. 

D.  Cloche  de  31,2  ; air  à la  pression  normale,  contenant  59,8  d’oxvgène. 

Toutes  ces  cloches  sont  hermétiquement  fermées,  avec  clôture  hydrau- 
lique. 

23  janvier.  La  viande  la  moins  altérée  en  apparence  est  A ; les  plus 
altérées  sont  C et  D.  On  prend  de  l’air  : 

B contient  13,5  d’oxygène  et  7,2  d’acide  carbonique. 

A - 16,4  - 5,3  — 

C — 25,2  — 19,1  — 

D — 36,0  17,5  — 

On  calcule  aisément,  à l’aide  de  ces  données,  que  dans  l’espace  de  six 
jours  : 

A (air  ordinaire,  à 1/2  atmosphère)  avait  consommé  343cc  d’oxygène  et 
formé  418  de  CO2. 

B (air  ordinaire,  à 1 atmosphère)  avait  consommé  524cc  d’oxygène  et 
formé  514  de  CO2. 

C (air  suroxygéné,  correspondant  à 2 1/2  atmosphères)  avait  consommé 
642ec  d’oxygène  et  formé  496  de  CO2. 

D (air  suroxygéné,  correspondant  à 5 atmosphères)  avait  consommé 
761 cc  d’oxygène  et  formé  556  de  CO2. 

La  consommation  d’oxygène  a donc  toujours  été  en  augmentant  de  1/2 
atmosphère  à 5 atmosphères. 

Expérience  CCCXCIIÏ.  — 14  janvier.  Des  morceaux  de  viande  de  bœuf 
sont  placés  dans  deux  petits  flacons  (A  et  A'),  dont  les  bouchons  sont  tra- 
versés d’un  tube  capillaire;  on  les  enferme  alors  dans  l’appareil  cylin- 
drique sous  une  pression  de  10  atmosphères  suroxy gênées. 

27  janvier.  Décompression;  la  viande,  un  peu  brunie,  ne  semble  point 
altérée.  On  cachète  rapidement  les  tubes  capillaires  avec  de  la  cire  bouil- 
lante, et  l’on  renverse  les  deux  flacons  dans  des  vases  pleins  d’eau.  Deux 
morceaux  de  viande  sont  disposés  de  la  même  manière  à côté  d’eux 
(B  et  B'). 

10  février.  B et  B'  sont  évidemment  pourries,  et  sentent  mauvais  à tra- 
vers les  bouclions. 

A a laissé  rentrer  un  peu  d’eau  ; depuis  ce  moment,  la  viande  est  re- 
devenue rose  ; l’eau  est  sanguinolente  et  se  couvre  de  moisissures.  A',  au 
contraire,  est  très-ferme,  très-saine,  de  couleur  ambrée. 

25  mars.  Même  aspect;  l’eau  a continué  de  monter  dans  A.  On  ouvre  ce 
flacon,  il  sent  très-mauvais. 

22  mai.  Fin  de  l’expérience.  Les  témoins  B et  B'  sont  en  putrilage  in- 
fect ; au  microscope,  on  y voit  beaucoup  de  vibrions,  mais  plus  de  fibres 
musculaires  distinctes  ; seulement  quelques  disques  de  Bowman. 

On  a remarqué  depuis  quelques  jours  qu’à  travers  les  pores  du  bou- 
chon de  A'  s’échappent  des  bulles  de  gaz.  La  viande  est  devenue  rosée, 


874 


EXPÉRIENCES. 


mais  elle  est  ferme  et  raide.  Elle  sent  mauvais  et  est  neutre  aux  réactifs. 
Au  microscope,  on  y trouve  quelques  rares  vibrions,  les  fibres  musculaires 
sont  restés  bien  striées.  L’air  de  ce  flacon  contenait  75  pour  100  de 
gaz  soluble  dans  l’eau  potassée. 

Expérience  CCCXCIV.  19  juin.  6 = 18°. 

Mis  dans  deux  flacons  bouchés  au  liège,  de  l’eau  où  l’on  a broyé  des 
fragments  de  viande  : 

' A.  Conservé  comme  témoin. 

B.  Bouchon  percé  d’un  trou,  flacon  agité  jusqu’à  ce  que  toutes  ses  parois 
soient  mouillées,  puis  placé  dans  le  grand  récipient  à mercure,  où  l’on 
comprime  à 20  atm.  de  l’oxyg.  à 88  pour  100.  La  pression  correspond 
donc  à 88  atm. 

24  juin  . 0 ■=  19°.  La  pression  est  encore  de  15  atm.,  5.  A,  est  rouge 
et  sent  mauvais.  On  décomprime  et  l’on  cachète  aussitôt  B,  qui  est  ambré 
et  paraît  ne  rien  sentir. 

6 juillet.  A est  très-rouge,  un  peu  alcalin;  l’odeur  en  est  infecte;  il  n’y 
a plus  de  moisissures  à la  surface  ; le  précipité,  très-abondant,  contient 
en  grand  nombre  des  vibrions  très-vifs,  dont  l’extrémité  se  termine  par  un 
renflement  réfringent,  et  aussi  des  bactérium  terrno  très-agiles.  (Les  obser- 
vations microscopiques  sont  faites  avec  l’aide  de  M.  Gayon,  préparateur 
de  M.  Pasteur,  à l’École  normale.) 

B a commencé  à rougir  depuis  quelques  jours,  le  bouchon  était  évidem- 
ment mauvais.  Le  liquide  est  couvert  de  moisissures  verdâtres,  constituées 
par  un  pénicillium  à spores  lisses  elliptiques  (■ virens ?)  ; il  est  très-peu 
alcalin.  Il  exhale  une  odeur  faible  de  moisi,  mais  non  de  putréfaction. 
On  n’y  trouve  pas  de  vibrions,  mais  des  bactériums  très-fins  et  très- 
agiles,  et  en  outre  de  longs  filaments  d’une  nature  inconnue. 

Expérience  CGGXGV.  — 26  juin  1874.  0=19°. 

Deux  lamelles  de  viandes  sont  placées  chacune  dans  un  flacon  : 

L’un  A,  est  bouché  et  gardé  comme  témoin. 

Le  second  B,  est  bouché,  le  bouchon  percé  d’un  trou,  puis  porté  à 
15  atm.  suroxygénées.  J’ai  ajouté  un  peu  d’eau,  et  agité  de  manière  à 
mouiller  les  parois  et  le  bouchon. 

*21  juillet.  On  décomprime.  A sent  fort  mauvais,  depuis  longtemps,  à 
travers  le  bouchon,  et  est  évidemment  tout  à fait  pourri.  B est  jaunâtre, 
paraît  sain,  et  n’exhale  aucune  odeur.  Le  bouchon  a été  enfoncé  presque 
tout  entier.  Cependant  je  couvre  tout  l’orifice  du  flacon  de  cire  bouillante. 

5 août.  Même  état. 

Les  flacons  sont  conservés  tout  le  reste  de  l’année,  et  la  viande  de  B 
garde  le  même  aspect. 

16  janvier  1875,  je  montre  A et  B à la  Société  de  Biologie.  A est  en 
putrilage  complet.  B a identiquement  la  même  apparence  que  le  21 
juillet. 

Le  28  juin  1875,  je  montre  ces  flacons  à l’Académie  des  sciences; 
même  aspect. 


FERMENTATIONS  PAR  ORGANISMES. 


875 


Le  5 août , ouvert  au  laboratoire  de  chimie  de  M.  Ghevreul,  devant 
M.  Cloëz  : odeur  aigrelette,  agréable  ; réaction  un  peu  acide.  Le  flacon 
étant  cassé,  je  mets  dans  le  laboratoire  même  la  viande,  sans  précautions, 
dans  un  flacon  bouché  à l’émeri. 

Le  7 août , même  odeur  et  même  aspect  ; pas  de  trace  de  putréfaction. 

Expérience  CCCXCYI.  — 25  juin.  Deux  morceaux  de  viande,  du  poids 
de  31  grammes,  sont  taillés  de  forme  semblable. 

L’un  A,  est  suspendu  dans  une  cloche  de  111, 5 pleine  d’air,  avec  ferme- 
ture hydraulique. 

L’autre  B,  est  placé  dans  l’appareil  cylindrique  en  verre  (cap.  650cc), 
au  fond  duquel  sont  quelques  centimètres  cubes  d’eau.  On  fait  la  com- 
pression à 10  atm.  1/2,  avec  de  l’air  à 81,1  pour  100  d’oxy,  (tension  850 
— 42,5  atm.  d’air),  et  l’on  agite  ensuite  l’appareil  de  manière  à en  mouil- 
ler toutes  les  parois. 

30  juin  : A,  horiblement  pourri,  couvert  de  moisissures  ; l’air  contient 
16,3  pour  100  d’oxyg.,  et  2,8  p.  100  d’ac.  carbonique. 

Il  y a eu  ainsi  de  consommé  522cc  d’oxyg.,  et  de  formé  328cc  d’ac. 
carb. 

B.  Couleur  ambrée;  aucune  odeur.  L’air  a conservé  presque  exacte- 
ment sa  composition  primitive,  puisqu’il  contient  80,4  d’oxyg.,  et  pas 
d’ac.  carb. 

11  y a donc  eu  49cc  d’oxyg.  de  consommé.  On  ramène  la  pression  à 2,75 
atm.;  tension  de  l’oxygène  : 220  = 11  atm. 

12  juillet.  B resté  dans  le  même  air;  même  aspect;  toujours  même 
odeur. 

Mais  l’air  ne  contient  plus  que  69  pour  100  d’oxyg.,  avec  12  pour  100 
de  CO2. 

Il  y a donc  eu  21 0CC  d’oxyg.  de  consommé,  et  21cc  d’ac.  carb.  devenu 
libre. 

On  ramène  la  pression  à 2,5  atm.,  la  tension  n’est  plus  que  de  172  — 
8,6  atm. 

21  juillet.  Même  pression,  même  air.  L’aspect  est  le  même,  il  n’y  a 
aucune  odeur. 

L’air  ne  contient  plus  que  57,2  pour  100  d’oxyg.,  avec  23  pour  100  deCO2. 

Il  y a donc  eu  1583cc  d’oxyg.  consommé.- 

27  juillet  : même  aspect  ; toujours  aucune  odeur. 

Sans  déboucher  l’appareil,  je  le  décharge  entièrement,  le  ventile  avec 
de  l’oxyg.,  et  pousse  de  nouveau  la  pression  à 10  atm.  1/2. 1/air  contient 
alors  77,6  d’oxyg.,  et  1,2  de  CO2,  tension  de  l’oxyg.,  814  = 40,7  atm. 
d’air. 

En  même  temps,  je  suspends  dans  une  cloche  de  15^5  un  morceau 
de  viande  pesant  20  gr.  — C. 

3 août.  B.  La  pression  a bien  tenu;  la  viande  a toujours  le  même  as- 
pect. L’air  qui  ne  présente  aucune  odeur,  contient  74,9  d’oxyg.  et  3,2 
de  CO2. 


876 


EXPÉRIENCES. 


On  voit  aisément  qu’il  y a eu,  en  rapportant  à 100  gr.  de  viande,  390cc 
d’oxyg.  consommé,  et  397cc  de  GO2  formé. 

G.  La  viande  est  alcaline,  infecte.  L’air  contient  16,2  d’oxyg.,  et  3,6 
de  GO2. 

Il  y a donc  eu  pour  100  gr.  de  viande,  2295cc  d’oxyg.  consommé,  et 
3605ce  de  CO2  dégagé. 

5 août.  Je  décomprime  la  viande  qui  est  restée  à 10  atm.  Elle  est  jaune, 
assez  ferme,  et  ne  sent  rien. 

Je  la  mets  dans  une  éprouvette  qui  avait  été  maintenue  dans  de  l’eau 
bouillante,  et  je  bouche  avec  un  bouchon  de  caoutchouc  qui  était  resté 
également  longtemps  dans  l’eau  bouillante. 

18  janvier  1875.  La  viande  a conservé  à peu  près  son  aspect  primitif. 
Ouverte,  elle  est  à peine  ramollie,  mais  sent  très-mauvais.  Neutre  aux 
papiers  réactifs. 

Expérience  CCCXCVll.  21  juillet  1874,  6b  du  soir.  Morceaux  de  viande 
coupés  en  morceaux  et  placés  : 

A,  dans  un  matras  bouché; 

B,  dans  un  matras  semblable,  dont  j’étire  le  col  à la  lampe,  n’y  laissant 
qu’un  petit  orifice.  Je  le  mets  dans  l’appareil  en  fer,  et  pousse  la  pression 
à 15  atm.  suroxygénées. 

22  juillet.  La  pression  est  tombée;  je  retire  B,  et  l’agite  de  manière 
que  toutes  les  parois  soient  mouillées.  Puis  je  le  remets  en  place,  et  re- 
monte à 8 atm.  1/2  suroxygénées. 

A commence  à sentir  mauvais. 

Le  juillet,  poussé  à 12  atm.  suroxygénées. 

Le  24  juillet , poussé  à 15  atm.  suroxygénées. 

Le  30  juillet , la  pression  est  de  14  atm.  ; je  décomprime,  et  ferme  à la 
lampe  le  bout  effilé  de  B : aucune  odeur,  aspect  ambré. 

A sent  horiblement  mauvais. 

17  janvier  1875.  Présenté  à la  Société  de  Biologie.  A est  un  putrilage 
horrible  d’aspect  et  d’odeur. 

B,  que  je  n’ouvre  pas,  a conservé  sa  forme  et  son  apparence  premières. 
On  voit  seulement  quelques  taches  blanches  qui  semblent  être  de  la 
graisse. 

27  mai  1875.  A est  horrible;  pas  de  fibres  reconnaissables  au  micro- 
scope. 

B a éclaté  dans  la  nuit  ; la  viande  est  ambrée,  elle  a conservé  sa  con- 
sistance, ses  fibres  avec  leurs  stries;  légèrement  alcaline;  odeur  assez 
faible  de  pourri. 

Expérience  CCCXCV1II.  — 22  janvier.  Languettes  de  viande  pesant  cha- 
cune 20  grammes,  suspendues  : 

A.  Dans  l’appareil  à compression  en  verre  à 5 atmosphères  d’air,  qui 
représentent  ainsi  5250cc  d’air. 

B.  Dans  une  cloche  contenant  2500cc  d’air,  à la  pression  normale. 

G.  Dans  une  cloche  de  71 00cc,  à une  demi-atmosphère. 


FERMENTATIONS  PAR  ORGANISMES. 


877 


26  janvier.  Les  trois  viandes  ont  une  réaction  alcaline.  A a un  peu 
d’odeur.  B sent  notablement  plus  mauvais  que  C. 

L’air  de  A contient  20,4  pour  100  d’oxygène  ; celui  de  B 16,5  ; celui  de 
G 19,2. 

On  tire  de  ces  chiffres  cette  conséquence  que,  dans  l’appareil  A, 
100  grammes  de  viande  ont  consommé  8lcc  d’oxygène;  dans  la  cloche  B, 
550cc,  et  dans  la  cloche  C,  seulement  500cc. 

Expérience  CGCXCIX.  — 28  janvier.  Languettes  de  viande  pesant  chacune 
59  grammes,  disposées  dans  les  mêmes  appareils  qu'à  l’expérience  précé- 
dente : 

A.  A 5 atmosphères  d’air,  solution  de  potasse  dans  le  fond  de  l’appa- 
reil. 

B.  Pression  normale. 

G.  Un  tiers  d’atmosphère. 

2 février.  Un  peu  d’odeur  partout;  toutes  les  viandes  alcalines. 

A contient  12,9  pour  100  d’oxygène.  B 16,1.  G 18,2.  D’où  résultent 
pour  100  grammes  une  consommation  d’oxygène  : en  A de  405cc  ; en  B de 
513cc;  en  G de  103cc. 

Il  faut  faire  remarquer  que  la  tension  de  l’oxygène  avait  bien  diminué 
en  A,  puisqu’à  la  fin  de  l’expérience  elle  n’était  plus  que  de  ^2,9x3  = 58,7, 
c’est-à-dire  moins  de  2 atmosphères  d’air. 

Expérience  GGCG.  — 5 février.  Languettes  de  viande  de  39  grammes. 
Mêmes  cloches  ; mais  dissolution  dépotasse  au  fond  des  cloches,  et  papiers 
imbibés  de  potasse  sur  les  parois  : - 

A.  Pression  normale. 

B.  Un  tiers  d’atmosphère.  1 . 

8 février . L’air  de  A contient  10,9  pour  100  d’oxygène;  celui  de  B 15,6. 
Pas  d’acide  carbonique. 

D’où,  pour  100  grammes,  consommation  de  249cc  en  A;  de  141cc  seule- 
ment en  B. 

Expérience  GGCGI.  — 10  février.  Languettes  de  45  grammes.  Mêmes  ap- 
pareils. Potasse  partout  : 

A.  Pression  normale. 

B.  3 atmosphères  d’air. 

15  février.  L’air  de  A contient  20,1  pour  100  d’oxygène;  celui  de 
B 18,9. 

D’où  consommation,  pour  100  grammes  : en  A de  19cc  d’oxygène  ; en 
B de  38cc. 

Expérience  GGGGII.  — 16  février.  Languettes  de  viande  de  50  grammes 
chacune.  Potasse  dans  les  récipients. 

A.  Pression  normale.  Cloche  contenant  2^450  d’air,  soient  512cc  d’oxy- 
gène. 

B.  Appareil  cylindrique  en  verre,  à 4 atmosphères  d’air,  contenant  une 
quantité  d’oxygène  correspondant  à 504cc,  à la  pression  normale. 


878 


EXPÉRIENCES. 


19  février.  — A.  Mauvaise  odeur;  son  air  contient  16,8  d’oxygène. 

B.  Odeur  un  peu  moins  mauvaise  ; l’air  contient  16,4  d’oxygène. 

D’où,  pour  100  grammes,  consommation  en  A de  101cc  d’oxygène;  en  B 
de  109cc. 

Expérience  CCCC111.  — 22  février.  50  grammes  de  viande.  Mêmes  appa- 
reils qu’à  l’expérience  précédente.  Potasse  partout  : 

A.  Pression  normale. 

B.  4 atmosphères  d’air. 

24  février.  Pas  d'odeur  nulle  part. 

L’air  de  A contient  21,0  d’oxvgène;  celui  de  B 20,8. 

Expérience  GGGG1V.  — 17  mars.  Viande  en  morceaux  et  eau  ; dans  2 pe- 
tits matras  effilés  à la  lampe. 

A.  A la  pression  normale. 

B B'.  A 15  atmosphères  d’une  compression  faite  avec  de  l’air  contenant 
80  pour  100  d’oxygène. 

26  mars.  Décomprimé.  A pourri,  infect.  B n’a  pas  d’odeur  et  est  neutre 
aux  papiers  réactifs.  Je  ferme  B'  à la  lampe. 

15  mai.  — B'  a bon  aspect;  le  liquide  dans  lequel  baigne  la  viande  a la 
couleur  rosée  naturelle. 

10  juin.  L’aspect  de  B'  a changé  depuis  quelques  jours  ; il  a perdu  son 
aspect  rosé.  Dans  la  nuit  du  9 au  10  juin,  le  matras  éclate  ; les  morceaux 
de  viande  ont  une  odeur  infecte,  avec  réaction  un  peu  alcaline;  mais  ils 
ont  conservé  leurs  formes,  et  on  reconnaît  aisément  les  stries  musculaires 
au  microscope.  A est,  au  contraire,  un  putrilage  horrible,  et  l’on  n’y  peut 
retrouver  les  stries. 

Expérience  CCCCV.  — 28  mai.  Viande  en  morceaux,  dans  2 matras  étirés 
à la  lampe  et  ouverts  â l’extrémité. 

A.  Laissé  à l’air  libre. 

B.  Mis  à 8 atmosphères  suroxygénées. 

L’appareil  perdant,  on  recomprime  à plusieurs  reprises,  jusqu’à  25  at- 
mosphères suroxygénées;  pendant  plusieurs  jours  la  pression  reste  à 
15  atmosphères. 

26  juin.  — A est  horriblement  pourri,  et  depuis  longtemps. 

B.  Ne  sent  rien;  est  de  couleur  ambrée. 

28  juin.  Je  présente  le  matras  B à l’Académie  des  sciences  ; je  l’ouvre 
en  séance  : la  viande  est  neutre  et  n’a  qu’une  légère  odeur  aigrelette,  pas 
désagréable. 

Je  rebouche  le  matras  sans  soin,  avec  un  bouchon  échancré , et  le  rap- 
porte au  laboratoire. 

5 juillet.  Aucune  odeur. 

11  juillet.  Très-légère  odeur. 

19  juillet.  La  viande  est  couverte  de  moisissures,  mais  ne  sent  nullement 
le  pourri. 

Expérience  GGGCV1.  — 29  novembre.  Pression  barométrique  758mm  ; 


FERMENTATIONS  PAR  ORGANISMES. 


879 


temp.  14°.  Au  sommet  de  trois  cloches  sont  suspendus  des  morceaux  de 
viande  pesant  chacun  25^r.Une  dissolution  de  potasse  au  fond  de  chaque 
cloche  absorbera  l’acide  carbonique  au  fur  et  à mesure  de  sa  produc- 
tion. 

Le  bouchon  de  la  cloche  laisse  passer  un  tube  coudé,  dont  l’extrémité 
plongeant  dans  du  mercure  servira  de  manomètre. 

La  cloche  A (41,6)  contient  de  l’air  normal. 

La  cloche  B (159)  contient  de  l’air  à 45,5  pour  100  d’oxygène. 

La  cloche  C (l1, 5)  — 91,7  — 

4 décembre.  On  ouvre  les  cloches  et  on  analyse  l’air  ; la  pression  baro- 
métrique est  735m,n;  temp.  14°.  La  viande  de  la  cloche  G sent  moins 
mauvais  que  les  autres  ; 

L’absorption  de  GO2  a amené  une  dépression  de  2e, 7 dans  la  cloche  A, 
une  de  10e  en  B,  de  10e  en  G.  11  n’y  a nulle  part  d’acide  carbonique. 

L’air  de  A ne  contient  plus  que  17,2  d’oxygène  ; celui  de  B que  55,5  ; 
celui  de  G en  contient  encore  91,5. 

Des  calculs  simples,  dans  lesquels  on  tient  compte  de  la  pression  ba- 
rométrique et  de  la  différence  de  tension  dans  les  cloches,  montrent  que  : 

A qui  avait  à sa  disposition  961 cc  d’oxvgène  en  a consommé  258 

B — 867cc  ° — 284 

G — 1576e-  — 185 

Si  nous  envisageons  d’abord  celles  de  nos  expériences  qui 
ont  porté  sur  la  diminution  de  pression,  nous  voyons  d’une 
manière  nette  que  dans  l’air  raréfié  la  putréfaction  a été 
notablement  ralen  tie  et  l’oxydation  diminuée. 

Ainsi,  dans  l’expérience  CCCXCII,  tandis  qu’un  certain 
poids  de  muscles  avait,  dans  un  certain  temps,  à la  pression 
normale  consommé  524cc  d’O.  et  formé  51 4CC  de  GO2,  la  con- 
sommation d’O.  s’était  à demi-atmosphère  abaissée  à 545ce, 
et  production  de  CO2  à 418.  Même  résultat  à l’expérience 
GCCXCVIII,  où  la  consommation  d’O.  s’est  abaissée  de  550cc  à 
500,  pour  le  même  écart  de  pression  ; de  plus,  la  viande 
maintenue  dans  l’air  déprimé  sentait  bien  moins  mauvais 
que  l’autre.  Enfin,  dans  l’expérience  GGGXG1X,  à un  tiers 
d’atmosphère,  la  consommation  d’O.  a été  juste  un  tiers  de 
celle  à la  pression  normale. 

Mais  ces  résultats  n’ont  rien  de  bien  extraordinaire  ; l’on 
savait  depuis  longtemps  que  la  putréfaction  n’a  pas  lieu  dans 
le  vide,  et  il  était  tout  naturel  de  penser  qu’elle  serait  d’au- 
tant moins  active  que  l’air  serait  plus  raréfié. 


880 


EXPERIENCES. 


Les  effets  de  F augmentation  de  tension  de  l’oxygène 
étaient  bien  plus  intéressants  à étudier. 

Le  fait  le  plus  saillant  que  m’aient  présenté  les  expériences, 
c’est  que,  dans  l’air  suffisamment  comprimé,  la  putréfaction 
ne  se  fait  pas,  aucune  odeur  désagréable  ne  se  manifeste,  et 
le  muscle  conserve,  sauf  sa  couleur,  son  aspect  normal  ; sa 
structure  microscopique  n’est  point  sensiblement  altérée 
(Exp.  CCCXCIII  et  CCCCIV). 

Presque  toutes  les  expériences  ci-dessus  rapportées  présen- 
tent des  exemples  remarquables  de  ce  fait. 

Mais  ce  n’est  pas  tout  : lorsqu’on  laisse  échapper  l’excès 
de  pression,  et  qu’on  prend  des  précautions  suffisantes  pour 
se  mettre  à l’abri  des  germes  apportés  du  dehors,  la  putréfac- 
tion n’apparaît  plus  ; si  bien  que  pendant  des  semaines,  des 
mois,  on  peut  conserver,  à la  pression  normale,  de  la  chair  à 
l’état  frais.  J’appelle  particulièrement  l’attention  à ce  point 
de  vue  sur  les  expériences  où  j’ai  fait  cuire  et  manger  des 
viandes  ainsi  conservées  depuis  20  jours  (Exp.  GCCXGI),  ou 
un  mois  (Exp.  CCCLXXXVIII). 

Pour  arriver  à des  résultats  concluants  et  constants,  les 
plus  grandes  précautions  de  détail  sont  nécessaires.  Je  ne  les 
prenais  pas  toujours  au  début;  d’où  résultent,  dans  certaines 
des  expériences  qui  précèdent,  et  dans  d’autres  sur  le  sang, 
le  lait,  etc.,  d’apparentes  exceptions  que  j’ai  tenu  à mention- 
ner cependant,  parce  qu’elles  sont  instructives. 

Ainsi,  dans  mes  premières  expériences,  lorsque  je  voulais 
conserver  une  substance,  après  l’avoir  soumise  à la  compres- 
sion, je  fermais  d’un  bon  bouchon  de  liège  le  flacon  où  elle 
était  placée  ; ce  bouchon  était  percé  d’un  trou,  et  lorsque 
j’avais  retiré  le  flacon  de  l’appareil,  j’appliquais  sur  cet  ori- 
fice fin  une  goutte  de  cire  fondue,  avec  laquelle,  du  reste,  je 
cachetais  tout  le  bouchon. 

Je  ne  tardai  pas  à apprendre  que  cette  précaution  était  in- 
suffisante. Les  bouchons,  même  neufs,  même  lavés,  même 
chauffés,  recèlent  trop  souvent  des  germes  encore  en  activité. 
J’eus  alors  recours  aux  matras,  ballons,  tubes,  que  j’étirais  à 
la  lampe,  après  y avoir  introduit  la  substance  en  expérience  ; 


FERMENTATIONS  PAR  ORGANISMES. 


881 


le  trou  presque  capillaire  de  la  partie  étirée  permettait  à 
l’équilibre  de  pression  de  s’établir. 

Je  m’aperçus  encore,  à mes  dépens,  que  les  germes  restés  à 
l’état  sec  sur  les  parois  du  petit  récipient  suffisaient,  surtout 
quand  il  s’agissait  de  la  putréfaction,  mon  laboratoire  de 
dissection  en  étant  bourré,  pour  troubler  les  phénomènes. 
Je  ne  pouvais  me  mettre  sûrement  à l’abri  qu’en  ajoutant  un 
peu  d’eau  et  en  remuant  avec  soin  le  récipient,  avant  de  le 
soumettre  à la  compression,  afin  de  tuer  en  même  temps  et 
les  germes  contenus  dans  la  substance,  et  ceux  des  parois 
qui  se  trouvaient  mouillés. 

Il  ne  faudrait  pas  croire  cependant,  je  me  hâte  de  le  dire, 
que  ce  procédé  de  conservation  puisse  avoir  une  valeur  pra- 
tique; les  viandes  qui  ont  été  comprimées  présentent  une 
saveur  fade  qui  les  rend  fort  peu  agréables.  Elles  doivent 
probablement  ce  goût  en  partie  à l’acide  qui  s’v  développe 
pendant  la  compression  : acide  non  volatil,  non  odorant,  et 
qui  est  probablement  de  l’acide  lactique. 

Cette  chair,  qui  ne  se  putréfie  pas,  absorbe  infiniment 
moins  d’oxygène  que  celle  qui  reste  dans  les  conditions  nor- 
males. Cela  a été  étudié  particulièrement  dans  les  expé- 
riences CCCLXXXVI  et  CCCLXXXVII. 

Mais  l’exemple  le  plus  remarquable  est  fourni  par  l’expé- 
rienceCCCXCI,  où,  en  20 jours,  la  viande  placée  sous  une  com- 
pression d’oxygène  équivalant  à 44  atm.  d’air,  n’a  pas  con- 
sommé d’oxygène  ni  produit  d’acide  carbonique  ; tandis  qu’un 
même  poids  de  la  même  viande  laissé  à la  pression  normale 
avait  consommé  3*,5  d’oxygène  et  formé  51  d’acide  carbonique.1 

Si  on  laisse  échapper  l’excès  de  pression,  et  qu’on  prenne 
les  précautions  suffisantes  pour  empêcher  l’accès  des  pous- 
sières aériennes,  la  viande  qui  se  conservera  indéfiniment, 
ainsi  que  nous  venons  de  le  dire,  ne  consommera  plus  que 
de  très-faibles  quantités  d’oxygène.  C’est  ce  que  montre  net- 
tement l’expérience  suivante  : 

Expérience  CCCCVII.  — 20  février.  On  met  dans  15  tubes,  15  morceaux 
de  viande  pesant  chacun  lgr.  Ces  tubes  sont  ensuite  étirés  à la  lampe  et 
soumis  dans  l’appareil  en  fer,  à 15  atmosphères  très-suroxygénées. 

56 


882 


EXPÉRIENCES. 


5 mars.  On  décomprime  avec  précaution  et  l’on  ferme  à la  lampe  les 
15  tubes.  L’analyse  de  5 d’entre  eux,  faite  aussitôt,  donne  de  70  à 80  pour 
100  d’oxygène. 

13  mars.  On  brise  un  des  tubes  sous  le  mercure;  viande  ambrée,  pas 
d’odeur,  réaction  acide.  On  trouve  6,2  pour  100  d’acide  carbonique  et 
77,8  d’oxygène. 

Le  morceau  de  viande  est  alors  placé  sans  précautions  dans  un  tube 
bouché  avec  un  bouchon  (a). 

On  place  de  même,  dans  un  autre  tube,  lsr  de  muscle  frais  (b). 

10  mars.  Le  morceau  (a)  n’a  produit  que  très-peu  de  002  et  consommé 
peu  d’oxygène.  Le  morceau  (b)  a consommé  tout  l’oxygène  du  tube, 
soient  7CC. 

27  mars.  Un  autre  tube,  ouvert  de  même  sous  le  mercure,  contient 
11,0  pour  100  de  CO2  et  74,2  d’oxygène. 

On  met  le  morceau  de  viande  dans  un  tube  gradué  plein  d’air  bien 
bouché  (c);  un  autre  morceau,  frais,  du  même  poids,  est  renfermé  de 
même  dans  un  tube  gradué  de  même  capacité  ( d ). 

10  avril.  Le  tube  c contient  lcc,6  de  CO2  et  2CC,8  d’O.,  soient  7,5  de 
CO2  et  12,7  d’O.  pour  100  ; le  tube  d 6CC,2  de  CO2  et  0CC,2  d’O.,  soient 
28  pour  100  de  GO2  et  0,6  seulement  d’O. 

Ces  résultats  concordent  avec  ceux  des  expériences  de 
M.  Pasteur,  montrant  que  la  consommation  d'oxygène  par 
les  substances  organiques  est  extrêmement  faible,  quand  on 
empêche  les  êtres  vivants  microscopiques  de  s’y  développer. 
Aux  preuves  qu’il  a fournies,  je  joindrai  l’expérience  sui- 
vante, où  l’action  des  antiseptiques  a donné  le  même  résultat 
que  celui  de  l’oxygène  à haute  tension  : 

Expérience  CCCCVIII.  — 26  juin.  — A.  14  grammes  de  muscles  avec  un 
peu  d’eau  sont  placés  dans  un  flacon  bouché,  contenant  590cc  d’air,  et  ren- 
versé sur  l’eau. 

B.  40  grammes,  dans  un  flacon  de  750cc,  sont  arrosés  de  quelques 
gouttes  d’acide  phénique  et  agités  ensuite.  Le  flacon  est  bouché  et  renversé 
à côté  de  A. 

C.  40  grammes;  flacon  de  780cc  ; .j’y  ajoute  2 grammes  de  chloral  qui, 
en  se  dissolvant,  blanchissent  la  chair;  bien  agité,  bouché,  renversé  près 
des  autres. 

12  juillet.  — A.  Est  pourri;  exhale  une  odeur  infecte;  l’air  (forte 
explosion  quand  on  débouche  sous  le  mercure,  en  telle  sorte  qu’une  par- 
tie du  gaz  ne  peut  être  recueilli  sous  l’éprouvette)  contient  55  pour  100 
de  CO2,  mais  plus  trace  d’oxygène. 

B.  Aucune  odeur  de  putréfaction  ; l’air  contient  18,6  pour  100 
d’oxygène  et  1,1  pour  100  de  CO2. 

C.  Aucune  odeur;  l’air  contient  18,1  d’oxygène  et  0,9  de  CO2. 


FERMENTATIONS  PAR  ORGANISMES. 


885 


Ainsi,  en  rapportant  les  chiffres  à 100  grammes  de  mus- 
cles, on  voit  que  ceux  qui  se  sont  putréfiés  ont  épuisé  les 
880cc  d’oxygène  qu’ils  avaient  à leur  disposition,  et  formé 
1512cc  de  CO2  (sans  compter  ce  qui  s’est  échappé  en  débou- 
chant le  flacon)  ; au  contraire,  100  grammes  conservés  par 
l’acide  phénique  ont  seulement  consommé  55cc,l  d’oxygène 
et  formé  2icc,9  de  CO2;  100  grammes  conservés  par  le  chloral 
ont  consommé  35cc,3  d’oxygène  et  formé  15cc,0  de  CO2. 

Revenons  maintenant  à l’action  de  l’oxygène,  et  prenons 
comme  mesure  de  l’intensité  des  phénomènes  de  la  putréfac- 
tion la  consommation  de  ce  gaz  dans  un  temps  donné. 

Nous  ferons  observer  ici  que  nous  nous  appuyons  à la  fois 
sur  les  expériences  faites  dans  l’air  comprimé,  et  sur  celles 
où  la  forte  tension  de  l’oxygène  a été  obtenue  en  augmentant 
non  la  pression,  mais  la  proportion  centésimale,  sous  la  pres- 
sion barométrique  ordinaire.  Nous  sommes  suffisamment 
autorisé  à cette  identification  par  tout  ce  que  nous  avons  vu 
jusqu’ici. 

L’expérience  CCCXCII  nous  montre  que  la  quantité  d’oxv- 
gène  consommé  augmente  avec  une  tension  correspondant  à 
2 et  même  à 3 atmosphères  d’air;  les  expériences  CCCXCIX 
et  CCCCI  donnent  le  même  résultat  pour  3 atmosphères; 
mais  l’expérience  CCCXCI  indique,  dans  sa  première  partie, 
qu’il  y a décroissance  à la  tension  de  4 1/2  atmosphères  ; 
enfin,  l’expérience  CCCCII  montre  égalité  de  consommation 
à 4 atmosphères. 

Il  semble  donc,  tout  d’abord,  que  le  maximum  de  consom- 
mation de  l’oxygène  s’opère  entre  3 et  4 atmosphères.  Mais  la 
question  est  plus  difficile  à résoudre  qu’on  ne  le  croirait  tout 
d’abord,  et  nécessite  des  expériences  conduites  avec  des  pré- 
cautions particulières.  En  effet,  dans  l’expérience  CCCXCII, 
par  exemple,  l’air  de  la  cloche  D,  dont  la  tension  oxygénée 
correspondait  au  début  à 3 atmosphères  d’air,  et  où  il  y a eu 
oxydation  plus  active,  ne  correspondait  plus  à la  fin  de  l’expé- 
rience qu’à  moins  de  2 atmosphères.  Il  faut  donc  employer 
ici  un  artifice  expérimental  qui  permette  de  maintenir  pen- 
dant tout  le  temps  de  l’expérience  la  même  tension  de  l’oxy- 


884 


EXPÉRIENCES. 


gène  et  de  se  débarrasser  de  Facide  carbonique  au  fur  et  à 
mesure  de  sa  production. 

Pour  y parvenir,  j’ai  monté  l’appareil  représenté  par  la 
ligure  74. 


Fig.  74.  — Consommation  d'oxygène  et  production  de  CO2  par  un  morceau  de  viande 
dans  une  atmosphère  de  richesse  oxygénée  constante. 

C’est  un  flacon  C (quelquefois  une  cloche)  plein  d’un  mé- 
lange suroxygéné,  dosé  à l’avance;  dans  le  fond  se  trouve 
une  dissolution  de  potasse  dont  l’acide  carbonique  a été  éga- 
lement titré  à l’aide  de  la  pompe  à mercure.  On  y a suspendu 
le  morceau  de  viande,  de  poids  connu.  L’absorption  de  l’oxy- 
gène et  la  fixation  du  CO2  ont  pour  effet  de  faire  rentrer  dans 
le  flacon,  bulle  à bulle,  l’oxygène  pur  contenu  dans  une 
éprouvette  graduée  E ; un  flacon-soupape  P s’oppose  au  reflux 
de  l’air  du  flacon  pour  le  cas  où  son  volume  augmenterait 
(température,  diminution  de  pression,  etc.).  On  dispose  ainsi 
plusieurs  appareils  qui  fonctionnent  simultanément,  et  dans 
des  conditions  identiques,  sauf  la  composition  plus  ou  moins 
riche  en  oxygène  de  l’air  des  flacons.  L’expérience  terminée, 
l’analyse  de  l’air  des  flacons,  la  hauteur  de  la  colonne  d’eau 


FERMENTATIONS  PAR  ORGANISMES. 


885 


dans  l’éprouvette,  la  quantité  de  GO2  contenue  dans  la  potasse 
donnent  tous  les  éléments  du  problème. 

Mais  il  fallait  avant  tout  établir  le  degré  d’exactitude  de  ce 
procédé  expérimental.  La  critique  a pu  être  faite  aisément 
en  employant  de  l’air  ordinaire  et  en  faisant  plusieurs  expé- 
riences simultanées  dans  des  conditions  identiques.  En  voici 
le  résultat  : 

Expérience  CGGC1X.  — 18  janvier.  Morceaux  de  viande  pesant  25§r,  dans 
4 cloches  égales  avec  de  l’air  ordinaire. 

22  janvier.  L’analyse  des  solulions  de  potasse  montre  que  la  produc- 
tion d’acide  carbonique  a été  de  195cc,8;  197cc,8  ; 204cc,8  ; 206cc,8. 

La  cause  d’erreur  est  donc,  pour  l’acide  carbonique,  d’en- 
viron 5 pour  100. 

Voyons  maintenant  ce  que  donnent  les  expériences  : 

Expérience  GGGCX.  — 4 janvier.  Pression  745mm  ; temp.  16°.  Morceau 
de  viande  pesant  25sr,  au  sommet  de  2 cloches: 

A contient  de  l’air  normal 

B de  l’air  49,6  pour  100  d’oxygène. 

7 janvier.  On  trouve,  par  l’analyse  des  cloches  et  des  solutions  potas- 
sées, que  : 

A a produit  252cc  de  GO2. 

B — 245cc.  — 

Expérience  CGCCXI. — 24  janvier.  Pression  761 mm  ; temp.  12°.  Même 
disposition  d’expérience,  5 cloches.  Elles  contiennent  : A air  ordinaire, 
B air  à 55  pour  100  d’oxygène,  G air  à 79,7  pour  100. 

Le  29  janvier , analysé  les  potasses. 

A a produit  225cc  d’acide  carbonique. 

B _ 270cc  — 

G _ 250cc  — 

Expérience  CCCCXII.  — 1er  février.  Au  lieu  de  cloches,  de  volumes  iné- 
gaux, on  emploie  les  flacons  de  petite  dimension,  comme  il  est  repré- 
senté dans  la  figure  74. 

Dans  le  flacon  A est  de  l’air  ordinaire  ; en  B,  de  l’air  à 37,5  pour  100 
d’oxygène;  en  G,  de  l’air  à 61,2  pour  100  ; en  D,  de  l’air  à 81  pour  100. 

7 février.  Arrêté  l’expérience  ; l’analyse  des  solutions  de  potasse  mon- 
tre que  : 

A a produit  31 7CC  d’acide  carbonique. 

B — 326cc  — 

C — 395cc  — 

D — 528cc  — 


886 


EXPÉRIENCES. 


Expérience  CCCCXIII.  — 14  février  0 = 16°.  Mêmes  appareils. 

Dans  le  flacon  À,  air  ordinaire 

— B,  air  à 41,5  pour  100  d'oxygène. 

Le  17  février , arrêté  l’expérience  : 

A a produit  1 30cc  d’acide  carbonique. 

B — 178cc  — 

Si  nous  appelons  100  dans  chacune  de  ces  expériences,  la 
quantité  d’acide  carbonique  produite  sous  la  pression  nor- 
male, nous  obtiendrons,  par  de  simples  proportions,  les  chif- 
fres suivants,  qui  indiquent  la  marche  de  la  production  d’acide 
carbonique  : 


Air  ordinaire  (1  al 

tmosph.),  il  y a 

100cc  d’acide 

carbonique 

CCCCXII. 

Air  à 57,5  d’O.  (1,8 

- - 

105cc 

— 

CCCCXIII. 

— 41,5  — (2 

- ).  - 

1 29cc 

— 

ccccx. 

— 49,6  — (2,5 

106cc 

— 

CCCCXI. 

— 55  — (2,5 

- )’.  - 

j 21cc 

— 

CCCCXII. 

— 61,2  — (2,9 

- ).  - 

124cc 

— 

CCCCXI. 

— 79,7  — (5,8 

112cc 

— 

CCCCXII. 

— 81  — (5,9 

105CC 

— 

Il  résulte  de  ces  chiffres  que  le  maximum  de  combustion 
des  tissus  a lieu  au-dessus  de  la  pression  normale,  et  se  trouve 
aux  environs  de  trois  atmosphères.  C’était  déjà  le  résultat  au- 
quel nous  étions  arrivé  dans  le  sous-chapitre  11  du  chapitre  IV, 
pour  les  combustions  examinées  chez  les  êtres  vivants. 

Quand  les  pressions  deviennent  très-fortes,  la  diminution 
les  oxydations  des  tissus  devient  extrêmement  manifeste. 
Ainsi,  à "25  atmosphères,  la  proportion  d’oxygène  consommé  a 
diminué  dans  le  rapport  de  554  à 52  (Expér.  CCCLXXXVII). 
Dans  l’expérience  CCCXCVI,  la  consommation  à la  pression 
normale  a été  en  5 jours  de  522cc  d’oxygène,  tandis  qu’il  n’y 
en  a eu  que  49cc  dans  l’air  comprimé  à une  tension  corres- 
pondant à 42,5  atmosphères  d’air,  et  que,  dans  les  9 jours 
d’été  suivants,  où  la  tension  avait  cependant  été  abaissée  à 
11  atmosphères,  il  n’y  a eu  que  210cc  d’oxygène  consommé. 

On  voit  donc  que  la  valeur  en  tension,  sous  laquelle  com- 
mencent à diminuer  les  oxydations  rapides  dues  aux  ferments 
de  la  putréfaction,  coïncide  précisément  avec  celle  où  l’action 
funeste  de  F oxygène  commence  à faire  sentir  ses  effets.  Les 


FERMENTATIONS  PAR  ORGANISMES. 


887 


éléments  anatomiques  d’une  organisation  complexe  sont  donc 
impressionnés  à la  même  dose  que  ceux  qui  vivent  isolés, 
sous  forme  de  microzoaires  ou  de  microphytes.  Nous  trou- 
verons de  nouvelles  confirmations  de  ces  faits  quand  nous 
nous  occuperons  de  l’action  de  l’oxygène  comprimé  sur  les 
végétaux  et  la  germination. 

De  même,  l’expérience  CCGLXXXY1  nous  montre  que  la  pres- 
sion de  21  atmosphères  tue  complètement  les  êtres  microsco- 
piques de  la  putréfaction,  comme  elle  tue  les  animaux  supé- 
rieurs. 

Ajoutons  enfin  que  la  viande  qui  s’est  ainsi  conservée  in- 
tacte, pendant  la  compression  et  après  la  compression,  n’en 
reste  pas  moins  un  excellent  terrain  pour  le  développement 
des  êtres  microscopiques,  et  que  la  putréfaction  s’y  établit  ra- 
pidement, lorsqu’il  arrive  à leur  contact,  en  quantité  suffi- 
sante, des  germes  apportés  par  l’air.  L’expérience  GCGXG1V, 
où  la  pénétration  dans  le  flacon  a eu  lieu  par  une  fissure  im- 
perceptible du  bouchon,  est  tout  à fait  caractéristique.  Mais 
pour  les  êtres  microscopiques,  comme  pour  ceux  de  grande 
dimension,  la  récolte  est  proportionnelle  à l’ensemencement; 
il  n’est  donc  pas  étonnant  que,  dans  ces  conditions,  la  putré- 
faction des  viandes  qui  ont  été  comprimées  se  fasse  avec  une 
certaine  lenteur  (Exp.  CCCCVII),  et  que,  même  dans  certains 
cas  (Exp.  CGGCY),  les  hasards  de  l’expérience  ayant  fait  entrer 
dans  les  tubes  des  germes  de  moisissures,  et  non  des  vibrions 
de  la  putréfaction,  celle-ci  ait  été  remplacée  par  une  végéta- 
tion microscopique. 

Il  m’est  arrivé  quelquefois  de  voir  des  viandes  maintenues 
en  vases  bouchés  à la  lampe,  après  la  phase  de  compression 
oxygénée,  se  bien  conserver  pendant  des  semaines  et  des  mois, 
puis  entrer  en  putréfaction  ; c’est  ce  que  montrent,  par  exem- 
ple, les  expériences  CCCXGV1I  et  CGGGIV.  Dans  ce  cas,  à mon 
sens,  l’oxygène  n’a  pas  tué  tous  les  vibrions  de  la  putréfac- 
tion ; il  en  a laissé  quelques-uns,  simplement  malades,  comme 
engourdis,  et  qui  reprennent  avec  le  temps  une  activité  nou- 
velle. G’est  ce  qui  arrive  également,  lorsqu’on  a chauffé  de  la 
viande  à une  température  notablement  inférieure  à l’ébulli- 


888 


EXPÉRIENCES. 


tion  ; c est  ce  qui  arrive,  lorsqu’on  laisse,  dans  un  appareil 
où  le  vide  a été  fait  par  l’ébullition,  rentrer  de  l’air  à travers 
du  coton  cardé,  si  le  filtre  n’a  pas  été  suffisant  ; c’est  ce  qui 
arrive,  en  un  mot,  toutes  les  fois  que  les  ferments  sont  ou  en 
très-petit  nombre,  ou  altérés  par  quelque  circonstance  étran- 
gère. 

J’ai  dù  nécessairement  étudier  la  putréfaction  de  quelques 
autres  substances.  Je  transcris  ici  mes  expériences  : 

B.  — Sang. 

Expérience  CCCCXIV.  — 9 juin.  Sang  de  chien,  défibriné. 

A.  50cc  sont  placés  dans  un  flacon,  à la  pression  normale. 

B.  50cc  dans  un  autre  flacon  fermé  par  un  bouchon  percé.  Placé  dans 
l’appareil  en  fer  et  poussé  à 12  atmosphères  suroxygénées. 

La  pression  tombe  les  jours  suivants,  et  on  ne  peut  la  maintenir  qu’à 
8 atmosphères. 

Le  13  juin.  On  décomprime  et  cachète  B. 

Le  18  juin.  — A.  Odeur  horrible;  B.  Un  peu  d’odeur. 

Expérience  GGCGXV.  — -19  juin  1874.  Sang  de  chien,  frais,  défibriné. 

A.  Dans  flacon  bouché,  air  ordinaire-. 

B.  Flacon  bouché  d’un  bouchon  de  liège  percé,  soumis,  après  agitation, 
à 20  atmosphères  suroxygénées,  équivalant  à 88  atmosphères  d’air. 

24  juin.  — A.  Sent  horriblement  mauvais. 

B.  Décomprimé,  ne  sent  rien,  et  est  translucide,  laqué;  je  cachète  à la 
cire  l’orifice  du  flacon. 

6 juillet.  — A.  Couche  ridée  à la  surface;  odeur  repoussante.  Pas  de 
globules  visibles  ; vibrions  à point  terminal  brillant,  assez  nombreux,  et 
aussi  bâtonnets  immobiles;  cristaux  d’hémoglobine. 

B.  Le  sang  est  redevenu  un  peu  trouble  ; pas  de  couche  blanche  à la 
surface;  odeur  étrange,  très-faiblement  putride.  Globules  sanguins  roses  et 
extraordinairement  pâles;  pas  de  cristaux;  quelques  rares  vibrions  à 
point  brillant. 

12  juillet.  — B.  Toujours  pas  d’odeur  putride. 

On  remet  simplement  sur  B son  bouchon,  sans  cacheter  à nouveau.  Dans 
les  mois  qui  suivent,  on  l’ouvre  fréquemment  et  le  referme  sans  précau- 
tion ; il  arrive  même  que  le  bouchon  tombe  à terre  et  est  remis  en  place 
sans  autre  soin.  Cependant  l’odeur  putride  n’apparaît  pas  nettement. 

16  janvier  1875.  Présenté  à la  Société  de  Biologie. 

A.  Est  horriblement  putride. 

B.  Peut  être  flairé  sans  dégoût,  mais  sent  cependant  un  peu. 

Expérience  GGGGXV1.  — 21  juillet.  Sang  de  chien,  défibriné. 

En  quantités  égales  dans  : 


FERMENTATIONS  PAR  ORGANISMES. 


889 


A.  Malras  bouché  avec  un  bouchon  de  liège. 

B.  Matras  semblable  étiré  à la  lampe  ; celui-ci  est  soumis  à 15  atmo- 
sphères suroxygénées. 

22 juillet . — A.  Commence  à sentir  mauvais. 

B.  Pression  tombée  ; je  retire  B et  l’agile  pour  mouiller  les  parois  du 
matras;  je  repousse  ensuite  à 8 1/2  atmosphères  suroxygénées. 

25  juillet.  Monté  à 12  atmosphères. 

2 A juillet.  Monté  à 15  atmosphères. 

50  juillet.  — A.  Sent  horriblement  mauvais. 

B.  Encore  14  atmosphères  ; décomprimé  ; aucune  odeur  ; fermé  à 
la  lampe  le  bout  effilé  du  matras. 

Une  goutte  de  ce  sang,  examinée  au  microscope,  ne  présente  plus  de  glo- 
bules; aussi  est-il  d’aspect  laqué. 

Ainsi,  par  l’effet  de  la  compression,  quand  l’expérience  a 
été  bien  conduite,  le  sang  se  conserve  sans  se  putréfier,  dans 
l’air  comprimé  et  à sa  sortie  de  l’air  comprimé.  La  seule  al- 
tération consiste  dans  l’aspect  laqué  qu’il  prend,  aspect  dû  à 
ce  que  l’hémoglobine  quitte  les  globules  pour  se  dissoudre 
dans  le  sérum.  C’est  ce  qui  arrive, du  reste,  toujours  au  sang' 
mort,  et  que  présente  même  le  sang  putréfié  en  vases  clos, 
après  que  la  fermentation  putride  est  terminée. 

Non-seulement  les  vibrions  sont  ainsi  tués  avant  de  com- 
mencer leur  œuvre  ; mais  lorsqu’on  comprime  du  sang  en 
pleine  putréfaction,  on  voit  celle-ci  s’arrêter,  et  l’odeur  ca- 
ractéristique diminuer  jusqu’à  disparaître. 

Mais  les  expériences  sur  le  sang  présentent  une  difficulté 
sur  laquelle  il  est  intéressant  de  dire  dès  maintenant  quel- 
ques mots,  parce  qu’elle  m’a  fait  échouer  au  début  dans 
nombre  d’expériences,  et  qu’elle  pourrait,  si  je  ne  la  signa- 
lais, jeter  de  l’incertitude  dans  l’esprit  de  ceux  qui  voudront 
contrôler  mon  travail. 

Il  m’est  arrivé  fréquemment  de  voir  du  sang  qui  s’était 
bien  conservé  dans  l’appareil,  pourrir  rapidement  à la  pres- 
sion normale,  même  dans  des  vases  soigneusement  fermés  à 
la  lampe.  En  examinant  ces  faits  avec  soin,  je  reconnus  que 
cela  n’arrivait  que  pour  les  expériences  faites  dans  des  tubes, 
jamais  pour  celles  faites  dans  des  matras.  Cette  singularité 
tient,  comme  je  le  soupçonnai  aussitôt,  à ce  que  l’épaisseur 


890 


EXPÉRIENCES. 


de  la  couche  sanguine  est  différente  dans  les  deux  procédés 
opératoires. 

Je  m’aperçus  alors  que  l’oxygène,  même  aux  plus  hautes 
tensions,  ne  pénètre  dans  le  sang  qu’à  une  faible  profondeur. 
Exemple  : 

Expérience  CCCCXVll.  — 2 décembre.  100cc  de  sang  sont  placés  dans  une 
éprouvette  à pied  ; ils  occupent  10e  de  hauteur  ; compression  dans  la  bou- 
teille à mercure  à 20  atmosphères  suroxygénées. 

0 décembre.  Décompression  instantanée  ; il  se  dégage  très-peu  de  gaz 
du  liquide  ; pas  de  mousse. 

Le  sérum  surnageant  occupe  une  hauteur  de  5e  ; au-dessous  une  couche 
sanguine  très-rouge  de  5e  ; le  reste  du  sang  est  tout  à fait  noir. 

Il  est  donc  de  toute  évidence  qu’il  ne  peut  y avoir  excès 
d’oxygène  que  dans  les  couches  superficielles  du  liquide,  et 
que,  par  suite,  les  vibrions  placés  dans  les  couches  profondes 
ne  seront  pas  impressionnés  par  l’oxygène,  ou  ne  le  seront 
que  faiblement.  De  là  la  putréfaction  qui  apparaît  plus  ou 
moins  vite,  et  que  j’ai  vue  même  dans  un  cas  apparaître  pen- 
dant la  compression  ; les  inégalités  dépendent  de  circon- 
stances multiples  dans  la  complication  desquelles  la  hau- 
teur de  la  colonne  employée  se  détache  par  sa  netteté.  On  ne 
devra  jamais  employer  du  sang  sur  une  épaisseur  de  plus  de 
un  demi-centimètre,  pour  être  absolument  certain  de  réussir. 

C.  — Œufs. 

Expérience  CCCCXVill.  — 19  juin.  Œufs  battus  et  bien  agités. 

Placés  en  quantités  égales  dans  : 

A.  Flacon  bouché,  air  ordinaire. 

B.  Flacon  bouché  d’un  bouchon  de  liège  percé,  soumis,  après  agitation, 
à 20  atmosphères  suroxygénées,  équivalant  à 88  atmosphères  d’air. 

24  juin.  — A.  Infect,  avec  moisissures  à la  surface. 

B.  Décomprimé,  ne  sent  rien.  On  trouve  le  flacon  débouché,  par  l’ex- 
pansion des  gaz;  il  faut  remettre  le  bouchon,  après  l’avoir  taillé.  Le  fla- 
con reste  ainsi  environ  5 minutes  ouvert  à Pair  libre.  Je  cachète  avec  soin. 

28  juin.  — A.  Est  complètement  brouillé. 

B.  Paraît  sain,  le  jaune  surnage  nettement. 

6 juillet.  — A.  Horrible  odeur  ; le  bouchon  saute  quand  on  l’ouvre  ; 
l’œuf  est  tout  brouillé  et  vert. 

B.  On  voit  encore  deux  couches;  jaune  verdâtre  ; pas  d’odeur;  il  y a 
des  moisissures  sur  la  face  inférieure  du  bouchon. 


FERMENTATIONS  PAR  ORGANISMES. 


891 


12  juillet.  — B,  qu’on  a rebouché  sans  précaution,  n’a  pas  d’odeur  pu- 
tride. 

Expérience  GGGGXIX.  — 21  juillet  1874.  Œuf  battu. 

A.  Dans  matras  bouché  avec  bouchon  de  liège. 

B.  Dans  matras  semblable,  éliré  à la  lampe.  Gelui-ci  est  soumis  à 15  at- 
mosphères suroxygénées,  agité. 

30  juillet.  — A.  Sent  horriblement  mauvais  et  est  brouillé. 

B.  Décomprimé  ; ne  sent  rien,  et  ses  deux  couches  sont  très-neltement 
séparées.  Je  ferme  à la  lampe. 

Au  bout  de  quelques  mois,  B commence  à se  coaguler  en  masse. 

18  janvier  1875.  — A.  Odeur  horrible;  n’est  qu’un  magma  verdâtre, 
très-alcalin. 

B.  J’ouvre  le  matras  ; l’œuf  est  coagulé  entièrement  ; jaune  rougeâtre  ; 
aucune  odeur  désagréable  ; réaction  nettement  acide. 

Expérience  CCGGXX.  — 29  mai.  Œuf  battu. 

A.  Dans  matras  ouvert,  coiffé  d’un  cornet  de  papier  ; pression  normale. 

B.  Dans  matras  étiré  à la  lampe.  Poussé  à 23  almosphères  suroxygénées. 

5 juin.  — A.  Exhale  une  odeur  horrible. 

L’appareil  à compression  a perdu  ; je  l’ai  rechargé  à plusieurs  reprises  ; 
il  retombe  définitivement  à 5 atmosphères. 

26  juin.  Décompression. 

A.  Est  coagulé,  infect,  avec  couche  noire  au  fond  du  verre. 

B.  Est  divisé  en  deux  couches  très-nettes,  non  coagulées,  sans  aucune 
odeur. 

Expérience  GCGCXXI.  — 17  mars.  Œufs  battus,  dans  2 tubes. 

A.  Bouché  avec  un  bouchon,  air  libre. 

B.  Effilé  à la  lampe;  à 15  atmosphères  d’un  air  contenant  80  pour  100 
d’oxygène. 

26  mars.  Décompression. 

A.  Odeur  infecte;  coagulation;  je  bouche  à la  lampe. 

B.  Aucune  odeur  ; liquide  en  deux  couches  nettement  distinctes;  fermé 
à la  lampe. 

15  mai.  — A.  Explosion  en  ouvrant  le  tube  ; odeur  infecte;  végétation 
à la  surface. 

B.  Pas  coagulé  ; pas  d’explosion  en  ouvrant  le  tube  ; acidité  très-légère; 
odeur  aigrelette  agréable,  ressemblant  à celle  du  cidre  ; pas  de  végétation 
à la  surface  ; refermé  à la  lampe. 

10  juin.  Explosion  spontanée  du  tube  B;  cependant  peu  d’odeur;  ma- 
tière acide,  coagulée. 

Les  œufs  ne  pourrissent  donc  ni  pendant  ni  après  la  dé- 
compression, quand  on  les  met  à l’abri  des  germes  de  l’air. 
Mais  à la  longue,  ils  finissent  par  prendre  une  réaction  acide 


892 


EXPÉRIENCES. 


qui,  sans  développer  d’odeur,  fait  coaguler  leur  albumine.  Il 
y aurait  là  un  phénomène  chimique  des  plus  intéressants  à 
étudier  dans  ses  détails. 

Ces  diverses  expériences  démontrent  donc  de  la  manière 
la  plus  nette  que  lorsqu’on  prend  les  précautions  expérimen- 
tales sur  lesquelles  j’ai  insisté,  la  viande,  les  œufs,  le  sang, 
c’est-à-dire  les  plus  altérables  des  matières,  sont  conservées 
sans  putréfaction  par  l’oxygène  à haute  tension.  Retirées  de 
l’appareil  et  maintenues  en  vases  clos,  elles  y restent  indéfi- 
niment sans  se  putréfier,  mais  en  subissant  certaines  altéra- 
tions qui  les  rendraient  impropres  aux  usages  habituels. 


§2.  — Coagulation  du  lait. 

Le  lait,  que  j’ai  mis  en  expérience  au  double  point  de  vue 
de  sa  putréfaction  et  de  sa  coagulation,  m’a,  sous  ce  dernier 
rapport,  longtemps  embarrassé  : 

Expérience  CCCCXXII.  — 8 août.  Lait,  mis  dans  3 petites  bouteilles  bien 
lavées. 

A.  Laissé  à la  pression  normale. 

B.  Placé  dans  un  récipient  à compression,  poussé  à 4 atmosphères 
d’air. 

C.  Poussé  à 7 atmosphères  d’un  air  à 70  pour  100  d’oxygène,  équiva- 
lant à 24  atmosphères  d'air. 

15  août.  — A.  B.  G.  Lait  acide  ; caillot  partout. 

Expérience  CCCCXXIII.  — 27  janvier.  Lait  placé  dans  2 petites  bouteilles 
semblables. 

A.  Fermée  avec  un  bouchon  de  liège. 

B.  De  même,  mais  le  bouchon  est  traversé  par  un  tube  de  verre  capil- 
laire ; la  bouteille  est  soumise,  dans  le  récipient  cylindrique  en  verre,  à 
une  pression  de  10  atmosphères,  avec  un  air  contenant  84  pour  100 
d’oxygène.  La  tension  de  l’oxygène,  840,  équivaut  donc  à 42  atmosphères 
d’air. 

B.  Paraît  se  cailler  un  peu  plus  tard  que  A. 

5 février.  Décomprimé  B et  bouché  le  trou  avec  de  la  cire  brûlante.  A 
et  B ont  le  même  aspect. 

22  mai.  — A.  Le  bouchon  saute  quan  1 j’ouvre  le  flacon.  Odeur  bu- 
tyrique très-forte;  réaction  très-acide.  On  y voit  de  nombreux  vibrions  très- 
vivaces,  dont  quelques-uns  ovales  et  larges. 


FERMENTATIONS  PAR  ORGANISMES. 


893 


B.  Le  bouchon  ne  saute  pas  ; très-légère  odeur  butyrique,  réaction 
très-acide.  Rares  vibrions  en  bâtons,  très-petits  et  remuants. 

Expérience  GGCCXXIV.  — 22  mai.  9 — 18°.  Lait  bouilli,  placé  dans  quatre 
flacons  bien  lavés  avec  de  l’eau  chaude  et  alcaline. 

A,  A',  deux  flacons  bien  bouchés  et  cachetés. 

6,  B',  deux  flacons,  bouchés  d’un  bouchon  de  liège  percé  d’un  trou, 
poussés  à 10  atmosphères  d’un  air  à 70  pour  100  d’oxygène,  ce  qui  corres- 
pond à 35  atmosphères  d’air. 

24  mai.  Décomprimé  B, B'  et  bouché  les  trous  à la  cire  fondue. 

Les  quatre  flacons  paraissent  caillés  au  même  degré. 

Expérience  GCGCXXY.  — 26  mai.  Lait  bouilli,  additionné  d’eau  alcali- 
nisée  avec  du  carbonate  de  soude. 

A,  A'.  Deux  flacons  sont  bouchés  et  cachetés. 

B,  B'.  Deux  autres,  dont  ie  bouchon  est  percé  d’un  trou,  sont  mis  dans 
l’appareil  cylindrique  en  verre  sous  10  atmosphères  d’air  à 70  pour  100 
d’oxygène  : soit  35  atmosphères  d’air. 

1er  juin.  AA'  est  en  partie  coagulé. 

BB'  l’est  à peine. 

3 juin.  Décomprimé  BB'  et  bouché  les  trous  à la  cire  fondue-. 

Le  liquide  est  moins  nettement  coagulé  à BB'  qu’à  AA'. 

2 § juin.  BB'  sont  moins  nettement  coagulés  que  AA'. 

BB'  sont  neutres  ou  à peine  acides. 

AA'  sont  extrêmement  acides. 

Expérience  GGCCXXYI.  — 7 août  1874.  Lait  bouilli,  introduit  dans  deux 
matras,dont  le  liquide  n’occupe  qu’une  faible  partie  : 

A,  bouché  avec  un  bouchon  de  liège  neuf  et  bien  chauffé. 

B,  étiré  à la  lampe,  sauf  un  petit  troua  l’extrémité  ; porté  et  maintenu 
entre  8 et  12  atmosphères  suroxygénêes. 

17  août.  A,  caillot  jaunâtre  avec  moisissures  ; infect. 

B,  décomprimé,  fermé  à la  lampe;  caillot  blanc. 

18  janvier  1875.  A,  masse  jaunâtre  avec  pellicule  jaune  foncé.  Sent 
mauvais  ; réaction  alcaline. 

B,  caillot  bien  blanc  et  bien  net;  ne  sent  pas  mauvais. 

Expérience  CCCGXXVI1.  — 7 août  1874.  Lait  bouilli,  additionné  d’eau 
alcaline  ; disposé  comme  le  précédent  ; l’un  des  matras,  B,  placé  à côté 
de  celui  de  l’expérience  ci-dessus. 

Le  17  août , à la  décompression,  meme  différence  dans  l’aspect  gé- 
néral. 

18  janvier  1875.  A,  infect  ; jaunâtre  avec  pellicule  jaune  ; alcalin. 

B,  odeur  fraîche,  aigrelette  ; caillot  blanc  et  net  ; réaction  bien 
acide. 

Expérience  GCCCXXVIII.  — 20  janvier.  Lait  bouilli,  dans  des  tubes, 
étendu  d’eau. 


894 


EXPÉRIENCES. 


A,  pression  normale. 

B,  atmosphères  suroxygénées  ; tube  étiré  à la  lampe. 

La  pression  tombe  à plusieurs  reprises. 

25  janvier.  On  décomprime. 

il  mai.  A,  odeur  infecte;  moisissures  épaisses  à la  surface;  liquide 
jaunâtre  avec  caillots. 

B,  très-légère  odeur  butyreuse,  non  désagréable;  acide;  liquide  très- 
blanc  avec  grumeaux  ; on  reconnaît  au  microscope  quelques  globules  de 
lait. 

Expérience  GCGGXXIX.  — 20  janvier.  Lait  additionné  d’une  solution  de 
soude. 

Expérience  faite  en  même  temps  que  la  précédente. 

17  mai.  Le  lait  non  comprimé  a une  odeur  infecte  ; l’autre  ne  sent  rien. 

Expérience  GGCCXXX.  — 16  mars.  Lait  bouilli,  dans  des  tubes. 

A,  pression  normale. 

B,  à 10  atmosphères  suroxygénées,  dans  l’appareil  cylindrique  en  verre. 

18  mars.  Le  lait  caille  sensiblement  en  meme  temps  à A et  à B. 

On  voit  que,  pour  le  lait  comme  pour  les  autres  substances, 
la  putréfaction  a été  arrêtée  par  l’air  comprimé  : à la  condi- 
tion de  renoncer  aux  bouchons,  et  d’employer  exclusivement 
des  tubes  ou  des  matras  bouchés  à la  lampe. 

Mais  la  coagulation  n’a  pas  été  empêchée,  ni  l’acidification 
rapide;  ces  altérations  n’ont  même  pas  paru  retardées  d’une 
manière  appréciable.  Une  forte  alcalinisation  préalable  du 
lait  ne  les  a pas  arrêtées  non  plus  ; cependant,  dans  ce  cas, 
un  retard  évident  a été  obtenu. 

Serait-ce  que  vraiment  l’oxygène  en  tension  serait  sans  ac- 
tion sur  les  vibrions  lactiques  découverts  par  M.  Pasteur?  ou 
bien  la  coagulation  du  lait  ne  serait-elle  pas  l’œuvre  de  ces 
êtres  microscopiques,  mais  bien  de  quelque  agent  invulné- 
rable à l’oxygène,  comme  le  sont,  ainsi  que  nous  le  verrons, 
les  ferments  solubles? 

Avant  de  donner  une  réponse  à ces  questions,  je  devais 
réfléchir  à la  cause  d’erreur  expérimentale  que  m’avaient 
fait  connaître  les  expériences  sur  le  sang.  L’épaisseur  des 
couches  liquides  que  doit  saturer  l’oxygène  comprimé  pour 
accomplir  son  œuvre  destructive  pouvait  jouer  ici  un  rôle 
considérable. 


FERMENTATIONS  PAR  ORGANISMES. 


895 


Il  fallait  éliminer  cette  influence  fâcheuse;  c’est  ce  que 
j’ai  fait,  par  exemple,  dans  les  expériences  suivantes  : 

Expérience  GGGCXXXI.  — 10  août.  Lait  bouilli;  mis  en  couche  de  2 à 3 
millimètres  d’épaisseur  dans  deux  cristallisons  neufs  et  bien  lavés  : 

A,  à l’air  libre,  sous  un  verre  qui  arrête  les  poussières  ; 

B,  à 25  atmosphères  d’air  suroxygéné. 

14  août.  Décomprimé. 

A est  coagulé  depuis  le  il  et  sent  très-mauvais. 

B est  liquide,  ne  sent  aucune  odeur  et  parait  tout  à fait  normal. 

Expérience  CCCCXXXII.  — 25  mai.  Au  fond  de  6 tubes  on  fait  tomber 
avec  précaution  quelques  gouttes  de  lait  bouilli  (hauteur  1/2  cent.). 

A.  2 tubes  sont  fermés  à la  lampe  et  gardés  comme  témoins. 

B.  Les  4 autres,  étirés  mais  ouverts,  sont  soumis  à 15  atmosphères 
suroxygénées  dans  le  cylindre  en  verre, 

1er  juin.  Décomprimé. 

A est  coagulé  depuis  le  27  mai. 

B ne  l’est  pas  : fermé  à la  lampe. 

6 j uin.  B,  pas  encore  coagulé. 

Ces  expériences  prouvent  d’une  manière  bien  nette  que 
l’oxygène  en  tension  empêche  la  coagulation  du  lait,  c’est-à- 
dire  lue  les  vibrions  qui  donnent  la  fermentation  lactique. 
Comme  l’action  de  ces  êtres  se  fait  très-rapidement,  il  est 
nécessaire,  pour  l’arrêter,  d’employer  l’oxygène  à très-haute 
dose,  en  présence  d’une  mince  couche  de  liquide,  qu’il  faut 
saturer  rapidement.  Pour  la  putréfaction,  qui  s’opère  beau- 
coup plus  lentement,  ces  précautions  excessives  ne  sont  pas 
nécessaires;  le  lait  ne  consommant  pas,  comme  le  sang, 
l’oxygène  au  fur  et  à mesure  qu’il  pénètre  le  liquide,  ce  gaz 
a le  temps  d’aller  jusqu’au  fond  des  tubes,  et  d’y  tuer  les 
agents  putrescibles.  C’est  ce  qui  explique  comment  on  peut  si 
facilement,  par  l’air  comprimé,  empêcher  le  lait  de  se  putré- 
fier, et  si  difficilement  de  se  coaguler. 


§ 5.  — Altératiôn  de  Burines 

Depuis  les  recherches  de  M.  Van  Tieghem*  on  Sait  que  la 
transformation  de  l’urée  en  carbonate  d’ammoniaque  est  une 


896 


EXPÉRIENCES. 


fermentation  vraie,  due  au  développement  d’un  microphyte, 
d’une  torulacée. 

J’ai  donc  dû  l’étudier  avec  quelques  détails  : 

Expérience  CCCCXXXÏII.  — 8 août.  0 — 27°.  Urine  de  la  veille,  bien 
acide;  en  quantités  égales  dans  trois  petites  bouteilles  coiffées  d’un  bou- 
chon de  papier,  et  placées  : 

A,  à la  pression  normale,  sous  cloche; 

B,  dans  le  petit  récipient  à eau  de  Seltz,  à 4 atmosphères  d’air  ; 

G,  dans  le  récipient  cylindrique  en  verre,  à 7 atmosphères  d’un  air  con- 
tenant 70pourl00  d’oxygène, ce  qui  correspond  à 24  atmosphères  d’air. 

11  août.  A,  tout  à fait  trouble,  infecte,  mais  encore  acide. 

B,  décomprimé;  un  peu  trouble,  un  peu  de  mauvaise  odeur.  Beporté  à 
5 atmosphères  d’air. 

C,  décomprimé;  pas  de  trouble;  odeur  fraîche.  Beporté  à 5 atmo- 
sphères à 71  pour  100,  soit  18  atmosphères  d’air  environ.  . 

15  août.  A,  tout  à fait  trouble,  très-alcaline,  horriblement  infecte. 

B,  trouble,  assez  alcaline,  un  peu  moins  infecte. 

C,  un  peu  trouble,  un  peu  alcaline,  commence  à sentir  mauvais. 

Expérience  CGGGXXXIV.  — 15  mai.  Urine  fraîche,  bien  acide,  dans  deux 
flacons  semblables  : 

A,  bouché,  à la  pression  normale; 

B,  mis  à 10  atmosphères  d’un  air  suroxygéné. 

18  mai.  A,  trouble,  neutre. 

B,  claire,  acide. 

Expérience  CCCCXXXV.  — 19  juin.  Mélange  d’urine  fraîche  et  d’urine 
déjà  gâtée. 

A,  flacon  bouché. 

B,  flacon  avec  bouchon  de  liège  percé,  mis  à 20  atmosphères  suroxv- 
génées,  correspondant  à 88  atmosphères  d’air. 

24  juin.  A,  trouble,  sent  mauvais;  je  ferme  à la  cire  le  trou  du 
bouchon. 

B,  décomprimé;  claire,  aucune  odeur. 

6 juillet.  A,  odeur  forte;  trouble;  voile  à la  surface,  où  l’on  trouve  des 
myriades  d’organismes  remuants  et  de  cristaux  arrondis.  Fortement  al- 
caline ; pour  en  acidifier  une  certaine  quantité,  il  faut  ajouter  4 gouttes 
d’acide  sulfurique. 

B,  aucune  odeur  ; trouble  ; voile  ; proto-organismes  remuants,  mais 
pas  de  cristaux.  Peu  alcaline  ; une  seule  goutte  d’acide  sulfurique  acidifie 
la  même  quantité  qu’à  A. 

30  juillet.  A est  horriblement  infecte  et  très-alcaline  ; B,  qui  a été  re- 
bouchée sans  soin, n’a  pas  d’odeur  et  est  très-peu  alcaline. 

Cependant  les  deux  urines  donnent,  par  le  procédé  d’Yvon,  la  même 
quantité  d’azote  (3,5  à 3,7  par  centimètre  cube). 


FERMENTATIONS  PAR  ORGANISMES. 


897 


Expérience  CCCCXXXYI.  — 21  juillet  1874.  Urine  fraîche,  en  quantités 
égales  dans  deux  matras  égaux  : 

A,  bouché  avec  un  bouchon  de  liège; 

B,  étiré  à la  lampe,  avec  orifice  fin.  Placé  à 15  atmosphères  suroxygé- 
nées; agitation  du  matras. 

30  juillet.  A,  trouble,  très-mauvaise  odeur. 

B,  claire  et  ne  sent  rien.  En  voulant  fermer  le  matras  à la  lampe,  il  se 
brise;  je  transvase  l’urine  dans  un  matras  semblable  qui  se  brise  égale- 
ment, puis  enfin  dans  un  tube  bouché  bien  lavé  à l’eau  bouillante,  que  je 
ferme  à la  lampe. 

Dans  les  mois  suivants,  le  trouble  de  A va  toujours  en  augmentant; 
odeur  infecte  ; couleur  de  plus  en  plus  foncée. 

Au  contraire,  B reste  limpide  et  de  couleur  pâle. 

Le  16  janvier  1875,  présenté  à la  Société  de  Biologie.  A,  très-co- 
lorée, toute  trouble,  infecte  ; B,  claire,  avec  un  léger  dépôt  flocon- 
neux. 

Le  18  janvier.  A,  très-colorée,  toute  trouble,  infecte,  très-alcaline. 
L’analyse  par  le  procédé  Yvon  donne  pour  lcc  d’urine  5CC,8  d’azote;  mais 
par  le  procédé  Gréhant  on  obtient  seulement  2CC  d’azote,  valent  0cg,5 
d’urée  ; cela  tient  à ce  que  le  procédé  d’Yvon  fait  compter  le  carbonate 
d’ammoniaque. 

B,  claire  ; odeur  tout  à fait  fraîche  ; acidité  normale.  Le  procédé  d’Yvon 
donne  pour  lcc  d’urine  6CC,1  d’azote;  celui  de  Gréhant  6CC,0,  valant  lcg,6 
d’urée . 

17  mai.  L’urine  B,  qui  a été  rebouchée  à la  lampe,  est  neutre,  à peine 
odorante  ; à sa  surface  se  voit  une  végétation  épaisse.  L’analyse  par  le 
procédé  Gréhant  donne,  pour  lcc  d’urine,  lcc,5  d’azote,  correspondant  à 
0cg,4  d’urée. 

Expérience  CCCCXXXVIl.  — 20  mai.  Urine  fraîche,  dans  trois  tubes  ; à 
chacun  d’eux  j’ajoute  un  petit  morceau  de  papier-Musculus , chargé  de 
ferment  urineux,  que  m’a  remis  M.  Pasteur;  ce  papier,  préparé  depuis 
plus  de  six  mois,  est  encore  très-énergique  : 

A,  à l’air  libre; 

B et  B',  à 21  atmosphères  d’air  à 81  pour  100  d’oxygène. 

24  mai.  Décompression. 

A,  forte  odeur;  très-alcaline. 

B,  B',  faible  odeur;  B neutre,  B'  très-légèrement  alcalin. 

Expérience  CCCCXXXYIIL  — 28  mai.  Urine  fraîche,  dans  deux  matras 
fermés  d’un  bouchon  de  liège  échancré  : 

A,  à l’air  libre  ; 

B,  à 23  atmosphères  suroxygénées,  qui  tombent  lentement  à 5. 

26  juin.  Décompression. 

A est  depuis  longtemps  infect  et  trouble. 

B,  claire  avec  léger  dépôt,  aucune  odeur,  bouché  à la  cire. 


57 


«98  EXPÉRIENCES. 

2 S juin.  Présentée  à l’Institut,  rebouchée  sans  soin  et  reportée  dans  le 
laboratoire. 

11  juillet.  S’est  couverte  d’une  moisissure  verte,  mais  n’exhale  aucune 
odeur  ammoniacale. 

Ainsi,  l’urine  se  conserve  avec  toutes  ses  qualités,  sa  cou- 
leur, son  odeur,  son  acidité  normale,  l’urée  s’y  maintient 
dans  sa  proportion  primitive.  L’expérience  CCCCXXXV1,  qui 
a été  faite  avec  un  soin  particulier,  est  tout  à fait  concluante 
sous  tous  ces  rapports.  L’identité  des  chiffres  donnés  par  le 
procédé  Gréhant  et  par  le  procédé  Yvon  pour  la  quantité 
d’azote  extraite  de  l’urine  comprimée,  montre  qu’il  n’y  avait 
pas  là  de  carbonate  d’ammoniaque  formé,  tandis  qu’il  s’en 
trouvait  beaucoup  dans  l’urine  laissée  à la  pression  normale. 

Mais  si,  comme  dans  les  expér.  CCCCXXXY  et  CCCCXXXV1I, 
on  ajoute  à l’urine  fraîche  une  notable  quantité  de  ferment, 
il  y aura  commencement  d’altération.  Gela  tient,  bien  évi- 
demment, nous  nous  en  sommes  déjà  expliqué  à propos  du 
sang  et  du  lait,  à ce  que  l’oxygène  n’a  pas  le  temps  de  tuer 
les  ferments  avant  que  ceux-ci  aient  commencé  à agir  sur  la 
matière  fermentescible;  cependant,  même  dans  ces  cas,  leur 
action  a été  ralentie. 

Je  ne  puis  cependant  m’empêcher  de  dire  que  ces  expé- 
riences sur  l’urine  mériteraient  d’être  reprises  avec  une  in- 
sistance particulière  ; il  semble  qu’il  y ait  là,  lorsqu’on  met 
en  jeu  le  papier-Musculus,  quelque  chose  de  complexe,  et 
l’action  simultanée  d’un  ferment  figuré  et  d’un  ferment  so- 
luble. 

g 4.  — Levûre  de  bière. 

La  levûre  de  bière  est  tuée  par  l’air  comprimé,  comme  le 
montre  l’expérience  suivante  : 

Expérience  CCCCXXXIX.  — 26  juin.  Des  morceaux  de  levûre  de  bière 
bien  active  sont  placés  : 

A,  dans  flacon  bouché,  pression  normale. 

B,  dans  flacon  poussé  à 15  atmosphères  suroxygénées. 

21  juillet.  A,  pourrie,  avec  odeur  infecte  ; plus  trace  reconnaissable 
au  microscope. 


FERMENTATIONS  PAR  ORGANISMES. 


899 


B,  décomprimé  : bonne  odeur  fraîche  ; semble  saine  à l’aspect  exté- 
rieur et  à l’examen  microscopique.  Cependant,  mise  avec  de  l’eau  gly- 
cosée,  pourrit  sans  fermenter,  en  s’acidifiant. 

Ainsi  la  levùre  a perdu  tout  pouvoir  avec  la  vie  ; cependant 
elle  a été  préservée  de  la  putréfaction  par  l’agent  même  qui 
l’a  tuée. 

Il  n’est  donc  pas  étonnant  qu’à  la  pression  normale,  la  fer- 
mentation par  la  levùre  marche  plus  énergiquement  que  dans 
l’oxygène  comprimé.  Exemples  : 

Expérience  CCCCXL.  — 6 août.  De  la  levure  de  bière  est  ajoutée  à quan- 
tités égales  d’une  dissolution  de  glycose,  au  fond  de  quatre  tubes  sembla- 
bles : 

A,  2 laissés  à la  pression  normale  ; 

B,  2 poussés  à 10  atmosphères  suroxygénées. 

8 août.  A,  5CC  de  liquide  réduisent  entre  20  et  50  gouttes  de  réactif 
bleu. 

B,  5CC  réduisent  entre  40  et  45  gouttes. 

Ainsi,  la  levùre  comprimée  a détruit  beaucoup  moins  de  sucre  que 
l’autre. 

Expérience  CCCCXLI. — 15  mai.  50cc  de  solution  de  glycose  sont  placés 
dans  deux  flacons,  avec  un  morceau  de  même  poids  de  levure  de  bière. 

A,  laissé,  bouché,  à la  pression  normale. 

B,  porté  à 10  atmosphères  d’un  air  à 76  pour  100  d’oxygène  ; tension 
correspondant  à 58  atmosphères  d’air. 

18  mai.  A,  5CC  du  liquide  réduisent  lcc,5  de  la  solution  de  Fehling. 

B,  5CC  réduisent  5CC. 

Le  liquide  où  se  trouvait  la  levure  comprimée  contenait  donc  beaucoup 
plus  de  glycose  que  l’autre. 

Expérience  CCCCXLII.  — 2 décembre.  Dans  quatre  tubes  on  introduit 
5CC  d’une  faible  solution  de  glycose  et  gros  comme  une  tête  d’épingle  de 
levùre  de  bière. 

AA'  sont  maintenus,  étirés  à la  lampe,  à la  pression  normale. 

BB'  sont  portés  à 18  atmosphères  suroxygénées. 

8 décembre.  Décompression  : A et  A'  ne  contiennent  plus  de  trace  de 
glycose. 

B et  V)  en  contiennent  15ms,6. 

§ 5.  — Ferments  du  vin. 

Il  en  est  de  même  pour  les  deux  fermentations  qui  appa- 
raissent si  souvent  dans  le  vin,  et  sont  consécutives  au  déve- 


900 


EXPERIENCES. 


loppement  du  mycoderma  aceti  et  du  my  coder  ma  vini.  Dans  les 
expériences  qui  suivent,  les  deux  my  codermes  ont  été  le  plus 
souvent  employés  simultanément  : 

Expérience  CCCCXLIII.  — 8 août.  0=2 7°.  Vin  notablement  acide,  mis 
en  quantités  égales  dans  5 petites  bouteilles;  j’ajoute  à chacune  un  petit 
nuage  de  ferment  acétique  en  pleine  activité  : 

A,  laissé  à la  pression  normale,  bouché  avec  un  cornet  de  papier  ren- 
versé ; 

B,  mis  à 4 atmosphères  d’air  ordinaire; 

G,  à 7 atmosphères  d’air  à 70  pour  100  d’oxygène;  tension  équivalant  à 
24  atmosphères  d’air. 

11  août.  A.  Le  vin  est  couvert  d’une  membrane  blanche  bien  nette. 

B,  voile  très-léger  sur  presque  toute  la  surface. 

G,  quelques  taches  très-légères  et  étroites. 

B et  G restent  sous  compression. 

15  août.  A,  membrane  très-épaisse. 

B,  pellicule  un  peu  plus  forte  que  le  11. 

G,  taches  comme  le  11. 

Expérience  CGCCXLIV.  — - 15  août.  J’ajoute  à du  vin  placé  en  couche 
mince  au  fond  de  deux  matras  des  pellicules  de  mycoderme  du  vinaigre. 

A est  bouché  et  renversé  sur  l’eau. 

B est  battu  longuement  par  un  courant  d’oxygène  presque  pur  ; je 
bouche  alors  le  matras,  et  le  renverse  à côté  de  A. 

17  août.  A est  couvert  d’une  pellicule  blanche  de  mycodermes. 

B n’a  rien  à la  surface. 

19  août.  A,  pellicule  épaisse. 

B,  nuage  léger. 

21  août.  A,  membrane  tout  à fait  épaisse. 

B,  la  pellicule  a un  peu  épaissi. 

Expérience  GGGGXLV.  — 27  janvier.  Vin  ordinaire  placé  dans  deux  fioles  ; 
on  répand  à la  surface  un  peu  de  mycoderme  venant  de  vin  exposé  dans  le 
laboratoire,  et  sur  lequel  on  avait  semé  du  mycoderma  aceti. 

Ce  vin  contenait  11,9  pour  100  d’alcool  et  son  équivalent  d’acidité  était 
0,08. 

A,  bouché  au  liège,  et  laissé  à la  pression  normale  ; 

B,  bouché  de  même  d’un  bouchon  percé,  et  porté  à 10  atmosphères 
d’un  air  à 84  pour  100  d’oxygène;  tension  équivalant  à 42  atmosphères 
d’air  ordinaire. 

5 février.  A,  léger  nuage  à la  surface. 

B,  décomprimé  : rien  à la  surface  ; cacheté  le  bouchon  à la  cire. 

17  février.  A,  membrane  épaisse. 

B,  rien  à la  surface. 

24  mai.  Montré  à la  Commission  de  l'Académie  des  sciences. 


FERMENTATIONS  PAR  ORGANISMES. 


901 


A,  trouble,  avec  une  épaisse  couche  de  moisissures  à la  surface  ; l’exa- 
men microscopique  montre  qu’il  n’y  a là  que  du  mycoderma  vini  et  quel- 
ques ferments  de  l’amer. 

Filtré  etgoûté,est  une  vinasse  horrible.  Il  n’a  plus  que9  pour  100  d’al- 
cool et  son  équivalent  d’acidité  n’est  plus  que  de  0,045. 

B,  très-clair,  mais  très-dépouillé,  avec  léger  dépôt  de  matières  colo- 
rantes, dans  lequel  se  trouve  un  peu  de  mycoderma  vini , et  nombreux 
filaments  du  ferment  de  l’amer. 

Au  goût,  n’est  pas  acide,  mais  bien  un  peu  amer,  et  ressemble  à de  bon 
vin  de  Bourgogne  devenu  trop  vieux  : or,  c’était  un  vin  des  plus  mé- 
diocres. 

Il  contient  encore  11  pour  100  d’alcool  et  son  équivalent  d’acidité  est 
0,07. 

Exposé  à l’air,  dès  le  lendemain  est  extrêmement  acide  et  tout  à fait  im- 
buvable. 

(Les  analyses  chimiques  ont  été  faites  au  laboratoire  de  M.  Schützen- 
berger,  et  les  examens  microscopiques  sont  dus  à M.  Gayon.) 

Expérience  GGGCXLYI.  — 24  février.  Vin  fin  de  Bourgogne. 

A,  conservé  comme  témoin  dans  un  flacon  plein,  bien  bouché  et 
couché. 

B,  flacon  presque  plein,  à la  pression  normale;  je  sème  dessus  du  my- 
coderme  du  vinaigre,  et  le  bouche. 

G,  grande  éprouvette  bouchée  avec  un  fort  bouchon  de  liège  neuf  percé 
d’un  trou.  Je  sème  dessus  plus  de  mycodermes  qu’à  B.  Poussé  à 10  atmo- 
sphères suroxygénées. 

1er  mars.  B est  couvert  de  mycodermes. 

G,  que  je  décomprime  en  24h,  n’en  a plus  apparence  ; je  cachète  le  trou 
du  bouchon. 

17  mai.  Les  5 flacons  sont  apportés  au  laboratoire  deM.  H.  Ste-Gl.  De- 
ville,  et  débouchés  devant  MM.  Deville,  Boussingault,  Debray,  etc. 

A,  belle  couleur  rouge  ; pas.  de  dépôt.  Très-ferme  au  goût,  sans 
amer. 

B,  vinasse  horrible,  trouble,  décolorée. 

C,  couleur  très-belle,  un  peu  ambrée.  Dépôt  abondant,  très-adhérent. 
Odeur  agréable.  Goût  non  acide,  mais  un  peu  plat  et  nettement  amer, 
quoique  pas  trop  désagréable.  Ressemble  absolument  à nos  bons  vins  de 
Bourgogne,  quand  ils  commencent  à passer  à l’amer. 

Expérience  CCCCXLVI1.  — 19  juin.  Vin  ordinaire  ; on  en  met  dans  deux 
flacons  et  l’on  y ensemence  des  mycodermes  en  pleine  activité  dans  le 
laboratoire. 

A,  bien  bouché;  pression  normale. 

B,  bouché,  avec  un  trou  percé  dans  le  bouchon;  poussé  à 20  atmo- 
sphères d’air  à 88  pour  100  d’oxygène,  correspondant  à 88  atmosphères 
d’air. 

24  juin.  A,  couvert  de  mycodermes. 


902 


EXPÉRIENCES 


B,  décomprimé,  sans  mycodermes,  mais  avec  dépôt  de  matières  colo- 
rantes; aussi  est-il  dépouillé.  Bien  cacheté. 

6 juillet.  A,  vin  clair,  rose,  avec  un  voile  de  mycoderma  vini  à la  surface, 
et  un  dépôt  gélatineux,  floconneux,  contenant  beaucoup  de  mycoderma 
acéii.  Forte  odeur  de  vinaigre.  Pour  neutraliser  l’acidité,  il  faut  employer 
une  quantité  d’eau  de  baryte  2,  3 fois  plus  grande  que  pour  B. 

B,  clair,  décoloré  ; à la  surface,  pellicule  irisée,  sans  organismes  ; 
dépôt  de  matière  colorante.  Très-faible  odeur  acide. 

Expérience  CCCCXLVIII.  — 26  juin.  Vin  fin  de  Bourgogne  dans  un  fla- 
con porté  à 15  atmosphères  d’air  suroxygéné. 

21 juillet . Décomprimé.  Très-dépouillé,  couleur  du  vin  de  Rancio.  N’a 
plus  de  bouquet.  Pas  d’acidité;  très-faible,  avec  un  léger  goût  de  vin 
cuit. 

Expérienge  CCCCXLIX.  — 21  juillet  1874.  Vin  ordinaire,  dans  deux 
matras  au  quart  pleins. 

A,  semé  mycodermes  du  vin  ; bouché,  cacheté,  à la  pression  normale. 

B,  semis  semblable;  effilé  le  matras  à la  lampe,  et  poussé  à 15  atmo- 
sphères suroxygénées. 

50  juillet.  A,  couvert  de  mycodermes. 

B,  sans  mycodermes,  mais  dépouillé,  avec  dépôt  adhérent.  Décomprimé, 
fermé  à la  lampe. 

18  janvier  1875.  A,  membrane  très-épaisse  à la  surface  ; odeur  acétique 
très-prononcée:  goût  de  vinaigre.  L’acidité,  dosée  par  la  soude  et  le  tour- 
nesol, est  6 fois  plus  forte  qu’à  B.  Verdit  la  solution  de  bichromate  de  po- 
tasse dans  l’acide  sulfurique;  donc, contient  encore  de  l’alcool. 

B,  couleur  très-pâle  ; pellicules  très-minces  à la  surface  et  sur  les  parois 
du  vase;  odeur  vineuse  nette,  goût  peu  acide,  d’un  vin  extrêmement  fai- 
ble. Contient  encore  de  l’alcool. 

Expérience  CCCCL.  — 20  mai.  Vin  dans  tubes,  à la  surface  desquels  on 
a semé  des  mycodermes  : 

A,  à l’air  libre,  coiffé  d’un  cornet  renversé. 

B,  à 21  atmosphères  d’un  air  à 81  pour  100  d’oxygène. 

24  mai.  Décomprimé. 

A,  couche  épaisse  de  mycodermes,  liquide  trouble. 

B,  dépouillé,  jaunâtre;  précipité  de  matières  colorantes:  pas  de  myco- 
dermes ; liquide  clair. 

Je  fais  bouillir  du  vin  dans  deux  ballons  ; pendant  l’ébullition,  je  ferme 
chaque  ballon  avec  un  bouchon  muni  d’un  long  tube  recourbé  et  effilé,  à 
travers  lequel  l’air  rentre  lentement  en  refroidissant.  Quand  le  liquide 
est  froid,  j’ouvre  un  instant  les  ballons  et  jette  dans  l’un,  A',  le  contenu  du 
tube  A ; dans  l’autre,  B',  celui  du  tube  B. 

31  mai.  A',  pellicules  épaisses. 

B',  pas  de  mycodermes. 


FERMENTATIONS  PAR  ORGANISMES. 


905 


Expérience  GGGCLÏ.  — 28  mai.  Vin  dans  matras;  mycoderme  semé  à la 
surface  : 

A,  air  libre; 

B,  à 23  atmosphères  suroxygénées,  qui,  dans  les  derniers  jours  de  la 
compression,  tombent  à 5. 

31  mai.  A est  recouvert  d’une  pellicule  continue. 

26  juin.  Décompression. 

A,  couche  épaisse  de  mycodermes  ; liquide  très-trouble. 

B,  liquide  très-clair,  avec  dépôt  de  matières  colorantes  ; rien  à la  sur- 
face. 

Donc,  sous  l’influence  de  l’oxygène  à haute  tension,  le 
mycoderme  qui  brûle  en  entier  l’alcool  et  celui  qui  le  trans- 
forme simplement  en  acide  acétique  sont  tués  sans  retour. 
Le  vin  conserve  ainsi  sa  richesse  en  alcool  et  en  acide. 
(Exp.  GCGGXLY.) 

L’action  de  l’oxygène  commence  à se  manifester  avant  la 
tension  qui  correspond  à 5 atmosphères  d’air  (Expérience 
CCCGXL1Y). 

Cependant  le  vin  éprouve  certaines  altérations.  La  matière 
colorante  se  précipite  sous  forme  de  pellicules  adhérentes  au 
vase,  il  se  dépouille  plus  ou  moins  complètement,  et  présente 
tantôt  une  belle  couleur  un  peu  ambrée  (Exp.  CGCGXLV),  tan- 
tôt une  teinte  de  vin  de  Rancio  (Exp.  CGGGXLYIII),  ou,  enfin, 
une  décoloration  presque  complète  (Exp.  CGCGXLIX). 

Au  goût,  le  vin  paraît  vieillir  rapidement  (Exp.  CCCCXLYI)  ; 
il  devient  même  assez  amer  (Exp.  GCGGXLY)  ou  complètement 
tombé  (Exp.  CCGGXLIX).  Il  perd  son  bouquet,  et  prend  quel- 
quefois un  léger  goût  de  cuit  (Exp.  CGGGXLYIII). 

En  un  mot,  le  vin  paraît  subir  les  altérations  que  produit 
un  chauffage  non  ménagé,  et  opéré  au  contact  de  l’air. 

Je  ferai  remarquer  que  dans  toutes  ces  expériences,  la 
pression  a été  extrêmement  forte,  et  portée  sans  doute  bien 
au  delà  de  ce  qu’il  faudrait  pour  tuer  les  germes.  Une  pres- 
sion plus  faible  n’altérerait  peut-être  pas  le  vin,  tout  en  le 
préservant  des  fermentations  ennemies.  Peut-être  même 
serait-il  légèrement  amélioré,  comme  il  arrive  pour  les  vins 
durs  et  crus  lorsqu’on  les  chauffe  suivant  les  règles  établies 
par  M.  Pasteur, 


904 


EXPÉRIENCES. 


De  plus,  les  dégustations  ont  été  opérées  après  assez  long 
temps.  Rien  ne  prouve  que  si  elles  eussent  été  immédiates, 
elles  n’eussent  pas  constaté,  au  contraire,  un  certain  avantage. 

Toutes  ces  questions,  médiocrement  intéressantes  au  point  , 
de  vue  scientifique,  prennent  une  importance  considérable 
quand  on  les  envisage  à un  autre  point  de  vue.  Je  ne  pou- 
vais cependant,  pour  les  poursuivre  sur  ce  terrain,  me  laisser 
détourner  outre  mesure  de  mes  études  générales,  et  j’ai  dû, 
les  faits  précédents  constatés,  ajourner  à une  autre  époque 
les  recherches  de  détail  et  les  déductions  pratiques,  s’il  peut 
y en  avoir. 

Je  cite  seulement  ici  une  expérience  qui  prouve  que  la 
limite  à laquelle  l’oxygène  en  tension  agit  défavorablement 
sur  le  vin  est  assez  basse;  d’où  il  résulte  que  sa  dose  favora- 
ble, s’il  y en  a une,  comme  semblent  l’indiquer  les  expérien- 
ces précédentes,  pourrait  être  obtenue  industriellement,  puis- 
qu’il suffirait  d’employer  de  l’air  ordinaire  : 

Expérience  CCCCLII.  — 45  juillet.  Vin  rouge  fin  dans  deux  bouteilles  ca- 
chetées, dont  les  bouchons  sont  percés  d’un  trou. 

A,  à l’air,  debout  ; 

B,  à 10  atmosphères  d’air,  debout. 

29  juillet.  Décomprimé..  A n'a  pas  changé  d’aspect. 

B a une  couleur  violacée,  avec  précipité  coloré,  abondant,  adhérent  au 
vase. 

4 octobre.  Dégusté.  A,  bon  goût,  bouquet  assez  fin. 

B,  décoloré,  bouquet  perdu,  sent  l’évent. 

g 6.  — Moisissures. 

Dans  un  grand  nombre  d’expériences,  faites  pour  la  plu- 
part en  vue  d’un  autre  but,  et  dont  plusieurs  ont  déjà  été 
rapportées,  j’ai  eu  à constater  que  l’oxygène  à haute  tension 
tue  les  êtres  microscopiques,  animaux  ou  végétaux,  autres 
que  les  ferments.  Les  liquides  aptes  au  développement  des 
infusoires  n’en  contiennent  pas  trace  après  un  certain  séjour 
dans  l’oxygène  comprimé;  ils  en  sont  complètement  purifiés, 
lorsqu’ils  en  contenaient  déjà,  qu’il  s’agisse  de  végétaux  ou 


FERMENTATIONS  PAR  ORGANISMES.  905 

d’animaux,  de  simples  monadaires  ou  d’infusoires  les  plus 
élevés  de  ta  série. 

Ces  faits  n’ont  bien  évidemment,  en  présence  de  tous 
ceux  que  nous  avons  énumérés  déjà  (aussi  ne  donnerons- 
nous  le  récit  d’aucune  expérience  spéciale),  qu’une  médiocre 
importance.  La  généralité  de  l’action  funeste  de  l’oxygène  à 
haute  tension  a été  suffisamment  établie  par  toutes  les  expé- 
riences rapportées  jusqu’ici.  Ce  serait  d’une  étrange  philoso- 
phie de  s’imaginer  — et  cependant  des  esprits  éminents  ont 
commis  cette  grave  erreur  dans  la  question  des  générations 
dites  spontanées  — que  les  dimensions  microscopiques  puis- 
sent donner  aux  êtres  qui  en  sont  doués  des  vertus  spéciales, 
et  autoriser  en  leur  faveur  des  dérogations  aux  règles  les  plus 
générales  de  la  nature. 

Les  moisissures  se  sont  tout  naturellement  comportées  de 
même  que  les  végétaux  dits  supérieurs.  Cependant,  nous 
croyons  utile  de  rapporter  ici  quelques  expériences  où  il  est 
principalement  question  d’elles.  Ces  faits  peuvent  être  utiles, 
en  effet,  pour  la  solution  de  questions  qui  intéressent  la  théo- 
rie générale  des  fermentations  : 

Expérience  CCCCLIII.  — 26  juin  1874.  Deux  morceaux  de  pain  mouillé, 
de  quelques  centimètres  cubes,  sont  placés  : 

A,  dans  un  grand  flacon  bouché  d’un  bouchon  de  liège; 

B,  dans  un  petit  flacon  bouché  de  même  avec  bouchon  percé  d’un 
trou.  Porté  à 15  atmosphères  suroxygénées. 

21  juillet.  A est  depuis  plusieurs  jours  en  déliquescence  et  couvert 
de  moisissures  vertes. 

B,  blanc,  solide,  très-frais  d’aspect  ; pas  de  végétation. 

18  janvier  1875.  A n’est  plus  que  débris  informes,  où  l’on  ne  trouve 
plus  de  sucre;  neutre  au  tournesol. 

B présente  exactement  la  même  apparence  que  le  21  juillet.  Ouvert,  a 
une' légère  odeur  acide,  agréable,  qui  n’est  pas  celle  de  l’acide  acétique, 
mais  ressemble  à celle  de  l’acide  lactique.  Bougit  fortement  le  tournesol, 
et  doit  cette  action  à un  acide  qui  résiste  à l’ébullition  prolongée  avec  éva- 
poration à siccité.  Précipite  en  abondance  la  liqueur  bleue  ; bleuit  com- 
plètement par  l’iode. 

Expérience  GGGGLIY.  — 21  juillet  1874.  Pain  coupé  en  petits  mor- 
ceaux, et  placé,  mouillé  : 

A,  dans  matras  bouché  ; 


90G  EXPÉRIENCES. 

B,  dans  matras  étiré  à la  lampe  ; celui-ci  est  soumis  à 15  atmosphères 
suroxygénées. 

50  juillet.  A,  couvert  de  moisissures. 

B,  n’a  pas  changé  d’aspect. 

18  janvier  1875.  A,  en  putrilage. 

B,  que  je  n’ouvre  pas,  a le  même  aspect  qu'au  50  juillet. 

5 août.  B est  ouvert  au  laboratoire  de  M.  Gloëz  et  devant  lui;  l’aspect 
n’a  pas  changé  ; la  réaction  est  légèrement  mais  nettement  acide  ; odeur 
aigrelette,  agréable. 

J'appelle  l'attention  sur  cette  réaction  acide  que  présente 
le  pain  malgré  son  apparente  conservation,  et  l’absence  de 
toute  moisissure.  Nous  en  avions  déjà  signalé  une  semblable 
dans  la  viande,  dans  l'œuf,  protégés  par  la  compression  con- 
tre la  putréfaction. 

Je  l’ai  constatée  en  employant,  pour  simplifier  les  condi- 
tions expérimentales,  de  l’amidon  cuit  au  lieu  de  pain  : 

Expérience  CCCGLY.  — 21  juillet  1 874.  Je  sème  sur  de  l’amidon  cuit  très- 
étendu  d’eau  des  poussières  diverses  prises  dans  un  coin  du  laboratoire. 

A,  matras  bouché,  pression  normale; 

B,  matras  étiré  à la  lampe,  15  almosphères  suroxygénées. 

50  juillet.  Décomprimé  B;  en  bouchant  à la  lampe,  le  matras  casse.  Je 
verse  aussitôt  le  contenu  dans  un  tube  lavé  à l’eau  bouillante,  que  je 
ferme  ensuite  à la  lampe. 

18  janvier  1875.  A,  couvert  de  moisissures,  ne  contient  ni  sucre  ni 
amidon. 

B,  net,  sans  moisissures,  contient  beaucoup  de  glycose,  et  se  colore 
fortement  en  bleu  par  la  teinture  aqueuse  d’iode. 

Expérience  CGCGLYI.  — 7 août  1874.  Amidon  cuit  et  très-étendu  d’eau  : 

A,  dans  un  matras  fermé  d’un  bouchon. 

B,  dans  matras,  étiré  à la  lampe,  maintenu  entre  8 et  12  atmosphères 
suroxygénées,  jusqu’au  17  août,  où  je  décomprime  et  ferme  à la  lampe. 

1 % janvier  1875.  A,  infect,  neutre  ; 

B,  aucune  altération  à l’aspect  extérieur;  odeur  aigrelette  et  parfumée, 
rappelant  celle  du  cidre. 

Très-acide,  bleuit  par  l’iode  et  contient  de  la  glycose. 

M.  Schiitzenberger,  qui  a bien  voulu  examiner  cette  substance,  y a 
trouvé  des  acides  volatils,  acétique  et  formique,  et  un  acide  fixe  donnant 
avec  le  zinc  des  cristaux  de  même  forme  que  les  lactates. 

Expérience  CCCCLY1I. — 5 juillet  1875.  Amidon  cuit  et  eau;  tubes  de 
verre. 

A,  fermé  à la  lampe,  air  ordinaire; 


907 


FERMENTATIONS  PAR  ORGANISMES. 

B,  effilé  à la  lampe;  poussé  à 15  atmosphères  suroxygénées. 

17  juillet.  Décomprimé;  fermé  B à la  lampe. 

16  novembre  1876. 

A,  neutre,  contient  beaucoup  de  glycose  ; aucune  odeur. 

B,  nettement  acide;  beaucoup  de  glycose;  pas  d’odeur  notable. 

FRUITS.  — Expérience  CCCCLVIII.  — 26  juin  1874. 

A,  5 cerises  entières,  bien  mûres,  sont  placées  dans  un  petit  flacon  avec 
un  peu  d’eau. 

Portées  à 15  atmosphères  suroxygénées. 

B,  moût  de  cerises  laissé  à la  pression  normale,  dans  un  flacon 
bouché  ; 

G,  moût  de  cerises,  placé  à côté  de  A. 

21  juillet.  B,  évidemment  gâté,  couvert  de  moisissures. 

A et  G,  en  très-bon  état,  ont  pri§  une  couleur  un  peu  foncée. 

18  janvier  1875.  B est  un  magma  horrible. 

A.  Les  cerises  sont  très-belles  et  très-fermes,  semblables  absolument  à 
ce  qu’elies  étaient  le  21  juillet. 

50  novembre  1876.  Les  cerises  de  A ont  toujours  le  même  aspect. 

1 mai  1877.  Id. 

Expérience  CGCGLIX.  — 28  mai.  Matras  contenant  : A et  B,  des  cerises 
entières  ; A'  et  B',  des  poires. 

A et  A'  sont  laissés  à l’air,  fermés  par  un  cornet  renversé. 

B et  B' sont  placés  à 25  atmosphères  suroxygénées;  pression  qui  tombe 
graduellement  à 5 atmosphères. 

Dès  le  51  mai,  A et  A'  sont  couverts  de  moisissures. 

26  juin.  A et  A'  sont  moisies,  les  poires  en  magmas  informes. 

B et  B'  n’ont  aucune  moisissure  : les  cerises  sont  d’une  couleur  brune, 
les  poires  d'une  couleur  ambrée. 

Expérience  GGGGLX.  — 20  janvier,  .lus  d’oignon  pilé  et  additionné  de 
craie  en  poudre  : tubes  : 

A,  pression  normale; 

B,  à 21  atmosphères  suroxygénées. 

25  janvier.  Décomprimé;  fermé  à la  lampe  les  tubes. 

17  mai.  A,  neutre;  végétation  abondante  à la  surface. 

B,  neutre;  pas  de  moisissures. 

Expérience  CCGCLXI.  — 5 juillet  1875.  Cerises  sans  noyaux,  auxquelles 
on  ajoute  un  peu  de  glycose.  Mises  en  colonne  de  10e  environ  dans  trois 
tubes,  portés  à 15. atmosphères  suroxygénées. 

il  juillet.  Décompression;  les  cerises  ont  le  goût  de  cerises  cuites,  mais 
trop  acides.  Tubes  fermés  à la  lampe. 

16  novembre  1876.  L’aspect  des  cerises  n’a  pas  changé;  pas  d’explo- 
sion en  ouvrant  les  tubes;  cerises  ayant  le  goût  de  cerises  à l’eau-de-vie, 
mais  trop  acides. 


908 


EXPERIENCES. 


Par  le  procédé  des  gouttes  huileuses,  M.  Dastre  y trouve  beaucoup  d’al- 
cool ; il  en  évalue  la  proportion  à 1 pour  100. 

Expérience  CCCCLXIÏ.  — 5 juillet.  Abricots  et  cerises  dans  flacons. 

A,  à Pair  libre; 

B,  à 8 atmosphères  suroxygénées. 

9 juillet.  A,  couvert  de  moisissures. 

B,  sans  moisissures  ; les  abricots  ont  une  étrange  odeur  piquante. 

Expérience  CCCCLXIII.  — 15  juillet.  Pommes,  poires,  raisins,  dans  des 
bouteilles  séparées,  fermées  par  des  bouchons  cachetés  et  percés  d’un 
trou. 

A,  à l’air  libre. 

B,  à 10  atmosphères  d’air. 

29  juillet.  Décompression. 

A,  les  pommes  et  les  poires  s'altèrent;  il  en  sort  du  liquide;  le  raisin  est 
en  putrilage  ; tous  les  grains  sont  tombés  de  la  rafle,  qui  reste  suspendue; 
moisissures  ; bouché  à la  cire. 

B,  pommes  et  poires  sont  devenues  brunes,  et  semblent  cuites;  raisins 
bien  conservés;  pas  de  moisissures  : bouché  à la  cire. 

4 octobre.  — A : fruits  complètement  pourris  ; 

B : pommes  et  poires  blettes,  ont  le  goût  de  fruits  cuits  ; raisin  avec 
moisissures,  mais  dont  les  grains  tiennent  encore  à la  rafle. 

Expérience  CCCCLX1V.  — 23  septembre.  Prunes  de  reine-claude, mûres, 
bien  saines  : 

A : pression  normale  ; 

B : 15  atmosphères  suroxygénées. 

29  septembre.  — A : intact  ; goût  normal  ; 

B:  intact  aussi  d’aspect  ; goût  de  prunes  cuites. 

Les  fruits  se  conservent  donc  parfaitement,  quant  à la 
forme,  dans  l’oxygène  à haute  tension;  ils  y sont  à l’abri  des 
moisissures.  Les  cerises  de  l’expérience  CCCCLVI1I,  conser- 
vées intactes  en  apparence  depuis  5 ans,  après  retour  à la 
pression  normale,  en  donnent  un  exemple  saisissant.  Mais 
leur  couleur  change,  leur  goût  surtout,  qui  ressemble  plus 
ou  moins  au  goût  de  cuit,  ou  à celui  des  fruits  à l’eau-de-vie. 
Ces  recherches  mériteraient  d’être  poursuivies  au  point  de 
vue  chimique,  surtout  en  considération  de  cette  production 
d’alcool  signalée  dans  l’expérience  CCCCLXI.  Il  faudrait 
chercher  les  rapports  de  ces  faits  avec  ceux  qu’ont  signalés 
MM.  Bellamv,  Lechartier  et  Pasteur. 


FERMENTATIONS  DIASTASIQUES. 


909 


SOUS-CHAPITRE  II 

FERMENTATIONS  DIASTASIQUES. 


J’arrive  maintenant  à l’étude  de  l’action,  s’il  y en  a une,  de 
l’oxygène  à haute  tension  sur  les  ferments  solubles  dans  l’eau, 
précipitables  par  l’alcool,  qui  sont  désignés  sous  les  noms  de 
ferments  diastasiques,  zymotiques,  de  faux  ferments,  etc. 

g 1er.  — Salive  et  diastase. 

La  fermentation  zymotique  que  j’ai  dû  mettre  en  expé- 
rience le  plus  fréquemment  est  celle  par  laquelle  la  diastase 
transforme  en  glycose  l’amidon.  En  outre  de  l’intérêt  con- 
sidérable que  présente  ce  phénomène,  qui  joue  un  si  grand 
rôle  dans  la  digestion  des  animaux  (salive  et  suc  pancréati- 
que) dans  leur  nutrition  (glycogénie  hépatique),  celle  des  vé- 
gétaux et  la  germination,  j’étais  déterminé  par  la  facilité  avec 
laquelle  on  peut  en  mesurer  exactement  les  effets. 

