lîITILIOTIIÈQUE
DE L'ÉCOLE
DES HAUTES ÉTUDES
PUBLIEE SOUS LES AUSPICES
DU MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
SCIENCES PHILOLOGIQUES ET HISTORIQUES
CENT-SEPTIEME FASCICILE
MATÉRIAUX POUR SERVIR À l'hISTOIRE
DE LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA
PAR GODEFROY DE BLONAY
PARTS
LIBRAIRIE EMILE BOUILLON, ÉDITEUR
67, RUE DE RICHEI.ÏEU, AU PREMIER
1895
MATERIAUX
POUR SERVIR A l'hISTOIRE
OE LA
DÉESSE BUDDHIQUE TARA
CHALON-SUR-SAÔNIS, IMP. lUANÇAISE lîT ORIENTALE DB L. MAHCKAU
MATÉRIAUX
POUR SERVIR A L HISTOIRE
DE LA
DÉESSE BUDDIIIQUE TARA
PAR
OODEFKOY DE KI^O:V4Y
ÉLÈVE DIPLÔMK DE 1,'ÊCOLE PR,ATIQUE DES HAUTES ÉTUDES
PARIS
LIBRAIRIE EMILE BOUILLON, ÉDITEUR
67, RUE DE llICHELIEU, AU PREMIER
1895
Sur l'avis de M. Sylvain Lévi, directeur adjoint pour les études
sanscrites, et de MM. Michel Bréal et James Darmesteter,
commissaires responsables, le présent mémoire a valu à M. Gode-
FROY DE Blonay le titre di Élève diplômé de la section d'histoire et
de philologie de V École pratique des Hautes Études,
Paris, le 2 juillet 1894.
Le Directeur adjoint,
Signé: Sylvain Lévi.
Les Commissaires responsables.
Signé: M. Bréal.
J. Darmesteter.
Le Président de la Section :
Signé : G. Paris.
INTRODUCTION
Le présent travail a pour sujet la déesse buddhique Tara. Jusqu'ici
cette divinité n'était connue que par les rares mentions que lui
accordaient les ouvrages généraux; on savait aussi qu'un certain
nombre d'hymnes adressés à cette divinité existaient en manuscrit
dans les collections buddhiques.
Je me suis proposé de coordonner les documents principaux que
j'ai recueillis sur Tara, afin qu'il fiit possible de se rendre compte
du rôle que cette divinité et son culte ont joué dans le buddhisme.
Le hasard a mis à ma disposition trois textes qui caractérisent
heureusement les différents aspects du sentiment religieux dans le
buddhisme:
Le Sragdharâ stotra, composé par Sarvajnamitra, un lettré
distingué qui se meut à l'aise dans les difficultés d'un mètre
compliqué et qui met les ressources d'un style savant au service
d'une foi ardente et d'une dévotion exaltée. Ce petit poème peut
figurer parmi les inspirations les plus heureuses de la poésie per-
sonnelle à côté des Cent cinquante Stances de Màtrceta^ qu'I-Tsing
admirait comme un chef-d'œuvre, et surpasse assurément en
mérite littéraire les hymnes buddhiques publiés jusqu'ici*.
Les Cent hait Noms de Tara ou. A ri/atârânâmâi^^ottaraçataka-
stotra forment avec l'œuvre de Sarvajnamitra un étrange contraste.
Pour parfaire le nombre consacré, qu'une superstition commune
imposait aux buddhistes aussi bien qu'aux brahmanes, l'auteur
anonyme fait défiler une litanie d'épithètes incolores aisément
1. FuJisHiMA : Deuio chapitres, etc.
2. MiNAYEPF : Mémoires de la Société Archéologique, t. 11. fasc. 1, etc.
X LA DEESSE BUDDIIIQUE TARA
transportables d'une divinité à l'autre, et qui n'ont d'autre vertu
que de concourir au total obligatoire. La liste des Cent huit Noms
encadrée comme à l'ordinaire dans un dialogue, entre Vajrapâni et
Avalokita. est sans nul doute un chapitre isolé d'un de ces tantras
de 'larâ auxquels Sarvajnamitra fait allusion, où l'adoration de la
déesse se mêlait à des pratiques magiques ou répugnantes \
U E kavimçatistoira est encore un fragment tantrique où les
formules d'adoration se suivent à l'aventure sans que l'auteur ait
pris même la peine de leur donner un cadre. La langue, la métrique
et la raison sont violées avec un égale indifférence.
Mon travail eût été incomplet si je n'avait pas recherché les
traces de Tara dans les pays étrangers à l'Inde, où le buddhisme
a trouvé une grande faveur. Dans la littérature chinoise, je puis
signaler plusieurs passages relatifs à Tara, et je tiens à remercier
M. Specht de l'obligeance avec laquelle il m'a prêté son précieux
concours en ce domaine.
Le Tripilaka chinois donne les titres des hymnes sanscrits que
je publie; le contenu que j'ai dû me contenter d'étudier som-
mairement semble répondre en partie seulement à mes textes.
Au Tibet, Tara semble avoir été spécialement en honneur.
Le buddhisme a eu pour propagateur dans cette région le roi
Srong-Tsan-Gampo. Les deux reines ses épouses le secondèrent
de leur zèle et restèrent si populaires que la légende en tit les
Taras tibétaines.
Au XVI« siècle encore, Târanâtha, l'historien du buddhisnn^
indien, consacre une partie de son ouvrage à la biographie de saints
personnages voués au culte de Tara.
Ces biographies ne valent pas seulement par l'intérêt du conte.
1. Les catalogues nous font connaître les titres de plusieurs ouvrages qui
se rattachent au culte tantrique de Tara sans spécifier le caractère brah-
manique ou buddhique de la divinité : Târâi>addliati, 170 p., 800 vers;
Tât'ripùjanaj.culd liuti , 120 p., 12U0 vers; 7\l/(7/-a/ias(/acâftti/,a, 2ô0 p., GOOt.)
vers; Tdrilbliaktisudhntnac.a\ Tclrânityfc/canacidfti (avec les mille noms
de la déesse). Ces textes citent d'autres ouvrages intcressanl Tara : Tâ/d/,â-
raiiuja. Idrânuira, Tàropanisfad. Voir : Pandit /)(?r7>/'ri.>"â(/a, Catalogue of
the sansc. mss. existing in Oudli Province for thc year 1889, xv. 21. 22, 23,
ot Indio ()/'/irc, Cat. of sansc niss., n" 2r)'.)G et 2(10:).
INTi^ODUCTION XI
mais elles représentent certainement une tradition ancienne fondée
sur des documents indiens. L'introduction de Jinaraksita à son
commentaire du Sragdharâ stotra montre que les légendes re-
cueillies par Târanâtha étaient déjà constituées définitivement
dans rinde longtemps avant la compilation de l'auteur tibétain.
Qu'il me soit permis de remercier mon maître, M. Sylvain
Lévi, des conseils et de l'aide patiente dont il n'a cessé de favo-
riser mes recherches. Si, grâce à lui, mon travail a quelque mérite,
c'est pour moi un devoir et un privilège que de lui témoigner ici
ma profonde gratitude.
G. B.
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XIV LA DEESSE BUDDHIQUE TARA
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MATERIAUX
POUR SERVIR A L.' H I S TO I R 1-:
DE LA.
DÉESSE BUDDHIQUE TARA
SOURCES LITTERAIRES
Les documents les plus complets que nous ayons sur le person-
nage et le culte de la déesse buddhiquc Tara appartiennent à la
littérature sanscrite népalaise. Ce sont le Sragd/iarâstotra avec son
introduction dans la tïkâ de Jinaraksita, la liste des Cent huit
noms de Tcirâ: Aryatàrânâniâstotlaraçataka, et V Hymne en vingt
et an vers : E kavimçatistotra.
Il a dii exister encore d'autres textes relatifs à Tara qui seraient
précieux à retrouver ; c'est à Târanâtlia que nous devons d'en
connaître au moins deux par leurs titres; il dit à propos de l'aca-
rya Râhulabliadra: (( Son histoire est racontée dans la Description
de ta vie de Tdrày » Les informations de Târanâtlia ne détermi-
nent malheureusement ni la date ni l'origine sanscrit(; ou tibétaine
de cet écrit.
L'autre est le Târâsâdlutnnratakn, par Candragomin; Târanâtlia
nous apprend que cet ouvrage a été traduit en tibétain'.
Le catalogue du Kandjour nous apprend l'existence dans le
canon tibétain des textes suivants en ra.[)port avec le culte de Tara :
Rgyud IV 13 Târakurukullakalpa.
)) XIV 49 Sarva Tathagata niâtâni Tara virvakarma
bhava tantra.
1. TÂIIANÂTIIA, p. [)'À.
'^. Tak. , p. ir)().
Z LA DEESSE BUDDHIQUE TARA
Rgyud XÏV 50 Arya Tara bliadra nâma astaçatakam.
)) XIV 51 Tâm Devi nâmfi astaçatakam.
» XIV 53 Tara svapratijûâ dhâranï (mantra).
» XVIII Bhagavaty Arya Tara mûlakalpa.
» XXI 3 Origine des noms des divinités, parmi les-
quelles Tara.
On trouve dans leTandjour, Rgyud 1,9 unTârâmahâyogatantra.
La source la plus féconde en renseignements sur le grand déve-
loppein(Hit que prit le culte de Tara est V HUtolre du Jhiddhisme
aux Indes de Târanâtha. Le culte de cette divinité devait avoir
conservé une importance particulière pour quel auteur de V Histoire
du IhiddJnsme nous rapporte une quantité relativement consi-
dérable de renseignements au sujet de Tara; elle avait parmi les
plus notables âcâryas de l'Inde des sectateurs fervents.
La popularité de Tara au Tibet se constate dès une époque
assez ancienne: Les Tibétains ont identifié Tara avec les deux
femmes du roi Srong-Tsan-Gampo, l'introducteur du buddhisme
en ce pays (septième siècle ap. J. C.)'. Les deux épouses royales
étaient, en tibétain: Dolkar (pron. Dô-Kar') et Dol-jang (prou. Do-
jang ou Dô-ngôn), la Tara blanche et la Tara verte. Elles portent
aussi l'une et l'autre le nom de S'grolma (pron. 'Doma'). L'une
était princesse népalaise-, l'aulre princesstî chinoise^; ces deux
princesses personnifient donc deux inlluences buddhiques aussi
intenses l'une qu(^ l'autre.
L'histoire delà Tara tibétaine, ou des Taras tibétaines, car leur
nombre finit par devenir considérable, échappe à nos moyens
actuels d'investigation ; il faudrait entreprendre l'examen de docu-
ments littéraires bien peu accessibles encore. Klaprotli* donne en
allem.and un hymne à la vei'te Darrah ou Rogon-Darrki, hymne \)v\\
caractéristique. M. Waddell * a étudié ce sujet spécialement et a
publié la traduction anglaise d'Iiymnes extraits du manuel d'ado-
ration à Tara, hymnes assez semblables î\ ceux que nous tradui-
sons. Il y a joint la liste d'un certain nombre de Taras, sans donner
malheureusement ses sources.
1. Voir S(iiLA(aNT\vi:rr. liinld/iisnic au Tihct, 40-12, Wadmki,, ,/. R.
A. S., janvier 18'.)4.
2. Nommée V;ijrabhrûkuli ou Hril)siin fille du roi l'rablinvarmau ou Aiu-
euvarmaii, (>:]0-r)lU ap. J. C.
'.]. Fille (le l'empereur Tai-Tsunp:, elle épousa le roi eu OiU) après J. ('.
V. Gauii Dàs Bysack. j. A. S., vol. I.IX, p. W.L
4. licisr in dm Caucai^us ttnd narh Gcoff/ien., v. I, p. 213-215.
5. ./. /i\ A. S., janvier LSUt.
I
LA DÉESSE BUDDIIIQUE TARA 3
La Chine fournit aussi à nos recherches son contingent de ren-
seignements et de documents.
Hiouen-Tsang mentionne Tara à deux reprises :
(( Au couvent^ Tilàdhaka (dans le Magadha), dans le vihâra du
milieu, il y aune statue droite du Buddha haute de trente pieds. A
gauche s'élève la statue deTo-lo-pou-sa(Târâbodhisattva) et à droite
celle de Kouan-tseu-thsaï-pou-sa (Avalokiteçvarabodhisattva). Ces
trois statues sont en laiton fondu, leur aspect divin inspire une
crainte respectueuse et les efïets de leur puissance se répandent
secrètement au loin ^ »
Puis dans la description du royaume de Vaiçâlr :
(( A deux ou trois lis au nord de la statue en cuivre du Buddha
exécutée par le roi Mouan-Tscheou (Poûrnavarma) on voit au
milieu d'un vihâra en briques la statue de To-lo-pou-sa (Târcâbo-
dhisattva). Elle est d'une grande hauteur et douée de pénétration
divine. Le premier jour de chaque année on lui fait de riches
offrandes. Les rois, les ministres et les hommes puissants des
royaumes voisins présentent des fleurs d'un parfum exquis en
tenant des étendards et des parasols ornés de pierres précieuses.
Les instruments de métal et de pierre résonnent tour à tour, les
guitares et les flûtes unissent leurs sons harmonieux. Ces assem-
blées religieuses durent pendant sept jours *.»
Il est fait mention aussi de Tara dans le livre: Les par/s du
Buddha, chapitre iv, description de toute l'Inde et route pour y
aller. L'auteur Tao-Suen, le fondateur de l'I^^cole du Vinaya en
Chine (G50 ap. J. C.) mentionne dans le royaume deTsaukûta près
du Strirâjya, par conséquent dans l'Asie centrale, un stûpa de Tara.
Grâce à l'obligeance de M. Edouard Specht qui m'en a
signalé l'existence, je puis constater la présence dans le Ti-iintaka
chinois de deux textes relatifs à Tara:
Le premier donne une transcription en caractères chinois d'un
texte sanscrit: Aes' ccni liait noina de la Sainte TCu-Ci.
Quoique ce titre nous permît d'espérer ti'ouver la trnnscriplion
du texte que nous donnons plus loin en sanscrit, il a, fallu renon-
cer à celte identilication, car nous nous trouvons en présence de
dhâranis sans caractère propre. Le texte commence ainsi :
L St. JuLUiN, V. II, p. 439-440.
2. C'est à M. Specht que je dois la coimaissanco de ces deux passages
avec leur portée précise, qui a échappe ù Stanislas Julien.
3. St. JuLiKN, V. il I, p. 40 et suiv.
4. St. Julikn, v. III, p r)0-ril.
4 LA DEESSE BUDDIIlQrE TARA
Ôm, trailokye, vijaye, arthamjaye, arimghate, jaye, ajaye,
vijaye, mahâjaye, vijaye, jaye, jaye, hi hi.... etc.^
Les qualificatifs sont donnés en transcription et le texte sous
forme de sCitra est donné en traduction chinoise. Le bodhisattva
Avalokita est un des interlocuteurs, comme dans le texte sanscrit.
Le second texte donne aussi une transcription en caractères
chinois d'un texte sanscrit, ayant pour titre : Chan-to-lo-pou-sa-fan-
tsan équivalant au sanscrit: Arya tara, bodhisattva samskrta stotra,
soit: Éloge en aanacrit de la sainte Tara bodhisattva^.
Le nombre des indications fournies par le buddhisme chinois
donne le droit de penser que le buddhisme japonais a conservé aussi
un souvenir plus ou moins vivace de Tara. Malgré les efforts que
nous avons tentés dans cette direction, à cause peut-être de l'in-
suffisance des moyens d'investigation dont nous disposions, il ne
nous a pas été donné de suivre Tara jusqu'au Japon.
M. lïoriu Toki, d'après des notes prises dans les documents
japonais du Musée Guimet, a pu nous signaler le nom de Àrya Tara
bodhisattva passé au Japon, sous la forme de Ro-tara-ni-bi. « Elle
est comme le bateau qui fait traverser à l'homme l'Océan, et lui
procure la liberté (d'après le Yoga-ki). »
Le buddhisme du sud n'accorde point de place aux énergies
féminines des Buddhas (çaktis), aussi Tara est-elle restée étrangère
à la littérature sacrée de Ceylan^
1. Voir Ta Ts'ang Kiinu boîte 27, cahier 11. do l'exemplaire d-' la Société
asiatique.
2. Ta TsUiiifj hi/Kj, b. 27, c. ll^.
;5. HAiirH. [iuUetiH c/c.s relUjioiif^ de ITntlc, 1889, H part. p. 5.
LA DEESSE E4UDDHIQUE TARA
II
DOCUMENTS KPIGRAPHIQUES
Les documents épigraphiques seraient les fondements historiques
les plus sûrs pour assigner des dates précises aux phases du
culte de Tara aux Indes. D'après les légendes il y a eu une quantité
de temples et de collèges consacrés à ce culte. Târanâtha mentionne
des fondations de ce genre extrêmement nombreuses. Un examen
détaillé des ruines buddhiques de l'Inde permettra peut-être de
trouver plus de vestiges que nous n'avons pu le faire en nous aidant
de ce qui a été publié jusqu'à présent.
Un document précieux, le plus ancien en date, se trouve dans
l'île de Java. M. Brandes l'a publié tout au long, texte et traduction,
sous le titre : Een nàgarl opschrift gevonden tusschen Kalasan
en Pramhanan\
Le texte mutilé au début est de douze strophes en vers, soit
vasantatilaka, soit âryà; je donne ici la traduction complète du
texte, plus le texte de l'invocation initiale à Tara:
« Hommage à la bienheureuse Àrya Tara.
(1) Elle qui délivre directement de cet état infini de malheur. . .
ce qui concerne la nature de ce qui est terrestre et de ce qui est
invisible... l'essence du salut du monde inférieur, des dieux et
des hommes. . . seule Tara.
Namo bhagavatyây âryatârcâyai II yâ târayaty amitaduhkhabha-
vât tiryag na I lokavilokyavidhiva. . . rupâyah || sârah surendra-
nâralokavibhùtisâraTu | târâdi. . . bhimatani jagad ckatârâ.
(2) Car les gurus du prince Çailendra ont fait construire un
temple majestueux à Tara. (3) Sur l'ordre des gurus une déesse a
été fabriquée par les reconnaissants, et aussi un temple pour elle
et aussi un lieu de séjour pour les nobles moines qui connaissent
le Mahâyâna de la doctrine du Vinaya. (4) Sous la surveillance des
Adeçaçâstrin du prince, nommés le Pankura, le Tawâna, le Tiripa',
1. Voir : TijUsclirift oon indisc/ie Taal-Land-cn-'Vollicrkundc. (Batavia.
1886.)
2. Fonctionnaires dont on ignore le rôle précis.
6 LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA
a été construit ce Umti pie do Tcirâ et aussi un lieu de séjour pour
les nobles moines (5j dans le joycUinie florissant du prince qui est
l'ornement de la dynastie des Çailendras, (d'après les déb^irs) des
gurus de ce prince des Çailendras aux(iuels il est satisfait de
cette façon : un temple à Tara a été élevé (0) après que sept siècles
se sont écoulés dans l'ère du prince des Çakas; le prince, pour
honorer ses gurus, à la suite d'un vœu, a construit un temple à
Târé'i. (7) Le domaine du village, nommé Kâlasa, est donné à
l'assemblée en présence du Pankura, du Tawâna, du Tïripa et des
notables chefs du village. (8) Ce don, à la façon bhura, donné à
l'église par le prince, ne peut pas être aboli par les princes de la
race Çailendra, mais doit être indéfiniment respecté (9) aussi par
les Pankuras, les Tawânas, et les Tiripas et leurs respectables
femmes (10) et le roi demande aussi à tous les princes qui régne-
ront plus tard, ceci, qu'il exige : (( Puisse cette digue du droit qui
est commun à tous, de tout temps être protégée par vous. »
(11) Puissent en suite de cette sainte fondation tous les gens
avoir connaissance des vibhagas etdes prescriptions du Tribhavâ (?).