La  première  question  à se  poser  était  de  chercher  à savoir 
si  le  ferment  diastasique  est  tué  par  l’oxygène  en  tension, 
comme  le  sont  si  sûrement  les  ferments  figurés.  L’expérience 
suivante  va  répondre  : 

Expérience  CCCCLXY.  — 26  juin.  — De  la  diastase  est  dissoute  dans  un 
peu  d’eau  et  placée  dans  deux  tubes  : 

A : pression  normale; 

B : à 15  atmosphères  suroxygénées. 

21  juillet.  — Décomprimé  B,  qui  n’a  aucune  odeur  et  a conservé  la 
plus  énergique  puissance  transformatrice,  tandis  que  A sent  mauvais  et 
n’a  plus  aucune  action  sur  l’amidon  cuit. 

Expérience  CCCCLXYI.  — 16  février.  Diastase  et  eau  dans  tube  étiré.  Mise 
à 15  atmosphères  d’air  suroxygéné. 

5 mai.  Décomprimée,  a conservé  toute  son  action.  Je  fais  une  nouvelle 
solution  de  diastase  dans  un  tube  que  je  ferme  à la  lampe,  ainsi  que  le 
premier. 

17  mai.  La  diastase  qui  a été  comprimée  agit  encore  sur  l’amidon  ; elle 
n’a  pas  d’odeur.  L’autre  sent  une  odeur  butyreuse  et  n’agit  plus. 


910 


EXPÉRIENCES. 


Ainsi  la  diastase,  bien  loin  d’être  détruite  par  l’oxygène  en 
tension,  s’y  conserve  parfaitement.  Il  arrive  même  que,  sans 
doute  par  suite  de  la  destruction  par  l’air  comprimé  des  fer- 
ments figurés  qui  l’auraient  fait  putréfier  à la  pression  nor- 
male, elle  reste  presque  indéfiniment  énergique. 

On  a le  même  résultat  en  mettant  en  expérience  non  plus 
la  diastase  pure  et  dissoute  dans  l’eau,  mais  le  mélange  com- 
plexe qui  constitue  la  salive  buccale.  Exemple  : 

Expérience  CCCCLXVII.  — 21  juillet  1874.  Salive  humaine  étendue  d’eau 
et  placée  dans  un  matras  étiré  à la  lampe,  et  soumis  à 15  atm.  d’un 
air  suroxygéné. 

Le  50  juillet , je  décomprime  et  soude  l’extrémité  du  tube  effilé. 

18  janvier  1875.  — Cette  salive  qui  ne  sent  rien  et  paraît  bien  normale, 
neutre  aux  réactifs,  transforme  avec  une  grande  énergie  l’amidon  cuit  en 
glycose. 

La  salive  se  conserve  donc  dans  l’air  comprimé  ; mais  il 
faut  avouer  qu’elle  se  conserve  aussi  très-bien  à l’air  libre. 
Ainsi,  de  la  salive  humaine  non  filtrée,  mise  le  18  janvier 
dans  un  tube  bouché,  agissait  encore  le  12  février;  le  tube 
étant  alors  resté  ouvert  par  un  orifice  très-fin,  la  salive  avait 
encore  une  notable  activité  le  1 7 mai. 

Il  en  est  de  même  du  suc  pancréatique  et  en  général  des 
ferments  solubles,  qui  résistent  même  à la  putréfaction  com- 
mençante. 

Mais  maintenant,  tout  en  se  conservant  dans  l’oxygène  com- 
primé, le  ferment  peut-il  y agir?  Et  y agit-il  avec  plus  ou 
moins  d’énergie  qu’à  la  pression  normale? 

Les  expériences  vont  répondre  : Je  ferai  remarquer  que  j’ai 
pris  l’amidon  cru  en  suspension  dans  l’eau,  parce  que  l’ami- 
don cuit  se  transforme  instantanément  au  contact  de  la  salive  : 

Expérience  CCGCLXVtlI.  — 18  juillet.  Ma  salive,  filtrée,  est  mélangée  à 
une  certaine  quantité  d’eau  tenant  de  l’amidon  cru  en  suspension  ; on  mêle 
avec  soin,  et  l’on  place  dans  5 tubes  ouverts  : 

A.  Laissé  à la  pression  normale. 

B.  Placé  à demi-atmosphère. 

G.  A 8 atmosphères  suroxygénées. 

Les  tubes  et  appareils  sont  placés  dans  des  conditions  de  température 
identiques. 


FERMENTATIONS  DIASTASIQUES. 


911 


20  juillet.  Retiré  les  tubes,  filtré  rapidement  les  liqueurs,  et  essayé  au 
réactif  de  Fehling. 

A.  5CC  réduisent  de  75  à 85  gouttes  de  liqueur  bleue. 

B.  5CC  — de  65  à 75  — 

G.  5CC  — de  50  à 60  — 

» 

Expérience  CCCCLXIX.  — 26  mai.  Salive  filtrée,  mélangée  à amidon  cru 
en  suspension  dans  volume  égal  d’eau.  Le  liquide,  bien  mêlé,  est  placé 
en  quantités  égales  dans  2 tubes,  dont  l’un  A est  laissé  à la  pression  nor- 
male, l’autre  B est  soumis  à 15  atm.  suroxygénées. 

5 juin.  A contient  évidemment  beaucoup  plus  de  sucre  que  B. 

Cependant  le  dépôt  qui  est  au  fond  du  tube  A se  colore  en  bleu 
intense  par  l’iode,  tandis  que  celui  de  B ne  donne  qu’une  coloration  ver- 
dâtre. 

Expérience  CCCCLXX.  — 20  janvier.  Salive,  amidon  cru  et  eau.  Bien 
mêlé,  et  placé  dans  plusieurs  tubes.  On  s’assure  que  le  mélange  ne  con- 
tient pas  de  glycose. 

A.  A la  pression  normale,  bouché  avec  cornet  de  papier  renversé. 

B.  A 21  atm.  d’air  suroxvgéné. 

u o 

Tous  les  deux  sont  mis  à l’étuve,  50  degrés. 

25  janvier.  Essayé  avec  liqueur  bleue  : 

A.  7CC  en  réduisent  55  gouttes. 

B.  7CC  ne  réduisent  que  14  gouttes. 

Expérience  CCCCLXX1.  — 22  mars.  Salive,  amidon  cru  et  eau.  Mélange 
placé  dans  des  tubes. 

A,  A'.  A la  pression  normale. 

B,  B'.  A 9 atmosphères  suroxygénées. 

24  mars.  Essayé  avec  liqueur  bleue. 

A A'  contiennent  un  peu  plus  de  glycose  que  B et  B'  ; différence  légère, 
mais  évidente  : visées  faites  avec  grand  soin  sur  papier  blanc. 

Expérience  CCCCLXXIl.  - — 25  mai.  Salive,  amidon  cru  et  eau.  Quan- 
tités égales  dans  six  tubes. 

A.  Trois  sont  étirés  à la  lampe  et  laissés  à la  pression  normale. 

B.  Trois  à 15  atmosphères  d’air  suroxygéné. 

27  mai.  Analyses  des  tubes  par  M.  Dastre. 

A.  Contiennent  2ms,2  ; 2m&,9  ; lmg,7  ; soit  en  moyenne  2mg,5  de  glycose. 

B.  — lmg,6  ; lmg,9  ; lmg,7  ; — lms,7  — 

Dans  ces  expériences,  la  transformation  de  l’amidon  en 
sucre  a continué  à se  faire  dans  l’oxygène  comprimé,  mais 
son  intensité  a manifestement  diminué. 

Mais,  pour  obtenir  ce  résultat,  il  faut  ne  pas  attendre  trop 
longtemps,  et  examiner  les  liqueurs  au  bout  de  peu  de  jours; 


912 


EXPERIENCES. 


Sans  quoi,  surtout  si  l’on  s’était  servi  de  diastase,  l’on  trou- 
verait le  contraire,  et  l’on  verrait  que  la  liqueur  comprimée 
est  plus  riche  en  sucre  que  l’autre.  C’est  ce  qui  est  arrivé, 
par  exemple,  dans  les  expériences  suivantes  : 

Expérience  CCCCLXXIII.  — 26  juin.  Amidon  cru  en  suspension  dans 
l’eau,  mêlé  à une  certaine  quantité  de  diastase . Bien  agité  ; mis  dans  2 tu- 
bes : 

A.  Pression  normale. 

B.  15  atm.  suroxygénées. 

21  juillet.  A,  5CC  réduisent  25  gouttes  de  liqueur  bleue. 

B resté  sous  compression  jusque-là  : 5CC  réduisent  40  gouttes. 

Aux  deux  il  y a encore  de  l’amidon. 

Expérience  GGCCLXXIV.  — 1er  mars.  Salive,  amidon  cru,  eau,  quantités 
égales  dans  12  tubes  : 

A.  Six  sont  étirés  à la  lampe  et  laissés  à la  pression  normale. 

B.  Six  sont  mis  à 15  atmosphères  suroxygénées. 

28  mars.  Analyse  des  tubes  par  M.  Dastre. 

A.  2 tubes  contiennent  des  quantités  de  glycose  proportionnelles  aux 
nombres  45  et  39  : d’où  une  quantité  moyenne  de  lmg,7. 

B.  5 tubes  analysés  contiennent  des  quantités  de  glycose  proportionnel, 
les  aux  nombres  111,  119,  115:  d’où  une  quantité  moyenne  de  4mg,6 
de  glycose. 


Cela  s’explique  aisément  : la  diastase  restée  à l’air  s’était 
un  peu  altérée,  tandis  que  celle  qui  était  sous  compression 
avait  gardé  ses  propriétés  et  continuait  à agir. 


g '2.  — Pepsine. 

Expérience  GGGGLXXV.  — 16  février.  Pepsine  Boudaut;  trois  tubes, 
dans  chacun  desquels  on  en  met  2 grammes  avec  5CC  d’eau  distillée. 

A.  A l’air,  coiffé  d’un  cornet  de  papier, 

B,  B'.  A 15  atm.  d’air  suroxygéné. 

5 mars.  Décompression. 

A.  Sent  assez  fort  et  est  couvert  de  moisissures  formant  bouchon;  très- 
acide  ; 

B B'.  Ne  sent  rien;  pas  de  moisissures;  acide. 

Je  mets  B et  B'  chacun  dans  un  verre  avec  10  grammes  de  blanc  d’œuf 
cuit  et  coupé  en  morceaux;  les  verres,  qui  sont  égaux,  sont  ensuite  rem- 
plis d’eau  acidulée  avec  l’acide  chlorhydrique. 

Je  reprends  2 grammes  de  pepsine  en  poudre,  les  mets  dans  5CC  d’eau 


FERMENTATIONS  DIASTASIQUES. 


913 


distillée,  y ajoute  10  grammes  de  blanc  d’œuf  cuit,  et  la  même  quantité 
d’eau  acidulée. 

Les  trois  verres  sont  mis  à l’étuve  à 38  degrés. 

8 mars.  Il  reste  dans  chaque  verre  2 grammes  de  blanc  d’œuf,  mat. 

Ainsi  la  pepsine,  après  l’action  de  l’oxygène  en  tension, 
s’est  comportée  absolument  comme  auparavant. 

g 3.  — Ferment  inversif  de  la  levûre. 

Le  ferment  dont  je  me  suis  servi  avait  été,  ainsi  que  la 
myrosine  et  l’émulsine  dont  il  sera  question  dans  les  para- 
graphes suivants,  préparé  par  M.  Schützenberger,  alors  chef 
du  laboratoire  des  travaux  chimiques  à la  Faculté  des 
sciences  : 

Expérience  CCCCLXXV  bis.  — 16  février.  Mis  dans  trois  tubes  étirés  à 
la  lampe  5CC  de  liquide. 

A.  A l’air  libre,  coiffé  d’un  cornet  de  papier. 

B B'.  A 15  atm.  d’air  suroxygéné. 

5 mars.  Décompression;  je  ferme  les  trois  tubes  à la  lampe;  mais  au- 
paravant je  m’assure  que  le  ferment  des  tubes  A et  B transforme  rapide- 
ment le  sucre  de  canne  en  glycose. 

15  mars.  Mis  à l’étuve,  où  la  température  varie  de  25  à 40  degrés. 

25  mars.  Retiré  de  l’étuve  : A et  B B'  agissent  encore. 

17  mai.  A est  alcalin  et  infect;  n’a  plus  aucune  action. 

B et  B'  sont  acides,  ne  sentent  rien,  et  ont  conservé  leur  énergie. 

g 4.  — Myrosine. 

Expérience  CCCCLXXVI.  — 16  février;  dans  3 tubes  étirés  à la  lampe  : 
5e  de  hauteur  de  liquide. 

A.  Air  libre,  coiffé  d’un  cornet  de  papier; 

B,  B'.  A 15  atm.  d’air  suroxygéné. 

5 mars.  Décomprimé  : A et  B agissent  parfaitement  sur  le  myronate  de 
potasse  pour  donner  l’essence  de  moutarde. 

15  mars  : mis  à l’étuve,  de  25  à 40  degrés. 

25  mars  : retiré  de  l’étuve  ; A et  B B'  agissent  encore. 

17  mai  : A et  B B'  agissent  encore,  mais  les  derniers  plus  énergique- 
ment. 

g 5.  — Émulsine. 

Expérience  CCCCLXXVI  bis.  — 16  février.  Cette  expérience  est  faite  en 
même  temps  et  dans  les  mêmes  conditions  que  les  trois  précédentes. 

58 


914 


EXPÉRIENCES. 


15  mars  : il  y a beaucoup  de  moisissures  sur  l’émulsine  non  com- 
primée ; rien  sur  l’autre,  non  plus  que  sur  les  autres  tubes. 

La  formation  d’essences  d’amandes  amères  au  contact  de  l’amygdaline 
se  fait  avec  les  deux  liquides,  le  25  mars,  au  sortir  de  l’étuve. 

17  mai.  L’émulsine  non  comprimée  estcouverte  de  moisissures,  alcaline, 
infecte,  elle  n’a  plus  d’action. 

L’autre  semble  fraîche,  n’a  pas  d’odeur,  est  légèrement  acide,  et  agit 
énergiquement  et  rapidement. 

En  résumé,  tous  les  faux  ferments  solubles  que  nous  avons 
mis  en  expérience,  diastase  salivaire,  pepsine,  ferment  inver- 
sif,  myrosine,  émulsine,  nous  ont  donné  le  même  résultat 
et  ont  conservé  leur  propriété  caractéristique  après  Faction 
prolongée  de  l’oxygène  à haute  tension.  Bien  plus,  comme 
celui-ci  les  débarrasse  des  germes  de  moisissures,  des  vi- 
brions, etc.,  qui  tôt  ou  tard  les  détruisent  à l’air  libre,  ils 
demeurent  eux-mêmes  pendant  un  temps  qui  paraît  indéfini. 

Cette  remarquable  propriété  pourra  peut-être  être  em- 
ployée dans  la  pratique,  et  notamment  dans  la  thérapeutique. 
On  se  trouverait  fort  bien,  j’en  suis  persuadé,  de  substituer 
aux  poudres,  aux  extraits  si  infidèles  des  sucs  digestifs,  ces 
sucs  eux-mêmes,  soumis  au  préalable  à une  pression  suffi- 
sante, pour  leur  éviter  la  putréfaction.  Mais  je  dois  ici  me 
borner  à cette  indication. 

SOUS-CHAPITRE  tll 

ACTION  DE  L’OXYGÈNE  A HAUTE  TENSION  SUR  LES  ÉLÉMENTS  ANATOMIQUES. 

Après  avoir  constaté,  dans  le  chapitre  IV,  Faction  rapide- 
ment mortelle  de  Foxvgène  à haute  tension  sur  les  animaux 

«j  O 

supérieurs,  nous  avons  cherché  à analyser  cette  action, 
d’après  des  méthodes  introduites  par  M.  Claude  Bernard  dans 
la  toxicologie.  La  section  des  nerfs,  l’examen  du  cœur,  l’em- 
ploi des  anesthésiques,  l’injection  du  sang  des  animaux  tués 
par  l’oxygène  dans  les  veines  d’autres  animaux,  nous  ont 
montré  que  les  phénomènes  violents  qui  précèdent  et  amè- 
nent la  mort,  sont  le  résultat  d’une  surexcitation  des  centres 


J 


ÉLÉMENTS  ANATOMIQUES.  915 

nerveux,  si  bien  que  j’ai  été  conduit  à rapprocher  l'action 
de  l’oxygène  de  celle  de  la  strychnine  et  de  l’acide  phénique. 

Après  la  mort,  les  muscles  sont  encore  contractiles,  les 
nerfs  excitables,  les  actions  réflexes  possibles,  le  cœur  bat 
encore.  Mais  est-ce  à dire  que  les  éléments  anatomiques  ner- 
veux soient  seuls  attaqués  par  l’oxygène?  Tout  ce  que  nous 
avons  dit  jusqu’ici  s’élève  contre  cette  hypothèse  : la  diminu- 
tion si  considérable  des  oxydations  intra-organiques,  la  mort 
des  animaux  inférieurs,  celle  des  végétaux  et  des  ferments, 
tous  ces  phénomènes  montrent  une  généralité  d’action  qui 
doit  évidemment  s’étendre  aux  éléments  anatomiques  des  ani- 
maux supérieurs. 

Je  ne  pouvais  cependant  me  contenter  dans  ce  cas,  nor 
plus  que  dans  aucun  autre,  de  conclusions  tirées  de  l’ana- 
logie. Des  expériences  directes  m’ont  paru  nécessaires;  mais 
j’avoue  que,  voyant  leur  concordance  avec  ce  qui  parais- 
sait si  vraisemblable,  je  n’en  ai  pas  beaucoup  multiplié  le 
nombre  : 

Expérience  CCCCLXXVII.  — 20  février.  Le  train  postérieur  d’une  gre- 
nouille est  coupé  en  deux,  suivant  l’axe  vertébral, 

A.  L’une  des  parties  est  laissée  à la  pression  normale,  suspendue  dans 
une  éprouvette  bouchée,  au  fond  de  laquelle  se  trouve  de  l’eau,  pour  éviter 
la  dessiccation. 

B.  L’autre  est  suspendue  de  même  dans  l’appareil  cylindrique  en  verre, 
où  l’on  pousse  la  pression  à 10  atm.  d’un  air  contenant  80  pour  100 
d’oxygène. 

24  février.  A.  Le  nerf  sciatique  n’est  plus  excitable  ; les  muscles  se  con- 
tractent encore  sous  l’influence  d’un  assez  faible  courant  ; leur  réaction 
est  neutre. 

B.  Les  muscles  pas  plus  que  les  nerfs  ne  sont  excitables  aux  plus  forts 
courants.  U y a rigidité  manifeste,  et  les  muscles  sont  très-acides. 

Expérience  CCCCLXXVIII.  —2  mars,  2h.  Moitiés  de  grenouille  disposées 
comme  dans  les  expériences  précédentes;  A à la  pression  normale,  B à 
15  atmosphères  suroxygénées. 

3 mars , 4h.  A : nerf  sciatique  bien  excitable;  contraction  musculaire 
très-vive  et  très-soudaine,  comme  à l’état  normal  ; 

B : Le  nerf  sciatique  ne  peut  plus  être  excité  par  aucun  courant.  Les 
muscles  se  contractent  encore  ; mais  la  contraction  est  lente,  ressemble  à 
une  sorte  de  crampe,  et  dure  encore  après  que  l’excitation  a cessé. 

Expérience  CCCGLXXIX.  — 8 avril.  Expérience  disposée  toujours  de  la 


916 


EXPÉRIENCES. 


même  façon  : A à la  pression  normale,  B à 5 atm.  d’un  air  contenant 
50  pour  100  d’oxyg.,  ce  qui  correspond  en  tension  à 7,5  atm.  d’air. 

10  avril.  A : On  obtient  des  contractions  musculaires  avec  l’appareil  à 
chariot,  la  bobine  mobile  étant  à 16e  de  l’extérieur  de  la  bobine  fixe. 

B.  Pour  avoir  des  contractions,  il  faut  se  rapprocher  jusqu’à  5 centi- 
mètres. La  contraction  est  accompagnée  de  contracture. 

Expérience  GGCGLXXX.  — 12  juin,4h.  On  enlève  le  cœur  à 4 grenouilles. 
Ges  cœurs  sont  placés  2 à 2 dans  une  capsule  où  ils  baignent  dans  de 
l’humeur  vitrée  de  chien. 

A.  Laissé  à la  pression  normale. 

B.  Comprimé,  dans  l’appareil  cylindrique  en  verre,  à 10  atm.  suroxy- 
génées. 

6 heures . A.  Les  cœurs  présentent  encore  des  battements,  surtout  pour 
les  oreillettes  : on  peut  les  exciter. 

B.  Ils  sont  complètement  arrêtés,  et  ne  peuvent  être  rappelés  par  l’ex- 
citation. 

Ges  faits  montrent  que  la  contractibilité  musculaire,  que 
l’excitabilité  nerveuse  motrice,  que  le  jeu  rhythmique  des 
ganglions  nerveux  du  cœur,  s’arrêtent  bien  plus  tôt  dans 
l’oxygène  en  tension  que  sous  la  pression  normale  avec  l’air 
ordinaire.  En  d’autres  termes,  les  éléments  anatomiques 
musculaires,  nerveux  et  ganglionnaires  sont,  comme  les  élé- 
ments libres  qui  constituent  les  ferments,  tués  par  l’oxygène 
comprimé. 

D’autres  recherches,  dans  lesquelles  j’ai  mis  en  usage  la 
méthode  des  greffes  animales1,  la  seule  qui  pût  ici  nous 
éclairer,  montrent  que  non-seulement  les  propriétés  vitales 
d’ordre  supérieur,  d’ordre  animal,  sont  détruites  dans  les  élé- 
ments musculaires  et  nerveux,  mais  que  tous  les  éléments 
anatomiques  sont  tués  par  l’oxygène  en  tension.  En  effet,  les 
greffes  exécutées  avec  des  parties  soumises  au  préalable  à son 
action  se  sont  résorbées  sans  avoir  contracté  d’adhérence  : 

Expérience  CCCCLXXXL  - — 15  mars.  Queues  de  rat  écorchées,  sont  sus- 
pendues dans  des  tubes  de  verre  bouchés,  avec  un  peu  d’eau  au  fond. 

L’une  d’elles,  A,  est  laissée  à la  pression  normale. 

L’autre,  B,  dont  le  bouchon  est  percé  d’un  trou,  est  portée  du  16  au  20 
mars  à 10  atm.  d’air  suroxygéné.  Température  12  degrés. 

1 Voy.  mon  Mémoire  sur  la  vitalité  des  tissus  animaux  ( Annales  des  sciences 
naturelles.  Zoologie , 1866). 


917 


ÉLÉMENTS  ANATOMIQUES. 

20  mars.  A sent  un  peu  mauvais.  B aucune  odeur. 

Greffées  sous  la  peau  du  dos  de  deux  rats. 

Pas  d’accident. 

1 § juillet.  La  greffe  A est  parfaitement  prise; 

B est  presque  entièrement  résorbée. 

Expérience  GGGCLXXXÏ  bis.  — 22  mars.  Queues  de  rat  écorchées,  sus- 
pendues dans  des  tubes,  au-dessus  d’un  peu  d’eau. 

A.  Pression  normale. 

B.  A 9 atmosphères  suroxygénées. 

24  mars . Greffées  à deux  rats. 

Pas  d’accidents. 

1er  juin.  A,  greffe  parfaitement  prise. 

B.  Presque  entièrement  résorbée. 

La  transfusion  du  sang,  qui  n’est  qu’un  cas  particulier  de 
la  méthode  générale  des  greffes  animales,  montre  également 
que  le  sang  qui  a subi  l’action  prolongée  de  l’oxygène  com- 
primé, est  incapable  d’entretenir  la  vie;  ses  éléments  anato- 
miques, ses  globules,  sont  tués,  et  leur  introduction  dans 
l’organisme  détermine  même  la  mort.  Exemple  : 

Expérience  CCGCLXXXII.  — 20  avril.  100cc  de  sang  de  chien,  défibriné, 
sont  agités  d’une  manière  continue  pendant  18  heures  dans  l’appareil  re- 
présenté page  697,  avec  de  l’oxygène  comprimé  à 18  atmosphères. 

21  avril.  On  enlève  à un  petit  chien  (pesant  5 kil.)  100cc  de  sang,  sai- 
gnée qui  certes  ne  l’aurait  pas  fait  périr1,  et  on  lui  injecte  lentement, 
dans  la  veine  fémorale,  les  100cc  de  sang  agités  et  bien  purgés  de  gaz 
libres. 

L’injection  est  faite  à llh.  Immédiatement  après,  l’animal  se  met  a 
courir;  mais  bientôt  il  se  retire  dans  un  coin,  tombe  dans  une  sorte  de 
somnolence,  et  meurt  à 5h  50m  ; sa  temp.  rectale  est  à ce  moment  de  29°, 5. 

t 

Ainsi,  les  éléments  anatomiques  des  os  et  du  tissu  cellulaire 
ont  été  tués  par  l’oxygène  à haute  tension  ; le  sang  a acquis 
des  propriétés  toxiques;  les  greffes  se  sont  résorbées  sans 
avoir  contracté  d’adhérences  vasculaires.  Si  elles  n’ont  pas 
excité  de  phlegmon,  cela  tient  probablement  à ce  que  l’oxy- 
gène avait  tué  tous  les  germes  atmosphériques  qui  pouvaient 


1 Paul  Bert.  Note  sur  un  signe  certain  de  la  mort  prochaine  sur  les  chiens 
soumis  à une  hémorrhagie  rapide  ( Mémoire  de  la  Société  des  sciences  de  Bordeaux 

t.  IV,  p.  75,  1866). 


918 


EXPÉRIENCES. 


y adhérer;  j'ai,  du  reste,  autrefois,  obtenu  de  semblables  ré- 
sultats. 

Il  résulte  de  ces  faits  que  la  mort  des  animaux  supérieurs 
dans  l’oxygène  comprimé,  si  elle  a pour  mécanisme  prochain 
la  surexcitation  du  système  nerveux  central,  comme  nous 
l’avons  établi,  est  due,  en  réalité,  à une  action  générale 
de  l’oxygène  sur  tout  l’organisme.  Seulement,  les  éléments 
nerveux,  plus  susceptibles,  réagissent  les  premiers,  troublent 
les  mécanismes  vitaux,  tellement  que  la  mort  survient  avant 
que  les  autres  éléments  soient  sensiblement  affectés. 

Nous  tirons  encore  de  là  cette  conséquence  que  la  mort  des 
éléments  anatomiques  n’a  rien  à voir  avec  la  putréfaction  ; 
elle  n’en  est  pas,  comme  on  a pu  le  penser  avec  une  apparente 
raison,  le  premier  stade  ; elle  est  tout  autre  chose,  puisque 
la  pression,  qui  la  hâte,  empêche  la  putréfaction. 

SOUS-CHAPITRE  IV 

DE  LEMPLOI  DE  L’OXYGÈNE  A HAUTE  TENSION  GOMME  MÉTHODE 

EXPÉRIMENTALE. 

Les  faits  qui  viennent  d’être  rapportés  dans  les  deux  sous- 
chapitres  précédents  me  paraissent  présenter  un  intérêt  con- 
sidérable, non-seulement  en  eux-mêmes,  mais  au  point  de  vue 
d’un  emploi  de  l’oxygène  à haute  tension,  comme  méthode 
expérimentale.  Nous  avons  vu,  en  effet,  que  les  organismes 
microscopiques  qui  constituent  les  vrais  ferments,  que  les 
éléments  anatomiques,  isolés  ou  groupés  en  tissus,  sont  tués 
par  l’oxygène;  qu’au  contraire,  les  ferments  non  figurés,  so- 
lubles, les  diastases,  lui  résistent  parfaitement  et  sont  même 
conservés  par  lui. 

Nous  avons  donc  en  main  un  précieux  instrument  de  diffé- 
renciation pour  reconnaître  ce  qui  appartient  à l’une  ou  à 
l’autre  des  deux  classes  de  fermentations. 

S’agit-il  d’une  fermentation  vraie,  elle  devra  être  arrêtée 
complètement  par  l’oxygène  comprimé,  sous  une  tension  cor- 
respondant à environ  30  atmosphères  d’air,  et  le  ferment 


BLETTISSEMENT  DES  FRUITS. 


919 


étant  tué,  elle  ne  se  manifestera  plus,  lors  même  que  la  pres- 
sion redeviendrait  normale.  La  fermentation  est-elle  due  à la 
présence  d’une  matière  analogue  à la  diastase,  cette  matière, 
soumise  à l’air  comprimé,  devra  y conserver  presque  indéfini- 
ment ses  propriétés  actives,  qu’une  expérience  consécutive 
permettra  de  mettre  en  lumière. 

Je  me  hâte  de  dire  cependant  que,  s’il  est  ainsi  très-facile 
de  déterminer  si  un  phénomène  donné  est  une  fermentation 
vraie,  la  méthode  ne  permettra  nullement  de  décider  s’il  est 
une  pseudo-fermentation,  ou  le  résultat  d’une  simple  oxyda- 
tion. Un  exemple  tiré  du  blettissement  des  fruits  fera  com- 
prendre ma  pensée. 


§ ier.  — Blettissement  des  fruits. 

Certains  fruits,  par  exemple  les  nèfles,  les  cormes,  sont 
régulièrement  atteints  de  blettissement,  si  bien  que,  comme 
ils  ne  peuvent  être  mangés  que  dans  cet  état,  on  le  confond 
communément  avec  la  maturation.  Le  blettissement  est-il  le 
fait  d’une  évolution  vitale  des  cellules  du  fruit  ; est-il  le  ré- 
sultat de  la  réaction  d’une  matière'  diastasique  antérieure- 
ment formée  sur  le  tannin,  qui  disparaît  pendant  le  blettisse- 
ment ; est-il,  enfin,  simplement  la  conséquence  d’une  oxyda- 
tion de  ce  tannin,  dont  la  disparition  enlève  au  fruit  sa  sa- 
veur insupportable?  Voyons  d’abord  ce  que  disent  les  expé- 
riences : 

Expérience  CCCCLXXXIII.  — 29  septembre.  Cormes  non  blettes,  bien 
saines,  placées  avec  soin  dans  des  éprouvettes. 

A,  laissées  à l’air  libre. 

B,  soumises  à une  pression  de  10  atmosphères  suroxygénées. 

4 octobre , Décomprimé. 

A,  commencent  à blettir. 

B,  évidemment  plus  blettes  encore. 

Expérience  CCCCLXXXIV.  — 5 novembre.  Nèfles  non  blettes. 

A,  à la  pression  normale. 

B,  à 17  atmosphères  d’un  air  contenant  78  pour  100  d’oxygène. 

1 1 novembre.  — Décomprimé. 

A,  encore  très-dures,  ne  blettissent  qu’une  semaine  après. 


920 


EXPÉRIENCES. 


B,  complètement  blettes,  et,  par  suite,  de  la  décompression  brusque  et 
du  dégagement  des  gaz,  crevées  et  éclalées. 

Ainsi,  non-seulement  le  blettissement  n’a  pas  été  arrêté, 
mais  bien , au  contraire , il  a été  accéléré  par  l’action  de 
l’oxygène  à haute  tension.  Gela  seul  suffit  pour  nous  montrer 
qu’il  ne  s’agit  pas  là  d’un  acte  de  la  vie  cellulaire. 

Mais  est-ce  un  acte  diastasique?  Est-ce  d’une  oxydation  di- 
recte qu’il  s’agit?  Les  oxydations  de  cet  ordre  ne  sont  pas  ar- 
rêtées par  l’oxygène  en  tension  ; au  moins  en  est-il  ainsi  pour 
celle  du  pyrogallate  de  potasse  : 

Expérience  GGCCLXXXV.  — 10  février.  Au  fond  d’un  verre  est  une  dis- 
solution d’acide  pyrogallique;  une  petite  capsule  contenant  de  la  potasse 
flotte  à la  surface.  Le  tout  est  soumis  à 10  atmosphères  suroxygénées  dans 
l’appareil  cylindrique  en  verre. 

15  février.  On  secoue  l’appareil  sans  l’ouvrir;  aussitôt  que  la  potasse 
touche  l’acide,  on  voit  le  liquide  rougir  instantanément,  plus  rapidement, 
certes,  qu’il  n’aurait  fait  à la  pression  normale. 

L’accélération  du  blettissement  dans  l’oxygène  comprimé 
semble  bien  indiquer  qu’il  est  le  résultat  d’une  oxydation. 
L’expérience  suivante  tend  à le  démontrer  : 

Expérience  CCCCLXXXYI.  — 12  novembre.  On  broie  dans  un  mortier 
des  nèfles  bien  dures,  et  l’on  coule  dans  un  verre  la  pâte  ainsi  obtenue. 

Deux  heures  après,  le  blettissement  a commencé  à la  surface  de  la  masse 
pâteuse. 

En  résumé,  nous  voyons,  grâce  à l’emploi  de  l’oxvgène  à 
haute  tension,  que  le  blettissement  n’est  très-certainement 
pas  un  acte  de  la  vie  des  cellules  du  fruit,  mais  très-probable- 
ment le  résultat  d’une  oxydation  directe. 

§ 2.  — Maturation  des  fruits. 

La  même  question  peut  se  poser  pour  la  maturation  régu- 
lière des  fruits.  Si  c’est  un  phénomène  d’ordre  diastasique,  il 
continuera  dans  l’oxygène  comprimé  ; si  c’est  un  acte  de  vie 
cellulaire,  il  sera  arrêté.  L’expérience  est  assez  difficile  à réa- 
liser, parce  qu’il  faut  prendre  des  fruits  qui  mûrissent  aisé- 


VENINS. 


921 


ment  et  rapidement  hors  de  l’arbre  , qui  ne  soient  pas  trop 
sujets  à des  altérations  fâcheuses,  et  qui  soient  d’assez  petites 
dimensions  pour  être  rapidement  pénétrés  par  l’oxygène  : 

Expérience  CCCCLXXXVII.  — 9 juillet.  Groseilles  à maquereau  à peine 
rosées,  commençant  à mûrir. 

A,  à la  pression  normale. 

B,  dans  l’appareil  cylindrique  en  verre. 

17  juillet.  Décomprimé. 

A,  bien  rouges,  sucrées,  tendres,  parfaitement  mûres. 

B,  n’ont  pas  changé  de  couleur;  sont  fermes  et  dures,  acides,  avec  le 
goût  de  groseilles  cuites  un  peu  aigres. 

Expérience  CCCCLXXXVI1I.  — 19  juillet.  Prunes  commençant  à mûrir. 

A,  pression  normale. 

B,  15  atmosphères  suroxygénées. 

26  juillet.  Décomprimé. 

A,  sont  mangeables,  amollies,  et  ont  notablement  jauni. 

B,  sont  devenues  d’une  couleur  brun  foncé  ; restées  très-dures,  d’une 
insupportable  acidité,  avec  l’odeur  el  le  goût  de  prunes  cuites. 

Ces  deux  exemples  suffisent  pour  montrer,  de  la  manière 
la  plus  nette,  que  la  maturation  des  fruits  est  un  acte  vital, 
dû  à une  certaine  évolution  cellulaire,  et,  par  suite,  essen- 
tiellement différent  du  blettissement,  avec  lequel  on  l’a  sou- 
vent confondu. 

J’appelle  l’attention  sur  ce  goût  de  cuit  que  prennent  les 
fruits  sous  l’influence  de  l’oxygène  comprimé.  Il  a déjà  été 
signalé  dans  les  expériences  du  premier  sous-chapitre,  rela- 
tives au  développement  des  moisissures.  Il  est  évidemment  dû 
soit  à une  oxydation  exagérée,  soit  à l’action  d’un  pseudo-fer- 
ment diastasique. 

§ 3.  — Venins. 

Le  seul  venin  que  j’aie  pu  mettre  en  expérience  est  du  ve- 
nin de  scorpion,  dont  je  conservais  les  vésicules  desséchées 
depuis  plusieurs  années  ; il  provenait  du  Buthus  occitanus 
(Àmor.)  et  m’avait  été  envoyé  du  sud  de  l’Algérie  : 

i 

Expérience  GGCGLXXX1X.  — 2 décembre.  Douze  vésicules  de  scorpion 
desséchées;  on  les  écrase  avec  un  peu  d’eau;  puis  on  les  soumet  à la 
pression  de  18  atmosphères  suroxygénées. 


922 


EXPÉRIENCES. 


(Le  liquide  est  neutre,  et  n’agit  pas  sur  l’empois  d’amidon.) 

8 décembre.  Décompression.  Inoculation  sous  la  peau  d’un  gros  rat  de 
la  partie  liquide  (A),  et  sous  la  peau  (à  la  cuisse  gauche,  au  niveau  du 
nerf  sciatique)  d’un  jeune  rat,  une  partie  des  débris  solides,  macérés 
dans  l’eau  (B). 

Un  quart  d’heure  après,  je  regarde  le  rat  (A),  et  suis  assez  étonné  de  le 
voir  déjà  sur  le  flanc,  insensible  aux  yeux  qui  larmoient,  respirant  diffi- 
cilement et  avec  lenteur,  le  cœur  battant  irrégulièrement.  Il  a,  surtout 
dans  les  membres  postérieurs,  des  convulsions  toniques  très-fortes,  qui 
deviennent  sub-intranles,  et  l’animal  périt  en  une  demi-heure  environ. 
Les  muscles  présentent  depuis  quelques  instants  des  mouvements  fibril— 
laires  fort  curieux.  Les  nerfs  n’agissent  plus  sur  les  muscles. 

Poumons  parfaitement  sains  ; sang  noir  au  cœur,  à gauche  comme  à 
droite;  cœur  en  diastole;  sang  rougissant  à l’air,  et  se  coagulant  très- 
bien;  globules  intacts;  rigidité  cadavérique  survenant  très-vite. 

Le  rat  B est  pris  une  demi-heure  après  l’inoculation. 

D’abord  cris  indiquant  une  douleur  locale  ; puis,  parésie  générale, 
lenteur  des  mouvements  ; respiration  très-irrégulière,  reste  quelquefois 
5 ou  G secondes  sans  respirer;  le  cœur  suit  la  respiration. 

La  patte  gauche  reste  presque  toujours  en  raideur  (action  locale?).  La 
sensibilité  va  en  diminuant,  et  est  perdue  à l’œil  (cornée  la  dernière) 
avant  de  l’être  aux  membres.  Légères  convulsions,  qui  paraissent  exci- 
tables au  pincement. 

Ap  rès  trois  quarts  d’heure,  reste  couché  sur  le  flanc  ; la  température 
s’abaisse  rapidement;  après  une  heure  et  demie,  elle  est  de  29°. 

Meurt  en  2h  environ. 

Injection  du  cerveau  et  du  cervelet;  pas  d’inflammation  locale. 

Ainsi  l’action  du  venin  de  scorpion  persiste  avec  tous  les 
caractères  que  j’ai  autrefois  signalés1,  après  le  séjour  dans 
l’oxygène  à haute  tension.  Gela  n’avait,  du  reste,  rien  qui  pût 
m’étonner,  puisque  la  matière  venimeuse  résiste  même  (celle 
du  scorpion,  sans  s’y  dissoudre)  à l’action  de  l’alcool  absolu. 


g 4.  — Virus. 

J’ai  pu  faire  sur  les  virus  un  plus  grand  nombre  d’expé- 
riences. 

A.  — Vaccine. 

Expérience  CGCCXC.  — 10  novembre.  On  vaccine  avec  du  vaccin  pris 
sur  un  seul  enfant,  douze  nouveau-nés  ; deux  quittent  l’hôpital  avant  le 


1 Contributions  à l’étude  des  venins  : le  venin  de  scorpion.  Comptes  rendus 
de  la  Société  de  biologie  pour  1865,  p.  136. 


VIRUS. 


925 


développement  des  pustules;  sur  un  troisième,  le  vaccin  ne  prend  pas; 
chez  les  9 autres,  les  pustules  se  développent  au  nombre  de  55  (de  1 à 6) 
pour  54  piqûres. 

Sur  le  même  vaccinifère  et  sur  les  mêmes  pustules,  on  remplit  ensuite 
des  tubes  de  Bretonneau,  qui  sont,  du  11  au  18  novembre,  soumis  à une 
pression  de  25  atmosphères  suroxygénées. 

18  novembre.  On  vaccine  avec  le  vaccin  comprimé  sept  enfants  nou- 
veau-nés. Quatre  d’entre  eux  quittent  le  'surlendemain,  avant  qu’on  ait  pu 
constater  aucun  développement  ; sur  les  trois  autres,  le  vaccin  prend,  et 
donne  15  pustules  (6,  6,  1)  pour  18  piqûres. 

(Opérations  faites  par  M.  le  docteur  Budin,  alors  interne.) 

Une  expérience  aussi  nette  me  paraît  suffisante  pour  con- 
clure. Et  ma  conclusion,  c’est  que  le  virus-vaccin,  qui  résiste 
si  complètement  à l’action  de  l’oxygène  à haute  tension,  ne 
doit  pas  sa  vertu  spéciale  à des  êtres  vivants  (bactéries,  vi- 
brions) ou  à des  cellules  (leucocytes,  globules  spéciaux), 
agissant  à la  manière  de  ferments  vrais. 

Je  suis  loin  de  nier  pour  cela  que  les  corpuscules  irrégu- 
liers de  formes  et  de  dimensions  qui  flottent  dans  le  vaccin 
ne  contiennent  en  eux  le  principe  virulent,  comme  cela  sem- 
ble très-vraisemblable  depuis  les  recherches  de  M.  Chauveau. 
Mais  il  est  certain  pour  moi  qu’on  ne  doit  pas  y voir  des  êtres 
vivant 

Peut-être  la  matière  virulente  est-elle  ainsi  précipitée  en 
flocons  insolubles  ; peut-être  encore  ces  globules  sont-ils 
doués  de  la  propriété  de  fixer  le  principe  actif,  comme  les 
globules  sanguins  fixent  l’hémoglobine  et  les  corpuscules 
amylacés  des  cellules  vertes  la  chlorophylle. 

B.  — Morve . 

Expérience  GCGGXCI.  — 15  juillet.  Pus  morveux  envoyé  d’Alfort  par 
M.  le  professeur  Trasbot. 

Quantités  égales  sont  placées  dans  deux  petites  bouteilles,  sur  une  hau- 
teur de  1 centimètre  environ  : 

A,  à la  pression  normale. 

B,  poussé  à 20  atmosphères  suroxygénées. 

21  juillet.  Décomprimé. 

A est  pourri. 


924 


EXPÉRIENCES. 


B n’a  aucune  odeur. 

Le  même  jour,  ces  deux  pus  sont  inoculés  à deux  chevaux. 

A,  n’a  que  des  accidents  locaux,  dus  évidemment  à l’inoculation  putride, 
décollement  delà  peau  et  abcès  ; guérit. 

B,  meurt  de  la  morve,  après  avoir  présenté,  m’écrit  M.  Trasbot,  « une 
éruption  aussi  complète  que  possible.  » 

Nos  conclusions,  pour  le  virus  morveux  et  les  corpuscules 
qu’il  contient,  sur  le  rôle  virulent  desquels  a insisté  M.  Chau- 
veau, seront  donc  identiques  à celles  que  nous  avons  tirées 
des  expériences  faites  sur  le  virus-vaccin.  Il  ne  s'agit  pas 
ici  non  plus  d'êtres  microscopiques  agissant  à la  façon  des 
ferments  vrais. 

C.  — Charbon  et  sang  de  rate . 

Les  recherches  de  M.  Davaine  ont  attiré  l’attention  sur  le 
rôle  que  pourraient  jouer,  dans  l’infection  par  le  virus  char- 
bonneux, les  êtres  microscopiques,  les  bactéridies , dont  il  a 
découvert  l’existence  et  la  présence  constante  dans  les  liqui- 
des virulents.  Les  expériences  faites  par  la  méthode  des  di- 
lutions, des  filtrations,  des  précipitations,  ont  amené  ce  sa- 
vant médecin  à déclarer  que  ces  bactéridies  étaient  vraiment 
les  agents  de  la  virulence,  et  que,  introduites  dans  le  sang 
d’un  animal  sain,  elles  amènent  la  mort  par  leur  développe- 
ment prodigieusement  rapide.  Si  bien  que  le  charbon  serait, 
en  définitive,  une  véritable  maladie  parasitaire. 

Mais  toutes  ces  méthodes  laissent  prise  aune  objection.  Ces 
êtres  microscopiques,  dont  la  nature  est  encore  mal  détermi- 
née, pourraient  n’être  que  le  véhicule  et  non  la  cause  créatrice 
de  l’agent  virulent  dont  ils  seraient  simplement  imprégnés. 

J’ai  donc  dû  instituer  des  expériences  suivant  la  nouvelle 
méthode,  mais  en  prenant  les  plus  grandes  précautions  : 
1°  pour  que  la  couche  de  sang  soit  assez  mince  et  se  laisse 
pénétrer  par  l’oxygène  ; 2°  pour  qu’il  ne  reste  pas,  sur  les  limi- 
tes du  liquide  sanguin,  d’îlots  isolés  qui  se  dessécheraient 
et  résisteraient  alors  parfaitement  à l’action  de  l’oxygène  : 

Expérience  GGGGXCII.  — 6 octobre.  Sang  provenant  d’un  mouton  char- 


925 


FERMENTS,  ETC.  RÉSUMÉ. 

bonneux  (envoi  du  professeur  Trasbot).  Ce  sang  inoculé  à des  cochons 
d’Inde  a été  suivi  jusqu’à  la  quatrième  génération  virulente. 

Soumis  en  couche  mince  à 20  atmosphères  suroxygénées. 

9 octobre.  Décomprimé  ; inoculé  à un  cochon  d’Inde. 

10  octobre.  L’animal  meurt  à 1 heure  après  midi. 

Expérience  GGGCXCIII.  — 20  novembre.  M.  le  professeur  Trasbot  m’en- 
voie de  la  sérosité  prise  sur  un  mouton  qui  avait  été  inoculé  avec  le  sang 
d’un  cheval  mort  de  fièvre  charbonneuse  : beaucoup  de  bactéridies. 

J’en  inocule  1/2CC,  sous  la  peau  d’un  cochon  d’Inde. 

21  novembre.  L’animal  est  trouvé  mort  le  matin. 

Je  prends  un  peu  de  son  sang,  qui  contient  des  bactéridies,  le  mêle  à 
de  la  sérosité  épanchée  au  lieu  d’inoculation,  et  le  soumets,  en  couche 
mince  (5mm.  environ),  à l’action  de  20  atmosphères  d’un  air  suroxygéné. 

30  novembre.  Décompression;  le  sang  est  rouge  jusqu’au  fond.  Injec- 
tion à deux  cochons  d’Inde. 

1er  décembre.  Tous  deux  sont  trouvés  morts  le  matin. 

J’inocule  avec  leur  sang  un  cochon  d’Inde  et  un  chien  sous  la  peau. 

2 décembre.  Le  cochon  et  le  chien  sont  morts. 

Voilà  des  expériences  dans  lesquelles  les  bactéridies  ont 
dû  être  tuées  par  l’oxygène  comprimé,  et  où  cependant  le 
sang  a conservé  toute  sa  virulence;  la  dernière  est  surtout 
concluante,  car  pour  l’expérience  CCCCXCIi  la  durée  de  la 
compression  n’avait  peut-être  pas  été  suffisante.  Elles  prou- 
vent donc  que  cette  propriété  redoutable  n’était  pas  due,  au 
moins  dans  le  sang  que  j’ai  employé,  à l’existence  de  ces  pe- 
tits êtres.  Elles  ont  été  corroborées  à mes  yeux  par  des  expé- 
riences dont  le  récit  ne  saurait  trouver  place  ici,  et  dans 
lesquelles  j’ai  vu  la  matière  virulente  être  précipitée  du 
même  sang  par  l’alcool,  filtrée,  puis  desséchée,  sans  perdre 
son  activité  redoutable,  qu’elle  pouvait  encore  transmettre 
comme  auparavant,  de  génération  en  génération. 

Cependant,  je  crois  qu’il  serait  imprudent  d’appliquer 
cette  conclusion  à tous  les  sangs  dits  charbonneux,  et  qu’il 
faudrait  auparavant  multiplier  les  expériences,  en  employant 
des  sangs  de  provenances  diverses,  car  il  serait  possible  que 
plusieurs  maladies  soient  confondues  sous  la  dénomination 
commune  de  charbon \ 

* Voir  les  discussions  de  MM.  Davaine,  Jaillarl  et  Leplat  : Comptes  rendus  de 
C Académie  des  sciences,  t.  LXI,  1865. 


92(i 


EXPÉRIENCES. 


SOUS-CHAPITRE  V 

RÉSUMÉ. 

Nous  sommes  donc  maintenant,  grâce  à ces  expériences 
multiples,  en  situation  de  formuler  la  raison  première  de  la 
mort  des  animaux  et  des  végétaux  soumis  à une  tension 
d’oxygène  assez  forte.  Laissons  là  l’appareil  des  convulsions 
violentes  que  présentent  les  animaux  supérieurs  et  allons  au 
fond  des  phénomènes. 

La  vie  n’est  que  le  résultat  d’un  ensemble  complexe  et 
harmonique  de  modifications  chimiquesappartenant  au  groupe 
des  fermentations:  les  unes  sont  dues  à l’intervention  directe 
des  éléments  figurés  du  corps  ; les  autres  sont  la  conséquence 
de  l’action  de  substances  instables,  solubles,  analogues  à la 
diastase,  préalablement  formées  par  l’action  des  éléments 
figurés.  Dans  l’intérieur  même  de  chacun  des  éléments  ana- 
tomiques, le  mouvement  vital  ne  s’entretient  que  par  l’action 
de  ces  substances  qui  y naissent,  y agissent, s’y  transforment, 
s’y  détruisent. 

Mais,  pour  que  la  vie  s’entretienne,  il  est  nécessaire  que  les 
phénomènes  multiples  s’exécutent  avec  une  régularité,  ou 
mieux  une  harmonie  constante.  Quand  leur  intensité  seule 
est  modifiée,  sans  que  leurs  rapports  soient  altérés,  l’activité 
vitale  diminue,  se  suspend  même  parfois,  et  pendant  un  long 
temps,  pour  reparaître  lorsque  des  conditions  plus  favorables 
se  présentent.  C’est  ce  qui  arrive  par  le  froid,  par  ladessicca- 
tion,  et,  pour  rentrer  dans  notre  sujet,  parla  diminution  de 
pression.  Les  graines,  conservées  intactes  dans  le  vide, 
germent  lorsqu’on  les  ramène  à l’air  ; la  viande,  restée  fraîche 
dans  le  vide,  pourrit  lorsque  l’oxygène  vient  rendre  l’activité 
à ses  vibrions. 

Lorsque,  au  contraire,  ce  n’est  plus  seulement  la  quantité* 
mais  la  qualité  même  des  modifications  chimiques  qui  se 
trouve  altérée,  des  troubles  surviennent,  dont  le  détail  est 
loin  d’être  connu  et  qui  ont  de  telles  conséquences,  qu’en 


927 


FERMENTS,  ETC.,  RÉSUMÉ. 

vain  rétablit-on  les  conditions  normales,  l’activité  vitale  ne  se 
rétablit  pas.  C’est  ce  qui  arrive  par  la  chaleur,  par  l’humidifi- 
cation excessive,  et  par  l’augmentation  de  pression.  Les  grai- 
nes conservées  intactes  en  apparence  dans  l’air  comprimé, 
ne  germent  plus  lorsqu'on  les  ramène  à la  pression  normale, 
et  c’est  en  vainque  l’oxygène,  sousla tension  habituelle,  entre 
en  contact  avec  les  vibrions  morts,  et  définitivement  morts, 
qui  peuplaient  la  viande  préalablement  soumise  à l’oxygène 
comprimé. 

Il  n’est  pas  besoin  d’aller  jusqu’à  la  mort  pour  mettre  en 
évidence  ces  importantes  différences.  Un  animal  soumis 
à la  décompression  est  pris, à un  certain  moment,  de  convul- 
sions, que  fait  immédiatement  cesser  le  retour  à la  pression 
normale  : Sublatâ  causâ , tollitur  effectus.  Mais  les  convulsions 
dues  à l’excès  de  pression  persistent  alors  même  que  la  cause 
apparente  a été  supprimée  : c’est  que  la  cause  réelle,  l’altéra- 
tion chimique  existe  encore,  agit  encore  et  excite  les  centres 
nerveux. 

Il  se  fait  donc,  sous  l’inüuence  de  l’oxygène  en  excès  de 
tension,  dans  l’intérieur  même  des  éléments  anatomiques 
isolés  en  monocellules  ou  groupés  en  tissus,  des  altérations 
chimiques  donnant  naissance  à des  produits  durables,  dont 
la  présence  trouble  l’harmonie  nécessaire  à la  persistance  de 
la  vie,  chez  l'élément  d’abord,  chez  l’être  complexe  ensuite. 

Ce  sont  là  sans  doute  des  formules  un  peu  vagues;  mais  ce 
vague  tient  à l’état  général  de  la  science  et  ne  doit  pas  m’être 
reproché.  Que  savons-nous  des  transformations  moléculaires 
qui  se  passent  régulièrement  dans  les  tissus,  au  sein  et  au 
contact  des  éléments  anatomiques?  Le  peu  que  nous  en  sa- 
vons, je  l’ai  soumis  à l’expérience;  j’ai  vu  que  la  transforma- 
tion de  l’amidon  en  glycose,  que  la  réduction  de  la  glycose 
en  ses  éléments  premiers,  sont  ralentis  par  l’oxygène  sous 
forte  tension.  Or,  ce  sont  là  des  actes  généraux  qui  se  mani- 
festent, on  le  sait,  dans  la  vie  d’une  cellule  de  mycoderme, 
comme  dans  celle  d’un  mammifère  ou  d’un  oiseau.  Ils  sont 
ralentis,  mais  cependant  le  ferment  soluble  qui  les  produit 
n’est  en  rien  altéré  et  reprendra  plus  tard,  à la  pression  nor- 


928 


EXPÉRIENCES. 


male,  toute  son  activité.  Pourquoi  donc,  après  ce  retour  à la 
pression  normale,  la  vie  ne  reparaît-elle  pas,  comme  après  la 
suspension  due  au  vide  ou  au  froid?  Est-ce  que  le  ferment, 
dont  Faction  régulière  a diminué,  en  aurait  acquis  une  nou- 
velle qui  aurait  produit  cette  substance  durable  dont  nous 
cherchons  l’origine?  Est-ce  la  matière  fermentescible,  au 
contraire,  qui  s’est  altérée  et  se  refuse  ensuite  à Faction  du 
ferment  conservé? 

11  est  bien  difficile  de  répondre  aujourd’hui  à ces  questions. 
Tout  ce  que  je  puis  dire,  c’est  que  les  substances  soumises  à 
la  compression  : viande,  œuf,  lait,  pain,  présentent  rapide- 
ment une  réaction  acide,  due  probablement  en  partie  à de 
l’acide  lactique.  Il  n’est  pas  impossible  que  la  présence  decet 
acide  dans  l’intérieur  même  des  éléments  anatomiques  soit  la 
cause  de  la  mort. 

Mais,  sans  poursuivre  plus  longtemps  des  phénomènes 
dans  l’intimité  desquels  nous  ne  saurions  entrer  davantage, 
nous  sommes  autorisés  à dire,  par  les  nombreuses  expé- 
riences dont  le  récit  a tenu  tant  de  pages,  que  sous  l’influence 
de  l’oxygène  en  tension,  il  survient,  dans  l'intérieur  même  de 
chaque  élément  anatomique,  des  altérations  chimiques  in- 
compatibles avec  la  vie  de  cet  élément.  Ceci  posé,  tous  les 
phénomènes,  si  variés,  que  nous  avons  énumérés  jusqu’ici, 
s’enchaînent  et  s’expliquent  aisément. 

S’agit-il  d’un  être  vivant  réduit,  dans  sa  structure  élémen- 
taire, aune  cellule  ou  à un  petit  nombre  de  cellules? Comme 
son  activité  vitale  se  manifeste  le  plus  souvent  à nous  par  les 
phénomènes  connus  sous  le  nom  de  fermentations  vraies  (al- 
coolique, acétique,  lactique,  putréfaction),  sa  mort  aura  cette 
conséquence  que  ces  phénomènes  seront  arrêtés  pour  tou- 
jours, à moins  d’un  ensemencement  de  ferments  nouveaux. 

S’agit-il,  pour  aller  de  suite  à l’extrême  inverse,  d’un 
animal  des  plus  compliqués  dans  sa  structure?  Les  élé- 
ments anatomiques  qui  forment  ses  tissus  sont  menacés  de 
mort.  Ceux  d’entre  eux  qui  jouaient  dans  la  chimie  vivante 
le  rôle  des  ferments  figurés,  cessent  d’agir,  ou  diminuent 
d’énergie  dans  Faction.  Les  phénomènes  de  fermentation  zv- 


RÉSUMÉ. 


929 


motique  qui  se  passent  en  dehors  comme  en  dedans  d’eux 
diminuent  d’intensité  et  s’altèrent.  Leurs  qualités  person- 
nelles, leur  contractibilité,  leur  propriété  de  transmettre  les 
excitations  ou  de  les  transformer  en  réaction,  se  modifient  et 
tendent  à disparaître. 

De  là,  la  dépression  générale  des  phénomènes  chimiques  de 
la  vie;  de  là,  moins  d’oxygène  consommé,  moins  d’acide  car- 
bonique produit,  moins  d’urée  excrétée  ; de  là,  l’apparition 
dans  les  urines  du  sucre  qui  n’est  plus  suffisamment  détruit; 
de  là,  enfin,  un  abaissement  énorme  de  la  température. 

Et  en  même  temps,  — comme  toutes  les  fois  qu’un  trouble 
considérable  et  rapide  est  apporté  dans  l’équilibre  des  fonc- 
tions d’un  animal  supérieur  (hémorrhagie,  asphyxie,  etc.), 
c’est  le  système  nerveux  central  qui,  le  premier  excité,  mani- 
feste par  ses  réactions  violentes  le  danger  qui  menace  l’orga- 
nisme entier,  — en  même  temps,  dis-je,  apparaissent  ces  con- 
vulsions qui  témoignent,  par  leur  persistance  après  le  retour 
à la  pression  normale,  qu’une  altération  chimique  profonde 
s’est  faite  soit  dans  les  tissus  mêmes  de  la  moelle  épinière, 
soit  dans  le  sang  qui  les  baigne  et  leur  apporterait  ainsi  une 
sorte  de  poison.  Viennent  enfin  les  contractions  musculaires 
modifiées  dans  leur  manière  d’être,  ressemblant  à des  cram- 
pes, comme  il  arrive,  du  reste,  à tout  muscle  qui  meurt. 

Entre  ces  deux  extrêmes,  de  la  cellule  isolée  et  du  vertébré 
à sang  chaud,  tous  les  intermédiaires  : d’un  côté,  les  moisis- 
sures, les  algues,  les  graines,  les  végétaux  vasculaires;  de 
l’autre,  les  annélides,  les  mollusques,  les  insectes,  les  pois- 
sons, les  reptiles.  Tout  l’ensemble  des  êtres  vivants,  en  un 
mot,  périt  sans  retour  quand  la  tension  de  l’oxygène  s’élève 
suffisamment.  Aucun,  on  peut  l’affirmer,  ne  résisterait  à une 
tension  correspondante  à la  pression  de  20  atmosphères  d’air. 
Nous  aurons  à revenir  sur  les  inductions  que  suggère  ce  phé- 
nomène inattendu. 


59 


CHAPITRE  VII 


DES  EFFETS  DES  CHANGEMENTS  BRUSQUES  DANS  LA  PRESSION 

BAROMÉTRIQUE. 


J’ai  parlé  exclusivement  jusqu’ici  des  phénomènes  consé- 
cutifs aux  modifications  graduellement  apportées  dans  la 
valeur  de  la  pression  barométrique,  modifications  qui  se 
sont  réduites,  ainsi  qu’on  a pu  le  voir,  à des  phénomènes 
d’ordre  physico-chimique,  suite  de  l’existence  dans  le  sang 
de  quantités  plus  ou  moins  grandes  d’oxygène.  Mais  c’est 
seulement  dans  ces  conditions  de  lenteur  que  j’ai  pu  être 
amené  à nier  l’influence  de  la  pression  en  tant  qu’agent 
direct,  d’ordre  physico-mécanique.  On  comprend  qu’il  puisse 
en  être  autrement,  lorsqu’il  s’agit  de  modifications  brusques 
et  considérables. 

Les  expériences  rapportées  dans  le  présent  chapitre  ont 
eu  pour  but  d’élucider  cette  question. 

SOUS-CIIAPITRE  PREMIER 

INFLUENCE  DES  AUGMENTATES  BRUSQUES  DE  PRESSION. 

Cette  partie  du  travail  ne  sera  pas  longue.  L’augmentation 
soudaine  de  pression  ne  semble  avoir  sur  les  animaux  au-* 
cun  effet  appréciable. 


951 


CHANGEMENTS  BRUSQUES  DE  PRESSION. 

Tout  d’abord,  lorsqu’il  s’agissait  d’animaux  préalablement 
soumis  à une  pression  très-faible,  comme  celle  dont  il  est 
question  dans  les  chapitres  I et  III,  le  rétablissement  immé- 
diat de  la  pression  normale  n’avait  aucun  inconvénient  appa- 
rent. Bien  au  contraire,  lorsque  la  dépression  était  très-forte, 
son  effet  favorable  se  manifestait  aussitôt,  et  l’animal  reve- 
nait de  suite  à un  état  normal.  On  le  voyait  alors,  surtout 
lorsqu’il  s’agissait  d’un  mammifère  herbivore,  se  dégonfler 
sensiblement,  par  le  retour  au  volume  primitif  des  gaz  in- 
testinaux, que  la  dépression  avait  dilatés. 

Les  expériences  sur  l’augmentation  brusque  de  la  pres- 
sion ont  été  faites  sur  des  oiseaux  ou  des  rats  placés  dans 
le  gazogène  à eau  de  Seltz.  Ce  récipient  étant  mis,  par  un 
tube  de  cuivre,  en  rapport  avec  le  gros  récipient  de  métal 
(fig.  53),  où  la  pression  était  poussée  à 10  atm.,  on  ouvrait  le 
robinet  de  communication  c,  et  l’équilibre  de  pression  s’éta- 
blissait subitement.  L’animal  semblait  alors  se  tapir,  s’apla- 
tir, comme  effrayé;  mais  au  bout  de  quelques  minutes,  il 
reprenait  toute  sa  vivacité. 

Il  n’y  a pas  lieu  de  s’étonner  de  ces  résultats  négatifs,  puis- 
que nous  avons  vu  que  les  ouvriers  de  tubes  et  les  plongeurs 
à scaphandres  se  soumettent  à des  pressions  soudaines  de 
plusieurs  atmosphères.  Et  cela,  sans  ressentir  d’autres  incon- 
vénients que  des  douleurs  d’oreilles  plus  ou  moins  vives,  dou- 
leurs dont  ne  paraissent  pas  souffrir  les  animaux,  dont  la 
trompe  d’Eustache  s’ouvre  sans  doute  plus  facilement  que  la 
nôtre. 

L’influence  des  augmentations  brusques  de  la  pression  baro- 
métrique, presque  nulle  chez  les  animaux  aériens,  se  fait  au 
contraire  très-énergiquement  sentir  chez  les  poissons  munis 
d’une  vessie  natatoire.  Que  celle-ci  soit  close  ou  non,  il  suffit 
d’augmenter  un  peu  la  pression  de  l’air  qui  surmonte  l’eau 
où  nage  le  poisson,  pour  voir  immédiatement  celui-ci  précipité 
au  fond  du  vase  d’où  les  plus  puissants  efforts  musculaires  ne 
peuvent  le  détacher  que  pendant  un  instant.  Mais  au  bout  de 
quelques  jours,  pendant  lesquels  la  compression  a été  main- 
tenue, il  reprend  toute  liberté  d’action.  C’est  que,  pendant 


932 


EXPÉRIENCES. 


cet  intervalle,  une  sécrétion  nouvelle  de  gaz  oxygène  a rendu 
à sa  vessie  natatoire  son  volume  primitif,  et  à son  propre 
corps,  sa  densité  primitive.  Tous  ces  faits,  dont  j’ai  souvent 
été  témoin,  ont  été  parfaitement  décrits  et  expliqués  parM.  le 
docteur  Armand  Moreau. 


SOUS-CHAPITRE  II 

INFLUENCE  DE  LA  DIMINUTION  BRUSQUE  DE  PRESSION  A PARTIR 

D’UNE  ATMOSPHÈRE. 

L’étude  de  cette  influence  présente  de  grandes  difficultés, 
sans  avoir  grand  intérêt.  En  effet,  pour  les  faibles  dépres- 
sions, si  brusquement  qu’on  les  produise,  l’action  est  à peu 
près  nulle  chez  les  animaux  aériens  ; pour  les  dépressions 
fortes,  elle  se  combine  avec  celle  de  l’anoxyhémie,  à côté 
de  laquelle  elle  n’est  que  de  bien  médiocre  importance. 

Quand  on  tombe  brusquement  à une  demi-atmosphère, 
les  animaux  tressautent,  bondissent,  quelquefois  tournent 
sur  eux-mêmes,  mais  se  remettent  bientôt,  ou  du  moins  ne 
présentent  plus  que  les  troubles  asphyxiques  dus  à la  pauvreté 
de  leur  sang  en  oxygène. 

Ces  marques  de  gêne  sont  dues  sans  aucun  doute  à la  di- 
latation soudaine  de  tous  les  réservoirs  gazeux  de  l’orga- 
nisme, et  l’on  conçoit  qu’ils  sont  particulièrement  considé- 
rables chez  les  oiseaux  où  ces  réservoirs  s’étendent  dans  le 
corps  tout  entier;  mais  presque  aussitôt,  chez  ces  derniers, 
l’équilibre  se  rétablit,  à cause  de  la  communication  des  sacs 
aériens  avec  la  trachée,  et,  par  suite,  avec  l’intérieur.  Les 
mammifères,  et  surtout  les  herbivores,  eux,  sont  un  peu 
gonflés  par  la  dilatation  des  intestins  et  de  l’estomac,  mais 
ils  rejettent  assez  vite  les  gaz  qui  les  gênent.  C’est  ce  que 
montre  du  reste  l’expérience  suivante  : 

Expérience  CGGCXC1V.  — 9 juin.  Chien  qui  vient  d’ètre  tué  par  une 
électrisation  du  cœur. 

On  introduit  dans  le  rectum,  à l’aide  d’une  petite  vessie  qui  oblitère 


CHANGEMENTS  BRUSQUES  DE  PRESSION. 


935 


parfaitement  l’anus,  un  tube  de  verre  coudé,  dont  l’extrémité  plonge  de 
quelques  millimètres  dans  un  verre  plein  d’eau.  L’animal  est  ainsi  disposé 
dans  l’un  des  grands  cylindres  de  la  figure  27  (p.  631). 

On  fait  alors,  aussi  rapidement  que  possible,  la  dépression  jusqu’à  34e; 
on  voit  pendant  ce  temps  les  bulles  de  gaz  se  succéder  avec  vitesse  en 
sortant  du  tube  anal  ; cependant  la  paroi  abdominale  se  gonfle  visiblement. 

On  laisse  rentrer  l’air;  la  paroi  s’aplatit;  il  y a encore  une  notable 
quantité  de  gaz  dans  l’intestin. 

Le  même  effet  est  produit,  ainsi  qu’on  le  sait  depuis  long- 
temps, chez  les  poissons  munis  d’une  vessie  natatoire  s’ou- 
vrant dans  l’œsophage,  comme  les  cyprins.  Si  la  dépression 
ne  marche  pas  trop  vite,  on  voit  s’échapper  de  leur  bouche 
des  bulles  de  gaz  sorties  de  la  vessie  ; puis,  quand  on  ramène 
la  pression  normale,  ils  tombent  au  fond  de  l’éau,  leur  den- 
sité étant  devenue  trop  forte.  Dans  ces  conditions,  ils  revien- 
nent avec  efforts  à la  surface  pour  y avaler  de  l’air  et  remplir 
ainsi  à nouveau  leur  vessie;  pour  me  renseigner  sur  cette 
absorption  directe,  qui  pouvait  être  mise  en  doute,  j’ai  insti- 
tué l’expérience  suivante  : 

Expérience  CGGGXCV.  — 1er  juin.  Une  carpe  pesant  une  demi-livre  est 
soumise,  dans  l’eau,  à une  dépression  de  deux  tiers  d’atmosphère.  Elle 
lâche  une  grande  quantité  d’air. 

On  place  alors  le  cristallisoir  où  elle  nage  sous  une  cloche  contenant  un 
mélange  d’air,  d’oxygène  et  d’hydrogène  en  proportions  non  dosées. 

3 juin.  L’animal  meurt;  sa  vessie  natatoire  contient  llcc,4  de  gaz  ainsi 
composé,  pour  100  : hydrogène  33,3,  oxygène  16,7,  azote  50,0. 

Pour  le  dire  en  passant,  les  cyprins,  dans  l’état  ordinaire, 
tout  en  venant  à la  surface  de  l’eau  avaler  de  l’air,  ne  l’intro- 
duisent pas  dans  leur  vessie,  et  ne  s’en  servent  vraisembla- 
blement que  pour  aérer  plus  énergiquement  leurs  branchies. 
Ainsi  : 

Expérience  CCGGXGYI.  — 5 juin.  Carpe  pesant  200  grammes.  Le  vase  où 
elle  nage  est  placé  sous  une  cloche  contenant  un  mélange  d’oxygène  et 
d’hvdrogène  non  dosé. 

9 juin.  On  tue  l’animal. 

11  n’y  a pas  d’hydrogène  dans  la  vessie  natatoire. 

Les  poissons  à vessie  close,  devenant  plus  légers  que 
1 eau  lorsqu’on  les  décomprime,  arrivent  à la  surface  et  pé- 


954 


EXPÉRIENCES. 


rissent,  par  éclatement  de  la  vessie  surgonflée.  Ce  fait  est  de- 
puis longtemps  bien  connu  des  pêcheurs,  qui,  pour  éviter  la 
projection  des  viscères,  qui  souillerait  le  poisson,  percent  la 
vessie  avec  une  pointe  de  fer  ou  de  bois. 

Le  même  phénomène,  je  dis  ceci  pour  ne  plus  revenir  sur 
cet  ordre  de  faits,  s’observe  sur  les  poissons  à vessie  close 
qu’on  a maintenus  pendant  quelques  jours  sous  l’influence 
d’une  augmentation  de  pression  : 

Expérience  CCCCXCVII.  — 4 mai.  Épinoches  dans  appareil  cylindrique 
en  verre.  Soumises  à 2 atmosphères  de  pression,  vont  immédiatement 
au  fond  de  l’eau. 

10  mai.  Nagent  librement.  On  décomprime  ; arrivent  immédiatement  à 
la  surface.  Retirées,  meurent. 

Ainsi,  ces  poissons  avaient  reformé  dans  leur  vessie  une 
quantité  de  gaz  suffisante  pour  reprendre,  avec  leur  densité 
première,  la  liberté  de  leurs  mouvements.  Mais  la  décom- 
pression leur  a été  fatale. 

La  vessie  aérienne  close  est  donc  fort  mal  dénommée  vessie 
natatoire , puisqu’elle  nuit  au  poisson  et  le  contraint  de  rester  à 
une  certaine  profondeur  d’eau,  sous  peine,  ou  de  venir  écla 
ter  à la  surface,  ou  de  couler  indéfiniment  dans  la  profondeur, 
s’il  dépasse  les  faibles  limites  entre  lesquelles  il  lui  est  per- 
mis de  se  mouvoir  verticalement. 

J’ai  pu  obtenir  un  résultat  analogue  à celui  de  l’expérience 
CCCCXCVII  avec  des  grenouilles  rapidement  décomprimées 
de  5 ou  6 atmosphères  à la  pression  normale.  L’air  des  pou- 
mons se  dilatant  énormément,  fermait  lui-même  l'orifice  tra- 
chéal; l’estomac  sortait  parla  bouche,  le  poumon  se  crevait, 
et  le  corps  était  transformé  en  une  sorte  de  ballon  fortement 
gonflé.  Tout  cela  est  chose  simple,  et  se  pouvait  deviner. 

Mais  revenons  aux  animaux  aériens.  Quand  on  les  décom- 
prime très-rapidement,  ils  périssent  aussi  presque  soudaine- 
ment. Peut-on,  dans  cette  mort,  attribuer  une  part  impor- 
tante à la  brusquerie  de  la  décompression?  Cela  revient 
presque  à la  question  que  nous  avons  déjà  posée.  L’influence 
d’ordre  purement  mécanique  ou  physique  de  la  décompres- 


CHANGEMENTS  BRUSQUES  DE  PRESSION. 


935 


sion  est-elle  appréciable?  Les  expériences  rapportées  dans 
les  chapitres  précédents  montrent  qu’elle  est  bien  faible, 
en  tout  cas,  puisqu’un  animal  peut,  par  exemple  (expé- 
rience GCLI),  être  très-rapidement  amené  sans  encombre  à la 
pression  de  7 cent.,  à la  condition  que  l’air  soit  très-chargé 
d’oxygène. 

Examinons  cependant  les  résultats  de  quelques  expérien- 
ces faites  spécialement  en  vue  de  la  décompression  brusque  : 

Expérience  CCCCXCVIII.  — 2 mars.  Chien  pesant  2UI,300,  mis  dans  cloche 
de  31  litres.  Cette  cloche  (fîg.  27,  C)  est  en  rapport,  par  un  tube  de 
caoutchouc  à parois  épaisses,  avec  un  vaste  récipient  de  tôle  (B)  où  la  pres- 
sion a été  amenée  à 10e. 

On  ouvre  un  robinet  de  communication,  et  la  pression  tombe  immédia- 
tement, dans  la  cloche,  à 12e.  Aussitôt,  agitation  comme  convulsive,  cris, 
hémorrhagie  nasale  avec  écume;  mort  en  3 ou  4 minutes.  Les  poumons 
présentent  des  ecchymoses  qui  ne  disparaissent  pas  complètement  par  l’in- 
sufflation. Bronches  et  trachée  pleines  d’écume  sanguinolente.  Sang 
noir  dans  les  cavités  gauches  du  cœur,  très-noir  à droite,  sans  gaz  libres. 

Expérience  CCCGXCIX.  — 7 mars.  Chat  de  grande  taille.  Même  procédé 
expérimental. 

La  pression  est  amenée  d’un  coup  à 16e;  l’animal  se  dresse  presque 
aussitôt,  s’agite  avec  violence,  bâille.  Au  bout  de  2m,  tombe  sur  le  flanc, 
sa  langue  noircit  ; à 5m,  sa  pupille  se  dilate,  des  frissons  surviennent 
dans  les  muscles  peaussiers.  Mort  après  6m. 

Retiré  aussitôt,  l’animal,  très-gonflé,  s’affaisse  quand  la  pression  nor- 
male se  rétablit;  pas  de  gaz  dans  le  sang;  sang  noir  dans  le  cœur  gauche, 
encore  plus  dans  le  cœur  droit;  veines  pulmonaires  rouges;  ecchymoses 
pulmonaires. 

Expérience  D.  — 15  mars.  Moineau  mis  instantanément,  par  un  dispo- 
sitif analogue,  à 12e  dépréssion. 

Agitation;  mort  très-rapide  sans  vraies  convulsions. 

Pas  de  gaz  libres  dans  le  sang. 

Expérience  DI.  — 18  juin.  Chat. amené  très-rapidement  à 12e  de  pres- 
sion. 

Meurt  après  une  phase  très- rapide  de  convulsions. 

Poumons  congestionnés,  se  déplissent  et  blanchissent  quand  on  les  in- 
suffle ; les  parties  les  plus  congestionnées  ne  s’enfoncent  pas  dans  l’eau. 

Pas  de  gaz  dans  le  sang,  examiné  avec  grand  soin. 

Expérience  DII.  — 16  décembre.  Deux  rats,  mis  dans  une  cloche  de 
2 litres,  sont  amenés  aussi  rapidement  que  possible  (2  ou  3 min.)  à la 
pression  de  4e, 5. 


936  EXPÉRIENCES. 

Tournent  sur  eux-mêmes,  bondissent,  meurent  sans  véritables  convul- 
sions. 

Retirés  aussitôt  et  ouverts  l’un  A à l’air,  l’autre  B sous  l’eau  : les  cœurs 
battent  encore. 

A.  Sang  examiné  à la  loupe  dans  les  vaisseaux,  puis  au  microscope  : 
pas  de  bulles  de  gaz.  Poumons  très-rouges  par  places,  les  morceaux 
rouges  vont  au  fond  de  l’eau;  ils  se  déplissent  par  insufflation. 

B.  On  ne  voit  pas  de  bulles  de  gaz  se  dégager  sous  l’eau. 

Expérience  DIII.  — 16  décembre.  Rat  tué  par  le  même  procédé,  à la 
même  pression;  mais  maintenu  pendant  10  minutes  à 4e, 5. 

Pas  de  gaz  dans  le  sang,  examen  minutieux. 

Poumons  adhérents  au  thorax,  mais  revenant  sur  eux-mêmes  quand 
on  l’ouvre  ; rosés  avec  fines  piquetures,  surnageant  partout. 

Le  foie  broyé  avec  du  noir  animal  donne  énormément  de  sucre. 

En  rapprochant  ces  quelques  faits  de  ceux  qui  ont  été  déjà 
rapportés,  et  dans  lesquels  la  dépression  avait  été  très-brus- 
quement obtenue,  on  voit  que  les  phénomènes  physiques  se 
réduisent  à bien  peu  de  chose,  même  alors  que  la  rapidité 
de  l’expérience  a dû  en  augmenter  l’importance.  Nous  avons 
déjà  parlé  de  la  dilatation  des  gaz  intestinaux;  quand  le  vide 
est  soudain,  ils  n’ont  pas  le  temps  de  s’échapper,  et  doivent 
contribuer  pour  une  part,  bien  petite  sans  doute,  aux  angois- 
ses de  l’animal. 

Les  ecchymoses  pulmonaires  ne  signifient  rien,  puisqu’on 
les  trouve  dans  l’asphyxie  simple,  à la  pression  normale. 

Les  hémorrhagies  pulmonaires  ne  sont  point  un  fait 
constant;  d’autre  part,  on  les  voit  survenir  dans  certains  cas 
lorsque  la  pression  a été  diminuée  lentement;  il  est  donc 
difficile  de  les  attribuer  à la  brusquerie  de  la  dépression.  Je 
considérerais  plutôt  comme  ayant  cette  cause  l’aspect  singu- 
lier que  m’ont  présenté  les  poumons  du  chien  (Exp.  CLXXX) 
dont  l’histoire  se  trouve  rapportée  page  651  : « Les  poumons, 
avons-nous  dit,  sont,  par  larges  places,  rouges,  allant  au  fond 
de  l’eau,  mais  se  déplissant  parfaitement  par  l’insufflation.  » 
Cette  espèce  d’état  fœtal  me  paraît  dû  à une  sorte  de  succion 
exercée  de  place  en  place,  par  la  pression  de  7 centimètres 
sous  laquelle  était  mort  l’animal. 

On  a vu,  dans  la  partie  historique  de  cet  ouvrage,  que  les 


CHANGEMENTS  BRUSQUES  DE  PRESSION.  937 

anciens  auteurs  attachaient  beaucoup  d’importance  à ce 
phénomène  que  certains  d’entre  eux  considéraient  comme 
constant,  et  comme  s’étendant  au  poumon  tout  entier.  Nous 
avons  rapporté  sur  ce  point  les  observations  de  Musschen- 
broëck  (p.  208),  de  Guideus  (p.  212)  et  de  Yeratti  (p.  214). 

Je  n’ai  jamais  vu,  quant  à moi,  les  poumons  d’animaux 
morts  par  la  décompression  brusque,  rétractés  complètement 
et  plus  lourds  que  l’eau,  dans  leur  masse  entière.  Sans 
doute,  comme  le  pensaient  les  anciens,  sans  s’exprimer  bien 
clairement,  lorsque  la  pesanteur  de  l’air  sera  réduite  à une 
valeur  inférieure  à la  force  de  l’élasticité  pulmonaire,  le 
poumon  devra  revenir  sur  lui-même,  et  un  vide  relatif  se  faire 
dans  les  plèvres.  Mais,  d’abord,  ceci  ne  peut  se  faire  qu’à  des 
pressions  inférieures  à celles  sous  lesquelles  meurent  les  ani- 
maux, puisque  l’élasticité  pulmonaire  d’un  chien,  même  dans 
l’état  d’inspiration  maximum,  même  ajoutée  à la  pression  né- 
gative, ne  dépasse  pas  5 ou  6 centimètres  de  mercure  ; cette 
valeur  est  encore  moindre  pour  les  animaux  plus  petits.  En- 
fin, en  supposant  cet  espace  vide  dans  les  plèvres,  il  est  évi- 
dent que,  lorsqu’on  rétablira  la  pression  normale,  le  poumon 
devra  être  refoulé  dans  sa  position  primitive,  sans  quoi  les 
côtes  devraient  se  briser  sous  l’effort  de  la  pression  atmosphé- 
rique, comme  je  l’ai  autrefois  montré  expérimentalement; 
il  en  résulte  que  ce  phénomène  se  fût-il  produit,  on  n’en 
devra  pas  retrouver  de  traces  à l’autopsie.  Pour  que  la  ré- 
traction pulmonaire  puisse  persister,  il  faudra  ou  bien  que 
lors  du  rétablissement  brusque  de  la  pression  normale,  quel- 
que vésicule  se  soit  rompue,  laissant  ainsi  pénétrer  de  l’air 
dans  la  plèvre;  ou  bien  qu’après  un  long  séjour  dans  le  vide, 
du  gaz  ou  des  liquides  s’y  soient  exhalés,  et  c’est  probable- 
ment pour  cette  raison  que,  selon  Yeratti,  on  ne  trouve  les 
poumons  dans  cet  état  que  lorsque  les  animaux  sont  restés 
quelque  temps  sous  la  cloche  pneumatique. 

Quant  au  dégagement  de  gaz  dans  le  sang,  auquel  les  an- 
ciens auteurs,  depuis  Robert  Boyle  (voy.  p.  210),  ont  attribué 
un  rôle  si  important,  et  que  F.  Hoppe  (voy.  p.  259)  a consi- 
déré comme  la  cause  principale  de  la  mort,  je  dois  dire  que, 


938 


EXPÉRIENCES. 


pas  plus  quand  la  décompression  a été  brusque  que  dans  le 
cas  où  elle  a été  plus  ménagée,  je  n’ai  trouvé  de  gaz  libres 
dans  les  vaisseaux.  Et  cependant,  in  vitro  la  libération  des 
gaz  du  sang  commence  sous  une  faible  dépression.  En  effet  : 

Expérience  DIV.  — clo  juin.  On  remplit  deux  tubes  de  verre,  l’un  de 
sang,  défibriné  et  bien  reposé,  l’autre  d’eau.  Deux  heures  après,  aucune 
bulle  de  gaz  ne  s’en  étant  dégagée,  on  commence  à diminuer  la  pression, 
en  s’arrêtant  de  10  en  10e  pendant  5m. 

A 66e  de  pression,  on  ne  voit  aucune  bulle  de  gaz  se  dégager; 

A 5GC,  non  plus  ; 

A 46e,  des  bulles  apparaissent  sur  les  parois  des  tubes,  à la  fois  dans 
l’eau  et  dans  le  sang  ; 

A 56e,  le  dégagement  est  également  abondant  dans  les  deux  tubes. 

Un  dégagement  gazeux  doit  donc  avoir  lieu  dans  les  vais- 
seaux sanguins,  et  d’abord  dans  le  système  veineux,  où  la 
pression  est  moindre.  Mais  il  faut  faire  remarquer  que  l’oxy- 
gène, en  admettant  qu’il  sorte  du  sang,  doit  être  immédiate- 
ment absorbé  par  les  tissus  qui  en  sont  avides  ; que  l’acide 
carbonique  doit  avec  la  plus  grande  facilité  traverser  les 
membranes  pulmonaires,  et  que  tout  doit  se  borner  à l’azote, 
dont  la  proportion  (de  J à 2 pour  100  volumes  de  sang)  est  si 
faible.  Encore,  comme  le  dégagement  est  très-lent,  a-t-il  sans 
doute  le  temps  de  se  diffuser  par  la  voie  du  poumon.  Tant  il 
y a que,  soit  qu’on  tire  le  sang  sur  l’animal  vivant,  comme 
nous  avons  pu  le  faire  à 17  centimètres  de  pression  (Expér. 
CLXXÎX,  p.  641),  soit  qu’on  examine  le  sang  de  l’animal  tué 
par  dépression  brusque  ou  ménagée,  on  n’y  trouve  pas  de  gaz 
libres.  (Voy.  particulièrement  les  expériences  DI,  DU  et  DIII, 
où  la  recherche  des  gaz  a été  faite  avec  les  soins  les  plus  mi- 
nutieux.) 


CHANGEMENTS  BRUSQUES  DE  PRESSION. 


939 


SOUS-CHAPITRE  III 

INFLUENCE  DE  LA  DIMINUTION  BRUSQUE  DE  PRESSION  A PARTIR  DE  PLUSIEURS 

ATMOSPHÈRES. 

Le  sujet  de  nos  recherches  devient  ici  beaucoup  plus  inté- 
ressant. Il  se  rapproche,  en  effet,  des  phénomènes  que  nous 
avons  signalés  dans  la  partie  historique,  en  parlant  des  ou- 
vriers qui  travaillent  aux  piles  des  ponts,  et  des  plongeurs  à 
scaphandres. 

Je  commencerai,  suivant  mon  habitude,  par  le  récit  dé- 
taillé d’un  certain  nombre  d’expériences.  J’expose  d’abord 
celles  dans  lesquelles  la  décompression  a été  obtenue  en  un 
seul  temps  et  aussi  rapidement  que  possible. 

§ 1er.  — Décompression  en  un  seul  temps. 

A.  — Expériences  faites  sur  des  moineaux. 

Expérience  DV.  — 20  juillet.  Moineau  franc.  Récipient  à eau  de  Seltz. 
Amené  en  20m  à 8 atmosphères;  laissé  pendant  5m  sous  pression.  Ouvert 
d’emblée  grand  robinet  et  décomprimé  en  quelques  secondes. 

S’agite  au  moment  de  la  décompression,  puis  ne  paraît  pas  malade,  et 
survit. 

Expérience  DVI. — 3 août.  Moineau  franc.  Même  appareil.  Porté  à 8 at- 
mosphères, à midi  et  demi. 

A 2h,  malade  ; à 2h  5/4,  très-malade.  Pris  de  l’air  qui  contient  2,  1 
pour  100  de  CO2.  Tension  : 2,  1 x 8 = 16,8. 

Ouvert  soudain  le  grand  robinet;  l’oiseau  est  renversé  violemment  en  ar- 
rière ; enlevé  aussitôt  : sa  température  rectale  est  25°,  celle  de  l’air  extérieur 
étant  de  20°;  sang  des  veines  jugulaires  très-rouge,  on  n’y  voit  pas  de 
gaz.  Reste  sur  le  dos  et  meurt  en  10m.  A la  mort,  le  sang  des  veines  est 
noir,  on  voit  des  bulles  de  gaz  dans  les  jugulaires. 

Expérience  DVII.  — 1er  mai.  Moineau  franc.  Récipient  cylindrique  en 
verre. 

2h  5m,  mis  à 10  atmosphères  ; entouré  de  papiers  imbibés  d’une  solu- 
tion de  potasse,  en  telle  sorte  que  le  CO2  soit  absorbé  au  fur  et  à mesure 
de  sa  production. 

A 5h  40m,  l’oiseau  paraît  mort  ; la  pression  est  de  9 atmosphères  1/2  ; 


940 


EXPÉRIENCES. 


l’air  contient  14,1  d’oxygène,  et  sans  doute  très-peu  d’acide  carbonique. 
On  décomprime  rapidement.  Presque  immédiatement,  l’oiseau  qui  a levé 
la  tête  au  moment  où  l’on  ouvre  le  robinet,  devient  très-vif  ; suffusions 
sanguines  au  crâne.  Survit. 

Expérience  DVIIÏ.  — 10  mai.  Moineau  franc.  Appareil  cylindrique.  De 
4h  15m  à 4h  20m,  mis  à 16  atmosphères.  Présente  après  5 ou  6m  des 
trépidations  avec  grande  angoisse,  petites  convulsions,  etc.  caractéris- 
tiques de  l’empoisonnement  par  l’oxygène,  dont  la  tension  est  16x20,9 
z=554. 

A 4h  30in,  décomprimé  en  lm  ; ne  paraît  pas  souffrir  de  la  décompression  ; 
pas  de  gaz  dans  les  jugulaires,  où  le  sang  est  très-rouge.  Suffusions  san- 
guines crâniennes  énormes.  Température  rectale  55°. 

A 4h  35m,  grande  convulsion,  meurt.  S a température  rectale  est  34°. 

Le  sang  est  très-rouge  dans  le  cœur  gauche,  sans  gaz.  Dans  le  cœur 
droit  et  les  jugulaires,  il  est  noir  avec  gaz  en  bulles  très-fines;  ces  bulles 
existent  dans  le  système  porte. 

Expérience  DIX.  — 27  octobre.  Moineau  (récip.  cylind.). 

Amené  à 8 atmosphères. 

Décomprimé  en  5 secondes. 

Sorti  de  l’appareil,  ne  paraît  nullement  gêné. 

Expérience  DX.  — 27  octobre.  Moineau  (récip.  cylind.). 

Amené  à 10  atmosphères. 

Décomprimé  en  5 secondes. 

Pas  d’accident,  survit. 

Expérience  DXI.  — 27  octobre.  Moineau  (récip.  cylind.). 

Porté  à 12  atmosphères.  Pœste  pendant  ce  temps  immobile  au  fond  de 
l’appareil. 

Décomprimé  brusquement,  s’élance  au  sommet  du  cylindre,  puis 
retombe. 

Est  mort  avant  qu’on  l’ait  retiré  de  l’appareil. 

Air  en  quantité  dans  les  jugulaires  et  le  cœur  droit. 

Expérience  DXII.  — 27  octobre.  Moineau  (récip.  cylind.). 

Porté  à 14  atmosphères. 

Décomprimé  brusquement  ; meurt  en  quelques  minutes. 

Air  en  quantité  dans  les  jugulaires  et  le  cœur  droit. 

Expérience  DXIII.» — 27  octobre.  Moineau  (récip.  cylind.). 

Porté  à 14  atmosphères. 

Décomprimé  brusquement,  sans  accidents. 

Est  trouvé  mort  le  lendemain. 

Expérience  DXIV.  — 27  octobre.  Moineau  ; appareil  cylindrique. 

Porté  à 15  atmosphères,  et  décomprimé  brusquement  aussitôt. 


941 


CHANGEMENTS  BRUSQUES  DE  PRESSION. 

Sorti  de  l’appareil,  ne  peut  marcher,  bat  des  ailes,  a des  convulsions, 
et  meurt  bientôt. 

Air  en  quantité  dans  les  veines  jugulaires  et  le  cœur  droit. 

Expérience  DXV.  — 29  juin.  Deux  moineaux  sont  portés  en  une  heure 
à 7 atmosphères  de  pression,  sous  courant  d’air  entretenu  par  le  gros 
cylindre  en  tôle. 

A ce  moment,  le  caoutchouc  de  communication  crève  ; la  dépression 
est  instantanée. 

Les  deux  oiseaux  meurent  en  un  quart  d’heure. 

Il  faut  ajouter  à ces  expériences  faites  sur  les  moineaux 
les  résultats  d’un  grand  nombre  d’autres  déjà  rapportées, 
dans  un  autre  but,  au  sous-chapitre  du  chapitre  Ier.  Nous  y 
reviendrons  plus  bas. 

Je  laisse  momentanément  de  côté  les  réflexions  que  méri- 
tent ces  expériences  pour  arriver  à celles  qui  ont  été  faites 
sur  les  mammifères. 

D’abord  les  rats,  pour  lesquels  on  a employé  généralement 
les  petits  appareils  en  verre. 

B.  — Expériences  faites  sur  des  rats . 

Expérience  DXVI.  — 9 août  1871.  Rat.  Récipient  à eau  de  Seltz. 

91'  25m,  mis  à 7 atmosphères. 

10h  10U1,  pression  tombée  à 6 1/2  ; l’animal  est  enroulé  en  boule,  hérissé; 
75  respirations. 

J’ouvre  brusquement  le  grand  robinet;  l’animal  se  réveille  aussitôt,  et 
ne  paraît  pas  souffrir. 

Expérience  DXVII.  — 10  août.  Même  animal,  même  appareil. 

4h10n\  mis  à 6 atmosphères. 

5h  25m,  respirations  difficiles,  dicrotes  ; l’animal  est  couché  en  rond 
dans  le  fond  du  vase. 

Pris  air,  qui  contient  5,2  p.  100  de  CO2.  Tension:  5,2x6  — 51,2. 

La  pression  tombe  de  ce  fait  à 5 1/2.  J’ouvre  brusquement  le  grand 
robinet.  L’animal  se  remet  presque  de  suite  sur  ses  pattes,  et  va  tout  à 
fait  bien. 

Expérience  DXY111.  — 12  août.  Même  animal,  même  appareil. 

Mis  à 4h  15m  à 6 atmosphères  1/2. 

L’appareil  perd;  à 6\  la  pression  est  de  4 atmosphères  1/2;  l’animal 
est  fort  malade.  Je  prends  de  l’air,  qui  contient  6,1  p.  100  de  CO2. 
Tension  : 6,1  X 4,5  = 27,4. 


942  EXPÉRIENCES. 

J’ouvre  en  plein  le  robinet  ; le  rat  ne  se  remet  pas  de  suite,  mais  il  va 
bien  le  lendemain. 

Toutes  les  expériences  dont  le  récit  va  suivre  ont  été  faites 
dans  le  grand  cylindre  en  tôle  d’acier  représenté  figure  55 
(p.  655).  Le  gros  robinet  qu’on  ouvre  brusquement  est  celui 
désigné  par  c : 

Expérience  DXIX.  — 24  mai.  Deux  rats  dans  le  grand  appareil  cylindri- 
que (expérience  faite  devant  la  Commission  de  l’Institut). 

On  les  porte  à 8 atmosphères  \ j 2 ; la  décompression  est  faite  en  2m. 
Les  rats  courent  au  sortir  de  l’appareil;  quelques  minutes  après,  ils  se 
paralysent  et  meurent.  On  trouve  du  gaz  dans  tout  le  système  veineux. 

G.  — Expériences  faites  sur  des  lapins . 

Expérience  DXX.  — 22  juin.  Lapin. 

Porté  à 8 atmosphères.  Décomprimé  en  5lu. 

Oreilles  d’un  rouge  vif;  aucun  accident  ni  immédiat  ni  consécutif. 

Expérience  DXXI.  — 7 novembre.  Deux  lapins. 

Portés  à 7 atmosphères.  Décomprimés  en  2111  1/2. 

Aucun  accident. 

Expérience  DXXIL  — 10  novembre.  Mêmes  animaux. 

Portés  à 8 atmosphères  1/8  ; décomprimés  en  2ml/4. 

Aucun  accident  ni  immédiat  ni  consécutif. 

Expérience  DXXII1.  — 15  novembre.  Lapin. 

Porté  à 6 atmosphères  1/2. 

Décomprimé  en  4in  1/2. 

Aucun  effet. 

I).  — Expériences  faites  sur  les  chats . 

Expérience  DXXIV.  — 25  mai.  Chat  male,  extraordinairement  vigoureux 
et  sauvage. 

Porté  à 10  atmosphères.  Décompression  brusque. 

Saute,  bien  portant  en  apparence,  hors  de  l’appareil  et  va  se  cacher 
sous  un  meuble. 

Une  demi-heure  après,  on  l’y  retrouve  paraplégique.  Les  membres 
postérieurs  sont  raides,  avec  les  ongles  sortis  ; ils  sont  sensibles,  ainsi 
que  la  queue,  mais  n’obéissent  plus  à la  volonté. 

On  fait  rendre  à l’animal  des  urines  sanglantes  qui  contiennent  des 
spermatozoïdes. 

Le  sphincter  anal  est  contracté. 


CHANGEMENTS  BRUSQUES  DE  PRESSION. 


943 


24  mai.  Même  état  ; seulement  la  queue  et  le  train  postérieur  sont  tout  à 
fait  insensibles,  et  en  relâchement.  On  obtient,  en  pinçant  une  patte,  des 
actes  réflexes  très-nets,  mais  qui  ne  passent  pas  d’un  membre  à l’autre. 

La  vessie  est  énormément  distendue  par  une  urine  très-chargée  de 
sang.  Les  sphincters  anal  et  vésical  sont  fortement  serrés. 

L’animal  miaule  faiblement;  il  est  très-faible,  se  traîne  difficilement 
avec  les  pattes  antérieures  ; temp.  rectale  33°. 

Tué  par  section  du  bulbe. 

Muqueuse  vésicale,  avec  hémorrhagies  en  piqueté  ; pas  de  sang  dans 
les  uretères,  ni  les  bassinets. 

Rien  de  notable  aux  poumons,  au  cœur,  au  cerveau. 

Pas  d’hémorrhagie  ni  de  congestion  médullaire  ; mais  au  niveau  des 
deux  dernières  vertèbres  thoraciques,  des  deux  premières  lombaires, 
existe  un  ramollissement  médullaire  tellement  avancé  que  sur  certains 
points  (dernière  thoracique),  la  moelle  s’écoule  comme  de  la  crème.  On  y 
retrouve  au  microscope  les  éléments  nerveux  intacts,  sans  trace  d’épan- 
chement sanguin. 

Expérience  DXXV.  — 17  juin.  Chat. 

De  12h  20m  à lh30n\  porté  à 10  atmosphères.  A lh  391U,  décomprimé 
subitement  en  3m. 

Sorti  de  l’appareil,  court  en  tous  sens  comme  effaré. 

A lb  48m,  commence  à se  paralyser  du  train  postérieur;  à lh  50m,  est 
sur  le  flanc,  sans  pouvoir  se  relever. 

Pupilles  contractées, la  gauche  plus  que  la  droite;  temp.  rectale 39°, 5; 
140  pulsations  régulières  ; 36  respirations  difficiles  et  irrégulières. 

Motricité  et  sensibilité  complètement  abolies  dans  les  membres  posté- 
rieurs et  la  queue. 

2h.  Plus  de  respirations;  mouvements  du  cœur  toujours  régu- 
liers. 

Autopsie  immédiate.  — Oreillettes  se  contractent  encore  ; en  piquant 
celle  de  droite,  il  en  sort  du  sang  battu  d’air  et  mousseux  ; celle  de  gau- 
che, au  contraire,  ne  contient  pas  d’air. 

En  mettant  à découvert  la  moelle,  on  voit  dans  les  veines  des  ménin- 
ges une  grande  quantité  de  petites  bulles  d’air;  il  en  sort  également  des 
vaisseaux  de  la  moelle  divisée  en  travers.  Pas  de  trace  d’hémorrhagies  ni 
de  congestions  médullaires. 

Expérience  DXXVl.  — 22  juin.  Chat  de  l’expérience  DLXYI1  (placé  avec 
lapin  de  DXX). 

3h  20m,  commencé  la  compression.  A 4Ü,  5 atmosphères  1/2  ; la  machine 
motrice  s’arrête.  Remise  en  marche  à 4h  20m;  à 4 h 45m,  8 atmosphères. 
Courant  d’air  entretenu  sous  pression. 

A 4h  50m,  décompression  en  3 minutes. 

Le  chat  saute  hors  de  l’appareil  et  s’enfuit. 

A 5h,  il  est  pris  d’un  accès  convulsif,  avec  une  agitation  violente  qui 
dure  environ  5 minutes.  On  voit,  pendant  ces  mouvements  désordonnés 


944 


EXPERIENCES. 


et  indescriptibles,  le  train  postérieur  se  raidir  progressivement  et  devenir 
immobile,  tandis  que  le  train  antérieur  et  la  tête  sont  en  proie  aux  plus 
étranges  contorsions.  A maintes  reprises  l’animal,  qui  se  roule  sur  lui- 
même,  se  retourne  et  mord  avec  une  sorte  de  fureur  ses  pattes  posté- 
rieures et  ses  cuisses. 

Après  5 minutes,  calme  relatif  ; pupille  gauche  dilatée  outre  mesure  ; 
paraplégie  à peu  près  complète.  Défécation  par  contraction  intestinale,  le 
sphincter  anal  n’étant  point  paralysé.  Urination  ; pas  de  sang  ni  de 
sperme. 

5h30m.  Je  présente  l’animal  à la  Société  de  biologie;  la  paraplégie  est 
complète  pour  le  mouvement  et  la  sensibilité.  Les  pupilles  sont  à l’état 
normal. 

5h45m.  Mieux  manifeste;  la  jambe  gauche  est  sensible,  et  l’animal  la 
remue  un  peu,  et  lorsqu’on  le  soutient,  s’appuie  même  un  peu  dessus  ; 
rien  à la  jambe  droite. 

6h  15m.  Celle-ci  revient  un  peu  à son  tour;  la  queue  commence  à être 
sensible. 

23  juin.  La  paraplégie  est  redevenue  complète,  et  a même  envahi  un 
peu  la  région  dorsale  inférieure. 

Les  jours  suivants,  paralysie  plus  complète  encore  et  un  peu  ascen- 
dante. Meurt  le  26,  la  vessie  distendue;  on  n’a  pu  le  faire  uriner;  il  a 
mangé. 

Autopsie.  — Toute  la  moelle  épinière  est  un  peu  ramollie  ; elle  est  dif- 
fluente  au-dessous  du  renflement  cervical.  Sur  ce  point  précis,  elle  est  un 
peu  jaunâtre,  et  contient  un  peu  de  sang  altéré  et  quelques  corps  granu- 
leux en  voie  de  formation  ; les  veines  des  méninges  contiennent  un  mé- 
lange d’air  et  de  sang  ; il  sort  de  l’air  des  vaisseaux  de  la  moelle. 

Sucre  dans  le  foie,  un  peu  dans  l’urine,  qui  contient  aussi  un  peu  de 
sang. 


E.  - — Expériences  faites  sur  des  chiens . 

Expérience  DXXV1I.  — 17  mai.  Chien  pesant  4 kilog. 

Pression  portée  à 4 atmosphères. 

Après  1/4  d’heure  environ,  ouvert  brusquementle  gros  robinet;  décom- 
pression en  moins  de  2m.  L’animal  va  bien. 

Expérience  DXXV1II.  — 18  juin.  Chien  de  petite  taille.  Poussé  en  lh  à 
10  atmosphères  ; y reste  environ  lh  ; décomprimé  en  3m. 

L’animal  ne  peut  sortir  de  l’appareil  ; il  n’y  a plus  d’autres  mouve- 
ments que  des  mouvements  respiratoires;  cris  de  douleur  incessants. 

Placé  sur  la  table  à autopsie,  on  voit  du  gaz  dans  la  jugulaire  mise  à nu. 

On  y introduit  une  sonde  qui  va  dans  le  cœur  droit,  et  on  en  extrait 
.33cc,9  de  gaz  contenant  pour  100  20,8  de  C2  et  79,2  d’azote,  avec  quel- 
ques traces  d’oxygène. 

Le  cœur  droit  et  les  veines  sont  pleins  de  gaz  battu  avec  du  sang  ; 


945 


CHANGEMENTS  BRUSQUES  DE  PRESSION. 

il  en  est  de  même  dans  les  veines  de  la  pie-mère  et  des  plexus  choroïdes. 
Estomac  très-distendu  par  les  gaz. 

Expérience  DXXIX.  — 9 juillet.  Chien  pesant  12  kilog. 

lh  45m  : porté  à 5 atmosphères;  laissé  50m  sous  courant  d’air. 

Décomprimé  en  2m. 

Aucun  accident  immédiat  ni  consécutif. 

Expérience  DXXX.  — 13  juillet.  Chien  ayant  perdu  beaucoup  de  sang. 

Poussé  à 6 atmosphères  et  décomprimé  en  2m- 

L’animal  traîne  les  pattes  postérieures  et  marche  sur  ses  ongles  ; après 
une  heure,  marche  mieux,  mais  se  recouche  aussitôt  qu’on  cesse  de  l’ex- 
citer. 

Va  bien  le  lendemain. 

Expérience  DXXXI.  — 17  juillet.  Chien  de  l’expérience  DXXIX  et  de  l’ex- 
périence DLXXI  (décompression  lente). 

De  lh  56m  à 2h,  porté  à 6 atmosphères  ; laissé  30m. 

Décomprimé  en  2m  ; sort  bien  portant,  se  secoue  et  marche  très-bien. 
Accun  accident. 

Expérience  DXXXII.  — 22  juillet.  Chien. 

Poussé  de  5h  50m  à 6h  10m  à 6 atmosphères  1/2.  Je  tire  alors  du  sang 
duquel  il  ne  se  dégage  pas  de  gaz  libres  dans  la  seringue.  Ce  sang  con- 
tient cependant  7,7  pour  100  d’azote. 

A 6h  40“,  arrivé  à 8 atmosphères  1/2  ; décomprimé  en  3m.  A 6h50m,  je 
tire  du  sang  à la  carotide;  ce  sang  contient  2 pour  100  d’azote. 

L’animal  est  resté  attaché  sur  la  table  à expériences;  en  recousant  la 
plaie  du  cou,  je  vois  des  bulles  d’air  dans  la  jugulaire  ; il  commence  alors 
à faire  de  grandes  inspirations,  qui  se  terminent  par  la  mort  à 7h  15m. 

On  ne  trouve  pas  de  gaz  dans  le  sang  du  cœur  droit  ni  du  cœur  gauche; 
mais  il  y a des  bulles  nombreuses  dans  toutes  les  petites  veines  du  sys- 
tème général  et  du  système  porte. 

L’estomac  est  énormément  distendu  ; on  en  tire  550cc  de  gaz  ; l’intes- 
tin contient  beaucoup  de  mousse  gazeuse  et  est  gonflé. 

Expérience  DXXX11I.  — 24  juillet.  Chien  de  l’expérience  DXXXI. 

De5h  30in  à 5h  55,  porté  à 6 atmosphères  ; laissé  2h  sous  courant  d’air. 

Décomprimé  en  2m,  aucun  accident. 

Expérience  DXXXIV.  — 25  juillet.  Chien  de  l’expérience  précédente. 

De  2h  à 2h  45m,  poussé  à 7 atmosphères. 

Décomprimé  aussitôt  en  21U  : saute  seul  du  haut  de  l’appareil. 

5ia  après,  tombe  sur  le  côté,  le  train  postérieur  paralysé  ; sensibilité 
très-obtuse.  Les  pattes  antérieures  sont  en  extension  forcée  et  tressautent 
à chaque  respiration. 

27  juillet.  Paraplégie  complète  du  mouvement  ; muscles  relâchés  ; queue 
et  pattes  insensibles,  mais  avec  mouvements  réflexes  de  la  queue.  Le 


60 


946 


EXPÉRIENCES. 


sphincter  anal  est  relâché,  mais  l’introduction  d’un  thermomètre  y provo- 
que de  violents  mouvements  réflexes  ; tempér.  59°, 5.  Vessie  paralysée; 
en  pressant  sur  le  ventre,  l’urine  sort  par  jets  saccadés  ; régulièrement, 
elie  sort  par  regorgement  : pas  de  sucre. 

1er  août.  L’animal  estresté  couché  sur  le  côté  droit;  la  paralysie  a fait 
des  progrès  ascendants  ; les  côtes  sont  immobiles,  et  la  respiration  est  pu- 
rement diaphragmatique  : on  voit  alors  nettement  l’élévation  des  côtes  in- 
férieures par  le  diaphragme. 

En  pinçant  la  patte  postérieure  droite,  elle  se  retire,  de  même  pour  la 
queue  : rien  à la  patte  postérieure  gauche.  Le  sciatique  gauche,  mis  à dé- 
couvert et  pincé  vigoureusement,  donne  quelques  petits  mouvements  dans 
les  muscles  fléchisseurs  de  la  jambe,  mais  l’animal  ne  sent  rien.  Le  scia- 
tique droit  donne  des  mouvements  marqués,  et  l’animal  manifeste  de  la 
douleur  quand  on  le  pince.  Les  muscles  interrogés  par  l’électricité  exi- 
gent pour  se  contracter  un  courant  un  peu  plus  fort  à gauche  qu’à  droite, 
ce  qui  est  sans  doute  dû  à l’action  différente  des  nerfs. 

Les  orteils,  pris  dans  les  mains,  sont  plus  chauds  que  les  doigts  des 
membres  antérieurs;  ceux-ci  sont  sensibles  et  se  retirent  quand  on  les 
pince. 

Le  sphincter  anal  se  contracte  comme  convulsivement  quand  on  y touche  ; 
la  température  rectale  est  58°. 

L’urine  sort  quand  on  excite  le  nerf  sciatique  droit  : pas  de  sucre. 

Je  tue  l’animal,  qui  est  fort  malade,  par  ouverture  du  thorax. 

Le  nerf  sciatique  gauche  est  rougeâtre,  ses  vaisseaux  sont  injectés  ; 
dans  la  plupart  de  ses  tubes,  la  myéline  est  un  peu  louche  et  commence  à 
se  fragmenter.  Le  nerf  sciatique  droit  est  intact. 

La  moelle  épinière  est  ramollie  à la  région  du  renflement  lombaire.  Des 
coupes  transversales  montrent  les  altérations  suivantes.  Au-dessous  du 
renflement,  piqueté  rouge  dans  la  substance  grise  ; à la  partie  supérieure 
du  renflement,  là  où  la  coupe  est  possible,  on  trouve  injection  complète 
de  la  corne  grise  postérieure  gauche  et  injection  par  places  de  celle  du  côté 
droit  ; les  cordons  antéro-latéral  et  postérieur  de  gauche  sont  d’un  gris 
jaunâtre  très-marqué  : tout  cela  est  très-ramolli. 

Au  bas  de  la  régiondorsale,  aspect  uniformément  rouge  de  toute  la  sub- 
stance grise,  qui  est  moins  molle,  avec  coloration  s’irradiant  dans  la  sub- 
stance blanche  postérieure,  surtout  à gauche;  ramollissement  gris  jau- 
nâtre du  cordon  antéro-latéral  gauche  et  du  cordon  postérieur. 

L’altération  va  en  diminuant  lorsqu’on  remonte,  et  cesse  à peu  près  au- 
dessus  du  renflement  brachial;  la  moelle  y est  ferme,  mais  encore  un  peu 
injectée. 

Expérience  DXXXV.  — 5 août.  Chien. 

A 8 atmosphères,  le  petit  appareil,  qui  soutient  la  canule  à tirer  le  sang 
(fig.  54,  E),  est  projeté  violemment  : la  pression  tombe  en  5 ou  4m. 

Le  chien  sort,  court  quelques  pas,  puis  tombe  et  meurt  rapidement.  Gaz 
en  abondance  dans  le  cœur  droit,  mais  non  dans  le  cœur  gauche. 


CHANGEMENTS  BRUSQUES  DE  PRESSION. 


947 


Expérience  DXXXYI.  — 5 août.  Chienne  pleine  poussée  à 9 atmosphères 
un  quart,  saignée  de  375cc  de  sang  (voir  expér.  CLXXXIV,  p.  658  1 ; dé- 
comprimée rapidement  : fait  quelques  inspirations  et  meurt. 

Les  deux  cœurs  sont  pleins  de  gaz  presque  complètement  libres  : l’es- 
tomac contient  peu  de  gaz. 

Le  cœur  des  fœtus,  leurs  veines  contiennent  à la  fois  du  gaz  et  un  sang 
très-noir.  Dans  le  liquide  allantoïdien  surnagent  d’abondantes  bulles  ; 
le  placenta  est  tout  déchiré  par  les  gaz  ; pas  de  gaz  dans  l’amnios. 

Expérience  DXXXVII.  — 16  octobre.  Chien  qui  a déjà  servi  aux  expé- 
riences DLXXY1I  et  DLXXY11Ï  (10  atm.,  décompression  lente.  Voir  p.  959). 

De  lh  lûm  à \h  45m,  porté  à 7 atmosphères,  décomprimé  à lh  55m  en 

2m  1/2. 

Sorti  de  l’appareil,  est  vif  et  ne  paraît  éprouver  aucun  symptôme  fâ- 
cheux . 

3nil/2  après  la  décompression,  soulève  la  patte  antérieure  droite, 
et  paraît  souffrir.  Après  5m,  est  agité,  titube  du  train  postérieur,  a une 
érection  presque  subite.  Après  7m,  raideur  tétanique  énorme  du  train  pos- 
térieur, qu’on  peut  à grand’peine  fléchir.  La  queue  remue,  et  il  n’y  a rien 
aux  membres  antérieurs. 

On  recomprime  l’animal  à 7 atmosphères  pour  le  décomprimer  très- 
lentement.  (Voir  expér.  DLXXXV1II,  p.  976.)  Meurt  le  lendemain. 

Expérience  DXXXVIII.  — 18  octobre.  Chien. 

Comprimé  à 7 atmosphères  de  2h  25m  à 3h  10m,  et  laissé  7m. 

Décomprimé  aussi  rapidement  que  possible,  en  2m,  de  5h  17m  à 
3h  19m. 

Retiré  de  l’appareil,  va,  vient,  caresse;  mais  à 3h  21 m est  pris  de  para- 
lysie du  train  postérieur;  il  reste  bientôt  couché,  et  ses  souffrances  se 
manifestent  par  des  cris. 

Poussé  à une  pression  nouvelle  de  7 atmosphères,  et  alors  à une  dé- 
pression extrêmement  lente.  (Voir  expér.  DLXXXVII.)  Meurt  le  soir. 

Expérience  DXXXIX.  — 20  octobre.  Chien. 

Soumis  à 3 atmosphères  et  demie.  On  reçoit  du  sang  artériel  sous  le 
mercure,  dans  une  éprouvette.  Il  s’en  dégage  évidemment  de  très-fines  bul- 
lettes  de  gaz,  qui  se  réunissent  à la  partie  supérieure  du  tube. 

Décomprimé  en  lm,  ne  présente  aucun  accident;  les  bruits  du  cœur 
sont  normaux. 

Expérience  DXL.  — 23  octobre.  Même  animal,  poussé  à 4 atmosphères 
1/2,  et  laissé  10m.  Décomprimé  en  lml/4,  n’éprouve  aucun  accident  im- 
médiat ni  consécutif. 

Expérience  DXLI.  — 25  octobre.  Même  animal,  poussé  à 5 atmosphères  ; 
laissé  10m  et  décomprimé  en  1 111  3/4 . N’a  encore  aucun  accident. 

1 A 3 atmosphères,  le  sang  tiré  dégageait  du  gaz  dans  la  seringue. 


948 


EXPÉRIENCES. 


Expérience  DXLÎI.  — 51  octobre.  Chien. 

Poussé  à 7 atmosphères  1/4.  Décomprimé  en  lm  1/4.  Sorti  à 2b  7m,  sans 
accidents  immédiats. 

A 2b  15m,  est  trouvé  faible,  titubant,  a vomi  plusieurs  fois.  A2h35m,  on 
entend  au  cœur  d’énormes  gargouillements,  et  l’animal  meurt  subite- 
ment. 

Gaz  dans  le  cœur  droit  et  tout  le  système  veineux,  même  la  veine  porte. 
Rien  au  cœur  gauche. 

Expérience  DXLIII.  — 51  octobre.  Chien. 

Placé  à côté  du  précédent  ; n’a  aucun  accident  immédiat.  Mais  à 2h  15m 
est  trouvé  couché  sur  le  flanc,  sans  mouvements;  la  respiration  est  gênée, 
sifflante,  comme  si  l’animal  allait  bientôt  mourir.  Il  y a des  gargouille- 
ments au  cœur. 

On  lui  fait  respirer  de  l’oxygène  (voir  la  suite,  expér.  DLXXX1X).  Il 
meurt  dans  la  nuit. 

Expérience  DXL1V.  — 12  novembre.  Chien. 

Poussé  à 7 atmosphères  1/4.  Décomprimé  en  2 minutes. 

Meurt  en  25m  environ.  Gaz  libre  dans  toutes  les  petites  veines; 
cœur  droit  plein  de  mousse;  bulles  moins  nombreuses  dans  le  cœur 
gauche. 

Expérience  DXLV.  — 12  novembre.  Chien. 

Placé  à côté  du  précédent.  Est  pris  d’accidents  de  paralysie  et  meurt 
au  bout  de  lb  1/2  environ,  après  qu’on  lui  a fait  respirer  de  l’oxygène. 
(Voir  expér.  DXC.) 

Expérience  DXLVI.  — 15  novembre.  Chien. 

Poussé  à 6 atmosphères  1/2;  décomprimé  en  4m  1/2. 

Aucun  accident;  ,pas  de  gaz  dans  le  sang  de  la  veine  jugulaire,  que 
j ’examine  au  microscope  pour  plus  de  sûreté. 

Expérience  DXLVII.  — 25  novembre.  Chienne. 

Poussée  de  2h  25m  à 5h  à 7 atmosphères  1/2. 

Décomprimée  en  2m  1/2  à 5h  14m. 

A 5h23m,  se  paralyse  du  train  postérieur,  puis  tombe;  en  quelques  mi- 
nutes, la  respiration  s’arrête,  le  cœur  ne  battant  pas  plus  de  20  fois  à la 
minute;  on  y entend  de  très-gros  gargouillements;  œil  insensible,  pu- 
pilles dilatées. 

On  fait  respirer  de  l’oxygène,  mais  l’animal  meurt  à 5h  35111.  (Voir 
expér.  DXCI.) 

Expérience  DXLVI11.  -—27  novembre.  Chien  caniche  très-petit. 

Monté  à 7 atmosphères  de  5h  à 5h  55lu. 

Décomprimé  en  2m  1/4. 

Sorti  de  l’appareil,  paraît  gai  pendant  quelques  minutes,  puis,  à4h10ra, 


CHANGEMENTS  BRUSQUES  DE  PRESSION. 


949 


commence  à boiter,  se  paralyse  du  tram  postérieur,  et  soudain,  tombe 
sur  le  flanc.  Le  cœur  fait  entendre  de  très-forts  gargouillements. 

On  fait  respirer  de  l’oxygène,  mais  l’animal  meurt  à 4h  27m.  (Voir 
expér.  DXCII.) 

Expérience  DXL1X.  — 6 décembre.  Chien,  poil  ras,  très-vif. 

Mis  sous  pression  de  2h  3Um  à 4h  20m  et  porté  à 7 atmosphères  1/2. 

A 5h  20111,  décompression  en  2m. 

Sort  de  l’appareil.  Au  bout  de  10  à 15m,  se  paralyse  du  train 
postérieur,  et  paraît  fort  mal  en  point  avec  peut-être  quelques  gar- 
gouillements au  cœur(?).  Puis  se  remet  un  peu,  sans  pouvoir  cependant 
se  tenir  sur  ses  pattes  postérieures,  où  la  sensibilité  est  conservée. 

7 décembre.  Est  toujours  paraplégique  et  se  tient  à peine  sur  ses  pattes 
antérieures.  Mouvements  réflexes,  sensibilité  réflexe  aux  membres  posté- 
rieurs, qui  sont  plus  chauds  que  ceux  de  devant. 

11  décembre.  Eschare  à l’épaule  gauche,  sur  laquelle  il  est  couché  ; 
odeur  urineuse  ; hyperesthésie  des  pattes  antérieures  ; mourant. 

Expérience  DL.  — 6 décembre.  Chien  épagneul,  placé  à coté  de  l’ani- 
mal précédent. 

Est  resté  dans  l’appareil  d’où  on  le  tire  paraplégique,  avec  de  très- 
forts  gargouillements  au  cœur.  On  lui  fait  respirer  de  l’oxygène.  (Voir  la 
suite  de  son  histoire,  expér.  DXCI1I.) 

Expérience  DLL  — 22  décembre.  Chien. 

Porté  à 8 atmosphères  1/2.  Décomprimé  en  2m  1/2. 

Pœtiré  de  l’appareil,  est  flasque  déjà,  et  meurt  en  5 ou  6m. 

Air  en  grande  quantité  dans  le  cœur  droit  et  les  veines.  Quelques  bulles 
dans  le  cœur  gauche.  On  trouve  du  gaz  en  abondance  dans  tous  les  vais- 
seaux de  la  région  inférieure  de  la  moelle  épinière. 

Expérience  DLII.  — 16  janvier.  Chienne  pesant  Gk,5,  en  mauvais  état 
général.  • 

Portée  à 7 atmosphères  1/2,  puis  décomprimée  brusquement. 

Aucun  accident  immédiat  ni  consécutif. 

Expérience  DLIII.  — 23  janvier.  Même  animal. 

Portée  de  même  à 7 atmosphères  1/2  et  décomprimée  brusquement. 

Environ  10m  après,  se  mord  le  train  postérieur,  comme  si  elle 
y éprouvait  des  douleurs  vives;  elle  paraît  ensuite  avoir  quelques  trou- 
bles de  la  locomotion,  qui  disparaissent  rapidement. 

Expérience  DLIY.  — 25  janvier.  Même  animal. 

Portée  à 8 atmosphères,  et  décomprimée  brusquement. 

Aucun  effet  apparent. 

Expérience  DLY.  — 29  janvier.  Même  animal. 

Portée  à 8 atmosphères  1/2,  décomprimée  brusquement. 

Éprouve  un  peu  d’irrégularité  et  de  gêne  du  train  postérieur,  mais 


950 


EXPÉRIENCES. 


paraît  fort  gaie,  sans  aucune  anxiété  ; pas  de  gargouillements  au  cœur  ; 
on  ne  voit  pas  de  gaz  dans  la  jugulaire  qui  est  mise  à nu. 

Expérience  DLYI.  — il  février.  Même  animal. 

Comprimée  à 8 atmosphères  et  laissée  5ni  sous  pression,  puis  décom- 
primée en  om  juste. 

A la  cinquième  minute,  après  le  commencement  de  la  décompression, 
on  prend  du  sang  à la  carotide,  sans  y trouver  de  gaz. 

A la  dixième  minute,  on  tire  du  sang  du  cœur  droit  avec  une  sonde  : 
il  n’y  a pas  de  gaz  non  plus. 

Aucun  accident. 

Expérience  DLVII.  — 12  février.  Chien  maladif,  très-maigre,  pesant 
8 kilogrammes. 

De  4h  30nià  5h  3 2 111 , poussé  à 8 atmosphères;  décomprimé  en  3m. 

Mis  à terre,  ne  paraît  nullement  anxieux,  et  marche. 

A5h  42ni,  le  train  postérieur  devient  raide  et  immobile. 

A 5b  55m,  le  train  antérieur  se  prend  à son  tour;  grande  angoisse  respi- 
ratoire. 

Meurt  à 6h  5m.  Air  dans  les  veines. 

Expérience  DLVIII.  — 27  février.  Chien  caniche  pesant  7 kilogrammes. 

Mis  à 8h  du  matin  dans  l’appareil,  à 9h  1/2  est  à 10  atmosphères;  on  ar- 
rête la  pompe. 

A 10h,  la  pression  n’est  plus  que  de  9 3/4. 

A 10h  1/2,  je  regarde  ranimai  : il  est  bien  portant,  et  vient  placer  son 
nez  sur  le  hublot  de  verre  : la  pression  est  à 9 1/2. 

Je  rentre  dans  le  laboratoire,  et  immédiatement  une  explosion  violente 
se  fait  entendre.  Le  hublot  a éclaté  et  ses  fragments  ont  eu  assez  de  force 
pour  couper,  à un  mètre  de  distance,  une  conduite  d’eau  en  plomb  ; l’ap- 
pareil a été  soulevé,  arraché  de  ses  supports  par  le  recul,  et  culbuté. 

Je  retire  l’animal  avec  grand’peine,  car  il  est  devenu  cylindrique,  et 
passe  difficilement  par  la  porte.  Emphysème  général  sous-cutané,  intra 
et  sous-musculaire.  J’ouvre  le  ventre  : le  gaz  qui  le  distend  s’en  échappe 
en  sifflant. 

Le  cœur  droit  est  plein  de  gaz,  ainsi  que  toutes  les  veines,  l’artère  pul- 
monaire et  les  veines  pulmonaires.  Mais  il  n’y  en  a ni  dans  l’oreillette 
gauche  ni  dans  l’aorte.  On  trouve  du  gaz  dans  la  chambre  antérieure  de 
l’œil,  dans  le  liquide  céphalo-rachidien.  Les  fibres  nerveuses  de  la  moelle 
épinière  sont  dissociées  par  des  bulles  de  gaz  qui  ne  sont  pas  dans  les 
vaisseaux. 

11  n’y  a pas  d’hémorrhagie  dans  le  cerveau  ni  la  moelle;  les  poumons 
sont  peu  congestionnés: pas  de  sang  dans  la  trachée. 

J’extrais  50ccde  gaz  du  cœur  droit  (où  il  y en  a beaucoup  plus)  en  pre- 
nant toutes  les  précautions  pour  empêcher  l’accès  de  l’air.  Ce  gaz  con- 
tient pour  100  parties  : Ox  1,9  ; CO2  15,1  ; Az  83,0. 


CHANGEMENTS  BRUSQUES  DE  PRESSION. 


951 


Expérience  DLIX.  — 6 mai.  Chien  pesant  11  kilogrammes. 

Del11  à lh  58m,  comprimé  à 7 atmosphères  1/2. 

J’entretiens  le  courant  d’air  sous  pression  jusqu’à  7h,  où  je  fais  la  dé- 
compression en  3m. 

En  sortant  de  l’appareil,  l’animai  titube,  puis  s’arrête,  tombe  et 
meurt. 

Il  y a des  bulles  d'air  en  abondance  dans  le  cœur  droit  et  les  veines,  des 
bullettes  fines  dans  le  cœur  gauche. 

Pas  de  gaz  dans  le  tissu  cellulaire  sous-cutané,  excepté  dans  les 
creux  des  aisselles  ; on  en  trouve  aussi  en  bulles  fines  dans  le  tissu  de 
l’épiploon. 

Les  intestins  ne  paraissent  pas  plus  gonflés  que  dans  les  conditions  or- 
dinaires. 

Expérience  DLX.  — 3 juin.  Chienne  des  expériences  DLII  à DLY1.  Bien 
nourrie,  est  devenue  grasse  et  fort  bien  portante. 

De  3h  5m  à 4h  51U,  est  montée  à 8 atmosphères,  et  décomprimée  aussitôt 
en  lm  45. 

Sortie  de  l’appareil,  court  partout,  gaie  en  apparence,  et  remuant  la 
queue. 

Mais  après  3 ou  4in,  pousse  de  lamentables  cris  et  essaye  de  se  mordre 
le  train  postérieur,  qui  commence  à se  paralyser. 

L’auscultation  du  cœur  fait  entendre  de  notables  gargouillements  à 
droite,  mais  non  à gauche. 

Deux  ou  trois  minutes  plus  tard,  les  cris  cessent,  la  paralysie  est  com 
plète,  sensibilité  et  mouvement. 

Elle  va  croissant,  envahit  le  corps  tout  entier,  avec  des  raideurs  aux 
pattes,  au  cou.  La  respiration,  depuis  longtemps  diaphragmatique  seule- 
ment, devient  très-difficile  ; le  cœur  se  ralentit  et  l’animal  meurt  vers 
4h  1/2. 

Je  trouve  du  gaz  dans  le  système  veineux  général  et  la  veine  porte,  mais 
non  dans  les  artères. 

Il  y a de  l’emphysème  dans  le  tissu  sous-cutané  des  aisselles;  on  voit  de 
petites  bulles  innombrables  dans  le  tissu  graisseux  sous  les  muscles  du 
thorax,  et  dans  le  pannicule  sous-aponévrotique  tout  le  long  du  dos,  dans 
l’épiploon,  le  médiastin,  le  sillon  du  cœur,  le  tissu  graisseux  du  canal 
médullaire. 

index  d’air  dans  les  vaisseaux  de  la  pie-mère  médullaire  et  cérébrale  : 
rien  dans  la  toile  choroïdienne  ni  le  liquide  céphalo-rachidien. 

Pas  de  sang  épanché  au  cerveau  ; piqueté  un  peu  gros  à la  moelle  épi- 
nière. Poumons  sains,  sans  congestion  ni  emphysème;  congestion  de  la 
rate;  petites  apoplexies  du  grand  épiploon. 

Expérience  DLXI.  — 21  juillet.  Chien  pesant  6k, 5. 

De  2h  30IÜ  à 4h,  porté  à 8 atmosphères. 

A 4h10m,  décomprimé  en  lm  1/4. 


952  EXPÉRIENCES. 

Meurt  à 4h  22m,  avec  de  l’air  en  quantité  clans  tout  le  système  veineux; 
bulles  fines  au  cœur  gauche. 

Poumons  injectés,  œdématiés. 

Expérience  DLX1I.  — 24  mai.  Gros  chien  épagneul. 

(Expérience  faite  devant  la  Commission  de  l’Académie  des  sciences.) 

On  pousse  la  compression  à 8 atmosphères  1/2,  pour  décomprimer 
en  2m. 

Le  chien  paraît  gai  et  court  en  remuant  la  queue.  Après  quelques  mi- 
nutes, il  s’assied  et  devient  triste.  Quelques  minutes  ensuite,  il  fléchit  sur 
le  train  antérieur  et  tombe  à terre. 

On  entend  des  gargouillements  au  cœur  droit. 

L’animal  paraît  souffrir  beaucoup  et  mord  violemment  tout  ce  qu’on  lui 
présente.  Il  ne  tardepas  à mourir. 

Gaz  en  bulles  fines  dans  tout  le  système  veineux  ; rien  aux  artères. 

Expérience  DLXIII.  — 4 juin.  Jeune  chien  bien  portant,  pesant  4500 
grammes. 

On  met  à nu  la  veine  jugulaire,  sans  l’ouvrir  ; l’animal,  attaché  sur  la 
gouttière,  est  porté  dans  l’appareil  à compression,  où  on  l’amène  rapide- 
ment à 6 atmosphères,  pression  qu’on  entretient  sous  courant  d’air  pen- 
dant 5h  1/2.  Il  crie  beaucoup. 

Décompression  en  20s.  L’animal  est  retiré  du  cylindre  et  détaché.  Para- 
lysie complète  du  mouvement  et  de  la  sensibilité  aux  quatre  membres  ; 
pouls  rapide,  respiration  accélérée  ; pas  de  cris. 

Remis  aussitôt  sur  la  table  d’expériences,  on  recueille  par  le  bout  péri- 
phérique de  la  jugulaire  50cc  de  sang,  où  l’on  ne  voit  pas  de  gaz,  et 
qu’on  injecte  lentement  sous  l’eau  : aucune  bulle  de  gaz.  Une  sonde  est 
introduite  dans  l’oreillette  droite  ; on  retire  et  traite  de  même  50cc  de 
sang;  pas  de  bulles. 

Le  chien  est  pris  de  diarrhées  et  de  miction  involontaire. 

11  meurt  dans  la  nuit. 

L’autopsie  démontre  la  présence  de  grosses  bulles  de  gaz  dans  le  sys- 
tème veineux  (veine  cave,  veine  azygos,  veines  mésentériques).  On  en 
trouve  beaucoup  dans  certains  lobes  du  foie  et  dans  les  reins,  un  peu 
dans  la  moelle,  pas  trace  dans  le  cerveau,  les  méninges  ni  les  muscles. 

Expérience  DLXIV.  — 12  juin.  Jeune  chien  blanc  de  petite  taille,  très- 
bien  portant.  — Placé  dans  le  grand  cylindre;  amené  rapidement  à 5 at- 
mosphères et  1/2  de  pression.  Maintenu  sous  cette  pression  avec  courant 
d’air  pendant  4h. 

L’animal  paraît  fort  tranquille  pendant  tout  ce  temps. 

Décomprimé  en  20s. 

Sorti  de  l’appareil,  s’échappe  en  courant  et  l’on  a la  plus  grande  peine 
à le  reprendre.  La  jugulaire  et  la  veine  fémorale  droites  étant  mises  à nu, 
on  y voit  défiler  une  longue  série  de  bulles  de  gaz  qui  vont  en  grossissant. 

Après  quelques  minutes,  ou  tire  à l’aide  d’une  seringue,  du  bout  péri- 


CHANGEMENTS  BRUSQUES  DE  PRESSION. 


955 


phérique  de  la  jugulaire,  une  certaine  quantité  de  sang  que  l’on  injecte 
doucement  sous  de  l’eau  : on  voit  de  suite  de  nombreuses  bulles  se  dé- 
gager à la  surface. 

Le  chien,  gardé  en  observation  pendant  plusieurs  jours,  ne  présente 
aucun  accident  consécutif. 

Je  résume,  dans  le  tableau  suivant,  les  résultats  principaux 
fournis  par  les  expériences  qu'on  vient  de  lire.  Je  les  ai  clas- 
sées ici  en  suivant  l’ordre  croissant  des  pressions. 

J’ai  compris  dans  ce  tableau  les  résultats  des  expériences 
où  j’ai  tenté  de  sauver  les  animaux,  soit  en  les  comprimant  à 
nouveau,  soit  en  leur  faisant  respirer  de  l’oxygène.  (Voir 
sous-chapitre  IV,  p.  874  et  suivantes.) 


TABLEAU  XVllI. 


NUMÉROS 

DES 

EXPÉRIENCES 

DURÉE  DE 
LA 

COMPRESSION 

PRESSION 
EN  ATMOSPHÈRES 

DURÉE  DE  LA 
DÉCOMPRESSION 

ÉTAT  DE  L’ANIMAL 

i 

MOINEAUX. 

DXV 

compr.  lente 

7 

instantanée. 

Morts  en  un  quart  d’heure.  Deux  animaux. 

DV 

5 min. 

8 

qq.  secondes 

Pas  d’accidents. 

DIX 

2 min. 

8 

id. 

Id. 

DVI 

2 heures 

8 

id. 

Meurt  en  10  min.  Gaz  dans  le  sang. 

DVII 

1 h.  55  m. 

91/2 

id. 

Pas  d’accidents. 

DX 

qq.  minutes 

10 

id. 

Id. 

DXI 

Id. 

12 

id. 

Meurt  presque  instantanément.  Gaz  en  abondance. 

DXII 

Id. 

14 

id. 

Meurt  en  quelques  minutes.  Gaz  en  abondance. 

DXIII 

Id. 

14 

id. 

Pas  d’accid.  immédiats.  Trouvé  mort  le  lendemain. 

DXIV 

Id. 

15 

id. 

Meurt  rapidement.  Gaz  en  abondance. 

D VIII 

5 min. 

16 

id. 

Meurt  en  quelques  minutes.  Gaz;  avait  eu  un  com- 

mencement  de  convulsions  par  l’oxygène. 

RATS. 

DXVII 

1 h.  1/4 

51/2 

qq.  secondes 

Pas  d’accidents. 

DXVIII 

1 h.  3/4 

61/2 

— 

Id. 

DXVI 

3/4  d’heure 

61/2 

qq.  secondes 

Pas  d’accidents. 

DX1X 

81/2 

2 min. 

Deux  animaux.  Morts  en  qq.  min.  Gaz  dans  le  sang. 

LAPINS. 

DXXIII 

1 h.  3/4 

61/2 

4 min.  1/2 

Pas  d’accidents. 

DXXI 

qq.  minutes 

7 

2 à 5 min. 

Deux  animaux. 

DXX 

5 min. 

8 

id. 

Id. 

DXXII 

— 

81/8 

id. 

Deux  animaux. 

CHATS. 

DXXV1 

5 min. 

8 

2 à 5 min. 

Paraplégie,  meurt  en  4 jours;  ramoll.  médullaire. 

Exp.  faite  en  môme  temps  que  l’exp.  DXX. 

DXXV 

9 min. 

10 

id. 

Meurt  en  15  min.  Gaz  dans  le  sang. 

DXX1V 

— 

10 

id. 

Tué  le  lendemain.  Ramollissement  médullaire. 

CHIENS. 

DXXXIX 

— 

31/2 

1 à 2 min. 

Aucun  accident,  et  cependant  il  se  dégage  du  sang 

de  fines  bulles  de  gaz. 

DXXVII 

15  min. 

4 

2 à 5 min. 

Pas  d’accidents. 

DXL 

— 

41/2 

id. 

Id.  Même  animal  qu’à  l’exp.  DXXXIX. 

DXX  IX 

30  min. 

5 

id. 

Id. 

DXLl 

— 

5 

id. 

Id.  Même  animal  qu’à  l’exp.  DXL. 

DLX1V 

4 heures 

51/2 

20  sec. 

Gaz  dans  les  veines  ; pas  d’accidents. 

DXXXI 

30  min. 

6 

id. 

Id.  Id.  qu’à  l’exp.  DXXIX. 

DXXXIII 

2 heures 

6 

id. 

Id.  Id.  qu’à  l’exp.  DXXXI. 

DXXX 

qq.  minutes 

6 

id. 

Traîne  un  peu  le  train  postérieur;  se  remet  très-bien. 

DLXIII 

5 h.  50  m. 

6 

20  sec. 

Paralysie  immédiate  ; pas  degaz.  Meurt;  gaz  partout. 

DXL  VI 

qq.  minutes 

61/2 

4 min.  1/2 

Pas  d’accidents.  Pas  de  gaz  dans  le  sang  de  la  jugu- 

laire. 

DXXXIV 

Id. 

7 

2 min. 

Paraplégie,  ramollissement  médull.  Meurt  en  7 jours. 

Même  animal  qu’à  l’exp.  DXXXIII. 

DXXXVIII 

7 min. 

7 

2 min. 

Paraplégie  ; recomprimé  et  décomprimé  lentement. 

Meurt  le  soir. 

NUMÉROS 

DES 

EXPÉRIENCES 

DURÉE  DE 
LA 

COMPRESSION 

PRESSION 
EN  ATMOSPHÈRES 

DURÉE  DE  LA 
DÉCOMPRESSION 

ÉTAT  DE  L’ANIMAL 

DXXXVII 

10  min. 

7 

2 min.  1/2 

Paraplégie  ; recompr.  et  décompr.  lentement  ; meurt 
le  lendemain.  On  ne  trouve  pas  de  gaz  dans  le  sang. 
Petites  taches  hémorrhag.  dans  la  moelle  épinière. 

DXLV1I 

15  min. 

71/2 

2 min. 

Paralysé,  énormément  de  gaz  au  cœur;  va  mourir. 
On  fait  respirer  oxygène  ; la  respiration  revient  ; 
accident;  mort. 

| DXLVIII 

qq.  minutes 

7 

21/4 

Paralysé,  respire  oxygène;  meurt. 

Paralysé,  meurt  après  25  min.  Gaz  au  cœur. 

DXLIV 

Id. 

71/4 

11/4 

DXLIII 

Id. 

71/4 

1 1/4 

Paralysé,  respire  oxygène,  respirations  reviennent, 
gargouillements  disparaissent.  Reste  parai.,  meurt; 
pas  d’air  dans  les  vaisseaux. 

DXLIV 

Id. 

71/4 

2 

Meurt  en  25  min.  Gaz  cœur  droit  et  gauche. 

DXLV 

Id. 

71/4 

2 

Paralysé,  va  mourir  ; respire  oxyg.;  va  mieux,  gar- 
gouillements disparus  ; remue,  s’agite.  Meurt  après 
1 heure  1/2;  pas  de  gaz  dans  les  vaisseaux.  . t 

DXLIX 

Id. 

7 1/2 

2 

Un  peu  malade,  se  remet,  un  peu  paraplégique. 

DL 

Id. 

21/2 

2 

Paralysé;  gargouillements.  Oxygène.  Les  gaz  dispa- 
raissent, l’animal  survit,  paraplégique  ; mourant 
le  troisième  jour. 

LII 

Id. 

71/2 

2 

Pas  d’accidents. 

DXXXV 

Id. 

73/4 

3 

Resp.  oxyg.  La  paralysie  qui  commençait  rétrograde  ; 
mais  retombe  et  reste  paralysé  plusieurs  jours. 

Id. 

8 

3 ou  4 

Meurt  rapidement.  Gaz  dans  le  cœur  droit. 

DLVI1 

Id. 

8 

5 

Meurt  en  un  quart  d’heure.  Gaz  dans  les  veines.  i 

DLI 

Id. 

81/4 

3 

Resp.  oxyg.  Paraplégie,  pas  de  gaz  au  cœur;  va 
mieux;  meurt  dans  la  nuit. 

Id. 

81/2 

21/2 

Meurt  rapidement.  Air  partout. 

DLIII 

Id. 

71/2 

2 

• 

Animal  de  l’expér.  DLII.  — Quelques  légers  troubles 
locomoteurs  et  sensitifs. 

DL1V 

Id. 

8 

2 

Même  animaf.  — Rien. 

DLV1 

Id. 

8 

2 

Blême  animal.  Rien.  Pas  de  gaz  dans  le  sang. 

DLV 

Id. 

81/2 

2 

Même  animal.  — Quelques  légers  troubles  locomo- 
teurs. Pas  de  gaz  dans  le  sang. 

DXXXII 

Id. 

81/2 

3 

Blort  rapide  (25  min.).  Pas  de  gaz  au  cœur  ; gaz  dans 
toutes  les  petites  veines,  dans  la  veine  porte,  dans 
les  vaisseaux  du  bulbe  ; 550OC  de  gaz  dans  l’estomac. 

D XXX  VI 

Id. 

91/4 

3 

Sang  tiré  à 3 atm.  donnait  déjà  des  gaz  libres.  Mort 
après  quelques  resp.  Gaz  partout.  Elle  est  pleine; 
gaz  dans  le  sang  des  fœtus,  dans  l’allantoïcle;  pla- 
centa déchiré.  ! 

DXXVII1 

Id. 

10 

3 

Extract.  54  cent.  cub.  de  gaz  dans  cœur  droit  (CO2 
20,8;  — Az  79,2  ; — 0 traces).  — Gaz  dans  les  vais- 
seaux de  la  pie-mère. 

DLVII1 

1 heure 

91/2 

Explosion. 

Mort  instantanée.  Énorme  emphysème  sous-cutané, 
sous-musculaire.  — Gaz  dans  le  ventre,  dans  l’épi- 
ploon, dans  la  chambre  antérieure  de  l’œil,  dans 
le  liquide  céphalo-rachidien,  dans  la  moelle.  Pas 
d’hémorrhagie,  moelle,  cerveau,  poumons.  Pas  de 
gaz  dans  cœur  gauche.  Cœur  droit  tout  gazeux 
(GO2  15,2  ; — Az  82,8  ; — 0 2,0). 

DLIX 

5 heures 

71/2 

3 min. 

Blort  rapide;  emphysème  sous-cutané.  Gaz  dans  tout 
le  sang. 

DLX 

qq.  minutes 

8 

1 m.  45  s. 

Animal  des  expér.  DLII  à DLVI.  Meurt.  Gaz  dans  sys- 
tème veineux;  emphysème  sous-cutan. 

DLXII 

ld. 

81/2 

2 min. 

Bleurt.  Gaz  dans  les  veines. 

DLX] 

10  min. 

8 

1 min.  1/4 

Bleurt  en  12  min.  Gaz  dans  les  veines  et  le  cœur 
gauche. 

956 


EXPÉRIENCES. 


£ 2.  — Décompression  lente  ou  en  plusieurs  temps. 

Les  faits  qui  précèdent  suffiraient  amplement  pour  me  per- 
mettre de  tracer  une  histoire  assez  complète  des  phénomènes 
curieux  dus  à la  décompression  brusque,  et  d’en  fournir 
F explication.  Cependant,  la  variété  dans  les  détails  est  telle 
qu’il  me  paraît  avantageux  de  rapporter  encore  un  certain 
nombre  d’expériences  du  même  ordre,  mais  où  la  décom- 
pression a été  faite  d’une  manière  plus  ménagée,  précisément 
en  vue  de  rechercher  les  précautions  qu’il  faudrait  prendre 
pour  la  rendre  inoffensive. 

Yoici  ces  expériences  : 

Expérience  DLXV.  20  juin.  Cochon  d’Inde.  De  2h  45m  à 3h  50in  amené  à 

10  atmosphères;  j’établis  un  courant  d’air  sous  pression. 

A 4h  4m,  ouvert  en  grand  le  robinet;  en  lm,  la  pression  tombe  à 5 
atmosphères  ; je  maintiens  alors  une  ouverture  légère  du  robinet  ; la  pres- 
sion est  équilibrée  à 4h  50m. 

Ouvert  l’appareil  : le  cochon  d’Inde  paraît  en  bon  état;  mais  à 4h  40in, 

11  s’agite,  se  roule,  se  paralyse  d’une  manière  ascendante,  la  respiration 
se  trouble  et  cesse  à 4h  45,n. 

Gaz  en  abondance  dans  le  cœur  droit,  dans  les  veines  des  membres  et 
les  artères.  Pas  de  gaz  dans  le  cœur  gauche,  les  veines  pulmonaires  et 
coronaires,  le  système  porte. 

Pas  de  distension  gazeuse  de  l’estomac  et  des  intestins. 

Expérience  DLXVI.  — 20  juin.  Chat,  placé  à côté  du  cochon  d’Inde  de 
l’expérience  précédente. 

Poussé  à 10  atmosphères.  Amené  en  lra  à 5 atmosphères,  puis  en  25m 
à la  pression  normale. 

Aucun  accident  immédiat  ni  consécutif. 

Expérience  DLXVII.  — 29  juin.  Chat  et  lapin  amenés  en  lh  1/2  à 10 
atmosphères.  Pression  maintenue  sous  courant  d’air  pendant  5h. 

Décompression  en  2h. 

Sortent  tout  mouillés,  tremblants  (le  chat  tremblait  dans  l’appareil, 
dans  l’air  comprimé),  ils  n’ont  pas  crié  ; aucune  paralysie;  se  remettent 
rapidement,  et  survivent. 

La  température  du  chat  était  tombée  de  59°, 5 à 34°, 3 ; celle  du  lapin, 
de  59°, 6 à 36°, 7. 

Expérience  DLXVIII.  — 2 juillet.  Lapin  de  l’expér.  DXX.  De  2h  50m  à 3h 
55m,  monté  à 10  atmosphères;  courant  d’air  pendant  30m. 

On  commence  à décomprimer  à 4h  27m  ; la  décompression  est  faite 


957 


CHANGEMENTS  BRUSQUES  DE  PRESSION. 

avec  une  lenteur  calculée,  montre  en  main,  à raison  d’à  peu  près  2m 
par  atmosphère  ; elle  est  terminée  à 4h  47m. 

Le  lapin  ne  paraît  rien  avoir.  Est  pris  cependant  de  paraplégie  vers 
6h,  avec  conservation  de  la  sensibilité;  vit  encore  à 7h  30m  ; est  trouvé 
mort  le  lendemain. 

Expérience  DLXIX.  — 2 juillet.  Chat  blanc  placé  à côté  du  lapin  de 
l’expérience  précédente. 

Poussé  à 10  atmosphères,  décomprimé  régulièrement  en  20m. 

Le  chat  blanc  crie,  respire  difficilement;  au  bout  de  quelques  secondes, 
paraît  entrer  en  fureur,  se  mord,  mord  le  chat  gris  de  l’expérience  sui- 
vante étendu  près  de  lui.  A des  tremblements  convulsifs  ; ses  pupilles  sont 
très-dilatées.  Meurt  en  5m.  Je  tire  avec  de  grandes  précautions  du  gaz  du 
cœur  droit;  les  23cc,8  de  gaz  que  j’obtiens  ainsi  contiennent  15,9  pour 
100  de  CO2,  le  reste  en  azote,  sans  trace  d’oxygène. 

Gaz  dans  tout  l’appareil  circulatoire  : veines,  artères,  système  porte, 
vaisseaux  intérieurs  de  la  moelle.  Celle  ci  est  très-dure  et  ne  présente 
aucune  trace  de  déchirure. 

Expérience  DLXX.  — 2 juillet.  Chat  gris,  placé  à côté  des  animaux  des 
deux  expériences  précédentes. 

Est  mourant  au  moment  où  on  le  retire,  et  meurt  aussitôt  après. 

Je  tire  de  son  cœur  droit  55cc,  1 de  gaz,  qui  contiennent  17  pour  100 
de  CO2. 

Mêmes  résultats  d’autopsie  qu’à  l’expérience  précédente. 

Expérience  DLXXL  — 10  juillet.  Chien  de  l’expérience  DXXIX. 

De  2h  40m  à 5h  40U1,  porté  à 10  atmosphères.  Aux  approchesde  10  atmo- 
sphères, a des  espèces  de  convulsions. 

Sous  pression,  pendant  50m. 

Décomprimé  de  10  à 6 atmosphères  en  lm  ; puis  de  6 à 1 en  lb.  Mêmes 
convulsions  pendant  la  décompression. 

A sa  sortie  de  l’appareil,  ne  peut  se  soutenir  sur  le  train  postérieur; 
hurle  et  gémit;  se  couche  sur  le  côté;  tremblement  et  forte  extension 
des  pattes  de  devant  à chaque  inspiration.  Pattes  de  derrière  fléchies, 
immobiles,  mais  sensibles. 

Vers  5h  30m  se  relève,  marche  un  peu,  lentement,  puis  se  recouche 
étant  encore  très-faible  du  train  de  derrière. 

11  juillet;  va  bien. 

Expérience  DLXXII.  — 23  juillet.  Chien  de  l’expérience  CLXXXII  (voif 
p.  058). 

5h  8ni,  chien  poussé  à 10  atmosphères;  à 5h  15m,  ramené  en  2m  à 6 at- 
mosphères ; à 5h  45ul,  ramené  de  même  à 3 atmosphères;  à 6h  33m,  décom- 
primé en  moins  de  50m. 

Aucun  accident  immédiat  ni  consécutif. 

Expérience  DLXX1II.  — 27  juillet.  Chien  de  l’expérience  CLXXXII1. 

Poussé  à 10  atmosphères,  saigné  de  145cc. 


958 


EXPERIENCES. 


Décomprimé  à raison  de  5U1  par  atmosphère,  très-régulièrement. 

L’opération  est  finie  à 5h  45111. 

Sorti  à 6h,  est  paraplégique  : patte  droite  presque  insensible,  gauche 
un  peu  sensible,  queue  sensible. 

A 7h  : respiration  anxieuse.  Paralysie  ascendante  qui  a envahi  tout  le 
corps;  les  côtes  ne  bougent  plus  : respiration  purement  diaphragma- 
tique. 

Trouvé  mort  le  lendemain. 

Expérience  DLXX1Y.  — 7 août.  Chienne  poussée  à 10  atmosphères,  sai- 
gnée de  128cc  de  sang  (voir  p.  659,  expérience  CLXXXV). 

Je  décomprime  au  moyen  du  robinet  gradué  ; en  20m,  la  pression  baisse 
de  2 atmosphères  1/2  ; dans  les  20“  suivantes,  elle  baisse  de  1 atmo- 
sphère 1/4,  et  de  1 atmosphère  5/4  dans  les  16m  qui  suivent;  elle  est  alors 
de  4 atmosphères  1/2,  et  j’ouvre  le  gros  robinet,  qui  l’équilibre  en  5ra. 

Le  tout  est  fini  à 7 11  51 m. 

Retiré  à 7h  40m,  l’animal  est  complètement  paralysé;  on  entend  au 
cœur  un  bruit  de  gargouillement  : 80  pulsations  extrêmement  irréguliè- 
res ; 80  à 100  respirations,  se  faisant  encore  un  peu  par  les  côtes;  pas 
d’anxiété  apparente  ; mousse  énorme  à la  gueule. 

Meurt  à 8h. 

Cœur  gauche  : sang  noir  avec  un  peu  de  gaz.  Cœur  droit  : sang  noir 
tout  battu  de  fines  bulles  de  gaz. 

Gaz  dans  toutes  les  veines  et  les  artères,  excepté  les  veines  du  système 
porte,  tandis  que  les  artères  mésentériques  en  sont  pleines. 

Mousse  abondante  dans  l’estomac  et  l’intestin,  mais  non  énorme  et  dan- 
gereuse par  son  volume.  Écume  dans  les  bronches  : poumons  sains,  sans 
congestions  ni  apoplexies. 

Expérience  DLXXV.  — 8 août.  Chien  poussé  à 10  atmosphères,  et  saigné 
de  155cc.  (Voir  p.  659,  expérience  CLXXXVI. ) 

Décomprimé  en  50nl  ; très-régulièrement,  c’est-à-dire  environ  5m  par 
atmosphère. 

L’équilibre  est  rétabli  à 7h  50ra. 

A 7h  55m,  on  entend  au  cœur  un  bruit  de  gargouillementtrès-fort.  L’ani- 
mal, mis  à terre,  est  paralysé  du  train  postérieur  et  des  côtes.  Tempéra- 
ture rectale  59°. 

8h  50m,  bruits  de  gargouillement  très-fort  à droite,  beaucoup  plus  faible 
à gauche;  paralysie  progressive  ; l’animal  est  intelligent,  et  dresse  la  tête 
quand  on  l’appelle  ; température  rectale  56°. 

9h  50m,  état  encore  plus  grave  ; température  55°;  les  yeux  sont  presque 
seuls  mobiles.  Toujours  gargouillement  fort  à droite,  faible  à gauche. 

Trouvé  mort  le  lendemain. 

Expérience  DLXXYI.  — 9 août.  Chien. 

Poussé  de  8h  à 9h  12m  à 10  atmosphères  ; paraît  avoir  dans  l’appareil 
une  sorte  d’agitation  convulsive. 


CHANGEMENTS  BRUSQUES  DE  PRESSION.  959 

Décomprimé  très-régulièrement  en  lh  50m,  soit  10m  par  atmosphère. 

Sort  à 10h  42m,  gai  et  bien  portant. 

A 10h  47m,  la  patte  antérieure  gauche  s’étend,  puis  se  paralyse  du 
mouvement,  mais  reste  sensible. 

A 10h  50m,  l’animal  tombe,  la  patte  postérieure  droite  s’étend  paralysée 
du  mouvement. 

10h  55m,  cette  patte  va  mieux,  mais  la  patte  postérieure  gauche  se 
prend  à son  tour. 

llh,  tout  le  côté  gauche  est  paralysé,  mais  sensible. 

Expérience  DLXXY1I.  — 25  octobre.  Chien  vigoureux  placé  librement  dans 
le  grand  appareil.  De  2h  50m  à 4h,  la  pression  est  amenée  à 10  atmo- 
sphères. Vers  5h  50m,  le  chien,  qui  depuis  qu’il  est  dans  l’appareil  ne 
fait  que  crier,  est  pris  d’une  attaque  de  convulsions  toniques  et  clo- 
niques qui  dure  une  vingtaine  de  secondes.  Après  quoi  il  reste  faible  et 
titubant  pendant  quelques  minutes. 

A 4h  10m,  l’animal  va  bien;  on  décomprime  en  passant  brusquement 
de  10  atmosphères  à 8,  de  8 à 6,  de  6 à 4,  de  4 à 2,  de  2 à 1.  A chaque 
stade,  on  s’arrête  pendant  15m.  Le  tout  dure  lh  10m. 

11  ne  se  produit  rien  pendant  la  décompression.  On  ouvre  le  cylindre,  et 
l’animal  en  sort  librement.  Mais  après  2 ou  3m,  il  pousse  des  cris  de  dou- 
leur. 

A 5h  45m,  il  se  couche  ; le  train  postérieur  est  raide  ; quand  on  le 
force  à se  tenir  debout,  il  soulève  la  patte  antérieure  gauche,  dont  il  paraît 
souffrir. 

A 6h  15m,  il  crie  moins,  mais  est  toujours  dans  le  même  état. 

Va  bien  le  lendemain. 

Expérience  DLXXVIII.  — 28  octobre.  Chien  de.  l’expérience  précédente, 
bien  remis. 

Porté  à 10  atmosphères  ; après  5m,  a une  attaque  convulsive. 

Au  bout  de  15m,  on  le  décomprime,  à raison  de  8U1  par  atmosphère, 
très-régulièrement,  soit  lh  12m. 

Ne  présente  aucun  trouble  ni  immédiat  ni  consécutif. 

Expérience  DLXX1X.  — 14  novembre.  Chien. 

Poussé  à 9 atmosphères.  Décomprimé  en  lh  environ, 

En  sortant  de  l’appareil,  sa  température  rectale  est  de  20°.  Il  a de  forts 
gargouillements  au  cœur  et  meurt  rapidement. 

Expérience  DLXXX.  — 27  juin.  Chien  pesant  19k,3. 

De  lh  à 2h  est  monté  à 7 atmosphères  1/2,  avec  courant  d’air.  Une  fuite 
se  déclare;  à 5h,  la  pression  est  de  6 atmosphères;  à 6h  45m,  elle  n’est 
plus  que  de  4 atm.  1/2,  malgré  le  jeu  continu  de  la  pompe. 

Décomprimé  de  Gh  45n*  à 7h  45m. 

Retiré,  le  gros  chien  est  très-mouillé,  froid,  mourant  ; il  meurt  après 
quelques  respirations.  On  lui  trouve,  des  ecchymoses  pulmonaires  et  du 
gaz  partout  dans  le  sang. 


960  EXPÉRIENCES. 

Expérience  DLXXXI.  — 27  juin.  Deux  petits  chiens,  tout  jeunes,  pesant 
environ  lk,5. 

Placés  à côté  de  l’animal  de  l’expérience  précédente. 

Les  petits  chiens  sont  très-mouillés  aussi  ; mais  ils  ne  présentent  aucun 
accident  immédiat  ni  consécutif. 

Je  résume,  dans  le  tableau  XIX,  les  faits  relatifs  à la  dé- 
compression progressive  et  ménagée. 


g 5.  — Résumé  et  conséquences  des  expériences  précédentes. 

Envisageons  maintenant  ces  résultats  expérimentaux  dans 
leur  ensemble. 

Le  premier  fait  qui  frappe  lorsqu’on  examine  le  tableau 
XVIII,  c’est  que  chez  les  oiseaux  la  décompression  brus- 
que est  beaucoup  moins  à redouter  que  chez  les  mammifères. 
Un  moineau,  en  effet  (exp.  DX),  a survécu  à la  décompres- 
sion à partir  de  10  atmosphères,  un  autre  (exp.  DXIII)  n’est 
mort  qu’assez  longtemps  après  une  décompression  de  14  at- 
mosphères. 

Au  contraire,  chez  les  mammifères,  les  accidents  ont  com- 
mencé à se  manifester  dès  6 atmosphères  (exp.  DXXX);  la  mort 
a frappé  presque  tous  les  animaux  ramenés  de  8 atmosphères, 
et  tous  ceux  qui  l’étaient  de  9.  Les  chiens  et  les  chats  ont 
encore  paru  plus  susceptibles  que  les  lapins;  les  expé- 
riences DXX  et  DXXVI  faites  simultanément  sur  un  chat  qui 
a péri  et  un  lapin  qui  a survécu,  sont  caractéristiques, 
réserve  faite  des  différences  individuelles. 

Dans  la  même  espèce,  en  effet,  on  remarque  des  diffé- 
rences qui  sont  fort  importantes.  Chez  les  chiens,  par  exem- 
ple, nous  avons  eu  toujours  des  accidents  graves,  souvent  la 
mort  à 7 atmosphères,  sauf  les  animaux  des  expériences 
DXLIX  et  DLII  qui  ont  résisté  à la  décompression  de  7 at- 
mosphères 1/2,  et  celui  de  DLV  qui  a survécu  même  en  sor- 
tant de  8 1/2. 

Ce  dernier  animal  est,  à ce  point  de  vue,  tout  particuliè- 
rement intéressant.  Dans  une  série  de  décompressions  brus- 
ques, partant  de  7 1/2  atmosphères  (exp.  DLII  et  DLIII),  puis 


CHANGEMENTS  BRUSQUES  DE  PRESSION. 

TABLEAU  XIX. 


961 


ESPÈCE  D’ANIMAL 

K 

O 

DURÉE 

ÉTAT  DE  L’ANIMAL 

NUMEROS 

C/5 

C/5 

U 

Ch 

Ch 

DE  LA  DÉCOMPRESSION 

atm. 

DLXVII 

Lapin 

Chat 

1 10  ' 

5 heures  de  compress.; 
déoompress.  en  2 h. 

Pas  d’accidents. 

DLXVIII 

Lapin 

Paralysé  après  1 h.,  vit  plus 

1 

de  3 heures.  | 

DLXIX 

Chat 

10 

2 min.  par  atm.  20  min. 

1 

1 Meurt  en  5 min.  — Gaz  du 

DLXX 

! cœur,  23cc  (CO2  15,9,  Az 
84,1). 

1 

Chat 

Retiré  mourant.  — Gaz  du 

cœur,  331;*  (C02 17,  Az  85). 

DLXV 

Cochon  d’Inde 

Meurt  en  15  min.;  gaz  dans 

» 10 

De  10  à 5 en  1 min.;  de 

| le  système  veineux  seule- 

5 à 1 en  30  min. 

ment. 

DLXVI 

Chat 

1 Aucun  accident. 

DLXXXI 

Fort  jeunes  chiens  . . . 

1 

1 heure  de  7 1/2  à 6; 

Aucun  accident.  ' 

DLXXX 

Chien  adulte 

• 71/2 

3h.45m.de  6 à 41/2; 

Retiré  mourant.  Gaz  par- 

1 h.  de  4 1/2  à 1. 

1 tout. 

DLXXIX 

Chien 

9 

En  1 heure  environ. 

Meurt  rapidement. 

DLXXIII 

Id 

10 

5 min.  par  atm.  27  min. 

Paraplégie;  mort  dans  la 

nuit. 

DLXXV 

Id.  - 

10 

5 — 50  min. 

Gargouillement  ; paralysie 

progressive.  Meurt  dans 
la  nuit. 

DLXXVII1 

Id 

10 

8 — 1 h.  12  m. 

Aucun  accident. 

DLXXYI 

Id 

10 

10  — 1 h.  50 m. 

Légers  accidents;  survit. 

DLXX 

Id 

10 

De  10  à 6 en  1 min.;  de 

Légers  troubles  locomot.  ; 

6 à 1 en  1 Heure. 

guérit.  Animal  de  l’expé- 
rience DXXIX. 

DLXX1V 

Id 

10 

De  10  à 7 1/2,  8 m.  par 

Complétem.  paralysé;  gar- 

atm.;  de  7 1/2  à 6 1/4, 

gouillement  ; meurt  en 

15  min.  par  atm.;  de 

20  min.  Gaz  dans  tout  le 

6 1/4  à 4 1/2,  9 min. 
par  atm.;  de  4 1/2  à 1, 
3 m.  par  atm.  En  tout 
1 heure. 

sang. 

DLXXVIl 

Id 

10 

Brusquement  de  10  à 8 ; 

Sort  librement  de  l’appa- 

de  8 à 6;  de  6 à 4 ; 

reil  ; bientôt  crie,  troubles 

de  4 à 2 ; de  2 à 1. 
A chaque  stade,  15  m. 
d’arrêt. 

locomot.  Guérit  et  survit. 

En  tout  1 h.  10  min. 

DLXXII 

Id 

10 

De  10  à 6 en  2 minutes  ; 
laissé  30  min.  à 6. 

De  6 à 3 en  2 minutes  ; 
laissé  45  min.  à 3. 

De  3 à 1 environ  15  m. 

Aucun  accident. 

- 

En  tout  env.  1 h.  50. 

de  8 atmosphères  (exp.  DLIV  et  DLYI)  et  même  de  8 atmo- 
sphères 1/2  (exp.  DLV),  il  n’a  présenté  aucun  phénomène  ma- 
lade. Puis,  quatre  mois  plus  tard,  décomprimé  de  8 atmo^ 

61 


962 


EXPÉRIENCES. 


sphères,  il  est  mort  en  (exp.  DLX)  moins  d’une  demi-heure. 
Pendant  la  première  série  d’expériences,  il  était  maigre,  fort 
mal  portant  ; lors  de  la  dernière,  au  contraire,  les  bons  soins 
lui  avaient  rendu  l’embonpoint  et  la  santé. 

Est-ce  à cette  différence  qu’il  faut  rapporter  la  différence 
des  résultats?  La  cause,  purement  physico-chimique,  que 
nous  serons  forcé  d’attribuer  aux  accidents  de  la  décom- 
pression, ne  se  prête  guère  à cette  interprétation.  De  plus, 
l’expérience  DLYII  nous  montre  un  chien  en  tout  aussi  mau- 
vais état,  pour  le  moins,  qui,  du  premier  coup,  a péri  pour 
une  décompression  à partir  de  8 atmosphères. 

Non  moins  inexplicable  est  la  résistance  des  tout  jeunes 
chiens  de  l’expérience  DLXXX1,  alors  que  le  chien  adulte  placé 
à côté  d’eux  pendant  plus  de  cinq  heures  (exp.  DLXXX),  a 
péri  immédiatement  après  une  décompression  assez  ménagée, 
et  partant  de  7 atmosphères  1/2. 

Mais,  en  laissant  de  côté  ces  inégalités  qui  peuvent  sug- 
gérer des  réflexions  importantes  en  pratique,  examinons 
maintenant  les  accidents  en  eux-mêmes. 

Dans  la  décompression  brusque  à partir  de  8 atmosphères 
et  au-dessus,  nous  avons  vu  survenir  presque  toujours  une 
mort  à peu  près  instantanée.  Elle  s’est  présentée  aussi,  mais 
plus  rarement,  pour  les  dépressions  partant  de  7 à 8 atmosphè- 
res. Le  plus  souvent,  alors,  les  accidents  ont  consisté  dans 
une  paralysie  des  membres  postérieurs,  paralysie  tantôt  lé- 
gère et  transitoire,  tantôt  durable  et  persistante  pendant  plu- 
sieurs jours,  tantôt,  enfin,  devenant  rapidement  ascendante 
et  entraînant  la  mort  par  asphyxie  dans  le  laps  de  quelques 
heures. 

Les  cas  où  la  paralysie  a rétrogradé  ont  été,  comme  on 
pouvait  le  penser,  les  cas  limites  (exp.  DXXX,  DLXXI,  DLXXY1); 
les  membres  seuls  avaient  été  affectés;  encore  la  motricité  vo- 
lontaire avait  été  seulement  diminuée.  Ces  troubles  ont  dis- 
paru d’eux-mêmes  en  moins  d’une  heure;  tous  ceux  que  j’ai 
vus  durer  davantage  ont  persisté  jusqu’à  la  mort. 

Celle-ci  survenue,  on  trouvait  d’ordinaire  pour  l’expliquer 
et  expliquer  les  phénomènes  plus  ou  moins  complexes  qui 


CHANGEMENTS  BHUSQUES  DE  PRESSION.  965 

l’avaient  précédée,  un  ramollissement  plus  ou  moins  étendu 
de  la  moelle  épinière,  ramollissement  fort  avancé  dans  la  ré- 
gion lombaire,  et  en  voie  de  progression  dans  le  reste  de 
l’organe,  où  le  précédaient  des  lésions  inflammatoires  comme 
celles  qui  sont  décrites  dans  les  expériences  DXXYI  et  DXXXIV. 

Restent  maintenant  à expliquer  tout  à la  fois  la  cause  ini- 
tiale de  ces  paralysies  à plus  ou  moins  longue  portée,  et  la 
raison  de  la  mort  à peu  près  immédiate  qui  est  si  souvent 
arrivée. 

Disons,  de  suite,  que  l’hypothèse  de  M.  Bouchard  (p.  504) 
ne  s’est  nullement  vérifiée.  Nous  avons  bien  trouvé  quelque- 
fois, il  est  vrai,  l’estomac  et  les  intestins  un  peu  distendus 
par  des  gaz  ; mais,  outre  que  cette  distension  n’a  jamais  été 
bien  énorme,  nous  n’avons  jamais  vu  dans  les  poumons,  ni 
dans  les  centres  nerveux  les  congestions  ni  les  hémorrhagies 
qu’il  faudrait,  selon  cet  auteur,  invoquer  pour  expliquer  la 
mort  subite.  De  plus,  dans  tous  les  cas,  nous  avons  constaté 
la  persistance  des  battements  du  cœur,  et  il  faut  ainsi  écarter 
encore  la  syncope. 

Nous  pouvons  aller  plus  loin  encore.  La  preuve  évidente 
que  les  accidents  qui  frappent  les  animaux  décomprimés  ne 
sont  pas  dus  aux  brusques  oscillations  du  sang  refoulé  par 
la  soudaine  dilatation  des  gaz  intestinaux,  cette  preuve  se 
tire  aisément  des  expériences  relatées  au  chapitre  IY.  Nous 
voyons,  en  effet,  que  des  chiens  ont  pu  être  ramenés  en 
quelques  minutes  de  7 ou  8 atmosphères  à la  pression  nor- 
male, sans  qu’il  en  résultât  pour  eux  d’accidents  analogues  à 
ceux  qui  viennent  d’être  décrits,  accidents  avec  lesquels  il 
est  impossible  de  confondre  le  phénomène  de  l’empoisonne- 
ment par  l’oxygène,  dont  ils  donnaient  l’étrange  et  terrible 
spectacle. 

Mais  la  vraie  cause  de  tous  ces  phénomènes  s’est  révélée  à 
nous  avec  la  dernière  évidence,  et  l’hypothèsê  de  MM.  Ra- 
meau et  Bucquoy  (voy.  p.  478)  a reçu  de  nos  expériences  la 
plus  éclatante  confirmation.  Ce  sont  bien  les  gaz  du  sang  qui, 
comme  l’avait  prévu  la  sagacité  du  professeur  de  Strasbourg, 
repassent  à l’état  libre  sous  l’influence  de  la  décompression 


9G4 


EXPERIENCES. 


brusque,  et  occasionnent  alors  des  accidents  comparables  à 
ceux  d’une  injection  d’air  dans  les  veines.  Seulement  le  phé- 
nomène est  plus  multiple  et  plus  complexe  que  ne  pouvait 
de  supposer  le  savant  physicien. 

D’abord  ce  ne  sont  pas,  comme  il  le  pensait,  les  trois  gaz 
du  sang  qui  redeviennent  ainsi  aériformes.  Et  nous  pouvions 
déjà  prévoir  ce  résultat,  puisque  nos  recherches  précédentes 
(chapitre  II,  sous-chapitre  111)  nous  avaient  montré  que  la 
proportion  de  l’oxygène  augmente  à peine  par  la  pression,  et 
que  celle  de  l’acide  carbonique  n’augmente  pas  du  tout.  Nous 
étions  donc  en  état,  et  nous  aurions  pu  nous  croire  en  droit 
d’affirmer  que  le  gaz  qui  menacerait  la  vie  en  repassant  à 
l’état  libre  serait  exclusivement  celui  dont  la  proportion  était 
notablement  augmentée  dans  le  sang,  c’est  à savoir  l’azote. 

Cette  conclusion  se  tirerait  encore  des  expériences  du  cha- 
pitre IV  auxquelles  je  faisais  allusion  il  n’v  a qu’un  in- 
stant; ici  aucun  accident  n’est  survenu,  aucune  bulle  de  gaz 
n’a  paru  à l’état  libre  dans  les  vaisseaux,  parce  que  l’air  que 
respiraient  les  animaux  était  très-pauvre  en  azote. 

Mais  il  y a mieux;  j’ai  pu,  comme  le  montrent  les  expé- 
riences DXXYIII,  DLYIII,  DLX1X  et  DLXX,  extraire  les  gaz  ras- 
semblés dans  le  cœur  en  collections  volumineuses,  et  en  faire 
l’analyse.  Je  les  ai  trouvés,  en  effet,  composés  pour  la  plus 
grande  partie  d’azote;  mais  je  dois  avouer  que  mon  étonne- 
ment fut  grand  de  trouver,  en  outre  de  l’azote,  une  quantité 
d’acide  carbonique  qui  a varié  de  15  à *20  pour  100  et  même, 
dans  un  cas  (exp.  DLVIII),  un  peu  d’oxygène. 

L’explication  de  ces  faits  doit  probablement  être  tirée  de 
cette  circonstance  que  le  retour  à l’état  libre  de  l’azote  se 
fait  par  petites  bulles,  que  brassent  les  mouvements  circu- 
latoires, avant  qu’elles  puissent  se  réunir  dans  le  cœur  en 
vastes  collections  gazeuses,  en  telle  sorte  que  le  sang  est 
comme  traversé  par  un  courant  d’azote.  Or,  on  sait  depuis 
longtemps  qu’un  pareil  courant  entraîne  avec  lui  beaucoup 
d’acide  carbonique. 

Quant  à l’expérience  DLVIII  où  j’ai  trouvé  2 pour  100  d’oxy- 
gène, c’est  celle  où  l’appareil  a fait  explosion,  et  où  l’animal, 


CHANGEMENTS  BRUSQUES  DE  PRESSION.  965 

instantanément  tué,  n’a  pu  consommer  le  léger  excès  d’oxv- 
gène  redevenu  libre  dans  son  sang. 

Quoi  qu’il  en  soit,  la  plus  grande  partie  du  gaz  libre  est 
constituée  par  de  l’azote,  et  il  en  résulte  un  danger  fort 
grand  ; car  de  l’acide  carbonique,  de  l’oxygène  même  pour- 
raient se  redissoudre  rapidement,  et  Nysten 1 a depuis  long- 
temps démontré  que  leur  présence  dans  le  système  veineux 
est  sans  danger,  à moins  qu’on  n’en  introduise  des  quantités 
énormes,  surtout  pour  l’acide  carbonique.  Il  est  vrai  que  dans 
nos  expériences,  il  y a du  gaz  dans  le  système  artériel  lui- 
même. 

Il  est  probable  que  toute  la  partie  en  excès  de  l’azote  re- 
passe ainsi  à l’état  gazeux.  Or,  nous  avons  vu  (p.  600)  qu’à 
10  atmosphères  il  y a environ  8 centimètres  cubes  d’azote  en 
trop  dans  100  centimètres  cubes  de  sang.  En  supposant  qu’un 
chien  de  14  kilogrammes  contienne  1 kilogramme  de  sang,  on 
trouve  qu’il  peut  se  dégager  dans  les  vaisseaux  artériels  et 
veineux  80  centimètres  cubes  d’azote,  entraînant  avec  eux 
environ  20  centimètres  cubes  d’acide  carbonique;  cela  est 
bien  suffisant  pour  amener  des  accidents  immédiatement 
mortels. 

Nous  pouvons  donc  maintenant  nous  représenter  les  effets 
de  la  décompression  brusque.  Mettons  d’abord  les  choses  au 
pire;  supposons  un  animal  ramené  en  2 ou  3 minutes  de  10 
atmosphères  à la  pression  normale.  Immédiatement,  dans 
tout  l’appareil  vasculaire,  les  gaz  se  dégagent  en  abondance; 
on  trouve  du  sang  mousseux  dans  les  veines,  dans  les  artè- 
res, dans  le  système  porte,  jusque  dans  les  vaisseaux  du  pla- 
centa et  des  foetus,  lorsque  l’animal  était  en  gestation  (exp. 
DXXXYI).  Le  cœur,  qui  continue  à battre  encore  quelques  mi- 
nutes, pousse  dans  l’extrémité  des  artères  les  gaz  que  conte 
naient  ses  cavités  gauches,  où  l’on  n’en  trouve  que  rarement; 
le  cours  du  sang  veineux  qui  persiste  un  peu,  amène  aux 
cavités  droites  des  bulles  fines  de  gaz  qui  s’y  collectent  en 
quantité  assez  considérable  pour  qu’un  chat  (exp.  DLXX)  ait 


1 Recherches  de  'physiologie  et  de  chimie  physiologique.  Paris,  1811,  p.  55  et  81. 


906 


EXPÉRIENCES. 


pu  m’en  fournir  55  centimètres  cubes,  et  un  peu  de  sang  dé- 
pouillé de  bulles  gazeuses  va  se  rendre  au  cœur  gauche  par 
quelques-unes  des  artères  pulmonaires.  Les  autres  sont  ob- 
struées par  la  mousse  que  lance  le  cœur  droit.  On  retrouve 
ici  des  effets  de  cette  difficulté  qu’ont  les  gaz  à traverser  les 
capillaires,  difficultés  qui  font  si  souvent  échouer  les  injec- 
tions des  anatomistes  : nous  voyons  les  bulles  de  gaz  refuser 
de  traverser  les  poumons,  et  dans  certaines  expériences  nous 
avons  vu  les  artères  mésentériques  pleines  de  bulles  de  gaz, 
sans  que  le  sang  de  la  veine  porte  en  contînt. 

Supposons  maintenant  le  cas  le  plus  léger,  soit  qu’il  s’agisse 
d’un  animal  décomprimé  seulement  de  6 atmosphères  (exp. 
DXXX),  soit  que,  venant  de  10  atmosphères,  il  ait  été  décom- 
primé avec  une  grande  lenteur  (exp.  DLXXI,DLXXYI  etDLXXVll) . 
Dans  ces  cas,  les  bulles  de  gaz  repasseront  bien  que  plus  petites 
et  bien  moins  nombreuses  à l’état  libre;  celles  du  système  vei- 
neux s’arrêteront  aux  poumons,  et  donneront  quelques  gênes 
respiratoires;  puis  battues  et  devenues  extrêmement  fines 
(il  faut  parfois  le  microscope  pour  les  voir),  elles  arriveront 
au  cœur  gauche  pour  être  de  là  lancées  dans  les  artères,  où 
elles  rejoindront  celles  qui  s’v  sont  spontanément  dévelop- 
pées et  que  la  circulation  n’a  pas  encore  poussées  dans  les 
veines.  Il  pourra  ainsi  arriver  qu’elles  finissent  par  se  redis- 
soudre sans  occasionner  d’accidents  bien  nets;  mais  si,  par 
malheur,  quelques-unes  d’entre  elles,  entraînées  par  la  cir- 
culation dans  les  capillaires  des  centres  nerveux,  viennent  à 
y arrêter  localement  le  cours  du  sang,  aussitôt,  instantané- 
ment, comme  dans  l’expérience  de  Sténon,  une  paralysie  ou 
une  excitation  locale  en  est  la  conséquence;  seulement, 
dans  l’espèce,  si  faible  est  la  bulle,  qu’elle  disparaît  bientôt, 
et  tout  revient  à l’état  normal. 

On  comprend  qu’entre  ces  deux  extrêmes  doivent  se  placer 
bien  des  cas  intermédiaires,  et  les  expériences  ci-dessus  rap- 
portées en  présentent  suffisamment  d’exemples.  Rien  de  plus 
saisissant  que  de  voir  des  animaux  décomprimés  de  6 à 8 at- 
mosphères bondissant  hors  de  l’appareil,  comme  joyeux  de 
leur  liberté,  puis  frappés  au  bout  de  quelques  minutes  d’une 


CHANGEMENTS  BRUSQUES  DE  PRESSION.  967 

paralysie  qui  débute  toujours  par  les  membres  inférieurs, 
mais  qui  souvent  envahit  ensuite  tout  le  reste  du  corps. 

C’est  d’abord  une  chose  assez  étonnante  que  l’intervalle 
de  5 à 10  et  même  15  minutes  qui  s’écoule  presque  toujours 
entre  le  moment  de  la  décompression,  et  celui  de  la  para- 
lysie, soit  que  le  gaz  ne  se  dégage  pas  aussitôt,  dans  le  corps 
tout  entier,  soit  qu’il  faille  un  certain  temps  pour  que  les 
bulles  d’air  aillent  intercepter  la  circulation  médullaire. 

Il  n’est  pas  moins  curieux  de  voir,  dans  certaines  expé- 
riences, comme  celle  DLXXV,  la  vie  persister  pendant  des 
heures  alors  que  la  paralysie  presque  générale  de  l'animal  ne 
lui  laissait  de  libre  que  les  mouvements  du  diaphragme,  et 
qu’on  entendait  au  cœur  un  bruit  de  gargouillement  annon- 
çant, dès  le  début,  la  présence  d’une  grande  quantité  de  gaz 
dans  le  cœur  droit  et  dans  les  poumons. 

Dans  ce  cas,  l’animal  asphyxie  lentement,  comme  le  prouve 
le  sang  de  plus  en  plus  noir  qui  coule  dans  ses  artères.  Il  est 
évident  que  le  débit  pulmonaire  est  insuffisant  pour  amener 
dans  les  artères  une  quantité  suffisante  de  sang  oxygéné. 

Si  maintenant  l’on  se  demande  pourquoi  l’azote  ainsi  re- 
passé à l’état  libre  ne  se  redissout  pas  à la  longue  dans  le 
sang,  ou  pourquoi  il  ne  sort  pas  par  les  poumons,  la  réponse 
est  facile. 

En  effet,  le  sang  qui  circule  dans  les  vaisseaux  est,  dans 
les  conditions  normales,  à peu  près  saturé  d’azote  par  la  res- 
piration de  l’air  ; en  agitant  du  sang  artériel  avec  de  l’air  on 
ne  peut  lui  faire  dissoudre  que  quelques  dixièmes  de  centi- 
mètre cube  d’azote  en  plus  de  celui  qu’il  contenait  déjà.  Il  n’y 
a donc  pas  de  raison  pour  que  l’excès  passé  à l’état  libre  se 
redissolve  à nouveau.  Maintenant,  l’azote  libre  ne  sort  pas 
par  les  poumons,  parce  qu’il  se  trouve  en  présence  d’une 
atmosphère  composée  pour  les  quatre  cinquièmes  d’azote 
même,  et  que  rien  ne  le  sollicite  à sortir. 

En  poursuivant  ce  raisonnement,  on  arrive  à penser  qu’il 
pourrait  y avoir  avantage  à faire  respirer  à l’animal  de  l’oxy- 
gène pur,  ou  un  mélange  d’oxygène  et  d’hydrogène,  afin  de 
favoriser  à la  fois  la  dissolution  de  l’azote  dans  le  sang,  et  sa 


968  EXPÉRIENCES.  ' 

diffusion  à travers  les  membranes  pulmonaires.  C’est  ce  que 
j’ai  fait,  non  sans  succès,  dans  des  expériences  dont  je  ren- 
drai compte  plus  loin. 

Enfin,  troisième  point  curieux,  c’est  constamment  (sauf 
dans  l’expérience  DLXII)  par  le  train  postérieur  que  nous 
avons  vu  commencer  la  paralysie.  Pourquoi  ce  lieu  d’élec- 
tion? Est-ce  une  explication  suffisante  que  de  dire  : la  région 
lombaire  de  la  moelle  est  celle  qui  travaille  le  plus  pendant 
que  l’animal  saute  et  court?  Je  me  contente  de  rappeler  que 
la  paraplégie  est  aussi  l’accident  le  plus  fréquent  chez  les 
plongeurs  et  les  ouvriers  des  tubes. 

Lorsque  la  mort  survient  peu  après  le  début  de  la  paraly- 
sie, elle  est  évidemment  sous  l’influence  de  la  même  cause 
que  celle-ci;  les  bulles  de  gaz,  après  avoir  intercepté  la  circu- 
lation dans  le  renflement  lombaire,  vont  l’arrêter  en  d’autres 
points  plus  élevés,  où  l’autopsie  les  retrouve,  jusqu’à  ce 
qu’enfin  la  respiration  cesse;  pendant  ce  temps,  du  reste, 
les  artères  pulmonaires  se  chargent  de  gaz  libres  : l’asphyxie 
vient  de  partout  à la  fois. 

Mais  il  est  arrivé  quelquefois  que  la  paralysie  s’est  localisée 
dans  les  membres  inférieurs,  ou  du  moins  n’a  fait  que  des 
progrès  ascendants  assez  lents  ; aussi  la  mort  n’est-elle  sur- 
venue qu’après  plusieurs  jours  (exp.  DXXIY,  DXXVI,  DXXX1Y). 
Si  l’on  considère  l’absence  de  soins  donnés  aux  animaux,  on 
est  en  droit  de  penser  que  quelques-uns  pourraient  survivre, 
tout  en  restant  paralysés,  comme  cela  arrive  à nombre  de 
plongeurs. 

A la  mort,  on  trouvait,  comme  nous  l’avons  déjà  rappelé, 
un  ramollissement  plus  ou  moins  étendu,  au  milieu  duquel 
se  voyaient  quelquefois,  encore  après  4 jours,  des  bulles  de 
gaz  (exp.  DXXYJ),  et  qu’entouraient  des  processus  inflamma- 
toires qui  avaient  causé  la  mort.  J’appelle  l’attention  sur  la 
rapidité  avec  laquelle  est  survenu,  notamment  dans  l’expér. 
DXXIV,  c’est-à-dire  en  moins  de  vingt-quatre  heures,  un  ra- 
mollissement tel  que  la  moelle  était  fluide  comme  de  la  crème. 

Je  ne  veux  que  signaler  au  lecteur  les  troubles  physiolo- 
giques remarquables  qui  accompagnent  ces  arrêts  de  la  cir- 


CHANGEMENTS  BRUSQUES  DE  PRESSION.  969 

culation  médullaire  et  les  altérations  consécutives  de  la  nu- 
trition. Ceux  qui  ont  eu  la  patience  de  lire  les  expériences 
qui  précèdent  auront  remarqué  ces  faits  curieux  de  rejet 
d’urine  sanglante  et  de  sperme,  de  contracture  des  mem- 
bres, de  constriction  avec  mouvements  réflexes  exagérés  des 
sphincters  anal  et  vésical,  de  sensibilité  conservée  après  la 
perte  de  la  motricité,  etc....  Je  rappellerai  seulement  ici 
le  fait  curieux  de  la  transmissibilité  centripète  et  de  la  mo- 
tricité du  sciatique,  si  fortement  compromises  par  l’altéra- 
tion de  la  région  correspondante  de  la  moelle  épinière  (exp. 
DXXXIV).  Je  considère  que  ces  ramollissements  provoqués  à 
volonté  pourraient  contribuer  puissamment  aux  progrès  de 
la  physiologie  de  la  moelle  épinière,  et  rendre  au  diagnostic 
médical  d’utiles  services  : c’est  une  mine  aussi  féconde  à 
exploiter  que  celle  qui  a donné  tant  d’utiles  résultats  entre 
les  mains  habiles  de  M.  le  professeur  Charcot. 

Quelques-unes  des  expériences  ci-dessus  rapportées  mon- 
trent que  la  présence  de  bulles  de  gaz  dans  le  sang  n’est  pas 
une  cause  nécessaire  de  mort  ou  même  d’accidents  se  mani- 
festant aux  yeux  de  l’observateur.  Ainsi  dans  l’expérience 
DXXXIX,  où  la  pression  était  de  3 1/2  atmosphères,  le  sang  reçu 
sous  le  mercure,  dans  une  éprouvette,  laissait  échapper  de 
très-fines  bullettes  de  gaz,  et  cependant  l'animal,  décomprimé 
en  une  minute,  n’a  paru  nullement  affecté.  En  y regardant  de 
très-près,  en  employant  la  loupe,  j’ai  même  vu,  dans  un  cas 
(exp.  CLXXXIV),  les  bulles  de  gaz  libres  se  dégager  sous  le 
mercure  du  sang  d’un  chien  placé  à 3 atmosphères. 

Il  est  évident  que  chez  le  chien  de  l’expérience  DXXXIX,  le- 
quel a été  quelques  jours  après  décomprimé  de  5 atmosphères 
sans  accidents,  le  sang  en  circulation  contenait  de  fines  bul- 
lettes. Mais  celles-ci  ont  pu  traverser  les  capillaires  sans 
obstruer  la  circulation,  et  elles  se  seront  dissoutes  plus  ou 
moins  rapidement. 

La  présence  de  semblables  bullettes  suffirait,  je  crois,  alors 
même  qu’il  n’y  aurait  aucun  arrêt  circulatoire,  pour  expli- 
quer, par  voie  d’irritation  des  tissus,  les  accidents  légers  des 
ouvriers  des  tubes,  les  puces , les  moutons , dont  il  a été  ques- 


970 


EXPERIENCES. 


tion  dans  l’historique.  On  comprend  ainsi  quels  dangers  cou- 
rent ces  ouvriers,  dont  la  paralysie  ou  la  mort  dépend,  à ces 
limites,  de  la  grosseur  d’une  bulle  de  gaz.  Il  n’est  donc  pas 
étonnant  que  des  accidents  légers  chez  les  uns,  mortels  chez 
d’autres,  aient  apparu  dans  la  décompression  trop  brusque 
aux  environs  de  4 atmosphères. 

Mais  la  présence  de  bulles  d’azote  dans  le  sang,  irritant  les 
tissus  par  leur  contact,  lorsqu’elles  sont  assez  fines  pour  tra- 
verser les  capillaires,  ou  entraînant  des  accidents  plus  graves 
et  plus  durables  lorsqu’elles  interrompent  la  circulation,  ne 
constitue  pas  le  seul  danger  auquel  soient  exposés  les  animaux 
rapidement  décomprimés,  ni  peut-être  le  plus  redoutable. 

En  effet,  les  tissus  mêmes  de  l’organisme,  qui  sont  impré- 
gnés de  liquide,  les  collections  liquides  autres  que  le  sang, 
se  chargent,  au  contact  du  sang  sursaturé  d’azote,  d’une 
proportion  croissante  de  ce  gaz.  Et  lorsque  survient  la  dé- 
compression, ces  gaz  doivent  nécessairement  revenir  à l’état 
libre,  distendant  et  même  dilacérant  les  tissus  au  sein  des- 
quels ils  se  dégagent.  C’est  ainsi  que  les  expériences  DXXXYI, 
DLYIII,  DLIX,  DLX  et  DLYIII  nous  ont  montré  des  gaz  dans 
le  tissu  cellulaire  sous-cutané  ou  intermusculaire,  dans  les 
liquides  de  l’œil,  dans  le  liquide  cérébro-rachidien,  dans  la 
moelle  épinière,  etc.  L’expérience  DLYIII,  où  a eu  lieu  l’explo- 
sion, est  tout  à fait  remarquable  sous  ce  rapport;  l’emphy- 
sème sous-cutané  était  tel  que  le  chien  était  devenu  absolu- 
ment cylindrique.  Signalons  encore  spécialement  l’expérience 
DXXXYI  où,  chez  une  chienne  pleine,  nous  avons  trouvé  du 
gaz  non-seulement  dans  les  vaisseaux  sanguins  et  les  tissus  de 
l’animal,  mais  dans  ceux  des  fœtus  eux-mêmes,  et  jusque 
dans  le  liquide  allantoïdien;  l’amnios,  dont  les  communica- 
tions vasculaires  sont  beaucoup  plus  rares,  n’en  contenait  pas. 

Ces  gaz  emprisonnés  dans  les  mailles  des  tissus  doivent, 
lorsqu’ils  n’occasionnent  pas  la  mort,  être  la  cause  de  dou- 
leurs, de  gonflements  locaux,  et  c’est  évidemment  à eux 
qu’il  faut  attribuer  les  tumeurs  musculaires,  les  gonflements 
des  mamelles,  etc.,  dont  nous  avons  cité  plusieurs  exemples 
dans  le  chapitre  consacré  à l’historique. 


971 


CHANGEMENTS  BRUSQUES  DE  PRESSION. 

En  résumé,  la  décompression  brusque  occasionne  des  ac- 
cidents multiples  plus  ou  moins  graves,  qui  s’expliquent  tous 
aisément  par  le  dégagement,  tant  dans  le  liquide  sanguin 
qu’au  sein  des  tissus,  de  l’azote  qui  s’y  était  dissous  en  excès, 
à la  faveur  de  la  pression. 

J’avoue  que,  dans  cet  ensemble  de  faits  dont  l’infinie  va- 
riété trouve  cependant  une  cause  unique  si  simple,  un  seul 
point  m’étonne  encore.  Je  ne  puis  comprendre  comment, 
chez  certains  chiens  soumis  à une  haute  pression,  le  sang 
extrait  des  vaisseaux  ne  contenait  pas  de  gaz  libres  : telles, 
par  exemple,  les  expériences  DXLYI  et  DLVI,  où  la  pression 
était  de  6 1/2  et  8 atmosphères.  L’expérience  DLXIlIest  par- 
ticulièrement intéressante  sous  ce  rapport  : le  chien  décom- 
primé après  un  long  séjour  à 6 atmosphères  était  paralysé, 
et  cependant  on  ne  voyait  pas  de  gaz  libre  dans  son  sang; 
mais  les  accidents  s’étant  aggravés,  on  en  trouva  après  la 
mort  non-seulement  dans  le  sang,  mais  dans  divers  organes 
et  notamment  dans  la  moelle  épinière  : c’était  probablement 
là  la  cause  de  la  paralysie  immédiate. 

Je  me  suis  trouvé  également  un  peu  embarrassé  d’abord 
pour  comprendre  comment  des  chiens  décomprimés  brusque- 
ment de  5 ou  6 atmosphères,  des  lapins  de  6,  7,  8,  des  moi- 
neaux de  .8,  9,  10,  ne  périssaient  pas,  et  même  ne  présen- 
taient pas  d’accidents,  alors  que  certainement  ils  avaient  des 
gaz  libres  dans  le  sang,  gaz  dont  j’ai  parfois  constaté  l’exis- 
tence chez  l’animal  en  expérience  lui-même,  comme  dans  les 
expériences  DXXXIX  et  DLXIY.  Je  pense  que  cette  apparente 
anomalie  doit  s’expliquer  par  ceci,  que  le  dégagement  des 
bulles  alors  très-fines  leur  a permis  de  traverser  sans  encom- 
bre le  système  des  capillaires  et  de  se  réunir  dans  le  système 
veineux.  Or,  si  tout  le  gaz  ainsi  dégagé  se  rassemble  dans  les 
veines,  il  ne  peut  guère  constituer  un  danger  sérieux  pour 
l’animal. 

Reprenons  en  effet  un  calcul  que  nous  avons  déjà  fait.  A 
5 atmosphères,  par  exemple,  le  tableau  de  la  page  661  montre 
qu’un  chien  a en  moyenne  6 volumes  d’azote  par  100  volumes 
de  sang,  c’est-à-dire  environ  4 volumes  de  plus  que  ce  liquide 


972 


EXPÉRIENCES. 


n’en  peut  dissoudre  à la  pression  normale.  Prenons  un  chien 
de  10  kil . , et  supposons  qu’il  ait  dans  ses  vaisseaux  sanguins 
et  lymphatiques  l1  de  liquide  ; ce  seront  40ec  d’azote,  avec 
environ  10cc  de  GO2  qui,  au  maximum,  viendront  se  réunir 
dans  les  cavités  du  cœur  droit.  Cette  collection  ne  se  fera 
que  progressivement,  car  on  sait  que  dans  un  liquide  sursa- 
turé de  gaz  par  la  pression,  ceux-ci  ne  se  dégagent  rien  moins 
qu’instantanément  lors  de  la  décompression. 

Or,  les  10cc  d’acide  carbonique  se  redissoudront  ou  s’exha- 
leront aussitôt  par  le  poumon;  quant  aux  40cc  d’azote,  qui 
correspondent  à ce  qui  existerait  dans  50cc  d’air,  on  sait  que 
si  un  pareil  volume  d’air,  injecté  d’un  coup  dans  une  veine  du 
cœur,  peut  arrêter  les  contractions  de  cet  organe,  surtout 
lorsque  cet  air  est  froid,  on  peut  au  contraire  introduire  im- 
punément, dans  les  voies  circulatoires,  des  quantités  bien 
autrement  grandes  d’air,  en  faisant  des  injections  modérées 
et  successives. 

Nysten1  avait,  il  y a longtemps,  démontré  ce  fait;  mais 
comme  il  règne  encore  sur  ce  point  grand  nombre  d’erreurs 
courantes,  je  crois  devoir  rapporter  quelques  expériences 
fort  concluantes  sous  ce  rapport  : 

Expérience  DLXXXII.  — 24  février.  Petit  chien  4k,  malade.  Injecté  dans 
la  veine  jugulaire  en  4m,  14cc  d’air.  L’animal  meurt  en  10m. 

Mousse  sanguine  dans  le  cœur  droit  et  l’artère  pulmonaire;  pas  de  gaz 
au  cœur  gauche. 

Expérience  DLXXXIII.  — 25  juillet.  Chien  pesant  5k.  Temp.  ext.  2t°. 

A 3h,  injection  unique,  dans  la  veine  fémorale  gauche,  de  20oc  d’air. 

Aussitôt  on  entend  le  cœur  battre  avec  le  bruit  d’une  éponge  sèche 
qu’on  presse  sous  l’eau.  L’animal  cesse  de  respirer;  le  cœur  semble  s’ar- 
rêter; la  conjonctive  devient  insensible,  mais  non  la  cornée. 

Puis  les  respirations  reviennent,  d’abord  très-rares  et  très-profondes, 
puis  précipitées.  Les  bruits  du  cœur  reparaissent,  normaux. 

3h  15m;  nouvelle  injection  de  20cc.  Mêmes  phénomènes,  bien  que  moins 
prononcés  : la  sensibilité,  la  respiration,  les  battements  du  cœur  ne  dis- 
paraissent pas  complètement;  raideurs  dans  les  membres  antérieurs; 
petits  cris. 

3h  25m;  l’animal  paraît  bien  revenu.  Injection  d’un  coup,  de  40cc  d’air. 


1 Loc.  cit.,  p.  15  et  suiv. 


975 


CHANGEMENTS  BRUSQUES  DE  PRESSION. 

Aussitôt  raideurs  des  pattes,  bruits  du  cœur,  troubles  respiratoires  ; le 
tout  s’aggrave,  et  à 5h  35m  on  n’entend  plus  le  cœur. 

Autopsie  à 3h  50m.  Oreillette  et  ventricule  droits  remplis  de  sang  battu 
d’air,  avec  caillots  pleins  d’air;  un  peu  de  gaz  dans  la  veine  cave.  Pas 
d’air  dans  les  artères  pulmonaires  ni  dans  le  cœur  gauche. 

Expérience  DLXXXIY.  — 14  février.  Chien  bull-dog  pesant  12k. 

Injection  progressive,  en  9m,  de  J50cc  d’air,  dans  la  veine  jugulaire 
guche. 

Parait  assez  anxieux  pendant  l’injection,  mais  détaché  aussitôt  après,  va 
bien. 

Expérience  DLXXXY.  — 24  février.  Chien  de  chasse  vigoureux,  pesant 
15\5.  Température  extérieure  14°. 

oh  15m.  Toutes  les  deux  minutes,  on  injecte  en  50%  dans  la  veine  jugu- 
laire droite,  avec  une  seringue  en  verre  excellente,  65cc  d’air. 

A chaque  injection,  l’animal  se  plaint,  et  l’on  entend  aussitôt,  même  à 
distance,  les  bruits  de  gargouillements  au  cœur. 

Après  la  10e  injection  (650cc),  l’animal  ne  paraît  pas  en  danger.  A la 
24e  minute,  on  recommence  à injecter,  mais  cette  fois  toutes  les  minutes. 

Après  la  17e  injection  (1100cc),  l’animal  gémit,  urine,  étend  fortement 
les  pattes.  Les  battements  du  cœur  se  ralentissent,  les  respirations  sont 
très-rares,  et  l’animal  meurt  à 5h  55m.  Sa  température  a baissé  de  1°. 

Je  trouve  le  cœur  droit  rempli  de  mousse,  de  sang  battu  d’air,  avec  une 
assez  grande  quantité  d’air  libre  ; il  y en  a également  dans  les  veines  caves 
et  les  artères  pulmonaires. 

Bulles  d’air  assez  nombreuses  dans  le  cœur  gauche,  les  artères  et  les 
veines  cardiaques  ; on  n’en  trouve  pas  dans  les  artères  des  membres  ni 
dans  la  veine  porte. 

Ainsi,  dans  l’expérience  DLXXXII,  un  chien  de  petite  taille, 
il  est  vrai,  et  malade,  a clé  tué  par  l’injection  de  14cc  d’air, 
tandis  que  dans  l’expérience  DLXXXY,  il  à fallu  aller  jusqu’à 
1100ccpour  tuer  un  grand  chien.  Ces  expériences,  en  un  mot, 
nous  montrent  tout  autant  de  différences  pour  les  injections 
artificielles  d’air  dans  les  veines  que  pour  cette  sorte  d’in- 
jection physiologique  qui  a lieu  pendant  la  décompression 
brusque. 

Un  des  éléments  les  plus  importants  à considérer,  relati- 
vement à l’apparition  des  phénomènes  morbides  consécutifs 
à la  décompression,  est  la  durée  du  séjour  dans  l’air  com- 
primé. Après  le  degré  de  la  compression,  après  la  rapidité  de 
la  décompression,  c’est  lui  qui  joue  le  rôle  principal.  Ainsi, 
tandis  que  pour  les  chiens  décomprimés  immédiatement 


974 


EXPÉRIENCES. 


après  que  le  degré  voulu  avait  été  atteint,  on  n’a  pas  d’acci- 
dents graves,  comme  le  montre  le  tableau  XVIII,  avant 
d’avoir  atteint  7 atmosphères,  nous  voyons,  dans  l’expé- 
rience DLXIII,  un  chien  périr  assez  rapidement  en  sortant  de 
l’appareil  où  la  pression  de  6 atmosphères  avait  été  entre- 
tenue pendant  5 heures  et  demie.  L’expérience  DXV  faite  sur 
un  moineau  est  plus  remarquable  encore.  Cependant,  l’expé- 
rience DLXIV  nous  montre  un  chien  sorti  sans  accidents  après 
4 heures  de  séjour  sous  5 1 /2  atmosphères;  mais  il  avait 
dans  le  sang  d’abondantes  bulles  de  gaz,  et  se  trouvait,  par 
suite,  sous  le  coup  d’une  imminence  morbide  menaçante. 

Il  n’est  peut-être  pas  sans  intérêt  de  dire,  en  terminant, 
que  les  animaux  aquatiques  sont  au  même  titre  que  les  ani- 
maux terrestres  et  par  le  même  mécanisme,  tués  par  la  dé- 
compression brusque.  Mais  il  paraîtra  sans  doute  suffisant 
de  citer  une  expérience  à l’appui  de  cette  assertion  qui  pré- 
sente, au  point  de  vue  des  conditions  de  vie  de  ces  êtres,  un 
véritable  intérêt  : 

Expérience  DLXXXVI.  — 6 avril.  Anguilles  de  la  montée , transparentes, 
soumises  depuis  deux  jours  à la  pression  de  10  atmosphères  d’air. 

2h,  décomprimées  brusquement;  rejettent  par  la  bouche  des  bulles 
de  gaz. 

6h,  sont  toutes  mortes;  on  voit  battre  le  cœur,  qui  est  plein  d’air;  des 
bulles  de  gaz  s’aperçoivent  par  transparence  dans  tous  les  vaisseaux. 

SOUS-CHAPITRE  IV 

PROPHYLAXIE  ET  TRAITEMENT  DES  ACCIDENTS  DE  LA  DÉCOMPRESSION 

RRUSQUE 

En  présence  de  ces  accidents  redoutables,  une  double  ques- 
tion se  pose  naturellement  à l’esprit  : comment  les  prévenir, 
comment  y remédier? 

On  les  préviendra,  le  bon  sens  l’indique,  et  l’expérience 
le  prouve,  par  une  décompression  suffisamment  ralentie. 
Les  expériences  résumées  dans  le  tableau  XIX  donnent  à ce 
sujet  des  indications  fort  nettes.  On  y voit,  par  exemple,  que, 
en  partant  de  10  atmosphères,  on  a évité  les  accidents  graves 


PROPHYLAXIE  PE  LA  DÉCOMPRESSION  BRUSQUE.  975 

en  mettant  plus  de  1 h.  10  pour  la  décompression  (expé- 
riences DLXXI , DLXXII,  DLXXVII , DLXXVIII).  Mais  c’est  le 
temps  limite,  puisque  une  heure,  dans  l’expérience  DLXXIV, 
n’a  pas  empêché  la  mort.  Je  laisse  de  côté  les  expériences 
DLXXX  et  DLXXXI  qui  constituent  une  étrangeté  encore  inex- 
plicable pour  moi. 

Je  n’ai  pas  remarqué  grandes  différences  entre  les  cas  où 
la  décompression  était  faite  d’une  manière  continue,  à raison, 
par  atmosphère,  de  8 minutes  (exp.  DLXXVIII),  ou  de  10  mi- 
nutes (exp.  DLXXYI),  et  celles  où  elle  se  faisait  par  sauts  brus- 
ques, avec  intervalles  de  repos  (exp.  DLXXII,  DLXXVII).  Du 
reste,  les  faits  ne  sont  pas  assez  nombreux  pour  permettre 
de  conclure  à l’avantage  de  l’une  ou  de  l’autre  de  ces  mé- 
thodes. 

Mais  il  reste  acquis  qu’en  partant  de  10  atmosphères,  on 
ne  peut  être  assuré  qu’un  chien  sera  hors  de  danger  qu’en 
donnant  à la  décompression  une  durée  d’au  moins  12  mi- 
nutes par  atmosphère.  Nous  aurons  à revenir  sur  ces  faits 
dans  la  troisième  partie  de  cet  ouvrage. 

Arrivons  à la  seconde  question.  La  décompression  a été 
faite  trop  brusquement.  Des  gaz  se  dégagent  dans  le  sang, 
qui  obstruent  certains  vaisseaux  et  menacent  de  mort  l’ani- 
mal en  expérience.  Je  devais  évidemment  songer  à les  faire 
redissoudre  en  soumettant  l’animal  à une  compression  nou- 
velle, quitte  à le  décomprimer  avec  une  lenteur  ménagée. 
C’est  ce  que  j’ai  fait  dans  les  deux  cas  suivants  : 

Expérience  DLXXXVII.  — 18  octobre.  Chien  de  l’expérience  DXXXYII1 
(v.  p.  947). 

Est  paraplégique  à la  suite  d’une  décompression  brusque  partant  de 
7 atmosphères;  la  paraplégie  a commencé  à 3h  21m. 

De  3h  25m  à 4h  5m,  est  porté  à nouveau  à la  pression  de  7 atmosphères, 
et  y est  maintenu  jusqu’à  4h  1 2m.  On  décomprime  alors  lentement  ; la  pres- 
sion normale  est  rétablie  à 6h. 

Au  sortir,  l’animal  est  toujours  paralysé  du  train  postérieur,  ou,  pour 
mieux  dire,  ses  pattes  de  derrière,  raides  et  contractées,  n’obéissent  plus 
à la  volonté  ; la  sensibilité  y est  conservée,  et  l’on  obtient  des  mouvements 
réllexes  au  pincement,  mais  avec  un  notable  retard. 

Meurt  dans  la  nuit. 


976 


EXPERIENCES. 


Expérience  DLXXXVIII.  — 16  octobre.  Chien  de  l’expérience  DXXXVII. 

Paraplégique  en  raideur  depuis  2h,  à la  suite  d’une  décompression 
venant  de  7 atmosphères.  Récomprimé  à 7 atmosphères  de  2h  15m  à 3h  2U1, 
puis  décomprimé  en  une  heure. 

L’animal  paraît  en  meilleur  état  et  plus  calme;  mais  il  est  toujours  para- 
plégique, sans  raideur  ; la  température  des  pattes  postérieures  est  élevée. 

Meurt  le  lendemain. 

On  ne  trouve  pas  de  gaz  dans  les  vaisseaux;  mais  la  moelle  épinière 
présente,  depuis  le  renflement  lombaire  jusqu’au  milieu  de  la  région  dor- 
sale, de  petites  taches  hémorrhagiques  disséminées  dans  les  faisceaux 
antéro-latéraux.  Il  n’v  a pas  de  ramollissement. 

Je  n’ai  pas  multiplié  ces  expériences  ; il  est  évident  que  la 
recompression  s’effectuait  ici  trop  lentement  pour  qu’il  soit 
possible  de  tirer  une  conclusion  quelconque  de  ces  résultats. 
Je  ne  doute  pas  cependant  de  l’efficacité  de  cette  méthode,  à 
la  condition  de  pouvoir  obtenir  une  recompression  très-ra- 
pide. On  a vu,  dans  la  partie  historique,  qu’elle  était  déjà 
employée  par  les  ouvriers,  et  recommandée  par  les  médecins 
qui  les  avaient  soignés. 

Les  réflexions  que  j’ai  déjà  présentées  à la  page  967  m’a- 
vaient mis  sur  la  voie  d’une  méthode  toute  différente,  ayant 
pour  but  non  de  faire  redissoudre  les  bulles  de  gaz  libres 
dans  le  sang,  mais  de  les  forcer  à s’échapper  par  la  respi- 
ration. 

Ces  bulles  sont  composées,  avons-nous  dit,  d’azote  ; lors- 
qu’elles arrivent  dans  les  capillaires  pulmonaires,  elles  ne 
peuvent  avoir  grande  tendance  à se  diffuser  et  à se  mêler  à 
l’air  du  poumon,  pour  cette  raison  que  celui-ci  aussi  est  com- 
posé pour  les  quatre  cinquièmes  d’azote.  Cette  réflexion  faite, 
je  devais  penser  qu’en  faisant  respirer  à l’animal  un  gaz  ne 
contenant  pas  d’azote,  de  l’oxygène  pur,  par  exemple,  la  dif- 
fusion se  ferait  beaucoup  plus  vite,  et  serait  peut-être  même 
assez  rapide  pour  faire  disparaître  tout  le  gaz  du  sang,  et  sau- 
ver l’animal.  Je  donne  ici  les  résultats  d’un  certain  nombre 
d’expériences  faites  par  cette  méthode  : 

Expérience  DLXXXIX.  — o 1 octobre.  Chien  de  l’expérience  DXLIlf. 

Décomprimé  de  7 atmosphères  1/4,  couché,  fort  malade  depuis  2'1  15"1, 
avec  gargouillements  au  cœur. 


PROPHYLAXIE  DE  LA  DÉCOMPRESSION  BRUSQUE.  * 977 

A 2h  20ra,  on  lui  fait  respirer  d’une  manière  continue  de  l’oxygène 
pur. 

A 2h  30m,  le  bruit  du  gargouillement  a cessé,  la  respiration  est  plus 
libre,  l’animal  essaye  de  se  relever  à l’aide  des  pattes  antérieures  ; son  œil 
n’est  plus  hagard. 

A 4h  30m,  on  cesse  la  respiration  d’oxygène.  L’animal  est  tout  à fait  bien 
au  point  de  vue  de  la  respiration  et  du  cœur.  Mais  il  est  toujours  paralysé, 
ou  du  moins  ne  peut  se  tenir  sur  ses  pattes,  bien  qu’il  ait  des  mouvements 
spontanés  des  membres  et  de  la  tête. 

Trouvé  mort  le  lendemain.  Pas  de  gaz  au  cœur  ni  dans  les  vaisseaux. 

Expérience  DXG.  — 1*2  novembre.  Chien  de  l’expérience  DXLY. 

3h  12m.  Décomprimé  de  7 atmosphères  1/4,  paralysé,  avec  fort  gargouil- 
lement au  cœur,  et  grandes  difficultés  respiratoires. 

5h  20m.  On  commence  la  respiration  d’oxygène  pur. 

3h  35m.  Les  respirations  sont  très-amples  et  fréquentes  ; il  n’y  a plus  de 
bruit  de  souffle  au  cœur.  L’animal  fait  des  mouvements  généraux,  et 
essaye  d’enlever  sa  muselière  avec  ses  pattes. 

Les  respirations  se  régularisent  pendant  un  certain  temps,  puis  elles 
diminuent  d’intensité,  et  vers4h  30m,  il  est  manifeste  que  l’animal  s’épuise 
et  va  mourir. 

On  l’ouvre  à 4h  45m,  alors  qu’il  est  près  de  mourir.  Pas  de  gaz  dans  les 
veines  ni  dans  le  cœur. 

Expérience  DXCI. — 25  novembre.  Chienne  de  l’expérience  DXLVII. 

Décomprimée  de  7 1/2  atmosphères,  paralysée  à 3h  23m,  gargouille- 
ments, insensibilité,  etc. 

3h  28.  La  respiration  étant  arrêtée,  on  est  obligé  de  faire  la  respiration 
artificielle  avec  de  l’oxygène.  Au  bout  de  6 à 7 respirations  artificielles,  les 
mouvements  spontanés  reviennent,  le  cœur  recommence  à battre  nette- 
ment, les  gargouillements  diminuent,  la  sensibilité  disparaît. 

Mais  à ce  moment  l’oxygène  se  perd,  et  on  ne  peut  continuer  l’expé- 
rience ; l’animal  meurt  presque  aussitôt  après. 

On  trouve  le  cœur  droit  tout  gonflé  de  sang,  avec  un  peu  de  mousse  seu- 
lement. 

Expérience  DXCII.  — 27  novembre.  Chien  de  l’expérience  DXLV11I. 

Paralysé,  gargouillements  très-forts,  décomprimé  de  7 atmosphères. 

Au  moment  où  commencent  les  respirations  d’oxygène,  les  gargouille- 
ments du  cœur  paraissent  augmenter  un  peu,  puis  le  cœur  cesse  presque 
complètement  de  battre  ; graduellement  il  devient  assez  fort  et  fréquent. 
Mais  le  gaz  ne  cesse  de  revenir  par  le  bout  supérieur  de  la  veine  jugulaire 
mise  à nu,  et  l’animal  meurt  après  une  demi-heure. 

Sang  très-rouge,  et  sans  gaz  au  cœur  gauche  ; sang  assez  rouge  avec 
bulles  fines  au  cœur  cjroit. 

Expérience  DXCII1.  — 6 décembre.  Chien  de  l’expérience  DL. 

Décomprimé  de  7 1/2  atmosphères  à 3h  22,n.  Aussitôt  paraplégique, 

62 


978 


EXPÉRIENCES. 


pattes  antérieures  un  peu  raides,  niais  se  retirant  quand  on  les  pince; 
pattes  postérieures  raides  et  insensibles  ; gargouillements  très-forts. 

Je  lui  fais  respirer  de  l’oxygène  et  mets  à nu  sa  veine  jugulaire,  qui  est 
pleine  de  gaz. 

Aussitôt  les  respirations  se  régularisent  ; peu  à peu  les  bulles  de  gaz 
deviennent  moins  grosses  à la  jugulaire,  la  sensibilité  revient  un  peu  aux 
pattes  postérieures  ; l’animal  va  évidemment  mieux. 

Vers  5h,  les  gaz  ont  complètement  disparu  de  la  jugulaire  ; l’animal 
redresse  la  tête  quand  on  l’appelle  en  sifflant.  On  continue  la  respiration 
d’oxygène  jusqu’à  9h  du  soir. 

10  décembre.  — N’est  plus  complètement  paralysé  du  train  postérieur; 
peut  se  tenir  debout  et  traîne  les  pattes  sur  le  dos  des  doigts  en  marchant. 
Sensibilité  exagérée  aux  membres  postérieurs.  Caractère  devenu  méchant. 

11  décembre.  — Couché,,  paralysé  ; légers  mouvements  réflexes  du  train 
postérieur.  Sensibilité  très-exagérée  dans  les  membres  antérieurs.  Temp. 
réel.  57°, 9. 

12  décembre.  — Meurt. 

Rien  à noter  aux  viscères  thoraciques  et  abdominaux. 

Pas  de  ramollissement  médullaire.  Les  coupes  transversales  de  la  moelle 
montrent  dans  la  substance  blanche  et  la  substance  grise  un  piqueté  rouge 
qui  va  en  diminuant  de  la  région  lombaire  à la  région  cervicale. 

Expérience  DXCIV.  — 11  décembre.  Chien. 

Comprimé  à 8 atmosphères.  Décomprimé  très-lentement  à 7 3/4.  Puis 
en  5m,  à la  pression  normale:  5h  15m. 

On  retire  immédiatement  l’animal  et  lui  fait  respirer  de  l’oxygène. 

5b  251U.  120  pulsations;  sa  température  rectale,  qui  était  avant  l’expé- 
rience à 58°, 5,  est  à 57°, 5.  Respiration  régulière  ; on  voit  des  bulles  de  gaz 
dans  la  jugulaire  mise  à nu. 

5h  30m.  Mis  à terre  un  moment,  est  paraplégique. 

5h  50m.  90  pulsations  ; il  n’y  a jamais  eu  de  gargouillements  au  cœur  ; 
on  ne  voit  plus  de  gaz  dans  la  jugulaire  ; température  37°, 2. 

6h  15m.  On  cesse  la  respiration  d’oxygène;  mis  à terre;  n’est  plus  para- 
lysé, et  traîne  seulement  un  peu  la  patte  postérieure  gauche  sur  les  orteils; 
les  pattes  de  derrière  semblent  insensibles. 

11  est  entraîné  par  un  mouvement  de  manège  qui  le  fait  tourner  sur  sa 
droite;  la  tête  se  courbe  fortement  à droite,  les  yeux  se  tournent  de  même. 
11  a un  fort  nystagmus  et  des  trépidations  des  muscles  du  cou.  Quand  il 
veut  marcher,  il  prend  maintes  précautions,  puis,  au  moindre  obstacle,  il 
tombe  en  tournant  sur  le  flanc  droit. 

Gh  50m.  Amélioration  manifeste;  les  pattes  de  derrière  et  la  queue  seœ 
sibles  ; l’animal  marche  beaucoup  mieux  et  paraît  intelligent. 

6h  45,u.  L’amélioration  ne  se  soutient  pas;  l’animal  traîne  de  nouveau  la 
patte  gauche. 

12  décembre.  — Plus  paralysé  que  la  veille,  ne  peut  presque  pas  marcher, 
et  tourne  encore  à droite. 


979 


DÉCOMPRESSION  BRUSQUE  : PROPHYLAXIE. 

L’excitation  des  pattes  postérieures  amène  d’énergiques  mouvements 
réflexes;  mais  le  chien  ne  semble  pas  s’en  apercevoir.  Les  pattes  posté- 
rieures, surtout  la  gauche,  sont  plus  chaudes  que  les  autres. 

14  décembre.  — Toujours  paraplégique,  ne  peut  se  soutenir  même  un 
instant. 

18  décembre.  — Même  état;  urine  facilement  ; mouvements  réflexes  éner- 
giques. 

Expérience  DXCV.  — 13  décembre.  Chien. 

Porté  à 8 1/4  atmosphères;  décomprimé  en  3m.  Aussitôt,  à 5h,  respira- 
tions d’oxygène.  % 

11  n’est  pas  paralysé  ; mais  après  quelques  minutes,  la  paraplégie  corn- 
mence  et  devient  complète,  avec  mouvements  réflexes  persistants. 

On  n’entend  à aucun  moment  des  gargouillements  au  cœur,  et  la  respi- 
ration s’opère  assez  bien. 

4U  50m.  On  cesse  la  respiration  d’oxvgène.  L’animal  ne  peut  se  tenir  sur 
les  pattes  postérieures.  La  respiration  se  fait  bien,  les  battements  du  cœur 
sont  purs. 

6b  50m.  Même  état;  sensibilité  obtuse  des  pattes  postérieures. 

14  décembre.  — Couché,  ne  peut  se  tenir  sur  les  pattes  postérieures, 
bien  qu’il  puisse  les  remuer  spontanément,  et  qu’il  y perçoive  les  piqûres. 

Meurt  dans  la  nuit  du  14  au  15. 

Les  faits  qui  viennent  d’être  rapportés,  et  dont  les  ré- 
sultats étaient  déjà  consignés  au  tableau  XVIII,  montrent 
qu’une  de  nos  prévisions  a été  parfaitement  réalisée.  Sous 
l’influence  de  la  respiration  d’oxygène  pur,  les  gaz  contenus 
dans  les  veines  et  le  cœur  droit  ont  diminué,  puis  disparu  ; les 
gargouillements  cardiaques  ne  sont  pas  survenus  lorsque  la 
respiration  d’oxygène  était  faite  de  bonne  heure,  ou  ont  cessé 
par  son  fait.  Le  danger  d’une  mort  immédiate,  par  arrêt  de 
la  circulation  pulmonaire,  a donc  été  conjuré1. 

Mais  cependant  nous  n’avons  pu  sauver  nos  animaux  ; les 
paralysies  ont  persisté,  et,  malgré  une  amélioration  immé- 
diate réelle,  ont  fini  par  emporter  les  sujets  en  expérience. 

C’est  que  la  respiration  d’oxygène  n’a  pu  ramener  dans  le 
torrent  circulatoire  et  faire  disparaître  les  bulles  de  gaz  arrê- 
tées çà  et  là  dans  les  capillaires  du  système  nerveux  central. 

1 II  résulte  de  ceci  que  la  respiration  d’oxygène  serait  un  moyen  efficace  de 
combattre  les  effets  de  l’introduction  de  l’air  dans  les  veines.  J’ai  fait  à ce  point 
de  vue  un  certain  nombre  d’expériences  tout  à fait  encourageantes  pour  les  chi- 
rurgiens. 


980 


EXPÉRIENCES. 


C’est  qu’elle  n’a  pu,  à plus  forte  raison  encore,  faire  résorber 
les  bulles  qui,  ainsi  que  nous  l’avons  vu,  se  dégagent  dans 
l’épaisseur  même  des  tissus. 

Sur  elles,  la  recompression  seule  peut  avoir  un  effet  utile. 
Mais,  d’autre  part,  la  recompression  ne  peut  faire  redissou- 
dre une  collection  gazeuse  un  peu  considérable  ramassée  dans 
le  cœur  droit. 

Nous  sommes  donc  amené  à recommander  l’emploi  succes- 
sif de  la  respiration  d’oxygène,  pour  obtenir  l’élimination  de 
l’azote  emmagasiné  dans  le  cœur  veineux,  et  de  la  recom- 
pression pour  redissoudre  les  bulles  arrêtées  dans  les  capil- 
laires ou  disséminées  dans  les  tissus. 

Encore  ne  peut-on  se  flatter  d’une  guérison  certaine,  pour 
cette  raison  que  les  bulles  de  gaz,  en  repassant  à l’état  libre 
au  sein  de  tissus  délicats,  comme  ceux  delà  moelle  épinière, 
peuvent  y avoir  occasionné  des  désordres,  des  dilacérations, 
dont  leur  disparition  ne  saurait  suffire  pour  conjurer  les  fu- 
nestes effets. 

C’est  donc  aux  moyens  préventifs,  c’est  donc  à la  décom- 
pression lente  que  l’on  devra  s’attacher  dans  l’industrie,  et 
c’est  là  un  point  sur  lequel  nous  reviendrons  dans  notre  troi- 
sième partie. 


SOUS-CHAPITRE  V 

RÉSUMÉ. 

En  résumé,  la  décompression  non  ménagée,  à partir  de 
plusieurs  atmosphères,  amène  des  accidents  d’une  gravité  va- 
riable suivant  le  degré  de  la  compression,  la  rapidité  de  la 
décompression,  les  espèces  animales,  les  individus,  l’état  ac- 
tuel de  l’individu  en  expérience. 

Ces  accidents  doivent  être  attribués  au  dégagement  de  l’a- 
zote qui  s’était  emmagasiné  dans  l’organisme  en  excès,  sui- 
vant les  exigences  de  la  loi  de  üalton. 

Ce  gaz  repasse  à l’état  libre  dans  les  vaisseaux  sanguins, 
les  divers  liquides  organiques,  l’épaisseur  même  des  tissus  ; 


DÉCOMPRESSION  BRUSQUE  : PROPHYLAXIE.  981 

il  peut  ainsi,  suivant  les  cas,  arrêter  la  circulation  pulmo- 
naire, anémier  et  amener  au  ramollissement  certaines  ré- 
gions des  centres  nerveux  et  particulièrement  le  renflement 
lombaire  de  la  moelle  épinière,  dilacérer  les  tissus,  produire 
des  tumeurs  ou  un’ emphysème  plus  ou  moins  étendu.  La  gra- 
vité des  accidents  dépend  tout  à la  fois  du  siège  et  de  l’éten- 
due de  ces  désordres  multiples. 

Une  décompression  ménagée  de  12  minutes  par  atmosphère 
est  nécessaire  pour  mettre  les  chiens  à l’abri  des  accidents, 
lorsque  la  compression  s’est  élevée  aux  environs  de  10  atmo- 
sphères. 

Une  recompression  immédiate,  ou  consécutive  à la  respira-  . 
tion  d’oxygène  dans  le  cas  où  l’on  constate  des  gargouille- 
ments au  cœur,  est  le  seul  moven  de  combattre  efficacement 
les  accidents  de  la  décompression. 


CHAPITRE  VIII 


QUESTIONS  DIVERSES. 


Je  traite  dans  ce  chapitre  d’un  certain  nombre  de  ques- 
tions qui  n’ont  avec  le  sujet  de  mes  études  que  des  rapports 
un  peu  indirects,  mais  qui  ne  lui  sont  cependant  pas  étran- 
gères. Telle  la  question  de  l’asphyxie,  et  celle  de  l’action 
toxique  de  l’acide  carbonique,  dont  il  a été  tant  de  fois 
question,  particulièrement  dans  le  premier  chapitre  de  cet 
ouvrage. 


SOUS-CHAPITRE  PREMIER 

ACTION  DE  L’ACIDE  CARBONIQUE  SUR  LES  ÊTRES  VIVANTS. 

Les  expériences  rapportées  dans  le  chapitre  I,  sous-chapi- 
tre II,  m’ont  fait  voir  que  la  mort  des  animaux  maintenus  en 
vases  clos,  dans  de  l’air  comprimé  à plusieurs  atmosphères, 
arrive  lorsque  la  tension  de  l’acide  carbonique  qu’ils  ont 
formé  en  respirant  s’élève  à une  certaine  valeur  constante. 

Cette  première  constation  a dû  appeler  tout  particulière- 
ment mon  attention  sur  l’étude  des  effets  de  l’acide  carbo- 
nique sur  les  êtres  vivants,  étude  qui  se  rattache  ainsi  indi- 
rectement à mon  projet.  Ce  sont  les  résultats  de  ces  recherches 
que  je  vais  consigner  ici. 


ACTION  DE  L’ACIDE  CARBONIQUE. 


983 


g jer  — De  ia  tension  mortelle  de  l’acide  carbonique 

dans  l’air  ambiant. 

Je  rappelle,  d’abord,  que  la  tension  d’un  gaz  T est  le  pro- 
duit des  deux  facteurs,  la  composition  centésimale  G et  la 
pression  barométrique  P. 