(12) Sa majesté fait un V(eu kariyâna, elle prie les princes qui
régneront ici plus tard de protéger de plus en plus cette fondation,
toujours. »
Dans cette inscription, rien qui soit très personnel à Tar.â et qui
se rapproche de nos hymnes, d'autant plus que la première strophe
est particulièrement mutilée. Néanmoins, il est important à
constater que Tara a [)énétré en même temps que le buddhisnu^ à
Java où son culte, comme partout ailleurs, est attaché à la tradi-
tion du Mahâyâna.
La date de l'inscription, donnée dans l'ère Çaka, correspond à
779 ap. J. C. (un siècle après Sarvajnamitra).
Un des documents les plus importants a été publié par ^L Fleet';
lUliot en avait doimé une transcription ^ C'est une inscription
trouvée sur une tablette de pierre, près d'un temple jaina, dans le
fort de Danibal. Les emblèmes figurés sur la pierre sont décrits
au chapitre suivant'. Le texte est édité d'après un estampage
de M. H. Consens. Le texte est en écriture vieux canarais, déli-
catement gravé et parfaitement conservé. Autour du sommet
de la tablette deux longues lignes de même écriture contiennent
1. Indian Antiquari/, v. X, p. 185. Je cite presque textuellement cet
article.
2. Elliot, Mfis. collection., vol. I, p 35G.
3. V. in/., p. 1>.
LA DEESSE BUDDHIQIJE TARA 1
trois vers sanscrits. L'inscription est du temps du roi Câlukya
Tribhuvanamalla ou Vilvramàditya VI. elle est datée du Juvasain-
vatsara, la dix-neuvième année du Câlukya-Vikramavarsa, ère qui
fut fondée par ce prince et qui part de son avènement en Tannée
çaka 1017, soit 1095-6 ap. J. C. L'inscription donne le nom de la
reine Laksnuidevi, qui gouvernait la région nommée (des dix-huit
agrahâras » et la ville de Dharmapura ou Dharmavolal, la ville
de la religion, qui est certainement Dainbal môme. Il y avait
alors à Danibal un vihâra buddhique construit par les seize sellhis
(Çresthin, marchands) de l'endroit, et un vihâra de Târâdevi
construit par le setthi Sanigavaya de Lokkigundi, tandis que cette
ville était jaina et que ces marchands appartenaient à la secte
Virabalaùjà, qui plus tard adopta le culte lingaïte de Basava^:
une preuve de plus de la profonde influence que tous ces cultes
hindous parallèles exerçaient les uns sur les autres.
Voici les passages de l'inscription qui sont spécialement relatifs
à Tara.
(1. 1) « Hommage à Buddha, hommage à toi, ô sainte Tara, qui
apaises la crainte des lions, des éléphants, du feu, des serpents à
chaperon, des voleurs, des chaînes, de l'eau, de l'océan. — Toi qui
es revêtue d'une splendeur semblable à celle des rayons de la lune.
Qu'elle donne toujours sa bénédiction, cette Tara qui apaise la misère
de l'affliction de l'existence, qui sortit du barattement de l'océan du
savoir nommé Prajnâ; elle qui donne la puissance au Buddha,
qui est l'incarnation suprême de la parfaite sagesse dans les trois
mondes, qui demeure dans le cœur du Tathâgata de même que le
disque de la pleine lune dans lé ciel.
(1. 19) Hommage à la déesse, la sainte Târâdevî et au dieu Bud-
dha. (Qu'on donne) unmattar de terrain de jardin en concession, à
la façon sarvanamasya, dans le domaine Ponnakuruva, à l'est du
village, et un aruvana et trois gadyanas d'or à percevoir chaque
année comme taxe, dont on profitera avec jouissance pour l'entretien
convenable du culte, pour l'approvisionnement de parfums, fleurs,
encens, lampes et guirlandes, et pour l'ofïrande perpétuelle et
autres choses, — pour l'entretien du pûjâri, pour fournir de nour-
riture et de vêtements les religieux mendiants du lieu, et pour
subvenir aux frais de restauration. »
Voici la traduction des trois lignes sanscrites qui encadrent
l'image :
«... Tara puisse-t-elle, elle qui se préoccupe avec anxiété de
1. Voir WiLSON, Religious accts of tlic Hindus, p. 2:^5 sqq.
8 LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA
témoigner sa tendresse, préserver les hommes que tourmente la
crainte de l'eau, des rois, des masses, du feu, du vent, elle qui ôte
la crainte des audacieux, des océans, des éléphants, des lions. . .,
qui accorde sans délai les récompenses désirées! Que Saingama
nous préserve toujours! »
L'épigraphie de Tara est étroitement apparentée à sa littérature;
elle est dans l'une et dans l'autre la sauveuse par excellence, celle
qui prend soin d'écarter de ses adeptes les craintes et les supplices;
elle occupe une place prépondérante à côté du Buddha qui lui doit
sa sagesse, et dont elle est le principal ornement. Les vers sanscrits
de l'inscription sont presque des citations de nos stotras, ou du
moins ils les reflètent indirectement par l'intermédiaire d'une
tradition précise et fidèle.
Une ins(;ription buddhique de Çrâvastï (Oudh), plus récente
encore que celle de Dainbal puisqu'elle date de l'an 1219 ap. J. C,
contient une mention de Tara qui suffit à prouver la persistance
vivace de son culte'.
La déesse est adorée en ces termes :
(1. 2) Sanisârâmbhodhitârâya târam uttâralocanâm | vande
gu'vvânavânïnâin Bhâratim adhidevatâm. ||
(( Pour traverser l'océan des existences, j'adore la sauveuse
Bhârati, Tara, qui a des yeux dont saillent les pupilles, la déesse
souveraine des paroles des dieux. »
Târâest encore celle qui fait traverser et son nom conserve ici
toute sa puissance étymologique.
1. Indian Antiqaary, vol. XVII. p. 62.
LA DEESSE BUDDHIQUE TARA
111
LES IMAGES DE TARA
Les images de Tara, identifiées jusqu'ici, sont peu nombreuses.
Une enquête diligence permettra sans aucun doute d'en reconnaître
bien davantage, même dans les monuments déjà explorés, et parti-
culièrement (au témoignage de M. Waddell) dans le pays de
Magadha.
Près d'un temple Jaina, dans le fort de DambaP, sur une tablette
de pierre, outre l'inscription mentionnée plus haut se trouve une
figure représentant Tara, assise à l'intérieur d'une châsse, regardant
devant elle, tenant dans sa main gauche un nymphéa épanoui et
dans sa main droite un objet difficile à identifier. A la droite de la
divinité, une vache et un veau, le soleil au-dessus d'eux; à gauche,
une figure debout, les mains jointes sur le visage, en adoration, un
nénuphar à huit pétales sur les mains, deux candélabres à mèches
allumées derrière elle, et la lune au-dessus. L'image, en somme, ne
présente pas de traits caractéristiques.
A Buddha Gayâ% sur l'emplacement d'un temple voué àTârâ, on
a trouvé une figure sculptée que Râjendralâla Mitra dit être Padma-
pâni, et qui ensuite passa pour une Tara, lorsque le temple fut con-
sacré au culte de cette divinité. Buchanan Hamilton^ est d'accord
pour constater que ce n'est pas du tout une image originale de Tara,
mais un personnage masculin.
A Ellora, Burgess* a constaté la présence d'une statue de Tara,
avec un lotus, au-dessous d'une niche.
Târanâtha** parle d'une statue d'elle, élevée par Vinltasena dans
un temple, qui fut transportée à Devagiri par crainte des dégâts que
commettaient les Turuskas.
1. V. Flekt. Indian Antiquart/, v. X, p. 185.
2. Buddha Gayâ, par Râjendralâla Mitra. 1878, pi. XX, fig. 1.
3. Même ouvrage, p. 60.
4. BuRGESs. Ellora Care Temples, cave XII.
5. Târ.. p. 160.
10 LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA
Il semble que les diverses Taras se distinguaient par la couleur.
Chacune d'elles portait les couleurs de son Buddlia respectif '.
Bufldha:
Tara :
Couleur :
Aksobhya
Locanâ
bleu
Ratnasanibhava
Mâmakï ou Mâmuki
jaune ou or
Vairocana
Vajradhâtvîçvarï
blanc
Amitâbha
Pandarâ ou Pândurâ
rose, rouge
Amoghasiddha
Tara'
vert
La position des mains varie aussi de l'une à l'autre.
Le Népal, le Tibet et la Mongolie sont d'accord sur la répartition
de ces couleurs, c'est surtout dans ces pays que les images des
Dhyânibuddhas et de leurs Taras ont été les plus nombreuses et
les plus spécialement révérées.
Au Tibet\ comme nous l'avons vu, on connaît deux Taras :
Dolkar et Doljang. On les représente toutes deux dans la même
attitude; le pied droit pendant devant le trône, la main droite tenant
le lotus bleu. Leur teint est différent: Dolkar est blanche, Doljang
est verte. Elles sont censées créées par le rayon bleu qui sortait de
l'œil gauche d'Amitabha s'incarnant en elles*. Certaines représen-
tations de Doljang montrent cet œil de sagesse dessiné dans la
paume de ses mains et sous la plante de ses pieds; ces marques
ont même une ressemblance surprenante avec les stigmates chré-
tiens''. Le Musée Guimet" possède une statuette de bronze repré-
sentant Doljang ou Dolkar assise sur un lotus, la jambe droite
pendante, coiffée d'une couronne.
La Tara japonaise tiendrait de très près à la Tara tibétainci d'a-
près le témoignage de M. lloriu Toki, fondée sur le Yoga-ghi-Ki.
Elle serait verte mêlée de blanc, née des yeux de Kouan-in, elle
se nomme aussi Fou-ghen, et fait partie du groupe de Kouan-in.
En somme, à en juger sur ces indications trop rares, rien n'a
distingué Tara, au point de vue artistique, de bien d'autres figures
1. Voir WiMGMT, Hii^torij of Ncpat, plate V, p. 28. Kkmn, Budcfhismus,
vol. II, p. 215-16. HoDGSON, ./. R. A. S., old s., v. IL p. 319 et suiv.
2. Voir le manuscrit add. 1476 (Dharanis)du catalogue de Ckcil Beniiall.
qui contient p. 22 h. une Tara dont la tète et les membres sont verts. Cette
miniature fort belle est du XVII"" siècle.
3. ScHLAGiNTWEiT. Lc Ducldliisnie axi Thlbet, p. 42.
4. SciiLA(;iNTvvErr, p. 54.
5. SCIILAGINTWKIT, p. 138.
6. Salle 2, vitrine 13, partie verticale, recoud rang (catal. p. 55).
LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA 11
féminines que l'art hindou a produites; de même que la littérature
Ta habillée non seulement de toutes les épithètes buddhiques en
vogue, mais encore des qualités et attributs chers au panthéon
brahmanique, de môme il estdiffîcile de croire qu'une forme exté-
rieure bien arrêtée ait jamais été consacrée à Tara.
Dans le Sragdhn/'à Siotra, quoiqu'au point de vue de la charité
Tara ne varie jamais, son apparence néanmoins revêt les aspects les
plus divers; on la voit les pieds illuminés de l'éblouissement de
ceux qui radorent\ dorée comme le soleil levant'-, courbant sous
son poids les têtes d'Indra, Rudra et Brahmâ, se tenir dans l'atti-
tude del'âlkjha qui est une de celles du tireur d'arc, la jambe droite
en avant, la gauche repliée"'; ou bien, emportée de colère* elle est
revêtue d'armes étincelantes et des serpents afïreux lui enserrent
les bras, analogue à Kcili'; ou bien, plus calme", tous les person-
nages célestes et terrestres lui offrent leurs hommages et, conclut
Sarvajûamitra, (( la déesse pareille au cristal qui reflète tout ce qui
l'entoure, à sa fantaisie se pare de la pourpre du soleil levant, plus
rouge que la laque, d'une couleur sombre plus sombre que le
saphir ou la feuille écrasée du lotus, d'un blanc plus blanc que le
lait baratté de l'océan^ ».
Cette énumération de couleurs, d'accord avec les couleurs des
Buddhas et des Taras données plus haut pourrait n'être pas fantai-
siste et tenir de la tradition ; le bleu, le blanc, le rouge y sont, man-
queraient le jaune et le vert pour que la concordance fût complète,
et encore le vert on le trouve à côté du bleu-saphir dans la pous-
sière de la feuille du lotus, et l'or ou jaune est tout naturellement
impliqué dans la comparaison avec le soleil.
Dans la liste des Cent hait noms (TArija Tara comme dans toutes
les énumérations de ce genre. Tara" a mille bras, mille yeux, elle a
le visage sombre et revêt toutes les formes''. Avec l'éclat du feu, elle
a de grands yeux ^% porte toutes les armes, s'orne de crânes ^\.. etc.
1. Srag., vers 1.
2. Srag., v. 5.
3. Srarj., V. 30.
4. Srarj., v. 31.
5. Comp. BuciiANAN Hamilton. Tantra Sara. Transact. li. As. S.,], ib.
6. Srag. , t. 32.
7. Srag., v. 33.
8. WS noms, v. 26.
9. 708 noms, v. 28.
10. 108 noms, v. 34.
11. W8 noms, v. 37.
12 LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA
Éviderament, ce qui ressort le plus clairement de nos hymnes,
c'est le privilège qu'a Tara de revêtir à son gré la forme extérieure
qui lui convient, et n'est-ce pas là le privilège indispensable au
r(Me de charité universelle qu'elle joue ^? Elle est la très bonne. Elle
paraît à l'upâsaka Çcântivarman sous la forme d'une vieille femme
pour lui faire traverser un fleuve': elle se dépouille de ses joyaux
en faveur d'une pauvre vieille lorsque Candragoniin' adresse une
prière à l'image qui la représente et depuis lors la peinture resta
sans bijoux.
1. Voir: Naipnliijadecatnkalyânapancaf'iwçatilm. \.\ (Wilron, Works,
vol. Jl).
2. TAh., p. 14Â>.
3. Tàh., p. 157.
LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA 13
IV
LE ROLE DE TARA DANS TÂRANÂTHA
Târanâtha, nous l'avons dit, nous fournit dans son Hiatoire du
Buddhisme, les noms et l'histoire d'une série de fidèles de Tara.
Il faut les reprendre un à un pour suivre, d'après un ordre aussi
chronologique que possible, le développement de ce culte au travers
des cinquième, sixième, septième et huitième siècles de notre ère.
Le premier personnage en date qui soit mentionné est l'âcàrya
Kâla^ dont la personnalité est bien difficile à identifier au milieu du
grand nombre de noms qui lui sont donnés- : Kâla, Mâtrceta^
Pitrceta, Açvaghosa, Durdharsa, Durdharsakâla, Dhârmika,
Subhûti, Maticitra, Çûra.
Târanâtha place la vie de Kâla sous les règnes de Bindusâra ^
fils de Candragupta et de ÇrîCandra son successeur\ Kâla sacra
roi Candanapâla et convertit le roi Kanika (?)^
Kâla^ ou Mâti'ceta, car c'est sous ces deux noms qu'il semble le
plus connu, est petit-fils d'un marchand de la ville de Khorta qui
avait dix filles fidèles à la loi du Buddha ; la dernière épousa un
brahmane nommé Sainghaguhya qui devint père de Kâla\
Kâla devint fort savant dans la connaissance des Vedas et des
Vedangas, il étudia ensuite les Tan iras et les Mantras et devint
un adversaire actif du buddliisme. Sa mère, restée attachée à la
1. Târ., p. 89.
2. Tàh., p. 90 n I^KRN nuild/iismus, VU, 464.
3. 1-Tsing nous doniio la transcription chinoise de ce nom : Mot'ch'a-li-
tchi-tch'a dans le chap. xxxv de l'Histoire de la loi intérieure envoyée de
la mer du Sud. Voir R\ auon Fujishinia. ./. As., 1889. 2 chap. d'1-Tsing.
4. Tau., p. 88.
5. Târ., p. 89.
6. Târ., p. 92.
7. Ta II., p. 90.
8. D'ap. I-T.sin«^, loc. cit. Kâla renaît d'un rt)Ssignol qui avait entendu le
Buddha.
14 LA DÉESSR BUDDIIIQUE TARA
rel igion, l'en voya à Nâlanda dans la persuasion qu'il s'y converti rait.
Effectivement, arrivé dans le Magadha^ il devint sthavira, apprit
le Tripilaka et vit en songe- apparaître la vénérable Tara qui
l'invita à composer en l'honneur du Buddha toutes sortes de
chants de louanges afin de se laver des péchés commis contre
la religion. Il composa alors une centaine d'hymnes à Buddha et
l'hymne en cent cinquante çlokas^ qu'admirèrent Asanga et Vasu-
bandhu et qu'on trouve dans le Tanjour attribué à Vâgbhata, fils
de Saipghagupta* ; un nom de plus à ajouter à la liste de ceux de
Kaia\
C'est lui peut-être aussi qui, sous le nom de Krsna (le noir
comme Kéila), aurait consacré Râhulabhadra'"' son contemporain,
l'un des fondateurs^ du système naissant du Mahâyâna auquel se
rattache déjà Kâla, avec un autre initiateur: Àryadeva, élève de
Nâgâ^juna^
L^âcârya Râhulabhadra% contemporain de Kâla, plus jeune
cependant que lui, est élève d'Àryadeva. 11 vint à Nâlanda lors du
sacre de Candanapâlaet fut lui-même alors consacré par Kâla^" ou
plus exactement Krsna. Râhulabhadra étudia les sûtras et les tan-
trasdu Mahâyâna et propagea la doctrine Mâdhyamika'^ 11 suc-
céda dans Nâlanda à son maître Aryadeva ^\ Sa vie, nous ditTâra-
natlia, était racontée dans un ouvrage intitulé : BiofjrapJiie de
Tard ^•"'.ne cette mention, il semble logique de conclure que Rahu-
labhadra a été spécialement lié au développement du culte de Tara.
1. Nàlnnda, d'ap. Iliouen Tsang. a été fondé par Çakràditya, Vie ilc
H. y., p. 14!).
2. Târ., p. 91.
3. Çatapancâçatlka nâma Stot/-a, v. Tanjour. b. 1.
4. TAn., p. 311.
5. Kala mourut avant d'avoir achevé la rédaction du L/fvc (/^-s dùr-Jui-^-
iliœ miissannes qui en resia à la trente-quatrième naissance, et qui serait
contenu, d'après Schiefner. dans le Tanjour, sous le nom du liurhlhara-
rUainaltàhuriia d'Açvagliosa (tbin. : Ma-ining). Si c'est exact, A*^n'aghosa
ou notre Kàla serait le même dont parle la biographie chinoise de Vasu-
bandlni, (|ni fut appelé au Kasmir pour écrire la Vibhàsa, et qui fut enlevé
du Magadba par le roi des Yuc- Tcbis. Wassimi-:!'. Bucfdfn.'^nKis. p. 75.
G. Târ., )). (iG,
7. Wassilikp, p. 219.
8. Wassii.irf, p. 34.
9. Târ., p. 93.
10. Târ., p. G6.
11. Târ., p. 67.
12. WAssii.Hir, p. 2;il.
13. Târ., p. 93.
LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA 15
Avant de mourir Àryadeva^ transmit à son élève, à Ranganâtha
près de Kânci (( le grain du sens de l'enseignement »; et c'est sous
le nom de Çrl-Saraha que Râhulabhadra succéda à son maître
dans l'école mystique-. Le roi Çrl Candra embellit Nâlanda, alors
que Râhulabhadra y enseignait, de quatorze écoles et de quatorze
promenoirs.
Râhulabhadra mourut dans le pays Dhinkola après avoir vu la
face du Buddha Amitâbha. Bhagavat lui prédit qu'il serait dans
un temps à venir le Tathâgata Saptaratnapadmavikramin^ Nous
connaissons comme ses élèves sous le roi Buddhapaksa et sous
son successeur Karmacandra: Râhulamitra et son disciple Nâga-
mitra, qui tous deux prirent une part active à la propagation du
Mahâyâna; Nâgârjuna, le fondateur de la doctrine Mâdhyamika.
Tara avait aussi ses fidèles parmi les laïcs, témoin un certain
Çântivarman^ Revenant du Potala avec un exemplaire en huit
parties delà PancaDimçatlmhasvikaprajhdpàramitCi Çântivarman
fut rencontré par Vimuktasena, neveu de l'âcârya Buddhapâlita,
de l'école des Kaurukullakas % et contemporain de Vasubandhu.
Çântivarman" avait été envoyé au mont Potala par le roi Çubha-
sâra à la suite d'un songe que ce dernier avait eu. Tara lui vint en
aide pendant son voyage sous la forme d'une vieille femme diri-
geant une barque pour lui faire traverser un gouffre d'abord, puis
un grand fleuve. Avec le secours de Tara, Hayagrlva, Ekajali,
Amoghapâça et autres, Çântivarman réussitenfin dans son voyage,
vit les dieux dans le Potala et revint auprès de Çubhâsâraqui en
souvenir de ces incidents éleva le monastère Karsâpana vihâra.
On appela Çântivarman l'homme aux mollets de fer à cause de ses
longs vo^^ages, car il en fit plusieurs autres encore.
Tara intervient en sa faveur, nous venons de le \oir, eu lui
faisant traverser les eaux. Nous allons constater bien des fois encore
ce genre d'interAcntion.
Ravigupta^ qui mourut a,insi que Vimuktasena à l'époque du roi
Bharsa, (ils de Siniha, semble se rattacher à un mouvement spécial.
C'était un bhiksu thaumaturge comme Çântideva et Sarvajnami-
tra plus tard au Kasmir, les contemporains aussi des magiciens
1. Târ , p. 68.
2. Kkrn, II, p. 500 Wassii.ihf, p. 21S o\. suiv.
8. Lotus, p. 133.
4. Târ., p. 141.
5. Tar., p. 137-138.
6. Târ., p. 142-143.
T. Târ., p. 147-148.
16 LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA
Donibiherukaet Vajraghaiila, qui ne sont malheureusement connus
que par leur nom\ Târanâtha passe sommairement sur Ravi-
gupta, (lisant que sa biographie est rapportée ailleurs; cependant
il témoigne que Ravigupta chercha à concilier les doctrines d'Arya
Nâgârjuna et d'Asanga*. 11 fonda au Kasmir et dans le Magadha
douze écoles et propagea le culte de Tara qui se trouve, dès lors
au moins, étroitement uni à la thaumaturgie.
Une colombe qui avait entendu Vasubandhu^ renaquit, dans
le sud du Dandakâranya, sous la forme d'un fils de marchand ; ce
fut l'âcârya Sthiramati. A l'âge de sept ans on l'envoya à Vasu-
bandhu, de qui il apprit la sagesse sans peine. Un jour, comme il
avait trouvé une pleine poignée de fèves et pensait à les man-
ger, il estima qu'il ne serait pas convenable de le faire sans
auparavant en offrir à la vénérable Tara dont il y avait là un
temple. Lorsque l'enfant eut donné à la statue quelques fèves,
celles-ci roulèrent en bas ; il se dit que si la vénérable ne les voulait
pas manger il ne pouvait non plus y goûter. Et comme il lui en
offrait toujours et que celles-ci s'obstinaient à rouler à terre,
l'enfant se prit à pleurer. La divinité lui apparut en face et lui dit :
(( Ne pleure pas, je te bénirai. » A ce moment se fit en lui la
lumière, et la statue fut dès lors connue sous le nom de Mâsa Tara
(la Tara aux fèves). Sthiramati est un des docteurs formés par
Asanga et Vasubandhu ''. Il commenta les œuvres de Vasuban-
dhu et le Ratnakûla'". Sthiramati est le maître de Candragomin '•
et de Gunamati. D'après Hiouen-Tsang, Sthiramati aurait vécu
dans l'Ouest, dans le royaume de Valabhï'.
Vin]tasena% contemporain du précédent et de Candragomin,
nous est très peu connu, Târanâtha nous avertit qu'il n'en a pas
trouvé de biographie détaillée. Élève de Prasena, il vivait au temps
des rois Cala, Pancamasiniha, etc., et aurait élevé dans un temple
une image à Ajitanâtha. Cette divinité aurait exigé de Vinltasena
qu'il élevât aussi une image à Târâ% sa commère dans le salut des
êtres. Vinltasena l'exécuta après avoir convié Candragomin. Détail
1. târ., p. i:o.
2. Cf. WA8sn,iKi-, p. !;i27, rom.
:], 'J'au., p. liiO.
4, St. Julikn, v. 111, p. IGl.
5. Kkun, V. M, [). 511», et Wassilikk, p. 84-85.
G. Târ., p. 150.
7. St. Julikn, v. 11, p. 46-101.
8. Târ., p. 159.
9. Târ., p. IGO.
LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA 17
intéressant, ces deux images, par crainte des Turuskas, furent
transportées à De vagi ri où elles se trouvaient encore du temps
de Târanâtha.
Candragomin^ est le plus illustre personnage de l'époque qui
se rattache au culte de Tara, d'une façon même très intime, car
c'est avec Sarvajnamitra celui dont Târanâtha raconte les aven-
tures avec le plus de soin.
Târanâtha mentionne Candragomin parmi les six joyaux du
Jambudvïpa'. A la naissance de Candragomin, à Varendra, dans
rouest% se rattache une légende étrange, qui donne dès l'abord
une couleur mystique à toute l'histoire de l'àcârya : Durant sept
ans il ne parle point, et ne prend ensuite la parole que pour
défendre la religion contre les attaques d'un maître Tirthya*.
Candragomin est élève laïc de l'école d'AsangaS de Vasubandhu
et de Sthiramati\ leur disciple. Aussi, il a brillé surtout dans le
domaine de la grammaire et de la métrique. Il a écrit le Candra-
vyâkarana, le Sambaravimçaka'' , le TàrdHddhanaçataka^ VAva-
lokileçvarasâdhanaçataka et beaucoup de castras.
Infatigable défenseur de l'idéalisme d'Àryâsanga contre Can-
draklrti qui suivait la doctrine de Buddhapâlita" dont on le con-
sidérait comme une réincarnation, Candragomin finit probable-
ment par l'emporter après sept ans de lutte, ce que Wassilief
conclut du fait que Candragomin resta à Nâlanda, tandis que son
adversaire s'en alla au sud dans le Konkan^
Candragomin est contemporain des rois vSiiiiha, Bharsa et de
Dharmapâla'"; il fut consacré par Tâcârya Açoka^\ Comme il
récitait une formule magique, il vit face à face, dans le pays du roi
Bharsa, Ârya Avalokiteçvara et Târâ^'. Ses succès dans le domaine
de la métrique, de l'art et de la grammaire lui valurent la main de
1. Minaycf a publié une étude sur Caudrat^omin ot ses œuvres. V. Bul-
letin de l'Acad. de Saint-t*étersbourg, v. IV, p. 2\)i, dont on trouvera un
résumé dans Vlm/ian An tiqua ri/, octobre ISHO, p. 31!).
2. Târ., p. 5.
3. Târ., p. 148-141).
4. Tâh., p. 150.
5. Kkrn, V. II, p ô.-.^).
6. Târ., p. 150.
7. Târ.. p. 156.
iS. Târ., p. 153.
9. Wap.sii.iki-, p. !:i07-:L'08.
10. Târ., p. 158.
11. Târ., p. 1.50.
12. Târ., p. 150.
2
18 LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA
la fille du roi et une terre ^ Comme une l'ois la servante de sa
femme appelait cette dernière Tara, l'âcârya trouva peu con-
venal)le que sa femme portât le nom d'une divinité protectrice
et fut sur le point de se retirer dans un autre pays ; lorsque le
roi eut aj)pris la chose, il ordonna que, si l'âcârya ne voulait pas
vivre avec sa fille on le mît dans une caisse et on le jetât dans
le Gange. L'ordre ayant été exécuté, l'âcârya pria la très liante
et très vénérable Tara et fut poussé sur une île de l'Océan, à l'em-
bouchure du Gange, magiquement créée par la divinité. Cette île
reçut ensuit(î le nom de Candradvîpa, en souvenir de Candrago-
min. Séjournant dans cette lie, l'âcârya érigea des statues de
pierre à Avalokiteçvara et à Tara. Peu après Candragomin alla
à Nâlanda où commen(;a la lutte entn; Candrakirti et lui. Après
que la lutte fut apaisée, grâce à l'intervention merveilleuse des
divinités % Candragomin, trouvant le çâstra Samaniahhadra de
Candrakïrti de forme plus |)arfîiite que son (V<r/>(i?(7.s77//Yi! (|ui deve-
nait inutile, jeta son livre dans une source. Alors la vénérable
Tara lui dit : (( Puisque tu as écrit C(3t ouvrage dans le bon but
d'être utile aux autres, à l'avenir il sera pour les créatures intel-
ligentes très utile, tandis que celui de Candrakirti, qui est plein
d'orgueil, sera de moindre utilité aux autres. C'est pourquoi
retire ton œuvre de l'eau. » A la suite de cette prédiction, Can-
dragomin sauva son ouvrage, et depuis lors quiconque boit de
l'eau de cette source obtient une grande sagesse.
Tara intervint encore plusieurs fois dans la carrière de Candra-
gomin.
Comme il faisait étudier à ses élèves ses nombreux ouvrages
sur toutes sortes de sciences : la grammaire, la dialectique, la
médecine, la métrique, la mimique, la lexicographie, la poésie,
l'astronomie, etc., la déesse lui dit : u Lis le J)açah/nlmih(i et le
Candnipradlpa, le Gandâlamkâra, le Lankrwatâra ei la Prainâ-
paramita, qu'as-tu à l'occuper de métrique et à redresser ce qui
est m;il et contourné '^? »
Uni^ .-iiitre fois '' une femme p;un n^ (>t vieille qui avait une fort
b(dl<^ (ilhî et était réduite à mendier, renvoyée par Candrakirti,
s'adresse à Candragomin pour obtenir une aumône. Celui-ci, qui
ne possède rien, se met en prière devant une lielie peinture repré-
1. Tâk., p. lôD-lM.
Z. Tau., p. 1;").").
3. Tàr., p. lôG.
4, Tàiî., p. 156-1Ô7.
LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA 19
sentant Tara et l'implore en pleurant; Tara apparaît elle-même, se
dépouille de ses bijoux et les donne à l'âcârya qui en eomble la
vieille femme. Depuis lors l'image resta dépourvue de joyaux.
Une dernière fois enfin, Tara sauve la vie de son fidèle disciple
à peu près dans les mêmes circonstances que jadis : ^ il allait à
Potala et lenciga Çesa voulant venger d'anciens griefs éleva contre
le vaisseau une énorme vague. Une voix crie: « QueCandragomin
soit sauvé. » L'âcârya invoque sa sauveuse qui apparaît revêtue
de ses cinq formes, assise sur Garucja dans les régions aériennes.
Les nâgas terrifiés prennent la fuite et le vaisseau atteint sans
encombre Dhanaçrï; là, Candragomin fait une offrande, élève
cent temples à Tara et cent à Avalokiteçvara. Arrivé à Potala, il y
vit encore sans avoir abandonné son enveloppe terrestre.
Peu après Candragomin, presque son contemporain, il faut citer
l'auteur de notre Srar/dharâ stotra, Sarvajnamitra, comme un des
plus notables adeptes de Tara ; différents documents nous le font
connaître.
Nous apprenons par Târanâtba qu'il était élève de Gunaprablia
(mentionné par I-Tsing parmi ses contemporains-) et vivait au
Kasmir tandis que régnaient le roi Cala à l'Ouest, et le roi
Pancamasiniha, fils de Bharsa, à l'Est et au Nord jusqu'au Tibet \
Târanâtba nous raconte plus loin :
Sarvajnamitra'', beau-fils d'un roi du Kasmir, fut pendant son
enfance, comme il dormait un jour sur le toit de la maison, enlevé
par un vautour et déposé dans le Madhyadeça sur le faîte du temple
Gandhola. Des pandits recueillirent l'enfant, le ranimèrent. Quand
il fut devenu plus grand il devint très subtil et fut au nombre des
bhiksus possédant les Pitakas, à Nâlanda. Alors il s'attacha à la
haute et vénérable Tara, il la vit en réalité et obtint d'inépuisables
richesses.
Sarvajûamitra fit des aumônes de tous ses biens, de sorte (ju'il
arriva qu'il n'avait plus rien à donner; il s'en alla de son pays vers
le Sud, afin de n'avoir pas à renvoyer les mains vides les nombreux
mendiants qui ne manqueraient pas de venir. En route il l'en-
contre un brahmane aveugle auquel un petit garc^^on sert de guide.
Comme il lui demand;iit où il allait, le biiilimanc dit (|u'àÇri-Na-
1. Tau., p. 157.
2. Au sopti('mc sirclc ; cf. Dou.r (!/nt /litres cri/dits des Mcinoii'es
d'I-TsiiKl, iraduit par R^.\U()N Kujisiiima. ./. /1., 1888 ii, p. l.'i.').
8. Târ., p. ir)8-l.')9.
4. Tàk.. p. 168.
20 LA DÉESSE BUDDIIIQUE TARA
landa vivait Sarvajriamitra qui donnait, satisfaction à tous les quê-
teurs; c'est auprès de lui qu'il allait Lorsque Sarvajnamitra lui
eut dit que c'était lui en personne et que préciséinent il était arrivé
à l'épuisement total de ses richesses, le brahmane fut accablé de
douleur et une grande compassion s'empara de Sarvajnamitra. Ce
dernier avait entendu dire qu'un roi noraméSarana, adonné passion-
nément à des doctrines mauvaises et obéissant à un perfide âcârya,
voulait acheter cent huit hommes pour les sacrifier dans le feu, afin
d'obtenir une force surnaturelle et une grande puissance, et par là
acquérir en partage la délivrance. Le roi avait trouvé cent sept
hommes, il en restait donc un à acheter. L'àcârya pensa à se
vendre lui-même afin de venir en aide au brahmane. 11 dit
au brahmane^ : a Ne t'attriste pas, je vais trouver un expé-
dient et revenir. » Arrivé à la ville, il demanda qui achetait
des hommes; le roi l'acheta et lui donna comme prix autant d'or
qu'il pesait. Quand Sarvajnamitra eut donné l'or au brahmane
celui-ci s'en alla satisfait, puis Sarvajnamitra fut mis dans la
prison royale. Là, les hommes lui dirent : (( Si tu n'étais pas venu
nous aurions peut-être été sauvés, mais maintenant on va nous
brûler, » et ils se laissèrent aller à une profonde tristesse. Le soir,
les cent huit hommes furent placés, liés, sur un bûcher élevé au
sommet d'une montagne. L'àcârya des hérétiquesofficiait, et lorsque
tout le bûcher s'enflamma en craquant au feu, les cent sept hommes
^sanglotèrent bruyamment. Sarvajnamitra, pris de compassion,
implora la vénérable Tara. Celle-ci apparaissant fit jaillir de sa
main un Ilot de nectar. Tandis qu'il ne pleuvait pas, là où se
tenait h; peuple, des Ilots de pluie s'abattaient sur l'emplacement
où flambait le bûcher. Loi'sque le feu s'éteignit un lac apparut.
Le roi, frappé d'admiration, s'inclina plein de respect devant
l'àcârya, et laissa aller les hommes après leur avoir donné une
récompense. Quoique le roi témoignât beaucoup de respect à
Sarvajnamitra, il ne se tourna cependant pas vers la vraie doctrine
et ne répandit pas la Loi. (Juand il se fut écoulé beaucoup de ti^nps,
l'àcârya fut ti'ès attristé et pi'ia la vénérable Tara de le reconduire
dans sa patri(;. KWc. lui dit de saisir son vêtement et de fermer les
yeux, puis do les rouvrir, et Sarvajnamitra- se trouva dans un
(îudroit qu'il n'avait jamais encore vu, où était un très grand palais
royal. Il demanda à la déesse pourtiuoi elle l'avait porté là et
non pas à Nalanda. ; — cell(»-(.'i lui dit que c'était là précisément sa
1. Târ., p. m.).
2. Târ., p. 170.
LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA 21
patrie. Sarv^ajn.amitra resta dans cet endroit, éleva un grand
temple à Tara, enseigna très bien la Loi et conduisait tous les êtres
au salut. Sarvajnainitra est élève de Ravigupta.
En regard du récit très détaillé de Taranâtlia nous pourrions
placer l'introduction de la SragdJiard TïLd de Jinaraksita, que
nous donnons plus loin avec le texte et qui, chronologiquement,
est bien plus proche de Sarvajnamitra que le récit postérieur
de Târanâtha. On constatera le peu de différence qui existe
entre les deux récits, à part la façon dont intervient Tara dans le
dénouement, et le nom du roi cruel que Jinaraksita appelle Vajra-
mukuta tandis que Târanâtha le nomme Saraiia.
D'autre part, nous trouvons dans la Ràjataranginl^ la mention
suivante :
(( Le mendiant religieux Sarvajnamitra s'éleva dans ce couvent
)) (de Kayya^) à la dignité de Jina. ))
Or, cet événement se place sous le règne de Lalitâdilya', suivi
de celui de Kuvalayâpïda*, qui ne régna qu'un an ; après lui
régna Vajrâditya ou Vappiyaka. ou aussi Lalitâditya"', roi méchant
et de mœurs cruelles^: (( Il livra, en les vendant, un grand nombre
)) d'hommes aux Mlecchas et fitrégner dans le pays les coutumes
1) propres aux Mlecclias. » Ces indications coïncideraient avec
les grands traits du récit que nous étudions. Entre les noms de
Vajramukuta du Stotra et Vajrâditya des annales du Kasmir il n'y
a que la différence du deuxième élément du nom ; Vajrâditya aurait
régné dans le courant du huitième siècle, et Sarvajnamitra, élève de
Ravigupta' et de Gunaprabha, se place vers la fin du septième
et au commencement du huitième siècle.
Çântidcva se rapproche beaucoup de Sarvajnamitra. L'auteur
du Bodhicarij avatar a et celui du Sracjdliarâ Stotra sont contem-
porains. M. delà Vallée-Poussin' a déjà signalé la grande analogie
1. Râjatarangint, 1. IV, v. 210.
rrimân kayyaviharo'pi tenaiva vidadho' dbhutali |
bhiksuli Sarvajnamitro'bhut kramad yatra jinopamah ||
2. Ce couvetH avait été bâti par le loi de Lata nommé Kayya , ù
une époque où nous voyons le buddhisnie lleurir d'une façon très
intense, si nous en croyons la Ràjataraihjiijn..
H. Ràjatarangini, 1. IV, v. 126.
4. Râjatarangitii, 1. IV, v. 372.
5. Râjatarangini, 1. IV, v. 393.
6. Rdjatararif/lrù, 1. IV, v. 397.
7. Tar., p. 170. Havigupta est contemporain de Sukhadeva, élève de Can-
dragomin.
8. Le Masùon, 1892, p. 109. Bodhicaryavatara.
22 LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA
de CCS deux productions. Çântideva n'est pas étranger à Tara,
Tcâranatha nous dit de lui, après l'avoir mis au même rang que
Candragomin, comme maître accomplissant des miracles^ : u 11
naquit dans le Saurâsira, de famille royale. Dès son enfance, par
la vertu de ses mérites, il jouit de la bienveillance de Manjuç.ri ;
le dieu personnifiant la sagesse lui apparaissait en songe'. »
Devenu grand, la veille du jour où il devait être élevé au rang
royal, Çtântidcva vit pendant son sommeil Manjuçrï assis sur le
trône qui lui était destiné à lui. (( Mon fils, dit le bodhisattva, ceci
est mon siège, je suis ton ami spirituel, il n'est par conséquent pas
convenable que toi et moi soyons assis sur le même trône. » Après
que le bodhisattva eut ainsi parlé, Àrya Tara revêtant la forme de
la mère de Çântideva l'aspergea du haut en bas d'eau brûlante.