Chez  les  moineaux,  ainsi  que  nous  l’avons  vu  (voy.  p.  587), 
la  mort  arrive  lorsque  la  tension  de  l’acide  carbonique  s’élève 
à une  valeur  de  24  à 28,  quand  l’on  a,  en  d’autres  termes, 
l’équation 

CxP  = 24à28. 

Ainsi,  plus  la  pression  sera  forte,  plus  faible  sera  la  pro- 
portion centésimale  nécessaire  pour  amener  la  mort,  et  réci- 
proquement. Ainsi  encore,  à la  pression  normale  et  aux 
pressions  inférieures,  il  faudra,  pour  que  les  animaux  péris- 
sent, qu’ils  aient  été  renfermés  dans  de  l’air  suroxygéné,  car 
l’air  ordinaire  ne  pourrait  fournir  les  24  à 28  centièmes  mor- 
tels à une  atmosphère,  les  48  à 56  mortels  à une  demi-at- 
mosphère, etc.  C’est,  en  effet,  ce  que  nous  ont  montré  les 
expériences  multiples  consignées  au  chapitre  Ier. 

J’ai  fait  un  assez  grand  nombre  d’expériences  sur  des  ani- 
maux d’espèces  différentes,  desquelles  il  résulte  que  la  valeur 
de  la  tension  mortelle  de  l’acide  carbonique  varie  suivant 
l’espèce. 

Voici,  par  exemple,  deux  expériences  faites  sur  des  rats  : 
Expérience  DXCVI.  — 5 août. 

Rat  mis  à 3h  dans  le  petit  récipient  à eau  deSeltz,  à 7 atmosphères. 
Trouvé  mort  à 6h  ; les  muscles  se  contractent  encore. 

Poumons  gonflés  au  maximum,  ne  se  rétractant  pas  à l’ouverture  de  la 
poitrine  ; gaz  dilatés  dans  l’estomac. 

Gaz  dans  sang  du  cœur  droit,  mais  non  dans  le  cœur  gauche. 

Air  mortel,  CO2  4,4  ; O 14,8. 

Tension  du  C02  = 30,8. 

Expérience  DXCVII. — 19  août. 

Rat  pesant  180g,  mis  à llh  45m  à 7 atmosphères  et  1/2. 

Même  appareil  ; meurt  à 2h. 

Énorme  dilatation  des  gaz  de  l’estomac. 


984 


EXPÉRIENCES. 


Pas  de  gaz,  même  dans  le  cœur  droit 

Air  mortel,  CO2 4 ; O 14,3. 

Tension  du  CO2  = 50,0. 

On  voit  ici  que  la  tension  mortelle  de  l’acide  carbonique 
est,  pour  les  rats,  un  peu  plus  forte  que  pour  les  oiseaux. 

C’est,  du  reste,  un  fait  général  chez  les  mammifères,  comme 
le  prouveront  tout  à l’heure  les  expériences  faites  sur  les 
chiens,  expériences  qui  donneront,  en  outre,  l’explication  des 
irrégularités  apparentes  dans  la  valeur  de  la  tension  mortelle. 
Je  n’ai  pas  cru  devoir  insister  sur  ces  différences  d’espèce  à 
espèce;  une  seule,  que  j’ai  autrefois  signalée1,  mérite  d’être 
ici  rappelée,  comme  j’en  rappellerai  ailleurs  la  conséquence 
générale.  C’est  à savoir  que  les  batraciens  et  les  reptiles  re- 
doutent beaucoup  plus  l’acide  carbonique  que  ne  le  font  les 
animaux  à sang  chaud.  Voici  quelques  expériences  à l’appui 
de  cette  importante  proposition. 

Les  unes  ont  été  faites  en  employant,  à la  pression  nor- 
male, de  l’air  suroxygéné  : 

Expérience  DXCVIII.  — 15  février.  Couleuvre  à collier,  mise  dans  une 
cloche  de  875cc,  avec  de  l’air  à 77  pour  100  d’oxygène. 

Meurt  le  21  février. 

L’air  contient  15,5pour  100  d’acide  carbonique,  et  01  pour  100  d’oxy- 
gène. 

Expérience  DXCIX.  — 16  mars.  Grenouille  mise  dans  une  cloche  de 
400cc,  avec  de  l’oxygène  pur. 

Meurt  le  23  mars.  La  température  a été  de  6 à 7°. 

L’air  contient  : O : 81;  CO2  17. 

Expérience  DC.  — 16  mars.  Grenouille  placée  dans  une  cloche  de 
même  dimension,  dans  même  air  que  la  précédente. 

Meurt  le  25  mars. 

L’air  contient  : O : 84  ; CO2  15,7. 

Pour  d’autres,  Pair  suroxygéné  a été  additionné  d’avance 
d’une  certaine  proportion  d’acide  carbonique  : 

Expérience  DCI.  — 3 août.  Lézard  gris,  mis  à 4h  !5mdans  une  cloche 
contenant  570cc  d’un  air  à 78,9  pour  100  d’oxygène,  le  reste  en  azote. 

1 Leçons  sur  la  physiologie  comparée  de  la  respiration,  p.  521. 


ACTION  DE  L’ACIDE  CARBONIQUE. 


985 


Le  4,  bâille  beaucoup,  fort  mal  à son  aise  ; le  malaise  va  en  augmen- 
tant, et  l’animal  meurt  le  6 vers  2h  (70h). 

La  température  a varié  de  23°  à 29°. 

Il  y a dans  la  cloche  15,7  pour  100  de  GO2. 

Expérience  DCII.  — 3 août.  Lézard  gris,  mis  à 5h  15ra  dans  une  cloche 
contenant  550cc  d’un  air  à 90  pour  100  d’oxygène,  avec  10  pour  100  de  CO2. 

4 août.  Encore  un  peu  sensible  à 4h  du  soir;  est  trouvé  mort  à 9h  (en- 
viron 28h). 

La  température  a varié  de  23°  à 29°. 

L’air  contient  16  pour  100  de  GO2. 

Expérience  DCIII.  — 3 août.  Grenouille  mise  à 5h  45m  sous  une  cloche 
de  550cc  contenant  : O : 90  ; CO2  : 10. 

4 août.  10hdu  malin,  paraît  à peine  respirer. 

Meurt  à 2h  (a  vécu  20h).  La  température  du  laboratoire  a varié  de  23° 
à 29°. 

Il  y a dans  la  cloche  17  pour  100  de  CO2. 

Pour  d’autres,  enfin,  l’expérience  a été  faite  dans  l’air 
comprimé  : 

» 

Expérience  DCIV.  — 28  juillet.  Température  : 22°.  Deux  grenouilles 
sont  mises  à 3h  dans  le  petit  récipient  à eau  de  Seltz,  et  soumises  à 5 atmo- 
sphères de  pression. 

Rien  de  bien  particulier,  les  deux  ou  trois  jours  suivants. 

1er  août.  lh.  Sont  évidemment  fort  malades. 

Meurent  vers  3h. 

L’air  contient  3,2  pour  100  de  CO2;  la  tension  est  donc  de  3,2x5=16. 

Ainsi,  par  l’une  ou  l’autre  de  ces  méthodes  multiples,  on 
voit  que  la  tension  mortelle  de  l’acide  carbonique  pour  les 
reptiles  oscille  entre  13,5  et  17,  tandis  qu’elle  est  pour  les 
moineaux  de  24  à 28,  et  qu’elle  atteint  et  dépasse  30  pour  les 
mammifères. 

§ 2.  — De  la  dose  mortelle  de  l’acide  carbonique 

dans  le  sang. 

Dans  les  expériences  dont  le  récit  va  suivre,  j’ai  cherché 
d'abord  à déterminer  la  dose  mortelle  de  l’acide  carbonique, 
non  plus  dans  le  milieu  extérieur,  mais  dans  le  sang;  puis, 
à établir  les  rapports  qui  existent  entre  la  proportion  crois- 
sante de  ce  gaz  dans  l’air  où  est  confiné  l’animal,  et  son  abon- 
dance dans  le  sang. 


986 


EXPÉRIENCES. 

Ces  expériences  ne  pouvaient  évidemment  être  faites  que 
sur  des  chiens,  et  je  ne  pouvais  penser  à essayer  pratique- 
ment de  les  maintenir  en  vases  clos  dans  l’air  comprimé. 
J’ai  donc  dû  employer  la  méthode  de  la  respiration  dans  l’air 
suroxygéné,  à la  pression  normale. 

La  disposition  des  appareils  était  des  plus  simples.  L’ani- 
mal, solidement  attaché,  était  forcé  de  respirer,  soit  par  une 
muselière  bien  close,  soit  directement  par  la  trachée,  dans 
un  vaste  sac  de  caoutchouc  faiblement  gonflé  par  l’oxygène. 
Un  petit  orifice  permettait  de  puiser  l’air  à divers  inter- 
valles, en  prenant  toutes  les  précautions  pour  que  l’échan- 
tillon représentât  bien  la  composition  moyenne  de  l’air 
du  sac. 

Arrivons  maintenant  au  récit  de  ces  expériences  : 

Expérience  DGY.  14  février.  Chien  de  6,5  kilogrammes  : malade,  avec 
un  pneumo-gastrique  coupé  depuis  4 jours. 

5h.  Placé  un  tube  dans  la  trachée.  Mis  à respirer  dans  le  sac  de  caout- 
chouc où  l’on  introduit  de  Y air.  Après  10m,  je  tire  à l’artère  fémorale 
70cc  de  sang A 

Remis  à l’air  libre. 

5h  55m.  Mis  à respirer  dans  le  sac,  qui  contient  alors  un  mélange  à 94 
pour  100  d’oxygène.  Après  15m,  tiré  70cc  de  sang B 

5h  15m.  L’animal  fait  de  grandes  inspirations.  Tiré  44cc  de  sang  ...  C 

9h.  A peine  sensible  à l’œil  ; 15  à 16  respirations,  à trois  temps,  sem- 
blables à celles  des  tortues  ; température  rectale  27°.  Le  gaz  du  sac  con- 
tient CO2,  28  ; O 60  ; C02-h0  = 88  ; il  y a eu  une  absorption  très-manifeste, 


correspondant  à 6 pour  100  d’oxygène  disparu. 

Je  tire  37cc  de  sang,  qui  vient  difficilement D 

Je  laisse  respirer  l’animal  à l’air  libre. 

A (air)  contient  pour  100cc  de  sang  : O 16  ; CO2  29,5 
B (oxygène)  — 18,4;  — 20,6 

C — 17,5;  —50,1 

D (CO2  : 28  ; Ox  : 60)  — 17,9  ; — 68,4 


A 10h,  l’animal  respire  encore  de  môme,  et  a la  même  température. 
Trouvé  mort  le  lendemain. 

Expérience  DCVI.  — 16  février.  Chien  très-robuste,  pesant  15  kilo- 
grammes. 

Tube  dans  la  trachée;  artère  carotide  à nu. 

2h  40m.  Mis  à respirer  dans  un  sac  contenant  environ  30  litres  d 'air  ; au 
bout  de  3m,  je  tire  50cc  de  sang , 9 A 


ACTION  DE  L’ACIDE  CARBONIQUE. 


981 


Remis  à respirer  à l’air. 

2h  50m.  Réadapté  au  sac  de  caoutchouc,  qui  contient  55  litres  d’un  mé- 
lange à environ  90  pour»  100  à' oxygène.  A 5h,  tiré  50cc  de  sang  évidem- 


ment plus  rouge R 

4h  5ra.  De  grandes  respirations  apparaissent;  pris  de  l’air  du  sac,  qui 

contient  21,4  pour  100  de  CO2  ; tiré  50cc  de  sang  très-rouge G 

4h35m.  Température  rectale  55°. 

5h  25.  Température  rectale  33°;  5h  30m,  pris  50cc  de  sang D 

5h45m.  Pris  dans  le  cœur  droit,  par  la  jugulaire  droite,  30cc  d’un  sang 

bien  rouge E 

A5h  50m,  extraitair  du  sac,  qui  contient  : GO2  37,5  et  O 48,8. 


Il  est  probablement  entré  un  peu  d’air  dans  le  cœur,  car  le  chien  est 
pris  de  trépidations,  de  convulsions,  de  raideurs;  on  le  détache. 

A 6h  1/4,  température  rectale  34°. 

A 9h  du  soir,  est  très-bien  remis  ; survit. 


A (air)  contient  pour  100cc  de  sang  : O 21,0;  GO2  43,5 

R (oxygène)  — 22,4;  — 43,9 

G (ox.  depuis  lh  15m  : CO2  21,4)  — 22,0;  — 89,0 

D (ox. depuis  2h35m  : C02env. 35)  — 19,9;  — 87,2 

E (sang  veineux,  CO2  57,5;  O 48,8)  — 16,5;  — 82,3 


Expérience  DGYIL  — 1er  mars.  Chien  de  grande  taille  : muselière. 
Pendant  qu’il  respire  à l’air  libre  avec  une  rapidité  extraordinaire,  je 


tire  à l’artère  fémorale  70cc  de  sang A 

et  à la  veine  40cc A' 

3h  45m.  Mis  à respirer  dans  le  sac  plein  d’oxygène. 

5h  50m.  Sang  veineux  à la  fémorale.  40cc R' 

3h  55m.  Gaz  du  sac (3 

5h  58m.  Sang  artériel,  40cc R 

A 5h  25®,  30  ou  40  respirations  calmes  à la  minute  ; température  rec- 
tale 37°  ; pris  40cc  de  sang  artériel G 

L’air -du  sac  contient  CO2  52,8;  O 53,5 ' . . . . 7 


A 6h,  l’animal  étant  fort  malade,  on  injecte  avec  précaution,  par  un 
petit  orifice,  de  l’acide  carbonique  dans  le  sac,  en  surveillant  avec  soin  et 
brassant  le  sac  de  manière  à obtenir  un  mélange  aussi  parfait  que  pos- 
sible. 

Vers  7h,  il  devient  évident  que  l’animal  va  périr;  on  cesse  l’injec- 
tion de  l’acide  ; température  rectale  56°.  L’animal  respire  encore  plu- 
sieurs fois.  Pendant  les  dernières  respirations,  je  tire  avec  difficulté  47cc 

de  sang  du  cœur  droit  ; très-noir D' 

Tiré  ensuite,  avec  tout  autant  de  difficulté,  par  la  carotide  gauche,  40cc 

de  sang  bien  rouge D 

Immédiatement  après,  pris  gaz  du  sac § 

Je  mets  aussitôt  un  tube  dans  la  trachée  et  recueille  sous  l’eau  l’air  des 
poumons,  en  ouvrant  le  thorax.  11  contient  pour  100  : 60,8  de  CO2  et  18,8 
d’oxygène. 


988 


EXPÉRIENCES. 


Résumé  de  l’expérience  : 

0 CO2 

A (air  libre  ; respir.  extrêm.  rapides  ; sang  artériel)  24,8  19,5 
A'  — — veineux  10,0  29,0 

B (air  p : O 81,8;  CO2  5,8,  sang  artériel)  25,4  55,6 

B1  — — veineux)  11,9  51,5 

G (air  y : O 55,5  ; CO2  52,8  ; sang  artériel)  66,7 

D (air  S : O 57,6  ; GO2  51,5;  sang  artériel)  17,5  79,5 

D'  ( — — veineux)  4,4  75,5 


Expérience  DCVIII.  — 4 mars.  Ghien  pesant  5 kil.  950. 

Placé  sous  une  cloche  de  verre  de  51 1 ; amené  la  pression  à 17e  ; l’animal 
s’agite  beaucoup,  se  dresse  anxieux  : laissé  rentrer  de  l’oxygène.  Je  ramène 
alors  la  pression  à 8e  : mêmes  symptômes,  et  laissé  encore  rentrer  l’oxy- 
gène jusqu’à  la  pression  normale. 

Le  robinet  est  fermé  à 2h  45m  ; l’air  contient  81  pour  100  d’oxygène. 

4h5m.  Animal  anxieux,  respirant  péniblement,  se  dressant  dans  la  cloche, 
pris  air p 

5h  50m.  L’animal  vient  de  tomber  sur  le  liane  ; pris  air y 

6h  10m.  Couché,  indifférent  aux  chocs  sur  la  cloche,  semble  insensible  ; 
16  respirations  énormes,  très-pénibles  ; pris  air § 

9h  50m.  Trouvé  mort  ; il  y a eu  absorption  assez  notable  pour  que  la 
pression  ait  diminué  de  4 à 5e  dans  la  cloche  ; pris  air s 

Ainsi,  en  résumé  : 

Anxieux,  avec  air  p : O 64,9  ; CO2 15,7  ; 

Tombe  — y : 60,5  ; 20,2  ; 

Insensible  — S:  55,8;  27,0; 

Mort  — s:  46,5;  54,1. 

En  tenant  compte  de  la  diminution  de  pression  de  la  cloche,  on  calcule 
aisément  qu’il  y a eu  environ  1500cc  d’oxygène,  qui  ont  été  absorbés  sans 
avoir  reparu  à l’état  gazeux  comme  acide  carbonique. 

Expérience  DGIX.  — 8 mars.  Ghien  de  moyenne  taille  ; canule. dans  la 


trachée  ; artère  fémorale  à nu. 

5h  50m.  Mis  à respirer  dans  le  sac  contenant  de  Y air  ; respiration  calme; 

tiré  50cc  de  sang  à l’artère  fémorale A 

5h  55h.  Mis  à respirer  dans  le  sac  qui  contient  de  Y oxygène  à environ 
90  pour  100.  Présente  une  apnée  presque  complète  : à peine  quelques 
petits  mouvements  respiratoires.  A4h  10m,  tiré  50cc  de  sang  très-rouge.  B 


5h  20m.  Respirations  forcées,  très-gênées;  pris  de  l’air  dans  le  sac;  il 

contient  CO2  9;  O 80,8.  Tiré  40cc  de  sang  très-rouge G 

6h  15m.  Température  rectale  55°;  respirations  très-anxieuses;  œil  sen- 
sible. L’air  du  sac  contient  CO2 18,  O 70  ; tiré  40cc  de  sang  rouge. ...  D 

Sang  A (air)  contient  pour  100cc  de  sang  : O 18,9  GO2  56,5. 

— B (oxygène)  — — 25,0  — 42,8. 

— G (O  80,8  ; CO2  9)  — — 24,7  — 60,8. 

— D (O  70;  CO2  18)  — *—17,6  — 71,6. 


ACTION  DE  L’ACIDE  CARBONIQUE. 


989 


Expérience  DGX.  — 12  mars.  Chien  pesant  9 kilogrammes.  Tube  dans 
la  trachée.  Artère  fémorale  à nu. 

2h  20m.  Respire  air  dans  le  sac  de  caoutchouc,  depuis  2 à 5m  ; respira- 


tions très-calmes  ; tiré  45cc  de  sang  artériel A 

et  55cc  de  sang  veineux  dans  la  veine  cave  inférieure A' 

2h  55m.  Mis  à respirer  mélange  à environ  90  pour  100  d 'oxygène. 

5h  10m,  tiré  45cc  de  sang  artériel  plus  rouge  que  A 

et  35cc  de  sang  à la  veine  cave  inférieure B' 

5h  20m.  Air  du  sac  : O 81,7  ; CO2  7,9. 

5h45m.  16  respirations  très-anxieuses  ; lOOpulsations  faibles;  œil  insen- 
sible ; température  rectale  30°  ; pris  sang  veineux  à la  veine  cave  inférieure 

au  niveau  des  reins C' 

6h  35m.  L’air  du  sac  contient  CO2  52,5  ; O 55. 

6h45m,  12  respirations;  87  pulsations;  température  rectale  28°, 5 ; pris 

45cc  de  sang  artériel  bien  rouge D 

Tiré  ensuite  dans  le  cœur  droit  35cc  de  sang D' 

N’était  pas  mort  à 7h  30m  ; température  rectale  28°. 

O CO2 

Sang  A (air,  sang  artériel) 22,0  46,7 

— A' ( — veineux) 16,1  57,3 

— B (env.  85  d’O  et  6 de  CO2,  sang  artériel).  24,2  54,1 

*—  B'(  — veineux).  9,8  70,6 

— G'  (env.  60  d’O.,  sang  veineux) 6,7  73,1 

— D (env.  O 53;  CO2  53,  sang  art.)  . . . , . 95,8  18,0 

— D' ( — sang  du  cœur  droit).  12,3  101,4 


Le  lendemain,  l’animal  étant  mort  depuis  la  nuit,  on  trouve  l’estomac 
très-distendu  par  des  gaz  qui  contiennent  50  pour  100  de  CO2  et  5 pour  100 
d’oxygène. 

L’air  du  sac  contenait  O 50,6;  CO2  34,8  ; celui  des  poumons  : O 23,5  ; 
CO2  57,7. 

Je  prends  dans  la  vessie  45cc  d’urine,  et  l’introduis  dans  la  pompe  à ex- 
tractioh  des  gaz,  où  se  trouve  déjà  un  peu  d’acide  sulfurique  dilué  et  bien 
privé  de  gaz.  Je  trouve  ainsi  que  100°°  d’urine  contiennent  106cc  d’acide 
carbonique. 

Expérience  DCXI.  — 17  avril.  Chien  pesant  9 kil. ; tube  dans  la  trachée. 

llh  5m.  Mis  à respirer  dans  le  sac  contenant  281  à’ oxygène.  Pas  d’apnée 
visible. 

llh  20m.  Température  rectale  57°, 5. 

5h  5m.  Insensible  à l’œil;  10  respirations,  64  pulsations,  température 
rectale  30°. 

5h45m.  51  pulsations,  6 respirations  ; 29°. 

4h5m.  48  pulsations,  1 respiration  toutes  les  2ni. 

4h  15ni.  Tiré  sang  du  cœur  droit,  50cc,  assez  rouge A 

4h  40m.  45  pulsations  ; respirations  toutes  les  2 ou  5,n  ; temp.  27°, 8. 

4U  50m.  Le  cœur  bat  encore  ; plus  de  respiration  depuis  environ  10m. 


090 


EXPÉRIENCES. 


Tiré  50cc  sang  du  cœur  gauche,  peu  rouge B 

5h.  Le  cœur  ne  bat  plus  depuis  quelques  minutes  ; tiré  du  cœur  droit 

sang  très-noir,  50cc G 

A 5h  15lu,  l’air  du  sac  contient  GO2  45,4  ; 0 59  ; cette  composition  n’a  pu 
changer  sensiblement  depuis  la  mort,  par  endosmose,  car  à 6h  45m,  j’y  re- 
trouve 44,6  d’acide  carbonique  pour  100. 

A (cœur  droit;  respirations  dans  oxygène  depuis  5h  10m)  contient: 
016,6;  GO2  101,4; 

B (cœur  gauche  ; O 59  ; CO2  45,4)  contient  : O 10,8;  GO2  116,6  ; 

G (cœur  droit;  0 59;  CO2 45,4)  contient  : O 0,7  ; CO2 120,4. 


Expérience  DCXII.  — 15  mars.  6 = 15°.  Chienne  jeune,  pesant  8k,5. 
Température  vaginale  59°. 

2h  25IU.  Mis  à respirer  par  la  trachée  dans  le  sac  contenant  401  d’air  à 
85  pour  100  d’oxygène. 

Bespirations  extrêmement  rapides. 

2h  50m.  Pris  25cc  de  sang  artériel  carotidien  ; il  y a alors  100  pulsa- 
tions ; le  sang  est  extrêmement  rouge A 

2h  55m.  72  respirations  plus  amples  ; température  vaginale  56°, 1. 

2h  5m.  Pris  air  du  sac (3 

5h  7m.  60  respirations,  assez  amples  ; température  55°;  pris  25cc  de  sang 
artériel B 


4h  4,u.  56  respirations  ; température  51°  ; air  du  sac y 

4h  6m.  25ccde  sang,  très-rouge G 

4h  20U1.  Bespirations,  44;  pulsations,  51  ; 0 = 50°. 

4h  50ai.  Respirations,  28  ; pulsations,  52  ; urine. 

5h  15m.  Respirations,  20;  pulsations,  24  ; 6=  27°. 


5h  25m.  Respirations,  16;  pulsations,  16;  0 —26°, 5;  insensible  à un 
œil,  encore  un  peu  de  sensibilité  à l’autre. 

5h  52m.  Pris  15cc  de  sang  carotidien,  bien  rouge D 

5h  58m.  Q = 25°  ; on  cesse  la  respiration  dans  le  sac,  dont  on  prend  de 

l’air S 

Après  quelques  minutes,  l’animal,  encore  insensible  à l’œil,  est  pris  de 
raideurs  des  pattes  et  du  cou,  avec  une  certaine  agitation  des  membres  ; 
on  le  détache.  Il  présente  alors  des  mouvements  lents  et  engourdis,  comme 
ceux  d’une  marmotte  qui  se  réveille. 

6h  20m.  Animal  calme  ; respirations,  24  ; pulsations,  52  ; 0 = 25°.  Je  tire 

25ccdesang  bienrouge,  puis  j’enlève  le  tube  trachéal E 

Le  lendemain,  l’animal  est  parfaitement  revenu  à lui  ; sa  température 
vaginale  est  remontée  à 40°.  Survit. 

Résumé  de  l’expérience  : 


O 

GO2 

0 

A (0  à 85  pour  100) 

24,7 

27,5 

39» 

fc  (air  (3  : 0 71,6;  CO*  13,3).  . 

25,4 

51,1 

55° 

C (air  y : 0 61;  GO2  21,5)  . . . 

22,6 

69,5 

51° 

D (air  S : 0 55  ; CO2  29.6)  . . . 

20,5 

72,5 

25° 

E (40m  après,  resp.  à l’air  libre). 

25,0 

40,6 

25° 

ACTION  DE  L’ACIDE  CARBONIQUE. 


991 


Expérience  DCXIII.  — 19  mars.  618°.  Chienne  terrier  pesant  9k. 

A 2h  25m,  mis  un  tube  dans  la  trachée  ; temp.  vag.,  38°. 

2h  32h,  mise  à respirer  dans  un  sac  contenant  40l  d’air  à 89,4  d’oxy- 
gène. 

Respirations  extrêmement  rapides. 

2h  43m,  tiré  à la  carotide  25cc  de  sang  médiocrement  rouge A 

100  resp.;  puis.  108  ; temp.  37°, 5. 


3h  10m,  pris  air  du  sac /3 

3h  13ni,  tiré  25cc  de  sang B 


3h  20m,  resp.  56;  puis.  76;  0 37°. 

3b  58m,  resp.  36;  puis.  72,  irrégulières;  0 36°,  8,  urine  ; pris  air  du 

sac y 

3h  48m,  0 35°, 9. 

4h,  resp.  56  ; un  cardiomètre  placé  à la  carotide  oscille  de  11 c, 5 à 19e. 


4h  10m,  G 55°, 2 ; pris  air  du  sac S 

4h  18m,  25cc  de  sang D 


4h  30m,  G = 34°, 5 ; pattes  insensibles,  œil  encore  sensible  ; resp.  56  ; 
puis.  72. 

4h  59U1,  G = 53°, 5 ; air  du  sac s 

5h  5m,  absolument  insensible,  sauf  à l’œil. 

5h  20U1,  resp.  68  ; puis.  80  ; G 32°, 8 ; pris  air  du  sac y 

5h  35m,  G 32°, 2. 

5h  45m,  air ç 

5h  48m,  resp.  52,  un  peu  irrégulières;  puis.  58,  très-faibles:  0 = 32°; 

sang  50cc G 

La  cornée  devient  insensible  ; la  conjonctive  conserve  encore  quelque 

sensibilité. 

6b,  resp.  44;  puis.  44  ; G = 31°, 2. 

6h  10m,  25cc  de  sang Il 

On  enlève  le  sac,  après  avoir  pris  de  l’air  pour  l’analyse ^ 

Après  quelques  respirations  à l’air  libre,  l’animal  présente  des  raideurs, 
qui  durent  peu.  Mis  à terre,  il  se  tord  lentement,  sans  sensibilité  mani- 
feste. 

J’enlève  le  tube  trachéal. 

Vers  6h  30m,  la  sensibilité  revient  très-nettement.  A 7h,  excité,  se  re- 
lève et  essaye  de  marcher. 

Le  lendemain,  bien  remis  ; survit. 


O 

CO2 

0 

Sang  A (Air  à 89,4  p.  100  d’oxyg.)  .... 

25,5 

28,9 

38° 

— B (Air  p : O : 78,4;  CO8 : 8,7).  . . . 

23,7 

52,6 

37° 

Air  y:  O : 71,2;  CO2  : 14,8  . . . 

» 

» 

56°, 8 

— D (Air  5:0:  66,0;  CO8:  19,4)  . . . 

22,9 

72,2 

35° 

Air  £ : O : 58,4;  CO2:  27,5  . . . 

» 

» 

53°,  5 

Air»  : O:  53,5;  CO2  : 32,1  . . . 

)) 

» 

52°, 8 

— G (Air  Ç : O : 50,4  ; CO2 : 54,9)  . . . 

18,3 

72,6 

52° 

— 11  (Air x ■ O : 47,0;  CO2:  58,1)  . . . 

17,2 

82,8 

31°, 2 

992 


EXPÉRIENCES. 


Expérience  DGXIV.  — Chien  pesant  7k,7.  0 = 16°. 

Mis  à 10h  30m  un  tube  dans  la  trachée.  A 10h  45m,  sa  temp.  rectale  est 
58°, c2. 

llh  35,n,  mis  à respirer  dans  le  sac  contenant  401  d’un  air a 


llh  43m,  pris  28cc  de  sang  carotidien A 

45m,  resp.  60,  inég.  ; puis.  120  ; 0 38°, 1 ; pris  air B 

lh  50m,  pris  air 7 


Besp.  40,  inég.  ; puis.  96  ; l’animal  est  à peu  près  insensible. 

2h  25m,  resp.  56  ; puis.  96  ; 0 51°;  œil  peu  sensible. 

2h  55m,  resp.  50  ; puis.  66,  géminées  ; 0 29°, 8 ; pris  air  .....  . S 


5h  23m,  pris  air s 

5h  25m,  resp.  28  ; puis.  60  ; 0 28°, 8 ; pris  26cc  de  sang B 

3h  45m,  resp.  28;  puis.  52;  0 28°, 2;  pression  carotidienne  oscillant 

de  12  à 14e;  œil  encore  un  peu  sensible. 

4h  5m,  resp.  20  ; puis.  44;  0 27°, 8 ; œil  encore  un  peu  sensible  ; pris 

air 

4h  57m,  œil  insensible;  resp.  20  ; puis.  45;  q 27°  ; pris  air ; 

5h  5m,  resp.  22  ; puis.  48;  0 26°;  pris  air . * 

5h  21m  ; 0 25°, 2. 

5h  35m,  resp.  4;  puis.  40,  très-faibles  ; 0 25°  ; pris  air X, 

5h  50m,  0 24°, 5. 

5h  55m,  resp.  5 ; puis.  56;  0 24°;  pris  sang  au  cœur  gauche,  avec  la 

sonde  ; bien  rouge C 

6h  15m,  resp.  2 ; puis.  56  ; 0 23°, 5 ; pris  air a 


Les  respirations  deviennent  de  plus  en  plus  rares,  puis  cessent  quel- 
ques minutes  avant  les  battements  du  cœur.  Celui-ci  s’arrête  à 6h55m; 
0 = 25°. 

A 6h  45in,  je  prends  du  sang  dans  le  cœur  gauche,  il  est  très-noir  . . D 

Pris  également  air  du  sac 

Le  nerf  sciatique  fait  encore  contracter  les  muscles  à 7h  25m. 

Le  tableau  ci-dessous  donne  les  résultats  de  l’expérience  : 


Au 

Après 

Après 

Après 

Après 

Après 

Après 

Après 

Après 

Après 

Après 

début 

lh  5™ 

2»  10™ 

oh  15'“ 

5h  45,n 

4h  25m 

5 h. 

5h  25“ 

5h  55“ 

6h  55“ 

6h  55™ 

a 

13 

7 

S 

s 

ç 

X 

X 

P- 

V 

Oxygène  du  sac. 

70,5 

58,6 

47,9 

42,7 

39,7 

37,1 

34,8 

34,9 

34,2 

53,7 

52,5 

J O 

CO* 

5,2 

14,4 

24,3 

28,6 

30,4 

32,5 

35,9 

55,9 

34,2 

55,4 

55,4 

A 

B 

C 

D 

Ox.  du  sang  art. 

» 

» 

» 

» 

18,7 

)) 

» 

» 

18 

,2 

0,0 

CO'2 

61°,  8 

ï) 

» 

)) 

99,5 

» 

» 

)) 

103 

,6 

106,7 

Temp.  rectale. 

58°,  2 

38,1 

» 

29,8 

28,8 

27,8 

27 

26 

25 

23,5 

25 

Respirations..  . 

» 

60 

40 

50 

28 

20 

20 

22 

4 

2 

0 

Pulsations.  . • 

» 

120 

96 

66 

60 

44 

43 

48 

40 

36 

0 

Expérience  DCXV.  — 26  mars.  0 = 14°.  Chien  dogue,  très-vigoureux, 
pesant  16k. 

A llh,  mis  dans  la  trachée  un  large  tube;  l’animal  s’agite,  respire  avec 
une  très-grande  rapidité,  puis  tombe,  après  une  série  de  respirations  ex- 


ACTION  DE  L’ACIDE  CARBONIQUE. 


993 

traordinaires  précipitées,  dans  un  état  d'apnée  complète  qui  dure  une 
minute. 

11 11  25'“,  mis  à respirer  dans  un  sac  contenant  601  d’air  suroxygéné,  a 
Présente  aussitôt  une  légère  apnée  qui  dure  15  secondes;  9 37°, 6.. 

A llh  40'n,  pris  25ec  de  sang,  très-rouge A 

111*  57m,  resp.  amples  21  ; puis.  152;  0 57°, 3. 

12h  30m,  l’animal  s’est  agité  pendant  un  quart  d’heure  environ;  pris 

air ‘ p 

12h  35m,  0 35°, 8 ; urine  ; pris  sang  bien  rouge B 

12h  45m,  resp.  43;  puis.  100;  9 35°. 

12h  50m,  pression  cardiaque  oscille  de  13e  à 16e  aux  entrêmes. 
lh,  resp.  40  ; puis.  92  ; 0 33°, 8. 

lh  34m,  resp.  38  ; puis.  88  ; 0 32°, 2 ; pris  air y 

lb  40™,  pression  cardiaque  oscille  de  14e  à 16e. 

2h  5'",  resp.  36  ; puis.  72  ; 0 31°, 2 ; pris  sang G 

On  détache  l’animal,  dont  on  peut  écraser  le  bout  des  doigts,  couper  la 
peau,  sans  provoquer  le  moindre  signe  de  douleur,  le  moindre  mouvement, 
le  moindre  changement  dans  le  rhythme  respiratoire.  Cependant  l’œil  est 
sensible. 

2h  30m,  resp.  28  ; puis.  60;  0 30°, 8 ; pris  air S 

3h,  resp.  24;  puis.  56;  9 30°. 

5l1  15'“,  insensible  à l’œil  ; pris  air s 

31'  18"',  resp.  2'.»;  puis.  48  ; 0 29°, 5;  tiré  25cc  de  sang  carotidien,  très- 

rouge D 

3h  30'",  la  pression  cardiaque  oscille  de  12  à 14e,  avec  des  extrêmes 
accidentels  de  il  et  de  15. 

4h,  resp.  16;  puis.  32  ; 0 28°, 5;  pris  air  . n 

4h  10m,  pris  25ce  de  sang  bien  rouge ■ . E 

4h  30m,  resp.  8;  puis.  28  ; 0 28°. 

4h  45,n,  resp.  8 ; puis.  28  ; 0 28°  ; pression  de  8 à 10e  ; pris  air  . . . ç 
51'  15"',  l’animal  vient  de  cesser  de  respirer  ; on  a enregistré  les  der- 
niers mouvements  respiratoires  à l’aide  du  pneumographe  (voy.  fig.  78, 
p.  1009);  0 27°;  le  cœur  bat  encore  un  peu,  cependant  il  faut  tirer  le 


sang  avec  la  sonde F 

Pris  air  du  sac y. 


A 61'  30'",  il  y a encore  un  peu  de  contraction  musculaire  par  excita- 
tion très-forte  du  sciatique  ; rien  à 7h  ; durée  de  lh  20m  environ. 

Ail1'  45m  et  à 3h  45"',  j’ai  pris  du  sang  artériel  et  l’ai  fait  bouillir  avec 
du  sulfate  de  soude  et  du  charbon  pour  y chercher  le  sucre  ; il  n’y  en 
avait  que  des  traces. 

Suit  le  tableau  résumé. 


03 


994 

EXPÉRIENCES. 

Au 

Après 

Après 

Après 

Après 

Après 

Après 

Après 

Après 

Après 

début 

1*>  5m 

2h  0“ 

2h  40m 

5h  5™ 

5h  50'" 

4h  55m 

4h  45m 

5h  20m 

5h  50,n 

a 

? 

V 

$ 

O 

Ç 

X 

Oxygène  du  sac.  . . 

82 

66,2 

51,7 

» 

42,5 

59,0 

55,0 

» 

52,9 

31,8 

CO2 

0 

15,5 

29,7 

» 

57,5 

40,5 

42,1 

)) 

45,2 

45,7 

A 

B 

C 

D 

E 

F 

Oxygène  du  sang. . . 

21,4 

20,7 

» 

21,0 

)) 

25,2 

» 

18,7 

» 

9,7 

CO2  du  sang 

42,7 

66,8 

» 

88,7 

» 

95,4 

)) 

97,5 

» 

114,2 

Température  rectale . 

57°, 6 

35», 8 

32°, 2 

31,2 

30,8 

29,5 

28,5 

28 

27° 

Respiration 

21 

45 

38 

58 

28 

20 

16 

» 

8 

0 

Pulsation 

# 

100 

88 

72 

60 

48 

32 

» 

28 

0 

Pression  cardiaque.  . 

» 

13  à 16 

14  à 16 

» 

» 

11  à 15 

» 

» 

8 à 10 

0 

Expérience  DGXVI.  — 28  mars.  Chien  pesant  1 4 k , 5 . 

A 2h  58'",  je  le  mets  à respirer  par  une  muselière  dans  le  sac  où  est 
resté  l'air  laissé  par  le  chien  de  l’expérience  précédente.  Cet  air  contient 
encore  40  p.  100  d’acide  carbonique. 

Le  chien  a alors  20  resp.  ; 152  puis.  ; je  viens  de  lui  prendre  à la  ca- 
rotide, avant  l’adaptation  au  sac,  25cc  de  sang A 

3h,  resp.  55;  puis.  108;  puis  tout,  à coup  la  respiration  s’accélère 
extraordinairement,  et  monte  à 108. 

3h  5’",  paraît  insensible  ; on  coupe  la  peau  de  la  jambe  et  écrase  les 
doigts  sans  aucun  signe  de  sensibilité. 

5h  5,n,  la  pression  dans  la  carotide  oscille  entre  19  et  23e  ; je  prends 
25cc  de  sang  carotidien B 

5h  Gm,  resp.  24,  très-amples;  le  diaphragme  n’agissant  pas,  le  creux  de 
l’estomac  se  déprime  à chaque  inspiration;  180  puis. 

5h  12'“,  absolument  insensible  aux  pattes;  l’œil  est  sensible;  les  pu- 
pilles se  contractent  à la  lumière;  mais  l’écrasement  des  doigts  n’amène 
aucun  changement  ni  dans  l’état  des  pupilles,  ni  dans  la  pression  du  cœur. 

3h  1 7m,  resp.  22  ; puis.  120  ; pression  artérielle  de  15  à 20e  ; 0 = 59°. 

3h  25ni,  resp.  24  ; puis.  104  ; 0 59°  ; presque  insensible  à l’œil. 

3h  26m,  j’ôte  le  sac,  et  laisse  l’animal  respirer  à l’air  libre. 

3h  28m,  resp.  44,  amples;  puis.  105. 

5h  o0m,  redevient  sensible  aux  pattes. 

Mis  à terre,  ne  peut  se  tenir  debout,  et  présente  quelques  raideurs. 

5h  50m,  commence  à se  relever,  essaye  de  marcher,  mais  piésente  un 
singulier  mouvement  de  manège,  en  tournant  sur  lui-même,  le  derrière  à 
terre,  sur  le  côté  gauche.  La  tête  est  tournée,  l’oreille  gauche  baissée,  la 
pupille  gauche  dilatée  ; nyslagmus  des  deux  yeux. 

Ces  phénomènes  durent  une  dizaine  de  minutes  en  s’affaiblissant  gra- 
duellement; puis  le  chien  revient  parfaitement  à lui* 

Le  sang  A (au  début)  contenait  19,1  d’O.  et  44,8  de  COL 
— B (insensibilité)  — 18,0  d’O.  et  84,2  de  COL 

L’air  du  sac,  aprèsl’expérience,  contenait  p.  100  ; CO2 : 45,0;  Ox»  : 23,1» 


Expérience  DCXVII.  -=  22  décembre»  Chienne  du  poids  de  I2k,5» 


ACTION  DE  L’ACIDE  CARBONIQUE. 


995 


A 4h  50m,  on  la  force  à respirer  par  une  muselière  dans  un  sac  conte- 
nant un  mélange  de  CO2  20  p.  100,  Ox.  60  p.  100,  Az.  20  p.  100. 

L'animal  avait  auparavant  20  resp.,  80  puis.  ; la  pression  du  cœur  os- 
cillait de  16  à 18e;  sa  temp.  était  58°, 5.  Je  lui  ai  pris  20cc  de  sang  ca- 
rotidien  - A 

Au  début  des  respirations  dans  le  sac,  l’animal  fait  quelques  grandes 
inspirations,  puis  se  calme  bientôt. 

5h,  bien  sensible  partout;  44  respirations  amples  ; la  pression  est  de 
18  à 20e. 

5h  50,u  ; la  sensibilité  au  pincement  des  pattes  est  un  peu  émoussée  ; 
respirations  56;  pulsations  64  ; pression  de  14  à 17e. 

5h  40m  ; je  prends  20ee  de  sang  artériel.  B 

51'  48“  ; sensibilité  très-obtuse,  même  en  excitant  le  nerf  sciatique  ; œil 
sensible. 

6'1  ; respirations  28  ; pulsations  80  ; 0 56° 

L’insensibilité  fait  des  progrès. 

6h  50  ; respirations  56  ; pulsations  100  ; 0 54°, 5. 

Complètement  insensible  au  pincement  des  pattes,  des  oreilles,  à l’é- 
lectrisation du  nerf  sciatique.  L’œil  est  peut-être  encore  un  peu  sen- 
sible. 

La  pression  artérielle  oscille  entre  11  et  17e,  je  tire  air  du  sac  et  25ce 
de  sang  artériel C 

6h57m;  je  détache  l’animal,  j’enlève  la  muselière  et  le  mets  à terre. 
Presque  aussitôt,  il  est  pris  d’une  grande  attaque  de  convulsions  toniques, 
puis  cloniques,  assez  analogues  à celles  de  l’acide  phénique. 

Ces  convulsions  se  calment  peu  à peu.  25“  après,  l’animal  commence 
à se  tenir  debout,  mais  il  est  faible  et  titubant. 

7h  20“  ; température  55°.  L’animal  est  plus  fort  et  plus  sensible. 

Le  lendemain  se  porte  tout  à fait  bien. 

Le  sang  A (air  libre)  contenait 22,5  d’O  et  59,5  de  CO2 


— B (commenc.  d’insens.) 22,5  — 68,2  — 

— C (ins.  compl.:  air  CO2  54,4  ; O 45,8)  21,6  — 77,0  — 


Expérience  DCXVIIl.  — 26  décembre.  Chien  : muselière  de  caoutchouc. 
Respirations  20;  pulsations  88;  tension  artérielle  de  18  à 19e; 
0 = 39°,  5. 

A 5h  7m,  mis  à respirer  dans  un  sac  contenant  un  mélange  de  52,8 
de  CO2;  56,7  d’oxygène  et  11,5  d’azote. 

Presque  aussitôt  est  pris  d’agitation  avec  tremblements  convulsifs,  qui 


cessent  bientôt. 

L’anesthésie  est  complète  2 à 3m  après  ; je  prends  alors  25ce  de  sang 

artériel * * . * A 

5h  15m, enlevé  le  sac:  immédiatement  les  respirations  deviennent  plus 
larges  et  plus  fréquentes. 

5h  18m,  la  sensibilité  a reparu  ; je  prends  25ec  de  sang. B 

» 


990 


EXPERIENCES. 


Mis  à terre,  l’animal  titube  et  semble  ivre;  6 = 59°  ; mais  il  n’a  pas  de 
mouvements  convulsifs.  Il  se  remet  tout  à fait  après  15  ou  20‘". 

Le  sang  À (insensibilité)  contenait  25,7  d’O  et  98,4  de  GO2. 

— B (sensib.  reparue)  — 20,8  — 51,7  — 

L’air  du  sac,  à la  cessation  de  l’expérience,  contenait  52,2  de  CO2  seule- 
ment et  58,5  d’oxygène. 

Expérience  DCXIX.  — 28  décembre.  Chien. 

L’animal  a 48  respirations,  80  pulsations;  la  pression  carotidienne 
oscille  de  15e  à 19e  ; la  température  rectale  est  59°.  Je  prends  25cc  de 
sang  artériel A 

A 5h  50m,  mis  à respirer,  par  une  muselière,  dans  le  sac  contenant  un 
air  à 40,9  p.  100  d’acide  carbonique,  avec  45,0  d’oxvgène. 

Les  inspirations  deviennent  plus  larges;  mais  il  n’y  a pas  d’agitation. 

A 5h  55'",  le  pincement  du  nerf  sciatique  ne  donne  aucune  réaction  de 
sensibilité;  la  tension  artérielle  est  de  18  à 21e,  il  y a 44  respirations, 
152  pulsations.  Je  prends  25cc  de  sang  artériel B 

5h  55"',  enlevé  la  muselière.  Surviennent  presque  aussitôt  des  agitations 
convulsives.  La  sensibilité  revient  à 5'1  40'",  et  je  prends  encore  25cc  de 
sang  carotidien G 

La  pression  est  alors  de  14  à 16e,  et  la  température  est  de  59°. 

Aucun  accident  consécutif. 

Le  sang  A (air  libre)  contenait  21,8  d’oxygène  et  44,6  de  CO2 
— B (ins.  compl.)  — 25,2  - — • 78,6  — 

— G (sens,  de  retour)  — 22,1  — • 51,5  — 

Les  expériences  qui  précèdent  montrent  d’abord  que,  dans 
les  cas  où  elles  se  sont  terminées  par  la  mort,  celle-ci  est  ar- 
rivée lorsque  le  milieu  respiratoire  contenait  55,4  pour  100 
de  GO2  (exp.  DCXIV),  ou  59  (exp.  DGXI),  ou  45,7  (exp.  DCXV). 
Ce  sont  là,  comme  on  voit,  des  nombres  assez  différents  les 
uns  des  autres. 

» 

D’autre  part,  des  animaux  ont  survécu,  alors  que  l’air 
qu’ils  respiraient  contenait  déjà  54,8  pour  100  de  CO2 
(exp.  DCX),  57,5  (exp.  DCYI)  et  même  58  (exp.  DCXÏII). 

Sans  insister,  pour  le  moment,  sur  ces  inégalités  singu- 
lières, examinons  ce  qui  arrive  pour  l’acide  carbonique  con- 
tenu dans  le  sang. 

Dans  les  cas  mortels,  la  proportion  de  GO2  contenu  dans 
100  volumes  de  sang  artériel  s’est  élevée  à 106,7  (exp. 
DCX1Y),  114,2  (exp.  DGXV)  et  116,6  (exp.  DGXI);  dans  cette 
dernière,  le  sang  veineux  contenait  120,4  de  CO\ 


ACTION  DE  L’ACIDE  CARBONIQUE. 


997 


Au  contraire,  dans  les  expériences  où  la  mort  n’est  pas  ar- 
rivée malgré  la  forte  proportion  de  l’acide  carbonique  de 
l’air,  il  n’existait  dans  le  sang  artériel  que  82,8  de  GO2  (exp. 
DCXI1I),  87,2  (exp.  DCVI)  et  93,8  (exp.  DGX)  ; encore,  dans 
cette  dernière,  l’animal  mourut  pendant  la  nuit. 

C’est  donc,  comme  on  pouvait  le  penser  à priori , c’est  donc 
bien  moins  la  tension  de  l’acide  carbonique  dans  l’air  exté- 
rieur que  sa  tension  dans  le  sang  qui  détermine  la  mort. 
La  première  n’a,  du  reste,  d’action  qu’en  déterminant  la  se- 
conde. 

C’est  ce  qui  explique  comment  des  animaux,  auxquels  on  a 
fait  respirer  d’emblée  un  air  suroxygéné  contenant  40  pour 
100  d’acide  carbonique  (exp.  DCXYI  etDCXlX),  ou  même  52,8 
pour  100  (exp.  DCXV1I1),  ne  sont  pas  morts  immédiatement. 
Il  fallait,  en  effet,  qu’ils  eussent  le  temps  d’emmagasiner  dans 
leur  sang  artériel  une  quantité  suffisante  de  CO2,  emma- 
gasinement  qui  se  faisait  de  deux  manières  différentes  : 
1°  par  l’obstacle  apporté  à la  sortie  de  l’acide  carbonique  du 
sang  veineux  à sa  traversée  des  poumons  ; 2°  par  l’absorp- 
tion de  l’acide  carbonique  en  excès  contenu  dans  l’air 
inspiré  ; cette  absorption  est  prouvée',  du  reste,  par  l’expé- 
rience DCXVI1I,  où  le  mélange  respirable,  après  onze  mi- 
nutes d’expérience,  contenait  moins  d’acide  carbonique 
qu’avant,  et  plus  d’oxygène. 

g 5.  — De  l’accumulation  de  l’acide  carbonique 

dans  les  tissus. 

Mais  la  question  est  plus  complexe  encore.  Ce  n’est  pas 
seulement  dans  le  sang  que  doit  s’emmagasiner  progressive- 
ment l’acide  carbonique  dont  la  tension  dans  l’air  respiré 
empêche  l’excrétion  régulière.  L’acide  carbonique  du  sang 
vient  des  tissus  ; à l’état  normal,  il  s’établit  un  certain  équi- 
libre de  tension  entre  la  proportion  de  ce  gaz  qui  demeure 
dans  ces  tissus,  et  celle  qui  reste  dans  le  sang,  après  l’éli- 
mination due  à une  respiration  régulière.  Si  une  cause 
quelconque  maintient  un  excès  d’acide  carbonique  dans  le 


998 


EXPÉRIENCES. 


sang,  il  doit  en  rester  un  excès  dans  les  tissus.  L’organisme 
doit  donc  s’imprégner  tout  entier  de  ce  gaz  éminemment 
soluble. 

Pour  m’éclairer  sur  ce  point  délicat,  j’eus  recours  au  pro- 
cédé expérimental  suivant.  Un  poids  déterminé  des  tissus  de 
l’animal  en  expérience  était  introduit,  coupé  en  petits  mor- 
ceaux, dans  un  flacon  jaugé,  d’une  capacité  environ  triple.  Le 
flacon  était  alors  bien  rempli  avec  une  solution  assez  forte 
de  potasse  ou  de  soude  caustique;  semblable  solution  était 
gardée  comme  témoin  dans  un  autre  flacon  bien  plein  et 
bien  bouché  ; je  laissais  le  tout  en  place  pendant  vingt-quatre 
heures,  non  sans  l’agiter  assez  souvent,  et  je  supposais  que, 
dans  ce  laps  de  temps,  l’alcali  s’était  emparé  de  lout  l’acide 
carbonique  dont  pouvaient  être  imprégnés  les  tissus. 

Je  prenais  alors  une  certaine  quantité  du  liquide,  et  le  fai- 
sais pénétrer  dans  le  récipient  de  la  pompe  à mercure,  où 
avait  été  introduite  préalablement,  et  bien  épurée  de  ses 
gaz,  une  solution  d’acide  sulfurique.  L’acide  carbonique, 
aussitôt  déplacé  par  ce  dernier,  était  aisément  extrait  et 
recueilli,  et  un  calcul  bien  simple  me  permettait  de  savoir 
combien  100  grammes  de  tissus  mis  en  expérience  conte- 
naient d’acide  carbonique. 

Je  ne  manquais  pas  de  soumettre  au  même  traitement  la 
solution  d’alcali  gardée  comme  témoin,  parce  qu’elle  conte- 
nait toujours  une  certaine  quantité  d’acide  carbonique  qu’il 
fallait  naturellement  déduire. 

Cette  méthode  très-simple,  à laquelle  je  ne  prétends  pas 
attribuer  une  exactitude  de  décimales,  me  paraît  devoir  don- 
ner des  résultats  très-suffisamment  voisins  de  la  vérité  ; elle 
a l’immense  avantage  de  ne  point  nécessiter  d’outillage  com- 
pliqué, et  de  permettre  aisément  un  grand  nombre  d’expé- 
riences comparatives. 

Expérience  DCXX.  — 5 mars.  Chien  de  l’expérience  DCVIÏl,  qui  est  mort 
la  veille  dans  une  cloche  remplie  d’oxygène. 

80g  de  muscles,  80g  de  foie,  7Ûg  de  cerveau,  55g  de  reins  sont  placés 
dans  des  flacons  de  grandeurs  appropriées,  qu’on  remplit  ensuite  avec 
une  solution  dépotasse. 


ACTION  DE  L'ACIDE  CARBONIQUE.  999 

Le  lendemain,  les  liquides  soumis  à l’analyse,  comme  il  vient  d’être 
dit,  montrent  que  : 

100  grammes  de  muscles  contenaient  42cc  d’acide  carbonique. 

100  — cerveau  — 26cc  — 

100  — reins  — 62cc  — 

100  — foie  — 64cc  — 

Expérience  DCXXI.  — 21  mars.  7h  : muscles  du  chien  de  l’expérience 
DCXIV,  mort  à 6h45m;  100e  sont  mis  dans  un  flacon  avec  477cc  d’une 
solution  de  potasse. 

Le  23  mars,  à 2h,  l’analyse  montre  que  ces  100®  contenaient  66cc  de  CO2. 

Or  les  tissus  d’un  animal  tué  par  asphyxie  vraie,  c’est-à- 
dire  par  privation  d’oxygène  sans  augmentation  d’acide  car- 
bonique, ne  contiennent  qu’une  proportion  beaucoup  plus 
faible  de  ce  gaz. 

Exemple  : 

Expérience  DCXXIL  — 4 avril.  7h  du  soir.  Muscles  du  chien  de  l’expé- 
rience CLXXXVIIl  (v.  p.  672),  qui  est  mort  à 6h  45m  en  épuisant  l’oxygène 
d’un  sac  plein  d’air,  en  présence  d’une  solution  de  potasse. 

1 00®  sont  mis  avec  430cc  d’une  solution  de  potasse. 

Le  5 avril,  à 9h,  on  trouve  que  ces  100°  ont  cédé  13cc,2  de  CO2. 

Alors  même  que  les  animaux  sont  morts  simplement  dans 
l’air  confiné,  sans  qu’on  en  ait  extrait  l’acide  carbonique  au 
fur  et  à mesure  de  sa  formation,  on  trouve  que  leurs  tissus 
sont  très-pauvres  en  acide  carbonique.  Je.  crois  devoir  rap- 
porter ici  les  expériences  qui  prouvent  cette  assertion,  dont 
je  tirerai  des  conséquences  d’un  autre  ordre  en  traitant  de 
l’asphyxie  : 

Expérience  DCXXIIL  — 11  mars.  Chien  mort  à 2h  20m  dans  une  cloche 
pleine  d’air  à 43e  de  pression. 

A 4h,  80^  de  muscles,  50e  de  reins  sont  placés  dans  des  solutions  de 
potasse. 

13  mars.  On  trouve,  par  le  procédé  ci-dessous  décrit  que  100®  de 
muscles  contenaient  12cc  de  CO2,  100®  de  reins,  35cc. 

Expérience  DCXXIV.  — 5 mars.  7h.  Chien,  mort  à 6h  15m  (expérience 
DCXXXVII1),  asphyxié  dans  air  comprimé. 

100e  de  muscles  immergés  dans  900cc  de  solution  potassique. 

6 mars,  10h  matin.  Ces  100e  contenaient  22cc  de  CO2. 


1000 


EXPÉRIENCES. 


Expérience  DCXXV.  — 7 mars  5h  1/2.  A.  Chien  mort  à 5h  (expérience 
DCXXXIX)  asphyxié  dans  l’air  comprimé. 

B.  Chien  tué  la  veille  à 5h  par  section  du  bulbe. 

1008  de  muscles  de  chaque  animal  sont  immergés  dans  500cc  de  solu- 
tion de  polasse. 

8 mars  3h.  On  trouve  que  les  1008  de  A.  contenaient  23cc  de  CO2,  et 
ceux  de  B 19cc. 

Expérience  DCXXV1.  10  mars  6h.  Chien  mort  asphyxié  à 5h  20m  (expé- 
rience DCXE). 

1008  de  muscles  mis  avec  585fC  de  solution  potassique. 

11  mars , 5h.  Ils  ont  cédé  24cc,8  d’acide  carbonique. 

Dans  d’autres  expériences,  où  j’ai  fait  l’analyse  du  corps 
entier  de  moineaux  morts  dans  des  conditions  diverses,  j’ai 
obtenu  des  résultats  tout  à fait  semblables  : 

Expérience  DCXXV1I.  — 24  avril.  Moineau  mort  dans  la  nuit  à 10  at- 
mosphères d’air. 

Le  lendemain,  le  corps  entier  (13gr),  écorché,  est  placé  dans  la  solution 
de  potasse  (1 10cc). 

On  trouve  ainsi  que  1008  d’un  pareil  animal  auraient  dégagé  40cc 
d’acide  carbonique. 

L’expérience  suivante  est  tout  à fait  remarquable  sous  ce 
rapport  : 

Expérience  DCXXYIII.  — 18  mars.  Moineaux  morts  dans  les  conditions 
suivantes  : 

A mort  à G atm.  d’air  (air  mortel  : 0 16,6;  CO2  3,1. 

B mort  à 34e  dans  air  suroxygéné  (air  mortel  : O 12,9;  CO2  52,4). 

C mort  dans  l’air  (air  mortel  : O 4;  CO2  14,6). 

D mort  clans  l’air,  à 38e  (air  mortel  : O 8,2  ; CO2 11,6). 

Ces  moineaux  sont  aussitôt  écorchés,  j’en  retranche  la  tête,  les  pattes, 
le  bout  des  ailes;  les  corps,  coupés  en  morceaux,  pèsent  de  20  à 228.  Je 
les  place  avec;  solutions  semblables  dans  des  flacons  semblables. 

Le  lendemain  on  trouve  que  les  corps  tout  entiers  ont  fourni,  si  on  les 
rapporte  à 1008. 

A (mort  par  acide  carbonique) 55cc  d’acide  carbon. 

B (id).  — — 36ec  — 

C (mort  par  asphyxie,  à la  pression  normale).  . 17cc  — 

D (mort  par  privation  seule  d’oxyg.,  à 1/2  atm.).  0CC  — 

Nous  connaissons  donc  maintenant  le  phénomène  dans  son 


ACTION  DE  L’ACIDE  CARBONIQUE. 


1001 


ensemble  et  sa  simplicité.  Lorsqu’un  animal  respire  dans  un 
milieu  confiné  où  l’oxygène  ne  lui  fera  pas  défaut,  la  ten- 
sion croissante  de  l’acide  carbonique  qu’il  excrète  maintient 
dans  son  sang  artériel  une  proportion  croissante  aussi  du 
même  gaz.  Un  équilibre  analogue  s’établissant  entre  le  sang 
et  les  tissus,  où  se  trouve  la  véritable  source  de  l’acide  car- 
bonique, ce  gaz  s’emmagasine  graduellement  dans  l’orga- 
nisme tout  entier.  De  là  des  désordres  généraux  sur  les  sym- 
ptômes desquels  nous  entrerons  dans  quelques  détails  tout  à 
l’heure. 

Le  sang  arrive,  dans  ces  conditions,  à se  charger  d’une 
quantité  énorme  d’acide  carbonique;  nous  en  avons  trouvé 
jusqu’à  116,6  volumes  pour  100  volumes  de  sang  artériel  et 
120,4  pour  100  volumes  de  sang  veineux.  Cette  dernière  pro- 
portion s’approche  de  la  saturation.  Cette  saturation,  qui  doit 
varier  d’un  sang  à l’aulre,  est,  en  effet,  approximativement 
déterminée  par  les  expériences  suivantes,  assez  grossières 
sans  doute,  mais  qui  peuvent  nous  servir  d’indication  géné- 
rale suffisante  pour  notre  sujet. 

Expérience  DCXXIX.  — 22  février.  Température  du  laboratoire  14°.  Sang 
de  chien  défibriné. 

J’en  fais  passer  100cc  dans  deux  éprouvettes  renversées  sur  le  mercure, 
puis  j’ajoute  à chaque  200cc  d’acide  carbonique.  Agitation  énergique  à 
plusieurs  reprises  ; absorption  immédiate  et  considér  able  ; mousse  énorme. 
Laissé  les  deux  éprouvettes  à la  température  ambiante. 

Le  lendemain,  agité  à nouveau.  Procédé,  5h  après,  à l’analyse  à l’aide 
de  la  pompe  à gaz. 

L’extraction  et  l’analyse  donnent  les  résultats  suivants  (vol.  gazeux  rap- 
portés comme  toujours  à 0°)  : 

L’un  des  sangs  contenait  GO2  123cc;  0.  16,6. 

L’autre  — — 132cc;  0.  11,0. 

Expérience  DCXXX.  — 10  mars.  Sang  de  chien  défibriné.  Tempér.  du 
laboratoire  15°.  Pression  764mm. 

100cc  sont  placés  au  fond  de  deux  flacons  que  traverse,  pendant 
24  heures,  un  courant  d’acide  carbonique.  L’un  des  flacons  est  plongé 
dans  de  l’eau  à 41°. 

On  trouve  ainsi  que 

Le  sang  à 15°  contient  177cc,6  de  CO2. 

— 40°  — 158cc,4  — 


1002 


EXPÉRIENCES. 


Après  le  sang  vient  l’urine  qui,  comme  l’a  montré  l’expé- 
rience UCX,  peut  arriver  à contenir  106  vol.  de  GO2  par  100 
volumes  de  liquide. 

Enfin  les  tissus  se  montrent  à l’analyse  d’autant  plus  riches 
en  CO2  qu’ils  renferment  plus  de  sang;  l’expérience DGXX  est 
tout  à fait  caractéristique  à ce  sujet;  les  reins  et  le  foie,  or- 
ganes très-vasculaires,  contenaient,  pour  100  volumes,  6*2  et 
64  volumes  de  CO2  ; les  muscles  en  avaient  42,  le  cerveau  26 
seulement. 

L’ensemble  des  expériences  faites  sur  les  muscles  des  chiens 
ou  le  corps  entier  des  moineaux  tend  à montrer  que,  du 
corps  des  animaux  tués  par  l’acide  carbonique,  on  peut 
extraire  environ  environ  40  pour  100  de  son  volume  de  ce  gaz  ; 
d’autre  part,  elles  font  penser  qu’il  n’y  en  existe  guère,  à 
l’état  normal,  que  10  à 15  pour  100.  Ce  serait  donc  environ 
25  à 50  pour  100  du  volume  total  de  l’animal  qui  représen- 
terait la  quantité  d’acide  carbonique  formé  et  non  exhalé 
pendant  le  séjour  de  l’animal  en  vases  clos.  Or,  l’expé- 
rience DCVIII  nous  montre  précisément  qu’un  chien  pesant 
5k,950  a fait  disparaître  du  milieu  suroxygéné  où  il  est  mort 
environ  1500cc  d’oxygène,  qui  ont  dû  se  tranformer  en  acide 
carbonique,  et  rester  dans  son  sang  et  ses  tissus. 

Ces  résultats,  on  le  voit,  concordent  assez  bien,  mais  il  ne 
faudrait  pas  leur  attribuer  une  précision  extrême  : du  tiers  à 
la  moitié  du  volume  du  corps,  telle  paraît  être  la  quantité 
d’acide  carbonique  que  retient  dans  ses  tissus  un  animal 
avant  de  périr  par  l’action  même  de  ce  gaz. 

Ceci  explique  comment,  ainsi  que  je  l’ai  vu  dans  des  expé- 
riences de  début  dont  il  serait  oiseux  de  reproduire  ici  les 
détails,  si  l’on  donne  à respirer  à un  chien  de  l’oxygène  con- 
tenu dans  un  sac  de  petites  dimensions,  l’animal  absorbe  tout 
le  gaz  du  sac  et  périt  ensuite  par  simple  privation  d’air.  Tout 
l’oxygène  du  sac  est  resté  dans  les  tissus  sous  forme  d’acide 
carbonique. 


ACTION  DE  L’ACIDE  CARBONIQUE. 


1005 


§ 4.  — Symptômes  et  mécanisme  de  l’empoisonnement 

par  l’acide  carbonique. 

Ce  point  important  bien  établi,  nous  devons  étudier  les 
symptômes  et  le  mécanisme  de  cet  empoisonnement  par  im- 
bibition  graduelle  d’acide  carbonique  dans  tous  les  tissus. 

Envisageons  d’abord  la  marche  progressive  de  l’altération 
de  l’air  suroxygéné  dans  lequel  respire  l’animal.  Les  graphi- 
ques de  la  figure  75,  qui  expriment  les  résultats  de  l’expé- 
rience DCXY,  nous  montrent  de  la  manière  la  plus  nette  com- 
ment les  choses  se  passent. 

Sur  l’axe  horizontal  sont  marqués,  en  heures,  les  temps 
écoulés  depuis  le  début  de  l’expérience;  sur  l’axe  vertical, 
la  proportion  centésimale  des  gaz  contenus  dans  le  sac. 

On  voit  de  la  manière  la  plus  nette  que  la  consommation 
d’oxvgène  et  la  production  d’acide  carbonique  ne  sont  pas 
proportionnelles  aux  temps  écoulés.  Plus  l'expérience  dure, 
plus  la  valeur  de  ces  phénomènes  diminue.  L’entre-croise- 
ment  des  graphiques  avec  les  lignes  coordonnées  montre  qu’il 
y a eu,  en  proportions  centésimales  : * 

Dans  )a  lr,!  heure  15,8  d’oxygène  consommé,  et  15,5  de  GO2  excrété 


— 2e  — 

14,5 

— 

14,2 

— 

— 5e  — 

q 9 

— 

7,6 

— 

— 4e  — 

4,5 

• — 

4,0 

— 

— 5e  — 

4,0 

i 

2,7 

— 

Dans  les  50  dern.  min 

• 2,2 

— 

1,7 

— 

Au  total,  en  5h  50m 

50,2 

— 

45,7 

— 

L’expérience  DCXIV  donne  des  résultats  semblables  : il  y 
a eu,  en  effet  : 

Dans  la  lre  heure  11,9  d’oxvgène  consommé,  et  9,2  de  CO2  excrété 

— 2e  — 9,0  — 8,8  — 

— 5e  — 5,9  — 4,6  — 

— 4e  — 5,2  — 5,5  — 

— 5e  — 5,7  — 2,8  — 

— 6e  — 0,8  — 0,4  — 

— 7"  — 1,5  — 4,1  — 

Au  total,  en  7h  57,0 


50,2 


1004  EXPÉRIENCES. 

Ainsi  la  consommation  d’O  va  on  diminuant  : ainsi,  mal- 
gré la  forte  proportion  d’O  que  contient  le  sang  artériel,  les 
phénomènes  chimiques  d’oxydation  se  ralentissent.  Il  n’est 
donc  pas  étonnant  de  voir  que  la  température  de  l’animal 
s’abaisse  progressivement  jusqu’à  atteindre  au  moment  de 


Fig.  75.  — Mort  par  l’acide  carbonique;  altérations  de  l’air  du  sac  (Exp.  DCXV). 


la  mort  des  valeurs  de  27°, 8 (exp.  DGXI),  27°  (exp.  DCXV, 
ligne  0 de  la  fig.  75),  et  même  25°  (exp.  DCXIV).  Je  signale 
à ce  propos  l’expérience  DCX  où  la  température  était  des- 
cendue de  59°  à 25°,  et  où  cependant  l’animal,  remis  à l’air 
libre,  a survécu  sans  accidents.  Je  reviendrai  plus  loin  sur 


ACTION  DE  L’ACIDE  CARBONIQUE. 


1005 


l’importance  de  cet  abaissement  de  la  température,  consé- 
cutif à la  diminution  des  combustions  internes. 

Examinons  maintenant  les  gaz  du  sang  aux  divers  moments 
des  expériences.  Prenons  encore  par  exemple  l’expér.  DCXV, 
la  plus  complète  que  nous  ayons  faite.  Le  tableau  de  la 
page  994  et  les  tracés  O et  CO2  delà  figure  76 1 expriment  net- 
tement ces  résultats. 

On  voit,  tout  d’abord,  que  malgré  la  proportion  croissante 
de  l’acide  carbonique,  et  dans  l’air  respiré  et  dans  le  sang, 
la  proportion  d’O  n’a  pas  été  notablement  modifiée  pendant 
les  quatre  premières  heures  de  l’expérience  ; cYst,  seulement 
alors  qu’elle  s’est  abaissée  progressivement,  sans  cependant 
qu’on  puisse  lui  attribuer  la  mort,  puisqu’aux  derniers  batte- 
ments du  cœur,  alors  que  la  respiration  avait  cessé,  il 
restait  encore  9,7  volumes  d’O  dans  100  volumes  de  sang- 
artériel. 

Quant  à l’acide  carbonique,  j’ai  déjà  signalé  la  proportion 
énorme  qu’il  atteignait  au  moment  de  la  mort.  Mais  la  mar- 
che de  son  emmagasinement  dans  le  sang  artériel  n’est  pas 
régulièrement  progressive.  On  tire  du  tableau  de  la  page  994 
et  du  tracé  CO2,  les  chiffres  suivants  : * 

» 

Dans  la  lre  heure,  le  sang  a acquis  20,0,  vol.  cle  CO- 

— 2e  — 16,8  — 

— 5e  — 11,0  — 

— 4e  — 5,0  — 

— 5'?  — 5,5  — 

Dans  les  50  dernières  minutes  15,2  — 

Ainsi,  sauf  pendant  la  dernière  heure,  la  richesse  du  sang 
en  acide  carbonique  croissait  de  moins  en  moins  vite,  tandis 
que  l’animal  s’empoisonnait.  Et  cela  se  comprend,  puisque 
nous  avons  vu  que  l’absorption  d’O  se  ralentissait  de  même, 
en  telle  sorte  que  la  production  d’acide  carbonique  dans  les 
tissus  était  de  moins  en  moins  active  et  son  déversement  dans 
le  sang  de  moins  en  moins  considérable. 

Mais  dans  la  dernière  heure,  tout  à coup,  le  sang  acquiert 

1 Dans  ces  tracés,  ainsi  que  dans  ceux  de  la  figure  75,  le  volume  du  gaz  n’a  pas 

été  réduit  à 0°. 


1006  EXPÉRIENCES. 

une  quantité  considérable  de  CO2  (voy.  lig.  76,  tracé  CO2).  Un 
coup  d’œil  jeté  sur  les  tracés  P et  R de  la  même  ligure,  qui 
expriment  le  nombre  des  pulsations  et  des  respirations,  ex- 
plique parfaitement  ce  fait  singulier  ; à ce  moment,  en  effet, 


Fig.  76.  — Mort  par  l'acide  carbonique;  modifications  dans  la  composition  des  gaz  du  sang, 
la  respiration  et  la  circulation  (Exp.  DGXV). 

le  cœur  ralentit  considérablement  ses  battements,  les  mou- 
vements respiratoires,  réduits  à 10,  à 8 par  minute,  ont 
cessé  depuis  un  instant  : le  sang  doit  perdre  moins  de  CO* 
à la  traversée  des  poumons,  et  en  acquérir  davantage  à la  tra- 


ACTION  DE  L’ACIDE  CARBONIQUE. 


1007 


versée  des  tissus.  De  plus,  l’oxygène  du  sang  s’est  consommé 
sur  place  et  a dû  fournir  une  certaine  quantité  d’acide  carbo- 
nique. 

L’enrichissement  du  sang  en  acide  carbonique  ayant  pour 
cause  la  tension  croissante  de  ce  gaz  dans  l’air  confiné  où  respi- 
rait l’animal,  il  était  intéressant  de  déterminer  le  rapport 
entre  ces  deux  valeurs  variables.  On  y arrive  aisément  en 
comparant  les  tracés  CO2  (qui  ont  memes  coordonnées)  des 
deux  figures  75  et  76,  qui  expriment  les  deux  lignes  CO2  du 
sac  et  CO2  du  sang  du  tableau  résumé  de  l’expérience  DCXV 
(P- 994). 

On  trouvé  ainsi  d’abord  que,  au  moment  où  l’air  du  sac 
contenait  10  pour  100  de  GO2,  100cc  de  sang  artériel  conte- 
naient 55  volumes  du  même  gaz,  et  l’on  est  conduit,  par  de 
semblables  rapprochements,  à dresser  le  tableau  suivant  : 


Avec  0 de  CO2  dans  l’air,  il  y en  avait  40  dans  le  sang. 


— 10  — 

55 

— 

différ.  15 

— 20  — 

70 

— 

15 

— 30  — 

82 

— 

12 

— v 40  — 

95 

— - 

15 

-45 

114 

- — 

19 

On  Voit  qu’à  des  augmentations  égales  dans  l’air  respirable 
correspondent  des  augmentations  assez  peu  différentes  les 
unes  des  autres  dans  le  sang  artériel;  ce  résultat  est  con- 
forme aux  lois  de  la  physique.  Mais  il  ne  faudrait  pas  lui  attri- 
buer une  valeur  d’exactitude  trop  absolue,  pour  cette  raison 
que  les  changements  importants  dans  le  rhythme  respira- 
toire peuvent  modifier  considérablement  la  quantité  d’acide 
carbonique  contenue  dans  le  sang  artériel. 

Laissons-là  maintenant  ces  constatations  d’ordre  chimique, 
et  envisageons  les  modifications  présentées  par  les  diverses 
fonctions. 

Le  nombre  des  battements  du  cœur  diminue  progressive- 
ment ; les  tableaux  des  pages  992  et  994  le  montrent  nette- 
ment, et  le  tracé  P de  la  figure  76  plus  nettement  encore, 
du  moins  pour  l’expérience  DCXV.  Si  l’on  dresse,  avec  les  ré^ 
sultats  de  cette  expérience,  des  graphiques  en  prenant  pour 


1008 


EXPÉRIENCES. 


abscisses,  non  plus  les  temps  écoulés  depuis  le  début  de 
l’expérience,  comme  dans  la  figure  76,  mais  la  quantité 
d’acide  carbonique  contenue  dans  le  sang  (fig.  77),  on  voit 
que  cette  diminution  dans  le  nombre  des  battements  suit 


Fip • 77.  — Mort  par  l’acide  carbonique;  rapport  de  la  respiration  et  de  la  circulation  avec 

la  richesse  en  CO'i  du  sang  (Exp.  DCXV). 

assez  régulièrement  la  marche  croissante  de  l’acide  carboni- 
que du  sang. 

Le  récit  détaillé  des  diverses  expériences  montre  que  les 
battements  du  cœur  persistent  après  qu’ont  cessé  les  mouve- 
ments respiratoires  : dans  l'expérience  DG  VI,  le  cœur  a con- 
tinué ainsi  de  battre  pendant  dix  minutes  environ. 

D’autre  part,  on  voit  que  la  pression  du  sang  dans  les  artè- 
res n’est  que  très-lentement  modifiée  par  raccumulation  de 


1009 


ACTION  DE  L’ACIDE  CARBONIQUE. 

l’acide  carbonique  dans  le  sang  et  les  tissus.  Au  début  meme 
elle  semble  un  peu  augmentée  (exp.  DGXY  et  DGXYI);  mais 
elle  est  encore  de  12  à 14e  à un  moment  où  il  y a plus  de 
90  volumes  d’acide  carbonique  dans  le  sang  (exp.  DCXIY),  et 
de  11  à 15  alors  qu’il  y en  a 95  (exp.  DCXYJ,  et  même  de  8 à 
10  alors  qu’il  n’y  a plus  que  huit  respirations  à la  minute, 
que  la  température  est  tombée  à 28°,  et  que  le  sang  artériel 
contient  plus  de  son  propre  volume  d’acide  carbonique  (ex- 
pér.  DGXY). 

Ainsi,  dans  l’empoisonnement  progressif  par  l’acide  car- 
bonique, le  cœur  est  Yullimum  moriens , et  ses  battements 
sont  le  dernier  signe  de  vie  qu’on  puisse  constater  chez  l’ani- 
mal mourant. 

Le  nombre  des  mouvements  respiratoires  diminue  égale- 
ment; au  début  de  l’expérience,  il  augmente  souvent,  mais 
quand  l’acide  carbonique  du  sang  arrive  à une  proportion 


Fig  78.  — Mort  par  l’acide  cjrbonique ; derniers  mouvements  respiratoires  (Esp.  DCXV). 

. » » 

qui  dépasse  90  volumes,  le  ralentissement  prend  une  in- 
tensité considérable.  Ges  phénomènes  sont,  pour  l’expé- 
rience DGXY,  faciles  à étudier  sur  le  tableau  de  la  page  994 
et  sur  les  tracés  R des  fi  g.  76  et  77.  Dans  l’expérience  DCXIV, 
pendant  la  dernière  heure  de  la  vie,  il  n’y  avait  que  deux  à 
quatre  respirations  par  minute;  à la  fin  même,  on  n’en 
comptait  qu’une  toutes  les  deux  ou  trois  minutes,  et  dans  l’ex- 
périence DGYI,  une  toutes  les  trois  ou  quatre  minutes.  A la 
fin,  leur  amplitude  diminuait  comme  leur  nombre,  et  le  tracé 
de  la  figure  78  qui  a été  recueilli  à l’aide  du  pneumographe 
(expér.  DCXY),  montre  que  la  cessation  des  mouvements  res- 
piratoires a lieu  sans  dernier  soupir  : ceci  seul,  comme  je 

G4 


1010  EXPÉRIENCES. 

l’ai  établi  ailleurs1,  indique  que  l’acide  carbonique  n’est  pas 
un  poison  du  cœur. 

Pendant  toute  la  durée  de  cet  empoisonnement  progressif, 
les  animaux  restent  parfaitement  calmes.  A peine,  au  début, 
quelques  révoltes,  qui  bientôt  s’apaisent.  Si,  lorsque  le  sang 
artériel  contient  60  ou  70  volumes  de  CO2,  on  détache  rani- 
mai, il  ne  fait  aucun  effort  pour  s’échapper.  Plus  tard,  il 
devient  insensible  aux  excitations,  aux  pincements,  à l'élec- 
trisation même  des  nerfs  de  sensibilité  : enfin  l’œil  lui-même 
devient  insensible. 

Cette  curieuse  anesthésie  mérite  de  nous  arrêter  quelques 
instants. 

Disons  d’abord  que  l’insensibilité  au  pincement  survient 
longtemps  avant  que  l’animal  soit  menacé  de  mort.  Dans 
l’expérience  DCVI,  l’œil  était  insensible  deux  heures  avant  la 
mort,  alors  qu’il  y avait  encore  1 0 respirations,  64  pulsations, 
la  température  étant  tombée  à 50  degrés  ; dans  l’expé- 
rience DCX1V,  les  pattes  sont  devenues  insensibles  plus  de 
quatre  heures  avant  la  mort,  et  l’œil  deux  heures  (respira- 
tions 20;  pulsations  45,  G 27°);  enfin  dans  Inexpérience  DCXV, 
l’insensibilité  absolue  des  pattes  a été  constatée  plus  de  trois 
heures  avant  la  mort,  et  l’œil  est  devenu  insensible  deux 
heures  avant  (resp.  20  ; puis.  48  ; 0 29°, 5). 

Cette  insensibilité  est  très-complète;  l’excitation  du  nerf 
sciatique  par  le  pincement  ou  les  courants  électriques  ne  dé- 
termine aucun  mouvement  général,  aucun  changement  dans 
le  rhythme  respiratoire  (exp.  DCXY),  dans  la  pression  du  cœur 
ou  l’état  des  pupilles  (exp.  DCXVI),  alors  même  que  celles-ci 
se  contractent  encore  sous  l’influence  directe  de  la  lumière. 
L’œil,  comme  je  viens  de  le  dire,  conserve  pendant  bien 
longtemps  encore  sa  sensibilité,  qui  disparait  en  dernier  lieu 
à la  conjonctive  (exp.  DCXI1I). 

Or,  lorsque  l’œil  est  devenu  absolument  insensible,  l’ani- 
mal  n’est  nullement  en  danger.  Si  l’on  cesse  de  le  faire  res- 
pirer dans  ce  milieu  altéré  et  qu’on  le  ramène  à l’air,  il  re- 


1 Leçons  sur  la  respiration , p.  431. 


ACIDE  CARBONIQUE. 


1011 


vient  toujours  à la  vie  (exp.  DGXII,  DCXIII,  DCXVI,  DCXVI1, 
DCXVI1I,  DCXIX),  après  avoir  présenté  le  plus  souvent  des 
phénomènes  singuliers  sur  lesquels  j’appellerai  tout  à l’heure 
l’attention. 

Si  nous  cherchons  avec  quelle  proportion  d’acide  carbo- 
nique dans  l’air  et  le  sang  artériel  est  survenue  l’insensibi- 
lité soit  des  pattes,  soit  de  l’œil,  voici  ce  que  nous  trouvons 
en  moyenne  : l’insensibilité  des  pattes  est  arrivée  quand  l’air 
contenait  environ  28  pour  100  d’acide  carbonique,  et  celle 
de  l’œil  quand  la  proportion  s’élevait  à 55  ; pour  le  sang,  les 
limites  extrêmes  sont  beaucoup  plus  étendues,  puisqu’elles 
oscillent  de  72,5  (exp.  DCX11)  à 95,4  (exp.  DGXY). 

Gette  anesthésie  si  complète  des  membres,  alors  que  l’œil 
est  encore  sensible,  que  le  cœur  bat  encore  fréquemment  et 
avec  force,  et  que  l’animal  est  encore  si  loin  d’un  danger 
sérieux,  devait  nécessairem ent  éveiller  l’idée  d’une  application 
chirurgicale  possible. 

Mais  une  première  difficulté  se  présentait.  Dans  les  expé- 
riences que  je  viens  de  rapporter,  l’animal  forme  lui-même 
l’acide  carbonique  qu’il  emmagasine  dans  son  sang  et  ses 
tissus;  ceci  demande  un  temps  très-long.  Dans  l’expé- 
rience DCXIII,  ce  n’est  qu’après  deux  heures  qu’a  été  con- 
statée l’insensibilité  des  pattes;  il  a fallu  pour  ce  résultat 
plus  de  trois  heures  dans  les  expériences  DCXIV  et  DGXY.  Rien 
ne  serait  moins  pratique  que  cette  longue  préparation,  qui 
serait  un  long  supplice.  D’autre  part,  et  ceci  est  plus  impor- 
tant encore  à un  autre  point  de  vue,  dans  ces  longues  expé- 
riences la  température  est  abaissée  de  plusieurs  degrés  au 
moment  où  survient  l’insensibilité  des  pattes,  et  ceci  pourrait 
avoir  des  conséquences  graves  chez  les  opérés. 

Je  me  suis  donc  demandé  si  je  pourrais  obtenir  des  résul- 
tats analogues  aux  précédents  en  faisant  respirer  d’emblée  aux 
animaux  un  mélange  plus  ou  moins  riche  d’acide  carbonique 
et  d’oxygène.  C’est  ce  que  j’ai  fait  dans  les  expériences  DCXYl, 


DGXVII,  DCXVI1I,  DGXIX. 

Lorsque  le  mélange  à respirer  contenait  20  pour  100  d’a- 
cide carbonique  (exp.  DGXVII),  l’insensibilité  n’est  survenue 


1012 


EXPÉRIENCES. 


qu’après  lh  1/2,  la  température  s’étant  abaissée  de  4°,  les  res- 
pirations étant  au  nombre  de  56,  et  les  pulsations  de  100  ; le 
sang  artériel  contenait  alors  77  vol.  de  CO2.  Mais  avec  40  pour 
100  de  CO2  (exp.  DCXVI,  DCX1X),  l’insensibilité  est  survenue 
après  5 ou  5m,  sans  que,  bien  entendu,  la  température  ait 
changé,  et  le  cœur  ayant  une  force  singulière  (19  à 25e, 
exp.  DCXVI;  18  à 20e,  exp.  DCX1X)  plus  grande  qu’à  l’état 
normal  : le  sang  artériel  contenait  78,6  vol.  (exp.  DCXIX)  ou 
81,2  vol.  (exp.  DCXVI)  d’acide  carbonique. 

Enfin,  avec  un  mélange  contenant  52,8  pour  100  de  CO2, 
l’insensibilité  a été  presque  instantanée,  et  le  sang  artériel 
se  trouvait  chargé  de  98,4  vol.  de  CO2  (exp.  DCXV111). 

Ces  derniers  résultats  montrent  que  l’emploi  chirurgical 
de  l’acide  carbonique,  dans  une  proportion  d’environ  40 
pour  100,  le  reste  du  gaz  étant  de  l’oxygène  à peu  près  pur, 
pourrait  donner  de  bons  résultats,  et  ne  compromettrait  nul- 
lement la  tension  artérielle,  comme  le  font  les  carbures  et 
les  chloro-carbures  d’hydrogène. 

Mais  il  ne  faudrait  pas  dépasser  beaucoup  cette  proportion 
d’acide  carbonique  dans  le  milieu  respirable.  J’ai  montré, 
dès  1864  \ que  si  l’on  place  deux  rats  nouveau-nés,  l’un  dans 
l’acide  carbonique,  l’autre  dans  l’azote,  le  cœur  de  ce  dernier 
continue  à battre  pendant  plus  d’un  quart  d’heure,  tandis  que 
celui  du  premier  est  arrêté  en  2 ou  5m.  Mais  ces^  conditions 
sont  toutes  différentes  de  celles  de  mes  expériences  actuelles. 
11  s’agit  ici  d’acide  carbonique  lentement  formé  par  l’orga- 
nisme lui-même,  et  non  d’un  flot  d’acide  arrivant  tout  à coup 
au  sang  du  cœur  gauche. 

Il  reste  un  dernier  point  à étudier.  Lorsque  l’animal  est 
ramené  à l’air  libre,  alors  même  que  son  sang  et  ses  tissus 
se  sont  chargés  d’une  énorme  proportion  d’acide  carbonique, 
il  revient  à la  vie.  C’est  ainsi  que  j’ai  vu  survivre  les  chiens 
des  expériences  DCV1,  DCXII,  DCXIII,  dont  le  sang  artériel  con- 
tenait 75,5,  82,8  et  87,2  vol.  de  CO2,  dont  la  température 
s’était  abaissée  jusqu’à  25°  (exp.  DCXII). 


1 Bull . de  ia  Société  philomatique , 18G4,  p.  13. 


ACIDE  CARBONIQUE. 


1013 


Ils  se  remettent  graduellement;  leur  respiration  s’accé- 
lère, ainsi  que' les  battements  du  cœur;  leur  température 
se  relève,  les  forces  reviennent  avec  la  sensibilité  qui  repa- 
raît en  10  ou  15m. 

Mais  constamment  apparaissent  à ce  moment  des  troubles 
nerveux  fort  curieux;  ce  sont  des  raideurs  avec  quelques 
convulsions  cloniques,  ou  encore  des  mouvements  lents  et 
engourdis,  comme  ceux  d’un  animal  hibernant  que  l’on 
réchauffe  et  qui  se  réveille.  Cela  dure  quelques  minutes, 
pendant  la  phase  même  où  persiste  encore  l’insensibilité. 

On  pourrait  penser  que  ces  phénomènes  sont  dus  en  partie 
au  refroidissement  considérable  des  animaux  en  expérience. 
Il  n’en  est  rien,  car  dans  les  expériences  DCXVI  et  DCXIX,  où 
l’insensibilité  a été  obtenue  d’emblée  par  la  respiration  d’un 
air  surcarboniqué,  et  où  il  n’y  a pas  eu  de  refroidissement, 
les  mêmes  accidents  se  sont  manifestés. 

Ils  sont  donc  bien  corrélatifs  à l’élimination  de  l’acide  car- 
bonique en  excès;  le  retour  à son  état  normal  delà  moelle 
épinière  anesthésiée  se  manifeste  par  des  excitations  incohé- 
rentes qui  déterminent  pendant  quelques  minutes  des  acci- 
dents convulsifs. 

On  sait  que,  selon  M.  Brown-Séquard,  l’acide  carbonique 
serait  un  poison  convulsivant  ; les  accidents  violents  qui  mar 
quent  la  fin  des  asphyxies  et  des  hémorrhagies  rapides  s’ex- 
pliqueraient selon  lui  par  l’action  de  l’acide  carbonique  s’ac- 
cumulant dans  les  tissus.  J’avais,  il  y a longtemps,  répondu 
à cette  doctrine  qui,  je  l’espère,  ne  reviendra  plus  en  dis- 
cussion aujourd’hui.  Mais  voici  que,  par  une  coïncidence 
singulière,  ces  convulsions,  qu’on  accusait  l’acide  carboni- 
que de  produire,  sont  précisément  le  fait  de  son  élimina- 
tion. 

Je  ne  crois  pas  que  ces  accidents  convulsifs  du  retour  à la 
sensibilité  constituent  un  obstacle  sérieux  à l’application  de 
l’acide  carbonique  à la  chirurgie.  Ils  sont  à coup  sûr  beau- 
coup moins  effrayants  que  les  violentes  agitations  qui  signa- 
lent si  souvent  le  début  de  l’action  du  chloroforme,  et  qu’on 
désigne  à tort  sous  le  nom  de  période  d' excitation.  On  pour- 


1014 


EXPÉRIENCES. 


rait  du  reste  très-probablement  les  éviter  en  modérant  la 
rapidité  de  l’élimination  de  l’acide  carbonique*. 

Mais,  tout  en  appelant  sur  cet  anesthésique,  auquel  on  a 
déjà  pensé,  mais  qu’on  n’a  jamais  étudié  avec  un  soin  suffi- 
sant, l’attention  des  chirurgiens,  je  suis  loin  de  croire  que 
les  études  qui  précèdent  soient  assez  précises  et  assez  détail- 
lées pour  autoriser  une  application  immédiate  : autre  chose 
est  une  table  d’expérience  où  l’on  attache  un  chien,  autre 
chose  le  lit  d’un  malade. 

En  cherchant  à me  faire  une  idée  précise  sur  l’action 
intime  de  l’acide  carbonique,  j’en  arrive  aux  considérations 
suivantes  : 

L’excrétion  de  l’acide  carbonique  qui  se  forme  incessam- 
ment dans  la  profondeur  des  tissus  est  une  condition  néces- 
saire de  l’accomplissement,  de  la  continuation  des  échanges 
nutritifs  qui  lui  donnent  naissance.  Ici,  comme  dans  tant 
d’autres  phénomènes  chimiques,  il  faut  que  le  produit  de  la 
réaction  soit  incessamment  éliminé  pour  que  cette  réaction 
conserve  son  maximum  d’act ivi té.  Lors  donc  que,  par  la  res- 
piration en  vases  clos,  dans  les  conditions  ci-dessus  indiquées, 
l’acide  carbonique  s’emmagasine  dans  les  tissus,  il  y ralen- 
tit toutes  les  oxydations,  comme  le  prouve  la  température 
qui  s’abaisse  rapidement.  Quant  au  système  nerveux,  s’il 
paraît  atteint  le  premier,  c’est  qu’il  est  le  premier  à mani- 
fester les  actions  générales  qui  troublent  tout  l’organisme; 
c’est  la  moelle  qui  cesse  ses  fonctions  réflexes  de  sensibilité, 
d’excitation  respiratoire,  comme  c’est  elle  qui  traduit  la 
première  les  désordres  organiques  qui  surviennent  lorsqu’on 
saigne.,  qu’on  désoxygène,  qu’on  suroxygène,  qu’on  refroidit, 
qu’on  surchauffe  un  animal. 

Mais  lorsque  l’acide  carbonique  est  artificiellement  apporté 
du  dehors,  et  qu’on  le  fait  respirer  dans  un  mélange  gazeux, 
ce  n’est  pas  l’organisme  tout  entier  qui  est  atteint  comme 
dans  le  premier  cas.  L’acide  carbonique,  absorbé  à la  tra- 
versée des  poumons  par  le  sang  artériel,  est  par  lui  projeté 
aussitôt  au  centre  nerveux,  dont  les  échanges  nutritifs  se 
trouvent  ainsi  subitement  troublés,  ralentis,  altérés  : de  là, 


ACIDE  CARBONIQUE. 


1015 


l’anesthésie.  Enfin,  quand  la  proportion  est  assez  forte  dans  le 
mélange  respiratoire,  les  ganglions  cardiaques  eux-mêmes 
sont  immédiatement  attaqués  dans  leur  nutrition,  et  le  cœur 
s’arrête,  paralysé. 


g 5.  — Action  de  l’acide  carbonique  sur  les  êtres  vivants 

inférieurs. 

La  généralisation  d’action  du  gaz  acide  carbonique  sur  tous 
les  tissus  se  manifeste  d’une  manière  bien  évidente  quand 
en  met  en  expérience  des  animaux  inférieurs.  Il  y a bien  long- 
temps, par  exemple,  que  j’ai  montré  dans  mes  cours  que  les 
grenouilles  ou  les  mammifères  nouveau-nés  périssent  plus 
vite  dans  l’acide  carbonique  que  dans  l’oxyde  de  carbone.  Et 
cela  se  comprend,  disais-je  : l’oxyde  de  carbone  agit  à la  façon 
d’une  simple  hémorrhagie,  ou  d’une  asphyxie  dans  Az,  en 
supprimant  l’oxygène  du  sang,  tandis  que  CO2  empoisonne  les 
tissus  eux-mêmes.  Seulement,  si  on  arrête  l’expérience  avant 
que  les  animaux  soient  tout  à fait  morts,  la  grenouille  de  GO2 
se  remet  assez  vite,  celle  de  CO  meurt  au  contraire,  étant  défi- 
nitivement privée  de  ses  globules  sanguins. 

11  m’a  paru  intéressant  de  chercher  à déterminer  la  pro- 
portion d’acide  carbonique  dissous  dans  l’eau,  qui  serait 
incompatible  avec  la  vie  des  poissons.  Voici  les  détails  d’une 
expérience  : 

Expérience  DCXXX1.  — 22  mai.  A I2h  15m.  Des  cyprins  dorés  de  même 
taille  sont  immergés  dans  des  flacons  bouchés,  pleins  d’une  eau  bien 
aérée  à laquelle  on  a ajouté  des  proportions  croissantes  d’eau  salurée 
d'acide  carbonique,  en  telle  sorte  que 

A contenait  l’eau  pure  (qui  tient  en  dissolution  4,4  vol.  de  CO-  par 
100  vol.  de  liquide). 

B contenait  de  l’eau  à 11  p.  100  de  CO2. 

C — de  l’eau  à 18  pour  100. 

D — de  l’eau  à 30  pour  100. 

E — de  l’eau  à 45  pour  1 00. 

Dès  12h  35m,  le  poisson  E respirait  très-faiblement,  tandis  que  B respi- 
rait plus  fort  que  A. 

12h  45m.  E est  sur  le  flanc,  très-malade;  D est  évidemment  malade 
aussi. 


1016  EXPÉRIENCES. 

lh  5m.  E est  mort  ; D,  fort  malade;  G et  II  respirent  avec  difficulté; 
D meurt  vers  10h  du  soir. 

Le  surlendemain,  A,  B,  G,  sont  encore  vivants. 

La  proportion  rapidement  mortelle  de  CO2  libre,  est  donc 
aux  environs  de  50  pour  100.  Cela  est  bien  supérieur  aux 
quantités  qui  existent  dans  toutes  les  eaux  non  chargées  de 
principes  salins. 

L’acide  carbonique  manifeste  son  action  non-seulement 
chez  les  animaux,  mais  chez  les  végétaux. 

Dans  un  milieu  très-chargé  en  CO2,  les  végétaux  verts 
périssent  rapidement,  lorsqu’on  empêche  la  lumière  de  leur 
permettre  de  décomposer  rapidement  le  gaz  redoutable1. 

La  germination  y est  ralentie,  arrêtée,  quand  la  proportion 
du  gaz  est  suffisante;  les  graines  mêmes  peuvent  y être  tuées. 
Je  cite  à titre  d’exemple  de  ces  faits  les  deux  expériences  sui- 
vantes : 


Expérience  DCXXXII.  — 8 avril.  Semé,  sous  une  vaste  cloche  de  111, 
quelques  grains  d’orge  et  de  cresson  sur  papier  bien  mouillé,  fa  cloche 
est  remplie  d’un  mélange  contenant  : O,  16;  GO2,  20;  Az,  64. 

Le  2 mai , rien  ne  s’est  développé;  l’air  de  la  cloche  contient:  O,  12,9; 
CO2,  29. 

Je  laisse  les  grains  à l’air  libre  ; dès  le  7 mai,  on  voit  apparaître  quelques 
pousses,  et  le  20  mai  tout  a bien  poussé;  l’orge  mesure  déjà  12e. 

Expérience  DCXXXIII.  — 50  mars.  A.  20  grains  d’orge  sont  semés  sur 
papier  mouillé,  sous  une  cloche  de  111  contenant  50  pour  100  d’acide  car- 
bonique, et  50  d’air  ordinaire. 

B.  Gomme  témoins,  d’autres  grains  sont  semés  sous  une  cloche  de  2', 5 
pleine  d’air  ordinaire. 

0 avril.  Germination  nette  à B. 

9 avril.  — Les  pousses  de  B ont  5 à 4e;  rien  à A.  Sur  les  grains  de  B 
ont  poussé  d’abondantes  moisissures:  il  n’y  a rien  à A. 

22  avril.  — 11  y a à B de  belles  pousses,  et  l’air  y contient  GO2  4,4; 
0 15,6.  Bien  n’a  poussé  à A,  dont  l’air  contient  encore  9,5  d’oxvgène. 

A,  laissé  à l’air  libre,  ne  pousse  pas. 

Ainsi,  avec  20  à 50  pour  100  d’acide  carbonique,  il  y a seule- 

1 Voir  le  récent  travail  de  J.  Boehm,  Ueber  dm  Einfluss  der  Kohlensaüre  auf  das 
Erqrün’ên  und  Wachsthum  der  Pflanzen.  (Zitzb . der  k.  Akad.  der  Wissensch.,  LX VII I 
Bd'.  Wien,  1875.) 


ASPHYXIE. 


1017 


ment  suspension  de  la  germination  ; mais  avec  50  pour  100, 
les  graines  sont  tuées.  Et  ce  qui  est  vrai  des  grains  d’orge  est 
vrai  des  moisissures,  comme  on  le  voit  dans  l’expérience 
même  qui  vient  d’être  rapportée. 

11  n’est  donc  pas  étonnant  de  voir  que  la  putréfaction  elle- 
même  soit  ralentie  singulièrement  et  même  arrêtée  dans  une 
atmosphère  chargée  d’acide  carbonique. 

C’est  ce  qui  est  arrivé  dans  les  expériences  suivantes  : 

Expérience  DCXXXIY.  — 14  décembre.  Fragments  de  muscles  placés  * 
dans  cloches  remplies  : 

A,  d’air  ; 

B,  d’acide  carbonique  presque  pur. 

8 janvier.  — A est  infect,  en  pleine  pourriture,  couverte  de  moisis- 
sures ; B n’a  aucune  odeur  et  on  n’y  voit  aucune  moisissure. 

Expérience  DCXXXV.  — 14  janvier.  Fragments  de  muscles  placés  dans 
cloches  remplies  : 

A,  d’air. 

B,  d’un  mélange  (O,  14,4  ; Az,  54,6;  CO2,  51  pour  100). 

17  janvier.  — L’air  de  A ne  contient  plus  que  18,1  d’oxygène,  avec  3 
de  CO2;  il  sent  mauvais. 

L’air  de  B n’a  pas  changé  de  composition  et  n’a  aucune  odeur. 

Expérience  DCXXXVI.  29  juillet.  Une  lame  mince  de  viande  de  bœuf 
pesant  100",  est  suspendue  dans  l’appareil  en  verre,  sous  pne  pression  de 
6 atmosphères,  dont  5 d’acide  carbonique. 

10  août.  — Décompression. 

La  viande  ne  sent  aucune  odeur;  elle  est  de  couleur  un  peu  terne. 

Je  la  fais  cuire;  elle  n’a  ni  odeur  ni  goût  putride;  mais  sa  saveur  est 
désagréable,  fade,  douceâtre,  ressemblant  à celle  de  la  viande  conservée 
dans  l'oxygène  comprimé. 

Enfin  la  contractilité  musculaire  est  rapidement  détruite 
par  l’acide  carbonique,  et  très-probablement  il  en  serait  de 
même  pour  les  autres  propriétés  vitales  : 

Expérience  DCXXXVII.  — 4 juin.  Deux  pattes  d’une  même  grenouille  sont 
suspendues  chacune  au  haut  d’une  éprouvette  : 

A dans  air; 

B dans  acide  carbonique  presque  pur. 

'ojuin.  — A,  nerf  non  excilable;  muscle  très-contractile  ; 

B,  plus  de  contractilité  musculaire. 


1018 


EXPÉRIENCES. 


g 0.  — Résumé  et  conclusions. 

i 

Nous  voici  arrivés  au  terme  de  cette  longue  étude.  Elle  se 
résume  dans  les  propositions  suivantes  : 

À.  Quand  un  animal  respire  en  vase  clos,  soit  dans  l’air 
comprimé,  soit  dans  un  air  suroxygéné,  à la  pression  nor- 
male, en  telle  sorte  que  l’oxygène  ne  lui  fasse  jamais  défaut, 

. la  tension  croissante  du  CO2  dans  l’air  maintient  une  propor- 
tion croissante  du  même  gaz  dans  le  sang,  si  bien  que  l’acide 
carbonique  produit  dans  la  profondeur  des  tissus  reste  dans 
ces  tissus. 

B.  Il  résulte  de  cette  accumulation  un  ralentissement  pre- 
gressifdes  oxydations  intra-organiques,  d’où,  comme  consé- 
quence, un  abaissement  considérable  de  la  température  du 
corps. 

G.  Le  système  nerveux  central,  dans  cette  action  générale 
sur  l’organisme,  manifeste  le  premier  qu’il  est  atteint,  par  la 
perte  des  transmissions  réflexes,  d’abord  aux  membres,  puis 
à l’œil,  puis  enfin  au  centre  respiratoire,  d’où  résulte  la 
mort. 

I).  Aucune  agitation,  aucun  mouvement  convulsif  ne  pré- 
cèdent la  mort. 

Le  cœur,  tout  en  ralentissant  ses  battements,  conserve 
très-longtemps  toute  sa  force,  et  demeure  Yultimum  moriem. 

Ces  deux  faits  ruinent  définitivement  les  théories  qui  fai- 
saient de  l’acide  carbonique  l’une  un  poison  convulsivant, 
l’autre  un  poison  du  cœur. 

E.  L’anesthésie  produite  par  l’acide  carbonique  paraît  mé- 
riter d’attirer  de  nouveau  l’attention  des  chirurgiens  ; elle 
est  complète  à un  moment  où  il  s’en  faut  de  beaucoup  que 
la  vie  de  l’animal  soit  en  danger. 

F.  La  vie  végétale,  la  germination,  le  développement  des 
moisissures,  la  putréfaction,  sont  ralentis,  suspendus,  ar- 
rêtés définitivement  par  l’acide  carbonique  sous  une  tension 
suffisante. 

G.  Ainsi,  l’acide  carbonique  est  un  poison  universel,  qui 


ASPHYXIE. 


1010 


tue  animaux  et  végétaux,  de  grande  taille  ou  microscopiques; 
qui  tue  les  éléments  anatomiques  isolés  ou  groupés  en  tissus. 
Et  tout  cela  n’a  rien  d’étonnant,  puisqu’il  est  le  produit  d’ex- 
crétion universelle  de  toutes  les  cellules  vivantes;  sa  présence 
empêche  l’excrétion,  et  arrête  par  conséquent,  en  y opposant 
un  obstacle  terminal,  toute  la  série  des  transformations  chi- 
miques constituantes  de  la  vie,  qui  commencent  par  l’absorp- 
tion d’oxygène,  et  finissent  par  le  rejet  de  Lapide  carbonique. 

SOUS-CHAPITRE  II 

ASPHYXIE. 

Les  recherches  dont  j’ai  rendu  compte  dans  les  chapitres 
précédents  m’ont  tout  naturellement  conduit  à m’occuper 
de  l’asphyxie  en  vases  clos,  dans  l’air  ordinaire,  à la  pression 
normale.  Ici,  au  moment  de  la  mort,  tension  très-faible  de 
l'oxygène,  tension  assez  forte  de  CO2;  à laquelle  des  deux  in- 
fluences est  due  la  mort?  Toutes  deux  interviennent-elles  ? 

J’ai  déjà  traité  cette  question  dans  mes  Leçons  sur  la  respi- 
ration (p.  525),  et,  me  basant  exclusivement  sur  la  composi- 
tion chimique  de  l’air  mortel,  j’étais  arrivé  aux  conclu- 
sions suivantes  : 

A.  Pour  les  animaux  à sang  chaud,  la  mort  a lieu  par  pri- 
vation d’oxygène  ; 

B.  Pour  les  animaux  à sang  froid,  par  empoisonnement 
par  l’acide  carbonique. 

J’ai  été  amené  à envisager  cette  question  à un  autre  point 
de  vue,  en  considérant  les  modifications  subies  par  les  gaz 
du  sang,  et  en  les  comparant  d’une  part  avec  celles  qui  sont 
rapportées  au  chapitre  II,  sous-chapitre  IV,  et  d’autre  part, 
avec  celles  qui  sont  la  conséquence  de  l’empoisonnement  par 
l’acide  carbonique. 

Les  expériences  ont  été  faites  par  la  même  méthode  que 
dans  les  chapitres  cités  : respiration  à l’aide  d’une  muselière 
hermétiquement  close,  ou  par  la  trachée,  dans  un  sac  conte- 
nant une  certaine  quantité  d’air. 


1020 


EXPÉRIENCES. 


Suit  le  récit  de  quelques  expériences 

Expérience  DCXXXV1II.  — 5 mars.  Chien  épagneul  pesant  12  kilo- 
grammes. 

5h  35,n.  Tiré  par  la  carotide  40cc  de  sang A 

5h  57m.  Mis  à respirer,  par  une  muselière,  dans  un  sac  de  caoutchouc 
contenant  environ  201  d’air. 

5h  521U.  L’animal,  qui  s’est  beaucoup  agité,  et  qui  a perdu  de  l’a;r  par 


les  côtés  de  la  muselière,  est  fort  malade. 

Pris  air  du  sac  . : p 

5h  55m.  Tiré  33cc  de  sang  carotidien  très-noir B 

6h  15m.  L’animal  meurt,  sans  convulsions  ni  raideurs.  Je  lire  avec  diffi- 
culté du  sang  qui  commence  à se  coaguler  dans  le  cœur  gauche.  ...  C 
Air  du  sac 7 

Sang  A (à  l’air  libre)  contenait  . . . 15,9  d’O  et  44,8  de  CO2. 

— B (air  p:  0 4,8  ; CO2  12,1).  ..  2,4  — 44,5  — 

— C (air  mortel  y : 0 3 ; CO2 15,8).  0,8  — 39,9  — 


Expérience  DCXXXIX.  — 7 mars.  Chien  épagneul  pesant  13  kilogrammes. 


Je  mets  à découvert  la  carotide  et  la  trachée. 

3h.  Respirations,  45  ; pulsations,  90  ; température  rectale  38°, 5. 

3h  5ra.  Tiré  33cc  de  sang  carotidien,  médiocrement  rouge.  .....  A 
3h  15,n.  Placé  un  tube  dans  la  trachée. 

Les  respirations  deviennent  extraordinairement  rapides. 

5h  20m.  Respirations,  124;  6 38°, 5 ; tiré  33cc  de  sang  carotidien,  plus 
rouge  que  A B 


3h  22ni.  Mis  la  trachée  en  communication  avec  un  sac  de  caoutchouc 
contenant  GO1  d’air. 

Beaucoup  d’agitation;  respirations  très-fréquentes. 

3h  43m.  0 = 38°. 

4h.  Respirations,  84  ; pulsations,  96  ; pris  air  et  33cc  de  sang,  moins 


rouge  que  A C 

4h  5m.  Respirations  très-amples,  56  par  minute; pulsations,  96. 

4h  15m.  © = 36°, 5. 

4h  35m.  Respirations,  28  ; pulsations,  52,  très-irrégulières. 

ô = 56°.  Air  du  sac p 

Cornée  sensible  ; tiré  25cc  de  sang  très-noir D 


4h  40m.  Cornée  insensible  ; pupilles  dilatées  ; respirations,  16;  pulsa- 
tions trop  faibles  pourêtre  senties  ; 0 = 35°, 5. 

Les  respirations  se  ralentissent  de  plus  en  plus,  et  la  dernière  a lieu  à 
4h  46ni  ; il  n’y  a aucune  convulsion. 

4h48m.  Le  cœur  pousse  encore  un  peu  de  sang  dans  la  carotide,  et  avec 
une  sonde  j’arrive  à extraire  40cc  de  sang  très-noir  du  cœur  gauche  . . E 


Puis  je  prends  air  du  sac y 

4h55m.  Je  recueille  sous  l’eau  les  gaz  du  poumon  . , $ 


ASPHYXIE. 


1021 


L’urine,  traitée  dans  la  pompe  par  l’acide  sulfurique,  donne  environ 
15  vol.  pour  100  de  GO2. 


Sang  A (air  libre,  respirations  par  voie  naturelle).  . O 19,8;  CO2  40,1 

— B ( — — très-rapides,  par  la  trachée).  — 21,5  — 18,3 

— C (air  a:  O 9,3;  CO2  7,0) —14,4  — 32,0 

— D (air p : O 1,8;  CO2  12,0) — 2,1  — 54,3 

— E (air  mortel  / : O 1,5;  CO2  12,6) — 1,2  — 42,5 

L’air  des  poumons  j contenait  : O 0;  CO2  14,6. 


Expérience  DCXL.  — 10  mars.  Chien  braque,  pesant  16  kilogrammes. 
Température  rectale59°,5. 

511  15m  p]acé  un  tube  dans  la  trachée  ; respire  avec  calme. 

3h  20m.  Mis  à respirer  dans  le  sac,  qui  contient  1 37 1 d’air. 

3h  23m.  Respirations  calmes  ; tiré  35cc  de  sang  carotidien,  moyennement 


rouge A 

311 49m  Respirations  profondes,  58  ; pris  air  du  sac 3 

3h  50m.  Tiré  25cc  de  sang,  moins  rouge  que  A B 

4h  5m.  Respirations  profondes,  agitées,  48  ; 0 = 37°, 8. 

41. 1 2,u.  Agitation  violente  : 0 57°, 5. 

4h  1 5m.  Air  du  sac 7 

4h  16m.  52  respirations  amples;  tiré  25cc  de  sang,  notablement  moins 

rouge  . . G 

4h  38™.  Air  du  sac § 

4h  40m.  Respirations,  48  ; 0 = 35°, 5 ; tiré 25cc  de  sang  noir  ....  I) 
5h.  Respirations  assez  amples,  40  ; pulsations,  36  ; 0 —35°. 

5h  5"1.  Air  du  sac .' s 

5h  7m.  Tiré  25ccde  sang  très-noir E 


5h  8m.  L’œil  jusque-là  sensible,  devient  insensible;  la  pupille  se  dilate. 
5h  10,u.  Respirations,  6 ; pulsations,  30.  • 

5h*15m.  Urine;  les  respirations  deviennent  de  plus  en  plus  lenles  et  de 


plus  en  plus  faibles  ; le  cœur  baisse  également. 

5h  20m.  Mort  sans  convulsions.  Pris  air  du  sac t? 

Pris  sang  dans  le  cœur  gauche . . . F 

L’urine  contient  18cc  de  GO2  pour  100cc  de  liquide. 

Le  nerf  sciatique  reste  excitable  à l’électricité  jusqu’à  6h  40ül,  c’est-à- 
dire  pendant lh  20m. 

Sang  A (air  libre)  contenait O 21,8  GO2  42,9 

— B (air : 012,5  ; CO2  6.8) — 21,0  — 48,2 

— G (air  7 : O 7,6;  CO2  9.8) — 15,4  — 57,8 

— D (air  S : 0 4,0;  GO2 10, 3) — 6,9  —58,3 

— E (air  e : 02,8;  GO2  14, 7) — 1,0  —52,4 

— F (air  mortel  -/?  : 01,9;  CO2 14,7).  . — — 50,2 


Expérience  DGXLI.  — 28  mars.  Chien  pesant  llk,5;  température  rec- 
tale 39°. 


1022 


EXPERIENCES. 


4h  10,n.  Pris25ccde  sang  carotidien,  médiocrement  rouge A 

Je  le  fais  respirer  aussitôt  par  la  muselière  dans  le  sac  qui  contient  en- 
viron 1001  d’air. 

Respirations,  28. 

4h  40m.  Respirations,  5(5;  pulsations,  92;  0 = 57°, 5 ; pris  air  du 


sac (S 

411 41  n.  95CC  de  sang,  moins  rouge  que  A R 

5,,10m.  Respirations,  56  ; pulsations.  100;  0 = 56°;  pris  air  du  sac.  y 

5h  llm.  Tiré25ccde  sang  très  noir G 

Encore  sensible  aux  pattes. 

5h  15,n.  Cesse  soudain  de  respirer,  sans  agitation  convulsive. 

51.  20m.  Tiré 45cc  de  sang  au  cœur  gauche,  très-noir D 

Pris  air  du  sac § 


Le  nerf  sciatique  est  excitable  jusqu’à  6U  50"1,  c’est-à-dire  pendant 
1"  10“. 

SangA  (respirations  à l’air  libre)  contenait.  . O 15,7;  CO2  56,5 

— R (air  p : O 19,2;  CO2  1,9)  — — 12.8;  — - 49,5 

— G (air  y analyse  perdue)  — — 2,5;  — 55,8 

— D (air  mortel  S : 04,5;  GO2  15,1) — — 0,5;  — 53,6 

Expérience  DCXLII.  — 2 avril.  Chien  terrier  jeune,  pesant  7k,5  ; tube 
dans  la  trachée. 

6h.  Mis  à respirer  dans  le  sac  contenant  environ  401  d’air. 

6h  lm.  Tiré  20cc  de  sang  bien  rouge;  l’animal  reste  tranquille  tandis 


qu’on  tire  le  sang A 

6h  5,u.  Respirations,  156;  pulsations,  120;  0 = 56°, 5. 

6h  50,n.  Respiralions,  50  ; pulsations,  106  ; 0 55", 8 ; pris  air  du  sac.  /3 
6h51'n.  Tiré20cc  de  sang  noir R 


L’animal  s’agite  ; respirations  amples  et  irrégulières;  sensible  à l’œil  et 
à la  patte. 

6h  45m.  Respiralions,  52;  pulsations,  76  ; 0 54°, 2 ; pris  air y 

6h  58,n.  Respirations,  9 ; pulsations,  14  ; 0 55°, 8 ; insensible  à l’œil;  pris 


air  S 

et  sang  très-noir D 

7h  6m.  Il  n’y  a plus  de  respirations  ; on  compte  encore  60  pulsations, 
très-faibles;  les  intestins  remuent  dans  l’abdomen;  les  pulsations  finissent 
à 7h  9m. 

Pris  air  du  sac s 

Sang  A (respirations  à l’air  libre)  contenait  : O 14,6;  CO2  46,7 

— R (air  (3  : O 7,4;  CO2 9,1)  — — 9,1;  —52,3 

— C (air  y : O 2,6;  CO2 15,3)  — —0,8;  —51,8 

L’air  mortel  s contient  : O 2,4;  GO2 12,9. 


Je  n’insisterai  pas  sur  les  symptômes  que  m’ont  présentés 
les  animaux  asphyxiés  dont  je  viens  de  raconter  l’histoire  : 


ASPHYXIE. 


1025 


phénomènes  terminaux, 
et  la  dilatation  pupillaire 


ralentissement  de  la  respiration,  de  la  circulation,  insensi- 
bilité finale,  dilatation  de  la  pupille,  refroidissement  pro- 
gressif, ce  sont  là  des  phénomènes  bien  connus.  J’ai,  du  reste, 
parlé  de  ces  symptômes  dans  le  chapitre  où  j’ai  étudié  l’as- 
phyxie en  vases  clos,  l’acide  carbonique  étant  éliminé.  (Voir 
page  740). 

J’indiquerai  seulement  que  les 
c’est-à-dire  l’insensibilité  de  l’œil 
arrivent  au  moment  où  il  n’v  a 

«j 

plus  qu’environ  de  1 à 2 volumes 
pour  100  d’oxygène  dans  le  sang 
artériel  (exp.  DGXXXIX  et  DCXL). 

L’animal  est  donc  alors  en  grand 
danger  de  périr,  puisque  la  quan- 
tité d’oxygène  trouvée  dans  ce 
môme  sang  après  la  mort  a varié 
de  0,5  à 1,2. 

Portons  maintenant  notre  at- 
tention sur  les  altérations  progres- 
sives de  l’air  confiné  où  respiraient 
mes  animaux.  Les  graphiques  de 
la  ligure  79  expriment  les  résul- 
tats de  l’expérienc.e  DCXL,  la  plus 
complète  de  celles  que  nous  avons 
rapportées. 

Sur  l’axe  des  x sont  portés  les 
temps  écoulés  depuis  le  commen-  - ° - — *■ r--,— — 

1 , . clos  : gaz  de  l’air  (exp  DCXL). 

cernent  de  1 expenence;  sur  1 axe 

des  y , les  proportions  existantes  d’oxygène,  de  CO2,  et  la 
somme  CO2-}- O de  ces  deux  valeurs,  somme  dont  les  varia- 
tions présentent  ici,  comme  nous  le  verrons,  un  intérêt  véri- 
table. 

% 

On  voit  que  la  consommation  d’oxygène  a été  en  diminuant 
au  fur  et  à mesure  que  progressait  l’asphyxie  ; dans  la  pre- 
mière heure,  elle  était  de  13,5  pour  100;  dans  la  deuxième 
et  dernière,  de  5,7  seulement.  De  même  il  y a eu,  dans  la 
première  heure,  9,8  d’acide  carbonique  produit,  et  seule- 


1024 


EXPÉRIENCES. 


ment  4,9  dans  la  seconde.  Ce  sont  là  des  faits  identiques 
à ceux  sur  lesquels  j’ai  insisté  au  sous-chapitre  IV  du  cha- 
pitre II. 

J’en  dirai  autant  de  ce  qui  a rapporta  la  composil  ion  termi- 
nale de  l’air  mortel.  Les  va- 
riations ont  été,  pour  l’oxygène, 
de  4,5  (exp.  DCXL1I)  à 1,5  (exp. 
DCXXXIX),  et,  pour  l’acide  car- 
bonique, de  12,6  (exp.  DCXXXIX) 
à 15,8  (exp.  DCXXXVI1I). 

Arrivons  maintenant  aux  gaz 
du  sang.  Ici  encore  le  graphique 
ci-contre  (fig.  80)  (le  volume  des 
gaz  n’y  a pas  été  réduit  à zéro) 
montre  les  faits  de  la  manière  la 
plus  évidente  (exp.  DCXXX1V). 

Comme  on  le  sait  bien,  l’oxy- 
gène va  en  diminuant  dans  le 
sang  artériel.  Mais  il  n’v  dimi- 
nue  pas  d’une  manière  régulière- 
ment proportionnelle  au  temps; 
dans  la  première  heure,  en  effet, 
nous  voyons  .que  la  proportion 
d’oxygène  n’a  baissé  que  de  6,6 
volumes,  tandis  qu’elle  est  tom- 
bée de  plus  de  14  dans  la  se- 
conde heure. 

Ceci  est  en  rapport  avec  ce 
que  nous  ont  appris  nos  études 
précédentes.  L’absorption  plus 

Fig.  80.  — Mort  par  asphyxie  en  vases  , , , , , , 

clos  : gaz  du  sang.  (Exp.  dcxxxiv.)  énergique  de  loxygene  exté- 
rieur, qui  se  fait  au  début,  a 
pour  conséquence  une  persistance  relative  de  la  richesse  en 
oxygène  du  sang  artériel. 

Si  maintenant  nous  dressons  un  graphique  (fig.  81)  en  pre- 
nant pour  abscisses  les  quantités  d’oxygène  contenues  dans 
l’air  extérieur  aux  divers  moments  de  l’asphyxie,  et  en  por- 


ASPHYXIE. 


1025 


tant  sur  les  ordonnées  les  quantités  d’oxygène  contenues  dans 
100  volumes  de  sang  artériel,  nous  arrivons  à un  résultat  qui 
ressemble  tout  à fait  au  tracé  Ox  (ligne  pointillée)  de  la  fi- 
gure 59  (page  676),  fourni  par  les  asphyxies  sans  acide  car- 
bonique. Celui-ci  paraît  donc  n’avoir  en  rien  agi. 

Quant  à l’acide  carbonique,  sa  proportion  augmente  d’abord 
dans  le  sang,  comme  on  devait  le  supposer,  puisqu’elle  aug- 
mente dans  l’air  où  respire  l’animal.  Mais  tout  à coup  elle 


Fig.  81.  — Rapport  entre  la  richesse  en  oxygène  de  l’air  et  celle  du  sang. 


diminue,  et  la  courbe  (fig.  80)  présente  un  point  de  rebrous- 
sement correspondant  à 1 heure  20  min.;  ainsi,  dans  les  der- 
niers moments  de  la  vie,  il  y a dans  le  sang  moins  de  CO2 
que  quelques  instants  auparavant.  Lorsque  je  constatai  ce 
fait  pour  la  première  fois,  je  crus  que  cet  acide,  à ce  mo- 
ment où  les  pulsations  sont  très-ralenties,  s’était  imbibé  dans 
les  tissus.  Mais  si  l’on  examine  comparativement  le  tracé  du 
CO2  du  sang  (fig.  79)  avec  celui  du  C02-f-0  de  l’air  (fig.  80), 
on  y voit  un  semblable  point  de  rebroussement  qui  montre 

65 


1026 


EXPERIENCES. 


que,  au  moment  où  précisément  GO2  diminue  dans  le  sang, 
il  augmente  considérablement  dans  l’air  expiré,  qu’en  un 
mot  il  sort  de  l’animal.  J’ai,  dans  toutes  mes  analyses,  re- 
trouvé ce  fait  ignoré  jusqu’ici  : il  suffit,  pour  s’en  assurer, 
de  jeter  un  coup  d’œil  sur  les  tableaux  qui  les  résument. 

Il  ne  faut  donc  pas  continuer  à dire,  comme  cela  a été  trop 
facilement  admis  a priori,  que,  dans  l’asphyxie  en  vases  clos, 
la  quantité  de  GO2  contenu  dans  le  sang  va  en  augmentant 
jusqu’à  la  mort;  bien  au  contraire,  et  toujours,  elle  diminue 
dans  les  derniers  temps  de  la  vie. 

Il  y a plus,  lorsque  le  volume  de  l’air  où  s’asphyxie  l’ani- 
mal est  petit,  l’acide  carbonique  diminue  dans  le  sang  arté- 
riel dès  le  début,  malgré  son  augmentation  dans  l’air.  G’est  ce 
que  montre,  par  exemple,  l’expérience  DCXXXVII,  où  un  gros 
chien  n’ayant  à sa  disposition  que  20  litres  d’air,  la  propor- 
tion d’acide  carbonique  de  son  sang  est  tombée  de  44,8  à 
59,9. 

Mais  lorsqu’on  empêche  l’acide  carbonique  de  sortir  au 
dehors,  comme  c’est  le  cas  pour  les  animaux  étranglés  ou 
noyés,  il  augmente,  mais  en  très-faible  proportion,  dans 
le  sang. 

Exemples  : 


Expérience  DGXLIII.  — Avril.  Chien  pesant  15k,8.  Tiré  à la  carotide 
55cc  de  sang  artériel A 


Mis  un  tube  dans  la  trachée,  et  aussitôt  après,  un  bouchon  dans  le  tube. 
Agitation,  mort  en  4 minutes. 

Une  sonde  a été  introduite  dans  le  cœur  gauche;  au  moment  où  le 
cœur  s’arrête,  on  tire  55cc  de  sang  très-noir B 

A contient,  pour  100,  55,9  d’acide  carbonique. 

B — 40,8  — 

Geci  répond  de  la  manière  la  plus  péremptoire  à la  ques- 
tion que  nous  nous  étions  posée  au  commencement  de  ce 
chapitre  : l’acide  carbonique  qui  se  produit  pendant  l’asphyxie 
contribue-t-il  pour  une  certaine  part  à déterminer  la  mort? 

Déjà  tout  ce  que  nous  avions  appris  nous  montrait  que  son 
rôle,  dans  tous  les  cas,  doit  être  singulièrement  restreint. 
Pour  que,  chez  les  chiens,  l’acide  carbonique  amène  la  mort, 


ASPHYXIE. 


1027 


il  faut  que  sa  proportion  dans  l’air  dépasse  50  pour  100  ; or, 
dans  l’air  confiné,  où  l’animal  s’est  asphyxié,  elle  ne  s’élève 
jamais  au-dessus  de  17  à 1*8.  D’autre  part,  les  troubles  de  la 
circulation,  de  la  locomotion,  de  la  calorification,  etc.,  les 
variations  de  l’oxygène  de  l’air,  de  l’oxygène  du  sang,  sont  les 
mêmes  dans  les  cas  où  l’acide  carbonique  a été  éliminé  de 
l’air  confiné  où  respire  l’animal  (chap.  III,  sous-chapitre  II) 
et  dans  les  asphyxies  ordinaires. 

Mais  les  expériences  que  nous  venons  de  rapporter  mon- 
trent que  l’augmentation  de  l’acide  carbonique  dans  le  sang 
artériel  des  animaux  asphyxiés,  lorsqu’elle  existe,  n’amène 
jamais  à un  chiffre  bien  supérieur  à celui  qu’on  trouve  quel- 
quefois dans  le  sang  d’animaux  qui  respirent  à l’air  libre; 
le  maximum  a été  de  55,6  (exp.  DGXL1),  et  les  accidents 
constatables  de  l’empoisonnement  par  l’acide  carbonique  ne 
se  manifestent  pas  avant  que  le  sang  contienne  de  70  à 
80  volumes  de  ce  gaz.  Enfin,  la  question  ne  peut  même  plus 
être  posée  pour  les  cas  où  l’acide  carbonique,  loin  d’augmen- 
ter, a diminué  dans  le  sang  et  les  tissus. 

C’est  ici  le  lieu  de  rappeler  les  expériences  DGXX1Y,  DCXXV, 
DGXXYI,  rapportées  à propos  de  l’empoisonnement  par  l’acide 
carbonique,  sur  la  recherche  de  la  quantité  de  ce  gaz  dissous 
dans  les  tissus.  Elles  montrent  en  effet  que,  précisément  pour 
les  animaux  des  expériences  DCXXXYI1I,  DGXXXIX,  DCXL,  les 
tissus  ne  contenaient  qu’une  faible  quantité  d’acide  carbo- 
nique, à peine  supérieure,  si  tant  est  qu’elle  le  soit,  à celle 
qu’on  y trouve  normalement.  Enfin,  l’urine  de  chiens  as- 
phyxiés n’a  donné,  en  présence  d’un  acide,  que  15  à 20  volu- 
mes de  CO2  (exp.  DCXXXIX,  DGXL),  c’est-à-dire  la  quantité  qu’on 
retrouve  en  moyenne  chez  les  chiens  qui  reçoivent  une  nour- 
riture mixte. 

Tout  cet  ensemble  de  faits  démontre  donc  péremptoire- 
ment que,  pour  les  chiens  noyés,  étranglés,  asphyxiés  dans 
un  très-petit  volume  d’air,  l’acide  carbonique  ne  joue  aucun 
rôle  dans  la  mort,  et  que  ce  rôle  est  à peu  près  nul  lorsque 
l’asphyxie  a lieu  dans  des  espaces  plus  considérables.  Peut- 
être  serait-il  imprudent  d’étendre  cette  dernière  conclusion 


1028 


EXPÉRIENCES. 


aux  animaux  chez  lesquels,  comme  chez  les  moineaux,  la 
tension  mortelle  de  l’acide  carbonique  dans  l’air  n’est  que 
de  22  à 26  pour  100;  cependant  ici  encore,  l’expérience 
BCXXViH  G.  montre  que  l’acide  carbonique  n’a  point  d’im- 
portance sérieuse. 

Cependant  sa  diminution  dans  les  tissus  lorsque  l’asphyxie 
a lieu  dans  un  air  privé  d’acide  carbonique  ou  dans  l’air  di- 
laté (expériences  DGXXV111  D et  DCXXIÎ1)  pourrait  peut-être 
expliquer  les  quelques  différences  que  nous  avons  signalées 
entre  l’asphyxie  en  vases  clos  et  l’asphyxie  par  décompression, 
en  parlant  notamment  de  la  rigidité  cadavérique  (V.  p.  740). 


SOUS-CHAPITRE  III 

OBSERVATIONS  SUR  LES  GAZ  DU  SANG. 

Les  nombreuses  analyses  des  gaz  du  sang  que  j’ai  rappor- 
tées dans  ce  livre  méritent  de  nous  arrêter  quelques  instants, 
en  dehors  même  des  considérations  relatives  à la  pression 
barométrique. 

Je  dirai  tout  d’abord  que  la  haute  température  à laquelle 
je  porte  le  sang  dans  la  pompe  à gaz,  m’a  permis  d’ex- 
traire beaucoup  plus  rapidement  et  beaucoup  plus  complè- 
tement les  gaz  du  sang  que  n’avaient  pu  le  faire  mes  devan- 
ciers. Sans  doute,  à 40°,  sous  l’influence  du  vide,  on  finit  par 
obtenir  à peu  près  tout  l’oxygène  et  tout  le  CO2  contenus  dans 
le  sang  ; mais  il  faut  longtemps  pour  cela,  les  coups  de  pompe 
successifs  n’amènent  plus  que  de  faibles  quantités  de  gaz,  il 
vient  en  même  temps  de  la  vapeur  d’eau  où  l’acide  carbo- 
nique se  redissout  lors  de  la  condensation,  et  enfin,  chose 
plus  grave,  une  petite  quantité  d’oxygène  peut  être  consom- 
mée pendant  l’opération  même.  Au  contraire,  à la  température 
de  l’eau  bouillante,  tous  les  gaz  sont  immédiatement  appelés 
par  le  vide,  et  il  m’est  arrivé  quelquefois  de  les  recueillir 
tous  d’un  seul  coup  de  pompe. 

Azote.  ■ — D’après  les  recherches  de  Fernet,  100  volumes 


GAZ  DU  SANG. 


1029 


de  sang,  à 15°,  sont  capables  de  dissoudre  1,4  volumes  d’azote. 
J’ai  souvent  trouvé  des  chiffres  un  peu  supérieurs  à celui- 
ci,  ce  qui  n’a  aucune  signification,  car  il  pouvait  être  resté 
quelques  bulles  d’air  dans  tout  l’appareil;  mais  j’en  ai  aussi 
trouvé  d’un  peu  inférieurs,  et  ceci  est  plus  intéressant.  En 
laissant  de  côté  les  causes  possibles  d’erreur,  nous  y trouvons 
cette  présomption  que  le  sang,  en  traversant  les  poumons, 
n’est  point  suffisamment  agité  avec  l’air  pour  se  saturer  des 
gaz  qu’il  est  apte  à dissoudre. 

Ceci  devient  une  certitude  quand  nous  envisageons  les  résul- 
tats des  expériences  sur  les  gaz  du  sang  d’animaux  placés  dans 
l’air  comprimé.  Il  s’en  faut,  en  effet,  de  beaucoup  que 
l’azote  suive  la  loi  de  Ilalton,  puisqu’à  10  atmosphères, 
par  exemple,  je  n’en  ai  trouvé  au  maximum  que  il  vol.  4 
(exp.  CLXXXIII). 

Je  vais  revenir  dans  un  instant  sur  cette  constatation  impor- 
tante. 

Oxygène.  — Les  proportions  d’oxygène  que  nous  avons 
trouvées  dans  un  même  volume  de  sang,  chez  des  animaux  de 
même  espèce  et  également  bien  portants,  ont  varié  dans  des 
limites  dont  l’étendue  a lieu  d’étonner. 

J’en  relève  ici  le  tableau,  tant  pour  l’acide  carbonique  que 
pour  l’oxygène,  en  ne  prenant,  bien  entendu,  que  les  expé- 
riences faites  sur  des  animaux  qui  respiraient  l’air  ordinaire, 
à la  pression  normale.  J’ai  placé  entre  crochets,  et  je  ne  com- 
prends pas  dans  la  moyenne  des  analyses,  celles  où  les  ani- 
maux étaient  malades,  ou  respiraient  dans  des  conditions 
anormales  : les  indications  nécessaires  sont  inscrites  dans  la 
colonne  des  observations. 

Ainsi,  en  éliminant  les  circonstances  extraordinaires,  les 
extrêmes  ont  été  pour  l’oxygène  24,0  (exp.  DCLXVI)  et  14,4 
(exp.  CCLXXX).  Il  y a 8 analyses  donnant  de  14  à 16,  9 de  16 
à 18,  29  de  18  à 20,  25  de  20  à 22,  9 de  22  à 24  ; la  moyenne 
générale  a été  de  19,4.  Mais  on  voit  que  j’ai  eu  raison  de 
prendre  assez  souvent,  dans  le  cours  de  ce  livre,  comme  ex- 
pression moyenne,  la  proportion  de  20  volumes  pour  100. 

Ces  variations  peuvent  être  dues  soit  à la  présence  d’une 


TABLEAU  XX. 


EXPÉRIENCES 

0 

CO2 

OBSERVATIONS 

CLIV 

[‘7)7] 

» 

Épuisé  par  suppuration. 

CLY 

* 19,7 

45,0 

CLYI 

21,4 

39,5 

f 

CLYI  bis 

21,2 

40,1 

, Même  animal. 

CLY  Iter 

21,5 

38 , 6 

CL  VII 

19,7 

30,7 

Curare. 

CLY1IÏ 

[•24 , 6] 

[51,2] 

| Bulbe  coupé,  repos. 

CUlllbis 

[18,2] 

[28,8] 

Id.  agitation. 

eux  , 

18,6 

57,0 

Tranquille. 

CL1X  bis 

19,4 

35,2 

S'agitant. 

CLX 

1 [HJ] 

[5o , 6] 

! Animal,  en  état  de  traumatisme. 

CL  Xbis 

1 [12,4] 

[32,7] 

CLXI 

15,1 

40,8 

Respiration  normale. 

CLXI  bis 

20,3 

[24,0] 

Trachée;  respir.  exagérées. 

CLXIII 

18,8 

59,7 

CLXIV 

21,5 

41,9 

CLXV 

21,6 

56,5 

CLXYI 

18,3 

152,8] 

Après  la  dépression. 

CLXYIÏ 

19,8 

[29,1] 

Id. 

CLXVIII 

[26,4] 

[22,7] 

Id.  Resp.  très-rapides. 

CLX1X 

20,6 

59,0 

CLXX 

21,9 

54,7 

Avant  la  dépression. 

CL  XX  bis 

21,1 

55,2 

Après  la  dépression. 

CLXXI 

19,4 

48,4 

Id. 

CLX  XII 

20,1 

41,1 

Id. 

CLXXI  II 

22,6 

39,7 

CLXXIV 

[1 6 , 5] 

[54,9] 

Malade,  id.  CLXXI. 

CLXXV 

17,4 

oo . 8 

CLXX  VI 

[16,9] 

45,7 

Après  la  dépression. 

CLXXYI1 

[14,8] 

[22,1] 

Id. 

CLXXYI1I 

19,2 

» 

CLXXIX 

20,8 

46,1 

Avant  la  dépression. 

CLX  XIX  bis 

20,8 

40,5 

Après  la  dépression. 

CLXXXI 

19,2 

55,0 

CLXXXII 

19,4 

«30 « 0 

CLXXXIII 

18,3 

57 ,1 

CLXXXIV 

18,4 

47,7 

CLXXXV 

22,8 

50,1 

CLXXXYI 

20,2 

57,1 

CLXXXV1I 

19,0 

48,0 

CLXXXV  III 

18,2 

50,8 

CLXXXIX 

21,5 

47.5 

• 

exe 

21,6 

45,0 

CXCI 

22  2 

[29,4] 

j 

CXCII 

18,0 

49,0 

CCLXXYIII 

15,5 

[22,9] 

Resp.  par  tube  trachéal,  exagérées. 

CCLXXIX 

17,0 

59,0 

CCLXXX 

14,4 

41,0 

CCLXXXI 

16,9 

oo , 0 

CCLXXX1I 

18,1 

[24,9] 

Respir.  par  tube,  exagérées. 

EXPÉRIENCES 

0 

CO2 

OBSERVATIONS 

CCLXXXIII 

19,8 

[20,9] 

Respir.  par  tube,  exagérées. 

CGLXXXIY 

[12, IJ 

[29,6] 

Id.,  id. 

CGLXXXY 

15,1 

40,8 

Voies  naturelles. 

CGLXXXYI 

15,8 

43,0 

Tube  dans  la  trachée. 

CGLXXXYII 

17,2 

[22,3] 

Id.,  id.  | 

CCLXXXYIII 

16,0 

41,5 

Voies  naturelles. 

CGLXXXYI  Ilôts 

[23,4] 

[15,2] 

Trachée. 

CGLXXXIX 

16,0 

44,5 

CGXG 

18,7 

44,0 

CGXCV 

17,0 

38,5 

CCXCVI 

19,0 

42,0 

CCCII 

[7,5] 

[33,0] 

Petit  chien  de  1640  grammes. 

DGV 

[16,0] 

[29,5] 

Malade  de  traumatisme.  j 

DCVI 

21,0 

43,5 

DG  VII 

[24,8] 

[19,5] 

Respir.  par  voies  natur.,  mais  avec 

DCVIII 

18,9 

36,5 

rapidité  extraordinaire.  j 

DCIX 

22,0 

46,7 

DCXVI 

19,1 

44,8 

DCXVII 

22,5 

39,5 

DGXIX 

21,8 

44,6 

DCXXXYIII 

15,9 

44,8 

DCXXXIX 

19,8 

40,1 

Voies  naturelles. 

DC  XXXIX  bis 

[21,5] 

[18,3] 

Trachée;  respir.  exagérées. 

DCXL 

21,8 

42,9 

DGXLI 

15,7 

36,5 

DCXLII 

[14,6] 

46,7 

Animal  jeune. 

DGXLIII 

19,0 

33,9 

DCXLIV 

[9,4] 

[27,6] 

Petit  chien  de  1850  grammes. 

DCXLV 

15,5 

37,2 

» 

DCXLYI 

DGXLYII 

22,5 

20,2 

38,9 

36,6 

A jeun  ) m*me  anjmaj 

En  digestion  j 

DGXLVIIl 

17,9 

35,0 

DGXLIX 

19,3 

54,6 

DCL 

[15,0] 

54,9 

Animal  de  DGXLIX,  malade. 

DCLI 

20,9 

39,1 

DGLII 

21,0 

40,5 

DCLIII 

21,2 

» 

DGLIV 

[16,8] 

[35,3] 

Animal  de  l’exp.  CLXXII,  malade. 

DCLV 

18,0 

» 

DCLYI 

18,1 

[25,0] 

Respir.  très-rapides,  par  tube  trach. 

DGLYIl 

20,8 

Oô  ) 0 

DCLYIII 

19,6 

59,4 

DCLIX 

20,4 

36,6 

DGLXI 

22,1 

36,1 

DGLXII 

19,3 

58,7 

[ DCLXIII 

22,6 

42,4 

DCLXIV 

20,0 

40,4 

DCLXV 

16,7 

36,1 

DGLXVI 

24,0 

50,3 

Moyenne 

19,4 

40,4 

• 

1052 


EXPERIENCES. 


moindre  quantité  d’hémoglobine  dans  un  même  volume  de 
sang  (alors  même  qu’il  y aurait  un  même  nombre  de  globu- 
les), soit  à une  moindre  saturation  de  cette  hémoglobine  dans 
les  conditions  où  respire  l’animal,  soit  enfin  à une  différence 
plus  intime  dans  la  nature  de  l’hémoglobine  et  à sa  moindre 
capacité  d’absorption  pour  l’oxygène. 

Mais  ici,  la  réflexion  que  suscitait,  il  y a un  moment,  l’étude 
de  l’azote,  se  présente  avec  bien  plus  d’importance.  Presque 
jamais,  dans  les  conditions  régulièrement  ordinaires  de  la 
respiration,  le  sang  artériel  n’est  saturé  d’oxygène,  ne  contient 
tout  l’oxygène  qu’il  peut  absorber  par  son  agitation  avec  l’air. 
Rien  de  plus  variable  que  cet  écart  entre  ce  que  contient  et 
ce  que  peut  contenir  d’oxygène  le  sang  artériel. 

Il  y a donc  tel  individu  chez  qui  une  certaine  augmenta- 
tion dans  la  rapidité  et  l’ampleur  des  mouvements  respira- 
toires pourra  augmenter  notablement  l’oxygène  du  sang,  et 
tel  autre,  au  contraire,  qui  ne  pourrait  y trouver  presque 
aucun  avantage.  Ces  deux  êtres  ne  seront  donc  pas  dans 
des  conditions  identiques,  au  point  de  vue,  par  exemple, 
de  la  diminution  de  pression.  Inversement,  il  est  des  indi- 
vidus qui,  étant  plus  saturés  déjà,  pourront  beaucoup  mieux 
que  d’autres  supporter  un  certain  ralentissement  respira- 
toire, sans  voir  la  proportion  de  l’oxygène  de  leur  sang 
s’abaisser  à un  chiffre  trop  bas. 

D’une  manière  générale,  la  richesse  du  sang  en  oxygène 
se  manifeste  par  la  rutilance,  et  plus  un  sang  est  rouge,  plus 
il  contient  d’oxygène.  Mais  cela  n’est  absolument  vrai  que  d’un 
même  sang.  Mes  analyses  m’ont,  au  contraire,  très-souvent 
montré  que  certains  sangs  clairs  et  rutilants  étaient  pauvres 
en  oxygène,  relativement  à d’autres  sangs  à la  teinte  sombre. 

C’est  que  la  rutilance  marque  seulement  la  richesse  en 
oxygène  de  la  combinaison  oxy-hémoglobique.  Si  nous  suppo- 
sons deux  sangs  contenant  la  meme  quantité  d’oxygène,  celui 
qui  sera  très-riche  en  hémoglobine  sera  notablement  moins 
rutilant  que  l’autre.  C’est  ainsi  qu’il  m’est  arrivé,  après  une 
copieuse  saignée,  de  trouver  un  sang  plus  rouge  ou  aussi  rouge 
qu’avant,  bien  que  notablement  moins  riche  en  oxygène; 


GAZ  DU  SANG. 


1055 


seulement,  la  teinte  était  plus  claire,  parce  que  le  sang  était 
moins  chargé  en  globules. 

C’est  ce  que  présentent  les  jeunes  animaux.  Les  expériences 
CCCII  et  DCXLY  nous  ont  montré,  en  effet,  chez  de  petits 
chiens,  un  sang  rouge  clair,  qui  ne  contenait  que  9,4  et 
même  7,3  vol.  d’oxygène.  Ceci  explique  la  faible  résistance 
des  jeunes  animaux  (je  ne  parle  pas  des  nouveau-nés,  bien 
entendu)  à l’asphyxie,  au  refroidissement,  etc.  Ce  sont,  au 
plus  haut  degré,  des  anoxyhémiques. 

Mes  analyses  montrent  encore  que,  chez  les  animaux 
malades,  la  quantité  d’oxygène  contenue  dans  le  sang  artériel 
est  très-faible.  Elle  s’est,  en  effet,  par  exemple,  abaissée 
à 13,3  chez  le  chien  de  l’expérience  CLXXIY,  animal  qui  souf- 
frait d’une  plaie  suppurante  à la  suite  d’hémorrhagies,  et 
qui,  à l’état  sain,  avait  donné  19,4  (exp.  CLXXI). 

11  me  paraît  extrêmement  vraisemblable  que  dans  certains 
cas  de  maladie,  la  moindre  quantité  d’oxvgène  contenue  dans 
le  sang  doit  tenir,  non-seulement  à une  moindre  quantité  de 
globules  ou  même  d’hémoglobine,  mais  à une  altération  de 
cette  dernière,  qui  devient  moins  apte  à se  charger  d’oxygène. 
C’est  là  un  sujet  très-important  de  recherches,  dont,  sur 
mon  indication,  M.  le  docteur  Légerot1  a commencé  l’étude. 

Quoi  qu’il  en  soit,  laissant  de  côté  les  très-jeunes  animaux 
et  les  malades,  il  reste  établi  que  de  grandes  différences  exis- 
tent entre  divers  animaux  d’une  même  espèce  au  point  de  vue 
de  la  richesse  oxygénée  de  leur  sang. 

D’autre  part,  chez  le  même  animal,  des  changements  con- 
sidérables dans  lesrhvthmes  circulatoire  et  respiratoire  peu- 
vent modifier  notablement  cette  richesse  en  oxygène.  J’ai 
déjà  indiqué  ces  faits  dans  le  chapitre  qui  traite  de  la  critique 
expérimentale  de  ma  méthode  d’analyse  des  gaz  du  sang 
(Y.  p.  626  et  suiv.).  Les  expériences  CLYI,  CCLXXXYHI  et 
DCXXXIX,  rapportées  au  précédent  tableau,  sont  tout  à fait 
caractéristiques  à ce  point  de  vue. 


1 Légerot,  Études  d'hématologie  pathologique  basées  sur  l'extraction  des  gaz  du 
sang.  — Thèses  de  Paris,  1875. 


1034 


EXPERIENCES. 


Acide  carbonique.  — L’acide  carbonique  a été  extrait  du 
sang  dans  des  proportions  encore  plus  variables  que  celles  de 
l’oxygène.  Les  extrêmes  ont  été,  toujours  en  éliminant  les 
faits  exceptionnels,  50,8  (exp.  CLXXXVill)  et  55  (exp.  CCLXXXI). 
Il  y a eu  50  analyses  donnant  de  50  à 40,  52  de  40  à 50,  5 
au-dessus  de  50,  et  la  moyenne  générale  a été  40,4. 

L’accélération  de  la  respiration,  surtout  lorsque  celle-ci  se 
fait  directement  par  la  trachée,  fait  diminuer  dans  une  pro- 
portion souvent  énorme,  la  quantité  du  CO2  du  sang.  J’ai  déjà 
indiqué  ces  faits  en  traitant  de  la  critique  expérimentale  et 
du  degré  d’exactitude  qu’il  convient  d’attribuer  aux  analyses 
des  gaz  du  sang.  Les  faits  que  nous  ont  signalés  nos  expé- 
riences sont  reproduits  au  tableau  ci-dessus  : ce  sont 
les  expériences  GLXIèis,  CCLXXVJII,  CCLXXXII,  CCLXXXIII, 
CGLXXXYII  bis , DCVII,  DGXXXIX  bis , et  DGLVI.  J’appelle  sur- 
tout l’attention  sur  l’expérience  CGLXXXVIII,  où  la  quantité 
de  CO2  est  tombée  de  41,5  à 15,2  par  la  respiration  tra- 
chéenne; et  l’expérience  DCVII,  où  une  respiration  exagérée, 
mais  par  les  voies  naturelles,  a amené  ce  gaz  à 19,5. 

Ainsi,  la  diminution  de  l’acide  carbonique  du  sang  par  la 
respiration  exagérée  sous  la  pression  normale  peut  arriver 
presque  au  même  degré  que  chez  les  animaux  soumis  aux 
plus  basses  pressions  atmosphériques,  puisque  le  tableau  X 
(page  645)  donne  comme  moyennes  29,5  à la  pression  de 
54e,  25,2  à celle  de  25e,  et  encore  12,4  à celle  de  17e. 

Si  nous  revenons  aux  circonstances  de  l’extraction  des  gaz 
par  la  pompe,  nous  verrons  que  la  facilité  de  cette  extraction 
dépend,  comme  on  devait  s’y  attendre,  de  la  quantité  qui 
en  existe  dans  le  sang.  J’ai  fait  à ce  propos  un  assez  bon 
nombre  d’expériences  pour  voir  dans  quelles  proportions  sor- 
tent du  sang  l’oxygène  et  l’acide  carbonique,  lorsqu’on  dimi- 
nue graduellement  la  pression. 

L’expérience  était  disposée  de  la  manière  suivante  : un  vide 
partiel  étant  fait  dans  la  pompe  barométrique,  j’y  introdui- 
sais le  sang  à analyser  ; puis  j’extrayais,  par  des  coups  de 
pompe  successifs,  une  partie  à la  fois  de  l’air  qui  restait  et 
des  gaz  sortis  du  sang;  je  continuais  ainsi  jusqu’à  ce  qu’il  ne 


GAZ  DU  SANG. 


1035 


sortît  plus  rien.  Les  gaz  amenés  par  chacun  des  coups  de 
pompe  successifs  étaient  alors  l’objet  d’autant  d’analyses. 
Voici  les  résultats  d’une  de  ces  analyses  fragmentées  : 


Expérience  DCLX.  — 23  janvier.  100cc  de  sang  pris  à l’artère  brachiale 
d’un  grand  chien  de  berger. 

La  pompe  à gaz  a été  amenée  à 16e, 5 de  pression  réelle  ; j’introduis  le 
sang,  l’agite  un  moment,  et  extrais  du  premier  coup  de  pompe  92cc 


de  gaz A 

A une  2e  extraction,  j’amène  85cc  de  gaz B 

A la  5e  (pression  12cc,5)  . 61cc  — C 

— 4e  ( 5e  ) . 25cc  — D 

- — 5e  (jusqu’au  vide)  . . 2CC,5  — - E 


Le  bain-marie  était  à l’ébullition  ; j’introduis  alors  dans  le  récipient  un 
peu  d’acide  sulfurique  étendu  d’eau  distillée  bouillie. 

Il  vient  encore  lcc  de  CO2. 

Les  analyses  montrent  que  : 

Le  gaz  A ne  contenait  ni  O ni  CO2,  venant  du  sang. 


— B contenait  lcc,9  d’oxygène,  et  lcc,9  de  COs 


— C — 

13cc,9 

— 

17cc,8  — 

— D — 

4CC,6 

— 

12cc,0  — 

— E — 

0CC,4 

— 

lcc,6  — 

Au  total  : 

20cc,8 

— 

33cc,3  — 

CO2 


Le  rapport  -q-  entre  l’acide  carbonique  et  l’oxygène  a donc  été  succes- 


sivement : à B,  1 ; à C,  1,3  ; à D,  2,6  ; à E,  4.  Le  rapport  total  étant  1,6, 
il  en  résulte  que,  pendant  la  première  phase  de  l’expérience,  il  est  sorti 
proportionnellement  plus  d’oxygène  du  sang  que  d’acide  carbonique  ; le 
contraire  a eu  lieu  dans  la  seconde  phase. 


D’autres  expériences  semblables  déposent  dans  le  même 
sens,  et  il  serait  oiseux  d’en  donner  les  détails.  De  même, 
lorsque,  le  sang  étant  introduit  dans  le  vide  parfait,  j’analy- 
sais à part  les  gaz  que  m’apportaient  les  coups  de  pompe 
successifs,  je  trouvais  toujours  un  résultat  analogue.  C’est, 
enfin,  ce  qu’ont  donné  les  expériences  faites  sur  les  animaux 
soumis  à de  faibles  pressions  (voir  tabl.  X,  col.  4,  5). 

Ainsi,  de  quelque  côté  qu’on  aborde  le  problème,  on  voit 
que,  sous  l’influence  de  la  diminution  de  pression,  le  sang 
perd  d’abord,  proportionnellement,  plus  vite  son  oxygène  que 
son  acide  carbonique;  puis  l’équilibre  s’établit;  puis  l’acide 


1036 


EXPÉRIENCES. 


carbonique  sort  en  proportion  plus  grande,  et,  à la  fin,  la 
pompe  n’amène  plus  que  de  l’acide  carbonique. 

11  en  est  meme  encore  ainsi  lorsqu’il  s’agit  d’un  sang  où  la 
proportion  d’acide  carbonique  est  beaucoup  au-dessus  de  la 
moyenne.  Les  expériences  d’empoisonnement  par  l’acide  car- 
bonique nous  en  offrent  de  nombreux  exemples. 

Ainsi,  dans  l’expérience  DCXIV  (p.  990),  dans  le  sang  C qui 

GO2 

contenait  CO2  103,6  et  Ox.  18, 2,  le  rapport—  étant  ainsi  5,7, 

les  premiers  coups  de  pompe  ont  amené  un  gaz  où  la  propor- 
CO2 

tion  — était  5,2,  tandis  que  les  derniers  ont  donné  le  rap- 
port 6,0.  De  même,  dans  l’expérience  DCXV,  pour  le  sang  E 

CO2 

(GO2  97,5;  O 18,7),  le  rapport  —étant  5,2,  on  a eu,  pour  le 

premier  tube  rempli  de  gaz,  le  rapport 4, 7,  et  pour  le  deuxième, 
le  rapport  9. 

Le  vide  de  la  pompe  à gaz,  employé  comme  je  l’ai  dit,  con- 
curremment avec  la  température  de  l’eau  bouillante,  a pour 
effet  d’enlever  presque  tout  l’acide  carbonique  contenu  dans 
le  sang.  L’addition  consécutive  d’un  acide  fort  n’en  met  en 
liberté  que  des  quantités  minimes  et  parfois  nulles  : l’expé- 
rience que  je  viens  de  citer  en  donne  un  exemple  suffisant. 

On  sait  combien  ont  varié  les  opinions  des  physiologistes 
et  des  chimistes  sur  l’acide  carbonique  qui  peut  être  extrait 
par  la  pompe  (acide  libre,  dissous,  ausgepumpen  des  Alle- 
mands) et  celui  qui  résiste  au  vide  aidé  de  la  chaleur  (acide 
combiné,  lié,  gebunden).  Les  anciens  auteurs  croyaient  ce 
dernier  très-abondant  (Lothar  Meyer  l’estimait  à 28,58  contre 
6,17  de  libre);  mais  les  analyses  de  8choffer,  Setschenow, 
Pflüger,  etc.  en  ont  successivement  réduit  la  proportion  à ce 
que  nous  avons  constaté  nous-même. 

Dans  du  sang  saturé  artificiellement  d’acide  carbonique, 
ce  gaz  se  trouve  à trois  états  : simplement  dissous,  combiné 
faiblement  (bicarbonates  et  phosphocarbonates)  ou  combiné 
fortement  (carbonates).  Mais  à quel  état  existe-t-il  dans  le 
sang  normal,  artériel  et  veineux?  Y a-t-il  dans  ces  conditions 


GAZ  DU  SANG. 


1037 


naturelles  de  l’acide  carbonique  simplement  dissous?  M.  Fer- 
net  ( loc . cit .,  p.  209)  avait  conclu  de  ses  expériences  que 
dans  le  liquide  saturé,  c’est-à-dire  contenant  156cc,l  de 
GO2  pour  100cc  de  sang  (sang  de  bœuf  à 16°),  la  plus  forte 
partie  (96cc,4)  de  cet  acide  est  dissoute  dans  le  sang,  puis- 
qu’elle suit  la  loi  de  Dalton  dans  ses  rapports  avec  la  pression 
barométrique,  et  que  le  reste  (59cc, 7)  est  combiné  à l’état  de 
bicarbonate  ou  de  phospho-carbonate,  parce  qu’il  échappe 
à cette  loi. 

Or,  nos  analyses  nous  ont  montré  que,  dans  le  sang  arté- 
riel, il  n’y  a que  très-  rarement  50  volumes  de  CO2.  On  peut 
donc  dire  que,  régulièrement,  le  sang  artériel  ne  contient 
que  du  CO2  combiné,  faiblement  et  fortement.  Au  contraire, 
dans  le'sang  du  cœur  droit  nous  avons  trouvé,  en  moyenne, 
des  proportions  plus  élevées  de  GO2  ; ce  sang  paraît  donc  con- 
tenir, en  outre,  du  CO2  simplement  dissous. 

Geci  nous  amène  donc  à penser  que  la  respiration,  pour 
ce  qui  a trait  à l’acide  carbonique,  consiste  surtout  et  peut- 
être  exclusivement  dans  une  exhalation  de  l’excès  d’acide 
carbonique  simplement  dissous,  la  partie  combinée  à l’état 
de  bicarbonate  ou  phosphocarbonate  n’étant  que  peu  ou 
point  modifiée.  Dans  la  respiration  parfaite,  à son  rhythme 
régulier,  il  ne  devrait  pas  rester  dans  le  sang  artériel  d’acide 
dissous. 

Dans  le  but  de  m’éclairer  sur  ce  point  important  pour  la 
théorie  générale  de  la  respiration,  j’ai  institué  des  expérien- 
ces d’après  la  méthode  suivante.  Je  tire  à un  animal  du  sang 
artériel,  dont  je  détermine  aussitôt  la  tension  en  acide  carbo- 
nique, à l’aide  du  vide  et  de  la  chaleur.  Puis,  j’agite  pendant 
2 heures,  à l’aide  de  la  machine  à eau  (voy.  fig.  42,  p.  688), 
un  autre  échantillon  du  même  sang  dans  un  flacon  plein 
d’acide  carbonique  pur  : une  vessie  de  caoutchouc  pleine  elle- 
même  de  CO2  et  communiquant  avec  le  flacon,  empêche  que 
l’absorption  ne  diminue  la  tension  gazeuse.  Après  ce  temps, 
nouvelle  analyse.  Je  défalque  alors  du  nombre  trouvé  la  quan- 
tité de  GO2  que  le  sang  serait  capable  de  dissoudre  à la  tempé- 
rature actuelle  (les  constatations  de  M.  Fernet  m’ont  permis 


1058 


EXPERIENCES. 


de  me  servir  pour  les  coefficients  de  solubilité  des  tables  de 
Bunsen),  et  le  nombre  restant  doit  indiquer  s’il  y a encore 
dans  le  sang  artériel  du  GO2  dissous.  Prenons,  pour  être  plus 
clair,  un  exemple  : supposons  que  le  sang  artériel  ait  donné 
40  volumes  de  CO2,  et  qu’après  agitation  à 10°  il  en  contienne 
158;  le  coefficient  de  solubilité  étant  90,4,  on  voit  que  les 
sels  du  sang  exigeaient  pour  se  saturer  158  — 96,4  = 41,6; 
donc,  dans  le  sang  ils  n’étaient  pas  au  maximum  de  carbo- 
nisation, puisqu’il  leur  manquait  pour  cela  1,0  vol.  de  CO2. 

Yoici  quelques  expériences  faites  par  cette  méthode  si  sim- 
ple. Les  deux  premières  de  ces  expériences  comprennent  en 
outre  l’analyse  du  gaz  du  sang  du  cœur  droit  : 

Expérience  DGLXI.  — 4 juillet.  Chien. 

Tiré  25cc  de  sang  à l’artère  fémorale. 

Il  contient  O 22,1  CO2  36,1.  Simultanément  25cc  de  sang  du  cœur 
droit.  Il  contient  O 5,5  CO2  56,4. 

100cc  de  sang  sont  agités  pendant  24h  avec  CO2  pur  (temp.  20°). 

Contiennent  alors  127,4  de  CO2. 

Coefficient  de  solubilité  à 20°  : 91,5.  Or,  127,4 — 91,5  = 55,9.  Donc, 
les  sels  du  sang  artériel  sont  exactement  saturés.  Quant  au  sang  veineux, 
il  contient,  toute  saturation  étant  parfaite,  20,5  volumes  de  CO2  dissous. 

Expérience  DCLXII.  — 9 juillet.  Chien  en  digestion,  pesant  8 kil.  (il 
meurt  dans  la  nuit  des  suites  de  l’hémorrhagie). 

Tiré  à l’artère  crurale  25cc  de  sang,  qui  contient  O 19,5  CO2  58,7  (à 
0°  et  760mm). 

Tiré  simultanément  au  cœur  droit,  5ÛCC  contenant  CO2  49,0. 

On  enlève  alors  550cc  de  sang  artériel,  qui  sont  agités  pendant  toute  la 
nuit  avec  du  CO2  pur. 

Le  lendemain  (temp.  20°),  ce  sang  contient  172,1  volumes  de  CO2. 

Le  coefficient  de  solubilité  de  CO2  à 20°  était  91,5;  d’autre  part, 
172,1  — 91,5  = 80,6.  11  en  résulte  qu’il  s’en  fallait  de  41,9  que  le  sang 
artériel  fût  chimiquement  saturé  de  CO2,  et  qu’au  sang  veineux  lui-même 
il  en  manquait  51  cc,6. 

Expérience  DCLXII1. — 26  juin.  Chien  de  grande  taille  ; je  tire  à la  caro- 
tide 25cc  de  sang,  qui  contient  O 22,6;  CO2  42,4* 

Agitation  pendant  18  heures  avec  CO2  pur.  Contient  alors  (temp.  25°) 
146,8  volumes  de  CO2* 

Coefficient  de  solubilité  à 25°>  environ  87  ; 146,8  — 87  = 59,8.  Donc» 
manquent  pour  saturation  des  bases  du  sang  artériel  17,4  volumes 
environ. 


GAZ  DU  SANG. 


1039 


Expérience  DCLXIV.  — 11  juillet.  Chien  à jeun,  pesant  lOkil. 

Tiré  25cc  de  sang  à l’artère  crurale  ; il  contient  O 20,0;  CO2  40,4. 

On  met  à agiter  100cc  du  même  sang  avec  deux  fois  son  volume  de  CO2 
pur. 

Le  lendemain  (temp.  22°),  on  analyse  le  sang,  qui  contient  155,9  vol. 

Coefficient  de  solubilité  à 22°  : 90,1.  Donc,  manquent  pour  la  saturation 
25,4  vol.  de  CO2. 

Expérience  DCLXV.  — 18  juillet.  Chien  à jeun,  pesant  15  kil. 

Expérience  semblablement  conduite  : sang  artériel  : O 16,7  ; CO2  56,1. 
Après  agitation  (40  heures)  dans  CO2  contient  147,6  (temp.  20°). 

Coefficient  de  solubilité  à 20°  : 91,5.  Donc,  manquent  pour  la  saturation 
20  vol.  de  CO2. 

Expérience  DCLXYI.  — 22  juillet.  Chien  à jeun,  pesant  11  kil. 

Sang  artériel  : O 24,0  ; CO2  50,5. 

2$  juillet.  — Après  agitation  : CO2  167,0  (temp.  22°). 

Coefficient  de  solubilité  à 22°,  environ  88,5.  Donc,  manquent  pour  la 
saturation  28,2  vol.  de  CO2  environ. 

Expérience  DCLXVII.  — 20  août.  Chien  à jeun. 

Sang  artériel  : CO2  54,0. 

Après  agitation  pendant  5 heures  en  présence  d’acide  carbonique  pur, 
le  sang  contient,  à 22°,  166  volumes  de  CO2. 

Le  coefficient  de  solubilité  étant  90,1,  on  voit  qu’il  manquait  à la  satu- 
ration des  bases  22  vol.  de  CO2. 

Expérience  DCLXVII1.  — 24  juillet.  Cheval'  vieux,  épuisé,  paralysé  du 
train  postérieur,  sur  qui  l’un  des  nerfs  sympathiques  vient  d’être  coupé 
au  cou. 

Tiré  sang  carotidien  du  côté  du  sympathique  coupé. 

Il  contient  O 11,8  ; CO2  44,8. 

Pris  de  même  sang  veineux  dans  une  branche  de  la  jugulaire;  il  con- 
tient O 11,8  ; CO2  54,0. 

Avant  la  section,  le  sang  veineux  avait  donné  CO2  50,1.  Agité  pen- 
dant 24  heures,  avec  l’acide  pur,  contient  (temp.  19°)  178,2  volumes  de 
CO2.  Il  a pris  une  teinte  brune  fort  singulière,  que  je  n’ai  jamais  vue. 

Coefficient  de  solubilité  à 19°  : 92,5.  Donc,  il  manque  pour  saturation 
complète  des  bases  du  sang  artériel  40,9  volumes  de  CO2,  et  pour  celle 
du  sang  veineux  avant  toute  section  nerveuse,  51,7. 

On  voit  que,  dans  aucune  de  nos  expériences,  le  sang  ar- 
tériel ne  contenait  d’acide  carbonique  simplement  dissous; 
une  seule  fois  (exp.  DCLX1),  les  bases  alcalines  étaient  exac- 
tement saturées.  Il  y a plus,  le  sang  veineux  lui-même,  dans 
les  expériences  DCLXIÏ  et  DCLXYI,  ne  contenait  que  de  l’acide 


1040 


EXPERIENCES. 


carbonique  combiné;  mais  dans  l’expérience  DCLXI,il  y avait 
20,5  volumes  de  GO2  dissous. 

II  faudrait  peut-être,  pour  asseoir  des  conclusions  défini- 
tives, disposer  d’un  nombre  d’expériences  plus  considérable; 
cependant,  pour  le  sang  artériel,  la  concordance  de  nos  ana- 
lyses est  parfaite,  et  nous  pouvons,  je  crois,  considérer  comme 
démontré  ce  fait  que  tout  l’acide  carbonique  dissous  (lors- 
qu’il en  existe  dans  le  sang  veineux)  s’échappe  à la  traversée 
des  poumons,  et  que  les  sels  alcalins  surcarbonatés  y sont  en 
outre  dissociés  pour  une  partie  de  leur  acide  qui  ne  dépasse 
guère  le  tiers. 

Mais  cette  dernière  limite  peut  être  franchie,  et  une  plus 
forte  proportion  d’acide  carbonique  combiné  peut  sortir  par 
l’acte  respiratoire  et  ne  plus  se  retrouver  dans  le  sang  arté- 
riel. C’est  ce  qui  arrive,  notamment,  lors  des  respirations 
exagérées  à travers  un  tube  placé  dans  la  trachée  ; c’est  ce 
qui  arrive  dans  les  empoisonnements  par  le  curare,  lors- 
qu’on fait  la  respiration  artificielle,  même  avec  précautions; 
c’est  ce  qui  arrive  après  ou  pendant  les  convulsions  dues  à 
l’oxygène  comprime  (voir  particulièrement  à ce  point  de  vue 
l’expérience  CGLXXXYI,  p.  784,  où  la  proportion  du  CO2  s’est 
abaissée  à 9,9  volumes  dans  le  sang  artériel);  c’est  ce  qui 
arrive  enfin  par  la  respiration  dans  l’air  raréfié.  L’alcalinité 
du  sang  doit  notablement  augmenter  dans  ces  circonstances, 
ce  qui  ne  pourrait  manquer,  si  elles  étaient  durables,  d’exer- 
cer une  influence  considérable  sur  l’état  de  santé  de  l’animal 
en  expérience  ; nous  aurons  à revenir  sur  ce  dernier  point  en 
étudiant  dans  notre  troisième  partie  les  conditions  de  la  vie 
des  habitants  des  hauts  lieux. 


TROISIÈME  PARTIE 


FAITS  RÉCENTS, 


RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS 


CHAPITRE  PREMIER 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 
« 


SOUS-CHAPITRE  PREMIER 

OBSERVATIONS,  THÉORIES  ET  CRITIQUES  RÉCENTES. 

Les  résultats  principaux  des  expériences  rapportées  dans  la 
deuxième  partie  du^présent  ouvrage,  et  la  théorie  qui  s’en  dé- 
duit relativement  à l’influence  des  hauts  lieux,  sont  soumis  au 
jugement  du  public  depuis  plusieurs  années  h L’idée  que  les 

1 Voici  la  liste  de  mes  notes  sur  ce  sujet,  avec  les  dates  de  leurs  publications  : 

A.  — Recherches  expérimentales  sur  l'influence  que  les  changements  dans  la 
pression  barométrique  exercent  sur  les  phénomènes  de  la  vie.  — Comptes  rendus 
de  V Académie  des  sciences.  * 

lre  note.  — Mort  dans  l'air  confiné  ; diminution  de  pression.  (Séance  du  17  juillet  4871.) 
2e  note. — Mort  dans  l'air  confiné  ; augmentation  de  pression.  (Séance  du  21  août  1871.) 

5e  note.  — Mort  par  l'acide  carbonique  ; action  toxique  de  l'oxygène.  (Séance  du  26  fé- 
vrier 1872.) 

4e  note.  — Les  modifications  dans  la  pression  barométrique  n’agissent  qu'en  modifiant 
la  tension  de  l'oxygène.  (Séancé  du  1er  juillet  1872.) 

5e  note.  — Les  gaz  du  sang  sous  diminution  de  pression.  (Séance  du  8 juillet  1872.) 

6e  note.  — La  décompression  brusque.  (Séance  du  19  août  1872.) 

7e  note.  — Les  gaz  du  sang  sous  augmentation  de  pression.  (Séance  du  26  août  1872.) 
8e  note.  — L’ empoisonnement  par  l’oxygène  : dose , symptômes  ; analyse  physiologique . 
(Séance  du  17  février  1873.) 

9e  note.  — La  décompression  brusque:  analyse,  prophylaxie.  (Séance  du  5 mars  1873.) 
10e  note.  — Action  toxique  de  l’acide  carbonique.  (Séance  du  19  mai  1873.) 

He 

note.  — Action  des  variations  de  pression  sur  la  végétation.  (Séance  du  16  juin  1873.) 
12e note.  — Action  toxique  de  l'oxygène:  ralentissement  des  oxydations.  (Séance  du 
25  août  1873.) 

13*  note.  — Expériences  personnelles  sur  la  dépression.  (Séance  du  30  mars  1874.) 

B.  — De  la  quantité  d'oxygène  que } petit  absorber  le  sang  aux  diverses  pres- 
sions barométriques.  — Comptes  rendus  de  la  séance  du  22  mars  1875. 

C.  — Influence  de  l'air  comprimé  sur  les  fermentations.  — Comptes  rendus  de 
la  séance  du  28  juin  1875. 

D.  — De  l'emploi  de  V oxygéné  à haute  tension  comme  procédé  d'investigation 
physiologique.  — Comptes  rendus  delà  séance  du  21  mai  1877. 


1044 


FAITS  RÉCENTS,  RESUME  ET  CONCLUSIONS. 


accidents  amenés  par  le  séjour  dans  l’air  raréfié,  et  spéciale- 
ment que  le  mal  des  montagnes  ont  pour  cause  unique  la 
diminution  dans  la  tension  de  l’oxygène  aérien,  et  ne  sont  en 
définitive  qu’une  forme  de  l'asphyxie,  a soulevé  bien  des 
polémiques,  le  plus  souvent  fort  peu  instructives,  et  qu’il 
serait  peu  intéressant  de  reproduire  ici. 

Parmi  ceux  qui  ont  cru  devoir  combattre  mes  conclusions, 
les  uns  paraissent  ne  pas  en  avoir  une  connaissance  exacte 
et  surtout  n’avoir  pas  lu  les  expériences  sur  lesquelles  elles 
s’appuient;  c’est  ainsique  M.  Bouchot1  écrit  les  lignes  sui- 
vantes, en  1875  : 

On  peut,  discuter  pour  savoir  si  c’est  bien  la  diminution  de  l’oxygène 
du  sang  qui  est  la  cause  du  mal  de  montagne,  ou  plutôt  une  carbonhémie 
due  à l’accumulation  de  l’acide  carbonique  dans  le  sang,  qui  stupéfie  les 
organes  et  en  dérange  les  fonctions  ; mais  cela  ne  change  rien  au  fait  en 
lui-même,  qui  est  incontestable.  A mon  point  de  vue,  et  d’après  mes  ex- 
périences, les  phénomènes  nerveux  de  l’asphyxie  sont  tous  dus  à l’action 
stupéfiante  de  l’acide  carbonique  retenu  dans  le  sang.  J’ai  démontré,  en 
effet,  que  tous  les  animaux  qui  périssent  asphyxiés  par  défaut  d’oxygène 
ont  préalablement  une  anesthésie  plus  ou  moins  prononcée,  et  je  suis  sur- 
pris que  les  aéronautes  n’aient  pas  indiqué  le  fait  alors  qu’il  est  si  facile 
de  le  constater  sur  un  mammifère  mis  sous  le  récipient  d’une  machine 
pneumatique. 

J’ai  lu  bien  des  articles  curieux  sous  ce  rapport.  Je  n’en 
citerai  qu’un  cependant,  parce  qu’il  a eu  les  honneurs  de 
l’insertion  au  Journal  officiel 2,  et  parce  qu’il  peut  servir  de 
modèle  en  cet  art  si  commun,  de  masquer  son  ignorance 
derrière  un  langage  aux  allures  scientifiques  et  pompeuses  : 

Pour  avoir  une  explication  satisfaisante  du  mal  des  montagnes,  il  faut 
arriver  aux  connaissances  modernes  sur  la  physiologie  et  la  physique 
humaines.  On  a cru  d’abord  trouver  la  cause  de  ces  phénomènes  dans  la 
raréfaction  croissante  de  l’air  à mesure  qu’on  s’élève. 

La  diminution  de  densité  des  couches  atmosphériques  produit  bien, 
il  est  vrai,  une  accélération  du  pouls  et  de  la  respiration;  mais  ces  symp- 
tômes restent  isolés  et  passent  souvent  inaperçus  chez  les  aéronautes  à 
des  hauteurs  de  beaucoup  supérieures  à celles  où  se  produit  le  mat  des 
montagnes . La  raréfaction  de  l’air  est  compensée  par  l’augmentation  de 

1 Journal  officiel  du  22  mai  1875,  p.  5624. 

2 Journal  officiel  du  14'juin  1876,  p.  4165. 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1045 


fréquence  et  d’amplitude  des  respirations.  De  plus,  l’oxygène,  dans  ce 
cas,  s’il  est  moins  abondant,  paraît  mieux  se  fixer  et  se  dissoudre  dans 
le  sang,  ce  qui  diminue  d’autant  les  inconvénients  de  sa  rareté. 

Quoi  qu’il  en  soit,  l’ascension  dans  les  régions  supérieures  de  l’air,  si 
elle  a une  certaine  influence,  ne  la  possède  qu’à  titre  auxiliaire,  et  comme 
pour  rendre  plus  sensible  et  plus  prompte  celle  du  travail  exagéré  que 
nécessite  la  marche;  car  c’est  là,  c’est  dans  l’accroissement  du  travail 
mécanique  qu’il  faut  chercher  la  vraie  raison  du  mal  des  montagnes. 

En  effet,  l’homme  au  repos,  pour  entretenir  la  chaleur  animale  et  la 
vie,  consomme  une  quantité  déterminée  de  chaleur,  dont  l’hydrogène  et 
le  carbone  font  les  frais.  D’après  les  théories  modernes,  tout  travail  mé- 
canique est  le  résultat  ou  la  transformation  d’une  quantité  équivalente  de 
calorique  fourni  par  les  combustions  intimes. 

Ce  calorique,  transformé  en  travail,  n’augmente  pas  la  température  du 
corps;  mais  il  ne  peut  se  produire  sans  donner  les  résidus  ordinaires  qui 
sont,  comme  on  le  sait,  de  l’acide  carbonique  et  de  la  vapeur  d’eau. 
L'exagération  du  travail  à laquelle  oblige  la  marche  fatigante  des  ascen- 
sions use  donc  dans  le  sang  les  matériaux  de  la  calorification  et  produit 
une  quantité  surabondante  d’acide  carbonique,  dont  l’économie  se  dé- 
barrasse par  l’accroissement  de  la  respiration.  Encore  cette  décharge 
est-elle  souvent  insuffisante;  d’où  les  phénomènes  que  nous  avons  dé- 
crits, lesquels  sont  d’autant  plus  marqués  que  l’on  est  dans  des  régions 
froides;  d’où  encore  la  rapidité  avec  laquelle  ils  cessent  lorsque  le 
voyageur  se  repose,  et  qu’il  ne  demande  plus  à l’acte  respiratoire  que  la 
chaleur  nécessaire  à son  entretien. 

L’excès  d'acide  carbonique  se  dégage  et -tout  rentre  dans  l’ordre. 

Il  en  est  qui  ont  protesté  au  nom  des  anciennes  théories, 
et  fait  revivre  les  idées  malheureusement  classiques  sur  la 
diminution  du  poids  supporté  par  le  corps,  les  hémorrhagies 
par  succion,  la  ventouse  périphérique.  J’ai  raconté  plus  haut 
(Y.  p.  521)  la  singulière  discussion  soulevée  à l’Académie 
de  médecine,  et  l’opinion  de  M.  Colin  sur  le  rôle  des  gaz  in- 
testinaux dilatés. 

M.  le  docteur  Chabert  \ dans  une  thèse  récente,  après  avoir 
rapporté  et  adopté  notre  théorie,  ne  peut  s’empêcher,  non 
sans  remords  il  est  vrai,  de  sacrifier  lui  aussi  aux  anciens 
dieux,  aux  faux  dieux  : 

L’accélération  de  la  respiration  et  de  la  circulation  a donc  bien  réel- 
lement pour  cause  principale  le  besoin  plus  pressant  d’oxygène....  Mais 

1 Des  accidents  quon  observe  dans  les  hautes  ascensions  aérostatiques.  — Thèses 
de  Paris,  1875. 


1046  FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

certaines  causes  secondaires  viennent  en  outre  favoriser  cette  accéléra- 
tion. Nous  admettrons,  entre  autres,  comme  pouvant  aider  à ce  résultat, 
la  plus  grande  tension  des  liquides  et  des  gaz  du  sang,  augmentation  de 
tension  qu’on  indique  généralement  comme  devant  se  produire  dans  les 
hautes  régions,  et  qui  serait  due  à la  diminution  de  la  pression  am- 
biante. Elle  agirait  en  donnant  au  sang  une  fluidité  plus  grande,  tandis 
que  la  diminution  de  la  pression  atmosphérique  permettrait  aux  capil- 
laires de  se  dilater,  ajoute-t-on,  et  par  suite  de  donner  au  sang  un  passage 
plus  facile.  Mais  n’a-t-on  pas  quelque  peu  exagéré  l’influence  de  cette 
dernière  cause?  Le  froid  toujours  si  intense  des  régions  où  l’air  est  ra- 
réfié ne  doit-il  pas  largement  contre-balancer  cette  action,  déjà  douteuse, 
sur  la  circulation  périphérique?  Le  froid,  en  effet,  produit  une  stase  du 
sang  dans  les  capillaires  sur  lesquels  peut  se  manifester  son'  influence, 
c’est-à-dire  sur  ceux  mêmes  que  pourrait  influencer  la  diminution  de 
pression.  Or,  cet  effet  du  froid  doit  atténuer  beaucoup  l’action  peut-être 
encore  problématique,  de  la  dépression  atmosphérique  dans  ce  cas;  et  à 
l’appui  de  notre  opinion  nous  voyons,  en  effet,  dans  les  observations  que 
nous  avons  rapportées,  que  cette  circulation  périphérique  est  loin  d’être 
aussi  activée  qu’on  veut  bien  le  dire.  M.  Glaisher  se  plaint  que  ses  mains 
bleuissent  ; dans  une  autre  ascension,  il  est  obligé  de  verser  de  l’eau-de- 
vie  sur  celles  de  son  compagnon  Coxwell,  qui  sont  devenues  noires  et 
insensibles,  et  nous  voyons  encore  le  même  fait  se  produire  d’autres 
fois.  (P.  28.) 

Ces  vieilles  hypothèses  ne  méritent  plus  de  nous  arrêter 
maintenant;  un  mot  nous  suffira  tout  à l’heure  pour  en  ré- 
sumer la  réfutation  définitive. 

Mais  nous  sommes  loin  de  traiter  avec  le  même  dédain 
l’intéressante  théorie  développée  par  M.  Dufour.  Nous  avons 
vu,  dans  la  partie  historique  de  ce  livre  (p.  503),  que  ce 
savant  avait,  en  1874,  mais  sans  connaître  encore  nos  expé- 
riences, émis  l’opinion  que  le  mal  des  montagnes  est  dû  à 
l’épuisement,  par  le  fait  des  contractions  musculaires  exagé- 
rées, des  matériaux  ternaires  du  sang  et  des  tissus,  maté- 
riaux nécessaires  à la  production  de  la  chaleur  et  du  tra- 
vail. La  réponse  à cette  théorie  se  présente  d’elle-mème,  et 
nous  l’avons  exprimée  en  quelques  mots  (p.  554).  La  dis- 
cussion qui  eut  lieu  au  sein  de  la  Société  médicale  de  la 
Suisse  romande  avant  fait  connaître  à M.  Dufour  les  résul- 

«j 

tats  de  mes  expériences,  il  modifia  quelque  peu  sa  manière 
de  voir,  et  en  arriva  à considérer  qu’il  faut  distinguer  le 
mal  d'altitude  d’avec  le  mal  de  fatigue , la  comhinajsou  de 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1047 


ces  deux  facteurs  engendrant  le  mal  de  montagne.  Voici,  du 
reste,  ses  propres  paroles  1 : 

A.  Le  mal  d'altitude.  — Le  sang  perd  sa  provision  d’oxygène  suivant 
les  règles  établies  par  M.  Bert  pour  quelques  animaux.  Ainsi,  si  on  peut 
appliquer  à l’homme  les  résultats  obtenus  chez  les  animaux,  à 4200  mè- 
tres le  sang  aurait  déjà  perdu  un  cinquième  de  l’oxygène  qui  doit  y être 
contenu,  à 6400  mètres  presque  la  moitié,  et  ainsi  de  suite. 

On  comprend  que  cela  constitue  un  état  pathologique,  lequel  survient 
par  le  simple  fait  que  l’on  respire  à une  pression  trop  faible  ou  dans  un 
air  trop  peu  oxygéné. 

Le  mal  d’altitude  est  le  seul  mal  qu’éprouvent  les  aréonautes  si  nous 
ne  faisons  pas  entrer  en  ligne  de  compte  l’influence  du  froid. 

B.  Le  mal  de  fatigue.  — C’est  la  conséquence  du  travail  musculaire. 
Si  celui-ci  est  répété  et  violent,  comme  après  l’ascension  rapide  d’une 
longue  rampe  d’escaliers,  le  mal  de  fatigue  sera  une  asphyxie  par  défaut 
d’oxygène  et  excès  d’acide  carbonique  dans  le  sang.  Si  le  travail  muscu- 
laire est  long  et  soutenu,  sans  réparation  alimentaire,  l’organisme  souf- 
frira par  inanition. 

L’asphvxie  par  travail  musculaire  ne  se  produira  guère  à la  plaine,  si 
le  travail  n’est  pas  trop  rapide  ; elle  se  produira  facilement  dans  les  hau- 
teurs, d’après  les  résultats  de  M.  Bert.  Mais  un  travail  prolongé,  quel 
qu’il  soit,  finira  toujours  par  produire  des  symptômes  pathologiques. 
Ceux-ci  doivent  être  très-difficiles  à déterminer  exactement;  il  paraît  pro- 
bable cependant  que  c’est  au  mal  de  fatigue  que  l’on  doit  la  plupart  des 
symptômes  pathologiques  observés  en  montagne. 

Le  mal  de  montagne  serait  alors  une  action  combinée  du  mal  d’altitude 
et  du  mal  de  fatigue,  ou  plutôt  un  mal  de  fatigue  venant  plus  rapidement, 
par  le  fait  de  l’altitude.  Plus  le  mal  de  montagne  se  montre  à un  niveau 
bas,  plus  il  dépend  du  facteur  inanition  sur  lequel  j’ai  insisté,  plus  il  se 
montre  à un  niveau  élevé,  plus  l’anoxyhémie  de  M.  Bert  joue  un  rôle  im- 
portant. 

Le  mal  des  montagnes  nous  apparaît  ainsi  comme  un  phénomène  com- 
plexe dépendant  de  l’altitude,  de  la  fatigue  (celle-ci  dépendant  à son  tour 
du  travail,  de  l’alimentation)  et  des  impressions  morales  que  MM.  Javel L* 
et  Forel  (Bulletin,  mars  et  juin)  ont  démontrées  par  d’intéressants  exemples 
(p.  265). 

La  conséquence  de  ceci,  c’est  : 

Qu’il  est  impossible  que  M.  Bert  puisse  étudier  le  mal  des  montagnes 
sous  la  cloche  pneumatique.  Pourquoi?  Parce  qu’il  n’éprouve  que  l’in- 
fluence de  la  raréfaction,  c’est-à-dire  le  mal  d’altitude  pur  et  simple 
(p.  264). 

1 Encore  un  mot  sur  le  mal  des  montagnes.  — Bull . de  la  Soc.  mcd.  de  la  Suisse 
romande , 1874,  p.  201-264. 


1048 


FAITS  REGENTS,  RESEME  ET  CONCLUSIONS. 


Nous  n’avons  rien  à changer  à notre  réponse.  La  fatigue  à 
laquelle  sont  soumis  les  ascensionnistes  a-t-elle  pour  cause 
prochaine,  comme  le  dit  M.  Dufour,  l’usure  des  matériaux 
carbonés  des  muscles  et  du  sang?  C’est  là  une  hypothèse  vrai- 
semblable, bien  que  non  prouvée  et  certainement  incom- 
plète. On  a beaucoup  écrit  et  beaucoup  expérimenté  sur  la 
fatigue  musculaire  et  nerveuse,  et  la  question  est  encore 
pleine  d’obscurités.  Mais  en  lin,  il  importe  peu  que  cette  fatigue 


consécutive  à des  excès  de  marche  et  à des  efforts  continu: 


d’ascension  soit  la  suite  d’excursions  sur  des  collines  de  b à 
600m  d’altitude,  ou  dans  des  montagnes  dé  passa  ni  iOüO111. 
Or,  les  manifestations  seront  tout  autres  dans  les  deux  cas; 
et  le  nom  même  du  mal  des  montagnes  est  des  plus  caracté- 
ristiques. Il  11e  se  montre  qu’à  un  certain  niveau,  là  où  la  dés- 
oxygénation du  sang  est  arrivée  à un  degré  suffisant,  et  nous 
verrons  dans  un  moment  à préciser  ce  mot.  Si  les  aéronautes 
ne  sont  frappés  que  bien  après  les  ascensionnistes,  ce  n’est 
point  parce  que  leur  réserve  de  matériaux  ternaires  est  in- 
tacte, car  il  leur  suffit  de  se  livrer  à quelques  efforts  pour 
être  malades  aussitôt,  c’est  parce  que  leurs  muscles  au  repos 
ne  demandent  point  au  sang  artériel  appauvri  une  quantité 
d’oxygène  qu’il  serait  incapable  de  leur  fournir.  Est-ce  à dire 
que  les  diverses  causes  de  fatigue  ne  jouent  aucun  rôle  dans 
les  conditions  d’apparition  du  mal  des  montagnes?  J’ai  ré- 
pondu déjà  à cette  question  (V.  p.  557)  ; mais  il  est  douteux 
qu’il  s’agisse  d’usure  des  matériaux  ternaires,  puisqu’une 
nuit  sans  sommeil,  une  indigestion,  une  indisposition  quel- 
conque ont  les  mêmes  conséquences  fâcheuses.  L’homme  fati- 
gué présente  les  meilleures  conditions  pour  le  développement 
du  mal  des  montagnes;  mais  celui-ci  ne  reconnaît  pas  la  fati- 
gue pour  cause,  puisque,  si  elle  est  seule,  il  11’apparaît  jamais. 

M.  Forel,  des  travaux  duquel  il  a été  question  dans  notre 
première  partie  (Y.  p.  500),  a complètement  adopté  mes  idées 
dans  son  troisième  Mémoire1.  Je  reproduis  ici  l’intéressant 


1 Expériences  sur  la  température  du  corps  humain  dans  l'acte  de  l'ascension  sur 
les  montagnes.  5e  série.  — Genève  et  Bàle,  1874.  (Extrait  du  Bull,  de  la  Soc.  méd. 
de  la  Suisse  romande.) 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1049 


récit  d’une  excursion  faite  par  ce  physicien  dans  une  grotte 
dont  l’air  était  fort  pauvre  en  oxygène,  récit  qu’il  faut  rappro- 
cher de  celui  de  M.  F.  Leblanc  (Y.  p.  745)  et  aussi,  à cause 
d’une  remarquable  coïncidence  de  symptômes,  de  mon  expé- 
rience CCLIV  (V.  p 750)  : 

Je  faisais,  le  25  juin  1864,  une  course  d’exploration  dans  la  Grolte-des- 
Fèes  de  St-Maurice,  caverne  très-profonde  qui  présente  entre  autres  parti- 
cularités une  atmosphère  très-pauvre  en  oxygène  ; voici  le  résultat  d’une 
des  analyses  que  M.  le  professeur  Bischoff  a faites  sur  l’air  recueilli 
à 1000  mètres  de  distance  de  l’entrée  de  la  caverne. 


Azote 82,(56 

Oxygène  15,55  1 

Acide  carbonique 1,99. 


Si  je  calcule  la  tension  de  l’oxygène  dans  cet  air,  je  vois  qu’elle  est  de 
14,7  centièmes  d’atmosphère,  la  tension  normale  au  bord  de  la  mer  étant 
de  20,9. Ce  chiffre  corespondaità  la  tension  de  l’air  à une  altitude  déplus 
de  2000  mètres. 

Après  un  séjour  de  plusieurs  heures  dans  cette  caverne,  en  étudiant 
mon  état  physiologique,  j’ai  constaté  : accélération  du  pouls,  accélération 
des  mouvements  respiratoires,  et  troubles  intellectuels  que  je  décrivais 
alors  dans  les  termes  suivants  : Lorsque  j’ai  voulu  compter  mon  pouls, 
j’ai  été  obligé  d’y  revenir  à sept  fois;  je  me  trompais  souvent,  je  passais 
des  nombres,  je  comptais  deux  fois  de  suite  la  môme  dizaine  ou  je  comp- 
tais une  dizaine  en  commençant  par  la  fin. 

La  similitude  presque  complète  des  symptômes  de  troubles  intellectuels 
observés  par  M.  Bert  et  par  moi,  à un  si  grand  intervalle  et  dans  des  con- 
ditions extérieures  si  différentes,  m’a  semblé  mériter  d’être  signa- 
lée. (P.  88.) 

M.  Ford  voit,  comme  nous,  la  cause  de  la  faiblesse  des 
contractions  .musculaires  pendant  le  mal  des  montagnes, 
dans  l’épuisement  de  l’oxygène  du  muscle,  et  non  dans  la  con- 
sommation des  réserves  carbonées  de  l’organisme,  et  il  s’ex- 
prime à ce  propos  en  termes  excellents  : 

Nous  pouvons  reproduire  la  fatigue  spéciale  du  mal  des  montagnes,  en 
plaine,  en  montant,  en  courant  rapidement  une  longue  rampe  très-incli- 
née,  une  centaine  de  marches  d’escalier;  par  exemple  l’Escalier-du-Mar- 

1 P.  Moyle  a rencontré  dans  une  mine  de  cuivre  du  duché  de  Cornouailles,  la 
mine  de  Carn-Bréa,  une  proportion  plus  faible  encore  d’oxygène  (14,51).  Deux 
hommes  y travaillaient;  mais  il  ne  dit  rien  des  troubles  physiologiques.  — Ann. 
dephys.  et  de  chimie , 5e  série,  t.  lit,  p.  518-551,  1841. 


1050 


FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

ché,  à Lausanne,  m’a  souvent  servi  pour  cette  expérience.  En  arrivant 
près  du  sommet,  l’on  s’arrête  essoufflé,  incapable  de  faire  un  pas,  en 
proie  à des  palpitations  violentes,  asphyxié,  éreinté,  mais  surtout  inca- 
pable de  faire  un  pas,  de  soulever  la  jambe.  On  souffre  du  mal  des  mon- 
tagnes dans  toute  sa  perfection.  Or,  dans  ce  cas,  le  travail  opéré  n’est 
pas  très-considérable  ; il  est  loin  d’épuiser  la  réserve  des  matériaux  com- 
bustibles de  l’organisme.  Mais  ce  travail  se  fait  très-rapidement;  c’est  en 
quelques  minutes  que  ce  déploiement  de  forces  s’exécute;  il  épuise  la 
réserve  d’oxygène,  et  alors  même  que  l’air  n’est  pas  raréfié  comme  il  l’est 
sur  une  haute  montagne,  nous  sommes  asphyxiés.  (P.  92.) 

Le  mémoire  auquel  nous  venons  de  faire  ces  emprunts  con- 
tient les  récits  fort  intéressants  d’ascensions  faites  par  M.  Fo- 
rel  au  Gorner-Graat  (le  4 juillet  1875;  51 56m),  et  à la  Sattel 
Toile , sur  le  mont  Rose  (le  7 juillet  1875  ; 4500m).  Chose  cu- 
rieuse, mais  qui  n’étonnera  pas  trop  nos  lecteurs,  notre 
voyageur  souffrit  bien  évidemment  du  mal  des  montagnes 
dans  la  première  ascension,  et  ne  fut  que  très-peu  indisposé 
pendant  la  seconde,  dans  laquelle  cependant  il  monta  beau- 
coup plus  haut. 

Voici,  en  effet,  ce  qu’il  dit  de  son  voyage  au  Gorner- 
Graat  : 

5b45m.  Dans  mon  lit  à Zermatt,  0 — 56°,75. 

1 lh45m.  Arrivée  à l’hôtel  du  Riffel  : 58°, 62. 

lb45m.  Après  déjeuner,  57°, 70. 

Promenade  au  Gorner-Graat.  Marche  très-lente  jusqu’au  col  du  Riffel 
(2780m).  J’y  suis  fortement  influencé  par  le  mal  des  montagnes.  Gêne  res- 
piratoire. Flatulence.  Nausées.  Céphalalgie.  Sommeil.  Pouls  très-petit.  Res- 
piration 24,  très-large.  Pouls  95. 


Fig.  82.  — Pouls  au  col  du  Riffel  (2780m),  pendant  le  mal  des  montagnes 

(ascension  du  4 juillet). 

Je  prends  un  tracé  sphygmographique  (fig.  81). 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1051 


Impulsion  du  cœur  très-faible,  très-lente,  dicrotisme.  Pouls  misérable. 

Sieste  d’une  demi-heure. 

En  route  pour  le  Gorner-Graat,  pouls  144.  Je  bois  quelques  gouttes 
d’eau  de  cerises  et  le  malaise  disparait. 

4u20,n.  Arrivée  au  sommet  du  Gorner-Graat  (3136m).  58°, 36e. 

Pouls  126,  respiration  30  (P.  109.) 

Au  contraire,  l’ascension  de  la  Sattel  Toile  fut  très-peu  pé- 
nible : 

lb20m  : 2509m.  Réveil  à l’hôtel  du  Riffel  : 0 — 37°, 10. 

4h3üm  : 2850m.  Temp.  38°, 14;  pouls  80;  resp.  34. 

6h  : 3300m.  Au-dessus  de  ce  point,  je  commence  à souffrir  de  gêne  res- 
piratoire, de  céphalalgie,  j’ai  la  tête  comme  cerclée.  Notre  ascension  est 
très-lente  en  partie  à cause  de  cette  oppression,  en  partie  à cause  de 
l’état  détestable  de  la  neige  où  nous  enfonçons  à chaque  pas  jusqu’aux 
genoux. 

6n55w.  La  gêne  respiratoire  s’accentue;  temp.  38°, 44;  pouls  100; 
resp.  32. 

7h45m  : 3700m.  Pendant  la  montée  ; temp.  58°, 25  ; pouls  102  ; 
resp,  42. 

8h7m  ; 3800“*.  Quelques  nausées;  3e  déjeuner;  pouls  80;  resp,  24, 
dyspnée. 

Nous  commençons  la  montée  de  la  Botzer  Toile , que  nous  faisons  tout 
d’une  traite,  sauf  une  halte  de  quelques  minutes  à moitié  hauteur.  Au 
fur  et  à mesure  de  cette  montée  je  vois  disparaître  l’un  après  l’autre  la 
plupart  des  symptômes  du  mal  des  montagnes  dont  je  souffrais  aupa- 
ravant. 

9h50m  : 4300m.  A la  Sattel  Toile,  halte;  temp.  38°, 59e;  pouls  80; 
resp.  38. 


Fig.  85.  — Pouls  à la  Sattel-Tolle  (4300“)  : en  arrivant  (a);  après  une  demi-heure 
de  repos  relatif  (b)  (ascension  du  7 juillet). 


10h.  Ibid.;  pouls  70. 


1052  FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

10h55m.  Pouls  de  1 04  à 120;  4e  déjeuner. 

10h50m.  Grande  irrégularité  du  pouls  qui  est  à 86  ; celui  de  mes 
guides  est  à J 02  et  108,  irréguliers. 

Descente  : 

o».  Arrivée  au  Riffel. 

4h.  Teinp.  57°, 87;  pouls  95;  resp.  28. 


3h45lu  du  matin,  à Zermatt  (J 620"*)  dans  mon 
(P.  102.) 


temp.  57°, 52. 


J’ajoute  ici,  comme  terme  de  comparaison,  uni  tracé 
sph  vgm  ogra  pli  iq  ue  pris  par  M.  Foret  à son  retour  à Mortes 
(580m)  le  10  juillet. 


Fig.  85.  — Pouls  à Morges  (380‘),  repos  absolu  (10  juillet). 


M.  Forel  attribue  les  différences  entre  les  souffrances  des 
deux  ascensions  à l’habitude  de  la  montagne,  à rentraîne- 
ment  dû  aux  trois  journées  de  séjour  au  Riffel  (2500m)  : 

Chaque  année,  dit-il,  j’ai  plus  souffert  dans  ma  première  ascension  de 
l’été  que  dans  les  courses  subséquentes.  Ainsi,  en  1865,  j’ai  été  très-forte- 
ment éprouvé  par  le  mal  des  montagnes  sur  le  col  du  Géant  à 5400  mètres. 
C’était  ma  première  ascension;  mais  six  jours  après,  entraîné  que  j’étais 
par  les  passages  successifs  des  cols  du  Géant,  de  Joux,  de  la  Ranzola, 
d’Ollen  et  du  Turlo,  j'ai  fait  le  passage  de  Weissthor,  5610  mètres,  sans 
souffrir  aucunement  de  l’influence  de  l’altitude.  (P.  108.) 

Nous  avons  fait  nous -môme  des  réflexions  analogues 
(Y.  p.  556). 

La  disparition  des  accidents  pendant  1 ascension  de  la  Bot- 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1055 


zer  Toile  e st  un  fait  des  plus  intéressants  ; M.  Forel  l’explique 
d’une  manière  fort  originale  : 

En  préparant  ma  course,  j’avais  eu  soin  de  m’informer  auprès  de  toutes 
les  personnes  qui  connaissaient  le  mont  Rose  du  point  où  l’on  souffre  le 
plus  du  mal  des  montagnes.  Il  est  en  effet  connu  que  chaque  montagne 
a sous  ce  rapport  sa  localité  spéciale  ; ce  n’est  pas  en  général  sur  la 
cime,  bien  aérée  et  bien  ventée,  sur  les  arêtes  dangereuses  ou  intéres- 
santes que  le  mal  se  fait  ressentir  le  plus  ; c’est  surtout  dans  des  rampes 
neigeuses,  encaissées,  bien  protégées  contre  les  vents  et  ennuyeuses  ; je 
citerai  comme  exemple  le  corridor  du  mont  Blanc.  Tous  les  rapports  qui 
me  furent  faits  étaient  unanimes;  c’était  sur  la  Botzer  Toile, avant  d’arriver 
au  Sattel,  que  tous  les  voyageurs,  et  même  souvent  les  guides,  étaient 
éprouvés.  Sur  l’arête  du  sommet,  au  contraire,  personne  ne  pense  à souf- 
frir du  mal  des  montagnes.  Je  me  préparai  donc  à étudier  soigneusement 
cette  Botzer  Toile.  Je  m’en  fis  indiquer  le  commencement  par  les  guides, 
et  je  me  forçai  depuis  son  origine  à monter  rapidement  et  sans  arrêt,  de 
manière  à exagérer  par  la  fatigue  les  symptômes  dont  je  souffrais  avant 
de  l’aborder.  Mais,  chose  étrange,  je  vis  ces  symptômes  disparaître  l’un 
après  l’autre;  à mesure  que  je  dirigeais  spécialement  mon  attention  sur 
l’un  d’eux,  je  le  sentais  s’évanouir.  La  fatigue,  la  lassitude,  la  dépression, 
la  céphalalgie  me  laissèrent  ainsi  l’une  après  l’autre,  et  j’enlevai  ce  pas- 
sage ennuyeux  en  parfaitement  bon  état,  à la  stupéfaction  de  mes  guides 
qui  m’avaient  vu  péniblement  affecté  dans  des  régions  beaucoup  moins 
fatales  aux  autres  voyageurs.  L’attention,  l’intérêt  scientifique  a donc  eu 
pour  moi  dans  ce  cas  le  même  effet  curatif  que  possède  le  danger  ; per- 
sonne ne  souffre  du  mal  des  montagnes  dans  les  passages  dangereux. 

Cette  action  du  moral  et  de  l’attention  particulière,  sur  le  mal  des  moil- 
tagncs,  doit  être  signalée,  et  mérite  d’être  considérée  plus  qu’on  ne  l’a 
fait  jusqu’à  présent  dans  l’étude  de  ce  mal.  Je  me  borne  à l’indiquer 
ici.  (P.  110.) 

La  température  du  corps,  on  le  voit  par  les  chiffres  plus 
haut  cités,  s’est  maintenue  à son  degré  primitif,  ou  même 
s’est  élevée  au-dessus,  pendant  les  efforts  musculaires;  en 
tout  cas,  il  n’a  pas  été  constaté  de  diminution.  Mais  il  faut 
dire  que,  précisément  pendant  l’accès  du  mal  des  monta- 
gnes, c’est-à-dire  au  moment  intéressant,  l’examen  de  la 
température  n’a  pas  été  fait.  M.  Forel,  qui  fait  lui-même 
remarquer  cet  oubli,  donne  « cette  négligence  comme  une 
preuve  du  trouble  physique  et  mental  qu’il  ressentait  alors  » 
(p.  109). 

Deux  voyageurs  anglais,  avant  lu  le  travail  du  docteur  Fo- 

«J  O O 7 «J 


1054 


FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

rel,  publièrent  les  notes  qu’ils  avaient  antérieurement  prises, 
sur  les  variations  de  leur  température  buccale  pendant  les 
ascensions  en  montagne. 

M.  Thorpe1  est  arrivé  à des  résultats  négatifs.  Son  voyage 
ascensionnel  a consisté  à monter  de  Gatane  à Zaffarana  : la 
température  buccale  s’est  montrée  invariable,  98°, 4 F.;  le 
pouls  était  passé  de  78  à 85. 

M.  Tempest  Anderson2,  au  contraire,  dit  avoir  observé  un 
notable  abaissement  delà  température  buccale  pendant  l’acte 
même  de  l’ascension  ; il  affirme  s’être  mis  à l’abri  de  toutes 
causes  d’erreur  et  s’être  préalablement  bien  exercé  aux  ob- 
servations thermométriques  : le  thermomètre  restait  cinq 
minutes  sous  la  langue.  Voici  le  résumé  de  ses  observations, 


faites  dans  les  collines  du  Yorkshire  : 

Hauteur.  Temp. 

Heure.  (Pieds  angl.)  (Th.  F.) 

Au  lit 7h,50  900  97°, 7 

Avant  de  partir,  ayant  froid 9\40  id  97°, 6 

Après  une  marche  en  plaine  de  un  mille,  et  une 
ascension  rapide  de  1000  pieds,  fatigué,  ayant  , 

chaud,  suant,  et  avant  de  m’arrêter llh,20  1900  96°, 4 

Assis,  après  10  minutes,  ni  chaud  ni  froid  ....  llh,50  id  98°, 2 

Ascension  rapide  jusqu’au  sommet,  où  j’arrive 

en  sueur,  ne  pouvant  plus  respirer 12h  2414  97°, 6 

Assis,  ayant  un  peu  mangé,  et  trouvant  le  vent 

froid * 12h,57  id  99°, 3 

Rapide  descente  de  1000  pieds,  ayant  chaud,  sans 

m’arrêter 1 h ,1 0 1400  98°, 0 

Traversé  la  vallée  pour  monter  sur  le  Grageth; 
après  500  pieds  d’ascension,  ayant  chaud,  suant, 

et  sans  m’arrêter  . ; . 2l,,17  1900  96°, 4 

Assis 2\24  id  97°, 6 

Id : . . 2h,35  id  98°, 6 

Au  sommet  du  Grageth,  marchant  lentement.  . . 2h,52  2250  98°, 2 

Assis,  ayant  froid  « 5h,12  id  98°, 4 

Après  avoir  descendu  rapidement  1000  pieds  . . 2h,55  1200  98°, 0 

Assis * * . 4h,  5 id  98°, 0 

A l’auberge  du  « George  and  Dragon  » 9h,50  500  97°, 9 


1 On  the  température  of  the  human  Body  durinq  mountain  Climbinq . — Nature, 
t.  XII,  p.  165,  1875. 

2 Température  of  the  Body  in  mountain  Climbing.  — Nature,  t.  XII,  p.  186, 
1875. 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1055 


Ainsi  le  minimum  de  température  96°, 4 a été  observé  pendant 
la  marche  ascensionnelle,  en  pleine  sueur,  avec  sensation  de  cha- 
leur. 

Je  pense  avec  le  docteur  Marcet,  que  c’est  le  fait  de  l’ascension  et  non  l’al- 
titude  en  elle-même  qui  influence  la  température. 

Une  même  théorie  peut,  selon  M.  Anderson,  embrasser  les 
cas  en  apparence  contradictoires,  comme  ceux  de  M.  Marcet 
et  de  M.  Forel.  La  machine  humaine  n’a  point,  dit-il,  chez 
tous  les  hommes , le  même  rendement.  La  quantité  de  cha- 
leur nécessaire  pour  obtenir  le  travail  de  l’ascension,  peut, 
chez  certains  individus,  être  développée  grâce  à une  plus 
grande  activité  dans  les  combustions;  il  se  peut  que  d’autres 
soient  incapables  de  ce  surcroît  d’oxydation  : 

Dans  la  première  classe  on  placerait  M.  Forel  ; dans  l’autre,  celle  des 
faibles  combureurs,  je  me  range  avec  l’honorable  compagnie  des  docteurs 
Marcet  et  Lortet. 


TABLEAU  XXI. 


llAUTEUR 

HEURES 

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53 

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CALBERLA 

(26  ANS) 

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PETER  MULLER 

(32  ans)  J 

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< 

£ 

S 

c/3 

W 

CS 

' 

TEMPÉRATURE  , 

C/3 

Î5 

O 

H 

< 

C/3 

P 

P 

CS 

RESPIRATIONS  j 

mètres 

h.  m. 

1658 

12  30 

57°, 0 

80 

76 

16 

80 

18 

2799 

3 15 

+ 2°,0 

104 

56°, 8 

100 

28 

37°, 4 

108 

28 

3081 

4 50 

-1,4 

37,4 

100 

96 

50 

108 

28 

3302 

5 55 

— 1,6 

112 

57,0 

104 

30 

37,2 

104 

30 

5521 

6 50 

+ 1,8 

37,2 

108 

108 

30 

112 

32 

3780 

8 

“h  2,0 

108 

56,8 

112 

26 

57,0 

112 

30 

5817 

8 50 

+ 4,5 

57,4 

112 

108 

26 

112 

28 

4008 

9 57 

+ 4,8 

124 

36,8 

116 

52 

57,5 

120 

30 

4358 

10  45 

+ 3,6 

37,5 

132 

116 

30 

120 

28 

4271 

11  (Halte.) 

+ 4,1 

92 

36,4 

88 

20 

37,0 

100 

22 

4462 

11  50 

+ 0,2 

37,2 

112 

112 

28 

116 

30 

4553 

12  6 

— 0,4 

136 

36,8 

120 

30 

37,2 

124 

54 

4695 

12  55  (ir.au  soin  met) 

+ 5,8 

37,4 

124 

57,2 

120 

28 

37,2 

124 

34 

4663 

2 (Apres  repos.) 

+ 4,8 

56,8 

88 

36,8 

80 

18 

36,8 

96 

20 

4374 

5 55 

+ 4,6 

124 

37,0 

96 

24 

57,2 

116 

28 

3012 

5 20 

+ 5,2 

37,4 

140 

128 

32 

128 

36 

1644 

9 30 

36,8 

92 

36,9 

88 

18 

57,2- 

92 

18 

FAITS  RECENTS,  RESUME  ET  CONCLUSIONS. 


1056 

Un  voyageur  allemand,  Galberla  *,  a publié  des  observa- 
tions du  même  ordre  prises  sur  le  mont  Rose.  Ci-contre  est 
un  tableau  (tableau  XXI)  qui  résume  les  observations  faites 
sur  lui-même  et  sur  deux  guides;  les  températures  ont  été 
prises  dans  le  rectum,  pendant  la  marche  même. 

Les  variations  des  respirations  et  des  pulsations  sont  en 
rapport  avec  tout  ce  qu’on  connaissait  déjà.  Quant  aux  tem- 
pératures, on  voit  qu’elles  ont  oscillé,  pour  Calberla  et  P.  Mill- 
ier, de  56°, 8 à 57°, 5;  pour  P.  Bohren,  de  50°, 4 à 57°, 2.  Pen- 
dant l’ascension,  la  température  s’est  toujours  élevée;  le 
minimum  observé  a été  pendant  une  halte,  à 4571  mètres,  ou 
après  le  repos  au  sommet  du  mont  Rose,  la  température  de 
l’air  étant  de  -h  4°, 8. 

Le  professeur  L.  Thomas,  dans  une  note  jointe  au  Mémoire 
de  Calberla,  déclare  avoir  mesuré  sa  température  sous  la  lan- 
gue pendant  plusieurs  années  auRoccia  Melonc  (5550  mètres), 
au  Levanna(5750  mètres),  au  grand  Pelvoux(5954  mètres) , sans 
jamais  avoir  constaté  d’abaissement  de  la  température  par  le 
fait  de  l’ascension. 

Mais  il  convient  de  faire  remarquer  que  toutes  ces  obser- 
vations laissent  entière  la  question  de  savoir  ce  qu’il  advien- 
drait si  les  observateurs  avaient  réellement  souffert  de  l’alti- 
tude ; il  reste  donc  encore  un  point  obscur,  et  sur  lequel  j’ap- 
pelle l’attention  des  voyageurs  scientifiques  : la  température 
diminue-t-elle  par  l’acte  de  l’ascension,  pendant  l’état  bien 
prononcé  de  mal  des  montagnes?  Mais  je  dois  insister  à nou- 
veau sur  les  précautions  à prendre  dans  l’emploi  du  thermo- 
mètre buccal  : deux  minutes  d’application  sous  la  langue 
sont  pour  le  moins  nécessaires,  suivant  les  observations  de 
M.  Thorpe.  Et  encore  les  causes  d’erreur  (voy.  p.  500)  sont 
telles,  que  le  mieux  est  de  prendre  la  température  dans  le 
rectum,  à l’aide  de  thermomètres  à maxima. 

Je  citerai  encore,  comme  document  intéressant  pour  notre 
sujet,  quelques  extraits  d’une  lettre  que  j’ai  reçue  de  M.  le 
docteur  Ward,  qui  fut  attaché,  à titre  médical,  aux  travaux 

1 Ueber  clas  VcrhalLen  der  Kôrperteinperatur  bel  Bergbeistungen.  Arch.  dey  Heil- 
kunde , XVI,  p.  276-281,  1875. 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1057 


du  chemin  de  fer  qui  traverse  les  Andes,  du  Gallao  à la 
Orova  : 

cl 

Presque  tous  les  ouvriers  qui  oui  travaillé  au  tunnel,  excepté  les  indi- 
gènes nés  dans  la  montagne,  ont  souffert  plus  ou  moins  durement  de  la 
diminution  de  pression;  cependant  ils  se  sont  presque  tous  assez  rapide- 
ment accoutumés  à cette  influence,  c’est-à-dire  après  une  ou  deux  semaines. 
Les  animaux  souffraient  comme  les  hommes. 

Les  natifs  sont  des  hommes  courts  et  trapus,  avec  une  capacité  pulmo- 
naire immense,  comme  le  prouvent  les  mesures  suivantes,  prises  sur  la 
peau  nue,  au  niveau  des  mamelons. 


Age. 

Taille. 

Circonférence  de  la  poitr 

14  ans. 

. 4 

pieds  10  pouces 

56 

pouces 

24  — . 

. 5 

— 6 1/2 

55 

21  — . 

. 5 

— 4 

55 

16  — . 

tu 

. 0 

— » 

54 

1/2 

50  — . 

. 5 

— 4 1/2 

50 

1/2 

Ces  hommes  mangent  du  blé  sec,  de  la  coca,  du  sucre  grossier,  des 
pommes  de  terre,  avec  peu  ou  plus  souvent  point  de  viande.  Avec  une 
poignée  de  grain  et  de  coca,  ils  peuvent  travailler  toute  une  journée  sans 
donner  signe  de  fatigue. 

M.  Malinowski,  ingénieur  à Lima,  en  m’envoyant  la  lettre 
du  docteur  Ward,  ajoute  : 

Un  Américain  du  Nord,  aide-ingénieur,  ayant  été  un  jour  faire  une  vi- 
site au  tunnel,  y fut  attaqué  du  sorroche  d’une  manière  très-violente.  On 
s’empressa  de  le  faire  transporter  vers  un  endroit  moins  élevé  de 
1000  mètres  environ,  mais  il  expira  bientôt. 

M.  le  docteur  Vacher1  a publié  une  intéressante  étude  sur 
les  stations  médicales  de  Davos  (1650  mètres),  dans  les  Gri- 
sons, et  du  mont  Dore,  en  Auvergne(1050  mètres).  Il  constate, 
comme  beaucoup  de  ses  prédécesseurs,  l’immunité  pour  la 
phthisie  de  la  population  de  ces  hauts  lieux,  et  étudie  la 
question  du  traitement  par  la  cure  des  hauteurs  de  cette  re- 
doutable maladie.  Pour  ce  qui  nous  intéresse  ici,  nous  ne 
relèverons  que  les  observations  suivantes  : 

1°  A Davos,  le  nombre  des  mouvements  cardiaques  est  sensiblement 
plus  élevé  que  dans  la  plaine  ; à Paris,  mon  pouls  donne  69  pulsations  ; 

1 Le  mont  Dore;  Davos.  Étude  médicale  et  climatologique.  — Paris,  1875. 

67 


1058 


FAITS  RECENTS,  RESUME  ET  CONCLUSIONS. 


à Davos,  78.  C’est  à ce  phénomène  qu’on  a donné  le  nom  assez  impropre 
de  fièvre  d’altitude....  Il  persiste  pendant  toute  la  durée  du  séjour  dans 
la  station,  ce  qui  le  distingue  des  phénomènes  d’excitation  produits  par 
les  eaux  minérales 

2°  Les  fonctions  du  poumon  sont  également  modifiées  dans  ce  milieu  ra- 
réfié, où  l’on  constate  une  amélioration  notable  des  mouvements  respira- 
toires. Le  docteur  Spengler  déclare  expressément  que,  dans  l’atmosphère 
de  Davos,  le  poumon  supplée  au  déficit  d’oxygène  par  des  inspirations 
plus  profondes  et  plus  lentes  que  dans  les  conditions  normales  de  pres- 
sion. 11  est  bien  vrai  qu’à  l’altitude  de  1650  mètres  il  y a dans  l’air  un 
déficit  notable  d’oxygène,  mais  l’observation  pr  ouve  que  ce  n’est  pas  par 
des  inspirations  plus  profondes  et  plus  prolongées  que  le  poumon  y sup- 
plée, mais  par  des  mouvements  respiratoires  plus  fréquents.  A Davos,  où 
je  me  suis  observé  avec  soin  pendant  plusieurs  jours,  j’ai  constaté  18,2 
mouvements  respiratoires  par  minute,  tandis  qu’à  Paris,  ie  n’en  compte 
que  16,6  (p.  12). 

Comme  premier  signe  d’amendement  des  symptômes  thoraciques  dans 
la  phthisie,  on  observe  à Davos  un  accroissement  de  la  capacité  respira- 
toire, mesurée  à l’aide  du  spiromètre,  instrument  couramment  employé 
dans  cette  station  (p.  15). 

C’est  le  22  mars  1874  que  Crocé-Spmelli  et  Sivel  firent  leur 
premier  voyage  à grande  hauteur,  dans  lequel,  encouragés  par 
le  résultat  des  tentatives  faites  dans  nos  cylindres  (V.  p.  754), 
ils  emportèrent  des  ballonnets  d’oxygène,  afin  de  combattre  en 
respirant  ce  gaz  les  effets  de  la  décompression.  V Etoile  po- 
laire, qu’ils  montaient,  aérostat  de  2800  mètres  cubes,  les 
porta  en  deux  heures  à 7500  mètres  de  hauteur.  Je  reproduis 
ici  la  partie  de  leur  récit1  qui  touche  à notre  sujet  : 

Nous  ressentîmes  dans  notre  voyage,  disent-ils,  des  impressions  analo- 
gues à celles  que  nous  avions  éprouvées  dans  les  cloches  à dépression 
de  M.  Bert,  où  nous  étions  entrés  quelques  jours  avant  l’ascension  pour 
descendre  jusqu’à  la  pression  de  504  millimètres.  Cependant,  dans  la  na- 
celle, où  nous  arrivâmes  à 500  millimètres,  le  malaise  était  bien  plus  vif 
que  dans  la  cloche,  ce  qui  doit  être  attribué  au  travail  plus  considérable 
effectué,  au  grand  abaissement  de  la  température  et  à la  durée  du  séjour 
dans  les  couches  élevées.  Tandis  que  dans  la  nacelle,  nous  avons  subi  un 
froid  de  22  à 24  degrés,  nous  n’avions  qu’une  température  cou  tante  de 
-}-  15°  pendant  la  dépression  à terre;  de  plus,  le  séjour  dans  la  cloche  ne 
fut  que  d’une  heure,  ce  qui  est  presque  la  durée  des  ascensions  à grande 
hauteur  au-dessus  de  7000  mètres,  tandis  que  nous  restâmes  2 heures  40 


1 Comptes  vendus  de  l'Académie  des  sciences,  t.  LXXV1II,  p.  046  et  1060;  1874. 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


105 'J 


minutes  en  l’air,  et  1 heure  45  minutes  au-dessus  de  5000  mètres.  Ajou- 
tons que  dans  la  cloche,  l’oxygène  pur  que  nous  inspirions  nous  produisit 
des  étourdissements  analogues  à ceux  de  l’ivresse,  et  qu’au  contraire 
nous  nous  trouvâmes  très-bien  des  deux  mélanges,  l’un  à 40  pour  100 
d’oxygène  et  60  pour  100  d’azote,  et  l’autre  à 70  pour  100  d’oxygène  et 
50  pour  100  d’azote,  que  M.  Bert  nous  avait  fournis  pour  notre  ascen- 
sion. 

Nous  commençâmes  à respirer  le  mélange  à 40  pour  100  à partir  de 
5600  métrés  et  jusqu’à  6000  mètres;  nous  eûmes  recours  à celui  de 
70  pour  100  dans  les  grandes  hauteurs,  parce  que  le  moins  riche  était 
insuffisant,  surtout  pour  M.  Crocé-Spinelli.  Dans  les  régions  les  plus  raré- 
fiées, nous  dûmes  tous  deux  laisser  dans  la  bouche  les  tuyaux  de  caout- 
chouc qui  correspondaient  aux  ballonnets.  Nous  respirions  ainsi  de  temps 
en  temps,  en  ayant  soin  de  serrer  avec  les  dents  l’ajutage  élastique  quand 
nous  nous  sentions  mieux.  Lorsque  M.  Sivel  jetait  du  lest,  ce  qui  l’empê- 
chait de  respirer  du  gaz,  les  sacs  de  15  ki'ogrammes  lui  semblaient  en 
peser  100. 

Pour  M.  Crocé-Spinelli,  tempérament  lymphatico-nerveux,  les  effets 
étaient  bien  autrement  marqués  que  pour  M.  Sivel,  homme  très-vigou- 
reux, de  tempérament  sanguin.  Lorsque  le  premier  ne  respirait  plus 
d’oxygène,  il  était  obligé  de  s’asseoir  sur  un  sac  de  lest  et  de  faire  ses 
observations,  immobile  dans  celte  position.  Pendant  l’absorption  du  gaz 
comburant,  il  se  sentait  renaître,  et  après  une  dizaine  d’inspirations,  il 
pouvait  se  lever,  causer  gaiement,  regarder  le  sol  avec  attention  et  faire 
les  observations  délicates.  L’esprit  était  précis  et  la  mémoire  excellente. 
Pour  voir  dans  le  spectroscope,  il  lui  fallait  inspirer  ce  gaz,  justement 
appelé  vital ; les  raies,  d’abord  confuses,  devenaient  alors  très-nettes. 

L’oxygène  produisit  encore  chez  M.  Crocé-Spinelli  un  effet  dont  l’expli- 
cation est  facile,  après  ce  qui  vient  d’être  dit.  Pour  réagir  contre  les 
effets  combinés  du  froid  et  de  la  raréfaction,  il  essaya  de  manger.  Le 
résultat  ne  fut  d’abord  pas  favorable;  mais,  ayant  eu  l’idée  de  respirer  en 
même  temps  de  l’oxygène,  il  sentit  l’appétit  revenir  et  la  digestion  s’opérer 
facilement.  Quant  au  pouls,  il  marquait  chez  lui  entre  les  hauteurs  de 
6560  et  7400  mètres,  140  pulsations  avant  l’absorption,  et  120  tout  de 
suite  après.  Son  pouls,  à terre,  est  de  80  en  moyenne. 

Nous  n’eûmes,  ni  l’un  ni  l’autre,  ces  saignements  de  nez,  des  lèvres  et 
des  oreilles  dont  s’était  plaint  Gay-Lussac1,  bien  que  la  face  fût  devenue 
très-rouge  et  les  muqueuses  presque  noires.  Nous  ressentîmes,  par  mo- 
ments, comme  dans  la  cloche,  de  la  chaleur  à la  face  et  des  picotements 
dans  la  tête.  Le  front,  par  instants,  semblait  serré  comme  dans  un  élau, 
et  l’on  avait  la  sensation  d’une  barre  dure,  de  faible  diamètre,  que  l’on 
appuierait  très-fortement  au-dessus  du  sourcil.  Une  inspiration  d’oxygène 
faisait  disparaître  en  grande  partie  les  sensations  douloureuses. 

1 M.  Crocé-Spinelli  a reproduit  ici  une  version  accréditée  à tort.  Gay-Lussac 
n’a  eu  à souffrir  d’aucune  hémorrhagie.  (Yoy.  plus  haut,  p.  189.) 


1000 


FAITS  RECENTS,  RESUME  ET  CONCLUSIONS. 


La  descente  s’opéra  presque  sans  lest  et  sans  oxygène;  la  provision, 
dont  M.  Crocé-Spinelli  avait  absorbé  presque  les  deux  tiers,  était  épuisée.- 
Vers  4000  mètres,  alors  que  la  température  était  remontée  à — 7°, 
M.  Sivel  fut  pris  d’un  tremblement  très-fort  et  d’un  malaise  extrême.  Sa 
figure  était  contractée,  et  sa  bouche  était  ouverte  avec  un  certain  rictus. 
Son  compagnon,  moins  vigoureux  cependant,  ne  ressentait  alors  qu’un 
froid  très-sensible  produit  par  le  passage  rapide  dans  l’air.  Tandis  qu’à 
— 22°  nous  ne  ressentions  tous  deux  qu’une  sensation  de  froid  assez 
faible,  parce  que  l’air  était  calme,  nous  grelottions  dans  la  descente  rapide. 
11  y avait  d’ailleurs  certainement  une  autre  cause  du  malaise  de  M.  Sivel  : 
peut-être  avait-il  trop  travaillé.  Ce  malaise  disparut  à 2500  mètres. 

Nous  avions  des  compagnons  de  nacelle  : nous  possédions,  en  effet,  des 
pigeons  voyageurs  qui  nous  avaient  été  prêtés  par  M.  Van  Roosbecke. 
Quatre  pigeons,  choisis  parmi  les  meilleurs  coureurs,  se  trouvaient  dans 
une  cage,  avec  la  plume  préparée  qui  devait  recevoir  la  dépêche.  Ils 
semblaient  fort  mal  à l’aise  dans  les  hautes  régions;  ils  s’appuyaient  sur 
le  ventre  et  avaient  les  paupières  baissées. 

Le  premier  pigeon  fut  lancé  à 5000  mètres,  une  demi-heure  après  le 
départ.  Il  commença  par  battre  des  ailes,  se  soutint  quelque  temps  en 
cherchant  à remonter  sur  sa  cage,  puis,  voyant  que  ses  efforts  étaient 
vains,  il  descendit  les  ailes  étendues,  en  décrivant  des  courbes  de  200  à 
500  mètres  de  diamètre,  et  cela  avec  une  effrayante  vitesse  de  translation 
d’environ  40  à 50  mètres  par  seconde.  C’est  le  seul  qui  soit  revenu  avec 
sa  dépêche,  et  cela  après  avoir  mis  plus  de  50  heures  pour  arriver  à sa 
destination.  Le  second,  lancé  après  le  départ,  vers  5200  mètres,  se  com- 
porta de  même.  Il  eut  cependant  la  force  de  remonter  en  volant  sur  sa 
cage. 