Çântideva demanda ce que cela signifiait, elle dit : (< La royauté
est l'inépuisable eau bouillante de l'enfer, en l'acceptant, tu te des-
tines à cette eau brûlante. )) Çântideva prit la fuite ce jour même.
Après vingt et un jours (de fuite), comme il voulait boire d'une
source qui se trouvait dans une forêt, une femme l'en empêcha,
lui donna d'autre eau très douce, et le mena auprès d'un ascète,
dans une caverne. L'ascète donna à Çântideva la bonne direction.
C'était Manjuçrï, la femme était Tàrâ\
Çântideva devintdans la suite ministre de Paûcamasiinha II pos-
sédait des vertus magiques extraordinaires et fut ordonné moine par
Jayadeva. 11 se rattache encore d'autres miracles à son histoire \
mais ce qui précède suffit à montrer combien l'histoire de Çânti-
deva, comme celle de Sarvajnamitra, est empreinte de merveilleux
(ît le rattache au même mouvement.
Çântideva se place donc comme Sarvajnamitra du septième au
huitième siècle, un peu plus tard que Ja3^adeva, élève de Dhar-
ma[)âla*.
Bhavabhadra, le sixième des douze tantrâcâryas de Vikra-
maçîla entre Çridhara et BhavyakirtiS était très versé dans le
système Nyâya. 11 fut béni en songe par Cakrasambara et vit
la face de Tara. Il atteignit la siddhi". Les âcâryas de Vikrama-
1. TAn., p. 10:5 et suiv.
2. Lo. Maséon, p. 72-73, et Tâk., p. 1()3,
3. Taiî.. p. Ifî'l.
4. Tau., p. 1G5, 16(), 167.
5. Dharniupala est cité avec rnin;ii>ral)lia par l-Tsiiii: entre ses coiitcinito-
raiiis. Cf. DcuiJo C/iapit/'C,^, etc., loc. cit.
6. Tâk,. p. n, 6.
7. Târ., p. 258, 259.
LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA 23
çïla% à part les deux premiers, se succèdent de douze en douze ans;
le premier, Buddhajnânapâdaest contemporain du roi Dharmapâla.
Trente-six ans après lui vient Bhavabhadra, ce qui permet de
le placer à peu près au commencement du huitième siècle ^
A Vikramaçïla se rattache aussi Jinaraksita, l'auteur d'un des
commentaires du Sragdharâ (manuscrit C.) mentionné ailleurs.
En effet, le colophon du manuscrit désigne ainsi ce personnage:
(( Çrïmadvikramaçïladevamahâvihârïyarâjagurupanditabhiksu-
çrijinaraksitakrtâhâlârkastutitikâ parisamâptâ 1 1
Fin de la glose de l'hymne bâlârkâ... etc., composée par Jinara-
ksita le bhiksu, savant, guru royal, du grand vihâra de Vikra-
maçïla. »
Jetâri^est un peu mieux connu que Bhavabhadra. C'est le fils
du brahmane buddhiste Garbhapâda et d'une femme que ce dernier
avait reçue du roi Sanâtana, régnant dans le Varendra. Il se rat-
tache aussi des miracles à son enfance''. Jetàri devint un upâsaka
(laïc) fort versé dans les écritures, les lettres et la métrique. Il
s'aperçoit un jour qu'il a été incrédule, se repent et voit la face de
Tara qui lui dit que ses péchés seront rachetés s'il compose beau-
coup de castras du Mahcâyâna\ Jetâri est l'auteur du Bodhiprati-
deçanânrtti et du SagatainaJuwibJiangaJaàrikà^' (ces deux ouvrages
se trouvent dans le Tanjour) de commentaires: du (JikHài^amac-
caija, du (Bodhi) Carj/âvatâra (de Çântideva), de VAkâçagar-
bhasûtra et d'environ une centaine de sûtras. Au temps du roi
1. Voici la Hste des douze àcàryas de Vikramaçilâd'ap. Târ., p. 257-260 ;
Buddhajnânapâda.
Dipanikarabhadra.
Lankâjayabhadra,
Çridhàra.
Bhavabhadra.
Bhavyakirti
Lilavajra.
Durjayacandra.
Krsiiasamayavajra.
Tathai;ataraksita.
Bodhibhadra.
Kamalaraksita.
2. 'l'aranatha /p. '22?>] place la mort <le Mahipala 70 ans après la mort de
Dharmapalà et la fait coïncider avec la mort du roi tibétain Kri-ral, à la-
quelle les Chinois {Histuire des TIuiikj) assignent la date de 71)7 aj). J.-C.
3. Tau., p. 230.
4. Tâh., p. 231.
5. Târ., p. 232.
6. Tâk., p. 327.
24 LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA
MaliApâla 011 lui donna une belle résidence à Vrksapuri ; àVikra-
maçila, il reçut son diplôme de pandit \
Asvabliâva', laïc, issu d'une famille de marchands, attaclu' au
Mabâyâna, fit des miracles dans le pays de Kâmarûpa et. vint à
Hacipura où il expliquait leNyâya-Madbyamika. On peut le dater
du huitième siècle, car il fleurit à la mort de Dharmakirti, quand
Govicandra monte sur le trône ^.
Tara intervient miraculeusement en faveur d'Asvabhâva. Un
serpent éveillé par son passage et celui de ses compagnons en
dévore plusieurs, en mord un grand nombre, et ceux qui veulent
fuir tombent étourdis par le poison de l'haleine du reptile. Alors
le laïc s'adresse à 'ràrâ et compose un hymne. Immédiatement le
serpent venimeux ressent de violentes douleurs, rend deux de
ses victimes et disparaît. Loisque ceux qui avaient été dévorés, les
blessés et ceux que le poison avait saisis eurent été aspergés d'une
eau sur laquelle on avait récité un mantra à Tara, le poison dis-
parut et les hommes revinrent à la vie^
Une autre fois encore, que l'upâsaka était menacé par un ser-
pent, il lui lança une fleur sur laquelle il avait récité un mantra
à Tara. Le soj'pent vomit beaucoup de perles dites sarvamukti
devant l'âcârya et disparut.
Asvabhfiva avait le pouvoir, lorsqu'une forêt brûlait, d'éteindre
l'incendie par la récitation d'un mantra à Tara.
Vâgïçvarakirti^ est le dernier des personnages mentionnés par
Târanâtha qui semble avoir des attaches spéciales avec le culte de
Tara. Il vivait sous le règne du fils aîné du roi Canaka, Çreslhapâla.
Néà Vâranâsi deraceksatriya, de l'école Mahâsâinghika" il passa
dans les ordres. Devenu très savant, dans tous les domaines, il
voyait continuellem(;nt la face de Tara et dissipait tous les doutes.
11 alla à Nalanda, fut tantriste, et comme ses prédécesseurs accom-
plit différents actes uKU-veilleux.
Un jour'' t|u'il avait une conversation au sujet de la loi avec h*
bhiksu Avadhuti, ce dernier cita VAgama de Vasubandhu. Par
plaisanterie Vagïçvarakirti se moqua de Vasubandhu. Le même
soir sa langue enfla, et il ne pouvait plus enseigner la doctrine; il
1. TAr., p. 233.
2. Tar., p. 11)8,100.
3. Tar., p. 105.
4. Tàr., p. 108, 100.
5. Tàr , p. 23").
6. Tàr., p. 23G.
7. Tàr.. p. 237.
LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA 25
resta ainsi plusieurs mois souffrant. Tara, interrogée par lui, ré-
pondit que son mal venait de ce que par ses paroles il avait
blessé (la mémoire de) Vasubandhu, il devait donc composer un
hymne en l'honneur de cet illustre personnage. Ainsi fit-il, et la
maladie disparut.
Vâgïçvaralvirti resta longtemps à Vikramaçila, puis alla dans
le Népal.
Enfin, dans son (j[uarante-troisième chapitre, où Târanâtha
examine les sources du Mantrayâna\ il conclut :
(( Qui pourrait rapporter toutes les histoires des magiciens de
l'Aryadec^a? Rien qu'à l'époque de Nâgarjuna cinq mille personnes
ont obtenu la siddhi grâce aux mantras de Tara; mais si l'on con-
sidère l'histoire de l'entourage de Dârika^ et de Kâlacârin on verra
que leur nombre est incalculable. »
Si nous serrons de près l'étude des âcâryas auxquels le souvenir
de Tara reste attaché, nous constatons que nous nous trouvons en
présence d'une suite de personnages qui se rattachent au Man-
trayâna de beaucoup plus près qu'au Mahâyâna proprement dit:
personnages dont la vie est fortement empreinte d'éléments mer-
veilleux, thaumaturges mystiques, dont la puissance résidait dans
la connaissance des formules magi([ues. Cette école était repré-
sentée par quelques noms restés célèbres. La tradition s'était trîins-
mise de Kâla et Râliulabhadra jusqu'aux véritables magiciens
Naropa, Dârika et Donibi, qui marquent l'apogée de ce mouvement.
1. Târ., p. 278.
2. Dàrika, qui aurait été avant sa vocation religieuse le roi de Çalaputra,
parait avoir été un niagicien très puissant, contemporain de Heruka, d'ori-
gine indoue, elcve de Naropa dont l'iiistoire est racontée dans le Lic/r, des
84 sorcier.'^. Il usurpa le trGn(î royal dans le pnys d'Odiviça. 11 se raUache
à l'école de Lujipa. Ce dernier est un chef d'école dont l'histoire mysté-
rieuse ouvre le Liorc des SJ soi-ciers. (Tau., 127, 249, 315, 319.)
26 LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA
V
TEXTES
Je me suis ser\ i, pour la présente édition du iSvacjdliarà aiotra,
des textes suivants:
1. Manuscrit de la bibliothèque de la Société asiatique : Srag-
dharâ siotva (II. 21), en vingt et un feuillets, de sept à huit
lignes chacun et de trente-sept vers accompagnés d'un com-
mentaire anonyme. Le manuscrit est en écriture devanagâri du
Népal, peu régulière et incorrecte, le texte lui-même est très correct
et demande extrêmement peu de modifications (je le nomme A).
2. La bibliothèque de la Société asiatique possède un deuxième
texte du Svarjclharâ stot/'a dans un volumineux manuscrit qui
porte pour titre : Stotras et dhârofûs^ {H. 14) et compte cent cin-
quante-six feuillets de six lignes. Le texte du Sragdharn stotra se
trouve du feuillet quatre-vingt h, ligne quatre, au feuillet quatre-
vingt-cinq a, ligne trois, où est le colophon : ityâryatârâbhattari-
kâyâh sragdharâ stotra samâptam. Le texte est incorrect et mal
écrit (je le nomme B).
8. Le troisième texte (que je nomme C) dont je disposais est
dû à l'amabilité du secrétaire de l'Asiatic Society of Rengal, qui a
bien voulu m'envoyer une copie de la Sraf/d/iarâiilxd de la So-
ciété (cat. de Râjendralàla Mitra, p. 229). Ce manuscrit, de cin-
quante-neuf feuillets à cinq lignes et cinq cent quatre-vingts çlokas,
contient en introduction l'histoire de Sarvajnamitra, puis les trente-
sept vers du Sragdharn stotra avec le commentaire composé par
Jinaraksita (différent du commentaire anonyme de A).
Le colophon de ce manuscrit nous fournit un renseignement pré-
cieux sur la valeur du commentaire.
4. Le quatrième texte qui a. servi à établir la présente édition
est dij aussi à la Société du Bengale; copie m'en a été également
envoyée (Catal. de Râjendralàla Mitra, p. 228). C'est un manus-
1. Voir J. A., sOrio IX, tome II, p. 369.
LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA 27
crit de douze feuillets à huit lignes, il contient le texte des vers du
Srafjdhavn nioira, plus un colophon.
Parmi les manuscrits sanscrits offerts par Ilodgson à l'India
Office se trouvent deux Sragdliarâ atoira (2743 h, 2743 /) dont
je dois communication à l'amabilité du docteur Uost' :
5. Le manuscrit 2743 l est de onze feuillets à cinq lignes, d'écri-
ture incorrecte et souvent fautive. Il paraît n'être qu'un fragment
d'un manuscrit plus considérable, car le premier feuillet est numé
roté 33 et contient au recto un colophon qui appartenait à un texte
du Srarjdhara stotra précédant immédiatement celui qui reste.
Ce colophon ne présente d'autre intérêt que la date: sanivat771.
(1651) et le nom d'un couvent : Caivravihâra. Les mots diffi-
ciles du texte sont expliqués par un synonyme ajouté sur le
mot, soit entre les lignes, soit en marge. Le texte du premier
feuillet est annoté à l'encre rouge.
6. Le manuscrit 2743 h en très bel état contient dix-huit feuillets
à cinq lignes. Il est écrit à l'encre d'or sur noir. Il offre de l'in-
térêt par son colophon qui donne une date nouvelle pour l'histoire
du Népal et quelques noms jusqu'ici inconnus ^
.J'ai relevé encore les textes suivants du Sragdharâ siotra, que
je n'ai pas consultés :
7. Svaffdhai'a niotra Târâhliattàraka avec commentaire, de
trente-neuf feuillets à cinq lignes, n» 29 du catalogue de Cowell et
Eggeling•^ de la Royal Asiatic Society.
8. Dans le n*' 30 du même catalogue, intitulé Stotva samgraha :
Sragdliarâ sto/ra àrgatcirâhJiattùrcikaya , dix feuillets.
9. Sragdharâ stotra : Université de Cambridge, add. 1104*,
vingt-cinq feuillets à six lignes, date du XVI IL' siècle.
10. Sragdharâ Stotra, Cambridge, add. 1362\ avec commen-
taire, dix-huit feuilles de huit à onze lignes, daté de 1846.
11. Sragdliarâ stuti. Cambridge, add. 1272^ avec commentaire,
vingt-cinq feuilles, 5 lignes, daté de 1784.
12. Le texte du Sragdharâ stotra a été imprimé à Calcutta
par Jibânanda Vidyâsagara, sous ce titre : Sragdharâ stotram
SarcajùarnitrapâdaviracUain, publié d'une façon tellement in-
1. Voir Catalofjuc of sanscrit innudscri/its, coll. hy Hodgson. Trùbner.
18.M (p. 11 : 11 i>4 et 21)).
2. ./. A. Janvier-février li594, p. Ib3-1.
3. Journal of R. A. S., new séries, t. VIII, p. ;33.
4. Cat. Ckcil Hicndam-, p. 29.
5. Cal. CiiGiL Hendall, p. 69.
6. Cat. Cecil Bendall, p. 35.
28 LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA
correcte qu'on en peut à peine tenir compte. (Je nomme ce
texte J.)
Pour l'édilion du texte des Cent huit noms de Tara je me suis basé :
1. Sur le manuscrit de la Société asiatique (II. 9) (que je
nomme A) :
Arf/atàràh/iattàrikàfjnnâmr/stottaraçataka, comprenant le texte
de cinquante sept vers en liuit feuillets de cinq lignes, en écriture
devanâgari du Népal correcte et très lisible. Ce manuscrit ne porte
point de date.
La stance que je numérote 10 h y fait défaut; le copiste est néan-
moins arrivé au nombre voulu de cinquante-sept stances en dédou-
blant à la fin du manuscrit la strophe cinquante-cinq. J'ai conservé
la numérotation de ce manuscrit, le prenant pour type, tout en
intercalant sous la rubrique 10 h le vers manquant qui est donné
par tous les autres textes consultés.
2. La bibliothèque de la Société asiatique possède un deuxième
texte des Cent huit noms de Tara (que je nomme B) dans le ma-
nuscrit : Stotras et dhàranls (H. 14) \ Au feuillet 145, ligne 4,
commence notre texte complet, à peu près correct, jusqu'au
feuillet 148, ligne 3. Le vers 10 b s'y trouve.
3. Jibânanda Vidyâsâgara a imprimé les Cent huit noms de
Tara dans le même fascicule que le Sragdharâ stotra sous titre :
Tàrâçatarinmâni. Le texte est un peu moins incorrect que celui
du Sragdharâ (je le nomme C).
J'ai relevé les textes suivants que je n'ai pas consultés personnel-
lement :
4. Tara Nâmâstottara-çataka, Université da Cambridge', add.
1541), neuf feuillets, cinq lignes, daté de 180J.
5. Arj/a T(irabhattarikà//à nàmâstotiaraçatakam, Cambridge %
add. 1318, moderne.
6. Le manuscrit intitulé Dhàranls, Cambridge*, add. 1476, qui
date du XVII« ou XVIllo siècle, contient les (^ent hait noms de
Tard sous titre : AnjaTara Dhàranl , du feuillet vingt-deux 6, au
feuillet vingt-neuf.
La figure de Tara mentionnée ci-dessus se trouve dans ce manus-
crit qui, quoique incorrect, est luxueusement décoré de figures et
de lettres dorées.
1. Voir J. A., série IX, tome 11, p. 371.
2. Bendall, p. 120.
3. Bi:ni)ALL, p. 45.
4. Bendall, p. 105-106.
LA DÉESSE BUDDIIIQUE TARA 29
7. Nous trouvons le texte des Cent hait noms de Tara dans le
catalogue des manuscrits offerts par Hodgson à Tlndia Office :
add. 1549. Nâmâstottaraçalaka\
Pour établir le texte de V E kavimçatistotra, j'ai disposé des deux
textes suivants :
1. Ekaoimçatistotram, raan. n^ 32 ( 7arâ6'/o/ra/?i), quatre feuil-
lets de cinq lignes'.
2. Page 4 du manuscrit, add. 1551, Cambridge, intitulé Dhàranla
sous titre : Bkafiavatydryatàràdevyà namaskâraikaoimçatisto-
trarn}.
1. Voir p. 11, II, n" 16.
2. VoirCowiïLL et Eggemng. J. of R. A . S., n. s., t. Vlll, p. 2r>, et Cata-
logue o/sansrrit niss. collected hij Hodgson, p. 7; I, 32.
3. M. le professeur Cowell a bien voulu faire pour moi la collation de
ce manuscrit.
30 LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA
VI
INTRODUCTION DU COMMENTAIRE DE JINARAKSITA
Om namas Târâyai
Natvâryatrirâi 11 jagadarlhasârâ iii
dharinâkaradhyesanayâ samâsât |
bâUirkam atra karoiiii lîkaiii
sphutâiii ahaiii çrîjiiiaraksitah kitl |1
pral»hûtavidv(;saliutriçantintah-
sphuracchikliâdagdhamukliena haiila |
khalu tvayâ satsukhada mameyaiii
tikâ nâ dûsyâtvayi me njaliç ca ||
Tatra vrttau upodghâtam âdau prastûyate | iha kâçmïravisaye
bodhisatvadeçïyo muniiidrapravacanakrpa^ya/Yïvârïnâ sândro ma-
hâkarunâpragunikrtahrdayâtmâ sarvajfiamitro nfima bliiksurabha-
vat II sacintâraanir ivârthinâni yathâbhilasitârthasanipâdânâd dâtr-
tvena jagati vikhyâtah svam arthajâtam aithibhyo visrjja civarapâ-
travibliavo deçântarani vrajan vajramukulasya râjno visayani
âganiat|| tatra jarâjarjarikrtain parityaklaparijanani dvijain okain
adhvany apaQyat||sa katliâprasangena iva r//*tliayitani api tu
sarvajriamitrasya bhiksor antikani || ayani svavibhavajâtani arthi-
bhyovibhajyasabhiksur deçântarani gataili kiiii nn.(^M'iitaiii ityukto
vârddhakamunih sucirani abliinihçvasycâniçcosta iva muliûrtam
avaliyata II latas tani cvanividliaiii sakarunaui çocayaiitani aham
eva sarvajnarnitra iti saniâçvâsayann iivfica inaivam adliîm blia-
vâhaiji sarvam nbliimataiu saiiipâdayisyânilty uktvâ tam âdâya
vajramukulasya nrpater antikaiii suvarnenasamïkrtya svaçarîrani
vikrïya taiimûlyani tasmai pradâyâpanïya prasthâpya râjnah purato
vastliitah || tasmiiiiç ca samaye tasya râjno yathoktavicitralaksano-
peta pu nisaikaoata kartitamastako pa risiiAnâd abliiiiiata ni setsyatïty
upadislaiu kenapi tad vakyaiii nialiatâ kâlona yatnato nvisyasuvar-
nasamatulam ekoiiagatain purusaiiaiii kritamàsteanenaikcnaçataiii
LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA 31
paripûrnam || atali kartitamastako parisnânain karisyâmi d/iàt/ai
tanraadhyaiii nayety âdiçati sraa || tadâdistabhrtyena talhaiv^a saïu-
pâditain paçcât lam ekam avalokya sarva eva te vadhyapurusâli
prâtar mrtâ vayam ity uccair âkrandantali sâksânmrtyiibhaya upas-
thito muncla ity avadan || te bodliisatvenâbhiliit.âli || kasmâd ev^am
adhiratâ pùrvam evam ajûâtvaiva kim âtmâ krita iti tata etân
atikâtarân samâçvâsyamahâkariinârdrayâdrçâcâvalokya mâtarani
vihâya nâsti kaçcid esâm anyo nistâro ya iti niçcitya sa yatir bhûyasâ
sarvajnamitro bhagavatïm âryatârâin stotum ârabdliavân || tatali
çlokakatipayam anantarani bhagavatT s vayam âgatya yathâkarta-
vyani âdi(^3^ànucintitâ câdhitisthaty antarhitâ || tatah sakalalabdha-
varah sarvajriamitrah || yusraâbhih sarvaih prâtar yugapad eva snâ-
tavyarn ity âdistavân || tatah prâtar âgatya râjapurusais te vadhyâh
sarastîre nîtàh || tatas tân abhihitavantah || sarvair asmâbhir eka-
daiva snâtavyaiii kiin bahuvilambenety uktvâ sarasi nimagnâ bha-
gavatîprabhâvât svani svani deçam upajagmub jj paçcâii muhùrta-
dvitayânantarani yatnato nvisiâh santas tair iiopalabdhâh tan-
mùlyasuvarnaiji ca yathâsvarâçirâgikrtya sarastîre param àloki-
tain II tatas te râjapurusâ bhayavismayâkulitamanaso ràjânani
vijnâpayâm âsuh || tac chrutvâ sa râjâ vismayâvarjitaraanâs tasyai-
vaikasya vikrïtasya bhiksor ayaip prabhâva ity abhidhâya samjà-
tâdhikataraprasâdas tam anvisyânîya tacchisyatâni upagata ityâ-
dikathâ prasiddbaiva iioklâ || çrïdevyai namali.
32 LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA
VU
TRADUCTION
Hommage à Tara !
Ayant adoré Ârya Tara, essence du bien du inonde, en recher-
chant le principe de la loi en abrégé, je compose ce clair commen-
taire sur les vers bâlârka, etc., moi, le bon Jinaraksita. Toi, dont
la bouche brûle des flammes étincelantes que jette le feu de la
haine violente, ne maltraite pas ma glose qui procure le vrai
bonheur ; à toi mon anjali.
Au commencement de ce commentaire, le sujet est indiqué: Ici,
dans le pays de Kasmir, se trouvait celui qui tient lieu d'un bodlii-
sattva, mouillé par l'eau de la compassion de l'enseignement,
r Indra des munis, celui qui a l'esprit et le cœui' rendus supé-
rieurs par une grande miséricorde, et qui a nom Sarvajnamitra,
le bhiksu; celui-ci, pareil à une gemme magique par le fait
qu'il procurait aux pauvres tous les objets de leurs désirs, était
célèbre dans le monde par sa générosité. Comme il avait donné
aux pauvres IciS richesses qu'il avait, et qu'il ne lui restait pour
tout bien que les haillons et l'écuelle, il alla dans un autre pays; et,
commet il arrivait dans le pays du roi Vajramukuta, en chemin, il
rencontra un brahmane cassé par la vieillesse et abandonné des
siens. Tout en conversant, ce brahmane lui dit qu'il allait trouver
le bhiksu Sarvajnamitra. Celui-ci lui dit : « Ce bhiksu a distribué
tout(^s ses richesses et est allé dans un autre pays, ne l'as- tu pas
entendu dire? » Le vieux religieux ainsi interpellé, ayant soupiré
longuement, resta un instant immobile et stupide. ('omnie il restait
dans cet état et se lamentait pitoyablement, Sarvajnamitra lui
rendit confiance en lui disant: « C'est moi qui suis Sarvajnamitra,
ne sois pas si faible, j(^ comblerai tous tes désirs. )) Il se rendit en
prés(mce du roi Vajramukuta, et ayant pesé son corps, il le vendit
au prix de son pesant d'or et en donna le prix au religieux qu'il
avait amené, puis il le congédia et resta devant le roi. Or, en ce
LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA 33
temps-là, le roi avait, entendu cet avis : (( Ton projet réussira si tu
te baignes sur les têtes coupées d'une centaine d'hommes doués
de signes divers tels ei tels... » A ce moment même on tenait à la
disposition du roi quatre-vingt-dix-neuf hommes achetés leur pesant
d'or, qu'on avait cherchés à grand'peine et par cet un là, la cen-
taine était rendue complète. ((Eh bien, je m'en vais me baigner sur
les têtes coupées, qu'on les amène ici devant, » ordonna le roi.
Le serviteur qui avait reçu l'ordre l'exécuta ainsi, et regardant
ensuite tous ces hommes qui allaient être mis à mort, il les vit
criant à haute voix: ((Ce matin nous sommes morts! c'est ce
chauve-là qui s'est présenté comme un danger mortel imminent. »
Injurié de cette façon, le bodhisattva leur répondit: (( Pourquoi un
pareil manque de courage, jadis lorsque vous vous êtes vendus,
ne le saviez-vous pas? )) Il relevait ces lâches et les regardait d'un
œil humide de compassion : ((A part la Mère, il n'y a point de
salut pour ceux-là. » A cette pensée, Sarvajnamitra se mit à célé-
brer la vénérable Àrya Tara. Aussitôt après quelques çlokas, Bha-
gavatï en personne apparut se tenant au-dessus d'eux, elle réfléchit
et enseigna ce qu'il y avait à faire, puis disparut. Ayant ainsi reçu
toutes les grâces, Sarvajnamitra leur indiqua: ((Il faut que vous
tous ensemble le matin vous alliez au bain. » Le matin étant venu,
ils furent tous les cent amenés par les gardes royaux sur les bords
d'un étang pour être tués, et ils dirent aux gardes : (( Il faut que
tous en même temps nous nous baignions, pourquoi longtemps
tarder? » Ayant dit cela, ils plongèrent dans l'étang et par la puis-
sance de Bhagavatï, ils furent transportés chacun dans son pays.
Au bout d'une minute, les gardes les recherchèrent avec zèle, ils ne
furent pas trouvés, mais l'or de leur prix fut trouvé sur le bord de
l'eau par tas selon chaque individu. Alors les gardes royaux, ayant
l'esprit troublé de stupéfaction et de peur, informèrent le roi.
Entendant cela, le roi gagné par la surprise dit : (( Ceci est l'efïetde
la puissance unique de ce bhilcsu qui a été acheté, » et comme
l'apaisement dans la foi était né en lui, il fit chercher Sarvajna-
mitra, et l'ayant fait amener, il d(wint son élève.
Voilà le commencement de l'histoire; comme <'lle est bien
connue, nous ne la raconterons pas.
34 LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA
VIII
ARYATARÀSRAGDHARÀSTOTRA
Om iiaiiio bhagavalyai Àryatârâyai.
1 . — BâlârkâlokatâmrapravarasuraçiraçcârucCidâmaniçii-
sanipatsaijjparkarâganâticiraraciUilaklakavyaktabhaktï |
bhaktyâ pâdau tavârye karapulamukulâtopabhugnottamângas
târiny âpaccharanyair navanutikusuraasragbliir abhyarcayâmi ^ 1|
2. — Darlanghe duhkhavahiiîiu viiiipatitatanur durbhagah kâni-
[dirikah
kiin kiiji imulhab karomïty asakrd api krtârambhavaiyarthya-
[khinnah |
çrutvâ bhûyali parebhyah ksatanayana iva vyomiii candrârka-
[kiksniîm
âlokâçcliiibaddhali paragatigainauas tvâin çraye pâpahantriiji ||
3. — Sarvasmin satvaniârge nanu ta va karunâ nirviçesaiu
[pi-avrltâ
tanmadbye tatgrahona grahaiinm npag;il,aiji nîâdj(;a,syapy ava-
l«;y^i»ïi I
sârnai'lliyain cadvitiyaiji sakalajag;ulagliadbvaiitaliginain(;Libiinbai)i
duhkliïvâliani talhâpi pratapati dhig ahodiiskrtani durvidagdham ||
1. Comuicntaiie du vers 1.
Hâlârketyadi lie taiiiii uddharini aryc piijyc lava bliavatyah padaii ca-
raiiaii ahliyarcayaiiii i»iijayaini kena navamitilaisuinasiaL:,l)liir tavastain lui-
tayah là cva kusmnani pus])aiu tesani srajo iiialàli lahliili lie apaccharanya
vipaccharaiiya kidreaii i)adau hâlah pralliaïua iidito yo sav arkali ravih
tasya àlokali nddyolanain tadv.U. tamrali loliii.ali pravaraiiaiii pradliaiiaMaiii
suràiKiinrirahsii inmdliasu caravo darrani.N ali yc eudamaiiayah (;ikliaraliiaiii
tesàni yà çnli kantih tasya yasau saiiuddliili || tatsaipparkeiia tatsaipyogena
yo saii ragah laùjanaip teiia iiati( iraui svalpakalain racita dijzdlia alaktaka-
LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA 35
4. — Dhig dhig mâin inandabJiagyani divnsakararucâpy apra-
[luinnândhakàrani
trsyantani kidakacclie himaçakalaçilâçltale haimavatyàh |
ratnadvïpapratolyâvipulamaniguhâgehagarblie daridrain
nâthikrtvâpy àuâthani bliagavati bha\atïin sarvalokaikadhâtrim ||
5. — Mâtcâpi staiiyalietor viruvati balmçah khedam âyâti putre
krodhani dhatte pitâpi pratidivasam as.itprâi'thanâsu prayuk-
[tah I
tvani tu trailokyavânchâvipulaphalamahcikalpavrksâgravalll
sarvebliyo bhyarcilârtliân visrjasi na ca te vikriyâ jiitii kâcit ||
6. — Yo yab kle(;ogli;ivahnij\alitatanur ahain lâraiil tasya tasye-
tyâtmopajûâiu pratijnâip kiiru inayi saplialâni duhkhapâtâlaiiia
[gne I
vardhante yâvîid ante parusaparibliavâh prâninâni duhkhavegâh
samyaksanibuddliayâne pranidhidhrtadhiycimtâvad ovânukampâ ||
7. — Ity uccair ûrdhvabâhau nadati nutipadavyâjam âkranda-
[nâdam
nârhaty anyo py upoksâni janani janayituin kini punar yâdrçï
[tvam I
tvattah paçyan paresâm abhimatavibhavaprârthanâh prâptakâmâ '
dahye sahyena bliûyastaram aratibhuvâ samtalântarjvarena ||
8. — PâpT yady asmi kasmât tvayi marna inaliatï vardliate
[bliaktir osa
çrutyâ smrtyâ ca nâniiio py apaliarasi liatliât pâpani ekâ tvam eva |
tyaktavyâpârabhârânudasi mayi katliani kathyatâni tathyakathye ^
palliyaiji glane marisyaty a[)i vi})u]akrp;ih kiiu bliisag rorudhili ||
sya v\;ikLâ sphutà hhaktih viccliilir yayos tau kalliani aivayanii bhaktyà
sevaya kidrro hain karaputena Ijastanjaliiià miikiitc k\v\\e va atopo .\OLcali
t<Mi;i, blmgiiam atainraiii iiUamangani çiro yasya sali | 1 |
1. Coït., ms. : "kaiuo.
2. Tai/if/a /,at II fjr mol )\o\\\e[\n: le commentaire cxpli(|iio : lie taili\ akalliyc
he satyavadiiii.