Nous  appelons  tout  spécialement  rattention  sur  les  effets 
favorables  des  respirations  oxygénées.  Retour  des  forces  et  de 
l’appétit,  diminution  des  douleurs  de  tète,  rétablissement  de 
la  vision  nette,  du  sang-froid,  de  la  présence  d’esprit,  tous  les 
phénomènes  déjà  observés  dans  les  cylindres  de  mon  labora- 
toire se  reproduisirent  avec  une  sûreté  qui,  dans  ces  circon- 
stances dramatiques,  frappa  fortement  l’opinion  et  inspira 
aux  deux  aéronautes  une  confiance  poussée  jusqu’à  l’impru- 
dence, et  qui  leur  devint  fatale. 

Le  15  avril  1875,  ils  repartaient  pour  une  nouvelle  ascen- 
sion à grande  hauteur,  emmenant  avec  eux  M.  Gaston  Tis- 
sandier.  Au  cercle  de  l’aérostat  étaient  attachés  trois  ballon- 
nets remplis  d’un  mélange  à 72  pour  100  d’oxygène.  Ces  bal- 
lonnets, je  puis  le  dire  aujourd’hui,  étaient  d’une  capacité 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1061 


tout  à fait  insuffisante.  J’étais  alors  absent  de  Paris,  et  pré- 
venu par  une  lettre  de  Crocé-Spinelli  de  leur  prochain  voyage, 
lettre  dans  laquelle  il  m’indiquait  la  quantité  d’oxygène 
qu’ils  allaient  emporter  (elle  devait  être,  je  crois,  de  150  li- 
tres) , je  lui  en  fis  remarquer  l’insuffisance.  « Dans  les  hauts 
lieux  où  cette  respiration  artificielle  vous  sera  indispensable, 
lui  disais-je,  vous  devez  compter,  pour  trois  hommes,  sur  une 
consommation  d’au  moins  20  litres  par  minute;  voyez  com- 
ment votre  provision  sera  vite  épuisée  ! » Ma  lettre  arrivait, 
paraît-il,  trop  tard;  le  jour  de  l’ascension  était  fixé,  et  l’on 
tira  simplement  de  mes  observations  cette  conclusion  qui  fut 
si  funeste,  qu’il  fallait  attendre  l’extrême  nécessité  pour  faire 
usage  des  ballonnets.  On  sait  ce  qui  advint  : quand  les  aéro- 
nautes,  sentant  l’asphyxie  les  gagner,  voulurent  saisir  les  tu- 
bes sauveurs,  leurs  bras  étaient  paralysés. 

M.  Gaston  Tissandier,  le  seul  survivant  de  la  catastrophe 
du  Zénith , en  a écrit1  une  narration  saisissante  et  à laquelle 
nous  allons  faire  de  larges  emprunts  : 

Le  jeudi  15  avril  1875,  à llh  35m  du  matin,  l’aéroslat  le  Zénith  s’éle- 
vait de  terre  à l’usine  à gaz  de  la  Villette.  Crocé-Spinelli,  Sivel  et  moi 
avions  pris  place  dans  la  nacelle.  Trois  ballonnets  remplis  d’un  mélange 
d’air  à 70  pour  100  d’oxvgène  étaient  attachés  au  cercle.  A la  partie  infé- 
rieure de  chacun  d’eux,  un  tube  de  caoutchouc  traversait  un  flacon  la- 
veur rempli  d’un  liquide  aromatique.  Cet  appareil,  dans  les  hautes  ré- 
gions de  l’atmosphère,  devait  fournir  aux  voyageurs  le  gaz  comburant 
nécessaire  à l’entretien  de  la  vie.  Un  aspirateur  à retournement  rempli 
d'essence  de  pétrole,  que  l’abaissement  de  température  ne  peut  solidifier, 
était  suspendu  en  dehors  de  la  nacelle;  il  allait  être  arrimé  verticalement 
à 5000  mètres  d’altitude  pour  faire  passer  de  l’air  dans  les  tubes  à po- 
tasse destinés  aux  dosages  de  l’acide  carbonique 

On  part,  on  s’élève  au  milieu  d’un  flot  de  lumière,  emblème  de  la  joie, 
de  l’espérance  !... 

Trois  heures  après  le  départ,  Sivel  et  Crocé-Spinelli  allaient  être  trouvés 
inanimés  dans  la  nacelle!  Au  delà  de  8000  mètres  d’altitude,  l’asphyxie  a 
frappé  de  mort  ces  disciples  de  la  science  et  de  la  vérité  ! 

Il  appartient  à leur  compagnon  de  voyage,  miraculeusement  échappé  au 
trépas,  de  fermer  un  instant  son  cœur  à la  douleur,  de  chasser  les  tristes 
souvenirs  et  les  sombres  visions,  pour  rapporter  les  faits  recueillis  pen- 

1 Journal  la  Nature,  n°  du  1er  mai  1875;  5e  année,  1er  semestre,  p.  557-5-44. 


1062  FAITS  RECENTS,  RÉSUMÉ -ET  CONCLUSIONS. 

dant  l’exploration  et  pour  dire  ce  qu’il  sait  de  la  mort  de  ses  infortunés 

et  glorieux  amis 

• •••  • • • • •*•*••••••(•••*• 

A 4500  mètres,  nous  commençons  à respirer  de  l’oxygène,  non  pas 
parce  que  nous  sentons  encore  le  besoin  d’avoir  recours  au  mélange  ga- 
zeux, mais  uniquement  parce  que  nous  voulons  nous  convaincre  que  nos 
appareils,  si  bien  disposés  par  M.  Limousin,  d’après  les  proportions  indi- 
quées par  M.  P.  Bert,  fonctionnent  convenablement. 

Je  dois  dire  à ce  sujet  que  mon  cher  et  regretté  Crocé-Spinelli  avait 
insisté  avec  énergie  pour  que  je  fasse  partie  de  l’ascension  à grande  hau- 
teur, qu’il  devait  d’abord  accomplir  seul  avec  Sivel.  M.  Hervé-Mangon , 
président  de  la  Société  de  navigation  aérienne , et  M.  Bureau  de  Villeneuve, 
secrétaire  général,  n’approuvaient  pas  ce  projet,  dans  la  seule  crainte,  je 
me  hâte  de  l’ajouter,  de  priver  Sivel  de  la  quantité  de  lest  suffisante  et 
dont  ma  présence  devait  diminuer  le  poids.  Ces  messieurs  avaient  cepen- 
dant cédé  aux  pressantes  instances  de  Crocé-Spinelli.  Qui  eût  résisté  au 
charme  de  sa  parole  entraînante  et  de  son  regard?  « Mon  ami  Tissandier, 
me  disait  Crocé  quelques  jours  après  la  première  ascension  du  Zénith , 
soyez  tranquille,  vous  partirez  avec  nous.  Je  ne  vous  quitte  pas,  ajoutait-il 
en  me  serrant  dans  ses  bras.  Il  faut  être  trois  pour  faire  une  ascension  en 
hauteur,  pour  mieux  confirmer  les  résultats.  Et  qui  sait?  un  accident 
peut  survenir.  Six  bras  valent  mieux  que  quatre!  D’ailleurs,  il  faut  que 
vous  respiriez  l’oxygène,  dans  les  hautes  régions,  pour  affirmer  comme 
nous  que  cela  est  efficace,  que  cela  est  nécessaire.  » 

Crocé-Spinelli  avait  un  ardent  amour  de  la  vérité,  et  il  ne  pouvait  ad- 
mettre, lui  si  franc,  si  loyal,  que  l’on  mît  en  doute  ses  affirmations.  C’est 
à l’altitude  de  7000  mètres,  à lb  20m,  que  j’ai  respiré  le  mélange  d’air  et 
d’oxygène,  et  que  j’ai  senti  en  effet  tout  mon  être,  déjà  oppressé,  se  ra- 
nimer sous  l’action  de  ce  cordial;  à 7000  mètres,  j’ai  tracé  sur  mon  carnet 
de  bord  les  lignes  suivantes  : Je  respire  oxygène.  Excellent  effet. 

A cette  hauteur,  Sivel,  qui  était  d’une  force  physique  peu  commune  et 
d’un  tempérament  sanguin,  eommençajt  à fermer  les  yeux  par  moments, 
à s’assoupir  même  et  à devenir  un  peu  pâle.  Mais  celte  âme  vaillante  ne 
s’abandonnait  pas  longtemps  aux  mouvements  de  la  faiblesse  : il  se  re- 
dressait avec  l’expression  de  la  fermeté;  il  me  faisait  vider  le  liquide  con- 
tenu dans  mon  aspirateur  après  mon  expérience,  et  il  jetait  le  le.^t  par- 
dessus bord  pour  atteindre  des  régions  plus  élevées.  Sivel  avait  été  l’an 
dernier  à 7500  mètres,  avec  Crocé-Spinelli.  Il  voulait,  cette  année,  mon- 
ter à 8000  mètres,  et  quand  Sivel  voulait,  il  eût  fallu  de  bien  grands 
obstacles  pour  entraver  ses  desseins. 

Crocé-Spinelli  avait  depuis  longtemps  l’œil  fixé  au  spectroscope.  11  pa- 
raissait rayonnant  de  joie,  et  s’était  écrié  déjà  : « 11  y a absence  complète 
des  raies  de  la  vapeau  d’eau.  >'  Puis,  après  avoir  fait  entendre  ces  paroles, 
il  s’était  mis  à continuer  ses  observations  avec  une  telle  ardeur,  qu’il 
m’avait  prié  d’inscrire  sur  mon  carnet  le  résultat  des  lectures  du  thermo- 
mètre et  du  baromètre. 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1003 


Pendant  le  cours  de  cette  ascension  rapide,  au  milieu  d’occupations 
multiples , il  nous  a été  difficile  d’apporter  aux  observations  physiolo- 
giques l’attention  qu’elles  nécessitent.  Nous  réservions  nos  forces  à cet 
égard,  pour  le  moment  où  nous  serions  plongés  dans  Pair  des  régions 
supérieures,  sans  soupçonner  le  dénoùment  funeste  qui  allait  paralyser 
nos  efforts.  Il  nous  a été  possible  cependant  d’obtenir  les  résultats  sui- 
vants, que  nous  enregistrons  d’après  les  carnets  de  bord  : 


Heure. 

Altitude. 

12 

h.  48 

4602m 

Tissandier,  110  pulsations  à laminule. 

12 

h.  55 

521 0™ 

Crocé,  température  buccale  37°, 50. 

1 

h.  03 

5300m 

Crocé,  120  pulsations  à la  minute. 

1 

h.  05 

5300m 

Tissandier,  nombre  d’inspirations  détermi- 
nées par  Crocé,  26. 

Id. 

Id. 

Sivel,  155  pulsations  à la  minute. 

Id. 

Id. 

Id.  température  buccale  37°, 90. 

Voici  la  moyenne  des  observations  qui  avaient  été  recueillies  précédem- 
ment à terre  pendant  plusieurs  jours  consécutifs  : 


Crocé-Spinelli.  . . 

Sivel 

Tissandier 


Pulsations  Inspirations  Température 

à la  minute.  à la  minute.  buccale. 

74  à 85  24  57°, 5 

76  à 86  inconnu  37°, 5 

70  à 80  19  à 23  37°, 4 


J’arrive  à l’heure  fatale  où  nous  allions  être  saisis  par  la  terrible  in- 
fluence de  la  dépression  atmosphérique.  A 7000  mètres  nous  sommes 
tous  debout  dans  la  nacelle;  Sivel,  un  moment  engourdi,  s est  ranimé; 
Crocé-Spinelli  est  immobile  en  face  de  moi.  « Voyez,  me  dit  ce  dernier, 
comme  ces  cirrhus  sont  beaux!  » C’était  beau,  en  effet,  ce  spectacle  su- 
blime qui  s’offrait  à nos  yeux.  Des  cirrhus,  de  formes  diverses,  les  uns 
allongés,  les  autres  légèrement  mamelonnés,  formaient  autour  de  nous 
un  cercle  d’un  blanc  d’argent.  En  se  penchant  au  dehors  de  la  nacelle  on 
apercevait,  comme  au  fond  d’un  puits,  dont  les  cirrhus  et  la  buée  infé- 
rieure eussent  formé  les  parois,  la  surface  terrestre  qui  apparaissait  dans 
les  abîmes  de  l’atmosphère.  Le  ciel,  loin  d’être  noir  et  foncé,  était  d’un 
bleu  clair  et  limpide  ; le  soleil  ardent  nous  brûlait  le  visage.  Cependant 
le  froid  commençait  à faire  sentir  son  influ  nce,  et  nous  avions,  antérieu- 
rement déjà,  placé  nos  couvertures  sur  nos  épaules.  L’engourdissement 
m’avait  saisi,  mes  mains  étaient  froides,  glacées.  Je  voulais  mettre  mes 
gants  de  fourrure;  mais  sans  en  avoir  conscience,  l’action  de  les  prendre 
dans  ma  poche  nécessitait,  de  ma  part,  un  effort  que  je  ne  pouvais  plus 
faire. 

A cette  hauteur  de  7000  mètres,  j’écrivais  cependant  presque  machi- 
nalement sur  mon  carnet  ; je  recopie  textuellement  les  lignes  suivantes, 
qui  on f été  écrites  sans  que  j’en  aie  actuellement  le  souvenir  bien  précis; 


11104  FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

elles  sont  tracées  d’une  façon  peu  lisible,  par  une  main  que  le  froid  de- 
vait singulièrement  faire  trembler  : 

« J'ai  les  mains  gelées.  Je  vais  bien.  Nous  allons  bien.  Brume  à l'hori- 
zon avec  petits  cirrhus  arrondis.  Nous  montons.  Crocé  souffle.  Nous  respi- 
rons oxygène.  Sivel  ferme  les  yeux.  Crocé  aussi  ferme  les  yeux.  Je  vide 

aspirateur.  Temp. — 10°.  1 h.  20,  H.  520.  Sivel  est  assoupi 1 h.  25, 

temp.  — il0,  H = 500.  Sivel  jette  lest.  Sivel  jette  lest.  » (Ces  derniers  mots 
sont  à peine  lisibles.) 

Sivel,  en  effet,  qui  était  resté  quelques  instants,  comme  pensif  et  im- 
mobile, fermant  parfois  les  yeux,  venait  de  se  rappeler  sans  doute  qu’il 
voulait  dépasser  les  limites  où  planait  alors  le  Zénith.  11  se  redresse,  sa 
figure  énergique  s’éclaire  subitement  d’un  éclat  inaccoutumé  ; il  se  tourne 
vers  moi  et  me  dit  : Quelle  est  la  pression?  — 50e  (7450  mètres  d’altitude 
environ).  — Nous  avons  beaucoup  de  lest,  faut-il  en  jeter?  — Je  lui  ré- 
ponds : Faites  ce  que  vous  voudrez.  — 11  se  tourne  vers  Crocé  et  lui  fait 
la  même  question.  Crocé  baisse  la  tète  avec  un  signe  d’affirmation  très- 
énergique. 

Il  y avait  dans  la  nacelle  au  moins  cinq  sacs  de  lest  ; il  y en  avait  encore 
à peu  près  autant,  pendus  en  dehors  par  leurs  cordelettes.  Ceux-ci,  nous 
devons  l’ajouter,  n’étaient  plus  entièrement  remplis;  Sivel  avait  certaine- 
ment su  estimer  leur  poids,  mais  il  nous  est  impossible  de  rien  fixer  à 
cet  égard. 

Sivel  saisit  son  couleau  et  coupe  successivement  trois  cordes;  les  trois 
sacs  se  vident  et  nous  montons  rapidement.  Le  dernier  souvenir  bit  n net 
qui  me  soit  resté  de  l’ascension  remonte  à un  moment  un  peu  antérieur. 
Crocé-Spinelli  était  assis,  tenant  à la  main  le  flacon  laveur  du  gaz  oxy- 
gène ; il  avait  la  tête  légèrement  inclinée  et  semblait  oppressé.  J’avais  en- 
core la  force  de  frapper  du  doigt  le  baromètre  anéroïde  pour  faciliter  le 
mouvement  de  son  aiguille;  Sivel  venait  de  lever  la  main  vers  le  ciel, 
comme  pour  montrer  du  doigt  les  régions  supérieures  de  l’almosphère. 
La  figure  86  reproduit  le  plus  exactement  possible  l’aspect  de  la  nacelle 
du  Zénith  à cet  instant  solennel. 

Mais  je  n’avais  pas  tardé  à garder  l’immobilité  absolue,  sans  me  douter 
que  j’avais  déjà  peut-être  perdu  l’usage  de  mes  mouvements.  Vers  7500 
mètres,  l’état  d’engourdissement  où  l’on  se  trouve  est  extraordinaire.  Le 
corps  et  l’esprit  s’affaiblissent  peu  à peu,  graduellement,  insensiblement, 
sans  qu’on  en  ait  conscience.  On  ne  souffre  en  aucune  façon  ; au  contraire. 
On  éprouve  une  joie  intérieure,  et  comme  un  effet  de  ce  rayonnement  de 
lumière  qui  vous  inonde.  On  devient  indifférent;  on  ne  pense  plus  ni  à la 
situation  périlleuse  ni  au  danger;  on  monte  et  on  est  heureux  de  monter. 
Le  vertige  des  hautes  régions  n’est  pas  un  vain  mot.  Mais  autant  que  je 
puis  en  juger  par  mes  impressions  personnelles,  ce  vertige  apparaît  au 
dernier  moment;  il  précède  immédiatement  l’anéantissement,  subit,  inat- 
tendu, irrésistible. 

Lorsque  Sivel  eut  coupé  les  trois  sacs  de  lest,  à l’altitude  de  7450. mè- 
tres environ,  c’est-à-dire  sous  la  pression  500  (c’est  le  dernier  chiffre  que 


Fig.  86.  — La  nacelle  du  Zénith  dans’les  hautes  régions  de  l’atmosphère. 


SIVEL 

oupe  les  cordelettes  qui  retien- 
nent à la  nacelle  les  sacs  de 
lest  remplis  de  sable. 


G.  TISSA  N DI  ER  CROCÉ-SPINELLI 

observe  les  baromètres.  après  avoir  fait  les  observations 

spectroscopiques , va  respirer 
l’oxvgène. 


1066 


FAITS  RÉGENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

j’aie  écrit  alors  sur  mon  carnet),  je  crois  me  rappeler  qu’il  s’assit  au  fond 
de  ia  nacelle,  et  prit  peu  près  la  position  qu’avait  Crocé-Spinelli.  Quant 
à moi,  j’élais  appuyé  dans  l’angle  de  la  nacelle,  où  je  me  soutenais  grâce 
à cet  appui.  Je  ne  tardai  pas  à me  sentir  si  faible  que  je  ne  pus  même  pas 
tourner  la  tête  pour  regarder  mes  compagnons. 

Bientôt,  je  veux  saisir  le  tube  à oxygène,  mais  il  m’est  impossible  de 
lever  le  bras.  Mon  esprit  cependant  est  encore  très-lucide.  Je  considère 
toujours  le  baromètre;  j’ai  les  yeux  fixés  sur  l’aiguille  qui  arrive  bientôt 
au  chiffre  de  la  pression  290,  puis  280  qu’elle  dépasse. 

Je  veux  m’écrier  : « Nous  sommes  à 8000 mètres!  » Mais  ma  langue  est 
comme  paralysée.  Tout  à coup  je  ferme  les  yeux  et  je  tombe  inerte,  per- 
dant absolument  le  souvenir.  11  était  environ  1 h.  50  m. 

A 2 h.  8 m.  je  me  réveille  un  moment.  Le  ballon  descendait  rapide- 
ment. J’ai  pu  couper  un  sac  de  lest  pour  arrêter  la  vitesse,  et  écrire  sur 
mon  regis! re  de  bord  les  lignes  suivantes  que  je  recopie  : 

« Nous  descendons  ; température  — 8°;  je  jette  lest , H = 515.  Nous  des- 
cendons. Sivel  et  Crocé  encore  évanouis  au  fond  de  la  nacelle.  Descendons 
très- fort.  » 

A peine  ai-je  écrit  ces  lignes  qu’une  sorte  de  tremblement  me  saisit 
et  je  retombe  affaibli  encore  une  fois.  Le  vent  était  violent  de  bas  en  haut, 
et  dénotait  une  descente  très-rapide.  Quelques  moments  après,  je  me  sens 
secouer  par  le  bras,  et  je  reconnais  Crocé,  qui  s’est  ranimé.  « Jetez  du 
lest,  me  dit-il,  nous  descendons.  » Mais  c’est  à peine  si  je  puis  ouvrir  les 
yeux,  et  je  n’ai  pas  vu  si  Sivel  était  réveillé. 

Je  me  rappelle  que  Crocé  a détaché  l’aspirateur  qu’il  a lancé  par-des- 
sus bord,  et  qu’il  a jeté  du  lest,  des  couvertures,  etc.  Tout  cela  est  un 
souvenir  extrêmement  confus  qui  s’éteint  vite,  car  je  retombe  dans  mon 
inertie  plus  complètement  encore  qu’auparavant,  et  il  me  semble  que  je 
m’endors  d’un  sommeil  éternel. 

Que  s’est-il  passé?  11  est  certain  que  le  ballon  délesté,  imperméable 
comme  il  l’était,  et  très-chaud,  est  remonté  encore  une  fois  dans  les  hau- 
tes régions. 

A 5 b.  50  m.  environ,  je  rouvre  les  yeux,  je  me  sens  étourdi,  affaissé, 
mais  mon  esprit  se  ranime.  Le  ballon  descend  avec  une  vitesse  effrayante; 
la  nacelle  est  balancée  fortement  et  décrit  de  grandes  oscillations.  Je  me 
traîne  sur  les  genoux  et  je  tire  Sivel  par  le  bras  ainsi  que  Crocé. 

« Sivel!  Crocé!  m’écriai-je,  réveillez-vous!  » 

Mes  deux  compagnons  étaient  accroupis  dans  la  nacelle,  la  tête  cachée 
sous  leurs  couvertures  de  voyage.  Je  rassemble  mes  forces  et  j’essaye  de 
les  soulever.  Sivel  avait  la  figure  noire,  les  yeux  ternes,  la  bouche  béante 
et  remplie  de  sang.  Crocé  avait  les  yeux  à demi  fermés  et  la  bouche  en- 
sanglantée. 

Raconter  en  détail  ce  qui  se  passa  alors  m'est  impossible.  Je  ressentais 
un  vent  effroyable  de  bas  en  haut.  Nous  étions  encore  à 6000  mètres  d'al- 
titude. Il  y avait  dans  la  nacelle  deux  sacs  de  lest  que  j’ai  jetés.  Bientôt  la 
terre  se  rapproche,  je  veux  saisir  mon  couteau  pour  couper  la  cordelette 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1067 


de  l’ancre  : impossible  de  le  trouver.  J’étais  comme  fou,  je  continuais  à 
appeler  : « Sivel  ! Sivel  ! » 

Par  bonheur,  j’ai  pu  mettre  la  main  sur  un  couteau  et  détacher  l'ancre' 
au  moment  voulu.  Le  choc  à terre  fut  d’une  violence  extrême.  Le  ballon 
sembla  s’aplatir  et  je  crus  qu’il  allait  rester  en  place,  mais  le  vent  était 
rapide  et  l’entraîna.  L’ancre  ne  mordait  pas  et  la  nacelle  glissait  à plat 
sur  les  champs;  les  corps  de  mes  malheureux  amis  étaient  cahotés  çà  et 
là,  et  je  croyais  à tout  moment  qu’ils  allaient  tomber  de  l’esquif.  Cepen- 
dant j’ai  pu  saisir  la  corde  de  soupape,  et  le  ballon  n’a  pas  tardé  à se 
vider,  puis  à s’éventrer  contre  un  arbre.  Il  était  quatre  heures. 

En  mettant  pied  à terre,  j’ai  été  pris  d’une  surexcitation  fébrile,  et  je 
me  suis  affaissé  en  devenant  livide.  J’ai  cru  que  j’allais  rejoindre  mes 
amis  dans  l’autre  monde. 

Cependant  je  me  remis  peu  à peu.  Je  suis  allé  auprès  de  mes  malheu- 
reux compagnons,  qui  étaient  déjà  froids  et  crispés.  J’ai  fait  porter  leur 
corps  à l’abri  dans  une  grange  voisine.  Les  sanglots  m’étouffaient  ! 

La  descente  du  Zénith  a eu  lieu  dans  les  plaines  qui  avoisinent  Ciron 
(Indre),  à 250  kilomèires  de  Paris  à vol  d’oiseau 


Après  avoir  retracé  l’histoire  de  l’ascension  du  Zénith , j’arrive  aux  deux 
points  importants  qui  ont  si  vivement  préoccupé  l’attention  du  monde  sa- 
vant et  du  public. 

Quelle  est  la  hauleur  maximum  atteinte  par  le  Zénith ? 

Quelle  est  la  cause  de  la  mort  de  Crocé-Spinelli  et  de  Sivel? 

La  première  question  est  aujourd’hui  résolue  par  l’ouverture  des  tuhes 
barométriques  témoins,  imaginés  par  M.  Janssen,  et  déjà  employés  par 
Sivel  et  Crocé-Spinelli  lors  de  leur  ascension  à 7300  mètres  (22  mars 
1874) 

Un  tube  avait  été  cassé,  quelques  autres  avaient  éprouvé  des  accidents 
ou  fonctionné  mal,  mais  il  y en  a deux  dont  la  marche  a été  régulière,  et 
qui  nous  ont  fourni  des  résultats  concordants.  Ils  tendent  à établir  que  la 
plus  faible  pression  était  de  264  à 262  millimètres,  ce  qui  porte  la  hau- 
teur maximum  à 8540  et  8601  mètres  (correction  faite  de  la  pression  à la 
surface  du  sol). 

Comme  au  moment  de  mon  anéantissement,  à 8000  mètres,  l’aiguille 
du  baromètre  passait  rapidement  sur  le  chiffre  de  la  pression  28  (8002  mè- 
tres) et  indiquait  ainsi  une  ascension  d’une  assez  grande  vitesse,  j’ai  la 
persuasion  que  nous  avons  atteint  cette  altitude  de  8600  mètres,  dès  la 
première  ascension.  Après  la  première  descente,  Crocé-Spinelli  et  très- 
certainement  Sivel  vivaient  encore;  ils  ont  été  frappés  de  mort  quand  le 
ballon  a atteint  une  seconde  fois  les  niveaux  élevés  qu’il  venait  de  quitter, 
mais  qu’il  n’a  pas  dû  dépasser,  son  poids  et  son  volume  ne  lui  permettant 
certainement  pas  de  monter  plus  haut. 

11  ne  me  semble  pas  douteux  que  la  mort  de  ces  infortunés  est  la  consé- 
quence de  la  dépression  atmosphérique;  il  est  possible  de  supporter,  pen- 
dant un  temps  de  faible  durée,  l’action  de  cette  dépression;  il  est  diffi- 


1068 


FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

cile  cl’en  subir  l’effet  coup  sur  coup  pendant  près  de  deux  heures  presque 
consécutives.  Notre  séjour  dans  les  hautes  régions  a été,  en  effet,  bien 
plus  long  que  celui  d’aucune  ascension  précédente  à grande  hauteur. 
J’ajouterai  que  l’air  particulièrement  sec  n’a  peut-être  pas  été  sans  exercer 
une  funeste  influence. 

On  se  demandera  à présent  quelle  est  la  cause  de  mon  salut.  Je  dois  la 
vie  probablement  à mon  tempérament  particulier,  essentiellement  lympha- 
tique, peut-être  à mon  évanouissement  complet,  sorte  d’arrêt,  des  fonctions 
respiratoires.  J’étais  à jeun  au  moment  du  départ,  et  je  pensais  d’abord 
que  cette  circonstance  m’était  particulière,  mais  j’ai  eu  depuis  la  preuve 
que  si  Sivel  avait  mangé,  Crocé  n’avait,  comme  moi,  presque  aucun  ali- 
ment dans  l’estomac. 

La  dépression  est  considérable  à l’altitude  de  8G00  mètres,  puisque  la 
colonne  mercurielle  du  baromètre  n’est  plus  que  de  O"1, 26  environ. 

J’ai  la  persuasion  que  Crocé-Spinelli  et  Sivel  vivraient  encore,  malgré 
leur  séjour  si  prolongé  dans  les  hautes  régions,  s’ils  avaient  pu  respirer 
l’oxygène.  Ils  auront,  comme  moi,  subitement  perdu  la  faculté  de  se 
mouvoir.  Les  tubes  abducteurs  de  l’air  vital  auront  échappé  de  leurs 
mains  paralysées!  Mais  ces  nobles  victimes  ont  ouvert  à l’investigation 
scientifique  de  nouveaux  horizons;  ces  soldats  de  la  science,  en  mourant, 
ont  montré  du  doigt  les  périls  de  la  route,  afin  que  l’on  sache  après  eux 
les  prévoir  et  les  éviter. 

xM.  G.  Tissandier  a essayé  de  représenter,  par  le  diagramme 
ci-contre  (11g.  87),  la  marche  du  ballon,  qui  a,  comme  on  le 
voit,  décrit  dans  l’espace  une  sorte  de  M gigantesque  de 
8600  mètres  de  hauteur.  La  partie  ponctuée  de  la  courbe 
représente  la  deuxième  phase  de  l’ascension  : il  est  probable 
qu’elle  ne  s’éloigne  pas  beaucoup  du  tracé  véritable.  C’est 
pendant  cette  partie  du  voyage  que  Crocé-Spinelli  et  Sivel 
ont  perdu  la  vie,  au  milieu  de  ces  déserts  glacés  des  hautes 
régions  atmosphériques  ! 

Je  crois  utile  de  reproduire  encore  quelques  extraits  d’une 
note  rédigée  par  M.  Limousin1,  pharmacien  distingué,  qui 
avait  été  chargé  de  fournir  l’oxvgène  nécessaire  au  gonfle- 
ment  des  ballonnets  : 

Afin  d’obvier  à la  rupture  probable  de  la  baudruche  par  suite  de  la 
dilatation  du  gaz  à une  grande  altitude,  100  litres  seulement  du  mélange 
(oxyg.  65  ; air  55)  furent  introduits  dans  chaque  ballonnet  dont  la  capa- 
cité était  environ  de  200  litres. 

1 Les  inhalations  d'oxygène  et  V ascension  du  Zénith.  Répertoire  de  pharmacie. 
Avril  1875. 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1069 


Pour  neutraliser  autant  que  possible  la  détestable  odeur  que  la  bau- 
druche graissée  communiquait  au  mélange  gazeux,  j installai  pour  chaque 
voyageur  de  très-petits  flacons  laveurs  munis  d’un  tube  recourbé  garni 
de  caoutchouc  qui  permettait  de  les  tenir  à la  bouche  à la  manière  d’une 
pipe,  laissant  les  mains  libres  de  façon  à pouvoir  noter  les  observations 


Ç.MATHIE.U 


emoms 


Cirrhusl  U5  ère  ment 


mamelonné  s 


Ciron 

INDRE 


Château  ro  uk. 


Fig.  87.  — Diagramme  de  l'ascension  à grande  hauteur  du  15  avril  1875, 


sur  un  carnet.be  cette  façon,  le  gaz,  traversant  de  l’eau  aromatisée  avec 
du  benjoin,  arrivait  frais  et  parfumé  dans  les  poumons 

Malheureusement  toutes  ces  précautions  furent,  sinon  inutiles,  au  moins 
d’un  bien  mince  secours.  Par  suite  de  la  rapidité  de  leur  marche  ascen- 
sionnelle et  de  la  soudaineté  de  l’évanouissement  des  aéronautes,  les  in- 


1070  FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

halations  ne  purent  être  faites  au  moment  où  elles  étaient  le  plus  indis- 
pensables. 

M.  Gaston  Tissandier,  qui  au  début  en  avait  éprouvé  de  bons  effets,  ne 
put,  à un  moment,  trouver  assez  d’énergie  pour  élever  la  main  à portée 
du  tube  d’aspiration.  A son  retour,  il  m'assura  que  lors  de  la  descente  de 
l’aérostat,  qui  eut  lieu,  comme  on  sait,  à Ciron,  près  du  Blanc,  dans 
l’Indre,  les  ballonnets  étaient  attachés  au-dessous  de  la  nacelle  contenant 
encore  la  plus  grande  partie  de  l'oxygène  qu’on  y avait  introduit. 

Ainsi  donc,  on  le  voit,  le  seul  moyen  qui  pouvait  conjurer  la  terrible 


Fig.  8S.  — Sivel. 


catastrophe  qui  a terminé  cette  ascension  n’a  pu  être  mis  en  œuvre.... 

Chargé  par  la  Société  de  navigation  aérienne  d’assister  l’artiste  qui 
doit  exécuter  les  bustes  des  deux  malheureux  aéronautes,  nous  avons 
fait  ouvrir  les  cercueils,  à leur  arrivée  à la  gare  d’Orléans,  le  dimanche 
18  avril,  à onze  heures  quarante-cinq  du  soir,  et  j’ai  été  frappé  de  l’état 
de  conservation  des  traits  et  de  la  physionomie. 

J’aurais  presque  pu  me  dispenser  de  recourir  aux  agents  de  désinfec- 
tion dont  je  m’étais  muni  pour  faciliter  le  moulage  des  visages.  . . . 

Sivel  avait  conservé  son  mâle  et  énergique  visage;  il  ne  présentait  au 
nez  ni  à la  bouche  aucune  trace  d’hémorrhagie;  la  face  légèrement  tu- 
méfiée n’était  pas  cyanosée. 


DIMINUTION  I)E  PRESSION. 


1071 


Crocé-Spinelli  avait  les  narines  et  la  bouche  remplies  de  sang  que  nous 
dûmes  enlever  par  des  lavages  réitérés.  Il  portait  au  front,  au  nez  et  à la 
joue  droite  des  plaques  noirâtres  produites  par  les  ecchymoses  résultant 
des  meurtrissures  déterminées  par  les  oscillations  de  la  nacelle.  Néan- 
moins, malgré  le  sang  qui  les  recouvrait,  les  lèvres  n’avaient  pas  cette 
teinte  bleuâtre  caractéristique  de  l’asphyxie  et  le  côté  gauche  de  la  face 
avait  presque  conservé  sa  coloration  normale. 

La  catastrophe  du  Zénith  a profondément  ému  notre  pays; 


Fig.  89.  — Groeé-Spinelli. 


chacun  se  souvient  des  funérailles  solennelles  faites  aux  vic- 
times, des  manifestations  des  corps  politiques  et  savants,  de 
la  souscription  ouverte  en  faveur  des  familles  de  Crocé  et  de 
Sivel,  souscription  qui  produisit  près  de  100  000  francs.  Le  25 
mai,  dans  un  grand  meeting  où  pour  la  dernière  fois  M.  le 
pasteur  Athanase  Coquerel  fils  fit  entendre  sa  voix  élo- 
quente, j’ai  pu  dire1  en  toute  vérité  : 

Un  rribis  et  demi  déjà  s’est  écoulé  depuis  la  catastrophe  du  Zénith , et 

1 I j'Aéronautc,  juillet  1875. 


1072 


FAITS  RÉCENTS,  RESUME  ET  CONCLUSIONS. 

dans  noire  pays,  qu’on  accuse  injustement  de  légèreté  et  d’oubli,  l’émo- 
tion qu’elle  a suscitée  n’est  point  encore  calmée. 

11  y a là  un  fait  remarquable  et  sur  lequel  il  est  utile  d’insister.  Chaque 
jour,  les  feuilles  publiques  nous  apportent  le  récit  de  désastres  terribles, 
inondations,  explosions,  incendies,  naufrages,  qui  coûtent  la  vie  à des 
dizaines,  à des  centaines  d’hommes  : il  semble  que  notre  sensibilité  s’y 
doive  émousser,  et  que  la  perte  de  deux  hommes  doive  à peine  l’atteindre. 
Que  dis-je?  Notre  pays,  notre  héroïque  et  malheureux  pays,  sort  à peine 
d’une  période  de  douleurs  et  de  sacrifices,  dans  laquelle  il  a dû  pleurer 
non-seulement  ceux  qui  sont  morts  pour  sa  défense,  mais  ceux  qui,  vi- 
vants encore,  lui  sont  à cette  heure  arrachés  ; et  cependant  on  apprend 
la  mort  de  deux  hommes,  de  deux  hommes  seulement,  et  voici  que  la 
France  entière  tressaille  et  s’émeut. 

C’est  que  tout,  dans  celte  double  mort,  est  étrange  et  sublime.  Certes, 
Sivel  et  Crocé-Spinelli  ne  sont  pas  les  premiers  aéronautes  dont  la  science 
ait  à déplorer  la  perle  ; leurs  noms  soid  les  derniers  d’une  liste  en  tête  de 
laquelle  brillent  les  noms  de  deux  autres  savants,  Pilaire  du  Rozier  et  Ro- 
main, qui  se  brisèrent  en  1785  sur  la  plage  de  Roulogne.  Mais  la  mort 
qui  avait  frappé  ces  deux  aéronautes  était  une  mort  connue,  prévue,  vul- 
gaire en  quelque  sorte  ; une  mort  à laquelle  chacun  avait  pensé,  que 
chacun  avait  redoutée,  depuis  le  jour  où  parut  dans  les  airs  la  machine 
de  Montgolfîer  : c’était  la  chute.  Ils  étaient  morts  en  tombant.  Mais  ici, 
pour  la  première  fois,  on  voyait  deux  hommes  mourir  au  sein  même  des 
airs,  et  mourir  en  montant.  Ils  sentent  venir  la  mort,  une  mort  inconnue 
jusqu’alors;  leur  poitrine  oppressée  les  avertit  du  danger;  ils  se  consul- 
tent : Faut-il  redescendre?  Ah!  la  consultation  ne  fut  pas  longue.  Nous 
avons  du  lest,  nous  pouvons  là-haut  faire  encore  des  observations  utiles; 
excelsior,  plus  haut!  Et  puis,  l’on  dit  qu’un  Anglais  a pu  vivre  et  observer 
par  delà  8000  mètres  : il  faut  que  le  pavillon  que  nous  portons  aille 
flotter  plus  haut  encore.  Ils  bondissent,  et  la  mort  les  saisit,  sans  efforts, 
sans  souffrances,  comme  une  proie  à elle  dévolue  dans  ces  régions  gla- 
cées où  règne  un  éternel  silence.  Oui,  nos  malheureux  amis  ont  eu  cet 
étrange  privilège,  ce  funeste  honneur,  de  mourir  les  premiers  dans  ce  que 
nous  appelons  les  cieux. 

Et,  par  une  douloureuse  dérision  du  sort,  ils  sont  morts  à l’heure  où 
la  science  leur  fournissait  les  moyens  de  triompher  du  péril  auquel  ils 
allaient  succomber. 

C’était  un  but  scientifique  de  grande  portée  théorique1,  d’immenses  con- 
séquences pratiques,  que  poursuivaient  nos  deux  amis.  Déterminer  la  di- 
rection, la  force,  l’épaisseur  des  couches  aériennes  en  mouvement;  me- 
surer les  variations  de  la  température,  de  l’électricité,  de  l’humidité,  de 
la  composition  chimique  de  l’air,  à diverses  hauteurs  ; aller  analyser  les 

1 Ce  passage  est  une  réponse  à l’assertion  de  M.  Paye,  que  les  ascensions  au- 
dessus  de  70U0"1  ne  présentaient  point  d’utilité  pour  la  science.  ( Comptes  ren- 
dus de  r Acad,  des  sciences,  t,  LXXX,  p.  1057,  1875. 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1075 


éléments  constitutifs  des  astres,  en  se  plaçant  au-dessus  de  l’espèce 
d’écran  que  forment  les  couches  inférieures  de  l’atmosphère  : tels  étaient 
les  principaux  problèmes  qu’ils  s’étaient  posés.  On  a nié  l’utilité  des  ascen- 
sions à grande  hauteur  : c’était  nier  l’évidence.  Tout  amène  à croire  que 
le  ballon  pourra,  par  sa  force  ascensionnelle,  porter  l’observateur  jus- 
qu’aux limites  extrêmes  où  flottent  les  nuages  les  plus  élevés.  Or,  quelle 
source  de  prospérité  pour  l’humanité  pourrait  être  comparée  à la  prévi- 
sion certaine  du  temps?  Comment  pourrait-on  espérer  y arriver,  sans  con- 
naître à fond  cette  région  où  se  forment  la  pluie,  la  neige,  la  grêle,  où 
s’engendrent  les  vents  et  les  orages?  Et  comment  connaître  celle-ci  sans 
l’ascension  à grande  hauteur,  qui  permet  d’atteindre  ses  confins  et  de 
faire,  si  j’ose  ainsi  parler,  l’anatomie  de  l’atmosphère? 

Je  devais  ces  explications  à la  Société  de  navigation  aérienne;  je  les  de- 
vais à la  mémoire  de  nos  malheureux  amis.  Au  reste,  personne  ne  s’y  est 
trompé.  Chacun  a compris  qu’il  s'agissait  d’hommes  de  science,  morts  en 
faisant  d’utiles  recherches  de  science,  et  c’est  là  la  seconde  raison  qui 
explique  l’émotion  suscitée  par  leur  mort. 

Il  en  est  une  troisième  encore,  plus  saisissante,  plus  poignante  peut- 
être.  Transportons-nous  par  la  pensée  cinq  années  en  arrière,  pendant 
l’hiver  terrible.  Paris  est  enfermé  dans  un  cercle  de  fer  ; toutes  commu- 
nications sont  coupées;  sur  terre,  d’infranchissables  obstacles;  dés  filets 
barrent  le  fleuve.  Mais  l’air  nous  reste,  cette  voie  nouvelle  ouverte  par 
un  Français,  Montgolfier,  sur  laquelle  s’est  le  premier  aventuré  un  Fran- 
çais, Pilàtre  du  Rozier;  des  hommes  intrépides,  — M.  G.  Tissandier  en 
était,  — s’élancent  dans  les  airs,  bravant  mille  périls,  sans  parler  des 
balles  ennemies,  répandant  en  province  les  nouvelles  qui  adoucissaient 
les  angoisses  de  la  séparation,  emportant  avec  eux  le  sentiment  énergique, 
l’indomptable  résolution  de  la  grande  ville  de  faire  jusqu’au  bout  son  de- 
voir. Aussi,  j’ose  le  dire,  et  qui  me  démentira?  lorsque  se  répandit  le 
bruit  que  deux  hommes  étaient  morts  en  ballon,  Paris  se  reporta  à ces 
heures  de  douleurs  et  d’espérances,  la  France  tressaillit,  et  tous  les  cœurs 
battirent,  comme  ils  battaient  lorsqu’on  nous  disait  qu’un  ballon  avait 
pris  terre,  qu’on  avait  vu  un  ballon  dans  les  airs. 

Ainsi  cette  double  mort,  qui  apparaissait  comme  empreinte  d’une 
étrange  et  lugubre  poésie,  comme  éclairée  par  l’auréole  de  la  science, 
éveillait  encore  les  souvenirs  du  patriotisme  le  plus  pur.  N’en  est-ce  pas 
assez  pour  expliquer  qu’elle  ait  excité  dans  la  France  entière  un  sentiment 
si  vif,  si  universel,  si  durable? 

L’émotion  des  hommes  de  science  se  manifesta  spéciale* 
ment,  d’un  côté  par  des  notes  et  mémoires  tendant  à expîi* 
quer  la  mort  des  deux  aéronautes,  de  l’autre  par  des 
inventions  destinées  à éviter  désormais  de  si  terribles  ca- 
tastrophes. Je  suis  obligé  de  déclarer  que  rien  de  ce  qui  a 
été  dit  ou  imaginé  à ce  propos  ne  mérite  d’être  reproduit 

08 


1074  FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

ici.  Au  point  de  vue  théorique,  ce  ne  sont  que  des  réédi- 
tions des  vieilles  idées,  déjà  condamnées,  dont  nous  avons 
reproduit  dans  notre  historique  la  bizarre  série;  on  y a 
ajouté  gratuitement,  pour  le  cas  particulier,  l’intervention 
toxique  du  gaz  d’éclairage  s’échappant  à flots  du  ballon  trop 
rapidement  dilaté  et  venant  empoisonner  les  aéronautes.  Les 
inventions  protectrices  valent  ce  que  valent  les  théories  qui 
ont  inspiré  leurs  auteurs.  La  plupart  parlent  de  scaphandres, 
de  cages  vitrées,  de  nacelles  closes,  avec  air  confiné  ou  com- 
primé, atmosphères  artificielles,  sources  d’oxygène,  etc.; 
mais  rien  de  ce  qui  a été  ainsi  sérieusement  proposé  ne  vaut 
la  charmante  mystification  du  Voyage  à la  lune , et  M.  Jules 
Verne  me  pardonnera  de  ne  pas  le  discuter  ici. 

Le  docteur  Stoliczka,  géologue  fort  connu  par  d’importants 
travaux  sur  les  montagnes  de  l’Inde,  avait,  en  1864,  tra- 
versé nombre  de  passes  au-dessus  de  5000  mètres  dans 
l’Himalaya  ; il  y avait  fait  «une  horrible  expérience1»  des 
fatigues  et  du  mal  des  montagnes,  et  n’était  revenu  que 
lentement  à la  santé.  En  juin  1874,  il  repartit  avec  une 
mission  anglaise  commandée  par  le  lieutenant-colonel 
Gordon,  et  mourut  subitement  le  19  juin,  à l’âge  de  54  ans, 
trois  jours  après  avoir  traversé  le  Karakorum.  Les  détails 
donnés  sur  sa  mort  par  les  lettres  du  lieutenant-colonel  Gor- 
don et  du  capitaine  Trutter  2 semblent  bien  indiquer  que 
l’influence  fatale  de  l’air  raréfié  a joué  un  rôle  important 
dans  la  mort  du  malheureux  géologue. 

Je  reproduis  ici  la  lettre  du  capitaine  Trutter,  la  plus 
intéressante  et  la  plus  complète  : 

Le  16  juin,  le  jour  où  nous  traversâmes  le  Karakorum,  il  se  plaignit 
d’une  douleur  à la  partie  postérieure  de  la  tête  ; comme  d’ailleurs  il  souf- 
frait toujours  plus  ou  moins  de  douleurs  de  tête,  tant  qu’il  restait  sur  les 
grandes  hauteurs,  je  pensai  que  son  mal  n’avait  pas  d’autre  signification  ; 
le  mal  continua  le  17,  jour  où  nous  traversâmes  les  déserts  de  Dipsang, 
dont  le  niveau  est  encore  très-élevé.  Hier  18,  il  partit  de  bonne  heure 

1 Obituary.  — The  geological  Magazine , 1874,  p.  585. 

- Nachrichten  uber  die  letzten  T âge  der  verstorbenen  I).  F . Stoliczka.  — Verhandl. 
der  K.  K.  geologischen  Reichsanstalt , 1874,  p.  279-285. 


DlMINUÎION  DE  PRESSION. 


1075 


pour  aller  chercher  quelques  roches  à Bruchsè,  et  à moitié  chemin  il  se 
rencontra  avec  nous  au  déjeuner.  Il  paraissait  très-fatigué,  et  se  plaignait 
de  la  tête.  Lorsque  vers  midi  nous  fûmes  arrivés  ici,  il  se  jeta  sur 
un  lit,  et  commença  bientôt  à respirer  difficilement,  à tousser  beaucoup, 
et  il  vomit.  La  tête  et  les  mains  étaient  très-chaudes  et  le  pouls  battait 
vite  et  fort.  Il  se  plaignait  beaucoup  de  douleurs  dans  le  cou  et  Locciput. 
Sur  mon  conseil,  il  mit  deux  emplâtres  de  moutarde  l’un  sur  le  cou, 
l’autre  sur  la  poitrine,  sans  en  ressentir  grand  soulagement.  Le  soir,  la 
toux  devint  très-rude  et  le  médecin  indigène  prépara  une  mixture  pour 
calmer  l’irritation  qui  causait  la  toux;  celle-ci  n’en  continua  pas  moins 
pendant  toute  la  nuit.  Au  matin,  elle  disparut;  mais  le  malade,  très-affai- 
bli,  semblait  à peine  avoir  conscience  de  lui-même.  Depuis  la  veille  au 
soir  il  n’avait  rien  dit,  et  ne  répondait  que  par  quelques  syllabes  aux  ques- 
tions qu’on  lui  adressait,  sans  paraître  bien  comprendre  ce  qu’on  lui  di- 
sait. Ce  matin,  je  lui  demandai  deux  fois  s’il  éprouvait  des  douleurs,  à 
quoi  il  répondit  : non. 

Le  médecin  indigène  parut  croire  qu’il  était  atteint  de  bronchite  aiguë 
et  de  pneumonie.  Mais  d’après  ce  que  le  capitaine  Biddulph  et  moi  avions 
vu  de  sa  maladie  qui  l’avait  frappé  au  mois  d’octobre  dernier,  à Kizil- 
Jilga,  sur  la  route  de  Kashgar,  et  dont  nous  reconnûmes  les  symptômes, 
il  fut  clair  pour  nous  que  le  mal  était  le  même  que  la  première  fois,  c’est- 
à-dire  une  méningite  spinale.  Sur  le  conseil  du  docteur,  on  lui  appliqua 
un  emplâtre  sur  le  côté  droit.  Il  resta  jusqu’à  midi  dans  un  état  de  demi- 
inconscience,  et  prit  à plusieurs  reprises  du  bouillon  de  poulet  et  de 
l’eau-de-vie  dans  sa  potion. 

Il  ne  parut  être  ni  mieux  ni  plus  mal  ; il  faisait  habituellement  50  res- 
pirations à la  minute,  irrégulières,  et  souvent  alternativement  profondes 
et  difficiles,  ou  brèves  et  faciles.  La  respiration  était  accompagnée  de  bruits 
sonores,  qui  ressemblaient  au  bruit  du  bord  de  la  mer  ou  au  crépitement 
d’une  fusillade  lointaine.  Plus  tard,  au  matin,  il  me  sembla  que  le  bruit 
était  devenu  plus  rude.  Pourtant  la  respiration  devint  un  peu  plus  facile, 
et  il  fit  vers  lh  1/2  signe  qu’il  désirait  se  placer  dans  sa  chaise.  On  l’v 
porta  et  je  lui  donnai  un  peu  de  porto,  mais  il  semblait  si  défait  et  si 
anéanti,  que  j’appelai  Biddulph  qui,  trouvant  le  malade  fort  mal,  alla 
prévenir  le  colonel.  Reporté  dans  son  lit,  il  chercha  aussitôt  à s’asseoir  ; 
je  le  tirai  en  arrière  pour  le  soutenir,  pendant  qu’arrivait  le  colonel  ; le 
bruit  de  râle  cessa  — mais  il  respirait  encore  profondément,  ses  mouve- 
ments respiratoires  devinrent  de  plus  en  plus  lents,  comme  sonpoute; 
enfin  il  rendit  le  dernier  soupir,  mourant  si  tranquillement  qu’il  fut  im- 
possible de  fixer  d’une  manière  précise  le  moment  oû  il  s’est  endormi.  Il 
n’eut  aucune  agonie,  mourut  apparemment  sans  douleur,  et  après  sa  mort 
une  expression  de  repos  et  de  paix  resta  sur  son  visage. 

Depuis  le  moment  où  il  vint  ici  jusqu’à  celui  où  il  mourut,  il  dit  à 
peine  un  mot,  et  toute  conversation  devint  impossible  ; cependant,  lors- 
qu’il me  regardait,  je  croyais  pouvoir  comprendre  sur  son  visage  qu’il 
avait  connaissance  de  sa  position  critique. 


1076 


FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

Il  m’avait  dit  quelques  semaines  auparavant  qu’une  deuxième  attaque 
de  méningite  amènerait  une  mort  certaine,  puisqu’il  est  rare  qu’on  sur- 
vive à une  première  attaque....  Je  ne  puis  m’empêcher  de  croire  que  les 
hauteurs  étaient  pour  beaucoup  dans  l’aggravation  des  symptômes;  il 
avait  été  exposé  au  même  froid  dans  l’expédition  du  Pamir,  et  cependant, 
la  hauteur  étant  moindre,  il  n’avait  pas  souffert. 


Je  pense  que  le  capitaine  Truffer  a raison.  Je  ne  crois  pas 
que  le  docteur  Stoliczka  ait  succombé  à la  seule  influence  de 
T air  raréfié;  il  a probablement,  sous  l’influence  d’un  froid 
intense,  été  atteint  d’une  méningite  spinale  compliquée  de 
broncho-pneumonie;  mais  la  prostration  immédiate,  la  mort 
en  deux  jours  doivent  être  attribuées  à une  complication 
inconnue  aux  niveaux  ordinaires.  Je  n’hésite  pas  à croire 
qu’une  diminution  dans  l’étendue  ou  l’intégrité  de  la  surface 
hématosante  qui  n’eût  amené  sur  les  bords  de  la  mer  que  des 
troubles  légers,  a dû  entraîner  la  mort  par  asphyxie  dans 
des  régions  oû  l’absorption  d’oxygène  était  réduite  déjà  à son 
minimum.  Nous  aurons  à revenir  sur  ces  faits  dans  le  sous- 
chapitre  suivant. 

Un  anatomiste  de  grand  mérite,  qui  vient  de  publier  un 
travail  considérable  sur  l’appareil  respiratoire  des  oiseaux, 
a essayé,  parmi  des  considérations  fort  intéressantes  sur  le 
jeu  de  cet  appareil,  d’expliquer  la  singulière  immunité  dont 
jouissent,  par  rapport  aux  effets  de  l’air  raréfié,  les  oiseaux 
de  haut  vol.  Aux  yeux  de  M.  Campana  \ tout  s’explique  par  la 
suractivité  imprimée  par  les  actes  musculaires  du  vol  aux 
phénomènes  respiratoires;  aussi,  dit-il,  faisant  allusion  aux 
expériences  dans  lesquelles  j’ai  vu  des  crécerelles  (p.  757) 
ne  pas  résister  à la  décompression  notablement  plus  que  les 
autres  oiseaux  : 


J’admettrais  sans  peine  que  ces  mêmes  condors,  ou,  mieux  encore,  des 
condors  pris  dans  une  ménagerie,  pourraient  bien  subir  tous  ces  désordres 
fonctionnels,  si,  au  lieu  de  s’élever  librement  en  volant , ils  participaient, 
d’une  manière  passive,  à l’ascension  d’un  aérostat,  retenus  captifs  et  irn- 

1 Recherches  d'anatomie , de  physiologie  et  d'organogénie  pour  la  détermination 
des  lois  de  la  genèse  et  de  l'évolution  des  espèces  animales.  1er  mémoire.  — Physio- 
logie de  la  respiration  chez  les  oiseaux.  — Paris,  1875. 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1077 


mobiles  dans  une  cage,  au  fond  de  la  nacelle.  A plus  [forte  raison,  si  on 
les  déprimait  en  vases  clos.  (P.  536.) 

Cette  survie  sans  malaises  à des  hauteurs  qui,  pour  les  con- 
dors, atteint  7000m,  tient,  selon  M.  Campana,  à deux  causes  ; 
examinons-les  avec  le  soin  que  mérite  son  important  travail. 

Ces  deux  causes  sont  exprimées  dans  la  formule  suivante: 

Chez  les  mammifères,  le  mal  des  montagnes , le  mal  des  aéronautes , s’ex- 
plique par  l’impossibilité  d’une  amplification  thoracique  régulièrement 
continue  et  suffisante,  due  à l’impuissance  des  muscles  qui  meuvent  le 
thorax;  et  aussi  par  l’exposition  immédiate  d'un  parenchyme  pulmonaire 
rétractile  à une  pression  atmosphérique  extérieure,  notablement  affaiblie, 
et  par  l’annulation  de  la  fonction  compensatrice  de  la  glotte.  (P.  341.) 

D’abord,  selon  M.  Campana,  les  mouvements  des  ailes 
auraient  pour  conséquence  une  mise  en  jeu  de  la  partie  des 
sacs  aériens  (prolongements  brachiaux  du  réceptacle  anté- 
rieur-supérieur)  située  entre  les  muscles  moteurs  du  bras, 
sacs  qui  restent  immobiles  en  dehors  du  vol  ; ils  se  dilate- 
raient lors  de  l’élévation  de  l’aile  (c’est-à-dire,  d’après  les 
observations  de  M.  Marey,  au  moment  de  l’inspiration  tra- 
chéale), et  se  videraient  d’air  lors  de  son  abaissement.  Il 
en  résulterait  une  circulation  aérienne  notablement  plus 
rapide  à travers  les  poumons,  une  ventilation  plus  parfaite, 
qui  aurait  pour  conséquence  que  : 

Dans  les  mêmes  conditions  où  le  mal  des  montagnes  se  manifeste  chez 
les  mammifères,  les  oiseaux  au  vol  échappent  aux  deux  causes  d’anoxyhé- 
mie  qui  frappent  les  mammifères,  sinon  absolument  et  indéfiniment,  du 
moins  à un  degré  extrêmement  supérieur.  (P.  541.) 

Je  considère  comme  parfaitement  exactes  les  observations 
de  M.  Campana  relativement  au  développement  des  cellules 
aériennes  alaires  pendant  l’acte  du  vol.  Mais  je  crois  qu’il  a 
extrêmement  exagéré  l’importance  de  cette  constatation; 
d’abord  le  surcroît  de  volume  acquis  de  la  sorte  est  en 
somme  peu  considérable,  eu  égard  à celui  des  autres  ré- 
servoirs gazeux  qui  agissent  en  même  temps,  c’est-à-dire 
aux  sacs  extra-thoraciques.  En  second  lieu,  si  je  voyais  ces 
adjuvants  de  l’acte  respiratoire  ne  se  développer  que  pea- 


1078  FAITS  RÉGENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

dant  le  vol  aux  grandes  hauteurs,  j’accorderais  volontiers 
qu’ils  peuvent  alors  présenter  une  certaine  utilité  : mais  ils 
agissent  également  à toutes  les  hauteurs,  pourvu  que  l’oiseau 
vole;  et  si  je  veux  bien  croire  qu’ils  aident  ainsi  à produire 
le  surcroît  de  forces  nécessaires  pour  le  travail  dans  l’air  et 
à établir  l’équilibre  de  l’organisme  à l’état  dynamique,  je  ne 
comprends  pas  comment  ils  pourraient  y ajouter,  là  où  la 
faible  pression  devient  menaçante,  un  supplément  de  ven- 
tilation et  par  suite  d’oxygénation  qui  n’aurait  pas  été  déjà 
fourni  dans  les  bas  niveaux.  Enfin,  en  admettant  même  la 
ventilation  rendue  parfaite,  nous  avons  vu  que  cela  est 
de  peu  d’importance,  puisque  c’est  la  capacité  du  sang 
pour  l’oxygène  qui,  ayant  diminué  avec  la  hauteur,  con- 
stitue le  véritable  péril.  La  perfection  de  la  ventilation  ne 
peut  jouer  qu’un  rôle  très-restreint,  puisqu’elle  ne  peut 
qu’élever  la  quantité  d’oxygène  contenue  dans  le  sang  arté- 
riel en  circulation  à ce  que  ce  sang  serait  capable  d’absorber 
s’il  était  convenablement  saturé  Cette  augmentation  n’est 
point  à dédaigner  chez  les  mammifères,  et  nous  insisterons 
sur  ce  point  dans  le  sous-chapitre  suivant.  Mais  précisément 
on  doit  à peine  en  parler  chez  les  oiseaux,  puisque,  d’après 
les  recherches  récentes  de  M.  Jolyet1,  leur  sang  artériel  est 
toujours  à peu  près  saturé  d’oxygène;  c’est  là,  pour  le  dire 
en  passant,  un  fait  du  plus  haut  intérêt,  puisqu’il  montre 
que  chez  les  oiseaux,  au  contraire  des  mammifères,  les 
conditions  du  brassement  aéro-sanguin  sont  parfaites  dans 
l’appareil  respiratoire. 

La  seconde  raison  indiquée  par  M.  Campana  pour  expli- 
quer la  résistance  des  oiseaux  hauturiers,  c’est 

Qu’ils  possèdent  le  moyen  de  soustraire  le  parenchyme  pulmonaire  et 
jusqu’à  un  certain  point  les  réceptacles  moyens  eux-mêmes  à cette  absolue 
dépendance  de  la  pression  barométrique  que  les  poumons  des  mammifères 
subissent  forcément  pendant  l’inspiration.  (P.  542.) 

En  d’autres  termes,  pendant  l’inspiration  comme  pendant 

1 Contribution  à l'étude  de  la  physiologie  comparée  du  sang  des  vertébrés  ovipares . 
— Comptes  rendus  de  la  Société  de  biologie , t.  NX VI,  p.  278,  1874. 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1079 


l’expiration,  les  poumons,  par  suite  de  l’injection  énergique 
exécutée  alternativement  par  les  réceptacles  extra  et  intra- 
thoraciques, « sont  gorgés  d’air  sous  une  pression  supérieure 
à celle  de  l’air  extérieur.  » (P.  543.) 

Ainsi,  l’appareil  respiratoire  est  soustrait  jusqu’à  un  certain  point  à la 
dépression  barométrique,  ce  qui  rend  possible  l’ascension  dans  les  hautes 
l égions  de  l’atmosphère,  et  a fortiori  le  vol  plané  au  sein  d’un  air  glacial 
et  asphyxiant.  (P.  546.) 

Je  ne  veux  ni  rapporter  ni  discuter  les  détails  du  méca- 
nisme très-compliqué  par  lequel  M.  Campana  explique  cette 
compression  de  Pair  dans  l’intérieur  des  poumons;  il  se  ré- 
duit en  définitive  à une  injection  d’air  trop  considérable  pour 
la  section  des  ouvertures  de  débit,  dans  les  mailles  du  paren- 
chyme pulmonaire.  Mais  je  ne  puis  admettre  qu’on  attribue  à 
ce  léger  excès  de  pression  un  rôle  sérieux  au  point  de  vue 
qui  nous  occupe,  et  qu’on  le  considère  comme  pouvant  con- 
tre-balancer  l’énorme  dépression  à laquelle  va  s’exposer  l’oi- 
seau ; c’est  par  millimètres  de  mercure  que  se  peuvent  comp- 
ter ces  modifications  intra-pulmonaires,  et  c’est  par  dizaines 
de  centimètres  que  se  mesure  la  dépression  extérieure. 

A mes  yeux,  la  question  reste  entière  et  l’immunité  des 
condors  et  des  vautours  demeure  inexpliquée  pour  moi.  Quand 
meme  l’étude  de  l’influence  de  la  dépression,  en  vases 
clos,  nous  montrerait  un  de  ces  oiseaux  résistant  beaucoup 
plus  que  ne  l’a  fait  notre  crécerelle,  nous  serions  débarrassés 
d’une  espèce  de  contradiction,  mais  nous  n’aurions  pas 
encore  d’explication.  Je  reviendrai  sur  ces  faits  en  parlant 
dans  le  prochain  sous-chapitre  des  habitants  des  hauts  lieux, 
qui  semblent  présenter  une  immunité  analogue,  ainsi  que 
les  yacks  de  l’Himalaya  et  les  lamas  des  Andes. 

Je  terminerai  cette  revue  des  travaux  publiés  depuis  la  publi- 
es lion  des  principaux  résultats  obtenus  dans  mes  recherches 
par  une  brève  analyse  du  nouveau  livre  de  M.  Jourdanet 1 . Cette 
œuvre  considérable,  dont  j’ai  annoncé  l’apparition  et  cité  quel- 
ques passages  dans  la  première  partie  du  présent  ouvrage 

1 Influence  de  la  pression  de  l'air  sur  la  vie  de  l'homme.  ‘2  vol.  Paris,  1 875. 


1080 


FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

(p.  517,  519),  est  divisée  en  cinq  parties.  Dans  la  première 
(t.  I,  p.  5-84),  intitulée  « Études  barométriques  préliminai- 
res »,  je  signalerai  seulement  ici,  et  sans  pouvoir  m’y  arrê- 
ter, le  curieux  chapitre  sur  les  modifications  de  la  pression 
barométrique  dans  les  âges  géologiques,  et  leur  influence 
sur  les  êtres  vivants.  La  seconde  (p.  85-567),  « Climats  des 
altitudes  »,  contient,  en  outre  d’une  description  magistrale 
des  régions  élevées  et  habitées  du  globe,  et  d’une  importante 
statistique  du  Mexique,  un  résumé  de  mes  propres  expérien- 
ces, et  l’étude  de  rinfluence  qu’exerce  la  décompression  sur 
les  voyageurs  (mal  des  montagnes)  et  sur  les  habitants  des 
hauts  lieux.  Dans  la  troisième  partie  (t.  Il,  p.  5-154),  « Con- 
stitution pathologique  des  altitudes  »,  est  développée  et  ap- 
puyée par  des  observations  médicales  du  plus  haut  intérêt, 
la  remarquable  découverte  laite  par  M.  Jourdanet,  de  l’in- 
fluence déprimante  des  grandes  hauteurs,  de  l’état  anémique 
[anoxyhèmiquè)  des  habitants  des  hauts  lieux  lorsqu’ils  sont 
atteints  de  quelque  maladie.  La  quatrième  partie  (p.  155-204) 
traite  des  « Climats  de  montagne  ».  M.  Jourdanet  explique 
dans  les  termes  suivants  la  valeur  qu’il  attribue  à ce  mot, 
opposé  à celui  de  climat  des  altitudes  : 

J’appelie  climats  d'altitude  ceux  qu’une  élévation  suffisante,  combinée 
avec  la  distance  à l’Équateur,  caractérise  par  les  signes  certains  d’une 
altération  respiratoire,  comme  conséquence  de  la  diminution  de  densité 
de  l’air  ambiant. 

Au-dessous  de  cette  limite  physiologique,  la  dépression  barométrique 
n’agissant  pas  dans  un  sens  nuisible  par  elle-même,  et  pouvant  au  con- 
traire produire  des  résultats  heureux  sur  la  santé,  je  désigne  par  la  déno- 
mination de  climats  de  montagne  les  conditions  qui  se  l'attachent  à des 
hauteurs  modérées  et  aux  basses  ondulations  du  sol  des  pays  montueux. 
( Préface , p.  2.) 

On  trouvera  dans  cette  quatrième  partie  des  faits  et  par- 
ticulièrement des  statistiques  qui  sont  de  nature  à faire  faire 
de  sceptiques  réflexions  sur  Y air  vivifiant  et  l’action  forti- 
fiante de  la  montagne.  Enfin,  dans  la  cinquième  partie 
(p.  205-292),  sous  le  titre  de  « Transitions  barométriques 
naturelles  et  artificielles  »,  le  séjour  momentané  sur  les  lieux 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1081 


montagneux  est  opposé  avec  un  grand  art  à l’effet  d’une  habi- 
tation prolongée;  de  fort  curieuses  observations  s’v  trouvent 
en  outre  relatées,  sur  l’emploi  thérapeutique  de  l’air  raréfié. 

On  voit  que  la  seconde  partie  seule  de  cet  important 
ouvrage  se  développe  sur  le  terrain  même  où  nous  nous 
sommes  cantonné.  Or,  j’ai  donné  dans  le  présent  livre  (voy. 
p.  266  à 291,  et  317,  419),  en  analysant  les  travaux  antérieurs 
de  M.  Jourdanet,  la  place  qu’elles  méritent  à ses  remarqua- 
bles observations;  je  ne  pourrais,  sans  tomber  dans  des  re- 
dites, y revenir  ici.  Quant  aux  considérations  hygiéniques  et 
médicales  auxquelles  mon  savant  confrère  a su  donner  tant 
d’ampleur  et  d’intérêt,  je  ne  puis  que  renvoyer  le  lecteur  à 
ce  livre,  qui  renferme  tant  d’observations  curieuses,  d’aper- 
çus nouveaux,  tant  de  preuves  d’une  érudition  profonde, 
tenace,  si  l’on  peut  ainsi  dire,  et  guidée  par  une  idée  théori- 
que, heureuse,  féconde.  Il  admirera  l’étendue  des  consé- 
quences générales  relatives  à la  constitution  des  races 
humaines,  à l’histoire  des  civilisations,  à la  politique  philo- 
sophique, que  M.  Jourdanet  a su  tirer  de  cette  première  ob- 
servation, que,  pendant  une  opération  chirurgicale  faite  à 
Mexico,  le  sang  qui  s’échappait  des  artères  ne  présentait  pas 
la  rutilance  habituelle  (t.  I,  p.  171).  Mais  je  ne  puis  ici  insister 
davantage. 


SOUS-CHAPITRE  II 

RÉSUMÉ  ET  APPLICATIONS  PRATIQUES. 

Nous  avons  exposé,  dans  notre  deuxième  partie,  avec  une 
surabondance  qui  aura  pu  peut-être  paraître  excessive,  les 
preuves  de  cette  vérité  que  la  diminution  dans  la  pression 
barométrique  n’agit  sur  les  êtres  vivants  qu’en  diminuant  la 
tension  de  l’oxygène  qu’ils  respirent,  et,  si  l’on  pousse  les 
choses  à l’extrême,  qu’en  les  asphyxiant  par  privation  d’oxy- 
gène. Si  bien  qu’il  existe  un  parallélisme  qui  peut  être  pour- 
suivi dans  les  moindres  détails  entre  deux  animaux  dont  l’un 
est  soumis  jusqu’à  la  mort  dans  l’air  normal  à une  diminué 


1082 


FAITS  RÉGENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

tion  progressive  de  la  pression,  tandis  que  l’autre  respire,  éga- 
lement jusqu’à  la  mort,  sous  la  pression  normale,  un  air  de 
plus  en  plus  pauvre  en  oxygène.  Tous  deux  périront  après 
avoir  présenté  les  mêmes  symptômes  ; et,  aux  différents  mo- 
ments de  l’expérience,  à la  mort  même,  on  pourra  chez  tous 
deux  constater  le  même  rapport  entre  la  tension  de  l’oxygène 
dans  T air  extérieur  et  sa  proportion  dans  leur  sang. 

Toutes  les  anciennes  théories  sur  l’action  mécanique  de  la 
dépression  ont  dû  disparaître  entièrement,  et  il  suffirait  vrai- 
ment, pour  montrer  leur  inanité,  de  rappeler  l’expérience 
dans  laquelle  j’ai  pu  descendre  jusqu’à  la  pression  mortelle 
de  248mm,  sans  éprouver  le  moindre  inconvénient,  sous  la 
seule  condition  de  rétablir  à son  degré  normal  la  tension  du 
gaz  comburant,  par  la  respiration  d’un  air  artificiel  sur- 
oxygéné. 

La  question  apparaît  donc  comme  réduite  à une  simplicité 
singulière;  mais  si  la  cause  des  phénomènes  observés  peut 
être  ainsi  exprimée  en  un  mot,  ses  conséquences  sont  si  di- 
verses, qu’elles  méritent  d’être  étudiées  dans  les  différentes 
conditions  où  peut  agir  la  diminution  de  pression. 


g 1er.  — Aéronautes. 

/ 

Commençons  par  le  cas  le  plus  simple,  et  considérons  d’a- 
bord l’aéronaute  qui,  sans  faire  aucun  effort , est  emporté  par 
la  marche  ascensionnelle  de  son  ballon. 

A mesure  qu’il  s’élève  et  que  la  pression  diminue,  son 
sang  s’appauvrit  en  oxygène,  comme  l’ont  montré  mes  expé- 
riences : diminution  bien  faible  d’abord,  mais  dont  cepen- 
dant mes  analyses  m’ont  permis  de  prouver  l’existence  dès 
que  la  pression  n’est  plus  que  de  5b  centimètres.  Ici  même, 
la  perte  en  oxygène  ne  saurait  avoir  une  influence  immédiate 
bien  saisissable  ; la  différence  est  de  l’ordre  de  celles  que  l’on 
constate  entre  individus  également  bien  portants,  de  l’ordre 
de  celles  qu’entraînent  chez  un  même  individu  les  change- 
ments dans  le  rhythme  respiratoire,  les  états  divers  d’activité 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1083 


ou  de  repos,  de  digestion  ou  d’abstinence.  L’aéronaute  n’en 
peut  rien  sentir. 

S’il  s’élève  davantage,  l’appauvrissement  en  oxygène  aug- 
mente : à 2000  mètres,  il  était  en  moyenne  de  15  pour  100  ; 
à 5000,  il  devient  de  21  pour  100;  à 6500,  de  45  pour  100  ; 
à 8600  mètres  (26  centimètres  de  pression),  hauteur  à la- 
quelle sont  morts  Crocé-Spinelli  et  Sivel,  ils  devaient  avoir 
perdu  la  moitié  de  l’oxygène  de  leur  sang  artériel.  Mes  ani- 
maux, à 17  centimètres  de  pression,  en  avaient  perdu  65  pour 
100  : leur  sang  artériel  n’en  contenait  plus  que  7 volumes 
au  lieu  de  20  pour  100  volumes  de  sang,  moins  que  du  sang 
veineux  ordinaire  sortant  d’un  muscle  en  contraction.  C’est 
un  pareil  sang  qui,  dans  les  artères,  était  chargé  de  nourrir, 
d’animer  les  muscles,  la  moelle,  les  organes  sensoriaux,  le 
cerveau  ! On  se  rappelle,  en  présence  de  ces  faits,  la  célèbre 
expérience  de  Bichat  sur  le  sang  noir  injecté  dans  les  vais- 
seaux des  centres  nerveux. 

On  sait  que,  d’une  manière  générale,  les  effets  de  la  raré- 
faction de  l’air  commencent  à se  faire  sentir  assez  nettement 
vers  la  hauteur  de  4000m,  correspondant  à 46e  de  pression. 
C’est  aussi  à peu  près  à cette  pression  que  dans  nos  cloches 
nos  animaux  cessaient  de  s’agiter  et  paraissaient  devenir  in- 
quiets. Or,  le  graphique  de  la  figure  51  (fig.  645)  montre 
que  c’est  à partir  de  ce  moment,  à peu  près,  que  la  propor- 
tion d’oxygène  diminue  dans  le  sang  avec  le  plus  de  rapidité; 
il  y a ici  une  concordance  remarquable. 

Cette  diminution  dans  la  quantité  d’oxygène  contenu  dans 
le  sang  est  le  fait  dominateur.  C’est  d’elle  que  vont  se  déduire 
tous  les  accidents  de  la  décompression.  Sa  cause,  nous  l’a- 
vons vu,  est  double  : d’abord,  la  proportion  d’oxvgène  que 
peut  absorber  le  sang  est  d’autant  moindre  que  la  pression 
est  plus  basse  (Y.  2e  partie,  chap.  II,  s. -ch.  Y);  en  second  lieu, 
si  nous  supposons  que  le  rhythme  respiratoire  n’ait  pas  changé, 
la  quantité  d’oxygène  qui  circule  dans  les  poumons  pendant 
un  temps  donné  diminue. dans  le  même  rapport  que  la  pres- 
sion. Or,  sous  la  pression  normale  elle-même,  le  sang  arté- 
riel, nous  l’avons  vu,  n’est  jamais  saturé  de  l’oxygène  qu’il 


1084 


✓ 

FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

pourrait  absorber,  l'agitation  du  sang  et  de  l’air  ne  se  faisant 
pas  dans  les  poumons  avec  une  énergie  suffisante. 

L’écart  doit  singulièrement  augmenter  lorsque  diminue 
non-seulement  le  coefficient  d’absorption  de  l’oxygène,  mais 
la  circulation  intra  - pulmonaire.  En  effet,  à demi-atmo- 
sphère, par  exemple,  pour  maintenir  semblables  à ce  qu’elles 
sont  au  niveau  de  la  merles  conditions  du  brassement  intra- 
pulmonaire, il  faudrait  que  tout  fût  doublé  : doubles  les 
mouvements  respiratoires  en  amplitude,  en  rapidité;  dou- 
bles les  battements  du  cœur,  en  force  et  en  nombre.  Cela 
est  évidemment  impossible. 

Cependant,  il  se  fait  un  changement  dans  ce  sens,  comme 
en  témoignent  les  récits  de  tous  les  aéronautes,  comme  je  l’ai 
observé  sur  les  animaux  et  éprouvé  moi-même  dans  mes 
appareils;  aux  faibles  dépressions  la  respiration  s’accélère, 
les  battements  du  cœur  sont  plus  forts  et  plus  nombreux,  et 
l’équilibre  peut  être  à peu  près  rétabli,  Nous  avons  vu,  en 
effet,  que  si  la  ventilation  pulmonaire  augmente,  le  sang 
artériel  peut  gagner  5 ou  4 volumes  d’oxygène  pour  100  vo- 
lumes de  sang. 

Mais,  tout  d’abord,  ceci  ne  peut  être  que  momentané,  et  sem- 
blable gymnastique  ne  saurait  continuer  longtemps  sans  des 
menaces  d’emphysème  et  de  maladies  cardiaques;  aussi  cette 
exagération  ne  dure-t-elle  pas,  et  quand  le  ballon  devient 
stationnaire,  les  aéronautes  ne  voient  nullement  se  maintenir 
chez  eux  cette  accélération  redoutable  : l’oxygène  diminue 
donc  fatalement  dans  leur  sang. 

Il  y a plus,  quand  la  pression  diminue  encore,  l’accéléra- 
tion respiratoire  et  circulatoire  ne  pouvant  plus,  même  pour 
un  instant,  compenser  l’insuffisance  de  l’agitation  aéro-san- 
guine intra-pulmonaire,  les  muscles  de  la  respiration  comme 
ceux  du  cœur  ne  recevant  plus  qu’un  sang  insuffisamment 
oxygéné,  et  contraints  cependant  à un  travail  continu,  per- 
dent de  leur  énergie,  se  fatiguent.  Les  respirations,  toujours 
nombreuses  pendant  l’activité,  sont  très-peu  amples,  si  bien 
que  c’est  à peine  si  la  quantité  d’air  inspiré  dans  un  temps 
donné  est  en  volume  la  même  qu’à  la  pression  normale  ; au 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1085 


repos,  elles  retombent  au  nombre  ordinaire,  tout  en  restant 
très-faibles,  et  il  semble  même,  selon  la  remarque  de  de 
Saussure  (p.  90),  qu’on  oublie  parfois  de  respirer.  Les  mou- 
vements du  cœur  donnent  des  résultats  analogues  ; leur  fré- 
quence augmente,  il  est  vrai,  mais  la  tension  cardiaque  baisse 
considérablement;  dans  un  des  tracés  sphygmographiques  de 
M.  Lortet,  pris  au  moment  de  l’arrivée  au  sommet  du  mont 
Blanc,  on  a peine  à retrouver  l’indication  du  pouls. 

Ainsi,  l’organisme,  vaincu  dans  sa  lutte  pour  compenser 
par  l’agitation  aéro-sanguine  la  moindre  densité  de  l’oxygène 
de  Pair,  revient  au  type  régulier  de  ses  mouvements,  qu’af- 
faiblit bientôt  la  pauvreté  du  sang.  A ce  moment,  la  gravité 
des  phénomènes  va  en  augmentant  rapidement;  l’insuffi- 
sance de  la  capacité  du  sang  pour  l’oxygène  se  complique 
d’une  imperfection  de  plus  en  plus  considérable  dans  la  ven- 
tilation et  la  circulation  intra-pulmonaires,  causée  précisé- 
ment par  l’insuffisance  de  l’oxygène  absorbé.  C’est  ce  qui  fait 
que,  comme  nous  l’avons  vu  (p.  696),  le  sang  artériel  des 
animaux  décomprimés  contient  encore  moins  d’oxygène  qu’il 
n’en  pourrait  absorber  à la  pression  sous  laquelle  ils  se  trou- 
vent. 

Cette  diminution  rapide  dans  la  richesse  en  oxygène  du 
sang  a pour  conséquence  un  trouble  profond  apporté  dans  la 
nutrition  et  par  suite  dans  le  fonctionnement  des  organes. 
Nous  avons  vu  que  chez  les  animaux  placés  sous  les  cloches 
à air  raréfié,  lorsque  la  dépression  est  assez  forte,  la  quan- 
tité d’acide  carbonique  exhalée  et  d’urée  excrétée  diminue 
notablement;  la  température  s’abaisse  également,  alors  ce- 
pendant que  celle  de  l’air  extérieur  est  tout  à fait  moyenne. 
11  doit  certainement  en  arriver  de  même  aux  aéronautes,  lors- 
qu’ils atteignent  de  très-grandes  hauteurs,  où,  par  surcroît, 
l’air  est  généralement  très-froid.  Je  rappelle  que  j’ai  montré 
expérimentalement  que  dans  l’air  froid  la  résistance  à la  dé- 
pression est  moindre  qu’à  des  températures  ordinaires. 

Mais  sous  des  dépressions  inférieures  à celles  qu’il  a fallu 
mettre  en  jeu  pour  manifester  expérimentalement,  c’est-à- 
dire  brutalement,  la  diminution  des  actes  intimes  de  la  nu- 


1086 


FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

trition,  le  fonctionnement  des  organes  la  révèle  à l’observa- 
teur. Et  ici,  comme  toujours  quand  il  s’agit  d’une  cause 
capable  d’agir  sur  l’organisme  tout  entier,  c’est  le  système 
nerveux  qui  réagit  le  premier,  qui,  si  je  puis  employer  cette 
expression,  se  plaint  le  premier.  La  sensation  de  fatigue,  la 
diminution  des  acuités  sensorielles,  les  accidents  cérébraux, 
vertiges,  sommeil,  hallucinations,  tintements,  éblouisse- 
ments, fourmillements,  les  réactions  des  nerfs  pneumo-gas- 
trique  et  sympathique,  nausées,  battements  de  cœur,  dilata- 
tion des  petits  vaisseaux,  sont  le  signe  de  l’oxygénation  insuf- 
fisante des  organes  nerveux  centraux  et  périphériques.  Après 
le  système  nerveux  vient  le  système  musculaire,  qui  accuse 
de  la  faiblesse,  est  pris  de  contractions  convulsives,  de  trem- 
blements où  certes  le  système  nerveux  a aussi  sa  part.  Enfin, 
aux  degrés  ultimes,  surviennent  la  paralysie,  la  syncope,  ou 
pour  parler  plus  exactement,  la  perte  de  connaissance,  et 
enfin  la  mort  sans  dernier  soupir  et  sans  convulsions,  si  la 
diminution  de  pression  n’a  pas  été  trop  brusquement  portée 
à son  degré  mortel. 

Les  troubles  de  la  décompression  disparaissent  très-vite 
quand  le  ballon  descend  des  hauteurs;  très-vite  aussi,  je  l’ai 
vu  souvent  dans  mes  expériences,  la  proportion  normale  de 
l’oxygène  reparaît  dans  le  sang.  Gela  est  absolument  en  série. 

Ce  qui  n’est  pas  moins  en  série,  c’est  la  coïncidence  re- 
marquable que  nous  fournissent  les  faits  observés  dans  les 
ascensions  en  ballon  avec  les  deux  seuls  faits  connus  dans 
lesquels  des  hommes  ont  été  soumis  à un  air  pauvre  en  oxy- 
gène, sans  intervention  d’acide  carbonique.  Le  premier  a été 
observé,  comme  je  l’ai  déjà  dit  (p.  745),  par  M.  F.  Leblanc 
dans  les  mines  pyriteuses  de  Huelgoat,  en  Bretagne.  Dans 
une  galerie  où  l’air  ne  contenait  plus  que  9,8  pour  100  d’oxy- 
gène, et  où  il  était  entré  sans  transition,  il  a eu  des  vertiges 
et  des  défaillances.  Or,  la  tension  de  l’oxygène  correspond 
alors  à peu  près  à celle  de  l’air  à 6000  mètres  de  hauteur, 
là  où  certes  le  mal  des  aérostats  frapperait  avec  une  grande 
violence  celui  qui  s’y  exposerait  brusquement.  Le  second, 
constaté  par  M.  Forel  (p.  1049),  est  surtout  remarquable  par  la 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1087 


coïncidence  des  troubles  intellectuels  qu’il- a éprouvés  dans 
l’air  peu  oxygéné,  avec  ceux  dont  j’ai  moi-même  souffert 
sous  une  dépression  correspondante  à la  hauteur  du  mont 
Blanc. 

Le  moment  auquel  les  aéronautes  éprouvent  et  les  animaux 
en  expérience  manifestent  des  troubles  sérieux  varie,  nous 
l’avons  vu,  non-seulement  avec  les  espèces,  mais  dans  la 
même  espèce,  avec  les  individus. 

L’analyse  des  gaz  du  sang  artériel  nous  montre  des  inéga- 
lités tout  à fait  du  même  ordre,  et  qui  sont  certainement  la 
cause  prochaine  de  ces  différences.  Ainsi,  à 56  centimètres  de 
pression,  un  de  mes  chiens  (expér.  GLXXI,  n°  10  du  ta- 
bleau X,  p.  645)  avait  perdu  55,6  pour  100  de  l’oxygène  de 
son  sang,  un  autre  (exp.  CLXXIY,  n°  11)  n’en  ayant  perdu  que 
56,1  (tableau  X,  col.  14)  ; ils  étaient  cependant  arrivés  à peu 
près  au  même  chiffre  (8,5  et  8,9,  col.  8).  Un  autre  de  mes 
chiens  a fait  preuve  (exp.  CLXX,  nos  2 et  5)  d’une  résistance 
très-remarquable  : à 5 6centimètres,  il  n’a  perdu  que  5 ,2 
pour  100  de  son  oxygène;  à 46e,  que  5,5,  conservant  la  pro- 
portion élevée  de  20,5. 

L’inspection  attentive  du  tableau  de  la  page  645  montre 
sous  ce  rapport  beaucoup  d’inégalités  intéressantes;  mais 
on  ne  saurait  y trouver  les  raisons  de  ces  inégalités.  Ni  la  vi- 
gueur des  animaux,  ni  la  richesse  primitive  de  leur  sang  en 
oxygène  ne  peuvent  servir  à elles  seules  d’explication.  On 
peut,  cependant,  en  se  basant  sur  les  résultats  généraux  des 
analyses  des  gaz  du  sang,  se  rendre  compte  de  ces  phéno- 
mènes d’une  manière  assez  satisfaisante. 

Tout  d’abord  nous  savons  que,  entre  deux  animaux  de  même 
espèce,  adultes  et  bien  portants,  la  richesse  en  oxygène  du  sang 
artériel  est  très-variable  ; les  écarts,  dans  nos  analyses,  ont  été 
(V.  le  tableau  XX,  p.  1050)  de  14,4  à 22,8  volumes  d’oxygène 
pour  100  volumes  de  sang  ; il  paraît  donc  bien  évident,  a 
priori , que  deux  animaux  présentant  cette  différence  ne  se 
comporteront  pas  de  même  au  point  de  vue  de  la  décom- 
pression, et  que  le  premier  sera  plus  rapidement  impressionné 
que  le  second. 


10B8 


FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

En  second  lieu;  si  nous  supposons  deux  animaux  identi- 
ques au  point  de  vue  de  la  richesse  en  oxygène  de  leur  sang- 
artériel,  il  se  pourra  faire  qu’ils  ne  soient  pas  identiques  au 
point  de  vue  de  la  capacité  maximum  de  leur  sang  pour 
l’oxygène;  l’un  pourra  être  déjà  presque  saturé,  l’autre  se 
trouver  encore  assez  loin  de  son  point  de  saturation.  Ce  der- 
nier pourra  donc,  d’abord,  en  accélérant  ses  actes  respira- 
toires et  circulatoires,  tendre  davantage  vers  la  saturation, 
et,  par  suite,  résister  mieux  à la  décompression.  Mais  ce  n’est 
pas  tout;  puisqu’il  a la  même  quantité  d’oxygène,  tout  en  étant 
moins  saturé,  c’est  que  son  sang  contient  à volume  égal  plus 
d’hémoglobine  que  celui  du  premier,  et  que  celte  hémoglo- 
bine est  moins  oxygénée.  Or,  tout  démontre  que  la  combi- 
naison oxy-hémoglobique  est  d’autant  plus  difficile  à disso- 
cier, soit  dans  la  pompe,  soit  par  les  tissus,  qu’elle  s’éloigne 
de  son  point  de  saturation.  Notre  animal,  pour  cette  raison 
encore,  perdra  par  la  dépression  moins  d’oxygène  que  celui 
qui  en  avait  cependant  la  même  quantité  dans  le  sang. 

Nous  pouvons  aller  plus  loin  encore  : deux  animaux  que 
nous  prendrons  de  même  poids  et  identiques  par  la  richesse 
oxygénée  et  le  degré  de  saturation  de  leur  sang  artériel,  peu- 
vent différer  singulièrement  par  la  quantité  de  sang  contenu 
dans  leurs  vaisseaux.  En  supposant  qu’il  en  soit  ainsi,  il  est 
clair  que  s’ils  font,  dans  un  temps  donné,  la  même  dépense 
d’oxygène  dans  les  profondeurs  de  leurs  organismes,  celui 
qui  a le  moins  de  sang  verra  ce  sang  abandonner  aux  tissus 
une  proportion  plus  grande  d’oxygène;  en  d’autres  termes, 
il  y aura  un  écart  plus  grand  au  point  de  vue  de  la  richesse 
oxygénée,  entre  son  sang  veineux  et  son  sang  artériel,  que 
chez  l’animal  très-sanguin.  Nous  avons  constaté  dans  nos 
expériences  des  différences  de  cette  nature;  nous  avons  vu, 
par  exemple,  tel  chien  avoir  dans  le  sang  veineux  9,2  volumes 
d’oxygène  de  moins  que  dans  le  sang  artériel  (exp.  GXC);  tel 
autre  (exp.  CXCII)  n’en  avoir  que  5,5.  Si  l’on  suppose  toutes 
les  autres  conditions  identiques,  et  si  l’on  soumet  ces  deux 
animaux  à une  forte  diminution  de  pression,  il  est  clair  que 
le  premier  sera  impressionné  fâcheusement  longtemps  avant 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1089 


l’autre,  puisque  son  sang  veineux  n’a  qu’une  bien  moindre 
réserve  d’oxygène. 

Nous  arrivons  ici  au  fond  même  de  la  question.  Considé- 
rons un  individu  dont  le  sang  artériel  contient  pour  100  volu- 
mes 20  volumes  d’oxvgène,  et  dont  le  sang  veineux  en  con- 
tient 12,  un  individu  qui,  par  conséquent,  pour  les  besoins 
de  ses  combustions  organiques,  consomme  8 volumes  d’oxy- 
gène empruntés  à son  sang  artériel.  Supposons-le  maintenant 
soumis,  dans  un  aérostat,  à l’influence  de  la  diminution  de 
pression.  L’oxygène  de  son  sang  artériel  diminuera  progressi- 
vement comme  nous  l’avons  vu,  et  il  en  sera  naturellement 
de  même  dans  son  sang  veineux.  Mais  il  va  passer  par  deux 
phases  successives  que  nous  devons  étudier  avec  soin.  Dans 
la  première,  le  sang  artériel  appauvri,  malgré  les  efforts  de 
compensation  tentés  par  l’appareil  respiratoire,  descendra  à 
18,  16,  14  volumes  d’oxygène  ; c’est  quand,  — si  nous  pre- 
nons pour  base  de  nos  calculs  le  graphique  de  la  figure  51 
(p.  645),  — la  pression  se  sera  abaissée  à 62,  48,  40e,  corres- 
pondant environ  à des  hauteurs  de  1600,  5600,  5100  mètres. 
Si  rien  n’est  changé  dans  l’intensité  de  ses  combustions 
intra-organiques,  notre  aéronaute  aura  toujours  eu  besoin 
des  8 volumes  d’oxygène  qu’il  consommait  à la  pression  nor- 
male, et  son  sang  veineux  aura  contenu  10,  8,  6 volumes 
d’oxygène.  Ce  sont  là  des  combinaisons  oxy-hémoglobiques 
faciles  à dissocier  pour  les  besoins  des  combustions  orga- 
niques; la  quantité  d’oxvgène  nécessaire  aux  phénomènes 
intimes  de  la  nutrition  aura  pu  être  trouvée,  et  rien  ne  sera 
changé  dans  l’équilibre  général  de  notre  aéronaute.  Sans 
doute,  ses  tissus  seront  baignés  par  un  sang  relativement 
pauvre  en  oxygène;  mais  comme  ils  peuvent,  en  somme- 
bien  qu’avec  un  peu  plus  de  difficulté  qu’à  l’état  normal,  en 
extraire  ce  dont  ils  ont  besoin,  les  troubles  nutritifs  avec 
leurs  conséquences  fonctionnelles  ne  seront  que  de  médiocre 
importançe. 

Mais  voici  que  le  ballon  monte  toujours  et  atteint  successi- 
vement 5700“  (57e),  6600m  (55e),  8600m  (26e)  : le  sang  artériel 
voit  sou  oxygène  s’abaisser  à 15,  12,  10  volumes.  Alors  il  de- 

G9 


1090 


FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

N 

vient  de  plus  en  plus  difficile  de  trouver  les  8 volumes  d’oxy- 
gène nécessaires  à l’entretien  régulier  de  l’organisme,  car 
il  faudrait  que  le  sang  veineux  tombât  à 5,  4,  2 volumes, 
et  la  combinaison  oxy-hémoglobique  se  montre  de  plus  en 
plus  rebelle  à la  réduction.  En  fait,  l’expérience  l’a  prouvé, 
cette  réduction  n’a  pas  lieu  ; les  graphiques  de  la  figure  40 
(p.  690)  sont  très-caractéristiques  et  montrent  que  la  con- 
sommation d’oxygène  diminue  dans  l’organisme,  l’écart  di- 
minuant entre  les  tracés  jusqu’alors  parallèles  qui  repré- 
sentent la  richesse  en  oxygène  du  sang  artériel  et  celle  du 
sang  veineux  aux  diverses  pressions.  C’est  alors  que,  simul- 
tanément, on  voit  diminuer  dans  une  proportion  croissante 
la  quantité  d’oxygène  consommé  dans  l’air,  d’acide  car- 
bonique rejeté,  d’urée  excrétée;  c’est  alors  que  la  tem- 
pérature commence  à s’abaisser.  Alors,  par  suite,  se  mani- 
festent, avec  une  intensité  également  croissante,  des  troubles 
physiologiques  graves,  dus  à l’insuffisance  de  la  quantité  de 
forces  vives  mises  en  liberté;  les  muscles  respiratoires,  le 
cœur,  qui  jusque-là  avaient  fait  effort  pour  activer  les  actes 
nutritifs,  retombent,  pour  ainsi  dire,  comme  épuisés;  le  sys- 
tème musculaire  tout  entier,  le  système  veineux,  qui  peuvent 
à peine  trouver  dans  le  sang  appauvri  l’oxygène  strictement 
nécessaire  à leur  entretien  statique,  ne  peuvent  entrer  en 
action  énergique  ou  durable.  Et,  par  la  série  habituelle  des 
sympathies,  des  harmonies  organiques,  ce  qui  était  effet  devient 
cause  à son  tour  : les  tissus  refroidis  deviennent  moins  aptes 
aux  combustions,  le  cœur  rallenti  et  sans  forces  n’envoie  plus 
avec  la  même  abondance  le  liquide  nourricier,  et  le  malheu- 
reux aéronaute,  entraîné  dans  cette  espèce  de  spirale  vicieuse, 
descend  rapidement  la  pente  qui  mène  à la  mort. 

Ainsi,  en  résumé,  deux  phases  : phase  de  lutte,  phase  de 
déroute,  avec  un  passage  de  l’une  à l’autre  dont  la  durée 
variera  suivant  bien  des  circonstances,  que  nous  allons  passer 
rapidement  en  revue.  Nous  pouvons  les  diviser  en  deux  clas- 
ses : les  unes  sont  inhérentes,  les  autres  extérieures  à la  per- 
sonne en  expérience. 

Parmi  les  circonstances  intrinsèques,  nous  avons  déjà  cité 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1091 


comme  favorables  la  richesse  sanguine  de  l’organisme,  la  ri- 
chesse oxygénée  du  sang,  la  grande  capacité  du  sang  pour 
l’oxygène,  la  moindre  consommation  relative  d’oxygène  dans 
le  sang  à la  traversée  des  tissus.  Il  en  est  d’autres  encore,  et 
non  des  moins  importantes,  mais  que  nous  ne  comprenons 
pas  aussi  clairement  tout  d’abord,  et  qui  dépendent  de  l’état 
chimique  des  tissus  eux-mêmes.  Autre  chose  sera,  en  présence 
du  moindre  apport  d’oxygène,  un  tissu  où  le  repos  a laissé 
s’accumuler  des  matériaux  facilement  oxydables,  ou  bien  un 
tissu  épuisé  de  ces  matériaux  par  un  fonctionnement  anté- 
rieur par  trop  énergique.  Dans  le  premier,  tout  sera  prêt 
pour  un  maximum  d’utilisation  de  l’oxygène  apporté,  et  par 
suite  pour  un  maximum  de  rendement  de  force  vive;  dans  le 
second,  au  contraire,  à côté  des  phénomènes  de  dégagement 
de  la  force  vive,  de  combustion,  l’équilibre  organique  amené 
à ses  extrêmes  limites  exigera  des  réductions,  des  emmagasi- 
nements  de  force  vive  qui  diminueront  d’autant  la  somme 
des  dépenses  possibles  en  chaleur  et  en  travail.  Encore  à ce 
point  de  vue,  la  digestion,  qui  jette  dans  l’organisme  des  ma- 
tières faciles  à oxyder,  doit  constituer  une  condition  favo- 
rable à la  conservation  d’un  état  compatible  avec  la  force  et 
la  santé.  Enfin,  pour  terminer  ce  qui  a rapport  aux  circon- 
stances intrinsèques,  nous  signalerons  les  effets  désastreux 
des  efforts  intellectuels  ou  musculaires  qui,  exigeant  pour 
s’accomplir  une  soudaine  consommation  d’oxygène,  viennent 
enlever  à ce  sang  déjà  si  pauvre  la  provision  insuffisante 
qu’il  destinait  à la  nutrition  des  tissus,  et  réduisent  ces  der- 
niers à l’indigence  et  à l’impuissance  ; mais  ceci  sera  mieux 
à sa  place  dans  l’étude  des  accidents  des  voyageurs  en  mon- 
tagne. 

En  tête  des  circonstances  extrinsèques  et  défavorables,  il 
faut  citer  le  froid.  Les  aéronautes  ont  rencontré  des  tempé- 
ratures extraordinairement  basses.  Or,  depuis  les  immortels 
travaux  de  Lavoisier,  chacun  sait  quelle  suractivité  dans  les 
oxydations  peut  être  alors  exigée  pour  la  conservation  d’une 
température  constante,  il  est  clair  que  dans  les  conditions 
fâcheuses  où  se  trouve  la  source  oxygénée,  c’est-à-dire  le 


J 092  FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

sang  artériel,  le  moment  où  l’organisme  sera  mis  en  péril 
pourra  être  avancé  par  l’action  d’un  froid  intense.  Mais  il 
faudra  que  le  patient  ait  déjà  atteint,  ou  peu  s’en  faut,  la 
phase  de  dépression  organique,  sans  quoi  le  jeu  compensateur 
des  mêmes  moyens  physiologiques  qui  nous  permettent  , au 
niveau  du  sol,  de  résister  au  froid,  pourrait  se  montrer  effi- 
cace dans  les  hautes  régions.  Une  seconde  circonstance  fâ- 
cheuse est  une  rapidité  trop  grande  dans  l’acte  de  l’ascension. 
Si  confuse  que  soit  encore  l’idée  qu’on  peut  se  faire  des  effets 
de  l’habitude,  il  est  bien  certain  que  les  modifications  dans  les 
conditions  au  milieu  desquelles  nous  vivons,  ont  des  consé- 
quences bien  plus  pénibles  lorsqu’elles  sont  soudaines  que 
lorsqu’elles  sont  amenées  avec  une  certaine  lenteur;  le  fait 
est  des  plus  évidents  pour  la  diminution  de  pression,  et  nous 
avons  vu  maintes  fois,  dans  nos  expériences,  un  animal  fou- 
droyé soudain  par  une  dépression  à laquelle  on  aurait  pu 
aisément  l’amener  en  employant  des  transitions  prudentes; 
bien  plus,  cet  animal,  s’il  n’est  pas  tué  sur  place,  se  remet 
et  revient  plus  ou  moins  complètement  à lui,  sous  la  même 
dépression  qui  avait  failli  lui  être  fatale. 

Nous  n’avons,  jusqu’à  présent,  parlé  que  de  l’oxygène  du 
sang.  Les  autres  gaz,  dont  la  proportion  diminue  également, 
joueraient-ils  quelque  rôle  dans  les  accidents  de  la  décompres- 
sion? L’acide  carbonique,  dont  la  diminution  dans  le  sang 
marche  encore  plus  vite  que  celle  de  l’oxygène  (Y.  la  fîg.  51, 
p.  645),  ne  me  paraît  pas  devoir  présenter  d’importance 
pour  le  cas  des  aéronautes  qui  restent  si  peu  de  temps  sous 
l’influence  de  la  décompression  ; nous  aurons  à revenir  sur 
ce  point  quand  nous  parlerons  des  habitants  des  montagnes. 
Quant  à l'azote,  il  ne  peut  être  question  de  lui  qu’au  point 
de  vue  mécanique.  Nous  avons  montré  le  rôle  redoutable  qu’il 
joue  dans  les  décompressions  brusques  à partir  de  plusieurs 
atmosphères  ; mais  il  me  semble  impossible  d’attribuer  la 
moindre  influence  fâcheuse  à son  dégagement  pendant  l’as- 
cension même  la  plus  rapide  en  ballon  : Coxwell  et  Glaisher 
mirent  50  minutes  pour  arriver  à 8858m;  Crocé-Spinelli, 
Sivel  et  Tissandier  atteignirent  en  deux  heures  la  hauteur  de 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1095 


8600m,  la  diminution  de  pression  étant  d’environ  trois  quarts 
d’atmosphère.  Or,  nous  avons  vu  que  les  accidents  même  lé- 
gers delà  décompression  brusque  n’apparaissent  jamais  pour 
une  décompression  presque  instantanée  de  une  atmosphère 
(p.  512)  ; au-dessus,  pour  des  dépressions  de  plusieurs  at- 
mosphères, vingt  minutes  par  atmosphère  mettent  à l’abri 
des  accidents  ; nous  sommes  bien  loin  des  conditions  pré- 
sentées par  les  aéronautes. 

Nous  comprenons  donc  parfaitement  maintenant  les  phé- 
nomènes que  va  présenter  l’aéronaute  en  s’élevant  dans  son 
ballon.  Aux  faibles  hauteurs,  légère  accélération  du  pouls  et 
de  la  respiration  tendant  à compenser  la  diminution  d’oxy- 
gène que  commence  à subir  le  sang,  accélération  qui  semble 
avoir  quelques-unes  des  conséquences  de  la  fièvre,  comme 
elle  a quelques-uns  de  ses  symptômes.  A ce  moment,  en  effet, 
les  observateurs  ont  signalé  une  certaine  excitation  intellec- 
tuelle, avec  sentiment  de  bien-être,  de  légèreté,  de  force,  qu’il 
ne  me  semblerait  pas  exact  d’attribuer  seulement  à l’émotion 
du  voyage,  aux  splendides  spectacles  qu’offrent  à l’admira- 
tion de  l’aréonaute  les  nuages  éclairés  d’en  haut  par  le  soleil. 
Je  pense  que  l’activité  augmentée  de  la  circulation,  sou- 
mettant à une  irrigation  plus  rapide  les  organes  et  particu- 
lièrement les  centres  nerveux,  en  enlève  d’une  manière  plus 
complète  les  déchets  nutritifs,  et  par  cette  sorte  de  lavage 
les  met  dans  les  conditions  les  plus  favorables  à leur  fonc- 
tionnement. D’autre  part,  non-seulement  l’acide  carbonique 
pour  une  faible  partie,  mais  toutes  les  impuretés  gazeuses 
que  notre  sang  absorbe  au  niveau  du  sol,  particulièrement 
dans  l’air  des  grandes  villes,  s’échappent  en  proportion  déjà 
notable,  et  nos  organes,  si  sensibles  à l’influence  de  ces  ma- 
tières miasmatiques  encore  pour  la  plupart  inconnues,  doi- 
vent en  éprouver  des  avantages  plus  faciles  à deviner  qu’à 
définir  avec  précision. 

Mais  le  ballon  poursuit  sa  marche  ascensionnelle  : il  atteint 
et  dépasse  5000rn.  L’oxygène  diminue  en  proportion  notable 
dans  le  sang,  bien  qu’il  en  reste  assez  pour  que  la  consom- 
mation nécessaire  puisse  être  satisfaite.  L’enthousiasme,  l’ex- 


1 09i 


FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

citation  fébrile  éprouvés  vers  2000m  ont  à peu  près  disparu; 
le  cœur  bat  rapidement;  les  mouvements  deviennent  assez 
pénibles,  le  froid  se  fait  sentir.  Plus  haut  encore,  le  repos 
devient  indispensable;  le  sang  appauvri  ne  peut  suffire  au 
surcroît  d’oxygénation  exigé  pour  les  contractions  muscu- 
laires; aussi,  le  moindre  effort  donne  des  essoufflements,  des 
palpitations  : le  vigoureux  Sivel  peut  à grand’peine  soulever 
un  sac  de  sable  de  20  livres  au  niveau  de  la  nacelle;  la  som- 
nolence envahit  les  passagers;  ils  ont  des  vertiges,  des 
tintements  d’oreille,  des  éblouissements;  le  ciel  paraît  pres- 
que noir,  en  partie  à cause  de  l’affaiblissement  de  la  vue. 
Enfin,  plus  haut  encore,  si,  au  milieu  de  l’espèce  d’inertie 
musculaire,  sensorielle,  intellectuelle  à laquelle  ils  sont 
condamnés,  ils  veulent  faire  un  mouvement,  même  faible, 
lever  un  bras  comme  Glaisher  et  comme  Tissandier,  soudain 
ils  s’aperçoivent  que  la  paralysie  les  a frappés  à leur  insu  et 
presque  aussitôt  le  cerveau,  auquel  un  cœur  affaibli  n’en- 
voie plus  qu’un  sang  insuffisamment  oxygéné,  cessant  ses 
fonctions,  il  survient  une  perte  de  connaissance  qui,  si  le 
ballon  ne  redescend  pas,  peut  conduire  rapidement  à la  mort. 

Prophylaxie.  — L’analyse' que  nous  venons  de  faire  montre 
l’utilité  d’un  certain  nombre  de  précautions  que  le  bon  sens- 
avait  du  reste  indiquées  déjà.  Les  aéronautes  qui  se  disposent 
à des  ascensions  fort  élevées  devront,  autant  que  possible, 
dans  les  jours  qui  précèdent,  éviter  les  excès  de  fatigue 
musculaire,  nerveuse,  intellectuelle.  Bien  portants  d’ordi- 
naire, surtout  au  point  de  vue  des  organes  respiratoires  et 
circulatoires,  ils  devront  prendre  garde  aux  bronchites, 
qui  sont  de  nature  à gêner  les  actes  respiratoires.  Avant  de 
partir,  ils  devront  faire  un  repas  d’aliments  substantiels  et 
emporter  avec  eux,  pour  manger  fréquemment  en  route, 
quelque  victuaille  réconfortante. 

Ils  tâcheront  de  disposer  toutes  choses  dans  la  nacelle  de 
manière  à ne  pas  être  obligés  à de  grands  efforts  muscu- 
laires; les  sacs  de  lest,  par  exemple,  devront  être  vidés  par 
la  section  d’une  cordelette,  et  non  portés  du  fond  au  bord 
de  la  nacelle.  Une  installation  confortable  ne  sera  pas  sim- 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1095 


pleinent  du  luxe,  elle  épargnera  la  consommation  de  l’oxy- 


gène. 

Ajoutons  que  des  couvertures,  des  bouteilles  d’eau  ou 
mieux  d’huile  chaude,  devront  être  emportées  afin  de  pré- 
server du  froid,  autre  consommateur  d’oxygène. 

La  prudence  commanderait,  en  arrivant  dans  les  hautes 
régions,  de  ralentir  l’ascension,  afin  de  ne  pas  se  soumettre  à 
de  trop  "brusques  changements.  Malheureusement  cela  n’est 
presque  jamais  possible  dans  la  pratique,  car  si  l’on  ralentit 
la  marche  du  ballon,  le  gaz  qui  y est  contenu  ira  en  se 
refroidissant  au  contact  des  couches  glacées  de  l’air,  et 
l’aérostat  perdra  une  partie  de  sa  force  ascensionnelle.  Or, 
on  n’en  a jamais  trop  pour  de  pareilles  expéditions,  et  il  faut 
songer  à conserver  le  plus  de  lest  possible  pour  les  accidents 
de  la  descente,  où  le  ballon, presque  vidé,  se  conduit  presque 
comme  un  simple  parachute. 

Telles  sont  les  précautions  dont,  avant  mes  travaux,  on 
pouvait  prévoir  l’utilité.  Mais  aujourd’hui,  sans  cesser  d’être 
utiles  à respecter,  elles  cèdent  de  beaucoup  le  pas  à la  respi- 
ration de  l'air  suroxygéné.  Grâce  à celle-ci,  et  à elle  seule,  tous 
les  dangers  de  la  décompression  peuvent  être  impunément 
bravés.  Je  l’ai,  ainsi  qu’on  l’a  vu  (p.  749-762),  expérimen- 
talement vérifié  sur  moi-même. 

Il  suffit,  pour  être  complètement  à l’abri,  de  respirer  un 
air  d’autant  plus  oxygéné  que  la  pression  diminue  davantage; 
en  telle  sorte  que  la  tension  du  gaz  vivifiant  reste  toujours  la 
même,  ou  du  moins  soit  toujours  égale,  sinon  supérieure,  à 
celle  qui  existe  dans  l’air,  sous  la  pression  normale.  Dans  les 
ascensions  en  ballon,  rien  de  plus  simple  à exécuter,  l’espace 
ne  faisant  pas  défaut. 

On  suspendra  donc  au  cercle  de  l’aérostat  deux  ballon- 
nets de  baudruche,  dont  l’un,  plein  d’un  mélange  à 70  pour 
100  d’oxygène,  servira  pour  les  hauteurs  de  b à 7000  mètres  : 


tension  de  l’oxygène  à 6000  mètres=70  X 


55 

76 


= 52  environ. 


L’autre,  aussi  pur  que  possible  (95  pour  100  en  pratique),  ser- 
vira pour  les  hauteurs  supérieures  : à 9000  mètres,  la  tension 


1090 


FAITS  RECENTS,  RESUME  ET  CONCLUSIONS. 


oxygénée  du  mélange  vaudra  à peu  près  95  x 


24 

76 


50 


c’est-à-dire  qu’elle  sera  double  de  celle  de  l’air  ordinaire  à 
2700  mètres.  La  grandeur  des  ballonnets  devra  être  cal- 
culée à raison  de  10  litres  par  homme  et  par  minute  de  séjour 
dans  les  régions  dangereuses;  ainsi,  dans  le  funeste  et  glo- 
rieux voyage  du  Zénith , il  aurait  fallu,  pour  éviter  tout  péril, 
et  tirer  un  parti  utile  de  toute  l’ascension,  emporter  1500  li- 
tres du  premier  mélange  et  1800  litres  du  second1,  soit 
environ  5 mètres  cubes  dans  des  ballonnets  avant  9 mètres 

«j 

de  capacité,  à cause  de  la  dilatation  extrême  du  gaz  à ces 
hauteurs.  Mais  cette  quantité,  il  faut  le  dire,  eût  été  tout  à 
fait  un  maximum. 

Je  ne  saurais  recommander  trop  énergiquement  d’établir, 
à partir  de  5 à 6000  mètres,  une  relation  directe  et  forcée,  à 
l’aide  d’une  embouchure  analogue  à celles  des  appareils  Ga- 
libert  ou  Denayrouze,  entre  la  bouche  des  aéronautes  et  les 
ballonnets  d’oxygène.  Si  semblable  précaution  eût  été  prise 
pour  1 e Zénith,  on  n’aurait  eu  aucun  malheur  à déplorer; 
qu’on  se  reporte  à l’émouvant  récit  de  M.  G.  Tissandier  : 
« Je  veux  saisir  le  tube  à oxygène,  mais  il  m’est  impossible 
de  lever  le  bras.  » S’il  avait  eu  le  tube  à la  bouche,  ils  étaient 
tous  sauvés  ! 


§ 2.  — Voyageurs  en  montagne. 

Les  conditions  dans  lesquelles  sont  placés  les  voyageurs  en 
montagne  diffèrent  de  celles  des  aéronautes  en  deux  points 
importants  : 1°  les  efforts  musculaires  nécessités  par  l’acte 
de  l’ascension;  2°  la  lenteur  relative  de  l’ascension  et  la 
durée  du  séjour  sur  les  hauts  lieux. 

1°  Efforts  musculaires.  — Les  contractions  musculaires,  la 
production  du  travail  nécessaire  pour  élever  le  poids  du 
corps,  nécessitent  une  consommation  active  d’oxygène,  à 

1 Je  tire  ces  chiffres  du  diagramme  de  la  figure  87  (p.  1069)  ; en  supposant 
que  la  première  descente  se  soit  effectuée  régulièrement,  le  séjour  entre  500ra  et 
7000“  aurait  duré  45  minutes  et  celui  au-dessus  de  7000“,  une  heure  environ. 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1097 


laquelle,  sur  les  niveaux  ordinaires,  l’accélération  de  la  res- 
piration suffit  pour  satisfaire.  Mais  lorsque  la  quantité  d’oxy- 
gène dans  le  sang  s’est  abaissée  notablement,  la  dépense 
nouvelle  ne  peut  plus  être  couverte  sans  des  troubles  sérieux. 