36 LA DÉESSt: BUDDHIQUE TARA
9. — Mâyâmâtsaryamânaprabhi'tibhir adliamais tulyakâlam
[kramâc ca
svair dosair vâlcyamâno mathakarabha ivânekasâdhâraiiâmsali |
yusmatpâdâbjapùjâin ksanam api na labhe yat tadartham viçesâd
esâ kârpanyadïnâksarapadaracanâ syân mamâvandhyakâmâ ||
10. — Kalpântabhrântavâtabhramitajalavalallolakallolahelâ-
saniksobhotksiptavelâtatavikatacatasphotamolâttahâsât |
majjadbliirbhinnanaukaihsakaruiiaruditâkrandanispaudamandaih
svacchandani devi sadyas Ivadabhibhûtiparais tiram uttlryate
[bdhel.ill
11. — Dluimabhrântâbhragarbhodbhavagaganagi'hotsangaringat-
[sphulinga-
sphùrjaj jvâlâkarâlajvalanajavaviçadveçmaviçrântaçayyâh |
tvayy âbaddhapranamâûjaliputamukutâ gadgadodgîtayâcnâh
prodyadvidyudvilâsojjvalajaladajavair âpriyante ksanena ||
12. — Dânâinblialipùryamâiiobliayakatakatakâlambirolaoïbamcâlâ-
hurnkârâhûyamânapratigajajanitadvesavahner dvipasya |
dantântottungadolâtalatulitatanus tvâm anusmrtya mi'tyum
pratyâcaste prahrstah prthuçikliaraçirahkotikottopavistah ||
13. — Praudhaprâsaprahâraprahatanaraçirahçùlavallyutsavâyâni
çûnyâtavyâni karâgragrahavilasadasisphotakasphïtadarpân |
dasyûn dâsye niyuiikte sabhrkutikulilabhrûkairikseksitâksâijiç
cintâlekliany akliinnasphalalikliitapadani nâiuadliriiiiaçriyâni le ||
14. — Vajrakruraprahâraprakliaraiiakhaiiiukhoi kluitaïuatteblia-
[kumblia-
(^cyotatsândrâsradhautasphutavikatasatâsainkataskandliasaiiidhih |
krudliyann apilsur ârad upari mrgaripus tlksnadânislrotkalâsyas
trasyaim avrtya yâti l,vaducitaracitastotradugdhârtliavâcah ||
15 — Dhamâvartândliakarakitivikrtiphanispliarapluilkarapûra-
vyapâravyâttavaktraspliuraduiiiiasanarajjukinâçapâçail.i |
pApât sainblinya bhùy.'is lava guiiagaiiana tatparas tvatparaima
dhatte matlalimalavalayakuvalayasragvibliiisaiu \ iblifiliiii ||
LA DÉESSE BUDDHIQTE TARA 37
16. — BhartrbhrûbhedabliUoclbhatakalakabhatâkrstaduhQlistakeçaç
cancadvâcâTacetotkataratitakatugfanthipâçopcigfidhah |
ksuttrtksâmoslhakanthas tyajati sasapadi vyiipadam toin durantâm
yo yâyâd âryâtâràcaranaçaranatâm snigdhavaiidhûjjhito pi ||
17. — Mâyânirmânakarmakramakrtavikrtcinekanepathyainithyâ-
r ûpâramb hân urûpa praharanakiranâdambaroddâmamn i |
tvattantroddhâryamanlrasmi'tihrtadiiritasyâ vahanty apradhrsyam
pretaprotântratantrïnicayaviracitasrânji raksàmsi raksâiii ||
18. — GarjajjîmûtamLirtitrimadamadanadîbaddhadliârândhakâre
vidyuddyotayamânapraharanakirane nispatadbanavarse |
ruddhah samgrâmakâle prabalabhujabalair vidvisadbhir dvisad-
tvaddattotsâhapustih prasabham arimahim ekavîrah pinasii || [bhis
19. — PâpâcàrânubandhoddhatagadavigalatpûtipQyâsravisra-
tvanmâipsâsaktanâcjïmukhakuharagalajjantujagdhaksatângâli |
yusmatpâdopasevâgadavaragutikâbhyâsabhaktiprasaktâ
jâyante jâtarûpapratinidhivapusali punclarïkâyatâksâh ||
20. — Viçrântani çrotrapâtre gurubhir upahrtâin yâsya nâm-
[nâyam bhaiksyam^
vidvadgosthîsu yaç ca çrutadhanavirahân mûkatâm abhyupaiti |
sarvâlaipkârabhûsâvibhàvasamuditain prâpya vâgïçvaratvam
so pi tvadbhaktiçaktyâ harati nrpasabhe vâdisimhâsanâni ||
21 . — Bhùçayyâdhûlidhûmrasphutitakatakatîkarpatotghâtitângo
yûkâyumsi prapimçan parapurapuralah karpare tarpanârthi |
tvâm ârcâdhyâdhyavasyanvarayuvativahaccâmarasmeracârvïm
urvïmdhatte madândhadvipadaçanaghanâni uddhrtaikâtapatrcâip ||
22. — Sevâkarmântaçilpâpranayavinimayopâyaparyâyakhinnah
prâgjanmopâttapunyopacitaçubhaphalaip vittam aprâpnuvantab |
daivâtikriimanîni tvâm krpanajanajanany arthani abhyarthyabhûyo
bhûiricr nirvântacâmlkaranikaranidhin nirddliana prâpnuvanti ||
1. Ms. : yasyamnàya.
38 LA DÉESSE BUDDIIIQUE TARA
23. — Vrtticchcde vilaksah ksatanivasanayâ bhâryayâ bhart-
[syamàno
dûrâd âtmaijibliaritvât svajanasutasuliidbaiidliubhir varjyamânah I
tvayy âvedya svaduhkhaiii turagakhuramukhotkhâtasîmnâin grhâ-
ïsle svântabpurastrivalayajhanajhanâjâtaiiidràprabodliah || [ iiâm
24. — Cakranidikcakracumbi spliuradurukiranalaksanâlaiiikrtàstri
saddanto dantimukhyah c,'ikhigalariiciraoyâraaroniâ varâçvah |
bhâsvadbhâsvanmayùkho manir amalagunali kosabhrl pûrnakosah
senânîr virasainyo bhavati bhagavati tvatprasâdâniQaleçât ||
•
25. — Svacchandaç candanâmbhahsurabhiraaniçilildattasamketa
kânlâkrïdânurâgâd abhinavaracitâtithyatathyopacârah | [kântali
tvadvidyâlabdhasiddhir malayamadhuvanam yâti vidyâdharendrah
khadgâmçuçyâmapïnonDatabhujaparigha prollasatpârihâryah ||
26. — Hârâkrântastanântâh çravanakuvalayaspardhamâiiâyatâksà
mandârodâravenîtarunaparinialâmoghamâdyaddvirepliâh |
kâcinâdânubandhoddhatataracaranodâraniarijiratùryâs
tvannâthain prârthayanlc smaraniadarauditah sâdarâ devakanyâh 1|
27. — UatnacchannântavâpikanakakamalinlvajrakiHJalkamâlaiu
unmajjatpârijâtadrumadhurainadhriddliûtadhùlivitàiiàm |
vï nâven ii pra\' 1 1 1 a i ua rapuraraman ïdattamâdh ûryatû ryâin
krtvayusmatsapai'yâin aiiubhavali cira in iiand;inodyânayâtrâin ||
28. — Karpûrailâlavangalvagagarunakidaksodagandliodakâyain
dâiitakaiKlai*pa(lai|)otkal;ikucakuliarâvartaviçrântaYïcyâni ]
niandâkinyâin amandaci lialasalilasaritkrïdaya sundaribhih
kndanti tvadgataiitahkaïaïKipaiiiiatoUaptapunyaprabhâvâh ||
29. — (jirvaiia^ranianibhir vinayabharanaiiianiiiaulibhir vandi-
[lâjnab
svargolsange dliinidliiih siirakanni l'aiiadbhiisaiiodbhasitânge |
çacyâ doi'dâmadokn ii;il;ival;n itoddaiïiaromâùcainrirtih
pûtas tvaddr^lipalaii' avali Mirainaliiui liiral)liinii;iprak()sili;ih||
LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA 39
30. — Cûdâratnâvatamsâsanagatasugatavyomalaksmïvitânam
prodyadbâlàrkakotipalutarakiranâpûryamânatrilokam |
praudhâlidhaikapadaiji krainabharavinamadbrahinarudrendra-
[visnu
tvadrûpani bhâvyamânain bhavati bhavabhayocchittaye janma-
[bljâjâm II
31. — Paçyanty eke sakopani praharaiiakiranodgûrnadordanda-
[khanda-
vyâptavyomântarâlain valayaphaniphanâdârunâhâryacaryâm |
dv]\stavyuttrâsihâsoddamaradamaiaUcoddâmarâsphâlavel<â-
vetâlottàlatàlapramadamadamahàkelikolâhalogram ||
32. — Kecit tv ekaikaromodgamagatagaganâbhogabhiibhûtalastha-
svasthabrahmendrarudraprabhrti naramarutsiddhaga n d h a r V a n â -
[gam I
dikcakrâkrâmidhâniasthilasiigataçatânantarjirmânacitram
citrani trailokyavandyain sthiracararacitâçesabhâvasvabhâvam |
33. — Lâksâsindûrarâgârunatarakiranâdityalauhityam eke
çrïmatsândrendranilopaladaladalitaksodanïlaiii tathânye |
ksirâbdhiksubdhadugdhâdhikataradhavalaip kâncanâbhani ca kecit
tvadrûpaiii viçvarûpam sphatikavad upadhayiiktibhedâd vibhin-
[nam ||
34. — Sârvajriajncinadîpaprakatitasakalajneyatattvaikasâksï
sâksâd vetti tvadiyani gunaganagananâni sarvavit tatsuto va |
yat tu vyâdâya vaktrain valibhujaratitani mâdrço ratïti
vyâpat sa tivraduhkhajvarajanitarujaçcetaso hâsyalietuh ||
35. — Yan me vijnapsyamanaiii prathamatarain adas tvaiu vit^e-
[sena vettri
tvatvyâhârâtirekaçramavidliir abudhasvântasaiiitosahetuh |
kiin tu snigdhasya bandhor visani iva purato duhkliaiu udgiiya
[vâcâ
jnâtârthasycipi dul.ikhi hrdayalaghutayâ svasthatâiji vindativa ||
40 LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA
36. — Kah'ânânanclasindliuprakatar'arikale çitalârii dolii drsiiin
pustini jnânopadeçaih kuru ghanakarune dhvanisaya dhvântam-
[antah |
tvatstotrânibhahpavitrikrtamanasi mayi çreyasah sthânam ekani
drstain yasmâd amogliaiii jagati lava gunastoiramâtrani prajâ-
[nâm II
37. — Samstutya tvatgunaughâvayavam aniyateyattam Aplani
[maya yat j
punyarp punyâhavânchâphalamadhurarasâsvâdam âmnktibho-
[gyaiu I
lokas tenâryalokeçvoracaranatalasvastikasvasticihnâm
ahnâyâyaip prayâyât sugatasutamahîm tâiii sukhâvatyupâkhyâm ||
LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA 41
IX
TRADUCTION
Oiii-, Hommage à la vénérable Arya Tâià.
1. — Avec des louanges nouvelles en guise de guirlandes de
fleurs, oh! toi qui es un refuge dans le malheur, oh ! toi qui donnes
le salut, oh 1 Aryâ, j'honore tes pieds, dévotement, la tête courbée
sous l'éblouissement des diadèmes, les mains jointes en adoration,'
— j'honore tes pieds qu'illumine comme d'une teinture laquée
l'éclat de l'éblouissance des pierreries des aigrettes gracieuses sur
les têtes des plus illustres divinités prosternées devant toi, dorées
comme le soleil levant.
2. — Dans la fournaise du malheur, rude à traverser, mon corps
est tombé; misérable, je ne sais où me diriger; égaré, que fais-je?
que fais-je? Constamment brisé par la non-réussite des entreprises
tentées, j'entends les autres, et c'est comme si j'avais les yeux
crevés, qui parlent de la beauté de la lune et du soleil, et l'espé-
rance de voir m'enchaîne, et je suis obligé de me laisser guider
par un autre; je me réfugie vers toi, qui détruis le mal !
3. — Oui, c'est sur le chemin de tous les êtres que ta compassion
qui ne fait point de distinction s'étend et elle les embrasse tous. —
Je suis star d'être de ceux-là. — Ta puissance sans seconde est le
disque solaire des ténèbres que sont les péchés du monde entier. —
Je suis un misérable, moi aussi le péché que j'ai commis me
briîle ; — oli, malheur à ce félon !
4. — Malheur, malheur à moi! l'obscurité qui m'enviroiuie ne
se dissipe même pas à l'éclat du soleil; je reste altéré au bord de la
rive de la fille d'IIimavat, cette rive froide et rocheuse enfloconnée
de neige, dans les cavernes de laquelle sont des pierreries pré-
cieuses en grand nombre, c'est le chemin de l'île aux Perles. —
Pauvre moi, qui suis sans protecteur, quoique ayant choisi, o
divinité, ta seigneurie, qui est l'unique soutien do tous les mondes.
5. — Une mère même se lasse, lorsque son fils pleure nombre de
fois pour avoir du lait ; un père aussi s'irrite lorsque son fils
42 LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA
demande chaque jour des choses qui ne sont pas; — mais toi,
branche de l'arbre aux souliaits, qui donne pour fruits les désirs
des trois mondes, tu donnes à tous ceux qui te prient des biens, et
tu ne varies jamais.
C). — (( Celui dont le corps est brûlé par le l'eu des passions, je
suis la barque qui le sauve. » Réalise en ma faveur cette promesse
que tu as révélée, car je plonge dans l'enfer du malheur. Quand
croissent les flots du mallieur, pour finir par de rudes insultes, tant
que les mortels attachent leur pensée à la contemplation de la voie
du parfait Buddha, aussi longtemps s'exerce pour eux ta com-
passion.
7. — Si quelqu'un crie d'une voie forte, en élevant les bras, une
clameur de détresse sous la forme de paroh^s louangeuses, per-
sonne ne doit rester indiiïérent; combien plus une telle que toi, ô
mère, — quand je vois les autres obtenir de toi les biens qu'ils
souhaitent et satisfaits dans tous leurs désirs, un feu intérieur
que le déplaisir fait naître me trouble insupportablement.
8. — Si je suis méchant, pourquoi ma dévotion envers toi va-
t-elle toujours croissant? Le seul fait d'entendre et de se rappeler
ton nom fait que tu enlèves avec force le péché; comment se fait-il,
dis-le-moi, toi qui es toujours véridique, que tu me repousses,
renonçant vis-à-vis de moi à ton action coutumière? Est-ce que
le médecin énm d'une grande compassion garde jalousement le
remède approprié à la langueur du malade qui va mourir?
9. — Tiraillé soit en même temps, soit tour à tour par mes
péchés vils, illusion, envie, orgueil, etc., comme le chameau du
couvent dont les membres sont propriété commune à plusieurs, je
n'obtiens pas d'adorer même un instant le lotus d(^ tes pieds.
Pour le faire, j'ai spécialement composé ces syllabes et ces
mots qu'attriste mon mallieur : puissent par là mes vœux n'être
pas stériles!
10. — Comme le vent des derniers temps du monde, l'ouragan
entraine avec grâce et violence l'eau, elle se soulève en vagues
toutes coquettes d'allure qui courent avec la marée vei's la rive et
s'y brisent en un effroyable fracas, comme en un immense éclat
de rire. — Qu'ils t'appellent les naufragés dont la barque est mise
en pièces, avec des cris, des pleurs, pitoyables, |)aralysés qu'ils
sont par l'angoisse, et aussitôt, ô divinité, ta protection conduira
aisément au rivage de l'océan ceux dont la ressource suprême est
en la puissance.
11. — Hors dos nuages errants de fumée se dégage, comme une
retraite, une demeure céleste ; tandis que les étincelles crépitent
LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA 43
et que les flammes jaillissantes augmentent l'horreur du feu dont
l'ardeur pénètre la maison, ils trouvent comme un lit de repos,
ceux qui te présentent comme un diadème le creux de leurs mains
en adoration, qui te chantent leur invocation d'une voix entre-
coupée; parmi les jeux et les feux des éclairs, l'eau rapide des
nuages leur apporte la joie au moment même.
12. — Lorsque la liqueur du rut découle des deux tempes comme
des flancs d'une montagne et que les essaims d'abeilles s'y attachent
avec un bourdonnement qui afïole l'éléphant ennemi et l'enflamme
de fureur; alors si l'éléphant du bout de ses défenses comme d'une
haute balançoire soulève le corps de celui qui fixe sur toi sa médi-
tation, la mort s'écarte de ton lidèle, et tout joyeux il se tient comme
s'il était sur la tête môme de l'éléphant, pareille avec son large
sommet à une forteresse.
13. — Dans la forêt déserte décorée en guise de lianes par les
pieux auxquels sont empalées les têtes des hommes qu'ont frappés
des traits violemment lancés, les brigands orgueilleux qui, pour
se railler, tiraient l'épée du bout des doigts sont marqués comme
esclaves, eux aux regards torves, aux sourcils froncés et tor-
tueux, par le pinceau de la pensée qui trace distinctement sans se
lasser les syllabes du nom de ta splendeur et de ta majesté.
14. — Il frappe comme un carreau de foudre, laboure de ses griffes
les tempes des éléphants en troupe, et un sang épais ruisselle le long
de sa puissante crinière partagée sur l'épaule; tout proche et imjxi-
tient de bondir, la gueule largement ouverte, ornée de dents aiguës,
le lion, cet ennemi des gazelles, se détourne en tremblant et fuit
devant l'homme qui prononce des mots de louange dignes de toi.
15. — Des tourbillons de fumée obscurcissent la ïiwv hideuse
d'innombrables serpents, qui sifflent ensemble; leur gueule s'ouvre
toute grande et montre une large langue; c'est le lien dont le dieu
avare Yama entoure pour le punir le pécheur, mais si sa pensée
unique est l'énumération de tes vertus, si tu es son principal souci,
il ne porte quo guirlandes de fleurs de lotus et bracelets (l'al)eilles
enivrées.
10.— Lescheveux malatlachés, arrachés par les soldats duservice
royal rendus farouches et tremblants par les froncements de sourcil
de leur maître, enhicé de nœuds de cordes blessants au milieu des
cris excités que poussent les serviteurs bavards et agités, la gorge
et les lèvres desséchées par la soif t>t la faim ; il se débarrasse de ces
infinies calamités s'il se réfugie aux pieds protecteurs d'.Vrya Tara,
quand ses parents même et scîs amis l'auraient abandonné.
17. — (^)uand les raksas habiles aux métamorphoses décevan-
44 LA DÉESSE liUDDHIQUE TARA
tes, peuvent changer de costume, prendre des formes menteuses,
s'équiper d'armes dont le rayonnement épouvante et éblouit, celui
qui se souvient alors des formules qu'on tire de ton Tantra, rien
que par ce souvenir est délivré de son malheur et même ces mons-
tres qui se parent de guirlandes d'entrailles de cadavres, servent de
garde pour le défendre de tout mal.
18. — Les corps des éléphants sont comme les nuages qui
tonnent, les flots pressés du mada répandu sont comme les ténè-
bres, le rayonnement des armes fait une lueur d'éclairs, les flèches
sont la pluie qui tombe sur le champ de bataille. A celui que cer-
nent les ennemis acharnés aux bras d'une force extraordinaire tu
donnes un accroissement de force, et devenu sans égal le héros
réduit en poudre les ennemis avec fracas.
19. — Ceux dont les membres sont couverts de blessures, dévorés
de vers qui remuent dans les plaies béantes des veines attachées à
la peau et aux chairs puantes de sang et de pus, dont l'infection
dégoutte, châtiés par la maladie de leurs péchés passés ; ceux-là
lorsqu'ils s'attachent dévotement à la pratique d'un remède de
clioix et salutaire, au culte de tes pieds, leur corps prend la beauté
de l'or en fusion et leurs longs yeux sont des lotus.
20. — Môme quand, dans le vase de son oreille un précepteur
n'a pas déposé l'aumône de la science; même quand, l'igno-
rance le rend muet dans la société des savants; passé maître de
beau langage, il est revêtu de tous les ornements, de toutes les
parures et de toutes les dignités: il obtient à. la cour des rois les
trônes des gens éloquents, grâce à la puissance de la dévotion qu'il
a pour toi.
21. — Les membres mal couverts par des loques qui pendent à ses
hanches, déchirées et sales de poussière à force de coucher sur le sol,
écrasant ses poux vivants devant les demeures des autres, deman-
dant à manger dans un tesson ; celui qui te gagne avec une ferme
conviction gouverne une terre que rend aimable le sourire des
jeunes beautés agitant le chasse-mouche, terre abondante en
défenses d'éléphants enivrés de rut, et cet homme est abrité sous
un parasol incomparable.
22. — Ceux que lasse la constante recherche des moyens de trafi-
quer, de solliciter, de s'occuper, d'avoir une profession, de remplir
un ofhce ; qui n'obtiennent pas les richesses, fruits des mérites accu-
mulés par les bonnes actions amassées durant les existences anté-
rieures; ces gens-là, s'ils te demandent la fortune, ô Mère des mal-
heureux qui triomphes du destin, ils trouvent, eux les pauvres, des
trésors de masses d'or vomi par la terre.
LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA 45
\
23. — Celui qui se trouve sans moyens d'existence, sans plus
savoir que faire, que sa femme dont les vêtements sont usés, menace ;
que ses parents, ses amis, ses enfants et ses proches, même de loin
évitent, par Herté ; un tel homme par le seul fait de te faire connaître
sa misère, devient maître d'une maison dont les abords sont foulés
par les sabots des chevaux et, dans son sommeil, seul le cliquetis
des bracelets des femmes de son gynécée le réveille.
24. — Pour que le disque pénètre de ses rayons le cercle de
l'horizon, pour que la femme soit parée des signes de la beauté et
irradie de tous côtés, pour que l'animal aux six défenses devienne
le premier entre les éléphants, pour que le cheval de choix ait la
robe sombre et luisante comme le plumage du cou du paon, pour
que la pierre fine se purifie et brille comme le soleil, pour que le
trésorier trouve son trésor comble, pour que le général d'armée
dispose d'une multitude de héros, ô vénérable, il suffit d'une bribe
de ta grâce.
25. — A son gré, le roi des Vidyâdharas rend les hommages
sincères d'une hospitalité toujours renouvelée aux amantes dont le
plaisir est de folâtrer en ces lieux où elles donnent des rendez -vous,
sur ces roches de pierres précieuses parfumées de santal. C'est
qu'il doit une magique puissance aux formules qu'il t'adresse ;
lorsqu'il se rend à la forêt prin tanière du Malaya, comme des ver-
rous l'enserrent de bracelets frémissants les bras tendus vers lui,
gras, assombris par le reflet de ses armes.
26. — Un collier bat leurs seins, leurs yeux allongés rivalisent
avec le lolus qui orne leur oreille, de leurs tresses s'exhale une
senteur fraîche, tresses fleuries de fleurs de mandâra auxquelles
s'enivrent les abeilles, le bruissement des anneaux de leurs pieds
s'harmonise au cliquetis continu des ceintures, joyeuses d'excita-
tion amoureuse et respectueuses aussi, elles, les vierges célestes
sollicitent celui (jui t'adore.
27. — Là des guirlandes de pistils de diamants dans les lotus
d'or, là des étangs dont les bords sont cachés par les pierreries,
là se soulève en dais gracieux la poussière du pollen des fleurs de
l'arbre pârijâta qui s'élance dans les airs, là s(^ donne un concert
d'harmonie par les belles de la ville des immortels habiles à jouer
de la flûte et du luth: c'est le jardin du Nandana, où celui qui se
livre à ton culte goûte longtemps la joie d'être.
28. — Dans la Mandâkinl à l'onde parfumée par la poudre du
nard, de l'agaru, et des écorces odorantes du giroflier, du caida-
mum et du camphiiei-, dont les vagues s'arrêtent en tourbillons dans
le creux d'entre les seins que soulève l'excitation de l'ivresse
46 LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA
amoureuse des amantes peu paresseuses au jeu de l'eau, ils folâ-
trent avec de belles femmes, ceux qui ont la puissance épanouie de
leurs bonnes œuvres mûrie par l'attachement de leur cœur à toi.
29. — Par les premiers des dieux, la tête inclinée sous le fardeau
de l;i discipline, ses ordres sont honorés dans le sein du Svarga ; il
est monté sur l'éléphant des dieux, dont les membies brillent de
parures sonnantes; il est enlacé par le balancement du collier des
bras de Çacî : sur son corps ses poils frissonnent ; c'est que purifié
par ton regard qui s'abaisse sur lui, il règne sur la terre des dieux
et son avant- bras est encerclé de diamants.
30. — Ta beauté s'épand dans le ciel où le Sugata est assis sur
un siège que forme uno couronne, par toi les trois mondes resplen-
dissent de rayons plus bi'illants que des milliers de soleils levants
dans leur fraîcheur; Visnu, Indra, Rudra et Brahma se courbent
sous le faix de ton pas lorsque tu te tiens sur un pied dans l'atti-
tude fière de VAlïdha\ si dévotement elles honorent ta beauté, tu
supprimes la crainte des renaissances pour les créatures.
31. — Il y en a qui te voient sous ton aspect furieux, alors que tu
agites des armes éti ncelant.es à tes bras tels que les troncs d'une
foret qui pénétreraient le milieu du ciel ; en guise de bracelets tes
serpents aux aigrettes eflïoyables : c'est la forme que tu prends
pour inspirer la peur. Les ennemis tremblent à ton rire bruyant
tjui est comme un tambour aux vibrations intenses au moment où
elles éclatent ; et les vampires dressent leurs mains et les entrecho-
quent et font un tumulte d'ivresse folle et de joie bruyante qui fait
frémir-.
32. — D'autres te voient sous un autre aspect : dans l'intervalle
de tes poils s'étendent et le vaste ciel et la surface de la terre, où
demeurent en la béatitude Brahma, Indra, Rudra et le reste
des dieux et des hommes, et les Maruts, et les Siddhas, et les
(Jandharvas, et les Nâgas. Le cercle de l'Iiorizon estcnv^ahi par la
splendeur de Buddhas que tu te plais à créer par centaines et sans
fin, prodigieuse, digne des hommages des trois mondes, embrassant
dans ta propi'e nature toutes les créatures tant mobiles qu'immo-
biles.
33. — Il y en a qui te voient empourprée comme le rouge soleil
aux rayons plus rouges encore que la laque et le sindûra, d'autres
1. Ali(]li;i. Posiliou narticiilirre (!«' tir, la jambe droite en avant el lagauclu'
rephée.
2. l,e commentaire appli(iuo le vers M h l'aspect que Tara rovét aux
yeux des méchants, tandis que pour les pieux dévots elle est toute compassion.
LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA 47
te voient sombre comme la poussière impalpable des éclats d'une
pierre splendide de saphir opaque, d'autres encore t<^ voient plus
blanche que le lait baratté de l'Océan ou brillante comme l'or.
Ta forme universelle est semblable au cristal qui change d'aspects
quand les choses qui sont autour de lui changent.
34. — Témoin uni([ue de la vérité absolue qui peut être connue
tout entière lorsqu'elle est éclairée par la lampe de l'omniscience,
l'Omniscient ou son fils connaît par ses propres yeux le compte du
nombre de tes qualités, mais tout ce qu'un homme comme moi en
ouvrant toute grande la bouche peut faire entendre n'est que croas-
sement de corneille, et cette misère est cause de ridicule pour mon
esprit qui en souffre une fièvre de maux intenses.
35. — Ce que je désire te faire connaître, tu le sais en détail déjà
d'avance, mais la façon dont se fatigue extrêmement l'ignorant
en s'exprimant à toi devient une cause de satisfaction pour lui ;
comme en présence d'une mère affectueuse alors môme qu'elle sait
tout déjà, le malheureux qui vomit sa douleur comme un poison
obtient le bien-être.
3G. — O toi qui es le croissant de lune manifesté sur l'océan de la
joie du bien, donne-nous ta vue rafraîchissante, fais-nous croître
par l'enseignement de la science, ô toi dont la compassion est
intense, dissipe l'obscurité intérieure; j'ai purifié mon cœur dans
l'eau lustrale de ta louange, le salut unique est assuré pour moi,
puisque l'éloge de tes vertus est la seule ressource infaillible des
créatures.
37. — En louant une fraction insignifiante de la foule de tes
mérites j'obtiens un mérite spirituel, qui a la saveur du suc exquis
du fruit du souhait du jour pur, pour en jouir jusqu'à la déli-
vrance. Puisse le monde entier par ce même mérite s'en aller tout
de suite vers la terre des fils de Sugata, terre qui porte la bienheu-
reuse empreinte du Svastika de la plante des pieds du noble
seigneur du monde, terre qui a nom Sukhâvatî!
48 LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA
X
ÀRYArÂRÂBHATTÂRIKÂNÂMÀSTOTTAFlAÇATAKASTOTRA
Om mimah çrimadâryatârâyai
çrïmatpotalake ramye nânâdhâtuvirâjite |
nânâdrumalatâkïrne nânâpaksinikûjite | 1 |
nânânirjharajhanikâre nânâmrgasamâkule |
nânâkusumajâtïbljili samantâd adhivàsite | 2 |
nânâhrdyaphalopete salpadodgïtanisvane |
kinnarair madhurair gïtair mattavtâraiiasanikule | 3 |
siddhavidyâdhâraganaih gandharvaiç ca ninâdite |
muiiibliir vïtarâgaiç ca satatani samnisevite | 4 |
bodliisatvagaiiaiç cânyaili daçabhûmïçvarair api |
âryatârâdibhir devividyârâjûïsahasrakaih | 5 j
krodharâjaganaiç câriyaih hayagrivâdibhir vjte |
sarvasatvahitodyukto bhagavân avalokitah | (î |
vijaliâra latab çrhiuui padiiiagarbhasan(i ^ slliitah |
niahatâ tapasâyukto inaitryâ ca" krpayân vital; | 7 |
dhariuaiji didera tasyaiji sa iiiahat3^âni devaparsadi |
tati'opavistain agamya vajrapaiiir maliâbalah ' | 8 |
1 H. taie.
:i. B. va.
3. C. varali
LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA 9
paramakrpayâ yuktah papracchety ^ avalokitam |
taskaroragasimhâgnigajavyâglirâmbusamkate | 9 |
sïdanty amï inune satvâ magnâl.i saiiisarasâgare |
baddhâh sanisârakaih pâ(;.ai râgadvesataraopahaih | 10 |
mucyante yena saiiisârât tan me brûhimahàmune |
evam ukte jagannàthah saçrimân^ avalokitali | 10 bis \
uvcica madhurâni vânïiu vajrapânini prabodhinam |
çrnu guhyakaràjendra amitâbhasya tâyinah | 11 |
pranidhànavaçotpaiinâ mamâjnâ lokaraâtarah
mahâkaruiiayopetâ jagaduddbaranoddlu'tâli | 12 |
uditâdityasainkâçâli pûrnenduvadanaprabhâh |
bbâsaj^anti drumâiiis târâh sadevâsuramânusân | 13 |
kampayanti trayo lokân trâsyantï yaksarâksasân |
nïlotpalakarâ devi ma bliair ma bhair iti bruvan | 34 |
jagatsaniraksanârthâya aham utpâditâ jinaih |
kântâre (;astrasai]iparke nânâbhayasamâkule | 15 |
smaraiic'id eva nâmâni satvàn raksâmy ahani sadâ |
târayisyâmy ahani nâtha^ nânâbhayamahârnavât | IG |
tena târeti main loke gâyanti munipunigavàh |
krtârijalipulâ bhûtvâ tatali sâdarasâdhvasâh | 17 |
jvalatiryantarlksestha idani vacanam abravît* |
nâmâslaratakani brûhi yat purâ kïrtitaiu jinaih | 18 |
dâçabhûmïçvarair nâthair bodhisalvair mahaiddhikaih |
sarvapâpaharain punyain mângalyain kïrtivardhanam | 19 |
1. D'ap. Ç. — A. papraccba so.
2. B. supprime le second hémistiche du Aers 10 et le premier hémistiche
du vers 10 hif^, où il remplace çrimàn par varman.
3. B. satva.
4. B. abruvau.
50 LA DÉESSE BUDDHIQL'E TARA
dhanadhânyakaraiii caiva àrogyapustivardhanam , ^
maitrlm âlambya salvânâni tat kirtaya mahàmune | 20 |
evam ukte tha bhagavân prahasann avalokitali I
vyavalokya diçali sarvâ maitryâ sphuranayâ drçâ | 21 |
daksinakaram uddhrtya punyalaksaiiamanditam |
lam uvâca mahâprâjnah sâdhu sâdlm inahâtapah | 22 |
nâmâni çrnu mahâbhâga sarvasatvaikavatsalah |
yâni sainkirlya manujâh samyak le syur dhaneçvarâh [ 23
sarvavyâdhivinirrauktâli sarvaiçvaryaguiiânvitâh |
akâlamrtyunirdagdhâç cyutâ yânti sukhâvatïm J 24 |
tâny ahaiii sanipravaksyâmi devasanigliâh çrnudhva me
anumodeta [sad] dharme bliavisyadhvani sunirvrtâli* | 25 |
0111 locane sulocane tare târotsave sarvasatvânukampini
sarvasatvottârini sahasrabhuje sahasranelre | 26 |
oni iiamo bhagavale valokya âvalokyâ^ |
sarvasatvânâni câham phut svâhâ* || 27 |
01)1 çuddhe viçuddhe çodhanaviçodbani ^ |
sugatâtmaje maitrihrdaye nirraale çyâme gyâmarûpini | 28
mahâprâjfie pravare pravarabhûsite parâjite |
mahâraudri viçvarûpi mahâyaga® | 29 |
kalpâgnimahâtejâ lokadhâtri^mahâyaçâ |
sarasvati vigillâksï prajûâçrïbuddhiAardhanl | 30 |
1. B. : dhanadhànyakarani caivârogyapustivardbanam
ayuràrogyajanani sarvasatvasukliavaham. etc..
2. C. anumodc bbavetadvà bhavisyadhvani suuirvrtâb || 25 |1
3. C. ajoute : inàm. •
-1. C. ajoute : Om tare tuitare ture svàba.
.^. Çodbana \içodbani manque dans B et dans C.
G. B. mababalà.
7. D'ap. B. — A. : lokatri.
LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA 51
0111 dhvtidâ pustidâ svâliâ oiiikârà kâmarripiiil |
sarvasatvabitodyuktâ saijigrâme târani jayâ | 31 |
prajfiâpârarnitâdevï âryâtârâ manoraïu'î |
dundubhisakhinï pûrnavidyâràjûî priyaiiivadâ | 32 |
caiidrânaiitâ niabâgaurï ajitâ pïlavâsasâ |
raahâraâyâ mabâçvetâ maliâbalapaiàkrii nuî | 33 |
mahàraudiï mahâcandi dustasatvaiiisQdanI |
praçântâ çâiitarripâ ca vijayâ jvalanaprabhâ | 34 |
vidyunmâlï dlivajï khadgî cakrï câpayutâyudhâ |
jambhani stanibhanï kâll kiilarâtri niçâcari | 35 |
raksanï mohinî çântâ kântâ vibhâvini çubhâ |
brâhmani vedamâtâ ca guhâ ca guhavâsini | 3G |
mângalyâ çankarï' saumyâ jâlavedâ manojavâ |
kâpâlini mahâbhâgâ'^ saïudhyâ satyâparâjitâ | 37 |
sârthavâhâ krpadrstl nasiamârgapradarçanï |
varadâ çâsanï çâsirï strïrûpâmitavikramâ | 38 i
çavalï yogini siddlut câiidâti câiiiitâ dhruvâ |«
dhanyâ punyâ mahâbhàgâ subhâgâ priyadarçani | 39 1
krtântalrâsanï bhlmâ ugrâ ugramahâtapà |
jagadekahitodyukiâ çaranyâ bhaktivatsalâ | 40 |
vâgïçvari ci va suksmâ nityâ sarvàrthamâtrkâ' |
sarvârthasàdlianl bhadrâ goptri dhâtri dhanaiiijayâ | 41 |
abhayâ gautamî punyâ çrïmallokeçvarâtmajâ* I
tara niimagunânantâ sarvâçâparipùranï | 42 |
1. A. Sakaii.
2. B. — vegà — ce qui éviterait un double, v. v. 80.
8. B. donne: "inannsa. et C: sarvatracànuga.
4. C. donne prokta pour punya. Corr. d'ap. B. — A, : jcti.
52 LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA
nâmâstottaraçatakam tat kirtitaiji hitena vah |
rahasyam adbhutani guhyam devânâm api durlabham | 43 |
saubhàgyam bhâgyakaranain sai'vakilbisanâçanam |
sarvavyâdhipragamanani sarvasatvasukhâvaham | 44 |
trikârani yah pathed dhimàn çucih snânasaraâhitah |
^acirenaiva kâlena ràjyaçriyani avâpnuyât | 45 |
duhkhitah syat suklii nityadaridro dhanavân bhavet |
[jadoj bliavet mahâprâjno medhavi ca na saniçayah | 46 |
bandhanân mucyate baddho vyavahâre jayo bhavet |
çatravo mitralâiii yânli (^riiginac; câtha danislriiiah | 47 |
saiiigrâme saiiikate durge nâiiâbhayasaniâkule |
smaranâd eva nâmâni [sarvapâpâny] apoliati | 48 |
nâkâlanntyur bhavati prâpnoti vipulâni çriyam |
mânusyaiii saphalain januia yasya- kasya mahâtinanah | 49 |
yaç cedani prâtar utthâya mânavah kirtayisyati |
sa dïrgliakâlam âyusmân çriyani ca labhate narali | 50 |
devâ nâgâs tathâ yaksâ gandliarvâh katapùtanâh |
piçâcarâksasâ bhûtâ mâlaro raudratejasah | 51 |
•' ksayâpasmârakârakaç caiva ksatakâkhordakâdayah* |
dâkinyâs târakâ pretâh skandâ mârâ mahâgraliâh | 52 |
châyâm api na langhante '' kiin punas tasya vigrahah |
dustasatva na vâdhante vyâdhayo nâkramanti ca | 53 |
devâsura[ni]api saingrâmam anubhavanti maharddhikâh |
sarvaiçvaryagunair yuktal.i putrapautraiç ca vardhate | 54 |
1. H. porte: çodhane sàdhakasyevaiàdhyaçriyam. A. : çodbakasyeva.
2. D'ap. B. et C. au lieu de: tasya.
H. n. — bha.vaiii.
4. Dans C. les hémisticbes duv. 52 sout intervertis, elle second linit ainsi:
krtyâkarkotakâdayah || 48 1| .
b. Corr. d'ap. B. au lieu de : nalaghake.
LA. DI-:i%SSE BUDDHIQUE TARA 53
jâtisiJiaro bhavecl dliiinân kulînah priyadarganaU | 55 |
prïtimâijiQ ca mahâvâgmï sarvaçâstr'avi<,'âradah | 56 |
kalyânamitrasanisevi bodhicittavibhCisital.i |
sadâvirahito buddhair yatra yatropapad yate | 57 |
1 ty âryatârâbhattârikâyâ nâraâsiottaraçatakani buddhabhâsilairi
samàptam |
I (,'ubham |
54 LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA
XI
TRADUCTION DE LA LISTE DES CENT HUIT NOMS D ÀRYA TARA
Hommage à la glorieuse ÀryaTârâ.
Sur le nol)le Potalaka, qui est agréable, qui resplendit de
l'éclat de divers minéraux, que recouvrent des lianes et des
arbres variés, qui résonne des cris d'oiseaux de toutes sortes,
1 — rendu bruyant par de nombreuses cascades, peuplé de gi-
bier de toutes les espèces, que parfument de tous côtés les
2 fleurs de jasmins et de lotus variés, — fourni de fruits déli-
cieux et divers, tout plein du susurrement des abeilles et rem-
pli d(^s doux chants des kinnaras et des éléphants ivres, —
3 fréquenté par des troupes de vidyâdhâras, de saints et degan-
dharvas bruyants, et par les ascètes exempts dépassions;
4 fréquenté aussi, éternellement, — par les foules des bodliisat-
vas et par les autres seigneurs des dix terres, et par des
milliers de déesses et de reines de la science, à commencer par
5 ZVrya Tara, — couvert par h^s troupes du roi de la Colère
et d'autres, à commencer par Hayagrïva; (sur ce Potalaka) le
bienheureux Avalokita qui est attentif au bien de toutes les
G créatures, — se tenant sur le siège fait du cœur d'un lotus, le
bienheureux était là, doué d'un grand ascétisme et plein de com-
7 passion et d'amitié. — Il enseignait la Loi dans cette grande
assemblée des dieux. Étant venu vers lui, (|ui était assis là,
8 Vajrapâni à la grande force — inspiré par la plus vive com-
passion, interrogera ainsi Avalokita :(( Voleurs, serpents, lions,
» feu, éléphants, sont comme des flots qui rendcMit plus pèril-
9 )) leuxeucorerocéan des transmigrations; — o Muni ! ces êtres
)) y tombent noyés, liés par les lacets du sanisâra (]ui entraî-
10 )) nentlesténèbres, la haine et les passions ; — ce par quoi on
)) est délivré du sanisâi'a, dis-h^-moi, o grand Muni!» Ainsi
10'"* interpellé, Avalokita, le maître du monde, répondit -— une
douc(' parole à Vajrapâui qiii veuille : (( iM'Oute, sou\eraindes
LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA 55
11 » Guhyakas, le sauveur Amitâbha. — Les Mères du monde,
» nées par la puissance de mon recueillement, douées d'une
12 )) grande pitié et attentives à sauver le monde, — semblables
» au soleil levant, ayant un éclat pareil à celui de la pleine
» lune, les Taras illuminent les arbres avec les dieux, les asu-
13 » ras et les hommes, — elles font trembler les trois mondes,
)) épouvantant les yaksas et les râlcsasas. La déesse qui a en
» main un lotus bleu : N'aie pas peur, n'aie pas peur, ainsi dit-
14 » elle, — c'est pour protéger le monde que j'ai été créée par
» les jinas. Dans les fourrés quand les épées se croisent, quand
15 » le danger est pressant, — par Icseul souvenir de mes noms,
» je protège toujours les créatures, je les ferai traverser, moi,
)) ô protecteur, hors des grands flots et des craintes diverses,
16 » — C'est pourquoi sous le nom de Tara, ils me célèbrent les
» taureaux des Munis, ayant fait Tanjali en forme de coupe,
17 » là, avec respect et émotion. » Il (Vajrapâni) dit cette
parole : u Dis les Cent huit noms qui ont été proclamés au-
18 )) trefois par les jinas, — par les seigneurs des dix terres, par les
)) bodhisatvas qui sont doués de force surnaturelle, noms qui
)) enlèvent tout péché, purs, qui portent bonheur, qui dévelop-
19 » pent ïa splendeur, — qui donnent la richesse et les moissons,
» et qui accroissent aussi la prospérité et la santé; au nom de
» ton amitié pour les créatures, fais cela, ô grand Muni. »
20 A ces paroles, le bienheureux Avalokita, souriant, jetant
ses regards sur toutes les régions de l'horizon, d'un œil étince-
21 lant de bienveillance, — soulevant la main droite ornée d'un
signe propice, dit à celui-ci, le grand sage :
22 (( Bien, bien, ô toi qui as un grand tapas, entends les noms,
» ô toi bienheureux, unique chéri, en les répétant les hommes
23 )) sont tous des princes des richesses,— ils sont délivrés de toutes
)) les maladies, doués de toutes les qualités et de tous les pou-
» voirs, ils écartent la mort qui est hors de temps, et une fois
24 » tombés, ils arrivent à Sukhâvatî. — Ces noms, je vais les
» énumérer, divinités assemblées, écoutez-moi, réjouissez-vous
25 » dans la loi — et soyez bien apaisées dans le dharma. Ôni !
» hommage à celle quia des yeux, qui a de beaux yeux, Tara, fête
)) à Tara q»ui est miséricordieuse envers toutes les créatures, qui
» sauve toutes les créatures, qui a mille bras, qui a. mille
26 )) yeux, — ùin, hommage à Bhagavati, de toutes
27 )) les créatures — phut ! svtâhâ ! Oni, hommage àla pure,
» à la très pure, qui purifie, qui nettoie, fille du Sugata, qui a
)) le cœur plein d'amitié, qui est sans tache, de couleur sombre,
56 LA DÉESSE BIDDHIQLE TARA
28 » qui a le visage sombre, — très sage, excellente, excellemment
» parée, invincible, inspirant un grand effroi, revêtant toutes
29 )) les formes, à la grande splendeur, — au grand éclat du feu
)) du kalpa, protectrice du monde à l'immense gloire, Sa-
30 » rasvati, aux grands yeux, faisant croître la sagesse, la beauté
)) et la raison ; qui est ôni, qui revêt à son gré la forme qu'elle
)) souhaite , qui est bonne pour toutes les créatures ,
31 )) dans le combat sauveuse et victorieuse, — déesse de la per-
)) fection de la science, noble Tara qui réjouit le cœur, amie
)) du tambour, reine de la complète science, qui dit des
32 » choses agréables, — qui a un visage de lune, au teint grande-
» ment clair, invincible, au vêtement jaune, grande Mâyâ, très
33 » blanche, très forte, très puissante, — très terrible, pleine de
)) grande fureur, meurtrière des créatures mauvaises, apaisée,
)) à la beauté calme et victorieuse, qui a l'éclat des flammes,
34 » — enguirlandée d'éclairs, porte-drapeau, porte-glaive, porte-
)) disque, qui a un arc et des armes, destructrice, soutien,
35 )) Kâlï, nuit du temps, noctambule, — protectrice, qui trouble,
)) qui est apaisée, bien-aimée, brillante, brâhmanï et mère des
36 )) Vedas, cachée et habitante des cavernes, — propice, heu-
)) reuse, douce, qui a engendré le Veda, prompte comme l'es-
)) prit, ornée de crânes, qui a une grande destinée, crépuscule,
37 )) véridique, victorieuse, — conductrice des caravanes, qui
)) regarde avec compassion, qui montre la route aux égarés ;
)) elle donne des faveurs, elle ordonne, maîtresse parée de
38 )) la beauté féminine, au grand courage, — bigarrée, pra-
» tiquant le yoga, sainte, Cândâlï, immortelle, inébranlable,
)) opulente, pure, à la glorieuse destinée, ayant une belle
39 )) existence, agréable à voir, — faisant trembler la mort.