Aussi  n’est-il  pas  étonnant  de  voir  que  le  mal  des  montagnes 
arrive  à des  niveaux  notablement  moins  élevés  que  le  malaise 
des  aéronautes;  il  est  généralement  assez  intense  à 4000 
mètres  (46  centimètres  de  pression)  ; presque  tout  le  monde 
l’éprouve  au  sommet  du  mont  Blanc  (4800  mètres  ; 41  cen- 
timètres). Ce  n’est  enfin  qu’au  prix  des  plus  vives  souffrances 
que  la  généralité  des  voyageurs  dépassent  dans  les  Andes  et 
l’Himalaya  la  hauteur  de  5500  mètres  (58  centimètres)  et  que 
les  frères  Schlagintweit  sont  arrivés  sur  l’Ibi-Gamin  à 6880 
mètres  (52  centimètres);  encore  ces  courageux  voyageurs 
étaient-ils  déjà  acclimatés  par  un  assez  long  séjour  sur  les 
hauts  lieux. 

Les  faits  présentés  dans  mes  expériences  par  les  oiseaux 
qui,  pour  s’être  agités,  sont  menacés  de  mort  par  une  dé- 
compression qui  rend  à peine  malade  leur  voisin  plus  tran- 
quille ; l’impossibilité  de  se  mouvoir,  à partir  d’une  certaine 
dépression,  et,  chez  les  voyageurs,  la’  lassitude  extrême,  la  né- 
cessité de  s’arrêter  presque  à chaque  pas,  l’amélioration  qui 
suit  le  repos,  surtout  le  repos  horizontal,  tout  cela  s’explique 
parfaitement  d’après  la  connaissance  que  nous  avons  de  l’ap- 
pauvrissement du  sang  en  oxygène  sur  les  grandes  hauteurs. 

Nos  analyses  des  gaz  du  sang  nous  permettent  de  repousser 
a posteriori , comme  nous  l’avons  déjà  fait  a priori  (V.  p.  561), 
la  théorie  de  M.  Gavarret  sur  l’empoisonnement  des  ascen- 
sionnistes par  l’excès  d’acide  carbonique  qu’ils  ont  produit. 
Nous  avons  vu,  en  effet,  que,  même  chez  les  animaux  mal 
attachés  sur  leur  cadre  et  qui,  se  remuant  sans  cesse,  con- 
tractent fortement  leurs  muscles,  que  toujours,  en  un  mot, 
l’acide  carbonique  diminue,  bien  loin  d’augmenter. 

Examinons  maintenant  de  plus  près  la  question  de  la 
consommation  d’oxygène,  et  comparons  notre  voyageur  en 
montagne  à Paéronaute  dont  nous  avons  précédemment 
parlé  : supposons,  pour  mieux  dire,  que  ce  soit  le  même  indi- 


1098 


FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

vidu,  ayant  à la  pression  normale  20  volumes  d’oxygène  dans 
100  volumes  de  sang  artériel,  et  12  volumes  dans  le  sang  vei- 
neux. Le  voici  transporté  à 3600  mètres  et  au  repos;  son  sang 
artériel  contiendra  16  volumes,  son  sang  veineux  8 volumes, 
en  admettant  que  rien  n’est  changé  dans  l’intensité  des 
phénomènes  nutritifs,  et  qu’aucun  trouble  fonctionnel  n’est 
survenu.  Mais  voici  qu’il  met  ses  muscles  en  contraction, 
qu’il  marche  et  continue  à s’élever  par  une  série  d’ef- 
forts nécessitant  une  consommation  d’oxvgène.  On  sait, 
depuis  les  recherches  de  Claude  Bernard,  corroborées  par 
celles  de  Ludwig  et  Sczelkow,  qu’il  y a entre  le  sang  arté- 
riel qui  entre  dans  un  muscle  et  le  sang  veineux  qui  en  sort 
pendant  la  contraction,  une  différence  d’environ  12  volu- 
mes d’oxygène,  différence  qui  n’est  que  de  8 volumes  pen- 
dant le  repos  du  muscle.  Si  donc  on  supposait  que  toute  la 
consommation  de  l’oxygène  du  sang  de  notre  voyageur  fût  due 
à la  nutrition  musculaire,  celle-ci  étant  augmentée  dans  le 
rapport  de  8 à 12,  le  sang  veineux  ne  devrait  plus  contenir 
que  12  : 8 = 8 : x = 5 volumes  environ  d’oxygène;  à 5100 
mètres,  la  richesse  en  oxygène  du  sang  veineux  devrait  tomber, 
en  passant  de  l’état  de  repos  à l’état  de  contraction  générale, 
de  6 à 4;  à 6600  mètres  elle  se  réduirait  à 1,  3;  et  tout  ce 
que  nous  avons  dit  plus  haut  sur  la  difficulté  de  dissocier 
les  combinaisons  faiblement  oxvgénées  de  l’hémoglobine, 
montre  les  conséquences  fâcheuses  de  cet  épuisement  dont 
le  calcul  d’autre  part  prouve  la  nécessité.  Ou  il  se  fera  complè- 
tement, et  alors  le  sang  qui  reviendra  au  cœur  droit  sera  pres- 
que absolument  dépouillé  d’oxvgène,  et  les  échanges  respira- 
toires ne  ramèneront  dans  le  sang  artériel  qu’une  quantité 
d’oxygène  moindre  encore  que  celle  qui  s’y  trouvait  après  la 
phase  de  repos;  ou  il  sera  entravé  par  les  difficultés  chimi- 
ques, et  alors  le  muscle  ne  pouvant  trouver  la  quantité  suf- 
fisante d’oxygène,  s’arrêtera  dans  sa  contraction.  Pour  l’une 
ou  l’autre  raison,  le  voyageur,  après  quelques  pas,  est  forcé 
de  s’arrêter  aussitôt,  sous  peine  d’asphyxie  : aussi  s’arrête- 
t-il,  et  le  sang  veineux  qui  sort  des  muscles  en  repos,  conte- 
nant encore  une  assez  notable  quantité  d’oxygène,  peut  aller 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1099 


dans  les  poumons  se  charger  de  ce  que  la  loi  physico-chimi- 
que  de  la  dissociation  lui  permet  de  prendre  dans  le  milieu 
aérien  dilaté.  La  proportion  centésimale  se  relevant  suffi- 
samment, nouvel  effort  possible,  suivi  bientôt  de  nouvel  ar- 
rêt. C’est  ce  qui  est  arrivé  à tous  les  voyageurs  dans  les 
régions  élevées,  comme  le  prouvent  surabondamment  les 
faits  rapportés  dans  la  partie  historique  de  ce  livre. 

Sans  doute  les  calculs  que  nous  venons  de  faire  donnent 
des  résultats  exagérés  en  ce  sens  que  le  corps  n’est  pas  tout 
muscles  et  que  tous  les  muscles  ne  se  contractent  pas  à la 
fois  dans  l’acte  de  l’ascension.  Mais  d’autre  part,  nous  n’avons 
parlé  que  de  la  contraction  musculaire  statique,  sans  tenir 
compte  du  travail  à développer.  Or,  il  est  vraisemblable, 
sans  qu’on  puisse  considérer  cette  allégation  comme  démon- 
trée aujourd’hui,  qu’un  muscle  qui  se  contracte  en  produi- 
sant du  travail,  consomme  plus  d’oxvgène  qu’un  muscle  qui  se 
contracte  statiquement. Si, en  effet,  laconsommationd’oxygène 
était  la  même  dans  les  deux  cas,  la  chaleur  du  muscle  devrait 
être  moindre  quand  il  y a travail  produit;  or,  Ileidenhain 
a montré  qu’elle  augmente  au  contraire,  ce  qui  exige  une  plus 
grande  consommation  d’oxygène.  Nous  sommes. donc  autorisés 
à penser  que  l’élévation  du  poids  du  corps  dans  l’acte  de 
l’ascension  augmente  encore  les  emprunts  faits  par  les 
muscles  en  contraction  à l’oxygène  du  sang  veineux  et  aug- 
mente par  suite  la  détresse  de  l’organisme. 

Par  là  s’explique  ce  fait  si  connu  que,  dans  les  hautes  ré- 
gions, tandis  que  la  marche  à plat  est  assez  bien  supportée, 
l’ascension  des  moindres  mamelons  amène  des  troubles 
graves  (Y.  p.  347). 

Ce  que  nous  venons  de  dire  du  voyageur  en  montagne,  et 
ce  que  nous  avons  dit  antérieurement  de  l’aéronaute,  nous 
permet  d’aborder  la  question  du  refroidissement  du  corps 
pendant  l’acte  de  l’ascension.  La  théorie  de  Lortet  et  Marcet 
(V.  p.  297)  consiste  à dire  que,  dans  des  conditions  de  dépres- 
sion où,  à l’état  de  repos,  la  température  reste  constante, 
celle-ci  s’abaisse  lorsque  l’ascension,  qui  nécessite  un  énorme 
travail  mécanique,  le  produit  aux  dépens  de  la  chaleur  déve- 


1100 


FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

loppée  par  les  oxydations  organiques.  Je  dirai  d’abord  que 
dans  mon  opinion,  il  n’y  a point  ainsi  dans  l’organisme  trans- 
formation de  chaleur  en  force  mécanique;  tout  me  semble 
démontrer  que,  lors  de  la  mise  en  liberté,  sous  forme  de 
forces  vives,  des  forces  de  tension,  par  suite  de  la  fixation  de 
l’oxygène,  il  se  produit  à la  fois  chaleur,  électricité,  travail, 
dans  des  proportions  qui  varient  sans  doute,  mais  dont  les 
variations  sont  initiales  et  ne  dépendent  pas  de  transforma- 
tions ultérieures.  11  faut  donc  se  demander  s’il  peut  arriver, 
non  que  la  chaleur  se  transforme  en  force  mécanique, 
mais  que  les  forces  de  tension,  en  se  développant,  don- 
nent moins  de  chaleur  afin  de  faire  face  au  travail  mécani- 
que. La  question  ainsi  posée,  il  faut  avouer  que  jusqu’ici,  les 
observations  qui  déposent  dans  le  sens  de  la  théorie  peuvent 
être  récusées  (Y.  p.  555  et  1054),  le  thermomètre  buccal  ne 
pouvant  donner  des  résultats  certains  pendant  la  marche 
même.  M.  Forel,  dans  un  récent  travail  (V.  p.  1050),  M.  Cal- 
berla,qui  prenait  la  température  dans  le  rectum  (Y.  p.  1050), 
ont  toujours  constaté  une  augmentation  de  température  pen- 
dant l’acte  de  l’ascension.  Et  cependant,  je  suis  persuadé  que 
dans  des  régions  plus  élevées,  le  fait  annoncé  par  M.  Lortet 
doit  se  produire.  Nous  avons  bien  vu,  dans  nos  expériences, 
des  animaux  immobiles  se  refroidir  par  le  fait  de  la  diminu- 
tion de  pression;  je  suis  persuadé  que  si,  à ce  moment,  on 
eût  exigé  de  leur  organisme  épuisé  une  production  de  travail 
mécanique,  leur  température  eût  encore  baissé  davantage, 
parce  qu’ils  n’auraient  pas  pu,  ayant  dépassé  déjà  la  limite 
d’équilibre  et  s’étant  avoués  impuissants  à oxyder  suffisam- 
ment leur  organisme  pour  le  maintenir  au  rang  d’animal  à 
température  constante,  libérer  le  surcroît  nécessaire  de  forces 
de  tension,  et  qu’ils  auraient  dû,  par  suite,  prélever  sur  la 
production  de  chaleur  la  force  vive  nécessaire  pour  exécuter 
ce  travail.  Or,  il  est  possible  même  qu’à  la  limite,  alors  que 
pendant  le  repos  la  température  reste  encore  normale,  il  se 
fasse  un  abaissement  léger  au  moment  de  la  dépense  nouvelle 
exigée  par  le  transport  vertical  du  corps.  Je  ne  saurais  trop 
insister  sur  l’intérêt  que  présenteraient  des  recherches  ther- 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1101 


mométriques  faites,  avec  toutes  les  précautions  nécessaires, 
et  pendant  l’acte  de  l’ascension,  sur  des  individus  atteints 
au  plus  haut  degré  déjà  du  mal  des  montagnes;  mais  peut- 
être  nos  montagnes  européennes  sont-elles  trop  peu  élevées 
pour  permettre  de  constater,  même  dans  ces  conditions,  un 
abaissement  de  température. 

Il  est  bien  démontré,  en  tout  cas,  que  le  refroidissement 
du  corps  n’est  point  la  cause  du  mal  des  montagnes,  et 
que  celui-ci  survient  sans  que  la  température  intérieure  ait 
été  modifiée. 

Ce  n’ést  pas  à dire,  ainsi  que  nous  l’avons  fait  observer  en 
parlant  des  aéronautes,  que  le  froid  extérieur  ne  joue  aucun 
rôle  dans  la  question  du  mal  des  montagnes.  Son  importance 
est  grande,  au  contraire,  puisqu’il  vient  augmenter  les  exi- 
gences oxygénées  de  l’organisme  s’efforçant  de  conserver  son 
équilibre.  C’est  même  évidemment  cette  nécessité  de  lutter 
contre  le  froid,  cause  nouvelle  de  consommation  d’oxvgène, 
cause  nouvelle  d’appauvrissement  du  sang,  qui  explique  pour- 
quoi, dans  nos  Alpes  glaciales,  le  mal  des  montagnes  frappe 
la  plupart  des  voyageurs  à des  hauteurs  qui  sont,  dans  les 
Cordillères,  tout  à fait  inoffensives  ici,  la  limite  des  neiges 
perpétuelles  est  par  4800  mètres  ; là,  par  2700  seulement.  11 
faut  pourvoir  au  réchauffement  du  corps  en  même  temps 
qu’aux  efforts  musculaires  delà  marche. 

B.  Durée  de  l'ascension.  — La  durée  des  voyages  en  mon- 
tagne, beaucoup  plus  longue  que  celle  des  ascensions  en  bal- 
lon, est  une  condition  favorable,  ainsi  que  nous  l’avons  dit 
en  parlant  de  ces  dernières.  Le  voyageur  astreint  à gravir  len- 
tement les  pentes  évite  l’effet  fâcheux  des  brusques  modifica- 
tions dans  la  richesse  oxygénée  du  sang  ; il  ne  peut  guère, 
dans  sa  journée,  franchir  une  dénivellation  de  plus  de  5000m, 
et  il  lui  faut  alors,  si  le  sommet  n’est  pas  atteint,  se  reposer, 
passer  la  nuit,  s’habituer,  en  un  mot,  à l’état  d’anoxyhémie 
dans  lequel  il  se  trouve.  Cela  est  tellement  vrai  que  nous 
avons  pu,  dans  la  première  partie  de  ce  livre,  expliquer  une 
partie  des  singularités  que  présente  le  mal  des  montagnes 
dans  les  diverses  régions  du  globe  par  la  forme  du  massif 


1 1 02  FAITS  RÉCENTS,  RÉSUME  ET  CONCLUSIONS. 

montagneux,  ou  la  situation  plus  ou  moins  isolée  du  pic  à 
gravir. 

Nous  avons  également  montré  comment  s’expliquait,  par 
un  meilleur  emploi  des  forces  musculaires,  du  à l’habitude 
de  la  gymnastique  en  montagne,  la  résistance  beaucoup  plus 
grande  au  mal  que  présentent  les  voyageurs  après  quelques 
ascensions  préliminaires  : la  dépense  de  forces  est  ainsi  ré- 
duite à son  minimum. 

Pour  toutes  ces  questions,  pour  l’influence  de  la  fatigue,  du 
froid,  etc.,  nous  renvoyons  au  résumé  déjà  présenté  des  faits 
depuis  longtemps  connus  (p.  527-540).  Aujourd’hui  que  nous 
savons  comment  tout  s’explique  par  la  diminution  de  l’oxy- 
gène du  sang,  nous  comprenons  comment  un  excès  inutile 
de  contractions  musculaires  pourra  amener  plus  rapidement 
l’anoxyhémie  à son  degré  asphyxique , et  occasionner  le 
mal. 

Quant  à la  nourriture  mauvaise  ou  insuffisante,  il  est  clair 
que  si  les  matériaux  oxydables  ne  sont  point  fournis  en  quan- 
tité convenable,  les  difficultés  que  l’organisme  a,  dans  l’air 
dilaté,  à réaliser  les  combustions  nécessaires,  seront  aug- 
mentées d’autant.  Mais  il  n’y  a rien  là,  sauf  l’intensité,  qui 
soit  spécial  aux  lieux  élevés;  l’usure  sur  laquelle  ajustement 
insisté  M.  Dufour  aura  lieu,  au  même  degré,  pour  toute  course 
ascendante,  qu’elle  s’opère  au-dessous  de  1000  mètres  ou  au- 
dessus  de  4000,  et  cependant  les  phénomènes  consécutifs  se- 
ront bien  différents. 

Quant  à l’analyse  plus  précise  des  causes  et  de  la  valeur 
de  l’accoutumance,  il  me  semble  qu’elle  sera  mieux  placée 
dans  le  paragraphe  suivant,  lorsque  je  parlerai  des  habitants 
des  hauts  lieux. 

Prophylaxie.  — Se  prémunir  contre  le  froid,  se  nourrir 
convenablement,  réduire  à leur  minimum  les  efforts  muscu- 
laires, s’exercer  à des  ascensions  préliminaires  et  au  séjour 
prolongé  dans  les  régions  élevées,  aller  camper  la  nuit  qui 
précédera  la  grande  ascension  aussi  haut  que  possible,  ne 
point  se  hâter  sur  les  pentes  rapides,  couper  l’ascension  par 
des  haltes  fréquentes,  manger  peu  et  souvent,  telles  sont  les 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1103 


précautions  générales  qui  ressortent  de  tout  ce  que  nous 
avons  dit. 

L’emploi  de  l’oxygène,  du  souverain  protecteur  contre  les 
dangers  de  l’air  raréfié , présente  ici  de  bien  plus  grandes 
difficultés  que  pour  les  ascensions  en  ballon.  Il  ne  peut  être 
question,  en  effet,  d’emporter  en  montagne  des  ballonnets 
d’oxygène  contenant  plusieurs  mètres  cubes.  Deux  moyens 
seulement  se  présentent  à l’esprit  : renfermer  la  provision 
nécessaire  d’oxygène,  comprimée  à plusieurs  atmosphères, 
dans  des  récipients  solides;  ou  encore,  préparer  extemporané- 
rnent  et  sur  place,  de  temps  en  temps,  l’oxygène  nécessaire. 

Pour  étudier  la  réalisation  du  premier  moyen,  je  me  suis 
adressé  à M.  Denayrouze,  qui  a mis  à ma  disposition  un  appa- 
reil composé  de  deux  cylindres  en  tôle  d’acier  d’un  millimè- 
tre d’épaisseur,  capables  de  supporter  la  pression  de  40  atmo- 
sphères, et  qu’on  peut  porter  sur  le  dos  comme  un  sac  de  tou- 
riste : les  deux  cylindres  réunis  n’ayant  que  56e  de  hauteur 
sur  20e  de  largeur,  et  pesant  avec  le  régulateur  Denayrouze 
seulement  15  kilogrammes.  Le  volume  des  cylindres  étant  de 
11  litres,  on  aurait,  à 50  atmosphères,  charge  qui  ne  pré- 
sente aucun  danger,  550  litres  d’oxygène1,  qu’il  faudrait  évi- 
demment prendre  aussi  pur  que  possible,  c’est-à-dire,  dans 
la  pratique,  à 95  pour  100.  Mais  la  respiration  d’oxygène  pur 
n’étant  nullement  nécessaire,  j’ai  fait  construire  un  ajutage 
en  forme d'Y, qui  peut  servira  mêler, en  proportion  convena- 
ble, l’oxygène  du  récipient  avec  l’air  extérieur  : l’une  des 
branches,  qui  débouche  au  dehors,  est  libre;  l’autre,  qui 
communique  avec  les  cylindres,  porte  un  verrou  gradué,  à 
l’aide  duquel  on  rétrécit  plus  ou  moins  son  calibre,  suivant 
des  indications  calculées  à l’avance,  afin  de  maintenir  la  ten- 
sion de  foxvgène  à un  degré  suffisant. 

En  supposant  qu’on  respire  en  moyenne  de  l’air  à 45  pour 

1 En  réduisant  l’appareil  à un  seul  cylindre,  que  porterait  alors  chaque  voya- 
geur, on  pourrait  obtenir  250  litres  de  capacité  sous  50  atmosphères,  avec  un 
poids  de  S kilogr.  ; en  réunissant,  an  contraire,  5 cylindres,  portés  par  un  guide 
spécial  pour  le  service  de  plusieurs  voyageurs,  on  aurait  une  capacité  de  510  litres 
avec  un  poids  de  17  kilogr. 


J 104 


FAITS  REGENTS,  RESUME  ET  CONCLUSIONS. 


100  d’oxygène,  le  volume  disponible  deviendrait  000  litres, 
ce  qui  pourrait  suffire  à la  respiration  continue  d’un  homme 
pendant  plus  d’une  heure.  Mais,  dans  la  pratique,  il  ne  serait 
pas  nécessaire  de  respirer  continuellement  l’air  suroxygéné. 
Au  mont  Blanc,  la  montagne  d’Europe  où  les  malaises  sont  à 
leur  maximum,  cette  provision  suffirait  parfaitement  pour  le 
plus  susceptible  des  voyageurs,  et  en  moyenne  pourrait  éviter 
à deux  ou  trois  voyageurs  ce  qu’i!  y a quelquefois  de  si  péni- 
ble dans  les  angoisses  du  mal  des  montagnes;  ils  n’auraient 
qu’à  venir  de  temps  en  temps,  aux  passages  difficiles,  respi- 
rer quelques  bouffées  de  ce  cordial  gazeux,  boire,  suivant 
l’expression  imagée  de  Sivel,  quelques  gorgées  d’oxygène. 
Mais  on  voit  que  l’emploi  de  ce  moyen  ne  serait  pas  sans  dif- 
ficultés, sans  inconvénients  dans  les  très-hautes  régions,  où 
la  respiration  suroxygénée  devrait  être  à peu  près  continue, 
et  même,  il  faut  l’avouer,  sans  dangers,  si  une  chute  violente 
du  porteur  venait  à faire  crever  l’appareil. 

11  serait  certainement  bien  préférable  de  pouvoir  produire 
de  place  en  place  l’oxygène,  aux  haltes  nécessaires,  et  au  fur 
et  à mesure  des  besoins,  afin  de  l’emmagasiner  dans  de  petits 
ballons.  Mais  jusqu’à  présent  je  ne  connais  aucune  réaction 
chimique  qui  puisse  être  opérée  facilement  sans  le  trans- 
port d’instruments  fragiles  ou  pesants,  dans  des  condi- 
tions pratiques,  en  un  mot,  pour  les  ascensions  ordinaires. 
Mais  les  expéditions  scientifiques  de  longue  durée,  comme 
celles  qui  séjournent  pendant  des  semaines  sur  les  hautes 
régions  du  Thibet,  du  Ladak,  du  Pamir,  pourraient  parfaite- 
ment et  devraient  même  emporter  l’outillage  nécessaire  pour 
se  procurer  de  l’oxygène  dans  telle  circonstance  .donnée.  Il 
est  rare,  sans  doute,  qu’on  meure  exclusivement  par  l’effet 
de  l’air  raréfié,  bien  que  nous  ayons  cité  des  exemples  de 
ce  genre  de  mort;  mais  son  influence  redoutable  vient  aug- 
menter rapidement  les  dangers  de  toutes  les  maladies  qui 
compromettent  l’oxydation  du  sang.  Je  suis  persuadé  que  si 
l’on  eût  pu  faire  respirer  au  Dr  Stoliczka  (V.  p.  1074)  de  temps 
en  temps  de  l’oxygène,  on  ne  l’aurait  pas  vu  périr  ainsi  en 
deux  jours. 


DïMliNÜTION  DE  PRESSION. 


Il  05 


Quoiqu’il  eu  soit  des  difficultés  de  la  réalisation  pratique, 
il  est  certain  que,  par  la  respiration  d’un  air  suroxygéné,  le 
sommet  du  mont  Everest,  la  plus  élevée  des  montagnes  du 
globe  (8840m),  n’est  plus  théoriquement  inaccessible  à 
l’homme,  puisque  j’ai  pu  moi-même  atteindre  sans  encombre 
la  pression  de  248mm,  qui  correspond  précisément  à celle  de 
cette  prodigieuse  hauteur.  Or,  à ce  niveau,  Glaisher  est  tombé 
inanimé  au  fond  de  sa  nacelle,  et  200m  moins  haut,  Crocé- 
Spinelli  et  Sivel  sont  morts. 

§ 3.  — Habitants  des  hauts  lieux. 

Nous  avons  vu,  dans  la  première  partie  de  ce  livre  (p.  19), 
que  les  habitations  humaines  s’élèvent,  dans  l’Amérique  du 
Sud  et  dans  l’ilimalaya,  jusqu’au  niveau  de  4500m;  au  som- 
met du  Pichincha  (4860m),  les  oiseaux-mouches  sont  nom- 
breux; la  huppe  « semble  chez  elle  » à 5500m  sur  les  hauts 
plateaux  du  Peti t-Thihet  (p.  171).  Ce  sont  là  les  limites  ex- 
trêmes. Plus  bas,  entre  2 et  5000m,  des  millions  d’hommes 
vivent  groupés  en  cités,  en  nations,  dans  des  conditions  où 
les  habitants  des  bords  de  la  mer  éprouvent  presque  toujours, 
quand  ils  s’v  sont  transportés  brusquement,  quelque  in- 
lluence  pénible,  parfois  même  impossible  à supporter.  Enfin, 
sur  les  collines  de  1000,n  environ,  non-seulement  on  trouve 
aussi  des  populations  nombreuses,  mais  les  habitants  des 
bords  de  la  mer  s’y  sentent  d’ordinaire,  au  moins  pendant 
un  temps,  plus  actifs,  plus  dispos,  plus  forts  que  dans  leur 
séjour  naturel.  • 

Examinons  successivement  ces  points  divers. 

Faibles  hauteurs.  — Nous  plaçons  leur  limite  supérieure 
aux  environs  de  2000m.  L’impression  qu’elles  produisent  sur 
le  voyageur  qui  vient  y séjourner  pendant  quelques  semaines 
ou  quelques  mois  est,  comme  nous  venons  de  le  dire,  géné- 
ralement favorable.  Reportons-nous  à ce  que  nous  avons  dit 
de  l’aéronaute  amené  par  son  ballon  à un  niveau  correspon- 
dant; les  mêmes  observations  s’appliqueront  à notre  voya- 
geur. 11  doit  y avoir  d’abord  une  tendance  à la  diminution 

70 


1106 


FAITS  RÉGENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

de  l’oxygène  contenue  dans  le  sang,  diminution  à laquelle 
l’accélération  de  la  respiration  et  de  la  circulation  vient, 
selon  toute  vraisemblance,  apporter  une  compensation  suf- 
fisante. Ces  accélérations  sont  réelles,  comme  le  prouvent 
les  observations  de  M.  Jaccoud  (p.  510),  de  M.  Vacher 
(p.  1057).  La  respiration  devient  même  plus  ample,  « de 
manière  à mettre  en  jeu  certaines  régions  paresseuses  du 
poumon  qui,  dans  les  conditions  ordinaires,  ne  prennent 
qu’une  très-faible  part  à rexpansion  inspiratoire;  ces  régions 
sont  les  parties  supérieures  des  organes  » (p.  311).  Selon 
le  docteur  Armieux  (p.  514),  la  conséquence  en  est  une 
augmentation  notable  de  la  capacité  thoracique,  dont  la  cir- 
conférence gagne  en  moyenne  de  2 à 5 centimètres.  Or,  cette 
amplitude  augmentée  des  mouvements  respiratoires  est  de 
grande  importance;  non-seulement  elle  introduit  dans  un 
temps  donné  une  plus  grande  quantité  d’air  dans  les  pou- 
mons, mais  encore  cet  air  se  distribue  mieux  et  plus  utile- 
ment dans  l’arbre  respiratoire.  M.  Gréhant1  a fait  voir,  en 
effet,  que  le  coefficient  de  ventilation  étant  0,060  pour  des 
inspirations  de  500cc,  il  devient  0,159  pour  des  inspirations 
de  600cc,  c’est-à-dire  de  beaucoup  plus  du  double,  pour  des 
inspirations  doubles.  Aussi,  dit-il,  et  ce  n’est  pas  Je  moins 
curieux  parmi  les  résultats  de  ses  belles  études  : « Trente-six 
inspirations  de  500cc  faites  en  une  minute  (10,8  litres)  ne 
renouvelleront  pas  les  gaz  du  poumon  aussi  bien  que  dix-huit 
inspirations  d’un  demi-litre  chaque  (9  litres)  » (p.  557).  C’est 
là  une  considération  dont  on  n’a  pas  tenu  compte  jusqu’ici. 

L’appareil  circulatoire  vient,  lui  aussi,  à la  rescousse. 
M.  Mermod  (p.  545)  a vu  son  pouls  monter  de  62  pulsations 
à 66,  puis  à 68,  en  habitant  successivement  à 300,  600, 
1100m  d’altitude.  Or,  ainsi  que  nous  l’avons  dit,  la  rapidité 
plus  grande  de  l’irrigation  des  tissus  parle  sang  doit,  d’une 
part,  compenser  le  léger  déficit  de  l’oxygène,  d’autre  part, 
diminuer  par  une  sorte  de  lavage  la  proportion  des  déchets 
organiques  retenus  dans  les  tissus. 

1 Recherches  physiques  sur  la  respiration  de  l'homme.  — Journal  de  Robin,  1. 1, 
p.  525-555,  1864. 


diminution  de  pression. 


1107 


Enfin,  les  substances  volatiles  étrangères  doivent  disparaî- 
tre du  sang,  et  Facide  carbonique  y diminuer;  cette  diminu- 
tion est  légère  sans  doute,  puisque  à 1500m(65e)  elle  doit  être 
environ  de  5 vol.  sur  40  (V.  fig.  51,  p.  645),  en  supposant 
toutes  les  autres  conditions  égales;  mais  personne  ne  saurait 
affirmer  qu’elle  soit  absolument  indifférente,  et  il  est  permis 
de  penser  qu’elle  est  favorable,  au  contraire,  à l’énergie  des 
propriétés  vitales.  P’abord,  semblable  diminution  a lieu  dans 
le  sang  veineux  (Y.  fig.  40,  p.  681)  et  par  suite  dans  les  tissus 
sur  lesquels,  ainsi  que  je  l’ai  démontré  (V.  p.  982-1019),  cet 
acide  agit  comme  un  stupéfiant.  On  sait,  de  plus,  que  le  fonc- 
tionnement des  systèmes  musculaire  et  nerveux  a pour  consé- 
quence la  formation  d’acide  lactique,  et  que  l’accumulation 
de  cet  acide  est  des  plus  redoutables  pour  l’intégrité  des 
fonctions  organiques.  Or,  nous  avons  vu  (V.  p.  1059)  que  le 
sang  artériel  ne  contient  presque  jamais  de  CO2  dissous  et  que 
presque  toujours,  au  contraire,  ses  bases  ne  sont  pas  abso- 
lument saturées  par  Facide  carbonique.  Si  donc  l’alcalinité 
du  sang  augmente,  les  effets  de  la  formation  de  Facide  lacti- 
que peuvent  être  plus  aisément  compensés,  et  un  sentiment 
de  mieux  être  peut  s’en  montrer  la  conséquence. 

Ajoutons  que  ces  déplacements,  déterminés  le  plus  souvent 
par  des  raisons  de  santé  ou  d’agrément,  enlèvent  le  voya- 
geur aux  conditions  habituelles  et  mauvaises  de  sa  vie,  le 
contraignent  aux  bains  d’air,  à l’exercice,  à une  alimenta- 
tion plus  active,  lui  procurent  des  digestions  plus  faciles, 
le  forcent  au  repos  nerveux,  l’excitent  par  la  vue  des  splen- 
dides spectacles  de  la  nature,  toutes  circonstances  réalisées 
au  plus  haut  degré  par  le  séjour  dans  la  montagne. 

Grandes  hauteurs.  — Mais  supposons  notre  voyageur  trans- 
porté soudain  des  bords  de  la  mer  non  à Chamounix  (1020m; 
67e)  ou  à Davos  (1650m;  62e),  mais  à la  Paz  (5720ni;  4ÿ),  ou 
surtout  à Cerro  de  Pasco  (4550m;  44e;.  S’il  avait,  suivant  notre 
hypothèse  habituelle,  20  vol.  d’oxygène  dans  son  sang  artériel 
et  12  dans  son  sang  veineux,  et  que  rien  d’autre  ne  soit  changé 
en  lui,  il  n’en  aura  plus  que  16  ou  14  volumes  environ  dans  le 
sang  artériel,  avec  8 ou  6 dans  le  sang  veineux.  On  a vu,  dans 


i 


nos  FAITS  RECENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

la  première  partie  que,  incontestablement,  il  sera  à Cerro  de 
Pasco,  surtout  si  Faction  du  froid  intervient,  frappé  du  soroche, 
dont  la  gravité  augmentera  quand  il  voudra  marcher,  grim- 
per, ou,  comme  d’Orbigny,  valser.  Les  calculs  que  nous  avons 
faits  dans  le  paragraphe  précédent,  à propos  des  voyageurs  en 
montagne,  nous  rendent  un  compte  suffisant  de  ces  malaises. 

Mais,  très-probablement,  il  semblera  s’habituer  progressi- 
vement à cet  état  de  choses,  surtout  à la  Paz  (Y.  p.  41,  47, 
58  etc.);  au  bout  de  quelque  temps,  il  ne  ressentira  plus  le 
soroche  dans  l’état  de  repos,  et  n’en  éprouvera  les  désastreux 
effets  que  s’il  se  livre  à un  exercice  violent.  Il  pourra  meme 
arriver  qu’il  y échappe  complètement  (V.  p.  49);  il  est,  ou  il 
parait  être,  comme  on  dit,  acclimaté.  Y a-t-il  donc  en  lui  quel  - 
que chose  de  changé? 

On  pourrait  se  demander  d’abord  si,  par  une  compensation 
harmonique  dont  l’histoire  naturelle  générale  nous  offre 
bien  des  exemples,  son  sang  serait  devenu  apte,  soit  par  une 
modification  dans  la  nature  ou  la  quantité  de  l’hémoglobine, 
soit  par  une  augmentation  du  nombre  des  globules  rouges, 
à absorber  plus  d’oxygène  sous  un  même  volume,  et  à reve- 
nir ainsi  à la  norme  habituelle  des  bords  de  la  mer?  La 
couleur  noire  du  sang  observée  jadis  par  le  docteur  Jourdanet 
pendant  les  opérations  chirurgicales,  ne  serait  point  une 
objection  absolue  à cette  hypothèse,  puisque  nous  avons  vu 
(p.  1052)  que  la  couleur  rouge  du  sang  dépend  non  de  la  quan- 
tité d’oxygène  qu’il  contient,  mais  du  rapport  entre  cette  quan- 
tité et  celle  de  l’hémoglobine.  Mais  il  est  bien  certain  que 
pareil  changement,  s’il  a lieu,  ne  peut  s’opérer  qu’à  la  longue  ; 
vraisemblablement  même,  il  ne  peut  être  le  fait  que  de  dis- 
positions transmises  héréditairement,  et  ne  doit  arriver  à son 
complet  développement  qu’au  bout  de  générations  succes- 
sives, en  telle  sorte  qu’il  expliquerait  non  l’acclimatement  de 
l’individu,  mais  celui  de  la  race.  Mais  même  pour  ce  dernier 
cas,  il  n’est  rien  moins  que  démontré;  ajoutons  qu’il  serait 
désirable  et  très-facile 1 de  faire  juger  par  l’expérience  directe 

1 L’analyse  sur  place  des  gaz  du  sang  artériel  chez  les  animaux  bien  acclimatés 
ou  les  animaux  sauvages  des  hautes  régions  (yacks,  lamas,  condors  surtout)  ne 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1109 


l’hypothèse  que  je  mets  en  avant  sans  y attacher  grande  con- 
fiance. 

Mais  enfin,  l’acclimatation  au  moins  apparente,  non-seule- 
ment des  natifs,  mais  des  simples  résidents,  est  chose  avérée, 
lorsque  l’élévation  ne  dépasse  pas  certaines  limites.  Com- 
ment se  peut-elle  faire?  Dire  que  c’est  parce  qu’ils  ont  pris 
l’habitude  de  ces  conditions  nouvelles,  n’est  rien  expliquer, 
bien  que,  le  plus  souvent,  nous  soyons  obligés  d’user  de 
cette  expression  vague  pour  désigner  des  faits  d’observation 
journalière.  Comment  se  fait-il  que  tel  jour  d’une  tempéra- 
ture moyenne  nous  semble  chaud  en  hiver,  glacial  en  été? 
que  telle  chambre  aux  volets  fermés  est  obscure  au  premier 
aspect,  tandis  que  ses  moindres  détails  s’éclairent  après  quel- 
ques minutes?  Dans  le  cas  particulier  qui  nous  occupe,  nous 
comprenons  bien  d’une  part  que  des  organes,  habitués  à être 
irrigués  par  un  sang  artériel  à 20  pour  100  d’oxygène,  habi- 
tués à vivre  en  empruntant  à ce  sang  8 volumes  d’oxygène 
faciles  «à  dissocier,  se  plaignent  et  se  révoltent  quand  le  sang 
artériel  ne  leur  apporte  plus  que  16  volumes,  dvoù  les  8 vo- 
lumes nécessaires  à la  consommation  intime  deviennent  plus 
difficiles  à extraire,  et  d’autre  part,  qu’au  bout  de  quelques 
jours,  de  quelques  semaines  de  transitions  plus  ou  moins  pé- 
nibles, ils  reviennent  progressivement  sur  leur  impression 
première,  fassent  effort  et  soient  plus  aptes  à opérer  la  dis- 
sociation un  peu  plus  difficile  à laquelle  ils  sont  obligés.  Mais 
tout  ceci,  à vrai  dire,  n’est  qu’une  paraphrase  de  l’expression 
habitude,  et  n’explique  pas  grand’chose  ; il  faudrait  savoir 
en  quoi  consiste  cette  modification  intime  des  tissus,  et  nous 
sommes  incapables  aujourd’hui  de  nous  en  former  la  moin 
dre  idée. 


pourra  être  faite  de  longtemps.  Mais  les  travaux  de  M.  Jolyet  ( Comptes  vendus  de 
la  Société  de  biologie , 1874)  ayant  montré  que  la  capacité  absorbante  du  sang  pour 
l’oxygène  ne  change  pas  après  la  putréfaction,  rien  ne  serait  plus  facile  que  de 
recueillir  du  sang  veineux  d’homme  sain  et  vigoureux  (Européen  acclimaté  et  In- 
dien), ou  du  sang  d’animal,  de  le  défibriner,  et  de  l’envoyer  dans  un  flacon  bien 
bouché;  il  suffirait  ensuite  de  l'agiter  vigoureusement  à l’air  pour  juger  de  sa 
capacité  d’absorption  sur  le  vivant.  50  centimètres  cubes  sont  bien  assez  pour  cha- 
que analyse. 


1110  FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

Ce  qui  est  bien  certain,  c’est  que  ce  voyageur  devenu  ha- 
bitant de  la  haute  montagne  n’essaye  même  pas  de  lutter 
contre  la  diminution  d’oxygène  de  son  sang  artériel  en  acti- 
vant outre  mesure  ses  respirations,  comme  on  l’avait  d’abord 
supposé.  Les  observations  de  M.  le  docteur  Jourdanet  sont  con- 
cluantes (V.  p.  268).  Et  cela  se  comprend.  D’abord  la  gymnas- 
tique à laquelle  il  faudrait  se  livrer  pour  faire  circuler  dans 
ses  poumons  la  même  quantité  d’air  en  poids  à 48e  qu’à  76e, 
est  évidemment  impossible  à soutenir,  même  pendant  quelques 
minutes.  En  second  lieu,  elle  ne  serait  guère  efficace,  puisque 
nos  expériences  ont  montré  (V.  fig.  45,  graph.  B.  et  C.,  p.  691) 
qu'à  cétte  pression  la  saturation  du  sang  par  une  agitation 
parfaite  n’y  pourrait  guère  ajouter  plus  d’un  volume  et  demi 
d’oxygène,  et  que,  d’autre  part,  à la  pression  normale,  il  y a 
le  plus  souvent  le  même  écart  moyen  entre  la  richesse  du 
sang  artériel  et  sa  capacité  maximum.  Cependant  une  légère 
augmentation  dans  ce  sens  ne  serait  pas  inutile,  et  elle  pour- 
rait se  produire  soit  par  une  accélération,  soit  par  une  am- 
plitude plus  considérable  des  mouvements.  Le  premier  phé- 
nomène n’a  pas  lieu,  suivant  M.  Jourdanet;  l’étude  du  second 
présenterait  de  grandes  difficultés  : il  faudrait,  en  effet,  pla- 
cer un  compteur  à gaz  sur  le  trajet  de  l’air  inspiré  ou  expiré, 
observer  la  respiration  pendant  un  temps  très-long  afin  d’éli- 
miner les  modifications  intercurrentes,  et  faire  les  observa- 
tions soit,  ce  qui  serait  le  meilleur  mais  le  moins  réalisable, 
sur  une  même  personne  alternativement  aux  bords  de  la  mer 
et  aux  grandes  altitudes,  soit  sur  un  très-grand  nombre  de 
personnes,  afin  de  pouvoir  prendre  des  moyennes. 

Si  nous  supposons,  comme  cela  est  probable,  que  la  venti- 
lation pulmonaire  a peu  ou  point  changé  et  si,  d’autre  part, 
les  consommations  organiques  sont  restées  au  meme  degré, 
il  en  résultera  évidemment  que  la  proportion  centésimale,  en 
volume,  de  l’acide  carbonique  dans  l’air  expiré  devra  avoir 
augmenté  dans  le  rapport  inverse  des  pressions.  A demi-at- 
mosphère, dans  cette  hypothèse,  elle  devra  avoir  doublé  ; à 
deux  tiers  d’atmosphère  (50e  de  pression,  5500m,  à peu  près 
la  hauteur  de  Cuzco)  elle  devra  avoir  augmenté  d’un  tiers,  et 


I 


DIMINUTION  DE  PRESSION.  1111 

de  4,5  pour  100,  moyenne  an  niveau  des  mers,  être  devenue 
6,5;  à Mexico  (58e),  où  ont  été  faites  les  expériences  malheu- 
reusement nulles  et  non  avenues  de  Coindet  (p.  275-281  et 
289-291),  elle  devrait  être  58  : 76  =4,5  :x  = 5,6.  Ce  sont 
là  des  faits  qu’il  serait  facile  d’étudier  sur  place  ; un  flacon  de 
200  centimètres  cubes  dans  lequel  on  ferait  une  vingtaine 
d’expirations,  de  manière  à y renouveler  totalement  l’air, 
pourrait  même,  bien  bouché  avec  du  caoutchouc  chauffé, 
servir  à des  analyses  à grande  distance  : je  me  permets  de 
recommander  cette  constatation  aux  voyageurs  qui  séjour- 
neront sur  les  hautes  régions  ou  même  aux  simples  ascen- 
sionnistes en  montagne. 

Mais  très-probablement,  la  proportion  pour  les  individus 
acclimatés  sera  inférieure  à ce  que  le  calcul  exige  ; très-pro- 
bablement, en  d’autres  termes,  l’intensité  des  combustions 
respiratoires  aura  diminué.  Et  en  ceci  consiste  probablement 
ce  qu’on  appelle  l’acclimatation  sur  les  hauts  lieux;  je 
m’imagine  qu’elle  a simplement  pour  cause  une  moindre 
consommation  d’oxygène  dans  un  temps  donné,  une  écono- 
mie dans  les  combustions,  économie  qui,  dans  de  certaines 
limites,  n’efnpêche  pas  l’intégrité  des  fonctions  organiques. 
Je  reconnais  que  je  quitte  ici  le  sol  résistant  des  conséquences 
expérimentales  directes,  pour  entreprendre  un  hasardeux 
voyage  dans  la  région  mobile  des  hypothèses;  mais  qu’im- 
porte, si  l’hypothèse  nous  conduit  non  à d’imprudentes  con- 
clusions, mais  à des  recherches  nouvelles  et  fécondes?  En  ceci 
comme  en  tant,  d’autres  matières,  qui  ne  risque  rien  n’a  rien. 

Voyons  donc. 

Or,  je  suis  persuadé  qu’à  la  pression  normale,  nous  consom- 
mons beaucoup  plus  d’oxygène  dans  un  temps  donné  qu’il 
n’est  nécessaire  pour  entretenir  notre  température  à son  de- 
gré normal  et  constant,  et  pour  satisfaire  à la  dépense  de 
forces  exigées  pour  les  actes  musculaires  et  nerveux.  Exami- 
nons les  chiffres,  tels  que  nous  les  donne  l’état  actuel  de  la 
science,  mais  en  faisant  toutes  réserves1  sur  l’exactitude  des 


1 Voir  à ce  propos  les  judicieuses  réflexions  de  M.  Gavarret  : De  la  chaleur  vro- 


1112 


FAITS  RÉCENTS.  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 


valeurs  que  nous  sommes  obligés  d’employer  : au  moins  nous 
donnent-elles  une  approximation. 

Admettons  qu’un  homme  pesant  60  kilogrammes  produit 
en  vingt-quatre  heures  2800  calories  de  kilogramme1,  et  con- 
sidérons d’abord  la  dépense  de  chaleur  qui  lui  serait  néces- 
saire pour  entretenir  au  degré  normal  (en  moyenne  38°)  la 
masse  de  son  corps  dans  un  air  dont  la  température  serait 
de  19°. 

Si  nous  admettons  que  cet  homme  fasse  passer  en  24  heures 
dans  ses  poumons  12kl1  d’air,  qui  s’échaufferont  ainsi  de  19°, 
nous  trouverons,  la  capacité  calorifique  de  l’air  étant  0,26, 
qu’il  y aura  eu  de  dépensé  ainsi  en  calories  12  x 19x0,26  = 
39,28  calories.  L’évaporation  pulmonaire  de  500gr  d’eau  (quan- 
tité probablement  maximum)  nécessitera  une  perte  de  292  ca- 
lories (la  chaleur  de  vaporisation  étant  (1,582). 

L’échauffement  des  boissons  et  des  aliments,  le  rejet  des 
urines  et  des  excréments  fait  perdre  une  quantité  de  chaleur 
qu’Ilelmlioltz  estime  à 2,6  pour  100  de  la  perte  totale,  soit 
ici  65  calories. 

Voici  donc  une  dépense  connue,  que  j’admets  comme  né- 
cessaire, de  59+292-1-65=  516  calories.  Restent  environ 
2500  calories  perdues  1°  par  le  rayonnement  cutané  et  le 
contact  de  l’air  2°  par  l’évaporation  cutanée  : celle-ci  est  en 
moyenne  estimée  à lkil,  consommant  ainsi  582  calories. 
Ces  pertes  sont-elles  justifiées,  dans  les  circonstances  où  nous 
nous  trouvons  placés,  par  les  nécessités  physiques  d’entretien 
à la  température  de  58°  d’un  corps  pesant  60kil,  ayant  envi- 
ron 15  000cq  de  surface,  avec  une  capacité  calorifique  à peu 
près  égale  à celle  de  l’eau,  et  plongé  dans  de  l’air  à J 9° ? C’est 
ce  que  je  voudrais  bien  pouvoir  examiner  ici.  Malheureuse- 
ment, les  données  actuelles  de  la  science  ne  nous  permet- 


cluite  dans  les  êlres  vivants.  — Paris,  1855,  p.  277.  Elles  sont  encore,  après  vingt 
ans,  applicables  aux  connaissances  actuelles. 

1 Lavoisier  avait  trouvé,  par  kilogramme  et  par  heure,  une  production  de 
22,9  calories,  Barrai  une  moyenne  de  23  calories,  ce  qui  ferait  pour  00  ldlog.  et 
24  heures,  3300  calories.  M.  Béclard  admet  2300.  {Traité  élémentaire  de  physiolo- 
gie humaine , § IGG.) 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1115 


tent  pas  de  résoudre  ce  problème  \ et  il  faudrait  entrepren- 
dre sur  ce  point  des  recherches  spéciales. 

A priori,  je  ne  puis  m’empêcher  de  croire  qu’il  est  super- 
flu de  perdre  par  simple  évaporation  cutanée  un  kilogramme 
d’eau  par  jour,  et  par  suite  582  calories;  cette  dépense  ne 
peut  se  motiver  que  par  un  excès  de  chaleur  produite,  que 
le  rayonnement  et  le  contact  ne  peuvent  rejeter  au  dehors. 
Comment  comprendre  que  de  la  chaleur  soit  produite  dans 
le  seul  but  de  la  perdre  consécutivement? 

Cet  excès  paraît  bien  plus  fort  encore  lorsque  l’on  consi- 
dère le  corps  humain  produisant  du  travail  ; la  chaleur  non 
util  isée  devient  telle  alors  qu’une  sueur  abondante  vient 

1 Péclet  s’en  est  occupé  sous  sa  forme  la  plus  générale.  (Voir  son  Traité  de  la 
chaleur  considérée  dans  ses  applications.  3e  éd.,  t.  III,  p.  418-453.  Paris,  1861.) 
Deux  causes  concourent  à enlever  au  corps  en  expérience  la  chaleur  qu’il  faut  lui 
restituer  : le  rayonnement  et  le  contact  de  l’air.  Péclet  a trouvé  que,  dans  les 
limites  de  température  dont  nous  nous  occupons,  la  valeur  du  refroidissement 
par  rayonnement  dans  une  heure  et  pour  un  mètre  carré  de  surface  s’exprime 
par  la  formule  kt[  1 -h  0,0056/)  et  celle  de  la  perte  d’air  au  contact  par  lit  (1  -+- 
0,0075/),  Z désignant  l’excès  de  la  température  initiale  du  corps  sur  celle  du  mi- 
lieu ambiant.  Or,  le  coefficient  k varie  singulièrement  suivant  la  nature  de  la  sur- 
face rayonnante,  puisqu’il  vaut  0,26  pour  le  cuivre  jaune  poli  et  4,01  pour  le  noir 
de  fumée;  nous  ne  pouvons  soupçonner  quel  il  est  pour  la  peau  humaine,  quel  il 
est  pour  les  vêtements.  D’autre  part,  le  cofficierit  k'  dépend  de  la  forme  et  de  la 
grandeur  du  corps;  on  peut  approximativement,  d’après  Péclet,  en  assimilant  le 
corps  humain  à un  cylindre  de  1“,70  de  hauteur  et  de  0m,12  de  diamètre  (surface 
12  823 cq),  le  tirer  de  la  formule 


Encore  celte  valeur  ne  serait-elle  « qu’une  appréciation  peu  précise.  » 

On  voit  que  les  éléments  nécessaires  pour  résoudre  le  problème  que  nous  nous 
sommes  posé  nous  font  absolument  défaut.  Il  faudrait,  pour  déterminer  la  valeur 
des  coefficients  k et  k',  faire  appel  à l’expérience  directe,  en  se  basant  sur  les  prin- 
cipes indiqués  par  Péclet.  On  y arriverait  en  recouvrant  de  peau  humaine  fraîche- 
ment enlevée  et  maintenue  humide  un  cylindre  creux  de  métal,  affectant  à peu 
près  la  forme  et  les  dimensions  du  corps,  en  remplissant  ce  cylindre  d’eau  à 38°, 
avec  un  système  d’agitateur  et  de  thermomètres  destinés  à bien  brasser  l’eau  et  en 
suivant  alors  la  marche  décroissante  de  la  température. 

On  aurait  ainsi  la  quantité  de  chaleur  nécessaire  pour  maintenir  notre  tempéra- 
ture à son  degré  normal  pendant  l’état  de  repos,  dans  la  station  verticale  et  l’état 
de  nudité  (notons  qu’on  pourrait  par  la  même  méthode  étudier  l’influence  des 
divers  vêtements).  Si  le  chiffre  obtenu  était  notablement  inférieur  à 2500  calories, 
on  en  conclurait  que  notre  hypothèse  est  vraisemblable. 


1114 


FAITS  RÉGENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

l’enlever  par  son  évaporation.  Or  il  se  peut  très-bien  que  les 
habitants  des  montagnes  aient  une  machine  mieux  réglée, 
qui,  au  lieu  de  ne  leur  donner  en  travail  que  18  à 20  pour 
J 00  de  la  force  dégagée,  soit  d’un  rendement  plus  considé- 
rable, et  par  suite  n’exige,  pour  une  même  dépense  dyna- 
mique, qu’une  absorption  moindre  d’oxygène  et  aussi  d’ali- 
ments. 

On  voit  que  nous  faisons  très-probablement,  dans  les  con- 
ditions habituelles  de  notre  vie,  des  excès  d’oxygénation 
comme  des  excès  de  nourriture,  deux  sortes  d’excès  corréla- 
tifs l’un  à l’autre.  Et  de  même  que  les  paysans,  qui  se  nour- 
rissent beaucoup  moins  que  nous,  arrivent,  utilisant  tout  ce 
qu’ils  absorbent,  à produire  en  chaleur  et  en  travail  un  effet 
utile  égal  sinon  supérieur  à celui  des  citadins;  de  même 
qu’un  montagnard  basque  muni  d’un  morceau  de  pain  et  de 
quelques  oignons  accomplit  des  excursions  qui  exigent  du 
membre  de  V Alpine  Club  qui  l’accompagne  l’absorption  d’une 
livre  de  viande,  de  mêrqe  il  se  peut  faire  que  les  habitants  des 
hauts  lieux  arrivent  à restreindre  la  consommation  d’oxygène 
de  leur  organisme,  tout  en  conservant  à leur  disposition,  soit 
pour  l’équilibre  de  température,  soit  pour  la  production  de 
travail,  une  même  quantité  de  forces  vives.  Ainsi  s’explique- 
rait l’acclimatement  des  individus,  des  générations,  des  races. 

Mais  il  convient  de  considérer  non-seulement  les  actes  de 
nutrition  eux-mêmes,  mais  l’excitation,  peut-être  moindre, 
qu’un  sang  peu  oxygéné  détermine  dans  les  muscles,  les 
nerfs,  les  centres  nerveux.  Nous  n’avons  aucune  mesure  de 
ces  faits,  mais  il  est  probable  qu’il  n’est  point  indifférent  pour 
ces  organes  délicats,  en  dehors  des  questions  d’oxydation,  de 
recevoir  un  sang  artériel  contenant  20  ou  seulement  16  vo  - 
lumes d’oxygène,  et  il  nous  est  permis  de  penser  que,  dans 
cette  dernière  condition,  ils  tendront  à être  moins  actifs  dans 
leur  état  moyen. 

La  considération  des  modifications  apportées  à la  richesse 
du  sang  en  acide  carbonique,  que  nous  avons  un  peu  négligée 
jusqu’ici,  doit,  ce  semble,  nous  arrêter  davantage,  mainte- 
nant qu’il  s’agit  d’un  séjour  à longue  portée.  Dans  les  villes 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1115 


où  nous  supposons  transporté  notre  voyageur,  par  4000m  en- 
viron, l’acide  carbonique  aura  diminué  de  6 à 7 volumes,  en 
admettant  les  40  volumes  moyens  du  niveau  de  la  mer.  Le 
sang,  et  par  suite  les  tissus  deviendront  donc  ainsi  notable- 
ment alcalins,  et  cette  modification  doit  avoir  des  conséquen- 
ces dont  on  devine  l’importance,  sans  pouvoir  aujourd’hui  en 
préciser  la  nature. 

En  fait,  d’après  les  observations  de  M.  Jourdanet,  les  habi- 
tants des  hauteurs,  même  les  natifs  Européens,  sont,  malgré 
les  apparences  de  la  santé,  presque  tous  anémiques1.  Les 
maladies,  quelles  qu’elles  soient,  celles  surtout  qui  attaquent 
les  organes  respiratoires,  viennent  entraver  l’absorption  de 
l’oxvgène,  et  rendent  manifeste  cette  espèce  d’anémie  la- 
tente, due  non  à la  diminution  du  nombre  des  globules,  mais 
à leur  moindre  oxygénation,  cette  anoxyhémie , suivant  l’heu- 
reuse expression  de  mon  savant  confrère  et  ami.  La  saignée, 
à laquelle  on  pourrait,  en  souvenir  de  la  médication  des  bas 
niveaux,  se  laisser  entraîner,  est  pernicieuse,  et  les  toniques 
au  contraire  rendent  de  vrais  services. 

A leur  tête  il  conviendrait  de  placer  la  respiration  d’un  air 
légèrement  suroxygéné,  ou  encore  d’un  air  comprimé  de  ma- 
nière à rétablir  la  tension  normale.  J’ai  la  persuasion  que 
des  établissements  du  genre  de  ceux  de  Junod,  de  Pravaz  et 
de  Tabarié  rendraient  de  grands  services  à Mexico,  à la  Paz, 
à Cuzco,  à Cerro  de  Pasco,  surtout  aux  nouveaux  arrivés  et 
aux  malades. 

Mais  je  m’arrête  en  me  gardant  bien  de  conclure.  Il  a dû 
me  suffire  de  montrer  dans  quelles  conditions  physiologi- 

1 À l’appui  de  la  thèse  de  M.  Jourdanet  sur  les  dangers  réels  de  l’habitation  con- 
tinue des  hauteurs,  sujet  que  je  ne  fais  qu'effleurer,  renvoyant  à son  beau  livre 
pour  une  étude  complète,  je  citerai  l’assertion  suivante  de  Reissacher  ( Chemisclie 
Briefe,  t.  II,  p.  481),  que  j’emprunte  du  reste  à George  von  Liebig,  p.  450  ( Deutch . 
Archiv.  f.  Klin.  Med.  f.  1871)  : 

« D’après  les  déclarations  des  directeurs  des  mines  du  Bockstein,  sur  le  haut  du 
Goldberg,  dans  le  Rauris  (2455”,  P 56e),  les  mineurs  ne  peuvent  plus  travailler 
après  40  ans,  et  à Rathhausberg,  sur  le  Bockstein  (de  1996m,  P 59e  à 2166”,  P 58e), 
ils  sont  hors  de  service  dans  la  50e  année...  Les  chiens  et  les  chats  ne  peuvent 
vivre  au  Goldberg  ; ils  succombent  à la  paralysie  des  extrémités  et  aux  troubles 
respiratoires.  » 


I 


1116  FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

ques  doivent  se  trouver  les  habitants  des  hauts  lieux,  et 
comment  on  comprend  qu’ils  se  puissent  accoutumer  à ces 
graves  perturbations.  Pour  la  réalité  et  la  solidité  de  cette 
accoutumance  chez  les  individus,  sa  transmission  de  généra- 
tion en  génération,  l’immunité  apparente  de  certaines  races 
humaines  ou  espèces  animales,  ce  sont  là  questions  dont  je 
comprends  toute  l’importance,  mais  qui  incombent  à l’hygié- 
niste ou  au  naturaliste,  et  dont  la  solution,  du  reste,  ne  peut 
ressortir  d'expériences  de  laboratoire.  Or,  c’est  sur  le  terrain 
expérimental,  qui  m’est  familier  et  où  je  suis  sûr  de  mes  pas, 
que  je  me  veux  obstinément  maintenir. 


$4.  — Vie  animale  et  végétale  sur  les  hautes  régions. 


Les  animaux  sauvages  ou  importés  qui  habitent  les  hautes 
régions  des  Cordillères  et  de  l’Himalaya  nous  présentent  le 
même  problème  que  les  humains  dont  nous  venons  de  parler. 
Pour  ceux-là  comme  pour  ceux-ci,  les  indigènes,  espèces  ou 
races,  résistent  infiniment  plus  que  ceux  qui  sont  venus  leur 
faire  concurrence.  Les  yacks  indiens,  les  lamas  américains 
peuvent  servir  de  bêtes  de  somme  sans  souffrir  aucunement, 
là  où  les  mulets  et  les  chevaux  périssent  souvent  de  la  décom- 
pression. 

Les  oiseaux  peuvent  s’élever  plus  haut  encore  que  les  mam- 
mifères, le  condor  surtout,  qui  monte  en  volant  jusqu’à  7000'", 
et  plane  pendant  des  heures  à ces  hauteurs  où  l’aéronaute 
immobile  commence  à ressentir  d’importants  malaises,  où 
les  frères  Schlagintweit  ne  sont  arrivés  sur  le  flanc  des  mon- 
tagnes qu’au  prix  de  vives  souffrances  dues  à Pair  raréfié.  Or, 
dans  mes  cloches  à dépression,  les  oiseaux  se  sont  montrés 
plus  sensibles  que  les  mammifères,  et  les  oiseaux  de  proie 
que  nous  avons  mis  en  expérience  étaient  presque  aussitôt 
malades  que  les  passereaux.  Comment  se  rendre  compte  de 
cette  double  contradiction  entre  des  faits  également  certains? 

Nous  avons  vu  que  les  explications  proposées  ne  pouvaient 
nous  satisfaire,  et  j’avoue  que  je  n’en  ai  pas  d’autre  à propo- 


DIMINUTION  DE  PRESSION. 


1117 


ser.  11  me  faudrait,  pour  en  tenter  une,  être  d’abord  maître 
de  faits  expérimentaux  qui  me  sont  absolument  inconnus. 
Tout  d’abord  il  faudrait,  en  vases  clos,  essayer  sur  des  con- 
dors les  effets  de  la  décompression,  et  cela  non  sur  des  ani- 
maux de  ménagerie,  acclimatés  peut-être  à la  forte  pression 
barométrique  de  nos  contrées,  mais  sur  des  condors  saisis 
vigoureux  dans  leur  habitat  ordinaire  : conditions  difficiles  à 
réaliser.  11  faudrait  encore  connaître  la  richesse  en  oxygène 
de  leur  sang,  et  surtout,  ce  qui  est  facile  à constater,  comme 
je  l’ai  indiqué  plus  haut  (p.  1108),  sa  capacité  pour  l’oxy- 
gène. La  quantité  de  sang  qu’ils  contiennent  serait  encore 
un  élément  intéressant.  Rien  ne  serait  plus  curieux,  enfin, 
que  de  tâcher  d’établir  par  des  analyses  d’air,  des  pesées  ali- 
mentaires, des  mesures  calorimétriques,  leur  équation  respi- 
ratoire et  nutritive. 

Peut-être,  tout  ceci  constaté,  serait-il  possible  de  se  ren- 
dre compte  de  la  résistance  étrange  qu’ils  présentent,  même 
en  développant  le  travail  considérable  de  l’ascension  au  vol, 
à l’influence  de  l’air  raréfié. 

Je  rappellerai,  en  terminant  ce  chapitre,  que  les  végétaux 
sont,  au  même  titre  que  les  animaux,  impressionnables  par 
la  moindre  tension  de  l’oxygène  qu’ils  respirent  sur  les  hauts 
lieux.  Cet  élément  a été  jusqu’ici  négligé  par  les  botanistes, 
préoccupés  justement  dans  l’étude  de  la  distribution  géogra- 
phique sur  les  montagnes  des  influences  de  la  température, 
de  l’intensité  des  rayons  solaires,  de  l’état  hygrométrique. 
D’ordinaire,  ils  n’en  parlent  pas,  ou  bien  ils  en  dénient 
l’importance.  C’est  ainsi  que  M.  Radau1,  signalant  ce  fait  que 
certaines  plantes  des  altitudes  ne  peuvent  vivre  dans  nos 
contrées  avec  des  températures  analogues  à celles  de  leur 
pays  natal,  dit  expressément  : « La  pression  atmosphérique 
n’est  probablement  pour  rien  dans  les  faits  de  cet  ordre.  » 
Mais  mes  expériences  montrent  que  la  végétation,  que  la  ger- 
mination plus  encore  peut-être,  sont  ralenties  singulière- 
ment dans  l’air  raréfié.  Elles  mettent  aussi  en  lumière  une 


1 Les  derniers  progrès  de  la  science . — Paris,  1868,  p.  108. 


1118 


FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

certaine  inégalité  de  résistance  entre  divers  types  végétaux, 
les  crucifères  paraissant  moins  susceptibles  que  les  grami- 
nées. Enfin,  coïncidence  qui  a de  l’intérêt,  nous  avons  vu  que 
les  phénomènes  de  la  vie  végétale  s’arrêtent  précisément  à la 
pression  de  T de  mercure,  qui  est  funeste  à tous  les  animaux. 
C’est  donc  avec  cette  faible  tension  de  l'oxygène  (2,5)  que 
les  oxydations  organiques  arrivent  chez  tous  les  êtres  vivants 
à se  ralentir  tellement  qu’elles  ne  suffisent  plus  à l’entretien 
de  l’équilibre  vital. 

g 5.  — Applications  médicales. 


Je  me  hâte  de  déclarer  que  je  ne  fais  qu’indiquer  ce  point, 
qui  sort  du  cadre  de  mes  études.  M.  le  docteur  Jourdanet  a 
eu,  le  premier,  l’idée  d’appliquer  l’air  artificiellement  raréfié 
au  traitement  de  diverses  maladies , et  notamment  de 
l’anémie  et  de  la  phthisie.  Je  renvoie  à ses  livres  pour  l’étude 
des  résultats  obtenus.  Avant  lui  et  depuis  lui,  l’habitation 
des  hauteurs  a été  et  est  recommandée  surtout  aux  phthi- 
siques; ce  mode  de  traitement  date,  dans  les  Andes,  de  la 
conquête  espagnole,  et  suivant  Tschudi,  les  médecins  en 
font  un  tel  abus  que  « souvent  les  malades  laissent  leur  vie 
dans  la  Cordillère  » (p.  49).  En  Europe,  le  séjour  sur  les 
hauts  lieux  et  particulièrement  dans  l’Engadine,  n’est  con- 
seillé que  depuis  peu  de  temps;  mais  déjà  il  s’est  mis  fort  à 
la  mode,  ce  qui  prouve  qu’il  est  utile  à beaucoup  de  monde 
et  probablement  aussi  aux  malades. 

Je  ne  voudrais  qu’appeler  l’attention  des  médecins  sur 
l’avantage  qu’on  pourrait  peut-être  retirer  dans  certains  cas 
(fièvres  ou  inflammations),  d’une  décompression  assez  forte 
pour  enlever  au  sang  une  notable  partie  de  son  oxygène,  et 
peut-être  même  pour  abaisser  la  température  du  corps.  Il  y 
aurait  là,  ce  me  semble,  une  médication  altérante  d’une 
grande  puissance;  mais  je  m’arrête  en  déclinant  ma  compé- 
tence sur  ces  matières  difficiles. 


CHAPITRE  II 


AUGMENTATION  DE  PRESSION. 


SOUS-CHAPITRE  PREMIER 

OBSERVATIONS,  THÉORIES  ET  CRITIQUES  RÉCENTES. 

g 1er  — Fortes  pressions. 

L’étude  des  fortes  pressions  barométriques  n’a  été  l’objet 
d’aucun  travail  récent.  Les  résultats  de  mes  expériences 
sur  l’action  de  l’oxygène  à forte  tension  ont  été  acceptés 
sans  conteste,  je  pourrais  même  dire  sans  critiques,  par  les 
physiologistes.  De  même,  pour  les  effets  de  la  décompression 
brusque  et  leur  explication  démontrée  par  mes  travaux , 
aucun  fait  nouveau,  ni  dans  l’ordre  industriel  ni  dans  l’ordre 
scientifique,  ne  s’est  produit  qui  puisse  être  rapporté  ici.  Je 
ne  ferai  d’exception  que  pour  un  très-curieux  travail  de 
M.  Guichard1,  ingénieur  des  plus  expérimentés  dans  l’appli- 
cation de  l’air  comprimé  et  très-habitué  personnellement  à 
l’usage  du  scaphandre. 

Le  mémoire  de  M.  Guichard  se  compose  de  deux  ordres 
d’observations.  Les  plus  nombreuses  sont  relatives  au  séjour 
dans  des  gaz  délétères  (GO,  GO2,  C2H4,  SO2,  etc.);  celles-ci, 
malgré  leur  grand  intérêt  pratique,  et  les  détails  dramatiques 
de  l’une  d’elles  (obs.  VIII),  n’ont  aucun  rapport  avec  le  sujet 

1 Observations  sur  le  séjour  clans  l'air  comprimé  et  dans  différents  gaz  délétères. 

— Journal  de  Robin , t.  I,  p.  452-476,  1875. 


11*20 


FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

de  nos  études.  Dans  les  autres,  il  est  question  de  la  respira- 
tion dans  l’air  comprimé;  j’en  reproduis  deux,  intéressantes 
à divers  titres  : 

Obs.  XIV.  — Sept  plongeurs  sont  pris  successivement  d'épistaxis  sous 
une  pression  d'une  colonne  d'eau  de  9 mètres.  — Pour  montrer  l’usage 
d’un  nouvel  appareil  de  respiration  artificielle,  je  descendis  dans  un 
vaste  bassin  de  maçonnerie  contenant  de  l’eau  très-limpide  sur  une  pro- 
fondeur de  9 mètres.  L’ascension  et  la  descente  furent  exécutées  sans 
aucune  précaution  de  temps,  vu  la  faible  pression  maxima  à supporter,  et 
l’habitude  que  j’avais  de  m’y  soumettre. 

Je  fis  ensuite  descendre  avec  plus  de  précaution,  successivement,  sept 
ouvriers  mineurs,  Sardes  de  naissance,  et  travaillant  ordinairement  à 
l’extraction  du  minerai  de  plomb.  Leur  constitution  était  un  peu  débile. 
Ils  étaient  exposés  depuis  plusieurs  années  à des  fièvres  paludéennes  ré- 
gnant dans  le  pays  tout  l’été.  Ces  hommes  vivaient  mal,  se  nourrissant 
presque  exclusivement  de  légumes  et  de  fruits  ; ils  couchaient  en  plein 
air  pendant  six  mois  de  l’année.  Ils  étaient  en  général  nonchalants  et 
fournissaient  une  faible  somme  de  travail  quoîidien. 

Ces  détails  expliqueront  peut-être  que  tous  furent  pris  d’épistaxis  plus 
ou  moins  abondantes  après  avoir  supporté  pendant  quatre  à cinq  minu- 
tes, quelques-uns  dix,  une  pression  atmosphérique  correspondant  à 9 mè- 
tres d’eau,  profondeur  totale  du  bassin  où  ils  descendirent.  Le  fait  est  que 
sans  exception  ils  remontèrent,  le  sang  sortant  par  le  nez,  et  chez  quel- 
ques-uns par  les  oreilles. 

En  général  les  accidents  de  cette  sorte  ne  se  produisent  qu’à  de  très- 
grandes  profondeurs,  55  ou  40  mètres,  surtout  quand  la  décompression 
est  trop  rapide. 

Obs.  XVI.  — Commencement  d'asphyxie  en  vase  clos  sous  5 mètres  d'eau. 
— Je  suis  descendu  muni  d’un  appareil  dans  un  petit  bassin  circulaire  de 
5 mètres  de  profondeur  et  de  4 mètres  de  diamètre.  L’eau  était  très- 
trouble,  et  malgré  le  peu  de  profondeur,  l’obscurité  était  presque  com- 
plète ; il  était  impossible  de  distinguer  rien  à l’extérieur.  Des  aides  inex- 
périmentés manœuvraient  l’appariel  à comprimer  l’air. 

Je  m’étais  désorienté  presque  dès  les  premiers  pas  au  fond  du  bassin, 
et  la  corde  de  signaux  qui  n’était  pas  maintenue  de  l’extérieur  ne  pouvait 
m’aider  à retrouver  le  point  où  était  l’échelle  permettant  le  retour.  Ce  fut 
dans  ces  circonstances  que  l’air  me  manqua  subitement.  Du  moins  je  ne 
pouvais  plus  user  que  d’une  réserve  approvisionnée  dans  le  récipient  qui 
m’enfermait.  La  capacité  totale  de  cette  réserve  d’air  pur  était  d’environ 
50  litres.  En  faisant,  en  moyenne,  douze  aspirations  de  75  centilitres  par 
minute,  je  commençai  après  trois  minutes  à respirer  un  air  déjà  respiré. 
Pour  échapper  à une  asphyxie  imminente,  je  pris,  dès  le  début,  le  soin 
de  commencer  à séparer  de  l’appareil  les  surcharges  de  plomb  qui  me 
retenaient  au  fond,  de  façon  à pouvoir  remonter  à la  surface.  Je  parvins 
facilement  à détacher  l’un  de  ces  poids,  mais  le  second  était  encore  retenu 


AUGMENTATION  DE  PRESSION. 


1121 


par  une  corde,  lorsque  tout  effort  me  devint  impossible.  J’étais  dans  un 
état  de  transpiration  abondante.  J’avais  un  sentiment  de  très-vive  chaleur 
à la  tête,  mais  qui  allait  en  diminuant  vers  les  membres  inférieurs  ; 
ceux-ci  me  semblaient  froids;  j’eus  quelques  fourmillements  dans  les 
pieds. 

Je  respirais  très-vite  et  comme  si  je  n’avais  pas  pu  vider  mes  poumons 
par  expiration.  Cette  impression  particulière  consistant  à me  faire  croire 
que  je  ne  pouvais  expulser  l’air  renfermé  dans  mes  poumons  fut  très- 
distincte.  Je  la  signale  d’une  manière  toute  spéciale.  Loin  de  souffrir  de 
ne  pouvoir  aspirer,  j’eus  le  sentiment  de  ne  pouvoir  expirer  l’air.  La  sen- 
sation me  parut  à peu  près  celle  qu’on  devrait  éprouver  si  l’on  vous  en- 
terrait jusqu’au  cou,  et  qu’on  vous  mît  la  tête  dans  un  bain  de  vapeur  a 
haute  température. 

J’eus  des  tintements  d’oreilles  et  des  cercles  lumineux  devant  les 
yeux. 

L’air  me  revint  alors,  et  les  accidents  disparurent.  Je  me  remis 
en  quelques  minutes,  je  rattachai  mes  plombs,  et  je  séjournai  encore 
dix  minutes  dans  l’eau  pour  ne  remonter  que  tout  à fait  en  état 
normal. 

J’en  fus  quitte  pour  un  assez  violent  mal  de  tête,  qui  avait  disparu  le 
lendemain.  J’avais  fait  environ  un  séjour  de  trois  à quatre  minutes  dans 
un  espace  clos  contenant  30  litres  d’air.  J’eus  le  pouls  vif  et  plein  pendant 
les  deux  heures  qui  suivirent  l’expérience.  La  salivation  était  difficile. 
J’eus  quelques  frissons  légers  et  de  la  courbature.  Je  dormis  bien  la 
nuit. 

J’ai,  dans  la  partie  historique  (p.  406),  rapporté  avec  la 
discrétion  convenable,  le  récit  d’accidents  survenus  dans 
l’exécution  d’importants  travaux  exécutés  par  une  grande 
Compagnie  française.  Je  puis  aujourd’hui  parler  plus  claire- 
ment, le  médecin  de  cette  Compagnie  ayant  publié  sur  ces 
laits  un  mémoire  fort  intéressant1.  Il  s’agit  de  la  construction 
d’un  pont  sur  le  Limfjord,  en  Danemark;  le  docteur  Heiberg, 
d’Aalborg,  rapporte  que  la  pression  totale  est  montée  jus- 
qu’à 4,  5 atmosphères  ; les  ouvriers  restaient  de  2 à 5 heures 
dans  la  chambre  de  travail  : 

Les  ouvriers,  après  être  restés  dans  la  cloche  sous  l’action  de  l’air  com- 
primé, et  être  descendus  dans  la  chambre  sous  cette  même  pression,  qui 
à la  fin  des  fonçages  atteint  3 atmosphères  1/2  (en  plus  de  la  pression 
atmosphérique),  éprouvent  tous  les  mêmes  symptômes  : un  fort  bourdon- 

1 Sygdomsformer  hos  Arbejderne  ved  Fastbroanlœgell  over  Limfjorden  Ugeskrifi 
for  Lœger.  Kjobenhavn , 25  nov.  1876,  p.  377-386. 


71 


1122  FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

nement  dans  les  oreilles,  une  respiration  fatigante,  tandis  que  le  pouls 
bat  plus  lentement,  60  à 70  par  minute,  une  pression  sur  le  tympan  qui 
s’en  va  en  général  par  des  mouvements  de  déglutition,  le  nez  étant  fermé, 
manœuvre  que  les  hommes  exercent  toujours  pour  se  soulager.  En  de- 
hors des  indispositions  ci-dessus,  les  hommes  se  portent  bien  en  faisant 
leur  travail,  le  danger  ne  doit  donc  pas  être  attribué  à la  pression  de  l’air 
comprimé.  Quelquefois  les  ouvriers  sont  gênés  par  différents  gaz  qui  se 
dégagent  du  fond  du  fiord  ; il  s’est  même  produit  une  fois  une  explosion 
de  ces  gaz  qui  a occasionné  de  fortes  brûlures  à trois  ouvriers;  mais,  en 
général , le  séjour  dans  l’air  comprimé  ne  présente  aucun  danger.  Par 
contre,  cela  change  tout  à fait  quand  les  hommes  sortent  et  que  la  dé- 
compression s’opère  trop  rapidement. 

Les  phénomènes  remarquables  des  maladies  qui  se  produisent  alors  sont 
les  suivantes  : douleurs  atroces  sur  toutes  les  parties  du  corps,  accompa- 
gnées d’un  picotement  insupportable  dans  la  peau,  forte  oppression  au 
cœur,  battements  plus  forts,  pouls  plus  vite,  110-150,  grande  lourdeur 
dans  la  tète,  assoupissement,  paralysie  complète  dans  les  parties  infé- 
rieures, la  vessie  et  le  rectum,  développement  d’emphysèmes  sur  plu- 
sieurs parties  du  corps,  le  plus  souvent  sur  la  poitrine,  sous  les  aisselles 
et  sur  les  bras,  douleur  à la  pression  sur  l’épine  dorsale  et  dans  la  région 
lombaire. 

Ces  symptômes  se  produisent  généralement  dès  que  les  ouvriers  sont 
sortis,  mais  aussi  quelquefois  après  un  délai  de  quelques  heures.  Ainsi, 
un  ouvrier  qui  était  sorti  bien  portant,  est  tombé  subitement  frappé  en 
rentrant  chez  lui  et  est  mort  à l’instant. 

Chez  plusieurs  ouvriers,  les  accidents  se  guérissent  au  bout  de  quel- 
ques jours;  chez  d’autres,  la  paralysie  persiste  et  devient  souvent  incu- 
rable. J’ai  traité  deux  hommes  chez  qui  la  paralysie  sur  la  vessie  et  le 
rectum  s’est  améliorée  ; la  sensibilité  et  les  mouvements  sont  revenus, 
mais  la  marche  est  restée  chancelante.  On  a du  les  rapatrier  tous  les  deux 
comme  ne  pouvant  plus  reprendre  leur  travail. 

Le  docteur  Heiberg  donne  alors  d’intéressants  détails  sur 
l’autopsie  des  deux  ouvriers  qu’il  avait  vus  mourir  et  sur  les 
symptômes  présentés  par  les  malades  qu’il  a observés.  J’ai 
déjà  (p.  407)  donné  un  résumé  très-court  des  résultats 
d’une  de  ces  autopsies,  celle  de  Iviva,  mais  nous  sommes  ici 
mieux  renseignés  : 

Kiva  Ferdinando,  trente  ans,  fut  frappé,  en  sortant  de  la  chambre  du 
travail,  de  douleurs  dans  les  membres,  avec  paralysie  complète  de  la 
vessie,  du  rectum  et  des  parties  inférieures;  il  est  à moitié  évanoui,  cya- 
notique,  sa  respiration  est  râlante,  on  entend  des  sons  de  râle  humide 
dans  les  poumons,  le  pouls  est  petit  et  rapide.  On  l’amène  à l’hôpital  le 
26  juillet  1875;  son  état  ne  change  pas,  la  paralysie  se  tient  au  même 


AUGMENTATION  DE  PRESSION. 


1125 


endroit,  il  a du  délire  continuel,  puis  survient  le  collapsus,  et  la  mort 
arrive  le  30  juillet  dans  la  nuit.  A l’autopsie  on  trouve  les  poumons  rem- 
plis de  sang,  avec  une  sécrétion  des  bronches  mêlées  de  sang  et  d’une 
lymphe  écumante.  La  moelle  épinière  était  tout  à fait  ramollie  sur  une 
étendue  de  quelques  pouces  dans  la  région  dorsale  inférieure  et  lombaire 
supérieure.  Le  ramollissement  était  limité  avec  précision,  sans  trace  de 
sang,  d’inflammation  ou  d’exudat.  Dans  le  cerveau,  le  cœur,  les  reins 
et  la  rate,  rien  d’anormal  ; mais  mon  attention  n’était  pas  encore  fixée 
sur  le  développement  de  l’air  dans  les  veines,  parce  que  cela  m’était 
inconnu  à cette  époque. 

L’autre  cas,  qui  finit  également  par  la  mort,  n’a  pu  être  observé  sur  le 
vivant.  L’ouvrier  retournait  chez  lui  ayant  l’air  bien  portant.  Chemin 
faisant,  il  se  sent  malade  et  tombe  mort  comme  frappé  par  la  foudre.  Le 
lendemain,  on  fait  l’autopsie,  le  corps  s’est  déjà  raidi  ; on  remarque  une 
forte  coloration  de  cyanose  sur  le  corps,  particulièrement  sur  la  poi- 
trine, sous  les  aisselles  et  sur  le  bras  gauche,  où  l’on  éprouve  une  sen- 
sation emphysémateuse  très-distincte  ; en  faisant  une  incision  à ces  en- 
droits, il  sort  une  lymphe  sanguinolente,  avec  un  fort  mélange  d’air;  la 
rate  très-emphysémateuse  pétillé  sur  toute  la  surface  à la  pression,  et,  en 
faisant  l’incision,  il  sort  un  sang  mélangé  de  beaucoup  d’air;  point  de 
bulles  d’air  dans  l’aorte,  la  veine  jugulaire,  les  artères  iliaques  et  cru- 
rales. Les  reins  et  le  foie  sont  à l’état  normal,  la  vessie  urinaire  vide,  un 
développement  d’air  dans  l’épiploon,  le  cerveau  pas  rempli  de  sang,  des 
bulles  d’air  très-distinctes  et  très-volumineuses  dans  l’artère  basilaire, 
dans  le  sinus  et  dans  les  veines  de  la  surface- supérieure  du  cerveau  ; entre 
ces  bulles  d’air,  des  taches  de  sang  très-petites,  presque  liquides.  L’esto- 
mac était  très-allongé,  et  contenait  une  certaine  quan  ité  de  nourriture 
végétale.  On  n’a  pas  fait  de  recherches  dans  la  moelle  épinière  parce  que 
l’examen  minutieux  des  veines  a demandé  beaucoup  de  temps  pour  faire 
les  ligatures. 

Bien  que  ces  deux  autopsies  soient  imparfaites  à un  très-haut  degré,  et 
qu’elles  laissent  beaucoup  à désirer,  il  me  semble  qu’elles  sont  tout  à fait 
d’accord.  Dans  le  premier  cas,  où  les  phénomènes  de  la  maladie  s’étaient 
développés  pendant  plusieurs  jours,  et  où  les  bulles  s’étaient  rencontrées 
et  concentrées  dans  la  moelle  épinière,  il  se  produit  un  ramollissement 
complet  tout  à fait  conforme  aux  expériences  de  P.  Bert.  Dans  le  second 
cas,  où  la  mort  fut  instantanée  avant  que  les  bulles  se  soient  avancées 
aussi  loin,  il  se  trouve  des  bulles  d’air  dans  les  veines  du  cerveau,  avec 
des  emphysèmes  sur  plusieurs  endroits,  aussi  bien  à l’intérieur  qu’à  l’ex- 
térieur, et  tout  à fait  conformes  à ce  que  P.  Bert  a constaté  et  affirmé 
comme  étant  l’effet  physiologique  du  passage  d’une  forte  pression  à la 
pression  atmosphérique*  La  dernière  autopsie  paraît  aussi  démontrer  que 
trois  quarts  d’heure  sont  un  délai  trop  court  pour  éviter  des  dangers,  la 
pression  étant  de  3 atmosphères  f/2.  Cependant  il  n’est  pas  impossible 
que  le  solide  repas  de  légumes  qui  se  trouvait  dans  l’estomac  ne  soit  pour 
quelque  chose  dans  l’accidenti 


1124  FAITS  RECENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

J’ai  traité  à l’hôpital  quatorze  malades,  dont  un  est  mort  et  deux  ont  été 
rapatriés  comme  incapables  de  reprendre  le  travail.  Onze  cas  ont  été  moins 
graves,  ils  se  guérirent  après  quelques  jours;  chez  tous  on  observait 
les  symptômes  caractéristiques  à un  degré  plus  ou  moins  fort,  notam- 
ment fortes  douleurs  dans  les  membres,  serrement  cardiaque,  respira- 
tion pénible,  cyanose,  douleur  à la  pression  le  long  de  la  colonne  ver- 
tébrale dans  la  région  lumbo-dorsale,  marche  traînante,  difficultés 
pour  uriner  ; dans  deux  cas,  paralysie  complète  de  la  vessie,  du  rec- 
tum et  des  parties  inférieures,  avec  affaiblissement.  Je  n’ai  pas  remar- 
qué le  développement  des  emphysèmes  sous  la  peau  ; mais  les  ouvriers 
affirment  qu’ils  existent.  J’ai  été  présent  au  moment  de  la  sortie  des 
ouvriers  de  la  cloche,  èt  je  n’ai  pas  observé  cet  accident  ; mais  je  dois 
ajouter  qu’aucun  des  ouvriers  que  j’ai  examiné  de  cette  manière  n’est 
tombé  malade. 

Les  deux  cas  où  la  paralysie  s’est  améliorée,  mais  où  la  situation  des 
malades  est  restée  telle  qu’ils  n’ont  pu  reprendre  leur  travail,  et  ont  dû 
être  rapatriés,  l’un  à Prague  et  l’autre  à Milan,  étant  fort  semblables,  je 
vais  en  communiquer  un. 

Eger  Mayer  François,  trente-quatre  ans,  fort  bien  bâti,  est  amené  à l’hô- 
pital le  25  juillet  1875;  il  était  tombé  malade  de  suite  après  sa  sortie  de 
la  cloche  : douleurs  ordinaires,  paralysie  complète  dans  les  parties  infé- 
rieures, vessie  et  rectum,  beaucoup  de  douleur  en  pressant  sur  les 
régions  lumbo-dorsales.  On  employa  des  ventouses,  des  courants  induits 
électriques,  des  bains  tièdes  et  des  douches.  Dès  le  1er  août,  il  pouvait 
uriner  seul,  la  paralysie  du  rectum  persistait,  il  y avait  un  peu  de  catar- 
rhe de  vessie,  mais  l’urine  était  normale.  Le  18  août,  il  pouvait  se  tenir 
debout  et  marcher  avec  des  béquilles,  et  ensuite  avec  deux  bâtons.  Son 
état  s’améliorait  sensiblement,  il  prenait  des  bains  de  vapeur,  de  la  noix 
vomique,  et  l’on  continuait  l’électricité  ; enfin  la  paralysie  du  rectum 
s’améliorait  aussi  ; il  faisait  de  plus  longues  promenades,  mais  la  mar- 
che restait  chancelante.  Le  2 novembre,  on  l’envoya  à Prague,  et  dans 
ces  derniers  jours  j’ai  appris  qu’il  était  mort  après  un  assez  long  séjour 
à l’hôpital. 

L’état  du  second  malade  était  presque  le  même,  seulement  la  paralysie 
de  la  vessie  a duré  plus  longtemps  ; après  un  séjour  de  plusieurs  mois 
à l’hôpital  il  pouvait  se  promener  assez  longtemps.  Mais  comme  il  ne 
pouvait  reprendre  son  travail , on  a dû  le  rapatrier  à Milan. 

La  Compagnie  de  Fives-Lille,  qui  exécutait  ces  travaux, 
m’ayant  consulté  à propos  de  ces  accidents  inquiétants,  je 
donnai  le  conseil  : 1°  de  décomprimer  plus  lentement  en- 
core; 2°  de  disposer  des  appareils  de  réchauffement  pour 
éviter  aux  ouvriers  les  douleurs  insupportables  et  les 
dangers  du  refroidissement  dans  la  chambre  à décom- 


AUGMENTATION  DE  PRESSION. 


1125 


pression.  J’ai  eu  la  satisfaction  de  recevoir  peu  de  temps 
après,  d’un  des  administrateurs  de  la  Compagnie,  la  note  ci- 
après  : 

Nous  avons  transmis  à notre  chantier  d’Aalberg  les  renseignements  que 
vous  avez  bien  voulu  nous  donner  sur  les  précautions  à prendre  pour  le 
travail  des  hommes  à de  fortes  pressions. 

Nous  avons  dépassé  la  profondeur  de  52  mètres  au-dessous  du  niveau 
de  l’eau,  et  les  accidents  ont  disparu  par  suite  de  l’augmentation  de  la 
durée  de  l’éclusage  de  sortie. 

g 2.  — Faibles  pressions.  Appareils  médicaux. 

L’action  des  faibles  pressions  n’a  donné  lieu,  dans  les 
dernières  années,  qu’à  un  petit  nombre  de  travaux.  Mais 
deux  d’entre  eux  sont  d’une  importance  considérable  au 
point  de  vue  théorique. 

M.  J.  Pravaz  a soutenu,  le  9 août  1875,  devant  la  Faculté 
des  sciences  de  Lyon,  une  thèse  sur  les  effets  de  l’aug- 
mentation de  la  pression  atmosphérique,  thèse  dans  laquelle 
il  étudie  successivement  la  circulation,  la  respiration,  la  nu- 
trition. 

Relativement  à la  première  de  ces  fonctions,  il  constate, 
avec  tous  les  observateurs  anciens,  un  certain  ralentissement 
du  pouls  pendant  le  séjour  dans  l’air  comprimé,  et  il  l’ex- 
plique : Ie  par  l’augmentation  de  la  température  du  corps, 
agissant  secondairement  sur  le  cœur;  2°  pa?  l’augmentation 
de  la  tension  artérielle.  Celle-ci  aurait  pour  cause  l’obstacle 
direct  apporté  au  cours  du  sang  par  l’air  comprimé  agissant 
pour  « refouler  des  parties  périphériques  le  sang  des  capil- 
laires et  des  veines  (p.  25).  » On  voit  que  M.  Pravaz  accepte 
la  théorie  de  l’écrasement  superficiel  dans  l’air  comprimé  ; il 
considère  comme  démonstrative  l’étrange  expérience  de  Vi- 
venot  que  nous  avons  plus  haut  rapportée  (p.  495)  et  appré- 
ciée à sa  juste  valeur  (p.  515).  Nous  ne  croyons  pas  utile  de 
revenir  sur  la  réfutation  de  ces  erreurs. 

La  respiration  devient,  dit-il,  à la  fois  moins  fréquente  et 
plus  ample,  au  moins  jusqu’aux  environs  de  une  demi-at- 


1126  FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

mosphère  de  compression;  au  delà  (M.  Pravaz  va  jusqu’à  deux 
atmosphères  en  tout),  il  y a mouvement  en  sens  inverse. 
L’explication  de  ces  faits  est  celle  qu’avait  déjà  donnée  Ch. 
Pravaz  (Y.  p.  466),  dont  son  fils  adopte  sur  tous  les  points  les 
opinions.  Les  modifications  dans  l’amplitude  ont  été  mesu- 
rées à l’aide  de  l’anapnographe  de  MM.  Bergeon  et  Kastus  : 
si  l’on  exprime  par  100  l’étendue  du  mouvement  respiratoire 
à la  pression  normale,  elle  devient  106  à 19e  de  pression, 
118  à 58e,  109  à 76e.  Mais  M.  Pravaz  n’a  pas  cherché  à étu- 
dier la  relation  entre  la  fréquence  et  l’amplitude,  de  manière 
à déterminer  les  variations  dans  le  débit,  dans  la  ventilation 
pulmonaire,  ou,  en  d’autres  termes,  dans  la  quantité  d’air 
qui  traverse  les  poumons  pendant  un  temps  donné. 

La  partie  la  plus  originale  de  la  thèse  est  celle  qui  a rap- 
port à l’étude  des  variations  dans  la  production  de  l’urée. 
M.  Pravaz  a fait  sur  ce  point  cinq  expériences  : 

Dans  la  première,  il  mesure  l’urée  rendue  pendant  vingt- 
quatre  heures  d’abord  à la  pression  normale,  puis  sous  des 
pressions  augmentées  de  10  à 76e  : l’urée  a diminué  (moyenne  : 
de  29gr,6450  à28gr,4448). 

La  seconde  a été  conduite  de  même,  avec  la  précaution  en 
plus  de  se  soumettre  à un  régime  alimentaire  déterminé  et 
régulier  : augmentation  de  l’urée  (moyenne  : de  29gr,1685  à 
51gr,4947). 

La  troisième,  semblable  à la  seconde,  a donné  une  dimi- 
nution (moyenne  : de  27gr,2401  à 26gr,2224). 

Dans  la  quatrième,  la  méthode  a été  changée.  11  y a tou- 
jours régime  identique  (ce  régime,  qui  rne  semble  bien  pauvre 
en  carbone  et  un  peu  exagéré  en  azote,  était  composé  de 
pain  250gr,  viande  dégraissée  200gr,  fromage  sec  100gr),  mais 
l’urine  n’est  recueillie  que  le  matin,  à jeun,  pendant  trois 
heures,  soit  à l’air  libre,  soit  sous  pression.  Ici,  augmenta- 
tion dans  l’air  comprimé  (moyenne  : de  5gr,2019  à 5gr,4965). 

Enfin,  dans  la  cinquième,  conduite  comme  la  précédente, 
l’excrétion  d’urée  a été  étudiée  d’heure  en  heure  pendant  le 
séjour  dans  l’air  comprimé;  les  moyennes  sont  : à l’air 
libre  0§r,9492;  pendant  la  première  heure  de  compression 


AUGMENTATION  DE  PRESSION. 


1127 


lgr,0758  ; pendant  la  deuxième  lgr,0651  ; pendant  la  troi- 
sième lgr,0363;  dans  l’heure  qui  suit,  à la  pression  normale 
0gr,7178. 

M.  Pravaz  conclut  de  ces  faits  : 

1°  Que  l’excrétion  de  l’urée  augmente  sous  l’influence  de 
l’air  comprimé; 

2°  Que  cette  augmentation  est  à son  maximum  au  début 
de  la  compression  ; 

3°  Qu’elle  est  plus  forte  aux  faibles  pressions  (à  20e  envi- 
ron) qu’aux  pressions  fortes  (de  30  à 76e). 

4°  Qu’après  la  décompression  il  y a diminution  dans  la 
production  de  l’urée. 

Les  expériences  sur  l’exhalation  de  l’acide  carbonique  ne 
portant  que  sur  la  proportion  centésimale  de  ce  gaz  dans  l’air 
expiré,  et  non  sur  la  quantité  rendue  dans  un  temps  donné, 
ne  pouvaient  fournir  de  résultat  vraiment  intéressant. 

Enfin,  M.  Pravaz  croit  pouvoir  conclure  de  ses  observations 
sur  la  température,  qu’elle  suit  exactement  la  même  marche 
que  la  production  de  l’urée  : les  écarts  maxima  sont,  dans  le 
rectum,  de  0°,34. 

Je  renvoie  au  mémoire  original  pour  la  lecture  des  expli- 
cations que  M.  Pravaz  donne  des  oscillations  dans  les  phéno- 
mènes nutritifs  qu’il  croit  avoir  constatées.  Je  considère, 
quant  à moi,  qu’une  seule  expérience  ne  peut  permettre 
de  conclure,  et  qu’il  convient  de  suspendre  son  jugement 
sur  la  question  de  savoir  si  les  combustions  n’augmentent 
réellement  que  pendant  les  premiers  moments  du  séjour  dans 
Pair  comprimé.  Quant  aux  observations  qui  embrassent  la 
période  de  vingt-quatre  heures,  la  première  doit  être  élimi- 
née d’abord,  l’alimentation  n’ayant  pas  été  réglée.  Pour  les 
deux  suivantes,  il  n’y  a pas  eu  de  précautions  prises  au  point 
de  vue  du  travail  musculaire  : « l’exercice,  dit  lui-même 
M.  Pravaz,  était  nécessairement  variable  d’un  jour  à l’autre, 
et  donnait  lieu  à des  changements  dans  la  production  de 
l’urée,  ce  qui  pouvait  introduire  dans  le  problème  une  incon- 
nue non  déterminable  (p.  43)  ; » on  doit  donc  n’en  pas  tenir 
compte.  Enfin,  la  quatrième  présente  des  irrégularités  qui 


1128 


FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

paraissent  enlever  toute  valeur  aux  moyennes  qu’on  en  tire; 
pendant  trois  heures  à jeun,  les  quantités  d’urée  obtenues 
ont  été  : 


1er  jour Pression  normale 3sr,0075 

2e  — 10e  de  compression.  ....  3 ,1933 

5e  — 19e  — 3 ,6990 

4e  — 38e  — 3 ,5685 

5e  — 57e  — 3 ,2711 

6e  — 76e  — 3 ,7507 

7e  — Pression  normale 3 ,3963 


On  voit,  du  reste,  que  le  maximum  de  la  production  a 
coïncidé  avec  la  plus  forte  pression,  ce  qui  ne  concorde  pas 
avec  l’opinion  de  l’auteur. 

Sans  insister  davantage  sur  cette  analyse  critique,  je  re- 
produis la  conclusion  générale  de  M.  Pravaz  : 

Si  l’on  envisage  à un  point  de  vue  général  les  effets  de  l’augmenta- 
tion de  la  pression  atmosphérique  sur  l’économie  animale,  on  est  con- 
duit à distinguer  dans  l’action  qu’exerce  l’air  comprimé  deux  éléments  : 
l’élément  pression  et  l’élément  suroxygénation. 

De  l’élément  pi'ession  ou  mécanique  relèvent  principalement  les  modifi- 
cations qui  se  produisent  dans  le  rhythme  et  l’amplitude  de  la  respiration. 

Les  modifications  éprouvées  par  la  circulation  et  la  nutrition  sont  la 
résultante  du  conflit  qui  s’établit  entre  l’élément  sur  oxygénation  et  l’élé- 
ment pression , le  premier  tendant,  par  la  suractivité  qu’il  donne  aux  phé- 
nomènes chimiques  qui  se  passent  dans  les  tissus,  à augmenter  la  pro- 
duction de  l’urée  et  de  l’acide  carbonique,  d’où  l’élévation  de  la  tempé- 
rature, et,  consécutivement,  l’accélération  des  battements  du  cœur  qui 
se  remarquent,  dans  les  premiers  instants  de  séjour  dans  une  atmosphère 
plus  dense;  le  second  tendant,  au  contraire,  par  les  modifications  qu’il 
apporte  dans  les  conditions  physiques  du  cours  du  sang,  et  par  l’augmen- 
tation de  la  tension  artérielle  qui  en  résulte,  à jouer  le  rôle  de  modéra- 
teur en  diminuant,  par  le  ralentissement  consécutif  de  la  circulation,  la 
rapidité  des  combustions  organiques  et  la  production  de  la  chaleur  en 
raison  de  la  durée  du  séjour  dans  l’air  comprimé  et  de  l’élévation  de  la 
pression.  (P.  65.) 

Georges  Liebig,  dont  nous  avons  déjà  analysé  les  travaux 
(V.  p.  456  et  500),  a récemment  publié  un  mémoire  considé- 
rable1, où  il  s’est  proposé  pour  but  spécial  l’étude  de  l’excré- 
tion de  l’acide  carbonique  à la  pression  normale  (en  moyenne 

1 Ueber  die  Sauerstoffaufnahme  in  der  Lunqen  bei  gewôhnlichem  und  erhôhtem 
Luftdruck.  Pflügers  Archiv .,  Bd.  X,  p.  479-536;  1875. 


TABLEAU  XXII. 


1 

DATES 

DES  EXPÉRIENCES 

2 

W 

O 

>5  Or 

2 £ 

rfi  H 

£ g 

< 

NOMBRE 

DES  MOUVEMENTS 
RESPIRATOIRES  01 

DANS  UNE  MINUTE 

QUANTITÉ  D’AIR  : 

INSPIRÉ  EN  *5» 

QUINZE  MINUTES 

VALEUR  MOYENNE 

DE  uî 

CHAQUE  INSPIRATION' 

QUANTITÉ  D’O 

ABSORBÉ  O 

EN  QUINZE  MINUTES 

QUANTITÉ  DE  CO2 
FORMÉ 

EN  QUINZE  MINUTES 

(litres) 

(litres) 

(grammes) 

(grammes) 

A.  — 

Pression  normale. 

15  novembre.  . . . 

720mm 

15,3 

116,5 

0,51 

7,171 

6,750  ! 

15,7 

117,9 

0,50 

6,465 

6,630 

16  novembre.  . . . 

719 

15,5 

129,2 

0,56 

8,019 

7,719 

17,5 

128,0 

0,48 

7,305 

7,647 

14,6 

115,2 

0,53 

6,380 

7,093 

17  novembre.  . . . 

722 

17,1 

123,8 

0,48 

7,945 

8,132 

15,5 

118,1 

0,51 

8,078 

6,373 

16,0 

120,2 

0,50 

7,187 

8,012 

18  novembre.  . . . 

719 

17,0 

127,5 

0,50 

8,345 

8,710 

15,0 

114,8 

0,51 

7,033 

8,119 

19,6 

129,6 

0,44 

7,972 

7,476 

28  novembre.  . . . 

720 

18,2 

118,6 

0,43 

6,935 

6,887 

17,0 

109,1 

0,43 

5,792 

6,014 

18,2 

108,4 

0,40 

5,675 

5,747 

17  mai 

710 

15,7 

112,4 

0,48 

6,657 

6,782 

15,5 

103,2 

0,44 

5,112 

6,030 

23  mai 

725 

17,5 

117,9 

0,45 

7,327 

7,097 

Moyenne 

719 

16,5 

118  , 

0,48 

7,058 

7,152 

B.  — Pression  augmentée. 

22  novembre.  . . . 

1039 

15,0 

113,4 

0,50 

7,835 

7,330 

15,6 

111,5 

0,47 

7,387 

6,479 

15,6 

106,4 

0,45 

6,565 

5,824 

25  novembre.  . . . 

1059 

16,4 

114,5 

0,46 

8,273 

7,246 

15,4 

107,8 

0,47 

6,481 

6,322 

16,2 

111,0 

0,46 

7,374 

6,602 

25  novembre.  . . . 

1040 

15,8 

107,2 

0,47 

7,719 

6,555 

16,5 

102,9 

0,42 

7,298 

7,691 

16,2 

105,8 

0,44 

7,107 

7,244 

2G  novembre.  . . . 

1040 

15,2 

104,6 

0,46 

6,854 

6,424 

15,9 

107,4 

0,45 

. 6,783 

7,551 

16,2 

107,6 

0,44 

7,494 

8,192 

20  mai 

1038 

15,3 

115,6 

0,50 

8,814 

8,737 

15,5 

112,1 

0,48 

7,869 

8,082 

21  mai 

1045 

16,5 

118,5 

0,48 

8,879 

8,455 

16,1 

115,1 

0,48 

7,804 

8,013 

16,1 

115,2 

0,48 

7,546 

7,358 

22  mai 

1042 

15,6 

104,0 

0,44 

7,185 

6,297 

15,7 

109,4 

0,46 

7,413 

6,722 

15,6 

105,9 

0,45 

6,954 

6,842 

Moyenne 

1040 

15,9 

110,0 

0,46 

7,481 

7,197 

1130 


FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

720mm)  et  dans  Pair  comprimé  (en  moyenne  1040mm).  La  per- 
sonne en  expérience  était  un  homme  de  59  ans,  pesant  59k, 
avec  une  capacité  pulmonaire  de  5*,9;  son  régime  de  vie 
était  fort  régulier,  et  l’auteur  en  indique  les  détails  (p.  504)  ; 
les  expériences  étaient  toujours  faites  à la  même  heure.  Le 
patient,  assis,  une  sorte  de  masque  sur  la  bouche  et  le  nez, 
respirait  pendant  15  minutes  une  quantité  d’air  mesurée  par 
un  compteur  à gaz;  l’appareil  employé,  et  dont  nous  ne 
pourrions  donner  ici  la  description,  est  celui  du  professeur 
Jollv1.  On  pouvait  conclure  des  analyses  à la  fois  le  volume 
d’air  qui  avait  traversé  les  poumons  pendant  la  durée  de 
l’expérience  (15  minutes),  la  quantité  d’acide  carbonique 
produit,  la  quantité  d’oxygène  qui  restait  dans  l’air  expiré, 
d’où  l’on  concluait,  l'azote  étant  supposé  invariable,  la  quan- 
tité d’oxygène  absorbé. 

Je  reproduis  ci-contre  le  tableau  résumé  (tableau  XXII)  de 
ses  trente-sept  expériences. 

C’est  sur  cette  importante  série  d’analyses  que  G.  Liebig 
fait  rouler  une  discussion  qui  n’est  pas  toujours  très-claire, 
et  dont  nous  allons  essayer  de  dégager  les  points  principaux. 

Tout  d’abord,  il  dispose  ses  expériences  en  plusieurs  séries, 
ce  qui  lui  permet  de  comparer  plusieurs  moyennes  ; ces  séries 
sont  établies  d’après  les  chiffres  de  la  colonne  4,  c’est-à-dire 
d’après  la  quantité  d’air  qui  a circulé  dans  les  poumons  pen- 
dant quinze  minutes.  À la  pression  normale,  par  exemple,  la 
première  série  comprend  les  expériences  où  la  circulation 
pulmonaire  a varié  de  121  à 150  litres.  Les  nombres  de  la 
colonne  2 du  tableau XXIII  indiquent  les  limi  tes  pour  chacune 
des  séries;  dans  les  autres  colonnes  sont  inscrites  les  moyen- 
nes qui  leur  correspondent. 

Si  l’on  considère  d’abord  le  côté  chimique  de  la  question, 
on  voit  que  dans  la  moyenne  générale  (tableau  XXII),  comme 
dans  chaque  moyenne  particulière  des  séries  d’égal  rang 
(tableau  XXIII),  la  consommation  d’oxygène  (col.  6)  s’est  mon- 
trée plus  considérable  dans  l’air  comprimé  que  sous  la  pres- 


1 Voy.  Pflüger's  Archiv .,  Bd.  IX,  taf.  VII,  a;  \ 874, 


AUGMENTATION  DE  PRESSION. 


1131 


sion  normale,  La  moyenne  générale  donne  7gr,058  sous  la 
pression  normale,  et  7gr,481  dans  Fair  comprimé,  avec  des 
écarts  extrêmes  allant,  dans  le  premier  cas,  de  5gr,l  1 2 à 
8gr,545,  et  dans  le  second  cas,  de  6gr,481  à 8gr,879.  La  diffé- 
rence est  beaucoup  moins  importante  et  moins  constante  pour 
l’acide  carbonique  (col.  7),  si  l’on  considère  seulement  les 
moyennes;  cependant,  l’examen  des  minima  et  des  maxima 
corrobore  l’idée  d’une  formation  plus  grande  de  CO2  dans 

TABLEAU  XXIII. 


l’air  comprimé  : à la  pression  ordinaire,  en  effet,  les  oscil- 
lations ont  été  de  5gr, 747  à 8gr ,7 10,  et  sous  pression  de  5gr,824 
à 8gr,737. 

Les  nombres  relatifs  à la  ventilation  pulmonaire  (col.  4) 
sont  aussi  fort  intéressants.  D’abord,  bien  évidemment,  il 
passe  à travers  les  poumons,  dans  un  temps  donné,  moins 
d’air,  en  volume,  sous  la  pression  augmentée  qu’à  la  pres- 
sion normale;  la  moyenne  générale  donne  110  et  118,  avec 
des  écarts,  dans  le  premier  cas,  de  102,9  à 118,5,  et  dans  le 
second,  de  105,2  à 129,6.  Le  nombre  des  mouvements  respi- 
ratoires est  également  diminué  dans  Fair  comprimé;  en 


LIMITES 
DES  SÉRIES 


(litres  inspiré 


3 

</) 

Ed 

H C/d 

H 

55  Ed 
Ed  CZ 

P 

Ed 

ce 

3 g 

ca 

> s 

U 

S 

O 

55 

§ g 
B e- 

» 

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rf)  Ed 

55 

Ed  CZ 

a 

Q 

“ en 
K 

a < 
a 

'S 

S es 


< £ £ 
s s 5 


(litres) 


a 55 
p o 


Ed  c/D 
Q 55 


(litres) 


'Ed 
■H  “ 
£ § 


03 

< S 


(grammes) 


c n 

nx  Ed 

■O  £ 

° g 

Ed  — 

« s 

xÿ  £Z  Ed 
O N 
£ fa  £ 


55 

P 

<y 


p 

c 


(grammes) 


I 

II 

III 


de  121  à 150 
de  112  à 121 
de  103  à 112 


A.  — Pression  normale. 


17,5 

15.7 

16.8 


127,6 

117,5 

108.8 


0,49 

0,49 

0,44 


7,91 

7,12 

6,11 


7,94 

7,15 

6.35 


B.  — Pression  augmentée. 


I 

de  115  à 118 

16,1 

115,8 

0,48 

8,26 

7,96 

II 

de  108  à 1 15 

15,6 

111,5 

0,47 

7,56 

7,04 

III 

de  105  à 108 

15,8 

106.0 

0,44 

7.04 

6,89 

1152  FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

moyenne  il  tombe  de  46,5  à 15,9  par  minute.  Il  résulte  de 
ces  deux  modifications  que  famplitude  respiratoire  change 
à peine,  puisqu’elle  ne  varie  en  moyenne  que  de  0‘, 48  (pres- 
sion normale)  à O1, 46  (air  comprimé).  Ajoutons  que  l’inspec- 
tion attentive  des  mouvements  respiratoires,  une  montre  à 
secondes  à la  main,  aurait  permis  à G.  Liebig  de  constater 
que  le  rhythme  respiratoire  lui-même  change  dans  l’air  com- 
primé, l’inspiration  y devenant  plus  courte  et  l’expiration  plus 
longue  : le  rapport  de  durée  entre  ces  deux  phases  aurait, 
dans  une  de  ses  observations,  passé  de  2 : 5 à 1 : 2 (p.  518). 
Il  est  ainsi  cl’accord  avec  ce  qu’avait  dit  Vivenot  (Y.  p.  442  et 
fig.  9),  et  en  contradiction  avec  Panum  (V.  p.  455). 

Tous  ces  résultats,  qui  sont  en  harmonie  avec  les  faits  déjà 
connus,  s’expliquent,  suivant  G.  Liebig,  par  l’action  mécani- 
que de  la  pression  augmentée  : 

On  peut  s’en  rendre  compte  par  les  observations  suivantes.  Supposons 
un  flacon  recouvert  d’une  membrane  élastique;  si  l’on  extrait  l’air  de  ce 
flacon,  à l’aide  d’un  tube  pénétrant  dans  l’intérieur,  on  observera  que  la 
membrane  est  infléchie  en  dedans.  Plus  la  pression  extérieure  sera  forte, 
plus  profond  sera  l’infléchissement,  et  réciproquement,  puisque  son  élas- 
ticité propre  agit  en  sens  inverse  de  la  pression  de  l’air. 

Pendant  l’inspiration,  lorsque  les  parois  de  la  poitrine  se  dilatent,  et 
que  le  diaphragme  se  contracte,  il  tend  à se  former  autour  des  poumons 
un  vide  qui  sera  d’autant  plus  facilement  rempli  que  la  pression  exté- 
rieure de  l’air  sera  plus  forte  relativement  à leur  élasticité.  L’expiration 
deviendra  plus  difficile,  parce  que  la  pression  extérieure  de  l’air  oppose 
une  résistance  au  retour  des  poumons  sur  eux-mêmes.  • 

Panum  et  Vivenot  ont  montré  que  les  parois  de  la  poitrine  et  le  dia- 
phragme prennent  dans  l’air  comprimé  un  état  d’équilibre  différent  de 
l’état  ordinaire,  avec  élargissement  du  thorax.  Ces  parois  présentent  alors 
une  tension  de  dedans  en  dehors  qui  s’oppose  à la  tension  inverse  des 
poumons;  les  deux  forces  se  trouvent  l’une  et  l’autre  dans  un  équilibre 
déterminé  avec  la  troisième  force  qui  entre  en  action,  à savoir  la  pres- 
sion de  l’air.  Si  cette  force  est  accrue  ou  diminuée,  il  se  produira  un 
changement  dans  l’équilibre  du  système.  (P.  516.) 

Le  docteur  Leonid  Simonoff \ directeur  de  l’établissement 
aérothérapique  de  Saint-Pétersbourg,  a tout  récemment  pu- 
blié un  livre  important  sur  la  compression  barométrique,  en- 


1 Aerotherapie.  — Giessen,  1876. 


AUGMENTATION  DE  PRESSION. 


1135 


visagée  au  point  de  vue  médical.  La  partie  physiologique  con- 
tient un  résumé  fort  intéressant  des  connaissances  anté- 
rieures, et  aussi  le  compte  rendu  d’un  certain  nombre  d’ex- 
périences personnelles  sur  les  variations  du  poids  chez  les 
malades  soumis  à la  médication  aérothérapique  : 

Dans  le  cours  de  l’année  1875,  le  docteur  Katschenowskv  a exécuté 
dans  mon  service  médical  des  observations  sur  lui  et  sur  d’autres  person- 
nes  Le  résultat  est  le  suivant  : Avec  des  quantités  de  nourriture  telles 

que  dans  Pair  ordinaire,  il  y aurait  équilibre  entre  les  ingesta  et  les  ex- 
créta, le  poids  du  corps  diminue  successivement  sous  l’influence  d’un 
séjour  quotidien  de  deux  heures  dans  l’air  comprimé.  (P.  79.) 

Mais,  fait  observer  M.  Simonoff,  l’appétit  augmente  tou- 
jours; or,  si  on  le  satisfait,  au  lieu  de  régler  la  nourriture 
comme  l’a  fait  Katschenowsky,  on  voit  le  poids  du  corps 
augmenter.  Sur  cinquante-trois  personnes  qu’il  a exami- 
nées, trente-deux  pesaient  davantage  après  le  traitement  (en 
moyenne  1077gr  par  individu);  deux  n’avaient  pas  changé; 
dix-neuf  avaient  diminué  de  poids  (en  moyenne  786gr  par  in- 
dividu) (p.  81-92).  Il  faut  remarquer  que  toutes  ces  mesures 
ont  été  prises  sur  des  malades , et  que  l’augmentation  du 
poids  du  corps  et  de  l’appétit  paraissait  n’être  qu’un  effet  in- 
direct de  l’amélioration  due  aux  traitements.  Il  faudrait,  pour 
faire  preuve,  expérimenter  sur  des  individus  bien  portants. 

SOUS-CHAPITRE  II 

RÉSUMÉ,  ET  APPLICATIONS  PRATIQUES.  , 

g jer  — Fortes  pressions. 

La  découverte  de  l’action  toxique  de  l’oxygène  à haute  ten- 
sion constitue  à coup  sûr  la  partie  la  plus  intéressante  et  la  plus 
inattendue  de  ce  long  travail.  Les  expériences  faites  sur  les 
animaux  comme  sur  les  végétaux,  sur  les  êtres  aériens  comme 
sur  les  êtres  aquatiques,  sur  les  êtres  compliqués  de  structure 
comme  sur  les  microscopiques  monocellulaires  et  sur  les  élé- 
ments anatomiques  séparés  du  corps,  ont  montré  de  la  ma- 


1154 


FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

nière  la  plus  nette  qu’à  partir  d’une  certaine  tension  oxygé- 
née de  l’atmosphère  ambiante,  la  vie  devient  impossible,  et 
que  la  mort  peut  survenir  avec  une  remarquable  rapidité. 

Chez  les  animaux  à sang  chaud,  les  phénomènes  convulsifs 
violents  dont  nous  avons  donné  la  description  (p.  799)  se  ma- 
nifestent de  suite  au-dessus  de  20  atmosphères  d’air  ; la  mort 
très-rapide  a lieu  au-dessus  de  25  atmosphères  ; mais  les  ef- 
fets fâcheux  se  font  sentir  nettement  dès  6 atmosphères, 
comme  nous  l’avons  vu  par  une  méthode  indirecte  (p.  768). 

Nous  avons  surabondamment  prouvé  qu’ils  sont  la  consé- 
quence non  de  la  pression  barométrique  en  tant  qu’agent 
physico-mécanique,  mais  de  l’augmentation  dans  la  tension 
de  l’oxvgène  ambiant.  Je  renvoie  pour  tous  ces  faits  au  chapi- 
tre IV,  sous-chapitre  I,  où  ils  ont  été  étudiés  avec  détail.  On 
y verra  non-seulement  la  description  des  symptômes  de  l'em- 
poisonnement par  l’oxvgène,  l’indication  de  la  dose  mortelle 
de  l’oxygène  extérieur,  exprimée  en  tensions,  mais  celle  de  la 
richesse  oxygénée  du  sang  qui  correspond  aux  différents  sta- 
des des  phénomènes  extérieurs  : la  mort  arrive  rapidement 
quand  la  proportion  de  ce  gaz  a augmenté  d’un  tiers  dans  le 
sang  artériel.  On  y trouvera  en  outre  démontré  ce  résultat  pa- 
radoxal en  apparence,  que  sous  l’influence  d’une  plus  forte 
oxygénation  du  sang,  les  tissus  s’oxydent  moins,  les  combus- 
tions organiques  diminuent  d’énergie  , la  production  d’acide 
carbonique,  l’excrétion  d’urée,  la  destruction  intra-sanguine 
du  sucre  sont  entravées,  et  que,  par  suite,  la - température 
diminue. 

Ces  faits  perdent  de  leur  étrangeté  en  se  liant  à ceux  que 
révèle  le  chapitre  VI.  Tous  les  éléments  anatomiques,  y est-il 
en  effet  démontré,  subissent  la  redoutable  influence  de  Toxy- 
gène  comprimé  (p.  914);  les  êtres  microscopiques  qui  déter- 
minent les  fermentations  vraies,  sont  tués  par  cet  agent1  ; la 

1 Les  récents  travaux  de  M.  Pasteur  et  les  miens  sur  l’agent  virulent  des  mala- 
dies charbonneuses,  semblent  indiquer  une  exception  à cette  règle  générale.  Les 
corpuscules  reproducteurs  de  certains  vibrions  qui  conservent,  comme  je  l’ai 
montré,  leur  vitalité  pendant  plusieurs  mois  dans  l’alcool  dilué,  résistent  en  effet 
à des  tensions  oxygénées  qui  tuent  les  vibrions  eux-mêmes.  Mais  il  faudrait  savoir 
si  ce  n'est  pas  là  simplement  une  question  de  dose  dans  la  tension,  ou  de  durée 


AUGMENTATION  DE  PRESSION . 


1155 


putréfaction  est  arrêtée,  et  la  consommation  d’oxygène  qui 
lui  est  concomitante  diminue  jusqu’à  pouvoir  être  réduite  à 
zéro.  Or  les  éléments  anatomiques,  en  présence  de  l’oxygène 
en  excès,  se  comportent  comme  les  êtres  élémentaires  libres, 
et,  périssant,  cessent  de  consommer  l’oxygène  nécessaire  à 
l'entretien  de  leurs  actes  vitaux. 

Suivons  ceci  d’un  peu  plus  près.  Et  d’abord,  nous  l’avons 
vu,  pour  les  végétaux  comme  pour  les  animaux,  la  pression 
de  5 ou  6 atmosphères  d’air  (tension  oxygénée  100  à 120) 
amène  des  troubles  assez  graves  pour  que  des  expériences  de 
laboratoire,  qui  s’exécutent  à bref  délai,  les  signalent  d’une 
manière  manifeste.  Ainsi  la  respiration  d’oxygène  pur,  à la 
pression  normale  (tension  100),  ne  pourrait  être  longtemps 
supportée  par  les  animaux  à sang  chaud.  Vers  10  ou  12  atmo- 
sphères apparaissent  des  troubles  assez  rapidement  mortels, 
et  vers  20  atmosphères,  les  convulsions  caractéristiques  de 
l’empoisonnement  oxygéné.  Or,  à 6 atmosphères,  l’oxygène 
du  sang  artériel  n’a  augmenté  que  de  5 volumes;  à 12  at- 
mosphères, il  a passé  en  moyenne  de  20  à 25  volumes,  et  à 

20  atmosphères,  de  20  à 29  (voy.  fig.  56,  p.  664);  quand  il 
passe  de  20  à 55  (exemple  : expérience  CCLXXXVII,  27  at- 
mosphères), la  mort  arrive  en  quelques  minutes.  D’autre 
part,  nous  avons  à plusieurs  reprises  insisté  sur  ce  fait,  que 
le  sang  artériel,  dans  les  actes  normaux  de  la  respiration,  ne 
se  sature  presque  jamais  d’oxvgène.  Quand  on  ouvre  la  tra- 
chée et  qu’il  s’ensuit,  comme  cela  arrive  souvent,  une  respi- 
ration tout  à fait  exagérée,  ou  quand  on  agite  le  sang  dans 
un  flacon  plein  d’air,  on  le  voit  gagner  5 ou  4 volumes  en 
moyenne. 

Ainsi,  la  pression  de  6 atmosphères  d’air  environ  a pour 
conséquence  d’introduire  dans  le  sang  artériel  à peu  près  la 
quantité  d’oxygène  qui  serait  nécessaire  pour  le  saturer  sous 
la  pression  normale.  Et,  nous  l’avons  vu,  cette  pression  com- 
mence à être  pernicieuse  pour  les  organismes  supérieurs.  La 

dans  l’expérience.  Je  poursuis  cette  question,  à laquelle  je  na  saurais  encore  don- 
ner une  réponse.  (Voy.  les  Comptes  rendus  de  l'Académie  des  sciences.  Séances  des 

21  mai,  9 juillet,  50  juillet  1877.) 


1136  FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

saturation  du  sang  serait  donc  une  condition  fâcheuse,  et  par 
une  heureuse  harmonie,  lorsqu’elle  est  atteinte,  Y apnée  qui 
intervient  l’empêche  aussitôt  de  persister. 

A partir  de  ce  degré  de  pression,  la  combinaison  oxy-hé- 
moglobique  est  satisfaite,  et  l’oxygène  qui  s’ajoute  au  sang  sui- 
vant une  progression  qui  se  rapproche  de  la  loi  de  Dalton 
(p.  665,  700)  n’est  plus  que  de  l’oxygène  dissous,  également 
réparti  entre  les  globules  et  le  plasma  ; et  même,  si  le  séjour 
dans  l’air  comprimé  dure  un  temps  suffisant,  il  doit  se  dis- 
soudre aussi  dans  les  tissus  au  même  degré.  Or,  fait  du  plus 
haut  intérêt,  c’est  en  présence  de  cet  oxygène  simplement 
dissous,  libre,  que  les  oxydations  intimes  se  ralentissent,  puis 
s’arrêtent.  Il  semble  que  les  tissus  aient  besoin,  pour  s’oxy- 
der, de  l’oxygène  emprunté,  enlevé  à la  combinaison  oxy- 
hémoglobique,  si  bien  que,  en  présence  de  l’oxygène  dissous 
apporté  par  la  compression,  ou  les  tissus  deviennent  incapa- 
bles d’opérer  cette  dissociation,  ou  les  globules  ne  peu- 
vent plus  céder  leur  oxygène,  et  demeurent  condamnés  à la 
saturation  perpétuelle,  «le  ne  connais  rien,  en  chimie  physio- 
logique, de  plus  curieux  que  cette  sorte  d 'action  de  présence 
de  l’oxygène  dissous,  ayant  pour  conséquence  non  d’activer, 
mais  d’arrêter  une  combinaison.  Quoi  qu’il  en  soit  des  expli- 
cations possibles,  il  est  certain  que  les  oxydations  organi- 
ques ne  se  font  plus  lorsque  le  glojrule  sanguin,  chargé  cepen- 
dant au  maximum  d’oxygène,  est  entouré  de  cette  espèce 
d’atmosphère  d’oxygène  libre,  dissous  dans  le  plasma,  dissous 
dans  les  tissus. 

Nous  avons  vu,  je  le  rappelle  encore,  que  cette  cessation 
de  l’activité  oxydante  des  tissus  a lieu  en  présence  de  l’excès 
d’oxygène,  non-seulement  chez  les  animaux  à globules  rouges, 
mais  chez  tous  les  êtres  vivants.  Or,  cette  cessation  des  phé- 
nomènes vitaux  n’est  pas  seulement  momentanée,  comme 
celle  que,  chez  les  êtres  inférieurs,  occasionne  la  diminution 
de  pression,  mais  est  une  véritable  mort,  une  mort  définitive; 
ce  qui  montre  que  bien  évidemment  il  ne  s’agit  pas  ici  d’une 
simple  suspension,  mais  d’une  déviation  des  phénomènes 
vitaux.  Une  graine  maintenue  dans  le  vide,  germe  lorsqu’on 


AUGMENTATION  UE  PRESSION. 


1137 


laisse  rentrer  l’oxygène;  un  chien  qui  a des  convulsions 
d’asphyxie  revient  à lui  quand  on  lui  rend  l’air.  Mais  la 
graine  maintenue  sous  compression  ne  germera  plus  ; le 
chien  ramené  de  l’oxygène  comprimé  à la  pression  normale, 
peut,  après  vingt-quatre  heures  de  convulsions  consécutives, 
périr  sans  s’être  amélioré  (exp.  CCLXXVIII,  p.  777).  Il  semble 
qu’il  se  soit,  sous  l’influence  de  l’oxygène  comprimé,  formé 
dans  les  éléments  anatomiques  quelque  produit  toxique,  qui 
ne  peut  pas  toujours  s’éliminer,  et  tue  alors  même  que  sa  cause 
formatrice  a disparu.  Aller  plus  loin  que  cette  hypothèse  me 
paraîtrait  une  imprudence  dans  l’état  actuel  de  la  science. 

Les  travaux  de  M.  Pasteur  ont  appris  que  les  êtres  vivants 
microscopiques  peuvent  être  divisés  en  deux  groupes,  les  uns 
ayant  besoin  pour  vivre  du  contact  de  l’air,  de  l’oxygène  libre 
(aérobies),  les  autres  (anaérobies)  redoutant  l’air,  au  con- 
traire, et  empruntant  l’oxygène  qu’ils  consomment  à des  ma- 
tières organiques  qu’ils  décomposent  dans  ce  but.  Or,  ce  que 
nous  venons  de  dire  montre  que  les  éléments  anatomiques 
groupés  en  tissus  sont  essentiellement  anaérobies.  Chez  les 
animaux  supérieurs,  où  il  a été  possible  de  pousser  assez  loin 
l’analyse  des  phénomènes,  nous  savons  que  c’est  à l’oxy-hé- 
moglobine  qu’ils  demandent  leur  oxygène  ; mais  quand  celle- 
ci  étant  saturée,  ce  dernier  gaz  apparaît  simplement  dissous 
dans  le  plasma  et  les  tissus,  ils  deviennent  malades  et  meu- 
rent si  l’expérience  dure  assez  longtemps,  ou  si  la  dose  d’oxy- 
gène libre  est  assez  forte,  absolument  comme  font  les  vi- 
brions de  la  fermentation  butyrique1  en  présence  de  l’air 
atmosphérique.  Le  globule  rouge  semble  seul  faire  excep- 
tion, car  il  paraît  bien  essentiellement  aérobie;  mais  je 
penche  à croire  que  ce  n’est  là  qu’une  illusion,  car  ce 
globule  lui-même,  lorsque  son  stroma  constitutif,  sa  glo- 
buline, contient  de  l’oxygène  libre  après  la  saturation  de 
la  teinture  (hématocristalline)  avide  d’oxygène  qu’il  porte  en 
lui,  périt  comme  les  autres  éléments  anatomiques  (V.  p.  917). 
Aussi,  dans  l’état  régulier  des  choses,  ainsi  que  nous  l’avons 

1 Voy.  Pasteur,  Études  sur  la  bière , p.  293.  — Paris,  1876. 

72  • 


1138 


FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ETJXimUSIONS. 


vu,  jamais  la  combinaison  oxy-hémoglobique  n’est  saturée 
d’oxygène.  Il  est  à remarquer,  du  reste,  que  les  micro-orga- 
nismes aérobies,  comme  les  bactéries,  périssent  également 
sous  Finfluence  de  Foxygèrie  comprimé;  on  peut  dès  lors 
faire  l’hypothèse  qu’elles  portent  en  elle,  comme  le  globule 
rouge,  quelque  matière  avide  d’oxygène  et  dont  la  combinai- 
son oxygénée  nourrit  leur  propre  substance  constituante.  Dans 
cette  hypothèse,  tous  les  êtres  vivants  et  toutes  leurs  parties 
prises  isolément,  seraient  anaérobies.  Quoi  qu’il  en  soit,  le 
parallélisme  s’établit  parfaitement  entre  les  globules  rouges 
et  les  bactéries  d’une  part,  les  éléments  anatomiques  et  les 
vibrions  d’autre  part.  Mais  si  différents  qu’ils  paraissent  être, 
divisés  ici  deux  à deux,  tous  se  ressemblent  par  la  mort  qui 
les  frappe  rapidement  en  présence  d’une  dose  suffisante 
d’oxygène  dissous. 

Avant  de  quitter  ce  sujet,  appelons  encore  l’attention  sur 
cette  application  nouvelle  de  la  règle  générale,  que  lorsqu’un 
poison  frappe  tout  l’organisme,  c’est  le  système  nerveux  qui 
réagit  le  premier.  Le  chien  dans  l’air  comprimé  a d’abord  des 
convulsions  ; et  celles-ci,  troublant  les  mécanismes  dont  l’har- 
monie est  nécessaire  à l’entretien  de  la  vie,  le  tuent  avant 
que  les  autres  éléments  anatomiques  soient  frappés  à mort; 
mais  c’est  pour  ces  derniers  une  question  de  temps.  Son 
sang  est  encore  capable  de  rappeler  à la  vie  un  autre  chien 
exsangue;  mais  si  on  l’agite  pendant  quelques  heures  sous 
pression  oxygénée,  il  tuera  l’animal  sain  auquel  on  l’injec- 
tera, bien  loin  de  pouvoir  sauver  l’exsangue  mourant.  De 
même,  la  queue  du  rat  mort  par  l’oxygène  se  peut  parfaite- 
ment greffer;  mais  une  plus  longue  exposition  dans  l’oxygène 
comprimé  en  tuera  les  éléments  et  la  greffe  se  résorbera 
sans  suppuration  (p.  944). 


g 2.  — Faibles  pressions. 

Je  désigne  sous  ce  titre,  ainsi  que  je  l’ai  fait  dans  le  sous- 
chapitre  Il  du  chapitre  IV (p.  816-844),  les  pressions  interné- 


AUGMENTATION  ÜE  PRESSION. 


1139 


diaires  entre  une  et  cinq  atmosphères  d’air,  dans  lesquelles  la 
tension  de  l’oxygène  varie  entre  celle  de  l’air  (20,9)  et  les 
100  de  l’oxygène  pur.  Avec  ces  tensions,  comme  je  viens  de 
le  faire  remarquer,  le  sang  artériel  n’est  pas  complètement 
saturé  d’oxygène,  bien  qu’il  en  soit  de  plus  en  plus  riche  à 
mesure  que  l’on  s’éloigne  de  la  pression  normale. 

Ces  pressions  faibles  sont  fort  importantes  à étudier  pour 
le  médecin  et  pour  l’hygiéniste,  puisque  ce  sont  celles 
qu’on  emploie  dans  la  thérapeutique  d’une  part  et  de  l’autre 
dans  l’industrie.  Mais  au  point  de  vue  où  j’étais  placé,  ce  qui 
m’y  paraissait  le  plus  intéressant,  c’était  de  chercher  à 
quelle  pression  se  trouvait  réalisé  le  maximum  d’oxydation 
intra-organique.  Nous  avons  vu,  d’une  part,  que  depuis  les 
plus  faibles  pressions  jusqu’à  une  atmosphère,  et  d’autre 
part  que,  à partir  de  cinq  ou  six  atmosphères  et  au-dessus, 
ces  oxydations  s’en  vont  en  diminuant  : où  serait  placé  le 
sommet  de  la  courbe  qui  représenterait  ces  phénomènes? 

Or,  mes  analyses  directes  de  la  quantité  d’acide  carboni- 
que exhalé,  d’oxygène  absorbé,  d’urée  sécrétée  dans  un  temps 
donné,  et  mes  recherches  indirectes  sur  la  rapidité  des  pu- 
tréfactions, tendent  à démontrer  que  c’est  aux  environs  de 
trois  atmosphères,  vers  la  tension  de  60  d’oxygène  que  se 
trouve  le  maximum  cherché.  Les  récentes  expériences  de 
G.  Liebig  (p.  1130)  déposent  dans  le  même  sens. 

Mais  je  suis  le  premier  à reconnaître  que  rien  n’est  plus 
difficile  que  de  semblables  expériences,  et  que  les  conclu- 
sions sont  toujours  périlleuses.  Relativement  à la  production 
de  l’urée,  par  exemple,  ou  bien  nous  maintiendrons  le  sujet 
en.  expérience  à une  nourriture  bien  régulière,  et  alors  l’ex- 
cès d’oxydation,  s’il  y en  a un,  s’exerçant  sur  les  matériaux 
de  l’organisme  lui-même,  cessera  en  les  épuisant  de  se  mani- 
fester; ou  bien  nous  augmenterons  la  nourriture,  et  alors 
l’augmentation  d’urée  produite  n’aura  plus  de  mesure  possi- 
ble, puisque  nous  ne  connaissons  pas  l’équivalent  en  urée 
des  divers  aliments  : j’ai  commencé  sur  ce  dernier  point  des 
recherches  encore  incomplètes.  Mais  malgré  toutes  ces  cau- 
ses d’erreur,  je  suis  frappé  de  la  concordance  des  analyses 


1140  FAITS  RÉGENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

de  Vivenot,  Panum,  G.  Liebig,  J.  Pravaz,  avec  les  miennes,  et 
aussi  du  témoignage  unanime  des  médecins  et  des  ingénieurs 
sur  Paugmentation  de  l’appétit  des  malades  ou  des  ouvriers 
soumis  à Pair  comprimé.  Mes  conclusions  me  semblent  donc 
pour  le  moins  très-vraisemblables. 

Il  en  résulterait,  si  nous  considérons  les  animaux  supé- 
rieurs, que  les  oxydations  organiques  augmenteront  d’inten- 
sité quand  on  se  rapprochera  de  la  saturation  de  la  combi- 
naison oxy-hémoglobique.  On  peut  imaginer  que  ce  sera  là 
le  point  maximum,  celui  où  l’oxydation  se  fera  le  plus  faci- 
lement, les  dernières  molécules  d’oxygène  étant  pour  ainsi 
dire  hésitantes,  à peine  retenues  par  l’hémoglobine,  prêtes 
à la  quitter  pour  se  combiner  aux  tissus;  au  delà,  comme 
nous  l’avons  vu  plus  haut,  les  oxydations  diminuent. 

Mais  d’autre  part,  la  manière  d’être,  la  rapidité  de  dévelop- 
pement des  animaux  inférieurs,  têtards  de  grenouilles,  larves 
d’insectes,  maintenus  pendant  longtemps  sous  les  tensions 
d’oxygène  comprises  entre  21  et  100,  démontrent  d’une  ma- 
nière fort  nette  que  s’il  y a augmentation  de  nutrition,  il  n’y 
a pas,  tant  s’en  faut,  meilleur  état  général.  A partir  de  80 
même,  l’influence  funeste  de  l’oxygène  se  fait  évidemment 
sentir.  11  en  va  de  même,  et  avec  une  bien  plus  grande  inten- 
sité encore,  pour  les  germinations,  qui  ne  s’opèrent  jamais 
mieux  que  sous  la  pression  normale. 

Ce  point  étudié,  je  ne  pouvais  me  désintéresser  complète- 
ment des  modifications  apportées  par  l’air  comprimé  à la 
circulation  et  la  respiration,  modifications  tant  de  fois  ana- 
lysées par  les  médecins.  J’ai  constaté  après  bien  d’autres 
observateurs  la  diminution  du  nombre  des  pulsations  et 
l’augmentation  de  la  capacité  pulmonaire  maxima  : j’ai 
trouvé  que  la  quantité  d’air  (en  volume)  qui  traverse  le  pou- 
mon pendant  un  temps  donné  ne  change  pas  sensiblement 
dans  l’air  comprimé  : ce  point  n’avait  pas  été  directement 
examiné  avant  moi  ; je  dois  dire  que,  selon  G.  Liebig,  elle  di- 
minuerait un  peu  (dans  le  rapport  de  118  à 100). 

Le  fait  le  plus  intéressant  que  m’ait  fourni  cette  partie  de 
mes  recherches,  est  la  preuve  que  l’amplitude  plus  grande 


AUGMENTATION  DE  PRESSION. 


1141 


du  poumon  est  due  à l’action  mécanique  de  la  compression 
sur  les  gaz  intestinaux  (p.  855).  Elle  a encore  pour  conséquence 
de  diminuer  les  variations  de  la  pression  aérienne  intra- 
thoracique pendant  les  actes  d’inspiration  et  d’expiration. 
Entin  j’ai,  le  premier,  mesuré  directement  la  pression  arté- 
rielle sous  compression,  et  montré  qu’elle  est  notablement 
augmentée  encore  par  l’action  mécanique  de  la  pression. 

J’ai  été  jusqu’ici  assez  sévère  contre  les  explications  qui 
ont  invoqué  le  côté  mécanique  de  la  pression  pour  insister 
sur  ces  constatations  nouvelles.  Mais,  ainsi  que  je  l’ai  sou- 
vent dit,  la  pression  ne  peut  à ce  point  de  vue  agir  que  sur 
des  réservoirs  gazeux;  c’est  ce  qu’elle  fait  pour  l’intestin, 
vessie  close,  dont  le  volume  diminue  suivant  la  loi  de  Mariotte, 
le  poumon  devant  suivre  alors  le  diaphragme  qui  s’abaisse 
davantage;  c’est  ce  qu’elle  fait  pour  le  thorax,  qui  serait 
écrasé  si  l’ouverture  trachéale  n’existait  pas,  et  qui  ne  serait 
nullement  impressionné  si  cette  ouverture  était,  ce  qu’elle 
n’est  pas,  suffisamment  large. 

Mais  l’in  tensité  relative  de  cette  action  de  la  pression  va  en  di- 
minuant avec  la  valeur  de  la  compression  ; et  cela  se  comprend, 
car  si  l’intestin  perd,  en  passant  de  une  à deux  atmosphères, 
la  moitié  de  son  volume,  il  ne  diminue  que  d’un  quart  en  sus 
en  passant  de  deux  à quatre.  De  plus,  l’augmentation  de  la 
capacité  thoracique  ne  peut  représenter  qu’une  partie  de  la 
réduction  de  volume  de  l’intestin,  parce  que  les  parois  de 
l’abdomen  en  comblent  une  proportion  qui  doit  aller  en 
croissant  avec  la  pression,  le  diaphragme  rencontrant  dans 
sa  descente  des  obstacles  de  plus  en  plus  forts. 


§ 3.  — Décompression  brusque. 

Je  crois  avoir  élucidé,  dans  le  chapitre  Vît,  tout  ce  qui  a 
rapport  à cette  question,  relativement  assez  simple,  puis- 
qu’elle est  purement  d’ordre  physique.  J’ai  montré  que  tous 
les  accidents,  depuis  les  plus  faibles  jusqu’à  ceux  qui  en- 
traînent une  mort  soudaine,  sont  la  conséquence  du  déga- 


1142  FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

gement  de  bulles  d’azote  dans  le  sang  et  même  dans  les  tissus 
quand  la  compression  avait  duré  une  temps  suffisant. 

Ces  quelques  lignes  suffisent  pour  résumer  cette  partie  de 
notre  étude,  sur  laquelle  nous  allons  revenir  dans  le  paragra- 
phe suivant. 

g 4.  — Applications  pratiques.  Thérapeutique  et  hygiène. 

A.  Thérapeutique.  — Je  me  garderai,  observant  en  ceci  la 
même  prudence  que  lorsqu’il  s’est  agi  de  l’air  raréfié,  d’ex- 
poser et  de  juger  les  applications  qu’on  a faites  depuis  Junod, 
Pravaz  et  Tabarié,  de  l’air  faiblement  comprimé  au  traitement 
de  diverses  maladies.  Je  pourrais  cependant  affirmer,  après 
tant  d’autres,  l’utilité  de  cette  médication  dans  certains  asth- 
mes et  dans  l’anémie.  Mais  j’aime  mieux,  ayant  cité  ces  deux 
maladies,  dire  que  le  séjour  dans  les  appareils  à air  comprimé 
me  paraît  agir  sur  elles  d’une  manière  différente  : pour 
l’asthme,  je  crois  que  c’est  l’action  mécanique  dont  j’ai  plus 
haut  parlé  qui  l’emporte;  pour  l’anémie,  je  crois  que  c’est 
l’action  chimique,  la  saturation  plus  parfaite  de  l’oxy-hémo- 
globine. 

L’intérêt  de  cette  distinction  gît  en  ceci,  que  dans  les  cas 
où  l’action  chimique  devra  être  recherchée,  et  ce  sont  très- 
probablement  ceux  où  il  s’agira  de  modifier  la  nutrition,  on 
pourrait  parfaitement  remplacer  le  séjour  dans  les  cylindres 
à compression  par  la  respiration  d’air  suroxygéné  : grand  avan- 
tage, on  le  comprend,  dans  la  pratique  thérapeutique,  car  ja- 
mais les  coûteux  appareils  à air  comprimé  ne  pourront  fonc- 
tionner hors  des  grandes  villes  ou,  des  villes  d’eau,  tandis 
que  rien  n’est  plus  facile  que  de  se  procurer  de  l’oxygène  à 
domicile. 

Mais  il  faut  bien  s’entendre  sur  l’emploi  des  inhalations 
d’oxygène.  Depuis  le  jour  où  Priestley  disputa  à deux  souris 
« l’honneur  d’avoir  le  premier  respiré  l’air  déphlogisti- 
qué  1 « jusqu’à  l’époque  actuelle,  bien  des  tentatives  ont  été 

1 Priestley,  Expériences  et  observations  sur  l'air,  etc.  Trad.  Gibelin,  t.  Il,  p.  125. 


AUGMENTATION  DE  PRESSION. 


1143 


faites  pour  introduire  les  respirations  d’oxygène  dans  le  do- 
maine de  la  thérapeutique1.  L’enthousiasme  des  auteurs  de  la 
fin  du  dernier  siècle  et  du  commencement  de  celui-ci  pour 
les  vertus  curatives  de  l’air  vital,  n’était  tempéré  que  par  une 
crainte  : l’action  irritante  de  l’oxygène  sur  le  tissu  des  pou- 
mons, et  surtout  l’activité  dévorante  qu’il  devrait  imprimer 
aux  oxydations  vitales.  Brizé-Fradin2  s’exprime  sur  ce  point 
avec  une  grande  énergie  : 

L’air  vital  ou  l’oxygène  pur  userait  bientôt  la  vie  au  lieu  de  l’entretenir... 
Le  flambeau  de  la  vie,  brûlant  avec  précipitation,  s’éteindrait  bientôt... 
La  fièvre  emporterait  bientôt  celui  qui  ferait  un  usage  immodéré  de  l’air 
vital. 

Il  est  impossible  de  respirer  l’oxygène  seul  au  delà  de  deux  minutes  ; 
les  pulsations  du  pouls  sont  alors  plus  vives,  plus  fréquentes;  on  éprouve 
un  état  de  gêne  insupportable.  (P.  133.) 

Il  est  à peine  besoin  de  dire  que  la  violence  des  sensations 
et  des  troubles  éprouvés  est  purement  imaginaire,  à moins 
cependant  que  le  gaz  oxygène  ne  fût  mal  préparé. 

Après  être  complètement  tombé  dans  l’oubli,  l’oxygène 
tend  à reprendre  faveur  depuis  plusieurs  années.  Mais  je  me 
permets  de  penser  qu’on  s’y  prend  fort  mal  dans  son  applica- 
tion, et  que,  s’il  est  possible  d’espérer  quelque  utilité  de  son 
emploi , c’est  à la  condition  de  changer  totalement  de  mé- 
thode. 

On  fait,  en  effet,  respirer  aux  malades  l’oxygène  presque 
pur,  et  comme  alors  il  n’est  pas  possible  d’en  avoir  une  grande 
quantité,  on  en  administre  quelques  litres  (généralement  50 
au  maximum  en  France),  qui  sont  absorbés  en  5 ou  6 minu- 
tes au  plus.  Cette  manière  de  procéder  offre  deux  inconvé- 
nients : d’abord  on  ne  peut  espérer  quelque  action  durable 
d’une  légère  augmentation  pendant  dix  minutes  au  plus, 
dans  l’oxygène  du  sang  ; en  second  lieu,  comme  on  s’efforce 
d’employer  de  l’oxygène  aussi  pur  que  possible,  il  est  possible 

1 Voy.  pour  l’historique  de  la  question,  Demarquay  : Essai  de  pneumatologie 
médicale;  Paris,  1866.  — Voy.  aussi  l’intéressante  brochure  du  Dr  Andrew  Smith  : 
Oxygen  gas  as  a remedy  in  disease;  New  York,  1870. 

2 La  chimie  pneumatique  appliquée  aux  travaux  sous  Veau.  — Paris,  1808. 


1144 


FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

qu’on  aille  à rencontre  du  but  qu’on  se  propose  d’atteindre 
en  dépassant  le  maximum  d’oxygénation  véritablement  utile 
aux  oxydations.  Ainsi,  choc  violent  et  de  peu  de  durée,  agis- 
sant peut-être  en  sens  inverse  de  ce  qu’on  désire,  tel  est  le 
résumé  de  la  méthode,  qui  ne  me  paraît  pas  devoir  être  con- 
servée dans  la  grande  majorité  des  cas. 

Je  ne  voudrais  la  voir  désormais  appliquée  que  dans  les  cas 
menaçants  d’asphyxie1,  d’empoisonnement  par  l’oxyde  de 
carbone2  ou  le  gaz  des  égouts,  là  où  l’on  a peu  de  temps  pour 
agir.  Encore  faudrait-il  employer  seulement  de  l’air  à envi- 
ron 60  pour  100  d’oxygène,  et  continuer  les  inhalations  pen- 
dant au  moins  une  heure. 

Les  attaques  d’asthmes  pourraient  aussi  être  favorablement 
modifiées  par  ces  inhalations,  mais  beaucoup  moins,  sans 
doute,  que  par  l’air  comprimé,  où  l’action  mécanique  s’ajoute 
à l’action  chimique. 

Mais  s’il  s’agit  de  combattre  une  affection  lente,  comme  l’a- 
némie, mon  avis  est  d’essayer  de  faire  respirer  au  malade, 
tous  les  jours,  pendant  deux  heures  environ,  un  mélange  à 
25  ou  50  pour  100  d’oxygène  seulement,  ce  qui  correspon- 
drait à une  compression  de  20  à 55  centimètres.  Pour  ce  temps, 
il  faudrait  au  plus  une  quantité  totale  d’un  mètre  cube  de 
mélange  gazeux,  contenant  de  50  à 1 00  litres  d’oxygène  ajouté; 
des  ballonnets  de  baudruche,  avec  flacons  laveurs  odorifé- 
rants, suffiraient  dans  la  pratique,  et  les  manipulations  néces- 
saires deviendraient  bientôt  familières  aux  malades.  J’ai  la 
profonde  persuasion  qu’on  éprouverait  d’une  semblable  mé- 
dication d’aussi  bons  résultats  que  de  l’emploi  de  l’air  com- 
primé. 

Je  trouve  qu’on  a été  jusqu’ici  un  peu  trop  timoré  dans 
l’emploi  thérapeutique  de  l’air  comprimé.  Jamais,  en  effet,  on 
n’a,  dans  les  appareils  médicaux,  dépassé  2 atmosphères, 

1 Voy.  Constantin  Paul,  De  l'emploi  de  V oxygène  en  thérapeutique  (Bull.  gén.  de 
thérap .,  15  août  1868,  observ.  1 et  III),  et  Limousin,  Note  sur  le  traitement  de 
l'asphyxie  par  le  gaz  oxygène  ; Bull,  des  travaux  de  la  Soc.  de  méd.  pratique  de 
Paris,  1871. 

2 Voy.  Linas  et  Limousin,  Asphyxie  par  le  charbon;  traitement  et  guérison  par 
l'oxygène.  — Société  de  thérapeutique  ; 17  juillet  1868. 


AUGMENTATION  DE  PRESSION. 


1145 


pression  totale  ; rarement  même  on  les  atteint.  Je  crois  qu’on 
pourrait  pousser  sans  inconvénient  jusqu’à  5 atmosphères; 
c’est  vers  ce  niveau,  en  effet,  que  se  trouve  le  maximum  des 
oxydations  intra-organiques,  et  si  c’est  en  augmentant  les  oxy- 
dations que  l’air  comprimé  agit  favorablement  sur  les  malades, 
on  peut  aller  jusque-là  logiquement. 

Pravaz,  on  l’a  vu,  a fait  quelques  tentatives  pour  l’emploi 
chirurgical  de  l’air  comprimé.  Je  suis  étonné  qu’il  n’ait 
pas  songé  à le  préconiser  dans  les  cas  de  hernies  étranglées 
où  l’intestin  contient  beaucoup  de  gaz  qui  empêchent  la  ré- 
duction; à 2 atmosphères,  le  volume  de  ces  gaz  aurait  dimi- 
nué de  moitié,  des  deux  tiers  à 5 atmosphères,  ce  qui  ne  se- 
rait pas  indifférent.  On  devrait,  bjen  entendu,  recommencer 
le  taxis  dans  l’appareil  même. 

Enfin,  dans  certaines  tympanites  suffocantes,  si  l’on  sou- 
mettait le  malade  à l’air  comprimé,  on  verrait  aussitôt  ces- 
ser les  menaces  d’étouffement.  Peut-être  reparaîtraient-elles 
si  aucune  médication  ne  pouvait  enrayer  la  maladie;  mais 
il  vaut  la  peine  d’essayer.  En  tout  cas,  il  faudrait  garder  les 
malades  dans  les  cylindres  jusqu’à  guérison  complète. 

Qu’adviendrait-il  de  l’emploi  médical  de  très-hautes  pres- 
sions, 5 atmosphères  et  plus?  La  diminution  des  combus- 
tions ferait,  certes,  de  cette  médication,  un  antiphlogistique; 
mais  n’y  aurait-il  pas  quelque  autre  élément  en  jeu?  Il  est 
probable  que  l’essai  ne  sera  pas  fait  de  longtemps,  du  moins 
par  les  médecins  des  hôpitaux.  Ceux  qui  soignent  les  ouvriers 
tubistes  et  les  plongeurs  ont  eu  déjà,  nous  l’avons  vu,  l’occa- 
sion de  constater  que  l’oxygène  à haute  tension  exerce  une  ac- 
tion favorable  sur  les  phénomènes  inflammatoires. 

B.  Hygiène.  — Les  ouvriers  qui  travaillent  aux  piles  de 
pont,  les  plongeurs  à scaphandre,  n’ont  pas  encore  atteint  le 
degré  où  la  respiration  de  l’air  comprimé  devient,  d’après 
nos  expériences,  évidemment  dangereuse  : la  pression  la  plus 
forte  qui  ait  été  obtenue  jusqu’ici  a été  de  4atm  ,25  à Douchy 
et  de  4,45  à Saint-Louis  U.  S.  Et  cependant  déjà,  certains 
accidents  d’anémie  pouvaient  être  mis  au  compte  de  ces 
fortes  pressions.  Seulement,  les  phénomènes  de  la  dépression 


i 


1146 


FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

viennent  tellement  compliquer  les  choses  qu’il  est  impossi- 
ble de  rien  affirmer. 

Mais  si  les  nécessités  de  l’industrie  entraînent  l’emploi  de 
pressions  dépassant  5 atmosphères,  on  peut  s’attendre  à voir 
survenir  chez  les  ouvriers  des  accidents  dont  la  gravité  aug- 
mentera rapidement;  à 10  atmosphères,  je  ne  mets  pas  en 
doute  que  la  mort  ne  soit  fréquente,  et  je  ne  parle,  bien  en- 
tendu, ici,  que  du  stade  de  compression. 

Si  l’importance  de  ces  travaux  est  suffisante  pour  motiver 
de  grandes  dépenses,  et  le  cas  pourra  se  présenter,  par  exem- 
ple, pour  les  pêcheurs  de  perles,  d’éponges  et  surtout  de  co- 
rail, pour  les  scaphandriers  dans  quelque  sauvetage  précieux, 
il  sera  possible  de  tourner  la  difficulté:  l’augmentation  dans 
la  tension  de  l’oxygène  ambiant  constituant  le  danger,  il  fau- 
dra la  diminuer  en  telle  sorte  qu’elle  oscille  toujours  à peu 
près  entre  la  valeur  normale  de  21  et  celle  de  60,  qui  semble 
inoffensive.  Pour  y arriver,  il  faudra  refouler  dans  les  tubes 
non  de  l’air  ordinaire,  mais  de  Pair  pauvre  en  oxygène.  L’ap- 
pareil à l’aide  duquel  M.  Tessié  du  Motay  prépare  l’oxygène 
pourrait  être  ici  utilisé;  on  pourrait  en  obtenir,  en  effet,  de 
l’azote  ne  contenant  que  très-peu  d’oxygène.  En  mêlant  dans 
des  proportions  convenables  cet  azote  avec  Pair  ordinaire,  on 
réaliserait  aisément  les  proportions  voulues  : à 8 atmosphères, 
par  exemple,  pour  ramener  la  tension  de  l’oxygène  à 40,  il 
faudrait  envoyer  de  Pair  contenant  5 pour  100  seulement 
d’oxygène.  L’hydrogène  pourrait  également  être  employé,  et 
l’on  sait  que  M.  Giffard  le  prépare  aujourd’hui  à des  prix 
extrêmement  modérés. 

Mais  si  l’on  suppose  ces  graves  difficultés  vaincues,  on  se 
trouvera  en  présence  des  dangers  de  la  décompression,  singu- 
lièrement aggravés  par  l’énorme  proportion  d’azote  qui  se 
sera  dissoute  dans  Je  sang.  Déjà,  comme  nous  Pavons  vu,  les 
accidents  sont  fréquents,  même  avec  Pair  ordinaire.  Mais  pour 
ce  dernier  cas,  le  seul  qui  se  soit  jusqu’ici  présenté,  nos  re- 
cherches nous  ont  amené  à des  conséquences  pratiques  très- 
importantes  et  très-applicables. 

Dès  que  la  pression  employée  atteindra  2 atmosphères  en 


AUGMENTATION  DE  PRESSION. 


1147 


pression  totale,  il  sera  bon  de  surveiller  de  près  ; il  n’y  a pas 
encore  de  danger  véritable,  mais  déjà  les  douleurs  locales 
apparaissent,  et  il  est  utile,  du  reste,  d’habituer  de  bonne 
heure  les  ouvriers  aux  précautions.  Or,  la  grande  précaution, 
c’est  la  lenteur  dans  la  décompression. 

Je  pense  qu’entre  2 et  3 atmosphères,  il  faudra  consacrer, 
pour  être  complètement  à l’abri,  une  demi-heure  à la  décom- 
pression; de  3 à 4,  une  heure,  et  la  lenteur  de  la  décompres- 
sion devra  être  assurée  par  le  degré  d’ouverture  possible  du 
robinet  d’équilibre.  Mais  ici  intervient  l’inconvénient  grave, 
le  danger  même,  du  refroidissement  concomitant  au  travail 
de  dilatation  de  l’air,  avec  la  rosée  qui  en  est  la  conséquence. 
Il  faudra,  pour  le  conjurer,  non-seulement  donner  à l’ouvrier 
des  vêtements  secs  et  chauds,  mais  disposer  dans  la  chambre 
à décompression  des  cylindres  de  réchauffement,  ayant  de 
doubles  parois  creuses,  que  traverseraient  des  jets  de  vapeur, 
et  que  l’ouvrier  pourrait  embrasser,  contre  lesquels  il  pour- 
rait s’appuyer.  Je  crois  que  des  agencements  très-simples  et 
peu  coûteux  permettraient  de  résoudre  le  problème. 

On  pourrait,  du  reste,  disposer  deux  chambres  de  décom- 
pression, toutes  deux  chauffées,  si  bien  qu’on  passerait,  par 
• exemple,  d’une  chambre  de  3 atmosphères  à une  de  2,  pour 
séjourner  là  pendant  un  quart  d’heure  au  plus  et  sortir  ensuite 
au  dehors;  ces  éclusées  doubles  gêneraient  moins  le  service. 

Plus  les  ouvriers  seront  restés  longtemps  dans  les  tubes, 
plus  lentement  ils  devront  se  décomprimer,  car  il  faudra  lais- 
ser le  temps  non-seulement  à l’azote  du  sang  de  sortir,  mais 
à l’azote  des  tissus  de  repasser  dans  le  sang.  Et,  comme  c’est 
ce  dernier  point  qui  est  le  plus  difficile  à obtenir,  il  faudra 
ne  pas  imposer  aux  ouvriers  des  stades  de  travail  trop  longs, 
et  ne  les  laisser  descendre  qu’une  fois  par  jour  dans  les  tubes. 

Pour  les  plongeurs  à scaphandres,  comme  on  ne  peut  les 
réchauffer,  il  serait  peut-être  difficile  de  les  décomprimer 
très-lentement  à l’aide  de  quelque  treuil  mécanique  et 
gradué.  Mais  cependant,  quand  ils  reviendront  de  grands 
fonds,  par  50  mètres  par  exemple,  il  faut  absolument,  ou  les 
remonter  sur  quelque  siège  qui  permette  de  les  retenir  au 


H 48 


FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

moins  un  bon  quart  d’heure  à moitié  chemin,  ou  les  con- 
traindre à stationner  pendant  un  temps  suffisant  sur  quelque 
haut-fonds,  lorsqu’il  s’en  trouve  dans  l’étendue  de  leur  ter- 
rain de  pêche. 

Si,  enfin,  malgré  ces  diverses  précautions, un  accident  sur- 
venait, que  faire?  Mes  recherches  ont  déjà  répondu  pour  nous 
(chap.  VII,  s.-chap.  IV).  Si  l’auscultation  dévoile  quelques  gar- 
gouillements gazeux  dans  la  région  du  cœur,  se  hâter  de  faire 
respirer  de  l’oxygène  aussi  pur  que  possible,  qu’on  devra 
toujours  avoir  dans  un  ballon  de  caoutchouc,  ou  mieux,  com- 
primé en  quantité  dans  quelque  réservoir  en  acier.  Puis, 
lorsque  les  gaz  auront  disparu  du  cœur,  et  que  la  mort  ne 
sera  plus  imminente,  soumettre  aussitôt  le  malade  à une 
pression  supérieure  à celle  d’où  il  sortait,  pour  le  décom- 
primer ensuite  avec  une  lenteur  extrême.  Du  reste,  quand 
la  pression  atteint  4 atmosphères,  il  serait  prudent  de  faire 
respirer  l’oxygène,  surtout  aux  plongeurs,  aussitôt  après 
le  retour  à l’air  libre,  et  sans  attendre  l’apparition  d’aucun 
accident.  Lorsque  la  dépression  manifestera  ses  effets  par  la 
paraplégie,  il  faudra  immédiatement  recomprimer , sans 
perdre  son  temps  à faire  respirer  l’oxvgène,  surtout  quand 
l’accident,  n’est  arrivé  que  quelque  temps  après  le  retour  à 
l’air  normal,  car  il  ne  s’agit  plus  là  d’obstruction  générale 
de  la  circulation  pulmonaire,  mais  de  quelque  bulle  de  gaz 
arrêtée  dans  les  vaisseaux  de  la  moelle,  et  dont  il  faut  réduire 
aussitôt  le  volume  pour  que  le  sang  puisse  l’entraîner. 

Les  ouvriers  employés  dans  l’air  comprimé  doivent  en  outre 
souffrir  d’inconvénients  qui  pour  être  moins  graves  ne  sont 
pas  cependant  à négliger  complètement.  Ainsi  les  gonfle- 
ments soudains  des  gaz  intestinaux,  la  mousse  formée  dans 
les  liquides  du  tube  digestif,  peuvent  avoir  des  conséquences 
fâcheuses  au  point  de  vue  de  la  digestion,  et  contribuer  à 
ces  troubles  de  l’appétit  qu’on  a souvent  signalés. 

De  plus,  l’air  dans  lequel  ils  séjournent  n’est  rien  moins 
que  sain.  Dans  les  tubes  du  pont  de  Kehl,  M.  Bucquoy  a trouvé 
2,57  pour  100  d’acide  carbonique  (p.  591),  et  la  pression 
s’élevant  à 5 atmosphères  et  demie,  les  ouvriers  étaient,  ainsi 


AUGMENTATION  DE  PRESSION. 


1149 


que  nous  l’avons  prouvé,  dans  la  même  condition  que  si, 
à la  pression  normale,  ils  avaient  respiré  de  l’air  contenant 
2,37  x 3,5  = 8,3  pour  100  de  CO2;  et  à coup  sûr,  une  pa- 
reille respiration  ne  serait  pas  sans  danger.  De  même  d’autres 
gaz,  l’oxyde  de  carbone  des  combustions  incomplètes,  les  gaz 
produits  par  les  explosions  des  mines  qu’on  fait  quelquefois 
jouer,  ceux  qui  se  dégagent  du  sol  qu'on  traverse,  agissent 
dans  le  double  rapport  de  leur  proportion  centésimale  et  de 
la  pression  manométrique ; nous  avons  vu  (p.  774)  combien 
vite  quelques  gouttes  d’éther  anesthésient  dans  l’air  com- 
primé. On  voit  qu’une  énergique  ventilation  est  de  rigueur, 
et  l’on  n’a  pas  assez  insisté  sur  ce  point,  parce  qu’on  ne  con- 
naissait pas  les  effets  multiplicateurs  de  la  pression  sur  l’ac- 
tion des  gaz  toxiques. 

g 5.  — Conséquences  au  point  de  vue  de  l’histoire  naturelle 

générale. 

Nous  avons  eu,  en  parlant  de  la  diminution  de  pression,  à 
montrer  succinctement  le  rôle  qu’elle  joue  dans  les  condi- 
tions générales  de  la  vie  sur  le  globe  et  la  distribution  géo- 
graphique des  animaux  ou  des  plantes. 

L’étude  de  la  nature  actuelle  ne  nous  présente  rien  de 
comparable  au  point  de  vue  de  l’augmentation  de  pression, 
du  moins  si  nous  considérons  les  êtres  vivants  aériens  : les 
régions  si  restreintes  qui  se  trouvent  un  peu  au-dessous  du 
niveau  de  la  mer  (vallées  de  la  mer  Morte  et  de  la  Caspienne) 
sont  à peine  peuplées.  Mais  il  en  est,  ou  du  moins  il  paraît  en 
être  tout  autrement,  pour  les  êtres  qui  vivent  dans  les  eaux 
de  la  mer  à des  profondeurs  qui  atteignent  4 et  5000  mètres. 

Tout  d’abord,  si  nous  considérons  en  place  même  les  êtres 
des  profondeurs  maxima,  y compris  le  célèbre  Bathvbius,  qui, 
après  avoir  joué  un  rôle  si  considérable  dans  les  nouvelles 
philosophies  de  la  nature,  semble  devoir  être  relégué  parmi 
les  matières  minérales1,  il  est  clair  qu’ils  ne  subissent 

1 Voy.  C.  Vogt,  L'origine  de  l'homme . ( Revue  scientifique , il*  du  1 2 mai  1877, 

p.  1090.) 


1150 


FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

aucune  influence  immédiate  et  mécanique  de  l’énorme  pres- 
sion à laquelle  ils  sont  constamment  soumis  et  avec  laquelle 
ils  sont  parfaitement  équilibrés.  Il  en  serait  tout  autrement 
si  l’on  immergeait  à 4000  mètres,  par  exemple,  un  animal 
habitué  à vivre  par  2000  mètres;  l’excès  de  pression  produi- 
rait une  diminution  du  volume  de  son  corps,  qui  très-proba- 
blement ne  serait  pas  sans  influence  fâcheuse  sur  son  orga- 
nisme. Réciproquement,  un  animal  amené  de  4000  mètres 
à la  surface  se  dilatera  d’une  quantité  notable  (environ  15 
millièmes  de  son  volume  primitif),  et  cette  espèce  de  disten- 
sion des  tissus  est  probablement  pour  beaucoup  dans  la  mort 
des  animaux  pêchés  dans  les  dragages  profonds  \ 

L’influence  mécanique  de  la  compression  ou  de  la  décom- 
pression s’exerce  d’une  manière  très-efficace  et  très-éner- 
gique sur  les  animaux  munis  de  vessies  aériennes,  surtout 
lorsqu’elles  sont  closes,  comme  chez  les  poissons  marins. 
Dans  ce  cas,  ainsi  que  l’a  surabondamment  démontré  M.  A. 
Moreau1 2,  toute  variation  brusque  de  pression  qui,  agissant 
sur  le  volume  de  leur  vessie,  peut  assez  modifier  leur  den- 
sité moyenne  pour  les  amener  de  quelques  mètres  au- 
dessus  ou  au-dessous  de  leur  lieu  d’équilibre,  aura  pour 
conséquence,  pour  le  premier  cas,  de  les  entraîner  jusqu’à 
la  surface,  leur  vessie  se  dilatant  toujours  jusqu’à  éclater; 
pour  le  second  cas,  de  les  faire  sonder  indéfiniment  dans  les 
profondeurs  de  l’Océan,  la  vessie  se  contractant  toujours,  et 
la  densité  de  leur  propre  corps  augmentant  dans  le  même 
rapport  que  celle  de  l’eau.  Remarquons  que  les  variations 
naturelles  de  la  pression  barométrique  ne  dépassant  pas 
deux  centimètres  de  mercure  (2fic  d’eau)  par  jour,  et  les 
oscillations  extrêmes  n’étant  que  de  5 centimètres  (65e  d’eau) 
au  plus,  les  poissons  n’en  sont  pas  sérieusement  impres- 
sionnés, Du  reste,  ainsi  que  l’ont  montré  les  remarquables 
expériences  de  M.  Moreau,  ils  peuvent,  avec  du  temps,  com- 

1 Voy.  Wyville  Thomson,  Les  abîmes  de  la  mer.  Trad.  Lortet.  — Paris,  1875, 
p.  27. 

2 Recherches  expérimentales  sur  les  fonctions  de  la  vessie  natatoire.  — Riblioth . 
de  l'École  des  hautes  études , t.  XV,  1876. 


AUGMENTATION  DE  PRESSION. 


1151 


penser  cette  influence,  tantôt  en  sécrétant  de  l’oxygène  dans 
leur  vessie  natatoire,  tantôt  en  absorbant  au  contraire  l’oxy- 
gène qu’elle  contient,  et  faire  ainsi  varier  à la  fois  son  volume 
et  leur  densité. 

Nous  avons  vu  que  les  animaux  aquatiques  périssent  tués 
par  l’oxygène  lorsque  la  compression  en  introduit  dans  l’eau 
une  quantité  suffisante  (V.  p.  814).  Mais  cet  effet  redoutable 
ne  peut  évidemment  avoir  lieu  que  si  la  compression  s’exerce 
d’abord  sur  l’air  et  fait  alors  pénétrer  dans  l’eau  l’oxygène 
en  proportion  croissante,  suivant  la  loi  de  Dalton  ; mais  la 
pression  exercée  par  la  colonne  d’eau  elle-même  sur  ses  par- 
ties profondes  ne  modifie  en  rien  la  tension  réelle  de  l’oxy- 
gène. Du  reste,  les  analyses  directes  de  l’eau  de  mer  puisée 
dans  les  profondeurs  ont  montré  qu’elle  contenait  moins 
d’oxygène  que  l’eau  de  la  surface.  D’après  Lant  Carpenter1, 
l’eau  de  mer  contiendrait  en  moyenne,  quelle  que  soit  la  pro- 
fondeur, 2,8  volumes  de  gaz  pour  100  volumes  d’eau  ; ce  gaz 
serait  ainsi  constitué  : 

A la  surface.  Au  fond. 


Oxygène 25,00  d 9,53 

Azote 54,21  ' 52,60 

GO2 20,84  27,87 


100,00  100,00 


Ainsi,  moins  d’oxygène  et  un  peu  moins  d’azote.  De  ceci, 
découlent  deux  conséquences  : 

D’abord,  le  séjour  dans  les  profondeurs  ne  soumet  les  ani- 
maux à aucun  péril  venant  de  l’oxygène  en  tension.  En  second 
lieu,  la  décompression  brusque  ne  devra  produire  aucun 
effet  fâcheux  sur  les  animaux  des  profondeurs,  puisqu’ils 
n’auront  pas  d’excès  d’azote  dissous  dans  leurs  tissus  ; ainsi 
en  va-t-il,  du  reste,  et  l’on  n’a  jamais  trouvé  de  gaz  libres  dans 
les  tissus  d’un  poisson  ou  d’un  invertébré  ramené  par  la 
drague. 

Les  choses  changeraient  singulièrement  si  tout  à coup 
quelque  source  d’air  venait  à jaillir  du  fond  de  la  mer.  Il 


1 In  W.  Thompson,  Les  abîmes , etc.,  Appendice. 


1152 


FAITS  RÉGENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 

suffirait  qu’elle  vînt  de  100  mètres,  fût-elle  chimiquement 
pure,  pour  tuer  rapidement  tous  les  êtres  qu’elle  rencontre- 
rait sur  son  passage. 

Enfin  si,  pour  les  animaux  aériens  comme  pour  les  ani- 
maux aquatiques,  nous  considérons  non  plus  l’époque  ac- 
tuelle, mais  les  âges  géologiques,  tout  nous  donne  à penser 
que  la  pression  barométrique  a dû  jouer  un  rôle  important 
dans  l’apparition  et  dans  la  modification  de  la  vie  à la  sur- 
face du  globe.  Aux  premiers  âges  de  notre  planète,  en  effet, 
la  tension  de  l’oxygène  devait  être  beaucoup  plus  forte 
qu’aujourd’hui  pour  deux  raisons  : l’atmosphère  était  plus 
haute,  et  sa  richesse  oxygénée  plus  forte,  les  roches  n’étant 
point  encore  refroidies  et  oxydées  sur  une  aussi  grande 
épaisseur.  Les  époques  qui  nous  suivront  verront  sans  doute 
l’air  rentrer  de  plus  en  plus  dans  les  profondeurs  du  sol  et 
l’oxygène  y diminuer  en  proportion  croissante.  Ainsi,  il  est 
permis  d’imaginer  qu’il  y a eu  un  temps  oû  les  êtres  actuels 
n’auraient  pu  vivre  sur  le  sol,  à cause  de  la  trop  grande  ten- 
sion de  l’oxygène,  et  qu’un  temps  viendra  où  ils  ne  pourront 
plus  vivre  à cause  de  sa  trop  faible  tension.  Aller  au  delà  de 
cette  première  hypothèse  plausible  serait  s’aventurer  dans  le 
pur  domaine  de  la  fantaisie  : nous  laisserons  à d’autres  ce 
rôle  séduisant  et  facile. 

Peut-être  cependant  me  pardonnera-t-on  de  faire  remar- 
quer que  les  trois  ennemis  de  la  vie  telle  que  nous  la  con- 
naissons aujourd’hui,  étant,  aux  premiers  âges  géologiques, 
la  chaleur,  la  tension  de  l’oxygène  et  celle  de  l’acide  car- 
bonique, les  êtres  qui  résistent  le  plus  à cette  triple  et  fu- 
neste influence  appartiennent  au  groupe  des  vibrioniens.  Ce 
sont  eux,  également,  qui  demeurent  le  plus  longtemps  actifs 
dans  l’air  raréfié.  Vraisemblablement  donc  c’est  par  eux  que 
la  vie  a apparu,  c’est  par  eux  qu’elle  finira  à la  surface  de 
notre  planète. 


CHAPITRE  III 


CONCLUSIONS  GÉNÉRALES. 


Les  faits  exposés  dans  la  deuxième  partie  de  cet  ouvrage, 
les  théories  qui  en  sont  la  conséquence,  et  qu’a  résurnées  la 
troisième  partie,  peuvent  être,  si  nous  laissons  de  côté  les 
chapitres  qui  traitent  de  l’empoisonnement  par  l’acide  carbo- 
nique, de  l’asphyxie,  des  gaz  du  sang,  et  autres  questions  un 
peu  en  dehors  du  sujet  même  de  ce  livre,  condensés  dans  les 
conclusions  suivantes  : 

A.  — La  diminution  de  la  pression  barométrique  n’agit 
sur  les  êtres  vivants  qu’en  diminuant  la  tension  de  l’oxygène 
dans  l’air  qu’ils  respirent,  dans  le  sang  qui  anime  leurs 
tissus  (anoxy hernie  de  M.  Jourdanet),  et  en  les  exposant  ainsi 
à des  menaces  d’asphyxie. 

B.  — L’augmentation  de  la  pression  barométrique  n’agit 
qu’en  augmentant  la  tension  de  l’oxygène  dans  l’air  et  dans 
le  sang. 

Jusqu’à  trois  atmosphères  environ,  cette  augmentation  de 
tension  a pour  conséquence  des  oxydations  intra-organiques 
un  peu  plus  actives. 

Au  delà  de  cinq  atmosphères,  les  oxydations  diminuent 
d’intensité,  changent  probablement  de  nature,  et,  quand  la 
pression  s’élève  sutYisamment,  s’arrêtent  complètement. 

Il  en  résulte  que  tous  les  êtres  vivants,  aériens  ou  aqua- 

75 


1154 


CONCLUSIONS  GÉNÉRALES. 


tiques,  animaux  ou  végétaux,  complexes  ou  mono-cellulai- 
res, que  tous  les  éléments  anatomiques,  isolés  (globules  du 
sang,  etc.)  ou  groupés  en  tissus,  périssent  plus  ou  moins  ra- 
pidement dans  l’air  suffisamment  comprimé.  Cette  formule 
11e  paraît  souffrir  d’exception  que  pour  les  corpuscules 
reproducteurs  de  quelques  êtres  microscopiques.  Pour  les 
animaux  dits  supérieurs,  la  mort  est  précédée  de  convul- 
sions toniques  et  cloniques  d’une  violence  extrême. 

Chez  les  vertébrés,  les  accidents  rapides  dus  à la  trop 
grande  tension  de  l’oxygène  ne  commencent  à se  manifester 
qu’au  moment  où  l’hémoglobine  étant  saturée  d’oxygène,  ce 
gaz  entre  à l’état  de  simple  dissolution  au  contact  des  tissus. 
On  peut  donc  dire  que  les  éléments  anatomiques  sont  anaé- 
robies. 

C.  — Les  diastases,  les  venins,  les  virus  vrais,  résistent  à 
l’action  de  l’oxygène  à haute  tension. 

D.  — I ,es  effets  fâcheux  de  la  diminution  de  pression 
peuvent  être  efficacement  combattus  par  la  respiration 
d’un  air  suffisamment  riche  en  oxygène  pour  maintenir  à la 
valeur  normale  (20,9)  la  tension  de  ce  gaz. 

Ceux  de  l’augmentation  de  pression  le  seront  en  employant 
de  l’air  assez  pauvre  en  oxygène  pour  arriver  au  même 
résultat. 

E.  — D’une  manière  générale,  les  gaz  favorables  ou  nui- 
sibles (oxygène,  acide  carbonique,  etc.)  n’agissent,  sur  les 
êtres  vivants  que  suivant  la  tension  qu’ils  possèdent  dans 
l’atmosphère  ambiante,  tension  qui  se  mesure  en  multi- 
pliant leur  proportion  centésimale  par  la  pression  baromé- 
trique; l’augmentation  de  l’un  des  facteurs  peut  être  com- 
pensée par  la  diminution  de  l’autre. 

F.  — - Lorsque  les  animaux  possèdent  des  réservoirs  d’air 
soit  complètement  clos  (vessie  natatoire  des  poissons  aean- 
thoptérygiens,  etc.),  soit  en  communication  avec  l’air  pen- 
dant la  décompression  seule  (vessie  natatoire  des  Cyprins, 
intestins  des  vertébrés  aériens,  etc.),  soit  en  communication 
avec  l’air  pendant  la  compression  comme  pendant  la  décom- 
pression, mais  par  des  orifices  trop  étroits  (poumons  des  ver- 


CONCLUSIONS  GÉNÉRALES. 


1155 


tébrés  aériens,  etc.),  la  diminution  ou  l’augmentation  de 
pression  peuvent  avoir  des  effets  physico-mécaniques. 

G.  — La  décompression  brusque  à partir  de  plusieurs  at- 
mosphères n’a  d’effet  (sauf  réserve  pour  quelques  cas  compris 
dans  la  conclusion  F)  qu’en  laissant  revenir  à l’état  libre 
l’azote  qui  s’était,  à la  faveur  de  la  pression,  dissous  dans  le 
sang  et  les  tissus. 

H.  — Les  êtres  actuellement  existants  à l’état  sauvage  sur 
la  surface  du  globe  sont  accommodés  au  degré  de  tension 
oxygénée  sous  laquelle  ils  vivent  : toute  diminution,  toute 
augmentation  paraît  leur  être  défavorable  quand  ils  sont  dans 
l’état  de  santé. 

La  thérapeutique  peut  tirer  un  parti  utile  de  ces  modifica- 
tions dans  divers  états  pathologiques. 

L — La  pression  barométrique  et  la  proportion  centési- 
male de  l’oxygène  n’ont  pas  toujours  été  les  mêmes  sur  notre 
globe.  La  tension  de  ce  gaz  a vraisemblablement  été  et 
continuera  sans  doute  d’aller  en  diminuant.  C’est  là  un  fac- 
teur dont  on  n’a  pas  encore  tenu  compte  dans  les  spécu- 
lations biogéniques. 

La  puissance  de  réaction  contre  cés  diverses  modifications 
conduit  à supposer  que  les  êtres  microscopiques  ont  du  appa- 
raître les  premiers  et  qu’ils  disparaîtront  les  derniers, 
lorsque  la  vie  s’éteindra  par  insuffisance  de  tension  d’oxygène. 

K.  — Il  est  inexact  d’enseigner,  comme  on  le  fait  d’ordi- 
naire, que  les  végétaux  ont  dû  apparaître  sur  la  terre  avant 
les  animaux,  afin  de  purifier  l’air  de  la  grande  quantité  de 
CO2  qu’il  contenait.  En  effet,  la  germination,  même  celle  des 
moisissures,  ne  se  fait  pas  dans  l’air  assez  chargé  de  CO2  pour 
être  mortel  aux  animaux  à sang  chaud. 

Il  F est  tout  autant,  ainsi  que  je  l’ai  fait  il  y a longtemps 
observer,  d’expliquer  l’antériorité  des  reptiles  par  rapport 
aux  animaux  à sang  chaud,  par  l’impureté  de  l’air  souillé  de 
trop  de  CO2;  les  reptiles,  en  effet,  redoutent  ce  gaz  plus 
encore  que  les  oiseaux,  et  surtout  que  les  mammifères. 


ANNEXES 


i 

Tableau  indiquant  très-approximativement  les  rapports  entre  la  hauteur  et 
l'altitude  de  la  colonne  barométrique  (les  hauteurs  calculées  sont  em- 
pruntées au  livre  de  M.  Jourdanet,  t.  Il,  p.  331). 


Col.  barom.  Hauteur 
en  centimètres,  en  mètres. 


76 

0 

75 

105 

74 

212 

73 

521 

72 

450 

71 

542 

70 

655 

69 

769 

68 

886 

67 

1004 

66 

1125 

05 

1245 

64 

1568 

63 

1494 

62 

1621 

61 

1751 

60 

1882 

59 

2016 

58 

2152 

57 

2291 

56 

2432 

55 

2575 

54 

2721 

55 

2874 

52 

3022 

51 

3176 

50 

5534 

49 

3495 

48 

5659 

47 

3827 

46 

5998 

45 

4173 

44 

4552 

43 

4535 

42 

4723 

41 

4911 

40 

59 

5515 

38 

5520 

37 

5732 

36 

5950 

55 

6174 

54 

6405 

55 

6643 

52 

6888 

51 

7141 

50 

7402 

29 

7674 

28 

7951 

27 

8241 

26,2 

8600 

24,8 

8840 

Orthez  (!05ra)  ; Reims  (109®). 

Dijon  (217®)  ; Tulle;  (222®). 

Tarbes  (302®);  Epinal  (317™)  ; Privas  (534®). 

Brioude  (424m) ; Gibraltar  (458™). 

Bagnères  (556™);  Tolède  (563®). 

Le  l’uv  (625®);  Grenade  (681"’). 

Gap  (729®). 

Burgos  (875m). 

L’Escurial  (995®);  Chamounix  (1020m). 

Barcelonnette  ( 1 1 30 m ) . 

Cormayeur  (1218®);  le  Ballon  d'Alsace  (1250®). 

Hispahan  (1340®). 

Le  Puy  de  Dème  (1476®). 

Porté,  le  village  le  plus  élevé  des  Pyrénées  (1625®). 

Le  mont  Ossa  (1755®). 

Le  pic  de  Sancy  (1897®);  Erzeroum  (1860®). 

Le  col  du  Simplon  (2020®). 

Le  col  du  petit  Saint-Bernard  (2160®). 

Mexico  (2290®). 

L’hospice  du  grand  Saint-Bernard  (2470™)  ; le  Parnasse  (2470™) 
Santa-Fé  de  Bogota  (2560®). 

Le  col  du  mont  Yiso  (2700®);  le  mont  Cinto  (Corse)  (2710®). 

Quinto  (2910™). 

Endschetkab  en  Abyssinie  (2960®);  l’Olympe  (2975®). 

Le  Simplon  (3200®). 

L’Etna  (3310®)  ; le  mont  Perdu  (3350®). 

Le  pic  de  Nethou  (3405®)  ; Cuzco  (3470®);  Leh  (3505™). 

Le  Mont-Cenis  (3620®);  le  pic  de  Ténériffe  (3715®);  la  Paz  (3720®). 
Le  mont  Argée  (3840®). 

Le  lac  de  Titicaca  (3915®). 

La  Yungfrau  (4170®)  ; l’otosi  (4165®). 

Cerro  de  Pasco  (4350®);  le  village  de  C!  ushul  (4390™). 

Le  Mischabel  (4550®);  le  monastère  de  IL, nie  (4610®). 

Le  Mont-Blanc  (4816™);  le  tunnel  de  la  Oroya  (4760®);  le  poste  de 
Rumihuani  (4740®). 

Le  Pichincha  (4860®);  le  village  de  Thok-Djalank  (4980™). 

5111  Le  Kasbek  (5030®)  ; le  grand  Ararat  (5155™)  ; les  mines  de 
Villacota  (5042™). 

Le  Popocatepetl  (5120™). 

L’Elbruz  ^5620®)  ; la  passe  de  Karakorum  (5650®). 

La  passe  de  Parang  (5835®). 

Le  Cotopaxi  (5945™). 

Le  Kilimandjaro  (6110™)  ; le  Misti  (6100™). 

Le  Cliimborazo  (6420®). 

Le  Cerro  de  Potosi  (6620®). 

L’Aconcagua  (6835™). 

Le  Doukia  (7070®);  le  ballon  de  Robertson  (7170®). 

Le  Cliamalari  (7300™);  rillimani  (7310®). 

Le  Sorate  (7560®). 

Le  Barathor  (7950™). 

Le  Dawalaghiri  (8185™). 

Crocé  spinelli,  Sivel  et  Tissandier,  en  ballon. 

Le  mont  Everest  (8840®);  le  ballon  de  Glaislier  (8838™);  moi,  dans 
mon  appareil  (voy.  p.  761). 


ANNEXES. 


1157 


Iï 

Analyse  du  récent  travail  de  M.  le  D1'  Mermod . 

Au  moment  de  donner  le  bon  à tirer  de  cette  dernière  feuille,  je  reçois 
de  M.  le  D‘ Mermod,  dont  j’ai  déjà  parlé  (voy.  page  545),  un  travail  trop 
intéressant  pour  que  je  puisse  le  passer  sous  silence. 

M.  Mermod  a comparé  les  phénomènes  respiratoires  et  circulatoires 
observés  sur  lui-mème,  pendant  des  séjours  de  plusieurs  mois  à Sainte- 
Croix  (U00in),  Lausanne  (61 4m),  Erlangen  (545m) , et  Strasbourg  (142m). 

Après  avoir  rappelé  ses  anciennes  observations  sur  l’accélération  du 
pouls,  il  constate  (en  contradiction  sur  ce  point  avec  cc  qu’ont  dit  les 
auteurs  qui  l’ont  précédé,  voy.  p.  510,  1057)  que  la  fréquence  des  mou- 
vements respiratoires  est  restée  la  môme  à Sainte-Croix  et  à Strasbourg; 
d’où  il  résulte  évidemment  que  le  rapport  entre  le  nombre  des  respi- 
rations et  celui  des  battements  du  cœur  a diminué  par  l’habitation  d’une 
station  plus  élevée.  La  température  du  corps  est  restée  invariable. 

Mais  la  partie  la  plus  importante  du  travajl  de  M.  Mermod  est  celle  où 
il  compare  l’exhalation  de  l’acide  carbonique  dans  les  deux  stations 
extrêmes. 

Les  moyennes  des  résultats  qu’il  a obtenus  peuvent  être  résumées 
dans  le  tableau  ci-dessous  : 


Strasbourg  Sainte-Croix 

(II  U2™  ; 0 12°, 63;  F 715™™.)  (II  1100™;  0 12°, 68;  F 669mm. 

Nombre  de  respirations  par  minute 11,15  11,24 

Volume  du  gaz  expiré  par  minute "5',85  6'. 27 

Ce  même  volume,  réduit  à 0°  et  760mm 5',48  5*,27 

Volume  de  chaque  expiration 524oc  557cc 

Ce  même  volume  réduit  à 0°  et  760'ntn 4'HC0  469cc 

Poids  de  CO- expiré  par  minute 0er,375  0sr,402 

Proportion  centésimale  de  CO2  dans  l’air  expire.  5,507  0,098 


On  tire  de  ces  chiffres  les  conclusions  suivantes: 

1°  Le  volume  de  l’air  qui  circule  dans  les  poumons  pendant  un  temps 
donné,  et  celui  qui  s’y  introduit  par  une  seule  inspiration,  sont  plus  grands 
à Sainte-Croix  qu’à  Strasbourg  ; mais  leur  poids  est  plus  petit; 

2°  La  quantité  d’acide  carbonique  exhalée  dans  un  temps  donné  et  sa 
proportion  centésimale  dans  l’air  expiré,  sont  plus  grandes  à Sainte-Croix 
qu’à  Strasbourg. 

Je  n’ai  aucune  critique  à élever  contre  les  méthodes  d’expériences  et 
d’analyses  employées  par  M.  Mermod,  et  je  liens  ses  résultats  pour  exacts 
dans  les  conditions  où  il  les  a obtenus. 

Mais  peut  être  serait-il  prématuré  de  généraliser  les  conclusions  pré- 
cédentes, même  pour  les  écarts  de  niveau  auxquels  ont  été  faites  les  obser- 
vations. 

L’auteur  ne  nous  renseigne  pas  suffisamment  sur  les  conditions  et  les 
époques  de  ses  recherches;  il  dit  seulement  qu’à  Strasbourg  il  a opéré 
pendant  l’hiver,  et  à Sainte-Croix  pendant  l’automne.  Mais  s’agit-il  de 


1158 


ANNEXES. 


la  même  année,  ou  d’années  différentes?  Dans  ce  dernier  cas,  il  aurait, 
pu  survenir  dans  sa  constitution  des  modifications  qui  expliqueraient  les 
changements  observés  dans  les  résultats  expérimentaux  ; or,  M.  Mermod 
ne  parle  même  pas  du  poids  de  son  corps,  il  est  probable,  d’autre  part, 
que  son  régime  de  vie,  en  dehors  de  la  nourriture  sur  laquelle  il  donne 
quelques  détails,  n’était  pas  le  même  sur  la  montagne  et  dans  la  ville,  et 
il  peut  y avoir  là  une  certaine  influence  sur  la  production  de  l’acide  car- 
bonique dans  un  temps  donné. 

A plus  forte  raison,  il  ne  paraît  pas  permis  d’appliquer,  comme  tend  à 
le  faire  M.  Mermod,  les  résultats  qui  précèdent  à l’habitation  dans  les 
régions  très-élevées,  où  se  fait  sentir  le  bis  ou  le  soroche.  Là,  l’état 
maladif  des  voyageurs  et  même  des  indigènes  contraste  singulièrement 
avec  le  sentiment  de  mieux-être  que  presque  tout  le  monde  éprouve  aux 
faibles  altitudes  où  a observé  notre  auteur.  Nous  renvoyons  à ce  que  nous 
avons  dit,  pages  1105  et  suivantes,  sur  la  comparaison  des  faibles  hau- 
teurs (au-dessus  de  2000,n)  avec  les  (fraudes  hauteurs , au  point  de  vue 
des  effets  de  l’habitation  prolongée. 

Je  ne  saurais  trop  engager  M.  Mermod  à compléter  ses  intéressantes 
expériences  en  nouant  le  cercle,  c'est-à-dire  en  recommençant  ses  ana- 
lyses à Sainte-Croix,  lieu  où  il  avait  opéré  avant  Strasbourg;  s’il  retrouve 
les  mômes  nombres,  il  aura  levé  toutes  les  objections,  pour  ce  qui  est  des 
bas  niveaux.  Il  serait,  enfin,  de  la  plus  haute  importance  d’observer  sui- 
vant les  mêmes  méthodes  à la  Paz  (5720m)  ou  à Cerro  de  Pasco  (4350m). 

Je  ne  dirai  qu’un  mot,  en  terminant,  à propos  d’une  question  de  priorité 
soulevée  par  M.  Mermod.  A l’entendre,  .son  maître,  l’éminent  chimiste 
Iloppe-Seypler  aurait,  seize  ans  avant  moi,  découvert  la  cause  de  la  mort 
par  décompression  brusque,  et  la  raison  fondamentale  du  mal  des  mon - 
teignes. 

Il  rapporte,  pour  ce  dernier  point,  une  page  remarquable  du  mémoire 
que  j’ai  moi-même  cité  (p.  258),  page  que  je  signerais  volontiers  aujour- 
d’hui. Mais  ce  passage  ne  marque  que  la  pénétration  d’esprit  de  son 
auteur  ; c’est  une  pure  hypothèse  que  combattent  même  les  propres  expé- 
riences deHoppe,  et  à laquelle  il  renonce  quand  il  s’agit  d’expliquer  la 
mort  des  animaux  soumis  à l’air  raréfié.  Quant  à la  part  qui  lui  revient 
dans  l’explication  de  la  mort  des  animaux  brusquement  décomprimés  à 
partir  de  plusieurs  atmosphères,  je  l’ai  indiquée  à la  page  474  de  ce 
livre. 

Mais  je  n’insiste  pas  sur  ces  questions  de  priorité  qui  n’ont  jamais  qu’un 
intérêt  fort  médiocre. 


TABLE  DES  GRAVURES 


Fig.  1.  — Lortet.  Tracé  respiratoire  pris  à Lyon  (200m) 120 

Fig.  2.  — Lortet.  Tracé  respiratoire  pris  au  sommet  du  mont  Blanc  (4810m), 

après  une  heure  de  repos.  120 

Fig.  3.  — Cupelain  : Chamounix  (1000m) 121 

Fig.  4.  — Grands-Mulets  (3000m)  à minuit,  une  demi-heure  avant  le  départ..  . 121 

Fig.  5.  — Sommet  du  mont  Blanc  (4810m).  r 121 

Fig.  6.  — Fonçage  d’une  pile  de  pont  par  les  tubes  à air  comprimé. 386 

Fig.  7.  — Scaphandrier  pourvu  du  régulateur  Denayrouze,  costume  complet.  . 409 

Fig.  8.  — Scaphandrier  pourvu  du  régulateur  Denayrouze,  ayant  ôté  son  masque.  411 

Fig.  9.  — L'établissement  aérothérapeutique  du  docteur  Carlo  Fornanini  , à 

Milan. 429 

Fig.  9 bis.  Moditicadons  de  la  respiration  dans  l’air  comprimé 443 

Fig.  10.  — Modifications  delà  circulation  dans  l’air  comprimé..  , 443 

Fig.  11.  — Id 444 

Fig.  12.  — Id 444 

Fig.  13.  — Id 445 

Fig.  14.  — Id 449 

Fig.  15.  — Appareil  à quatre  plaques  pour  expériences  sur  la  diminution  de 

pression 528 

Fig.  IG.  — Pompe  à mercure  disposée  pour  l’extraction  des  gaz  du  sang.  . . . 531 

Fig.  17.  — Composition  de  l’air  confiné  devenu  mortel  à des  pressions  inférieures 

à une  atmosphère.  ...  549 

Fig.  18.  — Variations  dans  la  tension  de  l’oxygène  contenu  dans  l’air  comprimé 

devenu  mortel  à diverses  pressions  moindres  qu’une  atmosphère.  551 

Fig.  19.  — Rapports  entre  la  tension  cle  l’oxygène.  . . 557 

Fig.  20.  — Appareil  cylindrique  en  verre  pour  hautes  pressions  (25  atmosphè- 
res), en  charge  d’air  suroxygéné 582 

Fig.  21.  — Air  confiné  devenu  mortel  sous  pression 599 

Fig.  22.  — Air  confiné  devenu  mortel  sous  des  pressions  de  20  cent,  à 24  atm.  . 008 

Fig.  23.  — Seringue  graduée  pour  l’extraction  du  sang 614 

Fig.  24.  — Pompe  à mercure  disposée  pour  l’extraction  des  gaz  du  sang.  . . . 615 

Fig.  25.  — Petite  cuve  à mercure 622 

Fig.  26.  — Soufflet  pour  la  respiration  artificielle 625 

Fig.  27.  — Grand  appareil  pour  l’étude  des  faibles  pressions 631 

Fig.  28.  — Chien  préparé  pour  être  placé  dans  les  cylindres  de  la  ligure  27,  et 

servir  à l’extraction  du  sang  sous  pression  diminuée 633 

Fig.  29.  — Diverses  formes  de  sondes  pour  l’extraction  du  sang  sous  diminution 

de  pression 655 


TABLE  DES  GRAVURES. 


1160 

Fig1.  50.  — Extraction  du  sang  d’un  animal  placé  sous  diminution  de  pression.  C56 

Fig.  31.  — Diminution  des  quantités  d’O  et  de  CO2  contenues  dans  le  sang  arté- 
riel, quand  la  pression  barométrique  diminue.  G45 

Fig.  52.  — Diminution  centésimale  de  l’O  et  du  CO2  du  sang  artériel  quand  la 

pression  barométrique  diminue 048 

Fig.  55  — Grand  appareil  à air  comprimé,  cylindre  de  tôle  d’acier  supportant 

12  atmosphères 655 

Fig.  54.  — Extraction  du  sang  d’un  animal  placé  dans  l'air  comprimé 657 

Fig.  55.  — Variations  des  gaz  du  sang  aux  pressions  supérieures  à une  atmo- 
sphère  662 

Fig.  56.  — Augmentation  de  l’oxygène  du  sang  artériel  de  0 à 10  atmosphères  et 

de  0 à 28  atmosphères 664 

Fig.  57.  — Chien  respirant  de  l’air  contenu  dans  un  sac  de  caoutchouc 670 

Fig.  38.  — Variations  des  gaz  du  sang  et  de  l’oxygène  de  l’air  dans  l’asphyxie  en 

vases  clos,  l’acide  carbonique  étant  absorbé 674 

Fig.  59.  — Variations  des  gaz  du  sang  dans  l’asphyxie  comparée  à la  diminution 

de  pression 676 

Fig.  40.  — Diminution  des  gaz  du  sang  artériel  et  du  sang  veineux  quand  dimi- 
nue la  tension  de  l’oxygène  respiré 681 

Fig.  41.  — Flacon  disposé  pour  la  saturation  du  sang  par  l’oxygène  sous  diverses 

dépressions 687 

Fig.  42.  — Machine  à eau  agitant  le  flacon  où  se  trouve  le  sang  à saturer  d’oxy- 
gène  688 

Fig.  43.  — Capacité  d’absorption  du  sang  pour  l’oxygène  aux  pressions  infé- 
rieures à une  atmosphère 091 

Fig.  44.  — Appareil  destiné  à mettre  le  sang  au  contact  de  l’air  sous  une  cer- 
taine diminution  de  pression 695 

Fig.  45.  — Appareil  pour  saturer  d’air  le  sang  à de  hautes  pressions 097 

Fig.  46.  — Capacité  du  sang  pour  l’oxygène,  depuis  le  vide  jusqu’à  18  atmo- 
sphères d’air 700 

Fig.  47.  — Modification  du  nombre  des  mouvements  respiratoires  sous  l’influence 

de  la  décompression.  (Chiens,  lapins.) ....  715 

Fig.  48.  — Idem.  (Cochon  d’Inde,  expér.  CCXXVII) 715 

Fig.  49.  — Modifications  simultanées  du  nombre  des  mouvements  respiratoi- 
res R et  des  pulsations  P sous  l’influence  de  la  décompression.  (Chat, 

expér.  CCXXI.) 717 

Fig.  50.  — Idem.  (Chien,  expér.  CCXVIII.) 718 

Fig.  51.  — Idem.  (Chien,  expér.  CCXVII.) 718 

Fig.  52.  — Consommation  d’O  et  production  de  CO2  aux  différentes  pressions.  . 726 

Fig;  53.  — Asphyxie  sans  acide  carbonique 743 

Fig.  54.  — Maxima  et  minima  de  la  pression  cardiaque  dans  l’asphyxie  sans  acide 

carbonique 744 

Fig.  55.  — Oiseau  dans  un  air  de  plus  en  plus  dilaté  et  de  plus  en  plus  oxygéné.  748 

Fig.  56.  — Respiration  d’un  air  suroxygéné,  dilaté  par  la  diminution  de  pres- 
sion  ....  750 

Fig.  57.  — Modifications  brusques  du  nombre  des  pulsations  par  des  respirations 

intermittentes  d’air  suroxygéné 755 

Fig.  58.  — Modifications  dans  les  battements  du  pouls,  pendant  la  décompression, 

par  la  respiration  continue  d’oxygène.  (Expér.  CCLVI.) 760 

Fig.  59.  — Idem.  (Expér.  CCLVII.) 762 

Fig.  60.  — Chiens  empoisonnés  par  l’oxygène 797 

Fig.  61.  — Chien  pendant  les  convulsions  toniques  de  l’empoisonnement  par 

l’oxygène.  800 

Fig.  62.  — Appareil  de  M.  Jourdanet  pour  l’emploi  thérapeutique  de  l’air  com- 
primé ou  de  l’air  dilaté. 819 

Fig.  63.  — Compteur  à gaz  pour  la  mesure  des  mouvements  respiratoires.  ...  821 

Fig.  64.  — Appareil  à double  soupape  pour  l’étude  de  la  respiration 822 


TABLE  DES  GRAVURES.  1161 

Fig'.  65.  — Appareil  permettant  l’étude  chimique  de  la  respiration  d’un  animal 
maintenu  pendant  un  temps  quelconque  dans  un  air  de  composi- 
tion constante 850 

Fig.  66.  — Appareil  pour  la  constatation  des  variations  de  la  tension  aérienne 

intra-pulmonaire 836' 

Fig.  67.  — Variations  de  la  tension  intra-thoracique.  Pression  normale 857 

Fig.  68.  — Idem.  Air  comprimé 837 

Fig.  69.  — Tension  du  sang  dans  la  fémorale.  Pression  normale 858 

Fig.  70.  — Idem.  Air  comprimé 858 

Fig.  71.  — Tension  du  sang  dans  l’artère  carotide.  Pression  normale 859 

Fig.  72.  — Idem.  Air  comprimé 859 

Fig.  73.  — Idem.  Pression  normale 859 

Fig.  74.  — Consommation  d’oxygène  et  production  de  CO"2  par  un  morceau  de 

viande  dans  une  atmosphère  de  richesse  oxygénée  constante.  . . . 884 

Fig.  75.  — Mort  par  l’acide  carbonique;  altérations  de  l’air  du  sac.  (Exp.  DCXV.) . 1004 

Fig.  76.  — Mort  par  l’acide  carbonique;  modifications  dans  la  composition  des 

gaz  du  sang,  la  respiration  et  la  circulation.  (Exp.  DCAV.).  . . . 1006 

Fig.  77.  — Mort  par  l’acide  carbonique;  rapport  de  la  respiration  et  de  la  circu- 
lation avec  la  richesse  en  CO2  du  sang.  (Exp.  DCXV.) 1008 

Fig.  78  — Mort  par  l’acide  carbonique;  derniers  mouvements  respiratoires. 

(Exp.  DCXV.) 1009 

Fig.  79.  — Mort  par  asphyxie  en  vase  clos  : gaz  de  l’air.  (Exp.  DCXL.) 1025 

Fig.  80.  — Idem  : gaz  du  sang.  (Exp.  DCXXX1V.) 1024 

Fig.  81.  — Rapport  entre  la  richesse  en  oxygène  de  l’air  et  celle  du  sang.  . . . 1025 

Fig.  82.  — Pouls  au  col  du  Riffel  (2780m),  pendant  le  mal  des  montagnes.  . . . 1050 

Fig.  83.  — Pouls  à la  Sattel-Tolle  (450Um) 1051 

Fig.  84.  — Pouls  au  Riffel  (2569ra),  repos  au  retour 1052 

Fig.  85.  — Pouls  à M orges  (380m),  repos  absolu 1052 

Fig.  86.  — La  nacelle  du  Zénith  dans  les  hautes  régions  de  l’atmosphère . . . . 1065 

Fig.  87.  — Diagramme  de  l’ascension  à grande  hauteur  du  15  avril  1875.  . . . 1069 

Fig.  88.  — Portrait  de  Sivel 1070 

Fig.  89.  — Portrait  de  Crocé-Spinelli 1071 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Préface, 

PREMIÈRE  PARTIE.  — HISTORIQUE- 

TITRE  PREMIER.  — DIMINUTION  DE  PRESSION. 

Chapitre  préliminaire  : Les  régions  élevées  iuj  globe 

Europe 

Asie 

Amérique 

Afrique 

Iles 

Résumé 

Neiges  éternelles 

Êtres  vivants 

Chapitre  premier.  — Les  voyages  en  montagnes 

§ 1er.  — Amérique  méridionale 

Les  conquérants.  — Acosta.  — De  Herrera.  — Frezier.  — Bouguer.  — La 
Condamine.  — Don  Ulloa.  — A.  de  Humboldt.  — Guerres  de  l’Indépendance. 
— S.  ilaigli.  — Miers.  — Caldcleugli.  — Schmidtmeyer.  — Grand.  — De  la 
Touanne.  — Temple.  — Bollaert.  — D’Orbignv.  — Pœppig.  — Boussingault. 
— Meyers.  — Ch.  Darwin.  — Smyth  et  Lowe.  — Arch.  Smith.  — Cl.  Gay. 
— Von  Tscliudi.  — De  Castelnau.  — Weddell.  — De  Saint-Cricq.  — Gillis. 
— Lloyd.  — Grandidier.  — Burmeister.  — Markham.  — Martin  de  Moussy. 
— Mateo  Paz  Soldan.  — Guilbcrt.  — Pellegrino  Strobel. — Focke  et  Mossbach. 
— Pissis.  — Wisse.  — J.  Rémy.  — Stuebel. 

g 2.  — Amérique  centrale  et  septentrionale 

Wafer.  — Dollfus  et  de  Montserrat.  — Barkhardt.  — Elliotson.  — Glennie. 
— Gros.  — Truqui  et  Craveri. — Laverrière.  — Commission  scientifique  du 
Mexique.  — Von  Muller.  — Frémont.  — Gunnisson.  Ilines.  — Williamson. 
— Coleman. 

§ 5.  — Etna 

Bembo.  — Filoteo.  — Fazello.  — Borelli.  — Riedesel.  — Demeunier.  — 
Iloüel.  — Delon.  — Dolomier.  — Spallanzani.  — Ferrara.  — De  Gourbillon. 
— De  Forbin.  — De  Sayve. 


i 

3 

3 

7 

10 

13 

16 

IG 

17 

18 

19 

23 

23 

64 

75 


TABLE  DES  MATIÈRES. 

§ 4.  — Pic  cle  Tênériffe 

R.  Bovle.  — Edens.  — Feuillée.  — Glas.  — Riche  et  Blavier.  — De  Htirn- 
boldt.  — Cordier.  •—  L.  de  Bucli.  — Dumont  d’Urville.  — Le  Guillou. 

Ch.  Sainte-Glaire  Deville.  — Itier.  — Madame  Murray. 

§ 5.  — Alpes 

Bourrit.  — Laborde.  — De  Saussure.  — Beaufoy.  — Forneret  et  Dorthe- 
ren;  — De  Lusy.  — Van  Reusselaer.  — Ilamel.  — Clissold.  — Clark  et  Sher- 
will.  — Hawes  et  Fellowes.  — Auldjo.  — Meyer.  — Parrot.  — Vincent  et 
Zumstein.  — Molinatti.  — Hugi.  — H.  Cloquet.  — Martin  Barry.  — Atkins.  — 
Mademoiselle  d’Angeville.  — Desor.  — G.  Studer.  — Spitaler.  — Forbes.  — 
Lepileur.  — Bravais.  — Martins.  — Chomel  et  Crozet.  — Tyndall.  — T.  et 
Frankland.  — Pitschner.  — Piachaud.  — Lortet  et  Marcet.  — Durier.  — 
A.  Tissandier.  — Hardy.  — Tuckett.  — Kennedy.  — C.  Grove.  — Visconti.  — 
Gamard.  — Joanne.  — Ormsby.  — H.  Russell. 

§ 6.  — Pyrénées 

Rob.  Boyle.—  Dralet. — Ramond.  — Arbassière.  — Cordier  et  Néergaard.-— 
Parrot.  — De  Franqueville.  — Russell-Killough.  — Le  Mulahacen. 

g 7.  — Caucase.  — Arménie.  — Perse 

Engelhardt  et  Parrot.  — Kupffer.  — Sjôgrun.  — Radde.  — Douglas.  — 
Freshfield.  — Gardiner. 

Rob.  Boyle.  — Tournefort.  — - Parrot.  — Chodzko.  — Radde  et  Sievers.  — - 
Hamilton. 

Taylor  Thomson.  — R.  F.  Thomson. 

§ 8.  — Asie  centrale.  . 

Marco-Polo.  — Hiouen.  — Tsang.  — Itinéraire  chinois.  — Missionnaires.  — 
S.  Turner.  — Th.  Hardwicke.  — Moorcroft.  — Fraser.  — Webb.  — Les  frères 
Gérard.  — Johnson.  — V.  Jacquemont.  — Wood.  — Burnes.  — Le  père  Hue. 
— Iloffmeister.  — Th.  Thomson.  — Dalton  Hooker.  — Robertson.  — Mis- 
Iress  Ilervey.  — Oliver.  — Cheetam.  — Semenof.  — Les  frères  Schlagintweit. 
— Godwin-Austen.  — Les  Pundits.  — Le  Mirza.  — Hayward.  — Faiz  Buksh. 
— Henderson.  — Hume.  — Drew. 

§ 9.  — Afrique 

Burton.  — Mann. 

Rebmann.  — De  Decken.  — New. 

§ 10.  — Volcans  du  Pacifique 

Low.  — Brooke. 

Braddel. 

Rutherford  Alcock.  — Gubbins.  — Jeffreys. 

Byron.  — D.  Douglas.  — Lœvenstern.  — Wilkes. 

Chapitre  II.  — Ascensions  en  ballon 

Charles  et  Robert.  — Lcullier-Duché.  — Testu-Brissy.  — Blanchard.  — 
De  Lalande.  — Robertson.  — Garnerin.  — Zambeccari.  — Biot  et  Gay-Lus- 
sac.  — Andreoli.  — Beaufoy  et  Sadler.  — Madame  Blanchard.  — Eug.  Ro- 
bertson. — Green.  — Comaschi.  — Hobard.  — Barrai  et  Bixio.  — Welsh.  — 
Glaisher  — Crccé-Spinelli  et  Sivel.  — Simons. 

Chapitre  III.  — Théouies  et  expériences 

«Acosta.  — Fr.  Bacon.  — Académie  del  Cimento.  — Van  Mussclienbroeck.  — 
Robert  Boyle.  — Huyghens  et  Papin.  — Beale. — Veratti.  — Cigna.  — Darwin. 
— Borelli.  — Bouguer.  — Ulloa.  — Haller.  — De  Luc.  — Bourrit.  — De  Saus- 
sure. — Fodéré.  — Halle  et  Nysten.  — Courtois.  — Legallois.  — Dralet.  — 
Gondret.  — Fraser.  — Govan.  — Les  frères  Gérard.  — Hodgson.  — H.  Cloquet. 
— Clissold.  — Boulin.  — J.  Davy.  — Rostan.  — Cunningham.  — Burdach.  — 
Pœppig.  — Boussingault.  — De  Humboldt.  — Junod.  — Magendie.  — Favre. 
— Barry.  — Martins.  — Rey.  — Tschudi.  — A.  Smith.  — Ilill.  — Maissiat.  — 
Fleclmer.  — Brachet.  — Castel.  — Vierordt.  — Lepileur.  — A.  Vogt.  — Le 


1 165 
79 

84 

129 

132 

158 

175 

175 

179 

204 


1164 


TABLE  DES  MATIERES. 


père  Hue.  — Przevalski.  — Pravaz.  — Payerne.  — Marchai  de  Calvi.  — Spoer. 

— Meyer-Alirens.  — Lombard.  — Valentin.  — Heusinger.  — Giraud-Teulon. 

— F.  Hoppe.  — Fernet.  — Longet.  — Gavarret.  — Duval.  — Lombard.  — 
Martins.  — Guilbert.  — Jourdanet.  — Ses  discussions  avec  Coindet.  — Cava- 
roz.  — Tardieu.  — Foley.  — Liguislin.  — Leroy  de  Méricourt.  — Gavarret. 

— A.  Dumas.  — Scoutetten.  — Kaufmann.  — Coindet.  — Gavarret.  — Von 
Vivenot.  — Flemeing.  — Bouchard.  — Béclard.  — Hudson.  — Piachaud.  — 
Lortet.  — Marcet.  — Forel.  — Clifford— Albutt.  — Dufour.  — Javelle. — Tyndall. 

— Durier.  — Russell-Killough.  ■ — Mistress  llervey.  — Henderson.  — Drew.  — 
Burton.  — Huart.  — Jaccoud.  — Armieux.  — Gosse.  — Jourdanet.  — L’Aca- 
démie de  Médecine  en  1875.  — Virlet  d’Aoust. 

ChapHre  SY.  — Résumé  et  critiques . 526 

§ 1er.  — Conditions  d’ apparition  du  mal  des  montagnes 527 

§ 2.  — Symptômes  du  mal  des  montagnes . . 541 

§ 5.  — Explications  théoriques 549 

Exhalaisons  pestilentielles.  — Électricité.  — Pauvreté  de  l’air  en  oxygène. 

— Fatigue,  froid.  — Théories  de  M.  Lortet  et  de  M.  Dufour.  — Diminution  du 
poids  supporté  par  le  corps.  — Sortie  des  gaz  du  sang.  — Dilatation  des  gaz 
intestinaux.  — Relâchement  de  l’articulation  coxo-fémorale.  — Autres  actions 
mécaniques.  — Extès  d’acide  carbonique  dans  le  sang.  — Théorie  de  de  Saus- 
sure et  de  Martins  — Théorie  de  M.  Jourdanet. 


TITRE  II.  — AUGMENTATION  DE  PRESSION 


569 


Chapitre  preEünicr.  — Fortes  pressions 571 

§ 1er.  — Cloches  à plongeurs 571 

Sturmius.  — Ilallev.  — Spalding.  — Brizé-Fradin.  — Ilamel.  — Col— 
ladon. 

§ 2.  — Appareils  construits  d'après  la  méthode  Triger 574 

Papin.  — Triger.  — Trouessart.  — De  la  Gournerie.  — Blavier.  — Pol  et 
Watelle.  — Comte.  — Bouliy.  — Brunei.  — Cézanne.  — Regnauld.  — Babing- 
ton  et  Cuthbert.  — François.  — Bucquoy.  — Foley.  — Nail.  — llermel.  — 
Limousin.  — Bayssellance.  — Gallard.  — Triger.  — Barella.  — Eads.  — 
Bauer.  — Malézieux.  — Renseignements  inédits. 

§ 5.  — Plongeurs  à scaphandres 40 

Borelli.  — Halley.  — Leroy  de  Méricourt.  — Denayrouze.  — Gai.  — Sampa- 
darios. 

Chapitre  II.  — Faibles  pressions 428 

Junod.  — Tabarié.  — Pravaz.  — Milliet.  — Sandahl.  — Tutschek.  — 

G.  Lange.  — Vivenot.  — Freud.  — Elsâsser.  — Panum.  — G.  Liebig.  — 
Mayer.  — Marc. 

Chapitre  III.  — Explications  théoriques  et  expériences 458 

Borelli.  — Musschenbroeck.  — Haller.  — Achard.  — Brizé-Fradin.  — Hallé 
et  Nysten.  — Poiseuille. — Maissiat.  — Hervier  et  Saint-Lager.  — Pravaz.  — 

Pol  et  Watelle.  — A.  Guérard.  — Milliet.  — Eug.  Bertin.  — Hoppe.  — Fran- 
çois. — Bucquoy.  — llennel.  — Foley.  — Caffe.  — Babington  et  Cuthbert.  — 
Sandahl.  — Tutschek.  — Vivenot.  — G.  Lange.  — Elsâsser.  — Panum.  — 

G.  Liebig.  — Gavarret.  — Leroy  de  Méricourt.  — Bouchard.  — Gai. 


Chapitre  IV.  — Résumé  et  critiques 508 

§ 1er.  — Action  physiologique  de  l'air  comprimé 508 

A.  Phénomènes  dus  à la  compression 509 

B.  Phénomènes  dus  à la  décompression 512 


TABLE  DES  MATIÈRES.  1165 

2.  — Explications  théoriques 513 

A.  Phénomènes  dus  à la  compression 514 

Explications  physico-mécaniques.  — Explications  chimiques. 

B.  Phénomènes  dus  à la  décompression 520 

SECONDE  PARTIE-  — EXPÉRIENCES. 

Chapitre  premier.  — Des  conditions  chimiques  ie  la  mort,  en  vases  clos,  des 
ANIMAUX  SOUMIS  A DIVERSES  PRESSIONS  BAROMÉTRIQUES 525 

Sous— chapitre  premier.  — Pressions  inférieures  à celle  d’une  atmosphère 527 

§ 1er.  — Dispositif  expérimental 527 

§ 2.  — Expériences 556 

A.  Expériences  faites  sur  les  oiseaux 556 

B.  Expériences  faites  sur  les  mammifères 569 

G.  Expériences  faites  sur  les  animaux  à sang  froid 578 

§ 5.  — Conclusions 579 

Sous— chapitre  ii.  — Pressions  inférieures  à celle  d’une  atmosphère 580 

§ 1er.  — Dispositif  des  expériences 580 

§ 2.  — Expériences 585 

A.  Compressions  avec  de  Pair  ordinaire 585 

B.  Air  suroxygéné;  pressions  inférieures  à une  atmosphère 589 

G.  Air  comprimé  à très-haute  pression;  action  funeste  de  l’oxvgène 594 

D.  Compression  avec  de  l’air  pauvre  en  oxygène COO 

E.  Compression  avec  de  Pair  suroxygéné 601 

F.  Compression  avec  de  Pair  ordinaire;  élimination  de  l’acide  carbonique.  . 606 

§ 5.  — Conclusions 609 

Sous-chapitre  iii.  — Résumé  et  conclusions 610 

Chapitre  II.  — Des  gaz  contenus  dans  le  sang  aux  diverses  pressions  barométriques.  615 

Sous-cha titre  premier.  — Méthode  opératoire  et  critique  expérimentale . 615 

Sous-chapitre  ii.  — Des  gaz  du  sang  sous  des  pressions  inférieures  à celle  d’une 
atmosphère * 650 

§ 1er.  — Dispositif  des  expériences 650 

§ 2.  — Expériences 657 

Sous-chapitre  iii.  — Des  gaz  du  sang  sous  des  pressions  supérieures  à celle  cl’une 

atmosphère 654 

g 1er  — Dispositif  des  expériences 654 

§ 2.  — Expériences 658 

Sous-chapitre  iv.  — Des  gaz  du  sang  dans  l’asphyxie  comparée  à la  diminution  de 
pression 670 

Sous-chapitre  v.  — De  la  quantité  d’oxygène  que  peut  absorber,  aux  diverses  pres- 
sions barométriques,  le  sang  tiré  des  vaisseaux 685 

g 1er.  — Pressions  inférieures  à une  atmosphère 687 

§ 2.  — Pressions  supérieures  à une  atmosphère . . 697 

Chapitre  III.  — Phénomènes  présentés  par  les  animaux  soumis  a des  pressions  infé- 
rieures a celle  de  l’atmosphère 705 

Sous-chapitre  premier.  — Accidents  de  la  décompressions 706 

§ 1e,‘.  — Respiration 712 


1166 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


§ 2.  — Circulation „ . . . 716* 

§ 5.  — Digestion 719 

§ 4.  — Innervation  et  locomotion.  . 720 

§ 5.  — Nutrition 723 

Phénomènes  chimiques  de  la  respiration.  — Excrétion  urinaire.  — Sucre 
du  foie  et  du  sang,  glycosurie.  — Température.  — Développement. 

§ G.  — Limite  inférieure  de  pression 735 

§ 7.  — Mort 738 

Sous-chapitre  h.  — Comparaison  des  phénomènes  de  la  décompression  avec  ceux 

de  l’asphyxie  en  vases  clos 740 

Sous* chapitre  ni.  — Des  moyens  de  conjurer  les  accidents  de  la  décompression.  . . 746 

Chapitre  IV.  — Action  de  l’air  comprimé  sur  les  animaux.  764 

Sous-chapitre  premier.  — Action  toxique  de  l’oxygène  à haute  tension 764 

§ 2.  — De  la  diminution  des  oxydations  par  V empoisonnement  d'oxygène . . . 802 

Échanges  pulmonaires.  — Excrétion  de  l’urée.  — Sucre  du  sang,  glyco- 
surie. 

§ 5.  — Animaux  aquatiques  ou  invertébrés 812 

Sous— chapitre  ii.  — Action  de  l’air  comprimé  à de  faibles  pressions 816 

g 1er.  — Séjour  peu  prolongé  clans  l'air  comprimé 818 

A.  Expériences  faites  sur  moi-même 818 

B.  Production  d’urée;  expériences  sur  des  chiens 828 

C.  Phénomènes  chimiques  de  la  respiration.  . . 829 

D.  Capacité  pulmonaire 833 

E.  Pression  intra-pulmonaire 856 

F.  Tension  artérielle 838 

§ 2.  — Séjour  prolongé  dans  l'air  comprimé 841 

Chapitre  V.  — Influence  des  modifications  de  la  pression  barométrique  sur  les 
végétaux 845 

Sous-chapitre  premier.  — Pressions  inférieures  à celle  d’une  atmosphère 848 

§ 1er.  — Germination 848 

§ 2.  — Végétation 854 

Sous-chapitre  ii.  — Pressions  supérieures  à celle  d’une  atmosphère 856 

§ 1er.  — Germination 856 

A.  Pressions  fortes  avec  air  peu  oxygéné 859 

B.  Pression  normale  ; air  suroxygéné 861 

C.  Faibles  pressions  ; air  suroxygéné.  . 862 

§ 2.  — Végétation 865 

Sous-chapitre  ni.  — Résumé 866 

Chapitre  VI.  — Action  des  modifications  de  la  pression  barométrique  sur  les  fer- 
ments, les  venins,  les  virus  et  les  éléments  anatomiques 867 

Sous-chapitre  premier. — Fermentations  par  organismes 869 

§ 1er.  — Putréfaction 869 

A.  Viande 869 

Bi  Sang * 888 

C.  Œufs 890 

§ 2.  — Coagulation  du  lait.  * 892 

§ 3.  — Altération  de  l'urine 895 

§ 4.  — Levure  de  bière 898 

§ 5.  — Ferments  du  vin 899 

§ 6.  — Moisissures 904 

Sous-chapitre  ii.  — Fermentations  diastasiques 909 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


1167 


§ 1er.  — Salive  et  diastase 909 

§ 2.  — Pepsine 912 

§ 5.  — Ferment  inversif  de  la  levûre 913 

§ 4.  — Myrosine 915 

§ 5.  — Émulsine 913 

Sous-chapitre  iii.  — Action  de  l’oxygène  à haute  tension  sur  les  éléments  anatomi- 
ques  914 

Sous-chapitre  iv.  — De  l’emploi  de  l’oxygène  à haute  tension  comme  méthode  expé- 


§ 1er.  — Blettissement  des  fruits 919 

§ 2.  — Maturation  des  fruits 920 

§ 3.  — Venins 921 

§ 4.  — Virus 922 

A.  Vaccine 922 

B.  Morve 923 

C.  Charbon  et  sang  de  rate 924 

Sous-chapitre  v.  — Résumé 926 


Chapitre  VII.  — Des  effets  des  changements  brusques  dans  la  pression  barométrique.  950 
Sous-chapitre  premier.  — Influence  des  augmentations  brusques  de  pression.  . . 930 

Sous-chapitre  ii.  — Influence  de  la  diminution  brusque  de  pression  à partir  d’une 


atmosphère 932 

Socs-chapitre  iii.  — Influence  de  la  diminution  brusque  de  pression  à partir  de 
plusieurs  atmosphères 939 

g 1er.  — Décompression  en  un  seul  temps 930 

À.  Expériences  faites  sur  des  moineaux 939 

B.  Expériences  faites  sur  des  rats 941 

C.  Expériences  faites  sur  des  lapins 942 

D.  Expériences  faites  sur  des  chats . 942 

E.  Expériences  faites  sur  des  chiens .' 944 

§ 2.  — Décompression  lente  ou  en  plusieurs  temps 956 

5.  — Résumé  et  conséquences  des  expériences  précédentes 960 

Sous-chapitre  iv.  — Prophylaxie  et  traitement  des  accidents  de  la  décompression 

brusque. 974 

Sous-chapitre  v.  — Piésumé 980 

Chapitre  VIII.  — Questions  diverses 982 

Sous-chapitre  premier.  — Action  de  l’acide  carbonique  sur  les  êtres  vivants.  . . . 982 

§ l6*-.  — De  la  tension  mortelle  de  l'acide  carbonique  dans  l'air  ambiant.  . . 985 

§ 2.  — De  la  dose  mortelle  de  l' acide  carbonique  dans  le  sang 985 

§ 5.  — De  V accumulation  de  l'acide  carbonique  dans  les  tissus 997 

§ 4.  — Symptômes  et  mécanisme  de  V empoisonnement  par  l'acide  carbonique . 1003 

§ 5.  — Action  de  l' aciclc  carbonique  sur  les  êtres  vivants  inférieurs 1015 

§ 6.  — Résumé  et  conclusions . . 1018 

Sous-chapitre  ir.  — Asphyxie * 1019 

Sous-chapitre  iii.  — Observations  sur  les  ga t du  sang 1028 


TROISIÈME  PARTIE.  — FAITS  RÉCENTS,  RÉSUMÉ  ET  CONCLUSIONS. 


Chapitre  premier.  — Diminution  de  pression 1043 

Sous-chapitre  premier.  — Observations,  théories  et  critiques  récentes 1043 


Bouchut.  — Chabert.  — Dufour.  — Forel.  — Tliorpe.  — Tempest  Ander- 


1108 


TABLE  DES  MATIERES. 


son.  — Calberla.  — Ward.  — Vaclien.  — Crocé-Spinelli,  Sivel  et  G.  Tissandier. 


— Stobezka.  — Campana  — Jourdanet. 

Sous-chapitre  ii.  — Résumé  et  applications  pratiques 1081 

§ 1er.  — Àéronaules.  . 1082 

§ 2.  — Voyageurs  en  montagnes.  1096 

§ 3.  — Habitants  des  hauts  lieux 1105 

§4.  — Vie  animale  et  végétale  sur  les  hautes  régions 1116 

§ 5.  — Applications  médicales 1118 

Chapitre  II.  — Augmentation  de  pression 1119 

Sous-chapitre  premier.  — Observations,  théories  et  critiques  récentes  ......  1119 

§ lor.  — Fortes  pressions 1119 

Guichard.  — Ileiberg. 

§ 2.  — Faibles  pressions.  — Appareils  médicaux.  . 1125 

J Pravaz.  — G.  Liebig.  — Léonid  Simonoff. 

Sous— ®hapitre  ir.  — Résumé  et  applications  pratiques 1133 

g 1er  — Fortes  pressions 1153 

§ 2.  — Faibles  pressions 1138 

§ 5.  — • Décompression  brusque 1141 

§ 4.  — - Applications  pratiques.  — Thérapeutique  cl  hygiène 1142 

§ 5.  — Conséquences  au  point  de  vue  de  l'histoire  naturelle  générale 1149 

Chapitre  III.  — Conclusions  générales.  1153 

Annexes.  — I.  Correspondance  des  hauteurs  et  des  pressions  barométriques. . . . 1156 
— II.  Le  nouveau  travail  de  M.  le  Dr  Mermod 1157 

Tarle  des  gravures 1159 


Typographie  Lahure,  rue  de  Fleurus,  9,  à Paris.  [17257] 


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