» terrible, farouclie, elle a un puissant et effrayant tapas, elle
)) n'est attentive qu'au bien du monde, protectrice, amie de
40 )) la dévotion, — princesse de l'éloquence, favorable, subtile.
» éternelle, réalisant toutes les fins, elle réalise l'exécution de
» tous les projets, heureuse, bienfaitrice, nourricière, elle con-
41 )) quiert les richesses, — intrépide, Gautamï, sainte fille du
» vénérable maître du monde. Tara est infinie par les
)) qualités de ses noms, elle comble entièrement toute espé-
42 » rance. — Ces cent huit noms ont été promulgués pour votre
» utilité, noms mystérieux, miraculeux, secrets, difficiles à
43 » acquérir même pour les dieux, — ils procurent la bonne
» fortune et un heureux destin, ils détruisent tous les péchés,
» ils sont l'apaisement de toutes les maladies et apportent la
LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA 57
44 )) joie à tous les êtres. — Celui qui les réciterait trois fois in-
)) telligent, pur, après avoir prisunbain, obtiendra en peu de
45 )) temps les honneurs royaux, — r le malheureux deviendra
)) heureux perpétuellement, le pauvre sera dans l'opulence,
)) l'idiot deviendra très sage et très intelligent , il n'y
46 » a aucun doute à cet égard, — celui qui est lié sera
)) délivré de ses liens, dans les procès il triomphera,
)) les ennemis deviendront des amis, et les bêtes à
47 )) cornes ou à défenses; — dans la bataille, dans les lieux
» impraticables, dans les endroits difficiles, remplis de causes
» variées de frayeur, par le fait du souvenir de ces
48 )) noms, les péchés sont entièrement enlevés. — Il n'a pas de
» mort intempestive, il obtient une grande prospérité, sa
-" )) naissance comme homme sera fructueuse pour qui que
49 » ce soit qui sera magnanime, — qui, s'étant levé le matin,
» célébrera ceux-ci; — un tel homme obtiendra une longue
50 » vie et le bonheur. — Les dieux, les Nâgas et aussi les
)) Yaksas, les Gandharvas, les démons destructeurs et les
)) Piçâcas, les Râksasas, les Bhûtas, et les Mères à l'éclat
51 )) terrible,— >ceux qui apportent la mort et l'épilepsie, les Ksa-
52 )) tas(?) Kàkhordaka, etc, les Dâkinis, les Târakas, les Prêtas,
)) les Skandas, les Mâras, les grands monstres, ne franchis-
)) sent même pas son ombre, à bien plus forte raison ils ne le
)) saisiront pas ; les créatures impures ne le frappent pas, les
53 )) maladies même ne l'approchent pas. — Les dieux et les
)) Asuras l'assistent au combat (?), eux qui ont une grande pais-
)) sance surnaturelle, il est doué des qualités de la domination
51 » universelle, il s'accroît par ses fils et ses petits-fils. — Il
)) aura le souvenir de ses naissances antérieures, intelligent,
55 » noble et agréable à voir, — doué de charmes, très éloquent,
50 )) versé dans tous les castras; orné de la pensée de la bodhi,
)) fréquentant de bons amis spirituels, et toujours non aban-
57 )) donné par les Buddhas, où qu'il se trouve. »
Ainsi est terminée la liste des Cent huit noms de Àrya Tara, la
princesse, énoncés par Buddha.
58 LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA
XII
EKAVIMÇATISTOTRA
1 Namas tare ture vîre ksanadyutinibheksane |
trailokyanâthavaktrâbjavikasatkesarodbhave 1 1
2 namah çântasaraccandrasampûrnapatalânane |
tare sahasravikalpaprahasatkiranojjvale ||
3 namah kanakanîlâbjapânipadmavibhûsite |
dânaviryatapahksântititiksâdhyânagocare 1 1
4 namas tathâgatosnisavijayâQantacârini |
açesapâramitâpraptajinaputranisevite ||
5 namas tuttâraliiiiiikârapûritâçàdigantare |
saptalokakramâkrântâ açesâkarsanaksane ||
6 namah çakranarabrahmamarudviçveçvarârcite
bhûtavetâlagandharvaganayaksapuraskrte 1 1
7 namas tratritriphatkâre paramantrapramardani
pratyâlîdhapâdanyâseçikhijvâlâkulojjvale ||
8 namas ture mahàghoro mâraviravinâ(;ani |
bhrkutîkrtavaktrâbjasarvaduslanisûdani ||
9 namas triratnamudrânke hrdyângulivibhùsite |
bhûsitâçesadikcakranikare sukulâkuh^ ||
10 namah pramuditâtopamukutâksiptasânni |
hasatprahasattuttâre mâralokabhayanikari ||
LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA 59
11 namah samantabhûpàlàpâtâlâkarsanaksane |
bhrkutikrtahûmkâre sarvâpadavimocani ||
12 namah çikhandakhandendumukutâbharanojjvale |
amitâbhatathâbhâre bhâsvare kiranadhruve ||
13 namah karatalâghâtacaranâhatabhùtale |
bhrkutikrtahûmkârasaptapâtâlanâçini 1 1
14 namah kalpântahutabhugjvâlâmâlântare sthite |
âlïdhamuditâbaddharipucakravinâçini ||
15 namah çive çubhe çânte çântanirvânagocare |
svcïhâ pranamya samyukte mahâpâtakanâçini ||
IG namah pramuditâbaddharipugâtraprabhedani |
daçâksarapâdanyâse vidyâhumkâradîpite ||
17 namas ture pâdâghâte hunikârakârajivite |
merumandalakailâçabhû vanatrayacàrani 1 1
18 namah surâsarâkàraharinîkakare sthite |
liaradviruktaphatkâra açesavisanâçini ||
10 namah suraganayaksâsiirakinnarasevite |
âbaddhamuditâbhogakari duh(sva)pnanâçini ||
20 n imaç candrârkasampûrna nayanadyuti (s va) bhâsvare |
tara dviruktottâre visamajvalanâçini ||
21 namas tritalavinyâse çivaçaktisamanvite |
grahavetâlayaksâdyanâçani pravare ture ||
1 MantramCdam idani stotrarn namaskâraikaviniçati |
yah pathet prâyaço dhimcân devycâ bhaktisamanvitah
2 so yani va prâtar utthâya smaret sarvâbhayapradain |
sarvapâpapraçamanam sarvadurgatinâçanam ||
60 LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA
3 abhisiktobhnya tûrnaiii asmin iiiahattâm âsâdya |
vi^aiii tasya iiiahaglioi'aMi smaranât pralayam yânti ||
4 grahajvalavisàrtânam anyesâni caiva satvânâm |
putrakâmo labhet piitraiii sarvakâniân avâpnoti ||
5 saptabhir jinakotibhih so nte bauddhapadain vrajet |
sthâvaraiji vâtha jangamain sâd idaiii pidam eva ca ||
6 paramârtivinâçanam dvitrisaptâbhivartinâm |
dhanakâmo labhed dhanaiii na vighnaih pratihanyate':=
Iti çrïsaipyaksaipbuddhavairocanabhâsitam bhagavatyâryatârâ-
devyâ namaskâraikaviniçatistotrani sampûrnam samâptani ||
Il çubham ||
1. Variantes du ms. B
V. 7. — kulajvale.
V. 8. — sundani
V. 10. — màrini.
V. 12. — abharanajviilo.
Les vers des strophes de louange de la fin sont donnés dans un ordre diffé-
rent par le ms. B.. mais le texte en est identique.
LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA H{
XIII
CONCLUSION
Le buddhisme, à son origine, semble avoir été plutôt défavorable
à l'élément féminin; qu'on se rappelle les difficultés qui furent
soulevées quand la mère adoptive du Buddha, Mahâprajâpati et les
religieuses demandèrent à être admises officiellement dans la
communauté et les reproches que dut essuyer Anânda, si nous en
croyons les récits relatifs au premier concile^ pour les avoir proté-
gées \ Ces traits trahissent, soit chez les fondateurs de l'église une
préoccupation déjà motivée par le danger d'une influence fémi-
nine, soit chez les rédacteurs du canon un esprit d'hostilité dési-
reux de se légitimer par un appel au passé.
Tandis que le rationalisme monastique des églises singhalaises
réussissait à écarter ce péril, l'église du Nord, plus fidèle au
véritable esprit de l'Inde, ouvrait la porte aux divinités féminines
et leur permettait d'acquérir peu à peu un rang prépondérant dans
son panthéon.
La fortune d'Àrya Tara est la plus éclatante de toutes.
La légende et l'étymologie sont d'accord pour donner à Tara une
double physionomie aisément réductible à l'unité.
Le buddhisme rattache de préférence son nom à la forme cau-
sative de la racine taj\ traverser; Tara est alors la déesse qui fait
traverse?^- son nom éveille comme un écho dans l'imagination
indienne la métaphore, usuelle au point d'être inaperçue, de l'Océan
des existences. La série des transmigrations apparaît en effet à
l'Hindou comme une mer infinie; c'est à trouver le moyen d'en
atteindre l'autre bord que la religion et la philosophie ont l'une et
l'autre épuisé leurs ressources.
Le brahmanisme, de son côté, connaît aussi une Tara, soit que
jaloux d'une déesse née en dehors de ses traditions il l'ait annexée
au moyen d'une légende, soit que Tara, l'épouse brillante de
Brhaspati, mère de Buddha, eût déjà son histoire telle que nous la
1. Voir Minayetï, trad. de M. do Pompignan, p. 35.
()2 LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA
doniieût les Purânas' ; il rattache son nom à la désignation géné-
rique de l'étoile, en sanscrit : icwd, la claire.
Ces deux aspects se sont facilement confondus : Tara gardera
toujours l'empreinte de son origine; nous avons vu qu'elle sauve
constamment ses adeptes de l'eau ou par l'eau en les faisant atterrir
en lieu sûr; elle est aussi le guide fidèle, l'étoile du nautonier,
Stella maris invoquée du navigateur'.
1. Cf. Visnupurâna, iv. 6, Bhàgavatapûràna, ix. 14, 4-8, et Harivausa,
xxv^
Voici le texleduHarivansa d'après la traduction de Langlois, t I,p. 113-114:
« Après s'être acquitté de la cérémonie qui complète le sacriMce, heureux
et chéri de tous les Devarsis, il (Sonia) brilla parmi les rois dont il était le
souverain, étendant sa lumière sur les dix régions du ciel. Mais à peine
eut-il obtenu cette domination difficile à acquérir que les munis eux-mêmes
avaient sanctionnée de leurs bénédictions, que sa raison se troubla, égarée
par l'orgueil. Il enleva la glorieuse épouse de Vrhasputi nommée Tara,
manquant ainsi au respect qu'il devait au iils d'Angiras. En vain les dieux et
les Ràjarsis vinrent le prier de réparer cet affront : il refusa de rendre Tara.
Le précepteur des dieux Vrhaspati fut indigné de sa conduite et lui déclara
la guerre. Uçanas se mit dans rarrière-garde du fils d'Angiras; il avait été le
disciple de Vrhaspati plutôt que de Bhrgu son père. Le dieu Rudra lui-
même, par amitié pour sou maître outragé, prit le commandement de cette
arriére-garde et s'arma de son arc Ajagava; il lança contre les dieux parti-
sans de Soma un trait redoutable qui abattit tout leur orgueil. Alors se livra
ce combat terrible auquel Tara a donné son nom, combat sanglant également
funeste aux Devas, aux Daityas et aux mondes. Ceux d'entre les dieux qui
avaient échappé et les Tusitas se présentèrent devant Hrahma, leur protec-
teur, maître suprême et éternel. Ce dieu arrêta Uçanas et Rudra. et rendit
lui-même Tara au fils d'Angiras. Mais Vrhaspati s'étant aperçu qu'elle était
enceinte, lui dit : « Le sein de ma femme ne doit pas garder ce fruit.» Au.ssi-
tôt il la débarrassa avec violence d'un enfant qui devait un jour êU'e terrible
pour ses ennemis et qui brilla comme un feu qui tombe sur une jonchée de
roseaux. A peine était-il né qu'il offrait toute la beauté des dieux. En ce
moment les Suras indéc'is dirent à Tara : « Déclare la vérité, de qui est-il
fils, de Soma ou de Vrhaspati? » A cette question des dieux, elle ne répondit
rien de satisfaisant, son (ils lui-môme allait la punir par une imprécation,
Brahma le retint et interrogea cette épouse embariassée : « Tara, lui dit-il,
explique-toi sur la vérité, de qui est ce fils? » Saluant Brahma avec respect
elle répondit : « Il est fils de Sonia. » Alors Soma embrassant ce fils, dit :
«Voilà Budhal (Mercure). »
2. Se représenter les buddhistes indiens hostiles ù, la navigation serait
méconnaître un côté important de leur vie et le complément indispensable
du caractère missionnaire de leur foi. La traversée à Lanka n'était pas la
seule qui leur fût familière. Notre inscription javanaise en est une preuve,
de même aussi la légende bien connue de Piirna le vertueux (Burnouf,
JntrocL, p. 235 et suiv.), qui permet de constater l'existence d'une corpora-
tion de marchands marins très puissamment organisée dans la ville de Sûr-
paraka (au nord de Bombay). 11 serait singulier qu'il n'en eût pas été de
même dans bien d'autres villes maritimes commerçantes.
LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA 63
Les titres d'honneur que reçoit Tara montrent le rang qu'elle
occupe dans la savante hiérarchie buddhique :
Le plus fréquent de tous est : âryà, qui se joint à son nom
jusqu'à en devenir un élément inséparable. Cette épithète désigne
dans la langue technique de l'église buddhique le degré suprême
de saintetés
Tara est souvent aussi qualifiée de Bhattârikây la princesse. Ce
mot est un document historique précis : Bhattàrikâ est le féminin
du mot Bhattâraka, qui se rencontre à partir du sixième siècle dans
les inscriptions pour désigner les maharajas et les mahârajâdhirajas
(les rois vassaux ou les suzerains) et aussi les divinités de premier
rang^ ; il désigne les épouses de ces personnages.
Une autre épithète qui est devenue comme un surnom de Tara
esi Sragdharâ, la porteuse de guirlande; c'est sans doute la popu-
larité de ce nom qui a déterminé Sarvajnamitra à célébrer sa
divinité préférée dans le mètre également appelé Sragdharâ; le
Sragdharâ stotra est en effet à la fois l'hymne à Sragdharâ et
l'hymne en Sragdliarâ.
L'extension rapide du culte de Tara, soit en Chine, soit au Tibet,
s'explique par l'histoire du monde buddhique à partir du sixième
siècle : des pèlerins hardis parcouraient l'Asie tout entière et pro-
pageaient sur leur passage les doctrines, les croyances et les légendes
recueillies au hasard de leur course. Fa-Ilian, Kiouen-Tsang et
I-Tsing symbolisent ce grand mouvement. Néanmoins il ne faudrait
pas se représenter les éléments divers, ainsi transportés, comme se
pénétrant aisément les uns les autres ; ils formaient une mosaïque et
non point une unité compacte. Tandis que nos documents assi-
gnent à Tara une place très éminente parmi les divinités buddhiques,
c'est à peine si nous la voyons mentionnée dans le reste de la litté-
rature étudiée jusqu'ici.
La continuité du culte de Tara nous est confirmée par quelques
mentions de tïrthas de Tara dans le SDayainhhûpurâna'^ et les
titres de plusieurs tantras. (Voir page vi, note 1.)
La Tara originelle est dans l'ordonnancement du panthéon sep-
1. Voir Minayefî, trad. Pompiguan, p. 87.
2. Paçupati, Çiva et le Soleil. Cf. Fleet, Corp., p. 17.
3. A ce sujet M. de La Vallée Poussin nous communique je passage suivant
du Soai/ainb/iupurâna manusc. dev. 73 du Cat. de la Bibl. Nat., Paris.
P" 147. Le loi Açoka se rend successivement à tous les iirtbas et adresse
des prières à la série des divinités auxquelles ils sont consacrés, notamment
à Vànivati, Mâtrdevi :
Tato bbisiiyaryatârâtirtbam asadyâbhisecya Tàràm abbipujyaTâràm, bba-
64 LA DÉESSE BUDDHIQUE TARA
tentrional, attribuée comme épouse au dhyânibuddlia Amogha-
siddlia. II a fallu créer aussi pour les autres dhyânibuddhas des
compagnes qui ont reçu également le nom générique de Tara avec
des attributs particuliers^ .
Tara n'est pas restée un type isolé, elle a de nombreuses sœurs,
elle présente bien des traits communs avec les divinités féminines
du tanlrisme. Plus on se rapproche des pratiques tautriques, plus la
différenciation entre chaque personnage divin devient difficile. Dans
les stotras et dhâranis les hymnes de Tara se trouvent confondus
pôle-méle avec ceux de Mârici, Kurukullâ, Vasundharâ, Dhanadà,
Sanipatprada, divinités féminines qui composent la classe tan-
trique des Vidyâdevïs ou Mâlrkcâdevïs . Mais dans ces litanies
interminables les personnages sont si vagues qu'on se demande si
les noms représentent encore des individualités divines distinctes,
ou bien s'ils ne sont plus que le souvenir incompris des personnages
mythiques qui survi\ent ainsi aux vieux panthéons indiens pour
aller se confondre dans l'océan de l'hindouisme.
En résumé. Tara est une divinité du buddhisme du Nord, dont
le culte se propage en dehors de l'Inde dans toutes les régions où ce
buddhisme est porté. Lorsque le buddhisme devient de plus en
plus le culte adressé aux bodhisattvas et aux dhyânibuddhas,
Tara représente, sous forme de leur compagne, un élément féminin
dont la prépondérance va croissant dans la croyance comme dans
le rituel. Cet élément finira même par prévaloir sur le reste de ce
panthéon composite.
vasàgaratâre vividhàkâre tribhuvanasâre dûrikitamâre sainsàrasàgarato màni
uddharoddbareti so nyalra snanani pratyagamat.
Dans le ms. dev. 9;^, f. 109 a, est mentionné le S/'ar/clharfc stotra :
Saliayani asa bhavena Aryatara manohan
Taddhradasya ca madbye tu Aryatara sulaksniaiu
Tasuiin brade pi snànâc ca kàmapbalani pralabliyate
'ÏVLi\\i\^'\ rrafidhnrâdi ou Tâfû.^foti-oin patlian niuda
Evain kj'tva mânujaiçca vancbapbalani pralabbyate
1. Voir page 10. On appelle les Taras :
Blinikutitara, Sitatàrâ, Hatnatara, Viçvatara.
Il faut mentionner aussi avec le sixième Dbyanibuddba Vajiasattva sou
épouse Vajrasattvatraika, qui appartiennent en propre aux tantras.
FIN
TABLE DES MATIÈRES
Pages
Introduction . . IX
Bibliographie XIII
MATKRIAUX POUR SKIIVIH A L'illSTOIUli: DK LA DKESSK nUDUIlIQUK
TÀIÎÀ
1 Sources littéraires 1
II Documents épigraphiques 5
III Les images de Tara 9
IV Le rôle de Tara dans Tàranâtha. 13
V Textes 26
VI Introduction du commentaire de Jinaraksita oO
VII Traduction 3ii
VIII Aryatâràsragdharâstotra 34
iX Traduction 41
X ÀryatârâbhattârikànâmâstottaraçatakMstotra 48
XI Traduction de la liste des Cent huit noms de Tara 54
XII Ekavin_içaiistotra 58
XIII Conclusion (il
CMAION-SUU-SAONK, LMP. FUaNÇAISE ET OUIKN lALF, Dli L. .MAUCIÎAU
AS
162
B6
fasc.107
Bibliothèque de l'École
çra tique des hautes
études. Section des
sciences historiques
et philologiques
CmCULATE AS MONOGRAPH
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